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COLLECTION AZUR
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise sous le titre :
TWO-FACED WOMAN
Cassie vit très peu Miles dans les semaines qui suivirent. Il
ne cessait de voyager pour rencontrer des auteurs, et
passait parfois au bureau, en coup de vent, pour confier à
la jeune femme des lettres à taper.
Elle mit à profit cette période plus calme pour s'exercer au
traitement de texte. Mieux valait en effet être parée à toute
éventualité. Ainsi, si Miles lui confiait une lettre urgente à
taper, elle ne serait pas prise au dépourvu. Ses progrès lui
permirent également d'économiser sur les factures
exorbitantes de Tapexpress.
Quand Miles eut terminé ses voyages d'affaires, l'activité
reprit de plus belle. Cassie devait travailler d'arrache-pied
pour s'adapter au rythme infernal imposé par le directeur
général. Ses journées de travail se prolongeaient
fréquemment jusqu'à 8 h 30 du soir. Cependant, la jeune
femme acceptait ces contraintes avec plaisir, découvrant
petit à petit les rouages complexes de la société.
Elle aborda cette question un jour, au détour de la
conversation.
— C'est une chance de travailler avec vous, monsieur
Gilmour. J'ai l'impression de m'initier petit à petit aux
mystères de l'édition.
Il éclata de rire.
— Les mystères? Comme vous y allez! En fait, il n'y a pas
de secrets dans ce métier. Soit on comprend, soit on ne
comprend pas. C'est une affaire d'instinct. Quand vous
recevez un manuscrit mal tapé, mal présenté, comment
pouvez-vous deviner qu'il s'agit d'un futur best-seller?
Grâce au flair! Il faut aussi avoir du goût... Et surtout savoir
prendre des décisions et s'y tenir ! Ce n'est pas toujours
facile de dire à un auteur reconnu que son manuscrit ne
vaut rien, et qu'on refuse de l'éditer. Parfois contre l'avis du
comité de lecture!
— Et comment faites-vous, dans ce cas?
— Eh bien, il faut se montrer diplomate. On ne peut se
permettre de perdre un auteur connu, même s'il écrit un
mauvais livre. Je suggère à l'auteur en question d'apporter
des modifications à son texte... Puis je publie son ouvrage
en faisant le minimum de publicité. De cette façon, tout le
monde est content.
— Mais si le livre est mauvais, il ne se vendra pas...
— Détrompez-vous ! Quand un auteur connu publie un
nouveau livre, il est assuré du succès.
— Et si son livre ne marche pas malgré tout? Vous cessez
de l'éditer?
— Pas forcément. Là encore, c'est une question de flair. Si
on sent que l'auteur est au bout du rouleau, qu'il ne fera plus
rien de bon, alors pas d'hésitation, il faut arrêter les frais.
Mais s'il est capable de faire mieux, il faut
l'encourager, l'aider à recouvrer son inspiration.
A ce stade de la conversation, Cassie commença à se
demander si elle était faite pour travailler dans l'édition.
Miles Gilmour exagérait-il les difficultés du métier pour
se mettre en valeur? Ou bien fallait-il vraiment autant de
flair qu'il le prétendait ? Elle ne parvenait pas à cerner la
complexe personnalité du directeur général. Il se montrait
tantôt aimable, tantôt autoritaire et maniaque. Malgré ces
sautes d'humeur, tous ses collaborateurs lui vouaient une
admiration sans bornes. Il semblait avoir un sens inné du
contact, un charme qui lui permettait de motiver le
personnel de l'entreprise. Et pas seulement le personnel,
d'ailleurs...
Miles recevait sans cesse des coups de fil de ses
nombreuses amies. Cassie surprenait parfois des bribes
de conversation. 11 ne restait jamais longtemps au
téléphone, mais son ton enjoué montrait qu'il prenait plaisir
à entretenir une petite cour d'admiratrices.
Un jour, alors qu'il avait refusé de parler à l'une d'elles, il
ordonna à Cassie :
— Si Mlle Edmonds me demande encore... Dites-lui que
j'ai dû partir pour Rome toutes affaires cessantes.
Cassie lui lança un regard désapprobateur.
— Et si elle vous rencontre par hasard, dans un restaurant,
par exemple ?
— Eh bien, elle saura que je lui ai menti, voilà tout. Et je
vous dispense de tout commentaire, Cassie. Vous êtes ma
secrétaire, pas ma directrice de conscience.
— Comment osez-vous parler de conscience? Qu'est-ce
qui vous intéresse dans la vie, monsieur Gilmour ? Trouver
une épouse ? Ou bien plutôt collectionner les conquêtes?
Cassie avait lancé ces mots sans réfléchir. Horrifiée par sa
propre audace, elle baissa les yeux. Mais à sa grande
surprise, Miles Gilmour sourit.
— Je mentirais en disant que je n'aime pas les femmes.
Mais je ne suis pas le don Juan que vous croyez !
— Vous n'avez jamais pensé à vous établir... à vous
marier, je veux dire ?
— Je crois que je ne le supporterais pas. Je n'aime pas
voir tout le temps les mêmes têtes. Et puis, les femmes
que je fréquente sont très superficielles, vous savez.
— Vraiment? En tout cas, ça n'a pas l'air de vous gêner
outre mesure ! Bon, que dois-je faire au sujet de Mlle
Edmonds? Faut-il vraiment lui dire que vous êtes parti pour
Rome ?
— Oui, pourquoi ? Sauf si vous pensez à un prétexte plus
vraisemblable...
— Je pourrais lui dire que vous n'en valez pas la peine.
— Mmm... Epargnez-moi ces airs horrifiés ! Vous me
prenez pour un mufle, n'est-ce pas?
— Pas du tout. Votre vie sentimentale ne me regarde pas.
— Vous avez bien votre petite opinion, tout de même.
— Je ne vous connais pas personnellement. Comment
voulez-vous que je puisse vous juger ?
— Vous vous dérobez !
— Trop de franchise peut nuire, monsieur Gilmour.
Ils furent interrompus par un coup de téléphone. Il s'agissait
d'un producteur de télévision, qui appelait pour inviter Miles
Gilmour à une émission littéraire très en vogue.
Cassie regagna son bureau, et songea à la prodigieuse
énergie dont Miles faisait preuve en toutes circonstances. Il
ne cessait de participer à des colloques, et d'intervenir sur
les médias pour commenter l'actualité littéraire. Non
content d'être l'un des managers les plus en vue
de Londres, Miles Gilmour était également reconnu pour
son talent de critique. Et cela s'expliquait facilement,
puisqu'il avait commencé sa carrière à l'université comme
maître de conférences avant de rejoindre les Editions
Barlow. Cassie avait découvert cette nouvelle facette de la
personnalité de Miles au détour d'une conversation.
— Pourquoi avez-vous abandonné l'enseignement? avait-
elle demandé.
— Les études universitaires sont trop académiques.
J'avais l'impression de n'être qu'un rouage dans un
système qui tourne à vide.
— Mais alors, pourquoi avez-vous écrit une thèse? Vous
auriez mieux fait de vous inscrire dans une école de
commerce !
— Je ne crois pas. Ma thèse m'a donné l'occasion de
connaître mieux la littérature anglaise, ce qui me sert
énormément aujourd'hui, pour juger de la qualité des
auteurs que nous publions.
Cassie songeait à l'effet dévastateur que l'irrésistible
charme de Miles Gilmour avait dû produire sur les
étudiantes de l'université. Et apparemment, ce charme
faisait encore des ravages dans la bonne société
londonienne... Sa dernière conquête en date s'appelait
Gemma Charles. Cette sulfureuse star de l'aérobic venait
de supplanter la malheureuse Mlle Edmonds, dont les
nombreux coups de fil trahissaient le désarroi. Cependant,
quelques jours plus tard, Cassie s'aperçut que Gemma
Charles, elle aussi, venait de tomber en disgrâce.
— Ah ! Bonjour, monsieur Gilmour. Mlle Charles a déjà
appelé trois fois ce matin. Elle m'a chargée de vous dire
qu'elle a été déçue de ne pas vous voir hier soir.
— Oui... Mon dîner avec Donald Tremont a duré plus
longtemps que prévu. Eh bien, pourquoi me regardez-vous
ainsi ? Vous commencez à me rappeler ma mère !
— Que vient faire votre mère dans cette histoire? Je ne
savais même pas qu'elle vivait encore.
— Elle est morte il y a deux ans.
— Oh... je suis désolée.
— Bon, si nous parlions un peu de vous, à présent, Cassie
? Ça nous changerai! un peu ! A chaque fois que je vous
pose des questions personnelles, vous vous dérobez.
C'est tout de même incroyable : voilà deux mois que nous
travaillons ensemble, et je ne sais même pas où vous
vivez.
— J'habite Camden House.
— Seule?
— Oui. J'ai loué un petit pavillon.
— Et côté cœur ? Vous avez un petit ami ?
Cassie se demanda la raison de cet intérêt soudain. En
tout cas, mieux valait rester sur ses gardes, à tout hasard...
— Oui, répondit-elle. Je crois qu'il vous connaît, d'ailleurs. Il
s'appelle Justin Tyler.
— Tiens? C'est étonnant! Vous n'êtes pas vraiment
assortis, si je peux me permettre.
— Qu'en savez-vous, monsieur Gilmour? Comme vous
l'avez dit tout à l'heure, vous ne me connaissez pas du tout.
— Eh bien, pourquoi ne pas y remédier? Si nous dînions
ensemble, ce soir?
Prise de court, Cassie hésita un instant.
— A moins que vous soyez déjà prise, bien entendu,
ajouta-t-il.
— Non, je suis libre, mais... cela ne me paraît pas
raisonnable. Je préférerais que nous nous en tenions à des
relations strictement professionnelles, et...
Elle s'interrompit en le voyant esquisser un sourire ironique.
— Vous vous souvenez de mon entretien d'embauche?
reprit-elle. Vous m'avez bien dit qu'il était hors de question
de mélanger travail et distraction. Je pense que vous avez
cent fois raison.
— Je ne vous savais pas si prude ! Ne vous inquiétez pas.
Loin de moi l'idée de vous enlever! Mais je trouve tout de
même dommage que nous ne nous connaissions pas
mieux... Vous serez rentrée pour 10 h 30, c'est promis. Et
je ne monterai pas prendre un dernier verre chez vous ! Ça
vous convient comme ça ?
— Bon, puisque vous insistez... Mais il faudrait que je
passe chez moi me changer...
— J'ai bien peur que vous n'en ayez pas le temps. Je
compte travailler assez tard ce soir, et j'ai besoin de votre
aide. Je pars pour Washington tôt demain matin.
— Une affaire urgente?
— Oui... tellement urgente que j'ai dû prendre une place sur
le Concorde.
— Et vous ne voulez pas me dire pourquoi vous allez aux
Etats-Unis? C'est un secret d'Etat?
— Je vous dévoilerai tout ce soir, c'est promis. A propos,
pouvez-vous appeler Mlle Charles? Trouvez un prétexte
pour m'excuser. Je devais dîner avec elle.
Gênée, Cassie demeura immobile. Ce n'étaii pas très
élégant d'annuler un dîner avec Gemma Charles pour
inviter sa secrétaire au restaurant! Miles semblait vraiment
faire peu de cas des sentiments des gens qui
l'entouraient...
Intrigué par l'air gêné de la jeune femme, il lui lança un
regard interrogateur.
— Rassurez-vous, Cassie. Je n'ai nullement l'intention de
vous faire du charme. Dites-vous qu'il s'agit d'un dîner
d'affaires. Il me semble important de mieux nous connaître
si nous voulons travailler ensemble plus efficacement.
Un peu rassurée, Cassie sortit du bureau et composa le
numéro de Gemma Charles. Elle savait que Miles ne l'avait
pas invitée dans le but de la séduire. Elle se promit
cependant de rester sur ses gardes. Il était hors de
question de se lancer dans une histoire d'amour avec
Miles. Cela ne ferait que compliquer une situation déjà fort
embrouillée...
Au fond, Cassie regrettait d'avoir dissimulé à Miles sa
véritable identité. Et chaque jour qui passait ne faisait
qu'accroître ses remords. Mais pouvait-elle prendre le
risque de lui révéler la vérité? Cassie avait le sentiment
d'avoir mis le doigt dans un engrenage qui l'entraînait
beaucoup plus loin qu'elle ne l'aurait souhaité.
Il était près de 7 h 30 quand ils cessèrent de travailler.
Miles avait voulu tout mettre en ordre avant son départ pour
les Etats-Unis.
— J'ai réservé une table au Harry's Bar pour 8 heures,
déclara-t-il. Vous connaissez ce restaurant ?
Cassie sursauta. Le Harry' s Bar était le club le plus à la
mode de Londres.
— Non, répondit-elle. Je n'y suis jamais allée.
A son grand regret, Cassie était obligée de mentir. Elle
avait dîné au Harry's Bar quelques jours auparavant. Des
amis de ses parents, de passage à Londres, l'avaient
invitée avec Justin dans ce haut lieu des nuits
londoniennes. Curieuse de connaître cet établissement
mythique, Cassie s'était permis cette petite entorse à la
règle qu'elle s'était fixée de ne jamais trahir sa véritable
identité.
— J'ai entendu dire que c'est très « sélect », reprit-elle. Il
faudrait que je rentre me changer, sinon je crains qu'ils ne
me laissent pas entrer...
— Inutile, vous êtes très bien comme ça, Cassie. Alors,
nous y allons?
Cassie sourit et se leva. Cette soirée s'annonçait pleine de
surprises... En tout cas, c'était l'occasion rêvée d'en
apprendre plus sur l'étrange personnage qu'était Miles
Gilmour.
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5
Cassie se sentit quelque peu désœuvrée pendant
l'absence de Miles. L'agitation fébrile qui régnait
d'habitude dans le bureau avait disparu comme par
enchantement, ei ce calme soudain rendait son travail
moins prenant.
D autre part, elle ne pouvait compter sur la compagnie de
Justin, parti une semaine en congé pour rendre visite à ses
parents en province. La jeune femme attendait son retour
avec impatience.
Une semaine plus tard, Miles appela des Etats-Unis.
— Cassie? Bonjour. . Je rentre demain par le Concorde.
Pouvez-vous acheter cinq magnums de Champagne? Je
crois que nous avons quelque chose à fêter!
— Vous avez obtenu ce que vous souhaitiez?
— Au-delà de toutes mes espérances ! Mais je vous en
dirai plus demain. Au revoir !
Et avant que Cassie ait eu le temps de lui demander de
plus amples explications, il avait raccroché. La jeune
femme poussa un soupir Miles resterait décidément
toujours un homme pressé !
Elle se plongea de nouveau dans la lecture de 1 épais
manuscrit qu elle avait trouvé sur le bureau de Miles.
Elle avait en effet décidé de mettre à profit cette période
plus (.aime pour porter une appréciation sur une œuvre qui
avait été rejetée par le comité de lecture.
Mais le téléphone sonna une nouvelle fois. C'était Justin.
— Je suis revenu à Londres ce matin, déclara-t-il d'un ton
enjoué. Alors, je t'ai manqué?
— N'exagérons rien! Après tout, cela ne fait qu'une
semaine que tu es parti.
Bien qu'elle vît Justin assez régulièrement, Cassie savait
que ce n'était qu'une histoire sans lendemain. Plus elle
connaissait Justin, plus elle se rendait compte de tout ce
qui les séparait. Au fond, ils n'étaient d'accord sur rien,
même si Justin se montrait toujours aussi charmant et
attentionné. Et c'était un peu par habitude qu'elle continuait
de dîner avec lui de temps en temps.
— Toi, en tout cas, tu m'as beaucoup manqué, Cassie. Tu
es libre, ce soir?
Ils convinrent de se retrouver à La Sorpresa, un restaurant
italien situé non loin de l'appartement de Justin. Celui-ci
était déjà attablé devant une bouteille de chianti quand elle
arriva.
— Tu as une mine superbe ! s'écria-t-il. Je me demande
comment tu fais pour garder la forme. Miles doit pourtant te
mener la vie dure, au bureau !
— C'est vrai qu'on sent la différence quand il n'est pas là.
Tout est devenu si calme depuis qu'il est parti aux Etats-
Unis... Il m'a appelée aujourd'hui de New York pour me dire
qu'il avait conclu un contrat en or!
— Un de plus !
Cassie remarqua avec étonnement la jalousie qui perçait
dans la voix de Justin.
— Ton travail est aussi intéressant que celui de Miles...,
commença-t-elle.
— Oui, mais je gagne dix fois moins que lui ! On ne devient
pas forcément médecin par vocation, tu sais.
— Tout de même... Je croyais que tu aimais ton métier.
— Pas vraiment... Il ne se passe pas grand-chose, tu sais.
Et toutes ces gardes de nuit, ça m'épuise !
— Mais... tu es médecin. Ce doit être passionnant de
sauver des vies !
A ces mots, il éclata de rire.
— Il faudrait que je te présente à mon père ! s'exclama-t-il.
Je crois qu'il correspond tout à fait à l'image que tu te fais
des médecins. Il exerce à la campagne, et ça lui arrive
souvent de soigner des gens pour rien.
— Et alors? Tu ne trouves pas ça bien?
— Si, bien sûr! Mais ce n'est pas vraiment de cette façon
que fonctionne la médecine aujourd'hui. En tout cas, j'ai
beaucoup parlé de toi à mes parents. Ils aimeraient bien te
rencontrer.
— Peut-être un peu plus tard, mais...
Justin lui prit la main.
— Pourquoi pas tout de suite, Cassie? Tu sais bien que je
suis fou amoureux de toi.
Le dîner prenait une tournure inattendue. Cassie ne
s'attendait pas que Justin se déclare aussi tôt. Au risque
de lui faire du mal, elle devait lui avouer que cet amour
n'était pas réciproque.
— Justin, tu es adorable, mais... Voilà, je ne suis pas
amoureuse de toi. J'espère que tu ne le prendras pas mal.
C'est ma faute, je n'aurais jamais dû te faire croire que
j'éprouvais des sentiments à ton égard...
— Ne t'inquiète pas, murmura-t-il. Je n'aurais pas dû t'en
parler maintenant... Mais je voulais juste que tu saches à
quel point tu comptes pour moi.
Touchée par sa gentillesse, Cassie esquissa un sourire.
— Justin... Tu ne crois pas que ce serait mieux si nous
arrêtions de nous voir pendant quelque temps ?
— Ce n'est pas la peine d'en arriver là. Nous pouvons
toujours sortir ensemble... Je ne te parlerai plus d'amour,
c'est promis! Mais cela ne m'empêchera pas de t'aimer
quand même.
— Tu ne me facilites pas la tâche..., murmura la jeune
femme.
Un sourire éclaira le visage de Justin, le faisant paraître
plus jeune, presque juvénile. Cassie ne put s'empêcher de
le comparer à Miles. Elle savait qu'ils avaient pratiquement
le même âge, et pourtant, quelle différence entre eux !
Miles avait l'air tellement plus mûr! Il ne s'agissait pas
simplement d'une question de physique. Miles avait une
personnalité bien plus complexe et mystérieuse.
— Quelle heure est-il? reprit-elle. J'avais complètement
oublié que je devais faire des courses !
— Il y a un petit supermarché près d'ici. Il reste ouvert
jusqu'à minuit.
— Je ne crois pas que j'y trouverai ce que je cherche. Miles
m'a chargée d'acheter cinq magnums de Champagne pour
demain.
— Tiens, tu l'appelles Miles, maintenant? Ce n'est plus M.
Gilmour?
Cassie se mordit la lèvre. Il y avait une rivalité évidente
entre les deux hommes, et elle n'avait aucune intention de
jeter de l'huile sur le feu.
— Avoue que ce serait ridicule de l'appeler « monsieur »
alors que je travaille avec lui tous les jours ! s'exclama-t-
elle.
Au même moment, le garçon leur servit le plat principal,
qu'ils attaquèrent en silence.
— J'espère que tu ne te fais pas trop d'illusions sur Miles,
déclara Justin. Il a l'air agréable comme ça, mais il ne reste
jamais avec une femme très longtemps. C'est un coureur
de jupons invétéré !
— Peut-être parce qu'une femme lui a brisé le cœur?
répliqua-t-elle ironiquement.
A sa grande surprise, elle vit Justin rougir. Avait-elle par
hasard mis le doigt sur un point sensible ?
— Comment le sais-tu? murmura-t-il. En fait, il s'agissait de
ma sœur Sarah... C'est par moi qu'ils se sont connus,
quand nous étions étudiants à Oxford.
— Tu veux parler de Sarah Holister? Mais tu ne m'en as
jamais rien dit !
Cassie avait rencontré Sarah Holister quelques semaines
plus tôt au bureau. C'était une jeune femme d'une rare
beauté. David, son mari, était le banquier des Editions
Barlow. Il passait régulièrement voir Miles Gilmour pour
discuter affaires.
— Ce ne sont pas des souvenirs très agréables à
raconter..., répondit Justin. Ils se sont connus au moment
où Miles venait d'obtenir un poste de maître de
conférences à Oxford. Ils sont immédiatement tombés
amoureux. Mais je crois que ma sœur n'aimait pas la vie
de l'université. Elle est partie vivre avec David qui, à
l'époque, gagnait beaucoup mieux sa vie que Miles. Miles
a eu du mal à accepter cet échec. Et je crois qu'il a eu le
cœur brisé. A mon avis, c'est pour ça qu'il joue au grand
séducteur aujourd'hui.
— Mais... Si je comprends bien, ta sœur lui reprochait de
ne pas gagner suffisamment d'argent. Elle doit s'en mordre
les doigts, à présent !
— Peut-être... Je suis prêt à parier qu'elle est toujours
amoureuse de lui ! Et Miles doit encore regretter ce qui
s'est passé... Mais enfin, ce qui est fait est fait !
A cet instant, le serveur arriva pour débarrasser la table, ce
qui permit à Justin de changer de sujet. Il regrettait
visiblement d'avoir parlé de cette liaison entre sa sœur et
Miles Gilmour. Avait-il le sentiment d'en avoir trop dit?
Malgré la curiosité qui la dévorait, Cassie s'abstint
d'évoquer de nouveau cette question.
Ayant pris congé de Justin, la jeune femme regagna son
pavillon, perdue dans ses pensées. Il ne faisait aucun
doute que Miles avait abandonné sa carrière
d'enseignant à cause de Sarah. Par sa réussite
exemplaire, il avait sans doute voulu lui prouver à quel point
elle avait eu tort de le quitter...
Cassie essaya de s'imaginer le couple que formaient Miles
et Sarah. A la réflexion, ils ne lui semblaient pas
particulièrement bien assortis. Certes, Sarah était une
femme charmante à tout point de vue. Mais elle lui avait fait
l'impression d'un être superficiel et mondain. D'ailleurs, elle
avait à peine accordé un regard à Cassie lors de sa visite
au bureau, quelques semaines plus tôt. Elle considérait
sans doute que Justin perdait son temps avec une vulgaire
secrétaire...
6
Cassie trouva Miles déjà au travail lorsqu'elle arriva au
bureau, tôt le lendemain. Elégamment habillé, rasé de
près, il avait cependant les traits tirés.
— Bonjour, Miles. Vous n'avez pas bien dormi?
— Ça se voit à ce point? En fait, j'avais pris un manuscrit à
la maison hier soir. Un livre écrit par une certaine April
Davis. Je comptais seulement le commencer, mais
finalement je l'ai lu d'un trait. C'est le manuscrit que vous
avez annoté pendant mon absence. Je me demande
encore si je dois vous féliciter de cette initiative... ou vous
réprimander pour tant d'audace!
— Eh bien, en attendant que vous vous décidiez, je vais
me mettre au travail, si vous le permettez.
Cassie fit mine de sortir du bureau, mais la voix de Miles
l'arrêta.
— Une minute ! Je n'ai pas fini, Cassie.
La jeune femme se reprocha une nouvelle fois d'avoir
répondu sans réfléchir.
— Désolée, murmura-t-elle. Je ne m'étais pas rendu
compte que vous aviez quelque chose à ajouter.
— Eh bien, maintenant que vous le savez, asseyez-vous.
Voilà, il se trouve que je suis tout à fait d'accord avec vos
remarques sur ce manuscrit. Comme dans tous les
premiers romans, il y a des maladresses, des passages un
peu lourds... Mais dans l'ensemble, vos remarques sont
pertinentes : il s'agit d'un très bon livre. Seulement... le
comité de lecture a eu raison de refuser de l'éditer.
— Pourquoi? Si vous aimez ce livre...
— Je n'ai jamais dit que je l'aimais. J'ai simplement dit que
j'approuvais vos commentaires.
— Mais... je ne comprends pas. Si ce roman vous paraît
excellent, pourquoi le refuser?
— Oh, nous n'avons pas peur de publier des livres
controversés. Mais nous évitons toujours le mauvais goût
ou le sensationnel. Ce n'est pas le genre de la maison.
April Davis est une ancienne call-girl qui a fait les gros)
titres dans les journaux il y a quelques années. Elle avait
une liaison avec un ecclésiastique très en vue, et ils ont eu
un enfant en secret. Mais le prêtre a refusé de lui donner de
l'argent pour élever leur petit garçon. En représailles, April
Davis a dévoilé leur liaison à un journal à scandales,
moyennant finances, évidemment. Une histoire charmante,
n'est-ce pas? Nous ne pouvons nous permettre d'éditer
une personne de ce genre. Cela nuirait à l'image de
l'entreprise.
— Vous ne m'apprenez rien, Miles. April Davis en parle
d'ailleurs très honnêtement dans la lettre jointe au
manuscrit- Mais tout cela s'est passé il y a plus de quinze
ans ! April Davis n'est plus la même personne, aujourd'hui.
Elle s'est mariée avec un industriel, elle a trois enfants,
c'est une mère de famille respectable. On ne peut
pas reprocher à quelqu'un d'avoir commis des erreurs
pendant sa jeunesse !
— Peut-être... Mais nous avons pour règle absolue de ne
jamais éditer une personne de moralité douteuse. Henry
Barlow l'a voulu ainsi, et je serai fidèle à ce principe tant
que je dirigerai cette société.
— Je ne vous savais pas si réactionnaire ! Il n'y a rien de
douteux dans le livre d'April Davis. Bon, c'est un peu osé
par moments, mais l'intrigue est tellement amusante ! Ce
livre se vendra comme des petits pains, j'en suis sûre !
Miles la foudroya du regard.
— Ce sera tout, mademoiselle Elliot?
— Vous ne supportez pas la critique, n'est-ce pas?
— Pas de la part d'une simple secrétaire qui ne connaît
absolument rien à l'édition. A présent, si vous désirez
toujours travailler pour un vieux réactionnaire comme moi,
je vous prierai de me taper cette bande magnétique. Il
faudrait que ce soit prêt cet après-midi.
Furieuse, Cassie sortit précipitamment du bureau. Elle
évita cependant de claquer la porte, ne voulant pas prendre
le risque de se faire licencier.
Il ne lui fallut cependant pas longtemps pour recouvrer son
calme. En fait, elle comprenait pourquoi Miles s'était
emporté. Elle s'était montrée un peu présomptueuse en
cherchant à lui imposer son opinion...
En fin de matinée, elle retourna dans le bureau de Miles
pour lui remettre le travail qu'elle avait confié à Tapexpress
selon la procédure habituelle.
Comme elle lui souriait d'un air engageant, il arqua un
sourcil.
— Vous n'êtes plus en colère après moi? demanda-t-il.
— Excusez-moi pour ce matin, Miles. Je crois que j'ai pris
cette histoire de manuscrit un peu trop à cœur. Mais... Je
ne faisais que suivre vos conseils. C'est vous qui
m'avez dit de donner mon avis sur ce que vous publiez.
Il éclata de rire.
— En effet... Mais il y a une différence entre donner son
avis et m'accabler de reproches quand je ne suis pas
d'accord avec vous !
— Je m'excuse encore une fois. Cela n'arrivera plus,
je vous le garantis !
— Allons! Ne faites pas des promesses que vous ne
pourrez pas tenir... Enfin, je propose un pacte de non-
agression! D'accord?
— D'accord !
— Et maintenant que nous sommes réconciliés, puis-je
vous demander un service? Comme d'habitude, Seamus
O'Hara refuse d'envoyer son nouveau roman par la poste. Il
m'a donné rendez-vous à l'aéroport vers 3 heures, cet
après-midi, mais il doit partir pour New York tout de suite
après. Seamus fait escale à Londres spécialement pour
me remettre son manuscrit en mains propres. Il est
incorrigible! J'ai essayé de lui expliquer que je devais
assister au conseil d'administration cet après-midi, mais il
n'a rien voulu entendre. Je lui ai dit que vous iriez à ma
place. Ça ne vous dérange pas? D'ailleurs, je crois que
Seamus a envie de vous rencontrer. Vous avez dû l'avoir
au téléphone pendant mon absence, et il a trouvé votre voix
tout à fait charmante !
— Vraiment? Je suis étonnée qu'il s'en souvienne. Il avait
l'air légèrement éméché quand je lui ai parlé.
— Eh bien, comme tout Irlandais qui se respecte, il est un
peu porté sur la bouteille ! Heureusement, cela ne
l'empêche pas d'être un grand écrivain! Bon, voici le
numéro de son vol. Vous n'aurez qu'à prendre un taxi
jusqu'à l'aéroport. Aux frais de la maison, bien sûr.
— Non, je préfère m'y rendre avec ma voiture.
— Comme vous voudrez.
Ne voulant pas manquer le rendez-vous, Cassie décida de
sauter le déjeuner et se mit en route vers l'aéroport. Elle
avait à peine fait quelques kilomètres que la vieille Toyota
se mit à vibrer, puis s'immobilisa. Le véhicule qui la suivait
s'arrêta à sa hauteur, et un jeune homme en costume gris
en sortit.
— Vous avez des problèmes, mademoiselle? demanda-t-
il.
— Je ne comprends pas... La voiture s'est arrêtée d'un seul
coup !
Désemparée, Cassie ouvrit le capot, d'où s'échappa
aussitôt une épaisse fumée blanche.
— D'après l'odeur, ce doit être la courroie de transmission
qui a brûlé..., déclara le jeune homme en inspectant le
moteur. Oui, c'est bien ça. Je vais appeler S.O.S.
Dépannage sur mon téléphone de voiture. Ils seront là d'ici
à une demi-heure.
— C'est très aimable à vous, merci.
Cassie jeta un coup d'œil à sa montre : 13 h 15. Même en
tenant compte de la réparation, elle serait à l'heure au
rendez-vous. Cette pensée la tranquillisa. Elle s'assit au
volant de la Toyota et alluma l'autoradio pour patienter.
Une heure plus tard, les dépanneurs n'étaient toujours pas
arrivés. L'anxiété de Cassie ne faisait que croître à mesure
que le temps passait. Elle savait que Seamus
O'Hara arrivait à l'aéroport vers 15 h 30, mais Miles ne lui
avait pas dit à quelle heure l'écrivain devait partir pour New
York. La jeune femme était sur le point d'appeler l'aéroport,
lorsqu'elle vit la dépanneuse arriver.
La réparation sur place se révéla malheureusement
impossible. Il fallait remorquer la voiture jusqu'au garage, et
attendre trois quarts d'heure pour remplacer la courroie
défectueuse.
Au bout du compte, Cassie arriva à l'aéroport plus tard que
prévu. Le cœur battant, elle pénétra dans l'immense hall et
se rendit immédiatement au bureau d'information.
Plusieurs hommes patientaient, accoudés au comptoir...
Mais aucun d'eux ne correspondait à la description de
Seamus O'Hara!
— Vous n'avez pas vu un certain Seamus O'Hara?
demanda Cassie à la réceptionniste. Nous avions rendez-
vous ici.
— Vous êtes Cassie Elliot?
— Oui. Y a-t-il un message pour moi ?
— En effet. Je vous préviens, il n'est pas très agréable,
mais M. O'Hara a insisté pour que je vous dise ceci : «
Allez au diable ! Je vais me trouver un éditeur plus
compétent. Et ce n'est pas la peine de m'appeler. Ma
décision est irrévocable ! » M. O'Hara avait l'air très en
colère...
Tout en écoutant la réceptionniste, Cassie avait blêmi.
— Où puis-je le trouver? s'enquil-elle.
— Je crains qu'il ne soit trop lard, mademoiselle. Son avion
est sur le point de décoller.
Bredouillant de vagues remerciements, Cassie regagna
lentement sa voiture. Miles serait certainement
furieux quand elle lui apprendrait ce faux pas. Mais
comment aurait-elle pu prévoir celle panne?
Ses craintes fuient confirmées quand elle arriva au bureau.
Miles la foudroya du regard.
— Qu'est-ce qui s'est passé? s'écria-t-il. J'ai été dérangé
en plein conseil d'administration par un appel de Seamus.
Il était fou de rage !
— Ma voiture est tombée en panne sur l'autoroute, dit-elle
en baissant les yeux. J'ai voulu téléphoner à l'aéroport,
mais je n'ai pas pu trouver de cabine.
— Ne me dites pas que vous aviez oublié de faire le plein.
— Non, c'est la courroie de transmission qui...
— Et vous ne pouviez pas prendre un taxi, au lieu de rester
plantée près de votre voiture ?
— Comment vouliez-vous que je trouve un taxi sur
l'autoroute ?
Miles frappa du poing sur le bureau et se leva d'un bond.
— Ça suffit! Vous savez ce que me coûtent vos bêtises ?
Des millions ! Des millions, vous entendez ?
— Je suis vraiment désolée, Miles. Peut-être que si
j'appelais Seamus pour tout lui expliquer...
— Pas question! Vous avez déjà fait assez de dégâts
comme ça! Inutile d'aggraver votre cas!
— Mais je suis sûre qu'il comprendrait si...
— J'ai dit non! Est-ce clair?
— Il faut faire quelque chose. On ne peut pas rester comme
ça les bras croisés...
— Vous vous permettez de me donner des conseils,
maintenant ? C'est tout de même un peu fort !
— Pourquoi ne pas publier le livre d'April Davis? Je suis
sûre qu'il se vendra comme des petits pains.
— Vous plaisantez, j'espère! Croyez-vous vraiment que ce
roman de gare peut compenser la perte d'un auteur
comme Seamus O'Hara? Et une fois pour toutes : cessez
de me donner des conseils, alors que vous ne connaissez
rien à ce métier! C'est moi le patron, ici !
— Vraiment? Que faites-vous de Catherine Barlow? C'est
elle qui possède l'entreprise!
Aussitôt, Cassie regretta d'avoir prononcé ces paroles.
Une fois de plus, elle avait répondu sans réfléchir. Les yeux
de Miles étincelaient de colère.
— C'est fort aimable de me le rappeler, dit-il d'une voix
sourde. En tout cas, c'est moi qui gère l'entreprise pour
l'instant, et ce n'est pas cette Catherine Barlow qui
m'empêchera de vous licencier. Vous avez une heure pour
quitter ce bureau.
Cassie ouvrit de grands yeux. Elle fut sur le point de lui
dévoiler sa véritable identité, mais décida de plaider sa
cause une dernière fois.
— Miles, laissez-moi une chance, je vous en prie...
Ils furent brusquement interrompus par la sonnerie du
téléphone. Encore sous le choc de ce qu'elle venait
d'entendre, Cassie décrocha machinalement.
— Allô? Les Editions Barlow? Ici le commandant Kinnock
du vol Londres-New York. Je quitte M. O'Hara à l'instant. Il
refuse de parler à M. Gilmour. Il m'a d'ailleurs chargé de
vous dire qu'il ne veut plus entendre parler des Editions
Barlow.
Miles avait tout entendu sur le haut-parleur.
— Tout est perdu ! dit-il. Quelle tête de mule, ce Seamus! Il
vaut mieux attendre qu'il se calme avant de le
rappeler. Quant à vous... Je vais faire le nécessaire pour
qu'on vous règle vos indemnités de licenciement.
— Rien ne vous fera changer d'avis, n'est-ce pas?
— Je le crains. Au revoir, mademoiselle Elliot.
Cassie regagna son bureau et s'effondra sur un siège.
Seigneur! Mais pourquoi lui avait-elle parlé d'April Davis?
Le moment était bien mal choisi! Que fallait-il faire à
présent? Lui avouer qu'elle était Catherine Barlow? Non,
impossible! Il démissionnerait immédiatement, furieux
d'avoir été trompé.
Découragée, la jeune femme poussa un profond soupir. Il
fallait absolument éviter que Miles démissionne. Dans
l'intérêt de l'entreprise... et dans le sien ! Car la pensée de
perdre Miles à tout jamais la remplissait d'une
secrète appréhension. Elle se demanda si elle n'était pas
en train de tomber amoureuse de lui. Pourquoi ressentait-
elle cette crainte de le voir partir? Comment expliquer cette
angoisse qui lui nouait la gorge? La présence rassurante
de Miles lui était-elle devenue indispensable?
Elle chassa ces pensées, et se mit à réfléchir
frénétiquement. L'heure n'était pas aux atermoiements
sentimentaux. Il fallait réagir avant qu'il ne soit trop tard.
Soudain, une idée lui traversa l'esprit : pourquoi ne pas
aller voir Seamus O'Hara à New York? Peut-être pai-
viendrait-elle à le faire revenir sur sa décision de quitter les
Editions Barlow... Certes, il était têtu, mais elle aussi ! En
prenant le Concorde tôt dans la matinée du lendemain, elle
pourrait rencontrer Seamus dans la journée et être de
retour à Londres en début de soirée. Et s'il acceptait de lui
confier le manuscrit, tout rentrerait dans l'ordre.
En espérant que Miles Gilmour accepte de l'embaucher de
nouveau...
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13
Au début, elle ne vit que des fleurs. Puis une voix au fort
accent espagnol prononça son nom. La jeune femme
essaya de se redresser mais, trop faible pour bouger, elle
se laissa retomber sur le lit avec un soupir de
découragement.
— Alors, on se décide à se réveiller, sehorita ? Attendez,
laissez-moi faire !
L'infirmière l'aida à s'adosser à l'oreiller.
— Où suis-je? demanda la jeune femme. Que s'est-il
passé ?
— Vous n'avez rien de grave, mademoiselle. Quelques
côtes cassées, des contusions au visage, et le poignet
fracturé... Ça aurait pu être bien pis !
Un bruit de klaxon dans la rue fit resurgir dans l'esprit
embrumé de Cassie les terribles images de l'accident.
Son cœur se mit à battre plus fort.
— Et mes amis? Sont-ils...?
— Rassurez-vous, ils vont très bien ! C'est un vrai miracle
que personne n'ait été tué. Vous avez été la plus
touchée, parce que vous étiez à l'avant. Mais eux n'ont
presque rien eu.
A ces mots, Cassie fut soudain prise d'un horrible doute. Et
si l'infirmière mentait pour la rassurer?
— Il faut absolument que je les voie ! s'exclama-t-elle.
— Allons, mademoiselle, chaque chose en son temps !
Vos parents et votre fiancé voudraient vous parler. Je vais
les faire entrer.
— Mon fiancé? Mais... Je ne suis pas fiancée...
Trop fatiguée pour continuer de parler, Cassie sombra
dans un sommeil de plomb, dont elle n'émergea qu'à la nuit
tombée. Quelques étoiles luisaient faiblement dans
l'encadrement de la fenêtre.
— Vous êtes réveillée? murmura l'infirmière. Comment
vous sentez-vous?
— Un peu sonnée... Mais sinon, ça va... J'ai mal à la tête.
— C'est normal, ne vous inquiétez pas. Vous avez été
éjectée de la voiture, et votre tête a heurté un rocher.
Voulez-vous que je vous donne des calmants ?
— Non, merci. C'est relativement supportable... Est-ce que
mes parents sont toujours là?
— Ils vous attendent dans le hall avec votre fiancé.
Cassie ouvrit de grands yeux. Qui était ce mystérieux
fiancé ? Peter Mason ? Ou bien Clive ?
— Je ne veux voir que mes parents pour l'instant, déclara-t-
elle.
Aussitôt, l'infirmière fit entrer Luther et Margaret Elliot dans
la pièce.
— Ma chérie..., dit sa mère en s'asseyant au bord du lit. Tu
nous as fait une de ces peurs ! Cela fait trois jours que
nous ne dormons plus !
— Trois jours? Je suis restée dans le coma?
— Oui, tu étais en état de choc, déclara Luther. Ne
t'inquiète pas pour Steve et Mary. Ils n'ont eu que des
égratignures.
— Ils sont dans le hall avec Miles, ajouta sa mère.
— Avec Miles? C'est lui qui s'est présenté comme mon
fiancé? Eh bien, il n'est pas à un mensonge près !
— 11 était obligé de se faire passer pour ton fiancé. Sinon,
le médecin aurait refusé de lui donner des informations à
ton sujet. 11 était là bien avant nous, tu sais. C'est lui qui t'a
offert toutes ces fleurs.
— Comment a-t-il appris mon accident?
— Mary lui a tout dit.
Cassie poussa un soupir résigné.
— Steve et Mary n'ont qu'à entrer, murmura-t-elle. Je verrai
Miles plus tard.
Ses parents quittèrent la pièce, laissant place à Mary et à
Steve.
— On l'a échappé belle! s'exclama Steve. On aurait pu y
passer, tu sais.
— Mais pourquoi avez-vous prévenu Miles? marmonna
Cassie. C'était vraiment la dernière des choses à faire !
— Je suis désolée, dit Mary. Quand je t'ai vue dans
l'ambulance, tu étais couverte de sang... Je ne savais pas
si tu t'en sortirais J'ai pensé que ce serait bien que Miles
soit là au cas où...
— Au cas où je serais morte, c'est ça ? Mais c'est ridicule !
Je n'ai que des côtes cassées !
— Comment voulais-tu que je le sache? Tu n'étais pas
belle à voir quand ils t'ont emmenée à l'hôpital, crois-moi !
affirma Mary. D'ailleurs, Miles devait penser la
même chose. Ça fait trois jours qu'il n'a pas bougé du hall.
Même pas pour dormir !
A en juger par ses traits tirés, Mary elle aussi avait dû se
faire du mauvais sang. Cassie songea qu'elle aurait sans
doute fait de même à la place de sa meilleure amie.
— Excuse-moi de m'être énervée, Mary, chuchota-t-elle. Je
ne pensais pas ce que je t'ai dit. Tu as bien fait d'appeler
Miles.
— Tu as sans doute envie de le voir, à présent, fît
remarquer Steve en se levant. Nous allons l'appeler. A tout
à l'heure, Cassie.
Miles entra peu après dans la pièce. Livide, les traits tirés,
les yeux cernés, il semblait à bout de forces. Son regard
trahissait néanmoins un immense soulagement.
— Merci pour les fleurs, dit simplement Cassie. Elles sont
magnifiques.
— De rien.
Il s'approcha et s'assit au bord du lit. Cassie ne voulait rien
laisser paraître de son émotion, mais 1a présence
rassurante de Miles lui apportait un immense réconfort.
— Tu as mauvaise mine, murmura-t-elle.
— Je n'ai pas dormi depuis trois jours. Je m'inquiétais
tellement pour toi !
— Ce n'était pas la peine de te mettre dans cet état.
I! y eut un silence. Cassie sentait son cœur battre à tout
rompre.
— J'espère que tu n'es pas fâchée que je sois venu te voir,
reprit-il. J'ai pris le premier avion dès que j'ai appris ce qui
s'était passé.
La jeune femme avait de plus en plus de mal à garder son
calme. Un voile de sueur lui baignait le front. Miles s'en
aperçut et se leva vivement.
— Pardonne-moi de te fatiguer avec mes histoires,
Cassie... Repose-toi pour le moment. On se parlera plus
tard...
— Je ne veux plus te voir.
— Chut... Je t'aime plus que tout, Cassie. Je ne m'en irai
pas avant que l'on se soit parlé sérieusement.
Trop fatiguée pour discuter, elle ferma les yeux et entendit
la porte de la chambre se refermer doucement.
Le lendemain matin, Cassie se sentait beaucoup mieux.
Elle put faire quelques pas dans la chambre, et prit un bain
avec l'aide de l'infirmière.
— C'est étrange..., dit-elle en finissant son petit déjeuner.
Je n'ai vraiment pas faim.
— C'est à cause des calmants, répondit l'infirmière. D'ici à
quelques jours, vous mangerez comme quatre ! Vous
sentez-vous de taille à recevoir vos parents? Ils attendent
dans le couloir.
La jeune femme se souvint d'un seul coup d'avoir vu Miles
la veille. Avait-elle rêvé?
— Et mon fiancé? Où est-il? demanda-t-elle.
— Il attend avec vos parents.
— Je ne tiens pas à le voir. Faites entrer mes parents
seulement.
— Comme vous voudrez.
L'infirmière sortit, faisant place à Luther et Margaret Elliot.
Ses parents s'approchèrent du lit.
— Bonjour, ma chérie ! Bon, que comptes-tu faire au sujet
de Miles? demanda Luther avec sa franchise habituelle.
Moi, je suis sûr qu'il t'aime à la folie !
— Il s'est très mal conduit envers moi, murmura Cassie. Il
savait que j'étais amoureuse de lui. Il a fait semblant de
m'aimer lui aussi pour... pour...
Son beau-père poussa un soupir désolé et s'assit au bord
du lit.
— Allons, Cassie, ce n'est pas grave ! Il s'agit d'une ruse
vieille comme le monde.
— C'est tout ce que tu trouves à dire ?
— Miles ne voulait pas te faire du mal.
— Tu le défends ?
— Ecoute-moi. Je sais que tu es en colère, mais tu dois le
comprendre. Miles ne te mentait pas. Il était sincèrement
amoureux de toi. Et il l'est toujours ! Tu as vu sa réaction
quand il a appris ton accident...
Cassie savait que son beau-père avait raison. Et pourtant,
son cœur se refusait à pardonner la traîtrise de Miles.
— Pourquoi a-t-il attendu que nous soyons à Francfort pour
me dire qu'il m'aimait toujours? demanda-t-elle.
— Tu n'as pas le monopole de la fierté, Cassie ! A mon
avis Miles voulait attendre que sa nouvelle affaire
réussisse, pour que vous soyez sur un pied d'égalité.
— Mais je lui avais proposé de lui vendre mes parts des
Editions Barlow !
— Il nous a dit qu'il ne voulait pas te devoir quelque chose.
Soulagée par cette révélation inattendue, épuisée par
toutes les émotions qu'elle venait de vivre, Cassie se mit à
pleurer. Aussitôt, sa mère se précipita vers elle, et la prit
dans ses bras.
— Ne pleure pas, ma chérie. Tout va s'arranger, tu verras.
— Tu viens, Margaret? lança Luther en prenant son épouse
par le bras. Je vais dire à Miles de venir parler à notre
petite Cassie.
Résolue à ce que Miles ne ia voie pas au lit, Cassie passa
sa robe de chambre avec l'aide de l'infirmière, puis s'assit
dans le fauteuil à bascule près de la fenêtre. L'infirmière
sortit, faisant aussitôt place à Miles. Ii semblait reposé, et il
arborait de nouveau l'expression décidée qui lui était
naturelle.
— Je n'aurais jamais cru que je te dirais ça un jour, mais
c'est formidable de te voir ailleurs que dans un lit !
s'exclama-t-il.
Malgré le ton enjoué de sa voix, il n'était pas difficile de lire
dans les yeux de Miles une folle inquiétude. Cassie décida
cependant de prendre sa plaisanterie au pied de la lettre.
— Avec la tête que j'ai en ce moment, je crois que je
pourrais dormir avec toi sans risques!
— Tu te trompes. Ce n'est pas seulement pour ta beauté
que je suis tombé amoureux de toi. Je t'aime pour tout ce
que tu es. Pour ton corps de rêve, pour ton intelligence,
pour ta gentillesse... Et pour la cuisine que tu ne sais pas
faire ! C'est pour ça que je vais t'épouser dès que tu
sortiras d'ici.
Cassie sentit son cœur battre plus vite.
— Qu'est-ce qui te fait croire que j'ai envie de me marier
avec toi, Miles ?
— Arrêtons de jouer à ces jeux-là, Cassie. Sans toi, la vie
n'a aucun sens...
— Ce n'est pas ce que tu prétendais à San Diego.
Miles esquissa un sourire penaud mais soutint le regard
accusateur qu'elle lui adressait.
— J'avais perdu la tête, déclara-t il. Ce fut un tel choc de
découvrir qui tu étais en réalité! Quand tu m'as repoussé à
Francfort, j'ai touché le fond. Cela fait des mois que je
meurs d'envie de te voir. Tu dois me croire ! Je ne peux
pas vivre sans toi !
fl prit les mains de la jeune femme, et les caressa
tendrement.
— Clive n'est pas l'homme de ta vie, tu le sais. Donne-moi
une nouvelle chance, Cassie.
— Une nouvelle chance ? Ce n'est pas la peine, Miles !
— Ne dis pas ça! Je t'aimerai tant que je serai vivant...
— Tu ne m'as pas comprise. Je n'ai jamais été avec Clive !
C'est toi que j'aime !
Le visage de Miles s'illumina soudain, et il p;trut sur le point
de se jeter dans les bras de la jeune femme. D'un geste,
elle l'arrêta en désignant les pansements qui lui entouraient
la cage thoracique. Alors, il s'agenouilla près d'elle.
— Tout est ma faute, Cassie. Je suis désolé...
— Quels idiots nous sommes ! s'exclama-t-elle en lui
caressant les cheveux. J'ai été si malheureuse sans toi!
Promets-moi qu'on ne se quittera plus jamais !
— Le médecin a dit que tu pourrais sortir de l'hôpital à la
fin de la semaine. D'ici là, nous aurons le temps de fixer la
date de notre mariage.
Cassie frissonna de plaisir. Miles l'embrassa
passionnément, scellant à tout jamais leur union. Quand
leurs lèvres se séparèrent enfin, Cassie sut que plus rien
ne serait jamais comme avant.
— Je préfère ne pas te toucher pour l'instant, murmura-t-il
en souriant. Sinon, je ne garantis plus rien.
Cassie sourit.
— Comme je désire au moins quatre enfants, autant
commencer le plus tôt possible.
Miles fit mine de se jeter sur elle, puis se rassit en riant.
— Ne me parle pas d'enfants maintenant, Cassie. Sinon, je
sens que nous allons mettre l'aîné en route tout de suite !
— Il faudra aussi que l'on fusionne nos deux maisons
d'édition. Je ne veux pas que nous soyons rivaux !
— Qui te parle de rivalité? Nous ne visons pas le même
marché !
Le ton de Miles n'admettait pas de réplique. Cassie
n'insista pas, certaine qu'elle pourrait le faire changer
d'avis. Miles ne pourrait plus rien lui refuser quand elle
serait enceinte...
— Tu as l'air pensive... Qu'est-ce que tu mijotes encore?
murmura-t-il tendrement.
— Je pensais à notre premier enfant. Tu n'as pas hâte de
le voir ?
— Si ! Mais... j'aimerais que nous profitions de notre
intimité pendant quelques mois. Laisse-moi le temps de
savourer ce bonheur...
— Accordé !
Il éclata de rire et, prenant la jeune femme dans ses bras, il
lui murmura à l'oreille :
— J'ai dans l'idée que tu auras toujours le dernier mot !
Comme pour saluer la naissance de leur amour, un rayon
de soleil illumina soudain la chambre. Cassie et Miles
échangèrent un regard émerveillé. Ensemble, ils
avaient vaincu le destin et entraient dans l'éternité d'un
bonheur infini.