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ROBERTA LEIGH

Tendre et intrépide Cassie

COLLECTION AZUR
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise sous le titre :

TWO-FACED WOMAN

Ce roman a été publié dans la collection


AZUR (N° 1438) en mai 1994
HARLEQUIN ®

est une marque déposée du Groupe Harlequin et Azur est


une marque déposée d'Harlequin S A.
1

Cassie Elliot sortit du taxi et contempla l'imposant


immeuble des Editions Barlow. Un étrange sentiment
d'exaltation s'empara d'elle à la vue de cet édifice de
marbre et de verre. Ainsi c'était là le cœur de l'empire bâti
par Henry Barlow, ce père dont elle ne soupçonnait même
pas l'existence jusqu'à une date récente...
Quelques semaines plus tôt, un certain Lionel New-man
avait demandé à être reçu dans l'appartement que Cassie
partageait avec sa mère et son beau-père sur Park
Avenue, à New York. Cet avocat renommé lui avait appris
qu'elle était la fille d'Henry Barlow, magnat de l'édition
récemment décédé d'une crise cardiaque.
— Et vous êtes sa seule héritière, avait ajouté Lionel
Newman.
Stupéfaite par cette double révélation, Cassie s'était
tournée vers sa mère.
— Je ne comprends pas, maman... Tu m'avais toujours dit
que papa était mort peu après ma naissance !
Sa mère avait baissé les yeux avant de déclarer :
— Mort ou pas, où est la différence? Quand tu es née, il
s'est désintéressé de nous. La famille, pour lui, ça ne
comptait pas !
L'élégant avocat anglais avait toussoté d'un air gêné.
— Excusez-moi, madame Elliot... Henry ne vivait que pour
son travail, c'est vrai, mais je sais qu'il vous adorait. Oh,
bien sûr, il cachait ses sentiments et je conçois que vous
en éprouviez de l'amertume... Mais vous n'imaginez pas à
quel point il regrettait de devoir vivre loin de vous. Henry n'a
peut-être pas eu le temps de s'occuper de vous comme il
l'aurait voulu.
Margaret Ellioi avait regardé sa fille d'un air las.
— Henry voulait un héritier... Un garçon pour lui succéder,
plus tard, à la tête de la société. Quand je t'ai eue, le
gynécologue nous a appris que je ne pourrais plus avoir
d'enfants. Henry a tout de suite demandé le divorce. Je
pensais qu'il avait l'intention de se remarier... Mais s'il t'a
tout légué, je suppose qu'il ne l'a jamais fait.
— Effectivement, avait confirmé l'avocat. Bien qu'il n'ait pas
gardé contact avec vous, mademoiselle Barlow, il...
— Je m'appelle Ellmt, avait déclaré Cassie J'ai pris le nom
de mon beau-père.
— Je vois... Je vous prie de m'excuser. Eh bien, commi; je
le disais à l'instant, il vous faisait surveiller par un détective
privé pour s'assurer que vous ne manquiez de rien. Il n'a
jamais négligé ses devoirs paternels, vous pouvez m'en
croire !
— Se contenter d'envoyer un chèque en fin de mois... Drôle
de conception des devoirs paternels ! s'était exclamée
Margaret EHiot. Regardez cet appartement... Comme vous
pouvez le constater, Cassie n'a jamais vécu dans
la pauvreté depuis qu'Henry et moi avons divorcé. Mon
second mari, Luther Elliot, l'aime comme si elle était sa
propre fille.
C'était la vérité. Cassie et son beau-père s'entendaient à
merveille, et la jeune femme considérait les trois fils de
Luther, nés d'un premier mariage, comme ses frères. Non,
vraiment, elle n'avait jamais manqué de rien, ni sur le pian
affectif, ni sur le plan matériel. Au niveau personnel, en
revanche, elle ne se sentait pas satisfaite.
Après de brillantes études d'histoire à l'université, elle avait
rejoint la fondation humanitaire où travaillait sa mère.
Ce poste ne lui donnait cependant pas l'occasion de faire
ses preuves, et elle désirait un emploi plus à la mesure de
ses capacités. Son diplôme ne pouvait lui offrir qu'mi poste
d'enseignante. Cette perspective ne l'attirant pas
particulièrement, elle hésitait quant à la voie dans laquelle
s'engager.
La nouvelle que l'avocat britannique venait de lui révéler
était comme un cadeau tombé du ciel- Jamais, même
dans ses rêves les plus fous, elle n'avait envisagé de
diriger une maison d'édition à l'étranger. Ce défi inattendu
la remplissait d'enthousiasme et d'impatience. Et aussi
d'appréhension... La tâche ne serait pas facile ! Qu'importe
! Elle était bien résolue à montrer ce dont elle s'estimait
capable.
Cassie avait exposé ses projets à Lionel Newman. Passé
le premier moment de surprise, l'avocat avait
immédiatement tenté de l'en dissuader.
— Vous n'avez aucune expérience des affaires,
mademoiselle Barlow.. Euh. mademoiselle Elliot, je
veux dire. Pensez-vous vraiment pouvoir diriger une
multinationale aussi complexe que les Editions Barlow ?
Ce serait un énorme risque de remplacer Miles Gilmour,
l'actuel directeur général. 11 travaille dans la maison
depuis plus de dix ans, et il a récemment été élu «
manager de l'année » par la presse économique. A vrai
dire... M. Gilmour m'a chargé de vous transmettre une
proposition. [( serait prêt à vous racheter le capital de la
compagnie...
L'avocat avait marqué une pause, l'air gêné.
— En réalité, feu votre père avait l'intention de léguer à M.
Gilmour la moitié du capital, l'autre moitié vous revenant....
Mais il est mort avant d'avoir pu modifier son testament.
La raison aurait voulu que Cassie laisse Miles Gilmour
racheter la société, mais elle ne pouvait se résoudre à
semblable décision. N'ayant aucun souci financier, elle
n'était pas du tout obligée d'accepter la proposition du
directeur général... Alors autant tenter le tout pour le tout !
Sans plus hésiter, elle s'était lancée dans l'aventure.
Et ce matin, au moment où elle pénétrait dans le luxueux
hall d'entrée des Editions Barlow, elle se sentait comme
une enfant à qui l'on vient d'offrir un nouveau jouet :
curieuse, impatiente et enthousiaste.
Elle prit l'ascenseur pour le dernier étage, où se trouvait le
bureau directorial. Elle devait rencontrer Miles Gilmour et
Lionel Newman à 10 heures. Tenant à être ponctuelle, elle
était partie très en avance, et il lui restait à présent une
quarantaine de minutes à patienter.
— Je suis Mlle Elliot, dit-elle à l'hôtesse d'accueil. J'ai
rendez-vous avec M. Gilmour.
— Il est en conférence en ce moment, mais il sera
disponible d'une minute à l'autre. Il m'a demandé de vous
faire attendre dans son bureau.
La réceptionniste ne semblait pas soupçonner l'identité de
la nouvelle venue. Cassie s'était en effet présentée, selon
son habitude, sous le nom de son beau-père. Elle suivit
l'hôtesse jusqu'au bureau du directeur général.
— Vous vous plairez énormément ici, dit l'hôtesse. A
condition que vous obteniez ce poste, bien entendu. M.
Gilmour a déjà fait passer quatre entretiens aujourd'hui...
Hélas ! Je crois bien que personne n'arrive à la cheville de
Mlle Darcy, notre ancienne secrétaire.
Cassie ne laissa rien paraître de son amusement.
Manifestement, la réceptionniste croyait qu'elle venait
passer un entretien d'embauche !
— Qu'est-il arrivé à Mlle Darcy? demanda-t-elle d'un ton
dégagé.
— Elle s'est fracturé la clavicule au ski. Elle en a pour
plusieurs mois d'arrêt-maladie. Voilà, vous pouvez vous
installer ici. Si vous avez besoin d'utiliser les toilettes, c'est
juste en face.
Restée seule dans la pièce, Cassie admira la moquette
d'une belle couleur dorée, le bureau noir aux lignes
futuristes, sur lequel trônaient un ordinateur et un fax dernier
cri. Trois tableaux de maître ajoutaient une note intimiste à
l'atmosphère feutrée des lieux.
Cassie jeta un coup d'œil à sa montre. Encore trente-cinq
minutes à attendre avant l'heure du rendez-vous... Un peu
nerveuse, elle alla dans les toilettes vérifier son maquillage.
Elle avait pris soin de s'habiller avec la sobriété convenant
à une femme d'affaires. Son tailleur Chanel bleu
marine porté sur un chemisier de soie blanche donnait une
impression de rigueur et de classicisme.
« Peut-être un peu trop classique, songea-t-elle. Oh, et puis
quelle importance? Après tout, je n'ai pas de comptes à
rendre à M. Gilmour... Ce serait plutôt le contraire! Enfin,
pour le moment, j'ai tout à apprendre de lui. Il est la seule
personne capable de diriger efficacement la compagnie. »
Selon l'avocat, le départ du directeur général serait une
catastrophe pour les Editions Barlow. Miles Gilmour était
en effet très apprécié par les auteurs qui, s'il s'en allait,
n'hésiteraient pas à résilier leurs contrats pour le suivre
dans une autre maison d'édition.
— Miles sait caresser les auteurs dans le sens du poil, lui
avait dit Lionel Newman. Et croyez-moi, ce n'est pas une
mince affaire ! Ils sont aussi capricieux que les stars de
cinéma !
Cassie avait demandé à son beau-père de mener une
discrète enquête sur la réputation du directeur général
dans le monde des affaires. La compétence et le sérieux
de Miles Gilmour étaient unanimement reconnus. Non
content d'avoir réussi à gagner l'estime des auteurs, le
directeur général était très respecté par les maisons
d'édition concurrentes. Selon certaines rumeurs, celles-ci
étaient prêtes à lui offrir un pont d'or pour qu'il se mette à
leur service. Non, les Editions Barlow ne pouvaient se
permettre de perdre un collaborateur aussi précieux.
D'ailleurs, Cassie était prête à lui proposer une
substantielle augmentation pour s'assurer ses services.
La jeune femme regagna le bureau de Miles Gilmour mais,
juste avant de pousser la porte, elle entendit des éclats de
voix venant de l'intérieur :
— Qu'elle aille au diable, cette Catherine Barlow ! Jamais
je ne travaillerai pour elle! Je n'arrive pas à comprendre
pourquoi Henry m'a fait ça... Comment a-t-il pu me placer
dans une situation pareille ?
— Tu sais bien qu'Henry n'a jamais eu l'intention de te
nuire, répliqua Lionel Newman. Il avait prévu de rédiger un
nouveau testament en ta faveur. Et sans cette crise
cardiaque, je suis sûr qu'il t'aurait attribué la moitié de la
compagnie.
— Peut-être... Mais je n'ai pas l'intention de m'éterniser ici
si cette enfant gâtée vient traîner dans mes pattes ! Qu'est-
ce qu'elle connaît au monde de l'édition, tu peux me le
dire? C'est elle ou moi! Trois de nos concurrents m'ont
déjà fait des offres très intéressantes. J'aime autant te
prévenir que, si elle se met en tête de diriger la
compagnie, je claque la porte et je la laisse se débrouiller
toute seule !
— Ne pars pas sur un coup de tête. Miles, tu le
regretterais... Pourquoi ne pas la rencontrer, avant de te
décider? Fais-le, ne serait-ce que par respect pour la
mémoire d'Henry.
— Je ne quitterai pas la compagnie avant d'avoir trouvé un
nouvel emploi. C'est tout ce que je peux te promettre. Bon
sang, Lionel ! Si cette gamine avait un minimum de dignité,
elle respecterait la volonté d'Henry. Pourquoi diable veut-
elle devenir une femme d'affaires? Ce caprice risque de
coûter cher aux Editions Barlow !
Cassie se retira dans les toilettes pour réfléchir à ce qu'elle
venait d'entendre. Il lui était impossible de diriger seule la
compagnie dans l'immédiat, elle le savait, et elle avait
absolument besoin de l'expérience et des conseils de
Miles Gilmour. Certes, elle comprenait qu'il fût en colère,
mais cela ne la dissuadait nullement de prendre la
direction de la maison d'édition.
Grâce à ce père qu'elle n'avait pas connu, elle venait de
trouver un but dans la vie. Et il était hors de question d'y
renoncer maintenant. Donc, elle devait au plus vite
imaginer une ruse quelconque pour pouvoir travailler
auprès de Miles sans lui révéler sa véritable identité...
Soudain, une idée lui traversa l'esprit : pourquoi ne pas
essayer de se faire embaucher comme secrétaire? Oui,
c'était sans aucun doute la meilleure solution.
Cassie retourna aussitôt dans le hall d'entrée. Elle se
rappelait avoir remarqué une cabine téléphonique en
sortant de l'ascenseur.
En la voyant, la réceptionniste lui lança un regard étonné.
— M. Gilmour vient d'arriver, dit-elle. Vous ne l'avez pas
rencontré?
— Si, répondit Cassie sans se démonter. Je l'ai vu, mais il
m'a demandé de patienter cinq minutes. J'aimerais en
profiter pour passer un coup de fil.
Après avoir adressé un bref sourire à l'hôtesse, elle entra
dans la cabine dont elle ferma soigneusement la porte,
puis elle composa le numéro du standard des Editions
Barlow.
— Allô? Les Editions Barlow? Pourrais-je parler à M.
Lionel Newman? Il doit se trouver dans le bureau de M.
Gilmour en ce moment.
Quelques instants plus tard, l'avocat prenait la
communication.
— Oui?
— Monsieur Newman ? Ici Cassie Elliot. Ne dites pas à M.
Gilmour que c'est moi qui appelle. Pouvez-vous éviter de
faire allusion à mon identité ?
— Comptez sur moi. Je vous écoute.
— Agissez comme si j'étais votre secrétaire, et que
j'appelais pour vous prévenir que Mlle Barlow avait annulé
son rendez-vous de ce matin avec M. Gilmour. Inventez un
prétexte... Tenez, dites-lui que Mlle Barlow a dû partir
précipitamment pour les Etats-Unis afin de se rendre au
chevet d'une amie malade.
Visiblement dérouté, l'avocat hésita un instant, puis il
répondit d'une voix ferme :
— Très bien.
— Je passerai vous voir tout à l'heure pour vous expliquer
ce que j'ai en tête. Cela ne vous dérange pas ?
— Pas le moins du monde !
— Autre chose, monsieur Newman. Est-ce que M. Gilmour
sait que je me présente tout le temps sous le nom de mon
beau-père ? Me reconnaîtra-t-il si je lui dis que je suis
Cassie Elliot?
— Non.
— En êtes-vous certain? C'est très important!
— Je vous le confirme. A tout à l'heure, j'espère.
Cassie croisa l'avocat dans le couloir qui menait au bureau
de Miles Gilmour, mais Lionel Newman, avec un flegme
tout britannique, fit semblant de ne pas la reconnaître.
Par prudence, la jeune femme décida de passer une
nouvelle fois aux toilettes. Il ne fallait pas qu'elle ait l'air trop
riche. Aucune secrétaire n'aurait pu se payer un ensemble
de haute couture... Miles Gilmour n'était peut-être pas
capable d'identifier un tailleur Chanel, mais elle ne devait
courir aucun risque.
Cassie enleva donc sa veste et la plia sur son bras en
prenant soin de dissimuler l'étiquette. Puis, elle ôta ses
bracelets en or et les glissa dans son petit sac de cuir noir.
Avant de sortir, elle s'inspecta dans le miroir. « Ça ira
comme ça », se dit-elle. D'une taille moyenne, elle avait
des yeux noisette pétillant de malice. Sa chevelure d'un
brun fauve retombait en vagues sur un visage légèrement
hâlé, aux traits harmonieux.
Depuis la fin de ses études, elle avait souvent participé à
des défilés de mode lors de galas de bienfaisance
organisés par sa mère. Au début, cela l'embarrassait de
se sentir observée par des salles combles. Cependant,
elle s'était progressivement habituée au regard brillant des
hommes et à celui, nettement plus noir, des autres
femmes.
Après un dernier coup d'œil dans le miroir, elle quitta les
toilettes, frappa à la porte du bureau et entra dans la pièce.
Miles Gilmour se leva aussitôt et lui lança un regard
interrogateur. La jeune femme fut très impressionnée par la
présence physique du directeur général. Un élégant
costume de flanelle grise soulignait à merveille son
imposante carrure de rugbyman.
Cassie savait qu'il avait trente-quatre ans, mais les traits
volontaires de son visage lui donnaient l'air d'un homme
dans la force de l'âge. Quelques cheveux blancs
parsemaient son épaisse chevelure noire, dont la frange
irrégulière barrait un front intelligent, et la jeune femme fut
immédiatement frappée par l'éclat de ses yeux gris. Au
point que, désarçonnée, elle fut tentée de lui révéler
sa véritable identité. Mais le souvenir de la conversation
qu'elle avait entendue peu auparavant l'en dissuada.
— Mon nom est Cassie Elliot, déclara t el le. Voilà, je suis
intéressée par le poste de secrétaire que vous proposiez.
La jeune femme s'était efforcée de prononcer ces paroles
avec l'accent britannique qu'elle tenait de sa mère. Et elle
avait déjà préparé une réponse, au cas où Miles Gilmour
décèlerait des traces d'accent américain.
— En fait, il s'agit simplement d'un remplacement, précisa-
t-il. Je ne peux vous proposer qu'un contrat de six mois.
Alors, si vous cherchez un emploi permanent...
— Pas nécessairement. Le poste que j'occupe
actuellement ne m'intéresse pas vraiment. Et de toute
façon, je n'aurai aucun mal à retrouver un emploi par la
suite. On a toujours besoin de bonnes secrétaires, n'est-ce
pas?
Miles Gilmour approuva d'un mouvement de tête et invita la
jeune femme à prendre place sur l'un des profonds
canapés de cuir noir.
— Vous semblez très sûre de vous, mademoiselle Elliot,
commenta-t-il. Quelles sont vos références?
— Je travaille actuellement pour M Newman, répondit-elle
sans hésiter. C'est par lui que j'ai appris que vous
recherchiez une nouvelle secrétaire. J'ai immédiatement
décidé de postuler. M. Newman est au courant, bien
entendu, et il a eu la gentillesse de me donner son accord.
Le directeur général fronça les sourcils.
— Vraiment? C'est curieux... Je l'ai quitté à l'instant, et il ne
m'a pas parlé de vous. En fait, il a reçu un appel de sa
secrétaire dans mon bureau. C'était vous?
— Non... M. Newman a déjà embauché une personne pour
me remplacer. Il m'a chargée de la former avant mon
départ.
— Je vois. Eh bien, je ne sais pas quelles sont les
méthodes de travail de M. Newman, mais sachez que je ne
tolère ni les retards, ni les coups de fil personnels. Et il ne
faudra pas rechigner à faire des heures supplémentaires
de temps à autre.
— Rassurez-vous, monsieur Gilmour. Ce n'est pas mon
genre d'arriver en retard. D'ailleurs, M. Newman pourra
vous le confirmer. Quant aux coups de fil, il m'arrive d'en
donner, mais cela n'empiète jamais sur mon travail.
— Vous n'êtes pas une femme comme les autres, alors !
Parlez-moi un peu de vous.
— Eh bien, j'ai vingt-quatre ans, et cela fait deux ans que je
travaille pour M. Newman.
— Je ne vous ai jamais vue dans son bureau, pourtant!
— Vous n'avez sans doute pas le temps de faire attention
aux secrétaires, lorsque vous venez consulter M. Newman.
Miles Gilmour esquissa un sourire.
— Exact, dit-il. Et avant, où travailliez-vous ?
— A Dublin.
— Ah ! C'est ce qui explique votre accent... Et pourquoi
avez-vous décidé de venir à Londres ?
— Des obligations familiales.
Cassie craignait que Miles Gilmour lui demande des
précisions qu'elle aurait dû improviser. Mais, à son grand
soulagement, il changea de sujet.
— Si je vous embauche, vous serez sans doute amenée à
vous déplacer fréquemment. Est-ce un problème pour
vous?
— Pas du tout. J'adore voyager.
— Il ne s'agit pas de voyages d'agrément, mademoiselle
Elliot. De toute façon, c'est une règle de vie chez moi, je ne
mélange jamais le travail et le plaisir.
— Tant mieux ! répliqua-t-elle aussitôt. Car de mon côté, je
ne tiens pas non plus à m'embarrasser de complications
sentimentales, monsieur Gilmour. De toute manière, vous
n'êtes pas mon genre.
Pendant quelques secondes, Miles Gilmour resta
silencieux, et Cassie se demanda si elle n'avait pas été un
peu loin. Elle s'apprêtait à s'excuser lorsque soudain, il
sourit.
— Eh bien ! Je vois que ma nouvelle collaboratrice n'a pas
sa langue dans sa poche! s'exclama-t-il.
— Cela signifie que vous m'embauchez?
— Oui... Après avoir demandé conseil à Lionel. S'il
me confirme vos qualités, vous pourrez commencer dès
demain matin.
Après lui avoir exposé les conditions de rémunération et
les horaires, il se leva.
— Je compte sur vous demain matin, déclara-t-il.
— C'est que... Je ne serai pas libre avant lundi prochain.
— Il m'est impossible d'attendre une semaine entière.
Disons après-demain?
Cassie fut tentée d'accepter, de peur de perdre le poste.
Mais une semaine ne serait pas de trop pour apprendre
les rudiments du métier de secrétaire !
— Désolée, mais j'ai promis à M. Newman de former sa
nouvelle employée... Il compte vraiment sur moi.
— Soit... Ça ne fait rien, je me débrouillerai. Je
téléphonerai à Lionel cet après-midi. Laissez-moi votre
numéro, je vous rappellerai tout à l'heure.
— Ne vous dérangez pas, monsieur Gilmour. Je vous
rappellerai moi-même.
Et sans lui laisser le temps de répondre, Cassie sortit du
bureau. 11 lui fallait absolument voir l'avocat avant que
Miles Gilmour puisse le contacter.
Le bureau de Lionel Newman se trouvait à Bedford
Square, l'un des quartiers les plus chic de Londres. Le
nombre impressionnant de ses associés, dont on pouvait
lire le nom à l'entrée du bâtiment, prouvait l'importance de
son cabinet.
L'avocat accueillit la jeune femme avec empressement.
— Vous avez éveillé ma curiosité ! s'exclama-t-il. Alors,
qu'avez-vous en tête?
Cassie lui exposa brièvement son stratagème.
— J'ai surpris votre conversation par hasard tout à l'heure.
J'allais entrer dans le bureau de M. Gilmour quand je l'ai
entendu vous dire qu'il comptait quitter les Editions Barlow.
Or, il me sera impossible de prendre la direction de la
société s'il s'en va.
— Vous savez, si Miles vous avait rencontrée sous votre
vrai nom, il aurait sûrement changé d'avis. Croyez-vous
préférable de vous faire passer pour une secrétaire ?
— Oui. Je comprends qu'il soit en colère. C'est grâce à lui
que les Editions Barlow sont aujourd'hui numéro un en
Angleterre... Et de toute façon, il n'aurait jamais accepté de
m'apprendre à gérer l'entreprise.
— Et vous croyez qu'il se donnera la peine de former sa
secrétaire aux subtilités de la gestion ?
— Pas directement, c'est vrai. Mais n'oubliez pas que je
travaillerai tout le temps avec lui! J'aurai ainsi l'occasion de
le voir à l'œuvre et d'en tirer un enseignement.
— Vous me placez dans une situation fort embarrassante,
mademoiselle Elliot.
— Appelez-moi Cassie, je vous en prie. Je suis désolée
de vous causer tant d'ennuis, mais c'est la seule solution
que j'aie pu trouver. S'il vous plaît, monsieur Newman... Il
faut que vous m'aidiez, en souvenir de mon père.
L'avocat hésita un instant puis, cédant à la bonne humeur
de la jeune femme, il sourit et lui tendit la main.
— O.K. Je suis avec vous. Mais promettez-moi une chose :
si jamais vous décidez de prendre la direction des Editions
Barlow, il faudra proposer à Miles de devenir votre
associé. Il le mérite vraiment, vous savez. L'entreprise lui
doit tout.
— Promis ! Et s'il préfère nous quitter, je suis prête à lui
verser une très forte indemnité.
— Alors, c'est entendu comme ça. Mais... vous n'avez
jamais connu la vie active. Est-ce que ce poste de
secrétaire vous conviendra? Vous aurez peut-être du mal à
accepter la discipline...
— Ne vous faites pas de souci pour moi. J'admets que ce
n'est pas gagné! Mais M. Gilmour est la seule personne
capable de m'apprendre les ficelles du métier. Alors, il
faudra bien que je me montre conciliante...
— Si vous le dites... Et vous avez trouvé un logement?
— Bonne question ! Je ne peux pas rester à
l'Intercontinental, ça me reviendrait un peu cher! Je
vais consulter les petites annonces pour dénicher un
studio.
— Vous avez de la famille à Londres ?
— Quelques cousins éloignés et pas mal d'amis Mais je ne
tiens pas à les contacter maintenant. On ne sait jamais, la
vie est faite de coïncidences... M. Gilmour pourrait les
connaître. Il vaut mieux que je ne voie per sonne. Mmm... Je
commence à me rendre compte que mon petit stratagème
ne sera pas facile à mettre en place !
— Dans ce cas, n'y pensez plus.
— Abandonner ? Jamais !
L'avocat lui lança un regard moqueur.
— Bien sûr, vous pourriez tomber amoureuse de Miles...
Votre mère était la secrétaire d'Henry Barlow, avant de
l'épouser. Après tout, ne dit-on pas que l'histoire se répète
?
— Pas cette fois, je le crains !
Cette simple éventualité la faisait sourire. Son futur
employeur était certes très attirant, mais elle avait tout de
suite compris que Miles Gilmour n'était pas son genre.
— D'ailleurs, il m'a déjà prévenue que toute complication
sentimentale était exclue, ajouta-t-elle.
— Vraiment? C'est une bien sage précaution... Il est très
vulnérable, vous savez...
— Vous plaisantez? Il n'est pas plus vulnérable qu'un ours !
— Miles est un homme très convoité... Toutes les femmes
de Londres rêvent de l'épouser.
— Eh bien, qu'il se rassure, ce n'est pas mon cas!
Monsieur Newman, puis-je vous demander un petit
service? J'ai besoin d'une formation accélérée au
secrétariat. Serait-il possible de passer la semaine qui
vient dans votre bureau ?
— Bien entendu. Je vais demander à ma secrétaire de
vous aider. Avez-vous besoin d'autre chose?
— Oui... Il faudrait que vous transmettiez à Miles un
message de la part de Catherine Barlow. Dites-lui que
Mlle Barlow a changé d'avis... Qu'elle se donne six mois
pour prendre une décision en ce qui concerne les Editions
Barlow, et qu'elle le confirme à son poste de directeur
général pour l'instant.
— Vous avez décidément pensé à tout !
— Je l'espère... Et je sens que je vais vivre sur le fil du
rasoir pendant quelques mois.
— Si l'expérience se révèle trop pénible, vous pouvez
toujours redevenir Catherine Barlow. Je vous avoue que je
trouve votre projet un peu extravagant. Miles ne sera pas
content quand il apprendra la vérité à votre sujet.
— Pourquoi ? Soit il accepte de devenir mon associé, soit
il choisit de partir avec une forte indemnité. Les deux
solutions me paraissent avantageuses pour lui.
— L'argent n'est pas tout.
— J'en ai bien conscience, monsieur Newman. S'il
s'agissait seulement de gagner de l'argent, je vendrais
immédiatement la maison d'édition ! Cela me permettrait
de prendre dix ans de vacances! Mais l'argent ne
m'intéresse pas. Non, j'ai envie de faire mes preuves.
Cassie passa le reste de l'après-midi avec la secrétaire de
M. Newman, puis retourna à l'Intercontinental. Tout en
conduisant, elle songeait à ce père qu'elle n'avait pas
connu. Pourquoi l'avait-il rejetée dès sa naissance?
Désirait-il à ce point avoir un garçon? Ces questions
resteraient sans doute sans réponse. Sa mère avait
toujours refusé de lui parler d'Henry Barlow.
Lionel Newman lui-même évitait d'aborder le sujet. Peut-
être pourrait-elle en apprendre plus de la bouche de
Miles Gilmour? Elle l'avait entendu parler de son père avec
respect et affection, malgré cette histoire de testament...
Pourquoi Henry Barlow n'avait-il pas modifié son testament
avant de mourir? S'agissait-il vraiment d'un oubli? La
promesse faite à Miles Gilmour n'était-elle qu'un moyen de
s'assurer son dévouement? Elle n'avait aucun moyen de le
savoir.
En tout cas, Cassie était certaine d'une chose : dans six
mois, elle prendrait la direction de la compagnie. Cette
perspective l'enthousiasmait, mais la remplissait
également d'appréhension. Aurait-elle le temps d'acquérir
l'expérience nécessaire pour diriger une entreprise de
cette taille? Serait-elle à la hauteur d'une tâche aussi
difficile ?

Trouver un appartement bon marché ne fut pas chose


facile. Cassie en visita une douzaine, avant de tomber par
hasard sur une excellente affaire. Il s'agissait d'un adorable
petit pavillon, dans le quartier résidentiel de Cam-
den House. Elle emménagea dès le lendemain matin, puis
consacra la journée à courir les grands magasins. Les
vêtements de luxe qu'elle portait d'habitude auraient fini par
attirer l'attention. Elle devait adopter un style de vie
différent, se fondre dans son personnage de secrétaire
dynamique. La jeune femme se constitua donc une garde-
robe élégante mais sans prétention.
Cassie ne rentra que vers 8 heures du soir, les bras
chargés de sacs et de paquets. Trop fatiguée pour faire la
cuisine, elle enfila une veste et se dirigea vers un petit
restaurant grec qu'elle avait repéré à l'angle de la rue. Les
prix raisonnables attiraient une clientèle jeune et
sympathique. Cassie engagea presque tout de suite la
conversation avec un couple installé à la table voisine.
Us s'appelaient Pete et Julie Goodwin et habitaient dans le
quartier.
Les présentations furent rapides. Pete était expert-
comptable, et sa femme, pédiatre dans un dispensaire.
— Nous organisons une soirée dimanche, dit Julie. Vous
êtes la bienvenue. Et n'hésitez pas à inviter votre petit
ami...
— Je n'ai personne en vue pour l'instant, mais je me ferai
un plaisir de vous rendre visite. A quelle heure
commencent les festivités?
— Vous pouvez venir vers 7 heures. Et oubliez la tenue de
soirée : ce sera à la bonne franquette !
Ravie de cette rencontre, Cassie salua ses nouveaux amis,
régla l'addition et se dirigea vers son pavillon. De retour
chez elle, elle éprouva le besoin de parler à ses parents.
— Allô? Maman ? C'est Cassie ! Je vous appelais pour
vous donner ma nouvelle adresse à Londres.
Elle expliqua brièvement à sa mère ce qui s'était passé
depuis son arrivée en Angleterre.
— Tu as loué un pavillon, ma chérie ? Ça ne te fait pas
peur de vivre toute seule?
— Ne t'inquiète pas, il y a un système d'alarme très
perfectionné. Et puis, les voisins sont charmants ! En fait, je
me sens bien plus en sécurité ici qu'à New York !
— Puisque tu le dis...
— Et ce rendez-vous avec Miles Gilmour? Ça s'est bien
passé?
Cassie reconnut la voix de son beau-père, qui venait de
prendre le combiné. Après un instant d'hésitation, elle lui
raconta le stratagème qu'elle avait inventé. Au grand
soulagement de la jeune femme, Luther Elliot éclata de rire.
— Il n'y a que toi pour inventer des histoires pareilles !
s'exclama-t-il. Enfin, au moins, tu seras aux premières
loges pour voir comment l'entreprise fonctionne.
Retiens bien tout ce que te dira Miles Gilmour... Et un bon
conseil : plonge-toi au plus vite dans un manuel de
comptabilité ! Tu ne pourras jamais être chef d'entreprise
si tu ne sais pas lire un bilan !

Le lendemain matin, Cassie se rendit au bureau de Lionel


Newman pour rencontrer Mlle Pike, la secrétaire de
l'avocat. Elle passa la matinée à apprendre les subtilités du
traitement de texte et de la dactylographie. Le maniement
de l'ordinateur ne lui parut pas trop compliqué, mais elle
tapait très lentement, avec deux doigts. Il y avait cependant
plus grave : elle se rendit vite compte qu'une semaine de
formation ne suffirait jamais pour assimiler la sténographie.
Elle trouva toutefois le moyen de remédier à ces deux
difficultés. Profitant de la pause de midi, elle sortit acheter
un petit magnétophone portatif, qui lui éviterait de devoir
tout prendre en notes immédiatement. Ensuite, elle appela
l'agence Tapexpress, qui garantissait un délai de quarante-
huit heures maximum pour la frappe d'un manuscrit. De
cette façon, songeait-elle, elle pourrait, malgré son
incompétence, passer pour une secrétaire modèle aux
yeux de Miles.

Après une semaine studieuse sous la direction de Mlle


Pike, Cassie se rendit à la soirée donnée par Pete et Julie
Goodwin. Elle donna son numéro de téléphone à plusieurs
jeunes femmes de son âge, mais se montra plus réservée
envers les hommes, jusqu'au moment où un nouveau venu
attira son attention. Il y eut comme un courant de sympathie
entre eux. A peine entré dans le salon, le jeune homme se
dirigea vers Cassie, deux coupes
de Champagne à la main.
— Puis-je vous offrir un verre? demanda-t-il. C'est la
première fois que je vous vois ici... Vous connaissez Pete
et Julie depuis longtemps?
Cassie sourit.
— Pas exactement..., répondit-elle. En fait, nous nous
sommes rencontrés cette semaine, à la taverne grecque.
— Je m'appelle Justin Tyler. Je travaille avec Julie au
dispensaire.
— Cassie Elliot, déclara-t-elle en lui serrant la main. Vous
êtes nombreux à travailler dans ce dispensaire?
— Eh bien, nous sommes cinq médecins. Chacun a sa
spécialité. Moi, je suis pédiatre.
La jeune femme le regarda d'un air étonné. Elle ne l'aurait
pas pris pour un médecin de prime abord. Grand, mince,
les cheveux bruns, les yeux bleus, Justin Tyler avait plutôt
l'air d'un publicitaire ou d'un financier. En tout cas, son sens
de l'humour en faisait un interlocuteur agréable et enjoué.
Cassie lui expliqua qu'elle venait de trouver un poste de
secrétaire aux Editions Barlow.
— Les Éditions Barlow ? répéta-t-il. Mais alors vous avez
dû rencontrer Miles Gilmour! C'est une vieille
connaissance. Nous avons étudié ensemble à Oxford... Il a
été major de ma promotion. Sacré Miles ! Toujours le
même !
— Que voulez-vous dire?
— Oh... Il a toujours eu la grosse tête. Oh, il est intelligent,
sans conteste ! Mais je l'ai toujours trouvé très imbu de lui-
même.
Pour une raison qu'elle n'aurait su s'expliquer, la jeune
femme éprouva le besoin de prendre la défense de Miles.
— Ce n'est pas l'impression que j'ai eue en le rencontrant,
déclara-t-elle. Bien sûr, la diplomatie n'est pas son fort. 11
faut tout de même le comprendre... Il est chef d'entreprise!
C'est normal qu'il soit direct.
— J'avoue que je suis un peu partial. Je n'ai jamais
sympathisé avec Miles. En fait, si je continue de le voir,
c'est uniquement par obligation envers ma sœur et son
mari.
Malgré son désir d'en savoir plus sur son nouveau patron,
Cassie changea de sujet. Elle sentait que Justin ne portait
pas Miles Gilmour dans son cœur, et cela l'embarrassait.
— Accepteriez-vous de dîner avec moi cette semaine ?
proposa soudain Justin.
— Avec plaisir! Je suis libre tous les soirs.
A ces mots, Justin ouvrit de grands yeux.
— Vous plaisantez? lança-t-il. Une fille aussi jolie que vous
doit crouler sous les rendez-vous galants !
— C'est que... Je ne connais pas beaucoup de monde à
Londres pour le moment. Je viens d'arriver.
— Vraiment? Et d'où venez-vous?
Contrainte de cacher la vérité, Cassie prétendit qu'elle
venait de Cheltenham, la ville où habitaient les cousins de
sa mère. Un couple d'invités interrompit soudain leur
conversation.
— Alors, c'est d'accord? lui glissa Justin à l'oreille. Nous
dînons ensemble mercredi ? Je vous appellerai d'ici
là.
— Entendu!
Le lendemain matin, Cassie revêtit l'un des tailleurs bon
marché qu'elle avait achetés la semaine précédente et prit
le chemin des Editions Barlow.
Le cœur battant, la jeune femme se présenta au bureau de
Miles Gilmour. Elle le trouva en train de ranger des
dossiers dans son attaché-case.
— Désolé, mademoiselle, mais je m'envole pour l' Irlande
dans une heure et demie. Je dois rendre visite à Seamus
O'Hara. II a presque terminé son nouveau roman, mais il a
du mal à trouver une fin satisfaisante. Je vais relire les
derniers chapitres avec lui.
— Etes-vous obligé de vous déplacer? Pourquoi ne vous
envoie-t-il pas le manuscrit par la poste ?
— Il ne fait confiance à personne. Et il ne veut surtout pas
que je soumette le manuscrit à notre comité de lecture. Je
ne pense pas être de retour demain. Nous nous verrons
mercredi matin, disons vers 9 h 30. Des questions?
— Non, rien de particulier. Ça me laissera le temps de
prendre mes repères...
— Vous n'en aurez pas le loisir, je le crains. J'ai ici deux
bandes magnétiques. J'aimerais que vous m'en tapiez le
contenu pour mercredi matin.
Nullement décontenancée, Cassie prit les bandes
magnétiques et, immédiatement après le départ de Miles
Gilmour, elle téléphona à Tapexpress.

Le lendemain, Cassie reçut une centaine de pages


impeccablement tapées, qu'elle déposa bien en évidence
sur le bureau de Miles Gilmour. Il les trouverait ainsi dès
son arrivée au bureau. Puis, la jeune femme regarda sa
montre. Il était 4 heures de l'après-midi. Cette
longue journée passée devant l'ordinateur, à s'initier au
traitement de texte, l'avait épuisée. L'idée de rentrer à la
maison lui traversa l'esprit, mais elle se dit qu'il valait mieux
rester à son poste jusqu'à 5 h 30. Après tout, Miles était
tout à fait capable de l'appeler à l'improviste pour voir si
elle respectait les horaires. Poussant un soupir de
découragement, elle se replongea dans le manuel de
traitement de texte.
— Puis-je savoir ce que vous lisez, mademoiselle Elliot?
Ça a l'air de vous passionner, en tout cas !
Cassie sursauta et leva les yeux pour affronter le regard
accusateur de Miles Gilmour.
— Je pensais vous trouver en train de taper les
enregistrements que je vous avais confiés ! dit-il d'un ton
sec. Mais je vois que vous avez mieux à faire...
— Pas du tout, monsieur Gilmour. J'ai terminé. Le dossier
se trouve sur votre bureau.
Il parut décontenancé, mais ne prit même pas la peine de
s'excuser.
— J'espère au moins que vous lisez un ouvrage édité par
nos soins...
Prise de panique, Cassie se souvint soudain d'un livre
qu'elle avait vu sur une table, dans le hall d'entrée.
— Bien sûr, monsieur Gilmour, il s'agit de... Tabatières
chinoises du xvme siècle.
— Vraiment? Je ne savais pas que vous vous intéressiez
aux tabatières !
— Mais si, je trouve ces objets merveilleux. J'en ferais
collection, si j'étais un peu plus fortunée.
Il haussa les épaules et poussa la porte de son bureau.
— Je dois vous dicter une lettre. Laissez-moi dix minutes,
le temps de regarder mon courrier, puis venez me
rejoindre. N'oubliez pas votre bloc-notes !
Cassie tressaillit, Miles Gilmour lui avait précisé, lors de
l'entretien d'embauche, que la connaissance de la sténo
était nécessaire mais pas indispensable, puisqu'il préférait
utiliser le dictaphone. Bien entendu, elle ne connaissait rien
à la sténographie ! Il lui fallait à tout prix dissimuler cette
lacune. Sinon, Miles Gilmour n'hésiterait certainement pas
à utiliser ce prétexte pour la licencier...
Son sac à la main, elle gagna les toilettes. C'était le
moment d'essayer le subterfuge qu'elle avait mis au point
pour parer à une siiuation de ce genre.
La jeune femme sortit le minuscule magnétophone qu'elle
avait acheté la semaine précédente et le fixa à une bretelle
de son soutien-gorge. Puis elle reboutonna son chemisier,
prit son bloc-notes et entra dans le bureau de Miles
Gilmour, qui examinait la transcription des deux bandes
magnétiques.
— Je vous tire mon chapeau, mademoiselle Elliot. Ce
dossier est vraiment impeccable. Pas une seule faute de
frappe...
— Merci, monsieur Gilmour.
— Je crois me souvenir que la sténo n'est pas votre fort.
C'est ce que vous m'avez dit l'autre jour, n'est-ce pas?
N'hésitez pas à m'interrompre si je vais trop vite.
— Certainement.
De nouveau, il se plongea dans la lecture d'un document. Il
fallait profiter de ce court moment d'inattention pour
déclencher le petit magnétophone...
Cassie glissa la main entre les boutons de son chemisier
et chercha le bouton de mise en marche. Mais elle sentit
trois boutons sous ses doigts. Sur lequel fallait-il appuyer?
Elle ne parvenait pas à se souvenir des instructions du
vendeur.
— Vous vous sentez bien, Cassie?
Elle sursauta et retira brutalement la main de son
chemisier.
— Euh... Oui, pourquoi ?
— Je vois que vous vous massez la poitrine. Etes-
vous malade ?
— Non, pas du tout ! s'exclama-t-elle en rougissant. Je
cherchais un mouchoir. Comme je n'ai pas de poche à ma
robe, j'en garde toujours un ici...
— Eh bien, si vous l'avez perdu, allez en chercher un autre.
La jeune femme sortit précipitamment et, profitant de ce
répit inespéré, elle déclencha le magnétophone avant de
retourner dans le bureau. Miles Gilmour se mit
immédiatement à dicter à une vitesse hallucinante. Le
ronronnement du petit magnétophone était pratiquement
inaudible, mais résonnait aux oreilles de Cassie comme le
bruit d'un avion à réaction.
Miles dicta quatre lettres en moins de dix minutes. Cassie
faisait semblant de retranscrire ces lettres en sténo,
essayant pourtant, par prudence de noter le maximum de
choses.
— Vous ne semblez pas avoir de mal à me suivre, dit-il
enfin. Bravo! Même Mlle Darcy s'embrouille, et Dieu sait
pourtant que c'est une bonne secrétaire!
II se leva brusquement et s'approcha de la jeune femme. «
Pourvu qu'il n'entende pas le bruit du magnétophone ! »
songea-t-elle, soudain angoissée.
— Relisez-moi la dernière phrase, voulez-vous ?
Heureusement qu'il ne lui avait pas demandé de relire tout
le paragraphe ! songea-t-elle aussitôt. Elle en aurait été
bien incapable... Tandis qu'elle lisait sans peine cependant
les deux dernières lignes du texte, Miles Gilmour se
pencha soudain vers le bloc-notes.
— Tiens, c'est curieux..., murmura-t-il. Je n'arrive pas à lire
votre sténo. Vous avez inventé vos propres signes ? Ou
bien s'agit-il d'un nouveau système de notation?
— Je ne sais pas s'il est vraiment nouveau... Mais c'est
celui qu'on m'a appris.
— Eh bien, ça a l'air efficace, en tout cas.
Il recommença à dicter, sans s'éloigner de la jeune femme.
Cassie se rappela soudain que le petit magnétophone
n'enregistrait que vingt minutes au maximum. Elle regarda
sa montre et poussa involontairement un cri étouffé : plus
que deux minutes d'enregistrement !
— Cassie ? Vous êtes sûre que tout va bien ?
— Oui... Pouvez-vous m'excuser un instant?
Sans attendre la réponse, elle se précipita dans les
toilettes, où elle plaça une nouvelle bande dans le
magnétophone avant de retourner dans le bureau.
Pendant un bon quart d'heure, Cassie continua de tracer
des signes imaginaires sur son bloc-notes. Puis elle
entendit le bruit sec du magnétophone qui s'arrêtait.
— Oh! s'écria-t-elle. Désolée de vous interrompre encore
une fois, mais... Excusez-moi !
Elle se précipita une nouvelle fois dans les toilettes. Quand
elle revint dans le bureau, Miles Gilmour la dévisagea d'un
air sévère.
— Vous avez des problèmes de santé, Cassie? Ou bien
avez-vous trop bu pendant le déjeuner?
Rouge de honte, Cassie s'assit sans mot dire. A son grand
soulagement, Miles haussa les épaules et recommença à
dicter. L'appréhension de la jeune femme grandissait à
mesure que les minutes s'écoulaient. Quinze minutes plus
tard, cependant, il s'interrompit enfin.
— Ce sera tout pour aujourd'hui, dit-il. J'aimerais que vous
me tapiez ces lettres pour demain matin.
Sans tarder, Cassie se rendit chez Tapexpress. Il fallait
trouver un moyen d'appeler l'agence de traitement de texte
du bureau, sans attirer l'attention de Miles Gilmour. Le
directeur de Tapexpress, à qui elle expliqua la situation, se
montra très compréhensif. Grâce à un code convenu à
l'avance, elle pourrait dorénavant appeler Tapexpress sans
se faire remarquer.
Puis la jeune femme retourna au magasin dans lequel elle
avait acheté le petit magnétophone. Moyennant une
somme exorbitante, elle échangea son dictaphone contre
un modèle capable d'enregistrer plus de deux heures.
Ces deux précautions lui permirent d'éviter de nouvelles
mésaventures.

Le lendemain, elle rendit à Miles Gilmour des lettres


impeccablement tapées, et elle passa l'après-midi à
prendre des notes sous sa dictée.
— Je ne comprends pas pourquoi Lionel vous a laissée
partir, lui dit-il pendant la pause café. Vous avez l'air très
compétente...
— Seulement l'air?
— Je ne sais pas encore si vous savez répondre aux
coups de téléphone importants.
— Je ne pense pas que vous aurez à vous plaindre de moi,
monsieur Gilmour.
La sonnerie du téléphone retentit soudain dans la pièce.
Miles fit signe à Cassie de prendre la communication, tout
en actionnant le haut-parleur du combiné. Elle reconnut
immédiatement la femme à la voix suave qui avait déjà
appelé à plusieurs reprises durant la matinée. Miles
Gilmour avait toujours refusé de lui parler.
— Désolé, mais M. Gilmour n'est pas encore là, déclara
Cassie.
— Vraiment? Pourtant, je viens d'avoir la standardiste, qui
m'a dit que M. Gilmour était dans son bureau.
— Je crois qu'il est toujours en réunion. Voulez-vous
rappeler un peu plus tard?
Miles Gilmour se mit à lui faire de grands signes. Sans trop
savoir comment interpréter ces gestes, Cassie reprit :
— Vous avez de la chance, M. Gilmour vient d'arriver. Je
vous le passe.
Ignorant la grimace de Miles, la jeune femme lui tendit le
combiné et sortit de la pièce. Elle eut juste le temps
d'entendre le début de la conversation.
— Bonjour, mon ange! s'exclama Miles d'un ton enjoué. On
m'a dit que tu avais déjà appelé ce matin... J'espère que tu
es toujours libre, ce soir. Nous dînons ensemble, comme
prévu?
Cassie mit à profit cette interruption pour grignoter un
sandwich et avaler un café. Cinq minutes plus tard, Miles
Gilmour l'invitait à reprendre le travail.
— Vous avez une miette de pain au coin des lèvres! dit-il
d'un ton sec.
— Oh! Excusez-moi, mais j'avais faim. Vous ne m'avez pas
laissé beaucoup de temps pour déjeuner.
— C'est un reproche?
— Non. Une simple constatation.
— Dans ce cas, reprenons. A moins que cela ne vous
dérange ?
Sans attendre la réponse de la jeune femme, il commença
à dicter une longue lettre. Cassie poussa un profond
soupir. Elle mesurait à présent les sacrifices qu'il lui
faudrait consentir pour se former à la gestion d'une grande
entreprise. Malgré les remarques désagréables de Miles,
Cassie ne pouvait s'empêcher de se sentir coupable
envers lui. Etait-ce vraiment honnête de lui cacher la vérité,
de profiter de son expérience sans lui révéler qu'elle voulait
prendre la direction de la compagnie ? Partagée entre sa
mauvaise conscience et son désir de réussir, elle ne
pouvait pourtant se résoudre à lui avouer sa véritable
identité.
Vers 5 heures, Miles Gilmour regarda sa montre et
annonça :
— Bon. Ça ira pour aujourd'hui. On s'arrête un peu
avant l'heure, mais ce ne sera pas tous les jours comme
ça. Je ne vais tout de même pas vous laisser mourir de
faim !
— C'est très gentil à vous...
Miles lui lança un regard ironique.
— Ne faites pas semblant de me remercier. Vous êtes en
colère contre moi, je le sais. Et je dois dire que je vous
comprends. Je travaille très dur pour que la maison marche
bien, ce qui m'amène parfois à me montrer trop exigeant
envers mes collaborateurs. Veuillez m'en excuser.
Prise de court. Cassie sourit.
— Aucune importance, monsieur Gilmour. Je sais que
cette entreprise vous tient à cœur, et...
— Je me demande quelquefois si j'ai raison de travailler
autant. Après tout, je ne suis pas propriétaire des Editions
Barlow Et Dieu sait ce que cette Catherine Barlow a en
tête ! Aux dernières nouvelles, elle avait l'intention de
prendre les commandes.
— Vraiment? Et dans ce cas, vous resteriez directeur
général ?
— Certainement pas ! C'est elle ou moi !
— Même si elle vous proposait de s'associer avec vous ?
Miles Gilmour se leva et commença à rassembler ses
dossiers. A la grande déception de la jeune femme, il
changea de sujet.
— A propos... ce livre sur les tabatières chinoises que vous
lisiez hier... Donnez-moi votre opinion quand vous l'aurez
terminé. Nous éditons très peu de livres d'art. Ce n'est pas
très rentable, et certains de mes adjoints voudraient que
nous nous retirions de ce secteur.
— C'est également votre avis?
— Pas du tout ! Voilà pourquoi je souhaiterais savoir ce
que vous en pensez.
— Eh bien, dans la mesure où les Editions Barlow sont
déjà très rentables, il me semble qu'elles peuvent se
permettre d'éditer certains livres à perte. D'ailleurs, je suis
sûre que Mlle Barlow serait de votre avis !
— Qu'en savez-vous?
Cassie se mordit la lèvre, maudissant son inattention.
— Euh... Rien, mais... Vous savez que les journaux parlent
beaucoup de Mlle Barlow. J'ai dû lire un article sur elle
récemment. On dit qu'elle s'intéresse beaucoup à la
culture, et...
— Je m'en moque ! Ne me parlez plus de Catherine
Barlow, ça m'énerve.
— Bien, monsieur Gilmour.
Il lui lança un regard sévère, puis sortit du bureau en
claquant la porte.
Aussitôt, Cassie détacha le magnétophone suspendu à la
bretelle de son soutien-gorge, et appela Tapexpress.
C'était l'occasion d'essayer le code convenu à l'avance.
— Allô? Ici, Cassie Elliot. J'ai terminé le travail que vous
m'avez demandé. Inutile d'envoyer un coursier, je le
déposerai chez vous tout à l'heure.
Cassie avait à peine raccroché que la silhouette de Miles
Gilmour s'encadrait dans l'embrasure de la porte.
— De quel travail s'agit-il ?
— Eh bien...
Ne sachant que répondre, la jeune femme baissa les yeux.
— Ne me dites pas que vous faites des extras avec le
matériel de l'entreprise ! s'exclama-t-il, les sourcils froncés.
— C'est que... Je suis un peu juste financièrement en ce
moment, alors je tape quelques manuscrits pour une
agence...
— Ah, c'est un peu fort! Et dire que vous m'accusiez de
trop travailler!
— Je n'ai pas le choix. Mon loyer est très élevé, et...
— Et vous pensez que je vais tolérer ça ? Qui me dit que
vous continuerez d'assurer sérieusement le secrétariat des
Editions Barlow?
— Vous n'avez pas eu à vous plaindre jusqu'à maintenant,
il me semble !
— Exact. Mais si votre second job perturbe votre
rendement, je n'hésiterai pas à vous licencier.
Enervée par ces reproches, Cassie décida de rentrer à la
maison à pied pour se détendre. Elle se rendait compte de
la difficulté de la tâche qui l'attendait. Les prochains mois
promettaient d'être pénibles... Car ce n'était pas simple de
jouer un rôle à longueur de journée.
De nouveau, elle fut assaillie par le doute : fallait-il vraiment
poursuivre cette comédie? Miles s'emportait quelquefois,
mais il se montrait la plupart du temps charmant et
attentionné. Etait-ce honnête de lui dissimuler sa véritable
identité?
Un délicieux repas à la taverne grecque lui permit
cependant de recouvrer sa bonne humeur. Elle comprenait
mieux à présent la colère de Miles Gilmour. Le directeur
général lui avait accordé un salaire élevé, et il avait bien le
droit d'attendre de sa secrétaire qu'elle se consacre à plein
temps à son travail... Cependant, il n'était pas au bout de
ses surprises. La jeune femme imagina la tête qu'il ferait
quand elle lui dirait son vrai nom, et cette idée la fit sourire.
Elle souriait encore quand elle s'endormit, ce soir-là.

Cassie vit très peu Miles dans les semaines qui suivirent. Il
ne cessait de voyager pour rencontrer des auteurs, et
passait parfois au bureau, en coup de vent, pour confier à
la jeune femme des lettres à taper.
Elle mit à profit cette période plus calme pour s'exercer au
traitement de texte. Mieux valait en effet être parée à toute
éventualité. Ainsi, si Miles lui confiait une lettre urgente à
taper, elle ne serait pas prise au dépourvu. Ses progrès lui
permirent également d'économiser sur les factures
exorbitantes de Tapexpress.
Quand Miles eut terminé ses voyages d'affaires, l'activité
reprit de plus belle. Cassie devait travailler d'arrache-pied
pour s'adapter au rythme infernal imposé par le directeur
général. Ses journées de travail se prolongeaient
fréquemment jusqu'à 8 h 30 du soir. Cependant, la jeune
femme acceptait ces contraintes avec plaisir, découvrant
petit à petit les rouages complexes de la société.
Elle aborda cette question un jour, au détour de la
conversation.
— C'est une chance de travailler avec vous, monsieur
Gilmour. J'ai l'impression de m'initier petit à petit aux
mystères de l'édition.
Il éclata de rire.
— Les mystères? Comme vous y allez! En fait, il n'y a pas
de secrets dans ce métier. Soit on comprend, soit on ne
comprend pas. C'est une affaire d'instinct. Quand vous
recevez un manuscrit mal tapé, mal présenté, comment
pouvez-vous deviner qu'il s'agit d'un futur best-seller?
Grâce au flair! Il faut aussi avoir du goût... Et surtout savoir
prendre des décisions et s'y tenir ! Ce n'est pas toujours
facile de dire à un auteur reconnu que son manuscrit ne
vaut rien, et qu'on refuse de l'éditer. Parfois contre l'avis du
comité de lecture!
— Et comment faites-vous, dans ce cas?
— Eh bien, il faut se montrer diplomate. On ne peut se
permettre de perdre un auteur connu, même s'il écrit un
mauvais livre. Je suggère à l'auteur en question d'apporter
des modifications à son texte... Puis je publie son ouvrage
en faisant le minimum de publicité. De cette façon, tout le
monde est content.
— Mais si le livre est mauvais, il ne se vendra pas...
— Détrompez-vous ! Quand un auteur connu publie un
nouveau livre, il est assuré du succès.
— Et si son livre ne marche pas malgré tout? Vous cessez
de l'éditer?
— Pas forcément. Là encore, c'est une question de flair. Si
on sent que l'auteur est au bout du rouleau, qu'il ne fera plus
rien de bon, alors pas d'hésitation, il faut arrêter les frais.
Mais s'il est capable de faire mieux, il faut
l'encourager, l'aider à recouvrer son inspiration.
A ce stade de la conversation, Cassie commença à se
demander si elle était faite pour travailler dans l'édition.
Miles Gilmour exagérait-il les difficultés du métier pour
se mettre en valeur? Ou bien fallait-il vraiment autant de
flair qu'il le prétendait ? Elle ne parvenait pas à cerner la
complexe personnalité du directeur général. Il se montrait
tantôt aimable, tantôt autoritaire et maniaque. Malgré ces
sautes d'humeur, tous ses collaborateurs lui vouaient une
admiration sans bornes. Il semblait avoir un sens inné du
contact, un charme qui lui permettait de motiver le
personnel de l'entreprise. Et pas seulement le personnel,
d'ailleurs...
Miles recevait sans cesse des coups de fil de ses
nombreuses amies. Cassie surprenait parfois des bribes
de conversation. 11 ne restait jamais longtemps au
téléphone, mais son ton enjoué montrait qu'il prenait plaisir
à entretenir une petite cour d'admiratrices.
Un jour, alors qu'il avait refusé de parler à l'une d'elles, il
ordonna à Cassie :
— Si Mlle Edmonds me demande encore... Dites-lui que
j'ai dû partir pour Rome toutes affaires cessantes.
Cassie lui lança un regard désapprobateur.
— Et si elle vous rencontre par hasard, dans un restaurant,
par exemple ?
— Eh bien, elle saura que je lui ai menti, voilà tout. Et je
vous dispense de tout commentaire, Cassie. Vous êtes ma
secrétaire, pas ma directrice de conscience.
— Comment osez-vous parler de conscience? Qu'est-ce
qui vous intéresse dans la vie, monsieur Gilmour ? Trouver
une épouse ? Ou bien plutôt collectionner les conquêtes?
Cassie avait lancé ces mots sans réfléchir. Horrifiée par sa
propre audace, elle baissa les yeux. Mais à sa grande
surprise, Miles Gilmour sourit.
— Je mentirais en disant que je n'aime pas les femmes.
Mais je ne suis pas le don Juan que vous croyez !
— Vous n'avez jamais pensé à vous établir... à vous
marier, je veux dire ?
— Je crois que je ne le supporterais pas. Je n'aime pas
voir tout le temps les mêmes têtes. Et puis, les femmes
que je fréquente sont très superficielles, vous savez.
— Vraiment? En tout cas, ça n'a pas l'air de vous gêner
outre mesure ! Bon, que dois-je faire au sujet de Mlle
Edmonds? Faut-il vraiment lui dire que vous êtes parti pour
Rome ?
— Oui, pourquoi ? Sauf si vous pensez à un prétexte plus
vraisemblable...
— Je pourrais lui dire que vous n'en valez pas la peine.
— Mmm... Epargnez-moi ces airs horrifiés ! Vous me
prenez pour un mufle, n'est-ce pas?
— Pas du tout. Votre vie sentimentale ne me regarde pas.
— Vous avez bien votre petite opinion, tout de même.
— Je ne vous connais pas personnellement. Comment
voulez-vous que je puisse vous juger ?
— Vous vous dérobez !
— Trop de franchise peut nuire, monsieur Gilmour.
Ils furent interrompus par un coup de téléphone. Il s'agissait
d'un producteur de télévision, qui appelait pour inviter Miles
Gilmour à une émission littéraire très en vogue.
Cassie regagna son bureau, et songea à la prodigieuse
énergie dont Miles faisait preuve en toutes circonstances. Il
ne cessait de participer à des colloques, et d'intervenir sur
les médias pour commenter l'actualité littéraire. Non
content d'être l'un des managers les plus en vue
de Londres, Miles Gilmour était également reconnu pour
son talent de critique. Et cela s'expliquait facilement,
puisqu'il avait commencé sa carrière à l'université comme
maître de conférences avant de rejoindre les Editions
Barlow. Cassie avait découvert cette nouvelle facette de la
personnalité de Miles au détour d'une conversation.
— Pourquoi avez-vous abandonné l'enseignement? avait-
elle demandé.
— Les études universitaires sont trop académiques.
J'avais l'impression de n'être qu'un rouage dans un
système qui tourne à vide.
— Mais alors, pourquoi avez-vous écrit une thèse? Vous
auriez mieux fait de vous inscrire dans une école de
commerce !
— Je ne crois pas. Ma thèse m'a donné l'occasion de
connaître mieux la littérature anglaise, ce qui me sert
énormément aujourd'hui, pour juger de la qualité des
auteurs que nous publions.
Cassie songeait à l'effet dévastateur que l'irrésistible
charme de Miles Gilmour avait dû produire sur les
étudiantes de l'université. Et apparemment, ce charme
faisait encore des ravages dans la bonne société
londonienne... Sa dernière conquête en date s'appelait
Gemma Charles. Cette sulfureuse star de l'aérobic venait
de supplanter la malheureuse Mlle Edmonds, dont les
nombreux coups de fil trahissaient le désarroi. Cependant,
quelques jours plus tard, Cassie s'aperçut que Gemma
Charles, elle aussi, venait de tomber en disgrâce.
— Ah ! Bonjour, monsieur Gilmour. Mlle Charles a déjà
appelé trois fois ce matin. Elle m'a chargée de vous dire
qu'elle a été déçue de ne pas vous voir hier soir.
— Oui... Mon dîner avec Donald Tremont a duré plus
longtemps que prévu. Eh bien, pourquoi me regardez-vous
ainsi ? Vous commencez à me rappeler ma mère !
— Que vient faire votre mère dans cette histoire? Je ne
savais même pas qu'elle vivait encore.
— Elle est morte il y a deux ans.
— Oh... je suis désolée.
— Bon, si nous parlions un peu de vous, à présent, Cassie
? Ça nous changerai! un peu ! A chaque fois que je vous
pose des questions personnelles, vous vous dérobez.
C'est tout de même incroyable : voilà deux mois que nous
travaillons ensemble, et je ne sais même pas où vous
vivez.
— J'habite Camden House.
— Seule?
— Oui. J'ai loué un petit pavillon.
— Et côté cœur ? Vous avez un petit ami ?
Cassie se demanda la raison de cet intérêt soudain. En
tout cas, mieux valait rester sur ses gardes, à tout hasard...
— Oui, répondit-elle. Je crois qu'il vous connaît, d'ailleurs. Il
s'appelle Justin Tyler.
— Tiens? C'est étonnant! Vous n'êtes pas vraiment
assortis, si je peux me permettre.
— Qu'en savez-vous, monsieur Gilmour? Comme vous
l'avez dit tout à l'heure, vous ne me connaissez pas du tout.
— Eh bien, pourquoi ne pas y remédier? Si nous dînions
ensemble, ce soir?
Prise de court, Cassie hésita un instant.
— A moins que vous soyez déjà prise, bien entendu,
ajouta-t-il.
— Non, je suis libre, mais... cela ne me paraît pas
raisonnable. Je préférerais que nous nous en tenions à des
relations strictement professionnelles, et...
Elle s'interrompit en le voyant esquisser un sourire ironique.
— Vous vous souvenez de mon entretien d'embauche?
reprit-elle. Vous m'avez bien dit qu'il était hors de question
de mélanger travail et distraction. Je pense que vous avez
cent fois raison.
— Je ne vous savais pas si prude ! Ne vous inquiétez pas.
Loin de moi l'idée de vous enlever! Mais je trouve tout de
même dommage que nous ne nous connaissions pas
mieux... Vous serez rentrée pour 10 h 30, c'est promis. Et
je ne monterai pas prendre un dernier verre chez vous ! Ça
vous convient comme ça ?
— Bon, puisque vous insistez... Mais il faudrait que je
passe chez moi me changer...
— J'ai bien peur que vous n'en ayez pas le temps. Je
compte travailler assez tard ce soir, et j'ai besoin de votre
aide. Je pars pour Washington tôt demain matin.
— Une affaire urgente?
— Oui... tellement urgente que j'ai dû prendre une place sur
le Concorde.
— Et vous ne voulez pas me dire pourquoi vous allez aux
Etats-Unis? C'est un secret d'Etat?
— Je vous dévoilerai tout ce soir, c'est promis. A propos,
pouvez-vous appeler Mlle Charles? Trouvez un prétexte
pour m'excuser. Je devais dîner avec elle.
Gênée, Cassie demeura immobile. Ce n'étaii pas très
élégant d'annuler un dîner avec Gemma Charles pour
inviter sa secrétaire au restaurant! Miles semblait vraiment
faire peu de cas des sentiments des gens qui
l'entouraient...
Intrigué par l'air gêné de la jeune femme, il lui lança un
regard interrogateur.
— Rassurez-vous, Cassie. Je n'ai nullement l'intention de
vous faire du charme. Dites-vous qu'il s'agit d'un dîner
d'affaires. Il me semble important de mieux nous connaître
si nous voulons travailler ensemble plus efficacement.
Un peu rassurée, Cassie sortit du bureau et composa le
numéro de Gemma Charles. Elle savait que Miles ne l'avait
pas invitée dans le but de la séduire. Elle se promit
cependant de rester sur ses gardes. Il était hors de
question de se lancer dans une histoire d'amour avec
Miles. Cela ne ferait que compliquer une situation déjà fort
embrouillée...
Au fond, Cassie regrettait d'avoir dissimulé à Miles sa
véritable identité. Et chaque jour qui passait ne faisait
qu'accroître ses remords. Mais pouvait-elle prendre le
risque de lui révéler la vérité? Cassie avait le sentiment
d'avoir mis le doigt dans un engrenage qui l'entraînait
beaucoup plus loin qu'elle ne l'aurait souhaité.
Il était près de 7 h 30 quand ils cessèrent de travailler.
Miles avait voulu tout mettre en ordre avant son départ pour
les Etats-Unis.
— J'ai réservé une table au Harry's Bar pour 8 heures,
déclara-t-il. Vous connaissez ce restaurant ?
Cassie sursauta. Le Harry' s Bar était le club le plus à la
mode de Londres.
— Non, répondit-elle. Je n'y suis jamais allée.
A son grand regret, Cassie était obligée de mentir. Elle
avait dîné au Harry's Bar quelques jours auparavant. Des
amis de ses parents, de passage à Londres, l'avaient
invitée avec Justin dans ce haut lieu des nuits
londoniennes. Curieuse de connaître cet établissement
mythique, Cassie s'était permis cette petite entorse à la
règle qu'elle s'était fixée de ne jamais trahir sa véritable
identité.
— J'ai entendu dire que c'est très « sélect », reprit-elle. Il
faudrait que je rentre me changer, sinon je crains qu'ils ne
me laissent pas entrer...
— Inutile, vous êtes très bien comme ça, Cassie. Alors,
nous y allons?
Cassie sourit et se leva. Cette soirée s'annonçait pleine de
surprises... En tout cas, c'était l'occasion rêvée d'en
apprendre plus sur l'étrange personnage qu'était Miles
Gilmour.
4

— Vous n'êtes pas végétarienne, j'espère?


Ils venaient d'arriver au Harry's Bar, et Cassie étudiait le
menu avec attention.
— Non, pas du tout, monsieur Gilmour...
— Appelez-moi Miles, je vous en prie.
— Je n'osais pas vous le demander, monsieur Gilmour...
Euh, Miles, je veux dire.
— Voilà qui est mieux ! Je vous conseille le saumon à
l'estragon. C'est la spécialité de la maison.
— D'accord. Et je vais prendre du saumon fumé en entrée.
Cassie regretta immédiatement d'avoir prononcé ces
paroles. Une secrétaire invitée au restaurant par son
patron n'aurait jamais demandé le plat le plus cher du menu
!
— Du saumon, Cassie ? dit-il en riant. Vous ne préférez
pas du foie gras... Ou même du caviar? Je ne vous
connaissais pas ces goûts de luxe!
— Euh... en fait, je n'en ai jamais goûté. Vous savez, je n'ai
pas les moyens de m'offrir ce plat, et j'aimerais essayer...
— Aucun problème ! Prenez tout ce que vous voulez. Je
disais ça pour vous taquiner, Cassie. Pour une fois que je
dîne avec quelqu'un qui n'est pas complètement blasé !
Sans plus tarder, Miles passa la commande. Quelques
instants plus tard, on leur servait une assiette de saumon
fumé accompagnée d'un excellent sancerre.
— Alors, ça vous plaît? demanda Miles.
— Enormément!
— Je vois que vous avez bon appétit. C'est étonnant, de
nos jours, une femme qui ne fait pas de régime !
— Je n'ai jamais eu de problème de poids.
Pendant quelques secondes, il resta silencieux, comme
absorbé dans ses pensées.
— C'est étrange, murmura-t-il enfin. On dirait que, pour
vous, les problèmes n'existent pas.
— Dois-je prendre cela comme un reproche ?
— Au contraire ! Vous êtes la meilleure secrétaire que j'aie
connue. Vous aimez visiblement votre travail.
Il y eut un instant de silence.
— Aimeriez-vous avoir plus de responsabilités? reprit-il.
J'aimerais vous transférer au comité de lecture.
— Vous ne voulez plus de moi comme secrétaire? lança la
jeune femme, stupéfaite.
— C'est une promotion que je vous propose, Cassie ! Ce
sera difficile de trouver une secrétaire aussi compétente
que vous. Mais je crois que vous seriez plus utile à
l'entreprise si vous occupiez un poste plus en rapport avec
vos capacités.
Cassie réfléchit rapidement. Il fallait trouver un moyen poli
de refuser la proposition de Miles... Sinon, jamais elle
n'apprendrait comment on devient un bon manager!
— Vous me flattez beaucoup, Miles... Mais j'adore ce que
je fais en ce moment, et je ne sais pas si je réussirais
aussi bien dans un autre poste. Et puis, qui vous dit que je
suis compétente en matière de littérature? En revanche...
Je ne dirais pas non à une petite augmentation.
Une lueur d'étonnement brilla dans les yeux de Miles, puis il
éclata de rire.
— Eh bien, pourquoi pas ? dit-il. Ne serait-ce que pour
votre sens de la repartie !
Ils furent de nouveau interrompus par le serveur, qui leur
servit cette fois le saumon à l'estragon.
— Ça a l'air délicieux, murmura Cassie.
— C'est un des meilleurs restaurants de Londres, vous
savez ! En fait, je connais personnellement le chef, et je
sais que sa cuisine est exceptionnelle. D'ailleurs, c'est la
raison pour laquelle je viens aussi souvent ici.
— Au fait, vous ne m'avez toujours pas dit pourquoi vous
devez aller à New York, demain.
— Je suis sur le point de faire signer Selwyn Wilder. Il ne
veut plus être édité aux Etats-Unis.
— Selwyn Wilder? répéta la jeune femme, interloquée.
Celui qui a eu le prix Pulitzer l'an dernier? Ce serait
formidable de l'avoir chez nous!
— En effet. Et je dois le rencontrer demain à New York
pour discuter des clauses du contrat.
— Il exige beaucoup d'argent?
— Oui, mais je pense que c'est justifié. Ses livres se
vendent comme des petits pains. Si je le fais signer, ça
renforcera la situation financière des Editions Barlow... Et
la mienne !
— Comment cela?
— Eh bien, je ne possède pas beaucoup d'actions pour
l'instant. Mais si je réussis à accroître le chiffre d'affaires de
l'entreprise, cela donne le droit d'acquérir des
actions supplémentaires et ainsi, de renforcer ma position
dans le capital. Et j'en ai bien besoin pour lutter à armes
égales avec Mlle Barlow !
Un instant, Cassie imagina la tête que ferait Miles, s'il
savait que Catherine Barlow était assise en face de lui !
— Pourquoi cherchez-vous la confrontation avec Mlle
Barlow? demanda-t-elle. Vous pourriez collaborer
avec elle...
— Eh bien... le sujet vous intéresse-t-il vraiment? Je ne
voudrais pas vous ennuyer avec ces histoires !
— Vous ne m'ennuyez pas du tout.
— Dans ce cas, voilà : Henry Barlow, le fondateur des
éditions du même nom, m'avait laissé entendre qu'il
me léguerait la moitié des actions. Mais il est mort avant
d'avoir pu modifier son testament... et c'est sa fille qui a
hérité de presque tout le capital.
— Et alors? Vous continuez de diriger l'entreprise, non ?
Ça ne change rien pour vous.
— Je suis toujours directeur général, je vous l'accorde.
Mais je me trouve à la merci d'une petite fille gâtée qui ne
connaît rien à l'édition. Avouez que ma situation n'est pas
confortable ! Si elle décide de vendre, qui me dit que les
nouveaux actionnaires voudront me garder?
— Votre compétence est tout de même reconnue par
tous...
— Oui, mais il ne s'agit pas de ça. J'ai toujours tenu à ce
que la maison édite des auteurs de qualité. Si les Editions
Barlow passaient aux mains de nouveaux actionnaires, il
me serait sans doute impossible de maintenir cette
politique. De nos jours, le monde de l'édition est de plus en
plus dominé par ht loi du profit.
Cassie fut surprise d'entendre ces paroles. Jusque-là,
jamais elle n'avait imaginé que Miles pût également être un
idéaliste.
Ses réflexions furent brutalement interrompues par
l'irruption d'une voluptueuse rousse aux yeux verts.
— C'est donc ça, le rendez-vous urgent dont tu m'as parlé!
s'exclama la nouvelle venue. Franchement, tu aurais pu
trouver un aune prétexte!
Pris de court, Miles se leva et répondit cependant d'une
voix calme :
— Bonsoir, Gemma. Je te présente Cassie Elliot.
— Je parie que tu vas me dire que c'est ta secrétaire?
— En plein dans le mille ! Je te présente Cassie Elliot.
C'est elle qui te répond quand tu m'appelles au bureau.
Cassie ne put s'empêcher d'éprouver de la compassion
face au visible désarroi de Gemma. Il fallait dédramatiser
la situation au plus vite!
— M. Gilmour part pour New York tôt demain matin, dit-elle.
Nous étions en train de discuter de tout ce que je dois faire
pendant son absence.
Gemma la foudroya du regard.
— Vous m'en direz tant !
— Nous avons déjà travaillé très tard ce soir, dit Miles. Mlle
Elliot n'hésite jamais à faire des heures supplémentaires.
J'ai voulu lui témoigner ma reconnaissance en l'invitant au
restaurant.
— Nous connaissons ton grand cœur, Miles ! répliqua
Gemma. As-tu prévu de prouver ta reconnaissance à Mlle
Elliot jusqu'à une heure avancée de la nuit ?
Visiblement agacé, Miles jeta un coup d'œil en direction
d'un homme en costume gris, qui regardait la scène avec
intérêt.
— Gemma, tu ne devrais pas faire patienter ton cavalier
ainsi, dit-il d'un ton cassant. C'est d'une rare impolitesse !
La superbe rousse parut hésiter, puis elle s'éloigna,
comme à contrecœur. Miles se rassit et esquissa un
sourire gêné.
— Je suis désolé, Cassie. Je ne pensais pas rencontrer
Gemma ici ce soir.
— On dirait que c'est la fin d'un grand amour...
— Pas du tout! Je n'ai jamais été amoureux de Gemma.
Elle est beaucoup trop possessive, et les scènes de
jalousie me font horreur.
— Avouez que vous l'avez bien cherché ! Je suis bien
contente de ne pas être votre petite amie. Ça ne doit pas
être facile tous les jours !
Miles feignit d'ignorer cette pique.
— Qu'auriez-vous fait à la place de Gemma? demanda-t-il.
— Je vous aurais superbement ignoré !
— Si seulement elle était comme vous... Vous ne pouvez
pas savoir à quel point elle est ennuyeuse.
— Vous me paraissez très versatile. Ça ne vous arrive
jamais de vous attacher à quelqu'un ?
— Peu de femmes réussissent à m'intéresser vraiment, je
vous l'ai déjà dit.
Cassie lui lança un regard désapprobateur.
— Ecoutez, reprit-il, je suis désolé de vous avoir choquée.
Mais je préfère jouer franc jeu avec les femmes que je
fréquente. Je ne leur fais pas de promesses. Elles sont
libres comme l'air... et moi aussi ! Et le jour où ça
devient ennuyeux, on se dit au revoir. C'est aussi simple
que ça! Pourquoi chercher des complications ?
— Vous avez une drôle de conception de l'amour ! Ça
risque de vous jouer des tours... En tout cas, j'espère être
là le jour où vous tomberez vraiment amoureux !
— Ce n'est pas demain la veille!
Cassie se demanda si une femme avait déjà réussi à
briser l'apparente indifférence de Miles. Se pouvait-il que
cet homme n'eût jamais vraiment aimé quelqu'un? Peut-
être réagissait-il ainsi à cause d'un amour de jeunesse
malheureux ?
Cette pensée la fit sourire. Miles avait toujours l'air si sûr
de lui ! Il était difficile de l'imaginer sous les traits d'un
amoureux transi. Et pourtant... elle était convaincue que
sous le masque du séducteur cynique et blasé se cachait
un personnage peut-être plus fragile et plus sensible.
— Ah, vous souriez enfin! s'exclama Miles. Vous n'êtes
plus fâchée contre moi?
— Non ! Mais avant que l'une de vos ex-petites amies
vienne de nouveau gâcher ma joie, je vous suggère de me
raccompagner.
Miles régla l'addition et reconduisit la jeune femme jusqu'au
petit pavillon de Camden House.
— J'ai vraiment apprécié ce dîner, Cassie, lui dit-il avant
de prendre congé. Vous êtes une femme très intelligente.
Cassie réfléchit au sens de ce compliment tandis qu'elle
entrait chez elle. Qu'avait-il voulu dire, au juste? Était-ce
une manière détournée de lui faire comprendre qu'elle lui
plaisait? Et pourtant, leurs relations n'avaient jamais
dépassé un plan strictement professionnel... Cassie frémit
en songeant que Miles pourrait lui faire des
avances. Certes, elle ne pouvait s'empêcher d'éprouver
une certaine attirance pour cet homme brillant et sûr de lui,
chez qui elle décelait une fêlure secrète. Malgré l'intrusion
de la jeune femme rousse, elle venait de passer une soirée
agréable en compagnie de Miles.
Il lui fallait cependant rester sur ses gardes. Miles était très
ambitieux. S'il découvrait sa véritable identité, il chercherait
peut-être à l'épouser pour s'assurer le contrôle de la
société. Il était de toute façon trop tard pour lui avouer la
vérité, malgré les remords qui la tenaillaient de plus en
plus. Et pourtant, il faudrait se résoudre un jour à prendre
une décision... Mais comment procéder sans provoquer la
colère de Miles? Ce problème lui paraissait insoluble pour
le moment.

5
Cassie se sentit quelque peu désœuvrée pendant
l'absence de Miles. L'agitation fébrile qui régnait
d'habitude dans le bureau avait disparu comme par
enchantement, ei ce calme soudain rendait son travail
moins prenant.
D autre part, elle ne pouvait compter sur la compagnie de
Justin, parti une semaine en congé pour rendre visite à ses
parents en province. La jeune femme attendait son retour
avec impatience.
Une semaine plus tard, Miles appela des Etats-Unis.
— Cassie? Bonjour. . Je rentre demain par le Concorde.
Pouvez-vous acheter cinq magnums de Champagne? Je
crois que nous avons quelque chose à fêter!
— Vous avez obtenu ce que vous souhaitiez?
— Au-delà de toutes mes espérances ! Mais je vous en
dirai plus demain. Au revoir !
Et avant que Cassie ait eu le temps de lui demander de
plus amples explications, il avait raccroché. La jeune
femme poussa un soupir Miles resterait décidément
toujours un homme pressé !
Elle se plongea de nouveau dans la lecture de 1 épais
manuscrit qu elle avait trouvé sur le bureau de Miles.
Elle avait en effet décidé de mettre à profit cette période
plus (.aime pour porter une appréciation sur une œuvre qui
avait été rejetée par le comité de lecture.
Mais le téléphone sonna une nouvelle fois. C'était Justin.
— Je suis revenu à Londres ce matin, déclara-t-il d'un ton
enjoué. Alors, je t'ai manqué?
— N'exagérons rien! Après tout, cela ne fait qu'une
semaine que tu es parti.
Bien qu'elle vît Justin assez régulièrement, Cassie savait
que ce n'était qu'une histoire sans lendemain. Plus elle
connaissait Justin, plus elle se rendait compte de tout ce
qui les séparait. Au fond, ils n'étaient d'accord sur rien,
même si Justin se montrait toujours aussi charmant et
attentionné. Et c'était un peu par habitude qu'elle continuait
de dîner avec lui de temps en temps.
— Toi, en tout cas, tu m'as beaucoup manqué, Cassie. Tu
es libre, ce soir?
Ils convinrent de se retrouver à La Sorpresa, un restaurant
italien situé non loin de l'appartement de Justin. Celui-ci
était déjà attablé devant une bouteille de chianti quand elle
arriva.
— Tu as une mine superbe ! s'écria-t-il. Je me demande
comment tu fais pour garder la forme. Miles doit pourtant te
mener la vie dure, au bureau !
— C'est vrai qu'on sent la différence quand il n'est pas là.
Tout est devenu si calme depuis qu'il est parti aux Etats-
Unis... Il m'a appelée aujourd'hui de New York pour me dire
qu'il avait conclu un contrat en or!
— Un de plus !
Cassie remarqua avec étonnement la jalousie qui perçait
dans la voix de Justin.
— Ton travail est aussi intéressant que celui de Miles...,
commença-t-elle.
— Oui, mais je gagne dix fois moins que lui ! On ne devient
pas forcément médecin par vocation, tu sais.
— Tout de même... Je croyais que tu aimais ton métier.
— Pas vraiment... Il ne se passe pas grand-chose, tu sais.
Et toutes ces gardes de nuit, ça m'épuise !
— Mais... tu es médecin. Ce doit être passionnant de
sauver des vies !
A ces mots, il éclata de rire.
— Il faudrait que je te présente à mon père ! s'exclama-t-il.
Je crois qu'il correspond tout à fait à l'image que tu te fais
des médecins. Il exerce à la campagne, et ça lui arrive
souvent de soigner des gens pour rien.
— Et alors? Tu ne trouves pas ça bien?
— Si, bien sûr! Mais ce n'est pas vraiment de cette façon
que fonctionne la médecine aujourd'hui. En tout cas, j'ai
beaucoup parlé de toi à mes parents. Ils aimeraient bien te
rencontrer.
— Peut-être un peu plus tard, mais...
Justin lui prit la main.
— Pourquoi pas tout de suite, Cassie? Tu sais bien que je
suis fou amoureux de toi.
Le dîner prenait une tournure inattendue. Cassie ne
s'attendait pas que Justin se déclare aussi tôt. Au risque
de lui faire du mal, elle devait lui avouer que cet amour
n'était pas réciproque.
— Justin, tu es adorable, mais... Voilà, je ne suis pas
amoureuse de toi. J'espère que tu ne le prendras pas mal.
C'est ma faute, je n'aurais jamais dû te faire croire que
j'éprouvais des sentiments à ton égard...
— Ne t'inquiète pas, murmura-t-il. Je n'aurais pas dû t'en
parler maintenant... Mais je voulais juste que tu saches à
quel point tu comptes pour moi.
Touchée par sa gentillesse, Cassie esquissa un sourire.
— Justin... Tu ne crois pas que ce serait mieux si nous
arrêtions de nous voir pendant quelque temps ?
— Ce n'est pas la peine d'en arriver là. Nous pouvons
toujours sortir ensemble... Je ne te parlerai plus d'amour,
c'est promis! Mais cela ne m'empêchera pas de t'aimer
quand même.
— Tu ne me facilites pas la tâche..., murmura la jeune
femme.
Un sourire éclaira le visage de Justin, le faisant paraître
plus jeune, presque juvénile. Cassie ne put s'empêcher de
le comparer à Miles. Elle savait qu'ils avaient pratiquement
le même âge, et pourtant, quelle différence entre eux !
Miles avait l'air tellement plus mûr! Il ne s'agissait pas
simplement d'une question de physique. Miles avait une
personnalité bien plus complexe et mystérieuse.
— Quelle heure est-il? reprit-elle. J'avais complètement
oublié que je devais faire des courses !
— Il y a un petit supermarché près d'ici. Il reste ouvert
jusqu'à minuit.
— Je ne crois pas que j'y trouverai ce que je cherche. Miles
m'a chargée d'acheter cinq magnums de Champagne pour
demain.
— Tiens, tu l'appelles Miles, maintenant? Ce n'est plus M.
Gilmour?
Cassie se mordit la lèvre. Il y avait une rivalité évidente
entre les deux hommes, et elle n'avait aucune intention de
jeter de l'huile sur le feu.
— Avoue que ce serait ridicule de l'appeler « monsieur »
alors que je travaille avec lui tous les jours ! s'exclama-t-
elle.
Au même moment, le garçon leur servit le plat principal,
qu'ils attaquèrent en silence.
— J'espère que tu ne te fais pas trop d'illusions sur Miles,
déclara Justin. Il a l'air agréable comme ça, mais il ne reste
jamais avec une femme très longtemps. C'est un coureur
de jupons invétéré !
— Peut-être parce qu'une femme lui a brisé le cœur?
répliqua-t-elle ironiquement.
A sa grande surprise, elle vit Justin rougir. Avait-elle par
hasard mis le doigt sur un point sensible ?
— Comment le sais-tu? murmura-t-il. En fait, il s'agissait de
ma sœur Sarah... C'est par moi qu'ils se sont connus,
quand nous étions étudiants à Oxford.
— Tu veux parler de Sarah Holister? Mais tu ne m'en as
jamais rien dit !
Cassie avait rencontré Sarah Holister quelques semaines
plus tôt au bureau. C'était une jeune femme d'une rare
beauté. David, son mari, était le banquier des Editions
Barlow. Il passait régulièrement voir Miles Gilmour pour
discuter affaires.
— Ce ne sont pas des souvenirs très agréables à
raconter..., répondit Justin. Ils se sont connus au moment
où Miles venait d'obtenir un poste de maître de
conférences à Oxford. Ils sont immédiatement tombés
amoureux. Mais je crois que ma sœur n'aimait pas la vie
de l'université. Elle est partie vivre avec David qui, à
l'époque, gagnait beaucoup mieux sa vie que Miles. Miles
a eu du mal à accepter cet échec. Et je crois qu'il a eu le
cœur brisé. A mon avis, c'est pour ça qu'il joue au grand
séducteur aujourd'hui.
— Mais... Si je comprends bien, ta sœur lui reprochait de
ne pas gagner suffisamment d'argent. Elle doit s'en mordre
les doigts, à présent !
— Peut-être... Je suis prêt à parier qu'elle est toujours
amoureuse de lui ! Et Miles doit encore regretter ce qui
s'est passé... Mais enfin, ce qui est fait est fait !
A cet instant, le serveur arriva pour débarrasser la table, ce
qui permit à Justin de changer de sujet. Il regrettait
visiblement d'avoir parlé de cette liaison entre sa sœur et
Miles Gilmour. Avait-il le sentiment d'en avoir trop dit?
Malgré la curiosité qui la dévorait, Cassie s'abstint
d'évoquer de nouveau cette question.
Ayant pris congé de Justin, la jeune femme regagna son
pavillon, perdue dans ses pensées. Il ne faisait aucun
doute que Miles avait abandonné sa carrière
d'enseignant à cause de Sarah. Par sa réussite
exemplaire, il avait sans doute voulu lui prouver à quel point
elle avait eu tort de le quitter...
Cassie essaya de s'imaginer le couple que formaient Miles
et Sarah. A la réflexion, ils ne lui semblaient pas
particulièrement bien assortis. Certes, Sarah était une
femme charmante à tout point de vue. Mais elle lui avait fait
l'impression d'un être superficiel et mondain. D'ailleurs, elle
avait à peine accordé un regard à Cassie lors de sa visite
au bureau, quelques semaines plus tôt. Elle considérait
sans doute que Justin perdait son temps avec une vulgaire
secrétaire...

Cassie sentit qu'une certaine tension régnait dans les


bureaux quand elle arriva au travail le lendemain matin.
Tout le monde attendait le retour du patron avec
impatience, et des rumeurs annonçant la signature d'un
fabuleux contrat couraient déjà dans les couloirs.
Miles Gilmour arriva assez tard dans la matinée. Il était
pâle et ses yeux rougis trahissaient une certaine fatigue. La
semaine avait dû être difficile... Une lueur de triomphe
brillait cependant dans son regard.
— Qu'y a-t-il, Cassie? Vous paraissez soucieuse. C'est
comme ça qu'on m'accueille?
— Vous avez l'air fatigué... Je vous sers un café?
— Pas tout de suite, merci. Faites venir tous les
chefs de service dans mon bureau. Et... Champagne
pour tout le monde !
Quelques instants plus tard, les cadres de l'entreprise se
pressaient dans le bureau de Miles Gilmour, une coupe à
la main.
— Chers amis, commença Miles, vous vous demandiez
tous ce que j'allais faire aux Etats-Unis. Eh bien... Je viens
d'acheter à Selwyn Wilder les droits de publication pour
l'ensemble de son œuvre, passée ou à venir.
Une rumeur d'admiration parcourut l'assemblée. Un sourire
aux lèvres, Miles attendit que le silence revienne.
— Ce n'est pas tout, reprit-il. A New York, j'ai proposé aux
actionnaires des Editions Merlin de racheter la totalité de
leur capital. Vous savez tous, bien entendu, ce que les
Editions Merlin représentent en Amérique...
Il se tut un instant, conscient de l'effet que ces paroles
avaient produit sur l'assistance. Les Editions Merlin
détenaient un quasi-monopole sur le marché du livre de
poche aux Etats-Unis. Cela représentait un chiffre
d'affaires colossal !
— Mon offre a été acceptée hier, dit-il enfin. Et je tiens à
vous remercier tous autant que vous êtes. C'est à vous que
je dois ce succès !
Une formidable acclamation accueillit ces paroles. Miles fut
loué, félicité, chahuté. On le pressait de questions, on lui
serrait la main à n'en plus finir, on ne cessait de trinquer
avec lui à cette nouvelle qui ouvrait de fantastiques
perspectives à la société. Cette incroyable agitation ne se
dissipa que deux heures plus tard. Quand la curiosité de
tous fut enfin satisfaite, Miles s'assit à son bureau, et
commença à passer en revue les documents que Cassie y
avait déposés.
— Cassie ? Il va falloir écrire à Mlle Catherine Barlow pour
l'informer de cette transaction, déclara-t-il. Pouvez-vous
vous en charger ? Je signerai la lettre.
— Concernant les Editions Merlin? Cela doit représenter
une somme colossale...
— Six millions de dollars. Mais c'est vraiment une affaire
en or, qui fait de nous le numéro deux mondial ! Enfin, ce
n'est pas la peine d'expliquer tout cela à Catherine
Barlow. Elle, il n'y a que le profit qui l'intéresse.
— Qu'en savez-vous? Le fait qu'elle soit riche ne veut pas
forcément dire qu'elle ne pense qu'à l'argent... Elle
s'intéresse peut-être au côté culturel de l'édition.
Cassie s'interrompit, consciente d'en avoir trop dit.
D'ailleurs, Miles Gilmour lui lança un regard sévère.
— Excusez-moi, Miles. Ce ne sont pas mes affaires...
— En effet! rétorqua-t-il d'un ton sec. Mais ne vous excusez
pas. Il faut avoir le courage de ses opinions. Vous n'avez
pas tout à fait tort, cela dit. Alors, à l'avenir, n'hésitez pas à
me faire part de vos commentaires.
Déconcertée, Cassie se demandait ce qu'elle devait
répondre. Que signifiait cette façon d'alterner réprimandes
et encouragements ? Miles était décidément bien difficile à
comprendre.
— A propos, Cassie... Evitez de vous montrer trop
aimable.
— Comment?
— Dans la lettre que vous écrivez à Catherine Barlow...
Informez-la de la transaction, mais ne vous répandez pas
en explications. Elle a le droit de savoir ce que je fais,
mais c'est tout !

Malgré sa fatigue. Miles ne cessa de travailler qu'à 8


heures du soir, après avoir soigneusement étudié les
lettres que Cassie avait déposées sur son bureau.
— Vous avez l'air épuisé, dit-elle.
— En effet ! Heureusement que je ne conduis pas. Je crois
que je me serais endormi au volant ! Le chauffeur m'attend
dehors.
S'étant assurée qu'il n'avait plus besoin de rien, Cassie
rassembla ses affaires, prit le carton de coupes
à Champagne qu'elle avait empruntées à La Sorpresa,
puis se dirigea vers l'ascenseur. Elle vit Miles s'engager à
son tour dans le couloir, et bloqua la porte de l'ascenseur
pour lui laisser le temps de la rejoindre.
Soudain, Miles s'arrêta et lui lança :
— Zut ! Cassie... Ne m'attendez pas. Je crois que j'ai
oublié mon attaché-case dans le bureau. Bonne soirée !
Quelques instants plus tard, la jeune femme sortait du
bâtiment et contemplait d'un regard envieux la Rolls-Royce
garée devant l'entrée. Il pleuvait à verse, et elle savait
qu'elle aurait du mal à trouver un taxi par ce temps. Comme
il était presque impossible de se garer dans le centre-ville,
Cassie ne venait jamais en voiture au bureau. Elle prenait
systématiquement un taxi, ayant soin de s'éloigner du
bureau au préalable pour que personne ne la remarque.
Une secrétaire n'aurait pas eu les moyens de se déplacer
en taxi tous les jours !
La jeune femme fit quelques pas sous la pluie, les bras
encombrés par le carton qu'elle portait. A son grand dépit,
un taxi vide passa sans remarquer les signes désespérés
qu'elle lui adressait de sa main libre.
Soudain, la Rolls s'arrêta à sa hauteur.
— Vous avez manqué votre bus ? demanda Miles.
Cassie s'était réfugiée sous un Abribus sans s'en rendre
compte.
— Les bus sont bondés avec ce temps, répondit-elle. Il va
falloir que j'aille jusqu'au métro.
— Pas la peine ! Je vous ramène !
Cassie faillit refuser, mais la pluie qui redoublait de
violence suffit à la convaincre, et elle accueillit avec
bonheur le sublime confort des sièges de cuir de la Rolls.
— Vous habitez à Camden House, c'est ça? s'enquit Miles.
— Oui. Ça ne vous dérange pas de vous arrêter à La
Sorpresa? Je dois leur rapporter ces coupes à
Champagne.
Miles donna au chauffeur les instructions nécessaires,
tandis que Cassie tentait de s'essuyer avec un mouchoir
en papier.
— Prenez le mien, ce sera plus facile, dit-il en lui tendant un
mouchoir de soie.
Cassie examina avec curiosité les initiales brodées dans
un coin de la luxueuse étoffe, et Miles lui lança un regard
malicieux.
— Vous regardez les initiales? lança-t-il. C'est un cadeau
de Gemma.
— Je vois... Excusez-moi, je crois que j'ai mis un peu de
rouge à lèvres dessus. Permettez-moi de le nettoyer avant
de vous le rendre.
— Inutile ! Ma femme de chambre a l'habitude de voir du
rouge à lèvres sur mes vêtements.
— Vous avez une femme de chambre?
— Oui, l'épouse de Jack, mon chauffeur. Ils habitent un
petit pavillon dans le parc de ma maison.
— Vous vivez dans une maison? C'est étrange...
— Pourquoi?
— Je ne sais pas... Vous êtes célibataire... Je vous aurais
plutôt vu dans un appartement.
— Je possède aussi un château dans le Devon. Je vous le
ferai visiter, un de ces jours.
— Et vous avez le temps d'y aller? Vous ne cessez de
voyager, de donner des conférences... Vous devriez
prendre un peu de repos...
— Oui, patron!
Cassie réprima un sourire. « S'il savait qui je suis vraiment
! » se dit-elle.
— En fait, c'est depuis la mort d'Henry Barlow que j'ai
autant de travail, reprit-il. De son vivant, nous nous
partagions les tâches.
— Et si Catherine Barlow venait travailler avec vous ? Vous
pourriez lui confier une partie de vos responsabilités, non?
Aussitôt, il se rembrunit.
— Je ne veux pas entendre parler de cette fille! Je pensais
vous l'avoir déjà dit.
— C'est que... Mon travail me plaît beaucoup, et je risque
de le perdre si vous quittez la société.
— Ne vous inquiétez pas à ce sujet. Si je m'en vais, je me
débrouillerai pour que mon nouvel employeur vous
embauche. Vous voyez, Cassie, je ne peux plus me passer
de vos services.
Il y eut un instant de silence. Cassie songeait à la situation
paradoxale dans laquelle elle s'enfonçait de plus en plus.
Miles méprisait Catherine Barlow, sans même la connaître.
Mais il considérait Cassie Elliot comme sa meilleure
employée... Et pourtant, ces deux personnes n'étaient
qu'une seule et même femme !
Bientôt, la voiture s'arrêta devant La Sorpresa.
— Excusez-moi, Miles, je vais déposer le carton...
— Laissez, Jack va s'en charger.
— Merci, ça ira. De toute manière, je devais acheter du vin
au supermarché d'à côté. Ne m'attendez pas. Il ne pleut
plus maintenant, je vais pouvoir rentrer à pied.
— Ne soyez pas ridicule. Je vous ramène, et je ne tolérerai
aucune discussion ! ajouta-t-il en souriant.
Sans lui laisser le loisir de protester, Miles descendit pour
lui ouvrir la portière. Il insista pour l'aider à choisir une
caisse de vin dans le supermarché, pour porter cette
caisse à l'intérieur du pavillon de Camden House quand ils
furent arrivés.
— Mmm... Très joli chez vous, déclara-t-il. Pas étonnant
que vous m'ayez demandé une augmentation!
Cassie se maudit d'avoir laissé entrer Miles Gilmour. Il se
demandait visiblement comment une simple secrétaire
pouvait se payer un pavillon aussi charmant.
— Ce pavillon appartient à l'un de mes oncles,
s'empressa-t-elle de dire. Il est parti pour l'étranger il y a
quelques mois, et il m'a loué cet endroit pour une bouchée
de pain.
— Il vous a laissé ses meubles? Cette commode Régence
est vraiment superbe !
Cassie hésita un instant. Elle s'était débarrassée du
mobilier d'origine et avait fait redécorer le pavillon par
Charles Hammond, l'architecte d'intérieur qui avait
aménagé les appartements de lady Di.
— Oui, mon oncle venait de refaire toute la décoration
quand il a appris qu'il était muté au Brésil. Votre curiosité
est-elle satisfaite?
— Pardonnez-moi, Cassie, je ne peux pas m'empêcher de
poser ce genre de questions. J'espère que je ne me suis
pas montré indiscret... Tiens? dit-il en s'approchant de la
bibliothèque. Je vois que vous avez des talents cachés !
— Pardon?
— Tous ces livres de cuisine... Seriez-vous un cordon-bleu,
Cassie? Ne me dites pas que ces livres appartiennent
aussi à votre oncle !
En réalité, les talents culinaires de Cassie se limitaient aux
œufs brouillés. Elle avait laissé ces livres de cuisine pour
garnir les étagères.
— J'aime essayer de nouvelles recettes de temps à autre,
répondit-elle évasivement.
— C'est ce que je constate. Vous avez tous les livres des
grands chefs français : Michel Oliver... Et même Joël
Robuchon! Je peux vous faire rencontrer Joël si vous
voulez. Je ne manque jamais de dîner chez lui quand je
passe à Paris. Vous pourriez échanger vos secrets !
— Je crois malheureusement que j'ai tout à apprendre ! Il
faudra que je lui demande pourquoi je rate toujours ma
mousseline au roquefort !
— Mmm... Vous me donnez faim... Mais je vois qu'il est
déjà 10 heures ! Il faut que je m'en aille. Pardonnez-moi de
vous importuner à une heure aussi tardive.
Cassie le raccompagna jusqu'à la porte. Elle sentait que
Miles aurait accepté de rester prendre un verre si elle le
lui avait proposé. Il avait essayé de lancer la conversation
sur la cuisine, mais elle avait habilement déjoué cette ruse.
Or, il fallait à tout prix éviter des complications
sentimentales. Cela ne ferait qu'accroître les remords
qu'elle éprouvait déjà à l'égard de Miles Gilmour...

6
Cassie trouva Miles déjà au travail lorsqu'elle arriva au
bureau, tôt le lendemain. Elégamment habillé, rasé de
près, il avait cependant les traits tirés.
— Bonjour, Miles. Vous n'avez pas bien dormi?
— Ça se voit à ce point? En fait, j'avais pris un manuscrit à
la maison hier soir. Un livre écrit par une certaine April
Davis. Je comptais seulement le commencer, mais
finalement je l'ai lu d'un trait. C'est le manuscrit que vous
avez annoté pendant mon absence. Je me demande
encore si je dois vous féliciter de cette initiative... ou vous
réprimander pour tant d'audace!
— Eh bien, en attendant que vous vous décidiez, je vais
me mettre au travail, si vous le permettez.
Cassie fit mine de sortir du bureau, mais la voix de Miles
l'arrêta.
— Une minute ! Je n'ai pas fini, Cassie.
La jeune femme se reprocha une nouvelle fois d'avoir
répondu sans réfléchir.
— Désolée, murmura-t-elle. Je ne m'étais pas rendu
compte que vous aviez quelque chose à ajouter.
— Eh bien, maintenant que vous le savez, asseyez-vous.
Voilà, il se trouve que je suis tout à fait d'accord avec vos
remarques sur ce manuscrit. Comme dans tous les
premiers romans, il y a des maladresses, des passages un
peu lourds... Mais dans l'ensemble, vos remarques sont
pertinentes : il s'agit d'un très bon livre. Seulement... le
comité de lecture a eu raison de refuser de l'éditer.
— Pourquoi? Si vous aimez ce livre...
— Je n'ai jamais dit que je l'aimais. J'ai simplement dit que
j'approuvais vos commentaires.
— Mais... je ne comprends pas. Si ce roman vous paraît
excellent, pourquoi le refuser?
— Oh, nous n'avons pas peur de publier des livres
controversés. Mais nous évitons toujours le mauvais goût
ou le sensationnel. Ce n'est pas le genre de la maison.
April Davis est une ancienne call-girl qui a fait les gros)
titres dans les journaux il y a quelques années. Elle avait
une liaison avec un ecclésiastique très en vue, et ils ont eu
un enfant en secret. Mais le prêtre a refusé de lui donner de
l'argent pour élever leur petit garçon. En représailles, April
Davis a dévoilé leur liaison à un journal à scandales,
moyennant finances, évidemment. Une histoire charmante,
n'est-ce pas? Nous ne pouvons nous permettre d'éditer
une personne de ce genre. Cela nuirait à l'image de
l'entreprise.
— Vous ne m'apprenez rien, Miles. April Davis en parle
d'ailleurs très honnêtement dans la lettre jointe au
manuscrit- Mais tout cela s'est passé il y a plus de quinze
ans ! April Davis n'est plus la même personne, aujourd'hui.
Elle s'est mariée avec un industriel, elle a trois enfants,
c'est une mère de famille respectable. On ne peut
pas reprocher à quelqu'un d'avoir commis des erreurs
pendant sa jeunesse !
— Peut-être... Mais nous avons pour règle absolue de ne
jamais éditer une personne de moralité douteuse. Henry
Barlow l'a voulu ainsi, et je serai fidèle à ce principe tant
que je dirigerai cette société.
— Je ne vous savais pas si réactionnaire ! Il n'y a rien de
douteux dans le livre d'April Davis. Bon, c'est un peu osé
par moments, mais l'intrigue est tellement amusante ! Ce
livre se vendra comme des petits pains, j'en suis sûre !
Miles la foudroya du regard.
— Ce sera tout, mademoiselle Elliot?
— Vous ne supportez pas la critique, n'est-ce pas?
— Pas de la part d'une simple secrétaire qui ne connaît
absolument rien à l'édition. A présent, si vous désirez
toujours travailler pour un vieux réactionnaire comme moi,
je vous prierai de me taper cette bande magnétique. Il
faudrait que ce soit prêt cet après-midi.
Furieuse, Cassie sortit précipitamment du bureau. Elle
évita cependant de claquer la porte, ne voulant pas prendre
le risque de se faire licencier.
Il ne lui fallut cependant pas longtemps pour recouvrer son
calme. En fait, elle comprenait pourquoi Miles s'était
emporté. Elle s'était montrée un peu présomptueuse en
cherchant à lui imposer son opinion...
En fin de matinée, elle retourna dans le bureau de Miles
pour lui remettre le travail qu'elle avait confié à Tapexpress
selon la procédure habituelle.
Comme elle lui souriait d'un air engageant, il arqua un
sourcil.
— Vous n'êtes plus en colère après moi? demanda-t-il.
— Excusez-moi pour ce matin, Miles. Je crois que j'ai pris
cette histoire de manuscrit un peu trop à cœur. Mais... Je
ne faisais que suivre vos conseils. C'est vous qui
m'avez dit de donner mon avis sur ce que vous publiez.
Il éclata de rire.
— En effet... Mais il y a une différence entre donner son
avis et m'accabler de reproches quand je ne suis pas
d'accord avec vous !
— Je m'excuse encore une fois. Cela n'arrivera plus,
je vous le garantis !
— Allons! Ne faites pas des promesses que vous ne
pourrez pas tenir... Enfin, je propose un pacte de non-
agression! D'accord?
— D'accord !
— Et maintenant que nous sommes réconciliés, puis-je
vous demander un service? Comme d'habitude, Seamus
O'Hara refuse d'envoyer son nouveau roman par la poste. Il
m'a donné rendez-vous à l'aéroport vers 3 heures, cet
après-midi, mais il doit partir pour New York tout de suite
après. Seamus fait escale à Londres spécialement pour
me remettre son manuscrit en mains propres. Il est
incorrigible! J'ai essayé de lui expliquer que je devais
assister au conseil d'administration cet après-midi, mais il
n'a rien voulu entendre. Je lui ai dit que vous iriez à ma
place. Ça ne vous dérange pas? D'ailleurs, je crois que
Seamus a envie de vous rencontrer. Vous avez dû l'avoir
au téléphone pendant mon absence, et il a trouvé votre voix
tout à fait charmante !
— Vraiment? Je suis étonnée qu'il s'en souvienne. Il avait
l'air légèrement éméché quand je lui ai parlé.
— Eh bien, comme tout Irlandais qui se respecte, il est un
peu porté sur la bouteille ! Heureusement, cela ne
l'empêche pas d'être un grand écrivain! Bon, voici le
numéro de son vol. Vous n'aurez qu'à prendre un taxi
jusqu'à l'aéroport. Aux frais de la maison, bien sûr.
— Non, je préfère m'y rendre avec ma voiture.
— Comme vous voudrez.
Ne voulant pas manquer le rendez-vous, Cassie décida de
sauter le déjeuner et se mit en route vers l'aéroport. Elle
avait à peine fait quelques kilomètres que la vieille Toyota
se mit à vibrer, puis s'immobilisa. Le véhicule qui la suivait
s'arrêta à sa hauteur, et un jeune homme en costume gris
en sortit.
— Vous avez des problèmes, mademoiselle? demanda-t-
il.
— Je ne comprends pas... La voiture s'est arrêtée d'un seul
coup !
Désemparée, Cassie ouvrit le capot, d'où s'échappa
aussitôt une épaisse fumée blanche.
— D'après l'odeur, ce doit être la courroie de transmission
qui a brûlé..., déclara le jeune homme en inspectant le
moteur. Oui, c'est bien ça. Je vais appeler S.O.S.
Dépannage sur mon téléphone de voiture. Ils seront là d'ici
à une demi-heure.
— C'est très aimable à vous, merci.
Cassie jeta un coup d'œil à sa montre : 13 h 15. Même en
tenant compte de la réparation, elle serait à l'heure au
rendez-vous. Cette pensée la tranquillisa. Elle s'assit au
volant de la Toyota et alluma l'autoradio pour patienter.
Une heure plus tard, les dépanneurs n'étaient toujours pas
arrivés. L'anxiété de Cassie ne faisait que croître à mesure
que le temps passait. Elle savait que Seamus
O'Hara arrivait à l'aéroport vers 15 h 30, mais Miles ne lui
avait pas dit à quelle heure l'écrivain devait partir pour New
York. La jeune femme était sur le point d'appeler l'aéroport,
lorsqu'elle vit la dépanneuse arriver.
La réparation sur place se révéla malheureusement
impossible. Il fallait remorquer la voiture jusqu'au garage, et
attendre trois quarts d'heure pour remplacer la courroie
défectueuse.
Au bout du compte, Cassie arriva à l'aéroport plus tard que
prévu. Le cœur battant, elle pénétra dans l'immense hall et
se rendit immédiatement au bureau d'information.
Plusieurs hommes patientaient, accoudés au comptoir...
Mais aucun d'eux ne correspondait à la description de
Seamus O'Hara!
— Vous n'avez pas vu un certain Seamus O'Hara?
demanda Cassie à la réceptionniste. Nous avions rendez-
vous ici.
— Vous êtes Cassie Elliot?
— Oui. Y a-t-il un message pour moi ?
— En effet. Je vous préviens, il n'est pas très agréable,
mais M. O'Hara a insisté pour que je vous dise ceci : «
Allez au diable ! Je vais me trouver un éditeur plus
compétent. Et ce n'est pas la peine de m'appeler. Ma
décision est irrévocable ! » M. O'Hara avait l'air très en
colère...
Tout en écoutant la réceptionniste, Cassie avait blêmi.
— Où puis-je le trouver? s'enquil-elle.
— Je crains qu'il ne soit trop lard, mademoiselle. Son avion
est sur le point de décoller.
Bredouillant de vagues remerciements, Cassie regagna
lentement sa voiture. Miles serait certainement
furieux quand elle lui apprendrait ce faux pas. Mais
comment aurait-elle pu prévoir celle panne?
Ses craintes fuient confirmées quand elle arriva au bureau.
Miles la foudroya du regard.
— Qu'est-ce qui s'est passé? s'écria-t-il. J'ai été dérangé
en plein conseil d'administration par un appel de Seamus.
Il était fou de rage !
— Ma voiture est tombée en panne sur l'autoroute, dit-elle
en baissant les yeux. J'ai voulu téléphoner à l'aéroport,
mais je n'ai pas pu trouver de cabine.
— Ne me dites pas que vous aviez oublié de faire le plein.
— Non, c'est la courroie de transmission qui...
— Et vous ne pouviez pas prendre un taxi, au lieu de rester
plantée près de votre voiture ?
— Comment vouliez-vous que je trouve un taxi sur
l'autoroute ?
Miles frappa du poing sur le bureau et se leva d'un bond.
— Ça suffit! Vous savez ce que me coûtent vos bêtises ?
Des millions ! Des millions, vous entendez ?
— Je suis vraiment désolée, Miles. Peut-être que si
j'appelais Seamus pour tout lui expliquer...
— Pas question! Vous avez déjà fait assez de dégâts
comme ça! Inutile d'aggraver votre cas!
— Mais je suis sûre qu'il comprendrait si...
— J'ai dit non! Est-ce clair?
— Il faut faire quelque chose. On ne peut pas rester comme
ça les bras croisés...
— Vous vous permettez de me donner des conseils,
maintenant ? C'est tout de même un peu fort !
— Pourquoi ne pas publier le livre d'April Davis? Je suis
sûre qu'il se vendra comme des petits pains.
— Vous plaisantez, j'espère! Croyez-vous vraiment que ce
roman de gare peut compenser la perte d'un auteur
comme Seamus O'Hara? Et une fois pour toutes : cessez
de me donner des conseils, alors que vous ne connaissez
rien à ce métier! C'est moi le patron, ici !
— Vraiment? Que faites-vous de Catherine Barlow? C'est
elle qui possède l'entreprise!
Aussitôt, Cassie regretta d'avoir prononcé ces paroles.
Une fois de plus, elle avait répondu sans réfléchir. Les yeux
de Miles étincelaient de colère.
— C'est fort aimable de me le rappeler, dit-il d'une voix
sourde. En tout cas, c'est moi qui gère l'entreprise pour
l'instant, et ce n'est pas cette Catherine Barlow qui
m'empêchera de vous licencier. Vous avez une heure pour
quitter ce bureau.
Cassie ouvrit de grands yeux. Elle fut sur le point de lui
dévoiler sa véritable identité, mais décida de plaider sa
cause une dernière fois.
— Miles, laissez-moi une chance, je vous en prie...
Ils furent brusquement interrompus par la sonnerie du
téléphone. Encore sous le choc de ce qu'elle venait
d'entendre, Cassie décrocha machinalement.
— Allô? Les Editions Barlow? Ici le commandant Kinnock
du vol Londres-New York. Je quitte M. O'Hara à l'instant. Il
refuse de parler à M. Gilmour. Il m'a d'ailleurs chargé de
vous dire qu'il ne veut plus entendre parler des Editions
Barlow.
Miles avait tout entendu sur le haut-parleur.
— Tout est perdu ! dit-il. Quelle tête de mule, ce Seamus! Il
vaut mieux attendre qu'il se calme avant de le
rappeler. Quant à vous... Je vais faire le nécessaire pour
qu'on vous règle vos indemnités de licenciement.
— Rien ne vous fera changer d'avis, n'est-ce pas?
— Je le crains. Au revoir, mademoiselle Elliot.
Cassie regagna son bureau et s'effondra sur un siège.
Seigneur! Mais pourquoi lui avait-elle parlé d'April Davis?
Le moment était bien mal choisi! Que fallait-il faire à
présent? Lui avouer qu'elle était Catherine Barlow? Non,
impossible! Il démissionnerait immédiatement, furieux
d'avoir été trompé.
Découragée, la jeune femme poussa un profond soupir. Il
fallait absolument éviter que Miles démissionne. Dans
l'intérêt de l'entreprise... et dans le sien ! Car la pensée de
perdre Miles à tout jamais la remplissait d'une
secrète appréhension. Elle se demanda si elle n'était pas
en train de tomber amoureuse de lui. Pourquoi ressentait-
elle cette crainte de le voir partir? Comment expliquer cette
angoisse qui lui nouait la gorge? La présence rassurante
de Miles lui était-elle devenue indispensable?
Elle chassa ces pensées, et se mit à réfléchir
frénétiquement. L'heure n'était pas aux atermoiements
sentimentaux. Il fallait réagir avant qu'il ne soit trop tard.
Soudain, une idée lui traversa l'esprit : pourquoi ne pas
aller voir Seamus O'Hara à New York? Peut-être pai-
viendrait-elle à le faire revenir sur sa décision de quitter les
Editions Barlow... Certes, il était têtu, mais elle aussi ! En
prenant le Concorde tôt dans la matinée du lendemain, elle
pourrait rencontrer Seamus dans la journée et être de
retour à Londres en début de soirée. Et s'il acceptait de lui
confier le manuscrit, tout rentrerait dans l'ordre.
En espérant que Miles Gilmour accepte de l'embaucher de
nouveau...
7

Cassie réserva immédiatement une place sur le Concorde


du lendemain. Elle appela sa mère dès qu'elle eut regagné
le pavillon de Camden House, et lui expliqua en quelques
mots ce qui s'était passé.
— Il faudrait que tu trouves l'adresse de Seamus O'Hara
aux Etats-Unis, déclara-t-elle.
— Je vais faire de mon mieux, ma chérie. Rendez-vous
demain matin à l'aéroport.
La jeune femme venait de raccrocher lorsque le téléphone
sonna de nouveau. Il s'agissait de Justin qui l'invitait à un
cocktail donné chez Sarah et David Holister le
surlendemain. Cassie accepta de s'y rendre, et raccrocha
après avoir échangé quelques mots avec Justin. Elle se
prépara ensuite un dîner léger, puis fit son sac de voyage
et réserva un taxi pour aller à l'aéroport le lendemain matin.
Elle ne pouvait pas prendre le risque de tomber en panne
une nouvelle fois !

Elle avait déjà pris le Concorde à de nombreuses reprises,


sans jamais s'habituer à son étonnante rapidité. Il ne lui
fallut que trois heures pour arriver à New York, où sa
mère l'attendait à l'aéroport Kennedy. Elles se dirigèrent
immédiatement vers la puissante Cadillac familiale garée
sur le parking.
— Alors, tu as trouvé l'adresse de Seamus O'Hara?
demanda Cassie, impatiente.
Margaret Elliot lui lança un regard sévère.
— Il faut d'abord que tu m'expliques ce qui s'est passé !
Comment Miles Gilmour a-t-il osé te mettre à la porte?
— En fait, il a tendance à s'emporter facilement. Mais tout
va s'arranger, ne t'inquiète pas!
— Tu penses toujours prendre la direction des Editions
Barlow? Je ne sais vraiment pas pourquoi tu t'es mis cette
idée dans la tête. Tu n'as qu'à vendre tes actions et rentrer
à la maison. Je suis sûre que tu pourras trouver un travail
aussi intéressant aux Etats-Unis.
— Je ne tiens pas à rentrer en Amérique pour l'instant...
— Ce n'est tout de même pas ce Miles Gilmour qui te
retient à Londres ! s'exclama sa mère. Serais-tu tombée
amoureuse de lui ?
— Mais non, quelle idée !
— Ma petite fille, tu ne réponds pas à ma question. Ce qui,
en soi, est déjà un aveu...
La jeune femme sentit ses joues s'empourprer.
— Il ne m'aurait jamais licenciée s'il avait été amoureux de
moi, observa-t-elle.
— Tu aurais dû lui dire qui tu es en réalité ! C'est toi qui
devrais le mettre à la porte !
— Je ne crois pas que ce soit la bonne solution.
— Pourquoi? On dirait que tu veux le ménager... Tu es sûre
qu'il ne t'a pas tourné la tête? On dit que c'est un homme
très séduisant...
— Oui, il est séduisant, et après?
— Pourquoi est-il toujours célibataire, dans ce cas ?
— Comment veux-tu que je le sache? Peut-être apprécie-t-
il sa liberté... Mais ce n'est pas pour parler de Miles que je
suis là! Tu as trouvé l'adresse de Seamus O'Hara?
— Eh bien, il est descendu au Waldorf Astoria.
— Tu peux me déposer là-bas tout de suite? Il faut que je le
voie le plus tôt possible.
Un quart d'heure plus tard, la Cadillac s'arrêtait devant le
Waldorf. Après un rapide passage à la réception pour
connaître le numéro de chambre de l'écrivain, Cassie
monta résolument à l'étage, puis frappa à la porte de
Seamus O'Hara. Une jeune fille aux cheveux roux entrouvrit
le battant.
— Bonjour, je m'appelle Cassie Elliot... La secrétaire de
Miles Gilmour, des Editions Barlow. Puis-je voir M.
O'Hara?
— Je suis sa fille... Cathleen O'Hara. Ecoutez, je ne sais
pas si mon père voudra vous recevoir. Il ne veut
plus entendre parler des Editions Barlow.
— Je sais, mais j'aimerais vraiment le rencontrer. C'est
très important pour moi.
— Qu'est-ce que c'est, Cathleen?
Seamus O'Hara venait de surgir de la pièce voisine, et il
observait Cassie avec attention.
— Bonsoir, monsieur O'Hara. Je suis la secrétaire de M.
Gilmour.
Sans lui laisser le temps de parler, Cassie expliqua en
quelques mots pourquoi elle avait manqué le rendez-vous à
l'aéroport.
— Je suis désolée de vous avoir fait attendre, monsieur
O'Hara, mais je ne pouvais pas prévoir que ma voiture
tomberait en panne. Et je vous présente toutes mes
excuses. M. Gilmour était furieux contre moi. Il m'a
licenciée.
A ces mots, l'écrivain ouvrit de grands yeux.
— Licenciée ? A cause de moi ?
— Disons... surtout à cause de mon étourderie.
— Mais... Si vous ne travaillez plus pour les Editions
Barlow, pourquoi êtes-vous venue me trouver?
— Parce que mon poste me plaisait beaucoup. Je
n'aimerais vraiment pas travailler pour une autre maison
que les Editions Barlow. En fait... Je venais demander
votre aide.
— Une minute... Vous avez traversé l'Atlantique pour ça?
Rien que pour me voir? Et à vos frais?
— Oui. Mais je n'aurai pas perdu mon argent si vous
m'aidez à retrouver mon emploi.
— En d'autres termes, si je continue de me faire éditer
chez Barlow, c'est cela?
— Oui.
L'écrivain se caressa la barbe d'un air pensif.
— Mmm... Je vois bien que tout est ma faute. Ecoutez, je
vais vous donner mon nouveau manuscrit. Miles n'hésitera
pas à vous réengager lorsque vous lui apporterez mon
livre.
A ces mots, Cassie fondit en larmes. La tension nerveuse
des dernières vingt-quatre heures venait de s'évanouir
brutalement, faisant place à un immense soulagement.
Poussant un soupir, Seamus O'Hara prit la jeune femme
dans ses bras, regrettant sans doute de ne pas avoir une
vingtaine d'années de moins.
Une heure plus tard, Cassie sonnait à la porte de
l'appartement familial, où l'attendaient sa mère et son
beau-pcre.
— Te voilà enfin ! s'exclama Luther Elliot en la serrant
contre son cœur. Tu nous as manqué, tu sais... Je vois que
tu as obtenu ce que tu voulais, ajouta-t-il en désignant le
manuscrit.
— J'ai hâte de voir la tête que va faire Miles quand je vais
lui apporter ce livre ! s'écria la jeune femme, ravie. Il n'en
reviendra pas!
— Un bon conseil, ma chérie : assomme-le avec ! C'est
tout ce qu'il mérite, ajouta Margaret Elliot.
Cassie éclata de rire. Puis, accompagnée de sa mère et
de son beau-père, elle se dirigea vers l'élégant salon.
— Alors, quels sont tes projets d'avenir? demanda Luther.
— Je ne sais pas très bien ce que je dois faire... Ça
dépend.
— Ça dépend de Miles Gilmour? dit sa mère.
— Oui, mais pas pour les raisons auxquelles tu penses!
Plus je réfléchis, plus je me dis que Barlow ne pourrait pas
marcher sans lui. Or, je suis sûre qu'il partira si je prends la
direction de la société.
— La solution est toute trouvée! Tu devrais lui faire du
charme ! dit Margaret Elliot. 11 ne s'en ira pas s'il est
amoureux de toi.

Cassie réfléchissait toujours aux paroles de sa mère


dans le Concorde qui la ramenait à Londres. Tenter de
séduire Miles pour le convaincre de rester dans la société
lui semblait une solution dangereuse. Car cela pouvait se
révéler une arme à double tranchant. Saurait-elle résister
au charme de Miles? Rien n'était moins sûr.
Elle se sentait en effet irrésistiblement attirée par Miles.
Etait-ce de l'amour, comme sa mère l'affirmait? Et qu'en
était-il des sentiments de Miles ? Eprouvail-il de son côté
un quelconque sentiment pour elle ?
Incapable d'apporter une réponse à toutes ces questions,
elle se mit à étudier le manuscrit que Seamus O'Hara lui
avait confié quelques heures auparavant. Et, peu à peu,
elle se laissa envoûter par la magie des mots. Oui,
songea-t-elle, Seamus O'Hara était vraiment un grand
écrivain ! Son style, tout en finesse, en subtilité, charmait le
lecteur. Heureusement que les Editions Barlow n'avaient
pas perdu un tel génie ! Dans son enthousiasme, Cassie
nota soigneusement toutes les remarques qui lui venaient à
l'esprit.
Le Concorde atterrit à Londres vers 10 heures du soir.
Cassie prit immédiatement un taxi et indiqua au chauffeur
l'adresse de Miles Gilmour.
Un quart d'heure plus tard, le taxi se garait devant la
superbe demeure victorienne de Hampton Head. En
s'approchant, Cassie remarqua un coupé Mercedes dans
l'allée. La plaque minéralogique portait l'inscription : SH 1.
Un horrible soupçon l'assaillit soudain : s'agissait-il de
Sarah Holister? Justin lui avait dit à plusieurs reprises que
sa sœur était toujours amoureuse de Miles. Peut-être
voyait-elle Miles en cachette?
Passé le premier moment de surprise, la jeune femme
s'efforça de se ressaisir. Après tout, la vie sentimentale de
Miles ne la regardait pas... Elle n'était pas venue pour
l'espionner, mais pour lui remettre le manuscrit.
Rapidement, elle traversa le jardin et sonna à la porte.
Quelques instants plus tard, elle entendit des pas
se rapprocher. Miles parut soudain, en robe de chambre,
les cheveux décoiffés.
Une lueur d'étonnement brilla dans ses yeux ensommeillés.
— Cassie? Mais qu'est-ce qui vous prend de me déranger
à cette heure ?
— Je... je dois vous remettre quelque chose.
Miles lui fit signe d'entrer. Dans le hall, la jeune femme
retint une exclamation de surprise. La décoration
ultramoderne contrastait tellement avec l'architecture
classique de la demeure ! Cassie remarqua plusieurs
toiles de maître accrochées aux murs, parmi lesquelles elle
reconnut un Rothko, plusieurs Hockney et un superbe
Lucien Freud. L'aménagement intérieur, malgré son
audace, faisait montre d'un goût très sûr.
— Eh bien? dit Miles d'un ton cassant. Vous n'êtes tout de
même pas venue pour visiter ma maison, j'espère !
Qu'aviez-vous à me dire?
Blessée qu'il ne l'ait même pas invitée à s'asseoir, la jeune
femme laissa négligemment tomber le manuscrit sur la
table du salon. Miles s'empara vivement du paquet et lui
lança un regard étonné.
— Où avez-vous trouvé ça? demanda-t-il.
— Seamus O'Hara me l'a confié en mains propres cet
après-midi.
— En mains propres? Mais... Seamus est à New York en
ce moment !
— J'ai pris le premier vol pour New York ce matin pour le
rencontrer. Je lui expliqué pourquoi j'avais manqué notre
rendez-vous à l'aéroport, et tout s'est arrangé. Il m'a confié
son dernier manuscrit, avec l'autorisation de le publier
immédiatement.
— Comment? Vous avez pris le vol...
— Elémentaire, mon cher Miles, coupa-t-elle. Un ami à
New York m'a trouvé l'adresse de Seamus O'Hara. J'ai
acheté un billet sur le Concorde, ce qui m'a permis d'arriver
à New York avant midi.
Miles paraissait si abasourdi que la jeune femme faillit
éclater de rire.
— Vous avez pris le Concorde, Cassie? Je n'arrive pas à y
croire ! Ecoutez, je ne sais pas trop quoi vous dire...
— Commencez peut-être par me remercier.
— Ça ne suffirait pas. Cassie, vous êtes la meilleure
employée que j'aie jamais eue !
— Vous me flattez! Je ne suis qu'une simple secrétaire...
Qui aimerait bien retrouver son poste.
— Il va sans dire que vous n'êtes plus licenciée. Mais...
Après ce que je vous ai fait, ça me surprend un peu que
vous vouliez encore travailler pour moi !
La jeune femme esquissa un léger sourire, savourant
d'avance son triomphe. C'était le moment de porter le coup
de grâce.
— Ce n'est pas pour vous que je reviens, monsieur
Gilmour, susurra-t-elle, mais pour mon travail que je
trouve très intéressant.
Un long silence suivit cette déclaration.
— En fait, murmura-t-il en baissant les yeux, je pense que
vous n'avez pas un poste à la mesure de vos capacités.
Vous pourriez entrer au comité de lecture...
— Merci, mais je préfère rester où je suis pour le moment.
— Vous refusez ? Décidément, je ne comprends pas ! Je
vous offre une promotion, de nouvelles responsabilités
et ça ne vous intéresse pas ? Et je n'ai pas encore parlé de
l'augmentation que je suis disposé à vous accorder.
— L'argent est le cadet de mes soucis, dit-elle sans
réfléchir.
Aussitôt, elle se mordit la lèvre. Il fallait jouer jusqu'au bout
son personnage de secrétaire désargentée.
— En fait, reprit-elle, je suis très contente de ce que je
gagne en ce moment. Cela me permet de vivre
convenablement...
— Vraiment? C'est bien la première fois qu'une employée
me dit une chose pareille !
— C'est-à-dire que... Je n'ai pas à payer mon logement. Si
j'avais un loyer, ce serait peut-être différent...
— Bon, comme vous voudrez ! Mais asseyez-vous, je vous
en prie. Vous prendrez bien quelque chose... Il faut fêter ça
! Qu'est-ce que je vous sers ?
— Un jus d'orange, si vous en avez.
Miles sortit du salon en fermant soigneusement la porte
derrière lui. Restée seule, Cassie frémit en songeant qu'il
avait sans doute rejoint Sarah pour lui expliquer ce qui se
passait...
Cinq minutes plus tard, Miles revenait, portant deux tasses
de chocolat chaud sur un plateau.
— Avec le froid qu'il fait aujourd'hui, j'ai pensé qu'une
boisson chaude valait mieux qu'un jus d'orange !
— C'est très aimable de votre part, monsieur Gilmour.
— Mon offre tient toujours, en tout cas. N'hésitez pas à me
faire signe le jour où vous aurez envie de changer de
poste. En tout cas, vous ne cesserez pas de me
surprendre ! Comment se fait-il que vous ne soyez jamais
allée à l'université?
— Eh bien... J'ai reçu un petit héritage à dix-huit ans, et j'en
ai profité pour voyager un peu partout pendant deux ans.
— Je vois... Vous devez bien connaître les Etats-Unis. Je
vous ai souvent entendu en parler.
— Oui, j'ai passé quelques mois à New York...
— Ecoutez, Cassie. je tiens à me faire pardonner. Nous
dînons ensemble samedi?
La jeune femme fit mine d'hésiter.
— Entendu, dit-elle enfin.
— A la bonne heure ! Nous en reparlerons au bureau. Et...
Accordez-vous une grasse matinée demain matin. Vous
devez être épuisée !
— C'est vrai, je suis un peu fatiguée.
— J'ai oublié de vous demander combien le billet vous
avait coûté. Je vous signerai un chèque demain.
— Rien ne presse, j'ai largement assez sur mon compte
pour...
Cassie s'interrompit. Une nouvelle fois, elle avait failli se
trahir. Sa fatigue l'empêchait de rester sur ses gardes.
Mieux valait prendre congé avant de dévoiler sa véritable
identité par inadvertance.
— Je vous donnerai la facture dès demain, déclara-t-elle.
Pouvez-vous m'appeler un taxi ?
Cassie eut le temps de réfléchir aux événements de la
journée dans le taxi qui la ramenait à Camden House. En
parlant avec ses parents, elle s'était rendu compte que ces
quelques mois passés à Londres avaient changé sa vision
des choses. Son indépendance nouvelle la remplissait d'un
bonheur sans mélange. Elle avait un travail
passionnant, des amis sympathiques et attentionnés... Et
surtout, elle avait rencontré Miles...
Or, elle le pressentait, d'une manière ou d'une autre, cet
homme allait jouer un rôle important dans sa vie. Lequel ?
Elle n'en avait aucune idée. Pour l'instant, l'avenir lui
paraissait aussi impénétrable que la nuit qui régnait au-
dehors.
8

Le lendemain, Cassie ne vit pas Miles. On lui expliqua qu'il


rendait visite à un auteur en province. Son absence lui
permît de rentrer chez elle plus tôt que d'habitude. Elle
venait à peine d'arriver que le carillon de la porte d'entrée
retentissait.
— Tiens, te voilà ! Bonjour, Justin. Accorde-inoi une
minute, veux-tu? Juste le temps de me changer. Tu n'as
qu'à te servir quelque chose à boire. Fais comme chez toi !
Quelques instants plus tard, Cassie découvrait Justin en
train de feuilleter le carnet de rendez-vous posé près du
téléphone.
— Je vois que tu ne perds pas ton temps ! s'exclama-t-elle.
Tu m'espionnes, maintenant ?
— Désolé... Je voulais juste voir si tu étais libre ce week-
end. Je projetais de faire une excursion en Ecosse. Ça te
dirait de venir avec moi ? Enfin, je veux dire avec nous.
C'est Pete et Julie Goodwin qui ont eu l'idée. Ils aimeraient
bien que nous les accompagnions.
— Je regrette, mais je suis déjà prise samedi soir.
— Pourquoi ne pas punir dimanche, dans ce cas?
— Je n'y tiens pas.
— Tu sors avec quelqu'un d'autre, c'est ça?
Le ton accusateur de Justin agaça profondément la jeune
femme.
— Nous n'avons jamais conclu de contrai d'exclusivité, que
je sache ! s'exclama-t-elle.
Avant qu'elle ait pu réagir, il l'avait attirée dans ses bras et
la serrait contre son cœur.
— Je suis fou amoureux de toi, Cassie...
— Nous allons être en retard à la soirée, dit-elle en se
dégageant de son étreinte.
— Quelle importance ? Sarah et David ne feront même
pas attention à nous.
— Peut-être... Mais j'ai choisi une robe spécialement pour
l'occasion, alors je tiens à ce qu'elle soit vue !
— C'est vrai, je comptais le complimenter pour ton choix.
Le décolleté est vraiment vertigineux! On dirait une robe de
chez Ralph Làuren...
Justin avait deviné juste, mais Cassie avait déjà préparé
une réponse pour le cas oii on la complimenterait. Une
secrétaire n'aurait jamais pu s'offrir une robe qui valait plus
de trois mois de salaire !
— Je l'ai empruntée chez un costumier, déclara-t-elle avec
aplomb. En cherchant bien, on trouve toujours quelque
chose de valable.

Une demi heure plus tard, Cassie faisait son entrée, au


bras de Justin, dans la superbe demeure victorienne des
Holister. Les immenses lustres de cristal brillaient de tous
leurs feux dans le hall d'entrée, où se pressaient de
nombreux invités en tenue de soirée.
Sarah Holister vint les accueillir. Cassie fut une nouvelle
fois frappée par le charme de la sœur de Justin. Ses yeux
couleur d aigue-marine dégageaient un indéfinissable
mystère, impression accentuée par l'extrême pâleur de son
visage. Sarah avait l'air si douce, si innocente...
Cassie restait cependant convaincue qu'elle trompait son
mari avec Miles. Et cette pensée la remplissait d'une
inexplicable colère. Etait-elle jalouse de la sœur de Justin?
Elle n'aurait su le dire. En réalité, elle ne parvenait pas à
éclaircir les sentiments élranges qui semaient le trouble
dans son esprit.
Sarah embrassa affectueusement son frère, et fit un signe
de la tête en direction de Cassie, observant la robe Ralph
Lauren avec insistance.
— La soirée ne fait que commencer, déclara Sarah.
Prenez donc un verre. Le buffet est par là!
En guidant Cassie dans
la foule, Justin prit deux coupes de Champagne sur un
plateau qu'un serveur présentait aux invités.
— Je bois à la plus jolie femme que je connaisse! dit-il en
la regardant fixement. Tu es sûre que tu ne veux pas
reporter ton rendez-vous de ce week-end, et partir avec
moi?
Cassie sourit.
— Ne fais pas l'idiot..., murmura-t-elle. Comment réagirais-
tu si j'annulais nos rendez-vous à nous, hein?
L'air dérouté, Justin vida sa coupe sans répondre.
— Je vais nous chercher deux autres verres, marmonna.-t-
il. Tu m'attends?
Cassie sentit soudain son cœur s'emballer quand elle le vit
revenir en compagnie de Miles. Son smoking
parfaitement coupé, sa coiffure stricte mais originale, son
visage hâlé, ses yeux gris ne laissant paraître aucune
émotion, tout en lui respirait l'élégance, le raffinement et le
bon goût.
— J'ai rencontré notre ami par hasard, expliqua Justin.
Miles, je vous confie Cassie. Je dois m'absenter un instant.
— Bonsoir, Cassie. Vous ne m'aviez pas dit que vous
seriez de la fête...
— Je comptais vous en parler, mais vous n'étiez pas au
bureau cet après-midi. Tu nous abandonnes, Justin?
ajouta-t-eUe.
— Une des invitées a eu un malaise... Elle est
enceinte. Sarah m'a demandé de m'en occuper. C'est
l'affaire de quelques minutes. Nous nous retrouvons tout à
l'heure, sans faute?
Justin déposa un baiser sur les lèvres de la jeune femme,
jeta un regard méfiant vers Miles, puis s'éloigna à grands
pas.
— Je ne savais pas que Justin et vous..., commença Miles.
— Nous sommes de bons pmis, ça ne va pas plus loin.
— Vraiment? lança-t-il, incrédule. Et comment vous êtes-
vous rencontrés?
— Lors d'une soirée.
— Vous aimez sortir le soir?
— Oui... Mais on se sent toujours un peu perdu dans les
réceptions de ce genre. Je préfère les cadres plus intimes.
— Moi aussi, je l'avoue. Pour moi, rien ne vaut un tête à
tête !
— Pourquoi êtes-vous ici, dans ce cas?
— Par obligation professionnelle. Vous savez que David
est le banquier des Editions Barlow, Et c'est l'un de mes
meilleurs amis. J'avais déjà manqué le bal qu'il a
donné l'an dernier. Il aurait été impardonnable de ne pas
venir, cette fois.
— Vous ne trouvez pas que sa femme est charmante ?
demanda Cassie, décidée à en savoir plus.
— Sarah? Oui, c'est une femme remarquable. David a bien
de la chance... En épousant David, Sarah est devenue ludy
Holister. Elle a gagné sa place dans la haute société
londonienne, et je crois que ce mariage a comblé tous ses
vœux.
Cassie ne put s'empêcher d'admirer le sang-froid de Miles.
Comment parvenait-il à parler avec tant de détachement
de sa maîtresse?
— On m'a dit que Sarah et vous avez été très proches,
dans le passé...
Miles esquissa un sourire.
— Un simple flirt de jeunesse, déclara-1-il. Mais nous
n'étions pas faits l'un pour l'autre. A cet âge-là, on ne sait
pas très bien ce que l'on attend de la vie.
— Et maintenant ? Avcz-vous découvert votre but ? Ça ne
vous a jamais tenté de fonder une famille?
— Disons que je n'ai pas encore trouvé l'âme soeur... Et
puis, vous savez, le mariage ne mène pas forcément au
bonheur.
— C'est pourtant la voie que la plupart des gens
choisissent. Ne serait-ce que pour avoir des enfants...
— Je ne me marierai jamais dans ce but-là !
— Pourquoi? Vous n'aimez pas les enfants?
Miles éclata de rire.
— Mais si, bien sûr! s'exclama-t-il. J'ai parfois l'impression
que vous me prenez pour un monstre, Cassie...
Ils furent interrompus par l'arrivée de Justin, qui semblait
très énervé.
— L'invitée qui a eu un malaise doit être conduite à
l'hôpital. J'ai appelé une ambulance... Mais Sarah a insisté
pour que j'aille avec elle pour voir si tout se passe bien.
— Ne t'inquiète pas pour Cassie, Justin. Je me charge de
la raccompagner.
— J'espère être de retour avant la fin de la soirée, lança
Justin en s'éloignant. A bientôt.
Cassie se tourna vers Miles.
— Ne vous sentez pas obligé de jouer au garde du corps !
Je peux très bien renti er chez moi en taxi.
Soudain, Cassie s'aperçut que Miles regardait avec
insistance le décolleté de sa robe. Elle n'était pas
spécialement timide mais, gagnée par une certaine gêne,
elle croisa les bras.
Miles lui lança un regard ironique.
— Vos seins sont ravissants, Cassie. Il ne faut pas avoir
honte de les montrer. C'est d'ailleurs pour ça que vous avez
mis un décolleté, non?
— Je n'ai pas honte de les montrer. Tout dépend du lieu,
du moment...
— Comme lieu, je propose ma maison. Comme moment,
maintenant.
Prise de court, Cassie affronta le regard de Miles. Etait-il
sérieux?
— Vous m'avez toujours dit que vous n'aimiez pas
mélanger travail et plaisir, répliqua-t-elle.
— Au diable les principes ! Surtout en face d'une femme
aussi désirable que vous.
— Moi qui vous croyais blasé...
— Il y a beaucoup de jolies filles. Mais très peu de femmes
vraiment désirables... En d'autres termes, des femmes qui
allient la beauté et l'intelligence.
— Comme lieu commun, on ne fait pas mieux !
— Il ne faut pas trop m'en demander ! Je ne suis qu'un
modeste éditeur, pas un écrivain !
— Et moi, je suis votre secrétaire, pas votre petite amie.
Alors, n'insistez pas !
— Eh bien ! Vous savez calmer les ardeurs de vos
soupirants, vous ! s'exclama-t-il en riant.
— Vous reconnaissez votre défaite?
— Oui, de bon cœur ! Mais je vous signale que nous
perdons tous les deux.
Cassie se détendit. Il était clair que Miles cherchait
seulement à la taquiner...
— Miles ! Je me demandais où tu étais passé !
Surgissant de la foule des invités, Sarah s'était approchée
d'eux et avait posé la main sur le bras de Miles. Cassie le
vit se raidir imperceptiblement. Peut-être n'aimait-il pas ce
geste possessif... Ou avait-il peur que David les surprenne
ensemble?
— Je n'étais pas loin, comme tu le vois, répondit il. Que
puis-je pour toi, Sarah ?
— Je souhaiterais te dire un mot en privé. Ça ne vous
dérange pas, Cassie? Vous ne serez pas seule très
longtemps, Justin va revenir d'un instant à l'autre...
— Nous parlerons tout à l'heure, Sarah, coupa Miles.
D'abord, j'aimerais grignoter un petit quelque chose... Vous
venez, Cassie?
D'autorité, il prit Cassie par le bras et l'entraîna vers le
buffet.
— Vous n'avez pas été très poli..., murmura Cassie,
interloquée.
— Elle non plus !
Il ne semblait guère disposé à en dire plus. Que signifiait
ce geste de mauvaise humeur à l'égard de Sarah ? La
trouvait-il trop possessive ? Ou voulait-il simplement attiser
sa jalousie en feignant de s'intéresser à une autre ?
Ne voulant pas servir de faire-valoir, Cassie songea qu'il
valait mieux couper court à cette comédie.
— Je n'ai pas très faim, déclara-t-elle. Je crois que je vais
rentrer.
— Déjà? Pas question, il est beaucoup trop tôt.
Un sourire aux lèvres, il lui tendit une assiette de canapés.
— Tenez, Cassie. Vous êtes contrariée parce que Sarah a
essayé de m'éloigner de vous, c'est cela?
— Pas le moins du monde. Nous ne sommes pas
ensemble, après tout. Je ne devrais pas vous monopoliser
ainsi.
— Comment ferait-on pour se connaître, s'il fallait changer
d'interlocuteur toutes les deux minutes ! Justin ne serait
jamais devenu votre ami si vous n'aviez échangé que
quelques mots, n'est-ce pas?
— C'est différent. Je ne connaissais pas Justin lors de
cette soirée. Vous, vous êtes mon patron.
— Raison de plus pour que nous fassions plus ample
connaissance ! Des secrétaires comme vous, on n'en
trouve pas tous les jours. Mais je parle trop, je vous
empêche de manger. Goûtez-moi ça ! Sarah a fait appel
au meilleur traiteur de la ville, vous savez.
— Les plats de traiteur se ressemblent tous...
— Je me souviens d'avoir vu quantité de livres de cuisine
chez vous. Il faudrait que vous m'invitiez, un jour.
— Vous seriez déçu ! Je n'ai rien d'un cordon-bleu, croyez-
moi.
— Laissez-moi en juger moi-même ! Je voulais vous
emmener au Gavroche demain soir. Mais à la réflexion,
nous devrions plutôt organiser un dîner chez vous. Qu'en
pensez-vous ?
— Je préférerais aller au Gavroche. Ça fait longtemps
qu'on me parle de ce restaurant, et... vous êtes la seule
personne qui puisse se permettre de m'y inviter.
— Je vous y emmènerai la semaine prochaine, promis
juré.
— Vous êtes sûr que vous aurez le temps ?
— Aucun problème. A moins, bien sûr, que vous n'ayez
aucune envie de vous mettre aux fourneaux demain soir...
Je ne voudrais pas m'imposer.
La jeune femme réfléchissait à toute allure pour trouver un
prétexte.
— Non, pas du tout, mais... Mon four ne marche plus, et il
est difficile de cuisiner dans ces conditions.
— Dans ce cas, je dirai à mon chauffeur de passer chez
vous demain matin. Jack est très bricoleur. Je suis sûr qu'il
pourra arranger ça !
— Alors, c'est d'accord, marmonna-t-elle. Mais prévoyez
du bicarbonate, vous pourriez en avoir besoin !
— Vous êtes trop modeste. Je suis sûr que vous cuisinez à
merveille. Oublions le bicarbonate... J'apporterai du
Champagne !
La jeune femme garda le silence. Miles voulait-il vraiment
avoir un aperçu de ses talents culinaires? En tout cas, elle
n'était pas certaine d'avoir la volonté nécessaire pour lui
résister au cas où il tenterait de la séduire.
Jusqu'à présent, elle n'avait eu aucun mal à repousser les
avances de ses soupirants, car elle n'avait jamais ressenti
le feu d'un véritable amour.
Mais Miles était si différent... Elle ressentait une obscure
attirance envers cet homme au caractère si changeant. Et
pourtant, elle avait peur qu'il lui fasse du mal, qu'il la traite
comme ses innombrables petites amies. Mais s'il cherchait
à rompre avec Sarah, n'était-ce pas l'occasion rêvée pour
lui faire du charme, comme le lui avait conseillé sa mère
lors de sa brève visite à New York?
L'arrivée de David Holistcr interrompit le cours de ses
pensées. A l'inverse de Sarah, David s'était toujours
montré très aimable envers Cassie lors de ses
nombreuses visites au bureau.
— Désolé que Justin ait dû s'absenter, dit-il d'un ton
affable. Mais je vois que vous êtes en de bonnes mains.
Du moins, je l'espère! Vous n'êtes pas en train de lui
donner des instructions pour la semaine prochaine, Miles?
— Je ne suis pas maniaque à ce point ! En tout cas, je
tiens à te féliciter, David. La soirée est très réussie.
— Miles, sir Léon Packard vient d'arriver, déclara David. Il
voudrait te parler au sujet de cette propriété... Cassie, je
vous enlève Miles quelques instants. J'espère que cela ne
vous dérange pas ?
— Ne vous inquiétez pas pour moi. A tout à l'heure...
Les deux hommes disparurent dans la foule des invités, et
Cassie se dirigea vers un coin plus calme de l'immense
salle de réception. Un fauteuil dissimulé derrière un palmier
d'intérieur lui offrit un poste d'observation idéal.
Cependant, elle n'eut pas le temps de réfléchir aux paroles
de Miles. Elle venait à peine de s'installer que Sarah la
rejoignait.
— Justin m'a dit que vous étiez à New York avant-hier !
lança-t-elle. Le décalage horaire ne vous a pas trop
fatiguée? Vous avez les traits tirés.
Cassie sourit poliment. La maladresse de Sarah était
voulue, c'était évident. Il semblait clair que la maîtresse de
maison cherchait à la rabaisser par tous les moyens...
— Je suis un peu fatiguée, c'est vrai, admit-elle. Mais
j'espère que cela ne se voit pas.
— Si, hélas ! Vous avez l'air épuisée. Peut-être Miles vous
donne-t-il trop de travail au bureau? Il a la réputation d'être
très exigeant envers ses subordonnés.
— Subordonnés... Le mot est un peu fort ! Miles nous
considère plutôt comme des partenaires. En tout cas, c'est
très instructif de travailler avec lui. Il aime bien soumettre
tous ses projets aux gens qui l'entourent. Contrairement
aux apparences, il adore travailler en équipe.
— Mmm... Très intéressant... Je regrette parfois de ne pas
travailler. Mais David est amené à voyager très souvent, et
je l'accompagne toujours.
— Et le reste du temps ?
— Je m'occupe d'oeuvres caritatives. Ça me change de ce
que je faisais avant mon mariage!
— Vraiment? Et que faisiez-vous ?
— Je travaillais à la BBC. Mais... J'ai tout abandonné
quand j'ai rencontré Miles. Je me suis installée avec lui à
Oxford, où il venait d'être nommé maître de conférences.
— Vous vous plaisiez à Oxford? C'est une ville
merveilleuse...
— Merveilleuse, oui, mais un peu provinciale pour moi,
vous savez. Je suis plutôt faite pour Paris ou Venise. Et
puis, Miles et moi, nous étions trop différents. C'est à ce
moment que j'ai rencontré David, et j'ai compris que tout
était terminé entre Miles et moi. Mais nous sommes restés
les meilleurs amis du monde !
— Vous avez dû être surprise de le voir se lancer dans
l'édition?
— Oui. en effet ! Je ne pensais pas qu'il réussirait dans les
affaires. Bien sûr, je me sentirais moins coupable à son
égard s'il s'était marié. Hélas ! Je crois qu'il est toujours
amoureux de moi. C'est peut-être pour ça qu'il n'a toujours
pas rencontré l'âme sœur...
Sarah s'interrompit soudain, paraissant se rendre compte
du sens de ses paroles.
— Veuillez m'excuser, reprit-elle. Je n'ai pas l'habitude de
colporter les ragots. Oubliez ce que je vous ai dit.
Parfaitement consciente que cette maladresse faisait
partie du jeu de Sarah, Cassie esquissa un sourire.
— Ne vous inquiétez pas, Sarah. Je ne suis pas du genre
commère, contrairement à certaines...
Aussitôt, Sarah se leva et la foudroya du regard.
— Il faut que je vous laisse, déclara-t-elle d'un ton sec. J'ai
été heureuse de vous rencontrer. Une secrétaire qui a de la
conversation, c'est rare, de nos jours...
Sarah avait à peine disparu dans la foule des invités qu'un
homme de haute taille s'approchait de Cassie.
— Jacques Fourier, pour vous servir. Je travaille pour
David Holister. Puis-je m'asseoir quelques instants? C'est
plus facile pour discuter... même si la vue est intéressante
quand on reste debout !
Cette nouvelle allusion à son décolleté plongea Cassie
dans l'embarras. Elle ne s'attendait pas à des
commentaires aussi directs.
— Je veux tout savoir de vous ! s'exclama Jacques Fourier.
— Eh bien, je suis la secrétaire de Miles Gilmour.
— Et vous travaillez pour Miles depuis longtemps ?
— A mon tour de vous poser une question, cher monsieur.
Vous avez laissé votre femme à la maison ? J'aurais été
ravie de la rencontrer.
Cassie avait en effet remarqué que Jacques portait une
alliance, et elle espérait ainsi couper court à ses ardeurs
en y faisant allusion.
— Ma femme est en vacances en ce moment, dit-il d'un ton
léger. Et je commence à trouver le temps long... Les
longues soirées d'hiver tout seul, ce n'est pas drôle.
Vous avez peut-être des idées pour égayer ma misérable
existence ?
— Achetez-vous un cocker! Il paraît qu'ils sont très
affectueux.
Son interlocteur salua cette réplique d'un grand éclat de
rire.
— Vous avez de l'esprit! lança-t-il. Ça ne m'étonne pas,
d'ailleurs. Miles déteste la médiocrité. Dites-moi... Puis-je
vous inviter à dîner, demain soir ?
— C'est malheureusement impossible, je suis déjà prise...
En fait, je ne suis pas libre cette semaine.
— La semaine prochaine, alors ?
— Je préfère ne pas fixer de rendez-vous trop longtemps à
l'avance. Je travaille souvent tard le soir...
Elle se tut en voyant arriver Miles.
— Désolé de vous interrompre, dit-il. Cassie, je suis prêt à
vous ramener, si vous le désirez.
Soulagée d'échapper à l'encombrant Jacques Fourier,
Cassie se leva brusquement. Le Français lança un regard
ironique à Miles.
— Pas étonnant que Cassie soit fatiguée! S 'exclama-t-il. Il
paraît que tu la fais travailler tard le soir...
— Je n'ai pas besoin de vous pour me défendre, merci,
déclara la jeune femme.
Sans plus tarder, ils prirent congé de Jacques Fourier et se
dirigèrent vers la sortie.
— J'espère que je ne vous ai pas dérangés, marmonna
Miles. Vous auriez peut-être préféré rentrer avec Jacques
?
— Vous plaisantez, j'espère ? Jacques est marié !
— Je ne vous savais pas si prude...
L'air contrarié, il lui ouvrit la portière de la Rolls, puis prit
place au volant.
— Vous aviez l'air de très bien vous entendre avec
Jacques, poursuivit-il en démarrant.
— Que voulez-vous insinuer ? s'écria-t-elle. Je ne pouvais
tout de même pas le gifler ! Et puis, qu'est-ce que ça peut
vous faire? Vous n'êtes pas mon directeur de conscience,
que je sache !
— J 'ai envie de vous, C'assie, et je ne supporte pas que
quelqu'un d'autre vous touche.
Stupéfaite, elle se tut et lui lança un regard inquiet.
— Vous m'avez ensorcelée, Cassie...
La Rolls s'arrêta brusquement et, avant que la jeune femme
ait pu réagir, Miles l'avait attirée à lui et il l'embrassait avec
fougue.
— Cela fait des semaines que je ne pense qu'à toi...,
murmura-t-il. Tu ne peux pas savoir combien j'ai envie de
toi...
Lorsque Cassie sentit les mains de Miles glisser sur ses
seins, puis le long de ses hanches, elle se débattit de
toutes ses forces, mais il l'empêchait de bouger en la
plaquant fermement contre le siège.
Puis, lentement, il commença à défaire la fermeture Eclair
de sa robe.
— Tu es si belle...
Quand il posa les lèvres sur les seins de la jeune femme,
elle eut soudain l'impression que son corps s'embrasait.
Elle aurait voulu se serrer contre Miles, se blottir dans son
étreinte rassurante, mais la peur d'aller trop loin l'envahit et
elle se raidit.
— S'il te plaît, Miles... Laisse-moi...
— Comme tu voudras.
Il la relâcha. Malgré l'obscurité qui régnait dans la voiture,
Cassie discernait la lueur de désir qui brillait dans les yeux
de Miles.
Les mains tremblantes,:elle rajusta sa robe et ramena son
gilet sur sa poitrine.
— Excusez-moi, Cassie... Je ne sais pas ce qui m'a pris.
— Vous ne savez pas? A votre âge, il faudrait apprendre à
maîtriser vos pulsions !
— Vous êtes une femme très désirable, Cassie... Je ne
pensais pas ce que je vous ai dit à propos de Jacques.
Mais... Je n'aime pas vous voir avec quelqu'un d'autre.
— Piètre excuse !
— Vous êtes fâchée, c'est normal. Mon comportement est
inexcusable. Cela n'arrivera plus, je peux vous le
promettre. J'espère que vous ne vous êtes pas mis en tête
de démissionner?
Cette idée n'avait même pas effleuré Cassie, mais elle
décida de prendre la balle au bond.
— Comment avez-vous deviné? lança-t-elle. Vous devez
être médium !
— Ecoutez, je vous promets d'être sage à l'avenir.
— Quand je pense que vous m'avez conseillé de ne pas
mélanger travail et plaisir!
— J'ai dit cela parce que vous m'avez plu tout de suite. Je
voulais éviter toute ambiguïté entre nous.
— Bravo ! C'est réussi !
Miles ne répondit pas et remit le contact. Sa capacité à
garder son calme en toutes circonstances était décidément
exceptionnelle, songea la jeune femme, encore troublée
par leur baiser.
— Nous ferions peut-être mieux d'annuler le dîner de
demain soir, murmura-t-elle.
— Pas question ! J'ai hâte de découvrir vos talents de
cuisinière... On efface tout et on recommence !
Peu à peu, Cassie se laissa gagner par la bonne humeur
de Miles. Mieux valait rester en bons termes avec la seule
personne capable de lui apprendre à gérer l'entreprise. Bs
échangèrent donc des propos anodins pendant le reste du
trajet et quand Cassie prit congé, l'incident semblait
définitivement oublié.
Une fois seule dans le petit pavillon de Camden Ilouse, la
jeune femme se laissa tomber dans un fauteuil et tenta de
faire le point sur les événements de la soirée. Tout
s'emmêlait dans sa tête. Quelles étaient les véritables
intentions de Miles? Etait-elle inconsciemment
tombée amoureuse de lui ? En tout cas, il était le premier
homme que Cassie jugeait digne de partager sa vie...
Que faire ? Etait-elle de taille à lutter contre une rivale aussi
habile que Sarah? Apparemment, Miles était toujours
amoureux de son ancienne fiancée, et il ne proposerait
sans doute jamais à une autre femme de l'épouser. Dans
ces conditions, pouvait-elle tout de même lui faire
confiance ?
Ces interrogations la tourmentaient encore quand elle
s'endormit.
9

Le premier réflexe de Cassie à son réveil fut d'appeler un


traiteur. N'ayant aucune compétence culinaire, la jeune
femme aurait été bien incapable d'offrir à Miles autre
chose que des œufs brouillés.
Elle venait de décrocher le combiné lorsqu'elle se ravisa. A
la réflexion, faire appel à un traiteur n'était peut-être pas la
meilleure solution... Habitué des cocktails, Miles
connaissait sûrement tous les traiteurs de Londres. Une
idée traversa soudainement son esprit : pourquoi ne pas
commander deux repas au Gavroche ? Le chef était un
grand ami de ses parents, et il accepta volontiers de jouer
le jeu, promettant de lui livrer deux repas complets en début
de soirée.
Vers 19 h 30, la Rolls-Royce se gara en face du petit
pavillon. Quelques secondes plus tard. Miles en
descendait, une bouteille de Champagne à la main. 11
tenait également un petit paquet enveloppé d'un élégant
papier cadeau.
— Bonsoir, Cassie. Voilà ma modeste contribution au
festin, ajouta-t-il en lui tendant la bouteille.
Vous n'auriez pas dû... C'est du dom-pérignon 1976!
— Que pouvais-je offrir d'autre à une femme aussi raffinée
que vous?
— Que cachez-vous dans ce paquet?
— D'habitude, on offre des fleurs, ou des chocolats. Mais
je voulais vous faire un cadeau que vous puissiez garder.
Un peu embarrassée, Cassie prit le paquet et conduisit
Miles dans le salon.
— Vous ne l'ouvrez pas? demanda-t-il.
— Je vais d'abord mettre le Champagne au frais...
— Inutile, il sort du réfrigérateur.
Il déboucha la bouteille de Champagne d'un
geste adroit, et remplit deux flûtes.
— A ma meilleure collaboratrice ! dit-il en levant son verre.
Ils trinquèrent, puis Cassie entreprit de défaire l'emballage
du petit paquet. Elle découvrit alors une petite boîte de
verre, magnifiquement décorée. On distinguait à l'intérieur
une sorte de petite cuillère en ivoire.
Intriguée, la jeune femme interrogea Miles du regard.
— C'est magnifique. Miles ! Merci mille fois !
— Comme vous m'avez dit que vous vous intéressiez aux
tabatières, j'ai pensé que celle-ci pourrait vous aider à
commencer votre collection.
— Où l'avez-vous trouvée?
— J'ai appelé le musée de l'Extrême-Orient. Ils m'ont
donné l'adresse d'un antiquaire spécialisé dans ce genre
d'objets.
— C'est vraiment charmant. Je vais la mettre sur la
bibliothèque, bien en évidence... Il faut que vous m'excusiez
un instant, je vais voir si le poisson est prêt.
Il la suivit dans la cuisine, et la regarda préparer une
vinaigrette pour la salade — la seule chose qu'elle se
sentait de taille à faire elle-même.
— Ça a l'air délicieux, murmura Miles.
— Pourriez-vous porter ce plat dans la salle à manger? Je
vous suis avec le hors-d'œuvre.
Miles ne cessa de la complimenter tout au long du repas
sur la qualité de ses plats.
Nous n'aurions pas mieux dîné au Gavroche! s'exclama-t-il
en prenant finalement place sur le canapé, un café à la
main.
Cassie s'assit à son côté.
— Vous me flattez... Mais je crois que vous exagérez, dit-
elle d'un ton dégagé.
Pas du tout! Vous êtes un vrai cordon-bleu. Vous n'avez
jamais songé à ouvrir un restaurant?
— Un restaurant? Vous n'y pensez pas! Euh... Je veux dire,
je n'ai pas le capital.
— Je serais très heureux de vous le prêter.
Eh bien... Je n'ai jamais aimé avoir de trop grandes
responsabilités. Ça vous empêche d'avoir une vie
personnelle. De toute façon, j'adore ce que je fais en ce
moment. A propos, vous ne m'avez jamais dit comment
vous avez rencontré Henry Barlow...
— Il était de passage à Oxford pour un colloque consacré à
l'édition. Je lui ai parlé après son discours, nous avons
sympathisé... Et de fil en aiguille, il m'a proposé de
travailler pour lui.
— Tout le monde a autant de succès, dans votre famille?
— En quelque sorte. Mon père est à la retraite, je crois que
vous le savez déjà. Quant à mes trois sœurs, elles
ont choisi d'élever leurs enfants. C'est moins spectaculaire
qu'une carrière professionnelle, mais je trouve qu'elles ont
plus de mérite que d'autres femmes qui choisissent de
travailler. J'ai cinq nièces et six neveux. Croyez-moi, il est
presque plus facile de diriger une entreprise que d'affronter
ces onze garnements ensemble !
— Ce n'est pas la première fois que vous me parlez des
enfants. Vous allez peut-être me trouver indiscrète,
mais... Pourquoi êtes-vous toujours célibataire?
— Disons que je n'ai jamais rencontré la femme idéale.
— Et à part Sarah, vous n'avez jamais eu de liaison
durable?
— Pas vraiment... Mais je crois que j'ai trouvé la femme de
mes rêves.
— Vraiment? lança Cassie, la gorge soudain nouée. Et,
est-ce que je connais l'heureuse élue?
— Oui... Très bien même, puisque c'est vous !
Sans lui laisser le temps de répondre, il l'attira contre lui et
l'embrassa avec ardeur. Incapable de bouger, Cassie se
sentit emportée dans un torrent de sensations
vertigineuses. Et il lui semblait soudain impossible de se
soustraire à cette étreinte qui la transportait dans un
monde où le temps avait, l'espace d'un instant, suspendu
son vol.
Mille fois plus fort que la peur qui la tenaillait, le désir la
poussait à s'abandonner sans retenue à ce baiser si
tendre et si violent à la fois. Les mains de Miles glissaient
savamment sous ses vêtements, cherchant la ferme
douceur de ses seins, l'arrondi de ses hanches, le galbe
de ses cuisses...
Elle poussa soudain un cri et le repoussa violemment.
— Pourquoi? demanda-t-il d'une voix sourde. Tu as envie
de moi, j'en suis sûr.
— Vous aviez promis que vous ne me toucheriez plus! Je
ne vous aurais pas invité si j'avais su que vous essayeriez
de...
— Pourquoi tant de manières ?
— Je ne tiens pas à figurer à votre tableau de chasse.
— Qui te parle de tableau de chasse? Je t'aime de toutes
mes forces ! Tu es tellement différente des autres...
Il paraissait si sincère que, pendant quelques instants,
Cassie fut sur le point de céder. Cependant, une petite voix
lui dictait de se méfier de ce don Juan. Il l'abandonnerait
certainement dès qu'il aurait obtenu ce qu'il attendait d'elle.
— Moi qui pensais que vous teniez à votre liberté...,
commença-t-elle.
— C'est ridicule, voyons! Toute règle a ses exceptions.
— Vous faites des exceptions un peu trop souvent à mon
goût.
Elle leva la tête et affronta le regard de Miles.
— Je voudrais que nous nous en tenions là, Miles. Si vous
continuez de me harceler, je démissionne.
— Pas question ! Vous êtes la meilleure secrétaire que
j'aie jamais eue.
— Ce n'est pas une raison pour me persécuter!
— Ecoutez, je suis désolé... Je crois que j'ai perdu la (Cte.
Vous êtes une femme ravissante... C'est plus fort que moi,
je ne peux pas m'empêcher d'avoir envie de vous.
Il se leva brusquement et enfila son manteau.
— A présent, il vaut mieux que je m'en aille.
Sans dire un mot, Cassie le reconduisit jusqu'à la porte.
Elle ne s'attendait pas que la soirée se termine de cette
façon...
Quelques minutes plus tard, la jeune femme vit la Rolls-
Royce démarrer en trombe. Une profonde confusion
régnait dans son esprit. Pouvait-elle s'abandonner à cet
amour qui risquait de la détruire? Comment réagirait il
quand elle lui apprendrait sa véritable identité? Lui
pardonnerait-il jamais d'avoir eu recours à ce stratagème ?
Etrangement, la perspective de prendre la direction de la
société la tentait de moins en moins. Mieux valait vendre à
Miles les actions qu'elle possédait, et retourner aux Etats-
Unis pour tenter de mettre un peu d'ordre dans sa vie. Oui,
décidément, il était préférable de s'en aller avant que Miles
lui brise le cœur.
Elle décida d'acheter un billet pour New York dès le
lendemain matin.
10

Le lendemain matin, pourtant, Cassie avait changé d'avis.


Rentrer chez elle, c'était reconnaître son échec. Et surtout, il
y avait Miles... A présent qu'elle était certaine de son
amour pour lui, elle ne pouvait se retirer sans livrer bataille.
Peut-être qu'en se montrant plus réceptive à ses avances,
elle saurait transformer le désir de Miles en véritable
tendresse...
Il était absent quand elle arriva au bureau. Un coup d'œil
sur son agenda apprit à Cassie qu'il assistait à un petit
déjeuner d'affaires. Il devait revenir vers 10 heures
pour rencontrer Clive Gordon, le directeur de l'agence de
publicité qui travaillait pour les Editions Barlow. Cassie
avait déjà eu plusieurs fois Clive Gordon au téléphone, et
file fut agréablement surprise quand elle vit arriver un
homme d'une trentaine d'années à l'allure athlétique.
— Vous êtes la secrétaire de Miles? Si j'avais su que vous
étiez aussi charmante, je serais venu plus tôt! s'exclama-t-
il.
Cassie préféra ne pas relever cette allusion.
— M. Gilmour n'est pas là pour l'instant, mais il sera de
retour d'un moment à l'autre, déclara-t-elle.
— Je ne suis pas pressé. Dites-moi, c'est la première fois
que je vous vois ici. Vous êtes nouvelle, n'est-ce pas ?
— En effet ! dit Miles en entrant dans la pièce. Si vous
voulez me suivre, Clive, je suis à vous.
Les deux hommes disparurent dans le bureau de Miles.
Clive Gordon n'en ressortit que deux heures plus tard.
— Serez-vous au Savoy, ce soir? demanda-t-il. Je serais
ravi de vous y retrouver.
Cassie lui jeta un regard soupçonneux. Puis elle se
rappela soudain que les Editions Barlow organisaient une
réception au Savoy pour la sortie du dernier ouvrage de
Paul Simonsen, l'un des auteurs les plus en vue du
moment.
— Oui, j'y serai, répondit-elle.
— Formidable ! Alors, rendez-vous là-bas ? Je compte sur
vous !
Clive Gordon avait à peine disparu que Miles invitait la
jeune femme à passer dans son bureau.
— Clive vous a-t-il donné rendez-vous quelque part?
s'enquit-il, l'air de rien.
— Pourquoi cette question?
— Ne vous faites pas d'illusions sur lui. Il ne pense qu'à
séduire toutes les femmes qu'il rencontre.
— Vous êtes bien placé pour en parler !
— Moi, je n'ai pas divorcé deux fois.
La sonnerie du téléphone les interrompit. Cassie profita de
ce coup de fil pour s'éclipser. Quand Miles la rappela pour
lui dicter quelques lettres, il lui parla sans manifester la
moindre émotion. Cassie en fut stupéfaite. Comment
pouvait-il dissimuler ses véritables sentiments à ce point?
Ayant besoin d'un peu de temps pour se changer avant de
se rendre au Savoy, la jeune femme quitta le bureau plus
tôt que d'habitude. Pour l'occasion, elle jeta son dévolu sur
une superbe robe de soie rouge, très décolletée, qui ne
passerait certainement pas inaperçue...
Et en effet, tous les regards se tournèrent vers elle quand
elle fit son entrée dans les salons de réception du Savoy.
Cassie salua ses collègues de bureau et se dirigea vers le
buffet.
Clive Gordon surgit presque immédiatement de la foule
des invités et l'invita à danser. Tandis qu'elle le suivait sur
la piste, elle aperçut soudain Miles au bras d'une
plantureuse rousse.
— Je ne reconnais pas la femme qui est avec Miles. Vous
savez qui c'est? demanda-t-elle à son cavalier.
Oui, il s'agit de Melody Grâce, une chanteuse de rock. Elle
chante bien, mais elle n'a pas grand-chose dans le crâne !
Miles avait en effet l'air de s'ennuyer à mourir. Dans ce cas,
pourquoi s'obstinait-il? Son échec avec Sarah l'avait-il
déçu à ce point?
File en était là de ses réflexions lorsque les premières
notes d'un slow langoureux se firent entendre. Clive
resserra aussitôt son étreinte.
— Voilà qui est mieux, murmura-t-il. Cassie, je voudrais
vous dire que je n'ai jamais rencontré...
- Puis-je vous interrompre, Clive? Cassie m'avait promis
cette danse.
Avant même qu'elle s'en soit rendu compte, la jeune femme
se retrouva dans les bras de Miles.
— Tiens? Vous vous faites pousser la barbe? demanda-t-
elle, tandis qu'il se penchait vers elle.
- Pas du tout! Je n'ai pas eu le temps de me raser a vaut
de venir ici. Ça vous gêne?
- Au contraire! C'est plutôt agréable.
Un sourire aux lèvres, Miles caressa doucement les longs
cheveux châtains de la jeune femme.
- Mmm... C'est doux comme de la soie...
Priant pour que ce moment ne s'arrête jamais, Cassie se
serra contre lui. Mais soudain, le slow s'interrompit,
remplacé par un rock tonitruant. Indécise, Cassie
interrogea Miles du regard. Il sourit et continua de danser
au rythme du slow comme si de rien n'était.
— Nous avons déjà perdu trop de temps, Cassie. Tu ne
peux pas savoir combien j'ai envie de toi. Laisse-moi
rester avec toi ce soir...
A ces mots, Cassie sentit ses jambes se dérober.
— Qu'y a-t-il? demanda-t-il aussitôt. Tu ne te sens pas
bien?
— Je n'arrive pas y croire ! s'exclama-t-elle. Vous êtes
vraiment le personnage le plus grossier que je connaisse !
— Miles? l'uis-je vous enlever Cassie? coupa Clive.
Soulagée de ce secours inattendu, la jeune femme prît le
bras de Clive et se laissa entraîner dans la foule des
danseurs. Le reste de la soirée se déroula comme dans un
rêve. Cassie répondait sans réfléchir aux questions de
Clive, ne cessant de penser à ce que lui avait dit Miles. Il
ne cherchait visiblement qu'à coucher avec elle et, dans
ces conditions, inutile d'espérer que Miles tombe
amoureux d'elle un jour...
La jeune femme comprenait à présent qu'il valait mieux
quitter Londres au plus vite. Elle se promit une nouvelle fois
de prendre l'avion pour New "York dès le lendemain.
Clive la raccompagna jusqu'au pavillon de Camdcn Housc,
mais n'insista pas pour entrer prendre un verre. Il avait sans
doute deviné qu'elle aurait refusé.
— Je vous appelle avant la fin de la semaine, dit-il.
— D'accord..., répondit-elle sans mentionner son intention
de repartir pour les Etats-Unis.

Cassie avait sa lettre de démission dans sa poche


lorsqu'elle arriva au bureau le lendemain matin, mais Miles
ne lui laissa pas le temps de parler.
— Cassie, je vous dois des excuses pour ce que je vous ai
dit hier soir. Je sais que je me suis conduit comme un
imbécile. Mais c'est plus fort que moi, dès que je vous vois,
j'ai envie de... Ah. voilà que je recommence ! Il faut que je
me surveille. Je suis sincèrement désolé. Oublions tout ça,
voulez-vous ?
— Entendu, dit-elle après un instant de silence. Mais
gardez vos distances, à l'avenir !
Miles se leva, prit son attaché-case et esquissa un sou-i ire
gêné.
J'ai un rendez-vous avec l'imprimeur dans un quart d'heure.
A cet après-midi!
Restée seule dans le bureau, Cassie jeta sa lettre de
démission dans la corbeille. Elle savait que ce n'était pas
raisonnable, mais les paroles de Miles lui avaient redonné
espoir. S'il avait ressenti le besoin de s'excuser, peut-être
était il amoureux d'elle ? Quoi qu'il en soit, elle ne pouvait
se résoudre à partir avant d'être sûre que Miles ne l'aimait
pas.
Après le déjeuner, la jeune femme trouva Miles en train de
dépouiller le courrier qu'elle avait placé sur son bureau.
Catherine Barlow a répondu à ma lettre, dit-il d'un air
pensif. Elle approuve l'achat des Editions Merlin.
Cassie réprima un sourire. Elle avait passé plusieurs
heures à écrire cette lettre, pesant soigneusement chaque
phrase.
J'ai plis la liberté de lire cette lettre, déclara-t-elle. il
semblerait qu'elle soit très contente de vous.
Mouais... Trop gentille pour être honnête, grommela-t-il.
Elle doit avoir une idée derrière la tête. Mais... Il y a
quelque chose de bizarre... Je me demande comment
cette lettre nous est parvenue. La poste de New York est
en grève en ce moment, et le courrier est complètement
bloqué.
Cassie chercha désespérément une explication valable.
- Mlle Barlow a dû s'adresser à Chronopost.
— Si elle savait combien je me fiche de son avis !
— C'est plutôt aimable de sa part de vous répondre, non ?
- Je vous ai déjà dit que je ne voulais plus entendre parler
de Catherine Baitow ! Je n'aime pas les gosses de riches!
Est-ce clair?
- Parfaitement.
— Bien... A propos, vous êtes toujours d'accord pour
m'accompagner à San Diego, pour le Salon du livre?
— Si vous promettez de ne plus me harceler! Il éclata de
rire.
— Vous avez ma parole!

La semaine précédant leur voyage s'écoula sans incident


notoire. Malgré sa peur de le heurter, Cassie profita d'un
dîner avec Justin pour lui révéler son intention de ne plus le
voir. A sa grande surprise, il accepta sa décision sans
protester.
— J'espère simplement que nous pourrons rester amis, dit-
il. Je t'apprécie beaucoup, tu sais.
— C'est gentil de le prendre comme ça... Oh ! Justin, je
suis désolée que ça n'ait pas marché entre nous !
Très émue, Cassie se tut. Justin tendit la main et lui
caressa doucement la joue.
— Je te souhaite tout le bonheur possible, Cassie,
murmura-t-il. Et si un jour tu as des enfants, tu sauras à quel
pédiatre t'adresser!
Sa plaisanterie détendit l'atmosphère et, heureux de sortir
d'une situation ambiguë, ils finirent de dîner en conversant
joyeusement.
En retrouvant son pavilllon de Camden House, Cassie se
demanda quelle attitude adopter envers Miles. Peut-être
avait-elle eu tort de repousser ses avances.. Après tout, se
donner à lui était sans doute îa seule façon de savoir s'il
l'aimait sincèrement.
Mais non ! Elle était stupide ! Miles n'avait d'yeux que pour
Sarah. Cet amour déçu le poussait à séduire les plus
belles femmes de Londres. Pouvait-elle prendre le risque
de n'être qu'un nom de plus sur la liste de ses conquêtes?
La jeune femme se jeta sur son lit et enfouit la tête dans
l'oreiller. Le futur lui semblait sombre et rempli d'incertitude.
Saurait-elle gagner la confiance de Miles, et régner sur son
cœur?
11

Le jour du départ pour San Diego arriva enfin. Miles passa


à Camden House prendre la jeune femme. Etrangement, il
paraissait de mauvaise humeur.
— Des valises Louis Vuitton ? marmonna-t-il. Je vois qu'on
ne se prive de rien!
Cassie se maudit d'avoir négligé ce détail.
— Ce sont des imitations fabriquées en Thaïlande,
s'empressa-t-elle de dire. Elles sont bien faites, n'est-ce
pas ?
--En effet! Mais pourquoi avoir pris trois valises? Nous ne
restons que quelques jours à San Diego.
Je ne savais pas trop quel temps il ferait en Californie...,
alors, j'ai emporté quelques affaires d'été.
Quelques affaires? Une vraie garde-robe, vous voulez dire
!
Miles se plongea dans ses dossiers dès qu'ils eurent pris
place dans l'avion. Il sombra bientôt dans un profond
sommeil. Les yeux clos, respirant calmement, il avait I -ur
étrangement vulnérable, et Cassie dut lutter contre l'envie
de caresser ce visage à l'expression soudain si enfantine.
A l'aéroport de San Diego, ils louèrent une voiture. Vingt
minutes plus tard, ils arrivaient à l'Impérial Hôtel, oii Cassie
avait déjà passé des vacances avec ses parents quelques
années auparavant. Il était cependant peu probable que
quelqu'un la reconnaisse... Elle savait que le personnel
changeait rapidement dans ces établissements de luxe.
L'Impérial était en effet l'un des hôtels les plus connus des
Etats-Unis. Son architecture extravagante faisait penser à
un château du Moyen Age, bien que l'aménagement
intérieur fût du dernier cri.
Miles et Cassie s'approchèrent de la réception.
— Bonjour, mademoiselle Elliot. Nous sommes toujours
ravis de vous compter parmi nos invités.
En reconnaissant le directeur de l'établissement, Cassie
tressaillit. Peter Laederick était un grand ami de ses
parents.
— Merci, Peter, dit-elle. Je vois que l'accueil est toujours
aussi chaleureux !
— Je ne me souviens pas d'avoir vu votre nom sur la liste
des réservations...
— Je viens pour le Salon du livre, coupa-t-elle. Je vous
présente Miles Gilmour. C'est mon employeur.
Cassie jeta un regard lourd de sens au directeur de l'hôtel.
L'air intrigué, il lui sourit d'un air entendu et disparut dans
son bureau.
— Vous connaissez cet homme ? demanda Miles.
— J'ai travaillé ici comme hôtesse d'accueil quand je
visitais les Etats-Unis, improvisa-t-elle. Et l'hôtel n'a plus de
secrets pour moi. Je pourrai vous faire visiter, si vous
voulez...
— Avec joie ! Je vous laisse le temps de vous installer.
Retrouvons-nous dans le hall d'ici à une heure. Ça vous
suffira ?
— Je pense que oui. N'oubliez pas que j'ai emporté toute
ma garde-robe !
Aussitôt, Miles lui adressa un clin d'œil.
— Dans un cadre aussi enchanteur, c'est une robe de
princesse qu'il vous faut ! J'espère que vous avez prévu
une tenue de circonstance ! s'exclama-t-il.
Leurs chambres se faisaient face au premier
étage de l'hôtel. En entrant dans la pièce, Cassie découvrit
une bouteille de Champagne dans un seau à glace,
accompagnée d'un petit mot de Peter Laederick : «
Bienvenue à l'Impérial. » Un immense bouquet de fleurs
était posé sur la commode et parfumait agréablement la
chambre.
Soupirant d'aise, Cassie ouvrit la porte-fenêtre et sortit
sur le balcon pour contempler la baie de San Diego.
Difficile de ne pas se sentir en vacances dans un cadre
aussi agréable ! Miles lui laisserait-il un peu de temps pour
profiter de la vaste plage de sable fin qui s'étendait à perte
de vue?
Environ une heure plus tard, elle le retrouvait en grande
conversation avec un homme qui parlait avec un léger
accent allemand.
— Vous êtes la secrétaire de Miles ? Enchanté ! Je disais
à Miles que j'ai passé ma lune de miel dans cet hôtel, il y a
quinze ans. Rien n'a changé... C'est un endroit vraiment
enchanteur, vous ne trouvez pas ?
Miles prit congé de son interlocuteur aussi rapidement que
la politesse le permettait, puis il entraîna Cassie vers la
piscine.
— Votre chambre vous convient-elle ? demanda-t-il.
C'est sensationnel ! Ce qui n'est guère étonnant,
l'Impérial est un des meilleurs hôtels des Etats-Unis.
— Ils auraient dû vous garder. Vous feriez un excellent
agent de relations publiques !
Cassie sourit et guida Miles à la découverte de l'hôtel.
— Cette visite était passionnante, Cassie..., dit-il, une
demi-heure plus tard. Je me demande comment vous
savez tant de choses sur cet hôtel. Vous n'avez jamais
songé à écrire un livre sur la question ?
Ils s'étaient installés près de la piscine, et savouraient des
cocktails colorés.
Je suis prête à le faire... Si vous me promettez
de gros droits d'auteur! répliqua-t-elle.
Pendant quelques secondes, Miles la contempla avec
intensité.
— Vous avez une mine superbe, Cassie. Je me demande
comment vous faites. Ce voyage m'a éreinté.
— Vraiment? Vous n'avez pourtant pas l'air fatigué.
— Et ce, grâce à vous ! Votre compagnie est très
reposante, Cassie. Vous ne parlez jamais pour ne rien
dire. Je trouve que c'est une qualité exceptionnelle chez
une femme.
— En général, les hommes n'aiment pas les bavardes.
Alors, je m'adapte.
— Ce ne sont pas les bavardes que nous n'aimons pas,
mais les commères.
— Les hommes sont aussi médisants que les femmes ! Ils
parlent tout le temps de leurs conquêtes.
— Puisque vous abordez ce sujet... Vous avez eu
beaucoup de petits amis?
— Pourquoi cette question?
— Je voudrais comprendre pourquoi vous ne vous
intéressez pas à moi. Peut-être avez-vous eu une
mauvaise expérience dans le passé? Je ne sais pas,
quelque chose qui vous empêche de tomber amoureuse...
— Non, je désire une relation stable, tout simplement.
— C'est-à-dire, le mariage?
— En quelque sorte... J'ai envie que mes enfants aient un
vrai père.
— Vous ne supporteriez pas d'avoir des enfants en dehors
du mariage? Pourtant, ce n'est plus un problème
aujourd'hui... Vous ne seriez pas un peu traditionaliste?
— Qu'en savez-vous? Vous ne me connaissez pas assez
pour me juger.
— Ce n'est pas faute d'avoir essayé ! Mais... vous
rougissez ?
— Non... C'est le reflet du parasol.
— J'avais déjà remarqué que vous rougissiez lorsqu'on
vous parlait d'amour. C'est charmant ! Et très inhabituel...
Tellement inhabituel que je me demande si vous n'êtes pas
encore vierge.
Cassie baissa les yeux, ne sachant que répondre.
— Eh bien, je vois que j'ai visé juste. J'ai toujours su que
vous n'étiez pas une femme comme les autres, Cassie.
Elle ne répondit pas, furieuse de s'être laissé surprendre
aussi facilement.
— « Pas comme les autres », ça veut dire « vieux jeu » ?
reprit-elle.
— Pas du tout. Je voulais dire que vous êtes
exceptionnelle... A tout point de vue.
— Vous savez que vous avez des talents d'écrivain? Vous
n'avez pas votre pareil pour tourner un compliment.
— Ne vous moquez pas de moi, Cassie. Je pense
sincèrement ce que je dis.
— Moi aussi. Miles.
Il sourit et désigna les verres.
— Un autre cocktail?
— Non, merci. Je vais aller me changer pour le dîner.
— Rendez-vous dans le hall à 8 heures. Les participants au
Salon du livre sont invités à une réception, ce soir.

Miles lui lança un regard admiratif quand ils se retrouvèrent


à l'heure convenue.
Vous êtes superbe ! C'est une nouvelle robe ? Cassie
avait mis un discret ensemble Christian Dior qui dessinait
admirablement sa silhouette.
— Oui. J'attendais une occasion pour la porter, déclara-t-
elle.
— Quelle excellente idée de choisir ce moment î D'autorité,
il prit la jeune femme par le bras et
l'entraîna vers les salons privés de l'Impérial. De nombreux
invités étaient déjà arrivés, et Miles s'arrêta plusieurs fois
pour saluer des connaissances. Les hommes n'avaient
d'yeux que pour Cassie. La jeune femme remarqua l'éclair
de jalousie qui brillait dans les yeux de leurs épouses.
— Tout le monde a l'air de croire que je suis votre petite
amie, murmura-t-elle à l'oreille de Miles.
Il esquissa un sourire.
— Ce qui prouve que nous sommes faits l'un pour l'autre !
— C'est étonnant, ils sont tous venus en couple. Que vont
faire les femmes ? Lézarder au soleil ?
— Exactement ! Et d'ailleurs, demain, nous les rejoindrons.
Ce serait dommage de venir à San Diego sans goûter aux
joies de la plage !

Miles tint parole et lui donna quartier libre le lendemain


après-midi. La jeune femme le vit arriver à la piscine vers 4
heures, en maillot de bain. Ses lunettes de soleil lui
permirent d'observer à la dérobée ce corps d'athlète tout
en force et en souplesse.
— Je ne m'attendais pas à vous trouver en Bikini, lança-t-il.
Vous me surprendrez toujours!
— Je ne suis tout de même pas une nonne !
— Parfois, je me pose la question... Bon. ça vous dirait de
piquer une tête ?
Cassie se leva d'un bond et plongea dans la piscine,
immédiatement suivie de Miles. Il atteignit le bord opposé
bien avant la jeune femme, puis revint auprès d'elle.
— Je vous ai battue ! s'exclama-t-il.
— Nous ne faisions pas la course! Mais si vous me laissez
quelques longueurs d'avance, vous verrez !
A ces mots, Miles se précipita sur elle en riant et lui
enfonça la tête sous l'eau. Toussant et crachant, la jeune
femme lui passa les bras autour du cou et se laissa porter
jusqu'au bord.
— Je reconnais ma défaite, dit-elle, le souffle court.
Comme je ne suis pas mauvaise perdante, je vous offre un
verre. Que désirez-vous ?
— Juste un jus de fruits. J'ai pris trop de vin au déjeuner.
Il s'allongea sur un transat tandis que Cassie allait
commander deux oranges pressées. Puis elle s'installa à
côté de lui, et tous deux goûtèrent un long moment la
chaude caresse du soleil. Cassie voulut dire quelque
chose mais, en tournant la tête, elle se rendit compte que
Miles s'était endormi aussi soudainement qu'un enfant.
A son tour, elle se laissa bercer par le bruit étouffé des
vagues sur le rivage, et s'assoupit.
Lorsqu'elle émergea de ce court sommeil, elle s'aperçut
que Miles la dévorait des yeux.
— Vous avez bien dormi ? murmura-t-il.
— Mmm... Oui, et vous?
— Je ne dormais pas vraiment. J'avais juste les yeux
fermés.
— Vraiment? Dans ce cas, pourquoi étiez-vous en train de
ronfler?
— Je n'ai jamais ronflé de ma vie!
— Peut-être que personne n'a eu le courage de vous le
dire...
— Vous êtes sérieuse? Je ronflais?
— Mais non ! Je plaisantais !
Pendant quelques secondes, ils restèrent silencieux, les
yeux dans les yeux Puis soudain, Cassie eut envie de se
blottir contre lui. Miles parut lire dans ses pensées, car il se
rapprocha d'elle.
— Cassie, je...
— Salut, vous deux ! Où étiez-vous passés ? On vous a
cherchés partout !
Miles poussa un juron étouffé et se redressa vivement.
Cassie s'aperçut que l'homme à l'accent allemand et sa
Icinme les observaient avec une curiosité non dissimulée.
— Il n'y a pas de conférences demain, et ma femme
aimerait visiter Sea World, dit l'éditeur allemand. Vous
devriez nous accompagner !
— Je crains que ce soit impossible, répondit Miles. Je dois
aller à Los Angeles demain matin. Mais peut-être que
Cassie serait intéressée?
Il l'interrogea du regard.
— J'ai déjà visité Sea World plusieurs fois, répondit-elle.
C'est très gentil d'avoir pensé à nous, en tout cas, mais je
préfère rester près de la piscine.
Miles laissa le couple s'éloigner, puis se tourna vers la
jeune femme.
— Vous pouvez m'accompagner à Los Angeles, si vous le
souhaitez. Mais comme je serai très occupé, il faudra que
vous visitiez la ville toute seule.
Cassie hésita. Mary, sa meilleure amie, venait
d'emménager à Beverly Hills avec Steve, son mari. C'était
l'occasion rêvée de lui rendre visite.
— Je ne peux rien vous promettre pour l'après-midi...,
ajouta-t-il. Mais nous dînerons ensemble au Bistro, le
rendez-vous des stars.
Bien qu'elle connût très bien ce restaurant, Cassie fit
semblant d'être impressionnée.
— Si vous me promettez que je verrai Tom Cruise...
— S'il n'est pas là, je vous offrirai sa photo !
— Avec un autographe?
— Oui ! Le mien !
— Alors, c'est d'accord! J'ai hâte d'être à demain!
— Et si nous nous promettions de ne pas nous disputer?
Ce n'en sera que plus agréable.
— Marché conclu ! s'exclama-t-elle. Mais je vous préviens :
ce n'est qu'un armistice!
Ils arrivèrent à Los Angeles tôt le lendemain matin. La
Cadillac avec chauffeur que Miles avait louée pour
l'occasion s'arrêta devant le Beverly Hills Hôtel. Avant de
se séparer, ils convinrent de se retrouver vers 18 heures au
bar de l'hôtel.
— Vous avez déjà une idée de ce que vous allez faire
aujourd'hui? demanda-t-il.
— Peut-être visiter les studios de l'Universal... Je ne sais
pas très bien encore.
Aussitôt, il sortit cinq cents dollars de son portefeuille.
— Prenez ça, Cassie. Si vous voyez quelque chose qui
vous plaît dans une vitrine, n'hésitez pas. Non, ce n'est pas
la peine de protester. Donné, c'est donné !
La jeune femme fut tentée de lui rendre la liasse de billets,
mais elle se dit qu'il aurait été ridicule de refuser. En le
quittant, elle se promit de lui acheter un cadeau avec cette
somme.
La jeune femme trouva chez Tiffany's un élégant agenda en
crocodile. Il coûtait plus de mille dollars, mais quelle
importance? Miles ne ferait certainement pas attention au
prix.
Ensuite, elle prit un taxi et lui indiqua l'adresse de son amie
Mary à Beverly Hills. Mary vivait avec son mari dans une
charmante maison aux volets roses, qui ressemblait
étrangement à un gâteau de mariage.
— J'avais tellement hâte de te revoir ! s'écria Mary en lui
ouvrant la porte. Je ne t'aurais jamais pardonné si tu étais
passée à San Diego sans me rendre visite !
Elles s'installèrent dans le jardin baigné de soleil, près de
la piscine. Cassie fut soulagée de lui parler des sentiments
qu'elle ressentait à l'égard de Miles. Mary avait toujours été
sa confidente, et la jeune femme faisait le plus grand cas
de ses conseils.
- Je suis bien contente que tu aies renoncé à prendre la
direction des Editions Barlow, dit Mary. Cela ne l'aurait
apporté que des soucis! Tu es plutôt faite pour londer une
famille.
- Peut-être, je ne sais pas. Mais en tout cas, ce n'est pas
facile de trouver l'homme idéal !
— Tu n'as pas le droit de gâcher ta vie en t'accrochant à ce
Miles ! D'après ce que tu m'en as dit, ce n'est qu'un coureur
de jupons comme les autres. Tu devrais lui révéler qui tu es
en réalité et rentrer aux Etats-Unis. C'est la meilleure
solution, crois-moi.
— Tu as sans doute raison... J'espère toujours que Miles
tombera amoureux de moi. Peut-être qu'il m'aime déjà un
peu ? C'est terrible, je ne sais plus vraiment où j'en suis.
— Même si Miles tombait amoureux de toi, est-ce qu'il te
pardonnerait d'avoir joué la comédie pendant plusieurs
mois?
— Hé là ! Tu es censée me remonter le moral !
— Je suis ta meilleure amie, Cassie. Tu sais que j'ai
toujours été franche avec toi. C'est pour cela que je te
conseille de clarifier la situation le plus vite possible.

Miles l'attendait quand elle entra dans le bar de l'hôtel en fin


d'après-midi. Il sourit et se leva pour la saluer.
— Vous avez l'air en pleine forme, dit-il. Vous avez eu le
temps de faire quelques courses?
— Oui.
— Vous prendrez bien un verre?
Cassie vit une bouteille de Champagne Roederer sur la
table.
— Vous fêtez quelque chose? demanda-t-elle. L'entretien
de cet après-midi a dû bien se passer !
— En effet. Mais si ça s'était mal passé, j'aurais
commandé deux bouteilles !
— J'aime cette philosophie de la vie.
— Vraiment? Vous qui paraissez tout le temps en pleine
forme... Ne me dites pas que vous avez déjà eu besoin de
noyer votre chagrin dans l'alcool !
— J'allais vous dire la même chose.
A ces mots, une lueur étrange brilla dans les yeux de Miles.
— J'ai eu des moments assez mélancoliques dans ma vie,
murmura-t-il.
La bonne humeur de la jeune femme s'évanouit. Pensait-il
à Sarah? Il semblait décidément impossible de rivaliser
avec elle dans le cœur de Miles...
— Je suis curieux de voir ce que vous avez acheté,
déclara-t-il soudain. Vous n'avez que ce paquet?
Un sourire aux lèvres, elle lui tendit l'agenda, enveloppé
dans le somptueux papier cadeau de Tiffany's.
— Ma maman m'a appris que les filles sages n'acceptent
jamais d'argent d'un homme autre que leur mari ! lança-t-
elle.
L'air intrigué, il défit l'emballage, puis resta quelques
secondes silencieux.
— Cet agenda est magnifique..., murmura-t-il enfin. Il a dû
vous coûter les yeux de la tête.
— En fait, il était soldé. Alors, j'ai profité de l'occasion.
— Vous êtes vraiment adorable! Mais j'aurais préféré que
vous achetiez quelque chose pour vous.
— Je n'avais besoin de rien en particulier.
— Allons, je suis sûre qu'il y a des choses qui vous font
envie. Que feriez-vous si vous gagniez un million de dollars
à la loterie ?
Cassie hésita. Bien évidemment, Miles ne savait pas
qu'elle était extrêmement riche. Peut-être fallait-il profiler de
cette question pour lui révéler sa véritable identité ? Non,
l'instant était mal choisi. Mieux valait attendre d'être de
retour à Londres pour tout lui avouer. Elle pourrait alors lui
offrir, en même temps, de racheter ses parts de la société.
C'était peut-être la meilleure façon de se (aire pardonner.
— Alors? reprit Miles. Vous achèteriez un appartement?
Une Mercedes?
— Non, un restaurant.
— Comment?
— Vous ne vous rappelez pas? Vous m'avez dit que je
cuisinais assez bien pour en ouvrir un.
— C'est vrai. J'avais oublié.
— On dirait que le dîner chez moi ne vous a pas laissé un
grand souvenir !
— Au contraire f Mais quand je suis avec vous, la cuisine
est le cadet de mes soucis.
Sans lui laisser le temps de répondre, Miles appela le
garçon et régla l'addition. Ils se rendirent ensuite au Bis-rro,
où le chef en personne vint saluer Miles, et les fit asseoir à
l'une des meilleures tables. Cassie avait souvent remarqué
que Miles, par sa gentillesse naturelle, savait s'attirer
l'amitié des gens qui le servaient.
— Vous m'avez dit que la journée avait été frac-tueuse,
Miles. Est-ce que vos ventes progressent en Californie ?
— Oui, mais ce n'est pas tout.
— Qu'y a-t-il d'autre?
— Je ne sais pas si cela vous intéressera vraiment.
— Tout ce que vous faites m'intéresse... Je suppose que
vous l'aviez déjà deviné.
11 la regarda en silence.
— Vous savez, Cassie... Vous avez changé ma façon de
voir les choses.
— Vraiment?
Il lui prit la main.
— Vous n'êtes pas le genre de fille qui se donnerait à un
homme sans l'aimer vraiment... Cassie, je vous aitue
comme un fou. Je vous l'aurais dit plus tôt si je n'avais pas
été aussi obstiné.
Cassie sentit son cœur battre plus vite. Avait-elle bien
compris le sens de ces paroles? Submergée par l'émotion,
elle le regarda sans pouvoir articuler un mot.
— Au nom du ciel, dis quelque chose ! reprit-il.
— Je... Je ne sais que dire...
— Dis-moi oui.
— Comment?
— Cassie, veux-tu m'épouser?
Cassie affronta le regard anxieux de Miles. Même dans
ses rêves les plus fous, elle n'avait jamais espéré que
Miles la demanderait en mariage si rapidement. Pourquoi
ce soudain revirement? Bile était certaine à présent de
l'amour de Miles. Un amour qui se transformerait
certainement en haine quand elle lui révélerait sa
véritable identité... Mais elle le lui dirait plus tard. Pour
l'heure, la jeune femme voulait savourer ce moment
d'éternité.
— Miles, je ne m'y attendais pas du tout... C'est une telle
surprise...
— Je me surprends moi-même ! Mais si tu me disais oui.
pour changer?
— Oui, oui, mille fois oui !
Mon ange! murmura-t-il. Quel idiot je fais de te demander
en mariage dans un restaurant! Je ne peux même pas
t'embrasser!
— C'est vrai ! dit-elle en riant.
Il y eut un instant de silence.
— Miles? J'aimerais te demander quelque chose... Quand
es-tu tombé amoureux de moi ?
— J'ai été fou de toi dès que je t'ai vue. Mais c'est avant-
hier que tout est devenu évident. Tu dormais près de moi
dans l'avion... Tu étais si belle! J'ai tout de suite compris
que je ne pourrais plus jamais te quitter.
Cassie était au bord des larmes. Elle découvrait Miles
sous un jour nouveau. Jamais il ne lui avait parlé avec tant
de tendresse.
- Sortons d'ici, murmura-t-il.
Il jeta une liasse de dollars sur la table, glissa quelques
mots à l'oreille du maître d'hôtel éberlué, et entraîna Cassie
vers la sortie.
La Cadillac les attendait devant le restaurant. Ils
s'installèrent à l'arrière. Miles donna ses instructions au i
hauffeur, puis remonta la vitre de séparation et prit
Cas-mc dans ses bras.
La jeune femme s'abandonna sans hésiter à ce baiser
impérieux qui la transportait dans un autre monde. Miles lui
caressa délicatement les seins, déclenchant une
symphonie de sensations sur sa peau. N'y tenant plus,
Cassie se serra contre lui. Elle maudissait ces vêtements
de soirée qui empêchaient leurs corps de se fondre.
— Non. chérie... Pas ici..., murmura-t-il. Je n'aurais jamais
dû prendre de voilure avec chauffeur. Si j'avais conduit,
nous...
— Nous aurions fait l'amour sur la banquette arrière,
comme deux étudiants !
— Ce n'est pas l'envie qui m'en manque!
— Moi non plus !
Serrés l'un contre l'autre, ils n'échangèrent plus un mot
pendant le trajet vers l'hôtel. Leur intimité nouvelle valait en
effet tous les discours du monde.
— Tu veux vraiment que nous fassions l'amour? Il faut que
je le sache, dit-il quand ils furent arrivés devant l'Impérial.
— Oui..., munnura-t-elle, ivre de désir. J'en suis sûre. C'est
d'ailleurs la première fois de ma vie que je suis aussi sûre
de quelque chose.
En entrant dans sa chambre, Cassie se rendit compte
qu'elle n'avait pas enlevé l'immense bouquet de fleurs et la
bouteille de Champagne offerts par le directeur. Miles les
remarqua immédiatement.
— Qui t'a envoyé tout ça? demanda-t-il. Un admirateur?
— Euh... Je crois qu'ils se sont trompés de chambre. J'ai
appelé le directeur, et il m'a expliqué que ces cadeaux
étaient destinés à des jeunes mariés qui occupent la
chambre du dessous. Mais il a insisté pour que je garde
tout.
— Très élégant de sa part !
— Je mets le Champagne au frais? De cette façon, nous
pourrons le boire tout à l'heure.
— Toul à l'heure, nous aurons surtout envie de dormir...
Sans plus tarder, il l'attira contre lui, puis la prit dans ses
bras et l'emporta sur le lit. Les yeux brillants, il se
déshabilla rapidement et se mit à défaire la robe de la
jeune femme. Cassie s'attendait à ressentir une certaine
gène, mais il n'en fut rien. Tout se passait comme s'ils
étaient amants depuis toujours. Enfin, lorsqu'ils furent mis.
Miles l'embrassa avec avidité, et ses lèvres glissèrent le
long du cou de la jeune femme avant de se poser sur ses
seins.
Tu es si belle..., murmura-t-il.
— Viens...
— - Pas encore, mon amour...
Enfin, très doucement, il vint en elle. Us ondulèrent
ensemble au rythme de l'amour, s'élevant toujours plus liaut
vers les sommets du plaisir. Soudain, Miles laissa
échapper un gémissement sourd, auquel la jeune femme lit
bientôt écho. Puis ce fut l'immobilité, pendant un moment
qui lui parut une éternité. Haletants, ils savouraient la joie
sublime d'être ensemble.
Au comble du bonheur, Cassie se blottit contre lui et ferma
les yeux.
— C'est drôle, murmura-t-elle, nous vivons notre lune de
miel sans même être mariés. En tout cas, promets-moi que
nos fiançailles ne seront pas trop longues. J'ai tellement
hâte de...
— Ne t'inquiète pas. Nous n'allons pas nous fiancer.
- Pourquoi ? Tu veux te marier tout de suite ?
— Parce que tu crois encore que je veux t'épouser,
Caissie?
A ces mots, Cassie se figea et lui lança un regard inquiet.
— Je ne comprends pas... murmura-t-elle. Que veux-tu
dire?
- Vous ne comprenez pas, mademoiselle Barlow?
demanda-t-il d'un ton sec.
— Je... Comment sais-tu que je m'appelle ainsi? balbutia-t-
elle. Qui te l'a dit?
Le visage fermé, il se leva d'un bond et commença à
s'habiller.
— J'étais venu à Los Angeles pour racheter une petite
maison d'édition, dit-il d'une voix sourde. Mais il me fallait
le feu vert de Catherine Barlow. Alors, j'ai appelé chez elle
à New York. On m'a dit qu'elle était à Londres. J'ai
demandé son téléphone, et devine quel numéro on m'a
donné? Le tien !
— Miles, je suis désolée... J'avais déjà décidé de tout te
révéler. Mais j'attendais un moment favorable...
— Un moment favorable? En me mettant à la porte pour
prendre la direction de la société? C'est ça que tu
espérais, n'est-ce pas?
— Seulement au début. Ecoute, comprends-moi... Je
t'avais entendu dire à Lionel Newman que tu
démissionnerais si je prenais l'entreprise en main. Mais j'ai
vite compris que personne d'autre que toi ne pourrait
diriger la société. De toute façon, j'avais déjà décidé de te
vendre mes actions depuis longtemps.
— Vraiment? Et pourquoi tu ne m'as rien dit? Ça t'amusait
de jouer la comédie?
— Il fallait d'abord que Lionel remplisse toutes les
formalités nécessaires. Ça prend du temps...
— Et pour lui permettre de mener à bien sa mission, tu as
fait semblant d'être amoureuse de moi. Bravo ! Belle
mentalité !
— Je ne faisais pas semblant ! Je...
— Ça suffit ! Tu n'es qu'une petite intrigante ! Tu croyais
mettre un peu de piment dans ton existence en me faisant
du cinéma, hein? Et tu n'as pas hésité à me séduire !
— C'est faux ! Je n'ai jamais cherché à te séduire... Mais
c'était plus fort que moi, je t'aimais de plus en plus chaque
jour. J'espérais que tu pourrais m'aimer, toi aussi.
Il s'immobilisa et la toisa avec mépris.
— Parce que tu crois que l'on peut aimer quelqu'un qui
passe son temps à vous tromper? s'écria-t-il. Quand je
pense que tu me donnais des leçons sur ma façon de
traiter les femmes... Tu me dégoûtes!
— Ecoute, je voulais te dire la vérité... Mais je ne savais
pas comment tu réagirais. J'avais peur que nous nous
fâchions définitivement.
— Eh bien, maintenant, c'est fait ! Je ne veux plus entendre
parler de toi !
Sans un mot, il prit sa veste et se dirigea vers la porte.
Désespérée, Cassie se précipita vers lui.
— Miles ! Ne t'en va pas ! Je vais tout t'expliquer... Je t'en
supplie, ne pars pas!
— Lâche-moi ! Tu recevras ma lettre de démission demain
matin. Trouve-toi un autre directeur général ! Tu lui offriras
ton corps de rêve en prime !
Cette fois, Cassie fondit en larmes. Ces mots lui avaient
fait l'effet d'une gifle en pleine figure.
— Je t'aime à la folie. Miles. Tu dois me croire. Je
m'excuse de t'avoir fait ça... Il faut que tu me comprennes,
je n'avais pas le choix...
— Tu n'es qu'une enfant, Cassie. Tes excuses
n'arrangeront rien. J'ai déjà rencontré des femmes
calculatrices et perfides, mais toi, tu es unique en ton genre
! Alors, dis-moi, que ressent-on lorsqu'on se sent trahi? Tu
t'es prise à ton propre jeu !
— Ce n'était pas un jeu !
— Non? Eh bien, ça l'était pour moi! Enfin, je ne regrette
pas d'avoir couché avec toi... C'est le seul bon souvenir qui
me restera. D'ailleurs, tu as eu l'air d'apprécier, toi aussi !
A moins que là aussi tu aies fait semblant?
Submergée par une immense douleur, Cassie dut
s'adosser au mur pour ne pas tomber.
— Va-t'en, Miles !
— A votre service, mademoiselle Barlow !
Il ouvrit la porte, fit quelques pas, puis revint et lui tendit
l'agenda qu'elle lui avait offert.
— Garde-le donc. Ma mère m'a toujours diî de ne jamais
accepter les cadeaux des femmes de mauvaise vie !

12

Plusieurs mois s'écoulèrent sans que Cassie puisse


oublier la terrible scène qui avait détruit le rêve de sa vie.
Jamais elle n'avait pensé que Miles réagirait si
violemment. Elle se reprochait de lui avoir joué la comédie.
Mais Miles lui avait-ii laissé le choix? Il aurait démissionné
immédiatement si elle s'était présentée sous son vrai
tiom...
Après le départ de Miles, Cassie avait immédiatement
quitté Los Angeles pour New York, où elle avait mis ses
parents au courant de ce qui s'était passé. Toutefois, elle
ne leur révéla pas la ruse que Miles avait employée pour la
.séduire. Elle leur dit simplement qu'elle comptait retourner
à Londres pour prendre la tête de la société, au moins
provisoirement.
Cassie se rendit chez Lionel Newman dès son arrivée en
Angleterre, une semaine plus tard.
— A mon avis, Miles ne reviendra jamais aux
Editions Barlow, déclara l'avocat. Même si vous lui offrez
un pont d'or.
— Transmettez-lui tout de même la proposition que nous
avions mise au point ensemble. Dites-lui que je lui offre de
racheter l'ensemble de mes actions.
— Vous êtes sérieuse ? Je ne sais pas si feu votre père
aurait approuvé cette décision...
Cassie haussa les épaules.
— Mon père n'a jamais fait attention à moi pendant qu'il
était vivant, murmura-t-elle. Et cet héritage ne m'a apporté
que des soucis ! Alors, croyez-moi, je suis tout à fait
sérieuse, Lionel. Si Miles veut racheter mes actions, j'en
serai très heureuse.
Quelques jours plus tard, Lionel Newman appela chez
Cassie.
— Allô ? Mademoiselle Barlow ? Je viens de recevoir une
lettre de Miles. Il refuse votre offre, et il dit que ce n'est pas
la peine d'insister.
Cette nouvelle ne surprit pas Cassie. Miles était trop fier
pour lui pardonner son mensonge. Elle devrait donc se
résigner à cette terrible réalité et essayer de vaincre la
tristesse qui l'envahissait chaque jour un peu plus.
Malgré la cruauté dont il avait fait preuve en faisant
semblant de l'aimer pour pouvoir coucher avec elle, la
jeune femme continuait de l'aimer. A chaque fois que le
téléphone sonnait, elle se précipitait pour décrocher,
espérant entendre la voix de Miles. Elle lut plusieurs
articles à son sujet dans les journaux économiques, et elle
apprit ainsi qu'il avait décidé de fonder sa propre maison
d'édition avec l'appui de David Holister. Plusieurs auteurs,
dont Seamus O'Hara, avaient quitté les Editions Barlow
pour le rejoindre.
Trop inexpérimentée pour diriger seule l'entreprise, Cassie
avait nommé Peter Mason, l'ancien bras droit de Miles, au
poste de directeur général. Il n'avait certes pas la
même envergure que son ancien patron, mais c'était un
homme compétent et sérieux.
De son côté, elle tenta d'échapper à son désespoir en se
lançant à corps perdu dans son travail. Par son énergie et
sa détermination, la jeune femme ne tarda pas à gagner le
respect de ses collaborateurs. Elle emportait des
manuscrits à la maison pour travailler le soir ou le week-
end. Pourtant, elle ne parvenait pas à se défaire de son
amour pour Miles. Pourrait-elle un jour oublier ce souvenir
qui la torturait?

Cassie passa les fêtes de fin d'année en famille à New


York. Cette escapade aux Etats-Unis lui permit de
retrouver la chaleur rassurante du foyer parental.
Cependant, l'inquiétude de sa mère grandissait à mesure
que le jour de son départ pour Londres approchait.
— Tu ne devrais pas retourner en Angleterre, Cassie,
répétait-elle. Tu as besoin de repos. Tu es si maigre...
— Je ne suis pas maigre, je suis mince !
— Tu penses à cet homme, n'est-ce pas? Tu crois encore
qu'il va changer d'avis?
— Miles ne change jamais d'avis !
— Alors, pourquoi tiens-tu tellement à retourner à Londres?
Tu n'as qu'à vendre l'entreprise. De cette façon, tu feras
une croix sur cette expérience malheureuse. Je suis sûre
que ça te soulagera.
Cassie faillit se laisser persuader. C'était en effet un vrai
supplice que de vivre dans la même ville que l'être qu'elle
aimait le plus au monde, sans jamais pouvoir le voir. Mais
elle ne pouvait se résoudre à fuir. Après tout, n'avait-
elle pas démontré sa capacité à faire face à l'adversité en
travaillant d'arrache-pied pour les Editions Barlow ?
— Mon travail est très prenant, maman. Mais je te promets
que je rentrerai dès que j'en serai lassée.
Cependant, elle trouvait de plus en plus d'intérêt à ce
qu'elle faisait. Peter Mason s'occupait du côté financier et
administratif, tandis que Cassie dirigeait la politique
éditoriale. Ils formaient à eux deux une équipe compétente
et efficace.

Au mois de juin, Cassie décida d'organiser un cocktail


dans son pavillon de Camden House, pensant se changer
un peu les idées. Justin assistait à la soirée en compagnie
de Rowena, un agent littéraire. Cassie profita d'un moment
où ils se retrouvèrent seuls pour lui demander des
nouvelles de Miles.
— Je le vois quelquefois chez Sarah, répondit Justin. Tu
sais sans doute que David lui a avancé les fonds pour
fonder sa nouvelle maison d'édition? Ça n'a fait que les
rapprocher. Sarah attend un bébé, et ils ont demandé à
Miles d'être le parrain.
— On m'a dit que les affaires marchaient très bien pour lui,
en tout cas. Il paraît que le dernier livre de Seamus O'Hara
se vend mieux que prévu...
— Oh, oui ! Tu dois regretter d'avoir perdu Miles, non?
La jeune femme se rembrunit.
— En effet, murmura-t-elle. Heureusement que Peter est là
pour m'aider. Il fait du bon travail.
— Toi aussi, de toute évidence. Rowena trouve que tu as
beaucoup de flair.
— Pfff ! Elle dit ça parce que je viens de faire signer un de
ses auteurs !
— April Davis, n'est-ce pas? Rowena m'a confié que ce
livre serait le succès de l'année.
Cassie sourit en se remémorant les sarcasmes de Miles
quand elle lui avait suggéré de faire signer April Davis.
Malgré son indéniable talent, Miles n'était pas infaillible !
— Nous allons sortir ce livre juste avant le Salon du livre de
Francfort, avait dit Peter. Voulez-vous prendre ce dossier
en main ?
Enthousiaste, Cassie avait donné son accord. La mise
au point de la campagne de publicité l'avait amenée à
revoir Clive Gordon. Elle dîna avec lui un soir, après avoir
participé à une émission littéraire en compagnie d'April
Davis.
— Je ne m'attendais pas qu'on me pose autant de
questions pendant l'émission, dit-elle.
— Vous êtes jeune, belle et immensément riche. Il me
paraît tout à fait normal que les gens cherchent à mieux
vous connaître... A la limite, vous les intéressez plus
qu'April Davis.
L'air pensif, Clive se gratta l'oreille. Cassie avait remarqué
ce tic depuis longtemps. En général, cela signifiait qu'il se
préparait à dire quelque chose de délicat.
— Je parie que vous voulez me poser une question
indiscrète, observa-t-elle.
— C'est vrai ! Mais... Comment avez-vous deviné?
— C'est un secret! Dites-moi plutôt ce que vous avez en
tête.
— Eh bien... C'était au sujet de Miles. Il sera sûrement à
Francfort, lui aussi. Vous ne l'avez pas revu depuis qu'il a
quitté les Editions Barlow, n'est-ce pas?
— Exact... Mais personne n'est indispensable, vous savez.
— Vous n'êtes pas en colère contre lui? Après tout, il vous
a pris vos meilleurs auteurs !
— Je suis sûre qu'ils reviendront quand ils s'apercevront
que les Editions Barlow marchent très bien sans Miles.

Quelques jours plus tard, Cassie accompagnait Clive à


Francfort pour mettre en place le stand des Editions
Barlow. L'atmosphère fébrile et agitée qui régnait dans leur
hôtel rappela à la jeune femme son séjour à San Diego.
Elle craignait à chaque instant de rencontrer Miles, tout en
sachant qu'ils auraient du mal à s'éviter.
Par malheur, le stand de Miles se trouvait tout près de celui
des Editions Barlow. L'inévitable rencontre se produisit
enfin, le jour de l'ouverture du salon. Miles n'avait pas
changé. Il paraissait seulement un peu plus las.
— Bonjour, Cassie. Comment vas-tu?
— Bien, merci, répondit-elle d'un ton sec.
Il désigna la photo d'April Davis, qui trônait au milieu du
stand des Editions Barlow.
— On dirait que tu avais raison pour April Davis, murmura-
t-il. J'ai entendu dire que vous avez eu beaucoup de
commandes...
— L'important, ce n'est pas que les libraires nous passent
des commandes, c'est que les gens achètent.
— Avec tout le battage que tu fais autour de ce bouquin, ça
devrait marcher.
— Ce n'est pas un « bouquin » ! J'ai toujours cru que ce
livre était excellent.
L'air dédaigneux. Miles haussa les épaules.
— Les gens achètent ce livre parce qu'il parle de sexe,
déclara-t-il. C'est aussi simple que ça. Je persiste à
penser que ce n'était pas l'intérêt des Editions Barlow de
publier un tel ouvrage. Dis-moi... il paraît que tu vois
beaucoup Clive, en ce moment. Tu n'as pas réussi à
séduire Peter Mason? B n'est peut-être pas ton genre?
— Je te rappelle que Peter est marié.
— Ah, c'est vrai ! J'oubliais que mademoiselle a des
principes !
— Avant de critiquer les autres, tu devrais balayer devant
ta porte.
— Je ne vois pas à quoi tu fais allusion.
— Quand je suis venue te voir pour te donner le manuscrit
de Seamus O'Hara, la voiture de Sarah était garée devant
chez toi.
A ces mots, Miles éclata de rire.
— Et tu en as tout de suite déduit qu'elle était ma
maîtresse, pas vrai ? Tu m'étonneras toujours ! Sache que
David avait pris la voiture de Sarah pour me rendre visite.
Quand il a voulu repartir, on s'est aperçu que la batterie
était à plat. Il n'avait pas le temps d'attendre la
dépanneuse, alors il a pris un taxi. Son chauffeur est passé
chez moi le lendemain pour récupérer la voiture. Tu vois, il
n'y a pas de quoi en faire toute une histoire! Pas trop
déçue ?
— Au contraire ! Cela prouve que tu n'es pas aussi
minable que tu en as l'air.
Une lueur de colère brilla dans les yeux gris de Miles. Au
grand étonnement de Cassie, il répondit cependant d'une
voix calme :
— Ecoute, nous serons sans doute appelés à nous revoir
dans les prochains jours. Ce serait plus agréable pour tous
les deux si nous évitions de nous insulter à chaque ibis que
nous nous croisons. Tu n'es pas d'accord avec moi?
La jeune femme ouvrait déjà la bouche pour répondre
lorsque l'arrivée de Clive l'en empêcha.
— Salut, Miles ! s'exclama-t-il. Ça fait plaisir de te revoir.
Nous devrions dîner ensemble ce soir, qu'en penses-tu ?
Cassie le foudroya du regard. Clive était pourtant au
courant de la brouille entre Miles et elle...
A sa grande surprise, Miles esquissa un sourire.
— Excellente idée, Clive. A quelle heure nous retrouvons-
nous ?
— Arrange-toi avec Cassie. Je dois faire des courses en
ville avant que les magasins ferment. A tout à l'heure !
— Nous n'avons qu'à nous donner rendez-vous à 8 heures,
dit-elle dès que Clive fut parti Tu peux inviter qui tu veux.
— Je suis venu seul à Francfort, si ça t'intéresse.
— Ne me dis pas que tu viens de découvrir les joies du
célibat !
— Pas du célibat... mais de l'amour!
Aussitôt, Cassie eut l'impression de recevoir un coup de
poignard dans le cœur, mais elle s'efforça de paraître
indifférente.
— Peut-on savoir qui est l'heureuse élue? demanda-t-elle
d'une voix mal assurée.
— Tu le sauras bien assez tôt.
— Je vois, on veut jouer au petit cachottier ! Tant pis !
Alors, à ce soir ! lança-t-elle en s'éloignant.

Ils dînèrent à l'hôtel comme convenu. Cassie portait une


superbe robe de soie noire qui ne cachait rien de ses
formes avantageuses, et elle était la proie de tous les
regards. Seul Miles ne la regardait pas. Il s'était contenté
de la saluer poliment au début du repas, puis il s'était lancé
dans une conversation animée avec Clive. Cassie
remarqua cependant qu'il lui lançait un coup d'œil à la
dérobée de temps en temps.
Il ne lui adressa la parole qu'au moment du café.
— Le dîner était excellent, n'est-ce pas? Bien sûr, ça ne
vaut pas le Gavroche...
— C'est vrai, murmura-t-elle. Quel dommage qu'ils ne
livrent jamais à domicile.
— Je suis sûr qu'en insistant un peu, on peut les convaincre
!
La jeune femme baissa les yeux. Miles avait sans
doute percé à jour son subterfuge... Il fallait s'y attendre.
Miles se tourna vers Clive.
— Clive, tu dois absolument me parler de ta nouvelle
Mercedes. Je projette d'acheter la même...
Une discussion acharnée sur les mérites des voitures
allemandes s'engagea entre les deux hommes.
Cependant, Cassie n'avait d'yeux que pour Miles. Elle
s'apercevait que son amour pour lui était toujours aussi fort,
et en cet instant, elle ne souhaitait qu'une chose : se
retrouver seule avec lui pour tenter d'essayer de renouer.
Mais c'était impossible...
Attristée par ces sombres pensées, Cassie se leva.
— Si vous voulez bien m'excuser, dit-elle, je vais me
coucher. J'ai une terrible migraine.
— Tu veux que je t'apporte des médicaments? demanda
Miles.
— Non, merci, je dois avoir des comprimés dans ma
chambre.
Une fois seule dans sa chambre, Cassie passa sa robe de
chambre et commença à feuilleter un magazine d'un œil
distrait. Cependant, le souvenir des mois qu'elle avait
passés auprès de Miles ne cessait de la tourmenter. Que
se serait-il passé si elle lui avait tout de suite révélé son
identité ?
Epuisée, elle se mit à somnoler, sans trouver la force de se
mettre au lit. Des coups à la porte la tirèrent de son demi-
sommeil.
— Qui est-ce ? demanda-t-elle à travers la porte.
— C'est moi... Miles. Je venais voir si tout allait bien.
— Ne t'inquiète pas, j'ai pris de l'aspirine.
— Tu ne veux pas me laisser entrer ? Je... j'aimerais te
parler.
— Tu plaisantes ? Il est plus de 2 heures du matin !
— C'est très important. S'il te plaît. Cassie...
Cassie se résigna à lui ouvrir. Toujours parfait dans son
superbe smoking, Miles paraissait cependant sous
l'emprise d'une violente émotion. Son visage blafard était
inondé de sueur. Inquiète, Cassie recula et s'assit sur le lit,
rabattant soigneusement les pans de sa robe de chambre.
— Qu'as-tu donc de si important à me dire ? demanda-t-
elle d'un ton cassant. Ça ne pouvait pas attendre demain
matin ?
— Il fallait que je te parle. Je n'y tiens plus... Cassie... Je
suis venu... Je suis venu te demander de m'épouser.
Incapable de répondre, elle lui lança un regard glacial.
— Je sais que ça doit te faire un choc, reprit-il. Mais je suis
parfaitement sincère. Excuse-moi pour ce qui s'est passé
à San Diego, j'avais perdu la tête...
— Sors d'ici immédiatement.
— Je sais que tu m'en veux, Cassie. Comment te dire à
quel point je regrette ?... Il faut que tu me croies. Je t'aime
comme un fou ! Je suis prêt à t'épouser dès demain pour
te le prouver.
— Après avoir couché avec moi, c'est ça?
— Mais je t'aime, Cassie! J'en suis malade, je n'en dors
plus la nuit !
Cassie attendait ce moment depuis des mois. Elle avait
souvent rêvé que Miles viendrait la voir pour s'excuser, et
que tout rentrerait dans l'ordre. Mais à présent que ce rêve
se réalisait, elle n'éprouvait plus qu'un immense désespoir.
Car elle restait persuadée que Miles mentait pour pouvoir
coucher avec elle. C'était l'occasion de lui rendre la
monnaie de sa pièce.
— Il est trop tard, Miles. Je suis avec Clive.
— Ne sois pas ridicule! C'est impossible!
— Tu ne me crois pas? Et pourtant, c'est la vérité. Clive a
su m'apporter le réconfort dont j'avais besoin. J'aurais
peut-être hésité à coucher avec lui si j'avais été encore
vierge...
Elle vit Miles serrer les poings. Mais maintenant qu'elle
était lancée, elle ne s'arrêterait pas. Miles l'avait trop fait
souf frir !
— Mais comme je ne l'étais plus grâce à toi, reprit-elle, je
n'ai pas hésité ! Et tout se passe à merveille, si tu tiens à le
savoir ! Sincèrement, je ne pensais pas pouvoir t'oublier
aussi vite. Enfin, le temps panse même les plaies les plus
profondes...
— Tu as raison, répondit Miles d'une voix lasse.
Sans ajouter un mot, il tourna les talons et ferma
doucement la porte derrière lui. Cassie enfouit la tête dans
l'oreiller, folle de douleur. Voilà, tout était terminé. Le destin
avait tourné à tout jamais cette page si importante de sa
vie. Il lui faudrait à présent affronter la terrible épreuve d'une
existence solitaire et monotone.

13

Cassie mit Clive au courant de son mensonge dès le


lendemain matin.
— Alors, Miles croit que nous sommes ensemble? Vous
deviez avoir une bonne raison de lui dire ça !
— En effet... Mais je préférerais ne pas en parler. Clive, je
suis désolée de vous mettre dans cette situation. Mais
c'est juste l'affaire d'une semaine ou deux.
— Dommage ! J'aurais bien aimé que cela dure plus
longtemps !
Il lui passa affectueusement un bras autour des épaules.
— Vous êtes amoureuse de Miles, n'est-ce pas? murmura-
t-il.
La jeune femme sentit ses joues s'empourprer.
— Oui, mais je ne veux surtout pas qu'il le sache, répondit-
elle.
— Vous ne voulez pas que j'aille lui parler ? Ça pourrait
peut-être arranger les choses.
— Vous êtes adorable, Clive, mais je pense que c'est
inutile.
— Alors, Miles ne saura rien. Vous pouvez me faire
confiance !

Plusieurs jours s'écoulèrent sans que Cassie puisse se


délivrer de l'angoisse qui l'étreignait. Il était difficile d'éviter
Miles, qui travaillait sur le stand voisin. Us échangeaient
parfois quelques banalités, mais Cassie essayait
d'abréger ces conversations qui lui brisaient le cœur.
Un soir, en revenant d'une soirée de gala à l'Opéra de
Francfort, Clive s'enhardit à embrasser la jeune femme
dans le taxi qui les ramenait à l'hôtel.
— Pas maintenant, Clive, protesta-t-elle. Je vous trouve
charmant, mais je souhaiterais que nous en restions là
pour l'instant.
— Excusez-moi... Je me conduis comme un imbécile.
C'est difficile de ne pas tomber amoureux d'une fille
comme vous, vous savez ! En tout cas, cela ne se
reproduira pas, c'est promis!
Clive tint parole. Ils continuèrent de se voir régulièrement
quand ils furent de retour de Londres.
Le livre d'April Davis se vendit à plus d'un million
d'exemplaires, démentant les prédictions de Miles. Ce
succès représentait pour Cassie une première victoire
contre le destin.
Cependant, ses pensées retournaient sans cesse vers
Miles. Elle découpa une photo de lui dans un magazine et
la plaça sur sa coiffeuse, de manière à la voir tous les
matins en se réveillant. Le cliché avait été pris lors du
baptême du bébé de Sarah et de David. Souriant, Miles
tenait dans ses bras l'enfant dont il était le parrain. La jeune
femme savait qu'elle avait tort de s'accrocher au passé
douloureux. Mais comment trouver le courage de jeter cette
dernière image d'un bonheur qu'elle ne connaîtrait jamais ?
Heureusement, un coup de fil de Mary vint rompre ce
quotidien trop monotone.
— Cassie ? Steve a deux semaines de vacances, et nous
avons décidé de nous rendre en Espagne. Tu ne voudrais
pas nous accompagner?
— Avec joie! Vous faites escale à Londres?
— Oui, tu n'auras qu'à réserver un billet sur le vol Londres-
Madrid...
Ils arrivèrent dans la capitale espagnole deux jours plus
tard. De Madrid, ils se rendirent en Estrémadure, une
région d'Espagne qui, peu visitée par les touristes, avait su
garder une certaine authenticité. Steve avait loué une
voiture, ce qui leur donnait une totale liberté de mouvement.
Un soir, ils découvrirent une charmante auberge à Tureul,
un petit village perdu au milieu des montagnes. Le
lendemain matin, la patronne leur servit un délicieux café
dans le patio, où une fontaine murmurait doucement.
— C'est tellement calme ici..., dit Steve. On aurait envie d'y
passer le reste de ses jours.
— Je ne te vois pas vivre ici, répondit Cassie. Tu fini rais
par t'ennuyer !
— Tu me comprendrais si tu habitais Los Angeles ! Quand
je vois ce paysage, ça me fait rêver. 11 a quelque chose
de surnaturel...
Ils visitèrent Rubieros de Mora, une cité médiévale
accrochée à flanc de colline, puis goûtèrent aux
spécialités locales dans un vieux couvent transformé en
restaurant.
— Qui conduit pour le retour? demanda M;iry en terminant
sa coupe de sangria.
— Moi, dit Cassie. Vous avez un peu trop bu, tous les deux
!
— Tu as vu la route que nous avons prise pour venir?
coupa Steve. C'était presque un chemin de terre! Ce serait
étonnant qu'on soit contrôlés comme ça. au beau milieu
des montagnes !
— Mieux vaut ne pas prendre de risques, déclara Cassie.
— Comme tu voudras. Tiens, voilà les clés de la voiture.
Il faisait une chaleur étouffante quand ils prirent le chemin
du retour. Mary et Steve, écrasés de fatigue, s'endormirent
sur la banquette arrière, laissant Cassie seule avec ses
pensées. Miles se trouvait à des milliers de kilomètres de
là, mais elle ne pouvait s'empêcher de se demander ce
qu'il faisait au même moment.
Tout en réfléchissant, Cassie franchit le col et s'engagea
dans la route qui descendait en lacet vers Tureul. Au
premier virage, elle appuya sur la pédale de frein.
Pas de réaction !
Alarmée, la jeune femme écrasa la pédale de toutes ses
forces, mais rien ne se produisit. La voiture étant
automatique, il était impossible de rétrograder pour profiter
du frein moteur.
— Steve ! Mary ! hurla-t-elle pour les réveiller. Les freins ne
répondent plus !
— Tire le frein à main ! Vite ! cria Steve.
Cassie tira frénétiquement le levier, et la voiture se mit à
déraper sur le gravier. Mais soudain, un craquement
métallique retentit, et le véhicule reprit de la vitesse.
— Le câble du frein a lâché ! s'écria Steve.
— Qu'est-ce qu'on peut faire? demanda Mary d'une voix
blanche.
— Prier ! s'exclama Cassie.
La route se rétrécissait de plus en plus. La jeune tèmme
jeta un coup d'œil au compteur : cent trente
kilomètres/heure ! Une voiture qui venait en sens inverse
surgit brusquement du virage et fonça droit sur eux à une
allure vertigineuse. Cassie écrasa le klaxon pour avertir
l'autre conducteur du danger, mais il était déjà trop tard.
«Si on le prend de front, on va tous y passer! songea-t-elle.
Je n'ai pas le choix ! »
— Attention ! hurla Cassie.
Elle donna un grand coup de volant et, défonçant la
glissière de sécurité, la voiture plongea dans le ravin en
contrebas.

Au début, elle ne vit que des fleurs. Puis une voix au fort
accent espagnol prononça son nom. La jeune femme
essaya de se redresser mais, trop faible pour bouger, elle
se laissa retomber sur le lit avec un soupir de
découragement.
— Alors, on se décide à se réveiller, sehorita ? Attendez,
laissez-moi faire !
L'infirmière l'aida à s'adosser à l'oreiller.
— Où suis-je? demanda la jeune femme. Que s'est-il
passé ?
— Vous n'avez rien de grave, mademoiselle. Quelques
côtes cassées, des contusions au visage, et le poignet
fracturé... Ça aurait pu être bien pis !
Un bruit de klaxon dans la rue fit resurgir dans l'esprit
embrumé de Cassie les terribles images de l'accident.
Son cœur se mit à battre plus fort.
— Et mes amis? Sont-ils...?
— Rassurez-vous, ils vont très bien ! C'est un vrai miracle
que personne n'ait été tué. Vous avez été la plus
touchée, parce que vous étiez à l'avant. Mais eux n'ont
presque rien eu.
A ces mots, Cassie fut soudain prise d'un horrible doute. Et
si l'infirmière mentait pour la rassurer?
— Il faut absolument que je les voie ! s'exclama-t-elle.
— Allons, mademoiselle, chaque chose en son temps !
Vos parents et votre fiancé voudraient vous parler. Je vais
les faire entrer.
— Mon fiancé? Mais... Je ne suis pas fiancée...
Trop fatiguée pour continuer de parler, Cassie sombra
dans un sommeil de plomb, dont elle n'émergea qu'à la nuit
tombée. Quelques étoiles luisaient faiblement dans
l'encadrement de la fenêtre.
— Vous êtes réveillée? murmura l'infirmière. Comment
vous sentez-vous?
— Un peu sonnée... Mais sinon, ça va... J'ai mal à la tête.
— C'est normal, ne vous inquiétez pas. Vous avez été
éjectée de la voiture, et votre tête a heurté un rocher.
Voulez-vous que je vous donne des calmants ?
— Non, merci. C'est relativement supportable... Est-ce que
mes parents sont toujours là?
— Ils vous attendent dans le hall avec votre fiancé.
Cassie ouvrit de grands yeux. Qui était ce mystérieux
fiancé ? Peter Mason ? Ou bien Clive ?
— Je ne veux voir que mes parents pour l'instant, déclara-t-
elle.
Aussitôt, l'infirmière fit entrer Luther et Margaret Elliot dans
la pièce.
— Ma chérie..., dit sa mère en s'asseyant au bord du lit. Tu
nous as fait une de ces peurs ! Cela fait trois jours que
nous ne dormons plus !
— Trois jours? Je suis restée dans le coma?
— Oui, tu étais en état de choc, déclara Luther. Ne
t'inquiète pas pour Steve et Mary. Ils n'ont eu que des
égratignures.
— Ils sont dans le hall avec Miles, ajouta sa mère.
— Avec Miles? C'est lui qui s'est présenté comme mon
fiancé? Eh bien, il n'est pas à un mensonge près !
— 11 était obligé de se faire passer pour ton fiancé. Sinon,
le médecin aurait refusé de lui donner des informations à
ton sujet. 11 était là bien avant nous, tu sais. C'est lui qui t'a
offert toutes ces fleurs.
— Comment a-t-il appris mon accident?
— Mary lui a tout dit.
Cassie poussa un soupir résigné.
— Steve et Mary n'ont qu'à entrer, murmura-t-elle. Je verrai
Miles plus tard.
Ses parents quittèrent la pièce, laissant place à Mary et à
Steve.
— On l'a échappé belle! s'exclama Steve. On aurait pu y
passer, tu sais.
— Mais pourquoi avez-vous prévenu Miles? marmonna
Cassie. C'était vraiment la dernière des choses à faire !
— Je suis désolée, dit Mary. Quand je t'ai vue dans
l'ambulance, tu étais couverte de sang... Je ne savais pas
si tu t'en sortirais J'ai pensé que ce serait bien que Miles
soit là au cas où...
— Au cas où je serais morte, c'est ça ? Mais c'est ridicule !
Je n'ai que des côtes cassées !
— Comment voulais-tu que je le sache? Tu n'étais pas
belle à voir quand ils t'ont emmenée à l'hôpital, crois-moi !
affirma Mary. D'ailleurs, Miles devait penser la
même chose. Ça fait trois jours qu'il n'a pas bougé du hall.
Même pas pour dormir !
A en juger par ses traits tirés, Mary elle aussi avait dû se
faire du mauvais sang. Cassie songea qu'elle aurait sans
doute fait de même à la place de sa meilleure amie.
— Excuse-moi de m'être énervée, Mary, chuchota-t-elle. Je
ne pensais pas ce que je t'ai dit. Tu as bien fait d'appeler
Miles.
— Tu as sans doute envie de le voir, à présent, fît
remarquer Steve en se levant. Nous allons l'appeler. A tout
à l'heure, Cassie.
Miles entra peu après dans la pièce. Livide, les traits tirés,
les yeux cernés, il semblait à bout de forces. Son regard
trahissait néanmoins un immense soulagement.
— Merci pour les fleurs, dit simplement Cassie. Elles sont
magnifiques.
— De rien.
Il s'approcha et s'assit au bord du lit. Cassie ne voulait rien
laisser paraître de son émotion, mais 1a présence
rassurante de Miles lui apportait un immense réconfort.
— Tu as mauvaise mine, murmura-t-elle.
— Je n'ai pas dormi depuis trois jours. Je m'inquiétais
tellement pour toi !
— Ce n'était pas la peine de te mettre dans cet état.
I! y eut un silence. Cassie sentait son cœur battre à tout
rompre.
— J'espère que tu n'es pas fâchée que je sois venu te voir,
reprit-il. J'ai pris le premier avion dès que j'ai appris ce qui
s'était passé.
La jeune femme avait de plus en plus de mal à garder son
calme. Un voile de sueur lui baignait le front. Miles s'en
aperçut et se leva vivement.
— Pardonne-moi de te fatiguer avec mes histoires,
Cassie... Repose-toi pour le moment. On se parlera plus
tard...
— Je ne veux plus te voir.
— Chut... Je t'aime plus que tout, Cassie. Je ne m'en irai
pas avant que l'on se soit parlé sérieusement.
Trop fatiguée pour discuter, elle ferma les yeux et entendit
la porte de la chambre se refermer doucement.
Le lendemain matin, Cassie se sentait beaucoup mieux.
Elle put faire quelques pas dans la chambre, et prit un bain
avec l'aide de l'infirmière.
— C'est étrange..., dit-elle en finissant son petit déjeuner.
Je n'ai vraiment pas faim.
— C'est à cause des calmants, répondit l'infirmière. D'ici à
quelques jours, vous mangerez comme quatre ! Vous
sentez-vous de taille à recevoir vos parents? Ils attendent
dans le couloir.
La jeune femme se souvint d'un seul coup d'avoir vu Miles
la veille. Avait-elle rêvé?
— Et mon fiancé? Où est-il? demanda-t-elle.
— Il attend avec vos parents.
— Je ne tiens pas à le voir. Faites entrer mes parents
seulement.
— Comme vous voudrez.
L'infirmière sortit, faisant place à Luther et Margaret Elliot.
Ses parents s'approchèrent du lit.
— Bonjour, ma chérie ! Bon, que comptes-tu faire au sujet
de Miles? demanda Luther avec sa franchise habituelle.
Moi, je suis sûr qu'il t'aime à la folie !
— Il s'est très mal conduit envers moi, murmura Cassie. Il
savait que j'étais amoureuse de lui. Il a fait semblant de
m'aimer lui aussi pour... pour...
Son beau-père poussa un soupir désolé et s'assit au bord
du lit.
— Allons, Cassie, ce n'est pas grave ! Il s'agit d'une ruse
vieille comme le monde.
— C'est tout ce que tu trouves à dire ?
— Miles ne voulait pas te faire du mal.
— Tu le défends ?
— Ecoute-moi. Je sais que tu es en colère, mais tu dois le
comprendre. Miles ne te mentait pas. Il était sincèrement
amoureux de toi. Et il l'est toujours ! Tu as vu sa réaction
quand il a appris ton accident...
Cassie savait que son beau-père avait raison. Et pourtant,
son cœur se refusait à pardonner la traîtrise de Miles.
— Pourquoi a-t-il attendu que nous soyons à Francfort pour
me dire qu'il m'aimait toujours? demanda-t-elle.
— Tu n'as pas le monopole de la fierté, Cassie ! A mon
avis Miles voulait attendre que sa nouvelle affaire
réussisse, pour que vous soyez sur un pied d'égalité.
— Mais je lui avais proposé de lui vendre mes parts des
Editions Barlow !
— Il nous a dit qu'il ne voulait pas te devoir quelque chose.
Soulagée par cette révélation inattendue, épuisée par
toutes les émotions qu'elle venait de vivre, Cassie se mit à
pleurer. Aussitôt, sa mère se précipita vers elle, et la prit
dans ses bras.
— Ne pleure pas, ma chérie. Tout va s'arranger, tu verras.
— Tu viens, Margaret? lança Luther en prenant son épouse
par le bras. Je vais dire à Miles de venir parler à notre
petite Cassie.
Résolue à ce que Miles ne ia voie pas au lit, Cassie passa
sa robe de chambre avec l'aide de l'infirmière, puis s'assit
dans le fauteuil à bascule près de la fenêtre. L'infirmière
sortit, faisant aussitôt place à Miles. Ii semblait reposé, et il
arborait de nouveau l'expression décidée qui lui était
naturelle.
— Je n'aurais jamais cru que je te dirais ça un jour, mais
c'est formidable de te voir ailleurs que dans un lit !
s'exclama-t-il.
Malgré le ton enjoué de sa voix, il n'était pas difficile de lire
dans les yeux de Miles une folle inquiétude. Cassie décida
cependant de prendre sa plaisanterie au pied de la lettre.
— Avec la tête que j'ai en ce moment, je crois que je
pourrais dormir avec toi sans risques!
— Tu te trompes. Ce n'est pas seulement pour ta beauté
que je suis tombé amoureux de toi. Je t'aime pour tout ce
que tu es. Pour ton corps de rêve, pour ton intelligence,
pour ta gentillesse... Et pour la cuisine que tu ne sais pas
faire ! C'est pour ça que je vais t'épouser dès que tu
sortiras d'ici.
Cassie sentit son cœur battre plus vite.
— Qu'est-ce qui te fait croire que j'ai envie de me marier
avec toi, Miles ?
— Arrêtons de jouer à ces jeux-là, Cassie. Sans toi, la vie
n'a aucun sens...
— Ce n'est pas ce que tu prétendais à San Diego.
Miles esquissa un sourire penaud mais soutint le regard
accusateur qu'elle lui adressait.
— J'avais perdu la tête, déclara-t il. Ce fut un tel choc de
découvrir qui tu étais en réalité! Quand tu m'as repoussé à
Francfort, j'ai touché le fond. Cela fait des mois que je
meurs d'envie de te voir. Tu dois me croire ! Je ne peux
pas vivre sans toi !
fl prit les mains de la jeune femme, et les caressa
tendrement.
— Clive n'est pas l'homme de ta vie, tu le sais. Donne-moi
une nouvelle chance, Cassie.
— Une nouvelle chance ? Ce n'est pas la peine, Miles !
— Ne dis pas ça! Je t'aimerai tant que je serai vivant...
— Tu ne m'as pas comprise. Je n'ai jamais été avec Clive !
C'est toi que j'aime !
Le visage de Miles s'illumina soudain, et il p;trut sur le point
de se jeter dans les bras de la jeune femme. D'un geste,
elle l'arrêta en désignant les pansements qui lui entouraient
la cage thoracique. Alors, il s'agenouilla près d'elle.
— Tout est ma faute, Cassie. Je suis désolé...
— Quels idiots nous sommes ! s'exclama-t-elle en lui
caressant les cheveux. J'ai été si malheureuse sans toi!
Promets-moi qu'on ne se quittera plus jamais !
— Le médecin a dit que tu pourrais sortir de l'hôpital à la
fin de la semaine. D'ici là, nous aurons le temps de fixer la
date de notre mariage.
Cassie frissonna de plaisir. Miles l'embrassa
passionnément, scellant à tout jamais leur union. Quand
leurs lèvres se séparèrent enfin, Cassie sut que plus rien
ne serait jamais comme avant.
— Je préfère ne pas te toucher pour l'instant, murmura-t-il
en souriant. Sinon, je ne garantis plus rien.
Cassie sourit.
— Comme je désire au moins quatre enfants, autant
commencer le plus tôt possible.
Miles fit mine de se jeter sur elle, puis se rassit en riant.
— Ne me parle pas d'enfants maintenant, Cassie. Sinon, je
sens que nous allons mettre l'aîné en route tout de suite !
— Il faudra aussi que l'on fusionne nos deux maisons
d'édition. Je ne veux pas que nous soyons rivaux !
— Qui te parle de rivalité? Nous ne visons pas le même
marché !
Le ton de Miles n'admettait pas de réplique. Cassie
n'insista pas, certaine qu'elle pourrait le faire changer
d'avis. Miles ne pourrait plus rien lui refuser quand elle
serait enceinte...
— Tu as l'air pensive... Qu'est-ce que tu mijotes encore?
murmura-t-il tendrement.
— Je pensais à notre premier enfant. Tu n'as pas hâte de
le voir ?
— Si ! Mais... j'aimerais que nous profitions de notre
intimité pendant quelques mois. Laisse-moi le temps de
savourer ce bonheur...
— Accordé !
Il éclata de rire et, prenant la jeune femme dans ses bras, il
lui murmura à l'oreille :
— J'ai dans l'idée que tu auras toujours le dernier mot !
Comme pour saluer la naissance de leur amour, un rayon
de soleil illumina soudain la chambre. Cassie et Miles
échangèrent un regard émerveillé. Ensemble, ils
avaient vaincu le destin et entraient dans l'éternité d'un
bonheur infini.

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