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Héritière du passé

Cet ouvrage a été publié en langue anglaise


sous le titre :
AT THE FRENCH BARON'S BIDDING

Traduction française de
ANATH RIVELINE

HARLEQUIN©
est une marque déposée du Groupe Harlequin et Azur© est une
marque déposée d'Harlequin S.A.

Toute représentation ou reproduction, par quelque procédé


que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par
les articles 425 et suivants du Code pénal.

© 2005, Fiona Hood-Stewart. © 2007, Traduction française :


Harlequin S.A.
83-85, boulevard Vincent-Auriol, 75013 PARIS - Tél. : 01 42
16 63 63
Service Lectrices - Tél. : 01 45 82 47 47
ISBN 978-2-2808-3325-7 - ISSN 0993-4448
Résumé

Le jour même de son retour en Normandie, après des années


d'absence, Natasha a la douleur d'apprendre le décès de sa
grand-mère, comme si celle-ci avait attendu son retour pour
s'éteindre, enfin en paix... Mais à la tristesse s'ajoute vite la
surprise : en dépit de la brouille tenace qui l'opposait depuis des
années au père de Natasha, la vieille dame a fait de cette
dernière l'unique héritière de
sa fortune et du manoir familial des Saugure. Une nouvelle qui ne
semble guère réjouir Raoul d'Argentan, qui habite le château
voisin et qui soupçonne Natasha d'avoir habilement manœuvré
pour capter l'héritage. Sa méfiance semble nourrie par une
histoire venue du passé, un amour malheureux et tragique entre
histoire venue du passé, un amour malheureux et tragique entre
leurs ancêtres respectifs, et qui a alimenté, durant des décennies,
l'hostilité entre les d'Argentan et les Saugure. Très troublée par le
charme aristocratique et ténébreux de Raoul, Natasha rêve déjà
de briser les obstacles qui se dressent entre eux. Mais saura-t-
elle vaincre le passé et conquérir son cœur ?
1.

Bien sûr qu'elle voulait revenir en France ! Elle en avait vraiment


Bien sûr qu'elle voulait revenir en France ! Elle en avait vraiment
envie. Mais alors que la limousine franchissait les grilles du
majestueux manoir, vague vestige dans sa mémoire, Natasha de
Saugure se débattait avec un tourbillon d'émotions
contradictoires. Pourquoi n'avait-elle pas accepté plus tôt
l'invitation de sa grand-mère ?
Le passé pesait si lourd entre les deux femmes... Natasha
espérait juste qu'il n'était pas trop tard. Sa grand-mère lui avait
paru si faible au téléphone ! Mais il lui avait fallu quitter l'Afrique
et l'organisme humanitaire qui dépendait en partie d'elle. En un
temps record, elle y avait acquis d'importantes responsabilités, et
elle prenait sa mission à cœur. Partir, laisser tant de femmes et
d'enfants mourir tous les jours de faim lui avait beaucoup coûté.
Pourtant, quand la voiture s'arrêta sur les graviers de l'allée,
quand Natasha sortit et respira une grande bouffée d'air frais qui
sentait bon la lavande et le thym, elle sut qu'elle avait pris la
bonne décision.
— Nous sommes arrivés, mademoiselle, lança le chauffeur, qui
lui avait ouvert la portière.
— Merci.
Natasha lui rendit son sourire avant de jeter sa longue chevelure
blonde en arrière pour contempler les murs de pierre massifs du
vieux manoir. Quatre tours rondes dominaient les quatre coins de
la bâtisse, des tuiles en acier recouvraient le toit et le lierre
grimpait jusqu'au sommet. En se dirigeant vers la porte d'entrée
de bois encadrée de magnifiques arbustes dans des pots en
pierre, Natasha sentit sa gorge se serrer. Cela faisait bien
longtemps qu'elle n'avait pas revu sa grand-mère, depuis cette
dernière dispute où elle avait entendu la vieille dame reprocher
une fois de plus à son père son mariage avec une fille du peuple.
La porte s'ouvrit dans un grincement sourd et un homme à la
barbe grisonnante vêtu d'un uniforme vint l'accueillir.
— Bienvenue, mademoiselle, dit-il dans un sourire. Madame
sera si contente de vous voir !
— Bonjour, Henri, répondit Natasha, se souvenant du prénom
qu'utilisait sa mère pour parler du majordome.
Elle fit un pas dans l'immense entrée et scruta les lieux, fascinée
par toutes ces portes qui menaient vers les pièces et les secrets
du manoir. Petit à petit, des images oubliées, des sensations
enfouies se bousculaient dans sa mémoire.
Mais une question la taraudait par-dessus tout : pourquoi, après
tant d'années de silence, sa grand-mère avait-elle réclamé sa
présence ? Dans la lettre qu'elle avait reçue, aucune raison n'était
mentionnée, et le ton ferme et impératif que la vieille dame avait
utilisé au téléphone prouvait qu'elle ne s'était pas le moins du
monde adoucie.
En tout cas, elle avait insisté...
Natasha avait longtemps hésité. Mais au fond d'elle, elle savait
qu'elle ne pouvait que céder. Après tout, maintenant que ses
parents étaient morts, elle restait la seule famille de la comtesse
de Saugure.
Après les salutations chaleureuses d'Henri, teintées d'une pointe
d'émotion, Natasha se laissa guider par lui dans l'escalier de
pierre, surprise par la vivacité de ses souvenirs. Plus de vingt ans
s'étaient écoulés depuis son denier séjour en Normandie, mais
tout lui paraissait étrangement familier : les odeurs, les lumières
qui se déversaient des hautes fenêtres et venaient baigner les
murs ternes, l'écho de ses pas qui résonnaient sur les marches...
Et cette sensation qu'elle n'aurait su définir...
— Madame vous attend à l'étage, au petit salon, dit Henri d'une
voix grave.
— Alors, je ferais sans doute mieux d'aller la voir tout de suite,
répondit Natasha, le sourire aux lèvres.
Tout ce protocole amusait Natasha, qui trouvait la situation un
rien solennelle et archaïque.
Avec une révérence, Henri la conduisit vers la vieille dame.
Natasha remarqua qu'il lui était manifestement pénible de monter
les marches. Si elle n'avait pas craint de le vexer en mettant un
terme à tout ce cérémonial, elle lui aurait volontiers suggéré de lui
indiquer simplement le chemin vers le petit salon. Henri, qui
travaillait ici depuis toujours, n'aurait pas apprécié qu'on touche
au strict protocole qu'avait su imposer la vieille dame.
Ils s'arrêtèrent devant une porte blanche et or. Henri frappa
avant d'ouvrir délicatement.
— Elle vous attend, confirma-t-il à voix basse.
Natasha prit une grande respiration. Tout d'un coup, cela
semblait bien moins simple que lorsqu'elle avait pris sa décision à
Khartoum. De nature, Natasha était plutôt compatissante, mais
la façon dont sa grand-mère avait rayé son propre fils de sa vie
ne la lui rendait pas particulièrement sympathique.
Natasha prit enfin son courage à deux mains : il était trop tard
pour faire machine arrière. Henri se tenait toujours à la porte
dans l'immense pièce au plafond haut. Natasha prit un moment
pour s'habituer à la pénombre, avant d'apercevoir sous la fenêtre
une dame aux cheveux blancs, assise dans un fauteuil, les jambes
couvertes d'un plaid de soie.
— Ah, mon enfant... Tu es enfin arrivée.
La voix n'était plus qu'un léger souffle, à peine articulé. Malgré le
désir de Natasha de garder ses distances, elle ne put s'empêcher
d'être émue par la fragilité de la vieille dame. A la place de cette
grand-mère froide et cruelle qui les avait rejetés, elle trouvait une
femme impuissante qui avait besoin de compassion.
— Oui, grand-mère, je suis là, acquiesça-t-elle en s'approchant
rapidement.
— Enfin, répéta la vieille dame en dévisageant Natasha de ses
beaux yeux clairs. Viens ici, mon enfant, assieds-toi près de moi.
Je t'attends depuis si longtemps !
— Je sais. Je ne pouvais pas me libérer plus tôt Nous affrontons
une grave crise, expliqua Natasha en prenant place sur une
chaise cannée. .
— Ça n'a pas d'importance. L'essentiel, c'est que tu sois là.
Henri, lança-t-elle sur le ton autoritaire dont Natasha se
souvenait. Le thé, je vous prie.
— Tout de suite, madame.
Avec une nouvelle révérence, Henri prit congé, refermant la
porte derrière lui.
— Vous êtes sûre qu'il pourra y arriver ? demanda Natasha en
jetant un œil dans sa direction.
— Comment cela ? Bien sûr qu'Henri peut y arriver ! affirma sa
grand-mère en se redressant sur ses coussins. Il y arrivait déjà
avant la guerre, quand il est venu travailler à mon service comme
aide de cuisine. Assez parlé de cela ! conclut-elle en agitant une
main délicate. Parle-moi de toi, mon enfant. Cela fait si
longtemps, bien trop longtemps. Tout est ma faute, je le sais.
Mais il est trop tard pour les regrets !
Elle s'arrêta pour déchiffrer de ses yeux perçants le visage de
Natasha. Bien que physiquement amoindrie, elle ne laissait
paraître aucun signe de faiblesse. A l'évidence, elle n'avait rien
perdu de ses facultés.
— Il n'y a pas tellement de choses à raconter... Après le lycée,
je suis entrée à l'université. Mais quand mes parents sont morts
dans cet accident de la route, je voulais tout oublier et m'enfuir le
plus loin possible, alors j'ai arrêté mes études. Et j'ai eu
l'opportunité de partir pour l'Afrique. J'ai sauté sur l'occasion...
— Et tu es contente de ce travail ?
— Oh très ! C'est épuisant, physiquement et émotionnellement,
mais aussi tellement gratifiant !
— Tu es bonne et généreuse, contrairement à moi, déclara la
vieille dame dans un rire sans joie. Je me suis toujours beaucoup
plus préoccupée de mon bien-être que de celui des autres. Je
paye désormais le prix de mon égoïsme...
Laissant échapper un faible soupir, elle ferma les yeux.
Natasha hésitait à aller vers elle. Après toute la tristesse qu'elle
avait causée à son père, de quel droit pouvait-elle tout balayer
d'un revers de la main, et oublier l'affront ? Pourtant, le passé ne
devait pas venir gâcher l'avenir.
— Grand-mère, nous faisons tous des erreurs dans la vie...
— Oh oui ! Te serait-il possible de me pardonner pour toute la
peine que je vous ai causée ? Je regrette tant de ne pas m'être
montrée plus souple. Comment ai-je pu rejeter ainsi mon cher
Hubert ?
Natasha perçut l'étincelle d'espoir dans le regard de sa grand-
mère.
— Bien sûr, grand-mère. Il faut laisser le passé derrière nous.
Le visage de la vieille dame s'éclaira d'un petit sourire.
— J'ai bien fait de te demander de venir. Très bien fait,
murmura-t-elle en posant la main sur les genoux de sa petite-fille.
Les deux femmes restèrent ainsi quelques minutes, dans le
silence le plus complet. Un lien nouveau se tissait entre elles.
La magie fut soudain interrompue par Henri qui arrivait pour leur
servir le thé. Natasha se leva pour lui ouvrir la porte.
servir le thé. Natasha se leva pour lui ouvrir la porte.
Une heure plus tard, après une longue discussion, Natasha
remarqua que sa grand-mère était maintenant fatiguée.
— Je vous laisse vous reposer, je vais m'occuper de mes valises.
— Oui, mon enfant, fais donc. C'est une bonne idée.
Malheureusement, je ne pourrai pas me joindre à toi pour le
dîner, mais Henri veillera sur tout. Tu viendras me dire bonne
nuit.
— Très bien, acquiesça Natasha en déposant un petit baiser sur
la joue de sa grand-mère. Je viendrai tout à l'heure.
— Oui, mon enfant. Je t'attends.

Après avoir vidé sa valise et rangé ses vêtements dans l'armoire


de l'élégante petite chambre bleue où elle allait dormir, Natasha
passa un moment à contempler la campagne par la fenêtre. Au
loin, elle distinguait un château médiéval, ses remparts dressés
dans le ciel. Elle arrivait même à apercevoir sur une tour un
fanion qui dansait dans le vent. Le château de Guillaume le
Conquérant, songea-t-elle. Peut-être irait-elle le visiter.
On était à la fin du printemps. Des fleurs resplendissantes, juste
écloses et pleines de vie, dessinaient un tapis multicolore qui
encadrait une fontaine en pierre. Des roses et des lupins
égayaient de leur fraîcheur le gazon soyeux. Tout chantait la
douceur et la paix ; on aurait dit une île perdue dans le temps.
Natasha consulta sa montre et décida qu'elle avait un peu de
temps pour profiter de la nature avant le dîner.
Elle enfila une paire de tennis et dévala l'escalier. Il n'y avait
personne en bas. Elle sortit et commença à marcher la tête levée
vers les nuages, savourant le léger vent dans ses cheveux.
Elle dépassa vite le jardin du manoir et s'engagea dans un vaste
champ, ravie de se dégourdir un peu les jambes. Soudain, un
bruit de sabots l'arrêta net. Elle se retourna aussitôt et fit face à
un cheval nerveux, monté par un homme vêtu d'un jean, d'une
chemise blanche et de bottes en cuir. L'inconnu la toisait sans
bouger. Il n'avait pas l'air enchanté de la rencontrer.
— Qui êtes-vous ? lança-t-il sur un ton agressif et autoritaire.
— En quoi cela vous regarde-t-il ? répondit Natasha, choquée
par l'attitude de l'homme.
— En cela que je suis le propriétaire de ces terres !
— Dans ce cas, veuillez m'excuser. Je n'avais pas l'intention de
m'introduire chez vous, répondit-elle, prête à se défendre.
— Très bien. Veillez à ce que cela ne se reproduise plus.
Sans ajouter un mot, il ordonna à son cheval de se tourner et
repartit au galop. Natasha bouillonnait de rage.
Quel toupet ! Elle n'avait jamais rencontré d'homme aussi
grossier.
Il était déjà tard, et de peur de franchir les terres de quelqu'un
d'autre, elle préféra faire demi-tour vers le manoir. En
approchant, elle prit un moment pour admirer l'édifice, plongé
désormais dans la lumière rouge du soleil couchant. Natasha se
délectait de cette vision, bien décidée à effacer l'image de cet
horrible individu sur son cheval noir. Pourtant, en gravissant les
marches vers sa chambre, elle ne pouvait s'empêcher d'y
repenser.
A bien y réfléchir, s'il n'avait pas pris un air si belliqueux, il aurait
même pu lui paraître beau, avec ses traits marqués et sa mèche
brune qui taquinait son front aristocratique. Même si elle s'en
moquait, elle demanderait tout de même à sa grand-mère de qui
il s'agissait.
A 8 heures précises, Natasha, parée d'une robe bleu nuit de
soie, qui plairait sans doute à sa grand-mère, suivit Henri dans
l'escalier. A l'idée de dîner seule à une table assez grande pour
accueillir seize convives, elle laissa échapper un profond soupir,
mais se tut. Les choses devaient se dérouler ainsi. Elle avait
suffisamment entendu son père le répéter quand il racontait son
suffisamment entendu son père le répéter quand il racontait son
enfance. Il ne servait à rien de demander un plateau dans sa
chambre, elle le savait bien.
Après le repas, elle se leva, soulagée d'en avoir terminé. Elle
partit vers la chambre à coucher de sa grand-mère. Elle voulait
lui souhaiter bonne nuit à une heure raisonnable. Après quoi elle
regagnerait sa chambra, pour prendre un bain dans l'immense,
baignoire en faïence.
Elle frappa à la porte mais n'entendit pas de réponse. Elle poussa
timidement la porte. La vieille dame était dans son lit, Natasha
hésita à aller la voir. Mais quelque chose l'intrigua et elle
s'approcha. La comtesse de Saugure gisait tranquille, une
expression paisible sur son visage. Natasha se pencha vers elle
pour sentir sa respiration.
Elle ne respirait plus...
Tremblante, Natasha essaya de la réveiller.
— Grand-mère, murmura-t-elle doucement en lui caressant
l'épaule. S'il vous plaît, réveillez-vous !
Mais elle ne reçut aucune réponse. Horrifiée, elle se redressa et
prit un instant pour accepter la réalité.
Sa grand-mère était morte...
2.

La petite chapelle normande était remplie de personnes plus ou


moins proches, de la région et des quatre coins du monde. Les
domestiques de la comtesse avaient encadré le fourgon
mortuaire alors qu'il s'était engagé dans la campagne. Natasha
avait suivi dans la vieille Rolls, conduite par Henri.
Maintenant, seule sur le banc au premier rang, habillée de noir,
attentive au discours du prêtre, Natasha se sentait à la fois émue
et perdue. Elle ne connaissait personne, honnis Henri et sa
femme Mathilde, qui se tenaient sur les bancs derrière elle. Son
état était en partie dû à son passage chez le notaire local qui lui
état était en partie dû à son passage chez le notaire local qui lui
avait lu les dernières volontés de sa grand-mère. A sa grande
surprise, elle avait appris qu'elle était la seule héritière de la vieille
dame. Tout lui revenait : non seulement le château en
Normandie, mais aussi le somptueux appartement du seizième
arrondissement, à Paris, et la villa sur la Côte d'Azur.
Natasha réunit ses forces et se prépara à suivre le cercueil le
long de l'allée quand elle aperçut, sur les bancs d'en face, le
cavalier qu'elle avait rencontré dans le champ. Il lui sembla bien
différent dans son costume noir, ses cheveux parfaitement
peignés. Leurs regards se croisèrent. Natasha se demandait qui il
pouvait bien être.
Doucement, elle suivit le cortège vers le cimetière où sa grand-
mère allait reposer à jamais, entourée de centaines de stèles,
avec pour plusieurs le nom de Saugure. Alors que le cercueil
s'enfonçait dans la terre et que le prêtre prononça sa prière,
Natasha fut replongée quelques années plus tôt, lors de
l'enterrement de ses parents. Une lourde vague de tristesse et de
solitude s'empara d'elle.
A présent, elle n'avait plus personne. Même pas cette
mystérieuse grand-mère qu'elle avait tant espéré apprendre à
connaître. Elle ne pouvait plus compter que sur elle-même...

Raoul d'Argentan se tenait à quelques pas des proches de la


Raoul d'Argentan se tenait à quelques pas des proches de la
défunte, les yeux rivés sur la jeune femme à côté de la tombe.
Qui était donc cette parente venue de nulle part, le jour précis de
la mort de la comtesse ? Il savait, bien sûr, que Marie-Louise de
Saugure ne voyait plus son fils depuis des années. Cette
inconnue devait être sa fille. Mais quelle coïncidence qu'elle
apparaisse juste pour voir mourir sa grand-mère ! Tout cela ne le
regardait pas, quoi qu'il en soit. Les Saugure et les Argentan
étaient voisins et se connaissaient de longue date. Leur histoire
commune n'avait pas toujours été des plus calmes. Les cicatrices
du passé resurgissaient encore dans certaines circonstances...
Mais Raoul d'Argentan avait d'autres affaires plus importantes à
traiter : sa société de vente aux enchères, à Paris, et sa propriété
en Normandie.
En regagnant sa voiture, Raoul se dit qu'il serait plus courtois de
présenter ses condoléances avant de partir le lendemain pour
Paris. C'était le genre de politesse qu'on ne pouvait pas laisser
passer entre voisins. Pourtant, comme la jeune fille connaissait à
peine la défunte, qui lui avait d'ailleurs laissé toute sa fortune, ce
geste lui paraissait un peu inutile.
Sur la route, Raoul jeta un rapide coup d'œil dans son
rétroviseur. Tout le monde était en train de prendre congé. Il prit
un moment pour observer une nouvelle fois cette mystérieuse
inconnue. Quoi qu'il en soit, elle était indéniablement ravissante.
Il se reprit vite. Pas question de se sentir attiré par une Saugure !
Il se reprit vite. Pas question de se sentir attiré par une Saugure !
Il appuya sur l'accélérateur, pressé d'arriver enfin à sa propriété
et décidé de rayer de sa tête l'image de Mlle de Saugure et ses
beaux yeux vert translucide. Pour se convaincre du peu d'intérêt
qu'elle représentait, il se rappela la façon simple et vulgaire dont
elle s'habillait. Cette fille manquait cruellement de classe. Arrivé
aux grilles de sa propriété, il se força à se concentrer sur le
travail qui l'attendait et surtout ce coup de téléphone qu'il devait
passer à New York.

— Mademoiselle ?
— Oui, Henri ?
Natasha leva la tête du bureau sur lequel elle remplissait des
papiers pour sa grand-mère.
— Le baron d'Argentan est venu vous présenter ses
condoléances.
— Très bien, lança-t-elle dans un soupir.
En se levant, elle lissa sa petite robe noire, et songea qu'elle ferait
bien de faire un saut à Deauville pour trouver des vêtements
décents. Ce n'était pas le premier visiteur qui venait la voir et
assouvir sa curiosité. Il fallait qu'elle s'habille en conséquence
pour les accueillir, et qu'elle se dépêche de s'habituer à son
nouveau rôle d'hôtesse. Elle suivit donc Henri dans la salle à
manger où le majordome avait coutume d'installer les invités.
Mais en apercevant la silhouette de l'homme à contre-jour, elle
faillit pousser un cri de surprise.
— Je suis venu vous présenter mes condoléances, annonça-t-il
de sa voix grave et profonde de baryton, avant de s'avancer et
de poser un délicat baiser sur la main de Natasha.
— Merci, murmura-t-elle, sentant son cœur s'emballer.
C'était comme si le contact de ses lèvres avait déclenché une
décharge électrique le long de sa colonne vertébrale.
— Asseyez-vous, je vous en prie, parvint-elle à articuler en lui
montrant la chaise Louis XV en face de lui.
— Merci, dit-il en attendant qu'elle prenne place elle-même.
Natasha eut un instant de répit quand Henri fit irruption dans la
pièce avec une bouteille de Champagne.
— Je n'ai jamais eu le plaisir de vous rencontrer jusque-là,
remarqua le baron. Je ne savais pas que la comtesse avait une
petite-fille, ajouta-t-il en fronçant les sourcils comme s'il remettait
en cause son identité. Je ne me souviens pas vous avoir déjà vue.
— C'est parce que je ne suis pas revenue ici depuis des années,
— C'est parce que je ne suis pas revenue ici depuis des années,
expliqua Natasha, sentant le rouge lui monter aux joues.
— Ah, je comprends...
Natasha s'en voulut. Pourquoi laissait-elle cet inconnu la rendre
si mal à l'aise ? Après tout, elle était chez elle, ici !
Ils prirent la coupe de champagne qu'Henri leur tendit et le baron
leva la sienne.
— A une merveilleuse comtesse qui va beaucoup manquer à
toute la région. N'est-ce pas, Henri ?
— Oh oui, monsieur le baron. Pas de doute là-dessus, répondit
Henri en hochant tristement la tête. Mais nous avons le bonheur
d'accueillir mademoiselle !
— Il est vrai. Et quelle surprise pour nous tous ! s'exclama le
baron sans quitter Natasha du regard.
— Une bonne surprise, j'espère, lança-t-elle, au bord de la
colère.
— Certainement pas mauvaise, répliqua le baron. Je dirais même
excellente ! Vous apporterez un souffle nouveau. Enfin, si vous
avez l'intention de rester... !
— Il est trop tôt pour que je prenne une décision, répondit-elle
d'un ton cassant, espérant que cela lui ôterait l'envie de poser
plus de questions.
Elle ne supportait pas qu'il la défie ainsi. Elle disait d'ailleurs la
vérité : elle n'avait pas encore décidé ce qu'elle ferait de
l'héritage. Il'un côté, elle avait envie de repartir pour l'Afrique,
surtout parce qu'elle savait à quoi s'attendre là-bas. Mais d'un
autre côté, elle avait du mal à résister à un nouveau sentiment qui
naissait en elle, un sentiment de loyauté envers sa famille et le lien
qui l'unissait à ses ancêtres. La lettre de sa grand-mère avait
bouleversé ses priorités. Tu es la dernière de la lignée des
Saugure... Elle n'en revenait toujours pas que la vieille dame lui
eût confié toutes ces responsabilités.
Le baron resta encore quelques minutes à faire la conversation,
puis il se leva pour prendre congé.
— Si vous avez besoin de la moindre chose, Henri connaît mon
numéro de téléphone. Comme vous l'avez déjà sans doute
deviné, je suis votre voisin, lança-t-il avec une lueur de malice
dans les yeux.
— Vous me l'avez très bien fait comprendre l'autre jour,
rétorqua-t-elle aussi sèchement que possible, mais sans pouvoir
réfréner un petit sourire.
— Je suis désolé de la façon dont je vous ai parlé ce jour-là.
C'était grossier, et je le regrette. J'espère que, pour m'excuser,
C'était grossier, et je le regrette. J'espère que, pour m'excuser,
vous accepterez de dîner avec moi un soir. Je pourrais aussi
vous faire visiter la région, conclut-il en lui reprenant la main et en
la gardant contre ses lèvres plus longtemps qu'il n'était
nécessaire.
— Avec plaisir, répondit Natasha, en proie au même trouble que
la première fois.
— Parfait. Je vous attends donc demain.
— Je... je n'ai pas encore fait le point de mes engagements
demain, déclara-t-elle, affolée.
— Vous voulez dire que votre agenda est déjà plein ?
— Non, ce n'est pas ce que...
— Dans ce cas, je vous attends à 20 heures. Henri vous
conduira.
Sans attendre sa réaction, il tourna les talons et quitta la pièce.
Natasha restait sans voix. Elle se dirigea vers la fenêtre pour le
voir s'éloigner. Il ne manquait pas de toupet ! Et quelle autorité !
Pourquoi n'avait-elle pas refusé ? Elle était maintenant
encombrée d'une invitation dont elle se serait volontiers passée...
L'idée qu'elle avait besoin d'une nouvelle garde-robe l'affola
soudain. Ce n'était tout de même pas pour ce grossier
personnage qu'elle avait l'intention de s'habiller... Cependant,
pour une raison qu'elle ignorait, elle voulait se montrer sous son
meilleur jour. Sans doute à cause de son nouveau rang. Après
tout, elle ne devait pas entacher la réputation de sa famille !

Qu'est-ce qui lui avait pris d'inviter à dîner cette ridicule petite
Anglaise, alors qu'il comptait partir pour Paris au plus vite ?
Raoul n'arrivait pas à se le pardonner, au moment de quitter les
terres des Saugure. Quelle idée de retarder son séjour ! Surtout
pour une jeune fille aussi dépourvue de style que cette nouvelle
voisine. Les cheveux de cette femme n'avaient pas vu de coiffeur
depuis un moment, sans parler de ses fripes !
Sans doute tout cela s'expliquait-il par son appréhension à la
perspective de retrouver Clotilde et ses fameuses crises de
jalousie.
Garant sa voiture, il jeta un œil à son téléphone portable. Comme
il s'y était attendu, l'icône des messages clignotait furieusement, à
côté de celle des appels en absence. Elle l'excédait ! Il était
temps qu'il mette un terme à cette relation une fois pour toutes.
Apparemment, s'éloigner de Paris plus longtemps n'arrangeait
rien... Raoul coupa le moteur en soupirant. Comme la plupart
des hommes, il détestait affronter ce genre de situa-lions
critiques. Surtout qu'il pouvait déjà imaginer l'hystérique Clotilde
dans tous ses états. Pourquoi diable avait-il eu besoin de la
dans tous ses états. Pourquoi diable avait-il eu besoin de la
fréquenter ?
Sortant de sa voiture dans la fraîcheur de la matinée, il regarda
son garçon d'écurie mener deux de ses chevaux préférés dans le
manège pavé. Il s'arrêta devant le puits et jeta un caillou dedans.
Autant le reconnaître : s'il succombait aux charmes de femmes
comme Clotilde, c'était bien parce qu'il trouvait plus facile de
séduire des top models que de s'engager dans une relation plus
sérieuse. A trente-six ans, il était un célibataire endurci, content
de l'être, au grand désarroi de nombre de candidates
potentielles...
Les femmes ! Toujours intéressées et ambitieuses, comme il
l'avait découvert plus jeune à ses dépens. Il ne céderait pas une
fois de plus ; il ne prendrait plus le risque de tomber amoureux.
Et si cette Natasha n'était qu'une autre de ces calculatrices
cupides ? songea-t-il en se dirigeant vers son château, qui
appartenait à la famille depuis des siècles. Il ne pouvait s'agir
d'une simple coïncidence : son arrivée et le décès de la
comtesse... Il espérait simplement qu'elle n'était pas la cause du
décès.
En entrant dans sa demeure majestueuse, Raoul chassa de son
esprit cette pensée. Il connaissait bien Marie-Louise de Saugure.
Personne ne pouvait l'effrayer. Mais il avait un mauvais
sentiment, comme chaque fois qu'il pensait aux Saugure. Sans
doute était-ce ce qui l'avait poussé à l'inviter : il souhaitait
doute était-ce ce qui l'avait poussé à l'inviter : il souhaitait
élucider le mystère qui l'entourait. Il valait mieux qu'il garde l'œil
sur elle, le passé lui ayant appris à se méfier des femmes de cette
famille.

3.
Natasha tourna la tête pour s'admirer sous un nouvel angle dans
le miroir. Cela faisait des années qu'elle ne s'était plus souciée de
son apparence. Les quelques années passées en Afrique avec
deux jeans et une série de T-shirts blancs ne l'avaient pas aidée à
améliorer son goût pour l'habillement. Pourtant, cet après-midi,
elle avait passé des heures à Deauville, à écouter les conseils de
la charmante vendeuse qui avait su lui trouver de véritables
petites merveilles. Elle avait parfaitement su ce qui lui allait et ce
qu'elle devait mettre de côté : « Le beige ne sied pas au teint de
mademoiselle ».
En admirant son reflet, elle reconnaissait volontiers les talents de
cette vendeuse. Tout ce qu'elle avait sélectionné — depuis le
petit tailleur Chanel rose jusqu'aux pantalons de soie, sans parler
de la robe bleu clair qu'elle portait à présent — possédait une
élégance et une classe qui faisaient oublier de façon spectaculaire
la jeune fille descendue de l'avion quelques jours plus tôt. En un
clin d'œil, elle s'était transformée en femme du grand monde sous
la baguette magique de Martine. Suivant ses conseils, Natasha
s'était même rendue chez le meilleur coiffeur de la ville, qui avait
également fait des miracles. L'image que lui renvoyait son miroir,
bien qu'étincelante, était difficile à accepter et à concilier avec
celle qu'elle pensait être intimement.
Après tout, elle pourrait s'y habituer... Et surtout, elle n'avait pas
eu l'intention de se rendre au château de Raoul d'Argentan
habillée comme un chat de gouttière ! En se maquillant dans la
Nulle de bains, elle se demanda de nouveau ce qui l'avait poussé
ft l'inviter... Sans doute la curiosité. Tout le monde cherchait à nu
voir qui elle était, même si maître Dubois, le notaire, avait déjà
dû se charger de dresser son portrait. Dans une petite
communauté comme celle-ci, l'intrusion d'une parfaite inconnue,
devenue châtelaine du jour au lendemain, n'allait pas sans faire
de vagues..
Elle ne savait même pas ce qu'elle ferait de ce nouveau titre.
Etait-elle vraiment prête à tout bouleverser dans sa vie pour venir
vivre en Normandie, loin du monde qu'elle connaissait, pour
recueillir les fruits d'un héritage dont elle avait été privée toute sa
vie ?
Jetant un œil à la pendule du salon, Natasha se dit que ce n'était
pas le moment pour ce genre de questionnement. Elle planifierait
sa vie plus tard. Pour l'instant, elle devait aller rejoindre Henri qui
l'attendait en bas dans la voiture pour la conduire chez le baron.
Après un dernier regard dans le miroir, elle s'empara d'un petit
sac à main assorti à sa robe et glissa ses pieds dans ses
nouveaux escarpins à talons incroyablement confortables. Elle fit
quelques pas hésitants... Pas mal, quand on pense qu'elle n'avait
plus chaussé que des sandales et des tennis au cours de ces trois
plus chaussé que des sandales et des tennis au cours de ces trois
dernières années !
Priant pour qu'elle s'en tire sans trop de ridicule, Natasha
entreprit de descendre l'escalier et fut ravie de voir Henri dans
l'entrée.

Alors que la voiture s'approchait de la demeure de Raoul


d'Argentan, Natasha peinait pour se calmer. Les terres du baron
la laissaient sans voix. Le manoir de sa grand-mère était déjà
d'une grande beauté, mais il paraissait bien terne à côté de cet
endroit. Le château avait la majesté des tourelles du douzième
siècle, construit en pierres lourdes et robustes. Il resplendissait
de puissance et de force. En était-il de même pour son
propriétaire actuel ?
— Impressionnant, n'est-ce pas ? fit remarquer Henri.
— En effet. Il doit avoir des siècles !
— La famille d'Argentan vivait ici avant même que Guillaume le
Conquérant ne parte vers l'Angleterre. Le baron descend d'une
longue lignée de guerriers qui ont combattu dans nombre de
guerres. Ils se sont fait beaucoup d'amis et aussi pas mal
d'ennemis. Le premier baron s'appelait également Raoul.
Il traversa lentement le pont levis qui craqua sous le poids de la
Il traversa lentement le pont levis qui craqua sous le poids de la
voiture.
— Des ennemis ?
— Oui, on raconte beaucoup d'histoires sur les ancêtres du
baron, et particulièrement sur Régis d'Argentan.
— Vraiment ?
— Oui. Mais il vaut mieux ne pas revenir dessus. Il faut laisser le
passé derrière nous et nous concentrer sur l'avenir. Nous voici
arrivés, mademoiselle.
Il arrêta la voiture dans la cour et se dépêcha de sortir pour aller
ouvrir la portière et éviter de répondre à d'autres questions.
Quelques minutes plus tard, Natasha se laissait guider par un
domestique en haut d'un escalier de pierre éclairé par des
torches. Avait-il sorti le grand jeu pour elle, ou faisait-il des
économies d'électricité ? L'endroit lui donnait le frisson et elle fut
assaillie par un étrange sentiment de déjà-vu. Mais elle ne se
laissa pas aller à ses impressions et s'avança de pied ferme le
long des murs décorés de tentures antiques.
Alors qu'elle se demandait combien de temps elle allait encore
avoir à marcher, Raoul se dressa devant elle comme sorti des
ténèbres.
— Bonsoir, salua-t-il en lui prenant la main pour la baiser.
Pardonnez-moi mon honnêteté, mais je vous reconnais à peine,
remarqua-t-il, une étincelle d'admiration dans les yeux.
— C'est un compliment ?
— C'en est un, en effet, confirma-t-il en l'invitant à s'engager
dans une immense salle aux murs de pierre.
De grandes chaises en velours rouge donnaient un cachet
solennel à l'endroit. Le feu crépitait dans la cheminée et
l'éclairage subtil des halogènes ultramodernes cachés par les
poutres apparentes au plafond rehaussait les tableaux et les
armures qui ornaient la salle.
— On se croirait dans un conte de fées, chez vous !
complimenta Natasha.
— Merci, mademoiselle... Mademoiselle, n'est-ce pas ?
— Oui, en effet, je ne suis pas mariée.
— Vous êtes contre ?
— Je n'y pense pas, c'est tout.
— Vraiment ? Comme c'est étrange ! Je croyais que toutes les
femmes n'avaient que cela en tête.
— Pas à vingt-trois ans, en tout cas.
— Détrompez-vous, je connais quelques jeunes filles pas plus
figées que vous qui ont des déjà des enfants.
— Ah oui ? s'étonna Natasha. Je pensais que les femmes se
mariaient bien plus tard de nos jours, et ne faisaient pas d'enfants
avant la trentaine.
— Ce sont là vos projets ? interrogea-t-il, un air de reproche sur
le visage.
— Je n'en sais rien, répondit-elle seulement, peu désireuse de
s'attarder sur le sujet.
— Alors, vous n'avez pas de petit fiancé en vue prêt à vous
conduire à l'autel ? insista-t-il.
— Quelle idée ? lança-t-elle dans un rire embarrassé.
Bon sang ! On aurait dit qu'il savait pour Paul et toute la honte
qu'il lui avait causée en la quittant une semaine avant le grand
jour. Elle n'avait que dix-neuf ans à l'époque, mais la douleur
n'en était pas moins vive.
— Très bien. Assez parlé de mariage ! trancha-t-il enfin. Et si
nous passions au champagne ?
— Volontiers !
Natasha se cala plus confortablement sur sa chaise et croisa les
jambes. Elle n'était pas encore habituée à sa nouvelle tenue et
encore moins au regard avide de Raoul sur elle. A cet instant elle
prit conscience de la peur qu'elle ressentait, depuis Paul, de
paraître belle et attirante. La crainte d'une nouvelle déception
l'avait totalement inhibée. Aujourd'hui, elle était plus âgée, plus
mûre, se dit-elle en s'emparant de la flûte avec un sourire.
Séduire ne signifiait plus se brûler ou s'engager.
Raoul, sur sa chaise en face d'elle, était incroyablement beau, ce
soir, dans son pantalon noir et sa veste bordeaux, son profil viril
illuminé par le feu de la cheminée.
— Ainsi, vous êtes Mlle de Saugure... Au risque de paraître trop
curieux, comptez-vous assumer le rôle d'héritière de Marie-
Louise ?
— Je n'en sais encore rien. Je n'ai pas eu beaucoup de temps
pour me décider. Je n'avais pas revu ma grand-mère depuis des
années. Elle et mon père se sont fâchés définitivement, expliqua-
t-elle, sans donner plus de détails.
— Je m'en souviens. La comtesse ne s'était pas faite à son
mariage avec votre mère. Regrettable... Elle a fini ses jours seule.
Mais cela se comprend...
— Vous trouvez ? s'indigna Natasha, qui était prête à défendre
sa mère à tout prix.
— Oui. Votre père aurait eu des problèmes quelle que soit la
femme qu'il aurait choisi d'épouser. A moins qu'elle ne fût
proposée par la comtesse elle-même. C'était une dame fort
autoritaire. Cela a d'ailleurs occasionné quelques tensions entre
nous, confia Raoul en noyant ses yeux dans le regard vert de
Natasha.
— Vous et grand-mère ? s'étonna Natasha.
— Eh oui ! Depuis que j'ai hérité de cette propriété de mes
parents, il y a quelques années de cela, la comtesse a pris à sa
charge la responsabilité de m'enseigner la gestion de mes biens.
Lorsque je ne suivais pas ses conseils à la lettre, je subissais ses
remontrances. Mais nous avons su dépasser tout cela et rester
bons amis. C'est incroyable que vous soyez arrivée juste au
moment de sa mort !
— Si vous pensez que c'était ma faute, je vous assure tout de
suite qu'il n'en est rien, affirma Natasha, irritée d'avoir à se
justifier.
— Bien sûr que non ! Elle vous attendait pour pouvoir partir en
paix. Cela faisait un moment qu'elle était souffrante. Vous avait-
elle parlé de son testament ?
— Non. Je l'ai découvert chez le notaire. Mais sans vouloir vous
offenser, tout ceci ne vous regarde pas...
— Pardon, je vous prie d'excuser ma curiosité. Vous
reconnaîtrez tout de même que les circonstances sont
inhabituelles...
— En effet. Et c'est pour cela que je n'ai pris encore aucune
décision pour l'avenir.
— Très sage de votre part, acquiesça-t-il, conscient qu'il l'avait
poussée un peu loin dans ses retranchements.
Après tout, cette petite Anglaise avait du répondant, sous ses
apparences frêles. Intéressant... Raoul ressentit un élan vers elle,
qu'il interpréta comme du désir. Mais il balaya vite cette idée,
conscient qu'une aventure torride entre eux ne serait pas idéale
pour tisser des relations de voisinage saines. Il se leva et lui
indiqua une porte du doigt.
— Et si nous passions à table, maintenant ? suggéra-t-il en la
prenant par le bras. J'espère que le menu sera à votre goût.
Il la conduisit dans la somptueuse salle, où deux domestiques se
tenaient derrière deux chaises.
— Tout est toujours aussi solennel ? ne put-elle s'empêcher de
demander. Je ne crois pas que je pourrais me faire à ce style de
vie au quotidien. Ça me rendrait folle !
— Vous préférez une vie plus simple ?
— Oh oui ! J'ai vécu en Afrique avec des réfugiés dans le désert
pendant ces trois dernières années. Cela m'a permis de
comprendre la vraie valeur des choses...
— J'imagine, ponctua Raoul, qui regardait la jeune fille avec de
plus en plus d'intérêt.
Ce n'était donc pas une stupide provinciale recluse dans sa
campagne, mais une aventurière. Il ne la percevait plus de la
même façon. Soudain, il vit comme pour la première fois la
finesse de ses traits, la perfection de sa silhouette. Comment son
corps répondrait-il à ses caresses ? se demanda-t-il, l'imaginant
nue dans son lit. Mais il chassa vite cette pensée embarrassante.
— Parlez-moi de l'Afrique, dit-il, sincèrement fasciné.
Le dîner se passa agréablement. Contente de parier d'un endroit
qu'elle connaissait bien, d'une culture qu'elle avait appris à aimer
et d'une crise humanitaire qui lui tenait tant à cœur, Natasha se
détendit et se permit d'être elle-même. Quand on leur servit le
café et les digestifs, il était déjà presque minuit.
— Mon Dieu ! Il se fait tard. Je ferais mieux de rentrer... au
manoir, je veux dire. Puis-je appeler un taxi ?
— Hors de question ! Je vous ramène.
— C'est très gentil de votre part, mais je ne voudrais pas
abuser...
— Comment une aussi ravissante jeune femme pourrait-elle
abuser ? C'est un plaisir, voyons, chère amie !
Natasha avait du mal à garder sa contenance. Cet homme la
faisait littéralement chavirer. Et elle avait si peu l'habitude des
compliments ! A sa grande gêne, elle se sentit de nouveau rougir.
Où était le mal à ce qu'il la reconduise ?
Une fois dehors, Raoul la conduisit vers sa Ferrari rouge et lui
ouvrit la portière. Il avait l'air amusé.
Pas étonnant : Natasha ne parvenait pas à retrouver une
contenance.
C'était nouveau pour Raoul. Il n'avait jamais connu ce genre de
réaction, auparavant. L'image de Clotilde jaillit dans son esprit.
Elle n'avait sûrement jamais rougi de sa vie. Demain, à Paris, il lui
dirait enfin adieu. Sa décision était prise, à présent, comme si
cette soirée avec Natasha lui en avait fait éprouver l'urgence.
Très vite, ils arrivèrent au manoir.
— Nos familles sont voisines depuis toujours, remarqua
— Nos familles sont voisines depuis toujours, remarqua
Natasha, alors que les pneus crépitaient sur le gravier.
— Cela fait six cents ans, en effet.
— Qui était Régis ? interrogea-t-elle en repensant à sa
conversation avec Henri.
Elle essaya de distinguer la réaction de Raoul dans la pénombre
de la voiture.
— Qui vous en a parlé ? demanda-t-il, sèchement.
— Oh, quelqu'un a mentionné son nom. Je ne me souviens plus
qui..., prétendit-elle, sentant que cette histoire n'était pas
anodine, mais bien décidée à en savoir plus.
— Régis était un personnage haut en couleur. Il y en a un dans
toutes les familles, je suppose. Une sorte de vilain petit canard.
Je vous en parlerai une autre fois. Cela prendrait trop de temps,
cette nuit, chère amie...
— Comme vous voudrez...
Natasha ne voulait pas laisser paraître son intérêt pour cette
histoire. Elle trouverait bien quelqu'un pour la lui raconter. Il lui
faudrait faire la connaissance des gens de la propriété et ceux de
la ville. Peut-être découvrirait-elle des éléments éclairants sur
l'histoire de cette famille.
l'histoire de cette famille.
Soudain, alors qu'elle ne s'y attendait pas du tout, Raoul l'attira à
lui en lui effleurant délicatement le menton et vint déposer sur ses
lèvres un doux baiser.
Elle aurait dû le repousser, émettre un son de protestation, mais
cela lui fut impossible. Avant qu'elle puisse retrouver ses esprits,
l'étreinte de Raoul était devenue plus pressante, plus fougueuse.
Il l'entoura de ses bras puissants et ne lui laissa aucun moyen de
résister. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était succomber, se
laisser aller aux sensations nouvelles que lui procurait cet élan de
passion. Son corps tremblait sous l'effet du plaisir exquis qu'elle
éprouvait. Lorsque, enfin, il se dégagea pour la regarder dans les
yeux, elle eut du mal à cacher son trouble.
— Je reviens à la fin de la semaine, murmura-t-il, la voix chargée
d'un désir évident. Nous reprendrons où nous nous sommes
arrêtés, ma belle. J'ai hâte !
— Nous n'en ferons rien, protesta Natasha. Je vous serai
reconnaissante de me laisser, maintenant. Je n'ai aucune envie,
aucun besoin de votre sollicitude. Gardez vos baisers pour votre
cour, je m'en passe volontiers !
Elle sortit de la voiture en trombe et, de rage, claqua la portière
derrière elle.
Bouleversée, elle atteignit avec difficulté la porte d'entrée. En
Bouleversée, elle atteignit avec difficulté la porte d'entrée. En
insérant dans la serrure la lourde clé que lui avait donnée Henri,
ses doigts tremblaient.
— Bon sang ! s'exclama-t-elle, furieuse.
— Puis-je ? proposa Raoul qui l'avait suivie.
— Partez, tout simplement. Laissez-moi tranquille !
— Mais si je ne vous aide pas, vous resterez dehors toute la
nuit. Soyez raisonnable, ma chère. Après tout, ce n'était qu'un
baiser...
Exaspérée, Natasha recula d'un pas et laissa Raoul se
débrouiller. En un tour rapide, la serrure céda et la porte fut
ouverte.
— Voilà, lança-t-il avec un sourire taquin qui la fit fondre. Bonne
nuit, charmante jeune femme. Faites de beaux rêves...
Sans attendre de réponse, il tourna les talons et, avant même que
Natasha s'en rende compte, il était remonté dans sa voiture et
fonçait vers son château.
Natasha ne parvint pas à trouver le sommeil. Elle n'avait pas
recouvré ses esprits. Pour se calmer, elle alla se promener et,
comme attirée par une voix inconnue, elle entra dans la grande
bibliothèque. Elle avait sans doute trop bu pendant ce dîner, et
l'alcool ne lui réussissait pas vraiment. En lisant un livre, elle
oublierait les péripéties de la soirée.
Mais en parcourant les titres sur les tranches, Natasha sentait
toujours la douceur des lèvres de Raoul sur les siennes,
l'excitation qui était montée en elle et qu'elle n'avait jamais
connue aussi intense, par le passé. Comment un homme qu'elle
connaissait à peine pouvait-il provoquer en elle un tel
bouleversement ? Cela venait sûrement du fait qu'elle n'avait plus
eu de petit ami depuis Paul, et même à cette époque, elle avait
toujours appréhendé de faire l'amour avec lui, comme si elle
prévoyait déjà le pire. Mais elle avait sauté le pas, et ça n'avait
pas été un succès du tout. Elle était effrayée, n'éprouvait aucun
désir, et s'était contentée de chercher une manière pas trop sotte
de se comporter... Jamais, pendant les deux ans où ils étaient
sortis ensemble, elle n'avait connu ce désir profond qu'elle avait
ressenti quand Raoul l'avait prise dans les bras.
— C'est ridicule ! laissa-t-elle échapper, à l'affût d'une lecture
qui pourrait lui changer les idées.
Ses yeux s'arrêtèrent sur un gros ouvrage à la couverture en cuir
: La famille d'Argentan. Après avoir extrait le livre de son
étagère, elle en souffla la poussière, signe qu'on ne l'avait pas lu
depuis longtemps. Elle alla s'installer dans un fauteuil pour le
consulter.
Se couvrant sous un plaid, elle commença à feuilleter les pages
Se couvrant sous un plaid, elle commença à feuilleter les pages
minutieusement. Sur les premières s'étalait un immense arbre
généalogique. Le nom de Régis attira son attention. 1768-1832.
Il avait vécu pendant la Révolution française. A sa grande
surprise, elle lut à côté un nom qu'elle connaissait bien : Natasha
de Saugure.
Ce nom n'était pas relié à Régis pour indiquer un lien conjugal,
mais écrit au-dessous, en caractères plus petits. Un frisson la
parcourut. Ainsi, on lui avait donné le nom d'une ancêtre...
Rapidement, elle chercha les dates de Natasha : 1775-1860.
Cette femme était morte bien vieille, pour son époque. Quelle
relation avait-elle eue avec Régis ? Aucun détail n'était
mentionné. Juste un nom. Il lui parut étrange qu'il soit ajouté au
nom d'un homme dont personne ne voulait parler.».
Après un moment, le sommeil commença à s'emparer d'elle.
Posant le livre sur une petite table en marbre, elle se leva, prête à
retourner dans sa chambre. Elle continuerait ses investigations le
lendemain.
En montant l'escalier, Natasha prit le temps d'étudier les tableaux
de chaque côté. Dans l'un d'eux, une ravissante jeune femme
dans une robe étroite au décolleté plongeant — comme c'était la
mode au dix-huitième siècle — la fixait de ses yeux verts.
Natasha retint sa respiration en lisant son nom gravé sur la petite
plaque en or sur le cadre. Elle avait bien deviné : il s'agissait de
Natasha de Saugure. Qui avait-elle épousé ? Avait-elle eu une
Natasha de Saugure. Qui avait-elle épousé ? Avait-elle eu une
vie heureuse ? Ses yeux semblaient déborder d'espoir. Mais une
mystérieuse mélancolie ternissait son sourire...
Natasha s'attarda sur le tableau encore une minute, avant de
rejoindre finalement sa chambre.
3.
Une semaine s'écoula. Natasha n'avait pris encore aucune
décision pour son avenir. A son grand agacement, elle éprouva
une pointe de déception à la fin de la semaine, voyant que Raoul
ne lui donnait pas signe de vie. Mais elle chassa vite ce
sentiment, se convainquant qu'elle devrait plutôt être soulagée. Il
s'était apparemment rangé à l'évidence qu'une liaison entre eux
serait bien mal venue, puisqu'ils risquaient d'être voisins pendant
encore quelques siècles !
Elle n'avait pas eu le temps de poursuivre ses recherches au sujet
de Régis et Natasha. Le lendemain de sa soirée avec Raoul,
maître Dubois l'avait submergée de paperasserie urgente, à
régler au plus vite.
— Vous devriez visiter votre appartement à Paris, lui avait-il
suggéré, toujours sur un ton très professionnel.
Elle s'était exécutée sur-le-champ, et se retrouvait maintenant
dans un train pour Paris.
A l'exception d'une amie, elle ne connaissait personne dans la
capitale. Malgré cela, Natasha était ravie de ce voyage. Elle allait
voir Paris et habiter dans son splendide appartement ! Cela
faisait bien des années qu'elle avait visité la ville avec ses parents,
et l'idée de redécouvrir des lieux aussi chargés d'histoire que le
Louvre et les Champs-Elysées l'enchantait. Et pourquoi pas faire
un tour avenue Montaigne, maintenant qu'elle avait appris le
bonheur de s'acheter des vêtements ?
Le train arriva enfin gara du Nord, et Natasha descendit, traînant
derrière elle sa petite valise à roulettes. Elle s'apprêtait à suivre
les voyageurs vers la sortie quand elle entendit quelqu'un appeler
son nom.
— Oh, mon Dieu ! s'exclama-t-elle en apercevant devant elle
Raoul, plus beau que jamais. Vous m'avez fait une peur...
— Excusez-moi, je n'en avais pas l'intention.
— Comment saviez-vous que j'étais ici ?
— J'ai téléphoné au manoir pour vous parier et Henri m'a dit que
vous étiez dans ce train. Alors, je suis venu vous chercher...
— Eh bien, c'est très gentil de vôtre part, répondit-elle,
cherchant à rester aussi froide que possible, malgré l'excitation
qui s'emparait d'elle. Mais Henri n'aurait pas dû vous informer de
mes allées et venues.
La prochaine fois, elle le lui préciserait formellement.
— Il s'est dit que ce serait plus agréable qu'on vienne vous
chercher, répondit-il en s'emparant de sa valise et en lui enlaçant
les épaules de son autre bras. Vous ne devez pas avoir l'habitude
les épaules de son autre bras. Vous ne devez pas avoir l'habitude
de la cohue parisienne.
— En effet, reconnut-elle, luttant contre le trouble qui la tenaillait.
Au bout du quai, un homme les attendait.
— Laissez-moi vous présenter Pierre. C'est mon chauffeur.
Conduisons mademoiselle dans son appartement place François
Ier, lança-t-il sur un ton poli mais autoritaire.
Natasha vacillait entre l'euphorie et l'agacement. De quel droit
s'imposait-il ainsi dans sa vie ? Et si elle avait eu l'intention de se
rendre ailleurs ?
Elle faillit protester, mais se ravisa en voyant la file d'attente
devant la station de taxis. A contrecœur, elle se tut. Après tout, il
était plus simple et plus agréable de se laisser conduire, même si
les manières de Raoul l'agaçaient. Bien sûr, elle allait lui spécifier
qu'elle n'envisageait pas de céder à ses caprices, ni de lui
permettre d'accaparer son temps à Paris. Elle avait ses propres
projets, et ils n'incluaient pas Raoul d'Argentan.
En tout cas, jusque-là...

— Je pensais que cela vous ferait plaisir de dîner ici, déclara


Raoul, quelques heures plus tard, alors qu'ils examinaient le menu
Raoul, quelques heures plus tard, alors qu'ils examinaient le menu
autour d'une chandelle.
Natasha ne savait pas trop comment elle avait fini par accepter
cette invitation au restaurant. Tout s'était déroulé de façon si
naturelle qu'elle n'avait même pas vu le temps passer. Tout
d'abord, elle avait été ravie de voir son appartement, situé dans
un des plus beaux quartiers de la capitale. Il était grand,
confortable, élégant et décoré avec goût. Très différent du
manoir, comme s'il n'appartenait pas à la même personne. Mme
Duvallier, la gouvernante, une dame forte et robuste d'une
cinquantaine d'années, qui travaillait au service de la comtesse
depuis longtemps, l'avait accueillie chaleureusement. Elle avait
également salué Raoul avec affection ; il était clair qu'elle le
connaissait bien.
— Vous veniez souvent rendre visite à grand-mère à Paris ?
demanda Natasha en posant son menu.
— Assez souvent. Elle était très amie avec mes parents. Je suis
resté très attaché à elle. Récemment, la comtesse a fait appel à
moi pour ses affaires, car elle avait besoin de conseils. En fait,
cela me surprend qu'elle ne m'ait rien dit de ses intentions de
vous léguer tous ses biens, ajouta-t-il, sur un ton qu'elle
interpréta comme suspicieux.
— Pourquoi l'aurait-elle fait ? Je n'en savais rien moi-même...
— Non, mais..., s'interrompit-il en souriant. Cela n'a pas
— Non, mais..., s'interrompit-il en souriant. Cela n'a pas
d'importance. Ne gâchons pas un si agréable moment en
conjectures inutiles.
Natasha acquiesça. A quoi bon essayer de rechercher les
motivations de sa grand-mère ? Autant profiter de la soirée.
— Vous avez l'intention de rester longtemps à Paris ? demanda
Raoul avant de boire une gorgée de champagne.
— Je n'en sais rien. Mais il faudra vite que je réfléchisse à ce que
j'envisage de faire pour mon travail. J'ai pris deux mois de congé,
mais après cela, je devrai prendre une décision définitive.
— Vous aimez votre travail ?
— Oui, je l'adore. Il m'a apporté énormément. Mais...
Elle hésita, ne voulant pas trop se confier.
— Mais ? insista Raoul, toujours aussi pressant.
— C'est juste que tout ce qui m'arrive est si soudain... Je veux
dire qu'en quittant Khartoum, je n'aurais jamais imaginé que ma
vie serait ainsi entièrement bouleversée...
— Je comprends. Tout a changé, désormais.
— Et comment ! lança-t-elle, oubliant sa retenue. C'est comme
si j'avais une nouvelle voie tracée devant moi. Je n'en sais rien...
Il est trop tôt pour que je me prononce. Le problème, c'est que
si je ne reste pas au manoir, il va me falloir le vendre.
— Vendre le manoir ! s'indigna Raoul en posant sa fourchette
dans son assiette avec un bruit sec. Vous ne pouvez pas faire
une chose pareille ! Il appartient aux Saugure depuis des
générations. C'est impensable !
Sa voix tranchait l'air comme un couteau et ses yeux lançaient
des éclairs.
— Je sais bien. Mais les choses évoluent...
— C'est ridicule ! Vendre le manoir est une absurdité !
— En quoi cela vous regarde-t-il ? Je suis libre de faire ce qui
me plaît avec mes biens !
— Vous pouvez penser ce que vous voulez, mademoiselle !
tonna Raoul. Mais laissez-moi vous mettre en garde : je vous
rendrai la vie impossible si vous envisagez seulement une telle
abomination ! Mon Dieu, Marie-Louise doit se retourner dans sa
tombe !
La foudroyant une nouvelle fois du regard, il se tourna vers le
serveur pour demander l'addition.
— Je ne vois pas comment vous pourriez m'empêcher de vendre
— Je ne vois pas comment vous pourriez m'empêcher de vendre
ce qui m'appartient ! lança Natasha, furieuse. J'ai le droit de
disposer de mes propriétés selon mon gré. Personne ne peut me
dicter ma conduite !
— Matériellement parlant peut-être, rétorqua-t-il, menaçant.
Mais je vous assure que vous allez le regretter toute votre vie !
— Vous me menacez ? gronda-t-elle, les mâchoires serrées.
— Je vous préviens, c'est tout. Vous avez hérité d'un
engagement envers votre nom et envers votre famille. Je suppose
que même une Anglaise comme vous peut comprendre cela.
L'honneur ne signifie-t-il rien pour vous ?
— Vous êtes odieux, siffla Natasha en se levant et en jetant sa
serviette sur la table. Je ferai ce que je voudrai et vous saurais
gré de vous mêler de vos affaires ! Je n'ai besoin ni de votre
aide, ni de vos conseils. Bonsoir !
Elle s'éloigna de la table et se dirigea d'un pas rapide vers la
sortie.
Lorsque le portier lui demanda si elle désirait un taxi, elle
accepta, reconnaissante. Elle ne parvenait pas à reprendre son
sang-froid, tant l'attitude de Raoul l'avait choquée et ébranlée. Il
avait touché une corde sensible : elle se sentait un lien puissant
avec ses racines et son passé. Mais elle aurait préféré se couper
un bras que de le reconnaître devant lui...
un bras que de le reconnaître devant lui...

Cette jeune Anglaise avait décidément un sacré caractère ! Et il


ne l'en appréciait que davantage. Mais ce n'était pas pour autant
qu'il la laisserait n'en faire qu'à sa tête. Vendre le manoir ! Quelle
idée saugrenue ! Cela risquait, en outre, de ramener à la surface
des épisodes du passé qu'il valait mieux voir enterrés à jamais.
Après avoir payé l'addition, Raoul sortit du restaurant et vit
Natasha de dos devant la porte. Il ne put s'empêcher de
sourire... Quelle beauté ! Elle avait réussi à se transformer en
splendide créature, et son tempérament le surprenait de plus en
plus.
Il chuchota au portier d'annuler le taxi et s'approcha d'elle.
— Excusez-moi, mademoiselle, si je vous ai blessée, glissa-t-il à
son oreille. Mais il faut accepter la réalité.
Elle fit volte-face.
— J'en ai eu assez de vous pour la soirée, Raoul d'Argentan.
Maintenant, laissez-moi tranquille. J'ai commandé un taxi, je
saurai parfaitement rentrer chez moi.
— Mais le portier vient de me dire qu'il n'y a plus de taxis à cette
heure-ci...
heure-ci...
— Vraiment ? Ce n'est pas ce qu'il m'a dit il y a cinq minutes !
— Ah oui ? Les choses changent vite, à Paris. On ne peut pas
compter sur les gens, dit-il en glissant sa main sous le bras de
Natasha. Accepteriez-vous que je vous raccompagne ? Et
laissez-moi ajouter que tout le plaisir est pour moi. Allons,
Natasha, pas besoin de s'offenser, ce n'est qu'un trajet en
voiture, et vous n'êtes fâchée que parce que vous savez, au fond
de vous, que j'ai raison...
Natasha n'en revenait pas. Comment savait-il ? Elle jeta un œil
vers le portier qui lui adressa un regard désolé. Elle enrageait
d'avoir permis à Raoul de lire si clairement en elle et de la
manipuler à sa guise. Mais elle savait bien que maintenant qu'il
avait donné ses ordres au portier, le pauvre homme n'oserait pas
aller contre. Il ne lui restait plus qu'à céder, si elle ne voulait pas
se donner en spectacle dans la rue.
Quelques minutes plus tard, ils roulaient sans rien dire le long de
la Seine, passant à côté de ses célèbres ponts, éclairés des
lumières de la ville. Sur l'île Saint-Louis, Natasha entendit les
cloches de Notre-Dame. Comme tout le monde, elle fondait
sous le charme de la capitale.
— Un dernier verre vous tenterait-il ? suggéra Raoul, en tournant
la tête vers elle à un feu rouge.
Elle semblait rassérénée. Il ne voulait pas la quitter si tôt. Elle
était si resplendissante dans cette robe de soie, avec ses cheveux
qui volaient dans le vent sur ses épaules frêles... Il'autant qu'il
avait enfin rompu avec Clotilde et qu'il voulait fêter sa liberté
retrouvée. Mais, plus que tout, le baiser qu'ils avaient partagé
une semaine auparavant le hantait encore...
— Je propose qu'on fasse un saut au bar du Plaza Athénée. Si
vous n'y êtes jamais allée, vous allez apprécier la décoration.
Il sortit son téléphone de sa veste et, sans laisser à Natasha le
temps de réagir, réserva deux places.
— Raoul, je n'ai jamais dit que j'acceptais ! s'exclama-t-elle
quand il eut raccroché.
— Avez-vous toujours besoin de protester ? demanda-t-il d'un
ton amusé. Allez, détendez-vous, voyons... Après tout, vous êtes
à Paris. Il faut en profiter, non ?
Elle ne répondit rien, se disant qu'un verre ne serait pas de refus.
Quel mal à se faire inviter dans un des bars les plus prestigieux
de Paris ?
Déjà, ils prenaient place autour d'une table à l'écart, subtilement
éclairée par une faible lumière chaude. Raoul commanda une
bouteille de Dom Pérignon. L'ambiance du lieu était jeune et
décontractée. Intéressée et ravie, Natasha contemplait le bar —
décontractée. Intéressée et ravie, Natasha contemplait le bar —
imitation d'un immense bloc de glace.
— Est-ce que cela vous plaît ? demanda-t-il, suivant son regard.
C'est original, n'est-ce pas ? J'adore venir ici.
A cet instant, il aperçut une silhouette familière assise avec des
amis à une table non loin d'eux. Il sentit des gouttes perler sur
son front. Clotilde ! Plus élégante et aguicheuse que jamais,
vêtue de la dernière création de Dior. Elle le fusillait de ses yeux
noirs parfaitement maquillés. Raoul détourna le regard. Comment
ne s'était-il pas souvenu qu'elle serait sûrement là ce soir ? Avec
un peu de chance, elle n'aurait pas l'indécence de faire une
scène.
— Monsieur le baron, lança-t-elle en s'approchant de leur table.
Qu'est-ce qui nous vaut le plaisir de votre présence ce soir ? Je
vous croyais rentré dans votre campagne...
— Bonsoir, Clotilde. Je vous présente Natasha de Saugure, une
amie.
— Je me contrefous de vos amies et de vos mensonges !
explosa-t-elle. Vous n'êtes qu'un menteur et un traître, Raoul
d'Argentan ! Vous pouvez être sûr que tout Paris le saura. Faites
bien attention à lui, dit-elle en s'adressant à Natasha. C'est la
plus belle ordure de la ville !
Elle s'empressa de retourner à sa table, sous le regard
Elle s'empressa de retourner à sa table, sous le regard
approbateur de ses amis.
— Désolé pour cet incident, dit Raoul en poussant un profond
soupir. Clotilde est très expansive...
— Qui est-ce ? Votre petite amie ?
— Elle l'était. Si on peut dire. Je suis juste sorti avec elle un
moment, et elle s'est imaginé des choses. Pourquoi les femmes
tombent-elles toujours dans le piège ? Je ne comprends pas
pourquoi elles ne peuvent pas accepter le statu quo et en
profiter... Leur façon de se compliquer la vie m'étonnera toujours
!
— Peut-être que les femmes que vous fréquentez ont un sens
plus précis du mot « engagement » que vous, ironisa-t-elle en
prenant sa flûte de Champagne.
— En effet. Mais il n'y a jamais eu d'engagement, pour
commencer. En tout cas, pas en ce qui me concerne. J'ai été très
clair depuis le début.
— Mais les choses peuvent commencer légèrement et devenir
plus sérieuses avec le temps...
— Je ne fais jamais de promesses que je ne pourrai tenir,
assura-t-il dans un haussement d'épaules. Et je n'ai jamais parlé
mariage ou même vie commune à Clotilde. Je ne comprends pas
mariage ou même vie commune à Clotilde. Je ne comprends pas
pourquoi elle est dans tous ses états.
— Elle semble trouver qu'elle a toutes les raisons du monde,
remarqua Natasha.
— Vous voyez, c'est ce que je disais ! Les femmes sont toutes
pareilles. Elles trouvent toujours des raisons, des justifications. Je
ne les comprendrai jamais !
Natasha lui adressa un sourire compatissant et décida qu'il valait
mieux changer de sujet. Mais la scène de Clotilde l'avait fait
réfléchir. Elle voyait maintenant clair dans le jeu de Raoul. Il était
un séducteur, habitué à ce qu'on tombe sous son charme. Elle
devait sans doute écouter la mise en garde de cette femme. Que
savait-elle de lui, honnis qu'il avait un château en Normandie ?
En rentrant à l'appartement, dans la voiture, Natasha se dit qu'il
serait plus sage de prendre ses distances avec cet homme. Elle
avait appris sa leçon, avec Paul. Faire confiance allait de pair
avec la possibilité d'être trahie. Et pourquoi donc ferait-elle
confiance à Raoul ?
— Vous m'invitez à boire un café ? demanda-t-il en garant la
voiture en bas de l'immeuble.
— Je ne crois pas, non. Je suis assez fatiguée. J'ai une longue
journée demain — des rendez-vous avec les avocats de ma
grand-mère...
grand-mère...
— Oh, vous allez rencontrer Perret. Un brave homme, mais
j'avais suggéré à Marie-Louise de changer de conseiller.
— Et pourquoi cela ?
— Je vous le dirai une autre fois. Quand nous aurons plus de
temps...
Natasha avait hâte de le fuir.
— Très bien, je dois y aller...
Elle commença à ouvrir portière, mais Raoul se pencha vers elle
et la referma.
— Pas si vite, ma belle, murmura-t-il contre sa joue. Vous n'êtes
pas si pressée !
— Je...
Natasha se sentait perdue. Comment cet homme arrivait-il à
l'hypnotiser ainsi ? Elle ne pouvait pas réagir. Lorsque sa main
ferme se glissa derrière sa nuque et qu'il l'attira à lui pour
l'embrasser avec fougue, elle n'eut plus aucune force pour le
repousser. Elle laissa échapper un long gémissement de désir.
C'était comme si son cerveau s'était arrêté de fonctionner, ne lui
permettant plus d'actions raisonnables. Elle était consciente
qu'elle devait agir, qu'elle ne devait pas le laisser faire à sa guise,
mais quand la main de Raoul se posa sur sa cuisse, elle sut
qu'elle ne pouvait résister. Ce qu'elle ressentait à l'intérieur était si
nouveau, si intense, tout comme l'autre nuit... Il'un mouvement
rapide, la main se glissa sous sa robe sur sa peau nue et, au
contact de sa peau contre la sienne, Natasha fut prise d'un désir
inconnu, d'un besoin d'aller plus loin dans le plaisir, de
s'abandonner entièrement à cet homme.
Mais la raison l'emporta et elle se dégagea enfin, à contrecœur.
Lissant sa robe, elle se redressa pour reprendre son souffle.
— Il vaudrait mieux que nous ne nous voyions plus. Nous...
Nous ne devrions pas... Je... nous sommes voisins. Nous
devrions... Je veux dire...
— Avez-vous peur, Natasha ?
— Je... je ne sais pas. Ça va trop vite. Les choses me sont
tombées dessus trop vite, ces derniers temps... Je n'arrive plus à
suivre.
— Vous voulez dire que vous avez peur de prendre du plaisir.
Chère amie, quel mal y a-t-il à cela ?
— Ecoutez, je ne peux pas, c'est tout ! lança-t-elle, se retenant
d'éclater en sanglots. Je dois y aller, conclut-elle en s'emparant
de la poignée de la porte.
— Je comprends, dit-il, intrigué par sa réaction.
Il sortit du véhicule et vint lui ouvrir la portière.
— Je vous dis au revoir et bonne nuit, mais certainement pas
adieu. Nous allons nous revoir, et si vous ne voulez pas que je
vous embrasse, je ne le ferai plus, promit-il en caressant sa joue
tendrement. Mais ne vous mettez pas dans tous vos états. Ce
n'était qu'un délicieux moment entre nous, rien d'autre...
— Il'accord, articula Natasha avec difficulté.
— Je vous appelle. Je pourrai vous emmener visiter Paris. Et
nous déjeunerons à la campagne un jour...
Il disait cela sur un ton amical. Etait-ce le même homme qui
l'avait enlacée quelques minutes plus tôt avec tant de fougue ?
Une fois dans l'ascenseur, Natasha poussa un soupir de
soulagement, même si elle ressentait encore le profond trouble
qu'elle venait de vivre, le désir puissant qu'elle avait dû
combattre. Elle devait s'éloigner au plus vite de Raoul, avant de
se ridiculiser complètement. Après le rendez-vous avec l'avocat,
elle partirait pour le Sud de la France, dans sa nouvelle villa de
Monte-Carlo. Cela lui donnerait du temps pour respirer, et
réfléchir à ce qu'elle voulait vraiment.
Elle entra dans son appartement et referma la porte avec soin
derrière elle. Il lui était arrivé tant d'aventures, ces derniers
jours... et l'état dans lequel la mettait Raoul était si difficile à
supporter.
C'était même peu dire...
5.

Le rendez-vous avec maître Perret fut plutôt long et ennuyeux.


L'avocat revint sur une série de documents sans grand intérêt, et
Natasha se demanda si Raoul n'avait pas raison d'avoir suggéré
à sa grand-mère de changer de conseiller. Mais pour le moment,
tout ce qu'elle souhaitait, c'était fuir Paris et ce dangereux baron.
Et dire qu'il lui suffisait de la toucher pour déclencher un feu
d'artifice d'une nature inconnue ! Un simple baiser de sa part, et
d'artifice d'une nature inconnue ! Un simple baiser de sa part, et
elle fondait littéralement...
Mais alors qu'elle empaquetait ses affaires, pressée de sauter
dans le premier TGV pour Nice, elle se trouva incapable de
penser à quoi que ce soit d'autre qu'à son dîner de la veille. Elle
devait faire preuve de plus de contrôle sur elle-même. Elle ne
pouvait tout de même pas réagir de façon aussi honteuse chaque
fois qu'un homme l'effleurait ! Pourquoi, d'ailleurs, cela ne s'était-
il jamais produit avec Paul ? se demanda-t-elle en entrant dans le
taxi qui allait la mener vers la gare.
Une fois dans le train, Natasha s'assit à côté de la fenêtre et
entreprit de lire le journal, avec la ferme intention de chasser
Raoul de ses pensées. Elle devait affronter tant de nouveaux
défis en même temps... Pas question de se disperser davantage !
Elle arriva plusieurs heures plus tard et héla un nouveau taxi pour
se rendre au village médiéval d'Eze. La ravissante villa
méditerranéenne trônait sur un petit plateau, entre la mer et la
montagne. Cette vue envoûta Natasha. Elle adopta
immédiatement ce lieu magique.
Mme Bursin, la gouvernante, lui avait préparé une charmante
petite chambre coquette, dans les tons bleu pâle et blanc. Elle se
souvint des histoires de son père sur les merveilleuses vacances
qu'il avait passées dans le Sud de la France. Une vague de
nostalgie la traversa. Quel gâchis...
Mais à quoi bon pleurer sur le passé ? Plutôt que de s'apitoyer
sur le sort de sa famille, elle courut enfiler un petit Bikini pour
aller se dorer au bord de la piscine qui surplombait la
Méditerranée. Elle avait l'impression d'être au paradis...
Allongée sur une chaise longue, elle respira enfin, se sentant plus
détendue, moins préoccupée. Elle avait fui la pression de Raoul
et se retrouvait. Il était temps, maintenant, temps de faire des
projets pour son avenir.

— Comment ça, elle est partie ? tempêta Raoul.


— Je suis désolée, monsieur le baron. Elle est partie ce matin,
après son rendez-vous avec maître Perret.
— A-t-elle précisé où elle se rendait ? demanda Raoul en
tapotant furieusement son bureau.
— Non, je suis désolée.
— Bien, merci tout de même.
Il raccrocha brusquement et tourna rageusement dans son
fauteuil. Elle le fuyait... Il se sentait agacé et intrigué à la fois. Les
femmes ne le fuyaient jamais. Au contraire, elles inventaient des
prétextes ridicules pour le revoir... Il devait la retrouver ! Mais
prétextes ridicules pour le revoir... Il devait la retrouver ! Mais
après tout, qu'est-ce que cela pouvait bien lui faire ? Peut-être
n'aimait-il pas être contrarié, tout simplement. Même s'il savait
que ce n'était pas sage, il voulait avoir une aventure avec
Natasha. Ou tout du moins satisfaire son désir... Il savait qu'elle
le voulait aussi. Son corps, quand elle était dans ses bras, la
trahissait, lui criait qu'elle n'avait qu'une envie : qu'il la possède.
Alors pourquoi s'enfuyait-elle ?
Il n'arriverait jamais à comprendre les femmes...
Vers la fin de la matinée, il se sentit déçu et attristé de ne
recevoir aucun signe de sa part. A midi, à bout de patience, il
téléphona au manoir, mais reçut la même réponse.
Elle n'y était pas retournée.
Etait-elle repartie pour l'Angleterre ? se demanda-t-il en
consultant sa montre, sachant qu'il était attendu au Relais Plaza
pour déjeuner avec sa cousine Madeleine.
A l'heure précise, il franchit les portes du restaurant, accueilli par
le maître d'hôtel, qui le conduisit à sa table à côté de la fenêtre.
Deux minutes plus tard, Madeleine, une élégante Parisienne
sophistiquée, vint le rejoindre, et il se leva pour la saluer. Sans
attendre, ils commandèrent du champagne.
— Alors, mon ami, comment va la vie ?
— Pas trop mal. Enfin, hormis le décès de Marie-Louise de
Saugure.
— Oui, j'en ai entendu parler. Je voulais assister aux obsèques,
mais j'ai été retenue par les examens de Frédéric. Raconte-moi.
— C'était très impressionnant. Tous ses domestiques ont
accompagné le cortège. Une cérémonie parfaite !
— Tu es tellement attaché aux traditions, plaisanta Madeleine.
Comme notre ancêtre Régis. Et je suis sûre que tu es aussi
vicieux que lui...
— Allons donc !
— Vraiment ? Je me demande si sa maîtresse aurait été de ton
avis.
— La belle Natasha ?
— Oui. Je me suis toujours demandé pourquoi ces deux-là ne se
sont jamais mariés. Tout ça par fierté mal placée. Les hommes
sont vraiment trop bêtes !
— Qu'est-ce que tu racontes, Madeleine ?
— Cette légende m'a toujours intriguée. Elle était très belle, si le
portrait au manoir est fidèle. Elle aurait dû utiliser cette arme
pour le piéger...
pour le piéger...
— Quelle idée ! C'est bien le sous-estimer, protesta Raoul en se
souvenant du portrait et de la ressemblance avec « sa » Natasha.
— Marie-Louise et ses remarques sarcastiques vont bien me
manquer. C'était une vieille dame merveilleuse, même si je
tremblais toujours avant d'aller la voir. Alors, dis-moi, qui va
hériter de ses biens ?
— Sa petite-fille anglaise, répondit-il, très vague. Que dirais-tu
de commencer par du foie gras ?
— Vraiment ? J'avais même oublié que la comtesse avait un
fils...
— En effet. Il était bien plus âgé que nous, c'est pour cela qu'on
ne s'en souvient pas vraiment. Il s'est marié avec une Anglaise du
peuple. La comtesse n'a jamais accepté.
— Elle l'avait déshérité ?
— Exactement. Mais apparemment, le remords l'a envahie peu
de temps avant sa mort. Maintenant, la petite-fille qu'elle n'a
pour ainsi dire jamais vue a hérité de toute sa fortune...
— Eh bien, quelle histoire ! Comment s'appelle-t-elle ?
— Natasha.
— Pardon ? s'écria Madeleine, choquée par la coïncidence. Tu
plaisantes ? Je croyais que personne n'aurait osé utiliser ce nom,
après ce qui s'est passé !
— Je suis de ton avis. Hubert de Saugure devait avoir un curieux
sens de l'humour, ou peut-être voulait-il défier sa mère...
— Natasha..., songea Madeleine tout haut. Je me suis souvent
demandé pourquoi elle a agi ainsi, détruisant nos deux familles au
passage. Elle devait aimer Régis profondément. Ça fait si
longtemps... Mais on dirait que le fantôme de leur souvenir plane
encore.
— Honnêtement, je n'y ai jamais pensé.
— Vraiment ? C'est tout de même une coïncidence troublante !
— Oui, mais seulement une coïncidence.
— Comment est-elle ? Quel âge a-t-elle ?
— Elle est jeune, dans les vingt-deux ans. C'est une jeune femme
intéressante qui a passé les quelques dernières années en Afrique
pour une organisation humanitaire.
— Elle doit avoir du cran, non ?
— Oui, elle me paraît très intelligente et sensible, renchérit-il, ne
— Oui, elle me paraît très intelligente et sensible, renchérit-il, ne
sachant pourquoi il la couvrait ainsi de compliments.
— Oh, je vois que tu as passé du temps avec elle ! lança
Madeleine avec un sourire coquin. Alors, tu en pinces pour elle?
— Ridicule ! Mais en effet, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec
elle. Je suis allé, comme il se devait, lui présenter mes
condoléances.
— Bien sûr, acquiesça-t-elle, une lueur dans les yeux. Raoul,
c'est à moi que tu parles — ta plus chère amie, qui te connais
comme le dos de sa main. Et je ne crois pas que tu perdes ton
temps à rendre visite à des jeunes filles, à moins qu'elles ne
soient très belles...
— Madeleine, je t'en prie, murmura Raoul. Pour qui me prends-
tu ?
— Alors, j'imagine que ta nouvelle voisine est ravissante,
continua Madeleine, ignorant sa remarque.
— Elle est séduisante, en effet, concéda Raoul. En fait, au début,
je la trouvais plutôt quelconque. Mais elle a fait des efforts de
présentation. Etonnants, à vrai dire. Et si nous commandions ? Il
paraît que les filets de sole meunière sont excellents.
Madeleine se retint de développer le sujet plus avant. Une petite
voix lui conseilla de laisser son cousin tranquille. Elle s'empara
voix lui conseilla de laisser son cousin tranquille. Elle s'empara
donc du menu pour faire son choix.

Toujours aucune nouvelle de Natasha ! Raoul était à bout et


décida d'agir. Il ne supportait plus qu'elle le déstabilise ainsi. Il la
désirait plus que tout.
Ce n'est qu'au réveil, le lendemain, qu'il se souvint de la villa de
Marie-Louise à Eze.
— Voilà ! s'exclama-t-il en s'asseyant dans son lit Je parierais
que c'est là qu'elle se cache.
Sans attendre, il bondit de son lit et empaqueta ses affaires.
Après un petit déjeuner rapide, au café du coin, il s'engouffra
dans sa voiture, direction le Midi. Cela lui prendrait plusieurs
heures d'arriver à Eze, mais il n'était pas pressé. Il avait prévenu
sa secrétaire qu'il serait absent pendant quelques jours, et lui
avait ordonné de ne le déranger sur son portable qu'en cas de
force majeure.
Raoul aimait la chasse. Il n'avait plus l'habitude de se battre pour
une femme. Cette fois, cela semblait bien plus excitant !

Natasha se sentait parfaitement détendue dans la villa Le


Caprice. Bien que le temps ne fût pas encore totalement estival,
rester allongée dans le soleil à lire et à penser à l'avenir la
satisfaisait amplement. Cela lui permettait de faire le point. Elle
devait d'abord en apprendre plus sur l'histoire de sa famille. Elle
mourait de curiosité, comme si une partie d'elle lui manquait.
C'était surtout l'histoire de Régis d'Argentan et de Natasha de
Saugure qu'elle voulait connaître. Elle comptait bien percer le
mystère qui les entourait. Pourquoi n'avait-elle pas profité de ses
instants passés avec Raoul pour en savoir davantage, plutôt que
de se laisser aller dans ses bras ?
La pensée de Raoul — qui, à vrai dire, n'était jamais loin — la
troubla. Elle avait bien fait de quitter Paris. Elle pouvait se vanter
d'avoir résisté. Aujourd'hui, pour se changer les idées, une petite
excursion dans la Rolls de sa grand-mère serait la bienvenue.
Mme Bursin et son mari, qui étaient aux petits soins pour elle,
s'étaient chargés de la remettre en état.
La journée s'annonçait superbe. Le ciel d'un bleu immaculé
répondait harmonieusement à la mer tranquille. Après avoir enfilé
un petit pantalon blanc et un haut assorti, Natasha s'attacha les
cheveux et entra dans la voiture en ayant le sentiment d'être une
star des années cinquante. Jetant son sac à main sur le siège
passager, elle démarra, prête pour l'aventure.
En levant la tête, elle eut un choc qui lui coupa le souffle. Ça ne
pouvait être lui ! Et pourtant, si... Il se tenait à l'entrée de l'allée,
dans sa voiture de sport, plus séduisant que jamais. Elle aurait dû
dans sa voiture de sport, plus séduisant que jamais. Elle aurait dû
spécifier qu'on ne le laisse pas entrer.
Refusant de se donner en spectacle devant le personnel, Natasha
tâcha de retrouver une contenance.
— Eh bien, lança-t-elle, sans se soucier de son cœur qui battait
la chamade. Que faites-vous ici ?
— Je crois que vous le savez parfaitement, répondit Raoul, qui
était sorti de la voiture et s'approchait d'elle pour lui embrasser la
joue.
Il était si attirant, dans son pantalon noir et sa chemise de sport
légère... Comment résister ?
— Non, en fait je n'ai aucune idée de ce qui a bien pu vous
conduire ici. Je dirais même que vous avez beaucoup de chance
d'être tombé sur moi, car je m'apprêtais à aller me promener...
— Je vous en prie, allez-y, dit-il en ouvrant la portière de la
Rolls. Je me ferai un plaisir de vous guider !
— Je n'ai pas besoin de guide.
— Mais, ma chère, comment pouvez-vous imaginer que je vous
abandonne ? Ce serait très inconvenant de vous laisser, vous, la
petite-fille d'une comtesse, seule dans un pays étranger...
— Qu'est-ce que vous racontez ? lança Natasha, agacée. Je suis
tout à fait capable de m'occuper de moi ! Je n'ai pas besoin de
chaperon.
— Ah, mais c'est là que vous vous trompez. Toutes les femmes
ont besoin d'un chaperon, surtout les plus riches. Vous
n'imaginez pas le nombre d'hommes sans moralité, prêts à se
servir de vous, expliqua-t-il avant de tendre la main vers elle.
Faisons un marché : je ne vous importunerai pas. J'essayerai
juste d'être votre ami. Il'accord ? Marché conclu ?
Il lui adressa un sourire dévastateur qui ne lui laissa d'autre
possibilité que d'accepter.
6.
Comment ne pas céder à la magie d'une virée sur la Riviera en
une telle compagnie ?
Raoul connaissait tout et tout le monde. Ils étaient reçus dans les
restaurants par leurs noms, conduits aux meilleures tables. Le
troisième soir, alors qu'elle rentrait dans la villa accompagnée par
Raoul, Natasha se demanda comment elle pourrait retourner à
son ancienne vie.
C'était impossible !
Aussi triste qu'elle se sente à cette idée, elle ne repartirait plus en
Afrique.
Cette partie de sa vie était terminée. Un nouveau chapitre
s'ouvrait, et elle devait l'accepter. Tout en conduisant, elle
examina un instant Raoul à côté d'elle. Il n'avait même pas
essayé de l'embrasser. En fait, c'était à un tel point qu'à présent,
elle n'attendait plus que cela. Le repousser était beaucoup plus
satisfaisant que de se demander pourquoi il ne tentait rien...
Alors qu'ils arrivaient à la villa, Raoul l'observait,
confortablement installé sur le siège passager. Il avait bien
l'intention de laisser passer encore un peu de temps avant le
prochain assaut... Elle était irrésistible, mais il voulait qu'elle le
désire aussi fort qu'il la désirait. Alors, ils se noieraient dans une
passion déchaînée, dans tous les rêves qu'il avait pu faire d'elle.
En fait, il ne trouvait guère le sommeil depuis qu'il l'avait
rencontrée, et il n'aspirait plus à la paix, mais à la tempête, au
déferlement de la passion. Pour le moment, il était trop tôt. Il
devait être patient, et attentif au signal imperceptible qu'elle
saurait lui lancer.
A son grand désarroi, ce signal se faisait encore attendre.
A quand remontait la dernière fois qu'il avait attendu plus d'un ou
deux jours avant qu'une femme ne succombe à ses charmes ? Il
ne s'en souvenait pas. C'était ridicule, absurde. Il n'en pouvait
plus... Mais attendre était la seule chose à faire, sans quoi elle
aurait le dessus. A bien y réfléchir, il y avait quelque chose chez
elle qui le freinait, quelque chose qu'il n'avait jamais rencontré.
Elle ne montrait aucune obstination, aucune saute d'humeur,
aucun égoïsme — défauts inévitables chez les femmes qu'il avait
l'habitude de fréquenter. Au contraire, elle affichait une sorte de
détermination, de fierté qui le déconcertait. Ils avaient passé des
heures à parler de l'avenir, de ses projets. Il avait compris ses
dilemmes, ses doutes, ses hésitations...
Une femme avec un but dans la vie : voilà ce qu'elle était. Et pour
Raoul, c'était nouveau. Il avait bien connu des femmes
ambitieuses — des arrivistes décidées à gravir les échelons sans
se soucier des conséquences et de ceux qu'elles piétinaient. Mais
Natasha n'appartenait nullement à cette catégorie. C'était comme
si elle avait besoin d'une réelle et authentique motivation pour
prendre sa décision. Comme si elle voulait connaître sa raison
d'être en France avant de s'y installer pour de bon.
Raoul sortit de la voiture et fit le tour pour ouvrir la portière. Il se
sentait confus, ennuyé de ne savoir comment se placer dans ce
territoire inconnu. Peut-être valait-il mieux renoncer, effacer cet
étrange sort qui le maintenait attaché à Natasha...
Il la regarda descendre de la voiture avec grâce, et ensemble, ils
gravirent les marches jusqu'à la villa.
— Un dernier verre ? proposa-t-il.
— Non, merci, répondit-elle, tout en continuant à marcher vers
la terrasse.
La lune illuminait les eaux calmes de la Méditerranée. Natasha
s'assit sur la balustrade et admira les lumières de la ville dans la
mer, essayant de ne pas penser à Raoul si près d'elle. Elle
mourait d'envie de s'abandonner à lui, mais la raison lui dictait le
contraire.
Elle le vit s'approcher d'elle.
— Je dois retourner à Paris demain, lança Raoul avec une voix
— Je dois retourner à Paris demain, lança Raoul avec une voix
qui laissait clairement entendre ce qu'il avait en tête.
Une vague de panique s'empara d'elle. Comment se pouvait-il
qu'en quelques jours à peine, elle se soit ainsi habituée à sa
présence ?
— Bien sûr, répondit-elle simplement, ne laissant rien paraître.
Comment supporterait-elle, à présent, de se retrouver ici seule ?
Pour elle, la France et Raoul étaient devenus synonymes. Il fallait
qu'elle se ressaisisse et affronte la réalité : elle devait faire des
choix, prendre des décisions qui pouvaient changer
complètement le cours de sa vie. La solitude l'aiderait dans sa
tâche.
— Ça ne vous fait rien ? s'enquit-il. J'avais le sentiment que nous
nous entendions assez bien, remarqua-t-il en posant un pied sur
la balustrade.
— Nous avons passé de très agréables moments, en effet,
répondit-elle d'une voix qu'elle voulait la plus neutre possible.
— D'agréables moments ? Très flegmatique, très british !
s'exclama-t-il sur un ton légèrement persifleur. Je dirais plutôt
des moments formidables, inoubliables ! Mais je suis français...
Etes-vous sûre que ce n'étaient que des moments agréables ? Ne
ressentez-vous pas cette attirance magnétique qui existe entre
nous ?
— Je…, bredouilla-t-elle, prise au dépourvu.
— Oui ? insista-t-il en se glissant tout près d'elle.
— Je ne sais pas. Je pense que...
— Arrêtez de penser. Vous pensez trop, c'est un problème. Ici,
il est question de sentiments, pas de réflexion...
Il l'entraîna aussitôt dans ses bras.
— Cesse de penser, Natasha, murmura-t-il à son oreille, la
tutoyant soudain, et augmentant encore sa confusion. Ressens
tout ce que j'ai à te donner...
Elle se crispa un instant, mais se détendit vite, alors que la
bouche de Raoul trouvait la sienne. La sensualité qui se
dégageait de ce baiser l'enflamma, tandis que la main de Raoul
descendait le long de son dos. Elle sentit un frisson parcourir ses
seins et son corps réclamer celui de Raoul de toutes ses forces.
De ses doigts experts, il descendit le long de son cou et vint
titiller sa poitrine gonflée. Natasha laissa échapper un
gémissement de bien-être, alors que la main de Raoul taquinait
son mamelon avant de descendre de plus en plus bas. Il baissa la
fermeture de son pantalon et se glissa dans la moiteur de son
intimité.
— Non, Raoul... s'il vous plaît..., murmura-t-elle.
Elle voulait résister, elle voulait l'empêcher d'aller plus loin. Mais
elle ne pouvait pas réfréner l'élan qui s'était emparé d'elle. Elle
n'avait jamais rien connu d'aussi puissant. Raoul l'entraînait dans
un nouvel univers, effrayant et envoûtant à la fois.
— Détends-toi, ma chérie, chuchota-t-il, sans arrêter de la
caresser, provoquant des petits halètements de plaisir. Tu es si
délicieuse, ma Natasha...
— Raoul..., lâcha-t-elle dans une plainte qui ressemblait plus à
un appel.
Au moment où elle s'y attendait le moins, une vague
extraordinaire l'emporta. La tension qu'elle n'arrivait plus à
soutenir se transforma en un déferlement de plaisir incroyable,
d'une intensité qu'elle n'aurait pu imaginer.
Comme si une fenêtre s'ouvrait dans sa vie...
Appuyée contre lui, ébranlée par les secousses de son premier
orgasme, elle se laissait admirer par Raoul.
Ainsi, songeait-il, c'était la première fois pour elle ? Il pressa sa
tête contre sa poitrine, contrôlant son propre désir en plongeant
son regard dans la mer et en écoutant les sauterelles chanter à
cœur joie.
cœur joie.
— Viens, ma chérie, dit-il tout bas, quand elle eut recouvré ses
esprits. Ce n'était que le début.
— Mais Raoul, s'il vous plaît... Ce n'est pas... je veux dire... je
ne veux pas...
Il s'arrêta et la regarda, amusé.
— Tu ne veux pas de moi ? Sérieusement ? interrogea-t-il,
connaissant bien la réponse.
— Je... Ce n'est pas ça... Je ne suis pas prête.
Comment elle avait trouvé la force de prononcer ces mots, elle
n'en savait rien. Mais en elle, une petite voix la prévenait que si
elle laissait Raoul lui faire l'amour ce soir, cela la détruirait.
— Vous ne savez pas ce que vous dites, corrigea-t-il en la
prenant dans ses bras. Pourquoi ne pouvez-vous pas, tout
simplement, profiter du plaisir que je veux vous donner ? Vous
n'avez pas passé un si mauvais moment, ce soir, que je sache...,
ajouta-t-il, un sourire aux lèvres.
— S'il vous plaît, n'insistez pas.
A contrecœur, Raoul relâcha son étreinte.
— Raoul, je ne peux pas, expliqua Natasha, encore tremblante.
— Raoul, je ne peux pas, expliqua Natasha, encore tremblante.
Ce n'est pas que je n'en aie pas envie. Je ne me sens pas assez
sûre de moi, c'est tout.
— Laissez-moi faire. Je vois bien que vous êtes une novice dans
les jeux de l'amour. Mais n'ayez crainte, ma belle. J'ai assez
d'expérience pour tous les deux.
— C'est exactement ce qui me gêne, déclara-t-elle, retrouvant
enfin ses esprits. Je ne veux pas vous servir de passe-temps. Je
sais bien que c'est très excitant de tomber sur une pauvre
ignorante comme moi. Ça vous amusera sûrement de
m'apprendre une ou deux choses. Mais pour un moment
seulement.
— Et quel mal y a-t-il à cela ? demanda-t-il, posant ses mains
sur ses épaules. Prenez cela comme une manière de développer
votre éducation. L'art de faire l'amour peut se révéler
délicieusement satisfaisant...
Natasha se dégagea.
— Aussi surprenant que cela puisse vous paraître, Raoul, je ne
vois pas l'acte d'amour comme un art ou un loisir. Vous m'avez
avoué que vous repartiez demain pour Paris. C'est mieux ainsi.
Manifestement, nous avons bien moins en commun que ne
peuvent laisser croire nos conversations. Maintenant, si vous
voulez bien m'excuser, je vous souhaite une bonne nuit.
Sans qu'il puisse l'arrêter, Natasha était rentrée dans la villa, le
laissant excédé, au bas de l'escalier. Comment cette délicieuse
soirée s'était-elle muée en véritable fiasco ?
— Qu'elle aille au diable ! s'écria-t-il en retournant sur la
terrasse. Et toutes les femmes avec elle !
Il en avait assez. Quel gâchis de temps et d'efforts ! Il avait une
vie à mener, des affaires à gérer. Il était grand temps qu'il se
reprenne et cesse de se conduire en adolescent.
Rapidement, il se dirigea vers sa chambre à coucher au rez-de-
chaussée et jeta ses vêtements dans une valise. Sans plus
attendre, il sauta dans sa Ferrari. Pas question qu'il reste une
minute de plus. Il en avait plus qu'assez de Mlle de Saugure et de
ses jeux puérils.

Natasha restait prostrée au bord de son grand lit. Soudain elle


entendit le moteur de la voiture de Raoul, puis le crissement de
ses pneus sur le gravier.
Il était parti...
Elle laissa échapper un soupir où se mêlaient regret et
soulagement. H valait mieux qu'il en soit ainsi ! Elle avait bien fait
de résister. Rien de bon ne pouvait naître d'une aventure torride
de résister. Rien de bon ne pouvait naître d'une aventure torride
avec Raoul : elle le lasserait aussi vite qu'elle l'avait attiré. Les
mots de Clotilde résonnaient encore à ses oreilles : « C'est la
plus belle ordure de la ville ». Elle savait que Clotilde avait
raison. Alors, pourquoi se sentait-elle aussi déprimée ?
Sans doute parce qu'ils s'étaient si bien entendus ces derniers
jours, essaya-t-elle de se convaincre en retirant son pantalon et
ses dessous et enfilant une chemise de nuit. Mais en se glissant
dans les draps frais, il lui fut impossible de ne pas repenser aux
sensations extraordinaires qu'elle avait éprouvées. Quand enfin
elle trouva le sommeil, ses rêves regorgeaient d'images d'un
mystérieux inconnu sur un cheval noir, qui l'entraînait sur la selle
et posait sa main sur ses seins avec fougue.

7.
— Donc, comme je vous l'ai expliqué, maître Dubois, j'ai
l'intention de rester en France et d'assumer les responsabilités
que m'a confiées ma grand-mère.
— Excellente nouvelle, mademoiselle ! Les domestiques seront
ravis d'apprendre qu'ils n'auront pas affaire à un maître absent.
— En effet. Je compte bien en savoir autant que possible sur la
propriété, expliqua Natasha, tout sourires, en feuilletant des
papiers. J'aimerais également connaître l'histoire de l'endroit.
Après tout, c'est de mon héritage qu'il s'agit. Je voudrais me
familiariser avec tous ses aspects, historiques et pratiques.
— Bien évidemment, mademoiselle. Nous serons enchantés de
vous renseigner. Je peux vous expliquer les ramifications légales
de la propriété et je vous conseille de rencontrer Evreux, mon
clerc ; il pourra vous informer sur les événements qui ont affecté
vos terres. Et en ce qui concerne l'histoire, le mieux serait de
vous entretenir avec le prêtre, au village. C'est un homme très
cultivé, et un historien de premier ordre. Il a passé trente-cinq
ans dans cette paroisse et en connaît plus que quiconque.
Hormis Mme Blanchard, bien sûr.
— Madame Blanchard ? répéta Natasha, curieuse.
— C'est la gouvernante, à Argentan. Elle travaille pour le baron,
voyez-vous. Elle a travaillé là toute sa vie. Elle a commencé
comme cuisinière avant la guerre. Elle connaît toutes les
anecdotes, en particulier celles qui concernent votre famille et
celle du baron.
— Comment cela se fait-il ?
— Eh bien, on raconte..., commença-t-il en baissant la voix
comme s'il craignait que les murs ne l'entendent. On raconte, que
le père de Mme Blanchard est issu d'une liaison entre le grand-
père du baron et une fille du village. Donc, d'une certaine façon,
elle est reliée à la famille d'Argentan et elle en tire une grande
fierté.
— Je vois...
Tous les mêmes, apparemment, ces d'Argentan, se dit-elle,
remerciant le ciel de n'avoir pas cédé, l'autre soir à Eze.

« Ainsi donc, elle a décidé de rester en France... », pensa Raoul


dans son bureau de Paris.
Il se sentait à la fois enchanté et agacé. Sa présence signifiait un
défi, mais aussi une source d'échecs. Sa décision d'assumer son
rôle de châtelaine le surprenait beaucoup. Elle lui avait paru très
hésitante. Il y avait tant à apprendre sur cette jeune femme !
pensa-t-il, exaspéré.
En fin de compte, ce n'était pas plus mal... Il avait fini par se
convaincre, sans doute pour ménager son amour-propre, que
c'était lui qui avait repoussé Natasha. Pourtant, le fait qu'il allait
passer les trois prochains jours à se demander ce qu'elle
devenait l'agaçait profondément.
De toute façon, ce week-end, les courses de chevaux auxquelles
il comptait assister occuperaient tout son temps. On était au mois
d'août et le prix Rony se courait à Deauville. Il avait d'autres
chats à fouetter : un de ses chevaux avait de bonnes chances de
remporter la course, à condition que le terrain ne soit pas trop
lourd.
Plusieurs heures plus tard, Raoul arriva dans son château, où il
fut accueilli par Jean, son majordome.
— Bienvenue, monsieur le baron, dit ce dernier en s'emparant
des bagages de son maître.
— Quoi de neuf, au château ? Rien à signaler ?
— Pas grand-chose, monsieur. Hormis la dernière nouvelle qui a
mis tout le village en ébullition.
— De quoi s'agit-il ?
— Mlle de Saugure s'installe au manoir.
— J'ai entendu cela.
— J'ai entendu cela.
— Une excellente nouvelle, n'est-ce pas ? Tous les domestiques
de la propriété sont ravis. Apparemment, Mademoiselle leur
montre un réel intérêt. Elle leur a rendu visite à tous
personnellement, et envisage une série de mesures que la
comtesse n'avait pas réussi à mettre en place, faute de temps et
d'énergie.
— Intéressant..., ponctua Raoul. Elle compte donc faire du
manoir sa résidence principale ?
— On dirait, monsieur. J'ai rencontré le curé au village, hier, et il
m'a chanté ses louanges. Elle s'intéresse énormément à tout ce
qui touche à l'histoire de la région et l'a longuement interrogé. Il
est enchanté et lui a même proposé d'emprunter des documents
de la bibliothèque.
— Vraiment ? demanda-t-il d'un ton sec. Je vais lui passer un
coup de fil...
Sans un mot de plus, il tourna les talons et entra dans le château,
laissant Jean se demander ce qu'il avait fait pour irriter son
maître.

Que de nouveautés ! C'était exaltant et effrayant à la fois.


Maintenant qu'elle avait pris la décision de rester, Natasha s'était
Maintenant qu'elle avait pris la décision de rester, Natasha s'était
jetée à corps perdu dans sa mission. Ce ne serait pas facile, avec
toutes les réparations à entreprendre, les lois françaises à
connaître et la mise en place des semaines de trente-cinq heures
pour les employés. Bien sûr, Dubois et Evreux se chargeraient
de toutes les questions légales sur la gestion de la propriété, mais
elle voulait se familiariser avec les détails pour ne pas dépendre
des autres.
Le vendredi soir, elle se plongea avec bonheur et soulagement
dans un bon bain chaud avant d'enfiler un pyjama confortable et
de se coucher dans le petit salon, devant la cheminée. Une soirée
à regarder la télévision lui ferait le plus grand bien. En examinant
la pièce, elle se dit qu'un petit rafraîchissement s'imposait. Elle ne
supportait pas d'être entourée d'autant de vieilleries. Pourquoi ne
pas faire un petit saut à Paris et rencontrer quelques décorateurs
d'intérieur ?
Mais elle ne disposait pas de beaucoup de temps. Le travail et
les réunions lui semblaient interminables. Sans parler des visites
de courtoisie indispensables. Les voisins — à l'exception de
Raoul, qu'elle n'avait plus revu depuis son retour — étaient tous
charmants. Philippe de Morrieux, un jeune homme distingué et
sérieux, l'avait même prié de l'accompagner aux courses de
chevaux, ce week-end. Elle avait tout d'abord hésité, mais
refuser l'invitation et ne pas se montrer à l'hippodrome serait
malvenu et paraîtrait hautain. Elle espérait juste qu'elle trouverait
quelque chose de convenable à porter. A son grand
quelque chose de convenable à porter. A son grand
soulagement, le chapeau n'était plus de rigueur.
Sans trop prêter attention aux images qui défilaient, Natasha
repensa à sa première semaine en tant que châtelaine. Tout était
si nouveau, si inhabituel... Mais elle s'était adaptée avec une
grande facilité. Comme si ce nouveau rôle l'avait toujours
attendue. Elle adorait rencontrer les gens sur la propriété et
apprendre à connaître leurs problèmes. Ils ressentaient tout de
suite son empathie et lui ouvraient leur cœur, tout à fait à l'aise.
Sa mission lui paraissait limpide. Lorsqu'elle travaillait en Afrique,
il lui était souvent arrivé de se demander le but de sa tâche, là-
bas. Mais ici, le chemin semblait tracé.
Jetant un œil à la pendule, Natasha se dit qu'il était déjà tard et
qu'elle ferait bien de dîner. Henri et sa femme étaient en congé.
Laissant la télécommande sur le canapé, elle se rendit dans
l'immense cuisine à l'ancienne, pour se préparer un sandwich
avec la viande froide qui restait dans le réfrigérateur. Elle était
contente de conserver une partie de son indépendance...
Alors qu'elle tartinait une tranche de pain, elle crut entendre un
craquement. Elle leva la tête et écouta attentivement. Dans un
vieux manoir, il était fréquent d'entendre toutes sortes de bruits.
Haussant les épaules, elle finit de préparer son sandwich,
l'accompagna d'une tasse de chocolat chaud et repartit vers le
petit salon.
En traversant le couloir, elle aperçut une ombre dans l'entrée et
faillit en renverser son plateau. Ebahie, elle vit devant elle une
dame vêtue d'une longue robe du dix-huitième siècle, avec des
anglaises blondes et une grande tristesse sur le visage. Aussi vite
qu'elle était apparue, l'image se dissipa. Avait-elle rêvé ? Elle
regarda autour d'elle, mais rien... aucune trace de la femme
qu'elle était sûre d'avoir vue.
« Une hallucination », se dit-elle en retournant s'installer sur le
canapé. Mais une sensation étrange l'avait saisie et ne la quittait
plus.
Plus tard, en allant se coucher, elle s'arrêta, tremblante, devant le
tableau de Natasha de Saugure dans l'escalier.
Aucun doute n'était permis, c'était elle qui lui était apparue plus
tôt !
8.
Le samedi débuta par un temps clair, légèrement nuageux. Les
Morrieux avaient insisté pour que Natasha se joigne à eux pour
le dîner au Cercle, un des clubs les plus chic de Deauville, où,
tous les ans, on célébrait la fin de la saison des courses et où la
bataille de Waterloo était rejouée. Pour pouvoir participer, il
fallait justifier d'un long lignage aristocratique.
Curieuse, Natasha avait accepté et, comme elle ne voulait pas
conduire après avoir bu, elle avait réservé une chambre dans
l'hôtel Normandie. La soirée s'annonçait alléchante.
A 7 heures sonnantes, Philippe, toujours aussi ponctuel,
l'attendait, et ils se rendirent à pied au restaurant en longeant le
bord de mer. Une fois au Cercle, ils rencontrèrent le comte, la
comtesse et leurs invités.
Mais en entrant, Natasha fut frappée de voir que le bâtiment
tombait en ruine. Mal à l'aise, elle leva les yeux vers le plafond à
la peinture écaillée et pria pour que tout tienne jusqu'à la fin de la
soirée. En fait, le lieu était aussi ancien et décrépit que certains
de ses occupants. Mais une touche d'élégance et de nostalgie se
dégageait également, songea-t-elle en observant, cousues sur
quelques vestes, la légion d'honneur ou la croix de guerre. Ces
quelques vestes, la légion d'honneur ou la croix de guerre. Ces
hommes, si courageux, représentaient la génération qui s'était
battue pendant la Seconde Guerre mondiale.
En saluant ses hôtes, Natasha se délecta des anciennes
coutumes, malheureusement remplacées par des pratiques bien
moins raffinées.
La conversation s'orienta vers l'histoire de la région, Natasha
étant avide d'en connaître toujours plus. Soudain, alors qu'elle
sirotait une coupe de champagne, elle entendit une voix familière.
— Bonsoir, mademoiselle, dit Raoul en faisant une petite
révérence.
— Bonsoir, répondit Natasha, s'efforçant de ne pas laisser
paraître son trouble.
— Je vois que vous vous initiez aux traditions de notre société,
ironisa-t-il.
— En effet. Philippe m'a gentiment invitée à me joindre à sa
famille ce soir et demain pour les courses. Il est si charmant !
ajouta-t-elle en adressant un sourire radieux à son cavalier.
— Je vois. Vous êtes sûrement l'homme le plus envié dans cette
pièce, ce soir, Philippe.
Philippe rougit et resserra le nœud de sa cravate pour se donner
une contenance. Raoul ne pouvait s'empêcher de voler la
vedette.
Il s'était maintenant tourné vers la comtesse, comblée par son
attention.
— J'ai proposé à Raoul de se joindre à nous, expliqua-t-elle à
son mari.
— Très bien ! acquiesça le comte, enthousiaste. On a si
rarement l'occasion de vous voir, maintenant que vous passez le
plus clair de votre temps à Paris.
Raoul lança un regard de victoire à Natasha, dont l'agacement
était palpable. Elle essayait de se faire une place dans la région,
en s'attribuant même les égards de Philippe de Morrieux. Il
comptait bien prendre les choses en main !
— Vous avez parlé à Natasha de la bataille de Waterloo ?
demanda-t-il à Philippe. Vous allez adorer, lança-t-il en direction
de Natasha. Nous avons deux équipes : les Anglais contre les
Français. Comme vous pouvez le remarquer, il y a beaucoup de
vos compatriotes présents ici ce soir — des amateurs de
courses, des entraîneurs. Certains sont ici pour acheter des
chevaux.
— Intéressant, ponctua Natasha avant de se retourner vers
Philippe, bien décidée à ne pas accorder trop d'attention à
Raoul.
Elle essayait désespérément de chasser de son esprit les images
de leur dernière rencontre et les sensations qui envahissaient de
nouveau son corps. Elle avait l'impression, quand ses yeux se
posaient sur elle, qu'il la déshabillait.
Il fallait qu'elle se concentre sur la conversation ennuyeuse de
Philippe. Raoul, de toute façon, ne pouvait se douter de ce
qu'elle ressentait... Mais en se tournant vers lui, elle croisa son
regard amusé et enfiévré, et ne put s'empêcher de rougir.
Il savait. Il avait tout compris...
Il maîtrisait son art à la perfection, conscient de l'effet qu'il faisait
aux femmes.
Prenant une grande gorgée de champagne, elle entreprit de
discuter avec les autres convives. Au moment du dessert, elle fut
prise de sérieux regrets, se disant qu'elle n'aurait jamais dû venir.
Comment aurait-elle pu imaginer que Raoul serait là ? Pourtant,
au fond d'elle, elle savait bien qu'elle était venue avec l'espoir
secret qu'il viendrait également.
Cette révélation déclencha une poussée d'adrénaline dans ses
veines. Pourquoi ne partait-il pas enfin ? Pourquoi restait-il à
parler de cette voix profonde et chaude ?
Après le repas, ils se dirigèrent tous dans une autre salle, pour
assister à la bataille de Waterloo.
— Nous avons une autre jeune femme pour l'équipe anglaise !
cria Raoul à l'intention de l'organisateur, que tous appelaient « le
général ».
— Oh non, s'il vous plaît, je préférerais me contenter de
regarder ! s'écria Natasha.
— Quoi ? Vous refusez de jouer pour votre pays ?
— S'il vous plaît, Raoul, laissez-moi tranquille.
Mais Philippe l'entraînait déjà vers le général, qui se trouvait de
l'autre côté de la pièce. Elle tourna la tête vers Raoul, qui la
narguait d'un large sourire entendu. Il haussa les épaules, lui
faisant comprendre qu'il n'avait aucune intention de la sauver de
ce mauvais pas.
A contrecœur, Natasha entra dans l'équipe anglaise. Que faire ?
Refuser aurait été impoli.
— Voici une coupe de champagne, mademoiselle, annonça le
général, en lui tendant un verre. Vous devez la vider d'un trait
puis la placer sur votre tête. Ensuite, le suivant fait de même.
L'équipe qui termine la première gagne. C'est parti !
— D'un trait ? répéta Natasha.
— D'un trait ? répéta Natasha.
— C'est bien ça. Allez-y, essayez pour voir !
— Très bien, acquiesça Natasha avant de prendre sa respiration
et de boire le champagne d'un trait.
— Excellent. Prêt, tout le monde ?
Les deux équipes, côte à côte, formèrent une ligne, et la fête
commença. Le champagne coulait à flots et Natasha commença
à sentir sa tête tourner. Son tour arriva de nouveau. Elle avala le
liquide et posa son verre sur la tête, priant pour que ce jeu
stupide cesse au plus vite.
Raoul vint alors à son secours. Il la prit dans les bras et l'entraîna
hors de la salle. C'est à peine si elle eut conscience que les gens
la saluaient et lui souhaitaient une bonne nuit.
— Pourquoi m'avoir fait une chose pareille ? demanda-t-elle,
l'esprit perdu dans une brume épaisse.
— Attention, ma belle, vous ne tenez plus sur vos jambes.
Appuyez-vous sur moi... Voilà, c'est mieux.
— Raoul, ce n'est pas juste ! Vous auriez dû les arrêter. Je n'ai
pas l'habitude de boire autant, dit-elle dans un hoquet qui le fit
rire.
— Ça va aller. Je vous donnerai des comprimés à l'hôtel. Après
une nuit de sommeil, tout ira bien.
— Je ne veux même pas penser à mon état demain...
— Tout ira bien, je vous le garantis. Nous voilà au Normandie.
Je vous accompagne à votre suite. Où est la clé ?
Elle rassembla ses forces pour chercher la clé dans son sac à
main et, après la lui avoir tendue, posa la tête contre l'épaule de
Raoul. C'était si bon de se reposer sur lui... Son odeur l'envoûtait
! Elle sentit son bras qui la soutenait fermement alors qu'ils
sortaient de l'ascenseur et traversaient le couloir en direction de
sa suite.
Une fois à l'intérieur, Raoul la guida jusqu'à son lit.
— Allongez-vous, maintenant...
— Je ne veux pas m'allonger, protesta Natasha en gloussant. Je
me sens beaucoup mieux !
— Natasha, vous avez bu trop de champagne. Il serait plus sage
que vous vous mettiez au lit.
— Au lit ? Je n'en ai aucune envie ! Sortons plutôt, allons danser
! Allons boire encore du champagne !
Elle leva la tête vers lui et essaya de l'embrasser, mais Raoul ne
Elle leva la tête vers lui et essaya de l'embrasser, mais Raoul ne
la laissa pas faire.
— Vous ne voulez pas m'embrasser ? On n'aurait pas dit, la
dernière fois...
— Vous n'êtes pas en état d'être embrassée, rétorqua-t-il,
l'entraînant jusqu'au lit avec autorité.
— Ce n'est pas juste, protesta-t-elle avant de s'écrouler. Quand
vous voulez, ça va, mais quand c'est moi...
Elle ne put finir sa phrase, car déjà ses yeux se fermaient.
Raoul la contempla, un sourire aux lèvres. Il n'aurait pas dû la
pousser à participer, il le savait. Rapidement, il la déshabilla et
l'aida à enfiler une chemise de nuit. Natasha ouvrit les yeux. Elle
lui sourit et, après avoir saisi son cou, l'attira contre elle.
— Natasha, ce n'est pas une bonne idée, déclara-t-il, s'adjurant
de se maîtriser.
— Oh, mais si ! implora-t-elle, lui prenant la main et la plaçant
sur ses seins. Oh, c'est si bon, gémit-elle, alors que Raoul ne
résistait pas à la tentation de caresser son mamelon.
— Natasha, vous allez le regretter demain matin...
Il n'en laissa pas moins son autre main se glisser entre ses
Il n'en laissa pas moins son autre main se glisser entre ses
cuisses.
Elle était si chaude, si accueillante... Raoul ne put s'arrêter,
encouragé par les soupirs de plaisir de Natasha. Il était sur le
point de se déshabiller et lui faire l'amour sur-le-champ, mais son
sens de l'honneur le lui interdit. Ce serait abuser de la situation.
Sa force de caractère le surprit lui-même et, plutôt que de se
laisser aller à son désir, il la caressa doucement, ses doigts se
glissant dans sa toison au rythme de son corps qui s'arquait,
réclamant davantage. Foudroyée par une vague de plaisir, elle
retomba sur le lit et s'endormit bien vite, épuisée.
Raoul se leva et borda Natasha, puis la contempla longuement.
En quittant la pièce, il se demanda encore par quel miracle il
avait résisté. Il retourna dans sa suite et se versa un grand verre
de brandy avant d'aller au lit. Lui faire l'amour, il ne pouvait plus
penser qu'à ça... Il faudrait qu'il trouve un moyen pour la chasser
de sa tête !
A ce petit jeu, il ne pourrait plus tenir longtemps...

9.
Avait-elle rêvé ou Raoul l'avait-il vraiment mise au lit ? Et avait-
elle imaginé ces sensations magiques qu'elle avait une fois de plus
éprouvées ?
Natasha s'assit dans son lit et consulta le réveil. Presque 11 h 30
! Elle avait rendez-vous avec les Morrieux à midi et demi...
En entrant dans la salle de bains, tout redevint clair dans son
esprit, et un sentiment de gêne s'empara d'elle. Elle devrait
remercier Raoul de l'avoir arrachée au jeu si vite. Tout ce qu'elle
espérait, c'est que personne d'autre n'avait remarqué à quel point
elle était ivre.
Elle fit la grimace en y repensant. Quelle honte ! songea-t-elle en
laissant l'eau chaude apaiser ses membres las. Et Raoul, dans
tout cela ? Pourquoi avait-il agi si gentiment ? Il s'était montré un
parfait gentleman.
Elle sentit son visage s'empourprer de nouveau en se
remémorant sa propre attitude. Dire qu'elle l'avait littéralement
supplié de lui faire l'amour...
S'enveloppant d'une serviette moelleuse, Natasha décida de faire
comme si de rien n'était, et de se comporter avec le plus de
dignité possible. Même si, connaissant Raoul, elle doutait qu'il lui
laisserait l'occasion d'oublier.
laisserait l'occasion d'oublier.
Mais elle se trompait.
Plusieurs heures plus tard, alors qu'ils se croisèrent sur le champ
de courses, Raoul ne lui lança aucun regard entendu, ne fit
aucune allusion embarrassante. Il fut d'une extrême courtoisie. Et
alors que Natasha retrouvait peu à peu confiance, il conversait
simplement avec les Morrieux, donnait des conseils sur les
chevaux qu'il voyait gagner, et il lui demanda si elle voulait aussi
miser.
Après quelques instants, elle se sentit plus à l'aise et commença à
profiter du spectacle. Après tout, le week-end — à l'exception
de la nuit précédente — se passait de façon fort agréable. A vrai
dire, même cette nuit avait été délicieuse...
Il lui fallait simplement écarter le souvenir des caresses de Raoul
qui déferlaient dans son esprit. Mais bien trop souvent, au cours
de l'après-midi, ses baisers et ses étreintes vinrent colorer ses
pensées. Elle l'observait de loin, sensible à son charme
magnétique et à sa beauté virile. Une vague de jalousie la frappa
même quand elle le surprit en grande conversation avec une
ravissante jeune femme blonde.
Elle devait mettre un terme à cet envoûtement ! Elle se tourna
vers Philippe et entreprit de lui parler pour se changer les idées.
Les Morrieux semblaient enchantés de l'attention qu'elle
accordait à leur fils. Un mariage entre l'héritier des Morrieux et
celle des Saugure n'aurait pas été pour leur déplaire, de toute
évidence.
Raoul avait remarqué le rapprochement des jeunes gens. Tout en
discutant avec sa cousine, il n'avait pas quitté des yeux Natasha
et Philippe de Morrieux, son rival.
Un rival ? Il rit à cette idée. Pourtant, elle avait l'air de prendre
un grand plaisir à se faire courtiser par lui. Il rageait
intérieurement. S'était-il trompé sur Natasha ? A quel jeu jouait-
elle ?
Toujours préoccupé, il alla parier sur un outsider pour la
prochaine course. Il jeta un nouveau regard sur Natasha, qui y
répondit par un franc sourire. Il décida de placer un autre pari
sur le cheval avant de se rendre à la table des Morrieux.
Le comte l'accueillit chaleureusement et l'invita à s'asseoir en leur
compagnie.
— Je ne peux pas, je suis désolé. Je vais regarder la prochaine
course.
— Votre cheval a-t-il gagné ?
— Malheureusement, il est arrivé troisième, ce qui n'est pas si
mal. A propos, j'ai misé pour vous dans la prochaine course,
annonça-t-il en s'adressant à Natasha. Voudriez-vous me suivre
pour voir si nous avons de la chance ?
Elle hésita un instant. Mais comment résister à son regard
pénétrant ? Avant de se lever, elle prévint la comtesse qui était
engagée dans une conversation animée avec une autre femme.
— Bien sûr, ma chère. Philippe, tu les accompagnes ?
— Oh oui, avec plaisir, lança ce dernier en sautant de sa chaise
pour escorter Natasha.
Ce n'était pas de cette façon que Raoul avait envisagé la
situation. La présence du jeune homme l'irrita profondément.
Mais que pouvait-il y changer ?
Lorsqu'ils furent installés, Raoul pointa son doigt dans la
direction d'un cheval.
— Vous voyez le jockey en bleu et blanc ? C'est notre homme.
— Quel est le nom du cheval ? s'enquit Natasha.
— Je te veux.
— Pardon ?
— Vous m'avez demandé le nom du cheval ?
— Oui.
— Eh bien, c'est son nom : Je te veux.
— Je vois...
Elle tourna la tête, embarrassée.
— Voyons si nous avons de la chance, reprit-il. Tenez, prenez
ces jumelles, vous verrez mieux la course...
— Merci, dit-elle en acceptant les jumelles, contente d'avoir
quelque chose à faire, qui lui éviterait de penser au regard de
Raoul sur elle.
Philippe étudia attentivement le programme et débattit des
chances des uns et des autres avec Raoul. Mettre les deux
hommes côte à côte n'était pas très juste, se dit Natasha,
amusée. Raoul avait regretté qu'il les accompagne, mais en fait,
leur proximité lui était plutôt bénéfique. A côté de ce Philippe
coincé et sans charisme, Raoul rayonnait, tel un diamant
précieux.
Les chevaux se lancèrent sur le champ de courses et tous les
regards se rivèrent sur eux. Natasha s'enthousiasmait en voyant
que Je te veux devançait les autres concurrents. La foule se leva
pour lancer des encouragements. Quand, enfin, Je te veux
franchit la ligne d'arrivée le premier, Natasha bondit de joie.
— Il a gagné ! s'exclama-t-elle en se retournant vers Raoul.
N'est-ce pas extraordinaire ? Je n'en reviens pas ! Comme vous
avez été bien avisé de parier sur lui !
— Il était évident qu'il gagnerait, répondit Raoul, taquin.
— Vraiment ? Je croyais qu'il n'était qu'un outsider à vingt contre
un...
— En effet.
— Alors ? Comment étiez-vous si sûr ?
— Parce que je te veux, chuchota-t-il à son oreille, sa main se
glissant dans son dos, emportant Natasha dans une autre
dimension.
Confuse, elle s'écarta. Tout se passait trop vite ! Elle se sentait
irrémédiablement attirée, mais elle connaissait le danger, si elle
cédait à son désir. Les paroles de Clotilde lui revinrent à l'esprit.
— Je retourne chez moi une fois que j'aurai empoché nos gains,
déclara-t-il sur un tout autre ton, comme s'il n'avait pas remarqué
son trouble.
— Oui, je ferais bien de rentrer aussi...
— Vous devriez venir prendre un verre, suggéra-t-il. Non, après
réflexion, nous pourrions nous arrêter sur la route pour dîner. Il y
a un délicieux restaurant, à Beaumont, qu'il faut que vous
connaissiez.
— Raoul, je dois rentrer, je suis venue en voiture...
— Attendez un instant.
Il sortit son portable de sa veste et, avant qu'elle pût réagir,
donna des instructions pour qu'on se charge de ramener sâ
voiture au manoir.
— Raoul, je n'avais pas dit que je voulais venir avec vous, se
défendit-elle, exaspérée.
Il était si sûr de lui ! Elle enrageait de n'avoir pas la force de lui
résister.

Le restaurant était aussi excellent que l'avait annoncé Raoul, avec


une lumière tamisée, des fleurs séchées sur les tables et un
service de qualité. La nourriture était un régal et sa compagnie
fort agréable, elle devait le reconnaître.
Raoul avait tout fait pour qu'elle se sente bien. Se montrer galant
et agréable avec la gent féminine ne lui posait jamais de
problème. Mais cette fois, il n'économisait pas ses efforts.
— Raoul, je voudrais vous poser une question...
— Je vous en prie, ma chère.
— C'est au sujet de votre ancêtre, Régis d'Argentan. Qu'est-il
arrivé, à lui et à Natasha ? Pourquoi personne n'ose-t-il révéler
leur histoire ?
— Pourquoi êtes-vous si curieuse de connaître le passé ?
demanda Raoul en reposant son verre de vin.
— Le passé m'a toujours fascinée. Je veux tout connaître de
l'histoire de la région. Après tout, j'ai décidé d'en faire ma
maison. Je sais que Régis et Natasha étaient d'une certaine façon
liés... Je vais vous confier une drôle de chose qui m'est arrivée
l'autre soir.
Elle hésitait à lui raconter l'incident.
— Je vous en prie, dit-il, intrigué. Que s'est-il passé ?
— Vous allez penser que je suis folle... Je pourrais jurer que je
l'ai vue devant moi dans le salon.
— Qui ça ?
— Natasha de Saugure. Je... non, c'est ridicule.
— Il n'y a rien de ridicule à voir un fantôme, objecta-t-il, très
sérieux.
— Vous voulez dire que cela pourrait bien être elle ?
— Pourquoi pas ? Il n'est pas rare d'assister à des phénomènes
étranges, dans les vieilles demeures. Qu'ils soient vrais ou non est
sujet à débat. Mais certains affirment avoir déjà vu des fantômes.
— Vous en avez vu dans votre château ?
— Pas en nombre ! répondit-il dans un rire. Mais il est possible
que cela me soit arrivé...
— Raoul, racontez-moi s'il vous plaît..., implora Natasha, posant
sa main sur son bras.
— Cela s'est passé il y a bien longtemps, commença-t-il à
contrecœur, alors qu'elle retirait sa main. Régis était un jeune
homme, au début de la Révolution française. Il a combattu pour
l'aristocratie et s'est retrouvé mêlé à des histoires compliquées.
— De quel genre ?
— Il ne s'est pas entouré des bonnes personnes... Et si nous
commandions le dessert ? Les fraises sont excellentes, en cette
saison.
— Raoul, ne changez pas de sujet. Je veux savoir.
— Raoul, ne changez pas de sujet. Je veux savoir.
— Je suis sûr que le prêtre pourra vous dresser un tableau plus
juste et plus impartial.
— Pourquoi ? Cela s'est passé il y a deux siècles ! Ça ne peut
pas revêtir une telle importance !
— Assez d'importance pour que cela continue à hanter le
présent. Vous m'avez confié avoir vu Natasha... Comment
savez-vous que c'était elle ?
— Parce que j'ai vu son portrait dans l'escalier. Je suis sûre de
moi.
— Savez-vous pourquoi elle s'appelait Natasha ? demanda-t-il
pour faire diversion.
— Non. Je ne savais même pas que c'était un nom donné dans
notre famille, avant de venir ici. Mon père ne me l'a jamais
expliqué. Je pensais juste que mes parents aimaient ce prénom...
— La mère de Natasha venait d'une noble famille russe. C'est
pour cette raison qu'elle a nommé ainsi sa fille.
— Et Régis est tombé amoureux d'elle ?
— En effet
— Mais... ?
— Mais... ?
— Comment savez-vous qu'il y a un « mais » ?
— A cause de la façon dont vous m'avez répondu. Parce que
dans le livre des d'Argentan, elle n'apparaît pas comme sa
femme.
— Natasha n'a pas été honnête avec lui. Elle a joué avec ses
sentiments et sa sécurité. C'était une période difficile et
dangereuse. Il a pris des risques inimaginables pour elle et elle...
elle a commis l'impardonnable.
— Je vois. Encore une histoire d'amour-propre blessé...
— C'est ridicule ! Amour-propre blessé... Vous vous moquez !
Il s'agit d'honneur, mademoiselle. Natasha n'en avait pas. Elle
s'est promise à Régis, mais s'est jetée dans les bras d'un
révolutionnaire.
— Je comprends...
— Non, vous ne comprenez pas ! Peu de gens imaginent la vie à
cette époque. Elle s'est prostituée pour un traître !
— Est-ce qu'elle n'aimait pas Régis ?
— Elle disait l'aimer. Mais elle n'a pas hésité à écarter les jambes
devant la racaille de révolutionnaire. Cela a causé une fracture
devant la racaille de révolutionnaire. Cela a causé une fracture
entre les d'Argentan et les de Saugure pendant des générations.
Heureusement, avec le temps, les deux familles ont retrouvé des
relations amicales.
Natasha voyait la colère dans les yeux de Raoul. Il valait mieux
parler d'autre chose. Au moins, désormais, elle connaissait une
partie de l'histoire dont le prêtre n'avait pas voulu lui parler.
— Les fraises me tentent bien, annonça-t-elle, contente de
constater que Raoul se détendait en entendant ces mots.
— Avec de la crème ?
— Pourquoi pas ? Même si j'ai bien plus mangé qu'il ne faudrait,
ces derniers jours...
— Vous êtes parfaite, à mes yeux, affirma-t-il en la transperçant
du regard, la plongeant aussitôt dans un courant de désir.
Comment cet homme arrivait-il à l'ébranler ainsi ?
— Natasha, laissez-moi vous confier un secret..., murmura-t-il,
comme s'il lisait dans ses pensées.
— Je vous écoute...
— Désirer n'est pas un péché. C'est naturel et magnifique. Et ne
me faites pas croire que vous ne savez pas de quoi je parle. La
nuit dernière m'a prouvé votre flamme.
nuit dernière m'a prouvé votre flamme.
— La nuit dernière était une... une grosse erreur, bredouilla-t-
elle, essayant d'ignorer la main de Raoul qui effleurait l'intérieur
de son bras, provoquant au passage de petites décharges
électriques.
— La nuit dernière est la preuve que vous voulez faire l'amour
avec moi. En fait, je vous ai déjà fait l'amour. Pas complètement,
le meilleur reste à venir...
— Je...
— Chut ! ordonna-t-il en posant un doigt sur les lèvres de
Natasha. Plus un mot ! Permettez simplement aux choses de
suivre leur cours. Et s'il vous plaît, cessez de refuser ce qui nous
attend inévitablement.
Au grand soulagement de Natasha, le serveur arriva avec les
fraises, et Raoul se redressa sur sa chaise. Elle se sentait perdue,
croquant dans le fruit rouge avec un érotisme qu'elle ne
soupçonnait pas. Il avait raison ; tôt ou tard, ils consumeraient le
feu qui courait entre eux. Mais la raison lui dictait d'être
prudente, de ne pas s'abandonner trop facilement, même s'il
savait fort bien ce qu'elle ressentait pour lui.
10.
La nuit était tombée quand ils regagnèrent la Ferrari. La pleine
lune éclairait le ciel d'encre, illuminant le ravissant village
normand avec ses paniers fleuris aux fenêtres, ses rues pavées et
ses maisons à colombages. Natasha croyait rêver. Si on lui avait
dit, quelques semaines plus tôt, qu'elle traverserait la Normandie
dans une Ferrari, au côté du plus bel homme qu'elle ait jamais
vu, elle se serait esclaffée. Mais à présent, l'idée de passer toute
la nuit dans les bras de Raoul l'alléchait plus qu'elle ne l'effrayait.
— Je voudrais vous emmener quelque part avant de rentrer à la
maison, dit-il en tournant sur une petite route.
— Où ça ?
— Un endroit qui pourrait vous intéresser.
Il fixa la route et ne dit plus un mot, jusqu'à ce qu'ils arrivent à
une petite maison pittoresque.
— Où sommes-nous ?
— C'est ici que Natasha et Régis se rencontraient en secret, au
temps de la Terreur, répondit-il doucement. C'est ici qu'ils ont
fait l'amour pour la première fois.
Un tourbillon s'empara de Natasha. Elle leva la tête vers Raoul,
mais ne sut que dire. Il l'avait emmenée ici pour une raison
précise, elle le savait. Mais pourquoi, s'il était aussi remonté
contre ses ancêtres, lui faire visiter leur cachette intime ?
— Je me suis dit que vous aimeriez venir ici, expliqua-t-il en
sortant de la voiture.
Ils pénétrèrent à l'intérieur en poussant une lourde porte de bois.
— Vous avez la clé ? s'étonna Natasha.
— Oui, cette propriété est à moi. Aux d'Argentan.
Il alluma, et Natasha balaya l'endroit du regard, se demandant s'il
avait changé depuis l'époque.
— Il ressemblait à cela, autrefois ? chuchota-t-elle en frôlant du
bout des doigts le canapé en velours.
— Oui, je crois que rien n'a été changé. Ma grand-mère a
seulement fait rafraîchir le mobilier. Et bien sûr, elle a fait installer
l'électricité ainsi qu'une salle de bains. Suivez-moi.
Il la prit par la main et la conduisit vers l'escalier.
Soudain, elle comprit pourquoi ils étaient là.
Soudain, elle comprit pourquoi ils étaient là.
Alors qu'ils montaient les marches une à une, Natasha sentait son
cœur s'emballer, sa peau la brûler. Lorsqu'ils arrivèrent à la porte
de la chambre à coucher, elle hésita à entrer.
— Voilà où ils se sont aimés, murmura-t-il en l'entraînant à
l'intérieur. Et c'est là que nous allons nous aimer...
Il alluma deux chandeliers sur la cheminée.
Natasha examina le grand lit double à baldaquin. On aurait dit
qu'il les attendait, avec ses draps frais parfaitement lissés. Des
fleurs décoraient les fenêtres. La lumière vacillante des bougies
baignait la pièce comme à l'époque des jeunes amants.
Raoul traversa la pièce et posa ses mains sur les épaules de
Natasha. Leurs regards se fondirent l'un dans l'autre et ils
restèrent un moment immobiles, comme hypnotisés. Quand il
commença doucement à baisser la fermeture de sa robe et à
dégrafer son soutien-gorge, elle ne l'arrêta pas, impatiente de
sentir ses lèvres sur les siennes, le contact de sa main sur sa
peau. Il la déshabilla entièrement et elle lui offrit le spectacle de
sa nudité.
Raoul recula d'un pas pour mieux la contempler.
— Quelle beauté ! Telle que je l'avais imaginée... Viens !
Elle s'exécuta, lui tendit la main et le laissa l'allonger sur le lit.
Il était d'une tendresse chavirante. Rien à voir avec l'amant
féroce qu'elle s'était représenté. Etendue sur les draps au doux
parfum de lavande, les yeux fermés, elle se délectait de ses
caresses de plus en plus intimes, sentant ses lèvres effleurer
délicatement ses seins, ses doigts glisser le long de ses jambes. Il
découvrait ses moindres zones de plaisir, l'entraînant dans un
déchaînement de sensations jusqu'à ce qu'elle pousse un cri.
Raoul s'abreuvait de son image. Elle était merveilleuse ! Mais il
avait à peine commencé. Rapidement, il retira ses vêtements et
vint s'allonger à son côté... Elle n'avait aucune expérience en
matière d'hommes : il s'en rendit compte en laissant ses mains
repartir à l'exploration de son corps. Cela lui plaisait ainsi. Elle
restait en partie hésitante et tendue, et il se douta qu'il devait y
avoir une raison à cela. Tout d'un coup, il éprouva un sentiment
de colère contre l'homme qui lui avait si mal fait l'amour. Il
comptait bien y remédier !
— Je vais te faire l'amour, ma chérie, chuchota-t-il en se plaçant
sur elle d'un mouvement agile. Profite de tous les instants !
Natasha ne demandait pas mieux. Lorsqu'il se glissa en elle, elle
laissa échapper un petit gémissement. Elle se détendit et s'ouvrit
à lui, permettant à leurs corps de ne faire plus qu'un. Puis, sans
s'en rendre compte, elle suivit sa cadence. Elle se cambrait en
harmonie avec les mouvements de Raoul. Et finalement, quand
harmonie avec les mouvements de Raoul. Et finalement, quand
tous deux arrivèrent au paroxysme de l'extase, ils se laissèrent
submerger par un feu d'artifice qui les emporta vers un nouveau
monde.

*
**

Il s'était attendu à tout, mais pas à ça. Pas à ce déferlement de


passion, de plaisir. Quand avait-il fait ainsi l'amour à une femme
pour la dernière fois ? Il n'aurait su dire.
Leur entente était parfaite, et c'est ce qui l'effrayait. Cela pouvait
devenir dangereux... et l'était même déjà. Il n'avait jamais
autorisé quiconque à s'insinuer si profondément dans son cœur.
Jamais depuis Janine, en tout cas... Depuis qu'il avait souffert
d'être rejeté. Une fois lui avait suffi : il s'était juré, après cette
histoire, de ne plus s'exposer à l'humiliation.
Mais en contemplant Natasha, allongée nue sur le lit, sa
chevelure blonde en pluie sur l'oreiller, un sentiment nouveau
grandit en lui, celui d'une sincère tendresse.
Il sortit du lit et, après avoir enfilé une robe de chambre de soie,
Il sortit du lit et, après avoir enfilé une robe de chambre de soie,
se dirigea vers la fenêtre. Pourquoi avait-il emmené Natasha
dans cet endroit ? Quelle sottise ! Même si leur étreinte
passionnée avait été parfaite, ce lieu avait d'autres résonances. Et
il n'avait pas l'intention de poursuivre une liaison avec elle...
Maintenant qu'il avait obtenu ce qu'il désirait, il comptait bien
retourner à Paris pour ses affaires. A quoi bon rester et lui faire
croire qu'il était prêt à s'investir dans cette relation ? Il savait bien
que les femmes avaient la fâcheuse tendance à confondre une
nuit d'amour avec l'amour éternel. Par quel miracle Natasha
aurait-elle été différente ?
Il poussa un soupir. Pourquoi les choses ne pouvaient-elles être
plus simples ? Il aurait aimé avoir d'autres nuits comme celle-ci,
sans que cela n'engage à rien. Mais c'était impossible...

Natasha ouvrit les yeux et s'étira. Voilà, c'était enfin arrivé. Elle
avait laissé Raoul lui faire l'amour. Soudain, elle se rendit compte
qu'elle était seule au lit. Complètement réveillée, elle promena
son regard dans la chambre et aperçut une silhouette à la fenêtre,
dans la lumière de la lune. Une vague de tendresse l'envahit.
Cette nuit avait été si merveilleuse, si simple et si parfaite !
Elle admira le corps de Raoul, envoûtée. Il lui avait fait l'amour
dans le lit où leurs ancêtres avaient consommé leur passion
défendue... Ce n'était pourtant pas le moment de s'emballer.
Connaissant Raoul, il valait mieux qu'elle reste sur ses gardes.
Connaissant Raoul, il valait mieux qu'elle reste sur ses gardes.
Elle avait déjà mordu à l'hameçon, se dit-elle avec un brin de
cynisme. Elle ne devait pas se leurrer davantage en pensant
qu'une force irrésistible venue du passé avait poussé Raoul à
l'emmener ici. Il n'y avait que du désir, un point c'est tout.
S'extirpant du lit, elle s'approcha de lui sur la pointe des pieds.
— Réveillé ? murmura-t-elle.
Raoul se retourna en sursaut.
— Je profite de la nuit, expliqua-t-il en l'entourant de son bras
fort. Regarde la lune. Elle brille, claire et limpide...
— Ont-ils jamais eu une nuit comme celle-là ?
— Régis et Natasha ?
— Non, les chats de la région..., répondit-elle sur un ton taquin.
Bien sûr que je parle de nos ancêtres ! Pourquoi refuses-tu ainsi
de parler d'eux ? Après tout, c'est toi qui m'as emmenée ici !
— Je sais... et je le regrette. C'était stupide.
Une douleur aiguë la frappa en plein cœur.
Elle avait vu juste. Cela n'avait été qu'une manœuvre rusée pour
lui faire baisser la garde. Elle s'arracha à l'emprise de son bras.
— Nous devrions rentrer, suggéra-t-elle. J'ai beaucoup de
travail, demain.
Avec difficulté, elle se retint de pleurer. Elle ne voulait pas que
Raoul voie à quel point cette nuit avait changé sa vie. Il fallait
qu'il croie simplement qu'elle avait pris du plaisir et qu'elle était
prête à passer à autre chose.
— Très bien, acquiesça-t-il.
Un lourd sentiment de vide s'emparait de lui tandis qu'il la
regardait partir vers la salle de bains.
Il n'avait pas imaginé qu'elle réagirait ainsi. Peut-être s'était-il
montré un peu trop brusque, mais il ne désirait pas se lancer
dans une discussion sur Régis et Natasha. Surtout maintenant
qu'il comptait prendre ses distances.
Il tira le rideau et s'assit un moment dans la pénombre. Agacé, il
ramassa ensuite ses vêtements et commença à s'habiller. Il
réfléchirait à tout cela demain. Ou pas du tout... En fait, tout se
passait comme il le souhaitait, non ? Plus vite il reconduirait
Natasha chez elle, mieux il se porterait.
Une demi-heure plus tard, ils roulaient en silence dans la
fraîcheur de la nuit. Ils arrivèrent vite aux portes du manoir.
Il était 5 heures du matin.
Alors que la voiture s'arrêtait, elle se prépara à des adieux froids
et dépourvus de sentiments. Mais Raoul descendit pour sortir
ses bagages du coffre, ralentissant les choses.
— Merci pour cet agréable dîner, dit-elle sèchement, alors qu'il
déposait la valise sur les marchés.
— Il n'y a pas de quoi, répondit-il sans la quitter du regard,
pendant qu'elle fouillait dans son sac à main, à la recherche de sa
clé.
— Bonne nuit, Raoul. Au plaisir de vous revoir. J'imagine que
nos chemins ne peuvent que se croiser...
— Natasha...
Sa froideur le laissait sans voix. Il n'avait jamais rien vécu de tel.
On ne congédiait pas ainsi Raoul d'Argentan !
— Bonne nuit, répéta-t-elle, s'emparant de sa valise et ouvrant la
porte pour lui signifier qu'elle voulait en finir.
— Bonne nuit, répondit-il, sans savoir s'il devait l'embrasser.
Quand la porte se referma sur lui, il fulminait. Aucune femme ne
lui avait claqué la porte au nez. Si ce n'est dans des scènes de
colère ou de jalousie. Mais là, il n'en était rien. Il n'en revenait
pas...
Après être retourné dans sa voiture, il fonça dans la nuit, évitant
de justesse un camion.
Il ne se laisserait pas faire par cette impertinente !

S'appuyant contre la porte d'entrée, Natasha se laissa enfin aller


à sa déception. Il lui avait fallu beaucoup de courage pour ne rien
trahir de ses sentiments. Mais c'était pour le mieux. Raoul était
déjà de l'histoire ancienne. Et même si elle regrettait de s'être
abandonnée, au moins, maintenant, elle savait ce que signifiait
être aimée par un merveilleux amant.
A quel prix ? se demanda-t-elle en montant l'escalier, sa valise à
la main. En atteignant le portrait de Natasha, elle s'arrêta un
instant pour l'observer dans la semi-pénombre. Avait-elle connu
de telles sensations dans les bras de son bien-aimé ? Pourquoi
Raoul répugnait-il à parier d'eux ? Elle reprit son ascension vers
sa chambre. Il lui fallait découvrir le mystère qui se cachait
derrière leurs ancêtres. Quelque chose de terrible avait dû
arriver, pour que cela vienne encore ternir le présent.
Demain, se dit-elle en se déshabillant, assaillie par l'image de
Raoul, ses caresses sur sa peau, son parfum délicat Elle parlerait
au curé et essayerait d'en savoir plus.
Pour le moment, elle devait trouver le sommeil, malgré sa
tristesse et son état de bouleversement.
11.

— Mademoiselle, vous avez de la visite, annonça Henri,


quelques jours plus tard.
Natasha était installée à son bureau, travaillant sur les comptes
de la propriété.
— Très bien. Qui est-ce ? demanda-t-elle, soulagée de cette
pause.
Décidément, les chiffres ne lui réussissaient pas...
— Monsieur le maire. Il était aux Etats-Unis pour rendre visite à
sa famille. Maintenant qu'il est de retour, il voudrait vous saluer.
— J'arrive. Conduisez-le au petit salon.
Elle ne pourrait pas travailler ce matin, mais après tout, elle avait
tant de mal à se concentrer...
Elle s'examina dans le miroir. Comment dissimuler sa pâleur ? Et
comment arrêter son cœur de battre la chamade chaque fois que
le téléphone sonnait ?
Elle espérait un signe de Raoul. Mais il n'avait plus jamais
appelé.
C'était terminé. Il fallait bien qu'elle l'accepte.
En arrivant dans le salon, elle fut surprise de voir un jeune
homme élégant. Elle s'était attendue à un vieillard chauve et
bedonnant.
— Mademoiselle de Saugure, quel honneur ! Je suis désolé de
ne pas être venu vous rencontrer plus tôt, mais j'étais en voyage.
Permettez-moi de me présenter : Georges Mallard.
Il ponctua sa présentation d'une petite révérence, avant de lui
prendre la main pour y déposer un petit baiser respectueux.
— C'est un plaisir de faire votre connaissance, répondit-elle en
l'invitant à s'asseoir. Voudriez-vous une tasse de café ? Ou peut-
être quelque chose de plus fort ? Un verre de whisky ?
— Volontiers.
Natasha se tourna vers Henri, qui alla chercher les apéritifs, puis
elle prit le temps d'examiner son invité. Il était d'une grande
beauté, très bien bâti, avec des cheveux bruns et des yeux
noisette. Mais avant tout, il paraissait honnête et d'agréable
compagnie. Pour Natasha, après la nuit passée avec Raoul,
c'était une bouffée d'air frais.
— Ainsi, vous êtes maire du village depuis un moment ?
— Cela fait deux ans. J'ai eu cette fonction par héritage, pour
ainsi dire, plaisanta-t-il. Mon père et mon grand-père étaient
maires avant moi. Je crois même que cela remonte à la
Révolution. Que je prenne la relève était naturel. Je dirige
également une usine de calvados dans la région. Nous aimons à
penser que c'est une tradition ancestrale, dans notre famille, et
que nous fabriquons le meilleur calvados de la région...
— C'est le cas ? demanda-t-elle, ravie de rire avec lui.
— Vous voulez la vérité ?
— Et rien d'autre !
— Eh bien, notre calvados est excellent, mais je ne pourrais
jurer que c'est le meilleur. Mais vous devez promettre que si
vous croisez mon père ou mon grand-père, vous ne révélerez
jamais ce que je vous ai confié. Ils me déshériteraient sur-le-
champ !
— Mon Dieu ! Je ne laisserais jamais une telle catastrophe se
produire ! s'exclama-t-elle, hilare.
Alors qu'ils conversaient et sirotaient leur whisky, Natasha se
réjouit de ce nouvel ami. Georges était charmant, sympathique,
et il n'essayait même pas de la séduire — ce qui lui paraissait
inhabituel pour un Français.
— Et si vous restiez pour le déjeuner ? suggéra-t-elle.
— Ce serait avec plaisir. Malheureusement, je dois me rendre à
une réunion tôt dans l'après-midi. Mais...
— Oui?
— Je voulais vous proposer de dîner avec moi, un soir. Demain,
par exemple.
— J'en serai enchantée, acquiesça-t-elle, ravie d'avoir une
occasion de sortir Raoul de son esprit.
— Excellent Je viens vous chercher vers 7 h 45, si cela vous va
? Il y a un charmant petit restaurant à Beaumont et je pense...
— Oh non ! interrompit-elle.
— Vous n'aimez pas Beaumont ? Vous connaissez déjà ?
— Oui... non. Enfin, je préférerais essayer quelque chose
d'autre. Je connais déjà Beaumont. J'adorerais découvrir
d'autre. Je connais déjà Beaumont. J'adorerais découvrir
d'autres endroits.
— Pas de problème. Je penserai à un restaurant où je suis sûr
que vous n'avez jamais mis les pieds. Au revoir, mademoiselle.
Il déposa un nouveau baiser sur sa main.
— Appelez-moi Natasha, je vous en prie. Ça me donne
l'impression d'avoir cent ans, quand on me traite avec autant de
cérémonie.
— D'accord, Natasha. Et vous pouvez m'appeler Georges.
Ils échangèrent un sourire sincère et Natasha le reconduisit à la
porte. Quel bonheur d'avoir fait la connaissance d'un homme
aussi agréable ! Il saurait lui faire oublier le silence de Raoul.
Après un repas léger, elle décida de se promener dans le jardin
pour ne pas se sentir déprimée. André, le jardinier, s'affairait à
tailler la haie. Elle leva la tête vers le ciel bleu, légèrement
couvert. Marcher dans le village lui donnerait l'occasion de parler
avec le curé. Jusque-là, elle n'en avait pas encore eu le temps.
Retournant à l'intérieur, elle s'empara d'une veste pour se
protéger d'une averse éventuelle. D'un bon pas, elle marcha vers
le village, saluant au passage Roland Hervier, un des fermiers sur
ses terres, qui conduisait une moissonneuse-batteuse. Elle aimait
voir ses employés heureux et occupés, sachant que ce qu'elle
voir ses employés heureux et occupés, sachant que ce qu'elle
avait entrepris jusqu'ici avait apporté des changements
bénéfiques.
Lorsqu'elle arriva sur la rue pavée du village, les gens se
retournaient vers elle en lui souriant. Mme Blanc, la boulangère,
Rémy, le tenancier du bar, M. Lenoir, qui tenait le magasin de
tabac-journaux, et qui maintenant commandait pour elle des
journaux anglais.
— Belle journée, mademoiselle, commenta ce dernier alors
qu'elle franchissait le seuil de sa boutique.
— En effet. Le Times est-il arrivé ?
— Je n'ai que celui d'hier. C'est à cause de leur nouveau système
de distribution. Tout passe par Paris, maintenant. Personne n'y
peut rien. C'est dans l'ordre des choses, tout change..., se
plaignit-il en secouant la tête. Je disais encore hier soir à ma
femme la chance que nous avons. Ici, nous sommes plutôt
épargnés. Cela dit, quand le baron se mariera, ce ne sera plus
pareil. La baronne prendra les commandes.
— Vous parlez du baron d'Argentan ?
— Bien sûr ! La marquise de Longueville, qui habite de l'autre
côté de la falaise, a répandu la nouvelle partout. Apparemment,
le baron s'est montré très intéressé par sa fille, Camille. Même si,
entre nous, je ne vois pas ce qu'il lui trouve, ajouta-t-il sur le ton
entre nous, je ne vois pas ce qu'il lui trouve, ajouta-t-il sur le ton
de la conspiration.
— Je suis sûre que c'est une jeune fille adorable, remarqua
Natasha, craignant que son trouble ne transparaisse.
— Sûrement. Et tout cela vient peut-être de l'imagination
débridée de la comtesse. Ça fait dix ans qu'elle essaye de caser
sa fille. Le baron serait une prise idéale !
— J'imagine... Bien, si les journaux ne sont pas arrivés, je ferais
mieux de continuer mon chemin. Au revoir, monsieur Lenoir, à
bientôt.
Sans plus attendre, elle quitta le magasin, submergée d'émotion.
Elle avait raison. Raoul ne l'avait séduite que pour le jeu, pour
l'ajouter au nombre de ses conquêtes. Beau travail ! songea-t-
elle en se dépêchant, de peur d'avoir à se lancer dans une
nouvelle discussion. Pourquoi se sentait-elle si effondrée ? Entre
Raoul et elle, il n'y avait qu'une forte attirance physique, elle le
savait bien.
— Vous avez l'air pressée...
Elle se retourna et vit Georges qui traversait la rue dans sa
direction.
— Georges ! Comment allez-vous ?
— Bien. Mais vous, ma chère, on ne dirait pas, remarqua-t-il en
fronçant les sourcils. Que vous arrive-t-il ?
— Rien, tout va très bien... Je...
— Accompagnez-moi. Je vous invite à prendre un café et un
brandy avec moi, suggéra-t-il. Et vous pourrez me dire, si vous
le désirez, ce qui vous préoccupe. Vous devez vous sentir bien
seule, dans ce nouvel environnement. Je pourrais être votre
ami...
Il lui adressa son sourire renversant, qu'elle avait tant apprécié
plus tôt dans la journée.
— D'accord, acquiesça-t-elle en lui rendant son sourire.
Ensemble, ils remontèrent la rue, vers le café où ils s'installèrent
Georges commanda deux cafés et deux verres de brandy.
— Me trouveriez-vous trop curieux si j'osais vous demander ce
qui vous bouleverse ainsi ? Je vous connais à peine, mais l'amitié
n'a pas besoin de beaucoup de temps pour se développer.
Il avait raison. Lors de son voyage en Afrique, Natasha s'était
plus d'une fois liée d'amitié avec de parfaits étrangers.
— Oh, j'ai reçu une nouvelle qui m'a contrariée, rien de plus..
expliqua-t-elle. Ça n'a aucune espèce d'importance.
expliqua-t-elle. Ça n'a aucune espèce d'importance.
— Vraiment ? Ce n'est pas ce qu'il m'a semblé. On aurait dit que
vous veniez d'être frappée par la foudre.
— Mais non ! protesta-t-elle en riant. Ne vous inquiétez pas.
Ils trinquèrent et discutèrent pendant un moment. Georges
parvint à la divertir, mais alors qu'ils s'apprêtaient à partir,
Natasha reconnut la Range Rover de Raoul, garée dans la rue.
— Tiens, la voiture de Raoul... Je croyais qu'il était à Paris, fit
remarquer Georges avec étonnement.
Natasha retint sa respiration quand elle vit Raoul, vêtu d'un jean
bleu et d'un pull marin, traverser la rue et se diriger dans leur
direction. Elle sentit le feu monter à ses joues et son cœur
s'emballer. Pourquoi avait-il cet effet sur elle ? Comment ne
réussissait-elle pas à se contrôler ? Il avait pourtant été très clair :
il ne voulait pas approfondir leur relation. Pourquoi ne
comprenait-elle pas le message ?
Elle réussit à se fendre d'un sourire de façade.
— Georges, Natasha, je vois que vous avez fait connaissance...
Il posa les yeux sur elle, et ne put réprimer une sensation
d'émerveillement. Comme elle était belle ! Malgré sa pâleur...
Georges avait découvert ce bijou précieux...
Georges avait découvert ce bijou précieux...
— Joins-toi donc à nous, suggéra Georges. Nous prenions un
café.
— Excellente idée, acquiesça-t-il, tirant une chaise pour s'asseoir
entre le couple. Alors, vous bavardiez ?
Natasha perçut une pointe de rivalité dans le ton de Raoul. Elle
se demanda ce qu'il y avait entre les deux hommes.
— Oui, j'ai eu le plaisir de rencontrer Natasha ce matin. Comme
tu le sais, j'étais absent pendant un moment et je n'ai pas pu
assister aux funérailles.
Pourquoi se justifiait-il ? se demanda Natasha, ennuyée par
l'attitude dominatrice de Raoul. Rémy ajouta à son agacement
quand il vint le saluer chaleureusement.
— Je dois partir, annonça-t-elle.
Elle n'avait pas l'intention de prendre part à ce petit jeu. Puisque
Raoul ne voulait pas d'elle, pourquoi supporter sa présence ?
— Déjà ? demanda-t-il, amusé.
Elle se retint de lui décocher une remarque cinglante.
— J'ai des affaires à régler. Je voudrais également m'arrêter chez
M. le curé. Il va me parler du passé. Comment nos ancêtres
M. le curé. Il va me parler du passé. Comment nos ancêtres
s'entendaient, par exemple, expliqua-t-elle en lui adressant un
sourire de défi.
— Je vois. Et si nous dînions ensemble demain, alors ? suggéra-
t-il en la déshabillant du regard.
— C'est très gentil, mais je ne suis pas libre demain soir,
déclara-t-elle avant de se tourner vers Georges. Merci de
m'avoir écoutée. A demain.
Elle lui sourit et tourna les talons, triomphante. Prends ça, Raoul
d'Argentan ! Cela lui servirait de leçon. Au moins, maintenant, il
savait qu'il n'était pas le seul homme dans les parages. D'autres
que lui l'invitaient à dîner.
Déterminée, elle se dirigea vers l'église, contente à l'idée de
s'entretenir avec le curé.
12.

— Qu'en dis-tu ? demanda Raoul, une fois Natasha partie.


La façon dont Raoul avait posé la question ne laissait aucun
La façon dont Raoul avait posé la question ne laissait aucun
doute à Georges.
— Elle me plaît beaucoup, répondit-il sans réfléchir, en faisant
tourner son verre de brandy.
Même s'ils venaient de milieux très différents, Raoul et Georges
étaient amis depuis longtemps. Déjà enfants, ils jouaient
ensemble, avaient suivi les mêmes études et avaient courtisé les
mêmes jeunes filles. La distance — Raoul à Paris, et Georges
toujours en Normandie — ne les avait pas éloignés.
— Dois-je comprendre qu'elle t'intéresse ? demanda Georges
avant de boire une gorgée.
— Quelle question ? Pourquoi m'intéresserait-elle ? Je la trouve
sympathique, rien de plus. Je ne m'intéresse à personne...
— Vraiment ? Selon les rumeurs, tu pourrais demander la main
de la fille de la comtesse de Longueville. Je te laisse la place
avec plaisir, ajouta Georges sur un ton plaisant.
— Foutaises ! Je connais Camille depuis toujours. Je préférerais
encore épouser un jockey. Elle ne parle que de chevaux. Et elle
est loin d'être à mon goût. Non, si l'on m'a souvent vu chez eux
récemment, c'est que je cherche des chevaux robustes.
— Natasha est à ton goût, je suppose. Mais je suis content que
tu n'aies aucune vue sur elle. Parce que moi, je la trouve
tu n'aies aucune vue sur elle. Parce que moi, je la trouve
sublime... et quelle classe ! Bon, je dois te laisser... Au revoir,
mon ami. A bientôt.
Georges lui tendit la main avant de partir, satisfait, en direction
de la mairie. Son vieil ami tombait-il amoureux ? Ce serait
nouveau et intéressant. Surtout quand on pensait à l'histoire de
leurs familles. Il fallait simplement souhaiter que leur histoire ne
fût pas aussi tragique que celle de leurs ancêtres.
Georges s'arrêta un instant sur la place du village. C'était à cet
endroit même, en 1790, que son aïeul avait failli faire guillotiner le
baron Régis d'Argentan. Il fut envahi d'une étrange sensation à
l'idée que c'était Natasha qui l'avait sauvé. Les femmes étaient
prêtes à tout sacrifier pour les hommes qu'elles aimaient ! Et
comme les hommes se montraient injustes et stupides !
Dans un haussement d'épaules, il quitta la place pour retourner à
la mairie. De l'histoire ancienne... Rien à voir avec le monde
d'aujourd'hui. Cependant, il avait le sentiment que l'histoire
pouvait se répéter...
Et de façon tout aussi fascinante.

Natasha frappa plusieurs fois à la porte du presbytère.


Des pas résonnèrent dans le couloir.
Des pas résonnèrent dans le couloir.
— Ah, mon enfant, c'est vous, dit le vieux curé dans sa soutane
blanche. Entrez, entrez. C'est un plaisir de vous voir ici.
— Merci. J'espère que je ne vous dérange pas ?
— Pas du tout. Je travaillais sur le sermon de dimanche. Peut-
être allez-vous m'apporter de l'inspiration, dit-il en la conduisant,
à travers un étroit couloir, vers une petite chambre qui donnait
sur une charmante cerisaie.
— Jolie chambre, fit remarquer Natasha. Vous avez une maison
très originale.
— En effet. Asseyez-vous donc, mon enfant. Et laissez-moi vous
offrir une tasse de thé.
— Merci, dit Natasha qui ne voulait pas avouer qu'elle venait de
boire du café et du cognac avec le maire.
— Alors, vous êtes venue en apprendre plus sur votre famille ?
Je suis heureux de voir que vous portez un réel intérêt à votre
héritage. Quel dommage que votre père n'ait pu assumer ses
devoirs de comte ! Mais ne pleurons pas le passé. C'est la
volonté de Dieu, conclut-il en s'asseyant en face d'elle.
Maintenant, mon enfant, que voudriez-vous savoir exactement ?
Il y a tant à dire, tant d'histoires...
— Eh bien, lança Natasha, nerveuse. Je voulais savoir ce qui
s'est passé entre Régis d'Argentan et Natasha de Saugure, dont
je porte le nom.
Le prêtre prit une mine songeuse.
— Pourquoi cette histoire vous intéresse-t-elle ?
— Eh bien... mon prénom..., commença-t-elle, embarrassée.
— Bien sûr... Et j'ai entendu dire que vous aviez fait la
connaissance de Raoul. On dit vous avoir vus au restaurant et
aux courses.
— C'est vrai, confirma Natasha en rougissant. Je suis allée aux
courses avec les Morrieux, mais...
Le prêtre leva la main pour l'interrompre.
— Je ne vous demande pas de vous justifier. Cela ne me
regarde pas. Raoul est un brave jeune homme, même s'il est
parfois un peu perdu. Il a souffert d'une pénible expérience dans
sa jeunesse.
— Ah ? Je ne savais pas...
— Oui, quel dommage ! Il avait dix-neuf ans quand il a
rencontré une jeune fille qui l'a fait littéralement tourner en
bourrique et a ruiné tous ses espoirs. Raoul l'aimait
bourrique et a ruiné tous ses espoirs. Raoul l'aimait
profondément. Elle l'a quitté pour un cheik arabe. Il ne s'en est
jamais remis.
— Je comprends...
— En ce qui concerne votre Natasha, laissez-moi réfléchir. Elle
a commencé sa vie comme toutes les jeunes aristocrates de
l'époque. Mais la Révolution a éclaté, et a bouleversé la vie de
tous.
— J'imagine comme cela a dû être horrible !
— Oh oui... Beaucoup de rivalités sont nées. Des histoires
d'amour ont été détruites par l'honneur et la jalousie. La
vengeance est devenue la clé suprême.
— Vous voulez dire que quelqu'un s'est vengé sur Natasha ?
— Pas exactement. Benoît Mallard était amoureux d'elle. Il
savait qu'il ne l'aurait jamais, étant un révolutionnaire et elle une
aristocrate. De plus, elle était promise depuis son enfance à
Régis d'Argentan et elle l'aimait. Mais ce dernier était volage et
bon vivant. Il avait de nombreuses maîtresses.
— Mais n'était-il pas amoureux de Natasha ?
— Si, je le crois sincèrement. Mais ils étaient jeunes et fiers et ils
se sont laissés dépasser par les événements. Natasha ne voulait
se sont laissés dépasser par les événements. Natasha ne voulait
pas être une conquête de plus dans la liste de Régis. Elle savait
ce que Benoît ressentait pour elle. D'après ce que je sais, elle l'a
encouragé à la courtiser pour rendre Régis jaloux. Vous imaginez
comment le jeune Benoît a vécu la situation. Il n'était qu'un
simple marchand qui n'aurait jamais pu aspirer à des femmes
comme Natasha. Et soudain, elle lui fait les yeux doux, et les
révolutionnaires lui expliquent que tous les citoyens sont égaux...
— Je vois...
— Durant la Révolution, Mallard se vit attribuer un poste de
pouvoir. Comment aurait-il pu ne pas se laisser tenter ? Il fit
arrêter d'Argentan pour trahison, emprisonner et condamner à la
guillotine.
— Mon Dieu ! Il fut guillotiné ?
— Non. Il est parvenu à y échapper.
— Comment ?
— Natasha l'a sauvé... en payant le prix.
Le prix ? Vous voulez dire... Elle s'est donnée à Mallard ?
— Oui. Sachant que, même à cet instant, il n'avait aucune
chance de l'épouser, il fit ce qui pouvait le plus blesser et
déshonorer Régis. Il signa un pacte avec Natasha : sa virginité
contre la vie de Régis.
— Et elle accepta ?
— Oui, répondit le curé en serrant les mains.
— Et que s'est-il passé ?
— Régis a eu la vie sauve, mais il ne lui a jamais pardonné. Il
aurait préféré mourir que de voir la femme qu'il aimait souillée
par un autre. Surtout celui qu'il considérait comme son ennemi.
— Vous voulez dire qu'il l'a repoussée, après tout ce qu'elle
avait fait pour lui ?
— En effet, et c'est bien triste. Tous deux s'enfuirent ensemble
en Angleterre, mais il refusa de l'épouser, jugeant qu'elle avait
trahi la France et la royauté.
— Mais c'est absurde ! s'exclama Natasha, révoltée. Elle a
renoncé à ce qui était le plus précieux à l'époque.
— Je sais. Mais Régis était jeune et fier. Il est mort amer et seul.
L'un et l'autre revinrent en France à la fin de la Révolution.
Napoléon leur a rendu leurs terres et leurs châteaux. Mais ils
vécurent côte à côte pendant soixante ans, chacun marié à une
autre personne, sans plus jamais se parler en public.
— Quelle histoire ! s'écria Natasha, sous le choc.
— Quelle histoire ! s'écria Natasha, sous le choc.
Pas étonnant que la femme figurée par le portrait eût l'air aussi
triste... Elle avait tout abandonné pour l'homme qu'elle aimait, et
n'avait rien reçu en échange.
— Ce Mallard est-il l'ancêtre de Georges Mallard ?
— Oui.
— Mais Georges et Raoul semblent amis...
— Remercions les bienfaits du temps. Après tout, plus de deux
siècles se sont écoulés !
— Mais dites-moi, j'ai entendu parler d'une maison où tous deux
se retrouvaient en secret.
— Vous savez cela ? s'étonna le curé. Peu de gens connaissent
cette version de l'histoire. Je me demande... non, excusez-moi,
cela ne me regarde pas. On raconte que malgré leur animosité
affichée, les amants venaient se retrouver secrètement dans cette
maison. Elle est située sur les terres des Argentan. La baronne, la
grand-mère de Raoul, a fait arranger l'endroit... On prétend que
le lit dans lequel ils se sont aimés est toujours le même. La
baronne trouvait cette liaison romantique.
— Et elle l'est, reconnut Natasha. Mais je vous ai pris assez de
votre temps, monsieur le curé. Je vous laisse.
votre temps, monsieur le curé. Je vous laisse.
— Et le thé ?
— Non, merci. Une autre fois, avec plaisir, mais je souhaiterais
maintenant retourner au manoir.
— Comme vous voudrez, dit le vieil homme en se levant pour la
raccompagner à la porte. Vous savez, l'histoire ne se répète pas
toujours. Raoul est un homme bien, malgré son aveuglement.
Peut-être un jour ouvrira-t-il les yeux...
Après un au revoir bref et chaleureux, Natasha prit congé.

13.
Il était plus que temps qu'il retourne à Paris, se dit Raoul en
regardant, par la fenêtre, la pluie qui n'avait cessé de tomber au
cours de la journée. Mais bien que la tentation de se jeter dans
sa voiture fût grande, il ne pouvait effacer de sa mémoire l'image
de Natasha et Georges, confortablement installés au Café des
sports à discuter.
Et s'ils faisaient plus que discuter ?
Cette idée le rendait fou. Qu'est-ce que cela pouvait lui faire,
qu'elle dîne avec son plus vieil ami ? Il essayait en vain de s'en
convaincre, conscient qu'il ne supporterait pas qu'elle fonde sous
ses caresses comme elle l'avait fait avec lui.
Il consulta sa montre. 17 heures. Dans un peu plus de deux
heures, Georges viendrait la chercher pour l'emmener à
Honfleur. On peut-être changerait-il de projet à cause du temps,
pour rester plus près de la maison. Encore pire : et s'il l'invitait à
dîner dans sa charmante petite ferme au toit de chaume ? On ne
pouvait imaginer plus romantique !
— Bon sang ! cria-t-il en frappant du point le parapet de pierre
sur lequel il s'appuyait.
sur lequel il s'appuyait.
Il ne pouvait pas rester là sans agir. Il n'allait pas la laisser lui filer
entre les doigts. Son attitude, jusque-là, avait été celle d'un
gentleman. Il n'avait pas profité de son état d'ébriété, l'autre nuit.
Dieu sait qu'il aurait pu ! Au lieu de quoi, il avait fait preuve de
respect et avait attendu le bon moment. Maintenant, c'était à son
tour de lui montrer un peu de respect ! De toute façon, qu'est-ce
qu'il lui prenait de dîner avec un autre homme ? Un homme qui,
même s'il était son ami, n'était autre que le descendant de celui
qui avait souillé la réputation de sa famille. Pas question qu'il
attende les bras croisés ! En trombe, il descendit l'escalier de
pierre et traversa le couloir.
S'emparant de sa veste dans l'entrée, Raoul claqua la lourde
porte de bois derrière lui et fonça sous la pluie vers sa Range
Rover. Plus le moment de réfléchir... L'heure était à l'action.
Il devait lui montrer ce dont il était capable !

Blottie dans son canapé du petit salon, Natasha se délectait d'un


excellent roman qui lui avait permis de chasser l'image de Raoul.
Et ce n'était pas une mince affaire : plus elle essayait de penser à
autre chose, plus son visage revenait dans son esprit.
Heureusement qu'elle dînait ce soir même avec Georges. Elle
posa son livre et regarda les flammes qui dansaient dans la
cheminée. George, le parfait gentleman, amusant, charmant,
galant à souhait... Tout ce qu'il lui fallait pour oublier Raoul et son
arrogance, son égoïsme, son complexe de supériorité.
Revenant à la réalité, assurée qu'elle en était bien débarrassée,
elle jeta un œil en direction de la grande pendule. 17 h 30. Elle
devrait bientôt monter s'habiller, après avoir pris un bain parfumé
aux essences de lavande qu'elle s'était procurées au marché.
Alors qu'elle s'apprêtait à se lever, elle entendit un crissement de
pneus sur le gravier. Qui cela pouvait-il bien être ?
Son cœur s'arrêta lorsqu'elle vit par la fenêtre Raoul qui sortait
de sa voiture. Que faire ? Demander à Henri de lui dire qu'elle
n'était pas à la maison ? Quand la sonnette de la porte retentit,
elle sut qu'elle ne pourrait pas. Le désir de le voir, de lui parler,
de le sentir auprès d'elle, l'emportait sur tout le reste.
Pourquoi ne parvenait-elle pas à contrôler ses réactions ? Sans
doute parce qu'il était le premier homme à lui avoir fait ressentir
un tel plaisir.
Se ressaisissant, Natasha s'engagea dans le couloir, bien décidée
à le congédier au plus vite. Henri l'avait déjà invité à entrer.
— Natasha, je suis heureux de vous trouver chez vous... Je
voudrais vous entretenir d'un problème.
Il parlait sur un ton amical et professionnel. Natasha se demanda
Il parlait sur un ton amical et professionnel. Natasha se demanda
si elle n'avait pas mal jugé la raison de sa visite.
— Eh bien, je n'ai pas beaucoup de temps... Je suis prise pour le
dîner.
— J'irai vite. Mais il me faut votre accord, expliqua-t-il en lui
prenant la main.
De nouveau, une sensation magique traversa son bras et envahit
son corps tout entier. Elle lui adressa un sourire froid, espérant
qu'il n'avait rien remarqué.
— Suivez-moi dans mon bureau, suggéra-t-elle, pensant que
l'atmosphère austère de la pièce lui permettrait de retrouver une
contenance.
— Vous ne m'offrez pas un verre ? demanda-t-il, enjôleur.
— Oh... euh... oui, bien sûr. Henri, veuillez apporter une
bouteille de vin dans le petit salon, dit-elle, avant de retourner sur
ses pas, suivie de Raoul.
Pourvu qu'il ne puisse pas lire en elle le désir qui la troublait !
— Cela fait du bien d'être à l'intérieur, par ce temps, déclara
Raoul en se frottant les mains au-dessus de la cheminée. J'espère
qu'Henri a veillé à ce que vous ayez assez de bois pour l'hiver,
car vous en aurez besoin. Il peut faire très froid, dans cette
car vous en aurez besoin. Il peut faire très froid, dans cette
région, et le chauffage central n'est pas des plus modernes. Votre
grand-mère s'est opposée aux travaux de rénovation. Elle disait
que si l'on avait froid, on pouvait enfiler un autre pull...
Il se tourna alors vers Natasha.
— Dites-moi, ma belle, vous avez l'air remontée contre moi.
Aurais-je fait quelque chose que je n'aurais pas dû ?
— Pas du tout, répondit-elle en s'asseyant sur le bras du canapé
et en croisant ses jambes, sur la défensive. Mais si vous vouliez
bien m'expliquer le problème... Je vous ai dit que je n'avais pas
beaucoup de temps.
— Bien sûr. Attendons seulement qu'Henri nous apporte le vin.
— Très bien. Asseyez-vous d[onc, dit-elle, heureuse de sentir
que sa voix sonnait si froidement. Comment s'est passé votre
séjour à Paris ?
— Bien, je suppose..., répondit-il en prenant place sur une
chaise, posant une jambe sur l'autre pendant que son bras
s'appuyait sur un coussin.
Il était bien trop à l'aise au goût de Natasha, qui ne pouvait
empêcher les images de leur nuit d'amour d'envahir son esprit.
Elle devait prendre les choses en main et mettre fin à cette
comédie.
comédie.
Henri apporta le vin et, après avoir débouché la bouteille,
s'éclipsa discrètement. Une fois qu'ils furent seuls, Natasha fixa
Raoul un instant.
— Alors, qu'est-ce qui vous amène ? demanda-t-elle,
sèchement.
— Oh oui, la raison de ma visite... Eh bien, voyez-vous, il y a
une clôture qui sépare nos terres du côté sud. Elle est légèrement
endommagée. Je voudrais la faire réparer, mais j'ai besoin de
votre autorisation.
Elle n'arrivait pas à croire à cette excuse. Etait-il vraiment venu
pour cela, ou simplement pour la voir ?
— Je ne vois pas le problème. Cette clôture est-elle sous ma
responsabilité ou la vôtre ?
— La mienne.
— Alors pourquoi me demander ma permission ? Je ne
comprends pas pourquoi vous avez pris la peine de vous
déranger un soir de pluie pour cela. Ce n'est même pas notre
travail de nous préoccuper de tels détails...
— En effet. Mais comme c'est la première fois qu'il se passe un
incident entre nos terres depuis que vous êtes châtelaine, et
comme vous n'êtes pas partie de bonne humeur l'autre jour, j'ai
pensé qu'il serait plus courtois que je vous en informe
personnellement, ajouta-t-il, un sourire malicieux aux lèvres.
— Très attentionné de votre part, répliqua-t-elle froidement.
Il l'hypnotisait, la forçant à user de toutes ses forces pour lui
résister.
— Très bien, continua-t-elle dans un soupir. Faites ce qu'il y a à
faire, ça m'est égal. Mais j'ai bien peur d'avoir à vous chasser,
car on vient me chercher dans trois quarts d'heure.
— Si tôt ?
— Oui.
— Je comprends. Je finis juste mon verre de vin et je vous laisse
vous préparer pour votre rendez-vous.
Malgré sa nervosité, Natasha remarqua la pointe de colère dans
sa voix.
Tant mieux pour lui !
Qu'il mijote dans sa frustration, cette fois... Elle n'allait plus lui
permettre de la posséder pour l'abandonner juste après et la
traiter comme son ancêtre.
— Je pars quelques jours pour l'Angleterre, confia-t-elle. J'ai
quelques affaires à régler et des amis à voir. Tout le monde est
très étonné de ma décision de rester en France.
— J'imagine. Moi-même, cela m'a étonné. Je trouve cela très
courageux. Cela demande une sacrée dose de témérité, de
plonger ainsi dans l'inconnu. Je vous admire pour cela, déclara-t-
il en se levant pour aller vers elle. Vous n'êtes pas une créature
fragile et effrayée. Vous manquez juste d'expérience, ajouta-t-il
sur un ton plus chaud.
Se rapprochant encore, sa voix se fit plus profonde.
— Vous savez que je vous désire autant que vous me désirez.
Pourquoi le nier ? L'autre nuit vous a plu autant qu'à moi.
Reconnaissez-le !
— Je..., bredouilla Natasha, les yeux rivés sur son torse. Je n'ai
pas l'habitude de m'abandonner gratuitement. Ce qui s'est passé
entre nous était une erreur. Une erreur qu'il ne faut pas répéter.
Elle s'était fait violence pour prononcer ces mots et, malgré sa
présence qui l'enflammait, elle s'efforçait de rester de marbre.
— Une erreur ? répéta-t-il en l'emprisonnant dans ses bras.
Vous appelez cela une erreur ?
Dans un mouvement rapide, il lui souleva le visage et, avant
Dans un mouvement rapide, il lui souleva le visage et, avant
qu'elle puisse réagir, il déposa un fougueux baiser sur ses lèvres.
Elle sentait la force de son désir, la faiblesse qui s'emparait de
son propre corps... Ses seins réclamaient la main de Raoul, sa
peau implorait ses caresses...
— Il n'y a pas d'erreur, murmura Raoul en relâchant son étreinte
pour noyer son regard dans celui de Natasha, tout en laissant sa
main partir à la découverte de son corps. Et cela n'est pas une
erreur non plus.
Un sourire de triomphe éclaira son visage lorsqu'il sentit sous ses
doigts l'extrémité nue de ses seins se durcir.
— Je vais vous apprendre à reconnaître une erreur, ma belle...
Son autre main se glissa jusqu'à sa taille et vint se faufiler entre
ses cuisses. Il laissa échapper un profond soupir quand il
découvrit à quel point elle était prête et accueillante.
Natasha chavirait au contact de la main de Raoul. Elle voulut
protester, mais une fois de plus, il prit le dessus en l'entraînant
dans un baiser passionné. Un tourbillon de sensations la
bouleversait, et c'était son corps, maintenant, qui réclamait d'être
comblé.
— Pas trop vite, ma chérie..., chuchota-t-il, ralentissant le
rythme. Quand le plaisir vous emportera, je veux que vous soyez
sûre que ce n'est pas une erreur.
Alors qu'elle ne supportait plus ce déferlement de plaisir, il hâta
la cadence, déclenchant en elle un éclair d'extase. Elle s'agrippa
à lui de toutes ses forces et n'opposa aucune résistance quand il
la prit dans ses bras pour la porter jusqu'au canapé.
Avant qu'elle puisse reprendre ses esprits, il fit glisser sa petite
culotte le long de ses jambes et se déshabilla.
— Raoul, c'est de la folie... On pourrait nous surprendre.
— Chut...
Il vint alors s'allonger et s'introduisit en elle.
Elle laissa échapper un gémissement, emportée par la volupté.
Un instant, Raoul se contenta de la regarder sans bouger, laissant
leurs corps ne faire plus qu'un. Soudain, par de petites pressions
d'abord lentes et profondes, il la fit haleter. Elle souleva ses
hanches pour venir à sa rencontre et danser avec lui une nouvelle
danse endiablée, qu'elle ne voulait jamais voir s'achever. Elle ne
se souvenait pas de l'heure, du lieu... Rien n'avait plus
d'importance que de sentir Raoul en elle. De plus en plus, elle se
cambrait pour accueillir ses élans, jusqu'à ce qu'ils n'en puissent
plus et qu'une explosion de plaisir les submerge.
Ils restèrent un moment immobiles, sentant leurs cœurs battre la
chamade. Mais après quelques minutes, Natasha retrouva la
raison. Elle était à moitié nue, dans les bras d'un homme, alors
qu'elle avait rendez-vous avec un autre pour dîner.
— Raoul..., murmura-t-elle en effleurant son épaule.
— Hmm... ?
— Raoul, il faut se rhabiller. Georges ne va plus tarder et je ne
suis pas encore prête.
Il se crispa et tourna la tête vers elle. Ses yeux lui envoyaient des
éclairs de colère.
— Vous voulez dire que vous comptez toujours dîner avec lui,
après ce qui est arrivé ?
— Il le faut bien, j'ai accepté son invitation. Il serait très impoli
d'annuler à la dernière minute.
— J'aurais dû m'y attendre ! Telle mère, telle fille, lança-t-il,
amer. Dans votre cas, cela remonte à vos ancêtres. Vous n'avez
pas simplement hérité du nom de votre aïeule, vous avez aussi
hérité de sa nature frivole.
Sur ses mots, il passa une main rageuse dans ses cheveux et
quitta la pièce, bouillonnant de colère.
Sidérée, Natasha rassembla ses vêtements, alors que par la
Sidérée, Natasha rassembla ses vêtements, alors que par la
fenêtre, elle entendait le rugissement de son moteur. C'était
ridicule ! Maintenant, voilà qu'il l'accusait... de quoi exactement ?
Elle escalada l'escalier jusqu'à sa chambre et se précipita sous la
douche. Georges serait là d'une minute à l'autre.
Comment allait-elle pouvoir l'accueillir, après ce qui venait de se
passer ?
Mon Dieu ! Tout cela était si troublant... Elle s'était pourtant juré
de ne plus céder aux avances de Raoul. Mais, à la première
occasion, elle succombait. Toutefois, elle ne le laisserait pas
l'humilier comme Régis avait fait pour Natasha, se dit-elle, tout
en se laissant apaiser par l'eau chaude qui lui caressait le corps.
Déterminée, Natasha s'enveloppa dans une serviette douce et se
dirigea vers son armoire, d'où elle sortit un jean et une chemise
blanche. A cet instant, elle vit se refléter dans la nuit la lumière
des phares d'une voiture.
Georges était arrivé.
Il lui faudrait avoir recours à tout son flegme britannique pour
affronter la situation. Tant pis si Raoul s'offusquait qu'elle dîne
avec Georges ! Ne se rendait-il pas compte qu'elle aurait été
incapable de faire quoi que ce soit avec un autre homme ?
Comment en était-elle arrivée là ?
Comment en était-elle arrivée là ?

14.
14.

Raoul rentra au château dans une rage difficile à maîtriser.


Comment osait-elle le traiter ainsi ? Comment osait-elle passer
de ses bras à ceux d'un autre homme ? Il aurait dû se méfier dès
le début. Il connaissait pourtant les femmes de Saugure.
— Bon sang ! cria-t-il, appuyant sur l'accélérateur.
Il s'était laissé piéger comme un ignorant. Le destin avait placé
sur ses pas le fantôme de Natasha. Elle était venue se venger de
Régis.
Il se reprit. Ces pensées étaient saugrenues. La seule chose qui
lui restait à faire, c'était de mettre fin à cette comédie et de partir
pour Paris. Et pourquoi pas épouser Camille de Longueville ?
Un mariage à la française, avec plusieurs maîtresses pour le
divertir...
De toute façon, songea-t-il, furieux, tout vaudrait mieux que sa
situation présente !
— Vous avez l'air fatiguée, ce soir, remarqua Georges après
avoir avalé sa dernière cuillère de dessert.
— Un peu, en effet, répondit-elle, l'esprit ailleurs, se demandant
où était Raoul.
Sur la route de Paris, sans doute.
— Cela est peut-être dû au changement soudain des
températures, reprit-il. Il fait très froid, pour la saison.
— Oui. Je suppose...
Et si, de colère, il avait eu un accident sur la route, ce serait sa
faute.
— Natasha ? dit Georges en lui prenant la main. Vous me
paraissez très loin, ce soir. Qu'est-ce qui vous contrarie ?
— Je suis désolée, répondit-elle, consciente qu'elle se montrait
très impolie. Je me suis laissé distraire par quelque chose...
— Quelque chose ou quelqu'un ?
— Je...
— Vous n'avez pas besoin de vous expliquer. J'ai senti ce qui se
passait entre Raoul et vous, l'autre jour. Il est évident qu'il y a
passait entre Raoul et vous, l'autre jour. Il est évident qu'il y a
une puissante attirance entre vous deux.
— Vraiment ? demanda-t-elle, presque choquée. Je ne savais
pas que cela se voyait à ce point.
— Ma chère, nous sommes en France, répliqua-t-il dans un rire.
Le pays de la romance ! C'est la première chose que l'on
remarque entre un homme et une femme.
— Oh, mon Dieu ! C'est si difficile...
— Pourquoi ? Ou plutôt pourquoi ne m'en parlez-vous pas ?
suggéra Georges en se calant sur sa chaise. Je suis votre ami,
Natasha, je suis là pour vous aider. Et je suis aussi l'ami de
Raoul. Quelque chose cloche entre vous.
— Vous avez raison, acquiesça-t-elle en soupirant.
— Commandons deux verres de calvados et buvons-les pendant
que je vous écouterai.
Il leva la main pour faire signe au serveur.
— Il n'y a pas grand-chose à dire, vraiment. Nous nous sommes
rencontrés et... disons juste que nous avons pris conscience que
nous nous plaisions vraiment..., bredouilla-t-elle, ne sachant quoi
ajouter.
— Et... ? Vous avez fait l'amour ?
Natasha rougit, au comble de l'embarras.
— Comment le savez-vous ?
— C'est écrit sur votre visage. Vous avez fait l'amour, et
maintenant une partie de vous le regrette parce que Raoul est un
égoïste qui refuse de s'engager. Vous, au contraire, êtes une
femme loyale et fidèle qui ne s'offre pas au premier venu si elle
n'est pas amoureuse. Ai-je raison ? demanda-t-il, l'air rassurant
et chaleureux.
— C'est un bon résumé. Je ne sais pas ce qui m'a pris de me
retrouver impliquée avec un homme pareil. C'est de la folie. Ça
n'aurait jamais dû arriver...
— Pourquoi pas ? C'est l'extraordinaire qui nous attire dans la
vie, pas la banalité !
— Il est obsédé par le passé. Il s'accroche à l'histoire de Régis
et Natasha... On dirait que ça le hante.
— C'est sans doute le cas, fit remarquer Georges en s'emparant
de son verre de calvados. Vous savez, les d'Argentan sont des
nobles très fiers. Ils n'ont jamais pardonné à mon ancêtre d'avoir
défloré Natasha. Pour eux, cela représente l'affront ultime. Raoul
le voit toujours ainsi. Nous en parlions encore il y a quelques
années, mais de façon surprenante, nous avons réussi à être les
meilleurs amis du monde.
— Faites attention qu'il ne devienne pas votre ennemi mortel. Il
sait que nous dînons ensemble, ce soir ! ironisa-t-elle en riant.
— Il n'en était pas enchanté ? devina Georges.
— C'est le moins qu'on puisse dire. Il est devenu fou furieux, et il
est parti en disant que j'étais bien comme Natasha, mon ancêtre.
— Je vois..., ponctua Georges en souriant. Je ne m'en ferais pas
trop pour les sautes d'humeur de Raoul, si j'étais vous. Il
s'enflamme et se calme aussi vite. Et je suis un grand garçon. Je
peux faire face. De toute façon, ça ne peut pas lui faire de mal,
de voir qu'il n'est pas le seul homme sur terre.
Malgré sa nervosité et ses craintes, Natasha se laissa aller à rire
de bon cœur.
— Ça fait du bien de vous parler, dit-elle en adressant un franc
sourire de reconnaissance à son nouveau confident.
— Je ne serais pas surpris que la réaction de Raoul soit due aux
sentiments qu'il a pour vous, mais qu'il ne veut pas admettre.
— Vous croyez vraiment ? s'enquit Natasha, dubitative.
— J'en mettrais ma main à couper.
— J'en mettrais ma main à couper.
— Peu importe. Je dois retourner en Angleterre pour quelques
jours. Je dois régler quelques affaires là-bas, si je veux venir
vivre ici.
— Bien sûr. Partir vous permettra de prendre un peu de recul.
— Georges, détrompez-vous. Il n'y a pas matière à réflexion. Il
n'y a qu'une attirance physique irrésistible. Plus vite je
l'accepterai, mieux ce sera pour moi.
— Comme vous voulez, ma chère. Le temps nous le dira...

Cette nuit-là, allongée dans son lit, à l'abri du vent et des


trombes de pluie, Natasha repensa à tout ce qui lui était arrivé
depuis qu'elle était en France : la première rencontre avec Raoul,
son héritage... Comment ne pas être déstabilisée quand votre vie
est à ce point chamboulée ?
Elle laissa son esprit voguer vers leurs étreintes passionnées de
l'après-midi. Ils auraient pu être surpris. Elle sourit en imaginant
la réaction d'Henri. Se tournant sur le côté, elle ferma les yeux,
s'efforçant de ne pas se demander où Raoul pouvait bien être à
cet instant.
*
**

Comme il lui était étrange, dorénavant, d'entrer dans son propre


appartement à South Kensington ! C'était devenu une autre vie.
Elle avait appelé l'organisation pour laquelle elle travaillait en
Afrique et annoncé sa démission à regret, mais il lui restait de
nombreuses choses à régler.
En parcourant son courrier, debout derrière sa porte d'entrée,
Natasha se dit qu'elle ne ressentait aucune nostalgie. En fait, elle
n'avait pas passé beaucoup de temps dans cet appartement. Il
n'avait été qu'une sorte de pied-à-terre, un endroit où elle
pouvait laisser ses affaires.
Une adresse, pas une maison.
Elle avait vendu la maison de ses parents à côté d'Oxford peu
après l'accident, ne supportant plus de vivre parmi tant de
souvenirs. A vrai dire, tout ce qui s'était passé auparavant lui
avait rendu sa décision plus facile. Même le bail de cet
appartement touchait à son terme.
Ce soir, elle resterait chez elle, pour s'occuper du courrier et
déménager ses affaires. Plus tard, elle irait rendre visite à la
propriétaire du petit restaurant italien qu'elle aimait fréquenter.
Sans qu'elle puisse dire pourquoi, ce restaurant était une des
rares choses qu'elle pensait vraiment regretter. Elle ouvrit une
armoire où elle trouva les traces de sa vie passée : des sandales,
des sacs à dos en mauvais état, des chapeaux pour se protéger
du soleil africain. Elle enverrait le tout dans un grand carton aux
œuvres caritatives.
Se préparant pour un après-midi de rangement, elle entra dans la
cuisine pour y chercher de grands sacs poubelle.
— Autant ne pas traîner ! se dit-elle en remontant ses manches.

— Comment ça, elle est partie ? s'indigna Raoul.


— Je vous le répète, monsieur le baron, répondit Henri à l'autre
bout de la ligne, Mademoiselle a dit qu'elle partait pour quelques
jours.
— A-t-elle précisé où elle allait ? Allons ! insista-t-il, sentant son
interlocuteur hésiter. Où est-elle ?
— Je n'ai pas le droit de le dire...
— Qu'est-ce que vous voulez dire, Henri ? C'est à moi que vous
parlez, pas à un étranger.
parlez, pas à un étranger.
— Je sais, monsieur le baron. Mais Mademoiselle a laissé des
instructions très claires.
— Je comprends qu'elle ne veuille pas que n'importe qui sache
où elle est. Mais moi ! Allons, où est-elle ?
— Monsieur le baron, je vous répète que je n'ai pas le droit de
vous le révéler.
Tout d'un coup, Raoul saisit le message. Il se redressa derrière
son bureau.
— Voulez-vous dire que Mademoiselle a laissé des instructions
précises à mon sujet ?
— C'est exact, monsieur, acquiesça Henri, soulagé que Raoul ait
enfin compris. Elle a été formelle là-dessus.
— Vraiment ? Merci, Henri.
Il reposa le combiné et se rassit dans son fauteuil en cuir. Ainsi,
elle avait décidé de le fuir... Et en plus, elle avait eu l'audace de
laisser des instructions pour qu'on ne lui révèle pas sa
destination.
Il poussa un cri de rage. Comme s'il en avait quelque chose à
faire, de l'endroit où elle allait ! Quel toupet ! N'était-il pas parti
faire, de l'endroit où elle allait ! Quel toupet ! N'était-il pas parti
pour Paris sur-le-champ, condamnant son attitude
impardonnable ? N'avait-il pas été clair en lui disant qu'il ne
voulait plus rien avoir à faire avec elle ?
Alors pourquoi n'arrivait-il pas à la chasser de son esprit ? Pour
couronner le tout, depuis l'autre soir, il était sorti avec trois
créatures de rêve, mais s'était contenté de les raccompagner à
11 heures, n'éprouvant aucun désir de leur faire l'amour.
Cela ne pouvait plus durer !
Il fallait qu'il réagisse au plus vite.
Il ne connaissait qu'un moyen pour régler les affaires de cœur. Il
fallait assouvir ses pulsions jusqu'à satiété. Il devait trouver
Natasha, la persuader d'aller avec lui aux Caraïbes pour
plusieurs jours, et lui faire l'amour jusqu'à se lasser d'elle. Après
quoi, une fois qu'il aurait comblé ses moindres désirs, il serait
capable de mettre fin à cette amourette et de reprendre le cours
normal de son existence.
Le problème : convaincre Natasha. Mais il ne doutait pas qu'il y
parviendrait. A condition de la retrouver...
Comment avait-elle osé lui barrer la route ? Il n'avait jamais
connu cela. Dès qu'il tournait le dos, elle l'oubliait pour vaquer à
ses occupations.
Il s'empara du téléphone et composa un numéro.
— Allô, Georges, comment vas-tu ?
— Très bien, et toi ? Où es-tu ?
— A Paris. Mais je rentre au château dans quelques heures. Tu
ne fais rien, ce soir ?
— Non, rien de spécial.
— Et si nous dînions ensemble ?
— Avec plaisir. Où ça ?
— Chez moi.
Il voulait être en terrain connu pour la petite conversation qu'il lui
réservait.
15.

— Mon Dieu, quelle histoire ! s'écria Mamma Gina en essuyant


ses mains sur son tablier à carreaux rouges et blancs, avant de
boire une gorgée du vin qu'elle venait d'apporter à table.
— Vous allez me manquer, Mamma Gina. En fait, vous et le
restaurant êtes les seules choses que je vais regretter de
l'Angleterre... Londres n'a jamais été un endroit cher à mon
cœur. Aucun de mes amis ne vit ici : ils ne sont que de passage.
— Tu as raison de retourner chez toi, là où a vécu ta famille,
déclara Mamma Gina, qui ne voulait pas que Natasha croie
qu'elle désapprouvait sa décision. C'est ton sang, c'est ce qu'il y
a de plus important. Tout le reste, on s'en fiche ! Maintenant, il
faut te trouver un homme gentil et bon pour t'installer dans la
maison que t'a léguée ta grand-mère et faire plein de bambini.
— Je doute que cela arrive dans un proche avenir ! lança
Natasha dans un rire.
— Et pourquoi pas ? Ces Français sont aveugles ? Regarde-toi !
Bella ragazza, jeune, prête pour le mariage. Tu n'auras pas de
problème pour trouver un mari !
— Honnêtement, je n'en cherche pas.
— Tu dis ça parce que tu es encore furieuse contre Paul. Il
n'était pas pour toi, assura-t-elle dans un large mouvement de la
main qui reléguait Paul dans le passé. Il ne me plaisait pas.
Tellement égoïste ! Ce n'est pas le genre qu'il te faut. Mais tu ne
dois pas fermer ton cœur, Natasha.
— Ce n'est pas évident, quand tous les hommes que je
rencontre ne veulent qu'assouvir leurs désirs et me jettent ensuite
sans un regard en arrière, gémit-elle en repensant à Raoul et à
son attitude impardonnable.
— Ah ! s'exclama Mamma Gina, une lueur de compréhension
dans son regard. Alors, il y a quelqu'un...
— Non, pas du tout.
— Eh, va bene... Comme tu voudras. Je ne pose plus de
questions, quand tu seras prête à parler, tu me raconteras.
Maintenant, tu vas manger cette bonne assiette de pâtes ! Tu es
trop mince, ils ne te nourrissent pas bien, en France.
Elle partit en cuisine voir comment allait la préparation, et
Natasha se cala dans sa chaise en buvant du vin et en repensant
à ce que lui avait dit Georges. Il est vrai qu'un témoin extérieur à
une situation possède souvent un meilleur jugement. Mais elle
était convaincue qu'elle devait en finir avec Raoul avant de
souffrir davantage. Ses sentiments pour lui étaient bien plus forts
qu'elle ne voulait le reconnaître au début. Comment était-ce
arrivé ? Quand s'était opéré le passage entre l'attirance et... ?
L'amour ?
Natasha posa son verre sur la table si brusquement qu'elle
renversa quelques gouttes. Elle s'emportait, à présent. Ses
sentiments pour lui allaient de la colère à une attirance
incontrôlable en passant par un peu d'inquiétude, mais pouvait-
on appeler cela de l'amour ?
Elle devait le rayer définitivement de son existence, conclut-elle,
heureuse d'avoir demandé à Henri de ne rien lui révéler sur son
voyage à Londres. Elle avait besoin de temps pour élaborer une
stratégie... Et elle ne pouvait y parvenir qu'en son absence.
Le plus important, se dit-elle alors que Mamma Gina arrivait
avec une grande assiette de spaghettis carbonara, était de l'éviter
à tout prix. Ainsi, elle limiterait la douleur que son cœur ressentait
déjà.
déjà.

— Il y avait une raison particulière à ton invitation ? demanda


Georges, préférant en venir directement à l'essentiel, alors qu'il
acceptait le whisky que lui tendait Raoul et prenait place dans le
fauteuil à côté du feu.
— Pourquoi cette question ? répondit ce dernier en s'appuyant
sur la cheminée.
— Une intuition. Je te connais très bien, mon ami. On en a vu,
tous les deux, depuis notre enfance. Je sais comment tu
fonctionnes...
— Comment je fonctionne, répéta Raoul, feignant l'amusement.
— Tout à fait. Ne tournons pas autour du pot, veux-tu ? Tu m'as
invité ici ce soir parce que tu ne sais pas où est Natasha et que
ça te rend fou.
— Qu'est-ce que tu racontes ? s'écria Raoul, s'efforçant de
cacher son embarras.
— Vraiment ? Allons, nous sommes entre nous. Pas besoin de
se mentir entre vieux amis.
— Vieux amis... C'est vrai... Contrairement à nos ancêtres, et
tout cela à cause d'une femme. Je ne supporterais pas que notre
tout cela à cause d'une femme. Je ne supporterais pas que notre
amitié se termine de la même façon tragique.
— Tu me soupçonnes de courtiser Natasha ?
— Pourquoi pas ? Tu l'as invitée à dîner. C'est une femme très
séduisante. Tu sais bien qu'elle ne m'intéresse pas...
— Vraiment ? lança Georges. Ou bien est-ce le baron qui me
réclame son autorisation pour faire la cour à une femme qu'il
considère comme la sienne ? En fait, il n'y aurait pas de
problème si tu n'en voulais plus, n'est-ce pas ? Je croyais que le
droit du seigneur était révolu.
— Arrête tes idioties ! s'exclama Raoul, conscient qu'il venait de
le vexer. Ce n'est pas du tout ce que je voulais dire. Je sais que
tu ne ferais jamais un sale coup à un vieil ami.
— Alors, tu sais que je n'aurais jamais courtisé Natasha, et que
cette conversation n'a pas de raison d'être. Mais c'est toi qui agis
en idiot. Tu es fou de Natasha, et devine quoi... Je sais où elle se
cache.
— Bon sang, pourquoi a-t-elle disparu ainsi sans crier gare ?
éclata Raoul. Elle refuse de me dire où. Je n'y comprends rien.
Ah, les femmes ! Elles compliquent tout...
— Je ne vois pas comment son départ pour quelques jours
compliquerait tout. Et comme elle l'a fait très justement
compliquerait tout. Et comme elle l'a fait très justement
remarquer, cela ne te concerne pas.
— Elle a dit ça ? s'offusqua Raoul.
— Clairement.
— Mais je suis son voisin. Il pourrait y avoir des problèmes
entre nos propriétés, qui nécessiteraient que je la contacte en
urgence. Je pourrais...
— Raoul, tu crois vraiment à ce que tu racontes ?
Il s'arrêta net, conscient que ce qu'il disait n'avait aucun sens.
— D'accord, je le reconnais, elle me manque et je me demande
où elle est.
— C'est mieux. Je te rassure, avoir des sentiments pour une
femme n'est pas un crime.
— Qui a dit que j'avais des sentiments pour Natasha ? C'est
faux ! C'est une de Saugure, je te rappelle. Ils ont déjà trahi ma
famille par le passé.
— Si tu appelles trahison faire don de sa virginité pour sauver un
homme..., ironisa Georges. Moi, j'appellerais plutôt cela de
l'héroïsme. Mais c'est une question de point de vue.
— Parce qu'elle a couché avec ton ancêtre !
— Raoul, grandis un peu ! Nous sommes au vingt et unième
siècle, pas en pleine Révolution française. Les temps ont bien
changé. Tu peux quand même comprendre ce qui se passait
entre ces deux hommes !...
— En effet... Je suppose que Régis s'est montré stupide.
— Complètement ! Il a détruit son bonheur et celui de Natasha
pour une simple question de fierté mal placée. Tout comme mon
ancêtre était une ordure qui n'aurait jamais dû profiter ainsi d'une
femme désespérée. Mais revenons au présent, s'il te plaît.
Quelles sont tes intentions ?
— Mes intentions ? demanda Raoul avec étonnement. Elle me
plaît beaucoup. Ni plus ni moins.
— Etrange... Moi, j'ai l'impression que tu ressens bien plus que
cela pour elle.
— Ecoute, commença Raoul en tournant lentement son whisky
dans son verre. Disons juste qu'elle me plaît assez pour que je
veuille savoir où elle est, et avec qui.
— Où, je peux te renseigner sur ce point. Avec qui, je n'en ai
pas la moindre idée. Sans doute seule, d'après ce que j'ai
compris.
— Je vois. T'a-t-elle interdit de me dire où elle était ?
— Pas du tout. Elle est à Londres pour régler quelques affaires
et mettre fin à son bail, répondit Georges en observant son ami.
Il lisait sur son visage des émotions contradictoires. Sa fierté se
mêlait à son envie de la retrouver.
— Merci. Je suis rassuré de savoir qu'elle est en sécurité.
Connais-tu son adresse, par hasard ?
— Puisque je savais que tu allais me la demander, j'ai pris la
peine de l'écrire, déclara Georges, amusé, en sortant un morceau
de papier de sa veste et en le tendant à Raoul. Voici, mon ami.
Tâche d'en faire un bon usage...
Raoul regarda un instant le papier avant de le prendre.
— Ne t'en fais pas pour ça. Merci.
16.

Fixant la pile de cartons dans son entrée, Natasha prit un peu de


recul pour admirer l'ampleur de la tâche qu'elle venait d'effectuer.
Tout ce qu'elle possédait se trouvait dans ces boîtes. Elle
consulta sa montre. La compagnie de déménagement n'allait plus
tarder. Après cela, il ne resterait rien à faire, hormis jeter un
dernier œil sur l'appartement et remettre la clé à l'agent
immobilier.
Alors qu'elle s'apprêtait à fermer le dernier carton, elle entendit
sonner à la porte. Les déménageurs étaient d'une ponctualité à
toute épreuve !
Elle se pressa d'aller ouvrir la porte et poussa un cri de surprise.
— Paul ! s'écria-t-elle, choquée. Qu'est-ce que tu viens faire ici?
— J'étais dans le coin, je me suis dit que j'allais te faire un petit
coucou, voir ce que tu devenais...
— Tout va bien. En fait, je suis en plein déménagement.
— Tu pars, c'est ça ? demanda-t-il en se penchant vers elle, un
sourire aux lèvres.
En le regardant, Natasha se demanda une fois de plus ce qu'elle
avait bien pu lui trouver.
— Paul, je ne sais vraiment pas pourquoi tu as pris la peine de
venir ici. Tu es parti assez vite, la dernière fois que je t'ai vu...
— Tu n'as toujours pas digéré ? demanda-t-il sur un ton plaisant,
avant de tendre sa main vers ses cheveux pour les lui caresser.
Natasha recula d'un bond.
— Ecoute, tu dois t'en aller, maintenant. Les déménageurs ne
vont plus tarder.
— Ouh, là, là ! Mademoiselle joue les ladies ! Déjà, à
l'université, tu te croyais supérieure à tout le monde.
— Paul, arrête tes enfantillages ! Laisse-moi... Je suis occupée et
nous n'avons rien à nous dire.
— Qui a dit ça ?
Il s'approcha encore, la dominant de tout son corps. Natasha
s'aperçut alors qu'il était ivre. La peur s'empara d'elle. Elle était
seule... Et s'il...
D'un geste brusque, Paul l'attira dans ses bras.
— Arrête ! hurla-t-elle, le repoussant de toutes ses forces. Va-
t'en, laisse-moi tranquille ! Tu n'as aucun droit de venir ici !
— Ne joue pas les vierges effarouchées avec moi, mademoiselle
la snob ! Je vais te montrer qui commande !
Il la serra contre lui et plaqua de force un baiser sur sa bouche.
Natasha se débattait, paniquée, sentant qu'elle n'était pas de
taille à lutter.

Raoul se tenait en bas de l'immeuble, devant le tableau


d'affichage. Deuxième étage...
Il n'entendit les cris étouffés et les appels au secours qu'une fois
au premier étage. Hâtant le pas, il gravit les marches quatre à
quatre. En voyant Natasha lutter dans les bras d'un homme, son
sang ne fit qu'un tour. Il le saisit par le col de son T-shirt et le
projeta dans l'escalier sans que celui-ci ait eu le temps de
s'apercevoir de quoi que ce soit. Paul dégringola plusieurs
marches.
— Qu'est-ce que tu attends ? hurla-t-il en direction de
l'agresseur, prostré dans l'escalier. Déguerpis !
Il se tourna sans plus tarder vers Natasha, qui tremblait dans
l'embrasure de sa porte. Il brûlait de la prendre dans ses bras,
mais quelque chose le retint.
— C'était qui, cette ordure ?
— Mon ex...
Raoul passa son bras autour de ses épaules et l'entraîna à
l'intérieur de l'appartement.
— Je vais vous chercher un verre. Vous avez quelque chose à
boire, ici ?
— Non, de l'eau, c'est tout.
Il partit vers la cuisine et revint avec un verre d'eau.
— Buvez ça.
— Buvez ça.
Encore sous le choc, Natasha s'exécuta. L'eau lui fit du bien.
— Je ne sais pas pourquoi il est venu. Ça fait des années que je
ne l'ai plus revu. Tout d'un coup, du jour au lendemain, il fait
irruption.
— En français, on dit que les mauvaises herbes poussent où on
les attend le moins, dit-il, la regardant avec inquiétude.
C'était donc l'ignoble individu qui l'avait blessée, par le passé. Il
regretta de ne pas lui avoir infligé une correction plus mémorable.
S'asseyant à côté d'elle, il posa un bras rassurant autour de ses
épaules.
— Allons, calmez-vous... C'est terminé. Il ne reviendra plus.
— Non. Grâce à vous, dit-elle, tandis qu'un timide sourire se
dessinait sur son visage. Mais comment saviez-vous que j'étais
ici ? demanda-t-elle, soudain contrariée.
— J'ai fait ma petite enquête, expliqua-t-il en lui caressant la
joue. Dites-moi, maintenant... Pourquoi ce déménagement ?
— Je rends les clés de mon appartement.
— Où irez-vous cette nuit ?
— Je ne sais pas. En fait, je n'y avais pas vraiment pensé. Je...
Raoul tira son téléphone portable de sa veste, se leva et
composa un numéro.
— Je suis au Berkeley ? Bonjour, Peter. Je voudrais réserver
une suite au même étage que le mien. C'est pour Mlle de
Saugure. Oui, nous arrivons dans une ou deux heures. Il vous en
reste une ? Excellent ! conclut-il avant de raccrocher. Plus de
souci à avoir, annonça-t-il en se tournant vers Natasha.
— Raoul, je n'ai jamais dit que je voulais aller au Berkeley,
protesta-t-elle, mi-fâchée, mi-amusée.
— Pourquoi pas ? C'est un hôtel fort respectable, je vous le
garantis.
— Je le sais bien, ce n'est pas le problème...
— Alors quel est le problème ? demanda-t-il en l'attirant dans
ses bras. Préféreriez-vous aller ailleurs ? Parce que je peux
annuler. Vos désirs sont des ordres.
— J'abandonne, répondit Natasha en jetant un œil vers les
cartons. Raoul, je dois finir...
— Très bien. Je m'assois et je vous regarde.
— On ne pourrait pas se donner rendez-vous plus tard ? Je vous
rejoins en taxi une fois les déménageurs partis.
— Vous voulez prendre le risque que ce pervers revienne ?
Certainement pas ! Je reste, que vous le vouliez ou non. Vous
êtes coincé avec moi, à présent.
— Très bien, dit Natasha dans un soupir.
Elle n'avait pas le temps de se disputer. Elle devait à présent
s'assurer qu'elle n'oubliait rien, et ce malgré la présence de
Raoul. Comment parvenait-il à la troubler à ce point ? A éveiller
son corps et son cœur d'un seul sourire ?
Quelques minutes plus tard, deux colosses arrivèrent et, en peu
de temps, tout était parti.
— Je suis prête, annonça-t-elle.
— Vous êtes sûre ? Aucun regret à laisser cette partie de votre
vie derrière vous ?
— A vrai dire, non, je n'en ai pas. Le moment était venu.
— Très bien. Allons-y, alors.
Plaçant sa main sous son coude, Raoul la conduisit dehors, et
elle ferma la porte derrière elle pour la dernière fois.
17.

L'un des cafés les plus à la mode de Londres, le Harry's Bar,


grouillait de monde ce soir-là, mais comme d'habitude, Raoul
avait réussi à réserver une table idéale dans un coin d'où ils
avaient une vue somptueuse.
Natasha remarqua plusieurs célébrités, des chanteurs de rock,
des membres de la famille royale... Et tout le monde traitait
Raoul avec respect et déférence. C'en était presque incroyable !
Mais il prenait tout cela comme une sorte de routine. Pas
étonnant qu'il soit si sûr de lui... Peut-être n'était-il pas si différent
de Régis, songeait Natasha en l'observant.
Mais elle préféra chasser cette pensée et se concentrer sur le
menu.
Une fois qu'ils eurent commandé, Raoul eut l'air plus détendu,
comme s'il pouvait maintenant lui consacrer tout son temps.
L'attention qu'il lui portait était si absolue, si envoûtante...
— Alors, ce restaurant vous plaît-il ? demanda-t-il en posant
délicatement sa main sur la sienne.
— C'est ravissant. C'est la première fois que j'y viens. Avec mon
père, nous allions toujours au Savor Grill.
— Excellent choix ! Mais sans votre père, j'imagine que cela n'a
plus la même saveur...
— En effet. J'ai décidé de ne plus y retourner pour conserver les
souvenirs intacts.
— Vous faites bien. Il faut laisser le passé derrière soi.
— Vous faites bien. Il faut laisser le passé derrière soi.
— Vous ne m'avez jamais parlé de votre enfance à vous,
remarqua-t-elle, retirant sa main discrètement. Racontez-moi
comment c'était, de grandir dans une forteresse.
— Comme partout ailleurs, j'imagine, répondit-il avec un sourire
à la faire fondre.
— Peu de gens ont cette chance. Ça doit être totalement
différent.
— Différent de quoi ? Comment pourrais-je savoir ? demanda-
t-il en haussant les épaules. Je n'ai jamais vécu ailleurs...
— C'est vrai..., concéda-t-elle en repensant aux enfants qu'elle
avait vus lutter pour survivre en Afrique.
— Cela dit, je suis conscient que j'étais très privilégié. Ma mère
me l'a toujours répété. C'est pour cette raison que j'ai beaucoup
d'amis au village. Georges, par exemple. Nous sommes allés à
l'école ensemble jusqu'à nos douze ans.
— Et ensuite ?
— Je suis allé à l'Ecole des Roches, un prestigieux pensionnat
français. L'équivalent de votre Eton.
— Et Georges ?
— Lui aussi. Mes parents voulaient que nous ayons les mêmes
chances dans la vie. C'est mon père qui a payé pour sa scolarité.
— C'était généreux.
— Généreux ? Je ne sais pas. C'était la chose à faire... Georges
était bien meilleur élève que moi, il le méritait. C'est un jeune
homme brillant. Mais de toute évidence, vous le connaissez
bien...
— Je n'irais pas si loin, corrigea-t-elle, consciente qu'il essayait
de la piéger.
— Vous le trouvez séduisant ?
— Je le trouve très gentil. C'est un homme bien, je ne vous
apprends rien.
— En effet. Mais l'amitié n'existe plus quand une femme s'en
mêle...
— Peut-être devriez-vous apprendre à faire confiance, répondit-
elle avec un soupçon de froideur. Apprendre à ne pas sous-
estimer les gens. Et si vous insinuez que Georges m'a fait des
avances, vous vous trompez, même si cela ne vous regarde pas
le moins du monde !
— Voyons, ma chère Natasha, ne vous emportez pas ainsi...
— Voyons, ma chère Natasha, ne vous emportez pas ainsi...
Il essaya de lui prendre la main, mais elle s'empressa de la glisser
sous la table.
— Vous êtes fâchée, ajouta-t-il.
— Non, juste fatiguée de votre tendance à toujours manipuler
les gens et les situations...
— Moi ? Manipuler ? s'étonna-t-il, sincèrement choqué.
— Oui, vous aimez jouer avec les gens comme avec des pions
sur un échiquier.
— C'est ridicule ! Les gens peuvent bien faire ce qui leur chante
! Je n'ai d'autre devise que la liberté...
— L'égalité et la fraternité, acheva Natasha sur un ton persifleur.
Raoul, il serait temps que vous vous remettiez un peu en cause...
— Vous me taquinez, maintenant, remarqua-t-il en voyant son
regard amusé.
Cette femme n'était pas seulement ravissante et séduisante, elle
était aussi intelligente. L'idée ne lui plaisait guère. En général, il
faisait tout pour éviter les femmes intelligentes. Janine, se souvint-
il avec une pointe de tristesse, brillait par son intelligence, et cela
ne lui avait rien valu de bon.
— Désolée, je me moquais un peu de vous...
— Je vous en prie, ma chère. Reconnaissez-moi un peu de sens
de l'humour.
— En effet, admit-elle.
C'était d'ailleurs une des choses qu'elle préférait chez lui, mais
elle se garda bien de le lui dire.
Il lui prit la main et y déposa un baiser.
L'ambiance du restaurant, le délicieux vin blanc et même la
compagnie de Raoul la mettaient bien plus à l'aise qu'elle ne
l'aurait imaginé.
Le dîner se passa à merveille, ponctué de plaisanteries, de rires,
de conversations légères et sérieuses à la fois. Déjà, ils avaient
fini leur dessert.
— Et si nous prenions le café et un digestif dans votre suite ?
proposa Raoul.
— Pourquoi pas ? acquiesça Natasha.
Mais quand Raoul fit signe au serveur pour l'addition, Natasha
commença à regretter. Ce n'était pas une si bonne idée, après
tout... Elle ferait mieux d'éviter ce genre de situation.
tout... Elle ferait mieux d'éviter ce genre de situation.
Au diable tous ces remords ! finit-elle par se dire.
Pourquoi se voiler la face ? Elle désirait cet homme autant qu'il la
désirait. Elle était déjà amoureuse de lui. Pour cette nuit, autant
oublier la raison, même si cela devait être la dernière nuit passée
dans ses bras...
18.
Quand ils sortirent de la voiture, l'air de la nuit vint caresser
Natasha et elle frissonna. C'était la première fois qu'elle décidait
de faire l'amour en sachant qu'il n'y aurait pas de suite, pas
d'engagement, rien de sérieux.
— Vous avez froid ? demanda Raoul, l'entourant de son bras,
alors qu'ils entraient dans l'hôtel et se dirigeaient vers les
ascenseurs.
— Tout va bien, dit-elle, même si son cœur se serrait et que sa
tête tournait légèrement.
Le sentir si proche d'elle, son parfum, son bras protecteur autour
de ses épaules... Comment s'était-elle laissé entraîner dans cette
situation, encore une fois ? Elle n'allait pas en sortir indemne.
C'est elle qui finirait par en souffrir.
Alors que l'ascenseur les emportait vers la suite de Natasha,
Raoul baissa les yeux vers elle, conscient de son trouble. Tout
était clair entre eux, ce soir. Ils savaient ce qu'ils s'apprêtaient à
faire. Et il aimait cela, il aimait contrôler les choses, il aimait qu'ils
se comprennent...
La situation devenait plus simple. Pourtant, il sentait que Natasha
La situation devenait plus simple. Pourtant, il sentait que Natasha
n'était pas entièrement en accord avec sa décision. Malgré son
envie de l'ignorer, il l'interrogea.
— Quelque chose ne va pas ?
— Non, tout va bien.
— Vous ne me dites pas la vérité, déclara-t-il en l'arrêtant. Si
vous n'êtes pas heureuse, dites-le-moi.
— Je vais bien, vraiment, assura-t-elle.
Après tout, c'était elle qui lui avait donné le feu vert. Il était
ridicule de gâcher ce qu'elle-même avait choisi.
— Très bien, conclut-il, rassuré, avant de glisser la carte
magnétique dans la serrure de la porte. Et si nous nous passions
de café ? Un verre, simplement, ça vous dit ?
— Parfait.
Natasha s'installa sur le canapé, essayant de se montrer aussi
élégante et sophistiquée que possible. Elle voulait lui donner
l'impression que cette situation était tout à fait naturelle pour elle.
Mais en le voyant verser le cognac dans leurs verres, elle ne put
s'empêcher d'être troublée. Comment pouvait-elle fondre devant
un homme qui collectionnait les conquêtes ?
Elle devait s'interdire ce genre de pensée ! Agacée, elle adressa
un sourire chaleureux à Raoul, l'invitant à s'asseoir à son côté.
Il ne se fit pas prier. Après avoir posé les verres sur la table
basse, il ne perdit pas de temps et l'enlaça.
Elle était si douce ! Il se pencha pour dévorer ses lèvres, laissant
sa main se glisser le long de sa gorge vers la courbe de sa
poitrine généreuse, prêt à profiter pleinement de ce qu'elle voulait
lui offrir. De son autre main il descendit la fermeture de sa robe
et dégrafa son soutien-gorge. Il fit tomber les bretelles et admira
son corps parfait.
— Ravissante ! murmura-t-il, contemplant son buste qui semblait
n'attendre que les caresses.
Ses lèvres sensuelles étaient légèrement écartées, ses yeux
avides et hésitants à la fois.
Il la coucha avec douceur sur les coussins, ses cheveux blonds
formant un soleil rayonnant autour de sa tête.
— Tu es si belle..., chuchota-t-il avant de partir à la découverte
de son corps.
De sa bouche, il caressa délicatement son cou, puis descendit
vers ses seins pour s'y attarder. Les gémissements de Natasha le
transportaient. Cette nuit, il allait l'aimer comme personne encore
ne l'avait jamais aimée.
Se soulevant une seconde, il s'empara de son verre de cognac et
en versa quelques gouttes entre ses seins. Il le lécha avec
délectation tout en continuant à frôler un mamelon avec ses
doigts. Il la sentait chavirer sous ses caresses, trembler sous ses
baisers. Tout son être lui réclamait d'aller plus loin. Il continua sa
délicieuse torture, ne lui laissant d'autre choix que de succomber.
Natasha haletait de plaisir. Et ce n'était que le début ! Elle n'était
même pas entièrement déshabillée. Il se concentrait sur sa
poitrine comme si elle seule était le centre du plaisir. Quand la
tension devint trop forte pour elle, elle poussa un cri et s'agrippa
à Raoul, emportée par la volupté. Elle prit alors conscience qu'il
lui retirait sa robe et ses collants. Elle s'offrait maintenant nue
devant lui.
— Natasha, Natasha..., dit-il tout bas, d'une voix qui la troubla
autant que ses caresses. Comme tu es belle, comme tu es
désirable...
Ses doigts effleurèrent ses cuisses, s'approchant de sa toison
sans jamais s'y poser. Elle se cambrait, son corps lui implorant
de la posséder. Soudain, à sa grande surprise, il se leva du
canapé et s'agenouilla entre ses jambes. Cette fois, c'est avec sa
bouche qu'il voulait la satisfaire.
Elle s'accrocha à ses cheveux et laissa échapper un cri de
bonheur quand elle sentit sa langue s'enfouir dans sa chaleur
humide. Au moment où elle songea qu'il ne pouvait y avoir de
plaisir plus intense, il la pénétra de son majeur, déchaînant une
tempête qui ébranla tout son corps.
Il se releva alors et s'assit sur le canapé, la prenant dans ses
bras.
— Oh, ma Natasha... Tu es si belle, si douce. Tellement
merveilleuse... Tu es faite pour être aimée par un homme qui
sache répondre à tes désirs. Pourquoi as-tu attendu si longtemps
?
Incapable de répondre, elle savourait le bonheur de se trouver
dans ses bras, se délectant des sensations qu'il lui offrait. Même
dans ses rêves les plus fous, elle n'aurait pas imaginé que faire
l'amour était si incroyable. Rien ne l'avait préparée à cela,
songea-t-elle, ne pouvant refouler les larmes qui coulaient sur ses
joues.
— Tout va bien, ma chérie ? demanda-t-il en ouvrant sa
chemise.
Elle répondit d'un hochement de tête, craignant que le son de sa
voix ne rompe le charme du moment et la fasse retomber dans la
réalité.
Raoul se déshabilla vite et elle sentit, contre son corps, l'intensité
de son désir. Elle était prête à l'accueillir.
Comme s'il lisait ses pensées, Raoul la souleva et l'emporta vers
le grand lit, dans la chambre à coucher.
Natasha voulait lui donner le même plaisir dont il l'avait comblée.
Mais Raoul ne la laissa pas faire. Quand elle essaya, il arrêta sa
main.
— Une autre fois, murmura-t-il en s'allongeant sur elle et en
écartant ses jambes pour se glisser en elle.
Natasha poussa de nouveau un petit cri et leva ses hanches pour
le rejoindre.
— Pas si vite, mon amour. Reste allongée et profite...
Il lui fit l'amour doucement, patiemment, attentivement. Dans un
rythme régulier, il entrait en elle, décidé à trouver ses recoins les
plus sensibles. Et Natasha se laissa faire, lui permettant de la
conduire dans un merveilleux voyage.
Mais quand le plaisir devint trop intense, elle l'agrippa et
l'entraîna avec elle dans un tourbillon interminable qui les laissa
haletants et en nage, heureux et épuisés dans les bras l'un de
l'autre.
*
**

Il fallut plusieurs minutes à Raoul pour ouvrir les yeux. Il n'en


revenait toujours pas. Jamais, tout au long de ces années, il
n'avait connu pareille explosion. C'était hallucinant et effrayant à
la fois. Il s'assit et la couvrit d'un drap.
— Tu as froid ? demanda-t-il pour rompre le silence et revenir
sur terre.
— Non, murmura-t-elle en ouvrant les yeux, l'émouvant par son
regard.
Tout cela était ridicule.
En général, après avoir fait l'amour, il trouvait une excuse pour
aller sous la douche et s'éclipser. Mais là, il ne put se retenir de
s'allonger à côté d'elle et de l'embrasser. Il caressait ses cheveux,
jouant avec ses boucles blondes, et la prit dans ses bras pour
l'emporter tout contre lui.
— Endors-toi, ma douce, dit-il tout bas, enivré par son odeur.
Fais de beaux rêves.
Fais de beaux rêves.
Natasha sourit, déjà presque endormie, et posa sa main sur celle
de Raoul. Elle éprouvait un tel sentiment de bien-être !
Et s'il pouvait durer toujours...
19.

L'automne était arrivé et, avec lui, le tapis de feuilles multicolores


qui recouvrait la terrasse du vieux manoir jusqu'à la pelouse.
Natasha regardait par la fenêtre, incapable de se concentrer sur
la paperasserie qu'elle avait à. traiter et qui s'accumulait sur son
bureau.
Elle n'avait pas reçu un seul mot de la part de Raoul depuis leur
retour. Et tout d'un coup, il lui avait téléphoné pour l'inviter à
dîner. Consciente qu'elle signait son arrêt de mort si elle
acceptait, elle s'était forcée à refuser. Elle lui avait fait croire
qu'elle était débordée et que sa compagnie ne lui disait rien.
Mais c'était entièrement faux. Pas une minute ne passait sans
qu'elle ne pense à lui, à la passion qu'ils avaient partagée... Plus
d'une fois, elle avait failli se précipiter sur le téléphone. Quand il
l'avait rappelée pour lui proposer de l'accompagner à
Longchamp voir le prix de l'Arc de Triomphe, elle avait hésité.
Et pourquoi pas ? Dans un contexte si impersonnel, cela ne
pouvait pas se révéler dangereux...
pouvait pas se révéler dangereux...
Elle se leva et traversa la pièce. Henri et sa femme étant de
repos, la maison était vide. Natasha alluma la lumière du couloir,
songeant qu'il lui faudrait rénover l'installation électrique au plus
vite. La pénombre régnait encore, et deux ampoules grillèrent au
moment où elle enclencha l'interrupteur. Elle laissa échapper un
soupir et monta l'escalier, éclairé par la lumière au-dessus des
tableaux. Alors qu'elle posait son pied sur la première marche,
elle eut le souffle coupé.
Elle devait rêver...
Une silhouette gracieuse descendait l'escalier dans sa direction.
Cette fois, l'image était claire. Natasha distinguait la teinte bleu
clair de la robe de soie, le diamant luisant au cou de la jeune
femme. On aurait dit que son ancêtre essayait de communiquer
avec elle. Mais que voulait-elle lui dire ?
Natasha resta sans bouger pendant d'interminables minutes, mais
dès qu'elle retrouva ses esprits, elle s'efforça de comprendre le
message qui semblait traverser les siècles. Elle fixa le portrait
plus attentivement et vit la femme sourire, comme pour
l'encourager à comprendre ce qu'elle ne pouvait entendre.

Comment interpréter une telle réaction ? se répétait Raoul.


N'avaient-ils pas fait l'amour jusqu'à plus soif, ce soir-là, à
N'avaient-ils pas fait l'amour jusqu'à plus soif, ce soir-là, à
Londres ? N'avaient-ils pas dormi ensemble jusqu'au petit matin
? Ils avaient même pris le petit déjeuner ensemble. Alors, qu'est-
ce qui prenait à Natasha ? Il regrettait d'avoir été si occupé
depuis. Il avait fait un voyage important à New York, avant
d'être pris à Paris. Sans quoi il se serait rendu depuis bien
longtemps au manoir, afin de lui demander une explication.
Maintenant, il reconnaissait qu'ils avaient une liaison... Avec ses
avantages et ses inconvénients. D'un côté il était content de la
savoir immobilisée au manoir, avec peu de possibilités de
rencontrer quelqu'un. D'un autre côté, elle était toujours sa
voisine, et il devait agir de manière à se sortir de cette liaison
sans nuire à leur relation de voisinage.
Alors qu'il roulait à toute vitesse sur l'autoroute, Raoul analysait
ces différentes options. Elle ne lui avait pas encore donné de
réponse pour l'hippodrome. Cela lui offrait une excuse en or
pour lui rendre une petite visite amicale. Il ne comptait pas
téléphoner, il préférait la surprendre.
Content d'être arrivé à une solution, Raoul arriva sur ses terres. Il
continua jusqu'à l'allée qui menait au château. Il se sentait affamé
et un peu seul. Personne ne venait l'accueillir, quand il revenait de
voyage. Auparavant, cela ne le dérangeait pas. Il se reprit et
salua Jean qui venait au-devant de lui.
— Bonsoir, Jean.
— Bonsoir, Monsieur le baron. Avez-vous fait bonne route ?
— Oui, merci. Tout va bien. Des nouvelles ?
— Pas grand-chose. Oh, si ! L’'inauguration du nouvel orgue à
l'église.
— Le nouvel orgue ? Comment est-ce possible ?
— Mlle de Saugure l'a offert à l'église à la mémoire de sa grand-
mère. Une grande cérémonie suivie d'une belle fête a été donnée.
Tout le monde y a participé.
Raoul resta abasourdi. La colère l'envahit : il n'avait reçu aucune
invitation, ni de la part du curé, ni de celle de Natasha. Et
surtout, c'était le rôle des d'Argentan de s'occuper de ce qui
touchait à l'église.
— Très bien, déclara-t-il en se dirigeant vers le château.
Il entra dans son bureau, alluma la lampe et parcourut son
courrier. Parmi les lettres, il trouva l'invitation. Tout à fait
impersonnelle, comme si elle avait été adressée à un inconnu.
Natasha ne lui avait même pas téléphoné pour l'informer de son
projet. Comment avait-elle osé le tenir ainsi à l'écart ?
Elle n'allait pas s'en tirer aussi facilement !
Raoul s'empara de sa veste et se rua vers sa voiture. En trombe,
il arriva au manoir.

Quand la sonnerie résonna, Natasha était encore à l'étage, se


remettant à peine de ce qu'elle venait de voir. Qui cela pouvait-il
être ? Il n'était que 7 h 30, mais l'obscurité du dehors l'avait
trompée.
En redescendant, elle jeta un rapide coup d'œil au tableau, mais
plus rien ne bougeait.
Elle ouvrit la lourde porte, se disant, trop tard, qu'elle aurait dû
vérifier qui se tenait derrière.
— Raoul ? s'exclama-t-elle, sentant son cœur s'emballer.
— Oui, comme vous voyez, dit-il, l'air grave et sérieux.
— Entrez, je vous en prie.
— Si cela n'est pas trop vous demander, ironisa-t-il.
— Je ne savais pas que vous étiez rentré...
— Je suis revenu il y a à peine quelques minutes.
— Je vois. Vous avez sûrement besoin d'un verre, alors.
— Je vois. Vous avez sûrement besoin d'un verre, alors.
Raoul la fixait. Elle avait l'air sereine, très sûre d'elle. Pas comme
la femme qu'il avait tenue tremblante dans ses bras, quelques
semaines plus tôt.
— Volontiers, répondit-il en retirant sa veste.
— Allons au petit salon. C'est la pièce la plus chaude de la
maison. Le temps est devenu glacial, ces derniers jours, vous ne
trouvez pas ?
— Natasha, je ne suis pas venu ici pour parler du temps !
— Non ? Alors pourquoi êtes-vous venu, Raoul ?
— Je suis venu vous parler de votre inauguration de l'orgue pour
l'église, que vous avez eu l'audace de décider sans mon
consentement !
— Votre consentement ? répéta Natasha en croisant les bras.
Pardon ?
— Oui. C'est le rôle des d'Argentan depuis des générations.
— Dans ce cas, vous l'avez bien négligé ! L'orgue était dans un
état lamentable. Le pauvre organiste n'en tirait plus un seul son
correct...
— Dans ces conditions, le curé aurait dû m'en parler !
— A ce qu'il m'a dit, il a essayé à plusieurs reprises. Mais vous
étiez trop occupé ou absent. Et comme vous n'assistez pas
souvent à la messe, il n'a pas pu vous le dire. Un whisky ?
— Oui, répondit-il d'un ton brusque. Mais cela n'a rien à voir
avec...
— Glaçons ?
— Non, bon sang !
— Ça tombe très bien. J'aurais dû aller les chercher dans la
cuisine, Henri a pris sa journée.
— Natasha, voulez-vous bien cesser ces remarques futiles et
écouter ? lança Raoul, rouge de colère.
— Désolée, je croyais que je le faisais. Alors dites-moi pourquoi
vous n'avez pas assumé le devoir qu'imposent vos traditions
familiales...
Il traversa la pièce et, avant qu'elle puisse l'en empêcher, la prit
dans ses bras.
— Arrêtez cela ! s'exclama-t-il.
— Pourquoi ? demanda-t-elle sans baisser les yeux. Parce que
Monsieur le baron l'exige ?
— Oui ! Vous n'avez aucun droit de débarquer ici et de
bousculer nos habitudes !
— Et si vous buviez votre whisky et essayiez de vous calmer ?
Vous réagissez de façon disproportionnée. Si je vous ai vexé, je
vous prie de m'excuser. Je n'en avais pas l'intention. Mais l'orgue
avait bien besoin d'être remplacé. Il semblait logique que j'en
offre un à l'église pour Noël.
Elle avait raison. Raoul se sentait ridicule.
— Ça a toujours été le rôle de la baronne d'Argentan... déclara-
t-il, acceptant enfin le whisky qu'elle lui tendait. Ma mère y
veillait avec un grand soin.
— Je n'en doute pas. Je suis sûre que si elle était encore des
nôtres, je n'aurais pas eu à m'en occuper.
— Je suppose que vous avez fait pour le mieux... Mais je tiens à
régler la moitié de la dépense.
— Je suis désolée, j'ai déjà tout réglé.
— Vous ne pouvez pas me retirer cela ! Ce serait un déshonneur
pour ma famille, si je ne participais pas aux frais...
— Raoul, cessez de vivre au Moyen Age ! Franchement, tout le
— Raoul, cessez de vivre au Moyen Age ! Franchement, tout le
monde se moque de savoir qui a payé. La paroisse est contente
que le problème soit résolu. Le chef de chœur est ravi, et
l'organiste soulagé. Je ne vois pas pourquoi vous en faites toute
une histoire. Et en ce qui concerne l'argent, je peux tout à fait me
le permettre, avec l'héritage de ma grand-mère.
— Ce n'est pas le problème, vous ne comprenez pas. Je vous
l'ai expliqué : vous usurpez la place de la baronne d'Argentan.
Ma mère et sa mère avant elle s'en sont toujours chargées.
Maintenant, vous, une de Saugure, vous débarquez et prenez
leur place.
— Je n'en ai pas l'ambition. Mais comme vous ne le faites pas,
c'est à moi de m'en occuper.
— Non ! Ce n'est pas à vous... Cela revient à ma femme !
— Je ne savais pas que vous étiez marié, remarqua-t-elle en se
servant un verre de vin.
Raoul sentit son sang se glacer en prenant conscience de ce qu'il
venait de dire.
Ma femme...
Il n'avait jamais pensé à se marier. L'idée d'épouser Camille de
Longueville n'était qu'une plaisanterie. Il regarda avec attention
Natasha se verser du vin.
Natasha se verser du vin.
Impossible. Il rêvait !
Se ressaisissant, il s'approcha d'elle.
— Laissez-moi vous aider, proposa-t-il d'une voix bien plus
amicale.
— Non, c'est fait.
Natasha se tourna et, l'évitant, alla s'asseoir sur une chaise pour
qu'il n'ait aucune chance de la rejoindre.
— Excusez mon attitude, reprit-il.
— Ne vous en faites pas. Je comprends qu'il est difficile de se
couper de siècles de tradition.
— C'est juste que je veux honorer mes devoirs...
— Je sais, dit-elle dans un sourire.
— Et il n'y a pas de raison de vous moquer, gronda-t-il.
— Je ne me moque pas. Je vous trouve parfois ridiculement
conservateur, c'est tout.
— Je suis ravi d'arriver à vous amuser, mademoiselle.
— Oh, Raoul, cessez de vous prendre au sérieux ! s'exclama-t-
elle en riant. Si vous pouviez vous voir... Si coincé et solennel !
Je suis sûre que vous ressemblez à votre ancêtre Régis.
— Pourquoi dites-vous une chose pareille ? demanda Raoul,
étonné.
— Pour rien, répondit-elle en haussant les épaules, refusant de
lui avouer ce qu'elle avait vu un peu plus tôt dans l'escalier. C'est
votre allure, si fière et aristocratique. Nos ancêtres devaient être
comme ça, à l'époque.
— Sans doute. Après tout, nous avons le même sang...
— Alors, vous restez longtemps, cette fois ? demanda-t-elle
pour changer de sujet.
— Je ne sais pas. Je n'ai pas encore décidé. D'ailleurs, je dois y
aller. Je vous téléphone, dit-il soudain en se levant, à la grande
surprise de Natasha.
Il sortit de la pièce avant qu'elle ait pu réagir.
— Eh bien, c'est la meilleure ! s'exclama-t-elle.
20.

Raoul fonçait vers le château. Il n'en revenait pas encore de


l'idée qui venait de le frapper.
Le mariage...
Les de Saugure et les d'Argentan liés par le mariage après ce qui
s'était passé entre les deux familles... Comment une telle pensée
lui traversait-elle l'esprit ?
Arrivé au château, il refusa le dîner que lui proposa Jean, et alla
s'enfermer dans son bureau. Il se jeta sur un canapé en cuir
devant le feu de cheminée. Instinctivement, il leva les yeux vers le
grand portrait de Régis.
— Tout est ta faute ! grommela-t-il.
— En effet...
Raoul sursauta. Il aurait pu jurer que ces mots venaient du
tableau. Les lourds rideaux en velours bordeaux se mirent à
remuer.
— Qui est là ? demanda-t-il, sur ses gardes, regrettant de ne pas
avoir une arme sur lui.
Il ne parvenait plus à bouger. Son imagination lui jouait
maintenant des tours !
Lentement, il se leva pour regarder par la fenêtre. Le fanion aux
couleurs de sa famille flottait dans le vent. Son ancêtre essayait-il
de lui dire quelque chose ?
Il quitta la fenêtre et repensa à Natasha, aux conversations qu'ils
avaient eues, à la passion qu'ils avaient partagée pendant ces
nuits torrides...
Il n'avait jamais connu un tel bonheur avec aucune femme... Le
passé l'avait suffisamment hanté, il allait maintenant prendre ses
passé l'avait suffisamment hanté, il allait maintenant prendre ses
propres décisions !
21.

Sur l'hippodrome de Longchamp, on croisait toutes sortes de


tenues vestimentaires : des jeans aux chapeaux les plus
excentriques.
Natasha n'avait pas revu Raoul depuis le soir où il avait agi si
étrangement. Elle avait eu le temps de réfléchir.
Il n'était pas question qu'elle se contente de demi-mesures ! Une
simple aventure ne la satisfaisait pas. Elle voulait devenir sa
femme, porter ses enfants.
Mais c'était impossible... Elle en avait pris conscience en buvant
un verre, un soir, avec Georges. Les dés avaient été jetés des
siècles auparavant.
Elle avait accepté l'invitation de Raoul parce qu'elle ne craignait
rien, entourée de tant de gens.
Georges et sa nouvelle petite amie, Victoire, ainsi que Madeleine
Georges et sa nouvelle petite amie, Victoire, ainsi que Madeleine
et son mari, partageaient leur box.
Natasha observa Raoul qui regardait les chevaux avec des
jumelles, et regretta ce passé douloureux qui les empêchait de
profiter de l'avenir. Il était si beau, avec sa peau cuivrée et son
costume parfaitement ajusté ! En repensant à la douceur de ses
mains, elle frissonna.
— Faites attention à cet homme-là, remarqua Madeleine qui
l'avait surprise. Il est merveilleux et je l'aime beaucoup, mais ne
vous laissez pas prendre dans ses filets...
Natasha rougit et accepta les jumelles que lui tendait Raoul.
— Tenez, regardez là-bas. Le jockey en vert et rose. C'est le
numéro 6, Grand Amour, sur lequel vous avez parié.
— C'est vraiment le grand amour ! plaisanta Madeleine.
— Tais-toi, gronda Raoul. Cesse tes sottises.
— Je suis ta cousine, j'ai bien le droit de te taquiner !
A son grand soulagement, Natasha ne semblait pas avoir
entendu leur échange. Mais les mots de Madeleine ne laissèrent
pas Raoul insensible.
Depuis près de deux semaines, il se noyait dans les
Depuis près de deux semaines, il se noyait dans les
interrogations. Toute autre femme se serait jetée à ses pieds,
aurait même usé de stratagèmes pour lui passer la corde au cou.
C'était la première fois qu'il prenait du temps à réfléchir à une
liaison.
En regardant Natasha, il se surprit à se demander ce que serait la
vie sans elle. Depuis Clotilde, il n'avait plus eu aucune aventure,
et il n'en voulait pas.
Se forçant à se concentrer, il fixa la course. Grand Amour était
bien placé. Raoul fut ravi d'avoir un peu de distraction.

Qu'il le voulût ou non, il ne pouvait pas vivre sans elle, conclut-il


en faisant les cent pas dans son bureau.
Il avait du mal à admettre qu'il ait pu s'attacher à ce point. Et
l'idée qu'il pouvait s'engager à vivre le reste de ses jours avec
une seule femme le troublait et le surprenait.
Mais il ne savait toujours pas ce qu'éprouvait Natasha pour lui. Il
savait bien qu'elle ressentait une forte attirance. Et c'était un
honneur d'être désignée pour devenir la baronne d'Argentan.
Natasha en était-elle seulement consciente ?
Il n'y avait qu'un moyen de le savoir ! Raoul décida de se rendre
au manoir pour lui expliquer la faveur qu'il s'apprêtait à lui faire.
Heureux d'être arrivé à une solution réfléchie, il ne perdit plus de
temps.

*
**

Elle ne le reverrait plus de sitôt, se dit Natasha en sortant sur sa


terrasse pour respirer l'air d'automne. Elle se couvrit d'un grand
châle et marcha un peu sur sa pelouse. Une grande quantité de
travail l'attendait, ce matin. Ses journées étaient bien remplies,
parfois un peu trop. Malgré cela, elle avait du mal à chasser
Raoul de ses pensées.
Elle poussa un petit soupir et enfouit les mains dans ses poches.
Soudain, au comble de la surprise, elle aperçut l'imposante
silhouette de Raoul qui se dirigeait vers elle.
Elle se retint de se jeter dans ses bras.
— Bonjour, Raoul, se contenta-t-elle de dire d'un ton neutre.
Qu'est-ce qui vous amène ?
— Je dois vous entretenir d'un sujet.
— Voulez-vous me suivre dans le bureau ?
— Non, ce n'est pas nécessaire. Je voudrais que vous
m'écoutiez attentivement... Natasha, je suis venu vous demander
de me faire l'honneur de devenir ma femme.
— Pardon?...
— Je comprends votre surprise. Moi-même, je suis surpris. Je
n'imaginais pas que cela me prendrait un jour. Surtout avec une
femme comme vous.
— Une femme comme moi ? répéta Natasha, mi-amusée, mi-
agacée par son arrogance.
— Je croyais ne jamais me marier, mais il se trouve que je ne
peux vivre sans vous. Votre absence me perturbe. Comme vous
imaginez, c'est un sentiment fort contrariant. Cela affecte mes
affaires, mon sommeil...
— Vraiment ? J'en suis navrée.
— Eh bien, j'espère que très vite tout cela sera résolu. Je pense
que nous pouvons nous entendre, vous et moi, bien que vous
soyez une de Saugure.
Natasha recula d'un pas quand il essaya de lui prendre la main.
— Franchement, cela m'étonne qu'un homme aussi attaché à son
passé et à sa famille ose demander ma main.
— Ce n'était pas une décision facile à prendre. J'ai dû surmonter
plusieurs incertitudes... Mais c'est la meilleure solution.
— Pour qui ?
— Eh bien, pour moi, bien sûr. Je...
— C'est un compliment ?
— N'importe qu'elle femme verrait cela comme un honneur !
répondit-il. Après tout, je possède un des titres les plus anciens
et les plus reconnus de France.
— Eh bien, voici ma réponse, dit-elle sèchement. Je vous
remercie de m'avoir considérée comme une candidate possible.
Cependant, le poste ne me convient pas. C'est non !
— Pardon ?
— Vous avez bien entendu. Je n'ai aucun désir d'épouser un
homme si sûr de sa propre importance, qui pense me faire une
faveur en me demandant ma main. Pour votre gouverne, je suis
très heureuse ainsi. Je n'ai pas besoin de vous. Je ne suis pas
prête à vous servir de vitrine, à bondir chaque fois que vous
lèverez votre doigt aristocratique...
— Mais...
— Je n'ai pas terminé ! Je suppose que vous espérez aussi que
je fermerai les yeux sur vos aventures, et que je vous serai
reconnaissante pour le reste de ma vie.
— Natasha, vous voyez mal les choses... Je ne voulais pas...
— M'insulter ? Eh bien, non seulement je me sens insultée, mais
en outre, je ne veux plus que vous remettiez un pied sur mes
terres ! Est-ce clair ?
Elle se tourna et repartit vers le manoir, claquant la porte derrière
elle.
Raoul restait là, abasourdi. Elle était folle !
Furieux, il remonta dans sa Ferrari pour se rendre au village. Il
vit Georges à une terrasse de café.
— Je dois te parier, lança-t-il, toujours en colère, sautant hors
de sa voiture et venant s'asseoir.
— D'accord, je te commande un café. Alors ? Qu'est-ce qui se
cache derrière cette mauvaise humeur ?
— Qui, tu veux dire..., corrigea Raoul. Je viens de demander sa
main à Natasha et il m'en a coûté, crois-moi !
— Sa main ? Félicitations !
— Elle a refusé ! annonça Raoul, sans parvenir à troubler
l'expression impassible de Georges. Quoi ? Tu n'as pas l'air
surpris ? Je viens de te dire qu'elle n'a pas voulu devenir ma
femme... C'est à n'y rien comprendre !
— A vrai dire, je m'y attendais, avoua Georges.
— Pardon ? Ai-je raté quelque chose ? Je lui ai offert l'un des
plus vieux noms de France...
— Et c'est là le problème. Tu vois, Raoul, Natasha ne veut pas
d'un nom. Tu devrais te sentir flatté. C'est toi qu'elle veut, Raoul,
l'homme !
— C'est ridicule !
— Mais non, mon ami. Ecoute-moi. Tu es fier, égoïste et trop
sûr de toi. Mais tu es aussi mon meilleur ami. Je voudrais tant te
voir heureux ! Tu ne penses pas que tu devrais supplier Natasha
de devenir ta femme ? Elle est ce qui t'est arrivé de mieux !
— Tu le crois vraiment ? demanda Raoul, hésitant.
— Pour l'amour de Dieu, le mariage ne concerne pas seulement
toi, toi et encore toi ! Cela consiste à rendre cette femme
heureuse, à l'aimer, à tout lui donner... L'amour, Raoul, connais-
heureuse, à l'aimer, à tout lui donner... L'amour, Raoul, connais-
tu le sens de ce mot ? Je suis content qu'elle t'ait dit non, car tu
ne la mérites pas...
Georges, sur ces mots, se leva.
— Réveille-toi, mon vieux ! reprit-il. Tu as perdu assez de temps
!
22.

Comment arrivait-il à se montrer si odieux ? Natasha refusait de


verser une seule larme pour cet homme.
Mais elle se sentait dévastée. Dès qu'elle pensait à lui, son cœur
fondait.
— Qu'il aille au diable ! se répétait-elle en montant dans sa
chambre.
Dix minutes plus tard, elle se ressaisit. Elle ne pouvait pas rester
ici. Pas tant qu'il était dans les parages et qu'elle risquait de le
croiser.
Elle avait rejeté l'homme qu'elle aimait parce que lui,
manifestement, ne l'aimait pas. Il voulait l'épouser par caprice,
parce qu'elle lui plaisait au lit. A quoi bon y revenir ?
Elle fit ses valises à toute allure et alla donner des instructions au
personnel. Cette fois, elle ne leur laisserait que son numéro de
portable. Pas son adresse... Mais en avait-elle seulement une, au
fond ?

Il se doutait bien qu'elle s'enfuirait après un tel incident. Quel


idiot il avait été de ne pas se rendre compte de ce qu'il avait sous
les yeux !
Il l'aimait. Et il croyait que sa demande en mariage le lui ferait
comprendre...
Mais sa discussion avec Georges lui avait permis de prendre
conscience qu'il avait agi de façon bien maladroite.
L'expression sur le visage de Natasha, quand il lui avait fait sa
demande, lui revint à la mémoire. Il avait tout gâché, et
maintenant, Henri ne semblait vraiment pas savoir où elle se
cachait.
Une vague de panique et de désespoir l'envahit. Il l'aimait tant,
mais il avait peur que tout ne soit définitivement terminé. Il n'avait
pas été à la hauteur...
Pour la première fois en vingt-cinq ans, Raoul se mit à prier pour
revenir en arrière, pour remonter le temps.
Seul un miracle pouvait maintenant le sauver.

Pendant trois heures, elle roula, suivant les routes de campagne


sans savoir où elle irait.
Malgré sa tristesse, elle savait qu'elle prenait la bonne décision. Il
fallait oublier le mariage, du moins comme le voyait Raoul —
c'est-à-dire de façon aussi archaïque que son ancêtre !
Elle, au moins, contrairement à l'autre Natasha, avait la liberté de
choisir sa vie.
Mais après plusieurs heures d'errance, Natasha prit conscience
que la fuite n'était pas la solution. Elle s'arrêta au bord de la mer
et sortit de sa voiture. Elle devait retourner au manoir et faire
face. C'était sa maison, sa vie. Raoul ne pouvait pas l'en chasser.
L'air de la mer lui redonna le courage de remonter dans son
véhicule pour rentrer chez elle, quelles qu'en soient les
conséquences.

Impossible de suivre ses traces ! Personne ne savait où elle était.


Et s'il employait un détective pour la retrouver ? Raoul
Et s'il employait un détective pour la retrouver ? Raoul
s'interdisait d'imaginer le pire. Elle était peut-être simplement
partie pour Paris pour la journée...
— Je ne sais pas où elle est, répéta-t-il pour la centième fois à
Georges, assis dans le salon du château.
— Pourquoi t'inquiètes-tu tant pour cette femme ? lui demanda
Georges.
— Tu sais parfaitement que je suis fou amoureux d'elle. J'ai eu
du mal à le reconnaître, mais c'est la vérité, je ne peux pas vivre
sans elle...
— Alors, dis-le-lui ! lança simplement Georges.
— Mais comment ? Je ne sais même pas où elle est !
— J'ai le sentiment que si tu retournes au manoir, tu as une
chance de l'y trouver. Elle avait sans doute besoin de quelques
heures pour réfléchir. Mais je ne la crois pas du genre à fuir
devant les problèmes.
— Tu crois qu'elle est revenue ? Et si elle ne voulait pas de moi,
malgré tout... ?
Il s'interrompit, choqué par ce qu'il venait de dire. D'ordinaire, il
était si sûr de lui ! Et voici que soudain, les cartes n'étaient plus
dans son jeu...
— Le risque de voir ta fierté en prendre un coup existe, admit
Georges. Mais certaines choses en valent la peine...
— Cesse donc de me faire la morale ! Si tu crois qu'elle est
rentrée, je ferais mieux de ne pas tarder, déclara-t-il en
s'emparant de sa veste et en se précipitant dehors.

En entendant les roues sur le gravier, elle sut tout de suite que
c'était Raoul.
Quand Henri l'introduisit dans le petit salon, elle se redressa et se
mit sur ses gardes.
— Natasha, où étiez-vous passée ?
— Quelle importance, Raoul ? demanda-t-elle, décidée à garder
son calme.
— En effet, concéda-t-il, soulagé de la voir de retour, saine et
sauve. Ce qui compte, c'est que vous soyez là.
— Raoul, je ne suis pas rentrée pour vous. Je suis rentrée parce
que c'est ma maison.
Il s'approcha d'elle.
— Natasha, j'ai agi en idiot. Mon amour, je suis venu vous
l'avouer. Je voyais les choses de travers... Je ne sais pas si vous
voudrez encore de moi après la façon dont je me suis conduit.
Avant que vous preniez une décision, il faut que vous sachiez une
chose, dit-il avant de lui prendre la main.
— Oui ? murmura-t-elle, hypnotisée.
— Je t'aime. Plus que tout au monde. Je n'ai jamais pensé que je
pourrais aimer à ce point. Mais toi, mon amour, tu m'as appris à
aimer. Si tu acceptes de m'épouser, je te promets le bonheur, la
fidélité pour le reste de notre vie.
Natasha sentait sa main trembler dans celle de Raoul.
— Raoul? Je...
— Dis-moi que tu m'aimes aussi, supplia-t-il. Dis-moi que ce
que nous avons partagé était unique, sans équivalent... Et que tu
ne le ressentiras jamais dans les bras d'un autre.
— Oh Raoul, mon chéri ! Tu ne changeras jamais ! plaisanta-t-
elle.
— Mais si, j'ai changé. Je ne peux pas t'assurer que je serai le
mari idéal, mais je ferai tout pour te rendre heureuse.
Riant de plaisir, Natasha se jeta dans ses bras, et Raoul
l'embrassa avec fougue.
— J'allais oublier, dit-il en reculant d'un pas et en sortant une
petite boîte de sa poche. Avec cette bague, je veux faire de toi
ma femme.
— Elle est merveilleuse ! déclara Natasha, émue.
— C'est la bague que Régis a commandée à Paris avant la
Révolution. Elle t'attendait depuis tout ce temps...
Elle ne trouvait rien d'autre à dire, rien d'autre à faire que de
poser sa tête sur l'épaule de son amant.

— Mon Dieu ! cria-t-elle soudain, en apercevant une ombre sur


la terrasse.
Raoul suivit son regard et tous deux restèrent figés devant les
silhouettes d'un homme et d'une femme, qui disparaissaient, main
dans la main, dans le froid automnal.

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