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1.

Lorsque son portable bipa, lui signalant qu’elle avait reçu un message, Tara lâcha son livre et se
saisit à la hâte de l’appareil.
Max ! Ce ne pouvait être que lui, songea-t-elle. Il était le seul à lui envoyer des textos ces
temps-ci.
J’arrive à Mascot à 15 h 30.

Son cœur battait la chamade.


Vol QF 310. Peux-tu venir me chercher ?

Un simple coup d’œil à son réveil lui indiqua qu’il était presque midi. Si son avion atterrissait à
15 h 30, Max devait déjà être en plein vol.
Je serai là.

Elle s’empressa de répondre, avant de sourire de la brièveté et la sécheresse de leurs messages.


Pas un seul mot d’amour ou de tendresse dans leurs échanges, juste des paroles très terre à terre.
Mais Max était un homme terre à terre. La plupart du temps.
Sauf au lit. Un frisson la parcourut à la pensée de Max lui faisant l’amour. Dans ces moments-là,
il était très différent…
Jetant un dernier regard à son réveil, elle se redressa. Elle allait devoir se dépêcher si elle
voulait avoir le temps de s’apprêter, de prendre le train pour Sydney et d’aller chercher la voiture de
Max pour se rendre à l’aéroport.
Comme elle se levait d’un bond, elle eut soudain un haut-le-cœur qui lui rappela la raison de sa
présence au lit à une heure aussi tardive. Une seconde après, elle fut secouée par une violente nausée
et eut juste le temps d’atteindre la salle de bains…
Seigneur, se dit-elle. Pourquoi devait-elle tomber malade, aujourd’hui précisément ?
Cela faisait en effet presque un mois qu’elle n’avait pas vu Max en raison de son emploi du
temps surchargé, la crise dans le monde du tourisme ayant contraint son amant à de nombreux
déplacements à l’étranger. Lorsque Tara lui avait dit au téléphone deux jours plus tôt qu’elle ne
saurait bientôt plus à quoi il ressemblait, Max lui avait promis de faire de son mieux pour venir la
voir ce week-end. Il devait se rendre à Auckland pour un rendez-vous crucial vendredi et aurait peut-
être le temps de faire un saut à Sydney avant de retourner à Hong Kong, ville qui était devenue, par la
force des choses, son fief.
Malgré tout, Tara ne voulait pas se bercer d’illusions, sachant à quel point la déception serait
éprouvante pour elle s’il revenait une fois de plus sur sa décision. Cela dit, Max souffrait peut-être
autant qu’elle de leur séparation — raison pour laquelle se sentir nauséeuse était bien la dernière
chose dont elle avait besoin aujourd’hui. Après tout, elle allait probablement ne passer qu’une nuit
avec lui cette fois et voulait profiter au maximum de sa compagnie.
Poussant un profond soupir, elle se passa de l’eau sur le visage.
— Tout va bien ? claironna sa mère de l’autre côté de la porte.
— Oui, très bien, mentit-elle.
Il valait mieux ne rien dire. Sa mère ferait aussitôt des histoires, chose que Tara détestait plus
que tout. Et puis, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. Elle souffrait certainement de la gastro-entérite
qui sévissait en ce moment. Les enfants de sa sœur l’avaient eue la semaine précédente et elle leur
avait rendu visite le week-end dernier pour un barbecue familial.
D’ailleurs, elle se sentait déjà mieux. Une bonne douche et tout irait à merveille, se raisonna-t-
elle en ouvrant le robinet.
Une heure plus tard, coiffée, maquillée et vêtue d’une nouvelle tenue, elle pénétra dans la
cuisine où sa mère l’accueillit d’un regard narquois.
— Je vois que ton Seigneur et Maître te gratifie d’une de ses visites éclair, fit remarquer Joyce
d’un ton sec, avant de reporter son attention sur le gâteau qu’elle préparait.
D’aussi loin que Tara s’en souvienne, le samedi était le jour où Joyce s’adonnait à sa passion :
la pâtisserie. Une telle rigidité dans la routine la rendait folle et elle avait souvent souhaité qu’au
moins une fois dans sa vie sa mère modifie ses habitudes, mais cela n’était jamais arrivé. Elle aurait
bien aimé aussi que son attitude vis-à-vis de Max soit plus tempérée.
— Arrête, maman, je t’en prie, dit-elle d’une voix lasse en glissant une tartine dans le grille-
pain.
Son estomac s’était enfin calmé et, même si elle n’était pas encore au mieux de sa forme, elle se
sentait capable d’avaler une tartine de pain beurrée.
Joyce tourna la tête et lança un regard noir à sa ravissante fille.
Tara avait pris le meilleur de ses parents. De son père, elle avait hérité sa grande taille, ses
cheveux blonds, sa peau claire et saine et ses magnifiques yeux verts. Joyce lui avait quant à elle
transmis son petit nez en trompette, ses lèvres pleines et sensuelles et une généreuse poitrine qui
seyait bien mieux à sa fille qu’à elle.
Joyce n’avait pas été le moins du monde étonnée d’apprendre qu’un des clients fortunés de la
bijouterie chic où travaillait Tara était tombé sous son charme. Pas plus qu’elle n’avait été surprise
lorsque sa fille lui avait avoué avoir perdu sa virginité. Etre encore vierge à vingt-quatre ans avec un
tel physique tenait franchement du miracle, avait-elle toujours pensé. Nul doute que ses innombrables
petits copains avaient tenté leur chance ! Mais Tara avait toujours clamé haut et fort qu’elle attendait
le prince charmant. Sa fille cadette était quelque peu idéaliste, mais surtout incurablement
romantique. Lectrice passionnée, elle adorait les romans d’amour aux fins heureuses.
Au début, Joyce avait même cru que Max Richmond était le prince charmant tant attendu par sa
fille. Après tout, il en possédait toutes les qualités : riche, séduisant et jeune. Relativement jeune, tout
du moins. Il était âgé de trente-cinq ans quand ils avaient commencé à se fréquenter.
Mais les mois passant, Joyce avait révisé son jugement, surtout lorsqu’il était devenu évident
que Max Richmond n’avait aucune intention d’épouser sa jeune et jolie maîtresse.
Car c’était ce que Tara était devenue. Pas une fiancée ou une compagne, mais bel et bien une
maîtresse : disponible lorsqu’il désirait la voir et silencieuse et discrète lorsqu’il partait, devant tout
donner et ne rien recevoir en retour — hormis bien entendu les cadeaux somptueux que tout homme
fortuné faisait invariablement à sa maîtresse.
Des vêtements griffés. Des bijoux. Du parfum. Des fleurs.
Un bouquet de roses rouges était livré toutes les semaines lorsque Max était absent. Mais qui les
commandait ? s’était-elle souvent demandé. Lui ou sa secrétaire ?
Si Tara avait été le genre de femme à s’accommoder d’une telle situation, Joyce n’aurait rien dit.
Mais ce n’était pas le cas. Sous des allures sophistiquées et un corps de déesse, Tara cachait une âme
douce et sensible. Lorsque Max la laisserait tomber, elle serait anéantie.
Les pensées sombres de Joyce alimentèrent sa colère et elle répondit vertement à sa fille.
— Arrête quoi ? De dire la vérité ? Je n’ai pas l’intention de rester là sans réagir, Tara. Je
t’aime trop pour me comporter ainsi. Tu es en train de gâcher ta vie avec cet homme. Il ne te donnera
jamais ce que tu veux. Il se sert de toi, c’est tout.
Tara se retint de lui rappeler le nombre incalculable de fois où celle-ci lui avait dit qu’elle ne
savait pas ce qu’elle voulait dans la vie. Après avoir obtenu son diplôme des beaux-arts, Tara n’avait
pas cherché un emploi à Sydney, au grand dam de sa mère, mais était partie au Japon enseigner
l’anglais pendant deux ans, profitant de l’occasion pour visiter l’Asie. A son retour, Joyce s’était
attendue à ce qu’elle cherche un poste de professeur, mais au lieu de cela elle avait trouvé un emploi
de vendeuse dans une bijouterie en attendant de savoir ce qu’elle voulait faire. Lorsqu’elle avait
annoncé à sa mère qu’elle comptait retourner à l’université l’année prochaine pour étudier la
psychologie, Joyce avait levé les yeux au ciel.
Dans un sens, elle avait raison, reconnut Tara. Elle ne savait pas ce qu’elle voulait faire de sa
vie. En revanche, elle savait ce qu’elle ne voulait pas faire. Elle ne voulait pas être bloquée chez elle
avec des enfants comme sa sœur, Jen, pas plus qu’elle ne voulait faire des gâteaux tous les samedis.
— Alors que crois-tu que je veuille vraiment, maman ? s’enquit-elle, curieuse de connaître les
pensées de sa mère.
— Mais ce que veulent toutes les femmes, voyons ! Un foyer et des enfants. Et un mari, bien sûr,
ajouta-t-elle.
Tara esquissa un sourire. Joyce approchait de la soixantaine, aussi avait-elle des excuses pour
tenir un langage aussi démodé. Malgré tout, l’allusion au mari était assez ironique, compte tenu de
son passé. Veuve depuis plus de vingt ans, elle avait perdu son mari dans un accident de travail alors
que Tara venait d’avoir trois ans, et avait élevé ses deux filles seule en travaillant d’arrache-pied
pour subvenir à leurs besoins. A force de faire des économies, elle avait même réussi à acheter sa
propre maison, aussi modeste fût-elle. Elle ne s’était jamais remariée. D’ailleurs, après la mort de
son mari, aucun homme n’était jamais entré dans sa vie.
— Tu seras peut-être surprise d’apprendre que je ne veux pas de cette vie-là, dit Tara en
saisissant sa tartine grillée. En tout cas, pas pour le moment. Je n’ai que vingt-cinq ans, après tout !
J’ai de longues années devant moi avant de songer à me marier et à avoir des enfants. Je suis bien
plus excitée à l’idée de retourner à l’université l’année prochaine. Et dans l’immédiat, j’ai un travail
passionnant, de bons amis et un amant fabuleux.
— Que tu ne vois pratiquement jamais. Et quant à tes amis, cite-m’en un que tu as vu au cours
des six derniers mois.
Tara eut beau chercher, elle ne trouva pas.
— Tu vois ce que je veux dire ? reprit sa mère d’un ton accusateur. Tu ne sors plus jamais avec
tes amis car tu es contrainte désormais de garder tes week-ends libres, au cas où ton Seigneur et
Maître daigne te rendre visite. Pour l’amour du ciel, Tara, crois-tu vraiment que ton séduisant amant
passe ses week-ends seul lorsqu’il n’est pas ici ?
A l’instant où elle vit le visage de sa fille blêmir, Joyce regretta de lui avoir parlé aussi
durement.
S’agrippant de toutes ses forces au comptoir de la cuisine, Tara lutta pour réprimer les spasmes
qu’elle sentait monter en elle.
— Tu ne sais pas de quoi tu parles, maman. Max ne ferait jamais une chose pareille.
— En es-tu sûre ? insista sa mère, d’une voix néanmoins plus douce. Il ne t’aime pas, Tara. En
tout cas, pas comme toi tu l’aimes.
— Bien sûr que si ! Et même si ce que tu dis était vrai, cela ne changerait en rien mes sentiments
pour lui.
C’était bien là une chose dont elle était certaine.
— Je ne le quitterais pour rien au monde, conclut-elle en mordant à pleines dents dans sa tartine
grillée.
— Il va te briser le cœur.
Tara laissa échapper un soupir las. Et si c’était vrai ? Elle ne pouvait le croire. Pas
délibérément, en tout cas. Max n’était pas comme ça. Le mariage n’était pas sa priorité pour l’heure,
c’était tout. Pas plus que les enfants, d’ailleurs. Il avait été clair là-dessus dès le départ. Il était bien
trop occupé pour envisager un seul instant de fonder une famille. Depuis l’accident cérébral de son
père, il avait l’entière responsabilité de l’entreprise familiale. Et la gestion d’une grande chaîne
hôtelière internationale était un travail de titan, surtout dans la situation actuelle de l’industrie du
tourisme, assez précaire. Max passait plus de la moitié de sa vie en avion. La seule chose qu’il
pouvait lui offrir en ce moment était un week-end occasionnel.
Certes, il lui avait donné l’occasion de le quitter, avant d’être trop impliquée, mais seulement
après l’avoir entraînée au lit et lui avoir fait découvrir un monde merveilleux qu’elle était loin
d’imaginer. Comment aurait-elle pu alors se séparer de lui ?
Tara se baissa pour jeter le reste de sa tartine, puis se redressa en soupirant.
— Si tu désapprouves ma relation avec Max à ce point, maman, je peux toujours déménager.
Son salaire à Whitmore Opals, augmenté de généreuses commissions mensuelles, lui permettait
en effet largement de louer un appartement. Dotée d’un excellent sens commercial et parlant
couramment le japonais, elle était vite devenue leur meilleure vendeuse. Une bonne partie des clients
de la boutique étaient des touristes et des hommes d’affaires japonais fortunés qui appréciaient d’être
servis par une jolie Australienne parlant leur langue.
— Pour aller où ? riposta sa mère. Au luxueux penthouse de ton amant ? Je doute qu’il apprécie.
Tu n’es la bienvenue là-bas qu’en sa présence.
— Qu’en sais-tu ? Tu ne le connais pas. Et je ne vois d’ailleurs pas comment cela pourrait être
autrement. Tu ne lui dis jamais plus de deux mots au téléphone et tu ne l’as jamais invité ici.
— Il ne viendrait sûrement pas, marmonna sa mère. Cette maison n’est pas assez belle pour un
homme habitué à vivre au dernier étage d’un des plus somptueux hôtels de Sydney et dont les parents
habitent une belle demeure sur front de mer à Point Piper — demeure où il ne t’a jamais amenée,
puis-je te le rappeler ? As-tu remarqué, Tara ? Tu n’es pas digne d’être présentée à ses parents. Tu
dois rester son petit secret. Tu es ce qu’on appelle une « femme entretenue ».
Tara en eut assez.
— Tout d’abord, il n’y a rien de sale dans notre relation. Nous nous aimons et Max me traite
comme une princesse. Ensuite, il ne me considère aucunement comme un secret peu reluisant. Nous
sortons souvent en public, comme tu le sais très bien. Tu étais d’ailleurs très fière de montrer à tes
amies les photos dans les journaux, si mes souvenirs sont bons.
— Ça, c’était quand je pensais que votre relation amoureuse se conclurait par un mariage. Mais
il n’y a pas eu de photos récemment dans les journaux, j’ai remarqué. Il préfère à n’en pas douter te
garder au lit !
Tara serra les dents pour ne pas dire des choses qu’elle regretterait par la suite. Elle adorait sa
mère et comprenait son inquiétude, mais la vie moderne était très compliquée quand il s’agissait de
relations amoureuses. Les choses n’étaient pas aussi simples qu’à l’époque de Joyce.
Toutefois, il était désormais temps pour elle de trouver un autre logement. Elle ne se voyait pas
prendre sans cesse la défense de Max. Cela envenimerait sa relation avec sa mère. De fait, elle
n’aurait jamais dû revenir à la maison après son retour de Tokyo. Ses deux années passées à
l’étranger lui avaient appris à voler de ses propres ailes et elle aurait dû poursuivre sur sa lancée.
Mais lorsque, à son retour, Joyce était venue l’accueillir à l’aéroport, elle n’avait pas eu le cœur de
lui annoncer son désir d’émancipation. Et force lui était de reconnaître que dormir dans son ancienne
chambre et goûter la bonne cuisine de sa mère avait été assez plaisant.
Mais entre-temps elle avait rencontré Max et était tombée follement amoureuse de lui.
Les choses étaient désormais différentes.
Si elle quittait la maison, sa mère se sentirait très seule. Combien de fois celle-ci lui avait-elle
dit qu’elle se réjouissait de sa compagnie ? De plus, l’argent que Tara lui octroyait pour le gîte et le
couvert lui rendait la vie plus facile, sa pension de veuve étant assez minime.
Tara soupira. La culpabilité la rongeait, ajoutant à sa détresse. Seigneur, qu’était-elle censée
faire ?
Elle en discuterait avec Max. Il était particulièrement doué pour résoudre les problèmes et
prendre des décisions. C’était son métier, après tout.
De fait, Max était un homme assez autoritaire, devait-elle reconnaître. Buté et rancunier, de
surcroît. Très rancunier, même.
— Ecoute, maman, Max a ses raisons pour ne pas me présenter à ses parents, commença-t-elle.
Cela n’a rien à voir avec notre différence sociale. Son père est lui-même né de parents ouvriers, mais
il…
Tara se tut. Max n’apprécierait sûrement pas qu’elle révèle ses douloureux secrets familiaux,
même à sa mère.
— Laissons cela pour l’instant, soupira-t-elle. Je n’ai pas la force de me disputer avec toi
aujourd’hui à propos de Max.
En voyant l’expression du visage de Joyce se muer en inquiétude, elle regretta ses paroles à
l’instant même où elle les prononçait. Sa mère était d’un naturel inquiet, surtout en matière de santé.
— J’ai cru t’entendre vomir tout à l’heure, dit-elle.
— Ce n’est rien. Une simple gastro. Je l’ai sans doute attrapée chez Jen la semaine dernière. Je
me sens déjà mieux.
— Es-tu certaine que ce soit cela ?
— Eh bien, je ne pense pas être atteinte d’un mal effroyable. Tu devrais cesser de regarder ces
sites internet consacrés à la santé. Tu deviens hypocondriaque.
— Je me demandais simplement si tu pouvais être enceinte, riposta Joyce.
— Enceinte ? s’exclama Tara, abasourdie. Vraiment, maman ! Non, sûrement pas.
Elle avait eu ses règles peu après le départ de Max, donc à moins d’un miracle elle ne pouvait
pas être enceinte ! En outre, s’il y avait une chose qui l’obsédait, c’était bien les méthodes de
contraception. Un bébé était la dernière chose qu’elle voulait en ce moment. Tout comme Max,
d’ailleurs.
Quand ils étaient devenus amants, Max avait déclaré être un adepte des préservatifs, mais
lorsqu’une nuit le préservatif s’était rompu, leur occasionnant quinze jours d’angoisse, Tara avait pris
les choses en main. Elle avait programmé son portable afin qu’il sonne tous les jours à la même
heure, lui rappelant ainsi de prendre sa pilule — sans oublier de laisser une boîte de rechange dans
l’appartement de Max au cas où elle oublierait la sienne chez elle. La propension de sa mère à
toujours s’attendre au pire avait déteint sur sa fille.
— Il n’existe pas de contraception sûre à cent pour cent, persista Joyce. Sauf l’abstinence.
Tara se retint de lui dire que cette solution était exclue.
— Je dois y aller. Le prochain train part dans dix minutes.
— Quand seras-tu de retour ? demanda Joyce comme elle sortait à la hâte de la cuisine. Mais
peut-être ne le sais-tu pas ?
Tara s’arrêta, interloquée. Sa mère avait raison ; elle l’ignorait. Max entrait et sortait de sa vie
en trombe, souvent sans même un mot d’explication. Il s’attendait à ce qu’elle comprenne à quel point
il était occupé — ce qui était en général le cas.
— Je te préviendrai, maman, marmonna-t-elle. Au revoir.
Là-dessus, elle saisit son sac et s’éclipsa.
2.

La montre de Tara indiquait 15 h 30 lorsqu’elle gara l’élégante Mercedes argentée de Max sur
une place disponible et coupa le moteur. Deux secondes plus tard, elle traversait en courant le
parking baigné de soleil, se maudissant de porter des talons aiguilles au lieu de ses habituelles
sandalettes. Ils étaient certes sexy, mais il était impossible de courir avec, comme elle s’en était
rendu compte en se rendant à la gare.
Rater son train l’avait fait hésiter. Que devait-elle faire ? En effet, prendre un taxi lui coûterait
une fortune et sa mère lui avait inculqué le sens de la parcimonie. Même si elle pouvait aisément
s’acquitter du montant de la course, elle ne put s’y résoudre, d’autant qu’elle économisait pour payer
ses frais d’inscription à l’université.
Elle avait un instant caressé l’idée de se servir de la carte bancaire que Max lui avait donnée et
qu’elle utilisait de temps en temps pour s’acheter des vêtements. Mais seulement lorsqu’il insistait.
La plupart du temps, il s’agissait de tenues de soirée et de lingerie fine qu’elle rangeait dans la
penderie de l’appartement de Max.
Jusqu’à présent, elle n’avait jamais utilisé la carte pour son usage personnel et lorsqu’elle se
demanda si, pour une fois, elle ne dérogerait pas à la règle les accusations de sa mère lui revinrent
aussitôt à la mémoire, lui dictant sa conduite. Elle aurait peut-être cédé à la tentation si elle avait
toujours eu des nausées, mais fort heureusement ses haut-le-cœur avaient enfin cessé de la tourmenter.
Elle s’était donc acheté de quoi manger et avait attendu le train suivant. Et maintenant, elle était en
retard.
Le cœur battant la chamade, Tara accéléra le pas, ses talons aiguilles cliquetant sur le chemin
cimenté. Avec un peu de chance, l’avion de Max n’était peut-être pas encore arrivé. Elle ne voulait
surtout pas qu’il pense qu’elle ne tenait pas assez à lui pour être à l’heure. Enfin, les avions
atterrissaient rarement à l’heure. Sauf si on voulait qu’ils le soient ! C’étaient là les petites
contrariétés de la vie…
Parvenue enfin dans le terminal des arrivées, Tara scruta les écrans d’information et gémit
intérieurement lorsqu’elle vit que l’avion de Max avait bel et bien atterri à l’heure. Les passagers
étaient attendus à la porte B.
Il n’avait tout de même pas déjà passé la douane ? Elle pressa de nouveau le pas, sa progression
gênée par les passagers qu’elle s’efforçait d’éviter. Et pour ne pas arranger les choses, la porte B
était située à l’autre extrémité du terminal.
La plupart des hommes qu’elle dépassait se retournaient sur son passage, mais Tara y était
habituée. Les jolies blondes à la longue chevelure ondulante et aux jambes interminables attiraient
immanquablement l’attention masculine.
Cela dit, son jean slim blanc était particulièrement moulant, devait-elle reconnaître. Elle s’était
un peu laissée aller ces derniers temps et avait pris quelques kilos.
De plus, elle ne portait pas de soutien-gorge et l’excitation aurait été à son comble si elle avait
mis un petit haut ou même un simple T-shirt. Dieu merci, elle avait opté ce jour-là pour un chemisier
rose, d’une discrétion exemplaire.
Dans sa vie quotidienne, Tara portait toujours un soutien-gorge, mais Max préférait qu’elle s’en
abstienne, comme il le lui avait avoué une nuit, peu après le début de leur relation. Désireuse de lui
plaire, elle avait pris l’habitude d’accéder à sa requête lorsqu’elle était avec lui.
Mais avec le temps Tara avait remarqué les regards concupiscents que les hommes lui
adressaient quand Max et elle sortaient. Et elle avait détesté cela.
Après en avoir discuté avec lui, ils avaient trouvé un compromis : elle ne mettrait pas de
soutien-gorge, mais ne s’habillerait pas non plus de façon trop suggestive. Elle choisissait donc des
robes du soir dont les corsages ajustés étaient parés de perles, et durant la journée elle portait des
robes et des vestes cintrées pour ses tenues habillées, et des chemisiers plutôt que des petits hauts
pour les moments décontractés. Elle aimait l’idée de garder ses seins nus pour son amant seulement.
A la simple pensée de Max caressant sa poitrine, elle sentit ses mamelons durcir. Mais elle
allait devoir attendre qu’ils soient seuls dans l’appartement de Max pour avoir ce plaisir. En effet,
même si son amant semblait apprécier de la voir dévoiler ses charmes en public, il n’était pas homme
à exprimer sa tendresse ailleurs qu’au lit. Même par un simple baiser.
La première fois qu’il était rentré après une longue absence, elle l’avait serré dans ses bras et
embrassé à pleine bouche. Lorsqu’elle s’était enfin détachée de lui, il avait semblé gêné. Il lui avait
expliqué plus tard qu’il trouvait les gestes de tendresse en public déplacés et qu’il lui saurait gré à
l’avenir de s’en abstenir. En revanche, elle pouvait se montrer aussi sensuelle et séductrice qu’elle le
désirait en privé, avait-il précisé.
Mais Tara, profondément blessée dans son amour-propre d’avoir été repoussée, n’avait plus
jamais fait le premier pas. Elle laissait ce soin à Max.
Non qu’elle ait jamais eu à attendre longtemps. Dans l’intimité, Max se révélait un amant au
sang chaud et souvent insatiable. Ces visites avaient peut-être été plus courtes et moins fréquentes au
cours des derniers mois — comme l’avait souligné sa mère — mais lorsqu’il était là il se consacrait
entièrement à elle. De fait, ils passaient le plus clair de leur temps au lit.
Joyce y verrait à n’en pas douter la preuve irréfutable qu’elle n’était qu’un objet sexuel aux yeux
de Max. Une femme entretenue. Une maîtresse.
Mais sa mère n’était pas là lorsque Max la prenait dans ses bras. Elle ne voyait pas le regard
tendre qu’il posait sur elle, ne sentait pas la douceur de ses caresses, ni le tremblement incoercible
qui saisissait son corps chaque fois qu’il lui faisait l’amour.
Max l’aimait. Elle en était certaine.
Et s’il ne voulait pas l’épouser maintenant, c’était parce que l’instant était mal choisi et non pas
par manque d’amour. Max n’avait jamais dit qu’il était contre le mariage.
Et comme elle l’avait dit à sa mère, elle non plus n’était pas pressée de se marier. Ce qui
l’intéressait pour le moment était d’atteindre le plus vite possible la porte B, trouver Max et le
ramener à l’hôtel.
La chance devait être avec elle car à peine venait-elle de s’arrêter, à bout de souffle, devant la
porte d’arrivée qu’elle vit son amant apparaître. Il marchait d’un pas vif, tenant d’une main son
ordinateur portable et tirant de l’autre une valise.
Il n’était sans doute guère différent des autres hommes d’affaires présents à l’aéroport ce jour-
là. Peut-être plus grand. Plus large d’épaules. Plus séduisant, aussi.
Mais sa simple vue fit battre son cœur plus vite et bouillir le sang dans ses veines. Animée
d’une joie ineffable, elle avait l’impression de renaître à la vie — une chose que sa mère ne
comprendrait jamais.
Certes, le charme discret de Max et ses tenues classiques n’attiraient pas forcément l’attention
des jeunes femmes de vingt-quatre ans, admettait Tara. D’ailleurs, elle-même le voyait rarement vêtu
autrement qu’en costume-cravate. Celui d’aujourd’hui était gris anthracite, associé à une chemise
blanche et à une cravate bleue rayée.
Mais Tara aimait l’image de stabilité et de sécurité que lui donnaient ses tenues
conventionnelles. Elle aimait le pouvoir et la prestance que Max dégageait. Et, surtout, elle aimait ses
traits virils.
Elle n’avait jamais jusqu’à présent analysé ses traits. C’étaient plutôt son aspect général et sa
prestance naturelle qui lui avaient initialement coupé le souffle et n’avaient jamais cessé de la
captiver depuis lors. Mais tandis que Max continuait à avancer sans avoir encore capté son regard
elle le détailla de façon plus objective que d’habitude.
Il était très séduisant, conclut-elle. Pas un top model, mais pas non plus un diamant brut. Viril et
ténébreux, Max avait des traits réguliers, une épaisse chevelure châtain foncé coupée court et une raie
de côté. Une mâchoire volontaire, un nez long et droit et d’immenses yeux bleus surmontés de
sourcils épais lui conféraient un air altier. Sa bouche, malgré des lèvres pleines et sensuelles, n’avait
rien de féminin et un pli sévère lui donnait un air intransigeant.
Max n’était pas homme à sourire. Ses lèvres demeuraient la plupart du temps résolument
fermées et son regard bleu pénétrant brillait d’une dureté que Tara trouvait sexy mais qui pouvait
paraître intimidante, reconnaissait-elle. Elle l’avait d’ailleurs entendu à plusieurs reprises dicter sa
loi au téléphone, et son ton était glacial.
Il ne se montrait jamais vraiment irrité avec elle. Les seules fois où il lui avait témoigné un
léger agacement avaient été lorsqu’elle l’avait embrassé en public et lorsqu’elle avait refusé qu’il lui
achète une voiture. Mais c’était tout.
Et Tara savait qu’à l’instant même où il l’apercevrait il lui sourirait.
Et soudain, le moment qu’elle attendait avec impatience arriva. Un lent sourire adoucit les traits
sévères de Max, tandis qu’une lueur de tendresse illuminait son regard, et elle dut se retenir pour ne
pas se jeter dans ses bras. Au lieu de cela elle attendit, tout sourires, qu’il s’avance vers elle.
— Pendant quelques secondes, j’ai cru que tu n’étais pas là, murmura-t-il lorsqu’il fut enfin face
à elle.
— Cela a failli arriver, avoua-t-elle. J’étais très en retard. Tu aurais dû me voir traverser le
parking en courant avec ces chaussures aux pieds !
Il baissa les yeux sur ses talons aiguilles, puis la détailla lentement des pieds à la tête. Lorsque
son regard atteignit enfin ses lèvres, Tara sentit une onde de chaleur courir dans ses veines.
— Es-tu sûre que ce sont les chaussures qui sont responsables de ton retard ? La faute n’en
incombe-t-elle pas plutôt à ce pantalon moulant ? Comment diable as-tu réussi à enfiler un truc
pareil ? Tu l’as cousu sur toi ?
— Le tissu est extensible.
Les yeux de Max brillaient de cette façon sexy qu’elle adorait.
— Ouf ! Je me voyais déjà passer la moitié de la nuit à essayer de te le retirer. Tu sais, tu ne
devrais pas t’habiller de cette façon, alors qu’on ne s’est pas vus depuis plusieurs semaines. Cela me
met dans des états inimaginables…
— Je croyais que tu aimais au contraire que je m’habille de façon sexy, riposta-t-elle, vexée
qu’il ne s’enquière pas de la raison de son retard.
Peut-être qu’il ne s’en souciait pas. Qui sait ?
— Cela dépend de la durée de mon absence. Enfin, grâce au ciel, tu as mis un soutien-gorge.
— Mais non, je n’en ai pas mis !
Il fixa ostensiblement sa poitrine avant de lever les yeux et de croiser son regard.
— J’aurais préféré que tu ne me le dises pas, marmonna-t-il.
Elle leva les yeux au ciel.
— N’y a-t-il pas moyen de te faire plaisir aujourd’hui ?
— Tu me fais tout le temps plaisir, répondit-il d’une voix rauque, avant de poser son ordinateur
portable sur le sol et de caresser sa joue du bout des doigts.
Si son geste ne la surprit pas outre mesure, ce qu’il fit ensuite la laissa sans voix.
Il posa la main sur sa nuque et l’attira à lui. Puis, il referma la bouche sur la sienne avec fougue
et l’embrassa jusqu’à ce qu’elle se retrouve pantelante de désir et surtout rouge de honte, car les gens
les dévisageaient.
— Max ! protesta-t-elle lorsque son amant glissa la main sous son chemisier et lui caressa le
sein droit.
— Cela t’apprendra à t’habiller de façon aguicheuse.
Devant son air ahuri, il éclata de rire.
— Petite hypocrite ! Tu t’es habillée ainsi pour m’allumer, n’est-ce pas ? Et ensuite, tu fais
semblant d’être choquée par ma réaction… ? Allez, donne-moi les clés et prends ça, dit-il en lui
tendant son ordinateur portable. Il me faut une main libre pour te garder dans le droit chemin !
L’esprit en tumulte et les joues en feu, Tara se laissa guider vers la sortie, la main de Max
fermement posée sur le bas de son dos. Toutes les fois où elle était allée chercher Max à l’aéroport,
pas une seule fois il ne lui avait fait comprendre, comme à l’instant, que seul le sexe importait à ses
yeux. Ce changement d’attitude la mettait mal à l’aise. Se pourrait-il que sa mère ait eu raison ?
N’était-elle pour lui qu’un objet sexuel ?
Aucun des deux ne pipa mot avant que Max ait rangé ses affaires dans le coffre de la Mercedes.
— Quinze minutes, déclara-t-il en se tournant vers elle.
— Quoi ? s’exclama Tara, interloquée.
— Quinze minutes, répéta-t-il. C’est le temps que cela prendra pour que nous soyons enfin
seuls. Je soupçonne que ce seront les quinze minutes les plus longues de ma vie.
Son regard erra sur son corps avant de se poser une fois de plus sur sa bouche.
— Si je t’embrasse encore, je ne pourrai plus me retenir. Je te prendrai là, sur le siège arrière
de la voiture.
Tara retint son souffle. Elle n’était pas sûre d’aimer le nouveau comportement de Max, même si
à vrai dire elle ne voyait aucun inconvénient à ce qu’il lui fasse l’amour sur le siège arrière de la
voiture. D’ailleurs, elle avait le vertige rien que d’y penser.
A ce moment-là, deux hommes passèrent devant elle et l’un d’entre eux la dévisagea sans
vergogne avant de lui souffler un baiser sensuel. Lorsqu’il se tourna vers son copain et lui chuchota
quelque chose qui les fit rire tous les deux, Tara se recroquevilla sur elle-même.
— Alors, ne m’embrasse pas, rétorqua-t-elle sèchement.
Max, qui n’avait pas vu cet échange, secoua la tête.
— Tu continues à minauder ? Tu ne m’as pas habitué à ça, Tara. Qu’est-il donc arrivé à la douce
et innocente vierge que j’ai rencontrée il y a un an ?
— Elle couche avec toi depuis un an ! riposta-t-elle, blessée qu’il la rende seule responsable de
ce changement d’attitude.
Les prunelles de Max s’assombrirent.
— Il me semble détecter un certain degré d’insatisfaction dans ces paroles. Est-ce la raison
pour laquelle tu es arrivée en retard ? Peut-être hésitais-tu même à venir me chercher ?
— Je suis ravie que tu t’inquiètes enfin de la raison de mon retard, railla-t-elle. Pour ta
gouverne, je me suis disputée avec ma mère et j’ai ensuite raté mon train.
Avait-il l’air soulagé ? Tara n’en était pas certaine. Max était un homme indéchiffrable.
— Quel était le sujet de votre dispute ?
— Toi.
— Moi ? fit-il, l’air surpris. Comment ça ?
— Ma mère pense que tu te sers de moi.
— Et toi, qu’en penses-tu ?
— Je lui ai dit que tu m’aimais.
— C’est le cas.
Le cœur de Tara fit un bond dans sa poitrine. Etait-ce vrai ? Max l’aimait-il vraiment ?
— Si tu m’aimais vraiment, tu ne parlerais pas de me prendre sur le siège arrière d’une voiture,
fit-elle remarquer.
Il la dévisagea d’un air interloqué, puis fronça les sourcils.
— Je sais ce que tu penses, mais tu te trompes. Et moi aussi, je me suis trompé. Tu n’es pas une
allumeuse, ni une hypocrite. Tu n’as pas changé. Tu es toujours l’incurable romantique que tu as
toujours été. Et c’est ce que j’aime en toi. Allez, princesse. Rentrons vite à l’hôtel où nous pourrons
plonger dans l’immense lit à baldaquin et faire l’amour tout le week-end.
— Restes-tu tout le week-end cette fois, Max ? s’enquit-elle, pleine d’espoir.
— Hélas, non. Je dois repartir pour Hong Kong demain en début d’après-midi. Désolé, ajouta-t-
il, à la vue de son visage défait, mais les choses ne font qu’empirer là-bas. Je me demande d’ailleurs
où tout cela va nous mener. Enfin, ce n’est pas ton problème.
— Mais j’aime bien quand tu me parles de tes soucis professionnels, assura Tara en posant la
main sur son bras.
L’espace d’un instant il se raidit, puis il saisit sa main et déposa un baiser sur le bout de ses
doigts, la faisant frissonner.
— Je ne suis pas venu ici pour parler de mon travail, Tara, murmura-t-il, mais pour me détendre
quelques heures. Avec ma ravissante petite amie.
Tara lui adressa un sourire radieux.
— Tu m’as appelée ta « petite amie ».
Max eut l’air perplexe.
— Eh bien, c’est ce que tu es, non ?
— Oui… Enfin j’espère, murmura-t-elle.
Se détournant, elle se dépêcha de faire le tour de la voiture. Elle sentait l’attention de Max fixée
sur elle comme elle s’installait sur le siège avant, mais elle n’osa pas lever les yeux de peur de se
méprendre sur son regard ardent. C’était déjà bien qu’il ait déclaré son amour pour elle. Inutile de
forcer le destin. Certes, il la désirait. Tout comme elle, d’ailleurs.
Mais il ne te donnera jamais ce que tu veux.
Bien sûr que si ! tenta-t-elle de se raisonner, tandis que la voiture filait vers Sydney. Jusqu’à son
départ pour l’aéroport demain, Max serait tout à elle. Il lui ferait don de sa présence, de son amour et
de son corps. C’était tout ce qu’elle désirait pour le moment. Surtout son corps.
Elle s’imaginait déjà allongée au lit avec lui, le cœur en émoi à la seule pensée de ses caresses
affriolantes, de la façon dont il la ferait fondre par un simple effleurement du doigt. Elle adorait
lorsqu’il jouait sans fin avec ses sens, l’amenant encore et encore au bord de l’orgasme, jouant avec
son impatience avec une dextérité implacable, jusqu’à ce qu’il la pénètre, l’emplissant tout entière.
Le meilleur des moments était quand ils atteignaient l’extase ensemble et qu’elle le tenait serré
contre elle, sentant son pouls battre à l’unisson du sien.
La voiture s’enfonça dans le tunnel qui ralliait la capitale, l’obscurité enveloppante rendant plus
tangible encore la présence de l’homme assis à son côté. Elle jeta un regard oblique à son profil
sévère puis à ses mains posées sur le volant.
A la pensée de leurs ébats imminents, elle sentit la chaleur monter en elle. Lorsqu’elle ne put
retenir un petit soupir, Max tourna la tête vers elle.
— A quoi penses-tu ?
Comme elle rougissait, il éclata de rire.
— Moi aussi, avoua-t-il. Mais nous sommes presque arrivés. Nous n’avons pas longtemps à
attendre.
3.

L’hôtel Regency — récemment rebaptisé par Max le Regency Royale — était situé dans le
centre-ville, non loin de Circular Quay. Il était considéré comme l’un des hôtels les plus chic de
Sydney, et son décor l’était tout autant. En pénétrant dans la réception du Regency Royale, on avait
l’impression de remonter dans le temps. En effet, ses boiseries, ses canapés recouverts de velours et
ses immenses chandeliers en cristal lui conféraient un charme désuet.
L’arcade qui reliait l’entrée de l’hôtel à la réception était tout aussi somptueuse et rappelait la
vieille Angleterre, avec son sol carrelé et son dôme en vitrail, tout comme ses élégantes boutiques et
ses bars.
Max avait été aussitôt subjugué par le charme suranné de l’hôtel et s’était empressé de
l’acquérir. Sa chaîne hôtelière se spécialisait dans le style ancien car selon lui le style moderne se
démodait invariablement. Histoire et grandeur étaient ce qu’il recherchait et Tara ne pouvait que lui
donner raison. De tous les hôtels de Sydney, le Regency se distinguait par son style et son excellent
service. Mais c’était surtout l’aspect du lieu qui captivait les clients. Le jour où elle était venue
passer son entretien d’embauche chez Whitmore Opals, dix-huit mois auparavant, elle avait consacré
une bonne partie de son temps à se promener dans l’hôtel, à la fois éblouie et admirative.
Aujourd’hui cependant, tandis que Max la guidait le long de l’arcade et devant son lieu de
travail, elle ne pensait pas à l’hôtel. Son attention était entièrement tournée vers l’homme dont la
main enserrait son coude et l’état de désir presque désespéré auquel il l’avait réduite.
Pas une seule fois depuis qu’ils se connaissaient elle n’avait ressenti avec une telle intensité le
besoin de faire l’amour avec lui.
— Bonjour, monsieur Richmond, lui dit un gardien de sécurité qui arrivait à leur hauteur.
— Bonjour, Jack, répondit Max, s’arrêtant même pour parler avec l’homme, tandis qu’elle
rongeait son frein.
La conversation ne dura sans doute que quelques secondes mais cela lui sembla une éternité.
— Ravi de vous revoir, monsieur Richmond, l’interpella un autre employé.
— Moi aussi.
Cette fois, heureusement, Max ne s’arrêta pas. Et Tara réprima un soupir de soulagement
lorsqu’elle vit qu’il se dirigeait tout droit vers les ascenseurs en évitant la réception. Non qu’il ait eu
besoin de réserver une chambre, il était le propriétaire, après tout ! Mais Max aimait être tenu
informé de ce qui se passait dans l’hôtel. D’habitude, dès son arrivée, il s’y arrêtait brièvement.
Jusqu’à présent, Tara n’avait jamais vu d’inconvénient à ce qu’il discute avec ses employés.
Elle avait toujours jugé admirable que Max connaisse le nom de chacun d’entre eux, du voiturier au
directeur. Mais aujourd’hui, cela l’irritait passablement.
L’alcôve où se situaient les ascenseurs n’était pas vide. Un homme dans la quarantaine et sa
femme attendaient l’ascenseur. Ils n’avaient pas l’air de touristes, pas plus qu’ils ne semblaient faire
partie de l’élite de Sydney. Leurs vêtements trahissaient plutôt une origine modeste. Peut-être
séjournaient-ils dans l’hôtel le plus chic de Sydney pour célébrer un événement spécial ?
— Plus jamais je ne séjournerai dans cet hôtel ! marmonna l’homme. Je partirais tout de suite si
je ne craignais pas de perdre mon acompte. Quand je pense que cette fille a osé prétendre que je
n’avais pas réservé de chambre avec vue sur la baie ! Comme si je n’allais pas réserver la meilleure
chambre pour nos noces d’argent.
— Peu importe, Tom, dit sa femme qui tentait de l’apaiser. Je suis sûre que toutes les chambres
ici sont splendides.
— Le problème n’est pas là. C’est une question de principe. Et cette réceptionniste était très
impolie, j’ai trouvé.
— Pas vraiment, murmura sa femme en jetant un regard inquiet vers Max et Tara. Il y a eu
confusion, c’est tout. Ces choses-là arrivent. Ce n’est pas grave, essayons de ne pas laisser cet
incident gâcher notre nuit d’amour…
Tara réprima un soupir lorsque Max raffermit sa pression sur son bras. Levant les yeux, elle vit
à son expression tendue qu’il comptait remédier à la situation.
— Excusez-moi, monsieur, dit-il au moment où les portes de l’ascenseur s’ouvraient. Je n’ai pu
m’empêcher d’entendre votre conversation. Je suis Max Richmond, le propriétaire de l’hôtel. Si vous
voulez bien m’accompagner à la réception, je vais arranger ça.
— Max ! protesta Tara faiblement.
— Vas-y, ma chérie, je te rejoins dès que possible. Enfile une tenue plus confortable, ajouta-t-il
en déposant un baiser sur sa joue.
Luttant pour réprimer sa déception, Tara le regarda guider le couple médusé vers la réception.
Certes, elle comprenait son geste. Il ne pouvait agir autrement. Pas son Max. N’avait-elle pas dit à sa
mère quel homme prévenant il était ?
Mais était-il vraiment obligé d’être gentil maintenant ? Elle aurait préféré qu’il se montre
égoïste, pour une fois.
De nouveau, Tara fut stupéfaite de l’intensité de son désir, de son envie soudaine qu’il lui fasse
l’amour de façon un peu plus brutale que d’habitude. Peut-être que Max avait raison, en fin de
compte ? Peut-être que sa tenue aguicheuse n’était pas si innocente que cela ? Pourtant, ses vêtements
n’étaient pas si différents de ceux qu’elle portait d’habitude. Le changement semblait venir du plus
profond d’elle-même.
Elle était plus consciente de son corps, aujourd’hui. Ses seins et mamelons étaient plus
sensibles que d’habitude et elle n’aspirait qu’à une chose : sentir Max les caresser, les lécher, les
embrasser…
Agitée, elle sortit sa carte magnétique de son sac et entra à la hâte dans l’ascenseur de peur que
quelqu’un d’autre n’y pénètre avec elle. Elle voulait être seule avec ses frustrations et ses
interrogations.
Perdue dans ses réflexions, elle leva soudain la tête et aperçut son reflet dans les parois en
miroir. Etait-ce vraiment elle, cette créature échevelée aux yeux écarquillés et aux joues en feu ?
Secouant la tête, elle baissa les yeux pour ne plus avoir à affronter son reflet dans les miroirs
tout neufs. En effet, Max avait fait récemment rénover les ascenseurs pour qu’ils soient en harmonie
avec le reste de l’hôtel et le sol qu’elle fixait était désormais recouvert d’une épaisse moquette
rouge.
Sans même lever les yeux, Tara savait que le plafond brillait comme de l’or. Certes ce n’était
pas véritablement de l’or, mais l’effet restait saisissant. L’éclairage encastré et de minuscules
caméras de surveillance étaient les seules concessions faites au XXIe siècle.
Les exigences de sécurité étaient rigoureuses au Regency Royale, la liste des clients de l’hôtel
allant des pop stars aux présidents en passant parfois par des princes de sang. Il y avait même un
héliport sur le toit du bâtiment afin que les clients les plus fortunés puissent aller et venir en toute
tranquillité. Toutefois, Max ne tolérait que quelques rotations par semaine en raison d’une part des
restrictions formulées par les autorités locales et d’autre part parce qu’il ne supportait pas le
vacarme causé par les hélicoptères, son penthouse occupant tout le dernier étage de l’hôtel.
Tout était tranquille cependant lorsque les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur le vestibule qui
menait à la porte du vaste appartement. Tara se servit d’une autre carte pour ouvrir et entra. Le
silence était presque total, hormis le léger bourdonnement de la climatisation qui permettait de
conserver une température constante d’environ vingt-quatre degrés.
La température idéale pour faire l’amour, lui murmura une petite voix intérieure. Ou pour
déambuler nu dans l’appartement.
Cette dernière pensée la prit de court car s’il y avait bien une chose qu’elle ne faisait jamais
c’était de se promener dans le plus simple appareil. La perspective avait beau être séduisante, la
réalité la faisait frémir. Elle se sentirait mal à l’aise et affreusement gênée.
Mais pourquoi ?
Tara se savait séduisante. Et sans grand effort de sa part, devait-elle reconnaître. Dame Nature
avait simplement été généreuse envers elle. Max aurait sans doute voulu qu’elle se montre moins
timide, à en juger par le nombre de fois où il lui avait demandé de le rejoindre sous la douche… ce
qu’elle avait toujours refusé.
Ce week-end était peut-être l’occasion rêvée de surmonter ses réticences ? Elle doutait de se
sentir de nouveau aussi excitée qu’en ce moment. Elle avait hâte de caresser tout son corps et l’idée
de le savonner sous la douche n’était pas désagréable, juste un peu effrayante.
Elle frissonna. Inutile de penser à ça maintenant, se fustigea-t-elle. Elle avait des choses plus
urgentes à faire, comme allumer quelques lampes pour éclairer l’appartement d’une lumière tamisée.
Max adorait l’éclairage voilé que procuraient les lampes et bien qu’il fasse encore plein jour
dehors — le soleil ne se coucherait pas avant des heures — le penthouse était toujours dans la
pénombre, principalement en raison des larges avant-toits. De surcroît, l’agencement qui se voulait
en harmonie avec le reste de l’hôtel n’était pas moderne comme on aurait pu l’imaginer et il n’y avait
pas de séjour ouvert, ni de grandes baies vitrées offrant une vue panoramique.
Le décor datait de la même période : du papier peint tapissait les murs et une épaisse moquette
couvrait le sol. Des portes-fenêtres ouvraient sur les diverses terrasses et des épais rideaux de soie
pendaient aux fenêtres. Le mobilier ancien était recouvert de velours ou de brocart de couleurs vives.
On aurait dit une demeure edwardienne transplantée dans le ciel. L’appartement était d’ailleurs aussi
vaste qu’une demeure edwardienne avec ses immenses salons et sa salle à manger d’apparat, ses
quatre chambres, ses trois salles de bains, son bureau, sa bibliothèque, sa salle de billard, ainsi
qu’une immense cuisine, une buanderie et des pièces de service. L’ensemble de l’appartement était
d’un goût exquis et valait une véritable fortune.
Tara ne s’était pas rendu compte de la taille et de l’extravagance des lieux lors de sa première
nuit avec Max, tant elle était submergée d’émotion. Mais dès le lendemain matin elle s’était soudain
vue confrontée à l’immense fortune de son tout premier amant. D’abord ébahie, elle s’était vite
convaincue qu’un homme aussi fortuné ne voudrait d’elle que pour une nuit.
Mais Max avait passé le reste de cet incroyable week-end à la rassurer sur ce point. A l’époque,
elle n’avait pas été choquée le moins du monde qu’il lui prenne sa virginité seulement quelques
heures après avoir fait sa connaissance, se souvint-elle. Si elle n’était pas tombée follement
amoureuse de lui dès le premier instant, elle aurait été horrifiée par son comportement.
Elle avait bien sûr été ravie qu’il partage ses sentiments, et un an plus tard elle était là, avec sa
propre clé, en train de préparer un petit cocon douillet pour son bien-aimé comme toutes les femmes
amoureuses le faisaient depuis la nuit des temps. Si la pensée d’être plus une maîtresse qu’une petite
amie lui traversait parfois l’esprit, elle la refoulait aussitôt en se disant que les choses ne seraient pas
toujours ainsi. Max aurait plus de temps à lui accorder. Mais d’ici là elle comptait apprécier chaque
instant passé avec lui, cette partie intime de lui-même qu’elle seule connaissait.
Du moins l’espérait-elle…
Tout irait bien, se raisonna-t-elle. Joyce se trompait sur toute la ligne. Max n’était pas le genre
d’homme à se montrer infidèle. Elle devait vraiment empêcher sa mère de miner sa confiance en Max
ou de gâcher ce qui s’annonçait comme une nuit très prometteuse.
Redressant fièrement la tête, Tara pivota et longea le corridor à la moquette épaisse qui menait
aux quartiers privés de Max, douloureusement consciente que ces quelques minutes loin de son amant
n’avaient en rien émoussé son désir. Faire l’amour avec Max était la seule chose qu’elle avait à
l’esprit en ce moment, ce qui était loin d’être sa priorité d’habitude. Elle affectionnait de passer du
temps en compagnie de l’homme qu’elle aimait. Leurs ébats étaient certes merveilleux mais elle
considérait ces instants privilégiés davantage comme des bonus que comme une fin en soi.
Aujourd’hui cependant, son obsession était en passe de devenir une urgence !
Tout ça était la faute de Max, décida-t-elle, tandis qu’elle entrait dans sa chambre et commençait
à défaire les petits boutons en nacre de son chemisier. La façon dont il l’avait déshabillée du regard à
l’aéroport, ses remarques sur ses vêtements, son baiser torride et puis son idée de lui faire l’amour
sur le siège arrière de la voiture…
Tara ôta son chemisier et, d’un coup de pied, se débarrassa de ses chaussures. Ses chaussures
aguicheuses, se dit-elle en riant doucement. Elle se pencha pour les ramasser, puis se dirigea vers le
dressing où elle avait déposé son sac quelques instants auparavant. Une fois arrivée, elle retira son
jean et sa petite culotte et rangea son chemisier dans la penderie, avant de chercher parmi les tenues
qu’elle laissait là quelque chose de confortable à enfiler.
La remarque insidieuse de sa mère lui revint à la mémoire à la vue de toutes ces somptueuses
tenues griffées — tenues qu’elle avait portées lors des nombreuses soirées auxquelles Max l’avait
conviée pendant les premiers mois de leur relation : repas de fête chez d’éminents politiciens, galas
d’ouverture à l’opéra, bals, courses hippiques…
En réalité, elle avait protesté la première fois qu’il lui avait offert de lui acheter une robe de
grand couturier, mais il avait balayé ses objections d’un revers de la main.
Il avait les moyens, avait-il décrété. Mais son argument le plus convaincant avait été de lui dire
qu’il était heureux et fier de la voir dans une tenue digne de sa beauté.
Comment aurait-elle pu refuser ?
La lingerie fine faisait partie en revanche de ses cadeaux les plus récents, rapportés par Max de
ses fréquents voyages d’affaires à l’étranger. Elle avait des déshabillés provenant de Paris, de
Londres, de Rome et de New York.
A bien y réfléchir, c’étaient les seuls vêtements qu’elle semblait porter ces derniers temps. Max
et elle ne sortaient plus guère de l’appartement lorsqu’ils se retrouvaient pour un week-end en
amoureux. Ce soir ne ferait sans doute pas exception.
— Bien ! s’exclama-t-elle d’une voix vibrante d’excitation, tout en sélectionnant une nuisette en
satin vert qui mettait en valeur son teint d’albâtre et ses immenses yeux verts.
En revanche, elle laissa le déshabillé assorti sur le cintre. Inutile de trop se couvrir.
La nuisette sous le bras, elle se dirigea ensuite vers la salle de bains dans l’intention de prendre
une douche rapide avant le retour de Max, lorsqu’elle se souvint soudain qu’elle avait oublié de
poser sa boîte de pilules et son portable sur la table de nuit comme elle le faisait d’habitude.
Revenant rapidement sur ses pas, elle répara son oubli, avant de repousser le drap et de vérifier une
dernière fois que tout était fin prêt pour leur nuit d’amour.
Non que la chambre de Max ait besoin de quoi que ce soit pour améliorer son cadre romantique.
Tout dans la pièce était riche et sensuel. Le tapis était particulièrement moelleux, le papier peint
gaufré d’or était de couleur vive et chatoyante, contrastant avec l’élégant mobilier d’acajou sombre :
le lit à baldaquin, les tables de nuit et le tabouret assorti, sans oublier le miroir orientable et les deux
fauteuils qui occupaient un coin de la chambre.
Les tissus d’ameublement en brocart étaient aussi de couleur chaude et sensuelle avec leurs
motifs de fleurs de lis sur fond vert olive. Et pour couronner le tout, un immense chandelier en cristal
pendait du plafond, sans oublier les délicates lampes murales également en cristal dispersées autour
de la pièce.
Tara adorait lorsqu’il faisait sombre et que seules les lampes murales étaient allumées. La
chambre s’embrasait d’une lueur magique, romantique à souhait. C’était bien mieux que la lampe de
chevet qui éclairait le lit et leurs ébats d’une lumière beaucoup trop crue à son goût.
Le plus impressionnant était indubitablement le lit à baldaquin. Il était immense et doté d’une
tête sculptée de bois massif. Le baldaquin était assorti au tissu d’ameublement du reste de la pièce, et
des rideaux latéraux étaient tenus ouverts et fixés aux pieds par des cordons.
Tara passa négligemment le doigt sur un des cordons. Quel effet cela ferait-il d’être au lit avec
Max, les rideaux tirés ? se demanda-t-elle.
— A quoi penses-tu ?
Tara pivota et découvrit Max sur le seuil de la chambre, la dévisageant d’un regard ardent.
— Je… je ne t’avais pas entendu entrer, balbutia-t-elle en cherchant désespérément à dissimuler
sa poitrine de ses mains.
Poussant un soupir d’exaspération, Max entra dans la chambre, une expression sombre sur le
visage.
— Ne crois-tu pas qu’on a dépassé ce stade, Tara ? Je sais à quoi tu ressembles quand tu es nue.
Qui plus est, tu dois certainement savoir que j’adorerais te voir te promener nue devant moi, conclut-
il en retirant sa veste qu’il jeta sur la chaise la plus proche.
Elle se contenta de le fixer, le cœur battant à se rompre et l’esprit en tumulte. Elle aussi aurait
aimé faire ça. Mais elle n’en avait tout simplement pas le courage.
— Et moi qui pensais qu’aujourd’hui tu avais enfin décidé de changer tes habitudes ! maugréa-t-
il en retirant d’un geste vif sa cravate, et que pour une fois on ne ferait pas l’amour sous les
couvertures et la lumière baissée. C’est bon, ajouta-t-il d’une voix lasse, comme elle demeurait figée
et silencieuse. Je comprends. Tu es timide. Même si je me demande bien pourquoi. Tu as un corps de
rêve et ce n’est pas comme si tu n’étais pas passionnée au lit.
Se détournant, il lança sa cravate sur sa veste, puis entreprit de défaire les boutons de sa
chemise.
— Couvre-toi, lança-t-il d’une voix cinglante. Si tu le dois.
Tara se précipita vers la salle de bains et, d’une main tremblante, enfila la nuisette verte,
honteuse de se sentir si soulagée. Lorsqu’elle revint dans la chambre, quelques instants plus tard,
Max était assis sur le bord du lit, en train de retirer ses chaussures et ses chaussettes. Sa chemise était
ouverte, mais il ne l’avait pas retirée.
Son cœur se serra. La croyait-il si effarouchée que cela ? Elle adorait pourtant son torse bien
découplé et ses pectoraux d’acier.
— As-tu… résolu le problème de ces gens ? s’enquit-elle d’une petite voix.
— Evidemment, répondit-il sans lever les yeux. Je leur ai proposé une des suites nuptiales, ainsi
qu’une chambre gratuite avec vue sur la baie pour leur prochain anniversaire de mariage.
— Oh, Max, comme c’était généreux de ta part ! Et très intelligent aussi. Cet homme aurait
critiqué l’hôtel pendant des années sans ton intervention. Maintenant, il ne fera que des commentaires
élogieux. Les gens adorent obtenir des choses gratuitement. C’est le cas pour moi. Je n’arrive jamais
à résister aux promotions du type « deux pour le prix d’un ».
— Vraiment ?
Il leva enfin les yeux mais son regard distant disait assez clairement que ses pensées étaient
ailleurs. Max faisait ça quelquefois, mais Tara se garda bien de lui demander à quoi il pensait.
C’était inutile, au demeurant. Il lui répondait invariablement la même chose : « Rien d’important. »
— Dans quelle suite nuptiale les as-tu installés ? demanda-t-elle à la place.
L’hôtel était réputé pour ses quatre suites nuptiales au nom évocateur. Les réservations
montraient que la suite appelée Mille et une nuits était l’une des plus populaires, suivie par celle
appelée Féerie aquatique, puis venait Palais sensuel et enfin Paradis tropical.
— Quoi ? Oh ! Palais sensuel, rétorqua-t-il d’un air absent. C’était la seule disponible ce soir.
M. Travis était aux anges, ce qui n’était pas le cas de sa femme, je dois dire. Elle semblait un peu mal
à l’aise. Peut-être est-elle du genre timide, elle aussi. Comme toi.
— Je ne suis pas si timide que ça, objecta-t-elle.
Max haussa un sourcil.
— Bon d’accord. Peut-être un peu, admit-elle.
Lorsqu’elle le vit se lever et défaire sa ceinture, elle écarquilla les yeux. Le voir se déshabiller
alors qu’il ne l’avait pas encore embrassée la perturbait. En même temps, elle voulait qu’il agisse
ainsi, qu’il prenne les choses en main en l’obligeant à s’enhardir.
— Pas de panique, railla-t-il. Je n’enlève plus rien. Je vais juste prendre une douche et à mon
retour je serai vêtu d’un peignoir. Pourquoi ne commanderais-tu pas quelque chose à grignoter en
attendant ? Je ne sais pas pour toi, mais moi je meurs de faim. Je n’ai rien mangé dans l’avion car je
me suis assoupi. J’ai réservé une table pour le dîner mais c’est dans longtemps.
— Nous sortons dîner ? demanda Tara, surprise.
— J’ai réservé au restaurant de l’hôtel. Cela te va ?
— Oh oui ! J’adore dîner au restaurant avec toi. C’est juste que… ces derniers temps, on prenait
tous nos repas dans la chambre.
— Oui, je sais et j’en suis désolé. C’était égoïste de ma part. Mais, comme je l’ai dit plus tôt, tu
es une femme différente au lit, alors j’essaye de t’y garder le plus longtemps possible.
Tara devint écarlate.
— Ne te moque pas de moi, Max.
Réprimant un soupir, il s’approcha d’elle et l’attira dans ses bras.
— Je ne me moque pas de toi, princesse. Jamais je ne ferais une chose pareille. Je t’aime
comme tu es.
— Embrasse-moi, Max, supplia-t-elle.
Il la fixa longuement.
— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, dit-il enfin. Pas pour le moment.
— Mais je ne peux pas attendre plus longtemps.
— Comment ça, tu ne peux pas attendre ? Quelle mouche te pique aujourd’hui, Tara ? Veux-tu
me punir de t’avoir délaissée ces derniers temps ?
— Je veux juste que tu m’embrasses. J’en ai besoin.
En maugréant, Max se pencha pour l’embrasser. D’abord lentement, puis avec une passion non
dissimulée, jusqu’à ce qu’elle se retrouve pantelante de désir et doive s’accrocher à lui pour ne pas
tomber. Lorsqu’il la souleva dans ses bras et la déposa un peu brutalement sur le lit, Tara ne protesta
pas, tout comme elle ne détourna pas les yeux quand il ôta à la hâte le reste de ses vêtements.
Elle voulait regarder, au contraire. Elle voulait voir son regard empreint de passion. Lorsqu’il
se tint nu devant elle, elle eut un instant le souffle coupé devant l’intensité de son désir.
Se penchant au-dessus d’elle, il baissa les bretelles et le haut de sa nuisette, révélant ses seins à
son regard.
Pendant ce qui lui sembla une éternité, il se contenta de la regarder puis, d’un geste vif, il lui ota
le vêtement et le laissa tomber au sol.
Il n’y eut aucun préliminaire. Pas de tendre baiser, ni de caresses langoureuses. Seulement du
sexe. A la limite de la brutalité.
Mais elle fut transportée par l’ivresse de sa passion primitive. Et de la sienne, aussi. En un rien
de temps elle parvint à la jouissance, bouleversée par l’intensité de son orgasme et en même temps
légèrement confuse.
Comme les derniers spasmes finissaient de s’estomper, elle se sentit épuisée, ses membres
soudain aussi lourds que ses paupières. Elle avait du mal à rester éveillée.
L’instant d’après elle sombra dans un sommeil abyssal.
4.

Max fixa Tara, une expression éberluée sur le visage.


Endormie ! Elle s’était endormie !
Ahuri, il secoua la tête. Tara ne s’endormait jamais après le sexe. De plus, elle avait
visiblement aimé sa façon quelque peu virile de lui faire l’amour ! Elle avait même adoré ! Et
ensuite, elle s’était endormie en un clin d’œil. Jamais il ne l’avait vue aussi paisible.
Un vif soulagement l’envahit à la pensée qu’il n’avait pas à être submergé de remords pour
s’être laissé emporter par la passion et pour ne pas avoir été l’amant tendre et attentionné auquel Tara
était habituée. En effet, garder le contrôle durant leurs ébats avait toujours été une gageure pour lui,
tant elle excitait sa passion.
Max pensait qu’il s’était plutôt bien débrouillé… jusqu’à aujourd’hui.
Si seulement elle n’était pas venue l’accueillir à l’aéroport, avec son jean ultra-moulant et ses
chaussures à talons vertigineux. Si seulement elle ne lui avait pas dit qu’elle ne portait pas de
soutien-gorge. Si seulement il ne l’avait pas embrassée… Et si seulement il ne s’était pas arrêté pour
regarder dans la vitrine de la joaillerie ce vendredi un an plus tôt, et n’avait pas aperçu Tara à
l’intérieur.
Sa relation avec Tara était ambiguë. Il avait été séduit par elle dès le premier regard, et
lorsqu’elle avait accepté de boire un verre avec lui dix minutes à peine après l’avoir rencontré il
avait été certain de passer une nuit torride. En raison de son énorme charge de travail et de ses
nombreux voyages d’affaires à l’étranger, sa vie sexuelle en était réduite à des aventures d’un soir
avec des femmes qui connaissaient les règles du jeu et s’en accommodaient, et Tara lui avait semblé
convenir parfaitement.
Mais la réalité s’était révélée bien différente. Et le fait de lui avoir annoncé d’une voix
tremblante qu’elle était vierge, avant même qu’il ait eu le temps de lui ôter son soutien-gorge, avait
certainement mis un frein à ses ambitions d’un soir. Son aveu l’avait certes choqué, mais aussi
littéralement envoûté. Qui aurait pu s’en douter ?
Ainsi averti, il avait pu réprimer ses pulsions et s’assurer que cette première expérience lui soit
agréable et non pas douloureuse.
Avec le recul, lui faire l’amour avait sans doute été une grave erreur de sa part. Il aurait dû
partir en courant. Mais il ne l’avait pas fait et cette première nuit avec elle lui avait donné l’envie de
poursuivre leur relation. Il était resté au lit avec elle tout le week-end, lui faisant l’amour comme
jamais auparavant. Tendrement, lentement. Et de manière désintéressée.
Hélas, Tara en était venue à attendre ce comportement de sa part. Max s’était vite rendu compte
que sous une apparence trompeuse — une bombe aux jambes interminables — se cachait une jeune
femme naïve et romantique.
A certains égards, Tara pouvait se montrer très mûre. Elle avait reçu une bonne éducation, avait
beaucoup lu et voyagé et savait certainement s’y prendre avec les gens — souriante, posée et
dégageant un charme fou.
Mais pour ce qui concernait le sexe, elle était aussi belle et fragile qu’une fleur de serre — du
moins c’est ce qu’il avait pensé jusqu’à maintenant.
Reculant d’un pas, il observa longuement son superbe corps inconscient, allongé dans l’abandon
le plus total. Si seulement elle pouvait s’offrir ainsi à son regard quand elle était éveillée…
Peut-être qu’aujourd’hui était un tournant dans leur vie sexuelle, songea-t-il, soudain excité à
cette perspective. Elle avait bien dit qu’elle n’était pas timide. Peut-être qu’elle manquait
d’assurance pour faire ce que bon lui semblait ? Elle avait simplement besoin d’être un peu
encouragée, et un monde nouveau et merveilleux s’ouvrirait à elle.
Jusqu’à aujourd’hui, Max s’était fait une raison et avait accepté bon gré mal gré le fait que Tara
ne soit pas la bombe sexuelle dont il avait rêvé. Elle avait d’autres atouts qui compensaient largement
ces défaillances.
Mais ce soir lui avait laissé entrevoir une lueur d’espoir. Les choses seraient peut-être
différentes à l’avenir.
Max sentit son cœur s’emballer à la simple perspective des jeux érotiques auxquels il imaginait
se livrer avec elle. Pas forcément une bonne idée quand Tara semblait être partie pour dormir
longtemps. Une douche froide serait sans doute la bienvenue.
Se levant en grimaçant, il souleva avec précaution le drap sur lequel Tara était allongée, fit
basculer doucement son corps, puis remonta la couverture jusqu’à ses épaules. Elle remua dans son
sommeil, mais ne se réveilla pas, son geste faisant néanmoins glisser le drap, révélant un sein.
Max se pencha et déposa un baiser sur son mamelon ainsi exposé, avant de pivoter et de se
diriger vers la salle de bains.
5.

— Quoi ?
Le mot jaillit des lèvres de Tara, tandis qu’elle se redressait d’un bond dans son lit. Clignant les
yeux, elle jeta un regard égaré autour d’elle avant de réaliser ce qui l’avait tirée si brutalement de son
sommeil.
C’était l’alarme de son portable, sonnant comme tous les soirs à 18 heures pour lui rappeler de
prendre sa pilule.
Dans un soupir, elle se pencha, saisit l’appareil et l’éteignit d’une pression de la main. Le
silence assourdissant qui s’ensuivit souligna l’absence de Max. Elle se demanda un bref instant ce
qu’il faisait, puis regretta d’avoir pensé à lui. Ce n’était vraiment pas le moment.
Elle prit sa boîte de contraceptifs sur la table de nuit, extirpa la pilule du jour et l’avala sans
prendre la peine de boire un verre d’eau. Le médecin l’avait prévenue qu’elle devait prendre sa
pilule tous les jours à peu près à la même heure pour éviter de tomber enceinte. Mais Tara la prenait
exactement à la même heure tous les jours.
Une fois cette corvée faite, elle repoussa le drap et se leva — mais pas avant d’avoir vérifié
que Max ne se cachait pas dans le couloir pour l’observer. Elle grimaça en sentant la moiteur entre
ses jambes.
Impossible de prétendre plus longtemps qu’elle ne se souvenait plus de ce qui s’était passé
avant qu’elle s’endorme. Pourquoi essayait-elle d’oublier, d’ailleurs ? songea-t-elle, agacée. Elle
n’avait rien à se reprocher, après tout. Pas plus que Max, en fait.
Il lui avait donc fait l’amour de manière plus brutale que d’habitude. La belle affaire ! Il n’avait
fait que lui donner ce qu’elle désirait inconsciemment depuis qu’il avait parlé de la prendre sur la
banquette arrière de la voiture. Et elle avait adoré ça !
Tout son corps frissonna à ce souvenir. Avait-elle jamais vécu une expérience aussi forte avec
Max auparavant ? Sûrement pas.
Elle fronça soudain les sourcils en voyant sa nuisette pliée sagement au pied du lit. Max avait dû
la ramasser pendant son sommeil, tout comme ses propres vêtements, maintenant drapés sur le
dossier d’une chaise.
Il ne s’était pas rhabillé, remarqua-t-elle soudain avec un pincement au cœur. Il devait être
quelque part dans l’appartement, vêtu de son seul peignoir.
Tara se hâta vers la salle de bains pour vérifier. Effectivement, le peignoir n’était plus à sa
place habituelle et les serviettes de bain étaient humides. Il avait dû prendre une douche pendant
qu’elle dormait.
Elle noua ses cheveux, puis entra dans la spacieuse cabine de douche parée de marbre. Elle ne
savait pas encore ce qu’elle allait faire après sa douche, mais une chose était sûre : son corps était
brûlant comme la braise, d’une température bien plus élevée que l’eau qui ruisselait sur son corps.
Elle ne resta pas longtemps sous la douche. Juste le temps de se frictionner et de se rincer. Elle
prit garde de ne pas se mouiller les cheveux. Pas question en effet de se montrer à Max les cheveux
mouillés ! Elle voulait apparaître sous son meilleur jour.
En fait non, corrigea-t-elle mentalement, tandis qu’elle se séchait et enfilait un déshabillé. Elle
voulait surtout être le plus sexy possible, et pousser Max à interrompre son travail pour l’entraîner au
lit. Tout de suite.
L’espace d’un instant, elle hésita à laisser le déshabillé ouvert, puis elle se ravisa. Ce serait un
peu trop vulgaire. Elle ferma donc les pans et noua la ceinture aussi serrée que d’habitude. Peut-être
même un peu plus pour mettre en valeur sa taille fine et sa généreuse poitrine.
Puis elle jeta un dernier regard dans l’immense miroir qui surplombait la double vasque. Un
autre jour ou à un autre moment, elle aurait pris le temps de se remaquiller. Il subsistait quelques
traces de son rouge à lèvres et son mascara avait coulé. Mais à vrai dire, elle aimait bien son
apparence quelque peu négligée. Elle aimait bien son chignon noué à la va-vite et dont quelques
mèches folles s’étaient échappées. Elle avait l’air d’une femme qui venait tout juste de sortir du lit de
son amant. Elle avait l’air… délurée.
Pivotant sur ses talons, Tara sortit enfin. Le couloir qui menait de la chambre principale au reste
de l’appartement semblait ne jamais devoir finir. Le temps qu’elle atteigne la salle à manger, elle ne
savait plus si elle était terrifiée ou au contraire surexcitée. Son cœur dansait la sarabande et sa
bouche était aussi sèche que le désert de Simpson.
Mais Max n’était pas là.
La déception la submergea, trahissant le désir incoercible qu’elle éprouvait pour lui.
Faisant brusquement demi-tour, elle se précipita vers le bureau de Max, son lieu de prédilection
lorsqu’il n’était pas au lit avec elle. Son bureau était en fait composé de deux pièces contiguës dont
les portes étaient toujours ouvertes. La première était une bibliothèque, une pièce indéniablement
masculine comme en témoignaient les murs tapissés de livres, l’immense bureau et les fauteuils en
cuir clouté dans lesquels il faisait bon lire. La deuxième était la salle de billard, meublée d’une
immense table de billard recouverte de feutrine verte, d’un bar et de tabourets, avec des portes-
fenêtres qui ouvraient sur la terrasse.
Excellent joueur, Max avait tenté d’en enseigner les rudiments à Tara dans les premiers temps de
leur relation, mais elle n’avait jamais été très douée et cela faisait une éternité maintenant qu’ils
n’avaient plus joué.
Tara n’avait aucune intention de lui suggérer de faire une partie aujourd’hui. Elle avait d’autres
activités en tête — pensée qui la choqua et l’émoustilla tout à la fois. Elle n’avait jamais jusqu’à
présent considéré l’amour comme un jeu.
La main tremblante, elle saisit la poignée. Il n’était pas question qu’elle recule maintenant. Cela
dit, elle ne comptait pas entrer sans frapper. Elle avait été élevée mieux que ça. Elle donna un petit
coup sur la porte, puis l’ouvrit précautionneusement.
Max était assis dans son fauteuil préféré, le visage éclairé par la lampe située derrière lui et
vêtu de son seul peignoir blanc.
Mais il n’était pas exactement en train de ronger son frein, attendant qu’elle se réveille pour lui
faire l’amour, remarqua Tara en grimaçant. Il travaillait, un verre à la main. Son ordinateur portable
était ouvert sur ses genoux et il sirotait un verre de whisky en discutant avec quelqu’un au téléphone.
Max faisait partie de ces rares hommes capables de faire plusieurs choses à la fois.
— Ah, te voilà ! dit Tara, s’efforçant de réprimer son agacement.
Au lieu de lui demander si elle ne le dérangeait pas, comme elle faisait d’habitude, Tara entra
sans y être invitée et referma la porte derrière elle.
Il en fut décontenancé, elle le voyait bien. Mais tant pis. Pas question de partager ces moments
précieux avec qui que ce soit.
Lorsque Max leva la main pour stopper sa progression et continua à parler à son interlocuteur,
elle passa outre sa tendance naturelle à lui obéir et se rebella. Elle s’avança lentement vers lui,
ondulant des hanches de façon suggestive et redressant le buste pour mettre en valeur ses seins. Le
fait de marcher ouvrit les pans de son vêtement, offrant un aperçu alléchant sur ses longues jambes
nues.
Max arqua un sourcil et la dévisagea de la tête aux pieds.
— Je te rappelle plus tard, Pierce, dit-il. J’ai quelque chose à régler.
— Bien plus tard, renchérit Tara, tandis qu’il raccrochait.
Pierce n’était après tout que l’assistant de Max. Il pouvait bien attendre.
Max eut un sourire étrange avant de reporter son attention sur son ordinateur.
— Je dois d’abord finir quelque chose d’urgent, Tara, dit-il sans lever les yeux. Pourquoi ne
retournerais-tu pas au lit où je te rejoindrai dès que possible ?
Les mots fusèrent avant qu’elle ait pu s’en empêcher.
— Et si je ne voulais pas retourner au lit ? Et si je préférais rester ici ? Et si je voulais que tu
cesses maintenant de travailler ?
Il leva lentement les yeux. Des yeux durs et étincelants, comme elle aimait. Il sirota son whisky
tout en l’examinant. Elle sentit aussitôt son visage s’empourprer et ses mamelons durcir sous
l’intensité de son regard.
— Oblige-moi, dit-il enfin d’une voix basse et sensuelle.
Ses paroles lui firent l’effet d’un électrochoc, stimulant à la fois ses sens et sa détermination.
Elle savait pertinemment ce qu’il voulait : la voir nue. Pas allongée au lit, mais debout, face à lui.
Le cœur battant à se rompre, elle posa la main sur son déshabillé et entreprit avec des gestes
maladroits d’en dénouer la ceinture. Heureusement pour elle, le nœud était facile à défaire et l’instant
d’après les pans s’ouvrirent, dévoilant sa nudité.
Mais Max ne montra aucune réaction, se contentant de continuer à siroter son whisky.
Pétrifiée devant son manque évident d’intérêt, elle se figea, tandis que Max baissait de nouveau
les yeux sur son écran.
— Retourne au lit, Tara, intima-t-il. Visiblement, tu n’es pas encore prête pour le rôle de
séductrice.
Piquée au vif, elle ôta le déshabillé et le laissa glisser au sol. Comme il ne faisait toujours pas
attention à elle, elle s’avança vers lui et abaissa d’un geste vif le couvercle de son ordinateur.
— Regarde-moi, siffla-t-elle entre ses dents.
Il obtempéra à sa requête, laissant son regard errer avec une exquise lenteur sur ses courbes
féminines.
— Très joli, commenta-t-il. Mais rien que je n’aie déjà vu.
— Tu pourrais peut-être voir quelque chose de nouveau si tu posais ce satané verre, riposta-t-
elle. Et cet ordinateur.
Il posa l’ordinateur à ses pieds mais conserva son verre à la main, puis se renfonça dans son
fauteuil et avala une autre gorgée de whisky.
La peur la submergea. La peur de passer pour une idiote.
— J’attends, dit-il, avant de finalement poser son verre sur la table basse à côté de sa chaise.
Tara déglutit.
— Allez, Tara, l’encouragea-t-il. Lâche-toi. Je suis curieux de voir jusqu’où tu vas aller avant
de partir en courant. Et ne compte pas sur moi pour t’aider.
Tara écarquilla les yeux. Il ne voulait pas seulement qu’elle parade nue devant lui, réalisa-t-elle.
Il voulait qu’elle lui fasse l’amour.
S’il lui avait lancé ce défi n’importe quel autre jour, elle ne l’aurait sans doute pas relevé et
serait effectivement partie en courant. Mais les choses étaient différentes aujourd’hui, à plus d’un
titre. Leur relation était entrée dans une nouvelle dimension et elle ne voulait pas faire machine
arrière.
Ne réfléchis pas, se dit-elle en s’avançant pour se positionner entre ses jambes allongées. Fais
simplement ce qu’il pense que tu n’oseras pas faire.
Elle l’entendit retenir son souffle lorsqu’elle s’agenouilla et tendit la main vers la ceinture de
son peignoir. Ne le regarde pas, s’encouragea-t-elle. Pas question de voir la surprise, voire le choc,
illuminer son regard. Ne lui avait-il pas dit que cela lui était égal si elle se montrait provocante ou
aguicheuse en privé ? Eh bien, il allait être servi, même si au plus profond d’elle-même elle tremblait
comme une feuille !
La ceinture du peignoir de Max se défit aussi facilement que la sienne, n’étant nouée que par une
boucle. Ecarter les pans du vêtement fut plus difficile en revanche, car elle savait ce qui l’attendait.
Ses yeux s’écarquillèrent devant son sexe tendu. Son apparent désintérêt n’était donc que pur
mensonge !
Tara réprima le désir de fermer les yeux et de penser à autre chose. Le temps de l’incertitude
était bel et bien fini. Elle allait prendre sur elle et le regarder, le toucher et même l’embrasser.
Bizarrement pourtant, lorsqu’elle entreprit de caresser son membre viril et qu’elle sentit Max
répondre avec empressement à ses subtiles caresses, elle eut envie de faire ressortir la bête en lui, de
le rendre fou de désir, et de l’aimer comme jamais elle n’avait aimé auparavant.

* * *

Max n’en crut pas ses yeux lorsqu’elle le prit dans sa bouche. Il avait l’impression que son
corps n’était plus qu’une fournaise et il s’en fallait de peu qu’il ne perde tout contrôle.
Lorsqu’elle releva la tête, il poussa un petit grognement de dépit, tant il aurait aimé qu’elle
continue ses caresses lascives. Mais sa déception fut vite dissipée quand elle grimpa sur ses genoux
pour le chevaucher. Au contact de ses cuisses l’enserrant avec fermeté, il fut transpercé par une
flèche de plaisir.
Il retint sa respiration lorsqu’elle saisit son sexe et le guida en elle. Dans sa douce moiteur. Elle
leva alors la tête et plongea le regard dans le sien.
« Max », fut tout ce qu’elle dit, avant de baisser de nouveau la tête, de capturer son visage entre
ses mains et de s’emparer de sa bouche avec avidité.
Il gémit. Combien de fois avait-il rêvé de ce moment ?
C’est alors qu’elle se mit à onduler sur lui. D’abord lentement, puis plus vite. Ses poussées se
firent plus fougueuses, au point d’arracher ses lèvres aux siennes. Elle posa les mains sur ses épaules
pour garder l’équilibre, ses ongles pénétrant profondément dans sa chair jusqu’à ce que son dos
s’arc-boute et qu’explose en elle un orgasme foudroyant.
— Oooooh !
Elle était encore secouée de spasmes violents quand il s’abandonna à son tour à l’extase, le
plaisir les unissant, alors qu’elle continuait toujours à se balancer d’avant en arrière, les paupières
closes et la respiration haletante.
Puis elle se laissa retomber sur son torse et nicha la tête au creux de son épaule. Il l’enlaça
étroitement et ils demeurèrent longtemps ainsi dans le calme et la quiétude.
C’est alors qu’il se rendit compte de ce qui venait de se passer. Sa belle et douce Tara avait
enfin abandonné ses inhibitions. Et soudain, il eut envie de lui faire l’amour de toutes les façons
possibles et imaginables.
Comme si elle pressentait un changement en lui, Tara se redressa, ses grands yeux inquiets le
fouillant du regard.
— Trop tôt ? s’enquit-il, faisant glisser les mains jusqu’à ses fesses qu’il saisit fermement.
Elle secoua la tête.
Il continua à la caresser jusqu’à ce qu’elle entrouvre les lèvres en poussant un soupir de
ravissement. Max n’avait jamais ressenti autant d’amour pour elle. Ni de désir.
Heureusement, leur réservation pour le dîner n’était pas avant 20 heures. Il avait des projets
pour le temps qu’ils avaient devant eux.
6.

— Cette couleur dorée te va à ravir, la félicita Max, tandis qu’ils attendaient l’ascenseur. La
robe aussi, d’ailleurs. Je suis content que tu aies suivi mon conseil et accepté de la porter ce soir.
Tara faillit éclater de rire. Son conseil ? Il avait plutôt lourdement insisté, se remémora-t-elle.
La robe en satin doré lui avait été rapportée par Max d’un de ses précédents voyages à Hong
Kong. Elle aurait presque pu passer pour sage avec son col Mao et sa jupe lui arrivant aux genoux si
elle n’avait pas épousé si parfaitement son corps et été fendue, dévoilant une bonne partie de ses
cuisses. Un vêtement très sensuel, en fait.
Non pas que Tara ait besoin d’aide pour se sentir plus sensuelle. Tous ses sens étaient en émoi
après les deux heures torrides qu’ils venaient de vivre. Son comportement aguicheur avait
certainement réveillé l’animal en Max. Un Max devenu soudain insatiable, impitoyable même.
Elle frissonna au souvenir de l’interlude sur la table de billard. Jamais elle n’aurait imaginé que
son amant avait tant d’imagination pour les jeux érotiques, l’amenant même à se demander combien
de femmes il avait diverties de cette façon dans le passé.
Un long regard admiratif en direction de Max — resplendissant ce soir dans son smoking — lui
confirma ce qu’elle avait toujours su au plus profond d’elle-même : les femmes se pâmaient toutes
dans ses bras. N’était-ce pas d’ailleurs exactement ce qu’elle venait de faire ?
— Max, dit-elle d’une voix soudain inquiète.
— Qu’y a-t-il, mon cœur ?
Lorsqu’il lui saisit la main et la porta à ses lèvres, elle plongea le regard dans le sien.
— M’as-tu déjà été infidèle ?
— Jamais, répliqua-t-il avec force. Pourquoi me demandes-tu une chose pareille ?
La question l’avait visiblement perturbé.
— Après ce que nous venons de vivre ce soir, dit-elle en choisissant ses mots, je constate que
ces douze derniers mois je ne t’ai pas vraiment… satisfait sur le plan sexuel.
— Ce n’est pas vrai, Tara. J’ai été très heureux avec toi.
Une lueur dans son regard démentit toutefois ses paroles.
— Je ne te crois pas, Max. Dis-moi la vérité.
— Ecoute. C’est vrai qu’il y a eu des moments où j’aurais préféré que tu sois plus à l’aise, mais
je n’ai jamais été déçu. Je t’aime, Tara. Et je suis ravi que tu aies enfin réalisé que le sexe pouvait
être vécu de multiples façons, et pas toujours de manière calme et pondérée. Ce peut même être
amusant, comme tu as certainement dû t’en rendre compte ce soir.
Amusant ? Excitant et irrésistible, sans aucun doute, mais amusant ? Le terme n’était peut-être
pas le plus approprié.
— Je… j’imagine que oui.
Max grimaça un sourire.
— Allons, Tara. Tu as adoré. Ne le nie pas.
— Je n’ai sans doute pas l’habitude de me montrer si délurée.
— Délurée ? s’écria Max en riant. Tu n’étais pas délurée. Un peu osée peut-être, mais pas
délurée. Je peux te montrer ce qu’est un comportement déluré, si tu veux.
— Que veux-tu dire ?
— J’ai toujours pensé que les embrasses pouvaient être utilisées de multiples façons, et pas
seulement pour retenir les rideaux du lit.
Tara tenta de paraître scandalisée, mais la curiosité l’emporta. Que ressentirait-elle si Max
l’attachait au lit, l’empêchant de se soustraire à son regard de braise et à ses caresses expertes ? se
demanda-t-elle, soudain excitée.
A cette perspective, elle s’empourpra.
— Je vois que c’est un peu prématuré pour toi, dit Max, se méprenant sur ses pensées. Oublie ce
que je viens de dire.
Mais comment l’aurait-elle pu, maintenant qu’il lui avait mis l’image dans la tête ? Jamais plus
elle ne pourrait regarder ce lit sans s’imaginer attachée aux montants.
A cet instant, les portes de l’ascenseur s’ouvrirent. Lorsque Max vit qu’elle demeurait
immobile, l’esprit visiblement ailleurs, il lui prit la main et la fit entrer.
— Arrête de rêvasser, princesse. Nous devons aller dîner. On a déjà un quart d’heure de retard
dû au fait que tu m’as gardé un peu trop longtemps sous la douche.
— Moi, je t’ai gardé trop longtemps sous la douche ? s’écria-t-elle, outrée. Quel menteur !
C’était toi, au contraire, qui ne voulais pas que je sorte avant… avant…
— Avant que tu aies fini ce que tu avais commencé. Désolé, oui, tu as raison. Je me suis laissé
emporter. Cela dit, je ne t’ai pas entendue protester.
— Je pouvais difficilement parler à ce moment-là, répliqua-t-elle, une lueur de défi dans le
regard.
Max éclata de rire.
— J’adore ton sens de la repartie. C’est ce que j’aime en toi, Tara. Je n’ai jamais été à l’aise
avec les béni-oui-oui.
— N’importe quoi ! Tu adores au contraire que les gens t’obéissent au doigt et à l’œil. Tu
adores être le patron, au lit comme ailleurs ! Tu attends de tes laquais qu’ils fassent ce que tu veux
quand tu veux.
— Ah, mais tu n’es pas l’un de mes laquais !
— Je n’en suis pas si sûre, riposta-t-elle. Une maîtresse n’est-elle pas une sorte de laquais ?
— Maîtresse ? Seigneur, quel terme démodé ! Mais j’aime bien, admit-il d’un air pensif. C’est
vrai que tu ferais une parfaite maîtresse.
Avec un sourire entendu, il lui saisit de nouveau la main et la porta à ses lèvres.
Furieuse, Tara s’arracha à son étreinte. Si les portes de l’ascenseur ne s’étaient pas ouvertes à
ce moment-là, elle l’aurait volontiers frappé.
Une jolie brune leur faisait face. Ses yeux s’écarquillèrent à la vue de Max, puis se rétrécirent
en apercevant Tara à son côté.
— Bonjour, Max ! s’écria-t-elle. Cela fait longtemps qu’on ne s’est pas vus.
— Effectivement, répondit-il d’un ton bref.
Tara observa Max, intriguée. Sa tension était palpable. Non, ce n’était pas de la tension,
corrigea-t-elle. Plutôt de l’hostilité. Pour une raison étrange, il détestait cette femme. Pourquoi ?
Avait-il été un jour amoureux d’elle ?
Tara reporta son attention sur la jolie brune, essayant de deviner son âge. Difficile à dire. Peut-
être une petite trentaine d’années ? Belle et élégante, elle devait fréquenter les salons de beauté, à en
juger par son maquillage parfait et sa peau nette et sans rides apparentes. Mais c’était surtout sa
magnifique chevelure mi-longue encadrant son joli visage ovale qui était son véritable joyau. Pas une
mèche en désordre.
En comparaison, Tara se sentait débraillée avec ses cheveux noués à la va-vite — la seule
coiffure qu’elle ait pu élaborer avec le peu de temps que Max lui avait accordé pour se préparer.
Quinze minutes auparavant, ses cheveux étaient trempés.
— Tu as l’air en forme…, reprit la jeune femme.
— Si tu veux bien nous excuser, Alicia, répondit Max d’un ton sec, nous sommes déjà en retard
pour le dîner.
Sans transition, il entraîna Tara, abasourdie devant sa grossièreté. Depuis qu’elle connaissait
Max, jamais elle ne l’avait vu se conduire ainsi.
Tara demeura silencieuse pendant que le maître d’hôtel les accueillait et demandait à un serveur
— un jeune homme séduisant du nom de Jarod — de leur montrer leur table.
Située dans une petite pièce privée généralement réservée pour des occasions spéciales ou par
des personnes désirant une certaine intimité, leur table baignait dans une lumière tamisée qui projetait
une ambiance feutrée très agréable.
La première fois que Max l’avait amenée ici, Tara avait trouvé l’endroit très romantique — tout
comme ses visites successives, d’ailleurs. Ce soir, toutefois, la rencontre avec la jeune femme brune
avait annihilé en elle toute envie de romantisme. A moins que la jalousie puisse être considérée
comme romantique. Max avait eu beau faire, le regard que cette femme lui avait lancé en disait long
sur les sentiments qu’elle éprouvait pour lui.
Plus les minutes se prolongeaient, Max semblant mettre un temps infini à étudier la carte des
vins, plus le désarroi de Tara augmentait. Une fois que le serveur eut pris leur commande et qu’elle
eut enfin l’occasion de poser des questions sur la jeune femme, elle hésita de peur de paraître
revêche.
— Tu n’as aucune raison de te montrer jalouse, dit soudain Max, coupant court à ses pensées.
Alicia était la copine de Stevie, pas la mienne.
— Je ne suis pas jalouse, mentit Tara, je suis juste sidérée par ton impolitesse. Alors, qu’a donc
fait cette Alicia à ton frère pour mériter une telle haine de ta part ?
— Dès l’instant où elle a appris que Stevie avait un cancer, elle l’a quitté, disant qu’elle ne
pouvait rester, que c’était au-dessus de ses forces.
Stupéfaite, Tara vit que la main de Max tremblait.
— Comment croyait-elle que Stevie allait réagir quand la femme qu’il aimait refusait de se tenir
à ses côtés pendant sa longue maladie ? Je la rends entièrement responsable de l’échec du traitement.
Lorsqu’elle l’a quitté, il a perdu toute envie de vivre.
— Mais je croyais…
— Certes, je blâme aussi mon père. Mais Alicia encore plus. Au moins lui n’a jamais prétendu
être dévoué à mon frère et lorsqu’il n’est pas venu se tenir au chevet de son fils mourant cela n’a
surpris personne. En tout cas, pas Stevie. Il m’a même dit la veille de sa mort que papa ne l’avait
jamais aimé autant que moi, confia-t-il, l’air hagard. Peux-tu imaginer ce que j’ai ressenti lorsqu’il
m’a dit ça ? Lui qui était si gentil et qui n’avait jamais fait de mal à personne ? Comment mon père
pouvait-il l’aimer moins que moi ? Moi, qui ne lui arrivais pas à la cheville ?
Tara fronça les sourcils. Max lui avait raconté depuis longtemps les circonstances qui avaient
entouré le décès tragique de son jeune frère. Et pourtant, jamais il n’avait mentionné le rôle de l’amie
de Stevie dans ce drame.
— Pourquoi ne m’as-tu jamais parlé d’Alicia, Max ?
— Je n’aime pas parler de Stevie. Je t’ai dit le strict minimum pour que tu comprennes pourquoi
je ne t’ai jamais proposé de faire la connaissance de mes parents, surtout à Noël. Alicia ne présentait
aucun intérêt, conclut-il d’un ton brusque. Ah, voilà le champagne !
Tara avait beau ne pas être pleinement satisfaite de ces explications, elle demeura silencieuse
pendant que le serveur remplissait leurs verres.
— Ce n’est pourtant pas ton genre de commander du champagne, s’étonna-t-elle lorsque le
serveur fut enfin parti.
En effet, Max commandait en général du vin rouge.
— Je voulais célébrer l’anniversaire de notre rencontre. Il y a tout juste un an, j’entrais dans la
bijouterie de l’hôtel. Bien sûr, c’était un vendredi et pas un samedi, mais la date est exactement la
même.
— Oh ! Max, comme c’est gentil d’y avoir pensé !
— Mais je suis quelqu’un de gentil !
Tara sourit.
— Tu peux l’être, c’est certain. Mais ce n’est pas ce qui te caractérise le mieux.
— Vraiment ? Et qu’est-ce qui me caractérise le mieux ?
Elle ne put s’empêcher de rougir.
— Je prends cela pour un compliment, s’écria Max en riant. Même si tu n’es pas vraiment en
mesure de comparer puisque je suis ton seul et unique amant. En tout cas, je le suppose. Mais peut-
être plus pour longtemps après ce qui s’est passé aujourd’hui.
— Qu’entends-tu par là ?
— Peut-être voudras-tu voler de tes propres ailes ? Rencontrer d’autres hommes ?
Tara le fixa, éberluée.
— Tu ne me connais pas très bien si tu penses ça de moi. Ce qui s’est passé tout à l’heure était
un acte d’amour. Je l’ai fait parce que je t’aime profondément et que j’ai confiance en toi. Je ne
pourrais jamais me comporter ainsi avec un autre homme. J’en mourrais de honte.
Le regard de Max s’adoucit.
— Tu le penses vraiment ?
— Bien sûr !
— Tu es extraordinaire, Tara, dit-il en secouant la tête. Il existe peu de femmes comme toi, tu
sais ? L’amour véritable est un privilège dont peu d’hommes célèbres et fortunés peuvent profiter.
Notre attrait réside plus souvent dans notre compte en banque que dans notre personnalité.
— Je ne te crois pas. Tu es bien trop cynique, Max.
— J’ai rencontré trop de femmes comme Alicia pour ne pas l’être. Sais-tu que six mois à peine
après avoir rompu avec Stevie elle a épousé l’héritier d’une fortune colossale ? Puis, après son
divorce, un an plus tard, elle a eu le culot d’essayer de me séduire lorsque nos chemins se sont de
nouveau croisés.
— Et… ?
— Et quoi ?
— Ne me prends pas pour une imbécile, Max. Je sais qu’il s’est passé quelque chose entre vous
deux. Je l’ai senti.
Max poussa un soupir.
— Tu es parfois trop perspicace. Bon, c’est vrai, admit-il. J’étais d’humeur vengeresse ce soir-
là et quand Alicia s’est mise à me draguer j’ai joué le jeu. Lorsque j’ai suggéré qu’on quitte la soirée
à laquelle nous étions conviés, elle a tout de suite accepté, même si elle était venue accompagnée. Je
l’ai amenée dans une boîte de nuit où nous avons bu et dansé.
Dansé ! Tara frémit à la seule pensée de Max tenant une autre femme dans ses bras. Certes,
c’était avant leur rencontre, mais quand même…
— J’attendais qu’elle me présente ses excuses pour la façon dont elle s’était conduite envers
Stevie, poursuivit Max en faisant tourner son verre de champagne dans ses mains. Je savais qu’elle le
ferait. Cependant, ce qu’elle m’a avoué ensuite m’a soufflé. Elle m’a dit n’être sortie avec Stevie que
pour se rapprocher de moi, qu’elle n’avait jamais vraiment aimé mon frère et que c’était moi qu’elle
visait à travers lui. Elle a prétendu ne s’être mariée avec ce type que parce qu’elle savait n’avoir
aucune chance avec moi. Alors je lui ai dit le fond de ma pensée et suis parti.
Tara demeura muette. La jeune femme n’avait sans doute pas menti, suspectait-elle. Elle avait vu
une photo de Stevie, et même s’il était séduisant, son visage manquait singulièrement de caractère.
— L’amour n’est qu’une arme pour ce genre de femmes, ajouta Max d’un ton irrité. Ma propre
mère prétend toujours aimer mon père en dépit de ses frasques et de ses absences. Pourquoi ? Sans
doute parce que ce serait trop onéreux de divorcer. Même maintenant qu’il est en chaise roulante, elle
continue à prendre soin de lui. Ils ne valent pas mieux l’un que l’autre, liés entre eux par la vénalité et
un manque de force morale. C’est la raison pour laquelle je les vois le moins possible. Ils me rendent
malade.
Tara fut abasourdie devant sa véhémence. L’amertume, tout comme la vengeance, n’apportait
jamais rien de bon.
— Mais tu te trompes peut-être, Max, hasarda-t-elle. Il se peut que ta mère soit toujours
amoureuse de ton père. Il y a sans doute des choses que tu ignores. On ne sait pas toujours ce qui se
passe au sein d’un couple. Je l’ai moi-même appris pas plus tard que le week-end dernier. J’ai
toujours cru que ma sœur était malheureuse en ménage. Elle est tombée enceinte très jeune, vois-tu, et
Dale était à peine plus âgé qu’elle. Il finissait son apprentissage de plombier quand ils se sont
mariés. Jen pensait poursuivre ses études mais elle a été trop malade durant sa grossesse. Puis,
lorsque son bébé a eu à peine six mois, elle est tombée de nouveau enceinte. Elle se plaint tout le
temps de sa vie et de son mari, mais lorsque je lui ai parlé de divorcer elle m’a regardée comme si
j’étais devenue folle. Elle m’a dit qu’elle était très heureuse avec Dale et qu’elle ne divorcerait
jamais. Donc, peut-être que tu te trompes, Max. C’est possible, tu sais.
— Possible, convint-il, mais peu probable. Ecoute, ne gâchons pas cette soirée en discussions
stériles. Profitons plutôt de ce bon repas et de cet excellent champagne. Je veux te rendre légèrement
pompette pour t’entraîner au lit et faire des choses un peu… osées !
A ces paroles, le cœur de Tara fit un bond dans sa poitrine, mais elle n’en laissa rien paraître.
Max devait à n’en pas douter surveiller sa réaction, et, en dépit de sa curiosité, elle n’était pas
certaine que la réalité soit à la hauteur de ses rêves. Et quand bien même ça le serait, voulait-elle
vraiment devenir un objet de désir entre les mains de son amant ?
— Crois-tu que me rendre ivre t’assurera de mon entière coopération ? lança-t-elle sèchement.
— Je ne sais pas. Et toi, qu’en penses-tu ?
— J’espère que non.
— Et ça, alors ?
Et sans plus de façons, il sortit un petit écrin de sa poche.
Tara le fixa, éberluée. Une bague de fiançailles ! Il allait lui demander de l’épouser ! La
décharge d’adrénaline qui traversa son corps démentit les propos qu’elle avait tenus à sa mère le jour
même, selon lesquels elle ne se sentait pas prête à épouser Max en ce moment.
Visiblement, son corps et sa raison n’étaient pas d’accord.
— Allez, ouvre-le, l’encouragea Max, après avoir posé l’écrin sur la nappe devant elle.
Soudain, un doute s’instilla en elle. La scène n’était pas conforme à ce qu’elle pouvait attendre
d’un homme tel que Max. Il était beaucoup trop décontracté.
Inspirant profondément, elle fit de son mieux pour se ressaisir. Lorsqu’elle ouvrit enfin l’écrin et
que ses yeux tombèrent sur une bague ornée d’une topaze sertie de diamants, elle était prête à réagir
comme Max s’y attendait certainement.
— Oh ! Max ! Elle est superbe ! Merci beaucoup.
— Je savais qu’elle se marierait à merveille avec ta robe. C’est pour ça que je voulais que tu la
portes ce soir. Allez, l’encouragea-t-il. Mets-là. Vois si elle est à ta taille.
Sans plus attendre, elle glissa la bague à son majeur.
— Elle est parfaite, commenta-t-elle en tendant la main pour lui montrer. Mais tu n’aurais pas
dû, Max. Je me sens maintenant coupable de ne rien t’avoir offert. Je ne savais pas que tu étais aussi
romantique.
— Tu dois déteindre sur moi.
— Je ne vois pas pourquoi tu t’entêtes à me traiter de romantique !
— Lorsqu’une fille avec ton physique de rêve est toujours vierge à vingt-quatre ans, je sais
qu’elle est romantique.
— Peut-être, peut-être pas. Je me considère plutôt comme une idéaliste. Je ne voulais pas avoir
de relations sexuelles avant d’en avoir vraiment envie. Je n’attendais pas spécialement l’amour mais
plus la passion. Et c’est ce qui s’est passé. Avec toi. Je n’ai pas réalisé que je t’aimais avant le
lendemain. Et toi, il t’a fallu combien de temps pour te rendre compte que tu m’aimais ?
— Dès l’instant où tu m’as souri dans ce magasin.
— Oh ! Max ! Et maintenant, qui de nous deux est le plus romantique ?
Max sourit.
— Ah, voilà Jarod qui vient prendre notre commande. Laisse-moi commander pour toi ce soir,
ma chérie. Maintenant que tu t’émancipes un peu, je crois qu’il est temps que tu goûtes à des mets
différents.
— Si tu insistes.
— J’insiste, conclut-il avec un sourire.
Tara se renfonça dans son fauteuil et sirota son champagne pendant que Max commandait leur
repas. Il avait toujours aimé goûter les plats les plus exotiques et ce soir il allait s’en donner à cœur
joie.
Baissant les yeux sur la topaze, elle se dit qu’elle avait été stupide d’espérer recevoir une bague
de fiançailles.
Max avait raison. Elle était une incurable romantique.
— Tu ne l’aimes pas ?
Surprise, Tara leva les yeux pour voir Max la fixer d’un regard inquiet.
— Bien sûr que si ! s’écria-t-elle. Elle est superbe.
— Alors, à quoi pensais-tu qui te donnait l’air si triste ?
Elle haussa les épaules.
— C’est juste que j’aimerais passer plus de temps avec l’homme formidable qui me l’a offerte.
— Tes désirs sont des ordres, ma chérie. Aimerais-tu démissionner de ton poste et me suivre
lors de mes voyages à l’étranger ?
Tara demeura bouche bée.
— Je présume que ton air ébahi veut dire que tu acceptes ?
— Je… je… oui, bien sûr. Mais, Max, en es-tu sûr ?
— Je ne t’aurais pas demandé si je n’étais pas sûr.
Alors pourquoi ne m’as-tu pas demandé avant ?
La question lui traversa aussitôt l’esprit, la titillant comme la mouche du coche. Qu’est-ce qui
avait changé dans leur relation pour qu’il la veuille tout le temps à ses côtés ?
Tara détestait la réponse à cette question qu’elle ne pouvait pourtant pas ignorer.
Le sexe. Le sexe entre eux avait changé.
— Pourquoi maintenant ? demanda-t-elle, tandis qu’une boule se formait au creux de son
estomac.
Il haussa les épaules.
— Tu veux la vérité ou du blabla romantique ?
— Du blabla romantique, bien sûr.
— D’accord, dit-il en riant. Je t’aime. Je t’aime tant que je ne supporte plus l’idée de te quitter
quand je pars à l’étranger. Je te veux à mes côtés tous les jours. Je te veux dans mon lit tous les soirs.
Que dis-tu de ça ?
— Pas mal. Maintenant, la vérité ?
Max la fixa longuement avant de répondre. Comment lui dire qu’il avait peur de la perdre s’il la
laissait seule durant ses absences ? Impossible. Elle n’avait jamais vécu une expérience aussi
éblouissante que celle qu’ils venaient de partager, il en était certain. Comment pouvait-il désormais
espérer qu’elle attende sagement son retour ? Certes, elle ne chercherait pas un autre amant, mais les
hommes poursuivraient toujours Tara…
— La vérité, répéta-t-il, faisant de son mieux pour paraître maître de la situation. La vérité est
que je t’aime, Tara. Je t’aime tant que je ne supporte plus l’idée de te quitter quand je pars à
l’étranger. Je te veux à mes côtés tous les jours. Je te veux dans mon lit tous les soirs.
Et si ça n’était pas la vérité !
Tara fit de son mieux pour ne pas éclater en sanglots. Elle sentait confusément que Max n’aurait
pas apprécié ce genre de comportement de la part de sa maîtresse. Parce que si elle démissionnait de
son poste pour suivre Max dans ses voyages elle deviendrait incontestablement sa maîtresse. Il était
même possible qu’elle ne soit jamais autre chose. Elle n’avait en effet aucune garantie que leur
relation se solderait un jour par le mariage, quand bien même Max lui jurait un amour éternel.
Les paroles de sa mère lui disant que Max ne lui donnerait jamais ce qu’elle voulait lui
revinrent à la mémoire. Une fois encore, elle essaya de cerner ce qu’elle attendait vraiment de lui.
Cette histoire de bague l’avait fait réfléchir et soudain elle n’était plus aussi sûre de ce qu’elle
voulait. La seule chose dont elle était certaine était qu’elle ne voulait pas perdre Max. Et encore
moins maintenant.
— Je dois à Whitmore au moins deux semaines de préavis, dit-elle d’une voix hachée. Je ne
peux pas les quitter du jour au lendemain, d’autant que le mois de février est la haute saison
touristique pour les Japonais.
— Je comprends. Mais que penses-tu du week-end prochain ? Je dois me rendre à Auckland
pour voir un hôtel et discuter des modalités avec les propriétaires. Si je peux te prendre un billet
d’avion, te joindrais-tu à moi ?
— Je ne pourrai pas partir avant samedi matin. Nous n’aurions qu’une nuit ensemble.
— C’est mieux que rien, assura-t-il, les yeux étincelants à la lumière de la bougie.
— Oui, souffla-t-elle, tandis qu’un frisson naissait le long de sa nuque.
D’ici à samedi, son corps brûlerait de désir pour lui.
Saisissant son verre, elle but une gorgée, consciente de son regard envoûtant posé sur elle.
— Est-ce que tu te sens bien, Tara ?
— Non, riposta-t-elle. Pas du tout. Et c’est entièrement ta faute. Je me sens comme un chat sur la
braise.
— Ah ! dit-il avec une mâle satisfaction. Souhaites-tu que je fasse monter notre repas à
l’appartement ?
Tara le fixa longuement. Si elle disait oui, ce serait la fin pour elle. Elle serait sienne dans tous
les sens du terme. Plus question de se demander ce qu’elle voulait, elle, parce que ce qu’elle voulait
serait ce qu’il voulait.
Mais comment pouvait-elle refuser quelque chose qu’elle désirait autant que lui ? Comment
refuser d’être sienne et de le laisser lui faire entrevoir de nouveau ce monde merveilleux où chaque
sensation enivrante s’ajoutait à la suivante, où donner du plaisir était aussi merveilleux que d’en
recevoir et où l’esprit était libéré de tous ses soucis pour ne se concentrer que sur la beauté du
moment ?
— Pouvons-nous prendre le champagne avec nous ? dit-elle, horrifiée par sa voix rauque.
— Evidemment, dit Max en se levant d’un bond.
— Me respecteras-tu encore demain ? s’enquit-elle avec autodérision en voyant son amant
contourner la table pour s’approcher d’elle.
Plaçant une main sous son menton, il leva son visage et déposa un baiser chaste sur ses lèvres.
Il me taquine, réalisa Tara. Il me donne un avant-goût de ce qui va arriver.
— Dis-moi que tu m’aimes, murmura-t-il en se détachant d’elle.
— Je t’aime.
— Allons-y.
7.

— Je suis punie pour mon comportement d’hier soir, marmonna Tara.


— Ce n’est qu’une gueule de bois, la rassura Max en s’asseyant sur le bord du lit pour ramener
en arrière une mèche de cheveux qui avait glissé sur son front. Tu as dû boire trop de champagne.
— Je n’en boirai plus jamais, gémit-elle, ne sachant pas ce qui était le pire, de son mal de tête
ou de ses nausées.
— Dommage, plaisanta Max. Le champagne te rendait très coopérative.
— Tu n’es pas obligé de me le rappeler.
Max éclata de rire.
— Je vais te chercher des analgésiques et un verre d’eau.
Max disparut dans la salle de bains, laissant Tara à sa souffrance et à ses souvenirs. Impossible
d’oublier leurs acrobaties de la veille et plus ridicule encore de prétendre ne pas en avoir adoré
chaque instant.
Tara gémit. Elle allait vomir, elle le savait.
Elle se rua dans la salle de bains et poussa Max de côté dans sa hâte d’atteindre la cuvette. Elle
eut à peine le temps de retenir ses cheveux d’une main avant le premier haut-le-cœur.
Ce n’était qu’une gueule de bois, se dit-elle pour se réconforter, tandis que Max l’aidait à
atteindre le lavabo où elle se rinça la bouche et s’essuya le visage. A moins que ce ne soit toujours le
même virus. Elle ne pouvait pas être enceinte, même si sa mère avait instillé un doute en elle. Elle
venait d’avoir ses règles, que diable !
— Ma pauvre chérie !
Max la porta sur le lit où il plaça son corps dénudé sous le drap. Lorsqu’elle commença à
frissonner, il rabattit sur elle la couverture et la borda.
— Cela ne sert à rien de prendre des médicaments si tu vomis. Je t’apporte un verre d’eau et un
gant mouillé pour te rafraîchir le front. Cela aide parfois. Crois-en mon expérience. J’ai eu moi aussi
en mon temps d’effroyables gueules de bois. Tu dois tout de même être particulièrement sensible aux
effets de l’alcool, ajouta-t-il après réflexion. Tu n’en as tout de même pas bu tant que cela. J’ai dû en
boire la majeure partie et on en a gaspillé un peu. Sur toi.
— Ne me rappelle pas cela non plus, dit-elle piteusement. Peux-tu te débarrasser de cette
satanée bouteille ? Je ne veux même plus la regarder.
— Allons, Tara, tu l’as pourtant bien appréciée hier soir, dit-il en se dirigeant vers l’entrée,
après avoir saisi la bouteille au passage. Enfin… J’accepte ta réaction au vu de ta condition fragile.
Sa condition fragile…
Tara se mordit la lèvre inférieure tandis que la question de ses nausées matinales revenait la
hanter. Max avait raison. Elle avait bu très peu de champagne. Il lui était aussi difficile de blâmer le
virus gastrique. Jen et ses enfants devaient tout le temps courir aux toilettes, ce qui n’était pas son
cas. Et si on rajoutait son prompt rétablissement de la veille, et sa rechute spectaculaire de ce matin,
le doute n’était plus guère permis.
Si elle n’avait pas eu récemment ses règles, elle aurait su sans l’ombre d’un doute qu’elle était
enceinte, comme sa mère l’avait suggéré. Etait-ce possible d’avoir ses règles et d’être enceinte ? Il
lui semblait bien avoir lu quelques cas de ce genre. Certes, ce n’étaient pas à proprement parler des
menstruations, mais plutôt des petits saignements touchant principalement les femmes enceintes
adeptes de la pilule. Aucune contraception n’était fiable à cent pour cent, à part l’abstinence, comme
sa mère le lui avait aussi rappelé.
— Oh ! mon Dieu ! sanglota-t-elle, avant d’enfoncer la main dans sa bouche pour étouffer ses
pleurs.
— A ce point-là ? dit Max en entrant dans la pièce, tenant un verre d’eau avec des glaçons.
Souhaites-tu que j’appelle le médecin ? Il y en a un de garde le week-end.
— Non ! Pas de médecin !
— D’accord, d’accord, dit Max d’une voix apaisante en posant le verre d’eau sur la table de
nuit. Je n’aime pas te voir dans cet état-là, c’est tout.
— Ce que tu n’aimes pas c’est de ne pas avoir ta petite esclave sexuelle à disposition ce matin !
Les mots fusèrent avant qu’elle ait pu les retenir, et lorsqu’elle vit le regard horrifié de Max,
elle en fut atterrée.
— Je suis désolée, s’écria-t-elle. Je ne voulais pas dire ça. Je ne suis pas vraiment moi-même
ce matin. Je suis toujours irritable quand je suis malade.
Et plus encore lorsqu’elle craignait d’être enceinte, se dit-elle in petto. A cette seule pensée,
elle en eut le vertige. Elle ne voulait pas être enceinte. Pas maintenant. Pas quand Max venait de
l’inviter à parcourir le monde à ses côtés. Pas quand sa vie commençait tout juste à devenir excitante.
— Ne t’inquiète pas, Tara. Je comprends.
— Non, tu ne comprends pas.
— Je crois que si. Ce qui s’est passé hier soir et cette nuit. On en a fait un peu trop, trop vite. Je
suis devenu gourmand. Tu as peut-être apprécié sur le moment mais avec le recul les doutes et les
inquiétudes ont surgi. Dans un sens, c’est une bonne chose que ce matin nous offre un répit, même si
les circonstances ne sont pas très agréables pour toi.
— Cela t’est égal ?
Son sourire fut contraint.
— Si cela m’est égal ? Bien sûr que non. J’aimerais te faire l’amour maintenant. Mais je suis un
homme patient et je peux attendre le week-end prochain. Je te promets de ne pas t’effrayer.
— Tu… tu ne m’as pas effrayée, Max.
Il plongea le regard dans le sien.
— Vraiment ? En es-tu certaine ?
— Sûre et certaine. J’ai adoré ce que nous avons fait.
Max poussa un soupir de soulagement.
— Je suis ravi de l’entendre. J’ai eu peur d’être allé trop loin hier soir, je t’avoue. Pas sur le
moment, mais lorsque je me suis réveillé ce matin.
Pas autant qu’elle, se dit Tara.
Max s’assit sur le bord du lit et se mit à lui caresser de nouveau les cheveux.
— Je ne veux surtout pas que tu croies que je t’obligerai à faire quelque chose que tu ne veux
pas faire, Tara. Je t’aime et le sexe n’est pas tout. C’est d’accord ?
Au bord des larmes, elle acquiesça. Max avait beau dire ça maintenant, mais si elle était
vraiment enceinte tiendrait-il le même discours face à sa grossesse ? Ou bien dirait-il des choses qui
mettraient en péril leur relation ?
Un sentiment de malheur imminent s’imposa à son esprit, la tétanisant.
Mais elle ne savait même pas si elle était enceinte, se morigéna-t-elle. Elle pouvait très bien se
tromper. Oui, elle allait se raccrocher à cette pensée, du moins jusqu’au départ de Max. Elle ne
pouvait continuer à se morfondre devant lui sans lui révéler tôt ou tard ce qui la tracassait. Or ce
n’était pas le moment. Max avait assez de soucis ces derniers temps sans en rajouter, d’autant qu’elle
n’avait aucune certitude.
Elle devait se ressaisir, et vite. Max avait quelques heures devant lui avant son départ pour
l’aéroport. A elle de rester calme et posée durant ce court laps de temps. Elle en était capable, non ?
Pourquoi gâcher le reste de leur précieux temps ? Il était si gentil et prévenant ce matin que ce serait
injuste de sa part de reporter sur lui ses craintes secrètes — craintes qui jusqu’à preuve du contraire
n’étaient que des présomptions.
— Max…
— Oui ?
— Je me sens un peu mieux, maintenant. Crois-tu que je devrais essayer de manger quelque
chose ? Peut-être un peu de pain grillé ?
— Excellente idée. Manger est souvent un remède efficace contre les nausées. Je vais demander
qu’on te monte quelque chose, dit-il en se levant pour saisir le téléphone. J’en profiterai pour me
commander un substantiel petit déjeuner. Un simple café ne suffira pas, d’autant que je prends l’avion
tout à l’heure, et les repas à bord sont loin d’être excellents.
Tara se redressa et remonta prestement le drap sur sa poitrine. Si elle s’était révélée une amante
généreuse et passionnée, elle n’était pas pour autant une exhibitionniste.
— Tu sais, Max, dit-elle lorsqu’il raccrocha, tu devrais garder des aliments de base dans ta
cuisine. Les céréales se conservent des semaines, tout comme le lait longue durée et les jus de fruits.
Et le pain se congèle. Cela me paraît un peu extravagant de commander tous tes repas au service de
chambre.
— Sans doute, mais c’est ainsi. Je travaille de longues heures et je n’ai aucune intention de
passer mon précieux temps libre aux fourneaux, surtout quand je peux me divertir de façon bien plus
agréable, conclut-il avec un sourire carnassier.
Tara en fut abasourdie. Peut-être était-elle hypersensible ce matin, mais elle n’aimait pas qu’il
la considère comme un simple divertissement.
Lorsqu’elle baissa les yeux pour cacher son mal-être, son regard tomba sur la bague qu’elle
avait au doigt. La seule chose que Max ne lui avait pas ôtée la veille.
Et soudain, elle ne vit plus l’objet comme un cadeau d’anniversaire mais comme le début de
nombreux présents de ce genre, donnés pour services rendus ; des gratifications pour avoir accepté
de voyager avec lui et d’occuper au mieux ses moments de loisir et de détente.
Elle s’imaginait déjà jouant des scènes torrides dans des hôtels luxueux de par le monde, les
exigences de Max devenant de plus en plus scabreuses au fil du temps et en phase avec
l’extravagance de ses cadeaux. Bientôt, elle croulerait sous les diamants et les vêtements de marque,
mais ne porterait aucun sous-vêtement. Elle deviendrait littéralement son esclave sexuelle, façonnée
pour satisfaire ses moindres désirs. Elle perdrait sa personnalité, ne serait plus qu’une chose en sa
possession. Un jouet, qu’il pourrait utiliser lors de ses moments de loisir et ignorer quand il
retournerait à sa vraie vie : son travail.
Bien sûr, une telle pièce de choix devait être parfaite physiquement. Pas question de lui laisser
prendre de l’embonpoint, par exemple. Ou de tomber enceinte. Les esclaves sexuelles enceintes
avaient deux choix : se débarrasser de leur bébé ou être elles-mêmes éliminées.
— Max ! s’écria-t-elle en levant les yeux.
Mais Max n’était plus dans la chambre. Plongée dans ses pensées, Tara n’avait pas remarqué
qu’il était sorti.
— Max ! cria-t-elle à tue-tête.
La porte s’ouvrit et Max apparut, vêtu d’un élégant costume gris, assorti — une fois n’était pas
coutume — à une chemise d’un bleu aussi profond que ses yeux. Sa cravate, de couleur argentée,
n’était pas non plus son choix habituel et ses cheveux encore humides après sa douche étaient lissés
en arrière.
Il était d’une beauté renversante. Et diablement sexy.
Comme toujours.
L’image de Max versant du champagne sur ses seins, avant de le lécher lentement, lui traversa
soudain l’esprit. Elle avait supplié pour qu’il arrête de la torturer ainsi.
Mais il avait ignoré ses supplications.
Cela faisait partie du jeu, après tout.
La meilleure partie. La partie la plus excitante.
— Qu’y a-t-il ? demanda-t-il en baissant les yeux sur elle.
— Je… je ne savais pas où tu étais, dit-elle maladroitement, se détestant pour sa faiblesse.
Elle avait eu l’intention de lui dire qu’elle renonçait à le suivre dans ses voyages, qu’elle
n’aimait pas la tournure que prenaient les événements, mais dès l’instant où elle l’avait vu les mots
étaient morts sur ses lèvres. L’adage disait vrai. L’esprit était fort, mais la chair était faible.
— J’ai pensé qu’il valait mieux m’habiller avant qu’on nous livre notre petit déjeuner, expliqua
Max. Je sais que tu n’aimes pas être au lit à ce moment-là. Par ailleurs, je ne vois pas l’intérêt de
rester en peignoir alors que tu ne te sens pas dans ton assiette.
Quand la sonnette retentit, Max sortit dans le couloir et revint presque aussitôt, poussant devant
lui une table roulante. Entre-temps, Tara s’était ressaisie. Elle devait arrêter de jouer les victimes.
Max l’aimait et elle l’aimait en retour. Il était donc normal qu’il lui demande de voyager avec lui et
normal qu’elle accepte.
Quant à sa grossesse…
L’idée était aussi farfelue que celle qui consistait à croire qu’elle allait devenir son esclave
sexuelle. Elle avait toujours eu une bonne estime d’elle-même ; sa mère disait qu’elle était volontaire
et sa sœur la trouvait têtue. Si Max allait trop loin, elle le lui dirait, tout simplement, et rentrerait
chez elle.
— Voilà ce que j’aime voir, dit Max, lui tendant le journal. Un visage presque heureux.
Tara lui sourit.
— Il n’y a rien de mieux pour se sentir mieux que de se sentir mieux !
Il fronça les sourcils.
— Et tu me dis ça maintenant que je suis habillé ?
— Ce n’était pas une invitation à plus de sexe, Max Richmond. Nous nous sommes suffisamment
vautrés dans la luxure pour le week-end. Je n’aimerais pas penser que je ne suis pour toi qu’un
simple divertissement, surtout si je décidais de t’accompagner dans tes voyages.
— Si tu décidais de m’accompagner ? Ai-je bien compris ? Je croyais que tu étais d’accord
pour m’accompagner et qu’il ne s’agissait pour toi que de donner ta démission.
— Eh bien, je commence à avoir des doutes.
Tara savait très bien jouer au jeu du chat et de la souris. Avant de connaître Max, elle avait
souvent usé de ce stratagème avec les hommes et même si elle ne l’avait pas beaucoup pratiqué avec
son amant un peu d’incertitude lui ferait à n’en pas douter le plus grand bien.
— Ah, je vois…
Max poussa un soupir, puis s’assit une fois encore sur le bord du lit.
— Je ne sais pas combien de fois il faudra que je te le dise ce week-end, mais je t’aime, Tara.
Tu es bien plus qu’un simple objet de désir pour moi. J’aime être avec toi et pas seulement lorsqu’on
fait l’amour. J’aime ta compagnie et discuter avec toi. J’apprécie ta vivacité et ton intelligence, ainsi
que le charme que tu dégages. T’emmener au restaurant est un délice. Tu es un délice. Quand tu n’es
pas malade, bien entendu, ajouta-t-il d’un ton sec.
— Charmant, railla-t-elle. Donc, si je tombe un jour malade, je serai mise de côté, comme un
jouet dont les piles sont à plat ?
— Ça suffit, maintenant ! s’écria-t-il en se levant d’un bond. Tu viens avec moi et puis c’est
tout. Que veux-tu sur tes tartines ? Tu as le choix entre du miel et de la confiture. De fraise,
apparemment.
— De la confiture.
— C’est parti.
Tara ne souleva plus d’objections. Cependant, elle se jura de ne jamais permettre à Max de lui
retirer son esprit d’indépendance. Elle avait toujours été son propre maître et détestait l’idée qu’il
puisse la transformer en marionnette.
Elle grignota sa tartine grillée et le regarda dévorer son plantureux petit déjeuner. Entre deux
bouchées, il lui raconta qu’il s’était inspiré de son aveu de la veille concernant le concept de « deux
pour le prix d’un » pour faire une offre identique dans son hôtel de Hong Kong.
Deux semaines pour le prix d’une, pouvait-on désormais lire sur son site internet, et les
résultats ne s’étaient pas fait attendre à en juger par le nombre important de réservations déjà obtenu.
— Nous ne ferons pas de grands profits sur l’hébergement, expliqua-t-il, mais des chambres
vides ne rapportent rien. Par ailleurs, la clientèle attirée par cette promotion dépensera l’argent
qu’elle croira avoir épargné au sein de l’hôtel, du moins je l’espère. Pierce pensait hier que j’étais
fou. Ce matin, il chante mes louanges et prétend que je suis un génie. Pardonne-moi de ne pas lui
avoir dit que l’idée venait de toi. L’ego masculin est une chose terrible.
Tara n’avait aucun doute là-dessus. Mais c’était aussi ce qui faisait le charme de Max, lui
donnait son esprit de compétition, son ardeur et son dynamisme, faisant de lui l’homme qu’il était,
l’homme qu’elle aimait.
— N’est-ce pas inhabituel d’avoir un homme comme assistant de direction ? s’enquit-elle,
curieuse.
— Sans doute. Mais une sage décision, compte tenu du temps que nous passons ensemble à
l’étranger.
Tara cligna les yeux quand elle comprit enfin toute la portée des paroles de Max.
— As-tu embauché Pierce parce qu’il était un homme ?
— Pour ne pas prendre le risque d’être impliqué dans une relation amoureuse avec une femme
secrétaire, tu veux dire ?
— Oui.
— Absolument. Je suis déjà passé par là et ce n’était pas une expérience agréable, crois-moi.
— Il y a combien de temps de cela ?
— Une bonne année avant que je fasse ta connaissance.
— Tu as couché avec elle ?
Max fit une grimace.
— J’aurais aimé que tu ne me poses pas la question.
— L’as-tu fait ? insista-t-elle.
— Une fois ou deux, admit Max. Et ce n’était pas une expérience agréable, comme je te l’ai déjà
dit.
— Raconte-moi.
Il poussa un soupir.
— Je préfère éviter.
— Mais je veux savoir, protesta-t-elle. Tu sais tout de mon passé, après tout.
— Tara, tu n’as pas de passé.
— Bien sûr que si ! Je n’ai peut-être pas couché avec des hommes, mais je suis sortie avec
beaucoup d’entre eux. Je t’en ai parlé lors de notre première nuit ensemble. Je veux savoir, Max.
Raconte-moi.
— D’accord, mais ce n’est pas joli.
— Et elle, était-elle jolie ?
— Jolie ? Non, Grace n’était pas jolie, à proprement parler, mais mince, rousse et toujours bien
apprêtée. Elle était déjà mon assistante lorsque papa a eu son attaque. Je m’occupais jusqu’alors de
la partie financière de l’entreprise ici à Sydney quand j’ai dû partir à l’étranger. Souvent. Elle m’a
accompagné dans mes voyages. L’homme avec lequel elle vivait n’a pas apprécié et ils ont rompu.
Nous n’avions jamais eu de relations intimes avant, mais du jour au lendemain nous étions ensemble
tous les jours de la semaine. Nous nous sentions tous les deux bien seuls et un soir, après avoir forcé
un peu sur la bouteille, elle m’a dragué et c’est arrivé, tout simplement. Il n’y avait pas d’amour entre
nous, juste deux âmes perdues qui cherchaient un peu de tendresse. J’aurais dû y mettre fin, c’est
certain, et je me sens encore aujourd’hui coupable de ne pas l’avoir fait. Et quand j’ai essayé, elle
m’a annoncé qu’elle était enceinte.
Tara laissa échapper un hoquet de surprise.
— Ce n’était pas vrai, ajouta-t-il. C’était juste un stratagème pour m’obliger à l’épouser. Et très
franchement, j’ai eu des doutes dès le début. J’ai toujours utilisé des préservatifs et il n’y a jamais eu
d’accident. Lorsque j’ai insisté pour l’accompagner chez le médecin pour connaître l’état
d’avancement de sa grossesse, elle s’est effondrée en larmes et a avoué m’avoir menti.
— Et si elle n’avait pas menti, Max ? Qu’aurais-tu fait ?
Il haussa les épaules.
— Honnêtement, je ne sais pas. Mais elle ne l’était pas, Dieu merci. Je n’ai donc pas été
confronté à ce dilemme. Mais cela m’a rendu méfiant, crois-moi. D’où Pierce.
— Je vois. Et qu’est-elle devenue ?
— Elle est retournée auprès de l’homme avec qui elle vivait avant notre liaison. J’ai reçu un
mot de sa part quelques mois plus tard disant qu’ils allaient se marier et qu’elle attendait un bébé.
J’étais heureux pour elle car je la soupçonnais de croire qu’elle était trop âgée pour avoir un enfant.
Elle n’était plus toute jeune, vois-tu. Elle avait quarante ans à ce moment-là.
— Une femme plus âgée, dit Tara d’une voix tendue. Et avec de l’expérience, je parie. As-tu
appris d’elle des jeux érotiques, Max ? Est-ce la raison pour laquelle tu n’arrivais pas à la quitter ?
Parce qu’il n’y avait nul besoin de la persuader de terminer ce qu’elle avait commencé ?
— Arrête ça, Tara, ordonna Max d’un ton brusque. Arrête ça tout de suite. Tu n’as aucune raison
de te montrer jalouse de Grace. Je suis désolé si mon passé n’est pas aussi blanc que le tien, mais je
refuse d’être questionné dessus et je ne m’excuserai pas non plus. Je ne suis qu’un homme. J’ai
certainement fait des erreurs dans ma vie, mais j’espère en avoir tiré les leçons qui s’imposaient.
Mettant de côté son plateau de petit déjeuner, il se leva.
— Je pense qu’il est préférable que je m’en aille avant que tu trouves un autre sujet de
controverse. Tu n’es pas dans ton assiette ce matin, et à plus d’un titre. Lorsque tu te sentiras
suffisamment en forme pour rentrer, utilise pour une fois la carte de crédit que je t’ai donnée pour
prendre un taxi. En vérifiant les relevés bancaires, j’ai remarqué que tu ne l’utilisais plus ces
derniers temps.
— D’accord, dit-elle, pressée qu’il parte afin de pouvoir pleurer tout son soûl.
Il la fixa longuement, les yeux rétrécis.
— Si seulement je savais ce qui se passait dans ta jolie petite tête.
— Pas grand-chose. Les maîtresses blondes à gros seins ne sont pas connues pour leur
intelligence.
— Tara…
— Je sais. Je me conduis comme une idiote. Pardonne-moi, dit-elle, les larmes aux yeux.
— Oh ! Tara…
Et il commença à marcher vers elle.
Elle savait sans l’ombre d’un doute qu’il s’apprêtait à la prendre dans ses bras. S’il faisait ça,
elle s’écroulerait et dirait des choses encore plus stupides.
— Ne t’approche pas de moi.
Le regard tourmenté, il s’arrêta.
— Je ne veux pas te quitter sur cette fausse note.
— Tu pourras te rattraper le week-end prochain à Auckland.
— Mais c’est dans une semaine !
— Appelle-moi de Hong Kong, alors. Mais pas ce soir. Je veux me coucher tôt et dormir. Je
suis éreintée.
— Moi aussi, dit-il avec un grand sourire. Je crois que je vais dormir dans l’avion. C’est
d’accord, je t’appelle demain soir. Je peux quand même t’embrasser sur le front ?
— Si tu te sens obligé.
— Oh ! mais je me sens obligé, murmura-t-il, tandis que ses lèvres effleuraient son front.
Tara attendit qu’il soit enfin parti avant d’éclater en sanglots bruyants.
8.

Les yeux écarquillés, Tara fixa la ligne bleue.


Elle était enceinte.
Elle se prit la tête entre les mains.
Elle avait tant et tant pleuré après le départ de Max qu’elle n’avait plus de larmes à verser.
Il était près de 14 heures quand elle avait enfin trouvé la force de s’habiller et de descendre
acheter un test de grossesse à la pharmacie de l’hôtel.
Et maintenant, il n’y avait plus de doute. Plus de questionnements. Elle allait bel et bien avoir le
bébé de Max.
Dépitée, Tara secoua la tête. La vie était injuste. Elle avait pris toutes les précautions pour
éviter de tomber enceinte. Cela n’aurait pas dû lui arriver. Qu’allait-elle donc faire ? Que pouvait-
elle faire ?
Rien. De même que Jen n’avait rien fait quand Dale l’avait mise enceinte. Les sœurs Bond
n’avortaient pas.
Non pas que Tara ait envie de se débarrasser du bébé de Max, et si seulement elle n’avait pas eu
si peur de la réaction de son amant, elle aurait même pu se réjouir de la situation.
Mais là résidait son plus gros problème : mettre Max au courant.
Et s’il l’accusait d’être délibérément tombée enceinte ? Et encore pire, s’il lui demandait
d’avorter ?
Ce serait la fin de leur relation, elle le savait. Parce que cela prouverait une fois pour toutes
qu’il ne l’aimait pas. A cette pensée, une immense vague de souffrance la submergea, la laissant
profondément déprimée. Comment supporterait-elle d’apprendre qu’il ne l’aimait pas ? Comment
ferait-elle face à cette souffrance ?
Elle allait devoir prendre sur elle, se morigéna-t-elle. Elle allait devenir mère, bon sang ! Son
bébé allait avoir besoin d’elle. Ce n’était pas le moment de craquer.
Forte de cette résolution, Tara redressa les épaules, mais à la pensée de devoir avouer sa
grossesse à sa mère elle sentit son courage l’abandonner. Pas encore, décida-t-elle. Peut-être même
attendrait-elle avant de l’annoncer à Max. Sa grossesse ne se verrait pas tout de suite et cela lui
permettrait de dépasser les quatre mois fatidiques autorisés pour pratiquer un avortement. Elle ne
pensait pas qu’il l’obligerait à avorter contre son gré, mais ne voulait pas non plus tenter le diable.
Malheureusement, elle ne savait pas au juste depuis combien de semaines elle était enceinte. Sa
première mission était de le découvrir.
Jen, songea-t-elle avec un regain de confiance. Jen connaissait un sympathique gynécologue
qu’elle était allée consulter lorsqu’elle était enceinte. Tara l’avait accompagnée plusieurs fois et
l’avait beaucoup apprécié. Mais par-dessus tout, sa sœur ne se montrerait pas trop choquée en
apprenant la nouvelle. Ce serait malvenu de sa part puisqu’elle-même était tombée enceinte à dix-
sept ans !
Oui, elle mettrait Jen au courant, puis lui demanderait de prendre rendez-vous avec son
gynécologue — de préférence cette semaine, avant son voyage en Nouvelle-Zélande. Elle avait
besoin de savoir où elle en était.
Tara se leva, retourna dans la chambre de Max et s’assit sur le bord du lit avant de saisir le
téléphone. Elle s’apprêtait à composer le numéro de Jen quand elle réalisa qu’elle n’avait pas appelé
sa mère du week-end, alors qu’elle lui avait promis de lui dire quand elle rentrerait.
Elle soupira. Décidément, lorsque Max était présent, elle ne pensait plus à rien ni à personne.
Cet homme l’obsédait depuis de longs mois et, après ce week-end torride, les choses seraient sans
nul doute allées crescendo si sa grossesse n’avait pas mis un frein à ses rêves. Elle avait adoré ses
façons viriles — sans aucun risque pour le bébé, semblait-il —, mais elle ne pouvait pour autant le
laisser poursuivre dans cette voie.
Ce qui voulait dire qu’elle ne pourrait garder longtemps le secret de sa grossesse. Max ne
comprendrait pas pourquoi elle souhaitait revenir à des rapports plus classiques.
Non, elle allait devoir lui dire la vérité. Et vite.
Du coup, elle ne savait pas si elle devait considérer cette grossesse comme une bonne nouvelle
ou au contraire comme une catastrophe. C’était la fin de ses voyages à l’étranger, la fin de leurs
séances torrides et probablement la fin de sa liaison avec Max !
A cette pensée, les larmes lui vinrent aux yeux.
La vie était vraiment injuste.
Effondrée, Tara s’écroula sur le lit, le téléphone toujours dans sa main. Mais cette fois, ses
sanglots ne durèrent qu’une dizaine de minutes.
Elle allait mieux, se dit-elle en s’essuyant les yeux avec le drap, puis en inspirant profondément.
— Il est temps d’appeler maman ! dit-elle tout haut, fière de sa voix ferme et de son doigt
vigoureux, tandis qu’elle tapait le numéro sur le clavier.
— Allô, dit son interlocutrice en décrochant.
— Oh ! c’est toi, Jen !
— Salut, Tara. Oui, c’est moi. Je suis venue rendre visite à maman. Elle semblait un peu
déprimée. Dale s’occupe des enfants. Nous jouons au Scrabble et nous nous empiffrons de gâteaux. Je
présume que ton Seigneur et Maître est en ville ?
— Euh… était. Il vient de partir.
— Eh bien ! Il ne reste pas longtemps en ce moment !
— Jen, pouvons-nous parler ? Je veux dire… est-ce que maman entend notre conversation ?
— Attends une seconde. Maman, c’est Tara… Tara, maman veut savoir quand tu rentres à la
maison.
— Bientôt.
— Bientôt, maman, dit sa sœur à sa mère. Pourquoi n’irais-tu pas nous faire une tasse de thé
pendant que je discute avec ma petite sœur ? Cela fait une éternité que je ne lui ai pas parlé… Super,
je suis seule maintenant, Tara. Que se passe-t-il ?
— Je… je suis enceinte.
— Oh zut ! dit Jen, après quelques instants de silence.
— C’est tout ? Tu n’as rien d’autre à me dire ? J’espérais de ta part des conseils et des paroles
de sympathie.
— Excuse-moi, mais je suis sous le choc. Comment cela est-il arrivé ? Enfin, je veux dire… as-
tu oublié de prendre la pilule un jour ?
— Non. Je l’ai prise tous les jours à la même heure.
— Le comble, alors ! Moi au moins, je suis tombée enceinte par négligence. Oh, Tara, que vas-
tu faire ?
— Avoir mon bébé. Comme toi.
— Je vois. Alors, Max est-il déjà au courant ? J’imagine que non.
— Non. Je viens tout juste de faire le test de grossesse. Le résultat était plus que probant.
— Que crois-tu qu’il va dire ?
— J’ai bien peur que la nouvelle ne l’enchante pas.
— Les hommes ne sautent jamais de joie à cette nouvelle, mais s’il t’aime, il restera à tes côtés.
Dale a tout d’abord piqué une crise, mais au bout d’un moment il s’est calmé et il est devenu solide
comme un roc, après cela. Bien plus que moi, d’ailleurs. J’ai pleuré pendant des semaines et des
semaines.
— Je me souviens.
— Crois-tu que Max te demandera en mariage ?
— Il m’a toujours dit qu’il ne voulait pas se marier et avoir d’enfants, donc ton opinion là-
dessus vaut la mienne.
— Non, Tara, la contredit sa sœur. Tu connais l’homme. Pas moi. Est-ce qu’il t’aime ?
— Il le prétend.
— Tu ne sembles pas convaincue.
Tara soupira.
— Mes sentiments envers Max sont un peu partagés en ce moment.
— Est-ce en raison de ta grossesse ou bien votre relation est-elle en train de s’essouffler ?
Maman me dit qu’il ne vient pratiquement plus te voir.
Toujours furieuse contre Max, Tara ne voulait pas prendre sa défense, mais se sentait toutefois
obligée de le faire.
— Il a été très occupé avec la crise dans l’industrie du tourisme. En revanche, il m’a demandé
ce week-end de démissionner de mon poste pour l’accompagner dans ses voyages d’affaires, ajouta-
t-elle, omettant de préciser qu’il lui avait fait cette offre après la nuit exceptionnelle qu’ils venaient
de vivre.
— Ouah ! Et que lui as-tu répondu ? Question idiote, se fustigea sa sœur. Je sais à quel point tu
es folle de ce type.
— Je ne me vois pas voyager du tout dans les prochains mois. Je suis malade tous les matins.
J’ai besoin de voir un médecin. Crois-tu que tu pourrais prendre rendez-vous pour moi cette semaine
avec ton gynécologue ?
— Il devrait pouvoir te recevoir. Mais il ne te guérira pas de tes nausées matinales. Tu devras
juste attendre que ça passe. Le mieux est de garder un paquet de biscuits sur ta table de nuit et d’en
manger un ou deux avant de te lever. Cela aide. Alors, tu es enceinte de combien ?
— Voilà autre chose. Je ne sais pas. Avant ce week-end, je n’ai pas vu Max depuis presque un
mois. Pourtant, j’ai eu mes règles pendant son absence. En tout cas, c’est ce que j’ai cru. J’ai saigné
un peu.
— Oui, cela peut arriver. Tu es probablement enceinte de six semaines si tu as des nausées.
Mais il faut que tu voies un spécialiste. Ne t’inquiète pas, je dirai à la réceptionniste qu’il s’agit
d’une urgence, dit Jen d’une voix rassurante. Quand comptes-tu mettre au courant ton cher et tendre ?
— Max, corrigea Tara. Appelle-le Max.
— Il y a beaucoup de noms dont j’aimerais l’affubler, mais Max n’en fait pas partie. Ecoute,
Tara. Lorsque tu auras vu le médecin et que ta grossesse sera confirmée, tu devras en informer Max.
Même s’il ne veut pas t’épouser, il est légalement tenu de subvenir aux besoins du bébé. Tu n’as
aucune idée de ce que coûte un enfant de nos jours. As-tu une assurance complémentaire ?
— Je t’en prie, Jen ! Dois-tu vraiment te montrer aussi… pragmatique ? Je viens seulement
d’apprendre que j’étais enceinte. C’est un moment plein d’émotion pour moi.
— Tu manifesteras ton émotion plus tard. Pense d’abord à ton bien-être et à celui de ton enfant.
Fais-moi confiance.
— Je commence presque à regretter de t’en avoir parlé !
— Ne sois pas ridicule. Tu as besoin de tout le soutien possible, ce qui me fait penser… Tu
devrais le dire à maman.
— Tu plaisantes ? Je lui dirai le plus tard possible. Promets-moi de ne rien lui dire, Jen. S’il te
plaît, promets-le-moi.
— Bon, d’accord. Je pense néanmoins que tu as tort, mais c’est toi qui décides. J’appellerai la
clinique dès demain matin, puis je t’appellerai pour te donner l’heure du rendez-vous. Je
t’accompagnerai, bien entendu.
— C’est vrai ? Oh ! Jen, ce serait formidable. Je me sens si… je ne sais pas. J’ai du mal à
comprendre ce qui m’arrive. Un bébé ! Je vais avoir un bébé ! murmura Tara, de nouveau proche des
larmes.
— Un magnifique bébé, j’en suis certaine, assura sa sœur. Et tu vas l’adorer.
Tara déglutit avec peine.
— Tu crois ? Je ne me suis jamais perçue comme une bonne mère. Je suis trop… instable.
— Tu ne savais pas ce que tu voulais, c’est tout. Avoir un bébé insufflera un sens nouveau à ta
vie. Euh… nous devrions peut-être raccrocher maintenant avant que maman revienne.
— Oui. Je n’ai pas le courage d’affronter ses sermons. Tu n’oublieras pas de m’appeler demain,
n’est-ce pas ?
— Non, je n’oublierai pas.
— Bon, je te laisse. Au revoir.
Jen raccrocha, puis fit une grimace à sa mère qui se tenait devant elle, deux tasses de thé à la
main.
— Tu as entendu ce que je viens de dire, n’est-ce pas ?
Joyce acquiesça.
— Elle… elle a trop peur de t’annoncer la nouvelle, balbutia Jen, consciente en voyant
l’expression sur le visage de sa mère que celle-ci était sur le point de faire une scène.
— Mais pourquoi ? se plaignit Joyce en posant les tasses sur la table basse et s’affalant dans un
fauteuil.
— Tu le sais très bien, maman. Pour les mêmes raisons qui m’ont moi aussi poussée à ne pas te
parler de ma grossesse. Les filles aiment que leurs mères soient fières d’elles, et non pas qu’elles
aient honte.
— Mais, Jen, je n’ai jamais eu honte de toi. J’étais juste déçue pour toi. Et inquiète. Tu étais si
jeune et aucun de vous deux n’avait de quoi subvenir à vos besoins.
— Qu’est-ce que l’âge et l’argent ont à voir là-dedans ? L’important c’est l’amour que nous
éprouvons l’un pour l’autre. Dale m’aimait et je l’aimais. Certes, nous avons eu des moments
difficiles, mais notre mariage est une réussite. Hélas, je ne suis pas certaine que Max Richmond aime
Tara. En tout cas pas assez pour renoncer à son mode de vie, comme Tara l’a bien compris. Voilà
pourquoi elle est si secouée. Elle va avoir besoin de tout notre soutien dans les mois à venir, maman.
— Comment puis-je la soutenir alors que je ne suis même pas censée être au courant ?
— Elle te le dira. Laisse-lui juste un peu de temps.
— D’après ce que j’ai compris, elle n’a pas encore mis Max Richmond au courant.
— Pas encore. Elle vient tout juste d’apprendre la nouvelle et Max n’est pas là.
— Il ne sera jamais là pour elle.
— Sans doute pas. Mais on peut l’obliger à subvenir à ses besoins et à ceux du bébé. Au moins,
elle sera protégée.
— C’est vrai. Mais Tara n’est pas intéressée par sa fortune. Tu sais bien qu’elle n’est pas ce
genre de fille. Elle veut juste qu’il l’aime.
— Oui, je sais. Elle a toujours été romantique. Elle a vécu dans un monde imaginaire avec son
amant imaginaire et voilà qu’elle se trouve confrontée à la dure réalité de la vie.
Joyce secoua la tête.
— Je craignais quelque chose de ce genre depuis longtemps. Si cet homme la laisse tomber, je
ne suis pas certaine qu’elle pourra faire face à la situation.
— Elle sera bouleversée, c’est certain, mais elle fera face. Tu nous as élevées pour que nous
soyons des battantes. Nous sommes têtues toutes les deux, tu peux me faire confiance.
— Vous êtes des filles bien.
— C’est bien le problème, soupira Jen. Si Tara n’avait pas autant de principes, le problème ne
se poserait même pas.
— Jen, tu ne penses tout de même pas qu’elle…
— Jamais de la vie ! Elle va avoir cet enfant, que Seigneur et Maître le veuille ou non.
Joyce la dévisagea d’un air choqué.
— Tu veux dire qu’il risque d’essayer de la pousser à se débarrasser du bébé ?
— C’est fort probable, tu ne crois pas ?
— Il est vrai qu’elle est follement amoureuse de lui. Et s’il fait pression sur elle pour qu’elle
avorte, elle pourrait fort bien lui obéir. Les femmes amoureuses font parfois des choses qu’elles
regrettent par la suite.
— S’il l’oblige à faire une chose pareille, c’est lui qui va le regretter ! dit Jen d’une voix dure.
Tara ne lui pardonnera jamais et ne se le pardonnera pas non plus… Bien, je ferais mieux de boire ce
thé, puis de rentrer chez moi, maman. Ne t’inquiète pas trop pour Tara. Max ne peut pas encore faire
pression sur elle car elle n’a pas l’intention de le lui dire pour l’instant. D’accord ?
Joyce acquiesça, même si elle était très inquiète pour sa fille. Et le pire c’était qu’elle ne
pouvait rien faire pour elle puisqu’elle n’était même pas censée être au courant.
Jetant un regard oblique vers Jen, elle se demanda une fois de plus pourquoi les filles se
méprenaient toujours sur les intentions de leurs mères. Elles ne voulaient pourtant que leur bonheur !
Et dire que Jen pensait qu’elle avait eu honte d’elle à l’annonce de sa grossesse ! Comment
pourrait-elle avoir honte de ses filles alors qu’il lui était arrivé exactement la même chose ? Peut-être
leur avouerait-elle un jour qu’elle était enceinte au moment de son mariage.
Ses yeux se remplirent de larmes au souvenir de l’homme séduisant qui l’avait littéralement
envoûtée. Comme elle avait aimé cet homme ! Au point qu’après sa mort, elle n’avait pas supporté
l’idée d’être touchée par un autre. Et ce n’était pas faute de soupirants. Ses filles seraient sans doute
surprises de l’apprendre. Mais non, elle avait préféré être fidèle à la mémoire de son Bill adoré.
— Ne pleure pas, maman, dit Jen en posant une main sur la sienne. Tara ira bien, tu verras.
Joyce lui sourit à travers ses larmes.
— Je l’espère, mon cœur.
— Elle est forte, notre Tara. Et têtue. Max aura du mal à l’obliger à faire quelque chose qu’elle
ne veut pas faire. Et elle ne voudra pas se débarrasser de son bébé. Allez, sèche tes larmes et viens
m’embrasser. Si tu as les yeux gonflés au retour de Tara, elle saura que je t’ai tout raconté et nous
allons au-devant de problèmes. Promets-moi de ne rien dire.
Joyce embrassa sa fille et lui promit de ne rien dire. Mais une fois seule et rongée par
l’angoisse, elle fit la seule chose qui lui permettait de se détendre lorsqu’elle s’inquiétait pour l’une
de ses filles. Elle prit l’album de photos — souvenir visuel des bons moments passés ensemble, en
famille, avant le décès de Bill. Regarder l’homme qu’elle avait tant aimé et aimait toujours calmait
ses angoisses. Elle aimait lui parler, lui demander conseil.
Comme toujours, il lui souffla de s’accrocher et d’être patiente. Certaines choses exigeaient du
temps. Du temps et du travail. Et d’avoir foi en la personne.
Ce dernier conseil lui fit froncer les sourcils. Elle avait foi en Tara — mais pas en Max
Richmond.
9.

Le front barré d’un pli soucieux, Max raccrocha. Quelque chose ne tournait pas rond. Il le
sentait, l’avait senti tout au long de la semaine.
Tara était différente. Tous les soirs, elle coupait court à leur conversation téléphonique sous des
prétextes fallacieux. Ses cheveux étaient mouillés. Elle voulait regarder une émission à la
télévision… Ce soir, elle avait prétexté devoir nourrir le chat de sa mère car celle-ci était sortie avec
des amies. Comme si cela ne pouvait pas attendre !
Ensuite, il y avait son évident manque d’enthousiasme à la perspective de le rejoindre à
Auckland pour le week-end. Elle lui avait même annoncé ce soir qu’elle n’était pas sûre de pouvoir
venir. Ils manquaient en ce moment de personnel chez Whitmore Opals et elle se sentait obligée de
les aider. Cela le dérangerait-il beaucoup si elle annulait leur petite escapade amoureuse ?
Quand il avait répondu par l’affirmative, elle avait soupiré ostensiblement. Elle verrait ce
qu’elle pourrait faire, avait-elle décrété, mais il ne devait pas trop compter sur sa venue. En
raccrochant, elle ne lui avait pas dit qu’elle l’aimait, comme elle le faisait d’habitude, se contentant
d’un au revoir tendu.
Le week-end dernier avait été une erreur, se dit-il. Il lui avait fait peur.
Il secoua la tête. Ne se rendait-elle pas compte que les séances de sexe torride avec elle lui
importaient peu, au fond ? Il voulait juste être avec elle.
Il allait la rappeler, décida-t-il soudain. Il n’était pas tard, après tout. Seulement 20 heures pour
elle.
Lorsque Mme Bond décrocha, il fut tout d’abord interloqué. Mais pas pour longtemps. N’avait-
il pas su au fond de lui-même que Tara lui avait menti ?
— Max Richmond au téléphone, madame Bond. Puis-je parler à Tara, s’il vous plaît ?
— Certainement pas, répondit d’un ton sec la mère de Tara. Je ne vous permettrai pas de la
bouleverser encore plus. Elle en a assez vu pour aujourd’hui.
— Quoi ? Mais je n’ai rien dit qui aurait pu la bouleverser. Et qu’entendez-vous quand vous
dites qu’elle en a assez vu pour aujourd’hui ? Que se passe-t-il donc que j’ignore ?
La voix de Tara résonna soudain au second plan.
— Oh ! Maman ! Comment as-tu pu me faire ça ? Tu avais pourtant promis. Je n’aurais jamais
dû te le dire !
— Il doit savoir, Tara. Et le plus tôt sera le mieux. Pourquoi devrais-tu porter ce fardeau toute
seule ?
— Fardeau ? Quel fardeau ? s’enquit Max, décontenancé. Parlez-moi, bon sang ! Dites-moi ce
qui se passe.
Mais elle ne répondit pas. Tout ce qu’il entendait était des sons assourdis. Son sang ne fit qu’un
tour et un sentiment d’impuissance le submergea. Il voulait être là, et pas pendu au téléphone à des
milliers de kilomètres. S’il avait été présent, il les aurait obligées à le regarder et à répondre à ses
questions.
— Allô ! cria-t-il dans le combiné. Vous êtes toujours là ? Répondez-moi, bon sang !
Encore des sons assourdis, puis une porte claqua et quelqu’un soupira.
— C’est moi, dit Tara d’une voix lasse.
— Dieu merci, Tara. Dis-moi ce qui se passe.
— Je suppose qu’il n’y a pas lieu de garder le secret plus longtemps. Je suis enceinte, Max.
— Enceinte ? Mais comment… ?
— Avant que tu dises quoi que ce soit, le coupa-t-elle avec impatience, sache que je ne suis pas
tombée enceinte volontairement, ni même par accident. J’ai pris cette satanée pilule tous les jours à
heure fixe. J’ai même cru avoir mes règles il y a quelques semaines. Le gynécologue que j’ai vu
aujourd’hui m’a dit que cela pouvait arriver, même si c’était rare. Je suis enceinte de six ou sept
semaines d’après l’échographie.
Max poussa un soupir de soulagement. Tara allait avoir un bébé ! Son bébé ! Elle ne s’était pas
lassée de lui, pas plus qu’elle n’avait peur de lui. Elle était juste enceinte.
— Dis quelque chose, bon sang !
— Je réfléchissais.
— Ça, je m’en doute, ironisa-t-elle. Ecoute, si tu crois que je suis heureuse de cette situation, tu
te trompes lourdement. Avoir un bébé maintenant était bien la dernière chose dont j’avais envie. Et si
être enceinte veut dire être malade comme je l’ai été tous les matins depuis plusieurs jours, il est
probable que je ne voudrai jamais plus de bébé.
— Voilà pourquoi tu étais malade l’autre jour, s’exclama Max. Ce n’était pas le champagne !
— Non, ce n’était pas le champagne, renchérit-elle. C’était ton bébé.
— Je comprends, Tara. Et ta mère a raison. Ceci relève de ma responsabilité, autant que de la
tienne. Alors, depuis combien de temps le sais-tu ? Tu n’étais pas au courant le week-end dernier,
n’est-ce pas ?
Elle ne l’aurait pas encouragé à se comporter de façon si érotique si elle avait su qu’elle était
enceinte, tout de même !
— Bien sûr que non. Mais lorsque je me suis réveillée dimanche matin et que j’ai vomi pour la
deuxième fois en deux jours, j’ai eu un doute.
— Ah ! Voilà pourquoi tu t’es montrée si irritable avec moi ce matin-là. Je comprends,
maintenant. Pauvre bébé.
— Oui, c’est un pauvre bébé, non désiré par ses parents.
— Tu ne veux vraiment pas avoir ce bébé ?
A cette pensée, Max sentit son cœur se serrer. Lorsque Grace lui avait annoncé qu’elle attendait
un bébé, il n’avait pas du tout ressenti la même chose que maintenant. Il désirait cet enfant. C’était le
sien et celui de Tara. Un véritable enfant de l’amour.
Le silence de Tara à l’autre bout de fil était hélas éloquent. Si lui désirait ardemment cet enfant,
ce n’était pas le cas de Tara. Elle s’était déjà rendue chez le médecin pour connaître l’avancée de sa
grossesse. Pourquoi ? Pour voir s’il n’était pas trop tard pour avorter ?
A cette perspective, un sentiment de panique l’envahit.
— Ce n’est pas la fin du monde, Tara, dit-il en choisissant ses mots avec précaution. Je ne veux
pas que tu prennes de décisions hâtives. Nous allons trouver une solution ensemble. Ecoute, je n’irai
pas en Nouvelle-Zélande demain. Pierce s’occupera de tout. Je vais prendre un vol de nuit pour
Sydney et, dès mon arrivée, je prendrai un taxi pour venir chez toi et nous pourrons discuter. C’est
d’accord ?
Elle ne dit toujours rien.
— Tara…
— Quoi ?
Le ton était dur, amer même. Max essaya de se mettre à sa place. Tomber enceinte alors qu’elle
avait tout fait pour éviter une grossesse devait être difficile pour elle, d’autant qu’elle était jeune et
commençait tout juste à s’épanouir sexuellement. Elle s’était montrée très excitée à l’idée de voyager
avec lui et maintenant elle devait penser que sa vie était gâchée ; elle serait condamnée aux tâches
domestiques rébarbatives pendant qu’il continuerait à parcourir le globe.
Avorter n’était cependant pas la réponse. Pas pour une femme comme Tara. Elle ne se le
pardonnerait jamais.
— Promets-moi d’être là quand j’arriverai, supplia-t-il. Même si l’avion a du retard, promets-
moi de m’attendre et de ne pas aller travailler demain.
— Pourquoi devrais-je te faire des promesses alors que tu ne m’en as jamais fait aucune ? Va au
diable, Max !
Là-dessus, elle lui raccrocha au nez.
Max eut un hoquet de surprise, puis gémit intérieurement lorsqu’il comprit son erreur. Il aurait
dû lui dire de nouveau combien il l’aimait, la rassurer et lui certifier qu’il serait toujours là pour elle,
sur un plan physique, affectif et financier. Peut-être même aurait-il dû lui demander de l’épouser
comme preuve de sa bonne foi envers elle et le bébé.
Epouser Tara parce qu’elle allait avoir un bébé n’était certes pas la solution idéale, il en
convenait. Il avait jusqu’à présent refusé l’idée de se marier et d’avoir des enfants car il ne voulait
pas négliger sa famille comme son père l’avait fait. Mais il se trouvait aujourd’hui devant un fait
accompli et qui plus est il aimait Tara. Des compromis pouvaient être faits.
Oui, le mariage était décidément la solution. Il allait la rappeler et lui demander de l’épouser.
Sans plus attendre, il recomposa le numéro.
— Zut ! tonna-t-il lorsque la ligne sonna occupé.
Il tenta de la joindre sur son portable, mais celui-ci était éteint. Elle ne voulait visiblement pas
lui parler. Elle était en colère contre lui et il ne pouvait que lui donner raison. Il s’était montré si
stupide !
Il arpenta la pièce d’un pas rageur, puis composa une fois de plus le numéro. La ligne était
toujours occupée. Il appela aussitôt Pierce et lui demanda de lui réserver une place sur le vol de nuit
pour Sydney.
— Mais que faites-vous de la Nouvelle-Zélande ? s’enquit Pierce, visiblement dérouté par ce
changement de programme.
— Vous devrez y aller à ma place. Croyez-vous être capable de gérer seul la situation ?
— M’accordez-vous les pleins pouvoirs ? Ou bien devrai-je rester en contact avec vous par
téléphone pendant la durée des négociations ?
— Vous avez carte blanche. A vous de décider si l’hôtel est un bon investissement, et si oui,
achetez-le. A un prix avantageux, bien entendu.
— Vous plaisantez ?
— Absolument pas.
— C’est fantastique, s’enthousiasma Pierce. Et que me vaut cet honneur ?
— Mon mariage imminent.
— Votre quoi ?
— Tara est enceinte.
— Oh ! mon Dieu !
Max comprenait la surprise de Pierce. Il n’était pas le genre d’homme à se faire avoir ainsi.
Cependant, n’étant pas d’humeur à lui expliquer les raisons qui entouraient la grossesse inattendue de
Tara, il coupa court.
— Appelez tout de suite la compagnie aérienne, Pierce. Puis rappelez-moi.
— C’est d’accord. Euh… patron ?
— Oui ?
— Merci.
— Si vous accomplissez bien cette mission, vous aurez une promotion et vous voyagerez
beaucoup plus. Je prévois à l’avenir de réduire mes voyages à l’étranger. Mais commençons par le
commencement. Réservez-moi une place dans un avion pour Sydney. Ce soir !

* * *

Max dormit peu dans l’avion. Il passa le plus clair de son temps à réfléchir et à planifier la suite
des événements. Lorsque l’avion atterrit à l’aéroport de Mascot peu après l’aube, il était fin prêt pour
convaincre Tara que le mariage était la seule et unique option envisageable.
— Conduisez-moi tout d’abord à l’hôtel Regency Royale, dit-il au chauffeur de taxi. Ce ne sera
pas long. Vous irez ensuite dans la banlieue de Quakers Hill.
Le chauffeur eut l’air content. Le prix de la course serait élevé, Quakers Hill étant une banlieue
éloignée, située à l’ouest de Sydney.
Cela faisait des années que Max ne s’était pas rendu dans le coin et ce qu’il vit le stupéfia. Là
où il y avait auparavant des fermes disséminées un peu partout sur les collines environnantes se
trouvaient désormais des rangées et des rangées de belles et grandes demeures.
La maison de Tara, en revanche, n’en faisait pas partie. Située dans le quartier ancien de
Quaker-Hill, près de la gare, elle était petite et d’aspect modeste, sans garage et avec un jardin
minuscule. Les petits carrés de gazon de chaque côté de l’allée centrale étaient brûlés par le soleil de
cette fin d’été et les quelques arbustes présents étaient chétifs et malingres. De fait, la maison entière
semblait en piteux état et aurait eu besoin d’un bon coup de peinture. Mais la mère de Tara était
veuve depuis longtemps et elle n’avait pas de fils pour l’aider à entretenir la demeure.
La vie de Tara n’avait pas dû être rose tous les jours, réalisa soudain Max en poussant le
portillon grinçant. Il se souvenait d’ailleurs parfaitement de sa stupéfaction le matin suivant leur
première nuit passée ensemble, lorsqu’elle avait déambulé dans son appartement en poussant des
exclamations ébahies.
Pour la première fois depuis qu’il avait appris la nouvelle, il fut envahi d’un doute. Se pouvait-
il qu’elle mente à propos de sa grossesse involontaire ? Avait-elle tout planifié ? Etait-ce un
stratagème de sa part pour qu’il l’épouse ? Si c’était le cas, elle était la femme la plus ingénieuse et
la plus retorse qu’il eût jamais connue.
Non, décida-t-il en sonnant à la porte. La Tara qu’il connaissait et aimait n’était pas une femme
vénale. Au contraire ! Elle avait une personnalité délicieusement franche et directe et était incapable
de ce genre de comportement manipulateur.
Et c’était la raison pour laquelle il l’aimait tant.
La porte s’ouvrit et Max plongea le regard sur un visage qui ne ressemblait en rien à celui de
Tara. En fait, la petite femme rondelette et brune qui le fixait d’un regard glacial n’avait rien en
commun avec Tara, hormis peut-être son nez, le même petit nez en trompette.
— Vous avez perdu votre temps en venant ici, monsieur Richmond, dit-elle d’un ton sec. Vous
auriez dû téléphoner avant.
— Je pensais qu’il valait mieux parler à Tara en personne. J’ai essayé d’appeler hier soir de
l’aéroport, mais Tara a dû décrocher le téléphone. Elle ne répond pas non plus à son portable.
Ecoutez, madame Bond, je comprends les sentiments que vous avez vis-à-vis de moi. Vous pensez
que je suis l’un de ces hommes fortunés qui s’en prennent aux jolies jeunes femmes, mais vous vous
trompez. J’aime votre fille et je ne ferai jamais rien qui puisse lui nuire. Et maintenant, pourriez-vous
lui dire que je suis là, s’il vous plaît ?
Ses paroles apaisantes semblèrent tempérer légèrement la colère de la mère de Tara, même si
elle avait toujours l’air préoccupé.
— C’est ce que j’essaye de vous dire. Elle n’est pas là.
— Comment ? Vous voulez dire qu’elle est partie travailler, sachant que je venais la voir ?
— Non. Elle est partie hier soir. Elle a fait sa valise et a pris un taxi pour Dieu sait où.
La stupéfaction que ressentit Max à cette nouvelle se mua rapidement en frustration. Cette femme
mentait, il ne pouvait en être autrement.
— Comment ça, vous ne savez pas où ? C’est ridicule. Vous êtes sa mère, après tout ! Elle vous
a sûrement dit où elle allait.
Elle s’empourpra, semblant soudain embarrassée.
— Nous nous sommes disputées. Elle était fâchée contre moi parce que je vous avais parlé du
bébé et moi contre elle pour vous avoir raccroché au nez. Je pensais qu’elle était stupide. Et têtue.
Je… je…

* * *

Joyce se mordit la lèvre inférieure pour ne pas pleurer. Si seulement elle pouvait revenir en
arrière ! Dès l’instant où Tara lui avait parlé du bébé, elle avait très mal géré la situation. Elle avait
harcelé sa fille pour qu’elle mette Max au courant et exige de lui qu’il l’épouse. Lorsque Tara avait
répondu que de nos jours les hommes ne se mariaient plus simplement parce que la femme avec
laquelle ils sortaient était tombée enceinte, elle s’était montrée très critique envers la moralité
d’hommes tels que Max Richmond et des femmes assez stupides pour entretenir une liaison avec eux.
Lorsque Max lui-même avait téléphoné la veille, elle était si remontée qu’elle avait été déterminée à
lui faire savoir d’une façon ou d’une autre que Tara était enceinte.
Elle avait pensé bien agir, mais elle s’était trompée. Ce n’était pas à elle de décider. Tara était
une femme adulte, même si elle avait du mal à la voir ainsi. En ce qui la concernait, Tara serait
toujours son bébé.
— Je ne sais vraiment pas où elle est partie, monsieur Richmond, murmura-t-elle, les larmes
aux yeux.
— Max, corrigea-t-il d’une voix douce, sincèrement peiné pour elle. Je crois qu’il est temps que
vous m’appeliez Max, ne croyez-vous pas ? Surtout si je deviens votre gendre.
Les yeux remplis de larmes, Joyce leva la tête.
— Vous… vous êtes sérieux ? Vous allez épouser Tara ?
— Si elle veut de moi.
— Si elle veut de vous ? Mais elle vous adore !
— Pas suffisamment pour rester ici quand je le lui ai demandé, dit Max d’un ton amer.
— Je suis en partie responsable, admit-elle. Je n’ai pas très bien réagi à l’annonce de sa
grossesse.
— Ne vous inquiétez pas, moi non plus ! A-t-elle dit quelque chose avant de partir ?
— Elle m’a dit de vous dire qu’elle avait besoin de se retrouver seule quelque temps pour
réfléchir, loin de ceux qui voulaient décider à sa place. Elle a dit qu’il s’agissait de son corps et de
sa vie et que la décision de garder ou pas l’enfant lui appartenait. J’ai parlé à Jen après son départ.
Jen est sa grande sœur, au fait…
— Oui, je sais qui est Jen.
— C’est vrai ? s’enquit Joyce, surprise.
Max sourit légèrement.
— Nous parlons quelquefois, Tara et moi, vous savez.
Le sous-entendu fit rougir Joyce. Mais en toute justice, maintenant qu’elle avait enfin rencontré
l’amant de Tara, elle ne pouvait guère blâmer sa fille d’être tombée amoureuse de lui. Il était si beau
et dégageait une telle prestance, avec son costume sombre et élégant ! De fait, tout en lui exsudait la
masculinité et le pouvoir.
— Vous disiez ? reprit Max. Quelque chose à propos de la sœur de Tara.
— Ah, oui… Au début, je pensais que Tara s’était rendue chez sa sœur. J’ai donc appelé Jen.
J’étais probablement en ligne lorsque vous avez appelé de l’aéroport. Tara avait décroché le
téléphone, mais je l’avais raccroché un peu plus tard. Bien plus tard… En tout cas, elle n’était pas là
et Jen n’avait aucune idée de l’endroit où elle avait pu se rendre. Je me sentais très mal parce que je
pensais que Tara s’était enfuie à cause de moi, mais Jen m’a rassurée en me disant que c’était aussi
parce qu’elle avait peur que vous la poussiez à avorter.
Max fut atterré. Pour autant, ce n’était pas une hypothèse déraisonnable, devait-il admettre.
— Et dire que je m’inquiétais que ce soit elle qui choisisse cette solution.
— Oh non ! Tara ne se ferait jamais avorter. Jamais !
— Je suis heureux de l’apprendre, parce que si elle faisait ça elle ne s’en remettrait jamais.
C’est une âme sensible.
Joyce fut touchée de voir à quel point Max connaissait bien Tara. Il ne s’agissait pas là d’un
homme qui désirait sa fille uniquement sur un plan physique.
— Vous… vous aimez Tara, n’est-ce pas ?
— De tout mon cœur. Toutefois, il est évident qu’elle ne me croit pas. Et je n’ai à m’en prendre
qu’à moi-même. J’ai beaucoup réfléchi à notre relation durant le trajet en avion et j’ai réalisé que je
m’étais montré d’un égoïsme et d’une arrogance sans nom. On dit que les gestes sont plus éloquents
que les mots. Pas une seule fois, pourtant, je me suis demandé ce que mes actions exprimaient. Pas
étonnant qu’elle n’ait pas cru à mon engagement vis-à-vis d’elle et du bébé. Je ne lui ai jamais tenu
que des propos vides de sens. Je dois désormais lui montrer que je pense vraiment ce que je dis.
Mais je dois tout d’abord la trouver. Acceptez-vous de m’inviter à prendre le café chez vous,
madame Bond ? Nous essayerons ensemble de découvrir où Tara a pu aller.
— Joyce, corrigea-t-elle avec un sourire qui lui rappela celui de Tara. Si je dois devenir votre
belle-mère, il serait temps que vous m’appeliez par mon prénom.
10.

Derrière la vitre du taxi, Max salua Joyce de la main, heureux d’avoir réussi à lui faire
comprendre que ses intentions envers Tara étaient honorables. Pas une tâche aisée, vu la façon dont il
avait traité sa fille au cours de l’année écoulée.
Joyce n’avait d’ailleurs pas hésité à lui dire ses quatre vérités. Elle l’avait accusé d’avoir
négligé Tara et, pire que tout, de ne pas s’être suffisamment soucié d’elle pour réaliser à quel point
son refus de s’engager avait pu blesser une fille aussi sensible que Tara. Elle s’était moquée de lui
lorsqu’il avait prétexté que la jeune femme ne voulait pas plus que lui fonder une famille.
— Tara a besoin plus que la plupart des femmes de se sentir en sécurité. La mort de son père l’a
bouleversée plus que sa sœur, et pourtant elle n’avait que trois ans à l’époque. Elle s’est endormie en
pleurant pendant des mois après les funérailles. Dans un sens, vous êtes plus qu’un amant pour elle.
Vous êtes une figure paternelle, aussi.
Max n’avait pas trop apprécié son commentaire qui le faisait se sentir vieux, pas plus qu’il
n’avait été d’accord avec cette théorie. Peut-être Joyce ne connaissait-elle pas si bien sa fille qu’elle
le croyait. Tara, adulte, était une jeune femme très indépendante. Certes, elle était sensible et avait
sans doute besoin d’être rassurée, mais il ne pensait pas qu’elle le voyait comme une figure
paternelle. Elle ne le considérait même pas comme tel pour son bébé, sinon elle ne se serait pas
enfuie !
— Où diable es-tu passée, Tara, marmonna-t-il dans sa barbe.
— Vous dites… ? s’enquit le chauffeur de taxi.
— Je ronchonne, c’est tout, répondit Max.
— Il n’y a aucune raison de ronchonner, voyons ! Le soleil brille, nous avons gagné le match de
cricket. La vie est belle !
Max réfléchit à cette philosophie toute simple et décida qu’il pouvait y adhérer… à condition de
savoir où se trouvait Tara.
Joyce et lui pensaient qu’elle n’était pas partie très loin dans la nuit et qu’elle s’était
probablement rendue chez une amie. Le seul souci était que Tara avait laissé tomber toutes ses amies
depuis qu’elle était devenue sa bien-aimée, découvrit-il.
C’était le mot qu’avait employé Joyce, bien qu’il ait eu le sentiment qu’elle aurait préféré
utiliser un terme plus désobligeant, comme « maîtresse ». La mère de Tara n’avait pas manqué une
occasion d’enfoncer le couteau dans la plaie.
Outre une frustration croissante, il était rongé par la culpabilité.
Si Tara pensait pouvoir le punir en agissant ainsi, elle se trompait lourdement. Il avait de
nombreux moyens à sa disposition pour retrouver sa petite amie, surtout lorsque celle-ci était aussi
jolie et remarquable que l’était Tara. De fait, il avait le choix entre deux options : soit il louait les
services d’un détective privé, soit il essayait une autre méthode, plus rapide.
Il opta pour la seconde option.
Se penchant en avant, il donna une adresse différente au chauffeur puis, se renfonçant dans son
siège, réfléchit à ce qu’il allait dire à Tara lorsqu’ils se retrouveraient face à face.
Deux heures plus tard — ils avaient rencontré beaucoup de trafic sur la route qui menait au
centre-ville — il était dans son appartement. Saisissant à la hâte quelques vêtements décontractés, il
alla prendre une douche. Une fois rafraîchi et vêtu d’un pantalon crème et d’un polo de rugby, il se
dirigea vers l’ascenseur. Heureusement, Joyce lui avait donné à manger tandis qu’ils parlaient, aussi
n’eut-il pas besoin de commander quelque chose à grignoter auprès du service de chambre. Il hésita à
se faire une tasse de café, puis se ravisa. Il n’avait pas le temps. Maintenant que sa décision était
prise, il n’avait pas l’intention de lambiner. S’il avait une qualité — et Joyce n’avait pas l’air de
croire qu’il en avait beaucoup — c’était bien l’esprit de décision.
Cette fois, il prit sa propre voiture, et quelques minutes plus tard il roulait à vive allure vers
l’est. Par chance, à cette heure-là, la circulation était moins dense. Il était 11 heures passées, le soleil
brillait de mille feux dans le ciel d’été et Max aurait préféré se rendre n’importe où plutôt que là où
il se rendait.
Comme il approchait de la demeure de ses parents, il sentit son estomac se nouer. Il n’était pas
allé les voir depuis Noël, une visite symbolique qu’il n’avait pu éviter. Depuis le décès de Stevie, il
avait réduit ses visites au strict minimum. Elles étaient toujours tendues, surtout depuis l’accident
cérébral de son père. Les paroles qu’il aurait pu dire à celui-ci auraient certainement allégé
l’atmosphère mais jusqu’à présent il s’était abstenu. Il ne supportait pas plus sa mère, d’ailleurs. La
manière dont celle-ci prenait soin de son mari lui restait en travers de la gorge. Si patiente, sans
jamais élever le ton.
Peut-être que Tara avait raison, après tout. Peut-être qu’elle aimait vraiment son mari. En tout
cas, elle était certainement disposée à lui pardonner beaucoup de choses.
Max se demanda s’il pourrait un jour pardonner à son père. Il en doutait. Mais il allait devoir au
moins faire semblant s’il voulait avoir une chance de convaincre Tara de sa bonne foi.
Après avoir garé sa voiture au bord du trottoir devant la résidence de ses parents, il demeura
assis là quelques instants, à observer la somptueuse demeure. Elle était très différente de celle de
Tara. La grande maison à trois étages était flanquée de part et d’autre d’immenses jardins
parfaitement entretenus et d’une piscine à l’arrière. Et elle jouissait d’une vue imprenable sur la baie.
Une demeure digne d’un roi. Ou d’un prince.
Il avait grandi dans ce décor de rêve, l’avait tenu pour acquis : maison idyllique, école privée,
membre du yacht-club…
Et il y avait eu les femmes. Celles qui n’avaient cessé de le harceler dès l’instant où il avait été
assez âgé pour avoir des relations sexuelles. Celles qui avaient tout fait pour qu’il tombe amoureux
d’elles. Mais il n’en avait aimé aucune.
La seule femme dont il était tombé amoureux était Tara. Et il risquait de la perdre s’il n’y
prenait garde.
Un nœud au ventre, Max sortit de sa voiture et pénétra dans la maison. Il n’avait déménagé
qu’après le décès de son frère, Stevie, et avait toujours les clés.
Assise dehors sur la terrasse, sa mère lisait le journal à son père, installé à côté d’elle dans son
fauteuil roulant. Vêtue d’un pantalon bleu pâle et d’un joli chemisier fleuri, elle était comme à son
habitude tirée à quatre épingles. Elle arborait une coupe courte et moderne, était légèrement
maquillée et portait un élégant collier de perles.
D’aussi loin qu’il se souvienne, sa mère avait toujours fait plus jeune que son âge, mais
aujourd’hui, dans la lumière crue de cette belle journée d’été, c’était loin d’être le cas.
L’apparence de son père le choqua pourtant plus que celle de sa mère. Avant son attaque, il avait
été un homme séduisant avec un corps robuste et puissant et une chevelure noire et épaisse.
Maintenant, ses cheveux étaient blancs, ses muscles s’étaient atrophiés, et il avait le visage flétri et
les traits tirés. Il avait l’air d’avoir quatre-vingts ans, et pourtant il n’en avait que soixante-deux.
Pour la première fois, une onde de sympathie submergea Max, doublée d’un soupçon de
culpabilité. Comment se faisait-il qu’il n’ait pas remarqué la détérioration de l’état de santé de son
père ? Noël n’était pourtant pas si loin que cela. Peut-être parce qu’il était plus facile pour lui de
s’accrocher à de vieux ressentiments que d’admettre que son père déclinait rapidement et que sa mère
avait besoin d’aide au quotidien. Il était en effet beaucoup plus facile de haïr que d’aimer.
Max réalisa soudain qu’il ne détestait pas vraiment ses parents. Il ne les comprenait pas, c’est
tout. Tara avait raison lorsqu’elle disait qu’on ne savait pas ce qui se passait au sein d’un mariage.
Il y avait néanmoins une chose indéniable, songea Max en voyant sa mère poser tendrement la
main sur le bras de son mari. Elle aimait cet homme. Et à en juger par la façon dont son père la
dévisageait, c’était un sentiment partagé. Pourvu que Tara le regarde toujours ainsi ! songea-t-il avec
un petit pincement au cœur.
Ni l’un ni l’autre de ses parents ne l’avaient encore vu, tandis qu’il se tenait immobile derrière
les portes vitrées ouvrant sur la terrasse. Lorsqu’il en fit coulisser une, sa mère leva brusquement la
tête et écarquilla les yeux de surprise et de joie en l’apercevant.
— Max ! s’exclama-t-elle. Ronald, Max est là.
— Max…
Les yeux écarquillés et les mains tremblantes, son père essaya maladroitement de faire pivoter
son fauteuil roulant. Il avait l’air fatigué et son regard était éteint, songea Max. Il semblait presque
avoir renoncé à vivre.
— Max, répéta-t-il, comme s’il n’en croyait pas ses yeux.
— Bonjour, maman, papa, dit Max en s’approchant pour embrasser sa mère sur la joue. Vous
avez l’air en forme.
Ronald rit doucement.
— J’ai au contraire très mauvaise mine !
Max eut un sourire en coin. Son père avait encore un souffle de vie en lui.
— Je ne sais pas si tu te souviens, papa, mais quand j’étais petit tu m’as dit que Dieu aidait ceux
qui s’aidaient eux-mêmes. Tu as d’ailleurs clairement mis en pratique ce que tu prêchais à en juger
par ta fulgurante ascension où tu es passé de voiturier à propriétaire des hôtels les plus réputés
d’Australie.
Il se retint cependant de lui rappeler que le fait d’avoir épousé la fille d’un magnat de
l’hôtellerie avait certainement arrangé ses affaires. Quelques semaines seulement après le décès du
vieil homme, Ronald Richmond avait vendu les hôtels qui ne correspondaient pas à ses idéaux et
lancé la chaîne Royale. Il n’avait jamais ralenti la cadence jusqu’à ce que son attaque cérébrale
l’oblige à prendre une retraite prématurée, trois ans auparavant.
— Je suis un peu déçu, je dois dire, de voir que tu as jeté l’éponge, poursuivit Max. Je
m’attendais à mieux que ça de ta part.
Une lueur de colère étincela dans le regard de Ronald, ce qui était exactement ce que Max avait
espéré.
— Tu ne sais pas de quoi tu parles, mon garçon ! marmonna-t-il. Tout mon côté droit est
paralysé et ne sert plus à rien.
— Quelque chose qui pourrait être amélioré avec une simple thérapie. Tu devrais être
reconnaissant que ta parole n’ait pas été affectée. Certaines personnes ne peuvent plus parler après
une attaque cérébrale.
— Je vois mal, grommela son père. Ta mère doit lire à haute voix pour moi.
— Mais tu n’es pas aveugle, insista Max. Et si je demandais à un des meilleurs
kinésithérapeutes du pays de venir travailler avec toi ? Avec lui, tu seras debout en un rien de temps.
— Ce serait merveilleux, Max, intervint sa mère. N’est-ce pas, Ronald ?
— C’est trop tard. Je suis fichu.
— Foutaises ! s’écria Max. Il n’est jamais trop tard. Encore une de tes maximes, je te rappelle.
En outre, j’ai besoin que tu sois debout et en forme pour mon mariage.
— Ton mariage ? s’exclamèrent ses parents en chœur, l’air profondément choqué.
— Oui, je vais me marier.
Après ça, Max fut bombardé de questions. Il leur mentit effrontément, leur donnant moult détails
sur Tara et son bébé à naître, mais se gardant bien de leur parler de sa disparition. Il réussit à donner
l’impression que son mariage prochain était chose acquise et réussit même le tour de force de leur
promettre de leur présenter sa fiancée avant la fin du week-end. L’excuse qu’il invoqua pour
expliquer son absence était qu’elle visitait des amis pour quelques jours.
Pendant le déjeuner, il expliqua à ses parents qu’il comptait à l’avenir rester plus longtemps en
Australie et déléguer une partie de ses voyages à l’étranger à son assistant.
— Bonne idée, acquiesça son père. Lorsqu’un homme a une famille, il ne devrait pas s’absenter
de la maison trop souvent, comme je l’ai fait en mon temps.
Lorsque des larmes affluèrent à ses paupières, sa mère se leva aussitôt.
— Je crois qu’il est temps de faire ta sieste, mon chéri. Il se fatigue très vite ces temps-ci,
ajouta-t-elle pour son fils, tout en faisant pivoter le fauteuil roulant. Je ne serai pas longue. Sers-toi
une autre tasse de café.
Max fit ce que sa mère lui avait conseillé et se mit à réfléchir sérieusement jusqu’à ce que celle-
ci revienne.
En s’asseyant, elle lança à son fils un regard étrange.
— Je suis ravie que tu sois resté. D’habitude, tu files dès que l’occasion se présente. Le fait de
devenir père t’a changé, Max. Je te trouve différent. Plus doux. Plus compatissant. Peut-être le
moment est-il venu pour moi de te dire la vérité au sujet de Stevie ?
— Que… que veux-tu dire par là ?
Sa mère poussa un profond soupir et détourna le regard.
— Stevie n’était pas le fils de ton père.
Max eut un hoquet de surprise.
— Je pensais que tu l’avais deviné, poursuivit-elle devant son mutisme. Stevie était très
différent de toi et de ton père, après tout. De plus, il avait les yeux marron et deux parents aux yeux
bleus ne peuvent avoir un enfant aux yeux marron, comme tu le sais certainement.
Max secoua la tête.
— Non, je ne le savais pas. Stevie était-il au courant ?
— Heureusement, non. En tout cas, il ne me l’a jamais dit.
— Voilà donc pourquoi papa ne l’aimait pas.
— Détrompe-toi, Max. Ton père aimait Stevie. Mais, dès qu’il le regardait, il voyait en lui la
preuve vivante de ma duplicité.
— Mais je croyais que c’était papa qui s’était montré infidèle envers toi ?
Sa mère le fixa, interloquée.
— Pourquoi dis-tu une chose pareille ?
— Il y a des années de cela, je t’ai entendue dire à une de tes amies que tu savais que papa te
trompait, mais que tu avais choisi de fermer les yeux.
— Je suis désolée que tu aies surpris cette conversation, dit-elle d’un air peiné. Tu as dû me
trouver très faible. Ou l’esprit tordu.
— Je ne savais que penser. Je n’ai jamais su quoi penser de votre relation, même si je peux
maintenant comprendre pourquoi papa a toujours traité Stevie différemment de moi.
— Il a pourtant essayé, Max. Mais c’était difficile pour lui. Il ne savait jamais quoi lui dire ou
comment agir avec lui. C’était beaucoup plus facile avec toi. Vous vous ressembliez comme deux
gouttes d’eau. Mais ce n’est pas pour autant qu’il ne se souciait pas de Stevie. Lorsqu’on lui a
diagnostiqué un cancer, ton père en a été terriblement affecté. Et sa façon à lui de surmonter sa peine
a été de se noyer dans le travail. Il ne supportait pas de le voir souffrir. Il sait maintenant qu’il a eu
tort et qu’il aurait dû être présent à ses côtés. Il comprend désormais ce que c’est lorsque ceux qu’on
aime ne sont pas là quand on est malade.
Certes, ces paroles n’avaient pas été dites sur un ton accusateur, mais Max se sentit malgré tout
coupable. En fin de compte, il ne s’était pas mieux comporté que son père. Il avait abandonné ses
parents et n’avait rien fait pour les aider.
— Ton père pense que son attaque cérébrale est une punition pour n’avoir pas été là quand
Stevie avait besoin de lui, poursuivit sa mère.
Max ne put nier qu’il avait entretenu des pensées similaires au cours de ces trois dernières
années. Mais, subitement, celles-ci lui parurent mesquines et immatures. Pour autant, il n’arrivait pas
à trouver les mots justes pour exprimer ses pensées et se contenta de garder le silence. Sa mère reprit
la parole.
— Veux-tu en apprendre plus sur le vrai père de Stevie ?
— Oui, dit-il d’un ton sincère. Oui, cela m’intéresse.
— Je dois revenir au tout début de ma relation avec ton père afin que tu aies une image complète
de la situation.
— D’accord.
Elle sourit d’un air gêné.
— J’espère que tu ne seras pas trop choqué !
Max avait du mal à croire que ce que sa mère avait à lui dire puisse le choquer plus qu’il ne
l’était déjà.
— Je ne suis pas un saint non plus, maman, la rassura-t-il.
Sa mère commença alors son histoire.
La première fois qu’elle avait rencontré Ronald était lorsqu’il avait garé sa voiture pour elle
devant l’entrée d’un des hôtels de son père. Dès le premier regard, elle était tombée amoureuse de lui
et l’avait poursuivi de ses assiduités comme seule une jeune femme riche et gâtée pouvait le faire.
Elle l’avait séduit, puis s’était servie de sa nature ambitieuse pour l’attirer dans ses filets, usant sans
vergogne de son argent et de ses contacts — sans parler de sa fortune à venir. Elle était après tout la
fille unique d’un magnat des affaires.
Cependant, même après leur mariage, elle n’avait jamais vraiment cru qu’il l’aimait, et était
toujours envahie de doutes. La venue au monde de leur premier fils, Max, l’avait néanmoins calmée
quelque temps. Si son mari ne semblait pas amoureux d’elle, il était en revanche fou de son fils, et
elle avait peu à peu commencé à se sentir plus sécurisée dans son mariage. Mais au décès de son
père et lorsque son mari s’était mis à voyager de plus en plus souvent à l’étranger, tous ses doutes
étaient revenus en force. Un jour, elle avait vu une photo de lui dans un journal, au bras d’une jeune
femme mondaine à Londres. Dès le retour de son mari, elle était entrée dans une rage folle et l’avait
accusé de lui être infidèle. Il avait eu beau récuser ses accusations, elle n’en avait pas cru un mot.
Leur mariage était alors entré dans une phase dangereuse. Ronald voyageant de plus en plus, elle
avait commencé à sortir de son côté. Elle avait rencontré le père de Stevie à une exposition d’art. Sa
propre exposition d’art. C’était un jeune artiste. Elle s’était disputée avec son mari au téléphone
quelques heures plus tôt car celui-ci venait une fois de plus de retarder son retour, et elle était
d’humeur massacrante. Elle avait bu un peu trop et… ce qui devait arriver était arrivé, comme on dit.
Finalement, Ronald était rentré le lendemain, et quand un mois plus tard elle avait découvert
qu’elle était enceinte, elle n’avait pas su qui était le père. Lorsque le bébé été né avec des yeux bleus,
elle avait cru qu’il était le frère à part entière de Max. Hélas, six mois plus tard, ses yeux avaient viré
au marron et il ne ressemblait en rien au père de Max.
Lorsque Ronald lui avait fait part de ses soupçons, elle lui avait avoué son écart et il était
devenu fou de rage, lui prouvant une fois pour toutes qu’il tenait à elle. Mais leur mariage avait été
irrémédiablement endommagé et elle avait par la suite soupçonné son mari de lui être infidèle lors de
ses voyages à l’étranger. Elle avait à plusieurs reprises trouvé des preuves de son infidélité sur ses
vêtements : du rouge à lèvres et du parfum. Elle avait choisi de fermer les yeux, de peur qu’il ne
demande le divorce, et s’était efforcée de se refaire une vie en travaillant bénévolement pour des
œuvres de bienfaisance, mais le bonheur n’avait plus jamais été au rendez-vous.
— Lorsqu’on a diagnostiqué un cancer à Stevie, conclut-elle, Ronald en a été bouleversé.
Malheureusement, sa façon de faire face à cette crise émotionnelle a été de se replier sur lui-même et
de travailler encore plus. Stevie aurait pu survivre à sa maladie si sa petite amie ne l’avait pas quitté.
Son rejet l’a affecté bien plus que l’absence de son père, tu peux me croire ! Stevie et moi étions très
proches et il me disait tout.
Max acquiesça.
— J’imagine. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme Stevie et la façon qu’il avait
d’exprimer ses sentiments. J’aimerais parfois être comme lui.
— Son père biologique était comme ça, renchérit sa mère. Un grand bavard et un profond
penseur. C’était un homme doux et sensible qu’on ne pouvait s’empêcher d’aimer. Grâce à lui, je me
suis sentie spéciale cette nuit-là. Il ne savait pas bien entendu que j’étais mariée, et lorsque je le lui
ai avoué il en a été profondément choqué et n’a plus voulu entendre parler de moi. Comme je l’ai dit,
c’était un homme bien.
— Je vois. Il n’a donc jamais su pour Stevie ?
— Grands dieux, non ! Je ne l’ai jamais revu. Il est hélas décédé quelques années plus tard d’un
cancer. Et on dit que ce n’est pas héréditaire…
Les larmes aux yeux, elle planta les yeux dans ceux de Max.
— Ton père a fini par me pardonner. Et toi, pourras-tu en faire autant un jour ?
Les mots n’étant pas son fort, Max se leva et vint embrasser sa mère sur la joue, puis posa la
main sur son épaule. Elle couvrit aussitôt sa main de la sienne et lui jeta un regard oblique.
— Tu es un gentil garçon, Max, mais un piètre menteur. Pourquoi ne pas t’asseoir et me raconter
la vérité sur cette jeune femme ? Je voudrais surtout savoir comment quelqu’un d’aussi intelligent que
toi a pu faire l’erreur de la mettre enceinte. A moins que ce ne soit une idée à elle ? Tu es un homme
très fortuné, après tout.
Max retourna s’asseoir avant de lui répondre.
— Je dois admettre que l’idée m’a effleuré l’esprit. Mais très brièvement. Lorsque tu feras la
connaissance de Tara, tu verras qu’elle n’est pas manipulatrice ou vénale pour un sou.
— Tara, répéta sa mère. Quel charmant prénom !
— C’est une charmante jeune femme.
— Etait-ce son idée que tu viennes nous voir aujourd’hui ?
— Pas directement. Mais elle aurait approuvé. Le fait est que je ne sais pas où elle est. Elle
s’est enfuie.
— Enfuie ! Mais qu’as-tu fait, Max ?
— C’est plutôt ce que je n’ai pas fait qui pose problème. Lorsqu’elle m’a annoncé sa grossesse,
je ne lui ai pas dit que je l’aimais. Et je ne lui ai pas demandé de m’épouser.
— Oh ! Max… Pas étonnant qu’elle se soit enfuie. Elle doit avoir le cœur brisé.
— Ne dis pas ça, maman, supplia-t-il, un nœud au ventre. J’essaye juste de tenir bon jusqu’à
demain.
— Que va-t-il se passer demain ?
Il le lui dit.
11.

Allongée dans son lit, Tara grignotait lentement l’un des biscuits secs qu’elle avait posés sur sa
table de nuit, la veille. Avec un peu de chance, elle se sentirait ensuite assez bien pour se lever et
aller faire un tour sur la plage.
La veille, elle avait passé la majeure partie de la journée au lit avant de trouver le courage
d’aller se promener. Aujourd’hui, elle s’était réveillée en meilleure forme, mais toujours aussi
nauséeuse.
Elle pouvait remercier Kate de lui avoir donné les biscuits sans poser de questions, malgré la
lueur interrogative qui avait traversé son regard lorsqu’elle lui avait tendu l’assiette.
Mais c’était Kate tout craché. Son hôtesse était une femme gentille et accommodante, sans pour
autant être curieuse — des qualités certaines pour quiconque gérait un gîte touristique. Tara avait fait
sa connaissance quelques années auparavant, lorsqu’elle avait séjourné chez elle avec des amis de
l’université. Le gîte était populaire auprès des étudiants car il était bon marché et situé à quelques pas
seulement de la plage.
En réfléchissant à l’endroit où elle pourrait aller pour se retrouver un peu seule, Tara avait
aussitôt pensé à la maison de Kate. La station balnéaire de Wamberal n’était pas loin de Sydney — à
peine une heure et demie en voiture — mais suffisamment loin quand même pour lui donner un
sentiment de sécurité et ne pas risquer de croiser Max ou quelqu’un qui le connaissait.
Elle avait donc pris un taxi jusqu’à la gare de Hornsby, puis un train jusqu’à Gosford, et pour
finir, un taxi jusqu’à la station balnéaire de Wamberal. De façon assez naïve, à vrai dire. En effet,
qu’aurait-elle fait si Kate avait entre-temps vendu sa maison ? Ou si toutes ses chambres avaient été
louées ? Mais pour une fois la chance avait été de son côté. Kate avait entièrement rénové et
renommé son établissement, et ne louait désormais plus que trois chambres, mais elle était toujours
aussi active.
Heureusement, toutes les chambres étaient disponibles. Fin février, bien que toujours l’été,
n’était plus la haute saison touristique. De plus, Kate avait cessé toute publicité, ne désirant pas
afficher complet tout le temps.
— Je vieillis, s’était-elle plainte à Tara en lui montrant les chambres. Cependant, je
m’ennuierais si j’arrêtais de recevoir des gens chez moi. Et je serais terriblement seule. Malgré tout,
je serai sans doute obligée de céder l’affaire l’année prochaine à mes soixante-dix ans… Ou
d’embaucher une femme de ménage.
Tara avait choisi une chambre avec salle de bains individuelle située à l’avant de la maison et
qui offrait une vue imprenable sur la plage. Pas question en effet d’arpenter les couloirs de bon matin
pour se rendre à la salle de bains commune.
Fidèle à elle-même, Kate ne lui avait posé aucune question à son arrivée, quand bien même Tara
avait surpris une lueur d’inquiétude dans le regard de la vieille dame. Sans doute était-ce rare de voir
un client débarquer à l’improviste à 22 heures passées. Elle n’avait sans doute pas cru non plus à son
explication oiseuse d’être venue sur un coup de tête.
De plus, Kate l’avait traitée comme l’adulte qu’elle était, ayant droit d’aller et venir comme il
lui plaisait, ce qui n’était pas le cas de tout le monde. Elle n’était plus une enfant à qui on devait
dicter sa conduite. Elle était parfaitement capable de prendre des décisions, pourvu qu’on lui laisse
le temps de décider ce qui était le mieux pour elle et son enfant à naître.
Il lui était impossible de réfléchir à la maison avec sa mère qui la critiquait et la houspillait
constamment. Et Jen n’était guère mieux. Sa sœur semblait avoir oublié à quel point elle s’était
montrée émotive et irrationnelle quand elle avait appris qu’elle était enceinte.
Bien entendu, Tara ne se serait pas enfuie si Max n’avait pas été en route pour venir la voir. La
perspective de devoir « trouver une solution ensemble », comme il l’avait promis, l’avait effrayée.
Elle savait très bien ce que ces paroles signifiaient. Max aurait repris le contrôle et lui aurait
dicté sa loi. De ce qu’elle avait vu jusque-là, Max était incapable de travailler en collaboration avec
quelqu’un. Max ordonnait et s’attendait à être obéi.
Elle lui obéissait depuis douze longs mois.
Mais cette époque était révolue.
Le temps de la mutinerie était venu.
Sa première mesure avait consisté à se rendre inaccessible. Ce qu’elle avait fait. Et en toute
franchise, cette initiative lui avait fait le plus grand bien. Visiblement, elle nourrissait plus de
ressentiment qu’elle ne l’imaginait vis-à-vis du rôle dominant que Max s’était octroyé.
En revanche, elle était submergée par un profond sentiment de culpabilité en ce qui concernait
sa mère — sentiment qui allait croissant, au point même de dépasser son besoin de paix et d’intimité.
Elle allait devoir l’appeler aujourd’hui. Ce n’était pas juste de la laisser s’inquiéter ainsi.
Et elle s’inquiéterait, Tara n’avait aucun doute là-dessus.
Des coups frappés à la porte la tirèrent de sa rêverie.
— J’arrive, dit-elle, avant de balancer les jambes par-dessus le bord du lit et de se lever avec
précaution.
Comme elle tendait le bras pour saisir son peignoir, elle fut heureuse de constater qu’elle
n’avait ressenti aucun haut-le-cœur. Les biscuits avaient produit leur effet.
Elle prit néanmoins son temps pour traverser la pièce, marchant à pas comptés sur le tapis floral
qui recouvrait la majeure partie du plancher. Kate avait des goûts assez vieillots en matière de
décoration, mais Tara aimait bien.
Elle ouvrit la porte et aperçut Kate debout sur le seuil, un journal à la main et une expression
inquiète sur le visage.
— Oui ? s’enquit Tara.
Kate ne dit pas un mot. Elle se contenta de lui tendre le journal.
Tara blêmit en voyant sa photo, imprimée sur une page entière du journal. Il s’agissait de
l’agrandissement d’un cliché que Max conservait toujours dans son portefeuille. La photo avait été
prise lors d’une de leurs premières sorties au restaurant où un photographe prenait des photos des
clients, espérant que ceux-ci les lui achèteraient comme souvenir. Ainsi étaient ciblés les groupes
venus fêter un événement important, les couples célébrant leurs fiançailles ou peut-être simplement
l’amour qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre.
Tara voyait le bonheur briller dans ses yeux et dans l’éclat de son sourire. Elle doutait fort
toutefois que ses yeux reflétaient aujourd’hui la même joie de vivre. Les dents serrées, elle reporta
son attention sur le texte sous la photo.

Tara, tes proches sont inquiets pour toi. S’il te plaît, appelle-nous. Si quiconque sait où
se trouve Tara, merci de nous contacter au numéro indiqué. Récompense assurée.

Tara leva brusquement la tête.


— S’il te plaît, ne me dis pas que tu as appelé ! gémit-elle. Ce n’est pas mon numéro de
téléphone, mais celui de mon ami.
— Pas moi, chérie. Mais Millie Jenson, ma voisine fouineuse, a téléphoné. Elle a dû
t’apercevoir hier après-midi lorsque tu marchais sur la plage. Sa conscience a finalement dû avoir
raison d’elle car elle est venue me dire ce qu’elle avait fait. Quoi qu’il en soit, j’ai jugé préférable
de te prévenir.
— Tu as eu raison, Kate, et je t’en remercie, dit Tara, l’esprit en tumulte à l’idée que Max était
en route pour venir la voir.
— Ton ami, dis-tu ? Pas un que tu voudrais revoir de sitôt, je parie. Veux-tu que je te conduise
quelque part ? Je peux te faire partir d’ici avant qu’il arrive, si tu le souhaites. Millie lui a donné mon
adresse il y a environ une heure, donc il ne devrait plus tarder, maintenant.
Tara songea à s’enfuir de nouveau, puis se ravisa. Aucun intérêt, se dit-elle. Partout où elle irait,
quelqu’un finirait tôt ou tard par la reconnaître et préviendrait aussitôt Max. Son physique de rêve ne
passait jamais inaperçu. Oh ! comme elle aurait aimé être moins jolie. Moins grande. Moins blonde !
Secouant la tête, elle fixa de nouveau la photographie.
— Merci, Kate, mais non. Je lui parlerai quand il arrivera. Mais pas ici. Je n’ai aucune intention
de rester sagement là à l’attendre. Je vais m’habiller et aller me promener sur la plage. Tu pourras lui
dire où je suis. C’est d’accord ?
— Seulement s’il ne représente aucun danger pour toi, mon cœur. Il ne t’a pas frappée,
j’espère ?
— Grands dieux, non ! Max ne ferait jamais une chose pareille. Mais, comme tu l’as sans doute
compris, il est très riche. Il est aussi le père de mon bébé. Je suis enceinte, Kate.
— Oui, j’avais cru comprendre. Manger des biscuits est un remède connu et efficace pour
stopper les nausées matinales. Dès que tu m’en as réclamé, j’ai deviné.
— Et pourtant, tu n’as rien dit.
— Ce n’est pas mon rôle. Je ne me mêle pas de la vie des autres — sauf quand il s’agit de petits
machos arrogants. Une des raisons pour lesquelles je ne me suis jamais mariée était que je ne
supportais pas les hommes qui se croyaient autorisés à gérer ma vie. Et crois-moi, j’en ai eu des
soupirants dans ma jeunesse ! Tous voulaient m’épouser, surtout ceux avec qui j’avais fait l’amour. Il
y en a un qui est même devenu très insistant lorsqu’il a su que j’attendais son bébé. Plus qu’insistant.
Violent, même. Comme si j’allais épouser un homme qui me battait ou infliger un tel père à un enfant
innocent !
Tara demeura bouche bée devant ces révélations étonnantes. Mais Kate n’avait visiblement pas
terminé de dévoiler son passé tumultueux.
— Si cela avait été mieux perçu à mon époque, j’aurais certainement élevé mon enfant seule.
Mais ce n’était pas le cas. Et j’ai opté pour une solution plus radicale. Un choix que j’ai amèrement
regretté. De nos jours, les filles disposent de tant d’options qu’il serait dommage d’en arriver à de
telles extrémités. Alors, va jusqu’au bout de ta grossesse et au diable les désirs de cet homme ! Il ne
doit pas être très intéressant si tu t’es enfuie loin de lui.
— Ce n’est pas un homme méchant, dit Tara. Ni violent. Il est juste dominateur.
— Est-ce qu’il veut que tu avortes ?
— Je ne sais pas.
— Mmm… Est-ce qu’il t’aime ?
Baissant les yeux sur la photo, Tara fronça les sourcils, puis acquiesça.
— Je crois que oui. Autant qu’il en est capable, en tout cas.
— Il me semble un peu perdu.
— Tu sais quoi, Kate ? Je pense que tu as raison. Il a bien réussi en affaires et il est
immensément riche.
— Et très bel homme, j’imagine, renchérit Kate.
— Oh ! oui. Ça aussi.
Kate grimaça un sourire.
— Ils le sont toujours. Je me ferai ma propre opinion de lui quand je le verrai, puis je lui dirai
ses quatre vérités avant de lui indiquer où tu te trouves. Cela t’embête si je fais ça ?
Tara ne put s’empêcher de rire.
— Pas du tout. Cela lui fera le plus grand bien.
— Bon. Dépêche-toi d’aller t’habiller, maintenant. Et n’oublie pas de prendre un des chapeaux
accrochés dans l’entrée. Et surtout, couvre-toi les cheveux et mets des lunettes de soleil, sinon tous
les gens que tu rencontreras sur la plage vont s’empresser d’appeler ce numéro.
— Je vais le faire. Et, Kate…
— Oui ?
— Merci. Tu es très gentille. Et surtout très compréhensive.
Kate lui adressa un sourire espiègle.
— Nous devons nous entraider, entre filles.

* * *

Secouant la tête d’un air incrédule, Max foulait le sable d’un pas rageur. L’interrogatoire que
cette femme lui avait fait subir avant de lui dire où se trouvait Tara était tout bonnement inimaginable.
On aurait pu croire qu’il était un meurtrier au lieu de l’homme amoureux qui essayait d’agir pour le
mieux au vu des circonstances !
De son regard perçant, il scruta les corps à moitié dévêtus étendus sur le sable chaud, mais ne
vit pas Tara. Il s’approcha du bord de l’eau et se tint là, immobile, cherchant des yeux la tête
reconnaissable entre toutes de sa bien-aimée au milieu des nageurs. Elle n’était pas là non plus.
Soudain, une vague plus haute que les autres s’abattit sur la plage et trempa ses coûteux
mocassins italiens.
Max jura, même si ruiner une paire de chaussures neuves était le cadet de ses soucis en ce
moment. Où diable était Tara ? La vieille mégère lui aurait-elle menti ? Tara était-elle en ce moment
même en route pour une autre destination ?
Il avait l’estomac noué et commençait sérieusement à s’inquiéter lorsqu’il la vit. Les pieds dans
l’eau, elle marchait le long de la plage et venait dans sa direction.
Contre toute attente, ce ne furent pas ses cheveux qui la trahirent. En effet, sa somptueuse
crinière blonde était dissimulée sous un immense chapeau de paille. Ce furent ses jambes. Peu de
femmes avaient des jambes comme les siennes.
Elle portait un short en jean aux bords effrangés et un petit haut rouge. Et pas de soutien-gorge,
remarqua-t-il, comme elle s’approchait.
Le désir qui s’empara aussitôt de lui l’agaça. Il n’était pas venu pour ça. Tara savait déjà qu’il
la désirait physiquement. A lui de la convaincre désormais qu’il la voulait corps et âme.
Refrénant son désir, il marcha vers elle, déterminé à ne pas laisser ses sens dicter sa conduite,
car dans le cas contraire, sa mission était vouée à l’échec, suspectait-il. Et il se sentait incapable de
supporter un échec. Il devait reconquérir Tara, pas la perdre. Et son instinct lui soufflait qu’il la
perdrait à tout jamais s’il lui faisait l’amour. Son rôle était de la convaincre qu’il ferait un excellent
mari et père, et pas seulement un bon amant.

* * *

Tara avait aperçu Max depuis un bon moment, mais ne lui avait pas fait signe, se contentant de le
regarder subrepticement progresser avec difficulté sur le sable. Il n’était pas vraiment habillé pour la
plage avec son élégant pantalon gris et sa chemise de soie blanche, même s’il avait retroussé ses
manches et laissé le col ouvert.
Elle avait trouvé cela drôle lorsque la vague avait éclaboussé ses chaussures, mais était
nettement moins amusée maintenant qu’il se hâtait dans sa direction. Le plus énervant était la façon
dont son corps réagissait en sa présence. Les battements de son cœur s’accéléraient, ses mamelons
durcissaient et son ventre se serrait… par anticipation.
Dégoûtant, songea-t-elle, horrifiée. Déplorable !
Délicieux, lui murmura une petite voix intérieure.
Elle poussa un soupir. Elle allait devoir faire attention. L’attirance qu’elle éprouvait pour lui ne
s’était pas émoussée.
Bien sûr, s’il s’était agi d’un film, ils se mettraient maintenant tous les deux à courir pour se
jeter dans les bras l’un de l’autre. Ils s’embrasseraient, la musique s’envolerait et le mot FIN
s’inscrirait en grandes lettres sur l’écran. Mais il ne s’agissait pas d’un film. C’était la vraie vie,
avec de vraies personnes et de vrais problèmes. Les graves problèmes relationnels n’étaient jamais
résolus par un baiser. Faire l’amour était un pis-aller, pas une solution durable.
Pas question qu’il la touche. En tout cas, pas aujourd’hui.
— Max…
Heureusement, il s’arrêta à distance respectueuse, trop loin pour l’embrasser ou pour la serrer
dans ses bras. Etait-ce son attitude froide qui la mettait si mal à l’aise ? Ou bien la réaction de son
propre corps ?
— Tu m’as donc trouvée, ajouta-t-elle, avant de croiser les bras sur sa poitrine.
Par ce geste, elle voulait lui montrer qu’il n’était pas particulièrement bienvenu, mais voulait
aussi cacher ses mamelons dressés.
— Avec quelque difficulté, oui…
Visiblement, il n’était pas de bonne humeur. Kate n’avait pas dû le ménager. Et ce n’était rien à
côté de ce qu’elle s’apprêtait à lui dire.
— Je ne sais pas comment tu peux dire ça. Une petite photo — ou devrais-je dire, pas si
grande — dans le journal, sans oublier la motivation supplémentaire de la récompense, et voilà. Tu
avais ton homme.
Il la dévisagea de la tête aux pieds, puis la fixa dans les yeux.
— Personne, même dans ses rêves les plus fous, ne pourrait te prendre pour un homme, Tara.
Tara lui fit une grimace.
— Ce doit être merveilleux d’avoir assez d’argent pour s’acheter tout ce qu’on désire.
Il la sonda du regard, comme s’il essayait de jauger son humeur. Son ton sarcastique aurait
pourtant dû l’alerter.
— Tu es toujours en colère contre moi, constata-t-il. Et franchement, je te comprends. Je n’ai
pas bien réagi à l’annonce de ta grossesse, l’autre jour.
— C’est le moins qu’on puisse dire.
— A ma décharge, je dirais cependant que tu ne m’as pas laissé l’opportunité de me racheter.
Me raccrocher au nez puis t’enfuir était assez injuste de ta part, Tara. Tu dois quand même
comprendre que cette nouvelle m’a donné un choc. Je n’y étais pas préparé.
— J’ai fait ce que j’avais à faire. Pour moi.
— Et as-tu pris une décision durant le temps que tu as passé seule ?
— Pouvons-nous marcher pendant qu’on parle ?
Sans attendre sa réponse, Tara se mit en route.
— Je préférerais qu’on aille s’asseoir dans un endroit tranquille.
Et avant même qu’elle s’en rende compte, il l’aurait embrassée. Alors, soit elle l’aurait frappé,
soit elle aurait fondu dans ses bras — perspectives aussi peu alléchantes l’une que l’autre. Et puis,
elle tenait là sa chance de lui montrer qu’elle n’avait aucune intention de vivre sa vie comme il
l’entendait, lui. Cependant, en le voyant de nouveau en chair et en os, elle ne pouvait nier le fait qu’il
exerçait encore un grand pouvoir sur elle. Elle allait devoir faire très attention et se montrer très
forte.
— Je ne suis pas vraiment habillé pour la plage, Tara, fit-il remarquer. Je suis en train d’abîmer
mes chaussures, pour commencer.
— C’est toi qui as choisi de venir ici, Max. Je ne t’ai pas forcé. Retire tes chaussures si tu as
peur de les abîmer. Et relève ton pantalon.
A son grand étonnement, il suivit son conseil. Hélas, son geste lui fit prendre conscience que sa
grossesse n’avait pas diminué d’un iota le désir qu’elle éprouvait pour lui. Elle le désirait même plus
qu’avant. Quelle ironie !
— J’ai appelé ta mère, reprit-il, lorsqu’ils recommencèrent à marcher. Je lui ai dit que je
t’avais retrouvée. Joyce veut que tu saches que jamais je ne t’aurais poussée à avorter.
Le soulagement que Tara aurait pu ressentir fut éclipsé par le choc et la colère. Elle s’arrêta et
pivota pour lui faire face.
— Joyce ? Depuis quand appelles-tu ma mère Joyce ? Et depuis quand prend-elle ton parti ?
— Depuis notre discussion d’hier matin.
Tara éclata d’un rire moqueur.
— Je vois. Tu as dû dire à maman que tu étais prêt à m’épouser et tu es désormais dans ses
petits papiers. Elle pense que le mariage est une fin en soi.
— A t’entendre, il s’agirait d’un crime.
— Ça l’est si tu te maries pour les mauvaises raisons.
Tara avait de plus en plus de mal à réprimer sa colère.
— Tu m’as dit que tu m’aimais. Mais pas une seule fois tu n’as mentionné le mariage. Alors
pourquoi maintenant ? Comme si je ne le savais pas ! Tu as décidé que tu voulais cet enfant. Tu
vieillis et tu réalises qu’un héritier serait finalement une bonne chose. Sans parler d’une femme
follement amoureuse qui te croit sorti de la cuisse de Jupiter et qui est prête à attendre ton retour sans
jamais poser de questions.
— Un instant !
— Non, c’est à toi d’attendre.
Il rougit de colère et serra convulsivement ses chaussures, mais demeura silencieux, la laissant
dire ce qu’elle avait sur le cœur. Et elle avait beaucoup de choses à dire !
— Tu as dû penser que tu étais sur une bonne affaire avec moi. Tu ne t’es jamais embarrassé
d’explications et je n’ai jamais posé de questions. Tout n’était pas parfait, bien sûr. Je veux bien
croire que tu as trouvé excitant et flatteur au début d’avoir une vierge dans ton lit — quelque chose
me dit, d’ailleurs, que tu n’as pas connu ce plaisir avant ! — mais je n’avais pas autant d’audace que
tu aurais souhaité. Jusqu’au week-end dernier. Après quoi, soudain, j’ai été conviée à voyager avec
toi.
— Ce n’est pas vrai ! protesta-t-il.
— Bien sûr que si ! J’ai fini par grandir, Max. Je ne te vois plus à travers des lunettes roses. Je
peux même comprendre ton raisonnement. Pourquoi chercher de nouvelles conquêtes féminines dans
chaque ville où tu te rends alors que tu peux m’avoir sous la main pour le simple prix d’un billet
d’avion ?
Elle vit ses yeux s’assombrir, mais elle n’en avait pas fini pour autant.
— Et — cerise sur le gâteau — je suis une maîtresse bon marché. Une robe par-ci par-là, une
sortie de temps en temps, une coupe de champagne et le tour est joué !
— Ça suffit, maintenant ! s’exclama-t-il. Premièrement, je ne t’ai jamais été infidèle. Pas une
seule fois. Deuxièmement, je ne t’ai jamais considérée comme ma maîtresse. J’ai toujours eu
l’intention de t’épouser, Tara. Au moment propice.
— Vraiment ? Et tu avais prévu cela pour quand ?
— Le jour où j’aurais été moins occupé et toi, plus âgée. Je t’ai demandé de m’accompagner
dans mes déplacements car je trouvais que c’était un bon compromis. Pour tout te dire, j’avais peur
de te perdre, Tara. Tout comme j’ai peur de vous perdre maintenant, toi et le bébé.
Tara fut stupéfaite par cet aveu. Il n’était pourtant pas dans les habitudes de Max d’admettre
qu’il avait peur de perdre quoi que ce soit. A moins que son aveu ait justement pour but de ne pas la
perdre. Ses paroles étaient censées affaiblir sa détermination et l’obliger une fois de plus à faire ce
que lui voulait.
— Je t’aime, Tara, enchaîna-t-il. Je t’ai aimée dès le début. Certes, je t’ai dit que je ne voulais
pas me marier et fonder une famille et à l’époque je l’ai pensé. Mais les choses ont changé et tu vas
avoir mon bébé.
— C’est vrai, les choses ont changé. Mais pas toi. Tu es resté le même. Un homme séduisant,
excitant, ambitieux, impitoyable et à qui tout réussit. Regarde la méthode que tu as employée pour me
retrouver. Quel genre d’homme fait une chose pareille ?
— Le genre dont tu es tombée amoureuse. Mais tu te trompes, Tara, insista-t-il. Je peux changer.
J’ai déjà commencé, d’ailleurs.
— Vraiment ? Je n’ai pourtant rien remarqué.
— Reviens à Sydney avec moi et je te montrerai.
— Non.
Il sursauta et écarquilla les yeux de surprise.
— Non ?
— Non, confirma-t-elle. Voilà une partie de ton problème, Max. Les gens s’empressent toujours
d’obéir à tes ordres. Je me suis montrée bien trop conciliante avec toi et j’ai toujours fait ce que toi
tu voulais. Pour changer, tu vas faire ce que je veux, dorénavant.
— Dis-moi ce que tu veux et je le ferai, assura-t-il.
Sceptique, Tara fit la moue. Jamais il n’accepterait de faire ce qu’elle s’apprêtait à lui
demander. Mais ce serait intéressant de voir comment il comptait essayer de se défiler.
— Très bien. Rentre chez toi, prends des tenues de plage et reviens ici. Kate te louera une
chambre. Reste ici avec moi pendant une semaine. Chambres séparées. Pas de sexe. Nous passerons
simplement du temps ensemble et apprendrons à nous connaître.
Tara était certaine qu’il ne laisserait pas tomber ses engagements professionnels pour elle.
— Marché conclu.
Stupéfaite, Tara cligna les yeux, mais réserva son jugement pour plus tard.
— Que se passera-t-il à la fin de la semaine ?
— Je te le ferai savoir… A la fin de la semaine.
— Je ne trouve pas ça très juste, protesta-t-il.
— Je n’ai pas l’intention de m’expliquer et tu ne dois pas te plaindre. Tu dois simplement faire
ce que je veux, quand je veux.
— Mais pas de sexe.
— Surtout pas.
— Mmm. Es-tu certaine d’être capable d’abstinence ?
Elle leva le menton dans un geste de défi.
— Aucun problème, mentit-elle.
— J’accepte tes conditions seulement si à la fin de la semaine tu m’autorises à t’emmener au
restaurant et à passer la nuit avec toi. La nuit entière. Dans le même lit.
— Pourquoi doit-il y avoir une contrepartie ?
— Chérie, il y a toujours une contrepartie. Rien n’est jamais gratuit dans la vie. Si tu exiges de
ma part une semaine entière de soumission, tu dois en payer le prix. Je sais bien que tu veux être
assurée que je t’aime et que je ne suis pas seulement intéressé par le sexe. Très bien. Je suis heureux
de le faire. Mais je veux ensuite te prouver que je t’aime. A ma façon.
Le cœur de Tara se serra. Une fois dans ses bras, toutes ses bonnes résolutions fondraient
comme neige au soleil, elle le savait. Elle n’avait qu’une semaine pour atteindre son but. Une
semaine pour faire comprendre à Max qu’ils ne seraient heureux ensemble que s’il lui offrait un
véritable partenariat, et pas juste le mariage.
— Tu sembles soudain devenu très fort en paroles, riposta-t-elle. Mais on verra si tu arrives à
tenir la semaine entière.
Max éclata de rire.
— Oh ! je n’aurai aucun mal à tenir bon. Surtout si tu te promènes habillée ainsi.
Tara s’empourpra.
— Si tu essaies de me séduire, Max, tu vas le regretter.
— Tu ne sais pas à qui tu parles, ma chérie. Sache que dans ma jeunesse, j’ai jeûné pendant
trois jours. Alors, me passer de sexe pendant une semaine sera pour moi un jeu d’enfant.
Tara fronça les sourcils. C’était bien la première fois que Max lui parlait de son enfance.
Quelque chose qu’elle l’encouragerait à faire au cours de la semaine suivante, décida-t-elle.
L’intimité ne concernait pas seulement le sexe, mais aussi le fait de tout savoir l’un sur l’autre.
— Pourquoi as-tu passé trois jours sans manger ?
— Maman recueillait des fonds pour une œuvre de bienfaisance. Elle passait la moitié de sa vie
à faire ça. Mais, cette fois, elle nous a impliqués dans sa mission. Stevie a trouvé des
commanditaires qui ont accepté de le rémunérer s’il lisait des livres. Je crois qu’il a en lu quatre-
vingt-cinq. Quant à moi, j’ai choisi de jeûner. On m’a payé une fortune pour chaque jour passé sans
nourriture. C’était beaucoup plus facile pour moi de jeûner que de lire. Je déteste lire.
— J’avais remarqué, dit Tara. Tu n’as aucun livre intéressant dans ton appartement. Seulement
des dossiers professionnels et des revues sportives. Tu ne sais pas ce que tu manques, Max. Lire est
un merveilleux passe-temps. Je te ferai la lecture cette semaine lorsque nous serons allongés sur le
sable. Kate a une fabuleuse sélection de best-sellers.
Max fit la grimace.
— Tu commences déjà à avoir des doutes ?
— Absolument pas, assura-t-il, avant de sourire.
Tara n’était pas certaine d’aimer ce sourire. Il avait quelque chose de sournois.
— Je ferais mieux d’y aller si je veux être revenu avant ce soir.
— Il te suffit d’emporter quelques vêtements.
— Et de passer quelques coups de fil. Je dois faire savoir à Pierce où je suis.
— Si tu prends un appel ou passes un seul coup de fil durant ta semaine ici, Max, le contrat sera
annulé.
Max la soupçonnait de bluffer, mais admira toutefois son courage. Tara ne s’en rendait pas
compte mais il n’épouserait jamais une femme effacée qui courberait l’échine devant lui. Il avait été
poursuivi la majeure partie de sa vie par des femmes prêtes à satisfaire ses moindres désirs, au lit ou
ailleurs. Le fait que Tara lui tienne enfin tête et se montre aussi forte lui apportait une intense
satisfaction. Elle ferait une merveilleuse épouse et mère.
Il la regarda tendrement.
— C’est d’accord. Je vais laisser mon portable chez mon père.
Prendre des décisions ferait le plus grand bien à ce dernier. Presque autant que les séances
quotidiennes de kinésithérapie que Max avait programmées afin qu’il fasse travailler des muscles
atrophiés. Max avait passé toute la journée d’hier avec ses parents, les préparant à leur prochain rôle
de grands-parents. Lorsqu’il les avait quittés, ils avaient l’air plus heureux et plus jeunes qu’à son
arrivée.
— Ne fais pas d’excès de vitesse, l’avertit Tara. J’aimerais que mon enfant ait un père et non un
mémorial dans un quelconque cimetière.
— D’accord. Pas d’excès de vitesse. As-tu d’autres instructions à me donner ? Des règles à
suivre ?
Elle inclina la tête sur le côté et fit la moue.
Seigneur, comme il aurait aimé capturer dans ses mains son cou gracile et embrasser ses lèvres
pulpeuses ! Au lieu de cela, il devait jouer à l’homme sensible aux idées larges. Ce n’était pas un
rôle auquel il aspirait. Il avait au contraire des idées bien arrêtées sur les rôles masculins, et se
comporter en mauviette n’en faisait pas partie. Il avait hâte que la semaine se termine et se faisait
déjà une joie à l’idée de la nuit qui l’attendait le samedi suivant.
— Pas pour le moment, rétorqua-t-elle. Mais je t’aurai préparé une liste écrite pour ton retour.
Max cligna les yeux. Seigneur, parlait-elle sérieusement ? Peut-être valait-il mieux qu’il ne
l’épouse pas, en fin de compte. Certes, il aimait les femmes au caractère bien trempé. Mais une
femme autoritaire, c’était une autre histoire.
Ce dont elle avait besoin, bien sûr, c’était d’une nuit au lit. Avec lui. Et elle avait beau dire, elle
le désirait autant que lui à en juger par ses mamelons saillants. Une chose était sûre, avant que la
semaine se termine, il ne serait pas le seul à prendre des douches froides.
Mais il savait se montrer patient. Surtout si la récompense en valait la peine. Et quelle meilleure
récompense que d’avoir de nouveau Tara dans ses bras, à la place qui lui revenait de plein droit ?
12.

Une semaine était considérée comme une longue période en politique. Sans doute parce qu’il
pouvait se passer beaucoup de choses durant ce court laps de temps.
Si Max examinait la semaine écoulée, il ne pouvait que s’extasier sur les changements
intervenus — en lui, principalement.
L’homme au teint hâlé qui courait sur la plage à l’aube ce matin, une planche de surf sous le
bras, n’était pas le même qu’une semaine auparavant. Lui qui avait considéré ce marché comme une
épreuve à supporter, un mal nécessaire pour arriver à ses fins, avait changé d’avis.
Max ne s’attendait pas à éprouver un tel bonheur et à découvrir tant de choses extraordinaires
durant cette semaine. Comme Tara avait eu raison de lui interdire de passer et de recevoir des appels
téléphoniques ! Il ne s’était pas rendu compte du temps qu’il passait chaque jour à travailler. Mais
très vite, il ne se soucia plus de savoir si les profits augmentaient ou au contraire baissaient, pas plus
qu’il ne s’inquiéta de savoir si une nouvelle crise mondiale risquait de toucher l’industrie hôtelière.
Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ! comme disait le dicton.
Après quelques jours, il avait même reconsidéré sa décision de déléguer davantage, afin de
passer plus de temps avec Tara et leur enfant. Il envisageait désormais de réduire de façon
significative l’activité de la chaîne hôtelière. Voyager dans le monde entier, passer ses journées en
réunions et ses soirées en dîners d’affaires n’exerçait sur lui plus le même attrait qu’avant.
Max se jeta dans les vagues, puis fit adroitement glisser son corps sur la planche, tout en
pagayant vers le large avec les mains. Le soleil venait de se lever à l’horizon, faisant scintiller de ses
rayons dorés la mer aux tons bleus et verts. Une fois parvenu en eaux plus profondes, Max se
redressa et s’accroupit sur la planche en attendant le moment propice pour se relever.
Quel plaisir c’était !
Il avait oublié à quel point il aimait surfer. Cela faisait des années qu’il ne l’avait pas fait, mais
quand Kate lui avait proposé de se servir des planches de surf et des combinaisons qu’elle gardait
dans le garage, il n’avait pu résister. Et après quelques essais infructueux, il avait retrouvé son
équilibre, sa confiance et son adresse naturelles. Max était un sportif-né.
Tous les matins, il partait surfer quelques heures pendant que Tara se prélassait au lit. Le matin,
elle n’était pas au mieux de sa forme. Vers 11 heures, elle se levait et lui était de retour, prêt pour une
bonne douche et un petit déjeuner consistant. Véritable cordon-bleu, Kate cuisinait cependant à
l’ancienne et se souciait comme d’une guigne des régimes pauvres en graisses. Max aurait pu prendre
des kilos s’il n’avait pas brûlé quelques milliers de calories chaque matin dans l’eau. Tara, quant à
elle, était épargnée par son estomac délicat et se contentait de grignoter des tartines grillées et de
boire du thé.
Ensuite, munis d’un parasol et d’un livre, Tara et lui se rendaient sur l’une des dunes qui
surplombaient l’océan et s’allongeaient sur le sable fin pour lire. La première fois, Max avait cru
devoir faire semblant d’apprécier ce moment intime où Tara lui faisait la lecture à haute voix.
Cependant, Tara était une excellente lectrice et le roman qu’elle avait choisi de lire n’était pas un
best-seller pour rien. Il s’agissait d’un thriller juridique dont l’intrigue tenait son lecteur en haleine.
Même le procès pour meurtre l’avait captivé. Il avait changé plusieurs fois d’avis sur le nom du
meurtrier, avant de finalement miser sur l’épouse, et avait été ravi de voir qu’il ne s’était pas trompé.
Lorsqu’un matin il avait évoqué le fait que sa mère faisait aussi ces derniers temps la lecture à
son père, il avait été conduit à lui révéler sa réconciliation avec ses parents. Ce soir-là, il lui avait
parlé pendant des heures du mariage de ses parents. De fait, jamais il n’avait autant parlé de ses
parents et de ses années de jeunesse que durant cette semaine.
Certes, il n’y avait pas grand-chose à faire, hormis parler à Tara. Elle n’avait pas renoncé à ses
strictes restrictions et l’abstinence commençait sérieusement à lui peser, d’autant qu’elle déambulait
la plupart du temps vêtue en tout et pour tout d’un minuscule Bikini. En désespoir de cause, il l’avait
sommée de se couvrir lorsqu’elle ne nageait pas, principalement pour préserver sa sérénité, mais
aussi parce qu’il en avait plus qu’assez de voir les hommes présents sur la plage la lorgner sans
vergogne. Elle s’était contentée de le dévisager d’un drôle d’air et d’ignorer sa requête.
C’est alors que Max avait réalisé qu’elle ne lui obéirait peut-être plus jamais, et il ne savait pas
encore si cette perspective le réjouissait ou non.
Tara s’était elle aussi trouvée confrontée aux affres de la jalousie. Son rythme de vie moins
effréné et le grand air avaient fait le plus grand bien à Max, comme en témoignaient les regards
appuyés que lui lançaient les femmes.
Le retour à la vie normale allait être difficile.
Mais pourquoi devrait-il poursuivre dans cette voie-là ? lui souffla une petite voix intérieure. Il
était un homme fortuné. Et avisé, de surcroît. Il allait certainement trouver une solution. S’il réduisait
l’activité de la chaîne hôtelière comme il en avait l’intention, son emploi du temps serait allégé. De
plus, avec les moyens modernes de communication, il pouvait être en contact avec le monde entier,
où qu’il soit. Nul besoin de résider à Sydney. Il pouvait vivre ici, dans l’une de ces magnifiques
maisons…
Il balaya du regard les habitations en front de mer. Il y avait des appartements de vacances, de
somptueuses villas, et même des petites maisons de plage, construites plusieurs décennies
auparavant. Un des propriétaires accepterait sûrement de vendre, se dit Max. Il la ferait ensuite raser,
puis bâtirait pour Tara la maison de ses rêves, sans oublier d’aménager un appartement pour Joyce.
Non, cela n’irait pas. Joyce n’accepterait jamais de s’éloigner de Jen et de sa famille. On avait
besoin d’elle pour s’occuper des enfants après l’école, les jours où la sœur de Tara travaillait.
Max n’avait pas été le seul à s’épancher cette semaine. Tara lui avait confié des choses sur sa
famille qu’elle ne lui avait encore jamais dites, sans doute parce qu’il n’avait jamais demandé. Pas
étonnant qu’elle ait cru qu’il ne s’intéressait qu’à son corps…
Les actes étaient certes plus éloquents que les discours.
Max commença à réfléchir à toute vitesse. Quelle heure était-il ? A vue de nez, environ 7 heures.
Il avait donc douze heures devant lui avant d’inviter Tara au restaurant. Douze heures avant de lui
demander une fois de plus sa main.
Mais des paroles romantiques et un diamant de deux carats ne suffiraient pas à convaincre Tara
de la profondeur de ses sentiments. Plus maintenant. Il lui fallait prouver qu’il pensait ce qu’il disait.
Lorsqu’il l’attirerait dans son lit ce soir, il ne voulait pas seulement qu’elle ait la bague au doigt. Il
voulait aussi qu’elle ait foi en leur mariage et en sa capacité à être un bon mari et un bon père.
A cette perspective, son cœur bondit dans sa poitrine. Il allait être père ! Une énorme
responsabilité, mais aussi, espérait-il, une expérience heureuse et satisfaisante. Mais pour cela, il
devait être un père présent, et non pas lointain, comme son père l’avait été.
Décidément, cet endroit était l’endroit idéal pour élever son enfant, décida Max. Quoi qu’il
arrive, il s’emploierait donc à atteindre ce but. Le seul hic était qu’il n’avait que douze heures devant
lui pour y arriver.
Tant à faire en si peu de temps ! Il avait un véritable défi à relever. Mais Max aimait les défis
plus que tout.
Baissant la tête, il profita de la vague suivante pour revenir sur le rivage, puis courut vers la
maison de Kate.

* * *

Tara se leva plus tôt que d’habitude, heureuse de s’apercevoir que pour une fois elle n’était pas
affligée de nausées matinales. Pas le plus petit haut-le-cœur, réalisa-t-elle en se dirigeant vers la
salle de bains.
C’était sans doute un bon présage.
La semaine était terminée et Max n’avait pas l’intention de la ramener à Sydney aujourd’hui,
comme elle l’avait craint. Il était heureux de prolonger son séjour jusqu’à dimanche, lui avait-il dit la
veille.
Peut-être était-ce aussi parce que Kate avait annoncé durant le petit déjeuner qu’elle devait se
rendre chez sa nièce à Sydney pour une réunion familiale et ne serait de retour que le dimanche matin.
Mais quelle importance, au fond !
Max allait certainement réclamer son dû ce soir, elle ne se faisait aucun doute là-dessus. Et une
fois qu’elle serait dans ses bras et totalement vulnérable, il lui demanderait de nouveau de l’épouser.
Or, après une semaine d’abstinence, elle serait à n’en pas douter particulièrement vulnérable. Cette
semaine avait été difficile pour elle aussi. Lorsque Jen était enceinte, elle s’était toujours plainte de
ne plus supporter les relations sexuelles. Pour Tara, c’était plutôt l’inverse.
L’esprit en tumulte, elle se glissa sous la douche et entreprit de se laver les cheveux.
Qu’allait-elle dire à Max lorsqu’il réitérerait sa demande en mariage ? Que pouvait-elle dire ?
Il était le père de son bébé, l’homme qu’elle aimait. Sa réponse allait de soi. Elle le savait, l’avait
toujours su. Elle ne s’était réfugiée ici que pour le mettre au défi.
Et pourtant, cela en avait valu la peine. Elle avait en partie repris le contrôle de sa vie et montré
à Max qu’elle n’était pas du genre à se laisser faire, pas plus qu’elle n’était faible. De plus, elle avait
découvert une facette de Max qui l’avait à la fois surprise et ravie. Contre toute attente, il était
capable de ne pas vivre seulement pour son travail et savait aussi profiter de la vie, comme toute
personne ordinaire.
Il adorait surfer et se débrouillait étonnamment bien. Il commençait aussi à apprécier les
romans. A ce rythme, il serait bientôt autant passionné de livres qu’elle. Elle lui avait également
prouvé qu’il n’était pas nécessaire de déguster de la grande cuisine dans un restaurant cinq étoiles
pour apprécier une sortie au restaurant. Tous les soirs, elle l’avait entraîné dans des brasseries où
pour une somme modique on leur servait des repas simples, mais délicieux. Max n’en était toujours
pas revenu.
Mais son plaisir et sa coopération avaient-ils été réels ou au contraire feints ?
En vérité, Tara ne savait toujours pas si Max ferait un bon mari pour elle. Ou un bon père pour
son enfant. Au cours de la semaine passée, son bébé avait pris une place grandissante en son cœur.
Elle l’aimait et refusait qu’il connaisse dans sa vie la négligence ou l’insécurité. L’argent seul
n’apportait pas le bonheur. Si Max ne pouvait lui garantir une vie de famille solide pour elle et son
enfant, alors elle serait peut-être obligée de refuser sa demande en mariage. Si elle trouvait le
courage de le faire.
Il était 9 heures lorsque Tara descendit enfin, après avoir pris le temps de se sécher les cheveux
et de se maquiller. Elle trouva Kate dans sa vaste et confortable cuisine, assise devant une table de
bois rustique et sirotant une tasse de café.
— Tu es debout tôt, ce matin, lança Kate. Tu te sens mieux ? Laisse-moi te servir une tasse de
café.
— Non, ne te lève pas, dit Tara aussitôt. Je peux me servir moi-même. Et oui, je me sens
beaucoup mieux, aujourd’hui. Max est en train de faire du surf, je présume ?
— En fait, non. Il est parti.
A mi-chemin vers le comptoir, Tara s’arrêta net et pivota.
— Parti ? Parti où ?
— A Sydney, d’après ce qu’il m’a dit. Pour affaires. Mais ne t’inquiète pas. Il a promis d’être
de retour à temps pour votre dîner en amoureux.
Une immense déception submergea Tara.
— Et moi qui pensais qu’il adorait aller surfer tous les matins. Mais je me trompais. Et lui me
trompait.
— Non, je ne pense pas que ce soit le cas, Tara. Il est d’ailleurs allé surfer ce matin comme
d’habitude. Mais il est rentré au pas de course peu après 7 heures, disant qu’il avait des choses
urgentes à régler à Sydney avant ce soir.
— Comme quoi ? demanda-t-elle sèchement.
— Il ne me l’a pas dit.
— Non, bien sûr que non. Voilà bien le Max que j’ai appris à connaître et à aimer ! Un problème
a dû surgir dans son entreprise et… le voilà parti.
— Qui te dit qu’il s’agissait de ses affaires ? Il est peut-être parti t’acheter une bague de
fiançailles. Comment peut-il te demander en mariage sans bague ?
— Mais pourquoi n’y ai-je pas pensé ? commenta Tara, la voix toujours empreinte d’amertume.
Tu as sûrement raison, Kate. Mais, crois-moi, il profitera aussi d’être là-bas pour s’occuper de ses
affaires.
— Et est-ce une si mauvaise chose ? Il est responsable d’une immense chaîne hôtelière
internationale, Tara. Cela n’a pas dû être simple pour lui de tout laisser tomber afin de passer une
semaine entière avec toi, comme tu le lui as demandé. Cela étant, je suis certaine qu’il ne pense en ce
moment qu’à votre soirée en tête à tête. Juste avant de partir, il m’a demandé de réserver une table
pour deux personnes dans le meilleur restaurant du coin. J’ai choisi Jardines. C’est un endroit très
romantique et qui surplombe Terrigal.
Tara poussa un soupir et secoua la tête.
— Max a gagné ton cœur, n’est-ce pas ? Il a réussi à te charmer comme il a charmé ma mère. Et
maintenant, tu exécutes ses ordres, comme il s’y attend. Seigneur ! soupira-t-elle, nous sommes
vraiment idiotes toutes les deux !
— Je ne me suis jamais considérée comme une idiote vis-à-vis des hommes, riposta Kate d’un
ton sec. Je les vois toujours pour ce qu’ils sont, une fois bien entendu que j’ai eu le temps de les
évaluer correctement. Ma première impression de Max n’était pas très favorable, je dois l’avouer.
Evidemment, après ta fuite et ce que tu m’as raconté sur lui, je n’étais pas très objective. Son
comportement arrogant et son impatience vis-à-vis de moi ce jour-là n’ont pas non plus plaidé en sa
faveur. Mais depuis, j’ai révisé mon jugement. Max est un homme bon, intègre. Un homme prêt à tout
pour reconquérir la femme qu’il aime. Un homme que tu devrais chérir comme un trésor et non pas
condamner trop vite. Attends de voir ce qu’il a fait aujourd’hui avant de le juger. Tu pourrais être
agréablement surprise.
Tara décida d’arrêter là la discussion. Inutile en effet de poursuivre. Kate ne connaîtrait jamais
Max aussi bien qu’elle. Il s’était montré sous son meilleur jour cette semaine dans un but bien précis.
Il voulait leur jeter de la poudre aux yeux afin d’obtenir ce qu’il désirait : elle, de nouveau
consentante et obéissante.
Max ne s’en rendait peut-être pas compte, mais il avait fait une grosse erreur tactique en
retournant à Sydney, sans même lui en avoir parlé. En retombant dans ses anciens travers, il lui avait
montré qu’il n’avait pas réellement changé. Il était toujours aussi égoïste.
Kate se leva et rangea sa tasse dans le lave-vaisselle.
— Je dois y aller, ma chérie, dit-elle en versant de la poudre dans le lave-vaisselle, avant de le
mettre en route. Je suis sûre que Max va t’appeler et t’expliquer la raison de son geste. Tu verras.
Tara acquiesça et sourit, mais dès que Kate fut partie, elle décrocha le combiné du téléphone. Si
Max appelait, il n’aurait pas la satisfaction de recevoir une réponse. C’est lui qui allait devoir
attendre, pour une fois. Et quand il arriverait enfin, une grande surprise l’attendrait.
13.

Malgré ses nombreux appels, Max n’arrivait pas à joindre Tara. La compagnie du téléphone lui
avait assuré que le combiné était décroché. Peut-être s’agissait-il d’un simple oubli ? Kate était une
vieille dame, après tout, et ce genre d’erreur n’était pas rare pour une personne âgée.
Il ne pouvait cependant se départir d’un certain malaise. Il décida donc de se hâter. Hélas,
rendre visite à toutes les parties concernées et leur faire accepter ses idées était loin d’être une tâche
aisée et rapide. Cela lui prit la plus grande partie de la journée.
Entre deux visites, il contacta toutes les agences immobilières de la côte, s’informant sur les
propriétés à vendre dans la petite ville côtière de Wamberal. A 16 heures, il était de retour dans son
appartement où il prit une douche rapide et mangea un morceau, et une demi-heure plus tard, il roulait
vers le nord en direction de sa bien-aimée.
Plus il se rapprochait de la côte, plus son inquiétude croissait. Si Kate avait été là avec Tara, il
se serait sans doute moins inquiété. La vieille dame était de son côté maintenant, il le voyait bien.
Hélas, Kate s’était rendue à une réunion de famille, laissant Tara seule. Il ne pouvait pas non plus
écarter la possibilité que Tara ait délibérément décroché le téléphone. Après tout, ne l’avait-elle pas
déjà fait une fois lorsqu’elle s’était enfuie ? A la pensée qu’elle puisse ne pas être là à son retour, il
sentit son estomac se nouer.
Il aurait dû frapper à sa porte ce matin et lui parler personnellement. Mais il n’avait pas voulu
la déranger. Il avait toutefois laissé un message pour elle auprès de Kate, n’est-ce pas ?
N’est-ce pas ?
Max tenta de se souvenir de ce qu’il avait dit.
Pas grand-chose, finalement. Pas assez, surtout.
Quand donc apprendrait-il ? Il aurait pu au moins lui laisser un mot.
— Et zut ! s’exclama-t-il, avant d’appuyer à fond sur la pédale d’accélérateur.
Puis, il se rappela que Tara lui avait demandé de ne pas faire d’excès de vitesse et il ralentit.
Il était 18 heures lorsqu’il arriva chez Kate. Il remonta l’allée de gravier et gara la voiture
derrière la maison dans le parking réservé aux visiteurs. Le soleil était bas dans le ciel et la maison
semblait calme. Trop calme à son goût.
Cependant, la porte arrière n’était pas verrouillée. Max poussa un immense soupir de
soulagement… jusqu’à ce qu’il aperçoive le sac de voyage de Tara dans l’entrée.
Il eut l’impression de tomber dans un gouffre. Elle partait.
— Tara ? appela-t-il.
Pas de réponse. Il vérifia les pièces du rez-de-chaussée, mais elle ne se trouvait dans aucune
d’entre elles. Le cœur battant la chamade, il grimpa les marches quatre à quatre. Elle n’était pas dans
sa chambre, ni dans la salle commune — une large pièce qui servait à la fois de salle de télévision et
de salon ouvrant sur une vaste terrasse.
C’est là qu’il la trouva enfin, accoudée à la rambarde et le regard perdu au loin. Comme elle
était belle, avec ses longs cheveux flottant au vent et sa peau d’une belle couleur dorée après sa
semaine de vacances. Elle portait une robe d’été à fleurs avec de fines bretelles et à dos nu. Des
sandalettes fauves complétaient sa mise.
— Tara, murmura-t-il.
Lorsqu’elle se retourna, il sentit sa gorge se nouer. Que de tristesse dans ses jolis yeux. Que de
désespoir…
— Je voulais partir avant ton retour, murmura-t-elle d’une voix éteinte. Je le voulais vraiment !
Mais je n’ai pas pu. Je t’aime trop, Max. Je t’ai toujours beaucoup trop aimé.
Lorsqu’elle baissa la tête et se mit à pleurer, Max demeura là sans bouger, rongé par le remords.
Comment avait-il pu lui faire ça ? Puis, il avança d’un pas et l’entoura de ses bras, encouragé par la
pensée qu’elle serait plus heureuse quand elle saurait ce qu’il avait fait.
Elle se blottit contre lui en sanglotant.
Emu, il la serra dans ses bras. Peut-être qu’elle l’aimait décidément trop. Mais il l’aimait tout
autant. Il était même prêt à changer sa vie entière pour elle.
— Allons, allons, chuchota-t-il d’une voix apaisante, tout en lui caressant les cheveux.
Elle frémit, puis se libéra brusquement de son étreinte. Le visage strié de larmes, elle le
dévisagea avec défi.
— Oh non, Max ! Tu ne t’en tireras pas comme ça. Tu me dois des explications. Je veux savoir
où tu étais aujourd’hui et connaître tous les détails. Et ne me dis pas que tu es allé m’acheter une
bague de fiançailles, comme le pressentait la pauvre Kate. Même si elle avait raison, cela ne t’aurait
pas pris plus de dix minutes. Je te vois d’ici, entrant au pas de course dans une bijouterie et
demandant à la vendeuse de te donner une bague sertie de leur plus gros diamant.
Max ne put s’empêcher de sourire devant sa description étonnamment réaliste. Si la situation
n’avait pas été aussi sérieuse, il aurait presque pu en rire.
— Tu as raison et tort à la fois, Tara. Je t’ai effectivement acheté une bague de fiançailles,
admit-il, mais pas aujourd’hui. Elle était dans ma chambre depuis la semaine dernière. Je pensais te
l’offrir ce soir, mais je l’ai rapportée à Sydney aujourd’hui et l’ai laissée là-bas.
Elle cligna les yeux, puis le fixa sans mot dire.
— Je ne suis plus le même homme, Tara, poursuivit Max. Au cours de cette semaine, j’ai réalisé
que je ne voulais plus jouer au Seigneur et Maître avec toi. C’est bien comme ça que Joyce et Jen
m’appelaient, n’est-ce pas ? Premièrement, je veux que tu choisisses toi-même ta bague de
fiançailles. Si tu es toujours disposée à me prendre pour époux, bien entendu.
— Cela dépend. Qu’as-tu donc fait tout au long de la journée ? Comme si je ne le savais pas !
soupira-t-elle. Tu as remis un costume, alors…
— Je porte un costume parce que j’ai passé la plus grande partie de la journée en négociations
sérieuses. Avec ta famille.
Tara demeura bouche bée.
— Tu le saurais déjà si tu n’avais pas décroché le téléphone. J’ai essayé de te joindre tout
l’après-midi, tout comme ta mère, d’ailleurs. J’ai dû lui dire que Kate était une bavarde impénitente
pour ne pas qu’elle s’inquiète et je lui ai promis que tu l’appellerais dès que tu saurais la bonne
nouvelle.
Tara eut l’air perplexe.
— Et ce serait quoi cette bonne nouvelle ?
— Tout d’abord, j’ai pris la décision de réduire l’activité de la chaîne hôtelière. Les hôtels en
Europe seront vendus dès que j’en obtiendrai un bon prix. Je vais toutefois poursuivre l’acquisition
de l’hôtel à Auckland. Je vais aussi garder nos trois hôtels asiatiques pour le moment. Nous
perdrions trop d’argent si nous les vendions à l’heure actuelle et ils ne sont pas si éloignés que cela.
Je compte de toute façon voyager moins qu’avant et déléguer plus. Bien entendu, je vais garder le
Regency Royale de Sydney et mon appartement. C’est plus sage de garder un pied-à-terre à Sydney et
ce sera un endroit agréable pour des petites échappées.
— S’échapper d’où ?
Tara avait l’air de plus en plus perplexe.
— Je vais acheter une maison ici dans laquelle nous allons vivre. Si tu acceptes de m’épouser,
bien sûr, se hâta-t-il de préciser.
Il ne devait jamais oublier de lui demander son avis, se rappela-t-il — chose particulièrement
difficile pour lui. Il avait l’habitude de faire les choses à sa guise, sans consulter personne.
— J’ai eu une illumination ce matin pendant que je faisais du surf, poursuivit-il. Quel meilleur
endroit que Wamberal pour fonder une famille ? J’ai bien entendu tout de suite réalisé que résider ici
poserait des problèmes logistiques. Tu vivrais loin de ta mère et de ta sœur pour commencer, et moi
de mes parents. Or, je voudrais qu’ils fassent de nouveau partie intégrante de ma vie. Ils ont besoin
de ma présence, les pauvres. Lorsque je suis allé leur rendre visite ce matin, j’ai réalisé que ma mère
ne pourrait plus continuer longtemps toute seule. La solution logique est qu’ils viennent tous habiter
ici.
— Tous ? Tu veux qu’ils viennent tous habiter ici ?
— Oui. Aujourd’hui, j’ai lancé le mouvement. Et crois-moi, ce n’était pas une mince affaire de
tout organiser en si peu de temps.
— Ce n’est pas une plaisanterie, au moins ?
— Absolument pas. Plaisanterais-je sur un tel sujet ? Au fait, j’ai été surpris du nombre de
propriétés à vendre dans le coin, dit-il, changeant de sujet. Nous n’aurons aucun mal à choisir et
aurons sans doute peu de travaux de rénovation à faire. Alors, qu’en dis-tu ? Cette idée te rend-elle
heureuse ?
— Oui, bien sûr, c’est une merveilleuse idée. Mais, Max…, hasarda-t-elle en posant la main sur
son bras. Es-tu sûr que c’est ce que toi, tu veux ?
L’expression de son visage se mua soudain en méfiance et elle laissa retomber son bras.
— Tu ne fais pas tout ça uniquement pour que j’accepte de t’épouser, n’est-ce pas ? Je ne vais
pas me réveiller après le mariage pour m’apercevoir que tu as changé d’avis, j’espère.
— Allons, Tara… Me crois-tu assez stupide pour faire une chose pareille ? Non, ma chérie.
C’est un projet qui me tient aussi à cœur, la rassura-t-il en capturant ses deux mains entre les siennes.
La semaine que j’ai passée avec toi ici m’a ouvert les yeux. Tu m’as montré que je passais à côté de
plein de choses avec mon mode de vie effréné. Je ne veux pas finir comme mon père. Je veux au
contraire faire partie intégrante de ma famille, et non pas vivre en marge de votre vie. Je veux aussi
être un bon père et un bon mari, et pas seulement l’être du bout des lèvres.
Tara le dévisagea en souriant.
— Un baiser, même du bout des lèvres, ne serait pas perdu pour tout le monde, murmura-t-elle.
Médusé, Max fixa longuement ses grands yeux verts. L’allusion sensuelle ne lui avait pas
échappé et le dissuada de poursuivre la conversation. Au lieu de cela, il porta ses mains à sa bouche
et, sans la quitter des yeux, embrassa ses doigts un à un.
— Tes désirs sont des ordres, murmura-t-il entre deux baisers.
— Non, tes désirs sont des ordres aujourd’hui, corrigea-t-elle. Tu te souviens de notre accord ?
— Heureusement que tu me l’as rappelé, dit-il en la soulevant dans ses bras. Alors ? Ta
chambre ou la mienne ?
Elle sourit.
— A toi de choisir.

* * *

— Ne m’abandonne pas déjà, supplia Tara, tout en attirant son amant dans ses bras.
Ils se trouvaient dans la chambre de Max, dans le lit où elle avait rêvé d’être tous les soirs de la
semaine.
Il lui avait tellement manqué ! songea-t-elle en resserrant son étreinte. Tout comme faire l’amour
avec lui, d’ailleurs.
— Je suis lourd, protesta Max. Tu es certaine que cela ne fera pas de mal au bébé ?
— Mais non ! Il est encore tout petit.
Max se redressa sur un coude.
— Il ? C’est peut-être une fille.
— Non, c’est un garçon.
— Tu pourrais te tromper, insista-t-il avec un sourire.
— Effectivement, mais ce n’est pas le cas.
Amusé, il secoua la tête.
— Ta mère m’avait pourtant prévenu que tu étais têtue. Ce qui me fait penser que je ne l’ai pas
encore appelée. Ne bouge surtout pas, ajouta-t-il.
Tara marmonna lorsqu’il se libéra de son étreinte.
Il se pencha vers elle et déposa un baiser sur ses lèvres, puis sur ses seins, avant de se
redresser.
— Ne te couvre pas, lui intima-t-il. Reste exactement comme tu es.
Elle obtempéra bien volontiers à sa requête et le regarda se lever.
— Qui a jeté tous ces vêtements sur le sol ? grommela-t-il en se penchant pour ramasser son
pantalon.
— Toi, répondit-elle, le contemplant sans vergogne, tandis qu’il fouillait dans ses poches.
Sa semaine de vacances lui avait fait du bien à plus d’un égard, comme en témoignait sa forme
resplendissante.
— J’ai enregistré le numéro de ta mère, expliqua-t-il, comme il extirpait le portable de sa poche
et pianotait sur les touches. Joyce ? C’est Max. Oui, je suis avec Tara et elle est extrêmement
heureuse… Quoi ? Ah, oui, elle a accepté… Tu as bien accepté ma demande en mariage, chérie,
n’est-ce pas ? ajouta-t-il avant de s’allonger de nouveau à son côté et de glisser sa main libre entre
ses jambes, lui arrachant un petit cri. Oui, elle a hâte que vous veniez vivre ici… Voulez-vous lui
parler ? Oui, elle est là et elle meurt d’impatience.
Tara s’empourpra, tandis qu’il lui tendait le téléphone.
— Maman…, dit-elle d’une voix essoufflée.
Max avait raison. Elle mourait d’impatience. Mais elle n’était pas pressée d’avoir une
conversation avec sa mère.
— N’est-il pas merveilleux ? disait celle-ci, tandis qu’elle s’efforçait de lutter contre les
sensations que Max suscitait en elle. Il va m’acheter une petite maison proche de la vôtre et va aider
Dale financièrement à créer son entreprise de plomberie. Et il va même leur accorder un prêt sans
intérêts pour qu’ils puissent s’acheter une maison. Il voulait d’emblée leur en offrir une mais Jen et
Dale ont refusé. Ils veulent subvenir eux-mêmes à leurs besoins.
Tara fit de son mieux pour paraître intéressée par les propos de sa mère, mais il lui était
difficile de se concentrer lorsque l’homme dont elle vantait les mérites la torturait de façon si
exquise.
Kate avait raison. Max était un homme fondamentalement bon, mais il pouvait aussi se montrer
très coquin… A un moment donné, elle dut même se mordre la langue pour ne pas crier, tant il la
mettait au supplice. A la fin, n’y tenant plus, elle décida d’abréger la conversation.
— Je suis désolée, maman, mais je vais devoir raccrocher. Max a réservé une table au
restaurant et je n’ai même pas commencé à me préparer.
C’était bel et bien la vérité, après tout !
— Je comprends, assura sa mère. Fais-toi toute belle ce soir. Et appelle-moi demain. Nous
pourrons avoir une longue conversation entre femmes. D’accord ?
— Bien sûr, maman. Et dis à Jen que je l’appellerai aussi.
— Oh oui, cela lui fera plaisir. Elle est si excitée, tout comme les enfants, d’ailleurs.
— Je dois y aller, maman, dit Tara.
Elle raccrocha juste au moment où Max levait la tête.
— Ne voulais-tu pas plutôt dire que tu étais au bord de l’orgasme ? corrigea-t-il, tandis qu’elle
refermait le portable d’un coup sec et le jetait au loin.
— Tu es sadique, riposta-t-elle. Oh ! mon Dieu, surtout ne t’arrête pas.
Il sourit.
— C’est ma nuit, n’oublie pas. Ne commence pas à dire ce que je dois et ne dois pas faire.
— Oui, Max, dit-elle dans un soupir.
— Alors, dis-moi. Tu acceptes de m’épouser, n’est-ce pas ?
— Oui, Max. Mais…
Il plissa les yeux.
— Mais quoi ?
— Crois-tu qu’avant la naissance du bébé et avant que tu vendes tous ces merveilleux hôtels en
Europe on pourrait partir en vacances et séjourner dans quelques-uns d’entre eux ? J’ai toujours rêvé
de faire l’amour à Paris.
— Es-tu certaine d’être en état de voyager ?
— Absolument. A mon réveil ce matin, je n’ai ressenti aucune nausée.
— Dans ce cas, ce sera avec plaisir. Ce pourrait être notre lune de miel. Mon rêve à moi est de
te faire l’amour dans toutes les grandes villes du monde et pas seulement à Paris. Mais pourquoi ne
pas commencer tout de suite… ?
Tara poussa un soupir de contentement lorsqu’il la fit rouler sur le côté.
— Oh ! Max ! s’écria-t-elle.
Il caressa ses seins, tandis qu’il la couvrait de baisers.
— Es-tu enfin heureuse, ma chérie ?
— Oh ! oui.
— Tu me diras à l’avenir si je fais ou dis quelque chose qui te fasse de la peine. Je veux te
rendre heureuse, Tara.
— Je suis très heureuse, hoqueta-t-elle. Oh… J’adore faire l’amour de cette façon. Je crois
même que c’est ma position préférée.
— Tant mieux, car nous allons le faire souvent comme ça dorénavant. J’ai fait quelques
recherches sur internet l’autre jour et je suis tombé sur des articles décrivant les façons les plus sûres
et les plus confortables de faire l’amour pendant une grossesse. Et celle-ci figurait en tête de liste.
— Il y en a d’autres ? s’enquit-elle d’une voix soudain lointaine.
— Il y en a pour toutes les étapes de ta grossesse, confirma Max en caressant son ventre.
Franchement, j’ai hâte que ton ventre devienne énorme.
— Tu ne trouveras pas cela peu seyant ?
— Tu plaisantes ? C’est au contraire très excitant de te toucher le ventre, sachant que mon bébé
est à l’intérieur. Et tes seins sont devenus plus gros. Le savais-tu ?
— Oui, et plus sensibles aussi.
— J’avais remarqué.
Elle gémit de plaisir lorsqu’il titilla ses mamelons.
— J’ai l’impression d’être plus sensible à tout point de vue, tant sur le plan physique
qu’émotionnel. Tu vas devoir me témoigner beaucoup d’amour, Max.
— Ne t’inquiète pas pour ça, la rassura-t-il. Je te ferai souvent l’amour, mais lentement. Et
doucement. Nous ne devons rien faire qui risquerait de causer du mal au bébé.
— Non, bien sûr que non, renchérit-elle, étonnée de voir à quel point il tenait à cet enfant.
Voudrais-tu d’autres enfants après celui-ci, Max ?
— Si toutes tes grossesses se passent aussi bien que celle-ci, je crois que tu vas avoir de
nombreux enfants dans les années à venir. Tu n’as jamais été aussi belle et aussi sexy que lorsque je
t’ai aperçue hier, sur la terrasse.
Il n’ajouta pas qu’il ne l’avait jamais vue aussi triste, mais se jura intérieurement qu’il ferait son
possible pour que cela ne se reproduise plus jamais.
— As-tu réfléchi à des prénoms pour le bébé ?
— Non, j’ai pensé qu’il valait mieux attendre de voir à quoi il ressemble avant de lui choisir un
prénom.
— Ou à quoi elle ressemble, corrigea-t-il.
— Je t’ai dit que c’était un garçon ! s’écria-t-elle. Seul un garçon peut causer autant de soucis.
— C’est vrai, concéda-t-il.
— Max…, protesta-t-elle. Tu t’es arrêté de bouger.
— Si je bouge, tout sera fini en un rien de temps, expliqua-t-il. Je suis un peu trop excité.
Tara rit de bon cœur.
— Dans ce cas, on ferait mieux de parler, le temps que tu retrouves ton calme.
— Bonne idée.
— Max…
— Mmm ?
— Je voulais te remercier… pour tout ce que tu as fait aujourd’hui. Cela me touche infiniment
de voir à quel point tu t’es donné du mal juste pour me rendre heureuse.
— Ce fut pour moi un plaisir, princesse.
— Maman semblait enchantée, et Jen et Dale le sont aussi certainement. Tu t’es montré très
généreux avec eux. Et je suis ravie que tu aies renoué avec tes parents. Il faut que tu me les présentes,
maintenant.
— Que penses-tu de demain ?
— Parfait. Mais quelle heure est-il ? Ne sommes-nous pas censés aller dîner au restaurant ?
— Il est à peine 19 heures, répondit Max, après un bref coup d’œil sur sa montre. Combien de
temps te faut-il pour t’habiller ?
— Pas longtemps.
— Dans ce cas, je crois que nous avons suffisamment parlé pour le moment.
— Absolument.

* * *

La famille au grand complet déménagea à Wamberal avant le mariage, célébré sur la plage au
mois d’août. Tara, alors en fin de grossesse, portait une magnifique robe de mariée que Max lui avait
achetée à Paris. Ils avaient en effet passé deux mois idylliques à voyager dans toute l’Europe. Ils
passèrent leur véritable lune de miel chez eux à décorer la nurserie de leur modeste maison. Max et
Tara avaient en effet décidé d’un commun accord de vivre une vie simple.

* * *

Leur fils naquit avec une semaine de retard. C’était un magnifique bébé joufflu au tempérament
placide. Ils le nommèrent Stevie.
TITRE ORIGINAL : THE M AGNATE’S M ISTRESS

Traduction française : ANNE DE RIVIERE-DUGUET

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© 2004, M iranda Lee.
© 2015, Traduction française : Harlequin.
Le visuel de couverture est reproduit avec l’autorisation de :
HARLEQUIN BOOKS S.A.
Tous droits réservés.
ISBN 978-2-2803-3662-8

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