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Défi pour un père

de Barbara McMAHON
1.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent; Alex Hunter prit une grande
goulée d'air et marcha droit devant lui.
L'attaché-case à la main, il traversa l'espace de travail. Son regard
était fixe, dirigé dans l'axe de son bureau, là-bas, tout au bout de la
grande salle.
Le silence s'était fait sur son passage. On entendait seulement, par-
dessus l'incessant bourdonnement des ordinateurs, des
condoléances, murmurées d'une voix à peine audible par les uns et
les autres :
— Désolé pour Mme Hunter... Toute ma sympathie...
Il remerciait sans un mot, d'un petit signe de la tête, impatient d'être
seul, enfin, dans son sanctuaire.
Il ne croyait encore pas à la mort de MaryEllen — trop soudaine.
Comment était-il possible, au xxie siècle, qu'une pneumonie fût
fatale? Vaste et sinistre blague que la médecine moderne !
— Alex, allez-vous bien? s'enquit Helen Walter, sa secrétaire
particulière, comme elle se levait de son bureau, attenant au sien.
Elle alla à sa rencontre. Ses yeux brillants reflétaient son estime et sa
compassion.
— C'est un sacré voyage, soupira Alex. Enfin me voici,
heureusement ! Où en est-on, ici ? Quelle est l'ambiance?
— Le moral des troupes est un peu atteint. MaryEllen n'était certes
pas connue de tout le monde, ici — ce qui est normal après trois
ans d'absence. Tous, cependant, savent qu'elle était l'actionnaire
principal de la société. Cela fait un choc, même pour ceux qui la
connaissaient à peine.
Alex poussa la porte de son bureau. Il nota qu'Helen n'avait pas fait
allusion à un détail qui avait, malgré tout, son importance :
MaryEllen était sa femme.
Du moins, son épouse légitime.
On avait déposé le courrier en petites piles bien rangées sur un coin
de son bureau, à côté d'un amoncellement de dossiers, eux aussi
impeccablement alignés. Les messages téléphoniques avaient été
rassemblés à part dans une grande enveloppe.
Il laissa sa mallette dans un coin et contempla d'un œil morne la baie
de San Francisco. Le soleil n'allait pas tarder à se coucher. Dieu
qu'il eût aimé en faire autant !
— Vous venez d'arriver? demanda Helen qui se tenait dans
l'encadrement de la porte, toujours serviable et disponible.
— Mon avion s'est posé il y a une heure seulement. Je suis venu
directement.
— Vous êtes sûr que ça ira? insista-t-elle, l'air un peu soucieux. Je
sais bien quels étaient vos rapports avec votre femme... Cinq mille
kilomètres vous séparaient, et, depuis trois ans, vous ne vous voyiez
pratiquement plus, mais pourtant...
— Allons, Helen, vous savez bien que ce mariage n'en était pas un,
répondit-il en examinant d'un air accablé le courrier entassé devant
lui. Les ragots vont-ils bon train dans la société ?
— Pas plus que d'habitude. Les vétérans de l'entreprise ont mis au
parfum les nouveaux. Nul n'ignore — ou presque — que votre
mariage avec MaryEllen avait pour but principal de faciliter la
formation de Hunter Associés.
Alex enleva sa veste et la suspendit au dossier de son fauteuil,
contre lequel il se laissa ensuite lentement tomber.
— Des gens de la maison sont-ils allés à l'enterrement?
— Non. Mais quasiment tout le bureau de New York s'y est rendu.
Bob Mason a envoyé un mail à ce sujet... Ne culpabilisez pas,
Alex. Tout le monde sait bien que vous y seriez allé si vous aviez
pu. Même MaryEllen aurait compris la situation...
Alex n'avait pas envie de s'étendre sur les raisons qui l'avaient
empêché de se rendre à l'enterrement de sa femme. Il avait fait tout
son possible. Les circonstances en avaient décidé autrement.
Helen sortit discrètement, laissant, au cas où il aurait besoin d'elle, la
porte légèrement entrebâillée.
Il était mort de fatigue. Il avait traversé une douzaine de fuseaux
horaires ; de quoi détraquer son horloge interne...
Depuis quelques jours, tout s'était passé comme si le sort
s'acharnait contre lui. Il avait été bloqué à Bangkok par un ouragan
d'une violence extrême ; aucun avion ne décollait, aucun appel
n'aboutissait; il lui avait donc fallu prendre son mal en patience, et
attendre, attendre...
Il s'enfonça un peu plus profondément dans son fauteuil. Il était dans
un état d'épuisement tel qu'il ne savait pas exactement ce que la
mort de MaryEllen lui faisait. Une sorte d'hébétude le paralysait.
Son cerveau fonctionnait au ralenti.
Ils étaient mariés depuis six ans. Un beau mariage — ou plutôt, un
bel arrangement. Ils avaient connu quelques rares épisodes, au lit,
sans grande importance, puis ils s'étaient éloignés l'un de l'autre, elle
à New York, lui à San Francisco.
Elle n'avait que vingt-neuf ans.
Il soupira. Vingt-neuf ans, c'était un peu jeune pour mourir.
S'il ne l'avait pas vue depuis un an, ils étaient restés en contact,
principalement pour le travail. Régulièrement, ils avaient échangé
des e-mails, des fax, parfois des coups de téléphone.
Six ans de mariage, dont trois de séparation... Si l'on pouvait parler
de réussite, c'était uniquement sur le plan professionnel. MaryEllen
s'était révélée une battante et avait défendu leur société avec
beaucoup d'habileté.
Sur ce plan-là, elle allait lui manquer.
Mais sur le plan sentimental, non. Il n'avait jamais eu besoin d'elle
dans ce domaine...
Il ouvrit une des enveloppes qui se trouvaient sur la pile — et fit un
bond en la lisant.
Il marcha jusqu'à la fenêtre, lut une nouvelle fois la missive, puis alla
se rasseoir, abasourdi.
C'était incroyable.
— Helen!
Il relut une troisième fois la lettre. Les mots dansaient devant ses
yeux. Pouvait-il s'agir d'une plaisanterie ?
— Helen! insista-t-il.
La porte s'ouvrit doucement... sur Cassandra Bowles.
— Je suis désolée, annonça cette dernière, sans quitter le seuil.
Helen s'est absentée pour un instant. Puis-je vous aider?
Il se leva et lui tendit la lettre.
— Lisez et dites-moi ce que vous en pensez.
Cassandra rôdait dans les parages depuis quelques minutes dans
l'espoir de discuter avec Alex du dossier dont elle avait la charge :
la fusion avec GlobalNet. Lorsqu'elle l'avait entendu appeler Helen,
elle avait cherché des yeux la secrétaire. Au deuxième appel, elle
avait cru bon de répondre à sa place.
Elle travaillait pour Hunter Associés depuis maintenant deux ans.
Elle avait trouvé cet emploi dès l'obtention, à l'Université de
Berkeley, de son diplôme d'analyste financier.
Après avoir lu attentivement la lettre, elle leva les yeux sur son
patron. Il paraissait dans tous ses états.
— Si j'ai bien lu, les avocats de New York souhaitent savoir quand
vous allez venir chercher vos deux jumelles.
— Dieux du ciel! Des jumelles! Vous vous rendez compte !
— On dirait que vous n'étiez pas au courant de leur existence,
hasarda-t-elle.
— Mais non! C'est incroyable! Comment se fait-il que MaryEllen
ne m'ait jamais parlé de ses deux filles? C'est complètement fou,
cette histoire !
Cassandra préféra, pour l'instant, adopter un silence prudent.
Alex farfouilla dans l'enveloppe qui contenait les nombreux petits
rectangles de papier indiquant les messages téléphoniques. La
plupart venaient du cabinet d'avocats à New York. Il prit l'un des
rectangles et composa un numéro. En vain.
— Il est 17 heures passées, là-bas, dit Cassandra d'une voix
douce. Les bureaux sont vides, à cette heure...
Alex hocha la tête et raccrocha.

Il s'était attendu à tout, sauf à être père. L'était-il vraiment?


Pourquoi MaryEllen ne le lui avait-elle pas annoncé ?
— Vous m'avez appelée, Alex?
— Ah, Helen ! Tenez. Jetez un œil là-dessus. Elle lut à son tour le
message et son visage s'éclaira.
— Bravo, patron. Vous voici papa! Il la considéra d'un air sombre.
— Vous en êtes bien sûre?
— Il n'y a pas de doute. C'est écrit en toutes lettres.
— Vous savez bien que MaryEllen est partie d'ici il y a trois ans
pour ouvrir le bureau de New York. Il n'y a pas de raison pour que
ces enfants soient de moi — à moins qu'elle n'ait été enceinte en
partant...
Helen lança un regard interrogatif à Cassandra, l'air de dire : «
Quelle histoire !... »
— Vous pouvez toujours essayer de joindre l'un des avocats à son
domicile, suggéra Cassandra.
— Bonne idée. Helen, cherchez les numéros privés de ces
messieurs, je vous prie.
Comme la secrétaire quittait la pièce pour son propre bureau,
Cassandra ouvrit le dossier qu'elle avait gardé jusqu'alors sous son
bras.
— Je sais que ce n'est peut-être pas le moment... je tenais pourtant
à vous informer des projections que nous avons faites à propos de
GlobalNet. La boîte me semble solide. Si vous vouliez jeter un œil
sur les chiffres...
Elle lui tendit le dossier; tandis qu'il s'enfonçait complètement dans
son gros fauteuil de cuir, il l'ouvrit; il se plongea dans sa lecture,
après avoir, un bref instant, considéré la jeune femme.
Pas très grande, très sagement coiffée, Cassandra représentait pour
Alex le prototype du jeune cadre efficace et dynamique. D'épaisses
lunettes reposaient sur son petit nez. Elle lui faisait penser à un hibou
qui aurait essayé de dissimuler son regard. Elle avait de grands yeux
noirs, ornés de longs cils — de fort beaux yeux, il fallait bien le
reconnaître. Le tailleur bleu marine et le corsage blanc renforçaient
le côté sérieux, quoique féminin, du personnage.
Cassandra était-elle aussi ambitieuse que MaryEllen?
Comme il balayait du regard les colonnes de chiffres du rapport,
son esprit se trouvait complètement ailleurs. Des jumelles ! C'était
inconcevable. Pourquoi MaryEllen n'avait-elle rien dit?
— Nous sommes tous vraiment désolés du deuil qui vous touche,
murmura Cassandra.
Il croisa son regard et resta un moment sans répondre. Comment
fallait-il réagir face aux condoléances de ses employés? Devait-il
arborer la mine compassée du mari accablé ?
Celle qui avait été son épouse n'était-elle pas toujours restée une
inconnue pour lui ? Cette abracadabrante histoire de jumelles ne le
prouvait-il pas?
Les grands yeux de Cassandra le fixaient toujours derrière leurs
hublots.
— Merci, répondit-il enfin avec un soupir fatigué.
Dieux du ciel ! Rentrer chez lui au plus vite, avaler un bon whisky et
se jeter sur son lit pour une nuit de douze heures ! Après cela, il
pourrait sans doute affronter posément la situation. Pour l'heure, il
se sentait dans un état second — voire troisième...
— Ligne une, annonça la voix d'Helen par le biais de l'Interphone.
Me Randall.
Il décrocha et appuya sur le bouton № 1.
— Alex Hunter, grommela-t-il en intimant d'un signe à Cassandra
de se rasseoir.
— Cela fait une semaine que nous essayons de vous joindre,
Hunter.
— Bangkok était privé de vols jusqu'à hier. J'étais complètement
bloqué là-bas.
— Alors vous êtes de retour?
— Mais oui. Depuis deux heures. Je viens de trouver votre lettre.
Je l'ai sous les yeux. Qu'est-ce que c'est que cette histoire, bon
sang?
— Ce n'est pas une histoire, Hunter. Ashley et Brittany existent bel
et bien. Elles sont mignonnes comme tout et elles vous attendent.
— C'est la première fois que j'en entends parler, dit-il en soutenant
le regard de Cassandra — qui ne pouvait pas ne pas suivre la
conversation.
Alex sentit une hésitation chez son interlocuteur.
— Il semble que Mme Hunter ait craint de perdre le bureau de
New York si vous appreniez la nouvelle. Cela étant, elle n'a pas
délaissé pour autant son rôle de mère. En tout état de cause, elle a
fait son devoir...
Comme tous les avocats, Randall balisait son discours de formules
prudentes. C'était agaçant.
Alex ferma les yeux et se gratta machinalement les sourcils. Dormir,
dormir, une heure seulement !
— Elles ont quel âge, mes... C'était complètement fou !
— ... mes filles?
— Un peu plus de deux ans.
— Et où se trouvent-elles, actuellement?
— Une hôtesse d'accueil du bureau de New York les a prises en
charge. Elle est elle-même mère de famille et aime beaucoup les
enfants. Toutefois la situation se prolonge un peu trop à son goût...
— Je vais voir si je peux avoir un avion dès ce soir...
Il se tourna dans la direction du bureau d'Helen.
— S'il vous plaît, Helen. Un vol dès que possible pour New York.
Il fourragea un instant dans ses cheveux.
— Je serai là très vite, Randall, conclut-il d'un ton ferme.
Il raccrocha, puis bougonna à mi-voix :
— Que vais-je donc bien pouvoir faire de deux jumelles ? Je ne
connais rien aux enfants !
— Il faudrait que quelqu'un vous accompagne, suggéra Cassandra.
Cassandra connaissait bien les enfants. Un peu trop, peut-être...
Combien n'en avait-elle pas gardé lorsqu'elle était plus jeune! Assez
pour savoir que son patron ne pourrait pas ramener ses deux filles
sans assistance.
— Vos jumelles vont être très perturbées par tous ces changements
dans leur vie, poursuivit-elle. La disparition de leur mère, un tel
déménagement...
— Mais voilà des conseils tout à fait judicieux ! s'exclama Alex.
Cassandra eut un bref haussement d'épaules.
— J'ai l'habitude des enfants, vous savez. Il n'est pas si simple que
cela de s'en occuper.
Alex, très surpris par les propos de sa collaboratrice financière, la
dévisageait. Il essayait de se rappeler son curriculum vitae. Elle
possédait un bagage universitaire très solide ; il croyait se souvenir
qu'elle n'était pas mariée...
— Avez-vous souvent eu à vous occuper d'enfants, mademoiselle?
Cassandra fit simplement « oui » de la tête. Ce n'était pas le
moment de raconter sa vie.
— Cassandra a raison, intervint Helen. N'y aurait-il qu'un enfant,
vous auriez besoin d'assistance. Alors deux!... Je vais voir si je peux
vous trouver une nounou.
— Merci, Helen. Faites pour le mieux. Cassandra s'éclaircit alors la
gorge et lança :
— Puisque vous avez un peu de temps, pendant qu'Helen s'occupe
de ces démarches... si nous détaillions ce rapport sur GlobalNet?
— Allons-y...
Trois quarts d'heure plus tard, Alex appuyait la tête contre le
dossier de son fauteuil, très satisfait. Cassandra avait fait du bon
travail.
— Qu'en pensez-vous?
L'inflexion de sa voix trahissait une certaine appréhension.
— C'est bien. Très bien, assura-t-il, sincère.
— Dois-je comprendre... qu'on peut y aller? On peut mettre en
route la fusion ?
— Absolument. Vous avez carte blanche. Elle eut un sourire si
lumineux qu'il crut, un instant, voir une autre femme. Ce n'était plus
la brillante spécialiste financière enfermée dans ses dossiers, cachée
derrière ses grosses lunettes, mais une jeune femme au joli visage,
aux yeux pétillants de vie... Helen réapparut.
— Je vous ai réservé deux places sur le vol de 23 h 30. En
revanche, pas de Mary Poppins... Les agences sont fermées jusqu'à
demain.
— Alors, qu'est-ce qu'on fait? grommela Alex, les yeux à moitié
fermés.
Il avait plus que jamais besoin d'un bon whisky pour se remonter. Il
n'en pouvait plus.
— Cassandra pourrait peut-être vous accompagner, avança Helen.
Puisqu'elle a l'habitude des enfants...
— Ah non! protesta immédiatement l'intéressée. Jamais de la vie. Je
me suis juré que je ne m'occuperais plus jamais des enfants des
autres. Ils m'ont donné assez de soucis comme ça !
Sa véhémence avait été telle qu'Alex et Helen la regardaient avec
des yeux ronds. Si Cassandra, consciente de la violence
disproportionnée de sa réaction, se mordit la lèvre, elle se promit de
rester inflexible. Elle n'était pas entrée chez Hunter Associés pour
materner les enfants du patron.
— Il ne s'agit que d'un voyage, dit Helen d'un ton amical. Rien de
plus.
— Exactement, renchérit Alex. Un aller-retour! Ce n'est pas le bout
du monde. Nous aurons le temps de parler de votre projet... Dites-
vous que ce voyage fait partie de votre boulot.
— Non, je ne peux pas considérer la garde d'enfants comme une
part de mon travail.
L'étincelle noire et dure qui brillait dans son regard n'échappa pas à
Alex.
— Dans votre contrat de travail, il y a une clause, plaida-t-il. Elle
stipule que vous pouvez être amenée, si le bien de l'entreprise le
nécessite, à remplir des fonctions annexes. Par conséquent...
Cassandra se tourna vers Helen.
— Helen, vous qui êtes la secrétaire particulière de M. Hunter, ne
pouvez-vous faire ce déplacement ?
Helen eut un sourire désolé.
— Je suis navrée, Cassandra. Ma mère est souffrante ; je ne peux
la quitter, ne serait-ce que pour une demi-journée. De plus je n'ai
aucune expérience des enfants.
Cassandra fit la grimace.
— On m'a embauchée pour mes compétences en matière d'analyse
financière, pas de baby-si...
— Affaire réglée, coupa Alex avec une certaine sécheresse.
Rejoignez-moi à l'aéroport. Et soyez à l'heure.

Cassandra, un magazine à la main, à ses pieds une mallette de


voyage, attendait devant la porte d'embarquement. L'avion
atterrirait le lendemain matin à New York; sachant qu'elle n'aurait
pas le temps de se changer, elle avait choisi un tailleur gris anthracite
et un corsage blanc. Ils devraient convenir pour leur rendez-vous au
cabinet d'avocats.
Alex apparut à l'autre bout du hall. Il marchait vers elle à pas
rapides. Il fallait bien avouer qu'il avait belle allure; plusieurs têtes
féminines se tournaient à son passage.
Cassandra fronça les sourcils. Etait-ce le fait de savoir qu'il était
maintenant un homme libre qui soudain la troublait ainsi? Elle se
souvenait, lors de son entretien d'embauché, avoir remarqué la
finesse de ses traits, la séduction du personnage. Elle ne s'y était pas
attardée... cela n'aurait pas été très « professionnel ».
Il fut enfin devant elle. Elle eut un sourire poli et annonça, non sans
un brin de raillerie :
— Je suis aux ordres de Monsieur.
Il s'assit à côté d'elle; un sourire un peu cruel releva un coin de sa
bouche.
— N'oubliez pas, mademoiselle Bowles, que je suis votre patron.
Leurs regards se croisèrent.
— Oh ! Je ne risque pas de l'oublier...
Alex eut une expression autant satisfaite que narquoise.
— Vous dormez toujours avec un tailleur? s'enquit-il à brûle-
pourpoint.
— Pardon?
— Ma femme ne quittait jamais son tailleur, elle non plus, sauf au lit
— il le fallait bien. J'avais pensé que vous mettriez quelque chose de
plus... confortable pour voyager.
— Nous avons un rendez-vous dès le début de matinée. J'ai cru
bon de...
— Oui, oui, coupa-t-il, l'air ailleurs.
Il paraissait plongé dans ses souvenirs. Il reprit d'un ton à la fois
ironique et nostalgique :
— J'espère que mes filles ne seront pas accoutrées, elles aussi, d'un
tailleur, comme de vraies petites femmes d'affaires... Ce serait le
comble!
Il se frotta les yeux, accablé.
— Si je ne dors pas maintenant, je vais m'écrouler... Ces dernières
vingt-quatre heures m'ont complètement abruti...
Il avait allongé ses grandes jambes ; malgré elle, Cassandra admirait
la magnifique carrure des épaules, la netteté du profil... le charme
émanant de tout son être.
Certes, il était tout à fait vain de se laisser aller à une telle
contemplation... mais elle se trouvait comme piégée, envoûtée par
un magnétisme plus fort qu'elle.
Quel personnage était cet homme lorsqu'il avait dormi — lorsqu'il
était dans un état « normal » ?

Alex, appuyé nonchalamment contre le dossier de son siège, les


yeux mi-clos, voyait bien que Cassandra l'observait de temps à
autre.
C'était la première fois qu'il approchait un peu intimement sa
collaboratrice : pendant deux ans il était passé à côté d'elle sans la
voir. Il découvrait un personnage qui ne manquait pas d'intérêt. Du
moins à première vue...
Et s'il ôtait ses lunettes, défaisait ses cheveux, et, pourquoi pas, la
débarrassait de ce tailleur bien trop sérieux, de manière à ce qu'elle
se présente à lui dans le plus simple appareil, sans ces divers
masques de la jeune-cadre-dynamique-et-comme-il-faut ? Oui,
nue, elle ne devait certainement pas manquer de charme...
« Allons, un peu de sérieux. » Il divaguait.
Le haut-parleur de l'aéroport fit entendre l'appel pour
l'embarquement sur le vol de New York. Ils se levèrent avec un
soupir de soulagement. Ils voyageaient en première. Il offrit à
Cassandra le fauteuil à côté du hublot.
— Je vais dormir pendant tout le voyage, murmura-t-il. Prenez
cette place.
— Je vais essayer de dormir, moi aussi, rétorqua-t-elle tandis
qu'elle posait sa mallette dans la soute à bagages, au-dessus de
leurs têtes. Autrement je serai comme un zombie demain.
Puis elle s'installa dans le fauteuil. Oui, il était troublant de se trouver
ainsi à quelques centimètres de cet homme qu'elle n'avait approché,
jusqu'alors, que de loin, et dont elle pouvait à présent sentir le
parfum d'eau de toilette, à la fois discret et masculin.
Pour se donner une contenance, elle feuilleta le magazine illustré
qu'elle avait trouvé devant son siège. Son corps, tout proche, ses
longues mains bronzées posées sur l'accoudoir qui les séparaient un
peu, ses larges épaules appuyées contre le fauteuil provisoirement
vertical, ses joues qui venaient manifestement d'être rasées étaient
bien plus attrayantes que les photographies, sur papier glacé, de
paysages de rêve...
Elle avala sa salive et tourna son regard vers le hublot, béant sur la
nuit. Des véhicules de service se déplaçaient avec rapidité sur le
tarmac; leurs gyrophares jaunes ou bleus trouaient de place en
place l'obscurité.
— Dès que l'appareil aura décollé et se sera stabilisé, je baisserai
mon fauteuil pour dormir, murmura soudain Alex contre son oreille.
Je n'ai ni faim, ni soif. Juste sommeil. Quand l'hôtesse passera,
dites-lui que je ne veux pas être dérangé.
Cassandra tressaillit. Les lèvres d'Alex avaient frôlé son visage de si
près qu'elle avait perçu son haleine — fraîche et vaguement
mentholée. Elle avait aussi remarqué de minuscules rides de fatigue,
au coin des yeux.
Cette promiscuité la perturbait bien plus qu'elle ne l'aurait imaginé.
— Vous connaissez New York? demanda-t-il d'une voix feutrée.
Elle secoua la tête négativement. Pourquoi son cœur battait-il si fort
?
— Nous n'aurons guère le temps de faire du tourisme, prévint-il.
J'en suis désolé. De toute façon, San Francisco est bien mieux.
Vous êtes originaire de quel coin?
— Je suis née dans les environs de Los Angeles. Mais je préfère
San Francisco.
— Vous habitez en ville même ?
— Oui, dans le quartier de Telegraph Hill.
— Très touristique, par là, souffla-t-il en se passant une main sur le
visage. Qu'est-ce qu'il fait, cet avion ? Il décolle ?
— Bientôt, oui...
Alex se disait qu'il connaissait bien mal ses collaborateurs. Il ne
savait même pas où ils habitaient.
— Cela fait longtemps que vous vivez là-bas ?
— J'ai emménagé quinze jours avant de commencer mon travail
chez vous.
Il marmotta quelques mots qu'elle n'entendit j pas, à cause du bruit
des réacteurs.
Elle avait l'impression qu'ils étaient seuls à bord, elle et lui. Bien que
rougis par la fatigue, ses yeux sombres l'hypnotisaient. Elle aimait
cette lueur qui flottait dans son regard, si vive, si pleine
d'intelligence.
Une hôtesse, au bout du salon des premières, commença la
traditionnelle démonstration des gilets et autres procédures
d'urgence. Personne ne regardait...

Alex se réveilla alors que l'avion commençait sa descente sur New


York. La dépressurisation irritait un peu ses tympans. Il fit des
mouvements avec la bouche et bâilla pour rééquilibrer son oreille
interne.
Son fauteuil et celui de sa voisine avaient été baissés. Quand, par
qui? Il ne s'en souvenait pas.
Quelque chose de lourd, de chaud, pesait sur son épaule...
Cassandra Bowles avait glissé sur lui pendant la nuit.
La sensation n'était pas désagréable du tout. Un discret parfum de
rose caressait ses narines... Les yeux fermés, il huma quelques
instants cet arôme, chargé de souvenirs vagues et lointains —
d'autres femmes, peut-être...
Assez rêvé. Il était temps de se ressaisir. L'hôtesse vint leur
demander, avec un large sourire, de bien vouloir redresser leur
siège. New York approchait.

Lorsque Cassandra se rendit compte qu'elle s'était appuyée contre


lui, elle se redressa subitement, l'air très gêné.
— Oh, pardon. Je vous ai envahi sans le vouloir...
Elle n'avait pas encore chaussé ses lunettes et le dévisageait de ses
grands yeux profonds. Alex fut touché par ce regard différent, bien
plus féminin — un regard mystérieux et charmant.
Ses cheveux s'étaient dénoués et de petites boucles, délicieusement
désordonnées, encadraient son visage.
Comme elle humectait ses lèvres, il se sentit subitement remué. La
vision de sa petite langue rose réveillait-elle en lui de vieux désirs
endormis?
Il n'avait pas touché de femme depuis longtemps, bien trop
longtemps. C'était absurde peut-être, étant donné qu'il n'y avait eu
entre eux ni amour ni désir, mais il était resté « fidèle » à sa femme.
Maintenant que MaryEllen n'était plus de ce monde, il se sentait
libre de faire ce qu'il lui plaisait.
Quand l'appareil eut atterri, il se leva pour prendre la mallette de
Cassandra dans la soute à bagages.
— Laissez, je peux très bien m'en occuper moi-même, grommela-t-
elle.
— Mais voyons, ce n'est rien. Profitez donc de ma nature
généreuse et galante !
— Comme vous y allez ! Votre nature n'est pas généreuse : elle est
dictatoriale.
Elle avait du caractère, cette jeune femme ! Il n'avait pas l'habitude
de ce genre de reparties, et il appréciait, pour une fois, qu'une de
ses employées ne lui lèche pas les bottes.
— Pourquoi « dictatoriale » ?
— Ne m'avez-vous pas donné l'ordre de vous suivre dans ce
voyage? Je n'avais aucune envie de le faire.
A la sortie de l'aéroport, un homme en uniforme brandissait un
panneau où était inscrit en grosses lettres : M. Hunter. Il les
conduisit jusqu'à une luxueuse limousine où ils prirent place.
Alex eut un sourire malicieux et taquin.
— Enfin, mademoiselle Bowles, songez à tous ces bons points que
vous accumulez en accompagnant le grand patron !
— Je m'en fiche, de vos bons points. Je ne suis plus à l'école. Me
prenez-vous pour une gamine?
« Et pan, dans les dents ! » se dit-il, étonné et ravi par la liberté de
langage de cette jolie Cassandra Bowles.
2.
— Permettez-moi de vous complimenter pour votre discrétion et
votre tact, mademoiselle Bow-les, dit Alex Hunter sur un ton
mesuré.
Ils étaient confortablement installés à l'arrière de la grosse voiture
noire. Cassandra s'était appuyée tout contre la portière; cette
distance prise n'avait pas échappé à son patron.
Comme elle ne répondait pas à sa remarque, ce dernier poursuivit :
— N'importe quelle autre femme m'aurait bombardé de questions à
propos de mon mariage, de mes enfants, de mon entreprise, etc.
Elle eut un sourire espiègle.
— J'ai beau être curieuse, comme tout le monde, je n'en respecte
pas moins votre vie privée.
Alex sourit.
— Eh bien, sachez que c'est essentiellement par commodité que
nous nous sommes mariés, MaryEllen et moi. Vous savez, quand on
décide de créer sa propre entreprise, tout le reste passe à la trappe.
Il faut travailler comme un fou, trouver des financements. La vie de
famille n'a pas sa place, dans un cadre pareil...
— L'accord professionnel que vous avez scellé prévalait sur les
liens habituels du mariage...
— Absolument.
Durant ces trois dernières années, sa femme et lui n'avaient, en tout
et pour tout, pris qu'un seul repas en commun, à Washington. Voilà
à quoi se résumait leur intimité, pendant les mille derniers jours !
— MaryEllen a voulu de manière acharnée le succès de Hunter
Associés. La bataille pour un tel succès l'excitait au plus haut point.
Je crois qu'elle a préféré ne pas revenir à San Francisco pour la
bonne raison qu'elle y eût été coincée par les obligations
maternelles. C'est le business qui l'amusait, avant tout.
Cassandra, tandis qu'ils devisaient, observait au loin, de temps à
autre, les hautes tours de Manhattan qui se profilaient dans le ciel.
Elle remarqua d'une voix sourde :
— Il n'y a pas tellement de femmes qui ont envie de rester chez
elles pour s'occuper de leurs marmots.
— Vous parlez pour vous, je suppose...
— J'aurai peut-être des enfants, mais ce sera un choix et non une
contrainte, répliqua-t-elle un peu sèchement.
Les gratte-ciel se rapprochaient. De petits nuages blancs flottaient
dans un ciel d'azur. La circulation, quoique dense, était fluide.
— Je sais bien que je vous contrains, en effet, admit-il. Rassurez-
vous : la corvée ne sera pas longue. Quand nous reviendrons, Helen
aura trouvé une gouvernante... D'où vous vient cette allergie au
baby-sitting ? Avez-vous eu la charge de nombreux frères et sœurs,
plus petits que vous ?
— Non, ce n'est pas du tout cela, dit-elle dans un rire sans joie. Je
n'ai ni frères, ni sœurs. Ma mère est morte quand j'avais sept ans.
On m'a placée dans une famille d'accueil, parmi d'autres enfants,
pour la plupart adoptés. Pendant huit ans j'ai dû en prendre soin
toute la journée. Lorsque j'ai eu dix-huit ans, je suis partie en me
promettant de ne plus jamais élever les enfants des autres.
— Vous faites donc une exception, aujourd'hui !
— Une exception tout à fait provisoire, oui.

Le cabinet d'avocats se trouvait dans la 40e Rue, au cœur de New


York. Un ascenseur rapide comme une fusée les déposa au trente-
troisième étage. Alex poussa la porte du cabinet et s'effaça pour
laisser passer Cassandra.
Les deux bambines jouaient près d'un canapé de velours marron.
Elles étaient absolument identiques.
Elles tournèrent vers les nouveaux venus quatre grands yeux bleus
étonnés. Alex se tenait devant elles. Que pensaient-elles de ce géant
de plus d'un mètre quatre-vingt-cinq qui les dominait de toute sa
hauteur? Sans un mot, elles l'observèrent, avec une curiosité
tranquille.
— Hello, les filles ! lança Cassandra.
Elle s'accroupit et prit doucement la main de chacun des deux
fillettes.
— Moi, je m'appelle Cassie. Et vous, c'est comment ?
A ce moment une dame, depuis le bureau de la réception, intervint.
— Vous avez de bien gentilles petites filles, monsieur Hunter. C'est
moi qui m'en occupe depuis deux semaines. Je puis vous assurer
qu'elles sont absolument délicieuses. Je... Je suis désolée pour votre
femme... Me Randall va vous recevoir dans un instant.
Alex remercia de la tête. Il se sentait comme sur une autre planète.
Il ne connaissait rien aux enfants — rien de ses propres filles !
Heureusement que Cassandra était là. Il envia un peu sa capacité
d'adaptation à ces petits êtres si étranges : les jumelles semblaient
déjà l'avoir adoptée. Il s'approcha d'elles. Pas de doute, elles
étaient bien ses filles ; la ressemblance était frappante. Elles ne
semblaient avoir hérité de leur mère que la couleur de leurs yeux.
— Hello, dit-il.
Deux regards intrigués se posèrent sur lui. La petite qui avait une
robe jaune mit un pouce dans sa bouche et le considéra d'un air
grave.
— Ecoutez, lança Cassandra dans un rire léger, vous êtes vraiment
trop grand pour elles. Soit vous les prenez dans vos bras, soit vous
vous baissez pour être à leur niveau...
Il alla s'asseoir sur un coin du canapé, très mal à l'aise. Il se sentait
tout à fait stupide, à côté de la plaque. Comme s'y prenait-on avec
les enfants ? Dieu sait s'il avait appris des choses, au cours de sa vie
et de ses voyages ; mais pas ça.
Cassandra vint à sa rescousse.
— C'est votre papa. Dites-lui comment vous vous appelez ! Toi,
par exemple.
— Asli, dit l'une.
— Bitni, annonça l'autre, après avoir enlevé son pouce de sa
bouche.
— Ashley et Brittany, traduisit Cassandra en souriant. Ce sont de
bien jolis prénoms ! Et ce monsieur, c'est votre papa. Est-ce que
vous savez dire « Papa » ?

Lorsque Me Randall proposa de lire à Alex le testament de sa


femme, ce dernier répondit qu'il préférait le parcourir lui-même; ce
serait plus rapide.
L'avocat lui tendit l'acte. Il était simple et précis. La moitié des
avoirs que possédait MaryEllen dans la société revenait aux deux
filles ; son administration incombait à Alex.
— Je suis allé voir votre femme à l'hôpital, juste avant sa mort, lui
confia Me Randall. Elle était au plus mal. Je crois qu'elle avait
surévalué ses forces...
— Elle va beaucoup manquer aux jumelles, murmura Alex, inquiet.
— Pas autant que vous le croyez, rétorqua l'homme de loi d'un ton
optimiste. D'après ce que j'ai pu apprendre, il y a eu tout un défilé
de babysitters et de nounous pour s'occuper d'elles au cours des
deux dernières années. Pour vous parler franchement, il me semble
bien qu'elles n'ont pas eu le temps de s'attacher à leur mère.
— Lorsqu'elles seront à San Francisco, je ferai en sorte qu'elles
vivent dans un environnement stable, assura-t-il.
Quand il en eut fini avec l'avocat, Alex revint auprès de ses filles.
Elles s'étaient installées sur le canapé autour de Cassandra, et
semblaient captivées par l'histoire qu'elle leur racontait.
Emu, il observa le petit groupe si paisible, si-familial. « Voilà l'image
d'une famille telle que je la souhaiterais, se dit-il. Une mère
entièrement dévouée à ses enfants, et tout ce petit monde attendant
calmement le retour du papa. »
C'était la première fois qu'il réfléchissait à la notion de famille. Il
avait lui-même été élevé par son grand-père, un vieil homme un peu
bourru. Au moins avait-il eu la chance de ne pas tomber, comme
Cassandra, dans un foyer d'accueil à la mort de ses parents.
Il voulait que ses enfants aient une jeunesse heureuse, dans un foyer
aimant. Il était déterminé à tout faire dans ce but. Ne fallait-il donc
pas envisager de prendre femme? N'était-ce pas dans la logique
des choses ?
Une des jumelles, celle qui suçait son pouce — était-ce Brittany ?
— l'aperçut enfin. D'une voix calme, elle annonça :
— Monsieur, là... Cassandra leva les yeux :
— Cela s'est bien passé ?
— Très bien. Nous allons pouvoir nous rendre à l'appartement de
MaryEllen, afin de rassembler les vêtements des filles, leurs jouets,
etc.
— Allez, mes petits cœurs, lança Cassandra. Brittany, tu viens avec
moi, et toi, Ashley, tu vas avec Papa.
Il n'était pas habitué au terme. C'était si bizarre d'être appelé ainsi !
Cassandra prit la petite Brittany dans ses bras et interrogea Alex du
regard. Il y avait, dans ces yeux si graves, si sérieux, si mystérieux
derrière leurs lunettes, une petite flamme de défi qui le toucha.
Il se pencha et saisit Ashley. Elle était légère comme une plume.
L'enfant sourit et posa sa petite main sur sa joue, comme un signe
de conciliation, de paix et d'amour.
Ce geste le bouleversa. Quelque chose était venu frapper à la porte
de son cœur...
Elle était si petite, si légère, si tendre ! Un bijou. Elle paraissait lui
faire confiance. Etait-il digne de cette confiance? D'habitude les
pères ont le temps de se préparer à leur fonction, de lire des
ouvrages de puériculture... Lui passait d'un seul coup de l'état de
célibataire à celui de parent. Saurait-il assumer ce rôle? Saurait-il
être à la hauteur?

L'appartement de MaryEllen Hunter, situé tout près de Central


Park, était aussi luxueux que banal. Aucun goût personnel ne s'y
épanouissait ; fonctionnel, il manquait d'âme.
Sur le seuil, les jumelles regardaient Cassandra et Alex, comme si
elles attendaient quelque instruction.
— Où est ta chambre, Ashley? s'enquit Cassandra d'une voix
douce.
Comme la petite tendait la main vers le fond d'un couloir, la
sonnerie du téléphone retentit. Alex décrocha.
— Alex Hunter...
— Bonjour, monsieur Hunter. C'est Annie Simmons. Nous nous
sommes vus, chez Me Randall. Vous savez : je suis la dernière
nounou des jumelles. J'ai oublié de vous dire que, si vous le désirez,
je peux vous donner un coup de main pour rassembler les affaires
des petites...
— C'est très gentil à vous. Nous partons demain. Si vous avez la
possibilité de passer aujourd'hui, nous pourrions préparer les
valises.
— Je peux être libre vers 13 heures.
— Ce sera parfait.
— A tout à l'heure, donc.
Il raccrocha. Cassandra et les jumelles avaient disparu. Il les trouva
dans une chambre remplie, du sol au plafond, de peluches et de
jouets. MaryEllen, manifestement, ne s'était pas montrée avare sur
ce plan : il y avait de quoi remplir un magasin spécialisé.
Brittany se tenait dans un coin de la pièce, et observait sa sœur et
Cassandra tout en suçant son pouce. Alex se demanda pourquoi
l'une de ses filles suçait son pouce et pas l'autre. Il avait déjà
remarqué qu'Ashley était extravertie, intrépide et pleine de curiosité
; Brittany, elle, se révélait plus renfermée, plus secrète, plus timide.
Il était passionnant d'observer ainsi deux vraies jumelles. On croit
souvent que les jumeaux sont identiques. Ils le sont sans doute par
leur aspect physique, mais ils diffèrent toujours plus ou moins
psychique-ment. Il notait avec beaucoup d'intérêt les spécificités de
chacune.

Cassandra suivit Alex dans l'autre chambre — manifestement celle


de MaryEllen.
Le lit était défait, comme si son occupant venait à peine de partir.
Elle eut le cœur serré.
Alex, lui aussi, demeurait figé devant ce poignant spectacle.
— Si j'avais su que ma femme était si malade, je me serais
débrouillé pour venir auprès d'elle, murmura-t-il d'une voix brisée.
— Sans doute ne s'est-elle pas rendu compte de la gravité de son
mal, répondit-elle, émue par la tristesse qui se lisait sur le visage de
son patron.
— J'aurais remué terre et ciel pour que les médecins la sauvent,
poursuivit-il, comme s'il ne l'avait pas entendue.
Il semblait être dans son monde, perdu dans ses regrets, ses
interrogations... Il avait besoin d'être réconforté.
— Ils ont certainement fait tout ce qu'il fallait... Il ne répondait pas.
Elle saisit sa main et la serra — pour bien lui faire comprendre qu'il
n'était pas tout seul dans son chagrin.
Au bout d'un moment, il se redressa un peu, prit une grande
inspiration et confia, sur un ton différent, tout en jetant sur la pièce
un regard circulaire :
— En matière d'enfants, je suis l'incompétence même.
Cassandra tenta de retirer doucement sa main... mais il la serrait
farouchement.
— Vous vous y ferez, vous verrez. Vous trouverez des gens
expérimentés pour vous aider...
Un éclat de voix aigu l'interrompit.
— Il vaut mieux que j'aille voir ce qu'il se passe, murmura-t-elle.

Alex secoua la tête. L'accablement qui l'avait saisi ne devait pas le


démobiliser. Comme il les rejoignait, il entendit Cassandra dire aux
jumelles :
— La mer est sans doute encore un peu froide pour se baigner,
mais vous pourrez toujours jouer sur la plage avec les cerfs-volants.
Tout en leur expliquant la nouvelle vie qu'elles allaient avoir, elle
rangeait leurs affaires dans des sacs de voyage.
— Tiens, Ashley, tu peux mettre ça dans la valise? Brittany, passe-
moi cette pile de vêtements... Voilà. Merci.
— Très bien ! complimenta Alex d'une voix encourageante.
Cassandra se mit à rire.
— Tout ce qu'elles veulent, c'est aider... Je bouclerai toutes les
valises pendant qu'elles feront leur sieste.
Alex la considéra un moment, admiratif.
— Vous vous débrouillez bien.

Alex revint à l'appartement peu après 17 heures. Cassandra, un


livre à la main, était assise près de la cheminée éteinte. Elle avait
échangé son tailleur anthracite contre un jean et un sweat-shirt.
— Cela s'est bien passé au bureau ? interrogea-t-elle en tournant la
tête.
— Oui, très bien. Il traversa le salon.
— Je pense que Paul Whitstone sera capable de prendre le relais
de MaryEllen. Nous avons mis les choses au point, lui et moi. Où
sont les jumelles ?
— Elles font leur sieste. Je les ai couchées il y a un petit moment.
Annie Simmons m'a dit qu'elles faisaient une sieste tous les jours.
Il se laissa choir sur un divan et dénoua sa cravate.
— Fatigué ?
— Ah ! J'aimerais dormir pendant une semaine... Que vous a-t-elle
dit d'autre?
— Que votre femme ne laissait pas les jumelles se balader dans
l'appartement, de peur qu'elles ne cassent des objets de valeur.
D'où leur hésitation à notre arrivée, tout à l'heure. Elle m'a aussi
parlé du caractère de chacune d'elles. Brittany est plus réservée qu'
Ashley, laquelle possède un vocabulaire plus étendu. Mme
Simmons m'a laissé son numéro. En cas de problème, appelez-la.
Elle y tient.
— Très bien, fit-il en se laissant glisser contre les coussins. J'espère
que les enfants vont s'adapter facilement à leur nouvelle vie. Et moi
aussi... Je ne vous cache pas mon appréhension.
— Elles ont avant tout besoin d'amour, d'attention et de repères. Je
ne me fais pas trop de souci pour vous. Vous avez fait preuve de
patience, de bonne volonté... Et puis Helen vous a déjà trouvé une
gouvernante épatante, j'en suis sûre.
— Ce serait tout de même plus simple s'il y avait une femme à la
maison, soupira-t-il d'un air absent.
3.
Les yeux de Cassandra croisèrent les siens. Elle se sentit piquer un
énorme fard et détourna son regard en espérant qu'il n'avait rien
remarqué.
Qu'est-ce que cela serait, de vivre avec un homme tel qu'Alex
Hunter? Il rentrerait, le soir, et lui raconterait sa journée de travail ;
ils feraient ensemble des plans pour le week-end... Il y aurait des
rires, de l'amour dans l'air...
Allons, elle se faisait des idées. Il avait parlé tout haut. Il ne
s'adressait pas à elle.
Comme elle se levait pour remettre le livre sur l'étagère où elle
l'avait pris, il répéta sa remarque, avec le même air rêveur :
— Oui, ce serait tellement plus simple si j'avais une femme...
— Oh, ce serait bien plus commode, j'en conviens, enchaîna-t-elle
avec un accent moqueur. Surtout si vous tombiez sur une bonne
poire, bien sédentaire, ravie de passer ses journées à briquer la
maison et à s'occuper des enfants.
— Mais non, rétorqua-t-il d'une voix un peu traînante et lasse. Si
j'épousais une femme, ce ne serait pas pour la confiner dans des
activités ménagères...
Cassandra haussa les épaules.
— Je vais voir si Ashley et Brittany sont réveillées. Ensuite je
préparerai le dîner. A la guerre comme à la guerre ! Les placards
sont quasiment vides. J'ai l'impression que votre épouse n'était pas
une cuisinière.
— Oh non ! Mais ne vous souciez pas du dîner. Je ferai livrer
quelque chose... c'est l'affaire d'un coup de fil.
Il se leva et s'étira. Elle eut l'impression qu'il emplissait toute la
pièce. Il était vraiment très grand.
— J'aime bien faire la cuisine, vous savez. Je vais sûrement trouver
de quoi préparer un repas...
Elle quitta la pièce; Alex la suivit des yeux. « Quelle serait sa
réaction si je lui demandais de m'épouser? Elle s'est montrée
parfaite avec les enfants... »
Il tourna la tête et observa un instant le fauteuil qu'elle venait de
quitter.
« Je rentrerais à la maison, le soir, et je la retrouverais avec les
enfants tout joyeux autour d'elle. Ses cheveux seraient défaits et ses
lunettes, posées sur un coin de table. Elle me tendrait les bras et... »
Il fronça les sourcils, mécontent. A quoi bon fantasmer ? Cassandra
Bowles avait bien annoncé la couleur : elle voulait se consacrer
corps et âme à son travail, réussir professionnellement. Cela se
comprenait : n'avait-elle pas vécu une jeunesse désargentée, dans
une famille d'accueil?
Il quitta le salon pour la chambre de MaryEllen. Une douche lui
ferait le plus grand bien...
Il prit alors conscience d'un problème qu'il n'avait pas prévu : il n'y
avait qu'un seul lit dans tout l'appartement. Le divan sur lequel il
venait de se reposer était beaucoup trop petit, beaucoup trop
inconfortable. Comment feraient-ils ? Il ne pouvait tout de même
pas partager le grand lit avec Mlle Bowles!
Bah, il allait trouver une solution...

Quelques instants plus tard, dans la salle de bains de MaryEllen, il


s'enveloppait d'une grande serviette quand il entendit le gazouillis
des jumelles. Il s'habilla en vitesse et partit à leur rencontre. Il les
trouva dans la cuisine en compagnie de Cassandra.
— Je peux aider à quelque chose ? proposa-t-il. Les deux petites
têtes se tournèrent d'un seul mouvement et se précipitèrent dans ses
bras.
— Ashley, Brittany ! Vous avez fait une bonne sieste ?
Ashley hocha la tête et lança d'une voix enthousiaste :
— Cassie m'a donné une carotte à coquer!
— A croquer? Ça alors !
— Et moi aussi, hurla Brittany, ivre de joie. Il se tourna vers
Cassandra qui souriait tout en préparant le dîner. Elle avait enlevé
ses lunettes et était vraiment toute mignonne, avec ses cheveux un
peu lâches.
— Est-ce que j'aurai droit, moi aussi, à quelque chose à « coquer »
? murmura-t-il.
La jeune femme, penchée sur son plan de travail, offrait sa nuque à
son regard. Voilà, par exemple, ce qu'il aurait aimé croquer...
— Si vous m'aidez à préparer les hamburgers, vous aurez droit à
une carotte, promit-elle en riant. J'avais oublié à quel point les
enfants peuvent être parfois affamés !

Cassandra tressaillit un peu en se tournant vers lui. Avec son polo


couleur azur, son jean d'une teinte claire, il avait l'air encore plus
élégant qu'en costume trois-pièces ! C'était la première fois, depuis
qu'elle le connaissait, qu'elle le voyait dans une tenue décontractée.
Ses cheveux étaient encore un peu humides de la douche et ses
yeux brillaient de plaisir — comme s'il appréciait infiniment de se
retrouver, avec ses deux filles et sa nounou provisoire, presque en
famille. Il avait l'air plus jeune, ainsi, et encore plus séduisant, si cela
était possible.
— Les hamburgers ? répéta-t-il en haussant un sourcil hésitant.
— J'ai trouvé de la viande dans le congélateur, ainsi que des
pommes de terre et une salade dans le réfrigérateur. Tant pis pour
le pain. Vous ne savez pas faire les hamburgers ?
— Eh bien..., avoua-t-il, l'air un peu piteux.
— Ce n'est pas grave. Il est vrai que vous ne devez pas souvent
avoir l'occasion...
— Vous savez, ma vie de famille a toujours été plutôt limitée...
Elle releva un instant la tête; l'ardeur de son regard la troubla ; elle
se remit aussitôt au travail.

— Je crois qu'on a un petit problème, avec les lits, annonça-t-il


d'une voix lente lorsqu'ils eurent fini de dîner.
Le repas avait été plein d'entrain, et même un peu débridé du côté
des jumelles qui semblaient trouver tout à fait à leur goût cette
nouvelle manière de vivre. Il n'avait pas osé, par un acte d'autorité,
tempérer cette joie spontanée, si fraîche, si fragile. Tant pis pour les
éclats de voix suraigus, tant pis pour ses pauvres oreilles...
— Un problème de lits? reprit-elle, étonnée. Non, je ne crois pas.
— Il n'y a qu'un seul lit dans l'appartement. Je ne vois pas
comment...
— Mais si ! coupa-t-elle. J'ai une solution. Alex retint son souffle.
Allait-elle lui proposer de partager le grand lit? Il était bien possible,
après tout, que cela ne la gêne pas. Ce serait merveilleux... Il
pourrait assister à son coucher, admirer ses longs cheveux noirs
défaits, lorgner du coin de l'œil ses formes à peine dissimulées dans
une chemise de nuit un peu transparente...
— Nous allons pousser le grand lit tout contre le mur. Les filles
dormiront d'un côté, et moi de l'autre.
Son espoir s'effondra comme un château de cartes. Il la fixa, déçu,
frustré.
— Et moi ? Je vais dormir dans un des petits lits des enfants ?
Elle secoua la tête en riant.
— Il n'en est pas question ! Vous n'auriez pas la place et le lit
s'effondrerait sous votre poids. Non, nous mettrons les deux petits
matelas bout à bout, à même le sol.
Comme il faisait un peu grise mine, elle ajouta d'un ton léger :
— Si vous préférez, je peux aller à l'hôtel. C'était clair : elle
n'envisageait pas de partager le grand lit. Il serait inutile d'insister.
— Très bien, concéda-t-il. Faisons comme cela.
Il se leva et tendit la main pour l'aider à se mettre debout. Il fut
surpris, un peu troublé, lorsqu'il sentit la main de Cassandra dans la
sienne : elle était bien plus petite qu'il ne l'aurait cru, et chaude
comme un oiseau.
— Vos cheveux se défont, remarqua-t-il. Avant qu'elle n'ait pu
réagir, il avait ouvert la barrette d'un doigt agile pour libérer
l'ensemble de la chevelure.
Les mains de la jeune femme s'affairèrent un instant pour remettre
de l'ordre dans sa coiffure.
— Ah, je suis complètement décoiffée ! lança-t-elle, amusée. Je
vais aller prendre une douche...
— J'aime bien quand vos cheveux sont ainsi...
C'était peu dire. Sa beauté le transportait. Quel charme ! Et quelle
douceur dans son regard !
— Merci pour votre aide, Cassandra, dit-il d'une voix rauque.
Dans un élan de tendresse il se pencha vers ses lèvres et l'embrassa.
L'espace d'une seconde, il eut l'impression qu'elle répondait à son
baiser... Cela ne dura pas : elle recula brusquement, perdant un peu
l'équilibre.
— Je... je vais voir les enfants, murmura-t-il.
— Très bien, dit-elle dans un souffle.

— Dieu que je suis bête ! marmonna-t-elle alors qu'Alex sortait de


la pièce. J'ai failli m'étaler comme une nigaude qui recevrait son
premier baiser !
Il suffisait que son patron l'embrasse pour qu'elle perde tous ses
moyens ! C'était grotesque.
Elle se sentait tellement maladroite... Ce n'était pas qu'elle méconnût
les hommes. Elle en avait rencontré un certain nombre... Certes,
aucun de la trempe d'Alex. De plus, elle ne s'attendait vraiment pas
à ce que ce dernier l'embrassât.
« N'en fais donc pas un drame ! » se morigéna-t-elle. Ce n'était
peut-être qu'un simple et amical baiser, une façon de la remercier...
Elle passa lentement un doigt sur ses lèvres. C'avait été, elle s'en
rendait bien compte, plus qu'un baiser amical. La douce et chaude
pression de ses lèvres sur les siennes, les battements fous de son
cœur, l'embrasement soudain de tout son être... Ne l'avait-il pas
attirée contre lui? N'avait-elle pas senti son corps puissant se durcir
à son contact? Pendant un très bref instant elle avait voulu répondre
avec fougue à ce baiser... elle n'avait pas osé. Comme sa propre
gaucherie l'irritait!

Alex se tenait devant le grand lit où Cassandra était étendue. Son


cœur battait la chamade... La chambre était plongée dans
l'obscurité. Le jour ne parvenait pas à percer à travers les épais
rideaux. Seule la lumière du couloir éclairait indirectement la pièce.
Elle dormait sur le dos, un bras gracieusement relevé au-dessus de
sa tête, ses cheveux noirs épars sur l'oreiller.
— Cassandra!
Il secoua doucement son épaule.
— Cassandra, réveillez-vous !
Les jumelles, à l'autre bout du ht, dormaient encore d'un profond
sommeil.
— Mmm..., marmotta-t-elle.
Qu'il eût aimé s'étendre à côté d'elle et la contempler des heures
durant... Mais il ne fallait pas perdre de temps : ils avaient un avion
à prendre.
— Allons, Cassandra. Il faut vous réveiller... Elle ouvrit tout grands
les yeux et le fixa, tout d'abord comme si elle ne le reconnaissait
pas, comme si elle ne savait pas où elle se trouvait; puis un léger
sourire éclaira son visage. De nouveau une folle envie s'empara de
lui : baiser ces lèvres délicates qui s'ouvraient à demi dans ce
premier sourire du matin.
— Quelle heure est-il? demanda-t-elle, d'une voix mal assurée.
Elle se redressa sur un coude, eut un regard vers les deux enfants,
secoua la tête pour émerger de sa somnolence.
— Un peu plus de 6 heures. J'ai commandé un taxi pour 7 h 30.
Pensez-vous être prête à temps ?
— Bien sûr. Avez-vous préparé du café?
— Non. J'y vais.
Mais il ne faisait aucun effort pour bouger. Il restait là, ébloui par
son charme, intrigué par l'éclat de ses yeux qui luisaient, dans la
pénombre, d'une lueur étrange, un peu rêveuse...
— Je vais me lever, prévint-elle.
Il comprit qu'il serait plus courtois de sa part de la laisser. Il se
détourna à contrecœur et sortit de la chambre.
Il prépara du café, trouva un paquet de biscuits pour les filles et
d'autres petites choses à grignoter. Il était temps de s'habiller.
Aujourd'hui, il pouvait encore se permettre une tenue décontractée :
il n'avait pas de rendez-vous — et s'en félicitait.

— Quelle bonne odeur de café ! se réjouit Cassandra en entrant


dans la cuisine.
Elle s'était habillée simplement, sans chichis, et avait décidé de ne
pas s'en faire trop pour ce voyage. Il n'y avait pas de raison de
s'inquiéter. Dans la soirée elle serait de retour chez elle, dans son
petit appartement si confortable, si chaleureux, si... personnel. Cette
virée à New York ne serait plus qu'un souvenir...
Et si Alex, d'aventure, venait à l'embrasser de nouveau, elle ne
trébucherait plus. Elle serait prête !
— Vous avez préparé toutes les affaires? demanda Alex qui sortait
des tasses d'un placard.
— Oui. J'ai mis deux grands sacs dans l'entrée. Dès que les enfants
seront prêtes, je bouclerai les valises. Nous pourrons déjeuner à
l'aéroport, n'est-ce pas ?
Elle parlait vite, trop vite, elle n'en était pas dupe. C'était une
manière de se protéger : Alex était vraiment craquant avec son jean
un peu plissé, sa chemise qui laissait voir les muscles de ses bras, de
ses épaules, et deviner ceux de son robuste torse. Sa peau, un peu
bronzée, semblait si douce, si tentante. Et ses yeux...
Elle détourna les siens, remplit deux tasses, en tendit une à Alex,
prenant bien soin de ne pas le toucher au passage, puis s'assit à
bonne distance de lui.
Elle se méfiait d'elle-même. Après s'être un peu éclairci la gorge,
elle s'enquit d'une voix qu'elle espérait badine :
— Vous avez bien dormi ? Il grimaça.
— Pas vraiment. Les matelas n'arrêtaient pas de se dissocier. J'ai
dû passer la moitié de la nuit à même le sol.
Amusée, elle prit soin de dissimuler son sourire. Alex était son
patron, il ne fallait pas l'oublier !
— C'est bien fâcheux, compatit-elle. Heureusement vous allez
retrouver votre lit, ce soir. Au fait, avez-vous prévu des lits pour
Brittany et Ash-ley?
— Grands dieux, je n'ai pas eu le temps, grogna-t-il en jetant un
coup d'œil à la pendule.
— Nous pourrions passer un coup de fil à Helen pour savoir si elle
y a pensé.
— Que faites-vous du décalage horaire? Il est 4 heures du matin
sur la côte Ouest. Nous l'appellerons depuis l'aéroport.
Ils burent leur café en silence. Alex le rompit :
— Quand nous serons rentrés... j'aimerais que nous dînions
ensemble, un de ces soirs.
— Mais... pourquoi? Est-ce bien nécessaire?
— Nécessaire? Mademoiselle Bowles, il ne faut pas confondre
l'utile et l'agréable. C'est une manière, pour moi, de vous remercier.
Vous m'avez enlevé une sacrée épine du pied! Je tiens absolument à
vous emmener dîner. Dès cette semaine.
— Eh bien... quel jour?
— Vendredi, ça vous va ?
— Et les filles?
— Je n'ai pas prévu de les emmener. C'est vous que j'invite.
— En espérant qu'Helen vous aura trouvé une gouvernante...
— Vous en étiez sûre, hier soir !
Ce dîner était-il une bonne chose? Mélanger travail et plaisir n'était
pas sans danger. Elle avait connu des gens qui s'en étaient mordu
les doigts...
Alex, de son côté, fut soulagé de la voir accepter. Certes, elle ne
paraissait pas emballée outre mesure. Timidité ou bonnes manières?
Elle n'allait tout de même pas grimper aux rideaux en hurlant ! A
moins qu'elle ne fût sur ses gardes? Il s'agirait alors d'un tout autre
problème-Son regard s'attarda sur le nouveau T-shirt qu'elle portait
ce matin — il mettait en valeur ses bras, ses seins, la couleur de sa
peau — puis sur son jean, impeccable, ses chaussures de tennis
d'un rose attendrissant...
Qu'elle était mignonne, sa petite spécialiste en finances !

Le préposé de la compagnie aérienne avait pu leur trouver quatre


places contiguës, à l'avant de l'appareil. Les enfants écarquillaient
les yeux, toutes ravies de ce voyage; l'aventure pour elles continuait.
— Vous avez une bien jolie famille, madame, complimenta une
passagère en s'adressant à Cassandra.
— Merci, répondit celle-ci en rougissant. Elle croisa Alex du
regard. Quel effet cela lui
faisait-il de donner l'image d'un père de famille avec femme et
enfants ?
Et à elle, quel effet cela lui faisait-il ?
Elle se posa la question. « Et si j'allais jusqu'au bout de mon rôle de
mère pour Ashley et Brittany? Poursuivais cette relation avec Alex
Hunter? Jusqu'où cela me mènerait-il ? »
4.
Le vol du retour se révéla plus facile que ne l'avait craint Cassandra,
et plus agité que ne l'avait prévu Alex.
Les nuages par-delà le hublot, les passagers, le film projeté à bord,
les différents boutons qui se trouvaient sous l'accoudoir du siège...
Tout cela avait hautement fasciné les deux fillettes, d'abord
tranquilles. Puis le déjeuner leur avait donné des forces — et de
remuer, se chamailler, grimper sur le siège, vouloir bouger...
Cassandra et Alex les avaient emmenées se promener dans l'allée
centrale, chacune à leur tour, jusqu'à ce qu'elles tombent de
sommeil. Leur sieste avait mis fin aux tourments d'un .Alex débordé,
bénissant le ciel de n'être pas seul...

Enfin l'avion amorça sa descente sur San Francisco ; les passagers


sortirent de leur torpeur et les jumelles s'éveillèrent.
Alex aurait juré que ce vol avait été plus long que le précédent, qui
l'avait ramené de Bangkok...
— On arrive, dit Cassandra en tournant vers Alex un regard amusé.
Quel soulagement, n'est-ce pas?
— Vous l'avez dit, grommela-t-il en levant les yeux au ciel.
Heureusement que nous n'avions pas à aller les chercher en
Extrême-Orient !
Cassandra eut un rire léger. Elle releva les sièges des enfants et les
attacha chacune soigneusement, réglant les ceintures de sécurité à la
bonne longueur.
— J'ai vraiment apprécié votre aide, Cassandra, dit Alex lorsque
l'avion eut atterri.
Ils faisaient à présent la queue dans une des allées de l'appareil,
attendant que l'avion se vide de ses passagers.
— Je n'aurais jamais pu m'en sortir tout seul.
— Les enfants de deux ans ont besoin de mouvement. Ils ne
peuvent pas rester bien longtemps en place. Mais il faut reconnaître
que vous avez de la chance : vos filles ont une bonne nature, elles
sont gentilles, dociles. C'est un plaisir que d'être avec elles.
Elle savait qu'un jour, lorsqu'elle aurait réussi à assurer sa situation
professionnelle, elle aurait des enfants à elle. Cette perspective la
remplissait d'une sorte de bonheur diffus.
A la sortie de l'aéroport, un homme en uniforme jaune brandissait
un panneau où était inscrit le nom d'Alex en grandes lettres.
— Il me semble avoir déjà vu cette scène, dit Cassandra, amusée.
Ainsi une limousine vous attend à chaque aéroport ?
— C'est un système commode, non? répondit Alex en faisant signe
au chauffeur. Je n'aime ni conduire... ni payer un parking. En
définitive cela revient moins cher.
« Et cette limousine est d'un luxe ! » se dit-elle, peu après,
lorsqu'elle fut installée confortablement sur un siège de cuir beurre
frais, moelleux et doux au toucher.
Les jumelles, dûment ceinturées, découvraient San Francisco avec
des yeux ronds.
— Où vivez-vous, Alex ? s'enquit-elle quelques minutes plus tard,
comme ils s'engageaient dans une large avenue.
— A Pacific Heights. Dans un vieil appartement très joli, avec de
hauts plafonds et du parquet à l'ancienne. Vous allez voir.
Il se retourna d'un mouvement bref vers ses filles, toujours sagement
assises, et poursuivit d'un ton plaisant :
— A propos de parquets, il va falloir que je fasse installer de la
moquette. Sinon, avec leurs petites chaussures bien sonores, on
croira qu'il y a un troupeau de buffles chez moi.
— Allez-vous pouvoir loger la gouvernante des enfants ?
— Elle prendra mon bureau. Je mettrai mon ordinateur et mes
dossiers dans ma chambre...

Alex avait eu Helen au téléphone. La nounou se ferait attendre


quelques jours. Il lui faudrait se débrouiller seul et cela l'angoissait
un peu. Quand la limousine se gara devant son immeuble, il se raidit
imperceptiblement.
Cassandra porta Brittany et lui Ashley. Ils entrèrent dans son
luxueux appartement au premier étage, juste au-dessus des garages.
Au moins, les voisins du dessous ne se plaindraient pas du bruit que
feraient les jumelles !
Le soleil du soir, que tamisaient les rideaux de larges baies, faisait
luire le chêne des parquets. Alex n'avait pas menti : les plafonds en
étaient très loin. Cet immense espace aux teintes douces procurait
d'emblée une très agréable sensation.
Contrairement à l'appartement de MaryEllen à New York, pensa
Cassandra en observant les lieux, l'intérieur d'Alex se révélait
chaleureux, accueillant ; le goût sûr qui avait assorti les meubles et la
décoration trahissait un souci bien personnel.
Elle posa doucement Brittany sur ses pieds. La petite fille suçait son
pouce et restait collée à elle. Avait-elle peur d'être abandonnée ?
— La chambre des enfants est par là, dit Alex en laissant, lui aussi,
Ashley libre d'explorer sa nouvelle demeure. Helen s'en est occupée
à ma demande.
— Allons voir à quoi elle ressemble, mes anges, lança Cassandra
d'un ton allègre.
Un grand lit reposait verticalement contre un des murs ; deux petits
lits avaient pris sa place.
— Avec quelques Mickeys çà et là, deux ou trois petits meubles,
ce sera parfait.
— C'était la chambre de MaryEllen, soupira Alex d'une voix
étouffée.
Cassandra n'en croyait pas ses oreilles. Si elle savait qu'Alex avait
fait un mariage d'affaires, elle n'en avait pas moins pensé qu'ils
avaient partagé le lit, elle et lui. Au moins l'avaient-ils partagé une
nuit... Les jumelles n'étaient pas nées par l'opération du Saint-
Esprit.
— Il n'est pas impossible que j'emménage dans une maison plus
grande. Il faudrait un jardin.
— L'endroit où j'ai passé mon enfance avait un immense jardin,
confia-t-elle. Quand il faisait chaud nous y plantions parfois la tente
pour y dormir.
Elle sourit à l'évocation de ce souvenir. Tout n'avait pas été sombre
dans ses jeunes années. De n'avoir pas eu une enfance normale,
avec de vrais parents, ne l'avait pas empêchée de passer de bons
moments, parfois...
— Eh bien, je crois qu'il est temps pour moi de partir, dit-elle d'un
ton décidé.
— Déjà? s'étonna Alex d'un ton de reproche. Il avait l'air déçu.
Plus que déçu : catastrophé.
— Je crois que ma mission est terminée, non ? répondit-elle
doucement.
— Restez au moins pour le dîner, Cassandra. Je vais commander
une pizza ; un taxi vous ramènera chez vous. Restez, je vous en
prie.
— Hmm... D'accord. Sitôt la pizza avalée, je file. N'oubliez pas que
je reprends le travail demain.
— Demain, c'est jeudi. Voulez-vous faire le pont? Votre patron n'y
voit pas d'inconvénient...
— C'est très gentil à mon patron, mais il faut que je démarre le
projet GlobalNet.
Il se rembrunit soudain.
— Le projet GlobalNet, bien sûr, répéta-t-il avec un soupir.

Lorsque le livreur de pizzas sonna à la porte, les deux enfants


avaient exploré l'appartement de fond en comble. Ashley et Brittany
n'avaient jamais mangé de pizza jusqu'alors, ce qui étonna fort Alex
et Cassandra. Les pizzas étaient-elles néfastes selon MaryEllen ?
Elle emportait ce secret dans la tombe.
Elles massacrèrent la part qu'on leur avait donnée avec une volupté
touchante à voir, et ne firent qu'une bouchée d'un brownie.
Malgré sa volonté de partir dès la fin du repas, Cassandra resta
encore un peu pour s'occuper des filles. Elle leur donna leur bain et
les mit en tenue de nuit. Enfin, toutes gloussantes, elles furent
installées dans leurs nouveaux lits, qui semblaient les enchanter.
— Merci mille fois, Cassandra.
Elle se tenait sur le seuil, sa petite mallette à la main. Le taxi
l'attendait, en bas. Alex cherchait désespérément un moyen de
prolonger encore sa présence chez lui, c'était patent.
— Vous avez été parfaite, ajouta-t-il avec un grand sourire.
— Je suis heureuse d'avoir pu vous être utile, répondit-elle,
modeste.
— Formidable, insista-t-il, croyez-moi. Vous avez fait un travail
formidable.
— Ce n'était pas un travail, mais un plaisir.
— Alors... vous ne regrettez pas d'être venue ? Elle éclata de rire.
— Je n'avais pas le choix !
Comme elle tournait les talons, il lança :
— Donnez-moi un coup de fil lorsque vous serez arrivée...
— Pourquoi ?
— Juste pour me dire que vous êtes à bon port. Comme ça, je ne
m'inquiéterai pas.
Elle le dévisagea. C'était la première fois, depuis des années et des
années, que quelqu'un se souciait d'elle ainsi. Une sorte de chaleur
l'envahit, un sentiment très doux.
— Entendu, murmura-t-elle avec un sourire timide. Dès que je suis
chez moi. je vous appelle. Merci pour le dîner, merci pour tout.
— C'est moi qui vous remercie. Et n'oubliez pas que nous nous
voyons vendredi soir — si je dégotte une baby-sitter.
— Mon taxi m'attend. Bonne nuit.
— Bonne nuit, Cassandra.
Il fit un pas vers elle et la serra dans ses bras dans un bref élan. Puis
il déposa un chaste baiser sur ses lèvres.
— Bonne nuit, répéta-t-il d'un ton grave, un peu mélancolique.
Cassandra descendit l'escalier sur un petit nuage. Ce deuxième
baiser avait déterminé en elle un déluge confus de sentiments.
« Allons, il s'agit d'un baiser de remerciement, rien de plus... » Bien
qu'elle tentât de garder la tête froide, son imagination s'enflammait :
ces baisers n'étaient que le commencement d'une longue histoire.
Alex allait bientôt tomber follement amoureux d'elle. Il ne tarderait
pas à lui demander sa main. Il lui proposerait alors de partager la
société, comme il l'avait fait avec MaryEllen...
Elle s'arrêta sur une marche, les sourcils froncés. « Allons, ma
petite, tu perds les pédales... » Il n'était pas très malin de sa part de
calquer sur celles de MaryEllen ses propres aventures. On avait vu
ce qu'avait donné son mariage : business, business et encore
business. Comment pouvait-elle rêver d'un tel destin ?
Elle ne voulait certainement pas d'un mariage d'argent.
Alex ne tarderait sans doute pas à se marier. Il le lui avait dit; il lui
fallait une femme, pour s'occuper des enfants. Et puis elle voyait
bien qu'Alex était un tendre. Et les tendres ont besoin des autres
pour vivre.
Lorsqu'elle retrouva son appartement, Cassandra décrocha
immédiatement le téléphone et composa le numéro d'Alex.
— Tout va bien. Je suis arrivée.
— Me voilà rassuré.
— Les filles dorment ?
— Oui. Elles se sont endormies juste après votre départ. J'espère
qu'Helen trouvera demain quelqu'un pour s'en occuper. Dans le cas
contraire je ne pourrai pas aller au bureau. Dans cette hypothèse
n'hésitez pas à m'appeler... si vous avez des questions concernant le
projet GlobalNet.
— Je n'y manquerai pas, merci. Bonne nuit.
C'avait été un échange raisonnable, professionnel... Pourquoi se
sentait-elle, en raccrochant, à ce point déprimée ?

Le lendemain elle se plongea dans les dossiers GlobalNet. D'un œil,


en penchant la tête, elle observait de temps à autre le bureau
d'Alex. Il restait vide.
Le surlendemain, Alex n'était toujours pas revenu. Elle commençait
à se poser sérieusement des questions. Jusqu'alors elle s'était voulue
discrète ; à présent elle ne tenait plus.
Ce fut au milieu de la matinée, ce vendredi, qu'elle frappa à la porte
du bureau d'Helen.
— Bonjour, Cassandra.
— Bonjour, Helen. Alex viendra ce matin ?
— Non. Lundi peut-être. Je peux vous aider ?
— Je me demandais simplement comment il s'en sortait, avec les
jumelles.
Helen eut un petit rire.
— Je crois qu'elles le font tourner en bourrique. Mais il ne se plaint
pas de la situation. J'ai trouvé quelqu'un, qui pourra commencer
lundi à s'occuper des enfants. On y verra plus clair...
— Bien. J'espère que... Le téléphone l'interrompit.
— C'est Alex, annonça Helen avec un grand sourire. Il désire vous
parler.
Elle prit le combiné qu'on lui tendait.
— Allô...
— Hello, Cassandra. Je suis un peu ennuyé. Nous devions dîner,
mais... je n'ai toujours pas de baby-sitter, ni personne pour garder
les filles. Pourrions-nous remettre notre rendez-vous à la semaine
prochaine ?
Un rendez-vous ? L'emploi de ce terme la surprit. C'était plus qu'un
simple « dîner ».
— Je comprends. Souhaitez-vous que je vous donne un coup de
main, ce soir?
Les mots étaient sortis tout seuls, avant qu'elle ne les ait choisis,
malgré elle. N'avait-elle pas juré de ne plus s'occuper des enfants
des autres ?
— C'est gentil à vous, Cassandra. Mais je vais me débrouiller. Et
puis l'appartement est dans un tel état... Mon image de marque en
prendrait un coup. Voulez-vous me repasser Helen, je vous prie ?
Cassandra retourna à son bureau toute pensive.
Il était plus de 20 heures lorsqu'elle arriva chez elle. Le projet
GlobalNet lui donnait beaucoup de travail.
Comme elle enfilait des vêtements plus confortables, la sonnerie du
téléphone retentit.
— Cassandra, j'ai besoin de vous ! La voix d'Alex était très
angoissée.
— Que se passe-t-il?
— Brittany ne va pas bien. Je ne sais pas quoi faire.
— Qu'a-t-elle donc ?
— Elle a vomi deux fois et se plaint de douleurs au ventre. Elle
n'arrête pas de pleurer. J'ai tout essayé : rien n'y fait.
— Je suis là dans dix minutes.
— Non, ne vous dérangez pas. Dites-moi simplement ce que je...
— J'arrive.
Elle raccrocha, très anxieuse. Que pouvait donc bien avoir Brittany?
L'avion l'avait-il rendue malade ? Avait-elle de la fièvre ?
Moins d'un quart d'heure plus tard, elle frappait à coups énergiques
à la porte d'Alex.
Il lui ouvrit avec, dans les bras, une Brittany dans tous ses états.
Ashley se tenait à quelque distance, l'air inquiet.
— Tu es malade, mon bébé ? murmura Cassandra en la prenant
dans ses bras.
Elle berça quelques instants la petite fille.
— On dirait qu'elle n'a pas de fièvre, reprit-elle. Elle a un peu
chaud, mais c'est parce qu'elle pleure.
— Je suis désolé de vous déranger ainsi, marmonna Alex en se
grattant machinalement la tête. Mais j'avoue que je commençais à
perdre pied...
— Qu'as-tu donc, ma chérie ? Tu as mal quelque part ?
— Au... Au ventre...
— Et toi, Ashley. Tu as mal aussi?
— Non. C'est Bitni qui est triste.
— Je vois ça.
Comme elle allait prendre un verre d'eau dans la cuisine, elle
découvrit un tableau d'apocalypse : des assiettes, des verres, des
couverts partout. L'évier plein à ras bord. La poubelle pleine
également.
Elle tourna la tête vers Alex.
— C'est dur, la vie de famille, hein?
— Ne m'en parlez pas ! C'est la folie. Le seul moment où j'ai un
peu de temps à moi, c'est pendant leur sieste.
— Je crois qu'une soupe chaude lui ferait du bien. Vous avez un
sachet quelque part? Une boîte?
— Oui. Je vous prépare ça. Il joignit le geste à la parole.
— Qu'a-t-elle mangé, aujourd'hui ? Il fit un geste évasif de la main.
— La même chose que les deux jours précédents. Rien de
spécial... à part une barbe à papa.
— Ashley en a pris une, elle aussi ?
— Non. Elle trouvait que c'était trop sucré.
— Hum... C'est peut-être ça... Un excès de sucre n'est pas bon
pour les petits estomacs...
— Je fais un piètre père, n'est-ce pas ?
— Mais non. Vous êtes un père formidable, Alex. Vous vous
occupez très bien de vos filles.
— Je n'ai pas pensé que la barbe à papa... Quand j'étais petit,
j'adorais ça et je n'ai jamais été malade...
— Vous étiez alors certainement plus âgé que vos filles...
— Oui.
Son sourire fut moins penaud que touchant... mais elle n'avait pas le
temps de s'attendrir. Il fallait s'occuper de Brittany.
— La soupe est-elle chaude? Parfait. Une petite cuiller, je vous
prie. Merci...
Après avoir avalé quelques cuillerées de soupe bien chaude, la
petite eut l'air d'aller mieux.
Ashley, qui était restée, l'air tourmenté, non loin de sa sœur, tira un
instant plus tard Alex par la manche.
— Je veux ma maman...
Alex se figea. Il fixait sa fille d'un air hébété, sans répondre.
— Ta maman n'est plus de ce monde, mon trésor, répondit
Cassandra d'une voix très douce. Elle est au ciel, maintenant.
Alex la fixa d'un air très mécontent.
— Pourquoi lui dites-vous ça? Ce ne sont que des bébés. Elles ne
peuvent pas comprendre... Je leur ai dit que leur mère était partie.
— Elles vont vous poser la question des dizaines de fois. Leur dire
cela, c'est prétendre qu'elle reviendra. Toute votre crédibilité sera
mise en question : elles se rendront compte du mensonge et elles
vous en voudront. Il ne faut pas mentir aux enfants, même petits.
— Mais c'est tellement cruel...
— La vie est cruelle, Alex. Et c'est terrible de perdre sa maman
quand on est enfant. Mais vous êtes là. Elles ont la chance d'avoir
un merveilleux papa qui les aime, et qui prend soin d'elles.
— Oui, elles ne connaîtront ni grand-père ni foyer d'accueil...
— A propos, votre grand-père est-il toujours vivant ?
— Mais oui ! Il a quatre-vingt-trois ans et est en pleine forme.
— Que pense-t-il de ses petites-filles ?
— Rien encore. Je pensais les lui présenter le week-end prochain.
J'imagine que cela va être un choc pour lui. De la même façon que
c'en fut un pour moi. Il vit à Sonora. Voulez-vous venir avec nous ?
Elle eut envie de crier un « oui » joyeux ; elle n'en fit rien.
— C'est gentil à vous, mais... je ne préfère pas.
— Oui, je comprends, dit-il dans une moue. Vous avez eu votre
dose d'enfants...
— Ce n'est pas cela. J'adorerais passer la journée avec vous et les
jumelles, mais... il me semble que je ferais un peu « pièce rapportée
» dans le tableau.
— Absolument pas! Allons-y tous ensemble. Les filles seront
enchantées d'être avec vous. Connaissez-vous Sonora ?
Elle secoua la tête.
— Vous verrez. Je suis sûr que vous aimerez.

Quelques moments après, le petit malaise de Brittany n'était plus


qu'un mauvais souvenir et les deux fillettes étaient couchées.
Cassandra vint les retrouver dans leur chambre.
— Elles vont dormir dans cinq minutes, murmura Alex en étirant ses
grands bras au-dessus de sa tête. C'est gentil à vous d'être venue,
Cassie.
Elle sursauta. Il l'avait appelée « Cassie » !
— Cela vous ennuie que je vous appelle par ce diminutif?
— Non. Les filles m'appellent comme cela. C'est... C'est très bien
ainsi.
Elle sentait que quelque chose de fort était en train de se passer
entre eux.
Ils sortirent de la chambre des enfants et se rendirent dans le salon.
Alex ouvrit une des fenêtres. Hésitante, elle vint le rejoindre pour
admirer la vue sur la baie de San Francisco, qu'on apercevait sur la
droite.
— C'est beau, n'est-ce pas? dit-il d'une voix grave et douce.
Le cœur battant à tout rompre, elle fit « oui » de la tête. Il fit un pas
vers elle, puis un autre. Il était tout près, à présent. A quelques
centimètres.
Lorsque les mains d'Alex l'encerclèrent, un immense plaisir la fit
tressaillir. Les yeux à demi fermés, elle vit son beau visage se
pencher lentement vers elle. Elle ferma complètement les yeux et
sentit presque aussitôt ses lèvres chaudes et lisses sur les siennes...
Elle eut l'impression d'avoir attendu ce baiser toute sa vie.
5.
La passion de son baiser se fit de plus en plus intense ; elle perdit
tout sens de la réalité. Jamais elle n'avait connu cela. Un véritable
paradis... que précipita sur terre une voix aiguë :
— Papa! Papa!...
Un seau d'eau glacée n'aurait pas fait mieux.
Alex poussa un soupir désolé, puis se dirigea d'un pas vif vers la
chambre des jumelles.
Cassandra alla s'asseoir sur le canapé du salon. Il vint l'y rejoindre
quelques instants plus tard. Décevant son espoir, il s'installa à
quelque distance. Il étendit ses longues jambes, appuya la tête sur
les coussins et poussa de nouveau un long soupir. Il avait l'air
épuisé.
Le baiser ne semblait plus à l'ordre du jour. Le paradis était perdu.
Elle finit par rompre le silence gêné qui s'installait :
— Il est temps que je parte. Il est tard... Il se leva aussitôt.
— Je vais appeler un taxi.
Elle l'observa pendant qu'il téléphonait. Il lui offrait un profil
magnifique...
— Il sera là dans quelques minutes. Je ne pensais pas qu'il était si
tard...
Il marcha jusqu'à la fenêtre pour surveiller l'arrivée du taxi.
— Je suis bien contente du prompt rétablissement de Brittany...
Cassandra passa un doigt le long de sa lèvre, un peu tristement.
— ... les maux de ventre disparaissent souvent très vite chez les
enfants, conclut-elle.
— Passez-moi un coup de fil dès que vous serez arrivée,
Cassandra, murmura-t-il.
Elle fit « oui » de la tête. Cette simple demande lui faisait chaud au
cœur.
— Le taxi est là, reprit-il.
Il vint vers elle et, posant affectueusement ses larges mains sur ses
épaules, plongea son regard dans le sien durant un long moment.
Allait-il l'embrasser une nouvelle fois?
— Il vaut mieux y aller, maintenant...
Sur ces mots, il ôta ses mains ; elle partit presque en fuyant, tant elle
était émue. Soupçonnait-il à quel point elle avait espéré un nouveau
baiser? Avec quelle intensité elle l'avait attendu ?
Lorsqu'elle fut dans le taxi, elle leva les yeux vers la fenêtre où la
silhouette d'Alex s'encadrait. Il fit un geste de la main, auquel elle
répondit.

Le mardi matin suivant, l'ensemble du personnel de Hunter Associés


était sur le pied de guerre. Des clients étaient attendus à 10heures;
l'enjeu de la réunion qu'ils devaient avoir avec la direction se révélait
très important pour l'entreprise. Si Cassandra ne s'était pas occupée
de ce projet, elle se trouva, en quelque sorte, contaminée par
l'atmosphère des grands jours qui régnait dans la maison.
Peu avant 10 heures, Helen entra brusquement dans son espace de
travail. Elle avait l'air soucieux.
— Cassandra, puis-je vous parler en particulier ?
— Bien sûr.
Cassandra se leva immédiatement pour suivre Helen jusqu'au
bureau d'Alex, dont celle-ci prit bien soin de refermer la porte.
— Nous avons un problème. Cassandra. La gouvernante que
j'avais contactée nous fait faux bond. J'ai essayé d'en trouver une
autre, sans succès. Alex ne peut tout de même pas assister à cette
réunion avec ses filles ! Il faut que vous les gardiez. Il n'y a pas
d'autre solution.
— Encore ! grommela Cassandra, désagréablement surprise.
— S'il vous plaît, grimaça Helen.
— Est-ce un ordre du patron ?
— Non. Il m'a chargée de trouver quelqu'un et... Je vous en prie.
Ce n'est que pour aujourd'hui. Vous comprenez, aujourd'hui, avec
cette réunion...
Helen jeta un coup d'œil inquiet à la pendule. Il était presque 10
heures.
— D'accord, soupira Cassandra. Je vais chercher mes dossiers et
j'y vais. J'essaierai de travailler un peu...
— Oui, vous utiliserez l'ordinateur d'Alex. Il est relié au bureau.
La secrétaire pianota un numéro et annonça d'une voix rassurée :
— Impossible de trouver une quelconque nounou dans toutes les
agences de la ville. Mais Cassandra veut bien venir vous
dépanner... Pardon? Oui, d'accord. Je vais le lui dire.
Elle raccrocha et se tourna vers Cassandra.
— Vous lui sauvez la vie. Il n'est pas près d'oublier le service que
vous lui rendez. Ce sont ses propres mots. Il n'a pas le temps de
vous attendre chez lui, il serait en retard pour la réunion. Il arrive
avec les jumelles. Merci. Je ne sais pas ce que nous aurions fait
sans vous.
Cassandra s'en alla rassembler ses affaires. Elle espérait bien
pouvoir travailler chez Alex. Elle devait de toute urgence analyser
des chiffres en provenance de Hongkong. La sieste des enfants lui
laisserait une bonne heure de libre ; en les vissant devant la télé, elle
devrait pouvoir être tranquille.
Quelques minutes plus tard, elle était assise dans le hall du rez-de-
chaussée, avec, dans son attaché-case, tous les dossiers dont elle
avait besoin.
La haute silhouette d'Alex se dessina soudain derrière les grandes
portes vitrées de l'entrée. Il avançait d'un bon pas, tenant
solidement les jumelles par la main, lesquelles devaient courir pour
pouvoir suivre le train.
Il était toujours aussi séduisant, et, lorsqu'il lui adressa un sourire
lumineux, elle se sentit fondre.
— Cassie, vous êtes mon sauveur!
Il se pencha vers elle et l'embrassa brièvement. Puis il se tourna vers
ses enfants et, d'un ton qui se voulait sévère :
— Soyez bien sages toutes les deux, hein? N'embêtez pas Cassie.
Nous sommes d'accord?
Les deux petites hochèrent la tête d'un même mouvement.
— D'accord, Papa, dit Ashley.
— Et moi aussi, ajouta Brittany en adressant un grand sourire à
Cassandra.
— Je ne sais pas à quelle heure j'en aurai terminé avec mes clients,
reprit Alex. Il faudra peut-être que je les emmène dîner au
restaurant. J'espère pouvoir m'abstenir de cette corvée...
— Ne vous inquiétez pas, Alex. Faites ce qu'il faut pour décrocher
ce fameux contrat. Tant pis si vous rentrez tard. Je travaillerai après
les avoir couchées... Helen m'a dit que je pouvais me servir de
votre ordinateur personnel.
— Bien sûr, pas de problème. Elle lut dans son regard une sincère
reconnaissance.
— Merci pour ce que vous faites pour moi, Cassie, conclut-il avant
de tourner les talons.
Il lui fit un dernier petit signe de la main et courut vers l'ascenseur.
— Cassie va jouer avec moi ? demanda Ashley.
— Oui, répondit Cassandra. Je vais jouer avec vous deux. Il faut
d'abord que nous passions chez moi pour que je change d'habits.
Ensuite nous irons au parc et nous déjeunerons. D'accord?

Lorsque les deux jumelles furent couchées pour leur sieste,


Cassandra prit sa petite mallette et poussa la porte de la chambre
d'Alex.
Le grand lit, un peu défait, lui fit une impression bizarre. L'oreiller
avait gardé F empreinte de sa tête...
En pénétrant ainsi dans le domaine privé d'Alex, elle se sentait
comme imprégnée de sa présence. Elle reconnaissait l'odeur de son
eau de toilette. Dans un placard elle aperçut ses différents
costumes, ses cravates, ses chaussures...
Cependant elle n'était pas entrée dans la chambre d'Alex dans le
but de fouiner, mais pour y travailler. Elle trouva l'ordinateur dans
un coin de la pièce, sur un petit bureau, face à une chaise basse et
confortable. Elle s'installa et travailla sans interruption sur ses
dossiers.
L'après-midi se passa sans problèmes, sans caprices, sans bruit.
Les deux jumelles se révélèrent des amours.
Lorsque Cassandra entendit le bruit de la clé dans la serrure, il était
plus de 22 heures. Elle se reposait dans le salon depuis quelques
minutes seulement.
— Alors, ça s'est bien passé avec vos clients ? s'enquit-elle en se
levant du divan où elle était installée.
Elle avait laissé ses lunettes sur la table basse et ses cheveux étaient
légèrement défaits, ce qu'elle regretta : elle aurait pu se recoiffer
avant l'arrivée d'Alex. Il était trop tard à présent. Elle se passa les
doigts dans les cheveux, dans l'espoir d'y mettre un tout petit peu
d'ordre.
— Nous avons signé le contrat à 16 heures, annonça Alex. Ensuite
je les ai emmenés dîner au Blue Rose, après quoi je les ai
reconduits à leur hôtel.
— Félicitations, Alex. J'étais certaine que vous réussiriez à enlever
le morceau.
Elle souriait comme si c'était son propre projet qui avait été vendu...
Il en prit note avec un éton-nement radieux.
— Les filles ne vous en ont pas trop fait voir ?
— Ashley et Brittany sont des anges, Alex.
— Ouf, vous me rassurez, confia-t-il en la fixant d'un œil brillant.

Alex continuait d'être fasciné par cette jeune femme qui savait à la
fois remplir ses devoirs professionnels de façon remarquable et se
révéler si précieuse auprès des enfants. Elle semblait avoir toutes les
qualités.
Et puis ses cheveux noirs ondulant souplement sur ses épaules lui
donnaient envie d'y plonger les doigts...
— J'apprécie vraiment ce que vous avez fait pour moi. Helen a
déniché une personne qui pourra s'occuper des filles pendant la
journée. Mais elle continue toujours à chercher une vraie
gouvernante. C'est un énorme problème que de trouver quelqu'un
de bien...
— Il est peut-être temps pour vous de rencontrer la femme idéale
que vous évoquiez l'autre jour...
Elle ramassa ses affaires pour partir. Il l'observait du coin de l'œil.
Et si c'était elle, la femme idéale?
— Je vous appelle un taxi. Rassurez-vous, Cassie, cela ne
deviendra pas une habitude !

Il était déjà dans son lit quand le téléphone sonna. Il avait une
nouvelle fois demandé à Cassandra de l'appeler dès son arrivée
chez elle.
— Je suis saine et sauve, annonça-t-elle d'une voix neutre.
Dans la pénombre de sa chambre, il sourit. Il aimait entendre le son
de sa voix.
— C'est bien. Tout à l'heure j'ai oublié de vous demander si vous
aviez eu le temps de travailler pour vous.
— Oui. J'ai disposé de presque deux heures pendant la sieste des
enfants — et puis après leur coucher du soir, je n'ai pas arrêté...
— Bravo, Cassandra. Je me rends compte à présent que j'ai
embauché une perle rare...
— Si vous le dites. Je pense qu'il est temps pour vous d'aller au lit.
— J'y suis déjà.
Un silence gêné s'ensuivit, riche, à l'un et l'autre bout du fil, de
sentiments, d'émotions, de secrets, de désirs, de non-dits...
— Ah, vous êtes déjà couché, dit-elle enfin d'une voix mal assurée.
— Il y a un petit monstre qui a pour habitude de venir dans mon lit
à 6 heures du matin. C'est pour cela que je me couche tôt...
— Brittany ou Ashley?
— D'abord Ashley.
Il eut un rire amusé et reprit :
— Figurez-vous que le premier jour où elles ont dormi à la maison,
je me suis retrouvé dans une situation bien embarrassante : j'ai
l'habitude de dormir nu et elles sont venues toutes les deux dans ma
chambre, très tôt. Je ne pouvais pas me lever. C'était très gênant...
— Alors maintenant vous portez un pyjama?
— Le bas seulement. Les deux jumelles sont fascinées par les poils
que j'ai sur la poitrine. Bizarre, non?
Le silence, de nouveau, se fit entre eux, porteur, encore, de bien
des choses.
— A quoi pensez-vous, Cassie?
Elle débita sa réplique d'un ton précipité, chaotique :
— Je comprends tout à fait la fascination qu'elles éprouvent... Enfin,
je veux dire... Cette discussion est un peu déplacée, vous ne
trouvez pas? A... à plus tard.
Elle raccrocha brutalement. Il resta un moment le récepteur à la
main, très songeur.
— Mmm, mademoiselle Cassie, vous me plaisez de plus en plus,
marmonna-t-il.

Comment avait-elle pu dire une chose pareille? Elle s'était ridiculisée


! « Je comprends tout à fait la fascination qu'elles éprouvent... »
Mon Dieu, quelle idiote !
Une honte brûlante la submergeait. Elle alla passer de l'eau sur son
visage. Ses joues, un coup d'œil dans le miroir le lui confirma,
étaient écar-lates.
— Ce que tu peux être stupide, ma fille, bougonna-t-elle tandis
qu'elle s'aspergeait d'eau fraîche.
L'homme avait beau être extrêmement séduisant, il n'en demeurait
pas moins qu'elle avait réagi comme une collégienne...

Le samedi suivant, Cassandra se leva d'excellente humeur. La


journée s'annonçait claire et ensoleillée. La perspective de passer ce
week-end avec Alex l'excitait follement. Ce soir, elle dînerait en tête
à tête au restaurant avec lui ! Elle s'en réjouissait à l'avance.
Elle choisit une robe bien plus féminine que ses habituels tailleurs.
Comme elle jetait de temps à autre un coup d'œil par la fenêtre,
pour surveiller la venue d'Alex et des filles, elle les aperçut soudain,
au coin de la rue, qui marchaient vers son immeuble. Alex portait
une chemise de couleur sombre, et son habituel jean des fins de
semaine. Il était formidablement attrayant ainsi. Si ses cheveux
étaient un peu en désordre, comme si le vent avait voulu jouer avec
eux, sa coupe était telle que, même ainsi, il restait bien coiffé...
Lorsque le carillon retentit, elle ouvrit toute grande la porte.
— Bonjour ! lança-t-elle d'un ton enjoué. Elle se pencha sur les
enfants, une façon comme une autre de retarder le moment de
croiser son regard. Sa gaffe téléphonique la mettait encore mal à
l'aise.
— Hello, Cassie ! s'écria Ashley en se précipitant dans ses bras,
bientôt suivie de Brittany.
— Tâchez de ne pas faire de bêtises dans l'appartement de Cassie,
prévint Alex.
— Bah, il n'y a rien à casser, ici, rétorqua-t-elle dans un rire un peu
nerveux.
La présence d'Alex, si proche, si troublante, produisait en elle un
effet dévastateur.
Il s'approcha tout près, et, d'un geste à la fois ferme et tendre, saisit
une de ses mains qu'il plaça contre sa poitrine.
— La fascination, je peux l'éprouver moi aussi... à votre égard,
murmura-t-il.
Alors, sans qu'elle ait le temps de protester, il l'embrassa.
6.
Lorsqu'il desserra son étreinte, Cassandra demeura les yeux fermés,
le cœur battant, ne sachant que faire...
— Cassie?
La voix d'Alex était si douce, si grave, si tendre, si musicale...
qu'elle aurait aimé l'enregistrer pour pouvoir l'écouter encore et
encore.
— Oui?
Elle voulut baisser la tête; il lui maintenait le menton d'une main
ferme.
— Ouvrez les yeux, ordonna-t-il, d'un ton câlin.
Elle secoua négativement la tête.
— Mais pourquoi ?
— Tant que je garde les yeux clos, personne ne peut me voir...
Il se mit à rire.
— Ah ! La méthode de l'autruche, comme les enfants ! Ce que
vous êtes drôle, Cassie.
Elle ouvrit les yeux et se trouva nez à nez avec
lui; ses lèvres étaient toujours aussi proches des siennes. Elle avait
gardé la main sur sa poitrine et sentait, à travers le tissu de sa
chemise, la douceur de sa toison, sa musculature puissante...
Les lèvres d'Alex se collèrent tout contre son oreille :
— Je vous montre ma poitrine si vous découvrez la vôtre...
— Vous voulez me faire mourir de honte? répondit-elle dans un
souffle.
Il eut de nouveau un petit rire léger puis l'embrassa une dernière fois
du bout des lèvres.
— Allons, dit-il en se redressant. Une belle journée se prépare.
Nous n'avons pas de temps à perdre.
Et, d'une voix plus forte, il lança joyeusement :
— Ashley, Brittany ! Que faites-vous ?
— Rien..., répondit immédiatement une petite voix coupable.
— Mon Dieu ! s'exclama Cassandra. Ma tête à couper qu'elles font
des bêtises !
Elle se précipita dans le salon. Les enfants n'y étaient pas. En trois
enjambées elle fut sur le seuil de la cuisine et se figea, consternée.
Alex observait la scène par-dessus son épaule.
Les deux jumelles avaient dispersé des bouts de pain un peu
partout. Brittany tartinait avec ardeur une tranche, sa robe, le sol...
Elle et sa sœur, assise non loin, les doigts dans un pot de confiture,
avaient semé un beau désordre.
— Ce n'est pas gentil, ce que vous faites, gronda Alex. Je vous
avais demandé de ne toucher à rien. Vous aviez pourtant bien
entendu, n'est-ce pas?
Les deux enfants approuvèrent d'un mouvement solennel de la tête,
les yeux remplis d'appréhension.
— Regardez un peu dans quel état vous avez mis la cuisine! Je ne
suis pas content. Allez demander pardon à Cassie.
Ashley se releva la première et articula d'une voix plaintive : —
Pardon, Cassie.
Brittany, les yeux remplis de larmes, enfourna son pouce dans sa
bouche et murmura la même excuse.
— Votre papa a raison, enchaîna Cassandra. Ce n'est pas bien
d'avoir fait ça. C'est très vilain. Vous allez rester assises pendant
cinq minutes sans parler.
Elle les mena jusqu'à leur chaise.
— Pas un mot, compris ? Je règle la pendule de manière à ce
qu'elle sonne dans cinq minutes. D'accord?
Les jumelles firent « oui » d'un petit mouvement de la tête, l'air
toujours accablé.
Alex s'était empressé de remettre en ordre la cuisine. Lorsqu'il eut
terminé, il prit doucement Cassandra par le bras et ils sortirent.
— N'êtes-vous pas un peu sévère ? s'étonna-t-il à voix basse. Elles
semblent vraiment désolées de ce qu'elles ont fait...
— Cinq minutes, c'est une juste punition. Cela leur semblera un peu
long ; c'est une façon de marquer le coup. Il faut qu'elles apprennent
à vous obéir, Alex, autrement vous en ferez des enfants gâtés.
Songez aussi au danger qu'elles courent dans la rue, si elles ne vous
obéissent pas.
— Je m'incline devant votre expérience dans ce domaine.
— Elles ont besoin de repères solides, Alex. Vous seul pouvez les
leur donner. Un enfant a besoin de bornes à ne pas dépasser.
— Vous avez sans doute raison. Vous avez préparé vos affaires ?
On peut partir ?
— Je suis prête. Mon sac de voyage est là.
Il l'observait d'un œil perçant, sans chercher à dissimuler une petite
grimace.
— Ne seriez-vous pas plus à l'aise sans chignon ? hasarda-t-il.
Nous sommes en week-end, non ? Votre coiffure est un peu...
Comment dirais-je ? Anachronique !
— Ah bon, dit-elle d'un ton tranquille en passant la main sur son
chignon. Vous trouvez que cela ne me va pas ?
Il tendit la main et ses doigts jouèrent un instant avec ses cheveux.
Elle s'en défendit en opposant sa main, comme pour protéger son
précieux chignon. Mais il avait saisi le peigne qui retenait sa
chevelure ; il l'ôta en riant.
— Vous avez de si jolis cheveux !... Ils sont faits pour rester en
liberté. Regardez comme la lumière joue avec eux. Leurs reflets
sont ravissants. Ah, non, pas de chignon ! Et vos lunettes, Cassie !
Elles sabotent votre regard. Vous êtes bien plus jolie sans elles...
— Mais...
— Si, si. Je vous assure !
D'un geste vif il s'était emparé de ses lunettes et les tenait à distance.
— Mais il faut bien que j'y voie, protesta-t-elle.
Il les plaça devant ses yeux et fronça les sourcils.
— Elles ne sont pas très fortes. Elle les reprit d'une main tranquille.
— Si je ne les mets pas, les lointains sont flous. Il se plaça tout
contre elle.
— C'est la vision rapprochée qui importe. Avez-vous besoin de
lunettes, en cet instant présent ?
Elle recula. Il avança.
— Alors, vous ne me voyez pas, Cassie ? Comme elle reculait
encore, un mur empêcha toute fuite.
La pendule de la cuisine sonna.
— L'heure de la délivrance ! s'écria-t-il d'un ton allègre, avant de
tourner les talons et d'aller chercher ses filles.
Cassandra, de son côté, se remit de ses émotions...
Quelques moment après, ils s'installaient dans la vieille voiture
bordeaux d'Alex. L'intérieur, gris, en était très confortable.
— Parlez-moi un peu de votre grand-père, voulez-vous ? le pria
Cassandra lorsqu'ils furent sur la route.
— Que puis-je vous dire ? C'est un vieil homme un peu bourru qui,
dans une maison encore plus vieille que lui, vit seul depuis la mort
de ma grand-mère...
— J'imagine que ces jumelles tombées du ciel vont le surprendre. Si
votre femme n'était pas morte... peut-être n'en auriez-vous jamais
rien su.
— Son avocat prétend qu'elle m'a caché leur naissance parce
qu'elle redoutait que je ne veuille la confiner à la maison. C'aurait
été un drame pour MaryEllen : le travail était le but suprême de sa
vie, sa justification, son plaisir.
— Et pour vous, Alex, que représente votre travail ?
— J'aime bien la façon dont Hunter Associés s'est développée.
Nous avons bien travaillé et je souhaite que notre société fasse des
bénéfices. Quoi de plus normal ? Cependant je ne veux pas d'une
croissance excessive.
— Et qu'espérez-vous de plus dans votre vie?
Il tourna brièvement la tête vers elle... Il conduisait avec prudence,
mais sans mollesse.
— C'est amusant que vous me demandiez cela. J'y ai beaucoup
pensé ces temps derniers. Depuis que les jumelles sont entrées dans
ma vie, mes perspectives ont changé. J'aimerais d'abord acheter
une grande maison pour que les filles soient à leur aise...
Le paysage défilait et l'attention de Cassandra s'attardait parfois sur
les maisons, les jardins, les champs. De temps à autre elle se
tournait vers Ashley et Brittany et s'assurait que tout allait bien. Les
deux enfants étaient sages comme des images.
— Et vous, Cassandra, reprit Alex. Qu'espérez-vous de la vie ?
Quels sont vos buts ?
— Je veux avant tout devenir moi-même, et réussir. Mon travail me
passionne. J'ai l'ambition de mener au succès les projets qui m'ont
été confiés — afin de mériter une augmentation massive...
Il éclata de rire.
— Vous, au moins, vous ne perdez pas le nord !
Cassandra eut un sourire un peu rêveur.
— C'est vrai, admit-elle. Je ne perds pas le nord.
Alex redevint sérieux.
— Et votre vie personnelle, Cassandra? Comment la voyez-vous ?
Avez-vous une liaison ? Cachez-vous un amoureux quelque part?
Elle se tourna vers lui, stupéfaite. Ne l'avait-il pas embrassée
plusieurs fois ? Et chaque fois de façon plus intense, plus pressante!
Pourquoi posait-il cette question ?
— Un amoureux ? répéta-t-elle d'une voix pleine d'ironie. Non. Je
n'en ai pas.
— Vous ne voulez pas vous disperser, c'est ça? Rien d'autre ne
compte que le boulot ?
— C'est à peu près ça.
A ce moment Brittany tapota légèrement sur son épaule et réclama
une histoire ; cette diversion soulagea Cassandra.

Ils arrivèrent à Sonora dans l'après-midi. Les montagnes de la


Sierra Nevada, si différentes des collines qui entourent Los
Angeles, les hauts pins s'élançant dans un ciel limpide et cristallin,
l'air pur, légèrement parfumé de l'arôme des cèdres et des sapins...
tout enchantait Cassandra.
Alex s'engagea dans une allée de graviers conduisant à une vieille
maison un peu délabrée, certes, mais pleine de charme.
Un vieil homme, alerté par le bruit du moteur, se présenta sur le
seuil. Lorsqu'il reconnut Alex, son visage s'illumina.
— Hello, grand-père, lança gaiement Alex.
Il sortit de voiture, ouvrit la portière de Cassandra et libéra les
jumelles ; puis, Brittany dans ses bras, il saisit au vol le grand sac
blanc contenant les affaires des filles. Cassandra donnait la main à
Ashley.
— J'aurais dû téléphoner. J'espère que nous ne te dérangeons pas...
— Tu es chez toi, mon garçon. Tu sais bien que tu ne me déranges
jamais. Je vois que tu as des invités avec toi. Bonjour, madame.
— Je te présente Cassandra Bowles, qui travaille dans ma société.
Cassie, voici mon grand-père, Silas Hunter. Ces deux jeunes
personnes sont mes filles : Ashley et Brittany.
Le vieil homme sursauta un peu avant de toiser d'un regard
orgueilleux les deux enfants.
— Tu aurais peut-être pu me les présenter plus tôt, mon garçon.
— J'en aurais été ravi, grand-père. Je ne connais leur existence que
depuis une semaine. Rentrons, si tu veux bien, et je t'expliquerai tout
ça. Nous avons acheté de quoi manger dans un restoroute. Tu as
déjeuné ?
— Non, pas encore. Entrez, mademoiselle Bowles.
— Appelez-moi Cassandra, je vous en prie.
— Tu peux même l'appeler Cassie, proposa
Alex. C'est plus court.
Les deux fillettes pénétrèrent dans la grande maison avec
circonspection.
— Je dois avoir quelque part les cubes avec lesquels jouait votre
papa quand il était petit, grommela à leur adresse Silas Hunter. Où
donc les ai-je rangés ?
Ils furent bientôt réunis pour un bref déjeuner. Cassandra vit avec
plaisir que les enfants avaient totalement charmé leur arrière-grand-
père. Il était en admiration devant elles.
— C'est l'heure de la sieste pour les filles, déclara Alex en
repoussant son assiette. Je te les confie, grand-père. Ne t'inquiète
pas : elles sont toujours sages à cette heure. Je vais emmener
Cassie visiter Columbia.
— Je veillerai sur ces deux amours comme sur la prunelle de mes
yeux, assura le vieil homme en souriant.

Columbia, où elle n'était jamais allée, fascina Cassandra. Alex se


révéla un excellent guide. Il connaissait tous les coins et recoins de
la vieille ville qui avait été, à la fin du xixe siècle, le point de
ralliement des chercheurs d'or de la fameuse ruée vers l'Ouest. Des
aventuriers du monde entier étaient venus jusqu'ici dans l'espoir de
tomber sur le filon qui les rendrait riches. L'évocation de ce passé
inspira cette question à Alex :
— Que feriez-vous, Cassie, si vous découvriez une tonne d'or?
Elle eut un rire amusé.
— Je créerais ma propre entreprise, répondit-elle sans hésiter.
Puis, craignant d'avoir vexé son patron, elle ajouta :
— Cela ne signifie pas que je souhaite quitter Hunter Associés.
Mais j'aimerais bien diriger ma propre société, un jour...
L'après-midi se déroula de manière si plaisante que Cassandra ne
vit pas le temps passer.
Lorsqu'ils revinrent chez Silas Hunter, celui-ci avait préparé un pot-
au-feu pour le dîner. Alex, très déçu, glissa à l'oreille de Cassandra :
— J'avais prévu de vous emmener dans un restaurant où l'on peut
danser...
Le grand-père avait l'ouïe fine.
— Tu l'emmèneras une autre fois, mon garçon. Pour une fois que
j'ai la chance de t'avoir près de moi, tu ne vas pas me fausser
compagnie, n'est-ce pas?
Silas Hunter se mit à raconter des anecdotes concernant l'enfance
d'Alex. Ashley et Brittany, éberluées, avaient du mal à réaliser que
l'enfant dont on parlait était leur père. Il était si grand! Difficile
d'imaginer qu'il avait été, lui aussi, un petit garçon haut comme trois
pommes...
Les récits du vieil homme, pleins de malice et d'affection, plaçaient
Alex sous un nouvel éclairage ; Cassandra les suivit avec attention.
Bientôt Brittany s'endormit dans les bras de son père, qui se leva
pour la mettre au lit.
Comme Cassandra se levait aussi, Silas la retint :
— Restez un moment, Cassie. Je voulais discuter quelques instants
avec vous...
Lorsque Alex eut disparu, le vieil homme poursuivit d'un ton amical :
— Vous savez, Cassie, c'est la première fois que je vois Alex dans
cet état. Il a une façon de vous suivre des yeux lorsque vous vous
déplacez... Cela ne trompe pas.
Cassandra se sentit rougir.
— Bah, il m'a demandé de l'accompagner principalement pour que
je m'occupe des enfants...
Le vieux monsieur la considérait d'un air dubitatif, les yeux brillants.
— Vous croyez ça? Hum... Je vais vous dire, ma chère enfant :
Alex a besoin d'une femme, d'une véritable épouse... qui soit autre
chose qu'une associée. Une femme qui aime les enfants et sache
s'en occuper. On dirait que vous avez l'habitude des enfants... Il
suffit de vous voir avec Ashley et Brittany : vous êtes comme une
mère pour elles.
— Je me suis beaucoup occupée d'enfants lorsque j'étais plus
jeune, confia-t-elle, un peu embarrassée.
Qu'il vantât ses talents de garde d'enfants ne lui plaisait qu'à moitié.
Etait-ce donc la seule chose dont on l'estimât capable?
Mais Silas Hunter insistait :
— Ce mariage d'affaires qu'a fait Alex, quelle erreur! On ne se
marie pas dans le but de créer une entreprise. On se marie pour
fonder une famille...
Un nuage passa dans son vieux regard.
— Il n'y a pas de femme dans la vie de mon Alex. Cela me
chagrine.
— On se marie aussi par amour. Ne pensez-vous pas que ce soit
l'élément le plus important, dans un mariage?
— Il ne faut pas être trop idéaliste. L'amour n'est pas toujours au
rendez-vous. Un bon compagnon, dans la vie, c'est déjà quelque
chose. Ce qu'était pour moi ma chère Emma... Le père d'Alex, lui,
est tombé fou amoureux de sa femme. Par la suite ils n'ont cessé de
se disputer comme chien et chat. Non, croyez-moi, l'amour n'est
pas toujours au rendez-vous...
Cassandra, désappointée par ces conseils désenchantés, savait bien
que, pour sa part, si elle devait un jour se marier, ce serait par
amour et non pour quelque autre motif.

Alex hésitait sur le seuil du salon, tandis que Cassandra et son


grand-père discutaient à voix basse. Il n'était pas très tard; pourquoi
n'emmènerait-il pas Cassie prendre un verre quelque part, en ville?
Il rêvait de la faire danser...
Le vieux Silas devait certainement penser que Cassie ferait une
femme idéale pour lui. Il discernait, à distance, que c'était
précisément ce que son vieux protecteur avait en tête. Il le
connaissait suffisamment pour deviner ses sentiments ou ses
émotions. Ils avaient passé tant de temps ensemble, dans le passé...
La question, en effet, méritait d'être posée : Cassandra ferait-elle
une bonne épouse ? Accepterait-elle de se marier avec lui ? Si elle
y consentait, bien des problèmes du quotidien seraient résolus-Mais
ne lui avait-elle pas dit qu'elle entendait se consacrer à sa carrière,
et à rien d'autre?
L'objet de ses pensées remarqua subitement sa présence, comme
avertie par un instinct secret.
— Elles sont couchées? s'enquit-elle en tournant la tête vers lui.
— Elles ne se sont pas fait prier. Je parie qu'elles vont dormir d'un
trait jusqu'à demain matin... Dis-moi, grand-père, tu peux les garder
pendant que Cassie et moi faisons un tour en ville?
— Bien sûr.
— Vous venez, Cassie? On va faire un petit tour?
— Vous permettez ? dit-elle au vieux monsieur en se penchant
légèrement vers lui.
— Je vous en prie... Allez, allez vous promener ! Il fait encore doux
à cette heure. Profitez-en !
Au moment de franchir le perron de la maison, Cassandra s'arrêta
brusquement. Alex, qui lui avait emboîté le pas, buta contre elle.
— Wouf... Pardon. Que se passe-t-il?
— C'est la nuit noire. Je n'y vois rien.
— Laissez vos yeux s'habituer à l'obscurité, Cassie. Suivez-moi. Je
connais bien le chemin.
Il saisit sa main et glissa ses doigts dans les siens.
— Comme tout est calme, ici, murmura-t-elle. Je comprends votre
envie d'avoir une maison pour les enfants...
— Une maison... et une mère, murmura-t-il tout près de son oreille.
Il posa doucement ses deux mains sur ses épaules. Dans l'obscurité
quasi complète, son visage se découpait sur le firmament. Il
cherchait ses yeux.
— Qu'en pensez-vous, Cassie? Elle hésita, le cœur battant.
— Que voulez-vous dire? articula-t-elle lentement.
Elle avait les lèvres sèches et une boule s'était formée dans sa
gorge.
— Voulez-vous m'épouser, Cassie?
7.
Cassandra se raidit, horrifiée, puis, tournant les talons, partit d'un
pas décidé... elle ne savait où.
— Attendez, Cassie!
Il avait saisi son bras et la retenait d'une main ferme.
— On peut au moins en discuter.
— Discuter de quoi? Croyez-vous que j'aie envie de passer le reste
de ma vie à jouer les baby-sitters ? J'ai travaillé dur pour en arriver
où je suis aujourd'hui !
Elle avait presque crié tant sa colère était vive, et tenté en vain de se
dégager de son étreinte.
— Lâchez-moi !
— Essayez de comprendre, Cassie... Calmez-vous, je vous en prie.
Je n'ai jamais dit que je souhaitais vous voir arrêter de travailler.
Mais il y a une telle entente entre les jumelles et vous ! Elles vous
aiment tant ! Ce serait la solution idéale !
— Ah ! Ce serait peut-être idéal pour vous — pas pour moi.
Alex poussa un soupir.
— Un jour ou l'autre vous déciderez bien de vous marier, Cassie.
Pourquoi ne serait-ce pas avec moi ? Nous nous entendons bien.
Nous avons passé une merveilleuse journée ensemble, non ?
— Allons, Alex, un peu de sérieux. Ce n'est pas parce que nous
venons de passer un après-midi agréable que nous devons courir à
la mairie ! Soyez lucide, Alex. Vous parlez de mariage par
commodité, non par amour. Vous ne m'avez jamais dit que vous
m'aimiez. Tout ce que vous voulez, c'est une mère pour vos deux
filles.
Alex soupira de nouveau et battit un instant l'air en signe
d'impuissance.
— Nous nous connaissons à peine, reprit Cas-sandra d'un ton
véhément. On ne construit pas un mariage sur des bases aussi
fragiles ! Une femme n'épouse un homme que lorsqu'elle est sûre de
son amour — que dis-je ? de leur amour, à l'un et à l'autre. Ce n'est
pas le cas en ce qui nous concerne, n'est-ce pas ?
— Je ne vous ai jamais raconté d'histoires, Cassie. Vous savez que
je suis sincère. Vous savez que si je me jetais à vos genoux en
clamant que je suis fou de vous, ce serait du théâtre...
— En effet, lâcha-t-elle avec une amertume proche de la colère. Ce
ne serait que du théâtre. Et je ne me laisserais pas prendre à la
comédie.
— Vous auriez raison. Je ne crois pas à l'amour fou, tel que le
décrivent les romans et les films. C'est une fiction, un rêve. Mais il
existe une autre forme d'amour, une sorte... d'amour-amitié qui
permet à deux individus de mener une vie ensemble...
— L'amour-amitié? répéta-t-elle d'un ton railleur.
— Ne dites pas non tout de suite, Cassie. Réfléchissez.
— C'est tout réfléchi, je...
Avant qu'elle n'ait eu le temps de finir sa phrase, il avait pris sa
bouche et l'embrassait avec passion — comme jamais il ne l'avait
fait jusqu'alors. Un baiser brûlant, total... une douce minute au goût
d'éternité.
Puis il relâcha son étreinte. Un long silence s'installa.
En négociateur avisé, Alex savait bien quand il fallait parler et quand
il fallait se taire.
— Rentrons, murmura-t-il enfin. Je pense que vous n'avez plus
envie de sortir, à présent. Nous reparlerons de tout cela plus tard.
Il garda prudemment ses distances. Quand Cassandra se trouva
dans une zone plus éclairée, à proximité du perron, elle accéléra le
pas.
— Je ne souhaite pas poursuivre cette conversation, assena-t-elle
en montant prestement les marches. Ni maintenant ni plus tard.
— Ne vous emballez pas, Cassie. Je ne vous demande pas une
réponse dès ce soir. Rentrez... je vais faire quelques pas.
Elle le regarda s'éloigner d'un pas vif dans la nuit. Son cœur s'agitait
follement dans sa poitrine. Ce baiser avait été dévastateur. S'il ne
l'avait solidement retenue, elle se serait laissée choir sur le sol. Elle
avait senti une telle mollesse dans ses jambes, dans tout son corps...
Comment aurait-elle pu garder l'esprit clair après un tel baiser?
Se redressant du mieux qu'elle put, elle entra dans le salon où était
toujours assis Silas Hunter.
Après avoir échangé quelques mots, elle déclara en étouffant un
bâillement :
— Je vais aller me coucher, si vous le permettez. Je suis morte de
fatigue.
Il lui fit un petit signe amical qui signifiait : « Vous êtes chez vous,
faites comme bon vous semble. ».
Il lui avait préparé une chambre dont le lit n'était pas très grand,
mais bien suffisant pour une personne. Elle se félicita d'avoir
emporté une chemise de nuit de coton ; les nuits étaient fraîches en
montagne.
Un peu plus tard, elle reposait dans le noir, les yeux grands ouverts.
Alex revint ; elle l'entendit qui marchait dans une chambre voisine.
Elle roula sur le côté et s'installa en chien de fusil, comme elle aimait
à le faire quand elle était petite. Elle aimait cette position pour
réfléchir.
Etait-ce absurde de refuser son offre ? N'admirait-elle pas cet
homme depuis le début ? Au fur et à mesure qu'ils avaient fait
connaissance, ses sentiments n'étaient-ils pas devenus plus forts... ?
Que se passerait-il si elle s'obstinait à dire « non » ? Il se tournerait
vers une autre femme, évidemment.

Le lendemain matin, ce fut le grincement de la porte de sa chambre


qui la réveilla.
Elle ouvrit lentement les yeux. Deux petits visages parfaitement
identiques lui apparurent.
— Bonjour, vous deux !
— Jour, Cassie. On peut venir dans ton lit ? Brittany et Ashley
grimpèrent prestement et s'installèrent tout contre elle.
— Raconte-nous une histoire, exigea Ashley d'un ton autoritaire.
Cassandra sourit. La fillette avait de qui tenir... Quand on voulait
quelque chose, chez les Hunter !
— Le petit chaperon rouge ? proposa Cassandra.
— Allons-y, décréta Brittany.
— Ce n'est pas un peu trop effrayant pour des enfants de deux ans,
cette histoire de loup et de mère-grand ?
Cassandra, surprise, leva les yeux. Elle n'avait pas entendu Alex
entrer. Il portait son habituel jean du week-end et une chemise de
coton bleu. Il avait croisé les bras et les considérait avec un
amusement manifeste.
— Ce n'est qu'un conte de fées. La peur fait partie du plaisir. On ne
vous en racontait pas quand vous étiez petit ?
— Moi, j'étais un garçon.
— La belle affaire !
— Papa, s'exclama Ashley, on est bien dans le lit de Cassie !
— Je peux venir, moi aussi ? s'enquit-il d'une voix faussement
innocente.
— Certainement pas, rétorqua Cassandra en rougissant un peu. Il
n'y a plus de place.
— C'est vrai, admit-il. Il y aurait de la place dans le grand lit qui est
dans ma chambre, à la maison. Nous pourrions tous y tenir...
Comme Cassandra fronçait les sourcils sans répondre, Alex
poursuivit d'une voix enjouée :
— Grand-père a préparé des flapjacks, cela vous tente ?
Brittany enleva son pouce de sa bouche et demanda de sa petite
voix aiguë :
— C'est quoi, des flapjacks ?
— Des crêpes, ma chérie. Grand-père sait les faire comme
personne dans tout le Mississippi.
— Eh bien, dit Cassandra, voilà une sérieuse référence ! On y va,
les filles ?
Elle toussa de façon appuyée. Elle ne tenait pas à s'extraire du lit
sous les yeux d'Alex...
Or il ne bougeait pas d'un centimètre. Elle s'impatienta :
— Vous allez habiller les filles ? Il est temps, je crois.
— Elles vont se barbouiller jusqu'aux oreilles de sirop d'érable. Il
vaut mieux les habiller après leur bain.
Les deux enfants sautèrent du lit et coururent jusqu'à la porte.
— Mettez-leur des chaussons, conseilla-t-elle. Elles avaient les
pieds glacés tout à l'heure.
Elle s'assit sur son lit, s'enveloppant de sa couverture, telle une
vierge effarouchée du temps passé.
— Allez donc vous occuper des enfants, Alex ! Mais il
s'approchait.
— Bonjour, vous, murmura-t-il en se penchant pour l'embrasser.
Elle ferma les yeux tandis que ses lèvres se posaient résolument sur
les siennes. Les mains d'Alex s'étaient déjà emparées de ses
épaules — et voici qu'elle était prise dans une délicieuse étreinte,
sans avoir eu le temps de dire « ouf ».
La voix impérieuse de Silas vint interrompre cet impromptu matinal.
— Alex ! Le petit déjeuner est prêt !
— Mmm, grogna Alex.
Il s'assit sur le bord du lit et passa les doigts dans ses cheveux en
bataille.
— Vous n'y allez pas, Alex?
Il n'avait pas l'air pressé outre mesure.
— Si. Quand vous vous serez levée.
Elle releva davantage les couvertures et le considéra d'un œil
sévère.
— Vous ne devriez pas être dans ma chambre, gronda-t-elle sans
grande conviction.
Il avait croisé ses longues jambes et paraissait très décontracté.
— J'aime bien être près de vous, Cassie. Je...
— Ma réponse est : non. Est-ce clair ?
— Je ne me souviens pas vous avoir posé une question, dit-il d'un
ton faussement étonné.
Elle croisa les bras, soupira et reprit :
— Vous m'avez posé une question, hier soir.
— Ah ! C'est de cela que vous parlez ! Nous y reviendrons plus
tard, si vous le voulez bien.
— C'est inutile.
— Cassandra, vous faites une piètre négociatrice. Vous n'avez
même pas pris le temps d'écouter mes arguments. Dans toute
discussion, il y a un prix...
— Je ne suis pas un meuble qu'on achète.
— Il ne s'agit pas d'achat, mais de... dédommagement.
« Le prix à payer serait d'au moins cinq ou six baisers par jour », lui
souffla la part la plus pernicieuse de son esprit... Alex se leva enfin.
Elle ramassa ses vêtements et fila dans la salle de bains. Enfin seule
!
Tandis qu'elle effectuait ses ablutions, elle marmonna pour elle-
même d'une voix grognonne :
— En aucun cas je veux me marier pour servir de mère de
substitution.
Elle brossa ses cheveux avec vigueur, face au miroir qui lui
renvoyait une image point trop désagréable ; puis elle enfila un jean,
un corsage couleur jonquille, et alla droit dans la cuisine.
— Ah, Cassie ! Vous avez bien dormi? lança Silas dès qu'il
l'aperçut dans l'encadrement de la porte.
— Merveilleusement.
Ignorant délibérément Alex, elle s'installa sur la chaise que le vieil
homme lui indiquait.
Il y avait dans son assiette au moins huit ou neuf crêpes assez
épaisses.
— Je ne pourrai jamais avaler tout ça, dit-elle avec un grand
sourire. C'est beaucoup trop !
— Mangez ce que vous voulez, répondit simplement Silas. Je
donnerai le reste aux oiseaux.
— Moi, zaime les kèpes, assura Brittany dont le menton était
couvert de sirop.
— Sont krès bonnes, confirma Ashley tout en mâchant un gros
morceau.
— Ne parle pas la bouche pleine, murmura instinctivement
Cassandra.
Alex la dévisageait avec un plaisir évident. Elle venait de se
comporter comme une véritable mère de famille... Cette expression
de contentement la mit en rage : ne lui avait-elle pas fait clairement
comprendre qu'elle ne voulait pas se marier? Mais avait-il seulement
entendu sa réponse ?
Elle avait fait une erreur en l'accompagnant pour ce week-end. Elle
avait besoin de retrouver son propre appartement — sa forteresse
qui la protégeait si bien du monde extérieur... Cette atmosphère
familiale était pourtant douce et chaleureuse ! Les crêpes étaient
délicieuses. Les enfants babillaient et s'inondaient de sirop... peu
importait. Leur grand-père les couvait du regard.
Ce dernier sembla deviner son trouble.
— Vous ne mangez plus, Cassie?
— C'était délicieux, merci. Mais je n'ai plus de place.
— Vous faites un cadeau aux oiseaux... Elle eut un petit rire triste.

Un peu plus tard, Cassandra rejoignit les filles qui jouaient dans le
jardin avec leur père.
Alex, à bout de souffle après avoir fait le cheval pour Brittany et
Ashley, était étendu sur le dos, dans l'herbe. Il reprenait sa
respiration.
— Cela fait au moins vingt-cinq ans que je n'ai pas joué ainsi,
lâcha-t-il en mâchonnant un brin d'herbe.
— Vous faisiez autant le fou, quand vous étiez petit ?
— Mmm. Parfois. Je crois.
Il marmonnait tout en mordillant son brin d'herbe, les yeux fermés,
le visage au soleil.
Elle eut envie de prendre l'initiative, pour une fois, et de poser ses
lèvres sur ce beau visage si bien dessiné — sur ce front large et
noble, sur ces lèvres sensuelles... elle s'en abstint, bien sûr.
Brittany vint tout contre son père et lui tira l'oreille :
— Pas sieste, Papa.
Alex sourit et entrouvrit un œil.
— Papa ne fait pas la sieste; il se repose un peu.
— Papa n'est plus tout jeune, ironisa Cassandra dans un rire léger.
Il a besoin de repos. Surtout quand il a fait le fou.
Il tourna la tête et darda sur elle un œil assassin.
— C'est malin, de dire des choses pareilles. Elles vont croire que je
suis un vieillard...
Et, de fait, Ashley annonça à sa sœur d'un ton résigné :
— Papa trop vieux, très fatigué...
— Et voilà, soupira-t-il. A trente-deux ans je suis perçu comme un
vétéran. Vous êtes dure, Cassie. Vous avez quel âge, vous ?
— Vingt-cinq ans.
Il y eut un moment de silence. Les jumelles étaient allées jouer un
peu plus loin dans le jardin.
— Ce serait un vrai mariage, vous savez, Cassie, poursuivit-il, les
yeux toujours fermés. J'aimerais avoir d'autres enfants. Ne seriez-
vous pas heureuse, avec un bébé bien à vous ? Peut-être pas dans
l'immédiat — je sais combien votre carrière compte pour vous —
mais plus tard, dans quelques années...
Avoir un enfant, des enfants avec Alex ? Elle imagina, sans
déplaisir, un petit garçon de l'âge des jumelles, ici même, chez le
vieux Silas, gambadant à droite et à gauche, et ressemblant à son
père...
Elle poussa un bref soupir et se leva.
— Il se fait tard, Alex. Il faut préparer les affaires des enfants.
Alex s'approcha d'elle. Il avait l'air grave.
— Cassie?
— Oui?
— J'ai bien réfléchi. Ce que j'ai à vous proposer vous tentera, sans
doute.
Il était tout près d'elle, à présent, et elle retenait son souffle. Ne
s'était-elle pas plus qu'attachée à lui, au cours de ces semaines
passées ?
Elle l'aimait.
Elle se sentait déchirée. Si elle ne voulait pas l'épouser, puisqu'il lui
offrait un rôle et non son amour, l'idée qu'il puisse refaire sa vie
ailleurs lui était insupportable.
Alex se pencha vers elle et retira délicatement ses lunettes, ainsi qu'il
aimait à le faire.
— Ecoutez-moi bien, Cassie. Si vous m'épousez, vingt pour cent
des parts de Hunter Associés seront à vous. Votre carrière, dès
lors, sera solidement assurée.
Stupéfaite par cette offre fabuleuse, elle le dévisageait. Les yeux
sombres d'Alex la scrutaient avec intensité.
— Que... dites-vous ?
— Vous m'avez bien entendu, Cassie. Vingt pour cent. Ce n'est pas
mal, compte tenu du fait que je ne possède moi-même que
cinquante et un pour cent du capital. Les quarante-neuf pour cent
restant appartiennent aux jumelles. Qu'en pensez-vous ? Cela vous
suffit-il ?
Les larmes piquaient ses yeux. Elle venait de réaliser qu'elle l'aimait,
et il lui parlait argent !
— Dites simplement « oui », Cassie. Ne cherchez pas de
problèmes où il n'y en a pas...
— Cela ne marchera jamais.
— Bien sûr que si ! Nous ferons en sorte que cela marche. Allons,
Cassie. Dites oui !
Mille pensées se bousculaient dans sa tête. Elle ne savait plus où
elle en était.
Elle prit une longue respiration, puis hocha la tête lentement —
affirmativement.
Alex, le visage illuminé par la joie, se pencha pour l'embrasser. Il
était bien possible qu'elle fût en train de faire la plus grosse erreur
de sa vie...
Elle sentit le souffle d'Alex contre sa joue — puis, soudain, celui-ci
s'écria d'une voix courroucée :
— Non, Ashley!
La fillette mettait dans sa bouche des pétales de coquelicot.
Alex la réprimanda. Cassandra observait la scène avec une certaine
amertume. Cela faisait à peine dix secondes qu'ils étaient fiancés, et
déjà il l'abandonnait pour s'occuper de ses enfants !

Le voyage du retour se passa sans incidents. Les jumelles étaient


endormies à l'arrière de la voiture.
Après avoir roulé un bon bout de temps sans parler, Alex lança
d'un ton placide :
— Alors? Pas de regrets? Vous êtes toujours d'accord pour
m'épouser?
Comme elle cherchait ses mots, il enchaîna :
— Le mariage pourra avoir lieu dès vendredi prochain. Helen
s'occupera de tous les papiers nécessaires.
— Déjà? Vous... vous ne perdez pas de temps, Alex...
Un vent de panique passa sur elle. Mon Dieu, dans quoi s'était-elle
engagée? N'avait-elle pas pris sa décision un peu vite ?
— Existerait-il une raison pour retarder la cérémonie?
Elle secoua la tête. Non, rien ne s'opposait à ce qu'ils se marient sur
l'heure...
Lorsqu'ils furent arrivés à l'appartement d'Alex, Cassandra s'occupa
illico du bain des enfants et de la préparation du dîner. Certes, cette
routine ne lui déplaisait sans doute pas autant qu'elle le prétendait...
Elle ne voulait pas qu'elle fût sa seule occupation, c'était tout.
Brittany et Ashley couchées, ils se concertèrent du regard.
— Ouf, murmura-t-elle, soulagée. Voici le meilleur moment de la
journée.
Alex fit un signe de tête pour acquiescer et remarqua d'un ton
étonnamment ému :
— Elles ressemblent à de petits anges, quand elles dorment, non?
Il la conduisit dans le salon et reprit :
— Etes-vous pressée de partir ou voulez-vous rester quelques
instants pour que nous parlions ?
— Je peux rester un peu, si vous le désirez.
— Vous me faites une réponse d'employée modèle ! N'oubliez pas
que vous êtes maintenant mon associée, Cassie. Cela change tout !
Et dans quelques jours vous serez mon épouse...
— Qu'attendez-vous de moi, Alex ? Que je sois docile et dévouée
?
— Je veux davantage, Cassie. Une femme qui sache aimer mes
enfants, une partenaire dans le travail, mais aussi une femme de tête
et de cœur, qui soit capable d'autonomie.
Pas de place pour l'amour, nota-t-elle tristement, dans cet inventaire
pourtant sympathique.
— Et que souhaitez-vous pour vous-même, Alex ? Qu'attendez-
vous de Mme Cassandra Hun-ter?
— Je souhaite que nous puissions partager de nombreuses choses
ensemble.
Il la prit alors tendrement dans ses bras.
Elle s'attendait à un baiser aussi formel... que l'avait été sa demande
en mariage. Mais il fut ardent, passionné — à tel point que
Cassandra, l'espace d'un instant, oublia qui elle était et où elle se
trouvait.
8.
Le lendemain matin, au bureau, Helen ne montra aucun étonnement
quand Alex lui confia qu'il allait se marier avec Cassandra. C'était
apparemment pour elle la chose la plus naturelle du monde.
— Toutes mes félicitations. Il était temps !
— MaryEllen n'a disparu que depuis deux mois à peine, protesta
Alex.
— Je veux dire qu'il était temps pour vous de trouver une femme
qui vous convienne et que vous aimez, précisa Helen d'un ton
courtois. Je vous souhaite plein de bonheur, patron.
Alex fit la liste des démarches à effectuer et la passa à Helen. Sitôt
conclue cette période de transition, il pourrait reprendre
normalement son travail.
La curiosité d'Helen n'était pas satisfaite.
— Comment Cassandra voit-elle les choses ?
— Elle est d'accord pour m'épouser, répondit-il sobrement.
— Certes. Ce n'était pas le sens de ma question. Vous savez, c'est
ordinairement la femme qui décide de l'organisation d'un mariage.
— J'ignore cela.
— Si je peux me permettre un conseil, parlez-en avec Cassandra.
— Faites-la venir, ordonna-t-il en se calant dans son fauteuil.
Lorsque Cassandra entra, son regard se posa d'abord sur Alex, qui
s'était levé et dont l'expression était énigmatique, puis sur Helen, qui
arborait un large sourire.
— Toutes mes félicitations et mes vœux de bonheur, dit Helen sur
un ton très chaleureux.
Cassandra sourit à son tour. Elle se sentait assez nerveuse.
— J'ai demandé à Helen de s'occuper des préparatifs pour la
mairie, annonça Alex. Ce sera donc pour vendredi.
Cassandra s'assit dans l'un des fauteuils qui faisaient face au bureau.
— Justement, Alex... J'aimerais que nous précisions certaines
choses.
— Que nous précisions quoi ? Nous sommes bien d'accord pour
nous marier, non? Laissons la procédure suivre son cours...
— Non, Alex. J'ai réfléchi à tout cela et... On ne se marie qu'une
fois, dans la vie. Du moins en ce qui me concerne. Je ne veux pas
d'un mariage à la va-vite... d'une simple formalité.
Un pli soucieux barra le front d'Alex.
— Ne me dites pas que vous voulez un tapis rouge, de grandes
orgues à la cathédrale, des demoiselles d'honneur et tout le tralala...
Il nous faudrait au moins six mois pour préparer la cérémonie !
— Sans aller jusque-là, un passage de trois minutes à la mairie ne
m'enchante guère. J'aimerais inviter quelques amis... et votre grand-
père. Un mariage religieux, dans une petite église...
— Combien d'amis prévoyez-vous ?
— Mes collègues de travail, des amis d'enfance... Cela devrait faire
une petite douzaine.
— Une petite douzaine, répéta-t-il, songeur.
Il n'avait pas vu les choses ainsi. Il avait pensé à une cérémonie
toute simple, à l'hôtel de ville — comme avec MaryEllen.
— Il y a quelques personnes, ici, intervint Helen, qui seraient très
déçues de ne pas être invitées...
— Je ne vous ai pas demandé votre avis, coupa-t-il sèchement.
— Moi, j'ai besoin de l'avis d'Helen, figurez-vous, riposta
Cassandra.
Elle ne semblait pas décidée à se laisser mener par le bout du nez.
Ne voulait-il pas d'une femme de caractère ?
— Si Helen se charge des préparatifs du mariage, poursuivit-elle,
nous devons écouter ses conseils. Combien avons-nous d'invités du
côté d'Alex?
Helen comptait sur ses doigts, afin de n'oublier personne.
— Je crois que nous dépasserons la douzaine d'invités de son côté.
Il ne faut pas froisser ses plus proches collaborateurs !
— Eh bien soit, soupira Alex, vaincu. Helen, contentez la future
épouse.

La semaine passa vite. Cassandra se rongeait les sangs.


Quand Alex lui suggéra de changer de bureau pour s'installer plus
près du sien, elle déclina l'offre. Elle ne voulait bénéficier d'aucun
privilège.
— Vous êtes maintenant actionnaire de la société. Vous avez droit
à un bureau plus vaste...
— Je ne possède pas encore les parts. Et d'ailleurs je me demande
si je dois les accepter.
Alex faillit s'étrangler de surprise.
— Quoi ? Vous n'allez pas tout annuler, j'espère !
Elle secoua la tête, exaspérée.
— Mais non. Je n'envisage pas d'annuler l'engagement que nous
avons pris. La seule chose que je remettais en question, ce sont ces
parts. Je pensais que cela vous ferait plaisir si j'y renonçais.
Il la fixa trois longues secondes d'un œil sombre, puis dit d'une voix
lasse :
— J'avais cru comprendre que vous aviez accepté ce mariage à
cause de cette proposition.
Elle baissa les yeux, mortifiée, et fit semblant de consulter les notes
qui se trouvaient sur la table, devant elle. Elle ne se sentait pas
encore prête à lui avouer son amour. Cela l'aurait affaiblie : il eût été
capable d'en tirer parti !

Le vendredi matin, Susie, sa meilleure amie, vint l'aider à se


préparer.
— Ça va, Cassandra? Tu as l'air bizarre. Te sens-tu bien ?
Elle répondit dans un sourire un peu forcé :
— Mais oui. Je suis nerveuse, c'est tout. Susie remaniait sa coiffure.
Les longues boucles noires retombaient souplement sur ses épaules.
— Tu es ravissante, ma chérie. Comme tout cela est excitant !
Mais... tu ne m'as toujours pas parlé de l'homme de ta vie.
Cassandra retint un soupir.
— C'est son deuxième mariage, tu sais. Celle qui allait être le
témoin de la cérémonie hésita un instant, déconcertée, puis lança
allègrement :
— Qu'importe puisque vous vous aimez !
Susie plaça sur la tête de son amie un petit chapeau que prolongeait
un voile. Il s'harmonisait très joliment avec la robe couleur crème
qu'avait choisie Cassandra.
— Voyons un peu comment cela se présente, murmura Cassandra
en se campant devant la glace.
Elle dut reconnaître qu'elle était très jolie, ainsi.
— Comme tu as de la chance, Cassandra! J'aimerais tant, moi
aussi, qu'un bel homme, brun et grand, me saisisse dans ses bras
puissants pour m'emporter !
Cassandra renonça à désillusionner son amie. L'explication aurait
été trop compliquée à donner, et aurait terriblement déçu Susie,
perdue dans ses rêves romantiques.

Une belle limousine noire et scintillante vint chercher Cassandra. Le


chauffeur ouvrit respectueusement la portière arrière et elle entra
dans la luxueuse voiture comme si elle avait fait cela toute sa vie.
Susie, émerveillée par ce fastueux protocole, s'installa près d'elle.
— Tu roules toujours en limousine ? s'enquit-elle naïvement.
— Mais non. Alex a sa propre voiture. Nous avons fait un petit
voyage jusqu'à Sonora le week-end dernier.
— Parle-moi de ton, futur mari. Tu es ma meilleure amie, non ? Je
veux tout savoir de ton Alex.
— Que veux-tu savoir ?
— A quel moment t'es-tu rendu compte que tu l'aimais?
La question avait le mérite de la franchise.
— Au cours de ce dernier week-end à Sonora, justement. Je m'en
suis rendu compte juste avant qu'il ne me demande en mariage.
— Wouh ! Raconte-moi.
Cassandra pensait — non sans une certaine amertume — qu'il n'y
avait pas grand-chose à raconter... Elle décrivit cependant leur
rencontre sous un éclairage flatteur. Susie fut comblée... elle voulait
trop y croire pour flairer la supercherie.
Lorsque la limousine s'arrêta devant la petite église où devait se
jouer le destin de Cassandra, Susie avait les yeux brillant de plaisir
et de rêve. Elle posa la main sur celle de son amie et murmura d'une
voix émue :
— Je te souhaite plein de bonheur.
Le chauffeur ouvrit la portière et la future mariée, un peu tendue,
sortit de la voiture. Le pasteur l'attendait à l'entrée de l'église; elle le
salua.
Helen apparut soudain et lui tendit un joli bouquet de roses
blanches.
— C'est pour vous, dit-elle avec un sourire radieux. Toute mariée
se doit d'avoir un bouquet.
Très touchée par ce geste, Cassandra sentit les larmes monter à ses
yeux. Son émotion grandissait au fur et à mesure que la cérémonie
approchait.
— Vous êtes prête, Cassandra ? demanda Helen.
Cassandra fit « oui » de la tête.
— Juste une dernière chose, poursuivit Helen, l'air quelque peu
embarrassé. Alex m'a demandé s'il était possible que vous enleviez
vos lunettes.
Cassandra fronça les sourcils.
— J'en ai besoin. Autrement les lointains sont flous...
— Il semblait y tenir. Vous le connaissez : il a ses manies... Ce n'est
qu'un détail, Cassandra.
Elle enleva ses lunettes et les tendit avec un bref soupir à Helen.
— Si ça lui fait tellement plaisir...
On entendit alors les accents solennels, si émouvants, de la Marche
Nuptiale, et Susie lui montra le chemin. La porte s'ouvrit toute
grande et Cassandra s'engagea dans l'allée centrale, à pas prudents
et lents.
Elle voyait autour d'elle, dans une sorte de brouillard, des visages
qui la fixaient, nombreux... Elle ne s'attendait pas à ce qu'il y eût
autant de monde.
Tout au bout de l'allée, elle aperçut la haute silhouette d'Alex.
L'expression de son visage demeurait indéchiffrable. Lui souriait-il ?
A sa droite se tenait son grand-père, choisi comme témoin par son
petit-fils. Elle crut deviner un tendre sourire sur son vieux visage
ridé. N'avait-il pas souhaité ce mariage le premier, dès qu'il l'avait
vue ?
Elle continuait d'avancer, pas après pas, au rythme lent de la
majestueuse musique de Men-delssohn... Au prix d'un effort
surhumain, elle retenait ses pleurs. Elle n'allait pas fondre en larmes
un jour pareil !
Ashley et Brittany, qui se trouvaient tout près de leur père, lui
sourirent quand elle fut à leur hauteur.
— Salut, Cassie, lança Ashley.
— Bonjour, vous deux, murmura-t-elle, très émue, souriant à son
tour aux deux enfants.
Le pasteur se plaça face à l'assistance et s'éclaircit un instant la
gorge avant de prendre la parole.
— Nous sommes tous rassemblés dans la maison de Dieu pour
célébrer l'union de Cassandra et d'Alex...
— N'y vois rien ! couina Brittany en tirant la robe de Cassandra.
— Moi non plus, gémit Ashley.
— Allons, du calme, les enfants, gronda Alex d'une voix étouffée.
— Elles y verraient mieux si nous les tenions dans nos bras, suggéra
Cassandra dans un chuchotement.
Elle tendit son bouquet à Susie, qui se tenait non loin d'elle, et prit
Brittany dans ses bras. Ashley tendit ses petits bras vers son père
qui dit à l'oreille de sa future femme :
— Et dire que vous me reprochez de trop les gâter!...
Le pasteur avait observé la scène et les considérait avec un sourire
plein de bonté.
— Nous sommes donc rassemblés dans la maison du Père éternel,
reprit-il d'une voix forte dont la nef se fit l'écho.
Les deux jumelles écoutèrent très sagement l'imposante oraison du
ministre du culte.
Vint enfin le moment suprême de l'échange des vœux. Le pasteur se
tourna d'abord vers Alex :
— Alex Hunter, voulez-vous prendre pour épouse Cassandra
Bowles, ici présente ?
Alex se redressa un peu et dit d'une voix nette :
— Oui. je le veux.
L'homme d'Eglise tourna alors son visage vers Cassandra et reprit
la formule consacrée :
— Cassandra Bowles, voulez-vous prendre pour époux Alex
Hunter, ici présent ?
— Oui. je le veux, murmura-t-elle, la gorge nouée.
On procéda à l'échange des alliances.
Le symbole était très fort pour Cassandra : elle acceptait non
seulement de devenir la femme d'Alex, mais aussi la mère de
Brittany et d'Ashley. Elle venait de dire « oui »... à une famille.
— Je vous déclare unis par les liens sacrés du mariage, clama le
pasteur, l'air grave. Vous pouvez embrasser la mariée.
Une lumière nouvelle, insolite, brilla dans les yeux d'Alex, qui frôla
ses lèvres dans un baiser à la fois pudique, officiel et tendre.
Ils étaient mariés.
— Papa a embrassé Cassie, commenta Ashley d'une voix chantante
et gaie.
— Veux un baiser, moi aussi, renchérit Brittany.
Alex et Cassandra les embrassèrent toutes les deux avec des «
smacks » retentissants.
Susie serra le bras de Cassandra avec émotion puis l'embrassa, elle
aussi :
— Bravo, ma belle ! Je vais chercher mon appareil photo. Je
reviens dans un instant pour immortaliser cela !

Cassandra, comme dans un rêve aux contours brouillés, vit défiler


de nombreuses personnes. On la complimentait. Elle souriait. Puis il
y eut une petite réception. Le Champagne coulait à flots ; les gens
semblaient s'amuser. L'alliance qu'elle portait au doigt lui semblait
étrange. Elle n'y était pas habituée. C'était un bel anneau, tout
simple, en or massif, assez épais.
Si elle avait l'impression de se trouver sur une autre planète, Alex,
lui, semblait aussi calme que dans ses réunions de travail, au bureau.
Il s'occupait des invités avec courtoisie... et paraissait presque avoir
oublié son épouse.
Cassandra soupira. Pourquoi s'étonner? Ne s'était-il pas marié pour
ses enfants ?
Elle se demanda si Alex songeait à la nuit qu'ils allaient passer
ensemble. Leur première nuit d'époux !
Pour sa part cette perspective l'angoissait terriblement. Elle se
souvenait des longs doigts d'Alex jouant avec ses cheveux, à
Columbia. Ce soir, ces mêmes doigts, ces mêmes mains se
saisiraient d'elle. Comment cela se passerait-il?
Un frisson la parcourut.
— Je crois qu'il est temps de partir, lui dit Alex qui s'était approché,
une coupe de Champagne à la main.
— Déjà!
— Nous avons salué tous les invités, nous avons coupé le gâteau de
mariage, plus rien ne nous retient. La tradition n'est-elle pas que les
mariés s'éclipsent les premiers?
— Où sont les enfants ?
— Grand-père s'occupe de Brittany, et Helen d'Ashley. Allons les
chercher et partons.
Quelques instants plus tard ils étaient tous assis à l'arrière de la
royale limousine. Les deux enfants, installées sur des strapontins,
faisaient face aux nouveaux mariés.
— Cassie, raconte une histoire, demanda Ash-ley.
— Maintenant, Cassie s'appelle « Maman », rectifia Alex d'une voix
douce.
— Maman est partie, murmura Brittany.
— A présent Cassie est votre nouvelle maman. Cassandra crut bon
d'intervenir :
— Elles peuvent continuer à m'appeler « Cassie ». Je comprends
que ce ne soit pas facile pour elles.
— Eh bien, les filles, disons que Cassie est votre... Maman deux.
— « Maman deux » ? répéta Brittany, perplexe.
— Oui. Maman deux, reprit Alex d'un ton décidé.
9.
La limousine déposa la nouvelle famille devant l'immeuble d'Alex.
Ils prirent l'ascenseur. Alex portait Brittany dans ses bras;
Cassandra tenait Ashley par la main.
Sur le seuil de la porte — les enfants s'étant précipitées dans leur
chambre —, Alex attendit galamment que son épouse passe la
première.
Elle ne franchirait pas le seuil de la maison dans ses bras ;
manifestement Alex ne songeait pas à la coutume, à moins que
celle-ci lui parût désuète...
Cassandra entra dans ce qui était dorénavant sa nouvelle demeure
— du moins son nouvel appartement, en attendant qu'Alex dénichât
une vraie maison.
Après s'être occupée des enfants, avoir rangé leurs affaires,
Cassandra leur prépara à dîner puis fit couler leur bain. Sitôt
achevée la traditionnelle histoire du soir — devenue un vrai
cérémonial qu'il ne fallait manquer à aucun prix —, les deux enfants
s'endormirent. La journée avait été éprouvante.
Cassandra voyait tourner l'heure avec de plus en plus
d'appréhension. L'heure du coucher approchait...
Comme elle rejoignait Alex dans le salon, elle le trouva
confortablement installé dans un fauteuil. Il examinait attentivement
un dossier.
C'était leur nuit de noces et il épluchait les comptes !
Une larme perla sur sa joue; elle l'essuya promptement d'un revers
de la main et toussota.
Il leva la tête dans sa direction, posa le dossier et lui fit signe de
s'asseoir à côté de lui.
— Comment allons-nous nous organiser pour les enfants, lundi? dit-
elle — pour dire quelque chose.
— Jennifer a dit qu'elle serait là. Vous savez, la gouvernante avec
laquelle Helen était en contact. Tout ira pour le mieux, je l'espère.
Cette réponse calme et posée la supplicia. Un tiers les eût pris pour
de vieux époux...
— Ah, au fait, j'oubliais..., reprit-il.
Il plongea la main dans la serviette qui était à ses pieds et en sortit
une grande enveloppe qu'il lui tendit.
— Qu'est-ce que c'est? demanda-t-elle en la décachetant.
C'étaient les documents légaux établissant les parts de la société à
son nom.
— Je croyais que nous devions attendre pour cela, commenta-t-
elle, gênée.
— Je tiens mes promesses, Cassie. Le deal était clair : vous
m'épousiez et...
— Je sais, je sais, coupa-t-elle.
Elle se leva. La fatigue, l'insatisfaction, la désillusion avaient fondu
sur elle, et elle se sentait brusquement épuisée.
— Je vais me coucher, le prévint-elle sèchement.
Elle allait se coucher, certes, mais pas dans le lit d'Alex. Il y avait
des limites à tout. Oui, ce mariage n'était qu'une convention, comme
celle qui avait précédemment lié Alex à MaryEllen, et cela la rendait
infiniment triste.
— J'arrive tout de suite, répondit Alex. Après avoir enfilé une
chemise de nuit et s'être lavé les dents, elle entra dans la chambre
d'amis sans même ouvrir la lumière et se glissa dans le lit.
Elle revit alors le film de la journée : l'église, la Marche Nuptiale, le
sermon du pasteur, les alliances, les invités, le Champagne...
Soudain la lumière du plafonnier l'éblouit.
Alex avait l'air furieux.
— Je vous ai cherchée dans tout l'appartement!
Clignant des yeux, elle fit un effort pour répondre d'une voix calme :
— Ne vous ai-je pas dit que j'étais fatiguée et que j'allais me
coucher?
— Mais vous n'êtes pas dans mon lit !
— En effet.
— Nous étions convenus que ce mariage devrait être normal sur
tous les plans ! Y compris...
Il chercha le mot qui convenait.
— ... le plan horizontal.
— Non, Alex. Vous avez dicté vos ordres sans prendre le temps
de dialoguer. Je ne vous connais qu'à peine. Et vous ne me
connaissez pas...
— Le meilleur moyen de se connaître, comme dit la Bible, c'est de
coucher ensemble. Elle le fixa dans le blanc des yeux :
— Pas ce soir.
— Alors quand?
Une rage sourde transparaissait dans sa voix. Bien sûr, il n'acceptait
pas d'être ainsi rejeté. Son orgueil de mâle en souffrait ; il n'avait
pas l'habitude d'être contesté dans ses choix, ses désirs. Eh bien, il
s'y ferait !
— Quand nous nous connaîtrons mieux, répondit-elle bravement.
Comme il se penchait vers elle dangereusement, elle sentit les
battements de son cœur s'accélérer à une allure folle. Elle essuya
contre les draps la paume de ses mains devenues moites.
— Laissez-moi, Alex.
— Pourquoi pas ce soir ?
Il avait presque crié, tant son irritation était grande. C'était à présent
un homme blessé.
Elle secoua lentement et résolument la tête de droite à gauche et de
gauche à droite, plusieurs fois.
— Je vous en prie, murmura-t-elle.
Il se redressa, la considéra d'un regard à la fois brûlant et furieux,
puis quitta la pièce en claquant vigoureusement la porte.

Dans la matinée qui suivit, lorsque Alex entra dans la cuisine,


Cassandra lui adressa un sourire lumineux tout en affichant une
réserve qu'il ne lui avait pas vue jusqu'à présent. Les jumelles étaient
déjà habillées et se régalaient de tartines à la confiture de citron,
tout en dispersant cette confiture aux quatre coins de la cuisine.
Elles lui sourirent ; le jus de fruit qu'elles venaient d'avaler ornait
leurs lèvres d'une moustache orange.
Cassandra allait et venait dans la cuisine et il la contemplait avec une
frustration douloureuse. Elle était sa femme, et ils n'avaient pas
encore dormi ensemble ! Elle ne lui avait même pas dit bonjour.
Il fit un effort pour dominer l'exaspération qui montait en lui.
— Vous voulez des œufs au plat, ou autre chose, Alex ?
— Qu'est-ce que vous avez pris, vous?
Il s'installa sur une chaise et la lorgna du coin de l'œil. Comme elle
était désirable, ce matin ! Un jean blanc moulait ses hanches et ses
jambes bien dessinées. Son T-shirt laissait entrevoir la naissance de
ses seins... et cette vision le chavirait complètement ; le désir le
taraudait.
— J'ai déjà pris mon petit déjeuner, dit-elle, mais je peux vous
préparer tout ce que vous voudrez...
— Bah... Des toasts à la confiture, comme les filles. Et du café.
Elle posa presque immédiatement une tasse pleine de café fumant
devant lui.
Comme elle se retournait pour ranger les gobelets des enfants, il la
saisit brusquement par le poignet et plongea ses yeux dans les siens.
Si le rose monta aux joues de Cassandra, elle affronta bravement
son regard.
Il baisa légèrement ses lèvres et, relâchant son étreinte :
— Je... je me suis dit que nous pourrions aller au zoo, aujourd'hui.
— Allez-y avec les filles. Je dois retourner à la maison.
— « A la maison » ?
— Je veux dire : à mon appartement.
Il eut peur un instant qu'elle ne le quitte.
— Il faut que je termine mes valises. Et que j'emballe deux ou trois
babioles que j'aimerais avoir ici...
— Vous voulez que je vous aide ? offrit-il, soulagé.
— Non, merci. Je me débrouillerai seule.

« Ma femme est en train de me rendre fou », se dit Alex le jeudi


matin suivant, comme il regardait mélancoliquement, depuis son
bureau, la baie de San Francisco noyée de brume.
Il dormait encore et toujours seul, et cette situation le mettait dans
tous ses états. Chaque soir, elle trouvait une nouvelle excuse pour
ne pas dormir avec lui.
Bien qu'elle ne fît preuve d'aucune hostilité à son égard, le mur qui
s'érigeait entre eux se faisait chaque jour plus insurmontable.
Pourquoi ?
N'avait-il pas proposé, dès le départ, un marché équitable ? Il lui
offrait une partie de la société, et elle devenait la mère de ses
enfants. Qu'avait-elle à y redire ?
Ce soir, c'était décidé, il coucherait les enfants le plus tôt possible,
et il ferait en sorte de mettre sa femme dans son lit. Il n'avait que
trop attendu.

Cassandra, ce soir-là, arriva un peu avant Alex dans leur


appartement.
Ils avaient beau travailler dans le même endroit, elle avait tenu à
garder sa voiture. Alex s'attardait souvent au bureau ; elle ne voulait
pas dépendre de lui, et devoir l'attendre.
Jennifer finissait de raconter à Cassandra la journée des enfants
lorsque Alex fit son apparition. Il la parcourut des yeux, d'une façon
si appuyée qu'elle baissa les yeux, troublée.
Bien vite elle s'enferma soigneusement dans la salle de bains. A
travers la mince cloison elle entendait les jumelles rire avec leur
père, lui parler d'un chien qu'elles avaient vu au parc.
Le regard d'Alex l'avait comme transpercée. Et si elle frissonnait
sous le jet de la douche, ce n'était pas que l'eau fût froide...
Elle s'habilla, toujours pensive. Puis elle entendit frapper à la porte,
qu'elle ouvrit.
Alex se tenait devant elle, souriant.
Il se pencha sur elle et l'embrassa fugacement du bout des lèvres.
— Ce soir, pas de dérobade, Cassandra. Les excuses, les
prétextes, c'est fini.
La voix nette, intransigeante, avait, lui semblait-il, claqué tel un
fouet.
Ses yeux se posèrent involontairement sur le grand lit où les jumelles
étaient en train de sauter à pieds joints. Il paraissait immense...
Alex sembla pressé de terminer le repas au plus vite. De temps à
autre il la fixait d'un regard terrible.
L'heure venue de coucher les enfants, ce fut lui qui leur lut une
histoire.
Quand il eut terminé, il la saisit fermement par le bras. Il n'y avait
pas d'agressivité dans ce geste ; juste de la détermination.
— Venez avec moi, Cassie.
Il la conduisit dans la chambre à coucher, ferma la porte et la prit
dans ses bras sans attendre.
Avant qu'elle n'ait pu émettre la moindre protestation, ses lèvres
s'étaient farouchement emparées des siennes. Comment résister?
Elle ne tarda pas à être emportée par l'ivresse de la passion; un
instinct sauvage la guidait...
10.
Des coups frappés à la porte les firent brusquement sursauter.
— Papa, veux de l'eau !
— Bon sang, grogna-t-il, furieux. Ne bougez pas, je reviens.
Il alla ouvrir la porte.
— Ashley, ma chérie, tu devrais être dans ton lit à cette heure.
— Ai soif.
— Moi aussi, gémit Brittany, qui traînait sa couverture dans le
couloir.
Cassandra vint à la rescousse. Comme elle donnait à boire aux
deux filles, elle évita de croiser le regard d'Alex.
Ce dernier était terriblement frustré. Il y avait de quoi devenir fou !
— Je ne veux pas que vous sortiez de vos lits, maintenant,
ordonna-t-il d'un ton sévère. C'est compris ?
Les deux jumelles acquiescèrent d'un hochement de tête.
— Vous venez, Cassandra?
— Mettez d'abord les enfants au ht...
Elle décida de l'attendre dans le salon. Il l'y trouva.
— J'aimerais vous parler, murmura-t-elle d'une voix un peu
étranglée.
Elle lui montra un siège et ajouta d'un ton vibrant :
— Je vous en prie, Alex.
Il fit quelques pas et s'installa dans le fauteuil qu'elle venait de
désigner.
— Qu'avez-vous à me dire?
Il redoutait le pire. Il n'était pas dans les habitudes de Cassandra de
demander ainsi un entretien en tête à tête. Où voulait-elle en venir?
Qu'avait-elle décidé? Il allait le savoir très vite, sans doute.
— J'aimerais que nous parlions de nous, Alex. De notre mariage et
de diverses autres choses.
Il vit qu'elle était mal à l'aise et que cette conversation constituait
pour elle un pas difficile à franchir.
— Je vous écoute.
Elle toussota un peu et s'éclaircit la gorge.
— Je... je pensais attendre samedi pour cette mise au point. Nous
aurions disposé de plus de temps... Mais il semble, à présent, que
les choses se précipitent... Il nous faut mettre cartes sur table dès ce
soir.
— Annoncez la couleur.
Elle s'éclaircit une nouvelle fois la gorge.
— Eh bien voilà : j'ai décidé de vous rendre les parts de la société
que vous m'avez données. J'ai bien réfléchi. Je n'en veux plus.
— Posséder votre propre entreprise n'était-il pas votre rêve le plus
cher?
— Ces parts, je ne les ai pas gagnées. Ce troc ne me paraît pas
sain. Reprenez ces actions, Alex.
Stupéfait, il l'écoutait bouche bée.
— Mais alors, qu'est-ce que vous voulez?
— Trouver un nouvel emploi, confia-t-elle en passant une main
nerveuse dans ses cheveux.
— Quoi? Vous n'allez pas quitter la société, tout de même ! Ce
serait complètement idiot !
— Je ne peux pas rester. Je ne saurai jamais si la réussite de mon
travail dépend de mes talents ou bien de mon statut d'épouse du
patron.
— Vous envisagez le divorce?
— Mais non. Nous ne sommes mariés que depuis une semaine, ce
serait ridicule...
— Et le mariage n'a toujours pas été... consommé, comme on dit,
souligna-t-il d'un ton amer.
— En effet. C'est justement de cela que je voulais parler avec vous.
Comprenez-moi, tout a été si vite...
— Dites ce que vous avez à dire, et allons au lit, s'impatienta-t-il.
Elle sursauta, comme si elle venait de recevoir une gifle.
— Non, Alex, poursuivit-elle avec douceur. Je ne me sens pas
prête à aller au lit avec vous. C'est trop tôt. Je sais qu'il y a des
hommes capables de courtiser la première femme venue, mais je
ne...
— Quoi? N'oubliez pas que j'ai été marié durant six ans, et que,
pendant cette période, je n'ai jamais trompé ma femme ! Pourtant
Dieu sait si nos rapports étaient rares ! Je ne suis pas un coureur,
Cassie.
— Mais vous me désirez, n'est-ce pas?
— Oui. Je vous désire. C'est vrai, assura-t-il avec vigueur.
Elle croisa les doigts de façon machinale, en les tordant un peu, ce
qui trahissait chez elle une grande tension.
— Nous avons besoin de donner du temps au temps, Alex... de
mieux nous connaître, de développer une sorte d'amitié. Sinon nous
ne pourrons pas dormir ensemble.
Il se leva et sans crier gare la prit par la main.
— Venez avec moi, Cassie. Une minute seulement.
Comme elle hésitait, il insista :
— Ne craignez rien. Juste une minute, vous dis-je.
Il l'entraîna jusque dans la chambre à coucher et s'arrêta devant le
grand miroir en pied qui formait la porte d'un placard.
— Regardez-vous, Cassie. Vous comprendrez pourquoi je vous
désire tant. Regardez ces cheveux si soyeux, si doux, voyez cette
peau si tendre... On dirait la peau d'une pêche...
Comme son index suivait la courbe de sa joue, elle se mit à rougir.
— J'adore quand vous rougissez ainsi, vous êtes absolument
craquante, Cassie... Je vous désire depuis cette première nuit à
New York. Lorsque vous avez ôté vos lunettes, j'ai été conquis.
Vos yeux, si sombres, si mystérieux me font un effet extraordinaire.
Parfois, vous me regardez comme si vous compreniez quelque
chose que je ne sais même pas moi-même.
Il parlait à présent avec une telle douceur, une telle tendresse, que
les larmes vinrent aux yeux de Cassandra.
— Quand je vous regarde, je vois le futur. Notre futur. Un lien fort
nous lie, vous et moi. Je désire passer ma vie avec vous, et je désire
aussi faire l'amour avec vous... est-ce si condamnable? Vous êtes
terriblement séduisante, et attachante. Vous êtes une femme
merveilleuse, Cassie.
Elle essuya une larme et répondit d'une voix troublée :
— Personne ne m'avait parlé de cette manière jusqu'à présent,
Alex. Je... je ne vous ai jamais dit ce que je pensais de vous...
Il saisit sa main et la baisa avec ferveur.
— Dites-le-moi, dites-le-moi maintenant, Cassie. — Je vous aime,
Alex.
La stupeur — et le bonheur — arrondirent ses yeux.
— Mais...
Elle posa un doigt sur ses lèvres.
— Non. Ne dites rien. Si j'ai changé d'avis en ce qui concerne les
actions de Hunter Associés, je n'en ai pas changé pour le reste.
Maintenant que vous m'avez parlé, je vous comprends, Alex. Je me
sens votre femme.
Elle lui passa les deux mains autour du cou et l'attira passionnément
à elle.
Elle savait, à présent, qu'elle pouvait se donner à lui.

Une horde d'éléphants martelaient le couloir. Cassandra s'éveilla au


bruit de cette charge sauvage.
— Papa, papa, papa!...
Les petits monstres cognaient à présent contre la porte en chantant
et en criant.
— Cassie, Cassie, Cassie !... Le vacarme ne cessait pas.
— Je ne sais pas si tu as bien entendu, mais j'ai comme la vague
impression que nos filles sont réveillées, murmura Alex, en caressant
d'une main le visage de sa jeune femme.
— Il me semble plutôt entendre un troupeau de bisons !
— C'est parti pour le rodéo !
Cassandra enfila en vitesse sa chemise de nuit — qui avait
joyeusement voltigé, la nuit dernière, jusqu'au milieu de la chambre,
à l'orée de folles étreintes...
Lorsque la porte s'ouvrit, les jumelles se précipitèrent dans leurs
bras.
Cet adorable tableau matinal dessilla les yeux d'Alex. Oui, quel
changement dans sa vie depuis son retour de Bangkok ! Il avait une
femme, des enfants... qu'il aimait de toute son âme. Il était comblé.
Il était heureux.
Oh oui, comme il les aimait !
— Je t'aime, Cassie, murmura-t-il, les yeux mouillés.
Saisie par cette déclaration, elle tourna vers lui son beau visage et
demanda d'une voix bouleversée :
— C'est vrai? C'est bien vrai? Il hocha gravement la tête.
— Cassie triste? couina la petite voix de Brittany.
— Maman deux pleure, confirma Ashley.
— Non, je ne suis pas triste, mes chéries. Tout au contraire. Je suis
très heureuse. Infiniment heureuse.
Elle essuyait avec le drap les larmes qui coulaient sur ses joues.
Alex était revenu s'asseoir tout contre elle sur le lit.
— Ce soir nous irons dîner chez Marco's. Et puis on dansera,
annonça-t-il avec entrain.
— Très bonne idée, mon amour. J'ai envie de danser avec toi.
— Jennifer gardera les enfants. Et quand nous reviendrons, nous
reprendrons la... le... le dialogue de cette nuit, ajouta-t-il, le regard
brûlant de passion.
— Tout à fait d'accord, mon chéri, répliqua-t-elle en riant.
Puis, plus sérieusement :
— Tu es bien sûr de m'aimer, Alex? Ce n'est pas une illusion?
— Je t'aime de tout mon cœur, Cassie, de toute mon âme...
Cassandra eut soudain les yeux rêveurs.
— A quoi penses-tu, mon amour?
— Je me disais qu'aujourd'hui, c'est le huitième jour de notre
mariage. C'est comme un anniversaire, mais au heu d'un an, c'est
une semaine...
— Nous allons très vite partir en voyage de noces, tu veux bien?
Nous serons tous les deux, juste toi et moi.
— Je croyais que tu m'avais épousée uniquement pour que je
m'occupe des jumelles !
— Je t'ai épousée pour bien plus, ma Cassie. Je t'aime.
Ils s'étreignirent avec une passion débordante, un amour sans
limites.
— Je t'aime, moi aussi, Alex. Je t'aime tellement.
— Et moi aussi ! fit la petite voix de Brittany, bientôt suivie par celle
d'Ashley. Et nous aussi !

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