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LYNNE GRAHAM

Un homme d’affaires trop séduisant


Cet ouvrage a été publié en langue anglaise sous le titre :

RAFAELLO’S MISTRESS

Traduction'française de FRANÇOISE PINTO-MAÎA

HARLEQUIN®est une marque déposée du Groupe Harlequin et


Azur ® est une marque déposée d’Harlequin S.A.

Toute représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce


soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425
et suivants du Code pénal.

© 2001, Lynne Graham. © 2007, Traduction française : Harlequin


S.A.
Résumé

A
lors qu'elle se dirige vers le bureau de
Rafaello Grazzini, Glory Little se met à
trembler d'émotion. Cinq ans déjà... Cinq
années durant lesquelles elle a essayé d'oublier le soir où
elle l'a trouvé dans les bras d'une autre. Que s'était-elle
imaginé ? Que le richissime Rafaello Grazzini pourrait
tomber amoureux d'elle, la fille de son jardinier ? A
l'époque, elle s'était juré de ne jamais le revoir.
Aujourd'hui, hélas, elle n'a pas le choix : son père s'est
mis dans une situation délicate qui peut lui coûter sa
place et elle doit supplier Rafaello de ne pas le licencier.
Mais elle est loin d'imaginer l'indécente proposition que
celui-ci va lui faire ! Une proposition d'autant plus
odieuse que malgré sa colère, Glory Little ne peut
s'empêcher de l'aimer encore...
1.

Lorsque Glory entra dans l’immeuble londonien qui


abritait la société Grazzini Industries, toutes les têtes
masculines se retournèrent sur son passage.

En dépit de la simplicité de sa mise — un pantalon de


treillis et un haut assez quelconque — et le manque de
recherche de sa coiffure — ses longs cheveux blond doré
retenus en queue-de-cheval — elle attirait l’attention.
Son visage était naturellement beau, avec des pommettes
hautes joliment étirées vers les tempes, des yeux
brillants, d’un bleu couleur lavande, et une bouche
délicate et pulpeuse. Tous les hommes présents
semblaient fascinés par ses traits purs et son éblouissante
silhouette qui, en dépit de sa petite taille, dégageait une
extraordinaire séduction.

Indifférente à ces regards admiratifs, Glory tâchait de


maîtriser son anxiété et de se donner bonne contenance.
Rafaello l’écouterait-il ? Oui, bien sûr, se répétait-elle
pour se rassurer. Même si, cinq ans plus tôt, ils s’étaient
quittés en mauvais termes. A l’époque, il l’avait
tellement blessée que même maintenant elle avait bien
du mal à repenser à ces moments sans en éprouver un
immense chagrin. Lui, à l’inverse, n’avait pas été affecté
par leur rupture. Depuis quand les hommes d’affaires
influents étaient-ils réputés pour leur sensibilité ? Au
pire, elle avait écorné son ego — et Dieu sait qu’il n’en
était pas dépourvu ! Mais le plus vraisemblable, c’était
qu’il ne se souvenait même pas de leur brève aventure.

Glory, en revanche, se l'appelait chaque heure, chaque


minute de leur histoire. Elle avait été si naïve et si
stupide lors de leur dernière soirée. Jamais elle
n’oublierait l’ultime humiliation qu’il lui avait infligée.

C’était toujours la même rengaine : elle avait imaginé le


grand amour, alors que pour lui elle n’était qu’une
simple distraction. Un grand classique ! Sauf que
Rafaello n’avait même pas eu le temps de devenir son
premier amant...

Dans l’ascenseur, Glory appuya son front brûlant


contre la paroi métallique. Du nerf ! se dit-elle. Il fallait
absolument garder la tête haute. Et tant pis si la
nervosité l’envahissait tout entière, et qu’elle n’arborait
pas de tailleur élégant pour faire bonne figure. Tout cela
n’avait pas d’importance. Elle était là pour faire son
devoir : aider son père et son jeune frère Sam.

Débouchant au dernier étage, dans un hall feutré, elle


s’approcha de la réception.

— J’ai rendez-vous avec M. Grazzini, annonça-t-elle


d’une voix altérée par l’angoisse.

La secrétaire, une jolie brune sophistiquée, la toisa d’un


air légèrement sceptique.

— Votre nom, s’il vous plaît ?

— Little. Glory Little.

— Veuillez patienter un instant, répondit la jeune


femme en désignant une salle d’attente aux fauteuils
confortables.

Glory choisit un magazine au hasard sur la table basse


et commença à feuilleter distraitement les pages mode.
Un seul de ces vêtements lui coûterait plus de six mois
de salaire ! Délaissant sa lecture, elle regarda autour
d’elle. La réussite de Rafaello était évidente. Cela n’avait
rien d’étonnant. Rafaello était né avec une cuillère en
argent dans la bouche et continuait simplement à faire
fructifier la fortune familiale. Ne lui avait-il pas confié
qu’au Moyen Age déjà les Grazzini avaient été de riches
marchands ?

Il n’était pas étonnant finalement qu’elle et Rafaello


aient dû se séparer. Ils n’avaient rien en commun.
Pourtant, à dix-huit ans, elle avait été persuadée qu’à
l’aube du troisième millénaire la différence de milieu
social ou d’éducation n’avait plus d’importance. Voilà ce
qu’elle avait assuré à une amie qui lui suggérait que son
bel Italien ne pouvait penser qu’à une chose en lui
faisant la cour. De même, quand à son tour son père
avait essayé de la mettre en garde, Glory avait répondu
en riant que Rafaello Grazzini se moquait bien qu’elle
eût arrêté l’école à seize ans...

— Mademoiselle Little ?

Brutalement arrachée à ses réflexions, Glory leva les


yeux sur le jeune homme vêtu d’un costume élégant qui
se tenait devant elle et la dévisageait. Vivement, elle
attrapa son sac et se mit sur pied.

— Oui?
— M. Grazzini va vous recevoir.

Glory réussit à ébaucher une version crispée de son


radieux sourire et consulta sa montre.

— 10 heures pile. Rafaello n’a pas changé. Toujours


obsédé par la ponctualité !

Devant l’air stupéfait du jeune homme, elle


s’empourpra jusqu’à la racine des cheveux. Comment
avait-elle pu dire une chose pareille ? Jamais une
personne bien née ne se serait répandue ainsi en
commentaires déplacés à la première occasion. Ce
charmant jeune homme devait également se demander
comment une fille aussi ordinaire pouvait appeler son
patron par son prénom. Il lui répondit cependant très
aimablement.

— Je suis l’assistant de M. Grazzini, l’informa-t-il. Mon


nom est Jon Lyons.

— Je m’appelle Glory, répondit-elle, rassurée par le ton


chaleureux du jeune homme.

— Un prénom plutôt rare, observa-t-il avec un sourire


appréciateur tout en la guidant le long d’un corridor.
Mais qui vous va bien.
Evidemment... Glory faillit rétorquer qu’on lui avait
déjà fait ce genre de compliments un nombre
incalculable de fois. A vingt-trois ans, elle commençait à
se lasser de tous ces hommes qui ne s’intéressaient qu’à
ses courbes voluptueuses, et de leurs avances indélicates,
parfois même franchement agressives. Ne la prendrait-
on donc jamais au sérieux ?

Tout en l’escortant à travers cet interminable couloir,


son compagnon essaya à plusieurs reprises d’engager la
conversation, mais Glory demeura muette. Plus ils
approchaient du bureau de Rafaello, plus elle se sentait
angoissée et ralentissait l’allure. Que craignait-elle ?
Après tout, il avait accepté de la recevoir. C’était plutôt
bon signe, non ? Il était riche et extrêmement sollicité ; le
fait qu’il lui accorde l’occasion de défendre sa famille
était déjà une immense chance. Restait à savoir comment
elle allait pouvoir s’y prendre...

Elle lui demanderait de réfléchir, de ne pas renvoyer


son père. Il n’était pas responsable des folies de son
frère. Sam avait fait une énorme bêtise. Après avoir
dérobé les clés confiées à leur père, il avait improvisé
une fête à Montaigu Park, la fabuleuse demeure des
Grazzini, en profitant du congé de leur employée de
maison. La fête avait vite dégénéré et, pris de panique,
Sam était allé trouver leur père. Ce dernier, au lieu de
pousser son fils à assumer ses erreurs et à présenter ses
excuses, avait tenté de dissimuler les traces et de cacher
la faute de Sam. Maintenant, il risquait de perdre son
emploi.

Très pâle, la jeune femme franchit le seuil du bureau,


dont la porte était restée ouverte à son intention, puis
s’arrêta net.

Jon Lyons la poussa à l’intérieur et referma la porte. La


bouche sèche, Glory passa la pièce en revue. Elle était
immense. De grandes baies vitrées laissaient entrer des
flots de soleil et le mobilier contemporain aux lignes
épurées, loin de remplir l’espace, donnait au bureau un
aspect vide et impersonnel. Où était Rafaello ? Elle prit
une profonde inspiration dans l’espoir de calmer son
appréhension.

Mais loin d’apaiser son stress, ces exercices


respiratoires ne firent que raviver de pénibles souvenirs.
Comme celui de la prise de conscience de son amour
pour Rafaello Grazzini, huit ans plus tôt...
A l’époque, son père, Archie Little, jusqu’alors employé
à l’entretien de Montaigu Park, venait d’être promu chef
jardinier. Un avancement qui mettait à la disposition de
la famille Little un confortable cottage dans la propriété
des Grazzini. La mort dans l’âme, Glory avait quitté ses
camarades du village pour venir s’enterrer au milieu de
quelques milliers d’hectares soigneusement entretenus.

C’est peu de temps après, lors d’un après-midi où elle


traînait son ennui dans le parc, qu’elle était tombée
amoureuse de Rafaello. Juché sur une moto Enduro, il
faisait la course avec un ami, au mépris du danger. Pour
l’adolescente de quinze ans qu’elle était, aucun jeune
homme n’avait jamais paru plus beau. Quand il avait
arrêté son puissant engin et ôté son casque, elle avait été
subjuguée par la perfection de ses traits. Avec sa peau
hâlée, ses cheveux noirs brillants ramenés en arrière et
son regard sombre et volontaire, il ressemblait à une
vraie star de cinéma. En un clin d’œil, son désarroi et son
ennui avaient été balayés par une excitante perspective :
le voisinage de Rafaello Grazzini, de six ans son aîné.
Peu lui importait qu’il ne remarquât même pas sa
présence. Ses rêveries lui suffisaient...
C’est seulement deux ans plus tard, quand elle était
enfin sortie avec Rafaello, que ses fantasmes
d’adolescente s’étaient mués en un sentiment bien plus
profond. Elle était alors tombée follement amoureuse de
lui...

Brusquement, une porte s’ouvrit au fond du bureau,


l’arrachant à ses douloureux souvenirs. Glory sursauta
violemment.

— Désolé pour ce retard. J’ai été retenu au passage par


un de mes directeurs, s’excusa froidement Rafaello.

Glory se mit à trembler d’émotion. Cinq ans qu’elle ne


l’avait pas revu. Cinq années durant lesquelles elle avait
tenté d’oublier leur histoire et la jeune fille niaise et
naïve qu’elle avait été. Elle était devenue une vraie
femme, sûre d’elle, mais l’irruption de Rafaello venait,
en une fraction de seconde, de tout anéantir.

Lors de leur rupture, elle s’était accrochée à l’idée qu’il


n’était pas si bien que cela, qu’elle l’avait mis sur un
piédestal. Maintenant qu’il se tenait devant elle, elle
savait que son imagination d’adolescente ne lui avait
joué aucun tour. Rafaello Grazzini était bien le plus bel
homme qu’elle ait jamais vu.
Ses puissantes épaules, son torse large, ses jambes
longues et musclées d’athlète, tout en lui paraissait plus
grand, plus beau. Même son costume anthracite à fines
rayures, superbement coupé, ne parvenait pas à
dissimuler son impressionnante carrure sportive. Ces
cinq années n’avaient pas altéré la spectaculaire beauté
de Rafaello Grazzini, bien au contraire !

Mais elle n’était pas venue pour cela. Mettant lin à ce


discret examen, Glory releva les yeux et rencontra le
regard sombre, frangé de longs cils noirs, de Rafaello. Le
cœur battant la chamade, elle le fixa, incapable de
proférer le moindre son.

— Assieds-toi, lui dit-il posément.

Autour d’elle, l’atmosphère vibrait d’une telle tension


qu’elle en était tout étourdie. Lui, en revanche,
demeurait immobile, parfaitement impassible. D ne
ressentait rien ! constata-t-elle amèrement.

Tandis qu’il lui avançait obligeamment une chaise, elle


se sentit de nouveau envahir par un flot de souvenirs.
Plus particulièrement celui qu’elle avait par-dessus tout
tenté d’effacer de sa mémoire : Rafaello embrassant sous
ses yeux cette rousse, une fille de banquier, dans le
restaurant qui avait été leur endroit favori... Autour de
lui, ses amis semblaient beaucoup s’amuser de la scène.
Evidemment, ils étaient soulagés qu’il eût enfin quitté la
fille du jardinier, cette gamine à l’accent campagnard,
qui n’avait même pas fait d’études ! Glory s’était enfuie
en larmes.

Elle sentit soudain des mains fermes se poser sur son


bras. Rafaello la forçait à s’asseoir. Elle obtempéra et
regarda droit devant elle, en tâchant de rassembler ses
esprits. Il ne fallait pas qu’elle oublie pourquoi elle était
là.

— Quand les gens demandent à me voir, ils se mettent


à parler très vite en général. Ils savent que mon temps
est précieux, annonça-t-il d’un ton détaché.

— C’est que... C’est tellement bizarre... Je veux dire,


embarrassant de te revoir, commença Glory d’une voix
précipitée.

Avec une grâce féline, il réintégra son champ de vision


en venant s’appuyer contre le bureau et ébaucha un
sourire désinvolte.

— Pour ma part, je ne me sens nullement embarrassé.


Glory sentit un immense froid envahir ses veines. Elle
se concentra sur sa cravate de soie lie-de-vin avant de
répondre avec tout le calme dont elle était capable :

— Comme je suis sûre que tu n’ignores pas le motif de


ma visite, autant en finir tout de suite...

— Je t’écoute.

Au moment même où elle s’apprêtait à réciter le


discours qu’elle avait préparé, une pensée inopportune
s’immisça dans son esprit. Elle aimait sa voix !
Délicieusement rauque, avec cet accent italien qui faisait
chanter les syllabes et donnait à chaque mot qu’il
prononçait une note envoûtante. Glory sentit

Glory ébaucha un léger haussement d’épaules en signe


de défaite, et répandit un peu de café dans sa soucoupe.

— Je suis aux expéditions, parfois aussi à la production,


laissa-t-elle tomber, gênée qu’il l’observât comme si
chacun des mots qu’elle prononçait était de première
importance.

— Ouvrière spécialisée ! Et peut-on savoir depuis


combien de temps tu t’adonnes à cette... passionnante
occupation ? railla-t-il, le regard de plus en plus aigu.
— Ce n’est pas passionnant, mais les collègues sont
sympas et le salaire, honnête, répliqua Glory sans relever
le sarcasme.

— Pardonne-moi cette question, cara, insista-t-il d’une


voix traînante, mais qu’est-il advenu de ta folle ambition
de devenir mannequin ?

Glory se raidit, très pâle soudain.

— Comme tu le sais, j’ai reçu cette proposition et... elle


n’a pas abouti.

— Pourquoi ?

D’un petit coup de langue, Glory s’humecta les lèvres.


La conversation prenait un tour pénible et l’intérêt subit
que manifestait Rafaello à son égard la déroutait.
Rafaello, dont le regard de braise glissait à présent vers
sa bouche douce et pleine et s’y attardait avec une
intensité insupportable.

Tout à coup, l’atmosphère de la pièce devint plus


lourde, presque étouffante, et elle sentit un léger
picotement sur ses lèvres, comme si Rafaello les
effleurait vraiment. L’air commença à lui manquer. A sa
grande honte, elle sentit les pointes de ses seins durcir.
Au bord de la panique, elle but quelques gorgées du café
trop fort dont elle n’avait même pas envie. Mon Dieu !
Ces sensations... Cela n’allait pas recommencer !

— Pourquoi ? répéta Rafaello, implacable. Pour quelle


raison cette offre n’a-t-elle pas abouti ?

Il était donc déterminé à la harceler jusqu’au bout ? Eh


bien, autant jouer franc-jeu.

— Parce que, contrairement à ce que je pensais, ce


n’était pas pour des photos de mode qu’on me proposait
de poser, avoua-t-elle. Ils appellent ça de la photo...
artistique. En réalité... il faut se déshabiller devant
l’objectif.

Rafaello l’étudia longuement, le visage figé dans une


expression énigmatique.

— On t’a demandé de poser nue... et tu as refusé ? On


ne t’offrait pas assez d’argent sans doute ?

Suffoquant de rage, Glory répliqua :

— L’argent n’avait rien à voir ! Je n’étais pas prête à


faire ce genre de choses, c’est tout.
— Je ne suis pas né de la dernière pluie, cara, lui lança-t-
il sur le ton de la dérision. Il est des femmes qui se
laissent acheter. Tu as bien accepté cinq mille livres
sterling de la part de mon père ?

Totalement abasourdie par cette attaque, Glory lâcha sa


tasse. Avec un regard horrifié, elle fixa le somptueux
tapis ivoire sur lequel se répandait la tache de café.

— Donc, la réponse est oui, commenta Rafaello. Mon


père m’a révélé à quel prix il t’avait persuadée que je
n’étais pas l’amour de ta vie. C’était la valeur que tu
accordais à notre relation ? Une somme ridicule quand
tu pouvais en obtenir dix, vingt, trente fois plus. Mais
j’imagine que ça représentait déjà une petite fortune
pour toi à l’époque.

Accablée et nauséeuse, Glory était incapable d’esquisser


un geste. Rafaello avait eu vent de la transaction.

Il savait !

— Il m’avait dit que ce serait un secret, que jamais tu ne


le saurais..., bafouilla-t-elle, la honte au cœur.
— Dio mio... Tu crois toujours ce qu’on te dit ?
s’exclama-t-il avec un rire cruel qui la transperça comme
une lame acérée. J’avoue que cette histoire m’a amusé...

— Amusé ? reprit-elle en relevant la tête.

— De voir mon père s’ériger en aristocrate victorien


pour éloigner une fille considérée comme une menace
pour l’unité de sa famille ? Oui. Mais c’était maladroit et
parfaitement inutile, car je n’ai jamais pris au sérieux
notre relation. Ce qui m’a moins plu, en revanche, c’est
d’apprendre que tu avais empoché l’argent comme une
vulgaire intrigante. C’était mesquin et inexcusable !

Glory était trop choquée pour prononcer le moindre


mot. Qu’aurait-elle pu dire de toute façon ? L’argent
avait été encaissé, elle ne pouvait le nier. Cela
n’arrangerait certainement pas la situation de son père si
elle avouait que c’était lui qui avait refusé qu’elle
détruise le chèque. Le jour même ou Benito Grazzini lui
avait donné le chèque, Archie Little l’avait emmenée à la
banque et l’argent avait été déposé sur le compte
paternel. « Nécessité fait loi », avait-il déclaré pour
couper court à ses protestations. Si sa fille était obligée
de quitter la maison pour obéir aux ordres de Benito
Grazzini, il estimait avoir droit à une compensation.
Comment se débrouilleraient-ils, Sam et lui, sinon ?

Une « intrigante », « vulgaire » et avide... C’était ce que


Rafaello avait pensé d’elle durant toutes ces années.
L’amertume la fit suffoquer. Les riches avaient
décidément tous les droits, y compris celui de s’amuser
aux dépens des autres, de les tyranniser ou de gérer leur
vie, et ensuite de s’offusquer de leur prétendu manque
de moralité ! Si elle était partie, c’était uniquement parce
que le travail de son père était en jeu. Rien d’autre. Voilà
que cinq ans plus tard, après avoir affronté le père, elle
devait affronter le fils exactement pour les mêmes
raisons...

Ravalant sa fierté, Glory redressa les épaules et


demanda :

— Maintenant que tu m’as dit ce que tu pensais de moi,


pouvons-nous parler de ce qui m’amène aujourd’hui ?

— Je t’écoute.

— Tu as envoyé un préavis de licenciement à mon


père...
— Ne me dis pas que tu es surprise, coupa-t-il en
haussant un sourcil élégant. Si ton père n’avait pas été si
incompétent, ton jeune punk de frère ne se serait jamais
introduit chez moi...

— Sam a pris les clés pendant qu’il dormait, protesta


Glory en se levant d’un bond. Mon père ne pouvait pas
savoir ce que mon frère avait l’intention de faire et tu
n’as pas le droit de le blâmer pour ce qui est arrivé !

— Mais je peux certainement lui reprocher d’avoir


raconté un tissu de mensonges à la police et d’avoir
cherché à protéger son rejeton et sa bande de voyous,
répliqua Rafaello d’une voix mordante. As-tu une vague
idée du montant des dégâts qu’ils ont causés au manoir ?

— Sam m’a tout raconté, dit Glory en sentant son


humeur combative s’émousser. Les tapis endommagés,
les meubles éraflés, les bris de vitres... Heureusement, ils
se sont limités à deux pièces. Dès que Sam s’est rendu
compte que ses amis étaient trop ivres pour qu’il puisse
contrôler la situation, il est allé chercher de l’aide. Je sais,
notre père aurait dû lui-même appeler la police et dire la
vérité...

— Mais il ne l’a pas fait, glissa-t-il, glacial.


— Parce qu’il avait peur des conséquences pour mon
frère qui n’a que seize ans. Sam a avoué, lui. Il a
terriblement honte de ce qui s’est passé et regrette
sincèrement.

— Bien sûr, parce qu’il craint d’être poursuivi.

A cette éventualité, Glory sentit sa gorge se nouer. En


désespoir de cause, elle s’écria :

— N’as-tu jamais monté une blague qui a mal tourné à


son âge ?

— Tu me demandes si je me suis déjà introduit chez


quelqu’un pour tout mettre à sac ? La réponse est non !

— Evidemment, tu avais d’autres distractions, insista


Glory. Ils n’ont nulle part où aller, eux, parce qu’ils n’ont
pas d’argent. Et il n’y a pratiquement rien à faire dans le
coin pour des ados.

— N’essaie pas de m'apitoyer, tu veux ? répliqua-t-il


avec impatience. Je ne transige pas quand on viole ma
propriété. Rien que la facture de nettoyage s’élève à
quelques milliers de livres.

— Pfft !... Tu t’es fait avoir. On t’a compté le prix fort,


parce que tout le monde sait que tu es très riche.
Rafaello l’étudia d’un air narquois.

— Ma chère Glory, il faut faire appel à des


professionnels hautement qualifiés pour faire restaurer
les antiquités, les tapisseries et les moulures
.endommagées. Ces experts se payent très cher.

Comment l’aurait-elle su ? Se sentant idiote soudain,


Glory baissa la tête. L’agressivité n’était pas une bonne
tactique.

— Nous ne pouvons pas t’offrir de compensation


financière et ça me met affreusement mal à l’aise, tu
sais...

— Pour ma part, je déplore que de nos jours on ne


punisse plus les jeunes fous de trente coups de fouet !
Mais si on me rapporte la tabatière qui a été dérobée
dans le salon, je pourrais... je dis bien, je pourrais,
renoncer aux poursuites contre ton frère.

— On a... volé quelque chose ? demanda Glory d’une


voix blanche. Pourtant, la police n’en a pas informé Sam
hier.

— J’ai découvert seulement ce matin qu’elle manquait,


expliqua-t-il. C’est un très petit objet qu’on peut
facilement glisser dans la poche. Line pièce fabriquée en
Allemagne, datant du XIXe, en or et garnie de pierres
précieuses. Il est quasiment impossible de la remplacer.

— Quelle est sa valeur ? s’enquit-elle, atterrée par la


nouvelle de ce vol qui aggravait considérablement le
préjudice.

— Environ soixante mille livres.

La jeune femme n’en crut pas ses oreilles.

— Soixante... ! Et tu es sûr qu’on l’a volée ? Je veux dire,


tu as fouillé partout ?

— Je n’aurais pas signalé le vol à la police sinon. Ça


modifie complètement le touchant tableau que tu faisais
de ces jeunes, désœuvrés et sans le sou, tu ne crois pas ?

Les jambes tremblantes, Glory s’affaissa sur son siège.

— Sam est incapable de voler quoi que ce soit...

— Quelqu’un l’a fait pourtant. Et je suis déterminé à


engager des poursuites pour vol.

Elle sentit la tête lui tourner. Il y avait eu une vingtaine


d’adolescents à cette fête impromptue à Montaigu Park.
N’importe lequel d’entre eux avait pu dérober cette
tabatière sans attirer l’attention.

— Naturellement, tu envisages de poursuivre Sam et tu


ne renonceras pas à licencier mon père, dit-elle,
laconique.

Elle n’attendait plus rien de lui à présent. La situation


était trop grave.

— Tu croyais peut-être que, fasciné par ta beauté, je


jetterais l’éponge en souvenir du bon vieux temps ?
murmura Rafaello, ironique.

Malgré l’intonation douce, elle perçut son mépris


cinglant. Cela lui fit très mal. Une fois encore, il
l’humiliait.

— Non, mais je pouvais essayer de te raisonner, se


défendit-elle. Mon père et mon frère ne peuvent pas s’en
tirer comme ça après avoir agi aussi stupidement, je le
sais bien. Mais es-tu obligé de détruire leur vie ? Papa ne
retrouvera jamais un autre emploi à son âge. Tout cela à
cause d’une maudite tabatière ! A quoi peut bien te
servir un objet d’une valeur pareille, je me le demande !
— Les belles choses me donnent du plaisir, admit
Rafaello sans hésitation.

— Que puis-je dire ou faire ?... l’implora Glory.

— C’est à moi que tu demandes conseil pour obtenir ma


clémence ? lança-t-il avant de laisser échapper un rire
rauque. Qu’as-tu à m’offrir en retour ?

— Ma reconnaissance éternelle ? hasarda-t-elle sans


conviction.

— La gratuité n’est pas mon style. Peut-être dois-je en


appeler à mes instincts plus basiques. Voyons, que puis-
je vouloir de toi ?

Il considéra la silhouette de Glory et de minuscules


étincelles s’allumèrent dans son regard.

— Une seule chose, conclut-il. Du sexe !


2.

Du sexe ? Ce devait être une blague ? songea Glory en


laissant échapper un rire nerveux.

— Tu ne parles pas sérieusement... C’est impossible...

— Pourquoi ? C’est toi qui m’as plaqué pour cinq mille


livres, alors tu ne me feras pas croire que la morale
t’étouffe, répondit Rafaello d’une voix doucereuse. Que
dis-tu de ma proposition ?

Glory se leva d’un bond.

— C’est une plaisanterie, j’espère ?

— Pas du tout. Tu devrais être flattée au contraire,


reprit-il calmement. Je t’offre de te sortir de cette
misérable usine pour t’installer dans mon lit, tout en
laissant tranquilles ces deux minables de ta famille. Si ce
n’est pas généreux de ma part, je me demande ce qu’il te
faut.
— C’est un chantage pour m’humilier, parce que tu me
détestes !...

— Ma chère Glory, je n’ai pas besoin de t’aimer ni


même de te respecter pour te posséder de toutes les
manières auxquelles je pense. Tous les atouts sont entre
tes mains. Même habillée comme tu l’es, tu es
incroyablement sexy.

Pour mieux le lui démontrer, il laissa errer son regard


sombre et ardent sur le galbe généreux de ses seins à
travers son pull, puis sur sa taille fine, la courbe
voluptueuse de ses hanches, et plus bas encore...

Glory se sentit rougir. Cette avidité si typiquement


masculine la blessait plus encore que le mépris. Elle lui
égratignait la peau ! Quand les hommes cesseraient-ils
de la considérer comme un objet sexuel ? Le pire, c’est
que loin de la dégoûter, le regard de Rafaello réveillait
en elle des sensations qu’elle avait presque oubliées : ce
tressaillement au creux du ventre, cette sensation de
chaleur entre les cuisses.

— Je ne veux pas en entendre davantage ! haleta-t-elle


en lui tournant le dos pour mieux résister à la tension
sexuelle qui maintenant flottait dans la pièce.
— Plus je réfléchis à ma proposition, plus je
m’enflamme, cara, insista Rafaello. Du sexe pur, un
accord honnête, dénué de complications sentimentales.
Je te garde auprès de moi... et tu me fais plaisir.

— Tu peux toujours rêver, Rafaello Grazzini ! explosa-t-


elle. Je ne suis pas ce genre de fille !

— Tu as...

D’un geste lent, Rafaello découvrit la montre en or qu’il


portait à son poignet.

— Tu as trois heures et demie pour te décider. Passé 14


heures, je retire mon offre.

Outrée par cet ultimatum, Glory le dévisagea.

— Tu penses vraiment que je vendrais mon corps... ?

— Au plus offrant ? Sans aucun doute. Il y a cinq ans, je


n’ai pas compris ce que tu attendais de moi. Je ne te
faisais pas de somptueux cadeaux, et il ne m’est jamais
venu à l’idée de placer une liasse de billets sur la table en
échange d’une petite gâterie de ta part.
— Arrête ! le supplia-t-elle d’une voix où vibraient la
colère et le désespoir. Entre nous, ce n’était pas comme
tu le dis.

— Tu as accepté de l’argent pour ne pas coucher avec


moi.

Je présume que tu en aurais demandé davantage pour


venir dans mon lit.

— Non !

Cette fois, c’en était trop. Glory fit volte-face et le


regarda droit dans les yeux.

— Je t’aimais ! hurla-t-elle d’une voix brisée.

— Mais pas à concurrence de cinq mille livres ! lança-t-


il avec un sourire glacial. Tu ne manques pas d’air de
parler d’amour.

— Je te déteste ! jeta-t-elle avec un violent frisson de


dégoût. Oui, maintenant je te déteste !

— Il faudrait savoir ! Enfin, aucune importance. Je m’en


accommoderai, lui lança-t-il avec arrogance.

— Tu n’auras pas l’occasion de le faire !


Le visage empourpré, ses yeux bleus étincelant comme
des saphirs, Glory s’empara de son sac.

— Ça t’excite de penser que tu as du pouvoir sur moi,


n’est-ce pas ?

— S’asseoir sur une dette de soixante mille livres est


tout sauf excitant. Quant au pouvoir, cara... Si tu veux
mon avis, tu n’es guère en situation de le contester.

— Tu n’as aucun droit sur moi ! lui répondit-elle avec


rage.

— Mais tu ferais n’importe quoi pour ton père et ton


frère. Tu crois que je ne le sais pas ? Où sont-ils, au fait,
ces deux-là ? s’enquit-il tout en marchant vers la porte.

Il ouvrit le battant et s’inclina devant elle avec


courtoisie.

— Mais c’était peut-être ton idée de venir seule à leur


place.

— Peut-être en effet..répondit Glory par bravade.

A ce stade, elle se moquait de ce qu’il pouvait encore


penser d’elle. Une seule chose lui importait : fuir ! un
frisson exquis lui parcourir le dos, comme une caresse.
Seigneur ! A quoi songeait-elle ?

Les joues cramoisies elle déclara tout à trac :

— Je tiens d’abord à te dire combien je regrette que


mon frère se soit si mal comporté. Sam n’a aucune
excuse. Nos parents nous ont inculqué le respect du bien
d’autrui, mais il est encore très jeune...

— J’en suis conscient, coupa Rafaello avec ironie. Veux-


tu maintenant essayer de me regarder en face ? Ça me
gêne qu’on s’adresse à ma cravate.

Un rire nerveux, comme une sorte de hoquet, s’échappa


de la gorge de Glory et elle redressa la tête.

— Voilà qui est mieux, cara, approuva-t-il en la couvant


d’un regard ténébreux qui la fit de nouveau frissonner.

— Pas pour moi, marmonna-t-elle. Je suis tellement


nerveuse que...

— A cause de moi ? insinua-t-il. Permets-moi d’en


douter.

Elle ne se laissait plus prendre par ses manières


doucereuses. Cette constatation rendit à Glory tout son
aplomb et elle l’étudia avec acuité. Il avait un visage
avenant et sympathique. Mais elle était bien placée pour
savoir que derrière cette apparente séduction il pouvait
également se montrer sombre et dangereux. Elle scruta
ce visage anguleux et hâlé, qui avait tant de fois hanté
ses rêves, et y chercha quelques traces de cette cruauté
dont elle n’avait pas su se protéger. Elle ne découvrit
qu’une énergie féroce, ce calme olympien si intimidant et
cette dose d’autorité dont il ne se départait jamais.

— Si nous bavardions un peu ? suggéra Rafaello en


tendant la main vers une touche du téléphone pour
commander deux cafés.

Sur un ton d’excuse, il ajouta :

— Ça m’étonnerait qu’on ait de la tisane ici.

— Un café m’ira très bien, répondit automatiquement


Glory en se demandant de quoi diable il voulait
bavarder avec elle.

— Où habites-tu maintenant ? s’enquit-il.

— Près de mon lieu de travail à...

— Avec quelqu’un ?
— Non, seule. C’est une chambre meublée...

— Où exactement ?

— A Birmingham, répondit-elle, décontenancée par


cette salve de questions inattendues.

— Tiens ! J’ai toujours pensé que tu resterais à la


campagne.

— Il y a trop peu d’emplois en milieu rural, fit-elle


remarquer, mal à l’aise.

Il avait une drôle de conception du mot « bavarder ! »


songea Glory. Pour sa part, elle avait plutôt l’impression
de subir un interrogatoire. Mais elle n’était
malheureusement pas en position de lui reprocher sa
curiosité.

— En quoi consiste ton travail ? poursuivit-il.

A cet instant, on frappa à la porte et un léger bruit de


porcelaine se fit entendre. Le café ! L’interruption
tombait à point nommé, pensa aussitôt Glory tout en
s’étonnant de la rapidité du service.
Alors qu’on déposait une tasse et une soucoupe sur une
petite table auprès d’elle, Rafaello reprit le fil de leur
étrange conversation.

— Oh ! Où je travaille ? répéta-t-elle en prenant sa tasse.


Dans une usine qui fabrique des emballages en
polystyrène, entre autres.

— Quel poste occupes-tu ?

— Tu sais, ça n’a rien d’intéressant.

Il braqua sur elle un regard brillant.

— Tu serais surprise d’apprendre ce qui m’intéresse.

— Parce que tu pensais avoir encore des chances avec


moi, n’est-ce pas ?

— Tu as une bien haute opinion de toi-même !

— Peut-être, mais je dois reconnaître que tu me facilites


les choses. Tu aurais dû amener Archie et Sam pour te
soutenir ; ou alors gémir et pleurnicher jusqu’à ce que je
me lasse....

— Ce n’est pas mon truc !

— Exact. Autrement je ne te désirerais pas.


Rafaello aperçut Jon Lyons à l’autre bout du couloir.
Manifestement, le jeune homme attendait Glory, tout en
s’efforçant de ne pas regarder dans leur direction. Il
reporta son attention sur la jeune femme.

— Cinq minutes que tu es là et mon assistant te colle


déjà aux basques comme un petit chien. Fais-moi le
plaisir de le remettre à sa place en sortant.

— Va au diable ! lâcha Glory en s’engouffrant dans le


couloir.

Elle tremblait de rage, de honte et d’impuissance. Mais


que pouvait-elle faire ? Elle avait commis une grave
erreur. Elle aurait dû empêcher son père d’encaisser ce
fameux chèque cinq ans plus tôt. Mais ils avaient
tellement besoin d’argent à l’époque, et après l’humiliant
entretien qu’elle avait eu avec le père de Rafaello elle
n’avait pas eu la force de tenir tête à Archie.

Le sermon de Benito Grazzini avait été terrifiant, l’un


des pires moments de son existence. A son seul souvenir,
elle en avait la chair de poule. Il avait voulu qu’elle sorte
de la vie de son fils et, pour cela, n’avait pas lésiné sur
les moyens. Il avait même menacé de licencier Archie
Little pour incompétence. Privé d’emploi en même
temps que de logement, son père n’aurait jamais
remonté la pente.

Six mois plus tôt, alors qu’elle n’avait pas encore atteint
son dix-huitième anniversaire, leur vie familiale, jusque-
là stable et heureuse, avait basculé. Sa mère, Talitha, était
morte brutalement, emportée par un infarctus. Fou de
chagrin, Archie s’était mis à boire. Son travail s’en
ressentait, il lui arrivait même de s’enivrer durant ses
heures de service. Mais Benito Grazzini s’était montré
compréhensif. Ce qu’il n’avait pas manqué de rappeler à
Glory :

— Regarde un peu d’où tu viens. Ton milieu social... Et


ose me dire que tu es un bon parti pour mon fils. Il vaut
mieux pour tout le monde que tu quittes la région et que
tu prennes un nouveau départ ailleurs. En retour, je te
promets de faire ce qui est en mon pouvoir pour aider
ton père à surmonter ses problèmes.

Son milieu social... Une fois ces mots prononcés, Glory


avait su qu’elle ne pourrait rien ajouter pour sa défense.
Son père, autrefois respecté, se comportait en ivrogne.
Quant à sa mère disparue... Talitha Little était d’origine
tzigane et n’avait jamais été acceptée dans le voisinage.
Ses connaissances des plantes et ses superstitions avaient
attiré la méfiance. Benito Grazzini avait raison : Rafaello
et elle n’avaient rien à faire ensemble...

Sans même prêter attention à Jon Lyons, Glory pénétra


dans l’ascenseur. Elle devait rejoindre son frère et son
père qui l’attendaient dans un café, pleins d’espoirs.
Qu’allait-elle leur dire ? Que Rafaello Grazzini lui faisait
une offre qu’elle ne pouvait accepter ? Elle préférait
mourir plutôt que devenir une femme entretenue.
Surtout par lui.

Bouleversée par la force des sentiments contradictoires


qui l’assaillaient, elle se mit à courir sur le trottoir noir
de monde. Pourquoi Rafaello la traitait-il de la sorte ?
Qu’avait-elle fait pour mériter un tel mépris ? A
l’époque, ils n’étaient restés ensemble que six semaines.
C’était suffisamment long pour qu’elle tombât
irrémédiablement amoureuse de lui, mais pas assez pour
offrir sa virginité à un homme qui ne lui avait jamais dit
le moindre mot d’amour. Cette précaution, c’était à sa
mère qu’elle la devait. Talitha Little était convaincue que
le bien le plus précieux d’une femme était sa pureté.
Glory s’était juré de ne pas déroger à cette règle avant
d’être mariée.

Délaissant ces réflexions, elle s’efforça d’analyser


rationnellement la situation. Comment allaient-ils se
sortir de ce guêpier ? Sam était mineur, et Rafaello aurait
beau faire peser sur lui toutes les charges qu’il voulait, il
n’avait pas la preuve que son frère était impliqué dans ce
vol. Tout au plus écoperait-il d’un sévère avertissement.
Mais elle avait peur de la réaction de son frère. Sous ses
allures de gros dur, il était extrêmement fragile.

« Sam est différent, avait souvent déploré leur mère. Il


est trop émotif pour un garçon. Il souffrira s’il ne
s’endurcit pas. » Heureusement, ses capacités en sport
l’avaient rendu populaire à l’école. Pourtant, personne
pas même ses plus proches amis, ne savait qu’il détestait
cela et qu’il passait tout son temps libre à peindre.

Quant à son père, qu’adviendrait-il de lui ? Allait-il se


remettre à boire ? C’était un homme bon mais faible, il
n’aurait pas la force de continuer.

Glory les aperçut, attablés devant leur tasse de thé au


fond du café presque désert. Ils levèrent les yeux à son
approche et elle vint s’asseoir près de son frère,
profondément émue par la détresse qu’elle lisait dans
son regard et qu’il avait la plus grande peine à cacher.
En dépit de l'immense affection qu’ils éprouvaient l’un
pour l’autre, ils se ressemblaient très peu. Sam était
beaucoup plus grand qu’elle, avec des cheveux très noirs
et des yeux sombres. Il tenait de leur mère, tandis que
Glory avait hérité de la blondeur des Little.

— Qu’a dit M. Grazzini ? demanda Archie, le front


creusé de rides profondes sous ses cheveux grisonnants.

Il paraissait beaucoup plus âgé que ses cinquante-sept


ans, nota-t-elle avec tristesse.

— Papa...

— Ça s’annonce mal, n’est-ce pas ? Si seulement cette


tuile était arrivée avant que Benito Grazzini ne prenne sa
retraite et cède le domaine à son fils ! marmonna-t-il avec
défaitisme. Ce Rafaello est impitoyable. Je ne sais pas ce
que tu lui trouvais, Glory... Mais, à l’époque, rien de ce
que je disais ne t’aurait détournée de lui...

Vivement, elle porta son attention vers son frère.


— Sam, Rafaello m’a dit qu’une tabatière de grande
valeur avait disparu pendant que tes amis et toi étiez
chez lui...

— Quelque chose a été volé ? Ça ne peut pas être l’un


de nous ! protesta-t-il en lui lançant un regard lourd de
reproche. On n’est pas bêtes à ce point.

— Ecoute, préviens-les que cet objet doit être rendu,


parce que Rafaello n’a pas l’intention de laisser passer
ça, poursuivit-elle.

— Je ne me rappelle pas avoir vu un gars avec un pot à


tabac dans les mains, lui assura-t-il, le front plissé.

Cette réponse soulagea Glory. Son frère n’avait rien à


voir avec le vol.

— Il paraît que « c’est un très petit objet qui peut


facilement se glisser dans une poche », l’informa-t-elle.

A mesure qu’il écoutait la conversation, Archie Little


devenait de plus en plus pâle.

— Si quelque chose a été volé, nous sommes fichus. Pas


étonnant que tu n’aies pas réussi à arranger notre affaire,
dit-il d’un ton accablé. Rafaello Grazzini est furieux et ça
se comprend.
— Je suis désolé, papa, murmura Sam d’une voix
étranglée. Je te jure que je ne recommencerai jamais...

— Je ne t’en donnerai certainement pas l’occasion !

Puis, se levant avec lassitude, Archie contempla Glory.

— Nous allons rentrer et tu vas pouvoir prendre ton


train pour Birmingham. Je regrette de t’avoir mêlée à
cette histoire.

— Pourquoi étais-tu si sûr que Rafaello m’écouterait ?


voulut-elle savoir.

Son père soupira.

— C’est à cause d’une parole de ta mère. Tu sais qu’elle


avait de drôles d’idées parfois.

— Que t’a-t-elle dit ?

— Que Rafaello Grazzini veillerait toujours sur toi.


C’est idiot, déclara-t-il en haussant les épaules. Ça
n’avait pas de sens à l’époque et ça en a encore moins
aujourd’hui.

En entendant ces paroles cependant, Glory fut prise


d’un étrange vertige.
Lorsqu’ils se séparèrent à l’extérieur du café, son frère
se jeta dans ses bras et l’étreignit avec force.

Puis, les larmes aux yeux, elle les regarda s’éloigner.


Aucun d’eux ne lui avait demandé comment s’était passé
l’entretien. A présent, elle ressentait une immense
culpabilité de ne pas avoir pu protéger les siens. Mais
qu’aurait-elle dû faire, et à quel prix ? Se livrer au
pouvoir d’un homme qui la méprisait ? Rafaello l’avait
traitée de façon ignoble. Elle aurait dû lui dire ses quatre
vérités, et lui révéler l’odieux chantage que Benito
Grazzini avait exercé sur elle cinq ans plus tôt. Celui-ci
avait rapporté à son fils qu’elle avait empoché son
argent, mais il ne s’était certainement pas vanté d’avoir
fait pression sur une jeune fille de dix-huit ans !

Mue par une impulsion soudaine, Glory fit volte-face et


repartit en direction du siège de la Grazzini Industries.
Oui, Rafaello allait entendre ce qu’elle pensait de lui et
de son père qu’il respectait tant! Elle n’était pas la seule à
être dotée de parents malhonnêtes, et il était grand
temps qu’il le sache !

Dès qu’elle la vit surgir dans le hall de la direction, la


réceptionniste appela Rafaello par téléphone.
— M. Grazzini vous attend dans son bureau, dit-elle
enfin.

Soudain, toutes ses belles résolutions s’envolèrent.


Qu’allait-elle lui dire au juste ? Elle n’était pas prête à lui
révéler la trahison de son père. Pour quelles raisons alors
était-elle revenue ?

Elle arriva devant le bureau de Rafaello et s’immobilisa,


assaillie soudain par une affreuse évidence : elle ne
pouvait nier la joie fébrile qu’elle éprouvait à la
perspective de le revoir...

Elle était plongée dans ses troublantes réflexions quand


la porte s’ouvrit.

— Alors, on a déjà changé d’avis ? s’enquit froidement


Rafaello.

Incapable de proférer une parole, le cœur battant à tout


rompre, Glory contempla le visage énergique, et les yeux
ténébreux. Hypnotisée par la force de son regard
sombre, elle respirait avec difficulté. Comment un
homme aussi séduisant pouvait-il se conduire de la
sorte?
— Ne te méprends surtout pas, l’avertit-elle, haletante.
Je suis revenue... uniquement pour te dire ce que je
pense de tes manières.

— Tu m’en feras part au cours du déjeuner, déclara-t-il


en passant un bras autour de sa taille pour la faire
pivoter en direction de l’ascenseur.

— Le déjeuner ? répéta Glory, stupéfaite.

— J’ai faim, expliqua Rafaello en l’enveloppant d’un


regard explicite. Une faim de loup.

Décontenancée, elle porta son regard sur sa bouche


sensuelle. Elle se rappela alors la douceur de ses baisers.
Aucun homme ne l’avait embrassée comme lui.

— Alors ? susurra-t-il d’un ton si suffisant que Glory


eut envie de le gifler.

Qu’est-ce qui lui aVait pris de revenir ici ? Elle était


folle !

— Finalement, je crois que nous n'avons rien à nous


dire, annonça-t-elle tandis qu’il la poussait dans
l’ascenseur. Je ne devrais pas être là. Mais, puisque je
suis là, autant te dire tout de suite que j’ai parlé du vol à
Sam. Il n’a rien à voir là-dedans, j’en suis persuadée...
Comme elle cherchait à reprendre son souffle, Rafaello
la fit reculer au fond de la cabine et posa les mains sur
ses épaules fines.

— Tu parles trop à mon goût.

— Sam passera tout de même le mot à toute sa bande,


reprit-elle d’un ton précipité. Je suis sûre que tout
rentrera dans l’ordre. Quant à moi, je rentre à
Birmingham.

Tout en parlant, elle avait une conscience aiguë de son


corps trop proche du sien et des vagues de chaleur qui la
traversaient et contre lesquelles il était inutile de lutter.

— Tu ne retourneras pas à Birmingham, décréta


Rafaello, tout en faisant descendre ses mains le long de
ses bras en une caresse tentatrice.

— Non ! s’écria Glory en se libérant immédiatement. Tu


ne m’as pas écoutée. Je n’accepte pas ta proposition. Je
ne veux pas avoir affaire à toi... Je suis juste revenue
pour...

Avec un soupir d’impatience, il enfouit ses doigts dans


ses boucles dorées. L’instant d’après, il l’embrassait avec
ardeur.
Surprise, Glory se raidit. Profitant de son étonnement, il
la plaqua contre la paroi métallique et la souleva pour
l’amener à sa hauteur. Alors, il glissa voluptueusement
sa langue entre ses lèvres entrouvertes. Tremblant de
tout son corps, Glory sentit ses sens s’affoler.

Inconsciemment, elle noua les bras autour de son cou et


se lova contre lui, répondant avec ferveur à son étreinte.
Un gémissement rauque lui échappa. Elle ne pouvait
plus résister à cette enivrante passion qu’elle sentait
monter du plus profond d’elle-même. La pression de ce
corps viril collé au sien suffisait à l’embraser. En proie à
un désir fulgurant, elle était incapable de réfléchir et de
protester. Conscient de son abandon, Rafaello lui saisit
les cuisses afin de mieux l’arrimer à lui.

Tout d’un coup, il se figea. Avec un gémissement de


frustration, il s’arracha à ses lèvres et l’étudia d’un
regard trouble vaguement hébété.

— Per meraviglia ! J’oublie que nous sommes dans un


bâtiment public !

D’un mouvement brusque, il la déposa à terre. Alors


seulement, Glory se rendit compte que la cabine s’était
immobilisée, mais que les portes ne s’ouvraient pas.
— Pourquoi l’ascenseur s’arrête-t-il ? balbutia-t-elle,
confuse.

— C’est moi qui ai commandé l’arrêt, admit-il en


pressant plusieurs touches.

La cabine se remit en marche, tandis que Glory tâchait


de lisser son pull froissé. Elle n’osa pas regarder
Rafaello. Les lèvres encore brûlantes du contact des
siennes, le corps tremblant du plaisir qu’il lui avait
inspiré, elle se sentait perdue.

— Allons à mon appartement, commanda Rafaello


d’une voix mal assurée.

Voyant que le déjeuner n’était plus sa priorité, Glory


s’empourpra, de gêne, mais aussi de colère.

— Pas question. Je rentre chez moi, je te l’ai dit. Ceci


était un accident...

— Un... accident ? s’étrangla-t-il.

— Oui, comme lorsqu’on quitte la route des yeux et


qu’on finit dans le décor !
A cet instant, les portes de la cabine coulissèrent, les
exposant aux regards. Une foule de visages curieux les
fixait en silence.

Glory se rua la première. Se faufilant à travers un


attroupement d’employés médusés, elle gagna la sortie
et courut en direction de la gare.

A bout de souffle, elle dut ralentir le pas. Quelle


catastrophe ! Comment avait-elle osé se comporter de la
sorte ? Au lieu de dire ses quatre vérités à Rafaello
Grazzini, elle n’avait rien trouvé de mieux à faire que de
se jeter dans ses bras !

Belle façon de lui faire savoir le fond de sa pensée...


3.

Le lendemain, comme tous les vendredis, Glory sortit


plus tôt du travail.

Lasse, elle monta l’escalier jusqu’à la chambre qu’elle


louait au dernier étage d’une vieille maison. Elle avait
déjà introduit la clé dans la serrure quand elle remarqua
le Post-it apposé sur le battant éraflé de la porte.

« Rappelle ton père d’urgence », lut-elle en


reconnaissant l’écriture de sa voisine.

Elle redescendit à toute vitesse dans le vestibule où se


trouvait un téléphone à pièces, folle d’angoisse. Que se
passait-il ?

Son père décrocha presque immédiatement.

— Papa, qu’y a-t-il ? Que s’est-il passé ? le pressa-t-elle


d’une voix saccadée.
— La police est arrivée tôt ce matin avec un mandat de
perquisition.

— Quoi ? s’exclama-t-elle, horrifiée.

— Ils ont trouvé la tabatière dans la cabane qui nous


sert de réserve à fuel, poursuivit son père d’une voix
tragique. Sam a été inculpé. Mais il est innocent. Je le
sais!

Comme Glory assimilait ces paroles, elle sentit son sang


se glacer dans ses veines. Sam... inculpé ?

— C’est son meilleur ami, Joe, qui a fait le coup,


continua Archie Little. Quand Sam est venu me chercher
pendant cette maudite fête, Joe l’accompagnait. Mais il a
insisté pour rester dehors. En quittant la maison, je l’ai
vu sortir de la cabane...

— Oh ! Non, pas ça..., gémit Glory, accablée.

— Je me suis bien demandé ce que le gosse faisait là,


mais j’étais trop pressé d’aller arrêter le chahut au
manoir pour lui poser la question. Joe a dû paniquer et il
s’est empressé de cacher la tabatière. Mais qui va croire
ça ? Qu’allons-nous faire, Glory ?
— Je trouverai une solution, s’entendit-elle répondre
avec une assurance qu’elle était loin de ressentir. Dis à
Sam que je pense à lui et...

— Comment vas-tu t’y prendre ? Il est trop tard, se


lamenta son père. L’avocat dit que nous devons attendre
le procès...

— Aie confiance. Je te promets d’essayer. Et que Sam ne


se tourmente pas trop.

En prononçant ces mots, Glory eut un frisson


d’angoisse. Son frère était si émotif. Mon Dieu ! S’il
prenait la fuite ou s’il commettait l’irréparable ? Leur
père n’était pas d’un tempérament assez fort pour
soutenir un adolescent en détresse.

Ce fut seulement quand elle eut raccroché qu’elle


s’aperçut qu’elle tremblait comme une feuille. Elle ferma
les yeux. Dire qu’elle aurait pu éviter à Sam la honte
d’une inculpation ! Maintenant que la procédure
judiciaire était lancée, était-il encore possible de lever les
charges qui pesaient contre lui ? Il ne lui restait plus qu’à
accepter la « proposition » de Rafaello...
D’une main fébrile, Glory chercha dans son sac le
numéro de la Grazzini Industries et décrocha de
nouveau le téléphone. Mais la chance, décidément,
n’était pas de son côté. La secrétaire l'informa que son
patron était absent.

— Il est à l’étranger ? la pressa Glory avec inquiétude.


Ecoutez, c’est très urgent ! J’ai absolument besoin de lui
parler.

— M. Grazzini est parti dans sa maison de campagne et


je ne suis pas autorisée à vous communiquer son adresse
ni son numéro de téléphone. Je ne manquerai pas de lui
transmettre votre message...

— Non, surtout n’en faites rien, coupa Glory.

Il fallait jouer sur l’effet de surprise, décida-t-elle sur-le-


champ. Peut-être réussirait-elle alors à amadouer
Rafaello.

Elle remercia et raccrocha. En d’autres circonstances,


elle aurait souri de l’involontaire indiscrétion de la
secrétaire. Celle-ci ignorait évidemment qu’elle
connaissait l’adresse de ladite « maison de campagne »...
Sa décision prise, Glory remonta dans sa chambre et
extirpa son sac de voyage de l’armoire. Elle prendrait le
premier train pour Montaigu Park et essaierait de
rencontrer Rafaello le soir même, avant d’aller voir son
père. Mais l’écouterait-il maintenant ?

Il devait être furieux contre elle après son attitude de la


veille. Franchement, il y avait de quoi ! Cette seconde
visite à son bureau, ce baiser passionné qu’elle lui avait
rendu et, pour finir, la fuite... Tout cela tenait de la folie.
Comment lui faire comprendre ce qu’elle-même ne
pouvait s’expliquer ?

Glory referma son bagage et se regarda dans la glace de


l’armoire. Quelle horreur ! Des mèches éparses
s’échappaient de sa queue-de-cheval, son visage dénué
de maquillage portait les marques de son anxiété, et ce
n’était certainement pas son jean et son chemisier
ordinaires qui convaincraient un homme comme
Rafaello de revenir sur sa décision. N’avait-il pas dit
qu’il retirerait son offre, passé le délai annoncé ? Elle
avait intérêt à paraître à son avantage si elle voulait le
faire fléchir.
Cela n’allait pas être chose facile. C’était justement le
genre de défi qu’elle n’était pas habituée à relever.
Consciente que son visage épanoui, ses cheveux blonds
et sa silhouette sculpturale suggéraient qu’elle était une
proie facile, Glory ne portait jamais de tenues
provocantes et n’avait jamais appris à cultiver son sex-
appeal, bien au contraire. Mais, aujourd’hui, elle allait
devoir jouer de ses atouts.

Résolument, et tout en pensant à Sam pour se donner


du courage, elle traversa le palier et alla frapper à la
porte de sa voisine.

Tania, une pétillante petite brune, lui ouvrit.

— Glory ! Tu as lu mon message ?

— Oui, merci. Puis-je te demander un service ?


demanda Glory en hésitant. Voilà... Accepterais-tu de me
prêter une de tes tenues... sexy ?

Tania la dévisagea, médusée.

— J’y ferai très attention, promit Glory.

— N’est-ce pas toi qui me disais qu’exhiber ses jambes


ça excitait les pauvres types ? Ou que les seins ne
s’étalaient pas comme des fruits mûrs sur le marché ?
Glory s’empourpra en acquiesçant piteusement. Un
sourire amusé aux lèvres, Tania la fit entrer.

— On peut savoir qui est l’homme pour lequel tu veux


abandonner ton treillis et tes gros souliers ?

— Appelons-le... un défi ? répondit Glory.

— J’adore les défis ! lança Tania en ouvrant toute


grande sa penderie pleine à craquer. Maintenant, fais-
moi confiance.

Trois quarts d’heure plus tard, Glory étudiait sa


nouvelle apparence d’un œil critique... et consterné. Un
T-shirt rose, volanté, moulait sa généreuse poitrine et
elle avait dû se trémousser pour enfiler la minijupe
fendue coordonnée. Ses pieds étaient chaussés
d’escarpins vertigineux, seulement fermés sur le dessus
par deux fines lanières de strass. Lorsque Glory avait
émis l’hypothèse que certains hommes préféraient peut-
être plus de subtilité, Tania avait répondu qu’au fond ils
étaient tous esclaves de leur libido.

— Tu vas carrément arrêter la circulation dans cette


tenue !
avait ajouté Tania en lui lissant les cheveux. La
prochaine fois que nous allons toutes les deux en ville,
remets ta tenue de combat, car je ne supporterai pas une
telle concurrence.

— Pas de problème. Je n’aime pas mon nouveau look


de toute façon. Ça ne veut pas dire que je ne te suis pas
reconnaissante, assura Glory en enfilant son
imperméable.

— J’espère qu’il en vaut la peine ? glissa Tania.

— C’est ce qu’il croit probablement.

Sur quoi, elle prit son sac et se hâta vers l’arrêt de bus.

Peu après 19 heures, Glory atteignit enfin l’imposante


grille de Montaigu Park et regarda la longue allée qui
s’étirait sur

plus d’un kilomètre.

Elle soupira. Les lanières en strass de ses escarpins lui


meurtrissaient les pieds. Et, à la seule pensée de devoir
annoncer à Rafaello qu’elle acceptait sa proposition et
qu’elle était disposée à être sa maîtresse, elle n’avait
qu’une envie : prendre ses jambes à son cou et faire
demi-tour.
Vingt minutes plus tard pourtant, elle sonnait à la porte
du splendide manoir de style classique. Ce fut Maud
Belper, l’employée de maison, qui lui ouvrit.

— Glory ? s’étonna celle-ci.

— Bonsoir, Maud. Je vous en prie, ne dites pas à mon


père que vous m’avez vue ici, la prévint-elle aussitôt. M.
Grazzini est chez lui ?

— M. Benito ou M. Rafaello ? s’enquit l’employée.


Comme si elle ne connaissait pas déjà la réponse ! songea

Glory, les joues en feu.

— Rafaello, articula-t-elle.

— Entre et donne-moi ton vêtement...

— Non, merci. Je... J’ai attrapé froid et je préfère rester


couverte, bafouilla-t-elle en serrant son imperméable
contre elle.

— M. Grazzini est dans la bibliothèque.

Glory la remercia d’un signe de tête et attendit qu’elle


s’éloignât. Puis, laissant son sac dans le vestibule, elle
clopina tant bien que mal jusqu’à la bibliothèque.
Arrivée devant la porte, elle desserra la ceinture de sa
gabardine et hésita. Elle avait l’impression d’être une
call-girl. Et si Rafaello se moquait d’elle ?

« Je le fais pour Sam », se rappela-t-elle. Forte de cette


conviction, elle entra résolument dans la pièce, défit son
imperméable et, dans un même mouvement, le jeta sur
un fauteuil.

Debout près de la fenêtre, Rafaello parlait au téléphone.


A son entrée fracassante, il se figea instantanément et
écarquilla les yeux. Lentement, il la détailla : sa crinière
blonde, son visage tendu, ses seins dressés sous le T-shirt
rose qui les moulait comme une seconde peau... A ce
stade, il marqua une pause comme pour reprendre son
souffle, avant de poursuivre sa lente exploration...

Le visage en feu, Glory était au supplice. L’atmosphère


était si tendue qu’elle respirait avec peine. Sans parler de
son orgueil en miettes. Elle avait espéré l’impressionner
par son attitude désinvolte. Visiblement, ce n’était pas le
cas.

Rafaello semblait avoir du mal à détourner son


attention de la jolie courbe de ses hanches, mais quand il
baissa les yeux vers ses jambes, il parut encore plus
troublé. S’arrachant enfin à sa contemplation, il haussa
un sourcil d’un air méprisant et s’enquit :

— Que signifie ce déguisement ?

Glory n’était pas assez sotte pour penser qu’il était le


genre d’homme « esclave de sa libido », comme le
prétendait Tania. Chez lui, la maîtrise était une seconde
nature. Mais de là à l’entendre parler de déguisement...
Elle aurait voulu que le sol s’ouvre sous ses pieds pour
l’engloutir. Au lieu de quoi, d’un geste dérisoire et
désespéré, elle attrapa son imperméable et s’enveloppa
maladroitement dans les plis amples du vêtement. Des
larmes lui brûlaient les paupières. Elle tenta de les
refouler.

— Non, ce n’est pas à vous que je parlais ! jeta Rafaello


dans le téléphone en se souvenant à cet instant de son
correspondant. J’ai une visite. Je vous rappelle !

A le voir là, dans son costume sombre — du dernier


chic italien sans doute — elle se sentit encore plus
ridicule. Comment avait-elle pu imaginer le séduire avec
un tel accoutrement ?
Il raccrocha et Glory s’emmitoufla davantage dans son
vêtement comme si c’était son dernier rempart contre la
nudité.

— J’attends une explication.

— Que veux-tu que je te dise ? lança-t-elle d’une voix


mal assurée en fixant le vide.

Elle préférait détourner les yeux de ce profil fier au nez


arrogant, à la bouche sensuelle, à la pommette saillante
qu’ombraient de longs cils... Oui, même de profil,
Rafaello Grazzini la bouleversait.

— Reprenons, déclara Rafaello d’un ton suave. Hier, tu


déboules dans mon bureau et tu me tombes dans les
bras...

— C’est toi qui m’as enlacée ! rectifia Glory, les dents


serrées.

— Mais si je n’avais pas eu le bon sens d’en rester là,


nous aurions fait l’amour dans l’ascenseur.

— Parle pour toi ! Je ne me comporte pas de cette


manière...
— Vraiment ? coupa-t-il avec un rire moqueur. Habillée
comme tu l’es, tu as l’air d’une traînée. Pas mon style.
J’ai horreur de la vulgarité.

Horriblement blessée, Glory baissa la tête en s’efforçant


de ravaler les paroles mordantes qui lui venaient aux
lèvres. L’avenir de son frère dépendait de Rafaello et ce
n’était pas le moment de se le mettre à dos.

Un silence tendu s’installa, durant lequel elle tenta de


se ressaisir. Elle avait mal choisi sa tenue, soit Qu’aurait-
il préféré ? Sans doute une robe de haute couture très
chic. Jamais l’écart entre leurs deux univers ne lui avait
paru aussi grand.

— Puisque tu es incapable d’en venir au fait, sache que


je connais la raison de ta présence ici, fit-il remarquer
avec ironie.

— Je suis sûre que Sam n’est pas l’auteur du vol, clama


Glory d’une voix vibrante. Même si les apparences sont
contre lui. Tu as dit que si la tabatière t’était rendue, tu
pourrais lever l'accusation...
— J’entendais par là qu’elle me soit remise
volontairement, objecta Rafaello d’un ton soudain glacial.
Pas qu’elle soit retrouvée au cours d’une perquisition.

Glory s’était attendue à cet argument de poids. C’était


le moment de jouer son va-tout.

— Si tu laisses tomber les poursuites contre mon frère,


annonça-t-elle, eh bien... Je ferai ce que tu voudras.

Rafaello ne répondit pas tout de suite. Il lit quelques


pas vers la fenêtre, puis se tourna vers elle, l’air
soucieux.

— Je peux en effet retirer ma plainte. Mais comment


savoir si tu rempliras ta part du contrat ?

En entendant la bonne nouvelle, Glory fut traversée


d’un élan de joie.

— Quoi que tu puisses penser de moi, je rte suis ni


lâche ni menteuse, lui assura-t-elle. Je tiens parole.

Il la dévisagea avec une expression insondable.

— Mon père n’a pas eu à se plaindre après le marché


qu’il a passé avec toi, reconnut-il. Tu n’as pas remis les
pieds à Montaigu Park depuis cinq ans, n’est-ce pas ? Tu
ne dois pas voir souvent ta famille.

Glory crut percevoir une condamnation dans cette


question. De quel droit la jugeait-il ? Bien sûr, elle ne se
sentait plus aussi proche de Sam, même s’ils se
téléphonaient chaque semaine. Cette cruelle constatation
lui fit mesurer l’étendue de la punition que Benito
Grazzini lui avait infligée.

— Vivre à plus de trois cents kilomètres de distance, ça


n’aide pas, répondit-elle sur la défensive. Tout le monde
n’a pas de limousine ou de jet privé pour pallier cet
inconvénient.

— Tu auras tout cela aussi longtemps que tu seras avec


moi.

Puis, le regard plus ardent, il ajouta :

— Puisque tu restes ici cette nuit, tu peux enlever ton


manteau.

— Quoi ? Cette nuit ? répéta Glory d’une voix blanche.

Un sourire moqueur se dessina sur les lèvres de son


interlocuteur.
— Tu t’attendais à ce que je te fixe une date pour le
mois prochain ?

— Non, mais..., commença-t-elle, interloquée qu’il lui


demande de tenir ses engagements immédiatement. Ce
soir, j’avais l’intention d’aller au cottage et de faire ainsi
une surprise à mon père.

— Surprends-moi plutôt, murmura-t-il doucement. S’il


ne t’attend pas, il risque de te poser des questions
embarrassantes. Je vais retirer ma plainte et j’en avertirai
Archie dès ce soir...

— C’est magnifique ! s’exclama Glory avec


reconnaissance.

— Et, demain, tu t’envoles pour Corfou, continua


Rafaello comme s’il énonçait un programme.

— Corfou ? Demain ? répéta-t-elle en ouvrant des yeux


démesurés. Impossible ! J’ai un travail et un tas de
choses à régler avant d’aller où que ce soit...

— J’enverrai quelqu’un récupérer tes affaires et


informer ton propriétaire et ton patron que tu ne
reviendras pas. Ce n’est pas un problème.
— Je peux très bien faire ça moi-même ! rétorqua Glory
en se hérissant. Et si tu veux que je t’accompagne à
l’étranger, je tiens à voir ma famille ce soir !

— Si tu t’enfuis encore une fois, ne compte pas revenir.

Un silence glaçant s’abattit soudain, semblable au calme


qui précède la tempête.

— Pourquoi fais-tu ça ? marmonna-t-elle enfin. J’ai


accepté toutes tes conditions, mais ce n’est pas assez
pour toi.

— N’exagère pas, cara. Je tiens juste à ce qu’il n’y ait pas


de malentendu entre nous.

Avec une calme assurance, il s’approcha et prit sa main


crispée qui retenait les pans de l’impeméable.

— C’est moi qui décide. C’est tout, termina-t-il.

Au contact de sa paume tiède, Glory se mit à trembler.


Levant les yeux, elle chercha à capter son regard sombre,
mais celui-ci était dirigé ailleurs. Son vêtement s’était
ouvert et Rafaello fixait avec intensité son décolleté. Cela
la rendit furieuse.
— Tu as peut-être horreur de la vulgarité, mais ça ne te
gêne pas de te rincer l'œil, on dirait !

— Je suis un homme normalement constitué, avec des


réactions prévisibles, admit-il en relevant la tête. Et tu
n’es plus l’adolescente inoffensive qui me charmait avec
sa supposée innocence. Tant mieux, car je veux avoir
dans mon lit une femme expérimentée capable de
satisfaire toutes rr.es envies.

A cet aveu, Glory s’empourpra violemment et baissa la


tête.

Elle n’avait pas honte d’être vierge à vingt-trois ans, elle


n’avait, en revanche, aucune envie de le lui avouer.
Rafaello aurait été capable de changer d’avis au sujet de
leur « arrangement », et Sam ne serait pas libéré. Un
homme qui cherchait à assouvir ses fantasmes préférait
naturellement une femme qui fût à la hauteur. Eh bien, il
allait au-devant d’une cruelle déception ! Mais il n’aurait
que ce qu’il méritait.

— Tu me désires parce que je t’ai laissé tomber il y a


cinq ans, n’est-cé pas ? dit-elle en ne voyant plus d’autre
défense que le défi.
Des doigts minces et fermes lui relevèrent le menton et
elle se trouva prisonnière de son regard de jais où
dansaient des lueurs dorées.

— C’est possible. A l’époque, je ne t’ai jamais forcé la


main, invoqua-t-il en faisant glisser ses doigts vers sa
nuque. Je patientais. A présent, je n’ai plus besoin
d’attendre.

L’air était chargé d’électricité et Glory se rendit compte


qu’elle respirait avec peine. Son cœur s’affolait et elle
avait conscience que la puissance virile de Rafaello était
à deux doigts de lui faire perdre la tête.

Il allait la toucher et... Seigneur ! Elle ne demandait que


cela ! Même la honte cuisante qu’elle en concevait ne
parvenait pas à calmer l’éveil insidieux de son corps. Ses
seins étaient gonflés et douloureusement sensibles, et
surtout elle sentait de nouveau cette vague de chaleur au
plus intime de son être.

Il l’attira plus étroitement contre lui et Glory respira


une bouffée de son odeur virile. Elle tressaillit, soudain
folle de désir. Alors, il prit sa bouche et l’embrassa avec
tant de sensualité qu’elle en eut le vertige. Sous la
douceur presque insupportable de son baiser, elle eut
l’impression que son cœur s’arrêtait de battre.

— Imagines-tu dire non à ceci, cara ? murmura-t-il en la


relâchant.

Glory luttait désespérément pour recouvrer son souffle.

— Cesse de me taquiner..., balbutia-t-elle, effrayée par


l’envie qu’elle avait d’être de nouveau dans ses bras.,

— Tu appelles cette lente et séduisante approche une «


taquinerie » ? fit-il remarquer, amusé. Tu es peut-être
habituée à des manœuvres plus radicales.

En guise de réponse, Glory céda à la fougue qui la


tenaillait et passa ses bras autour de son cou pour attirer
sa bouche vers la sienne. Comme ses doigts fébriles se
perdaient dans les cheveux de son compagnon, il laissa
échapper un son rauque, entre rire et gémissement,
avant de glisser sa langue entre ses lèvres. Lentement,
Rafaello explora sa bouche, et ce ballet voluptueux et
suggestif la fit trembler de désir et d’impatience contre
son torse ferme et musclé. Mais il ne s’en tint pas là.
Affermissant ses mains sur les hanches de Glory, il la
souleva et la déposa sur le bureau en acajou.
— Rafaello... ? s’exclama-t-elle d’une voix suraiguë.

— Te voilà plus accessible, expliqua-t-il en enfouissant


ses doigts dans sa longue crinière dorée. Santo cielo ! Tes
cheveux ressemblent à de la soie...

Il fit couler les jolies mèches entre ses doigts, puis, sans
que Glory eût pu deviner ses intentions, il lui écarta les
genoux et se glissa entre ses cuisses.

Les jambes pendantes, Glory retint son souffle, se


sentant plus vulnérable que jamais. Il en profita pour se
serrer plus étroitement contre elle.

— Qu’est-ce que tu fais ? s’exclama-t-elle en s’efforçant


de ramener sa jupe sur ses cuisses découvertes.

Son excitation ne parvenait pas à faire taire la panique


que l’audace de Rafaello suscitait en elle. Qu’étaient-ils
en train de faire ? S’il entreprenait de lui faire l’amour
maintenant il allait découvrir qu’elle était loin d’être la
jeune femme expérimentée qu’il imaginait.

— Quelque chose ne va pas ? s’étonna-t-il.

— Tu as l’intention de me faire l’amour sur un bureau


et tu oses me demander ce qui ne va pas ? s’écria Glory,
incrédule.
Je refuse les cabrioles de ce genre, voilà ce qu’il y a ! Je
veux du respect et des limites à cet arrangement.

Rafaello s’immobilisa immédiatement.

— Si je comprends bien, dit-il, visiblement troublé par


ses efforts frénétiques pour faire descendre l’ourlet de sa
jupe, mon bureau figure hors de ces limites ?

Là-dessus, il se recula et Glory se hâta de glisser à terre.

— Question de décence ! répliqua-t-elle.

— Tu n’es pas très aventureuse, je trouve, commenta-t-


il.

— Pas dans les ascenseurs ni sur des bureaux !

— Je n’avais pas l’intention d’honorer notre contrat sur


celui-ci.

Rouge de confusion, Glory ébaucha un mouvement


d’épaules qui se voulait défensif.

— Comment suis-je censée savoir ce que tu veux ?

— As-tu seulement une vague idée de ce que sont les


préliminaires ? s’enquit-il d’un ton moqueur.
— Je sais que tu ne parles pas d’une partie de golf en
tout cas ! lança-t-elle, les yeux étincelant de colère et
d’humiliation. Et je ne suis pas venue pour être la cible
de tes commentaires spirituels, Rafaello Grazzini !

— Ce qu’il nous faudrait, c’est une liste..., reprit-il sans


se démonter.

— Une liste ?

— Des endroits où tu refuses que je t’approche.

— Tu trouves ça drôle, n’est-ce pas ?

— Non, à vrai dire, je suis fasciné. De ma vie, je n’ai eu


avec une femme de conversation comme celle-là,
affirma-t-il. Si ta mère nous voyait, elle serait contente.
Mais ne prends surtout pas cette remarque comme une
insulte à sa mémoire.

Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Bon


sang! Pourquoi lui parlait-il de sa mère maintenant ?
pensa Glory, la gorge serrée. Précisément le soir où elle
s’apprêtait à passer outre à tous les principes que celle-ci
lui avait inculqués.

Il fallait à tout prix qu’elle retrouve son calme. Toute


cette histoire la rendait beaucoup trop émotive. Rafaël 10
avait seulement voulu l’embrasser, la caresser un peu
peut-être, mais sans aller plus loin. Elle en avait fait tout
un drame.

— Je t’ai bien fait rire. C’est déjà ça, marmonna-t-elle,


vexée.

Il laissa échapper un soupir et prit ses mains crispées


entre les siennes.

— Je ne me moquais pas de toi, avoua-t-il doucement.


Mais tu portes une tenue si sexy ! Je n’imaginais pas
qu’une femme capable de s’accoutrer ainsi prendrait
peur si facilement.

— Je n’ai pas peur ! rétorqua Glory, piquée au vif.

— Disons que tu as pris la mouche. N'en parlons plus.


Monte, je te rejoins dès que j’ai appelé ton père.

— Monter où ? s’enquit-elle, désorientée.

— Dans ma chambre. Ah ! C’est vrai, tu n’es jamais


allée là-haut. Je vais te conduire.

— Non, indique-moi le chemin, l’interrompit-elle d’une


voix anxieuse.
A cet instant, le téléphone se mit à sonner. Rafaello
laissa échapper une imprécation en italien, puis
contourna le bureau avec impatience.

— C’est ma ligne privée, s’excusa-t-il. II vaut mieux que


je prenne cet appel.

— Alors, où ? insista Glory.

— Première porte à l’étage. Mais...

Il avait atteint le téléphone et, le regard toujours rivé


sur elle, il étendit une main comme pour l’inviter à y
glisser la sienne.

Ce geste surprit Glory. En même temps, un sourire se


dessina sur les lèvres expressives de Rafaello. Charmeur
et irrésistible, comme autrefois. C’est ainsi qu’il l’avait
ensorcelée.

Le cœur battant, elle s’approcha et mit sa main dans la


sienne. Levant ensuite les yeux vers lui, elle vit son
expression se crisper, tandis qu’il parlait en italien dans
l’écouteur.

— Le destin est décidément contre nous, ce soir,


déclara-t-il d’une voix irritée quand il eut raccroché.
C’était mon père.
— Oh ! fit Glory en se raidissant.

— Il passe le week-end à Londres chez des amis, mais il


m’annonce qu’il sera ici dans quelques minutes pour
discuter d’une affaire urgente. Il avait l’air préoccupé et
ça ne lui ressemble pas.

Se passant une main dans les cheveux, il soupira.

— Je ferais mieux de m’en aller, annonça-t-elle, trop


heureuse de cette aubaine. Je serai chez mon père.

— J’ai dit non.

Ces mots prononcés sur un ton de tranquille autorité


eurent pourtant le pouvoir de la stopper net.

— Enfin, Rafaello, je ne peux pas m’imposer ici devant


ton père.

Elle n’avait aucune envie de revoir Benito Grazzini. Et


c’était certainement réciproque.

— Reste, commanda-t-il. Tôt ou tard, il saura pour nous


deux de toute façon.

— Ça ne veut pas dire que je veux être là quand il


l’apprendra.
— Lâche, va ! murmura-t-il en se penchant pour la
bâillonner d’un baiser ardent.

— Je... Je serai plus à l’aise là-haut, insista Glory en


s’écartant, troublée.

— Moi aussi..., susurra Rafaello avec un sourire


carnassier.
Cette évocation de l’intiipité à laquelle il aspirait la fit
rougir d’embarras. A bout de nerfs, elle se rua vers la
porte.
4.

Glory prit son sac resté dans le hall et, ayant ôté les
escarpins qui lui blessaient les pieds, elle se hâta vers le
majestueux escalier.

Pas assez vite cependant, car la porte de l’office s’ouvrit


soudain, livrant passage à Maud Belper.

— Tu restes ici à ce que je vois ? fit-elle remarquer.

Gênée, Glory ne put que confirmer d’un pauvre petit


hochement de tête.

— Glory, ton père est un homme doux et il en faut


beaucoup pour le mettre en colère. Mais cette fois, je
crois qu’il sera très remonté contre M. Rafaello.

Glory s’efforça de conserver un air digne.

— Je suis une femme maintenant. Plus une gamine.

— Il ne s’agit pas de ça, mon petit, répondit Maud dont


le visage d’ordinaire placide exprimait l’inquiétude. Je
ne devrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas,
mais je me sens obligée de t’avertir : tu te mets dans une
situation dont tu ne peux comprendre les enjeux.

Sur ces paroles sibyllines, l’employée de maison


s’éclipsa en direction de la cuisine.

Glory s’élança dans l’escalier. De quelle situation


voulait-elle parler ? Pourquoi fallait-il qu’elle fût là à lui
faire la morale, au moment où elle s’apprêtait à s’offrir à
Rafaello ?

Une fois à l’étage, Glory s’engouffra dans la première


pièce venue, referma vivement la porte et actionna à
tâtons l’interrupteur. Dans son bureau comme chez lui,
Rafaello était habitué à l’espace et au luxe, constata-t-elle
en découvrant avec curiosité la chambre immense. Un lit
gigantesque en occupait le centre. Très vite, elle
détourna les yeux pour se concentrer sur le reste du
mobilier et détailler ce somptueux décor. Le tapis pastel,
le papier peint d’un vert doux et les longs voilages aux
fenêtres n’étaient pas assortis, mais l’ensemble avait un
effet très chic.

Elle avisa son reflet dans un miroir en pied et demeura


interdite. Osé et inconvenant, jugea-t-elle en s’examinant
d’un œil sévère. Comment cette tenue qui avait paru si
jolie et si féminine sur Tania pouvait-elle lui donner à
elle une telle allure ? Elle avait été horriblement blessée
par les paroles de Rafaello, mais elle devait admettre
qu’il avait raison. Elle faisait carrément vulgaire.

Comment en avait-elle pu être réduite à se vendre


comme une marchandise ? Inutile de se cacher derrière
son père et son frère. Une partie d’elle-même désirait
follement Rafaello Grazzini... à n’importe quel prix. Ce
marché qu’il lui imposait allait à coup sûr lui briser le
cœur et anéantir à jamais sa fierté.

Elle était d’une nature sentimentale et s’attachait


facilement. D’ailleurs, elle n’avait jamais complètement
oublié Rafaello. Pendant les six semaines magiques
qu’avait duré leur histoire, il l’avait traitée avec plus
d’égards que tous les hommes qu’elle avait rencontrés. Il
lui avait fait la cour avec une sorte de tendresse
malicieuse. Mais il avait bien changé ! se dit-elle en se
remémorant la scène dans la bibliothèque, un moment
plus tôt. Et, à présent, il la déstabilisait.

Pas de doute, elle avait complètement paniqué. Oui,


seule la panique pouvait expliquer qu’elle ait eu la force
de s’arracher à l’ivresse de ses baisers. Elle avait été
stupéfaite de constater qu’après cinq ans il pût encore lui
faire autant d’effet. Stupéfaite, et effrayée surtout... Le
Rafaello d’aujourd’hui ne ressemblait pas à celui qu’elle
avait connu à l’âge de seize ans.

La première fois qu’elle lui avait parlé, il s’était


comporté en grand frère avec elle, se souvint Glory.
C’était ce fameux soir où Jenny, sa meilleure amie, lui
avait arrangé un rendez-vous avec un ami de son frère.
Même si elle idolâtrait Rafaello, elle n’avait pas imaginé
une seule seconde qu’il puisse se passer quelque chose
entre eux. Il n’était qu’un rêve, un rêve délicieux mais
inaccessible. Tous deux vivaient dans des mondes trop
différents. Comme toutes les filles de son âge, elle avait
eu envie d’avoir un vrai petit ami.

Ce soir-là donc, en cachette de sa mère, elles s’étaient


rendues avec toute une bande au café du village et Glory
avait été présentée à Tim, un jeune homme de vingt-cinq
ans qui l’avait fait boire.

— Hé ! Regarde qui est là, lui avait soufflé Jenny au


cours de la soirée. Il vient s’encanailler chez les
prolétaires maintenant !
Rafaello se tenait au bar, accompagné de deux
camarades, et leurs vêtements d’un chic décontracté les
démarquaient nettement du reste de la clientèle.

Glory n’avait eu d’yeux que pour lui et, rendue


audacieuse par l’effet de l’alcool, avait cherché à capter
son attention par tous les moyens. Elle se souvenait
encore du choc qu’elle avait reçu quand il avait daigné
tourner la tête vers elle. Ses beaux yeux sombres avaient
dégagé un magnétisme extraordinaire.

— Si tu veux mon avis, tu as un ticket avec lui ! avait


murmuré l’intarissable Jenny. Dommage que tu sois
bloquée avec Tim.

Mais celui-ci jouait aux fléchettes à l’autre bout de la


salle bondée, et Glory, sans plus de scrupules, s’était
installée au bar, battant effrontément des cils en
direction de Rafaello. Quand il s’était levé pour
l’aborder, elle avait cru défaillir de joie.

— Je t’emmène faire un tour dans ma Porsche ? lui


avait-il proposé alors.

— Quand ? avait-elle demandé sur-le-champ, trop


fascinée pour s’embarrasser de politesse.
— Maintenant. Suis-moi.

Ce qu’elle avait fait d’une démarche mal assurée. Il lui


avait ouvert la portière et Glory avait été enchantée de
ses manières impeccables.

— Tu n’es pas très fidèle, avait-il fait remarquer en


démarrant. Que fais-tu de ton flirt ?

— Oh ! Je l’ai rencontré ce soir pour la première fois.


Vous m’avez reconnue, n’est-ce pas ?

— Oui. Il faut dire que tu ne passes pas inaperçue.

Alors que Glory réfléchissait à quelque chose de


spirituel pour relancer la conversation, il l’avait
ramenée... au cottage familial !

— Mais... Pourquoi me reconduisez-vous chez moi ?


avait-elle demandé, alarmée. Je suis censée rester dormir
chez mon amie. Ma mère va me tuer en me voyant
habillée comme ça ! Et elle saura que j’ai bu... Je croyais
que vous m’emmeniez faire un tour ?

— C’est ce que j’ai fait.

— Non, je pensais...
— Tu n’es pas en état de penser. Ton petit ami essayait
délibérément de t’enivrer ! Tu n’as que seize ans et
aucune maturité. Tu es montée dans ma voiture le plus
simplement du monde. Te rends-tu compte du danger
d’un tel comportement ? Le plus sûr pour une gamine
comme toi, c’est de rester au bercail !

A ces mots. Glory avait éclaté en sanglots et Rafaello


avait eu quelque peine à la faire descendre de voiture.

— Tu me regardais comme si tu étais attiré par moi !


l’avait-elle accusé.

— C’était le meilleur moyen de te faire quitter ce bar.


En plus, je ne mentais pas vraiment, tu es... très belle...

— Tu le penses vraiment ? avait-elle demandé,


pathétique.

Il s’était mis à rire et elle avait senti son cœur s’emballer


en attendant sa réponse. Mais, à cet instant, sa mère avait
ouvert la porte d’entrée.

Talitha Little ne dit rien ce soir-là. Le lendemain, au


petit déjeuner, alors que Glory se sentait horriblement
malade, sa mère avait eu un petit sourire étrange avant
de faire remarquer :
— Je suis sûre que tu as compris la leçon.

De fait, Glory n’avait plus touché à une goutte d’alcool.


Et elle avait passé cet été-là à rêver sans fin de Rafaello.

Emergeant de ses souvenirs, elle consulta sa montre et


s’aperçut qu’elle était dans cette chambre depuis une
heure. Benito Grazzini était-il toujours avec son fils ?

Sans bruit, elle sortit sur le palier et gagna le haut de


l’escalier depuis lequel on avait une vue plongeante sur
le hall. A cet instant, la porte de la bibliothèque s’ouvrit
et elle se renfonça vivement dans la pénombre pour ne
pas être vue.

Elle vit Rafaello et son père, dont elle reconnut la


puissante carrure et les cheveux argentés, se diriger en
silence vers la porte d’entrée. Au dernier moment, Benito
Grazzini se tourna vers son fils en tendant les mains
comme pour implorer sa compréhension, et Glory fut
stupéfaite par l’expression bouleversée, presque hagarde
de son visage. Le profil de Rafaello, en revanche, restait
de marbre. Finalement, son père laissa retomber ses
mains dans une attitude de défaite et, se détournant, il
franchit le perron en direction de la rutilante limousine
qui l’attendait. Rafaello referma violemment la porte.
— Que s’est-il passé ? lança Glory, trop inquiète pour
garder le silence.

D’un mouvement brusque, il rejeta la tête en arrière.

— Depuis combien de temps es-tu là ? s’enquit-il


froidement.

Il avait le visage fermé et le teint anormalement pâle.

— Pas plus d’une minute. J’ai vu ton père sortir. Il avait


l’air contrarié.

Rafaello haussa les épaules, puis se mit à gravir


l’escalier.

A l’évidence, il avait eu un différend avec son père.


Mais pouvait-elle lui en vouloir s’il ne désirait pas en
parler ? Après tout, cela ne la regardait pas. A moins
que... ? Leur discussion avait-elle eu quelque rapport
avec elle ?

— Tu as dit à ton père que j’étais ici ? C’est ce qui l’a


fâché ?

— Pas du tout, répondit-il d’une voix sourde. Par


contre, il y a un changement. Je sais qu’il est tard, nais il
faut que tu rentres à Birmingham. Je vais te faire
reconduire.

Glory se figea, abasourdie. Quoi ? Une heure plus tôt, il


la désirait follement, et maintenant il la renvoyait dans
ses pénates ! Quelque chose de grave était arrivé. De
tellement grave que cela passait avant le désir qu’il avait
d’elle. Elle aurait dû se réjouir de cette diversion...

— Je vais prendre mon sac, annonça-t-elle simplement.

— J’enverrai une voiture te chercher lundi vers midi.


J’ai besoin de ton adresse, lança-t-il dans son dos.

— Je peux toujours apprendre à Sam qu'il est disculpé ?


demanda-t-elle sans oser se détourner.

Un silence pesant s’ensuivit, et Glory santit l’angoisse


lui nouer la gorge.

— Oui, tu peux compter là-dessus, déclara-t-il enfin


d’un ton presque farouche.

— Merci.

Glory alla s’enfermer dans la salle de bains. Soucieuse,


elle se débarrassa de l’ensemble rose, qu’elle détestait à
présent, enfila un jean, un T-shirt et des sandales
confortables et revint vers la chambre.

Elle espérait y trouver Rafaello, et que celui-ci lui


fournisse une explication. Mais non, il ne l’avait pas
suivie. Quoi qu’il se fût passé ce soir, il n’avait pas
l’intention de le partager avec elle.

Glory griffonna son adresse sur le bloc de la table de


nuit et descendit. Rafaello se tenait dans le salon. Debout
devant la monumentale cheminée de marbre, il
contemplait le feu d’un air sombre. A son entrée, il
tourna la tête vers elle.

— La voiture t’attend. Et surtout pas de scène, cara. Il


s’agit seulement d’un contretemps...

— Et moi, je te conseille de réfléchir avant de prendre


des libertés avec une maîtresse déjà peu disposée ! Tu as
le week-end pour ça, lança-t-elle avec mépris.

Il la fixa de son profond regard.

— Peu disposée ? C’est ce que nous verrons... A Corfou.

Trois jours plus tard, Glory montait dans la Land Rover


qui l’attendait à l’aéroport de l’île. Elle avait effectué le
vol à bord du jet privé de Rafaello, mais, à sa grande
surprise, celui-ci ne l’avait pas accompagnée. Son
équipage l’avait traitée comme une reine et, bien qu’elle
se défendît d’être bassement matérialiste, elle avait été
terriblement impressionnée par le confort luxueux de la
cabine. Rien à voir avec le vol charter qu’elle avait pris
avec Sam, deux ans plus tôt, pour leurs vacances en
Espagne !

Le chauffeur du 4x4 quitta la nationale et emprunta une


route qui grimpait entre les oliveraies. Ils traversèrent
ainsi des hameaux pittoresques, nichés à flanc de
collines, et gagnèrent la côte par des chemins accidentés
et des pentes vertigineuses. Pas moins d’une heure plus
tard, la voiture arriva en vue d’un haut portail
électrique, qui s’ouvrit à leur approche. Ils s’engagèrent
dans une longue allée bordée de cyprès majestueux.

La villa Grazzini, immense et ultramoderne, paraissait


enfouie dans une végétation luxuriante et jouissait en
même temps d’une vue magnifique sur la mer Ionienne.
Dans la lumière éclatante, l’eau était d’un bleu
extraordinaire. En contrebas s’étendait une plage dorée.
Une maison splendide dans un cadre splendide, jugea
Glory en descendant de voiture. Rien n’était
apparemment trop beau pour les Grazzini.

Elle était trop nerveuse pour apprécier pleinement ce


paysage idyllique. Se tournant vers la villa, elle aperçut
un majordome en veste blanche immaculée. Celui-ci
l’introduisit d’abord dans un hall dallé de marbre, puis
dans un superbe salon qui s’ouvrait sur une terrasse.

Où donc était Rafaello ? Elle commençait à en avoir


assez d’être déplacée comme un paquet !

— Il signor Grazzini est prévenu de votre arrivée,


mademoiselle Little, déclara le domestique, comme s’il
avait deviné la raison de son agacement. Désirez-vous
du thé, du café ? Un apéritif peut-être, avant le dîner ?

— Où est le signor Grazzini ? s’enquit-elle, inquiète.

Puis, voyant que le majordome hésitait à lui répondre,


elle ajouta :

— C’est bon. Je vais le chercher moi-même.

Sortant de la pièce, elle se campa au beau milieu du


hall, les mains sur les hanches, et hurla de toutes ses
forces :
— Rafaello !

Quelques secondes plus tard, une porte s’ouvrit et


Rafaello apparut. Vêtu d’un costume de lin clair, dont la
coupe parfaite soulignait sa carrure athlétique, il était
d’une classe folle.

D’un œil, il la toisa, détaillant sa silhouette, la robe


bleue toute simple, et ses cheveux retenus par une tresse.

— Tu voulais me voir. Me voilà ! lança Glory en


croisant les bras pour cacher sa nervosité.

L’espace d’un instant, elle avait eu du mal à se retenir


de ne pas lui sauter au cou. Heureusement, elle sut
réprimer cette impulsion...

— C’est nouveau cette façon d’attirer l’attention..., fit


soudain entendre une voix cristalline derrière lui.

Glory se figea en voyant une splendide brune s’avancer


d’une démarche chaloupée. Arrivée à la hauteur de
Rafaello, elle posa une main possessive sur son bras en
lui adressant un regard éloquent.

— Moi aussi, je penserai à hurler à tue-tête la prochaine


fois que je me sentirai délaissée par mon hôte. C’est
simple et efficace, énonça la belle créature d’une voix
suave où perçait le mépris.

— Glory... Je te présente Fiona Woodrow, déclara


Rafaello avec une parfaite courtoisie.

La brune tendit une main molle, mais Glory choisit de


l’ignorer. Elle n’était pas douée pour l’hypocrisie.

Comme une porte s’ouvrait derrière elle, Rafaello


ajouta :

— Jon, pouvez-vous veiller à ce qu’on serve un


rafraîchissement à Mlle Little ?

Le jeune homme s’avança et escorta la jeune femme


jusqu’à la terrasse du salon. Devant eux, le soleil
déclinait sur la baie, inondant l’horizon d’or et de
pourpre. Glory fut pourtant totalement hermétique à la
beauté du paysage.

Les poings serrés, elle n’osait tourner les yeux vers son
compagnon. Fiona Woodrow l’avait ridiculisée en
public, et Rafaello n’avait absolument rien tenté pour la
défendre.

Le majordome reparut et déposa sur la table de jardin


une boisson glacée et un assortiment de petits canapés.
— C’est un plongeon dans l’océan Arctique qu’il
faudrait pour me rafraîchir, déclara Glory avec un
regard d’excuse en direction de Jon Lyons. Qui est Fiona
Woodrow ?

— Rafaello et lady Fiona se connaissent depuis


longtemps. Je n’en sais pas plus, répondit celui-ci.

Lady Fiona ? Un membre de l’aristocratie britannique,


en plus ! Dire qu’ils se connaissaient était un bel
euphémisme. Ils avaient une liaison, oui ! D’aillqurs, la
brune ne s’en était pour ainsi dire pas cachée. Rafaello
n’avait même pas eu la décence d’éloigner sa compagne
de la villa avant son arrivée !

Elle se sentait atteinte dans sa fierté, et ses émotions


étaient si violentes qu’elle était incapable de réfléchir.

— Il amène beaucoup de femmes ici ? demanda-t-elle


tout à trac. Est-ce une sorte de... harem du désert ?

Un instant, elle crut qu’il allait éclater de rire. Mais il fut


visiblement touché par son regard anxieux et répondit
d’un ton neutre :

— Le patron va et vient. On ne peut pas vraiment le lui


reprocher...
— Je vais me gêner ! coupa Glory.

— Il a beaucoup de succès auprès des femmes.

Merci pour l’information ! Cela, elle l’avait toujours su.


Beau, riche et charmant, il était évident qu’il n’avait que
l’embarras du choix.

Elle devait être la seule à ne pas bénéficier de ses


privautés. Mais qu’avait-elle espéré ? Il n’était pas
amoureux d’elle, n’essayait même pas de lui plaire. Fini
les rêveries romantiques et les fantasmes de jeune fille, la
cruelle réalité la frappait maintenant de plein fouet.
Rafaello n’avait pas fait le voyage avec elle, ne s’était
même pas donné la peine de l’accueillir à l’aéroport... Ce
qu’il attendait d’elle, c’était du sexe. Rien que du sexe. Il
avait été on ne peut plus clair. Pourquoi s’était-elle
voilée la face ?

— Pardonnez-moi mon indiscrétion, poursuivit Jon.


Mais laissez-moi vous dire que vous n’avez pas la bonne
attitude. Dès que Rafaello s’apercevra que vous vous
impliquez émotionnellement, il vous quittera.

En ce moment, elle avait surtout envie de plonger le


beau Rafaello Grazzini dans un bain d’huile bouillante et
de lui faire subir les pires tortures ! Rien à voir avec de
l’affection. Une chose était sûre : il était hors de question
qu’elle reste une minute de plus à Corfou ! Elle ne serait
pas un trophée de plus dans son harem. Ce n’était pas
prévu dans leur « contrat » et elle entendait bien le lui
dire, maintenant que Sam était hors de cause et son père
réintégré dans sa place de chef jardinier.

C’était son frère qui lui avait téléphoné la bonne


nouvelle, très tôt le samedi matin. Glory avait été
surprise d’apprendre que Rafaello était resté parler avec
son père et son frère jusque tard dans la nuit. Qu’était-il
advenu de cette affaire urgente dont il avait été si pressé
de s’occuper ce soir-là ? Mais elle avait été encore plus
étonnée quand son cadet lui avait confié que Rafaello
était « un mec sain, décontract et qui aimait bavarder ».
D’après Sam, Rafaello avait admis avoir réagi de façon
impulsive dans cette affaire de tabatière ! Elle n’en avait
pas cru ses oreilles.

Cela dit, elle s’était promis de le remercier. Il n’avait pas


hésité à masquer sa colère pour arranger les choses —
elle se rappelait encore ses mots véhéments : « violation
de propriété », « voyous »... Toujours est-il que son
attitude généreuse avait sorti Sam de son accablement.
Joe était aussi venu s’expliquer de son geste devant
Rafaello, si bien que tout était rentré dans l’ordre.

Tout à ses réflexions, Glory porta le verre à ses lèvres.


Le jus de fruit glacé hydrata sa gorge brûlante et elle le
savoura avec plaisir.

Sam était tiré d’affaire... C’était à son tour d’honorer sa


part du « contrat ». Elle allait devoir être lucide et oublier
ses illusions à propos de Rafaello. Sur quoi étaient-elles
fondées ? Une amourette de quelques semaines ne
représentait rien. Mieux valait se rappeler son attitude
lors de leur rupture où elle avait enfin découvert son
vrai visage. Il s’était montré cruel. Tout comme
aujourd’hui...

— Si vous voulez que je prenne l’avion ce soir, je ferais


aussi bien de me mettre en route, déclara soudain Jon.

Intriguée par ces paroles, Glory détourna la tête et


découvrit Rafaello juste derrière elle. C’était à lui que ces
mots s’adressaient. Posant son verre, elle releva le
menton en évitant de rencontrer son regard.
— Si Jon se rend à l’aéroport, j’aimerais profiter de la
voiture, décréta-t-elle. Je ne reste pas.

Le jeune assistant la regarda d’un air interloqué avant


de s’éclipser discrètement à l’intérieur de la villa.

— Tu n’iras nulle part, car a, proféra Rafaello.

— Et comment comptes-tu m’en empêcher ? s’enquit-


elle sèchement.

— Par la force si nécessaire.

Glory haussa un sourcil dédaigneux pour lui montrer


qu’elle n’était nullement impressionnée.

— Si tu oses me toucher, je hurle !

— Le bruit ne me dérange pas. Mais je ne supporte pas


d’être dupé, tu devrais t’en souvenir.

L’air lumineux se chargea soudain d’une ombre


menaçante.

— Tu veux jouer à l’homme du monde en me rappelant


le marché cynique que tu m’as imposé ? lança-t-elle
d’une voix venimeuse.
— Imposé ? Parlons-en ! Ce n’est pas toi qui es venue
me vamper vendredi soir, habillée comme une traînée ?
Ce n’était pas pour passer un marché, peut-être ?

— Je te défends de me parler de la sorte !

Certes, elle avait voulu le séduire ce soir-là, mais elle


avait de bonnes raisons. A qui la faute si elle s’était
abaissée à ce point ? Qui avait dicté ces conditions
humiliantes ? C’est lui qui lui avait fait clairement
comprendre que sa beauté était tout ce qu’elle avait à
vendre.

— Ah ! C’est bien les femmes ! bougonna-t-il en


arrachant sa cravate qu’il jeta sur la table. S’exhiber
comme appât et faire la sainte-nitouche dès que la
pauvre victime mord à l’hameçon...

— Rafaello Grazzini, victime des femmes ? On aura


tout vu !

— Soit, le terme n’est peut-être pas le bon, rétorqua-t-il


en durcissant le ton. Mais je n’aime pas être dupé. Tu as
essayé de te moquer de moi il y a cinq ans. Et tu te
souviens aussi sans doute de quelle façon ça s’est
terminé ? Ce n’est pas moi qui suis parti en larmes.
— Espèce de salaud ! s’écria Glory, tremblante de
colère.

Comment osait-il lui rappeler le chagrin qu’elle avait


éprouvé en le voyant parader devant elle avec la fille du
banquier ?

— Sache aussi que je ne laisse personne m’injurier,


maugréa-t-il.

— Alors, c’est une première ! Et maintenant, je file à


l’aéroport avec Jon...

— Je t’aurai prévenue !

Marchant vers elle, la mine résolue, Rafaello l’attrapa


par la taille et la souleva de terre.

Incrédule, Glory voulut le gifler de toutes ses forces.


Mais il baissa la tête juste à temps pour esquiver le coup.

— Si tu essaies encore de me frapper, je te jette dans la


piscine ! la menaça-t-il en la hissant sur son épaule.

— Quoi ? Et moi, si tu ne me lâches pas


immédiatement, j’appelle la police ! s’étrangla Glory.

— Et comment ? Avec une antenne de martien ?


Une voix intervint soudain. Celle de Jon Lyons,
reconnut Glory en se redressant, humiliée par sa
fâcheuse posture.

— Rafaello..., dit-il en se raclant la gorge. Je crois que


vous ne devriez pas malmener votre invitée comme vous
le faites.

— N’essayez pas de comprendre, lui conseilla Rafaello,


amusé. Glory et moi revisitons le passé. Je l’ai connue
quand elle avait quatre ans. C’était à l’arbre de Noël
organisé au manoir pour les enfants de nos employés.
Elle se battait avec un autre bambin. Quand je les ai
séparés, elle continuait de lancer ses poings en criant : «
Laissez-moi le frapper ! » Voyez-vous, elle n’a pas
beaucoup changé.

— Arrête de raconter n’importe quoi ! protesta Glory,


tandis que Rafaello commençait l’ascension de l’escalier.

— Plus tard, j’ai souvent vu des automobilistes


admiratifs la klaxonner quand elle attendait le bus le
matin, continua Rafaello à l’adresse de son assistant. Elle
n’avait que treize ans. Puis, quand sa famille est venue
s’installer dans le pavillon de Montaigu Parle, je l’ai vue
plus d’une fois se cacher dans les massifs de
rhododendrons pour se maquiller avant de partir pour
l’école !

Pétrifiée, Glory écoutait ces révélations.

— Excusez-moi, je suis désolé de m’être interposé,


s’excusa Jon depuis le hall. Vous la connaissez mieux
que moi. J’ignorais que vous aviez grandi ensemble. A la
semaine prochaine, Rafaello.

Quand la porte d’entrée se fut refermée, Glory se mit à


marteler vigoureusement le dos de son compagnon.

— Tu n’avais pas le droit de m’épier ! s’exclama-t-elle,


faute de trouver une meilleure attaque.

— Je faisais seulement mon jogging matinal. J’ai évité


l’allée de rhododendrons après t’avoir vue deux fois
peigner tes cheveux, telle une sirène sur son rocher,
railla-t-il. Ce n’est pas mon style d’observer les
écolières...

— Laisse-moi descendre !

Rafaello la déposa sur le tapis d’une jolie chambre. Les


porte-fenêtre qui donnaient sur le balcon étaient
ouvertes et les rideaux de soie se gonflaient sous la brise
légère. Un instant, l’attention de Glory fut attirée par le
lit ancien et sculpté, orné de jolies miniatures.
Recouvrant ses esprits, elle se tourna vers Rafaello.

Il se tenait adossé à la porte, les bras croisés. Sa chemise


blanche ouverte découvrait son cou hâlé, et son beau
visage était empreint de détermination.

— Tu as fini de jouer à l’homme des cavernes ? Si tu


crois que j’ai envie de faire partie de la longue liste de tes
conquêtes, tu te trompes ! assura-t-elle, blême de colère.

— Bienvenue à Corfou, bella mia. Te voici dans mon


harem.
5.

— Ai-je bien entendu ? articula Glory au comble de la


fureur.

— Rien de tel que la provocation pour te ramener dans


le vif du sujet, commenta Rafaello avec un regard
ironique. Les parents de Fiona possèdent une villa non
loin d’ici. Elle passe me voir régulièrement, mais je ne
l’attendais pas aujourd’hui. C’est pour cela que tu as
piqué une crise, n’est-ce pas ? Parce qu’elle était là quand
tu es arrivée.

Le visage de Glory s’enflamma violemment.

— Je ne suis pas si puérile. Mais j’ai des principes,


figure-toi...

— Que tu abandonnes volontiers pour de l’argent,


accusa-t-il, glacial.

— Oh ! Tu veux en revenir à ce fameux chèque...


Un instant déstabilisée par l’évocation de cet épisode,
elle redressa les épaules et prit une profonde aspiration.

— Après tout, il est temps que je te dise la vérité là-


dessus. Cet argent, je l’ai laissé à mon père qui en avait
besoin. Et c’est ton père qui m’a forcée à quitter la
maison.

— Tiens ! Comment Benito s’y est-il pris ? s’enquit


Rafaello avec la plus parfaite insouciance, ce qui donna à
Glory l’envie de hurler.

— Tu n’as tout de même pas oublié que mon père


buvait à cette époque ? Au point que ton père a menacé
de le licencier, sauf si je partais et cessais tout contact
avec toi.

Le silence retomba. Rafaello demeurait immobile, les


traits tendus. Ses yeux, si déterminés jusque-là, étaient à
présent dénués d’expression.

— C’est abject, si tu dis la vérité. Seulement, j’ai de


bonnes raisons de croire que Benito n’aurait pas renvoyé
ton père. Qu’il n’aurait pas laissé Archie et Sam sans toit,
affirma-t-il avec conviction. Tu mens !
Bien sûr, Glory ne s’était pas attendue à ce qu’il la croie
si facilement, mais ce fut tout de même un choc de le
voir rejeter si brutalement sa version des faits. De plus,
elle ne comprenait pas où il voulait en venir. Pourquoi
Benito Grazzini n’aurait-il pas mis sa menace à exécution
en ce qui concernait son père ? Il n’était pas réputé pour
sa magnanimité, et tout employeur avait le droit de
licencier un ouvrier alcoolique.

— Pourquoi cherches-tu à déguiser ce qui s’est


réellement passé ? continua Rafaello, une moue de
dérision aux lèvres. Dis plutôt que tu étais trop
impatiente de saisir cette offre de mannequin qui
t’ouvrait les portes de la célébrité et de la fortune — c’est
du moins ce que tu croyais. Comme tu étais déjà décidée
à quitter la maison paternelle, la proposition de mon
père tombait à pic.

C’était donc sa version de l’affaire ? Une version bien


pratique, qui lui permettait de justifier l’opinion qu’il
avait d’elle. A ses yeux, elle était coupable et cupide ! La
bataille était perdue d’avance. Elle se contenta donc de
répondre sèchement :
— Je maintiens ce que j’ai dit tout à l’heure... Je pars. Si
tu tiens tellement à avoir une maîtresse, pourquoi ne
demandes-tu pas à lady Fiona ? Elle semblait plus que
consentante !

— Parce que, pour une raison qui m’échappe


totalement, c’est toi que je désire, déclara-t-il en
s’éloignant de la porte.

— Je refuse d’avoir une relation avec un homme qui


entretient d’autres femmes...

— Pour autant que je saclje, mon lit est vide. Fiona et


moi avons un passé commun, mais je n’ai pas l’intention
d’en discuter avec toi, cara.

Rafaello s’arrêta à quelques centimètres de son visage et


prit entre ses doigts sa lourde natte.

— Qu’est-ce que tu fais ? s’exclama-t-elle, alarmée de le


voir si proche.

— Je préfère les sirènes quand elles ont leurs cheveux


d’or déployés.

— Je me fiche de savoir ce que tu préfères !


— Je peux te donner des leçons là-dessus qui
t’intéresseront, bella mia.

Elle rencontra son regard brûlant et sentit aussitôt sa


respiration se bloquer. Les doigts de Rafaello s’activaient
déjà à dénouer ses cheveux et il lui suffisait de faire un
pas en arrière pour mettre fin à ce jeu. Elle n’en fit rien.

— Je ne suis pas douée pour apprendre ce que je n’ai


pas envie de connaître, déclara-t-elle sans réussir à
masquer la note aiguë dans sa voix. Laisse-moi partir. Ça
ne marchera jamais entre nous, Rafaello...

— Laisse-moi en être seul juge.

— Mais tu as dit que tu voulais une partenaire


expérimentée, insista-t-elle à bout d’argument. Je ne le
suis pas...

— Je n’ai pas demandé non plus une professionnelle !

S’armant alors de courage, Glory lâcha:

— Je suis vierge.

Les longs doigts s’immobilisèrent dans ses cheveux.

— Très drôle !

— Je n’essayais pas de l’être, dit-elle, les dents serrées.


La prenant par les bras, Rafaello scruta le fond de ses
prunelles inquiètes.

— Vierge ? Toi ? Même il y a cinq ans, je n’étais pas


totalement convaincu par tes discours sur la pureté. Mais
je te laissais le bénéfice du doute. Mais maintenant...

— Qu’est-ce qui te fait penser que je mens ?

— Tu es trop sexy, répondit-il sans hésiter. Ta façon de


bouger, ta démarche, et même ta voix appartiennent à
une femme qui sait séduire. Les vierges sont des
créatures rares, et je n’en ai jamais rencontré qui aient
ton âge.

A bout de nerfs, Glory se dégagea des mains qui la


retenaient.

— Sache qu’il existe des femmes pour qui le sexe est


une chose sérieuse. La virginité n’est pas un mets rare à
déguster...

— Je n’en consomme pas de toute façon, répondit-il en


lui agrippant les épaules. Essaierais-tu par hasard de
jeter le discrédit sur notre arrangement ? Est-ce pour
cette raison que tu racontes des trucs à dormir debout ?
Si je te croyais vierge, je partirais en courant. Mais je sais
que c’est impossible.

Quel mufle ! Quel plaisir prenait-il à la blesser ? Il était


comme les autres : il la voyait comme une bombe
sexuelle, immorale et pas très futée.

— Et si je refuse d’être ta maîtresse ? lança-t-elle en


désespoir de cause.

— Dans ce cas, tu ferais mieux de m’empêcher de


défaire ta robe.

Seigneur ! Tout à sa colère, Glory n’avait même pas


remarqué qu’il avait fait glisser le haut de sa fermeture
Eclair.

Elle baissa les yeux, horrifiée, tandis que sa robe glissait


le long de ses épaules, exposant ses seins enfermés dans
un soutien-gorge de dentelle.

— Rafaello... Non...

— Maintenant, je peux te l’avouer, murmura-t-il avec


un petit rire approbateur. Rien ne m’a plus enflammé
l’esprit que la pensée de tes seins.
Dès que sa robe tomba à ses pieds, Glory se mit à
trembler. Une immense faiblesse l’envahit, lorsqu’elle
prit conscience du regard chargé de désir que Rafaello
posait sur elle. Il l’admirait !

Cette découverte la combla de joie et lui fit oublier toute


pudeur. En même temps, sa détermination à lui résister
s’accrut, car elle ne voulait pas que cela se passe ainsi
entre eux. Combien de fois avait-elle rêvé qu’il soit son
premier et seul amant ? Si sordide qu’il fût, leur «
arrangement » ne pouvait-il pas les ramener l’un vers
l’autre ?

D’un geste souple, il la souleva dans ses bras et


l’emporta vers le lit immense.

— J’ai attendu si longtemps ce moment, murmura-t-il.

Sans la lâcher, il retira le couvre-lit et la déposa sur le


drap blanc.

— C’est la vérité ? demanda Glory avec étonnement.

Il lui enleva ses sandales et se redressa au bord du lit.

— Per amor di Dio, comment peux-tu en douter ?


Glory se heurta à l’éclat farouche de ses yeux et son
cœur se mit à battre à tout rompre. Dans cette position,
elle se sentait terriblement vulnérable. Son soutien-gorge
et sa culotte avaient beau la couvrir mieux que certains
Bikini, jamais elle n’avait eu l’impression d’être aussi
nue.

— Tu es la seule à m’avoir repoussé. Une tactique


intelligente, je dois dire. C’est peut-être pour cela que je
te désire tant, bella mia, déclara-t-il en déboutonnant sa
chemise avec un sourire désabusé.

Cette remarque blessante ne fit qu’accroître


l’appréhension de Glory.

— Je n’ai rien calculé ! protesta-t-elle.

— Non ? Au fond, cela n’a plus d’importance, dit-il en


jetant sa chemise à terre.

Glory n’était pas de cet avis. Mais la vue du torse


dénudé de Rafaello lui coupa toute capacité de réaction.
C’était la première fois qu’elle le voyait ainsi. Cinq ans
plus tôt, il l’avait bien invitée à nager dans la piscine de
Montaigu Park, mais elle avait décliné son offre, de peur
d’attirer les ragots. Dans le voisinage, on regardait déjà
d’un drôle d’air les liens que semblait entretenir la fille
du jardinier avec le fils Grazzini. Qu’auraient-ils pensé si
elle s’était pavanée en Bikini au bord de leur luxueuse
piscine ?

Elle sentit Sa gorge se serrer en contemplant son torse


ferme aux muscles saillants et la toison sombre qui
bouclait sur sa poitrine. Il était l’incarnation même de la
virilité. Fascinée, elle n’arrivait pas à détacher son
regard. Il était encore plus beau, plus sexy que dans ses
rêves de jeune fille.

Se dressant contre les oreillers, elle laissa son regard


avide s’attarder sur ses hanches étroites, ses cuisses
longues et puissantes, tandis qu’il se débarrassait de son
pantalon. Elle ne voulait pas perdre une miette de ce
spectacle.

— J’aime quand tu me regardes ainsi. Tes yeux sont


pleins de gourmandise, déclara-t-il d’une voix traînante.

Vêtu seulement d’un caleçon de soie noir, il lui adressa


un sourire carnassier.

Rougissant jusqu’à la racine des cheveux, Glory se


cacha le visage derrière son abondante chevelure.
— Si ça te plaît de le croire..., marmonna-t-elle d’une
voix confuse.

— Pourquoi le nier ? Le désir sait reconnaître le désir,


lui assura-t-il en ôtant le dernier vêtement qui le
couvrait.

A présent, il était totalement nu. Elle ferma les yeux, au


comble de la tension.

Lorsqu’elle rouvrit brusquement les paupières, elle se


trouva prisonnière de son regard au fond duquel
dansaient des flammes dorées.

— Viens là..., murmura-t-il d’une voix pressante en


l’attirant contre lui.

Il captura sa bouche et se mit à dévorer ses lèvres


douces. Puis sa langue l’envahit, luttant et s’accouplant
avec la sienne sur un rythme frénétique et envoûtant.

Glory frémit sous le choc de cet assaut sensuel. Il lui


avait déjà appris qu’un baiser pouvait être
incroyablement excitant. Mais celui-ci la bouleversait, lui
révélant des sensations jamais éprouvées.
— En ce moment, nous devrions être dans la salle à
manger, en train de dîner en tête à tête..., susurra-t-il
contre ses lèvres.

— Je suis incapable de manger, protesta Glory.

— Nous verrons cela. Plus tard...

Rafaello raffermit son étreinte. Il était affamé, mais de


nourritures très particulières...

Glory se mit à trembler. Il la voulait et rien ne pouvait


l’empêcher d’être à lui. L’instant était venu, elle le savait.
Alors qu’elle plongeait son regard bleu dans le sien, il fit
sauter avec habileté le crochet qui fermait son soutien-
gorge. Les bonnets s’écartèrent, libérant ses seins qu’il
recueillit à pleines mains.

Des sensations exquises submergèrent Glory à ce


contact. Le tout premier...

Rafaello effleura des pouces ses mamelons durcis et elle


se sentit instantanément chavirer. Consumée de désir,
elle ne put s’empêcher de laisser échapper une longue
plainte.

— Tu nous as refusé cela il y a cinq ans. lui rappela-t-il


en la caressant.
Et elle avait eu raison ! pensa-t-elle. S’ilsavaient fait
l’amour, leur rupture n’en aurait été que plus
douloureuse. Jamais elle n’aurait pu oublier de telles
sensations, une telle passion...

— Je vais te rendre folle, cara, lui assura-t-il.

Etait-ce une promesse ou une menace ? Les deux sans


doute...

— Tu as déjà réussi, articula-t-elle, partagée entre


l’exaltation et une immense panique face à l’ampleur de
son propre désir.

— Ce n’est qu’un début... répondit-il en la renversant


sur le lit.

Lentement, il entreprit de déployer ses longs cheveux


sur l’oreiller. Puis il lui souleva les genoux et, d’une
main experte, lui ôta sa petite culotte. Avec combien de
femmes avait-il répété ces mêmes gestes ? A combien de
femmes avait-il susurré les mêmes paroles ? songea
Glory.

— Je savais que tu avais un corps parfait..., dit-il d’une


voix rauque, avant de happer d’une bouche avide ses
mamelons. Mais j’ignorais que tu étais l’incarnation du
fantasme, bella mia.

— Un... fantasme ? répéta Glory à deux doigts de


défaillir.

— Tu t’enflammes comme une torche ! expliqua-t-il en


glissant une main le long de sa cuisse douce comme de
la soie.

Devait-elle le prendre comme un compliment ? Glory


n’eut pas le temps d’approfondir la question, déjà le
genou de Rafaello se forçait un chemin entre ses cuisses.

Elle se raidit, soudain intimidée. Elle prenait conscience


de sa propre nudité, de la force du désir de Rafaello, de
son sexe durci contre sa hanche. Allait-elle connaître
cette magie, ces vagues léchant des plages lointaines et
ensoleillées, cette pluie d’étoiles dont pariaient la plupart
de ses amies ?

— Ne me fais pas mal ! lui demanda-t-elle d’une voix


tendue.

— Te faire mal ? Je n’ai jamais blessé une femme de ma


vie.
Rassurée, elle s’abandonna à son baiser tendre et
sensuel. Sa douceur et sa délicatesse lui firent oublier son
appréhension. Elle ne put s’empêcher de se crisper
quand il laissa ses doigts errer dans la touffe blonde au
sommet de ses cuisses. Mais, quand il s’enhardit jusque
dans les replis les plus intimes de sa chair, elle se laissa
aller, incapable de résister. Jamais elle n’avait imaginé de
telles sensations ! Ivre de désir, elle se cambra à sa
rencontre. Elle n’en pouvait plus d’attendre...

Rafaello l’enlaça alors avec une urgence presque


désespérée : leur désir était au diapason. Puis,
brusquement, il s’immobilisa et s’écarta pour ouvrir le
tiroir de la table de nuit.

Perdue dans un tourbillon de désir, Glorv entendit une


imprécation furieuse en italien,-et le contempla, le
regard trouble.

— Il n’y a pas de problème ? lui demanda-t-il d’une


voix rude.

Au fond de ses prunelles sombres, elle crut lire comme


une prière. Il lui demandait la permission de lui faire
l’amour ? Cette prévenance la toucha.
Elle leva une main et, du bout du doigt, effleura le
contour de sa bouche sensuelle.

— Non... bien sûr que non.

Rafaello parut vivement soulagé et la bâillonna d’un


autre baiser passionné, en glissant les mains sous ses
hanches. Glory perçut le contact brûlant de son sexe
contre sa chair. Folle de désir, elle s’arqua
instinctivement pour venir à sa rencontre. Il répondit à
cette invite en la pénétrant d’un élan impérieux.

Elle fut d’abord saisie par cette intrusion, puis


submergée par le plaisir, émue par l’incroyable intimité
qui les unissait. Puis survint une douleur aiguë,
fulgurante, qui la déchira, l’arrachant cruellement à cet
univers de volupté. Elle ne put retenir un cri.

Rafaello s’arrêta net. Son visage reflétait une stupeur


sans nom.

— Ce n’est pas possible... Tu ne peux pas..., murmura-t-


il d’une voix saccadée.

Un sentiment proche de l’arrogance envahit Glory. Sa


pudeur s’était envolée, elle ne ressentait plus aucune
gêne. C’était elle maintenant qui menait la danse. Elle
savait que la découverte de sa virginité changerait à
jamais l’image qu’il avait d’elle.

— Je vais m’arrêter là, décida-t-il dans un souffle.

Il en était hors de question ! Elle le retint prisonnier de


ses bras.

— Tu peux aussi bien finir, le défia-t-elle avec audace.

— Si... bella mia. Per meraviglia... Parce que je ne vais pas


tenir longtemps !

Il la surprit en se fondant en elle avec une douceur


émouvante, et encore plus érotique.

— Ce sera bon, je te le promets, lui assura-t-il d’une


voix tendre et heurtée.

Le cœur de Glory s’accéléra et elle fut assaillie par une


foule de sensations plus merveilleuses les unes que les
autres, toute trace de douleur ou d’inconfort ayant
désormais disparu. Petit à petit, elle sentit son corps
répondre à celui de Rafaello, leur rythme s’accorder
parfaitement dans un ballet à la fois tendre et sauvage.
Haletante, elle s’abandonna aux vagues d’excitation qui
l’emportaient toujours plus haut. Enfin, Rafaello l’amena
jusqu’au sommet de l’extase... Une sensation d’une
violence inouïe, qui la laissa pantelante mais heureuse
comme jamais elle ne l’avait été.

Reprenant doucement pied dans la réalité, elle se blottit


davantage contre lui et ne put réprimer un sourire de
contentement. Elle pourrait rester éternellement dans les
bras de cet homme. L’odeur de son parfum épicé
l’imprégnait comme une drogue.

Elle mourait d’envie de l’étouffer sous une pluie de


baisers, mais elle sentit Rafaello se raidir.

— Oublie les câlins ! dit-il avec une drôle de voix.

Glory eut l’impression qu’il lui jetait un verre d’eau


glacée à la figure. Avant qu’elle ait eu le temps de réagir,
il la fit rouler sur le dos et se pencha sur elle. D’une
main, il balaya les mèches blondes qui lui encombraient
le front, déposa un baiser sur les lèvres et lui sourit.

Ce sourire la bouleversa et Glory se rendit compte qu’il


voulait simplement la taquiner.

— Tu m’as... bouleversé, avoua-t-il d’une voix rauque.


Elle lui rendit son sourire. Oui, tout allait pour le mieux.
Elle débordait de bonheur et il était heureux. Il ne
paraissait nullement déçu de découvrir qu’elle n’était
pas la partenaire expérimentée qu’il attendait.

— Je n’ai pas d’excuse. Je ne peux me défendre pour ce


qui vient d’arriver. J’aurais dû t’écouter, bella mia, admit
Rafaello avec une humilité surprenante chez un homme
aussi arrogant.

— Je trouve également, répondit-elle d’un air


faussement buté.

L’étreinte dans laquelle Glory l’enveloppa lui prouva


cependant qu’il était tout pardonné.

— Je suis seulement stupéfait, reconnut-il en la


contemplant. Tu avais un succès fou auprès des
hommes. Durant toutes ces années tu n’as pas succombé
une seule fois.

— Tu es plus persuasif que les autres, avoua Glory


timidement.

— C’est évident... En tout cas, tu as sacrement changé


l’image que j’avais de toi. Je te prenais pour une
intrigante.

— Je sais.
Glory se sentait si débordante de joie qu'elle allait
s’envoler dans les airs. Le seul fait de le regarder la
comblait de ravissement, jusqu’à l’idiotie. Elle voulait le
toucher encore, le serrer contre elle, lui dire qu’elle
l’aimait... Seigneur ! Etait-elle si amoureuse de lui ?

— N’empêche que je te suis reconnaissant d’avoir été si


prévoyante, déclara Rafaello en enroulant une mèche
blonde autour de son doigt.

Glory fronça les sourcils.

— Prévoyante ?

Il laissa échapper un petit soupir exaspéré et tira sur ses


cheveux pour la punir de son manque d’attention.

— Quand je me suis rendu compte que mes préservatifs


étaient dans l’autre chambre, j’ai été soulagé de voir que
tu avais pris tes précautions, cara.

Glory demeura parfaitement immobile.

— Mes précautions ? répéta-t-elle, n’y comprenant plus


rien.
— La dernière fois que j’ai séjourné ici, les décorateurs
refaisaient entièrement cette chambre et j’ai utilisé celle
d’à côté, expliqua-t-il.

Glory se rappela l’avoir vu ouvrir le tiroir de la table de


nuit. Mon Dieu qu’elle était sotte ! Et elle qui pensait
qu’il voulait se montrer tendre et prévenant, elle n’avait
vraiment rien compris !

— C’est plutôt rare qu’une jeune fille vierge se


préoccupe de sa contraception, continua-t-il.

Cette phrase lui fit l’effet d’une douche froide.

— Pourquoi dis-tu cela ? Je... Je n’utilise pas de


contraceptif, avoua-t-elle d’une voix à peine audible.

— Tu veux répéter ça ? demanda Rafaello avec un


accent italien plus prononcé que jamais.

— Je n’ai jamais pris de contraceptif, confirma Glory en


tremblant.

Elle vit sa mâchoire se crisper. Ses yeux sombres


s’emplirent d’une fureur incrédule, tandis qu’ils
scrutaient son visage anxieux. D’un mouvement
brusque, il fut hors du lit.
— Mais je t’ai posé la question pourtant. Tu m’as dit
qu’il n’y avait pas de problème pour qu’on fasse
l’amour!

— Excuse-moi, je n’ai pas compris que tu parlais de ça,


bégaya Glory... Je ne pensais pas...

Elle eut soudain envie de disparaître, tant elle avait


honte de sa sottise.

— Tu ne pensais pas ! Tu essaies de me faire croire que


c’était un simple malentendu ? s’écria-t-il, bouillant de
colère. Tu crois que je vais avaler ça ?

— Que veux-tu que ce soit d’autre ? répondit-elle,


interloquée par son changement d’humeur.

— Pourquoi pas le piège classique ? lança-t-il avec


mépris. Je suis tombé dans le panneau, n’est-ce pas ? Tu
vas probablement tomber enceinte !

— Surtout pas..., murmura Glory, paniquée.

Clouée sur le lit, elle était incapable de faire le moindre


mouvement. Ses accusations la mortifiaient. Comment
pouvait-il imaginer qu’elle ait délibérément couru le
risque d’avoir un rapport non protégé ? L’espace d’un
instant, elle se vit en mère célibataire, vivant dans le
dénuement le plus complet, et cette perspective la
terrifia.

— C’est tout ce que tu trouves à dire ? Si je t’ai mise


enceinte, je vous aurai sur le dos toi et l’enfant pour les
vingt ans à venir au moins ! C’est vraiment cher payé
pour le don de ta précieuse virginité ! conclut-il avec
rage. J’ai besoin d’une douche.

Quand la porte de la salle de bains claqua derrière lui,


Glory se sentit vidée. Son bonheur avait été si bref qu’il
lui apparaissait maintenant dérisoire. Elle avait sans
doute rêvé. Quelle idiote elle avait été de penser que
l’opinion qu’il avait d’elle avait changé. De croire
qu’entre eux les choses allaient s’arranger.

Rien ne changerait jamais. Il était Rafaello Grazzini,


riche et brillant homme d’affaires très respecté sur les
marchés internationaux. Et elle, Glory Little, la fille du
jardinier et de la gitane, l’ouvrière d’usine.

Une fois de plus il la blessait, une fois de plus elle se


laissait faire. N’avait-elle pas retenu la leçon ? A présent,
il l’accusait de vouloir le piéger. Mais après tout, à quoi
s’était-elle attendue en se vendant ainsi ?
Glory frissonna et se sentit soudain très mal. Elle bondit
hors du lit. En découvrant l’amas de draps enchevêtrés,
des larmes de honte lui piquèrent les yeux.

Bon sang ! Il fallait qu’elle se ressaisisse avant


d’affronter de nouveau Rafaello. Mais sa robe restait
introuvable. Comme elle fouillait les draps
désespérément, le bruit de la douche s’arrêta et elle fut
saisie de panique. Son sac de voyage se trouvait encore
dans le hall !

Sans réfléchir davantage, elle se rua vers la penderie qui


occupait tout le mur du fond, l’ouvrit et prit au hasard
une chemise qu’elle enfila en hâte. L’instant d’après, elle
s’engouffrait dans l’escalier.

C’est alors qu’elle aperçut le majordome qui s’affairait


dans l’une des pièces du rez-de-chaussée. Prise au piège,
elle bondit vers la porte d’entrée et sortit dans l’allée. Un
vent violent l’accueillit, mais elle ne s’en soucia pas.
Luttant contre les larmes, elle se mit à courir sur le
sentier bordé de tamariniers qui menait à la plage.
6.

Glory devait s’arc-bouter contre de violentes


bourrasques qui lui envoyaient du sable en pleine figure.
La mer était déchaînée, phénomène plutôt rare sur une
île grecque en cette saison, mais qui était parfaitement en
phase avec son cœur.

Rafaello la méprisait, et elle ne pouvait l’accepter. Elle


avait l’impression d’être revenue cinq ans en arrière : la
même souffrance, le même désespoir.

Elle s’abrita sous un rocher en surplomb au bout de la


plage, et s’assit, ignorant le déferlement furieux des
vagues. Et là, elle laissa libre cours à ses émotions et aux
flots de souvenirs qui l’assaillaient...

On ne faisait pas d’études chez les Little. voilà ce que


son père avait décrété. Elle avait donc quitté l’école à
seize ans et trouvé un poste de secrétaire chez un notaire
de la région. Elle voyait rarement Rafaello à cette
époque. Les Grazzini partageaient leur temps entre leur
domaine anglais et leur propriété italienne. D’autant
plus que Rafaello, qui avait terminé ses études de
commerce, venait de s’acheter un appartement à
Londres.

Elle avait eu du mal à se remettre de cette pénible soirée


au café, quand il l’avait ramenée chez ses parents comme
si elle était une délinquante. A partir de ce moment
pourtant, chaque fois qu’il la dépassait en voiture, il lui
adressait un petit salut ou un sourire. Elle ne prenait
même pas la peine de relever la tête.

Un jour pourtant, en dépit de sa froideur, Rafaello avait


arrêté sa Ferrari à sa hauteur pour lui offrir de la déposer
à son travail. C’était une semaine après son dix-huitième
anniversaire...

— En quel honneur ? lui avait-elle demandé en


adoptant un air détaché.

— J’ai une proposition à te faire. Que dirais-tu d’aller


dîner avec moi ce soir ?

Il n’avait pas fini de parler qu’elle se glissait déjà sur le


siège passager.
— On dirait que j’ai prononcé la formule magique,
murmura-t-il avec un sourire qui la fit chavirer.

— J’ai peut-être tout simplement faim.

La vérité c’était que personne ne l’avait jamais invitée à


dîner. Les jeunes gens qu’elle rencontrait l’emmenaient
dans des bars, des discothèques ou au cinéma, mais
jamais dans un vrai restaurant.

Pendant les six semaines qui avaient suivi ce rendez-


vous, Glory avait eu l’impression d’être suspendue entre
ciel et terre. Les conversations avec les amis de Rafaello
avaient été difficiles, certains sujets — comme l’opéra ou
les yachts — lui étant totalement étrangers. Quant à ses
propres amies, tout en l’avertissant qu’elle devait
s’attendre à une issue douloureuse, elles lui avaient
toutes apporté leur aide : lui prodiguant de nombreux
conseils et lui prêtant des tenues. Sa relation avec
Rafaello Grazzini avait été un véritable effort commun !

Un soir, dans un club, un professionnel l’avait


remarquée et lui avait proposé un contrat avec une
agence de mannequins du nord du pays. Glory avait été
terriblement flattée, mais Rafaello s’était immédiatement
chargé de la faire redescendre sur terre.
— Tu es trop petite pour cette carrière. Ce type ne peut
pas être honnête. Au mieux, tu poseras pour un
magazine de tricots.

A cette époque, Rafaello était le centre de son existence,


elle avait donc vite oublié cette proposition. Peu de
temps après, il l’avait invitée à venir au manoir. Mais
avant qu’ils n’aient fini le tour du rez-de-chaussée,
Benito Grazzini les avait interrompus. Glory s’était
aussitôt rendu compte que celui-ci était choqué de voir
son fils sortir avec la fille du jardinier. Elle avait fait part
de ses craintes à Rafaello.

— Mais non, tu es trop émotive, avait-il répondu. Il a


juste été surpris, c’est tout.

Cette même semaine pourtant, Benito Grazzini s’était


présenté au cottage. Pour couronner le tout, cet après-
midi-là son père dormait à l’étage, cuvant ses excès de
boisson, au lieu d’être au travail.

Benito n’y avait pas été par quatre chemins et lui avait
tout de suite fait savoir ce qu’il attendait d’elle. Glory
avait immédiatement su qu’elle n’aurait pas le choix. En
parler à Rafaello n’aurait fait qu’envenimer la situation.
Il était très proche de son père. Elle était follement
amoureuse de lui, mais il ne lui avait jamais dit le
moindre petit mot d’amour. Qu’espérait-elle qu’il fasse ?
Leur histoire ne menait à rien, autant en finir au plus
vite.

Elle avait alors pensé que le plus simple était de lui


faire croire qu’elle acceptait l’offre de l’agence de
mannequins. A cette époque, il avait été lui-même sur le
point de partir pour un séjour de quatre mois à Rome,
afin de mettre en place une succursale de la Grazzini
Industries. Elle savait que cette séparation marquerait le
terme de leur relation. Elle n’avait fait qu’accélérer le
processus.

L’après-midi suivant, elle avait trouvé le courage de lui


annoncer son départ.

— Attends, laisse-moi éclaircir les choses... Tu me


laisses tomber ? avait alors demandé Rafaello, une
expression stupéfaite inscrite sur ses beaux traits
sombres.

— Non, ne le prends pas comme ça. Simplement, je ne


sais pas quand nous nous reverrons. Ne vaut-il pas
mieux que nous en restions là ?
— Ce n’est pas simple en effet, avait-il répondu sans
cesser de sourire.

C’est à ce moment-là qu’elle avait commis une grossière


erreur. Il avait été convenu qu’ils rejoindraient, ce même
soir, des amis dans un restaurant huppé de la région.

— Pouvons-nous tout de même rester ensemble ce soir?


le supplia-t-elle, tant elle désirait passer ces dernières
heures avec lui.

— Pourquoi pas ?

Une heure avant leur rendez-vous, il l’avait appelée


pour la prévenir qu’il serait en retard et la retrouverait
au dîner, et qu’il lui commandait un taxi. Glory n’avait
pas eu le moindre soupçon de ce qui l’attendait.

Le film de la soirée défila sous ses yeux : elle se revoyait


traverser l’immense salle à manger, puis se figer d’effroi
en voyant Rafaello embrasser la jolie rousse, le regard
froid et indifférent qu’il lui avait ensuite jeté, comme s’il
ne la connaissait pas. Toutes les personnes présentes
s’étaient tournées vers elle en riant, des amis de Rafaello
surtout. Il semblait trouver la situation très drôle.
Il était toujours le même ! se dit-elle avec hargne,
coupant court à cette vague de souvenirs. Jamais il ne lui
laissait le bénéfice du doute. Aurait-il été si prompt à
l’accuser si elle avait été une fille de banquier ou une
lady Fiona Woodrow ? Bien sûr que non ! Elle frissonna
et s’aperçut qu’elle était trempée jusqu’aux os. Les
embruns l’avaient copieusement aspergée.

— Glo-ry !

En entendant ce cri, elle se raidit et vit Rafaello courir


au ras des vagues dans sa direction. Malgré sa colère,
elle ne put s’empêcher de le trouver magnifique. Sa
chemise flottait au vent et la clarté de lune nimbait son
torse musclé. De toute évidence, il avait quitté la villa
précipitamment.

— Glo-ry !

Il avait l’air affolé et elle se sentit puérile de se cacher


plus longtemps. Lentement, les membres engourdis, elle
sortit de sa cachette. Rafaello s’immobilisa
instantanément, puis se mit à courir. L’ayant rejointe, il
l’attira contre lui.
— J’ai cru que tu t’étais noyée ! cria-t-il dans le vent. Ne
me refais jamais ça !

Glory regarda avec étonnement son visage rude, tandis


qu’il se cramponnait violemment à ses épaules.

— Oh ! Tu te serais vite remis de ma mort, répondit-elle


néanmoins. Après tout, ç’aurait été la solution à tous nos
problèmes.

— Per amor di Dio... Comment peux-tu dire une chose


pareille ? Tu me prends pour un monstre ? s’exclama-t-il
en la toisant d’un regard horrifié.

— Je ne te le fais pas dire ! dit-elle en grelottant.

Il passa un bras protecteur autour de ses épaules et la


ramena vers la plage.

— C’est le sirocco. Ce vent déclenche une tempête en


quelques minutes, expliqua-t-il. Mais je craignais que tu
sois tombée à l’eau. Il y a une forte pente à cet endroit et
la mer t’aurait engloutie.

Transie et exténuée, Glory restait muette et avançait


avec peine. Au bord du sentier qui montait vers la
falaise, Rafaello la prit dans ses bras.
— Lâche-moi ! protesta-t-elle.

— Quand tu auras pris un bain chaud et que tu auras


dîné, ça ira mieux, lui assura-t-il.

Il la porta jusqu’à la villa et gravit l’escalier sans même


paraître essoufflé. Il la conduisit directement dans la
salle de bains.

Elle découvrait un autre Rafaello. Les costumes


sombres et austères avaient laissé place à un pantalon
trempé jusqu’aux genoux, à des cheveux noirs hérissés
par le vent et à des joues ombrées de barbe. Il était loin
de son élégance habituelle, mais il n’en était que plus
séduisant.

— Ton bain est prêt, cara. Tu n’as plus qu’à t’y glisser.

— Pas tant que tu resteras là !

Les yeux étincelants, il déclara avec fermeté :

— Je ne te laisserai pas seule. Tu risquerais de


t’évanouir...

— Tu as trop l’habitude des femmes fragiles qui


attendent des hommes qu’ils veillent sur elles. Ce n’est
pas mon genre ! Et puis c’est ta faute si je suis sortie par
cette tempête.

Sans répondre, Rafaello la souleva et la plongea dans


l’eau bouillonnante, encore vêtue de sa chemise. Glory
suffoqua.

— Si je t’ai mise enceinte, je t’épouserai, affirma-t-il


d’une voix rude.

La femme de Rafaello Grazzini ! A cette simple


perspective, Glory sentit son cœur s’accélérer, mais il
reprit aussitôt son cours normal. Rafaello ne parlait pas
sérieusement. Un Grazzini épouser la fille du jardinier
juste parce qu’elle attendait un enfant de lui ? A
d’autres! D’ailleurs, il semblait à bout de nerfs. Cette
promesse impulsive était dictée par la culpabilité.

— Oublie ça. Je ne serai jamais désespérée au point d’en


arriver là, répondit-elle sèchement en faisant de son
mieux pour masquer le trouble que faisait naître en elle
cette éventualité.

— C’est moi qui ai commis une erreur. J’en assume


toute la responsabilité, se justifia Rafaello.
Même si ces paroles ne faisaient que confirmer ce
qu’elle savait déjà, Glory ne put s’empêcher de ressentir
une immense déception.

— Me laisseras-tu partir demain ? demanda-t-elle sans


le regarder.

Un long silence s’écoula.

— Non... ce n’est pas si grave que cela, dit-il sur un ton


d’excuse qui paraissait étrange dans sa bouche.

— Mais que gagnes-tu à cet arrangement ?

— Toi.

De guerre lasse, Glory se renversa contre l’appuie-tête


de la baignoire et laissa les jets relaxants masser son
corps épuisé. Une chaude somnolence l’envahit.

Brusquement, elle émergea de sa torpeur. Rafaello était


en train de la déshabiller. Elle n’était plus dans le jacuzzi,
mais debout sur le sol en marbre, appuyée contre
Rafaello. Il entreprenait de la débarrasser de sa chemise
mouillée. Avant qu’elle ait pu protester, il l’enveloppa
dans un grand drap de bain moelleux.
— Tout ira bien, bella mia, dit-il avec conviction. Quand
tu te réveilleras demain, le soleil brillera.

Trop épuisée pour répondre, Glory se laissa faire. Il


l’emporta vers le lit et elle se plongea avec délice entre
les draps.

— Je vais t’apporter quelque chose à maiger.

— Non, je n’en ai pas la force, répondi-elle tandis que


son regard noyé de fatigue errait vers les jolies
miniatures incrustées dans la tête de lit.

— Que représentent ces figures ?

— Ce sont des icônes, expliqua Rafaello. Ce lit corfiote


de jeunes mariés appartenait à la famille de ma mère.

Glory avait oublié que Mme Grazzini, disparue


quelques années plus tôt, était originaire de Corfou.
Cetfe couche nuptiale était bien peu appropriée à leur
situation.

— Nous n’aurions pas dû..., murmura-t-elle avec


consternation.

— Pour l’amour du ciel, Glory, ce n’est qu’un lit !


Choquée et un peu déçue par son pragmatisme, elle
soupira et ferma les yeux.

Rafaello avait dit vrai, le soleil brillait quand elle se


réveilla le lendemain matin. Elle était seule dans le lit, et
l’oreiller près du sien ne portait aucune empreinte.

Une employée était occupée à défaire sa valise. Glory


choisit une jupe bleue et un T-shirt blanc et passa dans la
salle de bains. Elle achevait de s’habiller quand la porte
qu’elle avait laissé entrouverte s’ouvrit lentement.

— Bonjour. Petit déjeuner ?

Rafaello se tenait sur le seuil, superbe en jean et polo


noirs.

— J’ai une faim de loup, avoua-t-elle en le suivant.

Ils passèrent sur le balcon où la table était dressée,


offrant un choix de mets impressionnant. Ce n’était pas
un petit déjeuner, c’était un véritable festin ! Glory
commença à se servir un jus d’orange, puis un bol de
céréales.

En face d’elle, Rafaello l’étudiait de son regard perçant.

— A partir d’aujourd’hui, nous recommençons de zéro.


— Est-ce possible ? répondit-elle en se beurrant un
toast.

Recommencer de zéro ? Comme si la nuit dernière


n’avait jamais existé ? Pour sa part, elle n’était pas près
de l’oublier. Une légère douleur dans son bas-ventre lui
rappelait l’intimité qu’ils avaient partagée. Sans compter
qu’elle était plutôt inquiète en ce qui concernait le risque
de grossesse. Le rapide calcul qu’elle avait effectué sous
la douche ne l’avait pas rassurée.

— Glory...

Rafaello lui prit la main, tandis qu’elle s’apprêtait à


prendre une tranche de bacon.

— As-tu jeûné avant de venir ? Ou alors peut-être


manges-tu pour deux ?

Elle leva vers lui un regard courroucé.

— Evite ce genre de plaisanterie, tu veux ?

Rafaello soupira.

— Je sais ce que tu penses, bella mia. Mais nous n’avons


rien fait de mal. Je doute qu’il y ait des conséquences
après un seul rapport, dit-il avec conviction.
— Tu as vu ça dans ta boule de cristal ? A moins que tu
n’aies simplement demandé à Dame Nature ?

Repoussant sa chaise, Rafaello contourna la table et, la


forçant à se lever, l’attira à lui.

— En plus d’être superstitieuse, tu es une irréductible


pessimiste. A quoi bon te tourmenter ? Tu ne peux
influencer le cours des choses.

Lui relevant le menton, il fixa son visage mutin.

— C’est une perte de temps et d’énergie, continua-t-il


d’un ton apaisant. Quoi qu’il arrive, je m’occuperai de
toi.

Il cherchait à la rassurer, c’était évident, mais Glory


nota aussi avec une pointe d’amertume qu’il ne parlait
plus de mariage. Nul doute qu’il regrettait sa promesse
hâtive. Elle fut tentée de lui demander ce qu’il entendait
par « s’occuper d’elle », mais elle devinait déjà la
réponse : il envisageait sûrement un avortement. Eh
bien, il n’en était pas question ! Mais, pour l’instant,
Rafaello avait raison sur un point : il était encore
beaucoup trop tôt pour s’inquiéter.
— Termine ton petit déjeuner, dit-il en s’écartant. C’est
un plaisir de voir une femme dotée d’un si bon appétit...

Un rire involontaire s’échappa des lèvres de Glory.

— Mais, toi, tu n’as rien mangé.

— Si, pendant que tu dormais...

Il y avait une note rauque dans sa voix et ses yeux


brûlaient d’un éclat sensuel. Rafaello posa une main sur
sa hanche et, instinctivement, elle se rapprocha de lui.
L’atmosphère changea imperceptiblement et elle se
sentit faiblir, tandis qu’une chaleur l’envahissait au plus
profond d’elle-même, irradiant la moindre parcelle de
son corps.

Comme s’il devinait ce qu’elle ressentait, Rafaello


esquissa un bref sourire de satisfaction, avant d’enfouir
une main dans ses cheveux. Glory tressaillit, paniquée.
Déjà, il lui attrapait la nuque et, du pouce, lui caressa le
lobe d’une oreille.

— Je n’aurais pas pu me contrôler si j’avais dormi


auprès de toi la nuit dernière, murmura-t-il.

— N... Non?
Glory aspira une bouffée d’air, troublée par son regard
chargé d’une sensualité prometteuse.

— Tu avais besoin de repos et je suis allé me coucher


dans la chambre d’à côté. Mais je n’ai pas fermé l’œil et
j’ai dû prendre une douche glacée à l’aube.

— Masochiste !

— Non, c’était une nécessité. Glory, je pense à toi au


point que j’en ai mal, admit-il maladroitement.

Son souffle lui caressait la joue, puis sa bouche


s’empara de ses lèvres en un baiser bref et ardent. Il
s’écarta et, mêlant ses doigts aux siens, il l’entraîna
lentement vers l’intérieur de la chambre.

Glory se mit à trembler, alarmée par la facilité avec


laquelle il arrivait à lui faire perdre tout contrôle. Elle
n’essaya même pas de réprimer la fièvre qui s’emparait
de son corps. A quoi bon ? Elle aimait Rafaello. Cette
révélation décuplait son désir. Elle s’était trompée sur
ses motivations. La nuit dernière, il était parti à sa
recherche, s’était inquiété, excusé. N’était-ce pas
suffisant pour la rassurer ? Rafaello avait beaucoup de
défauts, mais il savait se montrer prévenant, non ? Il ne
fallait pas se montrer si exigeante, l’homme idéal
n’existait pas.

— A quoi penses-tu ? demanda-t-il en se laissant


tomber sur le lit avec elle.

— A rien...

Glory posa ses mains sur son torse tiède qu’elle explora
avec avidité. Visiblement surpris, Rafaello s’étira comme
un tigre, et elle se sentit soudain très puissante. Quel que
soit le temps que durerait leur histoire, et la tournure
qu’elle prendrait, elle allait faire en sorte qu’il se
souvienne d’elle... pour toujours...

Comme s’il partageait le même dessein. Rafaello


l’embrassa dans le cou. Le corps de Glory s’épanouit, le
contact de son sexe dressé contre sa hanche l’embrasa.

Oui, baisser la garde ne voulait pas forcément dire


prendre moins de plaisir...

Debout devant le miroir, Glory contempla la


magnifique étole turquoise et argent qui couvrait ses
épaules, puis avisa son reflet tout entier. Elle ne se
reconnaissait pas. Qui était cette jeune femme élégante et
sophistiquée ? En l’espace de trois semaines, elle s’était
radicalement transformée. Elle avait finalement ravalé sa
fierté et permis à Rafaello de lui offrir des vêtements.
Porter ces vêtements de prix appartenait au domaine du
rêve. Avant, elle n’était jamais habillée comme il fallait,
ses amies ne possédant évidemment pas des tenues
susceptibles de rivaliser avec celles des femmes qui
évoluaient dans le même univers que lui.

A présent, vêtue d’un fourreau Versace, elle se sentait


une autre femme, tandis que s’éloignait peu à peu la
sensation qu’elle avait toujours eue de ne pas être digne
de lui. Le tissu fluide, d’un bleu-vert incomparable qui
chatoyait à chacun de ses mouvements, lui donnait
l’impression d'être une star de cinéma. La masse lourde
de ses cheveux avait été disciplinée et dégageait
maintenant son visage qu’elle avait appris à maquiller
avec soin dans un salon de beauté huppé.

Elle portait aussi des boucles d’oreilles ornées de


turquoise, ainsi qu’une montre en argent. Rafaello
s’apprêtait maintenant à lui offrir cette sublime étole !

Il avait bien essayé de la tenter avec de l’or ou des


diamants, mais Glory s’était contentée de rire. Elle
préférait les bijoux en argent. Au moins, quand ils se
quitteraient, songeait-elle, elle pourrait les garder sans
remords, puisque, à l’entendre, « ils ne coûtent rien ».
Pour elle, ils conserveraient toujours une grande valeur
sentimentale, car de précieux souvenirs y resteraient
attachés.

Mais Rafaello lui laisserait une chose bien plus


importante que des souvenirs et des bijoux...

Son visage s’assombrit, tandis qu’elle considérait cette


réalité qui lui avait été confirmée la veille. Avec une
ironie amère, elle repensa à une conversation qu’elle
avait eue avec Rafaello quelques jours plus tôt.

Ce matin-là, au réveil, elle s’était sentie horriblement


nauséeuse. Ce malaise réveilla instinctivement ses
craintes, d’autant qu’elle avait noté un léger retard dans
son cycle.

Comme il la taquinait, la traitant de paresseuse parce


qu’elle restait au lit, Glory répondit sèchement qu’elle ne
se sentait pas bien.

— La mauvaise période du mois ? demanda-t-il,


soucieux.
Décidée à ne pas lui faire part de son inquiétude avant
d’être sûre de ce qu’elle avançait, elle balbutia :

— Oui... Sans doute...

— C’est plutôt une bonne nouvelle, commenta-t-il avec


un sourire éclatant qui prouvait son soulagement. Au
moins, tu n’es pas enceinte, bella mia.

Malheureusement pour lui, deux jours plus tard, le


médecin

de la ville lui avait confirmé qu’elle attendait bel et bien


un heureux événement.

Elle avait bien fait de ne rien dire à Rafaello. Le mariage


n’était pas envisageable... l’avortement encore moins. Et
comme elle n’avait pas l’intension de s’abaisser à lui
demander de l’aide, mieux valait qu’il n’en sût rien.

— Glory ?...

La voix rieuse et profonde de Rafaello la ramena à la


réalité. Plaquant résolument un sourire radieux sur ses
lèvres, elle se détourna du miroir de la luxueuse
boutique.
— Je suppose que tu aimes cette étole, déclara-t-il d’un
ton amusé.

Confuse, elle s’aperçut qu’il venait de régler l’article.

— Elle est vraiment très belle, s’exclama-t-elle.

Rafaello était diaboliquement beau, lui aussi, et jamais


elle n’avait été aussi heureuse. Elle n’avait pas le courage
de briser cet enchantement par l’annonce brutale de sa
grossesse.

Cela voulait cependant dire que le temps qu’il leur


restait à passer ensemble était compté. Elle parviendrait
bien à lui cacher son état encore quelques semaines,
n’est-ce pas ? Mais plus très longtemps...

Prenant sa main dans la sienne, Rafaello l’entraîna hors


du magasin et ils se fondirent dans la foule joyeuse et
bigarrée qui flânait dans l’étroite rue piétonne.

Glory aimait la vieille ville de Corfou et son


architecture vénitienne, le brouhaha de ses ruelles
pavées et de ses minuscules tavernes, ses vitrines qui
regorgeaient de trésors — bijoux en argent,bois d’olivier,
tapisseries et bibelots en cuir...
— J’imagine que nous allons vers ton lieu favori ?
s’enquit Rafaello d’une voix nonchalante.

— Si ça ne te dérange pas...

Les belles arcades du Liston, inspirées de la célèbre rue


de Rivoli, abritaient nombre de cafés à la mode. Us
donnaient sur l’étonnante Spianada, une immense
esplanade qui comportait un terrain de cricket. Glory
adorait s’asseoir à une terrasse en compagnie de Rafaello
et regarder les passants défiler.

— Pourquoi les gens nous dévisagent-ils ainsi ? lui


avait-elle demandé lors de leur première visite.

— Parce que tu es très belle.

Son sourire amusé et appréciateur avait dissipé toutes


ses inquiétudes. Elle n’était plus la petite ouvrière
gauche et vulgaire. Il la considérait comme une femme
de son milieu.

Comme Rafaello commandait du vin pour lui-même,


Glory passa en revue la carte des desserts. Puis elle se
renversa contre son dossier et le regarda pensivement,
partagée entre plaisir et chagrin. Elle était si amoureuse
de lui qu’elle aurait voulu le crier sur tous les toits, que
tout le monde soit au courant. Au lieu de cela, elle devait
se résoudre à le quitter...

Chassant cette triste pensée de son esprit, elle préféra se


concentrer sur les jours heureux et les nuits passionnées
qu’ils avaient partagés. Des jours qui se succédaient,
hors du temps, où le moindre désaccord était suivi d’une
tendre réconciliation. Ils avaient nagé ensemble et couru
dans les vagues, avaient marché dans l’ombre fraîche et
parfumée des vergers qui entouraient la villa, en
bavardant inlassablement. Elle se rappellerait aussi la
blancheur étincelante des dunes de sable à midi, le ciel
d’un bleu immuable et l’obscurité recueillie de l’église
dédiée à saint Spyridon, le saint patron de Corfou. Mais,
plus que tout, elle chérirait les égards que Rafaello avait
pour elle. Jamais il ne l’avait traitée comme une simple
maîtresse.

— Si tu ne m’expliques pas tout de suite ce qui te


tracasse, cara mia, murmura-t-il en fixant sur elle son
regard fascinant, je vais finir par me fâcher.

Glory se raidit, ennuyée de découvrir que la façade


heureuse qu’elle affichait ne suffisait pas à masquer son
désarroi et à tromper la vigilance de Rafaello.
— A vrai dire, je ne t’en voudrais pas tant que ça,
avoua-t-il, amusé.

— Je ne vois pas ce qui te fait penser ça, répondit Glory


d’une voix tendue.

Elle haussa les épaules pour faire bonne mesure, en


portant inconsciemment une main sur son ventre encore
plat.

— Tu n’es pas d’un naturel silencieux, dit-il. Mais,


depuis quelques jours, tu as un air absent, mia preziosa.
Que se passe-t-il ? Est-ce ta famille ? Tu ne parles jamais
des tiens. Peut-être te manquent-ils ?

Glory baissa les yeux. Elle ne mentionnait jamais sa


famille, non seulement parce qu’elle ne supportait pas le
rappel de leur « arrangement », mais aussi parce qu’elle
redoutait qu’il fît de nouveau référence à l’épisode des
cinq mille livres.

— Si tu es discrète, je ne vois pas pourquoi tu ne


pourrais pas les appeler, suggéra Rafaello avec l’air d’un
homme faisant une offre généreuse.

— Je... Je leur téléphone tous les deux ou trois jours


depuis que je suis ici, admit-elle, déroutée.
Voyant qu’il se raidissait, elle s’empressa d’ajouter :

— Je pensais que tu n’y verrais pas d’inconvénient. Je


ne reste jamais longtemps au téléphone.

— Mais ce n’est pas vrai ! déclara-t-il d’un ton


impérieux. Je te demande d’être discrète et tu jacasses
avec ton père et ton frère tous les deux ou trois jours ?

Glory pâlit et acquiesça lentement, se demandant


pourquoi il était si irrité.

Rafaello laissa échapper quelques mots furieux en


italien. Se sentant horriblement coupable, elle artbula :

— Je sais, je ne t’ai pas remercié de ce que tu as fait


pour Sam. C’est juste que je ne voulais plus reparler de
toute cette histoire. Je suis désolée. Je...

— Tais-toi ! lui intima-t-il en s’efforçant visiblement de


contenir sa colère.

Il se leva, jeta des billets sur la table et s’éloigna de


quelques pas. Sentant l’irritation la gagner, Glory le
rejoignit.

— As-tu la moindre idée de ce que tu as fait ? la


sermonna-t-il.
— Ne me parle pas sur ce ton !

— Si tu as joyeusement annoncé à ta famille que tu étais


ici, maquée avec moi…poursuivit-il sans relever
l’interruption.

— Mais jamais de la vie ! coupa-t-elle, profondément


blessée par sa conception de leur relation.

Rafaello pila net.

— Tu ne leur as pas dit... ?

— Je suis peut-être étourdie parfois, mais pas


complètement bornée ! Tu crois que je suis fière d’être ici
avec toi ? Eh bien, détrompe-toi ! J’aurais trop honte
d’apprendre à mon père et à Sam que je suis tombée
aussi bas !

Il la dévisagea d’un regard acéré, plus sombre que


jamais. Elle détourna les yeux la première et, faisant
volte-face, se dirigea vers la voiture. Elle se sentait
nauséeuse et ses jambes flageolantes la portaient à peine.

Rafaello lui déverrouilla la portière et elle s’installa sur


le siège passager. Elle n’avait pas eu l’intention de dire
ces paroles atroces, mais il l’avait cherché !
Il se glissa derrière le volant et un silence glacial
s’installa. Glory croisa ses mains pour les empêcher de
trembler.

— Mon père et Sam pensent que j’ai déménagé et ils ne


m’ont pas demandé mon adresse parce qu’ils ne
m’écrivent pas, expliqua-t-elle d’une voix neutre. Ils
supposent que je les appelle d’une cabine. Je n’ai pas eu
besoin de leur mentir. Ni l’un ni l’autre ne me rendait
visite à Birmingham.

— Je suis désolé. C’est un malentendu, déclara


froidement Rafaello. Mais j’emploie ton père, et ton frère
est encore très jeune. C’est pour leur bien, et le tien, que
je voulais m’assurer ta discrétion.

— Tu as surtout peur que je crie sur tous les toits que tu


te débauches avec une petite ouvrière, c’est ça ? répliqua-
t-elle, hors d’elle. Car maintenant que tu m’as déguisée
avec ces vêtements chic, personne ne devinerait que tu
m’as ramassée à l’usine !

Comme Rafaello s’obstinait à ne pas répondre, d’autres


paroles assassines lui venaient en tête, et elle avait bien
du mal à les contenir. Elle avait été bien sotte de se
bercer d’illusions. Toutes les étoles du monde ne feraient
pas d’elle une femme digne du grand Rafaello Grazzini !

Enfin, il démarra. Elle aurait aimé qu’il fasse crisser les


pneus, qu’il donne des coups de volant brusques, qu’il
montre une quelconque émotion. N’importe quoi plutôt
que ce calme impassible. Elle avait l’impression de
devenir folle.

Au bout de dix minutes, elle ne put se contenir


davantage.

— Je te déteste, Rafaello Grazzini !

— C’est évident, répondit-il sèchement. Du reste, je


reconnais mon erreur. Le sexe et les dettes ne constituent
pas une bonne base pour une relation.

A ces mots, Glory se sentit au bord des larmes. Elle


ferma les yeux, partagée entre un profond mépris contre
elle-même, et une furieuse envie de le battre. Tout ce
gâchis était sa faute, mais il faisait tout pour envenimer
la situation. Pourquoi ? S’était-il déjà lassé d’elle ? Quelle
importance puisqu’elle allait partir de toute façon ? Sa
taille ne tarderait pas à s’arrondir et elle ne pouvait
rester sans que Rafaello découvre son secret.
De retour à la villa, elle s’enferma dans la salle de bains
et activa à fond les robinets de la douche, afin de
masquer le bruit de ses pleurs.

Au bout d’une heure, elle sortit de la cabine, les yeux


rougis.

Heureusement, la chambre était vide. Ouvrant un tiroir,


elle y prit une chemise de nuit et se mit au lit.

Tard dans la nuit, la porte de la chambre s’ouvrit. Glory


retint son souffle. Elle n’avait pas pris la peine de tirer
les rideaux et le clair de lune révéla la longue silhouette
de Rafaello. Il était seulement vêtu d’une serviette
blanche nouée autour des reins.

Elle ferma les yeux et, quelques secondes plus tard,


sentit le matelas s’affaisser. Sans réfléchir, elle roula sur
le côté et se lova contre lui. Rafaello eut un moment de
surprise, puis il la prit dans ses bras, l’enlaçant avec
douceur.

— Nous devons parler...

Glory soupira. A quoi bon ? Il n’y avait rien qu’ils ne


puissent résoudre, rien qu’ils ne puissent changer. Se
coulant contre son corps musclé, elle chercha sa bouche
et pressa ses lèvres sur les siennes avec l’énergie du
désespoir. Comme il se figeait sous l’assaut, elle crut un
instant qu’il allait la repousser. Sa réaction fut tout autre.
D’un mouvement souple, il la plaqua sous lui et
approfondit leur baiser avec une ardeur qui lui coupa le
souffle.

Il la fixa d’un regard pénétrant.

— J’ai envie de toi, mais...

Glory n’eut pas le cœur d’entendre la suite. Glissant ses


doigts fébriles dans les cheveux encore humides de son
compagnon, elle l’attira de nouveau vers elle.

Une plainte s’échappa des lèvres de Rafaello, mais elle


savait maintenant à quelles caresses il ne pouvait
résister...

Cette nuit-là, ils ne connurent pas la lente montée du


désir. La tempête de passion qu’elle avait déclenchée
devint incontrôlable, de sorte qu’il plongea en elle dans
un élan impérieux. Il la rendit folle de plaisir... encore et
encore.

Ce tourbillon de jouissance laissa Glory épuisée.


Tandis que Rafaello sombrait dans un sommeil
réparateur, elle resta allongée dans le noir, à s’interroger.
Leur étreinte avait été différente cette fois. Qu’y avait-il
de changé ? Peut-être avaient-ils été plus silencieux ?
Soudain, elle comprit. Rafaello lui avait dit au revoir. Le
moment de la séparation était venu. Pas seulement parce
qu’il s’ennuyait avec elle ou qu’il ne la désirait plus. Leur
dispute de la veille avait dû lui faire comprendre qu’elle
était tombée amoureuse de lui. Et cela ne faisait pas
partie du « contrat ».

Ce qui venait de se passer entre eux avait dû le


conforter dans cette hypothèse en tout cas. Elle s’était
jetée sur lui comme une affamée ! Sans la moindre
retenue.

Glory se crispa à ce souvenir. Etait-ce son état qui la


rendait à ce point hypersensible ?

Un peu plus tard dans la matinée, elle eut la réponse à


toutes ses interrogations.

Rafaello la réveilla. Vêtu d’une veste et d’une chemise


bleue sur un pantalon beige, il était magnifique, mais
paraissait moins détendu. Ses traits énergiques étaient
plus saillants. Il était redevenu le Rafaello froid et
distant.

— Je dois sortir, l'avertit-il. Jack Woodrow m’a appelé


la semaine dernière pour me demander conseil sur des
investissements et je ne lui ai pas encore répondu.
Ecoute, nous parlerons à mon retour. En attendant, fais
les bagages. Nous rentrons à Londres cet après-midi.

Eh bien, elle ne serait pas là pour la grande scène de fin


! Elle leur épargnerait à tous deux cette ultime entrevue
et ce voyage pénible.

Une heure plus tard, elle demandait à Hiario, le


chauffeur de Rafaello, de la conduire à l’aéroport, une
fois sur place, elle fut prise d’une impulsion subite et prit
un taxi pour se rendre en ville.

Elle se rappelait avoir remarqué plusieurs annonces


d’emploi dans des bars. Si Rafaello quittai l’île, pour
quelle raison devait-elle l’imiter ? En Angleterre, elle
n’avait plus ni logement ni travail. De plus, il lui restait
très peu d’argent. Et puis, elle avait envie de rester dans
ces lieux où elle avait été si heureuse et qu’elle avait
appris à aimer.
Quant à retourner vivre dans le pavillon familial de
Montaigu Park, c’était évidemment impossible.

Elle était de nouveau seule...


7.

En fin d’après-midi, le bar attirait peu de clients et la


terrasse était vide. Pourquoi diable n’était-elle pas
autorisée à s’asseoir ? pesta Glory en se massant le bas
du dos, là où la douleur était la plus vive.

Cela faisait huit semaines qu’elle avait quitté la villa de


Rafaello et elle regrettait amèrement de s’être montrée si
impulsive. Rien ne s’était déroulé comme elle l’avait
prévu. Les chambres se louaient très cher à Corfou et elle
avait presque épuisé le peu d’argent qu’elle avait avant
de dénicher cet emploi de serveuse.

Maintenant que les touristes étaient moins nombreux,


on commençait même à licencier les saisonniers. Non,
décidément, rester à Corfou n’avait pas été une bonne
idée. En Angleterre, elle aurait eu plus de chances de
trouver un travail durable avant que sa grossesse ne
devienne visible. A présent, il lui fallait porter des
pantalons à taille élastique pour ne pas attirer l’attention
de son employeur.

Bon sang ! Pourquoi n’avait-elle pas mis Rafaello


devant ses responsabilités ? Sa fierté ne lui rapporlait
plus rien maintenant. Elle avait fait preuve
d’inconscience en cherchant à le rassurer et à lui cacher
son état. Elle songea avec tristesse à son soulagement
quand elle lui avait laissé entendre que tout danger était
écarté. Le sexe, oui. Mais les bébés... A l’évidence, il
n’avait pas la moindre envie de devenir père.

Il n’empêche qu’il eût été plus raisonnable de lui dire la


vérité. Pourquoi avait-elle reculé devant cette décision ?
Et surtout pourquoi Rafaello lui manquait-il tant ? Alors
même qu’il avait été sur le point de la quitter. Au bout
de trois semaines à peine...

Sentant les larmes la gagner, Glory les refoula


furieusement. Les femmes les plus sensées se faisaient
tromper de la sorte par les hommes. Mais deux fois !
Non, vraiment elle devait avoir un problème.

Elle réprima un gémissement en songeant à tous les


efforts qu’elle avait faits et à l’orgueil qu’elle avait dû
étouffer pour lui plaire et devenir une femme
sophistiquée. Oui, elle s’était prêtée de bonne grâce à
cette comédie, elle avait joué son rôle jusqu’au bout.
Mais pour quel résultat ? Elle se trouvait enceinte, sans le
sou, malheureuse et seule. Elle n’avait même pas eu la
satisfaction de lui dire ses quatre vérités !

Du coin de l’œil, elle nota qu’une des tables de la


terrasse était occupée. Comme elle s’avançait
machinalement pour prendre la commande, elle le
reconnut. Elle ne connaissait que trop bien ce port de tête
arrogant, ce corps mince et souple qui, même assis,
dégageait une impression d’élégance et d’autorité.

Glory faillit trébucher. Son cœur fit un bond dans sa


poitrine et elle sentit sa gorge se serrer convulsivement,
l’empêchant de respirer.

Rafaello ôta ses lunettes de soleil et braqua sur elle ses


yeux sombres. Il avait beau avoir la mine grave dans son
costume formel, il était incroyablement séduisant, bien
qu’un peu intimidant.

Une vague d’amour et de désir assaillit Glory malgré


elle. Elle voulait le voir sourire. Pourquoi avait-il cet air
lugubre ?
Certes, elle était partie sans crier gare, mais ce n’était
pas un crime tout de même. Et puis, n’était-ce pas ce
qu’il désirait ?

Elle redressa le menton d’un geste de défi, en dépit de


la rougeur qui lui montait aux joues, mais Rafaello prit la
parole le premier.

— Assieds-toi, commanda-t-il.

— C’est impossible... Je n’en ai pas le droit, articula-t-


elle tout en se demandant si elle lui avait manqué, si
c’était ce qu’il venait lui dire. Que... Que veux-tu boire ?

— De deux choses l’une, répondit-il d’une voix tendue.


Ou tu t’assois, ou nous nous rendons chez toi pour
parler.

— Comment m’as-tu retrouvée ? voulut-elle savoir.

— Avec la plus grande difficulté ! Heureusement, Sam


m’a aidé...

— Sam ? répéta Glory, médusée d’entendre prononcer


le nom de son frère.

— Glory... J’ai des nouvelles qui vont te bouleverser.


Où voulait-il en venir ? Etait-ce une approche pour la
persuader de revenir vers lui ?

— C’est ça ! Tu crois que je vais tomber dans le


panneau? Si tu ne veux rien boire, je ne vais pas perdre
mon temps à bavarder.

Sur quoi, elle se détourna.

— Santo cielo ! pesta Rafaello en repoussant brutalement


sa chaise. Ton père est malade...

Sous le choc, elle s’arrêta net et pivota lentement vers


lui.

— Je suis venu te chercher pour te ramener auprès de


lui, expliqua-t-il en reprenant le contrôle de lui-même.

Un frisson glacé parcourut Glory et elle sentit la tête lui


tourner.

— De quoi... souffre-t-il ?

— Il avait une tumeur au cerveau, révéla Rafaello après


une hésitation. Il...

Glory eut l’impression qu’un gouffre béant s’ouvrait


sous ses pieds. Le vertige la saisit et, comme elle titubait
pour atteindre une chaise, elle s’effondra, évanouie.
Lorsqu’elle reprit conscience, elle était étendue sur le
petit lit étroit de sa chambre, située juste au-dessus du
bar. La femme de son patron parlait avec animation à
Rafaello.

Son père était mort !..., se rappela-t-elle, atterrée. C’était


ce que Rafaello était venu lui annoncer.

— Est-il parti comme ma mère ? Sans trop souffrir ?


murmura-t-elle d’une voix éteinte.

Rafaello se détourna, sourcils froncés.

— Ton père n’est pas mort, Glory, lui assura-t-il


aussitôt. Il a subi une opération très délicate et n’a pas
encore repris connaissance.

Le visage blême, elle essayait désespérément


d’assimiler ces informations.

— C’est incroyable... Je lui ai parlé au téléphone il y a


quelques jours encore, balbutia-t-elle en se redressant.

Rafaello s’assit au bord du lit.

— C’est arrivé très vite, sans aucun symptôme


apparemment. Ton père s’est plaint d’un violent mal de
tête et s’est évanoui. Sam a appelé une ambulance. On l’a
transporté à l’hôpital local, puis, de là, il a été dirigé vers
une unité de soins intensifs à Londres.

— Les médecins l’ont opéré, c’est donc qu’il y a de


l’espoir, dit-elle comme pour elle-même. Je dois me
raccrocher à cela.

— Je t’attends en bas, annonça-t-il en se levant. Si nous


nous dépêchons, nous pourrons être là-bas tard dans la
soirée.

Elle prépara son sac à la hâte, morte d’angoisse. En


même temps, elle était reconnaissante à Rafaello de ne
pas lui avoir caché la vérité.

— Tu avais des affaires à régler ici ? demanda-t-elle, un


quart d’heure plus tard, comme ils se dirigeaient vers
l’aéroport de l’île.

— Non, je ne suis venu que pour te retrouver. Sam m’a


dit que tu travaillais dans un bar de la ville. J’ai ordonné
à mon personnel de faire des recherches par téléphone.

— Je suis désolée, s’excusa-t-elle, horriblement confuse


qu’il se soit donné tant de mal pour la retrouver. J’ai fini
par dire à Sam que j’étais à Corfou, mais j’aurais dû aussi
lui donner mon adresse.
— J’ai pris l’avion en espérant qu’on t’aurait localisée
avant mon arrivée. C’est Jon Lyons qui a tapé dans le
mille, termina Rafaello, les lèvres crispées.

Tout en luttant contre les larmes brûlantes qui


menaçaient de la submerger, Glory le remercia. Sam
n’avait que seize ans et il était normal qu’un adulte
prenne les choses en main à sa place. Mais pourquoi
fallait-il que ce rôle incombe justement à Rafaello ?

Une fois à bord de son jet privé, elle s’endormit, ivre de


fatigue. Rafaello la réveilla une heure avant
l’atterrissage, et on leur servit à dîner. Bien qu’elle n’eût
pas le moindre appétit, elle se força à avaler quelques
bouchées pour se donner un peu d’énergie. Jamais elle
ne s’était sentie aussi malheureuse de sa vie ! Elle était
très inquiète pour son père, et blessée par l’attitude
distante de Rafaello. Elle appréciait son soutien et son
aide, mais ne pouvait supporter son air froid et détaché.

— Je peux me rendre seule à l’hôpital, décida-t-elle en


arrivant à Londres. Merci pour ton aide, tu as été
formidable.

— Je t’accompagne, répondit-il. Essaie de persuader


Sam de prendre un peu de repos. Il est épuisé. Mon
employée de maison est là aussi. Elle reste au chevet de
ton père...

— Maud Belper ? l’interrogea Glory avec surprise.


Pourquoi ?

— Je crois qu’Archie l’a demandée en mariage la


semaine dernière.

Puis, voyant son étonnement, il ajouta :

— Au train où vont les choses ici, je suppose que Sam


n’a pas eu le temps de te tenir au courant de tout.

C’était le moins que l’on puisse dire ! Quoique en y


repensant, ce n’était pas si surprenant. Son père et Maud
se connaissaient depuis toujours et cette longue amitié
s’était muée en un sentiment plus fort. Mais Glory
regrettait tout de même qu’il ne l’eût pas mise dans la
confidence.

Elle jeta un regard de biais à Rafaello. Ses traits s’étaient


amincis depuis la dernière fois qu’elle l’avait vu, et il
était plus tendu que jamais. A l’évidence, leurs
retrouvailles forcées ne lui procuraient aucun plaisir.

— Je suis désolée de tout ceci, dit-elle en se précipitant


dans l’ascenseur de l’hôpital.
Comme les portes de la cabine se refermaient, il l’étudia
d’un regard insondable.

— Tu ne me dois aucune excuse. J’ai fait ce que je


devais faire et ce n’était pas grand-chose. Restons-en là.

Glory baissa les yeux. Elle avait tellement envie de


sentir de nouveau ses bras autour d’elle ! Mais il était
inutile de rêver. Un gouffre aussi vaste et profond qu’un
océan les séparait à présent.

Sam se trouvait dans la salle d’attente. Il la serra dans


ses bras avec soulagement, mais semblait n’avoir d’yeux
que pour Rafaello.

— Je sais que tu l’avais dit, mais j’ai du mal à croire que


tu sois revenu aussi vite avec Glory ! s’exclama le jeune
homme. J’imaginais des tas de complications ! Sinon,
Maud est restée auprès de papa la plupart du temps...

— J’aimerais le voir, glissa Glory dans le flot de paroles


de son frère.

— Maud va devoir sortir, lui répondit-il. On ne laisse


entrer qu’une personne à la fois.

Alors que Rafaello s’éçlipsait sans un mot, Sam reprit :


— Tu vas voir, il va arranger ça ! C’est lui qui a tout
organisé. Papa serait mort sans lui. Il t’a raconté que les
chirurgiens d’ici ne pouvaient pas réaliser l’opération ?

— Non...

S’affalant sur une banquette, son frère expliqua que le


seul procédé chirurgical capable de sauver leur père
n’avait pas encore été expérimenté en Angleterre, et que
Rafaello avait fait venir un éminent neurochirurgien de
New York pour effectuer l’intervention.

Et Rafaello qui disait qu’il n’avait pas fait grand-chose !


songea Glory, bouleversée par ces révélations.

Une infirmière fit son apparition et l’introduisit dans la


salle de réanimation. Son père était entouré d’un attirail
impressionnant d’appareils destinés à le maintenir en
vie. Le regard rivé sur son visage immobile, elle inspira
profondément et, oubliant ses propres soucis, se mit à
prier pour qu’il survive. Vers l’aube, le médecin de
garde constata une amélioration notable des fonctions
vitales. Rassurée par cette information, Glory partit à la
recherche de son frère.
Mais ce fut Maud Belper qui se précipita à sa rencontre,
quand elle arriva sur le seuil de la salle d’attente. Glory
avait complètement oublié son existence ! Prise de
remords, elle se hâta de lui annoncer la bonne nouvelle.
La pauvre femme versa des larmes de soulagement en
lui pressant tes mains.

— Me permets-tu de retourner le voir tin moment ?


demanda-t-elle, suppliante.

— Bien sûr. Je ne suis qu’une égoïste, s’excusa Glory.


Allez le rejoindre. Mais... Où est Sam ?

— M. Grazzini l’a emmené dans son appartement. Le


pauvre garçon n’en pouvait plus. Veux-tu leur
téléphoner ?

Maud lui tendit le numéro avant de disparaître dans le


couloir, visiblement pressée de retrouver l’homme
qu’elle aimait.

Glory appela d’une cabine dans le hall. Rafaello


décrocha presque immédiatement et convint avec elle
que les nouvelles étaient excellentes. En revanche, il
refusa de prévenir Sam, préférant le laisser dormir le
plus longtemps possible.
Glory était trop fatiguée pour discuter et acquiesça.
Quand elle eut raccroché, elle regagna la salle d’attente
et se recroquevilla sur une banquette, en attendant le
lever du jour.

Vers le milieu de la matinée, Rafaello ramena Sam à


l’hôpital. Les médecins étaient à présent confiants
concernant l’état de santé d’Archie. Il s’était réveillé,
avait pressé la main de Maud et adressé à sa fille un
faible sourire. Comme Sam prenait le relais à son chevet,
Rafaello étudia Glory de son regard perçant.

— Si tu venais à mon appartement maintenant, pour


dormir un peu ?

— Non merci, répondit-elle, les lèvres pincées.

— Ne complique pas les choses, déclara-t-il d’un ton


chargé de reproches. Que vas-tu faire ? Te coucher sur
un banc de Hyde Park juste pour me tenir tête ?

Glory soupira. Elle était au bord des larmes, ivre de


fatigue, et ne savait plus vers qui se tourner. Elle se
sentait seule et inutile. Sa famille n’avait pas besoin
d’elle. Son père récupérerait bien mieux en présence de
Maud. Quant à Sam, il tournait autour de Rafaello
comme un jeune chien et lui tapait familièrement sur
l’épaule, sans même daigner la regarder, elle. Restait
Rafaello... Mais si elle ne pouvait avoir son amour, elle
ne voulait rien accepter de lui.

— Je... Je ne cherche pas à l’emporter contre qui que ce


soit, bégaya-t-elle.

Il passa un bras autour de ses épaules fines, ramassa


son sac et la guida vers l’ascenseur. Elle avançait d’un
pas raide, de peur de s’effondrer et de pleurer contre sa
poitrine.

— Tu es à bout, constata-t-il en l’aidant à monter dans


sa limousine. Tu as besoin de repos. Pleure si cela peut te
faire du bien.

— Inutile d’être aussi gentil, ça m’énerve ! se hérissa


Glory en se calant le plus loin possible sur la banquette
arrière.

Sans autre avertissement, il la saisit par la taille et la


ramena vers lui avec fermeté. Glory laissa échapper un
petit cri effrayé. L’instant d’après, la bouche de Rafaello
s’écrasa sur la sienne et ses sens s’enflammèrent comme
un volcan. Un désir sauvage la submergea, lui faisant
oublier sa fatigue, sa solitude et sa tristesse.
Instantanément, elle lui rendit son baiser et fit courir ses
mains sur ses épaules, dans ses cheveux. Elle était avide
de le toucher, de le sentir. Son cœur battait à tout
rompre.

C’était si bon d’être de nouveau dans ses bras qu’elle ne


contrôlait plus rien, n’avait même plus conscience de ce
qu’elle faisait. Seuls la guidaient son amour et un besoin
désespéré de lui. Le plaisir jaillissait, explosif, primitif,
brûlant. Quand il releva la tête, pour reprendre son
souffle, cet éloignement lui fit mal.

Rafaello planta son regard de braise dans le sien.

— Désolé pour ce qui vient d’arriver, dit-il d’une voix


sourde. Je n’ai pas d’autre excuse que le manque de
sommeil et mon impatience. La prochaine fois, essaie de
me repousser.

Cette dernière remarque emplit la jeune femme de


colère. Non, elle ne voulait pas le repousser ! Elle avait
une envie folle, irrésistible de se serrer contre lui et de se
perdre dans la passion, cet univers d’émotions pures où
la réalité et la raison n’avaient pas de place. Ce mélange
incandescent d’amour et de rage la déchirait...
En pénétrant dans son appartement, elle essaya de ne
pas montrer son émerveillement. C’était encore une fois
un luxe d’espace, de meubles contemporains, de
lumière.

— Maud s’est aussi installée chez toi ? demanda-t-elle.

— Non, elle est descendue chez sa sœur. A Clapham, je


crois.

— Pourquoi Sam dort-il ici dans ce cas ? s’étonna-t-elle.


Maud va devenir sa belle-mère et il serait normal qu’il
reste avec elle.

Elle vit Rafaello se crisper. De nouveau, l’impression


vague qu’il se passait quelque chose qu’elle ne
comprenait pas la saisit. On lui cachait quelque chose...

— Maud n’a pratiquement pas quitté l’hôpital depuis


que ton père y a été admis, répondit-il, laconique.

Il s’engagea dans un long couloir, au bout duquel il


poussa une porte. Elle pouvait utiliser cette chambre
d’ami, lui indiqua-t-il en précisant qu’il mettrait à sa
disposition une clé de l’appartement.

Il avait hâte de s’éloigner d’elle, nota Glory avec dépit.


Restée seule, elle se remémora leur étreinte passionnée
dans la voiture et laissa enfin couler ses larmes, sans
retenue cette fois. Affalée sur le lit, elle s’endormit toute
habillée.

Elle s’éveilla dans l’après-midi, horriblement mal dans


ses vêtements froissés, et se dirigea vers la salle de bains
contiguë. Celle-ci était superbe, tout en miroirs, et Glory
ébaucha une grimace en contemplant son reflet. Elle
avait l’air d’une chiffonnière !

Une longue douche lui fit le plus grand bien.


Enveloppée dans une serviette moelleuse, elle se massa
le bas du dos. Puis, redressant les épaules, elle retourna
dans la chambre.

Elle n’avait pas fait deux pas qu’elle s’arrêta net.


Rafaello venait d’entrer dans la pièce.

— J’ai frappé... J’ai cru que tu dormais encore, s’excusa-


t-il. Sam est de retour. Il dit que ton père souhaite te
parler.

— Vraiment ? s’exclama Glory, touchée et ravie par


cette nouvelle. Je m’habille en vitesse et je cours à
l’hôpital !
Comme elle allait prendre son sac de voyage posé au
pied du lit, elle entendit Rafaello pousser une petite
exclamation. Fronçant les sourcils, elle lui jeta un coup
d’œil perplexe. Immobile, il la fixait intensément,
laissant son regard descendre le long de sa silhouette
moulée dans le tissu-éponge.

— Per meraviglia..., haleta-t-il. Tu ressembles à la déesse


de la fertilité !

Les joues en feu, Glory inspira profondément en


s’efforçant de rentrer le ventre.

— Ça ne se fait pas de faire remarquer à une femme


qu’elle a pris du poids, lança-t-elle en feignant de rire.
Tu sais comme j’aime manger et...

— Tu es... enceinte ? articula-t-il.

— Enceinte ? répéta Glory d’une voix aiguë comme l’air


commençait à lui manquer. Tu es fou !

— C’est bien ce qu’on va voir ! Enlève cette serviette et


respire normalement, commanda-t-il en s’avançant d’un
air résolu.

Elle recula, effrayée.


— Je veux la vérité, scanda Rafaello en la transperçant
de son regard de jais. L’enfant est de moi, n’est-ce pas ?
C’est obligé ! Tu es enceinte de plusieurs mois déjà.

— C’est bon. Tu as gagné, murmura-t-elle en reprenant


enfin sa respiration. Oui, je suis enceinte et, oui, il est de
toi.

— Pourquoi as-tu essayé de me convaincre du contraire


à Corfou ? demanda-t-il d’un ton farouche. \. moins que
tu ne l’aies su qu’après m’avoir quitté ?

— Non, avoua Glory, se sentant horriblement coupable


soudain. Le jour où je me suis rendue chez la coiffeuse,
j’ai aussi consulté un médecin. Il me l’a confirmé.

D’un air implacable, Rafaello assimila cet aveu.

— Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?

— Tu ne voulais pas savoir ! répondit-elle en luttant


furieusement contre les larmes. Je me rappelle ton
soulagement quand tu as cru qu’il n’y avait aucun
danger !

Les traits crispés, il ferma fugitivement les yeux comme


s’il s’exhortait à la patience.
— J’étais soulagé parce que je ne tenais pas à ce que cela
se passe de cette façon entre nous ! Je ne voulais pas que
l’histoire se répète...

— Quelle histoire ? demanda Glory, médusée.

Rafaello ne répondit pas immédiatement.

— Il y a eu un exemple semblable dans ma famille,


déclara-t-il évasivement.

Soudain prise de faiblesse, Glory s’affaissa sur le lit.

— Je ne savais pas quoi faire sur le moment, admit-elle.

Insensible à cette excuse, il arbora une expression qui


oscillait entre colère et dérision.

— Ça ne t’empêche pas d’être dure quand tu veux ! Tu


te jettes sur moi comme une folle et, l’instant d’après, tu
files dans mon dos ! Je t’aurais épousée à Corfou, mais tu
t’es empressée de me dire que tu n’étais pas si
désespérée !

Frappée par la violence contenue dans ses paroles,


Glory se mit à trembler. Elle comprenait à présent à quel
point elle l’avait blessé en rejetant si durement sa
proposition de mariage. Rafaello avait parlé
sérieusement ! Et elle, comment avait-elle réagi ? En se
voyant offrir ce qu’elle désirait le plus au monde, elle
n’avait rien trouvé de mieux que de le repousser !

— J’étais en colère et bouleversée ce soir-là, reconnut-


elle. Je n’imaginais pas que tu pouvais être sincère. Il
n’empêche que je ne me marierai pas seulement parce
que je suis enceinte.

— Dans la vie, il y a une grande différence entre ce


qu’on veut et ce qu’on a, assena-t-il. Nous allons nous
marier le plus vite possible, c’est moi qui te le dis !

Décidément, il ne saurait jamais s’y prendre ! songea


Glory. Mais cette fois, elle ne se risquerait pas à lui
opposer un refus. Elle l’aimait de toutes ses forces, il
était le père de son bébé. Elle voulait croire qu’ils
pouvaient bâtir un avenir ensemble. Malgré tout... En
même temps, elle espérait qu’il ne prenait pas cette
décision simplement parce qu’elle portait son enfant.

— J’aimerais entendre les raisons qui te poussent à


m'épouser..., risqua-t-elle.

— Parce que nous sommes dans un sale pétrin !


Glory accusa le coup. Si encore il lui avait dit qu’il la
trouvait séduisante ou même que sa compagnie
l’amusait, leur mariage aurait eu une chance, elle en était
convaincue. Visiblement, il ne pensait rien de tout cela...

— Tu veux que je t’aide, Rafaello ?

La voix de Sam qui s’éleva soudain, étrangement


agressive, les figea tous deux. Ils avaient oublié qu’il se
trouvait dans l’appartement. Rafaello n’avait pas refermé
la porte de la chambre !

— Que penses-tu par exemple de cette raison ?


poursuivit-il. Un enfant a le droit de connaître son père,
continua l’adolescent. Un comble pour un Grazzini, non?

Glory n’eut pas le temps de réagir à cette interruption


que déjà son frère s’élançait sur Rafaello. Lui, d’ordinaire
si doux, était littéralement déchaîné et hurlait des injures
! Epouvantée, elle demeura clouée sur place. Mon Dieu !
Rafaello allait-il lui aussi perdre son sang-froid ?

— Sam ! Je t’en prie, arrête ! plaida-t-elle.

— J’avais confiance en toi ! cria Sam à l’adresse de


Rafaello. Je te croyais différent de ton...
— Et je le suis, bonté divine ! coupa Rafaello en
maîtrisant le jeune homme.

Le souffle court, il dut plaquer l’adolescent contre le


mur tant celui-ci se débattait.

— Je bluffais comme un idiot, reprit-il. J’aime ta sœur,


tu entends ? Je veux vraiment l’épouser !

Le regard furieux de Sam était braqué sur lui comme


s’il cherchait à mesurer la sincérité de ces paroles
extravagantes.

— Mais Glory ne veut pas de toi juste parce qu’elle


attend un enfant !

— Je sais ! C’est moi qui ai besoin d’elle, déclara


Rafaello d’un ton farouche.

Comme il le relâchait, Glory se prit le visage à deux


mains. Toute cette scène était un cauchemar. Sam
n’aurait jamais dû surprendre leur conversation. Elle se
sentait horriblement coupable qu’il en fût bouleversé à
ce point. Rafaello aussi avait été abasourdi et, pris de
court, il avait avancé la seule réponse susceptible de
calmer son jeune frère.
— Ne crois pas que je vais m’excuser pour autant !
lança Sam en guise de dernier défi tandis qu’il quittait la
pièce.

Un silence s’ensuivit, qui parut interminable.

— Je ferais mieux d’aller lui parler, annonça finalement


Glory.

— Non, laisse-le se calmer. Il est trop chamboulé pour


l’instant. D’autre part, ton père t’attend, lui rappela
Rafaello.

Nerveusement, il se passa une main dans les cheveux et


ajouta :

— Nous avons besoin d’une licence spéciale de


mariage, bella mia.

— Rafaello..commença-t-elle d’une voix angoissée.

— Inutile de discuter. Sam a raison : un enfant a le droit


de savoir qui est son père, déclara-t-il avec une note de
regret si vibrante que Glory en fut touchée jusqu’aux
tréfonds de son âme.

Sans attendre sa réponse, il la quitta.


8.

Archie Little avait été transféré dans une chambre


individuelle. Maud Belper attendait devant la porte, la
mine inquiète.

— Mon père va bien, j’espère ? s’enquit Glory en


arrivant auprès d’elle.

— Oui, il se remet, répondit Maud, mais il s’est mis en


tête d’avoir une conversation avec toi. C’est beaucoup te
demander, je sais, mais peux-tu essayer de rester calme ?
Il est encore très faible.

Glory la fixa, intriguée. De toute évidence, sa future


belle-mère savait ce que son père avait à lui dire. Mal à
l’aise, elle ébaucha néanmoins un sourire compréhensif.

— Bien sûr. Il n’a pas encore eu le temps de me parler


de votre mariage. Je suis très heureuse pour vous deux.
— Tu es une brave petite, dit Maud sans pour autant se
départir de sa nervosité. Mais ce n’est pas ce qu’Archie a
à te dire. Il veut te parler... d’autre chose.

Allons bon ! Maud Belper était-elle de ces femmes qui


faisaient une montagne d’une taupinière et entretenaient
des mystères à plaisir ? Avec impatience, Glory la planta
là et entra résolument dans la chambre.

Son père avait un air reposé et son visage avait repris


quelque couleur.

— Glory, je devais te voir et libérer ma conscience,


déclara-t-il en la voyant. Mais ce que j’ai à dire va te
bouleverser...

Refusant de s’interroger sur ce préambule énigmatique,


Glory prit sa main entre les siennes et s’efforça de
l’apaiser.

— Je ne suis pas si émotive, tu sais.

— C’est au sujet de Sam. Vois-tu... Sam n’est pas mon


fils, annonça Archie d’une voix saccadée.

Les yeux agrandis de stupeur, Glory assimila cette


information.
— Tu veux dire que... Sam a été adopté ?

— Non. Ta mère..., dit-il avec une expression


douloureuse, ta mère a eu une liaison.

— Tu te moques de moi ! s’exclama-t-elle, incrédule.


Maman... avec un autre homme ? Ça n’a pas de sens...
Vous étiez heureux ensemble, je m’en souviens bien !

— Tu n’avais que sept ans quand Sam est né, lui


rappela-t-il. Il est... le fils de Benito Grazzini et le demi-
frère de Rafaello. Je ne voulais pas que tu le saches,
Glory, pour ne pas te blesser ou entacher les souvenirs
que tu gardais de Talitha.

Glory tremblait si fort qu’elle dut lâcher la main de son


père. Sa mère et Benito Grazzini ? C’était de la folie pure
! D’où sortait-il cette histoire à dormir debout ? Son
cerveau était-il affecté par l’opération ? Jamais sa mère
qui avait prôné la pureté pendant tant d’années n’aurait
pu commettre un adultère. C’était impossible !

— J’étais là la première fois que Benito Grazzini a vu ta


mère, raconta Archie Little d’une voix faible. C’était à
une fête dans le parc du manoir. Ils ne se quittaient pas
des yeux. Le genre de fatalité que nul n’aurait pu
empêcher... Leur relation a duré tout l’hiver.

Glory écoutait, horrifiée. Puis une phrase que Maud


Belper avait prononcée trois mois plus tôt lui revint à
l’esprit : « Tu te mets dans une situation dont tu ne peux
comprendre les enjeux. »

Brusquement, elle se sentit glacée.

— Comment as-tu pu continuer à travailler pour Benito


Grazzini ? s’enquit-elle d’une voix hachée.

— Parce que j’ai gagné finalement. J’ai gardé ta mère,


répondit Archie Little avec une satisfaction que les
années ne semblaient pas avoir émoussée. Il a tout fait
pour l’éloigner de moi, mais il l’a perdue.

Glory écarquilla les yeux. Sous le choc de ces


révélations, elle demeura immobile, fixant le vide.
Quand elle voulut parler de nouveau, elle s’aperçut que
son père s’était endormi.

Les jambes flageolantes, elle sortit dans le couloir où


Maud l’attendait avec anxiété.

— Il dort... et il est soulagé, lui annonça Glory. Vous


saviez ! Vous saviez tout depuis le début, n’est-ce pas ?
— Je n’avais pas de certitude en ce qui concerne Sam.
C’est ton père qui m’a révélé le secret de sa naissance, il
y a quelques mois. Pour le reste, j’étais au courant, oui,
confirma Maud tristement. Je travaille au manoir depuis
trente ans, alors forcément...

— Comment ma mère a-t-elle pu faire ça ? s’exclama-t-


elle à bout de nerfs. Benito Grazzini était marié, et elle
aussi !

Elle avait beau essayer, elle ne parvenait pas à réunir


l’image de la mère qu’elle avait aimée et celle de la
femme irresponsable qui s’était offert un amant, mettant
délibérément en péril son mariage et l’avenir du fils
qu’elle avait mis au monde.

— Je crois qu’ils ont payé assez cher leur erreur, déclara


Maud en soupirant. Cependant, Talitha est revenue à la
raison quand elle s’est trouvée enceinte. Elle a fait une
scène à M. Benito et tout a été fini entre eux.

— Fini ? Mais mon père a dû élever l’enfant d’un autre !

— Archie le voulait ainsi. Il adorait ta mère et se sentait


capable d’assumer son enfant.
— Mon Dieu ! J’ai été si lente à comprendre, se plaignit
Glory. Rafaello sait que Sam est son frère, bien entendu...

— Sam aussi sait la vérité.

— Alors, tout le monde était au courant sauf moi ?


constata douloureusement la jeune femme. En y
repensant... Je suis sûre que c’est le fameux soir où je me
trouvais au manoir que Rafaello a appris la nouvelle.
Son père est venu le voir...

— Sans doute. M. Benito n’avait pas le choix, reprit


Maud. Quand son fils lui a dit que Sam Little était
inculpé, il a décidé de tout lui avouer.

Au fur et à mesure qu’elle découvrait les ramifications


de ce terrible secret, Glory sentait l’horreur l’envahir. Le
puzzle se mettait en place petit à petit, mais le tableau
qui se dessinait était terrifiant.

Pourquoi Rafaello ne lui avait-il rien dit ce soir-là ? Il


avait préféré l’expédier à Birmingham et s’était rendu au
cottage des Little pour voir de plus près ce frère qu’il ne
connaissait pas. Pas étonnant que Sam eût changé à ce
point. Il avait été ravi de se découvrir un grand frère, en
plus d’avoir une sœur. Demi-sœur ! corrigea Glory,
horriblement peinée. Mais, alors, pourquoi Rafaello
avait-il maintenu leur « arrangement »...

Complètement bouleversée, elle prit congé de Maud et,


une fois dehors, chercha un taxi.

Ce fut dans l’ascenseur qui la menait à l’appartement


de Rafaello qu’elle pris conscience de la triste réalité. Elle
n’avait plus besoin de se demander pourquoi il avait été
si prompt à lui proposer le mariage. Il ne voulait tout
simplement pas commettre les mêmes erreurs que son
père.

Comme elle ouvrait la porte, Rafaello vint à sa


rencontre. Il était incroyablement beau, fort et svelte...
Mais ce n’était vraiment pas le moment de se laisser
séduire.

— Où est Sam ? demanda-t-elle en se dirigeant


directement vers le salon. J’ai à lui parler.

— Il n’est plus ici. Sam a choisi d’aller passer quelques


jours chez son ami Joe...

— Pardon ? s’exclama Glory, incrédule. Tu l’as laissé


partir dans l’humeur où il était ?
— Il a demandé la permission à ton père ce matin,
répondit Rafaello. Glory, quelle mouche t’a piquée ?

— Comme si tu ne le savais pas ! s’emporta-t-elle


soudain.

Incapable de rester en place, elle marcha jusqu’à la


fenêtre.

— Pourquoi ne m’as-tu pas dit ce que ton salaud de


père avait fait à ma mère ?

Rafaello s’immobilisa.

— Ainsi, tues au courant...

— On ne peut pas dire que ce soit grâce à toi !


s’exclama-t-elle, outrée de le voir si calme. Comptais-tu
seulement me dire que Sam était de la graine malfaisante
des Grazzini ?

— Pas d’insultes, bella mia... ou je risque d’être


désagréable à mon tour, l’avertit-il.

— Je me fiche de ce que tu pourrais dire ! Ton père a


causé énormément de mal à ma famille. Reconnais-le au
moins !
— Ma mère a fait une grave dépression quand j’avais
treize ans, annonça-t-il d’un ton qui réduisit
immédiatement Glory au silence. Je ne savais pas
pourquoi... jusqu’à ce que j’apprenne la vérité au sujet de
Sam il y a trois mois. Elle a essayé de fermer les yeux sur
l’infidélité de mon père, mais quand il lui a confié que
Talitha attendait un enfant de lui, elle a été effondrée. Tu
t’imaginais sans doute que la fortune et le rang la
protégeaient de la souffrance ?

— Je n’ai jamais pensé à elle..., admit Glory, honteuse.

Oui, les Grazzini aussi avaient souffert dans cette


histoire, elle le comprenait maintenant. Une concession
qui n’allégeait pas pour autant l’amer sentiment de
trahison qu’elle ressentait

— Ma mère ne s’en est jamais remise, murmura


Rafaello avec gravité. Mon père a reconnu qu’il aurait
volontiers vendu la propriété, s’il n’y avait pas eu Sam.
Seulement, il ignorait qu’Archie connaissait la vérité et il
a gardé ses distances. Maintenant qu’elle a éclaté au
grand jour, il tient à le connaître. Mais Sam a besoin de
temps.
Glory vacilla sous ce nouveau choc. Benito Grazzini
souhaitait connaître son fils illégitime ? Les yeux voilés
de larmes, elle balbutia :

— J’étais avec toi ce soir-là, et tu ne m’as rien dit...

— Comment l’aurais-je pu ? Ton père n’avait rien dit à


Sam, et je pensais même qu’il ne lui apprendrait jamais
la vérité. Il ne voulait pas que ses enfants sachent que
leur mère avait eu une aventure. Je ne pouvais pas aller
contre lui. C’est pendant notre séjour en Grèce qu’Archie
a décidé de tout lui avouer. Puisque je savais déjà que
Sam était mon frère, il n’y avait pas de raison pour que
Sam ne soit pas au courant, lui aussi.

— J’ai été maintenue à l’écart, et par ma propre famille


encore, gémit Glory avec amertume.

— Ce n’est pas le genre de nouvelles qu’on annonce par


téléphone.

— Dis plutôt que tu n’avais pas intérêt à ce que je le


sache, si tu voulais que j’accepte de devenir ta maîtresse !
l’accusa-t-elle d’une voix cinglante. Tu m’as traînée dans
ton lit, alors que tu savais pertinemment que tu
n’engagerais pas de poursuites contre ton propre frère.
Mon Dieu ! Jusqu’où un homme peut-il tomber ?

— Très bas, je pense, s’il veut une femme autant que je


te désirais..., concéda-t-il, la mâchoire crispée. Je ne suis
pas fier de moi, cara. Et j’ai eu ce que je méritais : tu m’as
quitté une deuxième fois.

— Tu étais sur le point de me plaquer...

— C’est faux ! se défendit-il.

— Tu veux m’épargner parce que je suis enceinte, c’est


ça ? railla-t-elle.

— Non... Je refuse seulement de me disputer avec toi.


Ça n’est pas bon pour le bébé.

Déstabilisée par ce qu’elle jugeait être une grossière


diversion, Glory s’écria, furieuse :

— Laisse mon bébé en dehors de tout ça !

— C’est aussi le mien.

Devant cet argument irréfutable, elle prit le parti de


biaiser.

— Tu t’es servi de moi à Corfou...


Une expression farouche se peignit sur les traits de
Rafaello.

— Essaie de dire que tu ne me désirais pas, la défia-t-il.


Tu avais juste besoin d’une excuse et je te l’ai fournie. Tu
étais une maîtresse consentante !

Ce rappel de sa propre faiblesse déstabilisa totalement


Glory. Elle s’empourpra violemment et, à court
d’arguments, choisit la fuite.

Rafaello l’intercepta sur le seuil et, la plaquant contre


son torse musclé et inflexible, il la bâillonna d’un baiser
rageur.

Glory se débattit. Mais un violent courant sensuel la


foudroya, et, derrière la colère, elle reconnut les
irrépressibles morsures du désir. Affolée, elle tenta
d’abord de résister.

— Ne nous refuse pas ça, bella mia, l’avertit-il, haletant.

Rencontrant son regard brûlant, Glory y lut une lueur


d’excitation qui la fit frémir. Domptée, elle se blottit
contre lui. Leurs corps semblaient se fondre parfaitement
l’un dans l’autre. Le désir de Rafaello répondait au sien.

— Rafaello..., murmura-t-elle.
Ce qu’il dut prendre pour une supplique, car, un
sourire ravageur aux lèvres, il la souleva dans ses bras et
l’emporta à travers le salon.

Son corps tout entier frémissait de désir. Elle avait trop


envie de lui. Elle n’avait plus la force de lui résister.

Il la déposa sur le lit d’une chambre inconnue et la


déchaussa. Puis, d’un mouvement souple, il se
débarrassa de sa veste.

— Je connais un moyen de clore définitivement une


querelle amore mia, déclara-t-il d’une voix rauque.

Glory se redressa et se recroquevilla sur elle-même. Il


fallait qu’elle quitte ce lit, cette chambre, qu’elle recouvre
son bon sens. Mais elle n’avait plus de courage. Tout son
univers venait de s’écrouler, elle était à bout de force.

Des visions fugitives de son enfance lui revenaient à la


mémoire. Le téléphone qui sonnait avec insistance... Sa
mère allant et venant dans le couloir, refusant de
répondre, les mains jointes, le visage inondé de larmes...
L’image même de la femme tentée, enferrée dans son
dilemme.
Glory soupira. Elle aimait Rafaello, comme sa mère
avait aimé Benito Grazzini.

— Oublie-les. Oublie toute cette histoire, commanda


Rafaello, devinant ses pensées.

Facile à dire ! N’était-ce pas à cause de cette histoire


justement qu’il voulait l’épouser ?

Elle croisa son regard assombri, y lut à la fois de la


colère, de la frustration et... du désir. Dieu merci, le désir
était là, dans la brûlante caresse de ses yeux qui la
contemplaient. Ils s’attardaient aussi sur ses lèvres et les
pointes de ses seins qui tendaient son chemisier. Oui,
même sans les savants artifices du maquillage et des
vêtements chics, Rafaello avait envie d’elle.

Il jeta sa chemise, révélant son torse puissant.

— Cara, j’ai la fièvre...

Une immense faiblesse envahit Glory, et, avec


maladresse, elle commença à déboutonner son
chemisier. Puis, perdant patience, elle passa le vêtement
par-dessus sa tête. Au même moment, Rafaello se
débarrassa de son caleçon et, devant la violence de son
désir, elle retint son souffle.
Il s’avança vers le lit, splendide et nu, et lui ôta son
pantalon de treillis. Il l’attira ensuite contre lui et
l’embrassa avec passion. Sa langue explorait l’intérieur
de sa bouche et, grisée, Glory sentit son sang bouillonner
dans ses veines.

— J’aime ton corps, j’aime le toucher..., s’extasia-t-il en


lui dégrafant son soutien-gorge pour recueillir dans ses
paumes ses seins offerts.

« Et encore ? » faillit-elle demander tandis qu’il la


renversait au bord du lit. Elle voulait être bien plus
qu’un corps à ses yeux. Mais sa contrariété fut bien vite
balayée par le déferlement de plaisir qu’éveillait en elle
la douceur de ses doigts courant sur sa peau, s’attardant
sur ses hanches, son ventre. La sensation était si intense
qu’elle ferma les yeux en laissant échapper une plainte.

— Tu es encore plus sensible, amore mia, constata-t-il en


la débarrassant de sa culotte pour l’exposer totalement à
son regard ardent.

Alarmée, Glory rouvrit les yeux et voulut croiser les


jambes, tentant vainement de dissimuler sa nudité. Il les
écarta et les maintint fermement de chaque côté de lui.
— Rafaello ! s’écria-t-elle, saisie de panique en songeant
à l’enfant qui grandissait en elle.

— Dio mio... Tu m’excites tellement que c’en est


presque insupportable, avoua-t-il, fasciné.

Il relâcha sa prise pour effleurer le léger renflement de


son ventre sur lequel il posa doucement sa paume.

— Ces gènes des Grazzini que tu as insultés sont en toi.


Une partiede moi... de nous...

— Et déjà arrogants, je le sens, fit-elle remarquer, prise


au dépourvu par sa douceur.

Il lui dédia un sourire ravageur qui la fit chavirer.

— C’est normal, cara mia. Ils sont forts et ils


s’affirment.

Il désirait vraiment leur bébé, reconnut Glory, soulagée.


En même temps, elle était peinée que cette tendresse
s’adressât seulement à l’enfant qu’elle portait et non à
elle. C’était pour lui qu’il désirait l’épouser.

Mais au diable toutes ces craintes et toutes ces


questions ! Bientôt, elle cessa de lutter et s’abandonna
tout entière à la passion.
Sans cesser de la caresser, il happa ses mamelons
gonflés, les taquinant de la langue et les mordillant
délicatement. Le souffle coupé, Glory s’embrasa sous ses
caresses savantes. Son corps en avait été privé trop
longtemps.

— J’ai toujours envie de toi..., gémit-elle, incapable de


contenir plus longtemps la faim qu’il avait éveillée en
elle.

Fier et dominateur, Rafaello la contemplait avec une


indicible satisfaction.

— Tout ce que je veux, c’est te donner du plaisir jusqu’à


ce que tu demandes grâce...

Il s’interrompit en percevant la voluptueuse ondulation


de ses hanches.

— ... et que tu me supplies comme une esclave, amore


mia, murmura-t-il en capturant ses lèvres en un baiser
ardent.

Rafaello lut la confusion dans les yeux bleus, éblouis de


passion, et glissa une main experte entre ses cuisses.
Instantanément, le corps de Glory s’arqua à sa rencontre.
Une lueur de défi traversa le regard enfiévré de Rafaello.
— J’ai été sacrement stupide il y a cinq ans ! J’aurais dû
t’entraîner au lit. Alors rien n’aurait pu nous séparer.

Elle fut frappée par le regret et l’amertume contenus


dans sa voix, et qu’il n’essayait même pas de lui cacher.

— Mais nous sommes de nouveau ensemble, clama-t-il


en la maintenant captive.

Perdue dans un océan de désir, Glory murmura :

— Je t’aime...

Aussitôt, il se raidit et partit d’un rire guttural.

— Si tu répètes ça encore une fois, je te quitte !

Bouleversée par cette menace, Glory sentit les larmes


perler au bord de ses cils.

Rafaello jeta une imprécation en italien, puis, avec une


tendresse inattendue, il suivit des lèvres la trace d’une
larme sur sa joue.

— Ne pleure pas... Je t’en prie, la consola-t-il


doucement.

Il l’embrassa à lui couper le souffle. Elle se cramponna à


lui, sentant le désir jaillir au fond d’elle-même, plus fort
que jamais. Quand, du doigt, il vint explorer les plis
humides et chauds de son intimité, elle ne put retenir un
cri. Puis la bouche de Rafaello prit le relais...

Elle se cambra, haletante, les mains agrippant les


cheveux sombres de son compagnon. Alors, lentement, il
se glissa en elle et la posséda d’un élan sûr et puissant
qui l’emporta dans une spirale de plaisir. Alors qu’elle
atteignait les sommets de la jouissance, elle cria son nom.

— Ce n’est pas fini. Continue, cara ! lui ordonna-t-il


d’une voix sourde.

— Tu es fou ! Je ne peux pas...

— Oh ! Si.

Pour mieux le lui prouver, il reprit sa course folle, en


s’enfonçant plus profondément en elle. Une excitation
sauvage la saisit de nouveau tandis que Rafaello
l’entraînait à sa suite dans un monde de volupté pure,
insensée, où seule comptait la fusion de leur corps, la
communion de leur désir. Au bout du voyage, Glory fut
saisie par une vague de plaisir intense, comme elle n’en
avait jamais connue.

**
Glory s’agita et, ouvrant des paupières alourdies, fixa la
lumière de la lampe de chevet. Où était-elle ? Oh ! Mon
Dieu I La chambre de Rafaello...

Elle rougit au souvenir de leurs ébats passionnés. Mais


le souvenir de la manière dont il avait accueilli sa
déclaration d’amour impulsive la calma aussitôt.

Bien sûr, il s’était senti piégé, et avait voulu lui faire


comprendre qu’il n’y avait pas de cela entre eux. Il avait
beau la trouver divine et désirer leur bébé, il était loin de
vouloir l’épouser. Mais il n’avait pas le choix, alors
même que Benito Grazzini était si pressé de connaître
Sam. Il ne pouvait décemment pas abandonner une
jeune femme enceinte de son enfant.

En entendant un bruit de porte, elle roula sur le côté et


vit Rafaello sortir de la salle de bains. Il était fraîchement
rasé, les cheveux encore humides. Il portait une chemise
blanche impeccable et un pantalon sombre à la coupe
parfaite. Il s’arrêta devant un miroir en pied et entreprit
de nouer sa cravate. Glory admira son profil arrogant,
mis en valeur par le contre-jour.

— Bonjour. Quelle heure est-il ? demanda-t-elle en


souriant.
— Presque 19 heures, répondit-il en la gratifiant d’un
bref regard. J’allais te réveiller. Marcel te préparera à
dîner.

— Marcel ?

— Mon cuisinier. Il t’accompagnera à Montaigu Park


quand tu décideras de quitter Londres. Je lui ai demandé
de te nourrir trois fois par jour au moins...

— Où vas-tu ? s’enquit Glory en se redressant.

— Une affaire urgente m’attend à Rome demain. J’ai


suspendu mes activités la semaine dernière, mais la
Grazzini Industries ne va pas fonctionner toute seule. En
me rendant à l’aéroport, je m’arrêterai pour annoncer
notre mariage à Archie.

— Oh ! fit Glory, blessée par un tel détachement.

— J’ai demandé une licence de mariage cet après-midi.


La cérémonie religieuse aura lieu dans dix jours.

— Dix... jours ? répéta-t-elle, effarée.

— Plus tôt nous serons mariés, mieux cela vaudra. J’ai


aussi parlé au médecin de ton père, l’informa-t-il en
s’emparant de sa veste. Il m’a assuré qu’Archie pourrait
assister au mariage dans un fauteuil roulant.

— Mais je n’ai pas encore dit que j’acceptais de


t’épouser, il me semble, objecta Glory pour se défendre
de sa froideur.

— Désolé, cara mia, j’ai considéré ton accord comme


convenu, dit-il en portant un regard significatif vers les
draps froissés. Mais, bien entendu, si tu préfères voir la
guerre éclater entre nos deux familles, tu peux toujours
me laisser tomber.

C’était du chantage ! Un mélange d’amour et de haine


la saisit au ventre.

— Tu sais parfaitement que je ne ferai pas ça !

D’un mouvement brusque, il se détourna et rajusta


inutilement sa cravate.

— Comment puis-je en être certain ?

— Si tu commençais par me dire ce que tu gagnes à


m’épouser ? demanda-t-elle, la gorge serrée.
— Du sexe torride et un bébé. Du moment que tu
laisses l’amour de côté, souligna-t-il, je n’aurai pas à me
plaindre.

Glory sentit la tête lui tourner. Une femelle pour le


satisfaire, et un ventre pour porter l’héritier des Grazzini... En
dehors de cela, elle n’était rien !

— Jon te contactera pour l’organisation du mariage,


continua Rafaello, implacable. Il s’occupera des traiteurs,
des fleurs... Tout ce que tu as à faire, c’est d’acheter une
magnifique robe blanche et de voler jusqu’à l’autel
comme un ange.

— Je ne vais tout de même pas porter du blanc dans


mon état! lui opposa-t-elle.

Rafaello prit une expression exaspérée.

— Je veux te voir en blanc, compris ? Et tu vas


emménager au manoir dès que tu jugeras bon de laisser
ton père aux soins de Maud.

— Pas avant le mariage tout de même ?

— Le cottage n’est plus ta maison depuis cinq ans.


D’autre part, si tu peux attirer Sam sous notre toit, ça
facilitera les choses entre lui et Benito, le moment venu.
Et ensuite ?

Elle allait donc épouser Rafaello en dépit de ce qu’il


pensait d’elle ? Etait-elle devenue si lâche ? Il la prenait
pour une fille facile, sans cervelle et sans moralité ! Elle
n’avait rien oublié de ses paroles, elle s’en rappellerait
jusqu’à la fin de ses jours.

— Ça t’amuse de penser que la mère de ton enfant, et ta


future épouse, n’est qu’une intrigante avide de richesse ?
le défia-t-elle.

Cette attaque le prit totalement au dépourvu.

— Ce n’est absolument pas ce que je pense de toi, dit-il


d’un ton grave.

— Non ? Alors, tu admets enfin que ton cher père m’a


fait chanter il y a cinq ans ?

— Si je le croyais, j’irais lui casser la figure ! affirma-t-il.


Mais ce n’est pas le cas...

Brusquement, il laissa échapper un rire sans joie.

— Mais je sais maintenant que l’argent n’est pas


important pour toi. Je l’ai compris à Corfou.
Puis, lui rappelant qu’il était pressé, il la quitta sans
autre forme de cérémonie.

Longtemps, Glory resta figée, fixant l’espace vide où


Rafaello se tenait à peine quelques minutes plus tôt. Elle
avait beau aimer cet homme de toutes ses forces, jamais
elle ne le comprendrait.

Pourquoi cette sorte de regret dans sa voix quand il


avait reconnu qu’elle n’était pas intéressée ? Et surtout,
pourquoi réagissait-il au mot « amour » comme s’il
s’agissait d’une insulte ?
9.

— Pour Joe, découvrir qu’on est un Grazzini, même


illégitime, revient à décrocher la cagnotte au Loto !
maugréa Sam.

C’était la première fois que Glory revoyait son frère


depuis qu’il avait quitté Londres, et elle était frappée par
sa ressemblance avec Rafaello. Mêmes cheveux de jais,
même regard ténébreux... Leur mère n’avait jamais été
aussi brune. Ces pommettes ciselées et ce profil décidé
appartenaient indubitablement aux Grazzini. Comment
ne l’avait-elle pas remarqué plus tôt ?

— Non, mais regarde-moi ça ! s’exclama-t-il en


désignant le décor qui les entourait.

Ils se trouvaient dans le petit salon de Montaigu Park,


l’une des pièces les moins opulentes du manoir, mais
trop fastueuse encore au goût de Sam.
— Une tabatière à soixante mille livres, et il y a des gens
qui crèvent dans la rue !

— Tu peux critiquer leur mode de vie tant que tu veux,


glissa-t-elle, mais n’oublie pas que c’est l’argent des
Grazzini qui a sauvé la vie de notre père.

— J’en suis conscient, la rassura-t-il. Sauf que je ne le


considère plus comme mon père. D’ailleurs, il m’a dit
que j’étais libre de l’appeler Archie.

— Oh ! Sam…s’écria-t-elle, peinée, en songeant à ce que


cette parole avait dû coûter au vieil homme. Il t’a tenu
lieu de père pendant seize ans. Ça ne compte donc pas
pour toi ?

— Glory, il ne m’a jamais aimé comme il t’aime et tu ne


peux même pas lui en vouloir. J’ai toujours su que je
n’étais pas le fils qu’Archie Little aurait souhaité avoir.
Pourquoi penses-tu que je pratiquais tous ces sports,
alors que je détestais ça ? C’était pour faire ce qu’il
attendait de moi. Il me répétait sans arrêt que les Little
étaient jardiniers ici depuis cinq générations. Sais-tu
quelle a été ma première pensée quand il m’a dit que je
n’étais pas son fils ? « Ouf, je ne serai pas obligé de
devenir jardinier ! »
Glory écoutait, en s’efforçant de dissimuler son
désarroi. Le garçon tranquille et réservé qu’elle croyait
connaître par cœur avait bien changé.

— Même maman s’y mettait, murmura Sam


douloureusement. Elle me chantait que le dessin était
une occupation de fille. Quelle étroitesse d’esprit !

— Sam, je t’en prie. Ne parle pas comme ça...

— Tu étais douée pour les études, Glory, continua-t-il


néanmoins. Mais ils t’ont retirée de l’école et t’ont forcée
à prendre un boulot inintéressant. Parce que notre place
était tout en bas de l’échelle et qu’il nous fallait être sans
ambition et sans imagination ! Si tu veux tout savoir,
c’est an soulagement pour moi de ne pas être un Little !

— Je te comprends.

Elle reconnaissait en lui l’héritage des Grazzini. Sous sa


nature calme, leur personnalité affirmée mouillait en lui
depuis toujours.

— Le problème, dit Sam en ébauchant un sourire triste,


c’est que je ne suis même pas sûr de ressembler pour
autant aux Grazzini.
— Sois enfin toi-même, Sam, lui dit-elle en le serrant
dans ses bras. Viens, je vais te montrer ta chambre

Elle était heureuse qu’il eût décidé de rester pour la


nuit. Il la suivit dans l’escalier et, une fois sur le palier,
ralentit le pas, attiré par les tableaux qui ornaient la
galerie.

— Qui est-ce ? demanda Sam en s’arrêtant devant le


portrait d’un vieil homme.

— Aucune idée. Un de tes ancêtres sans doute. Il faudra


que tu poses la question à Rafaello.

— Oui, un autre Grazzini superdoué, commenta Sam


en l'accompagnant vers la chambre. Je ne m’adapterai
jamais ici, Glory. Ils ne pensent qu’à l’argent et aux
affaires. Moi, je veux être un artiste.

— Pourquoi ne trouverais-tu pas ta place parmi eux ?


protesta Glory. Au moins, les Grazzini apprécient l’art.

Sam médita un instant cette parole et reprit :

— En tout cas, je suis content que tu sortes Rafaello de


ses soucis en l’épousant.

— Que veux-tu dire ? demanda-t-elle en s’arrêtant net.


— C’est un chic type au fond, et je m’en veux de l’avoir
agressé à Londres. Il m’appelle presque tous les jours.
Une fois, il m’a expliqué ce qu’il y avait entre vous.

— Il t’a... Quoi ?

— Tu n’arrêtes pas de le larguer, Glory. Normal qu’il


soit anxieux. Il n’est même pas sûr de te voir à l’autel
vendredi.

— C’est vrai ? bégaya Glory en voyant soudain sa


relation avec Rafaello sous un angle tout à fait différent.

— Pourquoi aurait-il suggéré que je vienne m’installer


ici, autrement ? C’est pour que je puisse le prévenir au
cas où il te prendrait l’envie de filer avant le mariage.

Glory redescendit l’escalier dans un état second. Rafaello


craignait qu'elle ne change d’avis ? Elle sentit son cœur se
gonfler d’un fol espoir.

Il y avait plus d’une semaine qu’il se trouvait à


l’étranger. De Rome, il s’était envolé pour New York où
il travaillait dix-huit heures par jour. Il l’appelait
régulièrement, mais leurs conversations restaient
terriblement impersonnelles. Alors, oui, l’idée qu’il
s’intéressait suffisamment à elle pour être un tant soit
peu angoissé l’enchantait.

Mais une pensée plus réaliste lui traversa soudain


l’esprit. Bien sûr que non, Rafaello ne s’inquiétait pas le
moins du monde. Il avait inventé cette touchante histoire
dans le seul but de persuader Sam de s’installer au
manoir !

A sa décharge, Glory devait reconnaître qu’il s’était


montré parfait avec sa famille. Il préparait une belle
surprise à Archie. En plus d’offrir à son père et à Maud
une retraite anticipée, il faisait rénover une maison qu’il
possédait au village, toute de plain-pied, et qu’il
entendait leur donner en guise de cadeau de mariage.

C’était un homme très généreux et plein de délicatesse.


Elle l’aimait à la folie. Et s’il croyait encore qu’elle l’avait
quitté autrefois pour cinq mille livres, quelle
importance? Il ne semblait plus s’en soucier de toute
façon. Et c’était mieux ainsi, car il y avait suffisamment
de sujets de discorde entre leurs deux familles sans qu’il
se mette en tête de « casser la figure » à Benito, comme il
l’avait dit !
Glory se tamponna les yeux et alla s’installer dans le
salon avec un magazine pour futures mamans. Elle
tournait les pages d’un air attendri, quand elle entendit
la porte l’entrée claquer, puis des cris résonner dans le
hall.

— Santa cielo ! tonna une voix masculine. Vous essayez


de me dire que je ne suis pas le bienvenu dans la maison
de mon fils !

Le sang de Glory se glaça dans ses veines. Elle se


précipita vers la porte du salon et jeta un coup d’œil
affolé par l’entrebâillement. La nouvelle employée de
maison, engagée par Jon Lyons, se confondait en
excuses.

— C’est que M. Grazzini ne souhaite pas que l’on


dérange Mlle Little...

— Je veux simplement la voir ! maugréa Benito


Grazzini, rouge de colère. Elle n’est quand même pas au
lit à cette heure ?

D’instinct, Glory se plaqua contre le mur et retint sa


respiration. Mais elle reçut un autre choc quand une
autre voix coléreuse, infiniment plus familière celle-là,
s’éleva soudain. Rafaello !

D’où sortait-il ? Au fond, peu lui importait de connaître


la réponse à cette question. Il volait à son secours et cela
seul comptait !

Revenant vers la porte, elle vit le père et le fils


s’apostropher furieusement en italien et, alarmée, elle
décida d’intervenir.

— J’ignore pourquoi vous vous disputez, mais je vous


demande d’arrêter immédiatement ! déclara-t-elle.

Les deux hommes se retournèrent d’un même


mouvement.

— Sam est ici, ajouta-t-elle. Vous voulez vraiment qu’il


vous entende vous disputer comme des chiffonniers ?

— Laisse, Glory, railla soudain Sam depuis l’escalier.


Cette scène vaut toutes les sitcoms. Une réunion de
famille à la sauce Grazzini !

« Oh ! Non, pas ça ! » songea Glory en levant les yeux. Il


ne pouvait y avoir de pire moment pour Sam pour
rencontrer son père naturel !
Son frère était pâle et se cramponnait à la rampe, toute
son attention concentrée sur l’aîné des Grazzini.

— Bravo ! jeta Rafaello à l’adresse de son père. Tu


débarques ici comme un chien dans un jeu de quilles en
dépit de toutes mes mises en garde !

— Minute ! Je vois mon jeune fils pour la première


fois..., déclara Benito en étudiant Sam avec intensité.

Ce faisant, il s’approcha de lui.

— Durant toutes ces années, je n’ai osé le faire de


crainte de me trahir. Mais j’ignorais que tu étais là. En
fait, c’est ta sœur que je voulais voir.

Rafaello laissa échapper un soupir impatient.

— Je t’ai déjà dit ce que je pensais de cette idée...

— Ton père peut me parler s’il le souhaite, intervint


Glory à cet instant.

— Tu vois ? répondit Benito à l’adresse de son fils. Ce


n’était pas la peine que tu viennes ici en catastrophe
pour protéger Glory. Nous sommes une même famille
maintenant, ou du moins nous le serons à partir de
vendredi, et nous devons essayer de nous réconcilier.
Descends nous rejoindre, Sam.

L’adolescent obéit en contemplant son père avec


fascination. Rafaello passa un bras autour des épaules de
Glory et, l’attirant contre lui, s’aperçut qu’elle tremblait.

— Je suis désolé, cara.

Un à un, ils entrèrent dans le vaste salon. Dès que Glory


eut pris place, Benito s’installa dans un fauteuil en face
d’elle. Sam s’approcha d’une fenêtre, tandis que Rafaello
se campait devant l’imposante cheminée.

Il portait un costume sombre, ses cheveux noirs étaient


légèrement ébouriffés, et il gardait les yeux plissés.
Glory dut faire un effort pour s’arracher à sa
contemplation.

— Par où commençons-nous ? s’enquit Benito.

— J’aimerais savoir ce qui s’est réellement passé entre


vous et ma mère, déclara-t-elle. Soyez sincère, je vous en
prie.

— Tu es folle de poser une question pareille ! intervint


Rafaello.
— Non, Glory a raison, dit Sam en adressant à sa sœur
un signe d’encouragement.

Benito soupira.

— Talitha et moi pensions être heureux en ménage,


chacun de notre côté. Jusqu’à ce que nous nous
rencontrions. Elle était l’amour de ma vie et, auprès
d’elle, je me sentais un homme complet.

— Vous parlez sérieusement ? demanda Glory,


interloquée.

— Oui, nous nous aimions vraiment, affirma Benito


Grazzini. Au point que le monde autour de nous avait
cessé d’exister. Nous avons été très égoïstes, je ne vais
pas prétendre le contraire. Quand Talitha m’a avoué
qu’elle attendait un enfant, j’ai demandé à ma femme
Carina de m’accorder le divorce...

— Oh ! Mon Dieu !

Glory jeta un regard anxieux en direction de Rafaello et


constata qu’il était sous le choc lui aussi. En voyant ses
yeux se voiler et ses traits se durcir douloureusement,
elle le plaignit de tout son cœur.
— Il vaut mieux arrêter cette conversation, décréta-t-
elle. C’était stupide de ma part...

— Non, j’ai besoin d’entendre cette histoire jusqu’au


bout, objecta Rafaello. Même si j’aurais préféré la
connaître il y a trois mois.

— Tu étais trop furieux pour m’écouter, répondit son


père.

Puis, baissant la tête, il fixa le tapis et reprit d’une voix


désespérée :

— Comme tu le sais, Carina a eu une dépression. Mais,


même alors, je n’ai pas su où était mon devoir. C’est
Talitha qui m’a dit que nous n’avions pas le droit de
causer tant de mal et qu’il fallait penser à nos enfants.
Elle a décidé de rompre. J’ai eu beau la supplier, elle n’a
jamais voulu me revoir.

Un silence pesant s’abattit sur le salon.

— Ainsi, tu t’es fait plaquer par une Little toi aussi,


énonça Rafaello d’un ton étrange, empreint de surprise
et de compassion.
— Je vous prenais pour me ordure qui avait profité de
ma mère, avoua Sam, embarrassé. Je comprends
maintenant que vous avez souffert aussi.

Benito se leva et s’adressa à son fils aîné.

— Avant de m’en aller, je dois avouer ce que j’ai fait à


Glory, il y a cinq ans.

— Non, non, ça n’a aucune importance, coupa


vivement Glory, estimant que Rafaello avait entendu
suffisamment d’horreurs comme ça.

— Moi, j’y tiens, insista Rafaello en s’avançant.

— Bon, je vais vous laisser, annonça Sam à la


cantonade.

Benito parut soulagé.

— Sam est-il au courant ? demanda-t-il néanmoins à


Glory.

— Non, et je ne lui dirai rien.

— Tu as réellement menacé Glory de licencier son père?


lança Rafaello d’une voix où perçait un mépris indicible.
Elle disait donc la vérité. C’est toi qui m’as menti !
— Je voulais préserver ta mère, avoua Benito. Je ne
pouvais pas tolérer que tu amènes la fille de Talitha à la
maison. Canna ne l’aurait pas supporté. J’avais peur que
la vérité éclate au sujet de Sam, et qu’il en soit brisé. J’ai
paniqué...

— Tu es intervenu dans ma vie pour dissimuler tes


fautes ? De quel droit ? rugit Rafaello.

— Je n’ai aucune excuse, admit son père, la mine


pitoyable. Mais Glory et toi, vous vous fréquentiez
depuis si peu de temps, je pensais que vous vous
oublieriez facilement. J’avais tort apparemment. Je suis
désolé.

Comme il quittait la pièce d’un pas lourd, Glory


regarda Rafaello d’un air suppliant.

— Rattrape-le. Si je peux lui pardonner, t:u le peux


aussi.

Pourquoi es-tu si en colère au fond ? On ne peut pas


dire que tu as eu le cœur brisé quand nous avons rompu.

— Tous les Grazzini ne laissent pas voir leurs


sentiments, répondit Rafaello avec une amertume qui la
prit au dépourvu. Mon père a détruit notre relation. Il
m’a menti à ton sujet et il t’a menacée... Je ne lui
pardonnerai jamais ça !

— Alors, pense à Sam. Il a confiance en toi. Si tu es


fâché avec ton père, il voudra savoir pourquoi.

— Je ne passerai pas sur ce que nous avons dû endurer


il y a cinq ans, par sa faute. Je t’aimais... J’ai été accablé
par notre rupture !

Glory le fixa, les yeux agrandis de surprise.

— Mais... tu souriais quand je t’ai annoncé qu’il valait


mieux nous séparer.

— Plus mes émotions sont fortes, mieux je les cache,


dit-il. Tu crois que je t’aurais montré à quel point j’étais
blessé ? Tu parlais comme si nous étions simplement des
amis, tu te comportais comme si je n’étais rien pour toi !

— Je ne savais pas comment faire autrement ! balbutia


Glory d’une voix noyée de larmes. Je t’aimais, mais nous
n’étions ensemble que depuis quelques semaines et...

— Quelques semaines ? Le soir où je t’ai ramenée chez


toi quand tu avais tout juste seize ans, ta mère m’a mis
en garde, révéla-t-il avec un sourire étrange. Elle avait
vu clair en moi...
— Ma mère... ? s’exclama Glory au comble de
l’incrédulité. Alors, tu pensais déjà à moi... ?

Le cœur gonflé d’une joie indicible, elle prit ses mains


dans les siennes avec émotion.

— Tu étais ridicule, tu ne savais pas flirter, répondit-il.


En même temps, ton petit jeu était adorable, car il n’était
que pour moi.

Glory s’empourpra à ce souvenir.

— Pour revenir à ce que tu disais... Pourquoi m’avoir


humiliée à ce point au restaurant ? Me faire venir et
embrasser cette rousse !

— Et je n’aurais pas été surpris que tu viennes t’asseoir


parmi nous et que tu me félicites ! Cette soirée a été l’une
des pires de ma vie.

— Elle n’a pas été la meilleure pour moi non plus ! fit
remarquer Glory d’un ton acide. J’attends toujours des
excuses, parce que tu as été horriblement cruel !

— Pas toi, peut-être ? Après m’avoir plaqué, tu


comptais passer la soirée avec moi comme si de rien
n’était !
— Je n’avais pas choisi de te quitter, lui rappela-t-elle.

— Comment aurais-je pu deviner ? Je suis rentré et je


me suis mis à boire. Ma vie était fichue... Je suis arrivé au
restaurant en avance et j’ai annoncé à toute la bande que
j’avais l’intention de me soûler, ajouta-t-il avec un
sourire de dérision. Mes amis étaient consternés. Cette
fille rousse t’a vue entrer et m’a enlacé. Je crois qu'elle
voulait m’aider à sauver la face...

— Rafaello ! dit Glory douloureusement en lui pressant


les mains. J’ai été stupide ! J’ignorais que tu avais des
sentiments pour moi. Quand je pense que je t’ai fait
souffrir...

L’enlaçant avec tendresse, il la renversa sur le sofa.

— N’en parlons plus. Je suis soulagé d’apprendre que


tu n’avais pas choisi de tirer un trait sur notre histoire,
murmura-t-il en arrangeant les coussins autour d’elle.

— Et moi, j’adore tes yeux... lui confia-t-elle, l’esprit


vagabondant déjà dans une tout autre direction. Nous
allons nous marier dans quarante-huit heures et je meurs
d’impatience...
Comme si ce rappel l’effrayait, Rafaello s’immobilisa,
puis s’écarta d’elle.

— Dio mio... Qu’est-ce que je fais là ?

— Rien de mal... Au contraire..., susurra Glory en


l’agrippant par les pans de sa veste pour le ramener vers
elle.

Il examina son visage heureux, la courbe sensuelle de sa


bouche, et laissa échapper un gémissement de
frustration.

— Je dois retourner à New York.

— Quoi ? Maintenant ? s’exclama-t-elle en se


redressant.

— C’était une visite éclair, cara mia. Je suis venu, parce


que mon père était déterminé à te parler. Et je savais
qu’il t’effrayait.

— Ne repars pas, je t’en prie.

— Il le faut.

Il dénoua les mains qu’elle avait passées de nouveau


autour de son cou, pressa un baiser sur l’une de ses
paumes et se leva.
— Sam est à la maison, lui rappela-t-il. Nous ne
pouvons pas batifoler sur le sofa.

Il avait raison. Comme il marchait déjà vers la porte, il


fit volte-face et la prit dans ses bras.

— Dans quarante-huit heures, promit-il avant de lui


arracher un baiser passionné.

Sur quoi, il s’éclipsa.

Glory partit à la recherche de Sam. La cuisine était


plongée dans l’obscurité. Revenant dans le hall, elle
entendit des éclats de rire provenant de la salle de
billard.

Doucement, elle ouvrit la porte. Sam s’y trouvait, en


compagnie de Benito. Celui-ci avait ôté sa veste et
inculquait à Sam les règles du billard. Voyant le père et
le fils si complices, elle s’en alla sur la pointe des pieds.

Livrée à elle-même, elle se remémora les paroles de


Rafaello. Il avait été amoureux d’elle autrefois... et il ne
l’avait même pas touchée. Pourquoi ne l’aimerait-il pas
de nouveau avec un peu d’encouragement ? Peut-être
aurait-elle pu ranimer ce sentiment à Corfou, si elle
n’avait pas sauté dans son lit aussi rapidement.
Fallait-il donc lui résiste; pour conquérir son cœur ?
Voilà qui serait difficile à faire une fois qu’ils seraient
mariés.

Les deux jours qui suivirent passèrent à la vitesse de


l’éclair. Glory fut prise dans un tourbillon de tâches. Elle
fit le ménage au cottage, rendit visite au pasteur qui
célébrerait le mariage, reçut ses anciennes amies,
surprises et ravies de recevoir des invitations. Et, enfin,
elle accueillit son père à sa sortie de l’hôpital.

— Sam s’entend avec Benito Grazzini en fin de compte,


dit Archie Little quand il fut confortablement installé
dans son fauteuil.

— Ça ne te gêne pas ? demanda maladroitement Glory.

— C’est ce que j’espérais. Sam est un des leurs, fit-il


remarquer avec un sourire désabusé. Dieu sait pourtant
si j’ai essayé d’en faire un Little. Mais, petit déjà, il avait
des idées à part. Ce n’est pas sa faute.

Son père acceptait la situation en homme fataliste et


pragmatique qu’il était. Heureusement, car il était
question que Sam aille passer les vacances de la
Toussaint dans la villa de Benito en Toscane.
Le jeudi soir, Rafaello arriva à Montaigu Park et fut
déçu d’apprendre qu’elle passerait sa dernière nuit de
célibataire au cottage et qu’elle était trop occupée pour le
voir.

— Nous nous reverrons à l’autel ! lui dit-elle


joyeusement au téléphone.

— Ça ne prendrait que cinq minutes...

— Non, je suis désolée. J’ai promis à mon père de lui


consacrer cette soirée. Et si nous nous retrouvons... eh
bien, tu sais très bien que ce ne sera pas pour cinq
minutes !

Peu après, on frappa à la porte et Glory découvrit


Rafaello sur le seuil.

— Cadeau de mariage, annonça-t-il en lui tendant un


paquet plat.

— Oh !... Merci..., bégaya-t-elle en le contemplant,


fascinée.

— Bague de fiançailles, et bague d’éternité, dit-il en


posant un écrin, puis un second sur le premier paquet.
J’ai pensé que je pouvais tout livrer en une seule fois !
Les yeux agrandis de surprise, Glory déposa les
cadeaux sur le buffet et allait se jeter dans ses bras quand
il se recula, les mains levées, comme pour la tenir à
distance.

— Moi aussi, je peux jouer à ce jeu-là, bella mia. Buona


notte !

Là-dessus, il se dirigea vers sa Ferrari d’un pas alerte.


Glory courut à sa suite.

— Rafaello, attends !

Il s’immobilisa, une main sur la portière, et lui adressa


un regard amusé et satisfait.

— Ne sois pas en retard à l’église ou je viendrai moi-


même te chercher, l’avertit-il doucement.

— C’est la tradition pour une mariée de se faire


attendre.

— Tu parles d’une coutume ! marmonna-t-il en se


glissant derrière le volant. Je veux que tu sois à l’heure.

D’un geste vif, Glory se pencha et s’empara de la clé de


contact.
— Maintenant, vas-tu me dire ce qui se passe ?
demanda-t-elle, inquiète.

Elle était charmée par son humeur joyeuse, mais elle


n’en était pas moins déroutée par le changement qu’elle
percevait en lui. Il se conduisait si étrangement.

Rafaello se mit à rire.

— Je suis heureux, tout simplement.

Cette réponse suffit à la rassurer et elle lui rendit sa clé.


Mais au lieu de démarrer, Rafaello s’extirpa de la voiture
et s’adossa à la portière. Avant de parler, il prit une
profonde inspiration.

— Je suis heureux parce que tu m’as dit à Londres que


tu m’aimais. J’espère que tu le pensais vraiment ?

— Bien sûr..., murmura Glory, touchée par son


incertitude.

Les yeux de son compagnon s’illuminèrent soudain et,


à son grand étonnement, il la souleva dans ses bras,
contourna le capot et l’installa sur le siège passager.

— Bon sang ! Qu’est-ce que tu fais ?


— Je t’enlève, cara ! annonça-t-il gaiement en se
rasseyant derrière le volant.

Sans lui laisser le temps de réagir, il démarra en trombe.

— Tu es fou ! J’allais préparer le dîner de mon père...

Rafaello freina brutalement et prit son téléphone


portable.

— Sam ?... Oui, je lui ai dit que je l’enlevais, mais elle


n’a pas l’air impressionnée. Elle s’inquiète davantage du
dîner d’Archie.

A ces mots, Glory sentit ses joues s’enflammer.

Rafaello raccrocha.

— Sam va veiller à ce que ton père ait à manger.


Rassurée ? dit-il en lui décochant un sourire plein de
promesse.

C’était une belle soirée de début d’automne. Rafaello


gara la voiture sous les hêtres de l’allée forestière qui
bordait la rivière. Puis il l’aida à descendre.

— Je devais absolument te parler avant notre mariage,


bella mia.

— Ça ne peut pas attendre demain ? le taquina-t-elle.


— Non, justement. Dans l’avion qui me ramenait en
Angleterre, il m’est venu à l’esprit que je ne t’avais pas
encore dit que je t’aimais, du moins pas comme j’aurais
dû.

Glory nota qu’une vive rougeur colorait ses pommettes.

— Tu veux dire que... que tu étais sérieux en parlant à


Sam, ce jour-là, à Londres ? Je croyais que c’était pour le
calmer.

— Je ne sais pas mentir à ton sujet. Si tu ne m’avais pas


faussé compagnie à Corfou, je t’aurais avoué que je
t’aimais.

Glory avait désespérément envie de le croire. En même


temps, elle avait peur de se faire des illusions. Cherchait-
il à réécrire leur histoire pour lui faire plaisir, au moment
où ils allaient se marier, ou parce qu’elle était enceinte ?

— Dans ce cas, pourquoi étais-tu si sombre, ce matin-là,


à la villa ? J’ai cru que tu voulais rompre et...

— Laisse-moi parler. Bon sang ! Je n’ai jamais dit à une


femme que je l’aimais et, à l’instant où je le fais, tu ne
veux pas m’écouter ! Mais comment puis-je te blâmer
quand j’ai tout gâché ? Je n’ai jamais su me comporter
avec toi.

— Bien sûr que si, le rassura-t-elle en voyant une


émotion authentique envahir son regard.

Rafaello se passa nerveusement une main dans les


cheveux.

— Je n’ai jamais aimé personne d’autre que toi, avoua-t-


il. Quand je t’ai revue, j’ai perdu la tête et j’ai lancé cette
idée que tu deviennes ma maîtresse. Je voulais te
reconquérir à tout prix, sans perdre la face.

Comme il reprenait son souffle, Glory l’encouragea


d’un sourire.

— Ensuite, j’ai tout fichu par terre en t’accusant de me


piéger, raconta-t-il, la mine coupable. Je venais de
découvrir que tu étais vierge et j’étais sous le choc. Mais,
en sortant de la douche, je me réjouissais déjà à l’idée
que tu portais peut-être mon enfant.

— Oh !

— Tu étais sortie dans cette tempête, dit-il en frémissant


à ce souvenir. J’étais dans une panique sans nom. Quand
je t’ai ramenée à la villa, j’ai su que mes sentiments pour
toi étaient plus profonds encore que je ne le croyais.

— Tu m’as alors demandée en mariage quand j’étais


dans le jacuzzi, acheva Glory. Et je ne t’ai pas cru.

Rafaello la contemplait avec, au fond des yeux, un


regret immense. Son regard la suppliait de croire en lui.

— Ce n’était pas la plus romantique des déclarations, ni


le meilleur endroit pour ça, je sais. Mais il me suffisait de
te regarder et mes sentiments... mes émotions me
submergeaient. Je ne suis pas aussi doué que mon père
pour ce genre de discours. Il m’a impressionné en disant
sans la moindre hésitation que ta mère avait été l’amour
de sa vie.

Emue par ces confidences, Glory prit sa main entre les


siennes sans rien dire.

— Je suis désolée de ne pas t’avoir écouté, murmura-t-


elle.

— C’est entièrement ma faute. C’était à moi de te


prouver que nous pouvions être heureux ensemble...

— Et tu as réussi, lui assura-t-elle.


— Sauf que je n’ai pas eu le courage de te parler et
d’annuler cet arrangement absurde. Et pour finir, nous
avons eu cette dispute stupide. J’ai pensé que tu me
méprisais au dernier degré pour le rôle que je te faisais
jouer.

— J’étais simplement en colère.

— Ce soir-là, poursuivit-il, je t’ai rejointe au lit, pensant


que tu dormais, et, au dernier moment, je n’ai pas osé te
dire ce qui me tenait tant à cœur.

— Qu’est-ce que c’était ? le pressa Glory.

— Que je regrettais de t’avoir forcée à devenir ma


maîtresse, que je n’avais jamais pensé à toi de cette
façon, parce que je t’aimais et que je voulais toujours
t’épouser.

— Mon Dieu ! Pourquoi craignais-tu de me parler ?


demanda-t-elle, les larmes aux yeux.

Ses yeux sombres accrochèrent les siens et il inspira


profondément avant de reprendre la parole.

— J’avais peur que tu fasses tes valises et que tu me


quittes sur-le-champ.
— Rafaello ! J’étais folle de toi ! s’exclama Glory,
bouleversée. Comment aurais-je pu te laisser tomber
après nos merveilleuses nuits d’amour ?

— La passion n’empêchait pas que tu veuilles


reprendre ta liberté.

— J’espère que tu sais maintenant que la passion et


l’amour ne font qu’un pour moi ? s’enquit-elle
doucement.

— Cara... En rentrant de chez les Woodrow, j’ai constaté


que tu étais partie et j’ai été anéanti. J’ai supposé que tu
étais rentrée en Angleterre et j’ai engagé un détective
privé.

—Tu as fait ça ? articula-t-elle, abasourdie.

Rafaello acquiesça.

— Puis ton père est tombé malade et j’ai enfin pu te


retrouver après deux mois d’enfer.

— Pourtant, tu étais si distant...

— Même le pire des imbéciles comprendrait qu’il est de


trop, après avoir été plaqué deux fois, bella mia, fit-il
remarquer sur la défensive. Quand tu m’as dit que tu
m’aimais, j’ai cru que tu avais deviné à quel point j’étais
fou de toi... et que tu me plaignais. Ma fierté en a pris un
coup.

Les yeux bleus de Glory se mirent à pétiller de joie.

— De toute ma vie, je n’ai désiré que toi. Rafaello


Grazzini, je te le jure ! Tu m’aimes... vraiment ?

— Tellement que je ne peux m’empêcher de te toucher.

Il l’enlaça fougueusement et l’embrassa avec une ardeur


passionnée.

— Glory, je suis trop impatient de t’épouser, haleta-t-il.


Je ne peux plus attendre...

Ils restèrent encore un peu sous les arbres, puis Rafaello


la ramena au cottage.

Ce fut Archie qui lui rappela les cadeaux que Rafaello


lui avait apportés.

Le premier paquet contenait un ravissant collier en


diamant et platine, avec des boucles d’oreilles assorties.
Elle était un peu affolée par la générosité de Rafaello et,
en même temps, ce cadeau avait une immense valeur
maintenant qu’elle se savait aimée. Sa bague de
fiançailles, le présent le plus cher à son cœur, était un
magnifique solitaire, et sa bague d’éternité, rien de
moins qu’un anneau en diamant !

Le lendemain, jour du mariage, Glory se réveilla tôt.


Elle s’affairait déjà dans sa chambre, quand Maud, venue
l’aider à s’habiller, l’appela pour lui annoncer qu’elle
avait une visite.

Glory fut déroutée en voyant que Benito Grazzini


l’attendait dans le salon. Elle le fut bien davantage
quand il lui remit un magnifique diadème qui avait
appartenu à sa propre mère.

— J’ai toujours eu l’intention de le donner à la femme


de Rafaello, mais je n’ai pas trouvé le courage de venir
vous l’offrir avant aujourd’hui, déclara-t-il, angoissé. Je
tiens absolument à réparer le mal que je vous ai causé à
tous deux et c’est de bon cœur que je vous accueille dans
notre famille, Glory.

Touchée par sa sincérité, elle lui assura qu’elle lui avait


déjà pardonné et que Rafaello ferait de même bientôt

Quand, une heure plus tard, Glory étudia son reflet


dans le miroir, elle ne put réprimer un frisson de
bonheur. Elle avait acheté sa robe de mariée dans un
magasin chic de Londres et ne le regrettait pas.

Le décolleté en cœur laissait ses épaules nues et le


bustier en satin était rehaussé d’une multitude de
broderies perlées, qui descendaient sur le devant de la
jupe ample. Glory avait remplacé la fausse tiare, qu’elle
avait eu l’intention de porter avec son voile de dentelle,
par le précieux diadème que Benito lui avait remis.

Ainsi parée, elle descendit retrouver son père au rez-de-


chaussée, Maud étant déjà partie à l’église rejoindre les
invités. Appuyé sur sa canne, Archie Little avait tout de
même fière allure. Comme ils atteignaient le vestibule,
Glory fronça soudain les sourcils.

— Tu entends ? On dirait des chevaux...

— Ça alors ! s’exclama Archie en jetant un coup d’œil


au-dehors.

Rafaello avait envoyé non pas une voiture pour les


emmener, elle et son père, jusqu’à l’église, mais un
attelage conduit par un cocher en livrée et tiré par quatre
chevaux blancs ! Glory tressaillit de joie.
A leur arrivée devant l’église, un long tapis blanc fut
déroulé.

— Ce garçon ne recule devant rien pourte plaire,


commenta son père.

Glory descendit en souriant aux photographes et fit son


entrée dans la nef au bras d’Archie. Lentement, ils
remontèrent l’allée. Enfin, le regard ébloui, elle prit place
devant l’autel auprès de Rafaello.

— Tu ressembles à une princesse de conte de fées !


murmura-t-il, son beau regard rivé sur elle. C’est ainsi
que je t’imaginais depuis toujours, bella mia.

Après la cérémonie, ils retournèrent à Montaigu Parket


le repas de noces eut lieu dans la salle de bal, décorée
pour l’occasion d’une multitude de fleurs. Les nouveaux
mariés prirent congé dans l’après-midi, car il était prévu
qu’ils passent leur lune de miel en Toscane, dans la villa
des Grazzini.

Ils arrivèrent là-bas en début de soirée. Rafaello souleva


sa jeune femme dans ses bras pour franchir le seuil de la
luxueuse demeure et gravit l’escalier qui menait à leur
chambre.
— C’est le jour le plus merveilleux de ma vie ! déclara
Glory en levant sur lui des yeux remplis d’amour.

— Pour moi aussi, amore mia.

Il emprisonna son visage radieux entre ses mains avec


une infinie tendresse avant d’ajouter :

— Si j’y suis pour quelque chose, tous ceux que nous


passerons ensemble risquent d’être aussi beaux que
celui-là...

Un an plus tard...

Glory coucha son petit garçon dans son berceau. A


bientôt six mois, Lorenzo Grazzini avait de jolies boucles
noires et de grands yeux bleus. Il était d’une nature
souriante et affectueuse.

Ils étaient arrivés à Corfou l’après-midi même. La


veille, Rafaello et elle avaient célébré leur premier
anniversaire de mariage par un dîner familial à
Montaigu Park. Glory avait été pleinement heureuse de
voir réunis autour d’elle son père et Maud, mariés
depuis peu, Sam et Benito. Tout le monde était heureux
d’être ensemble.

Sa première année de mariage avait été l’une des plus


belles de sa vie et elle se demandait encore pourquoi elle
avait mis tant de temps à s’apercevoir que Rafaello
l’adorait. L’amour qu’elle lui portait lui permettait de
mieux mesurer l’ampleur du sacrifice de sa mère. Talitha
avait quitté l’homme de sa vie pour préserver leur
famille respective. Glory, elle, ne pouvait imaginer une
seule seconde vivre sans Rafaello.

— Lorenzo n’est pas encore endormi, j’espère ? s’enquit


Rafaello en entrant dans la nurserie.

Glory s’arracha à ses pensées pour regarder son


séduisant mari. Il eut l’air déçu en voyant que leur fils
dormait profondément.

— Tu es resté si longtemps au téléphone avec Benito,


lui rappela-t-elle.

— Je n’ai pas assez de temps pour jouer avec notre fils,


se plaignit-il. Je ne savais pas que les bébés étaient des
marmottes.
— Je ne crois pas que tu serais content s’il se mettait à
hurler au beau milieu de la nuit, fit-elle remarquer en
riant.

Rafaello lui dédia un sourire entendu qui la fit chavirer.

— Pourquoi parlais-tu si longtemps avec ton père ? lui


demanda-t-elle afin de détourner la conversation.

— Benito s’est proposé pour être le président d’une


association qui vient en aide aux sans-abri.

Glory ne put s’empêcher de sourire en reconnaissant


que l’âme sensible et généreuse de Sam faisait des
adeptes.

— C’est une bonne nouvelle !

— Oui. Mon père a trop d’énergie pour rester inactif et


c’est un homme influent qui peut apporter beaucoup
dans ce projet.

Rafaello l’attira contre lui et esquissa an sourire de


satisfaction en percevant le frisson qui la parcourait.

— Dio mio, cara..., murmura-t-il d’une voix pleine de


tendresse et d’admiration. Comment as-tu fait pour
épouser un type qui cafouillait sans cesse chaque fois
qu’il essayait de te dire « je t’aime » ?

— J’avais peut-être l’espoir qu’il parviendrait un jour à


prononcer ces mots-là ? répondit-elle d’un air malicieux
en passant ses bras autour de sa nuque. Et j’avais raison
d’attendre : tu ne rougis presque plus maintenant...

— Oh ! Je vois que tu n’as pas fini de te moquer de


moi..., gémit Rafaello.

— Pas de danger, le rassura Glory.

C’était l’un de ses plus tendres souvenirs. L’amour de


Rafaello lui était d’autant plus précieux qu’il l’avait
réservé pour elle, et pour aucune autre.

— Je t’adore, bella mia, dit-il avec un regard énamouré


qui la fit fondre de bonheur. Tu es une épouse
merveilleuse, la meilleure des mères, et la femme la plus
aimante et la plus sensuelle qui puisse exister.

— Je t’aime, moi aussi, répondit Glory avec ardeur.

Pendant que Lorenzo dormait paisiblement, ils


échangèrent des baisers mêlés de mots tendres... Jusqu’à
ce que Rafaello emporte la jeune femme dans leur
chambre. Là, ils scellèrent leur amour avec cette passion
unique, qui n’appartenait qu’à eux.

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