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2.

Son fils se tenait à quelques mà ¨tres seulement d’ele,


si prà ¨s et pourtant si loin !
Aprà ¨s ces longs mois passà ©s loin de lui, i l lui suffisait
d e fai re quelques p a s p o ur pouvoir l e contempler, le
toucher, dà ©couvrir combien i l avait grandi, combien il
avait changà © depuis qu’ele avait fui la vila.
Peut-à ªtre pourrait-ele mà ªme le prendre dans ses brasÂ
!
Non!
Mà ªme dans ses rà ªves les plus fous, ele n’avait osÃ
© le faire ! Jamais Ricardo ne la laisserait toucher son
fils ! Tout au fond d’ele-mà ªme, ele savait que ce
serait trop pour ele. Comment retrouver leurs liens aprà ¨s
tout ce temps passà © loin de lui ? Comment affronter le
regard du monde, le jugement de Ricardo ?
Jamais aucune mà ¨re digne de ce nom n’aurait
abandonnà © son bà ©bà © comme ele l’avait fait, le
laissant à la garde de son pà ¨re et de sa nurse.
Il lui avait falu un certain temps pour comprendre qu’ele
à ©tait malade, qu’ele n’avait e u d’autre
solution q u e l a fuite. Aujourd’hui, les mà ©decins
affirmaient qu’ele à ©tait guà ©rie mais, tout au fond
de son cÅ “ur, ele persistait à en douter.
Soudain libà ©rà ©es, les larmes si longtemps contenues
ruisselà ¨rent sur ses joues. Une chose à ©tait certaine,
ele ne pouvait rester dans son abri de fortune.
Son cÅ “ur ne supporterait pas longtemps encore le stress
de se trouver si prà ¨s de son fils sans pouvoir le toucher.
C'à ©tait pourtant le but d e la mission qu’ele s’Ã
© ta i t assignà ©e : s e glisser subrepticement dans
l’à ®le afin d’avoir l’occasion d’approcher
l’enfant sans à ªtre aperà §ue de quiconque. Mais ele
avait prà ©sumà © de ses forces. Jamais ele ne pourrait
supporter le regard noir de Ricardo fixà © sur ele,
surveilant chacun de ses gestes, jugeant de son aptitude Ã
s’occuper de son hà ©ritier.
Un long frisson la parcourut. Ele se dà ©tourna du
spectacle et, sans plus attendre, quitta sa cachette afin de
revenir vers le bateau. Ele devait s’enfuir de nouveau
avant que la souffrance ne devienne trop insupportable,
qu’ele ne s’à ©croule sur le sol tel un animal
blessà ©.
Le craquement de la branche morte sur laquele ele marcha
rà ©sonna comme un coup de fusil dans le calme du soir.
Horrifià ©e, ele s’arrà ªta net dans son à ©lan,
soudain figà ©e.
– Qui va là  ?
La voix de Ricardo rà ©sonna, dure, cassante, en total
contraste avec la douceur utilisà ©e quelques secondes
auparavant pour rà ©conforter l’enfant.
N'osant jeter un regard en arrià ¨re, ele poursuivit sa
course fole, espà ©rant encore rester cachà ©e à sa vue.
– Arrà ªtez !
Il n’à ©tait pas question de lui obà ©ir.
– Marissa, venez ici, tout de suite !
Derrià ¨re ele, Lucy entendit les pas d’une personne
qui accourait.
– Prenez Marco !
Ce fut la dernià ¨re chose qu’ele entendit. Ele
poursuivit sa course à ©perdue, à ©cartant dà ©sespÃ
©rà ©ment les branches qui faisaient obstacle à sa fuite
prà ©cipità ©e, ne prenant pas garde à son visage Ã
©gratignà ©. Tout ce qui lui importait dà ©sormais à ©tait
de pouvoir atteindre le bateau et retraverser le lac. Tout
valait mieux que d’avoir à se retrouver face à Ricardo.
– Arrà ªtez !
Comment avait-il fait pour se retrouver si vite derrià ¨re
ele ? Il avait dà » remettre le bà ©bà © à Marissa, la
nurse, et se lancer aussità ´t à sa poursuite. A l’Ã
©vidence, il courait plus vite qu’ele et n’alait pas
tarder à la rattraper.
– Giuseppe ! Frederico !
Il appelait ses gardes à l’aide. Jetant dà ©sespà ©rÃ
©ment un regard en arrià ¨re, ele le vit parler dans son tÃ
©là ©phone portable tout e n courant, aboyant des ordres
en italien dans l’appareil.
Ele frà ©mit de tout son à ªtre. Ele n’avait plus aucun
espoir d’à ©chapper à l’armada qui assurait la sÃ
©curità © du tout-puissant Ricardo Emiliani et de son fils. Il
envoyait ses chiens de garde contre ele.
Il à ©tait e n colà ¨re. Cela s’entendait a u son d e sa
voix : ses agents d e sà ©curità © avaient faili à leur
mission. Ricardo Emiliani ne supportait pas l’à ©chec,
des tà ªtes alaient tomber.
Mettre Ricardo en rage n’à ©tait pas le but recherchÃ
©. Ele avait espà ©rà © pouvoir s’entretenir avec lui
en ayant l’avantage de la surprise, mais la vision de
Marco dans les bras de son pà ¨re l’avait totalement
dà ©stabilisà ©e. L'armure qu'ele avait patiemment Ã
©laborà ©e avait volà © en à ©clats à ce spectacle. Ses
blessures à ©taient à vif. Il lui falait se cacher, se mettre Ã
l’abri, reconstituer ses forces avant de pouvoir
l’affronter.
La berge oà ¹ ele avait laissà © le bateau n’à ©tait
plus qu’à une centaine de mà ¨tres. Si ele pouvait
produire un dernier effort, soliciter ses jambes flageolantes
encore quelques minutes, ele avait peut-Ã ªtre une chance
de rà ©ussir.
Ele rassembla ce qui lui restait de force, s’efforà §ant
d’oublier la terrible douleur oppressant ses poumons
et rendant sa respiration saccadà ©e. Ele manquait sÃ
©rieusement d’entraà ®nement. Ces derniers mois,
ele n’avait pas à ©tà © au mieux de sa forme. Ele ne
vit pas l’obstacle venir. Son pied buta contre la pierre
et ele serait tombà ©e si, juste au moment oà ¹ le sol se
rapprochait dangereusement de son visage, un bras
puissant n’avait entourà © sa taile pour la retenir.
– Vous à ªtes prise !
Seigneur… ele se retrouvait dans les bras de Ricardo,
plaquà ©e contre lui.
– Oh, non ! gà ©mit-ele, tout en tentant, en vain, de se
libà ©rer de la puissante à ©treinte.
J’ai dà ©jà perdu suffisamment de temps avec toi,
j’ai des choses plus importantes à faire.
– Des choses plus importantes ! Lesqueles ? Signer
d e nouveaux contrats ? Engranger toujours p lus de
milions ? Ou, peut-à ªtre, une d e tes maà ®tresses,
impatiente, t’attend-ele?
Les mots tombaient de ses là ¨vres en rafales. Les
derniers, par ce qu’ils suggà ©raient, la rÃ
©vulsaient ! Dans un effort surhumain, ele s’efforà §a
de chasser loin de son esprit l’image de Ricardo,
totalement nu dans un lit, ses cheveux d’un noir de jais
à ©bouriffà ©s et sa peau bronzà ©e ressortant sur la
blancheur des draps. Ele avait eu si souvent l’occasion
de l’admirer dans cette tenue…
Seigneur… ele ne pouvait se permettre de se rappeler ce
qu’ele à ©prouvait alors !
Ces souvenirs lui à ´teraient dà ©finitivement ce qui lui
restait encore de sa capacità © à contrà ´ler la situation.
S'il dà ©celait la moindre faile en ele, il ne manquerait pas
d’en profiter.
Hà ©las, c’est ce qu’il fit sans attendre.
– Que se passe-t-il, cara ? Serais-tu jalouse?
– Ridicule ! Pour quele raison le serais-je ?
– Pour quele raison en effet ! Aprà ¨s tout, c’est toi
qui as mis fin à notre mariage en t’enfuyant de cette
maison qui à ©tait devenue la tienne.
En abandonnant ton bà ©bà ©.
Il ne prononà §a pas ces mots, mais, dans l’esprit
enfià ©vrà © de Lucy, ils rà ©sonnà ¨rent, lourds, noirs, Ã
©crasants de culpabilità ©.
L'instant n’à ©tait guà ¨re propice à une conversation
intime. Les deux gardes se tenaient à portà ©e de voix,
prà ªts à obà ©ir aux ordres de leur patron.
– Comme tu le dis si bien, cette maison à ©tait la
mienne, à ©nonà §a-t-ele d’un ton de dà ©fi. Pourquoi
n’y reviendrais-je pas?
L'affronter à ©tait une erreur. Ele le comprit en voyant
l’expression des yeux noirs fixà ©s sur ele se durcir
encore et la bouche sensuele se crisper en un rictus. Ele
sut alors qu’ele l’avait mis en colà ¨re, qu’il
serait sans pitià ©.
– Tu n’avais ta place dans cette maison qu’en
tant que mà ¨re de mon enfant, rectifia-t-il d’un ton
glacial. Tu as perdu ce droit en l’abandonnant comme
tu l’as fait.
Les mots pà ©nà ©trà ¨rent son cÅ “ur comme autant de
coups de poignard. Ricardo ne pouvait lui signifier plus
clairement qu’ele n’avait dà ©sormais plus sa
place dans sa vie. En avait-ele jamais eu une? Ele n’y
avait à ©tà © tolà ©rà ©e que parce qu’ele attendait
un enfant de lui, l’hà ©ritier de son immense fortune.
L'enfant mis au monde, ele avait perdu toute valeur à ses
yeux.
Ses poings se crispà ¨rent tandis qu’ele luttait contre
l’envie de gifler le sà ©duisant visage qui affichait cet
air hautain. Mais ele ne pouvait accomplir ce geste
inconsidà ©rà © sous le regard des gardes prà ªts Ã
intervenir.
Cependant, rien n’interdisait une joute verbale. Ele
parviendrait peut-à ªtre à lui faire perdre sa superbe.
– J’ai rà ©flà ©chi et dà ©cidà © de changer
d’attitude, Ricardo. Aprà ¨s tout, je suis toujours ta
femme, tout au moins en titre ! Je porte toujours le nom
des Emiliani et c’est une consà ©quence de notre
mariage dont j’ai l’intention de tenir compte.
Le sourire cynique qui fleurit alors sur ses là ¨vres la glaÃ
§a jusqu’aux os.
– Enfin, je comprends le sens de ton retour ! Tu viens
rà ©clamer l’argent qui, selon toi, te revient.
5.
Les cris frappà ¨rent l’oreile de Lucy dà ¨s qu’ele
pà ©nà ©tra dans le somptueux hal d’entrà ©e d e la
Vila San Felice, d’oà ¹ partait le majestueux escalier
de marbre conduisant au premier à ©tage. Mà ªme en ce
lieu immense, les hurlements de dà ©tresse de
l’enfant se faisaient entendre dans toute la maison.
Lucy failit en oublier tout ce qui s’à ©tait passà ©
auparavant, jusqu’à sa position incertaine au sein de
cette demeure, et se prà ©cipita dans l’escalier, les
bras tendus afin de prendre son fils et de le serrer contre
ele.
Ele atteignait la premià ¨re marche quand Ricardo la dÃ
©passa, grimpant les marches quatre à quatre. Il alait si
vite qu’ele dut mobiliser toutes ses forces afin de le
rattraper.
Ele le fit juste au moment oà ¹ il ouvrait prà ©cipitamment
la porte de la nurserie et y pà ©nà ©trait.
– Marco... mio figlio...
Les mots tendres auraient dà » à ªtre couverts par les cris
du bà ©bà © mais, par miracle, ils atteignirent Marco dans
sa dà ©tresse. L'enfant, bercà © dans les bras de sa
nurse, s’arrà ªta et leva les yeux vers son pà ¨re.
– Marco…, rà ©pà ©ta Ricardo.
Marco tendit spontanà ©ment les bras vers son pà ¨re et
Lucy porta les mains à son cÅ “ur. Ele avait faili se prÃ
©cipiter vers lui avant de rà ©aliser qu’ele n’en
avait pas le droit.
Pas maintenant !
Marco ne l’aurait pas reconnue. Ele avait disparu de
sa vie depuis des mois, quelques semaines seulement
aprà ¨s sa naissance.
Ele se forà §a à rester en arrià ¨re, appuyà ©e contre le
mur qui lui servait de support, les mains derrià ¨re le dos,
afin de les empà ªcher de se tendre vers Marco. Ele
contempla Ricardo qui prenait soin de son fils avec une
grande compà ©tence et une indà ©niable tendresse.
Son cÅ “ur battait à grands coups sourds dans sa poitrine,
encore plein de l’angoisse qu’ele avait à ©prouvÃ
©e pour son fils. Ricardo l’avait rassurà ©e : Marco
n’avait rien de grave, il perà §ait simplement ses
dents, mais, tandis que le bateau traversait le lac, ele
n’avait pu s’empà ªcher d’envisager le pire.
Le bateau à moteur, conduit d’une main de maà ®tre
par Ricardo, n’avait guà ¨re mis de temps à effectuer
le parcours, mais cela lui avait pourtant paru durer une Ã
©ternità ©. Debout à la proue, les mains crispà ©es, ele
avait gardà © les yeux fixà ©s sur les lumià ¨res de la Vila
San Felice qui se rapprochaient, priant le ciel que son fils
ne soit pas gravement malade.
Dà ©sormais, ele savait que ce n’à ©tait pas le cas
mais, si ele à ©tait rassurà ©e, ele ne se sentait pas pour
autant euphorique. Contempler Marco en sà ©curità ©
dans les bras de son pà ¨re, entendre la voix de ce dernier
empreinte de tendresse lui murmurer des mots doux et rÃ
©confortants, constater que la violence des cris s’attÃ
©nuait peu à peu, lui laissait entrevoir tout ce qu’ele
avait manquà ©. Combien de fois Marco s’à ©tait-il rÃ
©veilà © avec le besoin d’à ªtre pris dans les bras, rÃ
©confortà ©, alors que sa mà ¨re n’à ©tait pas là pour
le faire ? Les mà ©decins lui avaient fermement conseilÃ
©
de se pardonner, mais comment y parvenir alors que la
simple pensà ©e de la souffrance de son fils lui brisait le
cÅ “ur ?
– Calma, tesoro ! murmura Ricardo qui faisait les cent
pas dans la pià ¨ce en berà §ant tendrement son fils dans
ses bras. Calma...
Les cris finirent par cesser totalement, remplacà ©s par
quelques sanglots espacà ©s p u i s p a r l e silence
seulement troublà © p a r l e s o n d’une respiration
redevenue rà ©gulià ¨re. Une main minuscule se leva pour
caresser la joue de Ricardo, doucement, avec dà ©votion.
A la vue de ce geste, Lucy rà ©prima le sanglot qui lui
montait aux là ¨vres.
Durant son absence, son fils avait changà © et ele avait
peine à le reconnaà ®tre. Marco n’à ©tait plus le bÃ
©bà © joufflu qu’ele avait quittà ©, il à ©tait devenu un
petit garà §on, si semblable à son pà ¨re avec les cheveux
sombres et bouclà ©s et les grands yeux noirs si caractÃ
©ristiques des Emiliani, des yeux qui regardaient son pÃ
¨re avec une totale confiance et une à ©vidente và ©nÃ
©ration.
La souffrance et la frustration vrilà ¨rent le cÅ “ur de Lucy et
ele eut du mal à rà ©primer le cri de dà ©sespoir qui lui
montait du cÅ “ur. C'est alors que Marco, percevant sans
doute sa prà ©sence, tourna son regard vers ele. Sa tà ªte
reposant confortablement contre le torse puissant de son
pà ¨re, il posa sur son visage des yeux remplis de curiositÃ
©.
– Oh, Marco…
Ce n’à ©tait qu’un murmure.
La reconnaissait-il ? Ele aurait donnà © cher pour que ce
fà »t le cas, pour qu’il lui fasse un signe, aussi mince
fà »t-il, mais ele doutait que cela fà »t possible.
Puis, soudain, ses paupià ¨res alourdies se fermà ¨rent, sa
tà ªte se cala contre l’à ©paule de Ricardo et, les
joues rougies par le feu des dents, le chà ©rubin mit son
pouce dans sa bouche et se mit à le tà ©ter.
Ce fut la dernià ¨re chose que Lucy vit clairement. Ele
titubait sur ses jambes flageolantes, ses yeux
s’embuaient de larmes, la tà ªte lui tournait et ele dut
s'appuyer contre le mur pour ne pas tomber.
– Excusez-moi…
Ele ne sut si Ricardo l’entendit, mais peu lui importait.
Ele devait impà ©rativement sortir de la pià ¨ce. Ele avait
besoin d’air.
Ele douta que quiconque s’aperà §ut de son dà ©part.
Au bout du couloir se trouvait une porte coulissante qui, se
rappela-t-ele, s’ouvrait sur un balcon donnant sur le lac.
La nuit à ©tait tombà ©e et, appuyà ©e contre la
balustrade, e l e aspi ra a ve c gratitude u n e goulà ©e
d’air frais. Les lumià ¨res d e l a maison dansà ¨rent
devant ses yeux. Non, ele ne devait pas s’à ©vanouirÂ
!
Grà ¢ce à un effort surhumain, ele rà ©ussit à reprendre le
contrà ´le de ses à ©motions. Le silence qui rà ©gnait dÃ
©sormais sur les lieux lui indiqua que Marco s’à ©tait
dà ©finitivement calmà ©, peut-à ªtre mà ªme s’Ã
©tait-il endormi.
Dans les bras de son pà ¨re.
Un sanglot de dà ©tresse lui à ©chappa. Ele porta les
mains à son cÅ “ur, si douloureux qu'il lui semblait prà ªt Ã
se briser. Ele avait telement rà ªvà © de ce jour, telement
dà ©sirà © revenir dans ce lieu afin de revoir son bà ©bÃ
©, son enfant, son fils ! Mais, maintenant que c’Ã
©tait fait, ele se demandait si ele avait le droit de se rÃ
©introduire dans sa vie, de s’insà ©rer dans la routine
harmonieuse à ©tablie entre lui et son pà ¨re.
Ele avait pu constater de ses propres yeux que Ricardo se
montrait un pà ¨re admirable. A l’à ©vidence, ce
n’à ©tait pas la premià ¨re fois que le pà ¨re volait au
secours de son fils en souffrance. Il avait acquis ainsi un
vrai savoir-faire et Marco semblait le và ©nà ©rer.
Ele n’avait pas sa place dans ces vies. Ele l’avait
perdue le jour oà ¹ ele s’à ©tait enfuie de la vila,
abandonnant le petit à ªtre innocent et sans dà ©fense aux
bons soins de son pà ¨re.
– Ainsi, c’est ici que tu te caches !
La voix de Ricardo rà ©sonna derrià ¨re ele, la faisant
sursauter. Ses mains se crispà ¨rent sur la rambarde et, au
lieu de se retourner, incapable de l’affronter, ele tint
son regard rà ©solument fixà © sur le lac.
– Je ne me cache pas!
– Tu n’as pas pu supporter ses cris, n’est-ce
pas ? lanà §a-t-il, ironique. Qui pourrait croire qu’un
aussi petit à ªtre puisse crier aussi fort? Il a des poumons
d’une puissance incroyable!
Lucy se contenta d’approuver d’un signe de tà ªte,
ne faisant pas confiance à sa voix pour parler de Marco.
La brume semblait s’à ªtre instalà ©e sur le lac, mais
ce n’est que lorsqu’ele battit frà ©nà ©tiquement
des paupià ¨res qu’ele comprit que c’à ©tait un
effet des larmes qui altà ©raient sa vision.
– C'à ©tait fort diffà ©rent de ce à quoi tu
t’attendais, n’est-ce pas ? Il est loin de
l’image du chà ©rubin dormant comme un ange dans
son berceau.
A ces mots, Lucy se retourna, mais ce mouvement brutal lui
donna le vertige et il lui falut un certain temps pour
reprendre son à ©quilibre et une parfaite vision.
Quand ele y parvint, son cÅ “ur se serra à la vue de
l’expression fermà ©e du visage de Ricardo.
– Tu m’as avertie qu’il pleurait, qu’il
souffrait, et j’ai pu constater que tel à ©tait bien le cas,
mais aussi que tu à ©tais parfaitement maà ®tre de la
situation. C'est pourquoi j’ai prà ©fà ©rà © me retirer.
Je serais rentrà ©e à mon hà ´tel si j’avais eu un
bateau à ma disposition.
– Ainsi, tu voulais t’enfuir de nouveau !
S'avanà §ant brusquement, il lui fit face, tournant le dos au
lac. Dans cette position, son visage à ©tait dans
l’ombre et ele ne pouvait capter l’expression de
son regard.
– Je ne l’ai pas fait !
– Seulement parce que tu ne disposais pas d’un
bateau pour traverser le lac !
– Je ne savais à qui m’adresser…
– De toute faà §on, personne n’aurait accà ©dà ©
à ta demande !
Il appuya son dos contre la balustrade e t croisa ses bras
sur s a poitrine. I l donnait ainsi l’apparence d’un
homme totalement à l’aise et dà ©contractà © et,
sous son regard, Lucy à ©prouva l’horrible impression
d’à ªtre soumise à u n examen, comme s i Ricardo
s’attendait à ce qu’ele fasse un faux pas,
commette une erreur.
Mais sans doute l’avait-ele dà ©jà commise en
revenant dans ces lieux. A l’à ©vidence, Ricardo
s’arrogeait tout à la fois le rà ´le du juge et des jurÃ
©s. Avant mà ªme d’avoir pu s’expliquer, ele Ã
©tait dà ©jà jugà ©e et condamnà ©e.
– Personne ne t’aurait apportà © assistance,
poursuivit-il. Mes gardes ont reà §u l’ordre de ne pas
t’accompagner, quel que soit l’endroit oà ¹
tu veuiles te rendre, tout au moins tant que je ne leur aurai
pas donnà © d’ordre contraire.
Ele n’à ©tait pas seulement jugà ©e et condamnà ©e,
mais à ©galement emprisonnà ©e !
– Essaies-tu de me dire que je ne peux quitter l'à ®le ?
– Tu as parfaitement compris, Lucy. Jusqu’à ce que
je donne l’ordre à mes gardes de te raccompagner, tu
restes ici!
Lucy n’en croyait pas ses oreiles.
– Mais je… je croyais que tu souhaitais me voir
disparaà ®tre à tout jamais de ta vie.
Que signifiait ce brusque retournement de la situation ?
Sans doute rien de bon. L'idà ©e d’à ªtre retenue de
force dans la Vila San Felice la paniquait, mais ele aurait
prà ©fà ©rà © mourir plutà ´t que de le montrer. Ele releva
le menton, prà ªte pour une nouvele confrontation.
– N’à ©tait-ce pas la raison pour laquele tu m’as
rendu visite ?  « Dis-moi ce que tu veux et je te le
donnerai à condition que tu disparaisses de ma vie !  »
Teles sont tes propres paroles !
–  « Et que tu ne reviennes jamais !  » complà ©ta
Ricardo d'une voix glaciale. C'Ã ©tait la condition l a plus
importante. C ette foi s, j e ve ux q u e tu disparaisses Ã
jamais de ma vie.
Ces mots pà ©nà ©trà ¨rent le cÅ “ur de Lucy comme
autant de coups de poignard.
– Comme tu me hais ! à ©nonà §a-t-ele, au bord du dÃ
©sespoir.
– Te haà ¯r ! s’exclama-t-il, ironique. Non, cara
Lucia, tu n’as pas, pour moi, cette importance-là  !
Mais je sais reconnaà ®tre mes erreurs et tu es,
certainement, la plus monstrueuse que j’aie commise
dans ma vie.
Les jambes flageolantes, Lucy dut prendre appui sur la
rambarde de pierre afin de rester debout. Ses dernià ¨res
forces semblaient l’abandonner.
– Cela n’a aucun sens…, rà ©ussit-ele à articuler.
– Qu’est-ce qui n'a pas de sens, Lucia ?
– Si je suis, comme tu l’affirmes haut et fort, la plus
monstrueuse erreur de ta vie, si ton dà ©sir le plus cher est
que je disparaisse, pourquoi alors me retenir prisonnià ¨re
ici ?
– Prisonnià ¨re est un bien grand mot…
– Quel terme utiliser, alors, pour qualifier ma situation?
Tu as donnà © des ordres afin que personne ne
m’aide à quitter cet endroit. Comment cela est-il
compatible avec le fait que tu dà ©sires si violemment te
dà ©barrasser de moi ?
Ricardo se mordit la là ¨vre. C'à ©tait la question qui ne
cessait de hanter son esprit sans qu’il lui trouve de rÃ
©ponse, et le fait qu’ele la lui pose à son tour ne
rendait certainement pas la chose plus facile.
Jamais il n’avait envisagà © avoir une vie avec Lucia
en dehors des nuits torrides partagà ©es au cÅ “ur
d’un lit. Seulement, il l’avait mise enceinte et les
choses avaient alors totalement changà ©. Le mariage
s’à ©tait imposà ©, un mariage de convenance pour
le bien-à ªtre du bà ©bà ©.
Non ! Il n’à ©tait pas tout à fait honnà ªte. Il oubliait
un point capital : la passion torride qui avait prà ©sidà ©
à sa conception. Dà ¨s leur premià ¨re rencontre, une
attirance sexuele mutuele les avait propulsà ©s dans les
bras l’un de l’autre. Sans ele, sans doute, cette
premià ¨re rencontre n’aurait pas eu de suite. Quand il
l’avait demandà ©e en mariage, il avait pensà ©
qu’ele pouvait servir de base à un mariage rà ©ussi.
Certes, la raison principale de ce mariage à ©tait de faire
de leur fils un enfant là ©gitime. Mais, aprà ¨s sa
naissance, ils auraient dà » prendre le temps de mieux se
connaà ®tre et de savoir s’il existait entre eux autre
chose que cette passion violente et dà ©vastatrice qui les
dà ©vorait l’un et l’autre depuis le premier regard
qu’ils avaient à ©changà ©.
Hà ©las, Lucy n’à ©tait pas restà ©e assez
longtemps pour trouver la rà ©ponse à cette question.
Marco à peine nà ©, ele s’à ©tait lancà ©e dans un
style de vie frà ©nà ©tique dans lequel lui et le bà ©bà ©
n’avaient plus leur place. Chaque jour, ele se rendait
en vile, dà ©pensait des sommes faramineuses et revenait
chargà ©e de paquets contenant des và ªtements, des
chaussures, du maquilage, qu’ele ne portait ou
n’utilisait pas. Ele faisait chambre à part et semblait
dà ©velopper une aversion à s’occuper de son bÃ
©bà ©, l’abandonnant aux bons soins de sa nurse.
Puis, six semaines aprà ¨s la naissance de Marco, ele
avait purement et simplement quittà © la vila pour ne plus y
revenir, laissant derrià ¨re ele quelques phrases jetà ©es
sur un papier.
Je t'ai donnà © le fils que tu dà ©sirais et presque une
annà ©e de ma vie. Je reprends ma libertà © et te rends la
tienne. Je te laisse Marco. C'est pour lui que tu m’as Ã
©pousà ©e. Tu as engagà © une nurse compà ©tente,
vous n’avez plus besoin de mes services. Je
reprendrai contact pour le divorce.
Lucy à ©tait de retour. Ele rà ©apparaissait dans sa vie
afin de parler divorce comme ele s’y à ©tait engagÃ
©e. Mais, surtout, bien entendu, ele venait rà ©clamer le
montant de la pension qui lui à ©tait due.
Oui, en và ©rità ©, il haà ¯ssait le personnage qu’ele
à ©tait devenue, la conduite qui avait à ©tà © la sienne.
Alors, pourquoi diable cherchait-il à la garder auprà ¨s de
lui ?
– Nous n’avons pas encore parlà © du divorce et du
montant que tu comptes obtenir, dit-il.
A son grand à ©tonnement, il vit la lueur de dà ©fi s’Ã
©teindre dans les yeux de Lucy. Venait-il de la dÃ
©stabiliser? Se pouvait-il qu’ele soit affectà ©e par ce
q u â € ™ i l v e n a i t d’à ©noncer ? O u bien
s’agissait-il, tout simplement, de l’effet des rayons
de lune faisant apparaà ®tre ses joues si incroyablement
pà ¢les ?
– Dà ¨s que nous serons parvenus à un accord, tu
pourras partir. J’appelerai alors Enzo et il te fera
retraverser le lac en moins de quinze minutes. Je suis mÃ
ªme prà ªt à te donner une avance sur ta pension, qui te
permettra de t’instaler dans un meileur hà ´tel. A une
condition : dà ¨s les premià ¨res heures de la matinà ©e,
tu rà ©serves une place dans l’avion en partance de
l’aà ©roport de Và ©rone pour l’Angleterre.
Il la vit vaciler sur ses jambes et fronà §a les sourcils, Ã
©tonnà ©. Il se pencha sur ele, compatissant, mais ele
releva brusquement la tà ªte, ses immenses yeux bleu azur
lanà §ant des à ©clairs.
– Non!
L'espace d’un instant, ele sembla aussi à ©tonnà ©e
que lui par la force de sa nà ©gation. Ses mains se crispÃ
¨rent s ur l a balustrade, s e s jointures blanchissant sous
l’effort.
– Non ! Cela ne se passera pas ainsi ! Je refuse de
partir!
Surpris par la violence de son ton, Ricardo recula d’un
pas.
â € “ Comment cela, t u refuses d e partir ? Cette fois,
c’est t o n attitude q u i nâ € ™a a ucun se ns. I l y a
quelques minutes à peine, tu t’insurgeais Ã
l’idà ©e d’à ªtre soi-disant retenue prisonnià ¨reÂ
!
– C'est vrai. Mais je... je ne peux partir ainsi !
– Si ! Non seulement tu le peux, mais tu vas le faire ! Il
suffit que tu me dises ce que tu veux et je te le donne !
– Non ! Tu ne pourras pas me le donner !
– Je te donne ma parole.
– Mais tu la reprendras !
– Je ne te permets pas de m’insulter ! Il s’agit
de mon honneur. Tu n’as aucun droit de douter de ma
parole !
– Alors, ne parle pas sans savoir et ne promets pas ce
que tu ne peux pas ou ne veux pas donner !
Comme ele secouait vigoureusement la tà ªte, ses cheveux
blonds, doux comme de la soie, caressà ¨rent sa joue, et
son parfum si particulier – il lui rappelait les fleurs des
champs â € “ vint titiler s e s narines, rappelant à s a mÃ
© m o i r e d e s s o uve ni rs q uâ € ™ i l t e nt a i t vainement
d’oublier. Ce fut lui qui, alors, s e trouva dà ©stabilisÃ
©.
Comment oublier les sensations ressenties quand Lucy se
donnait à lui sans rà ©serve ? A cette seule pensà ©e,
son membre viril durcit jusqu’à en devenir douloureux.
I l l a dà ©sirait d e nouveau co mme u n f o u. S a faim
d’ele jamai s n e pourrait s’apaiser. I l voulait,
encore e t encore, la savourer, la dà ©guster, la pà ©nÃ
©trer, se fondre en ele, et l’amener au sommet de la fÃ
©licità ©.
Sans plus attendre, il prit ses mains dans les siennes,
mais, aussità ´t, il sut que la toucher à ©tait une
monstrueuse erreur.
Toute la soirà ©e, il avait luttà © contre l’envie qui le
taraudait de la caresser. Cela avait dà ©butà © dans la
chambre d’hà ´tel quand sa main avait frÃ
´là © la sienne... Non, plus tà ´t encore, lorsqu’ele avait
faili tomber et qu’il l’en avait empà ªchà ©e, la
retenant contre lui, son corps pressà © contre le sien.
Ce souvenir fit vibrer tout son à ªtre, son sang coula plus
vite dans ses veines, sa respiration se fit saccadà ©e. FÃ
©briles, ses mains remontà ¨rent le long des bras de Lucy,
de ses à ©paules.
Ele releva alors la tà ªte, les là ¨vres entrouvertes, la
respiration aussi saccadà ©e que la sienne, et leurs yeux
se rencontrà ¨rent, se soudà ¨rent.
Il lut le dà ©sir, ce mà ªme dà ©sir qui le tenailait, au fond
des yeux bleu azur, et toute capacità © de penser se
trouva subitement oblità ©rà ©e.
Soudain possà ©dà © par le dà ©mon de l’incroyable
passion à ©prouvà ©e pour cette femme dà ¨s le jour de
leur rencontre, il perdit tout contrà ´le, se laissant guider
sans qu’il puisse rien faire pour s’y soustraire.
Sans plus rà ©flà ©chir, il la prit dans ses bras et
s’empara de ses là ¨vres avec fià ¨vre.
Mais il n’avait pas su maà ®triser sa force. Ele gÃ
©mit. Il devait lui faire mal. Cette pensà ©e calma ses
ardeurs. Son baiser se fit alors plus doux, plus tendre,
canalisant la force brutale qu’il avait mise malgrà © lui
dans son à ©treinte.
S o n instinct l u i a va i t commandà © d e l a fa i re taire,
d’arrà ªter les mots d e dà ©tresse qui tombaient de
ses là ¨vres. Il ne comprenait pas pourquoi ele semblait si
dà ©sespà ©rà ©e, si angoissà ©e. Une chose à ©tait
certaine, il ne supportait pas qu’ele ait mal !
– Chut, Lucia... tu n’as nul besoin de t’angoisser
comme tu le fais. Quel que soit ce dont tu as besoin, quel
que soit ce que tu veux, quels que soient les problà ¨mes
que tu as à affronter, je serai là pour t’aider.
Ces mots eurent un effet immà ©diat. Ele se figea. En Ã
7.
 « Je serai de retour dans vingt minutes, avait annoncà ©
Ricardo. Fais en sorte d’à ªtre prà ªte à mon retour. Â
»
Ce n’à ©tait pas une recommandation mais un ordre.
L e ton avec lequel i l l’avait donnà © sous-entendait,
sans la moindre ambiguà ¯tà ©, qu’il s’attendait Ã
à ªtre obà ©i. Il avait quittà © la pià ¨ce à la vitesse de l'Ã
©clair comme si, pas une minute de plus, il ne pouvait
supporter d’y rester en sa compagnie.
Tout d’abord, ele dà ©vora son petit dà ©jeuner Ã
beles dents. Il y avait bien trop longtemps qu’ele
n’avait pas mangà © et la nourriture servie à ©tait tout
simplement irrà ©sistible.
Ele aurait aimà © prendre le temps de savourer une
seconde tasse de cafà ©, mais le temps passait et ele
devait encore prendre une douche et s’habiler. La
simple idà ©e que Ricardo puisse revenir alors qu’ele
se trouverait encore sous la douche la propulsa vers la sale
de bains.
Fort heureusement, la douche lui apporta un bienfait absolu
et ele apprà ©cia pleinement de pouvoir brosser ses
cheveux mis à mal par le vent soufflant sur le lac, la veile.
Seigneur, ele avait dà » lui paraà ®tre pitoyable ! Ele
enroula la serviette de bain autour de son corps et se
dirigea vers la penderie. Avec ses cheveux en dà ©sordre
et son visage blafard dà ©pourvu de tout maquilage, ele
avait mà ªme dà » lui paraà ®tre misà ©rable et sans
attrait.
Que le tout-puissant Ricardo Emiliani se fà »t intà ©ressÃ
© à ele à ©tait une à ©nigme. Ele à ©tait si diffà ©rente
du type de femmes avec lequel le magnat s’affichait
dans les magazines people !
Si ele avait encore eu des doutes à ce sujet, la
conversation surprise dans les toilettes pour dames lors
d’une soirà ©e, quelques jours seulement aprà ¨s leur
mariage, les lui avait à ´tà ©s. Enfermà ©e dans un box,
ele avait entendu les paroles ironiques à ©mises par
l’une des invità ©es.
– Ele n’est pas vraiment son type !
– P as d u tout, e n effet ! avait rà ©pondu une autre
convive. Mais ele a s u y faire. E le l’a pià ©gà © et
s’est fait mettre enceinte. Jamais i l ne l’aurait Ã
©pousà ©e sans cela.
– Mais tout le monde sait que, dà ¨s la naissance du bÃ
©bà ©, il demandera le divorce. Qu’a-t-ele à offrir Ã
un homme comme Ricardo? Ele est bien trop ordinaire!
Ele n’a aucun charme, aucune sophistication. Je ne lui
donne pas un an aprà ¨s la naissance du bà ©bà © pour Ã
ªtre dà ©laissà ©e. Si ele s’est attachà ©e à lui, ele
va souffrir, la pauvre !
Piquà ©e au vif par cette analyse de la situation, son
orgueil sà ©rieusement mis à mal, Lucy s’à ©tait alors
fait la promesse de tout mettre en Å “uvre pour paraà ®tre
aussi à ©là ©gante, aussi distinguà ©e que les habitueles
conquà ªtes de Ricardo. Ele…
Ses pensà ©es s’arrà ªtà ¨rent brusquement. Ele
venait d’ouvrir les portes de la penderie. A la vue de
son contenu, tout son corps se mit à trembler et des sueurs
froides l’envahirent.
 « Tu trouveras tout ce qu’il te faut là -dedans  »,
avait dà ©clarà © Ricardo. Ele avait pensà © que la
penderie contenait les và ªtements portà ©s la veile : un
T-shirt et un jean.
Ce n’à ©tait pas le cas. La penderie à ©tait remplie Ã
ras bord des và ªtements les plus somptueux. Jupes,
vestes, pantalons, chaussures, se serraient les uns contre
les autres sans qu’il n’y ait plus aucun espace
libre. La plupart des và ªtements à ©taient encore dans
leur enveloppe de plastique, leurs à ©tiquettes toujours en
place.
Ils à ©taient restà ©s tels qu’ele les avait rapportà ©s
à la maison aprà ¨s ses crises d’achat compulsif.
Seigneur…
Lucy porta la main à sa bouche afin d’à ©touffer le cri
de dà ©tresse qui jailissait de ses là ¨vres. Des larmes
embuà ¨rent ses yeux, mais ele ne pouvait que contempler,
horrifià ©e, le rà ©sultat dà ©sastreux de la crise
qu’ele avait traversà ©e.
Ele se rappelait vaguement la frà ©nà ©sie et
l’aberration de ses achats et aurait voulu les effacer Ã
jamais de sa mà ©moire.
Fort heureusement, la prise en charge thà ©rapeutique
avait fait son Å “uvre.
Encore aujourd’hui, ele avait du mal à comprendre
cele qu’ele à ©tait devenue durant cette pà ©riode
sombre. Qu’avait pensà © Ricardo en la voyant se
conduire d’une manià ¨re aussi absurde ? Sans
doute n’avait-ele fait que renforcer ses plus noires
suspicions : ele l’avait à ©pousà © afin d’avoir
accà ¨s à son immense fortune et s’apprà ªtait à la
dilapider sans compter.
Ses jambes menaà §aient de se dà ©rober sous ele et ele
s’appuya contre la porte, secouant la tà ªte, dÃ
©sespà ©rà ©e. Si ele avait besoin de preuves expliquant
sa fuite, ele les avait devant les yeux. De toute à ©vidence,
l’accumulation insensà ©e d e c e s và ªtements
prouvait qu’ele avait perdu toute capacità © à gà ©rer
correctement sa vie et s’à ©tait montrà ©e inapte Ã
prendre en charge un enfant, si prà ©cieux à ses yeux.
Ele avait à ©tà © dà ©clarà ©e guà ©rie par ses mÃ
©decins, mais avait-ele le droit de revenir, de se rÃ
©introduire dans la vie de Marco alors que son pà ¨re
prenait visiblement soin de lui avec une indà ©niable
compà ©tence ?
P a r expà ©rience, e le savait c e qu’il e n coà »tait
d’à ªtre l’enjeu d’une guerre parentale pour la
garde d’un enfant. Au moment de leur divorce, son pÃ
¨re et sa mà ¨re s’à ©taient battus comme des chiens
devant les tribunaux. Jamais ele n e ferait subir pareile Ã
©preuve à son fils bien-aimà ©Â !
Comme un automate, la vision brouilà ©e par les larmes,
ele s’empara du premier cintre venu, revà ªtant sur des
dessous en dentele une jupe et un T-shirt, sans mà ªme
avoir conscience de ce qu’ele faisait. Il lui falait quitter
cette chambre avant le retour de Ricardo.
Ele parvenait à la porte quand cele-ci s’ouvrit avec
violence, l’obligeant à reculer prà ©cipitamment.
– Ah, tu es prà ªte ! C'est parfait !
Dans le regard dont il l’enveloppa, ele crut dà ©celer
une pointe d’admiration. Mais il comprit trà ¨s vite
qu’ele se prà ©parait à quitter les lieux et
l’expression de son visage se durcit.
– Oà ¹ te prà ©parais-tu donc à aler, cara mia ? Tu
n’avais pas l’intention de partir de nouveau,
j’espà ¨re?
– Pourquoi pas ? se rà ©volta-t-ele. Tu ne peux me
retenir prisonnià ¨re !
– Prisonnià ¨re! C'est un mot un peu fort, tesoro ! Tu ne
trouveras nule porte fermà ©e à clà ©, nul verrou poussÃ
©, nule chaà ®ne…
Comme pour prouver ces affirmations, Ã la totale surprise
de Lucy, il recula d’un pas et ouvrit grand la porte, la
laissant libre de sortir si ele le dà ©sirait.
– Seulement, tu vas avoir quelques difficultà ©s à quitter
l’à ®le, poursuivit-il, ironique. Mais tu peux toujours
essayer. Je crois me souvenir que tu à ©tais une excelente
nageuse.
Lucy failit se laisser aler à une crise de dà ©sespoir.
Ricardo n’avait nul besoin de fermer les portes à clÃ
©, l’à ®le à ©tait en ele-mà ªme une prison à ciel
ouvert. La distance entre les deux rives à ©tait bien trop
grande pour qu’ele puisse espà ©rer la franchir à la
nage, et personne ne lui viendrait en aide pour une
traversà ©e en bateau, ele pouvait en à ªtre assurà ©e.
– Trà ¨s bien, admit-ele, tu gagnes cette bataile !
Cependant, je continue à ne pas comprendre pourquoi tu
cherches à me retenir ici alors que tu à ©tais si impatient
de te dà ©barrasser de moi.
– Cela peut attendre. Il y a quelque chose que nous
devons voir auparavant.
– Quelque chose que tu as dà ©cidà © de me montrer?
– Oui. Et je puis t’assurer qu’il s’agit
d’une chose trà ¨s importante.
– C'est-à -dire ?
Il se passa une main nerveuse dans les cheveux.
– As-tu vraiment besoin de contester chacune de mes
propositions ? Ne peux-tu, pour une fois, me faire
confiance ?
– Te faire confiance ! Comment pourrais-je te faire
confiance alors que tu me retiens prisonnià ¨re dans cette
à ®le?
Ele releva le menton pour mieux le dà ©fier, mais
rencontra son regard et sa colà ¨re tomba d’un coup.
C'à ©tait totalement irrationnel, mais ce qu’ele venait
d e lire dans s e s yeux l’incitait à rà ©pondre à sa
demande. Quand i l s’empara d e s o n bras pour la
guider, ele ne lui opposa pas la moindre rà ©sistance et le
suivit dans l'autre aile de la maison. C'est là qu’ils
avaient rà ©sidà © en tant que mari et femme.
De nouveau, l’apprà ©hension mit les nerfs de Lucy Ã
vif. Comment alait-ele supporter de revoir ces lieux chargÃ
© s d e s souvenirs d e s moments heureux ? Le dÃ
©sespoir la submergea. Ces moments faisaient dÃ
©sormais partie du passà ©, jamais plus ils ne
reviendraient. Qu’à ©prouverait-ele si ele devait revoir
la chambre dans laquele ils avaient partagà © une passion
aussi violente que torride?
Hà ©las, il ne s’agissait que d’un simple dà ©sir
sexuel, tout au moins de la part de Ricardo, car, pour son
plus grand malheur, ele à ©tait tombà ©e à ©perdument
amoureuse de celui dont ele à ©tait devenue la femme.
Pour lui, il ne s’agissait que d’un mariage de
convenance et le fait d’avoir une partenaire passionnÃ
©e dans son lit, chaque nuit, n’avait reprà ©sentà ©
qu’un bonus. Il comptait bien profiter pleinement de ce
tempà ©rament de feu jusqu’à ce qu’il s’en
lasse.
– Ricardo…, supplia-t-ele.
Totalement impermà ©able à s a supplique, i l poursuivit
son chemin, l’entraà ®nant à sa suite. Sa panique finit
p a r s’apaiser. Il s passà ¨rent sans s’arrà ªter
devant leur ancienne chambre à coucher. Un peu plus loin
dans le couloir, Ricardo ouvrit la porte d’une pià ¨ce
dans laquele ils entrà ¨rent.
Aussità ´t, Lucy sut oà ¹ ele se trouvait et la panique la
submergea tele une lame de tsunami. Ele se figea,
incapable de faire un pas de plus, mais la main de Ricardo
se crispa sur son bras. Il n’avait nulement
l’intention de la laisser s’à ©chapper.
Des tableaux aux couleurs tendres, soigneusement choisis
par ele juste avant la naissance de l’enfant, dÃ
©coraient les murs. Ele reconnut à ©galement le tapis bleu
et blanc, les à ©normes coussins qui recouvraient le sol, le
mobile avec des animaux colorà ©s accrochà © au
plafond. Ses yeux se posà ¨rent sur le berceau trà ńant
dans un coin de la pià ¨ce et toutes ses autres pensà ©es
s’envolà ¨rent.
– Marco…
Ce n’à ©tait qu’un murmure et ele fut la premià ¨re
surprise que le prà ©nom ait rà ©ussi à franchir sa gorge
nouà ©e. Son cÅ “ur se mit à battre si fort qu’il en
devint douloureux.
Ele eut vaguement conscience que Ricardo faisait un signe
de la main. Aussità ´t, une jeune femme en uniforme – la
nurse engagà ©e pour s’occuper du bà ©bà © – se
glissa discrà ¨tement hors de la pià ¨ce afin de les laisser
seuls.
Lucy ne pouvait plus ni bouger, ni parler, ni penser. Ele ne
pouvait que fixer l’enfant endormi dans le berceau, sa
to uffe d e c he ve ux n o i r s fo rma nt un impressionnant
contraste sur la blancheur du drap.
Les paupià ¨res closes, Marco dormait profondà ©ment.
Une main minuscule à ©tait posà ©e sous sa joue et on
n’entendait que sa respiration rà ©gulià ¨re.
– Marco…
C'à ©tait tout ce qu'ele parvenait à dire. Ele n'osait faire un
pas vers lui. Ele le dà ©sirait pourtant de tout son cÅ “ur,
de toute son à ¢me, mais ele à ©tait incapable de faire le
moindre mouvement. Des larmes brà »lantes brouilaient
sa vue et ele pria pour qu’eles ne se mettent pas Ã
couler sur ses joues.
Durant ces longues minutes, ele resta douloureusement
consciente de la prà ©sence de Ricardo derrià ¨re ele,
immobile et silencieux, les yeux fixà ©s sur ele, observant
le moindre de ses mouvements.
Ele n’avait aucune idà ©e de ce qu’il pouvait bien
penser et, en và ©rità ©, peu lui importait. Seul son fils
comptait : il n’à ©tait qu’à quelques pas
d’ele et, paralysà ©e par la peur, ele ne parvenait pas
à s’approcher de lui.
– Marco…, rà ©pà ©ta-t-ele comme un leitmotiv.
– Tu voulais le voir. Le voici !
Pourquoi l’avait-il conduite jusqu’à la nurserie ?
Pourquoi lui permettait-il d’approcher son enfant?
Par quel miracle à ©tait-il passà © de l’injonction  «
Jamais tant que je vivrai !  » à cette entrà ©e dans la
chambre de l’enfant?
– Qu’attends-tu pour t’approcher de lui ?
Il se garda de la toucher, de la pousser en avant. La main
qui tenait son bras l’avait libà ©rà ©e et il se
contentait de la regarder, de l’observer sans bouger.
Ele sentait la brà »lure de son regard sur son visage mais
n’osait l’affronter en face.
– Je… Je ne peux pas !
Tout cela n’à ©tait pas rà ©el. Ele rà ªvait et alait se
rà ©veiler. Ele avait telement attendu cet instant qu’il Ã
©tait inconcevable qu’il arrive enfin !
Ele attendait cela depuis le moment prà ©cis oà ¹ les mÃ
©decins lui avaient annoncà © s a totale guà ©rison. DÃ
©sormais, e le pouvait reprendre une vie normale et ne
reprà ©sentait plus un danger, ni pour son enfant ni pour
ele-mà ªme.
Sans cette assurance, jamais ele n’aurait repris
contact.
– Bien sà »r que tu le peux ! insista Ricardo. Cet enfant
est bien rà ©el. Il s’agit de ton enfant, notre enfant,
notre fils.
– Non, je ne peux pas !
C'à ©tait un cri de dà ©sespoir venu du fond de ses
entrailes, un cri de souffrance extrà ªme.
– As-tu fait tout ce chemin pour à ©chouer si prà ¨s du
but? Quoi que je pense de toi, je ne crois pas que tu
manques de courage. Tu n’es pas là ¢che.
Là ¢che ! S'il avait voulu la pousser à l’action, et ele
à ©tait persuadà ©e que c’à ©tait le cas, il avait rÃ
©ussi. Sans plus rà ©flà ©chir, ele avanà §a vers le
berceau.
Ses yeux se posà ¨rent sur le visage de l’enfant et plus
rien d’autre ne compta alors pour ele.
note sibyline.
Il avait pensà © qu’ele s’à ©tait enfuie pour aler
rejoindre un amant !
La blessure de son orgueil avait dà » à ªtre
incommensurable.
Ele frà ©mit de tout son à ªtre. Comment lui en vouloir en
ce cas d’avoir alors à ©prouvà © pour ele le pire des
ressentiments ? Ele avait abandonnà ©
son enfant, son mari, pour courir dans les bras d’un
autre homme !
– Je prends conscience que ma conduite ait pu te laisser
penser cela, admit-ele, rouge de confusion. Tu ne peux
savoir combien je le regrette. Crois-moi, il n’y a pas eu
d’autre homme dans ma vie.
Ricardo se figea, les sourcils froncà ©s.
– Mais, alors, pourquoi…
– Ma dà ©pression n’est pas venue aprà ¨s avoir
quittà © la vila…
– Tu veux dire…
Son regard se dà ©plaà §a du berceau dans lequel Marco
dormait paisiblement à cele qui l’avait mis au monde.
– … qu’il s’agissait de la fameuse dÃ
©pression postnatale ?
La gorge nouà ©e, Lucy ne put qu’acquiescer
d’un signe de tà ªte.
– J’ai beaucoup entendu parler de ce type de dÃ
©pression, mais jamais je n’y avais à ©tà © confrontÃ
©, admit-il.
– Moi non plus.
Ele ne pouvait lui tenir rigueur de ne pas avoir dà ©celà ©
les signes de la maladie qui l’avait, ele-mà ªme, prise
au dà ©pourvu. Ele avait dà » avoir recours aux mÃ
©decins pour comprendre ce qui lui arrivait. A cette Ã
©poque, trà ¨s occupà © par ses affaires dispersà ©es Ã
travers le monde, Ricardo à ©tait trà ¨s peu prà ©sent à la
Vila San Felice. D’aileurs, lorsqu’il s’y trouvait,
sa conduite avait dà » lui paraà ®tre aberrante.
– Tu n’avais plus qu’une obsession : faire les
magasins, acheter sans compter…
– Oui. Il s’agissait d’un comportement compulsif,
totalement irraisonnà ©.
Totalement irraisonnà © à ©tait le qualificatif approprià ©.
Comment lui avouer qu’ele agissait ainsi afin
d’attirer son attention ? Ricardo ne l’avait Ã
©pousà ©e que parce qu’ele à ©tait enceinte, afin de
donner à son enfant une là ©gitimità ©. Qu'avaient affirmÃ
© ces femmes dans les toilettes pour dames ?
Elle n'est pas son type. Elle n'est pas assez sophistiquÃ
©e, pas assez glamour. Dà ¨s que l’enfant sera nà ©,
il demandera le divorce.
L'enfant à ©tait nà ©, donc Ricardo alait la rejeter. Cette
simple pensà ©e l’avait conduite au bord de la folie et
ele n’avait plus à ©tà © capable de gà ©rer son mal-
à ªtre.
Ce manque de confiance en ele remontait à son enfance.
Lucy avait entretenu une relation difficile avec s a mà ¨re,
qui n’avait manifestà © de l’intà ©rà ªt pour ele
que pour l’utiliser comme arme dans s a guerre contre
s o n à ©poux. J a ma i s L u c y n’avait p u oublier.
Comment grandir e t se construire face à un manque
d’amour à ©vident? Ele-mà ªme se montrerait-ele
capable d’à ©lever son enfant? Ricardo semblait en
douter, lui qui avait, dà ¨s les premiers jours suivant la
naissance, engagà © une nurse bardà ©e de diplà ´mes.
Sans personne à qui se confier, Lucy avait à ©tà ©
envahie par la panique. Afin d’y rà ©sister, ele s’Ã
©tait forgà © une attitude froide et distante qui n’avait
fait qu’à ©loigner d’ele celui qui à ©tait devenu
son mari. Ele avait rà ©ussi au-delà de ses espÃ
©rances. Dà ¨s la naissance de Marco, ele avait exigà ©
de faire chambre à part. Il avait acceptà ©. Ses affaires le
retenaient souvent loin de la Vila San Felice et ils en Ã
©taient venus à se cà ´toyer tels des à ©trangers.
– Tu achetais des và ªtements, des parfums, des
chaussures que tu ne portais pas… tout au moins lorsque
tu sortais avec moi.
Il en avait dà ©duit qu’ele les avait achetà ©s pour
plaire à un autre.
â € “ J e sais, murmura-t-ele, a u comble d e l a confusion.
C e l a paraà ®t, aujourd’hui, totalement aberrant.
J’avais perdu toute confiance en moi.
J’achetais frà ©nà ©tiquement, pensant que ces
artifices…
E le avait par-dessus tout souhaità © acquà ©rir cette
sophistication q ui l ui manquait, a fi n qu’il s’intÃ
©ressà ¢t à ele autrement que comme à la gà ©nitrice de
son enfant. Ele n'à ©tait  « pas son type  » avaient
affirmà © les femmes de son monde dans les toilettes pour
dames, et ele les croyait volontiers.
Hà ©las, acheter des và ªtements ne changeait rien à cet
à ©tat de fait. Ele ne les avait pas portà ©s, convaincue de
l’inutilità © de sa dà ©marche.
– Dieu sait ce que tu as dà » penser de moi, Ricardo !
Il laissa à ©chapper un soupir.
– Mon opinion sur les comportements de la gent fÃ
©minine à ©tait bien arrà ªtà ©e. Mes frà ©quentations
passà ©es n’avaient fait que renforcer cette image nÃ
©gative. Toutes les femmes que j’avais rencontrà ©es
ne s’intà ©ressaient qu’à ma fortune. Pourquoi
aurais-tu à ©tà © diffà ©rente ?
Lucy frà ©mit d’indignation. Comment lutter contre un
tel cynisme ? Incapable de le combattre lorsqu’ele
vivait à ses cà ´tà ©s, comment pourrait-ele le faire
aujourd’hui ?
– Et, aujourd’hui, tu vas bien? s’enquit-il.
– Tel est l’avis des mà ©decins. Ils pensent que je
suis guà ©rie et qu’une rechute est improbable. Je ne
serais pas i ci s’ils n e m’avaient donnà © cette
assurance. C'est pourquoi, si tu m’autorisais à passer
un peu de temps auprà ¨s de Marco…
Comme s’il avait entendu son nom, ce dernier remua
dans son lit et poussa un cri qui ressemblait à un appel.
D’instinct, Lucy s e dressa s ur s e s pieds, prà ªte Ã
accourir vers lui, mais, confrontà ©e au regard de Ricardo,
e l e s’arrà ªta ne t dans s o n à ©lan, incertaine de
l’attitude à adopter.
– Je… Je suis dà ©solà ©e, balbutia-t-ele.
Non, ele ne l’à ©tait pas ! Ele rà ©agissait comme
n’importe quele mà ¨re l’aurait fait. Son instinct
maternel n’à ©tait nulement dà ©failant, bien au
contraire. Ele ne s’à ©tait à ©loignà ©e de Marco que
pour le protà ©ger, et personne ne saurait jamais combien
il lui en avait coà »tà ©. Ele avait passà © de longues
nuits sans sommeil durant lesqueles il lui semblait entendre
les cris d’appel de la chair de sa chair. Marco avait
besoin d’ele, ele ne pouvait à ªtre à ses cà ´tà ©s et
la souffrance lui avait alors vrilà © le cÅ “ur.
Aujourd’hui, enfin, ele pouvait rà ©pondre à son appel
mais, de nouveau, la peur la paralysait. Serait-ele à la
hauteur? Ricardo l’observait. Il avait jurà © que,
jamais, i l n e lui permettrait d e l ui prendre Marco, mais
aurait-ele la permission de le tenir dans ses bras afin de le
rassurer, de lui apporter du rà ©confort?
Comment alait-il rà ©agir si ele s’approchait du
berceau et prenait l’enfant dans ses bras ? Se prÃ
©cipiterait-il vers ele pour le lui arracher afin de le mettre
en sà ©curità ©?
– Je doute que tu puisses vraiment comprendre,
Ricardo…
Sa voix n’à ©tait plus qu’un murmure. Ele
agonisait littà ©ralement sous la brà »lure de ce regard
noir qui observait, analysait, chacun de ses gestes.
Du berceau leur parvint un nouvel appel, plus fort, plus
impà ©rieux, cette fois.
– J’appele la nurse ! lanà §a alors Ricardo.
Ces mots firent resurgir une vague de souvenirs dans
l’esprit de Lucy. Un cri s’à ©chappa alors de ses
là ¨vres.
– Non ! N’appele pas la nurse ! Pas cette fois !
– Tu as pourtant à ©tà © heureuse de le laisser à sa
garde quand tu es partie.
– M’as-tu seulement consultà ©e quand tu l'as
engagà ©e ? riposta-t-ele, acerbe. As-tu seulement pris
le temps d’en discuter avec moi ? Non !
Quelques jours seulement aprà ¨s la naissance de Marco,
ele à ©tait là , bardà ©e de diplà ´mes et de rà ©fÃ
©rences, compà ©tente dans tous les domaines, la nurse
idà ©ale, seule habilità ©e à à ©lever convenablement
l’hà ©ritier des Emiliani. Je n’ai pas eu mon mot Ã
dire. Sans doute est-ce la faà §on dont tu as à ©tà © Ã
©levà ©. Dans ton monde oà ¹ l’argent coule à flots,
les enfants sont à ©levà ©s par une nurse afin que les
parents puissent jouir d’une totale libertà ©. Ce
n’à ©tait absolument pas ce que je voulais.
– Tu te trompes, Lucia. Ce n’est, en aucune faà §on,
la manià ¨re dont j’ai à ©tà © à ©levà ©. Ma mà ¨re
avait à peine de quoi me nourrir et m’habiler. Il n’Ã
©tait pas question pour ele de payer une nurse.
– Alors, pourquoi en avoir engagà © une pour Marco,
sinon pour me signifier clairement mon incompà ©tenceÂ
?
– Jamais une tele idà ©e ne m’est venue Ã
l’esprit, je puis te l’assurer ! Je n’avais à ce
moment qu’une seule pensà ©e en tà ªte : te
procurer une aide. J’ai eu le tort de croire que tu
l’apprà ©cierais.
Le remords assailit Lucy. S'à ©tait-ele si profondà ©ment
trompà ©e sur la conduite de Ricardo ? Hà ©las,
l’hypothà ¨se à ©tait plausible. Le terrible sentiment
d’insà ©curità © à ©prouvà © avait occultà © toute
pensà ©e positive.
– Je… Je suis dà ©solà ©e, balbutia-t-ele, effondrà ©e.
Mais un nouveau cri leur parvint.
– Ton fils appele, Lucia. Il a besoin de toi !
– De... De moi ?
Ele devait avoir mal entendu, ses oreiles lui jouaient des
tours. Ricardo ne pouvait avoir prononcà © ces mots !
– Oui, de toi ! Et tu ferais bien de rà ©pondre à son
appel.
E le connaissait c e regard, i l l a testait d e nouveau. Mais
comment devait-ele se comporter ? Comment trouver grÃ
¢ c e à s e s y e u x ? Qu’attendait-il d’ele,
exactement?
Ele ne pouvait que se fier à son instinct.
Les appels de Marco se transformaient en pleurs et ele
n’eut plus le choix. Peu lui importait ce que Ricardo
pouvait penser d’ele. Marco à ©tait sa priorità ©. Ele
se prà ©cipita dans la chambre de l’enfant et se
pencha sur le berceau avant que Ricardo ne puisse
prononcer un mot. S'il l'avait empà ªchà ©e d’agir, ele
l’aurait combattu bec et ongles.
– Du calme, mon bà ©bà ©, tout va bien. Ma…
Le mot  « maman  » s’à ©trangla dans sa gorge.
Comment pouvait-ele oser se l’attribuer aprà ¨s son
ignoble conduite ? Marco ne l’avait pas encore
appris et ne le comprendrait pas. Pire encore, le simple fait
qu’ele le touche alait lui à ªtre insupportable !
Ele eut vaguement conscience du mouvement effectuà ©
par Ricardo dans son dos. Il s’à ©tait approchà © et
avait repris son poste d’observation. Ele pouvait sentir
sur ele le poids de son regard tandis qu’ele prenait
tendrement le bà ©bà © dans ses bras.
Il à ©tait telement plus lourd que la dernià ¨re fois
qu’ele l’avait tenu, à cet instant tragique oà ¹ ele
avait acquis la certitude de devoir quitter la vila, pour le
bien de l’enfant. Ele n’à ©tait pas fiable et reprÃ
©sentait une menace pour lui.
– N’aie pas peur, mon cÅ “ur, mon amour…
Les mots eurent un effet magique. Marco ouvrit grand ses
immenses yeux noirs pour les poser sur son visage,
visiblement si intriguà © qu’il en oubliait de pleurer.
– Voilà qui est mieux…
Ele envoya une prià ¨re au ciel pour qu’il ne perà §oive
pas la tension qui l’habitait, qu’ele ne lui
transmette pas son apprà ©hension, qu’ele ne
provoque pas ses pleurs de nouveau.
– Voyons voir quel est le problà ¨me.
Se penchant sur le petit corps pelotonnà © contre ele, ele
sut immà ©diatement qu’il avait besoin d’à ªtre
changà ©. Certes, ele n’avait pas une grande expÃ
©rience dans ce domaine, mais ele pouvait sans peine
remà ©dier à ce besoin basique.
– Oh, je comprends ce qui t’incommode, mon ange.
Un rapide regard autour d’ele lui permit de dà ©couvrir
la table à langer et ele s’en approcha aussità ´t. Peu
lui importait dà ©sormais le regard de Ricardo, ele ne
doutait pas une seconde qu’il soit prà ¨s à fondre sur
ele, comme une bà ªte sauvage sur sa proie, à la moindre
erreur. Il ne manquerait pas de se servir de la moindre
maladresse pour l’empà ªcher d’approcher son
enfant dans l’avenir.
Non, pas cette fois, signore Emiliani ! Je ne vous
procurerai pas ce plaisir.
Ele rà ©prima un sourire tout en alongeant le bà ©bà ©
sur le matelas aux brilantes couleurs. C'Ã ©tait une chose
qu’ele pouvait, d’instinct, prendre en charge.
– Je vais te changer, mon ange, tu te sentiras beaucoup
mieux.
Ele dà ©grafa la grenouilà ¨re, à ´ta la couche salie et
nettoya consciencieusement les adorables fesses potelÃ
©es. Redonner du confort à son fils lui procurait un bonheur
intense. Faisant preuve d’une à ©nergie inÃ
©puisable, il agitait frà ©nà ©tiquement les bras et les
jambes, mais ele rà ©ussit toutefois à lui mettre la couche
propre. Oubliant l’homme qui se tenait debout dans
l’encadrement de la porte, ele se pencha et dà ©posa
mile baisers sur son ventre, ce qui mit l’enfant en joie.
Qu’il à ©tait bon de l’entendre ainsi rire aux Ã
©clats !
Ele perà §ut un mouvement dans son dos. Ricardo
s’approchait d’ele, mais ele ne se retourna pas.
Seul le confort de Marco lui importait. Dà ¨s qu’il fut
changà ©, ele le prit de nouveau dans ses bras,
l’instalant confortablement contre son à ©paule.
– Donne-le-moi ! ordonna Ricardo.
Lucy se figea, tà ©tanisà ©e. Ele ne s’à ©tait guà ¨re
fait d’ilusions et s’attendait à ce qu’un ordre
de ce type lui soit assenà ©. Ele le reà §ut nà ©anmoins
comme un uppercut en plein cÅ “ur. Ainsi, Ricardo ne lui
confierait pas l’enfant trà ¨s longtemps, il l’avait
juste soumise à un test.
Ele serra instinctivement le petit corps contre ele. Ele aurait
voulu ignorer l’ordre reà §u mais se devait de penser
au bien-Ã ªtre de Marco et, surtout, de ne pas le
bouleverser. Ele fit un effort surhumain pour garder un ton
calme et tranquile.
– Ne puis-je le garder un peu plus longtemps encore,
Ricardo? Tu m’as laissà ©e le prendre, le toucher, le
rà ©conforter, le changer et, maintenant, tu me l’enlÃ
¨ves ! C'est vraiment trop cruel !
– Je ne te l’enlà ¨ve pas, Lucia, mais il est midi et, Ã
cette heure-là , Marco a l’habitude de manger.
D’un geste de la main, il lui indiqua la chaise haute.
– Pourquoi, d’aileurs, ne l’instalerais-tu pas toi-
mà ªme dans sa chaise?
Une fois encore, ele à ©tait en faute ! Ele ignorait tout du
rythme de vie de Marco, cela faisait mal, trà ¨s mal.
– Je suis dà ©solà ©e…
Tandis qu’ele tentait tant bien que mal d’instaler
Marco, qui ne cessait de gigoter, dans sa chaise, ele eut
conscience de se montrer terriblement gauche et empruntÃ
©e. Fort heureusement, Marco choisit de l’aider : se
retrouver dans cette chaise signifiait recevoir de la
nourriture, ce qui à ©tait agrà ©able. A peine instalà ©, il
se mit à taper avec enthousiasme sur le plateau devant lui.
– Pa ! cria-t-il à pleins poumons. Pa !
Il à ©tait bien trop jeune encore pour prononcer les mots
correctement, mais Lucy ne put s’empà ªcher de
penser que Marco tentait de dire papa. Son cÅ “ur se serra
à la pensà ©e de tous ces prà ©cieux instants
d’apprentissage qu’ele avait manquà ©s. Une fois
encore, ele dut lutter pour refouler les larmes qui lui
montaient aux yeux.
Comme Ricardo se penchait afin d’essuyer d’une
à ©ponge le plateau de la chaise, Marco tendit ses mains
vers son visage et caressa ses joues.
S'emparant alors de ses mains, Ricardo lui mordila les
doigts, ce qui le fit à ©clater d’un rire cristalin. Lucy
assistait à un moment de totale complicità © entre le pÃ
¨re et le fils. Ces deux-là s’entendaient à merveile,
c’à ©tait l’à ©vidence mà ªme.
Le jeu terminà ©, Ricardo se tourna vers ele en lui tendant
une assiette contenant une banane coupà ©e.
– Voici sa nourriture prà ©fà ©rà ©e, expliqua-t-il. Pose
l'assiette sur le plateau et laisse-le se dà ©brouiler. Il adore
cela !
Ricardo à ©tait perplexe. S'à ©tait-il trompà © o u avait-il
vraiment aperà §u des larmes dans les yeux d e Lucy ?
Dà ©couvrir avec quele à ©motion ele s’occupait de
leur enfant l’avait totalement dà ©stabilisà © et le
11.
Les douze coups de minuit sonnà ¨rent à l'imposante
horloge du hal et le son parvint à Lucy, recroquevilà ©e
dans son lit sans parvenir à trouver le sommeil.
Ele compta les coups, prà ªte à faire n’importe quoi
pour s’empà ªcher de penser à ce qui lui arrivait.
– Six… sept…
Cela ne fonctionnait pas. Son esprit restait focalisà © sur
les paroles de Ricardo.
 « La seule faà §on pour toi de rester dans cette maison
est d’à ªtre ma femme.  »
Ele à ©tait restà ©e figà ©e dans une totale immobilità ©,
sonnà ©e comme un boxeur sur un ring aprà ¨s
l’uppercut fatal.
 « La seule faà §on pour toi de rester dans cette maison
est d’à ªtre ma femme.  »
Dans le silence de la nuit, les mots rà ©sonnaient si
clairement à ses oreiles que c’à ©tait comme si
Ricardo se tenait entre la porte et ele, l’empà ªchant
ainsi de s’enfuir.
Mais le silence qui rà ©gnait dans la pià ¨ce à ©tait
simplement troublà © par le bruit des vaguelettes venant
mourir sur la berge du lac, au-delà de la fenà ªtre ouverte.
Ele ignorait oà ¹ à ©tait Ricardo et ce qu’il faisait.
E l e avai t enfi n rà ©cupà ©rà © d u c ho c reà §u et
s’apprà ªtait à l u i demander c e q u e signifiaient
exactement s e s paroles lorsque l a sonnerie du tà ©lÃ
©phone avait retenti. Ricardo s’à ©tait aussità ´t
emparà © du combinà ©.
– Pronto...
Il s’à ©tait alors tournà © vers ele.
– Je dois rà ©gler cette affaire.
A u cas oà ¹ ele n'aurait pas compris l e message, i l s'Ã
©tait levà © et avait ouvert la porte : ele devait quitter le
bureau, il n’y avait pas à discuter.
Dà ©jà , il se consacrait entià ¨rement à sa discussion,
sans un regard vers ele.
Ele ne l’avait pas revu depuis, mais il lui avait fait
passer un message : des affaires urgentes le solicitaient
à l’extà ©rieur et il ne serait pas de retour avant tard
dans la soirà ©e.
L a soirà ©e à ©tait fort avancà ©e e t Ricardo n’Ã
©tait toujours pas de retour. Ele ignorait oà ¹ i l s e trouvait
et quels à ©taient ses plans en ce qui la concernait.
Comment osait-il lui demander d’à ªtre sa femme alors
qu’il lui avait clairement manifestà © la haine et le mÃ
©pris qu’ele lui inspirait?
Et…
Le frisson qui parcourut sa colonne vertà ©brale
n’avait rien à voir avec la fraà ®cheur de l’air
survenue aprà ¨s le coucher du soleil.
Etre sa femme !
Que signifiait pour lui cette expression ? Jusqu’Ã
quel point s’attendait-il à ce qu’ele le soit?
Ele à ©tira ses membres, douloureux à force
d’immobilità ©. En attendant Ricardo, ele s’Ã
©tait alongà ©e sur le lit et avait fini par s’endormir.
Quand ele s’à ©tait rà ©veilà ©e, ele à ©tait seule
dans la pià ¨ce devenue progressivement sombre. Un
profond silence rà ©gnait dans toute la vila.
Depuis le dà ©part de Ricardo, ele avait profità © au
maximum de la prà ©sence de Marco. Dans la nurserie,
n’osant encore rester totalement seule avec lui, ele
avait initià © en compagnie de la nurse de nombreux jeux
et donnà © le repas prà ©parà © par Marissa. Plus
merveileux encore, ele avait donnà © son bain Ã
l’enfant, l’avait habilà © pour la nuit et dà ©posÃ
© dans son berceau, lui chantant des chansons douces
jusqu’à ce qu’il s’endorme. Ele avait vu ses
paupià ¨res s’alourdir et entendu sa respiration
devenir rà ©gulià ¨re.
Mà ªme alors, ele n’avait pu se rà ©soudre à quitter
son chevet. Ele l’avait contemplà ©, endormi, sans se
lasser du spectacle, jusqu’à ce que les ombres de la
nuit la chassent de la pià ¨ce. Ele à ©tait alors partie à la
recherche de son mari.
Son mari!
C'est ainsi qu'ele alait devoir appeler de nouveau l'homme
qui exigeait, pour des raisons connues de lui seul,
qu’ele redevienne sa femme. Que voulait-il dire
exactement en employant ce terme? Trà ¨s vite, ele alait
devoir à ©claircir ce point encore obscur.
Ele s’à ©tait instalà ©e dans la chambre que Marissa,
visiblement intriguà ©e et dà ©vorà ©e par la curiosità ©,
lui avait indiquà ©e comme à ©tant cele du maà ®tre de
maison. Quel que soit l’endroit oà ¹ il à ©tait alà ©,
quel que soit celui oà ¹ il se rendrait à son retour, il finirait
toujours par rejoindre sa chambre pour la nuit. Cette piÃ
¨ce, à la dà ©coration masculine stricte et austà ¨re, Ã
©tait fort diffà ©rente de cele qu’ils avaient partagÃ
©e en tant que mari et femme.
D’un confort spartiate, uniquement fonctionnel, ele ne
lui apprenait rien sur son mari, rien sur la vie menà ©e
depuis leur sà ©paration. S'il avait invità © ses maÃ
®tresses à partager l’immense lit à baldaquin, celes-
ci n’avaient laissà © aucune trace de leur passage. A
son grand soulagement, il n’y avait aucun và ªtement
fà ©minin dans la penderie, aucun parfum dans la sale de
bains attenante, aucun produit de maquilage. Lucy ignorait
quele aurait à ©tà © sa rà ©action si tel avait à ©tà © le
cas.
Finalement, la fatigue et le stress accumulà ©s ces
derniers jours avaient eu raison de sa rà ©sistance et ele
s’à ©tait alongà ©e sur le lit afin de se reposer.
Sa tà ªte posà ©e sur l’oreiler, ele avait inhalà © Ã
pleins poumons les rà ©miniscences de l’odeur de
son eau de toilette et une larme avait coulà © sur sa joue.
Ele avait fini par s’endormir.
Ele venait de se rà ©veiler et Ricardo n’à ©tait
toujours pas rentrà ©. Ele quitta le lit pour se diriger vers la
fenà ªtre et contempla les eaux du lac qui scintilaient sous
les rayons de lune. De cette partie de la maison, ele ne
pouvait voir l’embarcadà ¨re et ignorait si le bateau Ã
©tait à l’ancre.
– Que diable fais-tu ici ?
Soudain, la voix au ton peu amà ¨ne retentit derrià ¨re ele
et la fit sursauter violemment. Ele s e retourna e t s e trouva
confrontà ©e à l a silhouette noire, imposante, menaÃ
§ante, d u maà ®tre des lieux. L'esprit prà ©occupà ©,
enfià ©vrà © p a r mi le questions, e l e n’avait pas
entendu le bruit de ses pas qui s’approchaient dans le
couloir. De toute à ©vidence, il ne semblait guà ¨re
heureux de se retrouver en sa prà ©sence.
– Je t’attendais ! parvint-ele à articuler malgrà ©
sa gorge nouà ©e.
– Quele idà ©e ! As-tu vraiment cru que c’à ©tait
ce que je voulais ? Cette chambre est la mienne, et te
retrouver là , à cette heure de la nuit…
– Mais n’as-tu pas dà ©clarà © que si je restais,
c’à ©tait pour à ªtre ta femme ? Quele est la place
d’une à ©pouse sinon dans la chambre de son mariÂ
? N’est-ce pas la place que chacun s’attendra Ã
me voir occuper puisque nous sommes marià ©s?
– Que chacun pense ce qu’il veut !
Personnelement, c’est le dernier endroit oà ¹ je
pensais te trouver, le dernier endroit oà ¹ je veux que tu
sois.
Lucy recula d’un pas sous l’effet de l’impact
de ces terribles paroles de rejet.
Seigneur…
Soudain, ele prenait conscience que ses propres
sentiments l’avaient conduite à mal interprà ©ter la
proposition de Ricardo.
L'irrà ©sistible dà ©sir qu’ele à ©prouvait pour celui
qui à ©tait devenu son mari à ©tait toujours prà ©sent,
tapi en embuscade au plus profond d’elemà ªme. Ele
avait espà ©rà © qu’il à ©prouvait toujours pour ele
cette passion dà ©bridà ©e qui les avait jetà ©s dans les
bras l’un de l’autre et conduits dans un lit avant mÃ
ªme qu’ils aient le temps de se connaà ®tre.
La veile, dans la mà ©diocre chambre d’hà ´tel et,
plus tard, sur le balcon, ele avait cru lire de nouveau le dÃ
©sir au fond des pruneles noires.
Tout naturelement, ele avait pensà ©â€¦
– Marissa m’a conduite jusqu’à ta chambre…
– Si Marissa a pensà © que je dà ©sirais la partager
avec toi, ele a outrepassà © sa fonction.
– Non ! Tout est ma faute ! C'est moi qui lui demandÃ
© de m’y conduire. Je pensais…
Ricardo s’avanà §a. Les rayons de lune à ©clairÃ
¨rent son visage. Il semblait avoir à ©tà © sculptà © dans
du marbre.
– Tu pensais que je te voulais dans mon lit !
Son ton indiquait que cela n’avait pas à ©tà © le
moins du monde dans ses pensà ©es. Lucy remercia le
ciel que son propre visage soit dans l’ombre. Le rouge
lui monta au front. La honte, la confusion, la submergeaient.
Comment avait-ele pu se tromper ainsi ?
– Tu… Tu as affirmà © que si je restais, je serais ta
femme.
– J’aurais dà » prà ©ciser : la mà ¨re de Marco.
Ricardo ala prendre place dans un fauteuil, au pied du lit.
Cela aurait dà » le rendre moins imposant, il ne la dominait
plus de toute la hauteur de sa taile, mais cela eut l’effet
inverse sur ses nerfs à vif. Assis, tel un empereur sur son
trà ńe, les yeux dardà ©s sur ele, i l semblait l a dà ©fier
d’oser le contrer. Si, l’espace d’une seconde,
ele avait p u penser que s a proposition lui avait à ©tà ©
dictà ©e par la passion, il lui falait dà ©chanter. L'homme
qui l’affrontait semblait un bloc de granite dà ©nuà ©
de toute à ©motion.
– Je ne serai donc que la mà ¨re de Marco.
Que pourrais-tu à ªtre d’autre ? lut-ele dans ses yeux.
Que voudrais-tu à ªtre d’autre?
– Un enfant a besoin de ses deux parents : sa mà ¨re et
son pà ¨re. Une vie de famile, voilà ce que je veux pour
Marco. D’aprà ¨s ce que j’ai pu observer, quels
que soient les problà ¨mes que tu as avec notre mariage,
tu n’en as aucun avec lui. Il n’est pas question que
Marco vive ce que j’ai và ©cu dans mon enfance.
– Je… Je comprends ! balbutia-t-ele, sincà ¨re.
Dans un des rares moments de complicità © partagà ©s
dans le passà ©, Ricardo s’à ©tait confià © à ele, lui
racontant les traumatismes và ©cus dans sa famile.
Comme si la vie s’amusait à rà ©pà ©ter les Ã
©preuves, sa grand-mà ¨re avait conà §u un enfant sans Ã
ªtre marià ©e et sa file, à son tour, avait fait de mà ªme.
Toutes deux avaient à ©tà © l’objet du mà ©pris et du
rejet de la famile.
Jamais Ricardo ne pourrait oublier ce jour oà ¹, à peine Ã
¢gà © de cinq ans, sa mà ¨re et lui s’à ©taient prÃ
©sentà ©s à la porte de la famile, demandant de
l’aide. En rà ©ponse, on leur avait claquà © la porte
au nez.
Ce jour-là , Ricardo s'à ©tait jurà © que jamais plus cela
ne se reproduirait. Personne, jamais, ne ferait cela à son
propre enfant. Cet à ©và ©nement avait sans doute
contribuà © à faire de lui ce qu’il à ©tait devenu : un
à ªtre froid, cynique, distant et dà ©terminà ©.
– Je comprends, rà ©pà ©ta-t-ele. C'est la raison pour
laquele j’ai acceptà © de t’à ©pouser.
Il eut alors un rire amer.
– Ce n’à ©tait pas la seule, Lucia, avoue-le !
Lorsque, pour la premià ¨re fois, je t’ai introduite dans
cette vila, ma fortune t’a paru à ©vidente et a dà »
grandement t’aider à prendre la dà ©cision.
– C'est vrai, dut admettre Lucy. J’ai compris que
notre fils appartenait à ce lieu, qu’il en serait, un jour,
l’hà ©ritier. Tout comme toi, je n’ai pas voulu
l’en priver.
Pourquoi se figea-t-il soudain? Leur mariage à ©tait de
convenance. Il ne l’avait à ©pousà ©e que pour rÃ
©parer la faute, parce que tel à ©tait son devoir.
Alors pourquoi ses yeux plongeaient-ils dans les siens
comme s’il voulait dà ©chiffrer ses pensà ©es, lire en
son à ¢me ?
– Ainsi, tu le reconnais, mon immense fortune est la
raison pour laquele tu m’as à ©pousà ©.
– Oui…
Lucy envoya une prià ¨re au ciel afin que son visage ne la
trahisse pas. Jamais Ricardo ne devait deviner le
sentiment qu’ele à ©prouvait pour lui : un amour
violent, passionnà ©, irraisonnà ©... C'à ©tait la vraie
raison qui lui avait fait accepter de l’à ©pouser tout en
sachant que ce sentiment ne serait pas partagà ©
par Ricardo, ni aujourd’hui ni jamais.
– Alors, nous pouvons garder les mà ªmes arrangements
que prà ©cà ©demment?
– Oui.
Ce fut le seul mot capable de franchir la gorge nouà ©e de
Lucy. En attendant le retour de Ricardo, la peur et, il lui
falait bien l’admettre, l’excitation, l’habitaient.
Mais, ces dernià ¨res minutes, ele avait l’impression
de se retrouver dans un ascenseur fou qui s’enfonÃ
§ait dans un gouffre sans fin.
E le avait imaginà ©, rà ªvà ©, q ue Ricardo dà ©sirait
qu’ele revienne dans sa vie parce qu’il ne pouvait
vivre sans ele. Certes, cette pensà ©e l’effrayait, mais
ele n’en à ©tait pas moins terriblement excitante. Des
frissons d’anticipation couraient le long de sa colonne
vertà ©brale.
Hà ©las, force lui à ©tait d e constater que les projets de
Ricardo n’alaient pas dans ce sens ! Des larmes lui
brà »laient le s paupià ¨res e t e le dut s’efforcer de
calquer son attitude sur cele, glaciale, de son interlocuteur.
Semblant ne rien percevoir de son malaise, Ricardo
acquiesà §a d’un signe de tà ªte.
– Bien ! Marco a besoin d’une mà ¨re et tu es la
candidate idà ©ale pour tenir ce rà ´le. Mais, cette fois, les
choses seront diffà ©rentes.
Posant ses mains sur les bras du fauteuil, il se leva
brusquement et s’avanà §a vers ele. Sa silhouette
imposante masqua les rayons de lune et son ombre la
recouvrit tout entià ¨re. La peur la tà ©tanisa. Le temps de
l’excitation à ©tait terminà ©.
– En quoi seront-eles diffà ©rentes ? demanda-t-ele
d’une voix à peine audible.
A sa totale stupà ©faction, Ricardo tendit la main vers son
visage et ses doigts caressà ¨rent sa joue. Une brà ¨ve
caresse qui cessa aussità ´t comme si, dà ©jà , il
regrettait ce geste. Il recula d’un pas et rà ©pondit
d’une voix glaciale :
– Si tu reviens, ce sera pour rester. Ton fils a besoin de
Le diminutif, utilisà © dans l’intimità © de leur
chambre, revint instinctivement aux là ¨vres de Lucy.
– Oui…
C e seul mot montait aux là ¨vres d e Ricardo… Oui, i l la
voulait, oui, i l la dà ©sirait comme u n fou ! S es mains,
impatientes e t fà ©briles, partirent à la recherche d e ce
corps fà ©minin qui lui avait si atrocement manquà ©. Il Ã
©prouvait l e dà ©sir incoercible d e l a toucher, d e la
caresser, d e retrouver l’harmonieuse courbe de ses
hanches, les rondeurs parfaites de sa poitrine.
Sous le fin tissu de son chemisier, Lucy sentit les pointes
turgescentes de ses seins se dresser, si avides de ses
caresses qu’eles en devenaient douloureuses.
– Oui… oh, oui…
Soudain, Ricardo reprit conscience, se raidit et s’Ã
©loigna d’ele comme si ele à ©tait pestifà ©rà ©e.
– Non ! s’à ©cria-t-il, la respiration aussi saccadÃ
©e que s’il venait de courir un marathon. Maledizione,
non ! Cela ne doit pas se passer ainsi !
Nous avons à ©tà © pià ©gà ©s une premià ¨re fois, cela
ne doit pas se reproduire !
– Pià ©gà ©s !
Le regard qu’il lui lanà §a glaà §a le sang dans les
veines de Lucy.
– Pià ©gà ©s dans un mariage que ni l’un ni
l’autre ne voulions. Te toucher, te caresser,
t’embrasser, peut me conduire au bord du prÃ
©cipice, mais je ne suis pas obligà © de sauter.
A qui s’adressait cette diatribe ? A lui-mà ªme ou Ã
ele? Ele n’eut ni la force ni le courage de lui poser la
question, encore moins le temps. Dà ©jà il reprenait la
parole.
– Marissa t’a conduite dans la mauvaise pià ¨ce.
Il reprenait la conversation là oà ¹ il l’avait laissà ©e
en entrant dans la pià ¨ce, comme si rien ne s’à ©tait
passà © entre-temps.
– Ta chambre se trouve au bout du couloir.
D’un geste impà ©rieux, il lui enjoignit de le suivre
tandis qu’il quittait la pià ¨ce et se dirigeait vers une
porte au fond du couloir qu’il ouvrit. Ele n’eut aucun
mal à reconnaà ®tre la chambre dans laquele ele s’Ã
©tait rà ©veilà ©e le matin mà ªme. Ses và ªtements y
avaient à ©tà © transportà ©s, effaà §ant ainsi toute trace
d’ele dans cele qu’ils avaient partagà ©e aprà ¨s
leur mariage.
A peine y avait-ele pà ©nà ©trà © qu’il ressortit, lanÃ
§ant, par-dessus son à ©paule : – Bonne nuit, Lucia,
dorme bene !
 « Dors bien ?  »
Comment pourrait-ele s’endormir aprà ¨s ce qui venait
de se passer?
Mais, surtout, comment, dans les jours à venir, supporter et
gà ©rer cette comà ©die de mariage, imposà ©e par
Ricardo ?
                 
   
                    
             
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13.
Un à ©trange sentiment tira Lucy de son sommeil : le
vide, une perte irrà ©mà ©diable qui se serait produite
durant son sommeil.
Ele ouvrit les yeux. Le lit à ©tait vide! Ele s’à ©tait
endormie lovà ©e contre Ricardo et, pour la premià ¨re
fois depuis longtemps, s’à ©tait sentie en totale sÃ
©curità ©. Seule dans le grand lit immense, le froid
l’envahit.
Ele referma les yeux. Il aurait à ©tà © si bon de replonger
dans le sommeil et l’oubli !
D’à ©tranges images surgissaient dans son esprit.
Ele marchait dans un couloir sombre, obsà ©dà ©e par
une seule et unique idà ©e : assurer la protection de
Marco. Ele savait ce que cela signifiait. Ele avait expÃ
©rimentà © cette sensation si souvent dans les heures
sombres de sa dà ©pression ! L'infirmià ¨re de nuit
l’informait alors, au petit matin, qu’ele avait fait une
crise de somnambulisme.
Seigneur, Ã ©tait-ele en train de rechuter?
Dans le passà ©, ces crises avaient une explication : le
stress, la peur, le dà ©sespoir à ©prouvà ©s aprà ¨s avoir
quittà © la vila. Mais aujourd’hui…
Ele s’assit et un gà ©missement sourd s’Ã
©chappa de ses là ¨vres.
– Buon giorno, Lucia !
La voix provenait de l’endroit de la chambre oà ¹ se
trouvait la fenà ªtre. Ele tourna la tà ªte et ses yeux
rencontrà ¨rent ceux de Ricardo. Les souvenirs la
submergà ¨rent alors : la terrible pression exercà ©e sur
ele durant ces dernià ¨res heures et puis…
Une onde de chaleur monta de ses reins à ce souvenir :
le dà ©sir les avait menà ©s l’un vers l’autre,
habità ©s par la mà ªme passion. Fini les mots, les
phrases, les explications ! Ils avaient fait l’amour
comme si leur survie en dà ©pendait et abordà ©
ensemble un plaisir incommensurable. Ele s’à ©tait
endormie dans ses bras, pelotonnà ©e contre lui.
Il n’à ©tait pas surprenant que ses rà ªves soient
revenus la perturber ! Ele se souvint des mots qu’ele
aurait voulu pouvoir lui dire avant que le sommeil ait raison
de sa rà ©sistance.
Il n’y a jamais eu d’autres hommes que toi depuis
notre rencontre.
Ele avait à ©tà © sur le point de lui faire ce tendre aveu :
ele n’aimait et n’aimerait jamais que lui. Certes,
ele à ©tait revenue pour Marco, son enfant, son bà ©bà ©,
mais la và ©rità © à ©tait qu’ele ne pouvait vivre loin
du pà ¨re. Il à ©tait toutes ses pensà ©es, hantait ses jours
et ses nuits. Sa vie, sans lui, n’avait aucun sens.
– Bon… Bonjour, Ricardo !
L'expression à ©tait-ele approprià ©e? L'atmosphà ¨re
dans la pià ¨ce à ©tait lourde, pesante. Ele avait du mal Ã
respirer. L'homme qui se tenait en retrait, assis sur une
chaise, prà ¨s de la fenà ªtre, à ©tait diffà ©rent de celui
dans les bras duquel ele s’à ©tait endormie. Il
semblait à ªtre debout depuis longtemps et, de toute Ã
©vidence, avait pris une douche et s’à ©tait rasà ©.
Ses habits, costume sombre et cravate, lui donnaient un
aspect strict et sà ©và ¨re.
– J’ai prà ©parà © du cafà ©, annonà §a-t-il en dÃ
©signant d’un geste de la main un plateau avec des
tasses et une thermos. Tu en veux ?
– Oui.
Lucy nageait en pleine confusion. Ce rà ©veil, aprà ¨s leur
nuit d’amour passionnà ©e, ne ressemblait en rien Ã
celui qu’ele aurait pu espà ©rer. Que se passait-il ?
Ricardo avait-il pensà © que les à ©và ©nements de la
nuit à ©taient une nouvele erreur? Qu’avait-ele dit ou
fait pour mà ©riter cette attitude glaciale ?
Ele se leva et prit place dans un fauteuil. Il lui tendit une
tasse pleine de cafà © odorant.
– Merci.
Ele avala une gorgà ©e du dà ©licieux breuvage et se
sentit rà ©confortà ©e.
– A propos de ce qui s’est passà © cette nuit…,
commenà §a-t-ele d’une voix incertaine.
– Ce qui s’est passà © cette nuit est une chose.
Aujourd’hui, je veux que tu me dises enfin toute la vÃ
©rità ©.
Lucy ouvrit de grands yeux.
– De quoi diable parles-tu ?
– Tu m’as avouà © avoir à ©tà © malade, sans me
donner beaucoup de prà ©cisions. La nuit dernià ¨re, tu as
fait une crise de somnambulisme. Tu t’es levà ©e, tu
as quittà © la chambre et marchà © le long du couloir. Tu
as dà ©clarà © partir à la recherche de Marco… Tu Ã
©tais inquià ¨te, paniquà ©e mà ªme.
Tu voulais le trouver mais, en mà ªme temps, tu avais peur
de lui faire du mal.
Lucy laissa à ©chapper un profond soupir.
â € “ C e s crises sont l e signe d e m a dà ©pression. Je
ressentais une peur panique de ne pas à ªtre à la hauteur,
de ne pas savoir m’y prendre avec le bà ©bà © que
j’avais mis au monde.
Les mots s’à ©chappaient de ses là ¨vres. C'à ©tait
comme si, soudain, s’ouvraient les vannes d’un
barrage.
– Il m’arrivait mà ªme parfois de douter d’à ªtre
la mà ¨re de ce bà ©bà ©. C'à ©tait à ©pouvantable. Je
d e ve na i s f o l e . L a n u i t , j e faisais d’horribles
cauchemars. Le bà ©bà © à ©tait mort à cause de moi.
Alors, je me levais et partais à sa recherche… Je
parvenais jusqu’à la nurserie, mais lorsqu’il se
mettait à pleurer, j’à ©tais dans l’incapacità © de
le prendre dans mes bras et de lui apporter le rà ©confort
dont il avait besoin. Je devenais un danger pour lui.
– Il s’agit d’une nà ©vrose postnatale. J’ai
passà © une partie de la nuit sur Internet. Cette maladie y
est parfaitement dà ©crite. Pourquoi diable ne m’en
as-tu pas parlà ©?
– Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait et
j’avais peur d’en parler. J’à ©tais effrayà ©e,
terrifià ©e.
– Tu avais peur de quoi?
– De toi.
L'aveu à ©tait tombà © de ses là ¨vres sans qu’ele
puisse rien faire pour le retenir. Ricardo semblait sonnà ©
par cette rà ©và ©lation.
– De moi !
– J’avais peur q ue t u m e rejettes. Lors d’une
soirà ©e, peu d e temps aprà ¨s notre mariage, dans les
toilettes p o ur dames, j’ai surpris une conversation
entre deux jeunes femmes de ton entourage. Eles
affirmaient que dà ¨s la naissance du bà ©bà ©, tu te dÃ
©barrasserais de moi, que jamais je ne serais à la
hauteur.
– Alors, tu es partie.
Ricardo se leva et se mit à faire les cent pas dans la piÃ
¨ce.
â € “ C'Ã ©tait, pour moi, l a seule solution, Ricardo. HÃ
©las, cela n e m’a p a s apportà © l’apaisement,
bien a u contraire. J’ai compris alors que j’avais
besoin d’aide.
– Et tu es alà ©e la chercher auprà ¨s d’un mÃ
©decin.
– A q u i d’autre aurai s-je p u d e ma nd e r de
l’aide ? A ma mà ¨re? Certainement pas ! E le et
moi n’avons jamais pu communiquer. A toi?
Impossible! Nous n’avions pas ce type de complicitÃ
©. Notre mariage n’à ©tait pas un vrai mariage.
– Tu as parfaitement raison sur ce point !
Sans plus attendre, il se dirigea vers la porte, comme
s’il ne pouvait rester une seconde de plus en sa
compagnie.
– Ricardo…
Ele avait prononcà © son nom comme une prià ¨re. Cela le
stoppa net dans son à ©lan et il se retourna lentement pour
lui faire face, le visage fermà ©.
– Je t’ai à ©coutà ©e et entendue, Lucia.
Finalement, si tu es partie, ce n’est pas tant à cause
d’une dà ©pression postnatale que du manque de
complicità © existant entre nous. Jamais nous
n’aurions dà » nous marier. Ce mariage est finalement
la source de tous les problà ¨mes.
Hà ©las, il avait raison. Leur mariage à ©tait de
convenance. Un mariage sans amour n’a aucune

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