Vous êtes sur la page 1sur 600

MANUEL

santé
DE

publique
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Connaissances, enjeux et défis

Préfaces de Laurent Chambaud et Emmanuel Rusch

Jacques Raimondeau (dir.)


Pierre-Henri Bréchat
Élodie Carmona
Gilles Huteau
Philippe Marin
Philippe Naty-Daufin

2020
PRESSES DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SANTÉ PUBLIQUE
Références Série de manuels de fond dans le domaine du droit, ou plus
large­ment des politiques sociales et de santé, à destination
Santé d’un public étudiant désireux d’accéder à toutes les connais­
Social sances ou références juridiques relatives à ce sujet.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

LE PHOTOCOPILLAGE MET EN DANGER L’ÉQUILIBRE ÉCONOMIQUE DES CIRCUITS DU LIVRE.


Toute reproduction, même partielle, à usage collectif de cet ouvrage est strictement interdite sans autorisation
de l’éditeur (loi du 11 mars 1957, Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992).

© 2020, Presses de l’EHESP – 2, avenue Gaston-Berger – CS 41119 – 35011 Rennes.


ISBN : 978‑2-8109‑0738-0
www.presses.ehesp.fr
Liste des auteurs

Jacques Raimondeau est médecin spécialiste en santé publique. Conseiller


médical au pôle santé publique et accidents collectifs du tribunal judiciaire
de Paris. Ancien responsable de formation à l’EHESP, il y assure la direc-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tion des enseignements de santé publique des cycles de préparation aux
concours. Il est secrétaire général du Conseil national professionnel pour
le développement professionnel continu (DPC) des médecins de santé
publique.

Pierre-Henri Bréchat est médecin spécialiste en santé publique et médecine


sociale, praticien hospitalier de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris
(AP-HP). Docteur es sciences, docteur en droit public et habilité à diriger
des recherches, il est également membre de l’Institut Droit et Santé (IDS)
de l’université de Paris, du Centre d’études et de recherches de sciences
administratives et politiques (CERSA) de l’université Paris 2 Panthéon-
Assas, du comité exécutif de la Chaire santé de Sciences Po, personnalité
qualifiée de l’Institut Santé pour refonder notre système de santé, ancien
professeur affilié de l’EHESP et fellow de l’Healthcare Delivery Institute
du Kem C. Gardner Transformation Center d’Intermountain Healthcare
(États-Unis).
Élodie Carmona est diplômée de l’École nationale de la statistique et de
l’administration économique (ENSAE), de Sciences Po et de l’université
de Paris XI. Statisticienne et épidémiologiste, ancienne cheffe de bureau
adjointe de la qualité des eaux à la Direction générale de la santé (DGS),
ancienne membre de la Task Force Pharma de la Commission européenne,
elle est aujourd’hui administratrice au Parlement européen.
Gilles Huteau est docteur en droit et ancien élève de l’École nationale supé-
rieure de la sécurité sociale (En3S). Après une carrière de dirigeant dans
les organismes d’assurance maladie, il est professeur à l’EHESP et enseigne
les politiques sociales et de santé dans plusieurs masters, ainsi que la pro-
tection sociale à Sciences Po Rennes. Il est également membre du jury de
l’agrégation en sciences médico-sociales. Rattaché au Laboratoire de droit
et changement social de l’université de Nantes, il est l’auteur de travaux
de recherches et de nombreuses publications sur les questions sanitaires
et sociales. Son expertise dans le domaine de la protection sociale de la
santé est en outre régulièrement sollicitée par la Commission européenne.

3
Manuel de santé publique

Philippe Marin est directeur d’hôpital, docteur en droit de l’université


de Bordeaux, diplômé de Sciences Po Bordeaux. Après avoir été respon-
sable de la formation des directeurs d’hôpital, puis directeur des études
au sein de l’EHESP, il assure aujourd’hui des enseignements portant sur
la politique de santé, le pilotage, la gouvernance du système de santé et
le management interne des établissements publics de santé.
Philippe Naty-Daufin est docteur en pharmacie et économiste de la santé,
diplômé de l’université de Bordeaux II, de l’Université Paris Dauphine,
de l’université Paris 2 Panthéon-Assas, de l’ESSEC Business School, et
auditeur du 11e cycle de l’Institut des hautes études de protection sociale
(IHEPS). Il est actuellement chargé de mission auprès du président de la
Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM), chargé d’enseignements
à l’EHESP et à l’université de Bordeaux et intervient dans des colloques
internationaux.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
(Les avis exprimés n’engagent que les auteurs et ne sauraient être consi-
dérés comme constituant une prise de position officielle de leur employeur,
notamment de la Commission européenne, du Parlement européen ou de
la CNAM.)
Préface

Au moment où j’écris la préface de cet ouvrage, je suis, comme des mil-


lions de personnes en France et comme des milliards de personnes sur la
planète, confiné chez moi en raison de la « plus grande crise de santé publique »
que notre pays a connu depuis au moins un siècle1. J’assiste à la litanie des
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
chiffres alignés chaque jour pour montrer l’évolution du Covid-19, je regarde
se dessiner la courbe épidémique et attends que cette courbe atteigne son
« pic », sans savoir si ce sera un pic ou un plateau. Je suis avec appréhension
la tension montante au sein de notre système de soins, au bord de la rupture,
en me questionnant sur son organisation et en applaudissant tous les soirs à
20 h le courage des soignants et de toutes celles et ceux qui font fonctionner
notre société.
Et, en tant que directeur de l’École des hautes études en santé publique,
président des Presses de l’EHESP, je ne peux que me questionner. Sur la
santé publique !
La santé publique est sur toutes les lèvres, dans tous les médias, dans tous
les esprits. Elle le sera jusqu’à ce que cette pandémie soit maîtrisée, même si
les conséquences (politiques, économiques, sociales) de cette vague planétaire
sont loin d’être appréhendées. Elle marquera fortement notre génération et
obligera à reconsidérer nos priorités, nos modes de vie, notre rapport à la
santé et à la maladie.
Et je me souviens de la justesse des propos de René Dubos qui, s’éloignant
de la définition de la santé de l’Organisation mondiale de la santé, la qualifiait
il y a 55 ans comme « un état physique et mental relativement exempt de
gêne ou de souffrance qui permet à l’individu de fonctionner aussi efficace-
ment et aussi longtemps que possible dans le milieu où le hasard ou le choix
l’ont placé2 ». Cette pandémie, est-elle l’effet du hasard ou des choix que
nous avons faits collectivement ?
Et la santé publique, dans tout cela ? Que va-t-elle devenir en tant que
pratique professionnelle ? En tant que croisement de disciplines dédiées à
mieux comprendre ce qui permet à une population de promouvoir sa santé
et de la protéger ? En tant que programmes de formation permettant d’outiller

1. Allocution du président Macron le 12 mars 2020.


2. René Dubos, Man Adapting, New Haven, Yale University Press, 1965 (en français sous le titre
L’Homme et l’adaptation au milieu, Payot, 1973).

5
Manuel de santé publique

des spécialistes et des non spécialistes à faire les choix les plus éclairés pour
eux-mêmes et à un niveau collectif ? En tant que lieu de débats et de propo-
sitions sur l’organisation de nos systèmes de soins et de santé ?
Le corps de cet ouvrage avait été réalisé avant que cet évènement drama-
tique ne survienne. Il permet d’exposer les éléments de connaissance stabilisés
indispensables à une approche collective des problèmes de santé et, ainsi, de
mieux comprendre les enjeux actuels, que ce soit en France ou dans une
perspective internationale. Rédigé par des professionnels ayant des expé-
riences diverses à tous les niveaux de notre système de santé, il privilégie
une approche opérationnelle. Ce n’est pas un manuel pour spécialistes. Ce
n’est pas un regard stratosphérique. C’est plutôt « le petit manuel des castors
juniors » en santé publique, et pas juste pour les nuls ! À travers un rappel
des notions fondamentales que nous utilisons en santé publique, il permet au
lecteur de se familiariser facilement avec les termes, les notions, les défini-
tions. Mais, au-delà, il offre une lecture des grands enjeux auxquels nous
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
sommes confrontés collectivement.
Mais cet ouvrage ne pouvait faire abstraction de l’évènement dans lequel
nous sommes toutes et tous plongés. Et les auteurs ont su intégrer « à chaud »
dans leur ouvrage cet enjeu qu’est en santé publique une crise sanitaire d’am-
pleur mondiale. Il ne faut toutefois pas oublier qu’au-delà de la crise, tout
ce qui fonde la santé publique continuera à questionner ce qu’est notre vie
ensemble, et avec plus d’acuité encore : comment réduire les iniquités en
santé ? Comment protéger les personnes les plus vulnérables et affirmer le
principe de solidarité ? Comment agir en amont sur les causes des problèmes
de santé ? Quelle organisation trouver pour rendre notre système de santé
le plus adapté possible aux besoins de santé, en temps « ordinaire » comme
en temps de crise ?
Les défis sont nombreux. Un manuel de ce type, concis et pratique, est
nécessaire pour mieux les appréhender et les relever. Je ne doute pas de son
utilité dans la période à venir, que l’on soit ou non professionnel de santé
publique !

Laurent Chambaud,
directeur de l’École des hautes études en santé publique
Préface

Je souhaite placer cette préface sous les auspices de la démocratie en


santé. Ce souhait n’est bien sûr pas étranger à mon investissement profes-
sionnel au sein de la Conférence nationale de santé (CNS) et au sein de la
conférence régionale de la santé et de l’autonomie (CRSA) de la région
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Centre-Val de Loire d’une part, au sein de la Société française de santé
publique (SFSP) d’autre part.
La « santé publique » est très fréquemment invoquée dès lors qu’il s’agit
d’aborder l’enjeu de la préservation et de l’amélioration de la santé des popu-
lations. En cette période de crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19,
la « santé publique » a envahi la sphère médiatique sous une forme parfois
incantatoire.
Le succès du terme « santé publique » dans les discours est bien sûr lié à
son caractère polysémique. La santé publique est tout à la fois un champ
disciplinaire avec ses savoirs, un domaine d’activité avec ses professionnels,
un mode de gestion de la santé avec son administration ou encore une situa-
tion épidémiologique caractérisant l’état de santé d’une population. Ce Manuel
de santé publique est une excellente opportunité pour faire le point sur ces
différentes approches de la santé publique.
Mon propos ici n’aura pas pour ambition d’explorer cette polysémie, mais
plutôt d’interroger plus en amont une dimension transversale à la santé
publique, celle des droits individuels et collectifs dans le domaine de la santé.
De cette dimension essentielle se déclinent deux enjeux majeurs de la santé
publique, étroitement liés : les inégalités sociales et territoriales en santé d’une
part, la démocratie en santé d’autre part.

La santé publique au regard des droits de la personne

Voici près de 20 ans, Jonathan Mann, en référence à une précédente


pandémie mondiale, celle du sida, soulignait le caractère indissociable, à ses
yeux, des pratiques de santé publique et de « l’action pour la défense des
droits de la personne1 ». Il constatait alors la « carence chronique d’une éthique

1. Mann J., « Public health : ethics and human rights », Santé publique, 1998, 10 (3), p. 239-50.

7
Manuel de santé publique

de santé publique », carence qu’il expliquait par le sentiment, largement par-


tagé par tout un chacun, « que la santé publique est perçue comme naturel-
lement éthique, puisqu’elle vise le bien de la population ».
Toute vie en société, toute organisation collective nécessite des règles qui
remettent en cause l’exercice des droits et libertés des personnes. La santé
publique n’y fait pas exception. L’État, au nom de la protection de la santé
de la population, s’autorise ainsi à restreindre certaines libertés individuelles
ou collectives. Les exemples de restrictions aux droits et libertés en santé
publique sont nombreux : port obligatoire de la ceinture de sécurité en voiture
ou limitation de vitesse, interdiction de fumer dans certains lieux ou prohi-
bition de certaines drogues mais aussi mise en quarantaine, isolement et
confinement imposés en cas de maladie infectieuse et contagieuse comme
l’actualité récente l’a illustré.
Ces atteintes aux droits et libertés peuvent être justifiées. Mais elles
doivent, cependant, être adéquates, nécessaires et proportionnées :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
– adéquates, c’est-à-dire susceptibles de permettre ou de faciliter la réali-
sation du but recherché ;
– nécessaires, parce qu’il n’existe pas d’autres moyens pertinents ;
– proportionnées, car les contraintes effectives sont limitées à ce qui est
strictement nécessaire pour atteindre le résultat recherché.
Aux côtés de ces règles définies et encadrées par la loi, de nombreuses
recommandations viennent renforcer une forme de représentation collective
ou de norme sociale vis-à-vis de la santé, et construire une forme de gouver-
nance de la vie : alimentation diversifiée avec 5 fruits et légumes par jour,
pratique de 30 minutes d’activité physique quotidienne, pas plus de 2 verres
d’alcool par jour et pas tous les jours, utilisation du préservatif dans les
relations sexuelles à risque, recours au dépistage organisé des cancers, impé-
ratif général de maîtrise des conduites à risques individuelles…
Certains auteurs2 ont utilisé le terme de « paternalisme » pour caractériser
les situations où une atteinte à la liberté d’action d’une personne (usurpation
du pouvoir décisionnel) est justifiée par la recherche, sous contrainte, du
bien-être de cette même personne.
Une tension s’élabore ainsi entre la personne et la société, l’individuel et
le collectif, que ce soit en termes d’intérêts ou de responsabilités. Cette tension
se retrouve quant aux leviers d’action privilégiés : contrainte ou coercition
d’une part ; libre choix, éducation ou formation d’autre part.
Limiter la santé publique, dans sa dimension éthique, à l’opposition entre
droits de la personne et protection de la collectivité serait cependant une
approche restrictive ou réductrice. Il est essentiel d’y associer, dans une pers-
pective d’émancipation de l’individu et de la collectivité, une réflexion sur
le principe d’autonomie.
Les politiques de santé publique menées en France, comme dans d’autres
pays, s’inscrivent dans cette tension. Les choix qui sont faits ne doivent pas

2. Dworkin G., The theory and practice of autonomy, Cambridge University Press, 1988.

8
Préface

l’être à la légère. Comme le rappelait Jonathan Mann, il revient à « la santé


publique la charge d’affirmer et de faire en sorte de manifester son respect
des droits de la personne ».

La santé publique au regard des inégalités sociales


et territoriales en santé

Jonathan Mann, toujours lui, tirait de son expérience professionnelle,


notamment à la tête du Programme mondial de l’Organisation mondiale de
la santé (OMS) pour la lutte contre le sida, « que toutes les politiques et tous
les programmes de santé publique devraient être considérés comme discri-
minatoires jusqu’à preuve du contraire3 ».
Nous ne sommes pas, bien entendu, égaux vis-à-vis de la santé. Les carac-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
téristiques biologiques ou génétiques, les environnements physiques ou
sociaux, les modes de vie sont sources de profondes inégalités en santé. La
pandémie de Covid 19 nous l’a également rappelé.
La lutte contre les inégalités sociales, territoriales, environnementales de
santé est, depuis de nombreuses années, une priorité des pouvoirs publics. Il
est de la responsabilité de chacun des décideurs et acteurs du système de
santé de ne pas accroître ces inégalités de santé, voire de les atténuer.
Force est cependant de constater que les dispositifs de santé publique à
visée universelle (pour toute la population) ne bénéficient pas également à
tous, soit parce qu’ils n’ont pu atteindre la population cible, soit parce que
les potentiels bénéficiaires n’ont pu s’en saisir.
Bien souvent, des dispositifs de santé publique conçus et « calibrés » pour
une population « générale » apparaissent inadaptés aux populations les plus
vulnérables et/ou à l’hétérogénéité des situations (besoins de santé, ressources
disponibles…). Différentes approches ont été développées pour tenter d’éviter
cet écueil : renforcer spécifiquement en direction des personnes vulnérables
les moyens mis en œuvre pour déployer le dispositif (principe de l’univer-
salisme proportionné) ; construire les dispositifs avec et pour les personnes
les plus vulnérables, considérant que l’accès à ces dispositifs sera alors d’au-
tant plus facile pour les personnes les plus favorisées.
La participation des usagers du système de santé a constitué, dans le passé,
un puissant moteur favorisant l’évolution et l’adaptation de notre système de
santé et des politiques de santé, tant au niveau national qu’au niveau local.
En améliorant la prise en compte des besoins de santé des populations et
des individus, en permettant la compréhension et l’appropriation par les usa-
gers des politiques, des organisations ou des problèmes de santé, en favorisant
leur implication active et leur autonomie, la participation des usagers est un
formidable levier pour lutter contre les inégalités de santé.

3. Mann J., « Public health : ethics and human rights », op. cit.

9
Manuel de santé publique

La santé publique au regard de la démocratie en santé

Voilà près de 20 ans, les états généraux de la santé avaient mis en avant
la « démocratie sanitaire ». Plusieurs lois4 et de nombreux textes réglemen-
taires ont précisé, développé et structuré cette « démocratie sanitaire », que
la Stratégie nationale de santé a élargie en « démocratie en santé » fin 2017.
Ce développement de la démocratie en santé témoigne de la reconnaissance
des droits individuels des usagers, mais aussi de droits collectifs. Elle constitue
un levier en faveur de la participation des « citoyens » à l’élaboration des poli-
tiques de santé. Elle s’appuie sur des instances de démocratie associant très
largement les acteurs du système de santé telles que la CNS, les CRSA, les
conseils territoriaux de santé (CTS), et sur des organisations fédérant les asso-
ciations d’usagers telles que l’Union nationale des associations agréées d’usagers
du système de santé (appelée France Assos Santé) ou ses unions régionales.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Le caractère juste, efficace, efficient et agile de notre système de santé,
au niveau national ou local, dépend de différents paramètres : certains sont
en lien avec notre capacité à développer une approche systémique et inter-
sectorielle (parcours de santé et parcours de vie) ; d’autres ont à voir avec
les mécanismes de régulation existants, comme le niveau de déconcentration
ou de décentralisation des responsabilités, le système de financement par les
incitatifs qu’il construit, la politique de l’emploi par la reconnaissance des
professionnels de santé et l’attractivité des métiers qu’elle détermine, le niveau
de protection sociale (reste à charge, aide médicale d’État…) par la solidarité
et l’égalité qu’il favorise. Mais tous sont subordonnés aux valeurs démo­
cratiques et aux principes éthiques ou moraux retenus (démocratie, liberté,
autonomie, solidarité…) et à leur mise en œuvre effective.
Comme l’a souligné la CNS dans un avis récent :
« La démocratie en santé mobilisée est le garant d’une capacité d’action aux
niveaux individuel et populationnel. Elle est le levier d’un “agir ensemble”
et d’une solidarité renforcée. Elle est la condition indispensable de décisions
efficaces, efficientes et éthiques, y compris (et peut être plus encore) en situa-
tion de crise sanitaire. »

Ce manuel, par ses approches plurielles et complémentaires de la santé


publique, vous mènera au cœur de ces enjeux très brièvement esquissés ici ;
enjeux dont l’acuité résonne tout particulièrement en ces temps de transfor-
mation du système de santé.
Emmanuel Rusch,
professeur des universités et praticien hospitalier en santé publique
(université et CHU de Tours), président de la Conférence nationale de
santé (CNS), président de la Société française de santé publique (SFSP)

4. Lois du 2 janvier 2002 pour le médico-social, du 4 mars 2002 pour le sanitaire et du 26 janvier 2016.
Introduction
Jacques Raimondeau

Objectifs pédagogiques :
–  Connaître les définitions de la santé et de la santé publique
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  Comprendre les principes de l’approche collective des problèmes de santé
– Comprendre les différences et la nécessaire articulation entre l’approche de
santé publique et la logique soignante traditionnelle, individuelle
– Comprendre l’importance de la prise en compte de multiples et très divers
déterminants de santé
– Comprendre que la santé publique est par essence une activité multi­disciplinaire
– Comprendre que la montée en puissance des questions de santé publique
dans nos sociétés implique notamment une vigilance éthique croissante dans
le domaine

1. La santé

La notion de santé n’est pas simple et univoque. Elle peut en effet être
considérée et définie de diverses manières :
–  positive ou négative, en référence plus ou moins marquée à la maladie ;
–  statique ou dynamique, dans une logique d’adaptation à l’environnement
physique et social ;
–  comme un but en soi, ou une ressource pour atteindre d’autres objectifs ;
–  ayant de multiples dimensions, y compris subjectives.
Ainsi, la santé a été définie comme l’absence de maladie déclarée :
« Lorsqu’on la possède, on n’y pense plus » (Descartes, 1649), ou encore « la
vie dans le silence des organes » (Leriche, 1936). Ces définitions présentent
toutefois la faiblesse de mal prendre en compte des maladies longtemps
asymptomatiques, comme le diabète ou l’hypertension artérielle. Elles sont
aussi mal adaptées à la situation des malades chroniques ou des personnes
handicapées. Enfin, induisant une approche binaire « malade-non malade »,
elles ne sont pas un bon support pour la prévention, notamment pour le
dépistage des maladies.
Le modèle de définition positive est celui de la constitution de l’Organisation
mondiale de la santé (OMS), en 1946 :

11
Manuel de santé publique

« Un état de complet bien-être physique, mental et social… pas seulement


une absence de maladie ou d’infirmité »,

qui introduit explicitement le caractère global de la notion de santé, avec


notamment une dimension psychologique et sociale. Elle a cependant l’in-
convénient de rester un peu imprécise, avec cette notion de « bien-être » teintée
de subjectivité. De plus, en choisissant d’évoquer un « complet bien-être »,
l’OMS a opté pour un objet à la fois utopique et statique. Il s’agit d’une
vision prescriptive, et non descriptive.
Il existe en revanche des définitions qui insistent sur le caractère dyna-
mique de la santé, telle celle de Monnier et al., en 1980 :
« 
Un état d’équilibre harmonieux entre l’homme, les hommes et
l’environnement. ».

La notion d’interaction, tout particulièrement avec l’environnement phy-


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
sique et social, est ici mise en avant.
Avec la définition de l’OMS en 1986 (charte d’Ottawa) :
« La mesure dans laquelle un groupe ou un individu peut, d’une part, réaliser
ses ambitions et satisfaire ses besoins et, d’autre part, évoluer avec le milieu
ou s’adapter à celui-ci »,

la santé n’apparaît plus comme un objectif ou un résultat, mais plutôt


comme une ressource, un outil ou un prérequis pour atteindre des objectifs
d’épanouissement individuels ou collectifs – et ce, de façon durable, en ren-
dant possible l’adaptation au milieu.
Cette notion de « santé-ressource » aboutit à une notion de « santé suffi-
sante » dans la définition de René Dubos, en 1973 :
« État physique et mental, relativement exempt de gêne et de souffrance, qui
permet à l’individu de fonctionner aussi efficacement et aussi longtemps que
possible dans le milieu où le hasard ou le choix l’ont placé. »

La santé n’est plus ici un absolu, un idéal, mais un état suffisamment bon
pour permettre une vie acceptable aussi longtemps que possible.
Cette définition apparaît bien mieux adaptée à la situation des personnes
atteintes de maladies chroniques ou de handicaps, et dont la prise en charge
est l’un des grands enjeux de nos systèmes de santé. On ne s’étonnera donc
pas qu’elle ait été retenue, à côté de celle de l’OMS, par le Haut Comité de
la santé publique (HCSP) dans son rapport La santé en France (1994).
Ces définitions différentes, voire d’allures presque contradictoires,
coexistent au sein de la population et, sans doute, chez les individus. Elles
constituent un socle plus ou moins propice aux actions de santé, tout parti-
culièrement dans le champ de la prévention ou de la prise en charge des
maladies chroniques.

12
Introduction

2. La santé publique

En 1952, l’OMS retenait la formulation suivante, dérivée d’une définition


historique de la santé publique proposée par Winslow1 dans les années 1920 :
« La science et l’art de prévenir les maladies, de prolonger la vie et d’améliorer
la santé et la vitalité mentales et physiques des individus par le moyen d’une
action collective concertée visant à assainir le milieu, à lutter contre les mala-
dies qui présentent une importance sociale, à enseigner les règles de l’hygiène
personnelle, à organiser des services médicaux et infirmiers en vue du diagnostic
précoce et du traitement préventif des maladies, ainsi qu’à mettre en œuvre des
mesures sociales propres à assurer à chaque membre de la collectivité un niveau
de vie compatible avec le maintien de la santé, l’objet final étant de permettre à
chaque individu de jouir de son droit inné à la santé et à la longévité. »

Plus récemment, l’OMS utilisera des définitions à la fois plus concises et


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
plus larges :
« On utilise aujourd’hui “santé publique” au sens large pour évoquer les
problèmes concernant la santé d’une population, l’état sanitaire de la collec-
tivité, les services d’hygiène du milieu, les services sanitaires généraux et
l’administration des services de soins. » (1973)
« La santé publique est la science et l’art de prévenir la maladie, de prolonger
la vie et de promouvoir la santé grâce aux efforts organisés de la société. » (2010)

D’une autre façon, en 1990 et en France, Jean-Claude Henrard écrivait :


« Définie comme un champ d’action dont l’objet est l’amélioration de la
santé de la population, la Santé publique se revendique aussi comme disci-
pline à part entière. Écrasée entre l’administration de la santé et la profession
médicale, masquée par les développements spectaculaires de la recherche bio-
logique, la Santé publique se veut un ensemble de savoirs et de savoir-faire. Sa
finalité est non seulement l’action mais aussi la connaissance par la recherche.
Elle fait appel à un ensemble de méthodes issues de disciplines scientifiques
variées ; elle n’a pas de méthode propre, mais une de ses principales caracté-
ristiques c’est la pluridisciplinarité de sa démarche, voire la transdisciplinarité
de certaines de ses actions ou recherches. »

Le Haut Conseil de la santé publique2 (HCSP) a retenu en 1994 une


définition proche :
« Un domaine d’action dont l’objet est l’amélioration de la santé de la
population. Elle est un ensemble de savoirs et de savoir-faire qui se situent

1. Charles-Edward Amory Winslow (1877‑1957) est un bactériologiste américain, pionnier de la


santé publique aux États-Unis. Diplômé du Massachusetts Institute of Technology, il a enseigné
à l’University of Chicago, au College of the City of New York, à Columbia University et à Yale
University, dont il fonda la département de santé publique. Winslow fut également éditeur en chef
du Journal of Bacteriology et éditeur de l’American Journal of Public Health. Il présida également
l’American Public Health Association.
2. Les termes en gras sont explicités dans le glossaire en fin d’ouvrage.

13
Manuel de santé publique

entre l’administration de la santé et l’exercice de la profession médicale. Sa


finalité est aussi la connaissance par la recherche. »

Il n’est pas utile de multiplier des citations, somme toute assez convergentes,
et on peut retenir que la santé publique est l’approche collective des pro-
blèmes de santé. La prévention y occupe une place importante. À ce titre,
son efficacité suppose la prise en compte des facteurs qui influent sur la santé
d’une population ; ces déterminants de santé sont extrêmement divers et
seront passés en revue au chapitre 2. Cette diversité fait que la santé publique
procède par construction d’une démarche multidisciplinaire, qui mobilise,
à des degrés variables selon les cas, l’épidémiologie, la statistique, la démo-
graphie, l’économie, le droit, la médecine, les sciences sociales, le manage-
ment, la géographie ou encore l’entomologie…
Par ailleurs, les actions de santé publique mobilisent les ressources d’une
société humaine : la santé publique a donc le plus souvent un ancrage poli-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tique et recourt structurellement à une logique de planification et de pro-
grammation. Dans le cadre français, le caractère interministériel de la santé
publique est évident, par exemple dans le champ de l’environnement, de la
protection sociale ou de la réduction des inégalités de santé. Réciproquement,
l’amélioration de l’état de santé d’une population est un facteur de dévelop-
pement global, et donc une composante de la richesse d’un pays.

3. Santé publique et approche soignante individuelle

En France, la distinction et les articulations entre approche soignante indi-


viduelle, notamment médicale, et santé publique ont été formulées en ces
termes dans la loi de 2004 relative à la politique de santé publique3 :
« L’élaboration de la politique de santé publique nécessite de distinguer deux
niveaux dans l’approche de la santé : celui des personnes et celui de la population.
Ces deux niveaux ne doivent pas être opposés. Ils sont complémentaires et doivent
être soigneusement articulés. Si le but final est toujours d’améliorer la santé des
personnes, les outils à mettre en œuvre sont différents selon le niveau considéré. »

De façon globale, on peut dire que les activités soignantes individuelles


et la santé publique ont des objectifs convergents et qu’elles se structurent
autour d’une démarche similaire selon un triptyque : diagnostic, traitement et
suivi évaluatif. Leurs champs d’application sont en revanche différents : l’in-
dividu ou la population. Il en résulte un ensemble de différences.
L’approche soignante individuelle construit son diagnostic autour d’un
examen clinique de la personne, assorti au besoin d’examens complémentaires,
biologiques ou d’imagerie le plus souvent. L’analyse des déterminants indi-
viduels de la santé est ici très développée (par exemple, l’appréciation d’une

3. Loi n° 2004‑806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique : « Rapport d’objectifs
de santé publique » ; partie 1 : « Le cadre de référence ».

14
Introduction

consommation d’alcool ou de tabac). Les traitements sont individuels, à domi-


nante curative, même si la dimension préventive est loin d’être absente (ainsi,
en médecine générale ou en pédiatrie : vaccination, dépistage de troubles sen-
soriels, suivi de la croissance, conseils nutritionnels…). Fondamentalement,
la relation avec le patient est construite autour de la notion de « colloque
singulier4 », qui peut cependant être étendue à une équipe soignante ou de
prise en charge, à l’hôpital ou en ambulatoire, comme cela s’impose avec la
logique de « parcours de soins » promue par la loi de modernisation de notre
système de santé5. L’évaluation est centrée sur le bénéfice pour l’individu en
termes de qualité (guérison, soulagement des symptômes, etc.), en incluant la
qualité de vie, et de sécurité des actes diagnostiques et thérapeutiques.
La santé publique, quant à elle, élabore son diagnostic à partir de l’épi-
démiologie, qui décrit l’état de santé de la population et met en évidence les
différences de répartition des maladies. La recherche des déterminants de la
santé sera orientée vers les déterminants environnementaux, physiques, socio-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
économiques et culturels. La réponse aux problèmes de santé d’une collec-
tivité est diversifiée, mais la définition placée en début de cette introduction
met bien l’accent sur l’importance des actions préventives. L’approche de
santé publique se caractérise aussi par la volonté de donner à des groupes
sociaux les moyens de s’approprier leurs problèmes de santé et de prendre
une part active à la résolution de ces problèmes, par le biais de démarches
de promotion de la santé ou de santé communautaire. Le traitement col-
lectif des questions de santé implique une planification et une programmation
des actions, qui peuvent constituer de véritables politiques, dont la définition
implique des acteurs multiples, notamment des administrations, des élus natio-
naux ou locaux, des professionnels et des associations. L’évaluation se situe
à tous les niveaux d’un processus planifié, de la définition des priorités à
l’efficience des activités de terrain. Au plus haut niveau, nous sommes dans
le champ de l’évaluation des politiques publiques.
Malgré ces différences, il est évidemment impensable de construire une
barrière étanche entre les deux domaines. Ainsi, en matière de déterminants,
une consommation d’alcool excessive renvoie par exemple à la fois à un
comportement individuel et à l’impact de facteurs culturels et d’environne-
ment socio-économique. Par ailleurs, la planification collective implique sou-
vent, pour la mise en œuvre des actions, de mobiliser les moyens de l’approche
soignante individuelle, dont elle détermine en partie le cadre d’intervention.
En retour, les acteurs de terrain influent sur le processus de planification, ce
qui s’illustre par exemple par des conflits en matière d’organisation du sys-
tème de santé et d’allocation de ressources.
Enfin, les relations complexes entre approche soignante individuelle et
santé publique peuvent être à l’origine de questionnements éthiques.

4. L. Israël, B. Glorion, « Médecine : relation malade-médecin », Encyclopædia Universalis (en ligne).


5. Loi n° 2016‑41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

15
Manuel de santé publique

4. Éthique et santé publique

Comme les activités soignantes, la santé publique a son versant éthique, qui
doit être systématiquement pris en compte.
Il faut en effet toujours veiller à un arbitrage acceptable entre les contraintes
et les bénéfices collectifs et individuels. Les exemples sont multiples : ainsi,
dans le champ de l’allocation de ressources au sein du système de santé, avec
les conséquences en matière de protection sociale, la démarche de santé publique
va privilégier des actions apportant une amélioration, même modeste, pour le
plus grand nombre, alors qu’une approche clinique, plus individuelle, conduit
facilement à concentrer des moyens parfois considérables sur un nombre de
cas très limité, sans forcément d’impact collectif sensible.
Dans le domaine de la prévention, le choix d’une stratégie de réduction
des conséquences sanitaires d’un comportement à risque (toxicomanie, pra-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tiques sexuelles…) par rapport à une stratégie de suppression du risque peut
faire débat : ainsi, l’implantation de salles de consommation à moindre risque,
dites encore « salles de shoot », dont l’objectif immédiat est de maîtriser les
complications infectieuses de la toxicomanie, a-t‑elle été perçue comme pou-
vant encourager cette toxicomanie ou favoriser sa pérennisation.
La sécurité sanitaire expose à des conflits entre intérêt collectif et liber-
tés individuelles. Ainsi, une épidémie majeure et prolongée, de type pandémie
grippale, obligerait à réduire les possibilités de déplacement de larges parties
de la population6 pour limiter la circulation de l’agent pathogène, alors qu’à
l’inverse d’autres personnes seraient contraintes, de façon autoritaire au
besoin, de s’exposer au risque de contagion parce le maintien de leur activité
est socialement indispensable (professions de santé, policiers, agents de main-
tenance des réseaux d’énergie…).
La résolution de tels conflits de valeurs peut s’appuyer sur la recherche
de la qualité optimale dans les actions mises en œuvre, le respect des convic-
tions des personnes, ainsi que sur la proportionnalité de la réponse au pro-
blème et son adaptation à chaque fois que nécessaire.
Face à un risque possible mais insuffisamment établi (cas des risques
faibles ne se manifestant qu’après une exposition très longue ou sur des
populations très nombreuses), l’application du principe de précaution repose
sur une démarche graduée, ­évolutive, pluridisciplinaire, proposant des actions
adaptées aux connaissances, à leur coût et leur acceptabilité sociale.
Cette problématique s’exprime fortement dans l’équilibre entre réduction
des expositions nocives et maintien des activités économiques, et donc des
emplois. C’est aussi au nom d’un principe de proportionnalité que la Cour
de justice de l’Union européenne a estimé en 20157 que l’exclusion, systé-
matique et définitive, des hommes homosexuels du don du sang, qui prévalait

6. La question s’est posée lors des Jeux olympiques de 2016 au Brésil, en raison de l’épidémie
due au virus Zika et a pris une dimension planétaire avec l’épidémie à coronavirus Covid-19.
7. CJUE, arrêt du 29 avril 2015, Léger, C-528/13.

16
Introduction

en France depuis 1983, devait être remise en question8 ; ce qui a été fait dans
la loi de modernisation de notre système de santé (LMSS) de 2016.

5. Santé publique : une préoccupation sociétale croissante

Alors que beaucoup de sujets médicaux, techniques, restent encore prin-


cipalement cantonnés dans le cercle des professionnels, des décideurs et des
financeurs, avec une éventuelle participation de représentants associatifs, les
sujets de santé publique se sont largement installés dans le champ sociétal.
Il y a plusieurs explications à cela.
En premier lieu, le caractère collectif des sujets de santé publique justifie
une implication de franges importantes de la population qui se sentent légi-
timement concernées par des problèmes comme la qualité de l’air, l’alimen-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tation, l’accès aux soins, la sécurité de produits de santé, etc. Il suffit dès lors
qu’une question de santé soit suffisamment médiatisée et que suffisamment
de personnes s’y intéressent pour parler de santé publique.
De plus, la sensibilité sociale aux sujets de santé s’est accrue : le niveau
de formation et d’information de la population s’est élevé (notamment avec
l’avènement d’Internet et l’essor des réseaux sociaux, qui peuvent soit élever
le niveau des connaissances, soit répandre polémiques et désinformations),
ce qui permet d’accéder à des problématiques précédemment réservées à des
experts. La prise de conscience de l’existence de déterminants de santé très
diversifiés, et pas toujours bien contrôlés, induit une interrogation générale
sur notre environnement au sens large, de l’impact du réchauffement clima-
tique à l’usage des nanomatériaux. Cette prise de conscience relativise peut-
être dans l’esprit de certains l’importance de l’approche soignante traditionnelle.
L’existence de palmarès d’établissements de santé dans la presse grand public
nourrit aussi cette dynamique, qui explique le succès de sites consacrés à la
santé sur Internet. Il est également possible que le vieillissement de la popu-
lation et l’augmentation des malades chroniques accroissent le nombre de
personnes sensibilisées aux questions de santé.
Enfin, la volonté de peser (ou d’essayer de peser) sur ces déterminants de
santé personnels, dont beaucoup sont en fait collectifs, joue aussi son rôle.
S’intéresser à la santé publique, c’est aussi militer au sein d’associations,
financer telle ou telle organisation ou activité, modifier ses comportements,
demander justice9.
Des phénomènes plus spécifiques illustrent ou renforcent ces tendances
générales :

8. La Cour a en effet jugé qu’il ne peut pas être exclu que le VIH soit détecté par des techniques ef-
ficaces, à même d’assurer un niveau élevé de protection de la santé des receveurs, ce qui rend dispropor-
tionnée l’interdiction faite aux hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes de donner leur sang.
9. La loi n° 2016‑41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé crée à son
­article 184 une procédure d’action de groupe en matière de santé (art. L 1143‑1 à 22 du Code de la
santé publique).

17
Manuel de santé publique

–  Des crises et scandales sanitaires ont touché tous les secteurs : soins
(affaires du sang contaminé, des « irradiés d’Épinal », du Médiator, des pro-
thèses mammaires PIP, de l’hôpital de Mid Staffordshire10, ainsi que des infor-
mations récurrentes sur des dysfonctionnements moins spectaculaires mais
néanmoins dommageables, comme les infections nosocomiales et affections
iatrogènes…), alimentation (encéphalite spongiforme bovine dite « maladie de
la vache folle »), environnement physique (nuage de Tchernobyl, usine
de Seveso, de Bhopal, pollutions aux algues vertes en Bretagne…), conditions
de travail (scandale de l’amiante, vagues de suicides dans de grandes entreprises
comme à France Télécom en 2008‑2009, harcèlement au travail, burn-out…).
On remarquera que souvent les problèmes mettent en cause des producteurs
directs, mais aussi les entités chargées de réguler le système, par des procédures
d’autorisation et de contrôle notamment ; ce qui ne fait qu’aggraver le tableau
en lui conférant une dimension d’effondrement systémique. Dans ce contexte,
la confiance n’est plus donnée sans condition, comme l’illustre la défiance
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
actuelle de la population française envers la vaccination11.
–  Les difficultés récurrentes du système de santé, sans atteindre l’inten-
sité des crises et scandales mentionnés précédemment, entretiennent interroga-
tions et inquiétudes. Elles sont diverses, allant des difficultés de la permanence
des soins ou de l’accès à certains médecins spécialistes à l’avenir du finance-
ment du système de protection sociale, avec des menaces réelles ou supposées
sur le niveau de prise en charge, et donc sur l’accès aux soins.
–  Le développement de la « démocratie sanitaire » est un concept récent12
qui désigne l’élaboration conjointe par des citoyens, usagers, professionnels de
santé, administrateurs et financeurs des politiques de santé et leur mise en
œuvre. Cette association est rendue possible par les conférences régionales et
nationales de santé et de l’autonomie, l’appui aux réseaux associatifs et leur
agrément, la possibilité, depuis la loi n° 2016‑41 du 26 janvier 2016 de moder-
nisation de notre système de santé, de lancer des procédures d’action de groupe13
en matière de santé. La démocratie sanitaire renforce ainsi les possibilités d’ac-
tion des citoyens tout en les encadrant.
Le label « problème de santé publique » est donc ainsi facilement utilisé.
Son poids croissant fait qu’il peut être instrumentalisé ; en effet, on peut le
revendiquer ou le redouter. Ainsi, l’argument sanitaire (devenir un problème
de santé publique) peut permettre de déclencher une action publique, alors
que d’autres arguments ont été inopérants – c’est un des seuls arguments qui
peut permettre de contourner les règles de libre concurrence, par exemple
(monopole de l’officine), ou les règles du commerce international. Des groupes

10. Rapport de Robert Francis au Parlement britannique : Report of the Mid Staffordshire NHS
Foundation Trust Public Inquiry, février 2013.
11. L’échec de la campagne de vaccination contre la grippe A H1N1 en 2009, malgré un engage-
ment massif des pouvoirs publics, en est un exemple très démonstratif.
12. Élaboré lors des états généraux du cancer et de la santé de 1998 et 1999, puis formalisé en 2002
par la « loi Kouchner » no 2002‑303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du
système de santé.
13. L’action de groupe est une procédure de poursuite collective qui permet à des patients, victimes
d’un même préjudice de la part d’un professionnel, de se regrouper et d’agir en justice. Les plaignants
peuvent ainsi se défendre avec un seul dossier et un seul avocat.

18
Introduction

d’individus deviennent des communautés de malades et peuvent bénéficier


d’une amélioration plus ou moins importante de leur situation : délinquants
toxicomanes, immigrés malades et en situation irrégulière, enfants victimes
de saturnisme, etc. Des acteurs économiques souhaitent être identifiés comme
des acteurs positifs de la santé, en matière alimentaire, d’hygiène ou d’habitat,
par exemple. À l’inverse, d’autres acteurs économiques (parfois les mêmes)
font de gros efforts pour éviter d’être identifiés à un problème de santé :
environnement (controverses autour de la téléphonie mobile, des pesti-
cides, etc.), alimentation (boissons sucrées, etc.).

6. Santé publique : une construction politique

Aux enjeux sanitaires et aux préoccupations sociétales répondent des


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
constructions politiques destinées à concevoir et à mettre en application une
approche collective des problèmes de santé. Il existe différentes échelles
d’agrégation : la ville, le département, la région, le pays, l’Europe, le monde.
L’échelon européen, l’UE, constitue un niveau particulièrement intéressant
pour examiner le processus de construction d’un champ politique de santé
publique. À l’origine, en 1957, le traité de Rome, fondateur de la Communauté
économique européenne14, et axé sur un objectif économique unique (réaliser
un marché commun), ne contenait pas de disposition formelle concernant la
santé publique. Toutefois, des préoccupations d’ordre sanitaire furent pré-
sentes assez tôt dans le processus de la construction européenne. Elles prirent
une importance croissante au fil du temps – du fait des pandémies transfron-
talières et de la multiplication, à partir des années 1990, de scandales impac-
tant la santé des populations européennes, sans distinction de nationalités –,
ce dont rendit compte, au fur et à mesure, le corpus législatif européen.
Ainsi, si la responsabilité première de la protection de la santé et, en
particulier, des systèmes de soins de santé repose sur les États membres,
l’objectif de santé publique est clairement devenu au fil du temps l’une des
préoccupations majeures de l’Union et de ses citoyens, et l’UE joue désormais
un rôle important – y compris sur les plans législatif et réglementaire – dans
l’amélioration de la santé publique, la prévention et la gestion des maladies,
l’atténuation des sources de danger pour la santé humaine et l’harmonisation
des stratégies des États membres en matière de santé publique.

7. Un manuel de santé publique : pour qui ? Pourquoi ?

La santé publique est donc une notion à la mode à laquelle la population


est sensibilisée, mais l’expression est parfois galvaudée, et les caractéris-
tiques de l’approche collective des problèmes de santé souvent mal connues.

14. Elle sera par la suite, au fil des traités et des élargissements, renommée « Union européenne ».

19
Manuel de santé publique

Les définitions et éléments de présentation très généraux de cette intro-


duction sont là pour montrer la nécessité de maîtriser suffisamment un
ensemble de savoirs afin de s’écarter d’une attitude simpliste à l’égard
d’un sujet sur lequel chacun peut être tenté de s’exprimer car il nous
concerne tous : notre santé.
C’est pour un lecteur curieux, averti, sans être expert, que cet ouvrage est
conçu. Son but est, en s’appuyant sur l’expérience d’auteurs qui sont des
praticiens de la santé publique, et dans une perspective opérationnelle, de
fournir les éléments de connaissance indispensables à la compréhension de
la démarche de santé publique ; puis, une fois ces bases posées, de présenter
au lecteur les enjeux actuels les plus importants, dont certains sont tout à fait
majeurs pour nos sociétés, en France, mais aussi le plus souvent possible à
l’échelle européenne ou internationale.
Le citoyen, l’usager, le professionnel de santé, l’étudiant, le candidat à un
concours, le membre d’une association trouveront donc ici, sous un format
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
assez compact, une initiation qui, nous l’espérons, donnera l’envie de
­poursuivre et d’approfondir l’exploration de la santé publique.

Points clés
• La notion de santé peut être définie de plusieurs manières : comme un objectif
à atteindre, qui peut revêtir une forme absolue ou comme une ressource à
mobiliser pour satisfaire d’autres buts et qui doit, alors être suffisante ; elle peut
être définie par des professionnels divers ou par des profanes ; ses définitions
sont imprégnées des valeurs sociales en vigueur.
• La santé publique se caractérise par une approche collective des problèmes de
santé. Ses objectifs visent à améliorer l’état de santé de groupes humains, et non
d’individus. Elle se distingue donc de l’approche soignante traditionnelle, indi­
viduelle. Cette distinction est celle qui existe entre une politique de santé et la
pratique soignante.
• Cependant, il est nécessaire d’articuler au mieux les deux approches, indivi­
duelle et collective.
• Agir en santé publique implique de prendre en compte de multiples et très
divers déterminants de santé, qui pèsent positivement ou négativement sur
l’état de santé des populations.
• La grande diversité des déterminants de santé implique que la santé publique
est par essence une activité multidisciplinaire qui mobilise des équipes pluri­
professionnelles.
• Les questions de santé publique ont une importance croissante dans les pré­
occupations de la population et des pouvoirs publics, en raison d’une percep­
tion accrue de l’impact des déterminants de santé et de la survenue de crises
sanitaires.
• À l’instar de ce qui existe en matière de bioéthique, une vigilance éthique crois­
sante s’impose dans le champ de la santé publique.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Les fondamentaux
remière partie
p
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Chapitre 1
Histoires de la santé publique
Jacques Raimondeau, Élodie Carmona

Objectifs pédagogiques du chapitre


– Connaître les manifestations anciennes de l’approche collective des problèmes
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de santé
– Retracer les principales étapes de l’émergence, à partir du xviiie siècle, des
organisations et activités de santé publique qui sont à l’œuvre aujourd’hui
– Placer dans une perspective historique les enjeux actuels auxquels sont
confrontés les systèmes de santé

1.1. Lointaines origines

Pendant très longtemps, en pratique jusqu’à la fin du xviiie  siècle, pour


l’Europe, la santé publique a été dominée par la problématique des maladies
transmissibles, sous forme d’endémies ou d’épidémies. De grandes épidémies,
particulièrement meurtrières ont marqué notre culture collective : peste noire
qui tua sans doute environ 25 millions de personnes entre 1346 et 1353,
Grande peste de Marseille et de Provence (80 000 morts), entre 1720 et 1723,
mais aussi épidémies de variole, de syphilis, de choléra, de typhus.
L’insécurité alimentaire, parfois synonyme de famine, était aussi un facteur
de mortalité majeur, aggravé par les guerres fréquentes, redoutable association
qui perdure encore de nos jours. La démographie se caractérisait par une forte
natalité et une forte mortalité.
Au cours de ces siècles, les outils de la santé publique se limitaient en fait
à des mesures d’hygiène collective qui faisaient écho à des préconisations
individuelles (alimentation, propreté corporelle, exercice physique…) ou reli-
gieuses1. Sans disposer des outils modernes de connaissance des maladies et
de leurs facteurs de risque, les Hommes ont pu identifier de manière empirique
des conditions géographiques, temporelles, alimentaires, comportementales

1. G. Dumézil, La Religion romaine archaïque, avec un appendice sur la religion des Étrusques,
Payot, 1966. L’auteur parle d’un « ministère divin de la santé publique » à propos du développement
du culte d’Apollon et d’Esculape à Rome à la suite d’épidémies.

23
Partie 1. Les fondamentaux

qui accompagnaient l’apparition des maladies. Les théories explicatives


d’alors, fondées sur des connaissances scientifiques limitées, si elles peuvent
nous paraître farfelues, n’empêchaient pas que certaines attitudes préventives
soient adoptées, notamment par des conduites d’évitement des situations à
risques (confinement des lépreux, rituels mortuaires, éloignement des marais…).
Les premières formes d’urbanisation conduiront à la construction d’égouts
collectifs, comme en Chine au iiie siècle av. J-C2.
Les systèmes de soins étaient embryonnaires et d’efficacité réduite.
Cependant, des règles régissant les professions de santé sont apparues très
tôt. Ainsi, en Égypte, les médecins étaient des fonctionnaires qui œuvraient
dans le cadre d’une organisation hiérarchique et géographique précise, avec
des collaborateurs bien identifiés. En Mésopotamie, vers 1700 av.  J.-C., le
code d’Hammourabi traite de l’organisation des professions de santé en dis-
tinguant médecins, chirurgiens, vétérinaires et barbiers ; une séparation entre
l’activité médicale et les pratiques magiques est établie, les deux activités
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
ayant des rôles complémentaires dans la prise en charge des malades, car on
pense alors que la maladie est induite par les fautes commises par le patient3.
L’Antiquité grecque et romaine est dominée dans le domaine de la santé
par la figure d’Hippocrate (vers 460 ; vers 377 av. J.-C.), largement commenté
et relayé à Rome par Galien au iie siècle apr. J.-C. Hippocrate affirme la dis-
tinction entre la médecine et d’autres pratiques, religieuses, magiques ou phi-
losophiques. Il contribue à l’encadrement de l’activité médicale en édictant un
ensemble de règles comportementales pour les praticiens, à l’origine du célèbre
serment qui porte son nom. Il développe une théorie des humeurs et une
approche clinique qui conserveront une influence jusqu’au début du xixe siècle.
La médecine hippocratique met en exergue l’importance des milieux de vie, de
l’environnement physique et des comportements, notamment alimentaires, en
tant que déterminants de santé. Le développement des bains publics en Grèce
est une manifestation de ces préoccupations hygiénistes. Autres points qui font
écho à nos pratiques actuelles : la prise en compte du rôle actif du patient dans
la lutte contre sa maladie et la notion d’alliance entre le médecin et son patient.
Les Romains ont mis leur talent de bâtisseurs au service de la santé et de l’as-
sainissement : adduction d’eau (aqueducs, fontaines), bains publics (thermes),
égouts (la Cloaca Maxima à Rome), latrines publiques. Sous l’Empire appa-
raissent des sortes d’hôpitaux primitifs, les valetudinaria.

1.2. Moyen Âge et Renaissance

La disparition des empires romain et byzantin entraîna un effondrement


des pratiques de santé publique héritées de l’Antiquité. Au sein du monde
arabo-musulman eût lieu un processus bien connu de conservation et d’en-
richissement des savoirs anciens. Certaines figures émergent au cours de ces

2. D. Hoizey et M.-J. Hoizey, Histoire de la médecine chinoise, Payot, 1988.


3. J.-C. Sournia, Histoire de la médecine, La Découverte, coll. « Poches sciences », 2004.

24
Histoires de la santé publique

Partie 1. Chapitre 1.
siècles : Rhazès (v. 860‑925), Avicenne (980‑1037), Averroès (1126‑1198),
qui verront aussi la construction de nombreux hôpitaux modernes pour
l’époque ainsi qu’une forte structuration de l’enseignement de la médecine.
Dans l’Occident médiéval, on assistera à une lente émergence d’« infir-
meries » au sein de monastères4, puis d’« hôpitaux », sans réelle activité soi-
gnante et très généralement d’administration religieuse. Ainsi, vers 530, la
règle de Saint-Benoît, écrite par Benoît de Nursie, établit les principes de
fonctionnement des monastères et des hospices sur la base de règles monas-
tiques strictes. Celles-ci, inspirées de la vie communautaire, définissent les
modalités liturgiques, du travail, et du repos. En Italie, à Salerne, au sud de
Naples, existera aux xie et xiie  siècles une école de médecine laïque (et
acceptant les femmes), tandis que se développent les premières universités
(Bologne au xie siècle, Montpellier au xiiie siècle).
Au xiie  siècle apparaissent des établissements spécialisés dans la lutte
contre la lèpre aux périphéries des villes. Ainsi, dans son testament, Louis VII
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
« le Jeune » (1120‑1180) fait des legs à 2 000 léproseries. Louis IX (Saint-
Louis) fonde en 1260 l’hospice des Quinze-Vingt5, destiné à accueillir les
aveugles parisiens déshérités, nombreux à l’époque. Le nombre important de
croisés qui perdirent la vue au cours des croisades joua certainement un rôle
dans la création de l’établissement. L’institution des Quinze-Vingt, placée,
depuis 1492 sous la juridiction du grand aumônier, passera sous le contrôle
de l’État au moment de la Révolution.
En matière d’hygiène publique, à la fin du Moyen-Âge, le développement
des échanges commerciaux aboutit à l’émergence de mesures importantes.
Sans surprise, il allait s’agir de faire face au risque épidémique. C’est ainsi
que se mettent en place des processus et organisations spécifiques : réglemen-
tation sanitaire, quarantaine (qu’on expérimente pour la première fois, à
Raguse, l’actuelle Dubrovnik, en Croatie, en 1377 lors d’une épidémie de
peste), isolement, règles de gestion des cadavres (incinération), dispositifs de
police sanitaire.
Point de contact majeur entre l’Europe et le Moyen-Orient, Venise, par-
ticulièrement exposée constitue un bon exemple. Face aux épidémies, en
1348, est instituée une magistrature sanitaire spécifique dotée de larges pré-
rogatives pour tenter d’assurer la protection de la santé de la population. Elle
sera complétée en 1440 par un dispositif d’enquête sénatoriale, avec mobi-
lisation d’une expertise médicale extérieure (venue de l’université de Padoue).
Les épidémies étant toujours présentes, en 1486, on crée les fonctions de
Provveditore alla sanita (intendants ou inspecteurs de la santé), qui sont élus
et disposent de pouvoirs considérables s’imposant aux autres magistratures.
C’est en fait une véritable administration de défense sanitaire que met en
place la Sérénissime République : sous les ordres des inspecteurs se trouvent
des médecins, des chirurgiens – qui peuvent être renforcés par des experts –,

4. Un des plus anciens exemples est l’« hôpital » de l’abbaye bénédictine de Saint-Gall, en Suisse
(820).
5. Le nom de « Quinze-Vingt » (15 fois 20) provient vraisemblablement de l’ancien système de
numération par vingtaines, l’hôpital comptant 300 lits.

25
Partie 1. Les fondamentaux

mais aussi du personnel administratif et juridique, dont le rôle consiste à


régler les relations avec les habitants et les autres administrations touchées
par l’action de la magistrature sanitaire. Cette administration globale s’appuie
aussi sur du personnel pour murer les maisons des pestiférés, curer les fosses
septiques et ramasser les cadavres, ainsi que sur des agents de police pour
imposer, au besoin, les décisions par la force. Des dispositifs de même nature
existent dans les grands ports méditerranéens à cette époque : Marseille,
Livourne, Gênes…
Un autre outil de gestion des épidémies naît à Venise : le lazaret, c’est-à-dire
un hôpital destiné à accueillir, en les isolant, les malades ou possibles malades
de la peste et d’autres maladies contagieuses. Le premier hôpital de ce type
s’ouvre sur l’île de Santa Maria di Nazareth (d’où peut-être le nom de Lazaret),
sur la lagune de Venise. Ces établissements de quarantaine se multiplieront,
puis se transformeront avec le temps en hôpitaux généralistes.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Encadré 1. La lutte contre les grandes endémies : le paludisme

Le paludisme ou malaria, est une maladie provoquée par un parasite du genre Plasmodium,
dont cinq espèces sont pathogènes pour l’homme, la plus redoutable étant le P. falciparum.
La transmission à l’homme se fait par la piqûre d’un moustique femelle du genre anophèle.
Le paludisme se manifeste par des accès de fièvre récurrents et invalidants, et peut provo-
quer la mort, notamment par ses formes neurologiques. Rétrospectivement, on suppose
qu’Alexandre le Grand en mourût en 323 av. J.-C., à Babylone, ainsi que Dante Alighieri, à
Ravenne, en 1321.
Le développement de la maladie dans les zones marécageuses avait été observé depuis très
longtemps, mais, faute d’une connaissance biologique établie, on pensait que ce que l’on
appelait alors la « fièvre tierce » était provoqué par une atmosphère malsaine, d’où le nom
de malaria, le « mauvais air ». La seule attitude préventive a donc longtemps consisté à éviter
les zones marécageuses.
Une première avancée eut lieu au xviie siècle, au Pérou. Des jésuites remarquèrent que les
populations autochtones utilisaient une préparation à base d’écorce d’un arbuste nommé
« cinchona » ou « quinquina » pour faire baisser la fièvre. C’est sous le nom de « poudre
des Jésuites » que ce produit issu de la pharmacopée traditionnelle commence à être utilisé
en Europe. En 1820, deux pharmaciens français, Joseph-Bienaimé Caventou et Pierre-Joseph
Pelletier, en isolent le principe actif : la quinine, toujours utilisée aujourd’hui.
L’identification de l’agent du paludisme eut lieu à la fin du xixe siècle. C’est en 1880, en
Algérie, qu’Alphonse Laveran, qui servait alors comme médecin militaire met en évidence
le plasmodium dans le sang de soldats malades. Peu après, le Canadien William Osler faisait
adopter l’examen sanguin dit de la « goutte épaisse » comme base du diagnostic. La mise
en évidence du lien entre le parasite et le moustique sera établi en 1897 par le Britannique
Oswald Ross qui isole le parasite dans l’estomac de l’anophèle. La voie était ouverte à une
connaissance complète du cycle de vie de l’agent causal, ce qui sera l’œuvre de l’Italien
Camillo Golgi. Le prix Nobel de médecine récompensera Ross en 1902 et Laveran en 1907.
La connaissance complète de la maladie et l’existence de moyens de prévention et de soins
(moustiquaire et quinine) n’empêcheront cependant pas la malaria de continuer ses ravages.
Ainsi, en 1916, la moitié des effectifs de l’armée d’Orient française est atteinte en quelques
mois : 60 000 malades, dont 20 000 rapatriés et 6 000 morts.
Reste maintenant à évoquer le versant préventif consistant à s’attaquer au moustique vec-
teur. Quelle réponse préventive apporter ? Deux axes d’action furent mis en œuvre : la
destruction directe des moustiques adultes ou de leurs larves d’une part, et l’assèchement
des zones humides, d’autre part. On eut ainsi recours au premier insecticide utilisé à grande

26
Histoires de la santé publique

Partie 1. Chapitre 1.
échelle de façon efficace, le dichloro-diphényl-trichloréthane (le DDT), mis au point par le
Suisse Paul Hermann Müller (Prix Nobel de médecine en 1948) et qui fut largement utilisé
avant d’être abandonné dans les années 1970 en raison de ses effets néfastes sur l’environ-
nement. D’autres moyens d’action ont par la suite été proposés, comme l’introduction dans
le milieu de moustiques génétiquement modifiés et incapables de se reproduire, ­destruction
des larves par méthoprène ou recours à des poissons prédateurs de moustiques. Quant à
la suppression des lieux de vie et de reproduction des moustiques, l’assèchement des marais
pontins, en Italie dans les années 1930 en est l’exemple le plus connu, mais de nombreuses
autres opérations de même nature avaient été entreprises bien avant : citons, en France,
celle des Dombes, au cours de la seconde moitié du xixe siècle.
Le développement de résistances du parasite aux médicaments disponibles fait de la préven-
tion et du traitement médicamenteux du paludisme un combat toujours recommencé.
Dernier épisode en date : en avril 2017, l’OMS annonce le lancement d’une campagne d’ex-
périmentation visant à vacciner plus de 360 000 enfants dans trois pays d’Afrique d’ici à 20206.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
1.3. Du xve au xviiie siècle

L’évolution générale des idées touche aussi la médecine et plus largement


les sciences du vivant. Les dogmes hérités d’Hippocrate, de Galien et d’Aris-
tote sont progressivement remis en question par des personnalités comme
Paracelse, en Suisse et en Allemagne, André Vésale en Belgique, William
Harvey en Angleterre. La personnalité de Girolamo Frascatoro (Jérôme
Fracastor –  vers  1478‑1553) mérite aussi d’être évoquée. Il construit une
théorie de la transmission des maladies autour de la notion de contagion et
postule, sans avoir toutefois la possibilité de le vérifier, que les maladies
infectieuses se transmettent par l’intermédiaire d’organismes vivants, invi-
sibles car très petits. Il en déduit un ensemble de règles d’hygiène. Les agents
invisibles commenceront à ne plus l’être à la fin du xviie siècle, quand Antonie
van Leeuwenhoek repère pour la première fois au microscope, instrument
qu’il a mis au point, des bactéries en 1683.
Les organisations dévolues à l’endiguement des épidémies connaissent
un fort développement. On voit en effet s’étendre à l’ensemble de l’Europe
les solutions apparues sur les rives de la Méditerranée : isolement, quaran-
taine, restrictions de la circulation des personnes et des biens, mesures de
désinfection et de prise en charge des cadavres. Conséquemment, les orga-
nisations se diffusent : lazarets, services de santé, d’assainissement, de net-
toyage, de police sanitaire… Enfin, pour légitimer et encadrer l’action de
ces services, une production juridique est élaborée (les « règlements de
peste »), qui vont va jusqu’à donner des « pouvoirs dictatoriaux » aux acteurs
de la lutte contre les épidémies. La généralisation de ces dispositifs conduit
progressivement à leur intégration croissante, du niveau communal à l’éche-
lon national. Ainsi, en 1722, la lutte contre l’épidémie de peste de Marseille
et de Provence, en recourant à un blocus strict des communes touchées,

6. Voir OMS, « Questions et réponses sur le programme de mise en œuvre de la vaccination anti-
paludique (MVIP) », www.who.int, mars 2020.

27
Partie 1. Les fondamentaux

mobilisera le pouvoir central français, en l’occurrence, la Régence de


Philippe d’Orléans.
Ce développement du rôle de l’État, s’inscrit plus largement, à partir du
xvie siècle, dans un mouvement de sécularisation qui, en France, conduit le
pouvoir royal à développer l’assistance et la charité. La guerre de Cent Ans
a provoqué la destruction des hospices et les pauvres sont de plus en plus
nombreux. Le pouvoir royal réagit en demandant aux municipalités de créer
leurs propres institutions et en participant à la gestion et à la surveillance
de ces établissements. Cette démarche marque la première tentative de venir
concurrencer l’Église dans le domaine. Rapidement, ce sont les officiers
royaux, et plus particulièrement le grand aumônier du Roi, chargé d’exécuter
les libéralités de ce dernier, qui contrôlent les hospices. François Ier (1515‑1547)
crée le « Grand Bureau des pauvres » par lettres patentes en date du 7 novembre
1544, qui avait pour mission de coordonner l’activité des hôpitaux du
royaume et visait à déléguer au Prévôt des marchands et aux échevins le
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
soin des pauvres de Paris. Par l’édit de Saint-Germain du 14  juin 1662,
Louis XIV impose la création d’un Hôtel-Dieu dans chaque cité importante
du royaume. Il s’agit d’une part d’enfermer, notamment les malades infec-
tieux pour les empêcher de contaminer la ville et, d’autre part, de « renfermer
les pauvres, vieillards, vagabonds, enfants orphelins et prostituées ».
Par ailleurs, on note durant cette période un ensemble d’avancées signi-
ficatives en matière d’épidémiologie. Ainsi, au Royaume-Uni, John Graunt,
vers 1662, développe une approche quantitative de la morbidité, avec une
analyse de la mortalité à Londres (calcul de tables de mortalité) ; en 1767,
Georges Baker, au terme d’une démarche complète d’épidémiologie de ter-
rain, démontre l’origine saturnique des coliques du Devonshire (le cidre,
boisson traditionnelle des habitants de la région, était contaminé par du
plomb) ; en 1775, Percivall Pott démontre la responsabilité des suies contenant
des goudrons dans l’apparition de cancers du scrotum chez les ramoneurs,
faisant œuvre de précurseur en matière d’épidémiologie des cancers et des
risques professionnels ; James Lind, en 1753, réalise un authentique essai
thérapeutique en administrant différentes substances à des marins atteints de
scorbut, démontrant, sans connaître encore la vitamine C, que la consomma-
tion d’agrumes permet de combattre la maladie.
Avec le recul des grandes épidémies, à la fin du xviiie siècle, les organi-
sations évoluent dans le sens d’une extension et d’une diversification de leurs
fonctions sanitaires. Parallèlement, la place et le rôle des pouvoirs publics,
tout particulièrement des États en matière de santé des populations, font
l’objet de discussions. En Allemagne, Johann Peter Frank (1745‑1821) prône
une intervention directe, forte, voire autoritaire de l’État. La Grande-Bretagne,
à cette époque s’oriente plutôt vers une option décentralisée, communale, qui
répond à la volonté de développer, selon des termes modernes, des soins de
santé primaires dans un cadre plus général d’action sociale. La France entre-
tiendra longtemps un mélange des préoccupations sanitaires et de contrôle
social : ainsi, lors de la réforme du Service hospitalier en 1778, menée à la
demande de Louis XVI par Jacques Necker, un inspecteur général des hôpi-
taux, dépôts de mendicité et prisons, est nommé en 1781, tandis qu’une

28
Histoires de la santé publique

Partie 1. Chapitre 1.
commission des hôpitaux de Paris et une commission de réforme des prisons
sont créées.
Un débat occupe les médecins, à la fin du xviiie siècle et au début du xixe.
Il oppose les tenants d’une causalité spécifique des maladies (une cause pré-
cise entraîne une maladie déterminée) et ceux qui penchent plutôt pour une
approche plus globale mettant en jeu des processus très généraux, tels l’in-
flammation et le terrain. Les progrès de la connaissance dans le domaine des
maladies infectieuses valoriseront la logique de causalité spécifique, mais
aujourd’hui la notion d’interaction avec le terrain se révèle évidemment bien
intéressante aussi.
Encadré 2. Le premier vaccin

En 1796, Edward Jenner apporte un nouvel outil majeur pour la santé publique, venant
compléter les pratiques hygiénistes : la vaccination. Il s’agit de la vaccination antivariolique,
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
qui consistait techniquement à pratiquer des incisions superficielles au niveau du bras et à
frotter les plaies avec du pus provenant d’une personne atteinte de la variole bovine
(Cowpox), un mécanisme d’immunité croisée permettant de protéger contre la variole
humaine. Il est intéressant de noter que, dès cette époque, la vaccination suscite de fortes
oppositions, fondées notamment sur son caractère « antinaturel », incomplètement effi-
cace, dangereux (cas de syphilis vaccinale) et attentatoire aux libertés (en cas d’obligation
vaccinale7).
Malgré cela, l’usage de la vaccination antivariolique se répand rapidement en Europe conti-
nentale à partir de 1799, et l’obligation vaccinale est adoptée par la plupart des pays au cours
du xixe siècle : Grèce (1825), Allemagne (1874), Angleterre (1883), Italie (1888), Autriche-
Hongrie (1891), France (1902).

1.4. Le xixe siècle : l’essor de la médecine curative


et la progressive prise en compte des déterminants
sociaux et environnementaux de la santé

Le xixe siècle verra des évolutions déterminantes avec le développement


des connaissances et des techniques biologiques et médicales. Les progrès
s’expliquent par l’amélioration de l’examen clinique des patients (Corvisart,
Charcot, Babinski…), les médecins pouvant aussi progressivement s’aider
d’instruments (stéthoscopes, tensiomètres, thermomètres…), et le succès des
premiers examens complémentaires biologiques (dosage du glucose, de l’urée,
de l’albumine, hémocultures…). Les connaissances scientifiques se perfec-
tionnent : anatomie-pathologique (Bichat, Laënnec, Ramón y Cajal…), phy-
siologie (Claude Bernard…), en attendant les apports déterminants de Louis
Pasteur en bactériologie. L’anesthésie (à l’éther, puis au chloroforme) est
utilisée à partir de 1846 (William Morton) et on se dote de nouveaux instru-
ments de chirurgie. Des médicaments efficaces sont mis au point : quinine,

7. Fressoz J.-B., L’apocalypse joyeuse, Seuil, coll. « L’univers historique », 2012.

29
Partie 1. Les fondamentaux

trinitrine, aspirine, digitaline… (➠ Chapitre  15). Enfin, à l’extrême fin du


siècle, la découverte de la radioactivité (les rayons X par Röntgen en 1895,
le radium par Pierre et Marie Curie en 1898) ouvre des champs nouveaux
sur les plans diagnostique et thérapeutique.
Le développement des connaissances s’appuie aussi sur des méthodes
d’observation quantitatives, telle la méthode numérique de Pierre-Charles
Alexandre Louis (1787‑1872), à l’origine de la statistique sanitaire et de
l’épidémiologie. En Grande-Bretagne, William Farr met en place les pre-
mières statistiques sanitaires officielles. En France, Louis-René Villermé
(1782‑1863) établit en 1829 le lien entre taille des conscrits et catégorie
socio-économique, et consacre ses recherches, à dominante statistique, à
l’analyse des déterminants de la santé des populations ouvrières. À Vienne,
en 1861, le Hongrois Ignác Semmelweiss (1818‑1865) organise la préven-
tion de la fièvre puerpérale en posant des règles modernes d’hygiène hos-
pitalière, à commencer par le lavage des mains, notamment après une
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
autopsie.
Accompagnant cette évolution de la médecine, une transformation impor-
tante a lieu, qui voit les hôpitaux anciens – essentiellement lieux d’héberge-
ment, d’isolement voire d’enfermement, d’administration le plus souvent
religieuse – devenir des lieux de soins et d’enseignement d’administration
laïque. L’architecture hospitalière évolue alors pour s’adapter à ce nouveau
rôle. Le mouvement s’était amorcé au xviiie siècle, mais il s’épanouit vraiment
au cours du siècle suivant : Voluntary hospitals en Angleterre, Allgemeine
Krankenhaus de Vienne (1784), hôpital de la Charité à Berlin (1710).
En France, on peut citer notamment l’évolution de l’Hôtel-Dieu de Paris.
Le champ des préoccupations collectives en matière de santé s’élargit, tandis
que progressivement les maladies infectieuses sont mieux comprises et com-
battues. On s’intéresse alors à la santé des travailleurs, des enfants et des mères,
et à la santé mentale. Ultérieurement, la mise en place de dispositifs de protec-
tion sociale ajoutera un élément important à la réponse aux problèmes de santé.
C’est donc au xixe siècle qu’émergent progressivement les composantes
de la santé publique actuelle. En Europe, la situation reste encore marquée
par l’importance des maladies infectieuses : tuberculose, choléra, syphilis,
infections puerpérales… Mais les transformations induites par la révolution
industrielle, qui, partant de l’Angleterre s’étend à l’Europe continentale, à
l’Amérique et aussi à l’Asie (Inde, Japon), bouleversent aussi la situation :
migrations de populations (exode rural), qui vont s’entasser dans des villes
qui ont du mal à faire face à cet afflux de personnes souvent vulnérables
(habitat insalubre, surpeuplement, infrastructures insuffisantes), conditions de
travail extrêmement dures (usines, mines), travail des enfants, alcoolisme,
absence de droits sociaux, faibles rémunérations ouvrières, prostitution… Le
cœur des grandes villes voit apparaître des épidémies, dont l’une des plus
connues est celle du choléra de Londres en 1848. La mortalité précoce dans
la population ouvrière est considérable.

30
Histoires de la santé publique

Partie 1. Chapitre 1.
Encadré 3. John Snow, William Farr et le choléra de Londres au xixe siècle

Avec cinq pandémies entre 1817 et 1896, le choléra est un problème de santé publique
majeur au xixe siècle. La Grande-Bretagne, notamment, est ainsi frappée par ces épidémies,
dont l’impact est aggravé par l’urbanisation rapide et les mauvaises conditions de vie de
vastes parties de la population au cours de la révolution industrielle. C’est dans ce contexte
que vont s’articuler la maladie, la médecine, l’épidémiologie et les politiques d’aménagement
du territoire et de sécurité sanitaire8.
William Farr (1807‑1883) avait été l’élève de Pierre-Charles Alexandre Louis, lors d’un séjour
à Paris et il était devenu, dans les années 1840, le médecin responsable d’un système statis-
tique sanitaire local et national créé en 1836, le « General Register Office (GRO) ». Il publiait
des rapports épidémiologiques mensuels, trimestriels et annuels, et s’était beaucoup inté-
ressé au choléra, notamment à l’épidémie de 1848‑1849. Sa préférence intellectuelle allait
à la transmission aérienne de la maladie ; il avait en effet mis en évidence une relation inverse
entre la mortalité par choléra à Londres et l’altitude du lieu d’habitat. Cette hypothèse d’une
transmission aérienne, par des miasmes, était très en vogue chez beaucoup de médecins
au début du xixe siècle, dans une sorte de contexte néohippocratique.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
John Snow (1813‑1858) était médecin et partisan de la transmission hydrique du choléra.
En 1853, W. Farr commença à se rallier à l’idée d’une transmission hydrique à la suite d’un
épisode de choléra qui fit plus de 1 500 morts, en raison de l’introduction d’eau polluée
dans le réseau de la ville de Newcastle-upon-Tyne, par la compagnie des eaux locale.
Par ailleurs, Farr, étudiant la distribution de l’eau potable à Londres, découvrit qu’un quartier
de la ville, abritant environ 300 000 personnes était desservi par deux compagnies, dont les
réseaux de distribution étaient enchevêtrés, mais qui pompaient l’eau de la Tamise en deux
endroits différents, dont l’un était exposé à la pollution par les rejets des égouts.
W. Farr et J. Snow établirent un protocole d’enquête pour tenter de prouver la transmission
hydrique du choléra à l’occasion d’une future épidémie qui ne manquerait pas de se produire.
Et l’épidémie attendue survint entre août et octobre 1854. Farr fournissait les adresses des
malades, Snow identifiait les sources d’approvisionnement. Une carte des cas de choléra fut
dressée, des taux de mortalité calculés en fonction de la compagnie impliquée : l’eau distribuée
par la compagnie qui pompait en zone polluée provoquait cinq fois plus de décès. Une fontaine
publique dans Broad Street fut identifiée comme une source majeure de transmission.
La thèse de J. Snow était validée dans un contexte quasi-expérimental. Le sujet se déplaça
alors sur le terrain politique, afin de faire adopter des mesures de régulation de l’activité des
compagnies des eaux. Ce ne fut pas si simple, car les tenants de théories « non-
contagionistes » (les partisans de la « théorie des miasmes ») s’exprimèrent pour dédouaner
les compagnies. Il fallut un nouvel épisode en 1866 dans l’est de Londres, avec plus de
900 morts, pour que les débats soient clos. Le rôle de W. Farr en tant que responsable de la
statistique sanitaire nationale fut majeur durant cette période, permettant des avancées
déterminantes dans la compréhension de la transmission et l’adoption de mesures préven-
tives, alors même que l’agent de la maladie n’était pas encore connu ; le vibrion cholérique
fut identifié par Fillipo Pacini en 1854, mais cette découverte fut en quelque sorte oubliée
avant la redécouverte définitive de Robert Koch en 1883.
La France connut aussi des épidémies de choléra aux mêmes époques, mais elle ne bénéficia
pas d’un équivalent du binôme Snow et Farr. La conception moderne de la transmission du
choléra y fut acceptée plus tardivement et plus progressivement ; la généralisation de l’éva-
cuation des eaux usées par le tout-à-l’égout fut lente.

8. M. Dupâquier, F. Lewes, « Le choléra en Angleterre au xixe siècle : la médecine à l’épreuve de


la statistique », Annales de démographie historique, 1989, p. 215‑221.

31
Partie 1. Les fondamentaux

Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour dénoncer cette situa-
tion et proposer des solutions. On ne s’étonnera pas trop, dans ces conditions,
que plusieurs figures de la santé publique aient joué des rôles politiques,
directement ou en tant qu’inspiratrices. Ainsi, par exemple, en France,
Antoine-François de Fourcroy sera à l’origine de la loi du 10 mars 1803 (19
ventôse de l’an  XI), qui impose le doctorat en médecine comme condition
d’exercice et crée un nouveau groupe professionnel, les officiers de santé,
destinés principalement à faire face aux déserts médicaux ruraux9, problème
déjà présent à cette époque. Plus tard, Louis-René Villermé sera à l’origine
de deux lois, sur le travail des enfants, en 1841 et sur les logements insalu-
bres, en 1850. En Grande-Bretagne, l’avocat Edwin Chadwick (1800‑1890)
est un ardent promoteur de la loi de santé publique (Public health act) de
1848, prescrivant diverses mesures d’hygiène publique ainsi que l’obligation
de créer des bureaux municipaux de santé partout où les taux de mortalité
dépassent un certain seuil. En Allemagne, Rudolf Virchow (1821‑1902), qui
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
conçoit la politique comme une forme de médecine étendue à la société, se
préoccupe de l’accès aux soins du prolétariat, souhaite l’établissement d’es-
paces verts dans les villes et obtient l’installation du tout-à-l’égout, d’un
réseau de distribution d’eau potable et d’un abattoir moderne à Berlin.
Au Royaume-Uni, la réponse administrative et juridique se concrétise par
le premier ministère de la Santé publique, en accompagnement du Public
Health Act de 1848. Une distinction claire est établie entre l’hygiène publique
et l’assistance aux pauvres, en rupture avec la logique plus globale qui pré-
existait. Cette dynamique se concrétise en France par la création du Comité
consultatif d’hygiène publique de France en 1848, ainsi que de conseils d’hy-
giène et de salubrité locaux, d’une Direction de l’assistance et de l’hygiène
publiques en 1889 au sein du ministère de l’Intérieur, une première loi géné-
rale de santé publique en 1902, puis un ministère de la Santé dans les années
1920. Localement, des services à objectif hygiéniste sont mis en place, comme
le premier bureau municipal d’hygiène au Havre en 1879.
Des lois apparaissent qui visent à limiter l’impact de facteurs défavorables
à la santé. Ainsi, en France, les lois réglementant le travail des enfants et des
femmes en 1841 et 1880, la loi relative à l’assainissement des logements
insalubres en 1850, la loi sur les hôpitaux et les hospices (gratuité pour les
indigents) en 1851, la loi sur l’aide sociale en 1893 et la loi sur les assurances
contre les accidents du travail en 1898. Par ailleurs, le regroupement des
acteurs se fait de façon dispersée, en fonction d’une approche thématique :
Association nationale de prévention de l’alcoolisme en 1872, Société de méde-
cine publique et d’hygiène professionnelle en 1877, Ligue contre la tuberculose
en 1892, puis Ligue contre le cancer en 1918. Au niveau international, un
mouvement se fait jour avec la tenue de Conférences sanitaires internationales
à partir de 1851. La septième conférence adoptera la première convention
sanitaire internationale en 1892. Pendant ce temps, en 1863, à la suite de la
bataille de Solferino, naît la Croix-Rouge, à l’initiative d’Henri Dunant.

9. M. Foucault, Naissance de la clinique, PUF, coll. « Quadrige », 2015, 1re éd. : 1963.

32
Histoires de la santé publique

Partie 1. Chapitre 1.
1.5. La « révolution pasteurienne »

Cette expression désigne les conséquences scientifiques, médicales et


sociales induites par les découvertes de Louis Pasteur (1822‑1895). Chimiste
de formation, Louis Pasteur travaille tout d’abord sur des sujets agricoles où
il met en évidence la responsabilité de micro-organismes dans l’apparition
de maladies. En 1878 il formule sa « théorie des germes », postulant la pré-
sence universelle de micro-organismes dans l’air et expliquant les mécanismes
de fermentation et de putréfaction. Très rapidement, convaincu que la plupart
des maladies sont dues également à des micro-organismes, il applique ses
découvertes à la santé animale, puis humaine, sous forme de deux vaccins,
contre le charbon des ovins en 1881 et contre la rage en 1885. L’Institut
Pasteur de Paris ouvre ses portes en 1888, suivi par d’autres instituts dans les
colonies françaises, contribuant au rayonnement de la recherche pasteurienne.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Parallèlement, en Allemagne, Robert Koch (1843‑1910) découvre le bacille
de la tuberculose en 1882 – et redécouvre le vibrion cholérique en 1884 –,
tandis qu’Alexandre Yersin identifie l’agent de la peste en 1894. S’ouvre
alors une séquence historique de plusieurs décennies de découvertes en micro-
biologie (tout d’abord en bactériologie, puis en virologie) et de mise au point
de vaccins, qui se poursuit jusqu’à nos jours : choléra, typhoïde et peste
avant 1900, puis pneumocoque, BCG10, diphtérie, coqueluche, tétanos, fièvre
jaune, typhus, grippe, avant 1950 ; poliomyélite, rougeole, oreillons, rubéole,
méningite, varicelle, brucellose, hépatite B, hépatite A, Haemophilus influen-
zae jusqu’aux années 1990, anti-papilloma-virus dans les années 2000.
Au milieu du xxe siècle, les progrès en microbiologie permettent une avan-
cée thérapeutique déterminante avec l’apparition des sulfamides (Gerhard
Domagk, en 1932), puis des antibiotiques, avec la pénicilline, découverte par
Alexander Fleming en 1928, mais dont l’usage se répand seulement durant la
Seconde Guerre mondiale, puis la découverte en 1946 de la Streptomycine,
premier antibiotique antituberculeux et en 1948 des Tétracyclines.
Les découvertes de Pasteur et d’autres chercheurs auront, outre la produc-
tion d’outils de prévention que constituent les vaccins et les pratiques d’asep-
sie (au bloc opératoire tout particulièrement) un double impact : d’une part,
elles donneront un fondement scientifique aux actions hygiénistes qu’elles
justifieront aux yeux des décideurs et des populations ; d’autre part, les pou-
voirs publics y trouveront aussi à la fois une obligation et une légitimité à
agir. La révolution pasteurienne va donc amplifier des dynamiques déjà en
cours, sans cependant lever toutes les résistances en la matière.
Ainsi, la France ne fut pas indifférente au premier vaccin antivariolique
développé à la fin du xviiie siècle suite aux travaux de Jenner, mais les résis-
tances demeurèrent importantes et la couverture vaccinale était insuffisante
quand survint la guerre franco-prussienne de 1870‑1871. La mauvaise qualité
du vaccin français, les concentrations de troupes, les mouvements divers de

10. BCG : bacille de Calmette et Guérin. Le BCG est un vaccin antituberculeux.

33
Partie 1. Les fondamentaux

populations, y compris vers la Belgique ou le Royaume-Uni, l’envoi des


prisonniers dans des camps en Allemagne ou en Suisse, la mobilité de
contingents étrangers, notamment italiens, allait transformer une épidémie
française assez banale en une pandémie qui fit probablement 500 000 morts
uniquement en Europe, dont 200 000 en France. L’Empire allemand rendit la
vaccination antivariolique obligatoire en 1874. En France, il fallut attendre
la loi du 15  février 1902 relative à la protection de la santé publique pour
cela, et les résistances ne furent pas négligeables par la suite. La vaccination
anti typhoïdique devint obligatoire dans l’armée française par la loi du 27 mars
1914, mais cela n’empêcha pas la survenue d’une épidémie lors du conflit
qui suivit (notamment du fait d’une couverture vaccinale des soldats encore
très insuffisante au déclenchement de la guerre : seuls environ 18 % des sol-
dats et 3 % de l’ensemble des hommes mobilisables étaient vaccinés en août
1914). On le voit, le débat entre tenants de l’obligation vaccinale et promo-
teurs d’une approche incitative est ancien.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
1.6. Organisations et politiques de santé publique au xxe siècle

Le début du siècle est marqué par une épidémie mondiale : la grippe


espagnole (1918‑1921), qui cause environ 100 millions de morts11. En France
métropolitaine, on estime l’impact de l’épidémie à environ 200 000 morts
directes et 200 000 morts par complications, notamment respiratoires. Cette
catastrophe sanitaire conduira à renforcer les structures susceptibles de conce-
voir et mettre en œuvre des politiques de santé, ou du moins des actions de
santé à un large échelon collectif.
C’est ainsi qu’en France, le premier ministère de la Santé est mis en place
entre 1920 et 1930, en raison aussi d’une défaillance assez générale des com-
munes dans l’exercice de leurs responsabilités issues de la loi de du 15 février
1902 et d’une volonté de « redressement national » après la saignée démogra-
phique de la guerre, ce qui passe par une implication accrue de l’Etat dans
l’amélioration de la santé de la population. Au niveau international, la Ligue
des Sociétés de la Croix-Rouge naît en 1919. La Société des Nations (SDN)
décide de se doter d’un Comité de la santé et d’une Organisation d’Hygiène
en 192212, qui lance, avec la participation d’États non-membres, comme
­l’Allemagne, les États-Unis et l’Union Soviétique, un programme de santé
publique et a servi, de diverses façons, de lien entre les différentes administra-
tions nationales de santé. Elle étend, par exemple, son soutien aux gouverne-
ments par la promotion de l’assistance technique et informe l’Assemblée et le
Conseil de toutes les questions de santé publique internationales. On considère,
pour toutes ces raisons, que c’est l’une des organisations de la Société des

11. N. P. Johnson, J. Mueller. « Updating the accounts : Global mortality of the 1918‑1920 “Spani-
sh” influenza pandemic », Bulletin of History of Medecine, 2002, vol. 76, n° 1, p. 105‑115.
12. L’ancêtre de ce Comité était le Bureau international de la santé, fondé en 1908 et qui s’occu-
pait de collecter des renseignements auprès des différents services de santé dans le monde et de leur
diffuser les informations reçues.

34
Histoires de la santé publique

Partie 1. Chapitre 1.
Nations qui a eu le plus d’impact. En 1948, la SDN est dissoute et, avec elle,
les comités et organisations qui lui sont rattachés, dont le comité de santé et
l’organisation d’hygiène ; l’OMS leur succèdera la même année (➠ Chapitre 10).
Le xxe siècle est marqué par de considérables avancées scientifiques, tech-
niques, biologiques et médicales dans pratiquement tous les domaines. Les
deux guerres mondiales, si elles ont provoqué des souffrances et des destruc-
tions considérables, ont accentué le mouvement d’innovations en matière de
santé (chirurgie, pénicilline distribuée à chaque soldat américain lors du débar-
quement en Normandie en juin 1944…) et leur diffusion. Dans les pays indus-
trialisés, une double transition va s’accomplir alors : démographique, passant
d’un régime de fortes natalité et mortalité à un régime de faibles natalité et
mortalité ; épidémiologique, marquée par le recul des maladies infectieuses et
la croissance des maladies chroniques (➠ Chapitre 5). Le secteur hospitalier
est profondément transformé par les progrès médicaux, qui se diffusent dans
les années 1950‑1970, dans le contexte de forte croissance économique des
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
« Trente Glorieuses ». Le financement et la régulation des systèmes de soins
deviennent des préoccupations centrales dans les politiques de santé publique,
qui par ailleurs intègrent mieux les dimensions sanitaire et sociale (comme
l’illustre la création d’une administration commune, la Direction départemen-
tale des affaires sanitaires et sociales, en France, dans les années 1960), ainsi
que l’interaction entre le développement global d’une société et l’état de santé
de sa population, en particulier dans les pays devenus indépendants à l’occa-
sion du vaste processus de décolonisation des années 1950‑1960.
Progressivement, souvent à l’occasion de drames sanitaires et environne-
mentaux, mais aussi par une évolution générale des idées, l’écologie s’impose
au sein des déterminants de la santé et dans le débat public.
Parallèlement, la santé publique voit ses outils s’étoffer : développement
des statistiques sanitaires et de l’épidémiologie, mesures d’hygiène du milieu,
dépistage, prévention. Les organisations se développent à la fois dans le champ
de la veille et de la sécurité sanitaire, et dans celui de la régulation du système
de soins (➠ Chapitre 8).
Au niveau international, les thématiques des conférences de l’OMS, qui
se succèdent depuis les années 1970, donnent un aperçu de l’évolution des
préoccupations de santé publique à l’échelle mondiale : 1972, Stockholm,
sur l’environnement ; 1978, Alma-Ata, sur les soins de santé primaires ;
1986, Ottawa, sur la promotion de la santé ; 1988, Vienne, sur la santé dans
les villes ; 1988, Adelaïde, sur l’élaboration des politiques en matière de
santé publique ; 1991, Sundsvall, sur les environnements favorables à la
santé ; 1992, Rio de Janeiro, sur l’environnement et le développement ; 2000,
Mexico, sur l’équité en matière de santé ; 2005, Bangkok, sur l’impact de
la mondialisation ; 2016, Shanghai, sur la santé et le développement durable.
Nouvelle venue parmi les acteurs politiques, l’Union européenne investit
progressivement le champ de la santé.

35
Partie 1. Les fondamentaux

Encadré 4. Naissance et développement d’un acteur des politiques de santé :


l’Union européenne

À l’origine, le traité de Rome (1957), fondateur de la Communauté économique européenne


(CEE) ne contenait pas de disposition formelle concernant la santé publique. Toutefois, les
préoccupations sanitaires furent présentes assez tôt dans le processus de la construction
européenne. Ainsi, à partir de 1977, un Conseil des Ministres de la Santé des États membres
commença à se réunir, produisant des actes tels que des « décisions des États membres
réunis au sein du Conseil » ou des résolutions non contraignantes. Après l’Acte unique
européen (1986), ce type d’acte, de portée juridique parfois incertaine, s’est multiplié et un
premier programme a vu le jour, « L’Europe contre le cancer ». Une législation communau-
taire portant sur les médicaments fut aussi adoptée en 196513 dans un cadre plus écono-
mique (celui du marché commun) que sanitaire.
Au fil des ans, la prise en considération de questions aussi diverses que la toxicomanie ou
les filières de transfusion sanguine entre les États membres a toutefois peu à peu mis en
évidence que les répercussions possibles des politiques nationales pouvaient se manifester
bien au-delà des frontières des États, ou encore qu’il pût être nécessaire d’apporter une
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
réponse transnationale coordonnée à certains problèmes de santé publique.
Le traité de Maastricht, en 1993, visait à donner à la Communauté une vocation politique
au-delà de l’objectif économique initial et constitue un tournant significatif, en instaurant
formellement par son l’article 129 une politique de santé publique de la Communauté qui
se voit confier un objectif explicite : contribuer à assurer un niveau élevé de protection de
la santé humaine en encourageant la coopération entre les États membres et, si nécessaire,
en appuyant leur action. Cet article a permis de formaliser la coopération des États
membres dans ce domaine et de préciser le champ des actions à entreprendre au niveau
communautaire, portant exclusivement sur la prévention des maladies, sur l’information
et l’éducation en matière de santé, à l’exclusion de l’organisation des soins et de leur finan-
cement, qui relèvent encore aujourd’hui de la compétence nationale14.
La Communauté a pu, dès lors, développer et mettre en œuvre une véritable stratégie en
matière de santé publique et intégrer dans les politiques communautaires des exigences en
matière de protection de la santé. Un cadre d’action, comportant cinq programmes plu-
riannuels spécifiques (cancer, sida, toxicomanie, promotion de la santé et surveillance épi-
démiologique), a alors été adopté. L’action communautaire a également pris d’autres formes,
par exemple dans les domaines des maladies transmissibles, du sang (recommandations sur
la sécurité des produits sanguins…) et de la consommation de tabac, ainsi que dans le cadre
de l’achèvement du marché intérieur, afin d’établir une législation sur les contrôles vétéri-
naires et phytosanitaires, ou encore en matière de biotechnologies, par le soutien aux acti-
vités de recherche. Par ailleurs, le traité de Maastricht a servi de base juridique à la création
de l’Agence européenne pour l’évaluation des médicaments (« European Medicine
Evaluation Agency » – EMEA) en 199515.
Malgré cela, il faut souligner qu’alors la santé publique ne constituait toujours pas une
priorité parmi les politiques de la Communauté. C’est essentiellement devant l’évidence de
la dimension transfrontalière des graves menaces sanitaires (en particulier, la crise de la
« vache folle », qui a éclaté en 1996) et sous la pression de l’opinion publique, qu’une véri-
table prise de conscience de l’importance d’une politique de santé au niveau communau-
taire a lieu à la fin des années 1990.

13. Directive 65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dis-
positions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques.
14. On parle à ce sujet de « subsidiarité ».
15. L’EMEA sera renommée en 2004 « Agence européenne des médicaments » (European Medi-
cines Agency, EMA).

36
Histoires de la santé publique

Partie 1. Chapitre 1.
L’extension de la base juridique des activités de la Communauté en matière de santé publique
a alors été opérée par le traité d’Amsterdam (1999). La Communauté européenne se voit attri-
buer une compétence élargie, tout en restant dans la logique d’une action ne visant qu’à com-
pléter les politiques nationales (on parle alors de « compétence partagée »). Elle peut alors
adopter des mesures en vue d’assurer (et non plus seulement « de contribuer à ») un niveau
élevé de protection de la santé humaine, ce qui ouvre la voie à l’action sur les déterminants de
la santé. L’accent est également mis sur la possibilité, pour le Conseil, d’adopter des mesures
fixant des normes élevées de qualité et de sécurité pour les organes et substances d’origine
humaine, le sang et ses dérivés, à la suite notamment du scandale du sang contaminé en France.
Les mesures dans les domaines vétérinaire et phytosanitaire ayant directement pour objectif
la protection de la santé publique sont désormais arrêtées selon la procédure de codécision16,
évolution majeure puisqu’elle permet une implication directe du Parlement européen.
Après le traité d’Amsterdam, la stratégie européenne en matière de santé publique s’est
articulée autour de trois domaines :
– l’amélioration de la sécurité sanitaire des populations sur le territoire de l’Union, et
notamment la réaction rapide aux menaces pesant sur la santé, qui se concrétisa notam-
ment par la création d’un réseau européen de surveillance et de contrôle des maladies
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
transmissibles en 1998 ;
– l’information visant à promouvoir la santé publique, sur l’état de santé de la population
et ses déterminants, et sur les évolutions des systèmes de santé européens ;
– le travail sur les déterminants de la santé, par la promotion de la santé et du vieillissement
en bonne santé et de la prévention des maladies.
La crise de la « vache folle », qui a eu, comme on l’a vu, un rôle fondamental dans le déve-
loppement d’une véritable politique de santé communautaire, modifia également signifi-
cativement le droit européen, la Cour de justice européenne reconnaissant à partir de 1998
la notion de principe de précaution lorsque la santé humaine était mise en jeu.
Au fil des années 2000, avec la survenue de grandes épidémies transfrontalières (la pandémie
de grippe A H1N1 en 2009, par exemple), ainsi que de scandales sanitaires ayant affecté les
pays de l’Union, l’importance du rôle de la Communauté est devenue de plus en plus mani-
feste. En 2005 est ainsi créé l’ECDC (European Centre for Disease Prevention and Control
– Centre européen de prévention et contrôle des maladies), à la suite notamment de l’épi-
démie de SRAS en 2003. L’action de l’Union européenne en matière de santé se développe
avec le programme de santé publique 2003‑2008, qui promeut notamment une approche
horizontale centrée sur des objectifs transversaux plutôt que sur des thématiques spéci-
fiques, en « tuyaux d’orgue », comme cela était le cas jusqu’alors17. Le programme d’action
­communautaire 2008‑2013 fixe trois grands objectifs : améliorer la sécurité sanitaire, pro-
mouvoir la santé, produire et diffuser des informations en matière de santé. Le troisième
programme Santé, pour la période 2014‑2020, est doté d’un budget de 450 millions d’euros
(➠ Chapitre 9). Avec le traité de Lisbonne, en 2009, le champ d’action de l’Union est précisé
et un nouveau domaine d’intervention est défini, qui vise à « améliorer la complémentarité
des services de santé des États membres dans les régions transfrontalières ».
Soixante ans après le début de l’aventure européenne, la responsabilité première de la pro-
tection de la santé et, en particulier, des systèmes de soins, incombe toujours aujourd’hui
aux États membres. Mais l’objectif de santé publique est clairement devenu au fil du temps
l’une des préoccupations majeures de l’Union, notamment du fait de la nature transfron-
talière de certaines menaces.

16. Introduite par le traité de Maastricht, la procédure de codécision (renommée après le traité de
Lisbonne « procédure législative ordinaire ») est une procédure législative fondée sur le principe de la
parité entre les deux colégislateurs, le Parlement européen et le Conseil (➠ Chapitre 9).
17. De 1993 à 2002, huit programmes étaient mis en œuvre en parallèle : promotion de la santé,
veille sanitaire, « L’Europe contre le cancer », drogue, SIDA et maladies transmissibles, prévention
des blessures, maladies liées à la pollution, maladies rares.

37
Partie 1. Les fondamentaux

1.7. Le développement des systèmes de protection sociale

Le développement du salariat ouvrier, l’affaiblissement des solidarités


traditionnelles mises à mal par l’exode rural, l’émergence d’une médecine
curative efficace mais plus coûteuse, l’évolution générale des idées (­socialisme,
marxisme) et des mouvements sociaux font apparaître un nouvel enjeu à la
fin du xixe siècle, celui de la prise en charge collective des dépenses de santé
et, plus globalement de la mise en place de dispositifs de protection sociale.
En France, de nombreuses sociétés ouvrières de secours mutuel destinées à
faire face de façon solidaire aux conséquences des accidents du travail notam-
ment, existent depuis le milieu du siècle. Progressivement, le patronat est
amené à s’impliquer dans ces dispositifs et l’État à les réguler.
Sans prétendre être exhaustif, citons quelques étapes dignes d’être souli-
gnées, rythmant la montée en puissance progressive de ces dispositifs.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
En Allemagne, par une loi de 1883 (Krankenversichungsgesetz), le chan-
celier Bismarck favorise la création d’une assurance maladie obligatoire, à
l’origine d’un modèle, communément appelé « bismarckien », de système de
protection sociale. Dans ses premières années, ce dispositif est réservé aux
ouvriers de l’industrie, mais il est étendu à d’autres catégories de travailleurs
et, en 1914, il couvre plus du tiers de la population allemande. Les risques
pris en charge sont la maladie et les accidents du travail (perte de revenu,
médicaments et autres traitements), la maternité et le décès. Le financement
en est assuré par des cotisations des employeurs et des assurés, et la gestion
des caisses d’assurance maladie est effectuée directement par les parties pre-
nantes de façon très décentralisée.
En 1911, en Grande-Bretagne, le « National Insurance Act » met en place
un système national d’assurance maladie et d’assurance-chômage pour
les ouvriers de l’industrie. Cofinancé par les cotisations des employeurs et
des ouvriers, il donne droit à un revenu de remplacement en cas d’arrêt de
travail, soit pour cause de maladie soit pour chômage. Le cotisant bénéficiait
aussi de la gratuité des traitements contre la tuberculose et de l’accès à des
médecins agréés, ainsi qu’à des prestations liées à la maternité. De plus,
dès 1913, pour des régions isolées et rurales d’Écosse, un système d’assurance
maladie fut mis en place sur une base non contributive.
En 1930, en France, c’est la loi sur les assurances sociales pour les salariés
qui pose les bases d’une protection sociale sur les risques maladie, vieillesse
et décès dans le cadre d’un système obligatoire par capitalisation cofinancé
par les salariés et les employeurs, soumis à condition de ressources et géré
par des caisses d’assurances sociales départementales. En 1939, un décret-loi
porte le Code de la famille et organise une extension des prestations fami-
liales, mises en place en 1932, dans une logique nataliste.
En 1935, aux États-Unis, dans le contexte de la crise économique et sociale
et du New Deal du président Roosevelt, le « Social Security Act » a pour
objectif de réduire l’impact de la misère dans des groupes particulièrement
vulnérables, personnes âgées, chômeurs, veuves et orphelins, plus que de
constituer une véritable assurance maladie.

38
Histoires de la santé publique

Partie 1. Chapitre 1.
En 1942, en Grande-Bretagne, une étape particulièrement importante est
franchie avec la publication du « Report to the Parliament on Social Insurance
and Allied Services (Rapport au Parlement sur la sécurité sociale et les pres-
tations associées) », habituellement connu sous le nom de son rédacteur prin-
cipal, William Beveridge (1879‑1963). De façon très résumée, le rapport
Beveridge recommande la mise en place d’un système de protection sociale
universelle financé par l’impôt et destiné à l’ensemble de la population, cou-
vrant les risques en matière de santé, chômage et vieillesse. L’objectif final
que propose Beveridge est d’améliorer globalement l’état de la société. Le
système de protection sociale est présenté alors comme un facteur de déve-
loppement économique, en ce qu’il favoriserait la compétitivité. Le modèle
beveridgien se caractérise par quelques traits généraux : financement par l’im-
pôt, planification étatique forte, gratuité (ou quasi-gratuité) des soins (mais
avec accès réglementé et liberté de choix réduite), rémunération des médecins
par capitation.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Les propositions du rapport Beveridge seront mises en application dès la
fin de la seconde Seconde Guerre mondiale par le gouvernement travailliste
de Clement Attlee, dans le cadre plus vaste de ce que l’on appelle alors
l’« État-providence » (Welfare state). Dans le domaine sanitaire, par un méca-
nisme massif de nationalisation, apparaît, sous l’autorité du ministre de la
Santé Aneurin Bevan, le National Health Service (NHS), qui perdure
aujourd’hui malgré les réformes économiques et sociales entreprises à partir
de 1979. Les besoins de santé dans l’immédiat après-guerre étaient tels que
la création du NHS s’accompagna d’un quasi-doublement des dépenses de
santé. Le modèle beveridgien sera repris dans plusieurs pays : Irlande, pays
scandinaves, Italie, Espagne, Portugal, Grèce, notamment.
La France aurait pu se doter d’un système à l’anglaise après 1945, selon
le projet issu de la réflexion du Conseil national de la Résistance. Mais, après
une période d’âpres débats, le pays fera le choix d’un système dérivé du
modèle bismarckien, comme l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche, les pays du
Benelux. Il s’agit donc d’un système d’assurance maladie de base obligatoire
(sauf, le cas échéant, pour les personnes à hauts revenus), géré par les par-
tenaires sociaux (syndicats de salariés et associations d’employeurs) et financé
par les cotisations patronales et des salariés. Les relations avec les producteurs
de soins sont régies par des conventions. Les assurés et les professionnels
conservent des marges d’autonomie plus ou moins importantes (libertés de
choix du praticien pour le patient, d’installation et de prescription pour les
médecins). L’État fixe le cadre général du système et veille à son bon fonc-
tionnement d’ensemble et à sa soutenabilité économique. Néanmoins, lorsqu’il
existe une tendance à universaliser les prestations dans le cadre d’un système
bismarckien, comme cela a été le cas en France, l’État est amené à s’impliquer
plus fortement dans la régulation et à organiser des financements complé-
mentaires des cotisations sociales (impôts ou taxes affectées, telle la
Contribution sociale généralisée – CSG – française).
Aux États-Unis, après la Seconde Guerre mondiale, la prise en charge des
dépenses de santé restera organisée selon un modèle libéral, à l’exception

39
Partie 1. Les fondamentaux

des dispositifs Medicaid pour les personnes à faibles revenus et Medicare, le


programme public d’assurance santé pour les retraités et les patients souffrant
de certaines maladies graves, créés par le « Social security act » du 30 juillet
1965. Cette situation perdurera jusqu’au « Patient protection and affordable
care act (dit « Obamacare ») » du 23 mars 2010 visant à étendre la couverture
santé au plus grand nombre et à contrôler la croissance des coûts de santé afin
d’assurer la pérennité des programmes publics d’assurance santé (➠ Chapitre 18).
Grâce à cette loi, le nombre d’Américains ne disposant pas de couverture
médicale est passé de 46,5 millions en 2010 à 27,9 millions en 2018.
Il est difficile de déterminer une date précise, mais, au milieu des
années 1970 se font jour des interrogations récurrentes sur l’avenir des sys-
tèmes de santé des pays développés et de leur financement. Les chocs induits
par les augmentations des prix des hydrocarbures (guerre israélo-arabe de
1973 dite « du Kippour ») mettent en difficulté les économies des pays indus-
trialisés. La hausse des dépenses de santé (avec des taux de croissance à deux
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
chiffres) n’apparaît plus soutenable à terme. Dans plusieurs pays (États-Unis
avec R. Reagan, Grande-Bretagne avec M. Thatcher, notamment) arrivent au
pouvoir des équipes déterminées à appliquer des politiques libérales, y com-
pris dans les secteurs sanitaire et social.
Les années 1980 sont aussi le temps de l’apparition du sida et de la prise
de conscience que les maladies infectieuses sont toujours menaçantes, qu’il
s’agisse de maladies nouvelles ou de maladies anciennement connues mais
qui se parent de caractéristiques inédites, en raison par exemple de leur exten-
sion géographique, de leur contagiosité ou de leur résistance au traitement.
Ces maladies transmissibles émergentes ou ré-émergentes sont maintenant
assez nombreuses : tuberculose, grippe aviaire, grippe A H1 N1, chikungunya,
dengue, infection à virus Zika, infections à coronavirus18.
Des crises sanitaires marquent l’actualité : accident de la centrale nucléaire
de Tchernobyl, explosions des usines chimiques à Bhopal (Inde) et Seveso
(Italie), maladies liées à l’usage de l’amiante pour l’environnement physique ;
l’encéphalite spongiforme bovine (dite « maladie de la vache folle »), huile
frelatée en Espagne pour l’alimentation ; Thalidomide, hormone de croissance,
sang contaminé, Médiator® pour les produits de santé… Le bioterrorisme
devient une menace possible (attaque au charbon en septembre  2001). La
sécurité sanitaire, sous ses diverses facettes, s’impose comme un sujet majeur.
La France se dote ainsi d’un ensemble d’agences spécialisées dans le domaine
à partir des années 1990 : Institut national de la veille sanitaire, Agence fran-
çaise du sang, Agence du médicament, Établissement de préparation et de
réponse aux urgences sanitaires, Agence française de sécurité sanitaire des
aliments. Pour s’adapter à ces enjeux pouvant prendre la forme de scandales

18. Trois épisodes majeurs d’infections à coronavirus (CoV) de dimensions internationales sont
survenus depuis moins de vingt ans : le syndrome respiratoire aigu sévère des années 2002-2003
(SARS-CoV ; SARS : Severe acute respiratory syndrome), le syndrome respiratoire du Moyen-
Orient, apparu en 2012 (MERS-CoV ; MERS : Middle East respiratory syndrome) et la pandémie à
coronavirus Covid-19 apparue en Chine fin 2019.

40
Histoires de la santé publique

Partie 1. Chapitre 1.
sanitaires, ces entités, bien que récentes, seront remaniées à plusieurs reprises,
globalement, pour en faire des opérateurs à compétences élargies : Agence
nationale de santé publique (2016), Agence nationale de sécurité sanitaire de
l’alimentation, de l’environnement et du travail (2010), Agence nationale de
sécurité sanitaire des médicaments et des produits de santé (2012).
Encadré 5. Le sida impacte globalement les systèmes de santé

Le syndrome d’immunodéficience acquise (sida) se caractérise par un effondrement des


mécanismes de défense immunitaires de l’organisme, avec comme conséquences, notam-
ment, le développement d’infections opportunistes ou de tumeurs. Son évolution est en
règle générale spontanément mortelle. Le sida est provoqué par le virus de l’immunodéfi-
cience humaine (VIH).
On a retrouvé rétrospectivement la trace du VIH en Afrique équatoriale dès les années 1930.
Au cours des années 1970, le virus se répand silencieusement en Amérique du Nord, où
l’épidémie est identifiée en 1981. L’OMS a estimé que le nombre d’adultes porteurs du VIH
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
au niveau mondial dépassait les 10 millions en 1991, les 20 millions en 1994 et les 30 millions
en 199819. En raison, très probablement, de son pronostic initialement catastrophique, du
fait aussi que l’épidémie touchait préférentiellement certains groupes de population (hémo-
philes, transfusés, homosexuels, toxicomanes) et qu’elle réactivait la peur ancestrale des
grandes pestes, le sida fut d’emblée fortement médiatisé. La maladie acquit presque immé-
diatement le statut de problème de santé publique numéro 1 et fit l’objet d’une mobilisation
médicale, associative, éthique, politique, locale et internationale d’une ampleur et d’une
rapidité inédites.
Sur le plan médical, le VIH est identifié en 1983 par une équipe de l’Institut Pasteur de Paris20.
S’enclenche alors une polémique violente sur l’attribution de la découverte avec une équipe
américaine, témoignant du caractère emblématique qu’avait pris la lutte contre la maladie
dès cette époque. En 2008, le prix Nobel sera décerné à Françoise Barré-Sinoussi et Luc
Montagnier pour leur découverte. En mars 1985, un premier test de dépistage du VIH est mis
sur le marché.
En France, le dépistage obligatoire des dons de sang est mis en œuvre en août 1985. La gestion
administrative et politique de la maladie durant cette période fera l’objet en France d’un très
retentissant procès pénal, dit de « l’affaire du sang contaminé », en raison du retard à l’auto-
risation d’un test de diagnostic sérologique du VIH, provoquant ainsi un certain nombre de
contaminations par transfusions sanguines qui auraient pu être évitées.
Sur le plan thérapeutique, après une période de quasi-dénuement, une recherche très active
aboutira, à partir de 1996, à la mise à disposition des trithérapies anti-VIH, qui freinent la
maladie et qui transforment le pronostic du sida, qui progressivement devient une maladie
chronique, du moins dans les pays les plus riches. En France, la probabilité cumulée de survie
à cinq ans d’un malade du sida passera de 44 % avant 1996 à 75,6 % en 200121. En août 1998,
un hebdomadaire de San Francisco, le Bay Area Reporter titrait « La mort est en vacances »,
car, pour la première fois depuis le début de l’épidémie, aucun décès du sida n’était à inscrire
dans sa rubrique nécrologique.

19. OMS, Rapport sur la santé dans le monde, 2004 – Changer le cours de l’histoire, OMS, 2004.
20. F. Barré-Sinoussi et al., « Isolation of a T-Lymphotropic retrovirus from a patient at risk for
acquired immune deficiency syndrome (AIDS) », Science, 1983, n° 220, p. 868‑871.
21. C. Couzigou et al., « Survie des patients atteints de sida diagnostiqués dans les hôpitaux pa-
risiens : facteurs pronostiques et évolution, 1994‑2001 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire,
2005, n° 23, p. 112‑114.

41
Partie 1. Les fondamentaux

À côté des aspects médicaux, somme toute assez classiques, le sida a provoqué une onde de
choc diffuse, qui marque encore aujourd’hui l’approche collective des questions de santé. Le
fait peut-être le plus déterminant est l’irruption du malade, ou plus exactement d’associa-
tions de personnes concernées, dans la définition des réponses à apporter, des actions à
mener.
En France, AIDES apparaît en 1984 et Act-up Paris en 1989. Ces associations se sont impli-
quées dans tous les secteurs tant au niveau local qu’international : accès à la connaissance
scientifique et médicale, reconnaissance d’un savoir propre aux patients, participation aux
décisions en matière d’organisation des soins (accès aux soins, adoption de mesures de
réduction des risques sanitaires, mesures de dépistage), d’orientation de la recherche, d’al-
location des moyens, de recueil de financements (en France, organisation du 1er Sidaction
en 1994). Elles furent aussi en première ligne dans les débats qui modelèrent la perception
sociale de la maladie et aboutirent aux arbitrages entre des valeurs de solidarité, de refus
de la stigmatisation, de prévention, plutôt que de répression ou de discrimination dans les
domaines sensibles de la sexualité et de la toxicomanie (dans certains pays, le sida provoqua
à l’encontre des malades diverses mesures de restriction des déplacements, d’hospitalisation
en structures fermées, d’exclusions et de discriminations diverses…). Dans ce cadre, des arti-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
culations ou des alliances nouvelles se sont nouées entre les malades, les associations, les
professionnels de santé, les travailleurs sociaux et les décideurs administratifs et politiques.
Le contexte créé par la lutte contre le sida a certainement facilité, peut-être même provo-
qué, certaines évolutions des systèmes de santé, notamment en France : développement
de la démarche de démocratie en santé et des droits des usagers (partage de l’information,
concertation, association à la décision, transparence, éducation thérapeutique), qui se
matérialise par exemple par la tenue des États généraux du sida en 1990 ou les lois du
12 juillet 1990, relative à la protection des personnes contre les discriminations en raison
de leur état de santé ou de leur handicap, et du 4 mars 2002, relative aux droits des malades
et à la qualité du système de santé. Des innovations dans les prises en charge apparaissent
dès le milieu des années 1980 : premier réseau ville-hôpital en 1985, stratégie de réduction
des risques inaugurée en 1987 par un décret autorisant la vente libre des seringues en phar-
macie, signé par la ministre de la santé Michèle Barzach, implication des bénévoles, solida-
rités de proximité.
La lutte contre le sida a aussi abouti à la création d’organisations spécifiques (Agence fran-
çaise de lutte contre le sida, Conseil national du sida en 198922, programme mondial contre
le sida de l’OMS en 1987, ONUSIDA en 1996) et a eu un impact sur les organisations pré-
existantes (l’évolution des agences françaises de sécurité sanitaire, notamment en matière
de produits dérivés du sang et de médicaments). Des conférences mondiales sont organisées
régulièrement sur le sujet. L’Organisation mondiale du commerce se saisit du sujet en 1995,
avec les accords TRIPS (Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights), puis en 2001,
avec la déclaration de Doha, destinée à favoriser l’accès aux médicaments essentiels par le
biais notamment de la fabrication hors brevet de médicaments génériques. Des pro-
grammes efficaces de lutte contre le sida ont ainsi pu voir le jour, par exemple au Brésil ou
en Thaïlande, grâce à l’absence de protection du brevet, qui a permis à ces pays de produire
localement des génériques à moindre coût23.

22. Le Conseil national du sida a pour mission « de donner son avis sur l’ensemble des problèmes
posés à la société par le sida et de faire au Gouvernement toute proposition utile. Il est consulté sur les
programmes d’information, de prévention et d’éducation pour la santé établis par le Gouvernement
et les organismes publics » (décret n° 89‑83 du 8 février 1989 portant création d’un Conseil national
du sida).
23. À titre d’exemple, le lancement par le gouvernement brésilien de la production de médicaments
antirétroviraux génériques a entraîné une chute des prix (le coût d’une trithérapie est passé de 10 000
dollars par patient et par an à 200 dollars).

42
Histoires de la santé publique

Partie 1. Chapitre 1.
Encadré 6. Le mercure à Minamata et ailleurs

Minamata est une petite ville japonaise située sur l’île de Kyushu, au sud de l’archipel. Au
siècle dernier, elle a été le théâtre d’une catastrophe sanitaire et écologique majeure pro-
voquée par une pollution industrielle au mercure. En effet, entre 1932 et 1966, une usine
chimique rejeta plusieurs centaines de tonnes de métaux lourds, tout particulièrement du
mercure, dans la baie de Minamata.
Les symptômes de ce qui fut appelé la « maladie de Minamata » furent décrits au début
des années 1950, tout d’abord chez les chats, puis principalement chez les pêcheurs et leur
entourage, tous consommateurs de coquillages et de poissons. Il s’agissait de troubles neu-
rologiques : troubles sensoriels (altérations du champ visuel, de l’audition), troubles de la
sensibilité, troubles de la parole, perte de la coordination des mouvements (ataxie), convul-
sions, tremblements, paralysies, ainsi que des troubles mentaux allant jusqu’à des tableaux
psychotiques, notamment chez les enfants nés de mères contaminées. Les traitements
étaient très limités une fois la maladie installée et les séquelles souvent sévères. Les chiffres
avancés sont variables, mais il est probable que l’intoxication toucha plus de 13 000 per-
sonnes et que plus d’un millier en mourut.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
La maladie de Minamata était due à une intoxication par le méthyl mercure (ces intoxica-
tions portent aussi le nom d’hydrargyrisme), qui est une forme organométallique lipophile
du mercure. Le mercure est ainsi facilement absorbé par l’organisme et peut s’accumuler,
notamment au niveau du système nerveux des humains et des animaux, d’où le tableau
clinique.
Bien que la responsabilité des rejets mercuriels dans l’environnement fût suspectée puis
établie en 1959, l’entreprise continua ses activités jusqu’en 1966. La pêche et la consomma-
tion de produits de la mer issus de la zone contaminée furent interdites, puis on s’attaqua
à la dépollution du site par recueil, traitement et stockage des boues de la baie. Un dispositif
d’indemnisation des victimes fut mis en place en 1996.
La tragédie de Minamata a été très largement médiatisée24 et a certainement contribué à une
prise de conscience mondiale des risques écologiques liées à des contaminations industrielles.
Cela n’a cependant pas suffit à faire éliminer le risque mercuriel dans l’environnement.
On estime ainsi qu’aujourd’hui plus de 4 000 tonnes de mercure sont répandues tous les
ans dans l’environnement, notamment en raison de pratiques d’orpaillage artisanales et
souvent illégales, mais aussi du fait des émissions des centrales thermiques au charbon ou
d’incinérateurs de déchets et divers rejets industriels.
En 2013, les Nations-Unies ont adopté un traité international dénommé « Convention de
Minamata », qui fournit un cadre réglementaire international visant à protéger la santé
humaine et l’environnement des effets nocifs du mercure, par la suppression progressive
des activités minières de production de mercure, la réduction des usages du mercure, la
surveillance des rejets et l’extension des mesures de la pollution environnementale25 dans
le cadre du programme environnemental des Nations Unies (UNEP). L’Union européenne
dispose depuis 2003 d’un corpus réglementaire assez développé concernant le mercure
(production interdite dès 2003, exportations de mercure ou de certains dérivés du mercure
interdits depuis mars 201126). Elle a donc été très active dans l’élaboration de la Convention,
qu’elle a signée, conjointement avec la plupart de ses États membres, le 10 octobre 2013.
L’Union est compétente pour, et responsable de, l’exécution des obligations découlant de

24. Notamment le film Minamata de Noriaki Tsuchimoto en 1971.


25. UNEP, Global Mercury Assessment 2013 : Sources, Emissions, Releases and Environmental
Transport, UNEP, Chemicals Branch.
26. Règlement (CE) n° 1102/2008 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 relatif
à l’interdiction des exportations de mercure métallique et de certains composés et mélanges de mer-
cure et au stockage en toute sécurité de cette substance.

43
Partie 1. Les fondamentaux

la convention de Minamata sur le mercure et ses instruments juridiques établissent des


règles communes en la matière.
À la suite de la ratification de la Convention par l’Union, le 18 mai 2017, celle-ci a dû adapter
sa législation dans six domaines (dont celui des amalgames dentaires) afin de combler le
fossé entre sa législation existante et la Convention. Ainsi, un nouveau règlement27 du
17 mai 2017 a-t‑il été adopté, qui établit une nouvelle réglementation visant à restreindre
progressivement mais fortement l’utilisation du mercure et de ses composés. Dans le
domaine dentaire, il est par exemple interdit, à compter du 1er juillet 2018, d’utiliser les
amalgames contenant du mercure sur des dents de lait, ni dans les traitements dentaires
des mineurs de moins de quinze ans et des femmes enceintes ou allaitantes (sauf en cas de
besoins médicaux spécifiques du patient) et, à compter du 1er janvier 2019, les amalgames
dentaires mercuriels ne peuvent être utilisés que sous une forme encapsulée pré-dosée (et
non plus en vrac). La Convention est entrée en vigueur en août 2017 et les trois premières
réunions de la Conférence des parties à la Convention de Minamata se sont tenues à Genève
en septembre 2017, novembre 2018 et novembre 2019.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Un changement démographique considérable se produit dans un monde tou-
jours plus peuplé : à un régime de fortes mortalité et natalité succèdent de faibles
mortalité et natalité. Cette transition démographique induit une transition épidé-
miologique, avec la montée en puissance des maladies chroniques accompagnant
le vieillissement. De nouveaux enjeux, concernant l’organisation des soins et
leur financement se font jour. L’implication des populations est recherchée dans
les choix à effectuer, les solidarités à redéfinir, les actions à mettre en œuvre.
Une utilisation abusive en médecine humaine et vétérinaire des antibiotiques
fait émerger un phénomène nouveau, l’antibiorésistance, ravivant le spectre d’un
monde sans défense face aux infections microbiennes (➠ Chapitre 13). Enfin,
le changement climatique, qui n’est plus guère ­sérieusement contesté, va modifier
les conditions de vie et de santé de millions d’êtres humains28. Exemple ponctuel,
la canicule de 2003 a ainsi provoqué un excès de mortalité de plus de 70 000 per-
sonnes en Europe, dont 15 000 en France29.
Ainsi, de nouveaux besoins s’expriment, sans que les menaces historiques,
notamment d’épidémies et de pandémies, aient disparu. Les systèmes de santé
sont sous tension croissante. La santé publique adapte ses outils aux nouveaux
enjeux : stratégie globale d’action sur les déterminants de santé, démocratie
sanitaire et implication des populations ; outils de régulation du système de
soins, en matière de qualité, de sécurité, et d’accessibilité.

27. Règlement (UE) 2017/852 du Parlement européen et du Conseil du 17  mai 2017 relatif au
mercure et abrogeant le règlement (CE) no n° 1102/2008.
28. OMS, Quantitative risk assessment of the effects of climate change on selected causes of death,
2030s and 2050s, OMS, 2014.
29. J.-M.  Robine et al., « Death toll exceeded 70,000 in Europe during the summer of 2003 »,
Comptes rendus biologiques, 2008, n° 331, p. 171–178.

44
Histoires de la santé publique

Partie 1. Chapitre 1.
Points clés
• On retrouve depuis l’Antiquité et dans différentes civilisations le souvenir d’ac-
tivités du champ de la santé publique, tout particulièrement en matière d’hy-
giène publique, de préceptes de prévention ou de régulation des professions.
• Pendant des siècles, l’enjeu dominant a été celui des grandes épidémies, en
réponse auxquelles ont émergé progressivement des organisations spécifiques
et des pratiques professionnelles et administratives (lazarets, quarantaine…),
qui souffrent cependant d’un manque de base scientifique solide.
• Au cours du xviiie siècle, tandis que dans les pays occidentaux les grandes épi-
démies sont en recul, s’amorce une évolution qui conduit à la période moderne :
construction des premiers outils épidémiologiques, protocoles d’études cli-
niques, identification de déterminants sociaux de la santé et première vaccina-
tion contre la variole. Parallèlement, les organisations mises en place pour lutter
contre le péril infectieux commencent à évoluer pour prendre en compte de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
nouveaux enjeux de santé, comme en témoigne la transformation progressive
d’anciens hôpitaux.
• Le xixe et le xxe siècles verront le mouvement s’accélérer avec la révolution
pasteurienne (asepsie, hygiène hospitalière, vaccins, antibiotiques…), d’im-
menses progrès médico-techniques (anesthésie, chirurgie, radiothérapie…), la
mise en place de systèmes de protection sociale, l’adaptation des organisations
soignantes et de régulation politique et administrative.
• Depuis le début des années 1980, des nouveaux enjeux apparaissent, qui néces-
sitent de nouvelles adaptations.

Pour aller plus loin


J.-P. Dedet, Les épidémies : de la peste noire à la grippe A/H1 N1, Dunod, 2010.
L. Murard, P. Zylberman, L’hygiène dans la République : la santé publique en France
ou l’utopie contrariée, 1870‑1918, Fayard, 1996 (Ce livre traite aussi largement de
la situation en Grande-Bretagne et en Allemagne notamment).
Chapitre 2
Déterminants de la santé
Jacques Raimondeau

Objectifs pédagogiques du chapitre


– Connaître les principaux facteurs qui influencent l’état de santé des popula-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tions en décrivant leur impact ; savoir que les déterminants sociaux de la santé
sont aujourd’hui considérés comme les plus importants
– Définir la notion d’exposome et son importance en matière de politique de
santé
–  Être capable d’expliquer l’importance des interactions entre déterminants
– Être capable d’expliquer le rôle des déterminants de santé dans la création des
inégalités de santé, dont la réduction constitue un enjeu central des politiques
de santé

2.1. La diversité des déterminants de la santé

On regroupe sous l’expression « déterminants de la santé » l’ensemble des


facteurs qui influencent, positivement ou négativement, l’état de santé des
individus et des populations. Il existe plusieurs façons de présenter les déter-
minants de santé. En fait, l’information de base est fondamentalement toujours
la même, mais on peut choisir différents modèles pour mettre en évidence
l’importance des interactions entre déterminants et la dynamique de création
des inégalités de santé, car la compréhension de l’action des déterminants de
santé est un préalable indispensable à l’élaboration de stratégies de réduction
des inégalités de santé (➠ Chapitre 11).
Classiquement, on retient quatre grandes catégories de déterminants : bio-
logiques, comportementaux, environnementaux et ceux liés au système de
santé. Il est aussi possible de partir des déterminants les plus généraux corres-
pondant aux caractéristiques globales d’une société humaine, pour aller vers
les facteurs individuels en passant par des niveaux intermédiaires, comme dans
le modèle développé par Whitehead et Dahlgren1. Une approche longitudinale,

1. Whitehead M., Dahlgren G., « What can we do about inequalities in health ? », The Lancet, 1991,
vol. 338, p. 1059‑1063.

47
Partie 1. Les fondamentaux

chronologique, met en exergue l’importance de la situation des femmes


enceintes et des conditions de vie des nouveau-nés et des jeunes enfants.
Une autre distinction consiste à considérer, d’une part, les facteurs biolo-
giques, individuels, et, d’autre part, l’ensemble des expositions auxquelles est
soumise une population. Si les déterminants biologiques ont une importance
réelle pour la santé des individus, au niveau collectif, qui est celui de la santé
publique et de la politique de santé, ce sont les autres déterminants qui dominent,
car ce sont eux sur lesquels il est possible de peser par des actions spécifiques.
En France, la loi de modernisation de notre système de santé (LMSS) du
26 janvier 20162 a repris cette distinction en recourant au terme d’exposome,
proposé en 2005 par l’épidémiologiste anglais Christopher Wild3.

2.1.1. Les déterminants biologiques


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Le genre
Les différences d’état de santé entre hommes et femmes ont bien évidem-
ment un substrat biologique, mais elles s’expliquent aussi par un déterminisme
social, compte tenu de la différence des rôles sociaux à l’œuvre dans nos
sociétés. Les pathologies liées à la vie sexuelle et à la reproduction sont en
grande partie différentes chez les hommes et les femmes, mais les différences
sont beaucoup plus diffuses en ce qui concerne les maladies cardio-vasculaires,
les cancers, les accidents, etc. La différence d’espérance de vie à la naissance
(EVN) est un marqueur classique de ces différences. En France, en 2019,
l’EVN était de 85,6 ans chez les femmes et de 79,7 ans chez les hommes.
Des différences entre hommes et femmes sont constatées aussi en matière
d’espérance de vie sans incapacité (EVSI), et la perception de son propre état
de santé peut être aussi différente.

L’âge
L’âge est un déterminant de la santé évident. Le vieillissement des popu-
lations est un phénomène mondial qui prend un tour rapide dans de nombreux
pays, sous l’effet du phénomène de transition démographique, qui voit le
passage d’un régime de natalité et de mortalité fortes à un régime de natalité
et mortalité faibles. L’OMS estime que la proportion de personnes de 60 ans
et plus passera de 11 % actuellement à 22 % en 2050 (soit deux milliards de
personnes), mais au Japon, par exemple, cette proportion est dès aujourd’hui
d’environ 30 %.

2. Art. L. 1411‑1 du Code de la santé publique : « L’identification de ces déterminants s’appuie sur
le concept d’exposome, entendu comme l’intégration sur la vie entière de l’ensemble des expositions
qui peuvent influencer la santé humaine […] ».
3. Wild C.P., « Complementing the Genome with an “Exposome” : The Outstanding Challenge of
Environmental Exposure Measurement in Molecular Epidemiology », Cancer Epidemiol Biomarkers
Prev, 2005, 14, p. 1847‑1850.

48
Déterminants de la santé

Partie 1. Chapitre 2.
Lors d’une étude épidémiologique, la structure d’âge d’une population
fait partie des facteurs de confusion dont il faut tenir compte (➠ Chapitre 3,
notamment la standardisation). Il faut cependant noter que, pour ce qui est
de la dégradation d’un état de santé, il n’est pas toujours aisé de faire la
part de ce qui correspond au vieillissement et de ce qui est la conséquence
d’autres facteurs de risque, comme des événements de vie (départ en retraite,
veuvage, entrée en institution…) ou l’exposition à des situations environne-
mentales diverses.
Sont associées à un âge avancé certaines pathologies, comme de nombreux
cancers, les maladies cardio-vasculaires, les atteintes de l’appareil locomoteur
(arthrose, ostéoporose, fractures du col du fémur…), le diabète, les altérations
sensorielles (visuelles – cataracte, presbytie… –, auditives – hypoacousie,
surdité), la dépression, les troubles cognitifs, que l’on regroupe souvent sous
l’expression de maladie d’Alzheimer et autres maladies apparentées… Le
vieillissement s’accompagne donc du développement de maladies chroniques
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
qui induisent des phénomènes de dépendance.
Un indicateur fréquemment utilisé pour quantifier l’impact des troubles
apparaissant avec l’âge est l’espérance de vie sans incapacité (➠ Chapitre 4).
En France, l’EVSI à la naissance (2018) est de 64,5 ans chez les femmes et
de 63,4 ans chez les hommes, les femmes vivant plus longtemps en incapacité
que les hommes, les différences étant déjà bien établies chez les
cinquantenaires.

Le patrimoine génétique
Certaines maladies sont causées par des particularités génétiques, comme
l’hémophilie ou la trisomie 21 ; certaines sont transmissibles de façon fami-
liale, d’autres apparaissent après une mutation de novo. Ainsi, les hémophi-
lies sont, dans environ deux tiers des cas, transmises familialement et, pour
un tiers, causées par une mutation de novo. La présence de certains gènes
peut accroître le risque de survenue des maladies : ainsi, une femme porteuse
d’une mutation génétique héréditaire touchant les gènes BReast Cancer
(BRCA 1 et 2) a environ 60 % de risque de développer un cancer du sein et
40 % d’être atteinte d’un cancer de l’ovaire.
Certaines caractéristiques peuvent être impliquées dans le déterminisme de
plusieurs maladies : l’antigène HLA-B27 (Human Leucocyte Antigen B27) est
associé à des maladies rhumatologiques (spondylarthrite ankylosante, rhuma-
tisme psoriasique), ophtalmologiques (uvéite) et à des maladies inflammatoires
de l’intestin. L’accroissement des connaissances sur le génome conduit parfois
à l’identification de nombreux facteurs de risque, ce qui ne donne pas forcé-
ment une idée simple et claire du déterminisme d’une maladie ; ainsi, pour la
maladie d’Alzheimer, dans sa forme non familiale, plus de 1850 modifications
isolées de nucléotides4 ont été associées à l’existence de la maladie, la plus

4. Nucléotides : composants biochimiques de base dont l’enchaînement forme l’ADN et l’ARN,


supports de l’information génétique.

49
Partie 1. Les fondamentaux

fréquente étant l’existence de l’allèle5 epsilon 4 du gène de l’apolipoprotéine E,


qui n’est cependant retrouvée que dans environ un quart des cas.

2.1.2. L’environnement socio-économique


Nous distinguerons dans ce chapitre l’environnement socio-économique,
d’une part, et l’environnement physique, d’autre part, mais, compte tenu des
interactions fortes entre les caractéristiques socio-économiques et celles des
milieux physiques, il est possible de prendre en compte une dimension envi-
ronnementale globale. La prise de conscience de l’importance de ces déter-
minants est aujourd’hui importante ; ce qui ne signifie pas que les actions à
mener sont faciles à décider puis à mettre en œuvre, d’autant que, le plus
souvent, elles ne dépendent pas directement des seules autorités sanitaires.
La présentation des déterminants sociaux et économiques de la santé est
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
assez délicate, car ces déterminants sont à la fois nombreux et pour partie
dépendants les uns des autres : ainsi, par exemple, le niveau de revenu impacte
la consommation en matière de logement, de loisirs ou d’éducation ; le niveau
d’études est assez largement relié au type d’activité professionnelle et ainsi
au revenu. Il est donc nécessaire de prendre en compte à la fois des carac-
téristiques très générales d’un territoire, culturelles, politiques et socio-
économiques, et des déterminants plus directement spécifiques de telle ou
telle altération de la santé.

Les caractéristiques générales d’organisation d’une société humaine


Elles influencent l’impact de tous les autres déterminants de santé. Il s’agit :
–  du niveau de développement général du pays et de ses variations terri-
toriales. Les Nations unies (Programme des Nations unies pour le développe-
ment – PNUD) utilisent un indicateur composite pour caractériser le niveau de
développement d’un pays : l’indicateur de développement humain (IDH), qui
regroupe quatre indicateurs : l’espérance de vie à la naissance, le produit inté-
rieur brut (PIB) par habitant, la durée moyenne de scolarisation et la durée
attendue de scolarisation. En 20166, sur 186 pays, les dix mieux classés étaient
la Norvège, l’Australie, la Suisse, l’Allemagne, le Danemark, Singapour, les
Pays-Bas, l’Irlande, l’Islande, le Canada ; les dix derniers : l’Érythrée, la Sierra
Leone, le Mozambique, le Soudan du Sud, la Guinée, le Burundi, le Burkina
Faso, le Tchad, le Niger et la République centrafricaine. La France se retrouvait
en 21e position. Il faut cependant noter que le PNUD calcule aussi un IDH ajusté
aux inégalités, et le classement change alors : si la Norvège ou la France
conservent leur rang, les États-Unis ou le Brésil, par exemple, reculent de
20 places.

5. Allèle : expression variable d’un gène. Par exemple, les différents allèles du gène codant les
groupes sanguins déterminent les groupes A, B, O.
6. Programme des Nations unies pour le développement, Rapport sur le développement humain
2017, PNUD, 2017.

50
Déterminants de la santé

Partie 1. Chapitre 2.
– des caractéristiques culturelles (linguistiques, pratiques religieuses),
des valeurs qui structurent l’organisation sociale ;
–  de l’organisation politique du pays, plus ou moins démocratique, du
respect des droits de l’Homme, des modalités d’association de la population à
la prise de décision collective – soit des individus directement, soit par l’impli-
cation de corps intermédiaires, associations, syndicats. La survenue de conflits
armés extérieurs ou de guerres civiles a un impact évident. Des groupes
humains, définis de quelque façon que ce soit (ethnique, religieuse, politique,
populations migrantes…), qui ont un statut social et politique inférieur ne béné-
ficient généralement pas de déterminants de santé favorables. En 2017, dans le
cadre de son programme ID4D (« Identification for Development »), la Banque
mondiale a mis en évidence le fait qu’environ 1,1 milliard d’êtres humains,
dépourvus de preuves d’identité, n’avaient pas d’existence officielle : ces per-
sonnes résident principalement en Afrique et en Asie, et sont pour un tiers des
enfants. Ils ont évidemment des difficultés d’accès aux services de base ;
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
– des politiques économiques et sociales qui surdéterminent tout un
ensemble d’autres politiques : aménagement du territoire, politique de la ville,
logement, éducation, transports, emploi, redistribution et inégalités des revenus,
organisation des relations de travail, existence de systèmes de protection sociale ;
–  du développement de politiques de soutien à la famille et aux parents,
s’exprimant notamment autour de la petite enfance et ayant pour but d’assurer
les meilleures conditions de vie aux jeunes enfants, mais aussi, par exemple, de
permettre aux mères de retrouver une activité professionnelle ;
–  du degré d’égalité entre hommes et femmes, en particulier en matière
de droits civiques et civils, d’éducation et d’accès au travail ;
–  du niveau de cohésion sociale que l’on peut apprécier par la façon dont
sont traités les personnes âgées, les chômeurs ou les sujets en situation de pré-
carité, mais aussi par la recherche organisée de la mixité sociale dans l’habitat.
Des transformations politiques et économiques majeures peuvent avoir
des effets considérables sur l’état de santé des populations concernées :
Wilkinson, étudiant l’évolution de l’espérance de vie à la naissance en fonc-
tion du développement des inégalités de revenus dans les anciens pays
­communistes d’Europe de l’Est dans la période 1989‑19957, a trouvé que
l’EVN avait reculé de six années en Russie, pays où les inégalités avaient
crû fortement ; en revanche, la Slovénie, qui avait beaucoup mieux maîtrisé
la croissance des inégalités, avait réussi à dégager une amélioration de son
EVN sur la même période.

Les caractéristiques des groupes sociaux


Des groupes de population peuvent ainsi connaître des états de santé dif-
férents en raison :
–  de leur niveau de revenu, qu’il soit directement lié au travail ou issu des
transferts sociaux. Il conditionne de façon plus ou moins complète l’accès à des

7. R. Wilkinson, L’égalité, c’est la santé, Démopolis, 2010.

51
Partie 1. Les fondamentaux

réponses à des besoins de base : eau potable, alimentation suffisante, habitat


décent, services de santé ou d’éducation. La pauvreté doit s’apprécier de façon
relative à la richesse du pays8. La pauvreté peut trouver son origine dans plu-
sieurs situations illustrant l’interaction des déterminants :
•  le chômage, même si le lien avec la pauvreté doit être tempéré, comme
le montre l’augmentation dans nos sociétés du nombre de travailleurs
pauvres ou, à l’inverse, l’effet des revenus de substitution,
•  le faible niveau de rémunération,
•  le revenu par unité de consommation dans les familles nombreuses,
•  l’importance des dépenses contraintes, tout particulièrement celles
­destinées au logement9 ;
– du niveau d’éducation. En France, en 2013, l’espérance de vie à 35 ans
d’un diplômé de l’enseignement supérieur était de 7,5 ans plus longue que celle
d’un non-diplômé chez les hommes, et de 4,2 ans plus longue chez les femmes ;
–  de la catégorie socioprofessionnelle. De façon plus ou moins marquée selon
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
les territoires, et avec aussi des nuances entre femmes et hommes, les ouvriers sont
en moins bonne santé que les cadres et les professions intellectuelles supérieures,
que cela soit mesuré par des indicateurs déclaratifs (la santé perçue) ou par le calcul
de l’espérance de vie à 35 ans10, avec ou sans incapacité. En France, en 2013, l’es-
pérance de vie à 35 ans d’un cadre était 6,4 ans plus longue que celle d’un ouvrier
chez les hommes, et de 3,2 ans plus longue chez les femmes ;
–  de la place dans la hiérarchie de la société ;
– du degré d’isolement, d’exclusion, plus ou moins compensé par des
mécanismes de solidarité active. Les réseaux d’interactions communautaires
dépendent de la capacité à établir des relations avec son entourage, ce qui per-
mettra, par exemple, de mobiliser un support social utile en cas de besoin, mais
aussi de subir des influences éventuellement négatives, par exemple en matière
de consommation de tabac ou d’alcool. En réalité, ces compétences sociales
sont tout à la fois des déterminants comportementaux et environnementaux, en
ce sens qu’elles façonnent pour partie l’environnement social de la personne.
Les compétences éducatives des parents sont aussi importantes et doivent être
confortées le plus possible. On sait en effet que l’action différentielle des déter-
minants de santé et les inégalités qui en découlent se manifestent rapidement
dans la vie ;

8. La pauvreté relative est définie par un seuil qui correspond ordinairement, en Europe, à un
niveau de vie inférieur à 60 % du niveau de vie médian de la population étudiée. Le seuil de 40 % est
utilisé pour caractériser la grande pauvreté.
9. Pour l’année 2015, Eurostat indiquait, pour les populations vivant sous le seuil de risque
de pauvreté après transferts sociaux, pour les personnes de 18 ans et plus, des chiffres contrastés
par pays (moyenne UE à 28 pays et zone euro : 16,3 %) : 11,9 % pour la France ; 15,8 % pour le
Royaume-Uni ; 17,1 % pour l’Allemagne ; 18,4 % pour l’Italie ; 20,5 % pour l’Espagne et 22,4 %
pour la Roumanie. Ces chiffres se modifient si on s’intéresse à des sous-groupes de population. Ainsi,
pour les chômeurs : 37,1 % pour la France ; 48,3 % pour le Royaume-Uni ; 69,1 % pour l’Allemagne ;
47,3 % pour l’Italie ; 46,5 % pour l’Espagne et 55,5 % pour la Roumanie. Pour les retraités : 7,1 %
pour la France ; 18,2 % pour le Royaume-Uni ; 17 % pour l’Allemagne ; 11 % pour l’Italie ; 10,2 %
pour l’Espagne et 15,8 % pour la Roumanie.
10. Le calcul est fait à l’âge de 35 ans, car on considère qu’à cet âge les positions sociales sont
stabilisées.

52
Déterminants de la santé

Partie 1. Chapitre 2.
–  de l’autonomie. Le sentiment de maîtriser le cours de son existence, dans
ses différentes composantes, familiale, professionnelle, sociale est un facteur
favorable à la santé. Cette situation s’appuie notamment sur le sentiment de
sécurité (physique, financière, affective, morale) et accroît l’estime de soi et la
confiance en soi, qui permettent par exemple d’adopter des attitudes favorables
à la santé. À l’inverse, la précarité de la situation sociale, l’absence d’autonomie
ont des effets négatifs, bien documentés en matière de santé mentale ou de
maladies cardio-vasculaires notamment11. Aux États-Unis, entre 1999 et 2015,
on a pu ainsi assister à une inversion rapide de la mortalité dans le groupe des
sujets d’origine européenne non hispanique, âgés de 50 à 54 ans et n’ayant pas
fait d’études supérieures : en 1999, ce groupe avait un taux de mortalité inférieur
de 30 % à celui des Afro-Américains du même âge ; en 2015, la situation s’est
inversée. Cette évolution importante a contribué fortement à un recul de l’espé-
rance de vie à la naissance aux États-Unis en 2015. Les auteurs de l’étude 12
soulignent le poids de trois causes de mortalité pour expliquer le phénomène :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
les suicides et les conséquences de la consommation d’alcool et de drogues.
Certaines particularités de la société américaine permettent de préciser l’ana-
lyse : la forte diffusion des armes à feu dans la population, la facilité du recours
aux médicaments opiacés induisant des toxicomanies. Par ailleurs, le revenu
médian avait diminué dans le groupe étudié à partir de 2008, année marquée
par la survenue d’une crise financière de grande ampleur. En toile de fond, Case
et Deaton suggèrent que les difficultés de la classe moyenne américaine, qui se
traduisent par une altération de la confiance dans l’avenir, tout particulièrement
chez les salariés blancs peu qualifiés, jouent un rôle central dans la dégradation
de leur état de santé ;
–  de la possibilité d’accéder à un emploi de bonne qualité. Il faut ici consi-
dérer deux aspects du sujet. Tout d’abord, certaines activités s’accompagnent
d’une exposition à des facteurs directement nuisibles pour la santé des travail-
leurs (➠ « L’environnement physique » plus loin). Mais il est nécessaire de
s’intéresser à d’autres aspects des conditions de travail : taux de chômage, pré-
carité de l’emploi (contrats de travail de courte durée), travail illégal non pris
en compte pour l’accès à la protection sociale, temps partiel subi et non choisi,
menaces de licenciement (qui sont nuisibles à la santé des travailleurs, mais
aussi de leur entourage). Il faut ajouter la charge de travail, le degré d’autonomie
dans l’organisation de son activité (horaires, travail posté), le travail de nuit, les
horaires variables, la charge émotionnelle (notamment dans les emplois au
contact du public), les conflits de valeurs, la possibilité de concilier activité
professionnelle et vie de famille, le niveau de reconnaissance, matérielle ou
symbolique, pour le travail effectué, l’isolement. Comme ailleurs, ces détermi-
nants s’articulent : une forte charge de travail peut être plus facilement supportée
si l’on dispose d’une forte autonomie professionnelle, ce qui peut faire la

11. M.G. Marmot, H.  Bosma, H.  Hemingway et al., « Contribution of Job Control and Other
Risk Factors to Social Variations in Coronary Heart Disease Incidence », The Lancet, 1997, n° 350,
p. 231‑235.
12. A. Case, A. Deaton, Mortality and Morbidity in the 21st Century, rapport de la Brookings
Institution, 2017.

53
Partie 1. Les fondamentaux

différence entre un employé et un cadre. Une étude française portant sur les
années 2007‑201213 établit un taux de prévalence de la souffrance psychique liée
au travail de 3,1 % chez les femmes et 1,4 % chez les hommes, ces taux étant en
croissance sur la période étudiée. Les pathologies visées étaient des dépressions,
des troubles anxieux, du sommeil, des conduites d’addiction. Les auteurs souli-
gnaient le lien avec la dégradation des conditions de travail (organisation du
travail, relations interpersonnelles et hiérarchiques) et avec la médiatisation du
sujet. En revanche, le secteur d’activité ne semblait pas déterminant.
Insister sur la qualité du travail en tant que déterminant de santé, c’est
aussi signifier que le développement de certaines organisations du travail
aboutissant à la multiplication des « travailleurs pauvres » est regrettable en
termes de santé publique, car les éventuelles améliorations obtenues sont
insuffisantes pour compenser l’action d’un ensemble de déterminants négatifs.
Les conditions de travail sont globalement un puissant facteur contribuant
aux inégalités sociales de santé ;
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  capacité à disposer d’un logement satisfaisant, c’est-à-dire un logement
sain en lui-même mais aussi situé dans un environnement sûr, correctement
desservi par les moyens de transport et permettant d’accéder à un ensemble de
services de base, tels des écoles, des professionnels de santé, des équipements
sportifs, un commissariat de police… C’est le domaine, en France, de la poli-
tique de la ville, mais plus généralement de l’aménagement du territoire ;
–  capacité à assurer leur sécurité alimentaire et énergétique. Un rapport
britannique d’avril 2017 met bien en évidence les conséquences sanitaires
néfastes de la pauvreté, croissante, chez les enfants anglais, en raison notam-
ment de l’insécurité alimentaire et d’un habitat qualifié de « froid, humide et
surpeuplé14 ». Cette insécurité alimentaire est constatée en France également.
De façon résumée, les groupes favorisés sont en meilleure santé, mais il faut
aussi intégrer le niveau d’amplitude des écarts entre individus : les situations les
plus inégalitaires sont porteuses globalement d’une santé moins bonne (Wilkinson,
2010). Ces conditions sociales attentatoires à la santé se traduisent chez les sujets
par un stress chronique (plus nocif que des épisodes de stress aigu), qui induit
des effets bien établis dans les champs neuro-endocrinien, cardiovasculaire et
immunitaire15 principalement ; stress qu’il est possible de quantifier, par exemple,
en mesurant la tension artérielle ou le cortisol sanguin16.

13. I. Khireddine, A. Lemaître, J. Homère et al., « La souffrance psychique en lien avec le travail
chez les salariés actifs en France entre 2007 et 2012, à partir du programme MCP », BEH, 2015,
n° 23, p. 431‑438.
14. The Lancet, 2017, n° 389.
15. B.S. McEwen, « Protective and Damaging Effects of Stress Mediators : Allostasis and Allostatic
Load », NEJM, 1998, n° 338, p. 171‑179 ; M.J. Meany, M.  Szyf, « Environmental programming of
stress responses through DNA mathylation : Life at the interface between a dynamic environment and
a fixed genome », Dialogues in Clinical Neuroscience, 2005, n° 7, vol. 2, p. 103‑123 ; L.F. Berkman,
I. Kawachi, « Towards a new social biology », in Social Epidemiology, Oxford University Press, 2000,
p. 306‑331.
16. M.  Marmot, G.  Rose, M.  Shipley, P.J.S. Hamilton, « Employment grade and coronary heart
disease in british civil servants », Journal of Epidemiology and Community Health, 1978, n° 32,
vol. 4, p. 244‑249.

54
Déterminants de la santé

Partie 1. Chapitre 2.
En l’état actuel des connaissances, ces déterminants socioéconomiques
sont sans doute ceux qui pèsent le plus lourd au niveau collectif. L’OMS a
produit en 2009 un rapport consacré à ce sujet, préconisant de s’attaquer à
ces inégalités dès le plus jeune âge, car elles se constituent très rapidement
au cours de la vie, avec des conséquences durables.
Enfin, il faut souligner que des politiques dont l’objet n’est pas la santé
ou la protection sociale peuvent avoir des conséquences sanitaires. Pour
prendre en compte cette réalité, dans le but de mettre de « la santé dans
toutes les politiques », selon les termes de l’OMS (OMS, 2010), on a ainsi
modifié en 2011, en France, le régime des études d’impact17 en introduisant
dans le contenu de l’étude (art. R122‑4 du Code de l’environnement) un avis
sanitaire, soit du ministre chargé de la santé, soit du directeur général de
l’agence régionale de santé (ARS), selon l’importance des projets évalués.
Les études d’impact doivent comprendre désormais une analyse des effets
sur la santé, ainsi qu’une présentation des mesures prises pour réduire ou
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
compenser les effets négatifs sur la santé humaine.

L’environnement physique
Il s’agit ici de la qualité des milieux de vie, objet traditionnel des actions
d’hygiène des milieux. Ce champ, très vaste, inclut la qualité des eaux, à
boire, à usage industriel ou agricole, récréatives ; de l’air, intérieur ou exté-
rieur ; des sols ; mais aussi de l’habitat, des lieux de travail, des voies de
circulation, des moyens de transport, etc. Une estimation établie pour l’année
201518 conclut que les maladies causées par la pollution des milieux de vie
et de travail ont provoqué environ 9 millions de décès prématurés au niveau
mondial, soit 16 % de l’ensemble des décès, devançant ainsi la mortalité
due au tabagisme, aux maladies infectieuses et parasitaires, à la consom-
mation d’alcool et aux accidents de la voie publique. Parmi ces 9 millions
de morts annuels, 6,5 millions étaient imputables à la pollution de l’air, 1,8
million à la pollution des eaux et 0,8 million à la pollution des lieux de
travail. La Chine et l’Inde paient en valeur absolue le plus lourd tribut à la
dégradation des milieux de vie et de travail, mais de façon générale ce sont
les pays les plus pauvres qui sont les plus touchés : sur le plan économique,
ces morts entraînent une baisse moyenne du PIB des pays les plus pauvres
de l’ordre de 8,3 %, contre 4,5 % dans les pays les plus développés.
En 201719, l’OMS a estimé que les diverses pollutions de l’environnement
causaient environ 1,7 million de décès d’enfants de moins de 5 ans par an,
dont 570 000 par infections respiratoires, 360 000 par diarrhée, 270 000 par
problèmes néonatals, dont la prématurité, 200 000 par traumatismes

17. Décret n° 2011‑2019 du 29 décembre 2011 portant réforme des études d’impact des projets de
travaux, d’ouvrages ou d’aménagements, Journal officiel du 30 décembre 2011.
18. « The Lancet Commission on Pollution and Health », The Lancet on line, 19 octobre 2017.
19. OMS, Don’t Pollute My Future ! The Impact of the Environment on Children’s Health, OMS,
2017.

55
Partie 1. Les fondamentaux

accidentels, brûlures, noyades, et 200 000 par paludisme. Globalement, selon


l’OMS, 26 % des décès d’enfants de moins de 5 ans sont attribuables à la
pollution de l’environnement. Il n’est pas possible de faire un exposé exhaustif
et détaillé de tous les déterminants de santé dans ce domaine. Seules certaines
situations seront développées.
Le Programme international sur la sécurité des substances chimiques20
retient dix produits chimiques ayant un impact majeur sur la santé humaine :
l’amiante, l’arsenic, le benzène, le cadmium, les dioxines, les déséquilibres
d’apport en fluor, le mercure, les pesticides les plus toxiques, le plomb, un
ensemble de polluants aériens. Les atteintes provoquées sont diverses : cancers,
atteintes hématologiques (anémies), neurologiques, respiratoires, dentaires
(fluor), troubles du développement, effets mutagènes et reprotoxiques…
Les effets des pesticides, qui constituent un ensemble hétérogène, ne sont
pas tous bien connus. Mais il est possible d’attribuer à certains des effets
cancérigènes et le statut de perturbateurs endocriniens.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
On peut ajouter à cela les interrogations sur les éventuels effets des ondes
électromagnétiques (téléphonie mobile) ou des nanomatériaux.
Encadré n° 1. Les perturbateurs endocriniens

Les premières interrogations scientifiques dans le domaine remontent aux années 1960,
mais les perturbateurs endocriniens ont émergé en tant que problème de santé publique
au cours des années 1980, tout d’abord à propos des effets des œstrogènes diffusés dans
l’environnement (modifications des organes génitaux externes d’alligators, hermaphro-
disme chez des amphibiens)21. Ainsi, les œstrogènes utilisés à des fins contraceptives sontt
éliminés dans l’environnement par le biais des urines féminines et entraînent une impré-
gnation humaine et animale secondaire provoquant divers effets biologiques. Des épisodes
de contamination alimentaire par les polychlorobiphényles (PCB) ont aussi contribué à la
prise de conscience du problème.
En 2002, l’OMS a retenu les définitions suivantes : un perturbateur endocrinien est une
substance ou un mélange de substances exogènes qui altère une ou plusieurs fonctions
endocrines et peut ainsi induire des pathologies chez des individus, et leur descendance,
ou dans des populations ; un perturbateur endocrinien potentiel est une substance ou un
mélange de substances exogènes qui possède des propriétés susceptibles de provoquer les
effets d’un perturbateur endocrinien avéré.
En 2017, l’UE a retenu trois critères cumulatifs pour définir les perturbateurs endocriniens :
– existence d’effets nocifs sanitaires pour les individus, leur descendance ou les popula-
tions, correspondant à des modifications morphologiques, physiologiques, de la crois-
sance, du développement, de la reproduction, ou à une diminution de la durée de vie
en raison d’une altération des capacités fonctionnelles, d’une réduction des capacités
d’adaptation en réponse à un stress, ou encore une sensibilité accrue à d’autres
facteurs ;
–  un mode d’action endocrine de la substance ;
–  des effets nocifs causés par le mode d’action endocrine.

20. L’International Chemical Safety Card existe depuis 1980 et regroupe de nombreuses institu-
tions internationales (dont l’OMS, le PNUE, l’OIT), européennes et américaines.
21. T.T. Schug et al., « Endocrine disruptors : Past lessons and future directions », Molecular En‑
docrinology, vol. 30, 2016.

56
Déterminants de la santé

Partie 1. Chapitre 2.
Aujourd’hui, on considère dans ce cadre un ensemble de plusieurs centaines de substances
largement répandues dans notre environnement et issues d’activités variées (pesticides,
pharmacie, additifs alimentaires, composants électroniques, cosmétiques, matières plas-
tiques, retardateurs de feu, etc.). Ils sont susceptibles (ou suspectés) d’entraîner des pertur-
bations des métabolismes endocriniens, notamment par des effets épigénétiques22, avec
des conséquences diverses, notamment sexuelles, mais pas seulement : obésité, troubles
du comportement, cancers, etc23. Parmi les divers impacts documentés, on citera la densité
en spermatozoïdes du sperme français, qui a baissé de plus de 30 % entre 1989 et 200524.
Certains perturbateurs endocriniens ont été très médiatisés, comme le perchloréthylène
(utilisé dans le nettoyage à sec des textiles et qui sera interdit en France en 2022), le
­bisphénol A (dans les matières plastiques, notamment celles des biberons – il est interdit
depuis 2015 pour les contenants alimentaires) ou encore les parabènes (cosmétiques,
notamment).
Leurs effets à long terme sur la santé humaine sont assez complexes à déterminer en raison
de la répétition des expositions, d’expositions associées (« effet cocktail »), de la complexité
de la relation dose-toxicité (qui n’est pas forcément linéaire), de la persistance des subs-
tances dans l’environnement (pouvant donc continuer d’induire des contaminations bien
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
après leur introduction initiale dans les milieux), la possibilité de réponse différée. Les effets
différés peuvent s’expliquer par une transmission génétique ou épigénétique, et sont favo-
risés par des expositions, mêmes brèves, à des moments critiques. Ces moments critiques
sont liés aux périodes de développement, embryonnaire, fœtal et chez le jeune enfant. En
février 2013, l’OMS et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE-UNEP)
a diffusé un rapport assez alarmant sur la question25.

Encadré n° 2. Les nanomatériaux

Il s’agit de particules dont au moins une des dimensions est comprise entre 1 et 100 nano-
mètres (1 nanomètre est égal à un millionième de millimètre). En raison de cette très petite
taille, ils présentent des propriétés physiques, chimiques et biologiques particulières,
notamment une forte réactivité avec certaines substances, comme les protéines. Il existe
des nanomatériaux naturels ou résultant d’activités humaines (transports, émissions indus-
trielles diverses), mais ce qui retient particulièrement l’attention, ce sont les nanomatériaux
spécialement fabriqués pour tirer parti de leurs propriétés spécifiques.
Les nanomatériaux et les nanotechnologies ont connu une extension très rapide et très
large de leurs usages : chimie, cosmétiques, alimentation, véhicules, produits d’entretien,
industries textile, électronique, etc. Des usages sanitaires existent aussi. L’exposition aux
nanomatériaux doit donc être prise en compte pour la population générale, et aussi dans
le cadre des risques professionnels. L’exposition se fait majoritairement par voie respiratoire
ou digestive, plus rarement cutanée ou par injection directe (notamment pour les usages
médicaux). Les nanomatériaux sont aussi susceptibles de provoquer des atteintes à la santé :
de fortes incertitudes existent, mais on évoque notamment des effets génotoxiques, inflam-
matoires et cancérogènes.
Parmi les substances les plus connues, on relève :

22. L’épigénétique étudie les facteurs qui modulent l’expression des gènes et les conséquences de
ces modulations. Elle permet aussi de comprendre la transmission de caractères acquis.
23. J.J. Heindel, B. Blumberg, M. Cave et al., « Metabolism disrupting chemicals and metabolic
disorders », Reproductive Toxicology, 2017, n° 68, p. 3‑33.
24. J. Le Moal, M. Rolland, S. Goria et al., « Semen quality trends in french regions are consistent
with a global change in environmental exposure », Reproduction, 2014, n° 147, p. 567‑574.
25. OMS/PNUE, State of the science of endocrine disrupting chemicals 2012, OMS, 2013.

57
Partie 1. Les fondamentaux

– Les nanotubes de carbone, dont les agglomérats ont une structure comparable à celle
des fibres d’amiante et peuvent ainsi provoquer des plaques pleurales et des mésothéliomes
pleuraux. De ce fait, les nanotubes de carbone sont considérés comme des cancérogènes
possibles par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC).
– Les nanoparticules d’argent sont utilisées dans l’industrie textile pour leurs propriétés
bactéricides (vêtements de sport, par exemple), dans les cosmétiques (déodorants), des
produits nettoyants. En médecine, on y recourt comme agent anti-infectieux (traitement
local de plaies). La toxicité des nanoparticules d’argent est mal établie aujourd’hui.
– Le dioxyde de titane, utilisé notamment comme colorant alimentaire, est lui aussi classé
comme potentiellement cancérogène chez l’Homme par le CIRC. Des études chez l’animal
suggèrent un risque de cancer du poumon après inhalation. L’incertitude existe sur de
possibles effets après absorption digestive.
– Les nano-silices sont utilisées comme agent modificateur de texture dans les industries
agroalimentaire, chimique (résines, peintures…), cosmétique (crèmes solaires…) et phar-
maceutique (dentifrices…).
En France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et
du travail (ANSES) a produit plusieurs rapports sur le sujet et, dans l’attente d’un approfon-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
dissement des connaissances dans le domaine, recommande26 de limiter par principe les
expositions professionnelles et générales aux nanomatériaux en les considérant comme des
substances dangereuses.

La pollution atmosphérique est provoquée par un ensemble de substances


très diverses, gazeuses (oxydes de carbone [CO, CO2], oxydes d’azote [NO,
NO2], de soufre [SO2], ozone [O3], ammoniaque…) ou particulaires. Les
sources de pollution sont principalement issues, dans l’air intérieur, de la
combustion de bois ou de charbon pour le chauffage domestique ou la cuisine,
du tabagisme et, dans l’air extérieur, de la combustion du charbon à des fins
industrielles, de la circulation routière, de la dispersion d’allergènes végétaux,
tel le pollen d’ambroisie. L’impact des émissions polluantes peut être aggravé
par certaines circonstances météorologiques : brouillard, fortes chaleurs, sta-
gnation des masses d’air. Les principaux impacts sanitaires se retrouvent aux
niveaux respiratoire et cardio-vasculaire, mais aussi en matière de diabète de
type 2, de prématurité, d’hypotrophie fœtale.
Une étude fait un point sur l’impact sanitaire de la pollution atmosphérique
au niveau mondial, entre 1990 et 201527. Deux polluants ont été pris en
compte en raison de leur importance majeure : les particules fines (c’est-à-dire
d’un diamètre inférieur à 2,5 micromètres) et l’ozone, et les conséquences
sur la santé ont été mesurées par l’analyse de la mortalité par cardiopathies
ischémiques (infarctus du myocarde et angor), accidents vasculaires céré-
braux, bronchopneumopathies chroniques obstructives (BPCO), cancers
broncho-pulmonaires et infections respiratoires basses. Sur ces bases, les
particules fines ont provoqué en 2015 le décès d’environ 4,2 millions de

26. ANSES, Évaluation des risques liés aux nanomatériaux. Enjeux et mise à jour des connais‑
sances, 2014.
27. Cohen A.J., Brauer M., Burnett R. et al., « Estimates and 25-year trends of the global burden
of disease attribuable to ambient air pollution : an analysis of data from the Global Burden of Disease
Study 2015 », Lancet on line, 10 avril 2017. La « Global burden of disease study » étudie l’impact de
79 facteurs de risque dans 195 pays entre 1990 et 2015.

58
Déterminants de la santé

Partie 1. Chapitre 2.
personnes (7,6 % de la mortalité globale) et la perte d’environ 103,1 millions
de DALYs28 (4,2 % du total mondial). L’ozone était à l’origine d’environ
254 000 décès et de la perte d’environ 4,1 millions de DALYs.
Entre 1990 et 2015, la mortalité due aux particules fines est passée de
3,5 millions par an à 4,2. Cette augmentation de la mortalité en valeur absolue
s’accompagne cependant d’une baisse du taux de mortalité global, en raison
de la coexistence de plusieurs tendances : la baisse du taux de mortalité trouve
sa source dans l’amélioration de la qualité de l’air et dans le recul de la
mortalité cardio-vasculaire dans les pays les plus riches ; la hausse de la
mortalité en valeur absolue s’expliquant par l’augmentation de la population
mondiale et son vieillissement, l’aggravation de la pollution atmosphérique
dans des pays en développement (la Chine et l’Inde tout particulièrement) et
enfin par l’augmentation de la part de la mortalité par maladies non trans-
missibles en raison du recul des maladies infectieuses.
La pollution par les particules fines serait à l’origine de 17,1 % de la
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
mortalité par cardiopathies ischémiques ; 14,2 % par accidents vasculaires
cérébraux ; 16,5 % par cancers broncho-pulmonaires ; 24,7 % par infections
respiratoires basses et 27,1 % par broncho-pneumopathies chroniques
­obstructives. L’exposition à l’ozone provoquerait 8 % de la mortalité
par BPCO.
L’OMS, en 2014, estimait à environ 7 millions de morts prématurées par
an l’impact de la pollution de l’air, soit 4,3 millions pour l’air intérieur et
3,7  millions pour l’air extérieur, 1 million de décès s’expliquant par une
origine mixte. La concentration des décès dans la région de l’Asie du Sud-Est
et du Pacifique occidental était retrouvée. Pour les deux types de pollution,
la mortalité était causée principalement par trois causes : les cardiopathies
ischémiques, les accidents vasculaires cérébraux et les broncho-pneumopathies
chroniques obstructives.
En 2016, Santé publique France estimait à 48 000 décès annuels l’impact
de la pollution par les particules fines29. L’École nationale de santé espagnole
chiffrait, elle, à 26 830 le nombre de décès dus aux particules fines sur la
période 2000‑200930.
La pollution des eaux constitue une cause historique majeure d’épidémies
(les épidémies de choléra en Europe au xixe siècle). C’est une source impor-
tante de maladies humaines, tout particulièrement dans les territoires où l’ap-
provisionnement en eau potable n’est pas garanti en permanence pour
l’ensemble de la population et où globalement les conditions d’hygiène sont
insuffisantes. Les maladies hydriques ont des causes diverses : micro-
organismes (bactéries, virus, parasites) ; origine chimique, radioactive,

28. Disability-adjusted life-year (DALY) :  années de vie corrigées de l’incapacité (➠ Chapitres 3


et 4).
29. Santé publique France, Journée qualité de l’air et santé du 21 juin 2016, www.santepublique-
france.fr.
30. C. Ortiz, C. Linares, R. Carmona et al., « Evaluation of Short-Term Mortality Attributable to
Particulate Matter Pollution in Spain », Environmental Pollution, 2017, n° 224, p. 541‑551.

59
Partie 1. Les fondamentaux

thermique… La contamination se fait souvent par ingestion d’eaux souillées,


mais aussi par inhalation de vapeurs ou pénétration au travers de la peau.
Parmi les pathologies d’origine bactérienne, on citera des gastro-entérites
à Escherichia coli, les shigelloses, le choléra, la typhoïde. En l’absence de
mesures thérapeutiques adaptées, des diarrhées profuses et éventuellement
fébriles entraînent des déshydratations intenses, parfois mortelles, notamment
chez l’enfant. Chez les parasites, les amibes sont responsables d’entérocolites,
mais aussi parfois d’atteintes neurologiques (méningites). D’autres parasitoses
sont transmises par voie percutanée. La bilharziose est causée par un vers
(un schistosome) et provoque, principalement en Afrique et en Asie, des
lésions sévères du foie, de la vessie et des intestins. Certaines maladies sont
transmises par des insectes, mais le cycle parasitaire nécessite une étape
aquatique pour le parasite ou son vecteur. Le moustique vecteur de paludisme
se reproduit en zone humide. Il en est de même pour la dengue ou le chikun-
gunya, qui sont des maladies virales, potentiellement mortelles, et transmises
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
par piqûre de moustique.
Au niveau mondial, ce sont environ 6 millions d’enfants qui meurent
chaque année des suites de gastro-entérites, 100 millions de personnes qui
sont atteintes de gastro-entérites hydriques, tandis que 260 millions d’indi-
vidus souffrent de bilharziose.
Les pollutions chimiques sont très diverses : nitrates, métaux lourds, pes-
ticides, antibiotiques, hormones… Leur toxicité dépend de leur concentration,
de la capacité du milieu à les éliminer ou à les dégrader, de la durée d’ex-
position, de la sensibilité des organismes humains et de leur capacité d’éli-
mination. Ainsi, les métaux lourds ne sont pas éliminés par l’organisme et
s’y accumulent, provoquant des intoxications chroniques, tel le saturnisme
hydrique (intoxication par le plomb affectant principalement le système ner-
veux, dont les symptomes vont de troubles discrets des apprentissages à des
encéphalopathies sévères, notamment chez l’enfant), mais aussi des troubles
de la reproduction, des insuffisances rénales.
La maladie de Minamata est un exemple mondialement connu d’intoxi-
cation mercurielle (➠ Chapitre  1), mais aujourd’hui, en Guyane française,
une intoxication chronique mercurielle touche les populations amérindiennes,
consommatrices de poissons contaminés en raison de pratiques d’orpaillage31.
Les nitrates peuvent entraîner une méthémoglobinémie.
La pollution des lieux d’habitation connaît des origines multiples : conta-
mination de l’air intérieur par le radon, (un gaz radioactif naturel), tabagisme,
conséquences de l’humidité, de la mauvaise aération des locaux, dégradation
des matériaux utilisés, difficultés à assurer une hygiène suffisante, nuisances
sonores… Les conséquences sanitaires sont diverses, aiguës ou chroniques :
maladies infectieuses, intoxications par le monoxyde de carbone, maladies
respiratoires, allergies, saturnisme infantile…

31. Th. Cardoso, A. Blateau, P.  Chaud et al., « Le mercure en Guyane française : synthèse des
études d’imprégnation et d’impact sanitaires menées de 1994 à 2005 », BEH, 2010, n° 13, p. 118‑120.

60
Déterminants de la santé

Partie 1. Chapitre 2.
Les lieux de travail constituent aussi un terrain classique d’expression
des déterminants de santé. À titre d’exemples, on peut citer des expositions
à l’amiante dans le cadre professionnel (asbestose, cancer de la plèvre ou du
poumon), aux rayonnements ionisants (les professionnels de santé étant par-
ticulièrement exposés), à des produits biologiques (liquides biologiques conta-
minés), à des vapeurs de goudron, de façon générale à des substances
cancérigènes (pesticides), mutagènes, reprotoxiques, des intensités sonores
excessives, à des ambiances thermiques extrêmes, à des activités répétitives
ou de manipulation de charges lourdes (troubles musculosquelettiques) ou à
des risques de chute ou d’autres accidents.
On rapprochera de la pollution des lieux de travail la question des expo-
sitions induites plus largement par des activités industrielles, notamment
lorsqu’elles manipulent ou stockent des produits dangereux, chimiques,
radioactifs, etc. Cette problématique ne cesse pas avec l’arrêt des activités,
comme en témoignent les difficultés à dépolluer certains sites abandonnés et
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
contaminés par des métaux lourds. Sur certains territoires, l’impact de ces
déterminants peut être encore accru par la proximité entre les lieux d’habitat
et les usines.
Les déterminants climatiques pèsent de plusieurs façons sur la santé
humaine, et leur impact est fortement modulé par les conditions socio-
économiques, environnementales et de politique territoriale. Les conditions
climatiques peuvent avoir des conséquences aiguës, éventuellement massives,
que ce soit par des :
–  chaleurs extrêmes : décès par hyperthermie, coup de chaleur, déshydrata-
tion, atteintes cardiovasculaires, décompensation de maladies chroniques ;
–  froids extrêmes : décès par hypothermie, gelures, atteintes cardio-
vasculaires ;
–  pluies et vents : inondations, noyades, traumatismes physiques, stress
post-traumatique.
À ces effets directs s’ajoutent les effets secondaires dus à la destruction ou
à la désorganisation des infrastructures de transport, d’énergie, d’adduction
d’eau, de sécurité générale et de dispensation des soins. Les choix dans l’amé-
nagement des territoires peuvent aggraver les effets intrinsèques du climat. Il
en est ainsi de la concentration d’une population nombreuse en zones littorales
ou inondables ou bien de pratiques d’imperméabilisation des sols pouvant
entraîner par ruissellement de fortes concentrations d’eau. En zone urbaine
peuvent se constituer des « îlots de chaleur », par conjonction des causes cli-
matiques, de sources d’énergie, de caractéristiques de l’habitat et de l’urbanisme
ne permettant pas l’évacuation de la chaleur accumulée.
Aujourd’hui, le sujet est dominé par l’impact déjà avéré et à venir du
réchauffement climatique.

61
Partie 1. Les fondamentaux

Encadré n° 3. Les effets sanitaires des changements climatiques

Les changements climatiques en cours sur notre planète sont causés par un mécanisme
global de réchauffement remontant au moins au xixe siècle, mais qui s’est considérable-
ment accéléré ces dernières décennies. À l’origine du processus, il y a une accentuation de
l’effet de serre. L’effet de serre est naturel et permet de maintenir une chaleur suffisante,
indispensable à la vie, à la surface de la terre. Les activités humaines sont susceptibles
d’entraîner une augmentation de la présence dans l’atmosphère de certains gaz qui désé-
quilibre l’effet de serre et le rend dangereux. Parmi ces « gaz à effet de serre », les plus
importants sont :
–  la vapeur d’eau ;
– le dioxyde de carbone (CO2), dont la concentration augmente en raison de l’utilisation
des sources d’énergie fossiles (pétrole, charbon, gaz), mais aussi des éruptions volcaniques
ou des feux de forêt ;
– le méthane, issu notamment de l’agriculture intensive (élevage, alimentation des ruminants),
mais aussi de phénomènes de fermentation, tels qu’on les rencontre dans des décharges ;
– l’ozone, produit par la transformation de composés organiques volatils dégagés par des
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
activités humaines, notamment dans le domaine des transports. Par ailleurs, l’ozone
protège du rayonnement ultraviolet solaire, qu’il absorbe ;
– le protoxyde d’azote, conséquence de l’utilisation massive des engrais azotés.
On estime aujourd’hui la hausse moyenne des températures à plus de 0,18 °C par décennie.
Les effets généraux de ce phénomène sont variables mais impliquent principalement une
élévation du niveau des mers (essentiellement par un mécanisme de dilatation thermique
des eaux), une fonte des glaciers, des modifications du régime des précipitations et une
aggravation des événements météorologiques extrêmes (tempêtes, inondations,
sécheresses…).
S’il est possible de prévoir quelques aspects positifs au réchauffement climatique, comme
le recul de la mortalité hivernale ou l’augmentation de la production agricole sur certains
territoires, les effets des changements climatiques sur la santé seront essentiellement néga-
tifs, pour plusieurs raisons :
Les effets thermiques directs : les canicules, plus fréquentes et plus intenses, seront res-
ponsables d’une augmentation de la mortalité, notamment par maladies cardio-vasculaires,
maladies respiratoires et accidents aigus de déshydratation. La chaleur favorise aussi la
concentration des polluants atmosphériques (exemples du smog londonien et d’épisodes
de forte pollution en Californie), notamment de l’ozone ainsi que des pollens et autres
allergènes (en France, particulièrement, le bouleau et l’ambroisie, en raison aussi de l’exten-
sion de l’aire de croissance des végétaux). La canicule de l’été 2003 a ainsi provoqué un excès
de mortalité de plus de 70 000 personnes en Europe, dont 15 000 en France32.
Les maladies infectieuses à transmission hydrique ou vectorielle (paludisme, schistoso-
miases, arboviroses, comme la dengue, le chikungunya et la maladie à virus Zika…) seront
favorisées par l’allongement des périodes de transmission des germes et l’extension des aires
géographiques des vecteurs. Ainsi, le sud de la France métropolitaine (le moustique Aedes
albopictus est présent dans une trentaine de départements en 2017) présente depuis 2004
les caractéristiques nécessaires au déclenchement d’une épidémie de chikungunya, comme
on en a connu en 2005‑2006 à La Réunion et à Mayotte33.

32. J.-M. Robine, S.L. Cheung, S.  Le Roy et al., Report on excess mortality in Europe during
summer 2003, EU Community action programme for public health, grant agreement.
33. P.  Renault, D.  Sissoko, M.  Ledrans et al., « L’épidémie de chikungunya à La Réunion et à
Mayotte, France, 2005‑2006 : le contexte et les questions de surveillance et d’évaluation posées »,
BEH thématique, 2008, n° 38‑40, p. 343‑346.

62
Déterminants de la santé

Partie 1. Chapitre 2.
Les variations des précipitations pourront dégrader les productions agricoles dans cer-
taines zones (par pullulation de prédateurs des cultures, désertification, érosion des sols)
et provoquer malnutrition, voire famines.
Les catastrophes naturelles, enfin, entraîneront la destruction des habitats et la désorga-
nisation des services, notamment des services de santé. Les inondations, outre les accidents
et noyades, réduiront les ressources en eau potable, favoriseront la prolifération des vec-
teurs de maladies infectieuses. La moindre disponibilité de l’eau potable sera à l’origine de
famines et d’épidémies de gastro-entérites, notamment.
Les conséquences sociales, économiques et politiques des changements climatiques sont
multiples : conflits liés à la maîtrise de ressources devenues plus rares, alimentaires et parti-
culièrement l’eau ; migrations de populations avec leurs conséquences physiques (maladies,
traumatismes, stress post-traumatique, violences, exploitations diverses), psychologiques,
socio-économiques (habitat, bidonvilles, surpeuplement, camps de réfugiés, chômage endé-
mique etc.). In fine, les évolutions climatiques peuvent induire des transformations majeures,
pouvant aller jusqu’à la guerre civile ou avec une puissance étrangère, lesquelles aggravent
l’impact du facteur climatique en rendant la population plus vulnérable et en réduisant les
capacités de réponse.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Au total, l’OMS avance, pour la période allant de 2030 à 2050, une augmentation des décès
d’environ 250 000 par an34 :
–  38 000 par l’effet des canicules ;
–  48 000 du fait des maladies diarrhéiques ;
–  60 000 par paludisme ;
–  95 000 par sous-alimentation des enfants.

2.1.3. Les déterminants comportementaux


Cet ensemble de déterminants est lié fortement au niveau d’éducation, de
connaissances et de revenu, mais aussi aux valeurs sociétales au sens large.
Soulignons aussi que les déterminants comportementaux ont souvent une
action sur l’entourage des individus : les effets délétères de l’alcoolisme ou
du tabagisme passif sont bien connus, et il faut savoir aussi que l’on estime
que 3,3 % des décès sont attribuables en Europe aux effets de la consomma-
tion d’alcool sur l’entourage du buveur, essentiellement par traumatismes.
On peut distinguer ainsi :

Les pratiques de consommation et de prise de risque


Déterminants bien connus, il peut s’agir de consommation de produits
illicites ou détournés de leur usage habituel (stupéfiants, solvants, etc.) ou
autorisés (alcool, tabac, médicaments, etc.) principalement à finalité psy-
choactive et aux conséquences multiples : accidents de la voie publique, acci-
dents du travail, violences domestiques, troubles mentaux, suicides, cancers,
cirrhose hépatique…

34. OMS, Quantitative risk assessment of the effect of climate change on selected causes of death,
2030s and 2050s, OMS, 2014.

63
Partie 1. Les fondamentaux

Le tabagisme
Les effets de la consommation de tabac sont multiples. Estimer l’impact
du tabagisme en termes de mortalité impose ainsi d’agréger des données
concernant des cancers (en premier lieu du poumon et des voies aérodigestives
supérieures, mais aussi du foie, de l’estomac, du rein, de la vessie, d’une
partie des cancers de l’ovaire), des maladies cardio-vasculaires (cardiopathies
ischémiques, maladies cérébro-vasculaires, cardiopathies hypertensives), des
maladies respiratoires, tout particulièrement des atteintes chroniques des voies
respiratoires inférieures. L’effet du tabagisme comme cause du cancer du
poumon se traduit chez l’homme par un risque relatif supérieur à 20 chez le
fumeur par rapport au non-fumeur35, c’est-à-dire une multiplication du risque
de survenue par un facteur supérieur à 20. Au niveau mondial, une estimation
pour l’année 2015 aboutit à 7 millions de décès prématurés, ce qui en fait la
seconde cause de mortalité après les maladies causées par les pollutions
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
diverses.

La consommation d’alcool
Les effets de la consommation d’alcool sont aussi divers : maladies cardio-
vasculaires (hypertension artérielle, insuffisance cardiaque, accidents vascu-
laires cérébraux), maladies de l’appareil digestif (cirrhose, cancers du foie,
du colon, de l’œsophage), maladies mentales, alcoolo-dépendance, cancers
du pharynx, du sein, traumatismes par accidents de la voie publique, du travail
et violences domestiques, etc. On a estimé à 49 000 le nombre de décès
annuels dus à la consommation d’alcool en France36, en 2010, avec un âge
moyen au décès de 63 ans. Au niveau mondial, une estimation pour l’année
2015 aboutit à 2,5 millions de décès prématurés.
Encadré n° 4. Alcool : consommation à risque, usage nocif et dépendance

Quelques définitions :
Consommation à risque : consommation élevée, mais encore sans conséquence somatique,
psychique ou sociale. Le seuil retenu par l’OMS est, pour les hommes, de 210 g d’alcool pur
par semaine (3 verres par jour) et, pour les femmes, de 140 g (2 verres par jour), ou encore,
quel que soit le sexe, de 40 g d’alcool pur (4 verres) en usage ponctuel.
Usage nocif : consommation entraînant au moins un dommage somatique, psychique ou
social, mais sans dépendance.
Alcoolo-dépendance : perte de contrôle de la consommation d’alcool en raison d’un besoin
impérieux de consommer.

35. M. Ezzati, S.J. Henley, A.D. Lopez et al., « Role of smoking in global and regional cancer
epidemiology : Current patterns and data needs », International Journal of Cancer, 2005, n° 116,
p. 963‑71.
36. S.  Guérin et al., « Alcohol-attributable mortality in France », European Journal of Public
Health, 2013, n° 23, vol. 4, p. 588‑593.

64
Déterminants de la santé

Partie 1. Chapitre 2.
Les toxicomanies et autres addictions
Leurs impacts sont diversifiés : dépendance psychique, physique (décès
par surdose, syndrome de sevrage), complications infectieuses pour la toxi-
comanie injectable (endocardite, hépatite virale, sida). De plus, la toxicomanie
comporte un risque de précarisation sociale qui est en lui-même un autre
déterminant négatif de la santé. Aux addictions aux produits s’ajoutent celles
aux comportements ludiques : paris, jeux vidéo.

Les comportements alimentaires et l’activité physique


L’alimentation est un déterminant de santé majeur. À bien des égards,
son impact est lié à celui du niveau d’activité physique. Dans les pays déve-
loppés, l’attention se porte sur les excès de graisses et de sucres ou l’insuf-
fisance en fibres ou en fruits et légumes, avec leurs conséquences en termes
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de surpoids, d’obésité, de maladies cardio-vasculaires ou de cancers. L’obésité
est liée à l’hypertension artérielle, au diabète et aux dyslipidémies, et ils
forment, avec le tabagisme et la sédentarité, les principaux facteurs de risque
cardio-vasculaire. Mais l’obésité favorise aussi plusieurs cancers (sein, utérus,
colon, œsophage, pancréas, rein, prostate), des pathologies digestives (­stéatose
hépatique et cirrhose), respiratoires (apnées du sommeil) et rhumatologiques
(arthrose, goutte).
À l’opposé, au niveau mondial, les situations de carence calorique, avec
leurs formes extrêmes de famines, n’ont pas totalement disparu, souvent
favorisées par des troubles politiques majeurs. Mais, dans les pays industria-
lisés, il faut aussi signaler les situations d’insécurité alimentaire, c’est-à-dire
les situations où il est difficile de s’approvisionner en nourriture de manière
suffisante quantitativement et qualitativement. Une étude menée en Île-de-
France en 2010 retrouvait un chiffre, sur une population d’environ 5 millions
d’habitants, de 326 000 personnes souffrant d’insécurité alimentaire, dont
124 000 de façon sévère37.

Conduites de prise de risque


Les conduites de consommations peuvent en faire partie, mais elles sont
beaucoup plus diversifiées : comportement présentant un risque d’accident
sur la voie publique, dans le domaine sportif, professionnel, en matière de
sexualité ou encore d’exposition excessive au soleil (cancers cutanés, cata-
racte, possiblement dégénérescence maculaire liée à l’âge).
Concernant les accidents de la voie publique au niveau mondial, une
estimation pour l’année 2015 aboutit à 1,4 million de décès prématurés.

37. J. Martin-Fernandez, F. Caillavet, P. Chauvin, « L’insécurité alimentaire dans l’agglomération


parisienne : prévalence et inégalités socio-territoriales », BEH, 2011, n° 49‑50, p. 515‑521.

65
Partie 1. Les fondamentaux

L’adhésion aux pratiques préventives


Participer à une campagne de vaccination ou de dépistage d’un cancer,
suivre des recommandations nutritionnelles, utiliser un préservatif, pratiquer
régulièrement une activité physique, veiller à avoir un sommeil réparateur
sont autant d’actions qui ne se pratiquent pas de façon homogène dans une
population. En l’absence de mesures spécifiques, les groupes les moins favo-
risés ont plus de mal à entrer dans une démarche préventive. Ces variations
s’expliquent notamment par le niveau de sensibilisation aux questions de
santé, par le degré de proximité culturelle avec les références médicales ou
encore par une adaptation insuffisante des actions de prévention. L’aptitude
à comprendre et à exploiter les informations écrites, quel qu’en soit le support
(littératie en santé) est très variable selon les personnes. L’importance accor-
dée à sa propre santé et l’utilité perçue d’un recours aux soins dépendent de
représentations ancrées dans le milieu social et qui se constituent tôt dans la
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
vie38. Enfin, en fonction des contraintes de l’existence, la recherche d’un
meilleur état de santé peut être relativisée au profit d’autres besoins jugés
plus prioritaires, comme la quête d’un emploi.

2.1.4. Les déterminants liés au système de santé


Les caractéristiques du système de santé jouent aussi leur rôle dont l’im-
portance ne doit cependant pas être exagérée, notamment au regard de
­l’importance d’autres déterminants cités précédemment. Plusieurs points
doivent être considérés :
– L’accès aux droits amène à distinguer les dispositifs de protection sociale
obligatoire et les dispositifs complémentaires, généralement facultatifs. Pour le
système de base, il faut tenir compte des prestations prises en charge et de leur
niveau de couverture (exemples français des prothèses dentaires et de la lunet-
terie), ainsi que du caractère plus ou moins universel, en s’intéressant tout par-
ticulièrement au sort des éventuels laissés pour compte, comme certains
immigrés.
– Le recours effectif aux soins renvoie à l’exercice concret des droits. Les
difficultés peuvent se définir comme un renoncement aux soins par ceux qui en
auraient besoin ou par des refus plus ou moins explicites de la part des presta-
taires de services. Le renoncement aux soins, définitif ou par report à une date
ultérieure, s’explique par des motifs financiers ou administratifs (lorsque les
procédures de gestion sont longues et complexes), et par des motifs culturels
(lorsque les enjeux sanitaires ne sont pas perçus par les individus ou leur entou-
rage, dans le cas des enfants ou des personnes dépendantes). Les professionnels
ou les institutions de soins refusent parfois de délivrer des soins, pour motif
économique (un malade soupçonné d’être insolvable) ou administratif (la len-
teur d’une rémunération par un organisme de protection sociale), mais aussi

38. S. Laughlin, D. Black, Poverty and health : Tools for change, Public Health Trust, 1995.

66
Déterminants de la santé

Partie 1. Chapitre 2.
culturel, du fait d’une prise en compte insuffisante des particularités de certaines
populations : difficulté à formuler sa demande de santé par le patient, mécon-
naissance des conditions de vie du patient par le professionnel. Certains groupes
sont particulièrement exposés aux effets de ce fossé culturel et social : sans
domicile fixe, travailleurs du sexe, personnes incarcérées, toxicomanes, handi-
capés, personnes âgées.
Encadré n° 5. Le renoncement aux soins

Le renoncement aux soins est un phénomène complexe, qui n’a pas de définition tout à fait
stabilisée. On peut lui trouver des causes financières, mais aussi des raisons liées à un choix
délibéré de ne pas recourir à des prestations dont on ne souhaite pas. Motivé par des raisons
financières, il est cependant souvent utilisé comme indicateur des difficultés d’accès aux
soins.
L’étude du renoncement aux soins repose le plus souvent sur l’analyse de questionnaires
déclaratifs. S’il semble que le taux de renoncement est fortement influencé par la façon
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
dont la question est posée, en revanche, le type de soins et les groupes de population
concernés sont moins ou peu sensibles aux caractéristiques du questionnement39.
Le renoncement aux soins est différencié en fonction de certaines caractéristiques socio-­
démographiques 40 : favorisent le renoncement le fait d’être une femme plutôt qu’un
homme, d’être célibataire plutôt que de vivre en couple, d’être ouvrier ou inactif plutôt que
cadre ou membre d’une profession intermédiaire, d’avoir un diplôme de niveau inférieur
au baccalauréat plutôt que d’avoir le baccalauréat ou un diplôme de l’enseignement supé-
rieur, et enfin le niveau de revenu. Mais le facteur explicatif le plus important semble être
l’absence de couverture maladie complémentaire (mutuelle). Ce qui explique que le renon-
cement s’exprime à un niveau particulièrement élevé dans les domaines où la prise en
charge par les régimes de base d’assurance maladie est relativement faible : soins dentaires
(prothèses), lunetterie, certains soins spécialisés.
Actuellement, le pourcentage de Français ayant renoncé, temporairement ou définitive-
ment, à des soins pour des raisons économiques au cours des douze derniers mois est très
probablement en augmentation depuis la crise financière de 2008. Une enquête effectuée
en 2014 auprès d’étudiants français rapporte un chiffre de 27 % de renoncement à des
consultations de professionnels de santé ou à des soins41. Le baromètre IPSOS-Secours
populaire français 2016 constatait, chez les personnes disposant de moins de 1 200 euros
par mois, des niveaux de renoncement de 50 % pour les soins dentaires (en augmentation
de 22 % depuis 2008), 39 % pour les consultations d’ophtalmologie et de 42 % pour les
achats de lunetterie. Il sera intéressant de mesurer l’impact de la mise en œuvre en France
en 2020 d’un reste à charge nul pour les assurés sociaux, pour les lunettes, certaines pro-
thèses dentaires et aides auditives. À l’échelle européenne, une dégradation diffuse de la
situation peut être constatée entre 2010 et 2013, à l’exception de l’Allemagne, et plus ponc-
tuellement du Royaume-Uni et de la Suède42.

39. R. Legal, A. Vicard, « Renoncement aux soins pour raisons financières. Le taux de renoncement
aux soins pour raisons financières est très sensible à la formulation des questions », DRESS, Dossiers
solidarité et santé, n° 66, juillet 2015.
40. C. Després, «  Le renoncement aux soins pour raisons financières. Analyse socio-
anthropologique », Études et recherche, n° 119, mars 2012.
41. La Mutuelle des étudiants (LMDE), 4e enquête nationale sur la santé des étudiants (ENSE 4),
juin 2015.
42. Y. Padieu, R. Roussel, « L’inflexion des dépenses de santé dans les pays durement touchés par
la crise nuit à l’accès aux soins », in France, portrait social, INSEE, 2015.

67
Partie 1. Les fondamentaux

Les choix d’organisation du système de santé pèsent aussi, en définissant


la part relative de la prévention et du soin curatif, l’accessibilité géographique,
la rareté de certaines prestations (certains abandonnent devant la longueur de
la file d’attente, d’autres ont les moyens de contourner l’obstacle), la multi-
plicité et le cloisonnement de l’offre. La formation des professionnels, leur
sensibilisation aux caractéristiques des populations à prendre en charge, est
aussi un enjeu important.
De même, la qualité des soins est très variable. La qualité est une notion
globale aux multiples composantes. Bien évidemment, la survenue d’infections
nosocomiales et de toute autre forme de pathologie iatrogène impacte l’état de
santé, mais il faut aussi s’intéresser à la qualité de la trajectoire, du parcours
du patient. Outre que, en fonction du point d’entrée dans le système de soins,
la prise en charge est différente et n’aboutit pas aux mêmes résultats, les déter-
minants économiques, culturels que nous avons évoqués ci-dessus jouent de
nouveau leur rôle. La méconnaissance des caractéristiques des patients, de leurs
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
conditions de vie, peut ainsi fréquemment amener le professionnel à sous-
estimer les besoins préventifs, aussi bien dans le cas des maladies chroniques
que dans celui de la réponse à des situations épidémiques (vaccination).
Il est important d’explorer rigoureusement les interactions, souvent com-
plexes, entre les demandes de la population, les diagnostics de besoin posés
par les professionnels de santé et les réponses mises en œuvre (équipements,
prestations, etc.). Ce type d’approche (« Health Services Research », dans les
pays de langue anglaise) permet d’apprécier la contribution réelle du système
de santé à l’état de santé de la population. Introduire systématiquement une
dimension d’équité dans tout processus évaluatif serait sans doute un facteur
de progrès.

2.2. Les interactions entre déterminants

Ce sont en fait les interactions entre déterminants qui fixent un état de


santé. Ces interactions sont extrêmement diverses, et pas toujours bien
connues. Elles obligent à tenir compte de l’ensemble du déroulé de l’existence
des individus, y compris même des antécédents familiaux et de la vie intra-
utérine, ainsi que des interactions variables dans le temps avec l’environne-
ment au sens large, qui est lui aussi changeant. L’analyse aussi précise que
possible de l’impact cumulé des déterminants est nécessaire à l’élaboration
d’actions de santé et à leur suivi.
L’OMS, dans son analyse des inégalités sociales de santé43, distingue deux
catégories de déterminants de santé : certains, très généraux, dits structurels ;
et d’autres, dits intermédiaires, qui pèsent plus directement sur l’état de santé.
Les premiers renvoient à l’organisation sociale, économique, politique, et

43. O. Solar, A. Irwin, « A conceptual framework for action on the social determinants of health »,
in Social Determinants of Health Discussion Paper 2 (Policy and Practice), OMS, 2010.

68
Déterminants de la santé

Partie 1. Chapitre 2.
conditionnent notamment le niveau d’égalité de traitement entre les hommes
et les femmes, la place du jeune enfant et de la personne âgée, l’importance
des mécanismes de solidarité organisée, les écarts de revenus, de culture, de
formation, d’emploi et de position sociale, les différences d’aménagement du
territoire. Les seconds déterminants pèsent plus directement et spécifiquement
sur l’apparition des maladies (par exemple, consommation de tabac et cancer
pulmonaire) et sont influencés par les premiers. L’environnement physique
n’apparaît pas explicitement dans ce schéma, mais il est en fait inclus dans
les conditions matérielles et il est aussi déterminé par les conditions générales
structurelles. L’OMS insiste tout particulièrement sur l’articulation des
mesures à prendre pour favoriser l’équité dans le domaine de la santé, d’une
part, et prendre en compte le changement climatique, d’autre part.

CONTEXTE
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
SOCIOÉCONOMIQUE
ET POLITIQUE
• Gouvernance

• Politiques
Situation socioéconomique Conditions matérielles
macroéconomiques
(conditions de vie et de
• Politiques travail, disponibilité de IMPACT SUR
sociales l’alimentation, etc.) L’ÉQUITÉ EN
Classe sociale
Marché du travail, Comportements et SANTÉ ET SUR
Sexe
logement, terres facteurs biologiques LE BIEN-ÊTRE
Origine ethnique
• Politiques (racisme) Facteurs psychosociaux
publiques
Éducation, santé, Éducation
Cohésion sociale et capital social
protection sociale
Emploi
• Culture
et valeurs Revenus
sociétales
Système de santé

DÉTERMINANTS
DÉTERMINANTS STRUCTURELS DES
INTERMÉDIAIRES DE LA SANTÉ
INÉGALITÉS EN MATIÈRE DE SANTÉ

Figure 1. Déterminants structurels et intérmédiaires de santé

Ces interactions multiples entre déterminants ont été modélisées de plu-


sieurs façons.
L’une d’elles consiste à mettre en évidence un cumul des facteurs de risque
(ou, à l’inverse, de facteurs protecteurs). Cette accumulation peut se faire tout
au long de la vie, dans la durée, et c’est ainsi que la somme de facteurs de
risque relativement mineurs, considérés séparément, peut produire une altération
majeure de la santé, comme cela se constate en matière d’épidémiologie de
certains cancers ou de maladies cardio-vasculaires. Ce modèle explique assez
bien pourquoi il existe un continuum des inégalités de santé au sein de nos
sociétés. L’accumulation des risques peut aussi se faire plus ponctuellement
dans le temps, lorsqu’une population se trouve atteinte par des transformations
majeures de son mode de vie, induisant un ensemble de dégradations de ses
déterminants de santé. Cela peut exister à l’occasion de crises politiques
majeures, par exemple lors d’une guerre civile ou un conflit avec un pays

69
Partie 1. Les fondamentaux

étranger provoquant destruction de l’habitat, insécurité alimentaire, dispersion


des familles, migrations forcées, en plus des meurtres, viols et autres trauma-
tismes directs. Des cas moins extrêmes peuvent se rencontrer lorsque des ter-
ritoires perdent l’essentiel de leurs activités économiques, ce qui occasionne là
aussi des perturbations sévères dans la vie et la santé des habitants.
Quelques exemples de ces cumuls :
–  entre comportements individuels : la consommation de tabac associée à
celle d’alcool accroît le risque de cancer des voies aérodigestives supérieures ;
–  entre facteurs environnementaux et comportements individuels : impact
de l’association d’un tabagisme (actif ou passif) avec la pollution atmosphérique
sur la fréquence et la gravité d’atteintes respiratoires ; interaction entre la pro-
motion d’une activité physique régulière (marche, vélo) et une politique des
transports visant à réduire la place de l’automobile ; accroissement du risque
d’accidents corporels par l’association d’une consommation excessive d’alcool
et de certaines conditions de travail (travaux en hauteur, conduite d’engin…) ;
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  risque accru de cancer du col de l’utérus par l’association de pratiques
sexuelles à risque d’infection et d’un recours faible ou absent à un suivi gynéco­
logique ;
–  entre préférences alimentaires et revenu.
Une autre modélisation est fondée sur le constat que certaines périodes
de la vie sont particulièrement sensibles à l’expression des déterminants de
santé.
Ces moments critiques sont à rechercher dès avant la naissance, puisqu’il
est établi que certaines expositions du fœtus déterminent son état de santé
ultérieur, comme en témoignent les transmissions materno-fœtales de maladies
infectieuses, le syndrome d’alcoolisme fœtal ou encore les pathologies radio-
induites chez des enfants irradiés in utero au Japon en 1945. Dans ce cadre,
c’est la prime enfance qui se révèle particulièrement sensible ; c’est une
période où des influences environnementales (alimentation, habitat, stimula-
tion intellectuelle, perturbateurs endocriniens…) impriment profondément
leurs marques pour le reste de l’existence. Les moments critiques sont aussi
déterminés par des événements de vie : principales étapes de la scolarité,
entrée dans une activité professionnelle, formation d’un ménage, départ en
retraite, entrée en institution pour une personne âgée.

70
Déterminants de la santé

Partie 1. Chapitre 2.
Encadré n° 6. Maladies émergentes et ré-émergentes

Il s’agit de maladies nouvelles ou présentant des caractéristiques renouvelées. L’identifica-


tion du sida en 1981 en fait un exemple typique de maladie émergente ; le caractère ré-
émergent peut correspondre à une modification du mode ou de l’intensité de la
transmission, de la zone géographique de diffusion, de la temporalité, de la sensibilité aux
traitements… Dans la genèse de leur apparition ou de leur développement, on constate
souvent la présence d’interactions entre déterminants44, tels que :
– facteurs démographiques et comportementaux (déplacements de populations, pour
des motifs variés : tourisme, migrations économiques, causes environnementales,
guerres…) ;
–  facteurs technologiques et industriels (ex. : pratiques de l’industrie agroalimentaire) ;
– facteurs économiques : extension des activités humaines, consommation des ressources
(ex. : déforestation) ;
–  développement des voyages et du commerce international ;
–  adaptation des germes : développement de résistances aux antibiotiques ;
– recul des mesures de protection sanitaire (surveillance, isolement, prévention,
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
inspection-contrôle).
Ainsi, dans le développement de l’épidémie d’encéphalopathie spongiforme bovine (dite
« maladie de la vache folle ») au cours des années 1990, on a considéré à la fois des pratiques
d’élevage (alimentation du bétail avec des farines animales), industrielles (modifications des
conditions de fabrication des farines), un recul des mesures de sécurité sanitaire vétérinaire
et la libre circulation des denrées alimentaires au niveau international.
Entre 2013 et 2016 a sévi, essentiellement dans trois pays d’Afrique de l’Ouest (Guinée, Sierra
Leone et Liberia), une vaste épidémie de maladie à virus Ebola qui a touché probablement
plus de 28 000 personnes et causé plus de 11 000 décès. Cette épidémie fut inhabituelle par
sa durée, son intensité, son extension géographique, avec une diffusion en zones urbaines
au-delà des localisations forestières antérieures en Afrique centrale. Un groupe d’experts
de l’OMS a analysé les facteurs ayant contribué à la gravité de cette crise sanitaire de niveau-
mondial45 : conditions locales, comme la faiblesse structurelle des systèmes de santé locaux,
qui furent débordés ; mauvaise prise en compte de la mobilité de la population ; certaines
pratiques à risques (funérailles, notamment) ; activité perturbatrice de mouvements insur-
rectionnels (organisation Boko-Haram).
L’efficacité de la réponse internationale fut entravée par une articulation insuffisante entre
l’approche sanitaire proprement dite et une approche humanitaire plus large. Les pays
touchés ne firent pas toujours preuve de la transparence nécessaire dans la description de
la situation sur le terrain, en raison de craintes avérées de réactions excessives de la part des
autres pays. Cette attitude a aggravé la situation, sur le plan économique mais aussi en
matière d’acheminement des secours. Dans le domaine juridique, le Règlement sanitaire
international s’est révélé insuffisant et demandait à être renforcé. Enfin, l’OMS n’était pas
bien préparée à faire face à ce type de situation, par manque de moyens financiers, de
personnel spécialisé, en raison d’une inadaptation des procédures de décision, trop lentes,
et de la faiblesse de son ancrage territorial (implantation de bureaux OMS dans les pays
concernés – ➠ Chapitre 10), avec, en toile de fond, la situation d’une maladie tropicale
quelque peu négligée.

44. A. De Schryver, « Editorial », Arch. Public Health, 1998, n° 56, p. 131‑135.
45. OMS, Rapport du groupe d’experts chargé de l’évaluation intérimaire de la riposte à Ebola,
OMS, 2015.

71
Partie 1. Les fondamentaux

Points clés
• Les déterminants de la santé sont les facteurs qui influencent, positivement ou
négativement, l’état de santé des individus et des populations. Ils sont très diver-
sifiés (biologiques, comportementaux, socio-économiques, liés à l’environne-
ment physique ou au système de santé) et agissent par le biais d’interactions
complexes entre eux.
• L’exposome désigne l’ensemble des déterminants modifiables, notamment par
la mise en œuvre d’actions menées dans le cadre des politiques de santé, par
opposition aux déterminants biologiques (âge, sexe, patrimoine génétique).
• En l’état actuel des connaissances, les déterminants socio-économiques sont
sans doute ceux qui pèsent le plus lourd au niveau collectif.
• La lutte contre les inégalités de santé au sein de nos sociétés suppose une prise
en compte large des déterminants agissant sur les groupes de population,
depuis les conditions générales de développement et d’organisation sociale et
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
les valeurs qui les fondent, jusqu’aux expositions spécifiques dans l’habitat ou
le milieu de travail.

Pour aller plus loin


R. Wilkinson, L’égalité, c’est la santé, Démopolis, 2010.
OMS, Combler le fossé en une génération : instaurer l’équité en santé en agissant sur
les déterminants sociaux de la santé, rapport final de la Commission des déterminants
sociaux de la santé, OMS, 2009.
Chapitre 3
Méthodes épidémiologiques
Jacques Raimondeau, Élodie Carmona

Objectifs pédagogiques
Connaître :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  les principes des épidémiologies descriptive, analytique et évaluative
–  les principaux types d’études épidémiologiques
–  les notions d’incidence et de prévalence
– les modalités de la mesure du risque en épidémiologie : risque relatif, odds
ratio, risque attribuable, facteurs de risque
– les principaux types de biais et de facteurs de confusion, les critères de cau-
salité en épidémiologie
–  les méthodes de standardisation directe et indirecte

3.1. Définitions et généralités

L’épidémiologie est l’étude de la répartition, dans le temps, dans l’espace


ou selon d’autres critères, des phénomènes de santé (le plus souvent, des mala-
dies) ou de leurs facteurs de survenue (de risque), sous leurs diverses formes
et niveaux de gravité. Elle constitue la base diagnostique de la santé publique.
Les méthodes épidémiologiques sont d’un usage très étendu, allant de la
recherche fondamentale au pilotage très pratique d’activités de routine sur le
terrain. On distingue plusieurs types d’épidémiologie.

3.1.1. L’épidémiologie descriptive


Il s’agit ici de décrire l’état de santé d’une population, la répartition des
maladies ou du facteur étudié, soit de façon globale, soit selon des critères
choisis (âge, sexe, activité professionnelle, développement dans le temps et
l’espace, etc.) et de mettre en évidence d’éventuelles différences de répartition
des problèmes de santé au sein d’une population. Cela permet de vérifier l’exis-
tence des problèmes de santé et de les quantifier. C’est donc une étape de base
de la santé publique et elle est parfois suffisante : en effet, elle permet de prendre
des décisions pour lutter contre une épidémie, par exemple, en identifiant une

73
Partie 1. Les fondamentaux

augmentation importante du nombre de malades, ou pour dimensionner un


service hospitalier, en déterminant le nombre de patients à prendre en charge
par an. Par ailleurs, lorsqu’une maladie est insuffisamment connue, l’épidémio-
logie descriptive permet de faire émerger des hypothèses susceptibles d’expli-
quer des différences observées, hypothèses qu’il faudra ensuite valider ou
infirmer par des études analytiques.

3.1.2. L’épidémiologie analytique


Sur la base d’hypothèses explicatives, issues notamment d’études descrip-
tives, et en procédant par comparaison entre groupes, on cherche ici à établir
les causes des maladies et à identifier leurs facteurs de risque. Cette étape
est donc déterminante pour la définition des actions destinées à améliorer la
santé des populations (➠ Chapitre 11).
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
La mise en évidence du lien entre tabagisme et cancer broncho-pulmonaire
est un exemple typique de cette approche. Juste après la Seconde Guerre
mondiale, le Royaume-Uni est confronté à une augmentation importante du
nombre de cancers broncho-pulmonaires. Ce constat descriptif a alors amené
à invoquer plusieurs hypothèses causales, notamment environnementales,
même si la fréquence très différente de survenue du cancer chez les hommes
et les femmes laissait supposer une autre origine.
Deux chercheurs, Austin Bradford Hill et Richard Doll, mettent en évidence
la relation entre l’exposition au tabac et le cancer grâce à une étude prospective,
menée auprès d’une cohorte de 40 000 médecins, fumeurs ou non-fumeurs
soumis à examen, à intervalles réguliers, pour repérer la survenue éventuelle
d’un cancer broncho-pulmonaire1. C’est ce que l’on appelle une enquête
« exposés-non-exposés » (➠ 3.2.4).

3.1.3. L’épidémiologie évaluative ou interventionnelle


Elle s’intéresse à la mesure de l’efficacité des actions de santé, sans omettre
les impacts, positifs ou négatifs, non recherchés par les promoteurs de l’action.
Elle peut constituer une vérification des résultats de travaux d’épidémiologie
analytique. La différence essentielle avec les deux premiers types d’épidémio-
logie est qu’ici l’organisateur de l’étude contrôle la mise en œuvre de l’action
étudiée et ne se limite pas à observer l’état de santé. Les essais cliniques, dont
les essais de nouveaux médicaments, appartiennent au champ de l’épidémiologie
évaluative. Il est cependant possible de mener des études évaluatives dans un
cadre non contrôlé par l’observateur. C’est le cas, par exemple, lorsque, au sein
d’une population, on cherche à évaluer l’impact d’une campagne de vaccination,
de dépistage, de mesures nutritionnelles ou destinées à réduire le nombre d’ac-
cidents de la voie publique. Parfois, le contexte donne à l’étude d’observation

1. R. Doll, A.B. Hill, «The mortality of doctors in relation to their smoking habits », BMJ, vol. 328,
n° 7455, 1954, p. 1529.

74
Méthodes épidémiologiques

Partie 1. Chapitre 3.
un caractère quasi expérimental, par exemple lorsqu’on est confronté à une
exposition aiguë à des radiations ionisantes ou à des produits toxiques.

3.2. Les enquêtes épidémiologiques : descriptives,


analytiques, interventionnelles

L’épidémiologie recourt à différents types d’enquête, que l’on distingue


principalement en fonction des objectifs de l’étude et des caractéristiques du
problème en question, c’est-à-dire de la maladie, des facteurs qui lui sont
éventuellement liés et du positionnement dans le temps. Elles nécessitent,
pour être pertinentes, de veiller à certains points généraux :
–  la prise en compte des fondements scientifiques, médicaux, biologiques,
environnementaux du sujet d’étude ;
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  la définition précise de la population sur laquelle va porter l’étude. Cette
définition tient compte du temps (période étudiée) et de l’espace (localisation
de la population étudiée), mais aussi de divers critères : le genre, une classe
d’âge, une collectivité professionnelle, scolaire ou d’hébergement, etc. Ce choix
peut être dicté par la localisation du problème de santé, comme une toxi-
infection alimentaire dans une maison de retraite, ou la fréquence d’une expo-
sition, par exemple à des substances toxiques en milieu industriel ;
–  la vérification de la validité des méthodes de mesure pour le diagnostic de
la maladie et les expositions ;
–  la conception générale de l’étude et de l’analyse statistique ;
–  un management de l’enquête qui doit être adapté, tout particulièrement si
cette dernière est de longue durée.

3.2.1. Les variables


Les variables dans une étude épidémiologique sont les caractéristiques
qui sont mesurées. On distingue des variables qualitatives (genre, profession,
statut de malade, couleur des yeux, etc.) et des variables quantitatives, qui
peuvent être ramenées à un chiffre et au sein desquelles on distingue les
variables discrètes, que l’on peut dénombrer (nombre de décès, de cas de
maladie, de globules blancs dans le sang, etc.), et les variables continues, qui
sont mesurées sans être comptées (tension artérielle, glycémie, taille, poids, etc.).
On notera que certaines variables qualitatives sont en pratique définies par
l’usage d’une valeur-seuil d’une variable quantitative continue : par exemple,
le diagnostic d’anémie (variable qualitative) est porté lorsque le taux d’hémo-
globine dans le sang (variable continue) descend en dessous d’un seuil, habi-
tuellement fixé à 13 grammes par décilitre chez l’homme adulte.
Les variables sont présentées de telle sorte que chaque cas inclus dans
l’étude puisse être classé, mais dans une catégorie et une seule. Ainsi, les
modalités d’une variable qualitative, par exemple : homme ou femme, malade
ou sain ; valeur ou intervalle de valeurs pour une variable quantitative, par
exemple : entre 10 et 12 grammes d’hémoglobine par litre de sang.

75
Partie 1. Les fondamentaux

Dans une étude, deux variables peuvent être indépendantes, c’est-à-dire


que l’une n’influence pas l’autre. Dans le cas contraire, les variables sont dépen-
dantes : ainsi, les consommations d’alcool et de tabac sont des variables liées
dans le cadre d’une enquête sur les causes des cancers des voies aérodigestives
supérieures, et il conviendra d’en tenir compte lors de la conception de l’étude.
La définition d’une variable doit être explicite et précise afin que les
objectifs et les résultats d’une étude soient valides. Lorsque la variable est
divisée en catégories, chacune doit être aussi clairement définie.

3.2.2. La morbidité
Nous avons vu, en introduction, que la santé recouvre des définitions
diverses. Nous allons voir maintenant que la maladie, la morbidité peut être
aussi appréhendée de façon différente. On distingue en effet :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
– la morbidité objective : celle qui serait connue par le moyen d’examens
systématiques et exhaustifs de la population (bilans de santé, dépistages orga-
nisés…) et en fonction de critères objectifs généralisés. Elle implique aussi de
disposer d’une liste complète des maladies existantes et de leurs critères de
définition2. Elle revêt donc un caractère théorique.
– la morbidité diagnosticable : c’est la part de la morbidité objective que
l’on pourrait connaître par une utilisation maximisée des possibilités de dia-
gnostic installées à un moment donné. Elle repose donc sur une mise en jeu des
moyens diagnostiques étendue à l’ensemble de la population, ainsi que sur un
fonctionnement parfait des outils de diagnostic. Elle revêt donc aussi un carac-
tère théorique en pratique.
– la morbidité diagnostiquée : c’est la part de la morbidité diagnosticable
qui est connue en pratique ; la différence avec la précédente s’expliquant par les
insuffisances quantitatives et/ou qualitatives des dispositifs mis en œuvre et/ou
par leur sous-utilisation ;
– la morbidité ressentie (éventuellement déclarée) : c’est celle, subjective,
que ressentent et déclarent, en partie, les individus et qui contribue largement à
déterminer le recours primaire au système de santé. On peut aussi s’intéresser
à la morbidité telle que perçue par l’entourage, qui est importante pour le
recours aux soins des personnes dépendantes.
Alors que les trois premières formes de morbidité sont dérivées l’une de
l’autre, en tant que composantes d’une connaissance supposée objective, éla-
borée par des professionnels, la morbidité ressentie est sécante aux trois autres,
puisqu’une partie de la morbidité diagnostiquée peut ne pas être ressentie (un
diabète, une hypertension artérielle très souvent ne provoquent pas de signes
cliniques au début de leur évolution) et qu’à l’inverse une part de la morbidité
ressentie pourrait ne pas être reconnue dans le cadre d’un diagnostic médical
(par exemple, des manifestations fonctionnelles atypiques : fatigue, etc.).

2. Le cas du sida illustre bien l’évolution de la connaissance : la maladie commence à être repérée
en 1981 et sa nature virale sera établie dans les années suivantes.

76
Méthodes épidémiologiques

Partie 1. Chapitre 3.
Morbidité perçue
par l'entourage

Morbidité objective

Morbidité Morbidité
diagnosticable ressentie

Morbidité
diagnostiquée
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
D’après M. Jenicek et R. Cléroux, Épidémiologie
D’après M. Jenicek et R. Cléroux, Épidémiologie

Figure 1. Les différentes formes de morbidité

On voit donc que, en l’absence d’une définition parfaitement établie de


la variable, la signification des constats d’une étude peut être incertaine. Se
référer à des classifications ou définitions standardisées facilite ensuite les
comparaisons à l’échelle nationale ou internationale, ainsi que l’agrégation
des résultats des études sous forme de méta-analyses (➠ 3.2.7).

3.2.3. Les enquêtes descriptives


En l’absence de comparaison entre groupes, on est en présence d’une
enquête descriptive (par exemple, évolution dans le temps de la résistance
d’une bactérie aux antibiotiques, fréquence d’un cancer dans une population).
Les variables étudiées peuvent être les caractéristiques des individus : âge,
genre, comportements, expositions de diverses natures, c’est-à-dire l’ensemble
des déterminants de santé (➠ Chapitre 2). Il est aussi pertinent de s’intéresser
à l’évolution dans le temps et l’espace du problème étudié. La prise en compte
du temps permet ainsi de voir si une maladie varie de façon périodique ou
non. Les variations périodiques peuvent être quotidiennes (par exemple, les
rythmes biologiques circadiens), hebdomadaires (traumatologie liée aux loisirs
de week-end), saisonnières (la grippe) ou plus longues. En revanche, l’absence
de périodicité traduit une évolution structurelle de long terme pouvant cor-
respondre, par exemple, à une régression des facteurs favorisant l’apparition
d’une maladie (amélioration des conditions de vie, etc.), un meilleur diagnostic
ou un meilleur traitement curatif (antibiotiques, par exemple) ou préventif
(vaccins). C’est ainsi qu’au cours du xxe siècle le poids des maladies infec-
tieuses dans la mortalité a régressé, alors que celui des maladies cardio-
vasculaires et des cancers augmentait.

77
Partie 1. Les fondamentaux

La prise en compte de la dimension spatiale peut s’appuyer sur des décou-


pages administratifs, comme dans le cas de la planification régionale des
soins en France. Elle peut aussi considérer d’autres critères, comme le carac-
tère rural ou urbain, ou encore des caractéristiques climatiques.
Une limite majeure des études descriptives est la difficulté à interpréter une
différence observée. Ainsi, le constat d’une présence particulièrement importante
(une prévalence élevée ; ➠ 3.3.2) d’une maladie dans un groupe étudié peut
renvoyer à plusieurs mécanismes : nouveaux cas très nombreux (épidémie), mala-
die d’évolution longue (pathologie chronique peu ou pas curable, mais à mortalité
faible), concentrations organisées de malades (lépreux dans une léproserie)…
Pour décrire une maladie dans une population, on peut bien entendu exa-
miner un par un tous les individus qui composent cette population : on réalise
alors une enquête exhaustive. Cette option n’est guère possible que pour de
petits groupes humains (quelques dizaines d’enfants d’une école). Dès que
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
l’effectif concerné devient important, la seule solution envisageable consiste
à constituer un échantillon de la population et à mener les investigations sur
ce sous-ensemble. Dans ce cas, le problème crucial de l’épidémiologie des-
criptive est celui de la représentativité de l’échantillon : dans quelle mesure
les constats faits sur l’échantillon reflètent-ils réellement la situation de la
population plus vaste dont est issu l’échantillon ? Il convient d’être toujours
très prudent face à la tentation d’extrapoler des résultats particuliers à une
population plus vaste. La garantie la plus satisfaisante de représentativité est
donnée par la constitution de l’échantillon par tirage au sort. Il existe diffé-
rentes méthodes d’échantillonnage par tirage au sort, dont les principales sont :
–  l’aléatoire simple, où tous les individus sont susceptibles d’être directe-
ment sélectionnés avec la même probabilité ;
–  l’échantillonnage systématique, dans lequel, par exemple, on numérote
tous les individus de la population, puis on constitue l’échantillon en prenant
un individu tous les 20 (ou un autre nombre) après avoir tiré au sort le premier :
13e, 33e, 53e, 73e… ;
–  l’échantillonnage stratifié, où la population est divisée en sous-groupes
(les strates), dans chacun desquels on pratique un tirage au sort simple. Cette
méthode permet de s’assurer de la présence dans l’échantillon de représentants
de toutes les strates, y compris les moins nombreuses ;
–  l’échantillonnage par grappes consiste à identifier un type de regroupe-
ment préexistant au sein de la population (par exemple, un découpage adminis-
tratif par lieu d’habitat : canton, département…) et à faire un tirage au sort
simple de la grappe, dont tous les individus sont inclus dans l’échantillon
d’étude. Cette méthode est plus simple et plus rapide que les autres, mais elle
donne moins de garanties de représentativité.
Se pose aussi la question de la taille de l’échantillon. Nous ne développe-
rons pas ici les aspects mathématiques du calcul ; soulignons seulement que
la taille de l’échantillon conditionne la précision de la mesure : plus les effectifs
sont grands, plus la mesure est précise (voir encadré sur le test du Khi2).
Si le tirage au sort reste la méthode de référence pour constituer des
échantillons, il est possible de recourir à d’autres techniques, comme la

78
Méthodes épidémiologiques

Partie 1. Chapitre 3.
méthode des quotas. Cette technique consiste à constituer un échantillon
dont les caractéristiques sont celles de la population que l’on souhaite étudier
ainsi : si on retient les caractéristiques d’âge, de sexe, de zone d’habitat et
de catégorie socioprofessionnelle (CSP), l’échantillon comprendra des groupes
formés, chacun, d’hommes ou de femmes, des différentes classes d’âge, habi-
tant en ville ou à la campagne, et appartenant aux CSP concernées (par
exemple : 160 femmes, de 20 à 30 ans, habitant en zone urbaine et cadres
supérieures ; 220 femmes, de 20 à 30 ans, habitant en zone rurale et
employées, etc.), de telle sorte que la représentation relative des différents
groupes soit celle de la population étudiée. La méthode des quotas est utilisée
largement par les instituts de sondages, car elle présente l’avantage de ne pas
nécessiter de disposer d’une base de données exhaustive de la population et
donc d’être facile, rapide à mettre en œuvre et peu coûteuse, mais les résultats
obtenus doivent être analysés avec une certaine prudence, car les individus
ne sont pas inclus dans les groupes par tirage au sort, et donc certaines de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
leurs caractéristiques, autres que celles qui ont servi à constituer l’échantillon,
peuvent ne pas être réparties de façon aléatoire. L’inconvénient majeur de la
méthode des quotas est de ne pas permettre de calculer rigoureusement
la marge d’erreur du sondage (les lois statistiques qui permettent de la déter-
miner ne valent théoriquement que pour les sondages aléatoires).
Les enquêtes descriptives sont généralement simples à mettre en œuvre, peu
coûteuses et rapides. Il est donc possible de les répéter dans le temps, voire de
les rendre permanentes dans le cadre d’un dispositif de veille sanitaire.
En revanche, en l’absence de comparaison entre groupes, elles ne peuvent déter-
miner formellement les causes d’un problème de santé. Mais elles permettent
de construire des hypothèses explicatives, qu’il faudra ensuite vérifier.

3.2.4. Les enquêtes analytiques et évaluatives


Une enquête analytique ou étiologique repose sur une comparaison de
deux ou plusieurs groupes. Elle peut être d’observation ou avoir pour objectif
d’évaluer une action de santé.
Les enquêtes analytiques sont très diverses, mais répondent à certains modèles
généraux. Fondamentalement, il s’agit de rechercher l’existence ou l’absence de
relation entre un phénomène de santé (souvent une maladie) et une exposition
E. L’exposition désigne ici l’action d’un quelconque facteur susceptible d’in-
fluencer la santé (soit cause de maladie, soit traitement ou élément protecteur).
Dans les études analytiques, les ennemis sont les biais et les facteurs de
confusion (➠ 3.4).
Si l’exposition E est simplement constatée sans être contrôlée en aucune
manière, il s’agit d’une enquête d’observation (par exemple, on enregistre
l’existence ou non d’une consommation de tabac chez des personnes atteintes
d’un cancer du poumon).
À l’inverse, le contrôle de l’exposition caractérise une étude expérimentale.
Dans ce cas, c’est l’expérimentateur qui détermine qui est exposé et qui ne l’est

79
Partie 1. Les fondamentaux

pas. Les essais cliniques, notamment des médicaments, appartiennent à ce groupe


et en constituent la forme la plus aboutie. Dans l’idéal, l’étude est alors menée
selon le principe du double aveugle (ou double insu), c’est-à-dire que ni le sujet
ni l’observateur ne savent si le sujet reçoit ou non le traitement étudié. Les cir-
constances imposent parfois de travailler en simple aveugle (ce type de situation
se rencontre par exemple lorsque les traitements comparés ne sont pas administrés
de la même façon), situation où seul l­’observateur connaît le statut du sujet, voire
sans aveugle (comparaison d’un médicament et d’une technique chirurgicale, par
exemple). Le groupe servant à la comparaison peut être constitué de sujets ne
recevant aucun traitement actif (dans le cas d’un placebo) ou de sujets recevant
le meilleur traitement disponible (comparaison avec traitement de référence).
La répartition aléatoire complète des sujets d’étude (randomisation) est
possible essentiellement dans le cadre de ces essais.
Il est possible de construire une étude en classant au départ les individus de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
deux façons : soit en fonction de l’exposition, soit en fonction de la maladie.

L’étude exposés-non-exposés
Les individus sont répartis en fonction de l’exposition à un facteur étudié
au sein de deux groupes : « exposés » et « non-exposés », puis ils font l’objet
d’un suivi programmé, soit jusqu’à l’apparition de la maladie recherchée, soit
jusqu’au terme prévu de l’étude. On compare la fréquence de la maladie M
(ou une autre variable selon le cas) dans chacun des deux groupes. Exemple :
fréquence du cancer broncho-pulmonaire dans un groupe de fumeurs (« expo-
sés ») et un autre de non-fumeurs (« non-exposés »).
Le contrôle de l’exposition n’est pas toujours simple. Est-on certain que
quelqu’un n’est pas exposé à un risque ? L’exposition peut être méconnue ou
cachée, par exemple dans le champ des pratiques sexuelles ou des consom-
mations de toxiques. Ces études sont généralement assez simples à réaliser
dans des domaines où l’exposition est bien identifiable, par exemple une expo-
sition professionnelle dans l’industrie (amiante, plomb, trichloréthylène).
Les études exposés-non-exposés sont souvent des études de cohorte. Il
s’agit de constituer un groupe d’individus aussi homogène que possible, inclus
au même moment dans l’étude et, de préférence, assez stable dans sa com-
position (pas trop d’entrées et de sorties, pour limiter les « perdus de vue »)
et que l’on suit dans le temps. L’idée est que les individus concernés ont
sans doute des conditions de vie proches et sont donc soumis aux mêmes
risques diffus dans leur environnement physique, économique et social. De
ce fait, l’étude de facteurs d’exposition comme le tabagisme, par exemple,
souffrira moins de facteurs de confusion potentiels. Des collectivités « fer-
mées », comme le secteur scolaire, l’armée, les grandes entreprises sont, pour
ces raisons, propices à la réalisation d’enquêtes de cohorte.
Certaines cohortes sont particulièrement connues en raison des résultats
qu’elles ont permis d’obtenir. La première date de 1948 et regroupait initiale-
ment 5 000 personnes habitant dans une banlieue de Boston, Framingham. La
« Framingham Heart Study » a débouché sur des connaissances majeures sur

80
Méthodes épidémiologiques

Partie 1. Chapitre 3.
les maladies cardio-vasculaires et leurs déterminants, ouvrant la voie vers la
cardiologie préventive moderne. Nous avons déjà évoqué la cohorte des méde-
cins britanniques des travaux de Doll et Hill. En matière de déterminants
sociaux, la cohorte dite « de Whitehall » (« Stress and Health Study », incluant
19 000 fonctionnaires britanniques) a fonctionné en Grande-Bretagne de 1967
à 1987, et une cohorte « Whitehall 2 » lui a succédé à partir de 1985. Actuellement,
en France, on peut signaler les cohortes :
–  GAZEL (20 000 agents de Gaz de France et d’Électricité de France depuis
1989) ;
–  SIRS (Santé, inégalités et ruptures sociales : 3 000 personnes en Île-de-
France, depuis 2005) ;
– RECORD (« Residential Environment and Coronary Heart Disease »
[« Environnement et maladies coronariennes »], avec 7 300 personnes en Île-de-
France, depuis 2007) ;
–  CONSTANCES (étude des facteurs du vieillissement chez 200 000 consul-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tants des centres d’examens de santé de l’Assurance maladie, depuis 2012) ;
– ELFE (sur les interactions entre conditions sociales et état de santé :
20 000 enfants suivis depuis leur naissance, à partir de 2011).
Aux États-Unis, la « Veterans Aging Cohort Study » (VACS depuis 1999)
est consacrée à l’infection par le VIH chez les anciens combattants. Enfin, au
début de 2017, Google, en association avec deux universités, a annoncé qu’elle
allait constituer une nouvelle cohorte, nommée « Baseline », de 10 000 personnes
aux États-Unis, suivies sur plusieurs années par l’intermédiaire d’un ensemble
d’objets connectés, permettant de suivre des paramètres biologiques et de style
de vie.

L’étude cas-témoins
Pour ce type d’étude, les individus sont répartis, en fonction de la mala-
die M, en deux groupes « malades » (les cas) et « non-malades » (les témoins)
et on compare alors la fréquence de l’exposition E dans chacun des groupes.
Ces études sont toujours des études rétrospectives, car la maladie est sur-
venue au moment de l’enquête et le recueil de l’exposition se fait
a posteriori.
Un biais très classique de ces études concerne le recueil de l’information
sur l’exposition : on est souvent enclin à rechercher plus fortement une expo-
sition chez un malade que chez un témoin.

3.2.5. Le positionnement de l’enquête dans le temps


Il s’agit de tenir compte du moment où est réalisée l’étude par rapport à
l’exposition E et à la survenue de la maladie M. Ainsi :
–  soit l’étude se fonde sur une mesure simultanée de E et M dans la popu-
lation : c’est une enquête transversale. La difficulté est ici que la mesure de M
et de E ne concerne pas les mêmes individus, qui ne sont donc pas forcément
soumis aux mêmes conditions d’exposition ;

81
Partie 1. Les fondamentaux

–  soit l’enquête prend en compte l’écoulement du temps. Ce sont alors des


études longitudinales, avec deux options :
•  l’étude peut avoir lieu alors que E et M ont déjà eu lieu : c’est une enquête
longitudinale rétrospective ;
•  l’étude peut avoir lieu avant que M apparaisse (E étant soit antérieur au
début de l’étude soit pris en compte au cours de l’étude) : c’est une
enquête longitudinale prospective.
Il existe aussi des enquêtes semi-longitudinales, dans lesquelles plusieurs
groupes (par exemple, plusieurs classes d’âge différentes) sont étudiés sur le
même intervalle de temps.
Les enquêtes prospectives sont toujours longitudinales, et les enquêtes
transversales ont toujours un caractère rétrospectif.

3.2.6. Le choix du type d’enquête


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Le choix du type d’enquête se fait en fonction de différents critères, prin-
cipalement les suivants :
– Une étude cas-témoins est bien adaptée à l’étude d’une maladie rare
et/ou à durée d’incubation longue, mais pas à une exposition rare. Elle est
faisable avec de petits effectifs et peut permettre d’analyser plusieurs sources
d’exposition à la fois. Elle est assez facile et rapide à mettre en œuvre ; son
coût est relativement faible. Elle est aussi utile lorsque la gestion d’une
cohorte d’enquête prospective s’annonce difficile (risque de perdus de vue
important, population migrante, par exemple). En revanche, elle nécessite de
disposer de données fiables sur le diagnostic et l’exposition ; or la détermi-
nation de l’exposition a posteriori peut être biaisée. Il peut être difficile de
constituer le groupe témoin, et un tirage au sort n’est pas toujours possible
lorsque les effectifs de malades sont petits.
– Une étude exposés-non-exposés est bien adaptée à une maladie fré-
quente et d’incubation courte, ainsi qu’à une exposition rare. Elle permet
d’étudier la survenue de plusieurs maladies. Elle permet une meilleure pla-
nification de l’étude et un meilleur contrôle des biais éventuels. Elle nécessite
des effectifs nombreux, demande un temps prolongé et se révèle coûteuse.
Le suivi d’une cohorte dans le temps pose des problèmes de stabilité du
groupe observé (limiter les perdus de vue, les abandons, etc.) et impose une
vigilance quant au respect continu du protocole d’étude fixé initialement.

3.2.7. Exploitation des résultats de plusieurs enquêtes


Pour tenter de dégager des informations globales à partir d’enquêtes multi-
ples, il est nécessaire de procéder tout d’abord à un recensement de l’ensemble
des enquêtes réalisées. Puis la qualité méthodologique des travaux est analysée,
et par la suite on ne tiendra compte que des seules études validées à cette étape.
Deux possibilités d’exploitation existent ensuite : effectuer une synthèse
qualitative des études dans le cadre d’une revue systématique de littérature,
ou réaliser une méta-analyse, soit qualitative, soit quantitative.

82
Méthodes épidémiologiques

Partie 1. Chapitre 3.
La méta-analyse quantitative est une technique statistique qui permet de
rassembler les données d’études épidémiologiques comparables afin de les
analyser et d’évaluer la cohérence des résultats obtenus. L’unité d’analyse
n’est plus ici le sujet ou le patient, mais une étude elle-même. Une méta-
analyse quantitative est possible lorsque les études ont été conduites selon
des méthodes proches ; l’agrégation de leurs données respectives offre une
synthèse statistique des résultats. En augmentant le nombre total d’individus
sur lequel porte l’analyse, la méta-analyse augmente aussi la puissance des
tests statistiques et la précision des résultats. Elle a par ailleurs pour avantage
de prendre en compte, dans une analyse unique, des enquêtes aux résultats
divergents.
La première méta-analyse statistique fut effectuée en 1904 par Karl
Pearson afin d’essayer de surmonter le problème de la puissance statistique
réduite dans les études d’échantillons de petites tailles. Cette technique s’est
développée dans les années 1950 et 1960, et a été conceptualisé en 1976. Le
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
risque majeur attaché aux méta-analyses est le biais de publication, qui se
caractérise par la probabilité plus forte de voir publier un article faisant état
de résultats positifs qu’un article mentionnant des résultats négatifs. Pour
lutter contre ce biais redoutable, il est nécessaire de rendre public l’ensemble
des études en cours, ce qui permet ensuite de s’enquérir, le cas échéant, des
résultats d’une étude non publiée.
La méta-analyse qualitative est apparue dans les années 1990. Il s’agit
d’une démarche scientifique rigoureuse de revue critique de la littérature,
dérivée de la méta-analyse quantitative, et qui permet de faire le point sur
une question dans des conditions de grande variabilité entre les études. Cette
approche peut permettre de discuter l’homogénéité des études sur un sujet
donné, et se révèle être utile dans le cas des maladies ou des facteurs d’ex-
position rares, pour lesquels chaque étude individuelle risque d’être peu infor-
mative. C’est une forme standardisée de synthèse de la littérature scientifique
sur un sujet, qui est toutefois plus formalisée que la simple revue de la
littérature.

3.3. L’expression de l’information épidémiologique

L’expression de l’information épidémiologique se fait souvent sous forme


de taux ou de ratios. Un taux est un rapport dans lequel le numérateur est
inclus dans le dénominateur (par exemple, 10 % d’un effectif) ; un ratio est
un rapport dans lequel le numérateur et le dénominateur sont disjoints (par
exemple, le sexe ratio, nombre de sujets masculins/nombre de sujets
féminins).
Il est fondamental de calculer correctement le numérateur et le dénomi-
nateur d’un taux. On peut calculer des taux bruts, sur l’ensemble d’une
population, et des taux spécifiques, par exemple par tranches d’âge, sexe,
catégorie socioprofessionnelle, etc.

83
Partie 1. Les fondamentaux

3.3.1. Tendance centrale et dispersion des valeurs


Il s’agit tout d’abord de caractériser le « centre » d’un ensemble de mesures.
Trois valeurs sont fréquemment utilisées pour cela : la moyenne, la médiane
et le mode.
La moyenne s’obtient en divisant la somme des valeurs constatées pour
chacune des mesures effectuées par le nombre de ces mesures.
La médiane est la valeur qui divise les mesures en deux groupes d’effectifs
égaux. Alors que la moyenne peut être très sensible aux valeurs extrêmes de
certaines mesures, la médiane l’est beaucoup moins.
Le mode correspond à la valeur la plus fréquemment rencontrée sur l’en-
semble des mesures.
Les mesures de dispersion ont pour but de caractériser la répartition des
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
valeurs autour de la valeur centrale ; en effet, la même valeur centrale peut
correspondre à des répartitions des valeurs très différentes, plus ou moins
regroupées autour du centre, et cela de façon plus ou moins symétrique. Les
mesures de dispersion les plus utilisées sont la variance et l’écart-type, qui
est la racine carrée de la variance. Leur calcul se fait à partir de la somme
des carrés des écarts à la moyenne.

3.3.2. Incidence et prévalence


Le taux d’incidence I mesure le nombre de nouveaux cas d’une maladie
apparus dans une population au cours d’une période de temps déterminée
(I = nombre de nouveaux cas/population à risque au milieu de la période).
L’incidence mesure donc un flux de nouveaux cas d’une maladie.
Le dénominateur peut être calculé en faisant la moyenne des effectifs des
populations en début et en fin d’étude, sauf dans le cas de populations de
taille réduite et de maladie immunisante, qui réduit progressivement la taille
de la population à risque.
Une variante du taux d’incidence est le taux d’attaque. Ce taux est prin-
cipalement utilisé dans le cas d’un phénomène de courte durée (toxi-infection
alimentaire, accident radiologique…). En effet, son calcul néglige la durée
d’étude en rapportant le nombre de cas à la population au début de la période
d’étude.
Le taux de prévalence P est le nombre total de cas d’une maladie présents
à un moment donné dans une population : P = nombre de cas/population. La
prévalence mesure donc le « stock » de cas présents, quelle que soit leur
ancienneté.
Le moment choisi pour mesurer une prévalence peut être une date calen-
daire (par exemple, le 31  décembre) ou un repère biologique (le troisième
mois de grossesse) ou un quelconque événement (entrée en grande section
de maternelle, départ en retraite…).

84
Méthodes épidémiologiques

Partie 1. Chapitre 3.
On utilise rarement un taux de prévalence de période, dans lequel la
prévalence est mesurée sur une période plus ou moins longue, ce qui en fait
un mélange peu maniable de prévalence en début d’étude et d’incidence sur
la période.

Relation entre incidence et prévalence


Le taux de prévalence s’accroît lorsque des cas nouveaux apparaissent
(mesurés par le taux d’incidence) ; il diminue quand des cas disparaissent
(par guérison, transformation3 ou décès). On voit bien alors que la prévalence
dépend à la fois de l’incidence et de la durée moyenne pendant laquelle les
individus sont atteints de la maladie étudiée. Une hausse de la prévalence
d’une maladie peut donc s’expliquer par une augmentation de l’incidence,
une baisse de la mortalité sans guérison ou une modification de la structure
de population.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Cette remarque permet de bien comprendre les objectifs des actions de
santé publique. Ainsi, une action visant à réduire l’importance d’un facteur
responsable de l’apparition d’une maladie va réduire le taux d’incidence. Une
action visant à favoriser un traitement plus précoce d’une maladie aura pro-
bablement pour effet de réduire la durée moyenne de la maladie, et donc de
faire baisser le taux de prévalence, même sans diminution de l’incidence.
Encadré n° 1. Épidémie, endémie, pandémie…

Une épidémie se caractérise par une augmentation, plus ou moins rapide, de l’incidence
d’une maladie, suivie d’un retour à une situation de base. Pour parler d’épidémie, il faut avoir
défini un seuil épidémique, c’est-à-dire un niveau d’incidence qui dépasse significativement
le niveau de base (appelé parfois « bruit de fond »). Le franchissement de ce seuil épidé-
mique permet de déclencher une alerte.
Une pandémie est une épidémie d’extension générale, typiquement mondiale. Le sida est
une maladie pandémique. On parle aussi de pandémie d’obésité. La grippe est une maladie
qui peut, selon les cas, se présenter sous une forme épidémique (celle que nous connaissons
tous les ans en hiver en métropole) ou pandémique (la grippe espagnole de 1918‑1919 ou
la grippe H1N1 de 2009‑2010). L’exemple le plus récent de pandémie mondiale est la pan-
démie de Covid-19 de 2020.
Une épizootie est une épidémie touchant une ou des espèces animales.
Une anthropo-épizootie est une épidémie touchant à la fois l’homme et des animaux (rage,
grippe aviaire, tuberculose).
Une endémie correspond à la présence permanente d’une maladie dans une population,
avec une prévalence stable. Le paludisme est endémique dans de nombreux pays. Une
situation endémique peut se compliquer d’épisodes épidémiques.

3. Par exemple, dans le cas d’une maladie aiguë qui devient chronique. Si on s’intéresse aux hépa-
tites aiguës, il y a trois façons de ne plus être atteint d’une hépatite aiguë : la guérison, le décès et le
passage à l’hépatite chronique.

85
Partie 1. Les fondamentaux

3.3.3. Le risque et sa mesure


Le risque est la probabilité d’apparition d’un événement dans une popu-
lation ou chez un individu pendant une période donnée.
La mesure du risque peut se faire de plusieurs façons. Sur ce tableau
à double entrée sont présentées les différentes situations possibles issues du
croisement des états vis-à-vis de la maladie et de l’exposition étudiées.

Tableau 1. Calcul du risque – tableau de répartition des effectifs

Malades Non-malades (témoins) Total


Individus exposés A B E
Individus non exposés C D N
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Total M T

A : nombre de sujets inclus dans l’étude à la fois exposés au facteur de risque et malades
B : nombre de ceux qui, bien qu’exposés, ne sont pas malades
E : nombre total de sujets exposés
C : nombre de malades qui n’ont pas subi d’exposition au facteur de risque
D : nombre de sujets indemnes et non exposés
N : nombre total des sujets non exposés
M : nombre total de malades inclus dans l’étude
T : nombre total de sujets non malades

Calcul de l’incidence de la maladie chez les exposés (R1) et chez les


non-exposés (R0).
On obtient :
R1 = A/E et R0 = C/N

Expression du risque par la différence de risque (DR)


ou le risque attribuable (RA)
Il s’agit de la différence entre l’incidence chez les exposés et l’incidence
chez les non-exposés :
DR = R1 – R0
Cette différence donne, pour l’étude dont elle est issue uniquement, une
valeur absolue de l’excès de risque dans un groupe par rapport à l’autre. Ce
chiffre n’est pas utilisable pour une comparaison avec une autre étude. Il est
assez peu utilisé et on préfère recourir à une expression proportionnelle sous
forme d’une fraction attribuable du risque ou fraction étiologique du
risque : c’est la part, exprimée en pourcentage, du risque total qui est attri-
buable à l’action du facteur étudié.
FAR = (R1 – R0) / R1
Le risque attribuable (RA) est le pourcentage de cas d’une maladie dont
la cause peut être attribuée à une exposition. En conséquence, le RA permet

86
Méthodes épidémiologiques

Partie 1. Chapitre 3.
de déterminer le nombre de cas que l’on pourrait éviter si l’exposition était
supprimée. Il est ainsi possible de dire que la pollution atmosphérique par
les particules fines était à l’origine d’environ 17 % des décès par cardiopathies
ischémiques au niveau mondial en 2015, soit un RA = 17 %.

Expression du risque par le risque relatif (RR) et l’odds ratio (OR)


Le risque relatif (RR) est une mesure de la force de la liaison existant
entre une exposition et une maladie. Il se calcule ainsi :
RR = R1/R0
et
OR = (A/C) / (B/D) = (A x D) / (B x C)
Ou, pour une étude cas-témoins :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
OR = [Rc / (1 – Rc)] / [Rt / (1 – Rt)], avec Rt, risque chez les témoins,
et Rc, risque chez les cas.
L’OR est une approximation du RR, acceptable lorsque A et C sont négli-
geables aux dénominateurs de R1 et R0. Il faut remarquer que si le RR et
l’OR sont calculables dans une étude exposés/non-exposés, seul l’OR est
utilisable dans une étude cas/témoins, car, dans ce second cas c’est l’expé-
rimentateur qui contrôle la proportion relative de malades et de
non-malades.
Le RA au sein d’une population est lié au RR par la formule suivante où
P est la proportion de sujets exposés dans la population :
RA = [P (RR – 1)] / [P (RR – 1) + 1]
Il existe aussi des méthodes statistiques qui permettent de tenir compte du
niveau de fiabilité du diagnostic de la maladie (sensibilité et spécificité des
tests de diagnostic). Ces méthodes sont développées dans le chapitre 12.
La manière d’interpréter un RR ou un OR est la même : le chiffre 1 cor-
respond à l’égalité des risques entre les deux groupes. Si le RR ou l’OR est
supérieur à 1, l’exposition favorise l’apparition de la maladie ; s’il est inférieur
à 1, l’exposition apparaît protectrice. Ainsi, une valeur à 5 signifie que le
groupe exposé a un risque d’être atteint de la maladie 5 fois supérieur à celui
des sujets non exposés. Le RR et l’OR sont des mesures de la force de l’asso­
ciation entre un facteur d’exposition et la survenue d’une maladie.

3.3.4. Test de signification statistique


Les enquêtes épidémiologiques abordent habituellement un problème de
santé par l’analyse d’une sous-population issue d’une population plus vaste.
Dans ces conditions, les chiffres obtenus dans l’étude représentent une
approximation de la réalité. Il n’est donc pas exclu qu’une différence entre
deux groupes soit le reflet du hasard. À l’inverse, une absence de différence
peut être liée à un manque de puissance de l’étude. Le manque de puissance

87
Partie 1. Les fondamentaux

résulte de la difficulté, pour une étude, à mettre en évidence une différence :


ainsi, travailler sur des petits effectifs expose à un manque de puissance si
on recherche un effet peu fréquent.
Lorsqu’on constate une différence entre deux groupes, il faut tout d’abord
s’assurer qu’elle n’est pas due au hasard. Il n’est pas possible d’avoir une
certitude, mais il est en revanche parfaitement possible de connaître la pro-
babilité que la différence observée soit aléatoire. Cette probabilité est ordi-
nairement dénommée « p » (p value en anglais). On soumet pour cela les
résultats à des tests statistiques qui permettent d’obtenir deux informations :
–  la probabilité que la différence soit liée au hasard. Ordinairement, on
retient des seuils à 5 %, 1 % et 1 ‰, ce qui veut dire que la différence observée
ne pourrait être rencontrée par hasard que 5 fois sur 100 (ou une fois sur 100 ou
une fois sur 1 000). Si la probabilité est inférieure à 5 % (si c’est le seuil choisi,
mais on peut être plus exigeant), alors la différence est dite statistiquement
significative. Plus la probabilité est faible (1 %, 1 ‰, etc.), plus la différence
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
est significative ;
–  l’intervalle dans lequel se situe la valeur réelle, là encore en fonction
d’un risque choisi. On détermine alors pour le RR (ou l’OR) son intervalle
de confiance à 95 % (IC 95 % ou à 99 %, etc.), ce qui veut dire que le RR se
situe avec une probabilité de 95 % dans un intervalle borné par deux valeurs.
En pratique, l’analyse des résultats se fait sur les intervalles de confiance
du RR ou de l’OR : si l’intervalle de confiance contient la valeur 1 (par
exemple, intervalle allant de + 1,8 à 0,3), alors le RR ou l’OR est déclaré
non significativement différent de 1, et il n’est pas possible de dire qu’il y a
une différence significative entre les deux groupes. En revanche, si l’IC 95  %
exclut la valeur 1 ([3,08-5,95] ou [0,18-0,88]), la différence est considérée
comme significative.
L’identification d’une association significative amène aux notions de fac-
teur de risque (facteur associé à une fréquence accrue de la maladie) et de
population à risque (population touchée de façon plus importante par la
maladie). On distingue parfois le facteur de risque, sur lequel il est possible
d’agir au moins théoriquement (voir la notion d’exposome dans le chapitre 2),
du marqueur ou indicateur de risque, associé à la maladie mais non contrô-
lable (âge, sexe, patrimoine génétique) ; le facteur de risque est alors lié à la
maladie par une relation de causalité.
On a naturellement tendance à privilégier les résultats d’enquête qui mettent
en évidence des différences significatives, notamment dans le champ de l’éva-
luation clinique, où on cherche à valider de nouvelles modalités de soins effi-
caces. Mais cette façon de faire n’est pas optimale, car elle induit un biais
cognitif aboutissant à négliger, notamment en ne les publiant pas, un ensemble
d’informations pertinentes. Ainsi, dans le domaine de ­l’évaluation des médica-
ments, il y a un intérêt évident à savoir que, par exemple, seule une étude sur
dix a trouvé une différence significative ; valoriser la seule étude positive peut
conduire à des déconvenues ultérieures, par exemple en cas de méta-analyse
(possible biais de publication ; ➠ 3.2.7). Inversement, dans le champ environ-
nemental, tout particulièrement celui des expositions liées aux activités indus-
trielles, les résultats non significatifs sont appréciés des acteurs économiques.

88
Méthodes épidémiologiques

Partie 1. Chapitre 3.
Encadré n° 2. Le test du Khi2

Il existe de nombreux tests statistiques destinés à vérifier l’existence de différences signifi-


catives. Le test du Khi2 (on dit « Khi deux » ou « Khi carré ») est l’un des tests les plus uti-
lisés. Il existe plusieurs variantes du Khi2, mais le principe est toujours le même.
Sur un tableau à double entrée croisant la maladie M et l’exposition E, le test consiste à
comparer les effectifs observés au cours de l’étude dans chacune des cases du tableau avec
un effectif théorique. On applique ensuite une formule du type :
Khi2 = ∑ (O – T)2 / T
Cette formule signifie que, pour chaque case du tableau, on a observé un effectif O, puis
on calcule un effectif théorique T et enfin le nombre (O – T)2 / T.
Le Khi2 est alors égal à la somme de ces nombres calculés pour chaque case du tableau.
Les effectifs théoriques peuvent être issus d’une situation de référence (par exemple, la
distribution nationale d’une maladie, comparée à la distribution observée dans un dépar-
tement ou une entreprise). On applique alors la distribution de référence à la population
de l’étude, et cela donne les effectifs théoriques.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Les effectifs théoriques peuvent être aussi calculés lorsqu’on compare deux groupes obser-
vés (par exemple, une comparaison hommes-femmes ou encore entre deux pays). Dans ce
cas, l’effectif théorique s’obtient ainsi pour chaque case du tableau :
T = (total de la ligne x total de la colonne) /N
N étant l’effectif total du tableau.
Une fois le Khi2 calculé, il doit être comparé à une valeur du Khi2 trouvée dans une table
et qui tient compte de deux éléments :
– le risque que l’on souhaite prendre de déclarer significative une différence qui ne l’est
pas ; on utilise souvent un seuil à 5 %. Ce risque est ordinairement nommé « risque
alpha », le « risque béta » étant de ne pas reconnaître une différence réelle.
– les degrés de liberté (k – 1), k étant le nombre de modalités de la variable étudiée ; ainsi, une
variable « sexe » à 2 modalités (hommes, femmes), et donc 1 degré de liberté ; une variable
« couleur des yeux » à 4 modalités (vert, bleu, noir, brun), et donc 3 degrés de liberté.
Si le Khi2 calculé est inférieur à la valeur du Khi2 trouvée dans la table, la différence est
considérée comme non significative ; s’il est égal ou supérieur à la valeur de la table, la dif-
férence est considérée comme statistiquement significative.
On peut vérifier que plus les effectifs mis en jeu sont importants, plus la valeur du Khi2
augmente, et cela, pour la même distribution. Ce qui revient à dire qu’une même différence
relative est mise en évidence avec plus de facilité sur de grands échantillons ou encore que
l’augmentation des effectifs accroît la puissance du test.

3.4. Biais, facteurs de confusion et causalité

Supposons maintenant que nous ayons une différence significative : cela


signifie-t‑il forcément que l’exposition est bien un déterminant de la maladie ?
Une différence statistiquement significative ne veut pas dire lien de causalité.
La différence constatée peut être due au hasard, comme nous venons de le
voir. Elle peut aussi s’expliquer par un biais ou un facteur de confusion,
c’est-à-dire un phénomène qui brouille l’interprétation de la relation entre
maladie et exposition. Aussi le jugement de causalité constitue-t‑il une étape
particulière du travail épidémiologique (➠ 3.4.3).

89
Partie 1. Les fondamentaux

3.4.1. Les biais


Les biais sont des erreurs systématiques qui perturbent plus ou moins (et
parfois totalement) l’interprétation d’une enquête épidémiologique. Un biais
induit un écart systématique (différent d’une simple erreur aléatoire) entre
l’estimation d’une association entre maladie et exposition telle qu’elle résulte
de l’étude menée, et la valeur réelle mais inconnue de l’association en ques-
tion. Ils sont essentiellement de trois types :

Biais de sélection ou biais d’échantillonnage


Ce type de biais est à redouter dès que les individus ne sont pas inclus
dans l’étude par tirage au sort (➠ 3.2.3 : méthode des quotas) : ainsi, le recours
à des volontaires pour participer à une étude peut poser problème, car ces
derniers peuvent être différents de la population générale. En matière de santé
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
au travail, une étude portant sur les seuls travailleurs présents un jour donné
dans un atelier ignore la situation des absents pour maladie, alors que l’ab-
sence peut être liée précisément à la maladie étudiée.
Les personnes incluses dans l’étude mais ne répondant pas, ou qui sont
perdues de vue, sont une autre source de biais de sélection, car on peut sup-
poser qu’ils ne sont pas perdus de vue par hasard. Une autre situation bien
connue est le choix, dans une étude cas-témoins, de témoins dans une popu-
lation hospitalisée.

Biais de classement
Il consiste en une erreur systématique d’affectation dans les groupes
malades-non-malades et exposés-non-exposés. Cette situation peut se rencon-
trer pour diverses raisons :
–  anomalie technique ou modification d’un matériel de mesure (par
exemple, automate de mesure de la glycémie ou appareil de mesure de la pres-
sion artérielle) ;
–  application imparfaite des critères de diagnostic ou de définition des
variables ;
–  irrégularité dans la mise en évidence des diagnostics et des expositions4 ;
–  qualité des déclarations des individus5 ;
–  erreur de codification ou d’enregistrement des données.

4. Il est ainsi connu que la recherche de l’exposition par un enquêteur risque d’être plus poussée
chez un malade que chez un témoin. De plus, un malade se souvient mieux de ses expositions qu’un
témoin. La multiplicité des investigateurs est aussi une source d’hétérogénéité dans le recueil des
données.
5. Nous avons évoqué plus haut l’exemple des enquêtes relatives aux pratiques sexuelles ou
aux consommations de toxiques qui sont sensibles à la sincérité et à la précision des réponses. On
parle parfois de biais de désirabilité sociale lorsque les réponses ont tendance à se rapprocher
d’une norme enviable ; c’est le cas par exemple des déclarations de poids qui ont tendance à être
minorées.

90
Méthodes épidémiologiques

Partie 1. Chapitre 3.
L’effet d’un biais de classement est variable selon qu’il est ou non dépen-
dant de la maladie étudiée : si le biais est indépendant (par exemple, anomalie
sur un automate de mesure), on se rapproche d’une erreur aléatoire, et c’est
la force de l’association qui se réduit avec un risque relatif qui tend vers 1.
En revanche, si le biais est dépendant de la maladie (c’est-à-dire qu’il ne
s’exprime pas de la même façon chez les malades et les non-malades, comme
dans le cas du biais portant sur la recherche d’une exposition), alors l’impact
sur l’analyse est tout à fait variable sur les résultats. Dans ce cas, la parade
consiste à faire une mesure de l’exposition à l’aveugle de la maladie, ou,
inversement, de la maladie à l’aveugle de l’exposition.

Biais liés à la mise en œuvre globale du protocole d’étude


Il s’agit ici d’une modification du protocole d’étude en cours de route ou
d’une application imparfaite du protocole.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Un cas particulier consiste à identifier, après leur inclusion dans l’étude,
des sous-groupes d’individus répondant, par exemple, plus ou moins bien à
un traitement, puis à réaliser une analyse des résultats par sous-groupe, alors
que ce n’était pas prévu dans le protocole initial.

3.4.2. Les facteurs de confusion


Un facteur de confusion est un élément qui est lié à la fois à la maladie
et à l’exposition. La difficulté n’est donc pas liée ici à une erreur de concep-
tion ou de mise en œuvre du protocole d’enquête, mais est intrinsèque au
problème étudié.
Par exemple, on met en évidence un lien entre consommation d’alcool et
cancer bronchique, mais en réalité le lien est double : entre consommation
d’alcool et consommation de tabac, d’une part, et entre le tabagisme et la
survenue du cancer bronchique, d’autre part. On peut aussi imaginer un lien
statistique entre risque de noyade et utilisation de crème solaire…
Les facteurs de confusion sont donc redoutables, et il est nécessaire, à
chaque fois qu’ils sont connus, de les neutraliser. Il existe pour cela quatre
techniques. Nous prendrons comme exemple l’âge et le genre, deux facteurs
de confusion classiques.

Homogénéisation par réduction de l’échantillon


On constituera par exemple un échantillon uniquement féminin d’une
tranche d’âge donnée. L’homogénéisation peut être aussi réalisée en éliminant
un sous-groupe d’étude pour lequel le recueil des données a été particulière-
ment défaillant.
Cette technique est peu souhaitable, car elle aboutit à un échantillon non
représentatif ni de la population cible, ni de la répartition de la variable étu-
diée. L’extrapolation à la population cible est impossible.

91
Partie 1. Les fondamentaux

Appariement
Par exemple, pour neutraliser l’effet de l’âge, le principe est ici d’associer
à chaque malade d’un âge donné un ou plusieurs témoins du même âge. En
pratique, on peut apparier sur n’importe quel facteur connu d’exposition autre
que celui qui est étudié, bien entendu.
Cette technique est très efficace, mais elle présente l’inconvénient d’être
parfois difficile à mettre en œuvre, la recherche des témoins se révélant parfois
laborieuse. Il existe des tests statistiques propres aux séries appariées.

Stratification
On répartit les individus formant les groupes à comparer en strates, cor-
respondant par exemple à des classes d’âge (21‑30 ans, 31‑40 ans…).
L’analyse des données et la comparaison entre groupes est ensuite faite dans
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
chaque strate. La stratification permet ici d’éliminer l’effet de confusion de
la variable « âge » en menant l’analyse par groupe d’âge.
On voit que plus la strate est étendue (par exemple, un intervalle de temps
de dix ans au lieu de cinq), moins l’appariement des sujets entre les groupes
est précis. La stratification est donc une méthode moins efficace que l’appa-
riement, mais elle est plus simple et moins coûteuse, car il s’agit d’un trai-
tement des données, et non de la constitution d’un échantillon.

Utilisation de modèles d’analyse multivariés


Les méthodes de stratification ne permettent de prendre en compte qu’un
nombre limité de facteurs de confusion (la multiplication des strates devient
rapidement ingérable), qui doivent de surcroît être qualitatifs (y compris pour
des variables quantitatives que l’on transforme en classes, avec un risque de
biais de confusion résiduel et de perte d’information).
Les modèles multivariés, qui ne seront pas développés ici, permettent de
résoudre ces problèmes par l’usage de fonctions mathématiques reliant la
maladie aux expositions étudiées et aux facteurs de confusion pris en compte.
Il existe diverses techniques : par exemple, pour une maladie définie par une
variable quantitative, la régression linéaire multiple ou, pour une maladie
définie de façon dichotomique (malades/non-malades), la régression
logistique.

Standardisation
Le principe de cette méthode est de donner artificiellement, par le calcul,
la même structure (celle d’une population de référence) aux groupes com-
parés ; ainsi l’effet de l’âge est-il neutralisé. Il existe deux techniques de
standardisation : directe et indirecte.

92
Méthodes épidémiologiques

Partie 1. Chapitre 3.
❱❱ Standardisation directe
Le principe est d’appliquer des taux observés aux effectifs d’une popula-
tion de référence.
La première étape consiste à calculer les taux observés (par exemple, une
prévalence) dans les sous-groupes (ici, les classes d’âge) des groupes com-
parés. Puis ces taux sont appliqués à une population de référence ; c’est-à-dire
que l’on calcule les effectifs qui seraient présents dans chaque classe d’âge
des groupes comparés s’ils avaient la même structure d’âge que la population
de référence. On calcule ensuite, pour chaque groupe, un taux global, dit
taux standardisé, sur lequel in fine est faite la comparaison, qui ne dépend
plus de la structure d’âge.
Le choix de la population de référence est arbitraire. Il existe des populations
de référence types : française, européenne, américaine, etc. Il est aussi possible
de constituer la population de référence en réunissant les groupes à comparer.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
La standardisation directe est intéressante quand les taux dans chaque
sous-groupe des groupes à comparer sont connus avec la même fiabilité dans
tous les sous-groupes ; les effectifs des sous-groupes étant mal connus alors
que ceux des groupes sont connus.
Voici un exemple fictif de standardisation directe, avec comparaison de
l’incidence des décès dus à une maladie dans deux groupes, en tenant compte
de la structure d’âge. Les chiffres sont arrondis à deux décimales.

Groupe 1 Groupe 1 Groupe 1 Groupe 2 Groupe 2 Groupe 2


Classe
d’âge Effectif Nombre Taux Effectif Nombre Taux de
de la classe de décès de mortalité de la classe de décès mortalité
d’âge observé observé d’âge observé observé
0‑19 ans 200 4 0,02 100 2 0,02
20‑39 ans 200 10 0,05 200 10 0,05
40‑59 ans 400 28 0,07 300 18 0,06
60‑79 ans 300 39 0,13 400 48 0,12
80 ans et + 100 40 0,40 800 280 0,35
Total 1 200 121 0,10 1 800 358 0,20

Une première lecture, comparant globalement les groupes 1 et 2 semble


indiquer que les décès sont plus fréquents dans le groupe 2, le taux brut de
mortalité s’y élevant à 358/1  800 =  0,20 contre 121/1  200 =  0,10 dans le
groupe 1.
Cependant, une lecture plus approfondie du tableau montre un fait éton-
nant : les taux de mortalité dans les différentes classes d’âge du groupe 2 sont
inférieurs ou égaux, mais jamais supérieurs aux taux constatés dans les classes
d’âge du groupe 1. On voit aussi que la structure d’âge des deux groupes est
différente et qu’il faut neutraliser ce phénomène.

93
Partie 1. Les fondamentaux

La population de référence sera constituée de la somme des groupes 1 et 2.


On va appliquer les taux observés dans chaque classe d’âge à la population
de référence. Ce qui donne le tableau suivant :

Population Groupe 1
de référence Groupe 1 Groupe 2 Groupe 2
Nombre Taux Nombre
Classe d’âge Taux de décès de mortalité de décès
Effectif de la de mortalité calculé observé calculé
classe d’âge observé
0‑19 ans 300 0,02 6 0,02 6
20‑39 ans 400 0,05 20 0,05 20
40‑59 ans 700 0,07 49 0,06 42
60‑79 ans 700 0,13 91 0,12 84
80 ans et + 900 0,40 360 0,35 315
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Taux de Taux de
mortalité mortalité
Total 3 000 526 467
standardisé standardisé
0,18 0,16

On obtient ainsi deux taux de mortalité standardisés :


–  pour le groupe 1 : 526/3 000 = 0,18
–  pour le groupe 2 : 467/3 000 = 0,16
Après standardisation sur l’âge, le taux de mortalité du groupe 2 devient
inférieur à celui du groupe 1.
On peut alors calculer un indicateur comparatif de mortalité :
ICM = 0,18/0,16 = 1,125
Ce qui signifie qu’à structure d’âge égale le groupe 1 a un taux de mor-
talité supérieur de 12, 5 % au taux de mortalité du groupe 2.

❱❱ Standardisation indirecte
Le principe de calcul est inverse : on va appliquer les taux d’une population
de référence aux groupes à comparer, sous-groupe par sous-groupe, classe
d’âge par classe d’âge. On obtient ainsi des effectifs calculés dans chaque
sous-groupe, qui vont être comparés aux effectifs réellement observés. Pour
chaque groupe, on calcule alors un ICM.
Une variante de cette méthode consiste à prendre comme population de
référence l’un des groupes à comparer.
La standardisation indirecte est intéressante quand les taux dans les sous-
groupes sont inconnus ou mal connus mais que le taux global, sur l’ensemble
de la population, est connu.
Nous reprenons les données de base de l’exemple de standardisation
directe. Nous allons prendre le groupe 1 comme population de référence, et
donc appliquer au groupe 2 les taux observés sur le groupe 1.

94
Méthodes épidémiologiques

Partie 1. Chapitre 3.
Groupe 1 Groupe 1 Groupe 1 Groupe 2 Groupe 2 Groupe 2
Classe
d’âge Effectif Nombre Taux Effectif Nombre Nombre
de la classe de décès de mortalité de la classe de décès de décès
d’âge observé observé d’âge observé calculé
0‑19 ans 200 4 0,02 100 2 2
20‑39 ans 200 10 0,05 200 10 10
40‑59 ans 400 28 0,07 300 18 21
60‑79 ans 300 39 0,13 400 48 52
80 ans et + 100 40 0,40 800 280 320
Total 1 200 121 0,10 1 800 358 405

On constate donc que, si la mortalité du groupe 2 était celle du groupe 1,


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
on aurait 405 décès, alors qu’en réalité il n’en a été constaté « que » 358.
On calcule le taux standardisé de mortalité pour le groupe 2 : 405/1 800
= 0,225, à comparer avec le taux de 0,20 réellement observé.
Puis la comparaison est faite par le calcul de l’ICM : 0,225/0,20 = 1,125,
soit un excès de mortalité de 12,5 %. Nous retrouvons le chiffre obtenu par
la standardisation directe, qui se comprend de la même façon.

3.4.3. Le jugement de causalité


C’est une étape particulièrement sensible de l’épidémiologie analytique.
En effet, le constat d’une différence statistiquement significative ne signifie
pas l’existence d’un lien de causalité. Il peut s’agir d’une situation fortuite
ou de l’existence d’un lien réel mais non causal (via un facteur de confusion
qui influence à la fois la variable dépendante et les variables explicatives).
Affirmer un lien de causalité suppose une démarche scrupuleuse (d’où
la notion de jugement), dépassant la statistique et pour laquelle il est clas-
sique de s’appuyer sur des critères définis par Austin Bradford Hill
(1965)6 :
–  cohérence dans le temps : l’exposition précède la maladie. C’est une
évidence, mais il n’est pas toujours facile de savoir quand débute exactement
une maladie, notamment dans les atteintes chroniques dont le début est peu
détectable. Il peut en être de même pour le repérage du début d’une
­exposition.
–  force de l’association : plus le RR (ou l’OR) est fort, plus la causalité est
envisageable.
–  existence d’une relation « dose-effet » : plus l’exposition est importante
par son intensité ou sa durée, et plus les individus sont atteints. C’est le cas entre

6. A.B. Hill, « The Environment and disease : association or causation ? », Proceedings of the Royal
Society of Medicine, 1965, n° 58, p. 295‑300.

95
Partie 1. Les fondamentaux

le tabagisme et le cancer broncho-pulmonaire. La configuration la plus simple


est celle de la relation linéaire sans seuil, où l’effet commence à se manifester
dès l’existence d’une exposition et va en s’accroissant avec l’intensité de l’ex-
position ; mais il existe des cas plus complexes, avec seuil au-dessous duquel
on ne repère pas d’effet ou encore des inversions d’effet (protecteur, puis
toxique). Il faut aussi tenir compte, notamment dans le champ environnemental,
des associations toxiques qui perturbent encore l’analyse.
–  reproduction des résultats : on retrouve le même type de relation dans
plusieurs études, si possible dans des populations et selon des protocoles d’en-
quête différents.
–  cohérence scientifique notamment biologique : l’association statistique
est recoupée par des résultats obtenus par d’autres méthodes, c’est-à-dire que
l’on dispose, par exemple, d’une explication biologique plausible à l’association
observée ou de résultats d’études expérimentales.
–  spécificité de l’association : coexistence habituelle d’un facteur de risque
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
et d’une maladie sans que cette coexistence soit notée pour d’autres maladies.
On peut aussi retenir comme élément en faveur d’une relation causale le
fait que la suppression (ou la diminution) de l’exposition entraîne la diminu-
tion (ou la disparition) de la maladie. Enfin, on peut aussi tenir compte de
l’existence d’autres relations causales et mécanismes explicatifs analogues à
celui envisagé (critère d’analogie).

3.5. Représentation graphique de l’information


épidémiologique

Les informations recueillies ou calculées peuvent être présentées sous la


forme de tableaux ou de graphiques. La représentation graphique est souvent
plus immédiatement compréhensible pour le lecteur et constitue de ce fait
une forme de communication efficace. Les principales formes graphiques
utilisées sont les diagrammes en secteurs, en bâtons, les graphiques linéaires,
les histogrammes et les distributions de fréquence. Sans oublier la cartogra-
phie, autre forme de représentation graphique très utile.
Le diagramme en secteurs (dit familièrement « camembert ») permet de
représenter les différentes composantes d’un ensemble sous forme de secteurs
d’un disque (ou d’un demi-disque) ; par exemple, les différentes options d’un
niveau de satisfaction (satisfait, plutôt satisfait, plutôt insatisfait, très insatis-
fait). Cette représentation est très lisible, mais elle a l’inconvénient de ne
prendre en compte qu’un seul critère de répartition ; pour tenir compte d’autres
facteurs, il faut juxtaposer les diagrammes (par exemple, pour exposer la
situation des hommes et des femmes).

96
Méthodes épidémiologiques

Partie 1. Chapitre 3.
Réponses
Réponses Hommes
Hommes Réponses
RéponsesFemmes
Femmes

Satisfait
Satisfait Plutôt
Plutôtsatisfait
satisfait Satisfait
Satisfait Plutôt
Plutôtsatisfait
satisfait
Plutôt
Plutôtinsatisfait
insatisfait Très
Trèsinsatisfait
insatisfait Plutôt
Plutôtinsatisfait
insatisfait Très
Trèsinsatisfait
insatisfait

Figure 2. Exemple de diagrammes en secteurs

Le diagramme en bâtons est fondamentalement construit sur la même


logique que celui en secteur, mais il permet la juxtaposition au sein du même
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
graphique d’informations qui sont représentées par la juxtaposition de plusieurs
diagrammes en secteurs. La hauteur (représentation verticale) ou la longueur
(représentation horizontale) des bâtons traduit la valeur de la variable (par
exemple, le nombre de personnes satisfaites). Pour ne pas induire une percep-
tion faussée chez le lecteur, il est important de manier avec prudence, et surtout
beaucoup de clarté, les éventuelles ruptures d’échelle qui peuvent être sou-
haitées lorsque certaines valeurs de la variable sont très différentes des autres,
ce qui conduit à un effet d’« écrasement » visuel de ces dernières.
Niveau de satisfaction
60
50
40
30
20
10
0
Satisfait Plutôt satisfait Plutôt insatisfait Très insatisfait

Réponses Hommes Réponses Femmes


Figure 3. Exemple de diagramme en bâtons

Le graphique linéaire est constitué d’un ensemble de points définis par


une valeur en abscisse (axe horizontal) et une valeur en ordonnée (axe verti-
cal) : le nombre, par exemple, d’hospitalisations par jour en fonction du temps.
Les points ainsi obtenus peuvent être reliés par des segments de droite. Il faut
prêter attention lors de la lecture de ce type de graphique à la nature des
échelles : on peut en effet utiliser les valeurs absolues, mais aussi des valeurs
calculées, logarithmiques, ce qui signifie alors que le graphique n’illustre plus
les valeurs initiales, mais permet de visualiser des évolutions relatives.

97
Partie 1. Les fondamentaux

Nouveaux cas d’une maladie par mois


140
120
100
80
60
40
20
0

in
ril

re

e
ût
t

e
r

ier

ai
s

e
ille

br

br
vie

ar

br
Ju

ob
Av

Ao
vr

m
M

Ju

em
Jan

ct

ve

ce
O
pt


No
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Se
Figure 4. Exemple de graphique linéaire

À partir d’un « nuage de points » définis, d’une part, par exemple par une
valeur d’évolution de l’espérance de vie à la naissance (soit positive, soit
négative autour de la valeur 0) et, d’autre part, par la présence d’un déter-
minant de santé (diffusion du déterminant dans 40 à 100 % de la population),
il est aussi possible de faire apparaître une droite de régression calculée,
montrant la tendance générale décrivant le nuage ; par exemple, ici, la géné-
ralisation du déterminant s’accompagnant d’une diminution des EVN.

Variation de l’EVN selon la présence d’un facteur de risque

3
2
Variation de l’EVN (année)

1
0
–1
–2
–3
–4
–5
–6
–7
0,40 0,50 0,60 0,70 0,80 0,90 1,00
Pourcentage de la population touché par le facteur de risque

Figure 5. Exemple de graphique à nuage à points

Les histogrammes ressemblent à des diagrammes en bâtons dont les élé-


ments seraient des bandes, contiguës et jointives. Leur surface représente le
nombre de cas observés dans un intervalle donné ; si tous les intervalles de

98
Méthodes épidémiologiques

Partie 1. Chapitre 3.
l’histogramme sont de même amplitude, l’importance numérique de chaque
catégorie se lit facilement en fonction de la hauteur de la bande, mais si les
intervalles sont d’amplitude différentes la lecture est plus délicate car l’effectif
concerné correspond à la surface de la bande. Les polygones de fréquence
sont obtenus en joignant par une ligne le milieu de chacune des barres supé-
rieures de l’histogramme.
Les cartes ont pour fonction de mettre en évidence la localisation géogra-
phique des cas d’une maladie ou de tout autre donnée à caractère sanitaire.
La cartographie est bien évidemment indispensable à l’analyse des inégalités
territoriales de santé, mais elle peut aussi permettre, comme toute démarche
descriptive, de formuler des hypothèses explicatives, comme l’illustre l’exemple
historique de l’épidémie de choléra de Londres en 1854 (➠ Chapitre 1).

Points clés
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
• L’épidémiologie est l’étude de la répartition, dans le temps, dans l’espace ou
selon d’autres critères, des phénomènes de santé (le plus souvent, des maladies)
ou de leurs facteurs de survenue (de risque), sous leurs diverses formes et
niveaux de gravité. Elle permet de décrire l’état de santé des populations et de
rechercher les causes de morbidité et de mortalité.
• Elle sert de base à la conception d’actions de santé publique et à l’évaluation
des mesures mises en œuvre. La collecte des données épidémiologiques s’appuie
sur plusieurs types d’enquêtes dont le choix dépend du problème étudié et des
moyens disponibles.
• L a démarche épidémiologique permet de mettre à jour des associations
­statistiques, d’identifier des facteurs de risque de survenue d’une maladie ; tou-
tefois l’affirmation d’une relation de causalité demande d’effectuer de surcroît
un ensemble de vérifications, et tout particulièrement d’avoir éliminé les biais
et facteurs de confusion.

Pour en savoir plus


Th. Ancelle, P. Crépey, B. Helynck, Épidémiologie de terrain – 7 études de cas, Presses
de l’EHESP, 2e éd., 2018.
Chapitre 4
Les données de santé
Jacques Raimondeau, Élodie Carmona

Objectifs pédagogiques
Connaître :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  les principaux types d’indicateurs de santé et leurs usages
–  les principales sources de données de santé
–  le dispositif français de maladies à déclaration obligatoire
– les principes du programme de médicalisation du système d’information
(PMSI) et du système national des données de santé (SNDS)
– les principes d’organisation et de fonctionnement des registres et de la
­surveillance syndromique
–  le système de statistiques sanitaires de l’Union européenne

4.1. Les indicateurs de santé : définition et usages

La Haute Autorité de santé (HAS) définit un indicateur ainsi :


« Une variable qui décrit un élément de situation ou une évolution d’un
point de vue quantitatif. Il s’agit d’une information choisie, associée à un
phénomène, destinée à en observer périodiquement les évolutions au regard
d’objectifs périodiquement définis. C’est un outil d’aide à la décision, dont
l’utilisation s’inscrit dans une démarche qui répond à un objectif et se situe
dans un contexte donné. Il n’a d’intérêt que par le choix qu’il aide à faire, ce
qui suppose l’existence d’une question qu’il contribue à éclairer1. »

Un indicateur de santé est donc une donnée, présentée sous une forme quan-
titative, qui permet de décrire, expliquer, prévoir et contrôler des situations
sanitaires2 :
–  Décrire : le simple dénombrement des cas d’une maladie contribue ou
même suffit à la planification des activités et des équipements des soins (dimen-
sionnement d’un service hospitalier, consommation de vaccins ou

1. Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES), Construction et utilisation


des indicateurs dans le domaine de la santé. Principes généraux, ANAES, 2002.
2. T. Kue Young, Population health : concepts and methods, Oxford University Press, 2005.

101
Partie 1. Les fondamentaux

d’antibiotiques), ainsi qu’à l’allocation de ressources correspondantes. Il est


aussi à la base des systèmes d’alerte sanitaire, pour lesquels on recherche, par
exemple, une variation significative du nombre de recours aux services d’ur-
gence (voir plus bas : surveillance syndromique) ;
–  Expliquer : la recherche des causes d’une maladie ou de ses facteurs de
risque est à la base de la conception de réponses préventives et curatives ;
–  Prévoir : l’évolution d’un indicateur démographique peut permettre
d’anticiper certaines modifications de la pathologie et des besoins de santé
(vieillissement, diminution ou augmentation de la natalité). Il en est de même
avec l’évolution de certains déterminants de santé (par exemple l’augmenta-
tion du tabagisme féminin, en fonction de laquelle on peut anticiper une
hausse de la fréquence du cancer du poumon, phénomène qui se vérifie actuel-
lement en France : entre 1980 et 2010, on est ainsi passé de 2 700 morts (soit
1 % des décès) à 19 000 (7 % des décès) chez les femmes ; chez les hommes,
le mouvement est inverse : 66 000 morts en 1980, contre 59 000 en 20103. Il
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
existe des indicateurs spécifiquement conçus pour estimer la probabilité de
survenue d’un événement de santé ; ainsi, le score de Framingham4, élaboré
à partir des observations faites sur la cohorte de la côte est des États-Unis
(➠ Chapitre 3), est utilisé pour évaluer le risque d’apparition d’une maladie
cardio-vasculaire dans les dix années à venir en fonction du niveau de facteurs
de risque vasculaire : âge, sexe, tension artérielle systolique, cholestérol total
et cholestérol HDL, consommation de tabac, glycémie, poids… Les indica-
teurs météorologiques peuvent permettre d’anticiper la survenue de problé-
matiques sanitaires temporaires ou plus durables dans le cadre du changement
climatique en cours ;
–  Contrôler : il s’agit, par exemple, de s’assurer du maintien en dessous du
seuil épidémique d’une infection ou du niveau de recours à une prestation de
santé (vaccination, dépistage, par exemple…). Il peut aussi s’agir d’évaluer
l’efficacité des politiques ou des actions de santé publique ; ainsi la loi
no 2004‑806 du 9 août 2004, relative à la politique de santé publique, prévoyait
un rapport d’évaluation à cinq ans structuré par le suivi d’une batterie d’indica-
teurs consacrés aux 100 objectifs de la loi5. L’évaluation d’une action peut porter
sur la procédure mise en œuvre par comparaison du réalisé au prévisionnel ; sur
les résultats, sur le même principe ; et sur les impacts, en tenant compte des
effets non programmés, positifs ou négatifs.
À titre d’exemple, l’évaluation du dépistage organisé du cancer du sein
peut porter sur différents points qui renvoient précisément à différentes pro-
blématiques. On peut ainsi s’intéresser à l’effet global, au niveau national, du
dépistage en mesurant l’évolution du taux de mortalité spécifique par cancer
du sein ou de la prévalence des formes les plus graves (par exemple, avec

3. L.  Ribassin-Majed, C.  Hill, « Trends in tobacco-attribuable mortality in France », European


journal of public health, 9 mai 2015.
4. P.W.F. Wilson, R.B. D’Agostino, D. Levy et al., « Prediction of coronary heart disease using risk
factor categories », Circulation, vol. 97, n° 18, mai 1998, p. 1837‑1847.
5. HCSP, Objectifs de santé publique. Évaluation des objectifs de la loi du 9 août 2004. Proposi‑
tions, HCSP, 2010.

102
Les données de santé

Partie 1. Chapitre 4.
métastases) au moment du diagnostic. L’évaluation peut porter sur les mêmes
indicateurs, mais dans une logique de comparaison entre territoires, dans le
cadre par exemple de la fixation des objectifs d’une Agence régionale de santé.
Il est aussi possible de mesurer la proportion de femmes bénéficiant du dépis-
tage, rapportée à l’effectif global ciblé. D’autres études porteront sur la qualité
même du processus de dépistage par mammographie (par exemple, respect
des normes techniques de fonctionnement des appareils de mammographie,
recours à la double lecture des clichés…). Enfin, une évaluation d’impact
global pourrait aussi se pencher sur l’effet sur un autre dépistage (par exemple,
celui du cancer du col de l’utérus) ou sur un autre type d’action de prévention
(vaccination ou contrôle de facteurs de risque vasculaire, etc.).
Par ailleurs, le choix d’un indicateur est souvent déterminé par la capacité
de le renseigner de façon fiable et régulière pour un coût acceptable.
Deux caractéristiques des indicateurs sont à systématiquement considérer :
la sensibilité et la spécificité. La sensibilité désigne la capacité à détecter
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
une situation (par exemple une maladie ou la présence d’un polluant) lors-
qu’elle est effectivement présente. La spécificité est, à l’inverse, la capacité
à éliminer la présence d’une situation lorsqu’elle est effectivement absente.
Leurs modalités de calcul sont vues dans le chapitre 12.
Les indicateurs de santé sont nombreux, généraux ou spécifiques, simples
ou composites, plus ou moins faciles à interpréter.

4.1.1. Les indicateurs démographiques


En France, l’INSEE suit en permanence 14 indicateurs qui peuvent tous
avoir une utilité en santé publique en fonction du problème qui nous intéresse :
population au début de la période d’étude, population moyenne de la période,
solde naturel6, solde migratoire7, solde total, taux d’accroissement naturel,
mariages enregistrés, taux de nuptialité, naissances enregistrées, taux de nata-
lité, décès de tous âges enregistrés, taux de mortalité8, décès de moins d’un
an, taux de mortalité infantile…

Indicateurs de natalité et de fécondité


On utilise notamment :
– le nombre de naissances annuel ;
– le taux de natalité : nombre de naissances vivantes de l’année étudiée/
population totale moyenne au cours de l’année ;

6. Solde naturel : obtenu en faisant la différence entre le nombre de naissances et le nombre de


décès au cours d’une période sur un territoire.
7. Solde migratoire : obtenu par la différence entre les entrées et les sorties d’un territoire pendant
une période donnée.
8. Le taux brut de mortalité se calcule en divisant les décès enregistrés au cours d’une période par
la population moyenne de cette période. Il est d’intérêt limité, car il dépend à la fois de la mortalité
elle-même mais aussi de la structure d’âge de la population.

103
Partie 1. Les fondamentaux

– le taux de fécondité : nombre de naissances vivantes de l’année étudiée /


ensemble de la population féminine en âge de procréer. Le dénominateur est le
nombre moyen de femmes de 15 à 50 ans présentes au cours de l’année. Le taux
de fécondité dépend donc de la structure d’âge de la population.
– l’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) est égal au nombre d’en-
fants qu’aurait une femme au cours de sa vie si les taux de fécondité observés
à chaque âge et pour l’année étudiée demeuraient inchangés. Il correspond à la
somme des taux de fécondité par classe d’âge observés une année donnée. L’ICF
n’a pas de valeur prédictive. Il sert à synthétiser la situation démographique
d’une année donnée. En 2019, l’ICF s’élève en France à 1,87 enfant/femme
(1,83 pour la seule Métropole) ; il est en baisse depuis cinq ans, la moyenne
européenne se situant en 2015 à 1,58 (Eurostat).
Le seuil de remplacement des générations est la valeur à partir de
laquelle est assurée une stabilité démographique. Il est atteint lorsque le
nombre de filles dans une génération est égal à celui de la génération précé-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
dente. Comme il naît un peu plus de garçons que de filles (105 garçons pour
100 filles en moyenne), le seuil de remplacement est atteint lorsqu’en moyenne
les femmes ont environ 2,1 enfants dans les pays développés, où la mortalité
infantile est faible.

La pyramide des âges


La pyramide des âges est la représentation de la répartition par sexe et
par âge de la population à un instant donné.
Elle est constituée de deux histogrammes (➠ Chapitre 3), un pour chaque
sexe (par convention, les hommes se placent à gauche, et les femmes à droite),
où les effectifs sont portés horizontalement et les âges verticalement, les âges
les plus élevés se trouvant en haut.
Une pyramide des âges permet de voir très rapidement quelle est la struc-
ture d’âge d’une population. Une pyramide régulière traduit une natalité
importante avec une mortalité répartie sur les différentes classes d’âge. Une
période de mortalité importante (guerre, famine…) se traduit par une encoche
sur la pyramide. À l’inverse, les moments de forte natalité (baby-boom des
années 1950‑1960) induisent un élargissement de la pyramide.
En France, la tendance est à la transformation de la pyramide en une tour,
avec une natalité modérée et une mortalité faible pendant très longtemps,
illustrant la transition démographique des pays développés.

104
Les données de santé

Partie 1. Chapitre 4.
Pyramide des âges au 1er janvier 2020, France (inclus Mayotte)
Année Âge révolu Année
de naissance 100 ou plus de naissance
1919 100 1919
1 1
HOMMES FEMMES
1929 90 1929

1939 80 1939
2 2
3 3
1949 4 70 4 1949

1959 60 1959

1969 50 1969

5 5
1979 40 1979

1989 1989
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
30

1999 20 1999

2009 10 2009

2019 0 2019
500 400 300 200 100 0 0 100 200 300 400 500
Effectifs en milliers Effectifs en milliers
1 Déficit des naissances dû à la guerre 2 Passage des classes creuses 3 Déficit des naissances dû 4 Baby-boom 5 Fin du baby-boom
de 1914-1918 (classes creuses) à l’âge de fécondité à la guerre de 1939-1945

Source : INSEE, résultats provisoires à fin 2019


er
Figure 1. Pyramide des âges au 1  janvier 2020, France (inclus Mayotte)

Ratio de dépendance
Il est égal au nombre de sujets de moins de 20 ans et d’au moins 65 ans /
nombre de sujets âgés de 20 à 64 ans. Cet indicateur démographique évolue
sous l’effet de la mortalité, de la fécondité et des phénomènes migratoires.
Il est surtout utile en matière de protection sociale, car il donne une infor-
mation sur l’équilibre entre la « part active » d’une population et la « part
dépendante » de la première pour son financement, notamment par des pres-
tations socialisées (éducation, retraites, etc.). Ce ratio doit être analysé avec
une certaine prudence car tous les individus entre 20 et 64 ans ne sont pas
des contributeurs nets et, à l’inverse, une part des plus de 65 ans n’est pas
ou peu dépendante des plus jeunes.

Espérance de vie
L’espérance de vie se calcule sur la base des quotients de mortalité par
âge. Le quotient de mortalité est la probabilité de décéder dans l’année
étudiée pour une personne qui atteint un âge donné cette même année (par
exemple, la probabilité de décéder au cours de l’année 2020 pour une femme
ayant atteint l’âge de 35 ans cette année-là).

105
Partie 1. Les fondamentaux

L’espérance de vie à la naissance (EVN) correspond à la durée de vie


moyenne d’une population qui vivrait selon les conditions de mortalité d’une
année donnée. Ainsi l’EVN retrace-t‑elle l’ensemble des conditions de mor-
talité qui se sont appliquées à la population, année d’âge par année d’âge.
Pour le calcul de l’EVN, on tient compte des quotients de mortalité pour
chaque année d’âge à partir de la naissance. L’EVN est un indicateur rétros-
pectif qui reflète les conditions de mortalité passées. Contrairement à ce que
l’on croit parfois, l’EVN n’a pas de valeur prédictive : l’EVN de 2020 ne
donne pas la probabilité de durée de vie moyenne des enfants nés en 2020.
Pour que cela soit vrai, il faudrait que les enfants nés en 2020 connaissent
année après année les mêmes conditions de mortalité que celles constatées
en 2020, ce qui est très peu probable.
Ainsi, si les conditions de vie s’améliorent encore dans l’avenir, les enfants
nés en 2020 vivront plus longtemps que ne l’indique l’EVN pour 2020 ; une
dégradation des conditions de vie aura l’effet inverse sur la durée de vie.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
L’utilité de l’EVN réside dans la comparaison entre populations la même
année (hommes-femmes ; catégories socioprofessionnelles entre elles ; entre
pays) et dans son évolution dans le temps.
Il est possible de calculer des EV à tout âge : à côté de l’EVN, on peut
aussi calculer une EV à 35 ans ou 60 ans. En 2019, en France, l’EVN des
femmes est de 85,6 ans et de 79,7 ans chez les hommes. L’EVN des Français
est dans la moyenne de l’Union européenne, tandis que celle des Françaises
est la troisième au monde, après celles des Japonaises et des Espagnoles.
On calcule aussi des espérances de vie sans incapacité (EVSI). C’est
une situation fréquente, valable pour la France et pour d’autres pays9, que
de constater que la différence d’EVN entre hommes et femmes est plus
­importante que la différence d’EVSI, traduisant le fait que les femmes
déclarent de plus fréquentes limitations d’activités que les hommes.
Dans la durée, en France, la tendance générale a été à l’accroissement de
l’EVN : entre 1994 et 2014, il a été de 5,6 ans chez les hommes et de 3,6
ans chez les femmes. C’est dire qu’il existe aussi une tendance à la réduction
de l’écart entre les deux sexes. Les principaux moteurs de ces évolutions ont
été une baisse de la mortalité cardio-vasculaire après 65 ans, d’une part, et
une baisse générale de la mortalité masculine à l’âge adulte, d’autre part
(➠ Chapitre 2).
Les EVN, lorsqu’on compare les pays entre eux montrent des écarts impor-
tants, comme le révèle le tableau 1.

9. Voir, par exemple, Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), Portrait de santé du
Québec et de ses régions 2006 : les statistiques. Deuxième rapport national sur l’état de santé de la
population du Québec, INSPQ, 2006.

106
Les données de santé

Partie 1. Chapitre 4.
Tableau n° 1. Espérance de vie à la naissance, en années (estimation pour 2015)
EVN Hommes Femmes
France 78,76 84,98
Suisse 80,5 84,75
Allemagne 77,94 82,91
Russie 64,66 75,92
Japon 79,98 86,44
Inde 66,21 69,06
Chine 74,23 77,23
États-Unis 76,47 81,25
Australie 80,21 84,41
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Afrique du Sud 56,1 63
République centrafricaine 47,8 51,02
Source : ONU, World population prospects, The 2017 revision.

De façon plus agrégée, par grandes zones géographiques, les données 2016
de l’OMS sont (EVN hommes/EVN femmes, en années) :
–  Afrique : 59,6/62,7 ;
–  Amériques : 72,3/78,4 ;
–  Asie du Sud-Est : 67,9/71,3 ;
–  Europe : 74,2/80,8 ;
–  Méditerranée orientale : 67,7/70,7 ;
–  Océanie : 75/78,9.

4.1.2. Les indicateurs sanitaires

Indicateurs de mortalité
Nombre de décès : il entre dans le calcul de nombreux taux et ratios, mais
il peut servir à lui seul d’indicateur d’alerte en cas de brusque augmentation
(par exemple, le cas de la canicule de 2003, le repérage d’une épidémie de
rougeole ou encore le suivi quotidien de l’impact de l’épidémie de ­Covid-19
en 2020).
Taux brut de mortalité : nombre de décès de l’année/population totale
moyenne de l’année (ou au milieu de l’année). Ce taux est très dépendant
de la structure d’âge de la population. Comme indiqué dans le chapitre 3,
pour pouvoir comparer des populations de structures d’âge différentes, il
faut soit procéder à un appariement sur l’âge, soit à une standardisation.
Taux spécifiques de mortalité : il s’agit de taux de mortalité calculés en
fonction de critères divers, démographiques, sociaux (hommes, femmes, caté-
gorie socioprofessionnelle, lieu de résidence, etc.) ou par cause de décès (par
exemple, cancer, maladies cardio-vasculaires, accident du travail, accidents de

107
Partie 1. Les fondamentaux

la voie publique, etc.). Leur calcul se fait selon la formule : nombre de décès


de l’année liés au facteur étudié/population totale moyenne de l’année.
Taux de mortalité spécifique selon l’âge : nombre de décès de l’année
dans la classe d’âge/population moyenne du groupe d’âge pour l’année.
Taux de mortalité maternelle : nombre de décès féminins de l’année dus
à la grossesse ou l’accouchement/nombre de naissances vivantes pour
l’année.
Taux de mortalité proportionnel : nombre de décès d’une cause donné /
nombre total de décès (le numérateur et le dénominateur étant calculés sur
la même période). Exemple : le taux de mortalité proportionnel par cancer en
France est d’environ 27 %.
L’indice comparatif de mortalité (ICM) peut être utilisé pour effectuer
des comparaisons en matière de mortalité (➠ Chapitre 3). Il consiste à établir
le rapport entre la mortalité observée dans une population dans chaque classe
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
d’âge et la mortalité dans une population de référence selon les mêmes classes
d’âge. Supposons que nous comparions une région française avec la moyenne
nationale, un ICM à 114 signifie que la mortalité régionale est de 14 %
supérieure à la mortalité nationale ; un ICM à 96 traduit une mortalité infé-
rieure de 4 % par rapport à la moyenne nationale.
Taux de létalité : nombre de décès dus à une maladie/nombre de personnes
atteintes de cette maladie, les numérateur et dénominateur portant sur la même
période de temps. Le taux de létalité est un élément d’appréciation de la
gravité d’une maladie. Le taux de mortalité est fonction du taux de létalité
et du taux d’incidence de la maladie.
Taux de mortalité prématurée : nombre de décès au cours de l’année
d’individus âgés de moins de 65 ans/population totale des moins de 65 ans de
la même année. Cette limite d’âge anciennement définie est devenue progres-
sivement inadaptée, tout particulièrement dans les pays ayant les plus fortes
espérances de vie. En France, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a
recommandé en 2013 de repousser le seuil à 75 ans. Néanmoins, la limite à
65 ans reste employée pour des raisons de comparabilité dans le temps et entre
pays. Ainsi, le système de statistiques européen Eurostat la retient encore.
La mortalité évitable est constituée des décès attribuables à des causes
qui auraient pu être prévenues. Sa connaissance est donc cruciale pour pla-
nifier des actions de santé. Elle peut être croisée avec la précédente pour
permettre l’étude de la mortalité prématurée évitable. Elle renvoie au
concept d’exposome, ensemble des expositions modifiables (➠ Chapitre 2).
En France, la première cause de mortalité évitable est le tabagisme, avec
environ 78. 000 décès annuels. Le HCSP distingue :
–  la mortalité évitable accessible à des actions de prévention primaire
(➠ Chapitre 12) liée principalement aux comportements à risque : maladies
transmissibles pour lesquelles on dispose d’un vaccin efficace, cancers du
poumon, cancers des voies aérodigestives supérieures, cirrhoses, accidents de
la circulation, chutes accidentelles, suicides, sida.
–  la mortalité évitable par le système de soins (incluant le dépistage) : car-
diopathies ischémiques, maladies cérébro-vasculaires et hypertensives, cancers

108
Les données de santé

Partie 1. Chapitre 4.
du sein, de l’utérus, des testicules, maladie de Hodgkin, leucémies, asthme,
ulcères digestifs, appendicites, hernies abdominales, épidémies bactériennes
ou virales, mortalité maternelle…
Les années potentielles de vie perdues (APVP) sont calculées globale-
ment ou par cause. Avec cet indicateur, les causes de mortalité touchant les
sujets jeunes ont automatiquement un poids plus important.
Encadré n° 1. Les indicateurs de mortalité de la petite enfance

La mortalité de la 1re année de vie apporte des informations précieuses sur l’état sanitaire
global d’une population et son système de santé. Pour l’analyse de cette mortalité, on utilise
plusieurs taux, qui renvoient à des causes de mortalité variables :
Taux de mortalité infantile : nombre de décès d’enfants de moins d’un an pour
1 000 enfants nés vivants. Historiquement dominée par les maladies infectieuses, qui restent
une cause importante dans certains pays moins développés, elle s’explique aujourd’hui par
des maladies ou malformations congénitales, les conséquences des accouchements et des
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
décès accidentels. Elle intègre donc des facteurs propres aux fœtus et jeunes enfants, d’une
part, à la qualité des soins obstétricaux et pédiatriques, d’autre part, ainsi que le contexte
social général d’accueil de la mère et de l’enfant.
Taux de mortalité néonatale : nombre de décès d’enfants de moins de 28 jours pour
1 000 enfants nés vivants. On le divise en mortalité précoce pour les décès de la première
semaine et mortalité tardive pour les autres.
Taux de mortalité périnatale : nombre de décès d’enfants de moins de sept jours (morta-
lité néonatale précoce) et d’enfants sans vie (mortinatalité) pour 1 000 naissances totales
(nés vivants et enfants sans vie).
Taux de mortinatalité : nombre d’enfants sans vie (au-delà de 28 semaines de gestation)
pour 1 000 naissances totales.
NB : les « nés vivants » correspondent à toute naissance ayant fait l’objet d’une déclaration à l’état civil.

Lorsqu’on analyse la fluctuation d’un taux de mortalité, il est nécessaire


d’envisager différentes explications. Certaines renvoient à des causes propres
au déroulement de l’étude : erreur de calcul du dénominateur, fluctuation dans
les critères de définition des cas, erreur dans l’application de ces critères,
erreurs de codification, notamment. D’autres situations correspondent à des
évolutions réelles de la mortalité, soit par transformation de la structure d’âge
de la population, soit par variation de l’incidence (par modification de l’ex-
position à un facteur causal de la maladie ou par une moindre vulnérabilité
de la population) ou de la létalité10 (par amélioration des traitements ou au
contraire dégradation du système de santé).

10. L’appréciation correcte de la létalité suppose de déterminer de façon fiable le dénominateur,


c’est-à-dire le nombre de sujets atteints. Cela n’est pas toujours simple lorsque, comme ce fut le cas
lors de l’épidémie de Covid-19 en France en  2020, une partie des malades peuvent présenter des
signes banals et que le test de confirmation biologique n’est pas pratiqué systématiquement.

109
Partie 1. Les fondamentaux

Indicateurs de morbidité
Taux de morbidité : comme pour la mortalité, on peut calculer des taux
d’incidence ou de prévalence en fonction de l’âge, du genre, de la catégorie
socioprofessionnelle, de divers déterminants de santé. Les taux concernent de
nombreuses pathologies aiguës, chroniques, épidémiques, sans oublier leurs
aspects subjectifs et déclaratifs. La morbidité peut être observée à l’hôpital ou
en ambulatoire. On peut aussi s’intéresser à la morbidité évitable, etc.
L’espérance de vie sans incapacité (EVSI), dite aussi espérance de vie
en bonne santé ou encore années de vie en bonne santé (AVBS) est un
indicateur de pilotage des politiques européennes qui introduit, d’une part,
une perspective de qualité de vie et, d’autre part, une dimension économique
et sociale. L’EVSI est déterminée en tenant compte de l’espérance de vie
totale et de la prévalence des incapacités dans la population11. La prévalence
des incapacités est obtenue sur une base déclarative par réponse à un ques-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tionnaire ; de ce fait, les différences d’EVSI peuvent correspondre à des dif-
férences dans la prévalence des incapacités, mais aussi à des disparités dans
le ressenti et dans la facilité à déclarer d’éventuelles incapacités, ce qui ren-
voie aux représentations sociales de la maladie et du handicap et aux modalités
diverses de leur prise en charge.
Les années de vie corrigées de l’incapacité (AVCI) ou, en anglais,
Disability Adjusted Life Year (DALY) associent dans le même indicateur
les années de vie perdues et les années vécues avec une ou plusieurs inca-
pacités. Pour le calcul des années de vie perdues, on fait la différence entre
l’EV attendue (pour les pays de l’OCDE, le seuil est de 70 ans) et la mortalité
effectivement constatée. Pour tenir compte des incapacités, on convertit le
niveau d’incapacité en équivalent d’années de vie perdues, qui s’ajoutent à
celles réellement perdues (par exemple, vivre dix ans avec un niveau impor-
tant d’incapacité équivaut à vivre sept ans en bonne santé).
Il existe aussi de nombreux indicateurs propres à telle ou telle situation.
À titre d’exemple :
–  Pour caractériser la surcharge pondérale ou l’obésité, pour les personnes
âgées de 16 à 70 ans, on recourt à l’IMC, indice de masse corporelle12 (BMI
– Body mass index), qui est égal à la division du poids (en kg) par le carré
de la taille (en m). Les valeurs de l’IMC inférieures à 18 traduisent un état
de maigreur ; entre 18 et 25, une normalité du poids ; entre 25 et 30, un sur-
poids ; et une obésité au-delà de 30.
–  Le tabagisme, dont la toxicité est cumulative dans le temps, est com-
munément quantifié par le « paquet-année », qui exprime la consommation
totale en utilisant comme unité le paquet classique de 20 cigarettes. Le
« paquet-année » s’obtient en multipliant la consommation quotidienne expri-
mée en paquet par le nombre d’années pendant lequel a duré cette consom-
mation. Ainsi le tabagisme d’une personne ayant fumé 10 cigarettes par jour

11. Il est aussi possible de tenir compte de l’espérance de vie en institution pour le calcul de l’EVSI.
12. Dénommé aussi « indice de Quételet », du nom d’Adolphe Quételet, statisticien et démographe
belge (1796‑1874).

110
Les données de santé

Partie 1. Chapitre 4.
(un demi-paquet) pendant vingt ans, s’élèvera à 10 paquets-années.
L’interprétation du risque résultant n’est pas simple, car le facteur temps a
un impact plus sévère que le facteur intensité de la consommation : la même
évaluation en paquet-année peut donc correspondre à des risques différents
d’apparition d’un cancer bronchique.

4.1.3. Les indicateurs de handicap et de qualité de vie


L’OMS a produit, à vingt ans d’intervalle, deux cadres d’analyse dans le
domaine du handicap : la « classification internationale des handicaps » en
1980 et la « classification internationale du fonctionnement, du handicap et
de la santé », en 2001. Elles sont construites toutes deux sur un classement
à trois étages qui passe du biologique au social :
– La déficience (1980 et 2001) est l’altération d’une fonction ou structure
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
anatomique. Par exemple, un trouble de la sécrétion d’insuline responsable
d’une élévation du taux de glucose dans le sang (glycémie) constitutive d’un
diabète sucré ; ou encore un blocage articulaire par arthrose de la cheville
consécutif à une fracture.
– L’incapacité (1980) ou limitation des activités (2001) est la diminution
totale ou partielle de la capacité d’accomplir une activité considérée comme
normale. Par exemple, limitation de la capacité à marcher rapidement ou à
courir, en raison d’une atteinte artérielle des membres inférieurs, complication
du diabète ou d’une arthrose de cheville invalidante. La normalité de l’activité
est variable en fonction du milieu de vie d’un individu.
– Le désavantage (1980) ou restriction de la participation (2001) cor-
respond au désavantage social lié à une déficience ou une incapacité. Le
même niveau de limitation des activités n’a pas le même impact social chez
un sportif de haut niveau et chez une personne sédentaire de 80 ans. En
conséquence de cette définition, les solutions spécifiques à apporter pour
lutter contre un désavantage social sont aussi du domaine social : par exemple,
l’installation d’un ascenseur ou d’un plan incliné peut réduire considérable-
ment une restriction de la participation sans modification du niveau de défi-
cience ou de limitation des activités.
Les indicateurs utilisables dans le champ du handicap sont très nombreux
et divers. Ainsi dans l’enquête « Handicap-santé13 » l’INSEE explore les
champs suivants à partir d’informations recueillies par questionnaire : des-
cription du ménage de la personne interrogée, état de santé, déficiences, aides
techniques (prothèses et autres appareillages, aides à la mobilité ou aux fonc-
tions sensorielles, aides pour soins et traitements), limitations fonctionnelles,
restrictions d’activité, environnement familial et aide (couple, parents, enfants,
famille, amis), aménagements du logement, accessibilité. L’analyse tient
compte de données relatives au niveau scolaire, à l’emploi occupé, aux reve-
nus, aux loisirs et aux discriminations subies.

13. G. Bouvier, L’enquête Handicap-santé – présentation générale, INSEE, série des documents
de travail, 2011.

111
Partie 1. Les fondamentaux

Activités de la vie quotidienne. Deux outils, développés dans la sphère


gérontologique permettent l’évaluation des activités de la vie quotidienne
(Activities of daily living – ADL) et des activités instrumentales de la vie
quotidienne (Instrumental activities of daily living – IADL). Les ADL14
comprennent six dimensions : hygiène corporelle, habillage, aller aux toilettes,
locomotion, continence et prise des repas. Les IADL15 étudient huit dimen-
sions : usage du téléphone, faire ses courses, préparer les repas, entretien du
logement, faire la lessive, utiliser les moyens de transport, prendre ses médi-
caments, gérer son budget.
Un autre type d’indicateur peut permettre de quantifier la dépendance et
le besoin d’aide : la mesure de l’intervalle de temps entre chaque interven-
tion16. On peut ainsi distinguer quatre situations :
–  la grande dépendance, caractérisée par un besoin permanent d’aide, soit
parce que la personne exige une surveillance constante, soit parce que le besoin
peut survenir n’importe quand ;
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  la dépendance intermédiaire, caractérisée par un besoin quotidien mais
pas permanent (préparer les repas, s’habiller…) ;
– la dépendance faible, caractérisée par un besoin d’aide moins que quoti-
dien : ménage, courses, certains soins d’hygiène… ;
–  la non-dépendance.
En 1993, l’OMS a ainsi défini la qualité de vie : « La perception qu’a un
individu de sa place dans l’existence, dans le contexte de la culture et du
système dans lequel il vit, en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses
normes et ses inquiétudes. ». Dans cette définition, on voit bien que la qualité
de vie est une notion, d’une part subjective (la perception) et, d’autre part
multi-déterminée. Cette remarque explique les caractéristiques d’ensemble
des indicateurs utilisés.
Parmi les indicateurs globaux de qualité de vie validés pour la France17,
on peut citer le profil de santé de Duke, l’EuroQol (Euro Quality of Living),
le QWB (Quality of Well Being), l’ISPN (indicateur de santé perceptuelle
de Nottingham) ou le NHP (Nottingham Health Profile). Au niveau européen,
dans le cadre de la « Beyond GDP Initiative »18, Eurostat et les instituts
statistiques européens travaillent sur le sujet dans le but d’obtenir des indi-
cateurs comparables entre les 27 États membres. Eurofound travaille égale-
ment sur le sujet et mène une enquête quadri annuelle depuis 2003.

14. S. Katz., A.B. Ford, R.W. Moskowitz et al., « Studies of illness in the aged : The index of ADL : A
standardized measure of biological and psychosocial function », JAMA, 1963, vol. 185, n° 12, p. 914‑919.
15. M.P. Lawton, E.M. Brody, « Assessment of older people : Self-maintaining and instrumental
activities of daily living », The Gerontologist, 1969, vol. 9, p. 179‑186.
16. B. Isaacs, Y. Neville, « The needs of old people. The “interval” as a method of measurement »,
British Journal of Preventive and Social Medicine, 1976, n° 30, p. 79‑85.
17. Cette précision est importante en raison de la nature sociale et subjective du sujet, qui nécessite
de vérifier par exemple qu’un questionnaire est compréhensible et fait sens correctement pour le
répondant.
18. « Beyond GDP : Beyond Gross Domestic Product » (« Au-delà du produit intérieur brut ») est
un programme visant à développer des indicateurs complémentaires des indicateurs économiques
classiques, tout particulièrement dans les champs sociaux et environnementaux.

112
Les données de santé

Partie 1. Chapitre 4.
Les Quality Adjusted Life Years (QALYs), années de vie ajustées sur
la qualité, correspondent à un indicateur intégrant la qualité de vie et utilisé
dans le champ économique. Le QALY est utilisé pour évaluer l’intérêt d’une
intervention sanitaire : une année de vie en bonne santé vaut 1 ; à l’inverse,
une intervention causant la mort correspond à un QALY égal à 0. Les inca-
pacités et les handicaps font varier le QALY entre 0 et 1. Le QALY permet
donc de réunir dans une seule valeur la quantité et la qualité de vie. La
qualité est ici mesurée par le patient ou le bénéficiaire. Le recueil de l’in-
formation se fait habituellement par questionnaire. Par exemple, on peut
demander à une personne d’évaluer son état de santé sur une échelle visuelle
analogique (il faut placer un curseur correspondant à sa situation sur une
ligne graduée de 0 à 10). On peut aussi demander à un patient combien
d’années de vie il est prêt à risquer en vue d’une intervention qui améliorera
sa qualité de vie. L’utilisation du QALY a fait l’objet de discussions sur son
caractère éthique.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
4.1.4. Indicateurs relatifs aux services de santé

Indicateurs d’équipement19
Les indicateurs de structure représentent les moyens humains, les équipe-
ments et les ressources financières alloués à la prise en charge des patients,
par exemple :
–  Nombre de professionnels de santé/100 000 habitants ;
–  Nombre de lits ou de places/100 000 habitants. On peut distinguer plus fine-
ment l’hospitalisation complète ou à temps partiel ; les lits de psychiatrie pour
adultes et ceux pour enfants et adolescents ; les lits de réanimation ou ceux destinés
aux grands brûlés, les postes de dialyse ; le statut juridique, public ou privé, etc. ;
–  Nombre d’appareils/100 000 habitants : scanners, équipements de réso-
nance magnétique nucléaire, de radiothérapie, etc.
L’établissement de ces différents taux est d’autant plus important et facile à
faire qu’ils concernent des équipements soumis à autorisation administrative.

Indicateurs d’activité
Il s’agit des statistiques d’utilisation des services de santé : nombre de
passages dans un service d’urgences, journées d’hospitalisation produites,
nombre d’actes de chirurgie, de radiodiagnostic, taux d’occupation de lits,
taux de recours à un dispositif de dépistage organisé d’un cancer, taux de
vaccination, durée moyenne de séjour, etc.

19. Pour ces indicateurs, on peut consulter le site de la HAS (www.has-sante.fr) ou le mémento
STATISS (Statistiques et indicateurs de la santé et du social), qui regroupe, au niveau national, et
régional, les données essentielles sur les professions de santé et sur les établissements sanitaires et
médico-sociaux.

113
Partie 1. Les fondamentaux

Indicateurs de qualité ou de performance


Ces indicateurs sont très nombreux. Ils peuvent explorer les différentes
composantes de la qualité : efficacité, efficience, sécurité, performance tech-
nique, prise en compte des préférences du patient.
Ils peuvent s’intéresser aux organisations, aux processus (par exemple,
taux d’utilisation d’un équipement d’imagerie) ou aux résultats obtenus,
recherchés ou imprévus (par exemple, taux de ré-hospitalisation précoce).
Les délais de prise en charge (accueil dans un service d’urgences ou
dans une maternité ; accès à un traitement, tel que la mise en place d’une
prothèse de hanche) sont souvent mis en exergue et recouvrent de fait plu-
sieurs dimensions de la qualité20.
Une organisation particulière dite de vigilance (➠ Chapitre 13) existe pour
plusieurs secteurs du système de santé et génère des indicateurs spécifiques,
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
notamment :
–  la pharmacovigilance pour les médicaments ;
–  la matériovigilance pour les dispositifs médicaux ;
–  l’hémovigilance pour les produits sanguins.
En France, en application de dispositions issues de la loi « Hôpital, patient,
santé, territoire »21 (HPST), les établissements de santé doivent mettre à dispo-
sition du public un ensemble d’indicateurs, tandis que d’autres indicateurs servent
à déterminer une partie de leur financement. Les indicateurs destinés au public
sont accessibles sur www.scopesante.fr.

20. Par exemple, pour les accidents vasculaires cérébraux, la HAS retenait en 2011, parmi six in-
dicateurs de qualité de la prise en charge, deux indicateurs de délai : délai d’accès à l’imagerie en
première intention et délai d’accès à une évaluation par un professionnel de la rééducation.
21. Arrêté du 10  février 2017 fixant la liste des indicateurs obligatoires pour l’amélioration de
la qualité et de la sécurité des soins et les conditions de mise à disposition du public de certains ré-
sultats par l’établissement de santé.

114
Les données de santé

Partie 1. Chapitre 4.
Encadré n° 2. Indicateurs de qualité et de sécurité des soins hospitaliers
mis à disposition du public

Ces indicateurs sont diffusés par la HAS et sont fréquemment actualisés. En 2018, ils por-
taient sur les thèmes suivants.
Infections associées aux soins
– Indicateur de consommation de produits hydroalcooliques pour l’hygiène des mains en
MCO (médecine chirurgie obstétrique), HAD (hospitalisation à domicile), SSR (soins de
suite et de réadaptation), SLD, (soins de longue durée) et PSY (santé mentale).
– Indicateur composite des activités de lutte contre les infections nosocomiales en MCO,
HAD, SSR, PSY, SLD.
– Indicateur composite des activités de lutte contre les infections du site opératoire en MCO.
Satisfaction des patients hospitalisés
–  Niveau de satisfaction des patients hospitalisés plus de deux jours en MCO.
Prise en charge initiale de l’accident vasculaire cérébral (AVC)
–  Réalisation d’une expertise neuro-vasculaire.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  Évaluation par un professionnel de la rééducation.
–  Dépistage des troubles de la déglutition.
–  Programmation d’une consultation post-AVC.
Prise en charge des patients hémodialysés chroniques
–  Surveillance nutritionnelle et état nutritionnel.
– Surveillance du statut martial du patient traité par un agent stimulant l’érythropoïèse22.
– Appréciation de l’épuration extra-rénale et modalités de prescription des séances (durée
et périodicité).
–  Évaluation annuelle de l’accès à la transplantation rénale.
Prise en charge et prévention de l’hémorragie du post-partum
–  Prévention de l’hémorragie lors de la délivrance après un accouchement.
– Surveillance clinique minimale en salle de naissance dans les deux heures après
l’accouchement.
–  Prise en charge initiale de l’hémorragie du post-partum.
Tenue du dossier du patient
–  Tenue d’un dossier patient en MCO, SSR, HAD et PSY.
–  Existence d’un document de sortie en MCO.
–  Délai d’envoi du courrier de fin d’hospitalisation en SSR, HAD et PSY.
–  Traçabilité de l’évaluation de la douleur en MCO, SSR et HAD.
–  Dépistage des troubles nutritionnels en MCO, SSR, et PSY.
–  Suivi du poids en HAD.
–  Traçabilité de l’évaluation du risque d’escarre en HAD.
Tenue du dossier d’anesthésie
–  Tenue d’un dossier d’anesthésie.
– Traçabilité de l’évaluation de la douleur postopératoire avec une échelle en salle de soins
post-intervention (SSPI, appelée souvent « salle de réveil »).
Réunion de concertation pluridisciplinaire en cancérologie (RCP)
–  Tenue de réunions de concertation pluridisciplinaire en cancérologie.
– Trace d’une RCP datée, comportant la proposition de prise en charge et réalisée avec au
moins trois professionnels de spécialités différentes.
Prise en charge préopératoire pour une chirurgie de l’obésité chez l’adulte
–  Bilan des principales comorbidités lors de la phase d’évaluation préopératoire.
–  Endoscopie oeso-gastroduodénale lors de la phase d’évaluation préopératoire.

22. Une insuffisance rénale peut s’accompagner d’une anémie avec carence en fer (carence martiale).

115
Partie 1. Les fondamentaux

–  Évaluation psychologique/psychiatrique lors de la phase d’évaluation préopératoire.


–  Décision issue d’une réunion de concertation pluridisciplinaire.
–  Communication de la décision de la RCP au médecin traitant.
–  Information préopératoire minimale du patient.
– Bilan biologique nutritionnel et vitaminique du patient lors de la phase d’évaluation
préopératoire.

4.1.5. Indicateurs comportementaux, environnementaux,


économiques et de protection sociale
Ils sont, eux aussi nombreux et divers, explorant les déterminants envi-
ronnementaux de la santé :
–  pour l’environnement économique et social : produit intérieur brut (PIB),
revenus, chômage, type d’emploi, niveau de diplôme, etc. (➠ Chapitre 6) ;
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  pour l’environnement physique : indicateurs de qualité des milieux de vie
ou de travail, eaux potables, de baignade ou récréatives, air, sols ; de nature
variée, chimique, physique, microbiologique…
Voici quelques exemples :
– La consommation de tabac : vente totale annuelle, types de tabac
consommés (cigarette, cigares, cigarillos, tabac à rouler).
– La consommation d’alcool : consommation annuelle ; épisodes d’ivresse
au cours de l’année ; alcoolisation ponctuelle importante (six verres ou plus
en une même occasion).
–  La consommation de drogues illicites : on distingue l’expérimentation
de l’usage régulier avec ou sans consommation de soins afférents. En ce
qui concerne l’expérimentation, les enquêtes déclaratives en population géné-
rale permettent d’obtenir des chiffres acceptables, mais qui ne sont pas
fortement corrélés aux conséquences sanitaires de la consommation. La
situation est différente pour l’usage régulier. Si la consommation du canna-
bis, assez banalisée en France peut être évaluée par enquête déclarative, en
revanche une mesure fiable de l’usage régulier d’autres substances (opiacés,
LSD, crack, produits détournés de leurs usages habituels…) nécessite d’uti-
liser des indicateurs particuliers : en France, pour la consommation illicite
d’opiacés on se réfère au nombre de personnes bénéficiant d’un traitement
de substitution aux opiacés (Méthadone ou Buprénorphine haut dosage), qui
intègre à la fois le niveau de consommation et l’importance des prises en
charge.
– L’absentéisme au travail ou scolaire peut révéler des situations épi-
démiques, de souffrance ou d’inadéquation des organisations aux besoins des
personnes. Il en est de même de l’analyse du taux de renouvellement des
professionnels sur certains postes (par exemple, le turn-over du personnel
soignant dans un service hospitalier).
–  La surveillance des indicateurs météorologiques et notamment de la
température pour repérer les seuils de grand froid ou de canicule et déclencher,
le cas échéant, les alertes adéquates. Ainsi, en France, le plan « Grand froid »

116
Les données de santé

Partie 1. Chapitre 4.
retient trois niveaux d’alerte : « temps froid », pour des températures positives
dans la journée et entre 0 et – 5 °C la nuit ; « grand froid », pour les tempé-
ratures négatives en journée et entre – 5° et – 10° la nuit ; « froid extrême »,
avec températures négatives le jour et inférieures à – 10° la nuit.
–  La surveillance des eaux des piscines s’intéresse à la présence de bac-
téries aérobies revivifiables à la chaleur (en UFC23 /100  ml), de bactéries
coliformes, de coliformes fécaux, de Pseudomonas aeruginosa (bacille pyo-
cyanique) et de staphylocoques pathogènes.
–  L’OMS recommande les valeurs maximales suivantes pour surveiller
la qualité de l’air :
• particules fines (PM 2,5) : 10 μg/m3 en moyenne annuelle, et 25 μg/m3 en
moyenne sur vingt-quatre heures ;
• particules fines (PM 10) : 20 μg/m3 en moyenne annuelle, et 50 μg/m3 en
moyenne sur vingt-quatre heures ;
• ozone (O3) : 100 μg/m3 en moyenne sur huit heures ;
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
• dioxyde d’azote (NO2) : 40 μg/m3 en moyenne annuelle, et 200 μg/m3 en
moyenne horaire ;
• dioxyde de soufre (SO2) : 20 μg/m3 en moyenne sur 24 heures, et 500 μg/m3
en moyenne sur dix minutes.
Pour les pollens, on utilise un index pollinique (cumul des concentrations
journalières en pollen sur l’ensemble de la saison étudiée) et un risque
allergique d’exposition au pollen, allant de 0 (risque nul) à 5 (risque très
élevé).
– Les indicateurs entomologiques (notamment pour les moustiques) contri-
buent au pilotage de la lutte contre les maladies à transmission vectorielle, tels
la dengue ou le chikungunya. On utilise ainsi plusieurs indicateurs :
• indice d’habitations (pourcentage d’habitations dans lesquelles des larves
ou des nymphes de moustique ont été retrouvées) ;
• indice de récipients (pourcentage de gîtes larvaires potentiels dans lesquels
des larves ou des nymphes de moustiques ont été retrouvées) ;
• indice de Breteau (nombre de gîtes larvaires dans lesquels des larves ou
des nymphes de moustiques ont été retrouvées pour 100 maisons visitées).

4.1.6. Indicateurs composites


Les indicateurs composites regroupent sous une forme finale unique
(classement, pourcentage) plusieurs données de nature différentes mais
complémentaires.
Leur utilisation suppose une construction rigoureuse et cohérente. La ques-
tion d’une éventuelle pondération entre les indicateurs intégrés dans l’indi-
cateur final est un sujet sensible car susceptible de faire varier considérablement
l’information obtenue.

23. UFC : unité formant colonie, qui permet de dénombrer les bactéries vivantes.

117
Partie 1. Les fondamentaux

En France, par exemple, la surveillance des infections associées aux soins


recourt à des indicateurs composites (voir encadré sur les indicateurs de
qualité et de sécurité des soins).
Le Programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) utilise
un indicateur composite pour caractériser le niveau de développement d’un
pays : l’indicateur de développement humain (IDH), qui regroupe quatre indi-
cateurs (l’espérance de vie à la naissance, le PIB par habitant, la durée
moyenne de scolarisation et la durée attendue de scolarisation).
En 2000, l’OMS a publié un classement des systèmes de santé au niveau
mondial24. Le système français apparaissait au premier rang. Le classement
reposait sur l’agrégation de plusieurs indicateurs explorant cinq dimensions :
le niveau de santé général de la population, les inégalités de distribution de
la santé dans la population (qualité et équité), la réactivité générale du système
(respect de la personne et attention portée au client), les inégalités de distri-
bution de la réactivité et enfin, la répartition de la charge du financement du
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
système. Ce type de classement concernant des systèmes de santé divers et
confrontés à des enjeux sanitaires très différents est particulièrement sensible
à la pondération des items : le classement de la France s’explique notamment
par l’importance donnée à l’accessibilité aux soins.

4.2. Les principales sources de données de santé

Le règlement européen d’avril 201625 définit ainsi les données de santé : ce


sont « les données à caractère personnel relatives à la santé physique ou mentale
d’une personne physique, y compris la prestation de services de soins de santé,
qui révèlent des informations sur l’état de santé de cette personne ».
Les données de santé sont recueillies de diverses manières. On peut dis-
tinguer ainsi une méthode déclarative, qui consiste à demander aux individus
de quelles maladies (ou symptômes, ou incapacité, ou comportement, etc.) ils
sont porteurs. Cette méthode, simple, présente de réelles limites : pour déclarer
une maladie, encore faut-il savoir qu’on en est atteint, puis accepter de le
dire, en s’affranchissant par exemple du biais de désirabilité sociale
(➠ Chapitre  3). Les données de santé peuvent être aussi issues d’examens
de santé. Il est aussi possible de s’intéresser aux conséquences des maladies
par l’étude des activités du système de soins.
Les sources de données sont très nombreuses et diversifiées. Aucune
d’elles n’apporte l’ensemble des informations nécessaires pour évaluer une
problématique de santé publique ; leur articulation est donc un enjeu

24. OMS, Rapport sur la santé dans le monde 2000. Pour un système de santé plus performant,
OMS, 2000.
25. Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la
protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la
libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protec-
tion des données).

118
Les données de santé

Partie 1. Chapitre 4.
important. Elles concernent l’état de santé de la population (mortalité, mor-
bidité), les déterminants de santé (démographiques, économiques, environ-
nementaux, comportementaux, organisationnels, etc.), l’activité du système
de santé. Elles peuvent intervenir à différents temps de la démarche de santé
publique, depuis la conception d’une enquête jusqu’à l’évaluation d’une
action.
Ces données n’ont donc pas toutes le même usage. Leur degré de précision
varie également, allant de données très fines (par exemple, des données indi-
viduelles ou correspondant à l’échelon géographique le plus petit disponible)
à des données agrégées, comme des statistiques nationales ou
continentales.
En pratique, une difficulté majeure est la mise en relation de ces données
pour en faire des informations utiles, et cela en raison de la multiplicité des
sources, de l’hétérogénéité des définitions et des modes de collecte. La repré-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
sentativité et l’exhaustivité des données doivent souvent être questionnées.
En France, pour améliorer la situation, ont été mis en place à partir de
1982 les Observatoires régionaux de la santé (ORS) qui mettent à disposition
des présentations synthétiques et globales de la situation sanitaire pour chaque
région. Au niveau national, un Réseau national de santé publique apparaît en
1992 puis évolue ensuite dans le cadre de l’Institut de la veille sanitaire et
aujourd’hui de l’Agence nationale de santé publique (Santé publique France).
Le portail « Épidémiologie-France » créé par l’Aviesan (Alliance nationale
pour les sciences de la vie et de la santé) répertorie de nombreuses bases de
données (https://epidemiologie-france.aviesan.fr).
Sans prétendre à l’exhaustivité, voici les principales sources de données
françaises.

4.2.1. Données démographiques


L’INSEE exploite les données issues des recensements de la population,
ainsi que les données d’état civil : certificats de naissances, de décès, nuptialité
(mariage, PACS) produites par l’Institut national des études démographiques
(INED).

4.2.2. Données économiques, sociales, environnementales


Elles sont évidemment très nombreuses et diverses, collectées par de mul-
tiples entités et constituées de statistiques de routine (INSEE pour tout ce
qui traite de l’activité économique, de l’emploi, etc., statistiques des différents
ministères ou agences concernés) ou d’enquêtes spécifiques :
–  revenus, prestations sociales (santé, maternité, vieillesse, handicap, dépen-
dance, Aide sociale à l’enfance) ;
–  catégories socioprofessionnelles ;
–  éducation (niveau et types d’études, diplômes) ;
–  activités économiques, emploi ;

119
Partie 1. Les fondamentaux

–  environnement physique (eaux, airs extérieur ou intérieur, sols, climat, etc.),


conditions de travail ;
–  caractéristiques de l’alimentation, consommations d’alcool, de tabac, pra-
tiques sexuelles.

4.2.3. Données sanitaires


On distingue ici habituellement les données de mortalité et de morbidité.
Il est nécessaire de citer aussi les caractéristiques génétiques des individus,
domaine qui sera certainement en plein développement dans un avenir proche.

Données de mortalité
Exploitation des bulletins de décès (INSEE) et des certificats médicaux
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de décès (INSERM). L’établissement des causes médicales de décès souffre
de la qualité variable de l’information médicale des certificats.

Données de morbidité et/ou de mortalité


–  Statistiques des maladies à déclaration obligatoire, dispositif qui est
limité à certaines maladies et qui souffre d’un manque d’exhaustivité.
–  Exploitation des certificats de santé obligatoires des enfants26.
–  Enquêtes décennales INSEE-CREDES, qui, entre 1960 et 2003 ont apporté
une description de l’état de santé de la population française, de sa consommation
de soins curatifs et préventifs et une analyse de ces données en fonction des
caractéristiques socio-démographiques des individus et des ménages.
–  Études de morbidité hospitalière, ambulatoire ; coupes transversales,
enquêtes « un jour donné ».
–  Données du programme de médicalisation des systèmes d’information
(PMSI).
–  Statistiques médico-économiques de la Sécurité sociale sur les accidents
du travail et les maladies professionnelles, les affections de longue durée
(ALD), des centres d’examen de santé (volumes d’activité, consommation
médicale, remboursements). Certaines pathologies, chroniques principalement
sont particulièrement intéressantes à étudier dans la mesure où elles impliquent
de multiples acteurs du système de soins ; ces « pathologies traceuses » sont, par
exemple le diabète, les maladies neurodégénératives, les cardiopathies isché-
miques (angine de poitrine, infarctus du myocarde).

26. Trois certificats de santé de l’enfant sont établis lors d’examens médicaux obligatoires : dans
les huit premiers jours de vie, au cours du neuvième mois et au cours du vingt-quatrième mois. Les
certificats médicaux sont adressés au service de PMI du département de résidence des parents.

120
Les données de santé

Partie 1. Chapitre 4.
Encadré n° 3. Les maladies à déclaration obligatoire (MDO) en France en 2020

Le dispositif des MDO repose sur un ensemble d’obligations légales et réglementaires


décrites aux articles L3113‑1 et D3113‑1 à D3113‑7 du Code de la santé publique. L’article
L3113‑1 indique que : « Font l’objet d’une transmission obligatoire de données individuelles
à l’autorité sanitaire par les médecins et les responsables de service et laboratoires de bio-
logie médicale publics et privés :
– les maladies qui nécessitent une intervention urgente locale, nationale ou
internationale ;
– les maladies dont la surveillance est nécessaire à la conduite et à l’évaluation de la poli-
tique de santé publique. »
De ce fait, on distingue deux procédures (art. D3113‑1 du CSP) : d’une part, la notification
obligatoire de tous les cas de maladies inscrites sur une liste à des fins de surveillance épi-
démiologique et, d’autre part, le signalement sans délai des cas de maladies pouvant
nécessiter une intervention urgente.
La liste est arrêtée par le ministre chargé de la santé et s’inscrit aux articles D3113‑6 (signa-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
lement) et D3113‑7 (notification) du CSP.
En 2020, la liste comprend 34 maladies, presque toutes infectieuses (à l’exception du méso-
théliome, lié à l’exposition à l’amiante, et du saturnisme infantile, intoxication par le plomb).
Les maladies qui ne sont pas visées par la procédure de signalement sont au nombre de
quatre et sont marquées d’un * :
–  botulisme ; –  listériose ;
–  brucellose ; –  mésothéliomes *;
–  charbon ; –  orthopoxviroses, dont la variole ;
–  chikungunya ; –  paludisme autochtone ;
–  choléra ; – paludisme d’importation dans
– dengue (dans les départements figurant les départements d’outre-mer ;
sur une liste fixée par arrêté du ministre –  peste ;
de la santé) ; –  poliomyélite ;
–  diphtérie ; –  rage ;
– fièvres hémorragiques africaines (fièvres –  rougeole ;
Ebola, Lassa et Marburg) ; –  rubéole ;
–  fièvre jaune ; –  saturnisme chez les enfants mineurs ;
– fièvres typhoïdes et fièvres – schistosomiase (bilharziose) urogénitale
paratyphoïdes ; autochtone ;
–  hépatite virale A aiguë ; – suspicion de maladie de Creutzfeldt-
– infection aiguë symptomatique Jakob et autres encéphalopathies
par le virus de l’hépatite B * ; subaiguës spongiformes transmissibles
–  infection invasive à méningocoque ; humaines ;
– infection par le virus de l’immuno­ –  tétanos *;
déficience humaine (VIH), –  toxi-infection alimentaire collective ;
quel que soit le stade *; –  tuberculose ;
–  légionellose ; –  tularémie ;
–  typhus exanthématique ;
–  infection par le virus Zika.
La notification des cas se fait auprès du médecin de l’ARS, à l’aide de fiches standardisées
adaptées à chaque maladie.

121
Partie 1. Les fondamentaux

Encadré n° 4. Le PMSI

Le Programme de médicalisation des systèmes d’information repose sur un recueil de don-


nées administratives et médicales qui permet ensuite un classement et un regroupement
de séquences de prise en charge. Puis les groupes ainsi constitués font l’objet d’une valori-
sation financière. Il s’agit donc fondamentalement d’un outil d’allocation de ressources aux
producteurs de soins, mais il peut aussi servir à la planification de l’offre de soins.
Il existe en fait plusieurs PMSI qui sont apparus progressivement : médecine, chirurgie et
obstétrique (MCO) en 1991, soins de suite et rééducation (SSR) en 1998, psychiatrie en 2002,
hospitalisation à domicile (HAD) en 2005.
Le recueil d’informations initial se fait sous une forme standardisée à l’aide d’un descriptif
de séjour, le résumé d’unité médicale (RUM), l’unité médicale étant une structure indivi-
dualisée de production de soins, typiquement un service hospitalier. En MCO, le recueil
d’information se fait sur la base du séjour et aboutit à un résumé de sortie standardisé
(RSS). Si le séjour du patient s’est effectué dans une seule unité médicale, le RUM égale le
RSS ; dans le cas contraire, le RSS est constitué de la somme chronologique des RUM.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
En SSR, le recueil est hebdomadaire (RHS : résumé hebdomadaire standardisé) ; en psychia-
trie, le recueil se fait par séquence de soins (RPS : résumé par séquence) et en HAD par
sous-séquence de soins (RPSS : résumé par sous-séquence).
En MCO, le RSS comprend des informations administratives (numéro de RSS, numéro de
l’unité médicale, identification de l’établissement27 et du patient (sexe, date de naissance,
code postal du lieu de résidence), dates et mode d’entrée et provenance du patient, mode
de sortie et destination, nombre de séances, le cas échéant) et des données médicales
(diagnostic principal ayant motivé l’entrée du patient, diagnostic relié28, diagnostics associés,
indice de gravité, actes réalisés ainsi que des données spécifiques à certaines situations :
type de matériel de radiothérapie et de dosimétrie, poids à l’entrée pour les nouveau-nés,
âge gestationnel et âge des nouveau-nés).
Le recueil des données est assuré au sein des établissements de santé par les DIM, départe-
ments d’information médicale, selon des nomenclatures officielles standardisées afin d’ho-
mogénéiser l’information et de permettre l’automatisation de son traitement. Le DIM est
toujours placé sous la responsabilité d’un médecin et l’ensemble du dispositif de recueil et
de traitement des données est soumis à l’avis de la CNIL, Commission nationale de l’infor-
matique et des libertés.
La procédure de classement et regroupement aboutit à la constitution de GHM, les groupes
homogènes de malades, construits sur une double approche médico-économique à la fois
de cohérence clinique et de consommation de moyens pour la prise en charge29. Les dia-
gnostics sont codés selon la Classification internationale des maladies de l’OMS (CIM 10)
et les actes sont codés à l’aide de la CCAM (classification commune des actes médicaux),
consultable sur le site de l’Assurance maladie.
Chaque RSS est classé dans un GHM selon une procédure permettant de verser chaque RSS
dans un seul GHM. Les RSS sont classés en tenant compte tout d’abord du diagnostic principal
permettant une répartition par catégories majeures de diagnostic (CMD). Il existe 28 CMD ;
23 renvoient à des groupes de pathologies par appareils anatomiques et fonctionnels (par
exemple, affections de l’appareil respiratoire, affections du rein et des voies urinaires…) ;

27. Numéro de l’établissement dans le Fichier national des établissements sanitaires et sociaux
(FINESS).
28. Un diagnostic relié (DR) permet de rattacher un diagnostic principal (DP) à une pathologie
lorsque le DP ne la mentionne pas (par exemple, DP : anémie au cours de maladies tumorales et DR :
tumeur maligne du col de l’utérus).
29. La classification française des GHM dérive des travaux américains de Robert Fetter sur les
Diagnosis Related Groups (DRG).

122
Les données de santé

Partie 1. Chapitre 4.
dans certains cas pour lesquels le diagnostic n’est pas l’élément clé d’analyse médico-
économique, la CMD est définie différemment : maladies dues à une infection par le VIH
(CMD 25), traumatismes multiples graves (CMD 26), les transplantations d’organes (CM
27). Le diagnostic principal du RSS est celui du RUM si le séjour s’est fait dans une seule unité
médicale ; dans le cas contraire, un algorithme détermine le diagnostic principal en tenant
compte pour chaque RUM de l’existence éventuelle d’un acte classant30, du rang chrono-
logique du RUM dans le RSS, de la part de la durée de séjour totale rattachée au RUM.
Le classement des RSS s’appuie aussi sur l’existence de séances (qui induit le classement
dans la CMD 28) ; puis au sein de la CMD on différencie les GHM en fonction de la nature
des séances (ex : dialyse, radiothérapie…).
Les diagnostics associés servent tout particulièrement à repérer des complications, qui
sont les situations cliniques induisant une augmentation de la durée de séjour et dont
l’importance est classée en quatre niveaux, de 1, sans impact, à 4, impact majeur sur la durée
de séjour. À chaque niveau de gravité prévu par l’algorithme correspond un GHM.
L’algorithme élimine les diagnostics associés lorsque ceux-ci renvoient en fait au diagnostic
principal (par ex : complication hémorragique de même nature que l’hémorragie définissant
le diagnostic principal). Le classement des RSS tient compte aussi de l’âge des patients
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
(< 2 ans, > 69 ans, > 79 ans) ainsi que de limites d’âge propres à certaines prises en charge.
Enfin, pour assurer un classement exhaustif des RSS, il existe une catégorie majeure (CM 90)
consacrée aux « Erreurs et autres séjours inclassables ».
La répartition de l’ensemble des RSS d’un établissement dans les différents GHM définit le
case mix, c’est-à-dire le « profil » de l’établissement en termes de pathologies et de modalités
de prise en charge.
La transmission de l’information à toute entité (ARS, direction d’établissement, DGOS…)
qui n’est pas autorisée à accéder à des informations nominatives se fait sous forme de
résumés de sortie anonymes (RSA).
Il est aussi possible de reconstituer les différentes hospitalisations d’un même patient au
moyen d’un numéro d’anonymisation permettant de chaîner les séjours.
L’allocation de ressources se fait par l’application au GHM d’un GHS, groupe homogène
de séjours, établi au moyen de l’Étude nationale des coûts et qui correspond à la traduction
financière de l’activité mise en œuvre dans le GHM. En pratique, à un GHM correspondent
ordinairement plusieurs GHS pour tenir de la gravité variable des cas.

–  Statistiques des services de Protection maternelle et infantile (PMI),


médecine scolaire et universitaire, médecine du travail, du Service de santé des
armées, maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), des
bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie31 (APA) et données
issues de l’utilisation de la grille AGGIR32 (Autonomie Gérontologique Groupe
Iso-Ressource) et des « coupes PATHOS33 », de l’industrie pharmaceutique et
biomédicale.

30. Un acte classant est un acte pouvant à lui seul changer une affectation dans un GHM.
31. L’APA, créée par la loi no 2001‑647 du 20 juillet 2001, est une aide financière pour les per-
sonnes dépendantes. Elle permet de financer des aides matérielles ou du temps d’intervention profes-
sionnelle au domicile, ou bien encore une part du coût d’un hébergement en institution.
32. La grille d’évaluation AGGIR permet de mesurer le degré de dépendance d’une personne en
vue de l’attribution de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Il existe six niveaux de dépen-
dance, dits groupes « iso-ressources » (GIR). À chaque GIR correspond un niveau de besoin d’aide
pour accomplir les activités de la vie quotidienne.
33. PATHOS est un outil d’évaluation complémentaire de la grille AGGIR mesurant les soins
médico-techniques nécessaires aux personnes dépendantes.

123
Partie 1. Les fondamentaux

–  Réseaux de surveillance ou de prise en charge de pathologies, par


exemple : réseaux ville-hôpital, Réseau national de surveillance des gonocoques
(« RENAGO »), réseau Sentinelle de médecins généralistes volontaires pour la
surveillance des syndromes grippaux, Réseau national de surveillance aérobio-
logique (pollens), des Centres nationaux de référence34.
–  Activité des Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des
risques pour les usagers de drogues (CAARUD), Centres de soins, d’accompagne-
ment et de prévention en addictologie (CSAPA) et des Centres gratuits d’informa-
tion, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles
(CeGIDD).
–  Données issues du suivi de cohortes permanentes (➠ Chapitre 3).
–  Statistiques policières, douanières et judiciaires pour les accidents de la voie
publique, violences domestiques, toxicomanies illégales, saisies de stupéfiants, etc.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Les registres épidémiologiques
Un registre épidémiologique est un « recueil continu et exhaustif de don-
nées nominatives intéressant un ou plusieurs événements de santé dans une
population géographiquement définie, à des fins de recherche et de santé
publique, par une équipe ayant les compétences appropriées35 ».
L’objectif principal d’un registre est de déterminer le plus précisément
possible l’incidence et la prévalence d’une pathologie donnée sur un territoire
donné (souvent un département). Le registre permet aussi de cerner les carac-
téristiques des individus atteints, en ce qui concerne la pathologie et d’éventuels
facteurs de risque. Il peut servir aussi à l’évaluation d’actions de santé, en
premier lieu des dépistages organisés. Un registre doit disposer de données
nominatives (en pratique, confidentielles, mais pas anonymes) afin de pouvoir
réaliser un décompte des cas, exhaustif et sans double compte.
Il existe actuellement en France 59 registres reconnus par les ministères
de la santé et de la recherche et bénéficiant à ce titre d’un financement public,
dont 29 sont des registres de cancers (soit des registres généraux, soit spé-
cialisés : appareil digestif, système nerveux central, gynécologie, hématologie,
mésothéliomes pleuraux, tumeurs de l’enfant) avec aussi cinq registres de
malformations congénitales, trois de cardiopathies ischémiques, trois d’acci-
dents vasculaires cérébraux, douze de maladies rares et sept autres consacrés
à diverses maladies.
Les registres sont des outils intéressants en épidémiologie descriptive. Ils
sont cependant coûteux et n’offrent en toute rigueur qu’une connaissance
limitée au territoire surveillé. Il n’est donc pas envisageable de généraliser
une telle organisation.

34. Les Centres nationaux de référence (CNR) sont des laboratoires experts en microbiologie. Ils
participent à la lutte contre les maladies transmissibles dans le cadre de l’action de Santé publique
France (art. L. 1413‑3 du CSP). Les CNR sont spécialisés par maladie ou agent infectieux (rage ou
méningocoques, par exemple).
35. Définition du Comité national des registres français, novembre 1995.

124
Les données de santé

Partie 1. Chapitre 4.
La surveillance syndromique
L’importance et la rapidité des échanges au niveau mondial, l’intensité et
la soudaineté de certaines atteintes à la santé des populations, la survenue
possible de maladies nouvelles ou de forme inhabituelle (maladies émergentes
ou ré-émergentes) imposent d’être capable d’identifier très rapidement des fluc-
tuations notables d’une situation sanitaire afin de déclencher une alerte et de
mettre en œuvre des mesures de sécurité sanitaire adaptées. Il peut s’agir de
détecter un phénomène inconnu à l’avance ou de repérer la survenue d’une
situation classique, telle que l’arrivée d’une épidémie de grippe saisonnière.
La finalité de la surveillance syndromique est de produire une information
sur l’état de santé d’une population à un rythme rapproché, idéalement en
temps réel, en pratique quotidien, permettant ainsi de connaître la situation
de base (le « bruit de fond ») de fonctionnement du système et d’identifier
tout écart significatif à cette base. En plus de la détection de la survenue d’un
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
phénomène inattendu, cette surveillance permet aussi d’évaluer l’impact d’un
événement à conséquence sanitaire ou de repérer l’arrivée d’une situation
attendue, telle qu’une épidémie de grippe saisonnière. Le fonctionnement
d’un tel dispositif implique une automatisation poussée de la transmission
des données, d’où l’intérêt de la certification électronique des décès.
Le concept a émergé aux États-Unis dans les années 1990 dans le champ
du terrorisme. En France, c’est l’épisode de surmortalité intense (environ
15 000 morts) lors de la canicule de l’été 2003 qui a mené à la mise en place
d’un dispositif de surveillance syndromique, aujourd’hui mis en œuvre par
l’Agence nationale de santé publique (Santé publique France). Dénommé
SurSaUD®, pour surveillance sanitaire des urgences et des décès, il agrège
les données produites par les services d’urgences hospitaliers (dispositif
OSCOUR® pour organisation de surveillance coordonnée des urgences), les
services SOS Médecins, les données de mortalité des services d’état civil,
les données issues des certificats de décès.

Le Système national des données de santé (SNDS)


La loi no 2016‑41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système
de santé crée un Système national des données de santé, dispositif qui a été
modifié par la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et
la transformation du système de santé (LOTSS).
Il a pour mission (art. L. 1461‑1 CSP) de mettre à disposition des données
sanitaires afin de :
–  informer sur la santé, l’offre de soins, les prises en charge médico-sociales
et leur qualité ;
–  contribuer à la définition, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques
de santé et de protection sociale ;
–  améliorer la connaissance des dépenses de santé, d’assurance maladie et
médico-sociales ;
–  informer sur leurs activités, les professionnels de santé et les établisse-
ments de santé ou médico-sociaux ;

125
Partie 1. Les fondamentaux

–  participer à la surveillance, la veille et la sécurité sanitaires ;


–  participer à la recherche, à l’évaluation et à l’innovation dans le champ
sanitaire et médico-social.
Piloté au niveau national, sur la base d’orientations générales définies par
l’État, mis en œuvre par des responsables du traitement des données expres-
sément identifiés, le SNDS sera constitué par l’assemblage de données issues
du Système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie
(SNIIRAM), des hôpitaux (PMSI), de la base des causes médicales de décès
(INSERM), des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH)
et de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) en matière
de handicap, d’un échantillon en provenance des organismes d’assurance
complémentaire, du dispositif de prise en charge des accidents du travail et
des maladies professionnelles, ainsi que de données relatives à la perte d’au-
tonomie (grille AGGIR), ou issues des visites médicales et des dépistages
effectués en milieu scolaire, de l’activité des services de PMI et des visites
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
d’information et de prévention de la médecine du travail.
Les données contenues dans le SNDS sont relatives (art. R. 1461‑4 CSP) :
–  aux bénéficiaires de soins : sexe, mois et année de naissance, rang de nais-
sance et lieu de résidence ; données médico-administratives, dont ALD, accidents
du travail et maladies professionnelles ; informations sur les décès : date, lieu,
causes et circonstances, situation familiale et profession à la date du décès ;
–  aux organismes d’assurance maladie obligatoire et, le cas échéant, com-
plémentaire : identification des organismes, modalités de prise en charge ;
–  aux prestations prises en charge par les organismes, associées à chaque
bénéficiaire : soins ambulatoires, hospitaliers, montant des actes ou prestations,
tarif appliqué et taux de remboursement ; part des assurances complémentaires ;
–  aux professionnels de santé : numéro d’identification, profession, sexe,
date de naissance, lieu de réalisation de l’acte ;
–  aux personnes en situation de handicap : informations médico-sociales ;
–  aux informations sur les arrêts de travail et aux prestations fournies.
Le SNDS sera accessible à toute entité, publique ou privée, après autori-
sation de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), afin de
réaliser des travaux présentant un intérêt public. L’accès aux données du
SNDS se fera par l’intermédiaire d’un groupement d’intérêt public dénommé
« Plateforme des données de santé » (connu sous le label de « Health Data
Hub ») qui succède à l’Institut national des données de santé (INDS). Un
comité éthique et scientifique pour les recherches, les études et les évaluations
dans le domaine de la santé a pour mission d’apprécier la pertinence métho-
dologique de la demande d’accès aux données. Un ensemble de services
publics sanitaires, nationaux ou régionaux dispose d’un accès permanent au
SNDS.

126
Les données de santé

Partie 1. Chapitre 4.
4.2.4. Données relatives au système de santé
et aux politiques de santé
On peut citer notamment :
–  données issues des documents de planification (objectifs sanitaires) :
Stratégie nationale de santé (France), plans et schémas nationaux (par exemple,
Plan national nutrition santé), plans et schémas régionaux (par exemple, projets
régionaux de santé des ARS, plans régionaux santé environnement), pro-
grammes infra-régionaux (par exemple, schémas médico-sociaux des conseils
départementaux) ;
–  indicateurs issus des documents de contractualisation (par exemple,
contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens ou CPOM conclus entre les éta-
blissements de santé et les ARS) ;
–  résultats d’activités de recherche ;
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  caractéristiques qualitatives et quantitatives de l’offre de soins et de pré-
vention ; données sur les professionnels de santé (démographie, formation, acti-
vités, modes d’exercice, revenus) ; données issues des processus d’accréditation
ou de certification (HAS en France) (➠ Chapitre 13) ;
–  données relatives à la protection sociale : organisation de l’assurance
maladie, modes de financement (public, privé, ménages), régulation des
dépenses, dispositions tarifaires, caractéristiques de la consommation de santé
(types et niveaux de consommation).

4.3. Les données sanitaires dans l’Union européenne

Eurostat, l’office statistique européen, collecte auprès des États membres


des informations statistiques pour évaluer les questions sociales et de santé
au niveau européen, aider à concevoir efficacement les politiques européennes
et cibler les actions à mener. Ces travaux de définition des besoins (en lien
avec les décideurs), de conception d’outils communs ou du moins garantissant
un niveau le plus élevé possible de comparabilité et de suivi des enquêtes se
tiennent au sein du système statistique européen (SSE, composé d’Eurostat
et des instituts statistiques nationaux et des autres autorités nationales – minis-
tères, instituts, etc. – chargées des statistiques officielles nationales). Les tra-
vaux du SSE se sont d’abord concentrés sur la collecte de données purement
économiques (PIB, statistiques du marché du travail), avant de s’élargir à
d’autres domaines, notamment dans le champ des statistiques sociales.
Ainsi, dans le but d’améliorer la qualité et la comparabilité des données
de santé collectées séparément par chacun des États membres depuis les
années 1990 (et donc sans possibilité d’effectuer de comparaison entre eux),
et pour répondre à une demande politique, Eurostat et la Direction générale
santé et protection du consommateur (actuelle DG Santé, autrefois DG
SANCO) ont commencé avec les États membres la mise en place d’un système
européen d’enquêtes de santé harmonisées à partir du début des années 2000.
Un des objectifs principaux de ce système européen d’« enquêtes santé » est

127
Partie 1. Les fondamentaux

de collecter les données statistiques nécessaires à l’élaboration des indicateurs


européens de santé développés dans le cadre du programme d’action européen
de santé publique. Il s’agit des 88 indicateurs de santé européens de base
(ISEB). Ces indicateurs sont regroupés en cinq grandes catégories :
–  situation démographique et socio-économique : population, taux de nata-
lité, chômage total ;
–  état de santé : mortalité infantile, VIH/sida, blessures par accidents de
la route ;
–  déterminants de la santé : fumeurs réguliers, consommation/disponibilité
de fruits ;
–  interventions en matière de santé : services de santé, vaccination des
enfants, lits d’hôpital, dépenses de santé, promotion de la santé ;
–  politiques en matière d’alimentation saine.
Ils ont été révisés en 2017 dans le cadre du 3e Programme santé (2014‑2020),
et plus précisément du projet BRIDGE-Health (BRidging Information and Data
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Generation for Evidence-based Health Policy and Research), qui a mobilisé
des experts de 34 instituts européens (en France : l’INSERM, l’IRDES, l’EPHE).
Concrètement, le système européen d’« enquêtes santé » harmonisées com-
prend trois piliers :
–  Les enquêtes menées par le système statistique européen : un module mini-
mal sur la santé en Europe intégré à l’Enquête annuelle sur le revenu et les condi-
tions de vie (EU-SILC), les modules ad hoc spécifiques de l’Enquête sur les forces
de travail (EFT),) – par exemple, les modules de 1999, 2007 et 2013 sur les acci-
dents du travail et autres problèmes de santé liés au travail, ou ceux de 2002 et 2011
sur l’emploi des personnes handicapées, et, surtout l’enquête européenne par entre-
tien sur la santé (« European Health Interview Survey » ou EHIS), développée entre
2003 et 2006 et qui fut la première à repenser sur le plan méthodologique la col-
lecte de données relatives à la santé, afin de tenir compte des problèmes de com-
parabilité et d’harmonisation des données entre pays. En décembre 2008, le
Parlement européen et le Conseil ont adopté le règlement (CE) no 1338/2008 rela-
tif aux statistiques communautaires de la santé publique et de la santé et de la
sécurité au travail. Ce règlement vise à garantir que les statistiques de la santé
fournissent, pour l’ensemble des États membres de l’Union, des informations d’un
haut niveau de comparabilité, permettant d’assurer le suivi des actions européennes
en matière de santé publique et de santé et sécurité au travail. Le règlement recense
cinq domaines à prendre en considération : l’état de santé et les déterminants de la
santé, les soins de santé, les causes de décès, les accidents du travail, ainsi que les
maladies professionnelles et autres problèmes de santé et maladies liés au travail.
En vertu de ce règlement, EHIS devient une enquête quinquennale, dont la troi-
sième vague (EHIS 3) se déroulera entre 2018 et 2020 (➠ Chapitre 5).
–  Les travaux de la DG Santé pour le développement de modules spécifiques
d’enquêtes (par exemple, sur certaines maladies chroniques) et la préparation
d’une future enquête européenne par examen de santé, dont l’objectif est éga-
lement un haut niveau de comparabilité inter-États membres.
–  Une base de données listant les diverses enquêtes de santé menées au
niveau national dans les divers États membres. Cette base regroupe les ques-
tionnaires, un descriptif des modes de collecte et des plans de sondage ainsi que
les coordonnées des institutions qui en ont la charge.

128
Les données de santé

Partie 1. Chapitre 4.
Les sources de données administratives constituent également la base
d’importantes collectes de données statistiques, telles que les ressources
humaines et techniques et les activités dans le domaine de la santé, les
dépenses de santé, les causes de décès ou les accidents du travail. Alors qu’il
est possible d’harmoniser jusqu’à un certain point les enquêtes de santé, les
données administratives reflètent quant à elles, au moins en partie, les moyens
propres à chaque pays pour organiser les soins de santé et peuvent ne pas
être totalement comparables.
Par ailleurs, la Commission européenne est partie prenante dans d’autres
initiatives européennes et internationales. Ainsi, elle participe à un projet
relatif aux indicateurs de qualité des soins, mené par l’Organisation de coo-
pération et de développement économiques (OCDE), qui vise à mesurer et à
comparer la qualité des services de santé des pays membres de l’OCDE.
Des projets plus ponctuels, financés par les programmes européens de
santé publique et portant sur un nombre souvent limité d’États membres, sont
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
également initiés chaque année par la Commission, par exemple RD, Registry
Data Warehouse (mise en place d’un registre de maladies rares à l’échelle
européenne) ou ESEMED (European Study of the Epidemiology of Mental
Disorders), menée dans six pays européens au début des années 2000.

Points clés
• Les données de santé sont multiples, touchant à la fois aux problèmes de santé
(mortalité, morbidité, handicap, qualité de vie) et à leurs déterminants (démo-
graphie, comportements, facteurs économiques et sociaux, système de protec-
tion sociale, environnement physique, services de santé).
• Les données sont le plus souvent structurées en indicateurs de santé, qui sont
des variables quantitatives conçues pour éclairer des questionnements précis.
• La seconde partie de ce chapitre est consacrée à une présentation succincte des
sources de données françaises et européennes.

Pour en savoir plus


F. Dabis, J-C. Desenclos, Épidémiologie de terrain. Méthodes et applications, John
Libbey Eurotext, 2e éd., 2017.
Chapitre 5
L’état de santé des Français
Comparaisons internationales
Jacques Raimondeau

Objectifs pédagogiques
Connaître les principales caractéristiques de(s) :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  la mortalité et la morbidité touchant la population française
–  facteurs déterminants l’état de santé de la population française
–  inégalités de santé

À l’instar des autres pays européens et développés, la France est un pays


qui a effectué deux transitions fondamentales.
La première est une transition démographique, amorcée au xviiie siècle,
qui est le passage d’une situation de natalité et mortalité fortes à des natalité
et mortalité faibles, avec en conséquence un vieillissement de la
population.
L’autre transition est épidémiologique, commencée au milieu du
xxe siècle et caractérisée par une modification des causes de mortalité, avec
un recul des maladies infectieuses et la hausse des maladies chroniques,
dégénératives et des accidents.
Depuis plusieurs décennies (on peut prendre comme point de repère le
premier rapport du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), La Santé en
France en 19941), le diagnostic sur l’état de santé des Français se structure
autour de quelques constats :
–  le bon état de santé général de la population française ;
–  une mortalité essentiellement causée par les maladies cardio-vasculaires
et les cancers ;
–  la persistance d’une importante mortalité prématurée masculine ;
–  des inégalités socio-économiques et géographiques marquées.

1. HCSP, La Santé en France, rapport général, La Documentation française, 1994.

131
Partie 1. Les fondamentaux

5.1. Vie et mort des Français : une situation moyenne


globalement bonne

5.1.1. Espérance de vie


Les espérances de vie à la naissance (EVN) sont élevées : pour les femmes,
parmi les meilleures du monde (85,6 ans en 2019, en troisième position après
les Japonaises et les Espagnoles) ; pour les hommes (79,7 ans en 2019), dans
la moyenne européenne. La tendance a été jusqu’ici à l’amélioration quasi
continue (globalement, environ quatorze ans sur une soixantaine d’années),
avec une réduction progressive de l’écart entre hommes et femmes du fait
d’un rapprochement des modes de vie des deux sexes, notamment sur le plan
du travail ou sur celui du tabagisme.
Outre cet écart lié au genre, il existe également des disparités importantes
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
d’EVN selon le niveau de revenus, disparités attribuables à des causes de
mortalité évitables, notamment chez les hommes : sur la période 2012‑2016,
parmi les 5 % des personnes les plus aisées (plus de 5 800 euros de niveau
de vie mensuel2), l’espérance de vie à la naissance des hommes était de
84,4 ans, contre 71,7 ans parmi les 5 % les plus pauvres (moins de 470 euros
de niveau de vie mensuel), soit treize ans d’écart. Chez les femmes, cet écart
était plus faible : huit ans séparaient les plus aisées des plus pauvres (INSEE).
Des différences persistent après ajustement sur le niveau de diplôme.
L’EVN a connu une très forte progression au xxe siècle, au cours duquel
elle a presque doublé, notamment grâce aux avancées dans la lutte contre les
maladies infectieuses. L’utilisation des antibiotiques, à partir des années 1940,
y est pour beaucoup, de même que les progrès considérables réalisés à la fin
du siècle dans le traitement des maladies cardio-vasculaires, alors première
cause de mortalité dans les populations adultes (➠ Chapitre 1) – la progression
a ralenti depuis la fin des années 1990, surtout depuis 2014 (+ 0,4 an entre
2014 et 2018 pour les hommes, + 0,2 chez les femmes).
En plus de cette décélération, ces dernières années l’augmentation de l’EVN
a été moins régulière, avec un recul d’ensemble en 2015 (– 0,3 an chez les
femmes, – 0,2 an chez les hommes), suivi d’une remontée ; les Françaises
n’ont retrouvé qu’en 2018 leur EVN de 2014. Cette évolution moins favorable
(que l’on retrouve dans les autres pays européens), plus marquée pour les
femmes, s’explique essentiellement par la persistance de l’action de facteurs
de risque structurels, tel le tabagisme, mais aussi, plus marginalement, par
des situations plus conjoncturelles, climatiques (épisodes de canicule,
2015‑2018 ; de grand froid, 2017) ou épidémiques (trois épidémies de grippe
meurtrières depuis 2014, ayant entraîné un surcroît d’environ 20 000 décès,
et un recul ponctuel de l’espérance de vie compris entre 0,1 et 0,3 an),

2. Le niveau de vie est le revenu disponible du ménage (revenus d’activités, net des cotisations so-
ciales, revenus du patrimoine, divers transferts, net des impôts directs), divisé par le nombre d’unités
de consommation.

132
L’état de santé des Français. Comparaisons internationales

Partie 1. Chapitre 5.
impactant une population plus fragile en raison de son vieillissement et du
développement des maladies chroniques.
Des constats et des mécanismes explicatifs similaires se retrouvent dans
d’autres pays européens3 : ainsi certaines années ont-elles été marquées par
des reculs diffus des EVN, en 2012 pour huit pays de l’UE-28, et en 2015
pour 19 pays (à la suite d’une épidémie de grippe meurtrière chez les per-
sonnes âgées de 75 ans et plus). Le ralentissement des gains d’EVN est très
marqué pour les habitantes des pays nordiques, qui ont connu une montée
du tabagisme féminin précoce, dans les années 1960, et ont donc subi plus
précocement l’accroissement de la mortalité féminine par cancers liés au
tabac – effet sans doute renforcé par l’impact des consommations probléma-
tiques d’alcool fréquentes dans ces pays pour les femmes : 33,7 % en Norvège,
28,1 % au Danemark, pour une moyenne européenne de 12,3 %. Pour leur
part, les États-Unis, caractérisés par une forte consommation de tabac et
d’opioïdes, une épidémie d’obésité et un système de santé très inégalitaire,
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
accusent un très fort retard sur la France en termes d’EVN (quatre ans de
retard pour les femmes, trois pour les hommes).
Les EV à 60 ans (23,4 ans chez les hommes, et 27,8 ans chez les femmes
en 2019), si elles ne progressent quasiment plus depuis 2014, sont importantes,
témoignant d’une situation particulièrement favorable pour les personnes
âgées. L’écart entre les deux sexes, moins marqué que pour l’EVN, témoigne
de l’importance de la mortalité prématurée chez les hommes. Cette mortalité
explique, tout particulièrement en raison des conséquences de la consomma-
tion d’alcool, de tabac, de drogue et des suicides, la médiocre performance
française (26e rang mondial) pour l’atteinte des objectifs de développement
durable de l’ONU4.

5.1.2. Mortalité
Un des phénomènes marquants de la seconde moitié du xxe  siècle est le
net recul de la part des maladies infectieuses dans la mortalité totale (et notam-
ment la mortalité infantile), grâce à l’apparition des antibiotiques et au déve-
loppement de la vaccination, recul qui s’est poursuivi au début du xxie siècle
avec l’apparition de traitements efficaces contre le sida et les hépatites. La
part des maladies infectieuses dans la mortalité est désormais assez faible en
France (environ 7 % des décès), comme dans les autres pays occidentaux5.
Corollaire de ce recul, les cancers et les maladies cardiovasculaires constituent
depuis les années 1960 les deux premières causes de décès, suivis des maladies
respiratoires et des morts violentes.

3. N. Steel, J.A. Ford, J.N. Newton et al., « Changes in Health in the Countries of the UK and 150
English Local Authority Areas 1990‑2016 : A Systematic Analysis for the Global Burden of Disease
Study 2016 », The Lancet, 24 octobre 2018, p. 1647‑1661.
4. The Lancet, 13 septembre 2017.
5. Pour un aperçu des différences par groupe de pays (pauvres/revenus moyens/riches), voir OMS,
« Les 10 principales causes de mortalité », OMS, 24 mai 2018, www.who.int.

133
Partie 1. Les fondamentaux

La mortalité cardiovasculaire a beaucoup baissé depuis un demi-siècle, grâce


aux innovations thérapeutiques (apparition des bêtabloquants à la fin des années
1960) et chirurgicales, aux améliorations du système de santé, grâce aussi à
l’accent mis sur la prévention, même si la baisse semble désormais marquer
le pas. Les maladies cardiovasculaires représentaient 25 % des décès en 20156.
Il s’agit du taux le plus faible de l’UE-28, dans laquelle la mortalité cardio-
vasculaire représente globalement 36,8 % des décès à la même période, avec
de fortes disparités entre anciens et nouveaux États membres (les anciens États
membres, à l’exception de l’Allemagne, se situent sous la moyenne européenne ;
les nouveaux, à l’exception de Malte et de Chypre, se situant au-dessus, avec,
pour la Hongrie, les pays Baltes, la Roumanie et la Bulgarie, plus de 50 % des
décès attribuables à des causes cardiovasculaires).
Le taux de mortalité spécifique par maladie cardiovasculaire standardisé
sur l’âge, en France, est également le plus faible d’Europe : 205/100 000,
contre une moyenne de 381/100 000 dans l’EU-28. Là encore, deux groupes
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
se distinguent : les anciens États membres (à l’exception de l’Autriche et de
l’Allemagne) ont tous des taux inférieurs à la moyenne européenne, les nou-
veaux États membres (à l’exception de Chypre) ont des taux supérieurs (taux
supérieur à 500/100 000 en Pologne, République tchèque, Slovaquie, Croatie,
Hongrie, Pays baltes, Roumanie et Bulgarie).
Malgré une baisse de la mortalité par cancer depuis la fin des années 1980
(moins marquée chez les femmes que chez les hommes), les cancers consti-
tuent globalement depuis 2004 la première cause de mortalité en France
(28,6 % de la mortalité en 20157). Le cancer représentait à la même période
la seconde cause de mortalité dans l’UE-28 (25,2 % de l’ensemble des décès).
La France est proche la moyenne européenne : le taux de mortalité spécifique
par cancer standardisé sur l’âge en France est de 245/100 000, contre une
moyenne européenne de 261/100 000, ce qui place la France au 10e rang sur
28 pays (14e pour les hommes, 7e pour les femmes) en 2015. On observe là
encore de fortes disparités entre les États membres, mais, à l’inverse de la
mortalité cardiovasculaire, sans gradient ouest-est (346/100 000 en Hongrie,
292/100 000 au Danemark, 284/100 000 aux Pays-Bas, contre 232 en Suède,
242/100 000 en Bulgarie et 275/100 000 en Roumanie). Dans tous les États
membres, sauf en Suède, les écarts de mortalité entre les hommes et les
femmes sont importants (plus de 100 points).
Les maladies respiratoires et les morts violentes représentent une part
beaucoup plus faible de la mortalité (environ 6,6 % pour chacune en 2014).
Signe des gains importants réalisés en termes d’espérance de vie et de l’ab-
sence à ce jour de thérapie, la mortalité due à la maladie d’Alzheimer et aux
autres formes de démence augmente rapidement (6 % des décès en 2008,
contre 3,4 % en 20008).

6. Source : OCDE et Commission européenne. L’INSERM donne le chiffre de 24,2 % pour 2016.
7. Source : OCDE et Commission européenne. L’INSERM donne le chiffre de 29 % pour 2016.
8. Source : « Données sur la mortalité en France : principales causes de décès en 2008 et évolutions
depuis 2000 », BEH, 7 juin 2011, no 22.

134
L’état de santé des Français. Comparaisons internationales

Partie 1. Chapitre 5.
Des différences dans les causes de mortalité sont observées en fonction
du genre : chez les hommes, la première cause de mortalité est le cancer
(33 % des décès), puis les maladies cardiovasculaires (23 %) ; l’ordre est
inverse chez les femmes (maladies cardiovasculaires : 27 % ; cancers : 24 %).
Des différences notables existent concernant les morts violentes (8 % des
décès chez les hommes ; 3 % chez les femmes).
La situation française est donc caractérisée par une baisse générale de la
mortalité, à l’exception des causes liées au tabagisme (environ 15 % de la
mortalité totale9 – la courbe des décès suit avec plusieurs décennies de retard
celle des ventes).
Globalement, la situation sanitaire des Françaises est meilleure que celle
des Français, mais les tendances évolutives les plus récentes sont plus favo-
rables aux hommes, en raison tout particulièrement d’une baisse de la mor-
talité prématurée dont les causes peuvent être combattues par des actions de
prévention primaire (➠ Chapitre  12) et d’un contexte plus défavorable aux
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
femmes (effets actuels de l’augmentation du tabagisme féminin des
années 1950 à 1980).
Les taux de mortalité standardisés sur l’âge (➠ Chapitre  3) sont ainsi
passés, pour les hommes, de 1470/100 000 habitants en 2000 à 1140/100 000
en 2014, et chez les femmes de 840/100 000 habitants en 2000 à 670/100 000
en 2014.
Les épisodes conjoncturels et surtout les épidémies de grippe saisonnière,
ont été meurtriers ces dernières années, mais le ralentissement des progrès
de l’espérance de vie relève désormais essentiellement d’une tendance de
fond. Les cancers sont devenus la première cause de décès ; la mortalité qui
leur est due diminue plus lentement que celle liée aux maladies cardiovas-
culaires dont la baisse a été importante ces dernières décennies.

5.1.3. Mortalité prématurée (avant 65 ans)


Le taux de mortalité prématurée standardisé sur l’âge qui est observé en
France est légèrement inférieur à la moyenne européenne, qui s’élève à 290
pour 100 000 pour les hommes et 143,3 pour 100 000 pour les femmes. De
plus, la situation s’améliore depuis une vingtaine d’années : entre 2000 et
2013, la mortalité prématurée a baissé de 22,9 % chez les Français, et de
15,1 % chez les Françaises. Actuellement, les décès prématurés représentent
environ 19 % des décès.
Cette surmortalité est à 70 % masculine (taux standardisé des hommes
2,1 fois plus élevé que celui des femmes). Le poids de la mortalité prématurée
est plus important en Outre-mer qu’en Métropole. En Métropole (2013), les
taux standardisés féminins étaient les plus élevés en Normandie, Grand-Est

9. L. Ribassin-Majed, C. Hill, « Trends in Tobacco-Attributable Mortality in France », European


Journal of Public Health, 2015, n° 25, p. 5.

135
Partie 1. Les fondamentaux

et Hauts-de-France ; les plus bas en Île-de-France, Pays de la Loire et


Auvergne-Rhône-Alpes. Pour les hommes, les taux les plus élevés se situaient
en Normandie, Bretagne et Hauts-de-France ; les plus bas en Provence-Alpes-
Côte d’Azur, Auvergne-Rhône-Alpes et Île-de-France.
Ce phénomène explique que l’EVN des Français se situe dans la moyenne
européenne, alors que celle des Françaises est nettement plus élevée. Le poids
de cette surmortalité prématurée masculine s’exprime aussi par le décalage
des EVN et EV à 65 ans : en 2015, les EV à 65 ans étaient de 23,5 ans chez
les femmes, et de 19,7 ans chez les hommes, une différence nettement moindre
qu’entre les EVN.
Un tiers environ de ces décès est considéré comme évitable par des actions
de prévention, de façon plus marquée chez les hommes (dans un rapport de
3,3 entre hommes et femmes) et en Outre-Mer (dans un rapport de 5,1 avec
la Métropole). Entre 2000 et 2013, cette mortalité prématurée évitable a
diminué de 15 % chez les femmes et de 31 % chez les hommes. Les causes
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
en sont principalement les accidents de la voie publique, les conséquences
diverses de la consommation d’alcool et de tabac, ainsi que le suicide, qui
reste un phénomène très préoccupant (plus de 10 000 décès par an, avec
notamment une augmentation des taux de décès par suicide chez les 45‑54 ans).

5.1.4. Morbidité
En termes de morbidité, les problèmes varient selon les âges : dominance
des maladies infectieuses et allergiques (asthme) et des accidents domestiques
chez l’enfant ; addictions, troubles alimentaires, morts violentes (dues notam-
ment à des suicides et des conduites routières à risque) à l’adolescence ;
pathologies ostéoarticulaires et troubles psychiques (dépression, suicide) aux
âges moyens de la vie ; enfin, maladies cardiovasculaires (accidents vascu-
laires cérébraux, angine de poitrine, infarctus du myocarde), cancers, maladies
chroniques et maladies neurodégénératives (maladie d’Alzheimer et autres
démences, maladie de Parkinson) plus tardivement. Du fait du vieillissement
de la population et des challenges que cela entraîne en termes de prise en
charge, le poids de ce dernier groupe de pathologies est amené à croître.
Ainsi, une prospective concernant les dépenses de santé pour 202010 mettait
en exergue cinq groupes de maladies dominants :
–  maladies cardioneurovasculaires (5,114 millions de malades) ;
–  diabète (4,151 millions) ;
–  maladies respiratoires chroniques hors mucoviscidose, dont l’asthme
(3,904 millions) ;
–  troubles psychiatriques (2,434 millions) ;
–  et maladies inflammatoires, dont infection par le VIH et les maladies
inflammatoires chroniques de l’intestin (1,383 million).

10. Caisse nationale d’Assurance maladie, « Cartographie médicalisée des dépenses de santé »,
mai 2017.

136
L’état de santé des Français. Comparaisons internationales

Partie 1. Chapitre 5.
Les Français sont, par ailleurs, plutôt satisfaits de leur état de santé : en
2017, 67,4 % des Français de plus de 16 ans se déclaraient en bonne ou très
bonne santé (Eurostat). Les 8,3 % se jugeant en mauvaise santé mettent en
avant les altérations de la vision, les troubles musculo-squelettiques et ceux
de l’appareil circulatoire. Les hommes se déclarent en meilleure santé que
les femmes, tout particulièrement avant 55 ans, même s’ils sont sujets, en
moyenne, à des maladies plus sévères. Cela est à rapprocher du fait que
l’espérance de vie sans incapacité ou EVSI (➠ Chapitre 4) rapportée à l’EVN
est meilleure chez les hommes et que, par ailleurs, à âge égal, les hommes
ont un moindre recours aux soins.

5.2. Les principaux problèmes de santé :


présentation par pathologie
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
5.2.1. Cancers
Les cancers forment un ensemble très divers, par la fréquence des loca-
lisations, leur gravité et leurs déterminants. En France, actuellement, ils consti-
tuent la première cause de mortalité chez les hommes et la deuxième chez
les femmes. Les principales localisations cancéreuses en termes d’incidence
sont, chez les Françaises : sein, colon-rectum, poumon, corps utérin ; chez les
Français : prostate, poumon, colon-rectum, vessie. En termes de mortalité, le
classement est un peu différent ; pour les femmes : sein, poumon, colon-
rectum, ovaire ; pour les hommes : poumon, colon-rectum, prostate, vessie.
Les deux principaux facteurs de risque sont les consommations de tabac (à
l’origine d’environ 30 % des décès par cancer) et d’alcool (10 %). Il existe
d’importantes inégalités sociales et géographiques dans le domaine.
La tendance de fond, depuis le début des années 1980, est à la baisse de
la mortalité par cancer aussi bien chez les adultes que chez les enfants. La
mortalité par cancer (2015) s’établit à 124/100 000 personnes-années chez les
hommes et 72,9/100 000 PA chez les femmes, pour des incidences globales
de 362/100 000 PA chez les hommes et 273/100 000 PA chez les femmes. Si
la mortalité par cancer est plus importante chez les hommes, la tendance est
à une réduction des écarts, en raison notamment d’une baisse des consom-
mations d’alcool et de tabac chez les hommes.
La prévalence des cancers est à la hausse, résultat d’une incidence crois-
sante11 durant plusieurs décennies (une estimation couramment admise aboutit
à plus d’un doublement du nombre de nouveaux cas entre 1980 et 2012 en
France métropolitaine – soit, compte tenu de la croissance démographique,
une augmentation d’environ 1 % par an) et d’une mortalité en baisse, en
raison du développement des dépistages et de l’amélioration des diagnostics

11. F. Binder-Foucard et al., Estimation nationale de l’incidence et de la mortalité par cancer en


France entre 1980 et 2012. Partie 1 - Tumeurs solides, Institut de veille sanitaire, 2013.

137
Partie 1. Les fondamentaux

et traitements. L’augmentation de l’incidence s’explique à la fois par le vieil-


lissement de la population et par une augmentation spécifique du risque d’être
atteint d’un cancer. Ce constat général doit cependant être nuancé dans deux
situations : celle tout d’abord de la conjonction d’une augmentation de l’in-
cidence et de la mortalité pour le cancer du poumon chez les Françaises, le
mélanome cutané et les cancers du système nerveux central ; la situation
inverse de baisse de l’incidence et de la mortalité se rencontre pour le cancer
de l’estomac (en lien probable avec la transformation des habitudes alimen-
taires et le recul de l’infection par Helicobacter pylori), les cancers des voies
aérodigestives supérieures chez les hommes (en lien avec le recul des intoxi-
cations par alcool et tabac), le cancer du col de l’utérus (effet préventif du
dépistage par frottis cervical).
Pour les années les plus récentes, depuis 2010, on note une diminution de
l’incidence chez les hommes portant principalement sur le cancer de la pros-
tate ; chez les femmes, l’incidence du cancer du sein, premier cancer féminin
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
par sa fréquence, se stabilise, tandis que le cancer bronchique est en dévelop-
pement marqué (à la fois en incidence et en mortalité), même si le cancer du
sein reste encore responsable d’une part plus importante de la mortalité (taux
de mortalité de 15,7/100  000  PA contre 12,9/100  000  PA). Pour le cancer
bronchopulmonaire, entre 1980 et 2010, on est ainsi passé de 2 700 morts (soit
1 % des décès) à 19 000 (7 % des décès) chez les femmes ; chez les hommes,
le mouvement est inverse : 66 000 morts en 1980, contre 59 000 en 201012.
En France, la surveillance épidémiologique, la prévention et la prise en
charge des cancers font l’objet de plans quinquennaux nationaux depuis 2003.
L’agence d’expertise sanitaire et scientifique en cancérologie chargée de coor-
donner la lutte contre le cancer est l’Institut national du cancer (Inca), créé
en 2004.

5.2.2. Maladies cardiovasculaires : cardiopathies ischémiques,


insuffisance cardiaque, maladie cérébrovasculaire
Ces maladies ont bénéficié depuis plusieurs décennies d’importants efforts
en matière de prévention et de prise en charge. On note une tendance à la
baisse de l’incidence globale et de la mortalité par maladies cardiovasculaires
dans les deux sexes, mais de façon plus marquée chez les hommes : entre
2000 et 2013, la mortalité par cardiopathies ischémiques baisse de 43,8 %
chez les Français et de 49,3 % chez les Françaises ; pour les accidents vascu-
laires cérébraux (AVC), la mortalité baisse de 37,1 % dans les deux sexes ;
pour l’insuffisance cardiaque, la baisse atteint 36 %. Cependant, une augmen-
tation de l’incidence des AVC ischémiques (+ 25,5 % entre 2008 et 2014),
favorisés notamment par le tabagisme, l’obésité et le diabète, est constatée
chez les moins de 65 ans. La baisse de la mortalité moins importante chez les

12. L. Ribassin-Majed, C. Hill, « Trends in Tobacco-Attribuable Mortality in France », European


Journal of Public Health, vol. 25, n° 5, 2015.

138
L’état de santé des Français. Comparaisons internationales

Partie 1. Chapitre 5.
Françaises s’explique par un âge de survenue plus avancé de dix ans environ
chez les femmes et par l’existence plus importante de comorbidités. Dans leur
ensemble, les maladies cardiovasculaires ont provoqué, en  2016 en France,
64 977 décès masculins et 75 447 décès féminins selon l’INSERM.
Les cardiopathies ischémiques se traduisent cliniquement par des situa-
tions de gravité variable, de l’angor stable à l’infarctus du myocarde. Leurs
principaux facteurs de risque sont l’âge, le sexe, le tabagisme, l’obésité et le
surpoids, le diabète, l’hypertension artérielle, l’hypercholestérolémie, la séden-
tarité et les situations de stress. Les cardiopathies ischémiques ont provoqué
33 923 morts en 2013, dont 45 % par infarctus du myocarde. Cette mortalité
est à 60 % masculine. Ces maladies connaissent un gradient social touchant
l’incidence et la mortalité au détriment des groupes les moins favorisés, et
pouvant s’expliquer par une importance plus forte des facteurs de risque et
par un plus faible recours aux soins ; géographiquement, les régions de Corse,
Hauts-de-France, Normandie, Bretagne et Grand-Est, ainsi que La Réunion
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
sont les plus touchées. Au niveau européen, la France est l’État membre de
l’UE-28 avec la plus faible mortalité par cardiopathie ischémique (OCDE,
Eurostat).
Les maladies cérébrovasculaires se traduisent sous la forme aiguë d’ac-
cidents vasculaires cérébraux (AVC), dont on distingue deux catégories en
fonction de leur mécanisme de survenue : AVC hémorragiques et AVC isché-
miques, beaucoup plus fréquents (plus de 70 % des cas). Les AVC isché-
miques sont parfois caractérisés par une régression rapide et complète sans
séquelle et on parle alors d’AIT, accident ischémique transitoire.
Leurs principaux facteurs de risque sont l’âge, le sexe masculin, le taba-
gisme, l’obésité, le diabète, l’hypertension artérielle, les troubles du rythme
cardiaque, l’hypercholestérolémie, la sédentarité et les situations de stress.
Elles ont été responsables de 31 346 décès en 2013 et sont à l’origine de
nombreuses situations de handicap (première cause de handicap moteur hors
traumatisme et deuxième cause de démence). Si les femmes sont plus nom-
breuses à décéder d’AVC que les hommes (environ 60 % des décès sont
féminins), en revanche les taux standardisés sur l’âge des hommes sont supé-
rieurs à ceux des femmes (51,8/100 000 contre 40,9/100 000). Comme pour
les cardiopathies ischémiques il existe un gradient social en matière d’inci-
dence et de mortalité (plus élevée de 30 % dans les communes les moins
favorisées). Géographiquement, les régions des Hauts-de-France, Bretagne,
Guadeloupe, Martinique, Guyane et Réunion sont les plus touchées. Au niveau
européen, la France est l’État membre de l’UE-28 avec la plus faible mortalité
par AVC (OCDE, Eurostat).
L’insuffisance cardiaque est le plus souvent consécutive à une maladie
cardiaque préexistante, notamment une cardiopathie ischémique ou encore
une valvulopathie ; certaines insuffisances cardiaques sont dues à des atteintes
directes du muscle cardiaque, les myocardiopathies. Elle entraîne une réduc-
tion de la capacité à effectuer des efforts physiques, jusqu’à entraver la vie
quotidienne et à provoquer des accidents aigus. Sa prévalence est susceptible
d’augmenter en raison du vieillissement de la population et de l’amélioration

139
Partie 1. Les fondamentaux

des traitements permettant notamment de surmonter les complications aiguës.


L’insuffisance cardiaque a provoqué environ 70 000 décès en 2013, essen-
tiellement chez des personnes âgées (en 2014, les personnes de 85 ans et plus
représentaient 43,4 % des patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque)
et sans nette prééminence d’un sexe sur l’autre. Le taux de mortalité stan-
dardisé a nettement diminué (– 36 %) entre 2000 et 2013.
L’insuffisance cardiaque connaît un gradient social en termes d’incidence
et de mortalité, de même type que ceux constatés pour les cardiopathies
ischémiques. Géographiquement, les différences sont aussi marquées : les
régions les plus atteintes étant La Réunion, les Hauts-de-France et la
Normandie avec des taux de mortalité maximaux dans les Hauts-de-France,
en Corse et à La Réunion.

5.2.3. Maladies respiratoires (hors cancers) :


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
bronchopneumopathie chronique obstructive, asthme
En 2016, selon l’INSERM, les maladies respiratoires chroniques ont pro-
voqué 6 452 décès masculins et 4 704 décès féminins en France. On recouvre,
sous les termes de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO),
les manifestations cliniques induites par une obstruction permanente et plus
ou moins rapidement progressive des voies aériennes, conséquence de mala-
dies comme la bronchite chronique ou l’emphysème. La BPCO conduit à
l’insuffisance respiratoire. L’épidémiologie de la BPCO est assez mal connue
car le diagnostic de certitude repose sur des épreuves fonctionnelles respira-
toires (spirométrie) difficiles à mettre en œuvre dans le cadre d’études épi-
démiologiques en population générale. Quant à la mesure de la fréquence par
une méthode déclarative, elle expose à une sous-déclaration notable.
Malgré ces réserves, on peut noter une augmentation de l’incidence des
hospitalisations motivées par la BPCO entre 2000 et 2014 de façon plus marquée
chez les femmes (+ 5 % par an en moyenne) que chez les hommes (+ 2 %),
l’augmentation étant particulièrement forte chez les femmes de moins de 65 ans.
Cependant, malgré cette tendance au resserrement de l’écart entre hommes et
femmes, la BPCO demeure un problème de santé à dominante masculine. Sur
la même période, la mortalité correspondante baisse chez les hommes (– 1 %
par an en moyenne), mais augmente chez les femmes (le taux de mortalité par
BPCO augmente de 78 % chez les Françaises de moins de 65 ans entre 2002
et 2014), en raison bien évidemment du rôle du tabagisme. Au total, on estimait
en 2013 le nombre de décès liés à la BPCO à environ 19 000.
On retrouve le gradient social habituel en matière de mortalité et de fré-
quence des hospitalisations. Géographiquement, les régions des Hauts-de-
France, du Grand-Est et La Réunion sont les plus touchées en termes de
morbidité et de mortalité. La mortalité française par BPCO est l’une des plus
faibles d’Europe ; il est possible que cette situation s’explique en partie par un
sous-diagnostic important. La tendance au resserrement de l’écart de mortalité
entre hommes et femmes est aussi observée dans les comparaisons inter­
nationales. Au niveau européen, la France se plaçait en 2015 en seconde position

140
L’état de santé des Français. Comparaisons internationales

Partie 1. Chapitre 5.
des pays avec les plus faibles taux de mortalité par BPCO (16,8/100  000),
derrière la Lettonie (14,4/100 000). À l’inverse, dans les pays à forte consom-
mation de tabac et à forte exposition professionnelle aux divers facteurs de
risque, les taux sont jusqu’à six fois plus élevés : 72,5/100  000 en Hongrie,
69,2/100 000 au Danemark, 60,9/100 000 au Royaume-Uni (Eurostat).
L’asthme est une maladie incomplètement connue, dont les causes mêlent
facteurs génétiques, expositions environnementales (pollens, acariens, aller-
gènes professionnels, alimentaires, tabagisme…), infections respiratoires.
Cliniquement, elle se manifeste par des épisodes de dyspnée plus ou moins
intenses et prolongés.
La prévalence de la maladie est en augmentation depuis les années 2000.
En 2013, 11 % des enfants de grande section de l’école maternelle avaient
eu au moins une crise d’asthme dans leur vie. En revanche, sur la même
période, le taux de mortalité spécifique par asthme a fortement diminué chez
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
les moins de 45 ans. En 2013, on observait 883 décès par asthme. Ainsi, la
maladie pose essentiellement un problème, non seulement sur le plan de la
morbidité, mais aussi par ses conséquences sur le système de soins. En 2014,
on dénombrait environ 64 000 hospitalisations pour asthme, majoritairement
chez des moins de 15 ans (65 %). Le taux d’hospitalisation, après avoir dimi-
nué dans les années 2000, est en augmentation dans les années 2010, en
raison des hospitalisations d’enfants.
Il existe un gradient social au détriment des moins favorisés.
Géographiquement, les régions les plus touchées sont la Martinique, la
Guadeloupe, La Réunion ainsi que l’Île-de-France. La France se situe dans
le groupe des pays européens à forte prévalence d’asthme (8,8 % en 2014),
avec le Royaume-Uni (9,4 %), la Finlande (9,2 %) et l’Irlande (8,9 %), net-
tement au-dessus de la moyenne européenne (5,9 %) (Eurostat, EHIS).

5.2.4. Endocrinologie, nutrition : diabète, obésité, surpoids


Il existe deux formes de diabète :
–  le type 1, ou diabète insulino-dépendant, qui représente moins de10 %
des cas et est provoqué par une sécrétion insuffisante d’insuline par le pancréas
– il est très majoritairement d’origine auto-immune ;
–  le type 2, dit non-insulino-dépendant, qui est une maladie métabolique
perturbant la glyco-régulation avec une résistance à l’action de l’insuline
sécrétée. Le diabète de type 2 est favorisé notamment par le surpoids et l’obé-
sité, une alimentation riche en acides gras saturés, un faible niveau d’activité
physique.
Les conséquences du diabète sont à la fois aiguës (coma) et chroniques
(insuffisance rénale), et peuvent aussi être liées au traitement (accidents
d’hypo­glycémie). Le diabète pouvant être asymptomatique cliniquement et
son diagnostic reposant sur la mesure de la glycémie, une partie des cas n’est
pas connue ; en conséquence, la réelle connaissance épidémiologique est celle
du diabète traité.

141
Partie 1. Les fondamentaux

La prévalence du diabète est plus élevée chez les hommes (5,2 % en 2013,
contre 4,1 % chez les Françaises) et croît avec l’âge jusque des maxima
(16,5 %) atteints vers 75‑80 ans. L’incidence et la prévalence générales du
diabète sont en augmentation depuis plusieurs décennies ; on estime à environ
3 millions le nombre de Français atteints (2013). La prévalence du diabète
gestationnel (diabète diagnostiqué pour la première fois durant une grossesse)
est aussi en augmentation (8,6 % en 2013). Ces constats s’expliquent notam-
ment par le vieillissement de la population, l’augmentation de l’obésité et
l’insuffisance d’activité physique.
Socialement, on retrouve le même gradient défavorable déjà noté précé-
demment, valable aussi pour le diabète gestationnel. Géographiquement, les
disparités sont importantes, avec une prévalence élevée en Outre-Mer et dans
les régions Hauts-de-France, Grand-Est et Île-de-France. Au niveau européen,
la prévalence française se situe dans la moyenne basse (4,6 % des adultes en
2017, pour une moyenne européenne de 6 %).
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Le surpoids est défini par un IMC ≥ 25 kg/m2, et l’obésité par un IMC
≥ 30  kg/m2 (pour la définition de l’indice de masse corporelle [IMC],
➠ Chapitre 4). Ils constituent essentiellement des facteurs de risque pour de
nombreuses maladies : cardiopathies ischémiques, accidents vasculaires céré-
braux, troubles musculo-squelettiques, diabète, cancers (prostate, sein, ovaires,
utérus, foie, rein, colon…).
La situation française apparaît assez favorable par rapport à celle de pays
comparables, mais avec une tendance à la dégradation de la situation depuis
plusieurs décennies, et qui paraît perdurer actuellement bien qu’à un rythme
moindre. Aujourd’hui, environ 50 % des adultes français sont en surpoids ou
obèses, dont plus de 15 % sont obèses, ces chiffres étant issus de déclarations,
donc possiblement sous-évalués. Les cas de surpoids sont plus fréquents chez
les Français (52 %) que chez les Françaises (40 %) ; en revanche, l’obésité
est répartie de façon égale.
La fréquence du surpoids et de l’obésité est accrue dans les groupes défa-
vorisés, et ce gradient social semble plutôt se creuser. Géographiquement,
les régions Hauts-de-France, Grand-Est, Île-de-France sont les plus atteintes.
Pour ce qui est de l’Outre-mer, on dispose de données précises pour les
Antilles, avec, pour la Guadeloupe, une situation comparable à celle de la
Métropole chez les hommes et des prévalences de l’obésité et du surpoids
plus importantes chez les femmes, et, pour la Martinique, un excès de surpoids
chez les hommes et une prévalence de l’obésité très augmentée par rapport
à la Métropole chez les femmes.
Le surpoids et l’obésité sont évidemment liés aux habitudes de vie, et on
constate que la consommation de fruits et légumes est insuffisante, avec
seulement 40 % de consommateurs se situant dans les recommandations du
Plan national nutrition santé. Il en est de même pour l’activité physique, avec
un taux de 50 %.

142
L’état de santé des Français. Comparaisons internationales

Partie 1. Chapitre 5.
5.2.5. Insuffisance rénale
L’insuffisance rénale chronique terminale (IRCT) correspond au stade
le plus évolué de la maladie rénale chronique. Le diagnostic repose sur la
mesure de paramètres biologiques permettant d’apprécier le débit de filtration
glomérulaire13, traduisant le fonctionnement rénal. La tendance est à l’aug-
mentation régulière de l’incidence (+ 2 % par an depuis 2011), de façon plus
marquée chez les hommes, en raison principalement à la fois du vieillissement
de la population et des conséquences du diabète. Le taux d’incidence annuel
de l’IRCT traitée (c’est-à-dire la fréquence de démarrage de nouveaux trai-
tements de substitution de la fonction rénale) est estimé à environ 162 cas
par million d’habitants. L’âge médian d’entrée en traitement est de 70 ans.
L’IRCT nécessite le recours à des soins lourds : transplantation rénale ou
dialyse à vie. La greffe rénale apporte de meilleurs résultats en termes de
durée et de qualité de vie. Elle est en outre moins coûteuse que la dialyse,
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
mais actuellement les greffons disponibles sont loin de couvrir les besoins
de greffe ; il s’agit d’une situation générale et non spécifiquement française.
L’IRCT constitue un important problème à la fois de santé publique et de
maîtrise des dépenses de santé.
Géographiquement, on note d’importantes différences territoriales, la plus
massive étant celle opposant la Métropole et les départements et régions
d’Outre-Mer (DROM) : 336 cas par million d’habitants, contre 158 en
Métropole. La situation française figure parmi les plus mauvaises d’Europe,
notamment en raison de l’augmentation d’incidence, qui contraste avec la
situation des autres États, traduisant notamment la prise en charge insuffisante
du diabète en France.

5.2.6. Santé mentale


Cinq groupes pathologiques dominent l’épidémiologie des atteintes à la
santé mentale : les troubles psychotiques, dont la schizophrénie, troubles bipo-
laires, dépression, addictions et troubles obsessionnels compulsifs (TOC).
Leurs conséquences sont diverses : dégradation de la qualité de vie, mortalité,
tout particulièrement par suicide, handicaps, hospitalisations et soins de
longue durée.
Les troubles bipolaires et les dépressions appartiennent au groupe des
troubles de l’humeur, avec une alternance de phases dépressives et d’excita-
tion dans le cas des troubles bipolaires (l’ancienne dénomination était celle
de maladie ou psychose maniaco-dépressive). En France, ils motivent environ
20 % des recours aux soins hospitaliers en psychiatrie. En 2014, on estimait
à 216 000 les personnes prises en charge pour troubles bipolaires (soit
3,4/1000 habitants) et à 350 000 celles traitées pour troubles dépressifs

13. Il s’agit d’une mesure de la quantité de liquide filtrée par les reins en une minute. Un débit de
filtration glomérulaire < 15 ml/min/1,73 m² définit l’insuffisance rénale chronique terminale.

143
Partie 1. Les fondamentaux

(5,3/1000). Dans les deux groupes de pathologies, les prises en charge appa-
raissent plus fréquentes chez les femmes (de l’ordre de 1,6 fois), et il existe
un écart d’environ 15 ans entre les pics de prise en charge des femmes
(70‑79 ans) et des hommes (55‑64 ans).
Géographiquement, les régions Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Occitanie,
Nouvelle-Aquitaine, Corse et Bretagne sont les plus touchées.
Les troubles psychotiques regroupent plusieurs types de pathologies, au
premier rang desquelles on trouve la schizophrénie, mais aussi un ensemble
d’autres troubles psychotiques aigus et délirants chroniques. Ces maladies
débutent souvent chez le sujet jeune, à la fin de l’adolescence ou au début
de l’âge adulte. Elles constituent un facteur de risque suicidaire ou d’entrée
dans des pratiques addictives, ainsi que de désinsertion sociale. La prévalence
est de 7,4/1000 habitants (soit 470 000 personnes), la moitié des cas étant des
schizophrénies (2014). Les hommes sont plus touchés que les femmes (+ 30 %
pour l’ensemble des troubles psychotiques, mais 80 % pour la seule
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
schizophrénie).
Il existe un gradient social au détriment des personnes les moins favorisées,
à la fois pour la schizophrénie et les troubles psychotiques en général. On
retrouve aussi une prévalence plus élevée chez les populations migrantes14.
Géographiquement, les régions les plus touchées sont la Bretagne et
Provence-Alpes-Côte-d’Azur.
Les tentatives de suicide étaient au nombre d’environ 200 000 par an, pro-
voquant environ 10 000 décès (taux de mortalité de 15,5/100 000 habitants en
2013), avec des tentatives plus fréquentes chez les femmes, mais une mortalité
trois fois plus élevée chez les hommes (taux de décès de 25,4/100 000 habitants
chez les hommes, contre 7,3 chez les femmes). Le taux de mortalité est aussi
plus élevé chez les personnes âgées, mais la part de la mortalité due au suicide
diminue avec l’âge en raison de la concurrence des autres causes de décès.
Les taux de mortalité standardisés sont globalement en baisse de 22 % entre
2000 et 2013, mais avec une petite tendance à l’augmentation chez les hommes
entre 45 et 65 ans.
Cette tendance baissière conduit aux chiffres de 6 450 décès masculins et de
1 985 décès féminins en 2016 (INSERM). Le groupe des adolescentes de
15‑19 ans est globalement le plus concerné par les tentatives de suicide. Les don-
nées concernant le suicide sont frappées d’un degré certain de sous-déclaration,
mais ces informations peuvent être recoupées par des statistiques d’hospitali-
sations. En 2014, le taux d’hospitalisation pour tentative de suicide s’élevait à
159 pour 100 000 habitants, soit environ 92 000 séjours hospitaliers.
Géographiquement, les différences sont marquées, avec deux régions parti-
culièrement touchées : la Bretagne et la Normandie, avec des taux de mortalité
supérieurs à la moyenne métropolitaine respectivement de 45 et 43 %. Au niveau

14. F. Bourque, E. Van der Ven, A. Malla, « A Meta-Analysis of the Risk for Psychotic Disorders
among First- and Second-Generation Immigrants », Psychological Medicine, 2011, vol. 41, n°  5,
p. 897‑910.

144
L’état de santé des Français. Comparaisons internationales

Partie 1. Chapitre 5.
européen, la France appartient aux pays à fort taux de mortalité par suicide
(taux de mortalité standardisé en 2015 : 14,1/100 000, 10e rang européen).
Pour les addictions (hors alcool et tabac) et la consommation de drogues
illicites, les substances concernées sont très diverses dans leur nature et leurs
effets sanitaires et sociaux. Les produits principalement consommés en France
sont le cannabis, la cocaïne, l’ecstasy/MDMA (3,4-MéthylèneDioxy-N-
méthylamphétamine), les opiacés (héroïne), le LSD, le crack ainsi que des
substances détournées de leur usage normal, tout particulièrement les traite-
ments de substitution aux opiacés (TSO, en France : Méthadone et
Buprénorphine haut dosage – BHD), mais aussi champignons hallucinogènes,
poppers, amphétamines, médicaments antalgiques ou produits à inhaler
(colles, solvants). L’usage de ces substances est souvent couplé avec la
consommation d’alcool et/ou de tabac. Compte tenu du caractère illicite de
leur consommation, les statistiques les concernant sont d’une fiabilité
incertaine.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Le produit le plus utilisé en France est le cannabis, qui serait consommé
régulièrement par plus de 3 % des personnes de 18 à 64 ans (à l’âge de 17 ans,
le chiffre dépasserait 9 %), ce qui correspondrait au total à environ 4,6 mil-
lions d’utilisateurs, dont 1,4 million d’usagers réguliers (2014). La tendance
est à la hausse, et les hommes sont nettement plus touchés que les femmes
(environ 2,5 fois plus). C’est la population des moins de 35 ans qui est essen-
tiellement concernée par cette consommation, élevée chez les étudiants et les
chômeurs. En 2016, environ 40 % des étudiants français déclaraient avoir
déjà expérimenté le cannabis, à un âge moyen d’entrée dans la consommation
de 17 ans ; 3 % d’entre eux en faisaient un usage régulier. Le niveau de
consommation français est parmi les plus élevés d’Europe (2e position après
l’Espagne, en 2013).
Les autres substances sont consommées à des niveaux moindres
(450 000 personnes pour la cocaïne, 400 000 pour l’ecstasy15), avec un taux
d’expérimentation général chez les jeunes de 17 ans de 8,8 % en 2014. Comme
pour le cannabis, les hommes sont en moyenne plus touchés que les femmes.
Pour approcher la consommation d’opiacés, on peut se référer indirectement
au nombre de personnes bénéficiant d’un TSO délivré en officine de phar-
macie, qui était de 147 000 en 2014, avec une tendance à l’augmentation.
Géographiquement, il existe des variations territoriales différentes selon
les produits. Kopp évaluait à 8,7 milliards d’euros le coût social de la consom-
mation des drogues illicites en France, en 2010, très loin derrière les consé-
quences des consommations de tabac et d’alcool.

15. F. Beck, Drogues, chiffres clés, OFDT, 2015.

145
Partie 1. Les fondamentaux

5.2.7. Les maladies infectieuses


Comme mentionné plus haut, la France a connu une transition épidémio-
logique qui fait que les maladies infectieuses n’ont plus le même poids que
dans le passé (➠ Chapitre 1) ; elles restent néanmoins un sujet de préoccupa-
tion sans cesse renouvelé, soit par l’apparition de nouvelles maladies (sida
dans les années 1980), soit par la transformation d’autres (extension géogra-
phique des arboviroses – dengue, Zika, chikungunya – ou pandémies grippales
ou épidémies d’infections à coronavirus, notamment). Du fait du développe-
ment de l’antibiorésistance, qui cause le décès de 5 000 personnes chaque
année en France (700 000 au niveau mondial) et qui peut, à terme, compro-
mettre certaines des avancées majeures effectuées par la médecine depuis plus
de soixante-dix ans, cette préoccupation va croissant. Enfin, nous avons vu
plus haut que des épidémies de grippe peuvent provoquer des reculs de l’EVN.
Tout cela explique que les maladies infectieuses constituent encore l’essentiel
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
du champ de la déclaration obligatoire des maladies (➠ Chapitre 4). Quelques
maladies sont particulièrement d’actualité.

5.2.8. La rougeole
Maladie à déclaration obligatoire, la rougeole est souvent perçue par le grand
public comme une banale maladie éruptive de l’enfance. Cette perception de
bénignité est en fait trompeuse, car la rougeole est très contagieuse16 et est assez
souvent une maladie sévère dans sa phase aiguë, potentiellement mortelle,
notamment par ses complications neurologiques ou pulmonaires, tout particu-
lièrement chez les personnes immunodéprimées, mais aussi chez les sujets sains ;
elle peut induire des manifestations à distance sous forme d’encéphalite subaiguë
sclérosante, constamment mortelle. Au niveau mondial, la rougeole, souvent
aggravée par la malnutrition, est une cause majeure de cécité. La rougeole peut
être évitée par une vaccination efficace, bien tolérée et peu coûteuse. L’éradication
de la maladie est envisageable mais nécessite d’atteindre un taux de couverture
vaccinale de 95 % de la population, sur deux injections (➠ Chapitre 12).
L’OMS estimait en 2015 que cette maladie tuait, au niveau mondial,
environ 134 200 enfants par an, chiffre en très nette diminution par rapport à
ceux des années 1980, où la mortalité annuelle avoisinait 2,5 millions. Cette
amélioration s’expliquait principalement par l’action des politiques vaccinales,
dont l’impact était cependant contrasté au niveau géographique. En effet, si
la région OMS des Amériques avait réussi à supprimer l’endémie rougeoleuse,
en revanche la maladie se maintenait, voire progressait ailleurs, notamment
en Afrique, en Asie, dans le Bassin méditerranéen et en Europe. Toujours en
2015, environ 75 % des décès survenaient dans six pays : Éthiopie, République
démocratique du Congo, Inde, Indonésie, Nigeria et Pakistan.

16. Une estimation habituelle est qu’une personne atteinte de la rougeole contamine en moyenne
17 autres personnes, contre une personne et demie pour la grippe.

146
L’état de santé des Français. Comparaisons internationales

Partie 1. Chapitre 5.
Sans être aussi dramatique, la situation européenne se caractérise par la
survenue assez fréquente d’épidémies, comme en Allemagne en 2015, avec
2 464 cas. En France, la couverture vaccinale est insuffisante, avec des taux
qui s’élèvent à 91 % pour la première dose et seulement à 77 % pour la
seconde, niveaux très inférieurs à ceux nécessaires pour protéger correctement
l’ensemble de la population. Il existe en conséquence une population impor-
tante de jeunes adultes non immunisés susceptibles de développer des formes
graves de la maladie, à l’occasion d’épidémies régulières, comme dans la
région Aquitaine en 2017‑2018, où environ 300 cas entraînèrent plusieurs
dizaines d’hospitalisations et un décès.
Au niveau mondial, l’OMS a publié en avril 2019 des données provisoires
inquiétantes, mettant en évidence une hausse de 300 % des cas déclarés au
premier trimestre 2019 par rapport à la même période de 2018. Cette situation
s’expliquait par la survenue de nombreuses épidémies en divers endroits du
Globe (Afrique, Moyen-Orient, Asie du Sud-Est, Europe). Des pays, comme
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
les États-Unis et Israël, où les taux de couverture sont élevés, connaissent
aussi des épidémies touchant des groupes non vaccinés.

5.2.9. La tuberculose
La tuberculose est une maladie bactérienne, provoquée par le bacille de
Koch (Mycobacterium tuberculosis), mais aussi fortement soumise à l’action
de déterminants sociaux ; elle se manifeste par des atteintes pulmonaires prin-
cipalement, mais aussi d’autres localisations, notamment osseuses. En France,
le poids de la tuberculose a beaucoup diminué par rapport au xixe  siècle,
période à laquelle elle constituait un « fléau social » de première grandeur
auquel répondit une organisation soignante spécifique (aérium, préventorium,
sanatorium), dont l’utilité déclina rapidement avec l’apparition des premiers
antibiotiques efficaces (streptomycine) à la fin des années 1940.
Elle reste cependant un sujet de vigilance car toujours présente. Au niveau
mondial, elle est l’une des dix premières causes de mortalité (10,4 millions
de malades en 2015, et 1,8 million de décès), et il est probable que l’objectif
de son éradication en 2030, faisant partie des objectifs du développement
durable de l’ONU, ne sera atteint dans aucun pays à cette échéance17. En
Europe, la maladie se manifeste fréquemment sous des formes multirésistantes
ou ultrarésistantes aux traitements (environ 100 000 cas sur les 500 000 estimés
en 2015 au niveau mondial par l’OMS), tout particulièrement en Europe de
l’Est et en Russie, et touchant fréquemment les populations migrantes. Les
prévalences sont plus élevées, notamment pour les formes résistantes dans
les populations vulnérables (sans domicile fixe, prisonniers, migrants).
La situation française est aujourd’hui celle d’une endémie persistante, mais
d’ampleur limitée au point qu’en juillet  2007 l’obligation vaccinale par le
BCG a été remplacée par une recommandation d’emploi à destination des

17. The Lancet, septembre 2017.

147
Partie 1. Les fondamentaux

enfants particulièrement exposés. La stratégie de lutte contre la maladie repose


donc en premier lieu sur le diagnostic précoce des cas et sur leur prise en
charge adéquate. La tuberculose est une maladie à déclaration obligatoire. Le
nombre de cas déclarés était en 201518 de 4 741, soit 7,1 cas/100 000 habitants
(en baisse par rapport aux années antérieures), dont 3 422 cas avec une loca-
lisation pulmonaire (5,1 cas/100 000 h) ; dont aussi 121 cas chez des enfants
de moins de 5 ans, soit 2,5 % des cas déclarés. Géographiquement, les taux
de déclaration les plus importants sont relevés à Mayotte (25,9/100 000 h), en
Guyane (18,3/100  000  h) et en Île-de-France (14,5/100  000  h). Par ailleurs,
certains groupes sont particulièrement atteints : les personnes sans domicile
fixe (166,8/100 000), les détenus (91,3/100 000) et les personnes nées à l’étran-
ger (35,1/100 000), notamment en Afrique subsaharienne.
Un problème central de la lutte contre la tuberculose est celui de la résis-
tance aux antibiotiques. En effet, environ 2,6 % des cas diagnostiqués en
2014 correspondaient à des bacilles dits multirésistants (c’est-à-dire en pra-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tique résistants à au moins deux des antibiotiques antituberculeux majeurs :
l’isoniazide et le rifampicine). Ce chiffre est en forte augmentation depuis
les années 1990 (environ 0,4 à 0,7 % de résistances à cette époque). Il est
à noter que, parmi les cas multirésistants, une majorité de sujets ont déjà été
traités, ce qui marque l’importance d’une prise en charge correcte initiale.

5.2.10. La grippe
La grippe est une maladie respiratoire virale (virus de type Influenzae),
assez contagieuse, qui se manifeste par des épidémies annuelles hivernales
et des vagues pandémiques sporadiques. Les virus responsables mutent très
fréquemment, ce qui modifie notamment le niveau de contagiosité et la létalité
de la maladie. Il est donc nécessaire d’identifier les caractéristiques du virus
à des fins de surveillance épidémiologique, de fabrication de vaccin et de
planification des mesures de réponse à des épidémies de gravité variable.
La classification de base des virus grippaux repose notamment sur l’iden-
tification d’un groupe général (A, B) et de deux protéines de l’enveloppe
virale : l’hémagglutinine (H) et la neuraminidase (N), d’où les types grippaux
H1N1, H3N2. Les virus de la grippe peuvent atteindre à la fois l’homme et
l’animal, tels les types H5N1 et H7N9, hautement pathogènes pour l’homme
et endémiques chez la volaille en Chine. Les épidémies saisonnières sont
actuellement dues aux virus A-H3N2, A-H1N1, B-Victoria, B-Yamagata. Les
cas les plus graves sont habituellement provoqués par les virus du groupe A.
En France, les épidémies hivernales comportent plusieurs millions de cas
annuels (2,3 millions de consultants, selon l’estimation concernant l’épidémie
de 2015‑2016), situation induisant une mortalité notable dans les groupes de
population fragiles, en particulier les personnes âgées, les femmes enceintes

18. J.-P. Guthmann, F. Aït Belghiti, D. Lévy-Bruhl, « Épidémiologie de la tuberculose en France


en 2015. Impact de la suspension de l’obligation vaccinale BCG sur la tuberculose de l’enfant,
2007‑2015 », BEH, 2017, n° 7, p. 116‑126.

148
L’état de santé des Français. Comparaisons internationales

Partie 1. Chapitre 5.
et les malades chroniques. À titre d’exemple, la sévère épidémie de grippe
de l’hiver 2014‑2015 a entraîné un excès de mortalité de 18 300 cas et a été
responsable de 9,2/1 000 hospitalisations après passage par un service d’ur-
gences durant la période épidémique. Du fait du grand nombre de personnes
touchées, les épidémies annuelles mettent régulièrement sous tension le sys-
tème de santé, notamment les services des urgences, hospitaliers ou ambu-
latoires, les services de réanimation (prise en charge de syndromes de détresse
respiratoire aiguë) ; plus globalement, elles perturbent l’activité générale par
les arrêts de travail induits.
La grippe peut être prévenue par un vaccin de très bonne tolérance, recom-
mandé en France pour les populations vulnérables : personnes âgées de 65 ans
et plus, femmes enceintes, porteurs d’une pathologie chronique ciblée par la
vaccination ou d’une obésité morbide, personnes résidant dans des collecti-
vités. La couverture vaccinale des 65 ans et plus est, en France, régulièrement
inférieure à 50 %, niveau très insuffisant au regard du seuil fixé par l’OMS
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
à 75 % ; le constat est tout aussi insatisfaisant pour les moins de 65 ans por-
teurs de maladies chroniques : à l’instar des autres pays européens, la France
n’a toujours pas rempli l’objectif européen d’une couverture vaccinale de
75 % de cette population fragile. La situation est similaire dans les autres
pays européens, avec une couverture vaccinale majoritairement inférieure à
50 % (ECDC). La majorité des patients admis en réanimation ne sont pas
vaccinés. Enfin, les mesures d’hygiène destinées à réduire la circulation des
virus doivent être régulièrement rappelées : lavage des mains, réduction des
contacts avec les personnes symptomatiques, utilisation de mouchoirs à usage
unique, port d’un masque.

5.2.11. Les infections à coronavirus


Les coronavirus (CoV) sont des virus à ARN, qui doivent leur nom à leur
aspect en microscopie électronique, paraissant entourés d’une couronne de
protéines. Il en existe plusieurs types connus chez l’Homme. Leur transmission
interhumaine se fait essentiellement par voie respiratoire (mais les selles
peuvent parfois contenir le virus).
L’infection peut être asymptomatique ou se limiter à des signes infectieux
modérés de la sphère respiratoire haute (rhume). Mais certains coronavirus
peuvent être responsables de tableaux cliniques beaucoup plus sévères, de
type grippaux, dans lesquels dominent les pneumonies virales entraînant une
létalité pouvant dépasser les 10 %. Il peut exister aussi des signes digestifs
à type de diarrhée. Les formes graves sont particulièrement fréquentes chez
les sujets âgés ou fragilisés.
Trois épisodes majeurs d’infections à coronavirus de dimensions internatio-
nales sont survenus depuis moins de vingt ans : le syndrome respiratoire aigu
sévère (SRAS) des années 2002-2004, apparu en Chine (SARS-CoV ; SARS :
Severe acute respiratory syndrome), le syndrome respiratoire du Moyen-Orient
apparu en 2012 en Arabie saoudite (MERS-CoV ; MERS : Middle East respi-
ratory syndrome) et la pandémie à coronavirus Covid-19 apparue en Chine

149
Partie 1. Les fondamentaux

fin 2019. Cette dernière pandémie a eu un impact sanitaire (morbidité, mortalité


et conséquences sur le fonctionnement du système de soins), économique et
social tout à fait considérable qui n’est pas sans rappeler certains aspects des
grandes épidémies du passé, mais à l’heure de la mondialisation et d’Internet.

5.2.12. Sida et infection par le VIH


Le sida, syndrome d’immunodéficience acquise, est une maladie connue
depuis 1981 et due à une infection par le VIH, virus de l’immunodéficience
humaine (➠ Chapitre 1). Le pronostic du sida a été transformé par l’apparition
des trithérapies, qui en font aujourd’hui une maladie chronique, posant des
problèmes analogues à ceux inhérents aux cancers guéris ou mis en rémission
prolongée. La transmission se fait essentiellement par les voies sanguine
(directe ou par un support contaminé) et sexuelle. L’infection par le VIH est
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
à déclaration obligatoire depuis 2003. L’analyse de la situation épidémiologique
tient compte des groupes de populations à risque de transmission et aussi de
critères biologiques, tout particulièrement le dosage des lymphocytes CD419.
Le nombre de nouveaux cas annuels d’infection par le VIH en France est
estimé à environ 100 cas/million d’habitants, soit environ 6 600/an, avec un
âge médian au diagnostic de 38 ans. L’importance de l’infection par le VIH
était estimée en 2014 à environ 170 000 personnes, dont probablement 50 000
n’étaient pas prises en charge par le système de santé, soit parce que leur
séropositivité était inconnue, soit par défaut de prise en charge.
Deux groupes sont particulièrement exposés à l’infection : les hommes
ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) et les personnes origi-
naires d’Afrique subsaharienne (un tiers des cas). De ce fait, les rapports
hétérosexuels constituent le mode de contamination principal des personnes
diagnostiquées en 2014 (56 %). En revanche, le groupe des usagers de drogues
injectables, historiquement important, représente aujourd’hui environ 1 %
des nouveaux cas annuels de séropositivité. Depuis 2011, l’incidence de l’in-
fection par le VIH est en augmentation chez les HSH, alors qu’elle est stable
dans les autres groupes, témoignant de la nécessité de poursuivre les efforts
de prévention. Une difficulté dans le domaine est la proportion demeurant
importante, de l’ordre de 25 %, de personnes découvrant leur séropositivité
à un stade évolué de l’infection, constat particulièrement net chez les hommes
hétérosexuels et les sujets de plus de 50 ans.
On note aussi une forte différenciation géographique de l’infection, qui
est nettement plus fréquente en Île-de-France et dans les départements et
régions français d’Amérique (tout particulièrement en Guyane) et, dans une
moindre mesure, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Les outils de prévention de l’infection se sont diversifiés progressivement :
ils mobilisent aujourd’hui l’action sur les comportements (usage du

19. On distingue ainsi un stade précoce de l’infection avec au moins 500 lymphocytes CD4/mm3
(stade de primo-infection VIH) et un stade de sida avéré avec moins de 200 lymphocytes CD4/ mm3.

150
L’état de santé des Français. Comparaisons internationales

Partie 1. Chapitre 5.
préservatif, sélection des partenaires et des pratiques sexuelles), le dépistage
régulier (VIH et autres IST qui agissent comme co-facteurs de l’infection par
le VIH), le traitement antirétroviral (prophylaxie pré-exposition dite PrEP,
traitement post-exposition, traitement des personnes séropositives) et enfin
le traitement des IST. Comme pour d’autres maladies infectieuses, il importe
d’être vigilant sur l’apparition de résistances aux traitements disponibles.

5.2.13. Hépatites virales


Il existe plusieurs types d’hépatites virales. Les virus des hépatites A
(VHA) et E (VHE) sont transmis par voie digestive par ingestion d’eau ou
d’aliments contaminés.
Les virus des hépatites B (VHB) et C (VHC) sont transmis par voie
sanguine, directe ou par un support contaminé ; le VHB est aussi transmis
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
par voie sexuelle et de la mère à l’enfant. Il existe un vaccin efficace contre
l’HVB, et des traitements curatifs de l’HVC sont disponibles depuis 2011.
Au niveau mondial, le VHB est particulièrement présent en Afrique sub-
saharienne et en Asie orientale, tandis que le VHC se rencontre le plus en
Afrique, au Moyen-Orient et en Asie centrale et orientale.
En France, le mode dominant de transmission de l’hépatite B est de nature
sexuelle, et l’incidence de l’hépatite B aiguë est faible et en diminution : ainsi,
en 2013, le nombre de nouveaux cas d’hépatite B aiguë diagnostiqués était
estimé à 291, soit une incidence de 0,44/100 000 habitants. Cependant, une
estimation tenant compte des cas non diagnostiqués car asymptomatiques
établissait le nombre de nouveaux cas à 1 092. La prévalence de l’infection
chronique par le VHB était estimée en 2013 à 49 pour 100 000 habitants.
Géographiquement, l’Île-de-France, Mayotte, la Guyane et la Guadeloupe
connaissent les taux les plus élevés de séropositivité pour le VHB.
Pour l’hépatite C, les groupes à risque en France, sont les usagers de
drogues injectables, les personnes transfusées avant 199220 et les personnes
en provenance des zones à forte prévalence. Depuis plusieurs années, la
tendance est à la baisse de la prévalence et de l’incidence de la maladie.
En 2011, le nombre de personnes de 18 à 80 ans infectées par le VHC était
estimé à 344 500 pour la population de Métropole (prévalence égale à 0,75 %),
et le nombre de personnes atteintes d’une hépatite C chronique à 192 700
(prévalence de 0,42 % de la population générale métropolitaine). La préva-
lence de l’infection chronique par le VHC était estimée en 2013 à 49 pour
100 000 habitants. À terme, son éradication semble possible grâce à l’arrivée
sur le marché de médicaments antiviraux dits « à action directe », qui sont
cependant très coûteux et qui ne règlent pas le sujet des comorbidités fré-
quentes. Géographiquement, l’Île-de-France est la région la plus touchée par
le VHC et l’Outre-mer français est globalement moins atteint que la Métropole.

20. 1992 est l’année où une première technique de mesure d’élimination des agents pathogènes
dans le plasma a été disponible en France.

151
Partie 1. Les fondamentaux

Relativement à la situation mondiale, en France, les hépatites B et C ne


sont pas des maladies très fréquentes. Elles représentent cependant un réel
problème de santé publique pour deux raisons. Tout d’abord à cause de leur
possible évolution vers l’hépatite chronique, la cirrhose et le cancer du foie
(carcinome hépatocellulaire). La seconde raison est le coût induit par la prise
en charge, problématique devenue sensible depuis l’apparition sur le marché
en 2011 de nouveaux médicaments contre l’hépatite C, très efficaces mais
extrêmement coûteux et dont le coût s’ajoute à celui des formes chroniques,
cirrhoses et cancers. C’est dire l’importance d’améliorer le taux de couverture
par la vaccination contre l’HVB, qui est recommandée en France pour les
personnes à risque élevé d’exposition (pratiques sexuelles à risque et séjour
en zone de forte endémie), pour les nourrissons, avec un rattrapage chez les
enfants et les adolescents de 11 à 15 ans révolus.
Par ailleurs, la fréquence de l’hépatite virale E, transmise principalement
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
par la consommation de viande de porc insuffisamment cuite (notamment des
préparations à base de foie de porc cru) est en très nette croissance, passant
de 9 cas en 2012 à 2 292 cas en 2016. Il existe aussi une transmission san-
guine. En France, la séroprévalence s’élève à 22,4 % chez les donneurs de
sang, ce qui représente un taux parmi les plus élevés au monde : on estime
le nombre moyen annuel de cas symptomatiques à environ 68 000.

5.2.14. Infections sexuellement transmises (IST) hors sida


et hépatites
Ces infections sont principalement d’origine bactérienne. Il s’agit notamment
des infections à Chlamydia, à gonocoques et syphilitique. Outre les infections
aiguës, elles induisent des complications (lésions précancéreuses et cancéreuses,
atteintes neurologiques de la syphilis) et des séquelles (stérilité). Elles constituent
aussi un facteur favorisant l’infection par le VIH (co-facteur), notamment pour
la syphilis chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH),
ce qui conduit à intégrer en un seul ensemble la prévention de l’infection par
le VIH et celle des IST (dépistage, diagnostic précoce et traitement).
En France, les IST sont en extension depuis plusieurs années (pour la
gonococcie et la syphilis, la reprise épidémiologique se situe à la fin des années
1990). En Métropole, l’ensemble des régions est concerné, avec une légère
prééminence de l’Île-de-France. La plus fréquente des IST est actuellement
l’infection à Chlamydia (en 2014, 14 227 cas diagnostiqués par un réseau de
surveillance spécifique, dont deux tiers d’infections vaginales), mais la pro-
gression des IST est globalement très marquée pour la gonococcie (3 754 cas
diagnostiqués en 2014 par le réseau Renago) et la syphilis précoce chez les
HSH (80 % des 1 272 cas diagnostiqués en 2014). Ce constat s’explique très
probablement par la persistance et le développement de comportements sexuels
à risque dans cette population depuis plusieurs années, les prises de risque
paraissant particulièrement fréquentes chez les HSH séropositifs pour le VIH,
possiblement favorisées par la mise à disposition de la PrEP (➠ 5.2.12).

152
L’état de santé des Français. Comparaisons internationales

Partie 1. Chapitre 5.
5.2.15. Les arboviroses : chikungunya, dengue, maladie à virus Zika
La dengue est une maladie anciennement connue, le chikungunya et la
maladie à virus Zika (MVZ) se sont invitées dans l’actualité plus récemment :
épidémie de chikungunya dans l’océan Indien (dont La Réunion et Mayotte)
en 2005 et 2009‑2010, et épidémie de MVZ en Amérique du Sud et aux
Antilles en 2015‑2016.
Ces maladies virales transmises par des moustiques du genre Aedes
s’étendent géographiquement en raison des changements climatiques avec
apparition et progression de vecteurs en Métropole et survenue (potentielle
ou avérée) de cas de certaines maladies en Europe.

5.3. Les principaux déterminants de santé : tabac, alcool,


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
toxicomanies illégales, conditions de travail,
environnement

5.3.1. La consommation de tabac


La consommation de tabac est à l’origine ou contribue à l’aggravation de
pathologies nombreuses : dépendance due à la nicotine, maladies cardiovas-
culaires (cardiopathies ischémiques, AVC, artériopathie oblitérante des
membres inférieurs, athérosclérose), cancers (broncho-pulmonaire, voies aéro-
digestives supérieures, œsophage, pancréas, colon-rectum, rein, vessie, col
de l’utérus), maladies respiratoires (broncho-pneumopathies chroniques
­obstructives [BPCO], emphysème, infections respiratoires), obstétricales
(hypotrophie fœtale, mortalité néonatale, mort subite du nourrisson), ulcère
gastroduodénal, parodontopathies, fragilité osseuse (fractures), troubles du
sommeil.
En France, la mortalité attribuable au tabagisme est estimée entre 73 00021
et 78 00022 décès annuels, soit 13 à 14 % de la mortalité totale dont environ
deux tiers de sexe masculin et un quart survenant avant 65 ans. Le tabagisme
est responsable d’un tiers de la mortalité par cancers. On note des disparités
géographiques, un peu différentes selon le sexe : chez les hommes, la mortalité
est maximale dans les Hauts-de-France, le Grand-Est, à La Réunion et en
Bretagne ; chez les femmes, les régions les plus touchées sont la Corse, La
Réunion, le Grand-Est et la Bretagne. L’analyse au niveau communal révèle
un gradient socio-économique à cette mortalité, avec des taux de mortalité
supérieurs chez les habitants des communes les plus défavorisées.

21. C. Bonaldi, F. Andriantafika, S. Chyderiotis et al., « Les décès attribuables au tabagisme en


France. Dernières estimations et tendance, années 2000 à 2013 », BEH, n° 30‑31, 2016, p. 528‑540.
22. L. Ribassin-Majed, C. Hill, « Trends in Tobacco-Attribuable Mortality in France », European
Journal of Public Health, vol. 25, n° 5, 2015, p. 824‑828.

153
Partie 1. Les fondamentaux

Une estimation du coût social global du tabagisme pour la France en 2010


a été proposée par Kopp et s’élève à 122 milliards d’euros23.
La consommation de tabac est plus importante chez les Français que chez
les Françaises. Mais, si la consommation est en baisse depuis plusieurs décen-
nies chez les hommes, elle est en revanche quasiment stable chez les femmes :
ainsi, entre 1974 et 2014, on passe de 59 % de fumeurs chez les hommes à
38,8 % (dont 32,9 % de fumeurs quotidiens) tandis que chez les femmes, les
chiffres passent de 28 à 29,9 % (dont 24,6 % fument quotidiennement).
La situation française est parmi les plus dégradées en Europe : en effet, envi-
ron un quart des Européens de plus de 15 ans déclare une consommation quo-
tidienne de tabac. Les extrêmes vont de 5 % en Suède à plus de 35 % en
Bulgarie, la France se situe en deuxième position avec 33 %, très loin donc
devant le Royaume-Uni (16 %) ou la Belgique (17 %). Au niveau mondial, dans
des pays comparables, la prévalence du tabagisme quotidien s’élève à 11 % aux
États-Unis, 13 % en Australie, 15 % au Canada ou en Nouvelle-Zélande.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Chez les jeunes Français, les niveaux de consommation sont comparables
dans les deux sexes : à 16 ans, la consommation quotidienne du tabac touche
16 % de la population.
Le développement ancien du tabagisme féminin a provoqué logiquement
une hausse majeure de la mortalité liée au tabac chez les femmes : entre 1980
et 2010, on est ainsi passé de 2 700 à 19 000 morts chez les femmes (de 1 à 7 %
des décès féminins) ; chez les hommes, le mouvement est inverse : 66 000 morts
en 1980, contre 59 000 en 2010 (de 23 à 21 % des décès masculins). Plus
récemment, sur la période 2000‑2013, la mortalité liée au tabagisme a baissé
de 27 % chez les hommes et augmenté de 38 % chez les femmes.
Ces constats peu satisfaisants interrogent sur l’efficacité des nombreuses
mesures mises régulièrement en œuvre pour lutter contre le tabagisme en
France (➠ Chapitre 12).

5.3.2. La consommation d’alcool


La consommation d’alcool est à l’origine de nombreuses pathologies.
L’alcool est classé parmi les cancérigènes certains par le CIRC avec une
nocivité dose-dépendante sans seuil, c’est-à-dire débutant à la moindre inges-
tion du toxique.
Les pathologies induites sont nombreuses : cancers, digestives (cirrhoses),
insuffisance cardiaque, psychiatriques (psychose alcoolique, troubles cogni-
tifs), accidents du travail, accidents de la voie publique, violences domes-
tiques. Pour les cancers (notamment des voies aérodigestives supérieures) et
les maladies cardiovasculaires, l’association de la consommation d’alcool
avec celle du tabac est particulièrement redoutable.

23. P. Kopp, Le Coût social des drogues en France, Observatoire français des drogues et des toxi-
comanies, 2015.

154
L’état de santé des Français. Comparaisons internationales

Partie 1. Chapitre 5.
En France, en 201224, environ 580 000 séjours en services de médecine,
chirurgie ou obstétrique étaient causés par la consommation d’alcool, plus
précisément : 104 000 pour intoxication éthylique aiguë, 92 000 pour alcoolo-
dépendance et 384 000 pour des affections liées à l’alcool. Ces soins corres-
pondaient à 2,2 % du total des séjours et séances de soins des établissements
concernés. En matière de santé mentale, on comptait environ 2,7 millions de
journées d’hospitalisation : 1,8 million pour alcoolo-dépendance et 860 000
pour affections liées à la consommation d’alcool, soit au total 10,4 % des
journées en établissements de soins psychiatriques.
Sur le plan économique, les soins hospitaliers induits s’élevaient en 2012
à environ 2,6 milliards d’euros, soit 3,6 % des dépenses couvertes par
l’ONDAM25 hospitalier. Kopp évaluait à 118 milliards d’euros le coût social
de la consommation d’alcool en France en 2010, c’est-à-dire un chiffre très
proche du coût engendré par le tabagisme, alors que la mortalité liée à la
consommation d’alcool est moins importante ; ce constat s’explique par le
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
fait que les décès (accidentels ou par maladie) induits par la consommation
d’alcool surviennent plus précocement et ont donc un poids social propor-
tionnellement supérieur.
Sur le plan de la consommation, la France se caractérise par une tendance
à la baisse depuis plusieurs décennies. Aujourd’hui, on estime les buveurs
quotidiens à environ 10 % de la population adulte, pour 18,5 % de consom-
mateurs réguliers. En 2012, les achats annuels s’élevaient à 11,8 litres d’alcool
pur par habitant de plus de 15 ans. À côté de l’alcoolisation régulière, on note
une augmentation marquée des alcoolisations ponctuelles importantes, qui
concerneraient 38 % des adultes et même 57 % des 18‑25 ans.
L’OFDT a estimé pour 2016 à 49 000 les décès annuels en France impu-
tables à la consommation d’alcool et à 135 000 le nombre de consommateurs
s’étant rendus dans l’année dans un centre de soins spécialisés. Il existe une
différenciation marquée entre hommes et femmes : sur les 49 000 décès
annuels, 36 500 surviennent chez les hommes (13 %  des décès masculins),
contre 12 500 chez les femmes (5 %  des décès féminins). Quant au coût
social, il s’élevait à environ 120 milliards d’euros en 2016 selon l’OFDT.
L’importance des pathologies induites est marquée par de fortes différences
territoriales : Hauts-de-France, Bretagne et Normandie, en Métropole, et La
Réunion pour les DROM sont particulièrement touchées, ainsi que la
Guadeloupe et la Guyane, mais uniquement pour les hommes.
Une analyse géographique plus fine fait apparaître un déterminisme social
à la mortalité induite avec un gradient de mortalité croissant avec le niveau
de désavantage social des communes de résidence : en moyenne, pour les
habitants de Métropole, les 20 % habitant les communes les moins favorisées
subissent des taux de mortalité 2,1 fois plus élevés que ceux des 20 % habitant

24. F. Paille, M. Reynaud, « L’alcool, une des toutes premières causes d’hospitalisation en France »,
BEH, n° 24‑25, 2015, p. 440‑449.
25. ONDAM : Objectif national des dépenses d’assurance maladie.

155
Partie 1. Les fondamentaux

les communes les plus favorisées. Cet effet social est plus marqué pour la
consommation d’alcool que pour celle du tabac.

5.3.3. Les toxicomanies illégales


Leurs effets sont sanitaires et sociaux à la fois par leur action propre, mais
aussi par leur statut juridique illégal. Ainsi, par exemple, il semble que la
consommation de cannabis commencée précocement (avant l’âge de 17 ans)
soit associée à une moindre performance scolaire, impact encore aggravé par
d’éventuels facteurs psychologiques, familiaux ou scolaires26. Les stratégies
de lutte se heurtent au conflit entre impératifs sanitaires et logique de répres-
sion pénale : le toxicomane pouvant être vu tout à la fois comme un malade
ou un délinquant.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
5.3.4. Les conditions de travail
Comme indiqué dans le chapitre 2 sur les déterminants de santé, les condi-
tions de travail peuvent être à l’origine de pathologies diversifiées : cancers,
atteintes sensorielles (surdité), santé mentale, troubles musculo-squelettiques,
accidents. En 2010, environ 40 % des salariés français étaient exposés à
au  moins un facteur de pénibilité, dont 12 % à un facteur cancérogène et
1,1 % à un facteur reprotoxique. Ces expositions connaissent de fortes variations
socioprofessionnelles : ainsi 25 % des ouvriers sont-ils exposés à au moins trois
facteurs de risque, contre moins de 5 % chez les cadres et les employés admi-
nistratifs. En 2012, 56 100 cas de maladies professionnelles ont été reconnus
par les régimes de protection sociale, principalement des troubles musculo-
squelettiques, les conséquences de l’exposition à l’amiante et des surdités.
Les accidents du travail sont en diminution, en raison peut-être des mesures
de prévention mais aussi parce que certains emplois particulièrement exposés
sont en régression. De façon générale, les accidents du travail sont plus fré-
quents chez les jeunes salariés, les hommes et les ouvriers. En 2012,
676 700 accidents du travail et 90 100 accidents de trajet ont été pris en charge
par les régimes de protection sociale ; parmi eux, 604 accidents du travail et
343 accidents de trajet ont entraîné un décès.
Une enquête réalisée par Santé publique France sur 48 000 salariés fran-
çais27 a montré qu’environ 2,6 millions d’entre eux étaient exposés à au moins
un facteur cancérogène, soit 12 % de la population étudiée. Les principaux
cancérogènes en cause étaient pour 2,2 millions de nature chimique, pour
259 000 les rayonnements ionisants, et pour 236 500 le travail de nuit,

26. M. Melchior, C. Bolze, E. Fombonne et al., « Early Cannabis Initiation and Educational At-
tainment : Is the Association Casual ? Data from the French TEMPO Study », International Journal
of Epidemiology, vol. 46, n° 5, 2017, p. 1641‑1650.
27. N. Fréry, F. Moisan, Y. Schwaab et al., « Exposition des salariés à de multiples nuisances can-
cérogènes en 2010 », BEH, n° 13, 2017, p. 242‑249.

156
L’état de santé des Français. Comparaisons internationales

Partie 1. Chapitre 5.
certaines personnes (30 %) étant exposées à plus d’un facteur cancérogène.
Les hommes comptent pour les trois quarts dans la population exposée.
Certains métiers se révèlent particulièrement sensibles, notamment la répa-
ration automobile (échappement des moteurs Diesel), le secteur de la santé
(travail de nuit, rayonnements ionisants), la coiffure et l’esthétique (produits
chimiques). Les évolutions récentes de la législation européenne relative à la
protection des travailleurs contre les risques liés à l’exposition à des agents
cancérigènes ou mutagènes au travail (avec notamment une réglementation
plus contraignante concernant 27 substances, dont le diesel ou encore le
formaldéhyde) devraient permettre d’améliorer la situation des travailleurs
exposés.
Encadré n° 1. Le régime français de reconnaissance des maladies ­professionnelles (MP)
et des accidents du travail (AT)
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Une maladie est reconnue comme professionnelle si elle est soit la conséquence directe de
l’exposition d’un travailleur à une nuisance (par exemple, l’inhalation de fibres d’amiante
chez une personne atteinte de plaques pleurales), soit la conséquence des conditions dans
lesquelles l’activité professionnelle se déroule (par exemple, le travail en ambiance sonore).
Un accident du travail est un accident survenant chez une personne soit par le fait, soit à
l’occasion de son travail, quelle qu’en soit la cause. En pratique, un accident est présumé
d’origine professionnelle s’il survient au sein des locaux de travail, même durant un temps
de pause ou à l’occasion d’un déplacement d’ordre professionnel.
En France, le système de réparation des maladies professionnelles ne couvre que les salariés
et est géré par les régimes de Sécurité sociale, avec un financement par les employeurs. Le
principe général est celui d’une imputabilité retenue sur la base d’une présomption d’origine
à la condition que la maladie corresponde précisément à la description figurant dans une
liste limitative (tableaux des maladies professionnelles) : dans la mesure où l’état du salarié
répond à toutes les conditions inscrites dans le tableau, il n’est pas nécessaire de procéder
à de plus amples vérifications avant d’indemniser.
Depuis 1993, un dispositif complémentaire existe, qui permet de reconnaître comme
« maladies à caractère professionnel » (MCP) des situations ne répondant pas aux défini-
tions des tableaux de MP. Dans ce cas, les demandes de reconnaissance sont examinées par
un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, qui se prononce sur
le lien éventuel entre la maladie et les conditions de travail.

5.4. Le vieillissement de la population et l’accroissement


des maladies chroniques

Les phénomènes sont largement liés, mais deux autres facteurs peuvent
expliquer le poids croissant des maladies chroniques : d’une part, l’amélio-
ration des traitements induisant une augmentation de la durée de vie des
malades ; d’autre part, la persistance, voire l’aggravation des effets de certains
facteurs de risque (tabagisme, surpoids, sédentarité, conditions de travail…).
Il faut cependant noter que l’incidence des maladies chroniques est aussi en
augmentation chez les moins de 65 ans, tout particulièrement chez les femmes.
Pour situer l’enjeu global, soulignons que les affections de longue durée
(ALD) consomment près des deux tiers des dépenses du régime général

157
Partie 1. Les fondamentaux

d’assurance maladie et que plus des trois quarts des personnes atteintes d’une
ALD sont porteuses d’une pathologie chronique appartenant le plus souvent
aux quatre catégories suivantes : maladies cardiovasculaires, cancers, diabète,
troubles psychiques (dont maladie d’Alzheimer et autres syndromes démen-
tiels). Deux problèmes sont particulièrement importants chez les personnes
âgées : les troubles sensoriels (vue, audition) et les chutes. Cette transition
épidémiologique invite à réorienter les actions de santé28 et leurs financements
en direction de pathologies qui accroissent la morbidité plus que la mortalité,
notamment les troubles musculo-squelettiques, limitations sensorielles,
atteintes à la santé mentale.
Vieillissement et accroissement des maladies chroniques contribuent à rendre
plus vulnérable la société sur le plan sanitaire. Ainsi, le recul des EVN en 2015
s’explique principalement par la succession d’une épidémie de grippe en début
d’année, puis d’une canicule en juillet et enfin d’une vague de froid en octobre,
trois situations auxquelles sont sensibles les ­personnes âgées et les malades
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
chroniques. L’épidémie d’infections à ­coronavirus Covid-19 de  2020 a aussi
illustré cette vulnérabilité de notre société et de son ­système de santé.
Les maladies neurodégénératives représentent une part importante du far-
deau lié aux maladies chroniques. La maladie d’Alzheimer et les autres
démences concernent probablement environ 1,2 million de Français (estima-
tion 2014), dont au moins 770 000 étaient pris en charge par le système de
santé. Leur prévalence augmente fortement avec l’âge, passant de 22/1 000
habitants chez les plus de 40 ans à 60/1 000 chez les 65 ans et plus. La maladie
de Parkinson touche au moins 160 000 personnes, avec une prévalence géné-
rale de 2,45/1 000 (1,5 fois plus élevée chez les hommes). La prévalence des
démences chez les plus de 60 ans est en France de 8 % (2018), soit le deu-
xième taux le plus élevé d’Europe après l’Italie.
Les incapacités ou limitations à effectuer des activités considérées comme
normales ne sont pas l’apanage des personnes âgées, puisqu’en 2015 environ
25 % des plus de 16 ans déclaraient au moins une incapacité. Cependant, les
difficultés à réaliser les activités de la vie quotidienne s’accroissent avec
l’âge, menant vers des situations de dépendance plus ou moins marquées : en
2014, l’« Enquête santé et protection sociale » a montré que les limitations
d’activités à partir de 80 ans étaient de 34 % pour les soins personnels et de
71 % pour les tâches domestiques. L’EV sans incapacité (EVSI) à 65 ans
était en 2015 de 9,7 ans pour les hommes et de 10,6 ans pour les femmes.
Enfin, les personnes âgées souffrent souvent de plusieurs maladies asso-
ciées ; cette polypathologie a pour conséquence fréquente une polymédication
induisant un risque accru d’effets secondaires indésirables, tels des interac-
tions médicamenteuses nuisibles ou des chutes. On notera cependant que les
fractures de l’extrémité supérieure du fémur sont en régression chez les plus
de 65 ans et que la mortalité induite est stable depuis plusieurs années.

28. OMS, Action Plan for the Prevention and Control of Noncommunicable Diseases in the WHO
European Region, OMS, 2016.

158
L’état de santé des Français. Comparaisons internationales

Partie 1. Chapitre 5.
5.5. La santé des jeunes

La tendance générale est à l’amélioration sur un fond de persistance d’iné-


galités sociales de santé, notamment en ce qui concerne le surpoids et l­’obésité,
l’état bucco-dentaire, le saturnisme et les accidents de la vie courante. Le
niveau de pauvreté s’accroît chez les enfants français, avec les conséquences
à prévoir sur la santé : un rapport de l’Unicef en juin 2015 indiquait qu’en-
viron 20 % des petits Français vivaient sous le seuil de pauvreté.
Dans l’enfance, les principales causes de décès sont, après les maladies
congénitales, les accidents et les morts violentes. Le taux de mortalité péri-
natale est de 10,6/1  000 (2014), stable après une longue période de baisse.
La mortalité néonatale est elle aussi stable avec un taux de 2,4/1  000 nais-
sances vivantes (2014).
La prématurité est stable à environ 7,3 % des naissances vivantes (2014).
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Les enfants de petit poids à la naissance (moins de 2,5 kg) représentent 3 %
des naissances vivantes à terme ; les anomalies congénitales concernent 3,4 %
des naissances.
L’asthme est une maladie en expansion, avec une prévalence d’environ
11 % chez les enfants. Le risque suicidaire est présent chez les adolescentes
de 15 à 19 ans.
Très majoritairement, les jeunes de 15 à 24 ans se déclarent en bonne
santé, les chiffres ayant tendance à être plus élevés chez les garçons : 86 %,
contre 78 % chez les filles.
Cependant, on repère certains points préoccupants, principalement en
matière de conduites à risque :
–  consommation de tabac : entre 16 et 25 % de fumeurs réguliers à l’ado-
lescence ; en 2016, 28 % d’étudiants fumeurs, dont 17 % quotidiennement avec
un usage aussi fréquent chez les hommes et chez les femme ;
–  consommation d’alcool : environ 9 % de consommateurs réguliers, dont
2,6 de quotidiens (volet français de l’enquête ESPAD, European School Survey
Project on Alcohol and Others Drugs29), avec une consommation débutant fré-
quemment au collège et s’intensifiant au lycée, les chiffres (2016) montant chez
les étudiants à 14 % de consommateurs réguliers et 46 % d’occasionnels, avec
des épisodes d’alcoolisation importante ponctuelle déclarés chez 54 % des étu-
diants ;
–  consommation de drogues illicites : en 2014, l’OFDT mettait en évidence
que 47,8 % des jeunes de 17 ans ont expérimenté le cannabis et que 9,2 % sont
des consommateurs réguliers, chiffres en rupture avec la tendance antérieure, à
la baisse (respectivement 41,5 % et 6,5 % en 2011).
Si la consommation d’alcool est majoritairement masculine (trois fois plus
d’usagers réguliers chez les garçons, mais avec une tendance au rapproche-
ment, notamment en ce qui concerne les ivresses), l’usage du tabac est

29. S.  Spilka, O.  Le Nezet, « Alcool, tabac et cannabis durant les “années lycée” », Tendances,
n° 89, novembre 2013.

159
Partie 1. Les fondamentaux

maintenant quasiment équivalent dans les deux sexes. En 2014, l’usage régu-
lier de cannabis (au moins dix usages dans le mois) à 17 ans concerne 9,2 %
des jeunes, les garçons plus souvent que les filles (12,5 %, contre 5,8 %).
En France, comme dans le reste de l’Europe, les leucémies, lymphomes
et tumeurs du système nerveux central comptent pour environ 70 % des
cancers survenant chez les moins de 15 ans et 50 % dans la classe d’âge
15‑19 ans. Globalement, la fréquence des cancers chez les jeunes est en aug-
mentation. Une étude portant sur 165 173 cas issus de 53 registres dans
19  pays européens a retrouvé, sur la période 1991‑2010, une incidence
moyenne annuelle, standardisée sur l’âge, de 137,5 cas par an et par million
de personnes-années, avec une augmentation permanente et significative de
0,54 % par an chez les moins de 15 ans. Chez les adolescents, les chiffres
étaient de 176,2 cas par an et par million de personnes-années, avec une
croissance moyenne de 0,96 % par an sur la période, avec un possible ralen-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tissement dans les années les plus récentes. La France appartient à un groupe
de pays de l’Ouest européen qui ne se distingue guère de la moyenne du
continent en ce qui concerne les enfants (un peu moins de tumeurs du système
nerveux central), mais avec des incidences significativement plus élevées
chez les adolescents pour ce qui est des cancers en général et, en particulier
des lymphomes et du groupe « autres cancers ».
La contraception pose encore problème, comme en témoigne une hausse
des IVG chez les mineures.
Enfin, le renoncement aux soins est aussi un problème chez les étudiants
(les taux déclarés en 2016 peuvent atteindre 35 %), avec pour explications
le manque de temps (52 % des cas), le coût du recours (46 %) et le choix
de l’automédication (44 %).

5.6. Grossesse et contraception

La fécondité en France reste relativement élevée au sein des pays indus-


trialisés. Cependant, le recul de l’âge de la maternité (âge moyen de 30,7 ans
en 2019, soit un recul de 2 ans en vingt-cinq ans) avec, en particulier, un
nombre croissant de grossesses après 40 ans (multiplié par cinq depuis 1980)
pourrait provoquer des difficultés, comme en témoigne l’augmentation du
nombre de grossesses à risque, favorisé aussi par le tabagisme (hypotrophie
fœtale), les actes de procréation médicalement assistée (PMA) et les gros-
sesses multiples.
Le taux de mortalité maternelle (environ 10,3/100 000 naissances vivantes)
est assez élevé, comparé à celui des pays voisins, et reste stable depuis une
vingtaine d’années avec des variations régionales marquées. La moitié de ces
décès maternels serait évitable.
Signalons qu’environ 23 % des femmes enceintes déclarent consommer
de l’alcool durant leur grossesse (Saurel-Cubizolles, 2013) et une femme sur
six, fumer quotidiennement au troisième trimestre de sa grossesse.

160
L’état de santé des Français. Comparaisons internationales

Partie 1. Chapitre 5.
En ce qui concerne la contraception, on remarque une situation un peu
paradoxale : les Françaises sont de fortes utilisatrices (97 % des 15‑49 ans en
2013) de méthodes contraceptives réversibles (pilules, stérilet, préservatifs
principalement). De plus, le recours à la contraception d’urgence est main-
tenant possible. Mais cela ne s’accompagne pas d’un recul du recours à l’IVG,
qui reste très important (environ 220 000 par an, soit 14,9 IVG/1 000 femmes
de 15 à 49 ans) et stable depuis plus de dix ans (touchant par exemple 5 %
des étudiantes), et qui est aussi marqué par d’importantes disparités régionales
(taux de recours élevés en PACA et en Outre-mer). Ce sont, pour moitié
environ, des femmes de moins de 25 ans qui sont concernées.
Les interrogations récentes sur les effets secondaires possibles des pilules
de troisième et quatrième générations ont conduit à un report, variable selon
les groupes sociaux, vers d’autres méthodes contraceptives.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
5.7. De fortes inégalités de santé

C’est aussi une des caractéristiques de la situation française que d’être


marquée par de fortes inégalités de santé. Outre celles constatées entre
hommes et femmes, il existe d’importantes inégalités sociales et territoriales
de santé.

5.7.1. Inégalités territoriales


Les disparités territoriales de santé, tant en termes de mortalité que de
morbidité, sont multiples. Elles sont liées aux inégalités sociales de santé,
car les groupes sociaux ne se répartissent pas uniformément sur le territoire,
mais interviennent aussi les contextes socio-économiques locaux ainsi que les
variations d’accès aux services, notamment sanitaires et médico-sociaux.
Les inégalités se retrouvent à toutes les échelles géographiques : il existe
ainsi des différences entre la Métropole et l’Outre-mer, mais aussi entre
départements et régions d’Outre-mer (DROM).
En Métropole, les différences entre régions sont importantes, mais elles
existent aussi à des niveaux plus fins, en distinguant par exemple les zones
urbaines, péri-urbaines et rurales ou encore, au niveau d’une zone urbaine,
différents quartiers. Les cartes des variations des EVN et des taux standardisés
de mortalité prématurée en donnent une illustration très globale.

161
Partie 1. Les fondamentaux

Moins de 77,5
Moins de 84,3
77,5 à moins de 79,3 84,3 moins de 85
79,3 à moins de 80,5 85 à moins de 85,6
80,5 ou plus 77,5 85,6 ou plus 83,8

78,3 84,9
81,4 79,0 86,1 84,6
78,7 85,2
79,8 86,0
79,3 85,2
78,9
85,0

79,7 80,5 85,5 85,9


76,4
84,7

80,0
78,8 80,1 85,6
84,3 85,5
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
76,6
80,5 83,8
86,4
78,5
84,7

1a. Espérance de vie à la naissance 1b. Espérance de vie à la naissance


des hommes en France en 2019 des femmes en France en 2019

Source : L’État de santé de la population en France, rapport 2017, DREES, Santé publique France.

Figure 1. Espérance de vie des hommes et des femmes


à la naissance en France en 2019

On voit que de façon globale, les EVN sont meilleures dans le sud de la
Métropole et en Île-de-France et, en Outre-mer, en Martinique. À l’opposé,
on trouve les Hauts-de-France, Mayotte et la Guyane. Les écarts entre les
extrêmes sont importants : 4 ans chez les hommes, 2 chez les femmes en
Métropole ; 3 ans pour les hommes, 6 chez les femmes dans les DROM.
La situation sanitaire des DROM est de façon générale moins bonne que
celle de la Métropole. Les causes en sont multiples et en partie spécifiques :
insularité, difficultés économiques (chômage), modifications des modes de
vie (alimentation, activités physiques), sous-équipement, maladies vectorielles
(dengue, chikungunya aux Antilles et dans l’océan Indien), pollution par le
mercure (Guyane), vieillissement démographique accéléré (Martinique), pré-
sence importante de populations étrangères (Guadeloupe, Guyane, Mayotte),
pollution chimique (chlordécone aux Antilles), etc. Ainsi, la mortalité préma-
turée y est plus importante qu’en Métropole (225 décès/1000, contre 200/1000
en 2013).
Cet excès de mortalité prématurée trouve notamment ses origines dans
les mortalités périnatale et infantile30, ainsi que dans la mortalité par

30. Par exemple, le taux de mortalité infantile en Guadeloupe est de 9/1 000 naissances vivantes,
contre quatre en Île-de-France. Les DROM se caractérisent aussi par des taux élevés de prématurité
et de petits poids de naissance.

162
L’état de santé des Français. Comparaisons internationales

Partie 1. Chapitre 5.
maladies infectieuses ; cette situation explique que les causes de mortalité
dans les DROM soient relativement moins sensibles aux actions de prévention
primaire qu’en Métropole. Les taux de mortalité périnatale en 2014 allaient
de 13,7/1000 naissances à La Réunion à 19,1/1000 en Guyane, contre des
maxima métropolitains de 11,4/1 000 en Île-de-France et 14,9 /1000 en Corse.
Les taux de prématurité et de mortalité infantile sont aussi plus élevés (mor-
talité infantile de 7,6/1000 naissances vivantes, contre 3,3/1000).
Il en est de même pour le recours à l’IVG (26,5/1  000  femmes de 15 à
49 ans, contre 14,4/1000), notamment chez les mineures. On note cependant
un facteur favorable à la santé des jeunes qui est une pratique de l’allaitement
maternel plus importante dans les DROM (85 % des naissances, contre 66 %).
Les situations de surpoids et d’obésité chez l’enfant sont aussi plus fré-
quentes qu’en Métropole, ainsi que le diabète et l’insuffisance rénale chro-
nique terminale, qui survient en moyenne à un âge moins avancé.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
En revanche, les taux de prévalence des troubles psychotiques, des troubles
bipolaires et dépressifs dans les départements et régions d’outre-mer sont
tous inférieurs aux taux nationaux.
En Métropole, on retrouve, en matière de mortalité prématurée, la pré-
dominance des régions septentrionales : Hauts-de-France, Normandie,
Bretagne et Grand-Est. Dans les Hauts-de-France, la mortalité prématurée
évitable est de 135/10 000 chez les hommes, et 37,1/10 000 chez les femmes,
contre respectivement 34/10 000 et 22/10 000 en moyenne métropolitaine.

Femmes Hommes

158,8 355,8 Écart par rapport


137,9 318,9 à la moyenne
118,9 139,8 234,4 227,4 métropolitaine
134,1 320,5
115,3 282,2
< –15 %
131,2 134,4 275,4 281,4
–15 % à –5 %
–5 % à +5%
130,1 112,9 276,4 244,1
+5 % à +15 %
> +15 %
127,5 260,2
124,2 263,0

133,3 275,7

* Taux standardisés sur l’âge pour 100 000 habitants, selon la population européenne de référence (Revision of the European
Standard Population, Eurostat 2013).
Champ • France métropolitaine.
Sources • Certificats de décès (CépOc) ; statistiques démographiques (INSEE).
Source : L’État de santé de la population en France, rapport 2017, DREES, Santé publique France.

Figure 2. Écarts régionaux des taux standardisés de mortalité prématurée en 2013

163
Partie 1. Les fondamentaux

Les explications de ces variations renvoient à la répartition des détermi-


nants de santé : démographiques, comportementaux (habitudes alimentaires,
consommation d’alcool), socio-économiques (niveau des revenus, inégalités
sociales, chômage…), environnementaux, liés à l’offre de soins.

5.7.2. Inégalités sociales de santé (ISS)


L’importance sanitaire des facteurs socio-économiques a été décrite
­précédemment (➠ Chapitre 2). En France, le sujet des inégalités sociales de
santé (ISS) a été analysé par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP)
en 200931. Certains points particulièrement structurants :
–  la question des ISS n’est pas uniquement le problème de groupes de popu-
lations très pauvres, précarisées ou exclues. Le phénomène concerne en fait
toute la structure sociale (« un gradient dans l’ensemble de la société »), ce
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
qu’on peut vérifier en constatant des différences d’espérance de vie entre
groupes sociaux, en dehors des groupes en grande difficulté sociale ;
–  les ISS se nourrissent de l’action de nombreux déterminants qui « s’ac-
cumulent et s’enchaînent », avec un rôle majeur des facteurs socio-
économiques. Dans ce cadre, une approche territorialisée peut avoir de
l’intérêt, en raison d’une implantation des populations en fonction de leur
catégorie sociale ;
–  enfin, par comparaison avec des pays voisins, la France est un pays où
les ISS sont fortes et ont tendance à s’accroître. Ce constat est en partie occulté
par la tendance concomitante à l’amélioration globale de l’espérance de vie.
Mais la réalité est que les groupes sociaux les moins favorisés subissent une
« double peine », leur existence étant marquée à la fois par une durée de vie
plus courte et par des incapacités plus importantes. De ce fait, la lutte contre
les inégalités sociales de santé a pris une place importante dans le discours
politique français.
Le poids des ISS se manifeste par exemple par les écarts d’EV à 35 ans,
en faveur des cadres par rapport aux ouvriers : plus de 7 ans pour les hommes,
et de 3 ans pour les femmes. Plus précisément, si on compare les EV à 35 ans
de la période 1976‑1984 et celles de la période 2009‑2013, en tenant compte
à la fois de la catégorie socioprofessionnelle et du sexe, on obtient les chiffres
suivants :

Années 1976‑1984 Années 2009‑2013

Femmes cadres 47,5 ans 53 ans


Femmes ouvrières 44,4 ans 49,8 ans
Hommes cadres 41,7 ans 49 ans
Hommes ouvriers 35,7 ans 42,6 ans

31. HCSP, Les Inégalités sociales de santé, HCSP, 2009.

164
L’état de santé des Français. Comparaisons internationales

Partie 1. Chapitre 5.
On voit bien ainsi que, si les EV 35 ans ont toutes tendance à augmenter,
les différences entre cadres et ouvriers sont pour le moins stables, voire en
légère augmentation. Par ailleurs, la situation des hommes s’améliore plus
que celle des femmes, au point que l’EV 35 ans des hommes cadres est en
passe de rattraper l’EV 35 ans des ouvrières, ce qui illustre clairement l’impact
des déterminants sociaux de la santé.
Globalement, les ISS sont beaucoup plus marquées chez les hommes que
chez les femmes, avec des exceptions, par exemple pour l’obésité et le sur-
poids. Les ISS débutent dès l’enfance, et même dès la vie intra-utérine,
comme le montrent les différences de taux de prématurité et de petits poids
de naissance. Certains déterminants de santé connaissent un fort gradient
social : comportements alimentaires, sédentarité, tabagisme, consommation
d’alcool, santé bucco-dentaire.
En matière de conséquences de la consommation d’alcool, la mortalité
dans le quintile de la population aux revenus les plus faibles est le double
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de la mortalité du quintile le plus favorisé ; en matière de consommation de
tabac, la surmortalité entre les deux mêmes groupes est de 55 %. Enfin, les
catégories les moins favorisées souffrent aussi de plus d’incapacités.

Points clés
• La situation française se caractérise par un état de santé moyen satisfaisant,
situé dans la moyenne européenne, meilleur pour les femmes que pour les
hommes, mais qui s’accompagne d’inégalités importantes et persistantes, voire
en aggravation.
• Globalement, les cancers constituent la première cause de décès, devant les
maladies cardiovasculaires.
• Si la tendance sur plusieurs décennies est à l’amélioration de l’espérance de vie,
les dernières années ont été marquées par des progrès plus limités, ce qui
témoigne probablement de la vulnérabilité croissante d’une société vieillissante
et de la persistance de l’action délétère de certains déterminants de santé, tels
que les consommations de tabac et d’alcool, l’obésité, les facteurs environne-
mentaux (par exemple, la pollution atmosphérique) ou des conditions de tra-
vail pénibles.

Pour en savoir plus


DREES, Santé publique France, L’État de santé de la population en France, DREES,
Santé publique France, 2017.
Chapitre 6
Économie de la santé
Philippe Naty‐Daufin

Objectifs pédagogiques
Connaître :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  Les principaux agrégats utilisés en économie de santé
– Les principales caractéristiques des dépenses de santé en France et les grandes
lignes des comparaisons internationales
–  Les modalités de financement des dépenses de santé
– Les bases de l’analyse microéconomique en matière de santé et des principaux
types d’études utilisés
–  Les facteurs de différenciation de la consommation de soins
–  Les modes de rémunération des médecins
–  Les modes de financement des établissements de santé

Avec environ 11,2 % du PIB, soit près de 5 000 € par an et par habitant1,
les dépenses de santé en France sont parmi les plus élevées au monde. Elles
permettent le financement des soins, mais aussi la compensation des pertes
de revenus (incapacité de travail temporaire ou invalidité), la formation des
professionnels, de programmes de recherche, ainsi que le fonctionnement des
acteurs du système (ministère de la santé, agences sanitaires, organismes de
Sécurité sociale…). Toutes ces activités mobilisent plus d’un million de per-
sonnes, avec des emplois en grande partie non délocalisables et pour certains
à haute valeur ajoutée. Ces dépenses sont financées par des taxes et des
cotisations sociales.
L’économie de la santé, apparue avec le développement des systèmes de
santé, est une branche relativement jeune de la science économique. Elle est
née des études conduites par des professionnels de santé pour mesurer les
coûts des pathologies ou de certaines interventions (médicaments ou actes),
et des travaux d’économistes qui voulaient analyser les particularités de ce

1. Il existe des variations selon les sources de données en raison du périmètre des dépenses prises
en compte. Ainsi, les 11,2 % du PIB en 2018 annoncés par l’OCDE correspondent à la dépense totale
de santé ou DTS (voir OCDE, Panorama de la santé 2019, OCDE, 2019, p. 153) et les 11,7 % du PIB
en 2018 annoncés par l’INSEE correspondent à la dépense courante de santé ou DCS (Voir DREES,
Les Dépenses de santé en 2018, DREES, 2019, p. 94).

167
Partie 1. Les fondamentaux

secteur et comprendre le comportement de ses acteurs en appliquant des


théories économiques classiques ou en en développant de nouvelles.
L’intérêt pour cette discipline a été croissant au fur et à mesure que les
contraintes financières sur le système de santé sont apparues. Les travaux
menés ont ainsi inspiré certaines réformes (mise en place de franchises, prise
en compte de la qualité des pratiques dans les modèles de paiement, tarifi-
cation à l’activité à l’hôpital…) et des évaluations médico-économiques sont
maintenant prises en compte dans la négociation du prix des médicaments
les plus coûteux. Cela a conduit certains à confondre à tort économies bud-
gétaires et économie de la santé, alors que cette dernière ne vise qu’à orienter
l’allocation de ressources, indépendamment du contexte de croissance ou
de décroissance des moyens. De plus, l’usage de l’économie de la santé en
tant qu’outil d’aide à la décision publique reste bien moins développé dans
notre pays que dans d’autres, notamment au Royaume-Uni.
Avant de décrire les dépenses de santé, ce qui relève de la macroéconomie,
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
et de développer plusieurs concepts et théories de microéconomie sur la régu-
lation du secteur de la santé et le comportement de ses acteurs, il convient de
mentionner une limite importante de l’économie de la santé : elle s’intéresse le
plus souvent à l’économie des soins, et non strictement à l’économie de la santé.
Il s’agit d’un point crucial, indissociable de la notion de santé publique, car le
lien entre soins et bonne santé n’est pas exclusif. Même si l’accès aux soins est
un paramètre fondamental, on sait que l’état de santé d’un individu dépend de
multiples facteurs, notamment sociaux et environnementaux (➠ Chapitre 2). Par
ailleurs, il faut signaler que la dépense de santé est une fraction des dépenses
sociales et qu’au-delà de leur fonction de financement de prestations, ces
dépenses ont un effet de redistribution de valeurs non négligeable non seulement
entre les classes sociales mais aussi entre les territoires.

6.1. Les dépenses de santé et leur financement

6.1.1. Le périmètre des dépenses de santé


Plusieurs agrégats permettent de suivre les dépenses sur des périmètres
plus ou moins étendus.

La dépense courante de santé (DCS)2


Il s’agit de l’agrégat au périmètre le plus large. Il regroupe toutes les
dépenses réalisées par des financeurs publics et privés (ménages ou assureurs)
pour financer les soins de courte (qui correspondent à la CSBM) et de longue
durée, les indemnités journalières3 (15,1 Md€ en 2018), les dépenses de

2. 275,9 Md€ en 2018, 230,9 Md€ en 2009.


3. Correspond à la compensation des pertes de revenus liées à l’incapacité de travail.

168
Économie de la santé

Partie 1. Chapitre 6.
recherche, de formation des professionnels médicaux et paramédicaux, de
prévention individuelle et collective, ainsi que les coûts de gestion du système
de santé (15,7 Md€ en 2018).

La consommation de soins et de biens médicaux (CSBM)4


Il s’agit de l’agrégat le plus utilisé pour l’analyse de l’évolution des dépenses
de santé. La CSBM comprend les soins hospitaliers, les soins de ville, les
transports sanitaires, les médicaments, ainsi que l’optique, les prothèses et le
petit matériel médical (« autres biens médicaux »). Contrairement à la DCS, elle
ne comprend pas les soins de longue durée. Les éléments de description des
dépenses présentés ci-après correspondent, sauf mention contraire, à la CSBM.

La consommation médicale totale (CMT)


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Il s’agit de la CSBM (qui en représente approximativement 98 %) à
laquelle on ajoute les dépenses de prévention individuelle.

La dépense totale de santé (DTS)


Cet agrégat est plutôt utilisé par les organismes internationaux, comme
l’OCDE, l’OMS, et Eurostat. Il se calcule en retirant à la DCS les indemnités
journalières, la prévention environnementale et alimentaire, la recherche et la
formation médicale, puis en ajoutant la formation brute de capital fixe (FBCF5)
et certaines dépenses sociales liées à la dépendance et au handicap.

6.1.2. La décomposition des dépenses de santé


(au sens de la CSBM)
En 2018, les dépenses se répartissaient de la façon suivante :
–  soins hospitaliers : 46,4 % (34,2 % au sens de la DCS) ;
–  soins de ville : 27 % (19,9 % au sens de la DCS) ;
–  médicaments : 16,1 % (11,8 % au sens de la DCS) ;
–  autres biens médicaux : 7,9 % (5,8 % au sens de la DCS) ;
–  transports sanitaires : 2,5 % (1,9 % au sens de la DCS).
Cette répartition est assez stable, avec toutefois une tendance à la réduction
de la part consacrée aux médicaments au profit des autres postes. L’accélération
de l’innovation et le développement de nouveaux modes de prise en charge
ambulatoire pourraient inverser ce mouvement. La volonté de développer les
prises en charge en ville devrait également avoir un impact sur la croissance
des différents postes.

4. 203,5 Md€ en 2018, 169,9 Md€ en 2009.


5. Il s’agit des dépenses d’investissement du secteur de la santé, notamment en ce qui concerne
l’immobilier.

169
Partie 1. Les fondamentaux

La CSBM progresse légèrement plus vite en volume qu’en valeur6, ce qui


signifie que la plupart des prix diminuent quand on prend en compte l’infla-
tion. Ces baisses se concentrent sur les médicaments. Les soins de ville et
hospitaliers augmentent quant à eux faiblement, avec une dynamique plus
forte en ville pour soutenir le développement de l’ambulatoire.
Les autres principaux postes de dépenses sont7 :
–  Les soins de longue durée, qui représentaient en 2018 une dépense de
22,8 Md€, dont 11,3 Md€ pour les personnes âgées (76 % pour les établisse-
ments d’hébergement pour personnes âgées [EHPA] et établissements d’héber-
gement pour personnes âgées dépendantes [EHPAD]) et 11,5 Md€ pour les
personnes handicapées prises en charge dans les établissements et services
médico-sociaux (ESMS).
–  Les dépenses consacrées à la prévention s’élevaient en 2018 à 6,24 Md€,
dont 3,89 Md€ pour des actions individuelles (vaccinations, dépistages organi-
sés, bilans bucco-dentaires…) et 2,35 Md€ pour des actions collectives (méde-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
cine scolaire et du travail, planning familial…). En réalité les dépenses liées à la
prévention sont supérieures, car de nombreux actes médicaux sont prescrits dans
ce but. Cette part des dépenses de santé théoriquement liée à des soins curatifs,
mais en réalité utilisée pour la prévention, avait été estimée à 9,1 Md€ en 20168.
–  Les coûts de gestion de la santé étaient de 15,7 Md€ en 20189, dont 7,3 Md€
pour la Sécurité sociale10, 0,9 Md€ pour le ministère et les opérateurs en santé,
et 7,5 Md€ pour les organismes complémentaires11.
Par rapport aux sommes gérées, les coûts de gestion des complémentaires
sont beaucoup plus élevés que ceux de la Sécurité sociale. Cette différence
s’explique notamment par l’éclatement du secteur (nécessité de développer
des systèmes d’information, doublons dans les services…) et les coûts de la
concurrence (marketing, publicité, développement de services différenciants
comme une application de coaching bien-être, l’accès à des conseils de santé
par Internet ou téléphone, des possibilités d’orientation, des réseaux de
santé…). L’importance de ces coûts de gestion a incité certains économistes
à proposer de supprimer ces organismes, mais il faut toutefois souligner qu’ils
permettent à leurs adhérents d’adapter leur niveau de protection à leurs
besoins et au contexte local de l’offre de soins (par exemple, tout le monde
n’a pas le même besoin de couverture des dépassements d’honoraires) ainsi
que de bénéficier de prestations d’aides sociales mises en œuvre par les
assurances complémentaires.

6. En 2016, la CSBM avait progressé de 2 % en valeur et de 2,9 % en volume par rapport à 2015.
En 2018, ces chiffres étaient respectivement de 1,5 % et de 1,7 %.
7. Ces dépenses appartiennent à la DCS. L’ensemble des chiffres suivants proviennent de DREES,
Les Dépenses de santé en 2018, op. cit.
8. Voir PLFSS 2019, annexe 7, p. 24.
9. 13,6 Md€ en 2009.
10. 7,7 Md€ en 2009.
11. 5,1 Md€ en 2009.

170
Économie de la santé

Partie 1. Chapitre 6.
6.1.3. La répartition des dépenses par pathologie
Elle fait ressortir une prédominance des pathologies chroniques (plus de
60 % des dépenses pour 35 % de la population), notamment les maladies
cardio-neuro-vasculaires (10 %, auxquels s’ajoutent 4 % pour les traitements
du risque vasculaire), le diabète (5 %), les pathologies mentales (10 % pour
les maladies psychiatriques, auxquels s’ajoutent 4 % pour les traitements
psychotropes), les maladies neurologiques ou dégénératives (5 %) et l’in-
suffisance rénale chronique terminale (3 %)12. Les dépenses liées aux cancers
en phases actives13 comptent pour 11 % et celles liées à la maternité
pour 6  %.
La concentration des dépenses illustre la pertinence de la mutualisation
du financement de la santé entre le plus grand nombre d’individus.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
6.1.4. Les dépenses de santé en perspective :
évolution et comparaisons internationales
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le rythme de croissance des dépenses
de santé a été bien plus rapide que celui du PIB14. La part de la CSBM dans
le PIB a ainsi été multipliée par plus de 3. Cette progression a accompagné
l’augmentation continue de l’espérance de vie, le développement de l’offre
de soins et l’émergence puis la diffusion de nouvelles technologies. On dis-
tingue plusieurs périodes avec des dynamiques de dépenses différentes.
Entre 1950 et 1985, le rythme de croissance des dépenses a été très élevé
(en moyenne 15 % par an pour les soins de ville et 16 % pour les hôpitaux)
du fait du développement de l’offre (nouvelles technologies et infrastructures,
augmentation du nombre de professionnels…) et de la demande (augmentation
de la population et du nombre de personnes assurées, prise en charge de
pathologies jusqu’alors incurables…).
À partir de 1985, on assiste à une dégradation des comptes sociaux, sous
l’effet du développement du chômage de masse et du ralentissement de la
croissance après les chocs pétroliers. Les conséquences ont été le relèvement
des cotisations, la création de nouvelles taxes et la mise en place de plans
d’économies, avec d’abord l’instauration des franchises et des tickets modé-
rateurs puis, au début des années 2000, de nouvelles obligations en matière
de parcours de soins et l’incitation de plus en plus forte à utiliser des médi-
caments génériques. Après une amélioration des comptes sociaux en 2005,
la crise de 2008 s’est traduite par des déficits massifs les années suivantes.
Le système a alors constitué un véritable amortisseur des conséquences éco-
nomiques de la crise.

12. Voir PLFSS 2020, annexe 7, p. 34.


13. Les cancers en phase active sont les prises en charge les plus coûteuses (11 469 €/an en 2016).
14. + 9,6 % par an pour la CSBM contre + 7,9 % par an pour le PIB en valeur (DREES, Les dé‑
penses de santé en 2018, op. cit., p. 22).

171
Partie 1. Les fondamentaux

Depuis 2010, l’évolution des dépenses apparaît mieux contrôlée (l’ONDAM


est respecté chaque année). Les comparaisons internationales montrent que
les dépenses de santé semblent entrer dans une phase de croissance ralentie.
Cela peut notamment s’expliquer par une stabilisation de l’offre et de la
demande, le développement de nouveaux modes d’organisation et de finan-
cement des soins, et le ralentissement du rythme du progrès technologique.
Dans les années à venir, les dépenses de santé devraient continuer à croître
à un rythme faible en France. Le vieillissement de la population aura toutefois
un impact croissant qui sera accentué avec le départ à la retraite des baby
boomers. À plus court terme, la pandémie de coronavirus Covid-19 de 2020
devrait avoir un impact significatif sur les dépenses de santé (augmentation
des dépenses liées aux prises en charge et aux arrêts maladie) et les finances
sociales (avec des recettes potentiellement moins importantes que prévu en
raison du ralentissement de la croissance économique). Au-delà de ses consé-
quences sanitaires, cette pandémie illustre le coût très élevé que peut engendrer
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
un problème de santé publique qui survient brusquement. Entre les dépenses
de santé supplémentaires et les conséquences économiques indirectes des
mesures destinées à lutter contre la propagation de la maladie, l’impact peut
rapidement se chiffrer en centaines de millions ou en milliards d’euros.

16,9 Public/Obligatoire Volontaire/Paiements directs


16 %

14 %
12,2
12 % 11,2
10,4
10 % 9,8
8,8
8% 7,8

6%
4,2
4%

2%

0%
États-Unis Suisse France Belgique Royaume- OCDE Grèce Turquie
Uni

Source : OCDE, Panorama de la santé 2019 : les indicateurs de l’OCDE, OCDE, 2019.

Figure n° 1. Dépenses de santé en pourcentage du PIB,


sélection de pays de l’OCDE (2018)

La comparaison des niveaux de dépenses des pays est difficile, car les
systèmes et pactes sociaux sont différents. Tout au mieux peut-on comparer
l’efficience des dépenses (résultats en termes de mortalité, de satisfaction
exprimée, de taux de couverture de la population…) par rapport aux dépenses.
Il faut toutefois toujours prendre en compte des éléments de contexte qui
peuvent conduire à relativiser des différences. Par exemple, une moindre
dépense peut provenir d’une prise en charge réellement plus efficiente, ou

172
Économie de la santé

Partie 1. Chapitre 6.
d’un sous-diagnostic, d’un rationnement des soins, ou encore d’une épidé-
miologie plus favorable.

6.1.5. Le financement des dépenses de santé


En France, en 2018, le financement des dépenses de santé15 est assuré par :
–  l’Assurance maladie, à hauteur de 78,1 % (76,3 % en 2009) ;
–  les organismes d’assurance complémentaire, à hauteur de 13,4 % (13,3 %
en 2009) ;
–  les ménages, dont le reste à charge représentait 7 % des dépenses de
santé (9,2 % en 2009) ;
– l’État16 et les organismes gérant la CMU-C, à hauteur de 1,5 %.
La répartition entre ces financeurs est relativement stable depuis le début
des années 1990 et, contrairement à une idée répandue, il n’y a pas de mou-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
vement progressif et continu de désengagement de la Sécurité sociale.
Les comparaisons internationales font apparaître qu’en France :
–  Le reste à charge final des ménages est plus faible que dans de nombreux
autres pays européens du fait de l’existence des assurances complémentaires,
qui représentent cependant un coût pour les ménages.
–  La part des dépenses de santé financée par l’État et/ou la Sécurité sociale
n’est pas la plus élevée ; elle est par exemple supérieure aux Pays-Bas, au
Royaume-Uni et en Suède.
La comparaison de la répartition des sources de financement des dépenses
de santé entre différents pays n’est pas toujours facile et significative en
raison de la diversité des mécanismes de couverture des dépenses. Au
Royaume-Uni et en Allemagne, les individus couverts par les assurances
privées ne le sont pas par le système public. Aux États-Unis, les modalités
de couverture varient en fonction de l’âge, du domaine d’activité, et du
statut économique : des systèmes publics d’assurance santé17 couvrent les
retraités, les enfants, les invalides et les indigents, alors que le reste de la
population doit acquérir une assurance à titre privé. Des systèmes particuliers
couvrent les fonctionnaires, les militaires ainsi que les vétérans. La loi de
santé votée au cours du mandat du président Obama a mis en place un
ensemble de mesures pour rendre l’assurance plus accessible financièrement
(système de subventions pour ceux qui ont de faibles revenus18 et dispositif
de bourse à l’assurance pour diminuer les prix grâce à la concurrence).
En France, les ménages ont le sentiment que les dépenses de santé sont
de moins en moins bien remboursées du fait de la faible part du financement
par l’assurance maladie pour certaines dépenses de ville, de la

15. Au sens de la CSBM.


16. Les dépenses de l’État recouvrent les prestations versées aux invalides de guerre et aux per-
sonnes en situation irrégulière dont les soins d’urgence et l’aide médicale de l’État (AME).
17. Medicare et Medicaid.
18. Mais toutefois supérieurs au seuil d’éligibilité à Medicaid (différent selon les États).

173
Partie 1. Les fondamentaux

non-régulation du prix de certains actes et produits, et des fortes différences


de niveaux de couverture entre les assurances complémentaires. L’action
de maîtrise des dépassements d’honoraires et la réforme dite du « Reste à
charge zéro19 » devraient permettre une nette amélioration sur ce point d’ici
à 2021, avec la mise en place d’un panier de soins remboursés à 100 %
pour les actes prothétiques dentaires, les lunettes et les audioprothèses
(l’impact de cette mesure sur le prix des complémentaires fait débat).

6.2. L’analyse microéconomique au service de la santé

6.2.1. Les particularités du secteur de la santé


Le marché des soins se distingue de celui d’un bien classique pour plu-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
sieurs raisons intrinsèques à la santé et à la production des soins. Cela justifie
la mise en place par la plupart des États d’une régulation non marchande20
où un système de financement socialisé couvre tout ou partie des dépenses.
Les dispositifs classiques de régulation du marché par l’offre et la demande
ainsi que la concurrence ne sont toutefois pas totalement disqualifiés. Ils
peuvent exister au sein de systèmes régulés en vue, notamment, d’en améliorer
l’efficience.
D’un point de vue conceptuel, les soins peuvent être considérés comme :
–  un bien individuel (une réponse à un besoin de l’individu d’être en meil-
leure santé) ;
–  un bien supérieur (une bonne santé étant un besoin primaire de l’individu,
la consommation de soins augmente avec les revenus et même plus rapidement
que ceux-ci avec l’amélioration de l’offre) ;
–  un bien collectif (les soins permettant à une personne d’être en meilleure
santé, cela peut avoir des externalités positives) ;
–  un bien d’expérience (il est difficile de connaître le résultat d’un soin avant
que celui-ci ne soit réalisé).
Certaines caractéristiques rendent le marché des soins spécifique.

L’incertitude
Elle est liée à l’impossibilité pour un individu ou un professionnel de
connaître parfaitement son état de santé ou celui de son patient, ainsi que
son évolution prévisible (de même, il est impossible de savoir rétrospective-
ment si un traitement aurait mieux fonctionné qu’un autre).

19. Voir « Améliorer l’accès aux soins “Reste à charge zéro” », www. solidarites-sante.gouv.fr.
20. Voir K.J. Arrow, « Uncertainty and Welfare Economics of Medical Care », The American Eco‑
nomic Review, vol. 53, n° 5, décembre 1963.

174
Économie de la santé

Partie 1. Chapitre 6.
Les monopoles de compétence et les dispositifs d’assurance qualité
Ils ont pour but de protéger les patients et la santé publique en garantissant
les compétences du professionnel (il s’agit de lutter contre la charlatanerie,
que le patient ne peut détecter lui-même). Ces monopoles, couplés à des res-
trictions d’accès aux professions de santé, ont bien souvent généré des rentes
économiques, ce qui pousse certains à vouloir les remettre en question. On
voit là la difficulté à trouver le bon équilibre entre protection de la population
et avantage que la société est prête à consentir aux professions réglementées.
Par ailleurs, les différents dispositifs de certification de la qualité des éta-
blissements de santé et des produits de santé ont également pour but de protéger
des patients qui ne sont pas capables de juger de la qualité de ces prestations.

Les externalités
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Il s’agit des conséquences positives ou négatives d’un acte sur autrui sans
que celui-ci puisse demander une compensation ou en soit redevable. Par
exemple, le fait qu’une personne se fait vacciner contre une maladie infec-
tieuse protège les autres membres de la population sans que ceux-ci aient à
agir ; il s’agit d’une externalité positive. Inversement, le fait que la fumée de
cigarette est inhalée par un non-fumeur est une externalité négative.
Le système de santé a également des externalités positives pour la société
en général :
–  La dégradation de l’état de santé étant potentiellement lourde de consé-
quences pour l’individu et sa famille, la mise en place des systèmes de santé, et
plus globalement de dispositif de type État providence, avait pour but de proté-
ger les gouvernements (particulièrement dans les démocraties) contre le risque
révolutionnaire en rassurant les individus sur leur avenir.
–  L’état de bonne santé favorise la productivité et donc la richesse globale
du pays ainsi que la croissance économique21.
–  Les dépenses de santé (et sociales) étant indépendantes de l’activité éco-
nomique, elles peuvent jouer un rôle d’amortisseur en cas de crise.

L’éclatement des rôles classiques du consommateur


Un consommateur est normalement un agent économique qui va choisir,
payer et utiliser un bien ou un service. Il fera son choix selon un arbitrage
qui est censé maximiser son bien-être. Dans le domaine de la santé, ces
fonctionnalités sont réparties sur trois acteurs :
–  le patient, qui utilise les prestations de santé et les finance éventuellement
en partie ;
–  le médecin prescripteur, qui choisit les prestations ;
–  l’assureur, qui paie tout ou partie du coût.

21. La pandémie de coronavirus Covid-19 a montré l’impact économique d’une dégradation brutale
de l’état de santé d’une population, tant directement avec la baisse de la production, qu’indirectement
avec la perte de confiance qui se traduit par des baisses des cours boursiers et de la valeur du pétrole.

175
Partie 1. Les fondamentaux

Les asymétries d’information


Elles sont liées aux différences de niveau de connaissance et à la capacité
d’un individu à ne révéler que partiellement des informations. Elles inter-
viennent donc à plusieurs niveaux :
–  entre le patient et le médecin, le premier n’ayant pas les connaissances du
second (Internet remet en question cet état de fait) et pouvant lui livrer des
informations partielles (par exemple, ne pas mentionner l’existence d’un com-
portement ou d’une autre prescription pour la même pathologie). La générali-
sation du dossier médical partagé (DMP) va contribuer à améliorer le partage
d’informations et ainsi la coordination efficace des acteurs ;
–  entre l’assuré et l’assureur, le premier ne partageant pas en France ses
données de santé avec le second ;
–  entre l’assureur et le médecin, le premier ne pouvant savoir si le compor-
tement du médecin est le plus adapté ou non.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
L’aléa moral et la sélection adverse
Il s’agit de deux notions intimement liées aux mécanismes d’assurance :
–  L’aléa moral désigne une modification opportuniste du comportement du
patient. Celui-ci, sachant qu’il ne supportera pas le coût des soins, peut choisir
de prendre plus de risques, de moins recourir à la prévention ou encore faire
appel à des soins plus coûteux et nombreux.
–  La sélection adverse ou anti-sélection est liée au fait que l’individu a
d’autant plus intérêt à s’assurer qu’il estime que son niveau de risque est impor-
tant. L’assureur calcule un niveau de risque moyen auquel correspond une
prime. Grâce à la mutualisation du risque, les personnes les plus à risque ou les
plus malades voient une partie de leur coût de santé financée par les biens por-
tants. Si le niveau de prime est trop élevé, les bien portants vont sortir du sys-
tème car ils le percevront comme trop onéreux. L’assureur est alors contraint
d’augmenter son niveau de primes pour compenser la hausse du risque, ce qui
provoque des départs supplémentaires et enclenche une spirale qui finit par
détruire la mutualisation des risques. Un levier pour éviter cette issue est de
rendre l’assurance santé obligatoire. On a ainsi une dilution optimale du risque
(mais cela en contrepartie d’une atteinte à la liberté de ne pas s’assurer).
Inversement, un assureur privé peut chercher à sélectionner le risque afin
de maximiser ses profits en assurant uniquement des personnes à faible risque.
Cette pratique peut être restreinte en interdisant le recours à des questionnaires
médicaux ou le refus d’assurance à une personne, ainsi qu’en limitant le
nombre de critères pouvant être pris en compte dans la tarification (par
exemple, l’âge, le sexe…). Une autre possibilité est de mettre en place des
mécanismes de péréquation financière entre les assureurs afin de neutraliser
les différences de niveaux de risque entre les groupes de personnes
assurées.

176
Économie de la santé

Partie 1. Chapitre 6.
6.2.2. La modélisation de la demande
et de la consommation de soins
Elle a pour but de comprendre et d’anticiper les comportements des dif-
férents acteurs (patients et médecins) qui vont chercher à maximiser leur
utilité : concept économique qui désigne le bien-être (satisfaction, qualité de
vie) et/ou le revenu.
Deux approches sont possibles pour étudier la demande de soins par le patient :
–  soit on considère qu’elle est déterminée par le patient, qui se comporte
comme un consommateur ;
–  soit on considère qu’elle est largement influencée par le système de santé,
qui crée l’offre, et par les professionnels de santé.

Théories centrées sur le consommateur


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
On en distingue deux principales :
–  la théorie néoclassique du consommateur, qui considère le patient comme
un consommateur de soins en réaction à un besoin de santé ;
–  la théorie du capital humain, qui envisage la santé comme un capital dans
lequel l’individu investit tout au long de sa vie. L’état de bonne santé devient
ainsi le résultat non seulement des soins mais également du comportement de
l’individu.
Dans les deux cas, le consommateur est supposé être un acteur purement
rationnel qui fait des choix stables dans le temps et utilise la totalité de son
revenu. Ce consommateur théorique a des préférences (par exemple, il préfère
aller au cinéma plutôt que lire) selon lesquelles il fait ses arbitrages. Il va
ainsi allouer son temps et son argent pour satisfaire ses besoins selon ses
préférences : le besoin de santé entre ainsi en concurrence avec d’autres
besoins.
Plusieurs combinaisons de biens ou services peuvent procurer la même
maximisation de l’utilité. La courbe constituée par l’ensemble de ces com-
binaisons est appelée « courbe d’indifférence ».
Les contraintes sont à la fois financières et temporelles, et le système de
protection sociale interagit avec ces contraintes. La contrainte financière est
largement amoindrie à la fois par le système de remboursement, qui désen-
sibilise par rapport aux coûts des soins, et par le dispositif d’arrêt-maladie,
qui minore ou annule les pertes financières liées à l’incapacité de travail tout
en autorisant l’absence (action sur la contrainte temporelle).

La théorie néoclassique du consommateur


Elle postule que le consommateur qui a un besoin de santé utilise des
biens et des services pour améliorer son état de santé.
Afin de maximiser son utilité, il va être amené à réaliser deux arbitrages :
–  un premier entre les ressources consacrées à la santé et aux autres besoins ;
–  un second pour l’allocation des ressources de santé.

177
Partie 1. Les fondamentaux

La demande de santé sera :


–  augmentée par la dégradation de l’état de santé ;
–  diminuée par le caractère anxiogène des soins (crainte de la douleur ou
des effets secondaires…).

La théorie du capital humain


Elle part du postulat que chaque individu possède de manière inaliénable
un capital humain constitué par ses expériences et ses savoirs. L’individu
cherche à développer et à entretenir ce capital afin de maximiser ses revenus
et son bien-être.
Le capital santé est à son niveau maximum à la naissance puis se déprécie
(se dégrade) par la suite avec l’apparition de diverses maladies. L’individu
va ainsi être amené à faire des choix pour entretenir son capital santé de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
manière préventive (par exemple, en faisant du sport, en consommant des
produits de haute qualité…) ou curative (avec le recours aux soins). L’apport
de ce modèle est que l’individu devient lui-même un producteur de santé par
son comportement.
Pour choisir, l’individu va prendre en compte la santé produite par rapport
à son investissement direct (coût) et indirect (temps et revenu perdu) :
–  l’augmentation du salaire et du niveau d’éducation rend l’investissement
de plus en plus rentable ;
–  inversement, l’augmentation du prix des soins médicaux et le vieillisse-
ment diminuent le rendement de l’investissement.
Ces modèles font bien ressortir les variables économiques qui influencent
la consommation de soins, mais les présupposés de rationalité et de connais-
sances du consommateur sont des biais importants. De plus, ils ne prennent
pas en compte les risques subis (épidémie, expositions professionnelles, pol-
lution…) et l’influence du système de santé.

L’influence de l’offre
Pour répondre à son besoin de soins, le patient qui ne répond pas aux
critères du consommateur théorique fait face à une offre variée, régulée par
le système d’assurance maladie et l’État, et il doit le plus souvent passer par
un intermédiaire : le médecin.
La relation entre le patient et le médecin se caractérise par un niveau
d’information inégal et des intérêts potentiellement divergents entre les deux
parties ; elle peut être modélisée par la théorie de l’agence. Le patient est
ainsi un « principal » (celui qui délègue une décision) qui s’en remet à un
« agent » (qui prend la décision pour le principal), le médecin, pour déterminer
sa consommation de soins.
De plus, le médecin est également une forme d’agent du système d’assu-
rance maladie, car c’est lui qui est l’ordonnateur de dépenses par ses
prescriptions.

178
Économie de la santé

Partie 1. Chapitre 6.
Enfin, les caractéristiques de l’offre conditionnent les possibilités de
consommation (délai de prise en charge, nombre de spécialités accessibles,
offres hospitalière et paramédicale…).

L’hypothèse de la demande induite


Cette approche a conduit à l’hypothèse d’une demande de soins induite22
par le médecin qui chercherait à maximiser son revenu et/ou son prestige.
Dans une situation de forte concurrence ou de baisse du nombre de patients
par médecin, ces derniers augmenteraient leur prix et/ou fragmenteraient des
actes (afin de les multiplier) pour maintenir leur niveau de revenu. La recherche
de maximisation du prestige et du revenu pourrait aboutir à une multiplication
d’actes auprès de patients plutôt en bonne santé (afin de s’assurer un bon
résultat), un comportement totalement contre-productif pour le système.
Plusieurs facteurs rendent difficile de savoir à quel degré cette théorie
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
s’applique. On peut notamment citer :
–  la déontologie médicale, qui exige du médecin qu’il agisse pour l’intérêt
du patient ;
–  l’incertitude sur les caractéristiques du patient, le diagnostic et l’évolution
de la maladie, qui rend impossible de juger dans l’absolu si une prise en charge
était la meilleure possible ;
–  la capacité du patient à changer de médecin s’il n’est pas satisfait ;
–  la hausse de la densité médicale peut aboutir à une hausse de la qualité
(accès à de nouvelles spécialités, réduction des temps d’attente et augmentation
des durées de consultation) qui justifie la hausse des prix.

Les outils pour aligner les intérêts du patient,


du médecin et du système de santé
Il s’agit d’un ensemble de règles et d’incitations financières.
–  La pratique médicale voit sa liberté encadrée, notamment par le code de
déontologie médicale23 ainsi que par les protocoles élaborés par la HAS.
–  Le mode de rémunération des médecins, initialement constitué unique-
ment par le paiement à l’acte, s’est vu adjoindre des incitations à la qualité des
pratiques (voir 3.1 ci-après) ainsi qu’à la modération des honoraires. Le
modèle de financement des établissements a également été modifié à plusieurs
reprises.
–  Les patients sont soumis à plusieurs incitations (dont le respect du par-
cours de soins), et des dispositifs de franchise ont été mis en place pour les
responsabiliser tout en n’entravant pas l’accessibilité financière aux soins (cer-
taines de ces franchises sont maintenant non remboursables par les assurances
complémentaires santé afin de ne pas neutraliser leurs effets).

22. Pour en savoir plus, voir L. Rochaix, S. Jacobzone, « L’hypothèse de la demande induite : un
bilan économique », Économie et Prévision, n° 129‑130, 1997, p. 25‑36.
23. Code de déontologie médicale, édition d’avril 2017.

179
Partie 1. Les fondamentaux

–  Les assurances complémentaires santé sont incitées à vendre des contrats


dits responsables, qui prévoient un ensemble de mesures pour empêcher l’as-
sureur de sélectionner ses assurés et limitent les remboursements pour éviter
que la solvabilisation d’une partie des patients par ces assurances ne pousse les
prix à la hausse de manière injustifiée (il existe notamment des montants
maxima de remboursement pour les dépenses d’optique médicale et les dépas-
sements d’honoraires des médecins).
Des contrôles anti-fraude complètent ces dispositions.

6.2.3. Les principaux facteurs influençant le recours


à l’offre de soins
En corrélation avec les déterminants de santé que sont le revenu, le niveau
d’études, le lieu de résidence et l’âge, ainsi que les différences épidémiolo-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
giques, on observe des écarts de recours aux soins entre les catégories socio-
professionnelles, et entre hommes et femmes. Globalement, le fait d’appartenir
à un niveau socioprofessionnel élevé et/ou d’être une femme a un impact
positif sur le recours aux soins.

L’âge
On constate que les dépenses de santé de l’individu progressent avec l’âge
du fait de l’apparition progressive de pathologies. Aux âges les plus avancés
ou pour les personnes gravement malades, c’est la proximité temporelle du
décès qui marque l’accélération des dépenses (notamment en raison du
recours accru aux soins en établissement de santé). L’âge influence également
le motif de recours aux soins, avec davantage de causes aiguës chez les
jeunes.

Le genre
Différentes analyses montrent que les femmes s’engageraient davantage
dans des actions de prévention, utiliseraient davantage les soins, et seraient
plus observantes dans la prise de leurs traitements. Ainsi, par exemple, en
Île-de-France, en 2010, 88,9 % des femmes auraient consulté un médecin
généraliste, contre 78,1 % des hommes (valeurs de 73,5 % et 50,7 % pour
les médecins spécialistes), selon une étude de l’ORS 24. De même, elles
sont plus nombreuses que les hommes à avoir déclaré un médecin
traitant.
Un article publié par l’EN3S25 illustre cette différence de recours et met
en lumière les fortes variations de diagnostics et de comportements qui

24. Voir N. Beltzer, Le Recours aux soins des femmes en Île-de-France, ORS, 2014.
25. D. Polton, « Égalité femmes-hommes en matière de santé et de recours aux soins », Regards,
n° 50, 2016/2, p. 35‑45.

180
Économie de la santé

Partie 1. Chapitre 6.
peuvent exister. Par exemple chez les femmes le diagnostic de certaines
pathologies est plus tardif, le recours aux professionnels paramédicaux est
différent de celui des hommes… Afin de mieux comprendre les causes et
conséquences de ces écarts, la prise en compte du genre dans les travaux de
santé publique est à développer.

La catégorie socioprofessionnelle
Une meilleure connaissance du système de santé, la volonté de mieux
protéger son capital santé, une moindre sensibilité aux éventuels restes à
charge et la capacité à dégager du temps… nombreux sont les paramètres
qui favorisent le recours aux soins chez les catégories socioprofessionnelles
les plus élevées.
L’étude de l’ORS Île-de-France citée ci-dessus montre le caractère
cumulatif des critères de genres et de catégories socio-économiques ; ainsi,
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
46 % des ouvriers (et 62 % des ouvrières) auraient consulté un médecin
spécialiste en 2010, contre 58,6 % des hommes cadres (et 86,8 % des
femmes cadres).
Parmi les marqueurs de cette variation de recours aux soins, le cas du
recours au dentiste chez les enfants est marquant. On constate que les enfants
d’ouvriers ont une prévalence bien plus forte de dents cariées que les enfants
de cadres.

Ensemble

Ouvriers
Agriculteurs, commerçants

Employés

Professions intermédiaires
Enfants avec des dents cariées traitées
Cadres Enfants avec des dents cariées non traitées

0 5 10 15 20 25 30 35
en %
Champ : France hors Mayotte, enfants en grande section de maternelle.
Lecture : 4,3 % des enfants de cadres en grande section de maternelle ont des dents cariées traitées et 3,5 % des dents cariées
non traitées.
Note : l’origine sociale de l’enfant est déterminée à partir de la catégorie socioprofessionnelle la plus élevée des deux parents.
Pour cette figure, les retraités sont inclus dans leur ancienne catégorie socioprofessionnelle.
Source : DREES-DGESCO,
« Enquête nationale de santé auprès des élèves de grande section de maternelle
(année scolaire 2012‑2013) ».
Figure n° 2. Prévalence d’enfants avec des dents cariées
en grande section de maternelle
selon la catégorie socioprofessionnelle des parents

181
Partie 1. Les fondamentaux

Par ailleurs, le plus grand investissement dans la santé des classes plus
favorisées se traduit par un meilleur état de santé perçu26.

Le lieu de résidence
Les dépenses sont très liées à l’offre existante. On constate dans les
centres urbains un plus grand recours aux spécialistes, possiblement avec
dépassements d’honoraires. Dans les zones périurbaines ou rurales, une
faible densité de professionnels de santé peut impacter très négativement le
recours aux soins. Il est à noter que la notion de « désert médical » est
variable selon les professionnels : pour certaines spécialités médicales très
techniques, le territoire pertinent sera celui de la région, alors que, pour un
médecin généraliste, le territoire est souvent celui de la commune ou de
l’intercommunalité. De même, le ressenti de « désert médical » sera variable
selon le nombre de professions de santé manquantes sur le territoire en
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
question.

6.2.4. Les études de médico-économie


Elles peuvent porter sur des actes, des médicaments (par exemple, pour
permettre une comparaison entre un acte et un médicament innovant censé
l’éviter), des dispositifs médicaux, des modes d’organisation des soins, des
actions de dépistage…
On distingue les études qui portent sur l’impact budgétaire de la mise en
place d’une nouvelle intervention de celles qui cherchent à mesurer
l’efficience.
Conceptuellement, ces dernières études sont à rapprocher des démarches
d’évaluation des politiques publiques qui visent à aider les décideurs dans
leurs choix d’investissements afin de maximiser le bénéfice retiré par la
population.
La HAS apporte une définition de l’évaluation médico-économique qui
s’inscrit dans cette logique :
« Appliquée au domaine de la santé, l’évaluation économique met en regard
les résultats attendus d’une intervention de santé avec les ressources consom-
mées pour la produire. Cela suppose que les interventions de santé soumises
à la décision publique soient comparées, sur la base de leurs résultats et de
leurs coûts respectifs. L’objectif de l’évaluation économique est de hiérarchiser
les différentes options envisageables en fonction de leur capacité à engendrer
les meilleurs résultats possible à partir des ressources à mobiliser, au service
des décideurs en vue d’une allocation optimale des ressources. On parle à ce
propos de recherche de l’efficience. »

26. INSEE, « Enquête statistiques sur les ressources et les conditions de vie (SRCV) 2014 ». L’état
de santé perçu reflète la perception générale que les individus ont de leur santé physique et psy-
chique. Il est généralement établi à l’aide d’enquêtes incluant des questions comme : « Diriez-vous
que votre état de santé général est : très bon, bon, moyen, mauvais, très mauvais ? » (source : OCDE).

182
Économie de la santé

Partie 1. Chapitre 6.
La mesure de l’efficience d’un acte ou d’un produit de santé est bien
différente de celle de l’efficacité (capacité à atteindre des objectifs : résultat
thérapeutique, taux de couverture de la population, temps d’accès aux
soins…). L’efficience met en regard des résultats atteints les ressources
consommées, elle permet de comparer plusieurs actions afin de déterminer
celle qui obtient le meilleur résultat (par exemple, en nombre de vies sau-
vées) pour la consommation de ressources la plus basse. La recherche de
l’efficience connaît toutefois des limites dans le domaine de la santé, du
fait de fortes exigences en matière d’éthique et d’équité. La mesure des
coûts est un enjeu commun aux études portant sur l’impact budgétaire et
l’efficience. Les résultats de ces études dépendent de la perspective adoptée.
Une étude qui se place du point de vue de l’assurance maladie obligatoire
prendra en compte uniquement les coûts engendrés pour cet opérateur (et
donc pas les coûts pour les assurances complémentaires). Une étude qui
veut étudier l’efficience d’une action du point de vue de la société devra
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
prendre en compte bien plus d’externalités : pertes de production liées à
l’incapacité temporaire de travailler puis gains quand la personne est remise,
coût des pensions de retraite liée à la prolongation de la vie par
l’intervention.

Les différents types d’études sur l’efficience


Les études coûts-efficacité relient des résultats en unités non monétaires
(variation d’un paramètre biologique ou clinique, nombre de vies sauvées,
réduction de la prévalence d’une pathologie…) à un coût en unité monétaire.
Elles sont limitées par le fait qu’elles ne permettent de comparer que des
interventions dont les conséquences sont mesurées par les mêmes
indicateurs.
Les études coûts-utilité se différencient des précédentes car l’efficacité
est ici mesurée au moyen d’un indicateur synthétique : les années de vie
gagnées pondérées par la qualité de vie (QALY27). Cette approche permet de
comparer le nombre de QALY apporté par des interventions dans différentes
pathologies (ce qui peut inciter à investir de préférence dans le traitement
d’une pathologie plutôt que d’une autre). À la place du QALY, il est possible
d’utiliser le DALY (disability-adjusted life years), qui représente les années
de vie perdues en raison d’une mauvaise santé, d’un handicap ou d’un décès
précoce.
Les études coûts-bénéfices utilisent des indicateurs financiers et mettent
en regard les coûts et les bénéfices. Ce type d’études permet par exemple de
comparer le coût d’une prise en charge de l’insuffisance rénale par une greffe
rénale ou par des séances de dialyse.

27. Quality-adjusted life years : une année de vie gagnée en bonne santé correspond à un score
QALY de 1. Les QALY ont été développés par le National Institute for Health and Clinical Excel-
lence. Voir J. Ogden, « QALYs and Their Role in the NICE Decision-Making Process », Prescriber,
vol. 8, n° 4, avril 2017, p. 41‑43.

183
Partie 1. Les fondamentaux

Ces études offrent un comparatif entre deux interventions (ici, 0 et 1) en


calculant un ratio coût-efficacité
Pyramideincrémental
des (ICER) selon la formule
suivante :
C1 – C0
ICER =
E1 – E0

avec C0 et C1 pour les coûts des interventions 0 et 1, et E0 et E1 pour


l’efficacité des interventions 0 et 1.

Les études d’impact budgétaire


Elles sont complémentaires des études précédentes et ont pour objectif de
renseigner les décideurs sur l’accessibilité financière de la mise en place
d’une nouvelle intervention (ce n’est pas parce qu’une intervention est effi-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
ciente que l’on a les moyens de la financer). Un guide méthodologique de la
HAS donne des recommandations pour leur réalisation28.

6.3. Les modes de rémunération des médecins

Acteurs centraux des soins en raison de leur rôle en matière de diagnostic


et de réalisation d’actes, les médecins se caractérisent par leur niveau de
qualification très élevé, la pratique de nombreuses spécialités et des conditions
d’exercice différentes.
En 2018, près de 227 000 médecins29 étaient en activité en France, soit
une progression remarquable depuis le début du siècle (on comptait seulement
26 000 médecins en activité en 1936 et 15 000 en 1896). Parmi eux, un peu
moins de 130 000 ont une activité libérale pure ou mixte (libérale et salariée)
et 97 456 sont salariés (dont 69 865 hospitaliers). On constate ces dernières
années un début de déclin pour l’exercice libéral et une hausse de l’exercice
salarié, principalement à l’hôpital. Le rajeunissement et la féminisation de la
profession (47 % des médecins étaient des femmes en 201830 et ce taux
pourrait dépasser les 60 % en 2040 selon la DREES) se traduisent par de
nouvelles aspirations, qui peuvent expliquer au moins partiellement cette
modification des installations. De même, certains pensent que la logique
d’« installation » est à remettre en question et que les nouvelles générations
seront beaucoup plus mobiles géographiquement.

28. HAS, Guide méthodologique. Choix méthodologiques pour l’analyse de l’impact budgétaire à
la HAS, HAS, novembre 2016, www.has-sante.fr.
29. 212 044 en 2019 (DREES, Les Dépenses de santé en 2018, op. cit., p. 31).
30. 1 point de plus qu’en 2017.

184
Économie de la santé

Partie 1. Chapitre 6.
6.3.1. La dépense médicale
En 2018, la dépense liée aux médecins généralistes libéraux s’est élevée à
9,8 Md€31 (dont 1,4 Md€ pour des rémunérations forfaitaires32) et celle générée
par les médecins spécialistes libéraux à 12,4 Md€. La dépense liée aux médecins
hospitaliers est plus difficile à estimer, car incluse dans les dépenses des établis-
sements (une étude de la DREES déjà ancienne estimait en 2005 que le personnel
représentait globalement environ 70 % des charges d’un hôpital public33).

6.3.2. Les différents modèles de rémunération


On distingue traditionnellement trois grands modèles de rémunération :
– Le paiement à l’acte repose sur le paiement de chaque consultation ou
acte technique. Il a pour avantage d’inciter les médecins à avoir une activité
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
soutenue et donc d’importants volumes horaires, ce qui augmente leur produc-
tivité et la patientèle suivie. En revanche, il a un effet inflationniste sur les
dépenses, ne permet de connaître la dépense qu’a posteriori et n’incite pas à la
qualité : une consultation longue génère une perte de revenu et, à l’inverse, le
besoin pour le patient de consulter plusieurs fois pour le même problème est
source d’un revenu supplémentaire si le professionnel dispose du temps néces-
saire (ce qui peut créer de la demande induite). Afin de modérer les inconvé-
nients de ce mode de rémunération, le tarif des actes peut être modulé en
fonction de différents paramètres : caractéristiques du patient, niveau de
­compétence nécessaire et lieu d’exercice.
– Le salariat permet un contrôle des dépenses et incite à la qualité, car le
médecin n’a pas à compter son temps avec le patient et n’a pas un intérêt à
le revoir en consultation. Le problème est que le salariat peut conduire à une
faible productivité et générer des files d’attente, ce qui dégrade la qualité des
soins.
– La capitation prévoit le paiement d’une somme forfaitaire par patient
pour son suivi sur toute une période (souvent une année), indépendamment du
volume de soins apporté. Ce dispositif incite le médecin à prendre en charge le
plus grand nombre de patients, mais également à les recevoir le moins de fois
possible, ce qui incite à la qualité des soins mais peut poser de graves problèmes
d’accès. Les biais possibles sont une sélection des risques, le médecin essayant
de n’accepter dans sa patientèle que des patients bien portants, ou encore des
renvois trop précoces vers un médecin spécialiste. Afin de minorer ces effets
négatifs, un nombre maximum de patients par médecin peut être fixé ; le méde-
cin peut être limité dans le recours aux spécialistes ; des objectifs de qualité

31. DREES, Les Dépenses de santé en 2018, op. cit., p. 27- 28.
32. Rémunérations sur contrat (permanence des soins, par exemple), rémunération sur objectifs de
santé publique (ROSP) et forfait patientèle médecin traitant (FPMT).
33. DREES, « La structure des charges et des produits des hôpitaux publics de 2002 à 2005 »,
Études et Résultats, n° 601, septembre 2007. Cette part est identique dans les établissements privés à
but non lucratif, selon une autre étude de la DREES de mars 2008.

185
Partie 1. Les fondamentaux

peuvent être rendus contraignants, et la capitation peut être ajustée aux risques
(c’est-à-dire que le médecin recevra une rémunération forfaitaire d’autant plus
élevée que le patient requiert des soins importants).
Afin de dépasser les limites de chacun de ces modèles, la tendance actuelle
est à la mise en place de modèles de paiement plus complexes, qui combinent
différentes modalités de rémunération (actes, forfaits et paiements à la per-
formance), ainsi que des rémunérations partagées entre professionnels inter-
venant sur un même épisode de soins ou une pathologie (on parle de bundled
payment).
Pour les médecins libéraux, les comparaisons internationales font ressortir
que le paiement à l’acte demeure le mode de rémunération dominant dans
de très nombreux pays (France, Belgique, Canada, Australie…), avec, selon
les pays, une proportion plus ou moins élevée de paiements à la qualité et/
ou la performance.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
D’autres pays ont fait le choix de se fonder sur les autres modèles de
financement, avec là aussi des combinaisons d’incitation :
–  Au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, la capitation assure la plus grande part
de la rémunération médicale. Elle est complétée, au Royaume-Uni, par un
salaire ou, aux Pays-Bas, par un paiement à l’acte.
–  En Suède et en Finlande, les médecins sont rémunérés sur la base d’un
salaire, auquel s’ajoute une part variable de capitation.
Quant aux États-Unis, tous les modes de rémunération se côtoient (comme
pour les établissements de santé) sur la base d’une relation contractuelle entre
l’assureur et le professionnel. Pour sa part, Medicare, le programme public
d’assurance santé pour les retraités et les patients souffrant de certaines mala-
dies graves, est en train de changer de modèle pour prendre en compte la
qualité et la performance. Alors que ce programme payait traditionnellement
les médecins à l’acte avec un tarif variable34 selon les caractéristiques de
l’acte et la spécialité, une évolution vers un paiement à la performance par
une modulation du revenu selon les résultats obtenus est en cours depuis la
loi MACRA (Medicare Access and CHIP Reauthorization Act), adoptée en
2015. D’autres modèles de rémunération innovants ont également été précé-
demment lancés par l’Obamacare, notamment les Accountable Care
Organizations (ACO), dans lesquels la rémunération versée par Medicare ne
s’adresse plus à un professionnel mais à tous ceux qui interviennent auprès
d’un patient avec une approche populationnelle.
En ce qui concerne les médecins hospitaliers, ils sont, dans la plupart des
pays, rémunérés par un salaire, tout en étant autorisés à pratiquer, de manière
encadrée, une activité privée complémentaire payée à l’acte.

34. Ressource-based relative value scale (RBRVS).

186
Économie de la santé

Partie 1. Chapitre 6.
6.3.3. Le mode de rémunération des médecins français
Dans notre pays, les médecins hospitaliers sont des salariés (fonctionnaires
hospitaliers ou agents contractuels). Certains peuvent obtenir un complément
de salaire via des consultations privées sur un créneau horaire limité.
Les médecins libéraux ont un mode de rémunération complexe, majori-
tairement basé sur des actes. Ils sont rémunérés selon des règles négociées
dans le cadre d’une convention conclue entre leurs syndicats et l’Union natio-
nale des caisses d’assurance maladie (UNCAM). On distingue les médecins
en secteur 1, qui doivent respecter les tarifs conventionnels, et les médecins
en secteur 2, qui peuvent pratiquer un dépassement d’honoraires. Les méde-
cins en secteur 3 sont non conventionnés et leurs honoraires ne sont que très
faiblement remboursés par l’assurance maladie ainsi que, à un niveau variable,
par les assurances complémentaires santé. Dans le cadre de la convention de
2016, les médecins français ont une rémunération qui associe au paiement à
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
l’acte des consultations et des actes techniques (les dépassements concernent
ces actes), des forfaits et un paiement à la performance : la rémunération sur
objectif de santé publique (ROSP35).
En ce qui concerne le paiement à l’acte, on distingue plusieurs types de
consultation avec différents tarifs :
–  une consultation de référence chez un généraliste valorisée 25 € ;
–  une consultation coordonnée (c’est-à-dire à la demande du médecin trai-
tant dans le respect du parcours de soins) valorisée 30 € ;
–  une consultation complexe remboursée à hauteur de 46 €36 ou avec une
majoration qui est en général de 16 €37 (d’autres majorations existent) ;
–  une consultation très complexe qui s’applique aux situations cliniques les
plus lourdes et qui bénéficie d’une majoration de 3038 à 60 €.
Des majorations peuvent s’ajouter à ces tarifs en fonction du délai de prise
en charge39, du niveau de qualification du médecin, de l’âge du patient40, de
la participation à la permanence des soins, de la durée de la consultation ou
encore du type d’action41. Ces majorations s’appliquent aux médecins exerçant

35. En 2016, la rémunération d’un généraliste reposait à 80 % sur les consultations (y compris les
faibles dépassements), alors que pour les spécialistes les consultations ne représentaient que 37 % de
la rémunération contre 67 % pour les actes techniques.
36. Une consultation de contraception et prévention, de suivi de l’obésité, en sortie de maternité…
37. Par exemple, une consultation pour un trouble grave du comportement alimentaire réalisée par
un endocrinologue, pour un asthme déstabilisé par un pneumologue…
38. Par exemple, une consultation pour la mise en place d’un traitement chez un patient atteint par
une maladie très grave (cancer, maladie auto-immune, pathologie neurodégénérative…).
39. Si un médecin correspondant reçoit un patient adressé par son médecin traitant dans un délai de
48 h, le médecin correspondant bénéficie d’une majoration de 15 €, et le médecin traitant d’une majo-
ration de 5 €.
40. Par exemple, une consultation pour un enfant de moins de 6 ans par un médecin généraliste
est majorée de 5 € par rapport au tarif d’une consultation classique. Une majoration s’applique aussi
pour les personnes âgées de 80 ans et plus.
41. Par exemple, il existe une majoration de 15 € pour la régulation, une autre pour la consultation
d’un médecin spécialiste afin d’obtenir un avis ponctuel en tant que consultant pour une situation
pathologique particulière.

187
Partie 1. Les fondamentaux

en secteur 1 et à ceux en secteur 2 ayant signé un accord pour minorer le


niveau de leurs dépassements d’honoraires.
Il existe également des tarifs conventionnels pour la télé-consultation
(identique à une consultation classique), la télé-expertise, et pour les actes
techniques médicaux.
On trouve la valorisation de l’ensemble des actes et des majorations dans
une nomenclature42 où chacun est identifié par une ou plusieurs lettres. Les
valeurs sont différentes dans la métropole et dans les territoires d’outre-mer.
La maîtrise des dépassements d’honoraires s’appuie sur l’Option pratique
tarifaire maîtrisée (OPTAM43). Les médecins en secteur 2 qui signent ce contrat
s’engagent à respecter un taux moyen de dépassement et à réaliser une partie
de leur activité au tarif opposable. En contrepartie, leurs patients sont mieux
remboursés et le médecin bénéficie des majorations du secteur 1 ainsi que d’une
prime calculée selon la part de l’activité réalisée à tarif opposable. Ce dispositif
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
est un succès et on constate un repli des dépassements d’honoraires.
À ces paiements à l’acte s’ajoutent plusieurs forfaits :
–  un forfait patientèle médecin traitant calculé selon l’âge, les pathologies
et le niveau de précarité des patients ayant déclaré le praticien comme médecin
traitant. Il est en moyenne de 14 640 € par médecin ;
–  un « forfait structure » (au maximum 4 620 € en 2019) destiné à s­ outenir
la modernisation des équipements des cabinets : mise en place d’une messagerie
Internet sécurisée, utilisation d’un logiciel d’aide à la prescription…
Enfin, le paiement à la performance repose sur la ROSP44, qui comprend
trois grands volets : suivi des pathologies chroniques, prévention et efficience.
Son montant est calculé sur la base de points accordés en fonction de l’atteinte
des résultats sur 29 indicateurs (avec certains spécifiques au suivi des moins
de 16 ans). En 2018, 50 785 médecins généralistes libéraux ont ainsi perçu un
montant moyen de 4 915 €. La ROSP s’adresse aussi à plusieurs spécialités
(cardiologie, endocrinologie, et gastro-entérologie), ainsi qu’au médecin trai-
tant exerçant dans des centres de santé.
D’autres éléments de rémunération complémentaire ont été mis en place
pour lutter contre les déserts médicaux :
–  contrat d’aide à l’installation des médecins (CAIM), avec une aide de
50 000 à 62 500 € ;
–  contrat de stabilisation et de coordination pour les médecins (COSCOM),
avec une aide de 5 000 à 12 000 € ;
–  contrat de solidarité territoriale médecin (CSTM) et contrat de transition
(COTRAM), qui apportent un bonus de 10 à 12 % des honoraires de l’activité
à tarif opposable (dans la limite de 24 000 €).

42. Pour les actes cliniques, il s’agit de la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) ;
pour les actes techniques, de la classification commune des actes médicaux (CCAM).
43. Pour les chirurgiens et les gynécologues-obstétriciens, il s’agit de l’OPTAM-CO.
44. Voir Assurance maladie, « La rémuneration sur objectifs de santé publique en 2018 », dossier
de presse, 25 avril 2019, www.ameli.fr.

188
Économie de la santé

Partie 1. Chapitre 6.
La LFSS 2020 a simplifié les aides étatiques (complémentaires aux aides
conventionnelles mentionnées ci-dessus) à l’installation en instaurant un dis-
positif unique : le contrat de début d’exercice. Ce dispositif permettra de
garantir un revenu minimum au professionnel s’installant dans une zone en
tension et lui apportera une protection sociale renforcée et la prise en charge
de ses cotisations sociales pour les trois premières années. En contrepartie,
le médecin devra exercer en secteur 1 ou en secteur 2 avec option de pratique
tarifaire maîtrisée et rejoindre dans les deux années après son installation un
dispositif d’exercice coordonné.

6.3.4. Des revenus variables entre les spécialités


et entre les pays
Le revenu annuel moyen des médecins libéraux français s’élevait à
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
112 000 € en 2014. Il existe de grandes différences entre les spécialités45 ce
qui a un impact sur l’attractivité de celles-ci.
En 2014, un médecin généraliste libéral avait un revenu d’activité global
moyen de 86 150  €, semblable à celui d’un dermatologue (87 050  €), d’un
psychiatre (86 000  €) ou d’un pédiatre (85 670  €). À l’autre extrémité de
l’échelle de revenus, on trouvait les radiologues (208 680 €), les anesthésistes
(197 030 €), les chirurgiens (180 060 €) et les ophtalmologues (169 530 €).
Ces revenus ont progressé à un rythme lent entre 2005 et 2014, avec une
progression des revenus des généralistes de 0,6 % par an et de 1 % par an
pour les spécialistes. Ces différences importantes de revenus résultent des
caractéristiques de l’activité (principalement la durée des consultations et la
part d’actes techniques) et du prix de la consultation (avec une part variable
de médecins pratiquant des dépassements entre les spécialités).
Au niveau hospitalier46, le revenu salarial net annuel moyen des médecins
du secteur public s’établissait à environ 67 000 € en 2012, dont 93 % liés à
l’activité de soins à l’hôpital. Il est très variable selon le statut, la spécialité
et la nature de l’établissement. Les revenus salariaux les plus élevés sont
ceux des professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) des dis-
ciplines médicales (104 000 €). Ils proviennent pour la moitié de leur activité
hospitalière et pour l’autre moitié de leurs activités d’enseignement et de
recherche. Ils peuvent également avoir des revenus très significatifs liés à
une activité de consultations privées.

Comparaison avec les revenus d’autres professions


Dans la sphère de la santé, les revenus moyens des dentistes étaient en
2014 de 103 040 €, et celui des infirmiers de 49 730 €. En dehors du domaine

45. DREES, « Médecins libéraux : une hausse modérée de leurs revenus entre 2011 et 2014 »,
Études & Résultats, n° 1022, septembre 2017.
46. DREES, Portrait des professionnels de santé, DREES, 2016, p. 73‑77.

189
Partie 1. Les fondamentaux

de la santé, le salaire moyen des cadres était en 2017 de 56 000 € brut. Pour
6,2 % d’entre eux, il dépassait les 100 000  € (souvent pour des salariés en
fin de carrière47). Il en ressort donc que les médecins libéraux gagnent bien
plus que d’autres professions à forts enjeux et également d’accès difficile
(par exemple nécessité d’être passé par une grande école).

Comparaison avec les revenus des médecins dans les pays de l’OCDE
Si l’on se positionne par rapport aux salaires moyens (ce qui permet de
neutraliser les différences de niveau de vie), le revenu des médecins généra-
listes libéraux en France est dans la moyenne de l’OCDE. Pour les spécia-
listes, la situation apparaît plus contrastée, avec des libéraux plutôt au-dessus
de la moyenne et des salariés moins favorisés.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
6.4. Les modes de financement des établissements de santé

Lieux des soins les plus lourds, les établissements de santé regroupent un
personnel nombreux et très qualifié, utilisent des technologies de pointe,
nécessitent des investissements importants et doivent répondre à des situations
d’une très grande diversité : depuis la médecine sociale, pour la prise en
charge des plus démunis, jusqu’à une greffe d’organes. S’ajoutent à cela des
contraintes très différentes selon la localisation et la taille de l’établissement.
C’est l’ensemble de ces paramètres que le mode de rémunération des hôpitaux
doit prendre en compte dans une recherche d’équité de traitement des patients,
de qualité et d’efficience.
L’offre hospitalière en France couvre l’ensemble du territoire. On compte
plus de 3 000 établissements de santé, dont 1 364 établissements publics, 680
établissements privés à but non lucratif et 1 002 établissements privés à but
lucratif48. L’activité est soutenue, avec quasiment 120  millions de journées
d’hospitalisation complète (y compris les soins de longue durée) et 16,8 mil-
lions de journées d’hospitalisation partielle.

6.4.1. La dépense hospitalière et son financement


En 2018, la dépense hospitalière était de 94,5 Md€49 (78,4 Md€ en 2009),
dont 73 Md€ pour les établissements de santé publics et 21,5 Md€ pour le
secteur privé. Ce financement n’empêche pas les établissements de recourir à
l’emprunt, avec des ratios d’endettement qui peuvent devenir problématiques.
En pratique, les dépenses d’un établissement de santé varient sous l’effet
de trois paramètres principaux : les caractéristiques de la population prise en

47. APEC, Salaires dans les fonctions cadres, APEC, 2017.


48. DREES, Les Dépenses de santé en 2018, op. cit., p. 60.
49. Ibid., p. 59.

190
Économie de la santé

Partie 1. Chapitre 6.
charge (pathologies, âge moyen, catégories sociales…), les coûts de fonc-
tionnement (frais de personnels, technologies employées…) et les coûts de
structure (investissements immobiliers ou techniques, missions d’enseigne-
ment et de recherche…).
Le financement des établissements publics de santé est très largement
assuré par la Sécurité sociale, avec un taux de 93 % (89 % pour les établis-
sements privés), alors qu’il n’est que de 77 % en moyenne pour la CSBM50.
La part des ménages reste stable depuis 2005, alors que celle des organismes
complémentaires a augmenté pour compenser la baisse de la part Sécurité
sociale (l’ampleur du transfert est toutefois très faible : 1 % du financement
sur une période de dix ans).

6.4.2. L’évolution des modes de financement des établissements


de santé : du prix de journée à la tarification à l’activité
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Le mode de rémunération des hôpitaux a évolué plusieurs fois sous l’effet
de l’évolution des prises en charge, des enjeux sanitaires et des contraintes
budgétaires.
Avant 1983, les établissements étaient rémunérés selon la durée du séjour
des patients, sans que soient prises en compte la sévérité de la maladie et les
interventions réalisées. Un prix de journée moyen était calculé selon les coûts
de l’hôpital, et le budget de l’établissement résultait de la multiplication de
ce tarif par le volume total de jours d’hospitalisation. Ce système n’incitait
pas à la qualité, mais plutôt à allonger les séjours (les coûts les plus élevés
étant normalement concentrés au début du séjour si l’évolution est favorable).
Il en résultait de grandes disparités de budget entre les hôpitaux et ceux-ci
n’étaient pas incités à rechercher l’efficience. Si ce système a permis d’ac-
compagner le développement de l’offre hospitalière, sa tendance inflationniste
a fini par le rendre non soutenable.
Afin de corriger ces défauts, plusieurs expérimentations51 ont été lancées
à la fin des années 1970. Par la suite, dans un contexte de déficit de la Sécurité
sociale, la loi du 19 janvier 198352 a acté la mise en place de nouveaux modes
de financement :
–  Les établissements publics et les établissements privés participant au
service public hospitalier (PSPH) ont basculé sur un financement par une
dotation globale. Celle-ci était calculée sur la base des budgets précédents
modulés par un taux de progression fixé chaque année. Ce dispositif permet-
tait un contrôle effectif des dépenses, mais il avait pour inconvénient de créer
de réelles restrictions en matière d’accès, un hôpital pouvant rationner les
soins pour ne pas dépasser son budget ou choisir les patients les « moins coû-
teux ». La place de la négociation dans les augmentations de budget favorisait

50. Ibid., p. 79.


51. Prix de journée éclaté et budget global.
52. Loi n° 83‑25 du 19 janvier 1983 portant diverses mesures relatives à la Sécurité sociale.

191
Partie 1. Les fondamentaux

également les hôpitaux ayant le poids politique le plus important. De plus,


comme le précédent, ce système ne favorisait pas l’égalité entre les établisse-
ments (la dotation globale étant dépendante des coûts « historiques »).
–  Les établissements de santé privés à but lucratif étaient financés sur un
autre modèle prenant déjà en compte l’activité (mais avec des tarifs régionaux
variables). Les soins étaient rémunérés sur la base d’actes (rémunération des
professionnels libéraux), et des forfaits permettaient de rémunérer la structure.
Un encadrement global du niveau de dépense était réalisé via des Objectifs
quantifiés nationaux (OQN).
Dans un contexte de modernisation du management public53, les faiblesses
évidentes de la dotation globale, la volonté d’améliorer la qualité des prises
en charge et d’assurer une répartition plus juste des crédits (création de
l’ANAES et des ARH), et le succès de nouveaux modes de rémunération à
l’étranger (diagnosis-related groups [DRG] aux États-Unis) ont abouti au
lancement à partir de 2000 d’expérimentations54 portant notamment sur une
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tarification des séjours sur la base de la pathologie.

6.4.3. La tarification à l’activité (T2A)


Lancée en 2004, la tarification à l’activité (T2A) fait dépendre la majorité
des ressources d’un établissement de son activité. Elle s’inscrit dans un
contexte global de recherche d’efficience et a accompagné une profonde
évolution des hôpitaux. Cette réforme s’applique à toutes les catégories d’éta-
blissements, mais avec toutefois une différence entre les établissements
publics et privés liée au statut d’exercice des médecins : salariés dans les
hôpitaux et le plus souvent libéraux (et donc rémunérés à l’acte) dans les
cliniques. Sa mise en œuvre – avec une convergence tarifaire entre les éta-
blissements plutôt favorisés par l’ancien mode de rémunération et ceux qui
l’étaient moins – a été progressive et s’est achevée en 2012.

Le fonctionnement de la T2A
La T2A repose sur la décomposition de l’activité des services de l’hôpital
en actes de soins (par exemple, la pose d’une prothèse de hanche) auxquels
sont affectés des coûts fixes. Quelque 800 groupes homogènes de séjour
(GHS) sont ainsi identifiés et tarifés (➠ Chapitre 4).
Concrètement, les actes qu’un patient reçoit lors de son séjour sont enre-
gistrés dans le PMSI55, ce qui permet de le rattacher à un groupe homogène
de malades (GHM). Le GHM peut correspondre à un ou plusieurs groupes
homogènes de séjours (GHS) en fonction de la diversité possible des séjours,

53. Volonté de rapprocher la décision du terrain, d’insuffler des approches libérales dans le fonc-
tionnement des structures publiques, de récompenser les bons gestionnaires…
54. Loi n° 99‑641 du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle.
55. Système d’information centralisé des établissements de santé.

192
Économie de la santé

Partie 1. Chapitre 6.
le GHS correspondant à une valorisation financière du séjour. La rémunération
peut donc être différente pour un même GHM. La sévérité de la pathologie
et la survenue de complications peuvent majorer le prix d’un GHS. Il existe
quatre niveaux de sévérité (➠ Chapitre 4).
Le prix de chaque GHS pour les secteurs privé et public est fréquemment
réévalué via une enquête de coûts et selon le taux fixé par la LFSS pour
l’ONDAM hospitalier. Ces prix sont censés représenter le coût efficient de
l’acte pour la collectivité et laisser une marge d’investissement aux établis-
sements (beaucoup sont néanmoins en déficit). Un fichier56 regroupe l’en-
semble des GHS. Le codage de l’ensemble de ces informations est réalisé
par les départements de l’information médicale (DIM), qui ont désormais un
rôle stratégique pour les hôpitaux.

Les conséquences de la T2A


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Elle a fait passer la logique budgétaire d’une vision rétrospective (finance-
ment selon l’activité de l’année précédente) à une vision prospective (activité
à venir). Par ailleurs, elle permet une égalité entre les établissements (qui per-
çoivent la même rémunération pour un même type d’actes) et une transparence
sur le financement. Elle a été un puissant levier pour améliorer l’efficience et
la productivité des établissements. Sous l’impact de la T2A et de la loi HPST,
l’organisation des hôpitaux a été modifiée et les coopérations se sont multipliées
pour réduire le coût des fonctions support et optimiser l’utilisation des res-
sources (par exemple, les blocs opératoires ou un équipement d’imagerie).
En effet, pour améliorer ses revenus, un hôpital rémunéré à l’activité peut :
–  augmenter le nombre de patients pris en charge (ce qui suppose d’être
attractif) ;
–  réduire la durée des séjours (pour diminuer les coûts et permettre l’accueil
de nouveaux patients) ;
–  réduire ses coûts de fonctionnement : moindre recours aux tests biolo-
giques et radiologiques, meilleure négociation des prix des médicaments,
­réduction des coûts de personnels… ;
–  favoriser le recours aux protocoles de soins les plus efficients (qui per-
mettent les séjours les plus courts et sans complication).
La mise en œuvre de cette réforme s’est accompagnée d’une baisse impor-
tante des durées de séjour.

56. Le fichier des GHS (version 25, mars 2019) est à consulter sur www.ameli.fr.

193
Partie 1. Les fondamentaux

4,7
Chirurgie
4,6
4,5
4,4
Médecine
4,3
4,2
4,1
4,0
Obstétrique
3,9
3,8
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Source : J. Bonastre, F. Journeau (Institut Gustave-Roussy), C. Nestrigue, Z. Ora (IRDES), « Activité, productivité et qualité des
soins des hôpitaux avant et après la T2A », Questions d’économie de la santé, n° 186, avril 2013.

Figure n° 3. Durée moyenne de séjour par type de soins (2002‑2009)

Depuis 2010, on observe une stabilité des durées de séjour (environ


32 jours en soins de suite et de réadaptation, et un peu moins de 30 jours en
psychiatrie).

Les critiques de la T2A


Les détracteurs de ce mécanisme pointent son aspect trop comptable, qui
ne serait pas compatible avec l’éthique médicale. Ils accusent la T2A et d’autres
réformes de transformer l’hôpital en une entreprise qui rechercherait la « pro-
fitabilité ». Même si elle est paramétrée pour ne pas inciter aux comportements
suivants, la T2A fait effectivement courir les risques d’une baisse de la qualité
des soins et d’une sélection des patients (au profit des moins à risque). Elle
peut également inciter les établissements à « upcoder » les patients, c’est-à-dire
à les déclarer à un niveau de sévérité supérieur à la réalité afin de bénéficier
d’un revenu plus important, ou à découper les séjours entre plusieurs GHS
qui se cumuleraient, permettant ainsi une rémunération accrue.

6.4.4. Les mécanismes complémentaires à la T2A


Il s’agit de forfaits, financements complémentaires, paiements en sus ou
à la performance :
–  Des paiements en sus des GHS pour les médicaments et dispositifs médi-
caux particulièrement onéreux inscrits sur une liste.
–  Des forfaits57 (pour les activités d’urgence et les greffes d’organes).

57. Arrêté du 13 mars 2017 fixant pour l’année 2017 les éléments tarifaires mentionnés aux I et IV
de l’article L162‑22‑10 du Code de la Sécurité sociale.

194
Économie de la santé

Partie 1. Chapitre 6.
–  Des financements complémentaires :
•  l’aide à la contractualisation (AC), qui est destinée à accompagner les
restructurations de l’établissement et l’évolution de son activité dans le
cadre du projet régional de santé ;
•  les missions d’intérêt général (MIG), qui comprennent des activités de
vigilance (centre antipoison, centre de lutte antituberculeux, etc.), les
prises en charge par des équipes multidisciplinaires (équipes mobiles
de soins palliatifs, de lutte contre la douleur, de gériatrie, etc.), l’aide
médicale urgente (SAMU/SMUR), les activités de dépistage anonyme
et gratuit… ainsi que des activités de recherche et de formation qui sont
regroupées sous l’appellation de MERRI ;
•  d es investissements complémentaires pour la modernisation des
infrastructures58 et le développement de pôles d’excellence (création
des instituts hospitalo-universitaires ou IHU) ;
•  des formes de paiement à la performance – il ne s’agit pas d’un mode
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de rémunération mais plutôt de dispositifs de type bonus/malus pour
certains hôpitaux dont l’activité s’éloigne de la normale : contrat d’amé-
lioration de la qualité et de l’organisation des soins (CAQOS), contrat
de bon usage des médicaments (CBUM), contrat d’amélioration de la
qualité et de l’efficience des soins (CAQES).
Les hôpitaux sont également rémunérés par les assurances complémentaires
santé via le remboursement du forfait hospitalier, la prise en charge d’un ticket
modérateur calculé sur la base du tarif journalier de prestation (TJP), ainsi que,
le cas échéant, celui lié à l’occupation d’une chambre particulière. Par ailleurs,
les hôpitaux de proximité59 se distinguent par un mode de rémunération dif-
férent en raison des spécificités de leur activité (ils assurent une permanence
pour l’accès aux soins dans la zone qu’ils desservent). Après avoir bénéficié
jusqu’en 2016 d’une dotation annuelle de financement (DAF), ils sont main-
tenant financés selon une approche qui prend en compte leur activité et la
population prise en charge. Une dotation organisationnelle et populationnelle
est calculée en fonction de la part de la population âgée de plus de 75 ans, la
part de la population située en dessous du seuil de pauvreté, la densité de
population et la part de médecins généralistes pour 100 000 habitants. La
stabilité de leurs moyens est assurée grâce à une dotation forfaitaire garantie
(DFG), qui correspond à 80 % des recettes historiques. Cela leur donne de
la visibilité pour investir et développer leur activité.

6.4.5. Des pistes d’évolution


Parmi les évolutions à venir, certaines pourraient concerner la LFSS et
les modes de rémunération des professionnels. Pour ce qui est de la LFSS, il
est envisagé de rapprocher son fonctionnement de celui des lois de finances et
d’introduire des éléments de pluri-annualité, qui sont mieux à même de traduire

58. En moyenne, 4,5 Md€ par an sur la période 2012‑2015.


59. Article R6111‑24 du Code de la santé publique.

195
Partie 1. Les fondamentaux

les efforts de maîtrise médicalisée des dépenses. Les différentes sous-enveloppes


de l’ONDAM pourraient également être revues pour améliorer la lisibilité des
agrégats (aujourd’hui, les honoraires des médecins des cliniques font partie de
l’enveloppe de ville) et faciliter les transferts. Certains pensent même à sup-
primer ces sous-enveloppes.
Dans le cadre de la stratégie de transformation du système de santé, un
groupe de travail a proposé une évolution profonde des modèles de rému-
nération des différents acteurs. L’idée est de rapprocher les modèles de
financement pour dégager des dispositifs de rémunération pouvant être mis
en commun, et de tirer parti des atouts de chaque type de paiement pour
améliorer la qualité et la performance du système de soins et éviter autant
que possible les comportements d’optimisation (du type sélection des
patients). En plus du paiement à l’acte ou à l’activité, qui reste nécessaire
pour inciter les acteurs à la productivité, le schéma cible comporte différents
types de rémunérations supplémentaires : des forfaits pour le suivi des
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
pathologies chroniques (ajustés selon quelques paliers de sévérité) ou la
réalisation d’un épisode de soins (avec ou sans la partie en établissement
de santé), des paiements à la qualité (bonus et potentiellement malus) et
d’autres paiements destinés à des actions plus structurelles (équipement
du praticien, dispositif de coordination…). Dans certains cas, un forfait lié
aux caractéristiques épidémiologiques et socio-économiques de la popula-
tion prise en charge est ajouté. Ce changement se ferait en plusieurs étapes.

MCO MCO SSR SSR Généra- Spécia- PSY PSY


public Privé public privé listes listes public privée
Qualité Qualité
Qualité
Forfait Forfait
T2A
T2A
2018 Actes Actes DAF PJ
DAF PJ
Dotat° Dotat°
et MIG et MIG Forfait

MCO SSR Généra- Spécia- PSY


public/privé public/privé listes listes public/privé
Qualité

Activité
Activité Activité Acte Acte
MIG
2022 Episode

Patho
Patho chronique Dotation
chronique Patho chronique modulée à
Patho la population
Socle forfaitaire Socle chronique
MIG forfaitaire
et MI

Source : J.-M. Aubert, Stratégie de transformation du système de santé. 


Rapport final : les modes de financement et de régulation, La Documentation française, 2018.
Figure n° 4. Proposition d’évolution des modes de rémunération
dans le cadre de la réforme « Ma santé 2022 »

196
Économie de la santé

Partie 1. Chapitre 6.
La mise en œuvre de cette vision ambitieuse devra surmonter les réticences
des syndicats professionnels et des difficultés pratiques : insertion dans les
nomenclatures de l’assurance maladie, définition et suivi d’indicateurs de
qualité et de performance partagés et pertinents, définition de clés de répar-
tition entre professionnels et établissements pour les paiements communs,
modalités de versement si des établissements sont impliqués (il est difficile-
ment imaginable qu’un hôpital public se retrouve à payer des libéraux).
La LFSS 2020 a introduit plusieurs mesures pour commencer la mise en
œuvre de ce plan :
–  une évolution du mode de financement des hôpitaux de proximité avec
une garantie du niveau de financement pluriannuelle et une dotation de respon-
sabilité territoriale ;
–  une modification du mode de financement de la psychiatrie qui sera finan-
cée majoritairement par une dotation populationnelle, ainsi que des établisse-
ments de SSR avec un modèle mixte combinant rémunération à l’activité et part
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
forfaitaire ;
–  une révision en cinq ans de toute la nomenclature des actes médicaux et
paramédicaux ainsi que des soins réalisés par les établissements de santé.
Par ailleurs, des évolutions encore plus radicales des modes de paiement
sont envisagées dans le cadre des expérimentations « article 51 » (du PLFSS 2018).
Elles visent à partager davantage le portage du risque entre l’assurance maladie
et les professionnels :
–  Le modèle de paiement à l’épisode de soins prévoit que les professionnels
impliqués dans la réalisation d’un acte chirurgical (par exemple, la pose d’une
prothèse de hanche) et la prise en charge postopératoire (rééducation) soient
rémunérés sur une enveloppe commune qu’ils se répartiraient librement.
–  Le modèle PEPS (paiement forfaitaire en équipe de professionnels de
santé en ville) prévoit cette même rémunération pluri-professionnelle collective,
mais pour la prise en charge d’une pathologie (par exemple, le diabète) ou une
population (par exemple, les personnes âgées polypathologiques) avec un paie-
ment forfaitaire annuel.
–  Le modèle IPEP (incitation à une prise en charge partagée), proche des
ACO américains, rémunérerait les professionnels de santé avec un intéresse-
ment collectif versé selon l’atteinte de critères de qualité et de maîtrise des
dépenses.

197
Partie 1. Les fondamentaux

Points clés
• L’économie de la santé est une discipline qui a pour objectifs de modéliser le
comportement des acteurs de santé, d’analyser et de comparer les systèmes.
L’analyse économique de la santé doit prendre en compte de nombreuses par-
ticularités : asymétrie d’informations entre les patients, les professionnels et les
assureurs, caractéristiques de biens de confiance pour les produits et les ser-
vices, comportements opportunistes des acteurs, modèles de rémunération
devant combiner des incitations à la production, la qualité et la performance.
• L’analyse des dépenses de santé est principalement conduite à partir de la
CSBM, qui représente un peu plus de 200 Md€ en 2019 ou 11 % du PIB, ce qui
place la France parmi les pays ayant les dépenses les plus élevées en Europe et
dans le monde. Le pilotage des dépenses de santé est assuré en France par une
loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS), et on constate une répartition
stable, à parts quasiment égales, entre les soins hospitaliers et les soins de ville
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
(qui comprennent les médicaments).
• La rémunération des médecins diffère selon leur spécialité et mode d’exercice.
Le modèle de rémunération des médecins généralistes libéraux combine un
paiement à l’acte (très majoritairement lié aux consultations), une incitation à
la qualité et à la performance (rémunération sur objectif de santé publique ou
ROSP) et plusieurs forfaits (informatique, cabinet…). La situation est différente
pour les spécialistes, dont la rémunération dépend beaucoup plus largement
de l’accomplissement d’actes techniques que des consultations (certains sont
éligibles à des formes de ROSP).
• Le financement des hôpitaux publics repose sur la T2A, qui permet de valoriser
les séjours en fonction de la pathologie prise en charge et de son stade de gra-
vité, plusieurs forfaits rémunérant des activités spécifiques (urgences, trans­
plantation d’organes…) et des financements liés à des activités particulières à
certains établissements (enseignement, recherche…). Les établissements privés
sont également financés via une T2A, mais avec des cotations différentes, car
les actes des professionnels de santé libéraux qui interviennent sont pris en
compte sur l’enveloppe des soins de ville.

Pour en savoir plus


P.-L. Bras, G. de Pouvourville, D. Tabuteau (dir.), Traité d’économie et de gestion de
la santé, Les Presses de Science-Po-Éditions de Santé, 2009.
J.-M. Clément, Notions essentielles d’économie de la santé, Les Études hospitalières,
2013.
I. Hirtzlin, Économie de la santé, Éditions Archétype 82, 2009.
B. Majnoni d’Intignano, Santé et économie en Europe, Presses universitaires de France,
coll. « Que sais-je ? », 2016.
F.A. Sloan, C.-R. Hsieh, Health Economics, The MIT Press, 2012.
Chapitre 7
La protection sociale de la santé
Gilles Huteau

Objectifs pédagogiques
Connaître :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
– Les notions de risque et de protection sociale
– Les définitions du reste à charge, du panier de soins, du prépaiement, de la ­franchise
– La problématique de l’accès aux soins et de la protection sociale de la santé,
en France et au niveau mondial
– Les différents types de systèmes de protection sociale (bismarckien, beverid-
gien et libéral)
– La notion de couverture santé universelle (CSU)
– Les caractéristiques du système de protection sociale français (régimes de base
et complémentaires)
– Les principes du fonctionnement conventionnel et de la tarification des soins
– Les notions de protection universelle maladie (PUMA), de ticket modérateur,
de forfait hospitalier, d’affection de longue durée (ALD)

Outre un système de soins de qualité, une politique de santé publique


suppose que chacun puisse y avoir accès, quelles que soient ses ressources,
en cas de maladie, d’accident ou de handicap. C’est l’objet de la protection
sociale dans le champ de la couverture des risques de santé : étant fondée sur
les valeurs de solidarité et de justice sociale, elle est vouée à délier la demande
de soins de sa contrainte financière et à permettre à toute personne de recevoir
ceux en adéquation avec son état de santé.
Selon une définition communément admise1, la protection sociale en santé
s’entend comme un ensemble de mesures publiques et privées à caractère
obligatoire contre la misère sociale et les pertes économiques qui sont
­occasionnées par la nécessité de payer un traitement indispensable face à un
état de santé détérioré, ou encore par une moindre productivité au travail,
une perte ou une réduction de la capacité de gain. Ainsi compris, ce domaine
de la protection sociale se concrétise à l’échelle internationale à travers une
grande diversité de modes de prise en charge.

1. Définition de l’Organisation mondiale de la santé (2010).

199
Partie 1. Les fondamentaux

Soulever la question de la couverture des risques de santé fait ressortir une


imbrication étroite entre système de soins et système de protection sociale On
peut considérer, sous l’angle de la santé publique, qu’ils concourent l’un et
l’autre à l’amélioration de l’état de santé global de la population. C’est pourquoi,
s’ils doivent être distingués, ils ne sauraient être envisagés de façon dissociée
au regard d’une approche générale et cohérente de la protection de la santé.
Encadré 1. La notion de risque de santé

Selon une acception communément admise en matière d’assurance, le terme de « risque »,


au-delà de sa polysémie, désigne un événement futur et incertain, générateur de dommages,
dont la réalisation peut être étrangère à la volonté de l’assuré.
Peu importe la nature de l’éventualité en cause, l’essentiel est qu’elle soit incertaine dans sa
réalisation ou sa date de survenance, autrement dit qu’elle soit affectée d’un aléa. C’est
particulièrement le cas des risques de santé, comme l’illustrent la maladie ou l’invalidité. Ils
se caractérisent en effet par la fréquente impossibilité d’imputer leur survenance ou leur
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
aggravation à un auteur déterminé, d’en identifier un responsable, dans la mesure où ils
sont le plus souvent inhérents aux aléas de la vie physiologique.

Encadré 2. La notion de protection sociale

D’une façon générale, la protection sociale s’entend comme l’organisation de mesures


collectives destinées à garantir solidairement les membres d’une collectivité contre les
éventualités à même d’affecter leur sécurité matérielle, et auxquelles la société reconnaît
une importance particulière à l’aune de sa représentation de la solidarité.
En sus des risques afférents à l’état de santé de la personne, la protection sociale intervient
en d’autres circonstances  : lors du passage à la retraite, en cas de perte d’emploi ou de
situation de pauvreté, à l’occasion de la survenance de charges familiales, etc.
Au sens conceptuel, la notion de protection sociale est souvent confondue avec celle de
sécurité sociale en raison d’une communauté de finalités. Cependant, dans une acception
organique, elle peut concerner un domaine plus vaste. Ainsi, en France, la Sécurité sociale
constitue la pièce maîtresse de la protection sociale, mais elle coexiste avec d’autres com-
posantes comme l’assurance chômage, la protection complémentaire ou encore l’aide et
l’action sociales.

L’accessibilité aux soins pour tous constitue un objectif crucial, auquel la


protection sociale vise à répondre. Elle contribue ainsi à la santé publique en
apportant un concours décisif, sans qu’il soit exclusif, à la lutte contre les
inégalités sociales de santé. Or, si elle est le plus souvent réalisée dans les
pays économiquement développés, une telle exigence reste un défi pour la
protection sociale dans le monde, comme le montre la situation des pays à
faibles ou moyens revenus.
Offrant la particularité de concilier à la fois organisation libérale des soins
et socialisation des risques de santé, le système français de protection sociale
illustre un mode d’organisation à même de surmonter les barrières financières
à l’accès aux soins. Au-delà, il est révélateur, à l’analyse de ses caractéris-
tiques, des formes d’intervention à partir desquelles les institutions de la
protection sociale peuvent contribuer à l’atteinte d’autres objectifs d’une
politique de santé publique.

200
La protection sociale de la santé

Partie 1. Chapitre 7.
7.1. L’accès aux soins pour tous : un défi pour la protection
sociale dans le monde

Quelques évaluations statistiques de l’Organisation mondiale de la santé


(OMS) soulignent l’ampleur du défi à relever dans ce domaine : outre le fait
qu’au moins la moitié de la population du globe n’a toujours pas accès aux
services de santé essentiels, en particulier dans les zones rurales, 800 millions
de personnes consacrent plus de 10 % de leurs ressources au financement
des soins et une centaine de millions tombent chaque année dans la misère
sous l’effet des dépenses ainsi occasionnées2. S’en trouvent fréquemment
exclues les personnes en état de pauvreté, notamment les plus âgées d’entre
elles pour les soins de longue durée3, ce qui traduit le manque d’effectivité
du droit à la ­protection de la santé, en dépit de sa proclamation à l’échelle
internationale.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Un constat aussi global masque naturellement de grandes disparités selon
les continents et les États, en fonction des systèmes de soins et de protection
sociale mis en place. Ainsi, la confrontation de toute une partie de la popu-
lation mondiale à l’acuité du problème de l’accès aux soins a conduit
­l’Assemblée mondiale de la santé à réaffirmer en 2008 le principe de cou-
verture santé universelle4, puis à adopter une résolution dans ce sens l’année
suivante.

7.1.1. La protection sociale de la santé, au service


de l’accès aux soins pour tous

La reconnaissance du droit à l’accès aux soins


Protéger collectivement les personnes contre les risques de santé est une
préoccupation ancienne des gouvernants, même si les manifestations les plus
substantielles en sont surtout apparues à la fin du xixe  siècle5. À partir de
cette époque, il ne s’agit plus seulement de répondre à un souci de prévention
hygiéniste ou de lutte contre les fléaux sanitaires, mais aussi de promouvoir
sur le fondement de la solidarité l’accessibilité aux soins d’une fraction crois-
sante de la population.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à la faveur d’une forte
aspiration des peuples à vivre dans des sociétés plus justes, la protection de

2. OMS/Banque mondiale, Rapport mondial de suivi 2017 : la couverture-santé universelle, 2018,


p. 9.
3. Organisation internationale du travail, Rapport mondial sur la protection sociale dans le monde
2017, p. 111.
4. L’idée de couverture santé universelle était déjà présente dans le principe de la Santé pour tous,
posé en 1978 par l’OMS dans la déclaration d’Alma-Ata sur les soins de santé primaires.
5. J. Vallin, F. Meslé, « Origine des politiques de santé », in G. Caselli, J. Vallin, G. Wunsch (dir.),
Démographie. Analyse et synthèse VII, spéc. p. 320 et suivantes, INED, 2006.

201
Partie 1. Les fondamentaux

la santé entre dans une nouvelle ère : elle est érigée comme un droit de la
personne humaine, et le droit à l’accès aux soins en est la composante la plus
tangible, la plus exigible6. Ainsi, selon la Constitution de l’OMS (1946), « la
possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue
l’un des droits fondamentaux de tout être humain ». Puis le droit à la protec-
tion de la santé, et corrélativement le droit à l’accès aux soins, a été réaffirmé
par l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948),
avant d’être repris dans de nombreux traités internationaux7. Cette reconnais-
sance se reflète également dans les textes constitutionnels et législatifs propres
à chacun des États. Or, eu égard aux enjeux sanitaires et sociaux qu’il
recouvre, le droit à l’accès aux soins ne saurait rester à l’état programmatique
de « droit à ». C’est pourquoi l’objectif auquel il se rapporte invite à envisager
dans quelle mesure la protection sociale de la santé est de nature à lui donner
corps.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
La protection sociale de la santé : un moyen de promouvoir
l’accessibilité des soins
L’effectivité de l’accès aux soins pour tous soulève une question clé, celle
des moyens matériels et financiers que l’État doit mettre en place. Il ne peut
y avoir d’égalité sociale face à l’accès à l’offre de soins sans qu’il soit prévu
parallèlement une prise en charge des frais de santé subséquents sur la base
d’un financement solidaire. C’est précisément l’objet de la socialisation des
risques de santé à laquelle procède la protection sociale.
Il apparaît que seul un système public de protection sociale est de nature
à permettre un tel projet. La raison en tient au caractère original des méca-
nismes de financement et des prestations sociales mis en œuvre : non seule-
ment il en répartit de façon collective et obligatoire la charge financière, mais,
au-delà, il accompagne cette mutualisation d’une redistribution des ressources
dissociant l’effort contributif des personnes protégées de leur droit à la prise
en charge des soins de santé : le premier est déterminé par la hauteur de la
rémunération ou des revenus, alors que le second est fonction des besoins de
santé de la personne. Seules les prestations destinées à compenser une perte
de gain professionnel pour un motif de santé (maladie, accident) sont corrélées
à la rémunération du travail. Un système public concourt ainsi à la justice
sociale en permettant aux personnes les plus modestes ou aux personnes âgées
d’obtenir un meilleur accès aux soins que celui auquel elles auraient pu
prétendre dans le cadre d’un système d’assurance privée. Ce dernier fonc-
tionne en effet sur une logique de tarification des primes (contributions) en
fonction de la vulnérabilité des cotisants aux risques de santé.

6. M. Bellanger, « Origines et histoire du concept de la santé en tant que droit de la personne »,


Journal international de bioéthique, 1998, vol. 9, p. 59 : « C’est l’accès à la santé qui est véritable-
ment un droit. Le droit à la santé est alors “un programme, un objectif”. »
7. À l’exemple du Pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels (1966) ou
dans la Convention des droits de l’enfant (1989).

202
La protection sociale de la santé

Partie 1. Chapitre 7.
Il n’en demeure pas moins que l’accessibilité aux soins promue par la
protection sociale de la santé renvoie à des réalités susceptibles d’être diffé-
rentes d’un système à l’autre. C’est une notion mouvante à rapporter à la
couverture des risques de santé, comme le montre la figure 1.

coût
couvert
(hauteur)
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
rtes
c o uve r)
ns deu
e s t atiorofon
pr (p
po uv ur)
pu ert
co rge
lat e
(la

ion

Note : les zones grisées représentent un papier de biens et services de santé fictif.
Source : Busse R. et al., Analysing Changes of Health Financing Arrangements
in High Income Countries – A Comprehensive Framework Approach,
document de discussion Santé, nutrition et population, Banque mondiale, 2006

Figure 1. Les trois dimensions de la protection sociale


contre les risques de santé

Schématiquement, les conditions de l’accès aux soins font ressortir trois


dimensions :
–  l’étendue de la population couverte ;
–  le nombre et la nature des biens et services couverts. Ce « panier de soins »
renvoie à un arbitrage de la collectivité sur la nature des soins et biens de santé
qui doivent faire l’objet d’une prise en charge socialisée ;
–  la fraction du prix des biens et services ainsi couverts, par opposition au
reste à charge.
Les caractéristiques de la couverture des risques de santé sont fonction
de la façon dont chacun des États organise le système de soins et le système
de protection sociale.

203
Partie 1. Les fondamentaux

7.1.2. Les différents modes d’organisation de la protection


sociale de la santé
Le sujet de l’accessibilité des soins représente un défi d’ampleur que les
pays économiquement développés parviennent à surmonter. Les organisations
mises en place à cet effet par les États sont le fait de constructions sociales
et politiques ancrées dans leurs histoires respectives. C’est pourquoi elles
offrent une grande diversité de caractéristiques dans le monde.
Il est néanmoins possible d’en dresser une typologie se référant à leurs
principes fondamentaux. Cette démarche invite à s’inscrire dans une approche
globale de la protection sociale de la santé, en vertu de laquelle offre de soins
et prise en charge socialisée sont à mettre en regard.
Au-delà, l’analyse des caractéristiques des différents systèmes et des sin-
gularités de leurs mécanismes constitue l’occasion d’en comparer les modes
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de fonctionnement et les performances du point de vue de l’accès aux soins
pour tous.

La classification des systèmes de protection sociale de la santé


On distingue communément trois grandes catégories de systèmes en se
référant à un double critère.

❱❱ Le mode d’articulation entre le système de protection sociale


et le système de soins
En la matière, il existe deux schémas possibles :
–  soit il y a dissociation des deux entités avec la coexistence, d’un côté,
de l’assurance maladie et, de l’autre, de l’offre de soins – la première étant
vouée à rembourser les frais de santé par l’entremise des prestations
­monétaires  ;
–  soit il y a unification en une entité du système de soins et d’assurance
maladie au sein d’une organisation intégrée ; en l’occurrence, un service natio-
nal de santé financé directement par l’assurance maladie et distribuant des pres-
tations sous la forme de soins et biens médicaux.

❱❱ Le type de solidarité auquel se réfère le système de protection sociale


En la matière :
–  soit il y a existence d’un système public de protection sociale, plus préci-
sément d’assurance maladie, fondé sur la solidarité nationale et voué à couvrir
l’ensemble ou la plus grosse partie de la population ;
–  soit il y a coexistence d’un système public de protection sociale, y compris
dans les pays les plus marqués par le libéralisme, qui est surtout destiné aux
personnes défavorisées (par exemple, personnes âgées à faibles revenus, chô-
meurs, etc.), et d’un système assurantiel privé à destination du reste de la popu-
lation. S’inscrivant dans un marché concurrentiel, l’assurance maladie mise en

204
La protection sociale de la santé

Partie 1. Chapitre 7.
œuvre dans ce cadre repose sur des solidarités plus étroites (par exemple, entre
salariés d’une même entreprise).
Ainsi, l’application de ces critères aboutit à distinguer trois types de sys-
tèmes, même si aucun d’eux ne constitue un bloc strictement homogène.

❱❱ Les systèmes d’assurance maladie


Aussi appelés systèmes « bismarckiens », du nom de leur concepteur à la
fin du xixe  siècle, le chancelier Bismarck : ils laissent place à une offre de
soins privée, notamment à la médecine libérale (cabinets de ville, cliniques
privées, etc.), ainsi qu’à une offre publique, principalement dans le domaine
hospitalier. L’accès aux soins est solvabilisé par les prestations sociales dues
par les caisses d’assurance maladie sous la forme d’un remboursement des
frais de santé supportés par les patients. Étant des systèmes destinés aux
travailleurs et à leurs familles, leur financement repose sur des cotisations
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
proportionnelles aux rémunérations du travail, le plus souvent partagées entre
salariés et employeurs.
Historiquement implanté en Allemagne, ce modèle a déterminé en grande
partie les systèmes de protection sociale de la santé mis en place dans de
nombreux pays en Europe (France, Belgique, Luxembourg, etc.) et au-delà
(Japon). Après la chute du mur de Berlin, certains États de l’ancien bloc des
pays de l’Est (République tchèque, Pologne, Hongrie, Slovaquie) ont évolué
vers ce type de système alors qu’ils étaient munis au préalable de systèmes
nationaux de santé.

❱❱ Les systèmes nationaux de santé


Aussi appelés systèmes « beveridgiens », du nom du Britannique Beveridge
qui en fut à l’origine en 1942, à l’occasion de la conception de son fameux
plan de sécurité sociale : ils se singularisent par une offre de soins essentiel-
lement publique, organisée par l’État dans le cadre d’un service national de
santé, ce qui permet de protéger toute la population. L’accès aux soins n’est
pas garanti par des prestations monétaires, en l’occurrence les prises en charge
de l’assurance maladie, mais par la fourniture gratuite de soins et biens médi-
caux par le biais des services nationaux de santé. En quelque sorte, ces
derniers assument un rôle direct de distribution de prestations de la protection
sociale de la santé. La couverture des risques concernant à la fois la popu-
lation active et la population inactive, le financement de ces systèmes procède
essentiellement de l’impôt sur l’ensemble des revenus.
Institué au Royaume-Uni en 1948, ce type de système prévaut aussi dans
les pays nordiques (Suède, Norvège, Danemark, Finlande), au Canada, en
Australie ou en Nouvelle-Zélande. Il s’est étendu dans les années 1970‑1980
aux pays méditerranéens, comme l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce.
Certains de ces systèmes reposent sur une organisation centralisée (Royaume-
Uni), tandis que d’autres ont fortement décentralisé leur organisation, leur
financement et leur gestion (Espagne, Italie).

205
Partie 1. Les fondamentaux

❱❱ Les systèmes libéraux de santé


Il s’agit de systèmes qui mettent l’accent sur la place de l’assurance privée.
Dans ce contexte, la protection sociale de la santé se concrétise surtout au
moyen d’assurances collectives obligatoires en faveur des salariés des entre-
prises, celles-ci étant abondées par les cotisations des intéressés et des
employeurs. Ces systèmes comportent également à titre accessoire des pro-
grammes publics d’assistance médicale en faveur des personnes sans ou à
faibles ressources, des personnes âgées ou handicapées, dont le financement
repose sur l’impôt.
Outre l’exemple emblématique des États-Unis, les systèmes d’inspiration
libérale sont également implantés dans certains pays d’Amérique latine ou
d’Europe centrale ou orientale.
Élaborée autour de grandes « dominantes » idéologiques, cette typologie
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
doit être envisagée avec précaution, dans la mesure où, au sein d’une même
catégorie, elle laisse place à des différences parfois notables entre systèmes
nationaux. De surcroît, la dichotomie traditionnelle entre systèmes bis-
marckiens et beveridgiens s’estompe sous l’effet de leurs rapprochements
contemporains, ceux-ci étant déterminés par des défis communs (coût de la
santé, progrès médical, etc.). Les systèmes d’assurance maladie relèvent, pour
la plupart, de législations posant une universalisation de l’accès aux soins
financée par la solidarité nationale. Quant aux systèmes nationaux de santé,
ils permettent désormais, le plus souvent, le recours à une offre de médecine
libérale, financée par des assurances-maladie complémentaires à caractère
privé. Malgré ses imperfections et limites, une telle classification fournit un
éclairage utile pour la comparaison des performances des différents systèmes
en matière d’accès aux soins.

La prise en compte de l’accessibilité de l’accès aux soins


dans les différents systèmes
À partir du moment où ils laissent en grande partie la couverture des
risques de santé à la prévoyance individuelle et à la protection sociale d’en-
treprise, les systèmes libéraux ne sont guère en mesure de garantir l’accès
aux soins pour tous, même lorsqu’ils sont assortis de programmes d’assis-
tance. La comparaison des différents systèmes sous l’angle de l’accessibilité
aux soins invite dès lors à confronter les systèmes nationaux de santé, le cas
échéant en tenant compte de leurs évolutions contemporaines. C’est en fonc-
tion des caractéristiques et des fondements de chacun d’entre eux que cette
démarche est à conduire sur la base des éléments d’appréciation suivants :

❱❱ Le champ des personnes protégées


De ce point de vue, les systèmes nationaux de santé, encore appelés sys-
tèmes beveridgiens, offrent l’avantage d’avoir été construits en se référant à
l’objectif d’universalité : ils visent à permettre l’accès aux soins de toutes les

206
La protection sociale de la santé

Partie 1. Chapitre 7.
personnes en situation de résidence régulière dans un pays, sans autre condi-
tion particulière.
Il en va autrement pour les systèmes d’assurance maladie, dits aussi sys-
tèmes beveridgiens, puisqu’ils étaient seulement voués à l’origine à couvrir
les travailleurs et leurs familles, excluant de la sorte une partie de la population
inactive. Cependant, tel n’est plus le cas aujourd’hui dans la plupart des États
concernés, la prise en charge sociale des frais de santé ayant été progressi-
vement étendue à l’ensemble de leur population.

❱❱ Le panier de soins couvert


Il s’agit également d’un paramètre important au regard de l’exigence de
l’accès aux soins pour tous, puisqu’il correspond au périmètre des soins et
biens de santé à prendre en charge au titre de la protection sociale de la santé.
Il serait utopique de vouloir y englober toutes les activités et services
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
visant à restaurer ou à préserver, voire à améliorer, un « état de total bien-être
physique, psychologique et social »8. En effet, l’éventail des biens et services
de santé financés par des fonds publics ne peut être que plus restreint, car
une offre trop extensive porterait atteinte à la soutenabilité financière de la
protection sociale de la santé. Or, une telle approche invite à envisager les
règles d’élaboration d’un panier de soins.
D’une façon générale, il varie selon le mode d’organisation du système
de santé, ce qui conduit notamment à distinguer entre un panier bismarckien
et un panier beveridgien. L’un et l’autre se différencient non seulement par
la nature des soins et biens de santé qu’ils contiennent, mais également par
la manière dont ceux-ci entrent dans le panier et en sortent9 :
–  dans les systèmes d’assurance maladie (type bismarckien), le panier de
soins correspond au périmètre de ceux pour lesquels il est prévu un droit à prise
en charge sociale, c’est-à-dire un droit à prestations de l’assurance maladie. En
réalité, il est souvent laissé à la large discrétion des médecins, compte tenu de
leur grande liberté dans la dispense ou la prescription de soins, encore qu’ils
soient tenus de respecter des indications thérapeutiques ou diagnostiques. Ce
panier est tout d’abord conçu sur le fondement de l’utilité individuelle du bien
de santé au vu de telle ou telle pathologie développée. Il tend néanmoins à faire
davantage référence à l’utilité collective, laquelle est à entendre non seulement
au sens de son apport pour la politique de santé publique, mais aussi, de plus en
plus, au sens d’un usage optimal des fonds publics de la santé au regard des
besoins de l’ensemble de la population.
–  dans les systèmes nationaux de santé (type beveridgien), le panier de soins
relève d’une autre logique puisqu’il définit les obligations des services natio-
naux ou régionaux de santé en matière de fourniture de soins et biens médicaux,
qu’ils agissent en qualité de prestataires ou encore d’acheteurs de soins. À la

8. Définition de la santé donnée par l’OMS en 1946.


9. M. Velasco-Garrido, J. Schreyögg, T. Stargardt, R. Russe, « Description des paniers de soins
dans neuf pays de l’Union européenne », Revue française des affaires sociales, 2006/2‑3, p. 63.

207
Partie 1. Les fondamentaux

différence des systèmes d’essence bismarckienne, la logique utilitariste sous-


jacente aux systèmes nationaux de santé donne une place centrale à la notion
d’utilité collective.
Préoccupation plus ou moins accentuée selon les systèmes en vue de la
rationalisation du panier de soins, l’évaluation médico-économique des biens
et soins de santé amène les États européens à développer une panoplie de
critères permettant une inclusion ou au contraire une exclusion de ce panier.
Les principaux d’entre eux sont la nécessité, l’efficacité, le coût et le rapport
coût-efficacité. Il s’agit de la sorte de rendre les arbitrages de prise en charge
plus clairs et les catalogues de soins couverts plus explicites.
Globalement, on peut considérer que, entre le système bismarckien et le
système beveridgien, les paniers de soins sont assez comparables, tout au
moins dans les pays à revenus élevés. Il en résulte qu’en dehors des systèmes
libéraux la performance des systèmes nationaux en matière d’égalité sociale
d’accès aux soins est fortement déterminée par l’importance de la participation
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
financière des patients à leurs frais de santé.

❱❱ La participation financière des patients


De prime abord, force est de constater que les systèmes nationaux de santé
offrent un avantage important pour garantir l’accès aux soins pour
tous puisqu’ils garantissent la gratuité des soins et biens médicaux : l’offre de
soins est organisée autour d’un service national de santé jouant en quelque
sorte un rôle de distributeur de prestations en nature directement servies aux
usagers, sous la forme de prestations de soins et biens médicaux.
Au contraire, les systèmes de santé de type assurantiel, qu’ils soient bis-
marckiens ou libéraux, sont organisés autour d’une offre libérale et prévoient
une participation financière des patients, celle-ci étant susceptible de revêtir
quatre formes distinctes10 :
–  le copaiement consiste en l’acquittement d’un forfait pour chaque soin ou
bien de santé consommé, indépendamment de son coût réel (par exemple, un
euro par consultation) ;
–  la franchise n’est supportée par le patient qu’en deçà d’un certain seuil de
dépenses cumulées sur une période donnée. Au-delà de ce seuil, l’assurance
maladie intervient pour couvrir les frais de santé ;
–  le ticket modérateur : l’assurance maladie laisse à la charge du patient une
proportion du coût total du soin ou bien médical ;
–  le décalage tarifaire : l’assurance maladie prend en charge les frais de
santé en se référant à un tarif de remboursement fixe. Or, ce tarif peut être arrêté
à un niveau de prix où il n’y a pas d’offre disponible à des standards de qualité
acceptables (par exemple, lunetterie, prothèses dentaires), de sorte que les
patients doivent payer la différence entre le montant pris en charge et le montant
réellement facturé.

10. S. Chambaretaud, L. Hartmann, « Participation financière des patients et mécanismes de pro-


tection en Europe », Pratiques et Organisations des soins, vol. 40, no 1, 2009, p. 31.

208
La protection sociale de la santé

Partie 1. Chapitre 7.
Sans aucun doute le reste à charge des patients est-il généralement plus
significatif dans les systèmes d’assurance maladie que dans les systèmes
nationaux de santé. Pour autant, la question de l’accessibilité aux soins pour
tous invite à dépasser cette confrontation globale. Il convient aussi d’envisager
quels sont les mécanismes d’équité mis en place par les systèmes bismarckiens
ou libéraux en vue de soustraire les personnes les plus vulnérables ou les
plus modestes au poids financier de ce reste à charge, celui-ci étant susceptible
d’entraîner des renoncements aux soins de la part des intéressés.
À cet effet, les mécanismes introduits sont variés, comme des exonérations
de cotisations pour les personnes atteintes de pathologies chroniques ou néces-
sitant des soins particulièrement coûteux, ou encore pour celles en maternité
ou victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. À côté
de ces dispositifs catégoriels, certains systèmes prévoient des plafonds de
participation financière, liés ou non aux revenus, afin d’éviter des restes à
charge trop lourds. De son côté, la France a institué une formule originale,
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
avec l’instauration d’une couverture complémentaire gratuite pour les per-
sonnes à faibles revenus (➠ 7.2.2).
Dans les pays disposant depuis longtemps d’une protection sociale de la
santé, comme les États européens ou le Japon, les systèmes d’assurance mala-
die ou les systèmes nationaux de santé répondent à la plus grosse partie des
besoins de soins et biens médicaux autres que ceux dictés par de simples
considérations de confort. Cependant, dans aucun des pays à revenus élevés,
qui ont prétendument mis en place une couverture universelle, la population
n’est couverte à 100 % des services offerts et pour 100 % des coûts – et sans
liste d’attente. « Chaque pays remplit la boîte à sa façon11 en faisant des
compromis sur la proportion des services et des coûts financés par les caisses
communes12 » dans le cadre de la protection sociale de la santé. Cette obser-
vation vaut plus encore au vu des situations de pays en émergence, à revenus
moyens, comme ceux existant en Amérique latine ou en Asie, ou de pays à
bas revenus, à l’instar d’un certain nombre d’États africains.
On constate en effet que si ceux-ci ont proclamé des lois relatives à
l’adoption de systèmes de santé, ils restent encore plus ou moins éloignés de
l’objectif de couverture santé universelle.

7.1.3. L’objectif international d’une couverture


santé universelle
❱❱ L’impulsion du concept de couverture santé universelle
sous l’égide de l’OMS
Selon l’OMS, la couverture de santé universelle (CSU) consiste à veiller
à ce que toute la population d’un État ait accès aux services préventifs, cura-
tifs, palliatifs, de réadaptation et de promotion de la santé dont elle a besoin,

11. Voir la figure 2.


12. OMS, Rapport sur la santé dans le monde. Financement d’une couverture universelle, 2010.

209
Partie 1. Les fondamentaux

et à ce que ces services soient de qualité suffisante pour être efficaces, sans
que leur coût entraîne des difficultés financières pour les usagers.
Cette définition met en évidence trois objectifs clés, ceux-ci étant liés
entre eux :
–  l’accès équitable aux services de santé : toutes les personnes en ayant
besoin doivent pouvoir y accéder, quels que soient leurs moyens financiers ;
–  la qualité de l’offre des services de santé : il s’agit de dispenser des soins
d’une qualité suffisante en vue d’améliorer la santé de leurs bénéficiaires ;
–  la protection financière : le coût des soins à dispenser ne doit pas exposer
les usagers à des difficultés pour les financer.
Aux termes de la résolution adoptée en 2012 par l’Assemblée générale
des Nations unies, à l’initiative de la France, la CSU vise en particulier « à
permettre à chacun de bénéficier de services de santé (essentiels), sans s’ex-
poser aux risques d’appauvrissement ». L’objectif est à la fois de renforcer
le système de santé – l’amélioration du financement, mais aussi l’amélioration
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de la gouvernance, l’organisation du personnel de santé, la prestation des
services, les systèmes d’information sur la santé, la fourniture de médicaments
et d’autres produits de santé – et de garantir à tous la disponibilité et l’accès
à des soins de qualité. Ainsi, la CSU concourt non seulement à l’amélioration
globale de la santé de la population13, mais aussi à la réduction de la pauvreté,
à l’équité et à la cohésion sociale.
Considérée comme « le concept le plus efficace que la santé publique
puisse offrir »14, la CSU est d’ailleurs devenue l’objet de la décision prise,
en septembre  2015, par l’Assemblée générale des Nations unies, d’adopter
la santé comme l’un des 17 objectifs de développement durable (ODD) et la
couverture santé universelle comme cible des ODD liés à la santé (ODD 3.8 :
faire en sorte que chacun bénéficie d’une couverture sanitaire universelle,
comprenant une protection financière contre les risques financiers…15). Au
centre des 12 autres cibles liées à la santé, celle que constitue la CSU est
désormais assortie d’indicateurs pour en évaluer la réalisation progressive,
ce qui concourt à la responsabilisation des États dans ces sens.
Cette dynamique en faveur de la CSU s’impose d’autant plus à l’échelle
internationale que dans certains États les personnes utilisant les services de
santé sont souvent confrontées à des problèmes financiers compte tenu de
coûts de soins élevés, voire catastrophiques16. Cette situation vaut notamment

13. R.  Moreno-Serra., P.  Smith, « Does Progress Towards Universal Health Coverage Improve
Population Health ? », The Lancet, 2012, vol. 380, p. 917‑923.
14. Allocution de Margaret Chan, directrice générale de l’OMS, à la 65e Assemblé mondiale de la
santé, à Genève, en mai 2012.
15. Assemblée générale des Nations unies, résolution 70/1. Transformer notre monde : le pro-
gramme de développement durable à l’horizon 2030, 21 octobre 2015, Cette résolution est elle-même
confortée par une autre résolution en faveur de la couverture sanitaire universelle du 10 octobre 2019.
16. Une étude publiée jeudi 7  février 2013 par l’Association internationale de sécurité sociale
(AISS) souligne que « seulement 20 % de la population mondiale bénéficie aujourd’hui d’une cou-
verture sociale correcte et plus de 50 % n’en a aucune… Et moins de 10 % des travailleurs des pays
les moins avancés bénéficient d’une sécurité sociale, pourcentage qui varie entre 20 % et 60 % dans
les pays à revenus intermédiaires pour avoisiner les 100 % dans la plupart des pays industriels.

210
La protection sociale de la santé

Partie 1. Chapitre 7.
dans les pays à faibles revenus, où les mécanismes de couverture des risques
de santé restent quasi inexistants ou destinés aux personnes les plus riches.
Encadré 3. Cible 3.8 des ODD et indicateurs 3.8.1 et 3.8.2 des ODD

– Cible 3.8 des ODD : faire en sorte que chacun bénéficie d’une couverture santé universelle
comprenant une protection contre les risques financiers et donnant accès à des services
de santé essentiels de qualité et à des médicaments et vaccins essentiels sûrs, efficaces
de qualité et d’un coût abordable.
– Indicateur 3.8.1 des ODD : couverture des services de santé essentiels. Elle est définie
comme couverture moyenne des services essentiels telle que déterminée par les inter-
ventions de référence concernant notamment la santé procréative, ainsi que : la santé de
la mère, du nouveau-né et de l’enfant ; les maladies infectieuses ; les maladies non trans-
missibles ; la capacité des services et l’accès pour l’ensemble de la population, dont la plus
défavorisée.
– Indicateur 3.8.2 des ODD : proportion de la population pour laquelle les dépenses de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
santé du ménage sont importantes, en proportion des dépenses totales ou du revenu
du ménage.

Permettre à chacun d’accéder à des services de santé de base, qui soient


de qualité, nécessite de trouver les moyens et les méthodes pour financer et
mettre en place une offre de soins accessible à la hauteur des besoins des
populations. Or, parvenir à la réalisation des objectifs assignés en la matière
par la communauté internationale dépendra en grande partie de la manière
dont les pays les plus concernés par l’effort à accomplir, principalement les
pays à faibles ou à moyens revenus, s’achemineront vers la couverture santé
universelle. C’est dans cette perspective que l’Assemblée mondiale de l’OMS
l’a érigée au rang de priorité dans le programme de développement durable
à l’horizon 2030 adopté en mai 2018.
C’est un idéal à penser en termes de transition, à telle enseigne que la
couverture santé universelle peut être comprise comme « un référentiel de
politique publique17 », voire plus précisément comme un référentiel d’objectif,
qui permet une convergence de forums (scientifique, politique, de communi-
cation…) en un consensus « faiblement normatif et contraignant » laissant
aux pays concernés une large marge d’initiative.

Les formes possibles de la couverture santé universelle


dans les pays à bas et moyens revenus
La couverture santé universelle ne saurait être comprise comme un
« paquet minimal » de couverture ou un modèle unique auquel il conviendrait
de se conformer. Les moyens d’y parvenir sont laissés à la souveraineté des
États en fonction de leurs priorités et contextes nationaux, ceux-ci étant

17. M. Nauleau, B. Destremau, B. Lautier, « En chemin vers la couverture sanitaire universelle.
Les enjeux de l’intégration des pauvres aux systèmes de santé », Revue tiers monde, n° 215, juill.-
sept. 2013, p. 129.

211
Partie 1. Les fondamentaux

notamment conseillés et soutenus par les organisations internationales.


L’absence de « mode d’emploi » pour y parvenir ne signifie pas qu’ils peuvent
faire « n’importe quoi »18. Ils sont invités à emprunter différentes voies pour
parvenir à la CSU, lesquelles correspondent aux trois axes mentionnés dans
la figure 2.

Réduire la Coûts
participation directs :
aux coûts et Inclure proportion
aux frais d’autres des coûts
services couverts
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Étendre aux
personnes non Fonds actuellement
couvertes mis en commun

Services : quels
services sont
Population : qui est couvert ? couverts ?

Source : OMS, Rapport sur la santé dans le monde, 2010


Figure 2. Les trois dimensions à prendre en compte
pour tendre vers la CSU

Afin d’orienter les choix des États, notamment ceux les plus éloignés de
l’objectif de la CSU, l’OMS énonce quatre grands principes généraux, formulés,
il est vrai, surtout de manière rhétorique. Il s’agit de la sorte de promouvoir
l’accès de tous aux soins et à la protection financière contre les risques de santé.

❱❱ Réduire les paiements directs des soins et biens médicaux


auprès des professionnels ou établissements de santé
Même s’ils disposent d’une assurance maladie, en l’absence de paiement
direct, les patients doivent faire une avance de frais avant remboursement,
tout en pouvant aussi acquitter une partie de ceux-ci sous la forme d’une
participation financière (forfait, ticket modérateur, etc.), voire de manière
occulte (« dessous de table »).
Non seulement ce mode de paiement peut entraîner des renoncements à
des soins pourtant nécessaires, mais il peut aussi exposer à de graves diffi-
cultés financières, compte tenu des coûts de certains soins et biens
médicaux.

18. J. Kutzin, « Anything Goes on the Path to Universal Health Coverage », Bulletin de l’Organi‑
sation mondiale de la santé, n° 90, p. 867.

212
La protection sociale de la santé

Partie 1. Chapitre 7.
Selon l’OMS, cette formule est la solution la plus inéquitable à l’égard
des pauvres. Elle aboutit au fait que, chaque année dans le monde, 150 mil-
lions de personnes font face à des dépenses de santé catastrophiques du fait
de paiements directs, et plus grave encore, que 100 millions basculent dans
la pauvreté. Il apparaît donc opportun de la remplacer par une autre formule :
les systèmes de prépaiement, ceux-ci étant jugés d’autant plus justes et effi-
caces qu’ils sont mis en œuvre de façon optimale.

❱❱ Rendre obligatoire les prépaiements


afin de faire contribuer les personnes aux revenus élevés
Aucun pays du monde n’est jamais parvenu à une véritable CSU en
s’appuyant sur un système d’assurance volontaire comme principal méca-
nisme de financement. Les prépaiements19 au financement du système de
santé doivent être rendus obligatoires pour toutes les personnes qui en
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
ont les moyens financiers et, de préférence, les contributions acquit-
tées doivent être proportionnelles ou progressives en fonction des
revenus.
À défaut d’obligation impérative dans ce sens, les personnes ayant des
ressources élevées pourraient être tentées de se désengager et les fonds col-
lectés risqueraient d’être insuffisants pour couvrir les besoins des personnes
pauvres et malades. Le recours aux prépaiements obligatoires est le gage
d’une protection sociale de la santé fondée sur la solidarité en vue de garantir
à tous l’égalité d’accès aux soins.

❱❱ Mutualiser les risques de santé à grande échelle


à travers l’assurance maladie sociale
Sur le plan théorique, l’assurance maladie sociale (AMS) a un fort potentiel
pour réaliser la couverture santé universelle. En effet, elle repose sur des
prépaiements obligatoires et la mise en commun des recettes afin de permettre
une redistribution équitable à l’ensemble de la population.
Cependant, un tel modèle de protection sociale de la santé se heurte au
défi d’accroître de façon progressive le niveau de prestations sociales, mais
aussi à celui d’en faire bénéficier les travailleurs et leurs familles qui relèvent
de l’économie informelle20, ceux-ci étant nombreux dans les pays pauvres.
Aussi n’est-il guère étonnant que l’AMS s’accompagne généralement d’une

19. Supposant un accès équitable aux soins et une protection contre le risque financier, la couver-
ture santé universelle conduit à ne pas faire payer directement à la personne la plus grosse partie de
ses frais de santé. Il en résulte en effet qu’elle doit être financée par des contributions anticipées et
mises en commun. C’est pourquoi, les systèmes de prépaiement reposent soit sur un financement
fiscalisé, soit sur un régime d’assurance maladie obligatoire faisant appel à des cotisations et le cas
échéant, à l’impôt. Ainsi les pré-paiements obligatoires représentent plus de 60 % des dépenses de
santé dans les pays ayant mis en place des systèmes universels (OMS, 2005).
20. L’économie informelle renvoie à des activités économiques non couvertes par les législations
et réglementations publiques, notamment par celles relatives à la protection du travail et à la sécurité
sociale (Bureau international du travail, 2004).

213
Partie 1. Les fondamentaux

forte exclusion de l’accès aux soins dans les pays à bas revenus, comme
l’illustre de façon significative l’exemple de la Tanzanie : une dizaine d’années
après le lancement des régimes fonctionnant sur ce modèle, seulement 17 %
de la population est couverte contre les risques. Même au sein des pays à
hauts revenus, le phénomène concerne certaines catégories de population
inactive au détriment des personnes les plus modestes.

❱❱ Recourir aux recettes publiques générales pour couvrir


les personnes qui ne sont pas en mesure de contribuer
Il s’avère que les pays à bas revenus, tels ceux de l’Afrique subsaharienne,
se trouvent confrontés à une situation particulière en ce qui concerne la mise
en place de la CSU : il s’agit d’un objectif primordial pour eux, mais en même
temps ils se heurtent aux contraintes déjà exposées ci-dessus, notamment celles
de financement. Or, elles peuvent se révéler être si lourdes dans ces pays que
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
le cheminement vers la CSU s’effectuera forcément par étapes et dans la durée.
La CSU n’est réalisable que s’il existe des institutions relevant de l’autorité
de l’État qui mutualisent des fonds collectés à l’avance (contributions fiscales,
cotisations) et qui s’en servent pour financer les services en santé de façon
efficiente et solidaire. Les pouvoirs publics sont amenés à jouer un rôle impor-
tant dans ce processus, tout en faisant montre de pragmatisme afin de répondre
aux changements de contexte.
Compte tenu des axes évoqués ci-dessus, les États sont invités à jouer un
rôle important en la matière, afin de permettre la réalisation de la CSU. Si l’idée
de couverture santé universelle est relativement simple dans le principe, en
revanche, le processus à mettre en œuvre pour la rendre effective se révèle
incontestablement plus complexe. Il en résulte d’inégales avancées à l’échelle
internationale, le plus souvent en raison des difficultés financières rencontrées.
Pour autant, depuis les années 1990, de nombreux pays à revenus faibles
et moyens ont montré que le fait de se rapprocher de la CSU n’est pas le
privilège des pays à revenus élevés. Ainsi, le Brésil, le Chili, le Mexique, le
Rwanda et la Thaïlande ont déjà fait des progrès importants pour en abonder
le financement21.
L’objectif de la CSU amène à privilégier le financement des dépenses
publiques de santé par la fiscalité. S’inscrire dans cette voie suppose néan-
moins que les États les plus pauvres puissent accroître leurs recettes en
améliorant leurs systèmes de perception de l’impôt. D’après une étude du
Fonds monétaire international sur le ratio entre les recettes fiscales poten-
tielles et réelles des pays, ceux à plus bas revenus atteignent seulement
78 % de leur potentiel, tandis que les pays à revenus intermédiaires pla-
fonnent à 63 %22. En ce sens, l’impôt sur le revenu pourrait d’autant plus
être sollicité que les taux marginaux d’imposition les plus élevés dépassent

21. OMS, Rapport sur la santé dans le monde. Financement d’une couverture universelle, 2010, p. 10.
22. Fonds monétaire international, « Revenue Mobilization in Developing Countries », 2011, p. 29.

214
La protection sociale de la santé

Partie 1. Chapitre 7.
très rarement 25 %, alors qu’ils sont en moyenne de 40 % dans les pays de
l’OCDE23.
Il n’en reste pas moins vrai que la plupart des pays à faibles revenus
ne pourront atteindre l’objectif de CSU sans aide financière de la com-
munauté internationale. Elle est en effet indispensable pour développer
rapidement l’accès aux services de santé de populations qui en sont le
plus souvent privées. Par ailleurs, le manque d’efficience dans l’usage
des ressources affectées au financement des frais de santé, comme celui
constaté par l’OMS24, ne peut être que préjudiciable à la progression vers
la couverture santé universelle. D’après une évaluation prudente de l’OMS,
20 à 40 % de ces ressources sont gaspillées. Or, l’optimisation des moyens
financiers mis à disposition des systèmes de santé améliorerait de façon
importante leur capacité à fournir des services de qualité et à en améliorer
la santé.
Sans aucun doute la protection sociale de la santé joue-t‑elle un rôle de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
révélateur des problèmes soulevés par une politique de santé, a fortiori une
politique de santé publique, ainsi que des défauts de l’organisation des soins.
Mis en évidence à l’échelle internationale, ce constat mérite ­également d’être
rapporté aux caractéristiques du système français.

7.2. La protection sociale en France :


une composante de la politique de santé

Aux termes de l’article L1411‑1 du Code de la santé publique, « la Nation


définit sa politique de santé afin de garantir le droit à la protection de la
santé de chacun ». Constituée de diverses composantes (promotion de la
santé, prévention individuelle et collective, organisation des parcours de
santé, etc.), cette politique comprend, entre autres dispositions, « la prise en
charge collective et solidaire des conséquences financières et sociales de la
maladie, de l’accident et du handicap par le système de protection sociale ».
L’assurance maladie telle que déterminée dans le cadre de la sécurité
sociale25 occupe une place prépondérante dans la protection sociale de la
santé. Ainsi, elle verse des prestations en vue de couvrir les frais de santé,
ce qui permet de financer les trois quarts de la consommation de soins
et biens médicaux (204 milliards d’euros en 2018). Il s’agit de prestations
à distinguer des prestations en espèces (15 milliards d’euros), lesquelles

23. Oxfam international, Couverture santé universelle, 2013, p. 42.


24. D’après une évaluation prudente de l’OMS, 20 à 40 % de ces ressources sont gaspillées. Voir
OMS, Rapport sur la santé dans le monde, op. cit., p. 76.
25. Au sens de l’organisation financière de la Sécurité sociale, l’Assurance maladie constitue une
branche ayant pour objet de regrouper les risques en rapport avec la santé (notamment les risques
maladie et maternité). Toutefois, l’assurance accident du travail est à distinguer de la précédente dans
la mesure où il s’agit d’une branche qui couvre au moyen de cotisations et de prestations spécifiques
les risques relatifs à la santé au travail : les accidents du travail et maladies professionnelles.

215
Partie 1. Les fondamentaux

sont versées afin de compenser une perte de gain due à une incapacité
de travail pour cause de maladie, d’accident ou de maternité.
À côté de l’assurance maladie de base s’ajoutent d’autres formes de
protection sociale de moindre importance et vouées à en combler les
lacunes : l’assurance maladie complémentaire (mutualité, prévoyance col-
lective), la complémentaire santé solidaire26 et, enfin, l’aide médicale
prévue dans le cadre de l’aide sociale.

Tableau 1. Structure du financement de la consommation de soins


et biens médicaux (en %)
Ensemble
2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018
de la CSBM
Sécurité sociale 76,3 76,3 76,2 76,3 76,6 77,1 77,3 77,6 77,9 78,1
État, CMU-C org. 1,3 1,3 1,3 1,3 1,4 1,4 1,4 1,4 1,4 1,5
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
De base
Organismes 13,3 13,4 13,7 13,7 13,7 13,4 13,4 13,4 13,1 13,4
­complémentaires
Ménages 9,2 9,0 8,9 8,7 8,3 8,1 7,9 7,7 7,5 7,0
Source : Comptes nationaux de la santé pour 2018.

S’il est héritier de la tradition bismarckienne des assurances sociales, le


système français d’assurance maladie tend depuis les années 1990 à se rap-
procher du modèle beveridgien en vue de garantir l’accès aux soins pour
tous. Il continue néanmoins de s’en distinguer sur un point essentiel : il ne
renvoie pas à un Service national de santé (tel le National Health Service au
Royaume-Uni) et l’organisation de la protection sociale demeure distincte de
celle de l’offre de soins.
Dans ce cadre, la socialisation des risques de santé met en jeu une relation
triangulaire : à la relation bilatérale entre les assurés sociaux et les organismes
d’assurance maladie, elle articule une autre relation, celle entre les caisses et
les professions et établissements de santé en vue d’assurer l’efficience du
système, l’une et l’autre de ces relations bilatérales ayant elles-mêmes une
incidence sur la relation entre le patient et le praticien libéral, sur leurs droits
et obligations respectifs.

26. La complémentaire santé solidaire s’est substituée aux anciens dispositifs de la couverture ma-
ladie universelle complémentaire et de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé à compter
du 1er novembre 2019.

216
La protection sociale de la santé

Partie 1. Chapitre 7.
Système
de
santé Tarifs conventionnels
4 Tarifs réglementaires
1
5
Prestations de l’assurance maladie
2 AMB
Patient
assuré AMC
3

AMB : assurance maladie de base


AMC : assurance maladie complémentaire
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Légende :
1 – relation de soins
2 – relation statutaire
3 – relation contractuelle
4 – relation conventionnelle/statuaire
5 – relation conventionnelle

Figure 3. La relation triangulaire entre l’assuré social-patient,


les professions et établissements de santé,
les caisses d’assurance maladie

7.2.1. L’accès aux soins pour tous à l’épreuve des limites


de l’assurance maladie de base
L’universalité de l’assurance maladie de base, c’est-à-dire celle de la sécu-
rité sociale, se révèle insuffisante à elle seule pour garantir l’accès aux soins
pour tous. Elle permet de couvrir la quasi-totalité de la population et concerne
un vaste périmètre de soins et biens médicaux, mais la participation financière
laissée à la charge de l’assuré social, dite reste à charge, est de nature à
affecter l’égalité sociale d’accès aux soins.

L’universalité du champ des personnes protégées


En dépit de son appellation, le régime général d’assurance maladie laisse
subsister, au sein de l’organisation de la Sécurité sociale, un certain nombre
d’autres régimes (régime agricole, régime de la SNCF, régime des marins…)
tout en couvrant à lui seul 92 % de la population. Même si elle ne trouve
pas à s’inscrire dans un régime unique, l’universalité de l’assurance maladie
est désormais atteinte au sens où elle protège l’ensemble des personnes en
situation régulière sur le territoire français.

217
Partie 1. Les fondamentaux

Encadré 4. L’organisation de l’assurance maladie


dans le régime général de la Sécurité sociale

Le régime général d’assurance maladie s’appuie sur un réseau administratif constitué d’une
Caisse nationale chargée d’une fonction stratégique et de coordination, et d’organismes locaux
ou régionaux à vocation opérationnelle. Cette organisation à double étage repose sur  :
– la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM). Elle exerce un rôle de « tête de
réseau » vis-à-vis des caisses primaires dans le respect des orientations fixées par la
convention d’objectifs et de gestion conclue avec l’État pour une période quinquennale.
Ainsi la CNAM anime et coordonne le service de prestations, l’action sociale et l’activité
de prévention du régime général d’assurance maladie. Par ailleurs, la gouvernance de
l’assurance maladie, réformée par la loi du 13 août 2004, confère à la CNAM une place
prépondérante au sein de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie
(UNCAM). En étroite relation avec les autorités ministérielles, cet autre organisme natio-
nal a notamment pour rôle de négocier et de signer les conventions avec les professions
de santé libérales. Il détermine également les orientations de la politique de « gestion du
risque » afin de promouvoir, en lien avec les agences régionales de santé, un usage plus
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
rationnel des fonds de l’assurance maladie. Il s’agit d’un organisme inter-régimes dont le
rôle consiste aussi à moduler le taux de prise en charge des frais et biens de santé  ; en
particulier, en faisant varier la part de dépenses restant à la charge de l’assuré social. Enfin,
l’UNCAM se voit confier, après avis de la Haute Autorité de santé, la prise de décisions
en matière d’inscription des actes et prestations de santé admis au remboursement ;
– les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM). Elles immatriculent les assurés
sociaux, attribuent et versent les prestations correspondant à la prise en charge des frais
de santé et les prestations en espèces (par exemple, indemnités journalières d’assurance
maladie). Leur champ de compétences s’étend à l’attribution de la complémentaire santé
solidaire dont elles affilient les bénéficiaires, et auxquels elles peuvent verser les presta-
tions. Elles mettent en œuvre les relations conventionnelles avec les professions libérales
de santé et exercent une action de « gestion du risque » en vue de lutter contre les abus
et les gaspillages en matière de consommation de santé, une action de prévention ainsi
qu’une action sociale en faveur des personnes défavorisées.

Substituée à la couverture maladie universelle (CMU) de base en vertu


de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, la protection uni-
verselle maladie (PUMA) est emblématique d’une universalité qui vise à
couvrir l’ensemble de la population face aux conséquences financières des
risques de santé. Elle repose sur le principe selon lequel toute personne de
18 ans27 et plus travaillant ou résidant en France de manière stable et régulière
ouvre droit à la prise en charge de ses frais de soins et biens médicaux en
cas de maladie ou de maternité.
Compte tenu du principe de non-discrimination applicable en matière d’as-
surance maladie, les ressortissants de l’Union européenne et la plupart des
étrangers peuvent également en bénéficier, sous réserve de justifier de la
régularité de leur séjour en France. Seuls les étrangers en situation irrégulière
s’en trouvent exclus. Ils sont néanmoins susceptibles d’être couverts à titre
supplétif par le biais de l’aide médicale d’État. Composante de la protection

27. Les enfants n’ayant pas atteint l’âge de 18 ans demeurent ayants droit de leurs parents, sauf à
disposer de la qualité d’assuré social du fait d’une activité professionnelle.

218
La protection sociale de la santé

Partie 1. Chapitre 7.
sociale de la santé, cette forme d’aide sociale leur garantit une prise en charge
complète des soins et biens médicaux dans la limite des tarifs de la Sécurité
sociale28.

Le périmètre des soins et biens de santé pris en charge


S’il est classique de traiter de façon distincte la prise en charge des soins
curatifs et celle de la prévention, cette dissociation ne saurait faire oublier
pour autant l’unité profonde de l’assurance maladie face aux risques de santé.
Destinée tout d’abord à compenser la conséquence financière des risques
de santé, une fois ceux-ci réalisés, l’assurance maladie permet de couvrir des
dépenses de santé de toutes natures : honoraires des praticiens et auxiliaires
médicaux (médecins, chirurgiens-dentistes, etc.), frais d’hospitalisation, de
pharmacie, d’appareillage, d’optique, de transports sanitaires, etc. Sont toutefois
écartées de ce champ les dépenses engagées pour convenance personnelle, à
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
l’exemple des honoraires de chirurgie esthétique, ou encore les dépenses dont
l’utilité médicale est insuffisamment établie, comme cela est programmé à
compter du 1er  janvier 2021 pour les médicaments homéopathiques.
Sous couvert d’une couverture à finalité curative, l’assurance maladie
assume en réalité dans de nombreux cas la prise en charge d’actes et biens
médicaux auxquels est assignée dans les faits une finalité préventive. Une
illustration significative de cette situation est tout d’abord fournie par la
consultation médicale qui, recouvrant des moyens de diagnostic courants
(prise de tension, auscultation…), est susceptible de procéder d’une démarche
individuelle de prévention. De même, bon nombre de médicaments (par
exemple, les médicaments hypocholestérolémiants), s’ils sont dotés de pro-
priétés curatives, comportent un caractère ambivalent.
Lorsqu’il est envisagé de façon spécifique, le rôle de l’assurance maladie
dans la prévention individuelle revêt divers aspects. Il consiste principalement
en la prise en charge d’un examen de santé à périodicité quinquennale, de
vaccinations (tétanos, poliomyélite, rougeole, etc.), ou d’examens pré et postna-
taux de la mère et de l’enfant, même s’il s’étend aussi à d’autres services de
prévention individuelle29. Il est également prévu la prise en charge de consul-
tations médicales à fort enjeu de santé publique selon un tarif majoré30.
L’efficacité de la prévention des risques de santé suppose d’aller au-delà
de la simple prise en charge financière d’actions individuelles, pour mettre
en œuvre des programmes collectifs. C’est pourquoi la CNAM finance des
programmes de prévention collective ciblés sur telle ou telle catégorie d’âge31
ou tel ou tel type de risques de santé. Plus récemment, elle a aussi mis en

28. M. Borgetto, R. Lafore, Droit de l’aide et de l’action sociales, LGDJ, 10e éd., 2018, p. 677.
29. Patch anti-tabac, ostéodensitométrie, consultation de prévention des cancers du sein et de l’utérus
pour les femmes de 25 ans et plus.
30. Par exemple, consultation de suivi et de coordination de la prise en charge des enfants de 3 à
12 ans en risque avéré d’obésité.
31. Par exemple, campagnes de prévention bucco-dentaire (examens périodiques de 3 à 24 ans) ou
de dépistage du cancer du sein (50-74 ans) ou du cancer colorectal (50-74 ans).

219
Partie 1. Les fondamentaux

place des structures d’appui à des actions de prévention tertiaire, notamment


en vue de favoriser l’éducation thérapeutique du patient32.

Le principe d’une participation financière de l’assuré social


Malgré l’universalisation de sa couverture et une fiscalisation croissante,
qui le rapprochent d’un modèle beveridgien, le système français d’assurance
maladie reste imprégné de la tradition bismarckienne des assurances sociales.
À la faveur du maintien de la médecine de ville libérale, l’assuré social se
voit notamment reconnaître, en tant que patient, une grande liberté dans
l’accès aux soins. Or, en vertu de la théorie de l’aléa moral, il pourrait être
tenté non seulement de négliger la prévention des risques de santé, mais aussi
de faire un usage abusif du recours aux soins, tout au moins d’une partie
d’entre eux, en l’absence de mécanismes de régulation de la demande. C’est
pourquoi la législation d’assurance maladie pose le principe d’une participa-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tion financière de l’assuré social à ses frais de santé.
Aux mécanismes de participation financière à application indifférenciée
(ticket modérateur, franchises et autres participations), qui s’appliquent en
quelque sorte « en aveugle », la loi du 13 août 2004 sur l’assurance maladie
a ajouté une modulation du taux du principal d’entre eux, le ticket modérateur,
afin d’inciter l’assuré social-patient à s’inscrire dans un parcours de soins
coordonné.

❱❱ Les mécanismes de participation financière indifférenciés


Dispositif pivot de la participation financière de l’assuré social, le ticket
modérateur constitue un pourcentage de chacune des dépenses d’actes ou de
biens de santé restant à la charge de l’assuré social après remboursement de
l’assurance maladie. Il est destiné à dissuader les abus de demandes de soins
de la part d’assurés sociaux, tout en étant assorti d’exonérations pour tenir
compte de certaines situations particulières.
Le taux du ticket modérateur varie en fonction de la nature des soins et
biens médicaux inclus dans le périmètre de l’assurance maladie. L’Union
nationale des caisses d’assurance maladie peut moduler ce taux de plus ou
moins 5  %. Pour les soins hospitaliers, jugés moins susceptibles d’abus, ce
taux s’abaisse à 20  % de la dépense. En revanche, pour les soins de ville, le
taux du ticket modérateur est non seulement plus élevé, mais il connaît des
variations importantes, allant de 30  % pour les honoraires médicaux à 75 ou
même 85  % pour les médicaments à service médical rendu (SMR) faible.
Une telle place du ticket modérateur ne procède pas seulement de son
objet originel, c’est-à-dire contrecarrer la propension de l’assuré social à
solliciter des prescriptions médicales pouvant être superflues. Elle résulte
aussi des nombreux relèvements auxquels a donné lieu le ticket modérateur
face aux difficultés financières des caisses d’assurance maladie de la Sécurité

32. Par exemple, plate-forme de service Sophia pour les patients diabétiques.

220
La protection sociale de la santé

Partie 1. Chapitre 7.
sociale, afin de transférer des fractions de dépenses vers l’assurance maladie
complémentaire ou les ménages.
Pour prendre en compte les situations particulières de certains assurés
sociaux touchant à la gravité de leur état de santé ou au fait générateur de
l’indemnisation, il est prévu des cas d’exonération du ticket modérateur dont
la liste s’est sensiblement allongée au fil du temps. Il est ainsi possible de
distinguer trois types d’exonération :
–  l’exonération liée à la nature de certains actes et traitements. Elle
concerne ceux qui, du fait même de leur objet, ne sont pas susceptibles de sus-
citer une demande de soins injustifiée de la part des assurés sociaux (par
exemple, soins à finalité curative ou préventive dispensés au cours de la période
de la maternité)  ;
–  l’exonération liée au coût ou à la durée du traitement. Il s’agit du
principal motif d’exonération, lequel concerne à lui seul 17 % de la popula-
tion (2017). Sont concernés les actes ou séries d’actes médicaux ou chirur-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
gicaux se caractérisant par une certaine importance. Surtout, entrent dans le
cadre de cette exonération les soins et traitements correspondant à l’une des
maladies couramment regroupées sous l’appellation d’affection de longue
durée (ALD), puisque celles-ci comportent un traitement prolongé et une thé-
rapeutique particulièrement coûteuse (par exemple, cancer, ­diabète) ;
–  l’exonération liée au fait générateur de l’indemnisation de l’assuré. Elle
se rapporte selon des modalités variables à quelques catégories d’assurés
sociaux auxquelles l’assurance maladie accorde une prise en charge plus favo-
rable, compte tenu de la nature de l’événement ayant déclenché la demande de
soins  : les titulaires d’une rente d’assurance accident du travail, d’une pension
d’invalidité, etc.
Pour en corriger certains effets quant à la contribution à la charge de
l’assuré social, le ticket modérateur est articulé avec deux autres formes de
participation financière   : le forfait hospitalier de 20  € (15  € en service de
psychiatrie), destiné à couvrir les frais d’hôtellerie lors du séjour dans l’éta-
blissement de santé, ainsi que la participation forfaitaire de 24 €, applicable
aux actes « lourds » dont le tarif est supérieur ou égal à 120 €. L’une et l’autre
de ces participations financières ont pour caractéristique commune de ne pas
s’ajouter au ticket modérateur mais, au contraire, de venir s’y imputer.
Autrement dit, le forfait hospitalier ou le forfait pour actes « lourds » n’est
pas dû lorsque le montant du ticket modérateur est supérieur, et dans le cas
contraire, ne l’est que jusqu’à due concurrence. En outre, les assurés sociaux
doivent supporter un forfait de 1 € pour chaque acte ou consultation médicale,
analyse biologique ou examen radiologique, pris en charge par l’assurance
maladie, ainsi qu’une franchise de 0,50 € par boîte de médicament et de 2 €
par transport sanitaire.
Partant du constat largement avéré selon lequel le ticket modérateur ne
concourt guère à la responsabilisation de l’assuré social, apparaissant surtout
dans les faits comme un moyen de déport de la dépense vers les organismes
complémentaires, la loi du 13 août 2004 sur la réforme de l’assurance maladie
a choisi de s’inscrire dans une nouvelle voie. Elle vise à différencier la prise
en charge des frais de soins et biens médicaux en fonction des comportements

221
Partie 1. Les fondamentaux

des intéressés vis-à-vis de l’accès aux soins à partir du moment où ils se


retrouvent en situation de patients.

❱❱ La modulation du ticket modérateur


en fonction du parcours de soins
L’idée d’inscrire l’assuré social dans un parcours de soins s’est accom-
pagnée de l’institution d’un parcours de soins coordonnés dont le médecin
traitant constitue la pierre angulaire : afin de favoriser la coordination des
soins, tout assuré ou ayant droit d’au moins 16 ans est tenu d’indiquer à sa
caisse d’assurance maladie de rattachement le nom du médecin traitant qu’il
a choisi, en accord avec celui-ci. Ce médecin a pour rôle de dispenser les
soins de première intention et d’orienter le parcours du patient au sein du
système de soins. S’il ne fait pas le choix d’un médecin traitant, ou s’il ne
respecte pas les règles du parcours de soins coordonnés, l’assuré social s’ex-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
pose à une majoration du ticket modérateur de 40  % en ce qui concerne les
frais d’honoraires médicaux. Toutefois, cette forme de sanction ne s’applique
pas en cas d’accès direct à certains spécialistes (gynécologues, ophtalmo­
logues, psychiatres dans certaines circonstances particulières : urgence, éloi-
gnement du domicile…). En outre, les médecins spécialistes peuvent pratiquer
des dépassements d’honoraires autorisés lorsqu’ils sont consultés en dehors
du parcours de soins coordonnés.
Compte tenu du rôle qui lui est dévolu au sein du parcours de soins coor-
donné, le médecin traitant se voit confier la mission d’établir, conjointement
avec le médecin-conseil du régime d’assurance maladie, le protocole de soins
applicable aux patients en cas d’ALD. C’est seulement à cette condition que
l’assuré social peut prétendre à l’exonération du ticket modérateur pour les
soins en rapport avec ce type d’affection. Le médecin traitant doit naturelle-
ment considérer l’état de santé du patient et les données acquises de la science,
et en particulier s’appuyer sur les référentiels de traitement établis par la
Haute Autorité de santé. La conclusion d’un protocole de soins ALD s’ac-
compagne pour l’assuré social d’un renforcement de ses devoirs en matière
de suivi des soins et d’observance des prescriptions.
Sans aucun doute la juxtaposition des différents mécanismes d’incitation
financière à la responsabilisation de l’assuré social se caractérise-t‑elle par
une trop grande complexité. Or, le manque de lisibilité, voire l’opacité qui
en résulte, est de nature à en compromettre l’efficacité. Il ne semble d’ailleurs
guère pertinent d’envisager la responsabilisation de l’assuré en tant que patient
en se référant au prisme réducteur de sa participation financière aux frais de
santé33. D’autant plus qu’en faisant supporter à l’assuré social un « reste à
charge » parfois substantiel, ce mode de responsabilisation peut compromettre
la sécurité matérielle de l’intéressé et son accès effectif aux soins. Cette
difficulté ne se pose pas avec la même intensité pour tous les individus en
fonction de leur état de santé et de leur situation pécuniaire.

33. Sur la responsabilisation du patient en tant qu’assuré social, ➠ Chapitre 18.

222
La protection sociale de la santé

Partie 1. Chapitre 7.
Même si elle est restée lettre morte, l’idée d’un « bouclier sanitaire34 » a
d’ailleurs été envisagée en 2007 en vue de garantir aux assurés sociaux qu’au-
delà d’un certain seuil la participation financière à leurs propres dépenses de
santé serait intégralement prise en charge par l’assurance maladie. À défaut
d’un tel dispositif, le problème de l’accessibilité des soins ainsi soulevé trouve
une réponse partielle du côté de la protection sociale complémentaire.

7.2.2. L’adjonction des couvertures complémentaire


à l’assurance de base en vue de lutter
contre les inégalités sociales d’accès aux soins
L’assurance maladie complémentaire couvre plus de 95 % de la popula-
tion35. Toutefois, elle est loin de garantir une couverture homogène sur le
fondement de la solidarité nationale, à l’instar de l’assurance maladie de base.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Les couvertures complémentaires santé montrent en effet une grande hétéro-
généité et relèvent de trois catégories d’opérateurs : les mutuelles, les insti-
tutions de prévoyance et les assureurs privés.

La typologie des couvertures complémentaire santé


On distingue schématiquement trois grands pôles :
–  le pôle des couvertures individuelles et facultatives : alors qu’il occupait
traditionnellement une place prédominante, il tend à régresser face au dévelop-
pement des couvertures collectives et obligatoires. Il correspond principalement
au champ d’intervention des mutuelles et des assureurs privés et recouvre une
grande hétérogénéité de couvertures36 ;
–  le pôle des couvertures collectives et obligatoires : il connaît un fort déve-
loppement à la faveur de l’essor contemporain de la protection sociale d’entre-
prise37. Il fait une large place aux institutions de prévoyance, même si les mutuelles
sont également présentes sur ce segment de la protection complémentaire.
–  le pôle de la complémentaire santé solidaire : il consiste en la mise en
œuvre dans le cadre de la législation de sécurité sociale d’une complémentaire

34. R. Briet, « Pour un bouclier sanitaire », Regards croisés sur l’économie, n° 5, 2009/1, p. 120.
35. DREES, « La complémentaire santé. Acteurs, bénéficiaires, garanties », Panorama de la
DREES Santé, 2019.
36. Ibid.
37. À la suite de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, la loi de sécurisation de
l’emploi du 14 juin 2013 a généralisé à tous les salariés du secteur privé le bénéfice d’un régime
complémentaire santé. Les régimes institués dans ce cadre s’accompagnent de la mise en place de
contrats collectifs, dits contrats de groupe, entre les entreprises concernées et les opérateurs de l’as-
surance maladie complémentaire. Cette réforme de l’assurance maladie complémentaire a permis
à 400 000 salariés de relever d’une complémentaire santé collective alors qu’ils relevaient le plus
souvent auparavant d’un contrat individuel. Surtout, s’agissant de la prise en charge des frais de san-
té, elle aboutit à faire prévaloir dans l’assurance maladie complémentaire une logique d’assurances
sociales qui a désormais disparu dans l’assurance maladie de base. Le financement de ces régimes
collectifs reste fondé sur les solidarités socio-professionnelles et repose sur une cotisation de l’em-
ployeur et du salarié proportionnelle à la rémunération servie.

223
Partie 1. Les fondamentaux

gratuite pour les personnes aux revenus inférieurs à 747 €38. Depuis le


1er novembre 2019, ce dispositif est étendu pour les personnes ayant des res-
sources supérieures au seuil précité dans la limite de 1 007 €, en contrepartie
d’une cotisation extrêmement réduite dont le montant est modulé en fonction
de la tranche d’âge de la personne39. Au total, il permet de couvrir dix millions
de bénéficiaires potentiels40.

❱❱ L’articulation des couvertures complémentaires santé


à l’assurance maladie de base
L’assurance maladie complémentaire est surtout tournée vers la couverture
des dépenses de médecine de ville41, dans la mesure où les frais d’hospitali-
sation sont couverts à hauteur de 90 % par l’assurance maladie de base. Elle
prend communément en charge le ticket modérateur, le forfait hospitalier et
la participation forfaitaire de 24  € pour les actes lourds en se référant aux
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tarifs de remboursement de la Sécurité sociale  ; mais pour les frais dentaires
ou d’optique, la prise en charge s’effectue dans la limite de forfaits très
nettement supérieurs.
Par ailleurs, aux fins d’une meilleure articulation entre l’assurance maladie
de base et l’assurance maladie complémentaire, la loi du 13  août  2004 a
institué le « contrat responsable ». Pour recevoir cette appellation, un contrat
de complémentaire santé ne doit prévoir ni la prise en charge de la majoration
de ticket modérateur en cas de non-adhésion ou de non-respect du parcours
de soins, ni les dépassements d’honoraires autorisés à ce dernier titre, ni enfin
le forfait de 1  € par consultation médicale et les franchises sur les actes
d’auxiliaires médicaux, les boîtes de médicaments et les transports sanitaires.
En revanche, le contrat responsable doit prévoir la couverture de la plupart
des autres types de reste à charge et de certaines prestations de prévention.
Plus récemment, la préoccupation des pouvoirs publics de réduire le
reste à charge a conduit à une imbrication plus étroite entre l’assurance
maladie de base et l’assurance maladie complémentaire. L’orientation la
plus significative de ce phénomène est sans conteste fournie par l’orientation
de la stratégie nationale de santé 2018‑2022 portant institution d’un reste
à charge zéro42. Sont ainsi concernés par ce dispositif les frais de santé pour
lesquels les renoncements aux soins sont les plus fréquents : les prothèses
dentaires, l’optique, les audioprothèses. En corollaire, cette démarche sup-
pose de définir un panier de soins indispensables, de qualité, à prix

38. Au 1er novembre 2019 pour une personne seule.


39. À titre d’exemple, 8 € par mois pour une personne de 29 ans et moins ; à l’autre extrémité, 30 €
pour une personne de 70 ans et plus.
40. Selon l’estimation du ministère des solidarités et de la santé.
41. Une étude publiée par l’INSEE (2015), et circonscrite aux seules dépenses ambulatoires, a
évalué le reste à charge moyen à 380 € par individu après assurance maladie de base et à 117 €, soit
10 % de la dépense environ, après assurance maladie complémentaire.
42. Décret n° 2017‑1866 du 29 décembre 2017 portant définition de la stratégie nationale de santé
pour la période 2018‑2022 (Journal officiel du 31 décembre).

224
La protection sociale de la santé

Partie 1. Chapitre 7.
réglementés, et un partage du coût de la prise en charge supplémentaire
entre les assurances-maladie. En outre, les accords conclus avec les pro-
fessions de santé concernées s’accompagnent d’un effort de leur part dans
la détermination des tarifs de l’offre de biens de santé entrant dans le panier
défini pour le reste à charge zéro.

7.2.3. Le système conventionnel entre l’assurance


maladie et la médecine de ville : les contributions
à la politique de santé
L’efficacité et l’efficience de la politique de santé invitent à construire un
système conventionnel qui permette non seulement d’assurer l’accès aux soins
pour tous et la soutenabilité financière de leur prise en charge, mais aussi de
contribuer aux objectifs de la politique de santé au-delà de la politique de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
maîtrise des dépenses de santé.

❱❱ Les enjeux de santé publique de la tarification conventionnelle


des soins
L’efficience du système d’assurance maladie requiert que les bases de
remboursement des caisses correspondent aux honoraires réellement pratiqués
par les professionnels de santé libéraux. Or, il existe en la matière des diver-
gences d’intérêts financiers entre les deux parties, lesquelles ne sont d’ailleurs
pas exemptes de tensions conflictuelles.
Aussi, l’objet traditionnel des conventions entre la Sécurité sociale et la
médecine de ville consiste-t‑il à mettre en place une tarification des honoraires
qui concilie à la fois l’égal accès des assurés sociaux au système de soins et
l’activité libérale des professions de santé.
Soucieux de préserver le secret médical, la tarification conventionnelle
des honoraires suppose au préalable de définir les actes des médecins et
des auxiliaires médicaux, avec une précision suffisante, et d’en faire la
cotation, c’est-à-dire d’en mesurer la valeur en tenant compte de leur tech-
nicité : c’est l’objet de la nomenclature générale des actes professionnels
(NGAP) ou de la classification commune des actes médicaux (CCAM) pour
certains actes techniques.
À partir de cette cotation, les praticiens peuvent déterminer le montant
des honoraires conventionnels en la rapportant à la valeur monétaire qui
lui est attribuée par la tarification conventionnelle, ce qui correspond au
tarif de responsabilité de l’assurance maladie (par exemple, une consultation
auprès d’un médecin généraliste est cotée « C » dans la NGAP, sachant que
cette lettre correspond à une valeur monétaire de 25 € – selon la tarification
conventionnelle en vigueur en 2020). À ce tarif dit de responsabilité, s’op-
pose le tarif dit d’autorité sur la base duquel sont versés les honoraires des
praticiens non conventionnés. Dans cette dernière éventualité, la prise en
charge de l’assurance maladie offre un caractère symbolique.

225
Partie 1. Les fondamentaux

D’une façon générale, la tarification des actes et biens médicaux c­ onstitue


un moyen d’orienter l’offre de soins en faisant en sorte que ­l’exercice de telle
ou telle spécialité médicale soit plus au moins a­ ttractif sur le plan financier
ou encore que telle ou telle pratique de soins soit ­encouragée (par  exemple,
développement de la chirurgie ambulatoire).
Avec l’application de la tarification conventionnelle, un principe tradi-
tionnel de la médecine libérale, celui de l’entente directe, en vertu duquel
le médecin libéral et le patient devaient déterminer les honoraires d’un
commun accord, se trouve vidé d’une grande partie de sa substance.
Il connaît néanmoins depuis la convention médicale de 1980 une forme de
réminiscence, avec l’élargissement de la faculté pour les médecins libéraux
conventionnés de pratiquer des dépassements d’honoraires.
On distingue ainsi aujourd’hui deux secteurs d’exercice parmi les médecins
conventionnés :
–  le secteur 1 : les médecins doivent appliquer les tarifs fixés par la conven-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tion, hormis dans certains cas particuliers (dépassements pour exigence parti-
culière du patient, par exemple) ;
–  le secteur 2, dit à « honoraires libres » : les médecins faisant le choix d’y
adhérer sont libres de fixer leurs honoraires, à charge pour les caisses d’assurance
maladie de les prendre en charge sur la seule base des honoraires c­ onventionnels
négociés par la profession. Or, au fil des décennies, le fort développement du
secteur 2 conduit de fait à soustraire à la négociation conventionnelle toute une
partie du volet tarifaire, compte tenu du poids croissant des dépassements d’ho-
noraires parmi les médecins spécialistes libéraux43. Face à cette situation, les
pouvoirs publics ont fait pression sur l’UNCAM et les syndicats des professions
de santé afin qu’ils s’accordent sur la mise en place, dans le cadre conventionnel,
d’un dispositif44 en vue d’encadrer les dépassements d’honoraires.
Il existe avec le secteur conventionnel à honoraires libres, dit secteur 2,
une entorse substantielle à la fonction d’échange originelle selon laquelle les
professions de santé libérales acceptent de pratiquer des honoraires opposables
en contrepartie de l’engagement des caisses à garantir l’avenir de l’exercice
libéral.
L’atteinte à cette fonction d’échange des conventions est également à rap-
porter à l’institution des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS),
plus précisément à la mise en place de l’objectif national des dépenses d’as-
surance maladie (ONDAM)). La nécessité de garantir le respect de cette
enveloppe de dépenses amène désormais les pouvoirs publics à faire une large
utilisation du « levier conventionnel » en tant qu’instrument de la régulation

43. La proportion globale de médecins spécialistes exerçant en secteur 2 est passée de 30 à 43 %
entre 1985 et 2013, tandis que les niveaux de dépassements ont eux-mêmes augmenté : le taux de
dépassement global est passé de 23 % en 1985 à 56 % en 2013 (source : CNAM).
44. La volonté d’encadrement des dépassements d’honoraires des médecins du secteur 2 a conduit
à y substituer dans la convention médicale d’août 2016, deux nouveaux dispositifs applicables depuis
le 1er janvier 2017, qui sont à la fois plus simples et plus incitatifs : l’option pratique tarifaire maîtrisée
(OPTAM), ouverte à tous les médecins du secteur 2, et l’OPTAM chirurgie et obstétrique. Actuelle-
ment, le quart des médecins concernés ont adhéré à cette option.

226
La protection sociale de la santé

Partie 1. Chapitre 7.
des dépenses de médecine de ville. Plus encore, afin d’encadrer les consé-
quences financières des négociations conventionnelles, la LFSS pour 2008 a
ajouté deux mesures combinées : en premier lieu, un accord de revalorisation
des tarifs des honoraires ne peut entrer en vigueur au plus tôt qu’à l’expiration
d’un délai de six mois à compter de son approbation ministérielle ; en second
lieu, lorsqu’il existe un risque manifeste de dépassement de l’ONDAM impu-
table aux soins de ville, les revalorisations négociées dans le cadre de la
convention peuvent être suspendues et reportées à l’année suivante.
Encadré 5. Objectif national d’assurance maladie (ONDAM)
des lois de financement de la Sécurité sociale

Afin de déterminer une enveloppe globale des dépenses d’assurance maladie, la loi consti-
tutionnelle du 22 février 1996 a prévu de l’institution des lois de financement de la sécu-
rité sociale (LFSS) et, dans ce cadre, la création de l’Objectif national des dépenses
d’assurance maladie (ONDAM).
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Chaque année, ce dispositif permet au Parlement de fixer un objectif général de prévision
de dépenses pour l’ensemble des régimes d’assurance maladie (200 Md€ pour 2020), qui est
lui-même décliné en trois grands objectifs sectoriels  : soins de ville, hospitalisation, médico-
social. Son taux de progression annuelle, initialement fixé à 2,5 % pour la période 2020‑2022,
prend certes en compte l’évolution des besoins sanitaires de la population, mais aussi la
contrainte économique pesant sur les finances sociales.
Même s’il présente la particularité d’être un outil de pilotage de la dépense, l’ONDAM ne
saurait aboutir à la détermination d’une enveloppe plafond, c’est-à-dire d’application stricte,
telle une enveloppe budgétaire classique. Eu égard au caractère légal des prestations d’as-
surance maladie, l’obstacle en la matière réside dans le fait qu’il n’est pas possible de refuser
le remboursement des soins en cas de dépassement de cette enveloppe.
La portée de l’ONDAM est donc essentiellement fonction de l’efficacité des mécanismes de
régulation médico-économique voués à permettre le respect de l’objectif de dépenses ainsi fixé.

Par ailleurs, si elle repose encore principalement sur la tarification à l’acte,


la rémunération des professionnels de santé libéraux, telle que posée dans
les conventions médicales les plus récentes, laisse de plus en plus place à de
nouvelles formes de rémunération. Il s’agit ainsi de prendre en compte cer-
taines activités des médecins libéraux lorsque le paiement à l’acte se révèle
mal adapté, le paiement d’un forfait lui étant alors préféré. Ainsi, tel est le
cas d’un certain nombre d’activités en rapport avec l’élargissement de l’objet
des conventions à d’autres aspects de la politique de santé que ceux directe-
ment relatifs à l’égalité d’accès aux soins.

L’élargissement de l’objet du système conventionnel


à des objectifs de santé publique
C’est à partir des années 1980, et surtout des années 1990, que l’objet des
conventions s’est élargi à d’autres aspects de la politique de santé. Sont
surtout concernées les conventions médicales, dans la mesure où les médecins
occupent une position stratégique en la matière, étant non seulement des
dispensateurs de soins mais également des prescripteurs d’autres soins et de
biens médicaux. Par le jeu de ces conventions nationales, qui sont négociées

227
Partie 1. Les fondamentaux

et conclues entre les caisses et les syndicats médicaux, les pouvoirs publics
souhaitent emporter sinon l’implication, tout au moins leur assentiment à
l’adoption de mesures de régulation destinées à accroître la performance du
système et de la politique de santé.
Afin de mieux prendre en compte l’entrée dans cette nouvelle ère des rela-
tions entre l’Assurance maladie et la médecine de ville, la loi du 6 mars 2002
a rénové en profondeur le régime juridique du système conventionnel – lequel
a encore évolué par la suite, notamment sous l’effet de la loi du 13 août 2004.
Encadré 6. Le régime juridique du système conventionnel

Aux termes de la loi n° 2002‑322 du 6 mars 2002, l’architecture du système conventionnel


est constituée de trois étages :
– l’accord-cadre interprofessionnel passé entre l’UNCAM et l’Union nationale des pro-
fessions de santé (UNPS) pour une durée maximale de cinq ans, ainsi que les accords
conventionnels interprofessionnels ;
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
– les conventions propres à chacune des professions de santé, conclues pour la même
durée et formant l’épine dorsale du système conventionnel ;
– les contrats individuels proposés à l’adhésion de chaque professionnel.
Il est également prévu des avenants tarifaires ainsi que des annexes pour définir les enga-
gements de maîtrise médicalisée des dépenses de santé.
Négociés entre l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) et les organi-
sations syndicales de la profession reconnues représentatives, les conventions et autres
accords conventionnels sont normalement conclus pour une durée de cinq ans. Ils doivent
être revêtus, en vertu de la loi du 13 août 2004, de la signature d’organisations représentant
la majorité des membres de la profession concernée. Pour obtenir force exécutoire, ils
doivent être approuvés par arrêté des ministres chargés de la santé et de la Sécurité sociale,
ce qui leur confère pour la majeure partie de la doctrine juridique la qualité d’acte régle-
mentaire à élaboration contractuelle.

Il est tout d’abord à souligner que, aux termes de l’article 1er de la loi 13 août
2004, « en partenariat avec les professionnels de santé, les régimes d’assurance
maladie veillent à la continuité, à la coordination et à la qualité des soins offerts
aux assurés, ainsi qu’à la répartition territoriale de cette offre ».
Or, à partir du moment où l’objet des conventions s’est élargi à des pré-
occupations autres que tarifaires, notamment celles ayant trait à la régulation
médico-économique, les conventions entre l’UNCAM et les professions de
santé ont mué progressivement vers des conventions « métiers » : elles ont
accordé une place croissante et même prédominante aux règles de bonnes
pratiques professionnelles dans la dispense des soins, en vue de lutter contre
les abus et les gaspillages préjudiciables aux fonds de l’Assurance maladie.
Sous l’impact de cette mutation, les conventions tendent à influer de façon
directe sur les comportements individuels ou collectifs des professions médi-
cales et leur fonction directive s’est progressivement affirmée par rapport à
la fonction initiale d’échange45.

45. G. Huteau, « Déclin ou renouveau des professions de santé dans l’élaboration de la norme de
protection sociale, Droit social, n° 2, févr. 2016, p. 121.

228
La protection sociale de la santé

Partie 1. Chapitre 7.
Plus récemment, la convention médicale du 26 juillet 2011, confortée en
la matière par celle du 25  août 2016, s’est accompagnée de l’instauration
d’un mode de rémunération à la performance : la rémunération sur objectifs
de santé publique (ROSP), qui reprend et généralise les dispositions anté-
rieures du contrat d’amélioration des pratiques individuelles (CAPI), crée en
2009. Prenant la forme d’une prime d’un montant variable, celle-ci représente
en quelque sorte un intéressement financier individuel, qui est destiné à impli-
quer davantage les praticiens dans la démarche de qualité des soins et dans
l’efficience des pratiques médicales. Jusqu’alors, les revalorisations d’hono-
raires accordées aux médecins libéraux ne s’étaient pas accompagnées d’amé-
liorations significatives dans ce sens. Désormais, ce mode de rémunération
constitue une incitation financière forte pour le médecin de ville en vue
d’atteindre les objectifs individuels de maîtrise de dépenses et de prévention
qui lui sont assignés46.
De surcroît, les dernières conventions médicales reconnaissent dorénavant
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
le rôle de prévention du médecin traitant vis-à-vis de ses patients assurés
sociaux. Ainsi, la convention du 25  août 2016 en renforce le rôle autour
d’enjeux clés de prévention – en l’occurrence, les conduites addictives
(tabac-alcool) et l’obésité des jeunes enfants – et prévoit un certain nombre
d’items de prévention pour la détermination de la rémunération sur objectifs
de santé publique due au médecin (par exemple, pourcentage de ses patients
âgés de 65 ans ou plus vaccinés contre la grippe saisonnière).
Se posant de façon de plus en plus cruciale, la question de la régulation
de la démographie médicale est également prise en compte par le système
conventionnel, en vue notamment de lutter contre les inégalités territoriales
de santé. Ainsi, la liberté d’installation est limitée pour les infirmières et les
masseurs kinésithérapeutes par la mise place, par leurs conventions, d’un
mécanisme de conventionnement sélectif tenant compte de la démographie
des professions concernées. En revanche, les conventions médicales ne com-
portent que des mesures incitatives en ce qui concerne la régulation de la
démographie médicale sur les territoires.

46. B. Dormont, « Le paiement à la performance : contraire à l’éthique ou au service de la santé


publique ? », Les Tribunes de la santé, 2013/3, n° 40, p. 53.

229
Partie 1. Les fondamentaux

Points clés
• À côté d’autres conditions (existence d’une offre de soins de qualité en adéqua-
tion avec les besoins sanitaires de la population, lutte contre les facteurs de
pollution de l’environnement, etc.), l’amélioration de l’état de santé d’une popu-
lation suppose aussi de garantir à tous un droit à l’accès aux soins. Or, l’univer-
salité de la couverture ainsi posée est à relativiser. Sont également à considérer le
périmètre des soins et biens médicaux pris en charge, ainsi que les tarifs et les
taux de remboursement.
• Au vu de cette triple dimension de la couverture des risques de santé, l’objectif
de promouvoir la couverture santé universelle constitue un défi ambitieux à
l’échelle mondiale. Il est certes atteint en plus grosse partie dans les pays à hauts
revenus, qui sont munis d’un système d’assurance maladie (système bismarckien)
ou d’un service national de santé (service beveridgien), mais il est encore loin
d’être réalisé dans les pays à bas ou à moyens revenus, à telle enseigne que l’OMS
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
a réaffirmé cet objectif comme une priorité à l’horizon 2030. Pour ceux-ci, l’ins-
tallation d’un service national de santé paraît devoir être privilégiée plutôt qu’un
système alliant assurance maladie et système de soins, en vue de minimiser la
part de dépenses restant à la charge de la personne.
• Il est vrai, comme le met en évidence le modèle français, qu’il peut être difficile
de concilier à la fois socialisation des risques de santé et organisation libérale
des soins, tout en évitant de faire supporter une trop forte participation finan-
cière aux personnes aux revenus les plus modestes. S’inscrire dans ce sens a
conduit les pouvoirs publics à instaurer en France un dispositif de conventions
entre les caisses d’assurance maladie et les professions libérales de santé, dont
l’objet est de fixer des honoraires opposables aux deux parties et, de plus en plus,
de servir de vecteur à la politique de régulation médico-économique de la
médecine de ville. Ainsi, le taux moyen de reste à charge sur frais de santé est-il
relativement bas en France (7,9 % de la consommation de soins et biens médi-
caux). Outre l’apport de l’assurance maladie de base, notamment pour les per-
sonnes atteintes d’une affection de longue durée (pathologie chronique), cette
situation trouve son explication dans le développement des couvertures com-
plémentaires santé d’entreprise et, plus encore, des couvertures complémen-
taires en faveur des personnes les plus modestes, lesquelles contribuent à la lutte
contre les renoncements aux soins.
• À l’occasion de ce mouvement, il se dessine une sorte de « brouillage des fron-
tières » entre l’assurance maladie de base et l’assurance maladie complémen-
taire, au point qu’elles apparaissent désormais indissociables en vue de
permettre l’égalité de tous à l’accès aux soins.

Pour aller plus loin


HCAAM rapports et avis disponibles sur www.strategie.gouv.fr.
G. Huteau, Le Droit de la Sécurité sociale, Presses de l’EHESP, 2019.
Organisation mondiale de la santé (OMS), Banque mondiale, Rapport mondial de suivi
de la couverture santé universelle, éditions annuelles disponibles sur www.who.int/fr.
D. Tabuteau, P.-L. Bras, Les Assurances-maladie, Presses universitaires de France,
2012.
Chapitre 8
La lente maturation
du système de santé en France
Philippe Marin

Objectifs pédagogiques
– Comprendre les logiques de transformation du système hospitalier et de santé
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
– Analyser les principales évolutions du système hospitalier et de santé construit
à l’origine sur la base d’une organisation hospitalo-centrée et évoluant vers
une logique intégrative
– Appréhender le rôle et le positionnement des acteurs dans la structuration
et le développement du système hospitalier et de santé
– Développer une lecture systémique de la construction et de l’évolution du
système de santé en France

L’analyse du système de santé repose en grande partie sur la capacité à


inscrire les évolutions actuelles dans leur dimension structurante des points
de vue historique et analytique. En effet, nous sommes passés d’une orga-
nisation fondée sur les principes relevant de la charité à un véritable système
de santé construit sur la base des évolutions enregistrées en matière de pro-
grès médical et intégrant les différentes évolutions sociétales. Au temps des
établissements de charité, puis d’assistance, a succédé celui des établisse-
ments de soins.
En France, jusqu’à la révolution de 1789, l’Église catholique assurait la
prise en charge des personnes les plus démunies, en s’appuyant sur le réseau
du clergé et des ordres religieux. Ainsi un réseau d’hospices dénommé « hos-
pice de la Charité », puis « hôpital général de la Charité » se développe-t‑il
dans le pays.
L’influence de la philosophie des Lumières et de la Révolution française
va permettre d’ériger l’assistance comme un devoir de l’État venant ainsi
garantir un droit reconnu aux citoyens. Le Directoire crée en 1796 les premiers
établissements de l’État destinés au secours des plus pauvres : ces « bureaux
de bienfaisance » constituent des services communaux placés sous l’autorité
préfectorale. La portée de la loi du 27 novembre 1796 reste limitée dans un
premier temps, d’une part car la création des bureaux de bienfaisance n’est
pas obligatoire, d’autre part parce qu’ils coexistent avec la charité privée,
d’origine essentiellement religieuse, qui bénéficie d’une forme de privilège
de l’antériorité. Le développement de l’hospitalité puise ses racines, en France,

231
Partie 1. Les fondamentaux

et plus généralement en Europe, dans l’initiative des chrétiens qui a contribué


à développer les maisons d’accueil dès le ive-ve siècle pour accueillir les mal-
heureux, les déshérités, les personnes âgées et, bien évidemment, les pèlerins
sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Ces institutions à vocation
charitable ont été très tôt surveillées par la royauté puis par l’État.
Le décret-loi du 28 juillet 1939 ouvre l’hôpital à tous les malades payants,
mais il ne sera pas appliqué en raison de la déclaration de guerre, le 3  sep-
tembre. Il marque la volonté de l’État de reprendre au maire la direction des
hôpitaux et des hospices. Ces dispositions ont été reformulées en partie par
la loi du 21  décembre 1941, laquelle a posé les bases d’une organisation
hospitalière qui n’est dès lors plus réduite au seul champ de l’assistance
sociale. Si l’on considère l’évolution de l’organisation hospitalière en tant que
système, nous pouvons repérer deux grandes phases, qui reposent dans un
premier temps sur la construction de l’hôpital moderne tel que nous le connais-
sons aujourd’hui, qui va entraîner dans une première phase le développement
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
d’un système de santé hospitalo-centré. Ce constat est renforcé par l’action
de l’État, qui, par l’ordonnance du 4  octobre 1945, a délégué la gestion de
ces questions aux corps intermédiaires et a pratiqué dans le domaine de
­l’organisation hospitalière le principe du laisser-faire, au sens de l’absence
­d’intervention de l’État, en particulier pendant la période des Trente Glorieuses.
La réforme hospitalo-universitaire de 1958 marque incontestablement un
tournant dans l’organisation de la médecine, la formation des médecins et
l’organisation hospitalière. Ces dispositions, bien qu’ayant fait l’objet de
nombreuses modifications, continuent aujourd’hui de régir les rapports entre
la faculté de médecine et le centre hospitalier régional, dans le cadre de la
convention hospitalo-universitaire.
L’évolution du système de santé se confond dans un premier temps avec
celle des établissements de charité, puis celle de l’hôpital, et porte la marque
d’un système très hospitalo-centré à partir de la réforme hospitalo-universi-
taire de 1958. Le socle de cette approche se trouvera posé dans la loi Boulin
du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière. L’organisation des soins
de première ligne reposant sur la médecine de premier recours, structurée
véritablement à partir de l’ordonnance de 1945, va progressivement s’imposer
dans le paysage de la réponse aux besoins de la population en soins, et plus
récemment dans sa composante élargie. Ce faisant, l’État va susciter et coller
à cette évolution, en transformant son action et le périmètre de son champ
d’intervention pour l’étendre à l’ensemble des composantes, contribuant ainsi
à la réponse aux besoins en santé de la population.
Cela se traduira par le développement d’un processus de planification
hospitalier dans un premier temps, puis de l’ensemble du système de santé
aujourd’hui. L’utilisation du régime des autorisations permettra de réguler le
système constitué, et les outils de coopération permettront d’assurer, voire
de garantir, l’articulation entre les différents opérateurs en santé. Ce sont ces
évolutions que nous proposons de décrire ci-dessous.
À partir de la réforme de 1991, et surtout par les trois ordonnances consti-
tuant le plan Juppé du 24 avril 1996, le système de santé connaît une évolution

232
La lente maturation du système de santé en France

Partie 1. Chapitre 8.
majeure, marquée à la fois par le retour de l’État dans le pilotage et la régu-
lation du système de santé – et ce, de façon définitive et permanente – et par
le déclin du modèle hospitalo-centré du système de santé – qui est caractérisé
par l’intérêt croissant de l’État à l’égard de l’organisation de la réponse aux
besoins de santé de première ligne. En effet la médecine libérale est toujours
structurée dans le cadre de la politique conventionnelle menée par l’assurance
maladie, mais avec une volonté inexorable de l’État de mieux contrôler et
de maîtriser plus directement cette politique conventionnelle. Cela constituera
la seconde phase de la présentation.
La présentation chronologique de l’évolution du système de santé peut
trouver sa conclusion dans une approche analytique de l’évolution du système
hospitalier dans sa dimension systémique. Les dernières évolutions législatives
dans le domaine du système de santé reposent sur la loi du 21 juillet 2009,
portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux terri-
toires, et sur la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
santé, ces deux lois ayant été complétées par les mesures prises dans le cadre
de la Stratégie nationale de santé 2018‑2022.
Sur un plan général des caractéristiques des évolutions législatives
­réglementaires, et plus généralement en ce qui concerne l’organisation insti-
tutionnelle du système de santé, nous retiendrons trois caractéristiques.
En premier lieu, la politique de santé s’inscrit dans le champ de la moder-
nisation de l’action de l’État, qui trouve sa traduction dans la déclinaison de
la Révision générale des politiques publiques, la Modernisation de l’action
publique et, plus récemment, dans l’« Action publique 2022 ». L’ensemble
des dispositions qui sont intervenues procède de la déclinaison des concepts
de nouvelle gestion publique (NGP) dans l’organisation et le pilotage du
système de santé. Par voie de conséquence, l’action de l’État mais également
le positionnement des opérateurs en santé se trouvent modifiés. La politique
de santé s’inscrit désormais dans une Stratégie nationale de santé transcendant
les plans et programmes de santé publique, lesquels s’inscrivent dans une
dimension systémique et dans une dimension de synthèse. L’avènement de
la démocratie en santé, la montée en puissance de la place des usagers pro-
cèdent également de cette évolution.
En deuxième lieu, l’évolution du système de santé correspond à une véritable
réorganisation globale marquée par le passage d’une organisation en silo, asso-
ciant l’action des différents intervenants de façon verticale, à une organisation
plus transversale. Aujourd’hui, le système de santé présente un caractère inté-
gratif très fort, qui n’est peut-être pas totalement accompli, mais dont les fon-
dements sont profondément enracinés. Cette réorganisation globale du système
renforce également la dissociation des fonctions de pilotage et de régulation
qui relèvent – à titre quasi exclusif, désormais – de l’État, de celles relatives au
déploiement et à l’organisation du système de santé qui renvoient à l’action des
opérateurs en santé. De ce point de vue, il convient de noter que l’État a consi-
dérablement étendu son périmètre et ses moyens d’action en direction de ces
différents opérateurs en santé, y compris en direction des opérateurs libéraux.
La création de parcours en santé constitue l’illustration de cette évolution.

233
Partie 1. Les fondamentaux

En troisième lieu, nous assistons à une réorientation complète du système


de santé dans ses fondements, qui érige la promotion de la santé et la pré-
vention comme socle de la politique de santé. Cette évolution progressive,
engagée dès le début des années 2000, a connu son aboutissement avec la
Stratégie nationale de santé et la loi de modernisation de notre système de
santé de 2016.
L’évolution du système de santé s’est confondue dans un premier temps
avec la création de l’institution hospitalière, mais il s’est très largement diver-
sifié dans un second temps. Il peut être intéressant de tenter de classer les
différentes réformes, non plus en fonction de la chronologie, mais plutôt
quant à leur apport fondateur à la construction du système de santé. Nous
aborderons ici donc dans un classement analytique les sept principales
réformes hospitalières et du système de santé caractérisant son glissement
d’un modèle hospitalo-centré vers un modèle intégratif.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
8.1. La réforme de 1958, « mère de toutes les réformes »

La constitution de l’hôpital contemporain, grâce à la réforme hospita-


lo-universitaire de 1958, trouve ses fondements dans la réforme de 1941. La
loi n° 5060 du 21 décembre 1941 relative aux hôpitaux et hospices publics
et le décret n° 43‑891 du 17  avril 1943 portant règlement d’administration
publique (RAP) pour l’application de cette loi, dite « Charte hospitalière »,
transforment en profondeur la conception de l’hôpital public, qui évolue ainsi
d’une logique de secours aux pauvres à celle, plus large, de l’assistance aux
malades. Ce dispositif porte la création d’une classification, et donc d’une
hiérarchie hospitalière, qui vient distinguer les centres hospitaliers régionaux,
les hôpitaux, les hôpitaux-hospices et les hospices.
L’hôpital devient ainsi une organisation à caractère médical. La réforme
Debré, par les trois ordonnances de 1958, constitue à notre sens « la mère »
de toutes les réformes. Elle présente à la fois les signes d’une extraordinaire
modernité en créant l’hôpital universitaire et en définissant les trois missions
de soins, d’enseignement et de recherche.
La réforme de 1958 vient instaurer l’hôpital sur une base de liens d’ex-
clusivité entre le centre hospitalier régional et la faculté de médecine, à travers
la création d’une convention hospitalo-universitaire qui marque toujours les
rapports entre le centre hospitalier universitaire et la faculté de médecine.
Cette organisation a contribué à créer le modèle d’excellence de la formation
médicale en France, modèle qui sera repris à de nombreuses reprises à l’étran-
ger. La création des centres hospitaliers universitaires (CHU) s’accompagne
de la définition d’une triple mission de soins, d’enseignements et de recherche,
confiée à ces nouveaux établissements. La création du statut de médecin
hospitalier impose le plein-temps aux médecins des CHU qui doivent ainsi
consacrer la totalité de leur activité aux soins, à l’enseignement et à la
recherche. Le décret n° 60‑1030 du 24  septembre 1960, portant statut du
personnel enseignant et hospitalier des centres hospitaliers et universitaires

234
La lente maturation du système de santé en France

Partie 1. Chapitre 8.
pris en application de l’ordonnance du 30  décembre 1958, précise que ces
personnels hospitalo-universitaires perçoivent donc une double rémunération :
universitaire et hospitalière. L’agrégation universitaire de médecine et le
médicat des hôpitaux se fondent dans le statut unique de chef de service
hospitalo-universitaire.
Cette réforme concerne bien évidemment la partie hospitalière dans la
prise en charge des soins, mais aussi la partie universitaire pour la formation
des futurs médecins et la recherche en matière médicale. L’exposé des motifs
du décret du 24 septembre 1960 précisait :
« Le présent décret est l’un des premiers de ceux qui doivent assurer la mise
en application de la réforme des études médicales et la transformation de nos
grands centres hospitaliers. »

Le décret n° 60‑797 du 28 juillet 1960, modifiant le décret n° 58‑718 du


8 août 1958 relatif au régime des études et des examens en vue de la licence
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
« ès sciences », réformait les études médicales. Cette réforme devait entrer en
application le 1er octobre 1961 ; la réalité fut tout autre : cette réforme ne sera
pas déployée immédiatement et sa mise en œuvre durera plusieurs années.
La réforme Debré porte également sur l’organisation, la planification et,
nous dirions aujourd’hui, le « pilotage » de la politique hospitalière et de santé.
L’ordonnance n° 58‑1198 du 11 décembre 1958, portant réforme hospitalière,
et le décret n° 58‑1202, relatif aux hôpitaux et hospices publics, créent trois
instances nationales ayant pour missions la conception de la nouvelle politique
hospitalière et le contrôle de sa mise en œuvre : la Commission nationale de
l’équipement hospitalier, le Conseil supérieur des hôpitaux et le Conseil supé-
rieur de la fonction hospitalière.
Par ailleurs, les hôpitaux et les hospices publics constituent désormais des
établissements publics communaux, intercommunaux, départementaux, inter-
départementaux ou nationaux, ils sont « érigés en établissements publics ou
rattachés à un établissement public déjà existant ». L’ordonnance n° 58‑1199
du 11 décembre 1958 institue les instances de coordination des établissements
de soins comportant une hospitalisation, avec obligation de déclaration pré-
fectorale pour la création de tout établissement de santé privé. En effet, aux
côtés de l’hôpital public se dessinent les contours d’un secteur privé mieux
structuré, qui n’est pas réellement défini ou plutôt se trouve qualifié de façon
négative par l’article  13 du décret n° 59‑586 du 24  avril 1959 relatif à la
coordination des établissements de soins comportant hospitalisation :
« Sont considérés comme établissements sanitaires privés, au sens de l’ar-
ticle L.734‑3 du Code de la santé publique, tous les établissements de soins
comportant hospitalisation qui n’ont pas la nature juridique d’établissements
publics ou qui ne sont pas gérés par l’État, les départements, les communes
ou les établissements publics. »

Le souci de planifier et de rationaliser l’offre hospitalière et surtout les


équipements sanitaires se concrétise par la création d’une Commission natio-
nale de l’équipement hospitalier, chargée d’assurer un inventaire des équipe-
ments sanitaires du pays et de donner un avis sur les créations, transformations

235
Partie 1. Les fondamentaux

et suppressions d’hôpitaux, inscrites dans le plan national de modernisation


et « sur l’ordre des urgences dans le cadre de ce plan ».
La réforme hospitalo-universitaire de 1958, et ses trois ordonnances suc-
cessives, constitue une véritable réforme hospitalière qui est dominée par la
constitution d’un nouvel établissement : le CHR et U, associant de façon
exclusive le CHR et la faculté de médecine afin d’instaurer, voire d’imposer,
pour les professeurs des universités et les praticiens hospitaliers un plein-
temps entre leur travail d’enseignants en médecine, de chercheurs et leur
exercice à l’hôpital. L’ordonnance n° 59‑1199 du 13 décembre 1958 relative
à la coordination des équipements sanitaires impose une obligation de décla-
ration préfectorale pour tout établissement de santé privé qui se crée. Cette
réforme est particulièrement novatrice et visionnaire, car elle combine à la
fois la construction de l’excellence de la formation médicale, le développe-
ment de la recherche médicale et biomédicale au sein de nouvelles structures
les CHR et U. Ces dispositions viennent garantir un saut qualitatif dans les
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
prises en charge médicales délivrées. En même temps, cette mission pros-
pective n’occulte pas la fonction plus que séculaire de l’hôpital : les centres
hospitaliers assurent également et toujours leur mission d’établissement
social.
La réforme hospitalo-universitaire portée par Robert Debré et traduite par
les trois ordonnances de 1958 constitue un élément fondateur et fondamental
de l’organisation de notre système hospitalier, et plus généralement de notre
système de santé. Les prémices de l’hôpital moderne ont été définies par la
réforme de 1941, qui marquent la transition de l’hospice chargé de l’assistance
aux plus déshérités à l’hôpital accueillant l’ensemble des personnes souffrant
de maladies ou d’affections médicales.
La réforme Debré est incontestablement une réforme socle et visionnaire
par l’alliance pragmatique qu’elle établit entre le passé (l’hôpital comme
structure sociale d’assistance) et l’avenir (l’hôpital comme lieu de formation
d’excellence, de recherche et de développement du progrès médical chargé
de prodiguer des soins à toute la population). Par ailleurs, toutes les bases
sont établies pour le développement d’une organisation hospitalo-centrée de
la réponse aux besoins de santé de la population.

8.2. La loi « Hôpital, patients, santé et territoires » de 2009 :


la maturité d’un système hospitalier redéfinissant
la juste place de l’État comme pilote
et les opérateurs en santé

La loi n° 2009‑879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et rela-


tive aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi Bachelot, du nom de
la ministre de la santé et des sports, ou loi HPST, est venue concrétiser les
dispositions qui étaient largement introduites ou préparées par les dispositions
antérieures des ordonnances de 1996 et du plan Hôpital 2007.

236
La lente maturation du système de santé en France

Partie 1. Chapitre 8.
En premier lieu, la loi HPST procède à la création des agences régionales
de santé (ARS), qui unifient le pilotage et la régulation de l’ensemble du
système de santé. Le dispositif déployé concerne aussi bien les établissements
que de l’offre libérale, se traduisant par la fusion des ARH et des URCAM
dans cette nouvelle structure. La loi HPST marque à notre sens la maturité
du système hospitalier ; elle stabilise en quelque sorte le repositionnement de
l’État à sa juste place comme pilote et régulateur du système hospitalier. La
politique hospitalière est désormais conduite au moyen des réformes succes-
sives qui sont intervenues depuis le début des années 1990 – non plus par les
opérateurs hospitaliers, mais par l’État lui-même.
La loi de 2009 marque donc la maturité d’un système hospitalier redéfi-
nissant la place de l’État comme pilote et elle contribue à repositionner à
leur juste place les opérateurs en santé. La composante libérale de l’offre de
santé est désormais intégrée dans le périmètre du pilotage par l’État à travers
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
notamment la définition des fonctions du médecin généraliste de premier
recours. Ces dispositions marquent en fait la disparition de la partition dyar-
chique dans le pilotage de l’offre de santé libérale et de l’offre de santé des
établissements de santé et la fin du modèle de gestion paritaire entre l’État
et l’assurance maladie des établissements de santé, dans le cadre du GIP
ARH constitué entre l’État et les organismes de l’assurance maladie.
Exit donc le modèle du groupement d’intérêt public, au profit de la création
d’un établissement public de l’État placé sous le contrôle de tutelle des
ministres chargés de la santé et de l’enseignement supérieur.
La création des ARS traduit en fait la révision générale des politiques
publiques (RGPP), car elle vient compléter la réorganisation de l’administra-
tion territoriale de l’État (REATE). Les deux objectifs principaux croisés de
ces réformes sont, d’une part, d’affirmer le niveau régional dans la mise en
œuvre des politiques publiques au détriment des départements et, d’autre part,
de simplifier les structures à chacun de ces deux niveaux. La création des
ARS entraîne, en droit et dans les faits, une refonte de l’organisation de la
planification sanitaire, dont les principes fondateurs avaient été posés par la
loi Boulin du 31 décembre 1970 et avaient été complétés par la loi du 31 juil-
let 1991. La modification centrale du dispositif repose sur l’intégration de la
médecine libérale, des professionnels de santé libéraux, ainsi que des struc-
tures sociales et médico-sociales dans le champ des compétences dévolues
directement et indirectement au directeur général de l’ARS.
La contractualisation des relations entre l’ARS, les établissements, les
structures, mais aussi les professionnels de santé, devient l’élément central
de l’exécution de la politique de santé, dont on a bien compris que désormais
elle est aux mains de l’État.
La loi HPST marque d’une façon plus générale la réintégration du secteur
sanitaire et du secteur social sur le plan du pilotage et de l’organisation, sous
l’égide d’un opérateur étatique unique : l’ARS. La partition introduite par la
loi du 31  décembre 1970 et les deux lois du 30  juin 1975 fait désormais
partie du passé, et on retrouve à ce titre l’émergence d’un concept nouveau

237
Partie 1. Les fondamentaux

d’organisation qui fait référence, non plus à une organisation sanitaire, sociale
ou médico-sociale, mais tout simplement au système de santé.
La loi HPST modifie en profondeur la gouvernance interne des établisse-
ments publics de santé sur la base des dispositions introduites par l’ordonnance
du 2  mai 2005 : modification des attributions de l’assemblée délibérante, le
conseil de surveillance, qui sont profondément revues en se trouvant désormais
limitées à la stratégie de l’établissement et au contrôle de sa gestion, sans
aucune fonction d’administration et de gestion. Le directeur d’hôpital devient
président d’un directoire, instance composée majoritairement de représentants
du corps médical, pharmaceutique et odontologique déclinant ainsi les principes
d’association et de responsabilisation des membres du corps médical inscrit
dans le plan Hôpital 2007. Le directeur est à ce titre assisté du président de la
CME, qui devient vice-président de droit du directoire. Les instances consul-
tatives sont également revues en profondeur dans leur composition et leurs
compétences afin de décliner deux principes : la liberté d’organisation, reconnue
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
à chaque établissement, et l’émergence d’un processus favorisant la prise de
décision en respectant les principes de la concertation et de la consultation.
Ce renforcement du pilotage médico-administratif de l’hôpital passe éga-
lement par la constitution de pôles cliniques et médico-techniques avec à leur
tête un médecin chef de pôle désigné par le directeur et le président de la
commission médicale d’établissement. La gestion des établissements publics
de santé à travers les pôles d’activité cliniques et médico-techniques se trou-
vera concrétisée par la création de contrat de pôle et le déploiement d’une
délégation de gestion du directeur au responsable de pôle.
Globalement, ce texte aménage la loi du 21  juillet 2009 HPST afin de
répondre à plusieurs critiques, formulées notamment par les organisations de
médecins libéraux, et de préciser ou compléter les dispositions de sa loi de
rattachement.

8.3. La loi portant réforme hospitalière de 1970 :


l’éternel retour de l’État
ou l’avènement du pilote et régulateur

Le secteur hospitalier connaît une forte croissance à partir du milieu des


années 1960, plaçant singulièrement l’hôpital public au centre de la réponse
aux besoins de santé de la population assurée par le système de santé français.
Le ralentissement de la croissance économique au milieu des années 1970 et
la fin des Trente Glorieuses contribuent à interroger le modèle d’organisation
choisie par l’État en 1958 reposant sur la libre initiative laissée par l’État
aux opérateurs.
La loi Boulin (du nom du ministre de la santé publique) du 31 décembre
1970 a marqué incontestablement le début de « l’éternel retour » de l’État et
l’avènement de sa fonction de pilote et de régulateur. Cette réforme est mar-
quée par la construction de la planification hospitalière et par l’organisation

238
La lente maturation du système de santé en France

Partie 1. Chapitre 8.
d’une réponse adaptée aux besoins de santé de la population, fondée sur la
création du service public hospitalier et le découpage en secteurs sanitaires.
Ainsi un décret du 13 novembre 1970 portant organisation de l’administration
centrale du ministère de la santé publique et de la sécurité sociale vient-il
réorganiser l’administration sanitaire et sociale au niveau central. Cette admi-
nistration centrale voit en outre ses services extérieurs s’étoffer avec la créa-
tion par le décret n° 77‑429 du 22  avril 1977 des directions régionales des
affaires sanitaires et sociales (DRASS), issues de la fusion des services régio-
naux de l’action sanitaire et sociale (créés par le décret no 64‑783 du 30 juillet
1964) avec les directions régionales de la Sécurité sociale. Les DRASS seront
chargées de l’élaboration de la carte sanitaire et exerceront un véritable
contrôle sur la gestion des établissements sanitaires et sociaux.
La loi Boulin instaure une carte sanitaire, qui ne sera en fait qu’une carte
hospitalière et un régime d’autorisation administrative pour les lits et équipe-
ments. Contrairement aux ambitions initiales du législateur, le secteur médical
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
libéral ne fera pas l’objet d’une planification, préservant ainsi la liberté d’ins-
tallation des praticiens exerçant en ambulatoire. Cette loi marque aussi la
consécration de la séparation du sanitaire et du social, considérant que l’or-
ganisation qui doit être définie et prise en compte relève exclusivement de la
composante sanitaire de la réponse aux besoins de santé, composante dont le
périmètre est par ailleurs réduit à une organisation hospitalo-centrée.
En effet, n’oublions pas que l’ordonnance du 19  octobre 1945 a créé la
notion de tarif opposable, ce qui signifie que les syndicats de médecins peuvent
conclure pour le compte de leurs mandants une convention collective – qui
reste non obligatoire – au niveau départemental, venant fixer les tarifs appli-
cables qui doivent être approuvés par une commission nationale. Le décret
n° 60‑452 du 12 mai 1960 relatif à l’organisation et au fonctionnement de la
Sécurité sociale a défini des conventions types, tout en conservant le cadre
départemental au niveau conventionnel. La loi n° 71‑525 du 3  juillet 1971,
relative aux rapports entre les caisses d’assurance maladie et les praticiens et
­auxiliaires médicaux, a entériné la convention nationale, désormais obligatoire,
sauf refus formel d’adhésion par le praticien concerné. Les conventions, éla-
borées par profession, sont approuvées par arrêté ministériel. Les premières
conventions nationales seront signées rapidement après l’instauration de ce
nouveau cadre, notamment celle relative aux médecins, dès 1971.
Ce développement de la politique conventionnelle nationale organisant
les rapports entre l’assurance maladie et les professions de santé marque une
forme de tournant, qui a contribué à limiter les leviers d’action de l’État dans
l’organisation des réponses aux besoins de santé sur la base libérale. Cela
explique en grande partie l’avènement d’une logique très – pour ne pas dire
exclusivement – hospitalo-centrée de la réforme Boulin.
Par voie de conséquence, la loi du 31  décembre 1970 a créé le service
public hospitalier et instauré la carte sanitaire, instrument de régulation du
système hospitalier, réduit pour l’essentiel à sa composante publique. La carte
sanitaire permet pour la première fois une organisation de la planification de
l’offre en termes d’équipements et de lits hospitaliers, définie par le ministre

239
Partie 1. Les fondamentaux

de la santé publique et de la sécurité sociale. La carte sanitaire, officialisée


par l’article 5 de la loi du 31 décembre 1970, tient compte de « l’importance
et de la qualité de l’équipement public et privé existant, ainsi que de l’évo-
lution démographique et du progrès des techniques médicales ».
Le territoire national est désormais divisé en 21 régions sanitaires et
256 secteurs sanitaires. L’État entend ainsi garantir une réponse adaptée aux
besoins de santé de la population résident en France, sur la base de la création
d’un service public hospitalier. Cette organisation repose sur les principes du
service public définis dans le droit administratif classique et repose sur la
mobilisation des moyens, essentiellement du secteur des hôpitaux publics.
Le service public hospitalier permet à l’État de garantir aux résidents une
égalité, une continuité et une mutabilité ou adaptabilité du service public. De
façon subsidiaire, les établissements privés peuvent assurer le service public
hospitalier par le biais de l’association, pour les établissements privés à but
lucratif, ou de la participation, pour ceux à but non lucratif qualifiés en 1970
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de « participant au Service public hospitalier » (PSPH). Ainsi la loi Boulin
constitue-t‑elle les indices de besoins exprimés en lits/population.
Arrêté en 1974, le découpage de l’espace géographique en 256 secteurs
sanitaires, répartis en 21 régions, vise à la fois à l’instauration d’un plateau
technique minimum au sein de chaque secteur et à assurer un rééquilibrage
sectoriel des équipements hospitaliers. Pour créer des lits d’hospitalisation,
il faut qu’un hôpital soit dans une zone (secteur sanitaire) où il existe un
besoin dont le niveau est défini par un indice lits/population. La carte sanitaire
« sert de base aux travaux de planification et de programmation des équipe-
ments ». La réponse aux besoins de santé de la population organisée par l’État
repose pour la première fois sur la division du territoire en unités territoriales.
Les secteurs sanitaires regroupent environ 80 000 habitants par circonscription
sur la base d’un plateau technique minimal intégrant les moyens en lits de
médecine, chirurgie obstétrique, de radiologie, de bloc opératoire et de labo-
ratoire d’analyse médicale.
En outre, chaque secteur sanitaire dispose d’un service d’urgence. En effet,
la loi de 1970 marquera la création des services mobiles d’urgence et de
réanimation (SMUR) et des services d’aide médicale urgente (SAMU). Par
ailleurs, la psychiatrie réintègre l’organisation hospitalière de droit commun,
qui sera de nouveau modifiée en 1985 pour légaliser la sectorisation psychia-
trique. Le secteur de psychiatrie devient une circonscription géographique de
70 000 habitants pour les secteurs adultes et de 210 000 habitants pour les
secteurs enfants.
La loi Boulin développe également un régime juridique d’autorisations admi-
nistratives et d’agréments, qui sont délivrés par le préfet et doivent respecter
l’évaluation des besoins issue notamment des indices lits/population et des auto-
risations d’équipements lourds inscrites dans la carte sanitaire. L’ordonnance
n° 67‑829 du 23 septembre 1967, relative à la coordination des établissements
publics et privés de soins comportant hospitalisation et à la fixation des tarifs
des établissements privés de cure et de prévention, avait instauré un régime
d’autorisation administrative dans le domaine de l’équipement et des lits

240
La lente maturation du système de santé en France

Partie 1. Chapitre 8.
sanitaires. Ainsi, la création ou l’extension de tout établissement sanitaire privé
comportant hospitalisation doit être autorisée par une décision motivée du
ministre de la santé publique, décision prise après avis de la commission de
coordination compétente. Le ministre de la santé publique, assisté d’une com-
mission nationale et régionale, assure ainsi la coordination de tous les établis-
sements de soins publics, privés à but lucratif et privés à but non lucratif. Le
nouveau dispositif soumet la création et l’extension des établissements d’hos-
pitalisation privés à une procédure d’« autorisation préalable ». Les nouvelles
dispositions législatives issues de la loi Boulin soumettent à autorisation la créa-
tion des établissements d’hospitalisation privée, la création, l’extension et la
conversion des installations, et l’installation des équipements matériels lourds.
La décision prise doit faire l’objet d’une motivation en cas de refus.
Les établissements publics demeurent sous le principe de l’approbation
par l’autorité de tutelle des décisions de leur conseil d’administration. La
procédure de création, d’extension ou de transformation des établissements
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
d’hospitalisation publics est donc soumise à une procédure d’approbation.
Cette organisation aboutit à établir un classement des établissements hos-
pitaliers en fonction de la composition de leurs plateaux techniques, dans le
prolongement du classement des établissements publics créés par la réforme
de 1941, et renforcé par la réforme Debré de 1958. Elle favorise aussi le
développement d’une perspective hospitalo-centrée de l’organisation du sys-
tème de santé.
La loi n° 75‑535 du 30  juin 1975 relative aux institutions sociales et
médico-sociales, qui a été abrogée en grande partie par l’ordonnance
n° 2000‑1249 du 21 décembre 2000, a organisé la coordination des institutions
sociales et médico-sociales, mais a aussi consacré la rupture entre le sanitaire
et le social, initiée par la loi Boulin du 31  décembre 1970. Il ne faut pas
oublier également que le même jour a été publiée la loi n° 75‑534 d’orientation
en faveur des personnes handicapées, première loi de structuration et d’or-
ganisation de la prise en charge du handicap en France. La loi du 30  juin
1975 sur les institutions sociales et médico-sociales a organisé pour la
­première fois l’offre sociale et médico-sociale comme un ensemble homogène
et autonome, sur un modèle convergeant vers l’organisation sanitaire hospi-
talière. L’introduction du médico-social permet tout de même aux établisse-
ments sociaux de proposer des prestations de soins. Ces dispositions sont
considérées comme fondatrices à double titre. En premier lieu, elles marquent
l’autonomisation du secteur médico-social vis-à-vis du champ hospitalier.
Elles consacrent par ailleurs le secteur médico-social et le secteur social
comme un ensemble homogène qui doit être soumis à des règles communes.
Pour autant, elle n’a pas d’incidence sur la structuration de l’offre, puisque
aucune planification (offre/besoin) n’a été instaurée en 1975.
Cette unification des secteurs social et médico-social s’est opérée par un
double mécanisme de régulation. En premier lieu, l’organisation d’un cadre
et d’un régime d’autorisations des établissements, en remplacement de la
procédure déclarative existant jusqu’alors. Cette réforme est apparue dans un
premier temps comme stricte et rigide, alors même qu’elle était d’une relative

241
Partie 1. Les fondamentaux

souplesse. La consultation d’une commission régionale des institutions


sociales et médico-sociales (CRISMS) est instaurée. Par ailleurs, la coordi-
nation des établissements sous la forme de regroupements ou de conventions
n’était qu’une possibilité et, en aucun cas, ne relevait d’une obligation.
La réforme de 1970, dans son caractère exclusivement sanitaire et hospi-
talo-centré, va marquer le début de la séparation du sanitaire et du social, qui
constitue à notre sens une erreur historique qui sera corrigée quelques décen-
nies après. On notera à ce titre que dès 1978, la loi du 4 janvier 1978 consacre
l’échec de la séparation du sanitaire et du social. En effet, la loi n° 78‑11 du
4 janvier 1978 porte création des longs séjours hospitaliers.
Cette nouvelle structure de nature hybride, à caractère sanitaire, est chargée
d’assurer une prise en charge médicale et médico-sociale, aboutissant à un
mécanisme de double tarification : forfait soins et frais d’hébergement. Le
forfait soins est bien évidemment financé par l’assurance maladie, les frais
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
d’hébergement, dont le montant est fixé à l’origine par le conseil général,
sont à la charge des personnes concernées et de leur famille au titre de l’obli-
gation alimentaire ou de l’aide sociale. Le long séjour est ainsi défini comme
reposant sur « l’hébergement des personnes âgées ayant perdu leur autonomie
de vie et dont l’état nécessite une surveillance et des soins médicaux
constants ». Il est bien évident que la loi du 4  janvier 1978 marque, moins
d’une décennie après la loi de 1970, et moins de cinq ans après la parution
de la loi de 1975, une véritable rupture puisqu’un mode double de prise en
charge se doit d’être défini.

8.4. La loi de modernisation de notre système


de santé de 2016 : prévention, promotion de la santé
et place de l’usager

La publication de la loi de modernisation de notre système de santé du


26 janvier 2016 a été précédée par celle de la loi du 28 décembre 2015 rela-
tive à l’adaptation de la société au vieillissement. La convergence en termes
de conception, d’organisation et d’outils déployés depuis plusieurs années
entre les secteurs d’activité sanitaire et médico-social se poursuit.
La loi n° 2015‑1776 du 28  décembre 2015 relative à l’adaptation de la
société au vieillissement, dite « ASV », aborde la double dimension du
bien-vieillir et de la protection des plus vulnérables. Le texte vise à « anticiper
les conséquences du vieillissement de la population et à inscrire cette période
de vie dans un parcours répondant le plus possible aux attentes des personnes
en matière de logement, de transports, de vie sociale et citoyenne, mais éga-
lement d’accompagnement et de soins en cas de perte d’autonomie ». Plusieurs
mesures visent à favoriser le maintien à domicile, à développer les actions
de prévention, grâce notamment au plan national de prévention du suicide
des personnes âgées, ou à la mobilisation nationale pour la lutte contre l’iso-
lement des âgés (MONALISA).

242
La lente maturation du système de santé en France

Partie 1. Chapitre 8.
La loi ASV donne la priorité à l’accompagnement à domicile et contient
des mesures concrètes visant à améliorer le quotidien des personnes âgées et
de leurs proches, afin qu’elles puissent vieillir à domicile dans de bonnes
conditions.
La loi n° 2016‑41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système
de santé s’inscrit dans le prolongement de la Stratégie nationale de santé
lancée par le gouvernement en 2013, et lui donne un fondement légal. Elle
s’articule autour de plusieurs axes ; elle fait de la prévention le cœur de notre
système de santé ; elle recentre le système de santé sur les soins de proximité
et engage le « virage ambulatoire » ; et elle crée de nouveaux droits concrets
pour les patients, en prenant des mesures fortes pour faire progresser la démo-
cratie sanitaire et renforce enfin la sécurité des patients.
Ce faisant, la LMSS aborde les questions de santé avec un prisme intégratif
et place chacun des établissements de santé en position d’opérateur, un parmi
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
les autres.
Par ailleurs, les établissements de santé ne maîtrisent pas l’entrée dans le
système de santé. Le schéma de planification s’en trouve bouleversé, puisque
l’axe central de celle-ci se trouve déporté vers l’offre de premier et de second
recours, reposant pour l’essentiel sur l’offre de santé libérale.
L’exposé des motifs de la LMSS fixe quatre objectifs stratégiques :
–  « nécessité d’un pilotage unifié du système de santé, capable de mettre fin
aux cloisonnements actuels et de mieux associer les usagers à la gouvernance ;
–  nécessité de conférer une priorité à la prévention et à l’action sur les
déterminants de santé
–  nécessité d’actionner tous les outils de la coordination des parcours de
santé, autour des soins de proximité et de premier recours ;
–  nécessité, enfin, de poursuivre le combat pour l’égalité, d’améliorer l’ac-
cès aux soins et de continuer de faire progresser la justice sociale en matière
de santé. »
La LMSS que nous développerons reposait par ailleurs sur trois axes
majeurs :
–  Innover pour mieux prévenir. « La prévention devient le socle du système
de santé : elle organise le déploiement d’un parcours éducatif en santé de la
maternelle au lycée. »
–  Innover pour mieux soigner en proximité. La loi recentre le système de
santé sur les soins de proximité et engage le « virage ambulatoire » et renforcer
le service public hospitalier. Elle instaure les parcours de santé.
–  Innover pour renforcer les droits et la sécurité des patients. Elle crée de
nouveaux droits pour les patients. Elle prend des mesures pour faire progresser
la démocratie sanitaire : ouverture des données de santé, association des usagers
au fonctionnement des agences sanitaires et transparence sur les liens d’intérêts
entre médecins et industries de santé. La loi de modernisation de notre système
de santé marque la symbiose retrouvée entre la promotion de la santé, la pré-
vention et le modèle curatif, qui est venu constituer le fondement historique de
notre système de santé. La politique de santé se définit désormais à travers une
Stratégie nationale de santé et se décline dans la politique de santé publique,
avec de nombreuses mesures traitées dans la LMSS de 2016.

243
Partie 1. Les fondamentaux

La politique de santé se déploie en intégrant désormais l’action de l’en-


semble des opérateurs en santé qui constituent le secteur libéral, l’ensemble des
établissements de santé, les établissements et institutions sociales et médico-
sociales, les acteurs du champ de la prévention… Clairement, le système de
santé se réoriente vers la prise en charge de l’usager, comme en témoigne la
construction progressive de la démocratie sanitaire à partir des ordonnances
Juppé de 1996 et de la loi Kouchner du 4 mars 2002.

8.5. La loi portant réforme hospitalière de 1991 :


le pilotage par objectifs et la maturité
de la planification hospitalière

La loi n° 91‑748 du 31  juillet 1991 portant réforme hospitalière, dite loi
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
« Évin », prévoit une évolution majeure : l’évolution de la planification sani-
taire instaurée par la loi Boulin de 1970, qui devient qualitative, indicative
et projective. La loi conserve la carte sanitaire, mais en la renforçant par un
schéma d’organisation sanitaire, élaboré dans chaque région. La création du
schéma d’organisation sanitaire régionale de cinq ans (SOSR), qui deviendra
plus tard le SROS, par installation en médecine, chirurgie, obstétrique, soins
de suite et réadaptation, soins de longue durée, psychiatrie, par activité coû-
teuse, parmi lesquelles : néonatologie, urgences, réanimation, hémodialyse…
et par équipement médico-­technique, marque incontestablement une emprise
plus forte de l’État dans une dimension projective de l’organisation du sys-
tème de santé et de la répartition des moyens sur le territoire national.
Comme le relèvera la mission d’évaluation et de contrôle de la Sécurité
sociale en 2014, « la loi du 31 juillet 1991 complète la carte sanitaire par un
nouvel outil de planification, le schéma régional d’organisation sanitaire
(SROS), défini pour une durée maximale de cinq ans à partir d’une mesure
des besoins de la population et de leur évolution, compte tenu des données
démographiques et des progrès des techniques médicales et après une analyse,
quantitative et qualitative, de l’offre de soins existante ». Cette loi, qui crée
également les comités régionaux de l’organisation sanitaire et sociale, fait de
la région le territoire de référence de l’organisation du système de santé ; la
logique d’organisation territoriale qui va se déployer dans les réformes ulté-
rieures, particulièrement en 1996 et 2003, trouve donc son fondement dans
la loi de 1991, dont les prémices avaient été posées par la loi Boulin de 1970,
qui entérinait la création des secteurs sanitaires. La réforme de 1991 conduit
à la redéfinition du périmètre des secteurs sanitaires, dont le nombre est réduit
à 152, sur la base de données plus fines que celles utilisées pour la carte
sanitaire.
Le SROS s’avère dans sa conception comme un nouvel instrument de
recomposition de l’offre de soins sur les territoires régionaux et des secteurs
sanitaires. La portée juridique de la planification retenue en 1991 à travers le
SROS n’est qu’indicative et ne présente pas de caractère opposable. On voit
toutefois poindre la volonté du législateur de permettre à l’État de venir mieux

244
La lente maturation du système de santé en France

Partie 1. Chapitre 8.
réguler l’offre hospitalière sur le territoire national. Cette évolution conforte
le modèle hospitalo-centré de la réponse aux besoins de santé instauré par la
loi Boulin de 1970. Cette analyse est confortée par le caractère ascendant du
système de planification qui commence à être introduit en 1991. La logique
de la loi Évin de 1991 repose sur la création du projet d’établissement, véri-
table « projet d’entreprise » du service public hospitalier qui agrège les projets
de service et permet à l’autorité en charge, à savoir le préfet de région, d’éla-
borer sur une base indicative le SROS de première génération. Cette autorité
déconcentrée devient désormais responsable d’une planification à caractère
projectif, même si elle n’emporte pas de caractère juridique opposable. Cette
dernière évolution interviendra en 2009. Ce système ascendant est complété
par la création du contrat pluriannuel, créé par l’article L712‑4 du CSP :
« Des contrats pluriannuels conclus entre les établissements de santé, publics
ou privés, les organismes d’assurance maladie, le représentant de l’État et,
le cas échéant, des collectivités locales permettent la réalisation des objectifs
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
retenus par le schéma d’organisation sanitaire. Ces contrats fixent les obliga-
tions des établissements et prévoient les moyens nécessaires à la réalisation des
objectifs poursuivis. Des contrats passés dans les mêmes conditions peuvent
avoir pour objet la réalisation d’objectifs particuliers aux établissements, com-
patibles avec les objectifs du schéma d’organisation sanitaire. »

Cette politique de contractualisation posera les bases des futurs contrats


pluriannuels d’objectifs et de moyens inscrits dans l’ordonnance Juppé de
1996. Elle ne connaîtra guère de développement en 1991, dans la mesure
où les relations entre les préfets de région et les établissements de santé
se limiteront à l’élaboration, la présentation et l’approbation des projets
d’établissement de première génération.
Les établissements d’hospitalisation intègrent une catégorisation juri-
dique, l’« établissement de santé », définie par la loi du 31 juillet 1991. En
même temps, cette catégorisation ne fait pas l’objet d’une définition juri-
dique précise, si ce n’est qu’elle débouche sur la création pour les hôpitaux
d’une nouvelle catégorie d’établissement public : l’établissement public de
santé, qui constitue une forme d’établissement public administratif dont le
contenu est défini par la loi. Les établissements d’hospitalisation publics
deviennent donc des établissements publics de santé, dont le régime juri-
dique reste tout à fait similaire à celui de l’établissement public adminis-
tratif, qui date de la loi du 31 décembre 1970.
En réalité, le législateur a souhaité faire entrer l’ensemble des établisse-
ments d’hospitalisation, publics, privés à but lucratif, privé à but non lucratif,
dans une forme d’organisation architecturale relevant d’une catégorie fonc-
tionnelle homogène : les établissements de santé, permettant ainsi à l’État
d’intervenir sur le pilotage, la régulation, la tarification et le contrôle de
l’ensemble de ces établissements.
De ce point de vue, nous estimons que la loi du 31 juillet 1991 vient préparer
le socle de la réforme introduite par l’ordonnance Juppé du 24 avril 1996 sur
l’hospitalisation publique et privée. Par ailleurs, la loi du 31 juillet 1991 vient
intégrer et retranscrire dans le Code de la Sécurité sociale, la création de

245
Partie 1. Les fondamentaux

l’objectif quantifié national (OQN), qui résulte d’un accord signé le 4 avril 1991
entre l’État, les organismes d’assurance maladie et l’une des deux organisations
syndicales de l’hospitalisation privée : l’Union hospitalière privée (UHP).
Cet accord est très important à plusieurs titres. Le financement des éta-
blissements de santé privés est modifié. L’OQN qui est un accord tripartite
vient se substituer à la convention nationale de l’hospitalisation privée. Les
dépenses restent régulées par un OQN instauré par l’article L162‑22‑2 du
CSS, modifié par l’article 33 de la loi n° 99‑1140 du 29 décembre 1999. Ainsi
l’OQN, qui ne concerne que les établissements de santé à but lucratif ayant
passé un accord de conventionnement avec les organismes de Sécurité sociale,
constitue-t‑il une forme de budget global ou d’enveloppe globale finançant
ce secteur d’activité, avec pour conséquence de venir favoriser la restructu-
ration et la concentration de ces établissements. L’OQN fait l’objet d’une
négociation chaque année.
La loi portant réforme hospitalière de 1991 est caractérisée par l’avènement
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
d’une planification hospitalière qui commence à intégrer les composantes
publiques et privées du système. Le pilotage du système hospitalier est désor-
mais structuré sur la base nouvelle d’objectifs visant à projeter l’évolution
du système hospitalier sur les années à venir, grâce à l’élaboration d’un
schéma régional d’organisation sanitaire. La planification devient qualitative
et projective, tout en conservant son caractère indicatif.

8.6. Les trois ordonnances Juppé de 1996 :


le socle de la transformation

Dès 1993, le rapport de la commission présidée par Raymond Soubie1, à


la demande du Commissariat général du plan, fixait l’objectif de l’indispen-
sable clarification des responsabilités respectives de l’État et de l’assurance
maladie dans le pilotage et la régulation du système de soins. Ce rapport
prospectif, « Santé 2010 », appelait par ailleurs au développement du contrôle
démocratique d’un pilotage. Le rapport Soubie recommandait que soient fixés
chaque année des objectifs annuels d’évolution des dépenses de soins, débat-
tus et votés par le Parlement. Ces dispositions trouveront leur application
dans la révision constitutionnelle du 22 février 1996, qui introduit la loi de
financement de la Sécurité sociale (LFSS). Par ailleurs, ce rapport préconisait
la création d’une agence régionale des services de santé (ARSS), qui serait
« responsable de la tenue des objectifs définis pour sa région en matière de
dépenses au niveau national ». Le rapport prévoyait que les missions de santé
publique continueraient d’être exercées par les DRASS et les DDASS.
L’ordonnance n° 96‑346 du 24 avril 1996 relative à la réforme de l’hos-
pitalisation publique et privée, dite « ordonnance hospitalière », refonde le

1. Commissariat général du plan, Santé 2010, rapport du groupe « Prospective du système de san-
té », La Documentation française, 1993.

246
La lente maturation du système de santé en France

Partie 1. Chapitre 8.
pilotage régional sur la base de deux principes fondateurs : responsabilisation
et contractualisation. Le Premier ministre Alain Juppé, dans sa déclaration
de politique générale devant l’Assemblée nationale, annonce une réforme de
l’hôpital qui prévoit notamment de substituer au budget global, instauré en
1984, des contrats d’objectifs et de moyens négociés régionalement.
L’idée centrale de l’ordonnance hospitalière du 24 avril 1996 est de régio-
naliser le financement et la régulation de l’activité des établissements de santé
publics et privés. Les ARH sont ainsi créées et elles associent à parité l’État
et l’assurance maladie. L’objectif est de corriger les inégalités du système de
soins hospitaliers publics et privés entre régions et entre établissements, et
les deux moyens affichés sont la responsabilisation et la contractualisation
reposant sur une meilleure coordination entre les établissements publics
notamment à travers la création des Communautés d’établissement et les
Groupements de coopération sanitaire. L’ordonnance prévoit également la
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
mise en place de procédures d’évaluation et d’accréditation des établissements
de santé.
L’article L6115‑2 du CSP crée les agences régionales de l’hospitalisation
(ARH), qui sont des « personnes morales de droit public dotées de l’autonomie
administrative et financière, constituées sous la forme d’un groupement d’in-
térêt public constitué entre l’État et les organismes d’assurance maladie ».
Dans l’exercice de ses missions, l’ARH est « administrée par une commission
exécutive et dirigée par un directeur ». Aux termes de l’article L6115‑3 du
CSP, le directeur de l’ARH exerce, « au nom de l’État, les compétences
mentionnées à l’article L6115‑1, à l’exception de celles exercées par la com-
mission exécutive en application de l’article L6115‑4 ». La forme du GIP a
été retenue car elle vise à associer les services de l’État : DRASS, DDASS
et les organismes de droit privé que sont les caisses primaires d’assurance
maladie (CPAM) et les caisses régionales d’assurance maladie (CRAM).
L’expression de cette gestion paritaire du système hospitalier au sens large
se trouve dans la constitution, au sein de l’ARS, d’une commission exécutive
(la « Comex ») qui est composée pour moitié des représentants de l’État et
pour moitié de représentants des organismes d’assurance maladie.
Le GIP ARH est donc marqué par une dualité organique. Le directeur de
l’ARH, en tant qu’autorité déconcentrée, agit au nom de l’État dans le cadre
de ses compétences générales et sous la conduite et le contrôle des ministres
chargés de la santé et de la sécurité sociale. La Comex agit dans le cadre de
ses compétences attributives déterminées par l’ordonnance, en qualité d’ins-
tance délibérative du GIP. Le but de cette nouvelle organisation est d’assurer
l’unicité de décision dans le pilotage et la gestion des établissements de santé,
qu’ils soient publics ou privés. Ainsi, les ARH se voient attribuer la plupart
des pouvoirs dévolus antérieurement aux préfets de région, en matière de
planification, et aux préfets de département, dans les domaines du budget et
du contrôle de légalité. Les différents services de l’État sont désormais coor-
donnés dans une administration spécialisée afin d’améliorer leurs contrôles
sur l’ensemble des établissements de santé. Elles planifient les structures et
les équipements, et allouent les ressources aux établissements, dans le cadre

247
Partie 1. Les fondamentaux

d’un groupement d’intérêt public géré sur une base paritaire, avec toutefois
une prééminence reconnue à l’État par la voix prépondérante que détient le
directeur de l’ARH en cas de partage égal des voix au sein de la commission
exécutive.
L’ordonnance n° 96‑344 du 24 avril 1996 portant mesures relatives à l’or-
ganisation de la Sécurité sociale crée « en miroir » l’union régionale des caisses
d’assurance maladie (URCAM), structure régionale inter-régime regroupant
trois types de caisse locale de sécurité sociale : les caisses primaires d’assurance
maladie du régime général (CPAM), les caisses régionales maladie des pro-
fessions indépendantes (CMR) et les caisses de mutualité sociale agricole
(MSA). L’URCAM a pour mission d’élaborer notamment un programme
régional commun à l’ensemble des organismes d’assurance maladie, actualisé
chaque année. Ce programme intègre la médecine de ville, mais également
les champs hospitalier et médico-social. Les deux décrets, n° 97‑630 du 31 mai
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
1997, relatif aux unions régionales des caisses d’assurance maladie et modifiant
le Code de la Sécurité sociale, et n° 97‑631 du 31 mai 1997, relatif à diverses
dispositions concernant les unions régionales des caisses d’assurance maladie
et modifiant le Code de la Sécurité sociale, mettent en place les URCAM,
précisent l’organisation et les compétences qui leur sont confiées.
On peut constater cet effet miroir entre les deux pôles régionaux que sont
l’ARH et l’URCAM, qui couvrent respectivement les domaines des établis-
sements de santé et le secteur ambulatoire. Cette réforme marquait une forme
de partition rationnelle entre deux sous-ensembles du système de santé, les
établissements de santé au sens de la loi du 31  juillet 1991 et le secteur
ambulatoire relevant historiquement de la politique conventionnelle menée
par l’assurance maladie. Cette séparation constituait une dyarchie et n’était
qu’une étape transitoire qui allait être marquée par des difficultés majeures
en matière d’articulation entre les deux secteurs d’activité.
La création plus tardive d’une nouvelle structure de coordination entre
l’ARH et l’URCAM témoigne ainsi de l’échec de cette dyarchie fonctionnelle.
La loi n° 2004‑810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie avait créé
un nouvel instrument de coordination, la mission régionale de santé (MRS),
regroupant les ARH et les URCAM, chargée de l’organisation de l’offre de
soins régionale et de la coordination des deux secteurs du système de soins :
les établissements et la ville. La MRS était chargée de préparer et d’exercer
les compétences conjointes à ces deux institutions. Ainsi, les MRS installées
par un décret du 2  décembre 2004 devaient définir les zones rurales ou
urbaines pouvant justifier de dispositifs d’aide visant à favoriser l’installation
des professionnels de santé ou des centres de santé, proposer des dispositifs
de permanence des soins et définir des programmes d’action, dont elles assu-
reraient la conduite et le suivi, notamment en matière de développement de
réseaux. Dirigée alternativement, par période d’une année, par le directeur
de l’ARH et le directeur de l’URCAM, cette modalité d’organisation, ne
permettant pas de garantir une continuité et une stabilité dans la politique
menée, illustre parfaitement les difficultés de cette partition dans l’effectivité
du déploiement de cette nouvelle structure.

248
La lente maturation du système de santé en France

Partie 1. Chapitre 8.
Par ailleurs, l’ordonnance du 24  avril 1996 porte création de l’Agence
nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES), chargée d’établir
des normes de bonnes pratiques cliniques et des références médicales pour
l’hôpital et l’ambulatoire. Le décret du 7 avril 1997 précisera les modalités
d’organisation et les compétences de l’ANAES.
La coopération inter-hospitalière fait l’objet également d’un traitement
dans l’ordonnance hospitalière du 24 avril 1996. De nouvelles instances de
concertation et de coopération inter-hospitalières sont ainsi créées. Les
Communautés d’établissements de santé assurant le service public hospitalier
visent à établir une concertation entre les établissements d’un même secteur
géographique assurant le service public. Cette coopération, sans réelle densité
juridique, connaîtra un échec et servira de base au projet plus ambitieux des
Communautés hospitalières de territoire, inscrites dans la loi de 2009.
L’ordonnance hospitalière du 24 avril 1996 crée également une nouvelle
catégorie de personne morale avec les groupements de coopération sanitaire
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
(GCS), beaucoup plus intéressante. Les GCS sont constitués par deux ou
plusieurs établissements de santé qui ne remplissaient pas les conditions pour
constituer entre eux un syndicat inter-hospitalier. Rappelons que seuls les
établissements publics et les établissements de santé privés assurant le service
public hospitalier pouvaient constituer un syndicat inter-hospitalier.
L’ordonnance du 24 avril 1996 déploie effectivement les dispositions rela-
tives aux contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens conclus désormais
entre l’ARH et les établissements de santé, qui avaient été créés par la réforme
hospitalière du 31  juillet 1991. Sous l’impulsion de la nouvelle gestion
publique, le contrat est devenu un outil de régulation des relations entre les
personnes publiques, à tel point que le rapport Nora dès 1967 avait évoqué
un véritable « paysage contractuel ». Les rapports entre les opérateurs en santé
et l’État vont désormais se structurer sur la base de contrats, amenant ce dernier
à délaisser le mode d’intervention traditionnel lui permettant de développer
son action : l’acte administratif unilatéral. Les ordonnances du 24 avril 1996
marquent de ce point de vue le début de l’âge d’or de la procédure contrac-
tuelle dans le système de santé, qui est désormais le mode opératoire standard
dans l’organisation, le pilotage et la régulation de notre système de santé.
L’article  28 de l’ordonnance hospitalière du 24  avril 1996 rend opposable
l’annexe au SROS créée par la loi de 1991. Cette disposition n’a aucun carac-
tère rétroactif et n’entre, de surcroît, en vigueur que pour les schémas dits de
« deuxième génération », comme cela est précisé dans l’exposé des motifs :
« Il importe naturellement de poursuivre l’élaboration des SROS de première
génération pour les aspects qui n’auraient pu être développés et de réaliser
les annexes correspondantes. »

La loi n° 2002‑2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et m


­ édico-sociale
vise à refonder ces secteurs d’activité et à intégrer les évolutions intervenues
dans l’organisation et le pilotage du système de santé au sens large, dans une
logique de convergence du sanitaire et du médico-social, voire d’intégration
du premier dans le second. Ces dispositions législatives, complétées par une
série de textes réglementaires, présentent quatre caractéristiques.

249
Partie 1. Les fondamentaux

On assiste en premier lieu à un élargissement du champ d’intervention


du social et du médico-social. De nouveaux types d’établissements et ser-
vices viennent répondre à « l’émergence de nouveaux besoins, l’apparition
ou le développement de certaines pathologies », et visent à remédier au fait
que « l’étanchéité entre le social et le sanitaire peut constituer un frein à
l’innovation et à l’accompagnement décloisonné de certaines catégories de
populations ». De nouvelles structures sont reconnues comme acteurs essen-
tiels du secteur, et les modes de prise en charge sont diversifiés en allant
au-delà de celle à temps complet, qui constituait l’ossature de la loi sociale
et médico-sociale de 1975.
En deuxième lieu, la loi du 2 janvier 2002 vise à améliorer l’organisation
des procédures de pilotage entre l’administration et les opérateurs. Les
dispositifs de planification, d’autorisation, de contrôle ou de tarification
deviennent plus transparents et rigoureux. Ils procèdent d’autre part d’une
logique de convergence vers les mêmes dispositifs en matière sanitaire. Le
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
renouvellement de l’autorisation d’un établissement est désormais condi-
tionné par les résultats de l’évaluation, qui repose sur une démarche arti-
culant un processus interne et une intervention externe.
La loi de rénovation de l’action sociale et médico-sociale du 2  janvier
2002 vise en troisième lieu à promouvoir une réelle coordination entre les
décideurs, entre les acteurs, et entre décideurs et acteurs. Sont mises en place
à cet effet des procédures formalisées de concertation et de partenariats :
conventions, contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, groupements de
coopération sociale ou médico-sociale.
La loi n° 2002‑202 du 4  mars 2002 relative aux droits des malades et à
la qualité du système hospitalier, dite loi « Kouchner », est marquée par une
volonté de créer une démocratie sanitaire. Cette évolution se traduit par l’af-
firmation des droits individuels des malades, tant à l’information médicale
qu’au dédommagement en cas de dommage « sans faute », et par la recon-
naissance de la place institutionnelle des usagers dans la conception, le pilo-
tage et l’organisation du système de santé.
Les trois ordonnances du plan Juppé du 24  avril 1996 ont posé le socle
de la transformation du système de santé. Elles marquent l’aboutissement
d’une mise sous contrôle par l’État des établissements de santé et créent les
conditions nécessaires à l’intégration complète du système de santé qui inter-
viendra dans les réformes ultérieures. En fait, le plan Juppé constitue une
réforme transitoire du système de santé qui va venir préparer les évolutions
ultérieures intégrant notamment le pilotage de l’organisation des soins de
première ligne dans le champ de l’intervention directe de l’État.

250
La lente maturation du système de santé en France

Partie 1. Chapitre 8.
8.7. Le plan Hôpital 2007 et les ordonnances de 2003 et 2005 :
les outils du New Public Management et la contractualisation
et responsabilisation des acteurs

Le plan Hôpital 2007, présenté par Jean-François Mattéi, ministre de la


Santé, de la Famille et des Personnes handicapées, s’est présenté comme un
plan de modernisation de l’hôpital. Les axes de ce plan, intitulé « pacte de
modernité pour l’hospitalisation », étaient les suivants :
– « Changement de logique pour passer de la régulation administrée à
l’autonomie…
–  Accompagnement des évolutions de la recomposition de l’offre hospita-
lière par l’État…
–  Assouplissement et modernisation des hôpitaux publics. »
L’objectif du plan Hôpital 2007 était de parachever les réformes engagées
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
en 1995‑1996. Pour autant, il marque un changement de méthode sur le plan
de l’intervention des pouvoirs publics, laquelle s’inscrit parfaitement dans le
cadre de la Nouvelle gestion publique en ce qui concerne le rôle et les moyens
d’action de l’État. En effet, le plan Hôpital 2007 va se construire sur la base
d’expérimentations, d’une réduction du volume du corpus législatif et régle-
mentaire en vigueur dans le fonctionnement des établissements, et d’une adap-
tation au plus près du terrain des conditions d’organisation et de fonctionnement,
notamment de chaque établissement public de santé.
Par ailleurs, le plan Hôpital 2007 marque une évolution majeure dans la
gouvernance des établissements publics de santé. En fait, l’objectif est de
renforcer le pilotage médico-administratif de l’hôpital en appliquant, en direc-
tion du corps médical, deux principes : une plus grande association dans la
stratégie de pilotage et une plus grande responsabilisation dans l’organisation
des établissements publics de santé.
Le plan comprend notamment une relance de l’investissement, avec le sub-
ventionnement de certaines opérations et la prise en charge des intérêts d’em-
prunts nouveaux, la création de deux groupes de réflexion sur le statut de
l’hôpital et sur la gestion sociale, et l’élargissement des compétences des ARH.
Le plan Hôpital 2007 se développe sur la période 2002‑2008 sur trois axes
et comprend quatre séries de mesures, qui se trouveront traduites sur le plan
juridique dans deux ordonnances sur lesquelles nous reviendrons :
1.  Le changement de logique, en passant de la régulation administrée à
l’autonomie, en instaurant une tarification à l’activité incitative et en assouplis-
sant la planification.
2.  L’accompagnement par l’État des évolutions de la recomposition de
l’offre hospitalière : soutien à l’investissement hospitalier par un plan quinquen-
nal d’investissement, enveloppes régionalisées confiées aux ARH, soutien tech-
nique aux projets par un accompagnement des ARH et des établissements.
3.  L’assouplissement et la modernisation des hôpitaux publics en desserrant
« le carcan des contraintes », gestion interne des hôpitaux, régime budgétaire et
comptable, culture du résultat et de la qualité, contractualisation.

251
Partie 1. Les fondamentaux

Le plan Hôpital 2007 trouve sa concrétisation sur le plan juridique dans


deux ordonnances qui sont venues décliner les mesures déployées à titre
expérimental, définies et préfigurées dans ce plan.
L’ordonnance n° 2003‑850 du 4 septembre 2003 portant simplification de
l’organisation et du fonctionnement du système de santé ainsi que des pro-
cédures de création d’établissements ou de services sociaux ou médico-sociaux
soumis à autorisation vise à réorganiser le pilotage et la régulation du système
de santé. Le rôle des directeurs des ARH, « interlocuteurs privilégiés des
responsables des établissements de santé », est renforcé.
L’ordonnance du 4 septembre 2003 simplifie et déconcentre de façon quasi
totale le régime des autorisations d’activités de soins, en supprimant la carte
sanitaire, et vient renforcer le rôle du SROS élaboré par les ARH, en intégrant
un principe d’opposabilité juridique, certes limité pour l’instant à son Annexe.
Ainsi intervient la suppression du découpage territorial en secteurs sanitaires,
ces derniers étant remplacés par des « territoires de santé », nouveau cadre
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
géographique pour les missions dévolues aux établissements de santé. La
répartition des activités de soins et des équipements sanitaires par territoire
de santé est développée dans l’annexe au SROS. Ainsi, 159 territoires sont
définis sur la base d’instructions ministérielles invitant à « dépasser les limites
administratives traditionnelles ».
Enfin, des conférences sanitaires de territoire sont créées, qui doivent
« contribuer à la mise en œuvre de projets médicaux de territoire ». En fait,
le SROS devient l’« outil unique de planification » : il s’étend au-delà de
la seule offre de soins hospitaliers et intègre la psychiatrie. Son annexe
devient de facto opposable, car l’ordonnance du 24 avril 1996 avait créé
un régime transitoire permettant de poursuivre l’élaboration des SROS de
3e génération sur la base antérieure à l’ordonnance2. La suppression de la
carte sanitaire entraîne parallèlement la création d’objectifs quantifiés de
l’offre de soins (OQOS), qui sont fixés dans les territoires de santé.
L’ordonnance du 4  septembre 2003 est venue substituer, aux anciens
indices de besoins de 1970, les OQOS définis par l’article L6121‑2 du CSP :
« Les objectifs quantifiés de l’offre de soins par territoire de santé, par
activité de soins, y compris sous la forme d’alternatives à l’hospitalisation,
et par équipement matériel lourd définis à l’article L6122‑14. »

Dans un premier temps, le contenu des OQOS se décline par territoire de


santé, au niveau des activités de soins et des équipements matériels lourds,
dans une logique quasi normative. L’ordonnance du 4 septembre 2003 a fait
l’objet de compléments mineurs apportés par la loi du 13  août 2004, qui
intègre à titre indicatif ces orientations contenues dans les OQOS par la
mission régionale de santé.
Le décret n° 2005‑76 du 31  janvier 2005 relatif aux objectifs quantifiés
de l’offre de soins prévus à l’article L6121‑2 du CSP précise le périmètre,

2. Circulaire DH/AF/AF 1 n° 96‑466 du 18 juillet 1996 relative à la mise en œuvre de l’ordonnance
n° 96‑346 du 24 avril 1996 portant réforme de l’hospitalisation publique et privée.

252
La lente maturation du système de santé en France

Partie 1. Chapitre 8.
le contenu et la portée des OQOS. Les OQOS sont définis dans l’annexe du
SROS, qui est devenue opposable, et ils sont fixés avec un minimum à
atteindre et un maximum à ne pas dépasser, sous peine soit de rétraction ou
de fermeture d’activité, soit de pénalités financières. Ils se présentent tout
d’abord comme un objectif chiffré offrant un cadre pour une période déter-
minée et avec une date cible. Il s’agit d’arrêter le volume d’activité de soins,
la densité d’équipement matériel lourd, leur implantation intégrant parfois le
temps d’accès pour garantir une réponse adaptée aux besoins de santé de la
population d’un territoire de santé. Ils constituaient en fait des instruments
d’encadrement de la déclinaison de l’offre par territoire, rendu possible notam-
ment par l’exploitation des résultats du PMSI (➠ Chapitre 4). Les OQOS se
présentaient donc sous une forme quantitative et dans une dimension norma-
tive définissant a priori des volumes d’activité à atteindre par producteur en
santé. Pour certaines activités, ces objectifs pouvaient être fixés en volume
d’activité de soins selon des critères de journées, de séjours, de venues, de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
nombre de patients ou de nombre d’actes, ou encore sous forme de four-
chettes. Ils pouvaient être établis également en fonction du type d’activité de
soins concerné, certaines n’étant toutefois pas contingentées en volume,
comme l’ensemble des activités de soins assurées dans le cadre de l’hospi-
talisation à domicile.
Ce véritable système de quotas de production, qui prévoyait par ailleurs
des mécanismes de sanction en cas de non-atteinte ou de dépassement des
OQOS, a été supprimé par le décret n° 2012‑192 du 7  février 2012 relatif
aux objectifs quantifiés de l’offre de soins. Ce texte vient reprendre et modifier
la fixation des OQOS à travers la mise en œuvre du SROS, pour l’implan-
tation des activités de soins et des équipements matériels lourds autorisés. Il
s’agit de fixer leur implantation, leur accessibilité et leur volume d’activité.
Ainsi, le décret supprime la contrainte des volumes d’activité des établisse-
ments de santé établis par les dispositions antérieures, sans remettre en cause
le pilotage de l’offre de soins inscrit dans l’ordonnance du 4 septembre 2003.
L’ordonnance du 4 septembre 2003 viendra étendre et unifier les formules
de coopération sanitaire entre établissements publics et privés au moyen du
Groupement de coopération sanitaire (GCS), qui devient le cadre naturel des
coopérations et des réseaux de santé.
L’ordonnance n° 2005‑406 du 2 mai 2005 simplifiant le régime juridique
des établissements de santé vient rénover l’organisation hospitalière en moder-
nisant la gestion des établissements publics de santé. Ainsi, elle procède à
une modification de la gouvernance hospitalière en médicalisant la gestion
des hôpitaux par une responsabilisation accrue du corps médical, déclinant
ainsi les principes et les résultats de l’expérimentation développée dès la fin
de l’année 2002 dans le cadre du projet Hôpital 2007.
L’organisation médicale interne des établissements publics de santé est
simplifiée et adaptée à la réalité du fonctionnement de chaque établissement,
grâce à la création des « pôles d’activités » ou « pôles de soins », qui doivent
permettre le décloisonnement de l’hôpital. Cette nouvelle tentative de réforme
des services médicaux se révélera être un succès par la combinaison de

253
Partie 1. Les fondamentaux

la procédure expérimentale retenue sur le plan de la méthode, et la modification


du mécanisme d’allocation des ressources aux établissements publics de santé
reposant sur la tarification à l’activité (T2A). Les pôles sont dirigés par un
médecin, assisté d’un cadre de santé et d’un responsable administratif.
Le médecin chef de pôle reçoit une délégation de gestion, qu’il exerce
dans le cadre d’un contrat d’objectifs. La création des pôles d’activités cli-
niques et médico-techniques regroupant un ou plusieurs services médicaux
et unités fonctionnelles s’applique non seulement à l’organisation des soins
et au fonctionnement médical, mais elle s’étend de surcroît en 2005 aux
activités administratives et logistiques. Les établissements publics de santé
définissent librement leur organisation interne en pôles d’activité, créés par
le conseil d’administration sur la base du projet d’établissement. La dénomi-
nation, le nombre, la taille et la composition des pôles sont laissés au choix
de l’établissement. Sur le plan de la gouvernance stratégique des établisse-
ments publics de santé, l’ordonnance recentre le conseil d’administration
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
(CA) sur ses missions stratégiques, d’évaluation et de contrôle. Depuis la loi
Boulin du 31  décembre 1970, un dualisme fonctionnel a été mis en place,
associant le conseil d’administration, assemblée délibérante limitée à un
champ de compétence d’attribution, et le directeur, autorité exécutive des
délibérations du CA et dont le champ de compétence porte sur toutes les
questions n’entrant pas dans le champ d’attributions de l’assemblée délibé-
rante. Le CA conserve cette compétence d’attribution : « Le conseil d’admi-
nistration arrête la politique générale de l’établissement, sa politique
d’évaluation et de contrôle, et délibère après avis de la CME et du CTE…»
sur le périmètre de ses compétences défini depuis 1970.
L’ordonnance du 2 mai 2005 bouleverse fondamentalement le mode d’or-
ganisation de la gestion et du management des établissements publics de santé,
par la création du conseil exécutif, organe collégial et paritaire. Présidé par le
directeur, il associe à parité des membres représentant la direction et des
représentants des médecins, dont le président de la commission médicale d’éta-
blissement est membre de droit. Il constitue désormais la véritable structure
de pilotage de l’établissement ; l’ensemble des points examinés par l’assemblée
délibérante lui sont soumis préalablement. Cette nouvelle instance, qui sera
remplacée par le directoire dans la réforme de 2009, modifie à la fois les
attributions des différents organes décisionnels et consultatifs, et les modes
d’organisation et de relation fonctionnelle entre ces différentes autorités.
La CME est maintenue, mais se trouve impactée par la nouvelle organi-
sation des structures médicales avec la création des pôles d’activité. Ainsi,
l’« effacement » ou la suppression des services ou départements affecte la
CME dans sa composition ; la représentation des personnels médicaux au sein
de la CME s’articule sur un principe de parité entre les deux collèges des
chefs de service ou de département et des praticiens non chefs. Le CTE
demeure comme simple instance consultative ne disposant, contrairement à
la CME, d’aucune compétence « décisionnelle ».
La compréhension de l’ordonnance du 2  mai 2005 doit être éclairée
par la lecture de la loi n° 2003‑1199 du 18 décembre 2003 de financement

254
La lente maturation du système de santé en France

Partie 1. Chapitre 8.
de la Sécurité sociale pour 2004, qui, dans ses articles 22 à 34, décline la
loi organique relative aux lois de finances (LOLF) promulguée le 1er août
2001. Elle modifie en profondeur les modalités de financement des éta-
blissements de santé, en passant d’une logique d’attribution des moyens
à une logique de valorisation des résultats avec l’instauration de la
Tarification à l’activité (T2A). Jusqu’en 2003, les deux modalités de finan-
cement par l’assurance maladie distinguaient, d’une part, les établissements
publics de santé et les établissements privés à but non lucratif et, d’autre
part, les établissements hospitaliers à but lucratif. La T2A met en place
un mode unique de financement pour les activités de MCO (médecine,
chirurgie, obstétrique) pour l’essentiel.
Le plan Hôpital 2007, traduit dans les deux ordonnances du 4 septembre
2003 et du 2 mai 2005, repose à notre sens sur la mise en œuvre des principes
du New Public Management dans l’organisation du système de santé. Le
principe de responsabilisation des opérateurs et des acteurs du système de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
santé et sa traduction, par la généralisation de la contractualisation, constituent
l’apport majeur de cette réforme. Bien évidemment, la réforme du 2 mai 2005
a eu pour conséquence une transformation de la gouvernance interne des
établissements publics de santé, qui se trouvera finalisée dans la loi HPST
de 2009. Les outils de pilotage et de planification sont réformés, avec la
suppression de la carte sanitaire, l’instauration des objectifs quantifiés de
l’offre de soins et la création des territoires de santé.

Conclusion
Les réformes intervenues dans le champ de l’organisation du système
hospitalier, et plus généralement du système de santé, sont nombreuses, et
on assiste à une multiplication de celles-ci. L’accélération des réformes dans
le champ de la santé témoigne de la nécessité de faire évoluer le système de
santé afin qu’il réponde mieux aux défis qui s’imposent. En même temps,
cette accélération des réformes témoigne de la complexité et de la difficulté
de réformer ces activités à haute valeur sociale. De ce point de vue, la
contrainte financière et budgétaire, qui est devenue de plus en plus forte, ne
peut pas être considérée comme le seul levier utilisé pour mener des modi-
fications d’une telle ampleur. L’affirmation de la recherche d’une meilleure
qualité du système de santé, d’une maîtrise des risques et d’un développement
de la pertinence constitue les axes qui sont promus dans les réformes de notre
système de santé.
Par ailleurs, l’orientation globale du système, conçu initialement sur l’or-
ganisation de l’offre de santé, évolue vers le développement d’une réponse
cohérente aux besoins de santé de la population. Cela illustre l’adaptation
constante et permanente du système de santé en France.

255
Partie 1. Les fondamentaux

Points clés
• Le système de santé est affecté d’un cycle de réformes qui viennent de façon
récurrente modifier et corriger son organisation, sans abandonner deux prin-
cipes de base : la justice sociale et la lutte contre les inégalités sociales et terri-
toriales en santé.
• Les transformations du système de santé ont été marquées par l’évolution de
la conception de la place de l’État dans les politiques publiques et par la mise
en application dans ce secteur des principes relevant du New Public
Management. L’organisation et la structuration du système de santé se sont
développées sur la base initiale d’une séparation entre le sanitaire et le social et
le médico-social. Depuis une vingtaine d’années, le système de santé s’enrichit
d’une dimension intégrative, privilégiant l’axe de la prévention comme colonne
vertébrale.
• L’organisation, le pilotage du système de santé par l’État est conçu à l’origine
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
comme un objectif en lui-même. À partir des années 2000, les buts poursuivis
par le système de santé se recentrent vers la réponse aux besoins des usagers,
avec la création de véritables parcours de santé.
• La maîtrise de la qualité du système de santé et la réduction des risques sani-
taires liés à son fonctionnement, et plus généralement au développement des
risques sanitaires et sociaux, constituent désormais un axe central des politiques
de santé.

Pour en savoir plus


G. Chevillard, J. Mousques, « Accessibilité aux soins et attractivité territoriale : propo-
sition d’une typologie des territoires de vie français », Document de travail IRDES,
n° 76.
K. Chevreul et al., « France: Health System Review », France Health System Review,
vol. 17, n° 3. 2015.
CNAMTS, « Démographie des professionnels de santé libéraux : données annuelles par
région et par département », CNAMTS, 2019.
B. Madeline, N. da Silva, J.-P. Domin et al., Comment va la santé en France ?, La
Documentation française, coll. « Cahiers français », n° 408, janvier-février 2019.
P. Marin, « De la Stratégie nationale de santé à la loi Hôpital, patients, santé et terri-
toires, chronique d’une réforme inversée », Cahiers de la fonction publique, n° 342,
avril 2014, p. 78‑83.
P. Marin, « Le renversement du système de santé en France », Cahiers de la fonction
publique, n° 374, février 2017, p. 58‑63.
Chapitre 9
Administration de la santé : la France
Jacques Raimondeau, Philippe Marin

Objectifs pédagogiques du chapitre


Connaître :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  Les principes d’organisation de l’administration sanitaire française
–  Les facteurs d’évolution de cette administration
– Le rôle et l’organisation des directions d’administration centrale, des agences
sanitaires nationales et des ARS
–  La place de l’administration de la cohésion sociale

9.1. Le cadre général

En France, l’administration de la santé est essentiellement une adminis-


tration d’État. Certes, d’autres acteurs administratifs interviennent de façon
plus ou moins directe dans le domaine, comme les collectivités territoriales,
communes (hygiène publique), conseils départementaux (aide sociale à
l’enfance ou ASE, personnes âgées ou handicapées, protection maternelle
et  infantile ou PMI), conseils régionaux (développement économique, for-
mation, dans certains cas, actions facultatives dans le champ de la
prévention).
Au sein de l’État, c’est le ministère de la santé qui, naturellement,
assure l’essentiel des fonctions administratives, mais d’autres ministères
interviennent aussi, notamment ceux de l’éducation nationale (santé sco-
laire et universitaire), du travail (médecine du travail, fixation des condi-
tions de travail, protection des travailleurs), de la justice (détenus,
protection judiciaire de la jeunesse ou PJJ), de l’environnement, de l’agri-
culture et de l’alimentation (services vétérinaires, fixation de normes sani-
taires), de la défense (service de santé des armées). On n’oubliera pas le
rôle général joué par le ministère de l’intérieur (préfets), le ministère du
budget et, en matière de ressources humaines, le ministère de la fonction
publique.
L’administration sanitaire, au sens strict, est donc une administration
d’État, organisée autour du ministère de la santé.

257
Partie 1. Les fondamentaux

Cette entité s’est individualisée au sein de l’administration, assez récem-


ment par comparaison à d’autres départements ministériels, comme les
Finances, l’Intérieur, la Défense ou la Diplomatie.
C’est aussi une administration qui a connu des nombreuses refontes confi-
nant à une certaine instabilité. En effet, la loi du 15 février 1902 relative à
la protection de la santé publique place le centre de gravité de l’administration
sanitaire au niveau communal, avec des bureaux municipaux d’hygiène. Il
faut attendre les années 1920 pour qu’aboutisse le projet de créer un ministère
de la santé, à la suite des lacunes des administrations communales, de l’épi-
démie de grippe espagnole de 1918 et des conséquences de la Première Guerre
mondiale, notamment sur le plan démographique. Ce premier ministère de
l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociale naît du rapprochement
de services du ministère de l’intérieur (Direction de l’assistance et de l’hy-
giène publique) et du ministère du travail (Direction de la prévoyance sociale).
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
En fait, l’émergence de l’administration sanitaire de l’État sera progressive.
À la fin des années 1940, une organisation se stabilise, sur une base
départementale, avec une séparation entre une administration sanitaire
(Direction départementale d’hygiène) et une administration sociale (Direction
de la population).
À la fin des années 1950, une réflexion se fait, pour tenir compte de
l’évolution des enjeux en matière sanitaire et sociale (recul des maladies
infectieuses, développement économique), qui aboutit en 1964 à la création
d’une administration conjointe du sanitaire et du social, avec les directions
départementales de l’action (ultérieurement des affaires) sanitaire et sociale,
les DDASS.
Dans les années 1970, avec les premières inquiétudes à propos des dépenses
de santé, s’exprime le choix du niveau régional pour l’organisation de l’offre
de soins, avec la création des DRASS, directions régionales des affaires
sanitaires et sociales, qui absorbent les directions régionales de la Sécurité
sociale.
L’importance des DRASS croît jusqu’au milieu des années 1990, tandis
que les DDASS, dans le cadre des opérations de décentralisation des années
1980, perdent une partie de leurs missions historiques au profit des conseils
généraux (aujourd’hui, conseils départementaux), notamment l’ASE.
Les années 1990 marquent le début du processus d’« agencification » de
l’administration sanitaire, d’abord au niveau national puis, dès 1996, au niveau
régional, avec la création des agences régionales de l’hospitalisation (ARH).
La création des ARH correspondait à une étape de réorganisation partielle
de l’administration sanitaire, limitée au champ des établissements de santé
et qui ne pouvait suffire à faire face aux enjeux auxquels était confronté le
système de santé – lesquels impliquaient une administration plus globale.
Cette administration apparaîtra en 2010 avec les agences régionales de
santé (ARS), issues de la loi HPST de 2009, tandis que les agences nationales
prenaient une place croissante au fil des années. Ainsi l’administration sani-
taire française est-elle évolutive à la fois quant à ses champs de compétence

258
Administration de la santé : la France

Partie 1. Chapitre 9.
(relations entre l’État, les collectivités territoriales et la Sécurité sociale), son
organisation géographique (équilibre entre les niveaux départemental et régio-
nal) et ses modes d’organisation (services administratifs « classiques » ou
« agences »).
Aujourd’hui, l’administration sanitaire française présente deux caractéris-
tiques d’ensemble qui font sa spécificité :
–  Organisation à deux niveaux : national et régional, alors que le schéma
ordinaire de l’administration française comprend un troisième niveau, départe-
mental. Il existe aussi un niveau particulier, interrégional, la Zone, pour les
questions de défense et de sécurité sanitaire. Le niveau national comprend les
directions d’administration centrale et des agences sanitaires ; l’échelon régio-
nal est représenté par les ARS.
–  Organisation principalement à base d’établissements publics : agences
nationales et régionales de santé. Aujourd’hui, seules les directions d’adminis-
tration centrale (DAC) sont des services administratifs classiques.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Le cadre général d’action de l’administration sanitaire est fixé par la
Stratégie nationale de santé (SNS) et la politique de santé (➠ Chapitre 16).
La Stratégie nationale de santé française pour 2018‑2022 fait référence à
deux cadres supranationaux : la stratégie européenne en matière de santé et
la stratégie de l’OMS pour la région européenne (« Santé 2020 »).

9.2. Les directions d’administration centrale (DAC)


et le Haut Conseil de la santé publique (HCSP)

Les principales fonctions des DAC sont les suivantes :


–  la production normative, législative et réglementaire ;
–  la planification sanitaire (➠ Chapitre 11), soit en assurant directement une
fonction de planification nationale (plans nationaux, tels que le Programme
national nutrition santé, le plan Cancer, etc.) ou en fournissant les éléments de
cadrage aux planificateurs régionaux, les ARS ;
–  l’allocation de ressources, soit directement pour certaines activités ou
certains opérateurs nationaux, soit en répartissant globalement les crédits entre
régions, à destination des ARS ;
–  le pilotage de la mise en œuvre des politiques publiques et le pilotage ou
l’animation des opérateurs (dont les agences sanitaires) ;
–  la régulation, l’évaluation, le contrôle, soit directement (rôle de l­ ’Inspection
générale des affaires sociales ou IGAS, notamment), soit en planifiant les acti-
vités mises en œuvre en région ;
–  la gestion directe de certaines activités, le cas échéant.
L’administration centrale assure l’interface interministérielle (par exemple,
pour la Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens) et avec le
Parlement, notamment pour la préparation de la loi de finances (dans le cadre
de la loi organique relative aux lois de finances [LOLF]) et de la loi de
financement de la sécurité sociale (LFSS). La structure générale d’une DAC
est caractérisée par un découpage en sous-directions, elles-mêmes composées

259
Partie 1. Les fondamentaux

de bureaux, qui constituent les briques élémentaires, relativement stables, de


l’administration centrale. Le ministère de la santé comprend les DAC
suivantes.

9.2.1. Le Secrétariat général des ministères


chargés des affaires sociales (SGMAS)
Cette structure, relativement récente1, couvre plusieurs départements minis-
tériels : les solidarités, la santé, le travail, l’emploi, la formation professionnelle,
la famille, l’enfance, les droits des femmes, la ville, la vie associative.
Elle assure une fonction de coordination générale des composantes, natio-
nales et régionales, de l’administration sanitaire, notamment le pilotage des
ARS et de la mise en œuvre de la SNS.
Le SGMAS comprend quatre directions (ressources humaines ; finances,
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
achats et services ; systèmes d’information ; affaires juridiques), ainsi que
quatre délégations et services (affaires européennes et internationales ; infor-
mation et communication ; stratégie des systèmes d’information en santé ;
Haut fonctionnaire de défense et de sécurité).

9.2.2. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS)


L’IGAS est, avec l’Inspection générale de l’administration (IGA) et l’Ins-
pection générale des finances (IGF), l’une des trois inspections générales
interministérielles. Son champ de compétence comprend la santé, l’insertion
sociale, la protection sociale, les appels à la générosité publique, le travail,
l’emploi et la formation professionnelle.
Les principales activités de l’IGAS sont la réalisation d’inspections, d’audits
et d’évaluations, soit sur demande ministérielle, soit en auto-saisine. L’IGAS
assure aussi une fonction de référence et d’animation pour les inspections menées
dans les services déconcentrés et agences de son champ de compétence.

9.2.3. La Direction générale de la santé (DGS)


La DGS joue un rôle central dans l’élaboration et la mise en œuvre de la
politique de santé. Son action s’organise selon quatre grandes directions :
–  préserver et améliorer l’état de santé de la population ;
–  protéger la population des menaces sanitaires : veille et sécurité sanitaire ;
gestion des alertes et des situations sanitaires exceptionnelles2 ;

1. Décret n° 2013‑727 du 12 août 2013 portant création, organisation et attributions d’un secréta-
riat général chargé des affaires sociales.
2. Cette mission explique le rôle central joué par le Directeur général de la santé dans l’organisa-
tion de la réponse et la communication gouvernementale lors de l’épidémie d’infections à c­ oronavirus
Covid-19 en 2020.

260
Administration de la santé : la France

Partie 1. Chapitre 9.
–  garantir la qualité, la sécurité et l’égalité dans l’accès au système de santé :
réduction des inégalités sociales et territoriales de santé ; droits des malades et
des usagers ; démocratie sanitaire ; respect des règles de déontologie et préven-
tion des conflits d’intérêts ;
–  mobiliser et coordonner les partenaires, en assurant notamment la tutelle
des agences sanitaires et en contribuant au pilotage des ARS. Elle est impliquée
dans l’élaboration des textes ou l’examen des questions de santé au sein des
instances européennes et internationales.
Son organisation repose sur quatre sous-directions dévolues respectivement
à la santé des populations et à la prévention des maladies chroniques ; aux
produits de santé et à la qualité des pratiques et des soins ; à la prévention
des risques liés à l’environnement et à l’alimentation ; à la veille et à la
sécurité sanitaire (VSS).
Cette dernière sous-direction comprend le centre opérationnel de régulation
et de réponse aux urgences sanitaires et sociales, le CORRUSS, qui centralise
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
pour toute la France le recueil des alertes et assure la coordination des
réponses. De ce fait, la DGS constitue le Point focal national pour la mise
en œuvre des alertes internationales, en application notamment du Règlement
sanitaire international (➠ Chapitre  10) : cela signifie qu’elle constitue le
point d’entrée et de sortie des informations d’alerte sanitaire de niveau inter-
national. Elle est en relation étroite avec l’Agence nationale de santé publique
(ANSP, Santé publique France).

9.2.4. La Direction générale de l’offre de soins (DGOS)


L’action de la DGOS est orientée vers le versant organisation de soins de
la SNS (notamment la mise en œuvre des virages préventif, ambulatoire et
numérique ; ➠ Chapitre 16) et s’organise selon quatre grands axes :
–  promouvoir une approche globale et décloisonnée de l’offre de soins,
intégrant toutes ses composantes hospitalière et ambulatoire ;
–  définir la réponse la plus adaptée aux besoins de prise en charge des
patients et des usagers, tout particulièrement en vue de la mise en place des
parcours de santé et dans une logique de gradation des soins ;
–  renforcer la performance, la qualité et la sécurité de l’offre de soins dans
le respect de l’ONDAM ;
–  développer l’information sur les droits en matière de santé et prendre en
compte la place des usagers.
Son organisation repose sur quatre sous-directions, consacrées respecti-
vement à la régulation de l’offre de soins, au pilotage de la performance des
acteurs, aux ressources humaines du système de santé et, enfin, à la stratégie
et aux ressources.

261
Partie 1. Les fondamentaux

9.2.5. La Direction de la sécurité sociale (DSS)


L’action de la DSS s’organise autour de missions générales d’élaboration
et de mise en œuvre de la politique relative à la Sécurité sociale : assurance
maladie, accidents du travail et maladies professionnelles, retraite, famille,
dépendance, à la fois en matière de financement et de gouvernance. Il s’agit
en pratique d’assurer l’adéquation des prestations de sécurité sociale avec les
besoins de la population, tout en veillant à l’équilibre financier des régimes.
Elle prépare les lois de financement de la Sécurité sociale (LFSS).
La DSS a la particularité d’être rattachée au ministère des affaires sociales
et de la santé et au ministère de l’économie et des finances.
La DSS assure la tutelle de l’ensemble des organismes de sécurité sociale :
caisses du régime général, Mutualité sociale agricole (MSA) et caisses des
régimes spéciaux. Elle participe également à la surveillance des organismes
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de protection complémentaire et de la mutualité.

9.2.6. La Direction générale de la cohésion sociale (DGCS)


L’action de la DGCS est orientée vers les politiques publiques de solida-
rité, de développement social et de promotion de l’égalité. Cette direction est
compétente en matière de :
–  politique familiale ; protection de l’enfance et des personnes vulnérables ;
–  hébergement et accès au logement des personnes sans abri ou mal logées ;
–  autonomie des personnes handicapées et des personnes âgées ;
–  égalité entre les femmes et les hommes et promotion des droits des
femmes ;
–  prévention et lutte contre les exclusions et la pauvreté, inclusion sociale
et insertion des personnes en situation de précarité ;
–  économie sociale et solidaire ; promotion des innovations dans le
domaine ;
–  définition du cadre d’intervention des professionnels du secteur social et
médico-social et des organismes prestataires de services ;
–  financement des établissements et services sociaux et médico-sociaux.
La DGCS assure le suivi de l’ONDAM médico-social (➠ Chapitre 7).
Elle s’organise autour d’un service des politiques sociales et médico-
sociales (inclusion sociale, insertion, lutte contre la pauvreté, enfance, famille,
personnes âgées, personnes handicapées), d’un service des politiques d’appui
(budget, performance, affaires juridiques, professions sociales, animation ter-
ritoriale) et du service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes
et les hommes (SDFE).
La DGCS participe au pilotage de trois réseaux territoriaux : ARS (secteur
médico-social), directions chargées de la cohésion et de l’insertion sociale,
services des droits des femmes.

262
Administration de la santé : la France

Partie 1. Chapitre 9.
9.2.7. La Direction de la recherche, des études,
de l’évaluation et des statistiques (DREES)
Comme son nom le suggère, cette DAC a pour missions de :
–  produire des statistiques ;
–  réaliser des synthèses et études (par exemple, les comptes nationaux de
la santé, les comptes de la protection sociale, l’état de santé de la population en
France, la santé des femmes…) ;
–  contribuer à l’évaluation des politiques publiques ;
–  informer les professionnels et le public ;
–  soutenir la recherche.

9.2.8. Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP)


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Le HCSP n’est pas une DAC, mais, par commodité et en raison de son
positionnement institutionnel, rattaché à la DGS, nous l’évoquons à cette
place. Il a été créé par la loi relative à la politique de santé publique du 9 août
2004 et succède alors au Conseil supérieur d’hygiène publique de France
(datant de 1848) et au Haut Comité de la santé publique (1991).
C’est une instance d’expertise qui peut être consultée par le gouvernement,
par les présidents de commissions parlementaires et par le président de l’Of-
fice parlementaire d’évaluation des politiques de santé sur toute question
relative à la prévention, à la sécurité sanitaire ou à la performance du système
de santé.
Il a pour missions de :
–  contribuer à l’élaboration, au suivi et à l’évaluation de la SNS
(➠ Chapitre 11) ;
–  fournir aux pouvoirs publics une expertise technique en matière de
conception et d’évaluation de la politique de santé, et des actions qui en
découlent, ainsi que des éléments de réflexion prospective et des conseils sur
les questions de santé publique ;
–  contribuer à l’élaboration d’une politique de santé de l’enfant globale et
concertée.
Son organisation repose actuellement sur quatre commissions spécialisées
(maladies infectieuses et maladies émergentes ; maladies chroniques ; risques
liés à l’environnement ; système de santé et sécurité des patients) et deux
groupes de travail permanents (politique de santé de l’enfant globale et
concertée ; SNS et indicateurs).
Il édite la revue Actualités et dossiers en santé publique (ADSP).

263
Partie 1. Les fondamentaux

9.3. Les agences sanitaires nationales

9.3.1. Présentation générale


Le développement des agences dans le champ sanitaire est un phénomène
en cours depuis le début des années 1990 (création du Réseau national de santé
publique en 1992 et de l’Agence française du sang en 1994). Au début limité
à la veille et la sécurité sanitaires ainsi qu’à l’évaluation de la qualité des soins,
le processus s’est étendu à l’ensemble du champ de l’administration sanitaire,
avec une vingtaine d’opérateurs organisés selon des périmètres variables.

Tableau n° 1. Panorama des agences sanitaires nationales

Secteur administré Opérateurs


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Observation, veille et sécurité sanitaires  Agence nationale de santé publique (ANSP) ; attribu-
tions de l’ex-Institut de veille sanitaire [InVS] et de
l’ex-Établissement de préparation et de réponse aux
urgences sanitaires [EPRUS])
Agence nationale de sécurité du médicament et des
produits de santé (ANSM, ex-AFSSaPS)
Agence nationale de la sécurité sanitaire de l’alimenta-
tion, de l’environnement et du travail (ANSES)
Plateforme des données de santé
Prévention et thématiques de santé  ANSP (attributions de l’ex-Institut national de préven-
tion et d’éducation pour la santé [INPES])
Agence de la biomédecine (ABM)
Institut national du cancer (InCa)
Établissement français du sang (EFS)
Institut national de transfusion sanguine (INTS)
Institut national de recherche et de sécurité (INRS)
Autorité de sûreté nucléaire (ASN)
Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)
Gestion hospitalière, organisation et Haute Autorité de santé (HAS)
performance du système de soins  Centre national de gestion (CNG)
Agence nationale d’appui à la performance (ANAP)
Agence du numérique en santé (ANS), auparavant
Agence des systèmes d’information partages de santé
(ASIP)
Agence technique de l’information sur l’hospitalisation
(ATIH)
Recherche  Institut national de la santé et de la recherche médicale
(INSERM) 
Formation Agence nationale du développement professionnel
continu (ANDPC)
Indemnisation  Office national d’indemnisation des accidents médi-
caux (ONIAM), qui met à disposition et gère les moyens
humains des commissions de conciliation et d’indem-
nisation des accidents médicaux (CCI)

264
Administration de la santé : la France

Partie 1. Chapitre 9.
Les statuts de ces agences sont variables, essentiellement de trois types : grou-
pements d’intérêt public, établissements publics et autorités indépendantes.
Le développement de ces opérateurs correspond à une transformation
majeure de l’administration sanitaire ; elle trouve son origine dans plusieurs
phénomènes.
Une première cause est la survenue de crises dans le système de santé,
au premier rang desquelles on trouve l’affaire dite du « sang contaminé »
provoquée, dans les années 1980 par le retard fautif des pouvoirs publics à
mettre en œuvre des actions préventives de la contamination par le VIH et
qui eut des répercussions considérables sur les plans politique, judiciaire,
administratif et plus largement sociétal (➠ Chapitre 1).
De façon plus générale, il apparaît que la création d’opérateurs publics a
été le mode de réponse choisi pour faire face à toute une série d’enjeux
d’évolution du système de santé et de son administration. Ainsi, la création
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
d’agences renvoie à la volonté de développer une expertise (en épidémiologie,
avec l’ex-InVS, ou en informatique de gestion, avec l’ATIH, par exemple)
ou une fonction spécialisée (la gestion des praticiens hospitaliers ou des
directeurs d’hôpitaux, avec le CNG).
Une agence peut être aussi le lieu d’un transfert de responsabilité admi-
nistrative et juridique plus ou moins complet : le cas de l’ANSM est particu-
lièrement net à ce sujet3.
On peut aussi chercher à améliorer le fonctionnement de la relation entre
expert et décideur ; cela vaut tout particulièrement dans le secteur de la sécu-
rité sanitaire, où la séparation de l’expertise et de la décision administrative
est apparue comme un gage d’efficacité.
La création d’agences correspond aussi à une influence anglo-saxonne et
de l’Union européenne (➠ Chapitre 10).
Enfin, il ne faut pas omettre de signaler que le transfert des missions de
services administratifs traditionnels à des établissements publics ou à des
groupements d’intérêt public (GIP) permet de faire évoluer le fonctionnement,
notamment en matière de ressources humaines et de financement.
Le paysage des agences a déjà connu des recompositions : produits san-
guins, produits de santé, greffes et biomédecine, environnement. Il a encore
évolué récemment avec la création, dans le cadre de la loi de modernisation
de notre système de santé (LMSS), de l’Agence nationale de santé publique
(ANSP). Ce nouvel établissement public (qui utilise pour sa communication
le label Santé publique France) est issu du regroupement de l’InVS, de l’INPES
et de l’EPRUS, dont il reprend les différentes missions, activités et ressources.
On soulignera aussi que les instances dirigeantes de ces structures se sont
fréquemment enrichies au cours des années 2010 de conseils ou de commis-
sions consacrées d’une part à l’éthique et à la déontologie, d’autre part

3. Ainsi, dans l’affaire dite du Médiator®, pour ce qui est des administrations publiques, la seule
ANSM fut renvoyée devant le tribunal de grande instance de Paris pour y être jugée.

265
Partie 1. Les fondamentaux

au dialogue avec les usagers et la société, dans une perspective de démocratie


sanitaire.
On peut raisonnablement penser que le dispositif actuel évoluera encore
dans l’avenir sous l’influence de plusieurs enjeux, notamment :
–  La coordination entre agences. Le champ de compétence des agences est
en effet défini de façon variable. Il en résulte des zones de redondance ou, du
moins, de pluralité d’intervention. Ainsi, la prévention des cancers intéresse
l’InCa et l’ANSP ; l’ANSES et l’ANSM se rejoignent sur le médicament vété-
rinaire ; l’ANSP a une fonction d’observation qui s’étend à tout le système de
santé… Cette situation s’explique par l’émergence progressive du dispositif,
sans plan d’ensemble préexistant et parfois en réaction à des crises du système
de santé4. Aussi la coordination entre opérateurs doit-elle être renforcée. Il
existe un Comité d’animation du système d’agences (CASA), animé par la
DGS, qui exerce une action en ce sens. Le CASA regroupe actuellement autour
du DGS l’ABM, l’ANSM, l’ANSES, l’ASN, l’EFS, la HAS, l’InCA,
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
­l’INSERM, l’IRSN et l’ANSP. Par ailleurs, on remarque le développement de
la conclusion de conventions de partenariat entre agences pour cadrer l’articu-
lation de leurs interventions dans des domaines partagés ou complémentaires.
–  Le partage des rôles entre DAC et agences. En règle générale (avec l’ex-
ception notable des autorités indépendantes [HAS et ASN] et de l’ANSM), la
décision reste à la DAC, mais souvent l’expertise, l’information et les moyens
humains sont à l’agence, ce qui peut rendre les modalités historiques de pilotage
et de tutelle administrative délicates à appliquer.
–  Les relations avec les acteurs du secteur dont l’agence est chargée. Les
agences peuvent être amenées à développer des contacts étroits avec les entités
dont elles assurent l’administration, voire le contrôle. Par exemple, il est pos-
sible de constater des mobilités de personnes entre des entreprises et leur tutelle
administrative ; la maîtrise des flux d’informations peut être également problé-
matique. Cette situation est susceptible de provoquer des conflits d’intérêts.

9.3.2. L’Agence nationale de santé publique (ANSP),


Santé publique France
Créée par la loi n° 2016‑41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre
système de santé et l’ordonnance n° 2016‑462 du 14 avril 2016, l’ANSP est
un établissement public administratif qui regroupe trois agences qui existaient
antérieurement : l’InVS, l’INPES et l’EPRUS.
L’organisation de l’ANSP comprend, outre la direction générale, dix direc-
tions scientifiques et transversales : alerte et crise, communication et dialogue
avec la société, prévention et promotion de la santé, aide et diffusion aux publics,
maladies infectieuses, maladies non transmissibles et traumatismes, régions,
santé-environnement, santé-travail, mission scientifique et internationale.

4. La transformation de l’AFSSaPS en ANSM en 2012, à la suite de l’affaire du Mediator®, en est


un exemple.

266
Administration de la santé : la France

Partie 1. Chapitre 9.
L’ANSP est gouvernée par un conseil d’administration, un conseil scientifique,
un comité d’éthique et de déontologie et un comité d’orientation et de dialogue.
Cette dernière instance a pour mission d’étudier les attentes de la société en
matière de questions de santé publique.
En région, l’agence dispose d’un réseau d’antennes, les cellules d’inter-
vention en région (CIRE). Le dispositif compte 15 CIRE, 12 métropolitaines
et trois ultramarines (Antilles, Guyane, océan Indien). Les CIRE fournissent
aux ARS un appui méthodologique. Elles animent la veille sanitaire en région.
Le champ de compétence de l’ANSP s’étend à l’ensemble des problèmes
de santé :
–  l’observation épidémiologique et la surveillance de l’état de santé des
populations ;
–  la veille sur les risques sanitaires ;
–  la promotion de la santé et la réduction des risques pour la santé ;
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  le développement de la prévention et de l’éducation pour la santé ;
–  la préparation et la réponse aux menaces, alertes et crises sanitaires ;
–  le lancement de l’alerte sanitaire.
En découle un ensemble d’activités qui peuvent être regroupées en trois
domaines principaux :

Observation, surveillance, veille et alerte


Ce secteur recouvre :
–  la surveillance et l’observation permanentes de l’état de santé de la popu-
lation, en s’appuyant sur un réseau de partenaires publics et privés (Réseau
national de santé publique) ;
–  la veille et la vigilance sanitaires, qui, à partir d’une mise à jour régulière
des connaissances sur les risques sanitaires a pour but de détecter des facteurs
de risque susceptibles d’altérer la santé de la population et d’organiser la sur-
veillance des populations les plus fragiles ou particulièrement exposées ;
–  l’alerte sanitaire, conséquence de l’activité de veille, qui consiste à infor-
mer et conseiller les autorités publiques et tout particulièrement le ministre
chargé de la santé en cas de menace pour la santé de la population.

Promotion de la santé, prévention, éducation pour la santé


Ce secteur recouvre :
–  la mise en œuvre de programmes de santé publique ;
–  l’expertise et le conseil en matière de prévention et de promotion de la santé ;
–  le pilotage du développement de l’éducation pour la santé et l’élaboration
des programmes de formation à l’éducation à la santé.

Préparation et réponse aux urgences sanitaires


Cette activité de réponse à des situations urgentes a été déployée par
exemple lors de l’accident nucléaire de Fukushima, au Japon, du séisme

267
Partie 1. Les fondamentaux

en Haïti, du plan Grand froid en France métropolitaine, d’une épidémie de


dengue en Guyane, en appui lors de conflits en Libye ou en Côte d’Ivoire,
et à l’occasion de l’épidémie d’infections à coronavirus Covid-19.
Ce champ mobilise en fait les trois pôles d’activités de l’ANSP car l’ob-
servation de la santé, la veille, l’alerte, ainsi que la prévention et la promotion
de la santé peuvent contribuer à la gestion des situations urgentes ou excep-
tionnelles ayant des conséquences sanitaires collectives. L’ANSP développe
plus spécifiquement deux activités dans ce domaine :
–  La gestion de la réserve sanitaire, qui est constituée de professionnels de
santé en activité, retraités ou étudiants, mais aussi plus largement de personnes
œuvrant dans le champ sanitaire (ingénieurs, cadres administratifs des hôpitaux
ou du ministère de la santé, psychologues, vétérinaires…). La réserve est sus-
ceptible d’intervenir en France ou à l’étranger, soit sous forme d’interventions
ponctuelles, soit dans le cadre de missions de renfort, plus prolongées. L’ANSP
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
assure des activités de recrutement, de formation, de préparation et de gestion
opérationnelle.
–  Une activité d’établissement pharmaceutique, notamment respon-
sable de la gestion d’un stock stratégique national de produits de santé mobi-
lisable en cas de situation exceptionnelle, par exemple la survenue d’une
pandémie grippale (➠ Chapitre 15). L’ANSP peut aussi gérer des stocks
limités de certains produits sensibles afin d’assurer la permanence des appro-
visionnements hospitaliers (par exemple, médicament utilisé rarement mais
en urgence et fabriqué uniquement à l’étranger). L’ANSP a donc la capacité
d’acheter, stocker, distribuer, mais aussi d’importer ou de fabriquer des médi-
caments.

9.3.3. L’Agence nationale de sécurité du médicament


et des produits de santé (ANSM)
Créée par la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la
sécurité sanitaire des médicaments et des produits de santé, l’ANSM s’est
substituée le premier mai 2012 à l’Agence française de sécurité sanitaire des
produits de santé (AFSSaPS).
Établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère des
affaires sociales et de la santé, il a repris les missions, droits et obligations
de l’ex-AFSSaPS. Son organisation comprend un conseil d’administration et
un conseil scientifique ainsi qu’une direction générale, aux larges attributions
et dotée de pouvoirs de police sanitaire.
Son champ d’intervention est vaste et comprend :
–  les médicaments, y compris les médicaments dérivés du sang, les vaccins,
les produits homéopathiques à base de plantes et de préparations, les prépara-
tions magistrales et hospitalières. Les médicaments sont suivis tout au long de
la chaîne pharmaceutique, depuis les matières premières jusqu’à la dispensation
aux patients, donc avant et après leur mise sur le marché (autorisation de mise
sur le marché [AMM]) ;

268
Administration de la santé : la France

Partie 1. Chapitre 9.
–  les produits biologiques : organes, tissus, cellules utilisées à des fins thé-
rapeutiques ; produits de thérapie cellulaire et génique ; produits sanguins
labiles, etc. ;
–  les dispositifs médicaux : matériels divers utilisés en matière de thérapeu-
tique, diagnostic, y compris les logiciels médicaux ;
–  les produits cosmétiques et de tatouage ;
–  les autres produits de santé : biocides, produits diététiques médicaux (avec
des compétences partagées avec l’ANSES).
Sur cet ensemble, l’ANSM exerce, soit dans un cadre national, soit dans
le cadre de l’Union européenne (➠ Chapitre 15) les activités suivantes :
–  évaluation scientifique et technique de la qualité, de l’efficacité et de la
sécurité d’emploi des produits de santé ;
–  surveillance des effets indésirables des produits de santé ;
–  inspection des établissements de fabrication, d’importation, de distribu-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tion, de pharmacovigilance et d’essais cliniques ;
–  contrôle des produits circulant sur le marché ;
–  information des patients, des professionnels de santé et du public en géné-
ral dans son champ de compétence.
Le directeur général de l’ANSM dispose d’importants pouvoirs de police
sanitaire, qu’il exerce au nom de l’État ; ce qui traduit un transfert à l’agence
de l’essentiel des prérogatives de sécurité sanitaire dans le champ des produits
de santé et des dispositifs médicaux :
–  délivrance, retrait ou suspension d’autorisation de mise sur le marché
(AMM) ;
–  autorisation d’essais cliniques ;
–  autorisation temporaire d’utilisation (ATU) nominative d’un médicament
et ATU collective ; recommandations temporaires d’utilisation de spécialités
pharmaceutiques (➠ Chapitre 15) ;
–  libération de lots de vaccins et de produits dérivés du sang ;
–  retrait de produits ou de lots ;
–  interdiction de dispositifs médicaux sur le marché ;
–  autorisation d’importation ;
–  autorisation préalable ou interdiction de publicité…

9.3.4. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation,


de l’environnement et du travail (ANSES)
Créée par l’ordonnance n° 2010‑18 du 7 janvier 2010, l’ANSES résulte
de la fusion de deux agences sanitaires, l’Agence française de sécurité sani-
taire des aliments (AFSSA) et l’Agence française de sécurité sanitaire de
l’environnement et du travail (AFSSET).
Établissement public administratif, placé sous la tutelle des ministères
chargés de la santé, de l’agriculture, de l’environnement, du travail et de la
consommation. Elle comprend une direction générale, un conseil d’adminis-
tration et un conseil scientifique. Elle dispose de laboratoires de référence.

269
Partie 1. Les fondamentaux

Son organisation est fondée sur une logique de séparation des fonctions
d’évaluation de risque et d’expertise, qui sont les siennes, de celles de la
gestion des risques assurée par les autorités compétentes. À ce titre, son rôle
dans le système de santé diffère substantiellement de celui de l’ANSM.
L’ANSES intervient dans les domaines de la sécurité du travail, de l’en-
vironnement, de l’alimentation, de la santé et du bien-être des animaux, de
la santé des végétaux.
En santé humaine, l’agence évalue l’ensemble des risques auxquels les
individus peuvent être exposés dans son champ de compétence, ainsi que les
propriétés nutritionnelles et sanitaires des aliments.
Elle est aussi compétente en matière de médicament vétérinaire (l’ANSES
intègre en son sein l’Agence nationale du médicament vétérinaire) et elle
assure l’évaluation, avant leur mise sur le marché, des produits phytophar-
maceutiques, des pesticides et des biocides, ainsi que des produits chimiques
visés par la réglementation européenne REACh, notamment des fertilisants
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
et supports de culture (➠ Chapitre 10).
Elle mène des activités de veille sanitaire et de vigilance (notamment
nutrivigilance et phytopharmacovigilance) et peut, le cas échéant, déclencher
une alerte.
L’ANSES assure aussi l’information et l’appui scientifique et technique
aux autorités compétentes en matière de gestion des risques, et propose des
mesures de gestion, en urgence ou à froid. Elle conçoit, met en œuvre et
finance des programmes de recherche.

9.3.5. L’Agence de la biomédecine (ABM)


Créée par la loi n° 2004‑800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, elle
a succédé à l’Établissement français des greffes (EFG). L’ABM répond à
l’organisation habituelle des agences nationales, autour d’une direction géné-
rale, d’un conseil d’administration et de son conseil d’orientation scientifique
et éthique.
L’ABM est organisée aux niveaux national et régional. En région, dans
le domaine du prélèvement et de la greffe, son action passe par un réseau
constitué de quatre services de régulation et d’appui (SRA), couvrant aussi
l’outre-mer et dont la mission est notamment d’assurer l’équité d’accès aux
greffons entre les territoires.
Dans le cadre de la loi de bioéthique, l’ABM exerce ses missions dans
un champ couvrant les activités de :
–  prélèvement et greffe d’organes, de tissus et de cellules souches hémato-
poïétiques (à l’origine des cellules sanguines) ;
–  assistance médicale à la procréation (AMP) ;
–  diagnostic prénatal, préimplantatoire et génétique ;
–  recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines et l’embryon
humain.
Depuis la loi de bioéthique n° 2011‑814 du 7 juillet 2011, l’ABM est
aussi compétente dans le champ des neurosciences.

270
Administration de la santé : la France

Partie 1. Chapitre 9.
Les principales activités de l’ABM sont :
–  le contrôle (inspection) et l’évaluation des activités médicales et biolo-
giques relevant de sa compétence ;
–  la mise en œuvre des dispositifs de biovigilance pour l’AMP, la greffe et
le prélèvement, le lait maternel ;
–  la participation à l’élaboration, l’évolution et l’application de la réglemen-
tation de ces activités ;
–  la mise en œuvre de la réglementation et l’accompagnement des profes-
sionnels de santé concernés ;
–  l’agrément des praticiens pour le diagnostic préimplantatoire et le dia-
gnostic génétique ;
–  la gestion de la liste nationale des malades en attente de greffe, du registre
national des refus au prélèvement d’organes, du registre national des donneurs
volontaires de moelle osseuse et du registre national des tentatives de féconda-
tion in vitro ;
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  la promotion du don d’organes ou de gamètes.

9.3.6. L’Institut national du cancer (InCa)


Il a été créé par la loi n° 2004‑803 de santé publique du 9 août 2004 et est
placé sous la double tutelle des ministères de la santé et de la recherche. Son
statut juridique est celui d’un groupement d’intérêt public (GIP) réunissant de
nombreux partenaires : les ministères de la santé et de la recherche, les caisses
nationales d’assurance maladie (CNAM), le CNRS, l’INSERM, la Fédération
hospitalière de France (FHF), la Fédération des établissements hospitaliers et
d’aide à la personne (FEHAP), la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP),
la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer, la Ligue contre
le cancer, l’Association pour la recherche contre le cancer, etc.
Son organisation repose sur un conseil d’administration, un conseil scien-
tifique international, un comité de déontologie et d’éthique, un comité d’audit
et un comité des usagers et des professionnels.
Ses activités touchent à la fois aux soins, à la recherche et à la santé
publique, et s’organisent selon les axes suivants :
–  coordonner les actions de lutte contre les cancers – l’InCa est donc forte-
ment impliqué dans la mise en œuvre du plan Cancer et participe à l’applica-
tion de la Stratégie nationale de santé 2018‑2022 et de la Stratégie nationale de
recherche pour 2020 ;
–  initier et soutenir l’innovation scientifique, médicale, technique et orga-
nisationnelle ; cela se fait par le biais de l’organisation d’appels à projets, seule
ou en partenariat, ainsi que par la gestion du Programme hospitalier de recherche
clinique en cancérologie (PHRC-K), du Programme de recherche médico-
économique en cancérologie (PRME-K) et du Programme de recherche trans-
lationnelle5 en cancérologie (PRT-K) ;

5. La recherche translationnelle vise à faciliter et à accélérer le transfert des résultats de la recherche


fondamentale vers la recherche appliquée et les mises en œuvre opérationnelles au bénéfice des patients.

271
Partie 1. Les fondamentaux

–  concourir à la structuration d’organisations (notamment organisation des


dépistages) et contribuer à l’élaboration de textes normatifs dans le champ des
cancers (par exemple, textes réglementant les autorisations administratives ou
l’organisation des réseaux de cancérologie, cahiers des charges pour le dépis-
tage organisé…) ;
–  produire, analyser et évaluer des données ; produire des expertises (recom-
mandations nationales, référentiels…) ;
–  favoriser l’appropriation des connaissances et des bonnes pratiques et
conseils aux patients.
Dans le champ spécifique de la santé publique, l’InCA s’intéresse parti-
culièrement à l’amélioration de la connaissance des facteurs de risque des
cancers, la promotion de comportements favorables à la réduction de la sur-
venue des cancers évitables, l’optimisation des stratégies de dépistage, notam-
ment en tenant compte des niveaux de risque présentés par les personnes
(➠ Chapitre 12).
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
9.3.7. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN)
L’ASN est une autorité administrative indépendante6 créée par la loi
n° 2006‑686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en
matière nucléaire (codifiée dans le Code de l’environnement, et non dans
celui de la santé publique). Sont concernées toutes les activités du secteur
du nucléaire : installations de production d’électricité (centrales nucléaires),
autres installations industrielles (retraitement…), activités de recherche, uti-
lisations médicales (thérapeutiques ou diagnostiques, hospitalières ou en
ambulatoire), transport de matière radioactive, traitement des déchets, déman-
tèlement d’installation.
Les missions de l’ASN sont de trois ordres et peuvent s’exercer en routine
ou en situation d’urgence radiologique :
–  élaborer la réglementation en matière nucléaire, soit par formulation
d’avis, soit par prise directe de décisions réglementaires à caractère technique
(sauf en matière de médecine du travail) ;
–  contrôler le respect des règles auxquelles sont soumises les installations
ou activités nucléaires ;
–  informer le public.
L’ASN agit dans le cadre à la fois de la santé publique et de la sécurité
civile. Son action s’appuie sur un réseau de 11 divisions régionales.

6. Les autorités administratives indépendantes sont des structures de l’État chargées d’assurer la
régulation d’un secteur d’activité dans lequel l’État souhaite éviter d’intervenir directement. Elles
sont apparues la première fois dans la loi du 6 janvier 1978 à l’occasion de la création de la Com-
mission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Elles échappent au cadre administratif
général et ne sont pas soumises à l’autorité d’un ministre. Elles peuvent en revanche être contrôlées
par le gouvernement et le Parlement.

272
Administration de la santé : la France

Partie 1. Chapitre 9.
9.3.8. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)
Créé en 2001, c’est un établissement public industriel et commercial, sous
la tutelle de cinq ministères (Environnement, Économie, Défense, Recherche
et Santé). Il exerce des fonctions d’expertise et de recherche dans l’ensemble
du champ de la sécurité des rayonnements ionisants et assure un appui tech-
nique à l’ASN.

9.3.9. L’Établissement français du sang (EFS)


L’EFS est l’unique opérateur de la transfusion sanguine en France, hors
secteur militaire. Il a le monopole du prélèvement, de la préparation, de la
qualification biologique et de la distribution, aux établissements de santé, des
produits sanguins labiles7 (PSL). Par ailleurs, il réalise de nombreuses ana-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
lyses de biologie médicale et fabrique des produits de thérapie cellulaire ou
tissulaire. Il met en œuvre aussi des consultations dans des centres de soins
pour maladies sanguines.

9.3.10. L’Institut national de la transfusion sanguine (INTS)


Organisé sous forme d’un groupement d’intérêt public, il assure des fonc-
tions de référence, de recherche et de formation dans le champ de la sécurité
transfusionnelle, la prévention des risques et l’adaptation de la transfusion
aux évolutions scientifiques et techniques. Il est le siège du Centre national
de référence pour les groupes sanguins et du Centre national de référence
des risques infectieux transfusionnels.

9.3.11. L’Institut national de recherche et de sécurité


pour la prévention des accidents du travail
et des maladies professionnelles (INRS)
C’est une association relevant de la loi de 1901 créée en 1947. L’institut
est géré paritairement par des représentants des employeurs et des salariés. Il
intervient dans le champ de la prévention des risques professionnels (recherche,
conseil aux entreprises, formation et information princi­palement).

7. Selon l’ANSM, « les produits sanguins labiles sont des produits issus du sang d’un don-
neur, destinés à être transfusés à un patient. Il s’agit notamment du sang total, du plasma et des
cellules sanguines d’origine humaine. Parmi ces produits, on distingue les produits autologues,
destinés au donneur lui-même, des produits homologues, destinés à une autre personne que le
donneur ».

273
Partie 1. Les fondamentaux

9.3.12. L’Institut national de la santé et de la recherche médicale


(INSERM)
L’INSERM est un établissement public à caractère scientifique et techno-
logique créé en 1964 et placé sous la double tutelle du ministère de la santé
et du ministère de la recherche. Son organisation répond à une logique de
partenariat très étroit avec les établissements de recherche publics ou privés,
ainsi qu’avec les établissements de santé (environ 80 % des unités de recherche
sont implantées dans les centres hospitaliers régionaux et universitaires ou
les centres de lutte contre le cancer).
Ses missions sont essentiellement :
–  la coordination stratégique, scientifique et opérationnelle de la recherche
biomédicale française ; cette coordination passe par le biais de neuf instituts
thématiques (dont un institut de santé publique8) ainsi que par la participation
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de l’INSERM à l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé
(AVIESAN), dont il codirige certains des instituts thématiques ;
–  l’expertise et la veille scientifiques ;
–  la promotion de la recherche aux niveaux européen et international ;
–  la diffusion des connaissances, notamment des résultats des « expertises
collectives » qu’elle réalise sur des sujets d’actualité.
L’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales
(ANRS) existe depuis 1988 et est aujourd’hui une agence autonome de l’IN-
SERM. Elle a pour missions l’animation, l’évaluation, la coordination et le
financement des programmes de recherche sur l’infection par le VIH et les
hépatites virales, dans tous les domaines concernés : recherche fondamentale,
recherche clinique, épidémiologie, sciences humaines et sociales, recherche
en santé publique, recherche vaccinale.
L’ANRS finance des projets de recherche et fédère en France un réseau
de chercheurs de disciplines diverses. À l’étranger, l’agence mène des actions
dans une vingtaine de pays (notamment Brésil, Vietnam, Cambodge, Égypte
ainsi que dans l’Afrique de l’Ouest).

9.3.13. La Haute Autorité de santé (HAS)


Créée par la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie. Elle a
intégré au 1er avril 2018 les activités de l’Agence nationale de l’évaluation
et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux
(ANESM). La HAS est une autorité publique indépendante à caractère scien-
tifique, dont la gouvernance est assurée par un collège de sept personnes et
qui comporte huit commissions spécialisées : certification des établissements

8. L’institut thématique de santé publique intervient tout particulièrement dans trois domaines : le
fonctionnement et la gestion du système de santé ; les politiques publiques et de santé et leur impact
sur la santé ; les politiques de prévention dans des domaines où dominent les déterminants comporte-
mentaux de la santé (drogues, nutrition).

274
Administration de la santé : la France

Partie 1. Chapitre 9.
de santé, commission de la transparence (➠ Chapitre 15), évaluation écono-
mique et de santé publique, évaluation des dispositifs médicaux et des tech-
nologies de santé, secteur social et médico-social, vaccinations, impact des
recommandations, « recommandations, pertinence, parcours et indicateurs ».
La HAS mobilise aussi environ 2 500 experts et collaborateurs extérieurs, pour
les procédures de certification et d’accréditation notamment (➠ Chapitre 13).
Ses missions principales sont (art. 161‑37 et suiv. du CSP) :
–  l’évaluation médicale, économique et de santé publique des produits,
actes, prestations et technologies de santé, en vue de leur remboursement ;
–  l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, notamment par des
activités de certification des établissements de santé et d’accréditation
des ­médecins et des équipes médicales ;
–  l’amélioration de la qualité des accompagnements médico-sociaux,
notamment par des activités d’évaluation (recommandations et référentiels de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
bonnes pratiques, habilitation des organismes évaluateurs externes) ;
–  l’information des publics : professionnels de santé, institutions sanitaires,
usagers (pour ces derniers, tout particulièrement depuis 2011) ;
–  l’aide à la décision des pouvoirs publics.
À ces divers titres, la HAS établit des recommandations de bonne pratique
clinique, des recommandations de santé publique (vaccination, par exemple),
élabore des indicateurs de qualité et de sécurité des soins, réalise des études
médico-économiques, des guides de prise en charge à destination des profes-
sionnels et des patients, certifie la visite médicale, certifie les logiciels d’aide
à la prescription et participe à l’amélioration de la qualité de l’information
médicale dans les médias.

9.3.14. L’Agence nationale d’appui à la performance


des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP)
L’ANAP a été instituée par la loi n° 2009‑879 du 21 juillet 2009 (HPST).
L’ANAP est un GIP, avec à sa tête un directeur général, et est dotée d’un
conseil d’administration associant l’État, l’Assurance maladie, la Caisse
nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et les fédérations repré-
sentatives des établissements, ainsi que d’un conseil scientifique et d’orien-
tation. Sa mission générale est d’apporter un appui aux établissements de
santé et médico-sociaux afin d’améliorer leur performance. Cette mission
nécessite une articulation forte et permanente avec les ARS.
L’ANAP assure donc les activités suivantes :
–  conception et diffusion d’outils et de services permettant aux établisse-
ments de santé et médico-sociaux d’améliorer leur performance et, en parti-
culier, la qualité de leur service aux patients et aux personnes ;
–  appui et accompagnement des établissements, notamment dans des situa-
tions de transformation ou de redressement ;
–  évaluation, audit et expertise de projets, notamment dans les domaines
immobilier et des systèmes d’information ;

275
Partie 1. Les fondamentaux

–  pilotage et conduite d’audits sur la performance des établissements ;


–  appui aux ARS dans leur mission de pilotage et d’amélioration de la per-
formance des établissements ;
–  appui à l’administration centrale dans sa mission de pilotage de l’offre de
soins et médico-sociale.

9.3.15. L’Agence du numérique en santé (ANS)


L’ANS, anciennement Agence des systèmes d’information partagés de
santé (ASIP), a pour objet de créer les conditions du développement des ­systèmes
d’information, des services ou outils numériques utilisés dans le cadre de la
prise en charge sanitaire et du suivi social et médico-social des usagers du
système de santé, pour la coordination des actions des professionnels y concou-
rant, ainsi que pour la télésanté, la recherche, le dépistage et la prévention, la
veille et l’alerte sanitaires9. Elle mène notamment les activités suivantes :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  réalisation de systèmes d’information en santé, labellisation de logiciels ;
–  réalisation et déploiement du Dossier médical partagé (DMP) ;
–  gestion du Répertoire partagé des professionnels intervenant dans le sys-
tème de santé (RPPS), maîtrise d’ouvrage et gestion d’annuaires et de référen-
tiels nationaux ;
–  déploiement et gestion de la Carte de professionnel de santé (CPS) ;
–  accompagnement et encadrement des initiatives publiques et privées dans
le champ des systèmes d’information (SI) sanitaires.

9.3.16. L’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation


(ATIH)
Cet établissement public administratif de l’État créé par le décret
n° 2000‑1282 du 26 décembre 2000 a vu son champ de compétence étendu
aux secteurs social et médico-social en 2015 et joue un rôle central dans la
mise en œuvre du Programme de médicalisation du système d’information
(PMSI) (➠ Chapitre 4). Pour accomplir ses missions, l’ATIH :
–  collecte et analyse des données médicales, économiques et organisation-
nelles sur les établissements de santé ;
–  assure la maintenance et l’évolution des classifications et nomenclatures
de santé10 ;
–  réalise des études économiques, notamment sur le suivi des coûts hospitaliers ;
–  participe au processus de financement des établissements et notamment cal-
cule les tarifs et les coûts de prestation et contribue ainsi à l’allocation de res-
sources.

9. Arrêté du 19 décembre 2019 portant approbation d’un avenant modifiant la convention constitu-
tive du groupement d’intérêt public « Agence nationale des systèmes d’information partagés de santé ».
10. Il s’agit notamment de la Classification internationale des maladies (CIM), de la Classification
commune des actes médicaux (CCAM), du Catalogue spécifique des actes de rééducation et de réa-
daptation (CSARR).

276
Administration de la santé : la France

Partie 1. Chapitre 9.
9.3.17. Le Centre national de gestion (CNG)
Établissement public administratif sous tutelle du ministre de la santé,
créé en 2007, le CNG a pour missions :
–  la gestion statutaire et le développement des ressources humaines pour
les praticiens hospitaliers (PH) et les directeurs de la fonction publique hospi-
talière (secteurs sanitaire, social et médico-social) ;
–  l’organisation des concours nationaux administratifs et médicaux ;
–  le conseil aux établissements.

9.3.18. L’Agence nationale du développement professionnel


continu (ANDPC)
Cette agence est un GIP constitué paritairement entre l’État et l’Union
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM), créé par la loi de moder-
nisation de notre système de santé de janvier 2016. Sa mission est le pilotage
du dispositif de DPC pour l’ensemble des professionnels de santé, hospitaliers,
salariés non hospitaliers et libéraux. Le DPC est une obligation légale qui
porte à la fois sur la formation continue et l’évaluation des pratiques profes-
sionnelles (➠ Chapitre 13).

9.3.19. Plateforme des données de santé (Health Data Hub)


GIP créé par la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation
et la transformation du système de santé (LOTSS), il succède à l’Institut
national des données de santé, issu de la loi de modernisation de notre système
de santé de 2016 (➠ Chapitre 4). Il est constitué entre l’État, des organismes
représentatifs des malades et des usagers du système de santé, des producteurs
de données de santé et des utilisateurs publics et privés de ces données, dont
les organismes de recherche, il intervient dans le cadre de la mise en œuvre
du Système national des données de santé (SNDS), dont il constitue le point
d’entrée unique pour les utilisateurs. Il a pour missions :
–  de veiller à la qualité des données de santé et aux conditions générales de
leur mise à disposition, afin de garantir leur sécurité et de faciliter leur utilisation
dans le respect de la loi n° 78‑17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique,
aux fichiers et aux libertés ; notamment de faciliter la mise à disposition
d’échantillons ou de jeux de données agrégées ;
–  d’assurer la réception et le suivi des demandes d’accès aux données du
SNDS et d’émettre un avis sur le caractère d’intérêt public de ces demandes ;
–  de contribuer à l’expression des besoins en matière de données anonymi-
sées et de résultats statistiques, en vue de leur mise à la disposition du public.

277
Partie 1. Les fondamentaux

9.4. Les agences régionales de santé (ARS)

9.4.1. Contexte de création


Les ARS ont été créées par le titre IV de la loi n° 2009‑879 du 21 juil-
let 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux
territoires (HPST).
L’apparition des ARS se situe dans un contexte marqué par la rencontre de
courants à l’œuvre depuis plusieurs années dans le système de santé français :
–  une volonté de territorialisation pour rapprocher la décision publique de
son point d’application, avec le choix du niveau régional comme niveau prin-
cipal de la planification sanitaire ;
–  une globalisation de l’approche de santé permettant de prendre en compte
de façon articulée la prévention, le soin curatif, la réadaptation, la sécurité sani-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
taire, etc., dans les secteurs ambulatoire, hospitalier et médico-social ;
–  un impératif de maîtrise des dépenses de santé, dans une perspective plus
large de contrôle de la dépense publique ;
–  une dynamique de contractualisation et de responsabilisation des acteurs
– à ce titre, la loi HPST a organisé une cascade de contrats d’objectifs et de
moyens (COM ou CPOM lorsqu’ils sont pluriannuels) au sein du système de
santé, partant du niveau national et allant jusqu’au sein des établissements ;
–  le développement de la démocratie sanitaire ;
–  le renforcement de l’articulation entre l’État et l’assurance maladie, la loi
de modernisation de 2016 allant jusqu’à parler d’« alignement stratégique de
l’assurance maladie sur l’État ».
Par ailleurs, la création des ARS est aussi une manifestation de la volonté
politique de réorganiser les services de l’État et d’en renouveler le
management11.

9.4.2. Organisation et missions


Les ARS ont été conçues comme les acteurs centraux du système de santé
au niveau de la région. Établissements publics de l’État, elles sont chargées
de la déclinaison et de la mise en œuvre régionale de la politique nationale
de santé, afin de veiller à la gestion efficiente des dispositifs sanitaire, social
et médico-social. Pour ce faire, elles ont été dotées d’un champ de compétence
très étendu incluant l’organisation des soins, la veille et la sécurité sanitaire,
la prévention, dans les secteurs sanitaire (hospitalier et ambulatoire) et
médico-social. L’objectif est de parvenir à une approche décloisonnée et
globale des questions de santé, pour faire face notamment aux enjeux induits
par le vieillissement de la population et le développement des maladies
chroniques.

11. La période de création des ARS est celle de la politique de Révision générale des politiques
publiques (RGPP), entre 2007 et 2012.

278
Administration de la santé : la France

Partie 1. Chapitre 9.
Il faut noter que les ARS réalisent effectivement pour la première fois
l’unification du pilotage des questions de santé au niveau régional. Cette
opération a eu deux conséquences : la séparation de l’administration sanitaire
de l’administration sociale (localisée dans des directions régionales et dépar-
tementales de la cohésion sociale – voir ci-après), d’une part, et l’effacement
du département en tant qu’échelon de décision de l’administration sanitaire,
d’autre part.
Administrativement, les ARS se sont substituées à sept structures préexis-
tantes : les agences régionales de l’hospitalisation (ARH), les directions régio-
nales et départementales des affaires sanitaires et sociales (DRASS, DDASS),
l’union régionale des caisses d’assurance maladie (URCAM), le groupement
régional de santé publique (GRSP), les missions régionales de santé (MRS),
les caisses régionales d’assurance maladie (CRAM) (pour leur volet sanitaire)
avec, de plus, l’incorporation de moyens du service médical de l’assurance
maladie.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Les ARS ont à leur tête un directeur général, nommé par décret en conseil
des ministres et doté de très larges pouvoirs de décision. Les ARS n’ont
pas de conseil d’administration, mais un conseil de surveillance qui est
présidé par le préfet de région et associe représentants de l’État, de l’assu-
rance maladie, des collectivités locales, des usagers et des personnalités
qualifiées. Il approuve le budget principal et le budget annexe de l’agence,
sur proposition du directeur général, ainsi que le compte financier de l’ARS
et émet des avis, tout particulièrement sur le CPOM entre l’État et l’ARS,
sur le projet régional de santé ainsi que sur les résultats de l’action de
l’agence.
Géographiquement, les ARS ont un siège régional et des délégations dépar-
tementales, qui sont des antennes de l’ARS sans autonomie décisionnelle.
Des protocoles spécifiques sont conclus avec les préfets, afin d’organiser
la mobilisation des moyens de l’ARS dans les situations relevant de la sécurité
publique et/ou de l’ordre public ayant une composante sanitaire. Pour la
réponse aux situations exceptionnelles ou de crise, l’ARS articule son action
au niveau interrégional de la Zone de défense et de sécurité sous autorité
préfectorale.
Enfin, l’ARS développe des liens étroits avec Santé publique France en
matière de veille et d’urgence sanitaire (voir plus haut les CIRE).

9.4.3. Les structures de concertation auprès de l’ARS


Pour organiser un nécessaire dialogue entre les acteurs impliqués dans la
santé et ce qui est l’administration dominante de la santé au niveau régional,
deux types d’entité existent, aux rôles bien distincts :
Les commissions de coordination des politiques publiques de santé sont
au nombre de trois, associant les services de l’État, les collectivités territoriales
et leurs groupements et les organismes de sécurité sociale. Ces commissions
sont compétentes pour coordonner les actions déterminées et conduites par leurs

279
Partie 1. Les fondamentaux

membres. Elles sont réunies par le Directeur général de l’ARS et interviennent


dans trois secteurs :
–  dans les domaines de la prévention et de la promotion de la santé, de la
santé scolaire, de la santé au travail et de la protection maternelle et infantile ;
–  dans le domaine des prises en charge et des accompagnements médico-
sociaux ;
–  dans le domaine de l’organisation territoriale des soins (art. L1432-1 du
CSP, loi du 24 juillet 2019).
La conférence régionale de la santé et de l’autonomie (CRSA) est une
assemblée consultative qui regroupe, en huit collèges, les collectivités terri-
toriales, les usagers et associations situées dans le champ de compétence de
l’ARS, les représentants des conseils territoriaux de santé, les organisations
représentatives des salariés, des employeurs et des professions indépendantes,
les professionnels de santé, les gestionnaires des établissements de santé et
médico-sociaux, les organismes de protection sociale. La CRSA formule des
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
avis publics sur les objectifs et les actions de l’ARS. Elle émet un avis sur le
PRS et peut faire des propositions au directeur général de l’agence sur la mise
en œuvre et l’évaluation de la politique de santé en région. Elle évalue spéci-
fiquement la façon dont sont respectés les droits des malades et usagers du
système de santé, et rédige à ce sujet un rapport annuel transmis au niveau
national. Elle peut enfin organiser des débats publics sur les questions de santé.
La CRSA est donc l’élément central en région du processus de démocratie
sanitaire.
Les activités de la CRSA s’organisent selon des formats variables, mais
leur constitution générale est fixée par le décret du 31 mars 2010 relatif à la
CRSA. Ainsi, elles comprennent une commission permanente et des ­commissions
spécialisées, principalement :
– la commission spécialisée de la prévention ;
– la commission spécialisée de l’organisation des soins, qui formule des
avis sur les autorisations d’équipements et d’activités ;
– la commission spécialisée dans les prises en charge et les accompagne-
ments médico-sociaux, qui joue un rôle analogue dans le secteur médico-social ;
– la commission spécialisée dans le domaine des droits des usagers du
système de santé.

9.4.4. Le projet régional de santé (PRS), outil unifié


de planification sanitaire en région
La création d’une administration sanitaire unique au niveau régional a per-
mis l’élaboration et l’adoption d’un cadre global de planification : le PRS
(➠ Chapitre 11). Ce document unique répond à plusieurs objectifs :
–  simplification et clarification de l’organisation sanitaire ;
–  transversalité et meilleure lisibilité de la politique conduite par l’ARS ;
–  mise en place d’un cadre pour fédérer les initiatives des acteurs.
C’est sur la base du PRS que l’ARS organise le système de santé en région
par le biais de procédures d’autorisation d’équipements matériels lourds ou

280
Administration de la santé : la France

Partie 1. Chapitre 9.
d’activités, d’allocation de ressources et de contrôle du fonctionnement. La
mise en œuvre du PRS par des acteurs locaux peut conduire à la conclusion
de contrats territoriaux de santé, contrats territoriaux de santé mentale, ou de
contrats locaux de santé (CLS).
La vérification de la performance du système en termes d’efficience se
fait par des programmes de gestion du risque (au sens assurantiel) conclus
avec l’assurance maladie et la CNSA. L’allocation de ressources mobilise
notamment un outil particulier, le Fonds d’intervention régional (FIR), servant
spécifiquement au financement d’actions, qui peuvent être expérimentales
dans divers domaines de la santé (actions de prévention, développement des
parcours de santé, démocratie sanitaire…).

9.4.5. Le pilotage national des ARS


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Bien que les directeurs généraux des ARS disposent de larges marges
d’initiative managériale, l’activité de l’ARS fait l’objet d’un encadrement
important par le niveau central. Le pilotage national se fait en référence à la
Stratégie nationale de santé et à la politique de santé. Il est assuré par un
Conseil national de pilotage et se fait dans le cadre de contrats pluriannuels
d’objectifs et de moyens (CPOM).
Le Conseil national de pilotage (CNP) des ARS est présidé par les
ministres chargés de la santé, des personnes âgées, des personnes handi-
capées et de l’assurance maladie. En pratique, la présidence est souvent
assurée par le secrétaire général chargé des ministères sociaux (voir plus
haut). Les ministres chargés du budget et de la Sécurité sociale sont
membres de droit, ce qui illustre l’importance de la dimension médico-
économique de ce pilotage. Le CNP comprend par ailleurs des représentants
de l’État (DAC) et de ses établissements publics, dont la Caisse nationale de
solidarité pour l’autonomie (CNSA), ainsi que des organismes membres
de l’UNCAM.
La fonction de pilotage du CNP et de coordination de l’action des agences
passe notamment par trois outils :
–  la conclusion d’un CPOM entre l’État et chaque ARS ;
–  la validation obligatoire – condition de légalité – de toutes les directives
destinées aux ARS, afin de garantir la cohérence des instructions qui leur sont
données ;
–  l’évaluation des actions menées en région dans le cadre du suivi évaluatif
du CPOM État-ARS (évaluation de l’ARS et de son directeur général).
Le CPOM est la matérialisation des axes de la politique nationale de santé
devant être prioritairement mis en œuvre dans l’ensemble des régions ainsi
que la traduction de la volonté d’installer une relation à dimension contrac-
tuelle entre le niveau central et les ARS.
Le CPOM vise notamment à :
–  la réduction des inégalités territoriales et sociales de santé ; la réalisation
des virages ambulatoire, préventif et numérique du système de santé ;

281
Partie 1. Les fondamentaux

–  l’adaptation de la réponse délivrée par le système de santé aux besoins


des usagers, notamment par la mise en œuvre d’une logique de gradation des
soins et prises en charge, ainsi que la mise en place des parcours de santé ;
–  la garantie de l’efficience du système de santé, qui renvoie à l’objectif de
soutenabilité de la protection sociale, qui est l’un des versants de la politique
nationale de santé.

9.5. L’administration de la cohésion sociale

Elle intervient en santé publique car elle opère dans le vaste domaine des
déterminants sociaux de la santé (➠ Chapitre  2). Au niveau central, elle
comprend la Direction générale de la cohésion sociale (voir en 9.2.6).
Aux niveaux territorial, départemental et régional, des directions chargées
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de la cohésion sociale mènent notamment des actions de coordination de
l’action sociale avec les acteurs de terrain dans le cadre des politiques de
lutte contre la pauvreté, de développement social, de réduction des inégalités,
d’insertion sociale12.
Les moyens d’action passent par l’amélioration de l’accès aux droits, la
lutte contre le non-recours aux prestations sociales, le développement d’une
offre de logement adaptée, la prévention des expulsions des logements et
la réduction des inégalités d’accès aux soins.
Dans le champ de la politique de la ville, on signalera particulièrement
le suivi et l’évaluation des contrats de ville signés entre l’État, les collec-
tivités territoriales, les organismes de protection sociale et des acteurs
associatifs.

12. La circulaire du 12 juin 2019 relative à la mise en œuvre de la réforme de l’organisation terri-
toriale de l’État focalise l’action de l’administration dans ce domaine sur le retour à l’emploi, ce qui
aura un impact probable sur les autres axes d’intervention.

282
Administration de la santé : la France

Partie 1. Chapitre 9.
Points clés
• L’administration sanitaire française est essentiellement une administration
d’État, même si d’autres acteurs sont impliqués dans le champ de la santé
publique. Cette administration organisée autour d’un ministère de la santé et
de la protection sociale présente certaines particularités au sein de l’adminis-
tration française. D’une part, elle est très largement constituée par des opéra-
teurs, regroupés sous l’expression « agences de santé », seules perdurant sous
une forme traditionnelle d’organisation les directions d’administration centrale
(DAC). D’autre part, elle est construite depuis 2010 – avec la mise en place des
agences régionales de santé – sur deux niveaux décisionnels, national et régio-
nal, et non trois avec le département. Il existe aussi, pour les situations excep-
tionnelles ou de crise, un niveau interrégional : la zone de défense et de sécurité.
• Concernant les DAC, on peut souligner le rôle de coordination générale attribué
au secrétariat général des ministères sociaux, ainsi que celui d’interface inter-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
nationale pour les urgences sanitaires de la DGS.
• Les agences interviennent dans la quasi-totalité du champ de la santé : obser-
vation, veille et sécurité sanitaires, prévention, promotion de la santé, théma-
tiques de santé, gestion hospitalière, organisation et performance du système
de soins, systèmes d’information, recherche, formation et indemnisation des
accidents médicaux. Leur développement considérable conduit à l’existence
d’une triple problématique : de coordination entre les agences, de positionne-
ment vis-à-vis des DAC et de relations avec les acteurs de leurs champs de
compétence. Parmi les agences, mentionnons l’existence d’une entité aux com-
pétences très larges, l’Agence nationale de santé publique (Santé publique
France) et les prérogatives majeures de police sanitaire du directeur général de
l’ANSM.
• Sur le plan régional, l’ARS est devenu l’acteur administratif unique, couvrant les
champs de la prévention, la promotion de la santé, la sécurité sanitaire, l’orga-
nisation des soins ambulatoires et hospitaliers, les réponses médico-sociales.
Son action passe notamment par l’élaboration et la mise en application d’un
outil global de planification, le projet régional de santé, et s’appuie sur une
démarche de démocratie sanitaire incarnée tout particulièrement par le fonc-
tionnement de la conférence régionale de santé et de l’autonomie.

Pour aller plus loin


G. Huteau, Y. R. Rayssiguier (dir.), Politiques sociales et de santé. Comprendre pour
agir, Presses de l’EHESP, 3e éd., 2018.
Chapitre 10
Administration de la santé :
l’Union européenne et l’OMS
Élodie Carmona, Jacques Raimondeau

Objectifs pédagogiques du chapitre


Connaître :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
– Les fondements de l’action de l’Union européenne (UE) dans le domaine de
la santé publique
–  Les principes et les modalités d’action de l’UE en matière de santé publique
–  Le rôle des agences de l’UE impliquées dans les questions de santé
–  Le rôle de l’OMS

10.1. L’Union européenne

10.1.1. Les compétences et institutions de l’Union européenne


Les compétences de l’UE se classent en trois catégories principales1 :
– Les compétences exclusives dans les domaines où l’UE est la seule habi-
litée à légiférer et à adopter des textes contraignants. Les domaines dans les-
quels l’UE dispose d’une compétence exclusive sont pour la plupart
économiques et se rapportent notamment à l’union douanière, à l’établissement
des règles de concurrence nécessaires au bon fonctionnement du marché
commun ou encore à la politique commerciale.
– Les compétences partagées dans les domaines qui peuvent faire l’ob-
jet de législations contraignantes de la part de l’UE ou des États membres (les
États membres ne pouvant légiférer individuellement que si l’UE décide de
ne pas exercer sa compétence). Treize domaines sont concernés, par exemple
le marché intérieur, l’environnement, la protection des consommateurs ou
l’énergie et les enjeux communs de sécurité en matière de santé publique2,

1. Les différentes catégories de compétences de l’Union sont définies dans les traités européens
(articles 2 à 6 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou TFUE). L’UE dispose égale-
ment de compétences particulières dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune,
non abordées dans cet ouvrage.
2. Article 4 du TFUE.

285
Partie 1. Les fondamentaux

tels que définis à l’article 168 du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFEU,


voir infra). Dans les domaines de la recherche et de l’aide humanitaire, l’UE
dispose d’une compétence pour mener des actions, notamment pour définir
et mettre en œuvre des programmes, sans que l’exercice de cette compétence
ne puisse toutefois avoir pour effet d’empêcher les États membres d’exercer
la leur3.
– Les compétences d’appui dans les sept domaines pour lesquels l’UE peut
intervenir pour appuyer et/ou coordonner les actions des États membres. C’est
le cas par exemple de la culture, du tourisme, de la protection civile et de la
protection et l’amélioration de la santé humaine4. L’UE peut adopter des
actes juridiquement contraignants dans ces domaines, mais ces actes ne peuvent
pas comporter d’harmonisation des dispositions législatives et réglementaires
nationales.
–  Enfin, l’UE peut prendre des mesures pour assurer la coordination des
politiques économiques, sociales et de l’emploi des États membres5.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
L’UE est régie par sept institutions. Les principales sont la Commission
européenne, le Conseil européen, le Conseil de l’Union européenne et le
Parlement européen6.

La Commission européenne
La Commission européenne est considérée comme l’organe exécutif de
l’UE. La direction politique est assurée par une équipe (appelée « Collège ») de
commissaires, un par État membre (nominés par les chefs d’État ou de gou-
vernement des États membres réunis au sein du Conseil européen, et approuvés
par le Parlement européen) – le Collège est placé sous la direction d’un com-
missaire (le Président de la Commission). La Commission dispose en  2020
d’une administration d’environ 32 000 agents et de 34 directions générales thé-
matiques (agriculture, emploi, commerce…). La Direction générale (DG)
SANTE est chargée des questions liées à la santé publique et à la sécurité
alimentaire.
La Commission a le monopole d’initiative législatif : elle seule peut sou-
mettre des propositions de textes législatifs, qui seront ensuite examinés par
les colégislateurs (voir infra). Ces textes législatifs visent à protéger les inté-
rêts de l’UE et des citoyens européens dans des domaines qui ne peuvent
être traités efficacement à l’échelon national, ou à établir des dispositions

3. Id.
4. Article 6 du TFUE.
5. Article 5 du TFUE.
6. Les trois autres sont des institutions judiciaires et économiques : la Cour de justice de l’UE, la
Cour des comptes et la Banque centrale européenne. Juridiction suprême en matière de droit de l’UE,
la Cour de justice est chargée d’interpréter la législation de l’UE et veille à son application uniforme
dans tous les États membres. En sa qualité d’auditrice externe de l’UE, la Cour des comptes contrôle
les finances de cette dernière. La Banque centrale européenne gère la politique monétaire de la zone
euro et son objectif principal est de maintenir la stabilité des prix, préservant ainsi la valeur de la
monnaie unique.

286
Partie 1. Chapitre 10.
Administration de la santé : l’Union européenne et l’OMS

techniques valables dans toute l’Union sur la base de consultations d’experts


et de citoyens.
« Gardienne des traités », la Commission veille à l’application correcte
de la législation européenne dans tous les États membres de l’UE et peut
engager des poursuites, auprès de la Cour de justice, en cas d’infractions à
la législation européenne.
Elle propose le budget alloué aux différentes politiques de l’UE (pouvoir
d’initiative budgétaire) et qui est adopté ensuite par l’autorité budgétaire
(autorité bicéphale, composée du Parlement européen et Conseil de l’UE) et
est chargée de l’allocation concrète des financements européens. Elle
contrôle la façon dont les fonds sont utilisés, sous la surveillance de la Cour
des comptes.
Enfin, la Commission représente l’UE dans le monde au sein d’organi-
sations internationales (notamment dans les domaines du commerce extérieur
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
et de l’aide humanitaire) et négocie des accords internationaux engageant
l’UE7, sur la base d’un mandat de négociations donné par le Conseil de l’UE.

Le Conseil européen
Le Conseil européen réunit les dirigeants des pays membres de l’UE (ces
réunions prennent la forme de sommets, en général trimestriels) afin de définir
les priorités politiques de l’UE. Il représente le plus haut niveau de coopération
politique entre les pays de l’UE. Il décide des grandes orientations et priorités
politiques de l’UE, mais n’adopte pas d’actes législatifs. Le Président de la
Commission est également membre sans droit de vote. Le Président du Parlement
européen intervient devant le Conseil européen au début de ses réunions. Le
Conseil européen est placé sous la direction d’un Président permanent.
En pratique, à ce jour, le Conseil européen a très peu abordé les questions
de santé, et toujours dans le cadre de menaces épidémiques ou pandémiques.
Ainsi, entre 2014 et 2020, seules deux questions relatives à la santé publique
ont été abordées au cours d’un Conseil européen : il s’agit de la crise Ebola
de 2014 et de la pandémie de Covid-19 de 2020, qui provoqua une crise à
la fois sanitaire et économique dans l’Union.

Le Conseil de l’Union européenne


Le Conseil de l’UE est l’institution qui représente les gouvernements
des États membres. C’est au sein de cette institution que les ministres natio-
naux de tous les pays de l’UE se réunissent pour adopter la législation et
coordonner les politiques. Chaque Etat membre de l’UE préside à tour de
rôle le Conseil de l’UE pour une période de six mois. Le Conseil de l’UE
est une entité juridique unique, mais il se réunit en dix formations différentes,
en fonction des sujets abordés. Le conseil « Emploi, politique sociale, santé

7. À l’exception de ceux portant sur la politique étrangère et de sécurité commune.

287
Partie 1. Les fondamentaux

et consommateurs » (EPSCO), composée des ministres chargés de l’emploi,


des affaires sociales, de la santé et de la protection des consommateurs de
tous les États membres de l’UE, s’occupe des questions liées à la santé8. Il
se réunit en général quatre fois par an (deux réunions étant exclusivement
consacrées à l’emploi et à la politique sociale). Les Commissaires compétents
pour les sujets concernés participent également aux sessions.
Le Conseil de l’UE est l’un des deux colégislateurs. Il adopte, avec le
Parlement européen, la législation de l’UE par la voie de règlements, de
directives et de décisions910, et élabore également des recommandations non
contraignantes. Dans ses domaines de compétence, il décide à la majorité
simple (14 États membres sur 27), à la majorité qualifiée (55 % des États
membres représentant au moins 65 % de la population de l’UE) ou à l’una-
nimité, selon la base juridique des actes requérant son approbation.
Le Conseil est chargé de coordonner les politiques des États membres
dans des domaines tels que les politiques économique et budgétaire (coordi-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
nation et surveillance des politiques des États membres), l’éducation, la
culture ou la jeunesse (élaboration de cadres d’action et de plans de travail
définissant les priorités en matière de coopération entre les États membres et
la Commission), la politique de l’emploi (élaboration d’orientations et de
recommandations).
Le Conseil définit la politique étrangère et de sécurité commune de l’UE.
Le Conseil conclut des accords internationaux au nom de l’UE. Ces
accords peuvent porter sur de vastes domaines (commerce, coopération et
développement, etc.), ou peuvent traiter de questions spécifiques (pêche,
douanes, transports, science et technologie, etc.). Les négociations sont
conduites par la Commission, à qui le Conseil donne mandat pour négocier
au nom de l’UE (cf supra). À l’issue des négociations et sur la base d’une
proposition de la Commission, le Conseil se prononce sur la signature et la
conclusion de l’accord. Par ailleurs, il adopte la décision finale relative à la
conclusion de l’accord, après que le Parlement européen a donné son appro-
bation (qui est nécessaire dans certains domaines) et qu’il a été ratifié par
tous les États membres.

8. Les autres formations du Conseil sont : compétitivité, affaires économiques et financières, en-
vironnement, éducation, jeunesse, culture et sport, affaires étrangères, affaires générales, justice et
affaires intérieures, transports, télécommunications et énergie.
9. Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement
applicable dans tout État membre. La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à
atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. La
décision est obligatoire dans tous ses éléments. Lorsqu’elle désigne des destinataires précis (pays,
entreprises ou particuliers), elle n’est obligatoire que pour ceux-ci. Une décision peut être un acte
législatif ou non législatif. Une décision est un acte législatif lorsqu’elle est adoptée conjointement
par le Parlement européen et le Conseil dans le cadre de la procédure législative ordinaire ou par le
Parlement européen avec la participation du Conseil.
10. Dans un souci de simplification, la procédure décrite ici est la « procédure législative or-
dinaire » ; elle est, depuis les Traités de Nice puis de Lisbonne, la plus couramment utilisée (elle
concerne désormais plus de 80 domaines). Dans certains cas, plus rares, le Conseil adopte seul des
Règlements ou Directives, après consultation du Parlement européen.

288
Partie 1. Chapitre 10.
Administration de la santé : l’Union européenne et l’OMS

Le Conseil adopte chaque année le budget de l’Union, conjointement avec


le Parlement européen (« autorité budgétaire » bicéphale).

Le Parlement européen
Le Parlement européen est la seule institution européenne élue au suffrage
universel direct. Les députés, élus pour une période de cinq ans, siègent au
sein de groupes politiques11. Les décisions du Parlement européen sont prises
par des votes en séance plénière, à Strasbourg (parfois à Bruxelles).
Afin d’effectuer le travail préparatoire en vue des séances plénières, les
députés sont répartis dans des commissions permanentes thématiques (agri-
culture, emploi et affaires sociales, affaires économiques et budgétaires, etc.)
composées de 25 à 81 députés européens, dotées chacune d’un président, d’un
bureau et d’un secrétariat, et dont la composition reflète celle de l’assemblée
plénière. La Commission de l’environnement, de la santé publique et de la
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
sécurité alimentaire (ENVI) traite des sujets liés à la santé publique et le
Commission de l’emploi et des affaires sociales (EMPL) traite des sujets
liés à la santé et à la sécurité au travail.
Le Parlement dispose de compétences législatives : il est, à égalité avec
le Conseil, le colégislateur européen.
Le Parlement dispose de compétences budgétaires. Il doit approuver le
cadre financier pluriannuel. Il adopte chaque année le budget de l’Union, là
encore conjointement avec le Conseil (« autorité budgétaire »). Il donne
décharge sur l’exécution du budget européen.
Le Parlement dispose de moyens de contrôle de la Commission ; il dispose
notamment d’un droit de regard (qui s’apparente de facto à un droit de véto)
sur la nomination des commissaires européens, il élit le Président de la
Commission et il dispose d’un droit de censure de la Commission (qui doit
alors démissionner.). La Commission lui soumet régulièrement des rapports,
y compris un rapport annuel sur les activités de l’UE et sur l’exécution du
budget. Une fois par an, le président de la Commission prononce en séance
plénière son discours sur l’état de l’Union. Le Parlement invite régulièrement
la Commission à lancer de nouvelles politiques, et celle-ci est priée de
répondre aux questions orales et écrites des députés.
Le Parlement dispose d’autres prérogatives en termes de nominations12 ; il
peut aussi poser des questions écrites ou orales au Conseil, recevoir des
pétitions émanant des citoyens européens, constituer des commissions tem-
poraires d’enquête. Il dispose d’un droit d’accès à la Cour de justice afin
de sauvegarder ses prérogatives, notamment face au Conseil et à la Commission.
Par certains aspects, le Conseil de l’UE et le Parlement européen sont
comparables aux chambres haute et basse d’un système bicaméral.

11. Depuis le retrait du Royaume-Uni de l’Union le 31 janvier 2020, le Parlement est composé de
705 députés.
12. Il élit, par exemple, le Médiateur européen.

289
Partie 1. Les fondamentaux

10.1.2. Les fondements de l’action sanitaire


de l’Union européenne
L’UE complète les politiques de santé nationales en aidant les autorités
des États membres à atteindre des objectifs communs, à conjuguer leurs
ressources et à surmonter les défis communs, tout en finançant des projets
dans le domaine de la santé dans toute l’UE. Elle est également compétente
pour élaborer des normes et des réglementations à l’échelle de l’UE sur un
nombre limité de sujets ayant une dimension transnationale.
Encadré n° 1. L’organisation institutionnelle de l’Union européenne

Les grandes priorités politiques de l’UE sont fixées par le Conseil européen, qui réunit diri-
geants nationaux et européens.
Les intérêts de l’UE dans son ensemble sont défendus par la Commission européenne, dont
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
les membres sont désignés par les gouvernements nationaux et soumis à l’approbation du
Parlement européen.
Les citoyens de l’UE sont représentés par les eurodéputés, élus au suffrage universel direct
au Parlement européen.
Les intérêts des États membres sont défendus par les gouvernements nationaux au sein du
Conseil de l’UE.
Le Conseil de l’UE et le Parlement européen sont colégislateurs : ils adoptent la législation
européenne, après proposition de la Commission européenne. Ils sont également l’autorité
budgétaire de l’Union.

Le rôle de l’UE en matière de santé publique est ainsi défini très préci-
sément par l’article 168 du TFEU, qui stipule :
« 1. Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la
définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union.
L’action de l’Union, qui complète les politiques nationales, porte sur l’amé-
lioration de la santé publique et la prévention des maladies et des affections
humaines et des causes de danger pour la santé physique et mentale. Cette
action comprend également la lutte contre les grands fléaux, en favorisant
la recherche sur leurs causes, leur transmission et leur prévention ainsi que
l’information et l’éducation en matière de santé, ainsi que la surveillance de
menaces transfrontières graves sur la santé, l’alerte en cas de telles menaces
et la lutte contre celles-ci. L’Union complète l’action menée par les États
membres en vue de réduire les effets nocifs de la drogue sur la santé, y com-
pris par l’information et la prévention.
2. L’Union encourage la coopération entre les États membres dans les
domaines visés au présent article et, si nécessaire, elle appuie leur action.
Elle encourage en particulier la coopération entre les États membres visant
à améliorer la complémentarité de leurs services de santé dans les régions
frontalières. Les États membres coordonnent entre eux, en liaison avec la
Commission, leurs politiques et programmes dans les domaines visés au
paragraphe  1. La Commission peut prendre, en contact étroit avec les États
membres, toute initiative utile pour promouvoir cette coordination, notamment
des initiatives en vue d’établir des orientations et des indicateurs, d’organiser
l’échange des meilleures pratiques et de préparer les éléments nécessaires

290
Partie 1. Chapitre 10.
Administration de la santé : l’Union européenne et l’OMS

à la surveillance et à l’évaluation périodiques. Le Parlement européen est


pleinement informé.
3. L’Union et les États membres favorisent la coopération avec les pays tiers
et les organisations internationales compétentes en matière de santé publique.
4. […] le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la
procédure législative ordinaire, et après consultation du Comité économique
et social et du Comité des régions, contribuent à la réalisation des objectifs
visés au présent article en adoptant, afin de faire face aux enjeux communs
de sécurité : a) des mesures fixant des normes élevées de qualité et de sécurité
des organes et substances d’origine humaine, du sang et des dérivés du sang ;
ces mesures ne peuvent empêcher un État membre de maintenir ou d’établir
des mesures de protection plus strictes ; b) des mesures dans les domaines
vétérinaire et phytosanitaire ayant directement pour objectif la protection de
la santé publique ; c) des mesures fixant des normes élevées de qualité et de
sécurité des médicaments et des dispositifs à usage médical.
5. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la pro-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
cédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et
social et du Comité des régions, peuvent également adopter des mesures d’en-
couragement visant à protéger et à améliorer la santé humaine, et notamment
à lutter contre les grands fléaux transfrontières, des mesures concernant la
surveillance des menaces transfrontières graves sur la santé, l’alerte en cas de
telles menaces et la lutte contre celles-ci, ainsi que des mesures ayant direc-
tement pour objectif la protection de la santé publique en ce qui concerne le
tabac et l’abus d’alcool, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions
législatives et réglementaires des États membres.
6. Le Conseil, sur proposition de la Commission, peut également adopter
des recommandations aux fins énoncées dans le présent article.
7. L’action de l’Union est menée dans le respect des responsabilités des
États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé,
ainsi que l’organisation et la fourniture de services de santé et de soins médi-
caux. Les responsabilités des États membres incluent la gestion de services
de santé et de soins médicaux, ainsi que l’allocation des ressources qui leur
sont affectées. Les mesures visées au paragraphe  4, point a), ne portent pas
atteinte aux dispositions nationales relatives aux dons d’organes et de sang
ou à leur utilisation à des fins médicales. »

Ainsi, les enjeux communs de sécurité en matière de santé publique sont-ils


un domaine dit « de compétence partagée » entre l’UE et les États membres :
ces derniers définissent et assurent la prestation des services et soins de santé
au niveau national ; et l’UE complète les politiques nationales (article  168
(1), (2), (3), (4) du TFEU). L’UE dispose également d’un pouvoir législatif
limité à certains domaines clairement définis et ayant une dimension trans-
nationale (article  168 (4] et [5]), combiné aux articles  114 (rapprochement
des législations) et 153 (politique sociale) du TFEU.

10.1.3. Les pouvoirs législatifs de l’Union en matière de santé


L’Union peut adopter des textes législatifs (règlements, directives et déci-
sions ; ➠ Encadré 1) en matière de santé dans certains cas, précisément définis

291
Partie 1. Les fondamentaux

à l’article  168, et qui concernent des sujets de nature transnationales. Les


trois institutions impliquées dans ce processus sont la Commission euro-
péenne, le Parlement européen et le Conseil de l’UE.
En pratique, les services de la DG SANTÉ de la Commission européenne
préparent le projet de texte législatif, règlement, directive ou plus rarement
décision (toujours accompagné d’une analyse d’impact détaillée), qui est
validé par la Commission dans son ensemble (le collège des commissaires)
avant d’être envoyé aux deux colégislateurs, le Parlement européen et Conseil
de l’UE.
Au sein du Parlement européen, ce projet de texte est attribué à la com-
mission ENVI13. Dans le cas de dossiers législatifs, un rapporteur et des rap-
porteurs fictifs (un par groupe politique) sont nommés. D’autres commissions
peuvent également rédiger des avis, voire, en fonction des sujets, être plus
étroitement associées au processus. Le rapporteur prépare un projet de rapport,
sur lequel les groupes politiques, par l’intermédiaire des rapporteurs fictifs,
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
proposent des amendements. À l’issue d’un processus souvent complexe de
négociations entre les groupes, un rapport est adopté par la commission ENVI
(en général entre six et dix mois après la soumission de la proposition de la
Commission, en fonction de la complexité du sujet et de l’étendue des diver-
gences entre les groupes politiques). Ce rapport est ensuite validé par le
Parlement, réuni en session plénière14, et sert de base (« mandat de négocia-
tion ») à l’équipe du Parlement au cours des négociations avec le Conseil.
Pour le Conseil, la procédure est similaire. Le conseil EPSCO est chargé
d’examiner les propositions législatives de la Commission en matière de santé.
En pratique, un travail préparatoire important est assuré par des groupes thé-
matiques (par exemple, le groupe « Produits pharmaceutiques et dispositifs
médicaux » ou le groupe « Santé publique »…), où les États membres sont repré-
sentés à un niveau plus technique. À l’issue de négociations internes entre les
États membres, le Conseil adopte son propre mandat de négociation (dit « orien-
tation générale ») en vue des négociations avec le Parlement européen.
Ces négociations interinstitutionnelles se tiennent sous la forme de réu-
nions informelles (dites « trilogues ») entre l’équipe du Parlement (sous l’égide
du président d’ENVI et du rapporteur, et composée de ces derniers, plus des
rapporteurs fictifs qui suivent le dossier15) et celle du Conseil (dirigée par un
représentant de la présidence en exercice), au cours desquelles la Commission
joue un rôle de médiateur et facilite la recherche de compromis entre les
positions respectives du Conseil et du Parlement. À l’issue d’un processus
complexe, lorsqu’un accord de première ou, plus rarement, de seconde lecture

13. À l’exception des projets relatifs à la santé au travail, qui relèvent de la compétence de la
commission EMPL.
14. Le Parlement peut, en session plénière, rejeter le rapport, toutefois, en pratique, cela se produit
très rarement et sur des sujets très sensibles (dont les sujets liés à la santé publique ne font pas partie)
uniquement.
15. Des représentants des commissions qui ont donné un avis ou des commissions associées sont
dans certains cas invités.

292
Partie 1. Chapitre 10.
Administration de la santé : l’Union européenne et l’OMS

est trouvé entre les deux colégislateurs, ce dernier est formalisé par le
Parlement en session plénière et par les ministres des États membres, puis
est publié au Journal officiel de l’UE et entre en vigueur.
Il arrive toutefois que les États membres bloquent ou rejettent une propo-
sition de directive ou de règlement, souvent au motif qu’elle empiète indûment
sur leurs prérogatives nationales (« subsidiarité16 »). Ce fut par exemple le cas
d’une proposition de directive relative à la transparence des mesures régissant
la fixation des prix des médicaments à usage humain et à leur inclusion dans
le champ d’application des systèmes publics d’assurance maladie soumise par
la Commission en mars  2012, et sur laquelle le Parlement européen adopta
une position de négociation en février  2013 ; le dossier demeura bloqué au
Conseil de longs mois avant que la Commission ne soumette une proposition
amendée pour essayer, en vain, de débloquer la situation, puis finalement,
devant l’opposition persistante des États membres la retire en 2015.Au cours
des dix dernières années, l’UE a notamment légiféré dans les domaines sui-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
vants : droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers17, pro-
duits pharmaceutiques et dispositifs médicaux18, menaces transfrontalières
graves pour la santé19, tabac20, organes, sang, tissus et cellules.

10.1.4. L’appui aux États membres en matière de santé


Le rôle de la Commission européenne (plus précisément de sa DG SANTÉ)
est central pour ce pilier. Il s’agit d’appuyer les efforts déployés par les pays
de l’UE pour protéger et améliorer la santé de leurs citoyens et pour garantir
l’accessibilité, l’efficacité et la résilience de leur système de santé. Pour cela,
la Commission fournit un soutien financier, coordonne et facilite l’échange
de bonnes pratiques dans le domaine de la santé entre États membres et entre
experts, et mène des activités de promotion de la santé en direction des États
membres et des citoyens.

16. Le principe de subsidiarité est défini au paragraphe 3 de l’article 5 du traité sur l’UE : « En
vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive,
l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent
pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu’au niveau
régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envi-
sagée, au niveau de l’Union. »
17. Décision n° 1082/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 relative
aux menaces transfrontières graves sur la santé.
18. Règlement (UE) n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux
essais cliniques de médicaments à usage humain et abrogeant la directive 2001/20/CE, règlement
(UE) n° 2017/745 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 sur les dispositifs médicaux,
règlement (UE) n° 2017/746 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 sur les dispositifs
médicaux de diagnostic (➠ Chapitre 15).
19. Décision n° 1082/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 relative
aux menaces transfrontalières graves sur la santé.
20. Directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 relative au rap-
prochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en
matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et
abrogeant la directive 2001/37/CE.

293
Partie 1. Les fondamentaux

Soutien financier
Le Parlement européen et le Conseil de l’UE, qui constituent ensemble
l’autorité budgétaire de l’Union (cf supra), adoptent le budget des quatre
instruments relatifs à la santé.
Le principal instrument, appelé « programme Santé » (Health Programme),
est un programme pluriannuel consacré exclusivement à la santé. C’est un ins-
trument de financement visant à encourager la coopération entre les pays de l’UE
et à soutenir et développer les actions de l’UE dans le domaine de la santé. Il
repose sur une base juridique arrêtée par le Parlement européen et le Conseil de
l’UE pour sept années, en fonction des priorités politiques décidées conjointement
par les deux institutions. Le plan Santé 2014‑2020 constitue l’une des deux
références supranationales de la Stratégie nationale de santé française 2018‑2022,
l’autre étant le plan Santé 2020 de l’OMS Europe (voir section 2).
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Sur la période 2014‑2020, le programme Santé, doté d’une enveloppe de
450 millions d’euros, poursuit quatre objectifs spécifiques (dans 23 domaines
prioritaires) :
–  agir en faveur de la santé, prévenir les maladies et favoriser des modes de
vie sains, grâce à l’intégration des questions de santé dans toutes les politiques ;
–  protéger les citoyens de l’UE des menaces sanitaires transfrontalières graves ;
–  contribuer à des systèmes de santé innovants, efficaces et viables ;
–  faciliter l’accès des citoyens de l’UE à des soins de santé sûrs et de qualité.
Le programme Santé finance donc notamment des projets relatifs à la pro-
motion de la santé, à la sécurité sanitaire et à l’information en matière de santé.
À titre d’exemple, sur la période 2014‑2020, le programme Santé finance
EDITH, un projet portant sur les pratiques en matière de don et de transplan-
tation d’organes, et le projet EUDONORGAN, qui porte sur la formation et la
sensibilisation au don d’organes dans l’UE et les pays voisins. L’agence exé-
cutive CHAFEA (Consumer, Health, Agriculture and Food Executive Agency),
créée en 2014 et basée à Luxembourg, met en œuvre le programme Santé.
Lors du prochain cadre financier pluriannuel (2021‑2027) ce programme
Santé est amené à être intégré dans un nouvel instrument plus vaste, le « Fond
social européen +  ». La politique de cohésion de l’UE, via les fonds struc-
turels (Fonds social européen, et Fonds européen de développement régio-
nal en particulier), soutient également les investissements dans la santé réalisés
dans les pays et régions de l’UE. Par exemple, le Fonds européen de dévelop-
pement régional a contribué en 2008 au financement de la construction de
l’hôpital de Cerdagne afin d’améliorer l’offre de soins pour les populations du
plateau de Cerdagne, territoire historiquement partagé entre la France et l’Es-
pagne – ce qui a contribué au renforcement de la coopération transfrontalière
entre ces deux pays dans le domaine de la santé. La Commission européenne
a lancé une proposition législative relative à un nouveau Fonds social européen
(FSE+) en mai 2018, sur la base du cadre financier pluriannuel proposé pour
la période 2021‑2027. Ce programme, qui constituera le principal instrument
financier de l’UE pour investir dans les ressources humaines et mettre en œuvre
le socle européen des droits sociaux, fusionnera divers fonds et programmes

294
Partie 1. Chapitre 10.
Administration de la santé : l’Union européenne et l’OMS

existants, et absorbera notamment le programme Santé – signe d’intégration


croissante de la santé dans d’autres politiques de l’Union –, auquel un budget
d’environ 413 millions d’euros sera alloué sur la période 2021‑2027.
Le Fonds européen pour les investissements stratégiques (EFSI) peut éga-
lement apporter un soutien financier en matière de santé. L’EFSI finance par
exemple à hauteur de 70 millions d’euros des investissements dans des infrastruc-
tures de santé et du matériel médical en Italie et en France sur la période 2017‑2021.
Le programme de recherche Horizon 2020 soutient les projets paneuropéens
dans divers domaines, notamment dans des domaines tels que la biotechnologie
et les technologies médicales. Avec un budget de 80 milliards d’euros pour la
période 2014‑2020, il s’agit du plus grand programme de recherche paneuro-
péen ; qui finance notamment de nombreux projets dans le domaine de la santé.
Ainsi, entre 2014 et 2020, plus de dix milliards d’euros seront-ils consacrés
au financement de divers projets de recherche dans ce domaine, axés sur cinq
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
grands thèmes (recherche collaborative, innovation dans l’industrie médicale,
collaboration avec les États membres et les partenaires internationaux, recherche
fondamentale, infrastructures) et sept priorités (médecine personnalisée, inno-
vation dans l’industrie médicale, maladies infectieuses et santé globale, sys-
tèmes innovants et intégration des soins, décodage de l’impact des facteurs
environnementaux, digitalisation dans le domaine de la santé et des soins, Big
Data et cybersécurité dans le domaine des soins et de la santé), et via 15 canaux
de financement (incluant des bourses de recherche, des partenariats public-
privé, etc.). Le programme Horizon 2020 finance par exemple l’Initiative en
matière de médicaments innovants (Innovative Medicines Initiative [IMI]),
qui est le plus grand partenariat public-privé dans le domaine des sciences de
la vie au monde (noué entre l’UE, représentée par la Commission, et l’industrie
pharmaceutique, représentée par l’EFPIA, la fédération européenne des indus-
tries et associations pharmaceutiques. L’IMI, qui dispose d’un budget de
3,3 milliards d’euros sur la période 2014‑2020 (la moitié provenant d’Horizon
2020), facilite la collaboration entre les principaux acteurs de la recherche dans
le secteur de la santé (universités, centres de recherche, industrie pharmaceu-
tique, petites et moyennes entreprises, organisations de patients…) afin de
favoriser le développement de médicaments plus efficaces et innovants.
La Commission est quant à elle chargée de l’exécution de ces financements
(sélection des projets, octroi des fonds, suivi et contrôle de la mise en œuvre).

Activités de coordination et d’échange de bonnes pratiques


et de promotion de la santé
La Commission est en contact permanent avec les États membres, via
divers groupes thématiques, groupes de travail ou groupes d’experts21, réseaux

21. Par exemple, le groupe de travail sur les programmes de vaccination et les systèmes de santé
de l’Union, groupe de travail sur l’évaluation de l’impact de la digitalisation des services de santé,
groupe d’experts sur l’évaluation de l’efficacité des systèmes de santé…

295
Partie 1. Les fondamentaux

de référence22 qu’elle coordonne et dont elle assure, en général, le secrétariat.


Des organisations internationales, telles que l’OMS, le Conseil de l’Europe
et l’OCDE, contribuent en général activement aux travaux de ces groupes et
sont représentées lors des réunions. Dans ce cadre, la Commission organise
des réunions d’experts, des conférences de haut niveau, des ateliers. Ces
groupes permettent aux États membres de disposer de forums pour échanger
leurs expériences et constituent une aide à la définition des outils, des
méthodes et des actions sur le plan national. La Commission publie également
des lignes directrices à destination des États membres (par exemple, des
Methodological guidelines and recommendations for efficient and rational
governance of patient registries en 2015).
La Commission analyse chaque année les systèmes de santé des États
membres et les réformes mises en place au niveau national. À l’issue de cette
analyse, elle peut adresser à certains23 des recommandations personnalisées
(Country Specific Recommendations [CSR]) portant sur divers aspects de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
leurs systèmes de santé (coût-efficacité, soutenabilité et résilience, accès aux
soins) et demander la mise en place de réforme ou mesures concrètes et
ciblées. La Commission apporte un soutien technique aux États membres tout
au long du processus et fournit un soutien financier pour renforcer la capacité
des institutions nationales à mettre en œuvre les recommandations préconi-
sées. Elle peut également fournir un soutien sur mesure (financier ou tech-
nique) à tout État membre qui souhaite réformer son système de santé hors
du cadre des CSR. La Commission a, par exemple, apporté un soutien à l’État
autrichien pour la modernisation de son système de soins primaires.
La Commission est également en contact étroit avec la société civile euro-
péenne. Elle dialogue ainsi très régulièrement avec les organisations et groupes
d’intérêt actifs dans le domaine de la santé. Ce dialogue s’inscrit dans le cadre
de la Plateforme européenne sur la politique de santé. Elle permet notamment
un meilleur partage des bonnes pratiques en matière de politique de santé et,
à ces organisations, de communiquer entre elles plus facilement.
Avec le Prix européen de la santé pour les ONG, créé en 2015, la
Commission met par ailleurs en lumière les contributions remarquables d’or-
ganisations non gouvernementales sur les sujets prioritaires de santé publique.
Le premier thème choisi en 2015 fut la lutte contre le virus Ebola, en raison
de la crise qui se déroulait à cette époque en Afrique de l’Ouest. Les années
suivantes, des ONG actives sur des questions importantes et faisant l’actualité
en Europe (la résistance aux antimicrobiens en 2016, la vaccination en 2017,
la lutte contre le tabagisme en 2018, la lutte contre l’obésité infantile en 2019)
ont été mises en valeur.

22. Notamment les réseaux européens de référence entre prestataires de soins de santé et centres
d’expertise dans les États membres, en particulier dans le domaine des maladies rares, créés par l’ar-
ticle 12 de la directive 2011/24/UE du 9 mars 2011 relative à l’application des droits des patients en
matière de soins de santé transfrontaliers.
23. En 2017, de telles recommandations ont été adressées à l’Autriche, la Bulgarie, Chypre, la
Finlande, la Lituanie, la Lettonie, le Portugal, la Roumanie, la Slovénie et la Slovaquie.

296
Partie 1. Chapitre 10.
Administration de la santé : l’Union européenne et l’OMS

En matière de promotion de la santé, la Commission organise régulièrement


des actions de prévention en direction des citoyens, par exemple contre le taba-
gisme (campagne Les ex-fumeurs, rien ne les arrête, 2011‑2013 puis 2014‑2016)
ou contre la sédentarité (organisation de la Semaine européenne du sport).
Les autres institutions, Parlement et Conseil, sont également actives en
matière de promotion de la santé (Health Advocacy). Ainsi le Parlement
européen adopte-t‑il divers rapports non contraignants (dits « rapports d’ini-
tiative ») mettant l’accent sur certaines problématiques importantes pour les
citoyens (par exemple, la résistance antimicrobienne) et appelant la Commission
et/ou les États membres (en fonction de leurs compétences respectives) à
mettre en place certaines actions.
Le Conseil de l’UE, via sa présidence24, met également l’accent sur des
sujets ciblés (en adressant des recommandations sur la santé publique aux
pays de l’UE, voire en établissant des plans d’action à moyen terme25) et
coordonne les actions nationales. Ainsi, en matière de santé, on peut citer
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
parmi les récentes priorités : l’accroissement de la couverture vaccinale (la
présidence roumaine a proposé au premier semestre 2019 une feuille de route
pour le renforcement de la coopération contre les maladies à prévention vac-
cinale), l’accès aux médicaments innovants (présidence roumaine), le renfor-
cement du rôle de l’UE dans la santé mondiale, notamment via sa coopération
avec l’OMS et l’UN (présidence finlandaise, second semestre 2019), les HTA
(présidences roumaine et finlandaise), la santé digitale (présidences roumaine
et finlandaise), la santé au travail (présidence finlandaise) et la résistance aux
antimicrobiens (présidence roumaine26).
Enfin, il convient de noter que les sujets de concurrence dans le domaine
pharmaceutique (cartels, abus de position dominante…) relèvent – comme
tous les sujets liés à la concurrence – de la compétence exclusive de l’Union27.
La Direction générale de la concurrence (DG COMP) de la Commission
européenne, qui dispose d’une unité d’enquête dévolue au secteur pharma-
ceutique, a ouvert des investigations à la suite de la grande enquête sectorielle
menée par la Commission dans ce secteur en 2008. Cette enquête a mis en
lumière la baisse du nombre de nouvelles molécules entrant sur le marché
ainsi que les retards dans l’entrée des génériques sur le marché, et a identifié
certaines pratiques problématiques en termes de concurrence comme des
causes possibles de ces phénomènes.
Dans une série de décisions s’appuyant sur des investigations menées à
la suite de cette enquête sectorielle, la Commission européenne et les autorités
de concurrence nationales ont ciblé les comportements qui limitent l’entrée

24. Chaque présidence établit ses propres priorités en fonction du contexte européen et des grands
enjeux.
25. À l’instar du plan d’action sur l’obésité infantile 2014‑2020, adopté sous l’égide de la prési-
dence grecque et élaboré en étroite collaboration avec l’OMS-Europe.
26. La nouvelle Commission installée en 2019 a fait du cancer une de ses priorités. Elle a présenté
son nouveau plan cancer en février 2020.
27. Articles 101 et 102 du TFEU.

297
Partie 1. Les fondamentaux

sur le marché ou l’expansion des génériques et, partant, la baisse des prix de
certaines molécules, privant ainsi les patients et les systèmes nationaux de
santé d’économies importantes. Des décisions faisant autorité et assorties de
lourdes amendes ont été prises tant par la Commission (affaires Lundbeck28,
Fentanyl29 et Servier30) que par l’autorité britannique (affaire de la paroxé-
tine31) contre des accords de paiement visant à retarder l’entrée des génériques
sur le marché. Dans ce genre d’accord, l’entreprise titulaire du médicament
princeps rémunère le fabricant de génériques afin qu’il abandonne l’entrée
de son médicament générique sur le marché.
D’autres décisions ont ciblé des pratiques de dénigrement mises en place
par des entreprises établies de longue date et visant à limiter l’utilisation des
produits génériques nouvellement lancés. Dans certains pays, les autorités
ont sanctionné des opérateurs historiques qui abusaient des procédures régle-
mentaires pour empêcher l’entrée sur le marché des génériques.
Plusieurs enquêtes récentes ont en outre été menées concernant la tarifi-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
cation de certains médicaments tombés dans le domaine public (dans un
exemple, des augmentations de prix allant jusqu’à 2 000 % ont été constatées)
et plusieurs autorités ont estimé que ces pratiques de tarification étaient
déloyales et abusives, notamment en Italie, au Royaume-Uni et au Danemark.
En outre, les autorités de la concurrence ont poursuivi des formes plus clas-
siques d’actes répréhensibles, telles que des ententes consistant à truquer des
marchés ou des stratégies visant à empêcher les concurrents d’avoir accès
aux intrants essentiels ou à la clientèle.

28. La Commission a infligé en 2013 une amende de 93,8 millions d’euros à l’entreprise phar-
maceutique danoise Lundbeck et une amende de 52,2 millions d’euros à quatre producteurs de mé-
dicaments génériques pour avoir conclu des accords retardant l’entrée sur le marché de la version
générique du citalopram.
29. Johnson & Johnson a mis au point le Fentanyl, un antalgique puissant généralement réservé
aux patients cancéreux, et l’a commercialisé sous différents formats, dont un patch. En 2005, les
brevets de Johnson & Johnson sur le patch de Fentanyl ont expiré aux Pays-Bas et Sandoz, la filiale
de Novartis, était sur le point de lancer son patch de Fentanyl générique. En juillet 2005, cependant,
au lieu de lancer son produit générique, Sandoz a conclu un « accord de promotion conjointe » avec
une filiale de Johnson & Johnson. L’accord prévoyait que Sandoz ne serait pas autorisé à entrer sur le
marché néerlandais en contrepartie de versements mensuels dont le montant était supérieur aux bé-
néfices que Sandoz escomptait réaliser grâce à la vente de son produit générique. L’accord a retardé
de dix-sept mois l’entrée sur le marché d’un générique moins cher et a maintenu les prix du Fentanyl
aux Pays-Bas à un niveau artificiellement élevé, au détriment des patients et du système de santé
néerlandais. La Commission a conclu que cet accord avait pour objet de restreindre la concurrence,
en violation de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’UE, et a infligé des amendes de 10,8
millions d’euros à Johnson & Johnson et de 5,5 millions à Novartis.
30. En 2014, la Commission a infligé des amendes d’un montant total de 427,7 millions d’euros
(ramené ultérieurement en appel à 315 millions) à l’entreprise pharmaceutique française Servier et à
cinq producteurs de médicaments génériques (Niche/Unichem, Matrix/Mylan, Teva, Krka et Lupin)
pour avoir conclu une série de contrats visant à protéger le produit phare de Servier pour le traitement
de l’hypertension, le périndopril, face à la concurrence des prix des génériques dans l’UE.
31. L’autorité nationale de la concurrence du Royaume-Uni a constaté que GlaxoSmithKline avait
abusé de sa position dominante en concluant avec des producteurs de génériques des accords de paie-
ment visant à retarder l’entrée de génériques de la paroxetine sur le marché.

298
Partie 1. Chapitre 10.
Administration de la santé : l’Union européenne et l’OMS

10.1.5. Les agences de santé européennes


Afin de favoriser l’émergence de politiques communes dans des branches
plus spécifiques, l’UE s’est aussi dotée d’agences de santé spécialisées.

Le Centre européen de prévention et de contrôle


des maladies (ECDC32)
Basée à Stockholm, cette structure évalue et surveille les risques sanitaires
infectieux afin de coordonner les réponses à ces risques. Ainsi, l’ECDC ana-
lyse et interprète des données issues des pays de l’UE portant sur 52 maladies
et affections transmissibles (tuberculose, rougeole, grippe, maladie à virus
Zika…) en s’appuyant sur le Système européen de surveillance (TESSy).
Elle suit aussi de près celles sévissant en dehors du continent européen
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
(Ebola, fièvre jaune, encéphalite japonaise…), fournit un avis scientifique
aux pays membres et à la Commission, assure une détection précoce et une
analyse des menaces émergentes pour l’UE ; elle aide les États membres à
préparer et à articuler leur réponse, coordonne le Programme européen de
formation à l’épidémiologie d’intervention (EPIETen) et le Programme euro-
péen de formation à la microbiologie appliquée à la santé publique
(EUPHEMen).
Enfin, elle organise la conférence scientifique européenne annuelle sur
l’épidémiologie appliquée aux maladies infectieuses (ESCAIDE).
L’ECDC collabore avec l’OMS, ainsi qu’avec d’autres centres mondiaux,
pour la prévention et le contrôle des maladies, tels que le centre des États-
Unis US-CDC, l’Agence publique pour la santé du Canada (Public Health
Agency of Canada), le centre pour la prévention et le contrôle des maladies
de Chine ou China CDC, le centre pour la prévention et le contrôle des
maladies d’Afrique ou Africa CDC).
La pandémie d’infections à coronavirus de 2020 a mis en exergue l’expertise
et le rôle essentiel de l’ECDC dans le dispositif européen de surveillance des
épidémies.

L’Agence européenne des médicaments (EMA)


Basée initialement à Londres, puis relocalisée en 2019 à Amsterdam à la
suite du retrait du Royaume-Uni de l’UE (➠ Chapitre 15), cette agence gère
l’évaluation scientifique de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité des
médicaments commercialisés dans l’UE. L’EMA compte sept comités scien-
tifiques et plusieurs groupes de travail, auxquels participent des milliers d’ex-
perts de toute l’Europe.

32. ECDC : European Center for Disease Control and Prevention.

299
Partie 1. Les fondamentaux

L’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail


(EU-OSHA)
Basée à Bilbao, elle recueille, analyse et diffuse des informations aux
acteurs concernés par la sécurité et la santé au travail. L’agence promeut
notamment une culture de prévention des risques pour améliorer les conditions
de travail en Europe, notamment via sa campagne « Lieux de travail sains
dans toute l’Europe » et, depuis 1992, les films d’animation « Napo » sur la
sécurité et la santé au travail.

L’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT)


Basée à Lisbonne, il fournit à l’Union et à ses États membres des infor-
mations factuelles, fiables et comparables au niveau européen sur les drogues
et la toxicomanie et leurs conséquences. Ces données servent à l’élaboration
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
des politiques et initiatives destinées à lutter contre la drogue.
Enfin, les activités de deux autres agences concernent également la santé
publique.

L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA)


Basée à Parme, elle fournit des avis scientifiques indépendants sur les
risques liés à l’alimentation, qui contribuent à l’élaboration de la législation,
des règles et des politiques européennes, et permettent ainsi de protéger les
consommateurs contre les risques qui pèsent sur la chaîne alimentaire.

L’Agence européenne des produits chimiques (ECHA)


Basée à Helsinki, elle est chargée de sécuriser l’usage des produits
chimiques et aide les entreprises à se conformer à la législation européenne
relative aux produits chimiques et aux biocides (notamment le règlement
REACH33).
Les diverses agences européennes collaborent également entre elles sur des
sujets transversaux. Ainsi, l’EFSA, l’ECDC et l’EMA ont-elles publié en 2015,
puis en 2017, une analyse conjointe inter-agence sur la consommation d’an-
timicrobiens et la résistance aux antimicrobiens (Joint Interagency Antimicrobial
Consumption and Resistance Analysis).

33. REACH est le règlement concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances
chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (Registration, Évaluation, Authori‑
sation and Restriction of Chemicals). Il s’applique depuis juin 2007 et a pour but de protéger la santé
humaine et l’environnement contre les risques chimiques, notamment en milieu du travail ; d’améliorer
globalement l’information sur les produits chimiques ; et aussi de favoriser la compétitivité de l’industrie
européenne. Comme son nom l’indique, REACH organise le recensement, l’évaluation et le contrôle
(voire l’élimination) des substances chimiques fabriquées, importées, mises sur le marché européen.
On estime que ce sont environ 30 000 substances chimiques qui sont concernées par le règlement. Le
fonctionnement de REACH fait reposer sur les industriels toute la responsabilité de l’évaluation et de la
gestion des risques chimiques, ainsi que de l’information des pouvoirs publics et des utilisateurs.

300
Partie 1. Chapitre 10.
Administration de la santé : l’Union européenne et l’OMS

Sur le plan européen, le principal interlocuteur des agences est la Commission


européenne ; toutefois, leurs dirigeants sont auditionnés régulièrement par les
commissions spécialisées du Parlement européen pour faire le point sur leurs
activités et leur programme de travail. Elles sont également représentées lors
d’événements ad hoc (échanges de vues, ateliers, auditions sur des sujets
ciblés : épidémie de fièvre Ebola ; vaccination, glyphosate, protection contre
l’exposition aux substances cancérigènes sur le lieu de travail, etc.) organisés
par le Parlement européen.

L’Europe de la santé : une marge de manœuvre restreinte,


mais des progrès substantiels sont possibles et nécessaires
L’UE dispose, en termes de santé, de compétences somme toute assez
limitées. Toutefois, de récentes études ont mis en lumière les gains considé-
rables qu’engendrerait une action européenne accrue en matière de santé, via
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
un meilleur accès aux soins de santé transfrontaliers, une meilleure ­coordination
entre les États membres (notamment en cas de crise sanitaire) et une plus
grande promotion des bonnes pratiques en matière de santé.
La pandémie de Covid-19 en 2020 a par ailleurs mis en exergue de manière
dramatique un certain nombre de faiblesses de l’Europe et de ses États
membres, notamment en cas de risque épidémique.
De nouvelles initiatives pourraient ainsi être conçues, dans le respect des
prérogatives de l’Union et des États membres, dans des domaines tels que
l’accès aux médicaments, la promotion d’une alimentation saine, la diffusion
d’un modèle du réseau européen de référence en matière de soins de santé
transfrontaliers, la recherche, la solidarité et la lutte contre les menaces pan-
démiques, etc.
L’accent pourrait également être davantage mis sur les mesures straté-
giques transsectorielles (notamment dans le champ de la santé environne-
mentale) et sur l’intégration de la santé dans d’autres politiques de l’Union.
Les bénéfices qui découleraient d’une coopération européenne accrue en
matière de santé sont potentiellement énormes. À titre d’exemple, il a été
estimé que l’économie européenne pourrait tirer profit, à hauteur de 72 mil-
liards d’euros par an, d’une lutte plus coordonnée contre les inégalités majeures
qui persistent en matière de santé au sein de l’Union et des États membres.
En renforçant son action en matière de santé, l’Union répondrait également
aux attentes de ses citoyens : 69 % d’entre eux sont favorables à une action
accrue de l’Union en matière de santé et de sécurité sociale.

10.2. L’Organisation mondiale de la santé (OMS)

Institution du système des Nations Unies (NU), l’OMS relève plus spé-
cifiquement du Conseil économique et social des Nations Unies. Sa création
fut envisagée dès le début de l’ONU ; la Constitution de l’OMS a été adoptée
dès 1946 et est entrée en application le 7 avril 1948 (cette date anniversaire
est célébrée tous les ans à l’occasion de la Journée mondiale de la santé).

301
Partie 1. Les fondamentaux

L’OMS est formée de tous les États membres de l’ONU adhérant à sa


Constitution, ainsi que de tout autre État après acceptation par l’assemblée mon-
diale. Il existe aussi des membres associés, qui correspondent à des territoires ne
jouissant pas d’une autonomie en matière de relations internationales34.
L’OMS est amenée à articuler son action avec d’autres institutions des
Nations unies, telles que la Banque mondiale, l’Organisation des Nations
unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO : Food and Agriculture
Organization), l’OIT (Organisation internationale du travail  / ILO  :
International Labour Organization), ou le HCR (Haut-Commissariat pour les
réfugiés), ainsi que certains programmes tels que le Programme des Nations
unies pour le développement (PNUD / UNDP : United Nations Development
Programme), l’UNICEF (Fonds des Nations unies pour l’enfance), le
Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE/UNEP : UN
Environment Programme), la Convention-cadre des Nations unies sur le chan-
gement climatique (CCNUCC/UNFCCC : UN Framework Convention on
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Climate Change) ou le Fonds des Nations unies pour la démocratie (FNUD/
UNDEF : UN DEmocracy Fund) lorsqu’il s’agit de favoriser l’implication de
la population dans la prise de décision.
L’OMS est représentée dans le Fonds mondial de lutte contre le sida, la
tuberculose et le paludisme. L’OMS est impliquée dans l’atteinte des Objectifs
du développement durable (ODD / SDG : Sustainable Development Goals)
de l’ONU. Il peut exister des conflits entre institutions du système des Nations
unies, comme il peut en exister à l’intérieur d’un pays lorsque les objectifs
de santé entrent en contradiction avec d’autres objectifs, notamment écono-
miques : à titre d’exemple, la Banque mondiale et l’OMS ont été en concur-
rence dans l’appui aux systèmes de santé, divergeant notamment sur les
indicateurs d’évaluation à utiliser.
Il existe une coopération très ancienne (depuis 1972) entre l’OMS et la
Commission européenne, qui fut formalisée en 2004 par un partenariat stra-
tégique entre l’OMS et la Commission européenne, portant sur l’information
sanitaire, les maladies transmissibles, la lutte antitabac, l’environnement et
la santé, le développement durable en matière de santé et la recherche. La
collaboration entre l’OMS et la Commission européenne a encore été élargie
par la déclaration de Moscou (septembre 2010), visant à renforcer la concer-
tation sur les politiques et la collaboration technique en matière de santé
publique. Depuis 2018, l’accent est mis notamment sur la couverture sanitaire
universelle, les situations d’urgence sanitaire, la vaccination, la résistance
aux antimicrobiens, la qualité de l’air.
L’OCDE et l’OMS Europe coopèrent de longue date, particulièrement sur
l’amélioration de la collecte, de l’harmonisation et de la diffusion des indica-
teurs et données de santé, sur les questions relatives au système de santé et à
l’environnement et à la santé, ainsi que sur les maladies non transmissibles.

34. Par exemple, l’île de Guam ou les îles Marshall, dans le Pacifique, qui sont des territoires amé-
ricains n’ayant pas le statut d’État fédéré.

302
Partie 1. Chapitre 10.
Administration de la santé : l’Union européenne et l’OMS

Le budget de l’OMS est somme toute modeste pour faire face à ses mis-
sions mondiales : de l’ordre de 4,4 milliards de dollars (environ 4 milliards
d’euros) par an, dont les principales lignes (en millions de dollars) sont :
maladies transmissibles (800 millions), maladies non transmissibles (350),
promotion de la santé (380), systèmes de santé (590), programmes d’urgence
(550), fonctionnement institutionnel (710), lutte contre la poliomyélite et
programmes spéciaux (1 000). L’importance du financement consacré à la
poliomyélite s’explique par l’objectif d’obtenir une éradication de la maladie
dans les prochaines années. En matière de santé, la Banque mondiale est
un financeur plus important que l’OMS.
Encadré n° 2. Objectifs de développement durable de l’ONU. Objectif n° 3 :
permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge

Cet objectif se décline lui-même en une série d’objectifs définis par des améliorations de
l’état de santé ou de l’accès à des prestations de santé (3.1 à 3.9), ainsi que par des objectifs
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
portant sur les moyens à mettre en œuvre, notamment dans les pays les moins développés
ou particulièrement vulnérables (3.a à 3.d) :
3.1 D’ici à 2030, faire passer le taux mondial de mortalité maternelle au-dessous de 70 décès
pour 100 000 naissances vivantes ;
3.2 D’ici à 2030, éliminer les décès évitables de nouveau-nés et d’enfants de moins de 5 ans,
tous les pays devant chercher à ramener la mortalité néonatale à 12 décès pour 1 000
naissances vivantes au plus, et la mortalité des enfants de moins de 5 ans à 25 décès pour
1 000 naissances vivantes au plus ;
3.3 D’ici à 2030, mettre fin à l’épidémie de sida35, à la tuberculose, au paludisme et aux
maladies tropicales négligées, et combattre l’hépatite, les maladies transmises par l’eau
et d’autres maladies transmissibles ;
3.4 D’ici à 2030, réduire d’un tiers, par la prévention et le traitement, le taux de mortalité
prématurée due à des maladies non transmissibles et promouvoir la santé mentale et
le bien-être ;
3.5 Renforcer la prévention et le traitement de l’abus de substances psychoactives, notam-
ment de stupéfiants et d’alcool ;
3.6 D’ici à 2020, diminuer de moitié à l’échelle mondiale le nombre de décès et de blessures
dus à des accidents de la route ;
3.7 D’ici à 2030, assurer l’accès de tous à des services de soins de santé sexuelle et procréative,
y compris à des fins de planification familiale, d’information et d’éducation, et la prise
en compte de la santé procréative dans les stratégies et programmes nationaux ;
3.8 Faire en sorte que chacun bénéficie d’une couverture sanitaire universelle, comprenant
une protection contre les risques financiers et donnant accès à des services de santé
essentiels de qualité et à des médicaments et vaccins essentiels sûrs, efficaces, de qualité
et d’un coût abordable ;
3.9 D’ici à 2030, réduire nettement le nombre de décès et de maladies dus à des substances
chimiques dangereuses, à la pollution et à la contamination de l’air, de l’eau et du sol ;
3. a Renforcer dans tous les pays l’application de la Convention-cadre de l’Organisation
mondiale de la santé pour la lutte antitabac ;
3.b Appuyer la recherche et la mise au point de vaccins et de médicaments contre les
maladies, transmissibles ou non, qui touchent principalement les habitants des pays en
voie de développement ; donner accès, à un coût abordable, à des médicaments et

35. Cet objectif est repris dans la Stratégie nationale de santé française 2018‑2022.

303
Partie 1. Les fondamentaux

vaccins essentiels, conformément à la déclaration de Doha sur l’Accord sur les aspects
des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce et à la marge de
manœuvre nécessaire pour protéger la santé publique (ADPIC). Cette déclaration réaf-
firme le droit qu’ont les pays en voie de développement de tirer pleinement parti des
dispositions de l’ADPIC et, en particulier, d’assurer l’accès universel aux médicaments ;
3.c Accroître considérablement le budget de la santé, le recrutement, le perfectionnement,
la formation et le maintien en poste du personnel de santé dans les pays en voie de
développement, notamment dans les pays les moins avancés et les petits États insulaires
en voie de développement ;
3.d Renforcer les moyens dont disposent tous les pays, en particulier les pays en voie de
développement en matière d’alerte rapide, de réduction des risques et de gestion des
risques sanitaires nationaux et mondiaux.

10.2.1. Principes d’action


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
La Constitution de l’OMS, outre sa célèbre définition de la santé36, met
en exergue dans son préambule les points suivants fondateurs d’une action
internationale :
« La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre consti-
tue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa
race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale.
La santé de tous les peuples est une condition fondamentale de la paix du
monde et de la sécurité ; elle dépend de la coopération la plus étroite des
individus et des États.
Les résultats atteints par chaque État dans l’amélioration et la protection de
la santé sont précieux pour tous.
L’inégalité des divers pays en ce qui concerne l’amélioration de la santé
et la lutte contre les maladies, en particulier les maladies transmissibles, est
un péril pour tous.
Le développement sain de l’enfant est d’une importance fondamentale ;
l’aptitude à vivre en harmonie avec un milieu en pleine transformation est
essentielle à ce développement.
L’admission de tous les peuples au bénéfice des connaissances acquises
par les sciences médicales, psychologiques et apparentées est essentielle pour
atteindre le plus haut degré de santé.
Une opinion publique éclairée et une coopération active de la part du public
sont d’une importance capitale pour l’amélioration de la santé des populations.
Les gouvernements ont la responsabilité de la santé de leurs peuples ; ils ne
peuvent y faire face qu’en prenant les mesures sanitaires et sociales appropriées. »

La pertinence de ces principes généraux est facile à illustrer, que ce soit,


par exemple, avec les épidémies récentes de fièvre Ebola en Afrique de
l’Ouest (les inégalités de santé qui sont un péril pour tous) ou avec l’impor-
tance à accorder au développement de l’enfant mis en exergue dans la SNS
française.

36. Pour rappel : « Un état de complet bien-être physique, mental et social et pas seulement l’ab-
sence de maladie ou d’infirmité. »

304
Partie 1. Chapitre 10.
Administration de la santé : l’Union européenne et l’OMS

10.2.2. Organisation générale et gouvernance


Son organisation générale repose sur un siège, situé à Genève, et six
bureaux régionaux. Les États membres se répartissent en six zones géogra-
phiques, disposant chacune d’un bureau régional : Afrique (bureau de
Brazzaville), Amériques (Washington), Asie du Sud-Est (New Delhi), Europe
(Copenhague), Méditerranée orientale (Le  Caire), Pacifique occidental
(Manille37). Les instances de gouvernance centrales comprennent l’Assemblée
mondiale de la santé, le conseil exécutif et un secrétariat permanent ayant à
sa tête un directeur général. L’Assemblée mondiale de la santé (AMS) est
l’instance de gouvernance suprême de l’OMS. Elle est constituée de repré-
sentants des États membres et se réunit au moins une fois par an, à Genève.
Sa fonction majeure est d’arrêter la politique de l’Organisation et d’en assurer
le suivi. Elle vote des conventions internationales et des règlements. De plus,
elle nomme le directeur général de l’OMS, approuve le budget prévisionnel
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
et contrôle son exécution. Le conseil exécutif est composé de 34 membres,
élus pour trois ans parmi des personnalités qualifiées en matière de questions
de santé. Il a principalement pour fonction de préparer les travaux de l’As-
semblée mondiale et de mettre en œuvre ses décisions.
Le directeur général est choisi par les États membres sur proposition du
conseil exécutif.

10.2.3. Les grands axes de l’action de l’OMS


Historiquement, l’action de l’OMS s’est d’abord orientée vers la lutte
contre les maladies transmissibles (variole, tuberculose, lèpre, trachome, palu-
disme…). À partir des années 1970, les logiques d’intervention évoluent,
avec une prise en compte accrue des déterminants sociaux et économiques
de la santé dans une perspective de médecine sociale et de développement
global, tandis que pour la première fois une maladie infectieuse – la variole –
est déclarée éradiquée en 1980. Cependant, l’apparition du sida, la survenue
d’épidémies de fièvres hémorragiques en Afrique, les difficultés générales à
combattre les maladies infectieuses amèneront à un rééquilibrage de l’action
dans les années 1990, avec, parallèlement, une montée en puissance des
préoccupations environnementales.

10.2.3.1. Fonction normative


L’OMS élabore et diffuse des documents de référence dans le domaine
de la santé, notamment :

37. La France est représentée bien entendu dans les régions Europe, mais aussi Pacifique occiden-
tal (Polynésie française, Wallis-et-Futuna, Nouvelle-Calédonie) et Amériques (Guadeloupe, Marti-
nique, Guyane).

305
Partie 1. Les fondamentaux

–  Classification internationale des maladies (CIM), utilisée en France


notamment dans le cadre du PMSI (➠ Chapitre 4) ;
–  Civil Registration and Vital Statistics (CRVS), qui est un guide de bonnes
pratiques pour la tenue des États civils et des statistiques de mortalité ;
–  Règlement sanitaire international38 (RSI/IHR : International Health
Regulations), dont la dernière actualisation date de 2005, avec entrée en appli-
cation en 2007. Ce texte, héritier des pratiques historiques de quarantaine et de
défense contre les grandes épidémies, consigne les mesures à prendre en vue
de la prévention internationale des maladies (vaccinations obligatoires pour
certains déplacements, dispositions en cas d’accident nucléaire ou de contami-
nation environnementale majeure, etc.). Il suppose aussi l’identification de
points focaux d’interface au sein des pays (➠ Chapitre 9). Le RSI est juridique-
ment contraignant pour les États signataires.
–  liste des médicaments essentiels, qui devraient être aisément accessibles
à la population dans tous les pays39 – cette liste fut à l’origine d’un long conflit
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
entre l’OMS et les industriels de la pharmacie ;
–  l’élaboration de statistiques sanitaires mondiales, collectées auprès des
pays membres de l’organisation et qui permettent, notamment, de mesurer les
progrès accomplis vers la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le déve-
loppement liés à la santé ;
–  Codex alimentarius, élaboré conjointement avec la FAO, contient un
ensemble de normes et de référentiels destinés à garantir la qualité et la sécurité
des aliments ainsi que la loyauté du commerce dans ce domaine.

10.2.3.2. Fonction d’intervention


Cette fonction s’exerce dans un contexte d’urgence ou dans une perspec-
tive de long terme :
–  Les situations justifiant des interventions dans un contexte d’urgence,
voire de crise, sont par exemple les épidémies de syndrome respiratoire aigu
sévère (SRAS) en 2003, de fièvre Ebola en Afrique de l’Ouest entre 2013 et
2016 et, très récemment, de Covid-19.
–  Les programmes d’éradication de la variole40, de la poliomyélite, de la
tuberculose, du sida41 ou de mise au point de vaccin contre le paludisme ou la
bilharziose sont des exemples d’actions de long terme.
Cette fonction d’intervention s’exerce aussi sous la forme de recom-
mandations ou d’appels aux États membres à adopter des mesures en
faveur de la santé, par exemple dans le domaine des comportements ali-
mentaires, du tabagisme, etc. Elle peut être à l’origine de conflits entre

38. Une des manifestations concrètes du RSI est l’obligation d’un Certificat international de
vaccination ou attestant l’administration d’une prophylaxie pour certains déplacements interna-
tionaux.
39. Voir déclaration de Montréal sur le droit fondamental aux médicaments essentiels en 2005.
40. Ce programme est une des réussites majeures de l’OMS : la maladie a été déclarée éradiquée
en 1980 et n’est pas réapparue depuis.
41. Le programme de lutte contre le sida (ONUSIDA) est un exemple de programme global asso-
ciant la recherche, la surveillance épidémiologique et l’appui à des actions de lutte.

306
Partie 1. Chapitre 10.
Administration de la santé : l’Union européenne et l’OMS

l’OMS et certains États membres lorsque l’action de l’OMS contredit ou


met en difficulté un discours national, comme en 2003, avec la confron-
tation avec la République populaire de Chine sur l’importance de l’épi-
démie de SRAS.

10.2.3.3. Fonction d’appui


Cette fonction s’exerce tout particulièrement en faveur des pays les moins
développés et sur des secteurs très diversifiés : santé de la mère et de l’enfant,
assainissement, accès à l’eau potable, programmes de vaccination, appui aux
systèmes de santé, etc. Le programme de préqualification des médicaments
consiste pour l’OMS à évaluer des médicaments à la demande des fabricants.
Cette préqualification évite aux structures n’en ayant pas les moyens tech-
niques de procéder, lors de la passation de marchés internationaux ou natio-
naux, à une nouvelle évaluation de l’efficacité et de la sécurité des
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
produits.
Le projet des « villes-santé42 » est une autre forme d’appui, commencé en
Europe en 1986, à la suite de la conférence d’Ottawa, puis s’étendant au
niveau mondial.

10.2.3.4. Fonction de recherche


L’OMS dispose notamment de deux centres de recherche : le Centre inter-
national de recherche sur le cancer (CIRC), multidisciplinaire, basé à Lyon,
et qui publie notamment des monographies identifiant les facteurs environ-
nementaux qui constituent un danger cancérogène pour l’homme (produits
chimiques, mélanges complexes, expositions professionnelles, agents phy-
siques et biologiques et facteurs comportementaux) et qui font autorité dans
le monde entier43, et le Centre pour le développement de la santé (WKC :
WHO Kobe Centre), basé à Kobe, au Japon, chargé de rechercher et de
promouvoir des solutions innovantes, et de les traduire en politiques et en
actions visant à atteindre une couverture santé universelle et durable. En
juin  2019, le WKC et l’OCDE ont publié une nouvelle étude relative à la
fixation des prix et à la régulation des prix dans les systèmes de santé afin
d’accélérer les progrès vers une couverture santé universelle44.

42. Les villes-santé sont organisées en réseau selon plusieurs modes. Il existe un Réseau français
des villes-santé qui regroupe une centaine de villes. Pour connaître la stratégie des villes-santé, voir
« Consensus de Copenhague entre les maires. Une meilleure santé et plus de bonheur dans les villes,
pour toutes et tous. Une démarche transformatrice pour des sociétés sûres, inclusives, durables et
résilientes », OMS, février 2018.
43. Des groupes de travail interdisciplinaires, composés d’experts scientifiques, passent en revue
les études publiées et évaluent la valeur probante des indices dont ils disposent de ce qu’un agent
donné peut provoquer un cancer chez l’homme. Depuis 1971, plus de 1 000 agents ont été évalués,
parmi lesquels plus de 400 ont été classés comme étant cancérogènes ou potentiellement cancéro-
gènes pour l’homme.
44. S.L. Barber, L. Lorenzoni, P. Ong, Price Setting in Health Care and Implications for Universal
Health Coverage, WHO, 2019.

307
Partie 1. Les fondamentaux

Encadré n° 3. Quelques dates de l’histoire de l’OMS

1946 Vote de la constitution de l’OMS par la Conférence mondiale de la santé


1948 Création de l’OMS
1977 Publication de la première liste des médicaments essentiels
1978 Déclaration d’Alma-Ata sur les soins de santé primaires
1980 Confirmation de l’éradication de la variole (depuis octobre 1977)
1986 Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé
Début du réseau des villes-santé (Bureau Europe)
1987 Initiative de Bamako (Bureau Afrique) sur la réforme des systèmes de santé en vue
d’améliorer leur efficacité
1990 Objectifs du millénaire pour le développement, qui comportent en volet santé
1997 Charte de Djakarta sur la promotion de la santé et l’approche communautaire
Protocole de Kyoto sur le changement climatique
2005 Adoption du nouveau Règlement sanitaire international
Déclaration de Montréal sur le droit fondamental aux médicaments essentiels
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
2015 Accord de Paris sur le changement climatique
2018 Consensus de Copenhague entre les maires – Réseau des villes-santé
Première Conférence mondiale sur la pollution de l’air et la santé (« Améliorer la
qualité de l’air, combattre les changements climatiques, sauver des vies »)

10.2.4. La région Europe de l’OMS


10.2.4.1. Organisation et gouvernance
La région Europe de l’OMS regroupe 53 pays, répartis sur l’ensemble du
continent, incluant la Russie jusqu’à l’océan Pacifique ainsi que plusieurs pays
limitrophes45. Son organisation repose en 2019 sur un bureau régional, situé à
Copenhague, au Danemark, sur quatre bureaux décentralisés et sur 29 bureaux
de pays. La gouvernance générale est construite sur le même modèle que celle
du siège : le Comité régional de l’Europe joue localement le même rôle que
l’AMS et le Comité permanent du Comité régional a une activité similaire au
Conseil exécutif. Il existe un bureau avec à sa tête une directrice régionale.

10.2.4.2. Le plan Santé 2020


Ce plan, adopté en 2012, forme le cadre de l’action de l’OMS dans la
région Europe. Il est l’une des deux références supranationales de la Stratégie
nationale de santé française. Santé 2020 contient un ensemble de mesures
transversales, applicables à l’ensemble des États de la région et poursuivant
les objectifs :
–  d’amélioration de l’état de santé et du bien-être des populations ;
–  de réduction des inégalités de santé ;
–  de renforcement de la santé publique ;

45. Arménie, Azerbaïdjan, Chypre, Géorgie, Israël, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Ta-
djikistan, Turkménistan, Turquie.

308
Partie 1. Chapitre 10.
Administration de la santé : l’Union européenne et l’OMS

–  de mise en place de systèmes de santé « universels, équitables, durables,


de qualité et axés sur la personne ».
Le plan fournit donc un cadre stratégique global aux décideurs, mais aussi
à d’autres acteurs, mettant en évidence les priorités qui pourraient être retenues
dans les différents pays et proposant un certain nombre d’orientations opéra-
tionnelles efficaces à mettre en œuvre, le tout s’appuyant sur une élaboration
tenant compte au mieux des données probantes disponibles, notamment celles
fondées sur l’évaluation d’actions menées en divers endroits de la région.
À côté de ce plan global, l’OMS élabore aussi des plans thématiques, tels que
le Plan d’action européen visant à réduire l’usage nocif de l’alcool 2012‑2020.
L’existence du plan Santé 2020, s’étendant à un territoire extrêmement
vaste, contrasté, formé de pays à des stades de développement variables, peut
surprendre dans la mesure où il recherche une action uniformisée.
Son intérêt et sa faisabilité résident en réalité dans plusieurs constats :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  l’existence généralisée de facteurs de transformation des systèmes de santé
et d’évolution des déterminants de santé d’une part, et d’autre part les difficultés
pour les pays à faire face isolément aux enjeux induits par ces transformations ;
–  le creusement des inégalités de santé, même si la situation moyenne peut
être en amélioration, en rappelant que la réduction de ces inégalités est, en soi,
un facteur d’amélioration de la santé de tous (➠ Chapitre 2) ;
–  la concurrence entre les enjeux de santé et les enjeux économiques46, avec
des arbitrages qui ne sont pas toujours favorables à la santé, notamment en ce
qui concerne les ressources environnementales et humaines ;
–  les difficultés économiques provoquées, notamment, par la crise financière
de 2008, qui ont réduit souvent les moyens d’action des collectivités publiques ;
–  les articulations existant d’emblée entre les enjeux, les acteurs et les
réponses possibles, que l’on peut constater pour de nombreuses questions envi-
ronnementales, dont le changement climatique, l’extension de maladies trans-
missibles, les mouvements de populations, la surveillance épidémiologique et
les réponses aux urgences de grande ampleur.
L’énumération de ces points indique aussi sans ambiguïté qu’un tel plan
de santé ne peut se concevoir que comme composante d’une démarche de
développement plus globale, dans laquelle la santé apparaît en fait comme
une ressource (➠ Introduction).
Concrètement, le plan Santé 2020 est structuré autour de deux objectifs
généraux : « améliorer la santé pour tous et réduire les inégalités de santé »
et « améliorer le leadership et la gouvernance participative pour la santé ».
L’atteinte du premier objectif repose sur les logiques d’action suivantes :
–  Le recours à des démarches « pangouvernementales et pansociétales ». Il
s’agit ici d’organiser la mobilisation de toute la société et de toutes les instances
de gouvernement en faveur de la santé, ce qui passe par le développement de la
participation des citoyens à l’élaboration de la politique, une meilleure prise

46. La difficulté de gestion des mesures de confinement lors de l’épidémie de Covid-19 en France
en est un exemple ; la problématique récurrente de la fixation du prix du tabac en est un autre.

309
Partie 1. Les fondamentaux

en compte par les gouvernants de l’expression des demandes de la société, la


recherche du renforcement de la résilience des communautés, de l’inclusion et
de la cohésion sociales ;
–  Lutter contre le manque d’équité et prendre en compte les déterminants
sociaux de la santé. Pour cela, une approche assez complexe est proposée,
consistant à construire des politiques universelles permettant d’améliorer l’état
de santé de l’ensemble de la population, tout en ciblant certaines actions en
direction des populations les plus exposées – le tout en ayant explicitement un
objectif de réduction des inégalités sociales de santé, en proportionnant les
interventions aux besoins de santé et sociaux. Pour ce faire, une prise en compte
large et méthodique des déterminants sociaux de la santé (éducation, revenus,
hiérarchie sociale, accès à l’emploi et conditions de travail, etc.) et de leurs
interactions est nécessaire (➠ Chapitre 2).
Le second objectif stratégique serait atteint en empruntant les chemins suivants :
–  Le renouvellement du leadership et de l’innovation dans le champ sani-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
taire. Il s’agit de permettre à des acteurs diversifiés, notamment ceux qui au
départ n’exercent pas de responsabilités, d’accéder à un leadership, tout parti-
culièrement dans un mode collaboratif. L’innovation intervient à la fois comme
moyen de favoriser cette extension de la prise de responsabilités (motivation de
personnes, information, formation, accroissement de la capacité à agir, appui
juridique ou en matière de communication, etc.), mais aussi comme consé-
quence de cette transformation (par exemple, en termes de création de nouveaux
réseaux, d’implication d’acteurs non spécifiquement sanitaires, politiques, éco-
nomiques, culturels, sportifs, etc.).
–  La responsabilisation des citoyens est un autre axe de la démarche, qui ne
doit pas être comprise comme un renvoi des responsabilités sur les seuls indi-
vidus. Cela correspond ici à l’idée que tous les individus et organisations d’une
société sont comptables de l’état de santé et qu’ainsi les usagers-citoyens
dûment informés et eux-mêmes porteurs d’une part de responsabilité sont aussi
en droit de demander des évolutions du système de santé, notamment aux déci-
deurs et professionnels de santé.
Dans la Stratégie nationale de santé française, ces divers points trouvent des
échos, notamment en matière d’implication du citoyen, de promotion de l’in-
novation organisationnelle et technique (virages préventif, ambulatoire, numé-
rique, parcours de soins, etc.).
Le plan Santé 2020 définit ensuite quatre domaines d’actions prioritaires, en
soulignant leur interdépendance fréquente :
–  Investir dans la santé en adoptant une perspective qui porte sur toute la
durée de la vie et responsabiliser les citoyens. Cette priorité se justifie par l’im-
portance de corriger les inégalités de santé dès qu’elles se manifestent, c’est-à-
dire dès l’enfance ; à l’âge adulte, les actions de prévention, de promotion de la
santé constituent un facteur de prospérité et de limitation des dépenses de soins ;
chez les personnes âgées, ce sont la participation à la vie sociale et le recul de
l’entrée en incapacité qui sont recherchés. L’investissement peut porter sur des
activités de recherche lorsque cela est nécessaire.
–  Relever les principaux défis sanitaires de la région en matière de maladies
transmissibles ou non. La mise en œuvre de cette priorité doit s’appuyer sur des

310
Partie 1. Chapitre 10.
Administration de la santé : l’Union européenne et l’OMS

actions à l’efficacité validée et intégrées à la stratégie globale, pour lesquelles


l’OMS élabore et diffuse des normes, référentiels, guides de bonne pratique et
autres outils. L’actualisation des outils et méthodes proposés implique une éva-
luation régulière des actions mises en œuvre dans le cadre du plan, qui peut ainsi
s’auto-alimenter en mesures de référence. En matière de maladies transmis-
sibles, on visera particulièrement les situations améliorables par la vaccination,
le contrôle de la qualité de l’alimentation, de la transmission de l’animal à
l’homme ou des infections nosocomiales ; le bureau OMS Europe est ainsi à
l’origine de la Semaine européenne de la vaccination. Pour les maladies non
transmissibles, il est opportun, dans une logique pragmatique, de se concentrer
sur les maladies aux conséquences sanitaires collectives les plus lourdes – dia-
bète, maladies cardio-vasculaires, cancers, maladies respiratoires chroniques
et troubles mentaux –, qui induisent plus de 80 % des décès et les trois quarts
du fardeau de morbidité de la région.
–  Renforcer les systèmes de santé centrés sur la personne et les capacités
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de santé publique, y compris la capacité à se préparer et à réagir aux situations
d’urgence. Quatre leviers d’action sont ici particulièrement importants : la qua-
lité des prestations curatives et préventives, la mise à disposition, suffisante en
quantité et qualité, de ressources sensibles (personnels, produits de santé, maté-
riels, etc.), la pérennisation ou l’augmentation des financements nécessaires et,
enfin, l’amélioration de la gouvernance47.
–  Créer des communautés résilientes et instaurer des environnements de
soutien. Une communauté résiliente est capable d’anticiper les évolutions aux-
quelles elle est soumise, de s’y adapter de façon satisfaisante et de récupérer
correctement après une situation de crise. Aider au développement de la rési-
lience suppose donc de procéder à l’analyse des facteurs d’évolution de nos
sociétés, de leurs vulnérabilités et des impacts prévisibles en l’absence de
réponse ; de recenser les ressources disponibles et de proposer des outils pour
améliorer la rapidité et l’efficacité de la réponse aux déstabilisations subies. À
l’échelle de la région de l’OMS, l’urbanisation rapide, qui conduit à ce que les
deux tiers de la population vivent aujourd’hui en ville, est un facteur majeur de
transformation auquel les communautés doivent faire face48. En raison de leur
caractère souvent particulièrement novateur, les actions mises en œuvre en vue
d’accroître la résilience des communautés doivent être évaluées avec beaucoup
de soin afin d’être optimisées et diffusées.

47. On voit que ces quatre leviers d’action peuvent constituer aussi les axes de l’évaluation de la
réponse à une situation épidémique.
48. Voir notamment H. Barton, C. Tsourou, Urbanisme et santé, Rennes, S2D-Association inter-
nationale pour la promotion de la santé et du développement durable, 2004. Ce guide est l’édition
française de Healthy Urban Planning (2000).

311
Partie 1. Les fondamentaux

Points clés
• L’UE complète les politiques de santé nationales en aidant les autorités des États
membres à atteindre des objectifs communs, à conjuguer leurs ressources et à
surmonter les défis communs, tout en finançant des projets dans le domaine
de la santé dans toute l’UE, notamment des projets de recherche et des cam-
pagnes de prévention de grande ampleur. Cette action se structure essentielle-
ment autour du plan Santé 2014‑2020, doté d’un budget de 450 millions d’euros
et qui constitue l’une des deux références supranationales de la Stratégie natio-
nale de santé française 2018‑2022. Si les prérogatives des États en matière de
santé demeurent très importantes, l’UE est toutefois compétente pour adopter
une législation européenne sur un nombre limité de sujets de santé publique
ayant une dimension transnationale. Au cours des dix dernières années, l’UE
a notamment légiféré dans les domaines suivants : droits des patients en matière
de soins de santé transfrontaliers, produits pharmaceutiques et dispositifs
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
médicaux, menaces transfrontalières graves pour la santé, tabac, organes, sang,
tissus et cellules. Elle possède par ailleurs des compétences exclusives concer-
nant la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles dans le domaine pharma-
ceutique. Elle s’est dotée d’agences spécialisées, efficaces et reconnues
en matière de santé publique, et collabore avec différentes organisations inter-
nationales.
• L’OMS est l’organisation spécialement chargée des questions de santé dans le
système des Nations unies (ONU). Elle existe depuis 1948 et son action se fait
souvent en articulation avec d’autres entités de l’ONU ou autres, comme l’UE
ou l’OCDE.
• L’OMS est ainsi impliquée dans l’atteinte des objectifs du développement durable,
principalement sur leur versant sanitaire. Son organisation comprend un siège,
situé à Genève, et six bureaux à compétence géographique : le bureau Europe est
localisé à Copenhague. L’action de l’OMS s’effectue selon plusieurs axes : la pro-
duction de normes, l’intervention directe, l’appui aux États et la recherche.
• Sur le plan européen, l’OMS structure son action autour du plan Santé 2020, qui
est une des références de la Stratégie nationale de santé française pour 2018‑2022.

Pour aller plus loin


N. De Grove-Valdeyron, Droit européen de la santé, LGDJ, 2e éd., 2018.
F. Kastler, Le rôle normatif de l’Organisation mondiale de la santé, L’Harmattan, 2019.
Chapitre 11
Planification en santé
Pierre‐Henri Bréchat, Philippe Marin, Jacques Raimondeau

Objectifs pédagogiques du chapitre


Connaître :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  La définition d’un système de santé et ses principales caractéristiques
–  Les principes généraux de la planification en santé
–  La notion de territoire de santé
–  Les différentes étapes d’un processus de planification en santé
–  Les étapes récentes de la planification en santé en France
– Les principales caractéristiques du projet régional de santé (PRS) élaboré et
mis en œuvre par les ARS
– Un exemple de programme national de santé (PNS) : le programme national
de promotion de la santé par les activités physiques et sportives et de préven-
tion des conduites dopantes

11.1. Définitions et principes généraux


de la planification en santé

11.1.1. Le système de santé


Un système de santé regroupe, d’une part, l’ensemble des ressources
dévolues à la constitution d’un continuum homogène d’offres et d’actions
relevant de la sécurité sanitaire, de la prévention, des soins ambulatoires et
hospitaliers, du médico-social, de la réhabilitation, ayant des effets sur les
déterminants de la santé (➠ Chapitre  2), que ces ressources soient profes-
sionnelles ou non ; et, d’autre part, il décrit aussi les interactions de diverses
natures (juridiques, financières, informationnelles, etc.) entre les acteurs
impliqués1.

1. A. Lopez, Réguler la santé, Presses de l’EHESP, 2013 ; A. Jourdain, P.-H. Bréchat (dir.), La Nou‑
velle Planification sanitaire et sociale, 2e éd., Presses de l’EHESP, 2012 ; B. Basset, A. Lopez, Plani‑
fication sanitaire. Méthodes et enjeux, Éditions ENSP, 1997.

313
Partie 1. Les fondamentaux

L’analyse complète d’un système de santé demande de plus d’intégrer le


rôle d’entités dont l’activité interfère avec la santé : développement écono-
mique, éducation, normes sociales générales, etc.
Les principales fonctions d’un système de santé sont :
–  la production de prestations de santé, préventives, curatives ou de réhabi-
litation, répondant aux besoins de santé de la population sur un territoire donné ;
–  la mise à disposition des ressources nécessaires à la production : res-
sources humaines, matérielles, organisationnelles, informations ;
–  le financement, notamment par le biais de dispositifs de protection sociale ;
–  l’administration et la régulation du système.
Un système de santé repose sur des valeurs sociales ou des principes
juridiques qui induisent des choix d’organisation générale. En France, le
système de santé et d’assurance maladie repose sur les principes d’équité et
de liberté, ainsi que de solidarité.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Un système de santé est fréquemment présenté comme une structure pyra-
midale à trois ou quatre étages, correspondant à des niveaux de soins :
–  Primaire. Selon l’OMS (déclaration d’Alma-Alta, 1978), « Les soins de
santé primaires sont des soins de santé essentiels rendus universellement acces-
sibles aux individus et aux familles au sein de leur communauté par des moyens
acceptables pour eux et à un coût que les communautés et le pays peuvent
assumer. Ils font partie intégrante tant du système de santé national, dont ils sont
la cheville ouvrière, que du développement économique et social d’ensemble
de la communauté. » C’est-à-dire, en France, principalement la médecine géné-
rale, les services des urgences, la pédiatrie et la gynécologie ambulatoires, les
services de santé mentale, l’odontologie, la pharmacie, etc., en un ensemble de
prestations globalement d’accès direct pour la population.
–  Secondaire. Il est constitué par des soins spécialisés, ambulatoires ou
hospitaliers, dont l’accès est le plus souvent orienté par le niveau primaire,
principalement par le médecin spécialiste en médecine générale.
–  Tertiaire. Il s’agit de soins fortement spécialisés : neurochirurgie, hématologie
clinique, grands brûlés, transplantations, etc., dont l’accès se fait sur avis spécialisé
dans un cadre le plus souvent très régulé administrativement (autorisations).
–  Quaternaire. Ce niveau est très spécialisé et intègre une importante
dimension de recherche clinique, situation que l’on rencontre par exemple dans
des services de cancérologie.
Un système de santé moderne fonctionne en réseau interconnecté en per-
manence, avec les usagers et les citoyens – via la démocratie sanitaire et les
flux d’informations générés par le fonctionnement même du système –, les
professionnels de santé et les responsables du système.
Des connaissances partagées sont produites en continu en prenant en compte
les données scientifiques, les innovations, les données économiques, politiques,
environnementales et celles des médias. Le système de santé doit viser à faire
le meilleur usage des ressources et améliorer la valeur2. C’est-à-dire atteindre

2. Notre traduction du terme anglais value.

314
Planification en santé

Partie 1. Chapitre 11.
les trois objectifs des systèmes de santé et d’assurance maladie appelés « Triple
Aim », à savoir améliorer la santé de la population, fournir de meilleurs soins
au moindre coût3. Ces objectifs sont considérés comme le fondement absolument
nécessaire de la transformation du système de santé et d’assurance maladie. Il
doit aussi promouvoir la formation du personnel, les enseignements et les
recherches en santé publique.

11.1.2. La planification en santé

Rôle et fonction de la planification en santé


La planification en santé est un outil global d’aide à la décision. C’est un
instrument d’organisation et de gestion permettant aux autorités publiques de
prendre des décisions sur une base plus rationnelle. Elle permet de prévoir
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
les services requis et les ressources nécessaires pour atteindre des objectifs
déterminés selon un ordre de priorité établi, offrant ainsi le choix d’une
solution préférable parmi plusieurs disponibles4.
Ce choix prend en considération les contextes socio-économique et terri-
torial, les contraintes internes et externes connues ou prévisibles, et doit se
faire en concertation avec les professionnels de santé, les acteurs de santé et
les populations concernées.
La démarche doit donc prendre en compte l’ensemble des déterminants
de la santé d’une population lors de l’élaboration, la mise en œuvre et le
suivi des actions au sein de programmes et de plans.
La planification en santé5 est le moyen pour la puissance publique de
définir et de déployer une stratégie globale de santé selon un horizon
temporel.
Elle doit traiter des orientations et des dispositions à prendre pour user
de tous les leviers de la régulation (organisation, financement des activités,
qualité des activités, contrôle, implication des professionnels et des acteurs
de santé ainsi que des usagers) dans tous les domaines complémentaires
d’intervention en faveur de la santé, afin d’aménager les interventions des
opérateurs de santé pour adapter leurs offres aux besoins de santé de la
population sur un territoire donné.
Elle veut concilier un équilibre entre les besoins de santé de la population
sur un territoire et un continuum homogène d’offres et d’actions. Ces offres
et ces actions seront organisées au sein d’un réseau de services de santé et
de services sociaux porteur de parcours de soins et de parcours de santé, par
priorité de santé et par territoire, voire par population.

3. D.M. Berwick, T.W. Nolan, J. Whittington, « The Triple Aim : Care, Health, and Cost », Health
Affairs, 27(3), 2008, p. 759‑769.
4. A. Jourdain, P.-H. Brechat (dir.), La Nouvelle Planification sanitaire et sociale, op. cit. ; B. Basset,
A. Lopez, Planification sanitaire, op. cit.
5. A. Jourdain, P.-H. Bréchat (dir.), La Nouvelle Planification sanitaire et sociale, op. cit. ; B. Bas-
set, A. Lopez, Planification sanitaire, op. cit.

315
Partie 1. Les fondamentaux

L’activité planificatrice se situe donc dans le domaine général de l’action


sur les déterminants de la santé, qui peut prendre l’expression plus politique
de la lutte contre les inégalités de santé. Dans ce cadre, l’OMS a formulé en
2009 un ensemble de recommandations stratégiques6. Les principes d’action
essentiels sont les suivants :
–  agir à tous les niveaux de façon cohérente, de l’international au local, avec
à chaque niveau l’organisation et les modes opératoires adaptés. L’intérêt de
cette cohérence territoriale et institutionnelle peut trouver son illustration aussi
bien dans la gestion d’une pandémie d’une maladie infectieuse que dans
­l’organisation de la prise en charge de personnes handicapées au niveau trans-
frontalier entre deux pays membres de l’UE ;
–  agir globalement en s’efforçant de peser sur le plus grand nombre de déter-
minants, ce qui implique un pilotage au bon niveau et la recherche d’une impli-
cation sociétale globale. Ainsi, le ministère en charge de la santé ne peut être seul
responsable de l’action et, en France, dans cette optique, le pilotage d’un projet
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de réduction des inégalités de santé pourrait être placé au niveau du Premier
ministre, dans la mesure où des actions importantes de réduction des inégalités
de revenus, de formation, d’habitat… ne sont pas pilotées par le ministère chargé
de la santé. En revanche, ce dernier pourrait avoir un rôle global de plaidoyer et
d’évaluateur dans le champ sanitaire7. Agir de façon globale n’est pas contradic-
toire avec l’adaptation des actions au public concerné. Les actions les plus géné-
rales peuvent produire des effets importants pour les plus jeunes, dont on améliore
le contexte de vie, mais, pour les plus âgés, éventuellement déjà malades, il faut
privilégier l’action sur les déterminants les plus directement impliqués ;
–  faire face aux contradictions qui peuvent exister entre l’objectif de réduc-
tion des inégalités de santé et d’autres objectifs, comme on le constate avec la
lutte contre la consommation d’alcool et de tabac, qui se heurtent à des injonc-
tions économiques ;
–  prévoir les financements nécessaires ;
–  confier un rôle central du secteur public avec un encadrement du secteur
privé ;
–  évaluer les politiques publiques.

6. OMS, Combler le fossé en une génération. Instaurer l’équité en santé en agissant sur les déter‑
minants sociaux de la santé. Rapport final de la Commission des déterminants sociaux de la santé,
OMS, 2009.
7. Pour soutenir la coordination interministérielle, certains préconisent la création d’un Secrétariat
d’État à la santé publique sous l’autorité du Ministre en charge de la santé et du Premier Ministre du
fait de la transversalité de son champ d’action sur l’ensemble des politiques publiques influençant
les déterminants de la santé. Il aurait des pouvoirs interministériels élargis, consolidant les respon-
sabilités du Comité Interministériel pour la Santé (CIS), cité dans : Institut Santé pour refonder notre
système de santé, « Faire vivre l’idéal républicain au cœur de la refondation de notre système de
santé », www.institut-sante.org, avril 2018, p. 7.

316
Planification en santé

Partie 1. Chapitre 11.
Encadré n° 1. Les principes d’élaboration des plans de santé publique

Dans l’annexe 1 consacrée au « Rapport d’objectifs de santé publique » de la loi n° 2004-806


du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique sont énumérés neuf principes devant
guider la définition des objectifs et la mise en œuvre des plans stratégiques de santé publique,
et qui peuvent servir de façon plus large de repères pour la conception des interventions :
– Principe de connaissance, qui implique que le choix des interventions s’appuie sur le
meilleur état possible des connaissances disponibles. Le respect de ce principe entraîne
que la production d’informations utiles à la prise de décision est un objectif naturel des
politiques de santé.
– Principe de réduction des inégalités, notamment sociales et géographiques, ce qui
suppose une prise en compte correcte des déterminants de santé. Un objectif de réduc-
tion des inégalités de santé est un objectif spécifique qui ne peut être assimilé à l’objectif
d’amélioration générale de l’état de santé : la santé moyenne d’une population peut
s’améliorer sans que les inégalités régressent, voire malgré leur accentuation.
– Principe de parité, qui consiste à systématiquement prendre en compte les spécificités
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de la santé des hommes et des femmes.
–  Principe de protection de la jeunesse.
– Principe de précocité, qui veut que l’intervention se situe le plus en amont possible dans le
déterminisme d’une maladie, pour éviter son apparition ou du moins en limiter la gravité.
– Principe d’efficacité économique, qui fera privilégier les interventions aux meilleurs
ratios coût-efficacité ou coût-bénéfice (➠ Chapitre 6).
– Principe d’inter-sectorialité, qui valorise les articulations entre acteurs de divers hori-
zons (par exemple, santé, agriculture, distribution pour une action dans le domaine de
l’alimentation).
– Principe de concertation, qui promeut le dialogue opérationnel entre les acteurs impli-
qués dans une problématique de santé, professionnels ou non.
– Principe d’évaluation, à appliquer dès la conception des interventions.
En pratique, les 100 objectifs de la loi du 9 août 2004 furent essentiellement élaborés par le
moyen d’une procédure technique animée par des groupes d’experts. Tous les objectifs
étaient dotés d’indicateurs permettant leur évaluation au terme d’une période de cinq ans8.

Historique de la planification en santé en France


La démarche de planification est bien implantée en France depuis des
décennies, avec l’élaboration de plans généraux et thématiques, nationaux ou
régionaux, ainsi que l’utilisation de procédures de travail particulières, telles
que la rationalisation des choix budgétaires (RCB) dans les années 1960.
L’évolution des dépenses posant la question de leur caractère soutenable
par la solidarité collective, la loi n° 70‑1318 du 31  décembre 1970 portant
réforme hospitalière et organisant le service public hospitalier met en place une
carte sanitaire (découpage en secteurs dotés de certains équipements c­ ontingentés)
et a doté l’État régulateur de moyens pour mieux maîtriser le développement

8. Voir L’État de santé de la population en France. Suivi des objectifs annexés à la loi de santé
publique 2009‑2010, DRESS, juillet 2010.

317
Partie 1. Les fondamentaux

de l’offre de soins hospitaliers et l’évolution des dépenses. Un important pro-


gramme de périnatalité est mis en œuvre au cours des années 1970.
Pour s’efforcer de rendre compatibles la logique de maîtrise des coûts de
la santé, la logique professionnelle de développement du secteur de soins et
les demandes de la population, l’État va compléter la carte sanitaire par un
outil qualitatif : le schéma régional d’organisation sanitaire (SROS), par la loi
n° 91‑748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière. Cette loi confirme
le territoire régional comme niveau pertinent de la planification en santé.
L’ordonnance du 24  avril 1996 associe davantage l’État et l’Assurance
maladie pour une meilleure maîtrise des dépenses de santé, en créant les
agences régionales de l’hospitalisation (ARH), afin de faciliter les restructu-
rations hospitalières nécessaires. L’élaboration des SROS de deuxième géné-
ration (1999‑2004) relève du directeur de l’ARH, et non plus du préfet de
région. Les SROS sont en lien avec de nouveaux outils de santé publique,
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
comme les programmes nationaux de santé (PNS) et les programmes régionaux
et territoriaux de santé (PRS, PTS). C’est aussi dans ce cadre qu’apparaissent
les conférences régionales et nationale de santé (CRS, CNS), qui ont précédé
les actuelles conférences régionales de santé et de l’autonomie (CRSA).
Par l’ordonnance du 4 septembre 2003 et la circulaire du 5 mars 2004, le
SROS de troisième génération (2006‑2011) s’inscrit dans une volonté de
développement de l’offre de soins préventifs, curatifs et palliatifs, et d’orga-
nisation sanitaire territoriale graduée. Il repose notamment sur une concerta-
tion approfondie des élus et des usagers. La carte sanitaire est supprimée. La
notion de « territoire de santé » apparaît au sein de l’espace régional.
La loi n° 2004‑806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique
prévoit que « la nation définit sa politique de santé, selon des objectifs plu-
riannuels » (art. L1411‑1 du CSP), et que « la détermination de ces objectifs,
la conception des plans, des actions et des programmes de santé mis en œuvre
pour les atteindre ainsi que l’évaluation de cette politique relèvent de la
responsabilité de l’État ».
Cette loi a défini le contenu de la politique de santé sous la forme de dix
priorités et de 100 objectifs, dont la mise en œuvre devait être évaluée au terme
d’une période de cinq ans. Cela est venu conforter la double dynamique intégrée
qui s’est construite entre les niveaux national et régional entre 1995 et 2002 :
des problèmes de santé publique remontant des régions ont été priorisés par
les autorités ministérielles, tandis que le niveau régional les prenait en compte
parmi les sujets traités lors des CRS pour l’établissement des premiers PRS.
Les thématiques prioritaires des SROS de troisième génération ont été liées
aux objectifs et aux priorités de la loi ainsi qu’aux PNS et aux PRS.
La loi n° 2009‑879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et rela-
tive aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), crée les agences régio-
nales de santé (ARS) et met en place une planification cherchant à développer
une approche globale de la santé. L’État s’est affirmé comme le régulateur
du dispositif de santé régional par un pilotage unifié, afin d’accroître l’effi-
cience et l’efficacité de l’action publique. Le cadre global de planification
régionale devient le projet régional de santé (PRS) comprenant un plan

318
Planification en santé

Partie 1. Chapitre 11.
stratégique régional de santé (PSRS) décliné par un schéma régional de pré-
vention (en fait, prévention et sécurité sanitaire), un SROS (avec une com-
posante ambulatoire à côté de celle consacrée aux établissements) et un
schéma régional médico-social, le dispositif étant complété par des pro-
grammes régionaux (dont le programme régional pour l’accès à la prévention
et aux soins ou PRAPS) et locaux.
La loi n° 2016‑41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système
de santé accentue l’intégration des dispositifs de planification et insiste sur
l’efficience organisationnelle. Le PRS est maintenant composé d’un cadre
d’orientation stratégique remplaçant le PSRS, d’un schéma régional de santé
(SRS) en lieu et place du dispositif de schémas cloisonnés précédent. La loi
précise aussi que la politique de santé doit comprendre l’organisation de
parcours de santé assurant la qualité et l’efficience de la prise en charge de
la population ainsi que la mise en place d’un plan national de gestion du
risque et d’efficience du système de soins.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Ainsi, entre 1991 et 2009, la planification sanitaire s’est construite « en
tuyaux d’orgue » en intégrant progressivement les soins (depuis 1991), la
prévention (depuis 1996), le secteur médico-social (depuis 1999), des dispo-
sitifs spécifiques pour les personnes précaires (depuis 2000) et le secteur
ambulatoire, ainsi que l’ensemble des déterminants de la santé (depuis 2009).
Entre 2009 et 2016 se met en place une planification globale intégrant l’en-
semble de ces composantes et des déterminants de la santé.

11.2. Les étapes d’un processus de planification en santé

Quels que soient le contexte et les terminologies, le processus de planifi-


cation passe par trois phases obligées, qui sont, chronologiquement :
–  la préparation ;
–  le diagnostic, qui permet notamment l’identification des problèmes de
santé à prendre en compte et l’analyse des ressources disponibles ;
–  l’élaboration des priorités parmi les problèmes de santé précédemment
identifiés, qui permet notamment de définir des objectifs opérationnels.

11.2.1. Phase de préparation


Il faut prévoir un temps de préparation pour définir la méthode et décrire
le processus de déroulement de toute l’opération. Il est nécessaire de rassem-
bler les résultats des évaluations des exercices de planification précédents,
de collecter toutes les données existantes tant scientifiques (par exemple, les
programmes et plans nationaux de santé [PNS]) que sur les caractéristiques
sociales et territoriales, ainsi que sur la santé de la population, l’organisation
et le fonctionnement de l’offre de santé.
Pour ce faire, il faut une équipe de projet nommée par l’instance chargée
du processus de planification. Cette équipe, pluridisciplinaire, bénéficie d’une

319
Partie 1. Les fondamentaux

lettre de mission. Son chef de projet se trouve le plus souvent en lien direct
avec le responsable de la démarche. Elle est constituée plusieurs mois avant
le déclenchement de la phase de diagnostic et dispose au besoin d’une enve-
loppe financière pour des travaux complémentaires. Nous noterons à titre
d’exemple l’importance accordée à la réalisation du diagnostic territorial de
santé dans le cadre de la mise en place des communautés professionnelles
territoriales de santé (CPTS), développées dans la loi n° 2019-774 du 24 juillet
2019 relative à l’organisation et à la transformation de système de santé.

11.2.2. Phase de diagnostic


Cette phase permet d’identifier des problèmes de santé, ainsi que des
besoins de santé de la population sur un territoire donné, prenant la forme
d’un écart entre la réponse souhaitable aux problèmes de santé et l’existant.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
L’identification des besoins de santé se fondera sur l’analyse d’indicateurs,
en privilégiant les données les plus probantes. Ce sont les indicateurs de mor-
talité, de morbidité, d’exposition aux risques ou d’incapacité qui sont les plus
utiles, dans les limites de leurs conditions de validité (➠ Chapitres 3 et 4). Il y
a un intérêt en matière de planification à prendre en compte des effectifs et des
taux bruts qui, s’ils ont de grandes limites en matière analytique, peuvent en
revanche refléter les besoins d’une population avec ses caractéristiques propres.
Il est aussi possible de recourir à l’analyse d’indicateurs d’activité (consul-
tations, hospitalisations, réalisation d’examens9, etc.). Cependant, ces indica-
teurs ne renvoient pas forcément une image fidèle des besoins, car le lien
entre besoins et activités n’est pas parfait : il existe ainsi des activités non
pertinentes, excessives, redondantes, qui pourraient amener à surestimer les
besoins ; à l’inverse, une absence ou une faible activité peut correspondre à
un manque de prise en charge d’un problème réel. L’analyse de l’évolution
dans le temps d’un niveau d’activité expose aux mêmes difficultés : ainsi, une
augmentation de l’offre peut induire une augmentation de l’activité, sans que
cela traduise forcément un accroissement du problème, et bien entendu des
situations mixtes se rencontrent. Les limites des indicateurs d’activité sont
encore accrues lorsqu’on envisage l’utilisation d’indicateurs relatifs aux
moyens engagés (personnels impliqués, équipements, financements, etc.), qui
sont encore plus éloignés des besoins. L’analyse des indicateurs peut se faire
en référence à des comparaisons spatiales (qui supposent de bien maîtriser les
éléments de contexte), à des consensus professionnels, sociaux, politiques.
Le diagnostic doit être fait de la manière le plus participative possible,
par un processus de démocratie sanitaire impliquant les acteurs et les profes-
sionnels de santé, les élus et les représentants d’associations d’usagers.

9. Ainsi, lors de l’épidémie d’infections à Covid-19 de 2020, le pilotage de la réponse sanitaire


s’est fondé largement sur le suivi du nombre quotidien d’admissions en service de réanimation.

320
Planification en santé

Partie 1. Chapitre 11.
Encadré n° 2. Les acteurs du processus et la démocratie sanitaire

Du niveau national aux niveaux régional et infra-régional, la planification en santé est ouverte
à la démocratie politique, avec les élus, à la démocratie sociale, avec les syndicats, et à la
démocratie sanitaire, avec les représentants d’associations d’usagers, les usagers et les
citoyens. Elle est ouverte au débat public. La planification en santé favorise la prise en compte
de la pluralité des avis, des possibilités et des partenaires, afin que les meilleures décisions
soient prises en faveur de l’intérêt général. Cela permet de coconstruire une stratégie et un
diagnostic qui sont partagés et porteurs de réalisations collectives assumées, mais également
de critères d’évaluation qui satisfassent la population, les décideurs et les financeurs.
Sur le plan national, la politique de santé est conduite dans le cadre d’une Stratégie nationale
de santé (SNS) et fait l’objet d’une concertation, notamment auprès des principales organisa-
tions syndicales et professionnelles, des établissements de santé, des élus ainsi que des repré-
sentants des usagers et des aidants. Leurs attentes et leurs propositions portant sur les quatre
thèmes suivants sont recueillies : la prévention et la promotion de la santé, tout au long de la
vie et dans tous les milieux ; la lutte contre les inégalités sociales et territoriales d’accès à la
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
santé ; la nécessité d’accroître la pertinence et la qualité des soins ; et l’innovation.
À l’échelle régionale, la conférence régionale de santé et de l’autonomie (CRSA), créée par la
loi HPST de 2009, est un organisme consultatif qui contribue à la définition et à la mise en
œuvre de la politique de santé. La CRSA peut faire toute proposition au directeur général de
l’ARS sur l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de la politique de santé dans la région.
Elle rend des avis publics, notamment sur le PRS et le rapport annuel sur le respect des droits
des usagers. Elle peut organiser des débats publics sur les questions de santé de son choix.
Les conseils départementaux de la citoyenneté et de l’autonomie (CDCA), issus du décret
n° 2016‑1023 du 26 juillet 2016 relatif au projet régional de santé, donnent aussi leurs avis
sur le PRS.
À l’échelle infra-régionale, au sein de territoires de démocratie sanitaire qui, par la loi de
modernisation du système de santé de 2016, ont remplacé les territoires de santé, le conseil
territorial de santé, notamment composé de représentants des élus des collectivités ter-
ritoriales, des services départementaux de protection maternelle et infantile, veille à
conserver la spécificité des dispositifs et des démarches locales de santé fondées sur la
participation des habitants. Il organise au sein d’une formation spécifique l’expression des
usagers, en intégrant celle des personnes en situation de pauvreté ou de précarité. Il com-
prend également une commission spécialisée en santé mentale. Le conseil territorial de
santé participe à la réalisation d’un diagnostic territorial partagé, qui permet l’identifica-
tion des besoins sanitaires, sociaux et médico-sociaux de la population concernée en
s’appuyant sur des données d’observation. Il contribue ensuite à l’élaboration, à la mise en
œuvre, au suivi et à l’évaluation du PRS, en particulier concernant l’organisation des par-
cours de santé. Des contrats locaux de santé peuvent être conclus par l’ARS avec les col-
lectivités territoriales lors de la mise en œuvre du PRS, afin de développer la promotion
de la santé et la prévention ainsi que les politiques de soins et l’accompagnement médico-
social et social.

Le diagnostic doit permettre de s’approcher d’une détermination collective


des problèmes appuyée sur les avis divers, qui ne sont pas de pertinence égale.
Notamment, la difficulté est de donner une place aux perceptions subjectives qui
interagissent avec les analyses objectives. Il faut, à la fin de cette phase, parvenir
à une énonciation des problèmes qui soit la plus consensuelle possible.
En pratique, il s’agit souvent de confronter trois éléments : la demande,
le besoin et la réponse, qui sont représentés par trois cercles se recoupant
partiellement (Figure 1).

321
Partie 1. Les fondamentaux

Demande Besoin

5 4 6

2 3

7
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Réponse
Source : J. Monnier, J.-P. Deschamps, J. Fabry et al., Santé publique, santé de la communauté, SIMEP, 1980.

Figure 1. Interactions entre demande, besoin et réponse

Lecture : Les interactions entre demande, besoin et réponse sont marquées


par des chiffres sur la figure. Leur analyse permet d’orienter les actions
d’amélioration éventuellement nécessaires.
La situation 1 est idéale : demande, besoin et réponse se recoupent par-
faitement. La population est satisfaite ; les professionnels sont reconnus et
valorisés, et les gestionnaires du système de santé constatent une prestation
largement utilisée par la population.
La situation 2 est marquée par l’existence d’une demande et d’une réponse
sans besoin identifié. C’est par exemple le cas du recours habituel à un service
dépassé, pour des raisons techniques ou épidémiologiques. Il faudra donc
adapter ou reconvertir le service afin de réduire une situation de gaspillage
de moyens.
La situation 3 (besoin et réponse sans demande) est une situation de
sous-consommation d’un service pourtant utile. C’est par exemple le cas
d’une campagne de vaccination ou de dépistage d’un cancer. Il faut alors
encourager l’usage de la prestation par des actions de communication ou
modifier les caractéristiques de la réponse pour la rendre plus attractive
(➠ Chapitre 12).
La situation 4 (demande et besoin sans réponse) peut correspondre à une
insuffisance d’investissement dans le secteur de la santé. Il peut s’agir aussi
d’une situation nouvelle impliquant de déployer de nouveaux moyens pour
la mise en place de nouveaux services (par exemple, la situation rencontrée
dans les toutes premières années de l’épidémie de sida). L’absence de réponse
peut aussi s’expliquer par une insuffisance conceptuelle : il faut alors déve-
lopper une activité de recherche.
La situation 5 correspond à une demande isolée, qui doit cependant être
prise en compte (sans forcément apporter la réponse demandée) pour créer

322
Planification en santé

Partie 1. Chapitre 11.
du lien avec la population et/ou décrypter la demande qui masque peut-être
autre chose, de dimension sanitaire ou non. Soulignons que, en associant la
population au processus de décision, on réduit la probabilité de survenue
d’une telle situation.
La situation 6 correspond au seul besoin : il peut s’agit d’un problème
émergent, identifié par des chercheurs et qui n’est pas encore perçu par la
population et les décideurs. C’est un cas de figure dont on trouve des exemples
dans le domaine de l’environnement physique (par exemple, diffusion des
perturbateurs endocriniens).
La situation 7 comprend une réponse isolée sans demande ni besoin. Il
peut s’agir de l’évolution d’une situation de type 2 : un problème de santé a
disparu ou s’est transformé, mais la réponse ancienne subsiste, qu’il faut
reconvertir. Il en a été ainsi du dispositif de lutte antituberculeuse dans les
années 1950.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Ici, la demande émane de la population qui la formule, en fonction de la
perception qu’elle a de sa situation. Souvent, la demande s’exprime par
la recherche d’un état (ne plus être malade, ne plus avoir mal, etc.) ou d’une
prestation (avoir accès à…), et est plus souvent curative que préventive (Figure 1).
Cependant, l’élévation du niveau culturel de certaines populations, informées
par l’utilisation d’Internet et aidées, le cas échéant, par des acteurs associatifs,
peut conduire à une forme de professionnalisation de la demande, réduisant
ainsi l’écart possible avec l’expression du besoin. Des expérimentations montrent
que les représentants d’associations d’usagers peuvent demander aux citoyens
leurs priorités et révéler qu’elles concernent les déterminants de la santé10. Les
représentants d’associations d’usagers, par une analyse comprenant le conti‑
nuum ainsi que l’ensemble des déterminants de la santé, sont en capacité de
faire des demandes aux candidats à la présidentielle et de véritablement deve-
nir des co-constructeurs du système de santé et d’assurance maladie, car « ce
qui ne marche pas » dans le système prédomine sur « ce qui marche11 ».
Le besoin est en effet déterminé par les professionnels de santé, parfois
experts dans leur domaine. De ce fait, la définition du besoin se réfère à des
normes professionnelles et scientifiques. Le besoin se veut objectif, même
s’il est fixé par des personnes qui ont aussi leurs valeurs et leur subjectivité
(par exemple, dans la délimitation concrète du service public ou de l’intérêt
général). On remarquera ici que la notion de conflit d’intérêts, qui est main-
tenant bien identifiée chez les professionnels, peut ne pas être absente chez
les usagers, tout particulièrement dans le champ associatif.

10. P.-H. Bréchat, C. Magnin-Feysot, O. Jeunet, A. Attard, G. Duhamel, D. Tabuteau, « Priorités de


santé, région, territoires de santé et citoyens : L’exemple Franc-Comtois », Santé publique, n° 23(3),
2011, p. 169-182.
11. P.-H. Bréchat, C.  Magnin-Feysot, O.  Jeunet et al., « Ce que demandent les représentants
­d’associations d’usagers de l’ARUCAH aux candidats à la présidentielle de 2017 », Droit & Santé,
n° 71, 2016, p. 354-361.

323
Partie 1. Les fondamentaux

Enfin, la réponse est ce que le système de santé et la société plus large-


ment mettent en œuvre sous forme de soins, de services, professionnels ou
non, pour faire face au besoin et à la demande.
L’identification des difficultés de réponse aux problèmes de santé de la
population est une étape fondamentale de la démarche. Si les problèmes sont
insuffisamment définis, il sera ensuite difficile de justifier les efforts néces-
saires pour les résoudre. Il sera alors trop tard pour revenir sur cette étape
de la démarche mal traitée, et les dispositions prévues ensuite risquent fort
alors d’être abandonnées.

11.2.3. Phase d’élaboration des priorités


Les ressources mobilisables étant obligatoirement limitées, cette étape
permet que les forces de l’action publique ne soient pas dispersées et que le
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
résultat soit satisfaisant. Il s’agira d’analyser les ressources disponibles,
d’identifier les priorités qui bénéficieront d’un effort particulier pour un temps
fixé et également de fixer des objectifs.

Analyse des ressources disponibles


Il s’agit tout d’abord de répertorier l’ensemble des moyens utilisés ou
susceptibles d’être mobilisés pour traiter des problèmes de santé identifiés.
Dans un second temps, il faudra apprécier leur qualité et leur niveau quan-
titatif. Les moyens sont les intervenants (professionnels, bénévoles organisés,
entourages, familles, etc.), dont on analyse le nombre et le niveau de compé-
tence ; les moyens matériels, dont on étudie la performance intrinsèque, et
les conditions de mise en œuvre concrètes, qui déterminent leur accessibilité
et leur utilité réelles (il est ainsi possible qu’une nouvelle technologie testée
initialement dans des conditions optimales révèle quelques points faibles lors
de sa diffusion en routine) ; les moyens financiers ; le cadre juridique. Cette
analyse devra tenir compte de la dimension spatiale du projet de planification,
amenant à penser la territorialisation des actions à venir.

Choix des priorités


La nécessité d’établir des priorités s’explique par trois facteurs : l’obliga-
tion de tenir compte de ressources finies interdisant une mise en œuvre immé-
diate et générale ; une logique séquentielle prescrivant de réaliser certaines
opérations avant d’autres ; et enfin l’urgence d’agir.
Il est possible d’illustrer de façon concrète les diverses modalités de défi-
nition des priorités en analysant la période allant de la production des 100 objec-
tifs de la loi de 2004 jusqu’à l’élaboration de la Stratégie nationale de santé
(SNS) en 2019 ; c’est aussi l’occasion de favoriser une réflexion sur la place
relative de l’expertise par rapport à une approche plus « démocratique ».
La loi relative à la politique de santé publique de  2004 précise que la
nation définit sa politique de santé selon des objectifs pluriannuels. La

324
Planification en santé

Partie 1. Chapitre 11.
détermination de ces objectifs, la mise en œuvre des réponses et l’évaluation
de cette politique relèvent de la responsabilité de l’État.
La loi HPST de 2009 ne contient pas de définition générale de priorités
ou d’objectifs de santé. Elle ne s’appuie pas sur une évaluation de l’atteinte
des objectifs de la loi de 2004, dont elle n’assure pas le suivi systématique.
On note l’apparition de priorités ponctuelles : ainsi pour la prévention de
l’obésité et du surpoids à l’article L3231‑1 du CSP. En fait, la loi HPST
précise plutôt les moyens de mise en application de la politique de santé :
ainsi, à l’article L1431‑1 du CSP, l’ARS a pour mission de définir et de mettre
en œuvre un ensemble coordonné de programmes et d’actions concourant à
la réalisation, aux échelons régional et infra-régional, des objectifs de la poli-
tique nationale de santé, des principes de l’action sociale et médico-sociale,
en veillant au respect de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie.
Par ailleurs, à l’article L4143‑1 du CSP, le développement professionnel
continu a pour objectifs l’évaluation des pratiques professionnelles, le perfec-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tionnement des connaissances, l’amélioration de la qualité et de la sécurité
des soins ainsi que la prise en compte des priorités de santé publique et de la
maîtrise médicalisée des dépenses de santé.
La loi de modernisation de notre système de santé de 2016 énonce que
la nation définit sa politique de santé afin de garantir le droit à la protection
de la santé de chacun. La politique de santé relève toujours de la responsa-
bilité de l’État. Elle tend à assurer la promotion de conditions de vie favo-
rables à la santé, l’amélioration de l’état de santé de la population, la réduction
des inégalités sociales et territoriales, et l’égalité entre les femmes et les
hommes, et à garantir la meilleure sécurité sanitaire possible et l’accès effectif
de la population à la prévention et aux soins. Elle est adaptée aux besoins
des personnes en situation de handicap et de leurs aidants familiaux.
L’article L1411‑1-1 du CSP précise que la politique de santé est conduite
dans le cadre d’une Stratégie nationale de santé (SNS) définie par le gouver-
nement. La SNS détermine, de manière pluriannuelle, des domaines d’action
prioritaires et des objectifs d’amélioration de la santé et de la protection sociale
contre la maladie.
La loi de modernisation de notre système de santé du 26  janvier 2016
prévoit expressément qu’un volet de la Stratégie nationale de santé détermine
les priorités de la politique de santé de l’enfant. Préalablement à son adoption
ou à sa révision, le gouvernement procède à une consultation publique sur les
objectifs et les priorités du projet de SNS. Sa mise en œuvre fait l’objet d’un
suivi annuel et d’une évaluation pluriannuelle, dont les résultats sont rendus
publics.
La loi de 2016 met donc en place un cadre global de définition des objectifs
prioritaires qui diffère de celui de la loi de 2004. On est ici en présence d’une
approche plus démocratique, en ce sens qu’elle n’est pas fondée uniquement
sur un abord technique des problèmes, même si celui-ci n’est pas absent12,

12. Voir « Rapport préparatoire du Haut Conseil de la santé publique », 2017.

325
Partie 1. Les fondamentaux

mais compte une étape de consultation publique qui permet d’intégrer des
éléments de perception sociale subjective, d’intervention de parties prenantes
et de volontarisme politique13.
La loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la trans-
formation du système de santé fixe « comme première pierre de touche la struc-
turation des soins de proximité et la constitution d’un collectif de soins. Des
ponts et des outils de coopération doivent être créés entre hôpital, ville et secteur
médico-social. L’exercice coordonné a vocation à se développer, la gradation
des soins à être clarifiée et assumée, pour fluidifier le parcours des patients, et
améliorer la qualité, la sécurité et la pertinence des soins dispensés ». Il ressort
de tout cela un ensemble complexe qui peut avoir du mal a engager l’ensemble
des professionnels et des acteurs de santé dans le même projet. Il est indispen-
sable pour cela qu’une direction claire soit donnée au système de santé.
La logique de priorisation prend en compte les priorités nationales et s’ap-
plique en fait tout au long du processus de planification, mais elle est particu-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
lièrement déterminante au moment du choix des problèmes identifiés.
Le choix tient compte de plusieurs critères :
–  l’importance du problème de santé, déterminée par sa fréquence, sa gra-
vité, l’urgence (situation épidémique, catastrophe naturelle…), son ressenti
social ;
–  l’existence d’une réponse technique efficace et disponible, ce qui suppose
de connaître les causes ou les déterminants du problème et d’avoir les moyens
de peser sur ces facteurs ;
–  la capacité de mise en œuvre effective, sur les plans économique, culturel,
social, éthique, etc.  ;
–  les caractéristiques de la population, notamment âge, sexe, catégories
socioprofessionnelles, niveau de revenus, paramètres culturels (éducation, lan-
gage, etc.), répartition géographique, etc.  ;
–  les caractéristiques des professionnels : démographique (âge, sexe,
métiers, spécialités, etc.), répartition spatiale, organisation de la pratique (uni-
ou pluri-professionnelle, isolée ou en groupe), règles d’exercice (monopoles
d’activités), modes de rémunération (paiement à l’acte, au forfait, salariat) ;
–  le cadre d’organisation général : dispositifs de protection sociale, organi-
sation des soins (hôpital, ambulatoire), niveau de ressources disponibles
(humaines, matérielles, financières, informationnelles), modes de rémunération
des activités (budget global, tarification à l’activité, etc.).
La prise en compte de ces différents éléments amène à examiner le plus
souvent plusieurs problèmes :
–  Le sujet des inégalités de répartition des ressources sur le territoire
pertinent en santé publique, dont un cas concret actuel en France est celui des
« déserts médicaux » ou celui de la « permanence des soins ». Il est alors néces-
saire, non seulement d’analyser la densité médicale par territoire, mais aussi de

13. Par exemple, l’objectif affiché dans la SNS 2018‑2022 d’une éradication de l’épidémie de sida
en 2030.

326
Planification en santé

Partie 1. Chapitre 11.
tenir compte du niveau d’organisation entre médecins (notamment les modali-
tés de la garde médicale d’urgence) et des possibilités de réponse offertes par
les autres professionnels de santé, et cela sur les territoires pertinents, qui ne
sont pas les mêmes pour des soins de santé primaires que pour des soins haute-
ment spécialisés.
Encadré n° 3. La définition du territoire pertinent en santé publique

Le territoire de santé publique14 est un espace socialement construit. Il ne répond pas à une
définition simple et univoque15. Sa conception doit être adaptée aux besoins de santé de la
population en y apportant des solutions appropriées. C’est cela qui permet le plus de réduire
les inégalités de santé, tant sociales que territoriales.
Une région peut avoir trois types de territoires. Le premier est délimité par des découpages
administratifs généraux, avec une place particulière pour le département en raison des
compétences des conseils départementaux dans le champ social et médico-social. Le deu-
xième correspond à un découpage en fonction du nombre d’habitants. Le troisième prend
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
en compte d’autres considérations que les découpages administratifs ou le nombre d’habi-
tants : l’enclavement géographique, l’insularité ou l’activité des acteurs de santé ; bien sou-
vent, le territoire de santé retenu comme base de travail dans l’élaboration d’un projet
régional de santé est déterminé par la présence d’un grand établissement de santé, CHU ou
CH important, autour duquel se cristallise un groupement hospitalier de territoire (GHT).
En matière de sécurité sanitaire, il faut intégrer pour la gestion des situations exception-
nelles un niveau interrégional : la zone (➠ Chapitre 14).
Les limites des territoires de santé publique ne sont pas figées et peuvent évoluer dans le temps.
Les méthodes employées pour tracer les contours d’un territoire de santé publique sont
donc très diverses et tiennent compte de nombreuses informations. Ainsi, à titre d’exemple,
la définition d’un « bassin de vie » s’appuie sur l’analyse des voies de circulation et des
moyens de transport, les habitudes historiques de la population, les logiques économiques,
les zones d’emploi, l’organisation de l’offre de formation, etc. De nombreux atlas sanitaires
existent, qui illustrent ces démarches, dont la finesse peut aller jusqu’à la prise en compte
des déplacements motorisés, ou pas, des personnes âgées au sein d’une ville16.
L’ARS pilote ces travaux en partenariat avec les collectivités territoriales, les professionnels
de santé, les représentants d’associations d’usagers, les citoyens. Son rôle va consister à
garantir le bon équilibre entre les différents enjeux, tandis que le niveau national produira
les orientations, les références, les services et les outils pour permettre l’organisation de la
cohérence et l’attribution de ressources. Le territoire de santé publique devient ainsi le socle
de la reconstruction d’une accessibilité aux soins dans l’espace et dans le temps ainsi que
d’une accessibilité financière17.

14. P.-H. Bréchat, Sauvons notre système de santé et d’assurance maladie, Presses de l’EHESP,
2016, p. 107‑121.
15. J.-M. Amat-Roze, « La territorialisation de la santé : quand le territoire fait débat », Hérodote,
2011, n° 143, p. 13‑32.
16. Voir l’exemple de l’étude des déplacements des personnes âgées dans la ville de Nice, qui
permet d’identifier trois types de personnes âgées à faible, moyenne et forte mobilité, ainsi que les
stratégies d’adaptation à ces situations : M. Blanchet, Atlas des seniors et du grand âge en France,
Presses de l’EHESP, novembre 2017, p. 39.
17. M.  Bernier, Rapport d’information en conclusion des travaux de la mission d’information
sur l’offre de soins sur l’ensemble du territoire, commission des affaires culturelles, familiales et
sociales, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale, 30 septembre 2008, n° 1132, 160.

327
Partie 1. Les fondamentaux

–  La question des financements mobilisables fait examiner les perspectives


de modification des équilibres entre financeurs, publics et privés, voire la diver-
sification des ressources avec implication de nouveaux payeurs, tels qu’une entité
non sanitaire (par exemple, des fonds d’investissement généralistes, des entre-
prises au titre de leur responsabilité sociale ou encore un réseau social sur
Internet…) ou une collectivité territoriale intervenant à titre facultatif. Par ailleurs,
le choix du mode de rémunération est évidemment crucial (➠ Chapitre 6), en
soulignant que la combinaison de plusieurs modalités peut s’avérer intéressante
pour pallier les inconvénients inhérents à chacune.
– L’arbitrage entre les caractéristiques des réponses possibles : il est en
effet rare de trouver une solution parée de toutes les qualités. Il faudra donc tenir
compte de l’accessibilité (géographique, organisationnelle, économique, cultu-
relle, sociale). Des indicateurs peuvent rendre service en permettant de définir
des courbes isochrones de recours à une prestation de santé (accès à un service
des urgences, à une maternité, par exemple) ou encore la cartographie des zones
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de recrutement des patients par une structure. On notera que l’accessibilité aux
soins de santé primaires fait largement intervenir l’usager dans son interaction
avec les professionnels, tandis que l’accessibilité aux niveaux de soins spécia-
lisés fait jouer plutôt les interactions entre professionnels18.
Le croisement des différents critères permet de déterminer un ordre de
priorité débouchant soit sur des interventions, soit sur des travaux de recherche :
un problème jugé important pour lequel existent des solutions opérationnelles
que l’on peut mettre aisément en œuvre oriente vers une priorité d’intervention,
tandis qu’un problème important mais pour lequel les modalités d’une inter-
vention efficace sont mal établies demandera d’abord un travail de recherche
en matière de service de santé.

11.2.4. Fixation des objectifs


Chaque priorité doit être accompagnée par des objectifs opérationnels, éla-
borés dans le cadre d’une démarche participative impliquant tous ceux qu’ils
concernent. Cette démarche participative doit permettre de donner du sens à
l’action collective, dans des termes qui soient compatibles avec les valeurs des
acteurs et des professionnels concernés. Ces derniers doivent pouvoir exprimer
à leur manière les problèmes prioritaires qu’ils ont relevés et les solutions
qu’ils préfèrent. Cette expression publique permettra, in fine, à chaque catégorie
d’acteurs et de professionnels d’intégrer tout ou partie des réponses aux pro-
blèmes prioritaires ainsi qu’aux objectifs formulés par les autorités publiques.
Ces objectifs sont quantitatifs et qualitatifs, bornés dans le temps, dans
l’espace et selon tout autre critère pertinent (sexe, âge, etc.). Ils pourront être
hiérarchisés entre eux ou encore séquencés dans le temps.

18. E.  Freidson, « Client Control and Medical Practice », American Journal of Sociology, 1960,
vol. 65, n° 4, p. 374‑382.

328
Planification en santé

Partie 1. Chapitre 11.
11.3. Mise en œuvre du processus de planification en santé au
niveau régional : le projet régional de santé (PRS)

11.3.1. Le dispositif général


L’ARS est, depuis 2010, le régulateur du dispositif de santé régional. Il
offre un pilotage unifié, destiné à accroître l’efficience et l’efficacité de l’ac-
tion publique en répondant mieux aux besoins de santé sur un territoire donné
par un continuum d’offres et d’actions. Elle a pour objectifs stratégiques de
contribuer à réduire les inégalités territoriales de santé, d’assurer un meilleur
accès aux soins, d’organiser le parcours de soins et d’améliorer l’efficience
du dispositif de santé en en maîtrisant les dépenses.
Le processus de planification sanitaire dans les territoires régionaux est
formalisé par un projet régional de santé (PRS). Selon la loi de modernisation
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de notre système de santé de 2016, le PRS est défini « en cohérence avec la
Stratégie nationale de santé (SNS) et dans le respect des lois de financement
de la sécurité sociale, les objectifs pluriannuels de l’agence régionale de santé
dans ses domaines de compétence, ainsi que les mesures tendant à les
atteindre » (art. L1434‑1 du CSP).
Le PRS est constitué :
–  « d’un cadre d’orientation stratégique (COS), qui détermine des objec-
tifs généraux et les résultats attendus à dix ans » ;
–  « d’un schéma régional de santé (SRS), établi pour cinq ans sur la base
d’une évaluation des besoins sanitaires, sociaux et médico-sociaux et qui déter-
mine, pour l’ensemble de l’offre de soins et de services de santé, y compris en
matière de prévention, de promotion de la santé et d’accompagnement médico-
social, des prévisions d’évolution et des objectifs opérationnels […] » ;
–  « d’un programme régional relatif à l’accès à la prévention et aux
soins des personnes les plus démunies » (art. L1434‑2 du CSP).
Il est arrêté par le directeur général de l’ARS après avis de la conférence
régionale de santé et de l’autonomie (CRSA19), des collectivités territoriales et
du préfet de région. Le PRS est mis en œuvre par le biais de contrats plurian-
nuels d’objectifs et de moyens (CPOM) signés, d’une part, entre chaque ARS
et le ministère en charge de la santé, et, d’autre part, entre l’ARS et les éta-
blissements de santé. Le PRS est aussi appliqué dans le cadre de contrats passés
entre l’ARS et les acteurs de santé organisés territorialement : contrats territo-
riaux de santé, contrats territoriaux de santé mentale, contrats locaux de santé.
Le COS, le SRS et le PRAPS sont en pratique hiérarchisés entre eux.

19. La CRSA, créée par la loi n° 2009‑879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative
aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), est une instance stratégique de l’ARS. Elle concourt
à la mise en œuvre de la politique régionale de santé en donnant des avis sur ses modalités d’élabo-
ration, de suivi et d’évaluation. La CRSA organise le débat public sur les questions de santé de son
choix. Ses avis sont rendus publics. Elle permet aux représentants des usagers du système de santé de
s’exprimer et évalue les conditions dans lesquelles sont appliqués et respectés les droits des usagers
du système de santé, l’égalité d’accès au système et la qualité de ses prises en charge.

329
Partie 1. Les fondamentaux

11.3.2. Le cadre d’orientation stratégique et son plan


La stratégie fixe les priorités et les objectifs de santé en prenant en compte
la SNS ainsi que les réalités régionales et infra-régionales. La stratégie est
ensuite déclinée dans un plan qui va déterminer les forces et les faiblesses
des réponses apportées, les priorités de santé, les objectifs à atteindre et les
territoires sur lesquels la stratégie s’applique, afin de résoudre un ou plusieurs
problèmes de santé à l’échelle de la population.
Les objectifs généraux et les résultats attendus à dix ans pour améliorer
l’état de santé de la population et lutter contre les inégalités sociales et ter-
ritoriales de santé, en particulier celles relatives à l’accès à la prévention, aux
soins et à l’accompagnement médico-social, sont déclinés dans le COS. Selon
le décret n° 2016‑1023 du 26 juillet 2016 relatif au PRS, les objectifs portent
notamment sur l’organisation des parcours de santé, le renforcement de l’ef-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
ficience des prises en charge et des accompagnements, les effets sur les
déterminants de santé ou le respect et la promotion des droits des usagers.
Le COS s’inscrit aussi dans la perspective d’une amélioration de la coordi-
nation avec les autres politiques publiques ayant un impact sur la santé.

11.3.3. Le schéma régional de santé (SRS)


Pour l’élaboration du PRS, la région est découpée en territoires de santé
de manière à couvrir l’intégralité du territoire de la région. En pratique, l’ARS
procède à plusieurs découpages du territoire régional selon les missions et
objectifs assignés à chaque maille géographique. Le territoire correspond tout
d’abord à un découpage pour la démocratie sanitaire, territoire qui servira de
ressort aux conseils territoriaux de santé. Par ailleurs, d’autres zones sont déter-
minées en fonction d’un ou plusieurs autres découpages, selon le type d’acti-
vités de soins ainsi que pour les laboratoires de biologie médicale. Le directeur
général de l’ARS peut donc définir une maille géographique différente pour
les activités de soins et équipements matériels lourds soumis à autorisation.
Au niveau de chaque territoire de démocratie sanitaire est mise en place
une structure consultative :
« Le conseil territorial de santé participe à la réalisation du diagnostic
territorial partagé [et] contribue à l’élaboration, à la mise en œuvre, au suivi
et à l’évaluation du projet régional de santé, en particulier sur les dispositions
concernant l’organisation des parcours de santé. » (art. L1434‑10, II)
« Le diagnostic territorial partagé a pour objet d’identifier les besoins sani-
taires, sociaux et médico-sociaux de la population concernée en s’appuyant sur
des données d’observation. Il tient compte des caractéristiques géographiques
et saisonnières du territoire concerné et des besoins des personnes exerçant
une activité saisonnière. Il identifie les insuffisances en termes d’offre, d’ac-
cessibilité, de coordination et de continuité des services sanitaires, sociaux
et médico-sociaux, notamment en matière de soins palliatifs, en portant une
attention particulière aux modes de prise en charge sans hébergement. Il s’ap-
puie, lorsqu’ils existent, sur les travaux et propositions des conseils locaux de

330
Planification en santé

Partie 1. Chapitre 11.
santé ou de toute autre commission créée par les collectivités territoriales pour
traiter des questions de santé. Il porte une attention particulière aux quartiers
prioritaires de la politique de la ville et aux zones de revitalisation rurale. »
(art. L1434‑10, III, du CSP)

Pour chacun des territoires correspondant à l’organisation d’une activité


de soins, le SRS fixe des objectifs quantitatifs et qualitatifs de l’offre de soins,
précisés par activité de soins et par équipement matériel lourd ; ainsi que les
créations et suppressions d’activités de soins et d’équipements matériels
lourds ; les transformations, les regroupements et les coopérations entre les
établissements de santé. Les objectifs quantitatifs et qualitatifs de l’offre des
établissements et des services médico-sociaux y seront aussi déclinés, de
même que l’offre d’examens de biologie médicale.
Le directeur général de l’ARS peut déterminer les zones caractérisées par
une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins, mais
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
également les zones dans lesquelles le niveau de l’offre de soins est particuliè-
rement élevé. Cela, afin de prendre et de mettre en œuvre les mesures destinées
à réduire les inégalités en matière d’accès aux soins et à favoriser une meilleure
répartition géographique des professionnels et organisations de santé.
En fonction des situations, un schéma interrégional de santé peut être mis
en place20, ainsi que des schémas régionaux spécifiques (par exemple, pour
la lutte contre la douleur, la dialyse, la prévention du suicide). Le SRS peut
aussi contenir des dispositions relatives à des coopérations transfrontalières.

11.3.4. Les objectifs quantitatifs de l’offre de soins (OQOS)


Ils constituent un outil pour la planification des activités de soins. Ils ont
été créés par l’ordonnance hospitalière du 4 septembre 2003, modifiée sur ce
point par le décret du 7 février 2012 relatif aux objectifs quantifiés de l’offre
de soins21, puis par le décret du 25 septembre 201822. Ils sont définis à l’article
L6121‑2 du CSP. Les OQOS concernent les équipements matériels lourds :
il s’agit de fixer leur implantation, leur accessibilité et leur volume d’activité
par territoire de santé. Les OQOS peuvent être exprimés de deux manières :
–  sous forme de régulation des implantations : en nombre d’implantations
disposant d’un équipement matériel lourd déterminé ou en nombre d’appareils
par équipement matériel lourd. Ils sont alors un prérequis à l’attribution des
autorisations et constituent le vecteur privilégié des restructurations de l’offre
de soins. En effet, les autorisations d’activités de soins et d’équipements maté-
riels lourds ne peuvent être accordées que si elles sont compatibles avec les
objectifs fixés par le SRS ;
–  sous forme de critères d’accessibilité : en temps maximum d’accès, dans
un territoire de santé, à un établissement disposant d’un équipement matériel

20. Décret n° 2016‑1023 du 26 juillet 2016 relatif au projet régional de santé.


21. Décret n° 2012‑192 du 7 février 2012 relatif aux objectifs quantifiés de l’offre de soins.
22. Décret n° 2018‑811 du 25 septembre 2018, art. 19.

331
Partie 1. Les fondamentaux

lourd ou bien en temps maximum d’attente pour les rendez-vous d’examens


programmés pour les équipements matériels lourds.
Il est intéressant de remarquer que ces formulations marquent le passage d’une
planification quantitative à une intégration de critères qualitatifs et projectifs,
permettant ainsi d’assurer une meilleure prise en charge des besoins de santé de
la population desservie. En effet, la rédaction de l’article D6121‑10 du CSP
précise que « les objectifs sont quantifiés soit par un minimum et un maximum,
soit par une progression ou une diminution au décours de la période d’exécution
du schéma, éventuellement assorti d’échéances sur tout ou partie de cette période ».

11.3.5. La mise en œuvre des actions au sein de programmes


Un programme explicite les opérations à mener pour traduire dans les
faits les dispositions du schéma. Son contenu et sa structure suivent les quatre
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
points suivants23 :
–  établir les objectifs du programme ;
–  préciser les opérations à mener pour décliner les propositions spécifiques
d’application des schémas, avec leur calendrier, les responsables de leur ­exécution ;
–  fixer les conditions de réalisation de ces opérations, les moyens à mobiliser ;
–  engager un dispositif d’évaluation de sa mise en œuvre et de ses résultats.
Un seul programme est aujourd’hui obligatoire dans le cadre du PRS : le
programme régional relatif à l’accès à la prévention et aux soins des
personnes les plus démunies (PRAPS), qui comporte les actions à conduire,
les moyens à mobiliser, les résultats attendus et un calendrier de mise en
œuvre. Des coopérations avec les pays voisins sont, le cas échéant, prévues24.
La SNS pose la lutte contre les inégalités sociales et territoriales comme un
enjeu majeur pour les PRS. Cela se traduit dans les objectifs des SRS et des
PRAPS. Les PRAPS sont établis à partir d’une analyse de la situation locale
en matière d’accès à la prévention et aux soins, et ont pour objets d’organiser
des actions coordonnées de prévention et d’éducation à la santé, de soins, de
réinsertion et de suivi, et d’assurer la coordination entre les services compé-
tents en ce domaine.
La mise en œuvre des objectifs du PRAPS doit permettre un accès facilité
et égalitaire à la prévention, à la promotion de la santé et au système de santé
des populations qui en sont les plus éloignées, mais plus largement à toute
personne qui éprouve des difficultés d’ordre socio-économique à exercer son
droit à la santé. Le PRAPS est un dispositif à caractère transversal visant à
associer les organismes d’assurance maladie, les hôpitaux, les mutuelles,
les organismes professionnels, les associations, les collectivités locales et les
services de l’État, pour améliorer l’accès à la prévention et aux soins des
personnes en situation de précarité. L’article R1434‑11 du CSP détermine,
à échéance de cinq ans, la structure du PRAPS : « 1° Les actions à conduire ;

23. A. Lopez, Réguler la santé, op. cit.


24. Décret n° 2016‑1023 du 26 juillet 2016 relatif au projet régional de santé.

332
Planification en santé

Partie 1. Chapitre 11.
2° Les moyens à mobiliser ; 3° Les résultats attendus ; 4° Le calendrier de
mise en œuvre ; 5° Les modalités de suivi et d’évaluation. »

11.3.6. Éléments d’évaluation de la planification régionale


L’évaluation des étapes et des dispositifs de la planification en santé est
importante. Elle a été principalement mise en œuvre pour les schémas régio-
naux d’organisation sanitaire (SROS) de deuxième génération25, les PNS26,
les programmes régionaux de santé (PRS27) et le plan stratégique régional de
santé (PSRS), c’est-à-dire dans le cadre administratif antérieur à la loi
de modernisation de notre système de santé de 2016.
L’évaluation des SROS de deuxième génération a notamment montré que
les professionnels de la planification sanitaire, peu nombreux, ont développé des
compétences au sein de leurs multiples tâches pour s’adapter aux nouvelles
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
réformes dans une ambiance de pressions économique et juridique importantes.
Ces professionnels ont réalisé des apprentissages collectifs et organisationnels,
voire culturels, qui permettent la mobilisation d’initiatives, l’intégration de la
diversité de projets individuels pour une capacité d’action collective responsable
et de qualité, témoin de la modernisation de l’action publique. Les apprentissages
collectifs sont notamment ceux des circulaires, des formations, de la connaissance
des nouvelles personnes ressources des dispositifs de la planification en santé,
ou des réseaux comme les professionnels de l’assurance maladie et les représen-
tants des associations d’usagers. Les apprentissages organisationnels concernent
l’établissement de normes collectives avec les élus et la population, ce qui était
inédit. L’apprentissage culturel concerne l’acquisition d’une démarche et d’une
culture de santé publique par tous les acteurs grâce, en partie, à l’ouverture des
espaces de discussion et de concertation par le SROS de deuxième génération.
Cette évaluation a encouragé le ministère chargé de la santé à poursuivre
le développement de la planification en santé28. Il a été montré que les régions
qui ont mis en place des programmes régionaux de santé consacrés à la
prévention du suicide ont vu le taux de mortalité par suicide diminuer plus
fortement que celles qui n’en avaient pas mis en place29.

25. A. Jourdain, B. Cotard, I. de Turenne, « Enquête sur les artisans des schémas régionaux d’or-
ganisation sanitaire de deuxième génération : le point de vue des acteurs. Rapport pour la direction
des hôpitaux », communication orale lors de la réunion du comité de suivi national des SROS à la
direction des hôpitaux le 12 juillet 1999, ministère de l’emploi et de la solidarité, 2000.
26. P.-H. Bréchat, M.-C. Avarguès, R. Demeulemeester, F. Jabot, « Forces et faiblesses des pro-
grammes nationaux de santé », in J.-C. Henrard, P.-H. Bréchat (coord.), « Politiques et programmes
nationaux de santé », Actualité et dossier en santé publique, n° 50, 2005, p. 40‑43.
27. P.-H. Bréchat, « Naissance et histoire de la régionalisation des politiques de santé. Vingt ans
de PRS », in P.-H. Bréchat, R. Demeulemeester (coord.), « Politiques et programmes régionaux de
santé », Actualité et dossier en santé publique, n° 46, 2004, p. 15‑22.
28. P.-H. Bréchat, J. Raimondeau, « Les apprentissages réalisés par les “artisans de la planification
sanitaire” pendant la construction des schémas régionaux d’organisation sanitaire », Santé publique,
n° 16 (3), 2004, p. 527‑539.
29. M. M. Bellanger, A. Jourdain, A. Batt-Moillo, « Might the Decrease in the Suicide Rates in France
Be Due to Regional Prevention Programmes ? », Social Science & Medicine, n° 65 (3), 2007, p. 431‑441.

333
Partie 1. Les fondamentaux

L’évaluation des plans stratégiques régionaux de santé (PSRS) a montré


aussi que, si les ARS les ont élaborés en prenant en compte les exigences
réglementaires, bibliographiques concernant les enjeux des systèmes de santé,
les priorités de la loi de modernisation de notre système de santé de 2016
ainsi que le partenariat avec l’assurance maladie, il existe des écarts importants
entre PSRS et sous-parties dites « juridique », « bibliographique », « d’avenir »
et « autres ». De plus, l’exigence démocratique et de méthodologie est peu
prise en compte30. Ces constats permettent de tracer des pistes d’amélioration
du processus de planification afin de contribuer davantage au renforcement
de l’efficacité des politiques publiques de santé (➠ Chapitre 16).

11.4. L’exemple d’un programme national de santé (PNS)


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Plusieurs dizaines de PNS soutiennent des travaux régionaux et locaux. Ils
peuvent apporter les résultats d’une revue de littérature scientifique, adminis-
trative et juridique. Il est possible de citer ceux sur la pandémie grippale, la
nutrition ou l’antibiorésistance. Peu de PNS ont cependant été publiés, évalués
en fonction notamment des conditions de réussite d’une action de santé
publique et ont diffusé au sein d’autres PNS tout en servant de cadre à plusieurs
ministères pendant près de vingt ans. C’est le cas du programme national de
promotion de la santé par les activités physiques et sportives et de prévention
des conduites dopantes (PN-APSD), qui sera ici pris comme référence31.
En 2000, le dopage est devenu une priorité, à la suite des affaires qui ont
éclaboussé plusieurs éditions du Tour de France, et ce, malgré la loi relative
à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage de mars 1999.
Par l’arrêté du ministre de la santé du 4  décembre 2001 et « relatif à la
création et à la composition d’une commission interministérielle activités
physiques et sportives, santé publique, prévention des conduites dopantes »,
une commission est créée, qui regroupe notamment des experts des ministères
de la santé et des sports. En faisant une revue de la littérature scientifique,
la commission a replacé la problématique de départ dans une perspective plus
large, celle des risques et surtout des bénéfices pour la santé liés aux activités
physiques et sportives (APS). Le 5 avril 2002, le rapport Aeberhard, du nom
du président de la commission, est présenté publiquement au ministre et à la
presse ; il préconise l’élaboration d’un programme national de santé (PNS).

30. L.  Bouzlafa, P.-H. Bréchat, C.  Gravelat, A. Lopez, J.  Raimondeau, Y. Théis, P.  Thébault,
P. Briot, P. Batifoulier, A. Malone, J.-L. Denis, « Plan stratégique régional de santé et agence régio-
nale de santé : bilan mitigé en faveur d’améliorations », Droit et Santé, n° 80, 2017, p. 771‑781.
31. P.-H. Bréchat, P. Aeberhard, « Programme national de promotion de la santé par les activités
physiques et sportives et prévention des conduites dopantes 2002‑2007 : PN-APSD », in P. Aeberhard,
P.-H. Bréchat, Activités physiques et sportives, santé publique, prévention des conduites dopantes,
Éditions ENSP, 2003, p. 215‑244 ; P.-H. Bréchat, P. Aeberhard, « La CAPS et les programmes na-
tionaux de santé entre 2001 et 2009 », in J. Lonsdorfer, P.-H. Bréchat, La Consultation de l’aptitude
physique du senior, Presses de l’EHESP, 2010, p. 67‑76.

334
Planification en santé

Partie 1. Chapitre 11.
Le PN-APSD est élaboré au cours du premier semestre 2002. Il a pour
objectif général d’améliorer :
–  l’état de santé de la population, dans un souci de réduction des inégalités
sociales de santé, grâce aux bénéfices apportés par les APS, tout en veillant à
en diminuer les risques, au premier rang desquels les conduites dopantes ;
–  la qualité de vie des personnes ayant des pathologies chroniques, tout
en diminuant les coûts de prise en charge par l’assurance maladie.
Les actions développées par le PN-APSD s’appuient sur certaines règles :
–  le choix de la pratique d’une APS est un acte libre et volontaire, notam-
ment chez les jeunes pratiquants intensifs ;
– outre sa fonction biologique, l’acte de pratiquer une APS a une forte
charge culturelle, sociale – c’est un moment ludique et de plaisir revendiqué ;
–  le PN-APSD prend en compte la triple dimension biologique, symbo-
lique et sociale de l’acte de pratiquer une APS ;
–  le choix d’une APS doit être éclairé par une information scientifique-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
ment valide, compréhensible et indépendante ;
–  les actions mises en œuvre par le PN-APSD ont comme finalité de
promouvoir, pour les APS, les bénéfices tout en en diminuant les risques,
dont les conduites dopantes.
De plus, le PN-APSD veut favoriser la création de passerelles avec les
autres PNS existants et à venir, comme le plan national Bien vieillir.
Le PN-APSD contient les conditions de réussite des interventions en santé
publique : il fait partie des 14 actions nationales, recensées entre 2001 et 2006
pour le déterminant de santé activités physiques et sportives, qui ont la meil-
leure efficacité potentielle (performance), c’est-à-dire égales et supérieures à
240 % sur 300 %32. Le PN-APSD a un score de 250 % et se situe en troisième
position derrière le plan national Bien vieillir 2003‑2005 (280 sur 300 %) et
le programme interrégional de consultation de l’aptitude physique du senior :
CAPS (270 sur 300 %33).
Sa construction a coûté 100 000 €, dont 15 % consacrés à la communi-
cation. Le PN-APSD a voulu changer le regard des professionnels et des
responsables pour induire une nouvelle politique interministérielle de santé
publique développant des actions de prévention, de réadaptation et d’édu-
cation thérapeutique. Il a favorisé l’élaboration d’une culture de santé
publique interministérielle du niveau national au niveau local, le niveau
national jouant un rôle de catalyseur et de fédérateur. Il a permis que le
déterminant de santé APS devienne l’objectif n°  9, indépendant du déter-
minant de santé « nutrition », dans la loi relative à la politique de santé
publique de 2004.

32. L’action est composée de trois parties : la structuration et le fonctionnement de l’action ; l’im-
plication des acteurs ; les relations avec l’environnement en particulier institutionnel et communau-
taire. Dans chaque partie, le score d’une action est exprimé sur 100 % et le score total de l’action est
donc exprimé sur 300 %.
33. P.-H. Bréchat, T.  Vogel, M.  Berthel, A. Le Divenah, C.  Segouin, R.  Rymer, J.  Lonsdorfer,
« Analyse de quatorze actions nationales pour le déterminant de santé activités physiques et sportives
en France de 2001 à 2006 », Santé publique, n° 21(1), 2009, p. 101‑118.

335
Partie 1. Les fondamentaux

Ce PNS a permis à des professionnels de santé membres de la commission


Aeberhard d’innover, en créant la consultation de l’aptitude physique du senior
(CAPS). Cette consultation permet de redonner au senior, après un dépistage
des pathologies que seul l’effort maximal peut révéler, les capacités pulmo-
naires, cardio-vasculaires et musculaires nécessaires pour pratiquer des APS
dans des conditions de plaisir et sans incident. Cette innovation, dont les
résultats ont été scientifiquement prouvés, a été reprise par les centres de
prévention Bien-vieillir Agirc-Arrco. Le rapport Aeberhard a favorisé la prise
en compte des connaissances scientifiques dans le domaine par une expertise
collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale
(INSERM) publiée en mars 2008. Fin 2008 sont rendus publics un nouveau
rapport et un PNS intitulés « Retrouver sa liberté de mouvement, PNAPS :
Plan national de prévention par l’activité physique ou sportive34 ».
Encadré n° 4. Les objectifs prioritaires et les axes stratégiques du PN-APSD
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Trois objectifs prioritaires
1. Promouvoir les APS de loisir et de réadaptation, tout en diminuant leurs risques, dont les
conduites dopantes :
–  augmenter de 25 % la proportion de personnes, tous âges confondus, faisant, en une ou
plusieurs fois par jour, l’équivalent d’au moins trente minutes d’APS, comme la marche à pas
réguliers et soutenu ; au moins cinq jours par semaine, particulièrement chez les femmes,
pour passer de 60 à 75 % pour les hommes et de 40 à 75 % chez les femmes ;
– augmenter les possibilités d’APS de réadaptation ;
–  diminuer les risques, dont les conduites dopantes, liées à ces activités.
2. Améliorer l’état des connaissances par la commande de recherches de santé publique,
épidémiologiques, physiologiques et sur la dangerosité des substances et des procédés de
dopage interdits.
3. Mettre en place un dispositif de veille à l’échelle européenne sur les conduites dopantes.
Ses principes généraux sont que la population doit pouvoir bénéficier d’actions concrètes
et visibles permettant, en diminuant les inconvénients, de réduire le risque de maladies et
d’optimiser l’état de santé et la qualité de vie, à tous les âges de la vie.
Six axes stratégiques
1. Informer et orienter les usagers vers une ou des APS favorables à la santé ; éduquer les
jeunes et créer un environnement favorable à une pratique d’APS satisfaisante.
2. Prévenir, dépister et prendre en charge les risques liés aux APS, dont les conduites
dopantes, dans le système de soins.
3. Favoriser l’implication des industriels pharmaceutiques et des usagers avec les associa-
tions de consommateurs et leurs structures.
4. Mettre en place un système de surveillance de la pratique des APS par la population et
de veille sur les risques qui leur sont liés, dont les conduites dopantes.
5. Développer la recherche sur les APS : recherche en santé publique, épidémiologie, phy-
siologie et sur la dangerosité des substances et des procédés de dopage interdits.
6. Engager des mesures et actions de santé publique complémentaires destinées à des
groupes spécifiques de population : les jeunes, les moins de 65 ans, les personnes âgées, les
personnes ayant des pathologies chroniques ou des handicaps.

34. J.-F. Toussaint, Retrouver sa liberté de mouvement. PNAPS : Plan national de prévention par
l’activité physique ou sportive. Rapport de la commission Prévention, sport, santé, rapport pour le
ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, octobre 2008.

336
Planification en santé

Partie 1. Chapitre 11.
En février 2009, la priorité « activités physiques et sportives » est assujettie,
donc rendue peu visible, à la priorité « nutrition » du Programme national
nutrition santé (PNNS).
Cela peut interroger. Les formations et les métiers portant les APS et la
nutrition sont différents. Les APS engendrent également une hygiène de vie
bénéfique à la santé, notamment une plus grande importance accordée à la
diététique35. La qualité plutôt que le volume. Le résultat principal des dix
années de portage des APS par le PNNS est le peu d’innovation par rapport
à la période où le portage national des APS était séparé de celui de la nutri-
tion. La visibilité et la priorisation de financements ayant pu se faire en faveur
de la nutrition au détriment des APS.
En 2019, une nouvelle expertise collective de l’INSERM, « Activité phy‑
sique – prévention et traitement des maladies chroniques », est publiée. Elle
fait suite, dix ans après, à celle de 2008, comme le préconisait le PN-APSD.
Cette expertise permet d’actualiser les connaissances scientifiques et renforce
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
la nécessité de développer des actions en faveur de la santé par les APS pour
prévenir les pathologies cardio-vasculaires, les cancers, le diabète et les patho-
logies respiratoires chroniques, ainsi que pour certaines maladies mentales
(dépression, schizophrénie) et troubles musculo-squelettiques (TMS).
Pour remporter les défis liés à l’épidémie de maladies cardio-vasculaires,
évitable par des mesures de prévention, comme la pratique d’APS, et stimuler
le développement d’actions de prévention par les APS de qualité, il apparaît
important qu’un PNS « APS » soit à nouveau individualisé du PNNS. Ce
nouveau PNS « APS » pourrait être issu des PNAPSD et PNAPS, tout en
prenant en compte l’expertise de l’INSERM de 2019. Il pourrait bénéficier
d’un pilotage interministériel, notamment par le ministère chargé de la santé
et par le ministère chargé des sports avec l’assurance maladie, ainsi que de
financements consacrés aux professionnels de santé locaux et aux actions
inter-institutionnelles et interdisciplinaires. Il serait transversal aux autres
PNS, comme ceux portant sur les pathologies chroniques ou le bien-vieillir.
Il pourra notamment coordonner et soutenir les actions dans le domaine des
APS des centres de prévention Bien-vieillir Agirc-Arrco, la démarche Santé
active de la Caisse nationale de l’assurance maladie ou de CAMI Sport et
Cancer.

35. J. Desheulles et al., Enquête de l’Association nationale pour la promotion des activités phy‑
siques et sportives dans le monde du travail 1996 : stress, pratiques sportives et monde du travail,
ASMT, 1997, p. 11‑22.

337
Partie 1. Les fondamentaux

Points clés
• La planification en santé est un outil d’aide à la décision. C’est un instrument
d’organisation et de gestion permettant aux autorités publiques de prendre des
décisions sur une base plus rationnelle pour piloter les évolutions d’un système
de santé.
• Un système de santé regroupe, d’une part, l’ensemble des ressources dévolues
à la préservation et à la promotion de la santé de la population et, d’autre part,
il décrit aussi les interactions de diverses natures (juridiques, financières, infor-
mationnelles, etc.) entre les acteurs impliqués. Le processus de planification
passe par trois phases obligées, qui sont, chronologiquement :
–  la préparation ;
– le diagnostic, qui permet notamment l’identification des problèmes de
santé à prendre en compte et l’analyse des ressources disponibles ;
– l’élaboration des priorités parmi les problèmes de santé précédemment
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
identifiés, qui permet notamment de définir des objectifs opérationnels.
• En France, aujourd’hui, la planification en santé est mise en œuvre principale-
ment au niveau régional par les ARS qui élaborent un Projet régional de santé
(PRS). Le PRS est constitué :
– « d’un cadre d’orientation stratégique, qui détermine des objectifs généraux
et les résultats attendus à dix ans » ;
– « d’un schéma régional de santé (SRS), établi pour cinq ans sur la base d’une
évaluation des besoins sanitaires, sociaux et médico-sociaux et qui déter-
mine, pour l’ensemble de l’offre de soins et de services de santé, y compris en
matière de prévention, de promotion de la santé et d’accompagnement
médico-social, des prévisions d’évolution et des objectifs opérationnels […] » ;
– « d’un programme régional relatif à l’accès à la prévention et aux soins des
personnes les plus démunies » (art. L1434‑2 du CSP).

Pour aller plus loin


Planification en santé au sein de la régulation de la santé
A. Lopez, Réguler la santé, Presses de l’EHESP, 2013.
R. Pineault, Comprendre le système de santé pour mieux le gérer, Presses de l’université
de Montréal, 2012.
Planification en santé au sein des enjeux des systèmes de santé et d’assurance maladie
P.-H. Bréchat, Sauvons notre système de santé et d’assurance maladie, Presses de
l’EHESP, 2016.
Propositions pour une future planification en santé
A. Lopez, P.-H. Bréchat, « La planification en santé : un essai à transformer », Sève, Les
Tribunes de la santé, n° 50, 2016, p. 93‑111.
Exemple d’analyse géographique
M. Blanchet, Atlas des séniors et du grand âge en France, Presses de l’EHESP, 2017.
Démocratie sanitaire et planification en santé
P.-H. Bréchat, P. Batifoulier (dir.), « Pour une élaboration démocratique des priorités
de santé. For the democratic development of health policy priorities », Sève, Les
tribunes de la santé, hors série, 2014.
Chapitre 12
Interventions en santé publique :
prévention, promotion de la santé
Jacques Raimondeau

Objectifs pédagogiques
Connaître :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
– Les principales classifications des actions de prévention
– Les principes généraux de l’éducation pour la santé et de la promotion de la
santé
– Les problématiques relatives à la prévention du tabagisme et des conduites
d’alcoolisation à risque
– Les différents types de vaccin et leur place en matière de prévention
– Les principes d’une stratégie vaccinale et le calendrier vaccinal français
– Les principes d’une démarche de dépistage et les critères de qualité d’un test
de dépistage
– Le dispositif de dépistage organisé des cancers en France
– Les actions de réduction des risques chez les usagers de drogues

12.1. Définitions et généralités

12.1.1. La prévention
Il existe plusieurs définitions de la prévention en santé ; elles se recoupent
fortement. Le glossaire de la Banque de données en santé publique (BDSP)
propose la définition suivante :
« Actions visant à réduire l’impact des déterminants des maladies ou des
problèmes de santé, à éviter la survenue des maladies ou des problèmes de
santé, à arrêter leur progression ou à limiter leurs conséquences. Les mesures
préventives peuvent consister en une intervention médicale, un contrôle de
l’environnement, des mesures législatives, financières ou comportementales,
des pressions politiques ou de l’éducation pour la santé. »

Les actions de prévention peuvent être classées de plusieurs façons.

339
Partie 1. Les fondamentaux

Approche défensive ou approche positive (promotion de la santé)


Les interventions préventives peuvent en effet s’effectuer selon deux
logiques. La première est une démarche de protection contre un péril bien
individualisé (épidémie, canicule…) contre lequel on va se prémunir par des
mesures connues. Cette attitude est ancienne et constitue notamment le fon-
dement de processus d’isolement (quarantaine) ou d’obligation d’agir (vac-
cinations obligatoires). Le Règlement sanitaire international de l’OMS
(➠ Chapitre 14) est une illustration de cette approche.
La logique « positive » est celle qui a pour objet la promotion de la santé,
c’est-à-dire le développement de la capacité des individus à adopter les atti-
tudes favorables à leur santé, sans focalisation sur un risque ou une catégorie
de risques précis1.

Approche active ou passive


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
La distinction se fait sur la participation active ou non de la population à
l’action de prévention. Les modifications de comportements impliquent une
participation active, qui peut être favorisée par des incitations positives (par
exemple, baisse de cotisations d’assurance en contrepartie de l’adoption de
comportements « vertueux », notamment hygiéno-diététiques) ou des obliga-
tions légales (obligation vaccinale, limitation de la consommation d’alcool
et de la vitesse sur les routes…). On recherche dans ce cadre une responsa-
bilisation des individus vis-à-vis de leur propre santé.
Cette approche se retrouve au cœur de la définition d’une « prévention
globale » développée dans le cadre des travaux préparatoires2 à la loi relative
à l’hôpital, aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) de 2009, ren-
voyant à la gestion par l’individu de son « capital santé dans tous les aspects
de la vie ».
À l’inverse, la mise en œuvre de normes de production peut modifier l’état
d’un facteur de risque sans nécessiter ensuite une action particulière de la
population (par exemple, abaissement d’une norme concernant les matières
grasses ou les sucres dans l’alimentation industrielle, choix de matériaux
réduisant les conséquences d’un impact dans la construction automobile,
airbag…).

Suppression du risque ou réduction des dommages


Une stratégie de prévention peut avoir pour objectif la disparition d’un
problème de santé, mais il est aussi concevable de viser la réduction des
conséquences dommageables pour la santé sans avoir l’ambition première
d’éradiquer le problème en question.

1. F.  Bourdillon, G.  Brucker, D.  Tabuteau, « Prévention et promotion de la santé » (chap. 15),
in Traité de santé publique, Flammarion, 2004.
2. A. Flajolet, Rapport de mission. Mission au profit du gouvernement relative aux disparités ter‑
ritoriales des politiques de prévention sanitaire, Ministère de la Santé, 2008.

340
Partie 1. Chapitre 12.
Interventions en santé publique : prévention, promotion de la santé

En France, la stratégie de réduction des dommages induits par les toxico-


manies illégales illustre le sujet, oscillant entre prévention de l’entrée en
toxicomanie et recherche du sevrage le cas échéant, d’une part, et mesures
de prévention des conséquences, notamment en matière de transmission de
pathologies infectieuses, d’autre part. Bien évidemment, il n’est pas interdit
d’agir sur les deux niveaux, mais on a pu soutenir que les mesures de réduc-
tion des dommages pouvaient nuire à une stratégie de suppression du risque
en diminuant les enjeux (réels ou perçus de façon plus ou moins pertinente)
s’attachant précisément à la pratique.
Par ailleurs, s’agissant d’une pratique illicite, la stratégie de réduction des
dommages peut se heurter à la répression pénale de la toxicomanie, puisqu’elle
peut être analysée par certains comme un encouragement à persister dans
l’illégalité.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Classification de l’OMS, selon l’histoire naturelle des maladies
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a proposé une classification
très utilisée fondée sur l’histoire naturelle des maladies, c’est-à-dire sur les
étapes qui marquent l’évolution d’une pathologie :
–  au début, un individu est indemne de la maladie, mais il peut être exposé
à des déterminants qui en favorisent l’apparition ; la réduction de ces détermi-
nants permet de limiter le risque de survenue de la maladie ;
–  dans un deuxième temps, la maladie commence à se développer ou bien
un état précurseur s’installe ; il s’agit alors de dépister ou de réaliser un diagnos-
tic précoce ;
–  dans un troisième temps, la maladie s’est déclarée et l’enjeu devient alors
d’éviter la récidive ou l’installation de séquelles.
On distingue ainsi trois niveaux de prévention :
– La prévention primaire a pour objectif d’éviter l’apparition de nouveaux
cas d’une maladie ; elle vise donc à faire baisser le taux d’incidence de la maladie
(➠ Chapitre 3). Les actions sont ici aussi diversifiées que le sont les déterminants
de la santé (➠ Chapitre 2) : modification de comportements à risque (tabagisme,
consommation d’alcool, alimentation, conduite routière, etc.), assainissement de
l’environnement (pollution atmosphérique, des eaux, habitat, lieux de tra-
vail, etc.), action sur les déterminants sociaux de la santé (éducation, inégalité de
revenus, etc.), amélioration du système de santé (meilleure accessibilité, place de
la prévention, vaccination, correction médicamenteuse de facteurs de risque, etc.).
Les actions de prévention primaire ont un rôle majeur dans la lutte contre les
inégalités de santé : en France, la mortalité prématurée évitable, particulièrement
marquée chez les hommes, pourrait être nettement réduite par des actions de
prévention primaire.
– La prévention secondaire vise à diminuer le nombre de cas d’une mala-
die présents dans la population ; il s’agit donc ici de faire baisser le taux de
prévalence, ce qui, à incidence constante, passe par une réduction de la durée
moyenne de la maladie. La prévention secondaire consiste donc à mener des
actions de dépistage et de diagnostic précoce afin de traiter au plus vite la mala-
die et d’en réduire a priori la gravité et la durée. Le cloisonnement entre

341
Partie 1. Les fondamentaux

préventions primaire et secondaire n’est pas tout à fait étanche : ainsi, un dépis-
tage, lorsqu’il s’adresse à un état précurseur d’une maladie (lésion précancé-
reuse comme un adénome colique, par exemple), aura pour effet de diminuer
le taux d’incidence du cancer.
– La prévention tertiaire a pour objectif de limiter les risques d’aggra-
vation, de récidives (infarctus du myocarde, tentative de suicide, etc.), de
complications ou de séquelles (insuffisance cardiaque post-infarctus, par
exemple) après la survenue d’un problème de santé initial. Elle renvoie lar-
gement en fait à la qualité des prises en charge, et ses méthodes recoupent
celles de la prévention primaire en ce sens qu’il est évidemment nécessaire
d’assurer un bon contrôle des facteurs de risque (par exemple, facteurs de
risque artériels : obésité, hypertension artérielle, diabète, hypercholestérolé-
mie…), avec des approches plus individualisées, impliquant très fortement le
patient (éducation thérapeutique) et avec d’importantes préoccupations de
qualité de vie.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Une notion de prévention quaternaire a été aussi développée, qui ne
correspond pas tout à fait à la logique générale de construction de cette
classification. En effet, la prévention quaternaire recouvre les actions menées
en vue de limiter la surmédicalisation, les activités de soins inutiles et leurs
conséquences. Ce niveau de prévention est donc proche des pratiques de lutte
contre l’iatrogénie : infections nosocomiales, accidents médicamenteux,
chutes, blessures… (➠ Chapitre 13).

Classification selon la population bénéficiaire


de l’action de prévention3
On distingue ici trois situations en fonction des critères de définition de
la population visée par la prévention :
– La prévention universelle s’adresse à l’ensemble d’une population sans
distinction de sous-groupes. C’est donc le champ typique des campagnes d’édu-
cation pour la santé, recourant à des messages simples et accessibles portant sur
des préoccupations très largement répandues : bon usage des antibiotiques,
conseils hygiéno-diététiques généraux (par exemple, les slogans du plan natio-
nal Nutrition santé : « Manger-bouger », « Cinq fruits et légumes par jour »),
limitation de l’exposition au soleil, etc. Pour la mise en œuvre, il est possible de
procéder à des adaptations pour favoriser la diffusion du message, qui reste
cependant unifié (par exemple, usage du créole pour la diffusion en outre-mer,
formatage pour les réseaux sociaux…). On reproche parfois à la prévention
universelle de contribuer à creuser les inégalités sociales de santé, car l’impact
de ce type de campagnes est souvent plus important dans les groupes sociaux
favorisés (souvent déjà sensibilisés et donc plus réceptifs aux messages) que
dans les groupes moins favorisés, qui sont néanmoins bénéficiaires de l’action,
mais à un moindre niveau.

3. R.S. Gordon, « An Operationnal Classification of Disease Prevention », Public Health Reports,
n° 98(2), 1983, p. 107‑109.

342
Partie 1. Chapitre 12.
Interventions en santé publique : prévention, promotion de la santé

– La prévention sélective s’adresse à des sous-groupes de population défi-


nis sur des critères démographique ou sociologique : personnes âgées, adoles-
cents, femmes enceintes, etc. ; automobilistes, travailleurs du bâtiment,
personnes privées de liberté, migrants… Dans ces circonstances, les actions
menées peuvent être beaucoup plus précises dans leur contenu (par exemple,
dépistage, contraception, troubles sensoriels, toxicomanies…) et adaptées dans
leur forme (vocabulaire, choix de la stratégie de communication, démarche
d’aller vers le groupe…).
– La prévention ciblée est organisée en fonction de la présence de facteurs
de risque bien identifiés dans des sous-groupes de population. La sélection peut
donc se faire sur la base d’expositions environnementales, notamment profes-
sionnelles (par exemple, les ouvriers d’un atelier soumis à une ambiance sonore
intense), d’antécédents personnels (diabète) ou encore de facteurs de risque
génétique (voir plus bas, le dépistage du cancer colorectal). Les modalités d’in-
tervention sur le facteur de risque sont variables, allant du retrait d’un contexte
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
professionnel nocif au traitement médicamenteux d’un diabète ou d’une
hypertension artérielle.

Classification selon les axes d’action pour une « prévention globale »


Cette classification qui veut prendre en compte tous les aspects d’une
politique de prévention sur un territoire identifie quatre catégories d’actions,
qui se distinguent par leur abord du problème de santé, soit :
– par les risques existants ;
– par les populations visées ;
– par les milieux de vie ;
– par les territoires.
Cette classification permet ainsi de passer d’actions à dominante technique,
centrées sur les risques, à des approches spatiales, très globales, mobilisant
de nombreux acteurs (idéalement toute la population) dans une logique d’amé-
nagement du territoire.

12.1.2. Éducation pour la santé


L’éducation pour la santé (EPS) a pour objectif de faire adopter par les
individus qui en bénéficient des comportements favorables à la santé : il s’agit
donc d’agir essentiellement sur les déterminants de la santé comportementaux
(➠ Chapitre 2).
Bien souvent, l’EPS ne se suffit pas à elle-même : elle doit s’articuler avec
d’autres interventions sur des déterminants de santé, qui permettent alors, par
leur complémentarité, de modifier la situation des populations dans un sens
favorable (➠ 12.1.3).
Mener une action d’EPS suppose tout d’abord d’amener les individus ou
les groupes (familles, communautés diverses) à analyser leurs comportements
et à comprendre comment ceux-ci influent sur leur santé. Il est donc ici
nécessaire d’informer et mieux encore de développer la capacité à s’informer

343
Partie 1. Les fondamentaux

(accroître la littératie en santé4, les aptitudes à la critique des informations


reçues). L’EPS requiert donc une participation active, volontaire des individus.
Il s’agit de travailler sur les représentations de la santé, de la maladie, de
leurs déterminants, mais aussi sur les demandes des individus, leurs priorités
de vie ; ce qui implique de prendre en compte les valeurs sociales dans les-
quelles sont immergées les personnes.
Dans un second temps, il faut examiner les possibilités d’améliorations
pratiques et choisir celles que l’on cherchera à mettre en œuvre. À cette étape
doivent être prises en compte les possibilités concrètes d’action en dévelop-
pant la capacité à mobiliser les ressources disponibles ou en en faisant appa-
raître de nouvelles (expression de demandes auprès des professionnels, des
décideurs et financeurs publics ou privés). Renforcer les compétences psy-
chosociales des individus (identification et activation de soutiens, écoute,
dialogue, négociation, gestion des conflits, établissement d’alliances, prise de
décision, etc.) et le leadership communautaire est ici déterminant afin de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
conforter la mobilisation des personnes.
Il existe une forme particulière d’EPS à destination des patients et qui a
pour but d’accroître les capacités d’intervention de l’individu dans la prise
en charge de sa maladie : l’éducation thérapeutique (➠ Chapitre 13).

12.1.3. Promotion de la santé


La promotion de la santé est une démarche qui vise à améliorer l’état de
santé des populations selon une double logique : d’une part, développer les
capacités personnelles d’action des individus en faveur de leur santé, d’autre
part, mettre en place des environnements favorables à la concrétisation des
désirs des personnes d’agir pour leur santé.
En pratique, à titre d’exemple, il s’agira de sensibiliser une population à
l’intérêt et la possibilité d’accroître son niveau d’activité physique, par des
actions d’information, de formation, mais aussi en favorisant la prescription
de mesures hygiéno-diététiques par les professionnels de santé5. Parallèlement,
il faut organiser un environnement facilitateur, en établissant notamment des
voies piétonnes ou des pistes cyclables, en favorisant les associations spor-
tives, en créant les conditions d’une intégration simple de l’activité physique
dans la vie quotidienne, etc. Ainsi, les individus pourront s’appuyer sur

4. La littératie en santé désigne la capacité à accéder à une information écrite (donc à trouver la
source d’information, la lire et la comprendre) et à en tirer parti pour améliorer son état de santé (donc
prendre des décisions dans le domaine).
5. En France, la loi n° 2016‑41 de modernisation de notre système de santé prévoit que « Le méde-
cin traitant peut prescrire une activité physique dispensée par l’un des intervenants » aux patients por-
teurs d’une affection de longue durée (ALD, au sens de l’Assurance maladie). Le décret 2016‑1990
relatif aux conditions de dispensation de cette activité physique adaptée précise que les intervenants
peuvent être des professionnels de santé, des professionnels titulaires d’un diplôme dans le domaine
de l’activité physique adaptée et des professionnels et personnes qualifiées disposant des « préroga-
tives pour dispenser une activité physique aux patients atteints d’une affection de longue durée ». Ces
dispositions sont applicables en pratique depuis le 1er mars 2017.

344
Partie 1. Chapitre 12.
Interventions en santé publique : prévention, promotion de la santé

l’évolution de leur environnement pour suivre les recommandations de santé ;


ils seront sans doute ensuite amenés à demander d’autres mesures de trans-
formation de leur environnement auprès des élus et des administrations. Il
en est de même en matière alimentaire, où une évolution des souhaits des
personnes doit rencontrer les conditions d’une accessibilité concrète satisfai-
sante, notamment financière, à certains aliments. Ainsi peut s’enclencher une
dynamique de synergie en faveur de la santé.
Encadré n° 1. Le plan français priorité prévention

Ce plan a été adopté dans le cadre général de la Stratégie nationale de santé 2018‑2022, dont
il développe le premier axe, correspondant au « virage préventif » du système de santé. Il a
l’ambition à terme de réduire la mortalité de 100 000 décès par an. Pour ce faire, ce plan est
un outil interministériel, dans la perspective de mettre de « la santé dans toutes les poli-
tiques ». Il se structure chronologiquement selon les âges de la vie et ses principales mesures
sont les suivantes :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  Durant la grossesse et les deux premières années de vie :
• réduire l’exposition aux perturbateurs endocriniens ;
• repérer et prévenir les consommations à risque (alcool, tabac, drogues…) ;
• supplémenter les futures mères en folates (vitamine B96) ;
• mettre en application l’obligation vaccinale de 11 vaccins (➠ 12.4) ;
• mettre en œuvre les 13 premiers examens de santé de l’enfant.
–  Durant l’enfance et jusqu’à 25 ans :
• mettre en œuvre les sept autres examens de santé ;
• mettre en œuvre des bilans de santé pour les jeunes en situation de handicap ;
• faire de l’école un lieu de promotion de la santé, en systématisant un parcours éducatif
de santé ;
• lutter contre l’obésité par l’exercice physique ;
• prévenir les risques auditifs ;
• proposer un accompagnement spécialisé en cas de repérage de conduites d’alcoolisation
excessive ;
• renforcer les consultations d’addictologie pour les jeunes ;
• expérimenter un programme d’accès gratuit aux préservatifs.
–  À l’âge adulte :
• bilans de santé pour les personnes handicapées ;
• réduire la consommation de sel de 20 % ;
• soutenir le sevrage tabagique ;
• dépister et traiter l’hépatite virale C, en vue de son éradication ;
• conforter le dépistage du cancer du col de l’utérus.
–  Au-delà de 65 ans :
• prévenir la perte d’autonomie, notamment par un bilan à l’occasion du départ en
retraite ;
• soutenir les personnes isolées et précaires ;
• organiser les soins bucco-dentaires dans les EHPAD.
Source : Plan priorité prévention – Rester en bonne santé tout au long de sa vie, 2018.

6. La carence en vitamine B9 ou acide folique se traduit par des signes très divers, notamment de
l’anémie, un retard de croissance, des troubles psychiques…

345
Partie 1. Les fondamentaux

Une démarche de promotion de la santé implique donc de prendre en


compte de nombreux déterminants de santé et nécessite en fait une action
globale au niveau des politiques publiques, s’articulant avec des initiatives
de santé diverses émanant d’acteurs professionnels ou bénévoles, de nature
directement sanitaire ou non7.
Dans le cadre de cet ouvrage, il n’est pas envisageable de traiter de façon
exhaustive l’ensemble des champs de la prévention. Seules seront évoquées
certaines problématiques particulièrement importantes en France actuellement.
Leur présentation permet d’éclairer les questions plus générales qui peuvent
se rencontrer ailleurs.

12.2. La stratégie de réduction de la consommation de tabac


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Les mesures de lutte contre le tabagisme en France sont particulièrement
intéressantes, car elles illustrent les difficultés rencontrées pour s’attaquer à
un déterminant de santé massivement négatif, mais bien ancré dans les habi-
tudes sociales et dont tirent profit des acteurs économiques disposant de relais
d’expression puissants.
La mortalité annuelle induite par cette toxicomanie s’élève en France à
entre 73 000 et 78 000 personnes, dont environ deux tiers de sexe masculin
et un quart survenu avant 65 ans. Le tabagisme est responsable d’un tiers de
la mortalité par cancers. La situation française est parmi les plus dégradées
en Europe : si environ un quart des Européens de plus de 15 ans déclare une
consommation quotidienne de tabac, la France se situe nettement au-dessus
de cette moyenne, avec 33 %.
La consommation de tabac s’est développée chez les Françaises il y a
plusieurs décennies. Aujourd’hui, même si le tabagisme est toujours plus
répandu chez les hommes, sa prévalence diminue, tandis qu’elle reste stable
chez les femmes depuis 1980 environ.
Globalement, en France, la prévalence du tabagisme est passée de 30 %
en 2000 à 28,7 % en 2016. Le tabagisme quotidien des jeunes de 17 ans a
diminué de 32,4 % en 2014 à 25,1 % en 2018. En revanche, il faut noter que
de nombreux pays ont obtenu des réductions importantes de la consommation
dans les vingt dernières années (49 % en Islande entre 2000 et 2013 ; 42 %
en Irlande ; 35 % en Australie ; 34 % au Canada ; 26 % au Royaume-Uni).

7. Définition de la charte d’Ottawa, OMS, 1986 : « La promotion de la santé a pour but de donner
aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l’améliorer.
Pour parvenir à un état de complet bien-être physique, mental et social, l’individu, ou le groupe, doit
pouvoir identifier et réaliser ses ambitions, satisfaire ses besoins et évoluer avec son milieu ou s’y
adapter. La santé est donc perçue comme une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de
la vie ; c’est un concept positif mettant l’accent sur les ressources sociales et personnelles, et sur les
capacités physiques. La promotion de la santé ne relève donc pas seulement du secteur de la santé :
elle ne se borne pas seulement à préconiser l’adoption de modes de vie qui favorisent la bonne santé ;
son ambition est le bien-être complet de l’individu. »

346
Partie 1. Chapitre 12.
Interventions en santé publique : prévention, promotion de la santé

Ces constats expliquent qu’en France existe chez les hommes une tendance
à la baisse des cancers broncho-pulmonaires et des voies aérodigestives supé-
rieures, tandis que chez les femmes on note une augmentation de ces mêmes
cancers et des broncho-pneumopathies chroniques obstructives.
Ces constats peu satisfaisants interrogent sur l’efficacité des nombreuses
mesures précédemment mises en œuvre pour lutter contre le tabagisme : limi-
tation de la publicité (loi n° 91‑32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre
le tabagisme et l’alcoolisme, dite « loi Évin »), restrictions d’usage dans les
lieux publics (notamment depuis 2004), augmentations du prix du tabac,
campagnes de communication (dégradation de l’image du fumeur, mentions
« dissuasives » sur les paquets de tabac, instauration à partir de novembre 2016
de Moi[s] sans tabac), dispositifs d’appui et d’information (ligne téléphonique
Tabac info service), actions d’incitation au sevrage. Les explications se
trouvent sans doute dans des méthodes insuffisantes et l’absence de stratégie
d’ensemble : augmentations de prix faites de façon progressive permettant
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
l’adaptation du marché (arbitrages au niveau des consommateurs entre postes
de dépenses et au niveau des fabricants entre le prix de vente et la marge
bénéficiaire), faiblesse des mesures de contrôle et de répression en cas de
non-respect de la réglementation (lieux publics), absence d’analyse et de prise
en compte de l’ancrage social du tabagisme féminin, soutien insuffisant aux
différentes aides au sevrage (autorisation et remboursement par l’Assurance
maladie), incapacité des pouvoirs publics à traiter de façon satisfaisante la
question de l’avenir des débitants de tabac, arbitrage incertain entre réduction
du coût des conséquences du tabagisme et rentrées fiscales… Les mesures
visant à diminuer la consommation par le biais d’une augmentation des prix
sont très efficaces, tout particulièrement en direction des jeunes, afin d’éviter
l’entrée dans la toxicomanie8. Un argument avancé par certains pour s’opposer
à ce type de mesure est d’affirmer que cela aggravera les difficultés éco­
nomiques des personnes les moins favorisées, qui sont aussi de plus fréquents
consommateurs de tabac.
Face à ce constat d’échec, depuis quelques années, une action plus déter-
minée des pouvoirs publics semble se dessiner. Elle a pris la forme, en 2014,
d’un Programme national de réduction du tabagisme (PNRT), dont les prin-
cipales mesures sont l’adoption du paquet de tabac à emballage neutre assorti
de messages sanitaires plus visibles, l’extension des possibilités de prescription
des traitements de substitution (dentistes, infirmiers et masseurs kinésithéra-
peutes au-delà des médecins et sages-femmes) et leur meilleur remboursement
(forfait annuel de 150 € en 2018, qui pourrait évoluer vers un remboursement
banalisé par l’Assurance maladie) et l’initiative Moi(s) sans tabac. Ces mesures
ont eu un effet sur la consommation. Parallèlement, les ventes de substituts
nicotiniques ont augmenté de façon marquée : ­l’Observatoire français des dro-
gues et des toxicomanies (OFDT) estimait le nombre de patients traités en
2017 à 2,7 millions contre moins de 2,2 millions en 2016.

8. OMS, Rapport de l’OMS sur l’épidémie mondiale de tabagisme, 2015.

347
Partie 1. Les fondamentaux

Quant à la cigarette électronique, si sa place dans la stratégie de sevrage


a fait l’objet de débats, on mentionnera que la France constitue actuellement
le troisième marché mondial après les États-Unis et le Royaume-Uni.
En 2018, dans le cadre de la Stratégie nationale de santé, apparaît le
Programme national de lutte contre le tabac (PNLT) 2018‑2022, dont l’am-
bition affichée est radicale car il s’agit de parvenir en 2032 à la première
« génération d’adultes sans tabac » (en pratique, qu’il y ait moins de 5 % de
fumeurs chez les personnes nées depuis 2014), ce qui induit des objectifs
intermédiaires de réduction du pourcentage de fumeurs quotidiens chez les
18‑75 ans : en 2020, moins de 24 % ; en 2022, moins de 22 % et moins de
16 % en 2027.
Le PNLT se caractérise par une approche globale du sujet, et non plus à
dominante sanitaire9, ce qui permet de développer les mesures économiques
et sociales indispensables pour atteindre des objectifs à un horizon temporel
proche. À ce titre, l’un des quatre axes du PNLT est tout à fait explicite :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
« Agir sur l’économie du tabac pour protéger la santé publique. » Dans ce
cadre, une des mesures programmées est de parvenir en 2020 à un prix minimal
moyen de 10 € pour un paquet de 20 cigarettes. Parallèlement, une harmoni-
sation de la fiscalité sur l’ensemble des produits du tabac (tabac à rouler,
cigarillos…) sera mise en œuvre pour éviter les reports de consommation.
Cependant, l’importance du marché dit parallèle (achats transfrontaliers,
contrebande et contrefaçons), qui a été estimé en 2017 à 24,6 % du tabac
consommé dans le pays10, pourrait limiter la portée de ces mesures et invite
à rechercher une action européenne dans le domaine, notamment une harmo-
nisation des politiques fiscales et une lutte contre la contrebande dans le cadre
de la convention cadre de lutte antitabac (CCLAT) et de la directive UE
2014/40. Un autre volet particulièrement innovant consiste à « soutenir la
reconversion des buralistes pour réduire l’accessibilité matérielle du tabac »,
ce qui passe par un renforcement de la formation des buralistes dans le champ
de la santé publique et, plus radicalement, implique d’organiser une trans-
formation du métier de ces derniers et des points de vente pour les rendre
indépendants économiquement de la vente du tabac (fonction de commerce
de proximité polyvalent).
Le PNLT contient par ailleurs de très nombreuses mesures, plus classique-
ment sanitaires, pour atteindre ses objectifs dans les trois autres axes du pro-
gramme : « Protéger nos enfants et éviter l’entrée dans le tabagisme »,
« Encourager et accompagner les fumeurs pour aller vers le sevrage » et
« Surveiller, évaluer, chercher et diffuser les connaissances relatives au tabac11 ».

9. Il est ainsi significatif que le PNLT soit porté à la fois par le ministère de la Santé et le ministère
de l’Action et des Comptes publics, et que le Comité national de coordination du PNLT soit coprésidé
par le directeur général de la santé, le directeur général des douanes et droits indirects et le président
de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA).
10. KPMG, Rapport sur la contrebande et la contrefaçon du tabac en Europe, 2018.
11. Ministère des Solidarités et de la Santé, ministère de l’Action et des Comptes publics, Pro‑
gramme national de lutte contre le tabagisme 2018‑2022, 45 p.

348
Partie 1. Chapitre 12.
Interventions en santé publique : prévention, promotion de la santé

12.3. Réduction de la consommation d’alcool

La consommation d’alcool est très profondément présente, associée à des


aspects positifs de la vie sociale, dans la culture de nombreux peuples, notam-
ment en Europe, qui est la zone de plus forte consommation mondiale. Les
manières de consommer sont assez diversifiées, de la consommation régulière
de vin à chaque repas à des épisodes ponctuels mais très intenses d’alcooli-
sation. C’est aussi un secteur économique important disposant de relais d’opi-
nion et de groupes de défense de ses intérêts bien et anciennement organisés.
La réduction de la consommation d’alcool se heurte donc à des résistances
sérieuses12. Les conséquences de la consommation d’alcool sont cependant
suffisamment sévères (l’estimation du nombre de décès annuels causés par
la consommation d’alcool en France est de 49 00013, ce qui en fait la seconde
cause de mortalité, après le tabagisme) pour qu’il soit nécessaire de s’occuper
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
du problème.
En France, la tendance est à une baisse lente de la consommation, situation
commune à toute l’Europe occidentale. En 1970, les Français de 15 ans et
plus étaient les plus forts consommateurs au monde, avec environ 22 l d’alcool
pur par an. Quarante ans plus tard (2009), la consommation française était
de 11,8 l d’alcool pur par an, un peu au-dessus de la moyenne européenne.
Agir sur la consommation d’alcool implique de tenir compte des quantités
totales d’alcool consommées, de l’âge des consommateurs mais aussi des
modes de consommation, provoquant des conséquences sanitaires chroniques
(cirrhose, cancers, troubles mentaux…) ou aiguës (accidents de la voie
publique, accidents du travail, blessures et morts violentes, notamment dans
la sphère familiale). L’impact est aussi économique et social (absentéisme,
accidents du travail). Comme pour le tabac, il y a lieu de s’intéresser aux
conséquences de l’alcool sur le fœtus (effets sur le développement cérébral
et retard intellectuel), d’une part, et de viser à retarder l’entrée dans une
intoxication chez les adolescents (risque accru de dépendance au produit),
d’autre part.
Comme pour le tabagisme, les stratégies de lutte comprennent des mesures
diverses tendant à agir soit sur la consommation elle-même (restriction de
l’accès à la vente de détail, limitation ou interdiction de la publicité, action
sur le prix14, campagnes d’information), soit sur ses conséquences (répression

12. Il est facile de remarquer que les actions en matière de consommation d’alcool se réfèrent le
plus souvent à des consommations « nocives », « excessives » ou « à risque », ce qui revient à accepter
l’existence d’une consommation « normale » ou « tolérable ». À ce titre, la situation du tabagisme est
quelque peu différente.
13. S. Guérin, A. Laplanche, A. Dunant, C. Hill, « Alcohol-Attribuable Mortality in France », Euro‑
pean Journal of Public Health, 2013, p. 1‑6.
14. Sur l’efficacité des mesures coercitives sur l’accès, la publicité et les prix de vente : voir Global
Status Report on Non Communicable Diseases 2010, WHO/OMS, Genève, 2011. Voir également
T. Stockwell, M.C. Auld, J. Zhao, G. Martin, « Does Minimum Pricing Reduce Alcohol Consump-
tion ? The Experience of a Canadian Province », Addiction, 2012, n° 107, vol. 5, p. 912‑920.

349
Partie 1. Les fondamentaux

de la conduite automobile sous l’effet d’une consommation d’alcool, cam-


pagnes de communication).
Les résistances sociales et politiques s’illustrent bien en France dans les
débats récurrents sur la publicité ou la taxation des boissons alcoolisées,
avec des distinctions entre vin et alcool de distillation, et entre alcools
français et alcools étrangers, certainement plus nocifs…

12.4. La vaccination

12.4.1. Généralités sur les vaccins


La prévention des maladies infectieuses peut emprunter différentes voies :
la lutte directe contre l’agent infectieux, par sa destruction ou par l’empê-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
chement de sa reproduction, l’arrêt de sa transmission, par exemple par des
pratiques d’isolement des malades, la protection des populations susceptibles
d’être atteintes. La vaccination, quand elle est disponible joue un rôle majeur
dans ce combat.
Un vaccin est une préparation antigénique dont l’administration a pour
but de provoquer une réaction immunitaire de l’organisme vacciné. Cette
réponse immunitaire est spécifique d’un agent infectieux et va permettre de
protéger contre l’infection naturelle soit en évitant son apparition soit en en
limitant les effets.
L’effet protecteur de la vaccination est dû à un phénomène de mémoire
biologique qui fait que, lorsque l’organisme préalablement vacciné se retrouve
au contact de l’agent infectieux naturel, sa réponse immunitaire est renforcée.
Il existe un autre moyen de protéger les personnes, qui consiste à administrer,
non pas un antigène, mais un anticorps (immunoglobuline) ; dans ce cas, la
protection est immédiate, passive et temporaire, tandis que la vaccination
procure une immunité différée, active et plus ou moins durable.
Il est possible de coupler les deux démarches pour éviter une infection
dans l’attente de l’effet d’une vaccination, comme cela se fait en cas de plaie
exposant à un risque important de tétanos chez une personne non
vaccinée.
La vaccination a donc un effet protecteur des individus vaccinés, mais elle
a aussi un effet collectif (sauf dans les cas des vaccins antitétanique et anti-po-
liomyélite inactivé) en réduisant la circulation de l’agent infectieux dans la
population, en visant ainsi l’arrêt de la transmission : on parle alors de l’effet
altruiste de la vaccination, qui génère une protection globale de la population,
y compris des sujets non vaccinés, dans le cadre d’une immunité de groupe.
L’obtention de cette immunité de groupe (ou grégaire) nécessite qu’une
proportion suffisante de la population soit vaccinée, ce qui correspond à un
enjeu majeur des politiques vaccinales. Le seuil quantitatif nécessaire à l’ob-
tention de cette immunité de groupe correspond à la situation où un sujet
contagieux ne peut, en moyenne, contaminer que moins d’une autre

350
Partie 1. Chapitre 12.
Interventions en santé publique : prévention, promotion de la santé

personne15 ; il est variable selon la maladie en cause, mais il dépasse habi-


tuellement 80 %, voire 90 % de la population, en sachant que le chiffre doit
être modulé en tenant compte de la fréquence des contacts entre individus
(densité de la population) et de l’existence possible d’états d’immunité par-
tielle (grippe, par exemple).
Un niveau de couverture élevé mais néanmoins insuffisant pour provoquer
l’arrêt de la transmission peut exposer à un risque accru pour les non-vac-
cinés : c’est le cas par exemple de la rougeole, dont les formes tardives, chez
les adolescents ou les jeunes adultes, sont potentiellement plus graves que
les formes infantiles ; or une transmission diminuée mais non arrêtée réduit
la probabilité de survenue naturelle de la maladie et accroît donc le risque
de survenue de formes tardives chez les non-vaccinés. Dans ces circonstances,
il est recommandé d’éviter les regroupements de sujets non vaccinés.
Il existe différents types de vaccins :
–  Les vaccins vivants atténués (BCG, fièvre jaune, rougeole, oreillons,
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
rubéole, varicelle, zona, rotavirus) provoquent une infection inapparente ou peu
symptomatique et donnent rapidement une immunité prolongée (une dose
unique de vaccin peut suffire) et très proche de celle consécutive à une infection
naturelle. Cependant, ces vaccins font courir le risque de survenue d’une infec-
tion post-vaccinale, particulièrement chez des sujets à risque : femmes enceintes,
immunodéprimés…
–  Les vaccins entiers inactivés ou inertes (grippe, poliomyélite injectable,
hépatites virales A et B, rage, papillomavirus humain, encéphalite japonaise,
encéphalite à tiques…) à la suite de traitements chimiques (formol…) ou phy-
siques (chauffage…) ont des effets indésirables fréquents.
–  Les vaccins constitués de fractions antigéniques ou sous-unités corres-
pondent à des toxines détoxifiées (anatoxines : diphtérie, tétanos) ou des frag-
ments d’agents infectieux, telles des protéines de membranes (coqueluche
acellulaire, méningocoque B) ou des polyosides (molécules glucidiques) de la
capsule (pneumocoque, typhoïde, Haemophilus influenzae b, méningocoques
A et C). Ils induisent une réponse immunitaire ciblée et sont très bien tolérés.
Les deux derniers types de vaccins sont dénués de pouvoir infectieux et
ne peuvent donc être responsables d’infections post-vaccinales. Ils procurent
cependant une immunité plus faible et nécessitent le plus souvent l’utilisation
d’adjuvants (notamment l’aluminium) pour renforcer la réponse immunitaire,
qui est souvent de plus courte durée, obligeant à des primo-vaccinations à
plusieurs doses puis à des rappels réguliers.

15. On retrouve cet objectif en cas de situation épidémique : les actions de lutte contre l’infection
visent à faire passer le taux de reproduction de la maladie en dessous de 1, ce qui induit à terme
l’extinction de l’épidémie.

351
Partie 1. Les fondamentaux

12.4.2. La mise en œuvre de la vaccination : la stratégie vaccinale


La vaccination est certainement l’un des outils les plus puissants en matière
de santé publique, capable de mener à la disparition de maladies, comme en
témoignent l’éradication totale de la variole, officiellement déclarée par l’OMS
en 1980, la disparition (poliomyélite ou tétanos néonatal) ou la baisse de fré-
quence de maladies dans certains territoires (diphtérie, tétanos, coqueluche).
Ainsi, en France, en 1975, on constatait chaque année plus de 300 cas de
tétanos déclarés, qui provoquaient environ 170 décès ; en 2010, on notait quelques
cas annuels, pour des décès exceptionnels, essentiellement chez des personnes
âgées, non ou mal vaccinées, avec une prédominance féminine, en raison de la
mise à jour des vaccins à l’occasion du service militaire chez les hommes.
La poliomyélite est devenue tout à fait exceptionnelle en France après les
épidémies de la fin des années 1950 et du début des années 1960 et l’obli-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
gation vaccinale de la loi du 1er juillet 1964. Cependant, l’existence de foyers
épidémiques dans le monde justifie le maintien de la vaccination dans les
territoires où la maladie a disparu. Le Haut Conseil de la santé publique, dans
un avis relatif à la politique vaccinale de 201416, reprenait les chiffres suivants
illustrant l’impact massif des vaccinations aux États-Unis.

Tableau n° 1. Morbidité comparée de 10 maladies infectieuses à prévention


vaccinale avant et après introduction de la vaccination aux États-Unis
Morbidité
Pourcentage
Maladie annuelle Morbidité 2002
de réduction
prévaccinale
Variole 48 164 0 100
Diphtérie 175 885 1 99
Coqueluche 147 271 8 298 94
Tétanos 1 314 22 98
Poliomyélite (paralytique) 16 316 0 100
Rougeole 503 282 37 > 99
Oreillons 152 209 238 > 99
Rubéole 47 745 14 > 99
Rubéole congénitale 823 3 > 99
Haemophilus influenzae b 20 000 167 > 99
et non typés (< 5 ans)
Source : W.A. Orenstein, L.E. Rodewald, A.R. Hinman, « Immunization in the United States »,
in S.A. Plotkin, W.A. Orenstein, Vaccines, WB Saunders, 2004, p. 1357‑1386.

16. Haut Conseil de la santé publique, Avis relatif à la politique vaccinale et à l’obligation vacci‑
nale en population générale (hors milieu professionnel et règlement sanitaire international) et à la
levée des obstacles financiers à la vaccination, mars 2014.

352
Partie 1. Chapitre 12.
Interventions en santé publique : prévention, promotion de la santé

Cependant, les niveaux de couverture vaccinale restent encore insuffisants


dans bien des cas, ce qui conduit à la résurgence d’épidémies.
Le sujet renvoie à l’adhésion de la population à la pratique vaccinale. La
vaccination, comme nous l’avons vu plus haut, est au confluent, potentielle-
ment conflictuel, de considérations individuelles et d’autres, collectives, de
santé publique.
Pour un individu, se vacciner, c’est le plus souvent se protéger, protéger
son entourage proche et, dans ce cadre restreint, accepter les contraintes et les
risques éventuels d’effets indésirables qui ne paraissent acceptables que s’ils
sont mineurs puisqu’il s’agit d’une pratique de prévention primaire. L’individu
voudra que l’on respecte ses convictions et ses choix personnels.
Mais la vaccination a aussi une valeur collective, avec des objectifs d’amé-
lioration de la santé de la population, y compris pour ceux qui ne sont pas
vaccinés, ainsi que de réduction du fardeau économique lié aux maladies
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
infectieuses. Pour ces raisons, il est possible d’imposer une vaccination
(➠ Chapitre 14).
Une stratégie vaccinale doit être adaptée en fonction des évolutions épi-
démiologiques des maladies (ainsi, le recul d’un type d’agent infectieux grâce
à la vaccination peut entraîner le développement d’un autre type) et des
données relatives à l’efficacité et à la tolérance des vaccins disponibles. La
vaccination doit aussi être intégrée, le cas échéant, dans un cadre d’action
plus global : ainsi, la vaccination contre le papillomavirus humain, famille de
virus à l’origine de cancers du col utérin, ne dispense absolument pas de
continuer le dépistage par la réalisation de frottis du col.
En France, la stratégie vaccinale prend notamment la forme d’un
­calendrier vaccinal mis à jour au moins une fois par an, ce qui permet une
actualisation fréquente des recommandations d’administration et la prise en
compte des nouveaux vaccins. Il comporte des recommandations générales,
un calendrier intéressant la population dans son ensemble, des recomman-
dations pour des groupes exposés à des risques spécifiques en raison de
facteurs professionnels (par exemple, les vaccinations contre la diphtérie, le
tétanos et la poliomyélite sont obligatoires en France pour les étudiants des
professions de santé, les professionnels de santé, dont ceux des services
communaux d’hygiène et de santé, les personnels des laboratoires d’analyses
médicales manipulant du matériel contaminé ou susceptible de l’être, des
laboratoires exposés au virus de la fièvre jaune, des entreprises de transport
sanitaire, des services d’incendie et de secours… Autre exemple : la vacci-
nation contre la leptospirose est recommandée chez les personnes exposées,
notamment dans le traitement des eaux usées, la pisciculture en eau douce,
l’entretien des canaux et des étangs, les égoutiers…), de facteurs de vulné-
rabilité (femmes enceintes, personnes âgées, porteurs de pathologies aller-
giques, drépanocytose, séropositifs pour le VIH, malades recevant une
chimiothérapie ou un traitement par corticoïdes…), de conditions sanitaires
particulières (épidémies) ou encore propres à certains territoires (tableau
pour les enfants en Guyane et à Mayotte).

353
Partie 1. Les fondamentaux

Tableau n° 2. Le calendrier vaccinal 2019 en population générale


2 mois DTCaP* – Hib* – HVB* – PNO*
4 mois DTCaP* – Hib* – HVB* – PNO*
5 mois Men C*
11 mois DTCaP* – Hib* – HVB* – PNO*
12 mois Men C* (2) – ROR*
16‑18 mois ROR* (2)
6 ans DTCaP (1er rappel)
11‑13 ans DTCaP (2e rappel) – HPV (11‑14 ans chez les filles)
25 ans Rappel DTCaP ou DTP si le dernier rappel de DTCaP date de moins de 5 ans
45 ans Rappel DTP
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
65 ans Rappel DTP – grippe annuellement – zona (entre 65 et 74 ans révolus)
75 ans, Rappel DTP – grippe annuellement
puis tous
les dix ans

Pour les vaccinations de rattrapage chez les enfants et adolescents :


–  HVB : de 16 mois à 16 ans : 3 doses selon le schéma 0, 1, 6 mois ou de 11 à 15 ans révolus, 2 doses
selon le schéma 0, 6 mois.
–  Men C : de 16 mois à 24 ans : 1 dose jusqu’à 24 ans.
–  HPV : au-delà de 14 ans jusqu’à 19 ans révolus : 3 doses selon le schéma 0, 1, 6 mois ou 0, 2, 6 mois
en fonction du vaccin utilisé.
–  ROR : à partir de 6 ans : 2 doses à au moins un mois d’intervalle en l’absence de vaccination anté-
rieure ; une dose si une seule dose de vaccin antérieure.
Lecture : D : diphtérie ; T : tétanos ; Ca : coqueluche (acellulaire) ; P : poliomyélite ; Hib : Haemophilus
influenzae b ; HVB : hépatite virale B ; PNO : pneumocoque ; Men C : méningocoque C ; ROR : rougeole,
oreillons, rubéole ; HPV : Papillomavirus humain. Les vaccinations obligatoires pour les enfants depuis
le 1er janvier 2018 sont marquées d’un *.
Source : ministère des Solidarités et de la Santé, mars 2019.

En France, la définition de la politique vaccinale est de la responsabilité de


l’État, comme composante de la politique de santé17. Les difficultés les plus
importantes auxquelles est confrontée cette politique sont l’insuffisance de cou-
verture de la population pour certaines vaccinations et l’existence d’un contexte
social pour partie hostile à la vaccination. Sont ici en cause les perceptions des
risques (effets secondaires, rôle des adjuvants) et bénéfices, individuels et col-
lectifs, de la vaccination, ainsi que de la gravité de la maladie que l’on cherche
à éviter, le recul des maladies infectieuses devenant para­doxalement un argu-
ment pour ne pas vacciner, et non le marqueur de l’efficacité de la vaccination ;
ce qui renvoie au déficit de culture scientifique et d’approche quantitative des
problèmes de santé, dans un environnement social cependant marqué par une

17. Loi du 9 août 2004 : « La politique de vaccination est élaborée par le ministre chargé de la santé
qui fixe les conditions d’immunisation, énonce les recommandations nécessaires et rend public le
calendrier des vaccinations après avis du Haut Conseil de la santé publique. »

354
Partie 1. Chapitre 12.
Interventions en santé publique : prévention, promotion de la santé

élévation culturelle globale de la population et un accès facilité à l’information.


Le développement d’Internet et des médias sociaux induit une concurrence
informationnelle, qui peut jouer en faveur des discours opposés à la vaccination.
La confiance accordée aux scientifiques, aux laboratoires pharmaceutiques et
aux pouvoirs publics est aussi en question. Et certaines situations, sans doute
imparfaitement gérées, peuvent entraîner un recul important de l’acceptation
de la vaccination, comme ce fut le cas en France après l’échec de la campagne
de vaccination contre la grippe A H1-N1 en 2009‑201018.
L’amélioration des taux de couverture peut reposer sur plusieurs axes
d’action, exposés notamment par le Haut Conseil de la santé publique :
–  l’amélioration des connaissances sur le sujet : recherche sociologique sur
les déterminants des attitudes vis-à-vis de la vaccination, évaluation et suivi des
taux de couverture ;
–  développement d’une communication régulière plus adaptée et plus volon-
tariste en direction du grand public et des professionnels de santé :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
•  diffuser les données de pharmacovigilance et les évaluations des rap-
ports bénéfice-risques des vaccins,
•  mettre en exergue l’intérêt collectif de la vaccination en plus de l’inté-
rêt individuel,
•  expliquer qu’une vaccination recommandée mais non obligatoire n’est
pas une vaccination de peu d’intérêt,
•  exposer les risques induits par l’absence de vaccination,
•  développer les actions de respect des recommandations,
•  contrer les actions de désinformation, notamment sur Internet.
Ce travail d’information doit se faire de façon transparente en recherchant
une bonne intelligibilité des messages et en associant fortement tous les
acteurs concernés, tout particulièrement les médecins généralistes19 ;
–  renforcer l’enseignement relatif à la vaccination pour les professionnels
de santé ;
–  améliorer la prise en charge par l’Assurance maladie ;
–  donner à de nouvelles professions la compétence légale de vaccination ;
–  aller au-devant de la population dans les lieux de vie ou de travail
afin de sensibiliser, vérifier le statut vaccinal et proposer la vaccination (écoles,
université, entreprises, maisons de retraite…), mener des campagnes de
­vaccination ­spécifiques  ;
–  l’extension de l’obligation vaccinale, opération réalisée, en rendant obli-
gatoires les vaccinations contre 11 maladies chez les enfants à partir du 1er jan-
vier 2018. Ce choix politique s’explique par plusieurs facteurs réunis au début
des années 201020. Tout d’abord, la distinction historique entre vaccinations

18. P.  Peretti-Watel, P.  Verger, J.  Raude et al., « Dramatic Change of Public Attitudes towards
­Vaccination During the 2009 Influenza A/H1N1 Pandemic in France », Eurosurveillance, 2013.
19. La faible mobilisation des médecins généralistes par les pouvoirs publics, au profit d’un dispo-
sitif exceptionnel de vaccination, est retenue comme l’une des explications de l’échec de la campagne
de vaccination contre la grippe H1N1 en 2009.
20. À cette occasion le Gouvernement français passera commande de 94 millions de doses de vac-
cin et seuls 6 millions de personnes se feront vacciner. S. Hurel, « Rapport sur la politique vaccinale »,
janvier 2016.

355
Partie 1. Les fondamentaux

obligatoires et recommandées n’avait guère de justification que ce soit sur le


plan épidémiologique qu’au regard des objectifs de santé publique. Ensuite, on
constatait que les taux de couverture vaccinale étaient contrastés, satisfaisants
pour les vaccins obligatoires – diphtérie, tétanos, poliomyélite ainsi que coque-
luche et Haemophilus influenzae b qui leur étaient associés –, souvent insuffi-
sants pour les vaccins recommandés – notamment rougeole, rubéole, hépatite
virale B et infections à herpès virus –, même s’il était cependant possible d’ob-
tenir de bons résultats ponctuellement – cas de la vaccination anti-pneumococ-
cique. Par ailleurs, l’obligation vaccinale permet de se prémunir contre les
inégalités sociales et territoriales en la matière.
Encadré n° 2. La vaccination contre la grippe saisonnière

La grippe se manifeste par des épidémies annuelles et, épisodiquement, par des pandémies.
Il existe plusieurs virus responsables de la maladie et ces virus mutent facilement. La grippe
est une affection très contagieuse, justifiant de mesures préventives importantes pour en
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
limiter les impacts sanitaire et socio-économique (➠ Chapitre 5).
Le vaccin annuel contre la grippe saisonnière est élaboré par hémisphère, nord et sud, en
suivant des recommandations formulées par l’OMS à partir de la prise en compte des
souches virales (association de trois souches) circulant dans l’autre hémisphère lors de
l’épisode précédent.
Parfois, les vaccins ne contiennent pas les souches qui circuleront effectivement (ou pas
toutes). La préparation du vaccin saisonnier est donc un exercice relativement complexe.
Par exemple, pour la période 2014‑2015, le vaccin contenait les souches suivantes : A/
California/7/2009 (H1N1), A/Texas/50/2012 (H3N2), B/Massachusetts/2/2012. L’épidémie
de grippe de l’hiver 2014/2015 dans l’Union européenne fut causée par une association des
souches A (H3N2) et A (H1N1) avec quelques virus B, la majorité des cas étant dus à H3N2
(environ 60 % des cas), quand le virus H1N1, représenté par le type A/South Africa/3626/2013
causait 20 % des cas de grippe. Il se trouve que les virus du groupe phylogénétique A (H1N1)
A/South Africa/3626 ont des propriétés antigéniques similaires à celles du A/
California/7/2009 (H1N1) contenu dans le vaccin. De ce fait, les personnes vaccinées ne
furent pas affectées par le virus A (H1N1) à l’hiver 2014/2015. En revanche, le virus A (H3N2)
appartenait à un groupe phylogénétique contenant des virus aux propriétés antigéniques
différentes de celles de la souche A/Texas/50/2012 (H3N2), la vaccination fut, chez ces
individus, inefficace contre le virus A (H3N2).
Une bonne couverture vaccinale théorique aurait dès lors permis de limiter considérable-
ment la morbidité et la mortalité dans les pays où la souche A (H1N1) était très présente,
mais pas dans ceux où la souche H3N2 était répandue.

12.5. Le dépistage

12.5.1. Principes du dépistage


Le dépistage d’une maladie consiste à mettre en œuvre une procédure
diagnostique chez des personnes asymptomatiques afin de distinguer celles
qui sont probablement atteintes de la maladie de celles qui n’en sont proba-
blement pas atteintes. Le dépistage conduit donc à une présomption sur l’état
de la personne, présomption qui doit être confirmée. Le dépistage s’intègre
obligatoirement dans un processus complet comprenant la confirmation

356
Partie 1. Chapitre 12.
Interventions en santé publique : prévention, promotion de la santé

diagnostique, positive ou négative, de la maladie puis les prises en charge


éventuellement nécessaires21.
L’objectif d’un dépistage est de favoriser un diagnostic précoce de la
maladie, ou d’un état précurseur de la maladie (par exemple, état précancé-
reux), ou d’un facteur de risque, ou d’un marqueur de risque d’apparition de
la maladie (prédisposition génétique ou familiale, exposition environnemen-
tale). Le but étant, par l’effet d’un diagnostic précoce, d’améliorer le pronostic
de la maladie, par la mise en œuvre d’un traitement précoce adapté de la
maladie ou d’un état précurseur, ou, le cas échéant, par la correction d’un
facteur de risque ou, encore, par la mise en place d’une surveillance ou d’une
action préventive.
Les effets attendus se traduisent par un nombre de décès évités, des années
de vie gagnées, une réduction des séquelles.
La réduction de la durée moyenne de la maladie permet de viser, par le
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
­dépistage, une baisse de la prévalence de la maladie ; si le dépistage vise
un état précurseur ou un facteur de risque, il est alors possible
­d’obtenir une baisse de l’incidence de la maladie (➠ Chapitre 3).

12.5.2. Le dépistage organisé


Le dépistage peut être réalisé dans un cadre individuel ou spontané (par
exemple, le suivi gynécologique de base en ambulatoire) ou dans un cadre
organisé par les pouvoirs publics.
La décision d’organiser un dépistage au niveau collectif est un choix
coûteux (on estime par exemple à environ 60 M€ par an le budget du dépis-
tage organisé du cancer colorectal en France) qui peut néanmoins être justifié
par plusieurs éléments :
–  une maladie dont l’évolution est connue et qui comprend une phase
pré-clinique suffisamment longue ou des facteurs, marqueurs de risque ou états
précurseurs bien identifiés ;
–  l’importance de la maladie en termes de santé publique, notamment en
raison de sa fréquence et de sa gravité ;
–  l’existence d’un test de dépistage satisfaisant, c’est-à-dire suffisamment
performant (voir plus bas), acceptable par la population, d’un coût supportable
pour la collectivité ;
–  l’existence de moyens de prise en charge suffisants, qualitativement et
quantitativement, en cas de dépistage positif, c’est-à-dire l’existence de moyens
de confirmation diagnostique et de traitement ;
–  la volonté des pouvoirs publics d’améliorer l’accès au dépistage, en assu-
rant une équité territoriale et sociale. En effet, un des intérêts d’un dépistage
organisé est de favoriser la prise en charge des personnes qui spontanément
pourraient ne pas bénéficier d’un dépistage individuel, tout particulièrement

21. J. Wilson, G. Jungner, Principles and Practice of Screening for Disease, WHO/OMS, 1968.

357
Partie 1. Les fondamentaux

lorsqu’il s’agit de sujets à haut risque ; ainsi le plan cancer 2014‑2019 français
veut « proposer à chaque personne la modalité de dépistage et de suivi adaptée
à son niveau de risque de cancer du sein ou de cancer colorectal, en intégrant
les personnes à risque aggravé dans les programmes de dépistage22 » ;
–  la volonté des pouvoirs publics d’améliorer la qualité et la sécurité du
dépistage et la qualité des suites.
Tous ces facteurs concourent au consentement de la population au dépis-
tage, et donc à son adhésion au protocole mis en œuvre. Il importe aussi de
ne pas éluder une approche éthique de la démarche autour de la proportion-
nalité du bénéfice par rapport au risque encouru, tout particulièrement chez
des personnes initialement asymptomatiques.
Le choix du test de dépistage repose sur plusieurs critères : fiabilité tech-
nique, simplicité de mise en œuvre, coût, effets indésirables, anxiété induite, etc.
On tient compte aussi d’indicateurs de performance.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
12.5.3. Les critères de qualité d’un test de dépistage
Il existe plusieurs indicateurs utilisables pour évaluer la qualité et l’intérêt
d’un test de dépistage ou de diagnostic. Certains sont intrinsèques au test,
d’autres dépendent du contexte épidémiologique, en pratique de la fréquence
de la maladie concernée. L’analyse tient compte à la fois du statut patho­
logique (malade, non malade) et du résultat du test (positif ou négatif).

Tableau n° 3. Analyse des critères de qualité d’un test de dépistage


Malade Non-malade Totaux
Test positif VP FP TP
Test négatif FN VN TN
Totaux M N

On distingue quatre situations :


–  « vrai positif » (VP) : personne malade dont le test est positif ;
–  « faux positif » (FP) : personne non malade dont le test est cependant
positif ;
–  « vrai négatif » (VN) : personne non malade dont le test est négatif ;
–  « faux négatif » (FN) : personne malade dont le test est cependant
­négatif.

22. Ministère des Affaires sociales et de la Santé, ministère de l’Enseignement supérieur et de la


Recherche, Plan cancer 2014‑2019. Guérir et prévenir les cancers : donnons les mêmes chances à
tous, partout en France, 2014.

358
Partie 1. Chapitre 12.
Interventions en santé publique : prévention, promotion de la santé

Sensibilité et spécificité
La sensibilité est la probabilité d’avoir un test positif lorsqu’on est malade :
Sensibilité = VP/M
La spécificité est la probabilité d’avoir un test négatif lorsqu’on n’est pas
malade :
Spécificité = VN/N
Ces indicateurs sont indépendants de la fréquence de la maladie. De façon
habituelle, sensibilité et spécificité évoluent en sens opposé : plus un test est
sensible, moins il est spécifique et inversement.
Pour un dépistage, on sera donc tenté de privilégier un test très sensible
afin de repérer le plus possible de sujets susceptibles d’être atteints, puis, en
phase de confirmation diagnostique, d’utiliser un outil plus spécifique pour
réserver les prises en charge curatives aux cas avérés.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Cependant, cette façon de procéder implique de dépister un certain nombre
de sujets « faux positifs », que l’on exposera aux procédures diagnostiques et
à leurs éventuels effets indésirables et chez lesquels on induit ainsi une anxiété
inutile.

Rapports de vraisemblance (likehood ratios)


Le rapport de vraisemblance du test positif (RVP) est le rapport entre la
probabilité d’avoir un test positif chez un malade et la probabilité d’avoir un
test positif chez un non-malade :
RVP = (VP/M) / (FP/N) = sensibilité / (1 – spécificité)
La valeur du RVP caractérise la valeur diagnostique du test : si le RVP
est égal à 1, alors le test n’a aucun intérêt diagnostique, puisqu’il est positif
avec la même fréquence chez les malades et les non-malades.
Plus la valeur du RVP est élevée, plus le test est déterminant. Ainsi, un
RVP égal à 35 signifie que l’on a 35 fois plus de chance d’avoir un test positif
quand on est malade que lorsqu’on ne l’est pas.
Le rapport de vraisemblance du test négatif (RVN) est le rapport entre la
probabilité d’avoir un test négatif chez un individu malade et la probabilité
d’avoir un test négatif chez un non-malade :
RVN = (FN/M) / (VN/N) = (1 – sensibilité) / spécificité
L’interprétation du RVN est inverse de celle du RVP : plus le RVN se
rapproche de 0, plus le diagnostic devient peu probable chez la personne.
Les RVP et RVN sont indépendants de la fréquence de la maladie dans
la population.

359
Partie 1. Les fondamentaux

Valeurs prédictives
La valeur prédictive du test positif (VPP) est la probabilité d’être malade
quand le test est positif :
VPP = VP/TP
La valeur prédictive du test négatif (VPN) est la probabilité de n’être pas
malade quand le test est négatif :
VPN = VN / TN
À la différence des précédents indicateurs, les valeurs prédictives sont
dépendantes de la prévalence de la maladie. Ainsi, à sensibilité constante, la
VPP augmente avec la prévalence de la maladie, alors que, à spécificité
constante, la VPN augmente lorsque la prévalence diminue.

12.5.4. La mise en œuvre d’un dépistage organisé


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Le dépistage organisé se distingue du dépistage individuel par l’exis-
tence d’un cadre normatif opposable (portant notamment sur le choix du
type de test, de ses conditions techniques de mise en œuvre et la définition
de la population bénéficiaire), la mise en place d’une planification et
d’une coordination formelle du dispositif et l’existence d’un financement
public.
Elle comprend plusieurs étapes. Préalablement, il est nécessaire de mettre
en place une infrastructure de gestion du dépistage destiné au pilotage général
de la démarche, de réaliser une information des professionnels impliqués et
de la population cible. L’information se doit d’être la plus neutre et objective
possible ; il s’agit de permettre une bonne compréhension des enjeux, des
modalités et des suites du dépistage afin de favoriser l’adhésion au dispositif
et le consentement éclairé.
Puis se succèdent en routine : le recrutement des personnes, c’est-à-dire
leur sélection et leur invitation à passer le test ; la réalisation technique des
tests et leur analyse ; le suivi des personnes dépistées positivement – il faut
leur proposer un diagnostic de confirmation puis, le cas échéant, s’assurer
qu’elles entrent dans un cycle de prise en charge adaptée.
Le maintien dans le temps d’un haut niveau de qualité suppose l’existence
d’une évaluation permanente du dispositif, pour lequel doivent être fixés des
indicateurs de performance, destinés à apprécier notamment la qualité du
recueil et de l’analyse des données du dépistage, du suivi des personnes,
l’atteinte des objectifs en termes de politique de santé (qualité, sécurité, acces-
sibilité, évolution des indicateurs de mortalité et de morbidité). Il est néces-
saire de prendre en compte les effets adverses possibles liés aux situations
de sur- ou de sous-diagnostic. Consécutivement à cette évaluation, des actions
de management et de formation sont appliquées.

360
Partie 1. Chapitre 12.
Interventions en santé publique : prévention, promotion de la santé

12.5.5. Le dépistage organisé des cancers en France


La situation du dépistage organisé des cancers en France illustre les
étapes que doivent franchir ces programmes pour atteindre leurs objectifs
d’amélioration de l’état de santé de la population. Il existe actuellement trois
dépistages organisés pour les cancers du sein, du col de l’utérus et
colorectal.
Jusqu’en janvier 2019, l’organisation générale reposait sur des structures
locales, le plus souvent départementales, dénommées « structures de gestion ».
Le pilotage des dépistages organisés est maintenant régionalisé, avec la mise
en place de centres régionaux de coordination des dépistages des cancers23.
Le dépistage organisé du cancer du col de l’utérus est en cours de géné-
ralisation depuis 2018, après quelques années d’expérimentations locales24.
Il repose sur la réalisation, tous les trois ans, d’un frottis cervico-utérin chez
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
les femmes de 25 à 65 ans. L’objectif est de parvenir à un taux de couverture
de la population concernée de 80 % et ainsi d’obtenir une réduction des décès
de 30 % en dix ans (en 2018, ce cancer est à l’origine d’environ 1 100 décès
par an, sans tendance spontanée à l’amélioration).
À ce stade d’implantation du programme en population générale, il s’agit
d’assurer la bonne insertion du dépistage dans le système de santé. Il existe
déjà un dépistage individuel par frottis largement pratiqué par les gynéco-
logues ; aussi le dépistage organisé va-t‑il être particulièrement orienté vers
les femmes qui accèdent le moins à ce dépistage. L’entrée dans le dépistage
organisé se fera donc préférentiellement à l’occasion du suivi existant, assuré
par les gynécologues ; l’apport principal du dépistage organisé consistera en
une invitation spécifique faite aux femmes n’ayant pas bénéficié du dépistage
individuel depuis plus de trois ans (identifiées par la base de données de
remboursement de l’Assurance maladie), qui pourront aussi, pour les plus
éloignées du système de soins, être accompagnées de diverses manières
(mise à disposition de kits d’auto-prélèvement, interprétariat, médiation sani-
taire…). Le test et son analyse sont pris en charge à 100 % par l’Assurance
maladie. Enfin, le retour d’informations pertinentes (données relatives au
suivi des femmes ayant un test positif, suivi de l’espacement des tests dans
le temps…) en direction des professionnels de santé sera particulièrement
soigné, afin de conforter leur adhésion à la démarche de dépistage
organisé.
Le dépistage organisé du cancer colorectal est plus ancien, existant depuis
2010. Il a déjà connu une phase d’adaptation technique par le changement
en 2015 du test utilisé. Le test consiste aujourd’hui en une recherche

23. Voir arrêté du 23 mars 2018 portant modification de l’arrêté du 29 septembre 2006 relatif aux
programmes de dépistage des cancers ; voir aussi instruction no DGS/SP5/2016/395, du 21 décembre
2016, relative à l’évolution du dispositif des structures de gestion du dépistage organisé du cancer, et
instruction no DGS/SP5/2017/143 du 28 avril 2017 relative à la mise en place des centres régionaux
de coordination des dépistages des cancers.
24. Arrêté du 4 mai 2018 relatif à l’organisation du dépistage organisé du cancer du col de l’utérus.

361
Partie 1. Les fondamentaux

immunologique de sang occulte dans les selles tous les deux ans chez les
personnes de plus de 50 ans. Le principe d’organisation repose sur la remise
d’un kit d’auto-prélèvement, exclusivement lors d’une consultation avec le
médecin traitant.
Le problème de ce dépistage est celui d’une participation qui a toujours
été insuffisante, sans que l’adoption du nouveau test immunologique fasse
évoluer la situation (seule environ une personne sur trois accepte le dépistage).
Les actions à mener ici viseront donc, d’une part, à convaincre de l’intérêt
du dépistage par la diffusion d’informations vers la population et les profes-
sionnels de santé et, d’autre part, à faciliter l’accès matériel au dépistage
organisé (prise en charge de la consultation par l’Assurance maladie, incita-
tions à la remise du test…).
Néanmoins, le sujet le plus sensible est celui de l’abandon de la remise
exclusive du test par le médecin généraliste au profit d’autres modes de dif-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
fusion complémentaires, tels que l’envoi direct par courrier, la remise par les
centres d’examens de santé, par d’autres médecins, les pharmaciens ou encore
via une commande sur Internet. La diversification des modalités de remise
pose alors les questions de l’accompagnement des personnes, particulièrement
celles ayant un test positif, et de l’implication du médecin traitant dans le
dispositif. L’importance du médecin généraliste se comprend aisément quand
on sait que le dépistage s’organise très différemment selon la sévérité du
risque, stratifié en trois niveaux. Le niveau de base est celui évoqué jusqu’ici.
Les sujets à risque élevé sont ceux qui ont soit un antécédent personnel de
maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI : maladie de Crohn et
rectocolite hémorragique), soit un antécédent familial au premier degré de
cancer colorectal ou d’adénome avancé (état précancéreux), soit un antécédent
personnel d’adénome : dans ces cas, le dépistage se fait directement par colos-
copie. Enfin, il existe des sujets à risque très élevé, car porteurs d’une pré-
disposition héréditaire (syndrome de Lynch, polypose adénomateuse familiale),
pour lesquels la surveillance par coloscopie est déterminée à la suite d’un
diagnostic oncogénétique permettant de connaître la mutation génétique en
cause.
Le dépistage organisé du cancer du sein existe depuis 2004. Il consiste
en la réalisation d’un examen clinique et d’une mammographie tous les deux
ans chez les femmes de 50 à 74 ans sans facteur de risque particulier. La
mammographie est effectuée par un radiologue agréé. Les enjeux actuels
concernent l’évolution technologique du dispositif et l’amélioration de l’or-
ganisation générale du dépistage pour faire face à certaines lacunes.
Sur le versant technique, il s’agit, d’une part, d’aller vers une gestion
dématérialisée des clichés (avec les garanties nécessaires en termes de dis-
ponibilité, de confidentialité et de stabilité de l’information qui s’attachent à
ce type d’opération) et, d’autre part, d’étudier la perspective d’utiliser une
nouvelle technique radiologique, dite de tomosynthèse, qui permet une explo-
ration tridimensionnelle du sein, améliorant probablement la performance
diagnostique, mais au prix d’une irradiation plus importante – d’où une aug-
mentation du risque (dans quelle proportion ?) de cancers radio-induits.

362
Partie 1. Chapitre 12.
Interventions en santé publique : prévention, promotion de la santé

La technique est déjà utilisée pour la phase de confirmation diagnostique, et


le sujet ici est d’en faire l’outil du dépistage organisé.
Sur le plan de l’organisation générale, l’ambition est d’aller vers un suivi
plus individualisé et mieux articulé avec les médecins traitants. Il est ainsi
prévu d’améliorer l’information des femmes sur la portée du dépistage, de
se doter de moyens radiologiques mobiles pour aller au-devant des personnes
les plus éloignées de l’offre de soins, de proposer un suivi personnalisé aux
femmes de plus de 74 ans et de mettre en place une consultation de prévention
prise en charge par l’Assurance maladie à l’âge de 25 ans. L’objectif de cette
consultation plus précoce est d’effectuer une analyse des facteurs de risques,
personnels et familiaux, afin d’en déduire les modalités de suivi les plus
adaptées pour les femmes à risque élevé.

12.5.6. Les autres dépistages


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
En dehors des cancers, d’autres dépistages sont pratiqués. À titre d’exemple,
on citera :
– le programme national de dépistage, avec cinq dépistages organisés en
période néonatale : phénylcétonurie, hypothyroïdie congénitale, hyperpla-
sie congénitale des glandes surrénales, drépanocytose, mucoviscidose. Le
dépistage est réalisé à partir d’un micro-prélèvement sanguin 72 heures
après la naissance. Un sixième dépistage est prévu par le Plan priorité
prévention, celui d’une anomalie congénitale du métabolisme des acides
gras (déficit en MCAD, acyl-coenzyme A déshydrogénase des acides gras).
Un dépistage de la surdité permanente congénitale est aussi pratiqué ;
– dépistage sur les dons de sang : VIH, syphilis, hépatites virales, HTLV25 ;
– dépistage de la trisomie 21, qui est pratiqué entre 11 et 13 semaines d’amé-
norrhée, en combinant trois éléments : l’âge de la femme, un dosage de
marqueurs sériques et une échographie (mesure de la clarté nucale du fœtus).

12.5.7. Dépistage et « bilans de santé »


Une modalité particulière de l’organisation des dépistages est celle des
« bilans de santé » proposés par des acteurs du système de santé, qu’ils soient
producteurs de soins ou financeurs. Ce type d’organisation fait l’objet de
certaines réserves, allant jusqu’à estimer les inconvénients supérieurs aux
avantages. Ces craintes se fondent sur une évaluation a priori insuffisante
des procédures de dépistage, ainsi que sur les effets secondaires des méthodes
de confirmation diagnostique et des traitements consécutifs. Une méta-analyse
récente26, portant sur plus de 250 000 personnes réparties dans 15 études

25. Les HTLV (Human T-lymphotropic virus, virus T-lymphotrophique humain) sont des virus qui
provoquent des cancers, notamment des lymphomes.
26. L.T. Krogsbøll, K.J. Jørgensen, P.C. Gøtzsche, « General Health Checks in Adults for R
­ educing
Morbidity and Mortality from Disease », Cochrane Database of systematic reviews, 31 janvier 2019.

363
Partie 1. Les fondamentaux

randomisées, a conclu que les bilans de santé n’ont pas ou peu d’effets sur
la mortalité générale (risque relatif égal à 1,00 avec un intervalle de confiance
à 95 % entre 0,97 et 1,03), la mortalité par cancer (RR = 1,01 ; IC 95 %  :
0,92‑1,12), la mortalité cardio-vasculaire (RR = 1,05 ; IC 95 % : 0,94‑1,16)
ou la survenue d’accidents vasculaires cérébraux mortels ou non (RR = 1,05 ;
IC 95 %  : 0,95‑1,17). Ce constat pourrait s’expliquer par le fait que des
personnes à risque élevé de morbidité et/ou de mortalité refusent l’offre de
bilans de santé ; une autre hypothèse est que les personnes à risque élevé sont
prises en charge par le système de santé sans attendre un quelconque bilan
de santé systématique.

12.6. La réduction des risques chez les usagers de drogues


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Le sujet a beaucoup mobilisé les acteurs politiques, administratifs, associa-
tifs depuis de nombreuses années. Il est en effet révélateur des difficultés de
la prévention dans des domaines socialement sensibles et susceptibles de répres-
sion pénale. Il illustre aussi le choix d’une stratégie de réduction des risques.
La réduction des risques (RDR) dans ce domaine consiste à privilégier la
recherche d’une limitation des conséquences d’un comportement nocif (pour
l’usager mais aussi son entourage). Des activités visant au sevrage peuvent
bien entendu perdurer, mais il ne s’agit plus dans ce cas de l’objectif premier
de la démarche.
En France, la RDR s’est tout d’abord développée dans les années 1980
dans le cadre de la lutte contre l’infection par le VIH. Les usagers de drogues
concernés sont alors fondamentalement ceux qui recourent à des injections,
portes d’entrée pour diverses infections (VIH, hépatites virales, endocardites
bactériennes, etc.). Bien souvent, ils sont dépendants à une ou plusieurs subs-
tances, certaines illicites (héroïne, cocaïne, LSD…), d’autres non (produits
stimulants, médicaments, alcool, tabac). Les conséquences de ce type de
consommation sont à la fois sanitaires et sociales, ces personnes vivant fré-
quemment dans une grande précarité.
La RDR a ensuite été étendue à l’ensemble des substances psychoactives
et prend en compte l’ensemble des risques liés à la consommation des pro-
duits, c’est-à-dire les risques somatiques (infections bactériennes, virales et
mycosiques, accidents de surdosage, principalement), psychiques (manifes-
tations anxiodépressives, psychoses, suicides…), sociaux (précarité, pauvreté,
violences, conséquences judiciaires, emprisonnement…). Dans ce cadre, un
ensemble de mesures a été progressivement mis en œuvre : actions d’infor-
mation sur les risques, promotion de pratiques à moindre risque (par exemple,
l’abandon du partage du matériel d’injection), mise à disposition de matériel
stérile, voire de lieux d’injection, organisation de la récupération des matériels
usagés, médicaments de substitution aux opiacés, proposition de dépistages,
de services de soins et d’aide sociale. Les activités de RDR peuvent constituer
une base pour aller ultérieurement vers une offre visant à l’arrêt de la consom-
mation nocive. En raison des caractéristiques de la population visée,

364
Partie 1. Chapitre 12.
Interventions en santé publique : prévention, promotion de la santé

l’anonymat et la gratuité des prestations sont garantis, et l’organisation des


actions intègre une logique d’« aller vers » les personnes concernées (bus
d’échange de seringues, « boutiques » associatives, localisation des équipe-
ments à proximité des lieux de vie, présence mobile dans les espaces publics,
« maraudes », présence à l’occasion de certaines manifestations festives,
actions en milieu carcéral, etc.). Des structures spécialement dédiées à la RDR
ont aussi été créées : les CAARUD.

12.6.1. Les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction


des risques pour les usagers de drogues (CAARUD)
Ce sont des établissements médico-sociaux qui sont apparus dans le dis-
positif en 2006 et ont une base légale et réglementaire aux articles L3121‑5,
R3121‑33‑1 et suivants du CSP. Ils assurent les missions suivantes :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  accueil, information et conseil auprès des usagers ;
–  orientation dans le système de santé ;
–  aide aux soins d’hygiène et de santé de base ;
–  mise à disposition de matériels de prévention (seringues stériles) ;
–  proposition de dépistage de maladies infectieuses (VIH, hépatites virales) ;
–  appui pour l’accès aux droits, l’accès au logement ;
–  appui à la recherche d’emploi et à la formation.
L’action des CAARUD est complémentaire de celle des centres de soins,
d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), qui est plus
spécifiquement sanitaire.

12.6.2. Le développement du dépistage des maladies infectieuses


Pour ce qui est de l’infection par le VIH, la nécessité de progresser encore
est illustrée par la proportion demeurant très élevée (environ 25 %) de personnes
découvrant leur séropositivité tardivement, alors que l’infection est déjà à un
stade de manifestations cliniques. Cette situation est particulièrement fréquente
chez les sujets masculins hétérosexuels et les personnes de plus de 50 ans.
Pour l’hépatite virale C, l’objectif épidémiologique est d’éliminer le virus
pour 2025, en couplant un dépistage amélioré avec une offre rendue plus
accessible à des médicaments antiviraux à action directe. On organise pour
cela une extension du nombre de prescripteurs, notamment au niveau des
réseaux ville-hôpital.
Le dépistage passe tout particulièrement par des tests rapides d’orientation
diagnostique (TROD) qui peuvent être proposés par les associations et les acteurs
du secteur médico-social, élargissant l’offre de dépistage au-delà du seul champ
des professionnels de santé, ce qui permet d’espérer d’atteindre mieux des usa-
gers de drogues éloignés des structures de prise en charge en addictologie.
Ici, les actions mises en œuvre doivent s’intégrer aussi dans la stratégie
de lutte contre l’infection par le VIH et les autres infections sexuellement

365
Partie 1. Les fondamentaux

transmises (IST) : modifications des comportements sexuels (usage du pré-


servatif, sélection des partenaires, choix des pratiques), traitement antirétro-
viral et des IST (prophylaxie pré-exposition, traitement post-exposition,
traitement des personnes séropositives).

12.6.3. Les traitements de substitution aux opiacés (TSO)


Ils sont apparus en France en 1995 et visent à traiter les cas de pharma-
codépendance majeure aux opiacés. Les deux médicaments utilisés sont la
méthadone et la buprénorphine haut dosage (BHD, Subutex et génériques27),
dans une proportion d’environ un tiers de méthadone et deux tiers de BHD.
Globalement, la consommation de ces médicaments n’a cessé de croître
depuis leur introduction sur le marché. On estimait en 2014 à 147 000 le
nombre d’utilisateurs de TSO, dont environ les trois quarts de sexe masculin
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
et 40 % bénéficiaires de la CMU complémentaire, confirmant ainsi la situation
socio-économique précaire de beaucoup de toxicomanes.

12.6.4. Salles de consommation à moindre risque (SCMR)


Dénommées familièrement « salles de shoot », ces structures, créées par
la loi de modernisation de notre système de santé du 26  janvier 2016, ont
pour objectif d’offrir, pour des usagers le plus souvent très précarisés, des
conditions d’hygiène suffisantes pour réduire les risques infectieux à l’occa-
sion des injections qui s’y déroulent.
L’implantation et le fonctionnement de ces SCMR impliquent de régler
des questions d’ordre public et de sécurité, afin notamment de rendre les
SCMR acceptables pour le voisinage, auprès duquel un travail de médiation
sociale doit être mené.
Il est aussi nécessaire de sécuriser juridiquement les conditions d’inter-
vention du personnel de santé impliqué dans une activité qui reste par ailleurs
pénalement réprimée.

27. Il existe aussi une association médicamenteuse, commercialisée sur le nom de Suboxone de
BHD avec de la naloxone, qui est un antagoniste des opiacés.

366
Partie 1. Chapitre 12.
Interventions en santé publique : prévention, promotion de la santé

Points clés
• La prévention est une activité emblématique de la santé publique. Les actions
de prévention ont pour but d’éviter la survenue d’une maladie ou de la diagnos-
tiquer au plus tôt, ou encore de limiter ses conséquences en termes de séquelles
ou de récidives. La prévention s’appuie sur des stratégies et des outils divers,
notamment sur les méthodes d’éducation pour la santé et la démarche de
promotion de la santé. Cette dernière a pour objectif de donner aux individus
une capacité accrue d’action sur leur propre santé, ce qui implique d’améliorer
le niveau de connaissance et de compréhension des pathologies par les patients
et de renforcer leurs compétences psychosociales, afin de les amener à prendre
des décisions et à les mettre, dans certaines limites, en application directement
(par exemple, adaptation du traitement d’une maladie c­ hronique).
• Il existe plusieurs classifications des actions de prévention, privilégiant notam-
ment une logique pathologique ou populationnelle.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
• Au-delà des consensus apparents, la mise en œuvre de stratégies de prévention
est confrontée fréquemment à des résistances notables, comme en témoignent
les problématiques relatives à la prévention du tabagisme et des conduites d’al-
coolisation à risque. Pour surmonter ces difficultés, la France a fait du « virage
préventif » un des axes majeurs de la Stratégie nationale de santé 2018‑2022.
• Parmi les outils de la prévention, la vaccination occupe une place importante,
en raison de son efficacité (c’est le seul outil qui a été capable de faire disparaître
complètement une maladie : la variole), mais aussi des oppositions qui s’expri-
ment au sein de groupes sociaux, limitant l’effet de la stratégie vaccinale et du
calendrier vaccinal français.
• Le dépistage est aussi un outil majeur de la prévention. Un dépistage organisé
(DO) doit être déployé dans un contexte qui assure sa pleine efficacité,
­c’est-à-dire en ayant obtenu une adhésion suffisante de la population et en
organisant les étapes ultérieures, vers le diagnostic et le traitement. L’état actuel
des trois DO de cancers en France (sein, col de l’utérus et colon-rectum) illustre
les étapes que franchissent les programmes de dépistage au fur et à mesure de
leur montée en puissance.
• L a prévention des complications liées à l’usage des drogues repose sur une
démarche de réduction des risques, privilégiant la limitation directe des effets
néfastes, sans faire de la fin de la consommation un objectif premier.

Pour en savoir plus


Promotion de la santé
E. Breton, F. Jabot, J. Pommier, W. Sherlaw (dir.), La Promotion de la santé.
Comprendre pour agir dans le monde francophone, Presses de l’EHESP, 2e éd., 2020.
Dépistage
R. Salmi, Y. Le Strat, F. de Bels, « Performance des outils et programmes de dépistage »,
in F. Dabis, J.-C. Desenclos (dir.), Épidémiologie de terrain. Méthodes et application,
John Libbey Eurotext Ltd, 2e éd., 2017, p. 683‑697.
Chapitre 13
La qualité dans le système de santé
Jacques Raimondeau

Objectifs pédagogiques
Connaître :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
– Les définitions de la qualité dans le champ de la santé et les bases de sa mesure
– Les principes d’une démarche de gestion des risques et d’une démarche qua-
lité, notamment dans les établissements de santé
– Les principes des démarches suivantes :
• procédure de certification des établissements de santé et médico-sociaux
par la HAS
• procédure d’accréditation des spécialités à risque
• développement professionnel continu
• éducation thérapeutique du patient
• lutte contre les infections associées aux soins et contre l’antibiorésistance

13.1. La qualité en santé et sa mesure

13.1.1. Définition et généralités


Les définitions de la qualité renvoient à une notion de bonne adéquation
entre un objet, un processus, une organisation et le rôle qu’il ou elle est
censée jouer – en l’occurrence, préserver ou améliorer l’état de santé, ou
éviter les effets indésirables des activités de soins. La norme ISO 9000 adopte
la formulation suivante : « Ensemble des caractéristiques et propriétés d’un
produit ou d’un service qui lui confèrent l’aptitude à satisfaire des besoins
exprimés et implicites. »
La qualité est donc une notion complexe car elle dépend des attentes, for-
mulées explicitement ou pas vis-à-vis d’une prestation. Ainsi, plusieurs dimen-
sions de la qualité sont repérables dans le champ de la santé : accessibilité
(géographique, économique, culturelle, sociale…) ; sécurité ; efficacité ; effi-
cience (➠ Chapitre  6) ; adaptabilité aux diverses contraintes, dont l’urgence,
les caractéristiques spécifiques des groupes d’usagers et l’évolution des situa-
tions sanitaires (par exemple, la substitution d’une technique diagnostique par

369
Partie 1. Les fondamentaux

une autre plus performante, ou l’abandon d’une activité pour une autre en raison
d’une mutation épidémiologique, tel le recul historique de la tuberculose).
La qualité est aussi complexe par son objectif : elle peut en effet corres-
pondre à la recherche d’un maximum de performance (par exemple, dans un
contexte expérimental), d’un optimum (en tenant compte notamment des
conditions concrètes de mise en œuvre d’une activité en routine) ou encore
d’un minimum en dessous duquel on ne souhaite pas descendre.
Les critères de qualité peuvent être définis par les professionnels : il s’agit
alors habituellement d’un niveau de qualité déterminé sur la base de critères
émanant de sociétés savantes, de recommandations de bonnes pratiques pro-
fessionnelles, mais aussi d’options stratégiques, c’est-à-dire de choix politiques,
qu’ils soient faits au niveau d’un territoire ou d’un établissement (par exemple,
la volonté d’obtenir une reconnaissance par un système particulier de labelli-
sation, dans la perspective de l’accueil de patients étrangers, ou le souhait de
développer une activité fortement cadrée par des critères de qualité, comme
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
la procréation médicalement assistée ou les transplantations d’organe) ; ces
objectifs seront ensuite confrontés à ce qui est réalisé en pratique, et la mesure
des écarts déterminera les actions d’amélioration à mener. Mais, par ailleurs,
la qualité est aussi recherchée par les usagers qui souhaitent obtenir un certain
niveau de prestation, niveau qui est déterminé par la perception de leurs besoins
et leur appréciation de la possibilité pour le système de santé d’y répondre.
Ces attentes des usagers sont plus ou moins différentes de celles des profes-
sionnels, mais sont à intégrer dans une démarche de recherche de la qualité.
Il existe ainsi de façon simplifiée une double définition des attendus et une
double mesure des écarts, du côté des professionnels et du côté des usagers.
De façon opérationnelle, la définition de la qualité et son évaluation sont
aussi rendues plus complexes dans le champ de la santé par la multiplicité
des acteurs, de leurs attentes et de leurs cultures professionnelles ou autres.
Il est à noter que la recherche de la qualité dans le domaine sanitaire est
passée en France d’une approche thématique cloisonnée, se développant par-
fois au gré des scandales sanitaires (produits sanguins, médicaments) ou de
priorités personnelles ministérielles (douleur), à une approche plus globale,
nettement dominante depuis 2009, ce qui n’exclut pas des actions ponctuelles
complémentaires. Dans cette perspective, un premier programme national
pour la sécurité des patients a couvert la période 2013‑2017.

13.1.2. Les risques et la gestion des risques


Selon la définition théorique de la norme ISO 9001‑2015, le « risque est
l’effet de l’incertitude sur un résultat escompté ». Plus concrètement, le risque
est généralement défini comme la probabilité d’occurrence d’un effet différent,
généralement négatif, de celui qui était attendu d’une action. La norme ISO
8402 proposait de définir la gestion des risques comme un « effort organisé
pour identifier, évaluer et réduire, chaque fois que cela est possible les risques
encourus par les patients, les visiteurs et le personnel ».
Une démarche de gestion des risques comprend plusieurs étapes.

370
Partie 1. Chapitre 13.
La qualité dans le système de santé

L’identification et l’analyse des risques


Cela consiste à comprendre leur mécanisme et leur impact, en tenant
compte des mesures de gestion éventuellement déjà en place. Pour ce faire,
plusieurs méthodes existent, dont, sans prétendre à l’exhaustivité, l’HACCP
(Hazard Analysis Critical Control Point ou Analyse des dangers et points
critiques pour leur maîtrise), utilisé notamment dans le champ de la sécurité
alimentaire, l’Analyse préliminaire des risques (APR), l’Analyse des modes
de défaillance, de leurs effets et de leur criticité (AMDEC), inspections,
analyses sur la base de scénarios simulant des situations de tension, etc. Il est
aussi possible d’exploiter les informations issues des difficultés déjà consta-
tées sous forme de signalements d’événements indésirables, de plaintes, de
procédures contentieuses, de retours d’expérience ou de réunions de mor-
bi-mortalité1 dans les établissements de santé.
L’analyse des risques peut dans certains cas s’appuyer sur des référentiels
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
professionnels explicites, voire officiels, ce qui se rencontre dans plusieurs
champs des pratiques de santé : anesthésie-réanimation, obstétrique, risque
infectieux, produits sanguins, médicaments… Dans d’autres situations, l’analyse
se fait en tenant compte de principes découlant de concepts généraux, comme
l’imprudence, la négligence, l’incompétence, la maladresse, l’erreur…

La quantification des risques


Elle se fonde principalement sur trois critères, la gravité potentielle, la
fréquence probable de survenue et la capacité à contrôler la situation, per-
mettant de positionner les risques identifiés sur une échelle (ou une matrice)
allant des risques acceptables aux risques totalement intolérables, avec toute
la palette des situations intermédiaires entre ces extrêmes, définissant ainsi
un niveau de criticité ;

L’identification des risques majeurs


C’est une conséquence directe de l’étape qui précède : les risques majeurs
évidents sont ceux qui cumulent une forte gravité (par exemple, le décès ou
les séquelles sanitaires lourdes pour les patients, des coûts financiers impor-
tants ou un préjudice d’image pour un établissement) et une probabilité de
survenue élevée. En revanche, un risque gravissime mais paraissant « théo-
rique » en raison de sa rareté extrême ou, à l’inverse, des anomalies fréquentes
mais sans conséquence notable peuvent être acceptés ou, du moins, ne pas
faire l’objet de mesures de prévention importantes car un plan de gestion des

1. « Une revue de mortalité et de morbidité (RMM) est une analyse collective, rétrospective et
systémique de cas marqués par la survenue d’un événement indésirable associé aux soins (décès,
complication, mais aussi tout événement indésirable qui aurait pu causer un dommage au patient).
Elle a pour objectif la mise en œuvre et le suivi d’actions pour améliorer la qualité des soins et la
sécurité des patients. » HAS, Fiche pour le Développement professionnel continu. Revue de mortalité
et de morbidité (RMM), juin 2017.

371
Partie 1. Les fondamentaux

risques se doit d’être global et donc d’intégrer un arbitrage en matière d’al-


location de ressources en faveur d’un « cœur de cible » particulièrement effi-
cace et efficient.

La maîtrise des risques


Elle passe par des actions planifiées de réduction des risques, de suivi et
d’évaluation des mesures mises en œuvre et de communication.

13.1.3. La démarche qualité

Principes généraux
Une représentation très classique de la « démarche qualité » est celle de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
la « roue de Deming2 », qui comprend quatre secteurs figurant un cycle d’ac-
tions en faveur de la qualité :
– Planification (en anglais, plan) : cette étape consiste tout d’abord à déter-
miner le niveau de qualité souhaité en tenant compte de l’état initial avant l’ac-
tion d’amélioration et des moyens disponibles, c’est-à-dire de fixer les objectifs
à atteindre (quantification, calendrier, repérage des points critiques) puis de
déterminer les étapes à franchir (acteurs impliqués, séquencement, priorisation)
et de prévoir un dispositif de pilotage et de suivi et les indicateurs utiles.
–  Mise en œuvre (do) : cette étape visant à passer de l’état initial à l’état
souhaité doit débuter par une information des parties prenantes et par la forma-
tion des acteurs concernés. Il est utile de disposer d’une analyse globale et
explicite des risques existant, permettant de montrer que la totalité des sujets a
bien été identifiée et d’expliquer les éventuels choix de priorité effectués et les
modalités d’action choisies. Il faut agir de façon explicite, c’est-à-dire décrire
(traçabilité formelle) les opérations à mener (qui ? quand ? comment ? avec quels
outils ?) puis conserver la mémoire de la façon dont les opérations ont été réa-
lisées en pratique et tout particulièrement de disposer de preuves que les opé-
rations programmées ont bien été exécutées et cela, conformément aux
procédures prévues. Cette fonction documentaire s’étend des aspects les plus
généraux de la démarche aux protocoles de soins les plus spécialisés.
–  Évaluation (check) : elle se fait selon des modalités variables, soit internes
à l’organisation, soit externes (enquête de satisfaction des usagers, « expérience
patient »). Elle peut aboutir à des démarches très structurées octroyant une recon-
naissance publique à une organisation ; c’est le cas des procédures de certifica-
tion et d’accréditation mises en œuvre en France par la HAS. L’évaluation
consiste, dans son principe, à mesurer la situation observée, à quantifier les écarts
par rapport aux objectifs fixés et à les analyser. Elle doit être conçue dès le début
de la démarche, et les écarts au protocole prévu doivent être le plus possible
évités et, s’ils existent, explicitement justifiés et formellement enregistrés.

2. W.E. Deming, The New Economics (2e édition), Boston MIT CAES, 1994, p. 131.

372
Partie 1. Chapitre 13.
La qualité dans le système de santé

–  Réaction (act) : cette étape consiste, en s’appuyant sur les résultats de


l’étape précédente, à procéder aux corrections, réajustements et à toute mesure
nécessaire pour réduire les écarts constatés entre le réalisé et l’attendu.
L’ensemble du cycle répond à l’acronyme anglais de « PDCA », et la roue à
quatre segments est placée sur une pente qu’elle remonte (c’est la pente du
progrès) et un retour en arrière est interdit (quand tout va bien) par un dispositif
de management de la qualité.
Il faut souligner l’importance d’assurer tout au long de ce type de démarche
une traçabilité des travaux menés. Conserver une mémoire écrite des objectifs
et de leurs modalités de mise en œuvre permet en effet de disposer d’outils de
référence qui peuvent être enrichis par les apprentissages effectués, de rendre
l’information plus accessible et d’en faciliter la transmission, de l’utiliser à des
fins de formation, d’en faire un support pour la standardisation des pratiques.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
La démarche qualité dans les établissements de santé français
Le risque à l’hôpital est multiforme : associé aux soins, bien évidemment,
mais aussi lié au fonctionnement des équipements, des services logistiques et
de support (par exemple, toxi-infection alimentaire dans une restauration col-
lective, panne informatique accidentelle ou provoquée), architectural (inondation,
incendie) et de sécurité générale (vol, dégradations, agressions du personnel, etc.).
Les conséquences des dysfonctionnements peuvent se traduire sur plusieurs
terrains : juridique (perte d’autorisation administrative, fermeture d’un établis-
sement, procédures contentieuses), financier (affaiblissement de la trésorerie,
hausse des cotisations des contrats d’assurance), démotivation du personnel et
fuite des agents (manque de personnel, turn-over excessif, dégradation du climat
social), altération de la réputation de la structure (dégradation d’une note dans
un classement public, médiatisation d’un incident) avec perte d’attractivité. On
soulignera la montée en puissance rapide du risque généré par Internet, et plus
particulièrement par les réseaux sociaux (e-réputation, fake news…).
C’est la loi HPST de 2009 qui fixe actuellement le cadre général de mise
en œuvre au sein des établissements. La qualité est conçue comme l’affaire
de tous et de toutes au sein des établissements. Aussi, dans une perspective
d’ensemble englobant à la fois la sécurité des soins et les conditions d’accueil
et de prise en charge des patients, le pilotage de la démarche qualité est-il
situé au plus haut niveau, c’est-à-dire à celui du chef d’établissement et du
président de la commission médicale d’établissement (CME), respectivement
président et vice-président du directoire3. La CME a un rôle de proposition
central ; c’est elle qui conçoit et propose au directeur le programme d’actions
nécessaire à l’atteinte des objectifs de qualité. Dans ce rôle, la CME bénéficie
notamment des contributions de la Commission des soins infirmiers, de

3. L’article L6143‑7 du CSP précise : « Après concertation du directoire, le directeur qui préside
le directoire décide, conjointement avec le président de la commission médicale d’établissement, de
la politique d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins ainsi que des conditions
d’accueil et de prise en charge des usagers. »

373
Partie 1. Les fondamentaux

rééducation et médico-techniques, du Comité de lutte contre les infections


nosocomiales (CLIN), des dispositifs de vigilance (➠ Chapitre  4) et de la
Commission des usagers4. Le président de la CME a un rôle opérationnel
important car il veille au respect des engagements pris par l’établissement
dans le domaine (accréditation, certification par la HAS, inspections par
l’ARS, par l’ANSM…) et peut organiser en conséquence des évaluations
internes. Le Conseil de surveillance émet un avis sur les dispositions mises
en place par la direction de l’établissement.
Créé par le décret n° 2010‑1408 du 12 novembre 2010, un coordonnateur
de la gestion des risques associés aux soins assure un appui aux instances
dirigeantes de l’établissement (conseil, expertise technique) et veille, avec le
responsable du système de management de la qualité de la prise en charge
médicamenteuse, à la bonne exécution des actions programmées.
Encadré n° 1. La qualité des soins selon l’OMS
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Selon l’OMS, la qualité des soins consiste à « délivrer à chaque patient l’assortiment d’actes
diagnostiques et thérapeutiques qui lui assurera le meilleur résultat en termes de santé,
conformément à l’état actuel de la science médicale, au meilleur coût pour un même résul-
tat, au moindre risque iatrogénique et pour sa plus grande satisfaction en termes de pro-
cédures, de résultats et de contacts humains à l’intérieur du système de soins ».
Il est donc habituel de considérer les points suivants :
– Justification : le soin est-il nécessaire ?
– Temporalité : le soin est-il mis en œuvre au moment opportun ?
– Adéquation : le soin est-il adapté au besoin ?
– Explication : le soin a-t‑il été présenté au patient de façon satisfaisante ?
– Consentement : le patient a-t‑il consenti au soin valablement ?
– Qualité technique : le soin est-il réalisé de façon satisfaisante ?
– Suivi : l’évolution de l’état du patient après le soin a-t‑elle fait l’objet d’un suivi adapté ?
–  Efficacité : le soin a-t‑il permis d’améliorer l’état du patient conformément à l’objectif ?
–  Innocuité : le soin a-t‑il provoqué des effets secondaires négatifs ?

Encadré n° 2. Les vigilances sanitaires

Le dispositif des vigilances sanitaires a commencé à se structurer officiellement en France


à partir de 1998 et de la loi n° 98‑535 du 1er juillet 1998, relative au renforcement de la veille
sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme.
Les vigilances sanitaires nécessitent, pour atteindre leur objectif en matière de qualité et de
sécurité, une coopération de l’ensemble des acteurs concernés : professionnels de santé et
producteurs (industriels), qui signalent les problèmes qu’ils constatent ou dont ils ont
connaissance ; régulateurs administratifs, tout particulièrement l’ANSM (➠ Chapitre 9), qui
assurent l’analyse des signaux recueillis et décident des mesures de réponse à mettre en
œuvre.

4. La Commission des relations avec les usagers et la qualité de la prise en charge (CRUQPC),
créée en 2002, est devenue la Commission des usagers, par la loi de modernisation de notre système
de santé de 2016. Ce changement d’appellation s’est accompagné d’un renforcement de ses compé-
tences. Son rôle essentiel est de veiller au respect des droits des usagers des établissements de santé
et de les accompagner dans leurs démarches en cas de problème.

374
Partie 1. Chapitre 13.
La qualité dans le système de santé

Les vigilances sont organisées selon une logique thématique :


– pharmacovigilance (➠ Chapitre 15) : médicaments, produits de santé à usage humain et
matières premières à usage pharmaceutique. Localement, il existe des correspondants
locaux de pharmacovigilance et des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) ;
– addictovigilance (ou pharmacodépendance) : abus et dépendance liés à l’usage de subs-
tances psychoactives ;
– toxicovigilance : produits toxiques ;
– cosmétovigilance : cosmétiques et produits d’hygiène ;
– hémovigilance : produits sanguins labiles (les produits stables dérivés du sang ont le
statut de médicaments), du prélèvement chez le donneur au suivi post-transfusionnel
du receveur. L’hémovigilance s’appuie sur un réseau local et régional animé par un coor-
donnateur régional d’hémovigilance positionné au sein de l’ARS ;
– biovigilance : greffes (du prélèvement d’organe, de tissu ou de cellules, au suivi des
patients transplantés ou receveurs) ;
– matériovigilance : dispositifs médicaux ;
– vigilance des produits de tatouage ;
– infectiovigilance : prévention des infections liées aux soins ;
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
– réactovigilance : réactifs et dispositifs de diagnostic biologique ;
– identitovigilance : erreurs liées à l’identification des patients.

Sur les fondements généraux qui viennent d’être exposés ont été dévelop-
pés de nombreux dispositifs et démarches qui concourent à la vérification et
à la promotion de la qualité dans le système de santé. Seuls certains seront
traités ci-dessous, évoquant diverses facettes du sujet : la certification globale
d’un établissement, l’accréditation de professions, le maintien de leur niveau
de formation, l’éducation thérapeutique des patients, la lutte contre les infec-
tions associées aux soins et contre l’antibiorésistance.

13.2. La certification des établissements de santé

Existant en France depuis 19995, il s’agit d’un dispositif d’évaluation


externe de la qualité des prestations délivrées par les établissements de santé,
y compris les installations autonomes de chirurgie esthétique6 et les groupe-
ments de coopération sanitaire. À partir de 2020, les établissements membres
d’un groupement hospitalier de territoire (GHT) auront une procédure de
certification commune (compte qualité commun, visite de certification unique ;
➠ 13.12.1), même si la décision de certification restera propre à chaque

5. La base légale se trouve dans l’ordonnance n° 96‑346 du 24 avril 1996 portant réforme de l’hos-
pitalisation publique et privée. Cette ordonnance prévoit une « accréditation » des établissements. La
loi n° 2004‑810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie retient le terme de « certification »
pour les établissements et réserve l’accréditation pour les professionnels (spécialités « à risque »).
6. Les installations autonomes de chirurgie esthétique ne sont pas des établissements de santé, mais
doivent répondre aux mêmes critères de fonctionnement que les établissements de santé pratiquant
la chirurgie et l’anesthésie. La procédure de certification est identique mais utilise un manuel de
certification spécifique.

375
Partie 1. Les fondamentaux

établissement. Cette évaluation est obligatoire7 pour tous les établissements,


quels que soient leur statut juridique et leur activité.
À côté de la certification, et différentes d’elle, existent d’autres procédures
de natures voisines :
–  labellisation des centres de référence pour les maladies rares, qui sont des
structures d’expertise et dont l’évaluation est orientée vers l’excellence scien-
tifique et clinique ;
–  accréditation des laboratoires d’analyses médicales, dont la mise en œuvre
est confiée au Comité français d’accréditation (COFRAC8) ;
–  certification de la visite médicale, c’est-à-dire de l’activité de promotion
directe des produits de santé auprès des médecins ; la certification est confiée à
des organismes de contrôle privés travaillant sur la base d’une procédure éla-
borée par la HAS. Cette procédure ne concerne pas les dispositifs médicaux ;
–  certification des logiciels professionnels : logiciels d’aide à la prescription,
logiciels d’aide à la dispensation ;
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  agrément des bases de données sur les médicaments.
La procédure de certification est mise en œuvre tous les quatre à six ans
par la HAS (➠ Chapitre 9) selon des standards évolutifs consignés dans un
manuel de certification, dont la version actuelle date de 2014. Cette évolution
des critères traduit l’extension de la procédure à l’ensemble de l’établissement
et la volonté d’en faire un outil de base et permanent du management. Les
critères retenus dans le manuel sont accompagnés d’éléments descriptifs struc-
turés selon la logique classique d’amélioration de la qualité : prévoir, mettre
en œuvre, évaluer et améliorer.

13.2.1. La mise en œuvre de la procédure de certification

L’engagement dans la procédure


L’engagement dans la procédure de l’entité souhaitant être certifiée est
un acte administratif qui déclenche l’ensemble du processus.

7. L’article R6113‑12 du CSP mentionne que « la procédure de certification des établissements de
santé et organismes mentionnés aux articles L6113‑4 et L6147‑8 a pour objet d’évaluer la qualité et
la sécurité des soins dispensés et de l’ensemble des prestations délivrées, par services ou par activités,
en tenant compte notamment de leur organisation interne ainsi que de la satisfaction des patients. La
certification prend en compte les mesures prises par les établissements de santé, en vertu de l’article
L1110‑7, pour assurer le respect des droits des personnes malades, les résultats de l’évaluation de la
satisfaction des patients prévue à l’article L1112‑2 et l’amélioration des pratiques hospitalières ré-
sultant des mesures prises dans le cadre des accords prévus à l’article L6113‑12. ». L’article L1112‑2
du CSP vise notamment les conditions d’accueil et de séjour. L’article L6113‑12 du CSP traite de la
réalisation des études nationales de coûts.
8. Le COFRAC est une association française régie par la loi de 1901, chargée par l’État depuis
1994 d’accréditer les organismes intervenant dans le domaine de l’évaluation de la conformité à des
normes.

376
Partie 1. Chapitre 13.
La qualité dans le système de santé

La rédaction et la transmission à la HAS d’un « compte qualité »


Le compte qualité doit être mis à jour par l’établissement tous les deux
ans. Le compte qualité traduit l’existence au sein de l’établissement d’une
démarche d’amélioration continue de la qualité et de la gestion des risques ;
il expose l’analyse de sa situation faite par l’établissement lui-même, en
précisant les priorités retenues et les plans d’action afférents. À ce titre, une
démarche d’autoévaluation doit exister, notamment par audits de processus
et « patients traceurs », selon les principes méthodologiques évoqués plus
haut.
Un audit de processus étudie l’organisation d’une activité (acteurs impli-
qués, responsable, ressources mobilisées, description des états initial et final,
indicateurs d’évaluation…), ainsi que l’enchaînement et l’articulation des
étapes qui concourent à son accomplissement. La méthode dite du « patient
traceur » consiste à effectuer le travail d’évaluation à partir de l’analyse du
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
séjour d’un patient, en prenant en compte le processus de soins proprement
dit, mais aussi les ressources humaines, matérielles et organisationnelles mobi-
lisées. Cette approche permet d’intégrer plus facilement le point de vue du
patient et de son entourage.

Encadré n° 3. Le compte qualité d’un établissement hospitalier

Il explore l’organisation et l’activité de l’établissement selon un ensemble de


thématiques :
– Management :
• gouvernance, management stratégique ;
• qualité de vie au travail ;
• management de la qualité et gestion des risques ;
• gestion du risque infectieux.
– Prise en charge des patients :
• droits des patients ;
• parcours du patient ;
• prise en charge de la douleur ;
• prise en charge des patients en fin de vie ;
• prise en charge médicamenteuse ;
• prise en charge aux urgences et soins non programmés ;
• prise en charge au bloc opératoire ;
• prise en charge dans les secteurs à risque (accouchements, médecine nucléaire et radio-
thérapie, endoscopie, imagerie interventionnelle) ;
• dons d’organe ;
• biologie médicale ;
• imagerie ;
• gestion du dossier du patient ;
• identification du patient.
– Fonctions support :
• gestion des ressources humaines ;
• système d’informations ;
• gestion financière ;
• logistique ;
• gestion des équipements et des produits au domicile du patient.

377
Partie 1. Les fondamentaux

La visite de certification
Elle s’intéresse notamment à la vérification du compte qualité et aux résul-
tats des audits de processus et de l’étude des patients traceurs. Une visite a
lieu, obligatoire, tous les quatre ans, mais des visites intermédiaires au cours
du cycle quadriennal sont possibles. Pour réaliser les visites au sein des
établissements, la HAS recourt aux services d’« experts-visiteurs », qui sont
des professionnels de santé expérimentés (au moins dix ans de pratique, avec
de préférence une implication antérieure dans le secteur de la promotion de
la qualité ou de la gestion des risques) et qui conservent une activité en
établissement ; leurs fonctions pour le compte de la HAS s’effectuent donc
à temps partiel. La certification étant une procédure d’évaluation globale, ces
professionnels doivent couvrir l’ensemble du champ d’activité et sont donc
de diverses origines : médecins, pharmaciens, personnels soignants, cadres
administratifs et techniques. La visite mobilise donc une équipe d’experts.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Le rapport de certification
Il s’attache tout particulièrement à relever les points sensibles (qui
demandent à être vigilant mais qui, en l’état, n’entraînent pas de risque), les
situations de non-conformité (qui impliquent l’existence d’un risque direct
pour les patients, les professionnels ou l’organisation générale de l’établis-
sement) et les cas de non-conformité majeure (qui correspondent à l’existence
d’un risque grave et immédiat sans qu’existe le moyen d’y parer).

La décision relative à la certification


La décision peut être la certification sans réserve (valable six ans), la
certification avec recommandation d’amélioration (valable quatre ans), la
certification avec obligation d’amélioration (impliquant la production d’un
compte qualité ad hoc à échéance fixée par la HAS), la non-certification
(impliquant la production d’un compte qualité tous les ans et une nouvelle
visite dans les deux ans) et parfois le sursis à statuer.

La diffusion et le suivi
La diffusion des résultats de la procédure se fait dans plusieurs directions :
l’établissement, l’ARS, les usagers. Le suivi est assuré par le directoire de
l’établissement et par la HAS en cas de non-certification ou de certification
avec obligation d’amélioration.

13.2.2. Les indicateurs de qualité


La démarche de certification implique le recours à de nombreux indica-
teurs. Certains acquièrent un caractère officiel : il s’agit des indicateurs de
qualité et de sécurité des soins (IQSS) (➠ Chapitre 4).

378
Partie 1. Chapitre 13.
La qualité dans le système de santé

À titre d’exemple, dans le champ de la qualité de la prise en charge des


cancers, on utilise un indicateur concernant les réunions de concertation plu-
ridisciplinaire (RCP) : tout malade atteint d’un cancer doit voir sa situation
examinée dans le cadre d’une RCP afin que soit définie collégialement la
stratégie thérapeutique. Comme son nom l’indique, la RCP réunit des prati-
ciens de différentes spécialités (chirurgiens, radiothérapeutes, oncologues médi-
caux…) qui confrontent leur point de vue à cette occasion. L’indicateur de
suivi est la proportion de patients ayant bénéficié d’une RCP par rapport à
l’ensemble des patients concernés. L’objectif visé par le Plan cancer 2014‑2019
est de 100 % ; en 2014, le chiffre s’élevait à 77 % et à 83,4 % en 2015.

13.2.3. L’impact de la certification


Les résultats de la certification sont publics, accessibles sur le site de la
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
HAS ou le site « Scope santé9 », ce qui constitue une incitation forte pour les
établissements à satisfaire à leurs obligations en matière de qualité et de
sécurité. Un autre levier utilisé pour favoriser la culture de la qualité est le
dispositif d’incitation financière à l’amélioration de la qualité (IFAQ), qui
octroie aux établissements des financements complémentaires récompensant
un haut niveau de performance dans le domaine. Enfin, au niveau régional,
les ARS peuvent aussi inciter à l’amélioration de la qualité lors de la négo-
ciation des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) avec les
établissements.
Il existe en région des dispositifs d’accompagnement, les structures régio-
nales d’appui à la qualité des soins et à la sécurité des patients, mises en
place par les ARS pour apporter une expertise médicale, technique et scien-
tifique aux établissements et aux professionnels de santé10.

13.2.4. Le cas des établissements médico-sociaux


La loi n° 2002‑02 du 2  janvier 2002 rénovant l’action sociale et médi-
co-sociale impose aux établissements sociaux et médico-sociaux la réalisation
d’une évaluation interne et d’une évaluation externe de leur activité, l’éva-
luation externe ayant notamment pour objectif de vérifier l’existence d’une
démarche d’évaluation interne et son impact sur le management de la qualité
(formulation d’actions correctives, suivi de leur mise en application). L’Agence
nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux
et médico-sociaux (ANESM), responsable initialement de cette évaluation, a
été intégrée dans la HAS en 2018 et une convergence progressive des
démarches de certification est probable.

9. Voir www.scopesante.fr.
10. Décret n° 2016‑1606 du 25 novembre 2016 relatif à la déclaration des événements indésirables
graves associés à des soins et aux structures régionales d’appui à la qualité des soins et à la sécurité
des patients.

379
Partie 1. Les fondamentaux

13.3. L’accréditation des professions « à risque »

L’accréditation concerne les médecins et les équipes exerçant une spécia-


lité ou une activité dite « à risque » en établissement de santé ; leur liste est
définie réglementairement : gynécologie-obstétrique, anesthésie-réanimation,
chirurgie, spécialités interventionnelles, échographie obstétricale, de réani-
mation ou de soins intensifs. L’accréditation est délivrée aux médecins qui
ont, pendant une période d’un an, pour les médecins engagés pour la première
fois dans la démarche, et de quatre ans, en cas de renouvellement, satisfait
aux obligations du programme de leur spécialité.
La HAS délègue la mise en œuvre de l’accréditation à des organismes
qu’elle agrée. Il existe un seul organisme agréé par spécialité et celui-ci
regroupe l’ensemble des représentants de la spécialité : universitaires, sociétés
savantes, syndicats, autres organisations professionnelles. La HAS délivre
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
l’accréditation sur la base d’un rapport motivé rédigé par l’organisme agréé,
qui se réfère pour cela à un programme spécifique qui vise tout particulière-
ment à limiter la fréquence et la gravité des événements indésirables associés
aux soins (EIAS).
Un programme d’accréditation est composé d’activités qui doivent être
suivies annuellement et qui sont :
–  des analyses de pratiques : analyse des conditions de survenue des EIAS,
réunions de morbi-mortalité, participation à des registres, audits ­cliniques…
–  de la formation continue appliquée : journées de formation, congrès, lec-
ture de revues, mise en œuvre de référentiels professionnels ou de recomman-
dations individuelles élaborées à partir de l’analyse des EIAS.
Les programmes s’appliquant aux médecins individuellement et aux
équipes sont pratiquement identiques avec, en supplément, l’exploration de
la dynamique de travail collectif dans le second cas.
L’accréditation est une démarche volontaire de gestion des risques ; elle
participe à la certification des établissements de santé et elle constitue aussi
une méthode de DPC. Il existe aussi une incitation financière à la pratique
de l’accréditation par le biais d’une participation de l’Assurance maladie au
paiement des cotisations d’assurance de responsabilité civile professionnelle
(RCP) des praticiens libéraux.

13.4. Le développement professionnel continu (DPC)

Le DPC s’inscrit dans la lignée de la formation professionnelle continue


et de l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP11), dont il associe les

11. La formation médicale continue se structure en tant qu’obligation déontologique et convention-


nelle en 1990 puis devient en 1996 une obligation légale, qui sera précisée par les lois n° 2002‑303 du
4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, et n° 2004‑810 du 13 août
2004 relative à l’Assurance maladie. L’évaluation des pratiques professionnelles apparaît en 1998.

380
Partie 1. Chapitre 13.
La qualité dans le système de santé

pratiques. Il constitue donc un élément important d’une stratégie globale


d’amélioration de la qualité dans le système de santé, en intégrant des pré-
occupations d’efficience et de vigilance déontologique. Plus particulièrement
sont recherchés une réduction de la variabilité des soins, un accroissement
de la rationalité des pratiques et une meilleure contribution de l’action des
professionnels aux objectifs de la politique de santé.
Sa forme actuelle remonte à la loi HPST du 21 juillet 2009 (avec quelques
ajustements dans la loi de modernisation de notre système de santé du 26 jan-
vier 2016 et le décret n° 2016‑942 du 8  juillet 2016 relatif à l’organisation
du DPC des professionnels de santé), qui a instauré une obligation de DPC
pour l’ensemble des professions de santé. Ces professionnels doivent suivre
un parcours de DPC qui est défini par des structures représentatives des pro-
fessions ou des spécialités médicales : les collèges nationaux professionnels
(CNP). Les actions de formation à mener dans le cadre du DPC sont à choisir
dans le champ de priorités définies nationalement et qui sont soit valables
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
pour l’ensemble des professions, soit spécifiques à certaines professions ou
spécialités12. Il est à noter que l’engagement dans une procédure d’accrédita-
tion pour une spécialité à risque permet de satisfaire aux obligations du DPC.
Le pilotage global du dispositif est assuré par un groupement d’intérêt
public constitué paritairement entre l’État et l’Union nationale des caisses
d’Assurance maladie (UNCAM), l’Agence nationale du DPC (ANDPC), qui
a notamment pour missions d’évaluer les organismes et structures mettant en
œuvre le DPC et de garantir la qualité scientifique et pédagogique des actions
et programmes de DPC (➠ Chapitre 9).
L’EPP comprend typiquement une phase d’évaluation de la pratique, suivie
d’actions d’amélioration et, enfin, une réévaluation mesurant l’impact des
actions menées. L’analyse des pratiques professionnelles se fait en ayant
recours à un ensemble de méthodes validées et diffusées par la HAS. De
façon résumée, plusieurs catégories de techniques existent :
–  l’analyse par comparaison avec un référentiel, comme réalisé lors d’un
audit clinique ;
–  l’analyse de problème : la réunion de morbi-mortalité après survenue d’un
EIG en est un exemple ;
–  l’analyse de processus à l’aide de démarches telles l’HACCP ou
l’AMDEC citées plus haut ;
–  le suivi d’indicateurs, qui peuvent être réunis pour former un tableau de
bord de pilotage d’une activité.
Le DPC sera amené à s’intégrer dans un dispositif plus global de suivi et
de régulation de la compétence des professionnels de santé avec des méca-
nismes de « certification » qui pourraient prendre la forme suivante : un
­professionnel de santé serait habilité à pratiquer une activité précise (par exemple,

12. Les priorités du DPC sont fixées réglementairement. À la date de rédaction, c’est l’arrêté du
31 juillet 2019, définissant les orientations pluriannuelles prioritaires de développement profession-
nel continu pour les années 2020 à 2022, qui s’applique.

381
Partie 1. Les fondamentaux

pour un médecin, la spécialité acquise durant son internat ou une autre, obtenue
au cours de sa vie professionnelle) et devrait, en c­ onséquence, valider pério-
diquement un parcours de DPC spécifique de son activité. À échéances régu-
lières, il devrait être « certifié », c’est-à-dire obtenir une habilitation légale à
exercer son activité. La procédure de certification s­ ’appuierait notamment sur
la validation du parcours de DPC. La loi n° ­2019-774 du 24 juillet 2019 relative
à l’organisation et à la transformation du système de santé, à son article  5,
autorise le gouvernement à légiférer par ordonnance pour créer une telle pro-
cédure de certification.

13.5. L’éducation thérapeutique du patient (ETP)

13.5.1. Définition et généralités


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
L’OMS Europe en donne la définition suivante13 : l’ETP « vise à aider les
patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour
gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. Elle fait partie intégrante
et de façon permanente de la prise en charge du patient. Elle comprend des
activités organisées, y compris un soutien psychosocial, conçues pour rendre
les patients conscients et informés de leur maladie, des soins, de l’organisation
et des procédures hospitalières, et des comportements liés à la santé et à la
maladie. Ceci a pour but de les aider, ainsi que leurs familles, à comprendre
leur maladie et leur traitement, à collaborer et à assumer leurs responsabilités
dans leur propre prise en charge, dans le but de les aider à maintenir et amé-
liorer leur qualité de vie ».
Ainsi, l’ETP s’intègre donc tout à fait dans le champ de la promotion de
la santé (➠ Chapitre 12).
Les bénéficiaires des actions d’ETP sont donc préférentiellement des
patients atteints d’une maladie chronique : asthme, diabète, maladies rhuma-
tismales, insuffisance rénale chronique, séquelles d’accidents vasculaires
cérébraux, insuffisance respiratoire appareillée, situations obligeant à la prise
au long cours d’antivitamines K…
L’objectif fondamental d’une activité d’ETP est donc le développement
chez le patient de capacités à adapter de lui-même son comportement en vue
de faire face à son état de santé, de façon générale, mais tout particulièrement
en cas de situations dangereuses. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire
de former le patient pour lui donner une réelle compréhension de sa maladie,
le doter d’une aptitude à interpréter correctement des signes cliniques ou des
résultats d’examens (auto-mesures de glycémie, par exemple). Il s’agit d’un
travail de renforcement des compétences psychosociales (avoir confiance en

13. OMS-Bureau régional pour l’Europe, « Éducation thérapeutique du patient. Programmes de


formation continue pour professionnels des soins dans le domaine de la prévention des maladies
chroniques. Recommandations d’un groupe de travail de l’OMS », 1998.

382
Partie 1. Chapitre 13.
La qualité dans le système de santé

soi, négocier, résoudre un problème, choisir, mettre en application), visant à


s’autoriser in fine à prendre des décisions, parfois techniques (effectuer une
injection en adaptant sa dose d’insuline ou ajuster à ses symptômes la poso-
logie d’un médicament), touchant à sa santé, en tenant compte de son vécu
personnel et de son expérience. On voit donc que la démarche d’ETP est
beaucoup ambitieuse et complexe qu’une simple information sur une maladie
et son traitement, aussi nécessaire, de bonne qualité et répétée soit-elle.
Les bénéfices susceptibles d’être obtenus par le biais des actions d’ETP
sont individuels et collectifs, médicaux et économiques : réduction des épi-
sodes aigus (crises d’asthme sévères, hypoglycémies…), meilleure maîtrise
de la maladie sur le long terme (contrôle métabolique du diabète…), limitation
des conséquences professionnelles et sociales (absentéisme, participation
accrue à des activités sociales…), moindre fréquence des hospitalisations, des
passages aux services d’urgence ou des consultations non programmées.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
13.5.2. Les outils de l’ETP
Les outils sont variés et puisent dans le champ de la communication
(écoute du patient, entretien motivationnel, etc.) et de la pédagogie (témoi-
gnages, études de cas, tables rondes, simulations à partir d’une situation
concrète, jeux de rôle, partage d’expériences, etc.). Les séances peuvent être
individuelles ou collectives et recourir à des supports matériels divers.
Les intervenants appartiennent aux professions de santé, sans exclusive ;
ce qui importe est qu’ils aient été formés à l’ETP et souhaitent s’y investir.
Les patients ainsi que des représentants d’associations de malades peuvent
aussi être mobilisés.
Les critères de qualité retenus pour apprécier un programme d’ETP sont
principalement :
–  le caractère centré sur le patient ;
–  l’élaboration conjointe du programme par le patient, son entourage, les
professionnels ;
–  l’existence d’une évaluation initiale rigoureuse des besoins du patient et
des ressources mobilisables ;
–  le caractère scientifiquement fondé (recommandations de sociétés
savantes, consensus professionnels, guides de bonnes pratiques, données de la
littérature, etc.)  ;
–  l’implication de professionnels formés à l’ETP ;
–  le caractère multi-professionnel du travail ;
–  l’intégration dans la vie quotidienne du patient ;
–  l’intégration de l’entourage à la démarche ;
–  l’intégration de l’ETP dans la prise en charge d’ensemble de la
­maladie  ;
–  l’intégration des savoirs des patients et de l’entourage (obtenus lors des
phases de diagnostic et d’évaluation, ainsi que par retours d’expérience) ;
–  une construction du programme faisant apparaître les activités, leur
séquencement dans le temps et les moyens mis en œuvre ;

383
Partie 1. Les fondamentaux

–  l’accessibilité et l’adaptabilité à différents publics ;


–  l’existence de procédures d’évaluation, à la fois de la situation des patients
et de la mise en œuvre du programme.

13.5.3. La mise en œuvre des actions d’ETP


Une action d’ETP peut, par principe, être proposée à tout patient. L’ETP
peut aussi être étendue à des membres de l’entourage, si le patient et les
personnes concernées le souhaitent.
Compte tenu de ses objectifs et de l’indispensable implication active du
patient dans le processus, les actions d’ETP doivent être adaptées aux besoins
et souhaits du patient. Ainsi le contenu éducatif doit-il être ajusté dans ses
modalités et sa durée à la situation lors de la phase initiale ; mais ensuite de
nouvelles adaptations devront être réalisées, notamment parce que la maladie
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
a pu évoluer ou parce que les compétences accrues ou le degré de motivation
du patient rendent possibles de nouvelles activités.
La HAS préconise une démarche en quatre temps14, qui s’effectuent tous
dans une logique de co-construction entre le patient, son entourage éventuel-
lement et les professionnels impliqués :
–  élaboration d’un diagnostic éducatif : cette étape est indispensable à la
connaissance du patient, à l’identification de ses besoins et attentes, à l’évalua-
tion de sa motivation. Elle débouche sur la formulation explicite des compé-
tences à acquérir ou à mobiliser ;
–  définition du programme d’ETP, qui découle directement du temps pré-
cédent et qui permet de définir précisément les contenus des actions et leur
enchaînement, en intégrant les préférences du patient ;
–  planification et mise en œuvre des séances d’ETP. Cette phase passe par
une sélection précise du contenu des séances, des méthodes et des techniques
d’apprentissage et par leur inscription dans l’agenda de vie (ou le parcours de
santé) du patient ;
–  évaluation de la situation du patient, portant sur sa compréhension de la
maladie, sa capacité à prendre des décisions ou à réaliser des actes en rapport
avec son état, son vécu et celui de son entourage. L’évaluation permet d’adapter
l’offre d’ETP, mais est aussi une occasion de soutenir la motivation et d’entre-
tenir les compétences du patient.

14. HAS et INPES, « Éducation thérapeutique du patient. Guide méthodologique », ­novembre 2007 ;


et HAS, « Évaluation annuelle d’un programme d’ETP : une démarche d’auto-évaluation. Guide mé-
thodologique pour les coordonnateurs et les équipes », mai 2014.

384
Partie 1. Chapitre 13.
La qualité dans le système de santé

13.6. La lutte contre les infections associées aux soins

13.6.1. Infections associées aux soins (IAS)


et infections nosocomiales (IN)
On appelle infections associées aux soins les infections qui surviennent à
l’occasion d’une prise en charge thérapeutique ou préventive, lorsque l’in-
fection en question n’était pas présente ni en incubation au début de la prise
en charge. Les IAS sont une des composantes de la pathologie iatrogène
définie par le Haut Conseil de la santé publique comme « les conséquences
indésirables ou négatives sur l’état de santé individuel ou collectif de tout
acte ou mesure pratiqués ou prescrits par un professionnel habilité et qui vise
à préserver, améliorer ou rétablir la santé ».
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
La prévention des IAS a donc vocation à s’intégrer dans une démarche
plus globale de sécurité des soins, elle-même partie d’une recherche générale
de qualité. Dans ce cadre, les événements indésirables graves associés aux
soins (EIGAS) sont définis par la survenue à l’occasion d’une activité de
diagnostic, de soin, de prévention, d’esthétique médicale ou chirurgicale, d’un
événement non attendu et dont les conséquences sont le décès, la mise en
jeu du pronostic vital, une prolongation d’une hospitalisation, l’installation
d’un déficit fonctionnel permanent. Le caractère « non attendu » de l’événe-
ment s’apprécie en regard de l’état initial du patient.
Les infections nosocomiales constituent un sous-ensemble des IAS en
tant qu’infections acquises lors d’un passage dans un établissement de santé.
De façon conventionnelle, une infection est considérée comme nosocomiale
quand elle était absente au début du séjour hospitalier et qu’elle se manifeste
au moins après quarante-huit heures de séjour. Il faut cependant noter que
ce délai n’a pas de valeur absolue. À l’inverse, une IN peut se déclarer tar-
divement par rapport au soin, y compris après la sortie de l’hôpital ; ainsi,
on retient communément un délai de trente jours pour les infections de sites
opératoires et d’une année en cas de mise en place de prothèse ou
d’implant.
Le caractère nosocomial ne préjuge pas du mécanisme de l’infection, qui
peut être liée aux soins (infection d’un site opératoire) ou en être indépendante
(épidémie de grippe).
Il existe différents modes de contamination : le patient peut s’infecter avec
ses propres germes (par exemple, germes cutanés pour une infection de site
opératoire ou infection chez un malade immunodéprimé par une chimiothé-
rapie anticancéreuse). Le germe peut aussi provenir d’un autre patient (infec-
tion croisée), la transmission pouvant se faire par l’intermédiaire du personnel
soignant (notamment par défaut d’hygiène des mains) ou par le matériel
utilisé (par exemple, en cas de désinfection insuffisante d’un endoscope entre
deux patients). Il est aussi possible que soient en cause les germes portés
par le personnel (germes respiratoires ou cutanés tout particulièrement). Enfin,
l’environnement physique des lieux de soin peut être en cause : contamination

385
Partie 1. Les fondamentaux

de l’eau, de l’air, des aliments et du matériel (par exemple, une contamination


d’un circuit de conditionnement de l’air à l’origine d’une épidémie de légio-
nellose ou une toxi-infection alimentaire collective).
Dans une perspective de gestion du risque infectieux, il est important de
prendre aussi en compte les caractéristiques du patient, au-delà de son portage
de germes. En effet, les IAS sont d’autant plus à craindre qu’elles touchent
des patients fragilisés : personnes âgées, nouveau-nés, notamment prématurés,
immunodéprimés (sida), grands brûlés et polytraumatisés (altération souvent
importante de la barrière cutanée), conséquences de traitements médicamen-
teux (immunosuppresseurs, chimiothérapies anticancéreuses, anti-biothérapie
sélectionnant des germes résistants), pratique d’actes invasifs (sondage uri-
naire, endoscopies bronchiques ou digestives, cathétérisme cardiaque, cathé-
ters veineux centraux, intubation, trachéotomie, ventilation artificielle,
cœlioscopies, interventions chirurgicales…). Une longue durée de séjour est
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
par ailleurs un facteur de risque d’IN.
La problématique des IAS est donc variable en intensité et gravité en
fonction des activités de soins mises en œuvre et des caractéristiques des
patients. On comprend aisément que les services de cancérologie ou de réa-
nimation soient particulièrement concernés. On sait aussi que le taux d’in-
fections du site opératoire est particulièrement élevé pour la chirurgie
colorectale, etc. Mais dans tous les cas, contrôler la survenue des IAS évitables
est un objectif majeur pour les organisations soignantes.
En France, aujourd’hui, on estime qu’il y a environ 5 % des patients
hospitalisés qui contractent une IN, soit 750 000 cas par an, à l’origine de
4 000 décès directs (mais d’autres décès pourraient être favorisés par une IN).
Les localisations les plus fréquences sont urinaires (environ 30 %, favorisées
par la pose de sondes et le décubitus), broncho-pulmonaires (environ 17 %,
favorisées par la ventilation assistée), infections du site opératoire (13,5 %)
et les septicémies (10 %).
Les bactéries sont très majoritairement à l’origine des IN. Sont particu-
lièrement fréquents : Staphylococcus aureus (germe cutanéo-muqueux, notam-
ment au niveau du nez, de la gorge, du périnée), Escherichia coli (germe
fécal) et Pseudomonas aeruginosa (présent dans les environnements humides :
circuits d’eaux, climatisation, mais aussi plantes vertes…).

13.6.2. Le dispositif de lutte contre les IAS

Organisation générale
La prévention des IAS repose sur une organisation spécifique qui se décline
à deux niveaux, national et local, au sein des établissements. Depuis 1988,
les établissements de santé sont dotés de comités de lutte contre les infections
nosocomiales (CLIN), dont la mission est la prévention des IN et qui, à ce
titre, planifient et animent les activités dans le domaine. Ils fondent leur action
sur des recommandations nationales qu’ils adaptent à la situation de chaque

386
Partie 1. Chapitre 13.
La qualité dans le système de santé

établissement. Le CLIN regroupe des représentants des médecins, des phar-


maciens, des professions paramédicales (soignantes et médico-techniques),
des personnels administratifs, logistiques et techniques, l’équipe opération-
nelle d’hygiène (EOH) et une représentation des usagers.
La mise en œuvre des actions est assurée par les EOH, qui conçoivent et
implantent des protocoles de soins dans les services et vérifient leur bonne
observation par le personnel (par exemple, lavage des mains avec utilisation
de solutions hydroalcooliques, désinfection du matériel réutilisable, nettoyage
des surfaces…). Les EOH interviennent globalement, depuis l’analyse des
comportements de travail jusqu’au choix de matériels plus faciles à nettoyer
ou à stériliser (matériaux bactéricides ou réduisant l’adhésion des bacté-
ries, etc.) en passant par la formation des agents et l’évaluation des résultats
obtenus.
Cette organisation a été remaniée ces dernières années. Il existe depuis
2015 un Programme national d’actions de prévention des infections associées
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
aux soins (PROPIAS15). Le niveau national assure la production de recom-
mandations de bonnes pratiques fondées sur les connaissances scientifiques,
épidémiologiques et microbiologiques. C’est aussi à ce niveau que s’orga-
nisent la surveillance épidémiologique et l’évaluation des actions menées.
Il existe en fait plusieurs dispositifs de surveillance nationaux, qui fonc-
tionnent sur la base du volontariat des établissements et sont coordonnés
par le Réseau d’alerte, investigation et surveillance des infections noso­
comiales (Raisin), qui associe les centres d’appui pour la prévention des
IAS (CPias16) et Santé publique France. La surveillance porte sur l’incidence
des IN dans les services de réanimation, au niveau des sites opératoires, la
consommation d’antibiotiques, les taux de bactéries résistantes et les acci-
dents d’exposition au sang.
Les CLIN ont la possibilité de recourir à l’aide technique du CPias de
leur région. Les CPias sont des structures localisées dans les CHU, dont la
mission est de mettre en œuvre localement la politique nationale de préven-
tion des IAS et de contribuer à la maîtrise de l’antibiorésistance (➠ 13.7).
Ce sont des structures d’expertise médicale et technique mobilisables par
les établissements de santé, médico-sociaux et le secteur ambulatoire libéral.
Elles interviennent dans la surveillance des IAS, l’alerte et l’investigation,
l’évaluation des pratiques de soins, la formation et l’information. Les CPias
sont aussi une composante des réseaux régionaux de vigilance et d’appui
(RREVA), coordonnés par chaque ARS et dont l’objectif est de mettre en
synergie l’ensemble des structures régionales de vigilance de chaque région.

15. Voir instruction n° DGOS/PF2/DGS/RI1/DGCS/2015/ 202 du 15 juin 2015 relative au pro-


gramme national d’actions de prévention des infections associées aux soins (PROPIAS), 2015.
16. Les CPias sont apparus en 2017 dans le cadre de la réorganisation territoriale (fusion de plu-
sieurs régions) et de la réforme des vigilances. Ils sont au nombre de 17 et ont succédé aux CClin
(centres de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales et associées aux soins) et aux
Arlin (antennes régionales de lutte contre les infections nosocomiales et associées aux soins). Voir
Instruction du 3 mars 2017 relative à l’organisation régionale des vigilances et de l’appui sanitaires,
et le décret n° 2017‑129 du 3 février 2017 relatif à la prévention des infections associées aux soins.

387
Partie 1. Les fondamentaux

Encadré n° 4. Les objectifs du PROPIAS

Le programme est conçu autour de la notion de parcours de soins du patient, c’est-à-dire


qu’il intègre les séjours en établissements de santé et médico-sociaux, ainsi que les soins
ambulatoires. Il est construit selon trois axes :
Axe 1 : développer la prévention des IAS tout au long du parcours de santé, en impliquant les
patients et les résidents
1. Intégration de la prévention des IAS dans un programme unique, autour du patient/
résident, et partagé avec l’ensemble des acteurs des trois secteurs de l’offre de soins.
2. Mise en place d’une structure régionale de vigilance et d’appui pour développer une
culture de sécurité et de prévention des IAS, partagée par les professionnels de santé et
les usagers.
3. Promotion de la formation de tous les intervenants à la prévention des IAS (profession-
nels, représentants des usagers).
4. Renforcement du système de signalement des IAS avec extension à tous les secteurs de
l’offre de soins et à tous les acteurs (professionnels et patients/résidents).
5. R enforcement du système de surveillance des IAS tout au long du parcours de santé.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Axe 2 : renforcer la prévention et la maîtrise de l’antibiorésistance dans l’ensemble des sec-
teurs de l’offre de soins
1. A ssocier les usagers du système de santé à la maîtrise de l’antibiorésistance.
2. Renforcer l’observance des précautions de base, pour tout patient/résident, lors de tous
les soins et en tous lieux.
3. Améliorer la maîtrise des bactéries multirésistantes (BMR) endémiques et des bactéries
hautement résistantes (BHR) émergentes.
4. Réduire l’exposition aux antibiotiques et ses conséquences dans la population des usagers
de la santé.
Axe 3 : réduire les risques infectieux associés aux actes invasifs
1. Renforcer et ancrer la culture de sécurité de l’ensemble des personnels pratiquant des
actes invasifs.
2. Surveiller les infections associées aux actes invasifs, dont les dispositifs médicaux
implantables17.
3. A méliorer la surveillance et la prévention des infections du site opératoire.

Le signalement des IAS


Le signalement des événements indésirables a été rendu obligatoire pour
tout professionnel de santé par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des
malades et à la qualité du système de santé. Depuis 2018 (arrêté du 22 décembre
2017), la déclaration des IAS doit se faire par le biais d’un portail informa-
tique national spécifique ou auprès de l’ARS, le signalement étant transmis
à la HAS dans un second temps.
Pour un établissement de santé ou médico-social, la déclaration doit être
effectuée par le représentant légal de la structure. En pratique, la procédure
se fait en deux temps :

17. La directive 90/385/CEE de l’Union européenne définit ces dispositifs comme « tout dispositif
médical actif destiné à être totalement ou partiellement introduit, par voie chirurgicale ou médicale, dans
le corps humain, ou par une intervention médicale dans un orifice naturel, et qui est destiné à y demeu-
rer après l’intervention ». Il s’agit par exemple de stimulateurs cardiaques, de défibrillateurs, d’implants
cochléaires, de stimulateurs de vessie, de dispositifs d’administration de médicaments implantables…

388
Partie 1. Chapitre 13.
La qualité dans le système de santé

–  La première étape doit être réalisée sans délai, dès l’IAS connue. Il
s’agit alors de transmettre l’identification du déclarant et du patient concerné,
un descriptif de l’IAS (circonstances de survenue, conséquences au moment
de la déclaration), les mesures de réponse prises immédiatement, pour le
patient, l’entourage et plus largement si nécessaire (communication extérieure
à l’établissement, par exemple).
–  La seconde étape doit avoir lieu dans les trois mois au plus tard. Elle
consiste en une analyse exhaustive de l’IAS et de la façon dont il y a été fait
face : reprise approfondie des éléments de la déclaration initiale, détermination
des causes de l’IAS (causes directes et facteurs favorisants, souvent plus
structurels), mesures préventives envisagées ou déjà mises en œuvre.

13.7. La lutte contre l’antibiorésistance (ABR)


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
13.7.1. ABR et santé publique
L’antibiorésistance constitue un important problème de santé publique. Sa
conséquence directe est une limitation des possibilités d’intervention face à
certains germes, tout particulièrement des bactéries multirésistantes (BMR)
ou des bactéries hautement résistantes émergentes (BHRe), qui peuvent être
à l’origine de redoutables problèmes thérapeutiques. On constate l’émergence
régulière de nouvelles résistances, qui témoignent du processus permanent
d’adaptation écologique des bactéries et de l’importance de préserver le poten-
tiel thérapeutique des médicaments existants et d’en rechercher de nouveaux.
Le développement de l’ABR est fondamentalement lié à la prescription massive
d’antibiotiques chez l’homme et chez l’animal (les élevages industriels notam-
ment), ainsi qu’à la diffusion de BMR dans l’environnement. Biologiquement,
l’extension des bactéries résistantes s’explique par un phénomène de pression
sélective créé par l’utilisation des antibiotiques, qui font reculer ou disparaître
les bactéries sensibles et ouvrent ainsi le chemin aux bactéries résistantes qui
peuvent devenir dominantes. En France, le nombre annuel d’infections à BMR
a été estimé à environ 158 000, à l’origine de 12 500 décès18. Ainsi la lutte
contre l’ABR constitue-t‑elle un des objectifs du PROPIAS (➠ Encadré n° 4).
Les mesures prises depuis une dizaine d’années produisent des effets réels
mais contrastés. Ainsi, si on a pu constater une baisse de la résistance à la
méticilline chez le staphylocoque doré, une baisse de la résistance à la pénicilline
et à l’érythromycine chez Streptococcus pneumoniae (pneumocoque), en
revanche, la résistance aux bêtalactamines progresse chez les entérobactéries.
Concernant la consommation d’antibiotiques, ce sont les bêtalactamines
(groupe composé des pénicillines, des céphalosporines et des carbapénèmes)
qui sont les plus utilisées en ville comme à l’hôpital. L’amoxicilline est par-
ticulièrement employée, notamment en association avec l’acide clavulanique.

18. Institut de veille sanitaire, Morbidité et mortalité des infections à bactéries multirésistantes aux
antibiotiques en France en 2012. Étude Burden BMR, 2015.

389
Partie 1. Les fondamentaux

Les molécules les plus récentes (céphalosporines de 3e et 4e générations, car-


bapénèmes) connaissent un usage fortement croissant, qui s’accompagne de
l’apparition de résistances. Une autre famille thérapeutique encore largement
utilisée, notamment dans les hôpitaux, est celle des quinolones, dont l’usage
est cependant décroissant. Dans les établissements de santé, les niveaux de
consommation sont, sans surprise, variables selon le type d’activité de soins :
plus faibles en psychiatrie et maximaux en services de réanimation. Par ail-
leurs, la consommation d’antibiotiques a du mal à diminuer et le PROPIAS
prévoit d’en ramener le niveau à celui de la moyenne européenne en 2020.

13.7.2. Les modalités de lutte contre l’ABR

Principes d’action
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Les modalités de lutte découlent des mécanismes à l’origine du problème.
Il est donc nécessaire de viser la réduction de l’exposition des hommes et des
animaux aux antibiotiques, d’une part, et le contrôle de la dissémination dans
l’environnement des BMR (respect des règles d’hygiène et gestion adaptée des
produits biologiques contaminés : urines, selles, sang…). Chez l’homme, il
s’agit de limiter les prescriptions aux seules situations qui le justifient et sans
recourir inutilement à des molécules récentes, dont l’efficacité doit être préser-
vée, de combattre l’automédication dans le domaine, de promouvoir les règles
d’hygiène et de faire émerger de nouveaux médicaments. Chez l’animal,
l’OMS19 recommande de cesser l’usage des antibiotiques en tant que facteurs
de croissance chez des animaux sains (pratique interdite dans l’Union euro-
péenne depuis 2006), de limiter le recours en médecine vétérinaire à des anti-
biotiques d’importance limitée en médecine humaine, de vacciner les animaux,
d’améliorer les conditions d’élevage, notamment sur le plan de l’hygiène.

Surveillance épidémiologique de l’ABR


Cette surveillance s’appuie sur des réseaux spécifiques : en France, le
réseau national de surveillance des bactéries multirésistantes en établissements
de santé (BMR-Raisin) et, au niveau européen, le réseau européen de sur-
veillance de la résistance aux antibiotiques (EARS-Net). Certaines situations
sont surveillées de façon particulièrement attentive.

❱❱ Les staphylocoques dorés (Staphylococcus aureus, Sta. aureus)


résistants à la méticilline (SARM)
On utilise plusieurs indicateurs :
–  la densité d’incidence des infections à SARM pour 1 000 journées d’hos-
pitalisation. La densité hospitalière moyenne, toutes activités confondues, était

19. « WHO Guidelines on Use of Medically Important Antimicrobials in Food-Producing Ani-


mals », WHO/OMS, Genève, 2017.

390
Partie 1. Chapitre 13.
La qualité dans le système de santé

en 2014 de 0,27/1000 journées d’hospitalisation. On notait des variations terri-


toriales notables, de plus de 50 % entre les régions (sans explication évidente),
ainsi que des différences entre types d’activités de soins, les maxima étant
relevés dans les services de réanimation, en raison de l’intensité des soins,
notamment invasifs et du recours important aux antibiotiques. Globalement, la
densité d’incidence des infections à SARM est orientée à la baisse ;
–  le pourcentage de souches de SARM au sein de l’ensemble des Sta. aureus
hospitaliers. En 2014, les chiffres variaient entre 15,3 et 20, 3 % (moyenne
générale : 17, 2 %) ;
–  un indicateur composite, regroupant des données sur les moyens mis en
œuvre et les résultats obtenus, et concernant les infections nosocomiales inva-
sives, fréquemment évitables.

❱❱ Les entérobactéries résistantes aux bêtalactamines


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Les entérobactéries résistantes aux bêtalactamines, notamment Escherichia
coli et Klebsiella pneumoniae, sont surveillées avec plusieurs indicateurs :
–  la densité d’incidence des entérobactéries productrices de bêtalacta-
mases à spectre étendu (EBLSE) dans les établissements de santé pour
1 000 journées d’hospitalisation. Le constat est ici inquiétant, avec une dégra-
dation de la situation, à l’inverse de ce qui a été relevé pour les SARM. La
densité hospitalière moyenne, toutes activités confondues, était en 2014 de
0,62/1000 journées d’hospitalisation. On notait aussi des variations territo-
riales très importantes, dépassant un rapport du simple au double entre les
régions (sans explication évidente, comme pour le Sta. aureus), ainsi que des
différences entre types d’activités de soins, les maxima étant là aussi relevés
dans les services de réanimation ;
–  le pourcentage de souches d’E. coli résistantes aux céphalosporines de
troisième génération. En 2014, ce chiffre, calculé sur les résultats d’hémocul-
tures, s’élevait à 9,9 %, avec une tendance à l’augmentation ;
–  le pourcentage de résistance aux glycopeptides (type Vancomycine) chez
Enterococus faecium. En 2014, le chiffre était de l’ordre de 0,5 %, ce qui est
relativement bas comparé à d’autres pays européens ;
–  le pourcentage de résistance aux carbapénèmes chez Klebsiella pneumo‑
niae. En 2014, le chiffre était inférieur à 1 %, ce qui correspondait à une situa-
tion comparative plutôt satisfaisante. Dans ce cas, comme dans celui qui
précède, ces indicateurs relativement favorables invitent à une grande vigilance
pour éviter de connaître la situation d’autres pays voisins ;
–  l’incidence des méningites à pneumocoques de sensibilité diminuée à la
pénicilline. Cet indicateur a connu une baisse de 56 % entre 2009 et 2014, toutes
tranches d’âge confondues.

❱❱ Le suivi de la consommation d’antibiotiques


Ce suivi se fait sur deux indicateurs rapportant la consommation hospita-
lière d’antibiotiques, soit à 1 000 habitants par jour, soit à 1 000 journées
d’hospitalisation.

391
Partie 1. Les fondamentaux

Points clés
• La qualité en général et dans le champ de la santé se définit comme la capacité
d’un objet, d’une procédure ou d’une organisation à atteindre les objectifs
attendus d’elle ou de lui par les usagers. La mesure de la qualité est complexe
car il s’agit de prendre en compte des attentes diverses. En matière de santé,
les dimensions explorées peuvent être l’accessibilité (géographique, écono-
mique, culturelle, sociale…), la sécurité, l’efficacité, l’efficience, l’adaptabilité
aux diverses contraintes, dont l’urgence, les caractéristiques spécifiques des
groupes d’usagers et l’évolution des situations sanitaires. Les critères de qualité
peuvent être définis par les professionnels mais aussi par les usagers : il existe
ainsi une double définition des attendus et une double mesure des écarts, du
côté des professionnels et du côté des usagers. Enfin, la définition de la qualité
et son évaluation sont aussi rendues plus complexes dans le champ de la santé
par la multiplicité des acteurs, de leurs attentes et de leurs cultures profes-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
sionnelles ou autres.
• La recherche de la qualité en santé est passée en France d’une approche théma-
tique cloisonnée initiale à une approche plus globale, nettement dominante
depuis 2009. Dans cette perspective, un premier programme national pour la
sécurité des patients a couvert la période 2013‑2017.
• La gestion des risques peut être définie comme un « effort organisé pour iden-
tifier, évaluer et réduire, chaque fois que cela est possible, les risques encourus
par les patients, les visiteurs et le personnel ». Cette démarche comprend plu-
sieurs étapes :
– l’identification et l’analyse des risques, consistant à comprendre leur méca-
nisme et leur impact, en tenant compte des mesures de gestion éventuelle-
ment déjà en place ;
– la quantification des risques, qui se fonde principalement sur trois critères :
la gravité potentielle, la fréquence probable de survenue et la capacité à
contrôler la situation ;
– l’identification des risques majeurs, qui est une conséquence directe de
l’étape précédente ;
– la maîtrise des risques, qui passe par des actions planifiées de réduction des
risques, de suivi et d’évaluation des mesures mises en œuvre et de
­communication.
• La démarche qualité s’organise selon plusieurs étapes, classiquement représen-
tées par la « roue de Deming », qui comprend quatre secteurs figurant un cycle
d’actions en faveur de la qualité :
1. Planification, qui consiste à fixer les objectifs à atteindre, déterminer les
étapes à franchir et prévoir un dispositif de pilotage et de suivi et les indica-
teurs utiles.
2. Mise en œuvre, étape visant à passer de l’état initial à l’état souhaité.
3. Évaluation.
4. Réaction qui consiste, en s’appuyant sur les résultats de l’étape précédente,
à procéder aux corrections, réajustements et à toute mesure nécessaire pour
réduire les écarts constatés entre le réalisé et l’attendu.

392
Partie 1. Chapitre 13.
La qualité dans le système de santé

À titre d’exemple sont exposés les principes des démarches suivantes :


– procédure de certification des établissements de santé et médico-sociaux par
la HAS ;
– procédure d’accréditation des spécialités à risque ;
– développement professionnel continu ;
– éducation thérapeutique du patient ;
– lutte contre les infections associées aux soins et contre l’antibiorésistance.

Pour aller plus loin


S. Benchehida, Le Management de la qualité en santé. La norme ISO 9001 pour les
établissements de santé. Mise en concordance avec les exigences de la Haute Autorité
de santé, AFNOR éditions, mai 2018.
Z. Or, L. Com-Ruelle, La Qualité des soins en France : comment la mesurer pour
l’améliorer ?, IRDES, document de travail n° 19, décembre 2008.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Chapitre 14
Veille et sécurité sanitaires, gestion
des situations sanitaires exceptionnelles
Jacques Raimondeau

Objectifs pédagogiques
Connaître :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  Les définitions de la surveillance, de la veille et de la sécurité sanitaires
– Les principes d’action dans le domaine (recueil et traitement des signaux,
expertise, mesures de gestion, communication, sortie de crise, évaluation,
retour d’expérience)
– Le rôle des principaux acteurs (DGS, CORRUSS, Santé publique France,
agences nationales, préfets, ARS, CIRE, zone de défense et de sécurité, établis-
sements de santé et médico-sociaux)
– Les principaux outils d’intervention dans le domaine (cellules de ges-
tion, ­dispositif ORSAN, plans d’intervention, le Règlement sanitaire inter­
national)
–  Les questionnements éthiques généraux
– À titre d’exemple de préparation à une situation exceptionnelle de grande
ampleur, le plan pandémie grippale

14.1. La veille sanitaire

14.1.1. Définitions et généralités


La veille sanitaire peut être définie comme « la collecte et l’analyse en
continu par les structures de santé publique des signaux pouvant représenter
un risque pour la santé publique dans une perspective d’anticipation, d’alerte
et d’action précoce ». Elle est apparentée à la notion de surveillance en santé
publique, qui a été définie par Thacker et Berkelman1, à partir de la pratique
des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américains, comme
« la collecte systématique, organisée et continue de données de santé ainsi

1. S.B. Thacker, R.L. Berkelman, « Public Health Surveillance in the United States », Epidemiol
Review, n° 10, 1988, p. 164‑190.

395
Partie 1. Les fondamentaux

que leur analyse, interprétation et diffusion dans une perspective d’aide à la


décision et d’évaluation ».
La surveillance s’adresse à des maladies bien identifiées et pour les-
quelles les autorités de santé ont décidé d’instaurer un suivi épidémiologique
(par exemple, le dispositif des maladies à déclaration obligatoire en France).
La veille sanitaire peut donc être vue comme une forme particulière de
surveillance orientée vers la détection rapide des menaces sur la santé des
populations ; elle est donc constitutive de la sécurité sanitaire (face à un
phénomène émergent, elle correspond à la phase initiale de la démarche, celle
du recueil et de l’analyse du signal – des cas –, qui sera suivie par des mesures
de gestion et des actions de communication) et vise à combler certaines
lacunes de la surveillance.
La surveillance en santé publique appartient essentiellement au champ de
l’épidémiologie descriptive (➠ Chapitre 3) et permet donc de connaître la
distribution de maladies sous surveillance (incidence, prévalence) et d’en
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
détecter les évolutions, par exemple la survenue d’une épidémie (grippe,
rougeole…), ou de repérer d’éventuels facteurs favorisants ou protecteurs.
Ces constats peuvent contribuer à évaluer des actions de santé et servir à
orienter des activités de recherche. Mais l’organisation de la surveillance telle
que définie plus haut présente l’inconvénient de se focaliser sur des problèmes
déjà connus et jugés suffisamment importants (en raison de leur fréquence,
de leur gravité, de la possibilité de prendre des mesures de réponse effi-
caces…) pour que soit mis en place un dispositif de surveillance focalisé. Il
n’est cependant pas envisageable dans ce cadre de couvrir toutes les situations,
même si les dispositifs de surveillance sont évolutifs et que de nouvelles
situations peuvent être mises sous surveillance après que leur importance
s’est imposée : ainsi les déterminants climatiques de la santé ont-ils vu leur
surveillance s’organiser après la canicule de l’été 2003. Cette adaptation
a posteriori, pour utile qu’elle soit, est apparue insuffisante, tout particuliè-
rement dans un contexte marqué par la crainte de l’émergence de risques
imprévus, environnementaux ou liés aux pratiques de soins et du bioterrorisme
(affaire de l’anthrax aux États-Unis en 2001, dans les mois qui ont suivi les
attentats du 11  septembre à New York et Washington). Le développement
de la veille sanitaire a donc notamment consisté à installer deux types de
dispositifs complémentaires :
–  d’une part, des systèmes de surveillance généraux, non centrés sur des
problèmes identifiés préalablement, comme le suivi du niveau d’activité des
services d’urgence2 (➠ Chapitre 4) ;
–  d’autre part, le signalement aux autorités compétentes de tout événement
susceptible, aux yeux du déclarant, de constituer un éventuel risque pour la santé.
Dans les deux cas, ce qui importe est de recueillir les signaux, puis de les
traiter de façon réactive. L’informatisation des systèmes de surveillance et la
mise en place de portails de déclaration sur Internet sont évidemment des
éléments facilitateurs très importants dans le domaine.

2. C’est ce type de dispositif qui a été particulièrement utilisé pour le suivi de l’épidémie d’infec-
tions à Covid-19 en 2020.

396
Partie 1. Chapitre 14.
Veille et sécurité sanitaires, gestion des situations sanitaires exceptionnelles

14.1.2. Les signaux et leur traitement


Les signaux sont très divers et il est important d’accepter et de savoir
gérer cette diversité car l’objectif est ici d’être capable de repérer l’émergence
d’une variation significative d’une situation connue ou l’apparition d’une
situation nouvelle ou exceptionnelle. Les signaux proviennent directement
de dispositifs de recueil ou de transmission d’informations par des organismes
de santé, mais aussi du suivi des littératures nationale et internationale, non
seulement scientifique, mais étendue aux contenus des médias, y compris des
réseaux sociaux3 (traitement de masse des données de santé, Big Data).
Les signaux peuvent être quantitatifs, issus notamment des dispositifs clas-
siques de surveillance, typiquement l’augmentation de la fréquence d’une patho-
logie, d’un facteur de risque ou du recours au système de santé. Les signaux
qualitatifs peuvent correspondre à un phénomène inattendu (par exemple, forme
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
clinique exceptionnelle d’une maladie, localisation géographique ou temporelle
inhabituelle), mais aussi à toute observation effectuée par un acteur quelconque
qui estime être face à un problème de santé et qui en fait le signalement à un
portail Internet spécialisé4. Dans cette dernière configuration, il est important
d’assurer au minimum un accusé de réception et, si possible, un retour au
déclarant afin, d’une part, de favoriser la pratique de déclaration et, d’autre
part, de transmettre une information fiable au déclarant.
L’analyse des signaux est donc fondamentale et doit être menée rapide-
ment pour faire le tri : le signal recueilli doit d’abord être confirmé (ce qui
est particulièrement important en cas de signal en provenance d’usagers du
système de santé), puis il faut en analyser la portée. À cette étape, il est
important de disposer d’une définition de cas aussi précise et actualisée que
possible, c’est-à-dire d’un ensemble de critères permettant de qualifier les
signaux recueillis et ainsi de distinguer, par exemple, une maladie déjà
répertoriée et typique, une maladie connue mais présentant des caractères
inhabituels (par exemple, la forte transmission de la fièvre Ebola lors de
l’épidémie en Afrique de l’Ouest en 2013‑2014) ou un phénomène émergent
tout à fait nouveau. L’enjeu est la mise en œuvre de mesures de réponse,
et tout particulièrement le déclenchement d’une alerte, notamment face à
une épidémie. Plusieurs critères d’appréciation peuvent être alors retenus :
– la sévérité de la menace pour la santé publique ;
– la possibilité d’une extension du problème ;
– le caractère inédit de la menace ;
– l’existence de moyens de réponse au problème.

3. À la phase initiale de l’épidémie de Covid-19, en Chine, les réseaux sociaux ont relayé des
i­ nformations plus exactes et plus précoces que celles diffusées par les canaux officiels. Cette s­ ituation,
si elle devait devenir habituelle, poserait un réel problème de gestion pour les décideurs en termes de
hiérarchisation de l’information par la population.
4. Voir le portail « Signalement » sur Solidarites-sante.gouv.fr.

397
Partie 1. Les fondamentaux

Encadré n° 1. Niveaux d’alerte d’épidémiques grippales selon l’OMS

Ils sont au nombre de six :


– Niveau 1 : un virus circule chez les animaux, mais aucun cas d’infection chez l’homme
n’est signalé.
– Niveau 2 : un virus circulant chez les animaux a provoqué des infections chez l’homme.
Cela constitue une menace possible de pandémie.
– Niveau 3 : plusieurs cas de transmission d’homme à homme sont avérés, sans pour autant
qu’il y ait transmission interhumaine suffisamment efficace pour induire des
épidémies.
– Niveau 4 : la transmission interhumaine du virus est capable de provoquer des « flambées
à l’échelon communautaire ».
– Niveau 5 : des foyers infectieux sont repérés dans au moins deux pays d’une même région
OMS ; une pandémie est imminente.
– Niveau 6 : épidémies dans au moins deux régions OMS ; début d’une pandémie.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
14.2. La sécurité sanitaire

14.2.1. Définitions et généralités


Le CSP, à son article L1110‑1, se référant au droit fondamental à la pro-
tection de la santé, contient cette disposition qui délimite un champ très large
à la notion de sécurité sanitaire :
« Les professionnels, les établissements et réseaux de santé, les organismes
d’Assurance maladie ou tous autres organismes participants à la prévention
et aux soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les usagers, […] à
assurer […] la meilleure sécurité sanitaire possible. »

Le dispositif de sécurité sanitaire apparaît ainsi comme l’ensemble des


organisations et activités assurant la prévention et la réponse aux risques
sanitaires induits par les divers déterminants de la santé, tout particulièrement
environnementaux, alimentaires et liés au système de santé (produits de santé,
activités de soins).
En France, le concept de sécurité sanitaire s’est imposé à la suite de plu-
sieurs scandales sanitaires, ce qui explique que l’organisation s’est constituée
par étapes, en réaction à ces crises sanitaires et politiques, tout d’abord dans
le champ des produits de santé (affaires du sang contaminé, de l’hormone de
croissance), des activités de soins (infections nosocomiales), puis de l’envi-
ronnement physique (amiante) et de l’alimentation (encéphalite spongiforme
bovine). L’émergence et l’évolution du « système d’agences sanitaires » se
sont faites à ce rythme (➠ Chapitre 9).

398
Partie 1. Chapitre 14.
Veille et sécurité sanitaires, gestion des situations sanitaires exceptionnelles

14.2.2. Mise en œuvre de la démarche de sécurité sanitaire


Assurer le meilleur niveau possible de sécurité sanitaire n’est pas aisé,
car il s’agit le plus souvent d’arbitrer entre enjeux potentiellement opposés,
et ce, dans un contexte fréquent d’incertitude.
Dans le domaine des activités de soins, il faut prendre en compte l’équi-
libre entre les avantages attendus d’un traitement et les risques inhérents à
sa mise en œuvre, dans une logique d’analyse bénéfice-risque ; sur le plan
du fonctionnement des organisations de santé, la multiplication des mesures
de sécurité peut induire des dysfonctionnements ; par exemple, en réduisant
la réactivité des acteurs ou en induisant des surcoûts excessifs et nuisant à
une allocation optimale des ressources.
Dans le domaine environnemental ou alimentaire, il faut prendre en consi-
dération notamment les impacts économiques ou d’aménagement des territoires,
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
qui peuvent constituer aussi des déterminants de santé. Dans ce contexte, l’ap-
plication raisonnée du principe de précaution peut trouver sa place5 : il s’agit
alors, face à un risque incomplètement connu, de suivre l’évolution de la connais-
sance par le recours à une expertise multidisciplinaire et d’adapter, à chaque
fois que nécessaire, les mesures de réponse, qui doivent être proportionnées à
la menace et d’un coût économiquement et socialement acceptable.
La démarche de sécurité sanitaire reposant sur une analyse des risques et
l’application de décisions en découlant, il est nécessaire d’être particulière-
ment exigeant sur deux points : la qualité de l’expertise, d’une part, et l’in-
formation des acteurs et de la population, d’autre part.
La qualité de l’expertise est une condition majeure de crédibilité de la
démarche sur le plan technique et sur le plan de son acceptation sociale. Bien
évidemment, il s’agit de s’entourer de toutes les garanties touchant aux aspects
méthodologiques de l’expertise (exhaustivité des sources, vérification de leur
validité, procédures d’analyse…).
Cependant, la question de l’indépendance de l’expertise et de l’impartialité
des experts est sans doute le sujet le plus sensible. C’est pour améliorer la
situation dans ce domaine que la loi n° 2011‑2012 du 29  décembre 2011,
relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et de produits
de santé, a réformé le régime des déclarations d’intérêts et de prévention des
conflits d’intérêts dans le champ sanitaire. L’indépendance doit être recher-
chée vis-à-vis de toutes les parties impliquées, y compris les décideurs admi-
nistratifs ou politiques. Il importe aussi que l’indépendance soit « visible »,
c’est-à-dire clairement perceptible par tous ou plus exactement qu’il n’existe
pas d’apparence de conflits d’intérêts afin de conforter la confiance publique
dans l’expertise. Les liens d’intérêts peuvent être directement financiers (per-
ception d’honoraires ou d’avantages par un individu), mais il peut s’agir aussi

5. Le CSP précise à son article L1110‑5 que « les actes de prévention, d’investigation ou de trai-
tements et de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales [lui] faire courir de risques
disproportionnés par rapport au bénéfice escompté ».

399
Partie 1. Les fondamentaux

de financement de travaux de recherche (bourses d’études) ou plus largement


d’outils de travail pour la structure dont dépend l’expert.
Il faut ici être conscient que ce sont les professionnels issus des milieux
les plus pointus de la médecine qui sont les plus sensibles, à la fois parce
que leurs activités dépendent souvent pour partie de financements complé-
mentaires issus de l’industrie et parce qu’ils sont des leaders d’opinion dans
leur domaine – influencer leur expression peut être particulièrement important
pour des acteurs économiques.
En pratique, la recherche d’une indépendance absolue est sans doute illu-
soire, pouvant aboutir à se priver sans raison valable d’apports utiles à l’éva-
luation des risques et bénéfices. Il est plus opérationnel pour les organisateurs
de la démarche d’encourager la sincérité des déclarations d’intérêts, puis de
statuer sur le caractère significatif ou non d’un éventuel lien d’intérêts (nature,
intensité, ancienneté, régularité du lien) et d’en tirer les conséquences. Il n’est
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
pas exceptionnel que, à l’échelle d’un pays de la taille de la France, les experts
d’un sujet soient très peu nombreux, ce qui signifie généralement qu’ils se
connaissent, peuvent travailler ensemble, se rencontrent dans les mêmes
congrès scientifiques, dont ils assurent l’organisation, et sont en contact avec
les mêmes laboratoires pharmaceutiques ou fabricants d’équipements. Dans
ces conditions, il est toujours possible de mobiliser des experts étrangers. Mais
de façon générale, il est intéressant de se fonder sur une pluralité d’avis, de
diverses disciplines, ce qui réduit le risque d’une influence dominante dans
l’expertise. De plus, il est possible soit de placer un professionnel au sein d’un
groupe d’expertise, soit de l’auditionner ponctuellement par ce même groupe
et, s’il est membre du groupe de travail, on peut l’associer ou non à la rédac-
tion des conclusions du rapport d’expertise. Dans tous les cas, les organisateurs
de la démarche devront peser les avantages et les inconvénients de telle ou
telle modalité d’association d’un expert ayant des liens d’intérêts.
Une fois l’expertise réalisée dans des conditions optimales, se pose alors
la question de la publicité à donner aux conclusions du travail, dans un contexte
qui peut être sensible et où, de plus en plus fréquemment, l’expertise sera
confrontée à une circulation d’informations ou de prises de position sur Internet
et les réseaux sociaux. Pour convaincre de la crédibilité de l’expertise réalisée
et des décisions qui vont en découler, plusieurs mesures doivent être prises :
–  diffuser de façon aisément accessible les conditions de réalisation de l’ex-
pertise en explicitant les difficultés rencontrées et les réponses apportées alors.
Les limites du travail, les incertitudes doivent être évoquées ;
–  diffuser les déclarations d’intérêts des personnes impliquées en expliquant
les décisions prises en cas de problème ;
–  diffuser les résultats des travaux d’évaluation, leurs conclusions, en
signalant le cas échéant les divergences de vues des experts et en les accom-
pagnant de commentaires destinés à en faciliter la compréhension si
­nécessaire  ;
–  organiser formellement les réactions du public en mettant en place un
débat citoyen (sur Internet ou éventuellement par une réunion physique) autour
de l’expertise.

400
Partie 1. Chapitre 14.
Veille et sécurité sanitaires, gestion des situations sanitaires exceptionnelles

14.2.3. Les acteurs de la sécurité sanitaire


On distingue un niveau national et un niveau régional dans l’organisation
des acteurs (➠ Chapitre  9). Pour partie, les acteurs de la sécurité sanitaire
sont aussi ceux de la veille sanitaire.

Au niveau national
On trouve des directions d’administration centrale, au premier rang des-
quelles la Direction générale de la santé (DGS), mais des directions d’autres
ministères peuvent avoir un rôle important en fonction des situations (notam-
ment la DGAL, Direction générale de l’alimentation du ministère de l’Agri-
culture, et la DGCCRF, Direction générale de la concurrence, de la consommation
et de la répression des fraudes du ministère de l’Économie…).
À côté des directions administratives, on trouve les autorités et agences
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
sanitaires. Santé publique France, qui a repris les compétences des ex-InVS,
INPES et EPRUS, a une mission générale en santé publique et intervient à
ce titre aussi dans le champ de la sécurité sanitaire, dont les contours sont
précisés aux articles L1422‑1 et suivants du CSP :
– observation épidémiologique et surveillance de l’état de santé des
populations ;
– veille sur les risques sanitaires menaçant les populations ;
– promotion de la santé et réduction des risques pour la santé ;
– développement de la prévention et de l’éducation pour la santé ;
– préparation et réponse aux menaces, alertes et crises sanitaires ;
– lancement de l’alerte sanitaire.
Les autres autorités et agences nationales de sécurité sanitaire (ANSM,
ANSES, HAS, ABM, EFS, ASN, IRSN etc.) ont une approche thématique
qui implique donc une articulation entre elles, car leurs activités sont pour
partie concurrentes ou nécessairement complémentaires, dans les domaines
de la veille, l’alerte, la prévention, l’inspection-contrôle, l’information, la
formation, la gestion des situations exceptionnelles, la communication de
crise… C’est la DGS qui est chargée de cette mission6, qui se concrétise à
la fois par l’existence d’une sous-direction chargée de la veille et de la
sécurité sanitaires et par le fonctionnement d’un Comité d’animation du
système d’agences (CASA), officialisé par la loi de modernisation du sys-
tème de santé de 2016. C’est aussi au niveau de la DGS que sont mises en
œuvre de façon opérationnelle les interactions avec les instances européennes
et l’OMS, notamment, la mise en application du Règlement sanitaire inter-
national ; c’est tout spécialement le rôle du Centre opérationnel de régulation
et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (CORRUSS), qui constitue
le point focal national français des alertes de portée internationale. Enfin,
le Haut Conseil de la santé publique est amené à fournir son expertise.

6. Les conférences de presse quotidiennes du Directeur général de la santé durant l’épidémie de


Covid-19 en sont une illustration.

401
Partie 1. Les fondamentaux

Peuvent être aussi impliqués les centres français de références des maladies
infectieuses ou des registres de pathologies (➠ Chapitre 4), ainsi que le cas
échéant des acteurs internationaux (OMS, ECDC, CDC américain, etc.).
Encadré n° 2. Le Règlement sanitaire international
(International Health Regulations)

Les objectifs
Le RSI vise à « prévenir la propagation internationale des maladies, à s’en protéger, à la
maîtriser et à y réagir par une action de santé publique proportionnée et limitée aux risques
qu’elle présente pour la santé publique, en évitant de créer des entraves inutiles au trafic
et au commerce internationaux ». Il va donc comprendre des dispositions en vue de :
– combattre les sources de propagation d’une maladie infectieuse ;
– améliorer la surveillance sanitaire et la réponse aux urgences sanitaires, tout particuliè-
rement dans les points d’entrée que constituent les ports et aéroports ;
– prévenir la dissémination des vecteurs des agents infectieux (par exemple, moustiques).
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Les principes d’action
– Coopération internationale structurée autour d’un réseau de points focaux nationaux
placés au sein des autorités sanitaires (en France, le CORRUSS de la DGS) et d’un mandat
général de gestion confié au secrétariat de l’OMS en matière de veille, d’alerte et de
coordination de la réponse.
– Obligation de notification internationale d’événements sanitaires graves ou inhabituels7.
– Renforcement des systèmes de sécurité sanitaire des pays selon des objectifs explicites
à atteindre.
Les obligations des États
– Désigner un point focal national chargé d’assurer en permanence les échanges d’infor-
mations (entrantes et sortantes) avec l’OMS.
– Évaluer les événements de santé publique pour identifier ceux susceptibles de constituer
une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) et les n ­ otifier à l’OMS.
Quatre critères pour décider de la notification à l’OMS sont retenus :
• gravité des répercussions sur la santé publique ;
• caractère inhabituel ou inattendu de l’événement ;
• risque important de propagation internationale ;
• risque important de restrictions aux voyages ou aux échanges internationaux.
– Répondre aux demandes de l’OMS dans le cadre de l’application du RSI.
– Renforcer et assurer la maintenance de leurs capacités de détection, d’évaluation et de
réponse aux événements sanitaires pouvant constituer un risque pour la santé publique.
– Renforcer leurs capacités de surveillance et d’intervention dans les ports et aéroports
internationaux.
Les capacités à atteindre dans les points d’entrée : ports et aéroports ouverts au trafic
international
Tout port ou aéroport ouvert au trafic international est considéré comme un point d’entrée.
Il doit disposer de capacités de surveillance et d’intervention (en routine et en cas d’USPPI)
pour faire face à des risques sanitaires pouvant se propager par les moyens de transport. En
pratique, il s’agit de :

7. Cette obligation, pourtant cruciale, n’est pas toujours respectée par les États, pour des raisons
renvoyant sans doute à la crainte de mettre ainsi en évidence les défaillances de leur système de santé,
voire plus largement de leur organisation politique.

402
Partie 1. Chapitre 14.
Veille et sécurité sanitaires, gestion des situations sanitaires exceptionnelles

– mettre en place un dispositif d’alerte des autorités sanitaires en cas d’événement suscep-
tible d’avoir un impact sur la santé publique ;
– mettre en place un programme spécifique de surveillance et de lutte contre les mous-
tiques dans les départements concernés par la lutte anti-vectorielle ;
– élaborer un plan d’intervention pour les urgences de santé publique, notamment à des-
tination des voyageurs malades.
Dans le cadre de l’application du RSI, sur demande des autorités publiques, il est possible
de procéder au déroutement d’un moyen de transport vers un autre point d’entrée mieux
à même de faire face à la situation, c’est-à-dire, notamment, doté d’un service médical
adapté et de moyens de prise en charge de voyageurs suspectés d’être atteints ou d’animaux
au statut sanitaire incertain ou inconnu.
Obligations pour les exploitants de moyens de transport
Il s’agit pour ces acteurs économiques :
– de mettre en œuvre les recommandations sanitaires de l’OMS et des États ;
– d’informer les voyageurs des recommandations sanitaires de l’OMS et des États ;
– de faire en sorte que les moyens de transport qu’ils exploitent soient indemnes de sources
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
d’infection ou de contamination.

Au niveau régional
C’est l’ARS qui est l’acteur sanitaire central. En son sein, les cellules de
veille, d’alerte et de gestion sanitaire (CVAGS) sont chargées de coordonner
les mesures de gestion et de suivre leur mise en œuvre. Son action peut
bénéficier de l’appui du CORRUSS de la DGS ainsi que de structures d’ex-
pertise : CIRE, centres antipoisons et de toxicovigilance, centre régional de
pharmaco-vigilance, coordonnateur régional d’hémovigilance et de sécurité
transfusionnelle, observatoire des médicaments, dispositifs médicaux et inno-
vations thérapeutiques (OMEDIT), centre d’appui pour la prévention des
infections associées aux soins (CPIAS), ainsi que des structures régionales
d’appui et d’expertise thématiques. L’ARS est chargée, dans le cadre général
de la mise en œuvre territoriale de la politique de santé, d’assurer les missions
suivantes dans le domaine de la veille et de la sécurité sanitaires :
–  réception, analyse et gestion des signalements à impact sanitaire en arti-
culation avec les agences nationales concernées ;
–  organisation de la veille et la sécurité sanitaires au niveau régional, y
compris les vigilances ;
–  pilotage des acteurs du système de santé dans le champ de la VSS ;
–  définition d’une stratégie régionale de préparation à la gestion des situa-
tions sanitaires exceptionnelles et de tensions dans les champs sanitaire et
médico-social (observation, planification, exercices, retour d’expérience),
notamment en veillant au maintien de la permanence des soins ;
–  élaboration de plans de continuité des activités.
Les CIRE, cellules d’intervention en région8, dépendent de Santé publique
France (SPF) (­direction des régions). Elles sont placées auprès des directeurs

8. Le sens de l’acronyme « CIRE » a évolué au cours du temps et des changements de missions et


d’organisation ; initialement, il désignait des cellules interrégionales d’épidémiologie d’intervention.

403
Partie 1. Les fondamentaux

généraux des ARS et sont membres des plateformes régionales de veille et de


sécurité ­
­ sanitaires. Elles interviennent en articulation avec l’ARS afin
notamment :
–  de participer à l’organisation du recueil des signaux sanitaires ;
–  d’analyser les données des systèmes de veille et de surveillance régiona-
lisés de SPF, notamment le système Sursaud® (➠ Chapitre 4) ;
–  de mettre à disposition de l’ARS des outils d’investigation des signaux et
d’analyse des risques. Les CIRE s’assurent, par exemple, de l’utilisation dans
la région des définitions de cas actualisées par SPF ;
–  de conduire des enquêtes épidémiologiques, pour explorer plus précisé-
ment un signal.
Les relations entre les ARS et SPF, notamment les modalités de fonction-
nement des CIRE, sont réglées par l’arrêté du 28 novembre 20169, qui prévoit
la conclusion d’une convention entre les deux entités dans chaque région,
dont les modalités sont les suivantes :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  L’ARS a une mission générale d’organisation de la veille et de la sécurité
sanitaires au niveau régional. Elle assure, en lien avec la CIRE, la réception, la
validation des signaux sanitaires survenant dans la région (déclaration sponta-
née, maladies à déclaration obligatoire, vigilances…), l’organisation de l’éva-
luation et de l’investigation des signaux (en recourant aux sources d’expertise
disponibles), la mise en œuvre des mesures de gestion et leur suivi. Enfin, l’ARS
transmet à la DGS (CORRUSS) les signaux sanitaires qui nécessitent l’infor-
mation du niveau national (menace grave ou ne concernant pas qu’une seule
région, cas aux caractéristiques rares ou inhabituelles, phénomènes émergents).
–  Santé publique France agit principalement au niveau local par l’intermé-
diaire des CIRE, afin d’évaluer les signaux, de déclencher éventuellement une
alerte et de proposer aux autorités compétentes les mesures de gestion adaptées.
L’activité prévisionnelle de la CIRE est cadrée par un programme de travail
annuel. La convention prévoit les conditions d’information de l’ARS et d’in-
tervention de la CIRE lorsque SPF se saisit d’une problématique sanitaire régio-
nale en routine ou en situation d’urgence. SPF transmet aussi à l’ARS des
informations sur l’état de la Réserve sanitaire et des stocks stratégiques de médi-
caments, produits de santé et autres matériels.
–  Enfin, dans le cadre de la convention, un plan de continuité d’activité doit
être élaboré pour la CIRE, permettant notamment de garantir le rappel de ses
personnels dans un délai de une heure à compter de la demande du directeur
général de l’ARS. En cas de situation sanitaire exceptionnelle, un représentant
de Santé publique France est positionné au sein de la cellule de crise de l’ARS.

Le niveau zonal
Lorsque la situation exceptionnelle touche plus d’une région administrative
ou que les ressources d’une région se révèlent insuffisantes, le niveau de
gestion devient celui de la zone de défense et de sécurité, qui reprend les
missions du niveau régional.

9. Arrêté du 28 novembre 2016 relatif à la convention type prévue par l’article R1413‑44 du CSP.

404
Partie 1. Chapitre 14.
Veille et sécurité sanitaires, gestion des situations sanitaires exceptionnelles

14.3. La gestion d’une situation exceptionnelle

Selon les termes d’une instruction administrative10, « une situation sanitaire


exceptionnelle s’entend comme la survenue d’un événement émergent, inha-
bituel et/ou méconnu qui dépasse le cadre de la gestion courante des alertes,
au regard de son ampleur, de sa gravité (en termes notamment d’impact sur
la santé des populations, ou de fonctionnement du système de santé) ou de
son caractère médiatique (avéré ou potentiel) et pouvant aller jusqu’à la crise ».
Les situations exceptionnelles en matière sanitaire ont soit une origine
sanitaire (par exemple, une épidémie d’ampleur inhabituelle, un dysfonc-
tionnement sériel dans le système de soins, une rupture d’approvisionne-
ment d’un produit de santé), soit une cause non sanitaire, mais entraînant
des conséquences sanitaires importantes (par exemple, inondation, trem-
blement de terre, événement météorologique extrême, perturbations poli-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tiques, économiques ou sociales majeures).
L’enjeu central de la gestion des situations exceptionnelles est d’apporter
une réponse efficace – souvent en urgence, mais pas obligatoirement –, par
une mobilisation intensive des moyens, sans basculer dans la crise, qui se
caractérise par un dépassement des capacités de réponses du système de
santé, voire un véritable effondrement11.
Dans cette perspective, il importe de prendre en compte les différentes
composantes de la réponse : moyens humains, matériels, modalités d’orga-
nisation spécifiques (y compris gestion de ce qui n’est pas exceptionnel à
côté de ce qui l’est), information des professionnels, communication auprès
du public.
Parce que la réponse à une situation exceptionnelle implique des coopéra-
tions obligatoires entre acteurs et peut reposer sur des mécanismes limitant
les libertés (liberté de circulation des personnes et des biens, réquisitions…),
il est nécessaire de disposer d’un cadre juridique adapté.
Même dans le cas d’une situation à déterminisme exclusivement sanitaire,
dès lors qu’il est nécessaire de mobiliser les moyens d’un autre département
ministériel que celui de la santé (par exemple, les services de police pour le
maintien de l’ordre, la régulation de la circulation, ou des moyens civils ou
militaires pour des évacuations, le maintien des réseaux d’énergie), l’interven-
tion des préfets, représentants de l’État, s’impose au niveau local.

10. Instruction n° DGS/DUS/CORRUSS2013/274 du 27 juin 2013 relative à l’organisation territo-


riale de la gestion des situations sanitaires exceptionnelles.
11. « Une crise est une rupture dans le fonctionnement normal d’une organisation ou de la société,
résultant d’un événement brutal et soudain, qui porte une menace grave sur leur stabilité, voire sur
leur existence même. En raison de son caractère brutal et soudain, l’élément déclencheur appelle
une réaction urgente. » Le large confinement de la population décidé à l’occasion de l’épidémie de
Covid-19 avait précisément pour objectif d’éviter le débordement des capacités de traitement des cas
graves par les services de réanimation, afin d’éviter le basculement dans une crise hospitalière, puis
plus globalement sanitaire et sociale.

405
Partie 1. Les fondamentaux

Au niveau national, si la situation l’exige, l’engagement du ministre de


l’Intérieur, du Premier ministre, voire du président de la République peut être
nécessaire, comme la gestion de l’épidémie de Covid-19 l’a montré. À cette
occasion, l’action publique s’est même appuyée sur des modifications légis-
latives et réglementaires prises en urgence12.
De façon générale, le dispositif préfectoral est central en matière de gestion
de situations exceptionnelles. En France, les modalités de réponse aux situations
de crise et d’urgences sanitaires sont définies par un ensemble de textes défi-
nissant le rôle des représentants de l’État et leur articulation avec les agences
régionales de santé, aux niveaux départemental, régional, zonal et national13.

14.3.1. Principes d’organisation


La réponse à une situation exceptionnelle comprend plusieurs étapes. Nous
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
prendrons le cas du traitement d’une situation au niveau national, mais le
schéma est fondamentalement le même à des échelons différents.
Il faut tout d’abord identifier la survenue d’une situation exceptionnelle
ou critique. La sensibilité des dispositifs de veille et d’alerte est ici très impor-
tante afin de disposer au plus vite d’un premier descriptif de la situation.
Si la situation est d’une gravité certaine, déjà avérée ou à craindre, et
qu’elle implique plusieurs départements ministériels, l’État, dans le contexte
français, est le seul acteur capable de mettre en œuvre une réponse globale.
Au niveau national, c’est le Premier ministre qui agit en convoquant une
réunion interministérielle et en décidant l’installation d’une cellule intermi-
nistérielle de crise (CIC), qui réunit les ministères concernés, des experts ainsi
que des acteurs majeurs de la réponse (par exemple, une agence de sécurité
sanitaire). En pratique, le pilotage opérationnel est ensuite confié à un minis-
tère, habituellement l’Intérieur si le sujet est de dimension nationale, les
Affaires étrangères en cas de niveau international. Cependant, le choix d’un
autre ministère est possible en fonction des caractéristiques de la situation.
L’organisation d’une CIC traduit les grands axes de l’action à mener et
on décrit habituellement quatre éléments composant la CIC :
–  « cellule situation », qui décrit le problème rencontré, ses causes, son
développement, son impact déjà avéré et possible. En pratique, cette cellule est

12. Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 ; décret
n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidé-
mie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ; 25 ordonnances prises les 24 et 25 mars
2020 et touchant divers secteurs de la vie du pays : travail, économie, santé, solidarités, droit des
sociétés, justice, tourisme…
13. Décret n° 2010‑338 du 31 mars 2010 relatif aux relations entre les représentants de l’État dans
le département, dans la zone de défense et dans la région et l’agence régionale de santé pour l’ap-
plication des art. L1435‑1, L1435‑2 et L1435‑7 du CSP ; décret n° 2013‑15 du 7 janvier 2013 relatif
à la préparation et aux réponses aux situations sanitaires exceptionnelles ; décret n° 2015‑1689 du
17 décembre 2015 portant diverses mesures d’organisation et de fonctionnement dans les régions de
l’administration territoriale de l’État et de commissions administratives ; circulaire du Premier mi-
nistre du 2 janvier 2012 relative à l’organisation gouvernementale pour la gestion des crises majeures.

406
Partie 1. Chapitre 14.
Veille et sécurité sanitaires, gestion des situations sanitaires exceptionnelles

amenée à présenter des points de situation réguliers, pour l’élaboration desquels


elle peut mobiliser des experts ;
–  « cellule anticipation », qui s’intéresse aux modalités d’évolution de la
situation et notamment aux facteurs pouvant impacter la réponse mise en œuvre ;
–  « cellule décision », qui, comme son nom l’indique, est le lieu de prise de
décision sur la base des analyses et propositions des deux premières cellules et
de suivi de la mise en application des actions déclenchées ;
–  « cellule communication », qui organise la diffusion, à destination de la
population, des professionnels, des victimes et des médias, des messages faisant
partie de la gestion de la situation critique (par exemple, fourniture de matériels
aux professionnels, limitation des déplacements, arrêt de la consommation
d’eau, participation à une campagne de ­vaccination, etc.) ainsi que d’éléments
fiables d’explication de la situation en cours.
Enfin, pour assurer un bon fonctionnement de la CIC, tout particulièrement
si la situation s’installe dans la durée, il est souhaitable d’organiser une fonc-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tion logistique de soutien.
La gestion opérationnelle est ensuite variable, adaptée à la situation. Au
niveau national, pour le secteur de la santé, le pilotage est effectué par la DGS,
qui active un renforcement du CORRUSS ou installe un centre de crise sanitaire.
Au niveau local, c’est le préfet de département qui est compétent pour organiser
la réponse, avec l’appui éventuel de la zone de défense et de sécurité. Il peut
mobiliser l’ensemble des services de l’État, dans le cadre d’un centre opéra-
tionnel départemental (COD). Il joue aussi un rôle d’incitation auprès des col-
lectivités territoriales (respect du principe de libre administration) afin qu’elles
prennent leur place dans la réponse, tout particulièrement dans le domaine des
solidarités de proximité, mais aussi de l’hygiène et de la sécurité publiques,
des établissements d’enseignement, des crèches, des transports, etc.
Les préfets de zone14 (PZ) sont les interlocuteurs principaux de la CIC. Les
agences régionales de santé sont évidemment mobilisées avec un rôle privilégié
de l’ARS de zone (ARSZ) auprès du PZ. Les ARS ont pour mission essentielle
de suivre et d’appuyer l’action des acteurs de santé, hospitaliers et ambulatoires
(par exemple, le suivi des capacités d’accueil, de soins ambulatoires), d’orga-
niser, le cas échéant, l’utilisation de la réserve sanitaire (➠ Chapitre 9).

Encadré n° 3. Des outils pour la gestion d’une situation exceptionnelle

À titre d’exemple, la préparation de la réponse à une situation exceptionnelle au niveau


d’une ARS peut comprendre :
– l’identification et l’équipement d’un local où travaillera l’équipe assurant la conduite
opérationnelle des opérations. Cette salle devra être équipée en permanence de moyens
de communication à distance audio et vidéo, de préférence sécurisés. Ces moyens
doivent être testés régulièrement. Il est bon d’anticiper un fonctionnement prolongé en
prévoyant de quoi assurer l’alimentation, le repos et l’hygiène des personnels ;

14. Le territoire français est divisé en sept zones de défense et de sécurité en métropole et cinq
outre-mer (Antilles, Guyane, océan Indien, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française).

407
Partie 1. Les fondamentaux

– la définition d’une composition de base de la cellule de gestion, ce qui implique l’établis-
sement de fiches de poste pour chaque personnel concerné. En pratique, les agents de
l’ARS impliqués sont donc dotés de deux fiches de poste, une pour le fonctionnement
de routine et une pour les situations exceptionnelles ;
– la constitution de listes de personnels mobilisables pour la gestion de la situation, avec
indication de leurs compétences et des moyens de les joindre rapidement (procédure
de rappel). Il est nécessaire que toutes les personnes susceptibles d’être mobilisées soient
suffisamment informées de l’organisation programmée et formées à sa mise en œuvre,
afin que chacun trouve sa place aisément le moment venu ;
– une documentation, régulièrement mise en jour, comportant les conduites à tenir face
à un certain nombre de situations, tout particulièrement pour la phase initiale de la
réponse (« fiches réflexes ») ;
– une documentation contenant l’ensemble des plans de secours ou de mobilisation exis-
tant aux niveaux local, régional, zonal, national ;
– des annuaires actualisés consignant les coordonnées des acteurs de la région, notamment
SAMU, services d’urgence, sapeurs-pompiers, établissements de santé, établissements
médico-sociaux, services de protection maternelle et infantile, de santé scolaire, organi-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
sations ambulatoires de réponse aux urgences, médecins libéraux, officines de pharmacie,
grossistes répartiteurs, laboratoires de biologie, associations, etc. ;
– des annuaires des structures administratives : préfecture, services de l’État, collectivités
territoriales (communes, conseils départementaux), ordres professionnels ;
– un répertoire de l’ensemble des moyens sanitaires de la région (état des effectifs, des
équipements, localisation, etc.)  ;
– un ensemble d’outils de communication ;
– des répertoires des populations à risque (insuffisants respiratoires appareillés, insuffisants
rénaux dialysés, etc.)  ;
– des répertoires des sites sensibles (risques chimique, radiologique, biologique, etc.).

La phase de « sortie de crise » peut être délicate à gérer. Elle signifie que
les mesures de gestion prises vont être abandonnées, ce qui est généralement
bien accueilli, car cela signifie un retour à la normale. Mais il importe de vérifier
tout d’abord que la situation est bien sous contrôle. En effet, il arrive parfois
que la situation se dégrade secondairement : ainsi, lors d’une épidémie, il est
possible d’assister à la survenue de vagues épidémiques secondaires ; à la suite
d’un accident industriel chimique ou nucléaire, on peut redouter que les dis-
positifs de confinement des produits toxiques ne soient débordés (par un trem-
blement de terre, une inondation ou la simple insuffisance des capacités…).
Aussi, la décision de sortie de crise doit être prise de façon très raisonnée et
doit être expliquée clairement aux acteurs de la réponse et à la population. Ce
travail de communication est d’autant plus important que la levée des mesures
de gestion ne se fait pas de façon binaire et globale, mais de façon progressive
et différenciée (par exemple, selon l’âge, la localisation, l’activité profession-
nelle ou le statut médical…) ; la gestion de la fin du confinement de la popu-
lation lors de l’épidémie d’infections à Covid-19 en est un exemple.
Enfin, il est important de mener après les événements un travail d’évalua-
tion de la qualité de la réponse apportée au problème, typiquement sous forme
de retours d’expérience (RetEx ou REx). Pour mener à bien ce temps évaluatif,
il est souhaitable de disposer d’une traçabilité précise du déroulement des
opérations menées, même si, en pleine action, on peut comprendre que cela
n’apparaisse pas prioritaire sur le moment. Il s’agit d’améliorer le dispositif

408
Partie 1. Chapitre 14.
Veille et sécurité sanitaires, gestion des situations sanitaires exceptionnelles

pour faire face à une crise future, mais aussi de faire face à des demandes
ultérieures d’information, par exemple dans le cadre d’une c­ ommission d’en-
quête parlementaire, d’une inspection administrative, voire d’une procédure
contentieuse. La diffusion des conclusions de ces travaux contribue aussi à
l’information et à la formation des acteurs et de la population, et ce, pour que
se développe une culture du risque et que s’accroissent les capacités de veille.
Le processus de gestion des situations exceptionnelles apparaît ainsi de
nature circulaire, en ce sens que la fin du traitement d’une crise ouvre le
temps de la préparation de la réponse à une éventuelle crise à venir. Cette
préparation se matérialise notamment par l’élaboration ou la mise à jour de
plans, dont la pertinence pourra être testée par des exercices, mais aussi par
la constitution ou la remise à niveau de stocks de matériels utiles (médica-
ments, équipements de protection, kits pour prélèvements biologiques, etc.).

14.3.2. Les plans


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
L’organisation de la réponse en cas d’événement exceptionnel s’appuie
sur des plans établis à l’avance en fonction d’une analyse de risque et d’un
schéma de mobilisation des moyens. Dans le champ sanitaire, il existe plu-
sieurs cadres de planification de la réponse.

Le dispositif ORSAN (organisation de la réponse sanitaire)


La survenue, notamment dans le cadre d’actions terroristes, de situations
comportant la prise en charge de nombreuses victimes dans un temps bref
a accéléré la mise en place d’un dispositif de réponse spécifique : le dispositif
ORSAN, qui est apparu en 201415 et accompagne la création des ARS en
ce sens qu’il organise la réponse au niveau régional et qu’il prend en compte
l’ensemble des secteurs hospitalier, ambulatoire et médico-social. À ce titre,
il programme un redéploiement des moyens pour faire face aux besoins, un
renforcement du système de santé (rappel des personnels, ouverture de lits,
mise à disposition de matériels…), voire le recours à un appui national,
notamment par la mobilisation de la réserve sanitaire, gérée par SPF16.
Le dispositif ORSAN est arrêté par le directeur général de l’ARS après consul-
tation des préfets de département et de l’ARS de zone. Son ­élaboration implique
fortement les SAMU et plus largement les établis­sements.
Il se compose de plusieurs modules spécifiques aux situations rencontrées :
– « ORSAN AMAVI » : accueil massif de victimes non contaminées ;
–  « ORSAN CLIM » : nombreux patients à la suite d’un phénomène c­ limatique ;

15. Instruction ministérielle n° DGS/DUS/SGMAS/2014/153 du 15 mai 2014, relative à la prépa-


ration du système de santé à la gestion des situations sanitaires exceptionnelles.
16. La gestion de l’épidémie à Covid-19 a intégré plusieurs de ces mesures : création de lits sup-
plémentaires de réanimation médicale (environ augmentation de 50 % des capacités), mobilisation
de fabricants d’équipements (masques de protection, gels hydroalcooliques, matériels de ventilation
assistée), transfert de patients et de personnels entre régions ou pays voisins…

409
Partie 1. Les fondamentaux

–  « ORSAN EPI-VAC » : gestion d’une épidémie de grande ampleur ou


d’une pandémie, pouvant impliquer l’organisation d’une campagne de vacci-
nation massive ;
–  « ORSAN BIO » : prise en charge d’un risque biologique connu ou
émergent17 ;
–  « ORSAN NRC » : prise en charge d’un risque nucléaire, radiologique ou
chimique.

Le plan blanc
Il s’agit d’un outil d’organisation de l’hôpital qui existe depuis 200418. Il
vise tout particulièrement à faire face à un afflux massif de victimes dans un
établissement19, ce qui amène à préparer :
–  la mobilisation des équipes hospitalières (notamment SAMU, services
d’urgence, modalités d’orientation des victimes et d’accueil des proches, rappel
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
des personnels) et de ses moyens matériels et logistiques ;
–  l’adaptation très rapide de l’organisation hospitalière (recensement des
produits de santé et matériels disponibles, circulation des véhicules, plan de
communication, le cas échéant, sécurisation20, confinement, voire évacuation de
l’établissement), tout particulièrement de sa composante médicale (ajustement
des activités en fonction des caractéristiques des patients – par exemple, présence
de nombreux enfants blessés ou de nombreux brûlés graves –, ouverture de lits
supplémentaires, ajustement des autres activités de l’hôpital si nécessaire).
Le plan blanc est déclenché par le chef d’établissement et une « cellule
de crise » placée au niveau de la direction coordonne les opérations.

Le plan local de gestion d’une épidémie


Cet outil est apparu en 2009 dans le cadre du plan stratégique national
2009‑2013 de prévention des infections associées aux soins. Il consigne l’or-
ganisation spécifique à déployer en cas de risque ou de survenue d’une épi-
démie au sein d’un établissement. Il doit être en cohérence avec le plan blanc,
plus spécifiquement avec son annexe consacrée aux risques biologiques.

Le plan blanc élargi (PBE)


À la différence du plan blanc, le PBE est déclenché par le préfet de dépar-
tement dans les situations où le système de santé est débordé ou menace de
l’être. Il constitue le volet sanitaire du plan ORSEC (Organisation de la réponse
de sécurité civile) de portée générale. C’est alors le préfet qui prend la direction

17. Activé, par exemple, à l’occasion l’épidémie de fièvre Ebola en 2014.


18. Circulaire n° DHOS/CGR/2006/401 du 14 septembre 2006 relative à l’élaboration des plans
blancs des établissements de santé et des plans blancs élargis
19. Par exemple, l’explosion de l’usine AZF, à Toulouse, en 2001, ou l’attentat du Bataclan à Paris
le 13 novembre 2015.
20. L’établissement peut lui-même être impacté par le fait générateur de la crise et voir ainsi sa
capacité de réponse diminuée.

410
Partie 1. Chapitre 14.
Veille et sécurité sanitaires, gestion des situations sanitaires exceptionnelles

de la réponse sanitaire, et son intervention permet notamment de procéder aux


réquisitions de personnes ou de structures qui s’imposeraient. Le préfet informe
sans délai le directeur général de l’ARS, le SAMU, les services d’urgence et
les collectivités territoriales concernées du déclenchement de ce plan.

Le plan bleu
Il est le pendant du plan blanc dans le secteur médico-social. Il a émergé
dans les suites du Plan canicule21. Il se caractérise notamment par une attention
particulière apportée au maintien du bien-être des résidents durant la situation
exceptionnelle ou la crise. Il s’articule avec le plan local de gestion d’une
épidémie de l’établissement. Dans ces établissements moins médicalisés que
les hôpitaux, il est important de détecter et de signaler le plus précocement
possible les premiers cas afin de mobiliser les appuis extérieurs disponibles
(ARLIN, CIRE, ARS, services de maladies infectieuses…).
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Autres plans sanitaires
Ils sont focalisés sur des problématiques spécifiques : dengue, variole,
pandémie grippale… On notera que les plans régionaux santé-environnement
peuvent aussi s’intégrer dans le dispositif, dans la mesure où ils portent sur
les déterminants de vagues épidémiques possibles : pollution atmosphérique,
animaux vecteurs de maladies…

Le plan Vigipirate
À la différence des plans précédemment évoqués, il s’agit ici d’un dispo-
sitif permanent dont l’intensité varie en fonction de la menace. Il s’agit d’un
plan global, visant la totalité des activés du pays et embrassant la prévention
et la réaction à des actes de terrorisme. Ainsi, pour le secteur sanitaire, le
plan a pour objectif à la fois de préparer la réponse à une attaque, mais aussi
de protéger le système de santé contre une attaque.

14.3.3. Un exemple de préparation à une situation


exceptionnelle : le plan Pandémie grippale22
Le déroulement d’une épidémie grippale de grande importance comprendrait
plusieurs étapes. D’abord, l’introduction puis la diffusion du virus dans le pays,
provoquant un nombre progressivement croissant mais encore limité de cas de

21. Arrêté du 7 juillet 2005 fixant le cahier des charges du plan d’organisation à mettre en œuvre
en cas de crise sanitaire ou climatique.
Circulaire ministérielle du 14 juin 2007, relative à la mise en place, dans les établissements h­ ébergeant
ou accueillant des personnes handicapées, des mesures préconisées dans le cadre des plans bleus.
22. À l’heure où nous écrivons ces lignes, nous ne disposons pas de l’ensemble des éléments
d’analyse de la gestion de l’épidémie à Covid-19, mais on se situe ici dans des domaines présentant
de grandes similitudes.

411
Partie 1. Les fondamentaux

la maladie, avant que se déclenche la « vague épidémique », période qui durera


habituellement huit à douze semaines et au cours de laquelle les cas se multiplient
avant que l’épidémie régresse. Ultérieurement, dans les semaines ou les mois qui
suivent, d’autres vagues épidémiques peuvent survenir, parfois encore plus
intenses que la première. Les objectifs des actions menées sont donc successi-
vement de limiter l’introduction du virus puis de freiner sa diffusion, ensuite
d’atténuer les conséquences de la vague épidémique et enfin d’accélérer la
décroissance de l’épidémie. Les objectifs de la phase post-pandémique sont, d’une
part, de favoriser le retour le plus rapide possible à la normalité et, d’autre part,
de tirer les leçons de la gestion du phénomène afin d’améliorer les réponses futures.
L’actuelle version du plan national de prévention et de lutte contre une
pandémie grippale est issue des évaluations qui ont suivi l’épisode pandémique
de 2009‑201023. Comme tout outil de planification, le plan et ses annexes
constituent un instrument d’aide à la décision pour l’ensemble des acteurs.
En effet, il s’agit d’un plan interministériel qui porte la stratégie de réponse
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de l’État face à une pandémie, mais, compte tenu des caractéristiques du
problème et des enjeux très globaux qui s’y attachent, en réalité, le plan
implique plus largement les collectivités publiques, notamment les communes,
qui jouent un rôle d’appui de proximité pour les plus vulnérables ; les profes-
sionnels de santé, qu’ils exercent en établissement, en ambulatoire, mais aussi
dans les collectivités de travail ou de formation ; et les acteurs socio-
économiques, qui devront s’efforcer d’assurer la continuité des activités des
entreprises pour limiter le coût économique et social de l’épidémie. L’implication
des citoyens est aussi recherchée afin de faciliter le respect des mesures édic-
tées en vue de limiter l’extension de la maladie, mais aussi pour favoriser les
solidarités de proximité, notamment en direction des plus fragiles.
En effet, à côté des aspects sanitaires24, une telle pandémie aurait aussi
un impact social important par :
–  les interruptions et désorganisations d’activités, dont certaines sont cri-
tiques : transports, réseaux d’énergie, sécurité et ordre publics, système de santé,
ramassage des déchets, traitement des eaux usées, ravitaillement alimentaire,
production d’eau potable, services funéraires, état civil, etc. ;
–  les pertes économiques, notamment par absentéisme25, mais aussi par
limitation de la circulation des marchandises ;
–  les troubles de l’ordre public : paniques, déplacements de populations,
pillages, etc.  ;
–  l’isolement des personnes vulnérables.
Le plan comprend plusieurs éléments :
–  un plan national qui donne le cadre général de préparation et de réponse,
et les dispositions stratégiques à prendre aux différents stades de la pandémie ;

23. Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), « Plan national de pré-
vention et de lutte “Pandémie grippale”. Document d’aide à la préparation et à la décision », n° 850/
SGDSN/PSE/PSN, octobre 2011.
24. La grippe espagnole de 1918‑1920 a fait environ 200 000 morts en France.
25. Si elle survenait aujourd’hui, la Banque mondiale a évalué à 2 000 milliards d’euros le coût
d’une pandémie du type de celle de la grippe espagnole de 1918‑1920.

412
Partie 1. Chapitre 14.
Veille et sécurité sanitaires, gestion des situations sanitaires exceptionnelles

–  des fiches décrivant les modalités de mise en œuvre des mesures de


réponse, avec leur gradation en fonction de l’impact de la pandémie ;
–  un guide de déclinaison territoriale du plan ;
–  un guide d’aide à l’organisation d’une campagne de vaccination excep-
tionnelle ;
–  un guide de distribution de produits de santé aux échelons territoriaux ;
–  un guide d’élaboration des plans de continuité d’activité, pour les admi-
nistrations, collectivités et entreprises.
Le plan détaille les mesures à prendre de façon chronologique. Une pre-
mière partie est consacrée à l’anticipation du problème et à la préparation des
acteurs, qui doivent, chacun dans son secteur, définir les mesures de réponse.
Il s’agit en pratique d’élaborer des plans d’action définissant le rôle de chacun
des acteurs, les procédures à mettre en œuvre, les déploiements de moyens
humains et matériels nécessaires et les grandes lignes de la stratégie de com-
munication. Ces plans doivent être actualisés régulièrement (ne serait-ce que
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
pour tenir à jour les annuaires…) et sont complétés par la constitution de
stocks de produits de santé (médicaments antiviraux) et de dispositifs médi-
caux (masques, gants…), ainsi que par l’identification de personnels de réserve
destinés à renforcer ou remplacer les équipes. À ce titre, les modalités de
mobilisation des bénévoles doivent être précisées. Des exercices doivent être
réalisés pour entraîner les personnels et vérifier la bonne tenue des organisa-
tions prévues. Il est aussi pertinent de prévoir d’emblée l’évaluation des
actions menées dans une perspective de recherche opérationnelle.
Plus précisément dans le domaine sanitaire, il faudra préparer :
–  le renforcement de la surveillance épidémiologique, des capacités d’ana-
lyse et de simulation (y compris la veille scientifique dans le champ de la santé
animale), ainsi que des dispositifs de diagnostic biologique. Ces éléments seront
complétés par la mise en place d’indicateurs d’évaluation et de suivi des moda-
lités de préparation ;
–  le renforcement des moyens de prise en charge hospitalière et ambulatoire des
malades et des personnes ayant été à leur contact (SAMU-centres 15, services d’in-
fectiologie, capacités d’isolement, notamment) en prêtant une attention particulière
aux populations les plus vulnérables (enfants, personnes âgées, femmes enceintes,
malades chroniques, etc.), ce qui implique fortement les collectivités territoriales ;
–  l’utilisation des produits de santé, dispositifs médicaux et matériels néces-
saires, ce qui correspond à des activités d’acquisition, de stockage, de sécuri-
sation des installations de production et de stockage, de vérification régulière
de la disponibilité26, de conception des dispositifs de distribution (« Schéma
logistique de distribution des produits et équipements de santé »). Le cas
échéant, à cette phase de préparation, il peut être décidé de se doter de moyens
nouveaux (recherche et développement) ;

26. L’épidémie à Covid-19 a montré que le choix d’un approvisionnement en équipements de pro-
tection à flux tendu, en se reposant sur le fonctionnement de chaînes de production et de logistique
à l’échelle planétaire, pouvait être une option périlleuse. Un problème identique peut se rencontrer
avec les médicaments ou les vaccins (➠ Chapitre 15).

413
Partie 1. Les fondamentaux

–  le renforcement de la formation des professionnels et de la sensibilisation


de la population au respect des règles d’hygiène, qui s’accompagnera de la mise
à disposition des outils nécessaires (masques, solutions hydroalcooliques…) ;
–  la mise en œuvre d’une campagne de vaccination : définition d’une stra-
tégie vaccinale, disponibilité du vaccin, formation des professionnels, sensibi-
lisation du public) ;
–  la contribution de la recherche (notamment les sciences humaines) dans
le domaine ;
–  les articulations au niveau international, tout particulièrement l’applica-
tion du Règlement sanitaire international : contrôle sanitaire aux ­frontières,
plateformes aéroportuaires accueillant les avions en provenance de zones très
touchées. Il est aussi envisageable de procéder à des productions ou achats
groupés de matériels ou produits. La situation des citoyens français résidant à
l’étranger doit être aussi traitée (conseillers médicaux des ambassades…).
Toutes ces mesures ont souvent, en plus de leur dimension technique, une
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
dimension financière et une dimension juridique, notamment en raison des
limites apportées à la circulation des personnes et des biens.
C’est aussi à cette étape de préparation que doivent être conçus les plans
de continuité d’activité (PCA) pour les services publics, les administrations
et les entreprises. Ces PCA sont particulièrement cruciaux pour les opérateurs
d’importance vitale, tels que les services de santé, les réseaux d’énergie,
les outils de maintien de l’ordre public, notamment. Les PCA définissent les
activités devant être prioritairement préservées, les redéploiements de per-
sonnels et de moyens, les modalités de télétravail, etc.
Viennent ensuite des indications – car tout ne peut être prévu et qu’il
importe de pouvoir s’adapter à la réalité rencontrée, tout particulièrement à la
survenue de vagues épidémiques successives – sur les actions à mener lorsque
la pandémie est installée et qu’il faut la combattre. Afin de limiter l’introduction
du virus et le développement initial de la maladie (phase dite de freinage), il
faut identifier les cas ainsi que les sujets contacts, les isoler si nécessaire et
les prendre en charge de façon rapide (prophylaxie antivirale précoce). La
recherche des personnes concernées se doit d’être active (dépistage systéma-
tique à l’arrivée de certaines destinations dans les aéroports, information des
voyageurs, campagnes de sensibilisation relatives aux symptômes de la maladie
et aux recours immédiats disponibles, par exemple). Par ailleurs, la phase de
freinage est aussi la période au cours de laquelle sont préparées les mesures
de la phase ultérieure : campagne de vaccination, distribution des matériels et
produits, préparation de l’engagement des moyens curatifs.
Si malgré les mesures mises en œuvre initialement, l’épidémie se déve-
loppe et qu’une vague épidémique s’annonce, il faut alors réorienter les
moyens, en cessant de rechercher les sujets contacts et en se concentrant sur
la réduction des effets sanitaires de la pandémie. La transition entre les deux
attitudes doit être progressive et expliquée afin notamment de ne pas accréditer
l’idée que les mesures initiales n’étaient pas pertinentes ou bien qu’au
contraire on n’est plus en état de faire le nécessaire. Il faut maintenir la
confiance de la population dans les mesures de gestion.

414
Partie 1. Chapitre 14.
Veille et sécurité sanitaires, gestion des situations sanitaires exceptionnelles

Au cours de la vague pandémique, dans le cadre de mesures dites d’atté-


nuation, il faut tenter de réduire le nombre de personnes susceptibles d’être
contaminées (donc règles d’hygiène, réduction des contacts, limitation des
déplacements, arrêt de certaines activités non essentielles, fermeture d’éta-
blissements scolaires, interdiction des regroupements de populations), opti-
miser la prise en charge des malades selon les critères de priorité établis
(prophylaxie antivirale, isolement, vaccination). La phase d’atténuation des
conséquences de la vague épidémique durant entre huit et douze semaines,
il est souhaitable de s’appuyer le plus possible sur l’organisation hospitalière
et ambulatoire habituelle, en évitant de multiplier les dispositions exception-
nelles qui peuvent être difficiles à maintenir dans la durée. L’organisation
d’une campagne de vaccination de masse doit être décidée et pilotée en tenant
compte des caractéristiques médicales et biologiques de l’épidémie, du type
de vaccin choisi (mono-dose ou multi-dose), de l’importance numérique, des
caractéristiques et de la répartition spatiale de la population27, des contraintes
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
logistiques, des acteurs mobilisables pour la campagne (acteurs des soins de
santé primaires : médecins généralistes, infirmiers, pharmaciens…).
Enfin, les actions à mener après l’épidémie, c’est-à-dire après le passage
sous le seuil épidémique (➠ Chapitre 3) sont développées. Elles constituent
une étape parfois négligée, ce qui est très regrettable, car elles permettent
d’évaluer l’impact global de l’épidémie, de réaliser les retours d’expérience
pour améliorer le dispositif de réponse et de prendre les décisions utiles pour
faire face à une éventuelle vague à venir de la même pandémie (par exemple,
poursuivre une campagne de vaccination).

14.4. Les questions éthiques

Elles ne doivent pas être négligées ni à la phase de préparation, ni à la


phase de gestion d’une situation exceptionnelle. En effet, ces situations,
qu’elles soient dues à une pandémie, un accident technologique ou une attaque
terroriste, peuvent mettre à l’épreuve la cohésion sociale (panique, rejet des
malades, refus des files d’attente, agression des personnels…). Il importe
donc de prendre en compte le questionnement éthique le plus en amont pos-
sible afin de faire les choix les mieux tolérés par la population et de pouvoir
les expliquer en toute transparence – ainsi peut-on espérer favoriser l’impli-
cation de tous dans la réponse. Il faut ainsi pouvoir justifier de mesures de
priorité d’accès aux soins (par exemple, pour une vaccination ou une prise
en charge intensive), de l’attention particulière apportée aux groupes

27. Cette considération géographique n’est pas limitée à l’organisation d’une campagne de vacci-
nation, mais est de portée plus générale. Ainsi, lors de l’extension de l’épidémie à Covid-19, certains
territoires ont pu être atteints plus précocement et plus intensément que d’autres, assez proches,
possiblement en raison de la survenue de situations de concentration de population, permettant des
contaminations massives en peu de temps : match de football d’une équipe de Bergame, en Italie du
Nord, rassemblement religieux en Alsace, carnaval de la Nouvelle-Orléans en Louisiane…

415
Partie 1. Les fondamentaux

vulnérables, de réquisition de personnels, dont la santé sera mise en danger,


d’incitations faites à adopter certains comportements préventifs, de restrictions
diverses aux libertés publiques et individuelles.
Encadré n° 4. Les recommandations du Comité consultatif national d’éthique
(CCNE) à propos d’une pandémie grippale

La citation qui suit correspond aux dernières lignes de l’avis n° 106 du 5 février 2009. Les
termes en sont tout à fait actuels.
« Au terme de son analyse des questions éthiques relatives à la pandémie grippale, mais qui
serait valide pour toute épidémie présentant les mêmes caractéristiques, le CCNE souhaite
formuler les recommandations suivantes :
1. Il est urgent, quelle que soit l’incertitude sur la date de survenue d’une future pandémie
grippale et en raison même de cette incertitude, que la population soit mieux informée :
a. De la nature et des conséquences possibles d’une grippe due à un nouveau virus. Un
des objectifs essentiels des pouvoirs publics, avec le soutien des grands moyens d’in-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
formation, doit être de rassurer, préparer et éviter le plus possible les réactions de
panique, avec leurs corollaires de violences. Les préoccupations pragmatiques et stra-
tégiques visant à enrayer au plus vite l’extension de la pandémie ne sont pas incompa-
tibles avec les exigences éthiques. La connaissance par la population des règles éthiques
qui devront être appliquées en cas de crise sanitaire pandémique, conditionne, au
contraire, l’efficacité de la stratégie de lutte contre la propagation virale.
b. Du contenu du plan de lutte français, afin que chaque personne, dans son environne-
ment familial et social, puisse être consciente de ses propres responsabilités dans ce plan.
c. De la nécessité de définir des priorités pour l’accès à la vaccination ou à d’autres moyens
de prévention, ainsi que des critères fondant ces priorités et des règles d’éthique qui
auront été prises en compte.
Pour être efficace, cette communication devrait être faite par différents canaux et sous
différentes formes et être répétée au cours du temps, comme les pouvoirs publics ont su
le faire pour d’autres questions de santé publique majeures, comme la préconisation de la
limitation à la prescription d’antibiotiques.
2. La diffusion de la pandémie pouvant être extrêmement rapide, les procédures de mise
en œuvre des mesures de lutte devraient être définies de manière très précise, aussi
rapidement que possible. Cette recommandation concerne aussi bien la mise à disposi-
tion de médicaments antiviraux pour les pays n’ayant pas les moyens d’en constituer des
stocks que des mesures d’application nationale. Dans un souci de respect de l’autonomie,
de transparence et d’efficacité, toutes les personnes concernées par ces mesures devraient
être informées de leurs droits et devoirs.
3. Les difficultés chroniques de certains maillons de notre système de santé (urgences en
particulier) imposent une évaluation approfondie, par des études ad hoc, de l’impact d’une
pandémie grippale sur le système de soins hospitaliers. Les recherches organisationnelles,
les recherches sur les outils d’aide à la décision médicale en situation pandémique, avec
une part d’incertitude, et les recherches visant à évaluer l’efficacité de mesures non médi-
cales de lutte contre la pandémie pourraient constituer des priorités.
4. Enfin, l’état d’urgence sanitaire ne saurait justifier, sauf circonstance d’une exceptionnelle
gravité, le sacrifice du respect de la vie privée des personnes et de la confidentialité des
informations afférentes à leur santé28. »

28. Ce sujet trouve une illustration très concrète avec la perspective ou même la concrétisation du
recours à l’exploitation de données individuelles de géolocalisation (smartphones) dans le cas d’un
suivi épidémiologique.

416
Partie 1. Chapitre 14.
Veille et sécurité sanitaires, gestion des situations sanitaires exceptionnelles

Il est hautement souhaitable, de façon générale, d’être capable de montrer


que les mesures prises sont adaptées à la situation rencontrée et d’affirmer
que la société assurera une fonction de solidarité envers tous ceux qui auraient
été victimes de leur action (professionnels et collaborateurs occasionnels du
service public), ainsi qu’envers leur famille.

Points clés
• La veille et la sécurité sanitaires occupent une place importante dans les poli-
tiques de santé actuelles, sous l’influence notamment de diverses crises (affaire
du sang contaminé, pandémie grippale, encéphalite spongiforme bovine…) et
des menaces persistantes d’épidémie majeure, d’incident industriel (explosion
de l’usine AZF, à Toulouse, ou de la centrale nucléaire de Tchernobyl…) ou
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
d’attaques terroristes. En France, des organisations spécifiques se sont progres-
sivement mises en place, souvent en réaction à ces crises, ce qui aboutit à des
dispositifs parfois assez complexes.
• La réponse à une situation exceptionnelle à origine ou composante sanitaire
est susceptible de mobiliser de nombreux acteurs : ministère de la Santé (DGS,
CORRUSS), Santé publique France, autres agences nationales, autres ministères,
préfets, ARS, CIRE, zones de défense et de sécurité, établissements de santé et
médico-sociaux, collectivités territoriales, nécessitant donc une coordination
des acteurs. En ce qui concerne l’action des agences sanitaires nationales, cette
tâche est assurée par le CASA, Comité d’animation du système d’agences, et
plus généralement par la Direction générale de la santé (DGS), qui assure une
fonction de pilotage d’ensemble.
• En cas de situation critique, ce sont les services de l’État qui sont activés au
niveau national par le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur dans le cadre
d’une cellule interministérielle de crise, au niveau local par le préfet avec un
centre opérationnel départemental. En cas de besoin, le niveau zonal peut être
aussi activé.
• En matière de sécurité sanitaire, dont la veille est un maillon, les actions s’en-
chaînent ainsi de façon générale :
– Recueil et traitement des signaux. Il est ici important de favoriser une décla-
ration la plus large possible des événements susceptibles de porter atteinte
à la santé publique, puis d’analyser les signaux afin d’en valider l’existence et
de qualifier le phénomène en cours.
– Mobilisation d’une expertise pluridisciplinaire afin de déterminer le plus
précisément possible la portée exacte de la situation, d’anticiper ses consé-
quences, qu’elles soient sanitaires ou socio-économiques. Cette étape
débouche sur des propositions d’actions en réponse au problème.
– Mise en œuvre des mesures de gestion. Une attention particulière sera accor-
dée à la phase délicate de sortie de crise ou des mesures exceptionnelles. Par
ailleurs, qu’elles que soient l’urgence et la gravité, une vigilance éthique est
de mise afin de ne pas porter atteinte de façon indue aux libertés fondamen-
tales des individus.

417
Partie 1. Les fondamentaux

– Communication à destination des victimes, de leur entourage, des profession-


nels et de la population générale. La communication a pour objet, d’une part,
de transmettre les recommandations et consignes faisant partie des mesures
de gestion, et, d’autre part, d’apporter une information de référence sur la
situation et la justification des mesures prises.
– Évaluation des actions menées. L’évaluation est d’une certaine façon effectuée
en continu, constituant un outil de pilotage de la gestion de la situation. Elle
intervient aussi, de façon plus formelle, dans la phase de bilan postcritique,
sous forme par exemple de retours d’expérience, afin d’améliorer le dispositif
existant et de préparer la réponse à une future situation exceptionnelle.
• La préparation de la réponse aux situations exceptionnelles repose sur l’élabora-
tion de plans qui visent à prévoir l’organisation à mettre en place en cas de néces-
sité, avec les modalités de redéploiement des moyens humains et matériels que
cela suppose. Il existe des plans nationaux et d’autres locaux. Certains plans sont
de la responsabilité des établissements (plans blancs pour les établissements de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
santé, plans bleus pour les établissements médico-sociaux, plans locaux de ges-
tion d’une épidémie), d’autres sont de niveau préfectoral (ORSEC, plans blancs
élargis) ou arrêtés par les directeurs généraux d’ARS (dispositifs ORSAN). Au
niveau international s’appliquent les dispositions du Règlement sanitaire inter-
national.
• Le plan Pandémie grippale français constitue un bon exemple de plan global
de préparation d’un pays à une situation sanitaire exceptionnelle de très grande
ampleur. La version actuelle du plan a tiré parti de l’expérience de la gestion de
la pandémie A (H1N1) de 2009‑2010.

Pour en savoir plus


L. Abenhaim, Canicules. La santé publique en question, Fayard, 2003.
Ministère des Solidarités et de la Santé, Guide d’aide à la préparation et à la gestion
des tensions hospitalières et des situations sanitaires exceptionnelles, 2019.
M. Setbon, Risques, sécurité sanitaire et processus de décision, Elsevier-Masson, 2004.
Chapitre 15
Le médicament
Philippe Naty‐Daufin

Objectifs pédagogiques
Connaître :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  Les principes de classification des médicaments
–  Les différentes étapes du cycle de vie d’un médicament
–  Les principes des essais pré-cliniques et cliniques
–  La procédure d’autorisation de mise sur le marché (AMM)
– La procédure de détermination du prix du médicament et de son taux de
remboursement
–  Les principes d’organisation et de fonctionnement de la pharmacovigilance
– Les principaux acteurs de la chaîne de fabrication et de distribution du médi-
cament
–  Des bases concernant la propriété intellectuelle du médicament
–  Des bases sur l’encadrement des dispositifs médicaux

Des premiers remèdes, basés sur des savoirs empiriques et entourés de


magie, aux thérapies actuelles, qui sont le fruit des progrès continus de la
science, le médicament s’est toujours distingué des autres produits par son
objectif : rendre la santé à celui qui est malade. C’est cet emploi au service
de ce que l’être humain a de plus vital, sa santé, qui rend tout ce qui touche
au médicament aussi complexe, sensible et parfois même paradoxal. La régu-
lation du médicament cherche en continu un équilibre permettant d’améliorer
la sécurité et de favoriser l’innovation, c’est-à-dire l’émergence de nouvelles
thérapies qui doivent être à la fois plus efficaces et sûres, tout en étant finan-
cièrement soutenables pour les budgets sociaux.
Au-delà de tous les débats qui entourent l’économie du médicament (une
dépense pour certains, un investissement pour d’autres), il ne faut pas perdre
de vue les formidables progrès accomplis depuis les années 1950 : une aug-
mentation considérable du nombre de traitements disponibles afin de prendre
en charge un spectre de plus en plus large de pathologies, des médicaments
plus efficaces qui allongent la durée de vie et/ou en améliorent la qualité de
vie, un accès beaucoup plus étendu (y compris dans les pays en voie de déve-
loppement), une régulation bien plus stricte qui peut s’appuyer sur de nou-
velles méthodes d’analyse et de recherche des risques, un réseau de distribution

419
Partie 1. Les fondamentaux

plus large et sécurisé, une simplicité d’emploi croissante… Évidemment, il


ne s’agit pas de minorer tous les scandales passés et les déficiences qui ont
pu exister, notamment du point de vue éthique, mais néanmoins le médica-
ment représente un incontestable apport à l’humanité.
Dans ce chapitre consacré aux fondamentaux, nous allons nous intéresser
à la nature du médicament, à son cycle de vie, à son évaluation et à la déter-
mination de son prix, ainsi qu’aux acteurs de sa commercialisation. Le
­chapitre 19 traitera des grands enjeux actuels du médicament : développements
à venir, médecine personnalisée, régulation des dépenses, usages et iatrogénie,
communication, éthique, lutte contre la contrefaçon et les pénuries.

15.1. Une brève histoire du médicament


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Depuis des temps immémoriaux, l’homme utilise des plantes et diverses
substances pour se soigner. Dès l’Antiquité, des savants, tels qu’Imhotep en
Égypte ou Hippocrate en Grèce, ont mené des travaux afin de nommer les
pathologies et de répertorier les thérapeutiques connues. Un des premiers
témoignages écrits de ces recherches est le papyrus Ebers, un lointain ancêtre
de la Pharmacopée daté de 1550 av.  J.-C., qui donne la liste de plusieurs
centaines de remèdes pour des troubles cutanés, oculaires, gynécologiques…
À cette époque, la médecine et la pharmacie sont encore intimement liées à
la sphère religieuse et magique. Cette approche purement empirique perdure
pendant des siècles jusqu’à la fin du Moyen Âge.
Une des premières tentatives d’introduction de la rationalité dans la
recherche de nouveaux remèdes est le fruit des travaux du moine Paracelse,
qui, sur la base des savoirs antiques, formula la théorie des « signatures »,
qui postulait que « les semblables soignent les semblables ».
La nature de la signature du remède pouvait être très variable : une similarité
de forme entre un organe et une substance naturelle, la survie d’une plante dans
le milieu naturel où survient la maladie… C’est sur la base de ce raisonnement
que l’on utilisa avec succès un extrait de saule, qui pousse dans les marais, pour
soigner les rhumatismes (l’efficacité provenant de l’acide salicylique, le principe
actif de l’aspirine). Dans d’autres cas, les remèdes identifiés s’avérèrent inactifs
ou toxiques. Par la suite, l’exploration de nouveaux continents allait permettre,
sur la base des travaux botaniques et d’observations de la médecine traditionnelle,
la multiplication des découvertes : quinquina1, coca2…

1. Cinchona officinalis : son écorce contient des alcaloïdes qui ont des propriétés antipaludiques.
Il fut découvert empiriquement par les Indiens des plateaux andins et importé en Europe à la fin du
xvie siècle par les jésuites du Pérou.
2. Erythroxylum coca : ses feuilles contiennent différents alcaloïdes, dont la coca, qui peut être
utilisé en médecine pour ses propriétés stimulantes, vasoconstrictrice… Connu des populations
d’Amérique du Sud depuis des millénaires, le coca fut décrit par Nicolas Monardés de Séville, un
naturaliste espagnol, à la fin du xvie siècle. Ses mécanismes d’action furent élucidés environ deux
siècles plus tard.

420
Partie 1. Chapitre 15.
Le médicament

Plus tard, le développement des sciences a permis l’émergence de la phar-


macie moderne, avec l’isolement des premiers principes actifs (morphine en
1804), les premières synthèses (acide acétylsalicylique en 1853) ainsi que le
développement des premiers vaccins, dont les prémices sont développées dès
1796 par Edward Jenner pour lutter contre la variole, après que les Chinois,
les Perses et les Turcs ont mené des tentatives assez similaires et avant que
Pasteur ne concrétise ces travaux en 1885 en créant le premier vaccin contre
la rage.
Depuis lors, le développement exponentiel des savoirs et des technologies
a permis l’utilisation à grande échelle de médicaments de plus en plus effi-
caces et couvrant un nombre croissant de pathologies (maladies cardio-
vasculaires, auto-immunes, cancers…). Si certaines de ces découvertes ont
révolutionné la médecine, à l’instar des antibiotiques, développés à partir des
années 1930, d’autres ont occasionné des scandales sanitaires de grande
ampleur (comme le scandale de la thalidomide en 1961 ou celui du Mediator
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
en 2010). Des questionnements éthiques sur les « habitudes de consomma-
tion » de certains médicaments (par exemple, la Ritaline ou les antalgiques
opiacés aux États-Unis, les antidépresseurs ou les antibiotiques en France) et
leurs conséquences sanitaires ont également émergé à la suite du fort déve-
loppement de l’offre et aux attentes qui en ont découlé. Dans certains cas, il
est bien difficile d’objectiver le besoin ou non de la prescription d’une
thérapie.
Aujourd’hui, le progrès thérapeutique demeure continu et deux grandes
révolutions, dont les résultats seront sans doute synergiques, se profilent : la
personnalisation des traitements et le passage d’une approche palliative (qui
ne vise qu’à atténuer ou masquer le mal pour prolonger la vie du malade
dans les meilleures conditions possibles) à une approche curative qui réta-
blirait le fonctionnement « normal » du corps humain pour certaines patholo-
gies. Ces changements de grande ampleur ne seront pas sans conséquences
sur nos systèmes de santé et les logiques industrielles qui ont favorisé le
développement des nouveaux médicaments depuis les années 1950.
C’est parallèlement à cette histoire du progrès thérapeutique que se sont
construits les dispositifs de régulation nécessaires à une utilisation la plus
sécurisée possible du médicament : monopole pharmaceutique, autorisation
de mise sur le marché, mise en place des agences sanitaires, encadrement de
la promotion…
Le développement de la démocratie sanitaire, le principe de précaution et
la possibilité d’actions de groupe en justice pour poursuivre un industriel ou
un acteur public qui aurait commis une négligence sont en train de modifier
le fonctionnement des acteurs, en poussant à davantage de transparence et à
des mesures de sécurité croissantes.

421
Partie 1. Les fondamentaux

15.2. Une approche normative du médicament :


définitions et classifications

La définition et la classification des médicaments poursuivent plusieurs


buts. Les définitions légales du médicament et de ses sous-catégories visent
à identifier clairement les produits auxquels s’appliquent des exigences par-
ticulières afin de protéger la santé publique. Les systèmes de classification
des médicaments ont pour objectif d’assurer l’intégrité de la transmission
d’information entre les différents acteurs de la chaîne du médicament et ainsi
de sécuriser son usage.
La définition générale du médicament, portée par l’article L. 5111‑13 du
Code de la santé publique, lui-même issu d’une harmonisation décidée au
niveau européen4, repose sur deux approches complémentaires qui per-
mettent à la fois de s’assurer que toute substance prétendant être un médica-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
ment sera bien soumise à son cadre juridique (notion de médicament par
présentation) et que toute substance qui présente les caractéristiques d’un
médicament mais ne revendique pas forcément le statut de médicament devra
respecter l’encadrement réglementaire (notion de médicament par fonction).
En cas de doute, le produit sera considéré par défaut comme un médicament.
L’objectif de cette définition est de lutter contre la charlatanerie et les trafics
ainsi que de permettre à l’État de contrôler la qualité des médicaments.
Le développement des technologies et la multiplication des situations par-
ticulières a conduit à l’émergence progressive de sous-catégories de médica-
ments, qui sont définies dans le Code de la santé publique sur la base de leur
mode de préparation ou lieu de délivrance (par exemple, les différents types
de préparation5), de leur nature (les médicaments biologiques), de la popu-
lation cible (les médicaments pédiatriques), de leur mode de financement (les
médicaments de la liste en sus de la tarification à l’activité ou T2A) ou encore
de l’épidémiologie des pathologies qu’ils sont destinés à soigner (cas des
médicaments orphelins6).

3. « On entend par médicament toute substance ou composition présentée comme possédant des
propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales, ainsi que toute
substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou chez l’animal ou pouvant leur
être administrée, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs
fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabo-
lique. Sont notamment considérés comme des médicaments les produits diététiques qui renferment
dans leur composition des substances chimiques ou biologiques ne constituant pas elles-mêmes des
aliments, mais dont la présence confère à ces produits, soit des propriétés spéciales recherchées en
thérapeutique diététique, soit des propriétés de repas d’épreuve. Les produits utilisés pour la dé-
sinfection des locaux et pour la prothèse dentaire ne sont pas considérés comme des médicaments.
Lorsque, eu égard à l’ensemble de ses caractéristiques, un produit est susceptible de répondre à
la fois à la définition du médicament prévue au premier alinéa et à celle d’autres catégories de
produits régies par le droit communautaire ou national, il est, en cas de doute, considéré comme
un médicament. »
4. Directive 2004/27/CE.
5. Art. L. 5121‑1 du Code de la santé publique.
6. Prévalence inférieure à 5/10000.

422
Partie 1. Chapitre 15.
Le médicament

Au-delà de ces sous-catégories, le Code de la santé publique7 prévoit une


classification des substances et préparations vénéneuses (champ qui inclut
les médicaments) selon leur niveau de dangerosité. Cette classification prévoit
un durcissement des conditions d’accès selon la dangerosité du produit (par
ordre de dangerosité croissant : non listé, liste II, liste I puis stupéfiant), comme
résumée dans le tableau n° 1.

Tableau 1. Conditions de délivrance en fonction de l’inscription


du médicament sur les listes I, II ou des stupéfiants

Type d’ordonnance Durée maximale de Quantité maximale


Classification
pour la prescription la prescription délivrée
Traitement pour 30
Ordonnance simple
jours
Liste II renouvelable sauf men- 12 mois
(3 mois pour les
tion contraire
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
contraceptifs)
Ordonnance simple non
renouvelable sauf men-
Traitement pour 30
Liste I tion contraire précisant 12 mois
jours
le nombre de renouvel-
lements autorisé
Traitement pour 7 à
Stupéfiants Ordonnance sécurisée Entre 7 et 28 jours
28 jours

Par ailleurs, il existe de multiples classifications des médicaments, iden-


tifiés de manière unique par la Dénomination commune internationale (DCI)
de leur principe actif. Les deux classifications les plus utilisées au niveau
international sont la classification Anatomical Therapeutic Chemical (ATC)
et la classification de l’European Pharmaceutical Marketing Research
Association (EphMRA). La première, développée par l’OMS, est surtout
utilisée en santé publique, tandis que la seconde est davantage utilisée par
les industriels à des fins d’analyse de marché. Elles rassemblent les médica-
ments sur la base de leur appartenance à une famille chimique et de leurs
utilisations thérapeutiques.

15.3. Les principes de base de la pharmacologie

La pharmacologie est l’étude des propriétés et des effets thérapeutiques


et/ou toxiques des principes actifs (la formulation d’un médicament comprend
également des excipients qui n’agissent pas par eux-mêmes sur l’organisme
mais qui ont pour objectif de permettre de diverses manières l’action du
principe actif : protection, libération…).

7. Art. R. 5132‑1 du Code de la santé publique.

423
Partie 1. Les fondamentaux

15.3.1. La compréhension du mécanisme d’action


du médicament sur l’organisme :
la pharmacodynamique
L’activité d’un principe actif (parfois également dénommé « ingrédient
pharmaceutique actif » [IPA] ou encore « ligand ») repose le plus souvent
sur une interaction entre celui-ci et un récepteur (ou cible) de l’organisme
humain ou d’un agent pathogène (bactérie, virus ou champignon). De
manière imagée, cette interaction est souvent présentée comme celle
d’une clé dans une serrure, tant l’affinité entre le principe actif et sa cible
doit être grande. Il existe de très nombreux types de récepteurs. Les prin-
cipaux sont présents à la surface des cellules ou dans le cytoplasme8. Il
peut s’agir de récepteurs couplés à la protéine G9, de canaux ioniques,
d’enzymes…. La cible peut également être un segment d’ADN ou d’ARN
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
et être localisée dans le noyau cellulaire. Le résultat de cette interaction
est une cascade de réactions moléculaires (phénomène dit de transduction
du signal) qui va aboutir à une réaction cellulaire (effet microscopique du
médicament ; par exemple, la production d’une hormone comme l’insuline),
puis à une réponse globale de l’organisme qui sera ressentie par l’individu
(effet macroscopique du médicament ; par exemple, une baisse de la
glycémie).
À côté de ce schéma général, d’autres modes d’action sont possibles. Par
exemple, le mode d’action des vaccins est bien différent (➠ Chapitre  12).
Il s’agit d’une action indirecte via une sensibilisation (un « entraînement »)
du système immunitaire à attaquer une cible pré-identifiée, en l’occurrence
un agent infectieux (virus ou bactérie) ou demain toute autre cible dans le
cadre de l’immunothérapie (par exemple, des cellules cancéreuses).
Le concept de « gène médicament » repose quant à lui sur l’insertion d’un
gène dans une cellule afin de modifier son fonctionnement, par exemple afin
de produire une protéine déficiente.

15.3.2. La compréhension du devenir du médicament


dans l’organisme : la pharmacocinétique
Il s’agit de l’étude quantitative du devenir du principe actif dans l’orga-
nisme. Après son absorption par le patient, le médicament connaît un che-
minement dont les principales étapes sont décrites par le cycle LADME
(libération, absorption, distribution, métabolisme, élimination) :
–  La première phase est celle de la libération dans l’organisme du principe
actif ; elle peut être rapide ou prolongée (par exemple, dans le cas des compri-
més LP – libération prolongée).

8. Le cytoplasme est le milieu aqueux présent à l’intérieur des cellules.


9. La protéine G permet le transfert d’informations à l’intérieur d’une cellule.

424
Partie 1. Chapitre 15.
Le médicament

–  La seconde phase est celle de l’absorption du médicament dans le tractus


digestif.
–  La troisième phase, appelée « distribution », est celle de la diffusion du
principe actif dans l’organisme. Elle s’effectue par le sang ou la lymphe et
s’accompagne d’échanges continus avec les tissus. Seule la fraction libre du
médicament (non liée aux protéines circulantes10) peut diffuser dans les tissus
et être ainsi active avant de retourner dans le sang pour être métabolisée puis
éliminée. La quantité de médicament qui va se diriger vers les différents organes
dépend de l’affinité tissulaire, de la vascularisation de l’organe et du volume de
celui-ci. Il est à noter que des zones de l’organisme restent inaccessibles à cer-
taines molécules ; c’est notamment le cas du cerveau du fait de la protection que
lui confère la barrière hémato-encéphalique.
–  La quatrième phase est celle de la métabolisation du médicament par des
enzymes très souvent localisées au niveau hépatique.
–  La dernière phase est l’élimination de la molécule de l’organisme, qui se
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
fera principalement par passage dans les urines ou dans les selles.
Les paramètres clés qui mesurent les étapes précédemment décrites sont
la biodisponibilité (fraction de la dose qui passe dans le sang), le Cmax (concen-
tration plasmatique maximale de la molécule), le Tmax (temps entre l’admi-
nistration et l’atteinte du pic de concentration plasmatique), le volume de
distribution (plus il est élevé, plus le médicament diffuse profondément dans
l’organisme), la demi-vie (durée au bout de laquelle la concentration plas-
matique en médicament diminue de moitié ; en cas d’administration unique,
97 % de la substance est éliminée au bout de cinq demi-vies), et la clairance
(volume de sang épuré de la molécule par unité de temps, souvent exprimée
en mL/min). La bioéquivalence, qui doit être prouvée lors du développement
d’un médicament générique, consiste en une variation maximale de plus ou
moins 10 % des Tmax, Cmax et de la biodisponibilité par rapport au médicament
princeps, soit une marge de 20 % comparable aux écarts de métabolisme
qui peuvent concerner les principes actifs selon les caractéristiques biologiques
propres à chaque individu. Certaines voies d’administration (comme l’injec-
tion intraveineuse ou intramusculaire) permettent d’éviter une partie de ces
phases et donc de préserver le principe actif des pertes et dégradations qu’il
peut subir dans le système digestif.

15.4. Les principales étapes du cycle de vie du médicament :


de sa découverte à la pharmacovigilance

Le cycle de vie d’un médicament se découpe en plusieurs phases et s’étend


sur plusieurs décennies. Après une phase de développement, qui prend environ
une dizaine d’années, l’exploitation commerciale pourra durer bien plus long-
temps, d’abord en tant que médicament princeps (avec un monopole légal,

10. Par exemple, l’albumine.

425
Partie 1. Les fondamentaux

car protégé par des brevets et l’autorisation de mise sur le marché) puis
comme générique (pouvant alors être produit et commercialisé par n’importe
quel industriel). Tout au long de cette exploitation, le médicament fera l’objet
d’une surveillance destinée à assurer sa sécurité d’emploi. Il pourra également
faire l’objet de nouvelles études pour ouvrir son utilisation à de nouvelles
indications, parfois bien longtemps après sa découverte, comme dans le cas
de la thalidomide, pour laquelle de nouvelles perspectives thérapeutiques
semblent s’ouvrir11.

15.4.1. De multiples sources pour de nouvelles découvertes


En pratique, la découverte de très nombreux médicaments a été empirique
et fortuite, et réalisée à partir de molécules naturellement présentes dans des
plantes ou des substances animales (comme les venins) ou synthétisées en
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
laboratoire. Par exemple, la découverte de la pénicilline par Fleming s’est
faite par hasard à la suite de la contamination de cultures de staphylocoques
par le champignon Penicillium notatum.
À partir des années 1950, la recherche pour la mise au point de nouveaux
médicaments a été de plus en plus conduite par des grands groupes industriels
qui se sont spécialisés sur ce champ. La détection du potentiel thérapeutique
des molécules est désormais réalisée par des techniques dites de screening,
qui permettent de tester de manière complètement automatique l’activité thé-
rapeutique de centaines ou de milliers de molécules par jour (screening à
haute ou très haute vitesse).
Le progrès des thérapeutiques médicamenteuses peut aujourd’hui résulter
de la découverte d’un nouveau principe actif, de la mise en évidence d’une
propriété inconnue d’une molécule existante ou de la synthèse d’une protéine
(bio-médicament) sous sa forme originale (pour pallier un déficit) ou dans
une configuration inédite. La combinaison de plusieurs principes actifs et le
développement d’une nouvelle forme galénique peuvent également apporter
une plus-value, tant pour l’efficacité individuelle qu’en matière de santé
publique. À ces axes « classiques » s’ajouteront dans les années à venir la
révolution des nanotechnologies, une optimisation de l’utilisation des médi-
caments grâce aux nouvelles technologies, l’utilisation de micro-organismes
à des fins thérapeutiques (par exemple, des bactériophages pour lutter contre
les bactéries multi-résistantes), une capacité à moduler l’expression de gènes
ou à diriger l’action du système immunitaire (immunothérapie), les thérapies
géniques (ajout d’un gène dans l’organisme) ou cellulaire (réparation d’un
organe)…

11. La thalidomide était utilisée dans les années 1950 comme sédatif ou antinauséeux, notamment
chez les femmes enceintes. La découverte de ses effets tératogènes provoqua un scandale sanitaire
majeur aboutissant à son retrait du marché mondial. La molécule est de nouveau en usage aujourd’hui
en raison de ses propriétés immunomodulatrices et antitumorales.

426
Partie 1. Chapitre 15.
Le médicament

15.4.2. Le développement des nouveaux médicaments


La découverte du médicament est le point de départ d’un long processus
qui se terminera, dans le meilleur des cas, par sa mise sur le marché. Le
développement d’un médicament combine différentes phases : le dépôt de
brevets pour s’assurer des revenus en cas d’exploitation commerciale via un
monopole légal, le développement d’une capacité de production adéquate,
des travaux de market access pour maximiser la valeur pouvant être générée
par le futur produit (optimisation du choix des indications et des études
conduites en fonction des priorités des autorités qui plus tard évalueront et
valoriseront le produit) et, bien sûr, ce qui en constitue le cœur, des travaux
visant à prouver son efficacité et sa sécurité d’emploi : les essais pré-cliniques
puis cliniques.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Un processus très sélectif, long et complexe
Il est habituellement estimé que sur 10 000 molécules testées dans les
premières phases en laboratoire, 100 atteindront les essais pré-cliniques, dix
seront testées sur l’homme et une seule obtiendra une autorisation de mise
sur le marché (AMM) et deviendra donc un médicament. L’ensemble de ce
processus se déroule sur une durée d’environ dix ans. La durée, la complexité
de ces travaux et le grand nombre d’échecs se traduisent par des coûts de
développement élevés, qui sont évalués entre 0,9 et 2,6 Md$12 selon les
sources13. Il existe un débat sur la construction de ces chiffres qui sont
avancés par l’industrie.
Comme dans d’autres domaines, les dispositions relatives aux essais cli-
niques font l’objet d’une harmonisation européenne, et même mondiale, crois-
sante. Le processus décrit est celui qui s’applique en France. Il est très
similaire dans les autres pays européens et aux États-Unis (avec des modalités
d’autorisation de recherche plus ou moins exigeantes).

Les essais pré-cliniques


Ils sont réalisés sur différentes espèces animales (chien, primate, ron-
geur…) dans des centres spécialisés. Leur objectif est de mieux connaître le
comportement in vivo de la molécule. Ils permettent notamment de tester
l’efficacité de la molécule (par exemple, sur des souris modifiées génétique-
ment pour développer une maladie), d’avoir une première compréhension de
ses caractéristiques pharmacocinétiques (distribution dans les tissus, voies
d’élimination…), d’identifier les métabolites résultant des transformations
que subit la molécule dans l’organisme et de mener des essais de toxicité
aiguë (dose qui tue 50 % des animaux) et chronique (carcinogenèse, effet sur

12. Soit entre 0,81 et 2,3 Md€ au 3 novembre 2019.


13. 0,81 Md€ pour le LEEM et 2,6 Md$ pour la PhRMA.

427
Partie 1. Les fondamentaux

la reproduction…). Ces recherches doivent être effectuées dans les conditions


prévues par les bonnes pratiques de laboratoires (BPL) afin d’être reconnues
par les autorités sanitaires au niveau international.

Les études cliniques


Elles débutent si les essais pré-cliniques ont confirmé le potentiel de la
molécule et n’ont pas mis en évidence de risque incompatible avec une admi-
nistration à l’homme. Les principaux objectifs de ces travaux sont d’évaluer
le rapport bénéfice/risque du médicament, de prouver son efficacité, voire
son efficience, et de déterminer son impact sur la qualité de vie, ainsi que
les schémas posologiques et la formulation galénique la plus adaptée.
Ils comprennent des phases successives, au nombre de quatre, dont les
trois premières se déroulent avant la commercialisation :
–  Les essais de phase I sont menés auprès d’un petit nombre de volontaires
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
sains ou de malades (entre 20 et 100 dans la plupart des cas), souvent dans un
seul centre. Ils visent à évaluer la sécurité d’emploi et la tolérance de la molé-
cule (par exemple, détermination de la dose maximale sans effet secondaire).
–  Les essais de phase II sont conduits auprès de plusieurs centaines de
malades dans un ou plusieurs centres et ont pour objectif d’établir une « preuve
de concept14 » quant aux qualités thérapeutiques de la molécule. Ils permettent
également de définir des posologies efficaces, d’obtenir de nouvelles données
sur la tolérance et de développer les connaissances sur la molécule en matière
de pharmacocinétique et de pharmacodynamique.
–  Les essais de phase III visent à confirmer l’efficacité thérapeutique du
médicament et sa sécurité d’utilisation auprès d’un très grand nombre de patients
(plusieurs milliers). Afin de mener des analyses très fines, de très nombreux
sous-groupes de patients sont créés (âge, sexe, groupes démographiques) et la
molécule est testée contre un placebo et de plus en plus souvent contre les médi-
caments de référence, dans le cadre d’essais en double aveugle : ni le patient ni
le prescripteur ne savent si le patient reçoit la molécule testée, un placebo ou
une autre thérapie, ce qui permet de minimiser les biais (➠ Chapitre 3).
–  Les essais de phase IV sont conduits après la commercialisation et peuvent
viser à renforcer les connaissances sur la sécurité d’emploi du médicament,
obtenir des compléments de données sur des groupes spécifiques de patients,
ouvrir de nouvelles indications, prouver une efficience supérieure à un traite-
ment de référence…
Comme les essais pré-cliniques, les essais cliniques peuvent être réalisés
directement par le laboratoire ou sous-traités à des entreprises spécialisées,
les Clinical Research Organizations (CRO).

14. Proof of concept en anglais.

428
Partie 1. Chapitre 15.
Le médicament

Un encadrement et un processus d’autorisation


pour assurer le plus haut niveau de sécurité
Ces essais sont encadrés par de nombreux textes juridiques aux niveaux
international, européen et français, ainsi que par des référentiels (normes
ICH15 E6 et bonnes pratiques cliniques – BPC). L’intégralité de ces textes
vise à garantir les conditions éthiques de la réalisation de ces essais (objectif
de la recherche, liberté de participation, primauté des intérêts du partici-
pant…), la sécurité des participants et la qualité scientifique des données
récoltées. Parmi les principaux textes, on peut citer : le règlement UE
n° 536/2004 au niveau européen et, en France, la loi n° 2012‑300 du 5 mars
2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine (dite loi Jardé).
En pratique, la réalisation d’un essai clinique est soumise en France à
l’obtention de deux autorisations complémentaires :
–  une autorisation de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
produits de santé (ANSM), qui va se prononcer sur la sécurité et la faisabilité
technique de l’essai au vu des résultats précédemment obtenus, des conditions
de réalisation prévues et de la qualité scientifique de son protocole ;
–  une autorisation par un Comité de protection des personnes (CPP), qui va
examiner l’éthique de réalisation de l’essai (informations délivrées en vue de
l’obtention du consentement, possibilité de retrait…) et ses objectifs.
Les essais sont conduits sous la responsabilité d’un investigateur, personne
qualifiée, et à l’initiative d’un promoteur, la personne ou l’entreprise à l’ori-
gine de l’essai.

15.4.3. L’autorisation de mise sur le marché (AMM)


Alors qu’au début du xxe  siècle la commercialisation des médicaments
était quasi libre, plusieurs scandales sanitaires (par exemple, le drame de
l’élixir de sulfanilamide, qui causa plus de 100 décès aux États-Unis en 1937
à cause de l’utilisation dans sa formulation de l’éthylène glycol, qui est un
poison violent) ont conduit à un durcissement de la réglementation.
Progressivement, les laboratoires souhaitant commercialiser un médicament
ont dû prouver aux autorités la sécurité d’emploi du produit et son efficacité.
Le concept d’AMM était né. Par la suite, le niveau requis de preuves a crû
avec le temps au gré des avancées des technologies analytiques, de la recherche
d’effets indésirables dans des sous-groupes de population, et des exigences
croissantes des autorités sanitaires.
Aujourd’hui, la règle générale au niveau international est qu’un médica-
ment ne peut être commercialisé qu’après l’obtention d’une autorisation de
mise sur le marché (AMM). Cette obligation connaît en France des exceptions
pour certaines catégories bien définies de médicaments (médicaments homéo-
pathiques ou à base de plantes, ou encore les préparations) ainsi que pour

15. International Council for Harmonisation.

429
Partie 1. Les fondamentaux

des médicaments particulièrement prometteurs, afin de permettre aux patients


d’en bénéficier plus rapidement selon des dispositions que nous détaillerons
plus loin.

Le cas général
La décision de délivrer une AMM est prise par les autorités sanitaires
sur la base de l’appréciation du rapport bénéfice/risque du médicament
d’après l’ensemble des données collectées lors de son développement.
Concrètement, le laboratoire doit prouver que son traitement est plus efficace
qu’un placebo (l’AMM n’a pas de vocation comparative avec les traitements
existants) et que son utilisation a plus de chance d’améliorer l’état de santé
et la qualité de vie du malade que de les dégrader du fait d’effets
secondaires.
À des fins de simplification et d’harmonisation des évaluations, les dossiers
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
d’AMM, en grande partie confidentiels pour des raisons de propriété intel-
lectuelle, sont structurés selon des normes internationales (Common Technical
Document).
Les médicaments commercialisés en France doivent avoir obtenu une
AMM valable dans tout ou partie de l’Union européenne, auprès de l’Agence
européenne des médicaments (EMA), ou une AMM valable uniquement en
France, qui est octroyée par l’Agence nationale de sécurité du médicament
et des produits de santé (ANSM). On parle dans ce dernier cas de « procédure
nationale ».
Au niveau européen, trois procédures existent :
–  La procédure centralisée16 permet l’obtention d’une AMM valable dans
tous les États membres de l’UE. Elle est octroyée par la Commission euro-
péenne sur recommandation de l’EMA d’après les conclusions de son Comité
des médicaments à usage humain (CHMP). Cette procédure est obligatoire pour
certains médicaments (tous les médicaments innovants) et facultative pour
d’autres (voir tableau n° 2).
–  La procédure décentralisée permet d’obtenir une AMM simultanément
dans plusieurs pays de l’UE choisis par le laboratoire demandeur. Cette procé-
dure n’est possible que si aucune AMM n’a été délivrée précédemment dans un
pays de l’UE.
–  La procédure de reconnaissance mutuelle permet d’étendre la validité
d’une AMM à plusieurs pays de l’UE sur la base d’une première AMM natio-
nale obtenue dans un état membre.
De nos jours tous les médicaments innovants obtiennent leur AMM via
la procédure centralisée et l’on ne retrouve dans les AMM nationales quasi-
ment que des médicaments génériques.
L’AMM est initialement délivrée pour une durée de cinq ans, au bout
de laquelle le rapport bénéfice/risque du produit est réévalué. Elle peut

16. Voir règlement (CE) n° 726/2004 du 31 mars 2004.

430
Partie 1. Chapitre 15.
Le médicament

ensuite être prolongée sans limitation de durée. À tout moment, en fonction


de l’évolution des connaissances et des résultats observés, l’AMM peut être
modifiée, suspendue ou retirée (par exemple, si un effet secondaire grave
apparaît).

Tableau 2. Champs d’application obligatoire ou facultatif de la procédure centralisée


pour l’obtention d’une AMM

Médicaments issus des biotechnologies


Médicaments de thérapie innovante (définis à l’article 2 du règlement [CE]
n° 1394/2007)
Champ Médicaments contenant une nouvelle substance active non encore autorisée
d’application à la date d’entrée en vigueur du règlement et indiqué dans le traitement du sida,
obligatoire du cancer, d’une maladie neurodégénérative, du diabète, des maladies auto-im-
munes et autres dysfonctionnements immunitaires ainsi que des maladies
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
virales
Médicaments désignés comme des médicaments orphelins (conformément au
règlement [CE] n° 141/2000).
Médicament contenant une nouvelle substance active non autorisée dans la
communauté européenne à la date d’entrée en vigueur du règlement
Champ
d’application Le demandeur démontre que le médicament présente une innovation signifi-
facultatif cative sur le plan thérapeutique, scientifique ou technique ou lorsque la déli-
vrance d’une AMM selon la procédure centralisée présente pour les patients
un intérêt au niveau communautaire.
Source : ANSM, AMM, Avis aux demandeurs, p. 8, septembre 2014.

Les procédures dérogatoires


Il peut s’agir soit de dispositions visant à raccourcir le délai de délivrance
d’une AMM, soit de procédures permettant un usage en amont de la déli-
vrance d’une AMM.
En matière de procédure pour accélérer la délivrance d’une AMM, on
distingue des actions dont le but est de réduire le délai d’examen du dossier
(par exemple, le dispositif Accelerated Assessment de l’Agence européenne
du médicament [EMA], qui permet de réduire à cent cinquante jours le délai
d’évaluation du dossier, ou le programme Priority Review de la Food and
Drug Administration [FDA17] américaine, qui permet un examen du dossier
en six mois, contre dix avec la procédure standard), et d’autres plus ambi-
tieuses, qui visent à réduire le délai de développement clinique (avec par
exemple un dialogue précoce entre l’industriel et les autorités sanitaires pour
organiser les essais, une possible validation de l’efficacité sur la base de
critères biologiques intermédiaires, plutôt qu’avec des résultats finaux, comme
l’amélioration de l’état de santé globale du malade…). À l’avenir une

17. L’équivalent américain de l’Agence européennes des médicaments (EMA).

431
Partie 1. Les fondamentaux

accélération de la mise à disposition des traitements pourrait aussi passer par


des « AMM progressives », c’est-à-dire qui s’enrichiraient de nouvelles indi-
cations et de nouveaux groupes de patients éligibles au fur et à mesure de la
collecte des données sur l’efficacité et la tolérance du traitement.
En plus des possibilités précédentes, il existe en France deux procédures
permettant d’ouvrir l’accès d’un traitement aux malades en dehors du cadre
des essais cliniques et avant l’obtention d’une AMM :
– L’Autorisation temporaire d’utilisation (ATU) peut être nominative
(ATUn, qui permet à un patient particulier de bénéficier d’un traitement en
dehors du cadre des essais cliniques) ou s’adresser à une cohorte d’individus
(ATUc, qui ouvre l’utilisation de la molécule à un groupe de patients chez les-
quels le rapport bénéfice/risque est présumé favorable). Pour obtenir le statut
d’ATU, le laboratoire doit s’engager à demander par la suite une AMM. Ce
dispositif est considéré au niveau international comme un modèle pour favori-
ser l’accès précoce des patients aux traitements innovants. Le rapport sur la
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
réforme des modalités d’évaluation des médicaments18 mentionne que, sur un
échantillon de 41 médicaments récents, les ATU ont permis dans 17 cas une
mise à disposition du traitement en moyenne quatre cent trente-cinq jours avant
la commercialisation aux États-Unis.
– La Recommandation temporaire d’utilisation (RTU), plus récente que
l’ATU, permet à l’ANSM d’autoriser la prescription en toute légalité (et donc
avec remboursement) d’un médicament en dehors des indications de l’AMM.
L’objectif est de permettre aux pouvoirs publics d’aider au développement de
nouvelles indications, de pallier des pénuries et/ou de contourner des stratégies
volontairement restrictives en matière de demande d’indications thérapeutiques
pouvant être mises en place par des industriels. Par exemple, l’Avastin®, traite-
ment anticancéreux, a été concerné par une RTU pour le traitement de la dégé-
nérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) dans sa forme néovasculaire (son
principe actif est le même que celui du Lucentis®, qui a une AMM uniquement
pour le traitement de la pathologie oculaire avec un prix beaucoup plus élevé).
La LFSS pour 2020 élargit les possibilités de RTU en les autorisant si cela
permet d’améliorer la pertinence des prescriptions ou augmente le nombre d’al-
ternatives thérapeutiques disponibles.

15.4.4. Le processus de détermination des prix


et du statut de remboursement
Après que le médicament a obtenu une AMM, le laboratoire peut choisir
de le commercialiser directement à un prix libre et sans remboursement, soit
demander sa prise en charge par l’assurance maladie, ce qui enclenche un
processus d’évaluation puis de négociation de prix.

18. Voir page  38 du rapport sur la réforme des modalités d’évaluation des médicaments, no-
vembre 2015.

432
Partie 1. Chapitre 15.
Le médicament

En France, les prix des médicaments ne sont pas tous régulés. Seuls les
médicaments dispensés en ville, distribués dans le cadre de la rétrocession
hospitalière (médicaments délivrés par une pharmacie hospitalière à un patient
non hospitalisé) ou utilisés à l’hôpital et inscrits sur la liste en sus des GHS19
(➠ Chapitre 4) ont un prix fixé au niveau national. Les prix des médicaments
sous ATU ou inclus dans les GHS sont libres, bien qu’ils soient remboursés
par la collectivité. La différence entre le prix pratiqué en ATU et le prix
négocié après obtention de l’AMM doit être remboursée par le laboratoire.
La LFSS 2020 modifie partiellement cette situation en mettant en place
un prix plafond pour certains médicaments inclus dans les GHS afin de pro-
téger les établissements contre une hausse brutale du prix, par exemple suite
au rachat de la licence du médicament. Il est également prévu des mesures
pour sécuriser le paiement de la remise ATU une fois que le médicament a
obtenu son AMM et que son prix a été négocié (possibilité de paiement sur
plusieurs années, fourniture d’éléments comptables au laboratoire pour faci-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
liter le provisionnement de trésorerie,…).
Pour un médicament innovant, le processus fait intervenir la Haute Autorité
de santé (HAS), le Comité économique des produits de santé (CEPS), l’Union
nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) puis le Ministère de la
santé.

Évaluation médicale et économique du médicament par la HAS


La HAS conduit une évaluation médicale et, dans certains cas, une éva-
luation économique du médicament.
La commission de la transparence (CT) analyse les données de l’AMM,
du marché (médicaments déjà existants pour la pathologie) et d’autres élé-
ments pour déterminer la taille de la population cible et deux indicateurs clés
qui mesurent la valeur thérapeutique du médicament : le service médical rendu
(SMR) et l’amélioration du service médical rendu (ASMR). À la fin de ses
travaux, un « avis de transparence » comportant toutes ces informations est
transmis au CEPS (figure n° 1).
Le SMR est un jugement de valeur dans l’absolu qui prend en compte
cinq critères : la gravité de la pathologie, l’efficacité et la sécurité d’emploi
de la molécule, la place du médicament dans la stratégie thérapeutique
(1re intention, 2e intention, dernier recours, pas de place dans la stratégie thé-
rapeutique), l’intérêt de santé publique et la visée préventive, curative ou
symptomatique du médicament. Selon l’intérêt du médicament, il existe quatre
niveaux de SMR : important, modéré, faible ou insuffisant. Le SMR est réé-
valué au minimum tous les cinq ans (dans certains cas, il est réévalué pour
une classe thérapeutique entière). La volonté actuelle de la HAS est de ne

19. Il s’agit de médicaments très onéreux dont le prix n’est pas inclus dans les groupes homo-
gènes de séjour (qui comprennent les actes ainsi que les médicaments princeps peu coûteux et les
génériques). Pour ces médicaments, l’hôpital bénéficie d’un financement spécifique de l’assurance
maladie.

433
Partie 1. Les fondamentaux

plus réaliser ces réévaluations systématiques afin de concentrer ses moyens


sur l’évaluation des nombreuses thérapies très innovantes qui devraient arriver
sur le marché ces prochaines années20.
L’ASMR est une appréciation relative par rapport aux autres traitements
existants. Il est beaucoup plus discriminant car il indique si le médicament
apporte ou non un progrès. Selon le progrès apporté, il existe plusieurs
niveaux : ASMR I – progrès majeur, ASMR II – progrès important, ASMR III
– progrès modéré, ASMR IV – progrès mineur, ou ASMR V – absence de
progrès thérapeutique. Un facteur très important dans la détermination de cet
indicateur est la qualité de la comparaison avec les médicaments existants
(choix des comparateurs, puissance statistique de la démonstration, critères
retenus…). En fonction du progrès thérapeutique et des résultats de l’utilisa-
tion en vie réelle, il peut être réévalué.
Pour assurer la lisibilité et la reproductibilité des évaluations ainsi que
pour s’adapter à l’évolution des thérapies, la Commission de la transparence
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
a fait évoluer sa doctrine en septembre  2018. Ce document de référence
précise en détail les modalités de fixation des SMR et ASMR, les critères
clés de l’évaluation et la notion d’« intérêt de santé publique » pris en compte
dans l’évaluation de l’ASMR. Cette nouvelle doctrine tient compte du ren-
forcement de la place des patients, de la prise en compte croissante d’études
en vie réelle et permet à la commission de rendre des avis à titre conditionnel
le temps que des incertitudes pesant sur le médicament soient levées grâce
à la collecte de données supplémentaires (➠ Chapitre 4).
La commission d’évaluation économique et de santé publique (CEESP)
conduit des expertises médico-économiques pour les médicaments qui reven-
diquent une ASMR 1, 2, ou 3 et qui sont susceptibles d’avoir un fort impact
sur les dépenses d’assurance maladie (chiffre d’affaires annuel supérieur ou
égal à 20 millions d’euros) ou l’organisation des soins (figure n° 2). À partir
de différents scénarios de prix, elle calcule des simulations d’impacts bud-
gétaires et des coûts par QALY21 qui permettent de comparer l’efficience
relative de différents traitements (et donc théoriquement de faire des choix
d’investissement entre plusieurs pathologies). Ces informations sont mention-
nées dans un « avis d’efficience » qui précise les éventuelles réserves métho-
dologiques de l’estimation. Ce document est transmis au CEPS (qui peut
également demander une évaluation pour des médicaments qui ne rentrent
pas dans les critères classiques).
Par ailleurs, ces deux commissions sont impliquées dans la rédaction de
recommandations de bonnes pratiques à destination des professionnels qui
influencent largement les prescriptions.

20. Selon le Plan d’action pour l’évaluation des médicaments innovants annoncé par la HAS le
27 janvier 2020.
21. Coût d’une année de vie gagnée ajusté par la qualité de vie.

434
Partie 1. Chapitre 15.
Le médicament

650 médicaments
évalués ou réévalués
au moins une fois dans tout ou partie de leurs indications

790 avis
Aires thérapeutiques les plus concernées

Infectiologie 15 % Oncologie 12 % Cardio-vasculaire 9%

64 nouveaux médicaments évalués


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Avis favorables Progrès thérapeutique
au remboursement quand avis favorable
(service médical rendu – SMR – suffisant) au remboursement
(amélioration du service médical rendu – ASMR)

86 % 34 : absente
des nouveaux médicaments
ASMR

13 : mineure
7 : modérée
1 : importante

100 jours
délai moyen de traitement des demandes d’inscription

27 21
demandes de suivi rencontres précoces
en vie réelle avec des industriels

Source : HAS, Rapport d’activité 2018, HAS, p. 15.

Figure n° 1. Activité de la commission de la transparence de la HAS


en matière d’évaluation de médicaments en 2018

435
Partie 1. Les fondamentaux

Avis d’efficience
53 décisions
rendues par le Collège sur l’éligibilité de produits
à l’évaluation médico-économique

20 éligibles et 33 inéligibles

Secteurs concernés (sur les 20 éligibles)

Oncologie-cancérologie et oncologie-hématologie 13

Hématologie 1 Neurologie 3 Dermatologie 1


Diabète 1 Endocrinologie et métabolisme 1

Répartition des avis rendus


19
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
selon la qualification des réserves HAS
sur la conformité méthodologique
de l’évaluation présentée par l’industriel
avis d’efficience (niveau de réserve maximale)

validés 1 réserve mineure


11 réserves importantes
15 premières inscriptions 7 réserves majeures
3 extensions d’indication
1 réévaluation Fourchette de RDCR* pour les 12 avis
d’efficience sans réserve majeure :
28 569 euros/QALY**– 321 441 euros/QALY

193 jours 33
rencontres précoces
délai moyen d’instruction avec des industriels

Source : HAS, Rapport d’activité 2018, HAS, p. 27.

Annexe n° 2. Activité de la Commission de l’évaluation économique


et de santé publique de la HAS en matière d’évaluation de médicaments en 2018

L’instruction du CEPS et la négociation du prix public


Le CEPS mène une instruction des documents transmis par la HAS puis
négocie le prix public du médicament ainsi que d’éventuelles remises qui
restent confidentielles. Cette négociation est encadrée par la loi, des orienta-
tions ministérielles et une convention cadre conclue avec le syndicat profes-
sionnel de l’industrie pharmaceutique. Cet organisme interministériel est
composé de représentants de plusieurs administrations, des caisses d’assurance
maladie et d’un représentant des assurances complémentaires. Par ailleurs,
le CEPS négocie chaque année des baisses de prix pour une grande partie
des médicaments commercialisés en France. À ce titre, il contribue grande-
ment aux économies annoncées dans les PLFSS.

436
Partie 1. Chapitre 15.
Le médicament

Le vote du taux de remboursement par le conseil de l’UNCAM


Le conseil de l’UNCAM, vote sur proposition du collège des directeurs22,
le taux de remboursement du médicament. Sauf exception, celui-ci est fixé
en fonction du niveau de SMR.

Tableau 3. Niveau de remboursement par rapport au SMR

Service médical rendu Pathologie « sans critère


Pathologie « grave »
(SMR) habituel de gravité »
Majeur ou important 65 % 30 %
Modéré 30 %
Faible 15 %
Insuffisant Médicament non remboursé
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Les médicaments reconnus comme irremplaçables et coûteux sont rem-
boursés à 100 % par l’assurance maladie, de même que ceux prescrits dans
le cadre de la prise en charge d’une affection de longue durée.

Le rôle du ministère de la santé


Le ministère de la santé, qui est représenté par ses directions d­ ’administration
centrale au CEPS et à la HAS, publie les arrêtés relatifs au prix et inscrit le
médicament sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux
assurés sociaux. À ce stade, le médicament peut être commercialisé et
remboursé.
Les médicaments commercialisés à l’hôpital doivent être inscrits sur la
liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l’usage des collectivités et
divers services publics. Les médicaments inscrits sur la liste en sus (et donc
payés en plus du tarif des GHS) ont un tarif de responsabilité négocié par le
CEPS. L’hôpital peut négocier avec le laboratoire pour obtenir un prix plus
faible (les économies ainsi réalisées sont partagées avec l’assurance maladie).
Pour les médicaments inclus dans les GHS, le prix est libre et les hôpitaux
les achètent le plus souvent par appels d’offres (l’hôpital utilise une liste de
médicaments restreinte validée par sa commission médicale
d’établissement).
Pour les médicaments génériques et biosimilaires, des systèmes de décote
automatique des prix par rapport à ceux des médicaments princeps (également
appelé « médicaments de référence ») s’appliquent (les prix de ceux-ci baissent
également, mais dans une moindre mesure). Après leur commercialisation,
de nouvelles baisses surviennent au fil de l’eau. Les prix des génériques et
du médicament original peuvent finir par être égaux (notamment si les taux

22. Directeurs de la CNAM et de la CCMSA

437
Partie 1. Les fondamentaux

de substitution ne sont pas satisfaisants). Il peut également s’agir d’une stra-


tégie du laboratoire du princeps pour conserver ses parts de marché.
Pour les génériques, le prix de lancement est inférieur de 60 % à celui du
princeps (qui baisse de 20 % à la commercialisation du générique). À l’issue
de dix-huit à vingt-quatre mois, une nouvelle décote peut intervenir : elle est
de 12,5 % pour le princeps et de 7 % pour le générique. Si la part de marché
du générique demeure inférieure à 80 %, les prix des génériques et du princeps
sont alignés ; on parle de tarif forfaitaire de responsabilité (TFR).
Pour les biosimilaires23, la doctrine prévoit des taux de décote initiale pour
le princeps et le biosimilaire de 30 % à l’hôpital et, respectivement, de 20 et
40 % en ville. D’autres décotes peuvent intervenir à dix-huit, vingt-quatre et
quarante-huit mois, en fonction de l’évolution des parts de marché et des prix
négociés par les hôpitaux.
C’est en raison des coûts et spécificités de production que les niveaux de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
décotes sont plus faibles pour ces médicaments.
La LFSS pour 2020 favorise le recours aux biosimilaires dans les établis-
sements de santé et crée le Bulletin officiel des produits de santé qui sera
une base de données publique regroupant l’ensemble des décisions relatives
à la prise en charge des produits de santé (prix, taux de remboursement et
indications thérapeutiques remboursables).

15.4.5. La fabrication et la distribution


La fabrication des médicaments peut être soit réalisée de manière
« manuelle » pour ce qui concerne les divers types de préparation, soit de
manière industrielle en ce qui concerne les spécialités pharmaceutiques (défi-
nies à l’article L5111‑2 du CSP). La fabrication de ces dernières couvre
l’achat des matières premières, l’achat des conditionnements, les opérations
de production proprement dites, les contrôles de la qualité, la libération des
lots (étape formelle qui assure que les médicaments du lot remplissent toutes
les exigences de qualité et permet l’envoi dans le circuit de distribution) et
les opérations de stockage.
Toutes ces étapes et les contrôles de la qualité associés sont décrits dans
le dossier d’AMM. La production doit respecter les bonnes pratiques de
fabrication (BPF24). Des audits sont réalisés par les agences sanitaires.
De nos jours, la majorité des médicaments innovants est produite sur un
seul site industriel (notamment pour les bio-médicaments), et la plupart des
médicaments génériques, ainsi que leurs matières premières, le sont en Asie.
Ces chaînes de production mondiales sont en partie responsables des ruptures
de stock qui peuvent apparaître.

23. « Rapport d’activité 2017 », CEPS, septembre 2018, p. 18.


24. Les BPF décrivent les exigences en matière d’organisation de la production (protocoles écrits),
de formation du personnel, tous les tests devant être réalisés et les conditions de leur réalisation, les
événements devant être signalés aux autorités sanitaires, les modalités de contrôle…

438
Partie 1. Chapitre 15.
Le médicament

Les méthodes de production sont différentes, notamment selon la nature


de la molécule (obtention par une synthèse chimique ou biologique) et la
forme galénique finale. C’est lors de ces différentes étapes qu’est produit le
principe actif, puis qu’il est combiné à divers excipients et que le médicament
est au final conditionné.
La distribution des médicaments est réalisée par des grossistes (déposi-
taires, grossistes-répartiteurs) puis un réseau de détaillants (officines de phar-
macie, pharmacies des hôpitaux).
Au sein de l’Union européenne, les différences de niveaux de prix entre
les pays (liées aux mécanismes de régulation et aux écarts de niveau de vie)
ont conduit, en vertu de la libre circulation des marchandises, des grossistes
à vouloir maximiser leurs revenus en achetant dans des pays où le prix est
faible et en vendant dans les pays où les prix sont plus élevés. Cette pratique,
connue sous le nom de « commerce parallèle », est encadrée par des règles
européennes25. Elle est dénoncée par les industriels dont une partie de la
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
marge bénéficiaire est ainsi captée par les grossistes. Des quotas de vente par
pays calculés selon la demande prévisionnelle (évaluée à partir du nombre
de patients à prendre en charge) ont été mis en place par certains laboratoires,
au risque de générer des pénuries.

15.4.6. La surveillance du médicament après sa


commercialisation : la pharmacovigilance
Elle a pour objectif de détecter le plus tôt possible des effets indésirables
ou inconnus liés à l’utilisation du médicament (dans un cadre normal ou lors
d’une utilisation incorrecte ou abusive) et qui n’auraient pas été détectés lors
des essais cliniques.
La pharmacovigilance repose sur la notification des effets indésirables par
les professionnels de santé, les patients et associations agréées de patients,
et les industriels avec l’appui du réseau des centres régionaux de pharmaco-
vigilance (CRPV). Ces signalements et leur exploitation permettent de mettre
en œuvre des mesures correctrices qui pourront aller d’une recommandation
d’usage à un retrait pur et simple du marché selon le niveau de risque. La
pharmacovigilance concerne tous les médicaments à usage humain, y compris
ceux utilisés lors des essais cliniques, et s’insère dans un dispositif plus large
de vigilance des produits de santé incluant notamment la matériovigilance,
qui est son équivalent pour les dispositifs médicaux (➠ Chapitre  4). Ces
dispositions se sont renforcées de manière progressive à l’occasion de scan-
dales sanitaires successifs (du Thalidomide dans les années 1960 au Vioxx®
et Mediator® plus récemment). En 2017, en France, plus de 82 000 effets
indésirables ont été déclarés à l’ANSM dans le cadre de la pharmacovigilance.
Les principaux déclarants sont les patients (40 % des déclarations), les

25. La LFSS pour 2020 clarifie les règles de prise en charge des médicaments faisant l’objet d’im-
portation parallèle.

439
Partie 1. Les fondamentaux

médecins spécialistes (36 % des déclarations) et les pharmaciens (17 % des


déclarations26). La déclaration est possible directement sur Internet depuis
mars 2017.

Les acteurs du système


Le système de pharmacovigilance est organisé de manière pyramidale afin
de combiner une capacité de détection la plus élevée possible et une capacité
décisionnelle centralisée permettant de réduire rapidement un risque au niveau
national, européen ou même international.
La détection des effets secondaires repose sur les professionnels de santé
et les patients.
Le traitement des signalements est effectué par les CRPV (31 centres en
France, souvent localisés dans les CHU) et les industriels, qui ont l’obligation
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de faire fonctionner un dispositif de pharmacovigilance qui recueille des
données de tous les pays où le médicament est commercialisé.
La coordination du système est assurée au niveau français par l’ANSM,
au niveau européen par l’EMA et au niveau international par l’OMS, qui
dispose d’un centre mondial de référence en pharmacovigilance en Suède
(Uppsala Monitoring Center).

Les limites du dispositif


Pour les médicaments comme dans les autres domaines, la recherche du
risque zéro est illusoire, sinon contreproductive. Si des progrès pourront
encore être réalisés pour rendre le système plus sensible (par exemple, grâce
au traitement des données de santé27 par des technologies d’intelligence arti-
ficielle), le risque est qu’à force de hausser le niveau d’exigence on arrive à
priver les patients de médicaments qui auraient pu leur apporter une plus-value
thérapeutique bien supérieure au risque encouru (souvent seulement par un
très faible nombre de personnes). Le développement d’outils d’aide à la
prescription et une diffusion plus large et pertinente d’informations pourraient
être des solutions pour assurer la sécurité des patients et accélérer la diffusion
de l’innovation, sans passer par des restrictions excessives.

15.5. Les principaux acteurs de la chaîne du médicament

L’utilisation en toute sécurité du médicament est conditionnée au bon


fonctionnement d’une chaîne d’acteurs qui interviennent depuis sa fabrication
jusqu’à sa dispensation finale.

26. Rapport d’activité 2017, ANSM, p. 24.


27. Le groupement d’intérêt scientifique (GIS) EPI-PHARE, qui regroupe la CNAM et l’ANSM,
réalise des études de pharmaco-épidémiologie à partir des données de santé.

440
Partie 1. Chapitre 15.
Le médicament

15.5.1. L’industrie pharmaceutique


Elle s’est développée à partir des industries chimiques et des officines.
Elle constitue aujourd’hui un tissu économique important regroupant des
entreprises qui vont de la TPE (très petite entreprise du type start-up) à la
multinationale. Cette industrie se distingue par son fort investissement en
recherche et développement (R&D), un grand nombre d’emplois qualifiés et
les importantes retombées économiques qu’elle génère pour les pays dans
lesquels elle est implantée.
Encadré n° 1. Le poids économique de l’industrie pharmaceutique

En 2019, elle employait directement environ 765 000 personnes dans l’Union européenne,
dont 98 700 en France, et comptait dans ses effectifs plus de 50 % de cadres ou assimilés.
Les activités de R&D mobilisent environ 115 000 personnes en Europe, dont plus de 19 000
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
en France, avec 50 % de chercheurs. Les dépenses de R&D s’élèvent à plus de 35 Md€ en
Europe, avec comme principaux acteurs la Suisse (6,1 Md€), l’Allemagne (6,9 Md€), le
Royaume-Uni (5,3 Md€), la France (4,45 Md€) et l’Italie (1,53 Md€). En moyenne, ces activités
représentaient 15 % du chiffre d’affaires.
En France, en 2018, l’industrie pharmaceutique a généré un chiffre d’affaires global de
55,9 Md€, dont 26,9 Md€ à l’exportation, avec un excédent commercial de 7,68 Md€. À
l’échelle européenne l’excédent commercial s’élève à 105 Md€.
Source : LEEM (Bilan économique 2019) / EFPIA (The pharmaceutical industry in figures, Key Data 2019).

Industrie innovante par excellence, l’industrie pharmaceutique a connu de


profonds bouleversements (apparition de start-up dans les biotechnologies,
qui sont devenues des géants mondiaux, développement des génériqueurs,
dont certains deviennent des laboratoires innovants), et de nouveaux grands
changements se profilent à l’horizon, avec notamment :
–  une évolution du marché avec l’essor des pays émergents. Cela aura certai-
nement pour conséquence à terme une place croissante des industries de ces pays
dans le secteur, si leurs industriels se lancent dans le développement de médica-
ments innovants. Plusieurs grands génériqueurs sont basés dans les pays émergents
(par exemple, Ranbaxy®, qui est le plus important groupe pharmaceutique indien) ;
–  une pression forte sur les prix des médicaments, même innovants, et une
volonté de maîtrise globale de la dépense liée aux produits de santé (notamment
par un recours accru aux génériques) dans le contexte de lutte contre les déficits
publics qui s’avère durable ;
–  une évolution des modes de soins : nouvelles thérapies (thérapies géniques,
nanotechnologies…), nouvelles technologies pour optimiser l’utilisation des
médicaments et des soins (intelligence artificielle, objets connectés, téléméde-
cine, e-prescription…) et nouveaux modes de travail des professionnels au tra-
vers de vrais réseaux de soins permettant des prises en charge plus coordonnées ;
–  des exigences éthiques et réglementaires de plus en plus fortes, dans un
contexte de méfiance persistante de l’opinion publique envers les laboratoires
pharmaceutiques ;
–  une mutation industrielle, qui voit apparaître de nouveaux modèles de
découverte et de développement, de nouveaux modes de production et aussi de

441
Partie 1. Les fondamentaux

nouveaux acteurs venant du domaine des nouvelles technologies. Le dévelop-


pement des thérapies biologiques personnalisées et de l’impression 3D pourrait
conduire à la mise en place d’une production beaucoup plus éclatée, possible-
ment directement dans les hôpitaux, pour être au plus près des malades.

15.5.2. La distribution de gros


À l’exception des commandes en grande quantité (comme pour l’appro-
visionnement des hôpitaux ou celui de centrales d’achat de groupements
d’officines), les acteurs de la distribution de gros assurent le lien entre les
laboratoires producteurs et les officines. L’existence de ces intermédiaires
permet aux officines de minimiser leur stock, tout en offrant un accès dans
la journée à la plupart des références, et de ne pas avoir à gérer des relations
commerciales avec chacun des laboratoires. L’exercice de cette activité doit
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
respecter les exigences des « bonnes pratiques de distribution en gros ». Cette
activité est assurée par deux principaux types d’intervenants28 :
– les dépositaires, qui ne sont pas propriétaires des produits qu’ils stockent
et n’ont qu’un rôle logistique au profit des autres acteurs de la distribution du
médicament ;
– les grossistes répartiteurs, qui sont des établissements pharmaceutiques
qui achètent, stockent et revendent les médicaments et autres produits de santé
aux officines. Ils doivent respecter les obligations suivantes :
  •  présence obligatoire d’un « pharmacien responsable » (et de « phar-
maciens assistants ») qui porte la responsabilité du bon respect des obligations
légales,
  •  desserte de toutes les officines du secteur d’activité déclaré,
  •  stock couvrant à minima 90 % des références disponibles sur le marché
et permettant deux semaines d’activité normale sans réapprovisionnement,
  •  livraison de tout médicament en stock dans un délai maximal de
vingt-quatre heures après la commande.

15.5.3. Les officines de pharmacie et les pharmacies à usage


intérieur des établissements de santé (PUI)
Il s’agit des maillons finaux de la chaîne de distribution qui permet la
délivrance des médicaments et autres produits couverts par le monopole
pharmaceutique.

Le monopole pharmaceutique
Basé sur les compétences du pharmacien, il a pour objectif principal la
protection de la santé publique. Il assure également l’indépendance financière
des professionnels afin de leur permettre d’exercer de manière libre et

28. Art. R5124‑2 du CSP.

442
Partie 1. Chapitre 15.
Le médicament

indépendante leur métier au service des patients. Son périmètre, défini par le
Code de la santé publique29, couvre tous les médicaments sauf exceptions, dont
certaines catégories de dispositifs médicaux (par exemple, les lecteurs de gly-
cémie utilisés par les diabétiques), des huiles essentielles et plantes médicinales,
de même que des aliments très particuliers destinés aux nourrissons et aux
enfants.

Les officines de pharmacie


Largement présentes dans toute la France, composante des soins primaires
du système de santé, elles sont le lieu de dispensation des médicaments et
autres produits de santé ainsi qu’un point d’entrée facilement accessible dans
le système de soins (accès sans prise de rendez-vous, conseils gratuits et
envoi du patient vers son médecin au moindre doute).
Depuis la loi HPST, de nouvelles missions ont été confiées aux pharma-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
ciens. Ils peuvent participer à des actions d’éducation thérapeutique, renou-
veler ou adapter des prescriptions dans le respect de protocoles très stricts,
mener des entretiens pharmaceutiques permettant de faire un point avec le
malade sur l’ensemble des médicaments qu’il prend et ses éventuelles diffi-
cultés ou questions (cela peut permettre d’améliorer l’observance, de mettre
en évidence un effet secondaire…), ou encore devenir pharmacien référent
d’un EHPAD.
La loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé
de juillet 2019, par des amendements au projet présenté par le gouvernement,
va plus loin en mettant en place de nouvelles délégations de compétence qui
permettront aux pharmaciens de délivrer sans ordonnance dans le cadre de
protocoles validés par la HAS, des médicaments normalement prescrits par
un médecin pour la prise en charge d’une pathologie bénigne, ou encore de
vacciner plus largement. Le développement des communautés professionnelles
territoriales de santé (CPTS) pourrait par ailleurs ouvrir de nouvelles possi-
bilités aux pharmaciens pour agir sur la coordination des parcours, la pro-
motion et l’éducation à la santé ou encore la mise en place de groupe qualité
pour permettre aux médecins d’échanger sur leurs pratiques en matière de
prescription.
Le fonctionnement des officines est encadré de manière stricte tant en ce
qui concerne le personnel (exercice personnel des pharmaciens titulaires,
remplacement en cas d’absence, nombre minimum d’adjoints…), l’aména-
gement intérieur ainsi que la signalétique extérieure. La couverture homogène
du territoire est assurée par un numerus clausus qui lie l’ouverture d’une
officine à l’importance de la population de la zone desservie.

29. Art. L4211‑1 du CSP.

443
Partie 1. Les fondamentaux

Les pharmacies à usage intérieur des hôpitaux (PUI)


Elles sont situées dans les établissements de santé et fournissent les médi-
caments nécessaires à la prise en charge des malades hospitalisés.
En plus d’une logistique bien plus complexe, leurs missions sont plus
étendues que celles des officines en raison des besoins des hôpitaux :
–  gestion de médicaments que l’on ne trouve pas en ville : préparations
hospitalières, médicaments radio-pharmaceutiques, médicaments dérivés du
sang et plasma sanguin… ;
–  stérilisation des dispositifs médicaux ;
–  formation des étudiants ;
–  négociation des prix avec les laboratoires (souvent la négociation est
conduite par des centrales d’achat regroupant plusieurs hôpitaux afin d’obtenir
de meilleurs prix) ;
–  participation à des recherches biomédicales.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
15.6. Les dispositifs médicaux

Autre catégorie majeure de produits de santé, ils se caractérisent par leur


très grande diversité, qui va du pansement et du thermomètre au stimulateur
cardiaque ou à l’IRM (imagerie par résonance magnétique), et leur utilisation
croissante. Selon l’OMS, il existerait plus de 10 000 catégories de dispositifs
médicaux (DM), et l’innovation dans ce domaine est très rapide, avec des
cycles de développement bien plus rapides que pour les médicaments.

15.6.1. Définition et classification


Comme pour le médicament, il existe une définition harmonisée à
l’échelle européenne30 :
« On entend par dispositif médical tout instrument, appareil, équipement,
matière, produit, à l’exception des produits d’origine humaine, ou autre article
utilisé seul ou en association, y compris les accessoires et logiciels nécessaires
au bon fonctionnement de celui-ci, destiné par le fabricant à être utilisé chez
l’homme à des fins médicales et dont l’action principale voulue n’est pas
obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par méta-
bolisme, mais dont la fonction peut être assistée par de tels moyens. Constitue
également un dispositif médical le logiciel destiné par le fabricant à être utilisé
spécifiquement à des fins diagnostiques ou thérapeutiques.
Les dispositifs médicaux qui sont conçus pour être implantés en totalité ou en
partie dans le corps humain ou placés dans un orifice naturel, et qui dépendent
pour leur bon fonctionnement d’une source d’énergie électrique ou de toute
source d’énergie autre que celle qui est générée directement par le corps humain
ou la pesanteur, sont dénommés dispositifs médicaux implantables actifs. »

30. Art. L5211‑1 du CSP.

444
Partie 1. Chapitre 15.
Le médicament

Certains dispositifs médicaux incluent une molécule médicamenteuse.


Dans ce cas, la réglementation qui s’applique, notamment pour l’accès au
marché, dépend de la composante porteuse de l’action thérapeutique principale
(par exemple, une prothèse présentant un traitement de surface anticoagulant
est un DM).
Selon le risque lié à leur utilisation, les DM sont répartis en quatre classes31 :
–  classe I (risque le plus faible) : compresses, lunettes, béquilles, etc. ;
–  classe IIa (risque potentiel moyen) : lentilles de contact, appareils d’écho-
graphie, couronnes dentaires, etc. ;
–  classe IIb (risque potentiel élevé) : préservatifs, produits de désinfection
des lentilles, etc.  ;
–  classe III (risque le plus important) : implants mammaires, stents, pro-
thèses articulaires, etc.
Le classement d’un DM est réalisé par son fabricant sur la base de règles
définies par les textes européens.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
15.6.2. Accès au marché
Les textes européens prévoient que la mise sur le marché d’un DM est
soumise à l’obtention d’un certificat CE (qui joue le même rôle que l’AMM),
qui traduit la conformité du dispositif aux « exigences essentielles » définies
par des directives européennes32. L’obtention de cette certification peut se faire
par auto-certification pour les DM de classe I ou par le dépôt d’un dossier
auprès d’un organisme notifié (pour la France, il s’agit du Laboratoire national
de métrologie et d’essais/G-MED), qui va évaluer si le processus de concep-
tion, les essais menés et les contrôles de qualité mis en place permettent de
remplir les exigences de la certification. Pour les DM de classe III, des essais
cliniques doivent être réalisés, sauf si le fabricant peut prouver que des essais
ont déjà été conduits pour un produit équivalent. Comme pour les médica-
ments, ces essais doivent être autorisés par l’ANSM. Il est de plus en plus
question de mettre en place une procédure similaire à l’ATU pour les DM.
Par la suite, pour les industriels qui souhaitent que leur produit soit pris
en charge par l’assurance maladie, il existe plusieurs possibilités qui dépendent
de la nature du DM :
–  S’il s’agit d’un DM non innovant – il existe des DM similaires qui ont
le(s) même(s) service(s) rendu(s) et la/les même(s) indication(s) –, il sera inscrit
d’office sur la Liste des produits et prestations remboursables (LPPR) et béné-
ficiera du tarif de prise en charge déjà vigueur.
–  S’il s’agit d’un DM innovant, il va être évalué par une commission de la
HAS (la CNEDiMTS33 – équivalent de la commission de la transparence pour

31. Art. R5211‑7 du CSP.


32. Directive 90/385/CEE relative à la mise sur le marché des dispositifs médicaux implantables
actifs ; directive 93/42/CEE relative à la mise sur le marché des dispositifs médicaux ; directive 98/79/
CE relative aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro.
33. Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé.

445
Partie 1. Les fondamentaux

les médicaments), qui rend un avis comportant le service rendu (équivalent du


SMR), l’amélioration du service rendu (équivalent de l’ASMR) ainsi que la
population cible. Sur la base de cet avis et d’informations complémentaires
(notamment médico-économiques), le CEPS négocie un prix de vente maximum
(qui correspondra à la base de remboursement), qui est un équilibre entre maîtrise
des dépenses et valorisation de l’innovation. C’est le ministère de la santé qui
inscrit le DM sur la LPPR. Il devient ainsi remboursable sur le marché de ville.
Par la suite, comme pour les médicaments, des réévaluations peuvent avoir lieu.
Il est à noter que la HAS a publié le 19 février 2019 un guide sur l’évalua-
tion des dispositifs médicaux connectés. Un défi à venir est celui de l­’évaluation
des algorithmes d’intelligence artificielle, qui ne manqueront pas de se multiplier
dans le domaine de la santé. La question est de savoir si l’on va uniquement
évaluer les résultats produits par l’algorithme ou si la HAS voudra évaluer sa
conception (question d’autant plus importante pour les IA « apprenantes »).
Dans les établissements de santé, le coût des DM est intégré dans les
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
GHS, groupes homogènes de séjours (➠ Chapitre 4), sauf pour ceux inscrits
sur une liste en sus (même logique que pour les médicaments).
La LFSS pour 2020 introduit un dispositif de régulation de la croissance
des dépenses liées aux DM inscrits sur la liste en sus en fixant un taux de
progression des dépenses au-delà duquel les fabricants devront reverser une
part de leur chiffre d’affaires à l’Assurance maladie (équivalent de la clause
de sauvegarde pour le médicament).

15.6.3. Matériovigilance
Il s’agit de l’équivalent de la pharmacovigilance pour les DM. Elle est
coordonnée en France par l’ANSM.

15.6.4. Évolution de la législation


La législation européenne concernant les DM est ancienne. Elle se com-
pose de la directive 90/385/CEE du Conseil du 20  juin 1990, qui concerne
le rapprochement des législations des États membres relatives aux dispositifs
médicaux implantables actifs, de la directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin
1993, relative aux dispositifs médicaux, et de la directive 98/79/CE du
Parlement européen et du Conseil du 27 octobre 1998, relative aux dispositifs
médicaux de diagnostic in vitro.
Sur la base de ces textes adoptés dans les années 1990, et qui avaient déjà
évolué à l’occasion de l’adoption de la directive 2007/47/CE34, la législation

34. Directive 2007/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 septembre 2007 modifiant la


directive 90/385/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des États membres
relatives aux dispositifs médicaux implantables actifs, la directive 93/42/CEE du Conseil relative aux
dispositifs médicaux et la directive 98/8/CE concernant la mise sur le marché des produits biocides.

446
Partie 1. Chapitre 15.
Le médicament

européenne a subi une refonte en 2017, afin de l’adapter aux évolutions


technologiques mais également à la suite du scandale PIP (Poly Implant
Prothèse). Le règlement (UE) 2017/745 du Parlement européen et du Conseil
du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux, modifiant la directive 2001/83/
CE, le règlement (CE) n°  178/2002 et le règlement (CE) n°  1223/2009 et
abrogeant les directives du Conseil 90/385/CEE et 93/42/CEE, et le Règlement
(UE) 2017/746 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 relatif
aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro et abrogeant la directive 98/79/
CE, et la décision 2010/227/UE de la Commission ont ainsi été adoptés. Ils
sont entrés en vigueur le 25  mai 2017 et remplaceront progressivement les
directives existantes.
La nouvelle réglementation est pleinement applicable depuis mai  2020
pour les dispositifs médicaux, et le sera en mai  2022 pour les dispositifs
médicaux de diagnostic in vitro. Les objectifs sont de renforcer la sécurité
des DM par des exigences de certification plus élevées (demande de davantage
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de preuves cliniques, inspections inopinées des sites de production…), de
mieux surveiller le marché (avec notamment une traçabilité accrue au moyen
d’un système d’identification unique permettant d’accélérer les rappels en
cas de défaut et de lutter contre la contrefaçon, une base de données euro-
péenne répertoriant tous les DM commercialisés et leur origine, un portail
Internet centralisant à l’échelle européenne les incidents graves et les mesures
correctrices mises en œuvre) et de favoriser l’innovation.
Par ailleurs, la LFSS pour 2020 introduit des dispositions afin de permettre
la prise en charge de DM reconditionnés (par exemple pour du matériel de
maintien à domicile ou de rééducation) et de réduire le reste à charge pour
les patients (transparence du marché, référencement sélectif pour le rembour-
sement de certains types de DM).

15.6.5. Marché et industrie


Ce secteur, moins connu, se caractérise par un très grand nombre de petites
entreprises très innovantes (95 % des 27 000 entreprises du secteur en Europe
sont des PME, employant plus de 550 000 salariés). Le chiffre d’affaires total
des entreprises du secteur en France serait d’environ 28  milliards d’euros
(dont 8  milliards à l’export), dont approximativement 25 % pour l’optique
et 5 % pour les prothèses dentaires.
À l’échelle européenne, le chiffre d’affaires des entreprises du secteur a
été de 115  milliards d’euros en 2017. Le développement d’un champion
français du DM est un enjeu économique et stratégique ; pour l’instant le
principal industriel français, URGO, réalise un chiffre d’affaires de 700 mil-
lions d’euros, contre plusieurs milliards d’euros, voire plus de dix milliards
pour les grands acteurs mondiaux.

447
Partie 1. Les fondamentaux

Points clés
• L’histoire du médicament plonge ses racines dans l’Antiquité. Aujourd’hui, les
médicaments ont profondément modifié les conditions de la santé humaine,
impliquant la mise en place d’un ensemble de mécanismes régulateurs destinés
à assurer l’accessibilité et la sécurité des produits, qui reposent notamment sur
un ensemble de définitions. En France, la délivrance au public s’organise en
premier lieu selon la classification des substances et préparations vénéneuses
(hors listes, listes I et II, stupéfiants).
• La mise sur le marché est précédée par plusieurs étapes, dont des essais pré-­
cliniques, sur l’animal, et cliniques, chez l’homme.
• Pour les médicaments utilisés en France, l’Autorisation de mise sur le marché
(AMM) est aujourd’hui une démarche le plus souvent de niveau européen, qui
s’organise selon plusieurs procédures : centralisée, décentralisée, reconnaissance
mutuelle, qui supposent une articulation forte entre les agences régulatrices
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
européenne (EMA) et française (ANSM).
• La pharmacovigilance a pour objectif de détecter le plus tôt possible des effets
indésirables ou inconnus liés à l’utilisation du médicament et qui n’auraient pas
été détectés lors des essais cliniques. Le dispositif de pharmacovigilance est
pyramidal : à la base, toute entité (patient, professionnel de santé, laboratoire
pharmaceutique…) peut déclarer un effet indésirable, notamment au niveau
d’un centre régional de pharmacovigilance (CRPV). En 2017, en France, plus de
82 000 effets indésirables ont été déclarés à l’ANSM dans ce cadre.
• L’industrie pharmaceutique se distingue d’autres secteurs économiques par son
fort investissement en recherche et développement (R&D), un grand nombre
d’emplois qualifiés et les importantes retombées économiques qu’elle génère
pour les pays dans lesquels elle est implantée.
• La dispensation des médicaments met en jeu une chaîne d’acteurs spécifiques
aux activités fortement encadrées : laboratoires producteurs, grossistes répar-
titeurs ou dépositaires, officines ou pharmacies à usage intérieur des établisse-
ments de santé.
• Autre famille de produits de santé, les dispositifs médicaux sont soumis à une
régulation assez similaire et connaissent un rythme d’innovation très soutenu.

Pour en savoir plus


J. Callanquin, P. Labrude, Les dispositifs médicaux et les accessoires : guide à l’usage
des praticiens, Pharmathèmes, 2010.
Commission européenne, « Pharmaceuticals. Sector inquiry and follow-up », ec.europa.eu.
EFPIA, The Pharmaceutical Industry in Figures. Key Data 2019, EFPIA, 2019.
M. Guerriaud, Droit pharmaceutique, Elsevier Masson, 2016.
Y. Landry, J.-P. Gies, Pharmacologie : des cibles à la thérapeutique, Dunod, 4e éd.,
2019.
Les entreprises du médicament, Bilan économique 2019, LEEM, 2019.
MedTech Europe, The European Medical Technology Industry – in figures 2019,
MedTech Europe, 2019.
T.-F. Vandamme et al., Initiation à la connaissance du médicament, Lavoisier, 2010.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
euxième partie

Les enjeux
D
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Chapitre 16
Enjeux pour le système de santé français
et Stratégie nationale de santé
Jacques Raimondeau, Philippe Marin

Objectifs pédagogiques du chapitre


Connaître :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
– Les enjeux actuels pour le système de santé français
– Les principes de construction d’une politique de santé proposés par l’OMS
Europe
– Le cadre général de la politique de santé française
– Les principaux objectifs et le contenu de la Stratégie nationale de santé
2018‑2022

16.1. Les principaux enjeux pour le système de santé français

16.1.1. Les enjeux


En matière de santé publique, la France appartient à un ensemble de pays
développés qui partagent des enjeux généraux de santé qui peuvent se regrou-
per selon six grands axes (➠ Chapitre 5) :
1. Lutter contre la mortalité prématurée évitable. En France, ce problème
est plus spécifiquement masculin, en relation avec un ensemble d’expositions
comportementales et professionnelles, notamment.
2. Faire face au vieillissement de la population et au développement des
maladies chroniques.
3. Réduire les inégalités de santé. Elles trouvent leurs origines dans le jeu
d’un ensemble diffus et interactif de déterminants de santé (➠ Chapitre  2).
Mêmes si elles ne peuvent régler tous les problèmes, les politiques de santé
peuvent contribuer à réduire ces inégalités, notamment en solvabilisant une
consommation grâce au système de protection sociale, en créant des dispositifs
spécifiques (par exemple, permanences d’accès aux soins de santé ou PASS
pour les plus démunis dans les hôpitaux) ou en organisant la fourniture d’une
prestation étendue systématiquement à toute la population concernée (le dépis-
tage organisé d’un cancer). Pour être efficaces, les actions de santé doivent
avoir un objectif spécifique et explicite de réduction des inégalités, ce qui n’est
pas synonyme d’amélioration globale de l’état de santé d’une population.

451
Partie 2. Les enjeux

4. Maîtriser les risques liés à l’environnement physique : aux déterminants


de santé habituels portés par les milieux de vie et de travail s’ajoutent main-
tenant les enjeux induits par le changement climatique. Selon les prévisions
de l’OMS1, entre 2030 et 2050, les diverses manifestations du changement
climatique (➠ Chapitre 2) entraîneraient un excès annuel de 250 000 décès
au niveau mondial. Les mécanismes de ces décès seront variables et le cas
échéant intriqués : mortalité et morbidité liées à des événements extrêmes
(tempêtes, inondations, submersions littorales, sécheresses, incendies…) ou
aux maladies transmissibles, migrations de populations2, difficultés alimen-
taires, pathologies respiratoires favorisées par la pollution atmosphérique,
problèmes de santé mentale3 (augmentation des suicides, anxiété, dépression)
en raison du stress induit par les traumatismes subis4, etc.
5. S’adapter à la mondialisation des problèmes de santé. Il s’agit ici de
faire face à des problèmes qui peuvent jeter un quadruple défi à nos organi-
sations : nouveauté d’une situation sanitaire (pathologie importée, circulation
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de produits de santé non autorisés, etc.), rapidité d’extension des phénomènes
pathologiques, effet de masse et, enfin, inadéquation des dispositifs nationaux
de gestion dans un contexte général de liberté de circulation des personnes
et des biens coexistant avec une hétérogénéité des normes de qualité et de
sécurité et des moyens de contrôler leur application5.
6. Assurer un accès équitable aux innovations diagnostiques et thérapeu-
tiques : les innovations sont et seront importantes, diverses et vont se succéder
à un rythme rapide dans les années à venir, exposant les systèmes de santé
à des tensions économiques (financement de l’innovation), politiques (soli-
darité, cohésion sociale, protection sociale) et éthiques (➠ Chapitre 17). Les
secteurs concernés sont très nombreux, allant de la médecine prédictive aux
traitements individualisés développés sur des bases technologiques nouvelles :
impression 3D, traitements cellulaires (cellules souches), nanotechnologies,
télémédecine, robots.

16.1.2. Les principes d’action


La prise en compte globale de ces enjeux amène à considérer quelques
points cruciaux. L’OMS a posé un cadre d’action général dans ce domaine,
qui a inspiré la réflexion politique française.

1. OMS, « Climat et santé : résultats de la conférence de l’OMS sur la santé et le climat. Rapport
du Secrétariat », OMS, Genève, 5 décembre 2014.
2. Une estimation fréquemment retenue aboutit au chiffre de 250 millions de migrants climatiques
d’ici à 2050.
3. G. Fond, M. Masson, C. Lançon, P. Auquier, L. Boyer, « Psychiatrie et réchauffement clima-
tique », L’Encéphale, février 2019, vol. 45, no 1, p. 1‑2.
4. Il a été constaté une hausse de 4 % de l’ensemble des pathologies mentales chez les popu-
lations touchées en 2005, en Louisiane, par l’ouragan Katrina. Voir N. Obradovich, R. Migliorini,
M.P. Paulus, I. Rahwan, « Empirical Evidence of Mental Risks Posed by Climate Change », PNAS,
octobre 2018.
5. L’épidémie d’infections à Covid-19 a réuni pratiquement tous ces facteurs.

452
Partie 2. Chapitre 16.
Enjeux pour le système de santé français et Stratégie nationale de santé

Encadré n° 1. Les principes d’action de l’OMS


pour une approche globale des déterminants de santé

1. Mesurer les problèmes


C’est une condition nécessaire à l’élaboration de politiques de santé adaptées à la réalité
des problèmes, notamment à la prise en compte des inégalités de santé. Concevoir et faire
fonctionner des systèmes d’information orientés vers la prise de décision est indispensable,
mais il faut aussi former les décideurs à l’utilisation des données, notamment quantitatives.
De plus, les études utiles en santé publique doivent être confortées par rapport aux réfé-
rences scientifiques dominantes issues de la recherche clinique et biomédicale.
2. Agir dès le plus jeune âge
De façon générale, l’action la plus précoce a une rentabilité meilleure et il est pertinent de
privilégier les actions portant sur la nutrition, la protection et les soins des enfants et des
mères, l’appui aux familles, l’éducation préscolaire et la scolarisation des filles au niveau
mondial. Ce qui suppose un financement solidaire pour une accessibilité généralisée.
3. Promouvoir un environnement sain
Il est important de ne pas oublier les zones rurales, souvent victimes d’arbitrages en faveur
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
des villes. La politique des transports revêt une importance réelle pour limiter la pollution,
mais aussi pour encourager l’activité physique et sportive. Enfin, il faut tenir compte du
changement climatique et des autres facteurs de dégradation de l’environnement.
4. Lutter contre les inégalités de toutes sortes
L’un des enjeux majeurs est de peser sur les arbitrages entre objectifs sanitaires et rationalité
économique (alcool, tabac, conditions de vie, de travail et de rémunération, etc.). L’OMS plaide
pour l’arbitrage par le secteur public et une meilleure représentation des acteurs de santé dans
les négociations et prises de décision. Cette ambition doit s’appuyer sur des études d’impact
en santé, une logique d’action intersectorielle, avec association des citoyens aux décisions.
5. Lutter contre les inégalités entre hommes et femmes
Cette catégorie d’inégalité mérite un traitement spécifique, notamment dans les champs
de l’éducation, de la formation, de l’accès à l’emploi, des rémunérations et dans le domaine
de la santé reproductive et sexuelle.
6. Améliorer les conditions de travail
L’OMS recommande de privilégier les actions portant sur les déterminants les mieux connus et
les groupes de population les plus vulnérables afin d’obtenir rapidement des effets sensibles.
7. Protection sociale et soins de santé
Les dispositifs de protection sociale doivent poursuivre deux objectifs prioritaires : la lutte
contre la précarité et la pauvreté, d’une part, et l’accès aux soins, d’autre part. L’OMS estime à
environ 100 millions les personnes qui basculent tous les ans dans la pauvreté à cause de l’im-
portance de leurs dépenses de santé. Compte tenu de l’importance des facteurs économiques
dans l’accès aux soins, il semble crucial d’assurer la pérennité d’un système de protection sociale
suffisant en insistant notamment sur la réduction du reste à charge pour les personnes. Il est
aussi logique de privilégier les soins de santé primaires (ou de premier recours), notamment en
évitant les « déserts », tout en veillant à une bonne articulation avec les autres niveaux du
système de santé. Le développement de la dimension préventive amènera sans doute à repenser
les modes de rémunération des professionnels. Il s’agit enfin de développer l’autonomie des
individus et des groupes en approfondissant la connaissance des déterminants de la santé, la
compréhension de l’organisation et du fonctionnement du système de santé, afin d’optimiser
la capacité à mobiliser les ressources disponibles (par exemple, les causes du renoncement aux
soins). Cela passe par l’éducation et la promotion de la santé, et plus généralement par toute
forme de renforcement de la capacité à agir6 des personnes, ainsi que par la création de moda-
lités concrètes d’association à la décision, à la conception et à l’évaluation des actions de santé.
La formation des professionnels de santé doit évoluer en conséquence.

6. Notre traduction du terme anglais empowerment.

453
Partie 2. Les enjeux

L’importance de la prévention tout au long de la vie


Un meilleur équilibre entre actions de prévention et soins curatifs serait
très certainement porteur d’une amélioration de la réponse du système de
santé aux enjeux actuels. Ainsi, environ un tiers de la mortalité prématurée
évitable est sensible à des actions de prévention primaire (réduction des
consommations d’alcool, tabac, modification des comportements sexuels,
amélioration des conditions de travail, notamment).
En matière de vieillissement et de maladies chroniques, l’action emprunte
schématiquement deux voies : d’une part, l’optimisation (y compris en termes
d’efficience) des prises en charge et, d’autre part, la prévention pour éviter
ou retarder l’entrée dans la maladie et les incapacités qui en découlent.
Les inégalités de santé sont, en France, bien souvent des inégalités d’accès
à la prévention, que les efforts en matière d’organisation des soins sont loin
de compenser. Rappelons ici cependant que les actions de prévention univer-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
selle ont tendance à creuser les inégalités (➠ Chapitre  12). Pour agir en ce
sens, les politiques de santé doivent donc avoir un objectif explicite de réduc-
tion des inégalités sociales de santé. Elles doivent aussi s’efforcer d’agir le
plus précocement possible dans l’existence en raison de la transmission dès
le plus jeune âge de déterminants de la santé par le milieu familial.
La maîtrise des risques liés à l’environnement physique, y compris dans
le milieu du travail, repose essentiellement sur la prévention. Ce secteur est
marqué par une grande diversité des situations d’atteinte potentielle à la santé
(pollutions de l’air, des eaux, chimiques, microbiologiques, sonore ; au domi-
cile, sur le lieu de travail, dans les transports ; troubles musculo-squelettiques…)
et aussi par une fréquente incertitude sur les conséquences, dont il faut cepen-
dant noter qu’elle se réduit de plus en plus grâce aux efforts de recherche.
Enfin, dans le cadre d’une politique globale d’amélioration de la santé de
la population, des mesures préventives majeures peuvent être prises dans des
champs qui ne sont pas directement sanitaires. C’est évidemment le cas
lorsque l’on vise les inégalités de revenus (politique fiscale, transferts sociaux),
les opportunités de formation (implantation des établissements scolaires, qua-
lité des enseignants) ou les caractéristiques de l’urbanisation, par exemple.
Dans le champ des consommations, les trois axes les plus pertinents pour
réduire la consommation d’alcool ou de tabac sont la restriction de l’accès à
la vente de détail, le renforcement de la lutte contre la publicité et l’augmen-
tation des taxes. À ce titre, le Plan national de lutte contre le tabagisme est
cosigné par les ministres de la Santé et des Comptes publics, et fait une place
notable à l’évolution économique et sociale du réseau des buralistes
(➠ Chapitre 12).

L’importance de la veille sanitaire


La mondialisation des problèmes de santé implique le développement des
capacités de veille. Le contexte est marqué par une circulation massive et
très rapide des personnes et des biens (ainsi, en 2003, le syndrome respiratoire
aigu sévère, ou SRAS, est passé en quelques jours de la Chine au Canada),

454
Partie 2. Chapitre 16.
Enjeux pour le système de santé français et Stratégie nationale de santé

mais aussi par l’importance du commerce sur Internet (vente de produits de


santé) et de la confrontation de représentations, de discours et d’organisations
différentes (débats sur la qualité des médicaments et des vaccins). L’ambition
de construire des barrières étanches, interdisant par exemple la transmission
de certaines maladies, est illusoire.
Les réponses passent par le développement de capacités de repérage précoce
de situations inédites, comme la surveillance syndromique mise en place par
Santé publique France (➠ Chapitres 3 et 4) et en intégrant aussi les possibilités
offertes par l’exploitation du traitement de masse des données (Big Data).
Cette détection rapide des problèmes est indispensable à la mobilisation de
dispositifs de réponse non spécifiques et activables rapidement (➠ Chapitre 14).

La nécessité de repenser le pilotage du système de santé


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
La réponse aux enjeux amènera probablement à repenser les modalités de
pilotage du système en raison de l’ampleur ou de la rapidité de certaines
évolutions. Il faut notamment veiller à ce que les politiques non sanitaires
(éducation, aménagement du territoire, environnement, développement éco-
nomique, sécurité…) intègrent les préoccupations de santé publique. Ceci
plaide pour le développement accru des études d’impact sanitaire à chaque
fois que l’action publique peut moduler l’expression de déterminants de santé.
Dans le contexte français, une pratique interministérielle plus approfondie,
impliquant l’État à son plus haut niveau, apparaît comme une conséquence
logique, l’administration de la santé ayant alors un rôle d’impulsion, de four-
niture d’expertise et de pilotage sectoriel. Une vigilance éthique permanente
est aussi nécessaire, notamment pour ne pas creuser les inégalités sociales et
de santé.
Enfin, sur le plan international, faire en sorte que, par des actions de
coopération pour le développement, chaque pays ait la possibilité d’endiguer
une maladie avant qu’elle ne s’étende ailleurs est évidemment une modalité
d’action efficace (voir l’épidémie de fièvre Ebola en Afrique de l’Ouest,
2014‑2015). Une dynamique analogue de développement de structures sani-
taires pourrait aussi avoir son utilité pour réduire des flux migratoires pour
raisons sanitaires (Comores, Guyanes, Antilles…).

16.1.3. Le contexte
Le contexte français d’action en santé publique est sensible et se
caractérise par :
–  une situation sanitaire globalement favorable, malgré les problèmes exis-
tants. Ce qui induit un objectif implicite sous-jacent à toute réforme, qui est de
ne pas dégrader la situation présente et de le faire savoir de façon convaincante
à la population et aux professionnels ;
–  une demande sociétale importante adressée au système de santé, s’expri-
mant en termes de sécurité, de qualité et d’accès aisé aux soins, qu’ils soient de
base ou à la pointe d’un progrès technique largement médiatisé. Les débats

455
Partie 2. Les enjeux

réguliers sur les « déserts médicaux », les propositions d’élus visant à réglemen-
ter de façon contraignante l’installation des médecins dans le secteur ambula-
toire ou certaines revendications issues des mouvements sociaux de l’année
2019 illustrent l’importance de ces sujets pour les citoyens ;
–  une confiance altérée (mais jusqu’à quel point ?) envers le système de
santé et sa régulation à la suite de plusieurs crises ou scandales sanitaires (sang
contaminé, encéphalite spongiforme bovine, Mediator®, prothèses PIP…).
D’une façon qui pourrait paraître contradictoire en première analyse, cette ten-
dance coexiste avec la précédente ;
–  une contrainte générale de maîtrise des dépenses de santé, maintenant
étendue plus globalement à l’ensemble de la dépense publique (État, collecti-
vités territoriales, protection sociale), alors que se développe dans la population
un moindre consentement à l’impôt et aux prélèvements sociaux. Or, le système
de soins français a fait de réels efforts de maîtrise des dépenses : l’ONDAM est
ainsi respecté depuis une dizaine d’années. Mais ces efforts ont été réalisés à
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
organisation globalement inchangée et des demandes d’ajustements se font
entendre (services d’urgence, rémunérations des personnels hospitaliers…). Le
financement des nouveaux besoins (vieillissement et maladies chroniques d’un
côté, innovations médicales et techniques de l’autre, sans omettre une probable
remise à niveau de la capacité à faire face à une crise sanitaire majeure, de la
dimension de l’épidémie d’infections à Covid-19) demandera sans doute plus
que des mesures d’efficience.
La coexistence de ces éléments conduit à des tensions importantes au sein
du système de santé, qui en rendent le pilotage politique certainement plus
complexe que par le passé. Les arbitrages entre logique individuelle et impé-
ratifs collectifs, entre libertés et régulation administrative, entre groupes de
populations, entre pathologies ou activités de santé seront particulièrement
délicats. L’implication éclairée de la population dans les choix à effectuer,
couplée à une expertise technique rendue compréhensible au plus grand
nombre, permettra sans doute de réduire les difficultés, sans toutefois les faire
disparaître en raison de l’ampleur des enjeux.
C’est dans ce contexte que la France s’est dotée d’une Stratégie nationale
de santé, dont le contenu s’appuie largement sur les éléments qui viennent
d’être énoncés.

16.2. La politique de santé française

Les lois n° 2004‑806 du 9  août 2004 relative à la politique de santé


publique et n° 2016‑41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système
de santé (LMSS) ont défini le cadre actuel de la politique de santé   : une
politique de santé nationale, unique, qui relève de la responsabilité de l’État
et qui poursuit les ambitions de promouvoir les conditions de vie favorables
à la santé, d’améliorer l’état de santé de la population, de réduire les inégalités
sociales et territoriales de santé, mais aussi les inégalités entre les femmes
et les hommes, de garantir la meilleure sécurité sanitaire possible et un accès

456
Partie 2. Chapitre 16.
Enjeux pour le système de santé français et Stratégie nationale de santé

effectif de la population à la prévention et aux soins7. Cette politique se


décline principalement au niveau régional par l’action des agences régionales
de santé (ARS).
La politique de santé se définit selon plusieurs axes concourant à une
approche globale des problèmes de santé :
–  observation de la santé, identification des déterminants impliqués8, veille,
alerte ;
–  préparation et réponse aux alertes et situations exceptionnelles à dimen-
sion sanitaire (➠ Chapitre 14) ; lutte contre les é­ pidémies ;
–  promotion de la santé dans tous les milieux de vie ; prévention individuelle
et collective (➠ Chapitre 12) avec une focalisation particulière sur l’éducation
pour la santé, la mise en place d’un parcours éducatif de santé de l’enfant, la
lutte contre la sédentarité et la pratique d’activités physiques et sportives
(➠ Chapitre 11) ;
–  animation nationale des actions de protection maternelle et infantile (PMI) ;
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  organisation des soins et des prises en charge, y compris les conséquences
financières et sociales de la maladie. La loi de 2016 fait de l’organisation des
parcours de santé une modalité majeure d’évolution du système de santé
(➠ Chapitre 18) ;
–  prise en charge collective et solidaire des conséquences financières et
sociales de la maladie, de l’accident et du handicap par le système de pro-
tection sociale. Cette composante, couplée à l’impératif d’équilibre des
comptes sociaux et plus largement de maîtrise de la dépense publique, a pour
conséquence explicite que la politique de santé poursuit deux « macro-­
objectifs » : sanitaire, d’une part, socio-économique, d’autre part, en visant
à la pérennité de la protection sociale du pays ;
–  recherche dans le champ de la santé, production et diffusion d’informa-
tions ; innovation ;
–  démographie des professions de santé ; formation et adéquation de la for-
mation avec l’organisation du système et les besoins de la population ;
–  modalités d’association de la population aux débats publics sur les pro-
blèmes de santé et à l’élaboration de la politique de santé.
La politique de santé est la traduction opérationnelle d’une Stratégie natio-
nale de santé (SNS) définie par le gouvernement et qui fixe des domaines
d’action prioritaires ainsi que des objectifs d’amélioration de la santé et de
la protection sociale. La LMSS précise que la SNS comprend des éléments
spécifiques à l’enfance et à l’outre-mer9.

7. Article L1411‑1-1 du CSP : « la politique de santé est conduite dans le cadre d’une stratégie
nationale de santé définie par le Gouvernement (…). La stratégie nationale de santé détermine, de
manière pluriannuelle, des domaines d’action prioritaires et des objectifs d’amélioration de la santé
et de la protection sociale contre la maladie. Un volet (…) détermine les priorités de la politique de
santé de l’enfant. (…) La mise en œuvre de la stratégie nationale de santé fait l­ ’objet d’un suivi annuel
et d’une évaluation pluriannuelle, dont les résultats sont rendus publics. »
8. La loi fait ici référence au concept d’« exposome » (➠ Chapitre 2), qui regroupe les déterminants
accessibles aux modifications de l’environnement physique et socio-économique.
9. Article L1411‑1-1 du CSP.

457
Partie 2. Les enjeux

16.3. La Stratégie nationale de santé 2018‑2022

Dans le cadre politique français, l’existence d’une SNS pluriannuelle


et d’une politique de santé nationale implique, d’une part, que jusqu’ici
l’ensemble des organisations et dispositifs mis en place aux niveaux régio-
nal, départemental et local renvoient à une logique de déconcentration et
non de décentralisation : on peut ainsi parler de déclinaison régionale de
la politique de santé par les ARS sans véritable définition d’une poli-
tique régionale de santé – et encore moins transfert de compétences juri-
diques aux collectivités territoriales, conseils régionaux et départementaux ;
d’autre part, qu’il existe une subordination stratégique de ­l’activité des orga-
nismes d’Assurance maladie à la politique de santé de l’État.
La SNS pour la période 2018‑2022 est conçue comme un cadre général
interministériel. Elle se réfère explicitement à deux cadres supranationaux
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
issus d’une part des travaux du bureau européen de l’OMS et
d’autre part de l’Union européenne (➠ Chapitre 10).
Une première version de la SNS avait été élaborée à partir de 201310,
c’est-à-dire dans la perspective de la future loi de modernisation de notre
système de santé de 2016. Cette première étape avait été marquée par trois
objectifs : une priorité donnée à la prévention dès le plus jeune âge ; une
volonté de réorganisation de l’offre de soins centrée sur le patient, avec une
préoccupation particulière pour les soins de santé primaires (dits de premier
recours) et une logique de parcours ; et enfin un renforcement de l’information
et des droits des patients.
L’élaboration de la SNS 2018‑2022 s’est appuyée sur les travaux prépa-
ratoires commencés en 2013, mais aussi sur une analyse formulée par le Haut
Conseil de la santé publique (HCSP), qui mettait en exergue quatre menaces
pour la santé des Français et le système de santé : les risques sanitaires liés
à l’exposition aux polluants et toxiques (notamment la pollution atmosphé-
rique et l’impact du changement climatique), l’augmentation des risques
infectieux (dont l’antibiorésistance, une couverture vaccinale insuffisante et
les maladies émergentes ou ré-émergentes), l’augmentation des maladies
chroniques et les risques associés au système de santé (infections nosoco-
miales, iatrogénie). Publiée par le décret du 29  décembre 2017, l’actuelle
SNS11 approfondit la démarche et se déploie selon quatre axes pour la période
2018‑2022 :
–  mettre en place une politique de promotion de la santé, incluant la préven-
tion, dans tous les milieux et tout au long de la vie ;
–  lutter contre les inégalités sociales et territoriales d’accès à la santé ;

10. Dans le prolongement des travaux menés par le comité des « sages » animé par Alain Cordier.
Voir le rapport Un projet global pour la stratégie nationale de santé – 19 recommandations du comité
des « sages », juin 2013.
11. « Stratégie nationale de santé 2018‑2022 », ministère des Solidarités et de la Santé, Paris, dé-
cembre 2017.

458
Partie 2. Chapitre 16.
Enjeux pour le système de santé français et Stratégie nationale de santé

–  garantir la qualité, la sécurité et la pertinence des prises en charge ;


–  innover pour transformer notre système de santé en réaffirmant la place
des citoyens.
Ces objectifs ont aussi été présentés sous la forme de trois virages à prendre
par le système de santé : préventif, ambulatoire et numérique. Ces trois virages
sont évidemment porteurs de transferts de valeurs, symboliques et matérielles,
qui constituent des enjeux considérables pour le système, les usagers et les
professionnels.
La présentation de la SNS 2018‑2022 a été complétée par des disposi-
tions issues du Comité action publique 2022 (CAP 202212) ainsi que par un
plan d’appui à la transformation du système de santé annoncé dans la LFSS
pour 2018.
De façon globale, la SNS est donc porteuse d’une transformation du sys-
tème de santé qui suppose d’ouvrir plusieurs chantiers que l’on retrouve à
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
divers niveaux du texte. Ces chantiers entrent dans le cadre des trois « virages »
qui viennent d’être cités. Les évolutions à venir impacteront de façon diffuse
le système et toucheront à :
–  la qualité des soins et la pertinence des actes, en plaçant, selon une for-
mule maintes fois répétée, le patient au centre du système. Il s’agit tout parti-
culièrement de faciliter la coordination des professionnels concernés par les
différents problèmes de santé, mais aussi de renforcer les capacités des indivi-
dus à prendre leur santé en main (logique d’empowerment, information sur les
droits) et d’« aller vers » les personnes les plus éloignées du système ;
–  l’organisation territoriale, en travaillant l’articulation entre l’hôpital, les
secteurs ambulatoire et médico-social, en assurant une présence suffisante et en
faisant évoluer les champs respectifs d’intervention des professionnels ;
–  l’adaptation des modes de financement et de régulation, pour tenir
compte des nouveaux modes d’organisation, et tout particu­lièrement du par-
cours de santé, mais aussi pour inciter les professionnels et les institutions
à entrer dans les nouvelles logiques de fonctionnement ;
–  aux ressources humaines et à la formation des professionnels de santé,
avec notamment la sensibilisation aux problèmes des populations les plus
vulnérables ;
–  au développement du numérique, à la fois en termes de niveau d’équipe-
ment que de mise en place de procédures favorisant l’usage des informations,
avec une attention particulière au dossier médical partagé (DMP).
La SNS comprend en outre deux volets spécifiques, à la santé de l’enfant,
de l’adolescent et du jeune, d’une part ; à la Corse et à l’Outre-mer, d’autre part.

12. « Ma santé 2022. Un engagement collectif », ministère des Solidarités et de la Santé, Paris,
18 septembre 2018.

459
Partie 2. Les enjeux

Encadré n° 2. Les objectifs quantifiés de la SNS 2018‑2022

Les dispositions de la SNS ne font pas l’objet d’une fixation explicite d’objectif, à l’exception
de quelques cas :
–  éradication de l’épidémie de sida en 2030 ;
–  diminuer la consommation d’antibiotiques de 25 % dès 2020 ;
– parvenir à un reste à charge nul pour les prothèses dentaires, l’optique et les audiopro-
thèses d’ici à 2022 ;
–  doublement pour 2022 du nombre de maisons de santé pluri-professionnelles ;
– un médicament sur deux prescrit dans le répertoire des médicaments génériques13 en 2020 ;
– atteindre 80 % de pénétration des médicaments bio-similaires sur leur marché de réfé-
rence d’ici à 2022 ;
– déploiement de 1 000 communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour
mailler le territoire national à l’horizon 2022 ;
–  labellisation de 500 à 600 hôpitaux de proximité ;
–  100 % d’enfants ayant eu une visite préventive avant six ans en 2020.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
16.3.1. Mettre en place une politique de promotion
de la santé, incluant la prévention,
dans tous les milieux et tout au long de la vie (axe 1)
Ce premier axe de la SNS matérialise le virage préventif que doit prendre
le système de santé. Il prévoit un ensemble d’actions mises en œuvre en
direction de secteurs prioritaires : un dispositif d’incitation générale aux com-
portements favorables à la santé, des mesures d’amélioration des déterminants
environnementaux et un meilleur usage des outils de prévention.

La promotion de comportements favorables à la santé


La promotion de comportements favorables à la santé se fera, d’une part,
en renforçant les compétences psychosociales des individus par l’éducation
pour la santé et, d’autre part, en créant un environnement incitatif à l’exercice
de comportements favorables à la santé. Le renforcement des compétences
psychosociales est particulièrement recherché chez les jeunes, afin de les
rendre plus capables de gérer leur santé, et tout particulièrement de résister
aux invitations à adopter des comportements nocifs (valorisation par la publi-
cité des prises de risque, de l’entrée dans une addiction, etc.).
Les actions programmées s’efforceront de se renforcer mutuellement selon
un modèle associant de façon séquentielle : évolution des connaissances, mise
en place d’outils, création de conditions matérielles favorables à la mise en
œuvre, limitation de facteurs contraires (mesures légales et réglementaires de
limitation d’usage ou d’interdiction) pour déboucher sur une modification
durable des comportements, évaluation.

13. Les médicaments génériques mis sur le marché sont inscrits dans un répertoire spécifique. En
vertu des dispositions du décret 2016‑183 du 23 février 2016, la publication du Répertoire sur le site
de l’ANSM remplace la publication au Journal officiel.

460
Partie 2. Chapitre 16.
Enjeux pour le système de santé français et Stratégie nationale de santé

Pour les personnes les plus éloignées du système de santé et plus largement
pour tous les publics vulnérables des actions de médiation sanitaire14 et d’ac-
compagnement social seront mises en place, dans une perspective de réduction
des inégalités de santé, notamment dans les champs des addictions, de l’ali-
mentation, de la sexualité, de la prévention de l’entrée en dépendance.
Plusieurs thématiques font l’objet d’un traitement plus développé.

❱❱ Les pratiques addictives


Le champ des pratiques est ici très large, regroupant les toxicomanies
illicites, les consommations de tabac, d’alcool, de produits dopants, mais
aussi l’usage problématique des écrans et d’Internet. Les objectifs essentiels
sont de retarder l’entrée dans une addiction et d’apporter des réponses rapides
et adaptées en cas de besoin. Dans ce contexte, c’est la population jeune qui
est au centre des préoccupations. Les actions prévues sont complémentaires
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
les unes des autres et visent à mieux armer la population (information du
public, programmes de renforcement des compétences psychosociales, déve-
loppement des dispositifs d’intervention précoce), à réduire l’attractivité et
l’accessibilité des produits (dénormalisation des substances psychoactives,
restriction des lieux de consommation autorisée, taxation de produits, limi-
tation de la publicité), à développer les pratiques de réduction des risques
et des dommages et de sortie d’addiction (salle de consommation à moindre
risque, accompagnement des événements festifs… démarches collectives de
type « Moi-s sans tabac », traitements de substitution et d’aide au sevrage)
et à accroître la capacité d’intervention du personnel de l­’Éducation nationale,
particulièrement dans le domaine des conduites dopantes.

❱❱ La conduite routière dangereuse


La conduite routière dangereuse (vitesse, téléphonie au volant), dont les
conséquences pourraient être réduites par des actions éducatives et des inci-
tations à limiter des comportements nocifs.

❱❱ L’alimentation
L’action dans ce domaine repose sur un rapprochement des stratégies des
ministères de la Santé et de l’Agriculture, dont les actions peuvent être parfois
contradictoires par la confrontation d’une logique de santé, d’une part, et de
développement économique, d’autre part. Quatre axes d’intervention se ren-
forçant mutuellement sont programmés : l’appropriation par les consomma-
teurs de repères nutritionnels, le déploiement d’un étiquetage alimentaire
aisément compréhensible15, l’accès pour tous à des aliments de qualité et en

14. Voir décret n° 2017‑816 du 5 mai 2017 relatif à la médiation sanitaire et à l’interprétariat lin-
guistique dans le domaine de la santé
15. Le dispositif choisi est le Nutri-Score, un système d’étiquetage nutritionnel (il ne s’applique
donc qu’aux produits emballés avant commercialisation) et consistant en une échelle de cinq valeurs,
de A à E et de vert à rouge, en fonction de la valeur nutritionnelle du produit.

461
Partie 2. Les enjeux

quantité suffisante et, enfin, la limitation des pratiques publicitaires et de


marketing nuisibles, notamment en direction des enfants.

❱❱ L’activité physique
Il s’agit d’accroître l’offre d’activités et de développer des espaces de
pratique (notamment marche et bicyclette en milieu urbain). De plus, la pres-
cription d’activités physiques dans le cadre d’une prise en charge médicale
sera encouragée.

❱❱ La santé sexuelle et l’éducation à la sexualité


Outre les actions classiques de promotion de la santé sexuelle, notamment
chez les jeunes, la SNS vise à une amélioration du parcours de santé en cas
de maladie sexuellement transmissible, notamment l’infection par le VIH et
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
les hépatites. La SNS reprend l’objectif de l’OMS d’une éradication de l’épi-
démie de sida en 2030.

❱❱ La prévention de la perte d’autonomie


Il s’agira de modifier les représentations sociales sur le vieillissement et
les personnes âgées (développement d’alliances inter- et multi-génération-
nelles), de promouvoir le « bien vieillir » dans le milieu de travail (rôle de la
médecine du travail, détection des facteurs de fragilité au moment du départ
en retraite), de lutter contre l’isolement, d’adapter les logements aux incapa-
cités et d’encourager l’activité physique et une alimentation satisfaisante.

❱❱ L’hygiène
L’hygiène – individuelle (lavage des mains, gestes préventifs lors d’épi-
démies hivernales…) et collective (restauration collective, lieux de soin, pis-
cines…) – devra être confortée afin de réduire l’importance des infections,
notamment digestives (toxi-infections alimentaires collectives – TIAC, épi-
démies de gastro-entérites…), cutanées, respiratoires ou oculaires.

La promotion de meilleures conditions de vie et de travail


et la maîtrise des risques environnementaux

❱❱ La lutte contre les conditions d’habitat indignes


et les pollutions intérieures
Cette lutte est menée par des mesures d’amélioration de la qualité des
logements (isolation, économies d’énergie…), l’intervention de conseillers
en environnement intérieur, tout particulièrement au bénéfice des personnes
allergiques ou atteintes d’affections respiratoires, une meilleure application
des dispositions de police d’insalubrité en relation avec les communes et
l’évolution de la réglementation visant les produits nocifs.

462
Partie 2. Chapitre 16.
Enjeux pour le système de santé français et Stratégie nationale de santé

❱❱ La santé au travail
La santé au travail pourrait être améliorée à la fois par des mesures géné-
rales (politique globale de santé et de qualité de vie au travail, utilisation du
dossier médical partagé, implication des services de santé au travail dans
l’organisation et le fonctionnement des parcours de santé, formation des diri-
geants d’entreprise) et par des actions plus spécifiques visant la prévention
des risques psychosociaux, l’accompagnement des victimes du syndrome
d’épuisement professionnel (burn-out), la prévention et la prise en charge des
troubles musculo-squelettiques et le développement du télétravail16.

❱❱ La réduction de l’exposition aux pollutions extérieures


et aux substances nocives
Ce secteur est très développé dans la SNS. Pour constater des avancées
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
notables dans ce domaine, il sera nécessaire d’articuler l’action de nombreux
intervenants dans les sphères sanitaire, mais aussi économique et sociale, ce
qui en fait typiquement une thématique interministérielle. La SNS met cepen-
dant l’accent tout particulièrement sur les champs d’action les plus spécifiques
du secteur de la santé :
–  sensibilisation de la population ;
–  réduction des expositions (pollution atmosphérique, traçabilité des subs-
tances nocives, contrôle du risque chimique dans les entreprises, limitation des
intrants en agriculture, qualité des eaux, bruit), de façon générale en couplant
des mesures de réduction des émissions et de surveillance des milieux ;
–  activités de recherche destinées notamment à éclairer les problématiques
liées à des nouveaux polluants (perturbateurs endocriniens, nanomatériaux),
aux expositions multiples, aux effets d’accumulation au long de la vie et inter-
générationnels, cela en veillant à la transparence et l’indépendance des travaux.
Il sera ainsi produit annuellement un rapport d’actualisation des connaissances
en santé environnementale ;
–  limiter les conséquences environnementales du fonctionnement du sys-
tème de santé (rejets médicamenteux, notamment antibiotiques, hormones,
déchets d’activités de soins…).

❱❱ La prévention des maladies vectorielles


La prévention des maladies vectorielles (paludisme, dengue, chikungunya,
maladie à virus Zika, maladie de Lyme…) est un objectif d’autant plus impor-
tant que le changement climatique et l’extension de l’aire de présence de ces

16. Il faut cependant noter que si le télétravail semble apporter de réels avantages aux travailleurs
(réduction du temps passé dans les transports, meilleur équilibre entre vie privée et vie profession-
nelle, plus grande autonomie dans l’organisation du travail avec, au final, un accroissement de la
productivité), il peut aussi induire des difficultés, notamment une augmentation du temps de travail
et une porosité nuisible entre activité professionnelle et vie privée. Voir, par exemple, le rapport :
Eurofound, International Labour Office, « Working Anytime, Anywhere : The Effects on the World of
Work », 2017(www.eurofound.europa.eu/publications).

463
Partie 2. Les enjeux

maladies à la métropole entraîneront à l’avenir des épidémies dans des ter-


ritoires jusqu’ici indemnes. Il faut donc accroître la surveillance entomolo-
gique, développer la lutte anti-vectorielle (principalement contre les
moustiques) pour éviter la création de réservoirs permanents de vecteurs
conduisant à une situation d’endémie, se doter des moyens nécessaires à une
réponse rapide et adaptée en cas de début d’épidémie et informer public et
professionnels de santé sur la situation épidémiologique et les mesures pré-
ventives à prendre en termes d’hygiène personnelle et environnementale
(suppression des points d’eau stagnante, par exemple).

Mobiliser les outils de prévention du système de santé


Dans ce domaine, le système de santé est analysé comme un outil d’amé-
lioration de la santé de la population, mais aussi comme une source de risques
par certains aspects de son fonctionnement. Les objectifs portés par la SNS
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
sont les suivants .

❱❱ Renforcer la protection vaccinale de la population


Une mesure phare, l’extension de l’obligation vaccinale, est entrée en vigueur
au 1er  janvier 2018 pour les enfants nés à partir de cette date (➠ Chapitre 12).
Il est aussi nécessaire d’améliorer l’information de la population et des profes-
sionnels de santé sur la vaccination, ainsi que l’accessibilité et la sécurité d’ap-
provisionnement des vaccins (➠ Chapitre 15), et de mieux vacciner les personnes
à risque contre la grippe ainsi que les professionnels de santé.

❱❱ Lutter contre l’antibiorésistance


C’est un enjeu important, tout particulièrement dans un pays fort consom-
mateur d’antibiotiques (➠ Chapitre 15). Les objectifs visés sont : une diminution
de la consommation d’antibiotiques avec un objectif de baisse de 25 % pour
2020, l’amélioration de la pertinence des prescriptions (notamment en distinguant
mieux les infections bactériennes des infections virales), le meilleur ciblage des
traitements par des examens diagnostiques adaptés, le développement de nou-
veaux antibiotiques et de produits permettant de lutter contre les résistances.

❱❱ Mieux dépister et prendre en charge plus précocement


les pathologies chroniques
Cela conduit à définir des actions en direction des principaux groupes de
pathologies concernées :
–  cancers : il s’agira principalement de conduire les ajustements nécessaires
des dépistages organisés des cancers du sein, du col de l’utérus et du colon-
rectum (➠ Chapitre 12), et éventuellement de mettre en place d’autres dépis-
tages organisés ;
–  maladies cardio-vasculaires : en favorisant de nouvelles méthodes d’ac-
compagnement des populations à risque dans le changement de leurs habitudes
de vie (alimentation, exercice physique…) ;

464
Partie 2. Chapitre 16.
Enjeux pour le système de santé français et Stratégie nationale de santé

–  diabète : en visant tout particulièrement la prévention des complications ;


–  insuffisance rénale : développement de parcours de santé permettant de
retarder le recours à la dialyse et la greffe rénale ;
–  maladies neurodégénératives (maladie d’Alzheimer et troubles appa-
rentés, maladie de Parkinson, sclérose en plaques, principalement) : actions
de dépistage, d’accompagnement et de prise en charge des personnes
concernées.

❱❱ Faciliter la mise en œuvre des actions de promotion


de la santé dans tous les milieux de vie
C’est un objectif très multi- et inter-institutionnel, dont l’atteinte repose
principalement sur une mise en synergie des nombreux acteurs concernés.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
16.3.2. Lutter contre les inégalités sociales et territoriales
d’accès à la santé (axe 2)
L’atteinte de cet objectif repose sur une logique d’« aller vers » les publics
en difficulté, mais aussi sur des mesures visant à réduire les freins financiers
à l’accès aux soins et les lacunes physiques dans le dispositif (que l’on appelle
« zones blanches » ou « déserts médicaux » ou « difficultés dans la permanence
des soins »…).

Lever les obstacles sociaux et économiques


à l’accès aux services de santé
Cela implique en premier lieu de lutter contre le renoncement aux soins,
que celui-ci soit induit par des contraintes économiques ou par d’autres fac-
teurs. Ce qui passe par les actions suivantes :
–  Le renforcement de l’accès à la couverture maladie (➠ Chapitre 7), en
tirant au mieux parti de la création de la Protection universelle maladie (PUMA),
en informant les usagers de leurs droits parfois méconnus, en simplifiant les
démarches administratives, en luttant contre les refus de soins par les profes-
sionnels de santé, en modifiant le cadre de l’Aide à l’acquisition d’une assurance
complémentaire santé (ACS) afin de diminuer les effets de seuil de revenus
nuisibles.
–  La limitation du reste à charge pour les assurés sociaux, portée par une
mesure phare de la SNS : l’obtention d’un reste à charge nul en 2022 pour les
prothèses dentaires, auditives et l’optique médicale. Cet objectif suppose des
opérations assez complexes de définition des produits concernés par le projet
(car il ne peut être envisagé une extension générale du dispositif) avec un équi-
libre à trouver entre une qualité suffisante et des prix acceptables. Une négocia-
tion avec les fabricants, les distributeurs et les assureurs complémentaires est
aussi nécessaire car l’opération est censée ne rien coûter à l’Assurance maladie
de base. Ce sujet pourrait être annonciateur de chantiers analogues dans d’autres
secteurs du système de santé : ainsi il est prévu de faire évoluer les modalités du

465
Partie 2. Les enjeux

reste à charge hospitalier. Enfin, des actions d’incitation des professionnels à


modérer leurs tarifs sont prévues par le biais notamment des contrats respon-
sables et des contrats de maîtrise de la pratique tarifaire.
–  L’accompagnement du recours aux services de santé pour les personnes
vulnérables ou qui en sont éloignées (jeunes en situation de fragilité sociale,
personnes privées de liberté, personnes à la rue, notamment) se fera par des
actions d’optimisation générale des dispositifs existants, qu’ils soient sanitaires
ou sociaux. Certaines mesures paraissent plus précises, comme le développement
des structures de type permanence d’accès aux soins de santé (PASS), le déploie-
ment de plateformes d’accès aux soins et à la santé dans chaque caisse primaire
d’Assurance maladie, l’organisation de la continuité des prises en charge lors
des sorties d’hospitalisation ou bien encore le développement d’équipes mobiles,
dites « psychiatrie précarité ». Pour les personnes incarcérées, plusieurs problé-
matiques sont identifiées (handicap, santé mentale, perte d’autonomie), pour
lesquelles des actions de repérage, de prévention et de soins doivent être mises
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
en place en veillant à la continuité des soins lors des sorties de détention.
–  Prévenir la désinsertion professionnelle et sociale des patients se fera
essentiellement par des mesures visant à mieux articuler la démarche soignante
et la démarche de réhabilitation sociale et professionnelle, notamment en amé-
liorant l’intervention des services de santé au travail, le repérage précoce, le
recours à la formation et aux dispositifs de reconversion professionnelle.

Garantir l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire


Pour faire face aux inégalités d’accès aux services de santé dans certains
territoires (territoires ruraux, enclavés mais aussi quartiers prioritaires de la
politique de la ville), la SNS retient des actions dans les domaines suivants :
–  Renforcement de la présence médicale et soignante dans les territoires
qui le nécessitent, en diversifiant les modes d’exercice professionnel (libéral/
salarié, hôpital/ambulatoire, exercice multi-sites…), en faisant évoluer la répar-
tition des tâches entre médecins et non-médecins (transfert de compétences,
pratiques avancées…), en développant les stages extrahospitaliers des étudiants
en santé et en augmentant le temps des professionnels disponible pour les soins
(réduction des tâches administratives, services d’appui numérique aux prati-
ciens). C’est ainsi qu’il est prévu de réformer le statut des praticiens hospitaliers
et de créer des emplois d’assistants médicaux auprès des médecins libéraux17.
–  La généralisation des usages du numérique en santé « pour abolir les
distances » est une option majeure de la SNS. Ce « virage numérique » du sys-
tème de santé nécessite cependant pour être effectif :
• d’assurer la bonne couverture numérique du territoire, notamment de
l’ensemble des établissements de santé et médico-sociaux et des struc-
tures d’exercice coordonné ;

17. Un accord a été signé entre l’Assurance maladie et les principaux syndicats médicaux en
juin 2019, portant sur le versement par l’Assurance maladie d’une aide financière pour le recrutement
d’un assistant médical pour un médecin dans les zones de sous-densité médicale et d’un assistant
pour deux médecins sur le reste du territoire. En contrepartie, les médecins devront atteindre des
objectifs d’augmentation d’activité, variant en fonction de l’importance de leur file active de patients.

466
Partie 2. Chapitre 16.
Enjeux pour le système de santé français et Stratégie nationale de santé

• d’équiper les professionnels de santé et les intervenants médico-sociaux


des services numériques nécessaires (notamment une messagerie
­sécurisée)  ;
• de généraliser l’usage de la télémédecine (télé-consultations, télé-­
expertises, télé-soins) ;
• d’organiser le partage sécurisé des données médicales entre les profes-
sionnels de santé (interopérabilité des systèmes d’information, déploie-
ment du dossier médical partagé) ;
• de déployer la prescription électronique avec partage des informations
entre le prescripteur et les autres intervenants autour du patient ;
• de faciliter l’usage par les patients des diverses applications numériques
d’accès aux prestations de santé : prise de rendez-vous, consultation en
ligne, renouvellement d’ordonnance…
Par ailleurs, la SNS affiche aussi une volonté de « faire confiance aux
acteurs des territoires pour construire des projets et innover » : cette formu-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
lation traduit sans doute une marque de confiance vis-à-vis des acteurs de
terrain, mais aussi peut-être la prise de conscience de l’extrême difficulté
qu’il y a à faire face depuis le niveau central aux demandes des territoires,
notamment les plus en difficulté.

16.3.3. Garantir la qualité, la sécurité et la pertinence


des prises en charge (axe 3)
Cet axe est porteur d’un ensemble de mesures de réorganisation du système
de santé, au niveau des soins de santé primaires et des établissements
hospitaliers.

L’adaptation de l’offre de santé des territoires


pour répondre aux besoins de la population
Cela renvoie tout particulièrement au « virage ambulatoire » du système
de santé, qui vise à rééquilibrer l’offre de soins au profit du secteur ambula-
toire, en donnant à l’hôpital une fonction de recours et d’expertise et en
développant les alternatives à l’hospitalisation traditionnelle18 (➠ Chapitres 8
et 18). Plusieurs objectifs opérationnels se dégagent.

❱❱ Restructurer les soins primaires (ou de premier recours)


Cela vise à assurer la qualité et la continuité des prises en charge
(➠ Chapitre 11), ce qui signifie notamment garantir la réponse aux demandes
de soins urgents et de soins non programmés aux heures d’ouverture des
cabinets de ville. Pour ce faire, la SNS vise à rendre dominants les modes

18. L’extrême focalisation sur les soins hospitaliers, notamment ceux du service public, lors de
l’épidémie d’infections à Covid-19, pourrait faire discuter dans l’avenir cette option.

467
Partie 2. Les enjeux

d’exercice coordonné (équipes de soins primaires, communautés profession-


nelles territoriales de santé – CPTS –, centres de santé et maisons de santé
pluri-professionnelles avec, pour ces dernières, un objectif de doublement
de leur nombre en cinq ans) et à améliorer les articulations entre médecins
spécialistes et dispositif de premier recours.

❱❱ Restructurer l’offre hospitalière


L’objectif est de concilier l’existence de soins de proximité et la mise à
disposition de plateaux techniques et de prestations d’expertise : pour cela,
il convient de s’appuyer sur les groupements hospitaliers de territoire (GHT,
issus de la loi de modernisation de notre système de santé de 2016
(➠ Chapitre 8) ; et sur la mise en place d’hôpitaux de proximité, qui englo-
beront activités de médecine polyvalente, gériatrie, soins de suite et de réa-
daptation, consultations externes, et mettront en œuvre un plateau technique
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de biologie et d’imagerie, des équipes mobiles et des équipements de télé-
médecine. L’objectif est de labelliser de 500 à 600 établissements de cette
catégorie.
Ces évolutions vont impliquer une refonte du droit des autorisations et
des conditions techniques de fonctionnement, afin de faciliter l’émergence
de nouvelles organisations ainsi que de moderniser et de rendre interopérables
les systèmes d’information. Les opérations devraient être conduites dans une
logique de « gradation des soins » (c’est-à-dire de hiérarchisation raisonnée)
entre soins de proximité, soins spécialisés, soins de recours et de référence,
organisés à des échelles territoriales différentes. Le chantier sera mené de
façon progressive, en débutant par les activités particulièrement sensibles :
urgences, maternité, réanimation, imagerie et chirurgie.
L’évolution des modes de financement de l’activité hospitalière se fera,
d’une part, vers des modèles plus forfaitaires et récompensant la pertinence
des parcours et, d’autre part, vers une prise en compte plus importante de la
qualité, sur la base d’indicateurs de résultats.

❱❱ Améliorer l’accès aux soins des personnes handicapées (PH)


et des personnes âgées (PA), et favoriser les prises en charge
au plus près des lieux de vie
Cet objectif fait référence expressément aux travaux du Comité intermi-
nistériel du handicap19, à la charte Romain Jacob20 sur l’accessibilité des lieux
de soins et au guide d’amélioration des pratiques professionnelles de la Haute

19. CIH : le Comité interministériel du handicap a pour mission de « définir, coordonner et évaluer
les politiques conduites par l’État en direction des personnes handicapées ».
20. La charte Romain Jacob a été signée 2014 : « Les signataires s’engagent à promouvoir l’accès
des personnes en situation de handicap aux soins courants et spécifiques en milieu ordinaire, quelle
que soit la spécialité médicale ou paramédicale. Cette Charte a pour but de fédérer l’ensemble des ac-
teurs régionaux et nationaux autour de l’amélioration de l’accès aux soins et à la santé des personnes
en situation de handicap. »

468
Partie 2. Chapitre 16.
Enjeux pour le système de santé français et Stratégie nationale de santé

Autorité de santé21 portant sur l’accueil, l’accompagnement et l’organisation


des soins en établissement de santé pour les personnes en situation de han-
dicap. En pratique, les mesures prévues sont très diverses : évolution de la
rémunération des personnels et des établissements, adaptation des capacités
d’accueil, recours à la télémédecine et l’hospitalisation à domicile, identifi-
cation des personnes éloignées du système de soins par ­l’exploitation des
données des organismes de protection sociale, adaptation des actions de pré-
vention et d’éducation à la santé aux besoins des personnes en perte d’auto-
nomie et des PH (valorisation notamment de la pair-émulation22), promotion
de la bientraitance et respect du libre choix du parcours de santé, meilleur
accès aux soins bucco-dentaires. Il est aussi programmé un bilan de santé
annuel pour les PH au sein des établissements et services médico-sociaux.
Enfin, dans la logique d’innovation qui caractérise la SNS, il est prévu de
développer des interventions non médicamenteuses et des aides techniques
et technologiques de l’autonomie dans le champ de l’accompagnement des
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
PA et PH ; cette dernière opération n’est pas dénuée de retombées écono-
miques potentielles (silver économie, ou économie des séniors).

❱❱ Améliorer la transversalité et la continuité des parcours


en santé mentale
Cet objectif est en fait en grande partie une reprise de mesures visant à
la qualité, la continuité et l’adaptation du système de santé, développées de
façon générale ou pour les PA et PH, en les déclinant dans le cadre des
projets territoriaux de santé mentale et des conseils locaux de santé mentale.
Une attention particulière est accordée aux troubles alimentaires (anorexie,
boulimie), à la prévention du suicide (notamment de la récidive après une
première tentative) et à l’autisme et aux troubles qui y sont apparentés.

❱❱ Assurer la continuité des parcours avec une offre transversale


entre acteurs sanitaires, médico-sociaux et sociaux
Cela constitue un objectif très général de transformation du système de
santé (➠ Chapitre 18).

Développer une culture de la qualité et de la pertinence

❱❱ Développer une démarche d’amélioration continue de la qualité


et de la sécurité des soins en y associant les usagers
Il s’agit de se doter d’indicateurs plus pertinents et publics, dans le double
but de disposer de données plus utiles et aussi de réduire l’asymétrie

21. Voir le guide méthodologique de la HAS paru en octobre 2018, Accueil, accompagnement et
organisation des soins en établissement de santé pour les personnes en situation de handicap.
22. « Pair-émulation » : traduction de l’anglais peer counceling. Cette activité consiste en la trans-
mission par des PH ayant surmonté certaines difficultés de leur expérience à d’autres PH confrontées
aux mêmes difficultés.

469
Partie 2. Les enjeux

d’information entre public et professionnels. Les mesures programmées sont


assez classiques dans le domaine (➠ Chapitre 13) :
–  Mieux évaluer les effets des pratiques soignantes et, plus largement
développer des indicateurs de résultats, de vigilance et d’alerte pour les sec-
teurs ambulatoire, hospitalier et médico-social.
–  Mieux gérer les événements indésirables graves (EIG) : encourager le
signalement et créer des structures régionales d’appui à la qualité des soins et
à la sécurité des patients.
–  Développer la mesure de la satisfaction des patients (« expérience-pa-
tient », « qualité ressentie et déclarée »).
–  Développer les dispositifs de médiation, pour améliorer les relations au
sein des équipes soignantes et entre soignants et patients.

❱❱ Améliorer la pertinence des prescriptions


et des prestations de santé
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Pour cela :
–  Privilégier des financements incitatifs (tarification au parcours ou à l’épi-
sode de soin).
–  Inciter patients et professionnels à discuter la balance bénéfice/risque des
prescriptions ou des actes.
–  Mieux diffuser les référentiels de bonnes pratiques pour développer l’aide
à la prescription et à la décision.
–  Développer l’usage des médicaments génériques et bio-similaires, avec
fixation d’objectifs quantitatifs très précis (voir encadré).

❱❱ Adapter le système de veille et de vigilance aux « signaux faibles »


ou aux risques émergents, et renforcer la résilience du système de santé
face aux situations sanitaires exceptionnelles
Les situations sanitaires exceptionnelles peuvent être de natures
diverses (attaques terroristes, catastrophe climatique, atteinte à la cyber-sé-
curité, épidémies), d’une ampleur considérable et si rapidement instal-
lées qu’elles risquent de déborder le système de santé dans son fonctionnement
de ­routine. Pour faire face à ces défis, plusieurs actions sont prévues :
–  développer la déclaration d’événements par les professionnels et le public
via un portail Internet accessible ;
–  restructurer au niveau régional les systèmes de veille et de vigilance ;
–  doter les autorités sanitaires des moyens opérationnels suffisants pour les
risques émergents (afflux de victimes, adaptation des stocks vitaux, sécurisation
des systèmes d’information) ;
–  accroître la réactivité et l’adaptabilité du système de santé face aux ­situations
nouvelles, notamment en favorisant l’interopérabilité interministérielle.

470
Partie 2. Chapitre 16.
Enjeux pour le système de santé français et Stratégie nationale de santé

Prendre soin de ceux qui soignent


L’idée sous-jacente à cet objectif est qu’une transformation du système
de santé doit s’appuyer sur des professionnels aux formations et aux condi-
tions de travail adaptées, mais aussi accompagnés lors de la mise en œuvre
des réformes. Plusieurs axes d’intervention sont retenus.

❱❱ Adapter la formation initiale des professionnels de santé,


sociaux et médico-sociaux
Pour les futurs médecins, une refonte importante de la formation est pro-
grammée, avec modification des conditions d’accès aux études de médecine
(suppression du numerus clausus pour l’accès en deuxième année, réforme
des premiers cycles des études en santé, orientation progressive, passerelles
entre formations, diversification des profils), réorganisation du 2e cycle des
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
études médicales, suppression des épreuves classantes nationales (ECN).
L’offre de stages en structures de soins primaires pour les étudiants en méde-
cine sera développée. D’autres actions seront menées :
–  former les futurs professionnels aux enjeux de prévention et de promotion
de la santé, notamment grâce au service sanitaire23 ;
–  développer la sensibilisation des étudiants au vécu du patient et aux enjeux
de la relation de soin et de la vulnérabilité des personnes ;
–  développer une culture pluri-professionnelle et du travail en équipe (for-
mations partagées, échanges de pratiques) ;
–  adapter les formations sociales et paramédicales en fonction de l’exten-
sion des pratiques avancées.

❱❱ Faire progresser les compétences tout au long


de la vie professionnelle
–  Mettre en œuvre le dispositif de développement professionnel continu
(➠ Chapitre 13).
–  Adapter le contenu des formations aux priorités de santé publique, aux
évolutions des pratiques, voire à l’émergence de nouveaux métiers (transfor-
mation numérique, innovations en santé…).
– Développer des modalités de re-certification des compétences
(➠ Chapitre 13).

❱❱ Améliorer la qualité de vie et la sécurité au travail


des professionnels de santé et médico-sociaux
Cela se fait par le moyen de dispositions générales :
–  renforcement des équipes de santé au travail dans les établissements ;

23. Le service sanitaire concerne l’ensemble des étudiants en santé et est régi par des textes datant
de 2018. Il est obligatoire pour l’obtention des diplômes et a pour objectif, au moyen d’un module
de formation de six semaines, de préparer les futurs professionnels à mener des actions de santé pu-
blique, notamment dans le champ de la prévention.

471
Partie 2. Les enjeux

–  adoption de méthodes de management propices à la qualité de vie au travail ;


–  accompagnement des professionnels dans l’évolution des organisations ;
–  amélioration de la détection et de la prise en charge des risques psy-
chosociaux, notamment des syndromes d’épuisement professionnel (burn-out).

16.3.4. Innover pour transformer notre système


de santé en réaffirmant la place des citoyens (axe 4)
En pratique, les deux composantes de cet objectif (innovation et partici-
pation citoyenne) apparaissent plus juxtaposées qu’articulées.

Soutenir la recherche et l’innovation

❱❱ Développer la production, la diffusion et l’utilisation


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
des connaissances
Il s’agit ici essentiellement de travaux visant à concevoir et à évaluer des
services de santé, dans une perspective dominante d’aide à la décision des
acteurs et des responsables des politiques de santé (plateforme d­ ’accès aux
données probantes) et dont les principales orientations consistent à :
–  développer des études médico-économiques, pour mesurer les coûts
induits par l’absence ou les retards de soins, ainsi que les coûts évités par la
prévention et la lutte contre le non-recours ;
–  mettre en place des registres de suivi des patients, des observatoires ou
des études de cohortes pour les pratiques complexes et innovantes, et favoriser
les recherches issues des données de santé ;
–  soutenir les collaborations entre équipes de soin ou de prévention et
équipes de recherche ;
–  soutenir la recherche en santé publique dans le cadre d’un programme
national de recherche mis en œuvre par l’Institut de recherche en santé
publique24 ;
–  renforcer la sécurité des recherches impliquant les personnes.

❱❱ Soutenir les innovations en santé


Cela passe par l’évaluation en continu des innovations, y compris sur leur
dimension éthique, notamment par l’utilisation des données en vie réelle, en
améliorant la coordination des acteurs concernés et en simplifiant le cadre
juridique et financier des innovations.

24. L’IReSP est un groupement d’intérêt scientifique créé par l’INSERM et qui compte aujourd’hui
une vingtaine de membres : structures de recherche en santé publique, administrations, agences de
sécurité sanitaire et caisses d’assurance maladie.

472
Partie 2. Chapitre 16.
Enjeux pour le système de santé français et Stratégie nationale de santé

❱❱ Faciliter l’émergence et la diffusion des organisations innovantes


Cela se fait par la mise en place d’un cadre juridique facilitant les expé-
rimentations25, le financement des organisations innovantes via le fonds
d’inter­vention régional (FIR) ou le fonds pour l’innovation du système de
santé. On cherchera à repérer par l’évaluation les expérimentations les plus
efficaces et ensuite à les diffuser dans le système de santé.

❱❱ Accélérer l’innovation numérique en santé


Il faut développer l’usage des technologies pour la prévention et le suivi
des pathologies chroniques, en utilisant les potentialités offertes par le numé-
rique et les outils de simulation en matière de formation. Il est ainsi
question de :
–  généraliser le dossier médical partagé (DMP) ;
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  développer la médiation numérique afin de garantir l’accès réel aux téléser-
vices proposés, en s’appuyant notamment sur les maisons de service au public26 ;
–  proposer aux patients une offre numérique complète d’éducation pour la
santé et de services personnalisés d’éducation thérapeutique ;
– donner aux professionnels des outils numériques d’aide à la décision
(évaluation des risques, aide au diagnostic et à la décision thérapeutique, modé-
lisation et simulation, planification chirurgicale…), reposant sur les bases de
données massives (Big Data) et les technologies d’intelligence artificielle.

❱❱ Garantir l’accès aux traitements innovants


Sur ce point, se reporter au chapitre 19.

Réaffirmer la place du citoyen dans le système de santé

❱❱ Réaffirmer le rôle des usagers comme acteurs de leur parcours


de santé et associer les citoyens à la gouvernance du système de santé
Il s’agit ici à la fois de rendre plus accessible l’information au public,
mais aussi de mieux intégrer l’expérience de l’usager dans les données mises
à disposition. En conséquence, la SNS vise à :
–  développer le service public d’information en santé (SPIS) pour permettre
aux usagers de recourir au système de santé de façon pertinente, de connaître
leurs droits et d’accéder à une évaluation de la qualité des prises en charge

25. Cela peut prendre par exemple la forme du décret n° 2017‑1862 du 29 décembre 2017 relatif
à l’expérimentation territoriale d’un droit de dérogation reconnu au directeur général de l’agence
régionale de santé permettant à certaines ARS, et, sous conditions, de s’affranchir de normes natio-
nales. Bien évidemment, ce type de disposition est susceptible de créer des inégalités de situation
entre territoires, mais dont on soulignera qu’elles existent déjà dans un cadre unifié.
26. Ces structures ont vocation à regrouper l’ensemble des services publics de première nécessité
pour lesquels existent des difficultés d’accès, notamment en zone rurale. Les maisons France service
devraient leur succéder dans chaque canton.

473
Partie 2. Les enjeux

s’appuyant sur des indicateurs et sur les contributions des autres usagers (prise
en compte de l’« expérience-patient ») ;
–  garantir l’accessibilité des différents supports de communication et d’in-
formation par leur traduction dans les langues étrangères les plus répandues en
France ou par leur mise à disposition en français facile à lire et à comprendre ;
–  créer une culture de la décision partagée entre soignants et patients ou
leurs représentants.

❱❱ Accompagner les aidants


Le virage ambulatoire, le développement des parcours de santé, le souhait
de rester le plus longtemps possible à domicile conduisent à mobiliser plus
fortement le support familial, et plus largement social, des personnes ; il est
donc nécessaire :
–  d’améliorer le repérage et la reconnaissance du rôle des aidants par le
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
personnel soignant et les établissements de santé, et d’assurer la formation des
professionnels concernés pour améliorer le repérage et la prise en charge des
aidants en difficulté ;
–  de développer les dispositifs de répit ;
–  de mettre en place un guichet unique permettant aux aidants de connaître
les aides à leur disposition.

16.4. Les priorités spécifiques à la politique


de santé de l’enfant, de l’adolescent et du jeune

Cette partie de la SNS est une tentative pour intégrer dans les politiques
publiques un ensemble de connaissances sur les déterminants de santé s’exer-
çant dès le plus jeune âge : intérêt de la précocité des interventions, renfor-
cement des compétences psychosociales, adaptation de l’offre de soins,
insertion des personnes handicapés…

16.4.1. Accompagner les parents dès la période prénatale


dans l’apprentissage des enjeux de santé de l’enfance
et de l’adolescence
La SNS prévoit, tout d’abord d’agir durant la grossesse, lors de l’accou-
chement et durant la période néonatale sur les déterminants de la santé et du
développement psychomoteur des enfants. Il s’agira aussi de :
–  de renforcer le réseau de la protection maternelle et infantile (PMI) ;
–  d’étudier les circonstances de survenue des accidents de la vie courante
chez les enfants de moins de 15 ans, afin d’analyser leurs facteurs de risque et
d’en déduire les actions préventives nécessaires ;
–  de sensibiliser les parents aux risques associés aux addictions ou aux
usages nocifs des écrans et aux enjeux associés à la qualité du sommeil.

474
Partie 2. Chapitre 16.
Enjeux pour le système de santé français et Stratégie nationale de santé

16.4.2. Améliorer le repérage et la prise en charge


précoces des troubles et maladies de l’enfant
Cela passe par les objectifs suivants :
–  renforcer le dépistage néonatal (éventuellement en ajoutant de nouvelles
maladies), garantir l’accès au diagnostic prénatal et développer l’intervention
des professionnels libéraux dans le dépistage, notamment des troubles visuels
et du langage, en lien avec l’Éducation nationale, les services de santé scolaire
et les modes d’accueil formels (crèches, assistants maternels…) ;
–  s’assurer que tous les enfants auront eu une visite de médecine préventive
avant l’âge de six ans d’ici à 2020 ;
–  améliorer le repérage précoce et la prise en charge du surpoids et de l’obésité ;
–  développer le repérage précoce des troubles psychiques chez l’enfant et
l’adolescent, et assurer l’accès des parents d’enfants atteints de ces troubles au
soutien à la parentalité ;
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  organiser des filières de prise en charge des troubles psychiques et
« dys27 » (notamment l’offre en centre de référence et en pédopsychiatrie).

16.4.3. Développer dès le plus jeune âge l’éducation


pour la santé et les compétences psychosociales
Il s’agit de mettre en œuvre des outils et méthodes adaptés à cet objectif
ambitieux : utilisation de jeux ludo-éducatifs, marketing social, littératie en santé
(➠ Chapitre  12). Pour aller vers les plus éloignés du système de santé, des
méthodes comme les pairs-aidants, équipes mobiles et ateliers santé ville seront
favorisées. Le service civique pourrait être une étape clé du parcours de santé
des jeunes, qui par ailleurs recevront tous une formation aux premiers secours.

16.4.4. Prévenir les violences et les maltraitances


sur les enfants
Dans ce but, des mesures diverses sont prévues :
–  sensibilisation de la population, des enseignants et des professionnels de
santé ;
–  amélioration du repérage des signaux de maltraitances et de violences ;
–  professionnalisation du recueil de la parole des enfants victimes ou sus-
pectés de l’être (formation continue des professionnels concernés, déploiement
des unités d’accueil des mineurs victimes) ;
–  accompagnement des mineurs auteurs de violences pour prévenir la
récidive.

27. Les troubles « dys » correspondent à un ensemble de troubles cognitifs induisant des perturba-
tions des apprentissages. Ils sont divers : dyslexie, dysorthographie, dysphasie, dyspraxie, dyscalcu-
lie, troubles de l’attention associés ou non à une hyperactivité, troubles mnésiques.

475
Partie 2. Les enjeux

16.4.5. Poursuivre l’adaptation de l’offre de soins


aux spécificités des enfants et des adolescents
Cela se fait en développant les possibilités d’accueil de l’entourage dans
les lieux de soins et de vie, renforçant l’accès à une scolarité adaptée dans
tous les lieux de soins, et en mettant à disposition des médicaments et des
dispositifs médicaux adaptés. L’attractivité des statuts et des conditions d’exer-
cice des professionnels de santé de PMI et de médecine scolaire sera aussi
confortée.

16.4.6. Améliorer l’accompagnement et l’insertion sociale


des enfants handicapés
Il faut privilégier l’accès aux dispositifs de droit commun tout en soutenant
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
des dispositifs spécifiques (soutien à la parentalité). Il s’agit en particulier
d’éviter les ruptures en fin de cycle scolaire ou de séjour en dispositif médico-
social, et d’accroître le taux de scolarisation, notamment des enfants porteurs
de troubles autistiques.

16.4.7. Améliorer la santé des étudiants


La SNS prévoit de mettre en place des actions de promotion de la santé
ciblées (santé sexuelle, stress, addictions) et d’améliorer la protection sociale
des étudiants. Sur le plan des moyens d’action, il est évoqué un renforcement
des services de santé universitaires pouvant accueillir des médecins spécia-
listes, un approfondissement des liens avec la médecine de ville et le
développement de la prévention par les pairs (rôle des associations
­
étudiantes).

476
Partie 2. Chapitre 16.
Enjeux pour le système de santé français et Stratégie nationale de santé

Encadré n° 3. Dispositions spécifiques à la Corse et à l’Outre-mer

Pour la Corse
• Les mesures prévues visent à prendre en compte les contraintes géographiques (insu-
larité, difficultés de communication intérieures) et humaines (fluctuations importantes
du nombre de résidents). Il s’agit pour l’essentiel de l’adaptation locale des mesures
générales. Soulignons la nécessité d’anticiper le développement de risques émergents
environnementaux ou infectieux sous l’influence notamment du changement
climatique.
Pour l’Outre-mer français
La SNS comprend des dispositions communes à l’Outre-mer, ainsi que quelques mesures
spécifiques à certains territoires. Les objectifs poursuivis sont les suivants :
1. améliorer l’état de santé des mères et des enfants, tout particulièrement en prévenant
les décès maternels évitables parmi les décès de causes obstétricales, en renforçant les
actions de protection et de promotion de la santé maternelle et de celle de l’enfant, et
en encourageant les dépistages en période pré- et néonatale (particulièrement drépa-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
nocytose, syndrome d’alcoolisation fœtale et ses conséquences, situations de
violence) ;
2. réduire l’incidence des maladies chroniques, et notamment du diabète et de ses
complications ;
3. renforcer les stratégies de prévention, de lutte contre les maladies zoonotiques et de
gestion des flambées épidémiques ;
4. réduire l’exposition des populations aux risques naturels, en améliorant la résilience
du système de santé : financement de la mise aux normes parasismiques et
­para-cycloniques des établissements, amélioration de la coordination des acteurs de
la gestion des situations de crise, communication « à froid » en direction de la popu-
lation sur les comportements à adopter pour éviter des crises sanitaires ou y faire face ;
5. améliorer l’accessibilité et l’approvisionnement en produits de santé. (Il s’agira tout par-
ticulièrement d’évaluer le coût réel de certains produits de santé et le montant des taxes
d’octroi de mer28 appliquées par les collectivités territoriales afin de les réduire ou d’ob-
tenir leur exemption.) ;
6. faire évoluer la gouvernance du système de santé et renforcer l’attractivité de ces terri-
toires pour les professionnels de santé et les équipes de direction ;
7. renforcer et adapter l’offre de formation initiale et continue ;
8. définir une trajectoire de rattrapage de la qualité du système de santé par rapport à la
métropole ;
9. structurer et prioriser les transferts et évacuations sanitaires au sein des territoires
d’outre-mer et entre ces territoires et la métropole ;
10. renforcer la coopération sur les plans régional et international, et la coopération entre
territoires d’outre-mer.
Enfin, certaines problématiques font l’objet d’un traitement territorial spécifique :
– Martinique et Guadeloupe (pollution à la chlordécone) ;
– Guyane, Mayotte, Wallis-et-Futuna (eau potable et assainissement) ;
– Mayotte (accès au droit et aux soins, couverture vaccinale).

28. L’octroi de mer est une taxe s’appliquant à de nombreux produits importés dans les territoires
ultramarins français.

477
Partie 2. Les enjeux

Points clés
• La politique de santé française est la traduction opérationnelle d’une Stratégie
nationale de santé (SNS) définie par le gouvernement et qui fixe des domaines
d’action prioritaires ainsi que des objectifs d’amélioration de la santé et de la pro-
tection sociale. La SNS française pour la période 2018‑2022 est conçue comme un
outil général interministériel. Elle se réfère explicitement à deux cadres supra­
nationaux issus, d’une part, des travaux du bureau européen de l’OMS et, d’autre
part, de l’Union européenne.
• La SNS 2018‑2022 se déploie selon quatre axes :
– mettre en place une politique de promotion de la santé, incluant la préven-
tion, dans tous les milieux et tout au long de la vie ;
– lutter contre les inégalités sociales et territoriales d’accès à la santé ;
– garantir la qualité, la sécurité et la pertinence des prises en charge ;
– innover pour transformer notre système de santé en réaffirmant la place des
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
citoyens.
• Ces objectifs prennent aussi la forme de trois virages à prendre par le système
de santé : préventif, ambulatoire et numérique.
• La SNS est porteuse d’une transformation du système de santé et suppose d’ou-
vrir plusieurs chantiers qui touchent à :
– la qualité des soins et la pertinence des actes ;
– l’organisation territoriale et l’évolution des champs d’action des profession-
nels ;
– l’adaptation des modes de financement et de régulation ;
– l’adaptation de la gestion des ressources humaines et de la formation des
professionnels de santé ;
– au développement du numérique.

Pour aller plus loin


A. Laude, D. Tabuteau (dir.), La Loi santé. Regards sur la modernisation de notre
système de santé, Presses de l’EHESP, 2016.
Y. R. Rayssiguier, G. Huteau (dir.), Politiques sociales et de santé, Presses de l’EHESP,
2018.
Chapitre 17
Les nouvelles technologies
au service de la santé
Philippe Naty‐Daufin, Élodie Carmona

Objectifs pédagogiques
Connaître :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  Les bases techniques des nouvelles technologies
– Les principales applications des nouvelles technologies dans le domaine de la
santé
– La gouvernance du numérique en santé mise en place dans le cadre de la
Stratégie de transformation du système de santé
– Les fondamentaux de l’organisation des bases de données de santé en France
et les règles générales d’accès aux données
– L’architecture générale de la numérisation du système de santé et les princi-
paux outils déployés au bénéfice des patients et des professionnels
–  Les principaux enjeux

Comme tous les autres secteurs d’activité, le domaine de la santé est


appelé à se transformer grâce à l’introduction de nouveaux outils numériques
(dossier médical partagé, exploitation de la Big Data santé, modèles prédic-
tifs, dématérialisation…) et de nouvelles techniques, comme l’impression
3D ou les tests ADN. Les usages potentiels de ces technologies sont très
larges, particulièrement pour le numérique, qui est considéré comme un des
piliers de la transformation du système de santé voulue par les pouvoirs
publics (➠ Chapitre 16).
Néanmoins, contrairement à d’autres domaines, la numérisation du sys-
tème de santé peut sembler lente : il n’est possible que depuis relativement
peu de temps de prendre un rendez-vous médical en ligne, peu d’applica-
tions de santé pertinentes pour smartphone sont disponibles, le contact
humain avec les professionnels reste privilégié par les patients… On est
très loin de l’« uberisation » de la santé annoncée par certains depuis des
années. Ce constat trouve son origine dans l’organisation du système de
santé (professions réglementées, pilotage du système par les autorités
publiques et l’Assurance maladie, asymétries d’informations entre profes-
sionnels et patients…), les conditions très strictes d’accès aux données de
santé, un cadre réglementaire très dense et plutôt restrictif, et des enjeux
éthiques et humains très forts.

479
Partie 2. Les enjeux

Toutefois, la maturité des technologies et des bases de données, l’apparition


de nouveaux besoins et défis (comme le besoin d’accès aux soins dans les
déserts médicaux ou celui d’éviter les contacts en cas d’épidémie), des chan-
gements sociétaux (diffusion de la capacité à utiliser les outils numériques,
confiance, démocratie sanitaire, vieillissement…) et industriels (certaines thé-
rapies innovantes seront connectées, individualisées, et peut-être produites
localement pour les plus fragiles), la mutation des professions et des pratiques,
et le développement de nouveaux modes d’organisation collectifs et inter­
professionnels (avec des parcours de plus en plus intégrés) vont donner un
nouvel élan à l’utilisation des nouvelles technologies dans le domaine de la
santé. La pandémie de Covid-19 illustre à quel point un événement externe peut
accélérer la mutation du système vers un plus grand usage du numérique.
Même si les défis sont nombreux (sécurité, compatibilité, formation, rôles
des différents acteurs, financement, bon usage…), il apparaît que le numérique
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
peut apporter des solutions pour notre système de santé et nos concitoyens,
à la condition qu’il soit développé pour répondre à des besoins réels, en
partenariat avec ses utilisateurs (professionnels et patients), et que le cadre
réglementaire évolue pour ouvrir les possibilités d’exploitation des données
tout en continuant à garantir la maîtrise par chacun des informations relatives
à sa santé.

17.1. Les briques technologiques

La dénomination de « nouvelles technologies » englobe les outils numé-


riques qui permettent la collecte et l’exploitation des données, et le progrès
technique, qui consiste en une amélioration de technologies existantes ou en
l’apparition de nouvelles. Dans de nombreux cas, le progrès technique se
combine avec la numérisation, ce qui permet de bénéficier des progrès liés
au traitement des données. Par ailleurs, le développement des réseaux de
communication, bien qu’indépendant des besoins liés à la santé, est un pré-
requis indispensable à une utilisation de plus en plus poussée des outils
numériques dans le domaine de la santé.

17.1.1. L’exploitation des données de santé


Elle dépend de la nature et de la qualité des données, de leur stockage,
des capacités et techniques de traitement.

Les différents types de données


On distingue différents types de données plus ou moins facilement exploi-
tables (➠ Chapitre  4). Les données structurées (par exemple, les données
du Système national d’information inter-régimes d’Assurance maladie
– SNIIRAM –, qui correspondent à une nomenclature contrôlée par

480
Partie 2. Chapitre 17.
Les nouvelles technologies au service de la santé

l­’Assurance maladie) sont nativement numériques et sont les plus simples


à exploiter. Les données non structurées, qui n’ont ni nature, ni champs de
valeurs prédéfinis, ou correspondent à des documents papiers numérisés,
nécessitent des capacités de traitement beaucoup plus puissantes (pour recon-
naître des caractères ou des images, ou encore pour dégager des règles de
classification et éliminer des données aberrantes). Leur exploitation est très
prometteuse, car de nombreuses informations en santé sont incluses dans
des bases peu structurées. Enfin, il est possible dans les données précédentes
d’isoler une sous-catégorie de données semi-structurées, par exemple grâce
à l’emploi de métadonnées (dans le cas d’une image de radiologie avec une
information sur l’organe, la date du cliché, le nom et l’âge du patient…).
Par ailleurs, les données se distinguent également par leur format de stoc-
kage (format du fichier) et leur qualité (un compte rendu de radiologie signé
d’un expert d’un organe a un meilleur niveau de preuve que le même docu-
ment signé par un radiologue « généraliste » ; cet aspect est très important
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
pour la constitution de jeux de données afin d’« entraîner » des intelligences
artificielles).

Des volumes considérables


Les quantités de données générées et collectées sont extrêmement impor-
tantes et en croissance continue. Une étude estime que 2,5 trillions d’octets
seraient générés chaque jour et que 90 % des données disponibles auraient
été créées au cours des deux dernières années. En ce qui concerne les données
de santé, un article déjà ancien estimait que le volume collecté chaque année
aux États-Unis serait de l’ordre du zettaoctet (1021 octets1). Ce volume de
données est encore promis à croître sous l’effet de l’augmentation du nombre
d’utilisateurs, de la diffusion des objets connectés et de la technologie 5G,
qui va décupler les possibilités de transmission de données sans fil. Le terme,
devenu courant, de Big Data désigne ces ensembles de données tellement
importants et complexes qu’ils sont impossibles à analyser avec des outils
classiques.

La collecte
Les données peuvent être saisies manuellement ou être automatiquement
intégrées dans des bases. La saisie manuelle a l’intérêt de permettre à un
opérateur humain de les qualifier afin qu’elles soient plus exploitables, mais
elle expose au risque d’erreur ou de manipulation et est en pratique inutilisable
quand la quantité devient trop importante. À l’avenir, il est probable que le
champ des données exploitables en santé augmente fortement avec la diffusion
des capteurs connectés (pression artérielle, activité physique…) et l’utilisation
d’informations publiées sur les réseaux sociaux.

1. W.  Raghupathi, V.  Raghupathi, « Big Data Analytics in Healthcare : Promise and Potential »,
Health Information Science And Systems, vol. 2, n° 3, 2014.

481
Partie 2. Les enjeux

Parmi les évolutions les plus importantes en matière d’objets connectés,


on peut citer :
– les wearables2 (littéralement des technologies « mettables » ou « por-
tables »), qui sont des vêtements capables de capter des informations corpo-
relles. Les usages potentiels sont très nombreux (par exemple, des chaussettes
intelligentes capables de détecter les zones de pression afin de lutter contre
l’apparition de plaies chez le patient diabétique3, des chaussures capables de
détecter des chutes ou d’évaluer la qualité de la marche…) ;
–  des piluliers connectés pour améliorer l’observance (un médicament en
lui-même peut même désormais être connecté afin d’envoyer un signal pour
confirmer son ingestion4) ;
–  des lentilles connectées, qui, alimentées par les mouvements de l’œil et
capables de communiquer à distance, pourraient permettre le suivi en continu
de paramètres biologiques (par exemple, le glucose5) ;
–  des prothèses connectées6 capables de détecter des anomalies (infection,
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
rejet, problème technique…) ou de faire varier leur fonctionnement (rythme
cardiaque, libération d’une substance, vitesse de résorption…).

Le stockage
Il peut être local (par exemple, sur le disque dur d’un ordinateur) ou, de
plus en plus, délocalisé dans le cloud (stockage des données à distance sur
des serveurs). En France, pour stocker des données de santé, les fournisseurs
de services doivent être agréés hébergeurs de données de santé7.
On distingue trois grands types de bases pour ces données massives : les
data warehouse, littéralement « entrepôt de données », qui stockent des données
de manière structurée (données datées, triées par thèmes…), les datamart, qui
sont une sous-division des data warehouse consacrée aux informations sur
une seule thématique, et les data lake, qui se distinguent des dispositifs pré-
cédents car ils hébergent simultanément des données de nature très diverses
qui peuvent être structurées ou non structurées.

La sécurisation
Elle peut recourir à des solutions de sauvegarde systématique sur des sites
dispersés, à des protections informatiques contre le piratage… et aussi à une
technologie qui paraît très prometteuse : la blockchain. Cette technologie, qui
serait pour ses promoteurs aussi disruptive que l’a été Internet, vise à

2. « IoT : plus de 1 million de wearables vendus en France », www.gfk.com, 26 avril 2017.


3. « Des chaussettes intelligentes pour les diabétiques », www.instituts-carnot.eu.
4. P. Benkimoun, « Le premier médicament connecté autorisé aux Etats-Unis », Le Monde, 20 no-
vembre 2017.
5. « Digital Contact Lenses Can Transform Diabetes Care », medicalfuturist.com, 7 avril 2016.
6. S.  Du Guerny, « FollowKnee, la première prothèse du genou connectée », Les Échos,
29 ­janvier 2018.
7. « Liste des hébergeurs agréés », esante.gouv.fr, 4 novembre 2019.

482
Partie 2. Chapitre 17.
Les nouvelles technologies au service de la santé

permettre des échanges sécurisés (potentiellement de l’argent ou des données)


entre des tiers sans dépendre d’un opérateur central (par exemple, une banque
pour les échanges monétaires). En santé, cette technologie permettrait aux
patients de mieux contrôler l’usage de leurs données et favoriserait ainsi la
confiance des citoyens.

Le traitement des données


Il s’appuie sur l’amélioration exponentielle de la puissance de calcul des
processeurs, le cloud computing (utilisation de capacités de calcul à distance),
et des méthodes statistiques, dont notamment les diverses formes d’intelli-
gence artificielle.
Le traitement des données peut utiliser des techniques statistiques classiques
(arbres de décisions, régressions multivariées…) et des algorithmes de plus en
plus complexes et raffinés qui forment ce que l’on appelle l’intelligence arti-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
ficielle. Celle-ci recourt à divers types de technologies, dont le machine lear‑
ning, qui permet à un système d’« apprendre » de manière empirique et plus
ou moins encadrée par des consignes de base grâce à l’analyse de nombreuses
données et résultats. La machine va ainsi améliorer ses propres algorithmes.
Le deep learning et les réseaux neuronaux sont différentes technologies d’al-
gorithmes auto-apprenants. L’intérêt de ces nouvelles approches est de pouvoir
exploiter de vastes quantités de données pour faire ressortir des liens et/ou des
corrélations inconnues. Par exemple, identifier de très fines modifications du
rythme cardiaque qui pourraient augurer d’un infarctus.
Le data mining 8, ou forage de données, désigne l’exploration de
­quantités très importantes de données (Big Data) en utilisant les méthodes
précédentes.

17.1.2. Les innovations techniques


À côté des progrès en informatique, il s’agit des avancées en matière de
matériaux, de miniaturisation, de capteurs… Ces innovations sont tout aussi
importantes que les progrès en matière de numérisation. Elles peuvent appor-
ter de réelles révolutions thérapeutiques.

L’analyse génétique via les puces à ADN


Il s’agit d’une technologie déjà bien maîtrisée qui a révolutionné les tests
ADN en les rendant plus rapides et réalisables en routine. Les applications
sont très nombreuses :
–  diagnostic des maladies génétiques et des cancers ;
– détection de virus et de bactéries ;

8. J.  Neesha, A.R. Nur’Aini, H.  Wahidah, « Data Mining in Healthcare. A Review », Procedia
Computer Science, n° 72, 2015, p. 306‑313.

483
Partie 2. Les enjeux

–  prévision de l’efficacité d’un traitement (identification des caractéris-


tiques génétiques d’une tumeur ou de gènes porteurs de résistance bacté-
rienne) ;
–  recherche (identification des mutations, caractérisation de l’activité
cellulaire…).
Toutes ces données peuvent ensuite être traitées pour faire ressortir des
informations inconnues (par exemple, des interactions entre gènes, l’existence
de facteurs de risque génétique…).

L’imagerie
Les développements de l’imagerie visent à améliorer sa résolution (finesse
des images), à permettre des prises de vue en 3D et combinant des éléments
biologiques de diverses natures (fluide, os, tissu mou…), à capter des images
en temps réel, à réduire les doses d’irradiation, et à améliorer le confort des
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
examens (réduction de la durée) ainsi que la productivité (via des dispositifs
pouvant assister les opérateurs et/ou le radiologue).
Ces progrès reposent sur :
– les sources de rayonnement et les agents de contraste ;
–  les capteurs (numérisation, haute résolution, capacité à combiner plusieurs
signaux ; par exemple, la technologie TEP-IRM) ;
–  les logiciels de traitement du signal (reconstruction d’image 3D, fusion
d’images, détection automatique d’anomalies par des intelligences artifi-
cielles…) ;
–  la miniaturisation des composants, qui permet de développer des dispo-
sitifs d’imagerie portables ou utilisables dans l’organisme (par exemple, les
capsules vidéo-endoscopiques pour réaliser une exploration du colon).

La radiothérapie
La radiothérapie permet de détruire des cellules cancéreuses à distance en
utilisant des rayonnements.
Cette technique est très efficace, mais sa limite tient à la nécessité de ne
pas attaquer les tissus sains qui entourent les tumeurs. Le progrès techno-
logique intervient sur ce point, avec l’utilisation d’un nombre croissant de
faisceaux afin de diminuer l’énergie de chacun et d’obtenir une intensité
maximale au point de jonction (et donc moins importante dans les tissus sains
traversés). Par ailleurs, les appareils offrent de plus en plus de possibilités
en matière de taille et de géométrie des zones traitées. Parmi les développe-
ments à venir, on peut citer une capacité à moduler encore plus finement
l’intensité des rayonnements, l’utilisation d’anticorps ou de nanoparticules
pour maximiser l’effet des rayons, ou encore la capacité à faire varier les
angles de tir des rayons via l’utilisation d’un bras robotisé mobile. La numé-
risation et la combinaison avec des capteurs de mesure en temps réel per-
mettront d’optimiser l’ensemble du processus.

484
Partie 2. Chapitre 17.
Les nouvelles technologies au service de la santé

Les nouveaux matériaux et l’impression 3D


Parmi les nouveaux matériaux, on peut citer le recours croissant à des
alliages de titane et des céramiques, mais aussi aux matériaux biologiques
(par exemple, une matrice de collagène pour réparer des os) et aux nanotech-
nologies9. Combiné à l’impression 3D, ces nouveaux matériaux permettent
de préparer des prothèses parfaitement adaptées à la morphologie du patient.
En 2011, une première prothèse de mâchoire en titane sur mesure a été posée,
puis en 2013 une prothèse de crâne10. Ils permettent aussi d’obtenir des sur-
faces qui ne provoquent pas de phénomène de coagulation et peuvent accom-
pagner des mouvements de manière plus naturelle.
Plus futuriste, la combinaison de la thérapie cellulaire et de l’impression
3D pourrait permettre à terme d’« imprimer » des organes (dépôt de couches
successives de cellules). Nous sommes encore loin de cette réalité, mais les
progrès sont tels que, déjà, une équipe américaine a réussi à imprimer le tube
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
contourné proximal d’un rein11. À plus court terme, cette technique pourrait
permettre de créer des tissus artificiels pour tester des traitements ou les
implanter chez des patients dans le cadre de la médecine régénérative.

17.2. Les applications des technologies numériques


dans le domaine de la santé

La liste des applications potentielles ne cesse de croître sous l’effet des


avancées techniques et de l’imagination des start-up. Bien souvent, il s’agit
de remplacer une procédure traditionnelle par sa version numérique ou de
répondre à un besoin qui était impossible à couvrir avec les outils classiques
ou qui n’était pas identifié. Parmi les applications, on peut citer de manière
non exhaustive :

17.2.1. Les actions de prévention


Une difficulté bien connue des actions de prévention réside dans le fait qu’elles
n’atteignent souvent pas complètement leur(s) public(s) cible(s). Elles vont ainsi
parfois inciter des personnes qui ont déjà un bon comportement à l’améliorer,
mais pas nécessairement changer les habitudes des personnes les plus à risque
(➠ Chapitre  12). Les nouvelles technologies peuvent répondre à cet enjeu de
plusieurs manières : identification et segmentation des personnes les plus à risque

9. E. Garcion, INSERM, « Nanotechnologies. Un nouveau pan de la médecine », dossiers d’infor-


mation, www.inserm.fr.
10. INSERM, « Impression 3D laser du vivant : une approche innovante à Bordeaux », communi-
qué de presse, 4 juillet 2014.
11. Wyss Institute, « A Step Forward in Building Functional Human Tissues », wyss.harvard.edu,
11 octobre 2016.

485
Partie 2. Les enjeux

(par exemple, via datamining et outils de relation client) et adaptation de la


communication (choix du meilleur canal de communication, personnalisation des
messages, chatbot12…). Par exemple, la Caisse nationale des allocations familiales
(CNAF) utilise le datamining pour détecter des situations de non-recours aux
droits et un chatbot pour faciliter l’accès à l’information.
Par ailleurs, plutôt pour la prévention secondaire ou tertiaire, différents
capteurs peuvent être utilisés pour suivre l’évolution de paramètres ­biologiques,
mesurer l’activité d’une personne et déclencher en cas de besoin des alertes,
voire même prévenir les secours. Dans un autre registre, les logiciels métiers
des professionnels permettront de mieux prévenir l’iatrogénie en apportant
une vision exhaustive des traitements.

17.2.2. L’information des patients


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Grâce au développement d’Internet, les patients peuvent désormais obtenir
facilement des informations sur les pathologies, les traitements, les professionnels
et les établissements de santé. Ils peuvent également échanger entre eux, mesurer
l’évolution de certains de leurs paramètres biologiques pour gérer leur santé (par
exemple, avec un capteur connecté lié à une application13) ou encore utiliser des
questionnaires en ligne (symptoms checkers) à des fins de prévention ou pour
obtenir des conseils en santé. L’ensemble de ces éléments impacte profondément
la relation soignant/soigné, qui devient de moins en moins verticale et de plus
en plus horizontale (comme pour l’enseignement, les professions juridiques…).
Parmi les sources d’information accessibles sur Internet, on peut
distinguer :
–  les sites des revues scientifiques et les bases de données d’articles en ligne
(comme PubMed de la U.S. National Library of Medicine) ;
–  les sites des institutions publiques de santé, des offreurs de soins ou des
associations de patients ou de professionnels ;
–  les forums spécialisés (tel que PatientLikeMe aux États-Unis) ou généra-
listes ;
–  les sites grand public spécialisés (comme Doctissimo) ou généralistes
(articles ou éditions santé des journaux quotidiens, par exemple), qui apportent
principalement des informations vulgarisées sur les pathologies et les traite-
ments, des conseils de santé et de bien-être ;
–  les sites personnels, pages sur les réseaux sociaux ou blogs de patients ou
de professionnels.
Le problème est que la qualité des informations varie selon la source : elle
est très bonne sur les sites institutionnels, alors qu’elle est invérifiable sur
les sites personnels.
Aux États-Unis, le programme public Medicare permet aux patients de
comparer en ligne de manière simple l’activité et la qualité de plusieurs

12. Chatbot : agent fictif qui dialogue avec le patient.


13. On parle de quantified self ou de patient awareness.

486
Partie 2. Chapitre 17.
Les nouvelles technologies au service de la santé

offreurs de soins (Hospital compare, Physician compare…) avec un résultat


qui s’affiche de manière agrégée sous la forme d’étoiles (des chiffres détail-
lés sont également disponibles). Par ailleurs, il est possible pour les patients
de noter les professionnels sur des sites Internet (par exemple, sur RateMDs)
à la manière d’un Tripadvisor. Cette pratique, qui se développe en France
(notamment via Google reviews), n’est pas sans poser problème, étant donné
les nombreux effets délétères qu’elle peut avoir et les débats qui existent
sur la qualité du mode de calcul de certains indicateurs agrégés.
Les progrès des techniques de communication permettent également de
rendre l’information plus accessible aux personnes en situation de handicap
grâce à un logiciel qui lit le texte affiché pour une personne aveugle ou qui
transcrit la parole pour une personne sourde.

17.2.3. Les actions de santé publique


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Domaine utilisant depuis longtemps des statistiques à des fins d’analyse
et d’aide à la décision, la santé publique bénéficie grandement des progrès
dans l’utilisation des données.

Les modèles prédictifs populationnels


Ils permettent de modéliser l’évolution de phénomènes collectifs afin :
–  d’allouer des ressources (entre des assureurs, entre des territoires, entre
des établissements ou des groupements de professionnels…) ;
–  de prédire l’évolution d’une épidémie ou les zones qui seront touchées
par des pics de pollens ou de pollution ;
–  d’adapter l’offre de soins en anticipant l’évolution des besoins ;
–  de réaliser des simulations pour une expérimentation ou des exercices de
mobilisation des professionnels et établissements.
Encadré n° 1. Exemples de l’utilisation de modèles prédictifs

L’utilisation des réseaux sociaux pourrait ouvrir de nouvelles possibilités. Par exemple, une
évaluation du niveau de stress et d’hostilité sur Twitter a permis de mieux p ­ rédire la mor-
talité par infarctus que des modélisations classiques14. Même si ces ­résultats sont probable-
ment contestables, ils n’en demeurent pas moins marquants.
Une autre application explorée est la prédiction de la survenue de crise asthmatique en croisant
des données de surveillance (par exemple, surveillance des pollens, météo…) et des données
des réseaux sociaux15. Au-delà de l’aspect collectif, il est alors possible d’envoyer des messages
aux personnes concernées pour qu’elles évitent les zones à risque aux moments où les pics de
pollution ou de pollens sont prévus. Il s’agit alors d’une action de prévention en temps réel.

14. J.C. Eichstaedt et al., « Psychological Language on Twitter Predicts County-Level Heart Di-
sease Mortality », Psychological Science, vol. 26, n° 2, 20 janvier 2015.
15. H. Dai, B.R. Lee, J. Hao, « Predicting Asthma Prevalence by Linking Social Media Data and
Traditional Surveys », The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 669,
n° 1, p. 75‑92.

487
Partie 2. Les enjeux

D’une manière générale, l’exploitation des données des réseaux sociaux ou des recherches
Internet peut apporter des données très précieuses. Par exemple, il serait possible d’effec-
tuer le suivi d’une épidémie ou une surveillance des effets secondaires en quasi-temps réel
en géolocalisant les recherches et publications sur les réseaux sociaux liées à une maladie,
un produit de santé ou à un symptôme. L’inconvénient de cette approche est sa réelle
imprécision et son caractère très intrusif dans la vie privée des citoyens, qui pose inévita-
blement la question de la protection des données personnelles.

L’identification de liens statistiques inconnus


Le traitement des données rassemblées dans le Health Data Hub pourra
faire ressortir des corrélations inconnues et permettra ainsi d’identifier de très
nombreux facteurs de risque ou, inversement, des bonnes pratiques.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Le suivi et le contrôle d’une épidémie
Le suivi de l’expansion d’une épidémie et la lutte contre celle-ci par la
mise en quarantaine des sujets potentiellement exposés peuvent être aidés
par tous les moyens permettant de suivre les mouvements des individus indi-
viduellement ou collectivement.
Le suivi des mouvements de populations entre les territoires permet d’an-
ticiper les variations de besoins de capacité de soins et l’émergence potentielle
de nouveaux foyers épidémiques. Le suivi individuel peut permettre d’indi-
quer à une personne qu’elle a été en contact avec une personne contaminée
et doit s’isoler.
Les moyens techniques possibles sont le tracking ou traçage au moyen
de tout appareil individuel géolocalisable (par GPS ou localisation des signaux
d’appel), le suivi géographique des paiements par carte bancaire, ou encore,
de manière passive, l’utilisation de la reconnaissance faciale sur les images
de vidéo-surveillance.
L’utilisation de ces moyens est toutefois difficile en Europe, car ils
remettent en cause nos droits fondamentaux et nécessitent de doter chacun
d’un moyen de suivi. Leur niveau d’acceptabilité sociale est très incertain,
d’autant que des sanctions pourraient être mises en place en cas de ­non-respect.
La mise en place de cette approche dans différents pays lors de la pandémie
de Covid-19 de 2020 en illustre tous les défis.

La détection des effets secondaires ou de nouveaux effets bénéfiques


La détection précoce des effets secondaires devrait être facilitée par la
constitution de grandes bases de données et l’utilisation de dispositifs d’in-
telligence artificielle, qui pourraient mettre en évidence des corrélations entre
incidents de santé et recours à un produit ou service. Par exemple, un tel
système aurait pu identifier le lien entre utilisation du Mediator® et taux
anormalement élevé de chirurgie des valves cardiaques. Au-delà des bases
de données, les informations publiées sur les réseaux sociaux et les forums

488
Partie 2. Chapitre 17.
Les nouvelles technologies au service de la santé

pourraient également être utilisées pour détecter de nombreux signaux faibles


(personnes se déclarant fatiguées ou faisant part de maux de tête ou de vomis-
sements annonciateurs de pathologies plus lourdes…).
À l’inverse, l’efficacité de combinaisons de médicaments non précédem-
ment testées ou de nouvelles indications potentielles pour des principes actifs
pourrait également ressortir de ces grandes bases de données.

17.2.4. L’efficacité des soins


Elle peut être accrue grâce à une amélioration de la coordination et un
ensemble d’outils d’aide à la décision ou à la réalisation d’un acte. On peut
notamment citer :

Des outils au service de la coordination des soins


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Il peut s’agir d’une messagerie sécurisée entre professionnels (comme
MSSanté en France ou NHSmail au Royaume-Uni) et/ou patients, d’outils
de prise de rendez-vous en ligne, ou encore des dossiers médicaux électro-
niques (dossiers intégrés dans des logiciels métiers ou en ligne, comme le
dossier médical partagé). Le futur Espace numérique de santé permettra
notamment aux patients d’accéder à l’ensemble de ces fonctionnalités.
Par ailleurs, les professionnels et les patients utilisent également pour des
usages de santé (telle que la téléconsultation) des applications grand public
censées être sécurisées, comme WhatsApp ou Messenger : cela n’est pas sans
poser de questions sur la possibilité de captation de ces données.

Des outils au service de la qualité de soins

❱❱ Les dispositifs d’aide au diagnostic


Il s’agit d’intelligences artificielles capables d’identifier des symptômes
(au moyen de questions ou de capteurs) puis d’établir un diagnostic diffé-
rentiel comme le fait un médecin (possiblement en prenant en compte des
clichés radiologiques et des résultats d’analyses biomédicales). L’avantage
de ces dispositifs réside dans : leur capacité à être à jour des dernières connais-
sances et fusionner un très grand nombre d’informations, leur insensibilité à
la fatigue, et le détachement émotionnel qui peut faciliter certains « aveux »
de la part du patient. Ils sont toutefois limités dans leur interaction avec le
patient (certains utilisent un chatbot pour établir un dialogue avec le patient)
et incapables de changer de conversation pour détecter ce que le patient
pourrait vouloir masquer. Globalement, ces intelligences artificielles sont de
plus en plus efficaces et, dans certaines situations particulières, elles arrivent
désormais à faire jeu égal avec les médecins16. Ces outils devraient demain

16. T. Boisson, « Babylon : l’intelligence artificielle qui diagnostique des patients aussi bien que
des médecins expérimentés », trustmyscience.com, 5 juillet 2018.

489
Partie 2. Les enjeux

davantage accompagner l’activité des professionnels que les remplacer (par


exemple, en radiologie, certains traitements numériques peuvent détecter des
anomalies infimes et éviter les problèmes de fatigue ou d’erreur humaine).

❱❱ Les logiciels d’aide à la prescription


Ils sont intégrés au logiciel métier des professionnels et ont pour objectif
d’améliorer la qualité, la sécurité et l’efficience des prescriptions en faisant
des propositions sur la base du diagnostic (par exemple, en prenant en compte
une recommandation de la HAS), en détectant les risques d’effets indésirables
connus, en favorisant la prescription en dénomination commune internationale
(ce qui facilite la délivrance de médicaments génériques), en évitant les erreurs
(par exemple, une posologie erronée, un médicament en doublon…), et en
sécurisant la prescription (plus de problème de lisibilité dû à une mauvaise
écriture et possibilité de e-prescription). Il a été prouvé que cette technologie
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
améliore la sécurité des prescriptions17 avec une réduction très importante
des erreurs (jusqu’à un facteur dix). Pour assurer la sécurité de leur utilisation,
ces logiciels sont désormais tous certifiés par la HAS. L’Assurance maladie
soutient leur utilisation par une incitation financière prévue par la convention
médicale.

❱❱ Les modèles prédictifs de l’évolution d’une situation individuelle


Ils vont, à partir d’informations sur la personne (données socio-économiques,
données de santé, prescriptions et consommation médicamenteuse), prédire
de manière statistique (en termes de probabilités) et à un horizon de temps
donné18 comment son état de santé pourrait évoluer : probabilité de survenue
d’une maladie, d’une hospitalisation, d’une complication à la suite d’une
chirurgie, d’une rechute, inefficacité d’un traitement, perte d’autonomie ou
décès… Pour cela, un score de risque, qui décrit la probabilité de survenue
de l’événement pour un individu, est calculé. Ces modèles permettent notam-
ment d’améliorer les parcours de soin (par exemple au Royaume-Uni ou en
Espagne) ou encore de mener des études et évaluations (par exemple au
Royaume-Uni ou en Allemagne)19.
L’efficacité de ces modèles varie selon les domaines. Elle serait assez
faible pour la prévision de la consommation de soins (valeur prédictive posi-
tive de 25 à 30 %), mais beaucoup plus efficace en matière de prévision
d’hospitalisation ou de ré-hospitalisation (50 à 85 %). Un modèle cherchant
à prédire la survenue d’un rejet après une transplantation rénale aurait fait
une prévision correcte dans plus de 98 % des cas. Il faut toujours bien garder
à l’esprit qu’il ne s’agit que d’une probabilité. Par ailleurs, il faut être vigilant

17. R. Khanna, T. Yen, « Computerized Physician Order Entry : Promise, Perils, and E ­ xperience »,
Neurohospitalist, vol. 4, n° 1, janvier 2014, p. 26‑33.
18. L’horizon de prédiction est souvent de trente jours, six mois ou un an.
19. Voir « L’essor des modèles prédictifs dans les systèmes de santé internationaux », Études & Résul‑
tats, n° 1018, juillet 2017.

490
Partie 2. Chapitre 17.
Les nouvelles technologies au service de la santé

à ce que de bons scores ne conduisent pas à des négligences et ainsi à une


dégradation de la qualité de la prise en charge.
L’efficacité de ces dispositifs est d’autant plus grande qu’ils ont accès à
un grand nombre de données de qualité et sont capables de les traiter. Le
potentiel de l’implémentation de ces modèles dans différents systèmes de
santé est dépendant des données disponibles. Par exemple, au Royaume-Uni,
les modèles prédictifs ont accès aux diagnostics réalisés en ville et à l’hôpi-
tal20, mais pas aux informations sur les médicaments prescrits ou délivrés.
En France, la richesse des données contenues dans le Système national des
données de santé (SNDS21), et encore davantage dans le Health Data Hub,
offre a priori un terrain très favorable au déploiement de tels dispositifs.
Potentiellement, ces modèles pourraient également être utilisés par des
assureurs pour sélectionner les patients qu’ils assurent (en choisissant uni-
quement ceux présentant le niveau de risque le plus faible). En France, la
législation interdit cette pratique pour l’assurance complémentaire santé.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Des outils au service de la réalisation de soins

❱❱ La réalité augmentée
La réalité augmentée désigne l’intégration d’éléments virtuels en super-
position dans notre champ de vision. Cette technologie peut avoir de nom-
breux usages dans le domaine de la santé, dont :
–  le guidage lors d’une intervention chirurgicale (mise en évidence d’élé-
ments cachés, identification des tissus cibles) ;
–  l’aide à la rééducation en montrant au patient le mouvement qu’il doit
accomplir ;
–  la thérapie des phobies (par l’exposition virtuelle de la personne à sa
phobie) et du stress post-traumatique ;
–  le traitement de certains types de douleur, notamment chez les personnes
paralysées ou amputées.

❱❱ Les robots chirurgicaux


Ils apportent à la fois plus de sécurité et de confort au patient. Leur utilisation
permet une plus grande précision (absence de tremblement, meilleures visibilité
et possibilité de manœuvre) et des incisions de très petite taille, ce qui favorise
une diminution de la douleur et des complications, et ainsi une réduction
des durées de séjour. La fatigue du chirurgien est également diminuée, ce qui
est une autre source de sécurité. Si l’efficacité de ces robots n’est pas remise
en question, il existe en revanche une controverse sur leur efficience22.

20. Diagnostics identifiés via des codes.


21. Voir www.snds.gouv.fr.
22. Les problèmes liés à l’utilisation de robots en chirurgie ont été notamment quantifiés dans une
étude rétrospective américaine portant sur la période 2000-2013 : Alemzadeh H. et al., « ­Adverse Events
in Robotic Surgery : A Retrospective Study of 14 Years of FDA Data », PLoS One, n° 11(4), 2016.

491
Partie 2. Les enjeux

17.2.5. Le fonctionnement du système de santé


En lien avec le potentiel d’amélioration de l’efficacité d’actions de santé
publique ou des soins, l’exploitation des données pourrait permettre de relever
certains des défis qui se posent aujourd’hui au système de santé.

La télémédecine au service de l’accessibilité


et de la coordination des soins
La télémédecine est définie dans le CSP comme une « forme de pratique
médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la commu-
nication » (art. R6316‑1). Le décret n° 2010‑1229 du 19 octobre 2010 a distingué
cinq types d’actes et leurs conditions de mise en œuvre : la télé-­consultation
(consultation à distance), la télé-expertise (sollicitation d’un avis médical par
un autre médecin à distance ; par exemple, pour un avis de spécialiste), la
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
télésurveillance médicale, la télé-assistance (aide à distance par un autre pro-
fessionnel ; par exemple, pour une opération chirurgicale complexe) et la régu-
lation médicale (régulation SAMU). En créant le « télé-soin », la loi relative
à l’organisation et à la transformation du système de santé ouvre, pour les
autres professionnels de santé, la possibilité d’actes à distance.
La télémédecine peut apporter une réponse à la désertification médicale
(par exemple, au moyen de cabines de télé-consultation dans des officines de
pharmacie), permettre des consultations sur des horaires élargis pour éviter des
passages aux urgences, améliorer la qualité des soins (en permettant par
exemple aux établissements locaux de bénéficier à distance des compétences
de médecins très spécialisés pour la prise en charge de cas très complexes),
permettre des consultations sans contact physique en cas d’épidémie, améliorer
la qualité de vie (en diminuant la nécessité de se déplacer), améliorer les par-
cours de santé, et permettre à des personnes malades (grâce à l’hospitalisation
à domicile) ou âgées de continuer à vivre à leur domicile. Alors que le nombre
de téléconsultations hebdomadaires plafonnait en France à 10 000 (moins de
1 % du total des consultations) avant la pandémie de Covid-19, il atteignait
déjà plus de 480 000 (plus de 11 % du total des consultations) fin mars 2020.
Après une longue période d’expérimentations, cette pratique est appelée à se
développer après la signature de l’avenant 6 de la convention médicale, qui a
fixé des bases de remboursement pour les actes de télé-consultation et de télé-­
expertise. Pour l’instant, la logique est celle d’une complémentarité avec les
consultations « physiques » et du respect du parcours de soins. La télé-­consultation
n’est donc remboursée que si le patient a déjà vu le médecin et que celui-ci
exerce dans le territoire où habite le patient. Néanmoins, avec le développement
des outils, et face à la désertification médicale étendue à de larges zones dans
les années à venir, il est possible que les possibilités de télé-consultation s’ac-
croissent. Par exemple, la condition de préexistence d’un lien patient-médecin
pourrait être supprimée pour certains spécialistes, la télé-consultation d’un géné-
raliste hors du territoire pourrait être largement ouverte pour les zones déficitaires
où les CPTS ne peuvent pas fournir le temps médical nécessaire (ou comme
relai pendant les vacances des médecins exerçant dans ces zones tendues), et

492
Partie 2. Chapitre 17.
Les nouvelles technologies au service de la santé

des télé-consultations avec des médecins hospitaliers pourraient être mises en


place. Dans tous les cas, les CPTS, les MSP, les centres de santé et les profes-
sions de santé non médicales devraient être mobilisées, car on ne peut pas
envisager, pour l’instant, une pratique des soins uniquement à distance.
La création, annoncée en septembre 2019, d’un service d’accès aux soins
(SAS) qui devra permettre aux patients de joindre un médecin en permanence
est une nouvelle étape dans le déploiement d’une orientation et d’un accès
aux soins à distance. De plus, dans le cadre de la lutte contre la pandémie
de Covid-19, le gouvernement a allégé, par un décret du 9  mars 2020, les
conditions de prise en charge des téléconsultations par l’Assurance maladie
pour les personnes pensant être affectées par le virus. Les patients peuvent
dans ce cadre consulter un médecin qui ne les suit pas habituellement23.

L’optimisation des prises en charge et de l’efficience


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Il s’agit d’utiliser les données pour faire ressortir les meilleurs protocoles
de prises en charge, pour réduire les inadéquations dans les prises en charge
ou pour optimiser le fonctionnement des services hospitaliers.

L’identification des parcours


Il est possible, à partir des données médico-administratives, de retracer
les parcours des patients dans le système de santé et ainsi de découper des
territoires en fonction des flux de patients (ce qui a un intérêt pour l’organi-
sation des soins) et d’identifier des difficultés d’accès.

La lutte contre la fraude et les abus


Il s’agit, par des traitements de données, de faire apparaître des situations
a priori anormales (volumes de prescriptions incohérents, par exemple) afin
de mieux cibler les contrôles.

17.2.6. La qualité de vie et le maintien de l’autonomie


Les nouvelles technologies peuvent, en plus d’être une source d’informa-
tion, améliorer la qualité de vie des patients et des professionnels de nom-
breuses façons.

Des robots pour aider les patients et les professionnels


Ils peuvent, au-delà de l’application chirurgicale précédemment décrite,
remplir un vaste éventail de missions : transporter des médicaments dans un

23. Décret n°  2020-227 du 9  mars 2020 adaptant les conditions du bénéfice des prestations en
espèces d’assurance maladie et de prise en charge des actes de télémédecine pour les personnes
exposées au covid-19.

493
Partie 2. Les enjeux

hôpital ou aider à les préparer, aider à porter des charges lourdes, surveiller
les patients tout en leur apportant une forme de compagnie…

Les exosquelettes
Il s’agit de dispositifs mécaniques qui vont apporter au corps humain des
capacités de mouvement qu’il n’a plus ou qu’il n’a jamais eues. Ils peuvent
être utilisés pour une partie du corps ou l’ensemble des membres. Leur emploi
peut viser une aide à la mobilité pour des personnes souffrant de limitations
(conséquence du vieillissement ou d’un handicap) ou une amélioration des
capacités pour des personnes sans limitation fonctionnelle (par exemple, pour
transporter des charges lourdes). Des déambulateurs intelligents24 peuvent
également fournir une aide efficace pour les déplacements.

La simplification des démarches administratives


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Elle est permise par l’augmentation du nombre de formalités réalisables
en ligne, le développement d’applications (par exemple, pour prendre un
rendez-vous, préparer son entrée à l’hôpital, remplir un questionnaire de
satisfaction…), ainsi que le déploiement de systèmes d’authentification unique
et sécurisé d’accès à l’ensemble des services publics en ligne, comme France
Connect mis en service en 2016.

17.2.7. Le développement de nouvelles thérapies


Le développement de nouvelles thérapies bénéficie des progrès dans les
connaissances biologiques et en bio-informatique. On peut ainsi reproduire
en 3D des protéines cibles, comme des récepteurs membranaires, pour décou-
vrir de nouveaux sites actifs et développer des molécules parfaitement spé-
cifiques à ceux-ci25. On pourra certainement un jour aller encore plus loin et
modéliser des cellules entières ou même des organes en fonctionnement. La
simulation devrait permettre la découverte de nouveaux traitements et une
accélération de leur développement.

17.3. L’apport du numérique dans la transformation


du système de santé français

Alors que la France était plutôt en avance dans la constitution de bases


de données grâce à la centralisation des remboursements par l’Assurance
maladie (SNIIRAM26) et au développement des systèmes d’information

24. « Un déambulateur intelligent pour des seniors plus mobiles », euronews.com, 24 avril 2015.
25. W. Yu, A.D. MacKerell Jr., « Computer-Aided Drug Design Methods », Methods in Molecular
Biology, n° 1 520, 2017, p. 85‑106.
26. Système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie.

494
Partie 2. Chapitre 17.
Les nouvelles technologies au service de la santé

hospitaliers (PMSI27), notre pays a mis longtemps à déployer des outils numé-
riques au service des patients et des professionnels. Par exemple, le déploie-
ment en masse du DMP est une réalité depuis fin 2018, alors que le projet
avait été lancé dès 2004. De nombreuses craintes quant à la confidentialité et
au risque de détournement de données, l’immaturité de certaines technologies,
l’importance des investissements à réaliser, des hésitations, et un conservatisme
des acteurs expliquent en partie ce retard. Aujourd’hui, les briques techno-
logiques existent, les réglementations française et européenne ont sanctuarisé
la protection des données de santé, et une dynamique politique forte soutient
le déploiement des nouvelles technologies dans le système de santé.
Le numérique est appelé à jouer un rôle majeur dans l’atteinte des objectifs
de la stratégie de transformation du système de santé à horizon 2022 portée
par le gouvernement (➠ Chapitre 16). Il s’agit de faciliter les échanges afin
de fluidifier les parcours de soins et ainsi d’améliorer l’efficience, de simplifier
l’accès aux outils numériques (identité numérique et portail unique), de mieux
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
évaluer les pratiques et produits (recherches automatiques d’anomalies, prise
en compte de l’expérience patient) et de lutter plus efficacement contre la
fraude et les abus ainsi que le non-recours. Une feuille de route « Accélérer
le virage numérique », dévoilée le 25  avril 201928, présente l’ensemble des
actions devant être conduites d’ici à 2022.
La volonté de tirer parti du numérique dans le domaine de la santé n’est
pas neuve (précédemment, le gouvernement avait initié sa stratégie nationale
e-santé 202029), mais le projet dévoilé en avril 2019 est le plus abouti et le
plus global jamais présenté. Par ailleurs, les pouvoirs publics ont programmé
des investissements en faveur du développement du numérique et de l’intel-
ligence artificielle en santé (le Grand Plan d’investissement 2018‑202230 pré-
voit 4,9 milliards d’euros en faveur de la numérisation du système de santé
et de cohésion sociale), de la sécurisation des systèmes, du déploiement des
réseaux de communication… Cet investissement d’ampleur traduit l’urgence
pour les pouvoirs publics d’agir dans ce secteur où les initiatives privées et
publiques fusent au niveau mondial. Tout retard pourrait devenir non rattra-
pable et synonyme d’une dépendance à des outils étrangers.

17.3.1. L’architecture du système


Elle combine des structures de pilotage et de mise en œuvre avec des
plates-formes technologiques, amenées à jouer le rôle de pivot du système
en centralisant les accès à divers outils et données.

27. Programme de médicalisation des systèmes d’information lancé en 1996. La mise en place de
ce système a accompagné le déploiement de la tarification à l’activité.
28. Ministère des Solidarités et de la Santé, feuille de route « Accélérer le virage numérique »,
dossier de presse, 25 avril 2019.
29. Voir ministère des Affaires sociales et de la Santé, « Stratégie nationale e-santé 2020. Le numé-
rique au service de la modernisation et de l’efficience du système de santé », 4 juillet 2016.
30. « Le Grand plan d’investissement 2018‑2022 », www.gouvernement.fr, 2 octobre 2017.

495
Partie 2. Les enjeux

Une Délégation ministérielle, un Conseil, et une Agence dédiée


Alors que les actions en matière de numérique en santé ont longtemps été
de la responsabilité de plusieurs acteurs (dont la Caisse nationale d’Assurance
maladie était le principal du fait de ses importants moyens humains et finan-
ciers), le système est maintenant piloté par une Délégation ministérielle du
numérique en santé (DNS), qui est rattachée directement au ministre de la
Santé et qui s’appuie sur les travaux d’un Conseil du numérique en santé,
lequel regroupe à des fins de concertation les différentes parties prenantes
(patients, professionnels, industriels…). Ce conseil comprend une formation
spécialisée sur les questions d’éthique, qui est en lien avec le Comité consul-
tatif national d’éthique.
La DNS définit la politique du numérique en santé et la doctrine associée,
coordonne les acteurs et s’assure de la cohérence des actions (compatibilité
technique et calendaire), soumet au ministre des propositions d’évolution de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
la feuille de route et les budgets associés, et pilote directement l’Agence du
numérique en santé (ANS), qui reprend les moyens de l’ASIP Santé
(➠ Chapitre  9). Les moyens de la DNS proviennent de la Délégation à la
stratégie des systèmes d’information (DSSIS) et de la Délégation au service
public d’information en santé (SPIS).
La création de cette Délégation, qui a le même rang qu’une direction
d’administration centrale, et celle d’une agence spécialisée signalent l’impor-
tance de l’enjeu et sont des gages d’efficacité. La question de l’adéquation
des moyens d’action aux missions peut toutefois se poser. Ils sont appelés à
croître fortement au fur et à mesure du développement du s­ystème et ils
pourraient être renforcés par des transferts de la Caisse nationale d’Assurance
maladie. Depuis le 1er  octobre 2017, les structures de santé sont tenues de
relayer aux agences régionales de santé (ARS) les incidents de sécurité infor-
matique jugés « graves » et « significatifs ». L’ASIP santé, devenue l’ANS, a
été chargée d’apporter un appui au traitement des incidents, au travers de la
cellule ACSS (accompagnement cybersécurité des structures de santé), et en
lien avec les ARS. Sur la période allant du 1er octobre 2017 au 1er décembre
2019, elle a recensé 693 incidents déclarés par les structures sanitaires. Dans
ce contexte, il paraît probable que le numérique va nécessiter des recrutements
importants dans les années à venir.
Par ailleurs, un service national de cyber-surveillance en santé agit en
coordination avec l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’informa-
tion pour la protection spécifique des infrastructures de santé.

Des plateformes pour centraliser les accès


Afin de structurer le système, trois plateformes vont être progressivement
mises en place d’ici à 2022. Elles vont permettre aux patients, aux profes-
sionnels, aux chercheurs et aux gestionnaires d’accéder dans un cadre sécurisé
et uniformisé à des données, services et outils (à la manière des magasins
d’applications des smartphones).

496
Partie 2. Chapitre 17.
Les nouvelles technologies au service de la santé

La plateforme à destination des citoyens est l’Espace numérique de


santé, et celle à destination des professionnels et établissements est dénom-
mée Bouquet de services. Une troisième plateforme, le Health Data Hub
(plateforme des données de santé), est dévolue à centraliser l’accès aux
données de santé.

L’espace numérique de santé


Disponible à partir du 1er  janvier 2022, l’espace numérique de santé
(ENS) permettra aux usagers d’accéder à des informations sur leurs droits
(Assurance maladie et assurance complémentaire), l’offre de soins, les
pathologies et les thérapies, leurs données de santé (DMP) et leurs ordon-
nances, et à tout un ensemble de services devant faciliter les relations avec
les professionnels de santé et les parcours de soins. Cet espace sera per-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
sonnalisable et permettra d’utiliser des applications développées par des
acteurs publics ou privés (par exemple, pour tester ses facteurs de risque,
améliorer son alimentation, lutter contre une addiction…). L’illustration
ci-après montre les principales fonctionnalités qui devraient être accessibles
dans ce portail.

Source : D. Pont, A. Coury,


Stratégie de transformation du système de santé.
Rapport final : accélérer le virage numérique,
Ministère des solidarités et de la santé, 2018. p. 10.

Figure 1. L’espace numérique de santé

497
Partie 2. Les enjeux

Le bouquet de services numériques


Le bouquet de services numériques dédiés aux professionnels et aux éta-
blissements va leur donner accès à des outils proposés par des acteurs publics
ou privés. Ces services seront interopérables et utilisables directement via les
logiciels métiers (la question de leur bonne intégration dans l’espace de travail
informatique du praticien est stratégique pour favoriser leur utilisation). Ils
auront une ergonomie commune, facilitant ainsi le passage de l’un à l’autre.
Ces services pourront être communs avec ceux des patients proposés sur
l’ENS (par exemple, accès au volet professionnel d’une application de suivi
de l’hypertension) ou réservés aux professionnels (outils de coordination ou
de formation, répertoires, modèles prédictifs…).

Des programmes pour appuyer la numérisation des acteurs


et l’innovation
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
La numérisation du système de santé est soutenue depuis plusieurs années
par des programmes de déploiement à titre expérimental ou non. On peut
citer les programmes Hôpital numérique, lancé en 2011, et Territoire de soins
numériques31, lancé en 2014. Cet effort est poursuivi dans le cadre de la
Stratégie de transformation du système de santé (STSS) avec le lancement
du programme Hôpital numérique ouvert sur son environnement32 (HOP’EN),
un soutien à la numérisation des établissements médico-sociaux (plan ESMS
numérique) et la création d’un fichier national des personnes bénéficiaires de
l’APA, qui enrichira les possibilités de croisement de données.
Le soutien à l’innovation sera renforcé par la création du Lab e-santé au
sein de la DNS. Il se coordonnera avec les dispositifs déjà existants au sein
des pôles de compétitivité pour soutenir les start-up et faciliter les expéri-
mentations en vie réelle.

Le schéma cible
La force de la feuille de route proposée pour le déploiement des outils numé-
riques est sa vision ambitieuse et cohérente (entre les outils technologiques et
avec les autres chantiers de la transformation du système de santé33), la volonté
de décloisonner en partageant le plus de services possible entre les secteurs sani-
taire, médico-social et social, dont les acteurs interviennent au profit des mêmes
personnes, et la fixation d’un déploiement d’ensemble à l’horizon 2022. Cette
vision n’échappera pas aux enjeux qui seront abordés dans la partie suivante.

31. « Le programme Territoires de soins numériques », www.ars.sante.fr, 21 février 2018.


32. Voir la présentation du programme HOP’EN sur solidarites-sante.gouv.fr.
33. Évolution des modes de financement, de l’organisation territoriale, de la gestion des ressources
humaines et actions en faveur de la qualité et de l’efficience

498
Partie 2. Chapitre 17.
Les nouvelles technologies au service de la santé
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Source : ministère des Solidarités et de la Santé,
Feuille de route « Accélérer le virage numérique »,
dossier de presse, 25 avril 2019, p. 13.
Figure 2. Schéma d’architecture cible du numérique en santé français

17.3.2. L’organisation des bases de données


et les conditions d’accès
Le Health Data Hub doit rassembler davantage de données que le Système
national des données de santé (SNDS), qui avait été créé par la loi n° ­2016-41
du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé. L’objectif de ce
hub est de rassembler l’ensemble des données de santé produites par des
acteurs publics, de faciliter leur accès (rôle de guichet unique) et leur exploi-
tation (garantie de qualité des données), de promouvoir l’innovation (par des
appels à projets pour soutenir des projets innovants d’exploitation des don-
nées) et de mutualiser les ressources technologiques et humaines.

Les données incluses dans le SNDS et le Health Data Hub


Le SNDS rassemble les données de l’Assurance maladie, des établisse-
ments de santé, des maisons départementales des personnes handicapées
(MDPH), du centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès
(CepiDC34), ainsi qu’un échantillon représentatif des données de rembourse-
ment des organismes d’assurance complémentaire. La gestion du SNDS est
assurée par l’Institut national des données de santé (INDS), auquel succède
le Health Data Hub. La capacité de stockage de ce système est de 600 téraoc-
tets et plus de 20 milliards de lignes de prestations sont disponibles.

34. Voir www.cepidc.inserm.fr.

499
Partie 2. Les enjeux

À cet ensemble déjà important de données, le Health Data Hub (HDH)


ajoute des données récoltées par des universités, des organismes de recherche
et des administrations, ainsi que des données cliniques présentes dans les
dossiers patients des bases hospitalières35. On peut notamment citer l’Entrepôt
de données de santé36 de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, qui intègre
des données sur plus de huit millions de patients, et celui du CHU de Rennes
(eHOP), qui contient des données relatives à plus de cinq millions de séjours37.
L’objectif du HDH est de répondre aux faiblesses du SNDS, qui ne conte-
nait pas de résultats cliniques, peu de données sociales, et des informations
uniquement partielles sur la consommation des personnes âgées vivant en
Ehpad et des personnes en situation de handicap.
Plus globalement, le rapprochement des bases de données est appelé à se
poursuivre avec l’appariement de données fiscales (DGFiP38), économiques
(INSEE) et sociales (issues des différentes caisses nationales), afin de sim-
plifier les démarches des citoyens, de limiter les ruptures dans les parcours
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
et de mieux analyser les phénomènes socio-économiques et de santé, notam-
ment les déterminants sociaux de la santé. Un jour peut-être faudra-t-il penser
à l’ajout de données comportementales issues d’entreprises privées (consom-
mation, géolocalisation, publications sur les réseaux sociaux…) ?
Par ailleurs, l’Agence du numérique en santé met en place des outils destinés
à structurer davantage les données pour faciliter leur exploitation. Elle a ainsi
mis en place un Centre national de gestion des terminologies de santé (CGTS)
chargé d’harmoniser les terminologies existantes et d’en créer de nouvelles si
nécessaire. Ces ressources vont faciliter le codage de l­’information. Elles seront
mises a disposition sur un serveur national des terminologies de santé.

Les différents jeux de données


Les données nominatives issues des remboursements (feuilles de soins,
factures…) sont stockées dans les systèmes d’information des régimes
d’Assurance maladie. Ces données, ainsi que celles issues du PMSI et du
CepiDC (causes de décès), sont ensuite pseudonymisées (la r­ é-identification
nécessite un croisement de données) et stockées dans une base unique : la
base de données nationale pseudonymisées39 bénéficiaires.
À partir de la base précédente, le portail du SNDS donne accès à différents
jeux de données :

35. Qui ne sont pas des données de facturation contrairement au PMSI. Il s’agit de compte rendus
d’examens, d’image de radiologie, de résultats d’examens de biologie médicale…
36. Voir « Qu’est-ce que l’Entrepôt de données de santé (EDS) ? » sur recherche.aphp.fr.
37. Voir « eHOP, l’entrepôt de données de l’hôpital » sur centrededonneescliniques.univ-rennes1.fr.
38. Direction générale des finances publiques.
39. C’est-à-dire traitées de manière à ce qu’on ne puisse plus attribuer les données relatives à
une personne physique sans avoir recours à des informations supplémentaires, pour autant que ces
informations supplémentaires soient conservées séparément et soumises à des mesures techniques et
organisationnelles afin de garantir que les données à caractère personnel ne sont pas attribuées à une
personne physique identifiée ou identifiable.

500
Partie 2. Chapitre 17.
Les nouvelles technologies au service de la santé

–  des données agrégées de dépenses (biologie, pharmacie, suivi des


dépenses…) ;
–  des données individuelles bénéficiaires échantillonnées : l’échantillon
généraliste de bénéficiaires simplifié (EGBS), qui représente 1/97e de la popu-
lation ;
–  des données individuelles sur l’offre de soins ;
–  des données individuelles sur les bénéficiaires (exhaustives contrairement
à l’EGBS).
Le HDH ajoutera des données cliniques permettant ainsi de renforcer les
possibilités d’analyse.

L’encadrement de l’accès
Il existe deux situations :
–  les données agrégées qui ne permettent aucune ré-identification des per-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
sonnes sont librement accessibles ;
–  les données individuelles qui peuvent permettre une ré-identification ont
un accès très encadré, avec des conditions différentes selon les utilisateurs. Leur
accès est possible sans restriction pour une liste d’acteurs publics précisés par
décret40 et sur autorisation de la CNIL pour chaque projet pour les autres acteurs
(dans ce cas, l’utilisation des données doit avoir une finalité d’intérêt public, et
deux finalités sont strictement prohibées : la promotion des produits de santé et
la modification de contrats d’assurance). L’accès aux données se fait via un
portail sécurisé avec une traçabilité de toutes les consultations.

17.3.3. Les outils de e-santé au service des patients


et des professionnels
Depuis de nombreuses années, des outils numériques ont été déjà déployés :
carte Vitale, dossier pharmaceutique, logiciels métiers d’aide à la prescription
et à la délivrance, prescription informatisée des arrêts de travail, prescription
numérique à l’hôpital, applications d’e-coaching dévolues à l’amélioration des
pratiques alimentaires ou pour inciter à une activité sportive, outils de prise
de rendez-vous en ligne… La difficulté a été le manque de coordination entre
ces différents éléments, qui était en partie le fruit d’un manque de stratégie.
C’est afin de compléter ces dispositifs et de dégager une cohérence d’en-
semble que des services numériques socles vont être déployés à grande échelle
dans les années à venir.

17.3.4. L’authentification numérique


Le contrôle de l’identité est la base indispensable pour l’ouverture de
droits (accès, remboursements, paiements…) et la traçabilité des actions.

40. Décret n° 2016‑1871 du 26 décembre 2016.

501
Partie 2. Les enjeux

Pour les patients, une carte Vitale dématérialisée va être mise en place
sous la forme d’une application pour smartphone (appCV). Cette application
permettra au patient de s’identifier et ainsi de pouvoir bénéficier de ses droits
à l’Assurance maladie. Les garanties des assurances complémentaires pour-
raient aussi être chargées dans cette application qui serait mise à jour en
temps réel (ce qui constituerait un atout pour la généralisation du tiers-payant).
Une expérimentation a débuté à la fin de l’année 2019, avec un objectif de
généralisation à l’horizon 2021‑2022. De plus, le déploiement de l’identifiant
national de santé (INS41) dans les systèmes d’information va être accéléré.
Pour les professionnels de santé, une version électronique de la carte de
professionnel de santé va être créée (e-CPS) sous la forme d’une application
pour smartphone, avec une généralisation au même horizon que pour l’appli-
cation carte Vitale. Sur le modèle de France Connect, un service unifié d’au-
thentification des professionnels de santé va être mis en place sous la
dénomination de Pro Santé Connect. De plus, un référentiel national des pro-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
fessionnels et établissements de santé et médico-sociaux va être mis en place.
Ces actions sont en cohérence avec les travaux en cours dans d’autres
domaines sur l’identité numérique.
À plus long terme, on pourrait imaginer la mise en place de dispositifs
d’authentification des personnes et des professionnels au niveau de l’Union
européenne pour faciliter les parcours transnationaux, ce qui nécessitera un
travail conséquent en termes d’interopérabilité.

17.3.5. Les services socles


Il s’agit d’outils qui sont destinés à être utilisés dans la pratique courante
par les professionnels et les patients.

Le dossier médical partagé


Le dossier médical partagé (DMP) vise à rassembler toutes les données
de santé d’un patient. Après le premier enjeu, qui était de convaincre les
patients d’ouvrir un DMP (à terme, l’objectif est que tous les Français pos-
sèdent un DMP), les enjeux suivants sont de les alimenter en données (par
les établissements, les professionnels et les patients, qui peuvent télécharger
des documents et entrer des données dans un espace prévu à cet effet) et que
les professionnels l’exploitent. Sur ce point, un moteur de recherche intelli-
gent, possiblement intégré aux logiciels métiers, pourra permettre de le rendre
plus pertinent (l’accumulation de données sur toute la vie d’un individu pou-
vant rendre le DMP inexploitable). Par ailleurs, son ergonomie (site Web et
application smartphone) va évoluer et il sera capable à l’avenir de recevoir
des données provenant de capteurs connectés. À l’horizon 2022, il sera une
des briques de l’Espace numérique de santé et du bouquet de services

41. Identifie tous les bénéficiaires de l’Assurance maladie.

502
Partie 2. Chapitre 17.
Les nouvelles technologies au service de la santé

numériques. Pour l’instant, ce dossier électronique ne sera consultable que


par des professionnels et établissements français, mais, à plus long terme, on
peut envisager que son utilisation s’élargisse à d’autres pays qui se doteraient
des interfaces logicielles nécessaires.

La messagerie de santé sécurisée


La messagerie de santé sécurisée (MSSsanté) permet des échanges sécu-
risés entre professionnels de santé. Si l’utilisation d’une telle messagerie n’est
pas obligatoire, l’objectif est de généraliser son déploiement en ville et à
l’hôpital et de l’étendre au secteur médico-social à l’horizon 2021‑2022.

La e-prescription
Elle vise à sécuriser le circuit (risques de fraudes ou d’erreurs de lecture)
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
et à permettre la transmission automatique d’informations (par exemple, pour
la préparation robotisée d’un pilulier ou un retour d’information vers le méde-
cin pour l’informer de la délivrance). Elle prend la forme de l’impression
d’un QR code sur une ordonnance papier ou de l’utilisation d’une ordonnance
stockée dans le DMP. Dans tous les cas, le patient reste libre de choisir sa
pharmacie ou le professionnel. Une expérimentation pour les médicaments
de ville a démarré en 2019 et il est envisagé une généralisation à toutes les
prescriptions à l’horizon 2022.

Des outils de coordination locale développés


dans le cadre du programme e-Parcours
Il pourra s’agir d’un agenda partagé, de réseaux sociaux dévolus aux
professionnels, d’un logiciel de suivi de certaines demandes… Ces outils,
particulièrement utiles aux CPTS, compléteront les services accessibles dans
le bouquet de services numériques. Comme la messagerie sécurisée, ils ont
vocation à fluidifier les parcours et à décloisonner les prises en charge.

17.4. Les enjeux

Les progrès technologiques sont en train de bouleverser nos vies quoti-


diennes et les exercices professionnels dans tous les secteurs. Ils apportent
des possibilités nouvelles, et parfois sans précédent, modifient les rapports
humains ainsi que les modèles de création de valeur, et brouillent parfois la
frontière entre ce qui relève des sphères privée et publique. Les enjeux géné-
raux de l’introduction des nouvelles technologies se posent de manière encore
plus accrue dans le domaine de la santé, du fait de la structuration de ce
secteur et de la sensibilité particulière de tout ce qui touche à notre santé.
Comme le montrent les exemples précédents, bien utilisées, les nouvelles
technologies peuvent grandement améliorer le fonctionnement des systèmes

503
Partie 2. Les enjeux

de santé en permettant des prises en charge plus précoces et plus coordonnées,


en améliorant la qualité, ainsi qu’en apportant des réponses à des situations
thérapeutiques jusqu’alors sans solution. Elles peuvent également contribuer
à réduire les inégalités tant territoriales que socio-économiques ou à protéger
les professionnels de santé en période d’épidémie, notamment grâce à la
télémédecine.
En revanche, mal utilisées, elles pourraient exacerber tous les défauts du
système actuel, voire créer de nouvelles déviances. Elles pourraient ainsi faire
exploser les inégalités entre groupes sociaux et ouvrir la voie à la marchan-
disation des données personnelles (qui pourraient par exemple servir à des
assureurs à des fins de sélection du risque) ou au techno-terrorisme (par
exemple, par des attaques informatiques visant le dérèglement de prothèses
vitales ou des infrastructures de santé).
À l’image des révolutions thérapeutiques précédentes, les nouvelles
­technologies imposent donc de penser à leur « bon usage », qui doit être
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
assuré par un encadrement évolutif et la formation des citoyens et des
professionnels.

17.4.1. Des enjeux techniques


Ils sont non spécifiques aux domaines de la santé et constituent des fon-
damentaux indispensables au bon fonctionnement d’un système de santé
numérique.

La généralisation de l’accès à Internet à très haut débit


Si la quasi-totalité du territoire est maintenant couverte par le réseau haut
débit, des inégalités de qualité de connexion demeurent, avec notamment des
débits plus faibles dans certaines zones de grande ruralité.
Le problème est que ces territoires peuvent aussi être des déserts médicaux
et donc des aires de déploiement naturel de la télémédecine, qui nécessite du
très haut débit. De plus, la multiplication des objets connectés (Internet of
Things42), qui peuvent contribuer au maintien à domicile ou à la surveillance
d’une pathologie chronique, va nécessiter des débits encore plus
importants.
Pour répondre à cet enjeu, des investissements publics sont en cours dans
le cadre du Plan très haut débit pour couvrir l’ensemble du territoire d’ici à
202243. Ce déploiement s’inscrit dans une logique d’aménagement du territoire
et il repose sur différentes technologies (fibre optique, réseaux 4G et 5G). La
nécessité de recourir autant que possible au télétravail, qui a été illustrée
pendant la pandémie de Covid-19, renforce ce besoin.

42. Internet des objets.


43. Pour plus d’informations : www.francethd.fr.

504
Partie 2. Chapitre 17.
Les nouvelles technologies au service de la santé

La propriété des données


Le règlement européen 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection
des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère
personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD), entré en vigueur
en mai 2018, a apporté une définition large aux données de santé44. Comme
pour le médicament, la notion de données de santé est abordée sous plusieurs
angles afin de limiter les lacunes de protection (définition par nature et par
destination). Si une donnée est considérée comme de santé, elle bénéficie de
tout un ensemble de protections (stockage chez un hébergeur agréé, interdic-
tion d’exploitation commerciale…). Des enjeux demeurent toutefois quant
aux données de bien-être45 (qui sont protégées au même titre que les autres
données personnelles, même si elles peuvent être liées à la santé) et aux
possibilités d’exploitation à l’étranger de nos données de santé (il est quasi-
ment impossible pour l’utilisateur de savoir où vont ses données).
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
À l’avenir, la question de la protection des données de santé pourrait être
rouverte. Il existe deux grandes philosophies pour considérer la propriété de
ces données. Dans la première (défendue par la France), les données de santé
ne sont pas réellement la propriété de l’individu et elles ont donc une pro-
tection propre. Dans une autre vision (plutôt portée par des pays anglo-
saxons), les données de santé sont la propriété de l’individu, qui peut donc
les vendre à un tiers. L’enjeu est d’aboutir à un encadrement équilibré qui
permette à la fois à chacun d’être réellement en mesure de contrôler ses
données tout en ne constituant pas un frein fatal pour l’innovation.

L’interopérabilité et la lutte contre l’obsolescence


L’interopérabilité désigne la capacité des systèmes à échanger des données.
Il s’agit de s’assurer que l’ensemble des logiciels et des systèmes d’informa-
tion peuvent fonctionner ensemble de manière sécurisée. Cet enjeu est clé
pour l’exploitation des bases de données, la gestion des parcours patients…
Au-delà de l’interopérabilité entre différents systèmes nationaux, l’interopé-
rabilité est l’un des grands enjeux de la e-santé européenne. Ainsi, la
Commission européenne a-t-elle adopté en février 2019 une recommandation
qui vise à établir un cadre pour le développement d’un format européen
d’échange des dossiers de santé informatisés en vue de garantir, de manière
sûre, interopérable et transfrontalière, un accès aux données électroniques de
santé et l’échange de celles-ci dans l’UE.
Un référentiel de sécurité et d’interopérabilité a été élaboré par l’ASIP
Santé46, et l’Agence du numérique en santé va développer des outils pour

44. Le RGPD définit les « données concernant la santé » comme étant « des données à caractère
personnel relatives à la santé physique ou mentale d’une personne physique, y compris la prestation
de services de soins de santé, qui révèlent des informations sur l’état de santé de cette personne ».
Pour en savoir plus, voir « Qu’est-ce ce qu’une donnée de santé ? » sur www.cnil.fr.
45. Par exemple, la pratique sportive, les habitudes alimentaires…
46. Voir « Cadre d’interopérabilité des systèmes d’information de santé » sur esante.gouv.fr.

505
Partie 2. Les enjeux

aider les acteurs (guides, bonnes pratiques, méthodes) et mener des contrôles
de conformité sur les services numériques développés sur fonds publics.
Un obstacle à l’interopérabilité peut être la concurrence entre les entre-
prises, qui n’ont pas nécessairement intérêt à permettre à leurs systèmes
de fonctionner ensemble. Un enjeu sera de convaincre des développeurs
privés, potentiellement venant d’autres pays, d’adopter nos règles d’inte-
ropérabilité, qui pourraient ainsi avoir une portée au-delà de notre pays.
Une organisation internationale pourrait également créer des standards
d’interopérabilité.
Autre enjeu, celui de l’obsolescence du format des données. En effet, un
format de fichier qui peut être courant en 2020 ne le sera pas forcément en
2050. Il convient que les nouveaux systèmes incluent une rétrocompatibilité
avec ceux existants. Le problème ne se posait pas avec les dossiers papiers
ou les vieux clichés radiographiques.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
La fiabilité et la qualité des données
Les données étant au cœur de nombreux services, leur fiabilité est un enjeu
clé. Les erreurs peuvent provenir soit de la mesure (ce qui nécessite des
normes techniques et des contrôles qualité réguliers), soit de problèmes de
communication entre dispositifs (par exemple, pour des raisons d’incompa-
tibilité), soit d’erreurs de saisie si celle-ci est manuelle.
La qualité des données est un autre enjeu. En effet, si l’on veut « entraîner »
des intelligences artificielles, il faut être absolument certain des données uti-
lisées. La réponse à cet enjeu passe par la constitution de « jeux de données »
certifiés et la distinction de la qualité des données dans les bases telles que
le Health Data Hub.

17.4.2. Des enjeux économiques et stratégiques


Au-delà des coûts, les nouvelles technologies représentent une opportunité
économique majeure avec des économies pour le système de santé et l’émer-
gence d’un nouveau secteur économique à haute valeur ajoutée porteur d’em-
plois et d’exportations.
Par ailleurs, alors que le modèle économique général du numérique était
fondé sur la gratuité des services en l’échange des données de l’utilisateur,
il est nécessaire d’en inventer un autre pour les données de santé. Comme
pour les produits et services de santé, il faut se poser la question de la mise
en place d’un système de prix/remboursement pour des innovations apportées
par des acteurs privés.
Le coût des nouvelles technologies peut soit être indépendant (avec un
prix propre), soit être intégré dans le prix d’un acte (par exemple, en radio-
logie, une intelligence artificielle pourrait augmenter le rendement d’un appa-
reil et donc s’autofinancer). De manière plus originale, il pourrait être possible
de les acquérir sur la base d’un forfait (par professionnel utilisateur ou par

506
Partie 2. Chapitre 17.
Les nouvelles technologies au service de la santé

patient), de rétribuer les concepteurs selon les résultats obtenus (par exemple,
sur la base d’une fraction des économies générées par l’usage d’un modèle
prédictif) ou de louer ou acheter des licences d’utilisation (comme cela existe
pour certains outils de bureautique).
Au niveau stratégique, la « dépendance » potentielle à l’emploi de ces
technologies peut justifier le soutien de développements nationaux pour des
raisons d’indépendance. Voulons-nous utiliser des solutions étrangères,
notamment américaines ou asiatiques, qui pourraient exploiter nos données
de santé à notre insu ? Ou un jour exiger des droits d’utilisation excessifs
sous peine de ne plus pouvoir faire fonctionner correctement nos infrastruc-
tures de santé ? La réponse à cet enjeu ne peut être qu’européenne.

17.4.3. Des enjeux d’accessibilité


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Ils ont trait à la capacité à utiliser les bons outils numériques au bon moment.

La capacité à utiliser les outils


Il s’agit de la capacité d’une personne à maîtriser l’utilisation des outils
numériques (on parle de littératie numérique). Le niveau de compétence varie
selon les générations et entre les personnes d’une même génération.
Il existe plusieurs moyens de répondre à cet enjeu :
– la mise en place de formations pour les citoyens ;
– la co-conception avec les utilisateurs des services (living lab) ;
– le maintien d’une procédure classique (papier, téléphone) ;
–  la mise à disposition d’espaces où les personnes peuvent être accompa-
gnées pour réaliser leurs formalités sur un ordinateur ou un automate.

L’accès à une information de qualité : la lutte contre la désinformation


Sur Internet, et notamment sur les réseaux sociaux, circulent de nom-
breuses fausses informations. De la même manière que les contrefaçons de
médicaments, les effets sur la santé peuvent être importants (par exemple,
un refus de vaccination ou l’arrêt d’un traitement). La lutte contre la désin-
formation est ainsi devenue une priorité de santé publique. La difficulté est
de bien catégoriser ce que l’on qualifie de fausse information, car dans le
domaine scientifique une démonstration peut toujours être contredite ou des
éléments nouveaux peuvent apparaître.
La lutte contre la désinformation peut s’appuyer sur :
–  le développement du sens critique de chaque citoyen (capacité à remettre
en question une information et à croiser les sources) ;
–  le dialogue avec les professionnels de santé (qui doivent veiller à ne pas
eux-mêmes se faire relais d’informations erronées) ;
–  des accords avec les principaux groupes de nouvelles techno­logies pour
lutter contre des campagnes de désinformation organisées ;

507
Partie 2. Les enjeux

–  l’action des acteurs publics, qui peuvent mettre en place des portails d’in-
formations validées (par exemple, la base de données publique des médica-
ments) et des équipes chargées du suivi de certains sujets et mots clés. Plus
largement, la loi de modernisation de notre système de santé (article 88) a mis
en place un service public d’information en santé (SPIS) qui « a pour mission
la diffusion gratuite et la plus large des informations relatives à la santé et aux
produits de santé, notamment à l’offre sanitaire, médico-sociale et sociale
auprès du public ». La loi relative à la lutte contre la manipulation de l’infor-
mation de décembre 2018 est venue renforcer cet arsenal (elle définit notam-
ment de manière générale ce qu’est une fausse information).
Attention toutefois : ces actions ne doivent pas conduire à censurer des
démonstrations scientifiques divergentes de l’opinion générale ou remettre
en question la liberté de pensée ou d’expression.

L’accès à des services numériques de qualité


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Comme les autres technologies de santé, les nouveaux services et dispo-
sitifs proposés devront être évalués pour déterminer leur apport en termes
d’effet thérapeutique et/ou d’efficience47.
La difficulté de l’évaluation des nouvelles technologies tient à la grande
diversité des utilisations potentielles et des combinaisons possibles, à la rapi-
dité du changement, à la compréhension et à l’évolutivité des algorithmes et
à la difficulté de trouver un cadre évaluatif adapté à toutes. Par ailleurs, elles
peuvent combiner des effets individuels et collectifs.
Un réseau de centres d’investigation clinique-technologies innovantes
(CIC-IT48) a été créé au sein des CHU pour identifier les conditions
de ces futures évaluations. Le plus probable est l’utilisation de concepts
proches de ceux utilisés pour l’évaluation des dispositifs médicaux et des médi-
caments. L’Agence du numérique en santé et la Haute Autorité de santé pour-
raient intervenir dans le processus d’accès au marché.
Les résultats des évaluations pourraient servir à déterminer le prix et le mode
de financement ainsi que d’éventuelles restrictions d’emploi (lieu, formation du
médecin ou du professionnel de santé utilisateur, nécessité d’un accompagne-
ment ou d’une prescription médicale…) ou des modalités de suivi renforcées.
D’autres enjeux existent : faudra-t‑il soumettre la possibilité de commer-
cialisation à une autorisation administrative de type AMM ou Certificat CE ?
Faudra-t‑il un circuit de développement et de distribution contrôlé ? Une
forme de vigilance spécifique ?

47. Lors de la pandémie de Covid-19, on a vu à la fois de fausses informations circuler, notamment


sur les réseaux sociaux, mais aussi des théories scientifiques divergentes (sur la question du traite-
ment, par exemple) s’affronter.
48. Ces centres ont chacun un thème d’excellence : Garches (dispositifs de compensation de handi-
caps moteurs), Bordeaux (biomatériaux), Rennes (prothèses cardiaques implantables et systèmes de
monitoring), Grenoble (chirurgie assistée par ordinateur), Besançon (microtechniques), Lille (e-santé),
Tours (ultrasons et radiotraceurs), Nancy (imagerie par résonance magnétique) (voir www.cic-it.fr).

508
Partie 2. Chapitre 17.
Les nouvelles technologies au service de la santé

17.4.4. Des enjeux pour l’organisation du système de santé


Plutôt que de simplement numériser certaines tâches en les produisant de
la même manière qu’auparavant, l’implémentation des nouvelles technologies
dans le système de santé peut conduire à reconcevoir complètement certaines
approches et pratiques sur la base d’une analyse des besoins des patients.
L’innovation technologique rejoint alors l’innovation organisationnelle et les
deux entrent en synergie.
Par exemple, la mise en réseau des professionnels et l’utilisation de mes-
sageries instantanées couplées à des modèles prédictifs et à de la télémédecine
peuvent conduire à des transferts de compétence beaucoup plus larges. Ce
peut être une solution pour certaines zones rurales et pour recentrer les méde-
cins sur les prises en charge les plus complexes, qui justifient leur haut niveau
d’études. Les spécialités médicales pourraient elles aussi évoluer sous l’effet
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
des progrès de l’intelligence artificielle. Peut-être ira-t‑on vers des ultra-spé-
cialistes, davantage ingénieurs très hautement qualifiés que médecins, qui
concevront les modèles, et des généralistes jouant un rôle social et de péda-
gogie et utilisant l’intelligence artificielle pour établir des diagnostics (ils
contrôleraient alors juste le travail de la machine) ? Inversement, des regrou-
pements d’ultra-spécialistes ou de chirurgiens pourraient à partir d’un même
lieu proposer des consultations et des actes49 à distance pour toute une zone
ou un pays (ce qui est cohérent avec une approche populationnelle qui dis-
tingue plusieurs niveaux de territoires de recours).
Toutes les autres professions de santé pourront également voir leurs mis-
sions évoluer (et cela en cohérence avec les changements organi­sationnels
qui sont à la fois à la source et bénéficiaires de l’innovation numérique).
Le corollaire de cette possible redéfinition des rôles sera un impact sur
les formations initiales et continues. Afin de ne pas dégrader le lien de
confiance avec la population, il sera nécessaire d’associer des représentants
de la démocratie sanitaire à la conception des changements.

17.4.5. Des enjeux éthiques, juridiques, et sociétaux


La diffusion et l’utilisation des nouvelles technologies ne sont pas sans
poser de nombreuses questions éthiques, sociales et juridiques.
Parmi les nombreux enjeux, on peut soulever les suivants :
–  La liberté de connaître ou non le résultat de l’exploitation de nos données
(numérique, génétique, ou autre…). Veut-on être informé d’un risque potentiel
de cancer dans vingt ans ?
–  La liberté de ne pas suivre les recommandations dans un univers où des
objets connectés pourraient nous espionner en permanence. Comment préserver
notre libre arbitre ? Entre les mains de qui accepte-t-on de mettre ces données ?

49. Possiblement via des robots chirurgicaux ou des cabines connectées.

509
Partie 2. Les enjeux

–  La question de la responsabilité. Dans le cas des intelligences artifi-


cielles auto-apprenantes, qui serait responsable en cas d’erreurs ? En cas de
suicide d’un utilisateur à la suite d’une information erronée ?
–  L’interaction homme-machine. Quelle place pour le professionnel humain
à côté de la machine ?
–  La gouvernance. Quelle articulation entre experts, démocratie politique
et démocratie sanitaire dans la régulation de ce champ très vaste ?
Par ailleurs, les tenants de la pensée transhumaniste, qui veulent dépasser
les limites inhérentes au corps humain, misent beaucoup sur les nouvelles
technologies pour atteindre leurs objectifs.
Les enjeux éthiques sont lourds et l’on pourrait aller vers une forme d’eu-
génisme distinguant différentes catégories d’êtres humains. Va-t‑on pouvoir
acheter pour soi ou ses enfants des options ? Une meilleure vue, audition,
intelligence ? Un gène anti-cancer ? Une prolongation de la vie ? Comment
gérer ceux qui feront le choix de se faire cryogéniser dans l’espoir d’une
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
résurrection future ? Sont-ils morts ou vivants ? Comment vivent-ils s’ils « res-
suscitent » ? Comment « choisir » ceux qui ont accès à ces « améliorations » ?
Sur une base financière – certains pays vieillissants pourraient-ils le financer
pour tous ? Au mérite ? Pour quelle utilité : volonté personnelle ou besoin
particulier, comme la conquête spatiale ? Les personnes qui seraient immor-
telles auraient-elles le droit d’avoir des enfants ?
Ces questions peuvent sembler relever de la science-fiction, mais le rythme
de l’innovation est tel qu’elles pourraient bien un jour se poser.

510
Partie 1. Chapitre 17.
Les nouvelles technologies au service de la santé

Points clés
• En combinaison avec des changements organisationnels, le développement des
nouvelles technologies est à la fois un moteur et un outil de la transformation
de notre système de santé. Loin de se limiter à la collecte et à l’exploitation des
données de santé par des technologies d’intelligence artificielle, le champ des
nouvelles technologies est très large et comporte aussi des innovations telles
que l’impression 3D, les tests ADN, de nouvelles formes de radiologie…
• Ces nouvelles technologies peuvent apporter des réponses à de nombreux
besoins et défis de notre système de santé : amélioration des actions de préven-
tion, diffusion d’une information de qualité, accès aux soins grâce à la télé­
médecine, contribution à l’amélioration de la qualité de vie et à la prise en
compte de l’expérience des patients… Les défis sont toutefois nombreux : sécu-
rité des données, évaluation et financement, accessibilité pour tous, respect de
la vie privée, accompagnement de la transformation, lutte contre la désinfor-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
mation…
• Afin de développer l’utilisation des nouvelles technologies, les pouvoirs publics
ont mis en place une stratégie globale avec le déploiement de réseaux de
communication à très haut débit, la mise en place d’une plate-forme regrou-
pant le plus grand nombre de données de santé (le Health Data Hub), le
déploiement d’un panel d’outils numériques à destination des professionnels
de santé (messagerie sécurisée, dossier médical partagé, e-prescription…) et
des patients (espace numérique de santé…), la prise en charge par l’Assurance
maladie d’actes de télémédecine et de télé-expertise, le lancement de travaux
sur les modalités d’évaluation des nouvelles technologies et leur certification,
et le soutien à l’innovation par des appels à projets et des dispositifs de soutien
financier.
• À côté de ces initiatives structurantes menées par les pouvoirs publics, un enjeu
va être de réussir à ouvrir les données de santé et d’imaginer un modèle éco­
nomique pour permettre l’émergence de solutions innovantes développées par
des acteurs privés, comme cela est le cas pour le médicament et les dispositifs
médicaux. Comme pour les révolutions technologiques précédentes, de nom-
breux enjeux vont devoir être surmontés, certains à l’échelon national et
d’autres à l’échelon européen.

Pour en savoir plus


D. Gruson, La Machine, le Médecin et Moi : pour une régulation positive de l’intelli‑
gence artificielle en santé, Éditions de l’Observatoire, 2018.
M.S. Matheny et al. (dir.), Artificial Intelligence in Health Care: The Hope, the Hype,
the Promise, the Peril, National Academy of Medicine, 2019.
B. Nordlinger, C. Villani (dir.), Santé et intelligence artificielle, CNRS Éditions, 2018.
D. Pont, A. Coury, Stratégie de transformation du système de santé. Rapport final :
accélérer le virage numérique, ministère des solidarités et de la santé, 2018.
M.-O. Safon, La e-santé : télésanté, santé numérique ou santé connectée. Bibliographie
thématique, centre de documentation de l’IRDES, www.irdes.fr, juillet 2019.
Chapitre 18
Enjeux pour le système de santé français :
les évolutions et innovations de l’organisation
Philippe Marin, Jacques Raimondeau, Gilles Huteau,
Philippe Naty‐Daufin, Pierre‐Henri Bréchat
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Objectifs pédagogiques du chapitre
Connaître :
–  Les principes d’organisation et de fonctionnement d’un parcours de santé
–  Les effets possibles d’une responsabilisation accrue de l’assuré social-patient
– L’intérêt d’une organisation de type Accountable Care Organization (ACO)
américaine
– Les perspectives d’évolution en matière de planification en santé et d’organi-
sation des soins et du système de santé français

La prise en compte des enjeux de santé publique et du contexte évolutif


dans lequel se construisent et se mettent en œuvre les réponses politiques
(➠ Chapitre 17) implique, à côté des adaptations techniques, des mesures de
réorganisation du système de santé.
Les pistes sont nombreuses dans le domaine. Sont décrites dans ce chapitre
certaines d’entre elles : en France, avec le parcours de santé, issu de la loi de
modernisation de 2016 (SNS 2018‑2022), le déploiement des communautés
professionnelles territoriales de santé (CPTS), les perspectives ouvertes par
la responsabilisation des assurés sociaux et les innovations organisationnelles
testées dans le cadre des projets « Article  51 »1, et aux États-Unis avec les
ACO issus du Patient Protection and Affordable Care Act, voté en 20102.

1. Article 51 de la LFSS 2018


2. Rosenbaum S., « The Patient Protection and Affordable Care Act : Implications for Public Health
Policy and Practice », Public Health Report, 2011, n° 126(1), p. 130‑135.

513
Partie 2. Les enjeux

18.1. Le parcours de santé

18.1.1. Historique
La loi du 13 août 2004 relative à l’Assurance maladie avait mis en place
un premier dispositif de parcours : le parcours de soins coordonnés (PSC),
qui poursuivait un double objectif d’amélioration des prises en charge et de
maîtrise des dépenses d’assurance maladie. L’entrée de certains patients dans
ce parcours était alors une condition de maintien du niveau de remboursement.
Le PSC avait un contenu essentiellement médical, associant un suivi médical
coordonné et des actions de prévention individuelle (vaccination, notamment
antigrippale chez les sujets fragiles et inclusion dans les dépistages organisés ;
➠ Chapitre  12)). Le suivi médical coordonné consistait, pour le médecin
traitant, en des activités d’orientation du patient dans le système de santé, de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
coordination des soins entre les différents intervenants, de gestion du dossier
médical et d’élaboration du protocole de soins pour les affections de longue
durée (ALD) ; Ce protocole permet d’octroyer au patient le bénéfice de l’exo-
nération du ticket modérateur pour les soins correspondant à l’ALD
(➠ Chapitre 7 et 18.2.2).
La loi n° 2016‑41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système
de santé développe une ambition beaucoup plus globale pour le parcours de
santé. En effet, l’organisation des parcours de santé devient à cette occasion
l’une des modalités principales retenues pour réorganiser le système de santé
français. Ces parcours visent, par la coordination des acteurs sanitaires,
médico-sociaux et sociaux, en lien avec les usagers et les collectivités terri-
toriales, à garantir la continuité, l’accessibilité, la qualité, la sécurité et l’ef-
ficience de la prise en charge de la population, en tenant compte des spécificités
géographiques, démographiques et saisonnières de chaque territoire – et tout
cela afin de concourir à l’équité territoriale. Les attentes ainsi formulées
s’apparentent fortement à ce qui définit classiquement en France le service
public3. Il apparaît que le parcours de santé est le mode d’organisation cible
pour la structuration des soins de santé primaires et leur articulation avec les
soins secondaires et tertiaires.
La Stratégie nationale de santé 2018‑2022 reprend les principes posés par
la loi de 2016 et développe particulièrement des perspectives en direction
des enfants, des personnes âgées, des personnes handicapées, des insuffisants
rénaux (pour retarder le recours à la dialyse et la greffe rénale), des maladies
neurodégénératives (maladie d’Alzheimer et troubles apparentés, maladie de
Parkinson, sclérose en plaques, principalement) ou des personnes atteintes de
troubles mentaux. Le rôle des usagers comme acteurs de leur parcours de
santé est aussi clairement affirmé.

3. La création formelle d’un service public territorial de santé ou d’un service territorial de santé
au public avait été discutée lors de la phase d’élaboration de la loi de 2016.

514
Partie 2. Chapitre 18.
Enjeux pour le système de santé français : les évolutions et innovations de l’organisation

18.1.2. Principes d’organisation


La logique de parcours de santé peut théoriquement s’appliquer à toute
situation mobilisant le système de santé, mais en réalité elle se révèle particu-
lièrement pertinente pour les prises en charge des malades chroniques et des
personnes handicapées ou dépendantes. En effet, c’est dans ces configurations
que les enjeux de qualité et d’efficience sont les plus importants, en raison de
la multiplicité des acteurs impliqués et de la durée de l’accompagnement.
Organiser un parcours de santé suppose de mettre en place le suivi et la
prise en charge de patients au long cours en intégrant l’éventualité de survenue
d’épisodes pathologiques aigus sur un fond de traitement de base, en mobi-
lisant pour cela des ressources sanitaires, médico-sociales et sociales. La HAS
a préconisé de s’appuyer pour ce faire sur une triple logique :
–  l’anticipation, qui vise à retarder les évolutions défavorables (installation
d’insuffisances fonctionnelles, cardiaque, rénale, respiratoire, etc. et l’entrée en
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
dépendance) et à prévenir les épisodes aigus, tout particulièrement en repérant
les risques de rupture dans les prises en charge, mais aussi en s’assurant de la
réalisation d’actes de prévention systématiques, comme la vaccination antigrip-
pale. Anticiper implique une analyse tenant compte de la dynamique générale
de la situation pathologique et de la façon dont s’expriment les déterminants de
santé concernés dans le contexte propre à l’individu et à l’organisation support
du parcours (moyens disponibles) ;
–  la participation, ce qui suppose de recueillir l’expression et de tenir
compte des préférences du patient (par ex, en matière de maintien à domicile
ou de traitements médicaux agressifs) dans le but à la fois d’adapter au mieux
les prestations délivrées et d’impliquer activement le patient dans son parcours
de santé, d’où découleront habituellement une meilleure observance des pres-
criptions et une efficience accrue. La démarche d’éducation thérapeutique est
un domaine d’expression classique de cette logique (➠ Chapitre 13) ;
–  l’analyse des risques, qui cherche à identifier les points critiques dans la
prise en charge, c’est-à-dire ceux dont la défaillance entraîne une rupture dans
le dispositif, et ce, évidemment dans le but de prendre des mesures de correc-
tion. Les ruptures peuvent avoir des causes médicales ou techniques, mais aussi
trouver leur origine dans le support social de la personne4. Cette analyse est
évidemment un préalable à la prise de mesures d’anticipation préventive.

18.1.3. Un parcours de santé reposant sur un projet partagé


En pratique, organiser le parcours de santé d’un patient porteur d’une ou
plusieurs maladies chroniques implique d’assurer une continuité des prestations
à la fois qualitative et temporelle, en faisant face à une multiplicité d’interve-
nants différents, se succédant ou travaillant en même temps. La réussite des
parcours de santé passe donc obligatoirement par la mise en place

4. La rareté et la fragilité des contacts sociaux sont ainsi de bons prédicteurs d’un risque d’hospi-
talisation en urgence chez les personnes âgées.

515
Partie 2. Les enjeux

d’organisations de support spécifiques. C’est là que réside le caractère restruc-


turant, pour le système de santé, de l’application du concept de parcours.
Il est en effet nécessaire, pour parvenir à atteindre les objectifs fixés à ces
organisations, de créer une culture de projet commune aux intervenants sur
la base d’un projet partagé : il s’agit de se connaître, de partager des valeurs,
des connaissances et des pratiques, de développer une confiance mutuelle qui
permettra d’aller vers la définition d’un projet de soins partagé, l’évaluation
des pratiques et la recherche d’une amélioration continue. L’enjeu est ainsi
de pousser à une structuration forte des professions de santé et des acteurs
médico-sociaux du secteur de ville. L’enjeu de la structuration des parcours
est un changement aussi important que le fut le développement des prises en
charge ambulatoires pour les hôpitaux.
À côté de la coordination des intervenants, professionnels et bénévoles,
qui est une nécessité reconnue depuis des années dans des organisations
comme les réseaux ville-hôpital, une caractéristique majeure des organisations
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de support des parcours de santé est de se fonder aussi sur un rôle actif des
patients. Le développement de ce rôle du « patient-usager-acteur » passe d’une
part par un partage d’informations entre professionnels et patients et, d’autre
part, par l’intégration des connaissances et de l’expérience des patients dans
le dispositif de prise en charge ; on peut voir alors apparaître des « patients-ex-
perts » qui deviennent des intervenants bénévoles. Ce fonctionnement doit
logiquement déboucher sur un meilleur respect des droits formels des usagers
et sur la mise en œuvre de procédures de co-décision entre soignants et
patients (ou leurs représentants le cas échéant). Cette finalité, passant notam-
ment par une discussion approfondie du rapport bénéfice/risque entre soignant
et soigné, figure expressément dans la SNS 2018‑2022.
La SNS vise aussi, dans cette perspective générale d’association des
acteurs, à développer le service public d’information en santé afin de rendre
aisément accessibles au public des données concernant les droits des usagers,
l’existence et la qualité des prises en charge. Dans ce cadre, il sera donc
nécessaire d’ouvrir un chantier particulier touchant à l’évaluation de la qualité,
qui comprendra la création d’indicateurs de résultat et de qualité des parcours
issus des expériences individuelles des patients (l’« expérience-patient »), qui
co-existeront avec des indicateurs d’évaluation plus classiques. Il s’agit de
permettre à l’usager de s’orienter dans le système et de prendre de la façon
le plus éclairée possible les décisions qui le concernent.
Il est intéressant de noter que la loi du 24  juillet 2019 relative à l’orga-
nisation et à la transformation du système de santé vient créer une responsa-
bilité territoriale à la charge des opérateurs en santé. Cela s’exprime par la
réalisation d’un diagnostic territorial partagé et l’élaboration d’un Projet ter-
ritorial de santé (PTS), qui constituera le cadre dans lequel l’agence régionale
de santé pourra contractualiser avec les différents opérateurs et intervenants
en santé et devra à la fois être une synthèse des différents plans et projets
territoriaux et être en cohérence avec le projet régional de santé (PRS).
Une garantie, partielle, de succès de la démarche est sans doute d’associer
plus fortement les représentants des usagers et des professionnels au pilotage
du dispositif.

516
Partie 2. Chapitre 18.
Enjeux pour le système de santé français : les évolutions et innovations de l’organisation

Les objectifs
La définition des objectifs du projet d’organisation du parcours peut se
faire selon différents critères, notamment la population prise en compte, mais
aussi des choix d’orientation des activités.
La population ciblée peut être choisie selon :
–  un type de pathologie : diabète, insuffisance rénale, maladies neurodégé-
nératives, insuffisance respiratoire, maladies inflammatoires chroniques,
sida, etc.
–  une catégorie socio-démographique : enfants, adolescents, personnes
âgées, personnes handicapées, publics précaires, immigrés, groupes profession-
nels, familles monoparentales, etc.
–  un critère économique : bénéficiaires de prestations (allocation aux adultes
handicapés, aide médicale de l’État), consommateurs de soins coûteux, etc.
Il est possible de définir, si besoin, des sous-catégories dans la population
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
ciblée, par exemple en fonction de la gravité des troubles ou du niveau de
prestations requis. Un tel classement peut se faire sur la base d’outils pré-
existants (la grille AGGIR, par exemple) ou nouveaux, élaborés en fonction
des besoins.
Le projet peut aussi intégrer des objectifs spécifiques, comme les suivants,
qui se retrouvent dans la SNS :
–  la recherche systématique de proximité dans la délivrance des soins, dans
une perspective de réduction des inégalités territoriales de santé ;
–  le développement préférentiel de certains partenariats (par exemple avec
l’Éducation nationale et des associations étudiantes s’il s’agit de parcours
concernant des jeunes) ;
–  la lutte contre le renoncement aux soins, ce qui conduira à développer une
démarche d’« aller vers » les personnes éloignées du système de santé en visant
la réduction des inégalités sociales de santé. À cette fin, une exploitation ciblée
des données des fichiers des organismes de protection sociale pourrait être
menée. La démarche PFIDASS5, mise en œuvre par l’Assurance maladie et
qui vise à accompagner individuellement un assuré social en situation de non-re-
cours pour faciliter son accès aux soins, est un exemple de cette approche désor-
mais proactive des personnes ;
–  le développement de certaines prestations, comme les soins bucco-den-
taires pour les personnes âgées ou handicapées, des actions de dépistage, de
vaccination, ou l’usage des nouvelles technologies pour favoriser l’autonomie
et limiter le recours aux médicaments ;
–  l’optimisation de l’intégration des aidants bénévoles dans le dispositif et
leur accompagnement (pour prévenir notamment leur épuisement).

5. Plateforme d’intervention départementale pour l’accès aux soins et à la santé. Cette dénomi-
nation devrait évoluer courant 2020. Rapport d’évaluation sur la PFIDASS disponible sur le site de
l’Observatoire des non-recours aux droits et services (odenore.msh-alpes.fr).

517
Partie 2. Les enjeux

Les modalités opératoires


Le projet doit être construit collectivement entre les intervenants et les patients.
Entre les intervenants, les enjeux sont ceux d’une intégration technique pluri-
professionnelle, dont l’appropriation doit être facilitée, et d’une intégration orga-
nisationnelle avec adhésion aux modalités de fonctionnement communes qui
inéluctablement rognent un peu sur la liberté des uns et des autres. Pour cela, la
mise en œuvre du projet peut s’appuyer sur plusieurs démarches et outils :
–  recours à des référentiels de bonnes pratiques acceptés par les intervenants
(en provenance notamment de la HAS ou de groupements professionnels et
s’appuyant sur des données probantes) ;
–  une formulation explicite des objectifs à atteindre en fonction des besoins
et des moyens d’action disponibles. Il sera ainsi nécessaire de tenir compte des
équipements des établissements de proximité, de l’existence éventuelle
d’équipes mobiles de soignants, des possibilités de télémédecine et de télésoin,
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
de l’intervention d’acteurs de la réhabilitation sociale et professionnelle (ser-
vices de santé au travail). Les modalités d’articulation entre les ressources
devront être aussi définies ;
–  les modalités de prise en compte de l’« expérience du patient », en s’ef-
forçant d’aller vers une formulation opérationnelle sous forme d’indicateurs ;
–  le questionnement évaluatif, c’est-à-dire les points sur lesquels l’équipe
souhaite être particulièrement vigilante, se matérialisant sous forme d’indica-
teurs et de leurs valeurs cibles ;
–  les principes d’évolution du projet et sa gouvernance, notamment la place
faite aux représentants des usagers.
La définition générale du projet sera fondée sur un affichage explicite des
valeurs qui le sous-tendent, par exemple : bientraitance, respect du libre choix,
préservation (ou développement) de l’autonomie, participation des usagers…
Au-delà du projet général, il s’agira ensuite d’établir des protocoles de
soins et de standardiser les prestations, de définir précisément le rôle de
chaque intervenant et de mettre en place l’organisation matérielle qui en
découle. La standardisation des prestations visera à en garantir la qualité, la
sécurité et la pertinence, tout en les rendant moins sensibles à l’identité de
l’intervenant – qui peut changer dans le cadre de la continuité des soins ; si
cette logique est depuis longtemps mise en œuvre au sein des équipes des
établissements, son application au secteur libéral est relativement plus nova-
trice. La recherche de standardisation devra s’articuler avec la relation entre
patient et intervenants, et notamment avec la dynamique de décision partagée
et d’autonomisation, comme dans le cas de l’éducation thérapeutique. La
place et le rôle de chaque intervenant seront définis en tenant compte des
compétences techniques et du cadre statutaire existant, les évolutions pouvant
passer par le développement de pratiques avancées (➠ Chapitre 16), par délé-
gation de tâches ou encore par le recours à des techniques utilisant les retom-
bées de l’intelligence artificielle (➠ Chapitre 17).
C’est à ce niveau que devront être fixés précisément les choix de recourir
à certaines méthodes ou intervenants professionnels ou bénévoles : pair-ému-
lation, démarches de renforcement des capacités à agir (empowerment),

518
Partie 2. Chapitre 18.
Enjeux pour le système de santé français : les évolutions et innovations de l’organisation

d’éducation thérapeutique, technologies numériques de la santé (« e-santé »),


« patient-expert », pair médiateur de santé, etc.
La place du numérique devra être soigneusement étudiée dans un cadre
évolutif et évalué. En effet, d’une part tous les usagers (notamment un pour-
centage important de personnes handicapées et/ou dépendantes) n’ont pas une
pratique aisée de ces outils et, d’autre part, l’offre de services est en adaptation
régulière, ce qui ouvre des perspectives nouvelles6. Parmi les applications pos-
sibles ou déjà prévues, on peut citer : la prescription électronique avec partage
des informations entre le prescripteur et les autres intervenants autour du patient,
le développement d’une large gamme de services adaptés en matière d’éduca-
tion pour la santé et d’éducation thérapeutique, des actions de médiation numé-
rique pour faciliter l’accès aux téléservices, la numérisation du carnet de suivi
partagé d’un patient à domicile (avec, par exemple, l’outil PAACO/Globule)…
La gestion de l’information sera particulièrement cruciale dans une orga-
nisation qui traite de la santé humaine avec des intervenants multiples qui
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
doivent s’articuler entre eux, tout en préservant une étanchéité information-
nelle vis-à-vis de l’extérieur de l’organisation. L’utilisation du dossier médical
partagé (DMP) est évidemment centrale. La sécurisation du recueil et du
traitement des données poursuivra trois objectifs : confidentialité, intégrité,
accessibilité, dans un contexte marqué par la multiplicité des « portes d’en-
trée » mobiles dans les bases de données. Le partage des données respectera
le secret professionnel, le consentement du patient, garantira l’accessibilité
technique et devra rendre impossible une altération maladroite ou malveillante
des informations. Enfin, une place devra être faite aux outils d’aide à la déci-
sion, en intégrant le recours à l’exploitation des bases de données massives
(Big Data) et les technologies d’intelligence artificielle. La mise en place du
Health Data Hub et de l’Espace numérique de santé va dans le sens d’une
plus grande structuration des données et d’une facilitation de leur usage, pour
des objectifs tant de santé publique que d’accompagnement individuel.

Les nouveaux modèles d’organisation


La réforme de 2019 apporte de nouveaux outils pour améliorer l’accès
aux soins et la cohérence des parcours.
Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), créées
en 2016, ont vocation à devenir le maillon territorial de l’organisation des
soins de ville. Ces dispositifs construits par les professionnels recevront, dans
le cadre d’un accord conventionnel interprofessionnel signé le 20 juin 2019,
des financements dont le niveau dépendra de la taille de la population cou-
verte7 et sous la condition de remplir progressivement des missions socles
(accès à des soins non programmés et à un médecin traitant, organisation de

6. Il existe ainsi des serious games qui servent à entraîner et préserver la mémoire de personnes
dont les fonctions cognitives sont en voie d’altération. On peut également citer l’existence d’une
application permettant de faire des exercices aboutissant à une action anti-douleur.
7. Quatre tranches de population (moins de 40 000, entre 40 000 et 80 000, entre 80 000 et 175 000,
plus de 175 000).

519
Partie 2. Les enjeux

parcours pour des pathologies chroniques et mise en place d’actions de pré-


vention et/ou de promotion de la santé).
Par ailleurs, le déploiement d’assistants médicaux8 dans les cabinets
médicaux répond au besoin d’orienter autant que possible le temps médical
vers l’activité de soins (en diminuant le temps dévolu aux tâches adminis-
tratives). Ces nouveaux professionnels, qui existent déjà largement dans
d’autres pays, feront l’objet d’un financement par l’Assurance maladie, sous
réserve d’une augmentation minimale du nombre de patients suivis et de
l’intégration du professionnel dans un dispositif de pratique coordonné (CPTS,
maisons de santé pluriprofessionnelles ou MSP ou autre).
En matière de coordination, différents dispositifs existants (MAIA9 et
réseaux de santé) vont progressivement rejoindre les plateformes territoriales
d’appui (PTA) dans le cadre d’un rapprochement des dispositifs d’appui à la
coordination qui pourront soutenir tous les patients faisant face à une patho-
logie grave et/ou invalidante. Progressivement, d’autres formes de coordina-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tion (comme les centres locaux d’information et de coordination – personnes
âgées ou CLIC) pourraient être incluses dans ce mouvement d’intégration à
l’échelle départementale.
Comme l’illustre la figure  1, ces nouveaux modes d’organisation s’ins-
crivent dans une structuration territoriale déjà dense.

CRSA Projet régional de santé ARS

Conseil territorial Projet territorial de santé CPAM


de santé
Contrats
locaux
de santé
Projet territorial Etablissements
CPTS GHT
de santé et services
mentale médico-sociaux
Etablissements
de santé privés Dispositifs de coordination : PRADO,
PAERPA, PTA MAIA, CLIC, …
Figure 1. Le dispositif de planification territoriale et ses acteurs

8. Avenant 7 à la convention médicale signée le 20 juin 2019.


9. La signification de l’acronyme a évolué dans le temps : maison pour l’autonomie et l’intégration
des malades d’Alzheimer, en 2008 ; méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de
soins dans le champ de l’autonomie, depuis 2011.

520
Partie 2. Chapitre 18.
Enjeux pour le système de santé français : les évolutions et innovations de l’organisation

Par ailleurs, l’article 51 de la LFSS 2018 permet, après validation au niveau


national et grâce à des crédits spécifiques, à des porteurs de projet d’expéri-
menter de nouveaux modes d’organisation des soins et des prises en charge
médico-sociales en dérogeant aux cadres de financement et aux systèmes d’au-
torisation classiques. L’ensemble de ces démarches innovantes est suivi par
le Conseil stratégique de l’innovation en santé, et les plus performantes pour-
ront faire l’objet d’un déploiement à plus grande échelle. Ces projets portent
sur la coopération et la coordination entre les professionnels, la qualité des
prises en charge, la pertinence ou l’efficience du système de santé.

18.1.4. Impact de la mise en place des organisations


de support aux parcours sur la régulation
du système de santé
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Le développement des organisations de support aux parcours et leur éva-
luation vont sans doute constituer une sorte de laboratoire multicentrique en
population générale : des problématiques nouvelles apparaîtront ou seront
transformées et d’autres trouveront leur solution ; les modalités de réponse
changeront notamment sous l’effet du travail pluriprofessionnel, des pratiques
avancées, de la responsabilité populationnelle des nouveaux modes d’orga-
nisation10 et des outils numériques. Les impacts possibles sur les normes
régissant le système de santé sont donc potentiellement considérables, qu’il
s’agisse de normes de fonctionnement, de qualité et de sécurité, de protection
sociale (➠ 18.2.2) en interaction avec ce qui se fera pour les établissements
et en application de la logique de gradation des soins. On peut ainsi anticiper
la substitution partielle, aux normes nationales uniformes, de normes plus
différenciées, contextualisées et d’application locale. Le besoin de prise en
compte des spécificités territoriales pousse à une remise en question du
concept de généralisation de certains dispositifs au profit d’une adaptation
d’un modèle aux besoins d’un territoire (cela pourrait dans certains domaines
remettre en question la pertinence d’une régulation purement nationale).
La SNS poursuit aussi un objectif d’évolution du modèle de financement
des prises en charge afin qu’il soit adapté au fonctionnement en parcours. Sur
le principe, cette opération devrait logiquement aboutir à un rassemblement
d’enveloppes financières aujourd’hui fragmentées entre les différents interve-
nants dans un parcours11, puis à un processus de répartition sur la base des
soins dispensés. Une première étape de ce processus a débuté en 2019 par la
détermination de financements forfaitaires pour les composantes hospitalières

10. Le concept de responsabilité populationnelle signifie que les professionnels regroupés dans
une structure de coordination telle qu’une CPTS s’engagent collectivement à répondre au mieux au
besoin de la population du territoire.
11. Par exemple, la répartition d’une enveloppe forfaitaire de financement d’une situation de prise
en charge (telle une insuffisance rénale dialysée) entre les producteurs de prestations de médecine
générale, de soins infirmiers, d’examens de biologie, de prise en charge par un service d’urgence,
puis en service de médecine spécialisée, etc.

521
Partie 2. Les enjeux

des prises en charge du diabète et de l’insuffisance rénale chronique ; les étapes


ultérieures verront la continuation de la démarche aux épisodes extrahospita-
liers de ces deux pathologies et l’extension à d’autres situations de prise en
charge. Cette démarche de financement à l’« épisode de soins » est en cohérence
avec le fonctionnement par parcours ; elle est aussi porteuse de déplacements
de financements plus aisés entre les acteurs du système de santé et peut ainsi
contribuer aux virages ambulatoire et préventif de la SNS.

18.2. Les enjeux de la responsabilisation


de l’assuré social-patient12

Volontiers agité comme un « halo magique » face aux défis auxquels sont
confrontés les systèmes et politiques de santé, l’appel récurrent à la respon-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
sabilité des acteurs concernés (assurés sociaux-patients, médecins et autres
professions médicales, etc.) peut néanmoins laisser perplexe.
Il n’est pas toujours aisé, en effet, de savoir dans quel registre doit se
comprendre l’expression polysémique de « responsabilité ».
Issu du latin respondere, le terme de « responsabilité » est étymologique-
ment empreint d’une connotation juridique : il renvoie à l’obligation de
répondre d’un acte ou d’un fait et d’en assumer les conséquences. Plus géné-
ralement, la responsabilité s’entend comme une valeur sociale : elle fait réfé-
rence aux devoirs auxquels est tenue la personne vivant en société, et non
plus seulement à ses seules obligations juridiques. C’est dans ce sens que le
néologisme de « responsabilisation » est couramment employé lorsqu’il se
rapporte aux enjeux comportementaux des acteurs des systèmes et politiques
de santé. Il consiste à reconnaître aux intéressés une responsabilité quant au
bon usage des fonds sociaux affectés au financement des soins de santé, non
seulement afin de préserver le modèle solidaire de protection de la santé,
mais aussi dans la perspective de concourir à la santé publique au-delà de la
satisfaction des besoins individuels.
Même s’il s’agit d’une formule classique ayant pris naissance à la fin du
xixe siècle, la responsabilisation de l’assuré social-patient ne peut plus seu-
lement reposer sur des seuls mécanismes normatifs ou d’incitation financière.
Ils se révèlent d’une portée insuffisante et, surtout, entraînent des renonce-
ments aux soins parmi les catégories de population modestes. À partir des
années 1980, à la faveur de l’avènement d’un contexte sanitaire et social
nouveau (essor de la couverture complémentaire, prévalence des pathologies
chroniques, aspiration des individus à jouer un rôle dans la prise en charge

12. Même si les notions d’assuré social et de patient représentent deux figurent juridiques dis-
tinctes, les périmètres respectifs des personnes munies de ces qualités révèlent une quasi-concor-
dance en France et dans la plupart des pays européens, compte tenu de l’universalisation de la protec-
tion sociale de la santé, en particulier de l’assurance maladie de la Sécurité sociale. Il s’ensuit dès lors
que l’assuré social et le patient constituent un couple indissociable, dans la mesure où l’un et l’autre
constituent les deux facettes d’un même usager du système de santé envisagé dans son ensemble.

522
Partie 2. Chapitre 18.
Enjeux pour le système de santé français : les évolutions et innovations de l’organisation

de leur propre santé, etc.), il apparaît alors opportun de redéfinir les conditions


d’une responsabilisation de l’assuré social, en vue d’en orienter le compor-
tement, en tant que patient dans le système de soins, le cas échéant en lui
fournissant la possibilité de s’impliquer davantage dans sa démarche de santé.

18.2.1. L’égalité sociale d’accès aux soins à l’épreuve


de la responsabilisation de l’assuré social-patient

Les limites d’une responsabilisation circonscrite


à une participation financière
Dans les systèmes bismarckiens (➠ Chapitre  7), la responsabilisation
financière de l’assuré social-patient s’appuie principalement sur le dispositif
du ticket modérateur13. Cette participation financière correspond à une pro-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
portion de frais de soins et biens médicaux laissée à la charge de l’assuré
social14. Le plus souvent, seules quelques catégories en sont exonérées, tels
les accidentés du travail, les femmes en état de maternité, les personnes
reconnues en maladie professionnelle ou en affection de longue durée pour
la consommation médicale correspondante…
Cette forme de responsabilisation suscite une critique récurrente, n’étant
pas véritablement efficace en matière de régulation des comportements
des assurés sociaux, ni cohérente avec l’exigence de justice sociale15. Il
importe en effet de préciser que le reste à charge correspondant est le plus
souvent neutralisé par l’assurance maladie complémentaire à laquelle les
patients adhèrent le plus souvent. De surcroît, afin d’éviter que le ticket
modérateur ne se transforme en ticket d’exclusion de l’accès aux soins
pour les personnes les plus défavorisées, un certain nombre d’États, telle
la France, ont mis en place des dispositifs de couverture complémentaire
gratuite16 en leur faveur (l’action sanitaire et sociale des caisses de l’assu-
rance maladie peut également intervenir pour couvrir le reste à charge).
Pour autant, le ticket modérateur contraint encore certaines personnes à
revenus modestes à différer l’accès à des soins et biens médicaux qui leur
sont nécessaires, voire même à y renoncer, avec le danger de laisser s’ag-
graver des pathologies naissantes et/ou de nuire à leur intégration.
Enfin, la responsabilisation de l’assuré social sous sa seule dimension
financière se heurte au fait qu’il n’a guère de prise sur les prescriptions
médicales, même s’il peut être tenté de les influencer à la faveur de la liberté
dont il dispose dans l’accès au système de santé.

13. Il existe aussi d’autres types de participation financière.


14. Cette participation financière est fixée dans une proportion variable (0 % pour les actes médi-
caux les plus lourds à 85 % pour les médicaments à faible service médical rendu) en fonction de la
nature des soins et biens de santé remboursés.
15. M. Elbaum, « Participation financière des patients et équilibre de l’assurance maladie », Lettre
de l’OFCE, n° 301, septembre 2008.
16. Couverture complémentaire universelle-complémentaire (CMU-c), aujourd’hui remplacée par
la Complémentaire santé solidaire (CSS).

523
Partie 2. Les enjeux

Le danger d’un glissement d’une protection solidaire


à une assurance conditionnelle
Le développement des technologies de santé, notamment des dispositifs
de télé-observance17, fait planer le spectre d’une assurance maladie condi-
tionnelle dans laquelle la prise en charge serait déterminée en fonction du
respect de normes comportementales : pratique d’une activité physique, réa-
lisation de certaines actions de prévention18… Quelques dispositifs dans ce
sens, qui prennent appui sur les objets connectés, ont d’ores et déjà été mis
en place dans le champ de l’assurance maladie complémentaire en France et
à l’étranger19 en vue de moduler, non pas les prestations, mais les tarifs des
contrats d’assurance.
À partir du moment où le contrôle des comportements individuels se trouve
facilité, la question se pose de savoir jusqu’où il est possible d’aller en la
matière, sans remettre en cause ni le fondement solidaire de l’assurance mala-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
die ni sa finalité, celle-ci devant permettre à chacun d’accéder à des soins et
biens de santé adaptés à ses besoins dans le respect de ses libertés
individuelles.
Ainsi, il est permis de se demander jusqu’où la société est prête à supporter
les conséquences d’une prise de risque comme celle d’une non-observance
thérapeutique. Une telle interrogation s’étend à d’autres conduites dangereuses
pour la santé et susceptibles d’occasionner de lourdes dépenses sociales : le
tabagisme, l’abus d’alcool, la toxicomanie, les rapports sexuels non protégés…
Il peut sembler anormal que l’Assurance maladie doive, en tant q­ u’institution,
en assumer la conséquence financière, alors que leurs auteurs ont été en mesure
de faire un choix éclairé, et que leur liberté a pour corollaire, au sens général
du terme, leur responsabilité.
À intervalles réguliers, sous l’influence de la pensée néolibérale, ce débat
est d’ailleurs soulevé. Selon la thèse défendue par ses partisans au début des
années 2000, en acceptant de prendre en charge les pathologies induites par
les comportements à risque, l’assurance maladie aboutit à déresponsabiliser
les patients-assurés sociaux20, lesquels ne seraient dès lors plus guère soucieux
de se préoccuper de leur état de santé. Son indemnisation quasi automatique
aurait pour inconvénient d’encourager la négligence et l’imprudence des indi-
vidus, laissant la porte ouverte à l’aléa moral, sachant qu’ils n’auront pas à

17. La télé-observance est à distinguer de la télésurveillance. Celle-ci étant un acte de téléméde-


cine (article L. 6316‑1 du Code de la santé publique), elle suppose, comme tous les actes médicaux,
le consentement du patient, ce qui n’est pas le cas de la télé-observance où le patient est seule-
ment informé de la mise en place de ce dispositif qui est surtout destiné à permettre le contrôle de
l’assurance maladie. La mise en place d’un dispositif de télésurveillance doit obtenir l’adhésion
formelle et doit faire l’objet de formalités auprès de la Commission nationale de l’informatique et
des libertés (CNIL).
18. D. Tabuteau, « Santé et devoirs sociaux », RDSS, janvier-février 2009, p. 42‑52.
19. A. Debet, « Objets connectés et santé », Journal de droit de la santé et de l’assurance maladie,
n° 15, 2017, p. 34 et suiv. Voir les exemples étrangers cités par D. Tabuteau, Démocratie sanitaire, les
nouveaux défis de la politique de santé, Odile Jacob, 2013, p. 178 et suiv.
20. D. Kessler, « L’avenir de la protection sociale », Commentaire, n° 87, 1999, p. 619‑632, spéc. 625.

524
Partie 2. Chapitre 18.
Enjeux pour le système de santé français : les évolutions et innovations de l’organisation

supporter entièrement les conséquences financières de leur prise de risque,


malgré l’institution d’un reste à charge.
Ce discours fait ressortir de façon implicite la notion de faute de la per-
sonne et tend de la sorte à remettre en cause le fondement solidaire de
­l’assurance maladie. En effet, la socialisation des risques de santé qu’elle
met en œuvre s’attache pour l’essentiel à la réparation des conséquences des
risques liés à la santé, et non à leurs causes. Dès lors, envisager ceux-ci sous
l’angle de leurs causes comportementales, c’est-à-dire privilégier l’analyse
de leurs origines par rapport à celle de leurs conséquences, aboutirait à pro-
céder à la dénaturation de l’assurance maladie telle qu’elle est conçue dans
le champ de la protection sociale.
Il n’en demeure pas moins opportun de créer les conditions pour que
l’assuré social soit en mesure de se saisir de sa responsabilité en jouant un
rôle actif en matière d’accès aux soins et à la prévention.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
18.2.2. La responsabilisation de l’assuré social-patient
au service de la santé publique

L’incitation à suivre un parcours de soins propice


au bon usage des soins
Une telle orientation invite à envisager la responsabilisation de l’assuré
social en tant que patient. Il s’agit alors de replacer ce processus dans une
approche globale allant au-delà des modalités de prise en charge de l’assu-
rance maladie, pour s’élargir à la façon dont sont structurées l’organisation
et la coordination des soins.
S’agissant de la France, c’est dans cette perspective ambitieuse que s’est
inscrite la réforme de la loi du 13 août 2004 sur l’assurance maladie. Elle a
institué le parcours de soins coordonné, dont la pierre angulaire est le médecin
traitant. Accessible à tout assuré social ou ayant droit âgé de 16 ans ou plus21,
ce dispositif vise certes à dissuader des comportements de « nomadisme médi-
cal », quoique l’assuré social conserve toujours la possibilité de changer de
médecin comme il le souhaite, sous réserve néanmoins d’obtenir l’accord d’un
autre praticien. Mais cette réforme structurelle vise plus fondamentalement à
promouvoir un usage plus rationnel du système de soins curatifs et préventifs.
Bien qu’ils demeurent libres d’adhérer ou non au parcours de soins coordonné,
voire d’en respecter ou non les règles par la suite, les assurés sociaux sont
néanmoins incités à s’inscrire dans cette voie afin de ne pas avoir à supporter
une majoration de 40 % du ticket modérateur sur les honoraires médicaux.
De surcroît, afin de garantir l’effectivité de ce dispositif, les contrats respon-
sables de l’assurance maladie complémentaire ne sont pas autorisés à en cou-
vrir la charge financière (ticket modérateur non remboursable).

21. La loi de modernisation de notre système de santé de 2016, à son article  76, a institué un
parcours de soins coordonné pour les moins de 16 ans, mais sans que ce dispositif induise des consé-
quences financières pour les familles.

525
Partie 2. Les enjeux

Aujourd’hui, la quasi-totalité des assurés sociaux a souhaité adhérer au


dispositif du médecin traitant, qui est presque toujours un médecin généraliste.
Par ailleurs, le médecin traitant reste investi d’un rôle déterminant dans la
coordination des soins à travers la mise en œuvre du protocole des affections
de longue durée (ALD). Également, le succès de ce dispositif a permis de
conforter le rôle du médecin dans la responsabilisation de l’assuré social face
aux risques de santé, notamment pour l’amener à accomplir la démarche de
prévention la mieux adaptée à ses besoins de santé. L’action du médecin
traitant dans ce domaine est d’ailleurs valorisée par les conventions signées
entre les syndicats de médecins libéraux et l’Union nationale des caisses
d’assurance maladie (UNCAM) pour régir leurs relations respectives.
En dépit de leurs limites, les avancées conceptuelles de la loi du 13 août
2004 révèlent néanmoins que, renversé en opportunité plus qu’exprimé seu-
lement en contrainte, le processus de responsabilisation de l’assuré social est
susceptible de revêtir une nouvelle dimension. Il n’est plus pensé « par défaut »
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
à travers le seul mécanisme du reste à charge financier mais invite à envisager
plus avant la place de l’individu dans l’organisation plus globale du système
de santé et d’assurance maladie. C’est précisément dans cette perspective
nouvelle que se dessine l’opportunité de promouvoir une responsabilité-par-
ticipation de l’assuré social en tant que patient.

L’opportunité de développer l’accompagnement


de l’assuré social-patient
La responsabilisation de l’assuré social signifie également qu’il doit être
mis en mesure de faire des choix éclairés, en tant que patient, dans l’usage
des soins et de la prévention. Elle suppose dès lors que soient créées les
conditions d’un accompagnement de l’intéressé dans sa démarche de santé,
en particulier pour les personnes atteintes de pathologies chroniques, grâce
au développement d’une offre de services et de dispositifs de santé adaptés
à leurs situations respectives.
Il s’agit en effet de promouvoir de la sorte des démarches d’éducation
thérapeutique22 qui reposent sur un processus d’éducation à la prise en charge
de la pathologie, sachant que lui-même est fonction des capacités de la per-
sonne concernée à participer au traitement dispensé (➠ Chapitre  13). Cette
forme d’offre de services en santé est appelée à connaître de nouveaux pro-
longements, avec des programmes à destination de personnes souffrant de
maladies broncho-pulmonaires ou de pathologies cardiaques.
Parce qu’elles sont vouées à un important développement dans le futur, ces
démarches d’accompagnement à l’éducation thérapeutique méritent dorénavant
de s’inscrire dans une stratégie d’ensemble en vue de concourir pleinement à
la responsabilisation des personnes atteintes de pathologies chroniques.

22. La démarche d’éducation thérapeutique vise à améliorer les connaissances et les compétences
des patients sur leur pathologie, à leur apporter un soutien sous la forme d’un coaching, ainsi qu’à les
aider à adopter des comportements adaptés en matière d’observance des traitements et de style de vie.

526
Partie 2. Chapitre 18.
Enjeux pour le système de santé français : les évolutions et innovations de l’organisation

Or, aujourd’hui la politique en vue de promouvoir cette démarche reste


encore trop souvent empirique. En particulier, elle écarte la question de savoir
si l’adhésion à celle-ci doit être assortie ou non d’une incitation financière
pour l’assuré social. Cependant, à l’avenir, ce sujet ne pourra qu’être remis
au débat, compte tenu des perspectives d’extension qui se profilent en faveur
de ce type de dispositif. Dans le cas particulier de la France, il serait d’ailleurs
bienvenu d’examiner cette question dans le cadre plus général de la nécessaire
réforme du protocole ALD, laquelle intéresse au premier chef les assurés
sociaux atteints de pathologies chroniques.
Promouvoir la responsabilité des assurés sociaux-patients invite confor-
mément à l’esprit d’un pacte, à ce que ces derniers soient associés, aux côtés
d’autres acteurs concernés, à la détermination des choix collectifs en matière
de politique de santé : la concertation préalable, la participation à la définition
des règles du système de soins et d’assurance maladie contribuent à en établir
non seulement le bien-fondé, mais aussi l’acceptation et la compréhension
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
par les intéressés eux-mêmes, ce qui constitue le meilleur gage d’une res-
ponsabilisation effective.

18.3. L’exemple des Accountable Care


Organizations (ACOs), une modalité d’innovation
organisationnelle développée aux États-Unis

Afin d’étendre la couverture santé au plus grand nombre et d’assurer la


pérennité des programmes publics d’assurance santé, le Patient Protection
and Affordable Care Act (souvent dénommé familièrement « Obamacare ») a
introduit un ensemble de mesures destinées à améliorer l’efficience du système
de santé américain. Une partie de ces mesures, notamment celles qui concernent
l’innovation en matière d’organisation des soins, est pilotée par une structure
spécifiquement créée à cet effet : le Center for Medicare & Medicaid Innovation,
qui est rattaché au Center for Medicare &  Medicaid Services (CMS). Ce
dernier est l’organisme fédéral (globalement équivalent à la CNAM) chargé
des principaux programmes publics d’assurance santé : Medicare (61,2  mil-
lions d’assurés en 2019 et 731 Md$ de dépenses en 2018) et Medicaid
(75,8  millions d’assurés et 576,6 Md$ de dépenses fédérales en 2017 avec
des financements complémentaires par les Etats)23.
Plusieurs programmes d’expérimentations ont ainsi été lancés :
–  Primary care transformation, qui s’adresse aux soins primaires avec
notamment le programme Patient-centered medical home (PCMH) ;
–  Episode-based payment initiatives, qui expérimentent des paiements
combinés des professionnels, et éventuellement des établissements de santé,
pour des épisodes de soins définis ;

23. Voir « CMS Fast Facts » sur www.cms.gov et R. Rudowitz, K. Orgera, E. Hinton, « Medicaid
Financing : The Basics », www.kff.org.

527
Partie 2. Les enjeux

–  Accountable Care Organizations (ACOs), qui expérimentent la mise en


place de systèmes de prises en charge intégrés de type « managed care » ;
–  Initiatives to accelerate the developement and testing of new payment and
services delivery models, qui soutiennent le développement et l’évaluation de
modèles déjà existants au niveau local, par exemple le Maryland all payer model ;
–  Initiatives to speed the adoption of best practices, centrées sur l’amélio-
ration de la qualité des pratiques (l’Agency for Healthcare Research & Quality,
l’équivalent de la HAS, a vu ses missions élargies par la loi de 2010).
Tous ces programmes sont aujourd’hui largement déployés et font l’objet
d’évaluations dans une dynamique d’amélioration continue. Il s’agit d’une
forme de recherche interventionnelle à très grande échelle, l’objectif étant
que ces programmes deviennent ensuite des dispositifs standards de finance-
ment pour Medicare (et souvent pour les autres dispositifs d’assurance publics
et privés qui s’inspirent des choix de Medicare).
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Parmi ces différents modèles innovants, celui des ACO apparaît comme
le plus prometteur, à tel point qu’il a été largement repris dans son concept
par les assureurs privés. On comptait en 2019 876 ACOs privés, 596 ACOs
Medicare et 114 ACOs Medicaid, couvrant 44  millions de personnes, soit
trois millions de plus qu’en 2018. Les informations qui suivent portent sur
les ACOs de Medicare.

1 200 50
45
1 000
40

Covered Lives (Millions)


Number of ACOs

35
800
30
600 25
20
400
15
10
200
5
0 0
2010q1
2010q2
2010q3
2010q4
2011q1
2011q2
2011q3
2011q4
2012q1
2012q2
2012q3
2012q4
2013q1
2013q2
2013q3
2013q4
2014q1
2014q2
2014q3
2014q4
2015q1
2015q2
2015q3
2015q4
2016q1
2016q2
2016q3
2016q4
2017q1
2017q2
2017q3
2017q4
2018q1
2018q2
2018q3
2018q4
2019q1
2019q2
2019q3

Quarter
ACO Count ACO Covered Lives
Source : « Spread of ACOs And Value-Based Payment Models In 2019 :
Gauging the Impact of Pathways to Success », Health Affairs Blog, 21 octobre 2019.
Figure 2. Évolution du nombre d’ACOs et de personnes couvertes (par trimestre)

18.3.1 Le concept d’ACO


En cohérence avec la vision « Better, Smarter, Healthier », les ACOs visent
plusieurs objectifs : améliorer la qualité des soins (tout particulièrement par
l’adoption de bonnes pratiques professionnelles validées et une coordination

528
Partie 2. Chapitre 18.
Enjeux pour le système de santé français : les évolutions et innovations de l’organisation

accrue des soins hospitaliers et ambulatoires), améliorer l’expérience du


patient, minorer la croissance des dépenses et favoriser la performance du
système de santé. Le pari est de laisser les professionnels et les établissements
s’organiser pour atteindre ces objectifs via une incitation économique, avec
la possibilité de percevoir des bonus (tout ou partie des économies réalisées)
et, dans certains cas, de devoir reverser une part des paiements perçus (malus
en cas de dépenses excessives). Des objectifs de qualité conditionnant la
possibilité d’obtenir un bonus permettent de s’assurer que les objectifs de
dépenses ne sont pas atteints par des restrictions d’accès ou d’autres baisses
de la qualité de service.

Qui peut créer un ACO ?


La création d’un ACO est possible pour tout ensemble de professionnels
médicaux et paramédicaux (exerçant seuls, en groupe ou salariés) et des
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
établissements (hôpitaux, soins de suite…) qui s’engagent à coordonner leurs
pratiques et acceptent d’être collectivement responsables des dépenses pour
un groupe de patients (approche populationnelle). Les médecins généralistes
de premier recours sont les seuls professionnels obligatoires pour la création
d’un ACO, en raison de leur rôle pivot dans la coordination des soins.
Le groupe de professionnels et d’établissements doit couvrir un minimum
de 5 000 patients et la création de l’ACO doit respecter des cahiers des charges
émis par le CMS.

Quels impacts pour le patient et les professionnels ?


Ils sont censés n’être que positifs. Le patient garde la liberté de choix de
son médecin et de son parcours. Il n’est pas sanctionné financièrement s’il
consulte en dehors de l’ACO (il perd seulement le bénéfice de la coordina-
tion). Les professionnels adhèrent volontairement à l’ACO et s’engagent à
participer à la démarche. Leur mode de rémunération reste à l’acte et ils
peuvent obtenir des bonus de l’ACO. Les seules contraintes supplémentaires
qui sont imposées aux professionnels sont celles qu’ils décident collective-
ment dans le cadre de l’ACO.

Quels moyens d’action ?
L’ACO crée une structure médico-administrative qui va porter la respon-
sabilité financière et se doter des moyens humains et techniques nécessaires
à l’amélioration des pratiques.
Atteindre des objectifs de qualité et de coûts repose notamment sur l’amé-
lioration de la collecte, du partage et du traitement des données (pour avoir
l’intervention pertinente au bon moment), et de la coordination entre les
acteurs, la responsabilisation des patients (avec des actions en faveur de la
prévention), la réduction des variations dans les pratiques, l’augmentation du
nombre de personnes prises en charge et des professionnels membres (pour
démultiplier les effets d’expérience).

529
Partie 2. Les enjeux

Parmi les actions des ACOs, on peut citer :


–  le déploiement d’un dossier numérique du patient, d’un système d’infor-
mation partagé et d’outils de prise de rendez-vous en ligne ;
–  la mise en place d’un dispositif de communication sécurisée (avec e-pres-
cription et télémédecine) et d’outils d’aide à la prescription ;
–  la réalisation de conciliation médicamenteuse entre les différentes pres-
criptions (par exemple, par des pharmaciens de l’ACO) ;
–  la conception et le déploiement de programmes de gestion pour les patho-
logies chroniques, notamment en matière d’éducation thérapeutique (conçus au
sein de l’ACO par les professionnels eux-mêmes) ;
–  la conception et le déploiement de programmes en faveur de l’adhérence
et de l’observance ;
–  la mise en place de délégations de tâches et de dispositifs de suivi à domi-
cile (en s’appuyant sur les nouvelles technologies) ;
–  la mise en place d’une liste partagée de médicaments pour l’ensemble des
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
prescripteurs (comme dans les hôpitaux français) ;
–  la mise en place de structures de coordination de type plateaux télépho-
niques : rappel automatique des rendez-vous au patient (y compris en appelant
proactivement ceux qui n’ont pas consulté depuis une longue période), gestion
des transitions ville-hôpital…
On voit que, dans ses grandes lignes, un ACO répond aux préoccupations
inhérentes aux organisations de support des parcours de santé français évo-
quées plus haut. Un des programmes nationaux d’expérimentation lancé dans
le cadre de l’article  51 de la LFSS 2018, IPEP (Incitation à une prise en
charge partagée), est largement inspiré des ACOs.

Quel modèle de rémunération ?


Il est basé sur la création d’actes relatifs à la coordination (accessible
à tous les professionnels au titre de Medicare) et sur le versement de bonus
si des économies sont réalisées, et des objectifs en matière de qualité
atteints. L’importance des bonus est variable selon le niveau de risque
accepté par l’ACO et le score de qualité. On distingue ainsi des modèles
où l’ACO ne peut que bénéficier d’un bonus s’il minore la dépense et
atteint des scores de qualité (le bonus représente alors 50 % des économies
réalisées), et d’autres où l’ACO peut gagner des bonus ou payer des péna-
lités en cas de dépenses excessives (le bonus étant alors plus important et
pouvant alors aller jusqu’à 100 % des économies réalisées dans les pro-
grammes ACOs visant les organisations les plus intégrées). La possibilité
de bonus ou de reversements au CMS (le cas échéant) dépend le plus
souvent de franchissement de seuils en dessous desquels les économies
dégagées sont distribuées à l’ACO et au financeur (Medicare) et, à l’inverse,
au-dessus desquels la charge financière supplémentaire est répartie entre
les mêmes acteurs. La fixation de la dépense théorique (à partir de laquelle
est estimée la sous- ou surdépense) est l’élément déterminant du pilotage
du dispositif. Pour la fixer, le CMS prend en compte la dépense moyenne
dans la zone de l’ACO sur trois ans et les caractéristiques des patients,

530
Partie 2. Chapitre 18.
Enjeux pour le système de santé français : les évolutions et innovations de l’organisation

puis applique un facteur de croissance annuel (identique au niveau


national).
Le versement des bonus ou le paiement des malus se fait en fin d’exercice
sur la base de l’évolution réelle des dépenses. La part de bonus ou de malus
affectée à l’investissement dans l’ACO et à chaque professionnel est gérée
selon des règles que l’ACO définit lui-même.
Un point fondamental du fonctionnement des ACOs est que les économies
réalisées et reversées ne servent pas à la rémunération des actionnaires des
structures de soins ou au remboursement des dettes ­éventuelles. Les sommes
récupérées par Medicare, dans notre exemple, ou les professionnels doivent
servir à l’amélioration du service rendu à la population par les acteurs engagés
dans l’ACO : formation des personnels, déploiement d’outils informatiques
innovants, développement d’actions de prévention, recrutement de profes-
sionnels (soit sur des missions traditionnelles de prévention ou de gestion
sociale et administrative, soit sur des tâches plus spécifiques, telles celles des
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
« gestionnaires de cas » ; ➠ 18.3.2).

Quel dispositif pour assurer la qualité ?


Le suivi de la qualité repose sur 33 indicateurs répartis en quatre grandes
catégories : prévention (taux de vaccination, par exemple), qualité des prises
en charge (prescription d’examens ou de différents traitements pour des patho-
logies chroniques), coordination (contrôle des prescriptions pour éviter les
doublons, taux de réadmission…), et la satisfaction des patients (qualité de la
communication avec le médecin, implication du patient dans la décision…).
Les deux dernières catégories sont tout à fait novatrices par rapport au
dispositif français. Par exemple, la possibilité d’utiliser comme indicateurs
les résultats obtenus en matière de contrôle des pathologies chroniques (par
exemple, le taux d’hémoglobine A1c pour le suivi d’un diabète), plutôt que
la simple prescription de son acte d’analyse, est une grande avancée. Par
ailleurs, le suivi de la satisfaction des patients est cohérent avec la possibilité
de noter les médecins sur Internet, qui existe aux États-Unis et fait écho à la
volonté  exprimée dans la SNS 2018‑2022 de prise en compte de
l’« expérience-patient ».

18.3.2. Un ACO en pratique


L’ACO est une structure médico-administrative à la manière d’un établis-
sement de santé. Les professionnels restent libres de choisir leur lieu d’exer-
cice. Il s’agit d’une approche « hors les murs » semblable à l’approche des
communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), dont le déploie-
ment est en cours en France.

531
Partie 2. Les enjeux

Les moyens techniques


Il s’agit d’améliorer la communication entre les professionnels au moyen
des dispositifs énoncés ci-dessus (dossier médical partagé…), de suivre les
résultats en matière de qualité de chacun des membres de l’ACO, de les
analyser pour aider les professionnels à s’améliorer…
Ces moyens peuvent comprendre le développement d’applications pour aider
les professionnels et les patients, le déploiement d’outils du type modèles pré-
dictifs pour cibler les patients les plus à risque et intervenir préventivement.
L’importance des investissements est influencée par la nature du porteur
de l’ACO.

Les moyens humains


Les moyens humains comportent souvent un dirigeant administratif, un
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
directeur médical (qui peut être un professionnel membre de l’ACO), des
gestionnaires de cas (majorité des personnels), des spécialistes des données,
des gestionnaires financiers, ainsi que possiblement des personnes chargées
de la communication.
Le responsable médical coordonne la création, le déploiement et l’amélio-
ration continue des divers programmes de gestion des maladies chroniques.
Les missions des gestionnaires de cas (90 % des responsables d’ACO les
estimaient indispensables au succès de la démarche dans un sondage de 2017)
sont très diverses, allant de l’organisation des soins à l’appui social en passant
notamment par l’aide à l’observance : suivi de la sortie d’un établissement,
coordination avec les structures de soins post-aigus, coordination avec les
aidants familiaux et le support social, suivi de la programmation des soins,
téléphonie en éducation pour la santé, vérification des interactions médica-
menteuses, organisation des transports sanitaires, rappels téléphoniques pour
des rendez-vous médicaux, visites à domicile, contacts avec les assureurs de
santé24… Les assistants médicaux français, dont la création est inscrite dans
la loi du 24  juillet 2019 relative à l’organisation et la transformation du
système de santé, pourront reprendre certaines de ces activités, comme l’a
prévu l’avenant 7 à la convention médicale signé le 20 juin 2019. Le modèle
ACO permettrait aussi d’insérer harmonieusement dans les parcours de soins,
les professionnels de pratique avancée inscrits dans la loi de modernisation
de notre système de santé du 26 janvier 2016.

Les différentes expérimentations d’ACOs de Medicare


Les professionnels et les établissements de santé ayant des moyens et des
expériences en matière de prises en charge coordonnées très divers, plusieurs

24. « The 2017 ACO Survey : What Do Current Trends Tell Us about the Future of Accountable
Care ? », in Health Affairs Blog, 4 octobre 2017, www.healthaffairs.org.

532
Partie 2. Chapitre 18.
Enjeux pour le système de santé français : les évolutions et innovations de l’organisation

programmes d’expérimentation d’ACOs ont été créés. Ces programmes fonc-


tionnent sur des cycles de trois ans renouvelables. Deux principaux pro-
grammes d’expérimentations ont été lancés :
– Le Medicare Shared Savings Program (MSSP) regroupe la grande majo-
rité des ACOs. Il s’adresse, via différentes formules (track 1, 1+, 2, et 3 – voir
plus bas) et déclinaisons, aux structures n’ayant pas ou peu d’expérience en
matière de coordination. Il regroupe, en 2019, 518 ACOs, qui couvrent 10,9 mil-
lions de bénéficiaires (dont 80 % de personnes de plus de 65 ans). Dans 70 %
des cas, ces ACOs associent des professionnels libéraux et des établissements.
On distingue plusieurs types d’arrangements financiers :
• le track 1 (453 ACOs) se caractérise par le fait que les ACOs sont uni-
quement éligibles à des bonus en cas d’atteinte des objectifs ;
• les tracks 1+ (52), 2 (7) et 3 (36) se caractérisent par la possibilité d’ef-
fectuer des reversements en cas de dépense excessive, une participation
croissante aux bénéfices ou pertes éventuelles (depuis le 1+ vers le 3)
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
et une diminution des seuils de variation des dépenses qui ouvrent au
paiement d’un bonus ou à un reversement.
Une variante de ce programme est spécifiquement consacrée aux ACOs à
faibles moyens initiaux (association de professionnels libéraux sans établisse-
ment ou ACO créés en zone rurale). Il s’agit de l’Advance Payment ACO
Model, qui est devenu l’ACO Investment Model. Ce dispositif vise à aider la
structure à se doter des moyens nécessaires (recrutement de personnel, nou-
velles technologies…) en versant une prime initiale et en anticipant le paiement
d’une partie des bonus à venir. Il s’agit d’un pari sur les résultats futurs qui
permet à ces structures de pouvoir investir en avance de phase (le calcul est
effectué sur la base d’une projection du nombre d’assurés pris en charge).
–  Le programme Pionneer ACO, devenu Next Generation Model ACO,
est destiné à permettre aux structures qui ont déjà une forte expérience de la
prise en charge coordonnée des patients et de la gestion du risque de béné-
ficier de niveaux d’intéressement plus élevés. L’objectif est de les inciter à
évoluer vers un paiement à la capitation ajustée (forfait global qui dépend
de l’état de santé des patients pris en charge). Il regroupe 41 structures en
2019 et a pris la suite du programme Pioneer ACO, qui a compté 32 structures
à son lancement et seulement neuf lors de la fin de l’expérimentation en 2016
(plusieurs structures, notamment celles qui ont subi des pertes, ont préféré
rejoindre le programme précédent ou sortir du dispositif). Ce modèle se carac-
térise par une prise de risque plus importante. L’intéressement ou le malus peut
représenter 80 % ou 100 % de l’écart par rapport à la cible de dépenses, et il
n’y a plus de seuil de déclenchement des bonus ou des pertes (le programme
Pioneer ACO limitait le partage à 75 % des gains ou des pertes). Par ailleurs,
ces ACOs peuvent obtenir des financements anticipés par le CMS (comme pour
la formule de l’Advance Payment ACO Model), et Medicare accepte de financer
des actes qu’il ne couvre normalement pas dans sa nomenclature classique
(télémédecine, soins à domicile…).

533
Partie 2. Les enjeux

18.3.3. Les résultats


On observe que globalement le nombre de personnes couvertes ne cesse
d’augmenter, mais que l’on a une légère réduction du nombre d’ACOs Medicare.
Fin septembre  2019, le CMS a publié les résultats obtenus pour l’année
2018, la sixième année depuis la création des ACOs du Medicare Shared
Savings Program (MSSP). Le constat est que la dynamique positive se poursuit
avec de très hauts niveaux de score de qualité et des économies qui s’élèvent
maintenant à 73 dollars par an et par patient (soit le double du résultat 2017),
ce qui représente un total de 739 millions de dollars pour Medicare une fois
les bonus versés25. Même si ce résultat peut sembler modeste, il faut le mettre
en relation avec le grand nombre de patients pris en charge et la forte dyna-
mique des dépenses de santé aux États-Unis (par ailleurs, ces économies
incluent les coûts de fonctionnement et d’investissements des ACOs et d’autres
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
études font apparaître des économies deux à trois fois supérieures).
Cette réussite des ACOs dans la maîtrise des dépenses concerne tous les
modèles d’ACOs et elle s’accompagne d’un nombre grandissant de structures
qui acceptent de prendre le risque de devoir effectuer des reversements en
cas de surdépense, ce qui témoigne de la confiance des acteurs de santé dans
le modèle.
Dans le détail (tableau 1), on constate que les ACOs pilotés par des pro-
fessionnels de santé (« Physician-led ») sont les plus performants, que les
ACOs qui acceptent une prise de risque financier atteignent de meilleurs
résultats (ce qui peut être le résultat d’une plus grande responsabilisation ou
d’une meilleure maturité) et que la taille de la population couverte n’est pas
un déterminant des résultats atteints (les plus petits ACOs entrant tout de
même plus difficilement dans un modèle de partage du risque financier).

Tableau 1. Performance économique et sanitaire des ACO selon leur type

Source : « Medicare ACO Results for 2018 : More Downside Risk Adoption,
More Savings, and All ACO Types Now Averaging Savings »,
Health Affairs Blog, 25 octobre 2019.

En 2019, la couverture territoriale des États-Unis par des ACOs demeure


très inégale.

25. Économie avant reversement de 1,7 Md$.

534
Partie 2. Chapitre 18.
Enjeux pour le système de santé français : les évolutions et innovations de l’organisation

La prochaine évolution marquante du programme ACO de Medicare va


être une transition de l’ensemble des structures vers un modèle dans lequel
tous les ACOs devront accepter une prise de risque financier (une nouvelle
catégorisation des ACOs selon leur niveau de revenus va voir le jour pour
définir des objectifs, avec une transition prioritaire des ACOs à hauts revenus).
Le risque est que de nombreuses structures quittent le programme Medicare.
Le retour d’expérience de ce programme est précieux pour les initiatives
lancées dans notre pays (CPTS et expérimentations article 51). Il faut retenir
que la diffusion d’un nouveau concept est nécessairement progressive et ne
se décrète pas, que les résultats peuvent être très variées et s’améliorent pro-
gressivement grâce à l’effet d’expérience, que la stabilité des objectifs et de
l’organisation est nécessaire, et que plus un dispositif rassemble des acteurs
nombreux de la chaîne de prise en charge, plus il peut générer une amélioration
des parcours (avec des bénéfices en termes de qualité et d’efficience).
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
18.4. Planification en santé : des évolutions à venir

Malgré les diverses démarches de planification en santé entreprises en


France, beaucoup d’inégalités socio-sanitaires aux niveaux régional et dépar-
temental (voire cantonal) s’aggravent.
« La France se détache rarement, par ses résultats, des autres pays à situa-
tion épidémiologique et démographique comparable, qui consacrent pourtant
moins de dépenses à leur système de santé […]. Le niveau de la dépense de
santé n’est pas un gage de la qualité des soins dispensés, ni de l’état de santé
de la population26. »

Des améliorations du processus de planification en santé sont donc néces-


saires et possibles dans le cadre posé par la SNS, notamment en matière
d’outillage, d’association de la population et de financement des actions.

18.4.1. Mieux outiller la planification


Les professionnels de santé et les responsables du pilotage de la santé au
niveau de l’État et de l’Assurance maladie doivent pouvoir identifier les
problèmes de santé, les variations d’utilisation des offres de prestations sani-
taires et les résultats obtenus par rapport aux objectifs fixés, afin que chacun
se rende compte de la réalité des situations de santé et puisse ensuite agir.
À cette fin, un « Atlas français » de la santé doit être disponible, à l’instar
du « Dartmouth Atlas » des États-Unis et du « NHS Atlas » du Royaume-Uni,
dans le but de rechercher l’efficience clinique et organisationnelle qui per-
mettrait, selon certaines estimations, d’économiser près de 40 % des dépenses
de santé consacrées par l’Assurance maladie aux assurés de 65 ans et plus

26. Lidsky V. et al., Propositions pour la maîtrise de l’ONDAM 2013‑2017, IGF/IGAS, 2012, p. 2.

535
Partie 2. Les enjeux

présentant des maladies chroniques27. Ces « atlas » montrent que ces variations
d’efficience sont dues au manque de coordination des soins à l’échelon ter-
ritorial et incitent à améliorer les réseaux, les parcours, les schémas et les
programmes, dans l’objectif de réduire les inégalités territoriales de pratiques
médicales et d’organisation. En montrant ces variations, ce type d’atlas permet
d’outiller la planification en santé afin de faciliter les évolutions nécessaires
de l’organisation et du fonctionnement du système de santé28.
La Fédération hospitalière de France a publié, pour la France métropoli-
taine, en 2016, un « Atlas des variations de pratiques » fondé sur une sélection
des pathologies dans la liste des 33 thématiques prioritaires figurant dans la
circulaire du 21 décembre 2011 relative au guide sur le pilotage de l’activité
des établissements29. L’atlas sur les variations de pratiques publié en 2018
« révèle des écarts majeurs entre régions qui confirment l’ampleur du recours
aux actes inutiles ».
Il est aussi indispensable de se doter de tableaux de bord permettant de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
mesurer, aux niveaux national, régional et infra-régional, l’atteinte des objec-
tifs du Triple Aim, ainsi que la satisfaction de l’usager et la réduction des
inégalités de santé. Et ce, afin de pousser la transformation du système de
santé et d’assurance maladie vers toujours plus d’excellence par l’efficience
des organisations et des interventions.
Nous relèverons ici l’initiative de l’Institut de recherche et documentation
en économie de la santé (IRDES) et la Direction de la recherche, des études,
de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des Solidarités et de
la Santé. Un atlas interactif a été constitué sous la forme d’une base de don-
nées territorialisée dans le domaine de la santé mentale en juillet  2018. Il
repose sur un projet mutualisé de systèmes d’information géographique des
ARS. De même, et de façon plus générale, de nombreuses ARS se sont dotées
d’atlas de la santé au début de l’année 2019, à l’instar des régions Nouvelle-
Aquitaine, Bretagne ou Normandie. Ces initiatives viennent compléter un
dispositif créé depuis une dizaine d’années par des acteurs du système de
santé. Nous citerons pour exemple l’« Atlas hospitalier et médico-social » de
la Fédération hospitalière de France publié dès 2008, l’« Atlas des groupements
hospitaliers de territoire » publié par cette même fédération en 2016.
Un « Atlas français » de la santé doit être aussi disponible afin de fédérer
les Atlas mentionnés – mais aussi ceux de « SCORE-Santé » de la Fédération
nationale des observatoires régionaux de santé (FNORS), qui mesure des
états de santé en fonction des déterminants de la santé, ou de « C@rtoSanté »,
sur les professionnels de santé – et de couvrir ainsi l’ensemble du système
de santé et de ses professionnels30. Le Health Data Hub, en rassemblant des

27. Wennberg J. E., « Time to Tackle Unwarranted Variations in Practice », British Medical Jour‑
nal, 2011, n° 342, p. 687‑690.
28. Lopez A., Brechat P.-H., « La planification en santé : un essai à transformer », SÈVE : Les tri‑
bunes de la santé, 2016, n° 50, p. 105‑106.
29. Cette étude avait pour base le PMSI MCO 2016 / ATIH (agrément 2015‑111111‑56‑18 / com-
mande M14N056).
30. Lopez A., Bréchat P.-H., « La planification en santé : un essai à transformer », op. cit.

536
Partie 2. Chapitre 18.
Enjeux pour le système de santé français : les évolutions et innovations de l’organisation

données cliniques et des données médico-administratives, ouvre de nouveaux


horizons pour l’analyse des phénomènes territoriaux (disparités des pratiques
et des résultats, impact des inégalités, etc.).
Encadré 1. Le programme de prise en charge intégrée de l’insuffisance cardiaque
du système de santé et d’assurance santé intégré américain
Intermountain Healthcare

Ce programme a un tableau de bord qui montre, en fonction des objectifs du Triple Aim
(➠ Chapitre 11), que :
– pour l’amélioration de la santé de la population, la survie et la qualité de vie des usagers
atteints d’insuffisance cardiaque chronique ont été allongées par de nombreux facteurs,
notamment l’utilisation des médicaments prescrits, l’implantation de défibrillateurs, la
transplantation cardiaque ou l’utilisation de dispositifs d’assistance ventriculaire gauche.
Entre 2015 et 2017, le taux de mortalité à 30 jours des usagers atteints d’insuffisance car-
diaque avancée est passé de 14,9 à 7,7 %, sans surcoût et avec un taux de réadmission stable ;
– pour l’accroissement de la qualité des soins et de la satisfaction de l’usager, les réadmissions
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
ont été réduites de 23 % et les retours des usagers pris en charge sont positifs. Les usagers
sont 17 % plus satisfaits quand ils bénéficient du programme que quand ils n’en bénéfi-
cient pas. Les éléments liés à la satisfaction qui ont augmenté concernent par exemple
la courtoise et le respect manifestés par les infirmières pendant l’hospitalisation ou la
perception de l’amélioration de leur santé globale par les usagers. Les usagers ainsi pris
en charge recommanderaient Intermountain Healthcare à leur famille et à leurs amis ;
– pour la réduction des coûts des soins, le fait que l’assurance maladie ne rembourse plus les
réhospitalisations qui ont lieu moins de trente jours après une hospitalisation pour insuf-
fisance cardiaque et que les hôpitaux soient par ailleurs tenus de prendre en charge ces
usagers lorsqu’ils en ont besoin a incité les hôpitaux à développer des offres de prévention,
qui sont moins coûteuses que les soins. Dans le système Intermountain Healthcare, les
réadmissions ont été ainsi réduites de 23 % par an, ce qui représente une économie estimée
à 15 millions de dollars par an.
Ce programme améliore également la prise en charge des soins chroniques (Chronic Care
Model) en y intégrant une équipe de spécialistes en insuffisance cardiaque, créant ainsi une
équipe pluridisciplinaire centrée sur les besoins des usagers et de leur famille. Cela permet
une prise en charge multidisciplinaire globale protocolisée, stratifiée, planifiée et suivie de
l’insuffisance cardiaque. La prévention et les soins ambulatoires intégrant les soins spécia-
lisés de second recours aux soins de premier recours sont développés. Les usagers et leurs
familles sont coresponsables de leur santé31.

18.4.2. Mieux prendre en compte les besoins


de santé exprimés par la population
La conférence régionale de la santé et de l’autonomie (CRSA), créée par
la loi HPST du 21  juillet 2009, qui succédait à la conférence régionale de
santé, apparue en 1996, a tenté de répondre à cet objectif. Cette instance à
caractère consultatif et de « démocratie sanitaire », selon les termes de la loi,

31. Bréchat P.-H. et al., « Bénéfices de la prise en charge intégrée de l’insuffisance cardiaque :
l’exemple d’Intermountain Healthcare (États-Unis) », Santé publique 2018, n° 6(30), p. 877‑885.

537
Partie 2. Les enjeux

concourt par ses avis à la déclinaison régionale de la politique de santé dans


les champs sanitaire et médico-social.
Outre l’avis que la CRSA doit émettre sur le projet régional de santé, elle
doit adopter :
–  un rapport annuel sur le respect des droits des usagers du système de santé,
qu’elle transmet à la Conférence nationale de santé ;
–  un rapport sur son activité.
Par ailleurs, elle « détermine les questions de santé qui donnent lieu aux
débats publics qu’elle organise ».
La CRSA est une instance de l’agence régionale de santé (ARS) qui a
pour mission de mettre en place la politique de santé dans la région. Elle est
compétente dans la globalité du champ de la santé, ce qui inclut la prévention,
les soins et l’accompagnement médico-social. Son organisation s’appuie éga-
lement sur l’action des conseils territoriaux de santé, rénovés par la loi de
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016.
Il est en effet nécessaire que l’approche par les experts de la planification
soit confrontée à celle de la population au sein d’espaces de discussion et de
négociation, comme cela a pu être réalisé par les citoyens et les représentants
d’associations d’usagers francs-comtois par la méthode de l’« ARUCAH ».
Cette méthode innovante permet le co-établissement des priorités de santé
entre les experts de l’ARS et la société civile dans une région et dans ses
territoires de santé. Elle permet le choix de priorités de santé basées sur des
valeurs sociétales partagées et des préférences morales, comme la réduction
des inégalités et la solidarité. Cette méthode se situe dans un champ de
réflexion en plein essor, en santé publique comme en économie de la santé,
visant à sonder l’opinion publique au sujet des ordres de priorité en matière
de santé. Le danger de ce type d’études est qu’il révèle la possibilité de
préférences illégitimes et arbitraires, et parfois discriminatoires. La méthode
de l’ARUCAH permet de les éviter32.
Le planificateur en santé tente de concilier les avis des experts et ceux de
la population pour proposer des priorités de santé par territoire donné, en
s’appuyant sur la CRSA. Selon l’Observation générale n°  14 (2000) sur le
droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint – article 12 du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels – élaborée
par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies,
« la population [doit participer] à la prise de toutes les décisions en matière
de santé aux niveaux communautaire, national et international ».
Il faut favoriser et encourager l’administration de la santé à co-construire
démocratiquement le système de santé et d’assurance maladie avec les repré-
sentants d’associations d’usagers et les citoyens. Comme le précise le Conseil

32. Bréchat P.-H. et al., « La “méthode de l’ARUCAH” pour élaborer des priorités de santé : un
exemple de démocratie de terrain », in Bréchat P.-H., Batifoulier P. (dir.), « Pour une élaboration dé-
mocratique des priorités de santé. For the Democratic Development of Health Policy Priorities »,
SÈVE : Les tribunes de la santé, hors série, 2014, p. 89‑106.

538
Partie 2. Chapitre 18.
Enjeux pour le système de santé français : les évolutions et innovations de l’organisation

d’État, cela favorisera l’émergence d’une administration de la santé « ­délibérative »


porteuse de « nouvelles procédures caractérisées par la transparence, l’ouverture,
le débat public et le compte rendu33 », et ainsi permettra de réduire la défiance
de la population à l’égard des capacités de l’État à construire un système solidaire
répondant aux besoins de santé de la population.
Cette analyse administrative rencontre un besoin réel de la société : la loi de
modernisation de notre système de santé du 26  janvier 2016 avait prévu la
réalisation d’une consultation publique en ligne, ouverte à tous, au mois de
novembre 2017. Le nombre de contributions (environ 5 000) en provenance de
professionnels, d’associations et d’usagers montre l’impérieuse nécessité de ren-
forcer le débat citoyen dans le domaine de la santé. Plus récemment, l’émergence
de la thématique santé dans le « grand débat » organisé par le gouvernement au
printemps 2019 souligne la demande sociale d’un plus grand débat sur ces sujets.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
18.4.3. Donner des moyens financiers
Un fonds d’intervention régional (FIR) a été créé par l’article 65 de la loi
de financement de la Sécurité sociale de 2012 pour renforcer les marges de
manœuvres financières des ARS.
Le FIR a succédé au Fonds d’aide à la qualité des soins de ville (FAQSV),
dispositif mis en place dès 1999. Il était destiné à améliorer la qualité et la
coordination des soins dispensés par les intervenants relevant du secteur
ambulatoire. Il s’agissait d’assurer la promotion de nouvelles formes d’orga-
nisation interprofessionnelle dans le secteur libéral et de faire évoluer les
relations entre les médecines de ville et hospitalière. Le FAQSV a été regroupé
avec la dotation régionale de développement des réseaux (DRDR) dans un
nouveau dispositif, le Fonds d’intervention de la qualité et de la coordination
des soins (FIQCS), en 2007.
Il faut sans doute aller plus loin, accroître ces marges de manœuvre finan-
cières régionales tout en responsabilisant davantage le régulateur régional sur
des objectifs de dépenses. Il serait possible d’imaginer que, au-delà de
­l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 et de l’ar-
ticle 29 du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2019, des ter-
ritoires pilotes puissent, dans un cadre totalement dérogatoire et sous condition
d’un respect d’objectifs de qualité et d’accès aux soins, lancer des expérimen-
tations à grande échelle de nouveaux modèles de financement ou de contrac-
tualisation avec les professionnels, ainsi que de nouvelles organisations.

33. Conseil d’État, Consulter autrement. Participer effectivement, rapport public, La Documenta-
tion française, 2011.

539
Partie 2. Les enjeux

18.4.4. Aller vers une profonde modification


de l’organisation du système de santé ?
À l’occasion de chaque nouvelle réforme se pose la question d’une refonte
plus en profondeur de l’organisation de notre système de santé, qui n’a pas
beaucoup évolué depuis la loi HPST de 2009. Parmi les multiples scénarios,
on peut citer :
–  Au niveau national, le scénario est avancé par certains de la création
d’une Agence nationale de santé, qui combinerait les services de la CNAM et
du ministère de la Santé, à l’exception des fonctions régaliennes et de pilotage
et contrôle du système34. Des questions importantes pour la mise en place d’une
telle agence seraient celle de sa gouvernance35 ainsi que le devenir du réseau
actuel de l’Assurance maladie et des CPAM. Alors que certains experts mettent
en avant la cohérence d’ensemble et la suppression de doublons qui résulte-
raient de cette approche, d’autres au contraire s’y opposent en mettant en avant
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
la complémentarité actuelle de la CNAM et du ministère (approche contrac-
tuelle contre approche réglementaire) ainsi que celle des réseaux existants.
–  Au niveau territorial, certains envisagent d’aller vers une décentralisation
du système, à l’image de ce qui a été fait pour la gestion des établissements
scolaires. L’idée est que, en rapprochant la gestion des besoins et en responsa-
bilisant les élus, la qualité des prises en charge devrait s’améliorer. Cette vision
s’appuie sur la place grandissante des collectivités territoriales dans la construc-
tion de réponses innovantes aux enjeux de santé (par exemple, le centre de santé
départemental mis en place par le département de Saône-et-Loire) pour répondre
à des situations très diverses (exemple des nombreuses actions des collectivités
pendant la pandémie de Covid-19 : achats de matériels, actions pour le logement
et la garde d’enfant des soignants, organisation de centres de dépistage…).
Néanmoins, les difficultés de cette voie sont nombreuses : quelles places pour
les professionnels de santé ? Quelle part du budget faudrait-il décentraliser ?
Comment cela s’articulerait-il avec les modèles de décision et de financement
nationaux ? À plus court terme on peut imaginer une progression plus forte du
FIR, avec pourquoi pas ? une part fléchée vers une nouvelle génération de
contrats locaux de santé (CLS)36 qui porteraient l’action des collectivités dans
le cadre du projet territorial de santé, ou encore une entrée de représentants des
collectivités dans la gouvernance des ARS.

34. Parties de la Direction générale de la santé (DGS) et de la Direction de la sécurité sociale (DSS).
35. Quelles places pour l’État, les partenaires sociaux et les représentants des patients ?
36. Dispositif créé par la loi HPST de juillet 2009.

540
Partie 2. Chapitre 18.
Enjeux pour le système de santé français : les évolutions et innovations de l’organisation

Points clés
• Faire face aux enjeux qui s’imposent aux systèmes de santé des pays développés
implique des évolutions technologiques mais aussi organisationnelles.
• Le parcours de santé est une des voies de restructuration du système de santé
français retenues dans le cadre de la SNS 2018‑2022. Le parcours de santé est un
outil particulièrement intéressant dans le cas des pathologies chroniques, des
personnes âgées et des personnes handicapées. Le développement des organisa-
tions de support aux parcours et leur évaluation vont sans doute faire évoluer les
modalités de prise en charge, qui changeront notamment sous l’effet du travail
pluriprofessionnel, des pratiques avancées et des outils numériques. Les impacts
possibles sur les normes régissant le système de santé sont donc potentiellement
considérables, qu’il s’agisse de normes de fonctionnement, de qualité et de
sécurité, en interaction avec ce qui se fera pour les établissements et en appli-
cation de la logique de gradation des soins. On peut ainsi anticiper la substitu-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tion partielle aux normes nationales uniformes de normes plus différenciées,
contextualisées et d’application locale. Le fonctionnement en parcours va aussi
conduire à une évolution des modalités de financement des prises en charge
(financement à l’épisode de soins), porteuse de déplacements de ressources
plus aisés entre les acteurs du système de santé et contribuant ainsi aux virages
ambulatoire et préventif de la SNS.
• En matière de protection sociale, le développement de la couverture maladie
complémentaire, l’augmentation de la prévalence des pathologies chroniques,
l’aspiration des individus à jouer un rôle dans la prise en charge de leur propre
santé… rendent opportune une redéfinition des conditions de responsabilisation
de l’assuré social, en vue d’en orienter le comportement, en tant qu’usager dans
le système de santé, le cas échéant en lui fournissant la possibilité de s’impliquer
davantage dans sa démarche de santé. En effet, la responsabilisation de l’assuré
social sous sa seule dimension financière produit un impact insuffisant. Par ail-
leurs, le choix de mettre en place une assurance maladie conditionnelle dans
laquelle la prise en charge serait déterminée en fonction du respect de normes
comportementales correspond à une remise en cause profonde des fondements
solidaires d’un modèle de protection sociale comme celui existant en France.
• Promouvoir la responsabilité des assurés sociaux-usagers invite conformément
à l’esprit d’un pacte, à ce que ces derniers soient associés, aux côtés d’autres
acteurs concernés, à la détermination des choix collectifs en matière de politique
de santé : la concertation préalable, la participation à la définition des règles du
système de santé et d’assurance maladie contribuent à en établir non seulement
le bien-fondé, mais aussi l’acceptation et la compréhension par les intéressés
eux-mêmes, ce qui constitue le meilleur gage d’une responsabilisation effective.
• Aux États-Unis, les Affordable Care Organizations (ACOs), mises en place dans
le cadre de l’« Obamacare », constituent un exemple de systèmes de prises en
charge intégrés de type « managed care ». Les ACOs visent un triple objectif :
améliorer la qualité des soins, améliorer l’expérience du patient, et minorer la
croissance des dépenses de santé. Leur développement est fondé sur une
logique d’incitation économique des professionnels et des établissements, qui
seraient amenés à adopter des modalités d’action performantes (c’est-à-dire

541
Partie 2. Les enjeux

susceptibles d’atteindre le triple objectif) afin de bénéficier d’avantages finan-


ciers (bonus de récupération de tout ou partie des économies réalisées) et
d’éviter, au contraire, de devoir reverser une part des paiements perçus (malus
en cas de dépenses excessives). Des objectifs de qualité conditionnant la pos-
sibilité d’obtenir un bonus permettent de s’assurer que les objectifs de dépenses
ne sont pas atteints par des restrictions d’accès ou d’autres baisses de la qualité
de service. L’organisation et le fonctionnement des ACOs (notamment le rôle
des gestionnaires de cas) peuvent constituer des pistes pour la mise en place
des organisations de support aux parcours de santé de la SNS f­ rançaise.
• L’amélioration des démarches de planification en santé passe notamment par
un meilleur outillage dans le domaine (cartographies sanitaires et tableaux de
bord) et par une dynamique accrue de co-construction avec la population, en
recourant à des méthodes performantes de recueil des opinions, dont les résul-
tats pourront renforcer le travail déjà effectué par les conférences régionales de
la santé et de l’autonomie (CRSA).
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Pour aller plus loin
Agences régionales de santé, Parcours de soins, parcours de santé, parcours de vie.
Pour une prise en charge adaptée des patients et des usagers. Lexique des parcours
de A à Z, ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, 2016.
Arcos C., Bréchat P.-H., « Pour des agences régionales de santé et des conseils régio-
naux travaillant davantage en synergie afin d’améliorer partout l’état de santé de toute
la population », Journal de Droit de la Santé et de l’Assurance Maladie, n° 21, 2018,
p. 132-141.
Fauchier-Magnan É., Wallon V., Déploiement des communautés professionnelles ter‑
ritoriales de santé. Appui à la DGOS, IGAS, 2018.
Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), Contribution à la stra‑
tégie de transformation de notre système de santé. Avis et rapport 2018, HCAAM,
2018, www.strategie.gouv.fr.
Laude A., Tabuteau D. (dir.), La Loi santé. Regards sur la modernisation de notre
système de santé, Presses de l’EHESP, 2016.
Lemaire N., Expériences étrangères de coordination des soins : les Accountable Care
Organizations de Medicare aux États-Unis, Secrétariat général des ministères
sociaux, 2017.
Rayssiguier Y. R., G. Huteau G. (dir.), Politiques sociales et de santé, Presses de
l’EHESP, 3e éd., 2018.
Chapitre 19
Médicaments : les enjeux actuels
Philippe Naty‐Daufin

Objectifs pédagogiques
Connaître :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
– Les bases sur le progrès thérapeutique à venir (nouvelles formes de thérapies
et principales aires thérapeutiques concernées)
– Les enjeux de la distribution du médicament (répartition territoriale, ruptures
d’approvisionnement, contrefaçons)
– Les principales sources de mésusage et les notions d’observance et d’iatro­génie
médicamenteuse
–  Les principes des règles encadrant la promotion des médicaments

Après avoir passé en revue les progrès thérapeutiques variés et importants


qui s’annoncent, seront abordés les différents enjeux qui pèsent sur l’accès
au médicament. Tout d’abord, l’accessibilité financière avec, en corollaire, les
enjeux de l’évaluation des technologies de santé et de la pérennité du système
actuel, puis les problèmes qui affectent le circuit de distribution (répartition
des officines, ruptures d’approvisionnement et contrefaçons), ainsi que les
enjeux du bon usage et de la régulation de la promotion des produits.
Parmi les autres enjeux, on peut citer celui du devenir des principes actifs
rejetés dans l’environnement, des fake news et de l’action potentiellement
contraire aux intérêts de la santé publique de groupes d’influence (par exemple,
contre les vaccins), de la confiance du grand public dans les produits de santé
et de la formation initiale et continue des professionnels de santé.

19.1. Le progrès thérapeutique

Il a largement contribué à l’amélioration des résultats cliniques et de la


qualité de vie des malades. Aujourd’hui, certaines pathologies aiguës sont
devenues chroniques. Demain, des maladies encore mortelles pourraient être
traitées de manière presque banale, à l’image de la révolution qu’a connue
le traitement de l’hépatite C.

543
Partie 2. Les enjeux

19.1.1. Des innovations qui ont considérablement


changé la vie des malades
On constate que le progrès thérapeutique a été très variable selon les
pathologies. Dans le meilleur des cas, de nouvelles thérapies ont apporté une
réponse curative à la maladie. C’est par exemple le cas des antibiotiques
(avec toutefois la menace de la diffusion de souches résistantes sur lesquelles
aucun antibiotique ne serait efficace ; ➠ Chapitre  13), des vaccins et, plus
récemment, des antiviraux utilisés contre le virus de l’hépatite C.
Dans d’autres cas, le progrès thérapeutique a permis une amélioration de
la qualité de vie et/ou de la durée de survie, sans arriver à vaincre la maladie.
C’est le cas par exemple des trithérapies employées contre le VIH, et des
médicaments utilisés dans la prise en charge de la sclérose en plaques et des
maladies inflammatoires chroniques. C’est également le cas des médicaments
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
d’oncologie qui apportent de manière continue de petites améliorations de la
durée de survie (73 % depuis 1990) ou de vraies révolutions thérapeutiques
(leucémie chez l’enfant : passage de 10 à 90 % de chance de survie ; cancer
des os : passage de 5 à 60 % de chance de survie ; cancer du testicule : passage
de 0 à 95 % de chance de survie).
Dans certains cas, on observe une chronicisation de la maladie cancéreuse,
voire des rémissions totales (ce qui a rendu possible d’élargir le droit à l’oubli
accordé aux anciens malades après plusieurs années).
Enfin, certaines pathologies restent aujourd’hui toujours sans solution thé-
rapeutique ; c’est notamment le cas de la maladie d’Alzheimer et de nom-
breuses pathologies orphelines.

19.1.2. De nombreux nouveaux médicaments


en développement
Il est très difficile d’anticiper l’arrivée de thérapies très innovantes sur le
marché en raison du secret qui entoure les travaux des industriels. Toutefois,
le croisement de plusieurs sources (données publiques publiées par les labo-
ratoires, études des syndicats professionnels et cabinets de conseil…) permet
d’avoir une idée générale du progrès à venir.
Globalement, on constate que les efforts de recherche les plus importants
concernent l’oncologie et les maladies rares ou sans solution thérapeutique
satisfaisante. De nouveaux traitements sont toutefois développés pour un très
large éventail de pathologies, et régulièrement des avancées de la recherche
fondamentale mettent en évidence de nouvelles cibles thérapeutiques pouvant
ouvrir la voie à des innovations de rupture à long terme.
Parmi les sites de référence, on peut citer Clinicaltrials.gov qui recense
tous les essais cliniques en cours dans le monde, celui du syndicat profes-
sionnel américain de l’industrie pharmaceutique, la Pharmaceutical Research
and Manufacturers of America (PhRMA). Même si ce dernier est un site
clairement consacré à la promotion de l’industrie pharmaceutique et à la

544
Partie 2. Chapitre 19.
Médicaments : les enjeux actuels

défense de ses intérêts, les chiffres présentés sont issus des laboratoires. Au
début de 2019, il était ainsi annoncé que plus de 7 000 nouveaux médicaments
potentiels feraient actuellement l’objet d’essais. Ce chiffre a priori élevé doit
être relativisé car les échecs sont très nombreux, et il comporte probablement
de nombreux doublons, une molécule étant souvent développée simultanément
dans plusieurs indications potentielles.
En ce qui concerne les aires thérapeutiques1 :
–  Plus de 1 100 développements seraient en cours en oncologie. On peut
donc s’attendre à la possibilité de prendre en charge des cancers actuellement
incurables ou d’intervenir à un stade plus avancé. Le développement de thérapies
par voie orale, plus facile d’emploi, fait également l’objet d’efforts importants.
–  Plus de 85 développements dans le domaine de la maladie d’Alzheimer.
Malheureusement, les nombreux échecs récents de molécules au cours de la
phase III des essais cliniques laissent encore a priori éloignée la perspective
d’un traitement à même de ralentir ou de stopper le déclin cognitif.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  Plus de 170 développements pourraient améliorer la prise en charge du ­diabète.
–  Plus de 200 développements contre les pathologies cardiovasculaires, qui
restent, avec le cancer, la principale cause de décès. Même si cette aire ­thérapeutique
comporte déjà de nombreux traitements, des progrès importants p­ ourraient surve-
nir en ce qui concerne l’hypertension artérielle, ­l’hypercholestérolémie, les troubles
de la coagulation et l’insuffisance cardiaque.
–  Plus de 500 développements dans le champ de la neurologie, avec de
nouvelles thérapies en vue pour la sclérose en plaques, la sclérose latérale
amyotrophique, la maladie de Parkinson ou encore l’épilepsie.
–  138 nouvelles thérapies potentielles en développement contre les maladies
mentales, dont la schizophrénie, la dépression et les addictions.
L’impact de ses développements devrait être une accélération du rythme
de commercialisation de nouveaux médicaments.

19.1.3. De nouvelles approches thérapeutiques


À côté du développement de nouveaux principes actifs chimiques (molé-
cules simples) ou biologiques (molécules complexes) et de l’amélioration des
formes galéniques (comprimés avec plusieurs principes actifs, des durées de
libération optimisées…), on note l’apparition de nouvelles catégories de pro-
duits de santé et le développement d’une utilisation davantage personnalisée
des médicaments qui ne sont employés que sur des personnes identifiées
comme a priori réceptives par des tests prédictifs.

De nouvelles approches thérapeutiques


Parmi les nouvelles approches thérapeutiques qui vont se développer, on
peut notamment citer :

1. Les données suivantes sont issues des chiffres 2017‑2019 des études du syndicat PhRMA
(www.phrma.org).

545
Partie 2. Les enjeux

❱❱ La thérapie génique
Attendue depuis le début des années 1990, elle a un spectre d’utilisation
potentiellement très large, bien au-delà des seules maladies d’origine géné-
tique, comme la mucoviscidose.
En effet, l’intégration définitive ou temporaire d’un ou plusieurs gènes
dans les cellules d’un organisme permet en théorie de restaurer une fonction
défaillante, de neutraliser l’expression d’un gène muté ou encore d’incorporer
un nouveau gène à visée thérapeutique.
Après des premiers succès dans les années 1990 et la commercialisation
des premières thérapies (Glybera® pour le traitement des adultes présentant
un déficit familial en lipoprotéine lipase2), de nombreux essais cliniques sont
en cours dans le domaine des cancers (restauration des gènes suppresseurs de
tumeur) et des maladies cardiovasculaires (régénération des tissus vasculaires).
L’enjeu majeur demeure la sécurité d’emploi de ces thérapies, car la locali-
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
sation de l’insertion du « gène médicament » dans le génome est encore difficile
à contrôler de manière précise et peut avoir pour conséquence d’inactiver ou
d’entraîner la mutation d’un gène important, ce qui peut conduire à l’initiation
d’un processus cancéreux ou à d’autres dérèglements importants.
Le progrès rapide des outils de génie génétique (notamment la technologie
CRISPR-Cas9) permet toutefois d’envisager un usage bien plus facile et sûr
dans les années à venir.

❱❱ Les vaccins thérapeutiques


Ils pourraient être utilisés pour lutter contre des maladies infectieuses, des
allergies ou le cancer. Comme pour une vaccination classique, il s’agit
d’« entraîner » le système immunitaire à détruire une cible porteuse d’un anti-
gène spécifique. Par rapport à un vaccin classique, l’action n’est ici pas
uniquement préventive, mais aussi curative, contre une maladie déjà déclarée.
L’avantage de cette approche serait sa grande flexibilité. Des inconnues
demeurent toutefois sur les conséquences sur le système immunitaire (avec
le risque de déclencher une réaction auto-immune). Une première immuno-
thérapie de ce type est déjà disponible pour le traitement de certaines formes
du cancer de la prostate (sipuleucel-T).

❱❱ Les CAR T-cells


Il s’agit de globules blancs (des lymphocytes T) qui sont prélevés sur un
individu, puis modifiés génétiquement afin qu’ils reconnaissent une cible
moléculaire à détruire (expression par le lymphocyte d’un récepteur dit
« chimérique » car créé artificiellement). Ils sont ensuite réinjectés dans le
sang de l’individu afin d’attaquer une cible. Cette voie d’action très promet-
teuse appartient à la famille des immunothérapies. Elle se distingue par sa

2. Voir l’avis de la HAS sur www.has-sante.fr.

546
Partie 2. Chapitre 19.
Médicaments : les enjeux actuels

grande efficacité et des effets secondaires réduits (seules les cellules qui
expriment la cible sont attaquées). Les premiers essais ciblent les leucémies,
mais à terme tous les cancers pourraient être combattus de cette façon. Le
caractère individualisé de cette approche a conduit à un débat sur la classi-
fication de ce produit comme une spécialité ou une préparation ; c’est la
première possibilité qui a été retenue en raison du processus de production
industrielle de ce médicament.

❱❱ La phagothérapie
Il s’agit d’une technique ancienne, mais à l’utilisation peu répandue en
Occident, qui pourrait représenter un grand espoir dans la lutte contre les
nouvelles bactéries multi-résistantes. Il s’agit d’utiliser, pour la lutte contre les
bactéries, des virus qui leur sont spécifiques : les bactériophages. Les avantages
de cette technique semblent être une certaine rémanence (le virus se développe
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
tant qu’il trouve des bactéries hôtes), une faible probabilité d’effets secondaires
(pas d’interaction avec les cellules humaines) et de faibles risques de dévelop-
pement d’une résistance (les virus évoluent par sélection naturelle pour s’adap-
ter aux nouvelles défenses des bactéries). Il existe toutefois des difficultés qui
expliquent leur délaissement passé au profit des antibiotiques : la nécessité de
choisir le bon bactériophage (leur spectre d’emploi est étroit car un virus ne
s’attaque qu’à quelques souches de bactéries), leur faible diffusion dans l’or-
ganisme et leur impact sur la flore bactérienne que l’organisme humain abrite.
Le développement de l’antibiorésistance a suscité un regain d’intérêt pour cette
technique en Europe et aux États-Unis depuis la fin des années  2000. Des
essais cliniques ont ainsi été lancés au Royaume-Uni, en France et en Belgique
de même qu’au niveau européen (étude Phagoburn visant à évaluer l’efficacité
et la sécurité de la phagothérapie pour traiter les infections bactériennes des
brûlures ; www.phagoburn.eu) depuis  2007. Plus récemment, en juin 2015,
l’Agence européenne des médicaments a organisé un atelier sur les bactério-
phages, réunissant les milieux universitaires, l’industrie, les responsables poli-
tiques et les organisations de patients. En février 2019, la FDA a approuvé le
premier essai clinique portant sur des phages.

❱❱ Autres approches
Au-delà de ces nouvelles approches, bien d’autres voies font l’objet de
progrès rapides : la thérapie cellulaire pourrait permettre de régénérer des
organes défaillants, les nanotechnologies apporteraient des robots microsco-
piques agissant dans le corps humain (par exemple, en « nettoyant » les vais-
seaux sanguins des plaques d’athérome), les progrès de la radiothérapie
permettraient de détruire de manière beaucoup plus fine des tumeurs, et la
manipulation de notre flore bactérienne (microbiote), dont les dérèglements
pourraient être impliqués dans de nombreuses pathologies, pourrait apporter
de nouvelles voies d’action, permettre de minorer des effets secondaires…

547
Partie 2. Les enjeux

Des formes galéniques de plus en plus sophistiquées


En matière de galénique, d’importants progrès semblent encore possibles.
Les objectifs peuvent être de faciliter l’observance (par une réduction du
nombre de prises, grâce à des formes à libération prolongée, avec des admi-
nistrations espacées de plusieurs jours, hebdomadaires, mensuelles…), d’amé-
liorer l’efficacité et/ou de réduire les effets secondaires (par un meilleur
contrôle de la libération du principe actif…) ou de permettre l’emploi de
nouveaux principes actifs précédemment considérés comme trop fragiles ou
non absorbables.
Technique de pointe, l’impression 3D ouvrirait la possibilité de créer des
formes galéniques d’une complexité inégalée, des dosages ou même des asso-
ciations de molécules sur mesure pour chaque patient. On peut également
imaginer des implants connectés qui libéreraient un ou plusieurs principes
actifs selon la variation de paramètres physiologiques. Un premier médicament
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
connecté afin de suivre sa prise par les patients est déjà sur le marché.

Une utilisation du médicament dans le cadre


d’un système plus large
On connaît déjà l’emploi combiné de molécules thérapeutiques et de dis-
positifs médicaux (par exemple, un agent anticoagulant déposé à la surface
d’une prothèse). À l’avenir, le développement de multiples capteurs et objets
connectés va permettre d’optimiser l’emploi de certaines molécules pour
obtenir de bien meilleurs résultats et d’agir pour améliorer les usages. Par
exemple, on peut citer la régulation glycémique en continu (grâce à un capteur
transcutané ou à une lentille intelligente qui serait connecté à un système
d’injection portatif).

La médecine personnalisée
Cette appellation recouvre deux possibilités :
–  Soit l’utilisation, sur la base du résultat d’un test prédictif, d’une thérapie
uniquement chez un ensemble de patients qui partagent des caractéristiques
communes en ce qui concerne leur pathologie.
–  Soit la préparation de thérapies réellement uniques, comme peut l’être un
anticorps ou un globule blanc modifié. Cette approche potentiellement très
efficace peut être extrêmement coûteuse et elle n’est pas pertinente pour toutes
les pathologies (beaucoup partagent des mécanismes physiopathologiques com-
muns chez tous les patients).

19.1.4. Des évolutions possibles pour l’accès au marché


et la pharmacovigilance
En parallèle du progrès thérapeutique, les procédures d’AMM et la phar-
macovigilance vont évoluer.

548
Partie 2. Chapitre 19.
Médicaments : les enjeux actuels

Vers un accès au marché plus rapide


L’arrivée auprès des malades de nouveaux médicaments pourrait être accé-
lérée par des changements à plusieurs niveaux :
–  Une meilleure connaissance des mécanismes physiopathologiques et les
progrès des logiciels et des capacités de synthèse vont permettre de créer des
nouveaux principes actifs par modélisation informatique. Ceux-ci devraient
présenter le double avantage d’avoir plus de probabilité d’être efficaces et de
voir leur développement clinique raccourci, et moins soumis au risque d’échec.
–  Dans la logique des AMM progressives (➠ Chapitre 15), les essais cli-
niques pourraient être conduits de manière à ouvrir plus précocement l’usage
des nouveaux médicaments à certains groupes de patients (ce que l’ATU
permet déjà en France).
–  Les agences sanitaires mettent en place des procédures d’examens accé-
lérées des dossiers d’AMM (Fast track pour l’EMA) pour les médicaments
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
répondants à des besoins non couverts. De plus, elles peuvent être sollicitées
par les industriels dès la conception des essais cliniques, pour s’assurer que
ceux-ci répondront bien aux exigences des régulateurs au moment de l’examen
des dossiers. Les agences peuvent également, dans certains cas, suivre les
résultats des essais au fil de l’eau afin d’accélérer encore plus la délivrance
de l’AMM. À terme, on peut se poser la question de la pertinence d’une
AMM qui serait valable pour les États-Unis, le Japon et l’Union européenne.
Par ailleurs, les autorités chargées de l’évaluation des technologies de santé
et de la fixation du prix accélèrent également leurs procédures. La pandémie
à Covid-19 a illustré ce besoin de concilier rapidité et sécurité pour l’éva-
luation de la nouvelle indication potentielle d’un médicament déjà connu
contre l’agent infectieux responsable d’une épidémie.

Une pharmacovigilance 2.0


Le processus actuel de pharmacovigilance, qui repose sur une détection
« humaine » du risque, par nature imparfaite, va bénéficier de l’abondance des
données, qui sont de mieux en mieux structurées, ainsi que des nouvelles tech-
nologies d’intelligence artificielle. On peut imaginer que ces dispositifs permet-
tront de déceler de manière beaucoup plus précoce des corrélations entre
événements indésirables, populations et prise d’un médicament. L’enjeu sera
d’être capable de vérifier toutes les suspicions détectées par cette approche. Cela
pourrait paradoxalement nécessiter des moyens humains supplémentaires.

19.2. L’accessibilité financière

Aurons-nous demain les moyens de financer un accès généralisé aux nou-


velles thérapies innovantes ? Pendant longtemps, cette question – qui a si souvent
défrayé la chronique aux États-Unis, où des personnes qui ne peuvent pas
financer une assurance santé n’ont pas toujours les moyens d’acheter les médi-
caments dont elles ont besoin – n’a pas été un sujet d’inquiétude en France, où

549
Partie 2. Les enjeux

l’accessibilité financière semblait garantie par le système de protection sociale


(le tiers payant ayant même conduit à un sentiment erroné de gratuité).
Néanmoins, le coût très élevé des thérapies innovantes, le vieillissement de
la population et la contrainte sur les dépenses de l’Assurance maladie peuvent
conduire à s’interroger sur la pérennité de notre modèle. En cas de non-rem-
boursement ou de reste à charge élevé pour le patient, la conséquence serait
probablement des renoncements ou le choix d’un traitement moins onéreux et
possiblement moins efficace. Les conséquences sur la santé i­ndividuelle, la
santé publique et même le contrat social seraient très importantes.

19.2.1. Le marché et son évolution


Avec un montant global de 37,6 milliards d’euros3 (y compris les taxes et les
honoraires de dispensation), la dépense liée aux médicaments dans notre pays est
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
très importante. Le marché français ne représente toutefois qu’une petite partie
d’un marché mondial estimé à plus de 1 200 milliards de dollars et dont la crois-
sance est aujourd’hui tirée par les États-Unis (premier marché mondial) et les pays
émergents (ce qui résulte, pour ces derniers, de l’enrichissement des classes
moyennes, du développement des systèmes de protection sociale, du vieillissement
de leur population et du phénomène de transition épidémiologique). Le financement
de cette dépense, selon les catégories de médicaments, repose sur l’Assurance
maladie (remboursement de la part obligatoire), les assurances complémentaires
santé et les patients. Pour les médicaments hospitaliers, le financement peut
directement être inclus dans le tarif des GHS ou se faire au moyen de la liste en
sus (financement en plus de celui de la tarification à l’activité).
En matière de prix, il est très complexe de réaliser des comparaisons entre
pays en raison des différences de niveaux de vie et de systèmes de protection
sociale, des écarts entre le prix public et le prix réellement payé après remise,
de la place des génériques dans les traitements… Néanmoins, on constate
que les prix demandés par les laboratoires sont croissants, notamment pour
les thérapies innovantes, qui ciblent des pathologies sans alternative théra-
peutique ou qui apportent une amélioration réelle de l’efficacité.
Au-delà de mesures nouvelles, le financement de l’innovation pourra comp-
ter sur des sources « classiques » d’économies : nouveaux génériques et bio-si-
milaires (les pertes de brevets pourraient représenter au niveau mondial
121 milliards de dollars sur la période 2019 – 2023, en hausse par rapport aux
105 milliards de dollars des cinq années précédentes4) et utilisation accrue de
ceux-ci (un projet porté par l’article 51 de la LFSS pour 2020 permet de verser
une incitation directement au service pour favoriser la prescription de bio-si-
milaires5), optimisation des achats et meilleur usage (développement des pro-
tocoles, délivrance à l’unité…).

3. DREES, Les Dépenses de santé en 2018, DREES, 2019, p. 48.


4. IQVIA Institute, The Global Use of Medicine in 2019 and Outlook to 2023, IQVIA Institute, 2019.
5. Voir instruction n° DSS/1C/DGOS/PF2/2018/42 du 19 février 2018 relative à l’incitation à la
prescription hospitalière de médicaments biologiques similaires, lorsqu’ils sont délivrés en ville.

550
Partie 2. Chapitre 19.
Médicaments : les enjeux actuels

À plus long terme, il paraît assez inévitable que des révolutions thérapeu-
tiques surviennent et nécessitent des investissements importants. La masse
de la dépense de santé dépassant les 200  milliards d’euros et des réorgani-
sations étant possibles (par exemple, avec le développement de l’ambulatoire),
on peut espérer raisonnablement que l’accessibilité à la plupart des médica-
ments innovants restera générale dans notre pays.

Tableau n° 1. Décomposition du marché pharmaceutique


en France en 2018 (en Md€)
Marché pharmaceutique
28,9 Consommation totale 37,6
en France
Officines de ville, dont : 21,3 Ambulatoire, dont : 32,7
–  Ventes de médicaments 21,3 –  Consommation de médicaments 32,5
aux ­officines, dont : (y compris HDD), dont :
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
• Médicaments remboursables* 19,2 • Médicaments remboursables 27,2
(hors rétrocession)
• Médicaments rétrocédés 2,7
• Médicaments non remboursables 2,1 • Médicaments non remboursables 2,7
Rémunérations forfaitaires** 0,2
Hôpital 7,6 Hôpital*** 4,9

Chiffres d’affaires HT – Prix fabricant Ambulatoire : prix public TTC,


y compris rémunérations forfaitaires
Source : LEEM, d’après données Source : DREES, comptes de la santé.
GERS.

*Y compris homéopathie (0,2 milliard d’euros).


**Hors honoraires de dispensation (HDD) versés aux pharmaciens par l’Assurance maladie. Ce poste comprend
notamment la ROSP et les indemnités perçues dans le cadre des permanences pharmaceutiques assurées par les
officines de garde.
***Consommation estimée à partir du chiffre d’affaires du marché et du montant de la rétrocession hospitalière.
Note : le chiffre d’affaires (CA) des médicaments non remboursables du GERS correspond au CA brut déclaré par
les entreprises, c’est-à-dire avant remises commerciales attribuées par les laboratoires aux officines. Ces données
ne permettent donc pas de mesurer la marge à l’achat des officines (écart entre le prix d’achat par les officines,
y compris remises, et le prix catalogue fabricant hors taxes) ni leur marge totale (somme des marges des officines
à l’achat et à la vente). Elles permettent en revanche de mesurer la marge à la vente des officines (écart entre le
prix catalogue et le prix de vente aux consommateurs), augmentée de l’effet de la TVA.
Source : DREES, Les Dépenses de santé en 2018, DREES, 2019, p. 49.

19.2.2. Le processus d’évaluation des technologies de santé


et de détermination des prix et statut de remboursement

Description
Après que le médicament a obtenu une AMM, le laboratoire peut le com-
mercialiser. S’il choisit de demander que son produit soit pris en charge par

551
Partie 2. Les enjeux

l’Assurance maladie, il doit soumettre un dossier à la Haute Autorité de santé


afin que celle-ci évalue le produit (SMR et ASMR) et la population cible,
puis négocie le prix avec le Comité économique des produits de santé. À la
fin de ce processus6, l’Union nationale des caisses d’assurance maladie décide
du taux de remboursement du médicament.

Défis
❱❱ Le processus d’évaluation
Les indicateurs : le SMR présente des faiblesses. Il est redondant avec
l’AMM dans sa prise en compte de l’efficacité et des effets indésirables, et
avec l’ASMR en considérant la place dans la stratégie thérapeutique et l’in-
térêt de santé publique (deux notions où il y a une dimension comparative).
De plus, il apparaît que la gravité de la pathologie ciblée est le paramètre
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
prépondérant de l’évaluation, ce qui explique que pour plus de 80 % des
primo-inscriptions il est estimé important et permet donc un remboursement
au taux le plus élevé. Par ailleurs, le processus de réévaluation du SMR sur
la base de la place dans la stratégie thérapeutique peut conduire à transférer
des patients vers des médicaments plus onéreux ou à moins rembourser une
personne qui ne serait pas réceptive au traitement de première ligne.
Le SMR, l’ASMR et l’efficience sont également déterminés pour chacune
des indications d’une molécule. Cela devrait conduire à des prix et à des taux
de remboursement différents selon l’indication, ce qui est en pratique inap-
plicable dans le système actuel et aboutit à un alignement sur la valeur la
plus élevée.
Le processus d’évaluation doit s’accélérer, pour permettre aux patients de
bénéficier le plus rapidement possible des innovations, et prendre en compte
un volume croissant de données, notamment celles issues de l’utilisation en
vie réelle, mais aussi associer un nombre accru de parties prenantes dans une
optique de développement de la démocratie sanitaire. L’augmentation du
rythme de l’innovation, avec davantage de molécules à expertiser, est égale-
ment un défi pour les agences.

❱❱ L’évolution des produits


Les associations fixes de principes actifs et les nouvelles formes galéniques
doivent faire l’objet d’une évaluation afin de mesurer leur apport par rapport
aux médicaments préexistants (dans certains cas, une association fixe peut repré-
senter une régression car elle enlève de la flexibilité aux prescripteurs).
Les combinaisons de différentes technologies (thérapie ciblée et test com-
pagnon ; association entre un médicament et un dispositif médical ou une
application…) nécessitent également d’être évaluées en propre pour détermi-
ner si elles apportent une amélioration thérapeutique.

6. Décrit de manière détaillée dans le chapitre 15 : ➠ 15.4.4.

552
Partie 2. Chapitre 19.
Médicaments : les enjeux actuels

❱❱ La régulation économique
Le processus de régulation doit être cohérent avec l’évaluation médicalisée
conduite par la HAS (et donc ne pas procéder à des « rabotages » homogènes
des prix pour atteindre un objectif d’économies).
L’efficacité croissante de certains médicaments qui transforment des patho-
logies aiguës en pathologies chroniques (donc avec un fort ASMR) est un
défi car ils obtiennent un prix plus élevé que les médicaments préexistants
tout en présentant des durées de traitement plus longues (ce qui est le résultat
de l’allongement de la survie).
Cette double augmentation pourrait conduire à une explosion des dépenses,
sauf si le prix est négocié sur la base d’un forfait pour la prise en charge
globale de l’individu tant qu’il a besoin du médicament.
L’utilisation de la médico-économie pourrait permettre d’apporter une
réponse, mais peu de médicaments font encore l’objet d’une évaluation et il
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
n’y a pas de lien clairement établi entre les coûts par QALY et la négociation
de prix, car aucun seuil n’a été fixé de manière théorique pour définir ce
qu’est un médicament efficient.
La fiabilité assez incertaine de l’évaluation au stade d’une primo-inscrip-
tion et une exploitation qui peut être rendue difficile pour le décideur public
non spécialiste (termes techniques de l’économie de la santé, marges d’in-
certitude…) sont également des difficultés.

❱❱ Les taux de remboursement


Le système des affections de longue durée (ALD) conduit à un rembour-
sement à 100 % de tous les médicaments prescrits dans ce cadre.
Si cela peut paraître légitime pour protéger les personnes d’un fardeau
financier insupportable, on peut s’interroger sur sa cohérence : un médicament
ne change pas de SMR quand il est prescrit à une personne en ALD.
Par ailleurs, avec un taux de couverture de la population par une assurance
complémentaire santé qui ne cesse de croître (création de la couverture mala-
die universelle complémentaire ou CMUc de base et contributive, générali-
sation à tous les salariés du secteur privé…), une prise en charge des
médicaments à 65 % et 30 % obligatoires pour les « contrats responsables »,
et le développement du tiers payant, on peut s’interroger sur la pertinence
du maintien de plusieurs taux.

553
Partie 2. Les enjeux

Tableau n° 2. Taux théoriques et taux moyens de prises en charge


Taux théorique Taux observé Part des dépenses
de remboursement de remboursement prises en charge à 100 %
15 % 38 % 27 %
30 % 40 % 15 %
65 % 81 % 46 %
Source : Polton D., Rapport sur la réforme des modalités d’évaluation des médicaments,
ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, 2015, p. 32.

❱❱ La prise en compte des stratégies industrielles


De plus en plus, les nouveaux médicaments visent un marché de niche
où il y a très peu de recul sur les données d’efficacité et potentiellement pas
de comparateur réellement pertinent.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Cette situation rend la détermination de l’ASMR difficile et assez artifi-
cielle avant la collecte de données en vie réelle.
Par ailleurs, certaines entreprises rachètent les licences de molécules
anciennes qui ont de petits marchés (et donc pas de génériques) et sont
indispensables à certains malades. Elles procèdent ensuite unilatéralement à
des augmentations de prix massives, sans aucune cohérence avec un progrès
thérapeutique ou les coûts de production.
Par exemple, le Daraprim®, un médicament vieux de plus d’un demi-siècle,
a vu son prix multiplié par 55 après son rachat7 (un premier générique de ce
médicament a été autorisé aux États-Unis le 2 mars 2020, 5 ans après l’envolée
du prix).

❱❱ L’expertise
Les nouveaux produits nécessitent une expertise de plus en plus pointue,
avec un nombre d’experts limité, et la lutte contre les conflits d’intérêts prévoit
que normalement les experts qui participent aux essais cliniques ne peuvent
pas prendre part aux évaluations par la HAS.
Dans certains cas, on s’oriente donc vers une forme d’équilibre des intérêts
(experts impliqués dans différents essais et donc compétents) plutôt que d’une
absence stricte de liens (➠ Chapitre 14).

7. Robequain L., « Trois exemples d’augmentation spectaculaire du prix des médicaments », Les
Échos, 16 octobre 2015.

554
Partie 2. Chapitre 19.
Médicaments : les enjeux actuels

Encadré 1. L’encadrement de la promotion du médicament

La promotion des médicaments par les industriels utilise plusieurs leviers : visite médicale,
publicité dans la presse médicale, présentations lors de congrès, remises d’échantillons,
sponsoring pour la participation à un congrès, publication d’articles… Un cadre réglemen-
taire dense encadre ces actions et, globalement, les relations entre les professionnels de
santé (y compris les étudiants) et les laboratoires pharmaceutiques.
L’encadrement de la publicité
La publicité pour les médicaments est définie par l’article L5122‑1 du Code de la santé
publique. Elle ne doit pas être trompeuse et respecter de nombreuses obligations visant à
assurer son objectivité. Le régime général est celui d’une autorisation préalable à la diffusion,
qui doit être obtenue auprès de la Commission de contrôle de la publicité de l’ANSM.
La publicité en direction du grand public
Elle n’est possible que dans des cas bien précis :
– le médicament est un vaccin inscrit sur une liste arrêtée par le ministère de la Santé ou
est un produit de sevrage tabagique ;
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
– le médicament n’est pas soumis à prescription médicale, n’est pas remboursé par la
Sécurité sociale et son AMM n’interdit pas la publicité.
L’autorisation de diffusion se traduit par un visa GP (pour « grand public »).
La publicité en direction des professionnels de santé
Elle est possible pour tous les médicaments et doit favoriser le bon usage en mettant en
avant les recommandations des autorités sanitaires (stratégies thérapeutiques de la HAS).
Depuis 2012, elle est interdite pour un médicament faisant l’objet d’une réévaluation de
son rapport bénéfices/risques à la suite d’un signalement de pharmacovigilance.
L’encadrement de la visite médicale et des liens entre les laboratoires et les profession-
nels de santé
La visite médicale est encadrée par des dispositions législatives et contractuelles. Les prin-
cipaux textes qui s’appliquent sont la loi DMOS8 de 1993, dite « anti-cadeaux », qui a interdit
la remise de cadeaux dans le cadre de la visite médicale, sauf si leur valeur est négligeable,
et la loi du 29 décembre 2011, qui a mis en place une transparence quasi totale des liens
financiers entre les laboratoires et les professionnels de santé, en rendant publics, sur une
base de données Internet, tous les avantages accordés valant plus de dix euros (invitation,
repas, transport, participation à des congrès…).
Par ailleurs, une charte signée entre le LEEM (principal syndicat représentant l’industrie
pharmaceutique) et le CEPS précise les missions du délégué médical, des obligations déon-
tologiques, de formation, et relatives à la qualité des informations délivrées aux médecins,
des modalités de contrôle et de suivi9. Le respect de ces règles est attesté par une certifica-
tion selon un référentiel établi par la Haute Autorité de santé. Les laboratoires ont égale-
ment adopté de manière unilatérale des codes de bonne conduite.

8. Loi n° 93‑121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social.


9. Pour plus d’informations, voir « Charte de l’information promotionnelle », http://social-sante.gouv.fr.

555
Partie 2. Les enjeux

19.2.3. Des pistes de changement pour assurer la soutenabilité

Une modification des cadres de financement


On pourrait envisager de faire apparaître une sous-enveloppe consacrée au
médicament dans l’ONDAM avec une progression fixée de manière plurian-
nuelle. Cela donnerait davantage de visibilité aux industriels sur l’évolution du
marché. Le financement pourrait également se faire par famille de pathologies.
Un fonds spécifique pourrait financer les innovations les plus coûteuses10.

Une amélioration des indicateurs ou un nouvel indicateur unique


Il serait possible de remplacer le SMR et l’ASMR par un nouvel indicateur
unique, comme l’index thérapeutique relatif (ITR) ou la valeur thérapeutique
relative (VTR). Pour l’instant, divers travaux n’ont pas réussi à produire un
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
modèle plus efficace que le dispositif actuel. La difficulté est de trouver un
équilibre entre, d’une part, reproductibilité des résultats et, d’autre part, com-
patibilité et flexibilité, pour prendre en compte la diversité de situations entre
les aires thérapeutiques (par exemple, pour les maladies orphelines il n’y a
pas de comparateur, certains médicaments sont curatifs alors que d’autres
sont palliatifs…). Une solution a minima pourrait être de supprimer les dif-
férents taux de remboursement (dispositif très peu répandu en Europe) et
donc le SMR.

Une harmonisation européenne des processus d’évaluation


Dans la continuité de l’AMM européenne, il serait cohérent de faire
converger les méthodologies d’évaluation, voire l’évaluation elle-même. C’est
l’objectif du réseau EUnetHTA (www.eunethta.eu), qui regroupe les princi-
pales agences intervenant en Europe dans ce domaine. Au-delà, la mise en
place d’un prix européen reste pour l’instant très difficilement concevable en
raison des différences entre les systèmes, les niveaux de richesse (PIB par
habitant) et les priorités.

Une utilisation accrue des clauses contractuelles


Elles apparaissent déjà comme indéfectiblement liées au succès de la régu-
lation économique française et leur utilisation pourrait être optimisée. On
pourrait notamment utiliser davantage le système de chiffre d’affaires maxi-
mum (utilisé pour les médicaments orphelins) ainsi que les accords de risk
sharing, qui lient le paiement du médicament à son efficacité chez le malade
(ce qui nécessite d’organiser un suivi centralisé des patients).

10. Un Fonds de financement de l’innovation pharmaceutique (FFIP) avait été créé par la
LFSS 2017 avant d’être supprimé par la LFSS 2019  : peut-être pourrait-il revoir le jour sous une
forme plus ciblée ?

556
Partie 2. Chapitre 19.
Médicaments : les enjeux actuels

Une transparence des prix réels


Alors que pour l’instant seuls les prix avant négociation (donc fictifs) sont
connus, les pays pourraient collectivement révéler les prix nets de remise
qu’ils paient. Cette information, pour l’instant uniquement connue des labo-
ratoires, faciliterait les comparaisons. Il n’est toutefois pas évident qu’elle se
traduirait par des baisses de prix. En effet, l’opacité actuelle est un outil de
la négociation et, de plus, les laboratoires pourraient réaligner leurs prix par
le haut.

De nouveaux processus d’achats


La tendance au regroupement des achats pour négocier plus fortement les
prix est déjà à l’œuvre (en ville par l’intermédiaire des groupements de phar-
macies, et à l’hôpital par l’intermédaire des GHT). Il serait possible, pour
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
des génériques par exemple, de lancer des appels d’offres à beaucoup plus
grande échelle (un ou plusieurs pays). Les achats de médicaments innovants
ou indispensables pourraient également faire l’objet de coopérations entre
pays de niveaux économiques comparables.

19.3. La fabrication et la distribution

À côté de la question financière, la fabrication et la distribution des médi-


caments peuvent également être à l’origine de difficultés d’accès. L’avenir
du réseau de distribution, le phénomène des ruptures d’approvisionnement
et la lutte contre les contrefaçons sont au cœur de ces enjeux.

19.3.1. La fabrication des spécialités pharmaceutiques


De manière simplifiée, on peut distinguer des enjeux propres aux médi-
caments génériques ou aux médicaments innovants (la production des bio-si-
milaires se rapproche de ceux-ci).
Pour les médicaments génériques, le principal problème est que les prin-
cipes actifs, si ce n’est les médicaments, sont de plus en plus produits dans
des pays asiatiques. Des problèmes de qualité des matières premières peuvent
apparaître et, de plus, les pays consommateurs deviennent dépendants des
pays producteurs, ce qui n’est pas sans risque géopolitique (comme cela a
été illustré lors de la pandémie à Covid-19). Une plus grande coordination
des actions de contrôle entre les agences sanitaires au niveau international
pourra être une réponse.
Pour les médicaments innovants, on constate une centralisation de la pro-
duction dans un ou plusieurs sites qui desservent le monde entier. En cas de
production sur un site unique, le risque de pénurie en cas de difficulté est
maximum. Par ailleurs, certaines thérapies très innovantes (comme les Car

557
Partie 2. Les enjeux

T-cells) nécessitent de traiter des produits issus des patients. Il faudra alors,
si la production est centralisée, être capable de faire circuler des produits
potentiellement très fragiles dans des délais courts. L’autre possibilité est
d’implanter dans certains hôpitaux des mini-unités de production capables
de préparer les traitements nécessaires.
Par ailleurs, de nouveaux acteurs peuvent apparaître ; cela a été le cas des
géants des biotechnologies hier, et l’on pourrait voir demain émerger des
géants des thérapies géniques et cellulaires. Le développement d’acteurs à
but non lucratif, tels que des fondations, est une possibilité pour répondre à
certaines situations particulières (par exemple, l’AFM Téléthon produit déjà
certaines thérapies).

19.3.2. La distribution
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Elle fait intervenir deux catégories d’acteurs : les grossistes et les officines
de pharmacie.

Les grossistes
Ils font face à une nouvelle concurrence venant à la fois des laboratoires
(principalement les génériqueurs), qui peuvent livrer en direct des groupements
d’officines, et de nouveaux acteurs industriels, qui ne respectent pas toutes les
obligations liées à l’activité de répartition pharmaceutique (par exemple, en se
concentrant sur les médicaments les plus vendus) : les short liners. Le résultat
est une baisse de leur marge, et donc une fragilisation de ce secteur, qui est
pourtant clé pour assurer à chaque patient l’accès rapide à un médicament ou
à un dispositif médical. Un premier signe des difficultés des grossistes est la
diminution du nombre de livraisons par jour dans chaque officine.

Les officines
Depuis plusieurs années, le monopole pharmaceutique est de plus en plus
contesté par d’autres acteurs économiques11. En parallèle, la pression sur les
marges des officines conduit certaines à la faillite, notamment dans les zones
rurales, ce qui peut laisser craindre qu’aux déserts médicaux s’ajoutent des
déserts pharmaceutiques.

❱❱ La répartition des officines


Le danger de l’apparition de zones où l’accès à une officine deviendrait
problématique du fait de l’éloignement (et de l’impossibilité à assurer un
système de garde – conséquence du très faible nombre d’officines sur une

11. Voir Dromard T., « Comment Leclerc se prépare à la fin du monopole des pharmaciens »,
Challenges.fr, 30 septembre 2014.

558
Partie 2. Chapitre 19.
Médicaments : les enjeux actuels

zone étendue) est fréquemment évoqué depuis plusieurs années12. Ce constat


est alimenté par une accélération des départs à la retraite et une augmentation
continue des fermetures d’officines (181 en 2015, en hausse de 47 % par
rapport à 2014).
Ces « déserts pharmaceutiques » peuvent aussi bien concerner des zones
rurales qu’urbaines et leur apparition tient à un double phénomène : un chan-
gement dans les choix de vie des professionnels (par exemple, les médecins)
et une fragilisation économique des officines dans les zones déjà touchées
par la désertification médicale (et des autres professions et services publics).
Afin de faire face à ce phénomène (et à celui des déserts médicaux, ainsi
qu’à la nécessité d’améliorer la qualité et l’efficience des soins), plusieurs
évolutions pourraient affecter les officines dans les années à venir.

❱❱ Une libéralisation de la vente des médicaments ?


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Cette libéralisation pourrait être totale ou partielle. A minima, elle concer-
nerait les médicaments accessibles sans prescription médicale et a maxima
tous les médicaments.
En Europe, divers périmètres de monopole existent, sans que cette situation
provoque de réels problèmes de sécurité. Les principales pistes de cette libé-
ralisation sont la vente de médicaments par la grande distribution ou par
correspondance. Dans les deux cas, on peut imaginer la mise en place de
dispositifs permettant à la fois d’assurer la sécurité de la dispensation et de
répondre au devoir de conseil. Des pharmaciens continueraient de superviser
toutes ces opérations, mais ils le feraient en qualité de salariés (un statut
voisin de celui du pharmacien responsable dans l’industrie pourrait permettre
le maintien d’une indépendance professionnelle). La faiblesse évidente de
cette libéralisation serait le possible affaiblissement du lien entre le pharma-
cien et le patient, qui joue pourtant un rôle essentiel en matière d’incitation
à l’observance, de détection de contre-indications entre des prescriptions
émanant de plusieurs médecins et d’effets indésirables, de prise en charge de
petits problèmes de santé de la vie courante… À l’inverse, ces deux modes
de distribution pourraient être une solution, au moins partielle, au problème
de désertification médicale (exacerbé pour les patients qui ont des difficultés
de déplacement). À l’avenir, plusieurs circuits de distribution pourraient ainsi
coexister.

❱❱ Une évolution du rôle des pharmaciens ?


Les compétences des pharmaciens, leur bonne répartition et leur accès
sans rendez-vous ont poussé les autorités à les reconnaître comme des acteurs
des soins de premier recours. Dans le cadre des délégations de compétences,
de nouvelles missions leur sont confiées. Ainsi, après la vaccination contre

12. Voir Dussourt G., « Les fermetures de pharmacies s’accélèrent en France », Lefigaro.fr, 6 juillet
2016.

559
Partie 2. Les enjeux

la grippe, un amendement au projet de loi relatif à l’organisation et à la


transformation du système de santé prévoit d’ouvrir la possibilité pour les
pharmaciens de délivrer des médicaments normalement soumis à prescription
médicale pour la prise en charge de pathologies du quotidien. Les possibilités
de vaccination pourraient également être élargies. Le développement d’un
nouveau mode de rémunération plus indépendant des prix des médicaments
(honoraires de dispensations ou spécifiques, rémunération sur objectif de
santé publique) accompagne cette mutation de la profession.
On peut également imaginer que les pharmaciens jouent un rôle en matière
de coordination locale des parcours de soins, d’animation de groupes qualité
sur les prescriptions médicales… Les communautés professionnelles territo-
riales de santé (CPTS) pourraient être le cadre de cette nouvelle répartition
des rôles.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
19.3.3. Les ruptures d’approvisionnement13
Ce phénomène s’est nettement amplifié ces dernières années et fait peser
une menace sur la santé publique. Le nombre de ruptures aurait été multiplié
par dix entre 2008 et 201414 et il s’établissait à 871 en 2018. Le site Internet
de l’ANSM permet de consulter la liste des médicaments d’intérêt thérapeu-
tique majeur15 pour lesquels il existe des tensions d’approvisionnement ou une
situation de rupture de stock. Toutes les catégories de médicaments peuvent
être concernées. Les trois classes thérapeutiques qui ont été les plus concernées
en 2018 sont les médicaments pour le système cardiovasculaire, ceux pour le
système nerveux ainsi que les anti-infectieux à usage systémique.

De nombreuses origines possibles


Les causes de ruptures suivantes sont les plus sérieuses car, en cas de
problème, le retour à la normale peut être très long, voire impossible :
–  un problème de production, qui peut résulter d’un approvisionnement
insuffisant en matières premières (par exemple, à la suite d’un aléa climatique,
d’un conflit, d’une épidémie touchant la zone de production…) ou d’un problème
de qualité de celle-ci, d’un arrêt de la chaîne de production (par exemple, en cas
de contamination, de grève, de problème technique) ou de capacité de production
insuffisante (ouverture d’un nouveau marché qui engendre une élévation pérenne
des besoins…), ou encore d’un défaut de qualité pour le produit final ;
–  une modification ou un retrait d’AMM (par exemple en cas de détection
d’effets secondaires graves et inconnus) ;
–  une fin de commercialisation décidée par l’industriel.

13. Voir ANSM, « Risque de rupture de stock et ruptures de stock des médicaments d’intérêt ma-
jeur », https://ansm. sante.fr.
14. Voir « 300 médicaments en rupture de stock dans les pharmacies », LaDepeche.fr, 11 août 2015 ;
Bohineust A., « La pénurie de médicaments s’aggrave en France », LeFigaro.fr, 11 décembre 2015.
15. Voir ANSM, « Ruptures de stock des médicaments », https://ansm.sante.fr.

560
Partie 2. Chapitre 19.
Médicaments : les enjeux actuels

Les ruptures liées à un problème de distribution sont moins graves. Elles


peuvent résulter d’un problème de transport ou d’une exportation en trop
grand nombre du médicament vers un autre pays (exportations parallèles,
pandémie dans un pays…).

Les mesures pour limiter ce phénomène et ses conséquences


En plus des mesures prises par les industriels (une rupture signifiant une
baisse des ventes, il s’agit donc pour eux d’un manque à gagner), l’action
des pouvoirs publics vise à prévenir ou à détecter au plus tôt le risque de
rupture afin de mettre en place des mesures compensatoires.
Côté industriels, l’enjeu est de sécuriser au mieux la production et sa
capacité à faire face à des pics de demandes. Cela peut notamment passer
par la qualification de plusieurs sources pour une même matière première (si
possible d’origines géographiques différentes), la répartition de la production
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
sur différents sites, la mise en place de redondances sur les équipes et équi-
pements clés, et la réalisation de stocks. La diminution du risque de pénurie
liée à la réalisation d’exportations parallèles relève d’un pilotage des alloca-
tions de stocks entre les pays selon les besoins anticipés et d’un réapprovi-
sionnement en cas de nécessité.
Plus récemment, les pouvoirs publics ont pris un ensemble de mesures.
Tout d’abord, le phénomène a été défini par le décret n° 2012‑1096 du 28 sep-
tembre 2012 relatif à l’approvisionnement en médicaments à usage humain.
Ainsi, un médicament est considéré en rupture si sa délivrance au patient
n’est pas possible dans un délai de soixante-douze heures, voire moins selon
les impératifs du traitement.
Par la suite, la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier
2016 a prévu à son article 151 que les médicaments considérés comme des
médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM)16 fassent l’objet d’une
surveillance renforcée. Pour ceux-ci, les laboratoires exploitants doivent infor-
mer les autorités (ANSM) de tout risque de rupture de stock ou de leur volonté
d’arrêter la commercialisation, et élaborer des plans de gestion des pénuries
(PGP).
En cas de rupture de stock d’un médicament considéré comme indispen-
sable, l’ANSM peut recourir au rationnement des stocks encore existants, à
la recherche de stocks à l’étranger, à l’importation d’un médicament similaire
disponible sur des marchés étrangers, ou encore avoir recours à des alterna-
tives au moyen des procédures dérogatoires (ATU ou RTU). Si la rupture
concerne un médicament non indispensable, l’agence communiquera aux
professionnels les alternatives possibles et leurs conditions de mise en œuvre.

16. Art. L5111‑4. On entend par « médicaments ou classes de médicaments d’intérêt thérapeutique
majeur » les médicaments ou classes de médicaments pour lesquels une interruption de traitement
est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou représente
une perte de chance importante pour les patients étant donné la gravité ou le potentiel évolutif de la
maladie.

561
Partie 2. Les enjeux

La LFSS pour 2020 introduit de nouvelles mesures, telles que l’obligation


pour les fabricants de constituer un stock de sécurité, la possibilité pour le
directeur de l’ANSM d’imposer que l’entreprise exploitant un MITM en
rupture importe une alternative thérapeutique, ainsi que des sanctions renfor-
cées en cas de non-respect d’un délai de prévenance minimum en cas d’arrêt
de la commercialisation, afin que l’ANSM trouve une solution alternative.
La mise en œuvre de l’obligation de constituer des stocks devra prendre en
compte les délais de fabrication très longs de certains produits (plus d’un an
pour certains vaccins).
Le portail Internet du dossier pharmaceutique a pris une place importante
dans la communication entre les autorités sanitaires et les professionnels. Son
outil DP-Ruptures17 permet aux professionnels de signaler les difficultés
d’approvisionnement qu’ils rencontrent et aux autorités de leur communiquer
une date de retour prévisionnelle et/ou de possibles traitements alternatifs.
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
19.3.4. Les contrefaçons
Sa valeur et son aspect extérieur assez basique ont fait du médicament un
produit de choix pour les faussaires. Au-delà du préjudice économique, les
médicaments contrefaits, inefficaces ou même toxiques font peser une menace
très grave sur la santé publique et les individus.
Contrairement à d’autres domaines (comme celui des objets de luxe), le
consommateur d’un médicament contrefait est toujours une victime, jamais
un complice. Ce commerce est extrêmement lucratif, davantage même que
le trafic de stupéfiants, selon certaines estimations.

Un phénomène massif qui touche d’abord les pays


les moins développés
La contrefaçon peut concerner à peu près n’importe quel médicament.
Elle est présente dans tous les pays, mais à des degrés variables. L’OMS
avance (de manière invérifiable) qu’environ 10 % des médicaments circulant
dans le monde et 50 %18 de ceux vendus sur Internet seraient falsifiés.
Les pays les plus pauvres seraient les plus touchés, avec une part de
médicaments contrefaits pouvant dépasser les 50 % pour certaines patholo-
gies19. Les pays développés seraient beaucoup moins concernés, avec environ
1 % de contrefaçons.

17. Voir Ordre national des pharmaciens, « Ruptures d’approvisionnement et DP-Ruptures »,


10 décembre 2019, www.ordre.pharmacien.fr.
18. OMS, « Produits médicaux de qualité inférieure ou falsifiés », 31 janvier 2018, www.who.int.
19. 64 % des médicaments antipaludéens analysés au Vietnam ne contiendraient aucun principe actif.
Voir IRACM, « Enjeux de la falsification de medicaments », 19 mars 2013, www.iracm.com/enjeux.

562
Partie 2. Chapitre 19.
Médicaments : les enjeux actuels

La lutte contre la contrefaçon


Elle implique une sécurisation du circuit du médicament et des mesures
contre les réseaux mafieux au niveau international. Afin d’être efficace, elle
associe de très nombreux acteurs publics agissant au niveau international
(Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Organisation mondiale
de la santé, Institut international de recherche anti-contrefaçon de médica-
ments, Organisation mondiale des douanes, Interpol) et national (services de
police, justice, agences sanitaires), ainsi que les fabricants et les professionnels
de santé (notamment les pharmaciens).
Chaque année, une vaste opération impliquant l’ensemble des acteurs est
menée au niveau mondial sous le nom de code « PANGEA ». Ces actions
doivent aboutir à des sanctions dissuasives, le plus possible harmonisées entre
les pays.
Au niveau européen, la directive 2011/62/UE a apporté une définition
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
juridique des médicaments falsifiés (qui englobe les médicaments contrefaits
ainsi que les modifications illégales apportées à un médicament véritable20)
et mis en place un ensemble de mesures visant à sécuriser le circuit (contrôles
aux frontières, exigences relatives au commerce en ligne, sécurisation des
emballages…).
Cette lutte contre la contrefaçon peut s’appuyer sur le monopole pharma-
ceutique et les obligations qui s’appliquent à l’ensemble des acteurs, ainsi
que sur de nombreux moyens technologiques permettant d’assurer la traça-
bilité et la sécurité d’une boîte (data matrix, technologie RFID, QR code,
hologramme, encres invisibles, étiquettes scellant les emballages…), et/ou la
sécurisation du médicament lui-même (l’intégration de traceurs chimiques
autres que le principe actif dans le médicament).

19.4. Les mésusages

De tous les enjeux liés au médicament, celui de son usage est le plus
complexe et le plus déterminant. En effet, toutes les dispositions prises pour
assurer la sécurité de la prise d’un médicament, et optimiser son efficacité
ainsi que son efficience, reposent sur une utilisation dans les conditions
décrites dans l’AMM et les recommandations des autorités sanitaires.
Mais de nombreux événements peuvent aboutir à une utilisation dans des
conditions bien éloignées de ces recommandations, avec des conséquences
potentiellement graves. Les effets du mésusage sont ce que l’on appelle
l’« iatrogénie médicamenteuse ».

20. Modification de la date de péremption, par exemple.

563
Partie 2. Les enjeux

19.4.1. Les principales causes de mésusage


Elles sont à rechercher dans le comportement des différents acteurs, qui
peut être largement influencé par l’histoire personnelle de chacun, le rapport
à la maladie et les médias (qui peuvent véhiculer de fausses informations).
On distingue un mésusage dans un cadre thérapeutique et des détournements
volontaires.

La prescription médicale
À ce niveau, les sources d’erreurs sont multiples : diagnostic erroné ou
mauvais choix de médicament ou de posologie (durée, dosage…).
Une erreur diagnostique peut se produire notamment dans le cas d’une
pathologie volontairement cachée par le patient (maladies mentales…), d’un
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
début asymptomatique (diabète, hypertension…) ou encore dans le cas d’une
maladie présentant un tableau clinique très proche d’une autre maladie. Par
nature, il est difficile de quantifier ce phénomène.
Le mauvais choix de médicament peut se traduire par une prescription
inutile ou en dehors des indications de l’AMM. Il est estimé que de nom-
breuses prescriptions seraient réalisées hors AMM (en moyenne, 20 % dans
les pays occidentaux et peut-être plus en France21). Bien que cela soit justifié
dans certains cas, cette proportion semble très élevée.
Par ailleurs, même lorsque l’indication est correcte, des défauts de qualité
peuvent concerner la posologie. On peut notamment citer le cas des benzo-
diazépines, pour lesquelles l’ANSM notait dans un rapport publié en
avril 201722 que, malgré leurs effets secondaires bien connus, entre 2012 et
2014, le premier épisode de traitement pour des « nouveaux utilisateurs »
excédait dans 14 à 15 % des cas la durée de prescription recommandée, et
que dans 2 % des cas la durée de traitement dépassait un an.
Enfin, un phénomène culturel n’est pas à minorer. Une enquête, déjà
ancienne, menée pour la CNAM montrait que si aux Pays-Bas moins d’une
consultation sur deux (43,2 %) se terminait par une prescription, cette pro-
portion était de 90 % en France (contre 83,1 % en Espagne et 72,3 % en
Allemagne)23. Ainsi, une « bonne consultation » dans notre pays pourrait être
perçue comme se terminant nécessairement par une « bonne ordonnance ».

21. Voir B. Bégaud, D. Costaglia, Rapport sur la surveillance et la promotion du bon usage du
médicament en France, ministère des Affaires sociales et de la Santé, 2013, p. 11.
22. ANSM, « État des lieux de la consommation des benzodiazépines en France », https://ansm.
sante.fr, 5 avril 2017.
23. CNAMTS, « Les Européens, les médicaments et le rapport à l’ordonnance : synthèse générale
IPSOS Santé pour la CNAMTS », février 2005.

564
Partie 2. Chapitre 19.
Médicaments : les enjeux actuels

Le patient
À son niveau, le mésusage peut relever de causes très différentes. Il peut
s’agir du non-respect de la prescription médicale (observance) ou de pro-
blèmes liés à l’automédication (utilisation de médicaments inappropriés, péri-
més ou qui se contre-indiquent).
Il est difficile de quantifier les problèmes d’observance. Une étude de
201424 portant sur six pathologies montrait une observance moyenne de 40 %,
avec de grandes variations entre les pathologies.
Une autre étude menée par les mêmes acteurs et publiée en 201725 confirme
ces résultats et révèle les origines possibles de ce phénomène. De manière
attendue, il en ressort que les problèmes d’observance se posent essentielle-
ment au début d’un traitement (première prise d’un médicament après le
diagnostic ou changement de thérapeutique) et concernent des patients qui
consultent peu et changent souvent de pharmacie. Plus étonnant, l’âge (et
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
l’avancée dans la pathologie) et la polymédication auraient un impact plutôt
positif sur l’adhérence aux traitements, et les hommes suivraient mieux leurs
prescriptions que les femmes.

Les médias et les réseaux sociaux


Il faut distinguer les médias grand public, la presse spécialisée et les
réseaux sociaux et forums en ligne. Les premiers vont influencer globalement
la population, tandis que la deuxième ne vise que les professionnels de santé
(avec des éléments de promotion des médicaments qui sont validés par
l’ANSM). La qualité des autres sources que l’on trouve sur Internet est très
incertaine. Le développement des infox (fake news) est très inquiétant car il
peut favoriser des comportements de défiance et de recours à des thérapies
moins efficaces, et surtout moins sûres. Pour lutter contre ce phénomène, les
autorités ont mis en place un ensemble de bases publiques permettant aux
patients et aux professionnels d’accéder à des informations de qualité. La loi
du 22 décembre 2018 relative à la manipulation de l’information donne une
nouvelle base juridique pour lutter contre ce phénomène.

Les usages détournés


Ils peuvent avoir principalement une visée criminelle (empoisonnement,
manipulation), récréative ou dopante. Dans tous les cas, on est au-delà du
mésusage, et ces pratiques, qui peuvent nourrir des trafics, sont illégales.
L’utilisation à but récréatif concerne essentiellement les médicaments qui ont
une action psychoactive (médicaments antalgiques, substituts aux opiacés,
benzodiazépines…). Le dopage, qui vise l’amélioration des performances

24. IMS Health, CRIP, « Améliorer l’observance. Traiter mieux et moins cher », https://lecrip.org,
2014.
25. CRIP, « Observance thérapeutique : des solutions efficaces pour aider les patients à bien respec-
ter leurs traitements », https://lecrip.org, 28 avril 2017.

565
Partie 2. Les enjeux

physiques ou mentales, peut concerner des typologies de personnes très variées


(sportifs, cadres stressés, étudiants préparant leurs examens…).

19.4.2. Les conséquences


Elles sont très diverses, mais toutes ont en commun d’être néfastes.

Sur la santé publique


On peut citer des hospitalisations et des passages aux urgences inutiles,
le non-contrôle du développement d’une épidémie (comme la rougeole), le
développement de l’anti-bio-résistance, qui serait à l’origine de plus de 25 000
décès par an en Europe26.
Par ailleurs, la sur-utilisation des médicaments aboutit à un déversement
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
encore plus important de principes actifs et métabolites dans les eaux usées,
avec pour conséquences la modification du comportement de certains ani-
maux, des troubles de la reproduction, des mutations, le développement de
flores bactériennes résistantes…

Sur la santé individuelle


Elles vont du simple allongement d’un épisode de maladie à une dégra-
dation de la qualité de vie, à l’installation d’une dépendance ou, dans les
cas les plus graves, au décès (125 000 décès évitables aux États-Unis et
12 000 en France). L’impact sur la mortalité est important. Par exemple,
pour les maladies cardio-vasculaires, une bonne observance pourrait réduire
de moitié la mortalité27. Au Royaume-Uni, la controverse sur la dangerosité
des statines (médicaments hypocholestérolémiants) pourrait avoir engendré
jusqu’à 2 000 décès du fait des arrêts de traitement28.

Les conséquences financières


Elles sont lourdes et correspondent à des coûts directs et indirects. Pour
la France, ce coût est estimé à neuf milliards d’euros29, soit davantage que
le déficit de la Sécurité sociale en 2016. Un rapport de l’Académie de phar-
macie de 2015 estimait que la prise en charge des accidents vasculaires
cérébraux liés à une mauvaise observance aux traitements contre l’hyperten-
sion artérielle représentait un coût de 4,4 milliards d’euros. Autre exemple,

26. Voir la fiche « Résistance aux antibiotiques » sur le site de l’Institut Pasteur, www.pasteur.fr.
27. Académie nationale de pharmacie, rapport « Observance des traitements médicamenteux en
France », décembre 2015.
28. Voir Institut Pasteur, « Résistance aux antibiotiques », www.pasteur.fr, 16  septembre 2019 ;
Boseley S., « Statins Prevent 80,000 Heart Attacks and Strokes a Year in UK, Study Finds », Theguar‑
dian.com, 8 septembre 2016.
29. IMS Health, CRIP, « Améliorer l’observance. Traiter mieux et moins cher », op. cit.

566
Partie 2. Chapitre 19.
Médicaments : les enjeux actuels

la consommation récréative d’antalgiques aux États-Unis aboutirait à une


dépense de 55 milliards de dollars par an, dont 20 milliards pour les prises
en charge hospitalières30.

19.4.3. Des pistes d’amélioration


L’action sur les usages pourrait passer par :
–  une amélioration de la formation initiale et continue (DPC) des profes-
sionnels de santé, ainsi que la certification de leurs compétences, qui est prévue
par la loi de santé 2019 ;
–  le développement des programmes d’éducation thérapeutique, de la conci-
liation pharmaceutique et la mise en place de groupes d’échanges sur la qualité
entre les professionnels de santé au niveau local (par exemple, par l’intermé-
diaire des CPTS) ;
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
–  la mise en place de nouveaux outils technologiques à même de détecter
des prescriptions inappropriées (logiciels d’aide à la prescription ou à la déli-
vrance) et d’éventuels problèmes d’observance ou des doublons entre plusieurs
prescriptions (dossier pharmaceutique et dossier médical partagé) ;
–  le développement de la e-prescription, de la délivrance en pilulier et de la
robotisation de la préparation des ordonnances, afin de libérer du temps pour le
conseil pharmaceutique et de sécuriser la délivrance ;
–  des actions de communication renouvelée par les pouvoirs publics et les
autres parties prenantes ;
–  le soutien à la commercialisation de formes galéniques permettant de
simplifier les schémas de prises.
De nombreuses actions visant l’amélioration de l’utilisation des médica-
ments sont déjà portées par plusieurs plans, dont principalement le Plan natio-
nal de gestion du risque et d’efficience du système de soins (PNGDRESS).
Les contrats d’amélioration de la qualité et de l’efficience des soins (CAQES)
pour les établissements de santé et la rémunération sur objectif de santé
publique (ROSP) des professionnels libéraux contribuent à l’amélioration des
pratiques. À l’avenir, de nouvelles actions de gestion du risque plus transverses
et impliquant davantage les patients pourraient permettre d’aller plus loin.
La LFSS pour 2020 prévoit plusieurs mesures pour renforcer la pertinence
des prescriptions : prise en charge des tests rapides d’orientation diagnostique
(TROD) pour les angines afin de limiter les prescriptions inappropriées d’an-
tibiotiques, adaptation de la taille des conditionnements aux durées usuelles
de traitement, sanctions renforcées pour des professionnels de santé qui ne
modifieraient pas leurs pratiques de prescription après plusieurs mises sous
accord préalable.
Par ailleurs, la lutte contre le dopage repose sur un dispositif centré sur
l’Agence française de lutte contre le dopage. La course est permanente entre
des moyens de dopage toujours plus furtifs (indétectables) et des méthodes

30. Voir Drew L., « The Opioid Epidemic : By the Numbers », Nature.com, 11 septembre 2019.

567
Partie 2. Les enjeux

analytiques et de suivi des sportifs sans cesse améliorées. La lutte contre les
addictions fait l’objet de nombreuses actions coordonnées par la Mission
interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives
(MILDECA). L’ANSM joue un rôle dans le dispositif en cordonnant le dis-
positif d’addicto-vigilance (ou pharmacodépendance).

Points clés
• Dans les années à venir, de nombreuses innovations pharmaceutiques pour-
raient arriver sur le marché. Ces nouveaux médicaments seront non seulement
des améliorations d’approches déjà existantes, comme les médicaments biolo-
giques, mais pourront également prendre des formes très novatrices : vaccins
thérapeutiques, globules blancs modifiés in vitro, thérapies géniques… Ces
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
thérapies pourraient apporter de véritables ruptures dans la prise en charge des
cancers, des maladies orphelines ou encore des maladies chroniques. L’arrivée
de ces innovations ne sera pas sans conséquences financières, et de nouveaux
débats sur les prix sont à prévoir.
• Le processus actuel, qui associe la Haute Autorité de santé (évaluations médi-
co-scientifiques et médico-économiques), le Comité économique des produits
de santé (négociation du prix) et l’Union nationale des caisses d’assurance mala-
die (fixation du taux de remboursement), pourrait être amené à évoluer pour
prendre davantage en compte les données collectées en vie réelle, la qualité de
vie, l’opinion des patients et la recherche d’efficience.
• De nouvelles thérapies plus efficaces et coûteuses renforceront la nécessité d’un
bon usage des médicaments, alors que l’on sait qu’actuellement l’observance
des patients (respect de la prescription) et la qualité des prescriptions ne sont
parfois pas aux rendez-vous.
• L’élaboration de recommandations, des outils technologiques, l’encadrement
de la promotion et des actions des autorités devront améliorer les usages et
contribuer à diminuer l’iatrogénie médicamenteuse.
• Par ailleurs, l’accessibilité géographique aux médicaments pourra être un enjeu,
avec la baisse annoncée du nombre d’officines. Enjeux plus classiques pour un
bien industriel, le médicament fait face à une multiplication des ruptures d’ap-
provisionnement et à un inquiétant développement du marché des contrefa-
çons. Face à ces nouveaux enjeux, une collaboration internationale et un travail
avec les industriels seront indispensables.
• Enfin, l’utilisation à des fins récréatives des médicaments, notamment les
opioïdes, pourrait devenir un enjeu de santé publique majeur dans les années
à venir.

568
Partie 1. Chapitre 19.
Médicaments : les enjeux actuels

Pour en savoir plus


M. Aulois-Griot et al. (dir.), Panorama de droit pharmaceutique – 2018, LEH Édition,
2019.
A.-C. Bensadon, É. Marie, A. Morelle, Rapport sur la pharmacovigilance et gouver‑
nance de la chaîne du médicament, rapport IGAS n°RM2011‑103P, 2011.
C. Correa, G. Velasquez, L’Accès aux médicaments : entre le droit à la santé et les
nouvelles règles de commerce international, L’Harmattan, 2010.
M.-H. Cubaynes, D. Noury, M. Dahan, E. Falip, Le Circuit du médicament à l’hôpital,
rapport IGAS n° RM2011‑063P, 2011.
M.C. Gerald, The Drug Book : From Arsenic to Xanax, 250 Milestones in the History
of Drugs, Sterling, 2013.
V. Jaouen, B. Vincent, O. Le Gall, M. Magnien, La Régulation du réseau des pharma‑
cies d’officine, rapport IGAS/IGF, 2016.
C. Jourdain-Fortier, I. Moine-Dupuis, La Contrefaçon de médicaments. Les premiers
pas d’une réaction normative internationale, LexisNexis, 2013.
C. Millien, « 8 % de pharmaciens en plus entre 2018 et 2040, et une densité stabilisée »,
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
Études et Résultats, n° 1 110, 21 mars 2019.
M.-P. Planel, Le Prix des médicaments en question(s), Presses de l’EHESP, 2017.
G. Turan-Pelletier, H. Zeggar, La Distribution en gros du médicament en ville, rapport
IGAS n° 2014‑004R3, 2014.
QUELQUES CHIFFRES SUR LA SANTÉ DES FRANÇAIS ET DES
EUROPÉENS

in Jacques Raimondeau et al., Manuel de santé publique

Presses de l’EHESP | « Références Santé Social »


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
2020 | pages 571 à 576
ISBN 9782810907380
DOI 10.3917/ehesp.raimo.2020.01.0571
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/manuel-de-sante-publique---page-571.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Presses de l’EHESP.


© Presses de l’EHESP. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


Quelques chiffres sur la santé des Français
et des Européens

Démographie
Au 1er janvier 2020, la population française présentait une croissance de 0,3 %
© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
par rapport au 1er janvier 2019 :
–  solde naturel : + 141 000 ;
–  solde migratoire évalué : + 46 000.

Population totale au 1er janvier 2020 (INSEE)


Nombre d’habitants 67 063 703
Femmes 34 666 524
Hommes 32 397 179
Moins de 20 ans 16 084 743
65 ans ou plus 13 750 578
75 ans ou plus 6 373 536

Il y a eu 753 000 naissances en 2019 (au début des années 2010, les naissances
étaient plus de 820 000 par an) :
–  âge moyen des mères : 30,7 ans ;
–  taux de natalité : 11,2/1000 (12,8/1000 en 2005 et 12,9/1000 en 2010).
En 2019, l’indicateur conjoncturel de fécondité était de 187,1 enfants/100 femmes
(195,5 en 2015 et 202,9 en 2010). La France est le pays le plus fécond en Europe,
devant la Suède et l’Irlande ; les taux de fécondité les plus bas se rencontrent dans
le sud de l’Europe.
Selon les données de la DREES et de la CNAM, en 2018, il y a eu 209 522
interruptions volontaires de grossesse (IVG) en France, soit 15 IVG/1000 femmes
de 15 à 49 ans.

571
Manuel de santé publique

Mortalité
Il y a eu 612 000 décès en 2019 (538 081 décès en 2005, 551 218 en 2010 et
593 865 en 2016). Cette augmentation s’explique notamment par le fait que les classes
d’âge nombreuses du baby-boom atteignent des âges marqués par une mortalité
importante.

Taux de mortalité standardisés sur l’âge, France, 2016 (INSEE)


Hommes 1 087,8/100 000*
Femmes 651,6/100 000**
Total 869,7/100 000
* 1 470/100 000 en 2000 ; ** 840/100 000 en 2000.

En 2015, le taux de mortalité néonatale était de 2,4 enfants/1000 naissances


© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)

© Presses de l?EHESP | Téléchargé le 04/12/2022 sur www.cairn.info par Simon Cercle via Nantes Université (IP: 193.52.103.23)
vivantes (INSEE, enquête Euro Périnat).
En 2019, le taux de mortalité infantile en France métropolitaine était de
3,6 enfants de moins d’1 an/1000 naissances vivantes (3,9/1000 en 2004, 4,9/1000)
en 1995 (INSEE) et de 3,8 sur tout le territoire (4/1000 en 2004 et 5/1000 en 1995).
En 2017, dans l’UE à 27, le taux était de 3,5/1000 (Malte et Roumanie : 6,7/1000).

Espérance de vie à la naissance, France, 2019 (INSEE)


France entière
Hommes 79,7 ans
Femmes 85,6 ans
France métropolitaine
Hommes 79,8 ans
Femmes 85,7 ans

Espérance de vie à la naissance, comparaison européenne,


2018 (Eurostat)
UE (27 pays) France
Femmes 83,7 ans * 85,9 ans
Hommes 78,2 ans ** 79,7 ans

Vous aimerez peut-être aussi