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Aimer n’est pas jouer

De Janelle Denison
1.
Kellie déboula en trombe dans la cuisine, le visage blême.
— Maman ! Un cavalier se dirige vers la maison à toute allure. Je
ne l'ai jamais vu, mais il est très grand et il n'a pas l'air commode.
Josie McAllister se tourna vers sa fille en fronçant les sourcils.
— Tu es sûre que ce n'est pas un des employés ?
— Certaine. Je les connais tous.
En proie à une vague inquiétude, Josie posa les yeux sur les biscuits
qu'elle venait de sortir du four pour le dîner. Le dimanche, les
employés passaient la journée chez eux. Seul Mac, son
contremaître, venait jeter un coup d'œil aux chevaux et au bétail; or,
elle avait entendu sa vieille camionnette repartir plus de une heure
auparavant. Elle était donc seule avec Kellie. Cela étant, jamais
personne n'était venu les menacer au ranch.
Les yeux pleins de larmes, Kellie tira sur sa manche pour attirer de
nouveau son attention. Josie tenta de se persuader que sa fille
s'alarmait pour une vétille. Une réaction qui s'accordait mal,
cependant, avec son tempérament naturellement confiant et paisible.
Repoussant une mèche rousse qui lui tombait sur le front, Josie
rassura Kellie d'un sourire.
— Allons voir de qui il s'agit.
Par prudence, toutefois, elle se posta auprès d'une fenêtre pour
observer le visiteur au lieu d'ouvrir directement la porte d'entrée. Un
homme descendait d'un magnifique alezan près des écuries.
Non content d'être immense, il possédait une carrure
impressionnante et des jambes de cavalier confirmé. Malgré les
trois cents mètres qui séparaient la maison des écuries, Josie sut
d'instinct qu'il ne s'agissait pas de l'un de ses hommes. Aucun ne
possédait ce port altier ni cette assurance pleine d'autorité.
Enroulant prestement les rênes de son cheval autour d'un poteau, il
prit la direction de la maison d'un pas résolu. Il portait une chemise
à rayures bleues, un jean noir et une large ceinture à boucle
d'argent. L'ombre du Stetson rabattu sur ses yeux masquait ses
traits.
— Qui est-ce ? chuchota Kellie comme s'il pouvait les entendre.
— Je ne sais...
La voix de la jeune femme mourut dans sa gorge. L'inconnu venait
de repousser son chapeau en arrière.
Glacée, elle reconnut Seth O'Connor, l'homme à qui elle avait offert
son innocence en même temps que son âme — le traître qui l'avait
cruellement abandonnée onze ans auparavant. Depuis ce jour
funeste où le cours de son existence avait changé à jamais, elle ne
lui avait pas adressé la parole. Mais elle l'avait souvent croisé en
ville. Chaque fois, il l'ignorait, comme pour mieux lui prouver qu'elle
n'avait représenté pour lui que l'instrument d'une vengeance.
Les yeux clos, elle tenta de repousser ces souvenirs douloureux.
Les O'Connor étaient leurs voisins depuis des lustres. Mais la
querelle vieille de soixante-dix ans qui opposait leurs deux familles
creusait entre eux un abîme plus profond qu'un océan.
— Ça va, maman ?
La voix soucieuse de Kellie ramena Josie au présent. Seth était à
mi-chemin entre les écuries et la maison, constata-t-elle, l'estomac
noué. Son visage grave, son pas décidé, ses épaules ramassées
comme s'il marchait au combat indiquaient qu'il ne venait pas au
Golden M pour une visite de courtoisie.
Dans un mouvement réflexe, Josie se rua vers l'armoire qui abritait
les fusils de son grand-père. S'emparant du premier qui lui tomba
sous la main, elle le chargea en se dirigeant vers la porte.
— Que fais-tu? s'écria Kellie, affolée.
— Monte dans ta chambre et restes-y !
Le ton n'admettait pas de réplique. Une fois sa fille à l'abri, Josie
sortit sous la véranda et épaula le fusil en direction du visiteur.
— Ne bouge pas, O'Connor!
Celui-ci stoppa net à deux mètres du perron. A son imperceptible
raidissement, à la crispation de ses mâchoires, Josie devina qu'il
détestait être en position d'infériorité.
Jamais elle n'aurait cru le revoir d'aussi près. Dans ces
circonstances, qui plus est !
Le regard dur de son visiteur croisa le sien. Et Josie se troubla : ces
yeux-là l'avaient autrefois brûlée de leur feu ; noyée dans leurs
profondeurs marines, elle les avait crus tendres et aimants... quand
ils n'étaient que vils et séducteurs.
A cette pensée, son doigt se crispa sur la détente.
— Sors de ma propriété!
Les mains sur les hanches, Seth la fixa avec cette désinvolture
charmeuse qui l'avait conquise autrefois. Mais son sourire recelait
une nuance inquiétante, presque dangereuse.
— Grave erreur, mon ange ! C'est ma propriété. Il est d'ailleurs
urgent que nous ayons une petite discussion à ce sujet.
Interloquée, Josie l'étudia plus attentivement. Serait-il devenu aussi
alcoolique que son père? A première vue, non. Il semblait même
parfaitement lucide.
— Tes terres se situent à des kilomètres de là, rétorqua-t-elle. Je te
suggère donc de remonter en selle en vitesse avant que je te tire
dessus.
Un frisson d'appréhension la parcourut comme une lueur de défi
s'allumait dans les yeux bleus de son interlocuteur.
— Quel sale caractère ! Tes cheveux roux s'accordent à merveille
avec ton tempérament, ma chère !
Furieuse qu'il ose se moquer d'elle, Josie leva le fusil de quelques
centimètres et tira. Le chapeau vola en arrière au moment où Seth
se baissait. Lorsqu'il se redressa, elle nota avec satisfaction qu'il
avait pâli sous son hâle.
Mais cet état de choc ne dura pas longtemps.
— Tu es folle ! Tu aurais pu me tuer.
— J'aurais pu, en effet, mais ce n'était pas mon but. Je voulais
seulement t'avertir que je ne plaisante pas.
Josie réarma le fusil et l'abaissa vers le bassin de son visiteur.
— La prochaine fois, je serai moins généreuse.
Un chapelet de jurons accueillit cette nouvelle mise en garde. Hors
de lui, Seth gravit les marches d'un bond. Une fois sous la véranda,
cependant, il approcha sans hâte, un sourire prédateur aux lèvres,
comme un fauve sûr de- sa proie. Affolée par la flamme belliqueuse
qui brillait dans son regard, Josie recula à mesure qu'il avançait. Un
gémissement étouffé lui échappa quand elle buta contre le mur.
Avant qu'elle puisse prévenir son geste, Seth lui arracha le fusil des
mains et le jeta à terre. Refusant de céder à la panique, Josie opta
pour l'offensive et se précipita sur lui, tous poings dehors. Une
profonde surprise se peignit sur le visage de son compagnon quand
le premier coup l'atteignit à la mâchoire. Vif comme l'éclair, il lui
empoigna le bras avant de recevoir le deuxième. Des doigts d'acier
se refermèrent sur le poignet de Josie, l'obligeant à pivoter sur elle-
même. Puis une main se glissa autour de sa taille pour l'immobiliser.
Cette lutte silencieuse ne prit que quelques secondes. Josie eut beau
se débattre comme un beau diable, elle n'était pas de taille à lutter
contre Seth. Elle enrageait doublement : de son impuissance, bien
sûr, mais, surtout, d'avoir à courber la tête devant un O'Connor.
Très vite, cependant, un trouble d'une tout autre nature la gagna. Ce
corps viril pressé contre le sien, ce torse musclé qui se serrait contre
son dos, les bras qui lui ceignaient la taille provoquaient en elle un
émoi pour le moins embarrassant.
En cette période de fortes chaleurs, elle ne portait qu'un short
ultracourt ainsi qu'un vieux chemisier qu'elle avait noué sous sa
poitrine pour plus d'aisance. Sa peau la brûlait là où les bras de
Seth la maintenaient. Et la toile épaisse de son jean lui écorchait les
jambes.
Lorsqu'il se pencha, un souffle tiède souleva les mèches échappées
de sa natte. Pendant quelques interminables secondes, elle demeura
immobile, presque grisée par l'odeur de cet homme dont le contact
agissait sur ses sens comme un philtre magique. Des effluves de
cuir, de soleil et de terre mêlés l'enveloppèrent. L'espace d'une
fraction de seconde, il lui sembla qu'il relâchait son étreinte, comme
s'il la berçait au lieu de la maintenir prisonnière.
Furieuse d'être aussi vulnérable à son charme, elle ordonna d'une
voix rageuse :
— Lâche-moi !
La bouche de Seth lui frôla l'oreille.
— Tu fais moins la fière- sans ton fusil, on dirait.
La vue de Josie se brouilla. Fermant les yeux pour lutter contre cet
afflux de larmes inattendu, elle prononça les mots qu'elle gardait en
elle depuis onze ans.
— Je te déteste.
— Le sentiment est réciproque, ma chère.
— Maman?
Par cette simple question, chuchotée d'une voix anxieuse, Kellie
obtint ce que sa mère n'avait pu obtenir. Seth libéra Josie sur-le-
champ.
Soucieuse de rassurer sa fille, Josie s'approcha d'elle pour caresser
ses boucles auburn si semblables aux siennes.
— Ça va, ma chérie, ne t'inquiète pas. La fillette fixa Seth d'un œil
méfiant.
— Qui est-ce ?
— Seth O'Connor. Kellie fronça les sourcils.
— C'est un de ces affreux O'Connor dont parlait grand-père ? Tu
as tiré sur lui ?
Cette franchise arracha une grimace à Josie. Elle avait mis un point
d'honneur à élever sa fille sans entretenir la haine qui existait entre
les McAllister et les O'Connor, mais son père n'avait pas eu de tels
scrupules, lui.
— C'est notre voisin. Et non, je n'ai pas tiré sur lui. M. O'Connor
s'apprêtait à partir.
Croisant les bras, Seth se campa solidement face à elle.
— Je n'irai nulle part tant que nous n'aurons pas discuté.
Consciente qu'il n'en démordrait pas, Josie poussa un soupir
exaspéré.
— Retourne dans ta chambre, Kellie. M. O'Connor et moi avons
un petit problème à régler.
Une fois seule avec Seth, elle lança d'un ton agressif :
— J'ignore de quoi tu veux parler. Nous n'avons rien à nous dire.
Sans répondre, Seth l'examina lentement. Son regard glissa sur ses
courbes, s'attarda sur ses rondeurs, évaluant ses charmes sans
vergogne. Lorsqu'il plongea de nouveau les yeux dans les siens, elle
y découvrit non sans surprise un profond ressentiment.
— Il s'agit d'affaires, annonça-t-il enfin.
— D'affaires? Je ne traiterai jamais avec un O'Connor, même si
j'étais sur le point de déposer le bilan et que vous étiez les seuls à
pouvoir me tirer de ce mauvais pas.
Un sourire inquiétant incurva les lèvres de Seth.
— C'est peut-être le cas, justement.
— La plaisanterie a assez duré. Fiche le camp tout de suite !
Sourd à cette injonction, Seth ne bougea pas d'un pouce.
— Il n'y a pas d'urgence, mon cœur.
— Si tu ne pars pas, j'appelle le shérif. Il t'arrêtera pour violation de
propriété privée et voie de fait.
— C'est toi qui m'as agressé, je te signale.
— Légitime défense ! Je me sentais menacée.
— Tu n'en donnais pas l'impression ! D'autre part, si quelqu'un
appelle le shérif, c'est moi. J'ai ici un titre de propriété stipulant que
le Golden M m'appartient.
— Tu es fou?
— Très sain d'esprit, au contraire. Tu n'as pas vu ton père,
dernièrement?
Le ton nonchalant de la question alarma Josie. Jake McAllister avait
disparu depuis deux jours. Il n'en était pas à sa première escapade
et, depuis huit ans qu'elle dirigeait le ranch, la jeune femme s'était
habituée au désintérêt progressif de son père pour le domaine qui
l'avait vue naître. Mais quel rapport entre le titre de propriété dont
parlait Seth et l'absence de son père?
— Les vagabondages de mon père ne te concernent pas, décréta-
t-elle.
Seth fit un pas vers elle. Acculée contre le mur, elle se força à
soutenir son regard sans ciller.
— J'imagine que tu connais le penchant prononcé de ton père pour
le jeu ?
Une terrible appréhension submergea Josie. Si le père de Seth était
connu pour avoir été un alcoolique notoire et une brute épaisse, la
passion que le sien portait au jeu n'était un secret pour personne. Il
flairait une partie de poker à des kilomètres à la ronde et fréquentait
les arrière-salles des bars louches avec une désolante assiduité.
Jusqu'ici, la chance lui avait toujours souri, mais la jeune femme
redoutait le jour où elle cesserait de l'accompagner — car son père
était fort capable de les mener à la ruine pour le simple plaisir de
terminer une partie.
Soudain oppressée, elle se dégagea pour s'accouder à la
balustrade. Devant elle s'étendaient des hectares de terre riche et
fertile qui appartenaient à sa famille depuis trois générations. Une
terre que les O'Connor possédaient autrefois...
Un craquement dans son dos l'avertit que Seth venait de s'asseoir
dans un des fauteuils en osier.
— J'ai gagné le Golden M au poker, déclara-t-il posément.
Prise de vertige, la jeune femme s'agrippa de toutes ses forces à la
rambarde de bois. Puis elle jeta un coup d'œil à son visiteur par-
dessus son épaule. Ses longues jambes croisées nonchalamment
devant lui, Seth offrait l'image même d'un homme dans son bon
droit.
Josie se retourna en proie à une nausée grandissante. Si seulement il
pouvait s'agir d'un mauvais rêve ! Hélas, Seth était bien là et le
regard qu'il posait sur elle était trop pénétrant pour douter de sa
réalité, son insistance trop appuyée pour ne pas être vraie.
— Prouve-le-moi, lança-t-elle en désespoir de cause. Seth sortit un
papier de sa poche et le lui tendit.
— Tiens, lis.
S'emparant du document d'une main tremblante, Josie le parcourut
d'un regard horrifié.
— Comment est-ce possible ? chuchota-t-elle, atterrée.
— C'est très simple. Ton père et moi avons passé la soirée
ensemble chez Joe, il y a deux jours. Il m'a proposé un poker.
— Et, bien sûr, tu as sauté sur l'occasion.
Le ton accusateur dont elle avait teinté ses propos suscita l'hilarité
de Seth. Son rire s'éleva, grave et séduisant, malgré la tension qui
régnait entre eux.
— Nous étions cinq, mais j'ai été le seul à avoir de la chance. En
milieu de partie, ton père n'avait déjà plus rien sur lui. Alors il m'a
signé des reconnaissances de dettes. D'abord dix mille dollars, puis
vingt, puis trente...
Josie blêmit devant l'importance des sommes en jeu.
— Quand il est arrivé à quarante mille dollars, je lui ai proposé un
marché.
Josie fusilla Seth du regard.
— Autant faire un pacte avec le diable !
— Je lui ai suggéré d'effacer ses dettes avec le ranch.
— Comme c'était généreux de ta part !
Les doigts de Josie se crispèrent sur le document qu'elle tenait en
main. Cette véranda, le sol qu'elle foulait appartenaient désormais à
Seth O'Connor. A cette idée, le cœur lui manqua.
Les yeux rivés aux siens, Seth se leva pour s'approcher d'elle.
— Rien ne l'obligeait à accepter, Josie.
— Comme s'il avait eu le choix !
Un éclair de colère traversa le regard limpide de Seth.
— Il était libre de refuser ma proposition. Curieusement, il a semblé
ravi, presque soulagé. D'ailleurs, s'il n'était pas prêt à perdre, il
aurait pu s'abstenir de m'entraîner dans cette partie.
Josie baissa la tête. Seth avait raison. Seul son père était à blâmer
pour sa faiblesse. Néanmoins, elle ne se laisserait pas déloger sans
résistance.
— Je contesterai les faits, je te préviens.
— Tu peux toujours essayer, mais ce document est parfaitement
légal. Le ranch n'était pas à ton nom. Tu n'as donc aucun recours.
A l'agonie, Josie ferma les yeux. Jamais elle n'aurait cru son père
assez désespéré pour risquer le ranch sur une partie de poker.
Quelle ironie, si l'on y songeait! A moins qu'il ne s'agisse d'un juste
retour des choses... puisque son arrière-grand-père avait gagné le
Golden M à l'arrière-grand-père de Seth exactement dans les
mêmes conditions, sur une partie de poker !
Depuis, les deux familles se vouaient une haine féroce. Une hostilité
qui ne s'atténuait pas avec le temps, à en juger par l'animosité qui
régnait entre Seth et elle. Pourtant, elle avait jadis cru qu'à eux
deux, ils pourraient mettre un terme au conflit qui opposait les
McAllister aux O'Connor.
Grave erreur, bien sûr ! Avec une effarante naïveté, elle s'était
méprise sur les intentions de Seth, en se laissant duper par son
sourire dévastateur, ses baisers et ses fausses promesses d'amour.
Aujourd'hui, Dieu merci, elle savait à quoi s'en tenir sur les
motivations des O'Connor. Leurs faits et gestes n'obéissaient qu'à
un but : assouvir leur soif de pouvoir et de profit.
Cette pensée affermit un peu plus sa détermination. Mais quand elle
lui rendit le titre de propriété et que leurs doigts se frôlèrent, elle ne
put s'empêcher de tressaillir violemment. Refusant de mollir à cause
d'une réaction purement physique, elle chercha délibérément son
regard.
— Tu ne t'en tireras pas comme ça, Seth. Si tu espères me voir
plier bagage sans me battre, détrompe-toi.
— Au contraire, j'espère fermement que tu vas rester.
Désemparée par cette réponse pour le moins inattendue, Josie
redoubla d'inquiétude. Où voulait-il en venir? Cherchait-il à lui faire
croire qu'il lui laissait le ranch?
— Je... Je ne comprends pas.
— Tu n'as pas lu jusqu'au bout, apparemment. Ton père et moi
nous sommes mis d'accord sur une clause complémentaire.
— Quelle clause? s'enquit-elle d'une voix blanche. Une flamme
sombre embrasa le regard de Seth.
— Tu dois m'épouser.
2.
Effarée par l'énormité de ce qu'elle venait d'entendre, Josie
écarquilla les yeux. Son père avait beau se comporter comme un
irresponsable, il ne pouvait avoir inventé Une clause aussi ridicule.
— Il s'agit d'une plaisanterie de mauvais goût, je suppose?
— Pas du tout. Je dois t'épouser dans un délai de une semaine pour
devenir propriétaire de plein droit.
Josie retint un sourire. Son père ne l'avait pas trahie, finalement. Il
suffisait qu'elle refuse ce mariage pour que Seth ne puisse mettre la
main sur le ranch.
— Tu crois vraiment que je vais me marier avec un homme que je
méprise pour lui permettre de me voler mon ranch ? Tu rêves, mon
cher !
Nullement ébranlé par ce ton railleur, Seth déplia un autre
document.
— Le Golden M nous appartiendra à tous les deux si nous nous
marions, c'est écrit là-dessus noir sur blanc. Si tu refuses, en
revanche, tu perds tout et je deviens unique propriétaire. Bien
entendu, en cas de divorce, celui qui réclamera la séparation devra
renoncer à ses droits sur ie ranch.
Incapable de croire que son père ait pu signer de telles conditions,
Josie arracha le document des mains de Seth.
Quand elle aperçut la signature de son père au bas de la page, elle
blêmit.
— Pourquoi te prêtes-tu à cette mascarade? s'enquit-elle d'une voix
sans timbre.
— Parce que je n'ai rien à perdre et tout à gagner.
Une vague d'accablement submergea Josie. Elle serait seule
perdante, en effet, si elle refusait de se plier aux termes de cet
étrange marché. C'était à n'y rien comprendre. Pourquoi son père la
forçait-il à s'unir à un homme qu'elle haïssait de toute son âme ?
Même le divorce lui était interdit si elle voulait conserver la maison
de son enfance. Il ne lui restait aucune issue...
Lentement, Seth lui effleura la joue du dos de la main. A sa grande
consternation, Josie sentit son pouls s'accélérer.
— Qu'en dis-tu, ma chérie ? Dois-je prendre rendez-vous avec le
révérend Wilcox pour cette semaine ou non ?
La jeune femme voulut riposter par une réplique cinglante. Hélas, sa
gorge ne put émettre le moindre son. Le pouce de Seth se posa sur
sa lèvre inférieure en une caresse si légère, si douce qu'elle
chancela. Puis, sans cesser de la fixer intensément, il laissa ses
doigts errer le long de son cou, jusqu'à l'échancrure du corsage.
Josie frissonna, assaillie de souvenirs : la magie de ces mêmes mains
courant sur son corps, leurs soupirs ardents, l'attente fébrile, les
tourments délicieux, les sensations vertigineuses, la brûlure du désir,
tout lui revint ! Un gémissement plaintif lui échappa. Comme elle se
sentait impuissante et vulnérable face à cet homme à la sexualité
arrogante !
Une moue satisfaite au coin des lèvres, Seth observait patiemment
les émotions se succéder sur son visage.
— Il me paraît évident qu'il y aura quelques avantages à ce mariage,
tu ne crois pas?
La colère demeurait la seule arme de Josie. Elle s'en empara sans
hésiter. Repoussant d'une tape la main posée sur sa gorge, elle
explosa :
— Il gèlera en enfer avant que je t'épouse !
Elle voulut se dégager, mais Seth fut plus rapide. Posant les deux
mains de part et d'autre de la rambarde, il se plaqua contre elle
pour mieux l'emprisonner.
Josie paniqua. Leurs visages se frôlaient, leurs souffles se mêlaient.
Il fallait qu'elle se dégage, qu'elle lui échappe... mais comment faire
quand elle ne pouvait esquisser le moindre mouvement ? Et, quand
bien même elle y serait parvenue, une force étrange la paralysait,
l'empêchant de réagir.
Le visage tendu de Seth, le feu sombre de ses prunelles trahissaient,
eux aussi, un désir violent.
Cela dépassait l'entendement. Comment deux êtres qui se
détestaient pouvaient-ils être attirés l'un par l'autre? Comment un
regard, une caresse de Seth pouvaient-ils effacer des années de
ressentiment, de colère et d'amertume?
Le regard bleu s'abaissa vers ses lèvres. La faim qu'elle lut dans ces
yeux si clairs provoqua en elle une nouvelle flambée de désir.
Quand Seth inclina la tête, Josie cessa de respirer. Un frisson la
parcourut, promesse de volupté et d'excitation...
Au moment où leurs lèvres allaient se rencontrer, elle se détourna
dans un sursaut désespéré. Le baiser atterrit sur sa joue. Sans
désemparer, Seth noya son cou sous une pluie de baisers. Sa voix
rauque résonna à ses oreilles, ensorceleuse, sensuelle.
— L'envie est toujours là. Pour toi comme pour moi. Josie se raidit
contre cette basse manœuvre de séduction.
— Je te déteste. Et je ne me marierai pas avec toi. Seth s'écarta,
une lueur triomphante au fond des yeux.
— Pour quelle raison me laisserais-tu le ranch aussi facilement?
Parce que tu ne supportes pas l'idée que j'exerce mes droits
conjugaux ou parce que tu en as trop envie, justement ?
Ces paroles si justes et si moqueuses ravivèrent la fureur de la jeune
femme. Repoussant Seth de toutes ses forces, elle parvint à
s'échapper. Dévalant les marches du perron, elle courut à perdre
haleine vers les écuries. En passant à côté du Stetson, elle lui donna
un coup de pied qui l'envoya rouler dans la poussière.
Seth lui ordonna de revenir d'une voix furibonde. Une injonction
que Josie ignora superbement. Des pas précipités résonnèrent dans
son dos. Josie accéléra l'allure. Il la rattraperait, mais sa fierté
souffrirait moins si elle lui donnait du fil à retordre.
Au fond d'elle-même, elle savait déjà qu'elle n'avait pas le choix.
Mais cela ne l'empêchait pas de se révolter contre l'injustice qui la
frappait.
Comment Kellie réagirait-elle au mariage de sa mère avec un
inconnu? Et comment Seth traiterait-il sa fille, lui qui n'ignorait rien
des rumeurs qui avaient couru au moment de sa naissance?
Des larmes de frustration et d'incertitude lui emplirent les yeux. Où
était donc passé son père ? A eux deux, ils auraient pu trouver un
compromis ou un arrangement financier !
Seth la rattrapa juste avant qu'elle se faufile à l'intérieur des écuries.
Sa main se referma sur son bras comme un étau. Quand elle se
tourna vers lui, les yeux étince-lants, le visage baigné de larmes,
l'irritation qui déformait le visage de Seth se mua en une expression
infiniment plus douce.
— Ecoute, je comprends que tu sois bouleversée, mais...
Les lèvres pincées, elle se dégagea d'une secousse.
— Je suis folle de rage, pas bouleversée ! C'est ma maison, bon
sang ! Je ne te laisserai pas faire.
— Si tu résistes, tu perdras tout, Josie. La seule solution qui te reste
pour conserver le ranch, c'est de m'épouser. Tu ferais mieux de
remercier ton père au lieu de ruer dans les brancards.
Elle eut un rire sans joie.
— Franchement, j'ai du mal à lui être reconnaissante. La simple
idée d'être mariée avec toi me donne la nausée.
— Tu n'es pas celle que j'aurais choisie non plus, figure-toi.
— Dans ce cas, pourquoi as-tu accepté cette clause? Tu n'avais
qu'à laisser mon père signer d'autres reconnaissances de dettes.
J'aurais bien trouvé le moyen de te rembourser.
Un petit sourire apparut sur les lèvres de Seth.
— Je reconnais bien là ton sens des responsabilités. Dommage que
ton père en soit dénué.
Josie se rappela les confidences qu'elle lui avait faites sous le sceau
du secret quand elle avait seize ans. Comment quelque chose s'était
éteint chez son père à la mort de sa mère. Comment, petite fille, elle
s'était évertuée à entretenir la maison, et comment, avec l'aide de
Mac, elle avait peu à peu appris les ficelles du métier de rancher
afin de prendre au plus tôt les rênes du domaine.
— Si tu ne voulais pas m'épouser, pourquoi as-tu accepté cette
clause ? répéta-t-elle. Tu aurais pu avoir de l'argent à la place.
D'un coup d'œil, Seth embrassa les pâturages qui ondulaient à
l'infini.
— L'argent ne m'intéresse pas. En revanche, ces terres nous
appartenaient autrefois. Elles représentent beaucoup pour moi.
C'est une des deux raisons pour lesquelles j'ai accepté ce marché.
— Quelle est l'autre?
Seth repoussa en arrière les boucles noires qui lui barraient le front.
— J'ai envie d'un ranch qui soit à moi.
— Tu as déjà le Paradise Wild ! Cela ne te suffit pas ?
— C'est Jay qui a hérité du Paradise Wild à la mort de mon père.
Une exclamation de stupeur échappa à Josie.
— Il ne vous l'a pas légué à tous les deux?
— Non. Je ne suis qu'un simple employé logé dans le bâtiment
réservé au personnel. Le ranch appartient à Jay. C'est lui qui
occupe la maison principale avec sa femme et ses enfants.
Josie secoua la tête, sidérée. Pour quelle obscure raison David
O'Connor avait-il déshérité son fils cadet?
Peu désireux de poursuivre sur ce sujet, Seth se hâta de détourner
la conversation.
— Je veux le Golden M, mais je ne tiens pas à vous mettre à la rue,
ta fille et toi. Voilà pourquoi j'ai accepté les conditions de Jake. Tu
seras à l'abri du besoin, tu ne quitteras pas le ranch et, de mon côté,
j'aurai enfin un domaine à moi. Il y a pire comme sacrifice.
L'argument était juste, mais Josie ne rendit pas les armes pour
autant.
— Ecoute, Seth, nous avons de l'argent de côté. Je peux te
dédommager suffisamment pour te permettre d'acheter un autre
ranch.
Seth secoua la tête.
— Je ne peux pas.
— Tu ne peux pas ou tu ne veux pas ?
— Les deux. Cette terre était la propriété des O'Connor avant
d'être la vôtre. Il est normal qu'elle revienne dans ma famille,
d'autant que nous sommes à peu près certains que ton arrière-
grand-père a triché lors de cette fameuse partie de poker.
— C'est faux ! Il l'a gagnée honnêtement. Et puis, tu oublies que ce
n'était qu'une terre inculte que nous avons défrichée à la sueur de
notre front. Cela ne te gêne pas de récolter le fruit de notre labeur
sans même lever le petit doigt?
Nullement troublé par cet appel à sa conscience, Seth demeura de
marbre.
— C'est à prendre ou à laisser, Josie. Il n'y a qu'une façon pour toi
de conserver le ranch.
— Le mariage, c'est ça?
— Exactement. Je suis prêt à oublier nos différends pour que ce
mariage fonctionne. Je suis également prêt à considérer ta fille
comme la mienne.
Le cœur de la jeune femme se serra à ces mots. S'il savait...
— Trop aimable, murmura-t-elle avec une tristesse teintée d'ironie,
mais ce n'est pas nécessaire. J'assume l'entière responsabilité de
Kellie. Cela fait dix ans qu'elle se passe de père et elle ne s'en porte
pas plus mal.
Une lueur interrogative brillait dans le regard de Seth. A l'évidence,
il brûlait d'en savoir plus sur Kellie, mais Josie n'était pas d'humeur à
satisfaire sa curiosité.
— Si tu as fini, je te serai reconnaissante de partir. Seth sortit une
enveloppe de son jean.
— Ton père a laissé cette lettre pour toi chez le notaire.
La jeune femme s'en empara sans un mot.
— Réfléchis bien, Josie. Je reviendrai dans quelques jours pour
connaître ta réponse.
Là-dessus, il rejoignit sa jument et sauta en selle avec souplesse.
Mais au lieu de repartir aussitôt, il enveloppa Josie d'un regard
ouvertement sensuel qui accéléra son pouls de manière alarmante.
Irritée de se troubler pour si peu, elle se répéta une fois de plus
qu'elle le détestait. Comme s'il lisait dans ses pensées, il lui sourit.
D'un sourire charmeur et inquiétant qui signifiait qu'il relevait le défi.
— N'oublie pas! lança-t-il. Si tu ne m'épouses pas d'ici à vendredi
prochain, le Golden M m'appartiendra totalement.
Sans plus s'attarder, il tourna bride et s'éloigna au petit galop en
direction du Paradise Wild.
Josie le suivit d'un regard chargé de haine. Elle avait le choix entre
épouser un homme qui l'avait cruellement trahie ou renoncer à la
seule maison qu'elle et sa fille aient jamais connue.
Quelle que soit sa décision, son avenir s'annonçait bien sombre...

Cette entrevue laissa Seth en proie à une multitude d'impressions


contradictoires. Désireux de mettre un peu d'ordre dans son esprit,
il se dirigea vers la crique.
Située au pied d'une montagne, cette anse du lac marquait la
frontière entre le Paradise Wild et le Golden M. C'était là que Seth
venait se ressourcer quand il en éprouvait le besoin. Lexi, sa jument,
connaissait bien le chemin. Dès qu'il sauta à bas de la selle pour
s'approcher de la rive, elle se mit à brouter tranquillement,
indifférente aux pensées tumultueuses qui agitaient son maître.
Penché sur l'eau, Seth étancha sa soif avant de discipliner ses
boucles noires ébouriffées par le grand air... et l'absence de
chapeau.
Un chapelet de jurons lui échappa. Non contente de le menacer
d'un fusil, Josie avait trouvé le moyen d'abîmer son Stetson préféré.
Un chapeau qu'il avait patiemment façonné et ajusté jusqu'à ce qu'il
lui aille comme un gant ! A cause de cette harpie, il allait devoir en
former un autre !
Il soupira en contemplant le visage renfrogné qui se reflétait dans
l'eau pure et claire. Pendant onze ans, il s'était répété à i'envi qu'il ne
se fierait plus jamais à un
McAllister. Il s'était également plu à croire que sa brève liaison avec
Josie n'était qu'une foucade sans importance dont il avait tiré une
leçon qui lui servirait pour la vie entière.
Malgré tous ses efforts, cependant, il n'avait jamais pu l'oublier. Les
autres femmes qu'il avait fréquentées n'avaient pu effacer de sa
mémoire le souvenir de la douceur de sa peau, du goût fruité de ses
lèvres, de son rire clair et cristallin, des cris étouffés qui montaient
de sa gorge au plus fort de leurs étreintes. Ces images le hantaient
chaque soir depuis onze ans.
Leur rencontre tenait du miracle puisqu'on leur avait appris à se
détester dès leur plus tendre enfance. Pendant les années de
collège, à l'instigation de son frère Jay, il avait tourné Josie en
ridicule à la moindre occasion. Lorsque sa conscience le
tourmentait, il se rebellait contre son frère. Mais Jay lui menait une
vie impossible jusqu'à ce qu'il rentre dans le « droit chemin » et
reprenne les hostilités, sous les plus vifs encouragements de leur
père.
Un sentiment d'écœurement l'envahit à ce souvenir.
Quand Jay avait quitté le lycée, la pression familiale s'était relâchée.
Echaudée par ses rebuffades, Josie l'évitait avec soin. Si, par
hasard, ils se croisaient dans les couloirs, elle l'ignorait purement et
simplement. Or, sans qu'il comprenne pourquoi, l'idée qu'elle lui
attribue autant de méchanceté qu'à son frère le chagrinait.
Un jour, elle sortit en trombe d'une salle de classe au moment où il
entrait en sens inverse. La collision fut inévitable. Le choc fut si
violent que Josie se retrouva par terre, ses livres éparpillés autour
d'elle. Pétrifiée, elle le fixa avec une expression de bête traquée.
Lui ne vit qu'un minois ravissant encadré de boucles roux foncé,
d'immenses yeux vert jade surmontés de sourcils très brans et
d'adorables taches de rousseur sur un nez d'une délicatesse exquise.
Puis, ses yeux se baissèrent vers des jambes parfaites et un buste
menu recouvert d'un T-shirt qui laissait deviner des rondeurs
émouvantes.
A cet instant précis, il eut l'impression d'être frappé par la foudre.
Son cœur se mit à tambouriner dans sa poitrine, ses paumes
devinrent moites, son corps tout entier semblait pris de frénésie.
Jamais il n'avait éprouvé de sensation aussi violente.
Gêné et confus, il s'accroupit pour l'aider à ramasser ses livres.
— Ça va?
Ses manuels dans les bras, Josie se releva en hâte en marmonnant
un « oui » tremblant.
Au moment où elle tournait les talons, il la retint par le bras sans
réfléchir. Elle se raidit aussitôt, attendant une insulte qui ne vint pas.
— Je suis désolé, murmura Seth d'une voix douce.
Il voulait s'excuser pour toutes les années de mauvais traitements,
mais elle se méprit sur la nature de ses propos.
Les yeux débordants de larmes, elle répliqua d'une voix mal assurée
:
— C'est ma faute, j'aurais dû regarder devant moi.
Là-dessus, elle s'enfuit en courant avant qu'il puisse s'expliquer.
Incapable d'en rester là. Seth la suivit après les cours. Quand il fut
certain d'être seul avec elle, il l'aborda à la lisière du bois qui bordait
leurs propriétés respectives.
Au lieu de prendre la fuite, cette fois, elle fit front. Les yeux
étincelants de colère, elle laissa tomber ses livres pour se précipiter
sur lui dans un élan si furieux qu'ils perdirent l'équilibre et tombèrent
à la renverse sur le sol recouvert de mousse. Allongée sur lui de tout
son long, le souffle coupé par le choc, Josie ne dit rien pendant un
moment.
Paupières closes, Seth se força à une immobilité parfaite pour
qu'elle ne se sente pas menacée. Pourtant, le corps juvénile plaqué
contre le sien engendrait en lui des fantasmes tellement débridés
qu'il se mit à réciter ses tables de multiplication pour les endiguer.
— Seth ! appela Josie d'une voix inquiète. Dis quelque chose !
Six fois sept, quarante-deux...
D'un mouvement vif, elle s'assit sur lui à califourchon. Deux paumes
fraîches lui encadrèrent le visage.
— Seth! Tu vas bien?
Il retint un gémissement de justesse. Se rendait-elle seulement
compte de la torture qu'il endurait? Six fois huit, quarante-huit...
Une main libéra les premiers boutons de sa chemise pour se glisser
vers son torse.
— Tu ne respires plus !
Peut-être, mais il était bien vivant, comme le prouvait
l'embarrassante réaction de son corps à la position de Josie. A
l'agonie, il se concentra de nouveau sur ses tables. Six fois neuf,
cinquante-quatre, six fois dix, soixante, sept fois un...
Paniquée, elle s'agenouilla à côté de lui.
— Je ne voulais pas te tuer, gémit-elle. Je te le jure !
Sans plus hésiter, elle lui maintint la tête en arrière, lui pinça le nez et
posa la bouche sur la sienne.
En sentant ces lèvres exquises effleurer les siennes, Seth eut un
avant-goût du paradis. Lentement, très lentement, il prit une grande
inspiration avant de soulever les paupières.
— Ouf! Tu respires.
— Tu... Tu m'as coupé le souffle, chuchota-t-il d'une voix enrouée.
L'étincelle qu'il espérait jaillit dans les prunelles de jade. Glissant la
main derrière la nuque de Josie, il put enfin l'embrasser comme il
rêvait de le faire depuis leur collision dans le couloir. Ses lèvres
s'entrouvrirent d'elles-mêmes, avec une confiance, un abandon qui
lui mirent du baume au cœur.
A dix-huit ans, Seth avait déjà embrassé beaucoup de filles. Aucune
ne lui tournait la tête comme Josie. Grisé, ensorcelé, en proie à une
ivresse inconnue, il explorait sa bouche sans pouvoir se lasser ni se
rassasier. Et comme Josie ne protestait pas...
A partir de ce jour-là, ils se retrouvèrent tous les après-midi à la
sortie des cours. De peur de représailles de la part de leurs familles,
ils se cachaient dans les bois. Bientôt, leurs baisers se firent plus
ardents, prélude à des échanges encore plus passionnés qui les
menèrent à un don total de l'un à l'autre. L'absence d'inhibition de
Josie, la fièvre avec laquelle elle répondait à ses caresses, la façon
dont son corps se pliait contre le sien comme une liane attisaient son
désir au point qu'il avait parfois l'impression de devenir fou. Dans
leur folie, toutefois, il prit soin de la protéger contre une éventuelle
grossesse. Aussi tomba-t-il des nues quand, trois mois plus tard,
elle lui annonça, en larmes, qu'elle attendait un enfant.
Terrifié à l'idée d'affronter son père, il demanda conseil à Jay.
— Comment sais-tu que l'enfant est de toi ? rétorqua celui-ci.
— Que veux-tu dire?
Son frère le toisa d'un air narquois.
— Etant donné qu'elle a couché avec les trois quarts des types de
terminale, il me paraît difficile de savoir qui est le père.
Le poing de Seth partit de lui-même. Le lendemain, Jay arborait un
splendide œil au beurre noir.
Quelques jours plus tard, les rumeurs sur les vagabondages de Josie
commencèrent à circuler dans les vestiaires des garçons. Comme il
avait pris ses précautions chaque fois qu'ils avaient fait l'amour, Seth
tira la douloureuse conclusion qui s'imposait : l'enfant qu'elle portait
n'était pas de lui. A la stupeur succéda alors la colère. Avec quel
talent elle lui avait joué la comédie en lui faisant croire qu'il était le
premier!
Fou de rage, il se promit de trouver une vengeance à la mesure de
sa désillusion.
Lors de leur dernière entrevue, il lui annonça froidement qu'il l'avait
séduite pour se venger des McAllister et qu'elle était tombée droit
dans le piège.
Le désespoir qui se refléta dans le regard de Josie faillit avoir raison
de lui. Son chagrin, sa souffrance paraissaient si réels qu'il s'en fallut
de peu qu'il ne soit encore victime de ses talents de manipulatrice.
Mais, quand il évoqua la douzaine de candidats susceptibles d'être
le père, elle ne tenta pas de nier. Pas plus qu'elle n'essaya de
s'expliquer. Elle partit, sans un mot, la tête droite, les épaules fières.
Il l'avait évitée comme la peste jusqu'à aujourd'hui. Pour constater
qu'il la désirait avec la même fureur possessive qu'autrefois.
Un soupir agacé lui échappa. Il ne s'attendait pas à la retrouver
aussi séduisante. Avec l'âge, elle avait encore gagné en féminité. Et
puis, ce tempérament de feu qui s'embrasait à la moindre étincelle
exerçait sur lui une attirance presque magnétique. Quelle différence
avec les femmes conventionnelles et dociles qu'il fréquentait depuis
des années !
Un rire amer lui échappa. Cela faisait onze ans qu'il s'évertuait à nier
l'existence de Josie, et, d'ici à une semaine, elle serait sa femme.
Car, une fois sa colère retombée, elle accepterait de l'épouser, cela
ne faisait aucun doute. Entre deux maux, elle choisirait le moindre ;
or, le Golden M comptait trop à ses yeux pour qu'elle consente à le
sacrifier par amour-propre.
Il ne restait plus qu'à annoncer la nouvelle à Jay... Son frère
entrerait dans une fureur noire en apprenant qu'une McAUister allait
faire partie de leur famille. Depuis des lustres, il les tenait pour
responsables de leurs revers de fortune. Comme si la gestion
hasardeuse de leur père et son éthylisme notoire n'avaient pas suffi à
les mener au bord du gouffre ! Mais il était plus facile à Jay
d'accuser leurs ennemis plutôt que d'admettre une fois pour toutes
que leur père avait passé plus de temps à ruminer sa rancœur dans
les bars qu'à s'occuper du ranch.
Une bouffée d'amertume l'envahit à la pensée des raisons pour
lesquelles son père l'avait déshérité. JJ la chassa bien vite, déterminé
à ne songer qu'à l'avenir. Un avenir aussi inattendu qu'inespéré
puisque Josie deviendrait bientôt sa femme et que le Golden M lui
appartenait d'ores et déjà.
3.
Jay se trouvait dans son bureau, une pièce spacieuse qu'il venait de
faire aménager à l'extrémité de l'écurie principale. Par la porte
entrouverte, Seth aperçut son frère absorbé dans la lecture d'un
journal étalé devant lui. Lorsqu'il frappa pour annoncer son arrivée,
Jay leva aussitôt la tête.
— Où étais-tu passé? Nous t'attendions pour le dîner.
— Désolé.
Bien qu'il fût considéré comme employé, Seth partageait ses repas
avec son frère et sa famille. D'ordinaire, il prévenait toujours sa
belle-sœur de ses absences, mais, aujourd'hui, cela ne lui était
même pas venu à l'esprit.
— Je ne pensais pas être aussi long.
Les yeux rivés sur son frère, Jay nota en silence l'absence du
Stetson.
— Comme Lexi n'était pas dans son box, j'en ai déduit que tu es
allé vérifier l'état des clôtures. Je te rappelle que je ne paie pas
d'heures supplémentaires le dimanche.
Seth plissa les lèvres avec irritation. Quoiqu'il n'ait jamais contesté la
décision de son père, il supportait mal d'être traité comme un simple
ouvrier dans le ranch qui aurait dû lui revenir pour moitié. D'autant
que Jay ne manquait pas une occasion de lui rappeler
insidieusement la punition qui lui avait été infligée.
— Je ne travaillais pas. J'étais au Golden M. Jay ouvrit des yeux
ronds.
— Pour quelle raison ?
Avant de répondre, Seth s'assit dans le grand fauteuil de cuir noir
qui faisait face au bureau de son frère.
— J'ai gagné le Golden M au cours d'une partie de poker avec
Jake McAllister.
Jay mit quelques secondes à assimiler l'information. Puis une lueur
d'intérêt apparut dans ses yeux.
— C'est vrai? Tu ne plaisantes pas?
— Pas le moins du monde. Tu as devant toi le nouveau propriétaire
du Golden M.
Par prudence, il se garda de mentionner la clause complémentaire, à
savoir son mariage imminent avec une femme au tempérament
explosif qui n'hésitait pas à le menacer d'un fusil.
Un large sourire fendit le visage de Jay.
— Voilà ce que j'appelle un juste retour des choses ! Nous allons
pouvoir réunir les deux propriétés et regrouper les troupeaux.
La mâchoire de Seth se contracta.
— Il n'en est pas question.
— Comment ça ?
— Je tiens à ce que les ranchs restent séparés.
Le ton ferme indiquait que la décision de Seth était irrévocable.
Le visage blême, Jay se dressa d'un bond. Les mains posées à plat
sur le bureau, il fusilla son frère du regard.
— Pourquoi, bon sang? Cette terre appartient aux O'Connor
depuis toujours! Elle forme un tout avec la mienne. Il faut qu'elle soit
rattachée au Paradise Wild.
Si Seth avait eu la part qui lui revenait à la mort de son père, il aurait
approuvé. Mais puisque Jay n'avait même pas songé à lui proposer
un partage, il n'était pas prêt à céder un pouce du Golden M.
— Elle n'est plus dans la famille depuis près de soixante-quinze ans,
argua-t-il.
Un pli de colère déforma la bouche de Jay.
— En bref, tu préfères devenir mon concurrent !
— Tu sais bien que non ! A nous deux, nous n'arriverons même pas
à satisfaire la demande des acheteurs de la région.
— Papa doit se retourner dans sa tombe.
— Ça, c'est certain ! Que le fils qu'il a déshérité mette la main sur le
ranch qu'il a convoité ne doit pas lui faire plaisir.
— Si tu tenais à ton héritage, il ne fallait pas batifoler avec Josie
McAllister.
Seth hocha la tête avec amertume.
— Je sais.
Sa brève aventure avec Josie lui avait en effet coûté très cher. Non
seulement il avait perdu sa part du Paradise Wild, mais elle l'avait
handicapé à vie sur le plan affectif. Les femmes lui inspiraient une
méfiance sans bornes. Il était désormais incapable de donner à
aucune l'amour qu'il avait un jour porté à Josie.
Mais l'heure n'était plus aux regrets. Seul l'avenir l'intéressait.
— A propos de Josie, je me marie avec elle la semaine prochaine,
annonça-t-il avec le plus grand naturel.
Les yeux de Jay faillirent sortir de leurs orbites.
— Pardon?
Ravi de son petit effet, Seth expliqua avec concision de quoi il
retournait. Une bordée de jurons accueillit son récit. Hors de lui,
Jay se mit à arpenter le bureau en gesticulant.
— Comment as-tu pu accepter cette clause, bon sang ?
— Parce que je veux le Golden M.
— Quand je pense que lu vas te marier avec cette traî...
— Ça suffit!
Seth bondit de son fauteuil pour se camper devant son frère d'un air
menaçant.
— Je ne tolérerai plus une seule insulte sur Josie, je te préviens.
Jay le dévisagea avec consternation.
— Grands dieux ! Ne me dis pas que tu l'as encore dans la peau !
— Elle n'est qu'un moyen d'atteindre un objectif. Mais j'exige que tu
la traites avec le respect que tu aurais témoigné à n'importe quelle
femme que j'aurais pu épouser, c'est clair ?
— Tu as perdu la tête ! Tu ne peux pas te marier avec une
McAlIister !
A bout de patience, Seth prit une grande inspiration pour contenir
sa colère.
— Je le peux et je le ferai, alors je te suggère de t'habituer à cette
idée.
— Tu vas l'épouser après ce qu'elle t'a fait?
Seth refusa de mordre à l'hameçon. Penser à la façon dont Josie
l'avait trompé ne servait qu'à réveiller ses vieux démons. Mieux
valait considérer qu'elle faisait partie du Golden M, au même titre
que les pâturages, les bâtiments ou les troupeaux.
— Cette histoire appartient au passé. N'en parlons plus.
— Enfin, Seth ! Cette femme s'est servie de toi pour essayer de te
faire endosser la paternité de son moutard alors qu'elle avait couché
avec la moitié de la ville !
Le coup porta. Les poings serrés, Seth demeura silencieux tandis
que l'image de Kellie s'imposait à lui. Avec ses boucles auburn et
ses yeux verts, elle ressemblait à s'y méprendre à sa mère. Rien
dans sa physionomie ne laissait deviner qui était son père. D'ailleurs,
Josie elle-même ne le savait peut-être pas.
Néanmoins, il aurait été injuste de punir la fille pour les péchés de sa
mère.
— Ce moutard, comme tu dis, va devenir ma belle-fille et ta nièce.
Si tu la blesses d'une manière quelconque, c'est à moi que tu en
répondras.
Là-dessus, il tourna les talons sans plus s'attarder.
— Ne compte pas sur moi pour venir au mariage ! hurla Jay.
Seth secoua la tête, consterné par l'attitude de son frère. Jusqu'à
présent, il n'avait pas mesuré combien la rancœur de leur père avait
déteint sur lui. A force de ruminer contre les McAlIister, David
O'Connor était devenu un homme dur et cruel, rongé par la haine.
Si Jay continuait sur sa lancée, il finirait en vieillard au cœur sec,
dénué de la moindre émotion.
Quand il sortit de l'écurie, la lumière du soleil lui parut plus
éclatante, sa caresse plus chaude. Et Seth se sentit léger, presque
heureux, enfin libéré de cette sujétion familiale qui lui pesait tant.

Assise sur un banc, près de la grange, Josie relut la lettre de son


père pour la troisième fois. Les quelques mots griffonnés à la hâte
sur un morceau de papier n'expliquaient pas pourquoi il avait risqué
le ranch dans une partie de poker perdue d'avance.
Jake se contentait de préciser que l'acte de propriété était valable. Il
émaillait ses phrases de mots d'excuse, et tentait de justifier cette
clause invraisemblable en expliquant qu'il n'avait songé qu'à sa
sécurité. Comme il redoutait d'affronter sa colère, poursuivait-il, il
préférait quitter la région. Le message s'achevait sur des mots de
réconfort : son père lui souhaitait de trouver le bonheur et l'assurait
de son amour en espérant qu'elle lui pardonnerait un jour.
De son retour, il ne disait mot. C'était bien ce qui inquiétait Josie.
L'idée de ne plus le revoir lui était insupportable.
Les larmes qu'elle retenait depuis longtemps roulèrent sur ses joues.
Elle pleurait sur ce père qu'elle ne reverrait peut-être jamais. Sur
son avenir aussi. Un avenir dont elle n'augurait rien de bon.
Comment Jake avait-il pu croire qu'elle le rejetterait pour avoir
conclu ce pacte odieux avec Seth ? Ensemble, ils auraient pu se
tirer de ce guêpier ! Seule, elle n'avait aucun recours, aucun moyen
de se défendre face à un homme aussi déterminé que Seth. Qu'il
soit décidé à l'épouser, elle, prouvait à quel point il désirait le
ranch...
Le grincement de la porte de la maison la tira de sa douloureuse
méditation. Kellie l'observa d'un air indécis avant de s'élancer dans
la cour pour la rejoindre. En chemin, elle ramassa le chapeau de
Seth qu'elle ramena en le brandissant comme un trophée.
Essuyant discrètement ses joues humides, Josie s'efforça de faire
bonne figure pour annoncer calmement la nouvelle à sa fille.
Celle-ci la considéra d'un air soucieux.
— Il t'a fait pleurer !
— Non, ma chérie. Ce n'est pas lui.
La cause de ses larmes était son père, ce père qu'elle chérissait
tendrement.
Kellie ne parut pas convaincue.
— Que voulait-il ?
« Notre terre, notre maison, tout ce pour quoi j'ai travaillé si dur
depuis des années. »
Au lieu de crier sa frustration, Josie désigna le banc.
— Assieds-toi, ma chérie. Il faut que nous parlions.
— J'ai pas envie.
Derrière la mine butée de l'enfant perçait une inquiétude qui
bouleversa sa mère. Plaquant un sourire de commande sur ses
lèvres, Josie n'insista pas.
— Dans ce cas, allons nous promener.
Prenant la main de Kellie, elle l'entraîna vers la prairie.
Après quelques minutes de réflexion, elle décida que la meilleure
façon d'aborder le sujet était d'aller droit au but.
— Que dirais-tu d'avoir un père?
— Comment ça, un père ?
Le cœur de Josie se serra. Elle aurait souhaité offrir à Kellie un père
qui l'aimerait d'un amour inconditionnel, mais elle doutait que Seth
en fût capable. Trop de ressentiment les séparait — sans compter
les cruelles rumeurs qui avaient entouré la naissance de sa fille...
— Tu m'as souvent demandé de me marier pour que tu puisses
avoir un père, poursuivit-elle avec gravité. J'aimerais savoir si tu en
as toujours envie.
La fillette haussa les épaules.
— J'imagine que oui.
— Eh bien, ton vœu va être exaucé. M. O'Connor et moi allons
nous marier.
Kellie la contempla d'un air horrifié.
— Ah, non, pas lui ! Il est méchant.
Josie s'immobilisa près de la barrière qui marquait l'entrée de la
prairie et prit la main de sa fille.
— Tu te trompes, ma chérie. Tout à l'heure, nous étions tous les
deux en colère, c'est tout. Ton grand-père lui a donné le Golden M
en lui demandant de m'épouser pour que nous puissions rester ici
toutes les deux. Nous avons mis un moment à nous mettre
d'accord, mais c'est fait.
— Oh!
Curieusement, cette explication sembla apaiser l'inquiétude de
Kellie. Elle dévisagea sa mère d'un air pensif.
— Tu l'aimes?
Prise au dépourvu, Josie pâlit. Autrefois, elle l'avait aimé, oui, mais
aujourd'hui... Les jambes chancelantes, elle s'appuya contre la
barrière le temps de se ressaisir. Lorsque les battements de son
cœur reprirent leur cours normal, elle déclara avec fermeté :
— Non.
— Peut-être qu'un jour tu l'aimeras ?
L'espoir qui brillait dans le regard de sa fille la bouleversa.
— Peut-être, répliqua-t-elle sans conviction.
— Moi, je sens que je vais l'aimer, s'exclama Kellie d'un ton
guilleret.
Josie n'en crut pas ses oreilles. Avec quelle facilité Kellie acceptait
Seth !
Une ombre voila soudain le visage de la fillette. Une lueur indécise
au fond des yeux, elle se mordilla la lèvre.
— Et moi? Tu crois qu'il va m'aimer un peu, dis?
— Comment pourrait-il faire autrement? Tu es intelligente, douce et
mignonne à croquer. Il va être fou de toi.
Un éclat de rire joyeux accueillit cette déclaration.
— Pour quand est prévu le mariage?
— Vendredi prochain.
— Super! Je pourrai être demoiselle d'honneur?
Touchée par l'enthousiasme de sa fille, Josie la couva d'un regard
attendri.
— Et comment !
— Il y aura un énorme gâteau et un dîner et on dansera?
— Non, ma chérie. Ce sera une cérémonie très simple célébrée
dans l'intimité. Il n'y aura pas de réception ensuite.
La déception tempéra un peu l'excitation de Kellie. Puis sa joie
revint au galop.
— Alors, c'est moi qui ferai le gâteau de mariage !
— On verra.
Satisfaite de cette réponse, qui pourtant n'engageait Josie à rien,
Kellie s'élança dans le champ pour cueillir des fleurs. Les bras
croisés, Josie la suivit d'un regard songeur. Après tout, si sa fille
s'imaginait qu'elle se mariait de son plein gré, cela valait mieux.
En revanche, elle ne s'habituait pas plus à devenir la femme de Seth
qu'à l'idée d'avoir un mari tout court. Les rares hommes qu'elle avait
fréquentés après la naissance de sa fille la prenaient pour une femme
facile. Lasse de repousser leurs mains baladeuses ou leurs allusions
graveleuses, elle avait fini par tirer un trait sur sa vie sentimentale.
Dans la journée, la présence de Kellie, sa spontanéité, son amour
de la vie la comblaient d'aise. Mais la nuit-elle se sentait parfois si
seule ! Souvent, elle se rappelait la beauté de ses étreintes avec
Seth, la sensualité de ses caresses, l'ardeur de ses baisers, leur
insatiabilité... Son corps affamé réclamait alors une satisfaction que
rien ne pouvait lui apporter. Ces nuits-là, elle se retournait pendant
des heures jusqu'à l'aube.
Dire que, bientôt, elle appartiendrait de nouveau à Seth... A la
pensée de partager ces joutes sensuelles pleines de fougue, son
corps s'embrasa, son sang se mit à chanter dans ses veines.
Effarée par la violence de sa réaction, elle la réprima aussitôt.
Comment pouvait-elle envisager de se donner à un homme qui
l'avait avilie? Plus jamais elle ne serait le jouet de Seth. Plus jamais il
ne se servirait de son corps pour assouvir ses pulsions. Sa fierté le
lui interdisait. Sa fierté — et la crainte qu'il ne lui brise le cœur une
seconde fois.
Elle l'épouserait puisque c'était la seule condition pour conserver le
ranch. Mais elle y mettrait une condition, et Seth devrait s'y plier,
bon gré mal gré.

Comme promis, Seth revint quelques jours plus tard. Il fit son
apparition à l'aube, monté sur sa jument alezan, au moment où Mac
et les employés du ranch sautaient en selle pour regrouper le bétail.
Tous savaient que Seth O'Connor deviendrait leur nouveau patron
d'ici peu. Dès le lundi, Josie avait informé ses hommes de son
mariage imminent. Devant leur éton-nement, elle avait expliqué les
circonstances en leur présentant la chose comme une simple
transaction. Si aucun n'avait exprimé son indignation de vive voix,
leurs visages désolés parlaient pour eux.
Les six jeunes ranchers immobilisèrent leurs montures pour regarder
d'un œil méfiant le nouveau venu approcher. Alignés sur un seul
rang, la mine farouche, ils donnaient l'impression d'être prêts à
défendre l'honneur de Josie si nécessaire.
Touchée par cette manifestation de loyauté, cette dernière observa
la réaction de Seth. A en juger par son expression ombrageuse,
cette attitude protectrice n'était pas de son goût.
Il stoppa à quelques mètres des hommes pour l'envelopper d'un
regard possessif. A son grand dépit, Josie sentit monter en elle une
réponse spontanée qu'elle étouffa sans pitié.
Elle s'était préparée à accueillir le visiteur avec froideur. C'était
négliger son extraordinaire pouvoir de fascination. Ce magnétisme
saisissant, cette séduction à couper le souffle n'appartenaient qu'à
lui. Tenaient-ils au corps athlétique qu'on devinait sous les
vêtements, à ce visage aux traits rudes surmonté d'une masse
luxuriante de cheveux noirs ou à la personnalité indomptable que
révélaient le nez hardi et la mâchoire volontaire ? A l'ensemble, sans
doute... Il incarnait le cow-boy idéal, celui dont rêvent toutes les
femmes. L'aisance avec laquelle il menait sa jument dénotait un
cavalier accompli, habitué à ne faire qu'un avec sa monture.
A son grand étonnement, Josie ne trouva plus trace du dédain qui
se reflétait dans les yeux bleus lors de leur entrevue houleuse. Mais
le regard direct et sensuel qu'il posait sur elle lui parut plus
dangereux encore...
Ignorant les ranchers, Seth s'approcha d'elle.
— Bonjour, Josie.
Les bras croisés, elle lui adressa un petit salut très sec accompagné
d'une grimace qui pouvait passer pour un sourire.
— Pardonne-moi si je n'emploie pas la formule consacrée en
prétendant que c'est un plaisir de te revoir : j'ai horreur de mentir.
Le rire de Seth résonna dans l'air matinal.
— Tu sais comment flatter un homme, ma chérie.
Furieuse qu'il la tourne en ridicule, et persuadée que ce trait
d'humour ne visait qu'à mettre ses hommes dans sa poche, elle le
fusilla du regard.
D'un mot, Mac ordonna aux ranchers de partir avant de les
rejoindre. Un pli soucieux barrait son front buriné.
— Veux-tu que je reste avec toi, Josie ?
— Merci, Mac, mais c'est inutile. En revanche, puisque tu es là,
autant te présenter Seth dans les formes.
Les deux hommes échangèrent une poignée de main par-dessus
l'encolure de leurs chevaux respectifs. Ils se jaugèrent mutuellement
du regard puis, à la stupeur de Josie, hochèrent la tête d'un air
satisfait.
— Il me tarde de travailler avec vous, déclara Seth en souriant. Je
compte sur vous pour m'aider à me familiariser avec les méthodes
qui ont fait la réputation du Golden M.
Josie serra les dents, exaspérée par cette soudaine affabilité. De son
côté, Mac tomba droit dans le panneau.
Conquis par ces manières franches et directes, il se dérida.
— Nous essaierons de négocier la transition de notre mieux.
— Je vous en remercie.
« Traître ! » murmura Josie en son for intérieur à l'adresse de son
contremaître.
Comme s'il devinait ses pensées, Seth tourna vers elle un regard
interrogateur. A l'évidence, il voulait savoir si elle s'efforcerait
également de lui faciliter la « transition ».
Pour toute réponse, elle lui décocha un sourire sucré, tandis que ses
yeux, eux, transmettaient un tout autre message.
— Bon, je vous laisse, déclara Mac. Je ferai un saut vers midi pour
m'assurer que tout va bien. Soyez sages, tous les deux, conclut-il en
pressant les flancs de sa monture.
— Nous voilà seuls, observa Seth.
— Tu oublies Kellie. Alors, comme le dit Mac. tu as intérêt à bien
te tenir.
Sautant à bas de sa selle, Seth enroula les rênes de sa jument autour
d'un poteau.
— Tu m'offres une tasse de café ?
Agacée par le ton poli qu'il affectait depuis son arrivée, Josie fut
tentée de l'envoyer au diable. Puis elle se ravisa. A ce petit jeu, elle
aussi pouvait se montrer très forte. Et puis, un peu de cordialité
faciliterait la requête qu'elle souhaitait lui présenter. Un mariage
blanc valait bien quelques concessions.
— Suis-moi ! ordonna-t-elle en gravissant les marches du perron.
4.
Sur cet ordre plutôt sec, la jeune femme fit volte-face sans attendre
son visiteur. Loin de s'en plaindre, celui-ci se félicita de cette
initiative. De dos, Josie offrait un spectacle ravissant, constata-t-il
en détaillant avec intérêt chaque courbe de cette silhouette exquise.
La nuque était un peu rai de, certes, mais le doux balancement des
hanches était un bonheur à regarder. Et le jean qui recouvrait ses
jambes interminables épousait leur galbe parfait comme une
seconde peau.
Le chemisier de coton blanc ne révélait pas grand-chose, en
revanche. Et la natte dans laquelle Josie serrait sa chevelure
flamboyante était un peu trop sage à son goût, mais, curieusement,
ces détails soulignaient la sensualité naturelle qui émanait d'elle au
lieu de la gommer. Une sensualité qui se dégageait d'elle à chaque
mouvement, à chaque pas, à chaque geste qu'elle faisait. Tout
comme son tempérament de feu, conclut-il en se rappelant la
flamme querelleuse qui brillait dans les yeux verts, peu auparavant.
A cet instant, elle lui jeta un coup d'œil par-dessus son épaule et le
surprit en flagrant délit d'observation. Nullement gêné, il lui adressa
un sourire admiratif. Surprise, elle tressaillit — pour se ressaisir
aussitôt.
— Pourquoi restes-tu en arrière?
— La vue est très agréable d'ici.
Elle s'empourpra violemment, puis se retourna en marmonnant une
réponse incompréhensible.
Son affabilité la prenait de court, manifestement. Or, c'était
exactement le but qu'il recherchait. Depuis trois jours, il avait eu tout
loisir de réfléchir à la façon d'aborder ce mariage. A ses yeux, le
seul moyen de rendre la cohabitation supportable consistait à
oublier le passé pour repartir de zéro. Restait à espérer que Josie
serait prête à quelques compromis...
Parvenue sur le seuil, elle attendit qu'il la rejoigne.
— Kellie dort encore. Il faut parler doucement.
Seth la dévisagea avec attention. Elle paraissait nerveuse, comme si
elle redoutait la discussion qui allait suivre.
— Y a-t-il une raison pour que j'élève la voix?
— Aucune.
Le ton manquait de conviction. Et puis, pourquoi évitait-elle de
croiser son regard ? Que tramait-elle donc ?
Ils traversèrent plusieurs pièces claires et spacieuses pour se rendre
dans la cuisine. Cela changeait agréablement du réduit obscur dans
lequel il vivait depuis deux ans, songea Seth. Il lui tardait de dormir
de nouveau dans une vraie chambre, dans un vrai lit avec un matelas
confortable et non sur une couchette étroite et dure.
La délicieuse odeur qui embaumait la cuisine lui mit l'eau à la
bouche. Avec ses fenêtres sur trois côtés, la pièce lui parut
particulièrement gaie et lumineuse. Une grande table en chêne
entourée de chaises occupait le centre. A l'invitation de Josie, il prit
place sur l'une d'elles pendant qu'elle servait le café et disposait des
muffins sur un plat.
Lorsqu'elle lui apporta une tasse et une assiette, elle répondit à son
remerciement par un hochement de tête préoccupé.
Un peu étonné, Seth but une gorgée de café et poussa un soupir de
satisfaction. Il était noir et très fort, exactement comme il l'aimait.
Quant aux muffins, ils fondaient dans la bouche.
Assise face à lui, Josie arborait une expression si distante qu'il
s'attendit presque à ce qu'elle trace une ligne de démarcation entre
eux, pour délimiter le côté auquel chacun aurait droit.
Comme elle ne semblait guère pressée d'entamer la conversation, il
décida d'aller droit au but.
— Qu'as-tu décidé, en fin de compte ? On se marie ou tu préfères
renoncer au ranch ?
Un éclair de fureur embrasa le regard de Josie.
— Si j'avais le choix, ce ne serait ni l'un ni l'autre.
— Tu ne l'as pas, alors j'aimerais connaître ta réponse.
Josie entoura sa tasse de ses mains en contemplant le breuvage
noir.
— Je voudrais te proposer une autre solution.
— Je te rappelle que nous sommes tenus de suivre à la lettre ce que
nous avons décidé ton père et moi.
— Je le sais bien ! Ma proposition ne remet pas votre arrangement
en cause, mais elle faciliterait nos relations.
Intrigué, Seth F étudia en vain pour tenter de deviner ce qu'elle
mijotait.
— Je t'écoute.
Josie redressa le menton d'un air résolu.
— Eh bien, voilà... je... je veux un mariage blanc.
Il faillit éclater de rire. Pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt ?
Cela tombait sous le sens !
— C'est hors de question.
— Enfin, Seth, c'est la meilleure solution.
— Non ! répéta-t-il avec force.
— Sois raisonnable. Je ne te demande pas de décrocher la lune.
— Justement si ! objecta-t-il, plus amusé qu'incrédule. Je ne suis
pas un moine, figure-toi. Le célibat, très peu pour moi !
Incapable de rester assise plus longtemps. Josie quitta brusquement
la table pour jeter son café dans l'évier.
— Tu... Tu n'auras qu'à chercher satisfaction auprès d'autres
femmes.
La mâchoire de Seth se contracta sous l'effet de la colère.
— Le papillonnage n'est pas mon genre. En outre, la fidélité me
paraît être une des bases essentielles du mariage. Tu penses que
cela te posera un problème ?
Une multitude d'émotions se refléta dans le regard assombri que
Josie posait sur lui : la fureur, le chagrin, l'amertume...
— Non, chuchota-t-elle. Mais je veux faire chambre à part.
-— Désolé, mais c'est non.
— Si tu voulais bien réfléchir deux minutes, tu comprendrais qu'un
mariage blanc est la meilleure des solutions.
— Non!
Le hurlement de Seth se répercuta avec force dans la cuisine.
— Tu n'es pas en position de négocier, Josie. Tu partageras mon lit
et, si cela te déplaît, tu n'as qu'à refuser de m'épouser. C'est le seul
choix qui te reste.
— Tu compliques la situation à plaisir alors qu'elle pourrait être très
simple. Pourquoi tiens-tu à exercer tes droits conjugaux sur une
femme que tu méprises ?
— Parce que je suis un homme normal, avec une sexualité normale,
des hormones qui fonctionnent parfaitement et que je me vois mal
rester chaste pendant cinquante ans. D'autre part, il n'est pas
nécessaire de s'adorer pour profiter de certaines joies de la vie de
couple.
Il se garda de préciser que, malgré toutes les raisons qu'il avait de la
détester, elle l'attirait toujours autant. .
— J'attends ta réponse, insista-t-il comme elle demeurait
silencieuse.
Postée devant la fenêtre, Josie mit si longtemps à parler que Seth
crut qu'elle allait lui laisser le ranch plutôt que d'accepter de dormir
avec lui.
— D'accord, chuchota-t-elle enfin d'une voix creuse. Ce sera un
vrai mariage.
Un vif soulagement s'empara de Seth.
— Bien. Je compte sur ta coopération dès notre nuit de noces, je te
préviens.
Elle fit volte-face si brusquement que sa natte vola d'une épaule à
l'autre. Une profonde panique se reflétait sur son visage.
— Tu... Tu n'es pas sérieux ! J'ai besoin de temps pour m'habituer
à l'idée de... de...
— Faire l'amour? proposa-t-il.
— Exactement !
— A quoi bon? Nous ne sommes pas tout à fait des inconnus l'un
pour l'autre. Sur le plan physique, nous nous accordions même à
merveille, si je ne m'abuse.
Cette évocation fit rougir Josie jusqu'aux oreilles.
— C'était avant d'apprendre que je n'étais que l'instrument d'une
vengeance.
Un éclat de rire sarcastique accueillit cette déclaration indignée.
— Je pourrais te renvoyer la pareille, ma chère.
Une expression douloureuse au fond des yeux, elle le considéra
sans rien dire pendant un long moment. Puis, soudain, comme si elle
comprenait qu'elle livrait une bataille perdue d'avance, ses épaules
s'affaissèrent.
— Très bien, Seth. Nous ferons comme tu voudras, mais ne
compte pas sur une collaboration active de ma part.
Une fois de plus, Seth dut faire appel à toute sa maîtrise pour
contenir sa colère.
— Je crois que si, murmura-t-il.
— Une femme contrôle plus facilement ses pulsions qu'un homme,
je te signale.
Persuadée de lui avoir rivé son clou, elle pivota sur ses talons. Mais
Seth n'avait pas l'intention de lui laisser le dernier mot. Il brûlait de
lui prouver combien elle se trompait ; il rêvait de la voir fondre dans
ses bras sous l'assaut de ses baisers.
D'un geste vif, il lui saisit le poignet pour l'attirer sur ses genoux.
Enroulant la natte autour d'une main, il l'obligea à rejeter la tête en
arrière.
— Seth, non !
Cette voix terrifiée, ces yeux suppliants emplis d'effroi faillirent avoir
raison de la détermination de Seth. Puis son regard tomba sur les
lèvres à demi ouvertes, cette bouche pleine et gourmande dont le
souvenir le hantait. La tentation fut irrésistible.
— Je compte bien sur ta collaboration, ma chérie. Et je vais te
démontrer dès à présent que cela n'exigera pas trop d'efforts de ta
part.
Etouffant le cri de révolte de Josie, il prit possession de sa bouche.
Tendue à l'extrême, elle serra les lèvres pour l'empêcher
d'approfondir son baiser. Sans se démonter, il essaya une autre
tactique et lui mordilla la lèvre inférieure.
Une plainte sourde monta de la gorge de Josie, mais elle tint bon.
Cette résistance obstinée arracha un sourire à Seth. Très vite, ce qui
avait commencé comme une démonstration devint un jeu qu'il était
décidé à remporter vaille que vaille.
Délaissant la bouche de Josie, il noya son cou, sa nuque, le creux
de son corsage d'une multitude de baisers. Patiemment, il attendit
qu'elle rende les armes.
Peu à peu, il la sentit faiblir. Lorsqu'il s'empara de nouveau de sa
bouche pour forcer en douceur le barrage de ses lèvres, elle
s'abandonna sans protester.
Très vite, hélas, la situation échappa au contrôle de Seth qui se prit
lui-même à son propre piège. Un désir fulgurant, impérieux, le
gagna. Il embrassait à présent sa compagne avec une agressivité
possessive qui n'avait plus rien à voir avec la douce volupté du
début. Leurs lèvres se cherchaient avec fébrilité puis se perdaient,
se dérobaient pour mieux se retrouver.
Fou de désir, il saisit son visage entre ses paumes tremblantes pour
le dévorer de baisers ardents, goûter sa peau fraîche, s'enivrer de
son parfum, se perdre dans ces yeux où brillait un feu étrange,
prolonger la magie de ces instants. Il lui tardait de la posséder, de
plonger au plus profond d'elle-même, de la faire sienne.
Leur nuit de noces lui sembla soudain à des millions d'années-
lumière. Dans une seconde de folie, il envisagea de lui demander de
l'épouser l'après-midi même.
Au même instant, Josie, fit un mouvement si brusque pour se
dégager qu'elle tomba par terre.
Furieuse, elle le gratifia d'une œillade incendiaire.
— Pour une femme qui maîtrise ses pulsions, tu ne te défends pas
mal, lança-t-il, moqueur. Il me semble, en tout cas, que la question
du mariage blanc est réglée.
— Va-t'en au diable !
— Grâce à toi, j'y suis déjà, ma chérie. Mais, rassure-toi, nous
réglerons ce léger problème le soir de notre nuit de noces.
Un bruit de pas dans l'escalier empêcha Josie de répliquer. Elle eut
tout juste le temps de se mettre debout avant que Kellie ne fasse
irruption sur le seuil.
En découvrant Seth, une expression méfiante apparut dans le regard
de la fillette. D'instinct, elle se réfugia auprès de sa mère qui l'enlaça
par les épaules d'un geste protecteur. Une bouffée de colère
s'empara de Seth. Pour qui le prenait-elle enfin ? Un monstre prêt à
se jeter sur son enfant ?
— Bonjour, ma chérie, murmura-t-elle tendrement.
Quel contraste entre cette mère aimante et la tigresse qui venait de
l'embrasser passionnément ! Josie offrait décidément un intéressant
mélange de contradictions dont il lui tardait de découvrir toutes les
facettes...
— Bonjour, maman, répondit Kellie sans cesser de le fixer.
— Tu te souviens de notre conversation au sujet de M. O'Connor,
n'est-ce pas?
— Oui. Tu m'as dit que ce serait mon père.
— Ton beau-père, rectifia Josie, très pâle.
Kellie s'approcha en tendant la main poliment.
— Je suis contente de vous rencontrer, monsieur O'Connor.
A cause de sa taille, Seth préféra rester assis pour ne pas
impressionner Kellie. Pendant qu'il serrait la main minuscule entre
les siennes, la fillette l'observa avec curiosité, la tête légèrement
rejetée en arrière.
Lorsqu'un sourire timide effleura les lèvres de l'enfant, il se sentit
fondre.
Le courant de confiance immédiate qui s'établit entre eux à cet
instant l'emplit d'une émotion inconnue. Il sourit à son tour et vit
avec plaisir le regard de Kellie s'illuminer.
— Moi aussi, je suis heureux de faire ta connaissance, Kellie. Et
comme ta mère et moi allons nous marier, tu peux m'appeler...
— M. O'Connor, intervint Josie d'une voix ferme. Seth adressa à la
jeune femme un coup d'œil étonné.
Elle soutint son regard sans ciller pour lui signifier qu'elle ne tenait
pas à ce qu'un lien particulier s'établisse entre lui et sa fille.
— Si tu m'appelais Seth pour l'instant? Et puis, ce serait plus simple
si tu me tutoyais, tu ne crois pas ?
Les joues de la fillette rosirent de plaisir.
— D'accord.
Kellie baissa la tête, mais Seth eut le temps de voir l'espoir qui
brillait dans ses yeux. A l'inverse de sa mère, elle semblait se réjouir
de ce mariage.
Pendant que sa fille se glissait sur une chaise, Josie se mit à préparer
le petit déjeuner. Manifestement agacée par le regard que Seth fixait
sur elle, elle lança d'un ton sec :
— Ne te sens pas obligé de nous tenir compagnie. J'imagine que tu
as beaucoup de détails à régler avant de quitter le Paradise Wild.
Refusant de saisir la perches, Seth se resservit de café.
— A dire vrai, pas tellement. Je n'ai même rien à faire jusqu'à notre
mariage.
— Dans ce cas, prends le petit déjeuner avec nous, proposa Kellie
d'un ton joyeux.
Les deux adultes se tournèrent vers la fillette. Tout sourires, Seth se
hâta d'accepter avant que Josie n'invente un prétexte pour le
chasser.
— Voilà une invitation qui ne se refuse pas, déclara-t-il. Le petit
déjeuner en compagnie de deux femmes délicieuses, que demander
de plus ?
Un couteau à la main, Josie se mit à couper du lard.
— Eviter un empoisonnement alimentaire, peut-être ? suggéra-t-elle
d'un air narquois.
Seth se pencha vers elle en riant pour lui susurrer à l'oreille :
— Si c'est toi qui me soignes ensuite, je suis partant.
— Et moi donc ! Pour une fois que tu serais à ma merci !
Seth contempla avec circonspection le couteau qu'elle maniait avec
adresse.
— Je préfère déclarer forfait, murmura-t-il en regagnant sa place.
Josie plaça le lard dans la poêle en pestant. Seth charmait sa fille
d'un sourire, s'imposait à leur table, s'autorisait à son égard des
libertés qu'elle n'avait permis à aucun homme depuis onze ans ; bref,
il se comportait en terrain conquis. Franchement, il dépassait les
bornes.
Pour couronner le tout, il attendait d'elle une complète reddition dès
leur nuit de noces !
A l'idée de faire l'amour avec lui, un frisson de panique la parcourut.
Si elle était incapable de repousser un baiser, qu'adviendrait-il
quand il se montrerait plus hardi?
Le cœur battant à tout rompre, elle entreprit de fouetter les œufs
avec plus de vigueur que nécessaire. Il ne lui restait que deux jours
pour se préparer à partager son lit sans céder aux impératifs de son
corps.
Dans son dos, Seth bavardait avec Kellie.
— Tu montes à cheval ? demanda-t-il.
— Bien sûr! J'ai même une jument à moi. Elle s'appelle Juliette.
— Tu me feras visiter le ranch ?
— Si tu veux. Je t'emmènerai à la crique en premier. C'est mon
endroit préféré.
Kellie se tut un instant pour reprendre d'une voix timide :
— Tu as des enfants?
Josie faillit lâcher le plat qu'elle tenait en main en entendant cette
question innocente. En le posant sur la table, elle jeta un coup d'œil
furtif en direction de Seth. Le regard affectueux qu'il adressait à sa
fille la rassura aussitôt.
— Non, je n'en ai pas. Mais j'ai une nièce et un neveu. Brianna a
six ans et Brendan quatre. Ce sont les enfants de mon frère. Ils
deviendront tes cousins quand ta mère et moi serons mariés.
Le visage de Kellie s'éclaira d'un sourire lumineux.
— Formidable! Quand est-ce que je pourrai les voir?
Le silence prolongé qui suivit cette nouvelle question constituait une
réponse à lui seul. A l'évidence, Jay n'avait toujours pas enterré la
hache de guerre.
Lorsque Seth prit la parole, ce fut avec prudence.
— Tu les rencontreras un jour, je pense.
— Ils seront là au mariage?
— Non, dit Josie en servant les œufs brouillés. Il n'y aura que nous
trois.
Seth confirma d'un hochement de tête.
Pendant le repas, Josie observa attentivement le comportement de
Seth à l'égard de sa fille. Force lui fut d'admettre qu'il s'y prenait à
merveille car Kellie semblait sous le charme.
Après avoir aidé à débarrasser, Kellie monta se doucher pendant
que sa mère s'attaquait au nettoyage de la poêle.
— Comment a réagi Jay en apprenant que tu devenais propriétaire
du Golden M ? s'enquit-elle tout à trac.
— Il se réjouit qu'il revienne dans la famille, murmura Seth après
une courte hésitation. Mais il est furieux que je ne veuille pas réunir
les deux propriétés.
— Ce serait logique, en effet.
— Peut-être, mais il n'en est pas question !
Le ton sans appel procura un vif soulagement à Josie. Voilà au
moins un point sur lequel elle n'avait plus de souci à se faire.
Par la fenêtre, elle aperçut Kellie qui s'élançait hors de la maison, le
visage rayonnant de bonheur. Un bonheur auquel la présence de
Seth n'était pas étrangère, songea-t-elle avec un pincement au cœur.
Si seulement ce mariage pouvait la réjouir autant que sa fille! Hélas,
il lui suffisait d'y penser pour sentir l'appréhension lui nouer
l'estomac.
Les mains tremblantes, elle posa la poêle sur î'égout-toir.
— Que pense Jay de notre mariage ?
Seth vint la rejoindre près de l'évier. Appuyé contre le plan de
travail, les bras croisés, il lui parut plus viril et plus séduisant que
jamais.
— Il n'est pas encore prêt à t'accepter, mais je ne désespère pas de
l'y amener.
En se séchant les mains, Josie se rappela la cruauté de Jay à son
égard. Le visage grave, elle se tourna vers Seth.
— Je ne lui permettrai pas de faire du mal à Kellie. Je te préviens.
Le visage de Seth se crispa.
— Crois-tu que je le laisserais faire ?
— Non, mais je préfère mettre les choses au point tout de suite.
— J'ai toujours protégé les miens, Josie.
La jeune femme ébaucha un sourire triste. Autrefois, la trahison de
Seth l'avait laissée seule face au scandale et voilà qu'il se posait en
défenseur de sa fille. Contre son frère, qui plus est! Le destin
prenait parfois des tours étranges, décidément.
Troublée, elle consulta sa montre.
— Je dois te laisser. Mon travail m'attend.
— Message reçu, acquiesça-t-il en se redressant. De toute façon, il
faut que j'aille en ville pour confirmer l'heure de la cérémonie au
révérend Wilcox. Je viendrai vous chercher vendredi à midi.
Au moment de franchir la porte, il se retourna.
— Surtout n'hésite pas à choisir une tenue sexy pour notre nuit de
noces.
— N'y compte pas ! riposta-t-elle avec aigreur. Le rire de Seth la
fit frémir.
— J'adore les défis, surtout quand c'est moi qui gagne, tu ne le sais
pas encore ?
Là-dessus, il s'éclipsa en lui adressant un clin d'ceil. Josie fulminait.
Le mufle ! Avec quelle délectation il lui rappelait la façon dont elle
s'était abandonnée à ses baisers ! « Mais une personne avertie en
vaut deux », songea-t-elle. La prochaine fois, elle serait mieux
armée pour résister à ses manœuvres de séduction.
Car, s'il aimait les défis, elle aussi !
Pour la première fois de la matinée, elle eut un vrai sourire.
— Vous n'avez aucune idée de ce qui vous attend, monsieur
O'Connor. Rira bien qui rira le dernier !
5.
La mariée était en noir. Des peignes qui ornaient son chignon à ses
escarpins, en passant par sa robe et son sac, le noir dominait.
Quant à Seth, le seul effort vestimentaire qu'il avait consenti portait
sur une veste de tweed, probablement enfilée à la dernière minute
pour habiller un peu son jean et sa chemise en chambray. Il arborait
également un Stet-son sombre flambant neuf.
De son côté, la demoiselle d'honneur avait opté pour une robe rose
flamboyante et son excitation contrastait singulièrement avec la mine
grave des deux adultes.
Sensible à la tension qui régnait entre les futurs époux, le révérend
Wilcox toussota d'un air gêné avant d'entamer la cérémonie.
Fasciné par Josie, Seth ne parvenait pas à détacher son regard de
la jeune femme. Les épaules droites, le dos raide, elle donnait
l'impression de se préparer pour l'échafaud. Mais si elle s'était
déguisée en veuve par provocation, elle tombait à plat : le noir lui
allait à ravir. Il rehaussait son teint diaphane, mettait en valeur ses
yeux verts qui brillaient comme deux émeraudes et faisait
magnifiquement ressortir sa chevelure de feu. Même la robe, choisie
sans doute pour sa simplicité, renforçait la sensualité naturelle qui se
dégageait d'elle.
Quel contraste entre la mère et la fille ! songea-t-il en glissant un
coup d'œil vers Kellie. A la froideur hautaine de Josie, celle-ci
opposait une agitation qu'elle maîtrisait difficilement. Et dans ses
yeux si semblables à ceux de sa mère brillait un espoir qui l'émut
profondément.
Devinant qu'il l'observait, Kellie lui décocha un sourire radieux. Seth
se prit à regretter de ne pouvoir combler sur-le-champ l'attente de
cette enfant pour laquelle il éprouvait une affection croissante.
Malheureusement, cela ne dépendait pas seulement de lui. Pour ce
faire, la coopération de Josie était indispensable...
Plongé dans ses pensées, il s'aperçut trop tard que le pasteur lui
posait une question.
— Avez-vous apporté une alliance pour la mariée ? Seth pesta
intérieurement. Ce détail lui était complètement sorti de l'esprit.
— Je suis navré, non.
— Dans ce cas, vous vous contenterez de tenir la main de Josie
pendant que vous prononcerez vos vœux.
La jeune femme lui abandonna sa main à contrecœur. Au grand
étonnement de Seth, elle était glacée et tremblante. Josie paraissait
si calme pourtant, si maîtresse d'elle-même. Plongeant les yeux au
fond des siens, il lui promit d'une voix ferme de l'aimer et de la
protéger jusqu'à ce que la mort les sépare. Quand vint le tour de
Josie, sa bouche articula les paroles d'usage, mais son regard
n'exprimait qu'une infinie révolte.
Seth ne s'en émut pas outre mesure. N'avait-il pas désormais la vie
entière pour briser cette résistance? Et puis, l'étincelle qui existait
entre lui et Josie était toujours là, plus vivace que jamais. Grâce à
elle, il gardait une confiance inébranlable en l'avenir, même si le
chemin s'annonçait semé d'embûches.
— Je vous déclare mari et femme, énonça le pasteur. Vous pouvez
embrasser la mariée, Seth.
Josie eut un mouvement de recul instinctif tandis que Kellie tournait
vers eux un visage lumineux.
Pour ne pas la décevoir — et aussi pour ébranler la réserve de sa
mère —, Seth ôta son chapeau pour s'incliner vers Josie. Surprise
qu'il ose l'impensable, elle détourna la tête, si bien que le baiser qu'il
destinait à ses lèvres finit sur sa joue.
Piqué au vif par son petit air satisfait, Seth décida de ne pas la
laisser s'en tirer à si bon compte.
— Ton triomphe sera de courte durée, ma chérie, chuchota-t-il
entre ses dents. Je compte bien me venger cette nuit de ce faux
bond.
L'allusion à leur nuit de noces prochaine la fit rougir jusqu'aux
oreilles. Mais elle retint la réponse cinglante qui lui monta aux lèvres.
— Toutes mes félicitations, déclara le révérend Wilcox avec
chaleur. Je vous souhaite d'être heureux.
Seth lui serra la main.
— Merci.
Kellie se jeta au cou de sa mère.
— Maintenant, tu es vraiment mariée !
— Eh oui ! Qui l'aurait cru?
Une franche hostilité animait le regard de Josie quand il croisa celui
de Seth par-dessus l'épaule de sa fille.
— Rentrons à la maison, maintenant.
La maison! A ces mots, le cœur de Seth se gonfla d'une joie
inattendue. D avait presque le vertige à l'idée d'avoir enfin un toit à
lui, même si la bataille avec Josie était encore loin d'être gagnée.
Après avoir salué le pasteur, ils descendirent la nef. Lorsque Seth
effleura le dos de Josie pour la guider, elle voulut s'écarter, mais il la
retint par le coude et l'obligea à rester à son côté.
A l'œillade incendiaire qu'elle lui adressa, il répondit par son plus
beau sourire. Puis, très lentement, il lui caressa l'intérieur du bras, là
où la peau était si douce qu'on aurait dit de la soie. Un sentiment de
triomphe l'envahit quand il sentit un long frémissement la parcourir.
Elle réagissait au-delà de ses espérances... C'était déjà un début !
— J'ai besoin de contacts physiques, ma chérie. Autant t'y habituer
tout de suite.
— Autant me demander de m'habituer à vivre au milieu des
serpents !

Dès leur retour au ranch, Josie monta se changer, décidée à se


réfugier au plus vite dans son bureau afin d'éviter son mari.
Au moment, où elle s'apprêtait à enlever sa robe, la porte de la
chambre s'ouvrit. Seth fit son entrée d'un pas assuré.
— Que fais-tu ici?
— Ne panique pas. Il est encore un peu tôt pour exercer mon
devoir conjugal.
Il l'enveloppa d'un regard qui la déshabilla de la tête aux pieds.
— Remarque, l'idée mérite peut-être d'être reconsidérée.
— N'y compte pas.
Un sourire ravageur aux lèvres, il s'avança lentement vers elle.
— Tant pis, j'attendrai ce soir. Cela te laissera tout l'après-midi
pour te préparer à notre petite fête.
Du doigt, il suivit la courbe d'une joue pour s'arrêter sur la lèvre
inférieure.
A la torture, Josie dut faire appel à toute sa volonté pour repousser
la main tentatrice.
— La fête ? Je vois plutôt ça comme un cauchemar.
— Voyons, Josie ! Tu devrais ménager mon orgueil de mâle.
Insensible à ce trait d'humour, elle s'éloigna.
— Que fais-tu ici, Seth ?
Il désigna deux énormes sacs sur le seuil de la pièce.
— J'aimerai ranger mes affaires. J'espère que ta as libéré de la
place pour moi dans tes placards.
— Non.
D'un geste machinal, elle se massa les tempes où un début de
migraine commençait à se faire sentir. Cette pièce était son
sanctuaire. Il n'était pas question qu'elle la partage. Surtout avec lui.
— Si tu t'installais dans la chambre d'amis, ce serait plus simple, tu
ne crois pas ?
D'un geste irrité, Seth sortit un T-shirt d'un sac et commença à
déboutonner sa chemise.
— Nous sommes mariés, que cela te plaise ou non. Il est hors de
question que je me faufile chaque soir dans ton lit comme un voleur
pour retourner ensuite dans une autre chambre.
Un nœud se forma dans la gorge de Josie à l'idée de subir les
caresses de Seth nuit après nuit. Comment trouverait-elle la force
de résister? Car ce n'était pas seulement sa chambre qu'il envahirait,
son corps qu'il posséderait. Elle se connaissait assez pour savoir
qu'un jour ou l'autre, il pourrait bien s'emparer de son cœur.
Furieuse qu'il s'impose, mais consciente qu'il ne servirait à rien de
discuter, elle s'inclina de mauvaise grâce. Ouvrant l'armoire, elle lui
désigna la partie gauche, puis elle entreprit de vider deux tiroirs de
la commode.
Lorsqu'elle se retourna, il contemplait son Stetson troué posé sur un
des montants du lit.
— Beau trophée !
Josie posa ostensiblement les yeux sur celui qu'il venait de visser sur
sa tête.
— N'est-ce pas ? J'envisage de commencer une collection.
— Celui-là, il faudra le gagner. Si tu es gentille cette nuit, cela ne
devrait pas être trop difficile.
— Je préférerais le percer d'une balle comme celui-ci. C'est plus
amusant.
Au lieu de prendre la mouche, comme elle l'escomptait, Seth éclata
de rire.
Dépitée, Josie s'empara d'un jean et d'un chemisier avant de
s'enfermer à double tour dans la salle de bains. Comment lutter
contre un homme qui refusait de mordre à l'hameçon ? Plus elle le
provoquait, plus il se moquait d'elle !

Josie avait beau tenter de se concentrer sur la comptabilité du


ranch, ses yeux revenaient sans cesse se poser sur l'horloge murale
de son bureau. Comme par un fait exprès, celle-ci semblait avancer
à une vitesse prodigieuse. Et, depuis trois heures qu'elle s'escrimait
sur les factures, elle n'avait pas avancé d'un pouce.
Refermant le dossier avec un soupir agacé, elle renonça à travailler.
Comment y parvenir, de toute façon, quand le crépuscule la
rapprochait du moment fatidique ? Obsédée par cet instant où Seth
et elle se retrouveraient face à face dans leur chambre, elle se
sentait tendue au point de hurler.
Le cours de son existence avait été bouleversé si brusquement et si
complètement, qu'elle avait encore du mal à y croire. En l'espace
d'une semaine, elle avait perdu son père, envolé Dieu sait où, perdu
la moitié du ranch, et se retrouvait mariée à un homme qu'elle avait
toutes les raisons de haïr. Un individu qui, loin de se décourager
devant ses rebuffades, les prenait comme un défi.
Incapable de tenir en place, elle se campa devant la fenêtre.
Accoudés à la barrière d'un enclos, Seth et Mac conversaient
comme deux vieux amis.
Seth se mit à rire. Une telle métamorphose s'opéra sur son visage
que le pouls de Josie s'emballa. D'un seul coup, elle retrouva
l'adolescent généreux et insouciant du lycée, celui qui avait conquis
son cœur par sa gentillesse et sa délicatesse — avant qu'elle ne
découvre le sinistre individu qui se dissimulait derrière cet aspect
avenant... Le cœur serré d'amertume, elle prit une grande inspiration
pour soulager sa poitrine oppressée.
A cet instant, Seth donna une claque amicale sur l'épaule de Mac
avant de se diriger vers le bureau. Quand il entra dans la pièce,
Josie avait repris sa place derrière la table et feignait de s'intéresser
à une facture.
Elle leva la tête d'un air contrarié.
— On ne t'a jamais appris à frapper?
Seth s'avança. Sa haute silhouette dominait la pièce de sa présence
imposante.
— Est-ce vraiment nécessaire?
— J'ai horreur qu'on me dérange quand je suis occupée.
— Tu ne dois pas l'être tant que ça puisque je t'ai vue à la fenêtre il
y a trois minutes.
Prise de court par cet argument imparable. Josie garda le silence.
Seth se jucha sur le coin du bureau, si près que sa jambe frôlait la
sienne. Elle s'écarta vivement, mais le mal était fait : elle tremblait et
ses paumes moites trahissaient son trouble.
— Si nous déclarions forfait pour aujourd'hui, madame O'Connor?
— Ne m'appelle pas comme ça !
— Pourquoi pas? Tu n'es pas encore exactement ma femme
puisque nous n'avons pas encore consommé le mariage, mais dès
ce soir, la situation aura changé.
— Tu te montres bien présomptueux.
— Je peux te garantir que demain, à la même heure, tu seras ma
femme à part entière.
— Tu te crois vraiment irrésistible !
Il se pencha vers elle jusqu'à ce que leurs visages se touchent
presque.
— Tu es bien placée pour le savoir, non ? Tu t'es peut-être servie
de moi, il y a onze ans, mais tu ne boudais pas ton plaisir.
Josie blêmit En proie à une violente émotion, elle peina à respirer
tandis que les souvenirs affluaient à sa mémoire. Un regard, une
simple caresse suffisaient autrefois à enflammer ses sens. Avec quel
abandon, quelle confiance, elle se laissait alors guider vers les
sommets du plaisir pour explorer cette contrée belle et mystérieuse,
connue d'eux seuls, qu'ils atteignaient toujours ensemble !
Elle lui avait tout donné et il lui avait tout pris : son cœur, son amour,
ses espoirs et ses rêves.
Cruellement blessée, elle voulut lui rendre la pareille, lui faire mal
comme il lui avait fait mal.
— Tu te surestimes, mon cher. Ce n'était qu'une comédie.
Un muscle tressaillit sur la tempe de Seth. Le regard trouble, il
s'éloigna pour se poster devant la fenêtre.
Un bras appuyé contre le chambranle, il contempla le paysage sans
rien dire. A sa rigidité, Josie comprit qu'elle avait atteint son objectif
au-delà de toute espérance.
Mais sa victoire n'eut pas l'effet escompté. Loin d'éprouver un
sentiment de triomphe, elle ne ressentait qu'une amertume teintée de
regret. Des mots d'excuse lui vinrent spontanément aux lèvres, mais
elle fut incapable de les prononcer. L'abîme qui les séparait était
trop grand, la souffrance qu'il lui avait infligée trop présente pour
qu'elle lui offre des paroles de réconciliation.
Après un long silence, Seth se retourna.
— Je sais que la situation n'est pas idéale, Josie, et je suis prêt à
faire des compromis pour que cela marche entre nous. Mais je n'y
arriverai pas si tu me provoques continuellement. Pourquoi refuses-
tu de faire une partie du chemin?
La douceur de sa voix, la nature même de cette requête
l'atteignirent en plein cœur. Que ne donnerait-elle pas pour effacer
le passé afin de tirer le meilleur parti d'une situation bancale ! D'un
autre côté, elle n'était pas femme à faire les choses à moitié : quand
elle se donnait, c'était tout entière. Si elle acceptait de faire l'amour
avec lui, ce n'était pas seulement son corps qu'elle lui
abandonnerait, mais son âme. Or, Seth avait le pouvoir de la
réduire en miettes, elle en avait fait la triste expérience onze ans
auparavant.
— Tu as obtenu ce que tu voulais, Seth, répliqua-t-elle. N'en
demande pas plus. Le contrat que tu as signé avec mon père ne
nous impose pas d'entretenir de bonnes relations.
— Cela nous faciliterait la vie, tu ne crois pas? Et puis, pense un
peu à ta fille ! Si nous sommes à couteaux tirés, elle risque d'en
pâtir.
— Ne fais pas semblant de t'intéresser à Kellie. Tu la détestes
autant que moi !
Seth eut un geste irrité.
— Détrompe-toi ! Ce n'est pas sa faute si...
— Si elle n'a pas de père, c'est ça?
— Oui.
Baissant la tête, il se tut un instant. Lorsqu'il se redressa ses yeux
étincelaient.
— Qui est-ce, Josie?
Une fois de plus, elle se réfugia dans le silence. Comment en
étaient-ils arrivés là? Elle ne cherchait qu'à attiser sa colère pour
maintenir entre eux une distance salutaire et voilà qu'il l'interrogeait
sur le père de sa fille, lui entre tous !
— Qui est-ce? répéta-t-il avec force.
Sachant qu'il ne croirait pas plus la vérité qu'il y a onze ans, elle se
réfugia dans le sarcasme.
— Comment veux-tu que je le sache? J'ai couché avec tellement de
garçons différents à l'époque que je n'en ai pas la moindre idée.
Il tressaillit comme s'il venait de recevoir un coup. Puis il la scruta
attentivement, fouillant son regard comme pour y chercher des
indices cachés. Effrayée, Josie eut l'impression qu'un piège se
refermait sur elle. Elle ne voulait pas répondre à l'interrogation
douloureuse qu'elle lisait dans ce regard déroutant, ne voulait pas se
laisser de nouveau prendre aux sortilèges qui l'avaient anéantie une
fois.
Saisissant le premier prétexte qui lui traversa l'esprit, elle se dressa
d'un bond.
— Il est tard. Il faut que j'aille préparer le dîner.
Une main de fer s'abattit sur son poignet avant qu'elle puisse
franchir le seuil du bureau. Deux yeux brûlants la transpercèrent.
— Peu importe qui est le père de Kellie, Josie. En revanche,
j'aimerais savoir si elle me déteste autant que toi.
Derrière la question perçait une tendresse pour sa fille qui surprit la
jeune femme. Tout comme Kellie, Seth éprouvait un immense
besoin d'être reconnu et accepté par elle. De quel droit leur
refuserait-elle cette joie ?
— Non, Seth. Kellie ne te déteste pas.
Les traits de son mari se détendirent. Un soupir de soulagement lui
échappa.
— Merci. J'avais besoin de savoir.
6.
En pénétrant dans la cuisine, Josie se figea, stupéfaite.
Sur la table recouverte de sa plus belle nappe, Kellie avait disposé
un couvert pour deux des plus raffiné. Argenterie, cristal,
porcelaine, rien ne manquait, pas même les bouquets de roses et de
bleuets. Plusieurs chandeliers dispensaient une douce lueur qui jetait
sur ce décor une atmosphère de troublante intimité.
Au délicieux fumet qui embaumait la pièce, Josie devina que sa fille
avait pillé le congélateur pour leur concocter un festin de son
invention. Les petits pains qu'elle avait cuits le matin même étaient
soigneusement présentés dans une corbeille en osier décorée d'un
napperon en lin.
A la stupeur succéda très vite l'embarras. Un tête-à-tête romantique
avec Seth ne lui disait rien qui vaille. Sans doute en allait-il de même
pour lui, d'ailleurs.
Curieuse de connaître sa réaction, elle lui jeta un coup d'ceil inquiet.
Tout comme elle, il semblait médusé, mais son visage n'exprimait
pas la moindre gêne.
— Kellie n'a pas perdu son temps, murmura-t-elle sans
enthousiasme.
— Elle s'est donné un mal fou. Nous n'avons pas le droit de lui
gâcher son plaisir, ajouta-t-il comme s'il devinait la réticence de la
jeune femme.
Autrement dit, il s'apprêtait à jouer la comédie des amoureux
transis. Josie ouvrait la bouche pour expliquer qu'elle en était
incapable lorsque sa fille fit irruption dans la cuisine.
— Vous êtes là ! Je ne vous ai pas entendus rentrer.
Debout sur le seuil de la pièce, elle les dévisageait avec une telle
appréhension que Josie ne se sentit pas le cœur de la décevoir.
— Désolée de t'avoir privée de ta surprise, ma chérie. C'est une
idée merveilleuse.
Rassurée, Kellie se dérida.
— Comme je n'ai pas eu le temps de vous acheter un cadeau, j'ai
décidé de vous cuisiner un dîner spécial, rien que pour vous deux.
— C'est vraiment gentil.
— Merci, Kellie, renchérit Seth.
Un sourire lumineux aux lèvres, la fillette alla ouvrir le réfrigérateur.
— Asseyez-vous, je m'occupe du service.
Seth offrit galamment sa main à Josie pour la guider vers la table.
— Madame?
Une moue de dérision se peignit sur les lèvres de Josie. Par ce
geste, il semblait lui demander de lui accorder sa confiance. S'il la
croyait aussi naïve qu'autrefois, il se trompait lourdement. On ne l'y
reprendrait plus !
Comme il ne bougeait pas, toutefois, elle finit par accepter, pour le
seul bénéfice de Kellie.
Lorsqu'elle fut installée, Seth porta sa main à ses lèvres pour lui
déposer un imperceptible baiser au creux du poignet. Dans ses yeux
brillait une flamme éloquente.
— A mon avis, nous n'en sommes pas à notre première surprise de
la soirée, chuchota-t-il.
Furieuse, elle lui arracha sa main en ravalant de justesse une
réplique acerbe.
Pendant qu'ils dépliaient leurs serviettes, Kellie leur servit du vin et
remplit un verre de thé glacé pour elle.
— Qui va porter le toast? s'enquit-elle. Josie gémit intérieurement.
— A toi l'honneur, fit Seth d'un ton enjoué.
— D'accord, acquiesça la fillette.
Tous trois levèrent leurs verres. Kellie regarda sa mère avant de
reporter les yeux sur Seth. Puis, d'une voix qui tremblait légèrement,
elle déclara :
— Je suis contente que tu aies épousé maman, parce que je veux
qu'elle soit heureuse et qu'elle ne soit plus jamais seule. Je suis
contente aussi de t'avoir pour père parce que j'ai toujours eu envie
d'en avoir un et que je t'aime bien.
Le tintement du cristal s'éleva dans un silence ému. Seth considéra
Kellie avec un sourire si tendre, si doux, que la gorge de Josie se
serra. Bouleversée par ces quelques mots venus du fond du cœur,
elle refoula ses larmes à grand-peine.
Après avoir apporté les plats, Kellie se dirigea vers la porte.
— J'espère que vous apprécierez.
— Où vas-tu? s'exclama Josie, affolée à l'idée de rester seule avec
son mari.
— Je vous laisse dîner en amoureux.
— Mais non, voyons ! Reste donc avec nous.
Du coin de l'œil, elle vit Seth esquisser un sourire goguenard. Il s'en
fallut de peu qu'elle ne lui donne un coup de pied dans les tibias.
Kellie les contempla en se mordillant la lèvre d'un air indécis.
— Vous ne préférez pas rester seuls ?
— Nous aurons tout le temps après, déclara Seth. Et puis, je suis
impatient de prendre mon premier vrai dîner en famille.
Kellie rosit de plaisir.
— D'accord.
Au cours du dîner, l'appréhension de Josie reflua peu à peu. Décidé
à détendre l'atmosphère, Seth déploya un charme irrésistible,
enchaînant plaisanteries et facéties avec un humour et un talent
qu'elle ne lui soupçonnait pas. Lorsqu'elle se surprit à rire aux
éclats, une expression étrange se refléta dans les prunelles de Seth.
Ce fut si fugitif qu'elle crut avoir rêvé, mais elle en conserva un
trouble dont elle ne parvint pas à se débarrasser entièrement.
Après la salade, Kellie changea les assiettes avec des gestes
empreints de solennité.
— Ne bougez pas, ordonna-t-elle d'un air mystérieux. Je reviens
tout de suite.
Lorsqu'elle disparut dans l'office, Josie interrogea Seth du regard.
Celui-ci haussa les épaules pour lui signifier qu'il ignorait ce que
Kellie mijotait.
Une minute plus tard, celle-ci surgit de l'office, le visage rayonnant.
Elle portait un plat en cristal sur lequel trônait un énorme gâteau
qu'elle plaça avec d'infinies précautions sur la table.
Touchée par cette volonté scrupuleuse de respecter la tradition,
Josie ne put s'empêcher de sourire. Kellie s'était efforcée d'imiter
les pièces montées, mais le résultat laissait un peu à désirer. Le
gâteau penchait dangereusement d'un côté, si bien que les deux
personnages miniatures perchés en haut tenaient par miracle. Un
glaçage douteux recouvrait l'ensemble, agrémenté çà et là de pâtés
rose pâle qui n'évoquaient des fleurs que de très loin.
Pourtant, ce gâteau émut Josie plus que n'importe quelle réussite
culinaire. Quant à Seth, à en juger par son expression attendrie, il
semblait partager son état d'esprit.
Kellie découpa deux tranches qu'elle déposa dans des assiettes.
— Maintenant, il faut que vous vous donniez la becquée.
Seth la contempla sans comprendre. A l'évidence, il ignorait la
coutume.
— Kellie a vu des jeunes mariés faire ça lors d'un mariage, expliqua
Josie.
— Dans ce cas, cédons à la tradition !
Plus rapide que Seth, Josie approcha sa cuillère de la bouche de
son mari. Interceptant le poignet de la jeune femme, il le guida
doucement jusqu'à lui.
L'espace d'une fraction de seconde, il se raidit, comme sous l'effet
d'un choc, puis sa bouche se referma lentement sur la cuillère. Il y
avait une telle sensualité, un tel érotisme dans ce geste que Josie
sentit son pouls s'accélérer à une cadence infernale. Seth dut
percevoir sa réaction car il accentua la pression sur son poignet.
Profondément troublée, elle entrouvrit inconsciemment la bouche,
en une imitation involontaire de son mari.
Par bonheur, Kellie ne remarqua pas la tension presque palpable
qui régnait entre eux. Estimant avoir suffisamment donné le change,
Josie voulut dégager sa main. Sans succès.
— Hmm... C'est un régal, Kellie, déclara Seth. Je prendrais
volontiers une autre bouchée.
Son regard s'assombrit lorsqu'il ajouta tout bas à l'intention de sa
femme :
— Je me découvre un appétit insatiable pour ces délices que tu
dispenses de si bonne grâce.
Tout en parlant, il considérait les lèvres rondes de Josie d'un air
gourmand. Ulcérée, elle le fusilla du regard.
— Je parlais du gâteau, précisa-t-il en approchant une cuillère des
lèvres de Josie. A ton tour, maintenant.
Ravie, Kellie battit des mains.
A peine Josie eut-elle goûté au gâteau qu'une nausée lui souleva le
cœur. Il était infect! A la moue amusée qu'arborait son mari, elle
devina qu'il avait feint l'enthousiasme pour ne pas décevoir Kellie.
Alors, à son tour, elle se résigna à avaler la génoise ratée et le
glaçage écœurant. Impitoyable, Seth l'obligea à terminer. Lorsque
ce fut chose faite, il vida son assiette, les yeux rivés sur elle, comme
si la promesse de la nuit à venir compensait largement ce léger
désagrément.
Hypnotisée par ce regard de braise qui emprisonnait le sien, Josie
se sentit gagnée à son tour par une fièvre incontrôlable.
Horrifiée par le pouvoir qu'il détenait encore sur elle, elle lutta de
toutes ses forces pour échapper au sortilège de ce regard
envoûtant. Si elle ne reprenait pas le contrôle de la situation de toute
urgence, quelle chance aurait-elle de remporter la bataille qu'elle
comptait livrer dans leur chambre, tout à l'heure?
Dans un sursaut de volonté, elle quitta précipitamment la table pour
se servir un verre d'eau au robinet de l'évier.
— Dommage que grand-père ne soit pas là ! s'exclama Kellie. Il
aurait été content de faire la tête avec nous.
Kellie vouait une adoration sans bornes à son grand-père et se
languissait de lui pendant ses absences.
— Moi aussi, j'aurais aimé qu'il soit là, ma chérie.
— J'espère qu'il va revenir bientôt.
Plutôt que de laisser de faux espoirs à sa fille, Josie se cantonna
dans un silence prudent. Vu que son père n'avait pas donné signe
de vie depuis cette partie de poker fatale, elle ne nourrissait guère
d'illusions sur son retour éventuel.
Désolée pour Kellie, elle lui ébouriffa les cheveux en changeant
délibérément de sujet.
— Merci pour ce délicieux dîner, ma chérie. Maintenant, je prends
les choses en mains. Détends-toi dans un bon bain et couche-toi. Je
monte t'embrasser dès que j'aurai fini de ranger.
Epuisée par cette journée riche en émotions, Kellie obtempéra sans
se faire prier.
Seth s'approcha de Josie, le visage soucieux.
— Tu n'as pas de nouvelles de ton père?
— Rien en dehors du mot que tu m'as donné. J'ai l'impression qu'il
ne reviendra pas de sitôt.
— Si c'est à cause de moi, je suis désolé. Je n'avais pas l'intention
de le chasser.
Les poings sur les hanches, Josie explosa :
— A quoi t'attendais-tu, bon sang? Il a tout perdu au profit d'un
O'Connor !
Les traits de Seth se durcirent.
— Pas tout ! Ses dettes de jeu sont effacées et tu possèdes encore
la moitié du ranch, si je ne m'abuse. Je regrette sincèrement que
Jake soit parti, mais si tu espères des excuses parce que j'ai gagné
le Golden M en jouant au poker, tu peux attendre longtemps. Il
s'agit d'une transaction en bonne et due forme qui va enfin me
permettre de créer le meilleur élevage du Montana. C'est le rêve de
ma vie, figure-toi, et je n'y renoncerai pas !
Campés face à face, tels deux ennemis, ils se dévisagèrent avec
hostilité. Ebranlée par la détermination de son mari, Josie fut la
première à baisser les yeux. Seth se serait-il accroché au Golden M
avec tant d'acharnement si son père ne l'avait pas déshérité ? Que
s'était-il passé entre David O'Connor et son fils pour qu'il en vienne
à une telle extrémité? Elle brûlait de le savoir. Mais le moment était
mal choisi pour débattre avec Seth de ses problèmes personnels.
— Je vais préparer un box pour Lexi, lança-t-il d'un ton sec. Cela
te laisse amplement le temps de te faire une beauté.
Abandonnant Josie à son désarroi, il quitta la cuisine. sans autre
commentaire.
7.
Josie virevolta devant la glace, enchantée de son apparence. Au lieu
de la nuisette arachnéenne qu'elle portait d'habitude en été, elle avait
ressorti pour sa nuit de noces une épaisse chemise de nuit en flanelle
de coton qu'elle réservait aux nuits d'hiver glacées. Pour faire bonne
mesure, elle avait ajouté une paire de chaussettes, rose pâle tout de
même, afin de conserver un brin de féminité. Une fois que sa natte
serait faite, elle serait fin prête pour accueillir son mari.
Elle pouffa en imaginant la tête de Seth quand il la découvrirait dans
cet accoutrement. La chemise de nuit était aussi affriolante qu'un sac
à pommes de terre. Il ne lui accorderait même pas un regard. Et si,
par le plus grand hasard, il persistait dans ses intentions, elle le
laisserait faire sans réagir davantage qu'un morceau de bois.
Le bruit de la porte d'entrée qui se refermait lui parvint d'en bas.
Vite, sa natte! Il n'y avait pas une minute à perdre !
L'estomac noué, elle s'assit devant la coiffeuse et s'empara de sa
brosse en guettant d'un œil anxieux l'apparition de son mari.

Le regard de Seth se fixa sur Josie avec impatience quand il pénétra


dans la chambre. Le moment qu'il attendait depuis leurs retrouvailles
avait sonné. Elle allait enfin lui appartenir de nouveau.
Installée devant la coiffeuse, elle se brossait lentement les cheveux.
Sous la clarté dorée de la lampe, ils paraissaient encore plus
lumineux, plus cuivrés, plus somptueux. Une folle envie d'enfouir le
visage dans cette cascade douce et parfumée s'empara de lui. Mais
il ne voulait pas la brusquer. Il fallait qu'elle vienne à lui de son plein
gré.
Les yeux rivés sur la ligne gracieuse des épaules qu'on devinait sous
l'étoffe qui les recouvrait, il s'approcha. Sans se retourner, elle
commença sa tresse.
— Laisse-les comme ça, murmura-t-il.
Leurs regards se croisèrent dans le miroir. La passion qui
assombrissait celui de Seth contrastait avec le détachement qu'il
discerna dans les yeux verts. La partie serait rude, il s'y attendait,
mais il gagnerait !
Imperturbable, Josie poursuivit sa tâche.
— Si je ne fais pas de natte, j'aurai des épis, expliqua-t-elle
posément.
— Laisse-les.
Le ton impérieux lui valut un regard assassin. Nullement troublé,
Seth écarta tranquillement les mains de la jeune femme pour défaire
le travail qu'elle venait d'accomplir. Les mèches soyeuses coulèrent
entre ses doigts, un parfum exquis l'enveloppa. Au supplice, il ne
garda le contrôle de lui-même qu'au prix d'un effort surhumain.
Otant son Stetson, il le posa sur la coiffeuse. Par ce simple geste, il
affirmait son droit d'être là, dans cette chambre, dans sa vie. Puis,
d'un mouvement souple, il ôta son T-shirt et le jeta sur une chaise.
Josie suivit ses mouvements, une lueur rebelle au fond des yeux. Pas
un muscle ne bougea sur son visage. Il enleva ensuite sa ceinture
qu'il plaça à côté du chapeau sans qu'elle se départe de sa réserve.
Un petit sourire aux lèvres, il défit le premier bouton de son jean.
Cette fois, Josie retint son souffle. Son visage s'empourpra.
Satisfait d'avoir enfin obtenu une réaction, il s'assit au bord du lit
pour ménager la pudeur de sa femme.
— J'ai besoin de ton aide pour enlever mes bottes.
— Tu ne peux pas le faire tout seul ?
— Si, puisque je me suis débrouillé seul pendant vingt-neuf ans.
Mais c'est plus amusant comme ça.
— Question de point de vue !
— Ne sois pas ridicule, enfin! Je ne te demande pas de me faire un
strip-tease !
Josie quitta son tabouret en grommelant une réponse indistincte. En
découvrant sa tenue, Seth ouvrit des yeux ronds.
Une chemise de nuit informe dissimulait entièrement sa silhouette,
gommant toute trace des courbes exquises qu'il lui tardait de
caresser. Et, pour couronner le tout, elle portait des chaussettes de
ski !
Partagé entre le rire et l'irritation, il opta pour l'humour.
— C'est de la flanelle?
— Oui. Où est le problème?
— Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, nous sommes en plein
été. Et il s'agit de notre nuit de noces, je te signale.
Josie haussa les épaules.
— C'est très confortable.
— C'est surtout hideux.
— Ce qui constitue un avantage supplémentaire, susurra-t-elle d'un
ton narquois.
Seth se mit à rire. Si elle s'imaginait que cet accoutrement grotesque
calmerait ses ardeurs, elle se montrait bien naïve. Son remède
contre l'amour ne lui serait pas d'une grande utilité pour la bonne
raison que d'ici cinq minutes elle ne le porterait plus.
— Nous réglerons ce petit problème tout à l'heure, déclara-t-il.
Pour l'instant, aide-moi à enlever mes bottes.
Sans un mot, Josie se plaça devant lui en lui tournant le dos. Quand
il passa la jambe entre les siennes, la chemise de nuit se souleva,
dévoilant des jambes aussi parfaites que dans son souvenir.
Incapable de résister à la tentation, il ne put s'empêcher de les
effleurer d'une caresse.
Josie sursauta comme si une guêpe l'avait piquée. Elle fit volte-face,
le visage furibond.
— Garde tes mains tranquilles !
Le sourire de Seth était l'innocence même.
— D'accord, mon ange. Mais tu ne perds rien pour attendre.
Avec un dernier regard pour l'avertir de ne pas recommencer ses
facéties, elle reprit sa place. Les bottes glissèrent sans difficulté. Dès
que ce fut terminé, elle se réfugia prudemment de l'autre côté du lit.
— Tu n'enlèves pas ta chemise de nuit?
— Je préfère la garder.
La mine butée de Josie n'augurait rien de bon. Tout en s'exhortant à
la patience, Seth décida de mettre les choses au point.
— Soit tu ôtes cette chemise toi-même, soit je m'en charge, mais
d'une façon ou d'une autre, tu l'enlèveras.
Pour toute réponse, Josie se glissa sous le drap qu'elle remonta
jusqu'au menton.
Seth poussa un soupir excédé. Quelle tête de mule! Mais elle allait
vite se rendre compte qu'elle avait affaire à plus têtu qu'elle.
Lorsqu'il fut en caleçon, il la rejoignit et rejeta le drap d'un
mouvement vif.
Josie n'esquissa pas un geste pour le remonter.
— Peux-tu éteindre la lumière? demanda-t-elle d'un ton pincé.
— Je préfère la garder, riposta-t-il en singeant son expression
guindée.
Comme elle ouvrait la bouche pour protester, il l'en empêcha en lui
posant un doigt sur les lèvres.
— Donnant, donnant, mon cœur. La lumière contre la chemise de
nuit. Tu veux changer d'avis?
— Non!
Le regard résolu de Josie aurait dû lui mettre la puce à l'oreille.
Mais, fort de sa réaction passionnée quand il l'avait embrassée dans
la cuisine, Seth ne doutait pas de l'amener là où il le voulait. Malgré
leur passé, malgré les nuages qui assombrissaient leur avenir,
l'extraordinaire alchimie qui les poussait l'un vers l'autre était
toujours là.
Avec une infinie douceur, il effleura son front, ses tempes, ses joues
de baisers lents, savourant la texture satinée de sa peau, son
parfum, unique, enivrant. Puis il enfouit la tête dans la chevelure
luxuriante déployée sur l'oreiller.
Paupières closes, Josie demeura immobile. Pour un peu, on aurait
pu croire qu'elle dormait.
Mais Seth ne fut pas dupe de cette feinte. La femme de feu,
l'amante fougueuse et passionnée ne tarderait pas à refaire surface.
Néanmoins, lorsqu'il posa la bouche sur la sienne pour un baiser
très doux, très sensuel, elle se laissa faire sans participer. Et quand,
d'une pression, il l'obligea à entrouvrir les lèvres, là encore, elle ne
se joignit pas à lui dans une exploration mutuelle et lascive.
Interloqué, il contempla ce visage impassible en fronçant les
sourcils. Ce petit jeu commençait à l'agacer sérieusement. Il était
temps de passer à des méthodes plus radicales.
Sans cesser de l'embrasser, il défit les boutons de la chemise de
nuit. Sa main s'aventura dans l'échancrure, jusqu'à un sein rond et
palpitant.
Le cri étranglé de Josie arracha un sourire à Seth. Sa chère femme
n'était pas aussi indifférente qu'elle voulait bien le laisser croire.
Ecartant les pans de la chemise, il contempla avec émerveillement
cette gorge parfaite puis sa bouche prit le relais de ses yeux.
Les mains jusqu'ici inertes de Josie se refermèrent brusquement. Sa
respiration devint saccadée, sa poitrine se souleva rapidement, mais
elle conserva la même immobilité de pierre et son visage demeura
tout aussi dénué d'émotion.
Une bouffée de colère envahit Seth. Mais il refusa d'accepter la
défaite.
— Tu es décidée à te refuser tout plaisir, c'est ça? accusa-t-il d'un
ton moqueur.
A l'absence de réponse, il devina qu'elle avait réussi à s'abstraire
mentalement de la situation sans parvenir à maîtriser complètement
l'élan spontané de ses sens.
C'était peu, mais c'était déjà quelque chose, même s'il aurait préféré
une franche dispute à ce docile abandon.
Il reprit sa lente exploration, ses mains envahirent peu à peu ce
corps qui, s'il donnait quelques signes de faiblesse, se refusait
encore.
En proie à une exaspération croissante devant cette résistance, il
moula étroitement son corps contre le sien. Elle gémit de nouveau
puis se mordit la lèvre pour se ressaisir.
Seth poussa un juron. Il ne cherchait pas seulement à assouvir ses
pulsions, il voulait qu'elle le désire autant que lui, qu'elle s'offre sans
restriction, totalement, complètement, comme autrefois. D n'avait
que faire d'un pantin. Tant qu'elle ne se donnerait pas de son plein
gré, il préférait ne pas l'avoir du tout.
Il roula sur le dos avec un grognement de frustration. Un bras sur
les yeux, il se força à respirer lentement pour brider son désir et sa
fureur d'avoir été rejeté. En pure perte.
Alors, d'un geste brusque, il lui saisit le menton et l'obligea à tourner
la tête vers lui.
— Ouvre les yeux ! ordonna-t-il d'un ton dur. Je sais que tu ne dors
pas.
Elle obtempéra aussitôt. Ses yeux d'ordinaire si clairs, si lumineux,
évoquaient deux lacs sombres où se reflétaient des émotions
conflictuelles.
— Qu'y a-t-il?
Le ton plaintif laissait entendre qu'elle était la victime de ce fiasco.
Hors de lui, Seth se retint à grand-peine d'exploser.
— Je ne t'ai jamais obligée à faire l'amour, Josie, et ce n'est pas
aujourd'hui que je vais commencer. Tu as gagné cette manche, mais
ton répit sera de courte durée. Un jour ou l'autre, tu finiras par
rendre les armes.
Pour toute réponse, elle le fusilla du regard. Il joua alors son dernier
atout.
— N'oublie pas : un mariage n'est valable que s'il est consommé. Si
tu te refuses à moi, c'est moi qui gagnerai le ranch.
La lueur rebelle qui embrasait les yeux verts vacilla. A l'évidence,
Josie n'avait pas considéré cet aspect de la question. Si elle tenait
au ranch — et elle y tenait, cela ne faisait aucun doute —, elle
finirait par céder.
Sur cette maigre victoire, il éteignit la lumière.

Après quelques heures d'un sommeil agité, Seth s'éveilla d'une


humeur massacrante. L'aube pointait à peine. Sans un regard pour
Josie, il se hâta vers la salle de bains pour prendre une
indispensable douche froide. Une fois habillé, il se rendit
directement à l'écurie, déterminé à éviter sa femme tant qu'il n'aurait
pas décidé de la conduite à tenir avec cette tête de mule.
Par bonheur, il fallait réparer une clôture à la limite ouest du ranch.
Se joignant sans hésiter à l'équipe chargée des réparations, il
travailla si dur qu'à la fin de la journée il sut aux sourires des
ranchers qu'il avait gagné leur considération.
Resté seul, il ramena vers le troupeau quelques bêtes égarées tout
en se familiarisant avec cette partie éloignée du ranch. Cette journée
au grand air lui avait apporté une paix relative, mais pas suffisante
pour effacer complètement le souvenir de son cuisant échec.
Lorsque la nuit l'obligea à rentrer, il se réfugia à la sellerie où il
s'occupa de broutilles sans intérêt. Kellie le surprit en lui apportant
des sandwichs. Tout en bavardant avec elle, il s'arrangea pour la
questionner adroitement sur l'origine de cette heureuse initiative. La
réponse confirma ses craintes: Kellie avait agi de son propre chef,
ce qui signifiait que Josie se souciait de son sort comme d'une
guigne.
Cette indifférence augurait mal de la nuit à venir, mais le fait de
savoir que Kellie était son alliée lui réchauffa le cœur.
La maison était plongée dans l'obscurité quand il la regagna, des
heures plus tard. Dans la chambre, Josie était enfouie sous les
couvertures. Après une longue douche, il se glissa contre elle en
l'enlaçant malgré son infernale chemise de nuit. Elle se débattit
quand il lui effleura les seins d'une caresse possessive.
— Ne t'inquiète pas. Je suis trop fatigué pour exiger de toi quoi que
ce soit.
Un mensonge, car son corps tenait un tout autre langage, lui !
Sa nuit fut peuplée de rêves erotiques torrides et son réveil en tout
point semblable au précédent: lever aux aurores, douche froide
pour apaiser sa frustration et trajet vers l'écurie après avoir grignoté
un morceau à la va-vite dans la cuisine.
Quand la matinée toucha à sa fin, Seth n'avait toujours pas
décoléré. D'avoir sous-estimé la capacité de résistance de Josie le
mettait hors de lui.
Jusqu'ici, lui seul avait fait des efforts. Il avait même témoigné envers
elle d'une patience digne d'un saint. Puisqu'il était prêt à effacer le
passé, elle pouvait bien faire de même, non?
Il se figea, saisi d'une funeste intuition. Et si elle cherchait à
transformer sa vie en enfer afin de l'amener à demander le divorce ?
— Aucune chance, mon ange, murmura-t-il avec un petit sourire.
Maintenant qu'il y avait goûté, jamais il ne renoncerait à sa liberté.
Après des années à supporter les exigences d'un père tyrannique,
puis celles d'un frère obstiné, il la chérissait trop pour la sacrifier.
Rasséréné par cette analyse, il planta sa fourche dans la paille d'un
geste énergique et la répartit dans le box qu'il venait de nettoyer.
Des pas se firent entendre dans le couloir. Des pas fermes, lents, un
peu lourds. Rien à voir avec le trottinement rapide et léger de Josie.
A son grand dépit, il se sentit déçu.
Intrigué, il sortit du box. Mac longeait le couloir en adressant un mot
ou une caresse aux chevaux.
Contrarié d'être dérangé, Seth lança d'un ton rogue :
— Que faites-vous là?
— 'Jour, patron ! Je fais un petit tour pour m'assurer que tout va
bien, comme tous les dimanches.
Seth s'estimait parfaitement capable de faire face si un problème
survenait.
— Vous feriez mieux de profiter de votre femme.
— Vous aussi, patron, sans vous offenser.
— Ma femme ne désire pas ma compagnie.
Un sourire malicieux éclaira le visage du vieil homme.
— Oh, oh, y aurait-il déjà du grabuge au paradis ?
La grimace de Seth constitua une réponse explicite tout autant
qu'une fin de non-recevoir. Mais il en fallait davantage pour
décourager Mac.
— Si j'en crois votre humeur d'hier, je suppose que votre nuit de
noces ne s'est pas déroulée tout à fait comme vous l'espériez. ,
Seth leva les yeux au ciel, atterré. Il imaginait sans mal les
plaisanteries qu'avaient dû échanger les ranchers pendant qu'il avait
le dos tourné, la veille.
— C'est mon problème, alors restons-en là, voulez-vous.
— J'ai l'impression que vous ne savez pas vous y prendre avec les
femmes. Surtout avec quelqu'un comme Josie.
Seth pâlit brusquement. Toutes les émotions accumulées depuis une
semaine firent surface d'un seul coup : la frustration, la colère,
l'amertume.
— Je connais Josie, justement ! Mieux que vous ne le pensez.
Nullement désarmé par cette explosion de colère, Mac ôta
calmement son chapeau pour l'essuyer avec sa manche.
— Ce qui se passe entre vous ne me regarde pas...
— Ça, c'est sûr !
— Mais je vais quand même vous donner mon avis.
Seth faillit tourner les talons, mais une force inconnue le paralysa sur
place.
— Josie en a vu de dures depuis dix ans, vous savez. Mettre au
monde un enfant hors mariage dans une communauté comme la
nôtre représente une épreuve. Pendant des années, elle a enduré
des insinuations déplaisantes sur l'origine de Kellie et elle ne voit
plus aucun homme parce qu'ils attendent d'elle plus qu'elle ne veut
leur donner, si vous voyez ce que je veux dire.
— Quel rapport avec moi ?
— Vous vous fréquentiez beaucoup à une époque, non?
Seth se raidit. A quoi bon nier ce qui était de notoriété publique ?
Les propos amers que son père répandait à son sujet dans les bars
s'étaient propagés comme une traînée de poudre.
— En effet, admit-il à contrecœur.
— Elle a eu du mal à se remettre de votre séparation. Seth ricana.
A entendre Mac, c'était lui le fautif!
Comme si Josie ne l'avait pas utilisé pour donner un nom à son
enfant !
— Si j'ai rompu, j'avais de bonnes raisons.
— Ah bon?
Le regard pénétrant de Mac le mit mal à l'aise, mais il n'en démordit
pas.
— A l'évidence, vous ignorez certains détails.
— Peut-être bien...
— Vous n'allez tout de même pas faire de moi le méchant dans
cette histoire.
— Non, mais vous ne pouvez pas rejeter non plus tout le blâme sur
Josie.
La colère de Seth monta d'un cran.
— Vos propos n'ont aucun sens.
Mac se gratta l'arrière du crâne en fronçant les sourcils.
— L'âge, sans doute.
Seth n'en crut pas un mot. Malgré son âge, Mac conservait une
vivacité d'esprit étonnante. Il semblait insinuer qu'il ne fallait pas se
fier aux apparences, mais il ignorait le fond de l'affaire. Comment
pourrait-il savoir que Josie n'avait couché avec lui que pour tenter
d'attribuer à un O'Connor la paternité d'un enfant illégitime?
Il poussa un long soupir qui n'apaisa en rien la douleur qui
l'oppressait.
— Si vous en avez fini avec votre sermon, j'aimerais terminer ce
que j'ai commencé.
— Soyez gentil avec elle.
— J'ai déjà essayé. Cela ne sert à rien.
— Cela prend parfois longtemps d'amadouer une pouliche rétive.
— Voilà une comparaison qui ferait plaisir à Josie. Un petit sourire
aux lèvres, Mac haussa les épaules.
— Elle a besoin de temps pour comprendre que vous ne lui voulez
aucun mal. Faites-lui la cour.
— Mais... Nous sommes mariés !
— Et alors? Toutes les femmes aiment qu'on les entoure
d'attentions. Si vous vous y prenez bien, vous l'apprivoiserez sans
porter atteinte à sa fierté.
Les bras croisés, Seth considéra Mac d'un air sceptique. Il faudrait
bien plus que quelques mots doux pour aplanir ses difficultés avec
Josie.
Vissant son chapeau sur son crâne, Mac lui adressa un petit salut.
— Bonne journée, patron !
8.
En sortant du parking de la quincaillerie, Seth reprit la direction du
Golden M. La mine songeuse, il pensa à la réaction de Josie quand
il lui avait annoncé au petit déjeuner son intention de consacrer
désormais ses après-midi au travail à l'extérieur et ses matinées à la
gestion du domaine.
Comme il s'y attendait, elle n'avait guère semblé apprécier sa
décision. Toutefois, lorsqu'il lui avait demandé de lui expliquer la
situation financière, livres de comptes à l'appui, elle s'était exécutée
avec une efficacité toute professionnelle. Ce qui allait de pair avec
une froideur qu'il supportait de plus en plus mal, hélas.
Exaspéré que cette femme, sa femme, fût la seule personne capable
de le mettre sur les nerfs, il crispa les mains sur le volant. Dieu
merci, il se gardait de lui montrer à quel point il était sensible à son
attitude, mais, par moments, il se retenait pour ne pas l'étrangler...
ou l'embrasser de force.
Depuis presque une semaine qu'ils étaient mariés, elle ne lui
témoignait pas plus de chaleur qu'au premier jour.
Les journées qu'il passait au ranch s'écoulaient à la vitesse de
l'éclair. Les nuits s'égrenaient avec une lenteur interminable.
Chacun campait sur ses positions. C'était l'impasse totale. A tel
point qu'il commençait à considérer sérieusement la suggestion de
Mac. Avec le recul, son idée — comme son analyse, d'ailleurs —
ne lui paraissait plus si absurde.
Peut-être avait-il trop exigé trop vite. Car, malgré son apparent
détachement, Josie n'était pas différente des autres femmes.
Il se souvint avec une pointe de nostalgie de son penchant pour des
choses absurdes, onze ans auparavant. Les promenades dans les
bois, les baignades dans la crique, la cueillette des mûres...
Une expression douloureuse assombrit son visage. Comment aurait-
il pu soupçonner un monstre de perfidie derrière cette Josie si
fraîche et rieuse?
Il chassa cette pensée de son esprit. S'il voulait que son mariage
fonctionne, il ne fallait pas laisser les démons du passé miner leur
relation. Les années et les épreuves s'étaient chargées de les faire
mûrir l'un et l'autre. Pour sa part, il regrettait la façon dont il avait
abordé leur rupture. Et aujourd'hui, il était grand temps qu'il tienne
compte du point de vue de Josie. Il avait bouleversé son existence
du jour au lendemain sans lui laisser le temps de s'adapter à l'idée
de devenir sa femme. Il serait naïf d'espérer qu'elle lui fasse des
yeux doux sans lui donner de bonnes raisons pour cela.
D'ailleurs, fallait-il vraiment s'étonner qu'elle se refuse à lui? Ne leur
manquait-il pas l'essentiel : cette confiance indispensable à toute
relation intime ? Pour que leur mariage devienne une réalité solide, il
fallait établir ce lien. Et pour y parvenir, rien de tel que quelques
attentions.
En stoppant à un feu rouge, il jeta machinalement un coup d'œil
dans son rétroviseur. Une enseigne attira son attention. La seconde
suivante, il fit demi-tour, au mépris de toute prudence.
Il venait de prendre une grande décision : il allait offrir des fleurs à
sa femme.
Josie entendit la camionnette de Seth se garer devant l'écurie.
Occupée au classement des factures, elle poursuivit sa tâche
fastidieuse d'un air songeur. Seth avait eu l'heureuse idée de
s'absenter tout l'après-midi, ce qui lui avait laissé un répit
providentiel après cette éprouvante matinée passée dans le bureau
avec lui.
A présent qu'il avait décidé de partager ses journées en deux, le
phénomène allait se reproduire quotidiennement. Or, dans cette
pièce exiguë, sa présence lui pesait tant qu'elle ne parvenait plus à
se concentrer. Il la frôlait à tout instant, se penchait par-dessus son
épaule pour lire un dossier ou commenter une information, de cette
voix chaude, merveilleusement timbrée qui la troublait infiniment.
Comment ne pas perdre ses moyens dans ces conditions ?
Et puis, il lui devenait de plus en plus difficile de traiter Seth comme
un étranger. Il se comportait comme s'il n'y avait entre eux aucune
dissension, comme si aucune ombre ne planait sur leur passé ou leur
avenir. Une attitude qui la désorientait totalement.
Les pas de Seth remontèrent le couloir qui longeait les box avant de
s'arrêter sur le seuil du bureau. Les yeux rivés sur une facture, Josie
n'osa lever la tête vers la porte grande ouverte. Le cœur battant, elle
attendit qu'il pénètre dans la pièce.
Le silence se prolongea. Elle commençait à croire que son
imagination lui avait joué un tour et que Seth n'était pas là quand il
frappa un léger coup pour signaler sa présence. Une première pour
un homme qui pénétrait en général dans le bureau comme en terrain
conquis.
— Aurais-tu appris les bonnes manières, cet après-midi ? lança-t-
elle d'un ton surpris.
Seth lui décocha un de ses irrésistibles sourires.
— On me les a données en prime avec les fleurs que j'achetais pour
ma femme.
Josie aperçut alors le somptueux bouquet de roses blanches qu'il
tenait à la main. -
Bouche bée, elle contempla son mari pendant qu'il s'approchait.
Son regard incrédule allait de l'expression amusée de Seth aux
fleurs.
— Que se passe-t-il? Tu n'aimes pas les roses?
Incapable d'articuler un mot, elle s'empara du bouquet en secouant
la tête. Un parfum délicat, un peu poivré, monta jusqu'à elle. Les
larmes aux yeux, elle ne parvint à maîtriser son émotion qu'avec
peine.
— Pou... Pourquoi? balbutia-t-elle.
— Pour toi.
— Oui, mais pour quelle raison ?
— La boutique de la fleuriste était désespérément vide. Elle avait
l'air si seule, si désœuvrée que j'ai eu pitié d'elle.
D'un doigt hésitant, Josie caressa un pétale velouté. Les larmes
affluèrent de nouveau. La gorge serrée, elle les refoula encore. Elle
ne voulait pas de sa gentillesse ni de ses attentions — sinon elle
serait incapable de lui résister.
Seth repoussa son chapeau en arrière, une lueur espiègle au fond
des yeux.
— Quand un mari offre des fleurs à sa femme, il est d'usage qu'il
reçoive un baiser en retour.
Surprise par cette requête, elle se sentit rougir jusqu'à la racine des
cheveux.
— Essaierais-tu de m'acheter, par hasard ?
— De te faire la cour, plutôt.
La flamme audacieuse qui animait le regard rivé sur elle suscita en
elle une chaleur familière. A quoi bon nier l'évidence ? Elle mourait
d'envie de lui donner ce baiser.
Plus encore même... N'écoutant que son instinct, elle se hissa sur la
pointe des pieds pour lui effleurer la joue chastement avant de
s'écarter aussitôt.
— C'est tout?
Il suffisait de dire oui pour que ce petit jeu s'arrête là. Pourtant, là
encore, le cœur l'emporta.
Comme si elles étaient mues par une force incontrôlable, ses mains
emprisonnèrent le visage de Seth, ses doigts se mêlèrent à ses
cheveux tandis qu'elle attirait sa bouche vers la sienne.
Des yeux bleus, sombres et brûlants, croisèrent les siens. Des yeux
incroyables dont l'expression lui coupa le souffle. Ils rayonnaient
d'une sensualité ardente, fouillaient les siens avec avidité.
Timidement, maladroitement, elle lui frôla les lèvres. Une onde de
désir se répandit en elle comme une lave brûlante. Seth trembla et
son frémissement la combla d'un étrange et intense plaisir. Puis, ce
fut l'explosion. La faim qu'ils avaient l'un de l'autre déborda dans un
déchaînement trop longtemps contenu. Le baiser se métamorphosa
en étreinte fiévreuse qui les grisa jusqu'au vertige. Peu importait qui
donnait et qui prenait dans ce corps à corps passionné, seul
comptait l'échange, l'aveu qu'ils osaient se faire l'un à l'autre sans
arrière-pensées.
Ce fut un baiser insatiable qui changea les règles qu'elle avait
établies. Josie sut qu'elle ne pourrait jamais revenir en arrière. La
lueur possessive qui brillait dans le regard de Seth lorsqu'ils mirent
fin à ce baiser indiquait qu'il en était conscient lui aussi.
— Merci, chuchota-t-elle dans un souffle. Il haussa un sourcil
amusé.
— Pour les fleurs ou pour le baiser?
— Les deux.
Seth exécuta un impeccable salut.
— A ta disposition quand tu voudras recommencer.

Les jours suivants furent ponctués d'épisodes qui mirent Josie à la


torture. Frôlements, sourires enjôleurs, coups d'œil brûlants ne
représentaient qu'un maigre échantillon de l'arsenal que Seth
déploya pour la rendre encore plus vulnérable. Il la noya sous une
avalanche d'attentions charmantes, se montra enjoué, tendre et si
plein d'égards qu'une trêve s'instaura d'elle-même.
Au bureau, ils formaient désormais une équipe harmonieuse. Les
repas se déroulaient au milieu des rires et des plaisanteries.
Cependant, Josie n'était pas dupe de cette apparence de bonheur.
Même si leurs relations s'amélioraient, un fossé les séparait toujours,
un fossé que rien ne comblerait jamais.
Le soir, Josie se camouflait toujours dans sa chemise de nuit tandis
que Seth dormait sans aucun complexe dans le plus simple appareil.
Sa seule exigence était un baiser. Un baiser qui se prolongeait un
peu plus chaque soir, qui l'enflammait un peu plus chaque soir sans
qu'il profite de son abandon.
Au soulagement qu'il ne cherche plus à faire l'amour succéda la
déception puis la frustration. Comment pouvait-il l'embrasser aussi
passionnément et ne pas mener leurs étreintes à leur conclusion
logique? De son côté, elle n'osait prendre l'initiative. Ce qui lui
paraissait évident dans les bras de Seth devenait beaucoup plus
ambigu dès qu'ils reprenaient leurs distances. Elle venait en prime
avec le ranch, mais ce n'était pas elle qui l'intéressait, il ne fallait pas
l'oublier. Cependant, malgré ces beaux raisonnements, elle se
sentait faiblir de jour en jour.
Et leur mariage n'avait qu'une semaine ! Debout devant l'évier, Josie
rinça la vaisselle du petit déjeuner avant de la placer dans la
machine. Les bras plongés jusqu'aux coudes dans l'eau savonneuse,
elle nettoyait le gril lorsque Seth l'enlaça par-derrière. Le souffle
court, elle s'immobilisa en sentant ce corps puissant pressé contre
son dos. Une pluie de baisers délicieusement sensuels s'abattit sur
sa nuque, dans son cou, effleurant sa peau aux endroits les plus
sensibles.
— Tu sens tellement bon qu'on a envie de te croquer, chuchota-t-il
entre deux baisers.
— C'est mon shàmpoing à la framboise. Je me suis lavé les cheveux
tout à l'heure.
Une main posée à plat sur le ventre de la jeune femme pour la
maintenir contre lui, Seth joua avec les boucles rousses qui
cascadaient sur ses épaules.
— C'est pour moi que tu les as laissés comme ça? Oui, mais de là à
lui avouer...
— Je les laisse toujours sécher comme ça avant de les natter.
— Et si je te demandais de ne pas le faire aujourd'hui, tu
m'écouterais ?
Josie laissa tomber le gril au fond de l'évier. Cette voix basse et
rauque agissait sur elle comme un charme. Les yeux clos, elle prit
une grande inspiration pour se ressaisir.
— Je les attacherai avec une pince.
C'était la seule concession qu'elle se sentait prête à faire. Pour
l'instant, du moins...
— C'est déjà un progrès.
Au son de sa voix, elle devina qu'il souriait et sourit à son tour.
Un cri de Kellie mit brutalement un terme à cet instant magique.
— Maman! Quelqu'un arrive dans un minibus bleu. C'est peut-être
grand-père.
Le cœur plein d'espoir, Josie s'essuya les mains à la hâte pour se
ruer dans l'entrée, Seth sur ses talons.
Quelle ne fut pas sa déception en voyant une ravissante jeune
femme brune émerger du minibus ! Sans la connaître
personnellement, Josie la situa sans difficulté : il s'agissait d'Erin
O'Connor, la femme de Jay.
— Erin? s'exclama Seth. Que fais-tu ici?
La nouvelle venue ouvrit la portière arrière du minibus en souriant.
— Je viens féliciter les jeunes mariés.
Un garçonnet et une fillette se mirent à courir vers la maison en
criant :
— Oncle Seth ! Oncle Seth i
Le visage de celui-ci s'illumina d'un grand sourire. Il ouvrit les bras
pour accueillir ses neveux qui faillirent le renverser en se jetant à son
cou.
— Brianna, Brendan! Vous m'avez manqué, tous les deux.
— A nous aussi, s'écria la fillette.
Seth ébouriffa les cheveux noirs de Brendan.
— J'espère que vous avez été sages.
— On est toujours sages! répondit Brianna d'un ton indigné.
— Ah, ah ! Comment se fait-il que ton nez s'allonge dans ce cas ?
Les yeux bleus de la petite fille s'écarquillèrent tandis qu'elle se
touchait le bout du nez d'un air incertain. Un soulagement visible se
peignit sur son visage quand elle constata qu'il n'avait pas changé de
dimensions.
— Tu me fais marcher !
Seth lui adressa un clin d'oeil.
— Peut-être, mais pendant un moment tu n'étais plus si sûre de toi.
Brendan s'empara du chapeau de Seth pour le poser sur sa tête.
— Où est Lexi ?
— A l'écurie. Si vous êtes sages, je vous emmènerai la voir tout à
l'heure.
Debout sous le porche, Josie suivait cet échange sans oser
s'approcher du groupe. Les nerfs tendus à craquer, elle guettait
l'apparition de Jay.
Comme s'il lisait dans ses pensées, Seth demanda à sa belle-sœur :
— Jay ne t'accompagne pas?
— Il avait à faire en ville.
— Il sait que tu es venue me voir?
— Non, mais je le lui dirai. Le visage de Seth s'assombrit.
— Il serait sans doute plus sage de t'en abstenir.
— Il faut bien qu'il s'habitue à ce que je vous rende visite
régulièrement. Tu es son frère, après tout !
— Peut-être, mais il a du mal à accepter la situation.
— Il finira par s'y faire, ne t'inquiète pas. Si tu me présentais ta
femme maintenant ?
Seth se tourna vers Josie en souriant.
— Tout de suite !
En proie à une nervosité incontrôlable, Josie s'efforça de faire
bonne figure. La poignée de main chaleureuse d'Erin apaisa quelque
peu son anxiété.
— Je suis très heureuse de vous connaître, déclara celle-ci. Moi qui
rêve d'une sœur depuis toujours, j'en ai enfin une.
Soulagée que sa belle-sœur se place d'emblée en dehors de la
querelle des McAllister contre les O'Connor, Josie la gratifia d'un
sourire lumineux.
— Voici Brianna et ce cow-boy se prénomme Brendan, déclara
Seth avec fierté.
Les deux enfants lui tendirent la main d'un air solennel puis Brianna,
la plus hardie des deux, demanda s'il y avait un ballon pour aller
jouer.
— J'en ai un, s'exclama Kellie. Je vais le chercher. Josie désigna les
fauteuils en osier.
— Asseyez-vous, je vous prie. Je vous apporte des
rafraîchissements.
Quelques minutes plus tard, elle déposait un plateau chargé de
boissons sur la table. Sur la pelouse les enfants chahutaient avec le
ballon. Ils s'entendaient à merveille, constata avec stupéfaction la
jeune femme. Sans doute parce qu'ils ignoraient tout des dissensions
qui séparaient leurs familles, songea-t-elle avec une pointe
d'amertume.
Pendant qu'elle servait les jus de fruits, Erin donna à Seth les
nouvelles du Paradise Wild.
— Ton départ a provoqué un certain flottement. Comme tu te
chargeais de tous les travaux d'extérieur, Jay a du mal à assurer sur
les deux tableaux. Les hommes semblent désemparés et lui aussi.
Adossé contre la rambarde, Seth croisa les bras.
— C'est un simple équilibre à trouver. Et puis, cela lui fera le plus
grand bien de se mettre à travailler avec ses hommes au lieu de
rester enfermé dans son bureau toute la journée.
— Je ne cesse de le lui répéter, mais il fait la sourde oreille.
— Il me reproche d'être à l'origine du problème, je suppose ?
— Il est d'une humeur massacrante depuis... depuis...
— Depuis mon mariage avec Josie, c'est ça? Erin baissa les yeux,
gênée.
— Le mot « traître » revient souvent dans ses propos, murmura-t-
elle.
— Jay oublie un peu vite que je n'avais aucun avenir au Paradise
Wild. J'avais le choix entre rester employé à vie dans un ranch dont
la moitié aurait dû me revenir ou devenir propriétaire d'une terre
magnifique. Franchement, je ne regrette pas ma décision.
A ces mots, le cœur de Josie se gonfla de tristesse. Seth ne la
mentionnait même pas, preuve qu'il la considérait comme une
acquisition, au même titre que la terre ou le bétail. Elle eut si mal
qu'elle eut l'impression d'étouffer.
— Quant à réunir les deux propriétés, poursuivit Seth, il n'en est
pas question. Cette terre appartient aussi à Josie et à Kellie. Je dois
veiller sur leurs intérêts.
— Bien sûr! Il est normal que ta nouvelle famille passe en premier.
— Dommage que Jay ne se montre pas aussi compréhensif. S'il
continue comme ça, la rancœur qui le ronge depuis des années finira
par le détruire tout comme notre père.
Erin repoussa ses cheveux en arrière en soupirant.
— J'en suis consciente. Je veille au grain, mais la partie est loin
d'être gagnée.
— Oncle Seth! appela Brianna. Tu nous emmènes, voir Lexi ?
Comme Seth hésitait, Erin déclara :
— Vas-y ! Je suis ravie de bavarder tranquillement avec Josie.
Les femmes demeurèrent seules. Après quelques secondes d'un
face-à-face embarrassé, Erin rompit le silence.
— Vous avez l'air de bien vous entendre, tous les deux.
Josie eut un petit sourire. Si Erin savait dans quel climat de tension
s'était déroulée leur première semaine, elle tiendrait sans doute des
propos moins optimistes.
— Etant donné les circonstances, oui.
— Vous faites allusion à la dispute entre les deux familles,
j'imagine?
— Je n'aurais jamais cru que je me marierais avec un O'Connor.
— Pourtant, vous avez été très proches, autrefois, non?
Josie scruta le visage de sa compagne avec inquiétude. Que savait-
elle au juste?
Tranquillisée par le regard bienveillant qui la fixait, elle répondit
simplement :
— Nous nous sommes beaucoup vus à une époque, mais cela n'a
pas marché.
— Pourquoi ça?
Cette franchise désarma la jeune femme. Comment réagirait Erin si
elle lui révélait la cruauté dont Seth avait fait preuve à son égard?
Dans le doute, mieux valait rester évasive.
— C'est toujours à cause de cette vieille histoire.
— Cette querelle stupide ! Seigneur ! On ne peut tout de même pas
reprocher à un homme d'avoir eu de bonnes cartes en mains.
— On prétend que mon arrière-grand-père a triché.
— Si c'était le cas, les autorités ne lui auraient jamais délivré de titre
de propriété.
— Sans doute... Malheureusement, les O'Connor ne l'entendent
pas de cette oreille.
— Espérons que votre mariage avec Seth va enfin mettre un terme
à cette vendetta ridicule.
— Etant donné que Seth a été obligé de m'épouser, j'en doute.
— Obligé? Là, vous exagérez.
— S'il avait eu le choix, ce n'est pas sur moi qu'il aurait jeté son
dévolu.
— En attendant, il n'a pas l'air trop malheureux.
— Parce que nous nous efforçons d'arriver à un compromis.
— Le mariage est fait de compromis ! Et puis, Seth est quelqu'un
de bien, Josie. Vous pourrez compter sur lui dans les bons comme
dans les mauvais moments.
Pendant onze ans, Josie avait pensé le contraire. Mais, après une
semaine de vie commune avec lui, le doute s'insinuait en elle. Elle
retrouvait le Seth d'autrefois, celui qu'elle avait aimé, l'homme
tendre et chaleureux, sincère et direct. Un homme dont la
personnalité semblait inconciliable avec celui qui l'avait rejetée si
cruellement.
Il en résultait une confusion dans laquelle elle se débattait tant bien
que mal. Confusion entre le présent et le passé, confusion quant aux
intentions de Seth, confusion sur ses propres sentiments...
— Si cela peut vous rassurer, les problèmes entre Jay et Seth
existaient bien avant votre mariage, continua Erin. C'est à eux de les
régler quand le moment viendra.
— Et s'il ne vient jamais?
— Il viendra, croyez-moi. Cela fait longtemps que j'observe leurs
relations. J'ai beau adorer mon mari, je suis lucide sur ses défauts et
ses faiblesses. Et puis, en glanant des informations çà et là, ou en
laissant traîner mes oreilles, je suis parvenue à assembler quelques
pièces d'un étrange puzzle. La conclusion est surprenante, c'est le
moins qu'on puisse dire. La vérité est là, à portée de main. Elle
crève même les yeux. Encore faut-il que certaines personnes les
ouvrent.
Cette remarque énigmatique fit trembler Josie. Erin aurait-elle tout
découvert?
— C'est juste une question de temps et de confiance, reprit sa
belle-sœur. Le jour où la vérité éclatera, soit la famille se
désintégrera, soit nous verrons enfin le terme de cette brouille
absurde.
9.
— Le dernier arrivé à la crique sera de corvée de casseroles, ce
soir ! lança Kellie en éperonnant sa jument.
Seth échangea un regard de connivence avec sa femme. Un sourire
de bravade aux lèvres, celle-ci pressa les flancs de sa monture pour
s'élancer vers la crique dont l'eau bleue miroitait à cinq cents mètres
de là.
Penchée en avant pour gagner le maximum de vitesse, Josie talonna
bientôt Kellie pendant que Seth fermait la marche.
Fasciné par le spectacle de sa crinière rousse qui volait au vent, il
n'essaya même pas de rattraper son retard. Aujourd'hui, elle avait
relevé ses cheveux en une sorte de chignon vague au-dessus de sa
tête. Des boucles folles s'en échappaient comme autant de langues
de feu.
Depuis ce matin mémorable, un mois auparavant, où il lui avait
demandé de laisser sa chevelure flotter librement, elle avait peu à
peu modifié sa coiffure pour satisfaire sa requête. La plupart du
temps, elle maintenait ses cheveux sur sa nuque avec une pince ou
une grosse barrette, ce qui lui permettait de jouer avec les mèches
rousses quand l'envie l'en prenait. Et le soir, quand elle dormait
profondément, il ne se lassait pas d'en savourer la texture souple et
soyeuse, subjugué par leur ruissellement cuivré entre ses doigts.
Elle riait de plus en plus souvent aussi. Comme maintenant avec sa
fille, de ce rire clair et joyeux qui vibrait dans l'air pur des
montagnes. Parfois cependant, quand elle croyait qu'il ne la
regardait pas, il surprenait sur son visage une expression de tristesse
indicible qu'il ne s'expliquait pas. Dans ces moments-là, il souhaitait
désespérément apaiser ce chagrin qui semblait la ronger et devait se
retenir pour ne pas la prendre dans ses bras afin de la réconforter.
Les pulsions possessives qu'elle lui inspirait alors l'effrayaient par
leur ampleur.
A quoi bon se leurrer? Malgré les obstacles qui les séparaient, il
était en train de tomber amoureux fou de sa femme. Incapable de
résister à son charme, à sa beauté, à cette grâce unique qui émanait
d'elle, il se voyait succomber un peu plus chaque jour. La prudence
lui commandait toutefois de ne pas dévoiler ses sentiments de peur
qu'elle ne profite de sa vulnérabilité pour le manipuler, comme
autrefois. Elle possédait déjà trop de pouvoir sur lui. Inutile de lui en
donner davantage !
A quelques mètres de la rive, Kellie et Josie glissèrent à bas de
leurs montures pour courir vers l'eau.
Lorsque Seth les rejoignit, Kellie pointa un doigt accusateur dans sa
direction.
— Tu as perdu !
— Ah, tu crois ça?
Sautant à bas de sa selle, Seth courut aussitôt vers Kellie qui s'enfuit
moitié criant, moitié riant. Quand il l'eut rattrapée, il la fit tomber sur
l'herbe tendre d'un savant plaquage au sol et entreprit de la
chatouiller sans pitié.
— Arrête ! supplia Kellie entre deux hoquets. Imperturbable, Seth
continua.
— Quel est l'homme que tu préfères?
— Toi !
Satisfait de cet aveu, Seth se releva en tendant la main à Kellie pour
l'aider à se mettre debout.
— Tu as intérêt à t'en souvenir.
— Tu n'aurais pas dû rendre les armes si facilement, Kellie, déclara
Josie. Quelle honte !
— Comme si j'avais eu le choix ! protesta la fillette en se tenant les
côtes.
Seth pivota aussitôt vers sa femme, une lueur inquiétante au fond
des yeux.
— Dis tout de suite que tu me prends pour un minable !
Josie s'éloigna prudemment de la berge tout en adressant à son mari
un regard provocateur.
— Et comment !
Avant qu'elle puisse prévoir son geste, il bondit sur elle avec l'agilité
d'un tigre. Mais au lieu de lui faire subir le même traitement qu'à
Kellie, il la souleva dans ses bras comme une plume et se dirigea
d'un pas déterminé vers la crique.
Josie leva vers lui un regard incrédule.
— Tu n'oserais pas !
— Que si, mon ange. L'eau glacée opère des miracles sur les têtes
de mules, tu ne le savais pas ?
Quand il s'approcha de l'eau cristalline, la jeune femme se débattit
comme un beau diable.
— Seth, non !
Il stoppa sur la berge en plongeant le regard au fond du sien.
— Qui est l'homme que tu préfères ?
Une lueur batailleuse embrasa les yeux verts.
— Mac!
— Mauvaise réponse ! Je te laisse encore une chance. Pour hâter
sa confession, Seth fit mine de la lâcher.
— C'est toi ! hurla-t-elle, paniquée.
— Tu le penses vraiment?
Un coup d'œil en direction de l'eau glacée galvanisa Josie.
— Oui!
— Il faudra que tu me le prouves, lui chuchota-t-il à l'oreille en la
reposant à terre.
Kellie s'approcha, déçue.
— Tu n'es pas meilleure que moi, dis donc ! Je pensais que tu
résisterais davantage.
— Je ne me sens pas d'humeur à me baigner, c'est tout.
— Qu'est-il advenu de ton goût pour l'aventure? railla Seth.
— Je l'ai perdu depuis longtemps.
— En effet. Cela étant, je ne désespère pas que tu le retrouves un
jour.
Au grand amusement de Seth, Josie rougit jusqu'aux oreilles, signe
que la longue attente qu'il s'imposait depuis un mois touchait à sa fin.
Tout en faisant preuve d'une patience angélique à son égard, il ne
manquait pas une occasion de lui rappeler le désir qu'elle lui
inspirait. D'effleurements en caresses, de baisers volés en regards
appuyés, il sentait sa résistance faiblir de jour en jour. Depuis
quelque temps, d'ailleurs, c'était elle qui initiait ces échanges qui
mettaient leurs nerfs et leurs sens à rude épreuve. Dans les prunelles
vert jade, il devinait la même frustration que la sienne, le même élan
réprimé à grand-peine.
Conscient de ces progrès, il avait néanmoins décidé d'attendre
qu'elle vienne à lui de son plein gré pour que sa victoire soit
complète. Et son intuition lui soufflait que ce serait pour bientôt.
Pendant que Josie disposait le pique-nique sur une grande nappe,
Seth enseigna à Kellie l'art du ricochet. Affamés par leur
promenade, ils firent honneur aux délicieux sandwichs préparés par
la jeune femme tout en bavardant à bâtons rompus.
Après le déjeuner, Kellie retourna s'exercer aux ricochets. Adossée
contre un tronc d'arbre, Josie savourait le calme paisible du
paysage. Elle semblait si détendue, si sereine que Seth n'y résista
pas. Otant son Stetson, il s'étendit sur l'herbe, la tête sur les genoux
de sa femme, en poussant un long soupir de satisfaction.
— Voilà la meilleure façon de passer un dimanche après-midi.
Le regard de Josie prit aussitôt cette expression mélancolique qu'il
détestait.
— Quand mon père était là, nous venions souvent ici le dimanche.
Seth comprit enfin la cause de la tristesse qui s'emparait si souvent
de la jeune femme. Son père lui manquait, tout simplement. D'un
geste très doux, il lui prit une main qu'il garda contre sa poitrine.
— Ce n'est pas la première fois qu'il part sans prévenir, j'imagine?
— Non, mais il ne s'est jamais absenté aussi longtemps, murmura-t-
elle d'une voix étranglée. J'ai peur qu'il ne revienne pas, cette fois.
— Parle-moi de lui.
— Eh bien... Malgré ses défauts, c'est un homme merveilleux.
Après la mort de ma mère, son penchant pour le jeu est devenu une
véritable obsession. J'imagine que cela l'a aidé à lutter contre le
chagrin. En tout état de cause, je préfère ça à la boisson.
— Tu penses à mon père? Josie acquiesça.
— Cela n'a pas dû être facile de supporter tous les jours un père
alcoolique.
La main de Seth serra la sienne.
— Non, en effet.
Après une courte hésitation, Josie poursuivit.
— Il paraît qu'il devenait très violent quand il avait bu.
— Il n'avait pas besoin de boire pour l'être, déclara Seth, la mine
sombre. Ivre ou à jeun, il se comportait comme une brute.
Il y avait tant d'amertume dans cette déclaration, que Josie lui
caressa le front dans un geste instinctif de réconfort.
— Mon père à moi a un cœur d'or, murmura-t-elle d'une voix
tremblante. Sa place est ici, auprès de Kellie et moi. J'aimerais
tellement...
Elle s'interrompit brutalement.
— Tu aimerais quoi?
— J'aimerais qu'il sache que je ne lui en veux pas d'avoir perdu le
Golden M en jouant au poker, que je ne le déteste pas, comme il le
croit. Mais comment faire quand j'ignore où il se trouve?
Seth aurait bien aimé avoir une réponse. Hélas, ce n'était pas en son
pouvoir. Mais il se fit la promesse de faire l'impossible pour
retrouver la trace de Jake.
Conscients l'un et l'autre de vivre un de leurs premiers moments de
véritable intimité, ils observèrent un silence complice que Kellie
interrompit brutalement.
— Maman ! Il y a des mûres un peu plus bas, le long de la rivière.
Je peux aller en cueillir pour le dessert ce soir?
Josie sourit tendrement à sa fille.
— Bien sûr, mais ne t'éloigne pas trop pour que je ne te perde pas
de vue.
Engourdi par la chaleur et bercé par les doigts légers qui jouaient
dans ses cheveux, Seth ferma les yeux pour mieux s'imprégner du
parfum frais et fleuri qui émanait de la peau de Josie. Une délicieuse
torpeur l'envahit peu à peu.
— Seth?
— Hmm?
— Pourquoi ton père t'a-t-il déshérité?
Il se raidit aussitôt.
— Cela n'a aucune importance.
— J'ai le droit de savoir ! Après tout, sans cela, tu ne te serais pas
accroché au Golden M.
— Laisse tomber, veux-tu !
Un peu déroutée par cette brusquerie inhabituelle, Josie insista
néanmoins.
— C'est à cause de Jay ? Il t'a joué un mauvais tour? Les
mâchoires serrées, il répliqua :
— Non, c'est à cause de moi.
— Qu'as-tu fait pour qu'il en vienne à cette extrémité?
— J'ai eu une liaison avec toi ! Satisfaite? Très pâle, Josie porta la
main à sa gorge.
— Mon Dieu !
D'un mouvement vif, Seth s'agenouilla à côté d'elle. Furieux que
Josie l'ait poussé à avouer la vérité et encore plus furieux de n'avoir
pas su garder sa langue, il se passa nerveusement la main dans les
cheveux.
La désolation qui se reflétait dans les yeux verts posés sur lui
l'atteignit en plein cœur.
— Tu as perdu le Paradise Wild à cause de moi ?
— A cause de nous. Mon père a fini par découvrir le pot aux roses.
Sa réaction est à la mesure de l'affection qu'il portait à ta famille.
Il brûlait de la prendre dans ses bras pour lui avouer que cela n'avait
plus d'importance. Un instinct venu du plus profond de lui l'en
empêcha. Il était trop tôt encore.
Un frémissement d'indignation parcourut Josie.
— C'est trop injuste !
Ce cri du cœur arracha un sourire à Seth. Qui aurait cru qu'un jour
Josie prendrait sa défense ?
— La vie est rarement juste, Josie, tu es bien placée pour le savoir.
Le plus dur c'est que je n'ai compris à quel point mon père m'en
voulait qu'après sa mort.
— Cela a dû te porter un coup terrible.
— Au début, j'étais fou de rage et puis, avec le temps, je me suis
fait une raison. Et maintenant, le Paradise Wild ne représente plus
rien pour moi. Ma maison, mon seul foyer, c'est le Golden M, ma
seule famille, toi et Kellie.
La mine pensive, Josie remonta ses genoux sous son menton.
— Ce n'est pas le choix que tu aurais fait.
— Les circonstances auraient pu être meilleures, mais nous sommes
embarqués pour la vie. C'est la seule chose qui compte, à mes
yeux.
— Et... ce qui s'est passé autrefois?
— Notre avenir ne doit pas en pâtir. Je... Je tiens à toi, Josie. A
Kellie aussi. Si nous y mettons vraiment du nôtre, notre mariage
peut marcher.
Josie se détourna d'un mouvement brusque. Pas assez vite,
cependant, pour masquer à Seth la vive émotion qui embrasait ses
prunelles. D'un geste très doux, il lui saisit le menton pour l'obliger à
le regarder. Hélas, l'éclat mystérieux avait disparu.
-— Je suis prêt à repartir de zéro, Josie. J'aimerais savoir si tu es
capable d'en faire autant.
Un tic nerveux joua sur sa tempe pendant qu'il attendait la réponse.
Son avenir, leur avenir était suspendu aux paroles de Josie.
Celle-ci se mordilla la lèvre d'un air indécis. Une réaction qui
prouvait le chemin parcouru. Un mois auparavant, elle aurait
repoussé cette suggestion sans même y réfléchir.
Comme elle tardait à prendre la parole, il décida de lui forcer un
peu la main. Encadrant son visage entre ses paumes, il l'embrassa
avec une tendresse passionnée.
— Dis oui, chuchota-t-il contre ses lèvres. Accepte enfin d'être ma
femme à part entière.
Timidement, elle croisa les mains derrière sa nuque.
— Oui.
Ce fut à peine un murmure, un souffle si léger qu'il le devina plus
qu'il ne l'entendit.
Mais lorsqu'elle l'embrassa, ce fut d'un seul élan, sans doute ni
hésitation. Ce baiser au goût de paradis, Seth le reçut comme une
promesse d'éternité.
D'un petit mot tout simple, elle venait de lui ouvrir un monde de
possibilités infinies qui changeait toutes ses perspectives.

Ce même soir, Josie espéra que Seth irait au bout de ce que ses
yeux lui avaient promis durant tout l'après-midi. A sa grande
déconvenue, il l'embrassa à en perdre la tête... et en resta là. Les
jours suivants, le même scénario se répéta. Dans la journée, en
revanche, il lui volait baisers et caresses en lui murmurant des
paroles qui la mettaient à la torture.
Il fallut presque une semaine à la jeune femme pour comprendre
que Seth attendait qu'elle prenne l'initiative.
Le samedi soir, Kellie dormant chez une amie, elle décida de passer
à l'action. Seth s'était rendu comme de coutume à l'écurie après le
dîner, ce qui lui laissait amplement le temps de se préparer.
Manquant cruellement d'expérience avec les hommes, elle ne se
considérait guère comme une grande séductrice. Cependant, quand
elle examina son reflet dans la glace, elle se sut extrêmement
féminine et désirable. Le pyjama de soie rouge glissait sur sa peau,
suggérant ses formes avec subtilité. Sa crinière flamboyante
cascadait sur ses épaules, lourde et opulente, et ses yeux brillaient
d'un éclat fébrile impossible à dissimuler.
Lorsqu'elle entendit Seth refermer la porte d'entrée, son cœur
s'emballa. L'appréhension et l'excitation se mêlaient en elle de
manière inextricable. Comme au soir de leur mariage, elle s'exhorta
au calme en guettant avec anxiété le bruit des pas de son mari sur le
palier.
Quand il entra, ses yeux se portèrent immédiatement sur elle. Il ne
dit rien. Mais le regard possessif qui s'attarda sur sa silhouette
brûlait de passion contenue. Avec une lenteur étudiée, il détailla les
courbes douces, les seins dressés sous la soie, les jambes fines et
longues, les pieds délicats.
Josie ne chercha pas à réprimer la réponse spontanée de son corps.
Pas plus qu'elle ne chercha refuge sous les couvertures. Elle soutint
ce regard incandescent sans ciller, tandis que le désir montait en elle
par vagues successives.
Les yeux rivés aux siens, Seth s'avança vers elle.
— Tu es délicieuse dans cette tenue. Tu attends quelqu'un ?
— Seulement mon mari.
Cette réponse lui valut un sourire dévastateur.
— Et maintenant qu'il est là, quels sont tes projets?
Josie franchit en tremblant la courte distance qui la séparait de Seth
pour lui enlacer la nuque.
— Laisse-moi te montrer.
Très doux au départ, leur baiser gagna vite en intensité. Rivés l'un à
l'autre, ils laissèrent libre cours à la passion qui les consumait depuis
si longtemps. A la fougue de Josie, Seth répondit sans réserve.
Leurs bouches se sollicitaient, avides, farouches. La nuit semblait les
envelopper dans ses bras protecteurs, rassurante, bienveillante,
complice...
Lorsqu'ils s'écartèrent, le souffle court, leurs regards assombris
révélaient la même ardeur possessive.
Du bout du doigt, Seth lui effleura le cou avant de tracer une ligne
jusqu'à la naissance de sa gorge. La respiration de Josie s'accéléra
encore. Seul cet homme savait susciter en elle ce vertige des sens,
ce tourbillon affolant de sensations voluptueuses. Tout comme
autrefois, elle retrouvait ces émotions brûlantes et délicieuses qui la
faisaient trembler de désir et d'impatience.
— Dans cette tenue, il ne peut t'arriver que des ennuis, chuchota-t-
il. Est-ce ce que tu cherches ?
— A ton avis?
Un sourire insolent aux lèvres, elle entreprit de déboutonner la
chemise de Seth d'une main qui ne tremblait plus. Cette nuit
marquait le commencement d'une nouvelle vie. Ce soir, elle voulait
lui prouver qu'elle était enfin prête à le suivre pour que leur mariage
devienne une réalité tangible. Il ne s'agissait pas seulement d'une
union charnelle, mais d'un lien beaucoup plus fort, qui allait bien au-
delà du plaisir reçu et donné.
Ecartant les pans de la chemise, elle lui effleura le torse avant de
faire glisser lentement l'étoffe sur ses épaules. Elle retint son souffle
à mesure qu'elle dénudait la peau lisse et ferme dont l'éclat doré
luisait dans la pénombre. Puis, paupières closes, elle suivit le tracé
des muscles, notant machinalement les changements survenus dans
ce modelé qui demeurait gravé dans sa mémoire depuis onze ans.
Lorsqu'elle se heurta à la barrière de la ceinture, un cri de
protestation lui échappa.
Seth se mit à rire.
— Rien ne presse, mon cœur. Nous avons toute la nuit.
Commença alors une exploration délicate, presque paresseuse,
comme si Seth souhaitait étirer jusqu'à l'infini chacun de ces instants.
En proie à un langoureux vertige, Josie rejeta la tête en arrière
tandis qu'une pluie de baisers enflammait sa gorge. Une main
impatiente glissa vers sa poitrine, ses seins frémirent sous la caresse
tandis qu'il reprenait sa bouche. Leurs souffles, leurs baisers se
mêlèrent, les guidant vers un monde dont ils inventaient les règles au
gré de leur désir.
Le pyjama tomba à terre. Les yeux étincelants, Seth tint Josie à
bout de bras un instant, comme pour mieux l'admirer, puis il la
plaqua contre lui. Son souffle saccadé trahissait la violence de sa
passion. Une passion qu'il maîtrisa cependant pour lui embrasser les
paumes l'une après l'autre, dans un geste empli de ferveur et de
révérence.
Un sanglot étouffé monta de la gorge de Josie. Aussitôt, le peu
d'empire que Seth possédait encore sur lui-même vola en éclats.
Quelques secondes plus tard, il s'allongeait auprès d'elle sur le lit
sans que Josie sache comment il était parvenu à se dévêtir tout en
lui prodiguant des caresses.
— Viens, mon ange.
Josie perdit toute notion du temps, consciente seulement du plaisir
qui déferlait en elle par vagues. Leurs mains cherchaient, affolées, le
contact de l'autre, caressaient, suppliaient, quémandaient. Le corps
en feu, elle s'agrippait à lui, s'arquait, se cambrait, se ployait en
l'implorant de mettre fin à sa tourmente.
Alors qu'elle pensait ne plus pouvoir endurer davantage ce supplice,
il roula soudain sur elle. Un regard de braise plongea au fond du
sien, le fouilla comme pour s'emparer de son âme. Mais lorsqu'il la
fit sienne, elle ne put retenir un léger cri de douleur.
Seth se figea, stupéfait. Elle rougit sous ce regard ardent et soucieux
qui la dévorait des yeux.
— Que se passe-t-il ?
— Cela fait longtemps...
Combien de temps ? Elle devina la question muette inscrite dans les
prunelles bleues. A son grand soulagement, il ne la posa pas.
D'un geste infiniment tendre, il lui caressa la joue.
— Nous irons lentement.
Il tint parole. Avec une tendresse bouleversante, puis avec une
fougue de plus en plus passionnée, il lui imprima un rythme auquel
Josie s'accorda d'instinct. Le rythme de l'amour...
Un cri éperdu jaillit du fond d'elle-même lorsqu'elle atteignit
l'apothéose, un cri d'allégresse auquel celui de Seth fit écho, une
seconde plus tard.
Les yeux dans les yeux, ils retombèrent enlacés sur le lit. La même
stupeur mêlée d'effroi se lisait dans leurs regards, comme si ce qu'ils
venaient de partager dépassait leurs espoirs les plus fous. Comme
s'ils venaient de découvrir des sentiments dont l'ampleur et les
implications les terrifiaient.
Puis, un sourire malicieux apparut sur les lèvres de Seth.
— Demain, je brûle la chemise de flanelle.
— Pas question ! Elle me tient chaud en hiver.
— Plus maintenant! Je suis là pour ça.
Josie ne protesta plus. Blottie contre Seth, elle se languit des
longues nuits glacées de l'hiver où Seth inventerait mille façons de la
réchauffer.

Le soleil matinal se déversait à flots à travers la mousseline des


rideaux. Nichée contre Seth, Josie s'étira comme une chatte. Elle se
sentait comblée, heureuse et étonnamment reposée après cette nuit
fiévreuse.
Son corps vibrait encore au souvenir des heures passionnées qu'elle
avait partagées avec son mari.
Attendrie, elle contempla son visage endormi. Ses traits, ces traits
énergiques et fiers qu'elle aimait tant, s'adoucissaient dans le
sommeil. Comme il était beau ! Et viril! Un léger sourire incurvait
ses lèvres pleines qui savaient si bien dispenser le plaisir. Renonçant
à la tentation de l'éveiller par des caresses langoureuses, elle opta
pour un petit déjeuner au lit. N'avaient-ils pas le reste de l'existence
pour s'aimer, à présent?
Glissant hors du lit sans un bruit, elle s'empara de la chemise de
Seth qu'elle enfila à la hâte.
— Bonjour, mon ange !
Au son de cette voix grave, le cœur de Josie bondit dans sa
poitrine. Saisie d'un accès de timidité, elle sentit ses joues
s'empourprer.
— Bonjour.
— Que fais-tu debout de si bonne heure?
Les mains croisées derrière la tête, il l'enveloppa d'un regard
possessif, inconscient de l'extrême virilité qui émanait de lui.
— Je... euh... Il est 8 heures, balbutia-t-elle.
— Tu as un rendez-vous urgent?
— Euh... non, mais je voulais descendre préparer le petit déjeuner.
Tu dois être affamé.
— En effet, mais pas de nourriture.
A ces mots, Josie sentit une douce chaleur irradier dans son corps.
L'allusion était claire. Tout comme ses intentions...
— Le petit déjeuner peut attendre. C'est notre lune de miel, n'oublie
pas.
Elle se mit à rire. Ils avaient un mois de retard, mais ils étaient en
pleine lune de miel, en effet. Et comme Kellie ne reviendrait pas
avant l'après-midi, ils avaient toute liberté d'employer leur temps
comme bon leur semblait.
En approchant du lit, elle pila net devant le Stetson tout neuf posé
sur le montant opposé à celui sur lequel trônait celui qu'elle avait
troué.
— Une nouvelle pièce à ma collection ? lança-t-elle en souriant.
— Tu l'as amplement méritée. Mais tu dois me promettre de ne pas
trouer celui-là.
La jeune femme le posa sur sa tête d'un geste gracieux.
— Nous le partagerons. La journée pour toi, la nuit pour moi.
— Tout à fait d'accord, murmura Seth avec un sourire entendu.
Leurs regards se croisèrent, porteurs d'un message muet plus
explicite que les mots.
— Tu as également gagné autre chose, déclara Seth.
— Oh, oh ! Ai-je été si performante hier soir?
— Mieux que ça. Ouvre le tiroir de la table de chevet.
Brûlante de curiosité, Josie fouilla le tiroir jusqu'à ce que ses doigts
se referment sur un minuscule écrin noir perdu au milieu des
chaussettes. Le cœur battant à tout rompre, elle interrogea son mari
du regard.
— Qu'est-ce que c'est?
— Ouvre et tu le sauras.
Assise au bord du lit, elle s'exécuta avec fébrilité. Un cri de stupeur
lui échappa en découvrant un magnifique solitaire entouré
d'émeraudes.
Muette d'émotion, elle se tourna vers Seth.
— J'ai pensé que les émeraudes mettraient tes yeux en valeur,
annonça-t-il.
Un fol espoir gonfla le cœur de Josie quand il lui glissa la bague au
doigt. Ne liait-il pas leurs sorts à tout jamais par ce simple geste?
Bouleversée, elle se perdit dans le regard embrumé de désir rivé sur
elle, et fondit devant le sourire tendre, irrésistible, que Seth lui
adressait.
— J'attendais le bon moment pour te l'offrir. Ce matin me paraît
parfaitement indiqué, tu ne crois pas ?
— C'est... C'est bien trop beau pour moi. Tu n'aurais pas dû faire
cette folie.
— Si c'est le prix qui t'inquiète, rassure-toi. Je ne dépensais
pratiquement rien quand je vivais au Paradise Wild. Mon compte en
banque est bien garni et nous sommes libres d'utiliser cet argent à
notre guise.
En d'autres termes, il lui offrait tout ce qu'il possédait. Cette marque
de confiance éveilla en elle un vif sentiment de culpabilité car elle ne
lui avait pas encore avoué son secret. Mais accepterait-il seulement
la vérité quand il avait toujours cru le pire à son sujet? L'idée qu'il
puisse la rejeter encore après la nuit qu'ils venaient de vivre la fit
frissonner.
Son inquiétude n'échappa pas à l'œil vigilant de son mari.
— Tu réfléchis beaucoup trop. Viens donc me rejoindre.
Chassant ces tristes pensées, elle obtempéra de bonne grâce. Seth
parcourut son corps d'une main possessive avant de s'emparer de
ses lèvres avec passion. Ils redécouvrirent, éblouis, les secrets du
corps de l'autre, réapprirent à en obtenir les plus délicieuses
réponses. Puis ils s'abandonnèrent au rythme puissant de l'amour,
dans une fusion parfaite de l'âme et du corps.
10.
Accoudé à la rambarde de la véranda, Seth contemplait avec
anxiété le ciel constellé d'étoiles. Le mensonge qu'il avait raconté à
Josie onze ans auparavant pesait de plus en plus lourd sur sa
conscience. Il fallait qu'il s'en libère s'il voulait que leur couple aille
de l'avant.
Le passé obscurcissait encore le bonheur fragile qui les unissait
depuis presque deux semaines. Ni l'un ni l'autre n'y faisaient
référence, bien sûr, et c'était justement là que résidait le problème.
Tant qu'ils n'auraient pas mis les choses à plat et clarifié la situation,
les fondations de leur mariage resteraient précaires. Or, ses
ambitions avaient évolué : il voulait fonder une véritable famille,
avoir des enfants, vivre pleinement une existence de mari et de père.
Avec un peu de chance, son aveu inciterait peut-être Josie à se
confier à son tour. Ils pourraient alors oublier le passé pour se
tourner ensemble vers l'avenir.
Tous deux avaient changé depuis leur adolescence. Au lieu de la
calculatrice sans scrupule qu'il s'imaginait avoir épousé, il avait
découvert en Josie une femme courageuse, indépendante et forte
qui se battait pour son ranch tout en élevant remarquablement sa
fille. Une femme orgueilleuse aussi, dont l'immense générosité
compensait un entêtement peu commun.
Le grincement de la porte le tira de sa méditation. Il se retourna
brièvement et sourit à sa femme. Avec sa légère robe d'été, ses
cheveux roux illuminés par la lumière de l'entrée, elle rayonnait de
féminité. La douceur de son expression, la chaleur de son regard le
bouleversèrent. Elle le contemplait comme si... comme si elle
l'aimait, constata-t-il plein d'espoir.
Approchant à pas mesurés, elle lui enlaça la taille. Ce corps souple
comme une liane pressé contre le sien éveilla en lui un désir
immédiat. Comme il aimait ces jeux sensuels auxquels elle se prêtait
de plus en plus volontiers !
— Que fais-tu dehors tout seul ?
— Je réfléchissais.
— A quoi ?
— A nous deux.
Deux mains glissèrent lentement sur son ventre puis sur son torse.
Seth retint un gémissement de plaisir.
— Hmm... C'est sérieux, alors ? murmura-t-elle. Suffisamment
sérieux pour qu'il ne veuille pas être distrait par ce que lui
promettaient ces savantes caresses.
Pivotant sur lui-même, il saisit les poignets de sa femme pour
l'empêcher de continuer.
— Tu viens te promener?
— Pourquoi pas?
Un sourire malicieux aux lèvres, elle se laissa entraîner au bas des
marches.
— Si nous allions dans la grange? Nous pourrions nous allonger
dans le foin pour observer le ciel et les étoiles.
Et ensuite, elle l'entraînerait au paradis...
Seth secoua la tête. Aussi tentante que fût cette idée, il ne se
laisserait pas détourner de la mission qu'il s'était assignée.
— Tout à l'heure.
— Bon, comme tu voudras.
Devant eux, la barrière blanche de la prairie se détachait sous la
lumière éclatante de la pleine lune. Les criquets s'adonnaient à leur
sérénade nocturne accompagnés de divers autres insectes. Les
hennissements des chevaux dispersés dans les différents paddocks
ajoutaient à la cacophonie ambiante.
D'ordinaire, ce concert familier apaisait Seth lorsqu'il était inquiet.
Ce soir, pourtant, il fut impuissant à calmer l'appréhension qui
montait en lui. Il se sentait anxieux, comme si l'issue de cette
conversation pouvait être fatale à leur couple.
Pourquoi ce malaise inexplicable? La réponse s'imposa, si évidente,
si simple, qu'elle lui fit l'effet d'un coup de massue : il aimait Josie !
Il l'aimait ! Avait-il jamais cessé de l'aimer? Non, bien sûr que non...
Elle avait toujours été la seule, l'unique, même quand il croyait la
détester.
Bouleversé par cette découverte, il prit sa femme dans ses bras
pour l'embrasser avec une sensualité sauvage à laquelle elle répondit
avec passion.
Lorsqu'il s'écarta, haletant, Josie leva vers lui un regard incertain.
— Qu'est-ce qui ne va pas, Seth ?
— J'aimerais te parler, murmura-t-il d'une voix sourde.
— A quel sujet?
Il lui caressa la joue avec tendresse.
— De ce qui s'est passé entre nous il y a onze ans. A ces mots,
Josie se raidit. Saisissant les poignets de
Seth pour détacher ses mains de son visage, elle s'écarta.
— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.
— Pourquoi pas?
Les bras serrés autour de son buste, elle se frictionna comme si elle
avait froid malgré la touffeur de la nuit.
— A quoi bon réveiller des souvenirs pénibles ? Cela ne peut nous
faire que du mal.
— Au contraire. Il faut en parler pour pouvoir tirer enfin un trait
dessus.
— Le passé est le passé ! Nous ne pouvons pas plus l'oublier que
le changer.
— Oublier non. mais pardonner ?
—- Si je ne t'avais pas pardonné, je ne me serais jamais donnée à
toi, Seth.
Seth la contempla, interdit. A l'entendre, il était seul à blâmer.
— Le pardon va dans les deux sens, Josie. Moi aussi, je dois te
pardonner.
— Quoi donc? C'est toi qui t'es servi de moi pour te venger de la
famille McAllister, si je ne m'abuse.
— Tu n'as pas couché avec moi pour tenter de m'attribuer la
paternité de ton enfant, peut-être ? rétorqua-t-il avec colère.
Un cri incrédule s'échappa de la gorge de Josie.
— Et si c'était vrai ?
— Quoi donc?
— Que Kellie soit de toi !
— Enfin, Josie ! Nous avons toujours pris nos précautions.
Elle ne dit rien. Mais dans ses yeux brillait un désespoir qui se mua
très vite en fureur. Le menton pointé en avant, elle lui rappela
furieusement la jeune femme flamboyante qui l'avait accueilli à coups
de fusil il n'y avait pas si longtemps.
Déconcerté par le tour inattendu que prenait la discussion, Seth se
passa la main sur le visage.
Il fit un pas vers elle pour la prendre dans ses bras, mais elle battit
précipitamment en retraite. Elle l'aurait giflé qu'il n'aurait pas eu plus
mal.
— Ecoute, Josie, ce n'est pas là que je voulais en venir.
— Dans ce cas, ne lance pas d'accusations que tu ne peux pas
prouver.
— Quelles accusations?
— Tu m'as bien accusée de coucher avec tout le monde, non?
— Je ne t'ai pas accusée. Ce sont les rumeurs qui...
— Parlons-en de ces rumeurs ! Des on-dit, des cancans, des ragots
de vestiaire !
— Je ne comprends pas pourquoi tu montes sur tes grands
chevaux.
Une lueur orageuse au fond des yeux, elle riposta d'un ton amer :
— Bien sûr, ce n'est pas ta réputation qu'on a ruinée.
Seth ne parvint à garder son calme qu'au prix d'un effort prodigieux.
— Je n'y suis pour rien, bon sang !
— Certes ! Tu étais bien trop occupé à poursuivre ta vengeance.
Frémissante de rage, elle tourna les talons en direction de la maison.
Seth poussa un juron.
— C'était un mensonge, cria-t-il.
A ces mots, elle s'arrêta net et fit lentement volte-face, en le fixant
avec intensité.
— Pardon?
— Je t'ai menti, répéta-t-iî. Je t'aimais comme un fou. Quand tu
m'as annoncé ta grossesse, j'étais prêt à t'épouser, même si je
devais pour cela affronter la colère de mon père.
Fermant les yeux, il se massa l'arête du nez. Quand il s'était confié à
Jay, celui-ci lui avait appris les racontars qui couraient sur Josie. Il
ne l'avait pas cru alors...
Il rouvrit lentement les paupières pour dévisager Josie. Le visage
impassible, elle attendait qu'il poursuive sans rien dire.
— Imagine ma fureur quand les bruits ont commencé à circuler. Les
types de ma classe se vantaient de leurs exploits au lit avec toi.
Comment pouvais-je continuer à croire que l'enfant était de moi
alors que nous avions toujours fait attention? J'ai compris que tu
t'étais servie de moi, alors, je t'ai raconté ce mensonge pour me
venger, pour te blesser comme tu m'avais blessé.
— Tu as réussi au-delà de tes espérances, Seth.
— A quoi t'attendais-tu, enfin ?
— Je l'ignore, murmura-t-elle d'une voix tremblante de larmes. Je
constate, en tout cas, que je ne fais pas plus le poids aujourd'hui
qu'autrefois face à la rumeur publique.
La tête basse, elle reprit le chemin de la maison. Hors de lui, Seth
se rua vers elle pour lui agripper le bras.
— Que veux-tu dire ?
— Ce n'étaient que des racontars ! hurla-t-elle.
Il la contempla, stupéfait. Comment osait-elle affirmer une chose
pareille alors qu'il avait entendu les garçons de sa classe raconter
ses prouesses par le menu ? Au point qu'il en avait été malade ! Le
prenait-elle pour un idiot ? S'imaginait-elle qu'elle pouvait encore le
duper ?
Folle furieuse, elle se débattit pour se dégager. Mais il tint bon.
— J'essaie d'être honnête, Josie.
— Moi aussi ! Je n'ai rien, absolument rien, à me reprocher.
— Fais attention, Josie. Si...
Sourde à la menace, elle poursuivit avec une colère froide :
— Lâche-moi, Seth. Ne me touche plus jamais !
Impressionné malgré lui par cette voix implacable, il obtempéra
aussitôt.
Il la regarda s'éloigner avec accablement. Son funeste pressentiment
se vérifiait. Après moins de deux semaines de bonheur, l'hostilité
renaissait entre eux, plus vivace que jamais.

Allongée sur le lit de la chambre d'amis, Josie serrait un oreiller


contre elle pour ne pas céder au chagrin. Une. gageure, bien sûr !
Comment un maigre oreiller pourrait-il la sauver du désastre quand
son cœur était en miettes ?
Seth ne la croyait pas. Certes, il ne l'avait pas dit expressément,
mais elle avait vu l'incrédulité dans son regard. A cet instant, elle
l'avait détesté plus que jamais.
Sans la lui avouer vraiment, elle lui avait pourtant suggéré la vérité.
Au lieu de saisir la perche qu'elle lui tendait, il s'était accroché à la
pire version et rien de ce qu'elle pourrait dire ne le ferait changer
d'avis.
L'aveu de son mensonge ne lui procurait qu'un maigre réconfort.
Cela n'effaçait ni le traumatisme qu'elle avait subi lorsqu'il l'avait
rejetée, ni les onze années de solitude, ni la certitude que, sans cette
stupide partie de poker, Seth ne lui aurait même pas accordé un
regard.
A cette idée, sa colère se ranima.
Un léger grattement à sa porte la fit sursauter. Seth, sûrement... Le
cœur battant à tout rompre, elle ne répondit pas.
— Josie?
La jeune femme s'enfouit un peu plus profondément sous les
couvertures. Avec un peu de chance, il se découragerait.
Un long soupir se fit entendre de l'autre côté de la porte.
— Je sais que tu es réveillée, Josie. Je veux que tu reviennes dans
notre chambre.
Le mufle ! Il ne doutait de rien.
— Pas question !
La poignée de la porte tourna. Sans résultat puisqu'elle avait pris
soin de fermer à clé.
— Tu ne comptes tout de même pas te cadenasser dans cette
chambre tous les soirs ?
— Tu veux parier?
— C'est grotesque, enfin! Ce comportement est totalement
irrationnel.
Ulcérée, Josie se dressa sur son séant.
— Parce que c'est rationnel de chercher à m'attirer dans ton lit
après m'avoir accusée de me prostituer?
— Je n'ai jamais dit une chose pareille !
— C'est tout comme !
— Ecoute, Josie, cela arrive à tous les couples de se disputer.
Nous ne résoudrons rien si tu te calfeutres dans cette chambre.
Une dispute? Est-ce tout ce que représentait l'événement à ses
yeux? Et son chagrin, sa souffrance, la douleur qui lui déchirait le
cœur? De toute façon, qu'y avait-il à résoudre puisqu'il estimait
qu'elle avait tort et lui raison ?
— Laisse-moi tranquille.
— Reviens, bon sang !
— Pourquoi ça? La moitié du ranch m'appartient maintenant que
j'ai accompli mon devoir conjugal. Inutile de prolonger cette
comédie.
— Tu es ma femme, enfin !
Au supplice, Josie ferma les paupières pour endiguer un flot de
larmes brûlantes. Elle ne pleurerait pas à cause de Seth O'Connor.
Jamais !
— Je suis ta partenaire, ton associée ou ce que tu voudras, mais
pas ta femme.
— Josie, je t'en prie !
Lasse de ces arguties, elle se laissa retomber sur le lit.
— Va-t'en, Seth.
Il y eut un long silence. Puis un pas lourd s'éloigna dans le couloir.
Trop désespérée pour pleurer, Josie fixa le plafond. Au rythme où
ses relations avec Seth évoluaient, la querelle entre les deux familles
n'était pas près de s'éteindre.

Sautant à bas de sa selle, Seth détacha le sac contenant son


déjeuner. Lexi se mit à brouter dès qu'il s'éloigna en direction d'un
grand arbre dont les frondaisons le protégeraient du soleil. Les
ranchers s'étaient installés près de la rivière, où il faisait plus frais.
Quand Mac approcha sur sa jument, Seth le gratifia d'un coup d'œil
maussade. Ne pouvait-il comprendre son besoin de solitude ?
— Ça va, patron ?
— Très bien ! lui fut-il répondu d'un ton sec.
Ouvrant le sac, Seth en sortit deux sandwichs au fromage et une
pomme ainsi qu'une canette de jus d'orange. Depuis cinq jours,
cette triste pitance constituait son ordinaire, Josie l'ayant informé
qu'il n'entrait pas dans les fonctions d'un associé de s'occuper de
ses repas.
Seth fusilla de nouveau Mac du regard, comme s'il le tenait pour
responsable de cette situation.
— Depuis ce matin, c'est la troisième fois que vous me posez la
question, lâcha-t-il.
Mac réprima un sourire.
— Parce que depuis cinq jours vous êtes odieux. Les hommes sont
à cran. Pour un peu, ils vous attacheraient à ce tronc d'arbre en
vous abandonnant aux charognards. Avant qu'ils en arrivent à cette
extrémité, je leur ai promis de venir voir si je pouvais vous aider à
régler votre problème.
Josie, un problème ? A elle seule, elle valait une montagne de
problèmes.
— Vous perdez votre temps.
Comme d'habitude, Mac ne prêta aucune attention à ses paroles. Il
descendit tranquillement de cheval et rejoignit Seth, son déjeuner à
la main. Des effluves de poulet rôti chatouillèrent les narines de
celui-ci. Ses yeux s'écarquillèrent comme des soucoupes quand
Mac commença à déguster une appétissante salade de pommes de
terre. Ecœuré, il mordit dans son sandwich avec hargne.
Mac prit le temps de terminer le poulet et la salade avant de
prendre la parole.
— C'est Josie, votre problème, j'imagine?
— Et comment ! Cette femme est un véritable fléau !
— Vous voulez en parler ?
— Non ! Elle est têtue et bornée, déforme mes propos, exagère
tout, m'attribue des paroles que je n'ai jamais dites. En bref, elle me
déteste et me gâche l'existence. Si cela continue comme ça, elle va
obtenir son divorce.
Furieux d'avoir laissé libre cours à sa rancœur, Seth jeta son
sandwich.
— Vous laisseriez tomber si facilement?
— C'est ce qu'elle veut !
— En êtes-vous si sûr?
— Elle me verra partir d'un cœur léger, je peux vous le garantir.
— Détrompez-vous ! Vous lui manqueriez terriblement.
Pour toute réponse, Seth ricana. S'adossant contre le tronc d'arbre,
il rabattit son chapeau sur ses yeux pour signifier à Mac que le sujet
était clos.
Sans se démonter, celui-ci continua :
— Josie est folle de vous.
Nouveau ricanement de la part de Seth. Si Josie était folle de lui,
elle avait une curieuse façon de le montrer.
— Je connais Josie depuis sa naissance. Depuis cinq jours, elle
n'est plus que l'ombre d'elle-même. Je ne l'ai vue qu'une seule fois
dans cet état.
— Ah oui? Quand ça?
— Quand vous vous êtes séparés, il y a onze ans. Seth cessa de
respirer un instant. Puis, soulevant doucement son chapeau, il
dévisagea Mac attentivement.
— Les circonstances n'ont rien à voir.
— Vous vous êtes disputés, c'est ça? Seth acquiesça brièvement.
— Elle me reproche des choses sur lesquelles je n'ai aucun
contrôle.
Mac savoura lentement un quartier de pêche avant de demander :
— Quoi donc?
— Des rumeurs à son sujet.
— Ah!
Mac hocha la tête d'un air entendu tout en croquant dans un
morceau de melon mûr à point. Incapable de supporter cette vue,
Seth mordit rageusement dans sa pomme.
— Je me suis toujours méfié des rumeurs, déclara Mac comme si
de rien n'était.
— J'ai entendu les faits de mes propres oreilles, bon sang !
— Quels faits?
— Que Josie était une fille facile, que je n'étais qu'une conquête
parmi d'autres, qu'elle se servait de moi pour donner un nom à son
enfant.
La mine pensive, Mac rangea tranquillement les restes de son repas.
Puis il s'étendit sur l'herbe en jetant un étrange coup d'œil à Seth.
— Vous vous êtes déjà interrogé sur la source de ces médisances ?
— Comment ça?
Mac secoua la tête d'un air navré.
— Pour quelqu'un d'intelligent, vous n'y connaissez vraiment rien
aux femmes.
Piqué au vif, Seth réagit très mal. Sa réponse claqua comme un
coup de fouet.
— Allez droit au fait ! Et vite !
— Eh bien, je n'ai jamais considéré Josie comme une femme facile.
Si c'était sa nature d'accorder ses faveurs à tout le monde, pourquoi
aurait-elle cessé brusquement quand vous vous êtes séparés ? Les
femmes de ce genre ne changent pas, vous le savez aussi bien que
moi.
Seth devint livide. Cette analyse ne lui avait jamais effleuré l'esprit.
Or, vue sous cet angle, la situation se présentait tout à fait
différemment.
— C'est un point de vue qui se tient.
— D'après vous, qui avait intérêt à propager ces rumeurs ?
— Cela allait plus loin que de simples rumeurs ! J'ai entendu moi-
même des types de ma classe se vanter d'avoir couché avec Josie.
Si ce n'est pas une source sûre, je veux bien être pendu.
Mac haussa les épaules.
— Sauf si la source a été payée pour répandre des bruits
susceptibles de blesser une personne et de provoquer la colère
d'une autre.
Le sang de Seth ne fit qu'un tour. Ebranlé, il examina la possibilité
d'un tel scénario puis secoua la tête.
— C'est ridicule ! Qui aurait pu en vouloir suffisamment à Josie
pour payer des gens afin de ruiner sa rép...
Il s'interrompit tandis qu'une hypothèse affreuse s'imposait à lui. Son
frère avait été le premier à apprendre la grossesse de Josie. Au lieu
de lui offrir le soutien qu'il espérait, il lui avait porté un coup cruel.
Ensuite, les bruits avaient commencé à se propager. Des
commérages qui l'avaient blessé et rendu aveugle. Des racontars qui
l'avaient mené à rompre tout lien avec Josie.
Une seule personne détestait Josie au point de vouloir détruire
l'amour qu'ils partageaient : Jay.
Il se dressa d'un bond en pointant un doigt accusateur vers Mac.
— Vous le saviez, n'est-ce pas ? Vous étiez au courant depuis
toujours.
Le contremaître eut un sourire fin.
— Disons que je m'en doutais.
L'explication crevait les yeux tant elle était simple. Pourtant, pendant
onze ans, il avait haï sa femme pour une offense qu'elle n'avait
jamais commise. Durant tout ce temps, elle avait vécu avec la
certitude qu'il la détestait, tout en élevant sa fille, leur fille, avec
amour.
Quoi d'étonnant si elle le méprisait?
Le cœur battant à tout rompre, il se dirigea vers Lexi et sauta en
selle.
— Où allez-vous, patron?
S'il s'écoutait, il filerait droit au ranch retrouver sa femme et sa fille.
Avant cela, hélas, il devait mettre les choses au point avec son frère.
Croisant le regard de Mac, il le remercia silencieusement de son
intervention.
— J'ai un vieux compte à régler avec un membre de ma famille.
11.
Lorsqu'il fit irruption dans le bureau de son frère, Seth était en proie
à une rage meurtrière. Posant les mains à plat sur le bureau, il se
pencha vers Jay d'un air menaçant.
— J'attends des explications. Quand tu auras fini, je te laisserai
peut-être la vie sauve si je suis généreux.
Jay masqua sa surprise sous une moue narquoise.
— Le mariage ne te réussit pas, dis-moi. Ta femme serait-elle
moins accommodante que tu ne l'escomptais ?
Ce sarcasme décupla la fureur de Seth. Un éclat dangereux s'alluma
dans ses prunelles.
— Si j'entends encore le moindre commentaire désobligeant sur ma
femme, je t'étripe, c'est clair?
Impressionné malgré lui, Jay jugea plus prudent d'adopter un profil
bas.
— A quoi dois-je l'honneur de cette visite?
— J'ai des questions à te poser.
— A quel sujet?
— Josie et ses prétendus amants.
Jay haussa les épaules.
— Que veux-tu que j'en sache?
— Qui as-tu payé pour la dénigrer?
Ebranlé, Jay fourragea dans ses papiers pour se donner une
contenance.
— J'ignore de quoi tu parles.
— Ne mens pas! Tu as soudoyé des types de ma classe de
terminale pour répandre des médisances au sujet de Josie et me
pousser à rompre avec elle.
— C'est ridicule !
La protestation manquait d'assurance.
— Es-tu oui ou non à l'origine de ces ragots? s'enquit Seth avec un
calme inquiétant.
Comprenant qu'il serait inutile de nier plus longtemps, Jay chercha à
biaiser.
— Josie se servait de toi sans que tu t'en rendes compte.
— Je t'ai posé une question, Jay. Réponds par oui ou non.
— Elle voulait te piéger !
Le poing de Seth s'abattit avec violence sur la table.
— Réponds!
Jay se releva si brusquement que sa chaise heurta le plancher.
— Oui, je l'ai fait! Et cela a abouti au résultat que j'espérais ! C'était
le seul moyen de te protéger de cette traî... d'elle! Les McAllister
sont des menteurs, des tricheurs et des voleurs. Si tu l'avais
épousée, elle aurait tenté de s'approprier le Paradise Wild.
Seth contourna le bureau pour se camper devant son frère dans une
posture menaçante.
— En bref, tu as fait l'impossible pour nous dresser l'un contre
l'autre.
— Ça a marché.
— J'ai perdu dix années de la vie de ma fille! Te rends-tu compte
de ce que cela représente ?
— C'est une McAllister.
— Mon sang coule aussi dans ses veines.
Comme Jay demeurait muet, Seth secoua la tête avec dégoût.
— Tu deviens paranoïaque, mon pauvre, tout comme notre père.
Jugeant qu'il en savait assez, il fit volte-face pour quitter le bureau.
— Au moins, je ne suis pas un traître, lança Jay dans son dos.
Ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Fou de rage, Seth
pivota sur lui-même, saisit son frère à bras-le-corps et le plaqua
violemment contre le mur. Quand Jay lui décocha un direct à la
mâchoire, il n'eut pas besoin d'autre invitation pour lui rendre la
pareille.
Des années de rancœur et de colère accumulées se libérèrent d'un
coup. Une lutte farouche s'engagea. Seth avait beau être plus
solidement bâti que son frère, celui-ci était un adversaire coriace.
Les poings volaient, des grognements de fureur et de douleur
s'élevaient, entrecoupés de jurons et de provocations. Une main se
posa sur le bureau pour rétablir un équilibre précaire, envoyant une
pile de dossiers valser, un meuble de classement tomba lourdement
sur le sol, les tableaux s'écrasèrent par terre, chaises et fauteuils
furent renversés. Les deux hommes basculèrent sur le sol.
— Arrêtez ! hurla Erin sur le seuil de la pièce. Vous allez vous tuer.
— C'est ce à quoi je m'emploie ! répliqua Seth, les dents serrées.
Profitant de cette seconde de distraction, Jay lui décocha un coup
de poing au creux de l'estomac. Seth se plia en deux sous l'effet de
la douleur. Puis il plaqua Jay au sol avec un hurlement sauvage.
Celui-ci répliqua par une ruade qui l'atteignit au coin de l'œil.
Aveuglé, Seth se jeta sur son frère pour l'achever. Au même
moment, une douche froide s'abattit sur eux. Les deux combattants
s'écartèrent, stupéfaits.
Un seau vide à la main, Erin suffoquait de colère.
— J'attends que vous vous expliquiez.
— C'est justement ce que nous étions en train de faire, déclara Seth
en essuyant son visage dégoulinant.
— On dirait deux adolescents incapables de maîtriser leurs pulsions
! Comment pouvez-vous vous battre comme des chiffonniers alors
que vous êtes la seule famille qui vous reste?
Seth et Jay échangèrent un regard venimeux. Ni l'un ni l'autre ne
semblaient prêts à s'excuser.
Après un long silence, Seth se tourna vers Erin en essuyant sa lèvre
ensanglantée d'un revers de main.
— Je compte sur toi pour faire entendre raison à ton mari, Erin. S'il
continue à ruminer cette querelle grotesque, il finira à moitié fou. Tu
es mon frère, Jay, et je tiens à toi, mais j'aime encore plus ma
femme et ma fille. Tant que tu ne seras pas capable de surmonter la
haine que notre père t'a instillée comme un venin, considère-moi
comme un ennemi.
Jay garda le silence. Mais, aux émotions conflictuelles qui se
reflétaient dans son regard, Seth sut que tout espoir n'était pas
perdu.
Saluant Erin d'un bref hochement de tête, il se redressa avec
difficulté.
— Je vous laisse.

L'homme qui pénétra dans la cuisine semblait avoir été passé à la


moulinette.
Kellie le fixa bouche bée pendant que Josie embrassait d'un coup
d'œil la lèvre fendue de Seth, l'énorme ecchymose qui lui marquait le
coin de l'œil et l'entaille qui lui balafrait la joue.
— Mon Dieu! Qu'est-il arrivé?
Oubliant ses griefs contre son mari, elle délaissa ses légumes pour
se précipiter vers lui avant de s'arrêter net.
Seth fixait Kellie d'un regard étrange. Il fouillait son visage, scrutait
ses traits avec une telle anxiété que Josie retint son souffle.
Il savait! Elle ignorait comment, mais il avait enfin admis la vérité.
— D'où viens-tu? demanda-t-elle lorsqu'elle eut recouvré un
semblant de voix.
Le regret et la culpabilité se mêlaient dans les yeux qu'il posa sur
elle.
— Je réglais mes comptes avec mon frère. Maintenant, j'aimerais
les régler avec toi.
Josie se tourna vers sa fille.
— Ma chérie, Seth et moi avons besoin de discuter seuls. Si tu
montais chercher de l'antiseptique, des pansements et du coton
pour que je soigne ses blessures ?
— Tout de suite, maman.
Seth la suivit du regard jusqu'à ce qu'elle ait disparu, puis il
contempla de nouveau Josie qui se tordait nerveusement les mains.
— C'est ma fille, n'est-ce pas?
La question résonna comme un coup de tonnerre dans un silence
assourdissant.
Il n'obtint aucune réponse, sinon un regard méfiant.
— C'est ma fille, Josie, ne le nie pas.
Un frémissement la parcourut. Puis elle poussa un soupir.
— Comment le pourrais-je? chuchota-t-elle à voix basse.
— Pourquoi ne m'as-tu rien dit?
— Tu m'aurais crue?
— Enfin, Josie! Tu n'as même pas essayé de te défendre ?
— Tu m'aurais crue? répéta-t-elle.
— Tu aurais dû me dire que cet enfant était de moi, bon sang !
— Je l'ai fait ! Tu ne m'as pas crue.
Le coup porta. Le visage blême, Seth fut obligé d'admettre que
Josie disait vrai. Même si elle avait insisté, supplié pour plaider sa
cause, il aurait refusé d'admettre une innocence qui pourtant crevait
les yeux.
— J'ignore qui avait intérêt à propager de tels mensonges, reprit-
elle, mais...
— C'est mon frère, lança-t-il d'une voix forte. Mais cela ne
m'excuse en rien.
Il se tut un bref instant pour la dévisager intensément.
— Pourras-tu me pardonner un jour? Josie secoua la tête.
— Ce n'est pas si facile.
Terrifié à l'idée de perdre cette femme qui représentait plus que sa
vie, Seth joua sa dernière carte.
— McAllister ou pas, je t'aime, Josie.
Contre toute attente, cette brûlante confession arracha un rire amer
à la jeune femme.
— Tu viens de mettre le doigt sur le problème. Je suis une
McAllister. A tes yeux, je resterai toujours l'arrière-petite-fille de
l'homme qui a spolié ta famille.
Il la rejoignit en trois enjambées.
— Nous ne sommes pas responsables des actes de nos aïeux, pas
plus que nous n'avons à endosser leurs querelles. Ton nom n'a
jamais changé quoi que ce soit aux sentiments que je te porte. Ni
autrefois, ni maintenant.
— Tu as perdu le Paradise Wild à cause de moi ! Comment
pourrais-tu ne pas me le reprocher?
Il l'attira tendrement dans ses bras. A son grand soulagement, elle
se laissa faire sans résister.
— C'est à moi que j'en veux bien plus qu'à toi. Et je me moque du
Paradise Wild. Tout ce que je désire est là, sous le toit de cette
maison, dans mes bras.
Vaincue par l'amour qui illuminait le regard clair de son mari, Josie
posa la tête contre sa poitrine, là où son cœur battait à tout rompre.
— Tu as manqué les premières années de ta fille, murmura-t-elle
tristement.
— J'ai bien l'intention de rattraper le temps perdu.
Elle leva la tête vers lui, une interrogation au fond des yeux.
— Tu n'es pas en colère?
Seth sourit.
— Oh, si ! Je suis même furieux, mais pas contre toi. Je m'en veux
à mort de ne pas avoir compris le manège de mon frère, de ne pas
avoir eu confiance en toi. Quand je pense aux difficultés que tu as
eu à affronter seule avec Kellie quand vous auriez dû m'avoir à vos
côtés !
— Comment as-tu compris que tu étais son père?
Seth enroula une longue mèche rousse autour de son doigt en
soupirant.
— Grâce à Mac.
Josie ouvrit des yeux ronds.
— Mac sait?
— Disons qu'il s'en doutait... Quand il m'a demandé si je m'étais
interrogé sur la provenance de ces fameuses rumeurs, tout s'est
éclairé. Une seule personne était capable de causer délibérément
autant de dégâts.
— Jay...
Seth acquiesça d'un air sombre.
— A présent, il sait dans quel camp je me trouve. J'espère que
notre petite explication l'obligera à reconsidérer ses priorités.
Doucement, tendrement, Josie effleura l'entaille qui zébrait la joue
de son mari.
— Tu t'es battu pour moi, murmura-t-elle, le regard embué
d'émotion.
— Avec onze ans de retard.
— Personne ne s'est jamais battu pour moi.
— Désormais, je suis là pour veiller sur Kellie et toi. Personne ne
vous fera plus de mal.
— Oh, Seth !
— Maman?
Les bras chargés de boîtes diverses, Kellie les considérait d'un air
bizarre.
Surprise, Josie s'écarta brusquement. Depuis combien de temps
Kellie les observait-elle? Qu'avait-elle entendu exactement?
A en juger par son expression troublée, elle en savait suffisamment
pour tirer les conclusions qui s'imposaient.
A présent, elle fixait son père d'un regard démesurément agrandi.
— Tu... Tu es mon père? Mon vrai père?
— Oui, chuchota-t-il d'une voix enrouée.
— C'est vrai, maman?
La gorge nouée, Josie ne sut comment elle trouva la force de parler.
— C'est vrai, ma chérie.
Posant son chargement sur la table, Kellie la dévisagea d'un regard
sévère.
— Pourquoi me l'as-tu caché?
Au comble de l'embarras, Josie chercha une réponse susceptible de
justifier son choix auprès de sa fille. Comme elle n'en trouvait pas,
elle lança à Seth un coup d'œil paniqué.
— Ta mère ne t'a rien dit parce qu'elle ne le pouvait pas. Nos
relations ont été très tendues pendant longtemps. Il fallait d'abord
que je reconnaisse certaines choses avant qu'elle puisse partager la
vérité avec toi.
Quoique vague, cette explication sembla satisfaire la fillette.
— Je n'y connais pas grand-chose au métier de père, alors je
compte sur toi pour m'aider.
Le sourire de Kellie évoquait un rayon de soleil.
— Si tu veux. Je peux t'appeler papa?
— Et comment ! J'aimerais bien un baiser aussi.
A l'évidence, Kellie n'attendait que ça. Le visage rayonnant de
bonheur, elle vola dans les bras de son père qui attira Josie de sa
main libre pour les étreindre toutes les deux.
— Tout compte fait, je comprends ton père, Josie! s'écria-t-il d'un
ton radieux. Le poker est un jeu extraordinaire. Mais il me manque
encore quelque chose.
Josie le gratifia d'un clin d'œil malicieux :
— Que je réintègre le lit conjugal? chuchota-t-elle.
— Ce serait un bon début, mais c'est autre chose que j'ai envie
d'entendre.
— Que je t'aime, peut-être?
— C'est le cas?
— Oh, Seth ! De toute mon âme, de tout mon cœur. Je n'ai jamais
cessé de t'aimer.
— Alors, tu me pardonnes ?
— Uniquement si tu me pardonnes toutes les misères que je t'ai fait
endurer depuis ton arrivée au ranch.
— Marché conclu !
Posant Kellie à terre, il scella leur accord d'un baiser à couper le
souffle.
12.
Une délicieuse odeur de café emplissait la cuisine quand Seth
descendit rejoindre Josie pour le petit déjeuner. Approchant de sa
femme occupée à cuire des pancakes, il lui enlaça amoureusement
la taille.
— Quel soleil magnifique ! C'est le temps idéal pour une réunion,
murmura-t-il en lui déposant un baiser dans le cou.
— Quelle réunion?
— Tu verras.
Intriguée par ce ton mystérieux, Josie fit glisser les pancakes sur un
plat et se tourna vers son mari.
— Qu'es-tu encore en train de mijoter?
Depuis trois jours, Seth arborait une mine de conspirateur et se
comportait comme un enfant qui prépare une surprise sans qu'elle
eût réussi à deviner de quoi il retournait.
Il lui posa un doigt sur les lèvres.
— Chut, je n'ai pas encore dit bonjour au bébé.
Accroupi devant sa femme, il pressa sa joue contre son ventre
arrondi en chuchotant des mots doux destinés à l'enfant qu'elle
portait. Attendrie par ce rituel qui se répétait chaque matin, Josie
écouta le monologue de son mari.
Dès l'annonce de sa grossesse, Seth avait décrété qu'il tenait à
suivre chaque étape du développement de l'enfant. Il mesurait
l'évolution de la silhouette de Josie avec une attention scrupuleuse,
regrettant que celle-ci ne s'arrondisse pas plus vite tant il lui tardait
de tenir le nouveau-né dans ses bras. Il restait encore plusieurs mois
à patienter, mais une chose était sûre : à sa naissance, le bébé
connaîtrait la voix de son père.
Emue par les trésors de tendresse dont il les entourait, elle, Kellie et
l'enfant à venir, Josie caressa les boucles brunes de son mari. Qui
aurait cru que cet homme avait été obligé de l'épouser? Il n'y avait
pas mari, père ou amant plus attentif et généreux.
Assise à table, Kellie dévisageait son père en souriant. La
complicité qui les unissait se renforçait de jour en jour, comme si
leurs onze années de séparation ne pouvaient effacer le lien naturel
qui les unissait.
Depuis quatre mois, tous les occupants du ranch vivaient sur un
petit nuage. Il y avait bien de temps à autre quelques discussions un
peu vives entre Josie et Seth, mais les réconciliations qui suivaient
les aidaient à oublier au plus vite ces légères frictions.
Erin et ses enfants leur rendaient souvent visite et Josie appréciait de
plus en plus sa belle-sœur. Quinze jours auparavant, elle était
tombée nez à nez avec Jay dans un magasin. Non sans embarras, il
lui avait présenté ses excuses. Consciente de l'effort que cela
représentait pour lui, la jeune femme les avait acceptées de bonne
grâce. Un pique-nique était projeté, réunissant les deux familles,
pour la semaine suivante. De ce côté-là, l'horizon s'éclaircissait
enfin.
En revanche, l'absence de son père pesait encore sur le bonheur de
Josie. Lorsqu'elle faisait part de son inquiétude à Seth, celui-ci
s'empressait de la rassurer en affirmant que Jake reviendrait un jour,
témoignant par là d'un optimisme qui la laissait sceptique.
Sa conversation terminée, Seth se tourna vers Kellie.
— Qu'est-ce que ce sera, à ton avis? Un garçon aussi beau et
intelligent que son père ou une fille aussi resplendissante que ta mère
et toi ?
— J'aimerais bien des jumeaux, une fille et un garçon !
Josie leva les yeux au ciel.
— Un chaque fois me suffit. Il faudra attendre le prochain pour que
ton vœu soit comblé.
--Combien en veux-tu ? demanda Seth.
— Autant qu'en désirera mon seigneur et maître, répliqua-t-elle
avec une feinte docilité.
Une flamme malicieuse se mit à danser dans les yeux de Seth.
— Dans ce cas, tu risques d'être enceinte souvent.
Comme s'il approuvait la déclaration de son père, le bébé bougea
pour la première fois dans le ventre de Josie. Mais avant qu'elle
puisse s'attarder sur l'événement, un coup de Klaxon se fit entendre
dans la cour.
Etonnée d'une visite aussi matinale un dimanche, Josie fronça les
sourcils.
— Qui est-ce? Nous n'attendons personne. Un sourire aux lèvres,
Seth lui prit les mains.
— C'est la « réunion » dont je t'ai parlé. J'ai fait appel aux services
d'un détective privé pour retrouver la trace de ton père. Nous nous
sommes vus il y a trois jours. Je voulais te faire la surprise.
— Mon... Mon père est revenu?
— Il n'a accepté mon invitation que quand je lui ai affirmé que
j'étais amoureux fou de ma femme.
— Oh, Seth ! Tu es merveilleux.
Des larmes de bonheur plein les yeux, Josie se jeta au cou de son
mari.
Le Klaxon retentit de nouveau, avec insistance cette fois.
Tous se précipitèrent sous le porche pour accueillir
Jake. Kellie se rua vers son grand-père qui l'étreignit de toutes ses
forces. Puis ce fut au tour de Josie de serrer son père dans ses
bras.
— Oh, papa ! Et moi qui pensais que je ne te reverrais jamais !
s'exclama-t-elle. D'ailleurs, si Seth n'avait pas engagé un détective
privé, tu ne serais pas là.
— Bien sûr que si, mais j'attendais le bon moment. Quand le
détective est venu me voir en me précisant qu'il était envoyé par
Seth, j'ai su qu'il était temps de refaire surface.
— Dans ce cas, pourquoi m'as-tu écrit que tu partais parce que tu
étais persuadé que je ne te pardonnerais pas d'avoir perdu le
Golden M dans une partie de poker?
— Cela faisait partie de mon plan.
Alertée par le sourire en coin de son père, Josie le dévisagea d'un
air soupçonneux.
— Quel plan?
Sentant poindre l'attaque, Jake leva les mains comme pour se
défendre.
— Ce que j'ai fait, je l'ai fait pour ton bien.
— Qu'as-tu fait?
Jake jeta un coup d'œil à Seth.
— Je n'ai jamais beaucoup aimé les O'Connor, surtout toi, Seth. Tu
as beau être de loin le plus intelligent, tu as été assez stupide pour
prêter l'oreille aux rumeurs qui ont couru au sujet de ma fille alors
qu'il était manifeste qu'elle t'aimait à la folie.
Seth eut la grâce de rougir.
— Je plaide coupable.
— Je me doutais que ces médisances avaient pour origine ta famille,
mais je n'ai jamais pu en découvrir la source exacte. Pendant onze
ans, j'ai vu ma fille seule, souvent triste, s'échiner au travail. Je me
répétais souvent qu'elle méritait mieux que le sort qui lui était alloué.
Josie intervint.
— Cela ne m'explique toujours pas...
— Un peu de patience, ma chérie. J'ai toujours soupçonné que
Seth était le père de Kellie, même si tu as toujours refusé de
l'admettre. Le lien qui existait entre vous à l'époque avait quelque
chose de magique, alors je me suis dit qu'en donnant un petit coup
de pouce au destin, vous pourriez le reconstruire. Après mûre
réflexion, le seul moyen que j'ai trouvé était d'offrir à Seth ce qu'il
voulait.
Seth éclata de rire.
— Vous ne m'avez pas donné le Golden M, je vous signale. Je l'ai
gagné !
— Je te l'ai offert sur un plateau d'argent en perdant délibérément.
— Et en prenant soin d'exiger que j'épouse Josie, précisa Seth un
peu vexé d'avoir été dupé.
Jake se mit à rire.
— J'étais certain que tu ne résisterais pas à la tentation de posséder
enfin un ranch. Tout comme je savais que ma chère fille, qui est
également la pire tête de mule que je connaisse, s'accrocherait au
Golden M.
Josie eut beau s'efforcer de s'indigner, elle n'y parvint pas. Pourtant,
pour un coup de poker, c'en était un ! Car son père n'avait pas
seulement joué le ranch, ce soir-là, mais aussi sa vie à elle, son
avenir, son bonheur. Et il avait réussi en maître.
Une femme sortit alors de la voiture de Jake, créant une heureuse
diversion. Un peu plus jeune que lui, les cheveux grisonnants, elle
possédait des yeux si bleus qu'on aurait dit des myosotis.
Comme elle n'osait pas avancer, Jake lui prit la main.
— Je vous présente Emmy Dalton, ou plutôt Emmy McAllister
depuis hier. Nous nous sommes rencontrés alors que j'étais de
passage dans une bourgade du Wyoming. Depuis, nous ne nous
sommes pas quittés.
Dans le regard que Jake posait sur Emmy, Josie reconnut aussitôt
un amour semblable à celui qu'elle lisait souvent dans les yeux de
Seth.
Heureuse que son père retrouve un équilibre affectif après de
longues années de solitude, elle donna à Emmy une accolade
chaleureuse.
— Bienvenue dans la famille, Emmy.
— Merci beaucoup.
— Vous voulez bien être ma grand-mère? s'écria Kellie, ravie.
— Volontiers. Comme je n'ai pas eu d'enfants, je n'ai pas de petite-
fille à gâter.
A son tour, Seth serra la main d'Emmy.
— Il va falloir construire une maison pour les jeunes mariés.
Jake fronça les sourcils.
— Dites tout de suite que nous ne sommes pas assez bien pour
loger sous le même toit que vous !
Seth secoua la tête en souriant.
— Pas du tout, mais d'ici peu de temps, il n'y aura plus assez de
place pour tout le monde avec la ribambelle d'enfants que nous
projetons d'avoir. Le premier doit arriver d'ici à cinq mois.
Jake donna une grande tape sur l'épaule de son gendre.
— Voilà qui fait plaisir à entendre ! Rien de tel que les enfants pour
cimenter un couple. Cela prouve que vous étiez vraiment faits l'un
pour l'autre.
Josie et Seth échangèrent un coup d'œil amusé. Si Jake avait appris
les turbulences qui avaient marqué le début de leur vie conjugale,
peut-être se serait-il montré moins sûr de lui. Mais à quoi bon le
détromper? Autant lui laisser croire que son plan machiavélique
avait été un succès dès le départ.
Et puis, avec le temps, son coup de poker deviendrait aussi
légendaire que la querelle des O'Connor contre les McAllister...

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