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L'enfant du souvenir

Scott Alexandra
Harlequin (2012)

Etiquettes: azur

Sept ans... Sept ans que Ben a lâchement abandonné . Ellie, après l'avoir séduite au
cours d'une croisière dans le Pacifique. Depuis, elle élève seule Charlie, vivant souvenir
de cette brève idylle - sans le moindre espoir de revoir Ben, d'ailleurs. A force de
courage et d'énergie, elle s'est bâti une solide réputation dans la confection féminine, et
c'est pour rencontrer ses partenaires asiatiques qu'elle se rend à Singapour. A peine
arrivée, elle accepte une invitation à dîner chez des amis. Bien mal lui en prend... Car,
parmi la dizaine d'invités présents, Ellie a la désagréable surprise d'apercevoir le père
de sa fille ! Un verre à la main, il se tient à quelques mètres d'elle... et l'observe avec
une fascination évidente. Comme s'il ne la reconnaissait pas. Comme s'il avait oublié
jusqu'au souvenir de leur brève liaison.

Et surtout, comme s'il était prêt à recommencer...


L'enfant du souvenir
d'Alexandra SCOTT
1.
« Va ton chemin, à présent. Le passé est mort. »
A demi endormie, Ellie lutta pour ouvrir les paupières, essayant de se remémorer son
rêve. En vain. Plus rien n'en subsistait que ces paroles obsédantes. Son regard se posa
sur le réveil. Alors seulement, elle émergea totalement des brumes du sommeil et
renoua avec la réalité.
Il était grand temps de se lever, de s'habiller, songea-t-elle en bâillant.
Mais son corps, lourd de la fatigue accumulée depuis son départ de Heathrow, un peu
moins d'une semaine auparavant, refusait d'obéir. Elle était épuisée.
Toutefois, le contrat signé hier à Hong Kong la récompensait largement de l'énergie
qu'elle y avait dépensée, et lui ouvrait de nouvelles perspectives. Maintenant, elle
pouvait envisager l'avenir sans inquiétude.
Que de chemin parcouru depuis cinq ans ! Depuis le jour où elle avait installé sa
machine à tricoter sur la table de la cuisine pour confectionner des chandails qu'elle
allait vendre ensuite sur les marchés de Londres ! A l'époque, bien sûr, la marque «
Wooly » et son logo n'étaient pas encore déposés, et elle n'aurait même pas imaginé
qu'ils le fussent un jour. Vraiment, ses premiers clients avaient été bien inspirés
d'acheter pour trois fois rien des Wooly qui se vendaient aujourd'hui à prix d'or dans le
commerce de luxe.
Le succès était venu après que les médias eurent rendu hommage à son talent de
créatrice. Sa première interview télévisée à Hong Kong avec la journaliste Jenny Scow
qui, depuis, était devenue son amie, lui avait ouvert de nouvelles portes. Ainsi, grâce à
ses contacts avec la presse asiatique se retrouvait-elle aujourd'hui à Singapour, chez
Jenny, alors qu'elle aurait dû rentrer directement à Londres.
Des coups discrets frappés à la porte l'encouragèrent à se lever. L'instant d'après, Jenny
pénétrait dans la chambre. Menue, élégante, elle irradiait de cette grâce exquise qui fait
le charme des femmes chinoises. Avec un sourire de gratitude, Ellie accepta la tasse de
thé que lui tendait la jeune femme.
— Oh, merci, Jenny. J'en ai bien besoin pour me réveiller. J'espère que je ne vous
retarde pas.
— Je suis montée vous voir dans l'après-midi. Vous dormiez comme un ange. J'ai
décidé de vous laisser vous reposer jusqu'au dernier moment. Nos amis n'arriveront
que dans une heure. Vous avez largement le temps de vous préparer.
La jeune Chinoise traversa la chambre, tira les rideaux, et se retourna vers son invitée.
— Robert est impatient de vous rencontrer, vous savez.
— Moi aussi j'ai hâte de faire sa connaissance. Ellie reposa sa tasse sur la table de
chevet, et s'étira en bâillant.
chevet, et s'étira en bâillant.
— Bon, je vais prendre une douche, annonça-t-elle. Elle passa les doigts dans la masse
de ses cheveux auburn et ajouta :
— Ils ont besoin d'un shampoing. Je ne les ai pas lavés depuis que j'ai quitté la maison.
Avec tous ces rendez-vous... Ce matin encore, j'ai dû courir pour ne pas manquer mon
avion.
— Alors je vous laisse, dit Jenny. Vous trouverez un sèche-cheveux dans la salle de
bains.
Ellie la retint d'un geste :
— Jenny ! Je ne vous remercierai jamais assez pour cette première interview télévisée
qui m'a permis...
Son hôtesse l'interrompit :
— Simple concours de circonstances. Il nous manquait un témoignage dans notre
émission en direct sur les entrepreneurs étrangers qui utilisent la main-d'œuvre locale,
et quelqu'un — je crois que c'est Johny Teck — nous a parlé de vous. En fait, vous nous
avez tirés d'embarras en acceptant de venir au pied levé.
Ellie hocha la tête.
— Ne jamais refuser une occasion de publicité gratuite : voilà l'une des premières
règles à appliquer en affaires. On mentionne votre nom à la télévision ou à la radio et
vous voilà parti pour le succès ! Oh, Jenny, je voulais vous demander quelque chose :
cela vous ennuierait-il que j'appelle Charlie? C'est l'heure à laquelle je lui téléphone,
d'habitude.
Jenny désigna le combiné de la main :
— Vous n'avez pas à me demander! Vous êtes ici chez vous, répondit-elle. A propos,
j'ai oublié de vous dire que Jonas Parnell, l'écrivain américain, sera de nos invités au
dîner de ce soir. Je suis sûre que, comme moi, vous avez lu ses best-sellers. Son père et
celui de Robert sont des amis de longue date.
Sur ces paroles, la jeune journaliste s'éclipsa.
Jonas Parnell ? Ellie murmura ce nom en entrant dans la salle de bains. Elle se le répéta
sous le jet chaud de la douche. Il lui rappelait quelque chose, mais très vaguement. A
vrai dire, rien d'étonnant à cela, car elle n'avait guère le temps de lire, à part les
bilans... Néanmoins, après éflexion, il lui sembla que son esprit associait ce nom à un
film qu'elle avait vu quelques semaines auparavant... une sombre et mystérieuse
histoire de meurtre.
Après tout, quelle importance ? songea-t-elle en sortant de la douche. Elle drapa une
serviette en turban sur ses cheveux, retourna dans la chambre, et composa le numéro de
son appartement londonien. Quelques secondes plus tard, elle entendait la voix de sa
fille.
— Charlie, ma puce, comment vas-tu ? demanda-t-elle d'un ton infiniment tendre. Tu
— Charlie, ma puce, comment vas-tu ? demanda-t-elle d'un ton infiniment tendre. Tu
ne peux pas savoir à quel point tu me manques.
Elles eurent comme chaque jour leur petite conversation rituelle, puis Ellie se prépara
pour le dîner.
— Pas mal... Un sourire de satisfaction aux lèvres, elle considérait d'un œil critique son
reflet dans le miroir. Dans le fond, elle avait eu raison d'investir une somme
extravagante dans cet ensemble de Jean Muir. La ligne fluide du pantalon de soie ivoire
laissait deviner le galbe parfait de ses longues jambes, et la tunique assortie soulignait
la courbe de ses seins fermes. Dans cette tenue raffinée, classique, elle ferait forcément
honneur aux invités de Jenny.
Après quelques hésitations, elle décida de laisser ses cheveux libres sur ses épaules, au
lieu de les serrer en chignon, rien que pour le plaisir de les sentir bouger autour de son
visage. Puisqu'elle avait choisi de jouer la carte de l'élégance sobre, elle opta pour un
maquillage discret : rouge à lèvres bordeaux, mascara brun, un trait de crayon noir pour
souligner ses yeux gris clair... Un voile de poudre transparent sur le visage et le
décolleté rehaussa la finesse de sa peau délicatement parfumée. Parfait! Elle était prête.
Machinalement, elle tendit la main vers le solitaire posé sur la coiffeuse et le glissa à
son annulaire gauche où brillait déjà l'anneau d'or dont elle ne se séparait jamais.
Robert Van Tieg ne ressemblait en rien à ce qu'elle avait imaginé. Debout sur la
terrasse avec les autres invités, Ellie écoutait le maître de maison qui désignait à ses
hôtes les principaux sites de la ville. Malgré elle, la jeune femme ne pouvait
s'empêcher de le comparer à Jenny, si menue, si fine, si délicate... Silhouette épaisse,
trapue, épaules de lutteur, Robert était dépourvu de séduction physique. En revanche, il
possédait l'assurance que confèrent la puissance et la richesse — deux atouts suffisants
pour exercer sur les femmes un attrait certain.
Seuls ses vêtements d'une qualité irréprochables et ses manières courtoises
correspondaient à l'image qu'Ellie s'était faite du compagnon de Jenny. Pour le reste, il
n'était pas du tout le genre d'homme qu'elle aurait imaginé partageant la vie de la frêle
jeune femme.
Jenny lui avait appris que Robert, son aîné de douze ans, avait été marié deux fois —
deux expériences malheureuses — et que ni l'un ni l'autre n'envisageaient, pour le
moment, de légaliser leur union. Profondément épris l'un de l'autre, ils avaient basé
leur vie commune sur une confiance mutuelle, chacun laissant l'autre mener librement
ses activités professionnelles. Les fées avaient dû se pencher sur le berceau de Jenny,
songea Ellie sans la moindre jalousie. Belle, riche, la célèbre journaliste avait en outre
la chance d'être aimée par l'un des hommes d'affaires les plus prospères du monde.
Une soudaine agitation près de la porte-fenêtre arracha la jeune femme à ses réflexions.
La maîtresse de maison guidait vers la terrasse un nouvel invité dont Ellie ne distingua
La maîtresse de maison guidait vers la terrasse un nouvel invité dont Ellie ne distingua
d'abord que la silhouette virile vêtue d'un complet gris sombre.
Le visage rayonnant de plaisir, Jenny lui adressait maintenant des signes de la main afin
d'attirer l'attention de Robert. Ce dernier s'excusa alors auprès de leur petit groupe et
alla la rejoindre. Il y eut un bref silence tandis que ses hôtes le suivaient des yeux. Son
voisin de droite, Pete, un homme d'affaires australien, lui prit alors le bras et s'exclama
:
— Quelle personnalité, ce Robert, n'est-ce pas ?
Il se tourna ensuite vers sa femme, une ravissante blonde, et ajouta :
— Babs n'avait pas encore eu l'occasion de le rencontrer avant ce soir. Que penses-tu
de lui. chérie?
— Robert est exactement comme tu me l'avais décrit, répondit la jeune femme, et je
suis sûre qu'il gagne beaucoup à être connu.
— En tout cas, si j'en juge d'après Jenny. il a un point commun avec moi : il aime les
jolies femmes.
Sur ces mots, Pete leva son verre comme pour exprimer une approbation admirative.
Babs échangea un regard malicieux avec Ellie, et s'empressa de changer de sujet.
— Vous êtes venue d'Angleterre pour affaires? demanda-t-elle.
Ellie s'accouda contre la balustrade de fer forgé. Tout en suivant des yeux les navires
qui entraient dans le port, elle répondit :
— En effet. Je possède une petite entreprise de mode — je crée des vêtements en tricot.
Je suis allée à Hong Kong afin de mettre au point certains détails avec des sociétés qui
fabriquent mes articles, et, sur le chemin du retour, j'ai fait escale à Singapour pour
rendre visite à Jenny et Robert.
— J'espère que vous utilisez des laines australiennes, s'enquit Pete.
Babs intervint :
— Ne faites pas attention à ce qu'il dit, Ellie. Son père élève des moutons. Alors, il ne
peut s'empêcher de vanter la qualité de leur laine...
— Désolée de vous décevoir. Pete, mais, pour le moment, nous n'employons que des
laines anglaises spécialement filées pour nous — et nous en sommes fiers, continua-t-
elle avec un sourire. Occasionnellement, nous les mélangeons avec de la soie.
Toutefois, si un jour je décidais d'utiliser des laines australiennes, je me souviendrais de
votre père. En fait, j'ai moi-même des liens avec votre pays et je...
Les mots moururent sur ses lèvres alors que Jenny et Robert, accompagnés de leur
invité, s'approchaient de la porte-fenêtre. La lumière des lustres éclairait le couple
tandis que les traits du nouveau venu restaient dans l'ombre. Il avait la tête penchée
vers son hôtesse et quelque chose dans son attitude flegmatique, décontractée, fit battre
le cœur d'Ellie à une vitesse folle.
— Vous disiez...? demanda Babs.
— Vous disiez...? demanda Babs.
— Je..., reprit Ellie.
Pendant une seconde, elle fixa la jeune femme. Elle était incapable de se rappeler le
sujet de leur conversation.
— ... Où en étions-nous? finit-elle par enchaîner. Nous parlions laines, je crois.
L'Angleterre dispose d'une telle richesse de races, d'une telle variété de toisons...
Pourquoi chercherions-nous ailleurs ? Après tout, vous n'importez guère nos vins,
n'est-ce pas?
Babs et Pete la considéraient, l'air perplexe. Sans doute jugeaient-ils ses propos
incohérents, songea-t-elle. Mais elle n'eut pas le temps de s'attarder sur cette
considération, car, à cet instant, Jenny l'interpella.
— Ellie, je vous avais annoncé que nous attendions Jonas Parnell. J'aimerais maintenant
vous le présenter.
Ellie se raccrocha alternativement au regard de Jenny, puis à celui de Robert, tellement
elle redoutait d'affronter celui de leur invité. Mais, de peur de paraître impolie, elle
s'obligea finalement à lever les yeux vers lui.
— Jonas Parnell n'est qu'un pseudonyme, reprit Jenny en riant. En réalité, notre grand
écrivain s'appelle Ben Congreve. Ben, voici une amie très chère, Ellie Osborne.
A partir de cette seconde, Ellie agit comme un automate. Elle tendit la main au
nouveau venu, espérant que son sourire contraint cacherait son désarroi. Par bonheur,
elle ne décela aucun signe de surprise dans le regard de l'homme — une lueur
d'admiration, peut-être mêlée de curiosité, mais rien de plus — ce qui l'aida à se
détendre, à afficher un air aimable, et à se conduire le plus courtoisement qu'elle le
pouvait, malgré la tourmente intérieure qui l'avait gagnée.
Elle participa très peu à la conversation. Les propos échangés autour d'elle lui
parvenaient comme à travers un épais brouillard tandis qu'elle tentait de réprimer le
déferlement de ses émotions. Qui aurait imaginé que son chemin croiserait de nouveau
celui de Ben Congreve après toutes ces années ? Des années pendant lesquelles l'espoir
de le revoir s'était peu à peu étiolé jusqu'à mourir...
— Vous connaissez bien Singapour, Ellie?
Assis à droite de la jeune femme, Ben Congreve avait attendu qu'elle eût terminé sa
conversation avec Pete avant d'attirer son attention. En fait, il voulait surtout qu'elle se
tournât vers lui afin qu'il pût voir son visage. Mmm... il ne s'était pas trompé. Cette
femme possédait des yeux splendides. Gris, lumineux, intenses. Son visage entier était
d'une beauté remarquable. Fascinant même, avec ses pommettes hautes, sa bouche
exquise, sensuelle, son ovale de madone encadré par une cascade de cheveux aux reflets
auburn. Tout en elle était parfait, jusqu'à sa peau. Lisse, elle avait l'éclat d'une rose, le
velouté d'une pêche. Les comparaisons manquaient d'originalité, admit-il en son for
velouté d'une pêche. Les comparaisons manquaient d'originalité, admit-il en son for
intérieur. Surtout pour un écrivain. Mais elles s'imposaient d'emblée.
— Non, pas vraiment, répondit la jeune femme.
Par quel miracle était-elle parvenue à prononcer ces mots d'une voix calme alors que
son cœur cognait comme un forcené dans sa poitrine, que ses mains moites avaient de
la peine à tenir sa fourchette?
— Je suis déjà venue ici plusieurs fois, mais toujours en coup de vent, ajouta-t-elle.
La jeune femme reporta son attention sur son assiette, mangea quelques bouchées d'une
délicieuse entrée avant de reprendre :
— Et vous?
Un bref regard en direction de son voisin lui confirma ce qu'elle redoutait : il ne l'avait
pas quittée des yeux. Cette constatation amena le rouge à ses joues.
L'écrivain eut néanmoins le bon goût de détourner la tête et de s'intéresser au contenu
de son assiette tout en répondant à sa question.
— Moi non plus, je ne connais pas bien la ville. Mais comme le livre que j'écris en ce
moment comporte une scène qui s'y déroule, je suis venu me documenter afin de ne pas
commettre d'erreurs. En vérité, à l'instar de bien des écrivains, je cherche toujours des
excuses pour fuir la tyrannie de l'ordinateur.
— Mmm... j'ai déjà entendu dire ça. Toutefois, je croyais que ces appareils avaient été
inventés pour vous simplifier la vie.
— En théorie, oui.
Ben considéra de nouveau la jeune femme, étonné de se découvrir un tel désir de la
divertir, de l'amuser.
— Cependant, je n'en suis pas totalement convaincu, reprit-il. Honnêtement, je dois
admettre que l'écriture est une histoire à la fois de haine et d'amour. C'est presque de
l'esclavage librement consenti. Il y a des moments où j'ai envie d'en terminer
définitivement avec cette passion. Et puis... dès que j'ai mis un point final à ce que je
pensais être mon dernier ouvrage... une ou deux nouvelles s'emparent de mon cerveau
et me harcèlent jusqu'à ce que je cède à leur appel...
— Ben ! s'exclama Jenny d'un ton de reproche. A vous entendre, on croirait que chaque
mot vous demande un effort épouvantable. Pourtant, quand on vous lit, on a
l'impression que les phrases coulent d'elles-mêmes, avec une facilité...
— Ah, c'est là qu'intervient le génie! répliqua l'écrivain en affectant un air faussement
suffisant.
Un éclat de rire général accueillit sa remarque que les convives se mirent ensuite à
commenter. Cela lui permit d'accorder de nouveau son attention à sa jeune voisine.
— Et voilà, vous savez tout de moi, maintenant, déclara-t-il. A votre tour de me parler
de vous.
Encore une fois, il la contraignait à le regarder. Ellie lui fit face. La gorge serrée par
Encore une fois, il la contraignait à le regarder. Ellie lui fit face. La gorge serrée par
l'émotion, elle dut admettre qu'il provoquait en elle le même effet dévastateur
qu'autrefois. Grand, d'une élégance racée, il avait gardé intact son pouvoir de
séduction. Même s'il portait ses cheveux beaucoup plus courts et s'il avait perdu, en
même temps que sa barbe, son air de flibustier.
— Oh, vous savez, il n'y a pas grand-chose à dire, rétorqua-t-elle avec un sourire forcé.
Cette réponse ne correspondait pas exactement à la vérité. Car, bien qu'elle parût lisse
et raisonnable, sa vie cachait des zones sombres et douloureuses qu'elle refusait de
dévoiler à quiconque. Et surtout à cet homme qui...
Manifestement, il attendait des explications. Alors, d'une main nerveuse, elle repoussa
une mèche derrière l'oreille — geste de défense qu'elle faisait machinalement chaque
fois qu'elle se sentait vulnérable.
— Je ne sais pas si Robert vous l'a dit, mais je possède une petite entreprise de mode —
je crée des articles en tricot. Quand j'ai commencé, ma marque ne se vendait qu'en
Grande-Bretagne. Mais maintenant, j'ai des ateliers à Hong Kong où je viens de passer
quelques jours. Comme, depuis deux ans, Jenny me proposait de m'arrêter chez elle
lorsque je viendrais en Asie, je me suis décidée à faire ce petit détour...
— Et je suis ravie que vous ayez enfin réussi à nous consacrer un peu de votre temps...,
s'exclama Jenny qui avait suivi ses paroles de l'autre bout de la table.
A cette seconde, tout en prêtant une oreille distraite aux propos de Pete, Ellie regretta
avec amertume de ne pas avoir pris l'avion directement pour Heathrow. Aujourd'hui,
elle serait avec Charlie au lieu de se trouver à côté d'un homme dont la présence
ravivait en elle des souvenirs qu'elle avait cru définitivement morts. Déjà, au début de
la soirée, elle s'était demandé ce qu'elle faisait là, dans ce cadre luxueux, tellement
étranger à son environnement habituel.
Elle regarda autour d'elle, s'attacha à chaque détail de l'immense pièce : rideaux
vaporeux dont les plis frémissaient sous le souffle de la brise légère, tableaux de
peintres modernes accrochés aux murs crème, tables de marbre vert. Du marbre vert!
Veiné d'or de surcroît. Cristaux. Argenterie. Et toute cette nourriture exquise présentée
avec un art raffiné dans des plats de porcelaine ! Tout avait été étudié avec un soin
extrême...
Soudain, une image surgie du passé lui amena un sourire aux lèvres. Avec une netteté
stupéfiante, elle revit la vieille table de cuisine bien astiquée, avec la cocotte de ragoût
qu'elle servait régulièrement, la miche de pain confectionnée de ses propres mains
toujours un peu trop cuite ou pas assez — le saladier dans lequel elle avait jeté à la hâte
quelques feuilles de laitue...
Nourritures simples, à des années-lumière du plat de fruits de mer accompagnés d'une
composition de riz au safran, d'algues et de légumes qu'un maître d'hôtel venait
d'apporter. L'ensemble constituait une symphonie de couleurs qui ravissait les yeux.
d'apporter. L'ensemble constituait une symphonie de couleurs qui ravissait les yeux.
C'était presque trop beau pour être consommé, songea-t-elle.
— Vous ne mangez pas ? demanda Ben. Elle tourna la tête vers lui.
— Oh, si, bien sûr.
Du bout de sa fourchette, elle préleva délicatement une portion de coquille Saint-
Jacques, la porta à sa bouche et, après l'avoir lentement dégustée, continua :
— C'est tellement agréable à regarder. Vous ne trouvez pas ?
— ... Si.
A en juger d'après le temps qu'il avait mis à répondre, le contenu de son assiette était
sans doute, en cet instant, le dernier de ses soucis.
— Si, si, ajouta-t-il comme pris de remords, je suis tout à fait d'accord avec vous.
Belle. Elle était belle à couper le souffle, songeait-il. Des dents d'une blancheur
éclatante ! Pas d'une régularité parfaite, cependant — les deux dents de devant se
chevauchaient légèrement. Une bouche pulpeuse qu'il aurait voulu sentir contre la
sienne. Et quand elle souriait, tout son visage s'illuminait. Cette jeune femme possédait
un rayonnement intérieur qui l'intriguait, suscitait son intérêt, éveillait en lui une
excitation qu'il n'avait jamais connue jusque-là. Mais...
Mais depuis qu'il avait engagé la conversation avec elle, sa belle voisine de table ne lui
envoyait que des signaux destinés à le décourager : la manière dont elle avait
ostensiblement mis en évidence sa main gauche où brillaient les feux d'un solitaire et
d'une alliance, par exemple... Ellie Osborne était mariée et souhaitait qu'il le sût. En
tout cas, l'existence d'un mari ne l'empêcherait certainement pas de chercher à percer le
mystère de cette femme fascinante.
Ellie soupira, puis enfonça son visage plus profondément dans l'oreiller. Si seulement
le sommeil voulait venir et engloutir dans ses ténèbres l'image obsédante de Ben
Congreve ! Après une bonne nuit de repos, elle verrait les choses sous un autre jour.
Pour commencer, elle annoncerait à Jenny sa décision d'avancer son départ et de quitter
Singapour dès demain. Elle retournerait là où était sa vraie vie. Auprès de Charlie.
Charlie, la plus belle chose qui lui soit arrivée depuis...
Traîtreusement, l'esprit de la jeune femme dériva vers le passé, vers ce temps magique
où elle avait rencontré Ben Congreve pour la première fois...
« Vingt ans et le monde entier devant toi. » C'était par ces paroles que son père avait
salué son succès quand elle avait été reçue à sa licence à l'université de Sydney. Et, pour
la récompenser, il lui avait remis un chèque.
— Avant de te lancer dans la vie active, tu pourras t'offrir le voyage dont tu rêvais,
avait déclaré sir William. As-tu toujours en tête de faire carrière dans la mode? Pour
ma part, je te conseillerais plutôt l'enseignement.
Helen — comme on l'appelait à l'époque — avait répondu :
Helen — comme on l'appelait à l'époque — avait répondu :
— Si je ne trouve pas de débouchés dans la mode, je demanderai un poste de professeur,
et voilà tout. papa. Ne t'inquiète pas pour moi.
— Ta mère et moi sommes très fiers de toi, ma chérie. Non seulement tu es la plus
jeune de ta promotion mais en plus, tu arrives en tête. Je suis sûr qu'à Londres, les
débouchés ne manqueront pas, d'autant que je vais te donner quelques lettres
d'introduction pour des amis très chers que nous avons gardés là-bas. Tu nous
manqueras, naturellement. Mais nous voulons avant tout que tu vives sans te soucier de
nous. On te doit bien ça : la maladie de ta mère a gâché une grande partie de ton
enfance...
— Vous n'y êtes pour rien. Quand on a une sclérose en plaques, il est vital d'être
entouré, et j'ai été très heureuse d'être auprès de vous pendant toutes ces années.
Maintenant je pars, et c'est moi qui vous dois tout.
— Tu sais, nous aussi nous aimerions retourner dans notre bon vieux pays. Mais
puisque le climat, ici, convient tellement mieux à ta mère... Quoi qu'il en soit, je
voulais l'annoncer que j'envisage de donner ma démission du corps diplomatique. Une
importante société japonaise me propose un poste de directeur à Sydney, ce qui nous
permettrait de rester en Australie. Nous sommes fatigués de ces mutations de poste en
poste, et, pour la santé de ta mère, j'ai envie d'accepter... Helen n'avait pas caché son
enthousiasme.
— Papa ! Tu es un cachottier ! C'est à moi de te féliciter. Cette opportunité est
extraordinaire : ne la laisse surtout pas passer...
Avec un sourire, sir William avait ajouté :
— Tout ce que je te demande, c'est d'écrire souvent à ta mère. Tu sais combien tu lui
manqueras.
— Je te le promets, papa. Dis-moi... cela t'ennuierait-il si je faisais escale aux Caraïbes
avec mon club de plongée avant de gagner l'Europe? Ils projettent d'aller faire des
fouilles au large des îles du Vent où l'on a découvert un galion espagnol du xvif siècle,
et ils m'ont proposé d'aller avec eux.
— Je suppose que tu n'as pas attendu mon autorisation pour donner ta réponse. Alors...
sois prudente, ma chérie, et n'oublie jamais que nous n'avons que toi.
— Ne crains rien, papa. Je ne suis pas une risque-tout. Et je vous écrirai aussi souvent
que possible.
Helen s'était haussée sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur la joue de son
père.
Et c'est ainsi que, huit jours plus tard, elle avait rallié les Antilles avec une équipe de
sept plongeurs, dont trois filles. Tous étaient originaires de Sydney. Sur place, ils
s'étaient joints à d'autres groupes venus de plusieurs universités américaines. Parmi ces
passionnés d'archéologie maritime se trouvait Ben Congreve, chef de l'expédition,
passionnés d'archéologie maritime se trouvait Ben Congreve, chef de l'expédition,
l'homme qui avait bouleversé sa vie en l'espace des deux courtes semaines qu'ils
avaient partagées.
Jamais elle n'oublierait l'instant où elle l'avait vu pour la première fois. Accroupi sur le
sable, parmi les autres, il examinait les objets remontés du fond de la mer dans l'après-
midi. Une remarque lancée par un membre du groupe avait suscité l'hilarité générale.
Ben Congreve avait alors relevé la tête et rencontré les yeux d'Helen.
Son sourire d'une blancheur éclatante s'était éteint brusquement tandis qu'une lueur
d'intérêt éclairait ses yeux sombres. D'un geste impatient, il avait repoussé en arrière
son épaisse chevelure avant de se redresser lentement.
Sa chemise ouverte flottait sur un jean délavé et laissait entrevoir un torse musclé,
brûlé par le soleil.
Puis les présentations avaient commencé. Très naturellement, il avait souhaité la
bienvenue aux nouveaux arrivants, mais son regard revenait sans cesse vers celui de la
jeune femme; aujourd'hui encore Ellie, en se rappelant l'intensité de cet échange, se
sentait envahie par la même émotion qu'autrefois.
A cette époque, Ben portait une barbe qui accentuait son allure de flibustier.
L'arrogance naturelle de cet homme au magnétisme ensorcelant aurait dû la mettre en
garde. Hélas, ces quelques secondes avaient suffi à provoquer en elle un profond
bouleversement, aussitôt suivi d'un sentiment de frustration intolérable. Car, après ce
premier contact fulgurant, le beau corsaire ne lui avait pas accordé plus d'attention
qu'aux autres membres de l'expédition.
Plus tard, il prétendit en la taquinant, entre deux baisers, que tout cela était faux. Qu'il
l'avait remarquée non pas sur la plage, mais au fond de l'eau et qu'elle l'avait séduit
uniquement par ses qualités de nageuse.
— Jusqu'à ce jour, je pensais que seules les sirènes pouvaient se mouvoir aussi
gracieusement dans les flots, lui avait-il déclaré. L'océan semble avoir été inventé pour
toi. Cela ne m'empêche pas de te trouver aussi belle sur le sable que dans l'eau. Quand
je caresse ta peau, j'ai l'impression de toucher de la soie. Et tes cheveux... on croirait de
l'or filé.
— Ils sont faux, avait-elle répliqué en riant.
— Que veux-tu dire ?
Si Ellie ne regrettait pas d'avoir fait couper ses longs cheveux avant de quitter Sydney,
en revanche, les avoir fait décolorer s'avérait désastreux : le blond pâle rendu insipide
par le soleil et la mer ne seyait absolument pas à son teint de rousse.
Elle avait posé ses lèvres sur celles de Ben en chuchotant :
— Cela veut dire que je ne suis qu'une illusion. En fait, je n'existe pas.
— Ça tombe bien, je n'ai jamais vraiment cru aux sirènes.
« Oui, mais moi je crois en toi », avait-elle songé en s'abandonnant à une torpeur
« Oui, mais moi je crois en toi », avait-elle songé en s'abandonnant à une torpeur
bienfaisante. La caresse de la brise, le murmure des vagues sur le rivage, le contact
chaud, l'odeur musquée du corps viril serré contre le sien accentuaient son bien-être.
Elle avait enfin trouvé l'homme qu'elle attendait depuis toujours et elle était bien
déterminée à ne jamais le laisser partir. Avec un soupir de volupté, elle avait posé sa
tête contre la poitrine de Ben.
— Es-tu déjà allé en Australie? lui avait-elle demandé.
— Non. Mais je te promets de noter ce pays en tête des endroits que j'ai l'intention de
visiter.
Helen s'était légèrement écartée de son compagnon tout en brossant machinalement le
sable de leur natte de paille et avait posé la question qui lui brûlait les lèvres.
— Où comptes-tu aller en partant d'ici?
Depuis qu'elle avait entendu dire que Ben et un autre membre du groupe venaient de
Floride, elle nourrissait l'espoir qu'ils poursuivraient ensemble leur périple vers
l'Angleterre. Cependant, comme ils ne se connaissaient que depuis quelques jours, elle
ne voulait pas l'effaroucher en lui laissant supposer qu'elle pouvait avoir des vues sur
lui.
Ben avait alors paresseusement désigné du menton le yacht ancré près du promontoire.
— Nous le ramenons à son port d'attache, via le Canal et le Pacifique. On nous a
accordé l'autorisation de faire escale aux Galapagos le temps de relever des données
scientifiques. Ensuite nous remonterons par la côte Ouest et nous rentrerons.
Son regard s'était reporté sur Helen dont il avait effleuré la bouche du bout de l'index.
— Un jour, j'accomplirai le tour du monde en solitaire. Mais cette fois-ci, Dan
m'accompagne. As-tu déjà navigué sur un voilier, Helen ?
D'un air de regret, elle avait hoché la tête.
— Non, hélas. Au club de plongée, nous n'utilisons que des bateaux à moteur. C'est plus
pratique...
— Mais beaucoup moins romantique. Tu sais quoi ? Je t'emmène au large. Cela te
donnera une idée...
Naturellement, elle avait acquiescé. Ils avaient passé le reste de l'après-midi en mer, à
plonger de l'élégant petit yacht dans l'eau limpide et, lorsque le soleil avait commencé
à décliner sur l'horizon, ils avaient étendu des serviettes de bain sur le pont. Allongés,
tout en se délectant de boissons glacées, ils avaient contemplé l'océan qui
s'empourprait sous les' rayons du couchant.
— Eh bien, qu'en penses-tu ?
Appuyé sur un coude, Ben jouait avec les courts cheveux de la jeune femme, ce qui
éveillait en elle un bouquet de sensations délicieuses.
— Es-tu prête à venir écumer les mers avec moi?
— Mmm.
— Mmm.
Comment formuler des phrases quand on est en proie à un vertige voluptueux ?
Bien sûr qu'elle voulait l'accompagner. Partout et toujours. Mais le dire clairement
risquait de créer une situation embarrassante, car, en fait, Helen ignorait tout des
sentiments de cet homme dont elle était tombée amoureuse au premier regard. Elle
refusait de s'engager dans une relation dont elle risquait de sortir meuitrie.
Comme s'il avait deviné ses pensées, Ben s'était penché sur elle, avait posé sa bouche
sur la sienne et murmuré son nom d'un ton empreint d'une si grande sensualité que les
barrières de défense de la jeune femme s'étaient instantanément écroulées. Entrouvrant
les lèvres, elle avait enfoui les mains dans les cheveux de son compagnon, puis s'était
serrée contre lui.
— Helen, si tu savais combien...
Pour la première fois, elle percevait contre son propre ventre l'évidence du désir de
Ben.
— Si tu savais à quel point j'ai envie de toi... Les paupières mi-closes, elle avait
murmuré :
— Qu'est-ce qui te laisse croire que je n'en ai pas conscience ?
— Et tu devines où cela va nous conduire ? Tu l'acceptes?
Les yeux de Ben brillaient d'un éclat fiévreux. La pression de ses bras autour de la taille
de la jeune femme s'était faite plus étroite.
— Mmm... tout se passera bien, à condition que...
Prise d'un soudain accès de timidité. Helen avait chuchoté la suite de sa phrase à
l'oreille de Ben.
Le rire guttural, empreint d'une joie profonde, primitive, qui avait répondu à son
murmure, devait à jamais rester gravé dans sa mémoire.
Comment avaient-ils réussi à garder secrète leur liaison? Avec le recul, Ellie ne
parvenait pas à se l'expliquer. Pourtant, après que Ben lui eut fait l'amour pour la
première fois, avec délicatesse et patience, ils avaient connu d'autres étreintes, de plus
en plus brûlantes, de plus en plus intenses au fil des nuits qui avaient suivi.
Puis, le lendemain du départ de Ben, Helen avait surpris une conversation entre deux
Américaines qui le connaissaient depuis longtemps.
— Si, si, à l'automne, disait l'une des jeunes filles. C'est une amie d'enfance et les
parents de Ben se réjouissent de ce mariage. Elle est un peu plus jeune que lui — vingt-
trois ans je crois, ou vingt-quatre — et elle est très riche, bien sûr. Dans ce milieu, on
s'arrange pour...
Incapable d'en entendre davantage, Helen s'était éloignée, les yeux embués de larmes,
des sanglots plein la gorge. Devant elle s'étendait l'océan, l'immensité liquide dans
laquelle leurs corps s'étaient immergés, ivres de plaisir.
Un poids insupportable oppressait sa poitrine. Elle comprenait, maintenant, pourquoi
Un poids insupportable oppressait sa poitrine. Elle comprenait, maintenant, pourquoi
Ben s'était montré si avare de détails concernant sa vie personnelle, pourquoi il ne lui
avait pas donné de numéro de téléphone où elle aurait pu le contacter. Au moment des
adieux, il s'était contenté de demander les coordonnées de ses parents à Sydney.
— Je les appellerai en arrivant chez moi, avait-il promis. D'ici là, tu auras trouvé un
logement à Londres et ils me communiqueront ton adresse.
Et, avant de l'embrasser, il avait chuchoté contre son oreille :
— Je te rejoindrai dès que je pourrai... Le temps de régler un ou deux problèmes et je
saute dans le premier avion. Pas question de faire la traversée à la voile, cette fois. Ce
serait trop long.
Immobile sur le promontoire, Helen avait suivi des yeux le petit voilier jusqu'à ce qu'il
eût disparu à l'horizon, certaine que leur séparation n'était que temporaire.
Même après qu'elle eut surpris cette maudite conversation, l'espoir qu'ils se reverraient
bientôt était resté ancré dans son cœur. Son seul souhait était d'en terminer au plus vite
avec ces stupides exercices de plongée, de gagner Londres, et de s'installer quelque part
où elle pourrait tranquillement attendre des nouvelles de Ben. Rien d'autre n'avait plus
compté à ses yeux.
2.
Le lendemain, Ellie et Jenny passèrent la matinée à faire des emplettes dans les
magasins les plus prestigieux de la ville, puis s'arrêtèrent pour déjeuner chez Raffles.
Ellie était ravie d'avoir trouvé des cadeaux originaux pour Charlie et pour ses amis
londoniens, mais la chaleur et la foule grouillante de Singapour l'avaient épuisée. Elle
n'aspirait plus qu'à regagner la fraîcheur de l'appartement climatisé de ses hôtes.
Dès que le chauffeur de Jenny les eut déposées devant la porte, elles coururent s'affaler
dans les profonds fauteuils du salon où la jeune journaliste leur fit servir une grande
carafe de jus d'orange glacé. Tendant un verre à Ellie, elle lui proposa d'un air
malicieux :
— Je suggère qu'on fasse une sieste pour être en forme ce soif.
— Ce soir? Que voulez-vous dire? N'oubliez pas que mon avion décolle très tôt,
demain matin.
— C'est bien pour cela que je vous propose de vous reposer cet après-midi. Figurez-
vous que nous sortons ce soir : nous allons dîner, puis danser. Apprenez que nous
sommes invités dans l'une des dernières boîtes de nuit à la mode !
— J'espère que ce n'est pas ma présence qui suscite toute cette animation, Jenny. Hier,
j'ai entendu Robert dire que son plus grand plaisir était de passer une soirée, seul, à la
maison...
Jenny reposa son verre en riant :
— Il plaisantait, j'en suis sûre. Ellie rit à son tour.
— En fait, je crois qu'il a précisé : « seul avec quelques bons amis », rectifia-t-elle. C'est
sans doute pour cela d'ailleurs, que tout le monde est resté jusqu'à minuit passé.
— Je comprends mieux, maintenant. Cela m'étonnait que Robert ait pu manquer de
diplomatie...
La jeune femme se dirigea vers un miroir et commença à jouer avec ses boucles
d'oreilles de jade.
— A propos, que pensez-vous de Ben Congreve? demanda-t-elle subitement.
— Ben Congreve ?
A la seule mention du nom qu'elle essayait d'oublier, le cœur d'Ellie s'accéléra.
— Oh, il me paraît assez sympathique, répondit-elle, affectant un air indifférent.
Un qualificatif aussi banal pour décrire un homme possédant autant de charme ne
risquait-il pas d'attirer les soupçons de Jenny?
— Enfin... je dirais plutôt qu'il semble très intéressant, s'empressa-t-elle d'ajouter.
— Mais pas suffisamment pour vous ?
Ellie marcha jusqu'à la fenêtre. Elle sentait sans la voir que Jenny l'observait avec
curiosité.
curiosité.
— Quelle étrange question ! s'exclama-t-elle en faisant semblant de contempler le
panorama.
Perchée sur ses talons aiguilles, son hôtesse la rejoignit.
— Pas si étrange que ça! protesta-t-elle. Je pensais que la plupart des femmes étaient
sensibles au charisme de Ben.
Ellie fit face à son amie et prit le parti de plaisanter :
— Et vous ? Quel effet produit sur vous le célèbre écrivain ?
— Oh, j'avoue qu'autrefois je me serais probablement entichée de lui, admit Jenny en
toute simplicité. Mais aujourd'hui, j'ai Robert et je tiens à le garder. Tandis que vous,
vous êtes libre...
Ellie répliqua en l'imitant :
— Tandis que moi, j'ai Charlie. Et je m'estime comblée. En tout cas, je n'ai pas envie de
m'engager dans une relation avec qui que ce soit.
— Vraiment?
Le visage de Jenny trahissait son incrédulité. Cependant, elle eut le bon goût
d'abandonner un sujet qui aurait pu devenir embarrassant.
— Bon, je vais demander à Ay Leng de vous apporter du thé dans votre chambre,
annonça-t-elle. Ensuite, vous aurez pratiquement deux heures pour vous préparer.
Avec une grimace, elle retira ses chaussures et continua :
— Oh, mes pauvres pieds... Robert me conseille de ne pas m'entêter à porter des talons
aussi hauts, mais s'ils l'étaient moins, je passerais inaperçue.
— Ça, j'ai du mal à le croire ! s'exclama Ellie en riant.
— Ne parlons plus de ma petite personne. Dites-moi plutôt ce que vous porterez ce
soir. Si vos vêtements ont besoin d'être repassés, un de mes employés s'en chargera.
— Cela ne sera pas nécessaire. J'avais à peine défait mes bagages qu'une main invisible
a emporté toute ma garde-robe et l'a rangée dans l'armoire sans un faux pli. Voyons,
quelle tenue serait appropriée, à la fois pour dîner et pour danser... ? J'ai une jupe
ample, un petit haut de soie... Venez, je vais vous les montrer.
Les deux femmes montèrent dans la chambre d'Ellie, qui soumit la tenue envisagée à
l'appréciation de son hôtesse.
— Ce sera parfait, décréta Jenny. Maintenant, je vous laisse vous reposer.
Dès que son amie l'eut quittée, Ellie se laissa tomber sur le lit et ferma les paupières.
Elle voulait chasser de son esprit la pensée de l'homme qui venait de reparaître dans sa
vie. Mais si elle parvint à effacer l'image du nouveau Ben Congreve, élégant, svelte,
soigneusement rasé, celle de son ancien amant — version pirate barbu — ne la quitta
pas jusqu'au moment où elle s'endormit. Quand elle se réveilla, ses joues étaient
humides de larmes.
— Ellie ! Vous êtes ravissante !
L'exclamation admirative de Jenny déclencha le rire de la jeune styliste. L'exquise
petite Chinoise, vêtue d'un exotique cheongsam flamboyant, ignorait sans doute que sa
seule présence aurait mis mal à l'aise la plus sophistiquée des femmes occidentales.
— A côté de vous, je me sens fade et terne, rétorqua Ellie. N'importe qui me donnerait
raison, d'ailleurs. Tenez, justement, voilà Robert. On va lui demander son avis.
— Surtout pas ! protesta Jenny. Ce serait déloyal de le mettre dans l'embarras, ajouta-t-
elle en allant au-devant de l'homme de sa vie.
— Etes-vous prêtes? demanda Robert. La voiture nous attend. Vous êtes absolument
resplendissantes, toutes les deux !
Il eut l'air totalement déconcerté lorsqu'elles pouffèrent de rire.
La limousine traversa la ville bruyante, vibrante de vie, puis s'arrêta devant une
élégante boîte de nuit qui surplombait l'océan. Les notes langoureuses d'une musique
tropicale au rythme lascif et lancinant invitaient au plaisir, à la volupté. Ellie sentit
alors s'éveiller en elle des désirs longtemps réprimés. Elle éprouvait une soudaine
envie d'être libre comme autrefois, de céder sans inhibition aux exigences d'un corps
avide de sensations et de mouvement.
Un maître d'hôtel les accueillit et les guida jusqu'à une table isolée, au fond du
restaurant. Plusieurs convives l'occupaient déjà. L'un d'eux se leva pour les saluer.
C'était Ben Congreve ! Le visage d'Ellie se figea.
— Robert, Jenny...
L'écrivain la regardait intensément mais semblait incapable de prononcer son nom. La
mémoire lui faisait-elle défaut ou bien s'interrogeait-il sur le comportement à adopter?
Heureusement, son hésitation fut de courte durée, et lorsqu'il reprit les présentations,
Ellie en éprouva un grand soulagement.
Retrouvant le sourire, elle serra la main aux trois personnes assises autour de la table.
— Jenny, Robert, vous connaissez déjà tout le monde, poursuivait Ben. Mais, Ellie,
puis-je vous présenter Dar-ren et Myra Gottlieb, du consulat américain? Et voici...
Il désigna un homme élégant, probablement originaire de Singapour.
— Danny Khim. Danny est en relation avec ma maison d'édition.
Ellie salua chacun, puis se retrouva, bien malgré elle, assise à côté de Ben. Si on lui
avait demandé son avis... Le sentiment d'avoir été manipulée par Jenny autant que par
Ben Congreve ajoutait à son malaise. Elle s'appliqua néanmoins à ne rien laisser
paraître de son désarroi et feignit de s'intéresser à la conversation. Cependant, la
proximité de son ancien amant la troublait profondément. Elle s'efforçait de l'ignorer
mais, quand il se mit à la questionner, elle fut bien obligée de lui accorder son
attention.
— Racontez-moi ce que vous avez fait aujourd'hui, Ellie.
— Racontez-moi ce que vous avez fait aujourd'hui, Ellie.
La voix de Ben était à la fois douce et autoritaire, telle qu'elle l'avait séduite autrefois.
Mais aujourd'hui, forte de son expérience passée, Ellie était déterminée à ne pas plus
céder au charme d'une voix qu'au magnétisme d'un homme trop sûr de lui, quand bien
même il avait troqué son allure de flibustier contre des manières courtoises et policées.
Elle décida donc de jouer la carte du détachement sarcastique.
— Oh, j'ai fait ce que font tous les touristes, vous savez, répondit-elle avec un flegme
étudié. Lèche-vitrines, souvenirs, déjeuner chez Raffles... Rien de bien intéressant en
comparaison des recherches passionnantes d'un écrivain pour nourrir un nouveau best-
seller.
Le visage de Ben demeura impassible mais quelque chose dans son attitude avait
changé. Ellie eut la certitude que ses paroles l'avaient blessé.
— Qu'est-ce qui vous laisse croire que ce genre de travail est passionnant ? rétorqua-t-
il en la scrutant avec intérêt. Il y a des moments où c'est une tâche franchement
rébarbative. Par ailleurs, comme tout un chacun, j'adore acheter des objets exotiques
pour mes amis.
Il souriait maintenant, comme s'il lui avait pardonné sa remarque narquoise. Ellie se
détendit. Après tout, que lui en coûterait-il de se comporter avec courtoisie, puisque,
après cette soirée, ils ne se reverraient plus? Curieusement, cette pensée la réconforta
beaucoup moins qu'elle ne l'aurait souhaité.
La nourriture et le vin aidant, elle se trouva bientôt dans un état de décontraction et de
bien-être total. Aussi lorsque Danny, le jeune diplomate, l'invita à danser, accepta-t-
elle d'autant plus volontiers que cet intermède lui permettait d'échapper aux questions
incessantes de Ben Congreve. Et quand son cavalier la reconduisit à leur table, elle
profita de l'absence des autres pour changer de place, espérant ainsi dissuader Ben de
l'inviter à son tour sur la piste.
Sa stratégie se révéla inefficace. Ce qu'elle redoutait arriva : à peine l'orchestre eut-il
entamé les premières notes d'un slow que Ben s'inclina devant elle, la main tendue.
Impossible de refuser sans offenser Robert et Jenny.
Dès qu'il l'enlaça, le calme détachement soigneusement élaboré céda la place à un
sentiment de nostalgie qu'elle tenta de repousser. En vain. Elle ne réussit pas davantage
à lutter contre les sensations voluptueuses que le contact de leurs deux corps éveillait
dans sa chair.
— J'attends toujours que vous me parliez de vous, Ellie.
Les doigts de Ben Congreve serraient étroitement sa paume et leurs mains unies
dégageaient une chaleur telle que son cœur commença à battre la chamade.
Quelle idée d'avoir mis ce mince caraco de soie! songea-t-elle. Il soulignait la rondeur
de ses seins, en dévoilait la naissance d'une manière presque indécente. D'habitude, elle
le portait sous un chemisier. Pourquoi s'être habillée aussi légèrement ce soir?
le portait sous un chemisier. Pourquoi s'être habillée aussi légèrement ce soir?
Elle respira profondément dans l'espoir de recouvrer son calme, de maîtriser l'émotion
qui accélérait son pouls. Par miracle, sa voix ne trembla pas lorsqu'elle répondit :
— Il n'y a rien d'extraordinaire à raconter, je vous l'ai déjà dit.
Comme Ben restait silencieux, elle leva la tête et rencontra ses yeux sombres,
inquisiteurs. Des yeux d'écrivain, à l'affût de ce qui pourrait alimenter ses romans.
— De plus, ce serait terriblement ennuyeux à écouter, ajouta-t-elle d'un air désabusé.
Ce qui correspondait en partie à la réalité. Tant d'années passées devant une machine à
tricoter n'aidaient pas une personnalité à s'épanouir. Surtout à un âge où l'on préfère
généralement s'amuser avec les autres dans les boîtes de nuit.
— Ça, vous ne me le ferez jamais croire, rétorqua Ben.
— C'est pourtant vrai.
Ellie détourna les yeux et chercha autour d'elle quelque chose qui aurait pu lui inspirer
un commentaire banal
— tout en restant attentive, car Ben cherchait manifestement à l'attirer plus près de lui.
Ils heurtèrent un couple, puis un autre aussitôt après. Ces deux collisions successives
détendirent l'atmosphère pesante qui s'était installée entre eux. Ils échangèrent un
regard amusé.
— Vous venez souvent ici ? demanda Ben. Naturellement, une telle question ne
méritait pas de réponse. Pourtant, il insista :
— Je vous demande quelque chose et vous restez muette. Que dois-je comprendre ?
Ellie s'entêta dans son silence, rien que pour se prouver qu'elle était assez forte pour ne
pas céder aux sollicitations de l'écrivain. Jusqu'au moment où elle s'exclama :
— Vous me marchez sur les pieds, monsieur Congreve !
— Ah, enfin, j'ai gagné. Je savais que j'arriverais à entendre le son de votre voix. Je
m'en félicite, en dépit du préjudice que je vous ai causé.
Devant son air excédé, il éclata de rire et ajouta :
— Avez-vous fait le serment de ne rien me révéler de vous, Ellie?
— Qu'allez-vous chercher là? Il n'y a rien à dire, c'est tout.
— Je n'en suis pas convaincu. Vous vous montrez tellement discrète sur votre vie que
j'en déduis qu'elle doit receler bien des mystères...
— Vous vous trompez, je vous assure.
— Je n'insisterai pas. Mais, tôt ou tard, je découvrirai ce que vous me cachez.
Le regard de Ben se fit plus aigu. Ellie eut l'impression qu'il cherchait à sonder son
âme.
— Je ne m'avoue jamais vaincu, voyez-vous, reprit-il. Un sentiment d'appréhension et
d'écœurement mêlés
envahit la jeune femme.
— Ça, je n'en doute pas, monsieur Congreve, rétorqua-t-elle d'un ton glacial. Des gens
— Ça, je n'en doute pas, monsieur Congreve, rétorqua-t-elle d'un ton glacial. Des gens
comme vous...
A cet instant, la musique cessa. Ben la reconduisit à leur table.
— Des gens comme moi arrivent toujours à leurs fins ? demanda-t-il en s'asseyant.
C'est ce que vous pensez?
Sans attendre de réponse, il se détourna d'elle et ne lui accorda plus la moindre
attention de toute la soirée.
Ellie aurait voulu se réjouir de cette attitude. Mais force lui fut d'admetttre qu'elle
éprouva un petit pincement au cœur lorsqu'il invita ses compagnes à danser. Jenny,
trois fois. Myra, deux fois... Puérile comptabilité, certes, mais qu'elle ne put
s'empêcher de tenir.
Pendant le trajet du retour, tandis que Jenny commentait avec enthousiasme les
événements de la soirée, Ellie se félicita : somme toute, elle ne s'était pas mal tirée
d'une situation dangereuse. Et si elle avait envie de hurler, c'était uniquement à cause
de la fatigue, du changement de climat, et de l'absence de sa petite Charlie, bien sûr.
Cela n'avait rien à voir avec le fait que Ben Congreve l'ait tenue dans ses bras.
David Merriman l'attendait à Heathrow.
— C'est le ciel qui vous envoie! s'exclama Ellie. Qu'il était bon, après un long vol, de
trouver un ami à l'aéroport, songea-t-elle tandis que David chargeait ses bagages dans
le coffre de sa voiture.
— Je croyais que c'était votre jour de consultations, fit remarquer la jeune femme.
Avec un soupir, elle s'installa dans le confortable véhicule et observa le profil familier.
— Comment avez-vous fait pour vous libérer?
— J'ai remplacé Harry pendant le week-end, et aujourd'hui, il s'occupe de mes patients.
— C'est gentil d'être venu, David. Maintenant, donnez-moi des nouvelles de la maison.
Au téléphone, Charlie me disait toujours que tout se passait bien.
— C'est vrai. Mais cela ne l'empêche pas d'être impatiente de vous retrouver.
— Je m'en réjouis aussi. Elle m'a tellement manqué!
— Vous savez, Charlie n'était pas la seule à s'ennuyer de vous.
— Merci, David. Ça fait tellement plaisir de se savoir attendue...
Comme la vie serait simple si elle pouvait répondre aux sentiments de cet homme aussi
sincère que loyal, et oublier Ben Congreve !
— J'ai des places pour un concert, vendredi, lança David. Naturellement, je compte sur
vous pour m'accompagner.
— Vendredi ? Oh, c'est que-Instinctivement, elle avait cherché une excuse.
— Je ne suis pas sûre... Avec tout le retard que j'ai accumulé dans mon travail...
— J'aimerais tellement passer cette soirée avec vous...
— Ecoutez, David, j'essaierai...
— Ecoutez, David, j'essaierai...
Comment pouvait-elle se comporter avec une telle mauvaise grâce à l'égard de ce fidèle
ami alors qu'il se mettait en quatre pour elle? Afin d'atténuer son peu d'empressement,
elle ajouta aussitôt :
— Je vous assure que je ferai mon possible. Mais je ne promets rien. Si je n'arrive pas à
me libérer, proposez donc à Liz d'aller avec vous.
La sœur de David vivait avec lui et s'occupait de leur maison.
— Surtout pas ! s'exclama le médecin en riant. Pour notre bonne entente, il est vital que
nous nous séparions de temps en temps. Mais ne vous inquiétez pas. en dernier recours
j'ai un ami qui adore la musique.
Pauvre David ! Si délicat, si bon ! pensa Ellie, sincèrement navrée. Il n'attendait qu'un
signe d'elle pour lui déclarer sa flamme en bonne et due forme.
La voiture quitta l'autoroute et s'engagea bientôt sur le chemin qui menait à Little
Transome, leur village.
Ils ne tardèrent pas à arriver. A peine David eut-il arrêté le véhicule devant la maison
de pierre que la porte d'entrée s'ouvrit, laissant le passage à une petite silhouette qui
dévala les marches.
— Maman, maman !
Une minitornade sauta au cou d'Ellie.
— Oh, maman, si tu savais comme je me suis ennuyée ! C'est si triste sans toi.
— Tu m'as manqué aussi, ma puce.
Ellie couvrit sa fille de baisers et reprit d'un ton taquin :
— Mais je n'aurais jamais pensé que c'était si terrible que ça de rester avec Wendy !
Debout en haut des marches, Wendy Cummings hochait la tête en souriant. Sans la
coopération dévouée de cette jeune femme entrée à son service lorsque Charlie avait
commencé à marcher, Ellie n'aurait jamais pu développer sa petite affaire de tricot
jusqu'à en faire la prospère entreprise qui était désormais la sienne.
— Allons, viens, ma chérie.
Tandis que David déchargeait les bagages, la mère et la fillette se rendirent dans la
cuisine où Wendy s'affairait déjà autour d'un plateau chargé de scones.
— Tu m'as rapporté un cadeau, dis, maman?... Tu m'avais promis... dis, maman... ?
La fillette ne lui laisserait pas le moindre répit tant qu'elle n'aurait pas obtenu de
réponse.
— Bien sûr. je n'ai pas oublié, ma puce. Va donc demander à David qu'il te donne le
grand sac bleu et tu verras ce qu'il y a dedans. Dis-lui aussi de venir boire une tasse de
thé et manger les scones que Wendy nous a préparés.
— Merci, Ellie, mais je n'ai pas le temps. Je dois vous laisser.
Le médecin venait de passer la tête dans l'entrebâillement de la porte.
— Vous avez besoin de vous reposer, reprit-il. Je vous appellerai vendredi matin pour
— Vous avez besoin de vous reposer, reprit-il. Je vous appellerai vendredi matin pour
savoir si vous avez pu vous libérer pour le concert...
La jeune femme le raccompagna. Dès que la voiture eut disparu, elle poussa un soupir
de soulagement et retourna dans la cuisine où Charlie était en extase devant la poupée
thaïlandaise qu'elle lui avait achetée à Hong Kong.
— Oh, maman, merci ! Elle est superbelle ! s'exclama la fillette.
— C'est pour ta collection et, tu sais, tu peux la déshabiller, tous ses vêtements
s'enlèvent. Tiens, prends donc ce petit paquet rose et donne-le à Wendy. A mon avis,
elle mérite bien un cadeau pour s'être occupée de toi avec tellement de gentillesse.
Qu'en penses-tu?
— Oh, oui, maman !
Un instant plus tard, Wendy s'émerveillait devant son présent : un superbe chemisier
de soie rose. Puis toutes les trois se retrouvèrent assises autour de la grande table de
cuisine, buvant du thé et dégustant les scones beurrés nappés de confiture de fraise,
pendant qu'Ellie narrait les péripéties de son voyage.
Bien sûr, elle se garda de raconter l'essentiel : sa rencontre avec Ben. Le père de
Charlie... qu'elle n'avait pas revu depuis que l'enfant avait été conçue. Pour tout le
monde, le père de Charlie était mort peu de temps après sa naissance. Quant à Ben
Congreve, il ignorait l'existence de sa fille...
3.
La vie reprit son cours normal. Toutefois, Ellie n'était pas dupe des apparences. Au
fond d'elle-même, elle savait que rien ne serait plus comme avant.
Après cette rencontre avec Ben Congreve, elle ne pouvait continuer de se répéter,
comme elle l'avait fait pendant toutes ces années, que leur liaison n'avait été qu'une
banale aventure de vacances.
Autre vérité qu'elle devait oser regarder en face : le père de Charlie n'était pas le seul à
blâmer dans cette histoire. Ne lui avait-elle pas affirmé qu'elle ne risquait pas de
tomber enceinte? Et cela, uniquement parce qu'elle était folle de lui ! Plus tard, sous
l'emprise de l'angoisse, elle avait rejeté la responsabilité de sa grossesse sur son amant :
il. s'était douté qu'elle n'avait aucune protection mais il avait préféré l'ignorer. Du
moins avait-elle fini par se convaincre de cette version des faits.
Avec le recul, elle se demandait comment elle avait réussi à surmonter sa panique
lorsqu'elle avait appris qu'elle attendait un enfant. Isolée, loin de sa famille, enceinte
d'un homme qui ne s'était plus manifesté, elle s'était ingéniée à préparer un avenir
convenable à son bébé, au lieu de céder au désespoir. Et elle avait eu la chance de
rencontrer Greg Osborne, qui l'avait épousée. Finalement, le plus beau cadeau que lui
avait fait le destin était Charlie. Charlie dont le sourire suffisait à éloigner frustrations
et regrets.
Seulement... maintenant que le père de sa fille avait reparu dans sa vie, le bel équilibre
qu'elle avait mis des années à construire n'était-il pas menacé? Même sa relation avec
David Merriman, toute platonique qu'elle fût, risquait d'être remise en question.
Cette pensée la tourmentait sans relâche et la tenait souvent éveillée la nuit. Comme en
ce moment.
Se tournant et se retournant dans son lit, elle essayait de chasser l'image obsédante de
Ben Congreve.
Si seulement, lors des deux soirées de Singapour, il ne lui avait pas témoigné cet intérêt
insistant et si, de son côté, elle n'avait pas éprouvé la même attirance qu'autrefois, elle
aurait considéré leurs retrouvailles comme une simple coïncidence... à classer sans
suite. Ou encore, si leurs routes s'étaient croisées pour la première fois en Asie... Mais
cela impliquait que Charlie...
Suppositions stériles, hypothèses sans fin... Si... et si... Sa seule certitude, en cette
seconde, était qu'elle voulait dormir !

— Bonjour, Ellie !
Elle n'en croyait pas ses yeux lorsque, répondant à la sonnerie de la porte d'entrée, elle
Elle n'en croyait pas ses yeux lorsque, répondant à la sonnerie de la porte d'entrée, elle
découvrit Ben Congreve sur le seuil.
— Vous vous souvenez de moi? demanda-t-il, d'un air hésitant.
« La belle question ! » songea la jeune femme tandis qu'une bouffée de joie emplissait
son cœur.
— J'ai essayé de vous joindre par téléphone toute la journée, mais personne ne
décrochait, alors...
— Eh bien, c'est que..., commença-t-elle.
Elle n'avait pas d'autre choix que d'inviter son visiteur inattendu à entrer.
— J'étais en ville, expliqua-t-elle. J'arrive à l'instant. J'ai dû oublier de brancher mon
répondeur.
— J'espère que je ne vous dérange pas. Comme je passais devant chez vous, je me suis
dit que, peut-être, j'aurais une chance de...
— Vous avez bien fait.
La jeune femme conduisit Ben dans le salon, en essayant de masquer son trouble. Elle
était à la fois perturbée par sa présence et paniquée à la pensée du souper auquel elle
avait convié des amis ce soir : rien n'était prêt...
— Vous passiez devant chez moi? Mais... comment saviez-vous que...
Elle laissa sa phrase en suspens.
— Jenny m'a donné votre adresse avant que je ne quitte Singapour, expliqua l'écrivain.
C'est en venant dans la région que j'ai fait le rapprochement...
— Jenny vous a donné mon adresse?
Ben dut percevoir la pointe de désapprobation qui perçait dans sa voix car il s'empressa
de déclarer :
— En fait, j'ai tellement insisté que... Si cela vous contrarie, n'en veuillez pas à Jenny.
Je suis le seul à blâmer.
— Pourquoi serais-je contrariée ? Voulez-vous du thé ? Ou autre chose?
— J'accepterais volontiers une tasse de thé. Mais à condition que vous ne le fassiez pas
spécialement pour moi.
— Asseyez-vous. J'en ai pour une minute.
Au lieu de s'installer dans le fauteuil qu'elle lui désignait, Ben la suivit dans la cuisine.
Sur le pas de la porte, il hésita en voyant la table ronde sur laquelle étaient disposés des
couverts pour cinq convives. Heureusement que Wendy s'était chargée de cette tâche
avant d'emmener Charlie chez elle pour le week-end, se dit Ellie avec gratitude.
— J'ai l'impression que je n'ai pas choisi le bon moment pour vous rendre visite,
déclara Ben, visiblement gêné. Ecoutez, oubliez ce thé. Vous attendez des invités,
alors...
— Non, je vous en prie ! Vous êtes le bienvenu, je vous assure.
Le laisser partir sans rien lui offrir risquait de lui donner une piètre opinion de
Le laisser partir sans rien lui offrir risquait de lui donner une piètre opinion de
l'hospitalité anglaise, songeait-elle en mettant de l'eau à chauffer. Puis une autre vision
de la situation fit son chemin dans son esprit.
En admettant qu'elle eût reçu la visite d'un autre homme, ne lui aurait-elle pas
spontanément proposé de rester dîner avec ses amis ? Après tout, puisque Andrew
s'était désisté à la dernière minute, il manquait justement un élément masculin parmi
les convives. Si l'on faisait abstraction de la particularité de leur relation. Ben n'en était
pas moins un écrivain en vogue. Il n'était pas si courant, à Little Transome, d'avoir
parmi ses hôtes un auteur de best-sellers, et ses amis lui en voudraient d'avoir laissé
passer cette chance, si jamais ils l'apprenaient.
— Ainsi, vous étiez de passage dans la région? reprit-elle en servant le thé.
Elle avait disposé les tasses sur une petite table près de la fenêtre, d'où l'on découvrait
le panorama champêtre.
Ben Congreve avala une bouchée de pain d'épice avant de lui répondre :
— Mon éditeur habite près de Amberley. J'ai déjeuné avec lui. puis j'ai pensé qu'il
aurait été dommage de ne pas profiter de l'occasion... En fait, je me suis dit que cela
nous permettrait de mieux nous connaître.
Il fixait Ellie avec une telle intensité qu'elle sentit ses joues s'empourprer.
— J'espérais vous persuader de venir dîner avec moi au Red Cow, où j'ai retenu une
chambre. Ce soir, ou peut-être demain...
— Ecoutez. Ben... De toute façon, je n'aurais pas pu accepter votre invitation parce que
j'ai une fille, voyez-vous, et...
« Votre » fille. « Ta » fille. Certes, ces mots ne franchirent pas ses lèvres, mais l'émotion
lui étreignait la gorge malgré son attitude détachée.
— Je sais, rétorqua Ben.
Il reposa sa tasse et s'appuya contre le dossier de sa chaise.
— Jenny me l'a dit. Cela n'a pas dû être facile d'élever seule cette enfant. Notre amie
m'a également appris que vous étiez veuve. Ne l'accusez pas d'avoir manqué de
discrétion ! J'ai tellement insisté pour qu'elle me parle de vous...
Après un imperceptible haussement d'épaules. Ben continua :
— J'avais une excuse : je voulais mieux vous connaître.
De nouveau, Ellie sentit que ses pommettes viraient au rouge. Mais, cette fois, elle
décida de passer à l'attaque.
— Vous ne manquez pas de toupet de fouiller ainsi dans ma vie privée. Qu'est-ce que je
connais de vous, à part le fait que vous êtes écrivain et célèbre ? Rien !
— Que souhaitez-vous savoir? Mon âge? J'ai trente-deux ans. Si je suis marié? Je l'ai
été, mais j'ai divorcé il y a un an. Je n'ai pas d'enfants, ce qui ne m'empêche pas de
beaucoup les aimer...
Un regret sincère avait percé dans la voix de Ben. Eh bien, tant pis pour lui. il
Un regret sincère avait percé dans la voix de Ben. Eh bien, tant pis pour lui. il
n'apprendrait jamais qu'il était père d'une adorable petite fille. Alors qu'elle formulait
cette pensée, Ben lui demanda :
— Où est votre fille? Et comment s'appelle-t-elle, au fait?
— Charlie.
Délibérément, Ellie détourna la tête. Elle n'aimait pas du tout la tournure que prenait
leur conversation.
— C'est le diminutif de Charlotte, précisa-t-elle à contrecœur. Un prénom qu'elle
détestait.
— Il est pourtant très joli.
— Avant qu'elle n'aille à l'école, elle n'avait que des garçons comme compagnons de
jeux. Ils l'avaient baptisée Charlie — en signe d'intégration à leur groupe, je suppose —
et elle adorait ça. Maintenant, tout le monde l'appelle ainsi. Inutile de vous dire qu'elle
est aux anges.
Un sourire empreint de tendresse éclairait le visage d'Ellie.
— Aujourd'hui, elle est chez une amie. Je dois vous ennuyer... mais dès que je parle de
ma fille, je suis intarissable...
— Pas du tout, Ellie, au contraire.
Ben se leva et s'étira lentement. Il paraissait très las.
— Je ne veux pas vous déranger plus longtemps, Ellie. Vous avez beaucoup à faire.
J'espère que nous aurons l'occasion de nous revoir bientôt. Dès que je vous ai vue, chez
Robert, j'ai eu envie de mieux vous connaître. Malgré votre attitude manifestement
distante à mon égard.
— Je ne me souviens pas d'avoir eu ce genre de comportement.
Ben arqua les sourcils et rétorqua :
— Ah bon ! Je me suis peut-être trompé. Au début, j'ai cru que vous érigiez des
barrières entre nous parce que vous étiez mariée — j'avais remarqué les anneaux à
votre main gauche. Et puis, quand Jenny m'a appris que votre mari était mort depuis
longtemps, je me suis dit que les relations intimes vous faisaient peut-être peur... Cette
fois, il était temps de mettre les choses au point,
décida Ellie.
— En ce qui me concerne, j'estime que les relations que vous évoquez ne peuvent
reposer que sur des bases solides, puis se développer très lentement, au fil des ans,
décréta-t-elle.
Contrairement à ce qu'elle avait imaginé dans sa naïveté de jeune fille...
— Alors, continua-t-elle, il y a peu de chances pour que nous en arrivions à ce degré
d'intimité pendant votre bref séjour en Angleterre.
— Il faut bien commencer quelque part. J'espérais que, si vous veniez avec Charlie
passer une journée à Londres, cela constituerait un début convenable.
passer une journée à Londres, cela constituerait un début convenable.
— Ben...
C'était la première fois qu'elle se risquait à l'appeler par son prénom. Elle l'avait
prononcé d'un ton à la fois patient et détaché dont elle se félicita.
— J'ignore ce que Jenny vous a dit de plus à mon sujet. Mais l'idée ne vous a-t-elle pas
effleuré que je pourrais très bien avoir une relation intime avec quelqu'un, en ce
moment? Auquel cas, vous perdriez votre temps.
— Je ne verrai jamais les choses sous cet angle. Même si le résultat de ma démarche ne
devait pas être conforme à mes espérances.
Ben la fixait d'un air dominateur, comme s'il avait voulu la soumettre à son désir
d'homme. Elle réprima un frisson tout en se jurant qu'elle ne ferait pas preuve de la
même faiblesse qu'autrefois. Devant les yeux sombres, impérieux qui fouillaient les
siens, elle baissa la tête. Alors il avança d'un pas, et, du bout des doigts, l'obligea à
relever le visage vers lui.
— Il y a quelque chose en vous qui m'échappe, Ellie, reprit-il. Quelque chose qui
m'intrigue. On a l'impression que vous vous tenez toujours sur la défensive et...
— Ne nous lançons pas dans des explications psychologiques hasardeuses, voulez-vous?
rétorqua-t-elle en amorçant un retrait stratégique vers la bouilloire. Je n'ai aucune
raison d'être sur la défensive. Par ailleurs, vous vous trompez sur toute la ligne. Je suis
parfaitement heureuse et comblée, je vous assure. J'ai une adorable petite fille, un
métier qui me donne de grandes satisfactions, une entreprise prospère...
D'un geste de la main, elle désigna la table dressée avant d'ajouter :
— Un cercle d'amis qui m'entourent plus que je ne pourrais l'espérer... Mais puisque
vous êtes si curieux, pourquoi ne vous joindriez-vous pas à nous pour le souper? Il ne
s'agit pas d'un repas de gala, je vous préviens. Mais, au moins, vous vous rendrez
compte par vous-même que, contrairement à ce que vous pensez, je suis une femme
comblée.
Un sourire condescendant aux lèvres, elle continua :
— Cependant, je doute que vous vous intéressiez à moi uniquement par sympathie pour
ma petite personne. Je ne serais pas étonnée de me retrouver dans votre prochain roman
sous les traits d'une femme mûre et frustrée qui ne sait pas qu'elle passe à côté de la
vie, jusqu'au moment où le héros entre en scène et lui montre la voie à suivre.
L'espace de quelques secondes, ils se dévisagèrent en silence. Puis Ben prit la parole,
une lueur amusée dans les yeux.
— Frustrée, dites-vous ? C'est un qualificatif qui ne vous convient guère. Mûre non
plus, d'ailleurs. Je suis sûr que vous avez à peine vingt-quatre ans. Quant à l'intrigue,
ma foi, peut-être m'amènerez-vous à la reconsidérer. Pour l'instant, je n'ai pas envisagé
de fin heureuse à mon histoire. Ce qui ne saurait vous étonner si vous avez déjà lu un
livre de Jonas Parnell.
livre de Jonas Parnell.
— Non, je n'en ai lu aucun.
Peut-être aurait-elle pu se dispenser de le déclarer avec un tel accent de triomphe...
Mais, sans se troubler, Ben rétorqua :
— Eh bien, je ne vous en blâme pas, mais sachez que je n'ai pas l'habitude d'utiliser
mes amis pour alimenter mes romans. Et, contrairement à vos allégations, je ne vois
pas en vous le prototype d'un de mes personnages. Après cette mise au point, puisque
vous m'avez gentiment invité à souper, j'accepte avec plaisir, à condition que ma
présence ne dérange personne.
— Au contraire, chacun sera ravi de faire votre connaissance.
— Dans ce cas, à tout à l'heure. Je vous laisse à vos derniers préparatifs.
Dès que Ben fut parti, Ellie se laissa tomber dans le fauteuil du hall tellement ses
jambes tremblaient. Avait-elle perdu la tête? Comment avait-elle pu convier à un repas,
chez elle, un homme qui représentait, pour la paix de son âme comme pour sa santé
mentale, un danger redoutable ? Etre sortie brisée de sa brève aventure avec Ben
Congreve ne lui avait-il pas servi de leçon ? Et, cette fois, elle n'avait plus l'excuse de la
prime jeunesse.
Une vague de colère l'envahit. Comment avait-elle pu se montrer aussi sotte. Elle serra
les poings et se jura de rester vigilante, d'ignorer le magnétisme ravageur qui émanait
toujours de son ancien amant.
Elle se força à se lever et à retourner dans la cuisine pour essayer de se calmer.
Concentrer son attention sur des tâches matérielles serait le meilleur remède à son
angoisse en attendant le soir.
Un peu plus tard, alors qu'elle s'activait à la préparation du dîner, l'idée lui vint qu'elle
tenait enfin l'occasion de se venger de Ben Congreve. Il suffirait de lui donner le feu
vert puis, d'un seul coup, de presser le bouton rouge. Ce n'était pas plus difficile que
cela. A condition d'avoir le cran de le faire. Après réflexion, elle dut reconnaître qu'elle
n'était malheureusement pas de cette trempe-là.
4.
David et Liz arrivèrent les premiers. Ensuite, ce fut au tour de Tanya et Clive, les
voisins d'Ellie. Alors que la maîtresse de maison commençait à préparer les boissons
sur un plateau, la sonnette de la porte d'entrée retentit de nouveau.
— Ne vous dérangez pas, dit David. J'y vais...
De la cuisine, Ellie perçut un soupçon de surprise dans la voix du médecin lorsqu'il
invita le visiteur à entrer. Quand il reparut, accompagné de Ben Congreve, elle ne put
s'empêcher de comparer les deux hommes. L'un, si jovial, si bon et l'autre... Mon Dieu,
si elle commençait à s'encombrer l'esprit de ce genre de pensées, la soirée risquait de
devenir un supplice.
— Ah, Ben! s'exclama-t-elle en accueillant le nouveau venu d'un air à la fois détaché et
— Ah, Ben! s'exclama-t-elle en accueillant le nouveau venu d'un air à la fois détaché et
amical. Je suis heureuse que vous ayez pu venir.
Dès que les présentations furent faites, les invités s'assirent autour de la cheminée où
crépitait un feu de bois, et un climat chaleureux s'établit rapidement. La conversation
devint vite animée, ce qui permit à Ellie de s'esquiver pour s'occuper des ultimes
préparatifs du repas. Tout en versant le potage dans la soupière, elle pesta contre les
petites tâches de dernière minute qui obligent toujours les maîtresses de maison à
abandonner leurs hôtes. Il restait encore à faire réchauffer le plat principal au four, à
vérifier si les légumes étaient moelleux à point...
Voilà, tout était en ordre... En quittant la cuisine, Ellie surprit son reflet dans le miroir
du hall, image qui lui amena un sourire de satisfaction aux lèvres. Elle avait eu raison
d'opter finalement pour ce chemisier d'un bleu intense dont elle avait relevé les
manches. Il donnait encore plus d'éclat à son teint, déjà rosi par la chaleur du fourneau
autant — bien qu'elle s'en défendît — que par l'excitation suscitée par la présence de
Ben. Quant à sa jupe, elle mettait en valeur la sveltesse de sa taille. Le choix était
vraiment parfait.
Sûre d'elle, détendue, elle rejoignit ses invités et les pria de passer à table. Elle avait
soigneusement attribué les places de façon à se trouver le plus loin possible de Ben,
mais elle ne tarda pas à s'apercevoir que cette disposition n'était pas aussi ingénieuse
qu'elle l'avait pensé. En effet, chaque fois qu'elle levait la tête, son regard croisait celui
de l'écrivain.
— David, vous voulez bien servir le vin ?
Tandis que David s'exécutait, Ellie remporta les assiettes creuses dans la cuisine. Elle
sortit du four le poulet à l'estragon, le disposa sur un plat et l'entoura de légumes frais
nappés de sauce crémeuse...
Lorsqu'elle déposa le mets fumant sur la table, chacun y alla de son commentaire, puis
la conversation reprit joyeusement son cours.
— Au fait, j'ai oublié de vous dire qu'Andrew n'a pas pu se libérer. Il m'a envoyé un fax
de Turquie pour s'excuser.
— Justement, j'allais te demander pourquoi il n'était pas là, lança Tanya avant de se
tourner vers Ben. Andrew est un voisin. Il dirige une importante société d'importation.
Comme Ellie, il a merveilleusement réussi dans les affaires.
Bien qu'ayant dépassé la cinquantaine, Tanya ne se gênait pas pour flirter avec les
hommes qui lui plaisaient. Et manifestement, elle trouvait Ben à son goût.
— Mais je ne vous apprends rien, continua-t-elle avec un sourire aguicheur. Un jour, si
son entreprise s'agrandit encore, c'est elle qui nous enverra des fax pour se
décommander à nos dîners.
Les yeux de Ben glissèrent lentement de la pétulante quinquagénaire vers la maîtresse
de maison.
de maison.
— Pensez-vous que le succès vous conduira jusque-là? demanda-t-il, le regard brillant.
— Aucun danger ! rétorqua Ellie, soudain crispée. Elle ne voulait surtout pas devenir le
centre de la
conversation. Aussi s'empressa-t-elle de changer de sujet.
— Qui reprendra des brocolis ? Liz, Ben ?
— En tout cas, j'espère que cela n'arrivera pas, décréta Liz, qui s'était montrée très
réservée jusque-là.
Elle ajouta aussitôt :
— Bien sûr, je souhaite que ses affaires continuent de prospérer mais à condition
qu'elle ne nous abandonne pas trop souvent. On lui permet d'aller passer quelques jours
à Hong Kong de temps en temps, mais pas plus. A propos, c'est bien là que vous vous
êtes rencontrés, n'est-ce pas?
— En fait, c'est à Singapour, chez Jenny et Robert, des amis communs, rectifia Ben.
— Vous êtes aussi dans les affaires ? demanda David.
— Non.
Ben lança un regard à Ellie comme s'il s'interrogeait sur ce qu'elle avait pu dire aux
autres à son propos.
— Pas du tout. Je suis écrivain, voyez-vous, et j'étais venu à Singapour pour y faire des
repérages.
— Ecrivain?
Tanya paraissait plus intriguée que jamais par son voisin de table.
— C'est passionnant ! s'exclama-t-ellle.
Se tournant vers Ellie, elle poursuivit d'un ton de reproche :
— Pourquoi une telle discrétion? Si j'avais eu la chance de rencontrer un écrivain, tout
le village serait au courant...
Mal à l'aise, Ellie se sentit obligée de se justifier :
— Je n'ai pas eu l'occasion d'en parler, c'est tout. Déjà, Tanya avait reporté son
attention sur Ben.
— Qu'écrivez-vous ? Surtout ne me dites pas que vous adaptez pour le théâtre
d'obscures poésies du xrve siècle...
— Non, non, rassurez-vous, répondit Ben. J'écris des choses un peu moins savantes.
Voyant que la maîtresse de maison commençait à débarrasser la table, il se leva pour
l'aider tout en continuant : _
— Je me cantonne au xvie siècle et au début du xvif, et je m'intéresse davantage aux
textes tibétains qu'aux chinois mais...
Ellie l'interrompit en riant :
— Ne l'écoutez pas. Il est beaucoup plus moderne qu'il ne le prétend. Tenez, Ben, vous
voulez rapporter ces assiettes dans la cuisine pendant que je m'occupe du dessert?
voulez rapporter ces assiettes dans la cuisine pendant que je m'occupe du dessert?
Quand il revint, Ellie partageait le gâteau au chocolat qu'elle avait acheté dans une
pâtisserie fine de Londres.
— Pour ceux qui préfèrent du pudding, j'en ai fait un, ce matin, annonça-t-elle. Ben,
voulez-vous l'apporter? Il est sur la desserte.
— J'opte pour le pudding, déclara David.
— Eh bien, découpez-le !
Le médecin obéit sans broncher et dégusta la généreuse portion qu'il s'était servie avant
de donner son avis :
— C'a toujours été ma gourmandise favorite. Et Ellie le réussit comme personne.
Moelleux à souhait, parfumé... il est divin !
— C'est vrai, confirma sa sœur. Je ne sais pas comment Ellie s'y prend... Pour ma part,
je n'ai jamais...
Tanya l'interrompit :
— Moi non plus. Mais sachez que la petite merveille dont je me régale est un pur
délice aussi...
La pétulante quinquagénaire semblait se délecter du fameux gâteau au chocolat.
Cependant, visiblement pressée d'en revenir au sujet qui la préoccupait, elle se tourna
de nouveau vers Ben.
— Dites-nous exactement ce que vous écrivez. Est-ce que vous publiez sous votre vrai
nom ou bien... ?
— J'écris surtout des romans policiers. Une fois ou deux, je me suis servi de thèmes
historiques, mais la plupart de mes ouvrages ont pour cadre le monde d'aujourd'hui. On
m'a parfois reproché de présenter les criminels sous des couleurs séduisantes. Pourtant,
je ne fais que décrire la vie telle qu'elle est. Nos plus grands bandits ne sont-ils pas plus
connus pour leur style de vie que pour leurs méfaits? Les magazines nous montrent
leurs maisons somptueuses, leurs resplendissantes maîtresses et passent sous silence
leurs délits. Et nous sommes trop naïfs pour associer certaines célébrités à la fraude
fiscale, l'extorsion, le racket...
— Que voulez-vous dire, Ben ?
Clive avait par miracle réussi à devancer sa femme. Ben posa sa fourchette et s'adossa
contre sa chaise, le visage grave.
— Je veux dire que si je devais mentionner quelques noms, vous penseriez
immédiatement : jets privés. îles paradisiaques, croisières, créatures de rêve... Mais
vous ne feriez pas le rapprochement avec certains de leurs amis, grâce auxquels ils
existent : ministres mis en examen, présidents mêlés à des trafics d'influence...
— Mais comment est-ce possible? demanda David, l'air sceptique. Je croyais que les
hommes responsables des destinées d'un pays savaient choisir leurs amis, garder les
mains propres — surtout à notre époque où les médias mettent le nez partout...
mains propres — surtout à notre époque où les médias mettent le nez partout...
— Le problème est que les hommes impliqués dans ce genre d'affaires sont entourés
d'une armée d'avocats habiles — eh oui, l'argent achète tout! Si bien que le FBI,
Scotland Yard et la Sûreté réunis se révèlent impuissants. Ils ont beau les traquer
pendant des années, il arrive toujours un moment où ils sont obligés de lâcher prise.
— Tout cela paraît bien décourageant...
— Mais c'est la réalité. Inutile de se voiler la face. Fort heureusement, la vaste majorité
des gens qui occupent des postes importants a les mains propres.
Ellie proposa à ses invités de reprendre du pudding, puis elle pria David de remplir les
verres. Elle aperçut alors une lueur de perplexité dans le regard de Ben. Comme s'il
avait cherché à deviner la nature de leurs relations... Cette constatation lui donna un
sentiment de puissance assez pervers et l'incita à taquiner le romancier.
— Ben, Tanya vous a posé une autre question à laquelle vous n'avez pas encore
répondu...
— Vraiment? s'exclama Tanya, prise de court. Ah oui, je voulais savoir si vous écriviez
sous votre propre nom.
— Non. J'utilise un pseudonyme : Jonas Parnell.
Le ton était sec. Ellie eut l'impression qu'un long silence s'installait, et elle se sentit
très mal à l'aise. En fait — mais elle n'en prit conscience que plus tard —, Ben
Congreve l'avait longuement fixée d'un air indéfinissable et elle s'était sentie
vaguement coupable, comme si elle avait trahi sa confiance en le forçant à révéler son
identité.
— Jonas Parnell ! Jonas Parnell !
Tanya n'en croyait pas ses oreilles. Les yeux brillants d'excitation, elle continua :
— Clive a tous vos livres dans sa bibliothèque, n'est-ce pas, chéri? Et ce film... Clive, tu
sais, ce film qu'on a regardé l'autre soir, une histoire de corsaires — ça s'appelait Le
Seigneur des mers, je crois...
— C'était une adaptation d'un roman de Jonas Parnell...
Pour la seconde fois, Clive avait réussi à devancer son exubérante épouse.
— Bel effet de surprise, Ben! nota Clive. Nous en sommes presque sans voix, à part
Tanya, bien sûr. Mais elle, pour la réduire au silence... En tout cas, Ellie... vous êtes une
petite cachottière ! Comment avez-vous osé nous dissimuler un tel événement ?
Clive se tourna de nouveau vers Ben.
— La semaine dernière, Ellie nous a raconté son voyage en Extrême-Orient, et elle n'a
pas soufflé mot de votre rencontre.
— Il faut croire que je ne lui ai pas laissé un souvenir impérissable, rétorqua Ben en
évitant le regard d'Ellie.
— Et, à l'entendre, poursuivit Clive, elle avait consacré tout son temps au travail. Or
aujourd'hui, on apprend que Madame participait à la vie mondaine du pays, quand on
aujourd'hui, on apprend que Madame participait à la vie mondaine du pays, quand on
l'imaginait courant, harassée, de visite d'usine en âpre négociation. Ellie, si vous nous
aviez dit que Jonas Parnell soupait avec nous ce soir, nous aurions apporté nos livres
pour qu'il les dédicace.
La jeune femme maudit Clive de tout son cœur. Quelle mouche l'avait piqué pour qu'il
soit devenu aussi insupportable que sa femme ? Cependant, faisant contre mauvaise
fortune bon cœur, elle répondit tranquillement :
— Il n'y avait aucune raison pour que je vous en parle puisque j'ignorais que je
reverrais Ben un jour.
— Ça, j'ai de la peine à le croire, décréta Clive, affectant un air outragé. D'ailleurs,
maintenant que vous avez trahi notre confiance, nous n'accorderons plus jamais crédit à
vos allégations.
Un éclat de rire général accueillit ces paroles tandis qu'Ellie se contentait de sourire.
— Eh bien, il n'y a que Ben qui puisse venir à mon secours, rétorqua-t-elle. Il
confirmera ce que je viens de dire.
Elle tourna vers l'écrivain un visage confiant.
— Désolé, Ellie, je ne peux vraiment pas...
— Quoi ?
La jeune femme fronça les sourcils, se demandant, l'espace d'un instant, ce que
signifiait cette dérobade. Lui tendait-il un piège? Puis, voyant l'expression malicieuse
de ses yeux, elle se souvint que le Ben d'autrefois adorait taquiner les gens. D'ailleurs,
c'était l'un des traits de son caractère qui l'avaient séduite. Cette évocation raviva en
elle une douleur familière. Elle parvint pourtant à conserver son sang-froid.
— Il plaisante, naturellement, déclara-t-elle. N'est-ce pas, Ben?
— Qui sait... ?
Il la considérait d'un air étrange. On aurait cru qu'il fouillait sa mémoire pour tenter de
trouver une réponse à quelque question obsédante. Emergeant soudain de sa rêverie, il
reporta son attention sur les autres convives.
— Ellie a raison, bien sûr, affirma-t-il. Elle ignorait que je lui rendrais visite, je peux
vous l'assurer. D'ailleurs, la table était mise pour cinq personnes lorsque je suis passé à
l'improviste, cet après-midi. Et je tiens à la remercier d'avoir eu pitié d'un pauvre exilé
yankee.
— Exilé? s'exclama Tanya. Voulez-vous dire que vous ne pouvez pas retourner aux
Etats-Unis ?
— Tous ces types de la mafia sont sûrement déjà en train de l'attendre.
Après que David eut lancé cette dernière plaisanterie, tous se levèrent de table et se
rendirent dans le salon. Ellie s'assura qu'ils étaient bien installés avant d'aller préparer
le café. Elle disposait le service sur un plateau lorsqu'elle entendit des pas derrière elle.
Ben se tenait sur le seuil.
Ben se tenait sur le seuil.
— Je pensais que vous auriez besoin d'aide, dit-il. Il s'avança vers elle, un sourire
amical aux lèvres.
— Je vous remercie. Tout est prêt, rétorqua-t-elle.
Elle avait beau essayer de se persuader du contraire, Ben Congreve produisait sur elle le
même effet qu'autrefois. Et, tout à coup, à l'image d'élégance virile qu'il offrait ce soir
— pantalon noir, veste de lin, chemise ivoire — se superposa celle de sa silhouette à
demi nue dressée sous le ciel des tropiques. Mais ce n'était pas le moment de se laisser
envahir par de tels souvenirs...
— Puisque vous voulez vous rendre utile, prenez donc le plateau, suggéra-t-elle,
j'apporterai le café...
« Non ! protesta Ben en son for intérieur. Ne me traitez pas comme votre domestique.
Je n'ai pas l'intention de vous obéir au doigt et à l'œil, à l'instar de votre ami médecin.
»
La violence de sa réaction l'étonna. N'avait-il pas de lui-même proposé son aide ?
Décidément, cette femme le perturbait. Depuis leur première rencontre à Singapour, il
n'avait cessé de se poser des questions à son sujet. Puis il avait tenté de se convaincre
qu'il ne s'agissait que d'un fantasme banal. Qu'elle ne méritait pas cet intérêt. Que, s'il
la revoyait, il la découvrirait sous son vrai jour : une jeune femme charmante, mais sans
plus. Il avait finalement entrepris ce voyage dans l'espoir d'en terminer avec les
interrogations qui l'obsédaient. Mais il devait admettre qu'il s'était trompé. Ellie
Osborne lui apparaissait encore plus énigmatique qu'avant. Un sphinx jaloux de ses
secrets. Des secrets qu'il était déterminé à percer. A force de patience, il y arriverait.
— Vous possédez un sang-froid remarquable, Ellie, déclara-t-il en se saisissant du
plateau.
— Dans les affaires, c'est une qualité essentielle.
La jeune femme prit la cafetière et ils retournèrent dans le salon où David, jouant les
maîtres de maison, remettait des bûches dans l'âtre.
Le reste de la soirée s'écoula dans une atmosphère agréable, où chacun semblait vouloir
prolonger ce moment de détente entre amis. Jusqu'au moment où le téléphone portable
de David retentit. On l'appelait pour une urgence. Clive le rassura :
— Ne vous inquiétez pas pour Liz, nous la raccompagnerons.
— Merci, Clive.
Le médecin se tourna vers la maîtresse de maison.
— Désolé de vous abandonner, ma chère Ellie.
Il l'embrassa sur les joues comme il le faisait toujours. Mais, sachant que Ben les
observait, la jeune femme lui rendit ses baisers avec une ferveur inhabituelle.
Ce départ incita les autres à rentrer chez eux. Seule, Tanya, comme à l'accoutumée,
montra des réticences.
montra des réticences.
— J'ai horreur de me coucher tôt, Ben, fit-elle en minaudant. Il n'y a pas si longtemps,
je passais encore des nuits entières dans des discothèques...
Clive dut la tirer par le bras.
— Allons, viens, chérie. Si tu as l'occasion de revoir Ben, il te donnera des tuyaux pour
écrire un best-seller. Savez-vous ce qu'elle a en tête, Ben? Vous piquer vos recettes
d'écrivain. La semaine dernière, on a fait la connaissance d'un artiste peintre; eh bien,
figurez-vous qu'elle s'est aussitôt mise en quête d'un chevalet, de pinceaux, de
couleurs...
Tanya, qui connaissait l'esprit taquin de son mari, attendait patiemment qu'il se décide
à partir.
Quand Ellie eut refermé la porte derrière eux, elle se demanda en frissonnant si Ben
avait l'intention de rester encore longtemps.
— J'ai beaucoup apprécié vos amis, déclara-t-il en la suivant dans le salon.
Il s'assit en face d'elle, étendit ses longues jambes devant l'âtre où la dernière bûche se
consumait sur un lit de braises.
— Oui, j'ai beaucoup de chance. Nous nous entendons très bien.
— Vous avez d'autres relations, je suppose. Des gens de votre génération ?
— On ne choisit pas ses amis en fonction de leur âge. On les aime pour ce qu'ils sont,
vous ne croyez pas ?
Un silence s'installa pendant lequel ils se dévisagèrent, chacun restant sur la défensive.
Puis Ben reprit la parole.
— Peut-être étaient-ils des amis de votre mari ?
— Non. Aucun d'eux ne le connaissait.
Mal à l'aise sous le regard aigu de Ben, Ellie changea de position; elle retira ses
sandales et se lova sur le canapé.
— Cela vous est pénible de parler de lui, n'est-ce pas, Ellie?
— Non, pas particulièrement. Mais il y a des choses que je préfère garder pour moi.
D'ailleurs, comme vous l'aurez sans doute noté, je respecte le jardin secret des autres.
D'un ton moqueur, Ben répliqua :
— Dommage. Même si je ne me sentais pas disposé à répondre à vos questions, j'aurais
été ravi que vous témoigniez une certaine curiosité à mon égard.
— Désolée de vous décevoir. Mais il n'est pas dans mes intentions d'explorer votre vie
privée.
Ben haussa les épaules puis il esquissa un sourire amer, comme s'il avait reconnu — ou,
du moins momentanément, accepté — sa défaite.
— A cause de David ? demanda-t-il.
Il se leva, marcha jusqu'à la fenêtre et resta immobile pendant un instant avant de
revenir s'asseoir sur l'accoudoir du canapé, tout près de la jeune femme.
revenir s'asseoir sur l'accoudoir du canapé, tout près de la jeune femme.
— Ai-je raison de penser que lui et vous...?
— C'est... un ami très cher.
Le regard de Ben se fit plus aigu. Cette réponse éva-sive Pavait-elle irrité? Elle lui
répondit néanmoins :
— David a ouvert son cabinet médical, au village, il y a trois ans. Depuis, sa sœur et
lui sont devenus mes amis.
— Quel âge a-t-il? Quarante ans? Quarante-cinq?
— En fait, je crois qu'il en a quarante-sept.
— Il est trop vieux pour vous.
— Je ne vois pas ce que vous voulez dire. Quoi qu'il en soit, mes relations avec David
Merriman ne vous regardent pas.
La colère commençait à gagner la jeune femme.
— Même s'il n'avait que trente ans, il serait trop vieux pour vous, insista Ben sans se
décourager.
Tout en prononçant ces paroles, il tendit la main et saisit la fine cheville d'Ellie. A ce
contact, un émoi indicible noua la gorge de la jeune femme et se répandit dans son
corps, tandis que des souvenirs affluaient à sa mémoire, empreints d'une douceur et
d'une volupté exquises. Au prix d'un effort surhumain, elle parvint à chasser les images
torrides de leurs étreintes passées et à se libérer de l'emprise des doigts possessifs. Elle
se redressa vivement et remit ses sandales.
— J'ai bien noté que vous n'approuvez pas mon amitié pour David, dit-elle d'un ton
qu'elle s'appliqua à rendre ferme, mais cela n'y changera rien. Aussi, n'en parlons
plus...
— D'accord. Maintenant, je suppose que vous voulez aller dormir ?
Ben s'était déjà remis debout et s'étirait paresseusement.
— La journée a été longue, et il est vrai que je suis fatiguée, admit la jeune femme.
Comme elle ponctuait ces paroles par un hochement de tête, ses cheveux dansèrent
autour de son visage. Ben s'avança vers elle et caressa d'un geste tendre les mèches
soyeuses qui retombaient avec souplesse sur ses épaules.
Elle crut alors que ses jambes allaient la trahir.
— Non. je vous en prie, protesta-t-elle.
— Ellie...
Elle retrouva dans la voix de Ben toute la douceur et la tendresse qui l'avaient fait
fondre autrefois...
— Si vous ne voulez pas que je vous approche, naturellement, je respecterai votre désir.
Il leva les mains dans un geste d'innocence.
— Inutile, donc, de vous montrer aussi nerveuse. Elle rabaissa les manches de son
chemisier et les boutonna fébrilement.
chemisier et les boutonna fébrilement.
— Ça n'est pas dans mon tempérament pourtant... ce doit être la fatigue.
— Je comprends. Pardonnez-moi si je vous ai contrariée. Ce n'était pas du tout mon
intention. J'espère que vous ne m'en voulez pas et que nous nous reverrons avant mon
départ...
— Je ne pense pas que ce soit possible, répondit-elle. Comment pouvait-elle continuer
à sourire alors qu'une
vague de désolation la submergeait? S'ils ne devaient plus jamais se revoir... Peut-être
avait-elle tout gâché? Si elle s'était montrée moins caustique, ils auraient pu échanger
un baiser d'adieu. Imaginer les lèvres de Ben unies aux siennes, même chastement,
suscita en elle un sentiment de frustration intolérable.
— J'ai beaucoup de travail en ce moment, expliqua-t-elle.
— Je vois que je ne vous ferai pas revenir sur votre décision.
Ben esquissa un mouvement, comme pour lui caresser la joue, mais il se ravisa aussitôt.
— Eh bien, soit, je ne m'opposerai pas à votre volonté, Ellie Osborne. Cependant, je ne
m'avoue pas vaincu. Je suis un homme très déterminé, voyez-vous. Quand j'ai un but, je
m'y tiens. En ce qui vous concerne, ma résolution date du jour où je vous ai vue pour la
première fois.
« La première fois... ? » se demanda Ellie, en proie à un sentiment de panique soudain.
Se pouvait-il... ? Elle recouvra son sang-froid lorsque Ben précisa :
— C'était ce soir inoubliable, sur la terrasse de Robert Van Tieg.
— Ah... oui, dit la jeune femme avec un soupir de soulagement.
Ben la considéra pendant un long moment, l'air déconcerté, avant de déclarer :
— Puisque vous êtes fatiguée, je vous souhaite une bonne nuit, Ellie. Dormez bien.
Deux secondes plus tard, il était parti. Lentement, elle retourna s'asseoir dans le salon
et demeura longtemps immobile, les yeux fixés sur l'âtre où il ne restait plus que
quelques braises. Inconsciemment, elle fit descendre ses doigts vers sa cheville à
l'endroit où les doigts de Ben s'étaient posés. Ce geste, il le faisait déjà quand ils étaient
amants. Et aujourd'hui comme hier, il avait suscité dans sa chair le même
bouleversement. Rien n'avait changé.
Non, rien n'avait changé, se répéta-t-elle plus tard, la mort dans l'âme, alors qu'elle
cherchait le sommeil. Ben avait reparu dans sa vie et il était reparti. La laissant encore
plus seule, plus désespérée qu'elle ne l'avait jamais été.
5.
Le lendemain, Ellie se réveilla parfaitement reposée. Curieusement, les longues heures
d'insomnie du début de la nuit n'avaient laissé aucune trace, ni dans son corps ni dans
son esprit.
Ce ne fut que dans la matinée qu'elle ressentit une douleur sourde au creux de
l'estomac. Elle commença par incriminer une mauvaise digestion, le repas trop riche,
le vin dont elle n'avait pas l'habitude, puis se résigna à admettre que sa souffrance avait
d'autres origines.
Mais elle refusa de s'attarder à de telles considérations. L'expérience lui ayant appris
qu'une activité intense constituait le meilleur remède à tous les maux, elle redressa le
menton et commença de vider le lave-vaisselle.

Quant à Ben Congreve, il avait passé une nuit paisible. De bon matin, il rectifiait le
nœud de sa cravate tout en lançant des regards moqueurs à l'image que lui renvoyait le
miroir. Pour un peu, il aurait piaffé d'impatience comme un adolescent qui se rend à un
premier rendez-vous.
Pourtant, il avait déjà eu l'occasion de rencontrer des femmes depuis son divorce. Mais
aucune n'avait suscité en lui ce mélange de curiosité, d'excitation et de trouble...
Ellie Osborne était bien la première à avoir un tel effet sur ses sens et son esprit. C'en
était presque obsessionnel. Etait-ce dû à ce parfum de mystère qui flottait autour d'elle?
Ben se détourna de la glace et prit un air déterminé. D'une façon ou d'une autre, il
parviendrait à ses fins. Avait-il déjà déposé les armes au cours de son existence ? Jamais
! Pourquoi le ferait-il aujourd'hui alors qu'il sentait confusément que son bonheur futur
dépendait de l'issue de ce combat ? Il voulait conquérir le cœur de cette femme et il y
arriverait. La vie lui avait appris à se montrer patient. Aussi longtemps que l'alliance
de ce Dr Mer-riman ne brillerait pas au doigt d'Ellie, il n'abandonnerait pas.

A 11 heures, Ellie en avait terminé avec l'essentiel des tâches ménagères. Elle s'accorda
une petite pause. Une tasse de café à portée de la main, elle commençait tranquillement
à parcourir les journaux du dimanche quand des coups frappés à la porte interrompirent
sa lecture. C'était sans doute David qui, comme après chaque dîner, venait lui apporter
un petit mot de remerciement...
Elle alla ouvrir sans enthousiasme.
Son agacement fit place à une exclamation de plaisir quand elle vit Ben Congreve sur le
seuil, un énorme bouquet à la main. Il avait l'air plutôt embarrassé.
— Ellie..., commença-t-il en lui tendant les fleurs. Elle les prit et respira longuement le
— Ellie..., commença-t-il en lui tendant les fleurs. Elle les prit et respira longuement le
mélange subtil de
roses surannées et de muguet, rehaussé de délicates fougères.
— Pardonnez-moi si je vous dérange...
— Non, non, pas du tout...
Elle ne pouvait dissimuler sa joie. Cette surprise était d'autant plus agréable qu'elle
avait craint de découvrir David sur le pas de la porte. Et tant pis si cette pensée était un
peu cruelle pour son fidèle ami.
— Entrez, je vous en prie.
Ellie précéda Ben dans la cuisine. Elle choisit un vase approprié et arrangea les fleurs,
tout en s'extasiant :
— Elles sont superbes ! Mais où les avez-vous dénichées ? Pas au Red Cow, j'imagine?
— Non. Je les ai fait venir de Londres.
— Quelle folie! Je n'arrive pas à le croire.
— C'est pourtant vrai. L'hôtel dans lequel je descends habituellement s'est attaché les
services d'un excellent fleuriste. Je lui ai demandé de m'expédier ce qu'il avait de plus
beau par le premier train. Et voilà. J'espère que vous ne les trouvez pas trop
prétentieuses.
— Mon Dieu, quelle drôle d'idée! Elles sont somptueuses..., et pas du tout prétentieuses
!
Ben s'adossa au mur dans une pause décontractée.
— En fait, en vous les offrant, je voulais surtout me faire pardonner ma nouvelle
intrusion. Après la dure journée d'hier, vous méritez qu'on vous laisse tranquille. Mais
je pense avoir oublié mon carnet d'adresses ici et...
Ellie fronça les sourcils.
— Vous croyez ? Je ne l'ai pas vu...
— Me permettez-vous de jeter un coup d'œil dans le salon ?
La jeune femme hocha la tête et suivit son visiteur. Il traversa la pièce jusqu'au siège
qu'il avait occupé la veille et se baissa pour ramasser quelque chose. Puis il se tourna
vers elle en brandissant un calepin.
— Le voici ! Merci, Ellie. Sans ce précieux répertoire, je serais perdu. Je l'avais sorti
pour noter le numéro de téléphone de Tanya. J'ai eu l'imprudence de lui dire que je
reviendrai en Angleterre avant la fin de l'année, et elle a réussi à m'extorquer la
promesse de venir donner une conférence au bénéfice d'une œuvre dont elle s'occupe.
La création d'un hôpital pour enfants, je crois.
— Effectivement, c'est l'un de ses projets. En tout cas, je suis contente que vous ayez
retrouvé votre carnet.
— Bon, eh bien... je ne veux pas vous déranger plus longtemps...
— Vous aurez bien un petit moment pour prendre une tasse de café?
— Vous aurez bien un petit moment pour prendre une tasse de café?
Elle regretta aussitôt sa proposition irréfléchie. Avait-elle perdu l'esprit? Retenir un
homme dont la simple présence mettait en péril sa paix intérieure... Sans compter
qu'une tonne de travail l'attendait encore... Trop tard! Il lui fallait maintenant assumer
son imprudente invitation.
— J'avais, je l'avoue, une autre raison de revenir chez vous, reprit Ben en la suivant
vers la cuisine. J'espère toujours vous convaincre de m'accorder une soirée avant que je
ne reprenne mon voyage vers les Etats-Unis.
Heureusement, il restait à Ellie suffisamment de raison pour rester sur ses positions.
— Non, vraiment, c'est impossible, répondit-elle tout en préparant le café. Une autre
fois, peut-être. Quand vous viendrez faire cette conférence organisée par Tanya, par
exemple. J'essaierai alors de me libérer pour aller vous écouter.
— Ce qui m'intéresse, ce n'est pas que vous veniez boire mes paroles quand je débiterai
des banalités sur mon métier d'auteur à succès. C'est que nous passions au plus vite une
soirée ensemble, en tête à tête.
La passion avec laquelle Ben avait prononcé ces mots bouleversa la jeune femme. Elle
était en train de lui tendre une tasse de café, et sa main tremblait tellement qu'elle en
renversa un peu sur la nappe. Machinalement, elle commença à éponger le liquide qui
maculait le tissu.
— En fait, je suis en train de solliciter un rendez-vous, reprit Ben avec la même
flamme. Avec au besoin votre fille comme chaperon, si cela peut vous faciliter les
choses.
Ellie eut l'impression qu'on lui plantait une épée dans le cœur. Une vague de colère
l'envahit. C'était comme si
Ben venait de renier son unique enfant. Pourquoi unique, d'ailleurs? Qui aurait pu
l'affirmer? Lui-même savait-il combien de fois il avait été père? Quand on se conduit
avec une telle désinvolture vis-à-vis de ses conquêtes féminines... Au prix d'un énorme
effort, elle parvint à recouvrer son sang-froid.
— Votre insistance me flatte beaucoup, mais je sors rarement le soir.
Sur ces mots, elle se leva pour aller prendre une boîte de biscuits dans le placard, mais
Ben la rejoignit d'un bond et s'adossa contre la porte, la contraignant à lui faire face.
— Bong sang ! s'écria-t-il. Ayez au moins le courage de dire ce que vous pensez
vraiment. Je l'accepterai, aussi pénible cela soit-il à entendre. Hier soir, pendant que
vous étiez à vos fourneaux, votre cher ami le docteur nous a raconté votre dernier
voyage à Londres quand vous êtes allés ensemble au concert. Et manifestement, ce
n'était pas la première fois. Alors, ne me dites pas que vous ne sortez pas le soir!
La jeune femme le fixa, interdite. Elle ne reconnaissait pas dans cet homme passionnné
et agressif le Ben qu'elle avait connu, léger, insouciant...
— Vous aviez probablement confié Charlie à sa baby-sitter, reprit-il. Ce qui vous aura
— Vous aviez probablement confié Charlie à sa baby-sitter, reprit-il. Ce qui vous aura
permis de passer le reste de la nuit avec David, dans votre lit peut-être...
— Comment osez-vous ?
Ellie le défia d'un regard brillant de fureur. Il l'avait abandonnée sans s'interroger sur la
suite de leurs étreintes. Elle avait porté seule le fardeau de sa grossesse. Elle n'aurait
même pas eu un toit pour vivre avec sa fille sans la générosité de Greg Osborne, et
aujourd'hui, ce pleutre se permettait de lui faire une scène de jalousie chez elle?
— Savez-vous que vous ne manquez pas de toupet! s'exclama-t-elle.
— Et vous, savez-vous que...
Ben éprouva l'envie furieuse de secouer la jeune femme et de lui faire dire pourquoi
elle s'acharnait constamment à le repousser. Il l'agrippa aux épaules mais la relâcha
aussitôt. Jamais il n'avait admis qu'un homme pût se comporter avec violence envers
une femme. De plus, il l'avait sans doute effrayée. Alors que, depuis le moment où il
avait posé les yeux sur elle, il avait ressenti le besoin de la protéger. Un besoin aussi
impérieux que celui de la posséder.
Il s'écarta et enfouit les mains dans ses poches, furieux contre lui-même.
— Savez-vous que vous êtes la femme la plus exaspérante que j'aie jamais rencontrée,
reprit-il.
Il se radoucit aussitôt.
— Je regrette de vous avoir blessée en insinuant que vous aviez couché avec ce... avec
David. Cela ne concerne que vous, et je n'avais pas le droit...
— Ce n'est pas cela. Ce que vous pensez de David ou de n'importe quel homme dont je
pourrais partager le lit, je m'en moque. Seulement...
Ellie s'interrompit, en proie à une émotion extrême.
— Seulement ? répéta Ben.
— Vous avez laissé entendre que je me débarrassais de Charlie pour passer des nuits
sans contraintes. Et cela, je ne le supporte pas. Avez-vous idée du sentiment de
culpabilité qui m'accable chaque fois que je dois la quitter? Il n'y a pas une mère au
monde qui confie de gaieté de cœur son enfant à quelqu'un d'autre. Mais peut-elle faire
autrement quand elle est obligée de gagner sa vie? Vous n'avez fait que remuer le
couteau dans la plaie...
Avec quel plaisir elle aurait martelé de ses poings le torse de Ben Congreve ! Elle se
contenta pourtant de le fixer avec colère et de continuer :
— Des gens comme vous, nés avec une cuiller d'argent dans la bouche, n'ont jamais eu
à se lever tôt le matin pour assurer leur subsistance. Savez-vous ce que c'est que de
jongler avec les horaires pour mener de front une vie professionnelle et une vie
familiale ? Et puis, pourquoi culpabilise-t-on toujours les femmes qui laissent leurs
enfants pour aller travailler et jamais les hommes... ?
— Hé ! Ne vous emballez pas !
— Hé ! Ne vous emballez pas !
Cette fois, Ben s'accorda le droit de poser les mains sur les épaules d'Ellie. dans un
geste apaisant et plein d'affection.
— Je suis sûr que vous êtes une mère admirable. Je ne cherchais aucunement à le mettre
en doute, je voulais simplement régler son compte à votre médecin vénéré.
Sans l'écouter, Ellie continua de vider son sac.
— ... et quand on ne peut assister à la fête de l'école à cause d'une commande de
dernière minute... et les préparatifs d'anniversaire bâclés parce qu'on attend la visite
d'un inspecteur des impôts...
— D'accord. D'accord. Vous m'avez convaincu. Votre vie n'est pas facile, mais je sais
que vous vous en tirez admirablement bien. Je le sais parce que lorsque vous parlez de
votre fille, votre regard s'adoucit. Et d'après ce que Jenny m'a dit...
Les yeux brillants d'une lueur féroce. Ellie se récria :
— Jenny ! Qu'est-ce que Jenny a encore raconté ? J'aimerais bien que mes amis cessent
d'exposer ma vie privée au grand jour !
— Voyons, Ellie, nous parlons tous de nos amis sans forcément être indiscrets. Et les
vôtres ne tarissent pas d'éloges sur vous. En ce qui concerne Jenny, encore une fois je
vous l'assure, elle n'a fait que répondre à mes questions. C'est moi qui me suis montré
insistant.
— Puisqu'elle a mis tant d'empressement à satisfaire votre curiosité, elle aurait dû vous
dire que je n'envisage pas d'établir de relations sérieuses avec un homme.
— Quels grands mots ! Nous ne sommes plus à l'époque victorienne, que diable ! Moi
non plus je ne cherche pas à m'engager à tout prix dans des liens durables. Une fois m'a
suffi... Mais je n'ai pas fait vœu de chasteté pour autant. Quand une femme me plaît —
ou, plus encore, me fascine — j'ai envie de mieux la connaître et je lui propose de sortir
avec moi. Cela me paraît normal, non? Il la considérait, les sourcils froncés.
— La résistance que vous m'opposez m'intrigue, reprit-il après un instant. Votre mari
était-il un être si exceptionnel que vous ne jugez aucun autre homme capable de vous
apporter le bonheur qu'il vous a donné? Ou au contraire, votre mariage vous a-t-il
laissé un tel goût d'amertume que...
Ellie l'interrompit.
— N'allez pas vous imaginer des choses compliquées ! J'ai seulement perdu l'habitude
de sortir. Et ça ne me manque pas.
Tournant délibérément le dos à son visiteur, la jeune femme commença à rincer des
tasses accumulées dans l'évier.
— Et David? insista Ben. Vous faites une exception pour lui parce qu'il ne représente
pas une menace pour votre tranquillité intérieure, c'est bien cela? Mais enfin, Ellie, qui
vous a blessée au point de vous rendre aussi farouche ?
La jeune femme eut l'impression qu'une main lui broyait le cœur. Incapable de
La jeune femme eut l'impression qu'une main lui broyait le cœur. Incapable de
prononcer un mot, elle se retourna et fixa gravement le responsable de tous ses
tourments. Jamais elle n'aurait imaginé qu'un jour cet homme lui poserait précisément
cette question.
Sous le poids des yeux clairs qui le dévisageaient, Ben éprouva de la honte. Il percevait
la douleur d'Ellie et savait qu'il en était responsable. Quel démon le poussait à vouloir
à tout prix forcer la porte de son jardin secret ? Au désir qu'il avait de la posséder se
mêlait un sentiment de tendresse infinie, une envie de la protéger contre les agressions
de la vie.
Du bout de l'index, il lui souleva le menton et effleura ses lèvres. Puis il enlaça ses
épaules et la serra contre lui...
Ellie n'eut pas la force de résister. Quand la bouche de Ben emprisonna la sienne, elle
crut que ses jambes allaient se dérober. Puis la faiblesse la gagna entièrement; sans le
support des bras puissants qui la maintenaient, elle se serait effondrée sur le sol.
Ce fut elle qui prit l'initiative de prolonger leur baiser, emportée par la même vague de
passion qu'autrefois. Elle enfouit ses doigts dans la chevelure dense, pressa son corps
contre le corps viril de son ancien amant, prête à se damner une fois encore...
Mais tout à coup, comme pour la sauver de sa folie, une agitation à l'extérieur de la
maison interrompit leur étreinte. La porte d'entrée s'ouvrit avec fracas, un rire enfantin
résonna dans le hall.
Charlie ! La vue de sa mère en compagnie d'un étranger l'arrêta net sur le seuil.
— Maman, dit-elle d'une petite voix timide.
Elle portait un chandail et une écharpe nouée à la hâte autour du cou. Charlie était
grande pour ses six ans. Ce qui n'avait rien d'étonnant si l'on considérait la taille de ses
deux parents, songea Ellie en la couvant du regard. Inquiète, elle chercha un indice de
ressemblance qui aurait pu éveiller les soupçons de Ben. Mais non, rien. Heureusement,
la petite avait les cheveux auburn de sa mère, avec des reflets un peu plus sombres
toutefois. Les mêmes yeux aussi.
Rassurée, Ellie s'avança vers sa fille et l'embrassa avec chaleur. Puis elle se tourna vers
Wendy qui venait d'apparaître sur le seuil.
— Désolée, Ellie, s'excusa la jeune baby-sitter. Il m'a été impossible de garder Charlie
à la maison plus longtemps parce que Linda a la rougeole. Je vous avais dit que ma
nièce viendrait chez moi pour les vacances scolaires, n'est-ce pas? Eh bien, elle est
arrivée pleine de boutons. J'ai appelé David et...
— Oh, pauvre Linda ! s'exclama Ellie. Vous avez bien fait de ramener Charlie. Tu ne
voudrais pas attraper la rougeole, n'est-ce pas, ma puce?
— Oh non ! répliqua l'enfant. Je n'ai pas envie de passer mes vacances au lit.
Charlie sourit, découvrant une rangée de quenottes où manquaient deux incisives. Puis,
s'enhardissant, elle leva la tête vers Ben et demanda :
s'enhardissant, elle leva la tête vers Ben et demanda :
— Tu es qui ? Un ami de maman ?
6.
« C'est ton père, Charlie ! Tu ne le connais pas car il ne s'est jamais soucié de nous
pendant toutes ces années. » Tels furent les premiers mots qui vinrent à l'esprit d'Ellie.
Prononcer ces paroles eût été la manière la plus efficace de régler ses comptes avec Ben
Congreve. Mais le respect qu'elle devait à sa fille le lui interdisait.
Alors, d'une voix ferme, mais sans cesser de sourire, elle parvint à dire :
— C'est Ben Congreve. Il habite aux Etats-Unis et il est venu nous voir. Ben, voici ma
fille Charlie, dont vous avez entendu parler. Et voici Wendy Cummings qui s'occupe de
Charlie depuis toujours. Wendy entretient la maison, fait la cuisine, et veille sur
Charlie quand je suis absente. Sans Wendy, je ne sais pas ce que je serais devenue...
Wendy rougit lorsque Ben lui serra la main, puis se mit à donner des détails sur la
visite de sa nièce et sur son projet, désormais irréalisable, d'emmener les deux fillettes
au bord de la mer.
— Enfin, ce sera pour une prochaine fois, conclut-elle. Maintenant, il faut que je rentre.
Au revoir Charlie. On organisera un pique-nique avec Linda dès qu'elle sera guérie. Je
suis ravie d'avoir fait votre connaissance, monsieur Congreve.
Le départ de la baby-sitter rendait inévitable la confrontation qu'Ellie redoutait
tellement.
— Ainsi, Charlie..., commença Ben. Il s'accroupit à hauteur de la fillette.
— Tu es en vacances?
— Oui, pendant huit jours je vais pas aller à l'école. Mais, toute seule, je vais
m'ennuyer à la maison.
Charlie poussa un soupir. Ben se redressa.
— Ce matin, en arrivant, j'ai aperçu un poney dans le champ, reprit-il. Il est à toi ?
— Oui. C'est Flossie. Mais c'est une fille.
— Tu ne veux pas me la présenter? Si ta maman n'y voit pas d'inconvénient, bien sûr.
Tu sais, j'aime beaucoup les chevaux moi aussi.
— Je crois que maman veut bien. On y va?
Déjà, Charlie prenait la main de Ben et le tirait vers la porte.
— Cela ne vous dérange pas, Ellie ?
La jeune femme haussa les épaules et détourna la tête afin de dissimuler son émotion.
Quand Ben et Charlie furent sortis, elle suivit du regard leurs deux silhouettes, la
fillette trottinant à côté de son père. Alors seulement, elle laissa exploser les sanglots
qui lui serraient la gorge.
Il lui fallut plusieurs minutes avant de recouvrer son sang-froid. Elle dût s'asperger le
visage d'eau fraîche pour effacer les traces de ses larmes avant de reprendre ses
activités ménagères.
activités ménagères.
Mais, malgré ses efforts, elle ne parvenait pas à se concentrer sur sa tâche. L'image de
Ben et de Charlie marchant main dans la main la harcela jusqu'à lui donner la migraine.
Et, quand ils revinrent, elle comprit que son visiteur ne partirait pas de sitôt.
La suite devait lui donner raison. Deux heures plus tard, ils déjeunaient tous les trois
dans la salle de restaurant du Red Cow. La jeune femme savait qu'elle avait fait preuve
d'une faiblesse insensée en se laissant manipuler par Ben. Mais comment en aurait-elle
éprouvé des regrets alors que les yeux de sa fille s'arrondissaient de surprise et
brillaient de plaisir devant l'énorme glace au chocolat qu'un serveur posait devant elle?
C'était pour elle un sujet d'étonnement que de constater la facilité avec laquelle Charlie
répondait aux taquineries de Ben, de la voir incliner la tête et couler le regard vers lui
avec coquetterie. Attitudes délicieusement féminines qu'elle-même évitait d'adopter
depuis longtemps et dont Ben, manifestement, se délectait.
En même temps, la douleur ancienne enfouie dans le tréfonds de son âme remontait en
surface. Une anxiété qui datait du moment où elle avait pris conscience que sa fille
grandirait sans la présence d'un homme à la maison.
— Maman, maman, tu n'écoutes pas ce que je dis. Charlie tentait avec insistance de
capter l'attention de sa mère.
— Désolée, ma puce, je...
— J'étais en train de dire à Ben...
Un battement de cils, puis la fillette poursuivit :
— ... que ma mamie habite en Australie et qu'on a pris l'avion pour aller la voir.
Les joues d'Ellie s'empourprèrent. Elle se souvenait d'avoir donné à Ben le numéro de
téléphone de ses parents, à Sydney — le seul moyen de la contacter. Elle se rappelait
aussi les longs mois pendant lesquels elle avait attendu son appel.
Avec un sourire contraint, elle répondit à la fillette :
— C'est vrai, ma chérie. Et c'était la première fois que tu la voyais.
Elle s'aperçut, à cet instant, que Ben l'observait, les sourcils froncés.
— Oui, j'avais quatre ans, précisa Charlie. Même que mamie a pleuré quand on est
arrivées chez elle. Mais c'était parce que papy venait juste de mourir.
— Je comprends, dit Ben avec une grande douceur. Quand une personne meurt, on est
triste. Alors, on pleure.
— Je sais, acquiesça Charlie avec gravité. On était tous tristes. Maman a pleuré aussi.
Sur ces mots, elle plongea sa cuiller dans la masse crémeuse de sa glace au chocolat.
Ben reporta son attention sur Ellie.
— Vos parents vivent en Australie ? demanda-t-il. Pourtant, j'aurais juré que vous étiez
anglaise.
— Mais je suis anglaise !
D'un air faussement détaché, la jeune femme scruta le visage de son ancien amant.
D'un air faussement détaché, la jeune femme scruta le visage de son ancien amant.
L'évocation de l'Australie pouvait avoir éveillé en lui quelques réminiscences de leur
première rencontre... Mais Ben était resté impassible.
— J'étais adolescente quand mes parents se sont installés à Sydney, reprit-elle. Ma
mère était atteinte de sclérose en plaques et le climat australien lui convenait mieux.
Alors ils ont décidé de rester en Australie.
— Mon papy était sir William Tenby, annonça fièrement Charlie, la frimousse
barbouillée de chocolat.
— Oh, vraiment ? s'exclama Ben. Ce devait être un homme très important.
« C'est tout ce qu'il trouve à dire ! » songea Ellie, furieuse. Pourtant, le nom de son père
— notable très influent à l'époque — aurait dû provoquer chez lui une autre réaction.
Mais qu'espérait-elle? Que sa bouche s'arrondisse de surprise, qu'il remercie le destin
d'avoir remis sur son chemin son amour perdu ? Autant demander la lune.
— Maman ! s'écria Charlie tout à coup. Regarde, c'est Pippa, là-bas. Est-ce que je peux
aller jouer avec elle?
— Tu n'as pas terminé ta glace, répondit Ellie.
— Oh, il en reste juste un tout petit peu. S'il te plaît, maman ?
La fillette piaffait d'impatience.
— Bon, d'accord, mais essuie ton bec, d'abord.
Charlie s'exécuta puis fila rejoindre sa jeune camarade. Ben suivit des yeux la petite
silhouette bondissante, puis reporta son regard sur la jeune femme.
— Elle est merveilleuse, déclara-t-il. Vous avez accompli un travail admirable avec
elle... Et je suis désolé pour votre père.
— Jamais je n'aurais pensé qu'il nous quitterait le premier. C'était une force de la
nature. Il jouait au tennis, au squash, il faisait de la voile...
Aucune réaction sur le visage de Ben à la mention de ce dernier sport.
— Hélas, sa première crise cardiaque l'a emporté avant que les secours n'aient pu
intervenir. J'ai cru que maman ne lui survivrait pas. Finalement, elle s'en sort très bien,
avec l'aide de quelques personnes qui s'occupent d'elle à domicile... Nous nous
téléphonons toutes les semaines.
— Ce doit être quand même dur pour vous d'être si loin d'elle.
— J'avais envisagé de tout laisser tomber pour retourner à Sydney avec Charlie. C'était
au moment où mon entreprise commençait à prospérer et maman a insisté pour que je
m'y accroche. Mais, tôt ou tard, je repartirai là-bas. A part mon travail, rien ne me
retient ici, vous savez. Et je n'ai pas le droit de priver Charlie de sa famille.
— Je comprends...
Ben n'eut pas le loisir d'en dire davantage car la fillette revenait en courant, les cheveux
en désordre et les joues roses d'excitation.
— Maman, maman ! J'ai invité Pippa à venir goûter à la maison. Mais sa maman veut
— Maman, maman ! J'ai invité Pippa à venir goûter à la maison. Mais sa maman veut
que je te demande la permission d'abord. Oh, c'est oui, hein, maman? S'il te plaît !
— C'est bon, va leur dire qu'il n'y a pas de problème. Qu'elle vienne à la maison vers 4
heures. Mais ne traîne pas, Charlie. On va montrer l'étang à Ben et, ensuite, on rentrera
à travers champs.
— Oh. c'est génial ! Je reviens tout de suite, alors. Devant tant d'impatience, il n'était
pas question de s'attarder à l'auberge. Quelques instants plus tard, Charlie nourrissait
les canards avec, des morceaux de pain généreusement donnés par le cuisinier du Red
Cow. Assis sur la rive, sous les rayons du soleil automnal, Ellie et Ben la regardaient,
attendris.
Voilà ce qu'était la vraie vie, songea la jeune femme avec mélancolie. Deux parents et
leur enfant goûtant les joies de la campagne, un dimanche après-midi. Un bonheur dont
Charlie avait été privée jusque-là...
— Vous avez l'air triste, Ellie. dit Ben.
— Pas du tout. En fait, malgré mes réticences premières, j'ai apprécié ce repas au
restaurant. Charlie aussi, comme vous avez pu le constater !
— En effet. Elle est dotée d'un bel appétit ! Vous avez vu la manière dont elle a avalé
son rosbif et son pudding ? Et la glace au chocolat aurait subi le même sort si elle
n'avait aperçu sa petite camarade. Dommage que ses projets de vacances avec Linda
soient tombés à l'eau... Elle m'a raconté tout ce qu'elles devaient faire et je comprends
qu'elle soit déçue.
— Il faut qu'elle s'habitue à affronter ce genre de déceptions. Ça la rendra plus forte.
— Elle n'a que six ans, voyons ! se récria Ben vivement.
— Nous ne suivons pas un chemin parsemé de pétales de roses. Il n'est jamais trop tôt
pour l'apprendre. Mais vous ne pouvez pas comprendre cela, car, manifestement, vous
êtes privilégié.
— Je me demande ce qui vous permet de l'affirmer avec autant de certitude.
Les yeux de Ben l'étudiaient avec curiosité.
— Il m'est arrivé de rencontrer des obstacles sur ma route, comme tout un chacun, vous
savez, reprit-il. J'ai même vécu quelques sales moments.
Sans doute faisait-il allusion à son divorce, songea Ellie tandis que Ben continuait :
— Toutefois, si je compare mon existence avec celle de la plupart des gens, je n'ai pas
le droit de me plaindre, c'est vrai. Mais pour en revenir à la déception de Charlie, je
connais un moyen de la consoler...
Comme Ellie lui décochait un regard plein de méfiance, il s'empressa d'ajouter :
— D'accord, d'accord. Je n'impose rien, c'est vous qui déciderez. Voilà de quoi il s'agit
: la semaine prochaine, je dois me rendre à Paris pour discuter d'un contrat d'édition.
Pourquoi ne m'accompagneriez-vous pas toutes les deux ?
Ignorant le geste de refus de la jeune femme, Ben poursuivit :
Ignorant le geste de refus de la jeune femme, Ben poursuivit :
— On prendrait l'Eurostar. Vous avez déjà emprunté le tunnel ?
Incapable de prononcer un mot, Ellie fit non de la tête.
— Eh bien, vous verrez, c'est formidable. En trois heures, on est à Paris. On y restera
quelques jours et on en profitera pour aller à Disneyland Paris. Je suis sûr que Charlie
en oubliera ses projets contrariés.
Ellie recouvra la parole pour protester avec véhémence :
— Non, non, c'est hors de question. Votre offre est très attrayante, j'en conviens. Mais
je ne peux pas m'absenter de mon bureau la semaine prochaine. J'ai beaucoup trop de
travail...
— Si vous étiez malade, vous n'auriez pas le choix.
— En effet. Seulement, je ne suis pas malade.
— N'avez-vous pas un adjoint pour vous remplacer?
— Mes revenus ne me permettent pas de m'offrir ce luxe. Mais je ne doute pas que vous
trouviez sans peine une autre femme pour vous accompagner.
Cette remarque sarcastique toucha Ben plus qu'elle ne l'avait souhaité. Il lui saisit le
poignet avec violence et, d'une voix furieuse, rétorqua :
— Si j'avais désiré la compagnie d'une autre femme, je ne vous aurais pas invitée, vous
pouvez me croire.
— Lâchez-moi, vous me faites mal.
Il la libéra. Elle se leva, les dents serrées, puis marcha jusqu'à l'endroit où se tenait
Charlie, absorbée dans la contemplation d'un garçon qui péchait à la ligne.
Ben demeura assis un moment, ruminant des pensées sombres. Il se maudissait autant
qu'il maudissait cette femme dont le comportement irrationnel le déconcertait.
Pourquoi diable réagissait-elle d'une manière aussi abrupte alors qu'il voulait
seulement faire plaisir à Charlie? Quoique..., non, telle n'était pas son unique intention,
il devait bien l'admettre. Quand il rejoignit Ellie et la fillette, sa colère s'était évanouie.
A son tour, la jeune femme recouvra la sérénité lorsque, sur le chemin de la maison,
elle entendit Ben raconter à Charlie une histoire passionnante qui commençait chez les
Inuit, dans la baie d'Hudson, et se terminait dans les îles Salomon après des
rebondissements multiples, à la fois captivants et burlesques.
Charlie riait encore des exploits des héros quand ils arrivèrent à la maison.
— Je m'étonne que vous n'écriviez pas des livres pour enfants, déclara Ellie en ouvrant
la porte. Vous n'y avez jamais pensé?
— Non, répondit Ben. Mais maintenant que vous m'en avez donné l'idée, peut-être
qu'un jour je m'y mettrai.
Dans le hall, la jeune femme se tourna vers sa fille.
— Va ranger ta chambre avant que Pippa n'arrive.
— Oh, maman, j'ai pas envie... Plus tard. Charlie coula un œil charmeur vers Ben
— Oh, maman, j'ai pas envie... Plus tard. Charlie coula un œil charmeur vers Ben
comme pour solliciter son appui.
— Il vaut mieux le faire tout de suite, ma chérie; après tu seras tranquille, conseilla-t-il
d'une voix très douce.
Et la fillette d'obtempérer sans un murmure.
— Quelle petite chipie! s'exclama sa mère. Vous avez vu la manière dont elle me tient
tête? En revanche, avec vous, elle a filé doux...
— Les enfants de ma sœur réagissent exactement comme elle. Dès qu'une personne
étrangère s'intéresse à eux, ils deviennent dociles comme des chiots bien dressés.
« Ah, oui, sa sœur Amy... », se souvint Ellie. Ben lui en avait parlé autrefois. Amy était
enceinte à l'époque de leur idylle, mais Ellie n'avait jamais su si elle avait eu une fille
ou un garçon.
— Vous avez une sœur ? demanda-t-elle en feignant la surprise.
— Oui. Elle s'appelle Amy et son mari, Rod. Ils ont un ranch dans le Montana. Leur fils
Blake a sept ans et Jess en a quatre. Je ne les vois pas très souvent, hélas. Mais, chaque
fois, je suis accueilli comme si j'étais Superman en personne : « T'es génial, oncle Ben !
». Ça dure un jour ou deux, puis la vie reprend son cours et on me traite avec beaucoup
moins d'égards. Si je voyais Charlie plus souvent, ce serait pareil...
— Oui, sans doute..., acquiesça Ellie distraitement. Son esprit était ailleurs. Elle venait
de réaliser que
Charlie avait une tante et deux cousins. Les seuls cousins qu'elle aurait jamais, et dont
elle ignorerait l'existence... A cette pensée, le cœur de la jeune femme se serra. Elle se
sentit encore plus vulnérable, plus abandonnée. Et la rancœur qu'elle éprouvait à
l'égard du père de sa fille refit surface. La voix de Ben interrompit le cours de ses
réflexions.
— Pour en revenir à mon voyage à Paris, disait-il, je n'ai pas perdu espoir de vous
convaincre...
— Quand je dis non, c'est non. Il serait temps que vous l'appreniez. Même si, comme je
l'imaginais, vous n'êtes pas habitué à ce que l'on vous résiste. Insistez encore et ce sera
du harcèlement.
Le visage de Ben se crispa et son regard devint glacial. Ellie comprit qu'elle avait
atteint son but : le blesser pour le punir de sa conduite passée.
— Je n'aurais pas cru qu'inviter une femme et son enfant à Disneyland pourrait
s'apparenter à un délit de harcèlement, rétorqua-t-il. Je considère qu'il s'agit d'une
appréciation toute subjective, à mettre sur le compte d'une mauvaise humeur passagère,
dont je suis certainement responsable d'ailleurs. Fine comme vous l'êtes, vous aurez
probablement senti que mon invitation n'était pas totalement désintéressée et vous avez
raison, Ellie. En offrant un divertissement à Charlie, je pensais, certes, à son plaisir,
mais je visais aussi un autre but : passer quelques jours avec vous ! Et je n'ai pas
mais je visais aussi un autre but : passer quelques jours avec vous ! Et je n'ai pas
l'intention de m'excuser d'un désir.
Ben détourna le regard et concentra son attention sur le jardin, de l'autre côté de la
fenêtre. Après un instant, il reprit :
— Je ne trouve pas les mots pour expliquer le sentiment que j'éprouve à votre égard —
je suis incapable de me l'expliquer à moi-même. Puisque vous persistez dans votre
refus de m'accompagner à Paris, je devrai me faire une raison. Mais sachez que je le
regrette aussi infiniment pour Charlie.
— Moi aussi, Ben.
Ellie s'étonna de la sincérité de ses propres paroles. Elle allait ajouter quelque banalité
quand un cri déchirant la réduisit au silence. A la seconde même, une boule de nerfs
dévala les dernières marches de l'escalier, se précipita vers elle en courant et s'agrippa
à sa jupe.
— Ma puce, que se passe-t-il ? demanda-t-elle, alarmée. Tu t'es fait mal?
Cependant, plus que la douleur, le petit visage que la fillette levait vers sa mère
exprimait la frustration et le chagrin.
— Pourquoi?... Pourquoi on peut pas y aller?... Ben veut nous emmener à Disneyland...
La voix entrecoupée de sanglots, Charlie répéta :
— A Disneyland. Et tu veux pas qu'on y aille. Tous les autres enfants sont allés à
Disneyland et pas moi... Pourquoi t'es méchante avec moi, maman?
Comme si elle avait pris conscience d'être allée trop loin, la fillette s'interrompit tout à
coup, renifla une dernière fois et leva les yeux vers sa mère qui la contemplait,
consternée. Etait-ce vraiment ce que sa fille pensait d'elle?
— Charlie...
Ben s'était accroupi devant l'enfant. D'une voix ferme, il expliqua :
— Ta maman n'est pas méchante. Tu le sais, n'est-ce pas? Je trouve même que tu as
beaucoup de chance d'avoir une maman comme elle. Tu as dit cela sous le coup de la
colère. Ça arrive à tout le monde de réagir ainsi. Maintenant que tu es calmée, tu vas
t'excuser, j'en suis sûr.
— Je te demande pardon, maman, murmura Charlie. C'était parce que je voulais monter
sur tous les manèges.
En proie à une émotion intense, Ellie ne put que hocher la tête.
— Tu iras un jour, promit Ben en caressant les cheveux de la petite. Maintenant, va vite
laver ta frimousse avant que Pippa n'arrive.
Dès que la fillette se fut esquivée, Ben enveloppa de ses bras les épaules d'Ellie et
l'étreignit sans qu'elle protestât.
— Ne vous inquiétez pas, dit-il avec douceur. Tous les enfants font leur crise
d'opposition de temps en temps. Je regrette d'avoir été à l'origine de cette réaction.
— Vous n'y êtes pour rien, Ben.
— Vous n'y êtes pour rien, Ben.
Ellie sentit qu'il l'attirait plus près de lui et elle ne tenta pas de l'esquiver.
— C'est ma faute, continua-t-elle. J'aurais dû lui demander son avis. Après tout, vous
nous aviez invitées toutes les deux.
— Puisque, de toute façon, vous ne pouvez pas m'accompagner, vous avez bien fait de
ne pas lui mettre l'eau à la bouche. Elle aurait eu trop de chagrin...
Du bout des doigts, Ben souleva le menton de la jeune femme et scruta ses yeux avec
une grande intensité.
Juste à cet instant, la porte d'entrée s'ouvrit avec fracas. David Merriman se tenait sur
le seuil, une enveloppe à la main. Il fixa les deux silhouettes enlacées.
— Pardonnez-moi, Ellie, s'excusa-t-il. Liz et moi souhaitions vous remercier pour la
magnifique soirée d'hier. Avant de glisser ce carton sous la porte, j'ai quand même
voulu m'assurer que vous n'étiez pas là. Désolé de vous avoir dérangée.
David déposa l'enveloppe sur le guéridon et resssortit aussi précipitamment que s'il
avait eu le diable à ses trousses.
La soirée d'hier? La jeune femme ne parvenait pas à trouver un sens aux événements qui
s'étaient si rapidement succédé en un temps aussi bref. Il lui semblait qu'à la minute
même où Ben Congreve avait franchi le seuil de sa maison, un vent impétueux s'était
levé et avait tout balayé sur son passage. Pour la seconde fois, cet homme apportait le
trouble et le désarroi dans sa vie. Et elle savait jusqu'à quel naufrage il pouvait la
conduire.
Rassemblant les forces dont elle disposait encore, elle s'écarta lentement de Ben et
considéra le visage qui pendant des années avait obsédé ses rêves. Il fallait qu'elle
trouve le courage de lui dire de partir.
7.
— Je ne voudrais pas vous paraître désobligeante, Ben, mais j'ai vraiment beaucoup de
travail...
Ellie s'était appliquée à parler d'une manière naturelle, mais elle se rendait bien
compte que sa voix tremblait.
— Et vous voudriez que je parte... !
Il n'y avait aucune chaleur dans le sourire de Ben.
— C'est très étrange... j'ai constamment ce sentiment avec vous, depuis notre première
rencontre à Singapour..., reprit-il. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi je suis
toujours indésirable... D'habitude, les femmes ne fuient pas ma présence comme vous
semblez le faire.
Ellie avait toutes les raisons de le croire, mais...
— Je suis désolée, Ben...
Pourquoi aurait-elle dû s'excuser quand lui-même aurait eu cent motifs de le faire ?
— Oui, je sais, vous êtes très occupée et vous n'avez pas l'intention de nouer des
relations étroites avec qui que ce soit. Mais je sens bien qu'il y a d'autres causes à votre
froideur à mon égard. Peut-être êtes-vous fiancée avec David ? Cela expliquerait bien
des choses, mais dans ce cas, permettez-moi de vous dire...
Le sourire poli de Ben fit place à un rictus d'amertume.
— ... qu'à la place de votre cher médecin, je ne me serais pas contenté d'un petit mot
glissé sous votre porte en guise de remerciement pour un dîner... pas plus que je
n'aurais tourné les talons en vous trouvant dans les bras d'un autre homme.
— Je vous interdis de juger David Merriman. Il s'est montré très généreux à mon égard.
Connaissez-vous beaucoup d'hommes qui seraient prêts à accepter l'enfant d'un autre ?
Ben hésita et plissa les yeux.
— Non.
A l'évidence, les paroles d'Ellie suscitaient en lui maintes interrogations.
— Je suppose..., reprit-il, que bien des hommes hésiteraient. A mon avis, cela doit
dépendre de l'enfant, mais plus encore de la mère...
Ellie parvint à sourire et à hausser les épaules d'un air détaché.
— Sans doute s'agit-il d'un compliment. En tout cas, j'ai beaucoup apprécié ce déjeuner
et je vous en remercie, très sincèrement.
— Maman...
La voix plaintive de Charlie attira leur attention. Levant la tête, ils découvrirent que la
fillette était assise sur une marche au milieu de l'escalier.
— Charlie ! s'exclama sa mère. Que fais-tu là, ma puce? Allons, viens dire au revoir à
Ben. Il va s'en aller.
Ben. Il va s'en aller.
Déjà, la fillette se ruait en bas de l'escalier. Elle courut se jeter dans les bras de sa mère
et demanda d'une voix implorante :
— Si je dis que je regrette beaucoup, beaucoup, beaucoup ce que je t'ai dit tout à
l'heure, et si je promets d'être très, très, très sage tout le temps, est-ce qu'on pourra
aller à Disneyland avec Ben ? S'il te plaît, maman ?
La jeune femme serra les dents pour ne pas céder à la requête poignante de son enfant.
Et elle essaya de ne pas pleurer de frustration, de ne pas crier qu'elle aussi aurait voulu
aller à Paris avec Ben. Que c'était même ce qu'elle souhaitait le plus au monde.
— Chérie, je t'y emmènerai une autre fois, répondit-elle. On ira peut-être avec Wendy
et Linda.
— Ce serait plus rigolo avec Ben, rétorqua Charlie.
— Hé bien... je ne suis pas sûre que son invitation tienne toujours.
Pour la première fois depuis l'intervention de Charlie, Ellie osa risquer un regard vers
Ben qui ne broncha pas. Son silence et l'impassibilité de son visage incitèrent la fillette
à plaider sa cause elle-même.
— Ben, tu veux toujours qu'on aille à Disneyland avec toi ? Dis, tu veux bien nous
emmener?
Ben abaissa vers elle un regard impénétrable, jusqu'au moment où il n'arriva plus à
contenir son envie de rire.
— Si seulement toutes les femmes se montraient aussi simples et directes que toi quand
elles désirent quelque chose, Charlie Osborne, le monde serait beaucoup plus vivable,
décréta-t-il. Certaines sont tellement compliquées et bornées que c'en est désespérant.
Et voilà ! une fois de plus, il avait gagné, songea Ellie. Plus tard, alors qu'elle n'arrivait
pas à trouver le sommeil, elle prit conscience de la facilité avec laquelle elle avait
rendu les armes. Et ce constat la terrifia.

L'hôtel que Ben avait choisi pour leur séjour était l'un des plus prestigieux de Paris.
Ellie et Charlie partageaient une suite somptueuse : lits jumeaux immenses, salon avec
canapé et fauteuils de cuir, vaste salle de bains, armoires beaucoup trop grandes pour le
peu de vêtements qu'elles avaient apportés...
— Je reviens vous chercher dans... Ben jeta un coup d'œil à sa montre.
— Disons, une demi-heure. Vous serez prêtes ? On pourra prendre quelque chose en
bas, à la brasserie, avant d'aller à Disneyland. A moins que vous ne préfériez manger là
-bas?
Charlie scruta anxieusement le visage de sa mère.
— J'aimerais mieux qu'on aille tout de suite là-bas, répondit-elle. Et toi, maman ?
— Je suis de ton avis. Et on va se dépêcher pour arriver le plus tôt possible. Une demi-
heure, ça ira, Ben. Inutile de vous déranger. On se retrouvera en bas.
heure, ça ira, Ben. Inutile de vous déranger. On se retrouvera en bas.
— Parfait. Je suis à l'étage au-dessus. Chambre 302, au cas où vous auriez besoin de
moi...
Ils se retrouvèrent à l'heure convenue. Ben enveloppa Ellie d'un long regard qui fit
battre plus vite le cœur de la jeune femme, et elle se sentit soulagée quand il reporta
son attention sur Charlie.
— Je ne savais pas que je sortirais avec des sœurs jumelles, cet après-midi, dit-il d'un
ton enjoué.
— Cessez de raconter des stupidités, rétorqua Ellie. Quant à la fillette, elle battit des
cils puis considéra son chemisier de soie assorti à celui de sa mère.
— On n'est pas vraiment jumelles, déclara-t-elle. Mais maman est très jolie habillée
comme moi, tu ne trouves pas?
— Ma foi, je suis d'accord avec toi, acquiesça Ben. Avec des mines de conspirateur, il
ajouta :
— Toutefois, il faut que je te confie un secret : je la trouve très jolie quelles que soient
les tenues qu'elle porte.
Baissant encore un peu plus le ton, il poursuivit :
— Seulement, elle déteste qu'on dise des choses comme ça.
Ces compliments détournés mettaient Ellie mal à l'aise. Cependant, lorsqu'elle
rencontra son reflet dans l'un des miroirs du hall, elle fut bien obligée de partager l'avis
de Ben et de Charlie.
Cette longue femme mince, élégante, était-ce bien elle? Chevelure flamboyante, bouche
pulpeuse mise en valeur par un rouge prune nacré, regard intense souligné d'un trait de
crayon discret... Elle rayonnait d'un éclat dont elle n'avait pas eu conscience jusque-là.
La fillette — sa propre réplique en miniature — et l'homme, grand, athlétique, sûr de
lui qui les accompagnait, offraient une image aussi radieuse que celle que le miroir lui
avait renvoyée.
Surtout ne pas se laisser prendre au mirage des apparences aussi séduisantes fussent-
elles, mais redoubler de vigilance au contraire ! Cela dit, rien ne l'obligeait à bouder le
plaisir qu'on lui offrait aujourd'hui.
Disneyland. Ils mangèrent des hot dogs farcis d'oignons et arrosés de ketchup, burent
du Coca-Cola et s'époumonèrent à crier en chœur dans les manèges. Ils serrèrent les
mains de Mickey, de Minie, de Pluto et d'un tas d'autres personnages aussi chaleureux
les uns que les autres... Dans le RER qui les ramenait au centre de la capitale, ils se
promirent de revenir le lendemain, lorsque Ben en aurait terminé avec ses rendez-vous
professionnels.
— Tu dois être fatiguée, Charlie, dit l'écrivain en juchant la fillette sur ses épaules.
Un taxi venait de les déposer devant l'hôtel.
— Non, Ben, pas du tout, répondit la petite fille.
— Non, Ben, pas du tout, répondit la petite fille.
— Eh bien, tu es sûrement la seule à être en pleine forme. Car ta mère et moi sommes
épuisés.
— Moi, je suis pas du tout fatiguée, réaffirma Charlie en bâillant.
Quelques instants plus tard, Ellie poussait un soupir de soulagement en ouvrant la porte
de leur suite.
— Une bonne tasse de thé serait la bienvenue, dit-elle en ôtant ses chaussures.
Ben déposa Charlie sur le sol et appela le service d'étage. Ellie l'entendit commander
du thé, des sandwichs, du lait, des biscuits... Cette collation leur redonna de l'énergie,
mais leur laissa toutefois suffisamment d'appétit pour apprécier les mets raffinés et les
vins délicieux du restaurant de l'hôtel. Après dîner, ils allèrent flâner le long des
Champs-Elysées jusqu'au moment où
Charlie ne fut plus capable de poser un pied devant r autre. Alors, ils revinrent en taxi.
Ellie coucha sa fille puis rejoignit Ben qui l'attendait dans le salon de la suite. Il se leva
à son approche.
— Je me disais que nous pourrions aller prendre un verre au bar de l'hôtel. Vous savez
qu'il y a...
— Oh, non !
La réponse d'Ellie avait fusé sans qu'elle ait pris le temps de réfléchir.
— Non, répéta-t-elle. Je ne peux pas laisser Charlie seule dans un endroit qu'elle ne
connaît pas.
Ben se laissa retomber sur son siège. Ses yeux brillaient d'un éclat intense, presque
hostile.
— Je voulais justement vous dire que l'hôtel dispose d'un service de baby-sitting, et que
nous pouvons demander quelqu'un pour Charlie.
— Non, vraiment, je...
— Nous ne sommes pas obligés de rester longtemps... Ellie s'efforça de sourire malgré
la nervosité qui la gagnait.
— N'insistez pas, Ben, rétorqua-t-elle. De toute façon, je suis fatiguée.
Ben prit un air résigné.
— Je comprends. Ellie, je comprends...
Il s'apprêtait à quitter son fauteuil quand elle l'arrêta d'un geste. Après tout, n'avaient-
ils pas passé une journée merveilleuse grâce à lui ?
— Je ne vous mets pas à la porte. Ben. D'ailleurs, j'allais vous proposer... il y a tout ce
qu'il faut dans le minibar, vous savez... Pour ma part, j'aimerais quelque chose de frais,
de pétillant et de désaltérant...
Ben la considéra d'un air incertain tandis qu'elle s'affalait sur le canapé avec une
décontraction étudiée. Son ample jupe sombre retombait en plis fluides le long de ses
jambes et le décolleté de son mince chemisier laissait entrevoir la naissance de ses seins
jambes et le décolleté de son mince chemisier laissait entrevoir la naissance de ses seins
ronds. Sous le coup d'une pulsion, elle retira ses chaussures puis s'étendit sur les
coussins, adoptant innocemment une pose hollywoodienne. Elle voulait simplement le
mettre à l'aise. Mais il paraissait plutôt déconcerté...
— Quelque chose de frais, répéta-t-elle. S'il vous plaît, Ben.
Ben se leva enfin, alla dans le vestibule, et reparut peu après avec un plateau chargé de
deux coupes et d'une bouteille ventrue.
— Ben ! Voyons !
En une seconde, Ellie se redressa. Elle remit ses chaussures à la hâte, comme pour
témoigner de son bon sens recouvré.
— Je ne pensais pas à du Champagne, mais à quelque chose de très simple. Et puis, nous
ne pouvons pas boire cela à nous deux.
— Personne ne nous y oblige, rétorqua Ben.
Il lui tendit une coupe avec un sourire désarmant. Que faire sinon accepter?
— A vous, Ellie ! dit-il en la fixant intensément. Et à l'une des plus belles journées qu'il
m'ait été donné de vivre depuis... depuis très longtemps !
Ellie se tenait bien droite et soutenait son regard.
— Charlie n'oubliera jamais ce jour, j'en suis sûre. Merci encore...
— Et à tous vos secrets, Ellie ! Secrets que je ne désespère pas de percer un jour...
— A votre place, je consacrerais mon énergie à des choses plus intéressantes.
Elle se rassit et trempa ses lèvres dans le liquide pétillant, sans quitter Ben du regard. Il
s'installa en face d'elle dans un fauteuil, comme s'il avait mis un point d'honneur à
garder ses distances. Cette précaution aurait dû la rassurer. Mais, bien au contraire,
l'espace imposé par cette attitude fit naître en elle un intolérable sentiment de
frustration.
— Et vous, Ellie? Vous ne portez pas de toast?
— Non... Désolée, mais aucune idée ne me vient...
— Quel souvenir garderez-vous de cette journée ? Embarrassée, Ellie se mordilla les
lèvres, et but son
Champagne jusqu'à la dernière goutte.
— J'aurais dû savoir que ma question était inutile, reprit Ben. Mais je souhaitais
tellement entendre dire que pour vous aussi cette journée avait été l'une des plus
belles... Cependant je n'insisterai pas. Je vous ai vue rire et j'en déduis que vous vous
êtes bien amusée, ce qui me suffit amplement...
Elle protesta vivement :
— Bien sûr que je me suis amusée ! Je n'ai rien d'un bonnet de nuit, vous savez,
contrairement à ce que vous semblez penser.
— En tout cas, si j'avais des doutes à ce sujet, ils sont effacés maintenant.
Ben se leva et remplit de nouveau leurs coupes.
Ben se leva et remplit de nouveau leurs coupes.
— Je suis heureux que vous ayez apprécié cette sortie, déclara-t-il.
Après une brève hésitation, il reprit :
— Dites-moi, Ellie, depuis combien de temps vivez-vous seule avec votre fille?
— Mon mari est mort peu après la naissance de Charlie.
Autant se tenir le plus près possible de la réalité. Cela réduirait les risques de se couper
par la suite. En supposant qu'il y eût une suite à ses relations avec Ben Congreve.
— Cela a dû être très dur pour vous.
Il ne croyait pas si bien dire ! Dès l'instant où elle s'était aperçue qu'elle attendait un
enfant, la vie avait pris pour elle les couleurs les plus sombres. Sans la générosité de
Greg, qui sait ce qu'il serait advenu d'elle? A l'époque, l'angoisse l'avait poussée à
cacher sa grossesse à ses parents jusqu'au moment où il n'avait plus été possible d'en
garder le secret. Elle s'était même senti obligée de présenter à sa mère une version très
édulcorée de l'histoire. Pourtant, ses parents s'étaient montrés extrêmement
compréhensifs lorsqu'ils avaient appris la vérité.
— En effet, acquiesça-t-elle. Mais, s'il avait vécu, Greg aurait été très handicapé. Et il
l'aurait très mal accepté.
Elle poussa un profond soupir.
— Et Charlie? N'a-t-elle jamais regretté de ne pas avoir de père?
— Je lui parle de lui, bien sûr. Mais comme elle n'a jamais su ce que c'était que d'avoir
un papa, il lui manque probablement moins que nous ne l'imaginons. Mais je le
regrette pour elle, croyez-moi !
Ben se méprit probablement sur le sens de ces paroles, car il s'exclama d'un air
sincèrement désolé :
— Il doit vous manquer beaucoup !
Devant le silence d'Ellie, il se risqua à continuer :
— Et vous n'avez jamais songé à vous remarier? J'aurais pensé qu'une première union
heureuse vous aurait incitée à recommencer.
— En quoi une première union déciderait-elle de la suite de votre vie? Devrais-je
comprendre qu'après avoir été échaudé une fois, vous refuserez de prendre un autre
risque ? demanda-t-elle.
La causticité de la question modifia l'attitude de Ben. Pourtant, sa voix ne portait
l'empreinte d'aucune émotion lorsqu'il répondit :
— Eh bien, non, voyez-vous, pas forcément. D'ailleurs quelqu'un a dit, en évoquant les
seconds mariages, qu'ils étaient « le triomphe de l'espoir sur l'expérience ».
La citation inattendue amusa Ellie. Elle but une nouvelle gorgée de Champagne en
souriant. Ben reprit alors :
— Et... avec David Merriman, vous n'avez jamais été tentée de renouveler...
— Voyons, Ben ! Pourquoi vous obstinez-vous à ramener Merriman sur le tapis ?
— Voyons, Ben ! Pourquoi vous obstinez-vous à ramener Merriman sur le tapis ?
« Et à me culpabiliser, par la même occasion, d'être ici au lieu de m'occuper de mon
travail et de mes amis... », pesta-t-elle intérieurement.
Quand elle avait téléphoné à David pour lui parler de son voyage à Paris, il n'avait
guère manifesté d'enthousiasme. « J'ignorais que ce genre de distractions vous plaisait,
Ellie, sinon je vous aurais invitée moi-même », avait-il déclaré en substance.
Ellie fit tranquillement face à son ancien amant.
— David et Liz habitent le village depuis trois ans, et nous entretenons des relations
d'amitié. Rien de plus. J'ignore si David songe à se remarier ou non. Mais comme je
suis une femme discrète, je ne me suis jamais permis de l'interroger à ce propos. Je sais
seulement qu'il était très heureux en ménage et que la mort de sa femme — il y a
environ cinq ans — l'a profondément bouleversé. Alors, peut-être n'a-t-il pas envie de
s'engager avec une autre femme ? Des tas de gens peuvent se passer de sexe, vous savez
!
Quelle mouche l'avait piquée ? Elle aurait voulu ravaler ces derniers mots. Pendant le
silence qui suivit, elle guetta avec anxiété la réaction de Ben.
— Est-ce votre cas ? demanda-t-il enfin.
Il leva sa coupe et sembla s'absorber dans la contemplation de son contenu, puis scruta
de nouveau la jeune femme, attentif à une réponse qui tardait à venir.
Depuis sa remarque imprudente, Ellie ne pouvait que s'attendre à une telle question. Et
maintenant, elle aurait voulu crier sa rage. A cause de Ben Congreve, non seulement
Charlie avait-elle été privée d'un père, mais elle-même avait vécu sans l'amour d'un
homme. Et maintenant, ce même homme osait aborder ce sujet douloureux entre tous !
Par bonheur, elle parvint à feindre un mépris glacial.
— Qui vous dit que je m'en passe? rétorqua-t-elle. On peut avoir ce genre de relations
sans être marié, non ?
A sa grande satisfaction, une expression de surprise passa dans les yeux de Ben.
immédiatement suivie d'un éclair de colère. Il parut hésiter avant de répondre :
— Vous avez raison. Je me suis montré très indiscret. Je vous ai posé cette question
uniquement pour tenter de comprendre pourquoi vous mettez tellement d'acharnement
à me donner l'impression que ma compagnie vous est insupportable.
Ellie esquissa un geste de protestation, mais Ben poursuivit :
— Je me trompe ? Bon, disons que vous n'appréciez guère ma compagnie...
Une lueur d'amusement pétillait maintenant dans les yeux sombres dardés sur elle.
— Il y a tant de choses en vous, Ellie. Tant de choses à la fois mystérieuses et
familières qui m'intriguent, enchaîna-t-il. Je veux les découvrir, je veux savoir ce qui
m'attire aussi irrésistiblement vers vous... Je suis sûr que vous éprouvez le même
sentiment à mon .égard... Comme une certitude que nous étions destinés à...
Le laisser poursuivre sur cette voie devenait périlleux ! Avec une légère
Le laisser poursuivre sur cette voie devenait périlleux ! Avec une légère
condescendance, elle l'interrompit :
— C'est l'écrivain qui parle. Dans votre esprit, la vie imite l'art ou vice versa. Mais la
réalité est tout autre.
— Je ne parle pas de fiction.
Ben se pencha et lui toucha légèrement le bras.
— Il s'agit de votre vie et de la mienne, poursuivit-il. J'en suis convaincu. En revanche,
il y a une chose qui reste obscure dans mon esprit et que j'aimerais comprendre :
pourquoi, malgré votre hostilité à mon égard, êtes-vous ici, aujourd'hui ?
D'un mouvement d'épaules, Ellie dégagea son bras afin de se préserver d'un contact
trop dangereux.
— Pourquoi suis-je ici ? Quelle drôle de question !
Tout simplement parce que vous avez délibérément proposé à ma fille cette sortie à
Disneyland, et que je ne voulais pas la décevoir ! Il n'y a pas à chercher plus loin...
Ben ne se laissa pas plus intimider par ces paroles accusatrices que par le regard
indigné dont Ellie le foudroya. Il laissa s'écouler quelques secondes avant de reprendre :
— Voyons, Ellie ! Si vous teniez vraiment à faire plaisir à Charlie, il vous aurait été
facile d'organiser ce voyage vous-même, ou d'en charger un de vos amis, qui se serait
fait une joie de vous accompagner.
— Si vous faites allusion à David, autant le nommer franchement.
— En fait, je n'aime pas prononcer son nom. Sans doute parce que je suis follement
jaloux de cet homme.
Ellie n'en croyait pas ses oreilles.
— Qu'avez-vous dit?
— Vous avez parfaitement entendu. C'est un sentiment que je n'avais jamais éprouvé
jusque-là. Et j'ai du mal à m'y habituer, croyez-moi. Cela dit, j'attends toujours une
explication plausible à ma question : pour quelle raison êtes-vous ici, avec moi ?
Impossible de donner une réponse cohérente dans la situation inextricable qui était la
leur. Avouer la vérité? Impossible ! Quant à mentir... où cela pouvait-il la mener?
Autant hausser les épaules et feindre l'ahurissement. Devant son mutisme, Ben reprit,
sur le ton de la confidence :
— Eh bien, moi, je suis ici avec vous et Charlie parce que c'est le seul endroit au monde
où je souhaite me trouver aujourd'hui. Plus précisément, c'est votre présence qui me
comble de joie — bien que j'adore Charlie. Ellie, je suis ici parce que j'ai envie de vous.
C'est aussi simple que cela.
Lorsque Ben se pencha vers elle et prit ses lèvres, elle répondit à son baiser avec une
fougue passionnée. Il lui sembla qu'un génie les avait transportés sur cette plage des
Caraïbes où il l'avait embrassée pour la première fois. Les yeux clos, elle enfouit les
doigts dans les cheveux denses dont elle reconnaissait la texture soyeuse tandis que des
doigts dans les cheveux denses dont elle reconnaissait la texture soyeuse tandis que des
vagues de volupté assaillaient son corps.
Ben mit un terme à ce moment magique en la repoussant doucement, mais avec une
grande fermeté.
— Maintenant, Ellie, déclara-t-il avec une lueur narquoise au fond des yeux, ne me
dites pas que vous n'aspiriez pas à venir à Paris avec moi. Ce baiser, comme celui de
l'autre jour, raconte une tout autre histoire. Vous souhaitiez que nous soyons ensemble,
tout autant que moi. Votre fille n'est qu'un prétexte. Je suis donc en droit d'attendre des
explications. Et je vous jure que je finirai par les obtenir. Réfléchissez bien à cela avant
de vous endormir. Bonne nuit !
Sur ces paroles, Ben quitta la pièce.
Le cœur battant la chamade, malade de frustration, Ellie entendit le bruit sec de la
porte qui se refermait. Cet homme la désirait. Il le lui avait dit. Pourquoi ne l'avait-il
pas prise, alors, puisqu'elle n'avait rien fait pour cacher son propre désir?
8.
— Comme je vais être occupé pendant la plus grande partie de la matinée, vous
pourriez en profiter pour faire un tour aux Tuileries, suggéra Ben.
Il finit de boire son café tandis qu'Ellie, sans répondre, ajoutait une couche de confiture
sur son croissant. Ben commençait à l'énerver avec son flegme imperturbable. Après ce
qui s'était passé entre eux la veille, il aurait dû manifester de l'embarras. Mais non! Il
l'avait saluée comme si de rien n'était, sans même lui demander si elle avait bien
dormi. Or, justement, elle avait eu un mal fou à trouver le sommeil.
A cause de lui et de ses manières de goujat. Quand on éveillait le désir d'une femme, on
ne le laissait pas inassouvi. C'était une règle élémentaire de savoir-vivre, lui semblait-
il.
— On pourrait déjeuner ensemble quand j'en aurai terminé. Il suffirait qu'on se donne
rendez-vous quelque part.
— Oh ! oui, s'exclama Charlie, radieuse. On retournerait manger là-bas, avec les vrais
cow-boys.
— Si cela convient à ta maman, rétorqua Ben en jetant un regard vers la jeune femme.
Mais peut-être préféreriez-vous aller faire des courses, Ellie? Vous n'avez pas vu
grand-chose de Paris et puisque vous insistez pour repartir à Londres dès demain...
— En effet, acquiesça-t-elle machinalement. Je dois rentrer le plus tôt possible, avec
tout le travail qui m'attend...
En y réfléchissant, d'ailleurs, elle se demandait comment elle avait pu privilégier le
plaisir aux affaires. Cependant, un simple coup d'œil au visage anxieux de sa fille lui
rappela que ses propres sentiments ne devaient pas entrer en ligne de compte quand il
s'agissait du bonheur de Charlie.
— Oh, je ne pense pas que ça intéresse maman d'aller dans ces vieux magasins où on
vend rien que des vêtements ! s'exclama la fillette.
Ben lui demanda d'un air grave-
— Tu ne penses pas ce que tu dis, n'est-ce pas ? Tu crois vraiment que ta maman
aimerait mieux aller passer toute la journée à Disneyland ?
— Oh oui, affirma Charlie sans l'ombre d'une hésitation.
Ben reporta son attention sur Ellie.
— Voilà au moins une réponse nette et franche, vous n'êtes pas de mon avis ?
Naturellement, elle ne pouvait pas lui donner tort, et elle voyait très bien en quoi allait
consister le programme de la journée.
Manèges, attractions et autres spectacles occupèrent la mère et la fillette la matinée
entière. A midi, elles se rendirent au saloon où Ben devait les rejoindre. A peine
s'étaient-elles installées que Charlie s'écria :
s'étaient-elles installées que Charlie s'écria :
— Le voilà, maman !
La petite bondit de son tabouret et se rua vers Ben qui la souleva et la tint à bout de
bras ayant de la reposer à terre. La tête penchée vers l'enfant, il discuta avec elle en
riant pendant quelques instants. Puis, main dans la main, ils rejoignirent Ellie.
— Maman...
Charlie s'assit. Ses yeux brillaient d'excitation.
— Ben s'est presque trompé. En me voyant, il a cru que j'étais Jess et...
Jess? Sa nièce? Ellie fronça les sourcils. Si Ben trouvait une ressemblance entre la fille
de sa sœur et Charlie, cela devenait vraiment dangereux.
— Mon Dieu, rétorqua la jeune femme sur la défensive, il t'aura taquinée, voilà tout.
— Ellie?
Ben l'interrogeait de la voix et du regard. Mais, déjà, Charlie, inconsciente du désarroi
que ses paroles avaient suscité chez sa mère, reprenait le fil de son histoire.
— Ben a dit que Jess porte exactement les mêmes vêtements que moi.
Avec fierté, elle contempla son jean et sa chemise à carreaux et ajouta :
— Il dit que presque tout le monde s'habille comme ça dans le Montana.
— Ah, je vois..., murmura Ellie.
Soulagée, elle reporta son attention sur le menu.
Côtelettes d'agneau ou pigeonneau aux haricots? Ben, quant à lui, n'arrivait pas à
choisir tellement son esprit était ailleurs. L'expression de panique qui avait altéré les
traits d'Ellie ne lui avait pas échappé, et il s'interrogeait sur ce qui avait pu déclencher
en elle cette frayeur subite. Il posa sa main sur celle de la jeune femme.
— Vous allez bien, Ellie ?
— Bien sûr ! répondit-elle en arborant un large sourire. Nous avons passé une matinée
formidable, n'est-ce pas Charlie ? Pourquoi cette question ?
— En bien...
Ben fronça les sourcils.
— En vous regardant tout à l'heure, j'ai eu l'impression que des fantômes du passé
revenaient vous hanter. Mais oublions cela. Je meurs de faim. Pas toi, Charlie? ajouta-t-
il en se tournant vers la petite fille.
L'après-midi se déroula agréablement. Autant que la veille, le monde magique de
Disneyland captiva Charlie dont l'enthousiasme était communicatif. Tous trois
regagnèrent Paris juste à temps pour le dîner, qu'ils prirent comme la veille au
restaurant de l'hôtel.
— Dommage que nous soyons obligés de rentrer en Angleterre demain, tu ne trouves
pas, Charlie ? demanda Ben tandis qu'ils commençaient à manger.
— Oh ! si, acquiesça la fillette.
— Oh ! si, acquiesça la fillette.
Un regard de sa mère l'incita à tempérer sa réaction.
— Je me suis jamais si bien amusée, s'empressa-t-elle d'ajouter. Toutes mes petites
camarades vont être jalouses.
A l'évidence, cette pensée la faisait jubiler. Ben la considéra, le front plissé.
— Tiens, c'est étrange. Je croyais que tous tes camarades étaient allés à Disneyland.
C'est bien ce que tu nous avais dit, n'est-ce pas?
— Non ! répliqua la fillette avec aplomb.
Devant sa mauvaise foi, Ben et Ellie protestèrent en chœur :
— Oh ! si.
Et la jeune femme de lui rappeler :
— Tu nous as dit mot pour mot que tout le monde y était allé sauf toi.
— Ah, oui..., admit Charlie en rougissant. Je... je me suis un petit peu trompée. Ils y
sont allés mais pas tous...
Après cette explication embarrassée, Charlie consentit à mêler son rire à celui des
adultes. La conversation se reporta sur les attractions de Disneyland, jusqu'au moment
où Ben lança :
— Il y a une piscine dans les sous-sols de l'hôtel. Puisque nous partons demain matin,
j'ai pensé que nous pourrions aller nager juste avant le petit déjeuner. Qu'en dis-tu,
Charlie ?
— Génial ! s'exclama la fillette.
Ses yeux brillaient de joie lorsqu'elle se tourna vers sa mère pour demander :
— Je pourrais y aller, maman?
— Eh bien... c'est que... tu n'as pas apporté ton maillot de bain.
Ben les rassura aussitôt.
— Ce n'est pas un problème. Il y a un magasin qui vend tout ce qu'il faut...
— Et maman pourra venir aussi ?
— Bien sûr.
Le visage de Ben demeura impassible.
— Vous savez nager, j'imagine? s'enquit-il d'un ton parfaitement naturel.
Drôle de question de la part d'un homme qui l'avait autrefois comparée à une sirène !
— Oui, bien sûr. Mais...
Elle s'interrompit, cherchant désespérément une excuse pour ne pas les accompagner à
la piscine. Comment aurait-elle pu avouer sa répugnance à se montrer en Bikini devant
cet homme ?
— Cela ne me tente pas, c'est tout. Vous irez tous les deux pendant que je préparerai les
valises.
Quelque chose dans l'attitude d'Ellie intriguait Ben Congreve. Elle le déconcertait.
Soudain elle reprit :
Soudain elle reprit :
— Vous faites toujours de la voile, Ben ? Pourquoi cette question inconsidérée? se
reprocha-t-elle aussitôt. Jusqu'à présent, elle s'était bien gardée d'évoquer quoi que ce
soit qui eût pu éveiller les souvenirs de son ancien amant. Mais maintenant, qu'allait-il
se passer? Elle tremblait de crainte lorsqu'elle vit l'expression de Ben changer.
Il réfléchissait intensément. Les propos de cette femme étaient parfois étonnants.
— De la voile ? Je ne me souviens pas vous avoir dit que je pratiquais ce sport.
De nouveau, une vague de panique gagna Ellie.
— Ah bon? rétorqua-t-elle en feignant l'étonnement. Quelqu'un d'autre a dû m'en
parler, alors. Jenny ou Robert, sans doute...
Ben continuait de s'interroger.
— Non, cela m'étonnerait, déclara-t-il.
— Je l'ai peut-être lu dans un article qui vous était consacré...
Ben esquissa une moue dubitative.
— Comme vous vous targuez de n'avoir jamais entendu parler de Jonas Parnell, c'est
peu probable, continua-t-il. Mais, pour répondre à votre question, non, je ne fais plus
de voile. En vérité, je n'ai même pas le souvenir d'en avoir jamais fait...
Sur ces entrefaites, le serveur apporta les desserts, ce qui laissa à Ellie le loisir de
refléchir à cette surprenante déclaration.
Après quelques instants, Ben en revint au sujet premier de la conversation.
— Demain, je viendrai te chercher avant 8 heures pour aller à la piscine, Charlie,
déclara-t-il.
Devant le regard papillotant de la fillette, il poursuivit :
— Oh, j'ai l'impression que le marchand de sable est passé et qu'il est temps que tu
montes te coucher, sinon tu vas t'endormir sur ta mousse au chocolat. Tu sais à quoi je
pense? J'ai envie d'emmener ta mère faire une promenade dans Paris. Tu accepterais de
rester ici avec une baby-sitter?
— Heu... si elle est aussi gentille que Wendy, je veux bien, répondit Charlie.
— Ecoute, ma chérie, dit Ellie, nous ne trouverons pas quelqu'un d'aussi gentil que
Wendy, mais je suis sûre que la personne qui s'occupera de toi sera néanmoins très
gentille. Tout en étant différente, bien sûr. D'ailleurs, tu compareras toi-même et tu
nous donneras tes conclusions demain.
En dépit de ses réticences, Ellie avait accepté que Ben se charge de trouver une garde
pour Charlie. Lorsque la fillette eut lié connaissance avec la jeune Canadienne qui
devait veiller sur elle, Ellie enfila une veste par-dessus sa légère robe de soie et suivit
son compagnon.
La soirée était idéale pour une promenade romantique : ciel étoile, croissant de lune,
brise douce, reflets des lumières dans les eaux de la Seine...
Ils flânèrent le long des quais où des amoureux s'embrassaient sur chaque banc, puis
Ils flânèrent le long des quais où des amoureux s'embrassaient sur chaque banc, puis
s'accoudèrent contre un muret de pierre pour contempler le mouvement des bateaux qui
se croisaient sur le fleuve. Ben entoura de son bras les épaules de la jeune femme. Si
elle frissonna, ce fut d'excitation plus que d'appréhension. Et elle ne protesta pas
lorsqu'elle sentit la main familière se poser doucement sur sa hanche. Ils continuèrent
leur marche, tout en discutant tranquillement. Ellie s'émerveillait de découvrir Paris,
avec ces lieux magiques dont les noms l'avaient fait rêver: Notre-Dame, l'île de la Cité,
le Louvre, la Madeleine...
Ils venaient d'atteindre une rue déserte. Ben s'arrêta soudain et, d'un geste brusque,
obligea la jeune femme à lui faire face. Ce mouvement la surprit. Sans doute lut-il une
expression de crainte dans ses yeux car il murmura :
— Vous n'avez aucune raison d'avoir peur.
— Je n'ai pas peur, rétorqua-t-elle, les jambes flageolantes.
Du pouce, il effleura ses lèvres douces et pulpeuses. Elle ne put maîtriser leur
tremblement et se raidit, tous les sens en éveil.
— Il faut que je vous dise... mais vous le savez déjà, Ellie. Je ne vous veux aucun mal.
— Je n'ai pas peur de vous, je vous le répète.
Pourvu qu'il ôte sa main et que cesse ce contact dangereux. Sinon, comment
parviendrait-elle à feindre le détachement alors que les souvenirs du passé affluaient à
sa mémoire et éveillaient dans sa chair, dans son esprit, une foule d'émotions
dévastatrices ?
Et cette fois, elle ne pouvait incriminer qu'elle-même. N'avait-elle pas suivi cet
homme, les yeux grands ouverts, en connaissant le danger qu'il représentait? A cause de
sa folle, de sa persistante naïveté, elle se retrouvait aussi faible qu'autrefois, près de
succomber encore au charme redoutable...
— Ellie?
Les sourcils froncés, Ben scrutait son visage.
— Il faut que je rentre à l'hôtel, Ben, dit-elle précipitamment. Charlie a besoin de moi.
Autre mensonge. La baby-sitter lui avait inspiré une confiance totale.
Ben n'insista pas et se contenta d'appeler un taxi. Ils regagnèrent la place de la
Concorde en silence.
Quand ils arrivèrent, la jeune Canadienne regardait la télévision, lovée dans un fauteuil
du salon. Quant à Charlie, elle dormait à poings fermés dans la chambre voisine. Ellie
toucha le front de la fillette; rassurée de le sentir frais sous ses doigts, elle alla rejoindre
Ben qui remerciait la jeune fille et lui souhaitait bonne nuit.
Une fois seuls, ils s'assirent l'un en face de l'autre.
— Je suis désolée, murmura Ellie.
Elle détourna la tête pour échapper au regard intense posé sur elle et mordilla
férocement sa lèvre inférieure. Puis elle reprit d'une voix plus forte :
férocement sa lèvre inférieure. Puis elle reprit d'une voix plus forte :
— Mettez cela sur le compte du syndrome de la famille monoparentale. B semblerait
que le parent unique se sente toujours inquiet et coupable.
— Sauf quand il se trouve en Extrême-Orient...
— Qu'insinuez-vous par là?
— Je voulais simplement dire que vous laissez de côté vos scrupules quand vous
batifolez autour du monde pour affaires.
Sous l'accusation, Ellie blêmit.
— Si je ne « batifolais pas autour du monde pour affaires », pour utiliser votre
expression, je ne vois pas comment Charlie et moi pourrions survivre, rétorqua-t-elle
d'un ton tranchant. A moins de mendier l'aide de l'Etat... Est-ce là le conseil que vous
me donneriez?
— Mais non, bien sûr ! J'ai toujours pensé qu'il valait mieux se prendre en charge soi-
même.
La jeune femme perçut dans le regard de Ben une expression qui ressemblait à du
mépris. De quel droit la jugeait-il? N'avait-elle pas payé, seule, sa désertion...?
— C'est vous qui avez mis le sujet sur le tapis, reprit-il après un silence. Mon
commentaire m'a été inspiré par l'incohérence de votre comportement. Vous acceptez
de vous absenter pendant plusieurs jours d'affilée pour vous rendre à l'autre bout de la
planète et, ce soir, vous ne vous accordez même pas une heure pour flâner
tranquillement au bord de la Seine avec moi. Bon sang, Ellie, détendez-vous ! Soyez
vous-même, et pas seulement la mère de Charlie ! Je vais finir par croire que la
condition de martyre vous plaît.
Ces paroles la cinglèrent comme une gifle. Elle lutta contre le désir de les lui renvoyer
au visage, de lui rabattre sa superbe en lui assenant la vérité. Finalement, elle décida
d'emprunter une voie plus subtile pour l'amener à comprendre certaines choses.
Choisissant soigneusement chacun de ses mots dans l'intention de le blesser, elle
répliqua :
— Se soucier de son propre enfant n'est pas synonyme de martyre, Ben. Les gens qui le
croient et qui, sous ce prétexte, refusent d'être parents se trompent. Ils ne peuvent pas
comprendre. Avoir un enfant de quelqu'un que l'on aime jusqu'à la folie...
Une expression rêveuse illumina ses traits. Puis, avec un hochement de tête, elle reprit :
— Cela vous change complètement la vie. Vous n'êtes plus jamais la même personne.
Finis les jours de liberté et de frivolité, certes... Mais il y a tellement de
compensations... Naturellement, il faut avoir vécu cette expérience pour savoir ce que
c'est...
Ben ne réagit pas immédiatement. Il demeura assis, attentif à ses paroles. Son regard,
intense et concentré, ne l'avait pas quittée.
Le silence se prolongea, pesant, jusqu'au moment où Ben se leva.
Le silence se prolongea, pesant, jusqu'au moment où Ben se leva.
— Je vous crois, Ellie, vous êtes parfaitement convaincante, déclara-t-il. Mais cela
n'explique pas pour autant votre comportement étrange. Ce soir, vous avez accepté que
je demande une baby-sitter pour Charlie. Vous paraissiez même heureuse de sortir avec
moi. Jusqu'au moment où vous avez cédé à une panique inexplicable et où vous avez
voulu rentrer précipitamment. Alors je m'inquiète pour Charlie. Ne risquez-vous pas
de lui communiquer votre anxiété à force de la surprotéger de la sorte ?
Quand on l'attaquait sur son rôle de mère, Ellie voyait rouge. Piquée au vif par cette
nouvelle critique, elle ne laissa pas Ben achever sa phrase.
— Il y a quelques minutes, vous m'accusiez de batifoler autour du monde sans me
soucier de ma fille, et à présent, vous tenez le discours contraire. Il faudrait savoir...
Ben haussa les épaules et esquissa un léger sourire, comme pour lui signifier qu'elle
venait de marquer un point.
— Eh bien, disons que j'ai parlé sous le coup de la colère, admit-il en se dirigeant vers
la porte.
L'amertume se lisait sur son visage. Ellie le rattrapa et lui tendit spontanément une
main qu'il garda serrée dans la sienne.
— Oui, j'étais furieux contre vous, reprit-il d'une voix basse et troublante. J'étais hors
de moi, parce que vous avez interrompu une promenade romantique dans les rues d'une
ville merveilleuse pour retourner à l'hôtel, alors que j'aurais voulu que ce moment dure
toujours...
La proximité de cet homme, son parfum, l'intensité de son regard agissaient sur ses sens
comme un filtre magique.
— Il fallait que je m'assure..., commença-t-elle. Avant qu'elle n'eût fini de formuler
son excuse, les lèvres de Ben se posèrent sur les siennes. Elle ferma les paupières et
renversa la tête pour recevoir son baiser. Avait-il seulement idée de l'attrait irrésistible
qu'il produisait sur elle, lui qui semblait avoir tout oublié des îles du Vent...?
Tandis qu'il la tenait étroitement serrée entre ses bras, que leurs bouches unies
brûlaient d'un feu identique, qu'un même frisson parcourait leur corps, elle se demanda
s'ils n'avaient pas remonté le temps jusqu'à ce moment merveilleux où ils avaient fait
l'amour sur la plage de cette île paradisiaque... Le désir réprimé depuis si longtemps
éclatait en elle, tel un brasier sauvage.
— Ellie...
Leurs lèvres se séparèrent pour se retrouver aussitôt.
— Ellie..., reprit Ben dans un murmure. Pourquoi m'avoir fait languir pendant si
longtemps ? Depuis le premier jour, j'ai rêvé de cet instant.
Elle ne l'écoutait plus. Elle avait seulement envie de répondre à l'appel de ses sens
enflammés. Libérée de ses pudeurs farouches, elle s'offrait tout entière, la taille
cambrée, les seins gonflés, se soulevant au rythme saccadé de son souffle. La main de
cambrée, les seins gonflés, se soulevant au rythme saccadé de son souffle. La main de
Ben glissa plus bas, caressa son ventre, ses hanches, ses cuisses. Dès lors, la réalité, les
leçons du passé désertèrent son esprit. Sa respiration s'accéléra. Elle s'entendit
prononcer le nom de Ben, l'implorer... Mais soudain une voix enfantine résonna à ses
oreilles.
— Maman...
La porte de la chambre venait de s'ouvrir et une petite silhouette se tenait sur le seuil.
— Maman, répéta Charlie.
Bâillant et traînant l'ours en peluche que Ben lui avait acheté dans l'après-midi, elle
avait du mal à garder les yeux ouverts. Elle marcha vers eux d'un pas incertain,
visiblement peu troublée de voir sa mère dans les bras de Ben, et leur expliqua :
— J'ai fait un cauchemar.
Instantanément. Ellie s'arracha à l'étreinte de Ben et se précipita vers la fillette.
— Oh, ma puce !
Grâce à sa fille, elle avait retrouvé la raison, et elle l'en bénissait secrètement. Sans son
intervention — qui ne pouvait être qu'un signe du ciel —, n'aurait-elle pas commis la
même erreur qu'autrefois?
— Ma chérie...
Le cœur de la jeune femme menait une danse infernale dans sa poitrine ; ses sens
frustrés la torturaient. Mais elle ne voulait accorder d'attention qu'à sa fille.
— Je pense qu'il vaut mieux que vous partiez, Ben, dit-elle en caressant les cheveux de
l'enfant. Je vais recoucher Charlie. Cela risque de prendre du temps.
— Quel tableau touchant ! rétorqua-t-il.
La réplique était cynique, malgré le ton badin. C'était sa façon de lui faire comprendre
qu'après le baiser qu'ils venaient d'échanger, il ne se laisserait pas manipuler.
— Je ne suis pas parent, certes, reprit-il, mais je suis expert dans l'art de coucher les
enfants.
Il s'accroupit devant la fillette, et lui dit d'une voix douce :
— Allons, Charlie, laisse-moi te porter dans ton lit et te border. Sinon tu seras trop
fatiguée pour nager demain matin.
Docilement, la fillette le suivit dans la chambre où sa mère les accompagna. Quand
l'enfant fut couchée. Ben commença à lui parler de sa famille qui vivait dans un ranch
du Montana.
— Tu sais, là-bas, les fermes sont beaucoup plus grandes qu'en Angleterre, expliqua-t-
il. Et en hiver, il y a beaucoup de neige. Tout le monde se déplace à skis. As-tu déjà fait
du ski, Charlie ?
— Non. Une fois, j'ai fait de la luge avec maman, c'est tout.
— Eh bien, tu apprendras. Je suis sûr que ça te plaira. Peut-être qu'un jour tu viendras
nous rendre visite. Et avec Jess. tu...
nous rendre visite. Et avec Jess. tu...
Si Ellie laissait Ben continuer sur cette voie, dans une minute il fixerait la date et
l'heure du vol. Il fallait arrêter ce petit jeu et ne pas laisser Charlie rêver plus
longtemps. Et tant pis, si, une fois de plus, elle endossait le rôle de rabat-joie.
— Il est temps de dormir, maintenant, ma puce. Dis bonsoir à Ben...
— Bonsoir, Ben.
Déjà les paupières de la fillette se fermaient. Elle trouva juste la force d'ajouter :
— A demain matin à la piscine. On fera la course et c'est moi qui gagnerai.
Ben lui caressa les cheveux.
— Je viendrai te chercher, promit-il. Bonne nuit, petite championne. Dors bien.
Sa voix était paisible, rassurante. Ellie aurait voulu l'écouter encore et encore. Mais
elle avait conscience de sa vulnérabilité et préféra escorter Ben jusqu'au hall.
— Je serai là vers 8 heures, Ellie. Si, d'ici là. vous changez d'avis, venez donc nager
avec nous.
— Merci, Ben. Mais je crois que je profiterai de ce moment pour boucler les bagages.
Toutefois, si j'ai fini avant que vous ne soyez remontés, j'irai vous rejoindre.
— Parfait.
La main de Ben atteignit la poignée de la porte.
— Eh bien, bonne nuit, Ellie. Mais n'imaginez pas que vous vous débarrasserez de moi
aussi facilement.
Nous avons commencé quelque chose ici même... que votre fille a interrompu.
N'essayez plus de me persuader que vous êtes immunisée contre les émotions qui
gouvernent le reste de l'humanité. Le petit interlude que nous avons vécu indique le
contraire, sans l'ombre d'un doute.
Ben se pencha vers Ellie. Affolée, elle crut qu'il l'embrasserait comme tout à l'heure.
Mais ses lèvres ne firent qu'effleurer les siennes avant qu'il ne reprît :
— Je me suis montré très patient. Mais je ne tarderai pas à vous prouver combien vous
vous êtes trompée en pensant me décourager.
Ces dernières paroles résonnèrent comme une menace dans la tête de la jeune femme,
longtemps après que Ben s'en fut allé.
9.
Ellie plia sa chemise de nuit et la rangea machinalement dans sa valise. Depuis qu'elle
s'était levée, elle agissait à la manière d'un automate, l'esprit entièrement concentré sur
la décision qu'elle avait arrêtée.
Quand Charlie et elle auraient regagné Little Transome, la vie reprendrait son cours.
Ce voyage à Paris serait relégué au fond de sa mémoire, comme n'importe quel autre
souvenir. Telle était la conclusion à laquelle elle était arrivée après une nuit
d'insomnie.
— Maman !
Charlie arrivait en courant.
— Maman ! Tu aurais dû venir avec nous ! Tu aurais été fière de moi. Ben m'a appris à
plonger. Il faut recroqueviller ses doigts de pieds sur le bord de la piscine et, après, on
tombe la tête la première. Et tu sais quoi ?
Charlie émit un gloussement. Avec des minauderies, elle leva les yeux vers Ben qui
arrivait sur le seuil et continua :
— J'ai presque — presque — perdu mon Bikini dans l'eau.
— Oh!
Ellie jeta un regard amusé à Ben.
— Oui, nous avons frôlé la catastrophe, reconnut-il. Je savais que ce maillot était trop
grand pour elle et je le lui avais fait remarquer mais...
— Les autres étaient moches, expliqua la fillette. Y avait que celui-là qui me plaisait.
Maintenant, je vais sécher mes cheveux. Tu viens m'aider, maman?
— Attends-moi. J'arrive tout de suite.
Ellie remarqua soudain l'air soucieux de Ben, et son sourire s'estompa.
— Tout s'est bien passé avec Charlie ? demanda-t-elle.
— Elle a été adorable, vraiment.
Pourtant il fronçait les sourcils et semblait très préoccupé. Comment savoir ce qui le
tracassait? Quand il était venu chercher Charlie, il paraissait tellement détendu !
— Ecoutez, Ellie, reprit-il, il faut que j'aille boucler mes bagages. Descendez prendre
le petit déjeuner avec Charlie sans m'attendre. Je vous rejoindrai. J'ai un ou deux coups
de fil à passer.
Sur ces mots, il s'éclipsa précipitamment. Qu'est-ce qui avait modifié son humeur? Elle
essaierait de le savoir par Charlie...
Le bavardage de la petite ne lui apporta aucun élément de réponse. « Ben a fait ceci, Ben
a dit cela... » Pendant que sa mère faisait glisser le sèche-cheveux le long de ses boucles,
la fillette rapportait les faits et gestes de son nouvel ami avec une admiration manifeste.
— Ben a dit qu'il avait une grande, une immense piscine dans sa maison, en Californie.
— Ben a dit qu'il avait une grande, une immense piscine dans sa maison, en Californie.
C'est juste à côté de l'océan, maman, et quelquefois, on voit des baleines quand c'est
l'époque des bébés.
L'adoration que Charlie portait à cet homme finissait par exaspérer Ellie. D'un ton
sarcastique, elle répliqua :
— Ton Ben a bien de la chance.
— Tu ne l'aimes pas, maman?
— Mmm... Si. si, je l'aime bien. Pourquoi me demandes-tu cela ?
— C'est... parce que je croyais... quand tu parles de lui. tu n'as pas l'air contente. Moi
c'est lui que j'aime le plus au monde. Après toi et Mamie !
— Eh bien, tant mieux. Maintenant que tes cheveux sont secs, nous allons descendre
manger quelque chose. Tu ne voudrais pas faire attendre Ben, n'est-ce pas ?
En fait, elles avaient presque terminé leur petit déjeuner quand ce dernier vint les
rejoindre. Après un regard noir à Ellie, il passa sa commande.
— Avez-vous fini vos bagages, Ben? demanda la jeune femme.
— Oui, répondit-il sèchement.
A l'évidence, quelque chose le chagrinait. Quelqu'un l'avait-il contrarié? Regrettait-il
d'avoir dépensé autant d'argent dans ce voyage à Paris ? S'il avait espéré en tirer
certains bénéfices, certes il s'agissait d'un mauvais investissement...
— Je suppose que vous souhaitez partir le plus tôt possible, dit Ellie. Allons, Charlie,
viens, ma puce. Tu es toute barbouillée de confiture. On ajuste le temps d'aller laver ta
frimousse pendant que Ben finit son petit déjeuner.
Au cours du voyage de retour, la jeune femme eut l'impression que Ben évitait de lui
parler. Il ne s'adressait qu'à Charlie, pour une raison qui lui échappait. Mais peut-être
était-ce mieux ainsi.
En effet, si Ellie avait eu le don de lire dans ses pensées, elle en eût été horrifiée. Car
depuis ce malencontreux bain de dernière minute à la piscine de l'hôtel, un doute
épouvantable rongeait Ben Congreve. Un soupçon, qui, s'il était confirmé, gâcherait le
reste de son existence. Pis encore, si ce qu'il redoutait se révélait exact, le souvenir qu'il
gardait de son père serait irrémédiablement entaché.
Ils étaient arrivés à Londres. Ben prit la route du Sussex et Charlie ne tarda pas à
s'endormir.
— Quels sont vos projets, Ben? demanda Ellie. Repartirez-vous aux Etats-Unis tout de
suite?
— Non. J'ai une ou deux choses à régler avant.
— Je vois.
En fait, la jeune femme ne voyait rien du tout.
— Et j'ai besoin de votre aide, ajouta-t-il.
— Dans la mesure où cela m'est possible... naturellement...
— Dans la mesure où cela m'est possible... naturellement...
— Nous en discuterons plus tard. On ne peut pas avoir une conversation sérieuse dans
une voiture.
Le ton incisif n'admettait pas de réplique. Ellie tourna la tête et se tint coite jusqu'à la
fin du voyage.
Little Transome. La voiture s'arrêta devant la maison. Ben déchargea les bagages et les
monta dans les chambres tandis que la jeune femme s'occupait de Charlie. Elle coucha
la petite sans la dévêtir de crainte de la réveiller.
— Puis-je utiliser votre téléphone ? demanda Ben.
— Bien sûr.
D'un geste de la main, Ellie lui indiqua l'appareil et fila dans la cuisine préparer le thé.
Elle eut alors l'agréable surprise de trouver sur la table des baguettes de pain frais, du
fromage de Brie, des fruits... Précieuse Wendy, songea-t-elle avec gratitude. Elle avait
tout prévu pour leur retour.
— Je viens de téléphoner au Red Cow. J'ai retenu une chambre pour cette nuit.
A ces mots, Ellie rougit puis pâlit, rougit de nouveau, en proie à des émotions
contradictoires. La joie de savoir le départ de Ben retardé et le danger que représentait
ce délai se télescopaient dans sa tête.
— Je... vous auriez pu dormir ici, finit-elle par dire.
— Et votre réputation? Y avez-vous pensé?
— Je crains que le mal ne soit déjà fait. On est très puritain à Little Transome, vous
savez. Alors ma réputation est d'ores et déjà entachée. Et pour toujours.
— Vraiment?
— Vraiment. Dans l'esprit des gens d'ici, une veuve qui se rend à Paris en compagnie
d'un écrivain célèbre n'en revient pas indemne. Ce qui est une parfaite aberration, n'est-
ce pas? On méjugera sévèrement, sans savoir les efforts que j'ai faits pour ne pas
mériter cet opprobre.
— Dommage, dans ce cas, que Charlie se soit réveillée, hier soir.
Sous le regard aigu qui fouillait le sien, Ellie rougit de nouveau jusqu'à la racine des
cheveux.
— Si David vous voyait en ce moment, reprit Ben, il ne croirait pas un instant à votre
innocence. Alors il eût mieux valu... Bref, nous avons perdu une belle occasion...
Cette fois, la jeune femme se sentit blêmir.
— Cette occasion n'existe que dans votre tête, rétorqua-t-elle avec aplomb. En réalité,
vous aviez tout planifié. Et maintenant, vous ruminez votre amertume parce que vous
avez échoué dans vos projets. Vous avez dépensé beaucoup d'argent pour Charlie et
moi, j'en suis bien consciente. L'idée de vous devoir quelque chose m'est tellement
insupportable que je tiens à m'acquitter de ma dette. Dites-moi combien je vous dois.
Le visage de Ben était devenu livide. Il avait les mâchoires crispées et une lueur de
Le visage de Ben était devenu livide. Il avait les mâchoires crispées et une lueur de
colère brillait dans ses yeux.
— Je ne m'abaisserai pas à répondre à cela, répliqua-t-il d'un air méprisant.
Il se dirigea vers la porte.
— Mais nous ne sommes pas quittes pour autant. Il ne s'agit pas d'argent, sachez-le.
Tout ce que je vous demande maintenant c'est de m'aider à éclaircir une certaine zone
d'ombre. Je reviendrai ce soir, Ellie.
Elle le suivit dans le hall.
— Pourquoi vous sauvez-vous? J'allais faire du thé, et Wendy a laissé de quoi manger...
— Eh bien, je vous souhaite bon appétit.
A cet instant, Charlie apparut en haut de l'escalier. En les apercevant, elle dévala les
marches.
— Ben, tu ne t'en vas pas, dis?
D'une voix soudain radoucie, il répondit en lui souriant :
— Si, je m'en vais. Mais si je peux, je reviendrai ce soir. Ta maman et moi devons
discuter de choses sérieuses. Alors, ce serait une idée géniale si tu te couchais très tôt.
— Oh, maman ! Je viens de me réveiller et on veut déjà me renvoyer au lit.
La fillette implorait sa mère du regard.
— Si tu faisais un petit effort pour te montrer conciliante, ma chérie. Cela nous
rendrait service. Et puis, tu t'es bien amusée à Disneyland, grâce à Ben...
Ignorant le regard cynique de ce dernier, la jeune femme continua :
— Puisque vous ne pouvez pas rester pour déjeuner, Ben, à quelle heure dois-je vous
attendre ?
— J'essaierai d'être là tout de suite après le dîner. Sans un mot de plus, il sortit.
La mère et la fillette entendirent la voiture s'éloigner.
Pendant le reste de la journée, Ellie s'activa dans la maison. Puis elle décida de jeter un
coup d'œil sur les nouveaux modèles qu'elle avait conçus avant son escapade à Paris.
Malgré ses efforts pour se concentrer sur son travail, son esprit dériva bientôt vers Ben.
En se refusant à lui, que cherchait-elle sinon à le punir? Et, par ce jeu pervers, ne se
punissait-elle pas elle-même ?
Pourtant, son désir de vengeance était justifié. Pas tellement parce que son amant l'avait
abandonnée en plein désarroi — il y avait longtemps qu'elle avait surmonté cette
épreuve. Mais parce qu'il ne l'avait même pas reconnue ! Elle aurait pu concevoir qu'il
ait oublié leur aventure. Mais qu'il se trouve en face d'elle, sans le moindre souvenir,
charmeur, et même entreprenant... Cela revenait à nier son existence même ! C'était
intolérable !
Les coudes posés sur sa table de travail, le visage enfoui dans ses mains, elle ruminait
ces idées déprimantes lorsque Charlie arriva en trombe dans la pièce.
— Maman!
— Maman!
Relevant la tête, elle vit la frimousse excitée de sa fille.
— Tu n'as pas entendu le téléphone, continua Charlie. J'ai répondu et j'ai bien fait parce
que c'était pour moi. Tu sais, maman, Jane veut que j'aille manger chez elle et dormir
dans sa maison, ce soir.
— Oh, Charlie, tu es si fatiguée...
— Mais, j'ai déjà dormi aujourd'hui... et puis on se couchera tôt. Et puis la maman de
Jane viendra me chercher, tu n'auras à t'occuper de rien... et comme ça tu pourras
t'avancer dans ton travail... et tu pourras discuter avec Ben et...
Que répondre à d'aussi pertinents arguments? Ellie donna son accord sans discuter
davantage.
Quand Charlie eut quitté la maison — après un cérémonial d'adieux plus approprié à un
voyage au pôle Sud qu'à une absence d'une nuit —, la jeune femme s'octroya un peu de
détente. Elle prit une douche et se lava les cheveux. Puis elle revint dans son bureau.
Pas plus que tout à l'heure, elle ne pouvait focaliser son attention sur son travail.
Excédée, elle se mit à arpenter la pièce. Bon sang, ce qu'elle avait à faire n'était
pourtant pas compliqué : il s'agissait seulement de décider si elle devait
commercialiser une ligne de vêtements sophistiqués, réalisés en quantité limitée. La
matière — dentelle et soie — coûtait très cher. Ce qui impliquait un prix de vente
beaucoup plus élevé que les autres créations de Wooly. Existait-il une clientèle
potentielle pour ce marché? Elle se sentait incapable de répondre à cette question.
Sans cesser de bougonner, elle alla décrocher de son cintre le prototype qui lui posait
tant de problèmes. Elle connaissait ses propres mensurations au millimètre près et
testait toujours ses modèles sur elle-même.
Aujourd'hui, il fallait qu'elle sût exactement l'effet que produirait cette tenue dans une
soirée. Elle commença donc par se maquiller — une touche de rouge à lèvres, un peu de
mascara, du blush sur les pommettes... — puis revêtit la robe courte, arachnéenne, et
enfila des bas opaques. Elle chaussa ensuite des escarpins assortis.
L'image que lui renvoya le miroir mit fin à toutes ses interrogations. Demain, elle
donnerait des instructions pour que l'on démarrât la fabrication de cette délicate petite
merveille de raffinement. Elle avait eu raison d'oser le mélange d'argent et de noir...
Déjà, elle envisageait d'autres versions : noir et pourpre, noir et muscade... Oui, le
résultat la satisfaisait au-delà de ses espérances.
Elle fronça les sourcils. N'avait-elle pas légèrement grossi ? La robe moulait un peu
trop ses formes, lui semblait-il. Du plat de la main, elle rectifia le tombé du tissu sur
ses hanches... Non, finalement, le vêtement lui allait à la perfection.
Elle n'avait pas l'habitude de porter des tenues aussi courtes. En lui faisant remarquer
qu'elle fréquentait des amis plus âgés qu'elle, Ben n'avait-il pas voulu insinuer que sa
garde-robe était trop sérieuse pour une jeune femme? Peut-être avait-il raison? A vingt-
garde-robe était trop sérieuse pour une jeune femme? Peut-être avait-il raison? A vingt-
sept ans, on pouvait montrer ses jambes, surtout lorsqu'elles étaient longues et bien
galbées.
Il n'y avait rien à redire sur le décolleté rond et net, ni sur les manches qui se
terminaient aux coudes par un petit volant. Finalement, cette robe se suffisait à elle-
même, songea-t-elle avec plaisir. Inutile de l'alourdir par des bijoux. A part des boucles
d'oreilles en argent, peut-être? Par exemple celles que Wendy lui avait rapportées du
Portugal, l'année dernière... Pour les mettre en valeur, elle noua ses cheveux en
chignon, ce qui dégageait joliment sa nuque fine.
Cette fois, rien ne manquait, constata-t-elle avec une satisfaction toute professionnelle.
Elle aimait ces périodes de mise au point de ses futurs modèles et se prit à rêver à des
succès prochains. Quand tout à coup un crissement de pneus déchira le silence. Un
sentiment de panique l'envahit. Elle courut à la fenêtre, vit Ben s'avancer vers l'entrée,
puis l'entendit sonner.
Vite, elle devait enlever sa robe. Mais la fermeture Eclair refusa de coulisser. Elle
s'arrêta pour reprendre son souffle et recommença à tirer. En vain. Et Ben qui devait
s'impatienter derrière la porte... Quand la sonnerie cessa, la jeune femme comprit que
son visiteur était entré sans attendre qu'elle vînt lui ouvrir. Dès lors, elle n'eut plus
d'autre choix que de le recevoir dans cette tenue.
— J'arrive! cria-t-elle.
Elle commença à descendre l'escalier lentement, en essayant de se tirer au mieux de la
situation. Mais, sous le regard aussi moqueur qu'attentif de Ben, ses jambes se mirent à
trembler. Et si elle avait espéré découvrir dans ses yeux une étincelle d'admiration, elle
en fut pour ses frais.
— Ben..., commença-t-elle en prenant une longue inspiration.
Rassurée par la fermeté de sa voix, elle continua :
— Vous êtes en avance !
— Ma chère, je suis touché par les efforts que vous avez faits pour me plaire.
Il la détaillait de la tête aux pieds.
— Ces « efforts », comme vous dites, ne vous étaient pas destinés, Ben, rétorqua-t-elle,
mortifiée. Je prépare ma future collection.
— Ah... Je vois.
— Quoi qu'il en soit, voulez-vous boire quelque chose ?
Elle précéda son visiteur dans le salon, se félicitant d'avoir pris le temps d'allumer du
feu dans la cheminée, et l'invita à s'asseoir. Comme elle tendait la main vers une carafe
de vin, il l'arrêta d'un geste.
— Non. Pas pour moi.
— Bon, je n'insiste pas.
Quand elle se fut installée près de l'âtre, elle réprima l'envie qu'elle avait de tirer sur sa
Quand elle se fut installée près de l'âtre, elle réprima l'envie qu'elle avait de tirer sur sa
jupe. De toute façon, elle ne parviendrait pas à cacher ses longues jambes, et alors? Elle
les croisa négligemment et s'appuya contre le dossier de son fauteuil, en prenant un air
détendu. Pourtant, son cœur tambourinait sur un rythme fou dans sa poitrine.
— Vous vouliez me parler, Ben ?
Après tout, mieux valait prendre les devants.
— Est-ce que Charlie dort? s'enquit-il à voix basse.
— Une camarade l'a invitée à passer la nuit chez elle.
— Parfait. Ainsi, nous ne serons pas dérangés. Et puis, elle n'est pour rien dans tout
cela, la pauvre petite.
Ellie posa sur Ben un regard interrogateur.
— De quoi parlez-vous, Ben?
— Dites-moi, Ellie...
Ben s'interrompit, comme s'il avait eu de la difficulté à trouver ses mots. Son
expression trahissait une tension extrême. Finalement, il se décida à formuler ce qui le
tourmentait.
— Avez-vous eu une liaison avec mon père? Une liaison longue et passionnée?
La jeune femme eut l'impression que le plafond s'effondrait sur sa tête.
— Je..., balbutia-t-elle.
Incapable de mettre de l'ordre dans les idées qui se bousculaient dans son esprit, elle
porta une main à son front et ferma les yeux un instant.
— Si j'ai... quoi?
Ben paraissait horriblement gêné, maintenant. Humilié, peut-être. Il se leva et marcha
jusqu'à la fenêtre où il demeura longuement, les poings au fond des poches, semblant
fixer quelque chose au-dehors. Cette attitude le rendit pathétique aux yeux d'Ellie. Il se
retourna enfin.
— Je ne vous demande rien d'autre, Ellie, mais j'ai besoin de savoir... il faut que vous
me libériez de ce doute... Charlie est-elle ma demi-sœur?
Ellie se leva à son tour. Telle une somnambule, elle marcha dans sa direction.
Après quelques secondes qui lui parurent une éternité, les paroles de Ben
commençaient à prendre tout leur sens. Alors, la colère la saisit. Elle se jeta sur lui et se
mit à le frapper de toutes ses forces.
— Comment osez-vous... ? Surtout vous...
Sa voix se brisa. Des sanglots lui étreignaient la gorge. Elle recula lentement jusqu'à la
cheminée et se pencha vers l'âtre. Hébétée, elle contempla les flammes qui assaillaient
les bûches. Quand elle entendit les pas de Ben se rapprocher, elle ne bougea pas et lui
demanda sans un regard :
— Et maintenant, voulez-vous quitter ma maison, s'il vous plaît?
— Oui. Je vais partir, rassurez-vous. Et nous ne nous reverrons plus jamais si c'est ce
— Oui. Je vais partir, rassurez-vous. Et nous ne nous reverrons plus jamais si c'est ce
que vous souhaitez. Mais avant, pour la paix de mon esprit, je dois obtenir une réponse
à ma question, Ellie.
— C'est une insulte aussi bien pour moi que pour votre père.
— Je ne considère pas cela comme une réponse.
La voix de Ben s'était raffermie, comme s'il s'était préparé à une discussion âpre. Alors,
la jeune femme trouva la force de relever la tête.
— Ecoutez, rétorqua-t-elle, c'est uniquement pour mettre un terme à une situation
infâme que j'accepte de répondre à une question aussi blessante. Jamais je n'ai rencontré
votre père. Et si vous doutez de ma parole, demandez-le-lui.
— Impossible. Il est mort l'année dernière.
— Désolée, mais...
Un sanglot empêcha Ellie de terminer sa phrase. Tout devenait trop laid. Trop sordide.
Des larmes lui montèrent aux yeux, qu'elle refoula, pour ne pas offrir à Ben le spectacle
de son désarroi.
— Maintenant, laissez-moi, parvint-elle à dire. Je veux être seule.
— Ellie...
Ben tendit le bras vers elle. Il semblait vouloir l'apaiser, mais elle l'évita et se laissa
tomber dans son fauteuil.
— Ellie, pardonnez-moi si je vous fais du mal. Vous connaissez mes sentiments à votre
égard, n'est-ce pas? Mais, depuis ce matin, le doute me ronge et je veux comprendre :
quand j'ai vu Charlie... au moment où elle a failli perdre son maillot... J'ai remarqué
une marque de naissance sur sa cuisse.
Ellie considérait Ben, se demandant où il voulait en venir.
— En effet. Elle est née avec une tache en forme de feuille en haut de la cuisse.
— Une minuscule feuille d'érable.
La jeune femme acquiesça d'un hochement de tête.
— On trouve la même marque chez les Congreve depuis plusieurs générations,
continua Ben.
Pendant le silence qui suivit. Ellie crut que son cœur allait se rompre tellement il
battait fort.
— Ma sœur a hérité de cette marque, reprit Ben. Ses deux enfants aussi.
Affectant un air détaché, la jeune femme demanda :
— Et alors ?
— Et alors... la question que je pose est : avez-vous des liens avec ma famille ? Il est
très important pour moi de le savoir.
— Puisque je vous ai affirmé n'avoir jamais rencontré votre père, je ne vois pas
pourquoi vous persistez dans votre inquisition.
— Avouez qu'il y a quelque chose de troublant. Nous nous sommes connus chez Robert
— Avouez qu'il y a quelque chose de troublant. Nous nous sommes connus chez Robert
Van Tieg, un ami de mon père. Et, dès l'instant où je vous ai vue, j'ai eu un sentiment
étrange, comme si quelque chose en vous m'était familier...
— Il s'agit là de pur hasard. Ce genre de coïncidences arrive tout le temps. Je suis sûre
que vos romans en sont pleins.
— Nous parlons de faits réels, non de fiction.
— Je vais vous donner un conseil, Ben : si vous tenez vraiment à la tranquillité de votre
esprit, vous devriez laisser tomber vos investigations.
Quel diable l'avait poussée à prononcer ces mots? N'allait-il pas tout deviner? Mais,
déjà, son compagnon répliquait :
— Ainsi, j'avais vu juste. Vous et mon père...
— Je vous répète que votre père n'a rien à voir là-dedans.
Elle se leva et commença à arpenter la pièce d'un pas nerveux puis reprit :
— Si le doute vous empêche de dormir, cherchez plus près de vous.
Elle s'arrêta soudain, lui faisant face. Ils se dévisagèrent un instant en silence, les traits
empreints de la même anxiété.
— Continuez. Ellie. ordonna-t-il. Nous ne pouvons en rester là. Que cherchez-vous à
insinuer?
— Pour l'amour du ciel, êtes-vous aveugle?
Un soupçon d'hystérie dans la voix, elle se fit plus incisive :
— Ou peut-être refusez-vous de voir la réalité ? Il est vrai que vous l'avez toujours
fuie...
— Ellie.
Ben l'observait, d'un air à la fois grave et déterminé. Elle comprit qu'il n'y avait pas
d'échappatoire et qu'elle devrait aller jusqu'au bout.
— Charlie est votre fille, annonça-t-elle. La vôtre et la mienne. Et le drame, c'est que
vous ne vous rappelez même pas comment c'est arrivé.
Ils se regardèrent intensément. Les traits de Ben étaient marqués d'une expression de
stupeur, tandis qu'Ellie luttait contre les larmes... Jusqu'au moment où elle éclata en
sanglots.
Spontanément, elle chercha refuge contre la poitrine de Ben tandis qu'il l'enlaçait
tendrement. Et lorsqu'il posa sa joue sur ses cheveux, elle éprouva un sentiment
d'apaisement comme si ce geste avait effacé toutes les années de désolation passées.
10.
Les bras de Ben resserrèrent leur étreinte. Il pressa plus étroitement sa joue contre les
cheveux parfumés d'Ellie, l'esprit torturé par ce qu'elle venait de dire. Tout cela
paraissait tellement énorme, tellement absurde... Cependant, si c'était la réalité, bien
des choses s'expliqueraient aujourd'hui... Le trouble étrange qui l'avait submergé au
moment où il avait posé les yeux sur elle à Singapour, l'émotion qui le terrassait
maintenant... Et puis, il y avait ce vide dans ses souvenirs, ce pan entier de son
existence qu'il ne connaissait que par procuration. Les dates correspondaient, Charlie...
Mais il avait infligé une telle épreuve à cette femme ! Pourrait-elle jamais le lui
pardonner?
Il se détacha d'elle, lui prit les mains et la fit asseoir sur le canapé. Avec des gestes
empreints de tendresse, il essuya les larmes de son visage, puis lui tendit son mouchoir.
— Ellie.... murmura-t-il.
En voyant l'expression grave de ses yeux sombres, elle comprit qu'un profond
sentiment de culpabilité l'accablait.
— Souhaitez-vous en parler tout de suite ?
Elle haussa les épaules, comme quelqu'un en proie à un désarroi extrême, et répondit :
— Je ne sais pas très bien par où commencer...
— Et si vous buviez une tasse de thé, d'abord... ? Comme elle refusait d'un signe de
tête, il demanda :
— Me permettez-vous de vous dire quelque chose avant...? Quand nous nous sommes
rencontrés, la première fois, chez les Van Tieg...
— Jenny a fait allusion à l'amitié qui unissait Robert à votre père. Je ne vois pas...
— Chut ! Nous reviendrons sur ce détail plus tard. Je veux d'abord vous dire ce que j'ai
éprouvé dès l'instant où vous m'êtes apparue. J'ai eu tout à coup l'impression étrange
que vous étiez destinée à tenir un rôle important dans ma vie. Et j'ai immédiatement
éprouvé l'envie irrésistible de mieux vous connaître. Quand j'ai appris que vous viviez
seule, je n'ai pas pu résister à la tentation de venir vous voir...
Ellie esquissa un pâle sourire.
— J'ai toujours pensé que cette visite n'était pas due au hasard.
— Et vous aviez raison, admit Ben. En fait, j'avais tout planifié. Et j'avoue avoir utilisé
votre fille pour me rapprocher de vous. Surtout, ne vous méprenez pas, je trouvais
Charlie vraiment adorable, et si ce que vous dites est vrai...
Indignée, la jeune femme l'interrompit :
— En doutez-vous? Me croyez-vous capable d'avoir inventé cette histoire?
— Non, bien sûr. Pardonnez-moi, Ellie. Je suis encore sous le choc. Et, comme vous me
l'avez fait remarquer, le drame est que je ne me souviens pas de ce qui s'est passé.
l'avez fait remarquer, le drame est que je ne me souviens pas de ce qui s'est passé.
Maintenant encore, j'ai beau fouiller dans ma mémoire, je me trouve toujours face à ce
trou noir. Je suis seulement conscient de la force irrépressible qui m'attire vers vous...
Une expression de tendresse et de culpabilité mêlées se lisait sur les traits de Ben,
tandis qu'il l'enveloppait d'un regard chaleureux.
— Je vais vous poser une question incongrue : je suppose que nous nous sommes
rencontrés sur les îles du Vent?
— En effet. Au moins, vous vous souvenez y être allé.
— Non. Je le sais seulement parce qu'on me l'a dit, et je découvre aujourd'hui que les
dates correspondent. C'est bizarre... j'ai toujours éprouvé un besoin impérieux de
retourner là-bas, comme si j'avais voulu y chercher quelque chose, des traces de ce qui
a précédé mon accident...
— Votre accident?
De quoi lui parlait-il? Que s'était-il passé? Elle le dévisagea avec stupéfaction.
— Mon voilier a été pris dans un typhon alors que je me rendais aux Galapagos. Vous
ne l'avez pas su ? J'étais avec Dan, mon coéquipier. Peut-être l'avez-vous connu?
Ellie aquiesça d'un hochement de tête, totalement abasourdie par ces révélations
inattendues.
— Selon toute vraisemblance, il a été projeté pardessus bord, continua Ben. Je ne l'ai
jamais revu. Quant à moi, j'ai été assommé par le mât lorsqu'il s'est brisé. Du moins,
c'est ce que l'on a supposé. Quoi qu'il en soit, le voilier a été remorqué jusqu'au Chili
où l'on m'a hospitalisé. Je suis resté dans le coma pendant plusieurs semaines, et, plus
tard, on m'a rapatrié aux Etats-Unis. Cela a été mon dernier voyage en mer. Je n'en
garde aucune séquelle physique, mais j'ai perdu tout souvenir des semaines qui ont
précédé l'accident. Parfois, il se produit un flash dans ma tête. Hélas, les images
s'effacent aussi vite qu'elles me sont venues à l'esprit. Et c'est de nouveau le trou noir.
Le regard lointain, Ben semblait se débattre contre des fantômes invisibles.
— Mon Dieu ! fit Ellie à voix basse.
Une foule d'émotions l'assaillaient. Accablée, elle ne put que murmurer :
— Et pendant ce temps, j'ai attendu, attendu un appel de vous... un signe... J'ai
longtemps continué d'espérer, puis je me suis fait une raison : Charlie grandirait sans
père...
— Non, Ellie.
Ben prit la main de la jeune femme, la porta à sa bouche et en baisa les doigts avec
ferveur avant de les tenir serrés contre sa poitrine.
— Nous étions adultes. La vie pouvait nous séparer. Mais la pauvre enfant...
Néanmoins, tu l'as élevée de façon exemplaire. C'est une merveilleuse petite fille. C'est
moi qui ai perdu de longues années.
— Et ton mariage?
— Et ton mariage?
Sans même s'en rendre compte, ils se tutoyaient comme autrefois.
— Mon mariage..., dit-il en soupirant. A mon retour aux Etats-Unis, j'ai appris que
j'avais une fiancée. Les noces étaient programmées par nos parents. J'avais le vague
souvenir d'une jeune fille blonde et bouclée que je désirais épouser... Mais quand j'ai
revu Debbie, elle ne correspondait pas à cette image... Je sentais que quelque chose
n'allait pas. J'y reviendrai plus tard si tu veux, mais pour le moment, une autre question
me préoccupe : quand tu as su que tu étais enceinte, pourquoi n'as-tu pas cherché à me
joindre? Bon sang, Ellie, j'allais être père, j'avais le droit de le savoir! Rien au monde ne
m'aurait séparé de toi si j'avais pu t'imaginer seule, enceinte...
— J'ai essayé, crois-moi. J'ai même réussi à trouver ton numéro de téléphone — que tu
ne m'avais pas donné — par un ami qui allait souvent aux Etats-Unis. Mais quand j'ai
appelé, une employée m'a répondu que tout le monde était occupé parce que tu te
mariais le lendemain. Après cela, il ne me restait plus d'espoir de donner un père à mon
enfant. Alors, quand j'ai fait la connaissance de Greg, j'ai accepté de l'épouser.
— Oh, non ! Tu ne l'as pas épousé uniquement à cause du bébé... Dis-moi que ce n'est
pas vrai !
— Je ne voulais pas que mes parents souffrent de me voir dans une situation difficile. Il
me fallait leur épargner la honte... Dans certains milieux, tu sais, on continue de
montrer du doigt les mères célibataires. Papa venait de démissionner de son poste de
diplomate pour occuper de hautes fonctions dans une entreprise japonaise, et je ne
voulais pas risquer de lui nuire. Quand ils ont deviné la vérité, il était trop tard.
Après un silence, Ben demanda :
— Et... Greg?
— C'était la bonté personnifiée. Peu après mon arrivée à Londres, j'ai loué une chambre
meublée chez lui. Quand il a découvert que j'attendais un enfant et que je n'avais pas de
travail, il m'a proposé un poste de gouvernante dans sa maison. Cela nous a conduits au
mariage. Il lui restait peu de temps à vivre, il le savait. Comme il n'avait plus de
famille, notre union ne lésait personne. Je crois que ses derniers mois ont été les plus
heureux de sa vie. Tout s'est enchaîné naturellement. Mais je n'ai accepté cette situation
que parce que je l'aimais beaucoup. Il avait un sens de l'humour incroyable. Il arrivait à
me faire rire même dans les moments les plus difficiles. Je n'ai jamais regretté d'avoir
accepté son offre généreuse.
— Et quand il est mort?
— Je l'ai pleuré comme on pleure un père. Il était beaucoup plus âgé que moi. Plus
raisonnable aussi. C'est lui qui m'a encouragée à créer des vêtements de tricot. Il avait
retrouvé au grenier une vieille machine qui avait appartenu à sa sœur, et il l'avait
remise en état de marche. Sans lui, jamais je n'aurais pensé à lancer ma propre affaire.
Ellie s'interrompit. Une expression de tendresse et de mélancolie voilait son regard.
Ellie s'interrompit. Une expression de tendresse et de mélancolie voilait son regard.
— Après la naissance de Charlie, reprit-elle, je n'avais qu'une idée en tête : fuir la
capitale. J'ai vendu la propriété que mon père possédait à Pimlico et, une fois les
impôts payés, il me restait juste de quoi régler le premier versement de la maison que
j'habite aujourd'hui. Peu à peu, ma situation matérielle s'est améliorée, et aujourd'hui,
je n'ai pas à me plaindre.
— Tu as brillamment réussi. En tant que femme d'affaires, en tant que mère...
Du bout de l'index, il suivit les contours de sa bouche.
— Bien que je ne garde aucun souvenir de ce que nous avons vécu aux îles du Vent,
reprit-il, je m'en veux de t'avoir laissée seule dans une situation aussi difficile. Et je
n'arrive pas à comprendre comment j'ai pu me montrer aussi irresponsable...
— Ben, ne te blâme pas, protesta la jeune femme. Ce n'était pas entièrement ta faute...
Ses joues s'empourprèrent et elle dut se forcer pour continuer :
— En fait, c'était aussi la mienne. Tu m'avais demandé s'il y avait des risques... mais
c'était... Enfin, quand tu as posé la question, nous avions déjà atteint le point de non-
retour, alors... j'ai tout fait pour que les choses aillent jusqu'au bout.
— Et j'ai embarqué sur mon voilier sans penser un instant aux conséquences...
— Tu avais le numéro de téléphone de mes parents et tu devais me contacter par leur
intermédiaire. Après ton départ, j'ai bien entendu dire que tu avais une fiancée aux
Etats-Unis, mais, malgré cela, j'ai attendu ton appel.
— Je commence à comprendre ton attitude à mon égard, quand nous étions à
Singapour. Tu n'avais pas une image très reluisante de moi...
— Ce n'était pas si simple dans mon esprit, et je veux que tu le saches. Depuis que
Charlie est venue au monde, pas une fois je n'ai regretté ce qui s'est passé.
Ellie chercha le regard de Ben avant de poursuivre :
— Mais ton père, Ben ? Pourquoi ces soupçons vis-à-vis de lui ?
— Mon père?
Ben reprit après un soupir :
— A sa mort, j'ai découvert qu'il avait connu une autre femme en Angleterre. Nous
n'avons jamais su son nom. Et quand j'ai aperçu la marque des Congreve sur la cuisse de
Charlie, j'en ai conclu, à tort, qu'il était son père. D'après certains papiers trouvés chez
lui, il est apparu qu'il avait rencontré la femme en question par l'intermédiaire de
Robert Van Tieg. J'ai aussitôt pensé qu'il s'agissait de toi. Ce qui aurait expliqué ta
froideur à mon égard.
— Mais je n'avais jamais rencontré Robert avant. C'est Jenny que je connaissais.
— Oui, mais mon cerveau ne fonctionnait pas rationnellement. J'étais terriblement
jaloux et désespéré à l'idée de te perdre. Car, si tu avais été la maîtresse de mon père, je
n'aurais jamais pu envisager de te partager avec lui.
— Tu sais, Ben, en vérité, tu ne m'as jamais partagée avec personne.
— Tu sais, Ben, en vérité, tu ne m'as jamais partagée avec personne.
— Et Greg?
Ellie hocha la tête. Plus tard, elle expliquerait...
— Cela veut dire qu'à cause de moi, reprit Ben, tu as été privée de...
Elle l'interrompit avec vivacité :
— Je n'ai été privée de rien du tout pour la bonne raison que je n'ai jamais été tentée.
Crois-moi, même ta jalousie à l'égard de David Merriman ne reposait sur rien.
Retrouvant spontanément les gestes du temps où ils étaient amants, elle replia ses
jambes sous elle et s'agenouilla sur le canapé pour se pencher vers lui.
— Il n'empêche que je n'étais pas mécontente que tu sois jaloux, ajouta-t-elle.
— Est-ce pour cela que le premier soir, quand tu m'as invitée à dîner, tu t'es comportée
de manière à entretenir une certaine ambiguïté sur tes relations avec David? Avoue !
— Peut-être. Mais surtout, je me protégeais, car j'avais peur de souffrir encore à cause
de toi. Je savais que si tu me touchais de nouveau, j'étais perdue.
— Pourtant, je suis loin d'être un bourreau. Même lors de ma séparation d'avec Debbie,
j'ai toujours veillé à lui épargner des souffrances inutiles. Maintenant, je vais
t'expliquer pourquoi nous avons mis un terme à notre mariage.
Ben se passa une main sur la nuque et réfléchit avant de poursuivre :
— D'abord, nous étions trop différents l'un de l'autre pour nous entendre... Debbie est
quelqu'un de très sociable. Elle a constamment besoin d'amis autour d'elle. Son
nouveau mari partage d'ailleurs ses goûts et je suis sûr qu'elle est très heureuse. Mais la
véritable raison de notre séparation est qu'elle refusait d'avoir des enfants. Alors que je
tenais à fonder une famille.
— Vraiment?
Ben la blâmait-il de l'avoir privé de la petite enfance de sa fille? Comme s'il avait lu
dans ses pensées, il ajouta :
— Loin de moi l'idée de te reprocher quoi que ce soit. Je n'aurais pas cette impudence !
Pour en revenir à mon mariage, je n'arrive pas à comprendre pourquoi Debbie et moi
nous sommes lancés dans cette aventure aussi précipitamment. Certes, nos parents y ont
été pour beaucoup. Mais, comme je te l'ai déjà dit, je sentais que quelque chose n'allait
pas entre nous. Si nous avions pris plus de temps pour réfléchir...
Il caressa la joue d'Ellie.
— Ce que je comprends encore moins, c'est comment j'ai pu oublier ce qui s'était passé
entre nous. T'avoir aimée là-bas a dû être tellement merveilleux !
— J'étais une sirène blonde quand on s'est rencontrés. C'est ainsi que tu m'appelais. Et
on me connaissait sous le nom de Helen Tenby. C'est Greg le premier qui m'a donné le
diminutif d'Ellie. C'était merveilleux, en effet, mais si l'on considère que nous n'avons
passé que deux semaines ensemble, alors ton amnésie n'a rien d'étonnant. Ton cerveau a
dû occulter les événements les plus récents...
dû occulter les événements les plus récents...
— J'ai peine à croire que deux semaines aient suffi pour aboutir à des résultats aussi
dévastateurs ?
Ben s'amusait à mimer l'incrédulité. Puis, d'un ton très doux, il demanda :
— Mais toi, Ellie? Comment m'as-tu reconnu après tant d'années?
— Dès la seconde où je t'ai vu, où j'ai entendu ta voix... le doute n'était plus permis.
Pourtant, tu ne portais plus ta barbe de corsaire et tu étais même... très habillé.
— Alors que je me promenais nu, à l'époque de notre toute première rencontre? Vous
me choquez, mademoiselle Tenby.
Ben se rapprocha doucement, tel un pirate convoitant un navire. Ellie pouvait sentir son
souffle sur sa joue et respirer son parfum. Leurs lèvres se touchèrent.
Lentement, il la fit basculer contre les coussins, cueillit son visage dans ses paumes
ouvertes. Ils s'embrassèrent longuement, avec passion, sous l'emprise d'un même désir.
Lorsque leurs bouches se séparèrent, Ben murmura :
— Ellie... Ma chérie...
Repoussant une mèche sur son front, il la regarda tendrement et reprit :
— Qu'allons-nous faire maintenant? Elle hocha la tête, incapable de réfléchir.
— Je ne sais pas. Quelle importance ? Pour le moment, voilà de quoi j'ai envie.
Elle attira le visage de Ben contre le sien et ferma les yeux.
— Je veux que nous restions comme ça, reprit-elle dans un souffle. Pour toujours. Qu'en
dis-tu?
Il couvrit son visage de baisers avant de répondre :
— Je donne mon entier accord, mais... avant que les choses n'échappent à notre
contrôle, peut-être faudrait-il songer à les légaliser.
— Les légaliser?
Ces mots n'avaient pas plus de sens que si Ben avait parlé en swahili.
— Je veux t'épouser, Ellie. Cette idée me poursuit depuis cette soirée chez Robert — et
sans doute me trottait-elle déjà dans la tête quand je t'ai connue sur notre île.
— Tu n'en avais pas parlé, en tout cas. L'accusation lui avait échappé.
— J'avais peut-être conscience que je m'étais fourré dans de beaux draps, rétorqua Ben.
Tomber amoureux fou d'une fille à l'autre bout du monde alors qu'une autre attendait
mon retour... Bien qu'il ne me reste aucun souvenir de cette époque, j'imagine que j'ai
pu juger alors que la seule chose décente à faire était de rompre avec Debbie avant de te
proposer le mariage...
— Peut-être...
— Maintenant, j'attends une réponse : acceptes-tu de devenir ma femme ?
Ellie ne put réprimer un sentiment de crainte.
— Est-ce que ce n'est pas un peu précipité, Ben? Nous nous connaissons depuis si peu
de temps.
de temps.
— Depuis plus de sept ans! Tu trouves que...
— Tu me comprends très bien. Et puis, il ne faut pas oublier Charlie. Qu'en pensera-t-
elle ?
— Charlie et moi nous entendons comme larrons en foire. Un peu plus tard, nous lui
apprendrons que je suis son père.
— Et ta famille ? Elle sera scandalisée. Ben esquissa un sourire.
— Pourquoi le serait-elle ? Ne t'inquiète pas. Connaissant ma mère et Amy, je suis sûr
que notre histoire les passionnera autant qu'un roman. A propos, maman ne sait rien de
la liaison que papa entretenait avec cette autre femme. Avec de la chance, elle ne
l'apprendra jamais. C'est Amy et moi qui avons découvert son secret en consultant
certains papiers qu'il conservait dans un classeur de son bureau. En fait, je n'aurais
même pas dû t'en parler. Mais je me trouvais dans un tel état de choc... La pensée que
Charlie pût être ma demi-sœur... Oh, oublions cela et revenons à la réalité.
Il s'interrompit et contempla Ellie comme il aurait contemplé une fleur exotique rare.
Le désir qu'elle lut dans son regard l'incita à le provoquer.
— Sais-tu que tu m'as surprise en arrivant plus tôt que prévu? déclara-t-elle d'un ton
aguicheur.
Elle se leva d'un bond et, les mains sur les hanches, elle cambra la taille.
— J'étais en train d'essayer un de mes nouveaux modèles. Quand j'ai entendu ta voiture,
j'ai voulu l'enlever, mais la fermeture Eclair s'est coincée. Tu pourrais m'aider à la
débloquer... ?
Ben s'exécuta et parvint au résultat voulu avec une facilité déconcertante.
— Merci, Ben, dit-elle en rougissant.
— Et tu imagines que je vais croire à cette histoire ? La voix rauque de son compagnon
ajouta à son trouble.
— Allons, ma chérie, poursuivit-il, es-tu prête à jurer qu'en mettant cette robe qui te
déshabille plus qu'elle ne t'habille, tu n'avais pas l'intention de me tourner la tête?
Les joues de la jeune femme s'empourprèrent davantage.
— Parfaitement, répondit-elle avec aplomb.
— Et maintenant?
Maintenant plus rien ne comptait que les doigts de Ben glissant le long de son dos et
découvrant qu'elle ne portait rien sous sa robe.
— Je... je veux être à toi, chuchota-t-elle.
— Tu te souviens de ce que j'ai dit?
De quoi aurait-elle pu se souvenir, alors que son corps brûlait de désir?
— Je t'ai parlé de légalisation, l'aurais-tu oublié?
Il se plaisait à la faire languir, ajoutait à sa torture en ponctuant ses paroles de baisers
enflammés. Tant et si bien qu'elle finit par rendre les armes.
enflammés. Tant et si bien qu'elle finit par rendre les armes.
— D'accord, d'accord, j'accepte de t'épouser. Deux bras puissants la saisirent et la
transportèrent jusqu'à la chambre. Elle se laissa étendre sur le lit et dévêtir. Quand Ben,
torse nu, s'agenouilla près d'elle, elle reconnut sous ses mains la texture un peu rude de
sa peau. Et ce fut elle qui, sans le quitter du regard, une flamme étincelante dans les
yeux, acheva de le déshabiller.
— Ellie...
La voix rauque de Ben se brisa tandis qu'il la pressait contre lui.
— Ma chérie, ajouta-t-il dans un murmure, cette fois... c'est pour toujours.
Elle creusa les reins pour l'appeler, le séduire, le capturer. Son ventre satiné s'offrit au
passage de ses lèvres. Il posa les mains sur sa taille secouée par l'assaut du plaisir qui
montait en elle. Des mains fermes, possessives, autoritaires. Des mains qu'elle voulait
partout sur elle, le long de ses bras, de ses cuisses, au plus secret de sa féminité... Des
mains qui tissaient autour d'elle un voile d'ivresse et de caresses... Peu à peu, une
frénésie ardente s'empara de leurs corps, les jeta l'un vers l'autre.
— Ellie..., chuchota-t-il. Donne-toi, totalement.
A ces mots, elle s'ouvrit à lui dans un long frémissement de tout son être et il vint en
elle tandis qu'elle s'offrait, nouait les jambes aux siennes, l'emprisonnait, se donnait
tout entière. Il dompta encore son impatience en lui imposant le rythme de son propre
désir, la force de ses hanches sur les siennes, de son ventre contre le sien. Sur les traits
d'Ellie se devinaient le trouble, la déraison... Elle gémissait, soupirait, ondulait, exaltée
de se sentir femme, fée, magicienne... Du visage de Ben, elle ne voyait que les yeux
scintillant d'un feu presque effrayant. Elle y déchiffra l'éclat de l'orage, l'étonnement
ébloui de la savoir toute à lui et elle gémit lorsque la traversa l'éclair foudroyant de
l'extase. Dans une ultime étreinte, Ben s'abandonna à son tour au plaisir avant de
cueillir sur ses lèvres le prénom qu'elle murmurait, le souffle rauque : — Ben...
11.
Lorsque Ellie s'éveilla, elle eut la sensation que quelque chose d'inhabituel s'était
produit. Une main reposait sur ses seins nus. Elle percevait contre son corps la chaleur
d'un autre corps. Aussitôt, la mémoire lui revint. Elle se tourna vers Ben, et le caressa.
Il ouvrit les paupières, sourit paresseusement, et l'attira plus près de lui.
— Tu sais, dit-il d'une voix rauque, quoi qu'il puisse arriver, ce jour restera le plus
beau de ma vie.
Ses doigts glissèrent derrière sa nuque et il l'attira tendrement vers lui jusqu'à ce que
leurs lèvres se touchent.
— Ellie.
Ben avait prononcé son nom avec une intensité sensuelle, brûlante. Pour toute réponse,
elle s'abandonna entre ses bras, en proie à une immense allégresse. Plus rien au monde
n'avait d'importance sinon la perfection de cet instant.

Trois semaines plus tard, Ellie rongeait son frein dans la chambre d'un hôtel chic de
Londres. Elle venait d'expédier Wendy et Charlie, dans un état de surexcitation
indescriptible, s'assurer dans la salle de réception que les invités ne s'impatientaient
pas trop. En fait, ce qui l'inquiétait surtout, c'était le retard de Ben. Non pas qu'elle
nourrît le moindre doute, mais en principe, le
marié s'arrangeait pour être là à l'heure... En outre, il avait paru mystérieux la dernière
fois qu'il l'avait appelée...
La sonnerie du téléphone la fit sursauter. Elle décrocha d'une main tremblante et
soupira de soulagement en entendant la voix chaude et rassurante de Ben.
— Chéri, où étais-tu? demanda-t-elle.
— Je t'exliquerai plus tard. En ce moment, je me trouve à une trentaine de mètres de toi
et je viens de prendre une douche. On se retrouve en bas dans dix minutes, d'accord? A
propos, ma chérie, je t'aime.
— Je t'aime aussi.
Ellie raccrocha, puis vérifia sa tenue devant un des grands miroirs de la chambre.
La jupe de satin crème moulait parfaitement ses hanches et soulignait la ligne élégante
de ses jambes, ne laissant apparaître que ses chevilles délicates. Le petit haut de velours
vert, au décolleté bordé de guipure crème, mettait en valeur le galbe de sa poitrine et la
finesse de sa taille. Aucune autre toilette n'eût mieux convenu à un mariage que tous les
deux avaient voulu dépouillé de tout faste. En outre, elle était en harmonie avec la
longue robe de velours vert de Charlie, seule demoiselle d'honneur de ces noces peu
conformes à la tradition.
conformes à la tradition.
— Maman, maman, on a vu Ben et tu devineras jamais...
— Charlie...
Wendy venait de rejoindre la fillette dans la chambre et la menaçait du doigt. Charlie
porta alors la main à sa bouche en arborant une mine contrite.
— Oh, pardon ! s'excusa-t-elle. J'avais oublié. C'est une surprise. La plus belle surprise
du monde et...
— Charlie! Tu ne peux donc pas tenir ta langue? s'exclama Wendy.
La jeune fille semblait plus amusée qu'exaspérée.
— Ben est en bas ? demanda Ellie.
Aucun autre sujet ne l'intéressait pour le moment.
— Oui, répondit la fillette, excitée, et... oh, maman, il faut qu'on descende tout de
suite...
— Eh bien, allons-y.
Elle donna à sa fille un délicat bouquet de roses pâles, et prit le sien. Puis toutes deux,
suivies de Wendy, se dirigèrent vers l'ascenseur.
Une joie profonde habitait Ellie. Dans quelques minutes, elle deviendrait Mme Ben
Congreve. Et, très bientôt, Charlie apprendrait la vérité sur sa naissance. Resterait à
résoudre le problème de l'entreprise Wooly. Mais Ben lui avait assuré qu'ils pourraient
vivre en Angleterre jusqu'à ce qu'elle ait pris sa décision...
Quand la cabine s'arrêta à l'étage suivant, Charlie tira sa mère par la main.
— Mais ce n'est pas le bon étage, ma puce !
— C'est la surprise, maman. Viens !
Ellie lança un regard interrogateur à Wendy qui se contenta de répéter :
— C'est la surprise ! Allez-y. On se reverra en bas. Très sûre d'elle-même, Charlie
guida sa mère dans le
couloir jusqu'à une porte qu'elle ouvrit d'un geste assuré. Le vestibule dans lequel elles
pénétrèrent donnait sur une chambre qui lui parut absolument bondée.
Parmi les visages tournés vers elle, la jeune femme reconnut d'abord celui de Jenny
Scow. Elle se demanda si elle ne rêvait pas. Non, il ne s'agissait pas d'un mirage : Jenny
était bien là, réelle, époustouflante d'élégance comme d'habitude, dans un cheongsam
bleu nuit. Et Robert se tenait à son côté...
Ellie poussa une exclamation de joie et allait courir vers ses amis quand, tout à coup, la
foule rassemblée dans la pièce s'écarta, laissant s'avancer, dans un fauteuil roulant...
— Maman ! Oh, maman... Je n'arrive pas à le croire. Elle se précipita et tomba à
genoux, émue aux larmes, devant sa mère qui la pressa sur sa poitrine pendant un long
moment.
— Helen ! J'avais raté ton premier mariage. Croyais-tu vraiment que j'aurais accepté de
manquer le second?
manquer le second?
— Oh, maman !
Ellie se redressa et s'appuya à Jenny qui lui tendait un mouchoir, tandis que Charlie,
dansant d'un pied sur l'autre, s'exclamait :
— Est-ce que c'est pas la plus belle surprise du monde ? Et c'est grâce à Ben, maman, tu
sais ?
— Ben?
— Oui, confirma sa mère. Cet homme extraordinaire que tu vas épouser. Il a tout
arrangé avec la complicité de Jenny et Robert. Tu vois, ma chérie, ces deux amis
merveilleux ont mis à ma disposition un avion privé qui est venu me chercher à
Sydney. J'ai fait escale à Singapour où j'ai passé plusieurs journées inoubliables dans
leur superbe maison. Et ils m'ont accompagnée ici. Oh, il ne faut pas que j'oublie de te
présenter Marti.
Sa mère lui désigna une forte dame qui se tenait derrière son fauteuil et expliqua :
— C'est mon infirmière pendant la durée de ma visite. Ellie serra chaleureusement la
main de Marti puis déclara :
— Maintenant, il est temps que nous descendions, avant que le pauvre Ben ne se
demande si la mariée a changé d'avis.
Quand ils arrivèrent dans la minuscule chapelle de l'hôtel éclairée par les cierges, les
autres invités avaient déjà pris place sur les bancs. Ben se tenait debout, face à l'autel,
grand, athlétique, dans son complet sombre, les cheveux encore humides. La gorge
serrée par l'émotion, le cœur gonflé d'amour, Ellie marcha lentement jusqu'à lui, au
bras de Robert. Quand ils furent à sa hauteur, Robert s'éclipsa. Le marié se retourna.
Les yeux de la jeune femme s'écarquillèrent. Elle avait, devant elle, le
Ben d'autrefois. Certes, la barbe brune manquait encore un peu d'épaisseur — ces
choses-là demandent du temps — mais le sourire taquin, l'expression de tendre ironie
qui l'avaient séduite sept ans auparavant étaient les mêmes. Le souffle lui manqua
tellement l'émotion la submergeait. Ben tendit la main pour prendre la sienne. Leurs
doigts s'unirent. Le visage empreint de gravité, ils se tournèrent enfin vers le pasteur.
Le lendemain matin, Ellie s'éveilla près de son mari. Ils occupaient une suite dans le
grand hôtel parisien où ils étaient descendus lors de leur expédition à Disneyland — et
qu'ils avaient baptisé la veille « notre hôtel ». Mais, cette fois, ils étaient seuls. Charlie
était repartie à Little Transome avec sa grand-mère, Wendy et Marti.
Ben sommeillait encore.
— Ben...
— Mmm...
Elle ne put résister à la tentation de caresser la barbe soyeuse qu'il avait fait pousser,
avait-il expliqué, pour lui rappeler le corsaire dont elle était tombée amoureuse.
avait-il expliqué, pour lui rappeler le corsaire dont elle était tombée amoureuse.
— Je ne te remercierai jamais assez, dit Ellie.
Un sourire heureux aux lèvres, Ben ouvrit les paupières et enlaça sa jeune femme.
— Si c'est pour ce qui est arrivé il y a une heure à peine... inutile de me témoigner de la
gratitude, répliqua-t-il d'une voix indolente. J'y ai pris au moins autant de plaisir que
toi...
— Je ne parlais pas de cela.
— Ah bon ?
II la pressa plus étroitement contre lui.
— Si ce n'était pas de cela, de quoi parlais-tu? Tout contre la joue d'Ellie, il ajouta :
— Et de quelle manière comptes-tu me remercier? Elle déposa un baiser appuyé sur ses
lèvres.
— Comme ça...
Un autre baiser puis elle reprit :
— Et comme ça. Pour avoir fait de notre mariage une réussite parfaite. Tu t'es dépensé
sans compter pour que maman puisse venir et...
— Je te devais des noces en bonne et due forme, non ?
— Tu sais, Ben...
Après un instant d'hésitation, elle poursuivit :
— Quand nous irons à Sydney, pour Noël...
— Mmm...
Les doigts de Ben exécutaient un ballet sensuel sur sa peau. Elle les emprisonna et
termina sa phrase :
— Je dirai la vérité à maman.
— Mmm... Si tu penses que c'est nécessaire...
— Tu n'approuves pas mon idée ?
— Oh, si. Mais j'émettrai cependant une réserve. Tu as remarqué, j'en suis sûr,
l'admiration que ta mère me porte. Ne crains-tu pas qu'un excès de vérité ne nuise à
l'image qu'elle a de ma personne?
— Tu ne risques rien, j'en suis sûre. Elle t'estime trop. A ses yeux tu représentes le
gendre idéal.
— Justement. Est-ce que je ne risque pas de passer de la catégorie des gendres parfaits à
celle des vils séducteurs? Si tu lui faisais plutôt comprendre, avec toute la délicatesse
voulue, naturellement, que je n'étais qu'un jouet entre tes mains... ce qui, après tout,
n'est que la vérité.
— Maman connaît trop les hommes pour le croire, mais rassure-toi, je lui avouerai ma
part de responsabilité dans notre histoire.
— N'oublie pas que nous devons aussi nous rendre aux Etats-Unis. Ma mère projette
déjà de donner une grande réception en votre honneur à toutes les deux.
déjà de donner une grande réception en votre honneur à toutes les deux.
— J'espère que notre petit bout de chou ne sortira pas trop perturbée de toute cette
agitation. Pour l'instant, en tout cas, elle est aux anges.
— Charlie a une faculté d'adaptation époustouflante. Et puisque Wendy viendra avec
nous... Mmm...
Ben avait refermé les yeux et respirait son parfum avec gourmandise.
— Tu sens merveilleusement bon et je...
— Tu sais, Ben... à propos de David Merriman... ?
— Quoi?
Ben ouvrit les paupières et amorça un geste de recul.
— Quel nom as-tu osé prononcer? reprit-il d'un ton scandalisé. C'est notre lune de
miel, voyons !
— Tu ne vas pas me faire croire que tu es encore jaloux ?
Ellie avait pris un air indigné, mais au fond la réaction de son mari la flattait.
— Bien sûr que si ! affirma-t-il.
— Tu n'as aucune raison...
— Peut-être, mais du fait qu'il est dans ton entourage depuis trois ans déjà, je me sens
complexé par rapport à lui.
— Je n'ai jamais entendu sottise pareille. David n'a jamais été qu'un ami pour moi. Il
serait temps que tu l'admettes, une fois pour toutes.
— Bon, d'accord, rétorqua Ben, résigné. Si tu tiens absolument à me parler de ton
sacro-saint docteur, je t'écoute...
Sans se démonter, Ellie expliqua :
— J'allais te dire... j'ai appris par Tanya, il y a déjà un moment, que David a une
nouvelle amie.
Après une pause, elle ajouta d'un air innocent :
— Quelqu'un de son âge. Comme ça, personne ne critiquera son choix. Je voulais donc
te rassurer : notre mariage ne lui a pas brisé le cœur.
— J'en suis ravi.
— S'il te plaît, Ben. Il s'agit d'un sujet sérieux. Cette femme fera une épouse parfaite
pour David. Elle est infirmière dans un hôpital d'Oxford.
— Je vois : le couple idéal. Ils discuteront fractures et plâtre au petit déjeuner.
— Ne sois pas si moqueur ! Ben se mit à rire.
— Moi? Pas du tout! Je suis seulement sincèrement désolé pour ce pauvre garçon. Je
n'arrive pas à imaginer qu'on puisse épouser une autre femme que toi... Mais, dis-moi,
n'aurais-tu pas faim? Si? Alors, je propose que nous quittions ce lit...
— Tu as raison, acquiesça-t-elle. Vite, habillons-nous. Qu'est-ce que tu me conseilles
de porter aujourd'hui ?
Avant qu'elle ne posât les pieds sur la moquette, Ben lui saisit la main, la porta à ses
Avant qu'elle ne posât les pieds sur la moquette, Ben lui saisit la main, la porta à ses
lèvres, et commença à embrasser la peau tendre de son poignet.
— Ben, je t'ai posé une question, dit-elle.
— Justement, je te donne mon avis. C'est dans cette tenue que je te préfère.
— Ben ! Essaie d'être sérieux.
— Je suis sérieux. Et maintenant que j'ai docilement répondu à ta demande, je sollicite
à mon tour ton attention sur un sujet de très grande importance.
— Ah oui? Et de quoi s'agit-il?
— Devine!
Ben inclina son visage de flibustier vers celui de sa femme. L'éclat qu'elle perçut dans
ses yeux sombres promettait mille délices. Alors, avec un petit soupir résigné, elle noua
les doigts autour de son cou et s'abandonna entre ses bras.

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