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Héritière du passé
Traduction française de
ANATH RIVELINE
HARLEQUIN©
est une marque déposée du Groupe Harlequin et Azur© est une
marque déposée d'Harlequin S.A.
— Mademoiselle ?
— Oui, Henri ?
Natasha leva la tête du bureau sur lequel elle remplissait des
papiers pour sa grand-mère.
— Le baron d'Argentan est venu vous présenter ses
condoléances.
— Très bien, lança-t-elle dans un soupir.
En se levant, elle lissa sa petite robe noire, et songea qu'elle ferait
bien de faire un saut à Deauville pour trouver des vêtements
décents. Ce n'était pas le premier visiteur qui venait la voir et
assouvir sa curiosité. Il fallait qu'elle s'habille en conséquence
pour les accueillir, et qu'elle se dépêche de s'habituer à son
nouveau rôle d'hôtesse. Elle suivit donc Henri dans la salle à
manger où le majordome avait coutume d'installer les invités.
Mais en apercevant la silhouette de l'homme à contre-jour, elle
faillit pousser un cri de surprise.
— Je suis venu vous présenter mes condoléances, annonça-t-il
de sa voix grave et profonde de baryton, avant de s'avancer et
de poser un délicat baiser sur la main de Natasha.
— Merci, murmura-t-elle, sentant son cœur s'emballer.
C'était comme si le contact de ses lèvres avait déclenché une
décharge électrique le long de sa colonne vertébrale.
— Asseyez-vous, je vous en prie, parvint-elle à articuler en lui
montrant la chaise Louis XV en face de lui.
— Merci, dit-il en attendant qu'elle prenne place elle-même.
Natasha eut un instant de répit quand Henri fit irruption dans la
pièce avec une bouteille de Champagne.
— Je n'ai jamais eu le plaisir de vous rencontrer jusque-là,
remarqua le baron. Je ne savais pas que la comtesse avait une
petite-fille, ajouta-t-il en fronçant les sourcils comme s'il remettait
en cause son identité. Je ne me souviens pas vous avoir déjà vue.
— C'est parce que je ne suis pas revenue ici depuis des années,
— C'est parce que je ne suis pas revenue ici depuis des années,
expliqua Natasha, sentant le rouge lui monter aux joues.
— Ah, je comprends...
Natasha s'en voulut. Pourquoi laissait-elle cet inconnu la rendre
si mal à l'aise ? Après tout, elle était chez elle, ici !
Ils prirent la coupe de champagne qu'Henri leur tendit et le baron
leva la sienne.
— A une merveilleuse comtesse qui va beaucoup manquer à
toute la région. N'est-ce pas, Henri ?
— Oh oui, monsieur le baron. Pas de doute là-dessus, répondit
Henri en hochant tristement la tête. Mais nous avons le bonheur
d'accueillir mademoiselle !
— Il est vrai. Et quelle surprise pour nous tous ! s'exclama le
baron sans quitter Natasha du regard.
— Une bonne surprise, j'espère, lança-t-elle, au bord de la
colère.
— Certainement pas mauvaise, répliqua le baron. Je dirais même
excellente ! Vous apporterez un souffle nouveau. Enfin, si vous
avez l'intention de rester... !
— Il est trop tôt pour que je prenne une décision, répondit-elle
d'un ton cassant, espérant que cela lui ôterait l'envie de poser
plus de questions.
Elle ne supportait pas qu'il la défie ainsi. Elle disait d'ailleurs la
vérité : elle n'avait pas encore décidé ce qu'elle ferait de
l'héritage. Il'un côté, elle avait envie de repartir pour l'Afrique,
surtout parce qu'elle savait à quoi s'attendre là-bas. Mais d'un
autre côté, elle avait du mal à résister à un nouveau sentiment qui
naissait en elle, un sentiment de loyauté envers sa famille et le lien
qui l'unissait à ses ancêtres. La lettre de sa grand-mère avait
bouleversé ses priorités. Tu es la dernière de la lignée des
Saugure... Elle n'en revenait toujours pas que la vieille dame lui
eût confié toutes ces responsabilités.
Le baron resta encore quelques minutes à faire la conversation,
puis il se leva pour prendre congé.
— Si vous avez besoin de la moindre chose, Henri connaît mon
numéro de téléphone. Comme vous l'avez déjà sans doute
deviné, je suis votre voisin, lança-t-il avec une lueur de malice
dans les yeux.
— Vous me l'avez très bien fait comprendre l'autre jour,
rétorqua-t-elle aussi sèchement que possible, mais sans pouvoir
réfréner un petit sourire.
— Je suis désolé de la façon dont je vous ai parlé ce jour-là.
C'était grossier, et je le regrette. J'espère que, pour m'excuser,
C'était grossier, et je le regrette. J'espère que, pour m'excuser,
vous accepterez de dîner avec moi un soir. Je pourrais aussi
vous faire visiter la région, conclut-il en lui reprenant la main et en
la gardant contre ses lèvres plus longtemps qu'il n'était
nécessaire.
— Avec plaisir, répondit Natasha, en proie au même trouble que
la première fois.
— Parfait. Je vous attends donc demain.
— Je... je n'ai pas encore fait le point de mes engagements
demain, déclara-t-elle, affolée.
— Vous voulez dire que votre agenda est déjà plein ?
— Non, ce n'est pas ce que...
— Dans ce cas, je vous attends à 20 heures. Henri vous
conduira.
Sans attendre sa réaction, il tourna les talons et quitta la pièce.
Natasha restait sans voix. Elle se dirigea vers la fenêtre pour le
voir s'éloigner. Il ne manquait pas de toupet ! Et quelle autorité !
Pourquoi n'avait-elle pas refusé ? Elle était maintenant
encombrée d'une invitation dont elle se serait volontiers passée...
L'idée qu'elle avait besoin d'une nouvelle garde-robe l'affola
soudain. Ce n'était tout de même pas pour ce grossier
personnage qu'elle avait l'intention de s'habiller... Cependant,
pour une raison qu'elle ignorait, elle voulait se montrer sous son
meilleur jour. Sans doute à cause de son nouveau rang. Après
tout, elle ne devait pas entacher la réputation de sa famille !
Qu'est-ce qui lui avait pris d'inviter à dîner cette ridicule petite
Anglaise, alors qu'il comptait partir pour Paris au plus vite ?
Raoul n'arrivait pas à se le pardonner, au moment de quitter les
terres des Saugure. Quelle idée de retarder son séjour ! Surtout
pour une jeune fille aussi dépourvue de style que cette nouvelle
voisine. Les cheveux de cette femme n'avaient pas vu de coiffeur
depuis un moment, sans parler de ses fripes !
Sans doute tout cela s'expliquait-il par son appréhension à la
perspective de retrouver Clotilde et ses fameuses crises de
jalousie.
Garant sa voiture, il jeta un œil à son téléphone portable. Comme
il s'y était attendu, l'icône des messages clignotait furieusement, à
côté de celle des appels en absence. Elle l'excédait ! Il était
temps qu'il mette un terme à cette relation une fois pour toutes.
Apparemment, s'éloigner de Paris plus longtemps n'arrangeait
rien... Raoul coupa le moteur en soupirant. Comme la plupart
des hommes, il détestait affronter ce genre de situa-lions
critiques. Surtout qu'il pouvait déjà imaginer l'hystérique Clotilde
dans tous ses états. Pourquoi diable avait-il eu besoin de la
dans tous ses états. Pourquoi diable avait-il eu besoin de la
fréquenter ?
Sortant de sa voiture dans la fraîcheur de la matinée, il regarda
son garçon d'écurie mener deux de ses chevaux préférés dans le
manège pavé. Il s'arrêta devant le puits et jeta un caillou dedans.
Autant le reconnaître : s'il succombait aux charmes de femmes
comme Clotilde, c'était bien parce qu'il trouvait plus facile de
séduire des top models que de s'engager dans une relation plus
sérieuse. A trente-six ans, il était un célibataire endurci, content
de l'être, au grand désarroi de nombre de candidates
potentielles...
Les femmes ! Toujours intéressées et ambitieuses, comme il
l'avait découvert plus jeune à ses dépens. Il ne céderait pas une
fois de plus ; il ne prendrait plus le risque de tomber amoureux.
Et si cette Natasha n'était qu'une autre de ces calculatrices
cupides ? songea-t-il en se dirigeant vers son château, qui
appartenait à la famille depuis des siècles. Il ne pouvait s'agir
d'une simple coïncidence : son arrivée et le décès de la
comtesse... Il espérait simplement qu'elle n'était pas la cause du
décès.
En entrant dans sa demeure majestueuse, Raoul chassa de son
esprit cette pensée. Il connaissait bien Marie-Louise de Saugure.
Personne ne pouvait l'effrayer. Mais il avait un mauvais
sentiment, comme chaque fois qu'il pensait aux Saugure. Sans
doute était-ce ce qui l'avait poussé à l'inviter : il souhaitait
doute était-ce ce qui l'avait poussé à l'inviter : il souhaitait
élucider le mystère qui l'entourait. Il valait mieux qu'il garde l'œil
sur elle, le passé lui ayant appris à se méfier des femmes de cette
famille.
3.
Natasha tourna la tête pour s'admirer sous un nouvel angle dans
le miroir. Cela faisait des années qu'elle ne s'était plus souciée de
son apparence. Les quelques années passées en Afrique avec
deux jeans et une série de T-shirts blancs ne l'avaient pas aidée à
améliorer son goût pour l'habillement. Pourtant, cet après-midi,
elle avait passé des heures à Deauville, à écouter les conseils de
la charmante vendeuse qui avait su lui trouver de véritables
petites merveilles. Elle avait parfaitement su ce qui lui allait et ce
qu'elle devait mettre de côté : « Le beige ne sied pas au teint de
mademoiselle ».
En admirant son reflet, elle reconnaissait volontiers les talents de
cette vendeuse. Tout ce qu'elle avait sélectionné — depuis le
petit tailleur Chanel rose jusqu'aux pantalons de soie, sans parler
de la robe bleu clair qu'elle portait à présent — possédait une
élégance et une classe qui faisaient oublier de façon spectaculaire
la jeune fille descendue de l'avion quelques jours plus tôt. En un
clin d'œil, elle s'était transformée en femme du grand monde sous
la baguette magique de Martine. Suivant ses conseils, Natasha
s'était même rendue chez le meilleur coiffeur de la ville, qui avait
également fait des miracles. L'image que lui renvoyait son miroir,
bien qu'étincelante, était difficile à accepter et à concilier avec
celle qu'elle pensait être intimement.
Après tout, elle pourrait s'y habituer... Et surtout, elle n'avait pas
eu l'intention de se rendre au château de Raoul d'Argentan
habillée comme un chat de gouttière ! En se maquillant dans la
Nulle de bains, elle se demanda de nouveau ce qui l'avait poussé
ft l'inviter... Sans doute la curiosité. Tout le monde cherchait à nu
voir qui elle était, même si maître Dubois, le notaire, avait déjà
dû se charger de dresser son portrait. Dans une petite
communauté comme celle-ci, l'intrusion d'une parfaite inconnue,
devenue châtelaine du jour au lendemain, n'allait pas sans faire
de vagues..
Elle ne savait même pas ce qu'elle ferait de ce nouveau titre.
Etait-elle vraiment prête à tout bouleverser dans sa vie pour venir
vivre en Normandie, loin du monde qu'elle connaissait, pour
recueillir les fruits d'un héritage dont elle avait été privée toute sa
vie ?
Jetant un œil à la pendule du salon, Natasha se dit que ce n'était
pas le moment pour ce genre de questionnement. Elle planifierait
sa vie plus tard. Pour l'instant, elle devait aller rejoindre Henri qui
l'attendait en bas dans la voiture pour la conduire chez le baron.
Après un dernier regard dans le miroir, elle s'empara d'un petit
sac à main assorti à sa robe et glissa ses pieds dans ses
nouveaux escarpins à talons incroyablement confortables. Elle fit
quelques pas hésitants... Pas mal, quand on pense qu'elle n'avait
plus chaussé que des sandales et des tennis au cours de ces trois
plus chaussé que des sandales et des tennis au cours de ces trois
dernières années !
Priant pour qu'elle s'en tire sans trop de ridicule, Natasha
entreprit de descendre l'escalier et fut ravie de voir Henri dans
l'entrée.
7.
— Donc, comme je vous l'ai expliqué, maître Dubois, j'ai
l'intention de rester en France et d'assumer les responsabilités
que m'a confiées ma grand-mère.
— Excellente nouvelle, mademoiselle ! Les domestiques seront
ravis d'apprendre qu'ils n'auront pas affaire à un maître absent.
— En effet. Je compte bien en savoir autant que possible sur la
propriété, expliqua Natasha, tout sourires, en feuilletant des
papiers. J'aimerais également connaître l'histoire de l'endroit.
Après tout, c'est de mon héritage qu'il s'agit. Je voudrais me
familiariser avec tous ses aspects, historiques et pratiques.
— Bien évidemment, mademoiselle. Nous serons enchantés de
vous renseigner. Je peux vous expliquer les ramifications légales
de la propriété et je vous conseille de rencontrer Evreux, mon
clerc ; il pourra vous informer sur les événements qui ont affecté
vos terres. Et en ce qui concerne l'histoire, le mieux serait de
vous entretenir avec le prêtre, au village. C'est un homme très
cultivé, et un historien de premier ordre. Il a passé trente-cinq
ans dans cette paroisse et en connaît plus que quiconque.
Hormis Mme Blanchard, bien sûr.
— Madame Blanchard ? répéta Natasha, curieuse.
— C'est la gouvernante, à Argentan. Elle travaille pour le baron,
voyez-vous. Elle a travaillé là toute sa vie. Elle a commencé
comme cuisinière avant la guerre. Elle connaît toutes les
anecdotes, en particulier celles qui concernent votre famille et
celle du baron.
— Comment cela se fait-il ?
— Eh bien, on raconte..., commença-t-il en baissant la voix
comme s'il craignait que les murs ne l'entendent. On raconte, que
le père de Mme Blanchard est issu d'une liaison entre le grand-
père du baron et une fille du village. Donc, d'une certaine façon,
elle est reliée à la famille d'Argentan et elle en tire une grande
fierté.
— Je vois...
Tous les mêmes, apparemment, ces d'Argentan, se dit-elle,
remerciant le ciel de n'avoir pas cédé, l'autre soir à Eze.
9.
Avait-elle rêvé ou Raoul l'avait-il vraiment mise au lit ? Et avait-
elle imaginé ces sensations magiques qu'elle avait une fois de plus
éprouvées ?
Natasha s'assit dans son lit et consulta le réveil. Presque 11 h 30
! Elle avait rendez-vous avec les Morrieux à midi et demi...
En entrant dans la salle de bains, tout redevint clair dans son
esprit, et un sentiment de gêne s'empara d'elle. Elle devrait
remercier Raoul de l'avoir arrachée au jeu si vite. Tout ce qu'elle
espérait, c'est que personne d'autre n'avait remarqué à quel point
elle était ivre.
Elle fit la grimace en y repensant. Quelle honte ! songea-t-elle en
laissant l'eau chaude apaiser ses membres las. Et Raoul, dans
tout cela ? Pourquoi avait-il agi si gentiment ? Il s'était montré un
parfait gentleman.
Elle sentit son visage s'empourprer de nouveau en se
remémorant sa propre attitude. Dire qu'elle l'avait littéralement
supplié de lui faire l'amour...
S'enveloppant d'une serviette moelleuse, Natasha décida de faire
comme si de rien n'était, et de se comporter avec le plus de
dignité possible. Même si, connaissant Raoul, elle doutait qu'il lui
laisserait l'occasion d'oublier.
laisserait l'occasion d'oublier.
Mais elle se trompait.
Plusieurs heures plus tard, alors qu'ils se croisèrent sur le champ
de courses, Raoul ne lui lança aucun regard entendu, ne fit
aucune allusion embarrassante. Il fut d'une extrême courtoisie. Et
alors que Natasha retrouvait peu à peu confiance, il conversait
simplement avec les Morrieux, donnait des conseils sur les
chevaux qu'il voyait gagner, et il lui demanda si elle voulait aussi
miser.
Après quelques instants, elle se sentit plus à l'aise et commença à
profiter du spectacle. Après tout, le week-end — à l'exception
de la nuit précédente — se passait de façon fort agréable. A vrai
dire, même cette nuit avait été délicieuse...
Il lui fallait simplement écarter le souvenir des caresses de Raoul
qui déferlaient dans son esprit. Mais bien trop souvent, au cours
de l'après-midi, ses baisers et ses étreintes vinrent colorer ses
pensées. Elle l'observait de loin, sensible à son charme
magnétique et à sa beauté virile. Une vague de jalousie la frappa
même quand elle le surprit en grande conversation avec une
ravissante jeune femme blonde.
Elle devait mettre un terme à cet envoûtement ! Elle se tourna
vers Philippe et entreprit de lui parler pour se changer les idées.
Les Morrieux semblaient enchantés de l'attention qu'elle
accordait à leur fils. Un mariage entre l'héritier des Morrieux et
celle des Saugure n'aurait pas été pour leur déplaire, de toute
évidence.
Raoul avait remarqué le rapprochement des jeunes gens. Tout en
discutant avec sa cousine, il n'avait pas quitté des yeux Natasha
et Philippe de Morrieux, son rival.
Un rival ? Il rit à cette idée. Pourtant, elle avait l'air de prendre
un grand plaisir à se faire courtiser par lui. Il rageait
intérieurement. S'était-il trompé sur Natasha ? A quel jeu jouait-
elle ?
Toujours préoccupé, il alla parier sur un outsider pour la
prochaine course. Il jeta un nouveau regard sur Natasha, qui y
répondit par un franc sourire. Il décida de placer un autre pari
sur le cheval avant de se rendre à la table des Morrieux.
Le comte l'accueillit chaleureusement et l'invita à s'asseoir en leur
compagnie.
— Je ne peux pas, je suis désolé. Je vais regarder la prochaine
course.
— Votre cheval a-t-il gagné ?
— Malheureusement, il est arrivé troisième, ce qui n'est pas si
mal. A propos, j'ai misé pour vous dans la prochaine course,
annonça-t-il en s'adressant à Natasha. Voudriez-vous me suivre
pour voir si nous avons de la chance ?
Elle hésita un instant. Mais comment résister à son regard
pénétrant ? Avant de se lever, elle prévint la comtesse qui était
engagée dans une conversation animée avec une autre femme.
— Bien sûr, ma chère. Philippe, tu les accompagnes ?
— Oh oui, avec plaisir, lança ce dernier en sautant de sa chaise
pour escorter Natasha.
Ce n'était pas de cette façon que Raoul avait envisagé la
situation. La présence du jeune homme l'irrita profondément.
Mais que pouvait-il y changer ?
Lorsqu'ils furent installés, Raoul pointa son doigt dans la
direction d'un cheval.
— Vous voyez le jockey en bleu et blanc ? C'est notre homme.
— Quel est le nom du cheval ? s'enquit Natasha.
— Je te veux.
— Pardon ?
— Vous m'avez demandé le nom du cheval ?
— Oui.
— Eh bien, c'est son nom : Je te veux.
— Je vois...
Elle tourna la tête, embarrassée.
— Voyons si nous avons de la chance, reprit-il. Tenez, prenez
ces jumelles, vous verrez mieux la course...
— Merci, dit-elle en acceptant les jumelles, contente d'avoir
quelque chose à faire, qui lui éviterait de penser au regard de
Raoul sur elle.
Philippe étudia attentivement le programme et débattit des
chances des uns et des autres avec Raoul. Mettre les deux
hommes côte à côte n'était pas très juste, se dit Natasha,
amusée. Raoul avait regretté qu'il les accompagne, mais en fait,
leur proximité lui était plutôt bénéfique. A côté de ce Philippe
coincé et sans charisme, Raoul rayonnait, tel un diamant
précieux.
Les chevaux se lancèrent sur le champ de courses et tous les
regards se rivèrent sur eux. Natasha s'enthousiasmait en voyant
que Je te veux devançait les autres concurrents. La foule se leva
pour lancer des encouragements. Quand, enfin, Je te veux
franchit la ligne d'arrivée le premier, Natasha bondit de joie.
— Il a gagné ! s'exclama-t-elle en se retournant vers Raoul.
N'est-ce pas extraordinaire ? Je n'en reviens pas ! Comme vous
avez été bien avisé de parier sur lui !
— Il était évident qu'il gagnerait, répondit Raoul, taquin.
— Vraiment ? Je croyais qu'il n'était qu'un outsider à vingt contre
un...
— En effet.
— Alors ? Comment étiez-vous si sûr ?
— Parce que je te veux, chuchota-t-il à son oreille, sa main se
glissant dans son dos, emportant Natasha dans une autre
dimension.
Confuse, elle s'écarta. Tout se passait trop vite ! Elle se sentait
irrémédiablement attirée, mais elle connaissait le danger, si elle
cédait à son désir. Les paroles de Clotilde lui revinrent à l'esprit.
— Je retourne chez moi une fois que j'aurai empoché nos gains,
déclara-t-il sur un tout autre ton, comme s'il n'avait pas remarqué
son trouble.
— Oui, je ferais bien de rentrer aussi...
— Vous devriez venir prendre un verre, suggéra-t-il. Non, après
réflexion, nous pourrions nous arrêter sur la route pour dîner. Il y
a un délicieux restaurant, à Beaumont, qu'il faut que vous
connaissiez.
— Raoul, je dois rentrer, je suis venue en voiture...
— Attendez un instant.
Il sortit son portable de sa veste et, avant qu'elle pût réagir,
donna des instructions pour qu'on se charge de ramener sâ
voiture au manoir.
— Raoul, je n'avais pas dit que je voulais venir avec vous, se
défendit-elle, exaspérée.
Il était si sûr de lui ! Elle enrageait de n'avoir pas la force de lui
résister.
*
**
Natasha ouvrit les yeux et s'étira. Voilà, c'était enfin arrivé. Elle
avait laissé Raoul lui faire l'amour. Soudain, elle se rendit compte
qu'elle était seule au lit. Complètement réveillée, elle promena
son regard dans la chambre et aperçut une silhouette à la fenêtre,
dans la lumière de la lune. Une vague de tendresse l'envahit.
Cette nuit avait été si merveilleuse, si simple et si parfaite !
Elle admira le corps de Raoul, envoûtée. Il lui avait fait l'amour
dans le lit où leurs ancêtres avaient consommé leur passion
défendue... Ce n'était pourtant pas le moment de s'emballer.
Connaissant Raoul, il valait mieux qu'elle reste sur ses gardes.
Connaissant Raoul, il valait mieux qu'elle reste sur ses gardes.
Elle avait déjà mordu à l'hameçon, se dit-elle avec un brin de
cynisme. Elle ne devait pas se leurrer davantage en pensant
qu'une force irrésistible venue du passé avait poussé Raoul à
l'emmener ici. Il n'y avait que du désir, un point c'est tout.
S'extirpant du lit, elle s'approcha de lui sur la pointe des pieds.
— Réveillé ? murmura-t-elle.
Raoul se retourna en sursaut.
— Je profite de la nuit, expliqua-t-il en l'entourant de son bras
fort. Regarde la lune. Elle brille, claire et limpide...
— Ont-ils jamais eu une nuit comme celle-là ?
— Régis et Natasha ?
— Non, les chats de la région..., répondit-elle sur un ton taquin.
Bien sûr que je parle de nos ancêtres ! Pourquoi refuses-tu ainsi
de parler d'eux ? Après tout, c'est toi qui m'as emmenée ici !
— Je sais... et je le regrette. C'était stupide.
Une douleur aiguë la frappa en plein cœur.
Elle avait vu juste. Cela n'avait été qu'une manœuvre rusée pour
lui faire baisser la garde. Elle s'arracha à l'emprise de son bras.
— Nous devrions rentrer, suggéra-t-elle. J'ai beaucoup de
travail, demain.
Avec difficulté, elle se retint de pleurer. Elle ne voulait pas que
Raoul voie à quel point cette nuit avait changé sa vie. Il fallait
qu'il croie simplement qu'elle avait pris du plaisir et qu'elle était
prête à passer à autre chose.
— Très bien, acquiesça-t-il.
Un lourd sentiment de vide s'emparait de lui tandis qu'il la
regardait partir vers la salle de bains.
Il n'avait pas imaginé qu'elle réagirait ainsi. Peut-être s'était-il
montré un peu trop brusque, mais il ne désirait pas se lancer
dans une discussion sur Régis et Natasha. Surtout maintenant
qu'il comptait prendre ses distances.
Il tira le rideau et s'assit un moment dans la pénombre. Agacé, il
ramassa ensuite ses vêtements et commença à s'habiller. Il
réfléchirait à tout cela demain. Ou pas du tout... En fait, tout se
passait comme il le souhaitait, non ? Plus vite il reconduirait
Natasha chez elle, mieux il se porterait.
Une demi-heure plus tard, ils roulaient en silence dans la
fraîcheur de la nuit. Ils arrivèrent vite aux portes du manoir.
Il était 5 heures du matin.
Alors que la voiture s'arrêtait, elle se prépara à des adieux froids
et dépourvus de sentiments. Mais Raoul descendit pour sortir
ses bagages du coffre, ralentissant les choses.
— Merci pour cet agréable dîner, dit-elle sèchement, alors qu'il
déposait la valise sur les marchés.
— Il n'y a pas de quoi, répondit-il sans la quitter du regard,
pendant qu'elle fouillait dans son sac à main, à la recherche de sa
clé.
— Bonne nuit, Raoul. Au plaisir de vous revoir. J'imagine que
nos chemins ne peuvent que se croiser...
— Natasha...
Sa froideur le laissait sans voix. Il n'avait jamais rien vécu de tel.
On ne congédiait pas ainsi Raoul d'Argentan !
— Bonne nuit, répéta-t-elle, s'emparant de sa valise et ouvrant la
porte pour lui signifier qu'elle voulait en finir.
— Bonne nuit, répondit-il, sans savoir s'il devait l'embrasser.
Quand la porte se referma sur lui, il fulminait. Aucune femme ne
lui avait claqué la porte au nez. Si ce n'est dans des scènes de
colère ou de jalousie. Mais là, il n'en était rien. Il n'en revenait
pas...
Après être retourné dans sa voiture, il fonça dans la nuit, évitant
de justesse un camion.
Il ne se laisserait pas faire par cette impertinente !
13.
Il était plus que temps qu'il retourne à Paris, se dit Raoul en
regardant, par la fenêtre, la pluie qui n'avait cessé de tomber au
cours de la journée. Mais bien que la tentation de se jeter dans
sa voiture fût grande, il ne pouvait effacer de sa mémoire l'image
de Natasha et Georges, confortablement installés au Café des
sports à discuter.
Et s'ils faisaient plus que discuter ?
Cette idée le rendait fou. Qu'est-ce que cela pouvait lui faire,
qu'elle dîne avec son plus vieil ami ? Il essayait en vain de s'en
convaincre, conscient qu'il ne supporterait pas qu'elle fonde sous
ses caresses comme elle l'avait fait avec lui.
Il consulta sa montre. 17 heures. Dans un peu plus de deux
heures, Georges viendrait la chercher pour l'emmener à
Honfleur. On peut-être changerait-il de projet à cause du temps,
pour rester plus près de la maison. Encore pire : et s'il l'invitait à
dîner dans sa charmante petite ferme au toit de chaume ? On ne
pouvait imaginer plus romantique !
— Bon sang ! cria-t-il en frappant du point le parapet de pierre
sur lequel il s'appuyait.
sur lequel il s'appuyait.
Il ne pouvait pas rester là sans agir. Il n'allait pas la laisser lui filer
entre les doigts. Son attitude, jusque-là, avait été celle d'un
gentleman. Il n'avait pas profité de son état d'ébriété, l'autre nuit.
Dieu sait qu'il aurait pu ! Au lieu de quoi, il avait fait preuve de
respect et avait attendu le bon moment. Maintenant, c'était à son
tour de lui montrer un peu de respect ! De toute façon, qu'est-ce
qu'il lui prenait de dîner avec un autre homme ? Un homme qui,
même s'il était son ami, n'était autre que le descendant de celui
qui avait souillé la réputation de sa famille. Pas question qu'il
attende les bras croisés ! En trombe, il descendit l'escalier de
pierre et traversa le couloir.
S'emparant de sa veste dans l'entrée, Raoul claqua la lourde
porte de bois derrière lui et fonça sous la pluie vers sa Range
Rover. Plus le moment de réfléchir... L'heure était à l'action.
Il devait lui montrer ce dont il était capable !
14.
14.
*
**
En entendant les roues sur le gravier, elle sut tout de suite que
c'était Raoul.
Quand Henri l'introduisit dans le petit salon, elle se redressa et se
mit sur ses gardes.
— Natasha, où étiez-vous passée ?
— Quelle importance, Raoul ? demanda-t-elle, décidée à garder
son calme.
— En effet, concéda-t-il, soulagé de la voir de retour, saine et
sauve. Ce qui compte, c'est que vous soyez là.
— Raoul, je ne suis pas rentrée pour vous. Je suis rentrée parce
que c'est ma maison.
Il s'approcha d'elle.
— Natasha, j'ai agi en idiot. Mon amour, je suis venu vous
l'avouer. Je voyais les choses de travers... Je ne sais pas si vous
voudrez encore de moi après la façon dont je me suis conduit.
Avant que vous preniez une décision, il faut que vous sachiez une
chose, dit-il avant de lui prendre la main.
— Oui ? murmura-t-elle, hypnotisée.
— Je t'aime. Plus que tout au monde. Je n'ai jamais pensé que je
pourrais aimer à ce point. Mais toi, mon amour, tu m'as appris à
aimer. Si tu acceptes de m'épouser, je te promets le bonheur, la
fidélité pour le reste de notre vie.
Natasha sentait sa main trembler dans celle de Raoul.
— Raoul? Je...
— Dis-moi que tu m'aimes aussi, supplia-t-il. Dis-moi que ce
que nous avons partagé était unique, sans équivalent... Et que tu
ne le ressentiras jamais dans les bras d'un autre.
— Oh Raoul, mon chéri ! Tu ne changeras jamais ! plaisanta-t-
elle.
— Mais si, j'ai changé. Je ne peux pas t'assurer que je serai le
mari idéal, mais je ferai tout pour te rendre heureuse.
Riant de plaisir, Natasha se jeta dans ses bras, et Raoul
l'embrassa avec fougue.
— J'allais oublier, dit-il en reculant d'un pas et en sortant une
petite boîte de sa poche. Avec cette bague, je veux faire de toi
ma femme.
— Elle est merveilleuse ! déclara Natasha, émue.
— C'est la bague que Régis a commandée à Paris avant la
Révolution. Elle t'attendait depuis tout ce temps...
Elle ne trouvait rien d'autre à dire, rien d'autre à faire que de
poser sa tête sur l'épaule de son amant.