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Luc Silva regardait Kate Barton d’un air songeur.


En définitive, se réfugier à la montagne aurait été plus bénéfique à sa santé mentale que venir
s’enfermer dans cette villa qu’il avait récemment acquise, au large du Portugal.
Quand elle était vêtue, Kate mettait déjà tous ses sens en émoi, mais la voir se promener en bikini
avec un léger paréo transparent noué autour de la nuque relevait de la torture. Cette femme avait des
courbes à se damner ! Elle n’avait rien des mannequins anorexiques qui paradaient sur les podiums, et
elle savait tout à fait comment mettre en valeur son corps sculptural. Non qu’elle en joue de manière
délibérée, mais comment aurait-elle pu cacher les trésors dont la nature l’avait dotée ? Même dans un
strict tailleur, elle était une publicité vivante pour le fabricant !
Luc jura dans sa barbe tout en halant son jet-ski vers le ponton pour l’y attacher. S’il avait tenu à
venir ici, c’était pour échapper à celle qui l’avait trahi. Aussi, pourquoi lui fallait-il à présent faire
pénitence en compagnie d’une autre femme ?
Afin que chacun puisse jouir de sa tranquillité, Kate s’était installée dans le cottage réservé aux
invités. Malheureusement, celui-ci et la maison principale partageaient la même plage… Dire qu’il avait
cru avoir une idée de génie en achetant cette villa à rénover sur une île presque sauvage, que le monde
civilisé n’avait pas tout à fait atteinte : aucun accès à Internet, réseau limité… Cet endroit constituait une
cachette idéale pour un membre de la famille royale d’Ilha Beleza qui aspirait, comme lui, à la solitude.
Et voilà qu’il se retrouvait dans ce lieu paradisiaque en compagnie de sa voluptueuse et sensuelle
assistante ! Il n’était pas certain que cette association soit fructueuse…
D’autant que les rénovations de la propriété n’étaient pas encore terminées, et il avait dû partir en
catastrophe.
Voilà à quoi les mensonges de son ex-fiancée l’avaient réduit !
— Vous allez finir par attraper un coup de soleil, l’entendit-il dire en s’approchant d’elle.
Adoptait-elle à dessein des poses sexy, sur cette chaise longue, ou était-ce un talent naturel, chez
elle, sa capacité à le troubler ? Elle avait dénoué son paréo qui servait à présent d’écrin à son corps
somptueux, simplement recouvert de triangles rouges et de cordons.
— Pas du tout ! répliqua-t-il.
Il ralentit toutefois l’allure, sur le sable blanc.
— Avez-vous mis au moins de la crème solaire ? demanda-t-elle.
Plaçant alors sa main en visière pour se protéger du soleil, elle le regarda. Ce simple geste fit
bouger sa poitrine et attira inévitablement le regard de Luc. Or, la dernière chose dont il avait besoin,
c’était d’admirer les atouts de son assistante. Elle travaillait pour lui depuis un an, et dès le début, elle lui
avait inspiré du désir… Et c’était toujours le cas, force était de le reconnaître, s’il voulait être honnête
avec lui-même.
Par ailleurs, elle était la meilleure assistante qu’il ait jamais eue. Ses parents travaillant pour les
siens, il n’avait pas hésité avant de l’embaucher.
Pourtant, il s’interrogeait sur le bien-fondé de cette décision chaque fois que ses hormones
s’affolaient en sa présence.
Il avait pour principe de toujours garder ses distances avec ses employés : ses parents et lui
s’efforçaient en effet de maintenir une séparation stricte entre sphère professionnelle et sphère privée,
afin d’éviter toute critique de la presse ou tout éclat. C’était une règle que tous respectaient
rigoureusement après qu’un scandale avait secoué la famille des générations auparavant : un assistant
avait autrefois dévoilé des informations hautement confidentielles, et les critiques s’étaient déchaînées
dans les journaux.
Quand il s’était fiancé à Alana, il s’était efforcé d’oublier Kate. Deux bonnes raisons l’avaient
conduit à demander la main d’Alana : celle-ci avait affirmé attendre un enfant de lui et, eu égard à son
âge, il devait par ailleurs se marier pour être assuré de devenir roi d’Ilha Beleza.
Seulement voilà : entre-temps, Alana était partie, et il se démenait comme un beau diable pour ne
pas perdre son titre de futur roi, même s’il n’avait plus que deux mois pour trouver une nouvelle épouse !
D’ailleurs, dès la seconde où il prendrait ses fonctions, il ferait abolir cette fichue loi archaïque : ce
n’était pas parce qu’un homme approchait les trente-cinq ans qu’il devait absolument se marier.
— Pourquoi froncez-vous les sourcils ? demanda Kate quand il passa devant elle. Vous allez être
encore plus rouge si vous êtes en colère.
Parfois, il appréciait que Kate le traite comme un homme normal et non en tant que membre de la
famille royale, mais pas en cet instant.
Avant de gravir les marches qui menaient à la terrasse, il se tourna vers elle :
— Avez-vous annulé l’interview que je devais donner à ce journaliste américain ?
Kate se rallongea sur son transat et ferma les yeux.
— J’ai pris soin d’annuler tous les entretiens que vous deviez donner concernant le mariage, ou
Alana, déclara-t-elle. J’ai reporté à la fin de l’année les exclusivités que vous étiez censés accorder.
D’ici là, je suis certaine que vous aurez repris le contrôle de la situation et que vous serez à votre
meilleur.
Il déglutit avec difficulté. Non seulement Kate était son bras droit, mais elle était sa plus fervente
supportrice et avocate. Grâce à elle, il jouissait d’une excellente image dans les médias, et il lui arrivait
même d’embellir un peu de temps à autre la réalité pour présenter une image plus positive des Silva.
Elle poursuivit :
— J’ai annoncé aux médias que vous traversiez un passage difficile en raison de la fausse couche de
votre fiancée, et qu’en outre, votre famille vous avait appelé à la plus grande discrétion.
Elle leva le genou, ce qui provoqua un léger tremblement dans la partie supérieure de son corps, qui
attira immanquablement l’attention de Luc sur cette partie de l’anatomie de son assistante. Comme il
aurait aimé l’explorer autrement que par le regard !
— Bon, si vous avez fini de me reluquer, je vous conseille soit de vous mettre à l’ombre, soit de
vous enduire de crème solaire, enchaîna-t-elle sans ouvrir les paupières.
— Si vous étiez un peu plus habillée, vous passeriez plus inaperçue ! rétorqua-t-il.
Son rire, pourtant aussi doux que la brise en provenance de la mer, le frappa en pleine poitrine.
— Si je n’étais pas en maillot de bain, je ne pourrais pas bronzer. Estimez-vous heureux d’ailleurs
que j’en porte un, car je déteste les marques de bronzage.
Serrant les dents, il s’efforça, en vain, de conjurer cette image. Quel homme ne se serait pas mis à
genoux devant le corps entièrement nu de Kate ? Il ravala un grognement et monta les marches pour
regagner la maison. Elle le provoquait intentionnellement, mais il ne réagirait pas, car il se trouvait à un
moment difficile de son existence. Néanmoins, il ne pouvait se voiler la face : son assistance le troublait
bien plus qu’elle l’aurait dû.
D’ailleurs, avant comme après ses fichues fiançailles avec Alana, il avait toujours eu envie
d’attirer Kate dans son lit…
Allons ! Coucher avec une employée était d’un vulgaire achevé, et il ne pouvait tout de même pas
tomber dans ce cliché. D’autant qu’il approuvait totalement les fameuses règles familiales qui
proscrivaient à ses membres de « fraterniser » avec les employés.
D’ailleurs, Kate et lui souhaitaient l’un comme l’autre s’en tenir à des relations professionnelles.
Elle le soutenait en toutes choses, et il refusait de prendre le risque de la perdre en l’entraînant dans son
lit.
Elle avait été autant choquée que lui d’apprendre la trahison d’Alana. Pour une fois, elle n’avait pas
émis le moindre commentaire sarcastique, ni n’avait cherché à faire de l’humour. Elle était tout de suite
intervenue, avait pris tous ses appels, et avait trouvé une bonne parade pour étouffer les rumeurs
concernant l’annulation des fiançailles.
Oui, c’était l’excellente gestion de Kate qui lui avait permis de ne pas perdre la face. En effet, elle
avait informé la presse qu’Alana avait fait une fausse couche et que le couple avait décidé de se séparer,
tout en demeurant amis. Au début, il voulait que la vérité éclate, mais il avait été si meurtri par le
mensonge d’Alana qu’il avait finalement accepté de travestir la vérité pour ménager son amour-propre.
Aussi, même si Kate le rendait fou avec ses joutes verbales et son corps de déesse, il n’aurait pu
gérer la situation sans elle.
Il lui était déjà arrivé, avant la débâcle provoquée par sa fiancée, de souhaiter disposer d’un lieu où
se réfugier pour échapper au chaos de la vie royale. En acquérant cette villa, qui avait certes besoin
d’être rénovée, il avait eu la sensation de s’offrir un superbe cadeau. La propriété l’avait tout de suite
séduit, avec son immense piscine qui semblait se prolonger dans la mer Méditerranée et ses jardins
luxuriants et son embarcadère qui lui permettait d’y amarrer son bateau et son jet-ski.
Dommage qu’il ait été contraint de se réfugier ici avant la fin des travaux ! Mais avant son arrivée,
les entrepreneurs avaient réussi à rénover entièrement quelques pièces, dont sa chambre.
Otant son caleçon de bain trempé, il entra dans la douche : elle était entièrement vitrée, et les
plantes tropicales en pot qui l’entouraient donnaient l’illusion de se laver à l’extérieur. Il adorait cette
impression d’être dehors tout en jouissant de l’intimité qui lui était si chère.
Soudain, il se vit en train de partager sa douche avec Kate… et s’empressa de chasser cette image !
Outre toutes les bonnes raisons qu’il avait de ne pas fantasmer sur elle, il fallait ajouter leur différence
d’âge : elle avait dix ans de moins que lui. Quand il avait appris à conduire, elle perdait sa première dent
de lait ! N’était-ce pas là un argument de poids pour se convaincre qu’il était ridicule de fantasmer sur sa
secrétaire ? Sans doute…
Laissant l’eau ruisseler sur son corps, il continua d’énumérer tous les obstacles entre eux : non
seulement une liaison fragiliserait leur relation professionnelle, mais toute rumeur risquait de menacer
son ascension vers le trône. En outre, il était hors de question qu’un nouveau scandale éclabousse sa
famille. Sans compter qu’il avait suffisamment de problèmes à gérer. Hélas, c’était comme si son désir
n’avait que faire de tous ces arguments rationnels. Il devait trouver le moyen de garder Kate à bonne
distance car, si elle continuait à parader autour de lui en petite tenue, il ne tiendrait jamais deux semaines.

* * *

Examinant l’agenda de Luc pour les prochaines semaines, Kate nota les éléments importants sur
lesquels elle devrait se pencher une fois revenue à la civilisation et à Internet, c’est-à-dire au palais.
Même si Luc s’accordait une pause, elle-même n’avait pas ce luxe, avec ou sans réseau. Il avait beau
avoir déjoué les médias, elle devait continuer à anticiper pour qu’il préserve son image aux yeux de
l’opinion. Contrôler les dommages collatéraux était devenu sa priorité absolue depuis qu’elle était
l’assistante d’un membre de la famille royale.
Ce n’était pas un métier auquel elle rêvait depuis l’enfance. Evidemment, elle ne collaborait pas
avec un second couteau, puisqu’il s’agissait en l’occurrence du futur roi d’Ilha Beleza, mais tout de
même…
Elle avait tout d’abord voulu devenir designer, pour avoir si souvent regardé travailler sa mère qui
occupait le poste de couturière royale. Elle admirait sincèrement ses talents de créatrice et son
enthousiasme. Puis elle avait dû accepter la réalité : elle était plus douée pour l’organisation, les affaires
et la diplomatie que la création. La position de médiatrice l’attirait inexorablement.
Une fois diplômée, elle avait eu envie de travailler pour la famille royale qu’elle connaissait depuis
toujours. Elle les appréciait énormément, se sentait proche de leurs valeurs, et souhaitait rester au sein de
ce petit cercle.
Elle avait rencontré Luc pour la première fois à l’âge de six ans ; il en avait seize. Après quoi, elle
l’avait croisé de temps à autre, quand ses parents l’amenaient au travail avec eux. Devenue adolescente,
elle n’avait pu résister à son charme, ce dont elle avait été de plus en plus consciente au fil du temps.
Mais bien sûr, en raison de leur différence d’âge, il ne lui accordait pas la moindre attention ; elle, en
revanche, l’observait attentivement quand il paradait, une femme à son bras, dans le palais, et en dehors,
ou sur Internet.
Elle l’imaginait difficilement se marier un jour, mais ses trente-cinq ans approchant, s’il voulait
devenir roi, il allait être contraint de se plier à la règle du royaume. La « grossesse » d’Alana ne pouvait
donc pas mieux tomber…
Mais la débutante gâtée avait compromis à jamais sa chance de porter un jour la tiare : pour être
bien certaine que Luc l’épouserait et ne se désisterait pas au dernier moment, elle avait en effet prétendu
être enceinte, ne songeant pas que Luc se montrerait aussi pragmatique que son père et l’accompagnerait
au premier rendez-vous chez le médecin… Il avait été stupéfait de découvrir la supercherie et avait
congédié la mystificatrice sur-le-champ.
Au moins, Kate n’aurait plus à supporter les jérémiades d’Alana quand celle-ci appelait pour parler
à « Luckey » et que ce dernier était en réunion, ou pas en mesure de lui parler. Elle s’en félicitait, car
« Mlle Gros Seins » lui avait vraiment porté sur les nerfs ces derniers mois.
Dans l’agenda de Luc pour les prochaines semaines figuraient des réunions avec des dignitaires, des
rendez-vous avec le personnel, et puis, bien sûr, le mariage de son meilleur ami, Mikos Alexander, sans
compter quelques sorties « spontanées » pour que la presse puisse le photographier sans lui parler : un
rapide salut tandis qu’il entrerait dans un immeuble, un sourire avec fossette pour l’objectif… Les
paparazzis seraient ravis de pouvoir poster les clichés sur Internet.
L’année dernière, Kate avait essayé d’inciter Luc à s’investir dans des projets caritatifs, non pour
faire bonne figure dans les médias, mais parce qu’il avait réellement le pouvoir de changer la vie des
personnes concernées. A quoi bon être riche et puissant si on ne se servait pas de ces privilèges pour
porter secours aux moins fortunés ?
Mais Luc était obsédé par la couronne, par son pays et la façon de le diriger. Il n’était pas un
insensible, mais les gens modestes ne l’intéressaient pas véritablement, ce qui compliquait quelque peu le
travail de Kate, car celle-ci devait déployer des trésors d’ingéniosité pour qu’il conserve aux yeux du
public l’image d’un chevalier dans son armure étincelante.
Naturellement, elle n’allait pas se plaindre de travailler pour la famille royale, et de surcroît pour
un patron au charisme incontestable. Toutes les femmes ne fantasmaient-elles pas sur lui ? Mais il avait
beau être extrêmement séduisant, elle s’enorgueillissait de s’en tenir au strict domaine professionnel avec
lui.
Certes, elle pouvait bien l’admettre, une fois, elle s’était imaginée en train de l’embrasser. Enfin,
une fois par jour… Toujours était-il qu’elle aurait commis une erreur monumentale en cédant à ses
pulsions. Tout le monde savait que la famille royale ne « fraternisait » pas avec le personnel, et que la
frontière entre les deux mondes était étanche. Une folie de sa part lui aurait coûté son poste, mais aussi
celui de ses parents ; or, c’était un risque qu’elle ne pouvait absolument pas prendre, même si elle
souffrait en silence de cette attirance unilatérale.
Repoussant l’agenda, elle soupira et se leva. Luc l’avait prévenue que le cottage des amis était dans
un état sommaire, mais elle aimait le charme de l’endroit. Les pièces étaient certes très peu meublées, le
parquet avait besoin d’être rafraîchi et la cuisine datait d’au moins trente ans, mais cet espace était le
sien, elle avait de l’eau, de l’électricité et une plage. En outre, comparé au chaos qui avait régné au
palais, après l’annulation des fiançailles, elle avait presque la sensation d’être en vacances. Bien sûr, il
avait fallu tout reprogrammer, en particulier les rendez-vous avec la presse, mais maintenant elle se
retrouvait sur une charmante île isolée, en compagnie de son très séduisant patron.
Sortant par la porte de derrière, elle aspira à pleins poumons l’air marin, puis emprunta le sentier
pavé serti dans de la végétation luxuriante pour regagner la maison principale : elle était contente d’avoir
accompagné Luc, même si, compte tenu des circonstances, ce dernier était à cran, grincheux, en un mot,
difficile. Bien sûr, il avait toutes les raisons d’être furieux et meurtri, même jamais il n’aurait admis qu’il
était malheureux ; il préférait donner de lui l’image d’un homme fort et résistant.
Raison pour laquelle elle évitait d’évoquer trop souvent l’« incident ». Se limiter au strict domaine
professionnel représentait pour elle la seule façon de continuer à travailler avec lui et de ne pas se laisser
troubler par l’attirance qu’elle ressentait.
Au début de leur collaboration, ils avaient eu un jour une discussion passionnée qui avait failli
déboucher sur un baiser… Mais Luc s’était ressaisi au dernier moment et l’avait informée qu’en aucun
cas il ne couchait avec ses employées ni ne les invitait à sortir.
Pourtant, de longues nuits passées à travailler ensemble, des voyages à l’étranger et, enfin, cette
proximité quotidienne avaient parfois conduit à des échanges de regards enflammés, des frôlements
fortuits, et elle en était arrivée à la conclusion que l’attirance n’était pas unilatérale…
Puis il s’était mis à sortir avec « Mlle Gros Seins », et l’attirance entre eux s’était estompée — du
moins pour Luc. Il s’était comporté comme un séducteur, et elle s’était vivement reproché d’avoir imaginé
qu’ils finiraient par céder à leur attirance.
Or, à présent, ils étaient de nouveau seuls, coupés du monde et célibataires. Aussi était-il plus que
jamais nécessaire qu’elle s’en tienne à son rôle d’assistante, même si elle mourait d’envie de lui arracher
ses vêtements de grand couturier et de vérifier s’il n’avait pas des marques de bronzage ou d’autres
tatouages que celui qu’il portait sur l’épaule gauche et qui suffisait à déclencher un incendie en elle,
chaque fois qu’il roulait des muscles…
Pourtant, elle avait beau être tentée de céder à ses désirs, les enjeux étaient trop grands : sa carrière,
celle de ses parents, sans parler de la réputation qui lui collerait ensuite à la peau — une employée ayant
séduit son supérieur — et qui constituerait une tache indélébile sur son CV.
Toutefois, elle tenait à profiter de ce séjour pour vérifier si Luc était à présent plus sensible au
projet dont elle lui parlait depuis un an : comme sa vie avait été bouleversée, peut-être serait-il plus
enclin à consacrer un peu de son temps à des causes caritatives.
Tout en faisant claquer ses sandales sur le pavé, elle répéta le discours qu’elle avait préparé pour le
convaincre et contempla au passage la splendide piscine à débordement.
L’entrée principale de la villa donnait sur la mer Méditerranée. Evidemment, il n’était pas une seule
fenêtre qui n’offrait un splendide panorama ; une fois les rénovations terminées, la maison serait un vrai
palais. Mais, même en l’état, ce lieu lui plaisait énormément, et elle y serait volontiers restée pour
toujours.
Elle frappa à la porte vitrée, et la brise marine fit danser ses cheveux sur ses épaules : le vent s’était
levé, des nuages noirs s’amoncelaient dans le ciel. Elle sentit un grand sourire lui monter aux lèvres : il
allait y avoir de l’orage, et elle adorait ça ! La puissance du tonnerre lui semblait si grisante, si excitante.
Comme Luc ne venait pas lui ouvrir, elle toqua de nouveau et décida d’entrer. Visiblement, il n’y
avait personne dans l’immense salon, pas plus que dans la cuisine qui était un peu plus moderne que la
sienne. La configuration de la villa était semblable à celle du cottage, mais elle était bien plus spacieuse,
et le mur du fond entièrement vitré.
— Luc ?
Il s’était peut-être octroyé une petite sieste, à moins qu’il ne soit sous la douche…
A cette pensée, un nouveau sourire éclaira son visage, et elle imagina l’eau ruisselant sur le corps
musclé et bronzé de son patron… Assez !
Elle n’était pas venue le trouver pour le séduire, mais afin d’éveiller en son cœur de l’empathie
pour un projet caritatif qui lui tenait particulièrement à cœur, en l’occurrence un orphelinat aux Etats-
Unis. Cet endroit revêtait une grande importance affective à ses yeux ; toutefois, elle ne souhaitait pas le
révéler à Luc, car elle ne voulait pas qu’il accepte par pitié. Elle désirait qu’il intervienne parce qu’il
estimait qu’il s’agissait d’une juste cause.
Et pourtant, Carly et Thomas, les jumeaux qui y résidaient, ne cessaient de l’obséder, elle se souciait
énormément de leur sort. Et elle n’aurait de cesse de convaincre Luc de donner des fonds pour
l’orphelinat. En quoi cela le gênerait-il ? Sa contribution passerait tout à fait inaperçue dans le budget du
royaume, tandis qu’elle représenterait une chance inestimable pour ces deux enfants.
— Luc ? répéta-t-elle.
Elle s’avança alors vers le large escalier en fer forgé qui menait à l’étage. De la première marche,
elle s’appuya contre la rampe… et constata immédiatement qu’il faudrait aussi la remplacer !
Elle ignorait quelle chambre Luc occupait, et il n’était d’ailleurs pas exclu qu’il se soit installé dans
celle du bas.
— Luc, êtes-vous là-haut ? demanda-t-elle d’une voix plus forte.
Quelques secondes plus tard, il se matérialisa en haut de l’escalier, un drap de bain noué autour de
la taille. Elle l’avait déjà vu en maillot de bain, et savait parfaitement que son corps était impressionnant.
Mais, en le découvrant ainsi, elle sentit immédiatement ses sens s’affoler et dut prendre sur elle pour ne
pas oublier qu’elle n’était que son assistante.
— Désolée, dit-elle en détournant les yeux.
Elle devait lui sembler bien prude mais, si elle avait continué à le regarder, il aurait forcément
décelé son trouble.
— Je vais attendre que vous soyez habillé, ajouta-t-elle.
Et, avant de commettre un impair, comme lui jeter un regard troublé ou prononcer des idioties, elle
redescendit en hâte vers le salon où elle se laissa tomber sur le vieux canapé recouvert d’un plaid jaune
pour la durée des travaux. Elle s’appuya au dossier et laissa échapper un petit grognement.
Lucas Silva était vraiment un prince atraente et sexy. Après avoir vécu une année entière sur l’Ilha
Beleza, elle pensait de plus en plus souvent en portugais, et elle trouvait d’ailleurs bien plus romantique
de songer à Luc en portugais…
Allons, elle devait se ressaisir !
D’ailleurs, elle n’aurait pas dû s’aventurer jusqu’à l’escalier, ni même dans la maison : ainsi, elle
n’aurait pas été torturée par la vision de Luc drapé dans sa serviette, des gouttelettes ruisselant sur son
corps. Heureusement qu’il s’était tenu à bonne distance, sans quoi, elle aurait peut-être été tentée
d’étancher avec sa langue l’humidité sur sa peau…
Elle avait réussi à se contrôler pendant un an, et elle entendait bien que ça dure ! Elle refusait d’être
comme toutes ces femmes qui ne cherchaient qu’à s’attirer les faveurs du prince.
Lissant sa robe d’été à fleurs, elle croisa les jambes et prit l’air d’une assistante décontractée
attendant son patron. Mais, dès qu’elle entendit son pas dans l’escalier, elle se redressa et se fustigea
intérieurement pour ses pensées interdites.
— Navrée de vous avoir interrompu alors que vous vous douchiez, dit-elle au moment où il
pénétrait dans le salon. Je souhaitais discuter avec vous, avant d’aller me promener.
Il avait enfilé un short noir et un T-shirt rouge ; pourtant, elle ne pouvait chasser de son esprit
l’image de lui à demi nu. Habillé ou en maillot de bain, c’était un homme extrêmement sexy, mais en
l’occurrence, il lui avait semblé bien plus troublant que d’ordinaire.
— S’il s’agit d’une conversation professionnelle, sachez que je ne travaille pas, annonça-t-il
d’emblée.
Puis il traversa la pièce pour aller ouvrir toutes grandes les portes qui donnaient sur la terrasse et
permettre à la brise marine de s’engouffrer dans le salon.
Elle se leva, résolue à se montrer ferme sans pour autant susciter sa colère, compte tenu de
l’importance que le projet revêtait à ses yeux.
— Je voulais juste aborder un sujet précis avec vous, commença-t-elle prudemment. Vous n’avez
sans doute pas oublié que nous avions évoqué, tous les deux, un projet caritatif…
Il leva la main pour l’interrompre.
— Ecoutez, Kate, je ne peux me lancer dans un tel projet tant que je ne suis pas sur le trône, déclara-
t-il. Pour l’instant, toute mon énergie est concentrée sur la couronne, et vous comprenez aisément que
c’est un vaste chantier.
Croisant les bras, elle le fixa. Tiens, tiens… Après tout, il n’était peut-être pas aussi immunisé qu’il
le prétendait contre l’attirance qui existait entre eux !
— J’ai étudié votre agenda pour les mois à venir et découvert un créneau disponible que vous
pourriez consacrer à ce projet, enchaîna-t-elle, déterminée.
Elle vit que ses mâchoires se crispaient.
Quand il la regardait avec une telle intensité, elle ne savait jamais quelles intentions il avait en
tête… Mais si elles étaient en accord avec ce que reflétaient ses prunelles, elle signait tout de suite !
Soudain, il s’avança vers elle et, s’arrêtant devant elle, il effleura son épaule dénudée. Elle dut
recourir à tout son sang-froid pour ne pas frissonner sous cette caresse intime…
— Que… Qu’est-ce que vous faites ? demanda-t-elle, s’en voulant d’avoir bredouillé.
Il retraça alors la ligne de son décolleté puis revint vers son épaule. Elle continuait à le regarder
fixement, ne sachant trop ce qui allait suivre. S’il essayait de la séduire, il n’avait pas besoin d’en faire
plus ! A la façon dont il l’observait, elle était prête à oublier sur-le-champ toutes les bonnes raisons pour
lesquelles ils ne devaient pas sortir ensemble ! Il suffisait qu’il défasse le nœud de sa robe dos nu pour
que celle-ci tombe à ses pieds…
Le cœur battant, elle attendait, espérant plus que jamais que le rêve devienne réalité…
- 2 -

Luc laissa retomber ses mains le long de son corps et serra les poings. Mais qu’est-ce qu’il lui avait
pris de toucher ainsi Kate ? Il n’était rien d’autre qu’un tolo, un fou, pour s’être permis ce bref plaisir.
Pourtant, cette robe dos nu était une véritable invitation aux caresses et, cette fois, il n’avait pas été
en mesure de résister. Certes, il avait envie d’oublier ses récents déboires amoureux, mais pas avec son
assistante… même si celle-ci ne l’avait jamais laissé indifférent.
En fait, il était encore bouleversé par ce qu’il s’était passé tout à l’heure, au bas de l’escalier. Il
avait eu l’impression qu’il suffisait d’un signe de sa part pour qu’elle monte les marches et se jette dans
ses bras. Et misericórdia, Dieu savait s’il était prêt à une relation consentie sans attache… Mais
certainement pas avec son assistante ! Avait-il oublié le premier principe en vigueur dans sa famille ?
— Vous avez pris un coup de soleil, déclara-t-il tout à trac, surpris par son propre ton, plus fort
qu’il n’aurait voulu. Vous auriez dû suivre vos propres conseils et vous appliquer de la crème solaire.
Relevant le menton avec défi — une attitude familière qu’il avait fini par trouver amusante —, elle
plaqua les mains sur ses hanches, ce qui fit ondoyer le mince tissu qui moulait ses courbes affolantes.
Décidément, cette femme allait le tuer !
Il soupira intérieurement. S’il était prêt à risquer la réputation de sa famille et celle de Kate en
couchant avec son assistante, c’est qu’il était bien plus affecté qu’il le pensait par la trahison d’Alana.
Rien de bon ne pourrait advenir de cet instant de faiblesse, et il se retrouverait alors sans sa formidable
assistante, pour la simple raison qu’il ne pourrait plus l’autoriser à continuer à travailler pour lui. Et
quant à Kate, elle disposerait de tonnes d’informations dont la presse se délecterait, si elle décidait de se
retourner contre lui.
Aussi ne devait-il en aucun cas poser les mains sur son assistante !
— Demain, nous pourrons peut-être nous enduire mutuellement de crème solaire, suggéra-t-elle d’un
air moqueur. Mais revenons-en à notre projet caritatif.
Une œuvre de charité représentait effectivement un moindre mal, comparée à sa robe dos nu qui
recouvrait à peine son corps de rêve… Et pourtant, il n’avait aucune envie de reprendre cette discussion.
Il soutenait déjà financièrement plusieurs organisations, et c’était suffisant. On risquait sinon de lui
reprocher de se consacrer à des activités caritatives dans le but de donner une bonne image de lui. Et il se
refusait à recourir à ce type d’expédients… enfin, s’il montait un jour sur le trône.
— Nous devons avant tout concevoir un plan qui me permettra d’assurer mon titre, déclara-t-il. Tout
le reste peut attendre.
Lèvres pincées, elle hocha la tête en guise d’approbation. Apparemment, elle battait en retraite, ce
qui était fort curieux, car elle ne renonçait en général jamais à une discussion.
— Que complotez-vous ? demanda-t-il brusquement. Je préférerais que vous m’annonciez tout de
suite la couleur !
— Rien du tout ! se défendit-elle avec un doux sourire, qui ne fit que confirmer ses soupçons. Je
pensais juste à votre couronne mais, à part vous marier dans les plus brefs délais, je ne vois pas comment
vous pourriez l’obtenir.
Puis, tournant les talons, elle se dirigea vers la terrasse ; il la rattrapa aussitôt et la saisit par le
bras. Elle baissa les yeux vers la main qui enserrait son bras, avant de les relever vers le visage de Luc.
— Pourquoi ce projet caritatif est-il si important pour vous ? demanda-t-il alors, avant d’ajouter sur
une impulsion : Ecoutez, si vous me donnez le nom de l’organisation, j’enverrai autant d’argent que vous
le souhaitez.
Le regard de Kate s’adoucit, mais une tristesse qu’il n’y avait encore jamais vue vint aussitôt
l’assombrir.
— Ce n’est pas l’argent qui m’intéresse ! s’exclama-t-elle.
Et, se libérant de son emprise, elle se précipita vers l’escalier extérieur qui menait à la plage.
L’argent ne l’intéressait pas ? Avait-il jamais entendu une femme prononcer de telles paroles
auparavant ? Sans compter que toute organisation caritative serait ravie de bénéficier d’un don
important !
Décidément, Kate le surprendrait toujours. Elle appréciait les joutes oratoires tout autant que lui.
Pourtant, il avait la sensation qu’elle venait de botter en touche, car il était manifeste que ce projet lui
tenait réellement à cœur, mais aussi qu’elle n’avait pas envie de s’en ouvrir à lui. Elle travaillait pour lui
depuis un an, mais il la connaissait depuis bien plus longtemps, même s’ils évoluaient dans des cercles
différents. Ne lui faisait-elle donc pas assez confiance pour lui parler de ses souhaits les plus chers ?
Il secoua la tête tout en la regardant s’éloigner sur la grève.
Kate était fascinante à bien des égards, et il était réellement regrettable qu’elle soit son assistante,
car coucher avec elle aurait sans nul doute apaisé sa nervosité actuelle.
Levant les yeux vers le ciel, il remarqua que les nuages s’assombrissaient : un orage s’annonçait, et
il savait que Kate adorait les colères de Mère nature. Elle avait toujours été captivée par sa puissance,
lui avait-elle confié un jour. Ce qui correspondait tout à fait à sa personnalité : c’était en effet une femme
au tempérament bien trempé, efficace, et qui ne passait pas inaperçue.
Il était inquiet de la voir s’éloigner sur la plage alors qu’un orage s’annonçait, mais il songea
qu’elle rentrerait bientôt, ne serait-ce que pour admirer le spectacle de son balcon. Il décida de s’asseoir
sur la terrasse pour l’attendre et terminer alors leur discussion. Elle lui cachait quelque chose, et il
voulait savoir quoi… Pourquoi était-elle si mystérieuse concernant cette organisation ? Et surtout,
pourquoi aborder ce sujet la rendait-il si triste et si laconique ?
Il se laissa tomber sur un banc rembourré, à côté de la piscine à débordement. Le patio était parfait
et correspondait tout à fait à ce qu’il aurait lui-même choisi. Du barbecue en pierre pour les repas à
l’extérieur aux chaises longues près de l’eau, il adorait tout le luxe que l’espace offrait.
Jetant de nouveau un coup d’œil vers la plage, il se rendit compte qu’il n’y voyait plus Kate. Avait-
elle fait demi-tour ? Des nuages menaçants noircissaient à présent le ciel, et le tonnerre grondait au loin.
Quand il reçut la première goutte d’eau sur la joue, il scruta la plage, soucieux… Depuis quand le
sort d’une assistante le préoccupait-il à ce point ? Il se sentit agacé par sa propre réaction.
Normalement, il serait le prochain à monter sur le trône ! Comment sa libido pouvait-elle donc si
facilement prendre le pouvoir sur son esprit pour une femme aux courbes certes voluptueuses, mais qu’il
s’était systématiquement efforcé d’ignorer depuis des mois ?
L’attirance qu’elle exerçait sur lui était indéniablement puissante, mais il se devait d’être plus fort :
il n’y avait tout simplement pas de place pour le désir entre eux ! Il ne pouvait en aucun cas ternir
l’excellente réputation de sa famille ni compromettre son ascension vers le trône, parce que son assistante
le mettait en ébullition.

* * *

L’orage, violent et déchaîné comme elle les aimait, avait été magnifique, l’un des plus beaux qu’elle
avait vus depuis longtemps. Elle avait d’abord voulu rentrer, mais les éléments s’étaient si vite déchaînés
qu’elle avait finalement trouvé refuge dans une petite grotte, d’où elle avait pu suivre le spectacle aux
premières loges, même si elle était déjà trempée avant d’y pénétrer.
Sa robe lui collant à la peau, elle était revenue vers le cottage, sans que la légère brise qui la faisait
un peu frissonner entame sa bonne humeur. Pour l’atteindre, elle devait passer devant la terrasse de Luc.
Elle constata alors que celle-ci était éclairée… et qu’il était bien plus tard qu’elle le croyait. Oui, la nuit
était tombée, et pas simplement à cause de l’orage.
— Mais où étiez-vous donc passée ?
Elle sursauta : debout à l’entrée du salon, Luc semblait en colère. Ses cheveux étaient ébouriffés,
comme s’il avait passé et repassé nerveusement ses doigts dedans.
— Pardon ? fit-elle en s’approchant de lui.
Ses narines tremblaient, et il avait les mâchoires serrées. Oh ! il était bel et bien furieux.
— Je vous ai dit que j’allais faire une promenade, dit-elle. Je ne savais pas que vous vous feriez un
sang d’encre comme si vous étiez mon père et moi une enfant.
Il se pinça les lèvres.
— Cet orage était réellement dangereux, je pensais que vous auriez assez de bon sens pour revenir à
temps. Mais à quoi pensez-vous, nom de Dieu ?
Le fait qu’il se soit inquiété pour elle lui réchauffait le cœur, mais elle était aussi bien consciente
qu’il la regardait comme s’il voulait l’étrangler et que cela n’avait rien à voir avec le désir ou l’alchimie
sexuelle ! Encore que…
— J’ai quitté le palais, les gardes, et tout le monde pour laisser mes soucis derrière moi, reprit-il
d’une voix où perçait l’irritation. Vous êtes ici pour m’aider à trouver une solution à cet imbroglio.
Seulement, si vous n’êtes pas capable de vous conduire comme une personne responsable, vous pouvez
retourner au palais, ou bien je ferai venir un de mes gardes pour qu’il vous surveille.
Elle se mit à rire.
— Honnêtement, vous êtes ridicule, Luc. Je suis une grande fille, vous savez, j’étais en sécurité, et
je n’ai pas besoin de chaperon. Appelez mes parents, tant que vous y êtes !
La mère de Kate occupait la fonction de couturière royale, et son père était en charge de la sécurité :
toute sa vie, Kate avait évolué dans le monde de têtes couronnées… à ce petit détail près qu’elle n’en
était pas une. Bien sûr, elle était l’assistante de l’une d’entre elles, ce qui n’était déjà pas rien…
De fait, elle préférait rester dans les coulisses. Son rôle important auprès de Luc lui permettait de
voyager énormément, de gagner confortablement sa vie et d’œuvrer au bien d’autrui, sans être sous le feu
de la rampe. Et elle mettrait tout en œuvre pour convaincre Luc de venir visiter l’orphelinat qui lui tenait
tant à cœur : c’était là-bas qu’on avait pris soin d’elle et qu’elle avait reçu de l’amour, avant d’être
adoptée. Maintenant, elle était en position de redonner un peu de la générosité dont elle avait bénéficié.
— Votre père m’approuverait tout à fait, enchaîna Luc en s’approchant d’elle pour la saisir par le
bras. N’allez plus nulle part sans emporter votre téléphone. On ne sait jamais ce qui peut vous arriver.
— Vous pouvez avouer que vous avez été inquiet sans me faire une scène, Votre Majesté, répliqua-t-
elle.
Elle se dégagea de son emprise et recula d’un pas.
— Quel est votre problème ? Je suis allée me promener, et je suis de retour. Ne soyez pas grincheux
parce que vous êtes incapable d’admettre que vous étiez inquiet.
— Inquiet ? répéta-t-il en se penchant vers elle, si près qu’elle put sentir son souffle chaud sur son
visage, apercevoir des éclats d’or dans ses yeux sombres. Ce n’est pas le mot. Je suis furieux contre vous
parce que vous avez été imprudente !
Elle n’était vraiment pas d’humeur à supporter ses reproches. Elle ne méritait pas d’être la cible de
sa colère, alors qu’en réalité, c’était contre lui-même qu’il était furieux.
Et puis, elle avait besoin de se changer, de prendre un bain bien chaud et mousseux dans la
baignoire de sa salle de bains qui donnait sur les jardins. Elle espérait juste qu’elle fonctionnait, car elle
ne l’avait pas encore testée, et comme l’évier de la cuisine fuyait un peu, elle nourrissait quelques doutes
sur le bon état général de la plomberie…
— Je rentre chez moi, annonça-t-elle en agitant la main pour lui indiquer que cette conversation
absurde était terminée. Nous reparlerons demain, quand vous vous serez calmé.
Mais, au moment où elle tourna les talons, il la saisit par le poignet et la fit de nouveau pivoter vers
lui.
— Je suis vraiment lasse que vous me malmeniez…, commença-t-elle.
Elle fut incapable de poursuivre, car il venait de capturer sa bouche et, plaquant les mains sur ses
hanches, il la maintenait fermement. Elle ne put rien faire d’autre qu’entrouvrir les lèvres et s’abandonner
au baiser viril et possessif que lui donnait le prince Lucas Silva… Jamais elle n’avait connu un homme
qui embrassait si bien !
Oui, vraiment, quelle expérience ! A présent, il lui enserrait le visage de ses mains vigoureuses,
tandis que sa langue dansait avec la sienne. Elle lui saisit alors les poignets, hésitante : devait-elle mettre
un terme à ce baiser avant que tout leur échappe ou, au contraire, inciter le prince à continuer ? Car elle
voyait enfin son rêve se concrétiser…
Se cambrant contre lui, elle perçut toute la fermeté de corps, et une onde de chaleur la submergea :
ses vêtements trempés à cause de la pluie ne représentaient plus du tout un problème.
Mais tout à coup, aussi rapidement qu’il avait pris sa bouche, il la relâcha et recula d’un pas,
laissant ses mains retomber le long de son corps. Il laissa échapper un juron en portugais et se frotta la
nuque, les yeux rivés au sol. Que faire ? se demanda Kate, brutalement ramenée à la réalité. Devait-elle
partir sans prononcer un mot ?
Quelle était la marche logique à suivre, quand votre patron vous criait dessus, puis vous embrassait
avec fougue, avant de vous repousser en marmonnant un terme grossier qui aurait fait rougir sa mère ?
Elle s’éclaircit la gorge et croisa les bras.
— Je ne comprends pas très bien pourquoi vous avez réagi ainsi, déclara-t-elle, mais disons que
c’était dans le feu de l’action. Nous en rirons sans doute tous les deux demain.
Et moi j’en rêverai cette nuit, ajouta-t-elle en son for intérieur.
— Vous m’avez fait sortir de mes gonds, commença-t-il, en posant sur elle ses prunelles intenses.
Depuis un an, nous ne cessons de nous disputer, mais je vous soutiens toujours. Et de votre côté, je sais
que je peux compter sur votre appui indéfectible. Bref, en tant qu’employée, vous êtes la meilleure.
Confuse, elle se frictionnait les bras, frissonnant à présent sous la brise qui soufflait de la mer.
— Et où voulez-vous en venir, exactement ? demanda-t-elle.
— Nulle part ! s’écria-t-il en agitant les bras. Ce qui vient de se passer ne peut se reproduire parce
que vous êtes mon employée, et que je ne couche pas avec mon personnel. Jamais.
Elle ne put retenir un éclat de rire.
— Vous m’avez juste embrassée, Luc, personne n’a parlé de sexe.
Il la transperça alors d’un regard brûlant, et elle sentit son corps se réchauffer d’un coup, impression
qu’un bon bain chaud n’aurait pu lui procurer.
— Inutile d’en parler : il suffit que je vous voie pour y penser ! Et maintenant que j’ai goûté votre
bouche, j’en ai encore plus envie.
S’il pensait que ces paroles allaient la décourager, il se trompait ! D’un pas résolu, elle s’avança
vers lui, mais il recula.
— Non, grommela-t-il. Retournez au cottage et oubliez ce qui s’est passé.
Elle secoua la tête.
— Ah non ! Vous ne pouvez pas lâcher une telle bombe, puis me donner une gentille tape sur
l’épaule et m’envoyer au lit. Vous avez commencé par me faire la morale, puis vous m’avez embrassée,
puis parlé de sexe, tout cela en l’espace de deux minutes. Vous concevrez aisément que toutes vos sautes
d’humeur et vos changements hormonaux me perturbent un peu, non ?
Elle vit un muscle de sa mâchoire tressauter, puis il serra les poings, deux indices qui indiquaient
qu’il était à la fois irrité, frustré, et furieux. Eh bien, il n’avait à s’en prendre qu’à lui-même ! Elle
refusait de le suivre dans ses tourments intérieurs.
— C’est ridicule ! conclut-elle avec un soupir. Visiblement, ni vous ni moi ne sommes en mesure
d’ouvrir la bouche sans professer des choses que nous ne pensons pas.
— Je ne dis que ce que je pense, rétorqua-t-il. Sinon, je m’abstiens.
Elle leva les yeux au ciel.
— Parfait. Donc, vous le pensiez vraiment quand vous avez affirmé que vous vouliez me faire
l’amour ?
— Ne déformez pas mes propos ! répliqua-t-il.
Elle croisa son regard, consciente qu’elle jouait avec le feu.
— Avez-vous dit, oui ou non, que, lorsque vous posiez les yeux sur moi, vous pensiez à coucher
avec moi ?
Il la contourna, s’apprêtant à descendre les marches qui menaient à la plage.
— Cette conversation est terminée, trancha-t-il. Rentrez chez vous, Kate.
Médusée, elle le regarda s’éloigner, avant de s’élancer derrière lui. Ce n’était pas parce qu’il était
prince et qu’elle était une simple assistante qu’il pouvait la congédier comme bon lui semblait. Il venait
de faire preuve d’une sacrée grossièreté !
Il avançait à grandes foulées, se dirigeant vers l’embarcadère… Il n’avait tout de même pas
l’intention de faire du jet-ski maintenant ? Bien sûr, la mer n’était plus démontée comme pendant l’orage,
mais il faisait nuit, et il était en colère.
Au moment où elle allait l’appeler, elle le vit brusquement tomber de tout son long dans un bruit
sourd. Stupéfaite, elle se précipita vers lui et pria pour qu’il y ait plus de peur que de mal.
— Luc, dit-elle une fois à sa hauteur, tout va bien ?
Il ne bougeait pas, allongé de façon parfaitement immobile sur le ponton humide. Elle sentit une
bouffée de panique la submerger. Elle sauta alors à son tour sur la jetée en bois, et son pied glissa
légèrement et heurta un des bateaux amarrés.
Tout comme la maison, le ponton requérait quelques réparations !
Elle s’accroupit près de Luc, remarquant immédiatement une bosse à sa tempe : dans sa chute, il
s’était cogné la tête contre un poteau.
— Luc, dit-elle en repoussant en arrière les cheveux qui lui barraient le front, vous m’entendez ?
Elle avait peur de le bouger et priait pour qu’il se soit simplement évanoui.
A la faveur du réverbère, elle examina rapidement son corps cherchant d’éventuelles blessures.
Comment avait-il pu passer si rapidement d’un état à un autre ? Elle se rappela soudain qu’elle n’avait
pas pris son portable, et sentit l’étau de la peur se resserrer autour son cœur.
Peut-être était-elle irresponsable, comme il le lui avait reproché, mais le moment était mal choisi
pour nourrir de telles pensées ! Pour l’heure, elle ignorait si Luc était gravement blessé, et son immobilité
totale l’inquiétait affreusement.
Elle s’assit alors près de lui, puis se mit à lui tapoter le visage.
— Allez, Luc, réveillez-vous. Disputons-nous encore un peu…
Déchirée entre l’envie de courir chez elle pour prendre son téléphone et appeler de l’aide et le
besoin de rester auprès de lui pour surveiller s’il revenait à lui, elle se mit à tâter les poches de son short,
espérant qu’il avait son portable.
L’une était vide et, avant qu’elle ait le temps de vérifier la deuxième, il poussa un grognement et
essaya de se redresser.
— Attendez ! lui dit-elle en lui posant la main sur l’épaule. Ne bougez pas. Avez-vous mal quelque
part ?
Il cilla, puis la regarda, avant de froncer les sourcils.
— Pourquoi étiez-vous en train de me peloter ? demanda-t-il.
— Moi, vous… Mais pas du tout, s’écria-t-elle en l’aidant doucement à s’asseoir.
Par chance, il ne semblait pas blessé.
— Je cherchais votre portable pour appeler de l’aide, car vous êtes tombé et vous vous êtes cogné
la tête contre un poteau, poursuivit-elle. J’étais inquiète parce que vous êtes resté inconscient plusieurs
minutes.
Il leva le bras et toucha sa bosse, qui était en train de bleuir.
— Aïe ! Ça fait mal !
— Rentrons à la maison, dit-elle en l’aidant à se lever.
Elle passa le bras autour de sa taille pour le soutenir.
— Ça va ? Pas de vertige ?
Il baissa les yeux vers elle, l’air confus.
— C’est complètement fou, dit-il.
— Quoi donc ?
Sans répondre, il passa un doigt sur l’arête de son nez : nul doute qu’il devait avoir une terrible
migraine. Raison de plus pour que ce grand garçon regagne au plus vite la maison, car s’il s’écroulait,
elle ne pourrait pas le porter !
— Je vous connais, murmura-t-il. Seulement… Eh bien, je n’arrive pas à me rappeler votre nom.
Elle se figea.
— Vous ne savez pas comment je m’appelle ?
Voilà qui ne préjugeait rien de bon. Elle sentit immédiatement une boule lui nouer l’estomac.
Secouant la tête, il passa le bras autour de ses épaules, et ils se mirent en marche.
— J’ai dû me cogner la tête plus fort que je pensais, enchaîna-t-il. Pourquoi est-ce que ça ne me
revient pas ?
Elle posa la main sur son torse, pour le forcer à faire une pause. Puis elle se déplaça légèrement, de
sorte à l’observer… Comme elle n’avait aucune connaissance en médecine et n’avait jamais pris le
moindre cours de secourisme, elle ignorait complètement quels étaient les symptômes d’un traumatisme
crânien.
— Regardez-moi, ordonna-t-elle pourtant. Vous me connaissez, Luc, vous savez mon nom !
Il poussa un soupir, puis secoua la tête.
— Je l’ai sur le bout de la langue, mais…, pourquoi est-ce que je ne m’en souviens pas ?
Il planta ses yeux dans les siens et elle les vit clairement se remplir d’effroi. Oh ! tout cela ne lui
disait rien qui vaille ! Dès qu’ils seraient à l’intérieur, elle appellerait le médecin du palais : de toute
évidence, la mémoire de Luc refusait de coopérer. Toutefois, il ne fallait en aucun cas qu’il panique, elle
pouvait le faire pour deux !
— Je m’appelle Kate, dit-elle.
Et elle le scruta attentivement, espérant repérer dans ses prunelles un éclair qui lui aurait indiqué
qu’il l’avait reconnue.
Mais elle ne décela rien du tout !
— Je suis votre…
— Fiancée, dit-il avec un large sourire. Maintenant, je me souviens de vous.
Et, se penchant vers elle, il captura ses lèvres et l’embrassa avec fougue.
- 3 -

Fiancée ? Oh ! par pitié, non ! pensa Kate, prenant soudain conscience de ce qui venait de se
passer.
Elle dut faire appel à toute sa volonté pour repousser Luc et sa bouche enivrante, tandis que le mot
résonnait en boucle dans sa tête.
— Rentrons, dit-elle tout simplement, en s’efforçant de garder son sang-froid.
Eh bien ! Il avait dû se cogner la tête sacrément fort, car il avait vraiment les idées embrouillées.
— Ecoutez, vous avez tout de même une énorme bosse à la tempe, une commotion n’est pas à
exclure, poursuivit-elle. Il vaut mieux que j’appelle un médecin. Espérons que nous aurons du réseau,
maintenant que l’orage est passé.
Luc la considéra quelques secondes, puis hocha la tête, et se laissa docilement conduire à
l’intérieur.
Il avait vraiment un problème, conclut-elle alors, car vingt minutes plus tôt, il aurait vivement
protesté sur l’utilité de faire venir un médecin, et il n’aurait pas accepté son soutien.
En outre, elle préférait ne pas penser au fait qu’il la prenait pour sa fiancée car, s’il estimait qu’ils
couchaient ensemble, la situation allait rapidement devenir très délicate…
Evidemment, qu’il imagine qu’ils formaient en couple n’avait rien pour lui déplaire. Combien de
temps son esprit allait-il lui jouer ce tour ? Et comment allait-il la traiter, à présent qu’il pensait qu’ils
sortaient ensemble ?
Une fois qu’elle l’eut installé sur le canapé, elle se leva et reprit son souffle : elle ignorait qu’il était
si costaud et musclé ! Pour regagner la maison, il s’était appuyé contre elle.
A présent, tandis qu’elle rajustait ses vêtements tout en s’efforçant de reprendre son souffle, elle se
rendit compte qu’il la fixait de ses yeux pénétrants. Elle sentit un frisson la parcourir.
— Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle.
— Pourquoi es-tu toute mouillée ?
Tirant doucement sur sa robe au niveau des cuisses, elle secoua la tête.
— J’ai été surprise par l’orage, tout à l’heure.
Il ne cessait de fixer son corps.
— Tu es sexy, comme ça, murmura-t-il, en continuant de la fixer avec insistance. Cette robe épouse
merveilleusement tes courbes, et tes cheveux désordonnés te donnent un air très sensuel.
Elle déglutit avec difficulté, notant au passage qu’il était passé au tutoiement… Toute réponse
l’aurait conduite à mentir ; or, elle ne pouvait continuer à lui faire croire qu’ils avaient une autre relation
que celle d’employée-employeur : il était prince, et elle était à son service, point !
— Où est votre portable ? demanda-t-elle brusquement.
Si elle n’endossait pas tout de suite son rôle d’assistante, elle allait finir par se laisser happer par
les regards de velours qu’il ne cessait de lui décocher… et les promesses qu’ils contenaient. Cette idée
était si déstabilisante… Allons, elle savait bien qu’il n’était pas lui-même !
— Je vais appeler le médecin, décréta-t-elle. Où est votre téléphone, Luc ?
Il balaya la pièce du regard, puis se passa la main dans les cheveux.
— Je n’en ai pas la moindre idée… Je ne me souviens de rien. Je ne sais même pas pourquoi j’étais
dehors à cette heure si tardive.
Il donna un coup de poing sur le coussin à côté de lui en poussant un juron.
— Pourquoi est-ce que je ne peux rien me rappeler ?
L’inquiétude que trahissait sa voix affola Kate bien plus encore que le fait qu’il la prenne pour sa
fiancée. Lucas Silva ne baissait jamais la garde. Même devant l’éventualité de ne pas accéder au trône, il
avait toujours gardé son sang-froid. C’était un homme solide… qui plus est extrêmement séduisant. Et elle
était loin d’être insensible à son charme, c’était aussi simple que ça ! Ou peut-être que ce n’était pas
simple du tout, étant donné qu’elle ne serait jamais à lui.
— Ce n’est rien, lui assura-t-elle en lui tapotant l’épaule. Je vais le trouver. Et, une fois que le
médecin vous aura examiné, nous en saurons plus. Tout va peut-être rentrer dans l’ordre très vite. Essayez
de ne pas paniquer.
Cet ultime conseil était tout autant destiné à Luc qu’à elle-même, car à présent elle était vraiment
effrayée. Elle ne connaissait rien à l’amnésie, mais le déséquilibre certain que la chute avait entraîné
dans le cerveau de Luc la préoccupait fortement. Elle n’osait imaginer ce qu’il ressentait.
Elle inspecta le salon : il était spacieux, mais peu meublé, ce qui lui facilitait la tâche. Toutefois, n’y
trouvant pas le téléphone, elle poursuivit ses investigations dans la cuisine. En vain. Revenant sur la
terrasse, elle aperçut alors le mobile sur la table un peu abîmée, héritage des précédents propriétaires.
Soulagée, elle le prit puis rentra pour l’informer de sa trouvaille, avant de préciser :
— Je vais ressortir pour appeler afin de mieux capter le réseau. Je reviens tout de suite.
Il s’agissait en réalité d’un prétexte, car elle ne souhaitait pas que Luc perçoive la moindre trace
d’inquiétude dans sa voix, quand elle s’entretiendrait avec le médecin. Pour l’instant, elle n’allait pas
évoquer l’histoire de la « fiancée ». D’ailleurs, elle repousserait autant que possible le moment de relater
cette affaire ; c’était sans doute égoïste de sa part, mais après tout, chacun avait ses faiblesses, et pour
elle, Luc Silva en représentait définitivement une.
Elle fut soulagée que le médecin prenne immédiatement la communication, et plus encore quand il
promit d’être sur place dans une heure. Pendant ce temps, Luc continuerait vraisemblablement à croire
qu’ils étaient fiancés, et elle jouerait le jeu jusqu’à nouvel ordre.
La villa de Luc se trouvait sur une île assez proche de celle de sa famille et des côtes portugaises.
En réalité, il se cachait à la vue de tous ! De cette façon, il pourrait être rapatrié rapidement en cas
d’urgence.
Elle se réjouit que le médecin puisse utiliser le bateau privé des Silva pour regagner l’île, car il n’y
avait pas d’aérodrome sur place. La veille, c’était son père qui les avait déposés, Luc et elle, afin que ce
premier puisse garder sa cachette secrète.
Quand elle rentra, Luc avait la tête appuyée contre le dossier du canapé ; les yeux clos, il se massait
les tempes.
— Le médecin va arriver, annonça-t-elle.
Sans ouvrir les paupières, il se contenta de hocher brièvement la tête.
— Je sais que vous souffrez, mais je ne veux rien vous donner avant que le médecin ne vous ait
examiné.
Et si ses blessures étaient plus sérieuses qu’elle l’avait cru ? L’amnésie, passagère ou non, n’était
pas le pire ; on pouvait mourir d’une simple chute ! Même s’il se sentait bien, cela pouvait tout à fait
indiquer un problème non apparent.
Elle passa en revue diverses possibilités tout en continuant à l’observer. Etait-il préférable qu’il
s’assoupisse ou devait-elle le maintenir éveillé ? Si quelque chose lui arrivait, elle ne se le pardonnerait
jamais, car s’ils ne s’étaient pas disputés, il ne se serait pas précipité comme un fou vers le ponton. Oui,
si elle n’avait pas eu besoin de le défier encore une fois, cet accident ne se serait pas produit.
Il ne l’aurait pas non plus embrassée, car ce baiser avait été pour lui une sorte d’exutoire à la
frustration et la colère qui le tenaillaient. Un baiser conquérant, car il avait pris sa bouche d’assaut, et
elle en avait apprécié chaque seconde. Quoi qu’il en soit, il fallait se concentrer sur le présent et ne plus
penser à cet instant de rêve devenu réalité.
Elle le vit soudain battre des paupières, mais il n’ouvrit pas les yeux.
— Luc, dit-elle avec douceur, essayez de ne pas vous endormir, d’accord ?
— Mais je ne dors pas, marmonna-t-il. C’est juste que la lumière est trop forte, et elle me fait mal
aux yeux.
Elle se dépêcha d’aller éteindre les lampes, laissant juste le plafonnier de la cuisine allumé, de
sorte à pouvoir encore le voir.
— C’est mieux, comme ça ? s’enquit-elle en s’asseyant à côté de lui, sur le canapé.
La chaleur de son corps se communiqua tout de suite à elle, ce dont elle se réjouit.
Il ouvrit un œil, puis l’autre, avant de la regarder en coin.
— Oui, merci.
Après quoi, il lui prit la main. Elle se tendit. Ce n’était pas réel, se rappela-t-elle. Il cherchait du
réconfort, parce qu’il était encore sous le choc et qu’il la prenait pour sa fiancée.
Evidemment, si tel avait été le cas, il aurait pu lui tenir la main sans qu’elle se sente coupable. Elle
l’aurait alors enlacé et lui aurait apporté tout le soutien, l’amour et… Assez ! Elle n’était pas sa fiancée,
aussi de telles pensées ne pouvaient-elles mener à rien.
Pour l’instant, elle pouvait faire semblant, ne pas retirer sa main de la sienne, et goûter toutes les
sensations que ce contact lui procurait. De toute façon, leur relation n’était plus strictement
professionnelle : il avait franchi un seuil en l’embrassant.
— Je vais m’en remettre, dit-il, large sourire à l’appui. Il suffit que tu restes près de moi.
Ravalant la vérité, elle hocha la tête.
— Je ne compte pas m’en aller.
Et elle se retint de ne pas tressaillir de joie quand, de son pouce, il se mit à lui caresser le dos de la
main, et s’efforça ensuite de contenir l’excitation qui gagnait tout son être à l’idée qu’il ne la considérait
plus comme une simple employée.
Ce n’est pas la réalité ! lui rappela une petite voix. Luc était piégé par son propre esprit. Et quant à
elle, elle ne savait pas si elle devait repenser au baiser échangé ou à l’affreuse bosse qui ornait son front.
L’un et l’autre la rendaient horriblement nerveuse…
Comme elle trouva le temps long jusqu’à l’arrivée du Dr Couchot ! Quand il frappa enfin à la porte,
elle poussa un soupir de soulagement. Sous sa main, elle sentit celle de Luc se crisper.
— Tout va bien se passer, dit-elle en se levant. Le médecin va vous examiner et trouver une
solution.
Le Dr Couchot entra d’un pas dynamique, posa sa sacoche par terre et prit place dans le fauteuil, à
côté du canapé.
— Dites-moi ce qui s’est passé, demanda-t-il à Kate.
Il avait l’air très préoccupé : il s’occupait en effet de Luc depuis sa naissance et connaissait tous les
secrets médicaux de la famille royale.
Elle lui relata les événements par le menu, omettant toutefois la partie « fiancée », pendant que le
médecin examinait son patient. Il inspecta les pupilles de Luc à l’aide d’une minuscule lampe de poche,
puis tâta rapidement la bosse. Une fois qu’il eut terminé, il se rassit et fronça les sourcils.
— Quelque chose vous est-il revenu, depuis le coup de fil, Luc ?
Celui-ci secoua la tête.
— Le visage de Kate m’est bien sûr familier, mais je ne me souvenais plus de son nom. Je sais que
je suis un membre de la famille royale, et je crois que je suis prince. Je sais aussi que cette maison
m’appartient et que je veux la rénover, mais visiblement, je n’en ai pas encore eu le temps.
Tout cela était vrai, et elle sentit l’espoir monter en elle : les blessures de Luc n’étaient peut-être
pas aussi graves qu’elle l’avait d’abord craint.
— D’après ce que je constate, vous souffrez d’une amnésie temporaire, déclara le médecin. Je ne
vois aucun signe de commotion cérébrale, et vos pupilles répondent normalement à la lumière.
Il tourna alors la tête vers Kate.
— J’aimerais qu’il passe un scanner mais, le connaissant, je suis certain qu’il va refuser.
— Je suis là, docteur, vous pouvez vous adresser à moi, intervint Luc d’un ton agacé, en scrutant
tour à tour le médecin et Kate. Et effectivement, je ne veux pas de scanner, car cela impliquerait que je
rentre à la maison, où bien trop de problèmes m’attendent. Sauf si vous estimez que j’encours un danger
sérieux, je préfère rester ici.
Kate échangea un regard avec le médecin.
— Et si je vous promets de veiller sur lui comme une infirmière ? fit-elle. Vous avez dit qu’il n’y a
pas de commotion cérébrale, c’est plutôt bon signe, non ?
— Entendu, concéda le Dr Couchot. Je n’insisterai pas. Mais il faudra que Kate veille sur vous
vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans les jours qui viennent, et je resterai en contact avec elle. A la
première manifestation inhabituelle, elle vous ramènera au palais où nous pourrons vous prendre en
charge. Compris ?
— Compris ! répondit Luc.
Après avoir écouté de nombreuses recommandations et toutes les manifestations auxquelles elle
devait être vigilante, elle raccompagna le médecin. Quand ils furent sur la terrasse, le Dr Couchot
s’immobilisa soudain et lui fit face.
— Surtout, efforcez-vous de ne pas induire ses souvenirs, déclara-t-il. Il est important qu’il se
rappelle par lui-même, sinon, son esprit risquerait de devenir plus confus encore et son état de se
détériorer. C’est déjà un miracle qu’il se remémore tant de choses ! En réalité, je crois qu’il n’a perdu
que quelques mois de mémoire.
Quelques mois… Ce qui expliquerait pourquoi il ne se rappelait plus qui était sa vraie fiancée, ni la
fausse grossesse qu’elle lui avait annoncée.
— Je ne lui fournirai pas d’informations, promit Kate.
Puis, lissant ses cheveux, elle ajouta :
— Cependant, puis-je lui montrer des photos ou passer de la musique qu’il aime ? Des petits riens
qui stimuleraient peut-être ses pensées.
— C’est une bonne idée. Mais allez-y doucement. Laissez-lui le temps. Il n’est pas exclu qu’il se
réveille demain en ayant recouvré la mémoire, tout comme il n’est pas exclu que cet état puisse perdurer
encore un mois. Chaque cerveau est unique, il est donc impossible de faire des prédictions précises.
Elle hocha la tête et remercia le médecin d’être venu si vite. Elle le regarda ensuite regagner son
bateau, où un garde du palais l’attendait. Par chance, ce n’était pas son père, mais son bras droit.
Elle adressa un petit signe de la main aux deux hommes, avant de prendre une grande inspiration :
lorsque le médecin évoquait des comportements inhabituels, incluait-il le fait que Luc pense que son
assistante était sa fiancée ?
Préoccupée, elle regagna la maison. Toutes ses affaires se trouvaient au cottage, mais elle resterait à
la villa.
Quand elle pénétra dans le salon, Luc la fixa, et elle sentit une onde de chaleur la parcourir en y
décelant une lueur de désir intense. Elle ne pouvait poursuivre la mascarade ! Car elle était bien
consciente qu’elle ne pourrait pas lui résister très longtemps… Et étant donné la passion avec laquelle il
l’avait embrassée, il n’aurait de cesse d’assouvir son désir pour elle ! Evidemment, cette pensée la
laissait rêveuse…
L’avertissement du médecin tournoyait dans ses pensées : elle ne devait pas alimenter la mémoire de
Luc, ni interférer avec le cours de ses pensées, jusqu’à ce que son esprit se remette à coopérer.
— Assieds-toi près de moi, murmura-t-il en lui tendant la main.
Elle eut d’abord un mouvement de recul, même si, en réalité, elle ne désirait rien d’autre que
d’obtempérer.
— Il faut que j’aille chercher mes affaires, annonça-t-elle.
Il fronça les sourcils.
— Où sont-elles donc ?
Elle s’efforça de demeurer vague, tout en étant aussi honnête que possible.
— J’ai laissé quelques effets dans le cottage des invités. J’y cours et je reviens tout de suite. Puis je
serai à toi.
Cette dernière phrase était-elle bien utile ? Elle avait parlé sans réfléchir ; à l’avenir, elle devrait
peser chacun de ses mots jusqu’à ce que Luc ait recouvré la mémoire. Pour l’instant, elle devait jouer le
jeu et tenter malgré tout de maintenir une certaine distance entre eux, sans quoi elle risquait d’en payer le
prix fort, quand il recouvrerait son état normal. Accepter ces faux-semblants, même pour une courte
durée, n’était pas très sage. Même s’il avait besoin d’elle dans cette épreuve, d’autant qu’ils étaient seuls
sur cette île. Mais encore une fois, comment pourrait-elle lui résister ? Comment pourrait-elle se
soustraire à ses caresses, à ses baisers ?
— Pourquoi certaines de tes affaires se trouvent-elles au cottage ? demanda-t-il encore,
manifestement intrigué.
— J’ai travaillé là-bas, cet après-midi, éluda-t-elle sans mentir. Je reviens dans cinq minutes.
Et sur cette promesse, elle s’éclipsa par la porte de derrière, ne souhaitant surtout pas s’attarder sur
la confusion qu’elle lut alors sur les traits de Luc. Si elle lui en avait dit plus, elle aurait sans doute dû lui
fournir des informations que son esprit n’était pas encore prêt à accepter.
Une fois au cottage, elle plaça à la va-vite des vêtements de rechange dans son sac, ainsi qu’une
petite trousse de toilette. Elle reviendrait chercher en cachette le reste de ses affaires, si elle devait
séjourner plus de deux jours à la villa.
Elle s’en voulut alors de ne pas avoir apporté de pyjama sur l’île. Sachant qu’elle serait seule dans
la maison, elle n’en avait pas vu l’utilité. Elle examina rapidement sa pile de chemisiers en soie de
couleurs différentes… Et dire qu’elle n’avait même pas un vieux T-shirt pour dormir !
N’ayant guère le choix, elle prit un corsage rose qu’elle glissa dans son fourre-tout, puis reprit le
chemin de la maison principale. Pourvu pour que Luc ne la voie pas dans ce chemisier ! songea-t-elle.
Mais comment pourrait-elle repousser un homme qui la prenait pour sa fiancée et, partant, tenait pour
acquis qu’ils couchent ensemble ?
A cette pensée, elle s’immobilisa. Elle ne pouvait en aucune façon partager le même lit que Luc !
Car alors, la tentation de céder à ses avances serait bien trop grande…
Le clair de lune guidant ses pas, elle continua d’avancer, se résignant au fait que le cours des
événements allait immanquablement prendre un tour des plus délicats.
- 4 -

Kate jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, afin de s’assurer qu’elle était seule sur la terrasse où
elle s’était réfugiée pour appeler sa mère. Il lui arrivait parfois, dans sa vie de femme, d’avoir encore
besoin, comme en ce moment, des conseils de sa mère.
Celle-ci décrocha dès la deuxième sonnerie.
— Ma chérie ! s’exclama-t-elle. Je pensais justement à toi.
— Bonjour, maman, dit Kate.
Puis elle s’appuya contre la balustrade, face à la porte, pour être bien certaine que Luc ne surgirait
pas furtivement derrière elle ni n’entendrait des propos qui ne lui étaient pas destinés.
— Je te dérange ? demanda-t-elle.
— Bien sûr que non, ma chérie. Tu parais étrange… Tout va bien ?
Non, loin de là !
Kate soupira en repoussant une mèche de cheveux derrière son oreille.
— Pour tout dire, je suis un peu dans le pétrin, déclara-t-elle tout de go.
— Qu’est-ce qui ne va pas, Katelyn ?
Touchée par l’inquiétude de sa mère, elle s’efforça de ne pas céder à l’émotion, car les larmes
n’arrangeraient rien ; de surcroît, comment expliquerait-elle ensuite à Luc ses yeux rougis ?
— Luc est tombé, tout à l’heure.
— Oh ! je suis désolée, ma chérie. S’est-il blessé ?
— Eh bien… Il a à la tête une bosse de la grosseur d’un œuf. Et il souffre d’une amnésie passagère.
— Une amnésie ? répéta sa mère en montant d’une octave. Katelyn, ne vaudrait-il mieux pas que
vous reveniez au palais ? Ses parents sont-ils au courant ?
— Je les ai prévenus avant de t’appeler. Le Dr Couchot est venu l’examiner, et il nous a assuré que
Luc n’avait rien de grave, aucune commotion cérébrale ni quoi que ce soit de ce genre. Il n’a pas su dire
quand Luc recouvrera la mémoire, mais il est certain que son état ne sera que de courte durée.
— Comme ce doit être angoissant ! commenta sa mère. Que puis-je faire pour t’aider ?
— Pour l’instant, Luc et moi restons sur l’île, comme prévu initialement, déclara Kate.
Elle jeta un coup d’œil en direction du salon, où Luc était resté un bon moment à admirer la vue sur
la mer depuis la baie. Mais il n’était plus là.
— Le médecin a dit qu’il devait se détendre et rester le plus au calme possible, poursuivit-elle. Or,
comme Luc a tenu à venir sur cette île, le mieux est d’y demeurer.
— Je comprends, mais pourquoi sembles-tu si inquiète ? Si le médecin a affirmé que son état était
passager, et qu’il n’était pas nécessaire que vous reveniez, où est le problème ?
Aspirant une large bouffée d’air, Kate finit par confier à sa mère ce qui la tourmentait :
— Il pense que nous sommes fiancés.
Comme seul le silence lui répondait, elle écarta son portable de son oreille pour vérifier que la
communication n’avait pas été coupée.
— Maman ?
— Oui, je suis toujours là…, répondit sa mère. Pourquoi croit-il que vous êtes fiancés ?
— Il a perdu les souvenirs des derniers mois de sa vie. Mon visage lui était familier, quand il est
revenu à lui, mais il n’arrivait pas à me situer. Et, lorsque je lui ai dit mon nom, il a tout de suite imaginé
que j’étais sa fiancée. J’étais inquiète, et je n’ai pas démenti, car je souhaitais que le médecin l’examine
et je ne voulais surtout pas interférer. De fait, le Dr Couchot m’a ensuite formellement déconseillé de
fournir à Luc des informations sur son passé récent, car cela risquerait de compromettre ses chances de
recouvrer correctement la mémoire.
Elle avait parlé à toute vitesse, consciente qu’elle n’était pas forcément très claire, mais elle avait
besoin que sa mère lui donne rapidement des conseils, pendant que Luc ne l’entendait pas.
— Le médecin et les parents de Luc ignorent que Luc nous croit fiancés, poursuivit-elle. A ton avis,
maman, qu’est-ce que je dois faire ? Je ne veux pas contrevenir aux recommandations du médecin, mais
en même temps, je ne peux pas laisser croire à Luc que nous sommes en couple. Cela dit, il ne se souvient
même plus que je travaillais pour lui. Et puis tu connais la position de sa famille concernant la séparation
stricte entre sphère privée et sphère professionnelle.
— Oh ! Katelyn ! soupira sa mère. Si j’étais toi, j’attendrais jusqu’à demain matin. Il se peut qu’au
réveil, Luc ait retrouvé toute sa tête. Alors, il n’y aura plus de problème. Dans le cas contraire, tu ne peux
laisser le mensonge perdurer, même si je comprends que tu souhaites respecter les ordres du médecin.
Mais tu dois bien comprendre que Luc a franchi une ligne non autorisée s’il te prend pour sa fiancée. Et tu
ne dois pas le suivre dans cette folie.
Hélas ! C’était déjà trop tard, puisqu’ils s’étaient embrassés, et cela, avant même qu’il tombe,
d’ailleurs…
— Merci pour tes conseils, maman. Et s’il te plaît, je compte sur ta plus grande discrétion. Tu es la
seule qui sache que Luc pense que nous allons nous marier. Je ne veux pas l’humilier ou lui donner
matière à s’inquiéter. J’avais juste besoin de connaître ton avis.
— Je ne sais pas si j’ai été d’une grande aide, mais je suis résolument à tes côtés, ma chérie. Tiens-
moi au courant de la suite, je m’inquiète pour toi.
Kate sourit, puis se dirigea vers le salon.
— Je sais. Je t’appellerai demain, si je peux avoir du réseau. C’est un peu aléatoire, ici.
— Je t’aime, mon cœur.
— Moi aussi, maman.
Kate coupa la communication et posa la main sur la poignée de la porte. Elle ferma alors les yeux,
aspira profondément, puis expira lentement… Elle avait plus que jamais besoin de force, de sagesse et de
sang-froid.
Et elle ne devait surtout pas oublier que Luc était dans un processus de guérison, qu’il avait l’esprit
confus. Les émotions que lui avait inspirées son baiser n’avaient pas cours, ici. Pourtant, être si proche
de saisir son rêve et ne pas y être autorisée la mettait réellement au supplice.

* * *

Luc se trouvait dans sa chambre, ravi d’avoir indiqué aux ouvriers que la rénovation de cet espace,
à commencer par l’installation de la douche savamment conçue par son architecte pour donner l’illusion
de se laver à l’extérieur, figurait en haut de ses priorités. De la sorte, la pièce était le lieu rêvé pour filer
le parfait amour, et Kate était tellement sexy… Si attentive aussi que c’en était touchant ! Elle ne cessait
de lui répéter que tout allait s’arranger.
Ses paroles douces et rassurantes avaient fini par apaiser la peur qui le tenaillait. Evidemment, il
avait bien perçu qu’elle s’inquiétait pour lui, mais elle savait aussi le réconforter et rester forte dans la
tempête. Etait-il étonnant qu’il l’ait choisie pour partager son existence ?
Il avait beau ignorer ce qui l’attendait, il était bien déterminé à se battre. Bien sûr, il était curieux et
frustrant de ne pas se rappeler les derniers mois de sa vie, et les mots lui manquaient pour décrire les
émotions qui déferlaient en lui. La seule certitude qu’il possédait, c’était que sa merveilleuse fiancée était
à ses côtés, et qu’elle lui apportait soutien et réconfort.
Il regarda le lit imposant, placé au centre de la pièce… Des voiles de mousseline cascadant du
plafond le sertissaient et créaient une atmosphère romantique et sensuelle. Si ce lit occupait une telle
place dans la pièce, c’était parce qu’il était dédié à Kate, conclut-il. Il l’imaginait déjà étendue sur les
draps en satin, ses longs cheveux noirs déployés en éventail sur leur blancheur nacrée tandis qu’ils
faisaient l’amour.
Mais pourquoi n’avait-il aucun souvenir de leurs étreintes ? De la saveur de Kate, quand il
l’embrassait, des sensations qu’elle lui procurait ? Mais la mémoire lui reviendrait peut-être quand ils
s’allongeraient tous deux sur ce lit…
A cette pensée, il eut un sursaut : non, il n’allait tout de même pas instrumentaliser Kate de la sorte.
Il devait se rappeler par lui-même leurs ébats ; en revanche, il voulait qu’elle dorme auprès de lui, cette
nuit. Il souhaitait la tenir dans ses bras, s’enrouler autour d’elle et se perdre dans ses propres rêves.
Alors, il était certain que la mémoire lui reviendrait et que Kate et lui pourraient avancer.
Il finirait bien par trouver l’étincelle qui ferait rejaillir tous les souvenirs. Certes, cette maison ne
comportait rien de très personnel, à en juger par le mobilier un peu suranné que contenaient la plupart des
pièces, mais il ne désespérait pas. Il y aurait bien un vêtement dans sa garde-robe ou quelque chose dans
son portefeuille qui l’aiderait à recouvrer la mémoire. Il avait peut-être emporté des photos… Il se
pouvait aussi que la liste de ses contacts, sur son portable, soit le déclic dont il avait besoin.
Il se mit à ouvrir ses tiroirs de façon un peu compulsive, mais ne trouva rien susceptible de
présenter un intérêt. Et ce n’était pas celui qui abritait ses sous-vêtements qui allait lui révéler quoi que
ce soit, à part le fait qu’il affectionnait tout particulièrement les boxers noirs.
Une fois qu’il eut inspecté avec minutie sa commode, puis fouillé de la même façon la salle de
bains, en quête d’indices, il se retrouva tiraillé entre terreur et fureur : il n’était pas plus avancé.
Mais son portable allait forcément lui révéler quelque chose ! Comme il sortait de la chambre, il se
heurta à Kate qui ouvrit de grands yeux et s’agrippa à lui pour ne pas tomber.
— Désolée, dit-elle en reculant d’un pas. Je viens d’appeler vos parents pour leur faire un compte
rendu. Ils sont inquiets, mais je les ai assurés que vous alliez bien et que vous leur téléphoneriez vous-
même demain. J’ai également parlé avec ma mère… Allez-vous vous mettre au lit ?
Pourquoi avait-il l’impression qu’elle tremblait ? Par ailleurs, ce vouvoiement le troublait… Il
fallait croire que cela faisait partie du protocole, mais tout de même, c’était un peu compassé, non ? Et
puis, elle ne cessait de se mordre la lèvre. Elle semblait nerveuse : était-ce à cause de son amnésie ?
— Tout va bien ? demanda-t-il.
Il rejeta en arrière les quelques mèches qui barraient son front noble et beau, puis lui souleva le
menton ; sa magnifique bouche non fardée l’attira irrésistiblement.
— Tu as l’air effrayée… Bien plus que tout à l’heure.
Elle lui saisit alors le poignet.
— J’imagine que les événements ont fini par me rattraper. Je suis fatiguée, et un peu inquiète, mais
rien de plus.
Sans la relâcher, il fit glisser son pouce sur ses lèvres.
— Allons, au lit ! décréta-t-il. Cette journée a été suffisamment difficile.
La présence de Kate lui en avait fait oublier ses recherches concernant son téléphone. Son attirance
pour cette femme l’emportait sur le reste ; de toute façon, son portable n’allait pas s’évaporer dans la
nuit.
Elle n’avait toujours pas retiré sa robe mouillée, qui avait cependant en partie séché, constata-t-il,
mais il se pouvait qu’elle ait froid : elle n’avait pas l’air en grande forme.
— Pourquoi n’irais-tu pas prendre une douche bien chaude avant de me rejoindre dans le lit ?
suggéra-t-il.
Elle le regarda, stupéfaite.
— Euh… Je ne suis pas certaine que nous…
Il attendit qu’elle poursuive, mais elle ferma les yeux et laissa échapper un petit soupir. Il la prit par
les épaules.
— As-tu peur de ma compagnie à cause de mon amnésie ?
Elle ouvrit immédiatement les paupières.
— Pas du tout, Luc. Allons ! Je n’ai pas peur de… de toi. Mais je pense que ce serait mieux si nous
ne faisions pas…
Elle s’interrompit.
— Si nous ne faisions pas l’amour, c’est ça ? termina-t-il.
Il la vit légèrement rougir, sous son teint hâlé.
— Oui. Tu es blessé, tu as besoin de te reposer et de te détendre. Ce sont les recommandations du
médecin.
Il l’enlaça par la taille et la pressa contre lui.
— Entendu, mais je tiens à ce que tu dormes auprès de moi. Il est clair que nous sommes venus sur
cette île pour faire une pause, et je ne veux pas gâcher ton séjour.
Elle posa ses mains délicates sur son torse, avant de les laisser remonter sur ses épaules. Ces
simples caresses suffisaient à le faire frémir… Tout en elle était à la fois si familier et si nouveau.
— Tu ne me gâches rien du tout, lui assura-t-elle avec un beau sourire un peu las. Concentrons-nous
sur ta guérison, et tout reprendra sa place.
— Donc, nous ne ferons pas l’amour, mais tu dormiras à mes côtés, promis ?
— Entendu, dit-elle en le regardant.
Il ne s’était pas rappelé spontanément son nom, et pourtant, il s’était tout de suite senti attiré par
elle. Pas étonnant qu’ils soient fiancés : de toute évidence, un lien spécial et profond les unissait, et cette
alchimie avait réussi à percer sa mémoire en partie endommagée. Il s’y accrocherait pour s’acheminer
vers la guérison.
— Je vais juste me doucher dans la salle de bains de la chambre voisine, dit-elle en s’écartant de
lui. Je fais très vite. Donne-moi dix minutes.
Confus, il croisa les bras.
— Pourquoi ne veux-tu pas utiliser la douche de cette chambre ? L’autre n’a pas encore été rénovée,
et celle-ci est bien plus agréable.
Elle sembla sur le point d’argumenter, puis se rangea à son avis.
— Tu as raison. C’est juste que je ne voulais pas te déranger, si tu as besoin de repos.
— Ne t’inquiète surtout pas pour cela ! Et puis, tu peux tout à fait prendre un bain, tu sais. Un bain
tout chaud et mousseux te réchaufferait bien mieux !
Il lui prit alors la main et l’entraîna dans la chambre.
— Non, la douche sera plus rapide, répliqua-t-elle. Tu ne te mets pas au lit ?
Se penchant vers elle, il lui frôla doucement les lèvres.
— Comme tu voudras. Mais ne sois pas trop longue, sans quoi, tu m’obligerais à aller te chercher !
dit-il d’un ton lourd de sous-entendus.
Elle frissonna sous sa caresse, et il dut fournir un prodigieux effort pour ne pas la faire basculer sur
le lit et assouvir son désir le plus cher.
Mais elle entra bien vite dans la salle de bains… en refermant soigneusement la porte derrière elle !
Il fronça les sourcils. Etait-elle toujours aussi soucieuse de son intimité ? Ou bien était-ce lui qui
avait oublié les bonnes manières ? Heureusement qu’elle le tutoyait à présent, mais là encore, il avait
peut-être brisé une règle, et elle s’était adaptée.
Comme il ôtait son caleçon, il entendit l’eau couler… L’image de Kate nue et recouverte de mousse
s’imposa immédiatement à lui… Comme il avait hâte de recouvrer la mémoire, de se débarrasser de cette
affreuse migraine et de profiter de son immense douche en sa compagnie !
Il se jura de se rattraper ! Il était vrai que Kate était elle aussi épuisée et inquiète. Pourtant, ce
séjour n’était-il pas censé être romantique ?
Oui, maintenant, il se souvenait qu’ils étaient fiancés, et il lui revenait de vagues réminiscences à
propos de leur futur mariage. En fait, c’était son assistante qui se chargeait de tout, il se le rappelait à
présent, même s’il n’avait aucune idée pour l’instant de qui elle était.
Passant la main sur son visage, il poussa un soupir : allons, le moment était malvenu pour penser à
ses employés, alors qu’il s’apprêtait à se mettre au lit avec sa fiancée ! Ce qui était d’actualité, c’était de
se concentrer sur Kate, leur voyage et la façon de compenser pour cet incident.

* * *

Kate se doucha rapidement, les yeux rivés à la porte qu’elle avait fermée à clé aussi discrètement
que possible. Elle aurait dû se douter que Luc voudrait qu’elle dorme dans sa chambre, que ce serait une
évidence pour lui.
Mais se donner à lui alors qu’il la prenait pour une autre, ça, ce n’était pas possible ! Et peu
importaient les frissons qu’il déclenchait en elle, les fantasmes qui lui nouaient le ventre… Non, elle ne
devait surtout pas penser à ça !
Elle était encore son assistante, ce qui signifiait qu’elle devait avant tout songer à l’intérêt de Luc.
Et, en l’occurrence, la raison dictait de ne pas faire l’amour avec lui… Dans quel guêpier s’était-elle
fourrée ?
Elle se frictionna vivement en sortant de la douche, puis enfila son chemisier. Elle n’avait pas
d’autre choix, sauf à demander un T-shirt à Luc ; cependant, ignorant s’il faisait partie de ces hommes que
la vue d’une femme dans leurs vêtements troublait énormément, elle opta pour son corsage.
Elle s’essuya minutieusement les cheveux, puis les sécha, en prenant tout son temps : avec un peu de
chance, Luc se serait endormi quand elle ressortirait de la salle de bains.
La dispute qu’ils avaient eue avant qu’il tombe avait eu des conséquences qui leur échappaient, et
par ailleurs, elle ne pouvait oublier le formidable baiser qui l’avait précédée. Elle sentait encore ses
lèvres en frémir… Allons ! Elle devait penser à autre chose, et notamment au fait que Luc souffrait d’une
amnésie certes passagère, mais bien réelle, qu’il était inquiet et furieux aussi de ne plus contrôler son
cerveau.
Mais tout cela ne l’aidait guère, car elle allait bel et bien devoir se glisser entre les draps à côté de
son patron ! Y avait-il un protocole particulier à suivre ? lui susurra une petite voix intérieure
sarcastique.
Après avoir enduit ses jambes de crème hydratante, elle dut faire face à l’inévitable : entrer dans la
chambre et s’étendre auprès de Luc. Bon, inutile de reporter encore de quelques minutes, il fallait se jeter
à l’eau ! D’ailleurs, une fois qu’elle serait étendue à ses côtés, elle n’aurait plus qu’à attendre qu’il
s’endorme. Alors, elle pourrait se relever et aller passer la nuit sur le canapé, car il était hors de question
qu’elle dorme dans son lit : la tentation de reprendre là où ils en étaient au moment du baiser aurait été
bien trop grande, au réveil…
Cependant, le médecin avait bien insisté pour qu’elle lui livre le moins d’informations possible, afin
qu’il recouvre la mémoire par lui-même, et elle se refusait à faire quoi que ce soit susceptible
d’endommager celle-ci de manière définitive.
En un mot, elle devait respecter la règle de non-fraternisation avec le personnel, tout en jouant les
fiancées comblées : n’était-ce pas un pari impossible à tenir ?
Prenant une grande inspiration, elle ouvrit la porte.
La pièce était plongée dans le noir, ce qui était bon signe. Au moins, elle gagnerait le lit rapidement
sans qu’il la regarde. La lumière de la salle de bains lui permit de voir que Luc était allongé sur le
matelas, couverture remontée jusqu’à la taille et bras croisés derrière la tête.
Il ne dormait pas !
— Eteins la lumière et viens te coucher, ordonna-t-il.
La perte de mémoire n’avait en rien affecté son autorité naturelle. Il avait l’habitude de donner des
ordres, de ne jamais demander leur avis aux autres, et s’attendait bien sûr à ce que toujours on lui
obéisse. Et pourtant, ce ton rauque et autoritaire la fit frissonner… Son rêve était en train de devenir
réalité même si, chaque fois qu’elle s’était imaginée au lit avec Luc, ce n’était pas tout à fait ce scénario-
là qu’elle s’était représenté…
Décidément, le destin lui jouait un mauvais tour ! Il se moquait de tous ses rêves en lui offrant à la
place cette imposture !
— Avez… As-tu toujours mal à la tête ? demanda-t-elle sur le seuil de la salle de bains.
— Oui, la migraine est toujours là, encore qu’un peu atténuée.
Elle éteignit la lumière de la salle de bains et, à part le clair de lune, rien n’éclairait plus la
chambre, mais cela lui suffit à regagner le lit.
Elle s’installa aussi discrètement que possible près de lui et s’allongea sur le dos. Bien au bord, et
toute raide. Mais, en dépit de toutes ces précautions, le désir qu’il lui inspirait prit possession de tout son
être lorsque son odeur masculine pénétra ses poumons et que la chaleur de son corps anéantit la distance
qui les séparait…
Le matelas s’affaissa quand Luc roula jusqu’à elle…
— Ça va ? s’enquit-il.
Son corps épousait parfaitement le sien, et la simple sensation de ses poils de jambes sur les
siennes, soigneusement épilées, la plongea dans un trouble intense…
Non, pour répondre à sa question, ça n’allait pas du tout ! D’un côté, elle était terrifiée, et d’un
autre, intriguée, prisonnière de la spirale de son désir. Un désir qui était en train de prendre le pas sur
toutes ses autres émotions… Elle sentait la respiration de Luc dans sa nuque, et elle était complètement
chavirée par cet homme sur lequel elle fantasmait depuis si longtemps. Il aurait été si facile, mais aussi si
répréhensible, de se tourner vers lui et de céder à ses pulsions…
— Je vais bien, le rassura-t-elle.
La pénombre était devenue synonyme de danger, car elle avait accru leur intimité. Elle aurait dû
insister pour qu’ils laissent une petite lampe allumée… Mais dans ce cas, elle aurait vu son visage ! En
toute honnêteté, elle ne savait pas ce qui était pire.
— Tu es tendue.
C’était bien l’euphémisme de l’année !
Luc posa alors la main sur son ventre… Elle se figea. Ce n’était pas tout à fait la solution pour
l’aider à se décontracter !
Il fallait qu’elle reprenne le contrôle de son corps. Malheureusement, sa raison et ses désirs se
livraient une rude bataille, elle était de plus en plus excitée et agitée. Il lui aurait suffi de pivoter sur elle-
même pour profiter un peu plus de ses délicates caresses…
Non ! Elle ne devait pas ! Elle avait tort de nourrir de telles pensées, et d’ailleurs, le baiser qu’il lui
avait donné plus tôt dans la soirée ne l’y autorisait nullement : il l’avait embrassée pour qu’elle se taise
et lui montrer que c’était lui qui décidait, quoi qu’il arrive !
Pourtant, son baiser avait été d’une force et d’une passion déroutantes : il était impossible qu’il n’ait
pas été lui aussi troublé. Mais pour l’instant, c’était elle qui l’était, happée par un océan de désirs
dangereux…
— Si tu t’inquiètes à mon sujet, je vais bien, lui assura-t-il. Je veux juste te tenir dans mes bras.
Tourne-toi vers moi. J’ai l’impression que tu vas tomber du lit.
Alors qu’elle obtempérait, son genou vint se heurter contre… Contre une indubitable érection ! Elle
se figea.
— N’y fais pas attention ! dit-il en éclatant de rire. Je m’efforce moi aussi de ne pas y prêter garde.
Elle ferma les paupières et les plissa très fort.
— Je n’y arrive pas, murmura-t-elle.
- 5 -

Luc saisit Kate par la taille au moment où elle s’apprêtait à se lever, puis l’étreignit contre son
torse, admirant sa nuque et… regrettant l’écran que formait entre eux sa chemise de nuit en soie.
— Reste, murmura-t-il. Détends-toi.
Il resserra son étreinte.
— Il faut que tu dormes, Luc ! répliqua-t-elle.
Il la sentait toute raide. Etait-ce la peur qui la tétanisait ? Et cette inquiétude était-elle à mettre sur le
compte de sa chute ?
Il sentit la peur le gagner.
— Le médecin t’a-t-il livré des informations que tu ne m’as pas rapportées ?
— Pardon ? Mais non, pas du tout !
Elle posa les mains sur ses bras, qui l’enlaçaient toujours ; c’était la première fois qu’elle le
touchait depuis qu’elle s’était couchée.
— Non, il ne m’a rien dit de plus quand je l’ai raccompagné, lui assura-t-elle. Juste qu’il est
nécessaire que tu te rappelles par toi-même.
— Pour l’instant, ma priorité est que tu te calmes.
Il fit alors glisser la main sur la soie, et il eut la sensation qu’elle menait un combat contre ses
propres désirs : il en voulait pour preuve son léger halètement…
— Luc, commença-t-elle, tu dois te reposer.
Sa voix tremblante la trahissait : elle était tenaillée par un désir aussi fort et douloureux que le sien !
Il effleura l’élastique de sa culotte.
— Ne comprends-tu donc pas que ce dont j’ai besoin, c’est de satisfaire ma petite femme ? lui
susurra-t-il à l’oreille.
Elle se cambra contre lui et laissa sa tête retomber sur son épaule.
— Luc, ne te crois pas obligé de…
Elle s’interrompit quand il se mit à lui mordiller le lobe de l’oreille, tout en la caressant entre les
cuisses.
— Si tu savais comme je te désire, dit-il.
La respiration de Kate s’accéléra, et la sienne se fit aussi plus saccadée lorsqu’elle se mit à gémir
doucement au moment où il touchait son point le plus sensible… Son corps céda rapidement à la
jouissance et de petits spasmes la parcoururent bientôt, tandis qu’il couvrait ses épaules et son cou de
baiser…
Curieusement, ces étreintes n’éveillaient aucun souvenir en lui ; pour autant, il ne regrettait en rien
de lui avoir procuré du plaisir. Bien au contraire, il ne l’en désirait que davantage !
— Es-tu toujours aussi réactive ? lui chuchota-t-il.
Elle se tourna vers lui et posa la main sur son torse ; à la faveur du clair de lune, il se rendit compte
que ses yeux brillaient.
— Ma chérie, ne pleure pas…
Elle cilla, ce qui fit rouler des larmes sur ses joues rougies.
— Tu ne te souviens de rien, n’est-ce pas ? demanda-t-elle.
— Non, confirma-t-il en lui caressant les cheveux.
Il sentit tout à coup sa main tâter son caleçon, mais il s’en saisit vivement. Elle avait subi une rude
épreuve, elle aussi, même si c’était lui qui avait perdu en partie la mémoire ; il ne voulait surtout pas
qu’elle croie qu’il lui avait donné du plaisir pour qu’elle lui en procure en retour. Non, il se devait de la
rassurer et de lui affirmer que tous deux allaient bien.
— Tu es épuisée, nous devons absolument dormir, maintenant, déclara-t-il en lui baisant le front.
Nous ferons l’amour demain, je te promets que notre séjour ne sera pas gâché à cause de moi. Je me
rattraperai, tu verras.

* * *

Ce qu’elle avait pu être stupide. Irresponsable, complètement folle !


D’abord, elle avait accepté ses caresses, puis elle s’était mise à pleurer. Les larmes avaient
immédiatement jailli après l’orgasme le plus merveilleux qu’elle ait jamais connu, quand elle était
revenue d’un coup à la réalité.
Le moment avait été si intense, si extraordinaire… Mais elle avait bien vite compris que Luc ne se
souvenait toujours de rien, sans quoi il aurait été furieux de la mascarade. Alors elle n’avait pu contenir
ses sanglots, car ce qui aurait dû être un moment de bonheur absolu était terni par les circonstances. Elle
n’aurait pas cru Luc aussi entreprenant et sensuel, et elle s’était demandé comment elle allait désormais le
dissuader d’explorer leur intimité, après ce qu’ils avaient partagé !
Ce matin, elle s’était levée de très bonne heure. Elle avait finalement dormi dans le lit de Luc,
n’ayant pas pu mener à bien son projet, c’est-à-dire passer la nuit sur le canapé, une fois qu’il serait
endormi. Et ce, pour la bonne raison que la mission que lui-même s’était fixée avait complètement
réussi : lui donner du plaisir pour qu’elle se détende. Après quoi, elle avait tout de suite sombré dans le
sommeil.
Comment ce curieux scénario avait-il pu aller si loin ? s’interrogeait-elle à présent. Elle venait de
passer la nuit dans les bras de son patron, lequel était également prince et se figurait qu’elle était sa
fiancée ! Par ailleurs, c’était un homme qui s’enorgueillissait de toujours garder le contrôle en toute
situation et s’employait à maintenir une stricte séparation entre sa vie professionnelle et sa vie privée, en
accord avec les règles du royaume.
Tout ce qui s’était produit durant les dix-huit dernières heures relevait d’un gâchis colossal !
Elle avait effectué un saut express au cottage pour y prendre quelques robes et son maillot de bain ;
ainsi, elle pourrait tenir deux ou trois jours, en espérant que cette situation ne durerait pas plus longtemps.
Soudain, son portable vibra, dans la poche de sa robe. Elle se réjouit de constater qu’il y avait du
réseau sur l’île, ce matin, et vit le nom du médecin s’afficher sur son écran.
— Bonjour, Dr Couchot ! s’exclama-t-elle de la terrasse, où elle se trouvait.
Elle avait adopté un ton tout à fait naturel, comme si sa vie ne venait pas d’être complètement
chavirée par les événements de la veille.
— Kate ! Comment va Luc, ce matin ?
Jetant un coup d’œil vers la maison, elle vit par la porte entrouverte de la chambre qu’il était
toujours allongé sur le lit, immobile.
— Il dort encore, dit-elle. Il était épuisé, hier soir.
— J’imagine ! Rien de nouveau à rapporter ? Pas de changements concernant la mémoire, ni
d’autres symptômes qui seraient survenus entre-temps ?
Elle s’appuya contre la rambarde : devait-elle faire allusion à l’intimité qu’ils avaient partagée ?
Non, il était probablement préférable de n’en rien mentionner.
— Non, rien à signaler, déclara-t-elle.
A part le fait que Luc était sexy, déterminé et tellement attentionné entre les draps…
Le médecin lui indiqua de nouveau qu’elle ne devait pas chercher à influencer sa mémoire, qu’il
était impératif que les souvenirs reviennent à leur rythme. Comme si la recommandation était nécessaire,
maintenant que sa préoccupation principale consistait à faire en sorte que l’énorme secret n’éclate pas au
grand jour !
Une fois sa conversation terminée, elle continua à contempler Luc, du dehors. Elle n’aurait
certainement pas dû, mais au point où elle en était… En l’espace de trois jours, elle s’était disputée avec
lui, l’avait embrassé, avait joué la fiancée follement éprise et joui sous ses doigts. Comment la situation
aurait-elle pu être pire ?
Il ne lui restait plus qu’à prier pour qu’il retrouve rapidement la mémoire, afin qu’ils puissent
avancer. Ses mensonges la rongeaient, et elle ignorait combien de temps elle pourrait continuer à simuler.
Luc était un combattant de premier ordre, et il retrouverait rapidement la mémoire, elle en était
certaine. Il remonterait bien vite des abysses, et alors…
Là était toute la question. La détesterait-il ? La congédierait-il ? La jugerait-il avec mépris ?
Elle sentit un nœud terrible se former au creux de son estomac : ses parents allaient-ils perdre leur
travail à cause d’elle ? En tout cas, ils seraient terriblement déçus qu’elle ait transgressé le protocole
royal…
La situation ne pouvait perdurer : Luc devait absolument recouvrer la mémoire ! Jusque-là, elle ne
lui avait fourni aucune indication sur son passé, car elle ne souhaitait lui porter aucun préjudice.
Seulement voilà : maintenant, il voulait coucher avec elle ! Ce qui changeait un peu la donne…
Oh ! elle était perdue ! Elle sentait ses pensées partir dans toutes les directions, elle était assaillie
par mille contradictions.
Mais avant toute chose, comment allait-elle se dérober, puisque elle-même mourait d’envie de se
donner à lui ? Il la regardait avec une telle intensité… Pourquoi fallait-il que tout cela repose sur des
mensonges !
Soudain, Luc poussa une sorte de cri dans son sommeil. Immédiatement, elle se redressa et s’avança
vers la chambre… De nouveau, elle entendit un cri, sans parvenir à comprendre ce qu’il disait. Posant
son portable sur la table de chevet, elle s’assit sur le rebord du lit. Immanquablement, ses yeux furent
attirés par son torse bronzé, et elle dut prendre sur elle pour ne pas céder à l’envie de le toucher,
d’effleurer le tatouage qui lui ornait discrètement l’épaule.
Le drap était descendu, et elle pouvait apercevoir l’élastique de son caleçon. Elle se rappela
soudain ce qui s’y cachait et qu’elle avait effleuré, la veille.
— Dis-moi, murmura-t-il tout à coup, les paupières toujours closes, comme s’il luttait contre les
images qui hantaient son sommeil.
Elle se figea. Etait-il en train de se rappeler quelque chose ? Sa mémoire allait-elle lui revenir et se
dérouler tel un film dans son esprit ?
Lorsque son visage se crispa et que sa mâchoire se mit à trembler, elle comprit qu’il était en train de
combattre des démons, et qu’elle ne pouvait rester à le contempler, impuissante. Elle ne devait peut-être
pas l’aider à retrouver la vérité, mais elle ne serait pas pour autant le témoin passif de sa descente aux
enfers !
— Luc ! appela-t-elle d’un ton ferme.
Puis elle posa la main sur son épaule et le secoua doucement.
— Luc ! répéta-t-elle.
Alors il sursauta et ouvrit grands les yeux. Il cilla, l’air perplexe. Il se passa la main sur le visage,
frotta sa barbe naissante, avant de soupirer.
— C’était insensé… Je me revoyais bébé, murmura-t-il.
Puis il regarda le ventre de Kate.
— Allons-nous avoir un enfant, Kate ?
Pour une fois, elle pouvait être parfaitement honnête.
— Non, nous n’attendons pas d’enfant.
— Ah zut ! s’exclama-t-il en retombant sur les coussins. Moi qui pensais avoir fait une découverte
capitale.
Elle déglutit péniblement. Les souvenirs de Luc revenaient, ils étaient juste un peu déformés : en
l’occurrence, c’était le mensonge de son ex-fiancée à propos d’une grossesse inexistante qui le hantait.
Mais nul doute que la mémoire lui reviendrait sous peu dans son intégralité…
Et elle ne savait pas si elle devait s’en réjouir ou s’en alarmer ! Elle prit une grande inspiration : il
lui fallait analyser la situation de manière objective. En dépit de ce qui s’était passé la veille, ils
n’avaient pas couché ensemble, et peut-être pourraient-ils sauver leur relation employée-patron une fois
que l’ancien Luc referait surface.
— Tout semblait si réel, poursuivit-il. J’avais la main posée sur ton ventre, et j’étais très excité à
l’idée de ma future paternité. Je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait, mais je m’en réjouissais à
l’avance comme un fou.
Elle sentit son cœur se gonfler d’émotion ; l’idée de porter un enfant de Luc lui donnait le vertige…
Pourtant, ils s’aventuraient sur un territoire dangereux, et ils allaient droit dans le mur, si elle ne
réagissait pas ! Certes, elle n’avait pas le droit d’alimenter directement sa mémoire, mais cela ne
signifiait pas pour autant qu’elle ne pouvait pas la stimuler par d’autres moyens.
— Et si on allait faire un peu de jet-ski, aujourd’hui ? proposa-t-elle soudain.
— Je n’ai pas envie de sortir pour l’instant, déclara-t-il avec un regard insistant.
C’était bien la première fois qu’il déclinait une telle proposition, lui qui adorait l’eau et les sports
nautiques. Pourtant, elle devait absolument l’attirer hors de la maison, de son lit, de sa douche… Bref, de
tous les endroits où il pouvait la séduire.
— Tu veux juste aller t’allonger sur la plage et ne rien faire du tout, c’est ça ?
Encore que se retrouver côte à côte sur le sable en maillot de bain ne constituait pas forcément une
idée de génie ! songea-t-elle en se mordant la langue. Bien sûr, ce ne serait pas la première fois qu’ils se
verraient mutuellement dans cette tenue… Le problème, c’était qu’alors il ne croyait pas qu’ils étaient
fiancés et envisageaient de se marier ! Sans compter qu’il avait l’intention de lui faire l’amour dans la
journée.
Un large sourire éclaira tout à coup le visage de Luc.
— J’ai une bien meilleure idée, déclara-t-il soudain.
Un éclair malicieux traversa ses prunelles. Que projetait-il ?
- 6 -

Luc sentait la sueur lui couler dans le dos, ses muscles le brûlaient, mais les efforts qu’il venait de
fournir lui avaient permis de se défouler pleinement.
Kate grommelait, un voile de transpiration ourlait ses lèvres, et il ne l’avait jamais vue aussi belle.
Bien sûr, il ne se rappelait pas leur « avant », mais en cet instant, elle était réellement magnifique.
— Je n’en peux plus, déclara-t-elle haletante, en s’appuyant contre le mur.
Il laissa retomber le manche de son marteau contre son corps.
— Nous pouvons faire une pause, concéda-t-il alors.
— Ce que je voulais dire, c’est que je ne veux plus continuer.
Il se mit à rire. Ils venaient de retirer la vieille vasque de la salle de bains principale et de la porter
dans le vestibule. Comme les ouvriers avaient laissé leurs outils, il s’était imaginé qu’il pourrait avancer
les travaux en attendant que la mémoire lui revienne, à ce petit détail près qu’il n’avait jamais bricolé
auparavant ! Il était prince, pas artisan ! Mais il savait aussi que cette salle de bains serait bientôt
rénovée par des professionnels, et que l’activité physique à laquelle il venait de se livrer lui avait juste
servi à libérer ses tensions intérieures.
— Qu’est-ce que nous allons faire de cette vasque ? demanda Kate en regardant autour d’eux.
— Arrêtons-nous là, tu as raison ! décréta-t-il. Les ouvriers s’en chargeront.
— Donc, toi aussi, tu abandonnes la partie ? Maintenant que nous avons tout démoli, nous nous
contentons de fermer la porte ?
Il haussa les épaules.
— Je n’ai jamais été très doué manuellement. Qu’en penses-tu ?
Elle aussi se mit à rire.
— Tu es un membre de la famille royale, et je connais peu de sang-bleu qui auraient accompli ce
que tu viens de faire.
— Et si nous allions nous préparer un bon déjeuner ? Nous avons besoin de reprendre des forces.
Le front de Kate brillait, elle avait un peu de poussière sur les joues… Une image de la petite fille
qu’elle avait été et qui courait derrière un petit chien lui revint soudain en mémoire.
— Tu te rappelles quand tu jouais avec Booker, dans la maison de vacances de mes parents, aux
Etats-Unis ? demanda-t-il à brûle-pourpoint.
Elle en resta bouche bée.
— Bien sûr ! dit-elle enfin. La mémoire te revient ?
Se frottant le front, il poussa un juron.
— Mais on se connaît depuis très longtemps, toi et moi !
Elle acquiesça.
— Effectivement, nous avons fait connaissance quand j’avais six ans.
— Je suis bien plus âgé que toi.
Un sourire éclaira son beau visage.
— Nous avons dix ans d’écart.
— Depuis combien de temps sortons-nous ensemble ?
A ces mots, elle détourna le visage, puis se mordit la lèvre. Visiblement, la question l’avait
déstabilisée.
— Je sais que le médecin a insisté pour que je fasse moi-même l’effort de me rappeler sans
intervention extérieure, mais je veux savoir, Kate.
Elle plongea les yeux dans les siens.
— Cela fait un an que je travaille pour toi.
Sa réponse le stupéfia.
— Tu travailles pour moi ? répéta-t-il.
Et il s’efforça de l’imaginer dans la sphère professionnelle… Le blanc total ! Il se la représentait
davantage dans un cocon intime… Sans doute parce qu’ils étaient fiancés et amoureux, et pourtant, il ne
se souvenait pas comment s’était formé le lien si profond qui les unissait.
— Et que fais-tu exactement ? renchérit-il. A part me rendre fou de toi, j’entends ! Et comment
avons-nous contourné la règle familiale qui veut qu’on ne mélange pas travail et amour ?
Il la vit rougir sous son bronzage, et elle lui prit le visage en coupe.
— Je suis ton assistante, Luc. Je ne peux rien te dire de plus, d’accord ?
Se passant les mains sur le visage, il fronça les sourcils, puis porta les paumes de Kate à ses lèvres.
— Entendu, dit-il. Mais j’ai tout de même du mal à croire que je laisse travailler ma fiancée.
Il vit ses lèvres trembler.
— Toi, me laisser faire quelque chose ? Oh ! mon chéri, je te rassure, c’est rarement le cas !
En riant, il l’attira contre lui.
— J’ai l’impression que toi et moi nous adorons les joutes verbales, non ?
Elle lui adressa un sourire en coin.
— Si tu savais !
Il voulut alors plonger la tête dans son cou, mais elle se déroba.
— Je suis en sueur, et je ne sens pas très bon, Luc.
Très bien, il n’insisterait pas ! Et il se contenta de lui mordiller le lobe de l’oreille.
— Ce n’est que partie remise, Kate, promit-il.
Il la sentit frémir. Il savait comment cette journée se terminerait ! Dormir à ses côtés sans pouvoir
lui faire l’amour, la nuit précédente, s’était apparenté à une torture, mais la voir jouir sous ses caresses
avait été si érotique, si sexy… Cette pensée le hantait, et il n’aurait de cesse d’assouvir ses désirs.
Il avait tellement hâte de lui faire l’amour, de se refamiliariser avec son corps, de l’explorer comme
il l’entendait.
— Est-ce que ça a toujours été intense, entre nous ? demanda-t-il brusquement.
Puis il lui saisit la main et croisa ses yeux magnifiques, dans lesquels tout homme aurait pu se noyer.
— Tout dans notre relation est intense, lui assura-t-elle avec ferveur. Je ne sais jamais si j’ai envie
de t’embrasser ou bien de t’étrangler.
— Dans ce cas, laisse-moi trancher et embrasse-moi, ma chérie, murmura-t-il contre ses lèvres. Les
baisers sont toujours préférables à la violence, ma doce anjo.
« Mon doux ange ». L’expression lui était venue spontanément aux lèvres. L’avait-il toujours appelée
ainsi ? Quand ses lèvres s’entrouvrirent sous la pression des siennes, il comprit que oui. Elle était si
douce… L’enlaçant par la taille, il glissa la main sur ses reins. Elle portait encore sa petite robe courte,
elle ne s’était pas changée pour les travaux dans la salle de bains, à sa plus grande satisfaction,
d’ailleurs, car il avait ainsi pu admirer ses belles cuisses bronzées, et cette vision l’avait
particulièrement émoustillé…
Il plaqua ses mains sur ses fesses.
— J’ai envie de toi depuis hier soir, lui confia-t-il. Mon désir ne s’est pas amoindri, et même si je
ne me souviens pas de notre intimité, mon instinct me dit que je suis fou de toi depuis très longtemps.
Elle laissa échapper un soupir légèrement tremblant.
— Ça, je ne peux pas en juger. Je ne sais pas depuis quand tu me désires.
Il s’écarta un peu d’elle, sans la lâcher.
— Depuis toujours, Kate. Je refuse de croire qu’il en est autrement.
Il vit ses yeux se brouiller de larmes.
— Il se peut que tu penses différemment, quand la mémoire te reviendra, décréta-t-elle.
Elle s’écarta de lui. Il sentit une grande confusion l’envahir… Que voulait-elle dire, au juste ? Une
relation solide, un profond amour ne les unissait-il donc pas, comme il l’avait cru ?
Il ne chercha pas à la retenir ; de toute évidence, tous deux se débattaient avec des démons
intérieurs. Toutefois, même s’il était temporairement amnésique, il ne la laisserait pas vivre seule cette
traversée du désert. Ils avaient chacun besoin l’un de l’autre, c’était évident, et même si elle tentait de le
repousser, elle comprendrait bien vite qu’il ne l’abandonnerait jamais.
Ils étaient soudés à présent, et peu importait la façon dont il s’était conduit auparavant : elle était
sienne, et il serait fort pour elle. Il ne laisserait pas cette perte de mémoire lui dérober sa vie, ni sa
femme.

* * *

Kate enfila son maillot de bain et fila vers la plage. Luc s’était peut-être bien défoulé en bricolant,
mais elle, cela ne lui suffisait pas. Et rien de mieux que nager pour brûler son énergie et stimuler
l’endomorphine !
Elle n’avait pas menti en affirmant que leur relation avait toujours été intense, et pas davantage
lorsqu’elle lui avait assuré qu’elle ignorait depuis combien de temps il s’était épris d’elle.
Mais il avait raison sur un point : les sentiments qu’il éprouvait pour elle n’étaient pas nouveaux. Le
désir et la passion couvaient entre eux depuis un bon moment, et elle s’était toujours demandé si cette
alchimie finirait par éclater au grand jour. Même dans ses rêves les plus fous, elle n’avait jamais imaginé
qu’un tel accident serait nécessaire pour la révéler.
Toutefois, elle ne devait pas aller trop vite en besogne. En effet, ces sentiments étaient-ils bien
adressés à sa personne, ou n’étaient-ils qu’une sorte d’écho de sa relation avec son ex-fiancée ? Un an
plus tôt, il avait reconnu qu’elle l’attirait, mais il avait aussitôt mis un frein à leur rapprochement,
invoquant leur relation professionnelle et le fait que ses parents travaillaient aussi pour le palais. Il lui
avait alors expliqué de façon détaillée pourquoi les membres de sa famille ne sortaient jamais avec leur
personnel. Les raisons étaient nombreuses, à commencer par la réputation qu’il fallait à tout prix
sauvegarder : un employé contrarié pouvait toujours se retourner contre la famille royale et aller raconter
quantité d’histoires à la presse. Or, il y avait bien trop d’enjeux au palais pour laisser le personnel
s’immiscer dans la vie personnelle de ses résidents.
Elle soupira. Elle ignorait comment Luc se comportait avec son ex, en privé, et elle s’était toujours
efforcée de ne pas y penser. Mais maintenant, elle n’y arrivait plus, et la question la tourmentait
affreusement.
Elle dénoua son paréo et le laissa tomber sur le sable avant de s’élancer vers la mer, laissant le
monde derrière elle ; elle aurait aimé échapper au piège qu’elle sentait se refermer sur elle, arrêter de
mentir à Luc. Elle aurait voulu l’embrasser, dormir dans son lit, et lui dire qui elle était pour qu’il ne la
confonde pas avec la fallacieuse fiancée dont il s’était récemment séparé.
Il lui avait promis qu’il lui ferait l’amour, plus tard dans la journée, et elle savait que l’inévitable
allait se produire…
Elle avait désespérément besoin de conseil ! Elle avait bien tenté d’appeler sa mère, mais il n’y
avait pas de réseau, elle réessaierait plus tard, car elle avait plus que jamais besoin du soutien maternel.
Comment pourrait-elle se refuser à Luc, alors qu’elle brûlait d’envie de coucher avec lui ? Qu’elle en
rêvait depuis toujours…
Elle s’immergea avec délice dans l’eau chaude, puis se mit à nager, exposant son dos à la caresse du
soleil. Finalement, le bricolage avait fait travailler ses muscles plus qu’elle l’avait cru ! constata-t-elle,
en plissant les yeux sous l’effort.
Elle accéléra pourtant l’allure, revenant à la surface pour reprendre sa respiration. Elle éprouvait le
réel besoin de chasser toutes les tensions de son corps.
Rapidement, elle s’éloigna vers l’ouest, au point de ne plus voir la maison de Luc. Alors, par
prudence, elle revint vers la grève et s’assit sur le sable chaud. Elle remonta les jambes contre sa poitrine
et les entoura de ses bras, tout en reprenant sa respiration ; après cet exercice, elle avait bien conscience
que les questions allaient revenir…
Une évidence s’imposait. Elle devait s’efforcer de rester le moins possible dans la maison avec
Luc, dans la mesure où ils n’avaient pas de chaperon qui aurait joué le rôle de tampon. Au palais, il y
avait toute une armée de majordomes, de femmes de chambre, de chauffeurs, d’assistants, de gardes, sans
oublier les cuisiniers, leurs propres parents…
Soudain, une idée lui traversa l’esprit : une sortie au village voisin leur ferait peut-être du bien. Et
ainsi, elle gagnerait du temps ! Car le regard intense de Luc, son envie irrépressible de la toucher, bref
tout chez lui prouvait que l’inévitable se rapprochait à vitesse grand V. Bien sûr, elle aussi en avait
follement envie, le nier aurait été malhonnête, mais la pensée de construire une relation sur le mensonge
la désespérait…
Elle se leva et étira ses muscles. Elle n’aimait pas vraiment courir, mais en l’occurrence, elle
n’avait pas encore exorcisé tous ses démons. Aussi piqua-t-elle un petit sprint pour regagner la maison de
Luc, passant devant plusieurs villas magnifiques. Certaines étaient plus imposantes que d’autres, mais
toutes possédaient ce charme de l’Europe du Sud, ainsi qu’un embarcadère privé, où les bateaux venaient
clapoter contre le bois.
L’île constituait un refuge parfait pour un prince — dans des circonstances normales, bien
entendu —, et un paradis sur terre pour tout couple en mal d’escapade romantique.
Dommage qu’elle ne soit pour Luc qu’une invention tout droit sortie de son imagination.
Il lui fut finalement très agréable de courir, de dépenser encore de l’énergie, et de sentir le soleil
chauffer ses épaules. C’était libérateur. Une fois à la maison, elle montrerait son agenda à Luc : peut-être
qu’en découvrant les devoirs et les responsabilités qui l’attendaient à Ilha Beleza, la mémoire lui
reviendrait.
Pour l’instant, il se rappelait d’elle enfant, quand elle accompagnait ses parents au palais, pour leur
travail. De fait, elle adorait Booker, le chien de berger des Silva ; elle jouait souvent avec lui dans le
parc et en revenait toute salie.
Cela amusait beaucoup les parents de Luc, qui affirmaient que la présence d’un enfant au palais leur
manquait. Ils avaient acheté Booker quand Luc avait huit ans, mais à cet âge il n’était déjà pas dans sa
nature de jouer pendant des heures dans le parc avec un animal, contrairement à elle.
Quand Booker était mort de vieillesse, la nouvelle l’avait bien plus affectée que Luc. Evidemment, à
cette époque, c’étaient plutôt ses petites amies qui l’intéressaient…
Kate trouva bientôt le paréo qu’elle avait abandonné juste avant de s’élancer dans l’eau, tout à
l’heure, et l’ajusta autour de son cou. En bas des marches qui menaient à la terrasse de Luc, elle posa les
mains sur les genoux et aspira une large bouffée d’air. Elle devait impérativement redevenir
professionnelle et cesser d’être obsédée par son patron ! Jusque-là, ils n’avaient pas fait l’amour, aussi
pouvait-elle encore trouver un moyen de s’en sortir… et prier pour qu’il ne soit pas trop furieux quand
l’amnésie temporaire se dissiperait et qu’il se rappellerait le rôle qu’elle jouait en réalité dans sa vie.
- 7 -

D’un geste las, Luc lança son téléphone sur les coussins : cet appareil ne lui servait à rien ! Dans ses
contacts, seuls les noms de ses parents, de son meilleur ami Mikos et de Kate lui étaient familiers. Il
n’arrivait à associer les autres à aucun visage.
Passant une main sur son front, il se leva et sortit sur la terrasse. Kate était sortie, sans doute pour
échapper aux frustrations que lui causait sa présence. Lui aussi aurait aimé fuir ses problèmes, mais
malheureusement ils étaient ancrés au plus profond de lui ; pourtant, il ne pouvait lui en vouloir d’aspirer
à un peu de solitude.
Appuyé contre la balustrade, il observait le ponton, où se balançaient doucement son jet-ski et son
bateau. Que faisait-il juste avant de tomber ? Et pourquoi s’apprêtait-il à prendre la mer, à une heure si
tardive ? Kate serait-elle venue avec lui ? Tout ce qui précédait l’accident ressemblait à un trou noir.
Dire qu’il n’arrivait même pas à se rappeler quand Kate et lui avaient commencé à collaborer. Et
puis, cette fameuse loi en vigueur dans la famille, qui interdisait à ses membres de sortir avec le
personnel, ne cessait de le tourmenter. Cette règle, elle existait bel et bien, il ne l’avait pas inventée !
Aussi, Kate avait-elle commencé à travailler pour lui après qu’ils furent sortis ensemble ? Lui était-elle
devenue si indispensable dans sa vie privée qu’il avait tenu à ce qu’elle soit également son bras droit
dans le domaine professionnel ?
Décidément, les questions sans réponse se succédaient dans sa tête, c’était un véritable enfer
d’avoir perdu tout contrôle sur ses pensées. Il aurait donné cher pour reprendre les rênes de sa vie et
combler le fossé vide de souvenirs qui le séparait de Kate.
Soudain, il se redressa. Au fond, le plus important n’était-il pas de profiter de ce séjour en
amoureux avec elle, sur ce coin de paradis à l’abri du monde ?
Une musique stridente retentit, et il se précipita dans le salon, d’où venait le son : c’était le
téléphone de Kate qui sonnait… et le nom de sa propre mère qui s’affichait sur l’écran ! Curieux !
Pourquoi n’était-ce pas à lui qu’elle téléphonait ?
Sans réfléchir, il décrocha.
— Allô ?
— Lucas ? Oh ! mon chéri, comment te sens-tu ?
Sa voix trahissait son inquiétude et, en même temps, il était heureux que ce timbre lui soit resté
familier, que sa chute ne lui ait pas dérobé ce lien.
— Je me sens complètement impuissant, maman, répondit-il. J’ai aussi la migraine, mais à part ça,
tout va bien. Pourquoi téléphones-tu sur le portable de Kate ?
— Je ne voulais pas te déranger au cas où tu ne te serais pas senti en forme, ou bien si tu avais
dormi. Kate m’a appelée hier soir pour m’apprendre la nouvelle, et je voulais savoir où tu en étais
aujourd’hui.
— Sois sans inquiétude, maman. Kate prend bien soin de moi, et le médecin m’a examiné
attentivement. J’ai juste besoin de repos, et cette île est l’endroit idéal pour en prendre.
Sa mère eut un petit grognement sceptique.
— Promets-moi d’appeler tout de suite le médecin si un nouveau symptôme surgit. Je ne suis pas
très rassurée de te savoir là-bas, je préférerais réellement que tu sois au palais mais, comme tu es aussi
têtu que ton père, je sais qu’il est inutile d’insister pour que tu rentres.
— Mais je te garantis qu’il n’y a pas lieu de s’alarmer, s’exclama-t-il en croisant les yeux de Kate
qui venait de rentrer. Je suis entre de bonnes mains. Je te rappellerai un peu plus tard.
Il mit fin à la communication.
Kate le regarda d’un air étonné quand il s’approcha d’elle.
— Tu téléphonais avec mon portable ? demanda-t-elle en rejetant la tête en arrière pour soutenir son
regard.
— C’était ma mère qui t’appelait pour avoir de mes nouvelles. Elle avait peur de me réveiller en
me téléphonant directement.
— Et… c’est tout ce qu’elle a dit ?
— Oui, pourquoi ? répondit-il en glissant un doigt sur son décolleté.
— Pour rien. Juste pour savoir. Bon, je vais me doucher. Nous discuterons ensuite de ton agenda et
des événements à venir.
Sur une impulsion, il pressa ses lèvres contre les siennes, et un élan de chaleur inonda son corps…
— Viens te doucher dans ma chambre, suggéra-t-il. Nous travaillerons plus tard.
Il la sentit frémir sous sa caresse, puis elle s’écarta rapidement. Un éclair avait traversé ses yeux
avant qu’elle les détourne. Alors qu’elle pivotait sur ses talons, il la saisit par le bras.
— Ça va ? demanda-t-il.
Elle lui adressa un petit sourire tendu.
— Oui. Je suis juste fatiguée d’avoir nagé et couru.
Ses légers cernes indiquaient en réalité qu’elle n’avait pas aussi bien dormi qu’elle le prétendait. Il
n’insista pas et, hochant la tête, la relâcha, puis l’entendit regagner la chambre principale.
Il attendit qu’elle soit entrée dans la douche, puis ôta sa chemise qu’il jeta négligemment par terre.
Quand il atteignit la chambre, il avait retiré tous ses vêtements, laissant un vrai sillage derrière lui.
Le bruit de l’eau qui ruisselait ouvrait tout un monde de possibles, et son imagination allait bon
train ; l’image de Kate nue, son corps ruisselant, l’obsédait…
Quand il s’approcha de la douche, il découvrit sa silhouette voluptueuse sous le pommeau ; elle était
légèrement cambrée, ses cheveux mouillés plaqués sur les reins, telle qu’il se l’était représentée. Elle
s’apparentait à une vision, et pourtant, elle était bel et bien à lui.
Sans bruit, il pénétra dans la douche et l’enlaça par-derrière, collant son corps contre le sien…
Elle poussa un petit cri et se tendit.
— Luc…
Il la fit pivoter, et la bâillonna bien vite avec sa bouche. Il avait besoin d’elle, besoin de revenir à
une vie normale ! Kate était son roc, et il voulait renouer le lien avec elle de la façon la plus primaire et
naturelle possible.
— Luc, marmonna-t-elle, nous ne devrions pas.
Il embrassa sa nuque.
— Si, nous devons ! répliqua-t-il.
Sa peau satinée le rendait fou. Elle s’arqua contre lui, l’agrippant par les épaules.
— Tu es blessé, lui rappela-t-elle.
Il releva la tête et croisa son regard.
— Le jour où je ne pourrai pas faire l’amour à ma fiancée sera celui où je mourrai, décréta-t-il.
Puis il la serra plus étroitement contre lui et captura de nouveau ses lèvres. Il la sentit alors un peu
réticente et se reprocha son empressement ; néanmoins, il la désirait avec une telle intensité qu’il lui était
difficile de se contrôler.
— J’ai envie de toi, Kate, murmura-t-il contre sa bouche. Maintenant.
Il se mit alors à explorer les courbes affolantes de son corps… On l’eût dit faite pour lui, pour ses
mains… C’était une chance inouïe d’avoir un trésor si précieux à ses côtés pour affronter la vie.
Tandis qu’il la caressait doucement, elle inclina la tête en avant, et il se mit à lui mordiller la
nuque ; elle poussa alors de petits gémissements.
— Enroule tes jambes autour de ma taille, murmura-t-il.
Il la souleva de terre.
Elle ouvrit de grands yeux.
— Je… Luc…
— Maintenant ! ordonna-t-il.
Sans plus protester, elle obtempéra et il la pénétra avec douceur. Pourtant, quand un léger cri lui
échappa, il se figea.
— Je t’ai fait mal ? s’enquit-il, le souffle court.
Elle ferma les paupières et se mordit la lèvre avant de faire non de la tête.
— Regarde-moi, Kate, dit-il en passant le pouce sur cette lèvre qu’elle agaçait avec ses dents.
Des gouttes d’eau roulèrent de ses cils lorsqu’elle posa le regard sur lui… Il se mit à chalouper
doucement, attentif à ses moindres réactions, à son excitation. Il ne se rappelait peut-être pas le passé,
mais il allait se forger de nouveaux souvenirs avec elle : tout commençait maintenant…
Elle bougeait à présent en cadence avec lui, à mesure qu’il accélérait ses va-et-vient en elle.
— Luc, dit-elle haletante, s’il te plaît…
— Oui, ma chérie, tout ce que tu veux, répondit-il, essoufflé lui aussi. Laisse-toi aller…
Il n’eut pas besoin de le lui répéter : des spasmes secouèrent bientôt son corps de déesse, et elle
cria son nom dans le paroxysme de la volupté… Il la suivit immédiatement dans l’orgasme.
La serrant toujours contre lui, il ne put s’empêcher de se demander si chaque fois qu’ils faisaient
l’amour, c’était comme la première fois, ou bien si ce moment avait été particulièrement intense et
passionné. Décidément, cette femme exerçait un vrai sortilège sur lui.
Aussi, pourquoi pleurait-elle sur son épaule, alors qu’un instant plus tôt elle avait joui dans ses
bras ?

* * *

Oh ! non, non, non !


Kate n’arrivait plus à s’arrêter de pleurer, tout comme elle n’avait pu s’empêcher de faire l’amour
avec Luc. Enfin, du moins d’avoir un rapport sexuel avec lui ! Car il ne l’aimait pas et, dès que la
mémoire lui reviendrait, il l’aimerait encore moins. Elle n’aurait jamais cru qu’il la rejoindrait sous la
douche, mais à vrai dire, l’expérience s’était apparentée à un rêve ; rien ne l’avait préparée à la passion
dont il venait de faire preuve.
Comment la situation avait-elle pu lui échapper à ce point ? La réalité avait dépassé l’imagination,
et maintenant qu’elle y avait goûté, elle en voulait davantage !
— Kate ?
Elle avait la tête enfouie dans son torse, incapable de lui faire face, de le regarder dans les yeux
après ce qui venait de se passer… Mais naturellement, il ne pouvait pas comprendre.
Etait-ce ainsi qu’il la traiterait s’il l’aimait ? La surprendrait-il dans la douche et la prendrait-il
avec cette même ferveur ? Une part d’elle-même avait envie de s’abandonner à la rêverie, après leurs
merveilleuses étreintes, mais une autre savait que le songe ne pouvait hélas durer.
Luc ferma le robinet derrière elle et se mit à la bercer doucement.
— Dis-moi ce qui t’arrive, ma chérie, demanda-t-il.
Puis il l’entraîna hors de la douche et, attrapant un drap de bain accroché à la barre chauffée, il l’en
enroula avant de nouer une serviette autour de sa taille.
— Regarde-moi, Kate, ordonna-t-il soudain.
Elle faillit sursauter. Ces mots, murmurés quelques instants plus tôt dans des circonstances fort
différentes, résonnaient à présent bien plus durement à ses oreilles. Avait-il compris qu’elle lui mentait ?
Et si elle lui avouait la vérité ? Elle lui confesserait qu’elle n’était pas sa fiancée, mais qu’elle
attendait depuis des années qu’il s’intéresse à elle… Non, c’était encore plus pathétique que tout ! La
vérité, c’était qu’elle s’était laissé happer par une spirale de mensonges, et en essayant de le protéger elle
l’avait en réalité déçu.
Cependant, si elle voulait être honnête avec elle-même, elle ne pouvait nier que leur entente
physique était parfaite.
— Est-ce que je t’ai blessée ? reprit-il.
Elle secoua la tête.
— Non, absolument pas.
— Alors, que se passe-t-il ? Tu ne voulais pas que l’on fasse l’amour ?
Elle sentit son cœur se serrer violemment : elle allait finir par s’étouffer, avec tous ces mensonges.
— Non, je suis juste submergée par les émotions, affirma-t-elle. Nous ne l’avions encore jamais
fait…
Il la scruta attentivement, sourcils froncés.
— Tu veux dire que nous n’avions encore jamais fait l’amour ensemble ?
Un accès de honte l’envahit soudain et, incapable de parler, elle se contenta d’acquiescer d’un
mouvement de tête.
Il lâcha brusquement un terrible juron en portugais, une grossièreté si affreuse qu’aucun membre de
la famille royale n’aurait pu l’entendre.
— Mais comment est-ce possible, Kate ? Tu m’as bien dit que nous travaillons ensemble depuis un
an, n’est-ce pas ?
— Tout à fait, et comme la règle veut qu’un membre royal ne couche pas avec une employée, nous
en sommes restés au domaine professionnel, nous attendions. Et puis, nous avons fini tous les deux sur
cette île isolée, et…
Elle s’interrompit, incapable de continuer à mentir. Elle était traversée par des émotions bien trop
intenses, et son corps vibrait encore de toutes les sensations que Luc lui avait procurées.
Il se mit de nouveau à jurer, tout en faisant les cent pas : il se maudissait, alors que tout était sa faute
à elle ! constata-t-elle, atterrée.
Incapable de supporter davantage le poids de la culpabilité, elle s’avança vers lui.
— Luc, je dois te parler…
— Non ! l’interrompit-il en lui faisant face, mains plaquées sur les hanches. J’ai profité de toi, Kate.
Oh ! si tu savais comme je suis désolé ! J’ai été aveuglé par mon désir, j’ai voulu oublier mon amnésie en
me perdant en toi.
— Non, Luc, ce n’est pas ta faute, martela-t-elle en frissonnant. Habillons-nous ! Il faut que nous
discutions sérieusement, toi et moi.
- 8 -

Luc prit des vêtements propres et gagna la chambre d’amis pour se vêtir. La dernière chose qu’il
aurait imaginée, c’était bien de prendre Kate alors qu’elle n’était pas prête psychologiquement !
Il comprenait à présent pourquoi il l’avait sentie se tendre quand il s’était glissé derrière elle dans
la douche, et pourquoi elle avait par la suite éclaté en sanglots. Sans compter la façon dont elle s’était
raidie, la veille, dans le lit…
Encore une fois, il se maudit d’avoir perdu le contrôle de lui-même. Il croyait agir pour leur bien
commun, mais en réalité, ils les avaient ramenés là où ils en étaient juste avant ce ridicule accident.
En sortant dans le corridor, il aperçut les vêtements froissés dont il s’était défait, la fièvre au corps,
un peu plus tôt… Les voir suscita en lui un profond dégoût, qui contrastait fortement avec son excitation
précédente.
Il les ramassa un à un et les jeta négligemment dans la corbeille à linge. Ce qui était d’actualité,
c’était de retrouver Kate et d’espérer qu’elle lui pardonne.
Il se sentait dévoré par la culpabilité. Et dire qu’il avait espéré que cette journée leur permettrait de
se consacrer à eux deux et de mettre entre parenthèses son amnésie. C’était raté !
Quand Kate sortit de la salle de bains, elle avait relevé ses cheveux au-dessus de sa tête grâce à une
pince, et enfilé une nouvelle robe d’été qui dévoilait ses épaules bronzées et ses jambes sexy. Ses jambes
qu’il lui avait demandé d’enrouler autour de sa taille, tout à l’heure, une position qui avait opéré des
merveilles…
Elle s’assit sur le canapé, puis tapota le coussin à côté d’elle.
— Détends-toi, Luc. D’accord ?
Se décontracter ? Comment était-ce possible face au gâchis dont il était le seul responsable ? Il
avait complètement oublié celle qu’il était censé aimer, pour se concentrer sur ses propres désirs
égoïstes !
Comment ça, « censé aimer » ? Mais il l’aimait ! Il mesurait tout à fait combien elle avait été
patiente et fantastique avec lui, il la revoyait se donner passionnément à lui sous la douche, en dépit des
circonstances… Comment aurait-il pu ne pas l’aimer ? Quand il la regardait, son cœur battait plus vite, et
lorsqu’il la touchait, le monde lui paraissait meilleur.
Ce qu’il aurait souhaité, c’était se rappeler le moment précis où il était tombé amoureux d’elle, le
désir qu’il éprouvait pour elle étant encore plus puissant, maintenant qu’il avait goûté à ses saveurs.
— Luc, viens près de moi, dit-elle en lui tendant la main.
Peu désireux de la contrarier, il la lui prit et se laissa tomber à côté d’elle.
— Dis-moi que tu vas bien, commença-t-il en plongeant ses yeux dans les siens. Que je ne t’ai pas
fait de mal, au propre comme au figuré.
Un doux sourire éclaira le visage de Kate.
— Je t’ai déjà dit que j’allais bien. Tu as été parfait, Luc !
Elle baissa alors le visage vers leurs mains jointes et enchaîna :
— Nous étions en train de nous disputer, avant que tu tombes. Aussi, je me sens responsable de tout
ce qui t’est arrivé, et c’est pourquoi je te demande instamment de ne pas te fustiger pour ce qui s’est
passé sous la douche.
Luc lui étreignit la main.
— Non, je suis entièrement responsable de ce qui s’est passé. Et si nous nous disputions avant ma
chute, eh bien, j’en suis également responsable. En général, il faut être deux pour se quereller, non ?
Elle leva la tête vers lui et lui sourit.
— Bon, on ne va pas jouer toute la journée à qui est coupable ou pas, dit-elle. Luc, il faut que je te
parle.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
La gravité de sa voix, l’inquiétude que reflétaient ses yeux, tout lui indiquait qu’elle était sur le fil
du rasoir.
— Il y a de nombreuses choses que je ne t’ai pas dites, car je ne voulais pas intervenir dans ton
processus de guérison, mais que tu dois néanmoins savoir.
Il la prit par l’épaule et l’attira contre lui.
— Dis-moi ce qui te tracasse, Kate, déclara-t-il. Je veux t’aider, être fort pour toi.
Elle posa la main sur sa cuisse, comme pour le rassurer, puis prit une grande inspiration.
— Je suis une enfant adoptée, déclara-t-elle d’une voix à peine audible.
— Et je n’étais pas au courant ? demanda-t-il.
— Non. Les seuls à savoir sont mes parents, bien sûr.
Cette remarque alluma une étincelle en lui : ces derniers travaillaient pour les siens ! Des images
d’eux au palais lui revinrent spontanément à l’esprit…
— Ils s’appellent Scott et Maria, c’est bien ça ?
— Tout à fait ! s’exclama-t-elle en croisant son regard. Tu vois, ta mémoire revient.
— Pas assez vite à mon goût, marmonna-t-il. Bien, continue.
Elle appuya alors la tête sur son torse, et il se demanda s’il ne lui était pas plus facile de s’exprimer
sans se sentir observée.
— Je suis née aux Etats-Unis, dans l’Etat de Géorgie, poursuivit-elle. Mes parents m’ont adoptée à
l’âge de six ans, et ce pays occupe une place importante dans mon cœur.
Luc l’écoutait avec attention, se demandant où cette conversation allait les mener et quel rapport elle
avait avec ce qui venait de se produire entre eux.
— Avant de venir travailler à plein-temps à Ilha Beleza, au palais, mes parents s’occupaient de la
maison de vacances que ta famille possédait autrefois, en Géorgie, sur la côte.
Fermant les yeux, il revit la villa toute blanche, ornée d’imposants piliers qui montaient jusqu’au
premier étage. Une galerie courait sur tout le long du rez-de-chaussée, et des balancelles s’agitaient
doucement sous la brise.
Il revit aussi Booker et une toute jeune Kate courant dans les jardins…
Oui, à présent, il se rappelait combien il aimait cette villa !
— Depuis que je suis ton assistante, j’ai toujours insisté pour que tu visites l’orphelinat d’où je
viens, mais nous achoppions invariablement sur la question.
Il tressaillit malgré lui, et elle se redressa.
— Pourquoi nous disputions-nous à propos de cet orphelinat ? demanda-t-il.
Elle haussa les épaules.
— Je ne sais pas pourquoi tu as toujours refusé jusque-là de t’y rendre. Pour être honnête, je crois
que tu n’en avais pas envie, ou que tu n’as jamais pris le temps. Tu voulais bien faire un don, mais pas
plus. Et moi, je pensais, et je pense toujours d’ailleurs, que la visite d’un membre d’une famille royale
serait extraordinaire pour les enfants dont l’établissement s’occupe. Ils vivent si modestement… Certains
d’entre eux y sont depuis très longtemps, car la plupart des gens préfèrent adopter des bébés.
Luc balaya la pièce du regard, espérant qu’un autre flash lui revienne. Juste une image qui lui
permettrait de rassembler les pièces du puzzle…
— Etait-ce pour cette raison que nous nous querellions avant que je tombe ? demanda-t-il en posant
les yeux vers elle.
— Non, pas vraiment. J’avais essayé d’aborder le sujet, mais tu avais éludé.
Soudain, elle se leva et se dirigea vers la porte qui menait à la terrasse et qui était ouverte.
— Nous nous disputions, car nous sommes tous les deux entêtés, et qu’il nous arrive parfois de dire
ou faire des choses que nous regrettons par la suite.
Cela, il le concevait aisément. Il savait tout à fait qu’il avait la tête dure, et le fait que Kate ait
également du caractère ajoutait à son charme et à son mystère.
— Lorsque la mémoire te reviendra, je veux que tu saches que tout ce que j’ai fait ou dit, c’était
dans ton intérêt, pour te protéger…
Elle lui tournait le dos, à présent, et il la vit redresser les épaules, tout en fixant la mer.
— Luc, je suis profondément attachée à toi, il ne faut surtout pas que tu l’oublies ! ajouta-t-elle.
Emu par cet élan de sincérité, il se leva à son tour et vint se placer juste derrière elle ; puis il posa
les mains sur ses épaules avant de lui baiser les cheveux.
— Je sais ce que tu ressens pour moi, Kate. Tu me l’as prouvé sous la douche, tout à l’heure, quand
tu as donné la priorité à mes besoins sur tes doutes.
Elle s’appuya contre lui.
— J’espère que tu resteras dans ces dispositions à mon égard, chuchota-t-elle alors.
Ils étaient en train de vivre un moment si intense qu’il eut la sensation que leur passion allait finir
par les consumer, et que, curieusement, ils ne partageaient pas une ferveur aussi puissante avant sa chute.
Pour leur salut à tous les deux, ne devaient-ils pas sortir de ce huis clos et rechercher la compagnie
d’autrui ?
— Et si nous prenions le bateau pour aller faire un tour en ville ? demanda-t-il à brûle-pourpoint. Il
y a sans doute un marché, des restaurants ou des boutiques sur cette île. Nous avons besoin de nous
divertir !
Elle tourna alors vers lui un visage souriant.
— Excellente idée ! Je n’ai pas fait de shopping depuis une éternité, car je passe ma vie à travailler.
Elle fit aussitôt la grimace, comme si elle regrettait ses propos.
— Ne t’inquiète pas, aujourd’hui, ton patron te donne ta journée, tu l’as bien méritée, dit-il en riant.

* * *

La discussion n’avait pas pris le tour escompté par Kate, mais il fallait dire que l’euphorie que lui
avaient procurée leurs ébats sous la douche avait sérieusement altéré son jugement et son bon sens.
Sur le bateau de Luc, vêtue de sa robe dos nu bleue préférée, les cheveux au vent, elle prêtait son
visage à la caresse du soleil. Luc était au gouvernail, et ils filaient vers la petite ville de l’île. La plupart
des gens la regagnaient par voie maritime et s’y déplaçaient en scooter. La marina accueillait des
embarcations de tailles et de couleurs variées, dont les propriétaires les saluèrent amicalement quand ils
les croisèrent. L’endroit était enchanteur… Mais il était fort probable qu’elle n’y remettrait jamais les
pieds, une fois que son mensonge éclaterait au grand jour et que le scandale s’abattrait sur elle.
D’après ce qu’elle avait lu en ligne avant ce séjour, les boutiques artisanales étaient situées dans les
ruelles, derrière le port. Elle était ravie à l’idée de découvrir les bijoux et poteries, ainsi que les légumes
et fruits du marché. Cela la divertirait de son tête-à-tête avec Luc.
Jamais elle ne pourrait reprendre une douche — surtout dans la salle de bains de Luc — sans
repenser à leur fabuleuse étreinte, à son corps vigoureux contre le sien, à son souffle haletant sur sa peau.
Et les directives qu’il lui donnait, au fur et à mesure qu’il la faisait sienne, avant de baisser lui aussi la
garde… Oui, tout était pour toujours gravé dans son esprit.
C’était indéniable, elle était en train de tomber amoureuse de l’homme à qui elle avait menti, et qui,
dans la réalité, lui était inaccessible.
Luc arrima le bateau à l’embarcadère, puis lui tendit la main pour l’aider à descendre. D’un regard,
ou par un simple contact, cet homme avait le pouvoir de faire accélérer les battements de son cœur, et son
esprit s’égarait alors dans un monde imaginaire. Pourtant, elle n’avait aucune excuse de ne pas avoir mis
un terme à cette mascarade.
Comment revenir en arrière, à présent ? Car certes, il y avait mensonges, mais les émotions étaient
bien réelles, elles !
Elle avait conscience qu’elle aurait dû avouer à Luc qu’ils n’étaient pas fiancés, la première fois
qu’il avait mentionné son désir de lui faire l’amour. C’était à ce moment-là qu’elle aurait dû réagir, mais
elle s’était tue, et maintenant, ils avaient franchi par sa faute un seuil au-delà duquel ils n’auraient jamais
dû aller…
Par ailleurs, elle ne pouvait se voiler la face : ce qui avait commencé par une attirance physique
avait pris des proportions bien plus grandes, en raison de cet accident intempestif.
Comment parviendrait-elle à se protéger, à ne pas commettre d’impair pour qu’il se rétablisse, et en
même temps à le maintenir à bonne distance, alors qu’elle sentait un lien profond pour lui s’enraciner en
son cœur ? N’était-ce pas une gageure perdue d’avance ? Quelqu’un allait forcément souffrir.
— Tout va bien ? lui demanda Luc en l’aidant à sauter sur le ponton.
Parvenant à lui sourire, elle lui étreignit la main.
— Bien sûr ! Voyons ce que cette île a à nous offrir.
Il la guida vers l’escalier qui menait à la ville et, une fois en haut, elle ne put retenir une
exclamation admirative : on aurait dit un minifestival, tout était si vivant et bigarré !
De grandes ombrelles colorées abritaient les marchandises de chaque stand, un groupe de musiciens
jouait de la musique entraînante sous une porte cochère. Les gens riaient, dansaient, et derrière chaque
stand se trouvait un enfant, travaillant avec un adulte. De toute évidence, il s’agissait d’entreprises
familiales.
Elle dut alors étouffer en elle une petite voix moqueuse : son rêve avait toujours été de fonder une
famille, d’avoir un mari qui l’aimerait, et de regarder leurs enfants grandir. Evidemment, cette éventualité
n’était pas irréalisable, mais étant donné le cours que sa vie venait de prendre, elle devrait bientôt se
chercher un nouvel emploi, au lieu de rêver de fonder une famille. Assez ! Elle était venue ici pour se
divertir…
Soudain, un des stands attira son attention.
— Luc, viens voir ! dit-elle.
Elle l’entraîna vers un emplacement qui vendait des bijoux. Leurs couleurs vives étaient frappées
par les rayons du soleil, qui les magnifiaient : l’améthyste violette, le jade vert, la citrine jaune… Toutes
les pierres étaient plus belles les unes que les autres, et elle était émerveillée, comme un enfant dans une
confiserie.
— Bonjour, lui dit la vendeuse, en portugais.
Kate enchaîna tout de suite dans cette langue en la questionnant sur ses bijoux. Elle apprit que la
femme était veuve et les confectionnait seule, secondée par sa petite fille à qui elle apprenait à lire et à
écrire, à la maison.
Impossible de partir sans acheter quelque chose ! Elle choisit alors un collier et des boucles
d’oreilles et, au moment où elle ouvrait son porte-monnaie pour régler, Luc plaqua sa main sur la sienne
et demanda à la vendeuse combien il lui devait pour les bijoux.
Une fois que celle-ci lui eut donné la marchandise emballée dans du papier de soie rouge, ils
s’éloignèrent vers un autre stand.
— Tu n’avais pas à payer pour moi, lui dit-elle. Je n’attends pas que tu m’offres tout ce que je veux,
Luc.
— Mais moi, j’en ai envie, ça me fait plaisir, répliqua-t-il.
— En fait, ces bijoux sont pour ma mère, renchérit-elle en riant.
Luc lui sourit.
— Cela ne me gêne pas du tout d’acheter des cadeaux pour ma future belle-mère.
A ces mots, la réalité lui revint en pleine figure, comme un boomerang, et elle sentit son estomac se
contracter… Malgré eux, ses parents avaient été entraînés dans son mensonge. Jamais ils ne seraient les
beaux-parents de Luc, et, une fois que ce dernier aurait découvert la vérité, ils ne feraient peut-être même
plus partie de son personnel.
Elle s’efforça de chasser ces pensées perturbantes tandis qu’ils s’arrêtaient à présent devant un
stand de poteries ; Kate s’intéressa plus particulièrement à un grand vase. Mais, avant qu’elle puisse faire
quoi que ce soit, Luc l’avait acheté, et le vendeur était en train de l’emballer dans des feuilles de journal.
— Il n’est pas non plus nécessaire que tu achètes tout ce que je regarde, l’informa-t-elle d’un ton
laconique.
— Mais ce vase te plaisait, non ?
— Tout à fait, et je me disais s’il rendrait bien, dans ta nouvelle villa.
Luc lui donna alors un tendre baiser sur la bouche.
— Notre nouvelle villa, Kate, rectifia-t-il. Il est parfait, ce vase. Je suis ravi que tu l’aies choisi,
car je n’ai vraiment pas la fibre d’un décorateur.
— Non, tu préfères démolir.
Il éclata de rire.
— En fait, cette vasque était ma première expérience en matière de démolition, mais je dois avouer
que cela m’a bien plu.
Ils flânèrent ensuite de stand en stand, et elle parvint à acheter un carillon et des fleurs coupées
tandis que Luc s’entretenait avec un autre vendeur. La lavande bleue serait parfaite dans le vase jaune et
égaierait le salon.
Après ces emplettes, ils reprirent le bateau, direction la maison.
La maison… Comme s’ils étaient un couple normal et qu’ils faisaient une petite sortie de routine !
Non, elle ne devait surtout pas envisager cette demeure comme son foyer car, quand la vérité éclaterait,
Luc l’expulserait sans ménagement de son univers.
Elle contempla les flots, songeuse.
Les deux dernières heures passées en compagnie de Luc avaient été extraordinaires. Hélas, cette vie
imaginaire n’était pas destinée à durer !
- 9 -

A contrecœur, Luc dut s’avouer que Kate avait pris ses distances, par rapport à lui. Sur le chemin du
retour, elle n’avait pratiquement pas parlé et ne s’était guère montrée plus loquace depuis leur retour à la
villa : elle avait disposé la lavande dans le vase, avant de le placer sans piper mot sur la table.
Puis elle avait préparé le dîner, et il l’avait seulement entendue fredonner doucement pendant
qu’elle remuait le riz. Le dîner s’était également déroulé en silence, et il n’en pouvait plus de ce
mutisme !
— Kate ! appela-t-il alors qu’elle faisait la vaisselle, dans la cuisine.
Il attendit qu’elle se matérialise sur le seuil.
— Je sais que la situation est particulière, poursuivit-il, mais il faut que je te dise quelque chose.
— Attends ! dit-elle en levant la main. Laisse-moi d’abord m’exprimer. J’ai essayé de trouver une
façon d’aborder ton amnésie…
Elle soupira et secoua la tête.
— Je ne sais même pas par où commencer.
— Mais le médecin t’a recommandé de ne rien me dire ! rétorqua-t-il en mettant la main dans sa
poche…
Il en ressortit un petit étui en velours.
— Tiens, ajouta-t-il, pendant que tu cherches tes mots, ouvre ça.
Elle lui lança un regard vif.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Ouvre, je te dis ! Tu verras bien…
Les doigts tremblants, elle obtempéra, et une petite exclamation lui échappa quand elle découvrit
une améthyste taillée à la façon d’une émeraude et sertie dans de l’or.
— Luc ! Mais pourquoi ?
— Parce que tu n’as aucune bague au doigt. Cela m’a frappé, aujourd’hui, et je tenais à t’en offrir
une. Quand j’ai vu celle-ci, j’ai compris qu’elle était pour toi.
Comme elle demeurait immobile et ne l’essayait pas, il eut soudain un doute : la bague ne lui
plaisait-elle pas ?
— Si tu préfères l’échanger contre une autre, c’est tout à fait possible, commença-t-il. La vendeuse
me l’a assuré. Tu sais, quand j’ai vu cette bague, je me suis rappelé autre chose, à ton sujet.
Elle écarquilla les yeux.
— Ah bon ?
Il vit une larme rouler sur la joue de Kate. L’émotion, sans doute… Il s’empressa de la chasser.
— Ton anniversaire est en février, et c’est donc ta pierre porte-bonheur. Je me souviens du pendentif
en améthyste que tu portais lors des réceptions, au palais. Il descendait presque entre tes seins, et j’en
étais jaloux.
Une nouvelle larme coula sur la joue de Kate.
— Quand tu me dis ces mots doux, j’ai l’impression que tu as des sentiments depuis bien plus
longtemps pour moi que je le croyais, dit-elle d’une voix tremblante.
Il lui saisit la main pour lui passer la bague à l’annulaire.
— Il y a de grands pans blancs, dans mes souvenirs, mais je possède une certitude, celle de te
désirer depuis toujours, Kate, répondit-il alors.
Et, sans lui donner le temps de répondre, il la prit dans ses bras et captura sa bouche. Ce qu’il
aimait l’embrasser ! Tout comme il adorait la sensation de son corps de rêve contre le sien. Il n’avait
jamais connu une impression aussi parfaite, sinon, il était convaincu qu’il s’en souviendrait.
Soudain, elle l’agrippa par les épaules, détacha ses lèvres des siennes… et pivota sur ses talons !
— Kate, que se passe-t-il ?
— Je veux te le dire, il le faut, mais je ne sais pas ce que je peux te révéler sans que cela n’affecte
le retour naturel de ta mémoire.
S’approchant d’elle, il posa la main sur ses épaules.
— Dans ce cas, ne dis rien, et profitons simplement de cet instant.
Comme à contrecœur, elle se retourna vers lui, le scruta avec intensité, puis un sourire nostalgique
apparut sur son visage.
— Je n’ai jamais été aussi heureuse qu’aujourd’hui, Luc, assura-t-elle. Je me demande juste ce qui
va se passer quand tu recouvreras la mémoire.
Il lui sourit.
— Ne te tracasse pas pour cela ! Je veux juste me rattraper pour ce qui s’est produit ce matin.
Il l’entendit alors respirer plus bruyamment et s’interrompit, les yeux rivés aux siens, avant
d’ajouter :
— Je veux te faire l’amour dans les règles de l’art, Kate.
Il la sentit frémir.
— Oh ! Luc, je te désire depuis si longtemps ! murmura-t-elle.
Une image lui revint, celle de Kate vêtue d’un tailleur, penchée sur son bureau. Il secoua la tête. Elle
lui avait dit qu’elle était son assistante, aussi ce souvenir n’ajoutait-il rien à ce qu’il savait déjà.
Pour l’heure, il concevait des intérêts plus pressants, concernant sa belle fiancée…
— Je veux que tu portes ma bague, le poids de mon corps et rien d’autre, lui murmura-t-il.
Il dénoua sa robe dos nu, se reculant juste à temps pour voir le tissu glisser sur ses hanches ; puis il
tira dessus afin qu’elle tombe telle une flaque à ses pieds, et sans attendre, il lui ôta sa culotte en dentelle
bleue.
Avec ses cheveux répandus sur ses épaules, sa bouche gonflée par les baisers, elle lui offrait un
spectacle incroyable, et il avait l’impression de la découvrir pour la première fois.
— Parfaite, murmura-t-il, en faisant glisser les mains sur ses hanches. Tu es parfaite et mienne.
La brise qui entrait par la porte ouverte de la terrasse les enveloppait d’une douce caresse, et le
coucher de soleil sur l’horizon créait une atmosphère qu’il n’aurait jamais pu acheter avec tout l’or du
monde. Et cet instant magique supplanta en lui toutes les zones d’ombre liées à l’amnésie…
Alors, il entraîna Kate vers le canapé et l’y fit asseoir, puis se déshabilla à son tour. La façon dont
elle le dévorait du regard l’excitait terriblement, et il aurait aimé qu’elle exprime ce qu’elle ressentait.
Tout cela était si nouveau pour lui, il voulait savourer chaque seconde de leurs ébats.
— J’en ai rêvé depuis si longtemps, murmura-t-il.
Elle fronça les sourcils.
— C’est vrai ? Tu ne crois pas que tu confonds ?
— Absolument pas. Je te revois sur mon balcon, nue, prête pour moi…
Emue, elle ne répondit rien.
— Mais peut-être que j’ai eu cette vision la première fois que j’ai visité la villa, murmura-t-il en
enfouissant son visage dans sa nuque. D’une façon ou d’une autre, tu m’étais destinée. A moi, et à moi
seul.
Elle se cambra légèrement sous lui.
— Oui, rien qu’à toi, renchérit-elle.
Doucement, il chercha à s’introduire en elle, tout en unissant sa bouche à la sienne, bien résolu à
prendre tout ce qu’elle voudrait bien lui concéder. Ce désir insatiable qu’elle lui inspirait semblait
croître à chaque instant… Il avait Kate dans la peau, dans le cœur. Qu’y avait-il d’étonnant à ce qu’il ait
envie de l’épouser et de passer le reste de sa vie avec elle ?
Elle enfonça tout à coup les doigts dans sa chair… A ses petits soupirs et gémissements, il comprit
qu’elle allait bientôt atteindre le plaisir qu’il s’efforçait de lui procurer.
Alors il lui embrassa la nuque, puis lui mordilla le lobe de l’oreille, sachant qu’elle était
particulièrement sensible à cet endroit. Soudain, il la sentit se contracter autour de lui, puis elle cria son
nom. Et, tandis que son corps tremblait encore, il fut lui aussi emporté par la jouissance, happé par les
bras de la femme qu’il aimait et enveloppé d’un nuage de félicité qui les préservait tous les deux des
soucis et des doutes.
Tout ce qui comptait, c’était Kate et leur merveilleuse vie à deux.

* * *

Sa main glissa sur son ventre plat. Il y avait un bébé, son bébé, qui grandissait en elle. Il n’avait
jamais vraiment réfléchi à la paternité, mais curieusement, l’idée lui réchauffa tout le corps.
Se laissant tomber à genoux devant elle, il lui donna un baiser sur le ventre.
— Je t’aime déjà, murmura-t-il à son futur enfant.
Luc se réveilla en sursaut. La pièce était plongée dans le noir. Qu’est-ce que cela voulait dire ?
Etait-ce un souvenir ? Un rêve ? Son cœur cognait comme un fou… Les sensations étaient bien trop
réelles pour sortir de son unique imagination.
Et il était bien trop pragmatique pour croire aux coïncidences !
Seulement, si c’était un souvenir, comment était-ce possible ? Kate n’était pas enceinte, et elle lui
avait assuré qu’ils n’avaient jamais fait l’amour ensemble, avant leur première fois sous la douche. Que
signifiait donc ce rêve ?
Regardant la femme qui dormait à côté de lui, il se passa la main sur le visage. Elle était entortillée
dans le drap, la chevelure éparse sur l’oreiller. Il plaça la main sur son nombril, sur le tissu, et ferma les
paupières… Ce rêve était si troublant de réalité qu’il avait l’impression d’avoir réellement vécu cet
instant.
Et ce n’était pas une prémonition ! Il n’était pas le genre d’homme à en avoir.
Il se laissa retomber sur l’oreiller, mains croisées derrière la tête, s’efforçant d’accommoder sa vue
à la pénombre. A présent, impossible de se rendormir ; trop d’idées tournoyaient dans sa tête, trop de
questions sans réponse.
Un événement impliquant un bébé s’était produit dans son existence, sans quoi, il n’aurait pas eu un
flash aussi puissant. Et ce, pour la deuxième fois ! Tout cela n’avait pourtant aucun sens pour lui… De
toute évidence, en ce moment, son esprit était son ennemi numéro un !
— Luc…
Se tournant vers Kate, il vit que ses yeux étaient clos : elle aussi rêvait, en conclut-il. Sa main tâtait
le drap, comme si elle cherchait quelque chose. Sur une impulsion, il la lui saisit, la posa sur son torse et
l’étreignit. Demain, il devrait trouver des réponses à ses questions. Cette attente le consumait à petit feu,
les bribes qui lui revenaient ne lui suffisaient plus. Il voulait voir le paysage dans son intégralité, et vite !
Peut-être que si Kate lui parlait d’elle, de sa vie personnelle, elle parviendrait à stimuler sa
mémoire… Il n’avait plus la patience de demeurer plus longtemps dans la prison mentale qui était la
sienne.
D’ailleurs, comment pourrait-il avancer sur le chemin de l’existence avec sa merveilleuse fiancée
s’il ne pouvait rien se rappeler avant sa chute ?
- 10 -

En dépit des recommandations du médecin, Kate aurait dû avouer la vérité à Luc, lui révéler qu’ils
n’étaient pas fiancés. Tout le reste, il pouvait se le rappeler par lui-même, mais ce gros mensonge se
devait d’éclater au grand jour.
Même maintenant, alors qu’ils avaient déjà couché deux fois ensemble, elle continuait de se taire !
se reprocha-t-elle encore.
Le poids de la bague à son doigt ne l’aidait pas à alléger celui qui pesait sur son cœur, et elle avait
la sensation de s’enferrer…
Elle ouvrit la porte de la salle de bains, tout en nouant sa courte robe en soie autour de sa taille.
Quand elle releva la tête, elle vit que Luc était assis sur le lit, le drap autour des hanches. Avec son torse
bronzé et musclé, ses cheveux noirs comme l’encre, il était extrêmement sexy.
— Pourquoi avoir enfilé une robe si tu continues à me regarder avec ces yeux-là ? demanda-t-il
d’une voix rauque.
Elle s’appuya au montant de la porte.
— Sais-tu que tu ne voulais pas te marier, avant ? lui demanda-t-elle en croisant les bras.
Il éclata de rire et s’adossa à la tête de lit.
— C’est un peu hors sujet, maintenant, mais non, je l’ignorais.
Elle poursuivit :
— Tu n’avais aucune intention d’épouser qui que ce soit, mais Ilha Beleza a conservé une règle
aussi ridicule qu’archaïque stipulant que tu dois être marié avant ton trente-cinquième anniversaire pour
monter sur le trône.
— Mais je vais précisément bientôt fêter mon anniversaire, marmonna-t-il, comme s’il venait juste
de s’en rendre compte. Es-tu en train de me dire que je ne pourrais pas devenir roi si nous ne sommes pas
mariés d’ici là ?
Elle était consciente d’aborder un sujet épineux.
— Absolument.
— Mais c’est ridicule ! s’exclama-t-il en riant. Je changerai cette loi dès que je monterai sur le
trône. Et si mon fils ne veut pas se marier ? Pourquoi faudrait-il être marié avant l’âge de trente-cinq
ans ?
Elle sourit.
— C’était exactement ce que tu disais avant de faire cette chute, que l’abolition de cette loi serait la
première décision que tu prendrais en arrivant au pouvoir.
Il la fixa avec intensité, avant d’enchaîner :
— J’ai fait un rêve, la nuit dernière. Il me semblait vraiment réel. Ce doit être un souvenir, mais en
même temps, ça n’éveille vraiment rien en moi. C’est très curieux…
Elle sentit son cœur tambouriner dans sa poitrine : la merveilleuse parenthèse qu’elle vivait allait-
elle se refermer ?
— Raconte-moi, demanda-t-elle, mains crispées.
— Tu étais enceinte…
Son regard se fit encore plus pénétrant.
— Pourquoi est-ce que je fais ce rêve, Kate ?
— Est-ce que tu me vois, dans ce songe ? demanda-t-elle, sachant qu’elle s’aventurait sur des sables
mouvants. Je veux dire, vois-tu mon visage ?
Il secoua la tête.
— Non. J’ai les mains posées sur ton ventre, et je suis heureux. Un peu nerveux, mais très excité.
— Je n’ai jamais été enceinte, lui dit-elle avec douceur. Peut-être que tu anticipes ?
Elle détourna les yeux, incapable de soutenir son regard et de le voir se débattre avec sa mémoire
embrouillée.
Pourquoi tout ceci ne pouvait-il pas être réel ? soupira-t-elle intérieurement. Encore qu’il lui avait
répété plusieurs fois qu’il l’aimait… La chute aurait-elle fait affleurer ses véritables sentiments ?
Cependant, s’il y avait la moindre chance que l’homme dont elle était tombée amoureuse se soit
également épris d’elle, elle ne devait pas oublier qu’elle lui avait menti, et qu’il ne le lui pardonnerait
jamais.
Elle voulait juste passer encore une journée de bonheur avec lui, juste une autre nuit. C’était égoïste,
bien sûr, mais elle ne pouvait renoncer à ces bribes de félicité volées à la vie.
— Est-ce que tu envisages d’avoir des enfants ? demanda-t-il. J’imagine que nous en avons déjà
discuté.
Elle s’écarta de la porte.
— Oui, je souhaite fonder une famille, répondit-elle en lissant ses cheveux. J’ai toujours rêvé
d’avoir un mari qui m’aimerait et une maisonnée remplie de bambins.
Il lui adressa un grand sourire sexy.
— Nous aurons les plus beaux du monde, promit-il.
Oh ! comme elle avait envie de le croire ! Mais Luc était pris dans le labyrinthe des mensonges
qu’elle avait créés. Pourtant, elle ne mentait pas sur ce qu’elle éprouvait, et elle espérait qu’il le
comprendrait quand l’imbroglio serait éclairci.
— La progéniture des Silva sera forcément belle, répliqua-t-elle.
Il repoussa le drap et se leva, un sourire de convoitise aux lèvres.
— Dieu sait si j’aimerais m’atteler sans tarder à fabriquer ces bébés, mais hélas, je pense qu’il faut
que je m’occupe de ma mémoire si je veux la récupérer.
— C’est-à-dire ? demanda-t-elle sans oser lever les yeux vers les siens.
— Je crois que nous devrions étudier ensemble mon agenda, comme tu l’avais suggéré avant que
nous ne finissions nus, dans les bras l’un de l’autre.
Elle se mit à rire.
— Oui, tu as raison, concentrons-nous sur le travail !
C’était une très bonne idée, et surtout un terrain plus consensuel.
— Je vais chercher mon ordinateur, ajouta-t-elle. Nous allons nous pencher sur l’agenda, et tu
pourras également revoir un discours que j’ai écrit pour toi.
Comme elle s’apprêtait à sortir de la chambre, il la retint par la taille.
— Tu écris mes discours ?
— Oui, depuis un an.
Il la fixa avec intensité.
— Tu es vraiment une femme parfaite. Celle qu’il me faut.
Elle déglutit.
— Habille-toi, lui dit-elle. Tu ne peux pas travailler en tenue d’Adam.
Il eut un rire un peu moqueur. Oh ! comme elle aurait aimé être la femme idéale pour lui ! Elle lui
aurait été complètement dévouée… Mais cette romance allait bientôt se terminer, les souvenirs de Luc
revenaient un peu plus chaque jour ; le temps ne jouait pas en sa faveur, elle en était bien consciente.
Le travail allait sans doute favoriser le retour de sa mémoire, et elle n’aurait plus à se tracasser sur
ce qu’elle devait dire ou non. En toute honnêteté, elle ne savait plus quel scénario était le pire : lui avouer
la vérité, ou le laisser la découvrir par lui-même.
Etait-elle lâche de se taire ? Sans doute, mais l’idée d’une confrontation la tétanisait : elle redoutait
le regard meurtri et peut-être même haineux qu’il lui adresserait alors. De quelle manière aurait-elle pu
lui révéler la vérité, lui annoncer qu’ils vivaient dans le mensonge depuis sa chute ? Il n’y avait pas de
mots pour exprimer une telle situation…
De toute façon, le résultat serait le même ; aussi, peu importait la façon dont il l’apprendrait, cette
fameuse vérité : elle le répugnerait, un point c’était tout… Soudain, l’idée de perdre son travail, voire
que ses parents se voient aussi privés de leur emploi, ne lui parut plus le problème majeur… Après ce
« voyage » en dehors de leur vie ordinaire, pourrait-elle seulement survivre à une existence sans Luc ?
Evidemment, tout cela était très égoïste et désespéré…
Depuis quand était-elle devenue cette nouvelle femme, qui ressemblait en réalité en tout point à
l’ex-fiancée de Luc, une menteuse doublée d’une manipulatrice de première catégorie ?

* * *

Luc regarda par-dessus l’épaule de Kate : ils se trouvaient sur la terrasse, et elle était assise à la
table en mosaïque, les yeux rivés à l’écran de son ordinateur. Ils avaient choisi de travailler à l’extérieur
pour profiter du beau soleil et de la douce brise de la Méditerranée.
Posant les mains sur le dos de sa chaise, il se pencha pour lire le tableur, mais il lui était difficile de
se concentrer avec le parfum fleuri de Kate qui flottait dans l’air.
— Je peux déplacer ces rendez-vous-là, dit-elle, en désignant deux lignes de couleur verte.
— Parfait. Tu es plus au fait que moi, de toute façon.
Elle tourna la tête vers lui.
— Oui, je sais organiser ton emploi du temps, c’est mon métier, mais il s’agit de ta vie, Luc. Il faut
que tu apportes ta contribution et tes idées. En général, quand tu ne souhaites pas rester trop longtemps à
un événement, je te trouve une excuse pour que tu puisses t’éclipser.
— C’est vrai ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.
— Tout à fait. Sinon, comment pourrais-tu t’échapper, et rester malgré tout un prince charmant ?
répliqua-t-elle en riant.
— Dis donc, tu es une assistante remarquable ! observa-t-il en se redressant. Et il semblerait que je
me repose entièrement sur toi.
Elle se retourna sur sa chaise en plissant les yeux.
— Voilà le Luc avec lequel je suis habituée à collaborer, s’exclama-t-elle. Tu refuses toujours de
m’aider pour ton agenda, car tu m’accordes la plus grande confiance.
Une image de Kate dans un tailleur noir bien ajusté surgit tout à coup dans son esprit. Près d’elle se
trouvait une autre femme à la chevelure brune. Il ferma les paupières quelques instants, pour retenir cette
image… Qui était cette deuxième personne ?
Alana.
Le visage était parti, mais le nom lui était revenu en mémoire…
— Luc ?
Il ouvrit les yeux et croisa ceux de Kate, emplis d’inquiétude. Elle se leva aussitôt et vint se camper
devant lui.
— Qui est Alana ? demanda-t-il.
Elle tressaillit comme s’il venait de la frapper.
— Tu te souviens d’elle ? renchérit-elle aussitôt.
— Je viens d’avoir une sorte de flash, où je t’ai vue en train de discuter avec elle, sans entendre ce
que vous vous disiez. C’était comme si un film muet se déroulait dans mon cerveau.
Il se passa la main sur le visage, puis plongea son regard dans le sien.
— Qui est-elle ? répéta-t-il.
— Une femme avec qui tu es sortie, répondit-elle.
Il tenta de nouveau de se concentrer, mais rien de plus ne vint, à part le fait que le nom de cette
femme attisait en lui des émotions proches de la colère et de la douleur.
— C’était sérieux, entre nous ?
Elle croisa les bras.
— Toi, tu l’étais.
Elle s’en tenait vraiment aux conseils du médecin, et ne lui donnait pas plus que ce qu’il demandait.
Si seulement elle lui avait tout simplement expliqué de quoi il s’agissait.
Traversant le patio, il s’arrêta au bord de la piscine à débordement et se mit à scruter la mer…
Alana Ferella. Le nom lui revint tandis qu’il contemplait les vagues qui roulaient sur la grève.
Soudain, il sentit son cœur se durcir. Quel genre de relation entretenaient-ils tous les deux ? Visiblement,
ils n’étaient pas compatibles, sans quoi ils auraient toujours été ensemble. Une certitude s’empara alors
de lui : cette Alana était une mauvaise femme, et peu importait au fond qu’il ne se rappelle pas grand-
chose d’elle. En revanche, ce qu’il aurait aimé, c’était avoir bien plus de souvenirs sur Kate, sur leurs
projets d’avenir.
— Devons-nous nous marier bientôt ? demanda-t-il en se retournant.
Elle cilla, comme si la question l’avait déstabilisée. Ce qu’il concevait par ailleurs aisément : il
était passé sans transition de questions sur son ex à leur futur mariage !
— Aucune date n’est fixée, répondit-elle.
Curieux… S’ils avaient annoncé leurs fiançailles, le protocole ne voulait-il pas qu’ils précisent
dans la foulée une date de mariage ?
— Pourquoi ? Avec mon anniversaire qui approche et ma couronne qui pourrait être remise en
cause, et étant par ailleurs un membre de la famille royale, je suis choqué que nous n’ayons encore rien
décidé !
Elle se mordit la lèvre et haussa les épaules.
— Nous en rediscuterons plus tard. Finalisons pour l’instant le report de ces deux rendez-vous, si tu
le veux bien. J’ai quelques coups de téléphone à passer, en espérant que le réseau fonctionne, bien sûr, et
il faut aussi que j’appelle mon père pour savoir s’il pourra assurer ta sécurité, ces jours-là.
De toute évidence, pour une raison bien précise, elle bottait en touche. Cela tenait-il aux instructions
du médecin, ou bien lui cachait-elle quelque chose ? Elle avait admis qu’ils se disputaient, avant qu’il
tombe : était-ce à propos du mariage ? Et sinon, au sujet de quoi ?
De colère, il donna un coup sur la table. Kate fit un bond en arrière.
Quand elle voulut s’avancer vers lui, il leva la main pour l’en dissuader.
— Non ! ordonna-t-il. Il n’y a rien que tu puisses faire pour moi sauf tout me dire, et cela irait à
l’encontre des ordres du médecin.
Il s’en voulut immédiatement de son mouvement d’humeur : Kate n’était-elle pas victime de la
situation au même titre que lui ?
— Kate, je suis désolé de m’être emporté.
Elle secoua la tête.
— Ce n’est rien.
— Non, ce n’est pas rien !
Il la prit dans ses bras.
— Tu me soutiens depuis le début, et moi je me retourne contre toi, parce que je suis en colère et
frustré à cause de cette fichue amnésie.
Elle l’enlaça.
— Je peux gérer, Luc, lui assura-t-elle. En outre, je suis en partie responsable de l’amnésie
passagère dont tu souffres. Si nous ne nous étions pas disputés, si je ne t’avais pas fait sortir de tes gonds,
tu ne serais jamais allé sur ce ponton glissant, et cet accident ne se serait pas produit.
Il se recula légèrement pour la regarder.
— Non, ce n’est pas ta faute. Et puis, des bribes de ma vie me reviennent peu à peu, je suis certain
que le puzzle se mettra bientôt en place.
Elle s’était tant sacrifiée pour lui. Et pourtant, un petit « détail » le tracassait : pas une fois, il ne
l’avait entendue dire qu’elle l’aimait… Il planta ses yeux dans les siens.
— Pourquoi veux-tu m’épouser, Kate ? demanda-t-il en effleurant ses joues fraîches comme une
rose.
Il la sentit se raidir.
— Que veux-tu dire au juste ?
— Est-ce que tu m’aimes ? reprit-il.
Immédiatement, elle prit son visage dans ses mains, tandis que des larmes lui brouillaient la vue.
— Plus que tu ne le sauras jamais, murmura-t-elle.
Il ressentit un immense soulagement. Il lui était essentiel de connaître ce qu’elle éprouvait vraiment
pour lui.
Elle s’empressa d’ajouter :
— Ce soir, je te préparerai ton dîner préféré. Nous passerons une soirée romantique, et nous ne
parlerons ni de ton amnésie, ni du mariage, ni du travail. Ce soir, il s’agira juste de toi et moi.
N’était-ce pas précisément le but de leur escapade sur cette île isolée ? Son bon sens venait de les
ramener à leurs projets véritables. C’était sans doute aussi pour cette raison qu’il était tombé amoureux
d’elle : elle l’ancrait dans la réalité, lui permettait de ne pas perdre pied.
L’attirant contre lui, il enfouit sa tête dans son cou.
— J’espère que tu me feras un dessert du tonnerre, lui chuchota-t-il à l’oreille.
- 11 -

Cette fois, Kate devait passer aux aveux. La rage qui bouillait en Luc était plus qu’elle pouvait
supporter. Peu importaient les recommandations du médecin, il fallait impérativement qu’elle cesse ce
double jeu : Luc se tourmentait tant que se taire devenait plus contre-productif que lui dévoiler la vérité.
Et la vérité, au-delà de cet infernal embrouillamini, était qu’elle l’aimait ! Elle n’avait pas menti,
quand il lui avait posé la question. Elle était amoureuse de lui, et il lui était impossible de garder le
secret un jour de plus.
Elle enfila sa robe verte préférée, sans manches, et ses sandales dorées, puis releva ses cheveux sur
sa tête. Elle mit ensuite ses boucles d’oreilles en or, avec une améthyste.
Elle jeta alors un coup d’œil à sa main et sentit son cœur se serrer : elle portait au doigt la bague de
l’homme qu’elle aimait, mais celui-ci n’avait pas la moindre idée de qui elle était en réalité.
Elle soupira : décidément, elle ne se reconnaissait plus du tout, elle qui n’avait jamais menti ni
manipulé quiconque. Et voilà qu’elle était devenue une usurpatrice, et qu’elle jouait remarquablement
bien ce rôle !
Cela devait cesser.
Des odeurs de poisson et de légumes cuits au four flottaient dans la maison : elle ignorait comment
la soirée se terminerait, mais tenait à ce que ce dernier moment soit parfait.
Naturellement, sa mère serait soulagée d’apprendre qu’elle avait enfin éclairci la situation. Mais
comment réagiraient le roi et la reine ? Insisteraient-ils pour que leur fils la congédie ? Et ses propres
parents seraient-ils relevés de leur fonction à cause d’elle, comme elle le redoutait depuis le départ ?
Allons, elle devait arrêter de ressasser et se concentrer sur sa décision !
Elle se dirigea vers la cuisine pour vérifier la cuisson du dîner. Portant son regard sur la mer, elle
remarqua que le ciel s’était assombri. Un orage approchait… Or, tout ce cauchemar avait commencé par
le tonnerre et des éclairs. Pour la première fois de sa vie, elle ne se réjouissait pas de l’agitation de Mère
nature.
Luc était en train de téléphoner, sur la terrasse… Avec qui pouvait-il bien discuter ?
Elle sentit tout à coup son estomac se nouer. Elle aurait tant aimé remonter le temps et revenir à
avant la chute de Luc. Pour commencer, elle ne se serait pas disputée avec lui. Il ne voulait pas visiter
l’orphelinat ? Soit ! Cela faisait un an qu’elle se heurtait à un mur quand elle abordait la question avec
lui, aussi pourquoi insistait-elle ?
Evidemment, à présent que certains aspects de sa vie étaient recouverts du manteau de l’amnésie,
Luc semblait avoir lui aussi oublié à quel point il avait pu être froid, parfois. Elle espérait sincèrement
que le Luc avec qui elle venait de passer ces quelques jours, celui qui lui avait fait l’amour comme s’il
l’aimait réellement, était l’homme qui émergerait de la chrysalide, une fois que la poussière de l’oubli
serait retombée…
Après en avoir vérifié la cuisson, elle retira le plat du four, mit le couvert, et voulut appeler Luc,
mais elle se rendit compte qu’il était encore au téléphone. L’électricité tremblota tandis que les premiers
coups de tonnerre roulaient dans le ciel. Elle chercha des bougies à la hâte, car des coupures de courant
allaient inévitablement survenir. En un sens, Mère nature était à ses côtés, puisque, dans la pénombre, elle
ne verrait pas l’hostilité décomposer les traits de Luc quand elle lui révélerait qui elle était.

* * *

— Chéri, tu as entendu ce que je t’ai dit ?


Luc s’efforçait de se concentrer sur les propos de sa mère, mais quelque chose ne collait pas.
— Oui, tu m’as dit qu’Alana m’avait appelé, car elle voulait me voir, répéta-t-il d’une voix lente.
Kate lui avait appris qu’Alana était une ex, aussi, pourquoi celle-ci cherchait-elle à reprendre
contact avec lui, puisqu’il était à présent fiancé à Kate ?
— Tout à fait, reprit sa mère. Elle a téléphoné deux fois et semblait réellement tenir à te voir. Je ne
veux pas m’immiscer dans tes affaires, mais selon moi, ce n’est pas une bonne idée.
Luc se mit à scruter l’horizon qui avait viré au violet.
— Mais pourquoi est-ce toi qu’elle a appelée ? demanda-t-il en agrippant plus fermement son
portable, car la communication était mauvaise. Alana appartient au passé.
— Donc, tu te souviens d’elle ? C’est une bonne chose. Aussi, tu comprendras aisément à quel point
il est ridicule qu’elle ose revenir dans nos vies après le scandale lié au bébé…
Sa mère continua à parler, mais son esprit resta accroché au mot « bébé ». Alors, il eut un nouveau
flash : il vit une bague en diamant, Alana en pleurs parlant de grossesse…
— Quand je pense qu’elle a tenté de te manipuler et te forcer à l’épouser en décrétant qu’elle était
enceinte, c’est vraiment absurde, poursuivait sa mère, imperméable à son tourment intérieur. Tu as
réellement pris une bonne décision en achetant une villa sur cette île sauvage. Ainsi, Alana ne sait pas du
tout où tu te trouves.
Il regarda lentement autour de lui… Cette fois, tout venait de se mettre en place ! Les paroles de sa
mère avaient déclenché une avalanche de souvenirs en lui…
Kate était son assistante, aucun doute là-dessus ; en revanche, ils n’étaient pas fiancés. Leur relation
était strictement professionnelle, à l’exception des quelques jours qui venaient de s’écouler depuis sa
chute.
Il sentit son estomac se contracter violemment et s’agrippa à la balustrade. Il avait besoin de
soutien, et tout ce à quoi il pouvait se raccrocher, c’était à un objet inanimé !
— Alana n’a aucune place dans notre famille, Lucas, insista sa mère.
Il déglutit avec difficulté, les yeux rivés à Kate. De toute évidence, deux femmes s’étaient jouées de
lui, deux femmes en qui il avait eu une absolue confiance et qu’il connaissait intimement.
Pas étonnant que Kate ait été réticente à lui parler de son passé ! Son silence n’avait sans doute pas
grand-chose à voir avec les recommandations du médecin : elle avait avant cherché à servir ses propres
intérêts !
Comment avait-il pu être aveuglé à ce point ? Et comment Kate avait-elle pu profiter de façon si
éhontée de sa vulnérabilité ? Elle n’était pourtant pas une manipulatrice, du moins n’était-ce pas
l’impression qu’elle lui avait donnée. Qu’est-ce qui avait changé ? Pourquoi avait-elle éprouvé le besoin
de lui mentir effrontément, de lui faire croire qu’ils étaient fiancés ?
Serrant les mâchoires, il ferma les yeux.
— Maman, je te rappelle plus tard, car la communication est très mauvaise, dit-il.
De fait, la ligne coupa avant qu’il raccroche. L’orage allait être impressionnant, tout comme celui
qui se préparait à l’intérieur de la maison, d’ailleurs…
Il garda son téléphone à la main pendant quelques instants, puis plissa fortement les yeux et s’efforça
d’oublier les images, les émotions qu’il avait associées à Kate depuis qu’il avait couché avec elle. Il
avait eu des rapports sexuels avec son assistante ! Il avait cru être amoureux d’elle, pensé qu’il allait
l’épouser, qu’elle serait la future reine d’Ilha Beleza.
Elle savait pourtant pertinemment qu’il ne franchissait jamais les frontières professionnelles, avec
son personnel. D’ailleurs, n’avait-il pas mis les points sur les i un an plus tôt, quand leur attirance
commençait à faire surface, afin de la tuer dans l’œuf ? Kate connaissait tout de sa vie et l’avait utilisé à
son avantage. Bien sûr, elle était au courant de l’existence de son ex-fiancée, de la prétendue grossesse de
celle-ci. Et pourtant, même après qu’il avait mentionné ses visions à propos d’un bébé, elle avait gardé le
silence.
Jusqu’à quand comptait-elle poursuivre cette comédie ? Combien de temps encore avait-elle
l’intention de lui mentir ? Pourtant, un peu plus tôt dans la journée, elle avait prétendu l’aimer…
Il sentit son cœur se serrer. Assez ! Il n’y avait pas de place pour l’amour, ce méli-mélo de
mensonges et de trahisons.
Relevant la tête, il croisa soudain le regard de Kate. Alors elle lui sourit, et ce sourire qui autrefois
lui avait inspiré la plus grande confiance ne provoqua plus chez lui que du dégoût.
Il savait exactement ce qu’il lui restait à faire.

* * *

Quand Luc ne lui rendit pas son sourire, Kate sentit l’inquiétude lui nouer le ventre. Elle ignorait
avec qui il était en train de discuter, mais il était manifeste que la conversation l’avait bouleversé.
Quoi qu’il en soit, ils devaient passer à table…
— Le dîner est prêt, dit-elle en haussant la voix.
Et elle considéra le bouquet qu’elle avait acheté la veille, au marché, et repensa aux merveilleux
moments que Luc et elle avaient partagés… Hélas ! Ils ne valaient rien, car ils étaient fondés sur les
mensonges qu’elle avait peu à peu tissés sous le prétexte fallacieux qu’elle agissait dans l’intérêt de Luc,
alors qu’il aurait tout gagné à savoir exactement ce qu’il en était de son existence !
Elle sentit la nervosité la gagner. Pour se donner une contenance, elle lissa sa robe à bretelles et
s’assit à table, attendant qu’il la rejoigne. Quelques instants plus tard, il franchissait les portes de la
terrasse ; il les referma derrière lui, posa son téléphone sur la table basse et s’avança vers la table.
— Ça sent très bon, dit-il avec un grand sourire.
Puis il se pencha pour lui donner un baiser sur le front, et l’espace d’un court instant, elle oublia
tout… Elle aurait tant aimé que cette scène appartienne à la réalité, tant souhaité qu’il la regarde toujours
comme s’il l’aimait, comme s’il voulait passer toute sa vie à ses côtés…
— Ma mère m’a appelé, annonça-t-il après un long moment de silence. Elle voulait savoir comment
nous allions.
Du bout de sa fourchette, Kate repoussa le poisson dans son assiette, trop nerveuse pour manger.
— Je suis certaine qu’elle s’inquiète pour toi.
— Effectivement. Comme c’est le cas de tous ceux qui m’aiment, j’imagine.
Il lui lança alors un coup d’œil curieusement insistant, et elle sentit sa gorge se serrer.
— Tout à fait, renchérit-elle malgré tout. Beaucoup de personnes t’aiment, Luc.
— Et toi, Kate ?
Il la considéra encore un instant, avant de baisser les yeux vers son assiette et d’ajouter :
— Est-ce que tu m’aimes ?
Reposant sa fourchette, elle lui étreignit la main.
— Mon cœur fourmille de sentiments pour toi, lui assura-t-elle.
Il ne répondit rien, et ils mangèrent en silence. Pourquoi ne parvenait-elle pas à lui parler à cœur
ouvert, comme elle l’avait décidé ? Des vibrations particulières flottaient dans l’air, et il lui semblait que
quelque chose avait définitivement basculé…
Après le dîner, ils débarrassèrent la table et posèrent leurs assiettes sur le comptoir. Alors qu’elle
s’apprêtait à faire la vaisselle, il la saisit par la main.
— Laisse ça, dit-il. Et viens avec moi.
Quand elle vit qu’il la conduisait dans la chambre, elle sentit son cœur cogner plus fort dans sa
poitrine… Non, elle ne pouvait accepter qu’il l’embrasse, car elle savait qu’elle fondrait instantanément
et ne pourrait pas s’en tenir à ses résolutions.
Elle entra néanmoins dans la chambre, et considéra le lit où plus jamais ils ne s’allongeraient bras et
jambes emmêlés…
— Luc, dit-elle en dégageant sa main, nous ne pouvons pas !
Il fronça les sourcils.
— De quoi parles-tu ?
Elle secoua la tête et détourna le regard, car elle ne pouvait soutenir le sien. Il était au-dessus de ses
forces de voir son visage quand elle lui dévoilerait la vérité.
— Nous ne pouvons pas faire l’amour ? insista-t-il en posant les mains sur ses épaules. Ou bien tu
ne peux pas continuer à jouer ton rôle de fiancée folle amoureuse ? Parce que je peux t’assurer que tu as
fait un travail remarquable, en me mentant effrontément.
Elle releva aussitôt la tête et croisa son regard froid et dur. Soudain, le souffle lui manqua, tandis
que la peur étreignait son cœur comme un étau.
— Apparemment, ma véritable fiancée a essayé de reprendre contact avec moi, poursuivit-il.
Il laissa retomber ses mains de chaque côté de son corps, comme s’il ne pouvait plus supporter de la
toucher.
— Après ma discussion avec ma mère, toutes les pièces du puzzle se sont remises en place.
Dans un geste frileux, elle noua les bras autour de sa taille.
— Donc, tu te souviens de tout, à présent ? demanda-t-elle.
— Je sais que tu es mon assistante et que tu m’as menti, instrumentalisé, que tu as comploté pour
arriver dans mon lit !
Il éclata de rire, un rire dur et moqueur.
— Maintenant, je comprends pourquoi nous n’avions jamais encore couché ensemble.
La douleur qu’elle perçut dans sa voix lui fendit le cœur, et elle fut incapable de prononcer le
moindre mot.
— Jusqu’à quand comptais-tu poursuivre cette comédie, Kate ? Tu m’aurais rejoint jusqu’à l’autel et
aurais prétendu que tu m’aimerais pour toujours ?
Elle l’aimait ! Elle avait choisi la pire voie pour le lui prouver, mais elle aimait réellement cet
homme. Elle se pinça les lèvres et demeura silencieuse, attendant qu’il vide son sac et lui annonce sa
sentence.
— Aurais-tu eu l’audace d’avoir un enfant avec moi ?
Il fit un pas vers elle, et elle redressa les épaules. Il ne l’effrayait pas, et elle n’allait pas prendre la
poudre d’escampette… même si elle en mourait d’envie ! Elle concevait tout à fait qu’il ait besoin de se
défouler et l’acceptait.
— Comment as-tu pu me faire ça, Kate ?
Sa voix était basse, calme, froide.
— Je m’explique à présent pourquoi tu as pleuré après que nous avons fait l’amour sous la douche.
Apparemment, la culpabilité t’a rattrapée, mais pas pour très longtemps, car tu m’as rapidement suivi
dans mon lit.
Elle resserra un peu plus fort les bras autour de sa taille, comme s’ils étaient un bouclier contre ses
mots blessants. Puis elle détourna les yeux vers la baie, vers l’horizon noir violet…
— Regarde-moi ! ordonna-t-il. N’espère pas te dérober. C’est toi qui as inventé cette fable, mais
maintenant, tu dois affronter la réalité et répondre à mes questions ! Est-ce que tu vas finir par parler,
oui ?
Elle secoua la tête.
— Quoi que je dise, cela ne changera rien au fait que je t’ai menti, et que tu ne croiras pas un seul
mot de ce que je pourrais professer pour ma défense.
Il agita les bras.
— Mais enfin Kate, qu’est-ce qui a motivé ce mensonge ? Tu espérais peut-être que j’allais tomber
amoureux de toi ? Tu croyais que tu pouvais jouer avec mon amnésie ? Tu savais bien qu’elle serait
passagère !
— Loin de moi l’idée de te faire du mal, Luc, parvint-elle à articuler d’une voix éraillée.
— Rassure-toi, tu ne m’as pas blessé ! rétorqua-t-il. Comment pourrais-je être blessé par une femme
que je n’aime pas ? Ne comprends-tu donc pas que je suis juste furieux de t’avoir un jour accordé ma
confiance ?
Elle hocha la tête.
— Si, bien sûr. Mais quand nous avons fait l’amour…
— Nous n’avons pas fait l’amour ! coupa-t-il sèchement.
Il s’approcha tout près, si près qu’elle pouvait voir des éclats de feu scintiller dans ses yeux…
— Nous avons eu un rapport sexuel, c’est différent. Un rapport sans importance, qui n’aurait jamais
dû se produire.
Elle soutint alors son regard, dans l’espoir d’y voir briller une étincelle d’émotion, comme durant
ces derniers jours, ou quand ils avaient été intimes. Mais ses prunelles ne reflétaient que de l’hostilité…
Le Luc d’avant la chute était de retour, plus féroce que jamais !
— Je vais appeler pour qu’on vienne me chercher à la première heure, demain, décréta-t-elle.
J’attendrai au cottage l’arrivée du bateau.
Elle quitta la pièce, surprise qu’il ne cherche pas à la retenir pour finir de dévider sa colère sur
elle.
Etonnée, mais aussi soulagée : elle ne voulait pas pleurer devant lui et qu’il pense qu’elle utilisait
les larmes pour se défendre. Elle devait se raccrocher aux journées fantastiques qu’ils avaient partagées,
se dire qu’elle avait filé pendant quelques jours le parfait amour avec l’homme qu’elle aimait, et qu’elle
avait même porté sa bague.
Elle sortit sur la terrasse, et l’éclair qui zébra à cet instant le ciel fit briller la pierre, à son doigt. Le
tonnerre gronda presque aussitôt, et la pluie se mit brusquement à tomber à torrents.
— Kate ! appela-t-il d’une voix forte, juste derrière elle.
Elle se figea.
— Qu’est-ce que tu fiches, sous l’orage ?
Elle se tourna alors vers lui, cillant des yeux à cause de la pluie et de ses larmes.
— Qu’est-ce que ça peut te faire ? rétorqua-t-elle.
— Je suis en colère, mais cela ne signifie pas pour autant que j’aie envie que la foudre te frappe.
Debout dans l’encadrement de la porte, sa large carrure emplissait tout l’espace. La lumière trembla
derrière lui, puis l’obscurité s’abattit sur la villa, à l’exception des bougies qu’elle avait allumées sur la
table du dîner, et disposées également sur celle du salon.
Il jura.
— Rentre ! ordonna-t-il.
Lentement, elle revint vers la villa, les bras serrés autour de la taille pour se protéger des gouttes
glacées. Elle le frôla en passant devant lui et frissonna à ce bref contact ; mais son cœur se serra quand
elle constata qu’il s’écarta bien vite d’elle.
— Je vais juste…
— Si tu me cherches, je suis dans ma chambre, l’interrompit-​
il. Ne te méprends surtout pas sur mes intentions : tu peux rester jusqu’à la fin de l’orage, mais
ensuite, je ne veux plus te voir ici.
Il prit une bougie et disparut. Alors, elle se laissa tomber sur le canapé et s’y recroquevilla.
Fermant les paupières, elle rejeta la tête en arrière et poussa un soupir. Pour la première fois de sa
vie, elle pria pour que l’orage s’arrête bien vite, car elle avait à faire : elle devait rentrer au cottage,
boucler ses bagages, et appeler pour qu’on vienne la chercher. Elle ferait prendre plus tard les affaires
qu’elle avait apportées ici.
La tristesse qui venait de s’abattre sur cette villa dépassait ce qu’elle pouvait supporter, et elle
redoutait que Luc, sortant de sa chambre, la trouve encore ici. Elle ne voulait plus voir la colère dans ses
yeux, ni la douleur, trop consciente qu’elle en était la cause.
Elle venait de gâcher toute chance de maintenir une relation avec lui, qu’elle soit d’ordre
professionnel ou privé. Elle avait pris ce qui ne lui appartenait pas, et elle n’avait guère d’autre choix à
présent que d’en assumer les conséquences.
- 12 -

Il devait être fou, se dit Luc. C’était la seule explication qui lui vint à l’esprit lorsqu’il se retrouva
sur le sentier qui menait au cottage de très bonne heure, le lendemain matin. Il n’avait pas dormi de la
nuit. Il avait repensé à chaque seconde depuis sa chute, et le tout s’était déroulé comme un film dans son
cerveau, qu’il avait été incapable d’arrêter.
Il avait revu la rigidité de Kate quand il avait voulu la toucher, au début, son hésitation à faire
l’amour avec lui, son inflexibilité sur le marché, lorsqu’il avait voulu lui offrir de petits présents…
Autant de signes qui auraient dû lui mettre la puce à l’oreille, mais il était tellement convaincu qu’elle
était sa fiancée qu’il n’y avait pas prêté attention. D’autant qu’elle n’avait jamais démenti l’être… Elle
avait pourtant disposé d’énormément de temps pour lui avouer la vérité. D’ailleurs, même sans les
recommandations du médecin de ne pas interférer avec le retour naturel de sa mémoire, il était certain
qu’elle aurait continué à jouer la comédie.
Pendant cette nuit interminable, il avait eu le temps de réfléchir : la trahison de Kate l’avait
profondément affecté. Comment une personne aussi impliquée dans sa vie, qui travaillait avec lui tous les
jours, avait-elle pu profiter de lui à ce point ? Etait-il donc un homme facile à manipuler ? Et surtout,
jusqu’à quand aurait-elle été capable de mener ce petit jeu ? Jusqu’où ?
Il comptait bien obtenir des réponses à toutes ces questions ! Comment imaginait-elle une relation
fondée sur un mensonge aussi monumental ?
Sa colère ne provenait pas simplement de la duperie de Kate, mais de sa propre naïveté et du fait
qu’elle avait joué avec ses sentiments. Elle connaissait parfaitement son état émotionnel, après sa rupture
avec Alana. Et puis surtout, elle savait qu’il ne sortait jamais avec ses employées. Comment osait-elle
prétendre que son sort la préoccupait, alors qu’elle l’avait trahi ?
Mais le pire de tout, c’était qu’il la désirait encore… Les anciens souvenirs de Kate se mêlaient aux
tout derniers, et l’ensemble était assombri par un voile de mensonges. Quelle confusion ! Il y avait
vraiment de quoi être en colère !
Soudain, par une trouée dans la végétation luxuriante, il aperçut l’embarcadère… et fronça les
sourcils quand il aperçut Kate face à la mer, deux valises à ses pieds. Elle n’allait tout de même pas
partir sans lui expliquer les raisons de sa conduite !
Il se dirigea immédiatement vers les marches qui menaient à la plage, sans même savoir par où il
allait commencer, tant il avait à dire ! Quoi qu’il en soit, il n’était pas question qu’il ménage sa
sensibilité, si tant était qu’elle en avait une.
Kate tourna vivement la tête vers lui quand il s’approcha d’elle. Les cernes sous ses yeux, tout
comme ses paupières rougies, indiquaient qu’elle avait aussi mal dormi que lui. L’orage avait duré
presque toute la nuit, et il ne l’avait pas entendue sortir de la maison. Il avait fermé sa porte, désireux de
l’exclure de sa vie, même si sa chambre était emplie de souvenirs d’elle.
La douche, le lit, ses tongs, son peignoir… Tout lui rappelait sa présence, elle s’était immiscée de
façon très intime dans sa vie, comme aucune autre femme avant elle.
Elle avait le contrôle de la situation et s’était servie de ce pouvoir pour le duper. Et maintenant,
comment allait-il faire pour la sortir de ses pensées, échapper à son sortilège ? Car le simple fait de la
revoir, ce matin, en dépit de la colère qu’elle lui inspirait, n’empêchait pas son corps de réagir…
Comment pouvait-il encore la désirer, alors que tout ce qu’ils avaient partagé reposait sur du
factice ? Leurs souvenirs étaient en toc !
Elle écarquilla les yeux quand il s’arrêta à quelques centimètres d’elle.
— J’attends le bateau, dit-elle. Mon père a envoyé un des gardes me chercher.
Il serra les poings.
— Avant que tu partes, je veux savoir pourquoi tu m’as menti.
Elle releva légèrement le menton pour le regarder.
— Qu’est-ce que ça changera ?
Des mèches de cheveux s’étaient échappées de son chignon et dansaient sur ses épaules. Elle portait
encore une de ses petites robes dos nu, noire aujourd’hui. En conformité manifeste avec son humeur.
— Rien sans doute, mais j’estime avoir le droit de savoir pourquoi tu as trahi ma confiance sans la
moindre mauvaise conscience.
Elle le foudroya du regard. En un sens, il admirait son aplomb, le fait qu’elle ne s’érige pas en
victime ni ne cherche à se défendre à tout prix. Mais au fond de lui, il aurait aimé qu’elle riposte, car
ainsi ils auraient pu se disputer, crever l’abcès. Pour sa part, il avait besoin de hurler, et sa cible se tenait
précisément devant lui.
Elle s’humecta les lèvres.
— Au début, j’ai été choquée que tu me prennes pour ta fiancée, déclara-t-elle. Puis j’ai préféré
attendre le médecin avant de te dire que ce n’était pas le cas. Mais celui-ci a insisté pour que je ne te
donne aucune information, j’ai donc suivi ses instructions. Je ne voulais pas te mentir, Luc. J’étais dans
une situation délicate, dont le contrôle m’a échappé avant même que je comprenne ce qui se passait. J’ai
tenté de garder mes distances avec toi, mais après que nous avons fait l’amour, j’ai eu envie de
recommencer. Je sais que j’ai profité de ce à quoi je n’avais pas droit. Je suis désolée de t’avoir meurtri.
Il mit les mains sur les hanches, soutenant son regard et attendant qu’elle continue, mais elle n’ajouta
rien.
— Il doit bien y avoir une autre raison que la peur qui t’ait poussée à te taire.
Elle détourna les yeux pour contempler la Méditerranée. Il n’y avait aucun bateau en vue, de sorte
qu’il avait encore le temps d’obtenir des réponses à ses questions avant qu’elle parte.
— Peu importe, murmura-t-elle alors.
Il se demandait ce qui était pire : voir ses yeux meurtris, ou bien sa nuque gracieuse dont il
connaissait si bien la saveur, mais qu’il ne pourrait plus jamais goûter.
Il soupira et passa une main fébrile sur son visage.
— Qu’est-ce que tu cherches, Kate ? demanda-t-il. Je te donne la possibilité de t’expliquer. Dis-moi
pourquoi je ne devrais pas te licencier, pourquoi je ne devrais pas complètement te sortir de ma vie !
Le bruit sourd d’un moteur attira soudain son attention. Sans prononcer le moindre mot, Kate se
saisit de ses bagages.
Comment osait-elle lui dénier le droit d’une querelle en bonne et due forme ? Etait-elle
complètement insensible ? Comment avait-il pu se méprendre à ce point sur elle depuis le temps qu’il la
connaissait ?
Soit, elle ne voulait pas parler, mais qu’elle ne croie pas pour autant qu’il allait en rester là ! Au
fond, cela lui donnerait le temps de réfléchir à ce qu’il allait faire pendant qu’elle mijoterait dans son
coin, vraisemblablement inquiète au sujet de son avenir. Oui, elle avait beau faire la fière, elle devait se
ronger les sangs, et il n’allait certainement pas éprouver le moindre remords à la laisser dans
l’incertitude.
Sa mère lui avait toujours appris à respecter les femmes, mais cela ne signifiait pas pour autant qu’il
devait s’aplatir devant elle pour qu’elle ne soit pas malheureuse.
— Retourne au palais, lui dit-il, agacé qu’elle fixe le bateau sans le regarder. Pour ma part, je
reviendrai dans quelques jours, et nous finaliserons mon emploi du temps.
Elle lui lança un coup d’œil par-dessus son épaule.
— Pardon ?
Fortement irrité, il se planta devant elle, tandis que le bateau approchait derrière lui.
— Tu ne crois tout de même pas que tu vas t’en sortir comme ça, Kate ! Tu vas rester au palais
jusqu’à ce que je comprenne à quel jeu tu joues. Et n’essaie pas de t’échapper. J’ai des yeux et des
oreilles partout !
Elle releva le menton dans un geste de défi, qualité qu’il avait appréciée chez elle avant, quand elle
s’adressait à la presse ou à des personnes arrogantes.
— Je pense qu’il est préférable que je vous donne ma démission.
Alors, sans réfléchir, il la saisit par les épaules, se reprochant immédiatement sa faiblesse.
— Je me fiche de ce que tu penses ! Tu es ma fiancée, tant que je n’en ai pas décidé autrement. C’est
toi l’initiatrice de cette petite comédie, Kate, et tu verras jusqu’au bout où elle mène.
La relâchant, il reprit la direction de sa villa et ne se retourna pas une seule fois, bien décidé à
retrouver le contrôle de sa vie !

* * *

Luc considéra l’espace destiné à devenir la cuisine : s’il ne montait pas sur le trône, il se
reconvertirait dans les chantiers ! Démolir de vieilles constructions constituait un excellent exutoire à la
colère.
S’essuyant le front de sa manche, il se laissa tomber sur une chaise et contempla son travail : les
placards étaient arrachés, le comptoir posé sur les gravats. A part le réfrigérateur, plus rien n’était
utilisable.
Kate était partie depuis une semaine, et lui retournerait au palais le lendemain. Durant les sept jours
qui venaient de s’écouler, il avait eu tout le temps de réfléchir, et pourtant il ignorait toujours ce qu’il
allait faire, quand il la reverrait…
Il avait dû coucher sur un vieux matelas, dans la chambre d’amis, car il lui avait été impossible de
dormir dans sa suite où il pouvait encore sentir l’odeur de Kate, tout comme y percevoir sa présence. La
douche qu’il aimait tant était à présent polluée elle aussi, car à chaque fois il revoyait le corps nu et
mouillé de Kate, quand il l’avait fait sienne, pensant à tort qu’ils formaient un vrai couple. Quel couple
sensuel ils avaient formé tous les deux, mais jamais, au grand jamais, il ne l’admettrait devant elle, ou
quiconque, d’ailleurs !
Soudain, son portable sonna. Son premier réflexe fut de ne pas prendre l’appel, mais il regarda qui
cherchait à le joindre : c’était Mikos, son meilleur ami !
Comme il l’avait appelé trois jours auparavant pour lui dire tout ce qu’il avait sur le cœur, telle une
lycéenne trahie pour la première fois qui se confie avec des trémolos dans la voix, il supposa alors que
son ami l’appelait pour s’assurer qu’il allait mieux.
— Salut, mon vieux ! dit-il en prenant la communication.
— Oh ! oh… A t’entendre, j’ai l’impression que ça ne s’est pas amélioré, renchérit tout de suite son
ami.
Luc eut un petit rire.
— Ce n’est pas la grande forme, effectivement. Eh bien, qu’est-ce que tu voulais ?
— Juste savoir comment tu allais.
— Ne devrais-tu pas plutôt être en train de te consacrer aux préparatifs du mariage du siècle ?
demanda Luc avec un pincement d’envie.
De l’envie ? Mais que lui arrivait-il ? Bien sûr, il devait se marier avant ses trente-cinq ans, mais il
ne voulait pas non plus s’enchaîner à n’importe quel prix à une femme. Allons, il ne devait pas être amer !
Mikos avait trouvé l’épouse idéale et il s’en réjouissait.
Hélas, cet être parfait n’existait pas pour lui ! La preuve : ne venait-il pas de croiser successivement
deux sacrées menteuses qui avaient bien failli le duper ?
— Tout est prévu au pétale près, déclara Mikos. Luc, tu es toujours là ?
Son ami l’avait choisi comme témoin, avec son frère Stefan, un honneur et une joie qu’il n’allait pas
laisser Kate lui ternir !
— Oui, bien sûr. Et je te promets que je serai remis le jour de ton mariage.
— As-tu parlé à Kate ?
Il ferma les yeux. Ce nom suffisait à déclencher chez lui un enchevêtrement d’émotions, des
myriades de sentiments confus. Outre la douleur, la colère et l’amertume, il éprouvait toujours un désir
fou pour elle. Comment pouvait-il avoir l’esprit tordu à ce point ?
— Non… Je suis toujours sur mon île, je rentre demain au palais.
— Eh bien, qu’est-ce que tu vas faire ?
— Je n’en sais rien…
Mikos soupira.
— Tu veux un conseil ?
— Que je dise oui ou non, tu vas me le donner, donc vas-y !
Son ami se mit à rire.
— Bon, essaie de comprendre pourquoi elle t’a menti. Tu m’as dit un jour qu’elle te plaisait
beaucoup. Peut-être que c’était réciproque et qu’elle avait deviné ce que tu ressentais pour elle. Aussi,
quand tu as été amnésique, la tentation a été très grande pour elle…
— Tu prends sa défense, à présent ?
Non, il ne pouvait supporter que l’on justifie la conduite de Kate. Sa colère était tout à fait légitime,
et le blâme revenait entièrement à cette dernière.
— Mais non, ce n’est pas mon propos ! se défendit Mikos. Je voulais juste te rappeler que l’amour
est une émotion très forte, qui peut conduire à des actes insoupçonnés.
— Ton mariage t’aveugle, mon vieux ! répliqua-t-il. Kate ne m’aime pas. On ne ment pas à ceux
qu’on aime, on ne cherche pas à les manipuler, quelles que soient les circonstances.
— Tu sais, en un sens, ton histoire ressemble à la mienne, décréta son ami. Darcy ne savait pas du
tout qui j’étais, et moi, j’étais complètement éperdu d’amour pour elle, et je ne voulais pas l’effrayer
avec mon titre. J’ai presque failli la perdre quand elle l’a appris, mais elle m’a finalement pardonné. Tu
sais que les sentiments sont parfois confus, Luc. Dans la vie, tout n’est pas soit noir, soit blanc.
Luc se rappela alors l’époque où la future épouse de Mikos était la baby-sitter de ses enfants, et
qu’elle ignorait que ce dernier était prince et veuf. Les deux étaient tombés amoureux l’un de l’autre avant
qu’il lui explique la situation.
— Votre cas était bien différent, affirma Luc. Je ne pardonnerai jamais à Kate sa trahison. Quoi
qu’elle fasse.
— Réfléchis bien à tout cela, avant d’aller lui dire son fait, en rentrant, l’avertit Mikos. Sa conduite
est critiquable, c’est indéniable, mais elle n’a rien à voir avec Alana. Cette dernière était une femme
intéressée, ce qui n’est pas le cas de Kate que tu connais depuis des années et qui t’a toujours voulu du
bien.
Il ne pouvait pas donner tort à son ami. Kate ne l’avait jamais déçu, auparavant, en aucun cas. Il
n’avait jamais eu de meilleure assistante, et il devait bien admettre que s’il ne lui avait jamais fait
d’avances, c’était précisément parce qu’elle travaillait pour lui et qu’il ne voulait pas compromettre son
accession au trône. Sa gestion de la crise liée à Alana avait été exemplaire, et c’était un miracle que rien
n’ait transparu au grand public.
Une fois de retour à Ilha Beleza, Kate et lui devraient impérativement s’entretenir en tête à tête,
chacun ayant eu le temps de réfléchir. Il ne pourrait pas la garder comme assistante s’il n’était plus
capable de lui accorder une confiance absolue. Et c’était bien là le cœur du problème : dans le domaine
professionnel, elle était la seule en qui il avait eu toute foi.
Malheureusement, il se méfiait d’elle dans la sphère privée… ce qui ne l’empêchait pas de
continuer à la désirer. Sa trahison, suivie d’une semaine de séparation, n’avait en rien diminué l’attirance
qu’il ressentait pour elle, de sorte qu’il ne savait absolument pas ce qui allait se passer une fois qu’il
serait rentré chez lui. Serait-il en mesure de se contrôler ?
- 13 -

Luc constata avec satisfaction que son bureau était impeccable, tout était en ordre et à sa place, les
documents en ligne photocopiés comme il le souhaitait. Il savait aussi que des e-mails d’informations
l’attendaient sur son ordinateur.
Kate avait continué à travailler pour lui, ainsi qu’il le lui avait demandé, comme si de rien n’était.
Comme si elle n’avait pas réduit leurs vies en cendres ! Il ne savait même pas s’il devait s’en réjouir ou
s’en insurger…
Il feuilleta les piles de feuilles imprimées qui se trouvaient devant lui… Le mariage de Mikos aurait
lieu dans deux semaines, mais d’ici là, il devrait assister à quelques réceptions mondaines, ou du moins
faire une apparition, car il était si épuisé psychologiquement qu’il ne pensait pas avoir l’énergie
suffisante pour s’intéresser à autrui. Et puis, il avait tant de problèmes à régler sur le plan personnel… Il
avait la sensation d’avoir perdu le contrôle de sa vie, aussi comment pourrait-il encore assumer ses
obligations royales ?
Apparemment, grâce à Kate, il devait bien le reconnaître, il avait évité les entretiens avec la presse
pour les semaines à venir. Mais il n’allait pas pour autant l’en remercier, ça non !
— Oh ! mon chéri, tu es de retour !
Il leva les yeux au moment où sa mère entrait, tel l’éclair, par la grande porte cintrée de son bureau.
Elle possédait une élégance et une grâce uniques ; avec son style irréprochable et son sourire magnifique,
elle incarnait la reine parfaite, mais son règne touchait à sa fin… Du moins s’il parvenait à conquérir son
titre avant son trente-cinquième anniversaire. Et comme il n’avait pas d’épouse en vue…
Assez !
Il se leva pour la prendre affectueusement dans ses bras. Bien que proche de ses parents, il n’avait
aucune envie de discuter de ses problèmes actuels avec eux.
— Comment vas-tu ? lui demanda-t-elle en s’écartant de lui pour le regarder. Tu n’as plus aucun
symptôme ? Toute ta mémoire t’est revenue ?
Il acquiesça.
— Oui. Je suis en pleine forme. Cette amnésie temporaire est une affaire classée.
Elle le considéra encore un instant, puis le relâcha.
— Il faut que nous parlions, Luc.
Il croisa les bras tandis que sa mère refermait la double porte de son bureau, afin qu’ils puissent
s’exprimer en toute discrétion.
— As-tu revu Kate, depuis ton retour ? demanda-t-elle sans préambule.
— Non, répondit-il en secouant la tête.
— Elle m’a raconté ce qui s’était passé, sur l’île, l’informa sa mère.
Elle lui saisit alors la main et l’étreignit.
— Elle m’a sans doute épargné quelques détails mais, d’après ce que j’ai compris, tu as cru qu’elle
était ta fiancée, et elle n’a pas démenti.
Il serra les dents : Kate s’était donc vraiment entretenue avec sa mère ?
— J’aurais préféré l’apprendre de ta bouche, naturellement, poursuivit-elle, et je n’ose imaginer ta
fureur quand tu as découvert la vérité. Je conçois parfaitement que tu te sentes trahi, cela dit…
— Ah non, ne la défends pas, s’il te plaît ! Je ne pourrais pas le supporter actuellement.
— Je ne soutiens pas sa conduite, reprit sa mère avec un beau sourire. Je souhaite simplement que tu
réfléchisses à celle que tu vas tenir. Kate est une femme remarquable, et j’ai toujours eu beaucoup
d’affection pour elle. Il est vrai que nous avons pour règle de garder nos distances avec le personnel,
mais elle et ses parents sont parmi nous depuis si longtemps qu’ils font presque partie de la famille.
Il était loin de ressentir de tels sentiments pour Kate, et ce qu’ils avaient fait sous la douche n’avait
rien de fraternel !
— Je dois reconnaître que je suis surprise que tu ne l’aies pas licenciée sur-le-champ, enchaîna sa
mère. Et pour tout t’avouer, je m’en réjouis. C’est une femme fort convenable, Luc, la meilleure assistante
que tu aies jamais eue. Oui, je suis vraiment fière que tu ne l’aies pas renvoyée sur une impulsion.
— La tentation était grande, marmonna-t-il.
Décidément, le mot « tentation » semblait être indubitablement lié au nom de Kate.
— Je ne sais toujours pas ce que je vais faire, ajouta-t-il, mais pour l’instant, elle continue à
travailler pour moi, car je n’ai pas le temps de trouver une autre assistante, et surtout aucune envie de tout
reprendre à zéro avec quelqu’un de nouveau. J’ai déjà assez à faire avec les retombées du comportement
d’Alana.
— Il faut absolument que nous réfléchissions à ce qui va se passer pour ton anniversaire, dit sa mère
en se pinçant les lèvres, plongée dans ses pensées. Ton père changerait bien cette loi, s’il le pouvait, mais
à vrai dire, nous n’avions jamais envisagé…
Luc eut un rire sans joie.
— Je sais, vous n’aviez jamais imaginé que votre fils serait encore célibataire à trente-cinq ans. Tu
peux le dire, cela ne me gêne pas.
Elle lui serra doucement le bras.
— Il faut que nous trouvions une solution ! déclara-t-elle.
Il hocha la tête, incapable de parler en raison de la boule qui lui nouait la gorge. Il n’avait pas droit
à l’erreur : ce serait lui le prochain souverain d’Ilha Beleza ! Il était exclu qu’il ne trouve pas une issue
d’ici son anniversaire.
— Bon, reprit sa mère en lui faisant une bise sur la joue, je te laisse retrouver tes marques. Je suis
ravie que tu sois de retour à la maison et en bonne santé. Tout comme je suis heureuse que tu n’aies pas
congédié Kate. Elle a une place plus importante au sein de notre famille que tu l’imagines.
Que signifiaient au juste ces propos ? Est-ce que sa mère pensait que Kate et lui…
Non ! C’était ridicule. Dans l’état qui était le sien, il ne pouvait entretenir l’idée que Kate ait un
autre rôle dans sa vie que celui d’assistante… Et encore, il n’était pas certain qu’elle le reste. Mais à
cela, il réfléchirait plus tard. Décidément, le temps jouait contre lui, car il lui était impossible de se
mettre en quête d’une nouvelle assistante avant d’avoir trouvé une femme, ou avant son couronnement.
Une fois sa mère sortie, il revint s’asseoir à son bureau, ferma les paupières et pivota sur son siège,
tournant le dos à la porte. Il serait un roi digne de cette île, comme son père avant lui, et il devait trouver
un moyen d’exercer cette fonction sans être marié !
Soudain, il entendit de légers bruits de pas… qu’il reconnut instantanément. Par pitié ! Il n’était pas
en état d’affronter la beauté et la sensualité de Kate…
Les frottements sur le parquet s’arrêtèrent, et il sentit les battements de son cœur s’accélérer. Dire
qu’il n’avait même pas posé les yeux sur elle que déjà il était électrisé par sa présence !
— Je reviendrai, dit-elle.
Sa voix le pénétra jusqu’au plus profond de son être, et il se retourna immédiatement.
— Non ! dit-il au moment où elle franchissait le seuil.
Elle s’immobilisa, sans faire demi-tour.
— Rentre et referme la porte.
Elle parut hésiter, puis revint sur ses pas, et lui fit face.
Il retint son souffle. Comment était-il possible qu’elle le trouble encore à ce point ? Elle portait un
tailleur bleu qui épousait ses formes et était aussi sexy que dans les petites robes dos nu qu’elle
affectionnait sur l’île. Ses talons claquèrent sur le sol et attirèrent son attention sur ses escarpins
panthère… Décidément, elle était vraiment le genre de femmes qu’on avait envie d’allonger sur le bureau
et de prendre sans préambule !
Et le pire, c’était qu’il savait désormais combien leurs corps s’accordaient ! Pourquoi devait-il
subir une telle pénitence ? C’était lui la victime !
Elle resta à bonne distance du bureau et croisa les mains devant elle.
— Je ne savais pas que vous étiez de retour. Je passai juste pour m’assurer que votre nouvel
ordinateur était allumé.
Luc détacha à regret ses yeux de ses lèvres rouges et les baissa vers son bureau : il n’avait même
pas remarqué qu’il avait un nouvel ordinateur. D’ailleurs, il n’avait rien demandé ; encore une fois, elle
avait pris une décision pour lui.
— Où est l’ancien ? questionna-t-il.
— Le parc des ordinateurs a été remplacé, et la sécurité a été réglée comme sur le précédent. Par
ailleurs, tous vos fichiers ont été transférés et stockés à l’identique.
Quand il releva la tête vers elle, il ne vit aucun signe d’émotion sur son visage. Pas la trace d’un
sourire, pas même de cernes qui auraient indiqué qu’elle avait perdu le sommeil. Absolument rien.
Ce qui l’irrita encore plus.
— C’est donc cela, ta stratégie ? Faire comme si la dynamique entre nous n’avait pas changé, elle
non plus ?
Elle cilla, prit une grande inspiration et secoua la tête.
— Je ne sais pas ce que tu attends de moi, Luc, commença-t-elle en revenant au tutoiement. Je ne
peux effacer ce qui s’est passé entre nous, tu souhaites néanmoins que nous continuions à travailler
ensemble, donc je fais de mon mieux, étant donné les circonstances. Je ne puis pas te révéler ce que tu
souhaites tant savoir, car…
Elle s’interrompit brusquement, et il attendit qu’elle poursuive, mais un lourd silence s’installa entre
eux. Il n’allait guère être facile de reprendre cette collaboration, et il n’était pas du tout convaincu qu’ils
pourraient surmonter « l’incident », en dépit des allégations enthousiastes de Mikos et de sa mère.
— Car ? reprit-il enfin. Vas-y, je t’écoute, Kate. Je suis prêt à tout entendre !
Encore une fois, il se heurta à son mutisme.
— Je mérite mieux que ton silence. Tu ne peux pas te dérober de cette façon ! Tu comprends ? Dis-
moi juste ce qui t’a poussée à me mentir et à entretenir ensuite la mascarade jusqu’à ce que nous
finissions dans mon lit.
— Arrête, Luc… Ne me force pas à parler.
Il se leva et la saisit par le bras, la forçant à le regarder. Elle semblait au bord des larmes.
— Pas question que tu t’en sortes à si bon compte !
Elle releva le menton et essuya furtivement une larme.
— Très bien ? Tu veux savoir ? Tu vas savoir ! Au-delà des recommandations du médecin, et de la
situation dont le contrôle m’a rapidement échappé, je me suis rendu compte que ce serait la seule fois
dans ma vie où tu me regarderais comme si je comptais pour toi. Comme si tu me désirais. J’avais bien
conscience que j’avais tort, que je ne pourrais jamais me justifier après coup, et je n’essaie d’ailleurs
même pas de me défendre, car c’est inutile. Mais ne m’oblige pas à en dire plus, Luc, je ne peux pas…
Sa voix se brisa. Sans la relâcher, il se rapprocha d’elle, la dominant de toute sa stature.
— Si, tu le dois ! insista-t-il à voix basse.
Il était totalement déchiré entre le désir qu’il nourrissait pour elle et la colère qu’elle lui inspirait.
N’affirmait-on pas que la frontière entre la haine et la passion était mince ? Eh bien, il était précisément
en train d’en faire l’expérience !
— Je suis tombée amoureuse de toi, murmura-t-elle en plongeant ses yeux dans les siens. Voilà, tu es
content ? C’est cela que tu voulais entendre, n’est-ce pas ? Me détestes-tu tant que m’humilier est la seule
façon pour toi de surmonter ta colère ? Eh bien, maintenant, je t’ai tout dit, j’ai mis mon âme à nu devant
toi, Luc. Tu sais que je suis une enfant adoptée, or peu de gens sont au courant, tu connais mes fantasmes
les plus secrets, et là, tu es le seul dans ta catégorie ! Tu es aussi tout à fait conscient à présent que je suis
amoureuse d’un homme qui préfère me rabaisser, au lieu de me pardonner, et je ne parle même pas
d’amour en retour… Mais tout est ma faute, je le conçois, même si c’est très douloureux.
Il sentit tout à coup son cœur se serrer… Pourquoi éprouvait-il subitement presque de la sympathie
pour elle ? C’était elle, et elle seule, qui s’était mise dans ce guêpier, et l’y avait de surcroît entraîné !
— Non, Kate, tu ne m’aimes pas, déclara-t-il en la relâchant et en reculant. On ne ment pas à ceux
qu’on aime, on ne les manipule pas, on ne tire pas profit de leur faiblesse !
— Je ne t’ai jamais menti auparavant, et ne te mentirai plus jamais, décréta-t-elle en croisant les
bras. Aussi, quand je te dis que je t’aime, je suis sincère. Je me rends bien compte que ces mots ne
signifient rien pour toi, et que j’ai eu tout faux. Je n’ai aucune excuse, et je ne vois pas pourquoi je
resterais ici à m’en chercher une.
Elle redressa alors les épaules et essuya ses joues mouillées.
En dépit de tout, elle demeurait forte, pensa-t-il. Il aurait voulu la détester, ç’aurait été bien plus
facile que d’être déchiré. Certes, elle avait détruit la confiance qu’il avait en elle, mais elle avait aussi
essayé, au début du moins, de garder ses distances ; c’était lui qui avait insisté pour qu’ils couchent
ensemble, force était de l’admettre, quel que soit l’angle d’où il considérait la situation.
— Tu es tout à fait en droit de me licencier, reprit-elle. D’ailleurs je le mérite. Mais si tu insistes
pour me garder, alors il est préférable que nous nous en tenions aux sujets strictement professionnels et
que nous nous efforcions de tourner la page. Ce qui veut dire ne pas me reprocher à chaque instant les
erreurs que j’ai commises. Je ne pourrai le supporter.
Plus elle parlait, et plus sa voix s’affermissait. La femme qui avait déclaré avec émotion qu’elle
l’aimait, quelques instants plus tôt, était redevenue l’assistante qu’il avait toujours connue. Qui était donc
la véritable Kate ?
Etait-elle la sirène aimante et passionnée qu’il avait connue à sa villa du bord de mer ? L’assistante
la plus parfaite qu’il ait jamais eue, ou bien une intrigante qui s’était immiscée dans sa vie sans état
d’âme, au moment où il était le plus vulnérable ?
— Entendu, finit-il par dire, restons-en au champ strictement professionnel.
Et en prononçant ces paroles, il pria pour en être capable. Il devait impérativement garder la tête
froide, rester concentré sur son titre, et ne pas trop penser à cette collaboratrice qui l’attirait tant
physiquement.

* * *
Eh bien, la résolution de s’en tenir au travail était sur le point de voler en éclats ! pensa Kate en
fermant les yeux, les mains crispées sur la languette.
Elle rouvrit alors une paupière… Les deux lignes roses étaient toujours là, bien visibles et bien
alignées. Elles étaient même presque fluorescentes !
Et elle aurait beau les fixer aussi longtemps qu’elle le voudrait, les résultats ne changeraient pas
pour autant comme par magie. Ils étaient bel et bien positifs !
Elle laissa échapper un son qui tenait à la fois du cri et du gémissement, et se regarda dans le miroir.
Que s’attendait-elle à voir, au juste ? Elle avait toujours la même tête que trois minutes plus tôt, avant que
ce test de grossesse donne un tout nouveau tour à sa vie.
Elle était enceinte de Luc, et ce dernier la détestait ; à part quand elle devait lui écrire un discours
ou discuter de ses rendez-vous, il ne voulait pas avoir affaire à elle. Il n’y avait pas à revenir là-dessus.
Elle considéra de nouveau la languette… C’était incompréhensible, elle prenait la pilule depuis très
longtemps pour avoir un cycle régulier, mais apparemment, cela n’avait pas suffi. De façon bien
imprudente, ils n’avaient pas utilisé de préservatif, lors de leurs rapports, mais d’une manière générale,
ils avaient été si peu avisés…
Elle n’avait pas le choix : elle avait promis à Luc de ne plus jamais lui mentir, aussi n’allait-elle pas
commencer par lui cacher sa grossesse.
Elle prit une grande inspiration, se lava les mains. Elle devait trouver Luc, la nouvelle ne pouvait
pas attendre, sinon elle sentait que ses nerfs allaient lâcher.
Où était-il, à cette heure de la journée ? Elle aurait dû le savoir, n’était-ce pas elle qui avait
concocté son emploi du temps ? Mais elle était bien trop agitée pour se concentrer. Son esprit était
obsédé par ce bébé conçu avec un homme qu’elle aimait… et qui ne supportait pas de poser le regard sur
elle. Elle allait devenir folle !
Ses mensonges n’avaient pas simplement détruit la confiance que Luc lui avait jusque-là accordée,
ils avaient engendré une nouvelle vie, au sens propre du terme.
Elle passa la main sur son ventre et sortit de son bureau. Une fois dans le couloir, elle sourit
machinalement à la femme de chambre qu’elle croisa, avant de se retrouver quelques instants plus tard
devant la porte de Luc, les traits crispés. Leurs vies et l’avenir de ce pays étaient peut-être sur le point de
changer définitivement.
Elle portait un héritier.
Elle posa le front contre la porte en bois et ferma les yeux. Plus vite elle l’annoncerait à Luc, plus
vite elle serait fixée… Rassemblant toutes ses forces, elle frappa à la porte, se maudissant de voir ses
doigts trembler. Elle entendit alors des voix familières, dans le bureau. Apparemment, Luc était en
réunion privée avec ses parents. Qu’importe ! Il y avait urgence !
Bien sûr, il s’agissait du roi et de la reine, et elle transgressait crûment le protocole en les
interrompant, mais elle s’en fichait ! Elle se mit à toquer de nouveau, plus fort, jusqu’à ce que la porte
s’ouvre et que Luc, visiblement furieux, se matérialise devant elle.
Il fronça les sourcils en découvrant qui l’avait dérangé.
— Kate ? Nous sommes en pleine discussion, reviens plus tard.
Mais elle passa devant lui sans l’écouter, et adressa un sourire timide à ses parents, qui avaient
tourné les yeux vers elle.
— Je suis désolée, ça ne peut pas attendre !
Ana Silva se leva et s’avança vers elle.
Kate sentait son cœur cogner à tout rompre dans sa poitrine, elle allait être malade… Et la terrible
envie de vomir qui la menaçait n’avait rien à voir avec son état.
— Ma chérie, tu trembles, commença Ana. Viens, assieds-toi.
— Nous étions en pleine discussion, répéta Luc d’un ton sévère.
A son tour, son père se mit debout et lui désigna un siège vide.
— Assieds-toi ici, Kate, dit-il en écho aux propos de sa femme.
Luc marmonna alors un juron en portugais.
— Je suis désolée, murmura Kate. Je ne voulais pas faire de scène. J’ai juste besoin de m’entretenir
deux minutes avec Luc.
Les souverains échangèrent un regard entendu, et Kate constata que Luc avait les bras croisés et les
mâchoires serrées : manifestement, il n’était pas aussi bien disposé à son endroit que ses parents. Et il ne
savait pas encore qu’elle s’apprêtait à poser une autre bombe dans sa vie ! Nul doute qu’il allait être
encore plus furieux, mais il était impossible qu’elle lui taise sa grossesse.
Se laissant tomber dans le fauteuil qu’on lui désignait, elle enfouit le visage dans ses mains. Les
parents de Luc se chuchotèrent quelques paroles puis, un instant plus tard, elle entendit la porte se
refermer.
— Que signifie cette comédie ? s’exclama Luc une fois qu’ils furent seuls.
Elle releva la tête et rejeta ses cheveux en arrière.
Il était appuyé contre le rebord de son bureau, chevilles croisées, mains posées de part et d’autre de
son corps. Dans son jean et son T-shirt noirs, il ne ressemblait pas à un membre de la famille royale, et
pourtant une aura de pouvoir se dégageait indubitablement de sa personne. Comment allait-elle s’en
sortir ? Elle n’avait rien préparé, rien répété…
— Je…
Elle secoua la tête, et se leva d’un bond, incapable de rester assise plus longtemps. Tout son corps
était à présent secoué de petits spasmes.
— De quoi s’agit-il ? Parle ! lui ordonna Luc.
Sa dureté de ton la frappa. Cessant subitement de faire les cent pas, elle se tourna vers lui et plongea
les yeux dans les siens.
— Je suis enceinte, déclara-t-elle.
Il la considéra attentivement sans mot dire, puis il éclata soudain de rire, et se redressa.
— Bien essayé, Kate ! rétorqua-t-il en retrouvant le plus grand sérieux. Mais on me l’a déjà faite.
— Pardon ?
Il lui fallut quelques instants pour comprendre qu’il ne la croyait pas, et saisir que son incrédulité
n’avait rien de surprenant : son ex-fiancée n’avait-elle pas prétendu être enceinte ? Sans compter qu’il la
tenait désormais pour une menteuse…
— Luc, je ne te mens pas, reprit-elle. Je viens de faire un test dans les toilettes de mon bureau. Il
faut naturellement que j’appelle le Dr Couchot pour qu’il me fasse une prise de sang et confirme ce qui
est de toute façon évident.
Elle vit ses prunelles s’assombrir.
— Tu l’as fait exprès ! hurla-t-il.
Elle sentit la colère le submerger. Elle avait beau être éperdement éprise de cet homme, désirer par-
dessus tout qu’il voie en elle une femme digne de son amour et de sa confiance, elle ne pouvait accepter
qu’il l’humilie à ce point et la rende l’unique responsable de son état, alors que lui aussi avait participé !
— Il me semble que c’est toi qui as insisté pour que l’on couche ensemble, répliqua-t-elle d’un ton
vif en croisant les bras. Tu crois vraiment que je souhaitais un enfant d’un homme qui ne m’aime pas ?
J’ai commis une erreur en te mentant, je le reconnais, mais je ne suis pas pathétique au point de chercher
à te piéger. Je t’ai juste promis d’être toujours honnête avec toi, et je viens précisément de découvrir que
je suis enceinte. Aussi, pour une fois, oublie ton ego : je ne tiens pas particulièrement à m’accrocher à un
homme qui ne veut pas de moi !
Sur ces mots, elle se dirigea d’un pas tremblant vers la porte, mais il la rattrapa d’un bond et la fit
pivoter sur elle-même, la coinçant entre la porte et son torse imposant. Elle croisa alors ce regard
susceptible de faire perdre la tête à toute femme… Enfin, presque toutes ! Même le grand prince Lucas
Silva n’était pas puissant à ce point.
— Tu crois que tu peux jeter cette bombe et t’enfuir ? demanda-t-il. Cette discussion est loin d’être
terminée !
— Il faut d’abord que nous réfléchissions chacun de notre côté à la situation, parvint-elle à articuler.
Sans quoi, nous pourrions prononcer des paroles que nous regretterions.
Encore que c’était déjà fait, pensa-t-elle furtivement.
Il écarquilla les yeux.
— Réfléchir ? Mais réfléchir à quoi ? C’est tout vu. Tu attends un enfant de moi, je ferai partie de sa
vie.
Elle se sentit gagnée par une vague de soulagement.
— Je n’essaierai jamais de te séparer de ton enfant, murmura-t-elle.
Elle se sentit au bord des larmes. Par pitié ! Elle n’allait pas s’effondrer devant lui…
— J’ai peur, finit-elle par ajouter.
Elle tressaillit quand Luc essuya une des larmes qui roulaient sur sa joue. Elle leva alors la tête vers
lui, et vit dans ses prunelles un éclat qu’elle n’aurait jamais cru y déceler : de l’effroi. Apparemment, elle
n’était pas la seule à nager dans l’incertitude.
— Peu importe ce qui s’est passé avant, je ne te laisserai pas toute seule avec ton enfant. Notre
enfant, ajouta-t-il en laissant retomber la main le long de son corps.
Il n’avait pas reculé d’un pas. Son odeur troublante lui était si familière, et il émanait de lui une telle
sensualité qu’elle n’arrivait plus à penser… Elle aurait tant souhaité ne plus le désirer, ne jamais lui
avoir menti. Comme elle regrettait qu’un événement aussi merveilleux que la conception d’un bébé avec
l’homme qu’elle aimait soit terni par pléthore de mensonges !
— Je ne veux pas que notre enfant souffre à cause de moi. Je sais que la nouvelle tombe mal…
Elle s’interrompit, consciente de sa maladresse.
— Désolée, je sais que rien de tout cela n’aurait dû advenir quelle que soit la date, mais ce que
j’essaie de dire, c’est que ton anniversaire se profile, il y a le problème du couronnement, bref, mon
dessein n’était pas d’ajouter une nouvelle source de stress à celui qui est déjà le tien, mais il fallait que tu
saches.
Comme il demeurait silencieux, elle se tourna pour ouvrir la porte, et le frôla. Il posa les mains sur
ses épaules.
— Qui es-tu, Kate ? murmura-t-il.
Elle appuya la tête contre le bois de la porte, troublée par son contact et honteuse d’être incapable
de se maîtriser.
— Une assistante efficace ? La femme qui fait tampon entre le public et moi ? Celle qui me ment
pour des raisons purement égoïstes ? Ou bien celle qui affirme m’aimer et porte maintenant mon enfant ?
En soupirant, elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et croisa son regard.
— Je suis toutes ces femmes à la fois, répondit-elle.
— Une partie de moi te déteste pour ce que tu as fait, déclara-t-il en se mettant à fixer sa bouche. Et
j’aimerais vraiment ne pas te désirer avec cette force qui me consume !
Elle en eut le souffle coupé.
Sur cette déclaration à l’emporte-pièce, il se dirigea vers son bureau, lui tournant délibérément le
dos : il était évident qu’il lui en avait coûté de prononcer ces mots, et qu’ils étaient sortis malgré lui de sa
bouche. Et même si elle était tentée de se réjouir de l’embarras manifeste qu’il ressentait à la désirer
encore, elle devait avant tout penser à son bébé.
Oui, même si son cœur battait pour cet homme qui la méprisait et se méprisait lui-même pour ce
qu’elle lui inspirait.
- 14 -

Luc n’avait pas prévu d’emmener Kate en Grèce pour le mariage de son meilleur ami, mais après la
nouvelle stupéfiante qu’elle lui avait annoncée, il n’avait plus été capable de se voiler la face : ils étaient
à présent liés au-delà de la sphère professionnelle… et il la désirait encore terriblement.
Des plans étaient en train de prendre forme dans son esprit… Il pourrait peut-être avoir à la fois
Kate, la couronne et l’enfant sans mettre son cœur en avant, du moins concernant cette première. De toute
façon, elle allait rester au palais, pour le bien du bébé. Aussi, pourquoi n’officialiseraient-ils pas leur
relation, ce qui lui permettrait de devenir roi ?
Toutefois, s’il voulait qu’elle l’épouse, il devait l’amadouer, sans quoi, elle ne lui dirait jamais oui.
Non qu’il lui ait pardonné son mensonge durant son amnésie, mais en l’occurrence le Dr Couchot
avait confirmé sa grossesse et, les dates correspondant, cet enfant était forcément le sien. Il avait bien
conscience que le projet qu’il était en train de concevoir n’était guère glorieux, mais il ne pouvait
flancher. L’enjeu était trop gros !
Il jeta un coup d’œil à Kate, recroquevillée dans le fauteuil de l’avion. Elle était visiblement
exténuée, et il avait bien failli lui dire au dernier moment de rester au palais, pour se reposer. Mais elle
ne l’aurait pas écouté, c’était certain, elle était aussi entêtée que lui. Soit c’était la grossesse qui
l’épuisait, soit elle ne parvenait pas à dormir à cause du stress. Encore qu’il était probable que ce soit un
peu les deux.
Comme il avait regretté sa dureté, quand elle lui avait appris qu’elle était enceinte ! Mais, ayant
senti son cœur fléchir, il s’était instinctivement raidi : il ne pouvait se permettre d’être affecté par cette
femme ! Il n’y avait pas de place dans sa vie pour de tels sentiments. Il devait s’assurer son titre, et à
présent penser à son héritier. Kate ne devait absolument pas entrer dans la catégorie de ses
préoccupations les plus chères, sans quoi, elle prendrait rapidement le contrôle de sa vie. Il était déjà
assez difficile de gérer le désir qu’elle lui inspirait chaque fois qu’il se trouvait en sa présence.
Il se rappela alors combien il avait été heureux quand il croyait être en couple avec elle, dans sa
villa loin du monde… Jamais il n’avait ressenti de telles affinités avec une femme. Kate incarnait
l’essence de la sensualité…
Il se rappelait vaguement la petite fille qu’elle avait été, un peu mieux l’adolescente qui venait au
palais avec ses parents. Puis, quelques années plus tard, quand il avait eu besoin d’une assistante et qu’on
lui avait recommandé Kate, il avait bondi sur l’opportunité, car, leurs familles se connaissant très bien, il
était certain qu’il pouvait avoir toute confiance en elle. De surcroît, son CV et ses références étaient
irréprochables. Tout s’annonçait sous les meilleurs auspices…
Mais l’histoire avait hélas mal tourné ! A cause de cette attirance qu’il éprouvait pour elle et de ses
histoires pathétiques avec sa fiancée, le contrôle de sa vie avait fini par lui échapper.
Quelle ironie du sort, tout de même ! Il était passé d’une vraie fiancée avec une fausse grossesse à
une prétendue fiancée réellement enceinte ! Une cible idéale pour les tabloïds, en somme. Heureusement
que Kate était en charge de la presse, et il ne doutait pas qu’elle s’en sorte à merveille, quand ils seraient
prêts à rendre publique leur relation.
Elle se retourna sur son siège et, toujours assoupie, laissa échapper un petit soupir. Ce simple son
éveilla immédiatement du désir en lui. Il avait déjà entendu ces petits gémissements, quand elle s’était
enroulée telle une liane autour de lui, sous la douche, et il crut sentir sur sa peau le souffle qui les avait
accompagnés…
Allons ! Il avait beau la désirer terriblement, il ne pouvait accepter de retomber sous son sortilège.
Elle avait trahi sa confiance une fois, et plus jamais il ne pourrait la lui accorder. Aussi pouvait-elle bien
pousser tous les petits geignements qu’elle voulait, il les ignorerait.
Soudain, son portable sonna : c’était le pilote du jet qui l’informait qu’ils atterriraient dans une
demi-heure. Il alla alors s’asseoir près du siège qu’occupait Kate, contrarié à l’idée de la réveiller : non
parce qu’il était ennuyé de la déranger, mais parce qu’il devrait sans doute la secouer un peu, la voir
cligner les paupières et revenir à la réalité avec un air à la fois endormi et sexy.
Pourquoi avait-il fait l’amour avec elle ? Désormais, son cerveau était bien embrumé.
— Kate, appela-t-il.
Comme il l’avait prévu, elle ne fit pas un geste.
Il allait donc devoir la toucher… Pourquoi jouait-il les prudes ? De toute façon, il la désirait, son
corps réagissait dès qu’il posait les yeux sur elle, et elle portait son enfant… Cette idée éveillait en lui de
curieux sentiments de possessivité.
Lorsque Alana avait prétendu être enceinte, il n’avait rien éprouvé de la sorte. Evidemment, son
instinct protecteur pour le bébé s’était éveillé, mais il n’avait jamais eu la sensation qu’un lien plus
profond l’unissait à Alana.
Il ne pouvait se permettre de mettre son cœur en jeu avec Kate. Elle n’était pas fiable ! De toute
façon, il n’avait pas besoin de sa confiance ; il suffisait qu’elle dise oui, un point c’est tout.
Car épouser Kate était l’unique solution qui se présentait à lui. Même s’il était fort contrarié de
devoir transgresser la loi familiale concernant la relation que devait entretenir un employeur envers un
employé, c’était la seule façon de s’en sortir. D’ailleurs, certains mariages reposaient sur une alchimie
sexuelle bien moins intense entre époux !
Encore que cet appétit insatiable qu’elle lui inspirait l’effrayait littéralement…
Finalement, il décida de lui attacher lui-même sa ceinture de sécurité sans la réveiller. Mais, au
moment où il était penché sur elle, elle se réveilla en sursautant et posa sur lui un regard lascif. Son
visage était juste à quelques centimètres du sien !
— Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-elle d’une voix rauque.
— Je te prépare à l’atterrissage.
Pourquoi ne s’était-il pas tout de suite redressé ? Et pourquoi sa bouche l’aimantait-elle ?
— Arrête de me fixer ainsi, Luc, murmura-t-elle. Tu ne m’aimes pas, de toute façon.
Il se sentit flancher… Il était fou, un vrai tolo. C’était la seule explication, car après tout ce qu’elle
lui avait fait, comment pouvait-il être sensible à ce reproche ?
— Je ne te fais pas confiance, c’est différent, rétorqua-t-il.
Elle baissa alors les yeux vers son ventre, là où se trouvaient précisément ses mains.
— Je ne t’ai pas piégé, Luc, continua-t-elle à voix basse en relevant le visage vers lui. Quoi que tu
puisses penser de moi, je ne t’aurais jamais trahi.
A cet instant, elle posa la main sur la sienne, et il déglutit avec difficulté. Ses yeux reflétaient tant
d’émotions… Des émotions qu’il avait bien trop peur d’identifier, car s’il le faisait, il allait forcément
développer des sentiments pour elle ; or, il refusait d’être un fantoche, une marionnette.
Il devait faire appel à toute sa fierté et tout son ego pour s’en tenir à ses décisions, ainsi qu’à son
goût du pouvoir et de la domination.
Et pourtant, il s’assit à côté d’elle sans retirer la main de son ventre et sans la lâcher du regard.
Décidément, il avait envie de se punir !
— Je veux que tu t’installes au palais, dit-il alors.
Evidemment, il avait conçu des projets plus ambitieux, mais cela constituerait une première étape.
Elle n’était pas la seule à être douée pour la manipulation !
— Je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée, répondit-elle.
Elle retira sa main de la sienne, alors il attacha bien vite sa ceinture, car soucieux de la sécurité de
Kate, il en avait négligé la sienne.
— Pourquoi ? demanda-t-il. Ce déménagement serait une solution idéale, car de la sorte, nous
partagerions les responsabilités. Bien sûr, nous emploierons une nourrice, mais je veux être un père
impliqué dans l’éducation de son enfant.
Elle repoussa ses cheveux en arrière ; sa joue portait la marque du siège en cuir, ce qui la rendait
très touchante, et il dut faire un gros effort pour ne pas la caresser à cet endroit.
— Que se passera-t-il quand tu voudras te marier ? demanda-t-elle alors. Que diras-tu à ta future
épouse ? Que la mère de ton enfant vit aussi sous ton toit ?
Il éclata de rire.
— Voilà une façon bien peu délicate de présenter la situation.
Elle haussa les épaules et regarda par le hublot.
— Pourquoi chercher à édulcorer ?
Il ne répondit pas. C’était avec ses actions qu’il la ferait fléchir, pas avec les mots. Elle se rendrait
compte peu à peu que vivre avec lui, et finalement l’épouser, représentait la meilleure solution à cette
situation fâcheuse. Et une fois qu’ils seraient mariés, il s’assurerait qu’elle revienne dans son lit.
Mais pour l’instant, il lui fallait garder le contrôle de ses hormones, car le désir qu’il éprouvait
pour elle était en train de devenir douloureux ; aucune femme ne lui avait semblé aussi idéale sur le plan
physique.
Toutefois, elle avait été davantage qu’une partenaire sexuelle pour lui, il s’en rendait compte à
présent. Il ressentait en effet un grand vide au fond de lui, et il avait en réalité la nostalgie de leur séjour
sur l’île. Il y avait été si heureux, en dépit des circonstances.

* * *

Gravitant depuis l’enfance autour de la famille Silva, Kate avait assisté à de nombreuses réceptions
royales et elle avait pu constater que les têtes couronnées ne donnaient jamais dans la demi-mesure,
surtout quand il s’agissait de mariages.
La cérémonie qui avait uni Darcy et Mikos Alexander s’était déroulée en début de journée, et
maintenant, seuls la famille et les proches amis des mariés assistaient à la réception, c’est-à-dire
plusieurs centaines d’invités !
On n’avait reculé devant aucune dépense pour l’événement qui avait lieu à la fois dans la salle de
bal et dans les jardins du palais de Galini Isle, au large des côtes grecques. Le décor était étincelant, et le
cristal abondant.
Un sourire attendri lui était monté aux lèvres quand elle avait vu le beau couple que formaient les
mariés. Mikos avait perdu sa première femme de manière soudaine, et ce décès l’avait laissé seul et
désemparé pour élever sa petite fille. Désireux d’échapper aux pressions ambiantes, il était parti pour
Los Angeles afin de réfléchir à l’avenir. Là-bas, il avait loué les services d’une nourrice, en l’occurrence
Darcy, pour s’occuper de sa fille ; rapidement, ils étaient tombés amoureux l’un de l’autre, même si
Mikos avait légèrement dupé Darcy, car il ne lui avait pas précisé dès le départ qu’il était prince. C’était
Luc qui lui avait raconté leur histoire, puisque rien n’en avait transparu dans la presse.
Mikos et Luc étaient amis depuis toujours, et Kate connaissait parfaitement ce premier, ainsi que son
frère Stefan, et sa ravissante femme, Victoria.
Des invités rivalisant d’élégance se pressaient dans la salle de bal éclairée de mille lumières ainsi
que dans les jardins où se dressaient des tentes blanches ornées de lampions fabuleux. L’ambiance était
féerique.
N’ayant pas eu le temps de faire du shopping, elle portait une robe de couleur argentée que sa mère
avait transformée en tenue de soirée : cintrée à la taille, elle avait un décolleté plongeant, et les manches,
en perles, semblaient cousues à même la peau, découvrant ses épaules de façon très sensuelle. La jupe
descendait jusqu’aux chevilles, mais une large fente sur le côté droit remontait jusqu’à mi-cuisse.
Elle se sentait très belle dans cette robe et, à en juger par le coup d’œil que Luc lui avait décoché en
se gardant naturellement de formuler le moindre compliment, elle était certaine qu’il la trouvait lui aussi
ravissante.
Elle repensa à la scène dans l’avion, quand elle s’était réveillée, et qu’il se tenait tout près d’elle,
comme s’il avait voulu l’embrasser. L’alchimie entre eux ne s’était pas évaporée, mais il était clair qu’il
se débattait pour savoir s’il devait céder ou non à ses impulsions.
Peut-être que ce voyage lui permettrait de comprendre qu’elle ne visait pas la couronne, et qu’elle
n’avait rien à voir avec Alana.
Balayant la salle de bal du regard, elle se mit à jouer nerveusement avec l’améthyste qu’elle portait
en pendentif. Elle ne portait pas ce soir la bague que Luc lui avait offerte, car c’eût été peu opportun, à
son sens. D’ailleurs, elle l’avait glissée dans l’un des tiroirs de son bureau, mais elle ignorait s’il l’avait
trouvée.
Comme Luc était témoin, elle avait l’impression d’être un peu esseulée, encore que cela lui
convenait, car plus elle se trouvait en sa compagnie, plus il lui était difficile de s’accommoder de sa
nouvelle réalité, à savoir qu’elle portait son enfant, mais qu’il ne voyait en elle qu’une personne douée
pour lui écrire des discours et gérer ses rendez-vous.
Après cette soirée, peut-être pourraient-ils discuter un peu. Elle s’accrochait à l’espoir qu’il se
rappellerait la femme qu’elle était avant son accident, et non la menteuse qu’elle était devenue juste
après.
— Un peu de champagne, madame ? proposa un serveur en lui souriant.
— Non, merci, répondit-elle.
Soudain, un bel inconnu aux cheveux de jais et à la peau hâlée s’approcha d’elle ; elle l’avait déjà
repéré au cours de la soirée, car il avait plusieurs fois croisé son regard.
— Vous refusez le champagne et vous ne dansez pas, déclara-t-il en guise de bonjour. On pourrait en
déduire que vous ne vous amusez guère, ce soir.
Elle lui sourit, s’efforçant de deviner sa nationalité, à son accent. Il n’était pas grec, c’était certain.
Mikos avait des amis venant des quatre coins du monde. De quelle région de la planète venait celui-ci ?
— Pas du tout, je m’amuse énormément, répliqua-t-elle. C’est si beau ici, j’admire le décor, le
paysage.
— Moi aussi, j’admire le décor, renchérit-il d’un ton non dénué de sous-entendus…
Il fut un temps où elle aurait été sensible à ce flirt, mais en l’occurrence, elle demeura de marbre.
— Voulez-vous m’accorder une danse ? enchaîna-t-il.
Elle regarda autour d’elle : elle ne voyait nulle part Luc, et puis de toute façon, il ne recherchait pas
particulièrement sa compagnie ! Elle ne savait même pas pourquoi il l’avait amenée ici : pour se servir
d’elle en plan B, ce qui aurait été tout de même peu glorieux de sa part, ou pour la garder à l’œil ?
Comme il ne lui prêtait aucune attention, elle pouvait tout à fait s’amuser un peu de son côté.
— Avec plaisir, répondit-elle alors à son cavalier.
Une fois sur la piste, elle s’efforça de ne pas trop se coller à lui et posa une main sur son épaule,
tout en acceptant qu’il tienne l’autre dans une des siennes.
— A propos, je m’appelle Kate.
Son cavalier esquissa un sourire.
— Moi, c’est Lars.
— Ravie de faire votre connaissance, dit-elle au moment où il la faisait adroitement tourbillonner
sur elle-même. Vous êtes vraiment un grand danseur.
— C’est ma profession, l’informa-t-il en adoptant un rythme plus lent, car la musique venait de
changer. Si vous restez avec moi pendant toute la soirée, nous allons faire des envieux, je vous le
garantis.
Elle éclata de rire.
— Je dois vous avouer qu’en réalité, je suis prise.
Enfin, ce n’était pas tout à fait le cas, mais elle portait l’enfant d’un autre homme, et était amoureuse
de lui, même s’il ne partageait pas ses sentiments. Elle se devait donc de faire comprendre à Lars qu’il
n’avait aucune chance avec elle.
Il se pencha alors vers elle et murmura :
— Peut-être, mais pour l’instant, je suis là, et pas lui… Soyez sans crainte : je veux juste danser
avec la plus belle femme du bal.
— Allons, ce compliment revient à la mariée, rectifia-t-elle.
Darcy était magnifique dans son fourreau couleur ivoire orné de dentelle et d’une traîne que lui
aurait enviée toute princesse. On aurait dit un personnage de conte de fées, quand elle avait rejoint son
prince charmant qui l’attendait devant l’autel, tout rayonnant d’amour pour elle.
Connaîtrait-elle un jour un tel bonheur ? se demanda-t-elle. Trouverait-elle un homme qui la
regarderait comme si rien d’autre au monde n’existait à part elle ?
— Oh ! oh… Je vais me mettre à douter de mes talents si vous continuez à froncer les sourcils, dit
tout à coup Lars.
Elle s’arracha à ses rêveries.
— Vous n’avez aucun souci à vous faire sur vos talents de danseur. Je crois que je commence à
ressentir les effets du décalage horaire.
Cumulés à ceux de sa grossesse, d’ailleurs… Mais personne n’était encore au courant, Luc et elle
n’ayant pas encore fixé la date où ils annonceraient la nouvelle.
Lars ouvrit soudain la bouche pour dire quelque chose, mais son regard se fixa bientôt au-dessus de
l’épaule de Kate : elle vit ses yeux s’écarquiller…
— Il est temps de partir, Kate !
Elle pivota brusquement sur ses talons : Luc se trouvait juste derrière elle.
— Tu vois bien que je danse ! répliqua-t-elle sans lâcher la main de son partenaire. Je peux
retrouver mon chemin toute seule. Vas-y, je te rejoindrai après.
Luc arbora alors un sourire peu amène et se mit à fixer son partenaire de danse.
— Je suis certain que ton cavalier comprendra. N’est-ce pas, Lars ?
Ce dernier hocha la tête et recula, après avoir baisé la main de Kate.
— Ce fut un plaisir, ma chère.
Puis il disparut dans la foule des danseurs, sans doute en quête d’une nouvelle partenaire.
Elle serra les dents.
— Attention à ce que tu dis, la prévint Luc en lui prenant le bras. Il faut que nous parlions, toi et
moi.
— Pourquoi te suivrais-je ? objecta-t-elle. Tu ne peux tout de même pas décider avec qui je dois
passer mon temps.
Elle le sentit resserrer son emprise.
— Quand nous serons seuls, je vais t’expliquer pourquoi ce genre de petite scène ne devra jamais se
reproduire.
- 15 -

Luc bouillonnait de colère. Il détestait que les émotions prennent le pas sur sa raison mais, dès
l’instant où il avait vu Kate danser avec Lars, toutes ses pensées rationnelles s’étaient envolées.
Il l’avait évitée à dessein toute la soirée, car cette robe argentée qui sublimait son corps le rendait
tout simplement fou et il aurait fini par se trahir s’il était resté près d’elle.
Or, il ne pouvait se le permettre, car elle en aurait immédiatement tiré profit. Encore que… N’était-
ce pas lui qui était en train de la manipuler ?
Toutefois, la donne avait changé dès qu’il l’avait vue dans les bras d’un autre : il avait tout de suite
compris qu’il ne pouvait plus étouffer son désir. Qu’il devait aller jusqu’au bout, là, maintenant…
Ils venaient d’arriver au premier étage, où se trouvaient leurs suites. Kate l’avait-elle provoqué à
dessein, en dansant avec Lars, cet homme qu’il méprisait ? ne cessait-il de se demander. La barbe ! Il se
sentait pris dans un écheveau qu’il était incapable de démêler.
Dès qu’il eut ouvert la porte de sa suite, elle se dégagea de son étreinte.
— Je regagne ma chambre, décréta-t-elle.
— Elle est ici ! répliqua-t-il en désignant la porte de la sienne.
Elle plissa les yeux.
— Non, elle est là-bas, au fond du couloir.
Alors sans réfléchir, il la plaqua contre l’huis.
— Ta chambre est ici tant que je n’en ai pas fini avec toi.
— Eh bien, moi, j’en ai fini avec cette conversation, rétorqua-t-elle. Tu t’es comporté comme un
malotru, tout à l’heure, n’espère tout de même pas que…
Il ne la laissa pas terminer et la bâillonna avec sa bouche. Elle ne voulait pas parler ? Qu’à cela ne
tienne ! Il avait d’autres solutions en tête, et il se fichait éperdument de ce qui était bien ou mal. Pour
l’instant, elle se trouvait dans ses bras, plus dans ceux de ce fichu Lars, et il allait goûter sans vergogne à
son corps magnifiquement sensuel.
Elle posa les mains sur ses épaules, pour le repousser, mais il plaqua les siennes sur ses hanches et
l’attira contre lui. Et soudain, il sentit ses doigts s’enfoncer dans sa veste…
La sensation de son corps drapé dans cette robe à se damner était aussi troublante que le baiser
torride qu’ils échangeaient. Elle inclina légèrement la tête, et son invitation silencieuse était tout ce dont
il avait besoin pour tracer, de sa bouche, un sillage jusqu’à sa gorge.
— Luc, dit-elle dans un murmure, nous sommes dans le couloir !
— Tu me rends fou, Kate, renchérit-il, haletant.
Et il l’entraîna dans sa suite, qu’il referma soigneusement derrière lui.
— Pourquoi m’avoir amenée ici ? Pour parler ou coucher avec moi ? demanda-t-elle en croisant les
bras.
Il fit mine de ne pas remarquer son regard suspicieux.
— Lars est vraiment un très mauvais plan, tu sais. Quand je t’ai vue dans ses bras… C’est un joueur,
Kate.
— Vraiment ? fit-elle en éclatant de rire. Je n’en crois pas un mot, Luc. Tu me fais quasiment une
scène en public, tu me malmènes, tu me traînes malgré moi dans ta suite parce que tu es jaloux, et tu
traites les autres de joueur ? Franchement, de qui se moque-t-on ?
— Pour commencer, je ne suis pas jaloux, dit-il d’un ton bien peu convaincant, dont lui-même n’était
pas dupe. Deuxièmement, je ne vois pas en quoi je t’ai rudoyée ! Et troisièmement, avoue que ce baiser
t’a plu ! Tu gémissais.
Elle roula des yeux.
— Pas du tout ! répliqua-t-elle.
Puis elle lui tourna le dos et se dirigea vers le fond de la suite.
Après son ravissant décolleté, il put contempler sa non moins merveilleuse chute de reins, et il se
demanda alors s’il préférait l’admirer de face ou de dos.
— Je ne comprends pas ce que tu attends de moi, Luc, dit-elle en fixant la baie vitrée. Tu sais ce que
je ressens pour toi, et pourtant tu continues à jouer avec moi. A me torturer. Je ne peux l’accepter.
Il comptait précisément sur ce qu’elle éprouvait à son endroit pour arriver à ses fins ; pourtant,
même s’il lui était difficile de l’admettre, il avait réellement besoin d’elle…
Sur une impulsion, il la rejoignit et se pressa contre elle, tout en plaquant les mains sur son ventre
encore plat.
— Tu crois peut-être que, toi, tu ne me tortures pas ? demanda-t-il, les lèvres contre son oreille.
Il la sentit frémir.
— Tu crois peut-être que te voir collée à un autre homme, dans cette robe renversante, n’était pas
l’enfer, pour moi ? poursuivit-il.
— Honnêtement, Luc, qu’est-ce que tu en as à faire ?
Avec douceur, il la fit pivoter sur elle-même et prit son visage entre ses mains.
— Je brûle d’envie de te retirer cette robe et de voir si l’alchimie que nous avons connue sur l’île
était bien réelle, ou si c’était le fait de nous croire fiancés qui l’a fait naître entre nous.
Elle lui lança un regard meurtri.
— Je refuse de participer à ton expérience, Luc, car moi, je sais que je t’aime.
Sa voix se brisa, et ses yeux s’emplirent de larmes.
— Il m’est impossible de te cacher mes sentiments, poursuivit-elle, mais cela ne te donne pas le
droit de te servir de moi en fonction de tes caprices !
— Tu es bien plus qu’un caprice, Kate.
— Ah bon ? Que suis-je donc pour toi, alors ? murmura-t-elle.
Décidément, il n’arrivait plus à gérer la folie qu’était devenue sa vie. Il avait prévu de la séduire,
mais il n’avait pas calculé que la jalousie viendrait s’en mêler. Kate lui appartenait, désormais, c’était
clair dans son esprit !
— Tu es celle que je vais déshabiller et prendre sur cette table, avec son pendentif pour toute
parure. Tu es celle qui va tout oublier à part ce qui est en train de lui arriver.
— Le sexe ne résoudra rien.
— Peut-être, mais il nous servira au moins d’exutoire à tous les deux.
A ces mots, il se pencha vers elle, fit courir sa bouche sur ses épaules, cependant qu’il cherchait la
fermeture Eclair de sa robe… Celle-ci tomba quelques instants plus tard à ses pieds…
Il la vit frissonner.
— Dis-moi que tu n’as pas envie que je te fasse l’amour, Kate. Dis-le-moi, et je te laisse partir.
Il contempla son corps vêtu de sous-vêtements assortis et de son améthyste avant de faire glisser un
doigt dans la vallée de ses seins. Il sourit quand elle se cambra sous sa caresse.
— Un seul mot de toi, et j’arrête, Kate.
Elle ferma les paupières et pencha la tête en arrière.
— Ce n’est pas du jeu, Luc, chuchota-t-elle.
— Mais, ma chérie, je n’ai même pas encore commencé à jouer…

* * *

Kate s’apprêtait à lui ordonner d’arrêter, quand il avait prononcé ces ultimes mots d’une voix si
tentatrice, le tout en commençant à lui tâter les seins… Cet homme exerçait un réel sortilège sur elle, il
savait exactement ce qui l’excitait, ce qu’elle désirait…
Et pourtant, elle était bien consciente qu’il ne l’aimait pas ! Ne s’était-il pas dérobé, tout à l’heure,
lorsqu’elle lui avait demandé ce qu’elle représentait pour lui ? Malgré tout, elle se retrouvait à présent à
demi-nue et tremblante devant lui.
Comment aurait-elle pu se priver des caresses qu’il lui offrait ? C’était impossible ! Et d’ailleurs,
peut-être que ces étreintes prouveraient à Luc qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. Elle avait déjà le cœur
en miettes, aussi un peu plus ou un peu moins…
De sa bouche, il repassa dans le sillage tracé par ses doigts, frôlant le haut de ses seins.
— Je prends ton silence pour un oui…
Elle enfouit les mains dans ses cheveux noirs.
— Je suis incapable de te dire non, avoua-t-elle d’une voix fiévreuse.
— Je n’avais pas l’intention de me laisser éconduire, répliqua-t-il.
Il plaqua violemment sa bouche contre la sienne. Alors elle lui enleva à son tour sa veste, puis se
mit à déboutonner sa chemise, sans cesser de l’embrasser. Elle éprouvait le besoin impérieux de sentir sa
peau nue sur la sienne.
L’enlaçant par la taille, il la jucha sur le bureau et arracha le reste des boutons de sa chemise pour
s’en débarrasser. Les battements de son cœur s’accélérèrent quand elle vit son torse magnifique, son
discret tatouage si touchant…
Il se glissa entre ses cuisses.
— Enroule tes jambes autour de moi, ordonna-t-il, le timbre rauque.
Elle obtempéra.
Pourquoi cet homme détenait-il le pouvoir de l’inciter à faire tout ce qu’il voulait ?
A cause de l’amour qu’elle lui vouait, tout simplement. Sans cela, jamais elle n’aurait accepté de se
placer dans une position aussi vulnérable.
En un rien de temps, il lui retira son soutien-gorge et sa culotte, et son empressement incendia tout
son être : elle avait donc elle aussi le pouvoir de lui faire perdre le contrôle de lui-même !
Elle l’attira vers elle et, de nouveau, ils s’embrassèrent à pleine bouche… Il laissait courir ses
mains partout sur son corps, et mille délicieux frissons la parcoururent, lui donnant le vertige.
— Allonge-toi, demanda-t-il.
Obéissante, elle bascula sur le bureau, s’appuyant sur ses coudes. Quand leurs yeux se croisèrent,
elle sentit l’émotion lui nouer la gorge. Même si cette relation avait commencé sur un mensonge, elle était
sincèrement éprise de lui. Et de son côté, elle lui était bien plus chère qu’il ne voulait l’admettre, sa
ferveur le trahissait…
Alors elle chassa tous les soucis et les pensées qui parasitaient son esprit pour profiter de ce
moment magnifique. Luc était ici avec elle, et il lui faisait l’amour avec une lenteur fiévreuse, en
contraste avec la façon dont il l’avait déshabillée. Pouvait-elle se prendre à espérer qu’il éprouvait
davantage que du désir pour elle ?
Il posa son front contre le sien, et elle s’accrocha à ses épaules, son regard rivé au sien…
Bientôt, elle sentit un formidable séisme se former en elle et fut, quelques instants plus tard,
soulevée par une vague de volupté indescriptible… Des brumes de la jouissance, elle l’entendit pousser
à son tour des grognements, tandis que des spasmes parcouraient son corps viril…
Quand il rouvrit les yeux, elle croisa son regard passionné. Alors, il la prit dans ses bras et la porta
dans sa chambre, où il la déposa sur le lit.
— Dors, lui souffla-t-il en posant la main sur son ventre. Repose-toi pour le bébé.
Elle ferma les paupières. Ce bourgeon d’espoir qui venait de renaître en son cœur survivrait-il à la
nuit ? L’homme qu’elle aimait était-il lui aussi en train de tomber amoureux d’elle ?
- 16 -

Kate fut réveillée par une forte nausée. Jusque-là, elle n’avait pas été malade, juste fatiguée.
Elle essaya de se souvenir des événements de la veille… Elle avait passé la nuit dans le lit de Luc
mais, cette fois, il savait qui elle était. Ils avaient donc franchi un grand pas et les choses ne pourraient
que s’améliorer, désormais.
Elle n’était pas naïve, seulement optimiste, et elle se devait de l’être, puisqu’elle portait la vie.
Tout à coup, elle se rendit compte que la place à côté d’elle était vide, froide… Elle se redressa
brusquement, en s’enroulant dans le drap. Stupide impulsion ! pensa-t-elle tandis que son estomac se
tordait de plus en plus. Elle ferma les yeux, et attendit que le malaise se dissipe.
Quand elle les rouvrit, elle aperçut Luc près de la baie, en train de siroter un café. Elle put alors
admirer son dos musclé et bronzé, et cela valait mieux que d’affronter son regard. Que dire, ce matin ?
Elle avait assouvi ses désirs, la veille au soir, sans penser aux conséquences. Enfin, pas vraiment, elle
avait plutôt voulu positiver, comme toujours.
Elle remua légèrement sous le drap en satin, et Luc jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, avant
de se remettre à admirer le ciel orangé qui irradiait l’horizon de sa beauté. N’allait-il donc rien lui dire ?
Oh non, il ne pouvait pas être gêné à ce point !
Elle s’appuya contre la tête du lit et coinça le drap sous ses aisselles. Evidemment, il l’avait déjà
vue nue, mais elle avait le sentiment que la matinée allait être difficile, et elle ne voulait certainement pas
se battre nue.
— Je me demande bien ce que nous allons faire, déclara-t-il soudain sèchement.
Son commentaire rompit d’un coup la beauté du moment, étouffant tout espoir en elle. Son ton n’était
guère engageant.
— Je t’ai regardée dormir, poursuivit-il. J’ai même essayé de me reposer, mais trop de pensées
tournoyaient dans ma tête. Je ne sais pas par où commencer, je ne sais plus où est le réel, le virtuel…
— Tout ce qui s’est passé hier soir, dans cette suite, est réel, lui assura-t-elle alors, avant d’ajouter :
Luc, m’as-tu juste invitée en Grèce pour coucher avec moi ?
Et, après avoir formulé sa peur à voix haute, elle sentit son cœur fléchir : elle voulait être forte,
mais elle se heurtait à une résistance inattendue, de la part de Luc.
— Je te désirais, dit-il en se tournant enfin vers elle, mais sans faire un pas dans sa direction. J’ai
lutté contre cette envie depuis que tu travailles pour moi. Je me suis fiancé à une autre femme tout en étant
attiré physiquement par toi. Et même après la rupture avec Alana, le désir que j’éprouvais pour toi me
faisait souffrir, mais j’étais lié par les lois du royaume.
Elle resserra le drap autour d’elle.
— Je n’étais pas en grande forme lorsque nous nous sommes retrouvés sur l’île, poursuivit-il. C’est
le moins qu’on puisse dire ! J’étais très affaibli psychologiquement, et je n’aurais jamais dû te demander
de m’y accompagner, sachant que j’avais envie de toi.
Elle plissa les yeux.
— Tu étais en colère contre moi, lui rappela-t-elle. Avant l’accident, tu m’avais embrassée…
— Je t’ai embrassée car je ne pouvais plus lutter contre l’attirance que tu m’inspirais, coupa-t-il.
Parce que j’étais furieux contre moi-même et je l’étais encore plus après ce baiser. Je m’étais comporté
comme un rustre avec toi, comme un enfant capricieux.
Et puis, il était tombé et avait tout oublié.
Elle s’humecta les lèvres.
— Je ne sais pas quoi dire…
— En toute honnêteté, moi non plus, répliqua-t-il en s’approchant lentement du lit. D’un côté, j’ai
envie d’être de nouveau capable de te faire confiance, mais tu m’as tellement meurtri, Kate. Jamais je ne
t’aurais crue capable de mensonge, et c’est ce qui me ronge.
Elle se raidit en entendant la dureté de ses propos.
— Je pensais que nous pourrions surmonter l’épreuve, renchérit-elle. Continuer à travailler
ensemble.
Luc ouvrit les bras pour désigner le lit.
— C’est professionnel, ça ? Je n’ai vraiment pas l’impression d’être ton patron, Kate. Tu portes
mon… enfin, le prochain héritier après moi.
— Est-ce donc tout ce que je suis pour toi ? La mère du futur héritier ?
Elle avait besoin d’être bien plus, même après tous les mensonges et malentendus qui s’étaient
accumulés entre eux.
— Ne serais-tu pas en train d’utiliser mes sentiments contre moi-même ? poursuivit-elle. Je ne te
comprends pas Luc. Tu t’es montré si jaloux, hier soir… Etait-ce juste pour flatter ton ego ou me prouver
que c’était toi qui avais le contrôle ?
Les mains sur ses hanches, il baissa les yeux vers elle. Il avait juste enfilé le pantalon de son
costume, sans même le boutonner : il lui était très difficile de rester assise dans le lit et de discuter avec
lui, alors qu’il était à moitié nu devant elle, elle-même n’étant recouverte que par le drap. Elle se sentait
humiliée, comme s’il attendait qu’elle le supplie d’être clément avec lui. Mais qu’il ne compte pas là-
dessus !
Son silence devenait assourdissant. Elle rejeta ses cheveux en arrière. Elle avait toujours la nausée,
plus encore qu’au réveil ; elle ferma les yeux, prit une large inspiration…
— Kate ?
Elle sentit le matelas s’affaisser près d’elle, mais quand Luc lui saisit la main, elle la retira bien
vite.
— Non, dit-elle.
Puis elle croisa son regard et ajouta :
— Je ne joue pas la carte de la grossesse pour m’attirer ta sympathie ou ton attention. De ton côté,
ne me montre pas de l’affection quand ça t’arrange.
— Tu es toute pâle. Tu es certaine que tu vas bien ?
Si seulement il s’était inquiété de son état au réveil, au lieu de lui faire part de ses doutes et de
détruire tous les espoirs qu’elle avait pu nourrir.
— J’ai la nausée. Rien de plus banal pour une femme enceinte.
Elle changea de position, s’écartant un peu de lui.
— Je n’ai pas l’intention de dépendre de tes humeurs, Luc, poursuivit-elle. Soit nous construisons
une véritable relation, pas juste fondée sur le sexe, soit il n’existera rien entre nous. Si le fait que je danse
avec un autre homme te dérange, alors réfléchis à ce que tu éprouves réellement pour moi. Mais ne viens
plus me déranger jusqu’à ce que tu sois certain que je suis plus pour toi qu’un corps chaud et désirable.
Avec lenteur, il se releva et hocha la tête.
— J’ai l’intention de t’épouser, Kate. Je veux que tu deviennes ma femme avant mon anniversaire.
Ainsi, je m’assure mon titre, et toi tu peux vivre ton fantasme de couple, comme lorsque j’étais
amnésique.
— Pardon ? se récria-t-elle, choquée. Mais il n’est pas question que je t’épouse pour que tu
obtiennes un titre. J’entends me marier par amour !
Il plissa les yeux.
— Puisque tu prétends m’aimer, pourquoi ne veux-tu pas devenir ma femme ?
— Parce que tu ne m’aimes pas. Et que je refuse que tu m’utilises comme un pion dans ta quête du
trône.
Elle se sentait tout essoufflée, tout à coup. Et dire qu’elle ne s’estimait pas naïve ! Comme on
pouvait se tromper sur son propre compte : comment était-il possible qu’elle n’ait pas deviné ses
manœuvres ? Il n’était motivé que par son couronnement. Tout amour entre eux ne serait qu’unilatéral, et
elle n’aurait personne à qui s’en prendre à part elle-même. Encore une fois.
Sur l’île, il s’était montré chaleureux et ouvert, mais à présent, il était redevenu lui-même :
calculateur, aussi faux que leurs prétendues fiançailles. Elle ne pouvait l’accepter !
— Je rentre au palais, mais pas dans ton jet, déclara-t-elle d’une voix décidée. J’assumerai mes
fonctions encore deux semaines, le temps de passer la main, et ensuite, j’arrête.
— Il est de toute façon exclu que tu travailles pour moi quand tu seras mon épouse, répliqua-t-il.
Elle serra les dents, tout en priant pour ne pas éclater en sanglots.
— Je crains que tu ne m’aies pas comprise, Luc. Je ne serai pas ta femme !
Il glissa les mains dans les poches, hésitant, puis se dirigea vers la porte.
— Ne prends pas de décision hâtive, déclara-t-il. Je te laisse t’habiller.
Et, sur ces paroles, il sortit.
Il ne voulait pas poursuivre cette conversation qui le dérangeait, mais ce n’était pas en fuyant qu’il
obtiendrait d’elle qu’elle accepte ce mariage ridicule ! Elle comprit qu’elle devait se préparer à une
longue bataille.
Elle se leva, et constata que sa nausée était passée et qu’elle n’avait pas non plus de vertige : au
moins une bonne nouvelle, ce matin.
Et maintenant, elle devait remettre sa robe de la veille et regagner honteusement sa chambre pour se
changer et faire ses valises. Elle voulait fuir au plus vite, car si Luc avait l’intention de l’instrumentaliser,
de se servir de ses sentiments contre elle, alors il ne méritait pas son amour.
Il était hors de question qu’elle continue à travailler avec lui, sachant qu’il la considérait comme un
objet de plaisir et que, sans l’enjeu du trône, il n’aurait jamais envisagé de l’épouser. Elle attendait un
enfant de lui, mais une seule chose continuait d’obséder Luc : son titre. Trop, c’était trop ! Elle ne
pourrait supporter de le côtoyer chaque jour, consciente qu’il ne l’aimerait jamais en retour.
Quand elle rentrerait au palais, elle appellerait ses parents et prendrait ses dispositions. Elle
terminerait les projets en cours, puis donnerait sa démission. Elle devait se concentrer sur ce qui
importait, en l’occurrence la vie qu’elle portait et sa propre santé mentale.

* * *

Luc leva son marteau et l’abattit sur la cloison. Il comptait la démolir pour agrandir l’espace salle à
manger et le doter d’une cuisine américaine, mais il avait beau s’acharner sur ce pan de mur non porteur,
la frustration et la colère qui l’habitaient ne le lâchaient pas. Tout ce qu’il récoltait, c’était de la sueur, et
un peu de nostalgie quand il repensait au jour où Kate et lui avaient démantelé la salle de bains.
Une fois de retour au palais, après l’intermède grec, il était revenu seul sur son île, sans garde du
corps et à la plus grande désapprobation du père de Kate. Il avait besoin de réfléchir, de réfléchir sur son
comportement envers Kate, car il s’était vraiment conduit comme un mufle.
Il s’était en effet mis en tête de l’épouser, indépendamment des sentiments qu’elle éprouvait. Mais
quand il l’avait vue dans la chambre de sa suite, si vulnérable entre les draps froissés et posant sur lui
des yeux meurtris, il en avait été fortement ébranlé. Il avait cru ne ressentir que du désir pour elle, mais à
présent, il ne pouvait plus ignorer la culpabilité qui le taraudait quand il repensait à la dureté des propos
qu’il lui avait tenus.
Il reposa le marteau sur les gravats et s’essuya le front du revers de la manche. Sa mère en mourrait
probablement si elle voyait qu’il avait des ampoules aux mains d’avoir travaillé manuellement, mais il
avait besoin d’un exutoire… qui ne marchait hélas pas !
Et puis, cela ne l’aidait guère de sentir la présence de Kate partout dans cette villa. Le vase jaune
vide sur la table semblait se moquer de lui, il ne pouvait même plus regarder la douche qu’il avait tant
appréciée, dans sa suite. La terrasse, le lit, la plage… Tout était empreint des souvenirs de Kate. Elle
s’était introduite partout.
Jusqu’en son cœur, à ce qu’il semblait !
Au moment où il retirait son T-shirt, son portable sonna. Son premier réflexe fut d’ignorer l’appel,
mais comme Kate était enceinte, il devait toujours être en alerte.
Quand il vit le nom qui s’affichait sur l’écran, il poussa un soupir et prit la communication.
— Oui ?
— Tu t’es littéralement enfui du palais sans garde du corps ? s’exclama sa mère.
Ce n’était pas une question, mais un reproche.
— J’avais besoin d’être seul.
— Ce n’est pas très malin de ta part, Lucas. Tu ne peux pas t’en aller sur un coup de tête, te
disperser de cette façon. Je te rappelle que ton anniversaire est dans deux mois. Il faut que tu rentres pour
que nous prenions des dispositions.
Il passa une main sur son visage en sueur et se mit à regarder l’horizon, derrière lequel le soleil
déclinait.
— J’ai juste besoin de deux ou trois jours de solitude.
— C’est à cause de Kate, n’est-ce pas ? Ecoute, mon chéri, je sais qu’elle t’a fait du mal, mais la
pauvre est si malheureuse. Je ne veux pas tirer de conclusion hâtive, mais depuis son retour de Grèce elle
est toute pâle et bien faible.
Il se figea.
— Est-elle malade ?
— Non, je suppose qu’elle est enceinte.
Le silence s’abattit entre eux, et il sentit son cœur fléchir. Ils n’avaient rien dit à personne, au sujet
de la grossesse : de toute évidence, ils n’avaient pas anticipé la perspicacité de sa mère.
— Nous avons gardé la nouvelle pour nous, commença Luc d’une voix plus basse, en ayant soudain
la sensation d’être un petit garçon qui ment à sa mère. Kate s’est aperçue qu’elle était enceinte juste avant
le mariage de Mikos, et nous nous sommes un peu disputés, en Grèce. Est-ce qu’elle va bien ?
— Comment ça, disputés ? Lucas, cette femme porte ton enfant, et toi, tu lui cries dessus ? Pas
étonnant qu’elle paraisse exténuée. Sans compter qu’elle travaille comme une forcenée depuis votre
retour. Pourquoi as-tu quitté le palais de façon si subite ?
Il agrippa le téléphone.
— Il est préférable que je n’y sois pas pour l’instant.
— Ecoute, je crois que vous avez sérieusement besoin de discuter, tous les deux. Si tu t’inquiètes
sur notre principe relatif à la stricte séparation entre le privé et le professionnel, nous pouvons faire une
exception pour Kate. Elle est peut-être d’ailleurs la réponse à…
— J’y ai déjà pensé, l’interrompit-il. Mais elle ne veut pas m’épouser.
— Pourquoi ne rentres-tu pas à la maison ? insista sa mère. On ne peut rien résoudre tant que tu es
en train de broyer du noir seul dans ton coin.
Il regarda les gravats autour de lui… Franchement, il devait laisser ce travail à des professionnels,
il n’avait rien à faire sur ce chantier.
Sur une impulsion, il répondit alors :
— Entendu, maman, je rentre tout de suite. Dis à Kate que je veux la voir.
— Si elle n’est pas encore partie.
Qu’à cela ne tienne ! Il irait la trouver. Elle n’habitait pas très loin et il finirait bien par la
convaincre de venir vivre avec lui au palais.
Il était inimaginable que ce ne soit pas le cas quand le bébé viendrait au monde.
Il était bien conscient de l’avoir affreusement blessée, mais depuis, il avait repensé aux sentiments
qu’elle lui inspirait et compris qu’il y avait plus que de la culpabilité et du désir pour elle en son cœur…
Même si tout y était encore bien embrouillé !
En dépit de la façon dont il l’avait traitée, elle l’avait accompagné au mariage de Mikos, elle avait
été à ses côtés…
Allons, pourquoi se voilait-il la face ?
Il l’aimait.
C’était aussi simple… et aussi compliqué que ça. Car il fallait bien reconnaître qu’il avait tout
gâché. Pourtant, il était clair à présent qu’il l’aimait de toutes ses forces, et il éprouvait le besoin urgent
de lui avouer cet amour. Encore que la confession serait aisée, la convaincre le serait en revanche sans
doute moins. Mais il n’était pas dans sa nature de renoncer devant la difficulté. Kate était sienne, et il
n’allait pas la laisser s’échapper !
- 17 -

Luc n’avait pas parlé à Kate depuis une semaine, et sa frustration était à son comble.
Quand il était revenu au palais, il avait trouvé une lettre de démission sur son bureau. Elle avait en
outre chargé sa mère de lui transmettre que le bébé et elle se portaient bien, mais qu’elle souhaitait pour
l’instant être seule.
Pour l’instant… C’est-à-dire combien de temps ? Il avait cru devenir fou.
La date de son anniversaire se rapprochait à grands pas, mais il n’y pensait même plus. Il était
obsédé par sa conduite éhontée envers Kate, son manque de cœur, son intransigeance. Pas étonnant
qu’elle veuille se tenir à distance de lui, à présent ! Elle l’aimait, et il lui avait demandé de l’épouser par
intérêt !
Alors qu’il avait besoin d’elle pour vivre, que sa présence à ses côtés lui était vitale…
Il lui avait fallu un certain temps pour obtenir de ses parents des informations concernant son actuel
lieu de résidence. Parallèlement, il avait mis la pression sur les ouvriers pour que la villa sur l’île soit
terminée quand il parviendrait à y faire venir Kate pour lui déclarer sa flamme. Car c’était ici qu’il
entendait tout éclaircir entre eux.
Il avait par ailleurs cherché à mieux la connaître, par ses proches interposés, et il espérait que la
surprise qu’il lui réservait lui prouverait à quel point il tenait à elle.
Debout dans le salon, il regardait la mer, attendant que se profile enfin le bateau familier. Il avait eu
recours à la complicité de ses parents pour la reconquérir, il avait oublié son ego et son amour-propre.
Quand l’embarcation se profila enfin, il se crispa un peu plus : il avait certes tout calculé pour que
leurs retrouvailles se déroulent le mieux possible, mais en définitive, c’était Kate qui détenait le contrôle
de la situation.
Son père l’aida à grimper sur le ponton, la serra dans ses bras, puis la suivit des yeux tandis qu’elle
montait les marches. Alors Luc s’avança vers le seuil de la terrasse et fit un signe de la main au
responsable de la sécurité royale qui s’éloignait déjà, sur les flots.
Quand Kate arriva en haut de l’escalier, il sentit son cœur se mettre à cogner plus fort que jamais…
Elle releva la tête et rejeta ses cheveux en arrière. Dès qu’il croisa son regard, son estomac se contracta
violemment… Si elle le repoussait, il ne s’en remettrait pas.
— J’avais peur que tu ne viennes pas, commença-t-il, du pas de la porte.
— La tentation était grande, mais je sais que mon père m’aurait retrouvée, rétorqua-t-elle.
Elle marqua un silence et reprit :
— Qu’est-ce que je fais ici, Luc ? Je suis ton otage ?
— Absolument pas, se défendit-il.
Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule.
— Mon père vient de repartir, et le seul bateau qui reste, c’est le tien. Il me faudra donc ta
permission pour m’en aller.
— Entre, éluda-t-il.
Elle fronça les sourcils et croisa les bras, ce qui attira son attention sur sa poitrine plus voluptueuse
que la dernière fois.
— S’il te plaît, ajouta-t-il, comme elle demeurait immobile. Entrons. Il faut que nous discutions.
Elle finit par céder, et il s’effaça pour la laisser passer. Son parfum fleuri frappa immédiatement ses
sens : il avait eu chaque nuit la nostalgie de cette fragrance, depuis qu’elle était partie.
— Oh ! Luc… ! s’exclama-t-elle, en découvrant le salon.
Son étonnement le fit sourire.
— Ça a une autre allure, n’est-ce pas ? dit-il.
Il la laissa admirer les changements. L’ambiance romantique du salon avait été conservée, avec ses
grandes baies ouvrant sur la mer, mais l’intérieur était à présent remarquablement stylé et d’un design qui
forçait l’admiration.
— C’est magnifique, dit-elle en passant la main sur le guéridon en marbre, derrière le canapé. Les
travaux ont été effectués en un temps record !
— Je voulais que tout soit parfait pour ton retour, déclara-t-il sans la lâcher du regard.
Il vit soudain qu’elle venait d’apercevoir le vase jaune, sur l’ancienne table.
— Je ne suis pas arrivé à m’en défaire, précisa-t-il aussitôt. Nous avons partagé tant de repas autour
de cette table… Et puis, chaque fois que je contemple ce vase, je repense à cette fantastique matinée sur
le marché.
Elle prit l’objet, et pendant quelques instants il redouta qu’elle le lance par terre. Mais elle finit par
le reposer, puis se tourna vers lui en poussant un soupir.
— Que veux-tu de moi, au juste, Luc ? demanda-t-elle en plongeant les yeux dans les siens.
Maintenant qu’ils se retrouvaient en tête à tête, il percevait clairement la force de l’alchimie qui
vibrait entre eux.
— Tout d’abord, dis-moi comment tu te portes, Kate, demanda-t-il en s’approchant d’elle à pas
mesurés. Et notre bébé, est-ce qu’il va bien ?
— Nous sommes tous les deux en excellente forme, l’informa-t-elle. Et tu aurais pu prendre de mes
nouvelles directement par e-mail, sans passer par mes parents.
— Tu m’as envoyé les tiens par leur intermédiaire.
— Il s’agissait de messages professionnels… Bien, je suppose que tu as trouvé une façon de
t’assurer la couronne. Est-ce pour cette raison que tu peux maintenant te pencher sur mon cas ?
— Non, je n’ai rien résolu du tout concernant mon titre.
Une petite exclamation lui échappa.
— Mais ton anniversaire est dans quelques semaines !
— J’en suis bien conscient.
A présent, il se trouvait tout près d’elle, si proche qu’elle devait incliner légèrement la tête en
arrière pour le voir.
— Et c’est pourquoi tu es ici, Kate, ajouta-t-il.
Elle pinça la bouche.
— Tu plaisantes, n’est-ce pas ? rétorqua-t-elle durement. Tu penses toujours que je vais tomber à tes
pieds et t’épouser afin que tu puisses porter une belle couronne ?
Elle voulut alors le contourner pour passer, mais il l’attrapa par le bras.
— Non, tu n’iras nulle part tant que tu n’auras pas écouté ce que j’ai à te dire ! Regarde-moi, s’il te
plaît…
Lentement, elle leva les yeux vers lui.
— Je t’aime, Kate, déclara-t-il à brûle-pourpoint.
Mais l’aveu ne déclencha absolument aucune émotion dans les prunelles noires de Kate.
— Tu entends ce que je te dis ?
— Oui, je ne suis pas sourde, répondit-elle, mâchoires serrées. Comme par hasard, tu m’aimes à
présent que tu es sur le point de tout perdre si tu n’as pas d’épouse !
Il la saisit par les épaules.
— Ah, toi et tes robes dos nu ! marmonna-t-il, complètement troublé par la douceur de sa peau. J’en
oublie le discours convaincant que j’avais préparé. Et j’en étais très fier, étant donné que c’est le premier
que j’écris moi-même.
— Je ne souhaite pas l’entendre, tout comme je te prierai de ne pas me toucher !
Il lui sourit.
— Dans ce cas, pourquoi ton pouls bat-il si fort, à tes tempes ? Aussi fort que le mien. Tu peux
toujours te mentir à toi-même, Kate, mais ton corps, lui, proclame la vérité.
Elle ouvrit de grands yeux.
— Oh non ! Ne me dis pas que tu m’as convoquée sur cette île pour avoir un rapport sexuel avec
moi ? Que t’es-tu figuré, au juste ? M’entraîner dans ton lit et, dans les griffes de la passion, m’arracher
un consentement pour le mariage ?
Il éclata de rire et lui vola un baiser.
— Tu te laisses emporter par ton imagination, Kate, et moi, je suis encore en train de tout gâcher
lamentablement…
— Effectivement, si tu comptes coucher avec moi, c’est raté !
— Si tu savais comme ta bouche m’a manqué…
Elle ne prononça pas un mot, ne fit pas un geste.
— S’il te plaît, rassure-moi, Kate, supplia-t-il d’une voix rauque. Dis-moi que je ne t’ai pas perdue
à tout jamais.
— Je n’ai jamais été à toi, Luc, répliqua-t-elle. Je t’aimais, mais je n’ai pas su m’y prendre. Ensuite,
tu as décidé de jouer avec mes sentiments et de me forcer à t’épouser. On ne peut pas construire une
relation sur de telles bases.
— Nous avons tous deux commis des erreurs, admit-il. Mais je regrette sincèrement de t’avoir
meurtrie. Et j’ai enfin compris que tu n’avais pas d’arrière-pensée, quand tu m’as dit que tu étais ma
fiancée, sur cette île.
— Je conçois tout à fait que tu aies été méfiant, dit-elle en se dégageant de son étreinte. Mais ce que
je ne saisis pas, c’est ta dureté envers moi au mariage de Mikos.
Il mit les mains dans ses poches, c’était plus prudent, puisqu’elle refusait pour l’instant qu’il la
touche. L’affaire allait être encore plus ardue que prévu, mais il ne renoncerait pas. Elle était venue
jusqu’ici, et c’était déjà énorme.
— Je veux te montrer quelque chose, dit-il alors.
Il se dirigea alors vers le bureau, disposé dans un angle du salon, prit l’e-mail qu’il venait
d’imprimer, puis le lui tendit. Mais elle ne fit pas un geste pour le prendre.
— S’il te plaît, insista-t-il.
Elle finit par s’en saisir, et il la regarda en parcourir les lignes. Peu à peu, il vit ses beaux yeux
s’embuer, et constata que sa main commençait à trembler.
Elle pressa la feuille contre son cœur.
— Tu es allé à l’orphelinat ?
— Tout à fait. Et j’ai rencontré Carly et Thomas, tes petits protégés.
Une larme roula sur la joue de Kate.
— Je les aime énormément, en effet. Ils sont si adorables. Mais la plupart des gens préfèrent adopter
des bébés. Or, ces jumeaux ont neuf ans. Pourtant, je sais qu’ils meurent d’envie d’avoir eux aussi un
foyer.
— On m’a dit là-bas que leur situation était d’autant plus compliquée qu’ils sont deux ; or, les futurs
parents ne souhaitent en général qu’un enfant.
— C’est vrai… J’essaie de leur rendre visite dès que je peux et je leur téléphone souvent.
— Ils vivent à l’orphelinat où tu étais toi-même, enfant, dit-il en prenant son visage mouillé en
coupe, et c’est pour cette raison qu’ils comptent tant pour toi. Je comprends à présent pourquoi tu
insistais pour que je m’y rende. Ils étaient vraiment enchantés qu’un prince leur rende visite.
— Je n’arrive pas à croire que tu sois allé là-bas !
— Je crois qu’on s’est manqués de peu, car à mon arrivée, on m’a dit que tu venais juste de repartir.
— Tu aurais dû me prévenir…
— Et alors tu serais restée ? demanda-t-il, le cœur battant.
Elle secoua la tête.
— Je ne sais pas…
— Je veux que l’on reparte de zéro, toi et moi.
Il eut un petit rire.
— Je sais, ça sonne creux, mais c’est la vérité, poursuivit-il. J’ai été si malheureux sans toi. Je suis
allé à l’orphelinat, non parce que tu me l’avais demandé de nombreuses fois, mais dans l’espoir de mieux
connaître la femme dont je suis tombé amoureux… Je t’aime, Kate. Je veux construire ma vie avec toi, je
veux retrouver le bonheur que l’on a connu sur cette île.
Fermant les paupières, elle se laissa aller contre lui.
— Je n’arrive pas à te croire, Luc. Et ne pense pas que je vais rester avec toi parce que je suis
enceinte.
Elle releva la tête, et il repoussa les mèches collées sur ses joues mouillées.
— Si je t’ai demandé de venir ici, ce n’est ni à cause du trône, ni du bébé. Je veux vraiment fonder
une famille avec toi, Kate, et je n’instrumentalise pas le bébé pour arriver à mes fins ! C’est toi que je
désire. Les jours que j’ai passés sur cette île en ta compagnie sont les plus beaux de ma vie. Je t’ai dans
la peau, Kate.
Surprise, elle entrouvrit la bouche et il en profita pour la capturer. Il eut presque les larmes aux yeux
quand elle ne le repoussa pas mais, au contraire, lui rendit son baiser…
Il sentit l’espoir renaître en son cœur, mais un espoir encore incertain.
— Tu m’as manqué, murmura-t-il contre ses lèvres. Tout en toi m’a manqué, ton sourire, ta cuisine,
tes baisers… Et même nos disputes au sujet de mon emploi du temps. Sans compter que ne plus voir ma
bague à ton doigt était un enfer…
Il sortit l’améthyste de sa poche.
— Você vai casar comigo ? demanda-t-il. Veux-tu m’épouser ? Pas à cause du trône, ni de ton état,
mais pour nous deux ! Tu es la seule qui fasse de moi un homme complet, Kate. La seule que j’aime et qui
me rende heureux.
Sans attendre sa réponse, il lui glissa la bague au doigt.
— C’est la place qui lui revient, dit-il. Jusqu’à ce qu’un diamant ou la pierre de ton choix la
remplace.
Elle regarda sa main, sans mot dire… Et subitement, un beau sourire éclaira son visage.
— Je n’en veux pas d’autre, déclara-t-elle d’une voix claire. Celle-ci me convient parfaitement.
C’est celle que j’aurais choisie.
— Cela signifie-t-il que tu vas m’épouser ? demanda-t-il d’une voix presque tremblante.
Elle noua les bras autour de son cou.
— Oui, Luc, je veux devenir ta femme, lui dit-elle. Je veux que nous élevions ensemble nos enfants
et que nous vieillissions l’un à côté de l’autre.
Alors, il l’étreignit étroitement et poussa un soupir de réel soulagement : il avait été si tendu, depuis
son arrivée à la villa. Leur villa…
Elle pencha la tête en arrière.
— Il faut que nous organisions le mariage au plus vite. Ton anniversaire…
— Pas de panique ! Mon père a donné une pichenette à l’étiquette pour que la loi nous accorde
quelques semaines supplémentaires. Je veux t’offrir le mariage que tu mérites.
— Mais je ne souhaite pas une cérémonie en grande pompe ! protesta-t-elle.
Il entoura son visage de ses mains et, de son pouce, effleura ses lèvres.
— Comme tu voudras, c’est toi qui décides. Mais pour l’instant, je meurs d’envie de prendre une
douche et de te montrer en bonne et due forme combien tu m’as manqué.
— Oh oui, excellente idée ! J’adore ta douche.
Il l’embrassa.
— Et après que nous aurons fait l’amour, nous pourrons tranquillement discuter de l’organisation de
notre mariage, enchaîna-t-il. A propos, je voudrais adopter Carly et Thomas. Mais, avec le bébé qui va
naître, je ne sais pas si tu…
Sans le laisser terminer, elle déversa une pluie de baisers sur ses lèvres, ses joues, son menton.
— Oh oui, oui, oui ! Ce sont des amours, tu verras.
— J’ai vu, dit-il en la soulevant de terre. Mais nous reparlerons de tout cela plus tard.
— Tu ne peux pas me porter, protesta-t-elle. J’ai pris du poids, tu sais.
Il dirigea immédiatement le regard vers ses seins.
— J’ai vu, et je ne vais pas m’en plaindre.
Elle lui donna un petit coup sur l’épaule.
— Ah, voilà qui est bien typique d’un homme !
— Et je te conseille vivement de ne les montrer à personne d’autre que moi, renchérit-il.
Elle posa la tête sur son épaule.
— Rassure-toi, Luc, dit-elle dans un souffle, aucun autre homme que toi n’existe à mes yeux…
TITRE ORIGINAL : A ROYAL AM NESIA SCANDAL
Traduction française : FLORENCE M OREAU
HARLEQUIN®
est une marque déposée par le Groupe Harlequin
PASSIONS®
est une marque déposée par Harlequin
© 2015, Jules Bennett.
© 2016, Harlequin.
Le visuel de couverture est reproduit avec l’autorisation de :
Décor : © GETTY IM AGES/GLOW IM AGES/ROYALTY FREE
Réalisation graphique couverture : E. COURTECUISSE (Harlequin)
Tous droits réservés.
ISBN 978-2-2803-5754-8

Tous droits réservés, y compris le droit de reproduction de tout ou partie de l’ouvrage, sous quelque forme que ce soit. Ce livre est publié avec l’autorisation de
HARLEQUIN BOOKS S.A. Cette œuvre est une œuvre de fiction. Les noms propres, les personnages, les lieux, les intrigues, sont soit le fruit de l’imagination
de l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, des
événements ou des lieux, serait une pure coïncidence. HARLEQUIN, ainsi que H et le logo en forme de losange, appartiennent à Harlequin Enterprises Limited
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— Tu me rappelles une fille que j’ai connue, fit une voix familière à son oreille. Une petite fille,
toute mignonne, qui me suivait toujours partout…
Jordyn Leigh Cates se retourna et vit un beau cow-boy qu’elle connaissait depuis toujours.
— Tu mens, Will. Je ne t’ai jamais suivi où que ce soit.
— Si !
— Non !
Elle se prit à rire.
— On a l’air de deux gamins…
— Parle pour toi, répondit-il en lui adressant un sourire sensuel. J’ai toujours adoré te taquiner.
Pensive, elle but une gorgée de punch.
— On m’avait bien dit que tu étais en ville.
— Mes frères aussi. On séjourne au Maverick Manor.
Jadis connue sous le nom de Bledsoe’s Folly, l’immense villa en rondins de bois, située au sud-est
de la ville, et longtemps désertée, avait été transformée l’année précédente en hôtel de luxe.
Elle lui adressa un regard espiègle.
— J’ai aussi entendu dire que tu avais acheté une maison ici, à Rust Creek Falls.
Ses magnifiques yeux bleus se mirent à briller de fierté.
— C’est vrai. Un très beau terrain dans la Rust Creek vallée, à l’est de la ville, pas très loin du
ranch Traub.
Elle était ravie pour lui. Il avait toujours rêvé de posséder son propre ranch.
— Félicitations.
— Merci.
Alors qu’ils échangeaient un sourire, elle ne put s’empêcher de remarquer qu’il était encore plus
beau que d’ordinaire, avec sa chemise blanche et sa veste de cow-boy marron.
D’un geste tendre, il dégagea une mèche de son visage.
— Tu es très jolie, ce soir.
Une vague de plaisir parcourut son corps. Il avait cinq ans de plus qu’elle et l’avait toujours traitée
comme une enfant. Mais, à la façon dont il la regardait désormais, elle ne se sentait plus du tout comme
une enfant. Troublée, elle prit le risque de battre un peu des cils.
— Merci, Will.
— C’est vrai, insista-t-il en inclinant un peu son stetson noir. Tu es magnifique. Ta robe est très
jolie.
Elle baissa les yeux vers sa robe bustier bleu nuit de demoiselle d’honneur.
Deux heures plus tôt, Braden Traub, le second des frères Traub, avait épousé l’angélique Jennifer
MacCallum, arrivée en ville un an auparavant. La réception avait eu lieu dans le grand parc de Rust
Creek Falls, en ce bel après-midi de fête nationale.
Une piste de danse avait été installée non loin du buffet devant lequel elle se trouvait avec Will.
L’orchestre, qui n’était pas mauvais, se mit à jouer un morceau de rock. Prise par l’ambiance de fête, elle
commença à battre la mesure avec son pied. Au même moment, un cow-boy coiffé d’un chapeau blanc et
accompagné d’une brune pulpeuse passa devant elle en lui adressant un clin d’œil, qu’elle s’empressa de
lui rendre avant d’agiter le bouquet de la mariée dans sa direction.
— Qui est-ce ? demanda aussitôt Will.
— Un garçon avec qui j’ai dansé tout à l’heure, répondit-elle, omettant de préciser qu’elle avait
bien l’intention de recommencer prochainement.
Très prochainement.
Will avait toujours eu tendance à se montrer très protecteur à son égard. Et cette attitude n’avait
jamais manqué de l’agacer un peu.
Elle s’apprêtait à boire une gorgée de punch quand il lui prit brusquement son verre des mains.
— Hé ! s’exclama-t-elle en brandissant son bouquet dans sa direction. Rends-moi ça tout de suite !
Tout en lui adressant un sourire taquin, il se mit à renifler le contenu du verre.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Du punch.
— Alcoolisé ?
Exaspérée, elle soupira.
— A peine. Il y a juste un peu de vin pétillant, dedans. C’est un parc public, il est interdit de boire
des alcools forts.
Naturellement, il jugea nécessaire de contester :
— J’ai vu un ou deux types qui n’avaient pas l’air très frais dans la foule.
— C’est possible. Mais je t’assure que ce punch n’est pas fort du tout.
Il lui jeta un regard suspicieux.
— On dirait que vous vous amusez beaucoup, Jordyn Leigh. Un peu trop, même.
— On ne s’amuse jamais assez. Et arrête de m’appeler Jordyn Leigh.
— Pourquoi ? C’est ton nom.
— Oui, mais quand c’est toi qui le prononces, j’ai l’impression d’avoir huit ans. De porter une
salopette, des couettes, et d’avoir deux dents de devant en moins.
— J’aimais vraiment beaucoup cette petite fille, constata-t-il d’un air nostalgique.
— Tant mieux, mais je ne suis plus elle. Ça fait dix-sept ans que je ne le suis plus.
Homer Gilmore s’approcha du buffet en titubant. Le vieil homme lui adressa un grand sourire.
Comme il était gentil, mais assez bizarre, elle se contenta de lui faire un vague signe de la main.
— Je suis une adulte, maintenant, répliqua-t-elle en retournant son attention vers Will.
— C’est vrai, répondit-il.
Et là-dessus, il leva vers elle le verre qu’il lui avait pris des mains et but ce qu’il en restait d’un
trait.
Elle eut envie de protester, mais s’en abstint. A l’église, pendant la cérémonie, elle s’était sentie
attristée de se retrouver une fois encore en demoiselle d’honneur, et non en mariée. Mais c’était une belle
soirée d’été. Et elle venait de danser avec un beau cow-boy. Après tout, qui savait ce que l’avenir allait
lui apporter ? Sa mauvaise humeur avait disparu. Will avait raison. Elle s’amusait beaucoup. Et elle
comptait bien continuer de le faire.
Déterminée, elle se tourna donc vers le buffet pour prendre deux autres verres de punch, dont un
qu’elle remit à Will.
Ils trinquèrent.

* * *

Le reste de la soirée fut magique.


Will et elle étaient sur la même longueur d’onde.
Jusqu’ici, il l’avait toujours traitée comme une petite fille qu’il fallait surveiller. Mais après leur
premier punch commun, il en alla tout autrement.
On aurait dit que, tout à coup, elle était devenue son égal.
Ils mangèrent ensemble le repas et le gâteau de mariage, bavardèrent avec les frères de Will, les
mariés et les autres demoiselles d’honneur qui étaient ses amies du Club des nouveaux arrivants.
Ils firent aussi la connaissance d’Elbert et Carmen Lutello, un drôle de couple. Elbert, un petit
homme mince aux lunettes cerclées de noir, travaillait au centre administratif du comté. Carmen, femme
autoritaire qui devait faire une bonne tête de plus que lui, était juge. Jordyn trouva qu’ils formaient un
couple adorable, étonnamment tendres l’un envers l’autre.
Elle but encore du punch avec Will. Ils dansèrent. Plusieurs fois. Et elle oublia complètement le
cow-boy au chapeau blanc. Il n’y avait plus qu’elle et Will, seuls dans ce magnifique lieu embrumé. Le
parc, la réception, la musique, les rires, tout cela s’estompa pour devenir le simple décor de la magie qui
frémissait entre eux.
A un moment, il l’embrassa, en plein milieu de la piste de danse. Il releva simplement son menton et
joignit ses lèvres sensuelles aux siennes. Et tout en continuant de se balancer au rythme de la musique, ils
s’embrassèrent sans relâche.
Le moins que l’on puisse dire, c’était qu’il était doué pour les baisers. Il embrassait comme le
prince d’un conte de fées, donnant des baisers qui auraient pu réveiller une fille d’un sommeil de cent
ans. Un véritable miracle, alors qu’elle commençait à douter de jamais recevoir un jour des baisers
comme les siens.
Et il lui disait qu’elle était belle.
Ou du moins lui semblait-il. Elle n’en était pas sûre…
Car les choses devinrent de plus en plus floues au fil de la soirée.
Une fois la nuit tombée, plusieurs événements étranges se produisirent. L’une des sœurs Dalton fut
arrêtée après avoir dansé dans la grande fontaine du parc.
A un moment, Will et elle se retrouvèrent dans le parking, face à la Cadillac Eldorado rose d’Elbert
Lutello. Elbert en sortit une mallette en cuir et annonça d’une voix solennelle :
— Les gens peuvent avoir besoin des services de l’Etat à n’importe quel moment. Je suis un
serviteur du bien public, et j’aime être prêt…
Et une seconde plus tard, comme par magie, Will et elle, toujours main dans la main, se retrouvèrent
de nouveau dans le parc, où les lumières de la fête vacillaient sous la lune presque pleine. Carmen
Lutello se tenait devant eux, affichant un sourire plein de tendresse.
Que se passa-t-il ensuite ?
Elle n’aurait pu le dire.
Mais la fête se poursuivit. Et Will continua de lui donner ses baisers délicieux et parfaits, dont
chacun la remplissait de bonheur et de satisfaction.
Par ailleurs, beaucoup de personnes s’embrassaient. On ne pouvait pas passer sous un arbre sans
contourner un couple en train d’échanger un baiser. Après tout, c’était normal que tout le monde se sente
heureux et attendri en ce jour de mariage. L’optimisme régnait sur cette soirée heureuse et romantique.
* * *

Quand elle se réveilla, le lendemain, Jordyn eut l’impression que sa tête allait se fendre en deux.
Pendant plusieurs minutes, elle resta immobile, les yeux fermés, à attendre que sa tête cesse de la
faire souffrir, que son estomac cesse de se retourner. Et enfin, elle ouvrit lentement les paupières pour
regarder le plafond.
Un plafond qu’elle ne connaissait pas.
Elle fronça les sourcils, et une douleur fulgurante se répandit dans sa tête.
Prudemment, elle se tourna vers la table de chevet. Rustique et ancienne. Sans rien de commun avec
la table toute simple de sa chambre à la pension Strickland. Il y avait dessus un réveil. Qui n’était pas le
sien.
Midi passé.
Comment était-ce possible ?
Son estomac se retourna à nouveau. Tout en ravalant sa salive avec peine, elle se tourna de l’autre
côté.
Mon Dieu !
Elle cligna des yeux, tourna la tête de l’autre côté. Et regarda à nouveau.
Will.
Il était toujours là, allongé sur le ventre à côté d’elle, le visage tourné vers le mur, ses cheveux noir
de jais contrastant avec le blanc de l’oreiller. Ses larges épaules, ses bras forts et puissants étaient nus.
De même que son dos musclé, qui dépassait des couvertures. Pour le reste, elle ne pouvait pas dire…
Horrifiée, elle se redressa brusquement. Ce fut à ce moment-là que son estomac se rebella. Poussant
un cri de désespoir, elle se précipita vers la salle de bains.
Will fut brusquement réveillé par un bruit qui ressemblait à un claquement de porte. Sans
comprendre, il se redressa et serra entre ses mains sa tête, étrangement douloureuse.
Il entendit alors des bruits bizarres en provenance de la salle de bains. Apparemment, il n’était pas
seul. Il y avait quelqu’un à côté. Quelqu’un qui était malade.
Toujours à moitié endormi, il écarta une mèche de cheveux de ses yeux, avant de se tourner vers la
chaise à côté de son lit. Son dossier servait de support à une jolie robe bleue, un petit sac à main à
paillettes et un bouquet de roses rouges. Dans la salle de bains, les bruits reprirent de plus belle. Il ferma
les yeux. Mais les bruits ne cessèrent pas pour autant. Aussi finit-il par rouvrir les paupières. Par terre à
côté de la chaise, une paire d’escarpins sexy à talons hauts.
Il connaissait ces chaussures, cette robe, ce bouquet…
Jordyn ?
Jordyn Leigh Cates, dans la salle de bains ? La petite Jordyn Leigh, dans sa chambre d’hôtel, sans sa
robe ? La petite Jordyn Leigh avait passé la nuit dans son lit ?
Ramenant les mains sur sa tête, il essaya de réfléchir à ce qui avait pu arriver. Il se souvenait
d’avoir passé l’après-midi et la soirée de la veille avec elle. Un bel après-midi et une belle soirée. Mais
ensuite, qu’était-il arrivé ? Comment s’étaient-ils retrouvés là, ensemble ?
Impossible de s’en rappeler.
En rejetant les couvertures, il s’aperçut qu’il ne portait que son boxer. Cela signifiait-il que… ?
Les bruits en provenance de la salle de bains étaient de pire en pire. Pauvre Jordyn !
Lentement, il se leva et enfila son pantalon avant de frapper à la porte de la salle de bains.
— Jordyn, tu… ?
Il fut interrompu par un grognement sourd et désespéré.
— Laisse-moi tranquille, Will. Je t’interdis d’entrer.
— Mais…
— Reste là, d’accord ? J’arrive dans une minute.
Il appuya doucement son front contre la porte. Jordyn Leigh ? Il avait couché avec Jordyn Leigh ? Il
aurait pu se gifler. Et c’était probablement ce qu’allait faire son frère cadet, Brody, quand il
l’apprendrait. Sans parler des parents de Jordyn, qui étaient amis avec les siens. Mais qu’avait-il fait ?
Quelle erreur avait-il commise ?
— Jordyn, je suis vraiment désol…
— Dégage, Will !
Un peu surpris par la violence du ton, il s’éloigna de la porte.
— Bon, mais si tu as besoin de moi, n’hésite pas à m’appeler.
Cette fois-ci, elle ne se donna pas la peine de lui répondre. Les bruits reprirent.
Déconcerté, il resta quelques instants immobile. Il aurait voulu pouvoir l’aider, mais c’était
impossible. Et ce sentiment d’impuissance ne faisait que le déstabiliser davantage.
Au bout de quelques secondes, il finit par retourner s’asseoir sur le lit. Submergé par la honte, il
laissa son menton retomber contre sa poitrine. Ce fut alors qu’il aperçut un papier sur le sol.
Machinalement, il le ramassa et resta quelques longues secondes à le regarder. Un contrat de
mariage. Avec le tampon du comté et la signature officielle d’un représentant.
Un représentant du comté…
Un souvenir lui revint en mémoire. Le petit homme à lunettes de la veille au soir. Elton ou Elmert,
quelque chose comme ça. Il était avec cette grande femme, la juge…
Décontenancé, il cligna plusieurs fois des yeux. Ça ne pouvait pas être possible. Il n’avait aucun
souvenir de s’être marié. Et pourtant… Il était absolument certain que ce représentant du comté était là, la
veille au soir, accompagné de sa femme, qui était juge.
Donc, cela pouvait être possible. C’était possible.
Plus que possible.
Puisqu’il en avait la preuve entre les mains.
Ses mains sur lesquelles brillait désormais un anneau d’or. Ou peut-être de cuivre, il n’en était pas
sûr. Quoi qu’il en soit, cela ressemblait bien à une alliance. Et la signature qui était apposée au bas du
document était la sienne. A côté de celle de Jordyn.
C’était impossible. Mais c’était bel et bien arrivé.
Quelque part, au cours de la soirée de la veille, Jordyn Leigh et lui s’étaient mariés.
- 2 -

Will entendit la porte de la salle de bains s’ouvrir.


Après avoir posé le contrat de mariage sur la table de chevet, il se leva lentement pour faire face à
la femme qu’il avait de toute évidence épousée à la veille au soir.
Jordyn Leigh finit par apparaître devant lui. Ses grands yeux bleus étaient cernés de pourpre, son
teint de pêche était légèrement blafard et sa jolie bouche tremblait.
Elle avait enfilé le peignoir en éponge qui était suspendu dans la salle de bains. Elle avait les mains
enfoncées dans les poches, la tête dans le col, comme une tortue qui essaierait de rentrer dans sa
carapace. Ses cheveux couleur de blé retombaient sur ses épaules, parfaitement coiffés. Elle avait dû se
servir de son peigne avant de sortir.
Plus il l’observait, plus il se sentait mal. Des images commençaient à resurgir à sa mémoire. Jordyn,
à l’âge de trois ou quatre ans, courant dans son jardin en maillot de bain orange, ses cheveux flottant au
vent. Jordyn, à l’âge de neuf ou dix ans devant l’écurie, vêtue d’une salopette et coiffée de deux couettes.
Jordyn, le soir de son bal de promo…
Il ne se rappelait pas pourquoi il était passé chez les Cates ce soir-là, mais il se souvenait très bien
d’elle, la main sur la rampe, descendant lentement l’escalier dans une robe de satin rose, les cheveux
relevés en chignon.
Elle était tellement jolie. Elle méritait bien mieux que ça.
Mal à l’aise, il se racla la gorge.
— Jordyn, je…
Elle lui intima le silence en levant la main devant lui.
— Je vais m’habiller, marmonna-t-elle entre ses dents serrées. Je vais m’habiller et retourner à la
pension. Et je te déconseille de parler de ça à qui que ce soit.
Bon. Il s’était peut-être conduit comme un imbécile, mais il pensait tout de même qu’elle le
connaissait mieux que cela.
— Jamais je ne…
— Tais-toi ! l’interrompit-elle de nouveau en levant la main. Tais-toi, d’accord ?
Là-dessus, elle reprit sa robe sur la chaise. Pas de bague à sa main gauche. Mais il n’eut pas le
temps de réfléchir à ce que cela pouvait signifier, car elle se mit à vaciller.
Aussi vite qu’il le put, il s’approcha pour l’attraper par les épaules. Mais elle croisa les bras pour
se protéger.
— Lâche-moi, Will, protesta-t-elle en lui jetant un regard noir.
— Il faut qu’on parle.
— Je n’ai aucune envie de parler avec toi, dit-elle en essayant de se libérer de son étreinte.
Mais il ne lâcha pas prise.
— Ecoute, Jordyn…
— Laisse-moi.
Ses frêles épaules semblaient si délicates, si vulnérables sous ses mains.
— Tu trembles.
— Ça va aller.
— Non.
— Ça va, je te dis.
Elle se mit à trembler de plus belle. Il eut envie de la serrer plus fort contre lui, mais il eut peur de
l’effrayer.
Il fallait qu’ils parlent à tête reposée. Mais elle avait l’air malade et choqué. S’il lui parlait de but
en blanc de leur possible mariage, elle risquait de s’évanouir.
Mais peut-être savait-elle déjà qu’ils étaient mariés ? Peut-être se souvenait-elle de ce qui s’était
passé, elle ?
Peu importait, il verrait cela plus tard. Il fallait d’abord qu’il s’occupe de son état de santé.
— Lâche-moi, Will, répéta-t-elle.
Au lieu d’obéir, il la conduisit doucement vers le lit.
— Assieds-toi, Jordyn. On dirait que tu vas tomber.
Ses genoux semblèrent se dérober sous elle. Et au moment où elle s’effondra sur le lit, elle parut
perdre tout son courage.
— Bon sang, marmonna-t-elle en enfouissant son visage dans ses mains. Mais qu’est-ce qui s’est
passé, Will ? Je ne me souviens de… Je ne…
— Chut, calme-toi, murmura-t-il d’une voix apaisante. Mets tes pieds sur le lit et ta tête sur
l’oreiller. Repose-toi un peu. Tu en as besoin.
Pour une fois, elle fit ce qu’on lui demandait. Obéissante comme l’enfant qu’elle prétendait ne plus
être, elle s’étendit sur le lit.
— Bien, approuva-t-il en remontant le drap sur elle. Tu veux un verre d’eau ?
Le regard perdu, elle se mordit la lèvre et hocha la tête. Aussitôt, il sortit une bouteille d’eau du
minibar.
— Je vais commander de l’aspirine et un petit déjeuner. Ensuite, on parlera.
— OK, répondit-elle d’une toute petite voix. Je n’aurais rien contre un peu d’aspirine, en effet. Et tu
as raison : je crois qu’il faut qu’on parle.

* * *

Quand le petit déjeuner arriva, Will le lui servit au lit.


Elle prit une aspirine, un toast et un peu de thé. Assis à côté du lit, il mangea davantage. Au bout de
son troisième café, il se sentait déjà plus frais.
Aucun d’eux ne parla pendant le repas ni ne chercha à croiser le regard de l’autre.
Quand ils eurent terminé, elle lissa ses cheveux et manifesta des signes de nervosité.
— Je ne sais pas par où commencer, Will. Je me souviens du mariage…
— C’est vrai ? s’exclama-t-il, surpris.
Elle le regarda d’un air déconcerté.
— Bien sûr. Tu pensais vraiment que j’avais oublié que Braden Traub et Jenny MacCallum s’étaient
mariés hier.
A ces mots, il sentit les battements de son cœur s’apaiser.
— Euh, non. Bien sûr que non. Evidemment que tu t’en souviens.
— Qu’est-ce qui se passe ? Toi, tu avais oublié ?
— Mais non, voyons !
— Ecoute, je trouve que tu te comportes bizarrement.
Et pourquoi en serait-il allé autrement ? Après tout, la situation était bizarre.
— Bon, à part ça, de quoi est-ce que tu te souviens ?
Tout en relevant le col du peignoir, elle poussa un profond soupir.
— Je me souviens de la réception dans le parc, en tout cas de la plus grande partie. Enfin il me
semble. Je me rappelle ce qui s’est passé durant l’après-midi. On a dansé… Mais plus on avance dans la
soirée, plus les choses deviennent floues.
Une horrible idée lui vint brutalement à l’esprit :
— Peut-être que quelqu’un a mis quelque chose dans ton punch ?
— Non, je ne pense pas. Pourquoi quelqu’un aurait-il fait ça ?
— Allez, réfléchis un peu.
L’air exaspéré, elle soupira.
— Ce sont des choses qui arrivent, Jordyn, même si on n’a pas envie de penser que c’est possible.
Pourquoi pas le cow-boy au chapeau blanc avec qui tu as dansé et qui t’a lancé un clin d’œil quand on
était au buffet ?
— Il avait l’air gentil.
— Ce n’est pas l’impression que j’ai eue.
— Non, répliqua-t-elle en secouant la tête. Je ne pense pas qu’il aurait fait une chose pareille.
L’air perdu, elle se détourna pour observer la fenêtre.
— Réfléchis, insista-t-il. J’ai bu dans ton verre après toi. Tu t’en souviens ? Alors peut-être qu’on a
été drogués tous les deux. Jordyn ? Tu m’écoutes ?
Elle se retourna, et son regard croisa le sien, mais elle semblait complètement ailleurs.
— Je ne pense pas que ce type m’ait droguée. C’était un type bien.
— Comment peux-tu le savoir ?
De nouveau, elle détourna le regard.
— Bon, OK. Il avait l’air d’un type bien. Mais il n’empêche qu’il n’aurait pas pu verser quoi que ce
soit dans mon verre. Je n’ai dansé avec lui qu’une fois. Et il n’était pas à côté de moi quand je me suis
servi du punch.
— Tu en es sûre ?
— Bien sûr que oui. En fait, la seule personne qui aurait pu verser quelque chose dans mon verre,
c’est toi.
Sidéré par ces paroles, il s’immobilisa.
— Jordyn, tu ne penses tout de même pas que…
— Bien sûr que non ! l’interrompit-elle en commençant à se tordre les mains. Ni toi ni l’autre type,
d’ailleurs.
Elle baissa les yeux.
— La question que je me pose, c’est…
Brusquement, elle releva la tête vers lui. Ses yeux semblaient immenses, perdus.
— Est-ce qu’on a couché ensemble, Will ?
Elle avait formulé les choses de façon directe, et c’était en effet la question. Mais il essaya de
réfléchir à une façon diplomate de lui expliquer qu’il n’en avait, tout comme elle, aucune idée.
— J’espère que toi, tu sais, reprit-elle, parce que pour moi, c’est le trou noir. Je ne sais pas
comment on est arrivés ici. Il ne me reste que des images vagues et floues, des flashs de nous en train de
danser, de rire ensemble, de s’embrasser.
Alors qu’elle prononçait ces derniers mots, ses joues pâles se colorèrent légèrement.
Il se souvenait également de l’avoir embrassée. Il se rappelait son parfum sensuel, la chaleur de son
corps frêle qui semblait si à sa place entre ses bras.
— Je me rappelle aussi t’avoir embrassée…
— Alors dis-moi, s’il te plaît. Est-ce qu’on… ?
Il fut forcé d’avouer.
— Je suis désolé, Jordyn, mais je ne m’en souviens pas, moi non plus.
Elle le regarda comme s’il venait de la gifler. Et ses joues devinrent plus rouges encore. De colère,
apparemment.
— Génial ! Je suis donc très facile à oublier ?
— Ne dis pas de bêtises, Jordyn. Tu ne t’en souviens pas, toi non plus, répondit-il d’une voix dure,
sans chercher à dissimuler sa propre irritation.
Mais il regretta aussitôt. Car des larmes se mirent à lui emplir les yeux.
— Non, non. Ne pleure pas.
Trop tard. Les larmes commençaient déjà à couler sur ses joues.
— Je… je ne peux pas m’en empêcher. Je suis vierge.
Surpris, il ouvrit de grands yeux. Elle poussa un triste soupir.
— Ou j’étais vierge, reprit-elle en essuyant ses larmes d’un revers de main. Tu pourrais arrêter de
me regarder comme ça, s’il te plaît ?
Elle ferma les yeux, mais les larmes continuaient de s’échapper de ses paupières.
— Je n’aurais jamais dû te dire ça. Je ne sais pas pourquoi…
— Jordyn, murmura-t-il pour essayer de l’apaiser, il n’y a pas de problème.
— Si, il y en a. Et plein !
— Crois-moi, je ne pense pas que j’aurais essayé de profiter de toi…
Mais il ne pouvait pas en être sûr, malheureusement. Justement parce qu’il ne se souvenait de rien.
Alors qu’il se faisait cette réflexion, elle s’était mise à sangloter.
— Quelle horreur ! Je ne sais pas pourquoi je t’ai dit ça. Maintenant, tu sais, c’est encore pire. Je
suis vierge. Ou j’étais vierge. C’est ça qui est horrible. Je ne sais pas si je le suis ou si je l’étais, parce
que je ne me souviens pas de ce qui s’est passé.
Là-dessus, elle enfouit son visage dans ses mains, et ses frêles épaules furent secouées de sanglots.
Ne sachant que faire pour la réconforter, il resta quelques instants à la regarder pleurer. Il ne s’était
jamais senti aussi mal de sa vie. Non seulement il avait peut-être couché avec la petite Jordyn Leigh, mais
en plus, si tel était le cas, il avait couché avec une vierge.
Or il ne couchait jamais avec des vierges. C’était l’un de ses principes.
Tout en continuant à sangloter, elle rejeta les draps et se mit à les inspecter.
— Je ne vois pas de sang, finit-elle par marmonner. Et je ne ressens rien de particulier.
Après avoir replacé le drap sur elle, elle croisa les bras.
Silence.
Elle avait désormais le regard perdu dans le vide, et il n’avait aucune idée de ce qu’elle pouvait
penser.
Mais il fallait qu’il la réconforte. Qu’il fasse disparaître cet air tourmenté de son joli visage.
— Ecoute, reprit-il sans réfléchir, ç’aurait pu être pire. Si, et je dis bien « si », nous avons fait
l’amour, nous l’avons fait dans le cadre du mariage.
— Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? s’exclama-t-elle en attrapant l’un des oreillers pour le
lui lancer.
Il saisit ses poignets avant qu’elle en ait eu le temps. Et elle poussa un petit cri de surprise.
— Will, ton doigt ?
— Quoi ? fit-il, perplexe, en regardant prudemment son visage derrière l’oreiller.
— Tu as une bague à ton annulaire, toi aussi !
Il ne suivait plus.
— Comment ça, « moi aussi » ?
Tout en marmonnant une réponse incompréhensible, elle se leva brusquement du lit.
— Jordyn ! Où vas-tu ?
Sans répondre, elle ouvrit la porte de la salle de bains. Un instant plus tard, elle revint sur le lit et
brandit une bague qui ressemblait à celle qu’il avait au doigt, en plus petite.
— J’ai eu peur quand je l’ai vue à mon annulaire. Alors je l’ai cachée sous des serviettes.
Elle laissa tomber l’anneau sur la table de chevet, où il tournoya quelques instants avant de
s’immobiliser.
— Je ne me souviens pas de m’être mariée, reprit-elle en le regardant en face. Ce que je me
rappelle, en revanche, c’est ce petit homme à lunettes, qui disait être représentant du comté. Tu t’en
souviens ?
— Oui. De lui et de sa femme, qui était juge.
Le regard perdu dans le vide, elle hocha la tête.
— J’étais à côté de toi, Will. Je me souviens de ça. J’étais à côté de toi au clair de lune. On se tenait
la main, et il y avait beaucoup de monde autour de nous. Il y avait la juge devant, et après ça…
— Oui ?
Elle poussa un long soupir.
— Après ça, tout est noir.
Ne pouvant supporter de la voir aussi abattue, il se leva pour se rapprocher. Comme elle ne s’écarta
pas quand il s’assit, il prit le risque de passer un bras autour de ses épaules.
— Il faut voir le bon côté des choses, répéta-t-il.
— Parce qu’il y a un bon côté ?
— Je crois, oui. Tu t’es préservée pour le mariage. Et si nous avons fait l’amour, nous avons la
preuve que nous étions mariés à ce moment-là.
Sans répondre, elle se dégagea de son étreinte et le dévisagea. L’expression qu’elle arborait n’avait
rien d’encourageant.
— C’est ça, le bon côté des choses ?
— Tu ne trouves pas ?
— Tu n’as pas compris, Will. Ce n’est pas le mariage que j’attends. C’est l’amour. Ou au moins,
quelque chose de spécial.
Mal à l’aise, il se passa une main dans les cheveux.
— Comment ça « spécial » ?
— Quelque chose de spécial, avec un homme spécial. Certainement pas faire l’amour pendant que je
suis inconsciente. Par ailleurs, ce n’est pas parce que nous avons des alliances que nous sommes mariés.
Il faudrait un certificat de mariage, il me semble…
Il hésita quelques secondes, avant de se détourner pour reprendre le document qu’il avait déposé sur
la table de chevet.
— On l’a.

* * *

Il lui fallut lire le document plusieurs fois pour enfin arriver à y croire.
Jordyn se souvint alors une nouvelle fois du petit homme maigre et de sa Cadillac rose. De sa
mallette dans laquelle il disait garder des documents officiels. Une mallette qui aurait très bien pu
contenir aussi des alliances bon marché.
— Voilà pourquoi je crois qu’on est vraiment mariés, finit par lâcher Will.
Mariée ? A Will Clifton ?
Elle regarda ses yeux troublés et se rendit compte qu’elle ne pouvait plus rester une minute assise à
côté de lui à essayer de se souvenir de ce qui s’était passé la veille au soir.
— Tiens, grommela-t-elle en lui rendant le certificat. J’en ai assez vu comme ça.
D’un bond, elle se leva pour aller chercher ses affaires.
— Jordyn, attends ! Il faut qu’on réfléchisse. Il faut qu’on…
— Tais-toi, Will.
— Mais…
— S’il te plaît, tais-toi. Je n’en peux plus. Il faut que je m’habille et que je sorte d’ici.
Sur ce, elle courut se réfugier dans la salle de bains et claqua la porte derrière elle.

* * *

— Le centre administratif est fermé pour le week-end, lui expliqua Will en s’engageant dans la rue
où se trouvait sa pension. Il rouvrira demain. On ira ensemble à la première heure. Si ça se trouve, le
dossier n’est pas encore rempli. Avec un peu de chance, on pourrait peut-être faire annuler cette
absurdité.
Jordyn était tournée vers la fenêtre. La rue était encore calme. Pas d’enfants en train de jouer ou de
voisins occupés à jardiner ou à promener leurs chiens. En faisant vite, elle pourrait peut-être atteindre la
porte d’entrée sans que personne ne la voie et ne s’aperçoive qu’elle portait la même robe et les mêmes
chaussures que la veille au soir.
Elle était sur le point d’ouvrir la portière quand Will l’attrapa par le bras.
— A demain.
Tout en ravalant sa salive avec peine, elle hocha la tête.
— Oui, à demain matin.
Il la regarda droit dans les yeux comme s’il s’attendait à un signe de sa part. Mais un signe de quoi ?
Elle n’en avait aucune idée. Fort heureusement, son téléphone se mit à sonner.
— A demain, répéta-t-il en la libérant pour porter l’appareil à son oreille.
Soulagée, elle se précipita vers la grande maison victorienne. Comme elle avait déjà sorti ses clés,
elle ouvrit la porte rapidement. Tout ce qui lui restait à faire, c’était de monter les deux volées de
marches qui conduisaient à sa chambre. Mais…
Elle venait à peine d’entrer dans le hall quand une porte s’ouvrit sur la propriétaire de la pension,
Melba Strickland, vêtue de l’une de ces robes à fleurs qu’elle appréciait tant. Melba, qui devait avoir
plus de quatre-vingts ans, était une femme adorable. Mais très vieux jeu.
Elle croyait en l’amour et aussi que les rapports sexuels ne pouvaient avoir lieu qu’au sein du
couple. Dès le premier jour où Jordyn s’était installée dans la pension, près de deux ans auparavant,
Melba lui avait fait clairement comprendre qu’elle ne tolérerait pas de « batifolages » sous son toit. Bien
sûr, ses locataires lui désobéissaient parfois, mais toujours discrètement.
Or, rentrer chez soi dans une robe de cocktail de la veille au soir, au beau milieu de l’après-midi,
n’était pas vraiment une attitude que l’on aurait pu qualifier de discrète.
— Tout va bien, ma chérie ? demanda Melba en lui adressant un sourire chaleureux. Comme tu n’es
pas venue prendre ton petit déjeuner ce matin, je me suis dit que tu avais besoin de sommeil, après la
grande fête d’hier. Mais vers 11 heures, j’ai commencé à me faire du souci. Je me suis dit que ce n’était
vraiment pas ton genre.
Elle regarda Melba et ne vit dans ses yeux que de l’affection et une inquiétude qui paraissait
sincère.
L’image de Will et elle, devant Carmen Lutello, lui revint une nouvelle fois à l’esprit. Melba était-
elle présente ?
Non. Si tel était le cas, sa logeuse aurait compris pourquoi elle n’était pas venue prendre son petit
déjeuner. Et puis cela avait dû se passer assez tard dans la soirée. Melba et Gene, son mari, se couchaient
rarement après 22 heures.
Alors qu’elle se faisait ces réflexions, Melba s’était mise à lui tapoter la main.
— Ça va, ma chérie ? Tu es toute pâle…
— Tout va bien, merci, répondit-elle d’une voix peu convaincante.
— Tu as mangé ? demanda la vieille femme, qui l’entraînait déjà vers la cuisine.
— Oui, répondit-elle en dégageant doucement sa main. Je n’ai pas faim, merci.
— Tu es sûre ?
— Oui. Je descendrai plus tard pour manger quelque chose, balbutia-t-elle.
Sur quoi, elle se précipita dans l’escalier, dont elle monta les marches quatre à quatre. Quand elle
arriva au deuxième étage, à bout de souffle, elle s’arrêta, s’attendant à entendre le bruit des pas de Melba
derrière elle.
Rien.
Soupirant de soulagement, elle entra dans sa chambre. Elle venait à peine d’en refermer la porte que
son portable se mit à sonner. Machinalement, elle le sortit de son sac.
« Will », lut-elle sur l’écran.
Will ? Elle ne se souvenait pas d’avoir eu son numéro. Et encore moins de l’avoir enregistré. Dans
ce cas, elle aurait ajouté son nom de famille, d’ailleurs.
Qui était désormais le sien…
— Comment est-ce que tu as eu mon numéro ? finit-elle par dire en décrochant.
— Aucune idée. J’imagine qu’on a dû se les échanger hier soir.
Ça, et bien d’autres choses, apparemment. Leurs vœux, leur salive, et peut-être…
Elle poussa un léger gémissement.
— Jordyn, ça va ?
— Non, ça ne va pas. Où es-tu, Will ?
— Devant chez toi, dans mon pick-up.
— Tu n’es pas rentré ?
— Je viens de recevoir un appel de Craig.
Craig était son frère aîné.
— Pourquoi ai-je l’impression qu’il s’agit d’une mauvaise nouvelle ?
— Ecoute, Craig était là hier soir quand on s’est mariés. De même que la moitié de la ville,
apparemment.
La moitié de la ville ? Autrement dit, la moitié de la ville en savait plus qu’elle sur ce qu’ils avaient
fait la veille au soir.
— Je me souviens qu’il y avait du monde. Je te l’ai dit. Ce n’est pas une nouvelle pour moi, Will.
— Je n’en suis pas si sûr, répliqua-t-il d’une voix sinistre.
Lasse, elle s’assit doucement sur le sol.
— Je t’écoute.
— D’après Craig, tout le monde ne parle que de ça. La cérémonie dans le parc, notre… notre baiser
super chaud. Tu sais, celui qui a scellé nos vœux ?
Son mal de tête était revenu. Ainsi que sa colère.
— Donc nous nous sommes embrassés. Etonnant, pour des gens qui se marient. C’est tout ?
— Euh… non.
— Je t’écoute.
— Nous sommes dans la Rust Creek Falls Gazette.
— Qu’est-ce que tu racontes ? Je ne comprends pas…
— Apparemment, il y aurait une rubrique people locale, dont l’auteur est un journaliste anonyme. Ça
te dit quelque chose ?
Oui. Personne ne savait qui était ce journaliste, mais celui-ci réussissait toujours à avoir des scoops
concernant les affaires personnelles et amoureuses des habitants de la ville. Un lent gémissement
s’échappa de sa gorge.
— Oh ! non…
— Comme tu dis. D’après Craig, la rubrique du journal de ce matin ne parle que de toi et moi, de
notre mariage surprise. Et l’article n’est pas très flatteur, apparemment.
— Pas très flatteur, comment ça ?
— Je ne sais pas encore. Mais je compte bien aller en acheter un exemplaire pour tirer cela au clair.
Machinalement, elle jeta un coup d’œil à son lit. Tout ce dont elle avait envie, pour le moment,
c’était de se blottir dedans et de se mettre la tête sous l’oreiller.
— Jordyn, il faut vraiment qu’on parle et qu’on réfléchisse à la façon dont on va régler ça. Il faut
qu’on…
— Will ?
— Oui.
— J’ai besoin de repos.
— Bon, fit-il d’une voix résignée.
— Merci.
— Mais demain matin, on va au centre administratif, d’accord ? Je passe te chercher à 8 heures.
— Je n’ai pas oublié. Je serai prête, répondit-elle avant de raccrocher.
Mais elle se rappela qu’elle devait aller travailler le lendemain. Il fallait qu’elle prenne sa journée,
et plus vite elle appellerait, mieux ce serait. Aussitôt, elle composa le numéro de Sara, l’une des deux
responsables à la garderie municipale.
— Sara, bonjour. C’est Jordyn Leigh.
— Jordyn ? Il y a eu une super-fête, hier soir, si j’ai bien compris. Apparemment, les félicitations
sont de rigueur.
Toujours assise par terre devant la porte, elle massa ses tempes douloureuses.
— Euh… oui. Merci. C’était quelque chose, hein ? dit-elle prudemment.
— Malheureusement je n’étais pas là. C’est Suzie qui m’a raconté.
Suzie Johnston était la sœur jumelle de Sara et son associée.
— Elle m’a dit que ça avait été très romantique, et que ton mari et toi aviez l’air très heureux. Il est
de Thunder Canyon, m’a-t-on dit. Comme toi.
— Oui. On se connaît depuis qu’on est enfants.
— Il s’appelle Will, c’est ça ? C’est l’un des frères de Cecelia ?
Cecelia Clifton Pritchett avait elle aussi vécu dans la pension de Melba. De même que son mari,
Nick.
— Oui, c’est ça. Ecoute, Sara, je t’appelais parce que j’aurais besoin de prendre ma journée de
demain.
Elle s’interrompit. Elle n’avait pas pensé à trouver une excuse. Mais elle n’eut pas le temps de
réfléchir. Sara avait repris la parole :
— Prends toute la semaine, si tu veux. Reste avec ton petit mari, profite. Vous devriez partir en lune
de miel…
Elle aurait dû lui avouer la vérité, mais elle n’en avait pas le courage. Pas maintenant.
— Merci, Sara. Tu es un ange. En fait, j’ai juste besoin de ma journée de demain. Je serai de retour
mardi.
— Tu es sûre ?
— Certaine.
— Si tu changes d’avis, n’hésite pas à rappeler. On peut toujours s’arranger.
— Merci beaucoup.
— De rien. Je te souhaite beaucoup de bonheur. Profite bien de chaque instant. Le temps passe
tellement vite, tu sais.
La voix de Sara se brisa. Elle avait perdu son mari dans un accident de voiture alors que leur fils
cadet était encore bébé.
— Merci Sara, répondit Jordyn qui avait de plus en plus de mal à supporter sa propre hypocrisie.
Elle avait laissé son amie croire ce qu’elle était censée croire. Mais, tôt ou tard, la vérité finirait
par éclater au grand jour, et elle serait obligée de l’affronter. Elle espérait simplement qu’entre-temps son
mal de crâne aurait disparu.
Quand Sara finit par raccrocher, elle se leva avec peine et se traîna jusqu’à la salle de bains.

* * *

Rongé par les remords, Will se dirigea vers le kiosque du quartier pour acheter un exemplaire de la
Rust Creek Falls Gazette. En lui rendant sa monnaie, Mme Crawford le félicita pour son mariage.
— Je vous souhaite beaucoup de bonheur, à vous et Jordyn Leigh, lui dit-elle d’une voix qui
paraissait sincère.
En rentrant au Maverick Manor, il s’arrêta à l’épicerie pour effectuer quelques achats. Et, au hasard
d’une allée, il surprit une conversation entre deux femmes. L’une était grande et forte, l’autre, maigre,
avait des cheveux gris ramenés en chignon. Elles ne le virent pas arriver, trop occupées à échanger des
ragots.
— Quelle honte, vous ne trouvez pas ? disait la grande. Deux étrangers, à ce que j’ai entendu dire.
Ils étaient tellement ivres qu’ils se sont mariés à 11 heures du soir, dans le parc.
Il tendit l’oreille, mais ne bougea pas.
La maigre prit la parole :
— J’ai entendu dire que la mariée était l’une de ces désespérées de la « ruée vers l’homme »,
venues en ville pour se chercher un mari pendant la reconstruction qui a suivi l’inondation.
— On dirait bien qu’elle en a trouvé un.
— Ça ne durera pas. J’imagine que le garçon en question doit déjà être en train de se mordre les
doigts. Et de chercher le moyen de prendre ses jambes à son cou.
La grande se mit à ricaner, et le sang de Will ne fit qu’un tour. Qu’est-ce que ça pouvait bien leur
faire que Jordyn et lui envisagent bel et bien de faire annuler leur mariage ? Peu importait pour le
moment. Il ne pouvait pas laisser cette adorable fille se faire traîner dans la boue par deux commères.
— Excusez-moi, mesdames, intervint-il en s’approchant.
L’air surpris, elles se retournèrent vers lui.
— Il semblerait que vous soyez mal informées.
— Ah oui ? fit la maigre d’une voix méprisante.
— Parfaitement. Vous voyez, je suis le jeune marié dont vous venez de parler, répondit-il en tendant
la main à la grande. Will Clifton.
La dame lui serra prudemment la main.
— Ravi de vous rencontrer, reprit-il en lui adressant son sourire le plus chaleureux, avant de se
tourner vers la maigre. Madame.
Elle cligna des yeux avant de serrer brièvement la main qu’il lui avait tendue.
— Tout d’abord, comme vous le voyez, je ne me mords pas les doigts. Deuxièmement, je n’irai nulle
part. Je viens d’acheter un ranch à l’est de la ville, et je suis désormais un habitant de Rust Creek Falls.
Enfin, je ne sais pas d’où vous tenez vos informations, mais quelqu’un a dû vous mentir. Car ma femme et
moi ne nous sommes pas mariés sous le coup d’une impulsion.
Ce qui n’était peut-être pas tout à fait vrai, puisque ni lui ni Jordyn ne se souvenaient de l’état
d’esprit dans lequel ils se trouvaient quand ils avaient échangé leurs vœux. Mais peu importait. Il
poursuivit :
— Jordyn Leigh et moi sommes tous les deux de Thunder Canyon. Nous ne sommes en aucun cas des
étrangers l’un pour l’autre. Nous nous connaissons depuis que nous sommes enfants. Nos familles sont
très amies. Et je suis désormais l’homme le plus heureux de la terre, car j’aime Jordyn de tout mon cœur,
et je suis ravi qu’elle soit mienne désormais.
Totalement faux, mais ça eut l’air de fonctionner.
La maigre prit un air contrit et la grande se mit à balbutier des paroles incompréhensibles.
— Ravi de vous avoir rencontrées, mesdames. Bonne journée, conclut-il avant de prendre ses
rasoirs et de se diriger vers la caisse.
Quelques minutes plus tard, il se garait devant le Maverick Manor. Et ce ne fut qu’une fois dans la
sécurité de ses murs qu’il se risqua à ouvrir le journal.
La rubrique people était longue, et il n’y était pas uniquement question de Jordyn et lui. De toute
évidence, beaucoup d’autres personnes s’étaient conduites étrangement ce soir-là, et le mystérieux
journaliste n’avait pas hésité à raconter leurs frasques en détail, à commencer par celles de la serveuse
qui avait été arrêtée pour s’être baignée dans la fontaine du parc, et celles de plusieurs autres personnes
qui avaient organisé une partie de poker dans un bar, au cours de laquelle l’un des frères Crawford avait
gagné rien de moins qu’un ranch.
L’article les concernant venait en dernier. Et contrairement aux deux horribles commères qu’il venait
de rencontrer, le texte n’était pas cruel. En considérant les choses d’un point de vue objectif, on aurait
même pu penser que cette histoire de mariage impulsif avait quelque chose de romantique. Néanmoins, il
n’arrivait pas à supporter l’idée que soit mis en lumière quelque chose qui demeurait pour lui un
véritable trou noir. Et Jordyn ne le supporterait pas non plus. Au bout du compte, ils étaient un peu comme
deux imbéciles qui avaient brusquement décidé de se passer la bague au doigt.
Au fil de sa lecture, il sentit la colère monter. Certes, l’article n’était pas méchant. Mais celui qui
l’avait écrit aurait tout de même pu avoir le courage de le signer de son nom. Comment se faisait-il, par
ailleurs, que cette personne ne s’interroge pas sur ce qui était arrivé aux autres ce soir-là ?
Pour sa part, il se posait des questions. Il soupçonnait toujours le cow-boy au chapeau blanc d’avoir
drogué le punch. Et au-delà, cet article et la conversation qu’il avait surprise entre les deux commères le
poussaient à reconsidérer la situation.
Parce qu’ils étaient mariés et que tout le monde semblait le savoir. Et dans une petite ville comme
Rust Creek Falls, les gens prenaient l’institution du mariage très au sérieux. Si Jordyn et lui ne trouvaient
pas un moyen de se sortir de cette impasse, la réputation de Jordyn serait salie, de même que la sienne.
Plus il réfléchissait, plus il lui semblait qu’il ne fallait pas se précipiter au centre administratif pour
faire annuler le mariage. Il était trop tard.
- 3 -

Le lendemain matin, quand Will se gara devant la pension, Jordyn Leigh l’attendait déjà, assise sur
les marches du porche, vêtue d’un jean délavé et d’un T-shirt blanc. Dès qu’elle le vit, elle se leva d’un
bond et courut à sa rencontre, le soleil matinal faisant danser des reflets de bronze dans ses cheveux
dorés.
Tout en prenant place sur le siège passager, elle lui adressa une ébauche de sourire. Au même
instant, une agréable odeur vint emplir la voiture, un parfum capiteux qui lui rappela la soirée du mariage,
mélange de fleurs de printemps, d’herbes sauvages et de pêches bien mûres.
— Bonjour, finit-il par lâcher, troublé.
Sans rien répondre, elle boucla sa ceinture et regarda droit devant elle.
— Bien dormi ? demanda-t-il en mettant le contact.
Elle lui jeta un regard déconcerté, avant de reprendre son observation de la route. Sur le chemin, il
essaya de la faire parler de choses anodines : le temps qu’il faisait, son emploi à la crèche. Mais,
manifestement peu disposée à faire la conversation, elle se contenta de répondre par oui ou par non.
— Tu as vu la Gazette ? finit-il par demander.
— Oui.
Il décida malgré tout de poursuivre ses efforts :
— J’ai reparlé à Craig hier soir. Il en sait plus sur l’histoire de Brad Crawford. Brad est le type qui
a gagné le ranch au poker. Maintenant, le ranch lui appartient, et le précédent propriétaire a disparu dans
la nature. Personne ne l’a vu depuis samedi soir. Certains parlent d’un acte criminel.
Le regard toujours rivé sur le pare-brise, elle se contenta de hausser les épaules.
De guerre lasse, il finit par abandonner. Du moins pour le moment. Le reste du trajet se fit donc en
silence.
Quand ils arrivèrent au centre administratif de Kalispell, la secrétaire les informa qu’Elbert était
absent et leur expliqua que leur dossier était rempli et qu’ils étaient donc bien mariés. Comme Jordyn,
choquée, gardait le silence, il décida de suivre son plan originel : il demanda si le mariage pouvait être
annulé.
L’air compatissant, la secrétaire leur expliqua que cela risquait d’être compliqué :
— Dans le Montana, pour obtenir une annulation, il faut une preuve que le mariage n’a pas été
consommé. Vous voyez donc ce que j’entends par « compliqué » ?
Jordyn fit entendre un bruit étranglé. On aurait dit qu’elle allait fondre en larmes. Il regretta de ne
pouvoir la prendre dans ses bras. Mais elle réussit à se reprendre, et la secrétaire poursuivit :
— Le plus simple et le plus rapide, dans votre cas, ce serait sans doute le divorce par consentement
mutuel.
Elle leur remit une grosse liasse de documents.
— Il faut que vous les remplissiez et que vous me les remettiez personnellement. Si tout est en
ordre, je vous donnerai alors une date de rendez-vous pour l’audience, dans un délai de vingt jours. Cette
audience n’est qu’une formalité. A partir du moment où vous me remettrez les documents, vous pourrez
vous considérer comme divorcés dans un délai maximum de vingt jours.
Après l’avoir remerciée, ils quittèrent le bâtiment. Mais même quand ils eurent regagné la voiture,
Jordyn garda le silence.
— Tu sais, il faudrait qu’on parle de tout ça.
— Ramène-moi à la pension, s’il te plaît, répondit-elle en secouant la tête.
Mais il était déterminé. Sur le chemin du retour, il finit par se garer devant un mignon petit café. Le
minuscule bâtiment était peint en blanc et des géraniums débordaient des jardinières accrochées aux
fenêtres. Il coupa le moteur et mit les clés dans sa poche.
— Qu’est-ce que tu fais ? s’écria-t-elle d’un air courroucé.
— J’ai besoin de prendre un petit déjeuner. Tu as mangé ?
— Je t’ai dit que je voulais rentrer à la pension.
— Donc tu n’as pas mangé, conclut-il en glissant un bras derrière son siège pour se rapprocher
d’elle.
Elle le regarda fixement, et sa lèvre inférieure se mit à trembler.
Il eut envie de la serrer contre lui pour la rassurer. Mais il avait le sentiment que, s’il se risquait à
agir ainsi, elle rentrerait dans sa coquille.
— Il faut qu’on mange. Et aussi qu’on parle, insista-t-il.
Elle se mordit la lèvre. Mais enfin, elle acquiesça.
— D’accord, murmura-t-elle d’une voix à peine audible. On va manger. Et tu as raison, on va aussi
parler.

* * *

Jordyn suivit Will dans le petit café. Elle n’avait aucune envie d’être là, tant elle se sentait mal,
alors que lui paraissait si calme, si raisonnable et compréhensif.
Elle avait envie de le prendre dans ses bras et de le serrer contre elle pour lui dire à quel point il
était génial. Mais elle aurait l’air d’une gamine, ce qui ne ferait qu’empirer les choses.
Ils étaient mariés. Mariés, vraiment mariés. Et maintenant, ils allaient devoir divorcer. Elle avait
toujours refusé le divorce. Dans sa vision des choses, un mariage devait durer jusqu’à la mort.
Cette situation lui paraissait horrible. On aurait dit un cauchemar dont elle ne pouvait se réveiller.
Pendant qu’elle réfléchissait là-dessus, il avait choisi une table dans un petit coin. Une serveuse
s’approcha d’eux. Il commanda un steak et des œufs. Et elle était sur le point de dire qu’elle ne voulait
que du café quand il tourna son regard vers elle. Un regard doux, mais insistant. Aussi commanda-t-elle
des pancakes.
La serveuse ne tarda pas à apporter leurs plats et ils mangèrent en silence. Soulagée, elle se laissa
aller à penser qu’il avait peut-être abandonné l’idée de prolonger la discussion sur leur mariage. Mais il
y avait peu de chances.
Il en était environ à la moitié de son plat quand il se pencha vers elle.
— Il nous faut un meilleur plan, chuchota-t-il.
— Comment ça ? répondit-elle en reposant sa fourchette.
Il but une gorgée de café, prit une bouchée de steak.
— Je sais que tu es très perturbée par tout ça, Jordyn, et je ne voudrais pas t’angoisser davantage,
mais as-tu pensé à ce que tu allais faire s’il s’avère que tu es enceinte ?
Sentant son estomac se retourner brutalement, elle repoussa son assiette à peine entamée.
— Non. Oh ! mon Dieu !
L’idée qu’elle puisse être enceinte ne lui avait même pas traversé l’esprit.
— Je suis désolé, mais il fallait tout de même que j’en parle, continua-t-il en soutenant son regard.
Sous le coup de l’angoisse, elle sentit sa gorge se serrer.
— Tu as bien fait, balbutia-t-elle.
— J’ai toujours un préservatif dans mon portefeuille. Il est encore là, j’ai vérifié. Tu ne prendrais
pas la pilule, à tout hasard ?
Elle secoua la tête.
— Alors tu pourrais peut-être prendre la pilule du lendemain, par précaution ?
De nouveau, elle secoua la tête.
— Je ne pense pas que je sois enceinte. Et pour ce qui est de la pilule du lendemain, non. Non, c’est
hors de question.
— Bon, fit-il d’une voix patiente. Mais il faut que tu comprennes que nous ne pouvons être sûrs de
rien. Il est possible que nous ayons eu un rapport sexuel samedi soir. Et, si c’est le cas, il est possible que
tu sois enceinte.
Sentant le feu lui monter aux joues, elle dissimula son visage derrière ses mains.
— Qu’est-ce que tu veux que je fasse, Will ?
— Tu veux vraiment que je te le dise ?
Elle acquiesça.
— Je crois qu’on devrait rester mariés un certain temps.
— Mais je…
— Attends. Ecoute-moi.
Pour se donner une contenance, elle serra sa tasse de café entre ses mains.
— Vas-y.
— Jordyn, si tu portes mon enfant, il n’y aura pas de divorce. S’il y a un bébé, je voudrais que tu
acceptes l’idée que nous trouvions ensemble un moyen de faire durer notre mariage.
Elle eut envie de protester. De lui dire que tout cela n’était qu’un horrible cauchemar, qu’elle ne
pouvait être enceinte.
Mais elle devait sortir de cette phase de déni où elle se trouvait depuis qu’elle s’était réveillée dans
la chambre d’hôtel. Ils avaient très certainement fait quelque chose au cours de la nuit. Et s’il y avait un
bébé, ils partageaient la même opinion, fondée sur les mêmes valeurs. S’il y avait un bébé, ils resteraient
mariés.
— Tu as raison, finit-elle par dire. Je suis d’accord. S’il y a un bébé, nous resterons mariés.
Il poussa un soupir de soulagement.
— Bien.
— Mais je suis sûre qu’il n’y en a pas.
— Je comprends. Pourtant c’est tout de même une possibilité. Et nous devons l’accepter.
Elle avait envie qu’il la comprenne. Que quelqu’un la comprenne.
— Je… J’ai des projets, Will. Les gens pensent que je suis venue à Rust Creek Falls pour me
trouver un homme. Et c’est sûrement vrai. Un peu. Parce que oui, je suis une pathétique romantique.
— Il n’y a rien de pathétique en toi, Jordyn.
Ses paroles directes lui firent éprouver une chaleur dont elle avait vraiment besoin.
— Peut-être pas pathétique, alors, reprit-elle en lui adressant un sourire qu’il lui rendit. Mais
romantique, c’est sûr. Je crois en l’amour, au mariage, à la famille, aux choses qui durent. Il est important
d’attendre un homme spécial. Et c’est pour cette raison que, quand j’ai découvert ce que nous avions fait
samedi soir, quoi que nous ayons fait, j’ai eu envie de disparaître sous terre. Cela va à l’encontre de tous
mes principes, de tout ce en quoi je crois profondément.
— Je sais, admit-il en lui adressant ce regard franc. Mais il faut tout de même qu’on trouve le
meilleur moyen de faire face à cette situation.
— Je suis d’accord. Et ce que j’essayais de te dire, c’est que, oui, je suis une romantique. Je veux le
grand amour, un vrai mariage d’amour. Je suis… déçue de ne pas avoir trouvé le bon, alors que mes
quatre sœurs sont mariées et que tout le monde autour de moi semble être heureux en couple. Je suis
déçue, mais pas au point de m’arrêter de vivre. Je ne vais pas rester assise les bras croisés à attendre
qu’un type vienne donner un sens à ma vie. J’ai des projets personnels. Des projets professionnels.
Il prit une autre bouchée de steak.
— Parle-m’en.
— Ça t’intéresse vraiment ? demanda-t-elle en lui jetant un regard en biais.
— Bien sûr.
Etait-il sincère ? En tout cas il en avait l’air.
— Bon. Je prends des cours par correspondance. Et dans deux semestres, si tout va bien, je devrais
décrocher mon diplôme d’institutrice. Je me suis dit : « Bon, OK, les choses n’ont pas marché comme je
le voulais à Rust Creek Falls. Je me suis fait de super-amis et j’adore la vie ici. Mais le grand amour que
j’espérais trouver en m’installant dans cette ville, je ne l’ai jamais rencontré. » Alors j’ai pensé qu’il
était peut-être temps d’essayer quelque chose de nouveau. De sortir un peu de ma coquille et d’acquérir
de l’expérience.
— Et donc… ?
— Donc, je vais partir à l’université de Missoula en automne. J’y suis inscrite. J’avais un peu
d’argent de côté et j’ai économisé assez pour vivre jusqu’à ce que je me trouve un emploi là-bas. Donc,
j’ai un projet, un rêve, Will, un vrai. Je veux obtenir mon diplôme et faire carrière. Je quitte Rust Creek
Falls à la fin du mois d’août. Et je me fiche pas mal de ce que peuvent penser certains esprits étriqués qui
habitent ici.
Tout en reposant son couteau et sa fourchette, il secoua la tête.
— Je ne te crois pas. Au contraire, ça te touche. Et moi, ça me touche. Je refuse que tu te sentes un
jour gênée ou blessée par ce qui s’est passé samedi soir. Et même si tu t’en vas, moi, je resterai à Rust
Creek. Je ne veux pas être perçu comme un homme qui n’honore pas ses engagements.
— Mais ce n’est pas un vrai engagement…
— Si ! s’exclama-t-il d’une voix dure. Nous sommes mariés. Ça ne durera probablement pas
éternellement, mais c’est un engagement que nous devons tous les deux prendre au sérieux et traiter avec
respect. Je te l’ai déjà dit : il nous faut un meilleur plan. Et j’en ai un. Un plan qui empêchera les autres
de se mêler de nos affaires, mais qui ne t’empêchera pas de mener à bien tes projets d’études.
— C’est vrai ?
— Oui. Quand commencent tes cours ?
— L’avant-dernière semaine d’août.
— Parfait. Ça devrait coller.
— Explique.
— On reste mariés jusqu’à la fin de l’été. Tu vas venir t’installer chez moi.
Sidérée par ces propos, elle se redressa sur sa chaise.
— M’installer chez toi ? répéta-t-elle.
— Tout à fait. Tu emménages au ranch. Si quelqu’un te parle de tes projets, tu dis que je suis fier de
toi et que je te soutiens dans ta démarche, que j’ai insisté pour que tu poursuives tes études, que c’est le
rêve de ta vie et que je souhaite que tu le réalises.
— Oh ! mon héros ! murmura-t-elle ironiquement.
— Tu diras, poursuivit-il comme si elle n’était pas intervenue, que même si tu pars pour l’université
cet automne, tu reviendras souvent ici, parce que tu détestes l’idée que nous soyons séparés. Dans
combien de temps pourras-tu savoir si tu es enceinte ?
— Ecoute, je crois que tu devrais te calmer un peu parce que…
— Dans combien de temps, Jordyn ? insista-t-il.
Elle connaissait cet air déterminé. Il ne la lâcherait pas tant qu’elle n’aurait pas répondu.
— Dans deux semaines, je pense. J’ai… un cycle assez régulier. Mais je pourrais peut-être faire un
test de grossesse plus tôt.
— Disons deux semaines. S’il s’avère que tu es enceinte, nous réfléchirons à un moyen de faire
fonctionner ce mariage. Sinon, nous remplirons les papiers à la fin du mois de juillet et nous serons
divorcés au moment où tu partiras pour Missoula.
— Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée.
— Eh bien moi, si. Des questions ?
Elle avait tout à coup envie de le gifler.
— Oui, j’en ai une.
— Je t’écoute.
— Est-ce que tu veux dire qu’on va dormir dans la même chambre ?
Il parut vaguement offensé par la question.
— Ecoute, Jordyn, tu me connais. J’essaie de t’aider, pas de profiter de toi.
— Je crois que je ferais mieux de me montrer honnête envers tout le monde, d’assumer les
conséquences de mes actes, puis de partir.
— Tu te trompes, répondit-il d’un air toujours aussi obstiné. Mon plan est meilleur que le tien, pour
toi comme pour moi. Bon, où en étais-je ? Nous ferons chambre à part, bien sûr. Mais, partout sauf au lit,
nous devrons être ensemble pour que les gens ne se doutent de rien.
— Ce sera néanmoins un mensonge, Will. On va mentir à tout le monde.
— Non. Parce que nous sommes vraiment mariés. Et la façon dont nous avons choisi de l’être ne
regarde personne d’autre que nous. D’autre part, s’il s’avère que tu es enceinte, nous aurons déjà
commencé notre vie ensemble. Réfléchis-y. Pense à cet enfant qui n’y est pour rien.
A ces mots, elle ne put s’empêcher de rire.
— Qu’y a-t-il de si drôle ? demanda-t-il, décontenancé.
— Eh bien, toi, Will. Déterminé à faire ce qu’il y a de mieux pour protéger ma réputation. Ecoute,
nous ne savons même pas si nous avons eu un rapport sexuel. Et tu parles déjà de protéger notre bébé…
— Tout à fait. Et j’assume, répondit-il.
— Bon. Est-ce qu’il va falloir que je te paie un loyer ?
Il parut plus vexé encore.
— Bien sûr que non.
— Mais si je dois m’installer chez toi…
— Ça te gêne si je te demande de m’aider dans les tâches ménagères ?
— Pas du tout, mais il faut tout de même que je paie…
— Tu m’apporteras ton aide quand j’en aurais besoin, l’interrompit-il. C’est bien plus important que
l’argent à mes yeux. Crois-moi, il y a beaucoup de travail. Et la maison compte trois chambres. Je n’en
utiliserai moi-même qu’une seule.
Une minute plus tôt, elle était en train de rire. Mais elle ne riait plus, désormais. Elle venait de
comprendre une chose : elle n’aurait pas pu affronter la situation toute seule. Elle aurait eu peur.
— Mais les gens vont quand même parler.
— Et alors ? Laisse-les parler. Ils finiront bien par se lasser quand ils verront qu’on est juste un
jeune couple marié heureux et sympa. Ils trouveront d’autres sujets de commérage.
— C’est juste que…
Malheureusement, la serveuse s’approcha à nouveau de la table.
— Vous désirez autre chose ?
— L’addition, merci, répondit-il.
Il paya la note et la serveuse disparut à nouveau.
— C’est juste que quoi ? lui demanda-t-il alors.
Elle se passa nerveusement la main dans les cheveux.
— Tu es sûr de vouloir faire ça ?
— Ecoute, c’est mon plan. Bien sûr que je veux faire ça.
Elle repensa à toutes ces années où il l’avait taquinée avec son attitude de grand frère Je-sais-tout.
Mais à bien y réfléchir, quitte à s’être mariée au hasard, il valait mieux que ce soit avec un garçon
désireux de ce qu’il y a de mieux pour elle et prêt à se battre à ses côtés, jusqu’à ce qu’elle laisse Rust
Creek Falls derrière elle.
— Tu es un type bien, Will. Un vrai héros. Et je pense sincèrement ce que je dis.
— Dis-moi juste que tu es d’accord.
Bien qu’elle ait encore des doutes, la possibilité qu’il y ait un bébé en jeu faisait pencher la balance
en sa faveur.
— D’accord. On va le faire. On va suivre ton plan.
Il y eut un long silence, au cours duquel ils se regardèrent droit dans les yeux.
— Donne-moi ta main, finit-il par dire.
Sans réfléchir, elle s’exécuta.
— Ta main gauche, précisa-t-il.
Et, au même instant, il sortit de sa poche la bague qu’elle avait abandonnée sur sa table de chevet, la
veille.
Elle sentit alors ses yeux s’emplir de larmes, avec l’impression de vivre un moment spécial. Son
cœur se gonflait dans sa poitrine.
— Je vois que tu as pensé à tout, balbutia-t-elle.
— Ta main, Jordyn Leigh, répéta-t-il avec un sourire en coin.
Elle la lui tendit, il lui glissa l’anneau au doigt. Et instinctivement, pour sceller leur pacte, le
remercier, chercher du réconfort, bref, pour plusieurs raisons qu’elle n’aurait pu toutes énumérer, elle
entrelaça ses doigts aux siens.
— Merci, bredouilla-t-elle d’une voix presque assurée.
- 4 -

Sur le chemin du retour, Will ne cessa de lui jeter des coups d’œil en biais. Il devait avoir quelque
chose à l’esprit.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Dis-le ! s’exclama-t-elle, agacée.
Après lui avoir jeté un nouveau coup d’œil en biais, il se remit à regarder la route sans répondre.
— Allez ! insista-t-elle. Je t’écoute.
— Pour ce soir…
De plus en plus énervée, elle croisa les bras.
— Quoi ?
— C’est mon dernier soir au Maverick Manor. Je m’installe demain au ranch.
— Oui, tu me l’as dit samedi soir. Avant que nous ne fassions toutes ces bêtises que nous avons
oubliées.
— Je pense qu’il faudrait que tu y séjournes avec moi.
— Nous nous sommes déjà mis d’accord là-dessus.
— Non, Jordyn, je veux dire ce soir. Dans ma chambre d’hôtel. Nous sommes mariés, tu t’en
souviens ? Il faut qu’on joue le jeu.
Elle eut envie de protester. D’objecter qu’elle avait dormi à la pension la veille, qu’une nuit de plus
n’y changerait rien. D’autant qu’ils s’étaient mis d’accord pour faire chambre à part, et que ce serait
impossible à l’hôtel.
Mais elle avait déjà passé une nuit dans son lit. Et cette fois-ci au moins, elle n’oublierait pas ce qui
se passerait.
— D’accord, lâcha-t-elle.

* * *

Quand il la déposa devant la pension, elle lui promit de le rejoindre à l’hôtel une demi-heure plus
tard.
Une fois dans sa chambre, elle prépara ses affaires pour la soirée, puis pour son déménagement.
Demain, quand elle aurait fini le travail, elle mettrait tout dans sa Subaru et rejoindrait Will au ranch.
Elle était en train d’empiler des T-shirts dans une valise quand Melba frappa à sa porte. Jordyn
l’invita à entrer.
— On dirait bien que tu vas nous quitter plus tôt que prévu, constata la vieille femme, avant de la
prendre dans ses bras.
Jordyn respira son odeur réconfortante, mélange de cire et de biscuits à la cannelle.
— J’ai entendu dire que tu avais épousé le frère de Cecelia, reprit Melba. Félicitations, ma chérie.
Je suis certaine que tu seras très heureuse.
Une fois encore, Jordyn se sentit coupable de mentir. Surtout à Melba, qui avait toujours été gentille
et généreuse avec elle.
— Merci. Je connais Will depuis toujours, c’est un homme merveilleux, répondit-elle en se
dégageant de l’étreinte de la vieille femme. Je suis désolée de ne rien vous avoir dit hier. Tout s’est passé
si rapidement.
— L’amour, c’est parfois comme ça.
— Oui… Oui, parfois. Ecoutez, Melba. Je vais revenir demain, après le travail, pour chercher mes
affaires. Je vous rendrai la clé. Est-ce que ça vous va ?
Sans lui répondre, Melba lui prit la main et lui remit un petit bout de papier. Elle baissa les yeux. Un
chèque. Correspondant à vue de nez au montant de son loyer augmenté de sa caution.
— Melba, ce n’est pas la peine. Je ne vous ai même pas donné de préavis.
— Chut, fit la vieille femme en lui tapotant la joue. Considère ça comme notre cadeau de mariage, à
Gene et moi. Mais tu as intérêt à venir me voir de temps en temps. Je veux tout savoir de ta nouvelle vie.
— Je vous le promets.
En tout cas jusqu’au mois d’août. Après quoi, elle partirait pour de bon.
Pendant qu’elle se faisait ces réflexions, Melba s’était mise à rire d’un air ravi.
— Je te l’avais bien dit, d’avoir confiance. J’étais certaine que tu finirais par trouver l’homme
idéal.
Il était arrivé plusieurs fois à Jordyn, au cours des deux années passées, de venir pleurer sur
l’épaule de Melba, parce que tout le monde autour d’elle trouvait sa moitié et se mariait, alors qu’elle
n’avait toujours pas rencontré la sienne.
— C’est vrai.
— Tu vois ?
Elle se força à afficher un grand sourire.
— Vous avez raison. J’ai fini par le trouver.
Ce qui était vrai. Mais pas dans le sens où Melba l’entendait. Elle était bien mariée, comme elle
avait toujours rêvé de l’être. Mais durant la troisième semaine d’août, à moins bien sûr qu’elle ne soit
enceinte, elle serait divorcée.
Or, dans ses rêves, l’amour avec un homme spécial, très spécial, ne pouvait durer qu’éternellement.
Will, bien sûr, était spécial. Et il l’aimait. Mais comme une petite sœur qu’il faudrait protéger.
C’était loin, bien loin de ce à quoi elle avait rêvé.

* * *

Quand elle frappa à la porte de la chambre d’hôtel de Will, il lui répondit avec le téléphone à
l’oreille.
Tout en lui faisant signe d’entrer, il poursuivit la conversation qu’il était en train de mener. Avec sa
mère, Carol, apparemment.
— Oui, maman, je sais. J’aurais dû t’appeler. C’est quelque chose de très important, et je
comprends que tu ne sois pas contente d’avoir été mise de côté. Oui, absolument. Tu avais le droit d’être
là. C’est juste que, quand Jordyn Leigh m’a dit « Oui », j’étais tellement heureux que j’ai voulu faire
d’elle ma femme sans lui laisser le temps de réfléchir.
Comme pour la rassurer, il se tourna vers elle et lui adressa un sourire à la fois espiègle et confiant,
avant de poursuivre :
— Je voulais lui passer la bague au doigt le plus rapidement possible. J’avais peur qu’elle ne
change d’avis, tu comprends ?
Il y eut un silence.
— Demain ? D’accord, reprit-il. On se sera installés à ce moment-là… Merci. Oui, je n’y
manquerai pas… Oui, elle est là.
Terrorisée, elle agita son index devant lui, mais il lui glissa le téléphone dans la main.
— Bonjour, Carol.
— Jordyn Leigh, je suis tellement contente ! s’exclama la mère de Will en reniflant, comme si elle
venait de pleurer. Je dois dire que je me suis toujours posé des questions sur vous deux : j’ai toujours
pensé qu’il y avait entre vous bien plus que vous ne l’imaginiez.
Vraiment ?
— Et vous aviez raison, mentit-elle. Comme vous pouvez désormais le constater.
Elle adressa une petite grimace à Will, qui lui renvoya un sourire encourageant.
— Il faut que je te dise, continua la mère de Will sur le ton de la confidence, que j’en étais venue à
penser que Will ne trouverait jamais quelqu’un de bien. Mais maintenant, je comprends mieux. Il attendait
de venir à Rust Creek Falls. Et à toi. Je… Je n’ai pas de mots pour exprimer ce que je ressens. Ta mère et
moi avons toujours rêvé que nos familles soient liées un jour. Et maintenant, c’est fait. Ce n’est plus un
rêve. Tu es ma fille aussi, désormais. J’espère vraiment qu’on pourra passer vous voir, cet été.
— Ce serait super, oui.
Et bizarre. Et gênant.
— Will nous a dit que tu partais pour Missoula. Mais j’espère que vous pourrez venir nous voir
pour les fêtes de fin d’année.
— Oui, bien sûr.
— Oh ! ma chérie, j’ai tellement hâte !
Jouant le jeu, Jordyn lui répondit qu’elle avait hâte, elle aussi. Puis elle la laissa babiller
joyeusement pendant les dix minutes qui suivirent.
Enfin, Carol demanda à reparler à Will.
— J’avais encore deux ou trois choses à lui dire. Et son père voudrait aussi le féliciter.
Soulagée, Jordyn passa l’appareil à Will comme s’il s’agissait d’une patate chaude, avant de
s’enfermer avec son sac de voyage dans la salle de bains, où elle était certaine de ne pas pouvoir
entendre les nouveaux mensonges que Will allait proférer.
Déterminée à ne pas sortir de la pièce avant qu’il ait terminé, elle commença à ranger ses affaires
de toilettes. Mais son propre téléphone se mit à sonner. C’était sa mère, qui, tout comme celle de Will,
pleurait à chaudes larmes.
Pendant qu’elle lui expliquait à quel point elle était heureuse et surprise par ce mariage, Jordyn
sortit de la pièce pour se laisser tomber sur le canapé. Sa mère était elle aussi déçue de ne pas avoir été
là pour voir sa fille cadette dire « Oui » à l’homme de ses rêves. Mais au bout d’un quart d’heure, elle
dépassa sa douleur et finit par lui expliquer qu’elle était en réalité ravie.
— J’ai toujours préféré Will à ses frères, expliqua-t-elle d’un air tout excité. Attention, je n’ai pas
dit que je ne les aimais pas. Mais ça a toujours été lui, mon préféré.
— Je sais, maman.
— Ton père et moi, nous allons essayer de passer à Rust Creek Falls avant la fin des vacances.
— Je serai ravie de vous voir.
Même s’il va falloir que je te mente tout le temps où tu seras là.
— Mais je ne peux rien te promettre. Tu sais qu’on a toujours des tas de choses à faire. De toute
façon, vous viendrez à Thunder Canyon pour Thanksgiving, non ?
Elle jeta à Will un regard plein de reproches.
— Bien sûr, maman.
— Formidable ! Je suis très heureuse pour toi. Et Will a beaucoup, beaucoup de chance.
Son père prit le relais. Il lui dit qu’il l’aimait, qu’il était fier d’elle. Il trouvait qu’elle avait très
bien fait de choisir Will comme mari.
— Il est avec toi ? J’aimerais lui dire un mot.
Elle lui passa Will. Son père, puis sa mère le félicitèrent. Ils ne purent raccrocher que vingt minutes
plus tard.
Mais ensuite, ce fut Jasmine, l’une des sœurs de Jordyn, qui appela. Jazzy avait accompagné Jordyn
à Rust Creek Falls, mais elle avait vite trouvé l’amour de sa vie en la personne du vétérinaire Brooks
Smith.
— J’ai appris la nouvelle dimanche matin, lui dit Jazzy d’un air blessé. Je t’ai appelée deux fois
depuis et je t’ai envoyé des tas de textos. Je commençais à me faire du souci.
Jordyn s’excusa, l’apaisa, lâcha les mensonges que sa sœur voulait entendre. Ces mensonges,
d’ailleurs, commençaient à sortir beaucoup trop facilement de sa bouche. Ce qui donnait un caractère plus
horrible encore à la situation.
Quand elle se fut débarrassée de sa sœur, elle trouva son jeune mari en train de l’observer.
— Je serais vraiment heureuse de ne plus avoir à sortir un seul mensonge de la journée, murmura-t-
elle sans chercher à dissimuler son dégoût.
— Hé ! s’exclama-t-il en s’empressant de venir s’asseoir à côté d’elle pour passer un bras autour de
ses épaules.
Elle pouvait désormais sentir son parfum, mélange de senteurs boisées et orientales. Une barbe de
trois jours recouvrait ses mâchoires viriles, et ses yeux étaient vraiment magnifiques, bleu glacier sur le
contour de ses pupilles, cobalt en leur centre.
— Tu ne dois pas voir ça comme des mensonges, répliqua-t-il sur le ton docte qu’il employait
toujours avec elle quand elle était petite.
— Bien sûr que si. Parce que ce sont des mensonges.
— Tu ne considères pas les choses sous le bon angle. A proprement parler, rien de ce que nous leur
avons dit n’est faux.
— A proprement parler, c’est toi qui es en train de me mentir désormais.
— Ce n’est pas vrai.
— Réfléchis, Will. Tu as dit à tes parents que tu viendrais avec moi à Thunder Canyon à
Thanksgiving, et à Noël, aussi.
Un petit muscle tressauta sous sa paupière.
— C’est envisageable.
— Oui, si je suis enceinte. Mais comme je ne le suis pas…
— Tout finira par s’arranger. Je te le promets. Il faut juste qu’on se conforme à notre plan.
— Ouais, notre plan de divorce, répliqua-t-elle d’une voix aigre.
Elle voyait désormais cette perspective comme menaçante, malhonnête, mauvaise. Elle n’aurait
jamais dû se laisser convaincre d’accepter.
— Et il n’y a pas que les mensonges d’aujourd’hui. Pense à ce qui va se passer quand nous serons
obligés d’expliquer à tous les gens que nous aimons que ça n’a pas marché entre nous.
Il passa quelques longues et inconfortables secondes à l’observer.
— Tu veux qu’on en finisse maintenant ? demanda-t-il soudain. Si c’est ça, tu n’as qu’à le dire.
Elle aurait dû répondre oui. Oui, Will, mettons immédiatement un terme à cette absurdité. Mais elle
ne voulait pas y mettre un terme, en fait. Elle voulait…
Elle ne savait pas ce qu’elle voulait, mais certainement pas divorcer maintenant.
Il y avait dans les yeux de Will une lueur dure.
— Tu comptes répondre à ma question, Jordyn Leigh ?
— Je…
— Réponds.
— Très bien, non. Je ne veux pas qu’on en finisse dès maintenant.
Son expression s’adoucit. Et soudain, il prit une mèche de ses cheveux et la fit glisser entre deux
doigts.
— Non ! s’exclama-t-elle en l’attrapant par le poignet.
Ils se regardèrent dans les yeux. Elle était en train de lui tendre sa bouche, elle s’en rendait compte.
La peau de Will, contre sa paume, était brûlante. Et elle se prit à se remémorer la soirée du mariage.
Avant que tout devienne fou et flou et qu’ils fassent ensemble toutes ces choses dont ils ne se souvenaient
pas.
Cette soirée avait été merveilleuse. Elle était bien avec lui. Et ses baisers l’avaient troublée,
enflammée…
Instinctivement, elle baissa les yeux vers sa bouche. Cette bouche si douce, en contraste total avec le
reste de son physique…
Son estomac choisit ce moment-là pour gargouiller, ce qui eut pour effet de le faire sourire. Et de
rompre la magie.
— Arrête de sourire, finit-elle par dire en lâchant son poignet. Je suis fâchée contre toi.
— Tu n’es pas fâchée, tu as faim, voilà ton problème. Il faut qu’on mange.
Il avait raison ; elle avait vraiment besoin de manger.
— Il y a un room service, si je me souviens bien.
Il secoua la tête.
— Je crois qu’on ferait mieux de sortir.
— Tu n’as qu’à aller nous chercher quelque chose à emporter. Je t’attends là.
— Jordyn, on ne peut pas rester cachés dans cette chambre.
— Je n’ai jamais parlé de se cacher.
Il la dévisagea d’un air réprobateur, qui lui donna aussitôt la sensation de se comporter comme une
gamine.
— Mais j’ai dit assez de mensonges pour aujourd’hui, avoua-t-elle à contrecœur.
— OK, je comprends, répondit-il en haussant les épaules. Mais tu sais, je connais un super bon
restaurant italien à Kalispell.
— A Kalispell ? répéta-t-elle sans chercher à dissimuler son soulagement.
— Si ça te va. Là-bas, personne ne nous posera de questions. Nous n’aurons donc à mentir à
personne.

* * *

Aux yeux de Will, la soirée se déroula plutôt bien.


Au restaurant, ils partagèrent un antipasto. Il avait ensuite commandé des lasagnes aux trois viandes
et elle une piccata de veau qu’elle mangea avec appétit.
Quand ils quittèrent les lieux, elle semblait d’une humeur beaucoup plus radieuse et l’interrogea sur
le ranch.
Il lui parla de la magnifique vue sur les montagnes et des nombreuses sources qui irriguaient ses
terres.
— C’est ce que j’ai toujours rêvé d’avoir. De vastes prairies et des terres de qualité sur lesquelles
je pourrais faire pousser de la luzerne. Mais il y a aussi quelques champs de coton et quelques pinèdes
sur les hauteurs. Le corps de ferme, la maison du gardien, les granges et les écuries, bref, tous les
bâtiments ont besoin de travaux. Je vais m’en occuper rapidement, mais pour le moment, on peut très bien
y vivre. J’ai acheté du bétail qui devrait arriver dans la semaine. Et j’ai embauché un couple pour
m’aider. Ils devraient arriver de Thunder Canyon mercredi ou jeudi, avec mes chevaux et mes meubles.
— Je les connais ?
— Je ne pense pas. Il s’agit de Pia et Myron Stevalik.
— Ça ne me dit rien, en effet. Tu ne m’as pas dit comment tu comptais appeler le ranch…
— Shangri-La ?
— Hmm… Ça ne te ressemble pas du tout, Will.
— Qu’est-ce que tu dirais du Flying C alors ?
A ces mots, elle hocha vivement la tête.
— C’est mieux, répondit-elle en souriant.
Et à la regarder, il se sentit content. Pour lui, pour le soleil qui se couchait à l’horizon, pour tout, en
fait.
— Alors c’est décidé. Ce sera le Flying C.
Elle se mit à chercher quelque chose dans son sac : un élastique, avec lequel elle s’attacha
gracieusement les cheveux en queue-de-cheval. Tandis qu’elle levait les bras, ses seins, fermes et
appétissants, se dressèrent encore plus haut.
Il dut se faire violence pour en détacher le regard et se concentrer à nouveau sur la route.
— Dis-moi ton secret, lança-t-elle comme si elle n’avait rien remarqué. Comment as-tu fait pour
acquérir ton ranch si vite ? Quand tu en parlais, chez nous, tu disais toujours que tu espérais pouvoir te le
payer quand tu aurais une quarantaine d’années.
— En effet, c’était ce que je croyais. Mais tu te rappelles peut-être de ma grand-tante Wilhelmina ?
— Oui. C’est à elle que tu dois ton nom. Elle avait fait fortune dans l’immobilier à San Diego.
— Exactement. Mais tatie Willie est décédée il y a six mois.
— Oh ! je suis désolée. Je ne savais pas…
Elle serra doucement son épaule dans sa main avant de se retrancher rapidement de son côté de la
voiture. Dommage qu’elle n’ait pas prolongé son geste un peu plus. Les sensations procurées par sa main
douce et chaude contre le fin tissu de sa chemise lui avaient semblé à la fois réconfortantes et…
excitantes.
— Quel âge avait-elle ?
— Quatre-vingt-cinq ans. Mais elle était très faible depuis deux ans. Ça s’est fait paisiblement.
— Tant mieux.
— Elle est allée se coucher un soir et elle ne s’est pas réveillée. Tatie Willie avait été mariée cinq
fois, mais n’avait jamais eu d’enfant.
— Alors c’est toi qui as hérité…
— Elle était géniale. Elle me manque beaucoup. Elle m’a laissé une somme généreuse et une lettre
d’adieux dans laquelle elle me disait de « vivre mon rêve » et de « suivre mon cœur ».
Il lui sourit. Elle soutint son regard, et une petite étincelle s’alluma dans ses yeux. C’était une très
belle femme. Mais avec cette lueur dans les yeux, elle était tout simplement irrésistible.
— Ça me plaît, murmura-t-elle. Cette tatie Willie était une romantique.
— Avec toi, tout le monde est romantique, s’esclaffa-t-il.
Il passa devant le Maverick Manor, mais ne s’arrêta pas. Quand elle s’en aperçut, la lueur qui
brillait dans ses yeux disparut. Son regard devint méfiant.
— Qu’est-ce que tu fais, Will ?
Il tâcha de prendre un ton dégagé.
— Je pensais qu’on pourrait aller en ville, pour une petite promenade dans le parc.
A ces mots, elle fit une petite moue boudeuse.
— Je t’ai dit que j’avais assez menti pour aujourd’hui.
— Si on croise quelqu’un, on sourit, on dit « Merci » si cette personne nous félicite, et on s’en va.
Elle marmonna quelques paroles incompréhensibles. Mieux valait ne pas lui demander de répéter.

* * *

Will gara son pick-up entre le parc et la clinique vétérinaire. Jordyn se souvenait vaguement que
c’était dans ce parking qu’Elbert Lutello avait sorti sa mallette de la Cadillac rose le samedi soir.
Elle essaya une nouvelle fois de résister.
— Je n’ai pas envie d’aller me promener maintenant, Will.
— Ça te fera du bien, un peu d’air frais et d’exercice, répliqua-t-il comme s’il n’avait rien d’autre
en tête qu’une petite promenade digestive.
— Je te connais depuis toujours. Tu crois que tu peux me rouler comme ça ?
Tout en coupant le moteur, il réajusta son stetson.
— OK. En vérité, j’ai pensé qu’une petite balade dans le parc nous aiderait peut-être à nous
souvenir de ce qui s’est passé samedi soir.
— Mais nous le savons déjà dans les grandes lignes. Le mystère, c’est comment nous avons atterri à
ta chambre d’hôtel et ce que nous y avons fait.
— J’avoue que je ne me le rappelle pas non plus, mais je sais qu’on y est venus avec ce pick-up,
répondit-il en tapotant le volant. Je l’avais laissé sur ce parking pour le mariage, et le lendemain matin, il
était devant l’hôtel, donc…
— Alors on a eu beaucoup de chance de ne pas finir dans le fossé.
— Exactement. C’est entre autres pour ça que la personne qui nous a drogués devrait répondre de
ses actes.
— A condition bien sûr qu’on ait été drogués.
— Jordyn, viens avec moi dans le parc, s’il te plaît, répliqua-t-il gentiment.
Elle commençait à faiblir, elle le sentait.
— On t’a déjà dit que quand tu avais quelque chose en tête, tu étais comme un chien accroché à son
os.
— Tu te moques de moi ? demanda-t-il en la regardant d’un air amusé.
— Bon, bon, d’accord, admit-elle en soupirant.
A ces mots, il la gratifia d’un beau sourire, beaucoup trop séducteur.
— Tu es la meilleure femme que j’ai jamais eue, murmura-t-il.
Troublée, elle descendit du pick-up sans répondre. Quand il l’eut rejointe, il lui prit la main et
entrelaça ses doigts aux siens. Elle lui adressa aussitôt un regard défiant.
— Nous sommes de jeunes mariés, ne l’oublie pas. Les jeunes mariés se tiennent toujours par la
main.
Les yeux de Will étant dans l’ombre de son chapeau, elle ne pouvait déchiffrer l’expression qu’il
affichait.
Mais peu importait. Elle se sentait bien, avec sa grande main chaude autour de la sienne. Comme si
elle n’était pas seule. Comme s’ils étaient mariés. Ou au moins intimes. Proches.
Mieux valait cependant ne pas tirer de conclusions hâtives.
— Bon, allons-y, dit-elle en l’entraînant vers l’avant.
— On devrait commencer par le commencement. C’est-à-dire l’endroit où il y avait le buffet et la
piste de danse.
Pendant une demi-heure environ, ils parcoururent le petit parc, s’arrêtant à chacun des endroits par
lesquels l’un ou l’autre se souvenait d’être passé au cours de la soirée du samedi. Ils saluèrent en souriant
deux jeunes mamans et des enfants qui jouaient au ballon. Mais ils ne se souvinrent de rien de nouveau au
sujet de la fameuse soirée.
— Au moins on aura essayé, finit par dire Will, alors qu’ils repartaient vers le pick-up, se tenant
toujours par la main.
— C’est vrai, répondit-elle en souriant. Et puis en fin de compte, c’était sympa, cette balade.
— Je savais que ça te plairait.
— Ne commence pas à faire ton Je-sais-tout.
— Oui, excuse-moi. Tu as raison, admit-il en l’attirant un peu plus près de lui. Et tu vois, personne
ne nous a posé de question.
Elle sentit son sourire s’élargir encore.
— C’est vrai.
— Je te l’avais bien dit, murmura-t-il en baissant la tête vers elle.
Ils s’arrêtèrent, restant à se sourire. Et soudain, elle fut prise d’une envie presque irrésistible de se
hisser sur la pointe des pieds pour l’embrasser.
Mais la situation était pour le moins déstabilisante. Aux yeux de tous, ils étaient de jeunes mariés.
Ils devaient jouer leur rôle et ils le faisaient. Peut-être trop bien, d’ailleurs.
Il fallait qu’elle se secoue, qu’elle se replonge dans la réalité.
Doucement, et à contrecœur, elle libéra donc sa main de la sienne.
— Je… J’ai des leçons à réviser.
Il parut surpris, d’abord. Puis il sembla comprendre.
— Ah, ces cours par correspondance dont tu m’as parlé. Bon, alors on rentre à l’hôtel ?
— Ça serait bien, oui.

* * *

Will resta silencieux sur le chemin du Maverick Manor. Mais Jordyn était elle aussi perdue dans ses
pensées. Elle avait failli l’embrasser. Il fallait vraiment qu’elle fasse attention.
Leur promenade dans le parc n’avait pas fait resurgir de souvenir concernant la soirée du samedi.
Mais le problème n’était pas uniquement ces souvenirs perdus. Il y avait aussi toutes les choses qu’elle
n’avait pas oubliées.
Comme les baisers de Will, par exemple. Quelle ironie ! Elle ne se souvenait plus si elle avait ou
non couché avec lui, mais ses baisers, elle s’en souvenait très bien. Et il fallait qu’elle se montre honnête
avec elle-même : elle avait envie de l’embrasser encore.
Cependant, au vu de la situation, on ne pouvait pas dire que c’était une bonne idée. Les choses
étaient déjà assez compliquées. Il était inutile d’en rajouter.
Après l’avoir raccompagnée à l’hôtel, Will, prétextant avoir à faire, disparut. Elle fit donc
tranquillement ses devoirs puis enfila un short et un T-shirt confortables pour aller se coucher. Une fois
allongée, elle alluma la télévision et ne tarda pas à s’endormir.
Elle fut réveillée un peu plus tard par le bruit d’une douche qui coulait. Elle n’était plus seule dans
la chambre. A un moment ou à un autre, Will avait dû rentrer.
Troublée, elle éteignit la télé et se redressa. Pourquoi son cœur battait-il soudain si vite ? Il n’y
avait rien d’enthousiasmant dans la situation. C’était même plutôt étrange. Will et elle, dans la même
chambre, et bientôt dans le même lit.
Mais à bien y réfléchir, ils avaient déjà passé une nuit ensemble, même si elle ne s’en souvenait pas.
Et puis, ce n’était que Will. Ils se connaissaient depuis toujours, ce n’était pas un problème.
Enfin, la douche finit par s’arrêter. Elle resta immobile à regarder la porte de la salle de bains et à
essayer de faire taire son cœur qui continuait obstinément de s’emballer.
Dans un nuage de vapeur, il sortit, vêtu d’un boxer et d’un T-shirt serré sur ses larges épaules et les
muscles puissants de sa poitrine. Il était pieds nus, ses cheveux étaient mouillés. Plus elle le regardait,
plus elle sentait sa bouche s’assécher.
— Excuse-moi, chuchota-t-il. Je ne voulais pas te réveiller.
— Tu ne m’as pas réveillée. Je… je ne comptais pas m’endormir.
Pathétique. Complètement pathétique. Elle n’était plus vierge, mais elle avait l’air d’une vierge. Une
vierge qui ne connaissait rien au sexe et au plaisir, et qui ne savait pas comment réagir avec un homme
dans sa chambre.
Enfin, elle s’était tout de même renseignée sur le sujet. Sur les différents moyens de procurer du
plaisir à un homme et de satisfaire le sien. Et l’homme spécial qui serait le premier l’aiderait à
compenser son manque d’expérience.
Mais elle se sentait tout de même déstabilisée.
Il resta un long moment à la regarder.
— Ça va ? finit-il par demander.
— Oui.
Il eut un petit sourire en coin.
— Tu sais quoi ? Je vais prendre le canapé. Passe-moi un oreiller, et tu pourras éteindre la lumière.
— Non, s’entendit-elle répondre. Viens. Le lit est grand, et de toute façon, on a déjà passé une nuit
ensemble.
— Je vais dormir sur le canapé.
— Mais il est trop petit, pour toi. Tu ne seras pas bien, dedans.
Il afficha cet air qu’elle avait toujours considéré comme noble. Quand elle était petite et qu’il
affichait cette expression, c’était généralement pour lui dire ce qu’elle avait à faire. Mais en cet instant, il
semblait s’adresser à lui-même.
— Je t’ai promis qu’on ferait chambre à part. Demain, ce sera le cas. Mais pour ce soir, le canapé
m’ira très bien.
Tout en croisant les bras, elle leva les yeux au ciel.
— C’est ridicule.
— Je ne trouve pas normal que tu sois obligée de…
— Tais-toi, ordonna-t-elle.
Et, à son grand étonnement, il s’exécuta.
Satisfaite, elle lui fit signe de la rejoindre.
— Il y a une couverture dans le placard. Prends-la et dors sur le drap. Je te promets de ne pas
essayer de te séduire.
Il se mit à rire.
— Tu es sûre ? demanda-t-il avec un regard dubitatif.
— Certaine. Allez. Au lit.
- 5 -

Will était étendu à côté d’elle dans le noir.


Jordyn pouvait sentir son odeur. Propre et virile. Les yeux rivés sur le plafond, elle se demandait
comment elle allait réussir à s’endormir.
Et soudain, sa voix vint emplir l’obscurité. Grave et assez sensuelle pour lui donner envie de…
— Jordyn Leigh ?
… peu importait quoi.
— Oui ?
— Qu’est-ce qu’il y a ?
Elle aurait dû nier. Mais, curieusement, elle se sentait désormais en sécurité dans le noir, dans ce lit,
avec lui. Elle avait envie de lui faire part de ses pensées, de lui expliquer la cause de son trouble.
— Je trouve ça bizarre, c’est tout.
— Qu’est-ce que tu trouves bizarre ?
— Eh bien, d’avoir attendu toutes ces années ce moment spécial. Et de ne pas savoir s’il s’est ou
non produit.
— C’est quelque chose qui te touche vraiment, n’est-ce pas ? demanda-t-il d’une voix douce,
réconfortante et merveilleusement grave.
Dans la pénombre, elle laissa échapper un soupir.
— Oui, vraiment.
Silence. Elle l’entendait respirer au même rythme qu’elle.
— Allez, dis-moi tout, finit-il par murmurer.
C’était vraiment un garçon bien.
— J’ai fait des recherches sur Internet hier, finit-elle par lui confier.
— Sur quoi ?
— L’hymen.
Nouveau silence. Elle ne l’entendait même plus respirer. Peut-être était-il gêné ? Peut-être essayait-
il de s’empêcher de rire ? Mais peu importait maintenant qu’elle avait commencé.
— L’hymen ? finit-il par répéter.
— Tout à fait. Et il s’avère que c’est un mythe.
— Attends. Tu es en train de me dire que ça n’existe pas ?
— Pas du tout, non. Ça existe bel et bien.
— Ah, fit-il d’une voix désormais taquine, qui lui tira un sourire malgré elle. Tu m’as fait peur.
— Le truc, c’est qu’il y a des femmes qui n’en ont pas, même quand elles sont très jeunes. Et chez
les femmes qui font beaucoup de sport, il peut s’affiner peu à peu et finir par disparaître complètement,
d’où la légende selon laquelle il faut toujours monter en amazone pour préserver la preuve de sa
virginité. D’autre part, à mon âge, chez une femme qui n’a pas eu de rapport sexuel, il est fort probable
qu’il ne reste plus rien de cette membrane. Et enfin, même après un rapport sexuel, l’hymen peut se
détendre et rester intact. Le problème, donc, c’est que sa présence ou non ne voudra pas forcément dire
quoi que ce soit, à moins que je ne présente à cet endroit une plaie ou une cicatrice quelconque. Or, je
n’ai pas mal et je n’ai pas l’impression d’avoir été blessée. Et dimanche matin, je n’ai vu ni sang ni la
moindre trace d’humidité sur les draps.
Le regard perdu dans la pénombre, elle attendit une parole de sa part, mais il n’en fit rien.
Aussi finit-elle par conclure :
— Le moyen le plus fiable pour déterminer si une femme est vierge ou non, c’est de le lui demander.
A moins bien sûr qu’elle n’ait été ivre au point de ne plus se souvenir de rien.
Elle s’interrompit de nouveau, espérant quelques mots de réconfort. Mais il resta totalement
silencieux.
S’était-il endormi ?
Si c’était le cas, elle ne pouvait pas lui en vouloir. Quel homme aurait eu envie de rester allongé tout
habillé à côté d’une femme qui n’était pas vraiment la sienne à l’écouter se plaindre et parler hymen ?
— Tu dors, finit-elle par demander d’une voix tremblante.
A sa grande surprise, il prit sa main entre les siennes. Elle sentit sa peau chaude se poser sur elle,
juste avant qu’il n’approche doucement sa main de son visage. Alors, elle sentit son souffle brûlant lui
passer sur les doigts, suivi par la douce sensation de sa bouche effleurant sa peau.
Laissant échapper un soupir, elle se rendit compte qu’elle avait retenu son souffle. Apaisée, elle
ferma les yeux et ne tarda pas à s’endormir. Comme mari temporaire, elle aurait pu tomber sur bien pire.

* * *

Quand elle se réveilla, il faisait jour et il flottait dans l’air une délicieuse odeur de café.
— Bonjour.
Will, assis sur le canapé, était déjà en train de manger des œufs. Il désigna la table basse, sur
laquelle reposait un plateau contenant un plat toujours couvert.
— Je t’ai commandé des œufs brouillés et des toasts. J’espère que ça te va.
Tout en se redressant, elle s’étira.
— C’est parfait. Je te remercie.
Il lui adressa un regard qui fit naître en elle une étrange et agréable sensation de chaleur.
— Viens. Ça va refroidir.
Ils mangèrent donc ensemble, assis côte à côte sur le canapé.
Après cela, il lui laissa la salle de bains. Il fallait qu’elle se dépêche de s’habiller pour aller
travailler.
Quand elle fut prête, il l’accompagna jusqu’à la porte.
— A quelle heure termines-tu ta journée ?
— Vers 15 heures.
— Je viendrai te chercher. On pourrait aller ensuite à la pension pour chercher tes affaires et les
apporter au ranch ?
— Tu n’es pas obligé de…
Il agita sa main pour rejeter ses objections.
— Je serai là à 15 heures.
— Alors c’est le grand jour ?
— Tout à fait, répondit-il d’un air satisfait.
— Je te réitère mes félicitations pour avoir réussi à acquérir ce ranch.
Il lui adressa un petit sourire modeste.
— Dans un rien de temps, j’aurais les pieds dans la bouse de vache.
— Mais ce sera ta bouse de vache à toi.
Elle commença à se diriger vers le couloir, mais il l’arrêta. Les yeux brillants de joie, il se pencha
vers elle.
— J’aime les femmes qui comprennent les rêves des cow-boys.
Elle attendit qu’il l’embrasse. Mais, quand elle s’en rendit compte, elle se hâta de reculer d’un pas.
— A tout à l’heure, alors.
— Oui. A tout à l’heure.
Sentant le feu lui monter aux joues, elle s’empressa de passer la porte pour qu’il ne remarque pas
qu’elle avait rougi.

* * *

Will regarda la gracieuse et excitante silhouette de Jordyn disparaître dans le couloir.


Il avait failli l’embrasser.
Et à en juger par le regard de Jordyn et la douceur de sa bouche si appétissante, il avait toutes les
raisons de penser qu’elle se serait laissé faire de bonne grâce. Il regrettait de ne pas avoir essayé, même
si son côté protecteur désapprouvait.
Ce qui, à bien y réfléchir, était totalement ridicule. Parce qu’il l’avait déjà embrassée, et plus d’une
fois. Et parce qu’il était fort probable qu’il n’ait pas fait que l’embrasser. Les choses avaient changé entre
eux.
Ils étaient mariés à présent. Alors, pourquoi n’auraient-ils pas pu s’embrasser ?
Ne fais pas l’idiot. Tiens-toi tranquille.
Tout en refermant la porte du couloir, il prit la résolution de ne plus penser à embrasser son
adorable épouse temporaire. De toute façon, il lui serait plus facile de résister à la tentation dorénavant.
Au ranch, ils allaient pouvoir faire chambre à part.
Contrairement à la nuit passée où, étendu à côté d’elle dans le noir, il l’entendait respirer dans son
sommeil et avait dû se faire violence pour ne pas penser à la douceur de son corps, à l’odeur et à la
chaleur de sa peau…
Et ce matin ? Il s’était réveillé collé contre son dos, dur comme du bois. Fort heureusement, elle
était toujours endormie. A contrecœur, il s’était écarté d’elle et efforcé de sortir du lit sans la réveiller.
La situation aurait pu être beaucoup plus embarrassante.
Mais il était un homme. Et comme tel, sujet aux érections matinales. C’était normal, après tout.
Et de toute façon, aujourd’hui, il allait prendre possession de son ranch, où il aurait sa chambre et
elle la sienne.
Le problème était donc résolu.

* * *

— Tu ne triches pas, hein, Jordyn ? s’exclama la petite Sophie Lundergren.


Il était midi et demi. Le déjeuner était terminé et Jordyn était assise au bout de la table, sous le grand
chêne de la cour de la garderie.
— Promis, répondit-elle en maintenant sur ses yeux le bandeau que Delilah, la sœur de Sophie,
venait de nouer.
Il y eut quelques rires, quelques murmures.
— Chut. Dépêchez-vous, fit l’un des petits garçons.
— Attention, murmura l’une de ses supérieures, Sara ou Suzie.
— C’est bon. Vous pouvez retirer le bandeau, conclut Lindy, la fille aînée de Sara.
Au moment où de petites mains dégageaient ses yeux, Jordyn entendit tous les enfants de la garderie
crier à l’unisson, accompagnés par Sara et Suzie :
— On t’aime, Jordyn !
Surprise, elle cligna des yeux plusieurs fois. A l’autre bout de la table trônait un grand gâteau blanc
sur lequel se détachaient en lettres roses les mots « Jordyn et Will ».
— C’est pour ton mariage, expliqua la petite Lily.
— Ouais. On voulait te faire un cadeau, ajouta son ami Bobby.
Tâchant de refouler les émotions contradictoires qui se bousculaient en elle, Jordyn décida de ne
plus penser aux mensonges pour se concentrer sur la beauté de l’instant.
— C’est adorable, vraiment. Merci. Merci à tous.
— De rien, répondirent tous les enfants, presque à l’unisson.
— Le gâteau, c’est nous qui l’avons fait, annonça fièrement la petite Lily.
— Sauf pour les lettres, précisa Bobby. C’est Suzie qui nous a aidés.
— Il est magnifique, les félicita Jordyn.
— Mais je crois que sous le glaçage, il est un peu brûlé, murmura Delilah.
— En tout cas, c’est le plus beau gâteau que j’aie jamais vu.
Tout le monde parut ravi de cette affirmation.
— Et on t’a tous fait des cadeaux, aussi ! s’exclama le petit Theodore.
— C’est très gentil, répondit-elle en murmurant un « merci » silencieux à Sara et Suzie.
Elles allaient vraiment lui manquer quand elle partirait pour Missoula.
— Tout le plaisir est pour nous, répondit Sara, avant de déposer un baiser sur la joue de la petite
fille qu’elle tenait sur ses genoux, Bekka Wiatt, l’arrière-petite-fille de Melba Strickland.
— Tu ne coupes pas ton gâteau ? demanda Delilah.
— Le gâteau ! Le gâteau ! reprirent tous les enfants en chœur.
Jordyn coupa donc la première part, et Suzie prit le relais, coupant de petits morceaux pour les
enfants qu’elle leur faisait passer. Pendant ce temps, Jordyn se mit à ouvrir ses cadeaux.
Les enfants avaient fait des merveilles de leurs petites mains. Des peintures que l’on aurait pu
qualifier d’abstraites pour les plus petits et des toiles plus figuratives pour les plus grands, comme un
dessin sur lequel on pouvait reconnaître des mariés qui se tenaient par la main, la jeune femme ayant
évidemment les cheveux jaunes et les yeux bleus. Ou encore une assiette en carton sur laquelle la petite
Sophie avait dessiné des yeux bleus, une bouche rouge et accroché un morceau de crépon jaune pâle et de
tulle blanc.
— C’est toi, Jordyn, expliqua-t-elle en caressant le morceau de tulle. Tu as vu ? C’est ton voile de
mariée.
— C’est magnifique. Merci beaucoup, Sophie, répondit-elle en la serrant dans ses bras.
— De rien, fit timidement la petite.
D’autres créations suivirent. Elle admira chacune d’entre elles et remercia leurs auteurs, après quoi
elle mangea son gâteau, qui était vraiment délicieux.
Quand ils eurent tout rangé, les enfants jouèrent une demi-heure dans la cour puis les plus petits
allèrent faire leur sieste tandis que les plus grands restèrent au coin lecture pour leur temps calme.
Jordyn quitta alors la salle pour se rendre dans le bureau. Elle adorait travailler avec les enfants,
mais elle aimait aussi développer de nouveaux projets pour la garderie et participer aux tâches
administratives. Suzie et Sara disaient toutes les deux qu’elles ne savaient pas comment elles feraient
quand elle ne serait plus là. Quelques mois plus tôt, elle leur avait expliqué qu’elle envisageait de partir
à l’automne pour Missoula, et elles s’étaient montrées encourageantes, mais n’avaient pas cherché à
dissimuler leurs regrets. Jordyn détestait penser qu’elle allait devoir les quitter. Certes, elle avait envie
d’un nouveau départ. Mais elle adorait travailler avec les jumelles tout autant qu’avec les enfants.
Après avoir ouvert le logiciel de comptabilité, elle resta quelques secondes à regarder l’écran,
balançant entre la culpabilité et la joie. Une fête pour son mariage, si belle et organisée dans le plus
grand secret la veille, pendant qu’elle était en congés pour sa « lune de miel »…
Elle était absorbée dans ses réflexions quand elle entendit un petit coup résonner à la porte.
— Jordyn Leigh ? l’appela une voix de femme.
En tournant sur sa chaise, elle se retrouva face à Claire Strickland Wyatt. Claire, toujours très belle
et très élégante, était la mère de la petite Bekka et la petite-fille de Melba. Avec son mari Levi, ils
vivaient à Bozeman, mais ils venaient régulièrement à Rust Creek Falls pour voir la grand-mère de
Claire. Ils étaient d’ailleurs arrivés le vendredi, pour assister au mariage.
— Claire, j’ai appris ce matin que tu étais toujours en ville.
— Sara m’a dit que je pouvais passer te voir.
— Elle a bien fait. J’ai vu que tu avais inscrit Bekka pour quelques jours. Elle est adorable. Elle
vient de s’endormir pour sa sieste.
Curieusement, Claire prit un air gêné. Elle baissa les yeux, puis sembla se reprendre et trouver le
courage de la regarder.
— En fait, j’ai décidé que Bekka et moi allions rester à Rust Creek Falls un peu plus longtemps que
prévu. Levi est retourné à la maison. Le travail, tu sais ce que c’est ?
Elle eut un petit rire dépourvu de gaieté.
— Il faut toujours qu’il rentre pour son travail.
Jordyn comprit immédiatement que quelque chose n’allait pas. Cependant, hésitant à poser une
question directe, elle se contenta de répondre par un vague, mais néanmoins encourageant « Je vois. »
Claire sourit, pourtant elle paraissait très tendue.
— Ils avaient besoin de lui au magasin.
— Il faut voir le bon côté des choses. Ça te laisse un peu de temps pour toi.
— Oui, c’est vrai.
Décidément, ça n’allait pas. Claire n’était pas dans son état normal. Peut-être avait-elle lu l’article
de la Gazette et hésitait-elle à lui présenter ses félicitations ?
Mais ça ne pouvait pas être juste ça. Il y avait autre chose, car elle semblait… extrêmement
malheureuse.
— Au fait, tu as appris la nouvelle ? demanda-t-elle pour essayer d’alléger l’ambiance. Jenny et
Braden ne sont pas les seuls à s’être mariés hier soir.
Claire prit d’abord un air décontenancé. Et soudain, comme si elle venait de comprendre, elle lui
adressa un autre sourire gêné.
— Oui, on me l’a dit. Félicitations ! Je ne crois pas l’avoir déjà rencontré. Je…
Elle s’interrompit, cherchant quoi ajouter.
— Il s’appelle Will Clifton. Je le connais depuis toujours. Nous avons grandi ensemble, à Thunder
Canyon.
— Super. Il en a, de la chance, ce Will. En tout cas, je vous souhaite beaucoup de bonheur, à tous les
deux.
— Merci. On a fait ça sur un coup de tête, mais qu’est-ce que ça peut faire ? Je me moque bien de ce
qu’on peut raconter sur les mariages impulsifs, parfois on sait tout simplement que c’est le bon.
Un mensonge de plus ou de moins…
— Bien sûr, répondit Claire, l’air sincèrement convaincu.
Et alors que Jordyn pensait l’étrange malaise surmonté, Claire éclata en sanglots. Complètement
sidérée, Jordyn passa de longues secondes à la regarder sans bouger.
— Mon Dieu, lâcha Claire en mettant sa main devant sa bouche. Je ne sais pas ce qui…
Elle étouffa un sanglot.
— Je ne sais pas ce qui m’arrive.
Des larmes se remirent à couler de ses yeux.
Sortant de sa torpeur, Jordyn prit un mouchoir sur le bureau et le lui tendit.
— Claire, ma chérie…
— Mais quelle idiote je suis !
— Pas du tout. Pourquoi dis-tu ça ? Viens. Viens t’asseoir, murmura-t-elle en lui tendant le
mouchoir, avant de passer un bras autour de ses épaules. Assieds-toi là, ajouta-t-elle en la conduisant
vers un petit fauteuil près de la fenêtre.
Sans cesser de sangloter, Claire s’y laissa tomber et s’essuya le visage.
— Je dois avoir du mascara plein les joues. Mais tu sais quoi ? Je m’en fiche.
— Ne t’inquiète pas pour ça. Pleure si ça te fait du bien.
— Mais c’est gênant.
— Ne sois pas gênée avec moi.
— Je suis désolée, insista Claire. Je ne sais pas ce qui m’arrive.
— Chut, fit Jordyn en s’asseyant à côté d’elle. Il n’y a que toi et moi, ne t’inquiète pas.
Elle avait vite sympathisé avec la petite-fille de Melba. Et elle était passée par là, elle aussi, en
apprenant qu’elle avait sans doute perdu sa virginité et qu’elle s’était mariée sans le savoir.
— Parfois, il n’y a que ça à faire, de pleurer. Parfois, on a besoin de ça pour pouvoir commencer à
accepter.
— Je n’arrive pas à croire que je t’aie infligé ça, répondit Claire. Je n’ai pas à t’imposer mes
problèmes.
— Mais ça ne me gêne pas, vraiment. Je comprends.
— C’est quand tu as dit que tu t’étais mariée sur un coup de tête. Les larmes sont venues
brutalement. Je… Je n’ai pas pu les arrêter.
— C’est à propos de ton couple ? se risqua-t-elle à demander. Tu penses que Levi et toi vous êtes
mariés trop rapidement ?
— Non, répondit Claire en s’essuyant les yeux. On n’a pas précipité les choses. On s’est fréquentés
pendant deux ans avant de se marier.
— Alors qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui te fait du mal comme ça ?
Un nouveau sanglot s’échappa de ses lèvres.
— Je ne sais pas, Jordyn. Enfin si, je sais très bien pourquoi je pleure.
Mal à l’aise, Jordyn s’éclaircit la gorge avant de demander :
— C’est au sujet de Levi ?
— Oui. J’ai su, dès le jour où je l’ai rencontré, que c’était le bon, que nous ferions notre vie
ensemble et que nous serions heureux.
Jordyn, la romantique, n’eut aucun mal à comprendre.
— C’est magnifique, Claire. J’y crois, moi aussi, aux coups de foudre. A l’amour éternel.
— Mais parfois, rétorqua Claire d’une voix maussade, l’amour n’est pas éternel.
— Je suis désolée.
— Je pensais tout savoir, Jordyn. Je pensais que notre amour durerait éternellement. Mais
maintenant, je dois regarder les choses en face. Je ne sais rien. Je me suis trompée, j’ai tout fait foirer. Je
ne sais même plus comment lui parler. Les problèmes se multiplient, et je ne vois aucun moyen de les
régler.
— Ça arrive, tenta-t-elle de la rassurer. Tous les couples mariés ont leurs problèmes.
A commencer par Will et elle. Dont le tout premier problème était qu’ils n’avaient jamais envisagé
de se marier.
— Oui, oui, tu as raison. Mais tu sais, je nous pensais au-dessus de ça, Levi et moi. Je croyais que
nous réussirions à surmonter les moments difficiles, à relever les défis qu’accompagne la naissance d’un
bébé. Jusque-là, d’ailleurs, je trouvais qu’on s’en sortait bien. Mais samedi soir, après le mariage, j’ai dû
retourner chez mamie pour payer la baby-sitter.
— Et… ?
— Levi n’a pas voulu rentrer avec moi. Il a dit qu’il passait un bon moment, qu’il avait envie de
rester. « Tu ne pourrais pas me laisser m’amuser un peu, pour une fois ? », m’a-t-il demandé.
— Ce n’est pas très gentil.
— C’est ce qu’il m’a semblé, aussi. Ça m’a blessée. Alors je suis partie sans rien dire. Je suis
retournée à la pension pour payer la baby-sitter. Et j’ai attendu. Il avait dit qu’il rentrerait bientôt. Mais il
a réapparu à l’aube, en titubant. Et ensuite, il a essayé de me faire croire qu’il n’avait presque rien bu. Je
savais très bien qu’il mentait, poursuivit Claire. Il n’a même pas eu l’honnêteté de m’avouer la vérité. Et
comme je ne pouvais pas supporter de le voir mentir comme ça, je lui ai lancé quelques trucs que je
n’aurais pas dû. Et la situation a dégénéré. On a eu une grosse dispute, et…
Elle s’interrompit pour s’essuyer à nouveau les yeux.
— Et il m’a quittée, Jordyn.
— Non…
— Si. Il m’a quittée. Enfin, en quelque sorte.
— Qu’est-ce que tu veux dire, par là ?
Claire releva le menton.
— Bon, très bien. C’est moi qui l’ai jeté dehors. Je lui ai hurlé que je ne voulais plus être sa femme.
Je lui ai demandé de s’en aller. Et il est reparti à Bozeman.
Claire fondit de nouveau en larmes. Jordyn la prit dans ses bras.
— Pleure, ma belle, la cajola-t-elle en lui tapotant le dos. Pleure, je suis là.
Quand ses sanglots se furent un peu apaisés, Claire se redressa.
— Je n’arrive pas à croire qu’il ait autant bu. Levi ne boit jamais, d’ordinaire.
— J’ai l’impression que beaucoup de personnes ont trop bu, ce soir-là.
A commencer par moi.
— Il m’a juré qu’il n’avait bu que quelques verres de punch. Mais je ne l’ai pas cru, bien sûr.
Ecoute, pourquoi Braden et Jenny auraient-ils mis de l’alcool fort ou je ne sais quoi dans leur punch ? Ça
n’a aucun sens.
— Je ne te le fais pas dire, répondit Jordyn en songeant à Will.
Lui était certain que le cow-boy au chapeau blanc avait drogué son verre de punch. Mais si c’était
tout le saladier qui avait été drogué ? Beaucoup de personnes s’étaient conduites de façon étrange ce soir-
là. De drôles de choses s’étaient produites. Et, à bien y réfléchir, il se pouvait en effet que le punch soit
en partie responsable de tout cela.
Ou peut-être pas. Il se pouvait aussi que les invités se soient juste laissé gagner par l’ambiance de
fête et un peu trop « lâchés » par cette belle soirée d’été.
Le profond soupir que poussa Claire la ramena à la réalité.
— Je n’arrive pas à croire que je sois venue t’embêter avec tout ça.
— Tu ne m’embêtes pas du tout. Tu en avais gros sur le cœur, tu avais besoin de vider ton sac. C’est
tout à fait normal.
A sa grande surprise, Claire lui offrit un sourire tremblant, mais sincère.
— Mamie t’adore, tu sais ? Et je comprends bien pourquoi.
— Je l’aime beaucoup, moi aussi.
— Tu penses que je peux aller aux toilettes pour me rafraîchir un peu ?
— Bien sûr, c’est juste là, répondit Jordyn en se levant. J’imagine que tu étais venue récupérer
Bekka ?
— Oui. Je vais l’emmener à Kalispell. J’ai pensé qu’un peu de shopping me ferait du bien.
— Bonne idée. Tu veux que j’aille la chercher ?
— C’est très gentil de ta part. Merci.
Dix minutes plus tard, Claire repartait avec sa fille. Jordyn termina la comptabilité. Et à 15 heures,
alors qu’elle enfilait sa veste dans l’entrée, elle vit le pick-up de Will. Il était là, comme il l’avait
promis. Elle ne put s’empêcher de sourire. C’était vraiment un garçon bien.
Sans cesser de sourire, elle ouvrit la porte et lui fit signe d’entrer pour qu’elle puisse le présenter à
Sara, Suzie et aux enfants. Il répondit de façon convaincante à chacune des questions inquisitrices qui lui
furent posées, s’extasia sur les travaux artistiques des enfants et l’aida à porter le carton qui les contenait
jusqu’au pick-up.
— Qu’est-ce que tu vas faire de tous ces papillons en terre cuite et de ces chenilles en boîtes
d’œufs ? lui demanda-t-il quand ils l’eurent déposé dans le coffre.
— Je ne sais pas encore. Peut-être décorer ma chambre au ranch avec ? répondit-elle en souriant.
Alors, comment est cette nouvelle demeure ?
— Le plus important, c’est que c’est la mienne.
— Je suis contente pour toi, dit-elle avec conviction. Et j’ai hâte d’y être.
Tout en la regardant dans les yeux, il réajusta son stetson.
— Tu m’en vois ravi.
Elle le suivit à la pension. Quand ils arrivèrent dans la cour, elle se gara juste derrière lui.
Et elle était sur le point de sortir lorsqu’elle le vit se précipiter vers elle. Sous ses yeux ébahis, il
ouvrit la portière passager et vint s’asseoir à côté d’elle.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle.
Il lui jeta un regard méfiant.
— Eh bien…
— Vas-y, je t’écoute.
— Je crois qu’il vaut mieux que je te prévienne dès le départ que la vie ne va pas être vraiment
confortable. Le corps de ferme a besoin de travaux et…
— Le toit fuit ?
— Non ?
— Il y a de l’électricité ?
— Oui.
— De l’eau chaude et de l’eau froide ?
— Bien sûr.
— Alors où est le problème ? On réglera le reste plus tard. Et vite fait.
Il lui adressa un sourire des plus séduisants.
— Tu es bonne joueuse, Jordyn.
Bonne joueuse ? C’était le genre de compliment qui devait faire rougir certaines filles. Mais elle
avait bien vu que c’était sincère et chaleureux.
— Viens, dit-elle en posant la main sur la portière. Allons chercher mes affaires.

* * *

Quand ils eurent chargé les véhicules, Jordyn présenta Will à Melba et à Gene et leur rendit les clés.
Gene et Will échangèrent une poignée de main.
— Vous avez beaucoup de chance, jeune homme. Prenez bien soin de notre petite Jordyn.
Will joua le jeune marié à la perfection.
— Ne vous faites pas de souci, monsieur. Je vais la bichonner.
De son côté, Melba prit Jordyn à part pour la serrer dans ses bras.
— Je suis tellement triste que tu nous quittes.
Jordyn lui promit encore une fois de venir la voir régulièrement. Puis elle resongea soudain à
Claire.
— J’ai vu votre petite-fille à la garderie aujourd’hui. Elle m’a dit que Bekka et elle allaient rester
quelque temps.
— Elle t’a parlé de ses problèmes ?
Jordyn acquiesça.
— Mais je suis certaine qu’ils finiront par régler leur différend, avec Levi, lâcha pensivement
Melba.
— Je le pense aussi.
En fait, elle n’en était pas si certaine que cela. Mais après tout, un peu d’optimisme ne pouvait pas
faire de mal.
Une fois les adieux terminés, Will et elle quittèrent la pension. Ils s’arrêtèrent sur les marches du
perron pour regarder le vieux bâtiment.
— Ça me fait bizarre, tu sais ? J’ai vécu là pendant tellement longtemps.
Tout comme un véritable mari aurait pu le faire, il la serra un peu plus fort contre lui.
— Ne t’inquiète pas. Ça va bien se passer.
Elle ferma les yeux pour mieux apprécier la chaleur et la force de ses bras rassurants.
— Oui, j’en suis certaine.
Ils se remirent à avancer.
— Prochaine étape, la supérette. Il faut que j’aille faire quelques emplettes.
De nouveau, ils se suivirent et, quand ils se furent rejoints devant le magasin, il lui prit la main.
— Il faut qu’on achète à manger. Au moins pour ce soir et demain matin.
— Et les meubles ? demanda-t-elle. On va dormir par terre ?
— Les anciens propriétaires ont laissé deux lits, avec des matelas qui ont l’air correct, quoique un
peu vieux. J’ai aussi vu une vieille table avec des chaises dépareillées dans la cuisine. Mais il n’y a rien
du tout dans le salon. Comme je te l’ai dit, c’est assez spartiate.
— Oreillers, draps, couvertures, serviettes ?
— Il va falloir qu’on en achète. Mais tu sais, on ferait peut-être mieux de rester à l’hôtel un soir de
plus ? J’irai demain à Kalispell pour acheter ce qui nous manque.
— Will…
Il lui jeta un regard en biais.
— Je vois que tu as pris ton air têtu, Jordyn Leigh.
— Tu es un Clifton, je suis une Cates. On est des gens de la terre. Alors allons chercher ce dont on a
vraiment besoin et partons nous installer au ranch.
— Mais il va falloir que tu te lèves tôt demain, pour aller travailler.
Elle savait qu’il brûlait d’envie de dormir dans sa nouvelle maison et elle avait bien l’intention de
le laisser réaliser son souhait.
— Ecoute, qu’est-ce que je viens de te dire ?
— Tu es sûre ?
— Certaine. Allons-y.
* * *

Au moment même où ils entrèrent dans la supérette, Will aperçut les deux femmes d’âge mûr qu’il
avait vues le dimanche après-midi. Apparemment, ces deux-là passaient beaucoup de temps à faire leurs
courses.
Elles tournèrent leurs regards vers eux et se mirent aussitôt à chuchoter.
Affichant un sourire moqueur, il leur fit un signe de la main. Elles hochèrent la tête en souriant et se
remirent à chuchoter. Il lui vint alors à l’esprit que Jordyn et lui allaient vraiment devoir bien jouer le jeu.
Jordyn, qui s’était éloignée pour aller chercher un chariot, revenait vers lui.
— On va d’abord prendre les produits d’hygiène, lui dit-elle. Et ensuite, on s’achètera à manger.
Sans répondre, il la prit par la taille et la serra contre lui. Elle eut un petit cri de surprise et se mit à
le regarder d’un air choqué.
— Will, qu’est-ce que tu… ?
Il se pencha vers elle et inspira profondément la douce odeur de ses cheveux soyeux.
— Tu n’as pas remarqué ?
— Quoi ?
Tout en frottant son nez contre le sien, il murmura :
— Les gens nous regardent. Et on vient juste de se marier.
Elle laissa échapper un adorable petit soupir.
— Ah, je vois.
— Vraiment ? demanda-t-il.
Et, sans lui laisser le temps de répondre, il releva doucement son menton et déposa un tendre baiser
sur ses lèvres.
- 6 -

Jordyn laissa échapper un autre petit cri de surprise, lequel ne tarda pas à se changer encore une fois
en soupir. Sensuellement, elle passa les mains derrière son cou et pressa son corps contre le sien. On
aurait dit que c’était là sa place.
Et elle lui rendit son baiser. Ce qui ne manqua pas de réveiller en lui des souvenirs du samedi soir,
lui rappeler à quel point il adorait l’embrasser. Elle sentait délicieusement bon, avec un goût de pêche
mûre.
La petite Jordyn Leigh Cates. Qui l’eût cru ?
— Nous sommes de jeunes mariés, n’oublie pas, finit-il par chuchoter en relevant la tête. De jeunes
mariés qui ne peuvent pas s’empêcher de se toucher.
— Ah, répondit-elle d’une voix tout aussi basse, un doux sourire étirant ses lèvres pleines qu’il
avait désespérément envie d’embrasser à nouveau. Tu veux dire qu’il faut qu’on manifeste publiquement
notre affection afin de convaincre ceux qui pourraient douter de notre amour ?
— Tout à fait.
— Mais on pourrait aussi ignorer ces rumeurs et vivre notre vie comme on l’entend, sans se soucier
de ce que pensent les esprits étriqués.
— Jordyn, murmura-t-il avant d’attraper son bras.
— Oui ? répondit-elle en lui adressant ce regard de défi qu’il connaissait depuis toujours.
Mais il ne se laissa pas intimider.
— Je crois qu’il faut vraiment que tu m’embrasses encore.
Elle éclata d’un rire radieux et enjoué. Un adorable son, qui fit naître une douce sensation au creux
de sa poitrine. Puis, comme si elle pensait qu’elle devait y réfléchir, elle fronça exagérément les sourcils.
Mais au bout du compte, elle acquiesça.
— D’accord, mais seulement une fois. On a beaucoup de courses à faire.
— Alors j’ai intérêt à m’appliquer.
— Je ne te le fais pas dire.
Cédant à son instinct, il l’embrassa à nouveau. Mais en tentant de refréner sa passion, car ils étaient
tout de même dans un lieu public.
Un baiser tendre, lent… et tellement bon.
Trop peut-être. Car le moment n’était certainement pas bien choisi pour se laisser trop attirer par
son amie d’enfance et sa femme temporaire.
Quand il releva la tête, cette fois-ci, ils échangèrent un sourire entendu. Puis elle s’écarta de lui, et
il ne chercha pas à la retenir. Même s’il n’avait qu’une envie : celle de continuer à la serrer dans ses bras
et de l’embrasser langoureusement pendant des heures, des jours…
Voire toute la vie.

* * *

Jordyn trouva le ranch vraiment magnifique. Des hectares et des hectares de verdure, plantés de-ci
de-là de cotonniers et de pins. De loin en loin, on pouvait apercevoir les sommets enneigés des
montagnes Rocheuses.
Tout près du corps de ferme, il y avait une petite maison de gardiens, deux écuries, plusieurs
granges et quelques prés clôturés. Un large étang, alimenté par un ruisseau, s’étendait au milieu des
bâtiments.
— Tu as vu l’étang ? lui demanda Will en se penchant vers sa voiture après être descendu pour
ouvrir le portail.
— Oui.
— Ce sera bien pour pêcher, décréta-t-il avant de désigner le portail. Imagine, une arche, au-dessus,
avec « Flying C » en fer forgé.
— Ce serait génial.
— Mais chaque chose en son temps.
Ils échangèrent un rapide sourire. Quelques instants plus tard, ils se garaient devant le grand corps
de ferme aux volets bleus et aux murs peints à la chaux.
— C’est très joli, constata-t-elle alors qu’ils s’approchaient de la porte.
— Mais cela le sera encore plus avec le temps.
Ils montèrent ensemble les marches de pierre du perron pour atteindre la porte bleu ciel surmontée
d’une imposte en forme d’éventail.
La porte grinça en s’ouvrant sur le hall. Devant eux, un grand escalier. A droite, une salle à manger
vide, et à gauche, un séjour tout aussi vide. Il accrocha son chapeau à une patère.
— Il y a de bonnes bases, dit-elle.
A l’intérieur, les murs étaient également peints à la chaux, et d’immenses poutres de chêne
soutenaient le plafond. Le plancher était un peu râpé et poussiéreux, mais constitué de belles lames de
bois de chêne. Et les fenêtres étaient immenses.
— Voilà la plus grande chambre, annonça-t-il en lui désignant une porte alors qu’ils s’enfonçaient un
peu plus dans la maison.
Ils finirent par arriver dans la cuisine, qui disposait d’une table bancale et de trois chaises
dépareillées, d’un plan de travail en bois, d’un grand évier de porcelaine rustique, et d’un garde-manger
vert des années 1970, avec un réfrigérateur assorti.
Machinalement, elle l’ouvrit. Il fonctionnait, mais était vide. Et étonnamment, il était propre.
— On n’a qu’à commencer à charger cette vieille bécane, déclara-t-elle d’une voix enjouée.
Il se mit à rire gaiement.
— On ne peut pas dire que tu sois difficile à satisfaire.
Instinctivement, elle plongea son regard dans le sien. Ses beaux yeux bleus dansaient de joie. Elle
baissa les siens vers sa bouche sensuelle, et des souvenirs du baiser qu’ils venaient d’échanger
s’imposèrent soudain à son esprit. Elle dut se faire violence pour ne pas caresser ses lèvres du bout des
doigts.
Après tout, ce n’était pas si mal, qu’ils soient mariés, elle et lui. C’était même plutôt agréable.
Trop agréable.
Au point qu’elle commençait à se sentir coupable de tant apprécier la situation.
Mais peu importait. Ils avaient un plan. Et elle avait bien l’intention de s’y tenir. Pourquoi se
reprocher les choix qu’elle avait faits ? Mieux valait au contraire qu’elle essaie d’en tirer un maximum de
bénéfices.
Et avec Will à ses côtés, cette perspective ne lui paraissait pas bien difficile. Il était tellement
agréable à regarder, tellement facile à vivre.
— On continue la visite ? lui demanda-t-il, la tirant de ses pensées.
Elle acquiesça.
Ils examinèrent la salle de bains du rez-de-chaussée, avec sa jolie baignoire à pattes de lion. Puis
ils sortirent par la porte de la cuisine et admirèrent l’immense porche arrière. De là, ils repartirent vers
le hall pour monter à l’étage.
Il y avait deux chambres au premier étage, une salle de bains et une petite pièce qui offrait une jolie
vue sur les écuries, l’étang et les prairies qui verdoyaient dans le soleil de l’après-midi.
— Il faut donc que je choisisse entre ces deux chambres ? demanda-t-elle.
Il se détourna de la fenêtre pour la regarder.
— A moins que tu ne préfères la chambre du bas.
Ils échangèrent un autre long regard.
Elle aimait cela, aussi : échanger des regards avec lui, avoir l’impression qu’ils partageaient un
important secret. Juste tous les deux.
— Je ne vais tout de même pas te voler la plus grande chambre, lâcha-t-elle finalement.
— Prends celle que tu veux.
Sa voix avait quelque chose de grave et de viril qui envoyait des picotements sur sa peau. Pendant
un long moment, elle resta immobile à le regarder. Comme hypnotisée.
Allez, décide-toi.
— Bon, je vais prendre celle qui est au-dessus du séjour. Elle a déjà un lit.
Le lit en question avait un cadre ancien en fer forgé et un mince matelas qui avait été roulé au niveau
de la tête de lit. Il n’avait pas l’air vraiment confortable. Mais c’était tout de même mieux que de dormir
par terre.
Quelques instants plus tard, ils descendirent pour décharger leurs véhicules. Et dès que leurs
affaires furent à l’intérieur, ils se mirent au travail. Peu après 19 heures, ils avaient lavé la cuisine,
rempli le frigo et les placards et fait les deux lits où ils allaient dormir.
Elle se mit alors à préparer des sandwichs au jambon pour le dîner, qu’ils avaient prévu
d’accompagner de chips, de petits légumes marinés au vinaigre et d’un peu de bière. Et ils venaient à
peine de s’asseoir à table que le téléphone de Will se mit à sonner.
— C’est Cece, annonça-t-il en regardant l’appareil. Ça fait plusieurs fois qu’elle appelle depuis
dimanche. Il faut vraiment que je réponde.
Sans faire de commentaire, elle reposa le cornichon qu’elle avait commencé à grignoter pour mieux
l’écouter raconter à sa sœur l’histoire sur laquelle ils s’étaient mis d’accord.
— Oui. C’est exact, Cece… c’est vrai… Je sais, je sais. C’est étonnant, mais c’est bien ça. Jordyn
Leigh et moi sommes amoureux, mariés, et heureux.
Il lui adressa un clin d’œil.
Elle se força à lui sourire, mais au fond, elle regrettait de ne pas avoir pensé à appeler Cecelia plus
tôt. Cece et elle avaient toujours été amies. Certes, elles se voyaient un peu moins depuis que Cece avait
épousé Nick Pritchett et déménagé de la pension. Mais tout de même. C’était son frère qu’elle avait
épousé. La moindre des choses aurait été de l’appeler pour lui faire part de la nouvelle.
Ou plutôt du mensonge.
C’était d’ailleurs cela, inconsciemment, qui avait dû la freiner.
Elle avait beau se sentir à l’aise avec Will, et même un peu trop, elle n’avait pas envie de raconter à
son amie les mensonges qu’elle avait racontés à tous les autres.
Mais elle avait eu tort de reculer. Car au bout du compte, il allait tout de même falloir mentir.
La voix de Will coupa court à ses réflexions :
— Elle est là, oui. Je te la passe.
— Coucou, lâcha-t-elle d’une voix faible en portant le téléphone à son oreille.
— Jordyn, comment vas-tu ? Pourquoi ne m’as-tu pas appelée ?
Au son familier de la voix de Cece, elle sentit son cœur se serrer. Ravalant sa salive avec peine,
elle se prépara à s’excuser.
— Je vais bien, je te remercie. Très bien. Excuse-moi de ne pas t’avoir appelée. Ç’a été de la folie.
Je n’ai pas eu une minute à moi. Je te demande pardon, vraiment.
— Mais tu n’as pas à t’excuser. Du moment que tu es heureuse…
— Très heureuse, répondit-elle en adressant un sourire à Will. Très, très. Je sais que ç’a été
soudain, mais… c’est ce dont nous avions envie tous les deux. Est-ce que Will t’a dit ? Nous sommes au
ranch, maintenant. Nous avons emménagé cet après-midi.
— J’ai cru comprendre que c’était assez rustique.
— Oui, mais c’est magnifique. Je ne vois pas d’autre endroit sur terre où j’aurais envie de vivre
avec Will.
De l’autre côté de la table, son mari temporaire approuva en hochant la tête.
— Eh bien, félicitations à tous les deux.
— Merci beaucoup, Cece. Je t’adore.
— Moi aussi. Mais tu nous as manqué hier soir.
Avec un soupir de regret, elle finit par comprendre de quoi il retournait.
— Mon Dieu, j’ai oublié le Club des nouveaux arrivants.
C’était Cece et elle-même qui avaient fondé le club un an auparavant pour aider les nouveaux
arrivants à se faire des amis et à s’insérer dans la communauté de la petite ville. En une année, elle
n’avait pas manqué une seule réunion.
— Je suis désolée. Ça m’est totalement sorti de l’esprit.
— Ce n’est pas grave, ne t’en fais pas. Tu es une jeune mariée, après tout.
Certes, mais pas pour longtemps.
— Mais j’aurais dû venir.
— Tu viendras le mois prochain.
Cela serait son dernier mois en ville. Car à partir de septembre elle serait à Missoula. Pourquoi
était-elle attristée par cette idée ? C’était son nouveau départ, sa nouvelle vie, c’était elle qui en avait
décidé ainsi.
Cece sembla lire dans ses pensées :
— Tu envisages toujours de partir pour Missoula ?
— Oui. Mes projets n’ont pas changé. Will refuse que je laisse tomber des études dans lesquelles je
me suis déjà tellement investie.
De l’autre côté de la table, il brandit sa cannette de bière dans sa direction. Tout en levant les yeux
au ciel, elle reprit :
— Mais ce ne sera que pour deux semestres. Et Missoula n’est qu’à deux heures de route.
— Donc, tu reviendras souvent. Je sais que je peux te faire confiance là-dessus, maintenant que tu as
Will.
— Qu’est-ce que tu insinues ? demanda Jordyn, surprise par la façon dont son amie avait formulé
les choses.
Avant de répondre, Cece poussa un long soupir.
— Pour tout de dire, j’avais peur de ne plus jamais te voir après ton départ. Mais maintenant que tu
es mariée à mon frère, je sais que tu reviendras régulièrement à la maison. Et ça, c’est une bonne
nouvelle.
A la maison ? Curieux, comme expression. Mais pourtant, c’était bien comme cela qu’elle
considérait désormais la ville de Rust Creek Falls.
Cependant, après son départ pour Missoula, elle n’avait aucune intention de revenir. Et de toute
façon, à ce moment-là, elle ne serait plus mariée au frère de Cece.
— Jordyn Leigh ? fit la voix de son amie, coupant court à ses pensées. Tu es toujours là ?
Jordyn se tira de sa torpeur.
— Oui. J’étais juste en train de me dire… que je ne savais pas comment j’allais supporter d’être
séparée de lui. Ça va être tellement dur.
A ces mots, il posa une main sur sa poitrine, mimant des battements de cœur frénétiques. Vaguement
amusée, elle reprit son cornichon à moitié mangé et le brandit dans sa direction. Comme il levait les
mains en l’air en signe de reddition, elle lui tira la langue avant de reposer le cornichon pour se remettre
à parler à Cece.
— C’est un sacré, ton frère.
— Un sacré enquiquineur, oui, répondit Cece d’une voix taquine, avant de s’esclaffer.
— Oui. Mais c’est pour ça qu’on l’aime.
— Je vois que tu as changé ton fusil d’épaule. A une époque, il avait plutôt tendance à t’agacer.
— Mais il m’agace toujours.
A ces mots, il se mit à la regarder en fronçant les sourcils. Elle se reprit aussitôt.
— Ceci étant, c’est un garçon vraiment génial, tu sais ? Tellement gentil. Et beau et serviable. Ces
baisers me rendent folle. Et quand je suis seule avec lui, il…
— Assez, l’interrompit Cece. Je sais que tu es amoureuse de lui. J’ai bien compris. Mais épargne-
moi les détails, s’il te plaît. Je te rappelle que c’est mon frère.
— Désolée, je me suis laissé emporter, marmonna-t-elle en faisant une petite grimace.
De l’autre côté de la table, tout en sirotant sa bière, il se mit à la regarder. L’expression de son
visage était devenue indéchiffrable.
— Bon, je vais te laisser, reprit Cece. Je voulais juste prendre de vos nouvelles, vous féliciter et
vous dire que je vous aimais.
— Merci. On va très bien. On est heureux. Ravis d’être dans notre nouvelle maison.
— Si vous avez besoin de quoi que ce soit…
— Je t’appelle. Promis. Je t’embrasse, Cece. Tu es géniale.
— Salut.
Jordyn coupa la communication et rendit le téléphone à Will. Après avoir pris une gorgée de bière,
elle se décida à entamer son sandwich. Elle se sentait désormais perturbée. Sa peau était chaude et la
picotait.
Au bout de quelques secondes, il tendit son bras vers elle.
— Jordyn Leigh, tu as été… impressionnante.
Il recommençait à l’agacer.
— Ne me reparle pas de ça. Je n’ai fait que jouer mon rôle.
— Je n’ai jamais prétendu le contraire.
D’un geste brusque, elle reposa son sandwich.
— Arrête de tourner autour du pot. Si tu as quelque chose à me dire, vas-y.
— Bon, fit-il en baissant les yeux vers sa bière, je vois que tu es fâchée contre moi. Mais je me
demande bien pourquoi.
— Je ne suis pas fâchée, non. C’est toi qui as l’air fâché.
— Au téléphone avec ma sœur, tu avais l’air très mature. Tu as presque réussi à me convaincre que
toi et moi étions… intimes. Mais maintenant, trois minutes plus tard, tu te comportes comme une gamine
de dix ans.
Je te déteste, Will Clifton. Pas question de passer pour une fille puérile, justement.
Avant de répondre, elle s’efforça d’inspirer et d’expirer profondément.
— Je suis désolée pour ce que j’ai dit à Cece. Je me suis laissé emporter. Toi et moi, on passe
tellement de temps à tromper tout le monde, à se tenir la main, à s’embrasser à la supérette qu’il y a des
fois où j’ai l’impression que je me trompe moi-même aussi.
Il la regarda pendant de longues secondes. Et soudain, il lui tendit la main.
Instinctivement, elle fit de même. C’était agréable d’avoir sa main enveloppée dans la sienne,
grande et chaude.
Trop agréable.
En fait, elle aurait dû retirer sa main.
Mais elle ne le fit pas.
— Est-ce qu’il faut vraiment qu’on en passe par là, Will ? finit-elle par murmurer. Je veux dire,
mentir à tout le monde ?
— Nous ne mentons pas. Nous sommes vraiment mariés.
— Ne recommence pas avec ça.
— Jordyn, si tu as des remords, il faut que tu m’en parles.
— C’est juste que… il y a des fois où ça a l’air tellement réel, toi et moi. Naturel, normal.
— Et tu trouves ça mal ?
— Non. Mais ça me fait peur. Parce que j’ai tendance à mélanger ce qui est vrai et ce qui ne l’est
pas.
Sans répondre, il retourna sa main et se mit à en caresser la paume de son pouce. Un geste… intime.
Troublée, elle sentit le feu lui monter aux joues. Au fond, elle avait envie qu’il continue encore et encore.
Qu’il ne s’arrête jamais.
— Ce n’est pas la première fois que tu te comportes comme si tu avais envie de tout annuler,
constata-t-il, la ramenant brutalement à la réalité.
— De tout annuler ? répéta-t-elle, surprise.
Il hocha la tête.
— Ça ne me plaît pas vraiment, mais je peux comprendre que tu n’aies pas envie de faire ça. Tu
peux retourner à la pension, si tu veux ? On dira aux autres qu’on a fini par se rendre compte que ça ne
marcherait pas entre nous. Mais s’il y a un bébé, je veux que tu me promettes de revenir.
Tout annuler…
Avait-elle vraiment envie de cela ?
Ils étaient « mariés » depuis à peine trois jours. Et non seulement elle devait affronter la culpabilité
que lui inspiraient ses mensonges, mais aussi le fait que, parfois, ces mensonges lui semblaient beaucoup
trop proches de la vérité.
Les choses qu’elle venait de dire à Cece, par exemple. Sur la beauté de Will, sa sensualité, ses
baisers qui la faisaient fondre…
S’il lui avait semblé tellement facile de proférer ces mensonges, c’était parce qu’ils avaient l’air
vrai. Cela paraissait impossible, mais à un moment, il avait commencé à ressembler à son homme idéal.
Ce qui lui semblait particulièrement effrayant. Dans la mesure où elle était à présent obligée de se
demander si ce mariage temporaire n’était pas beaucoup plus dangereux qu’elle ne l’avait pensé au
départ. Dangereux pour son petit cœur tendre et fragile.
— Jordyn Leigh, murmura-t-il, tu comptes répondre à ma question ?
— Oui.
— Veux-tu faire annuler le mariage ?
— Non, Will, avoua-t-elle d’une toute petite voix. Je ne veux pas divorcer ni retourner à la pension.
Il lui sourit. Un sourire sensuel qui lui fit littéralement vibrer le cœur.
— Très bien. Alors continuons comme ça.
— Oui, continuons comme ça, répondit-elle d’une voix à peine tremblante.
— Nous nous apprécions.
— C’est vrai.
— Nous nous entendons bien.
Tout en riant, elle lui serra la main un peu plus fort.
— La plupart du temps.
Mais il ne se laissa pas gagner par sa gaieté taquine.
— Nous sommes mariés.
— Oui, Will.
— Nous avons un accord.
— Oui. Et nous nous en tiendrons à notre plan.
- 7 -

Will se réveilla à l’aube, le lendemain matin, en entendant pleurer un bébé. Le son semblait provenir
de l’extérieur.
Complètement sidéré, il sauta du lit et, après avoir enfilé un jean, ouvrit la porte de sa chambre, qui
donnait sur le perron de derrière.
Il y avait, en bas des marches, trois chèvres. L’une avait le ventre bien plus rond que les autres.
Silencieuse, elle le regardait avec de grands yeux humides et pleins d’espoir. La deuxième était occupée
à grignoter un petit arbuste qui se trouvait au bas des marches. Et le troisième animal, un mâle à longue
barbiche, le fixait du regard. En pleurant comme un bébé.
On aurait vraiment dit un nouveau-né. Et curieusement, le petit bouc avait l’air ravi du son qu’il
produisait.
Alors qu’il observait la scène en silence, la porte de la cuisine s’ouvrit sur Jordyn, qui portait un
pantalon de yoga rose, un T-shirt blanc et de grosses chaussettes.
— Des chèvres, murmura-t-elle d’un air médusé.
— J’imagine qu’elles appartenaient au précédent propriétaire. J’ai entendu dire qu’il avait des
chèvres. Ces trois-là ont dû se planquer pendant qu’il embarquait les autres dans une bétaillère.
Il lui sourit. Elle était tellement mignonne avec son pantalon rose et ses cheveux dorés tout emmêlés.
— Bonjour, au fait.
— Bonjour, répondit-elle. Alors tu vas appeler l’ancien propriétaire pour qu’il vienne les
récupérer ?
— Oui.
— Tu crois qu’il va venir ?
— Aucune idée.
Le petit bouc continuait de « pleurer ».
— Il a faim, commenta-t-elle.
Et, à ce moment-là, un coq se mit à chanter.
— Ne me dis pas qu’ils avaient des poules, aussi ?
— Apparemment si.
— Mais qu’est-ce qu’on va leur donner à manger ?
— Je vais aller acheter ce qu’il faut aujourd’hui. Et je vais enfermer les chèvres dans un pré.
— Mais elles ont l’air d’avoir très faim. Et puis, si elles se baladent comme ça en liberté, elles
risquent de se faire attaquer par un prédateur.
— Je ne peux pas te dire mieux.
Les mains sur les hanches, elle se mit à le regarder avec cet air obstiné qu’il lui connaissait depuis
toujours.
— « Je ne peux pas te dire mieux », répéta-t-elle en imitant sa voix. C’est-à-dire ?
Il continua de sourire. Même de mauvaise humeur, elle illuminait sa journée.
— Ecoute, elles n’ont pas l’air de mourir de faim. Il y a de l’herbe partout. Et jusqu’ici,
apparemment, elles ont su éviter les prédateurs.
Le bouc sembla comprendre qu’elle était le point faible et il la dévisagea de ses grands yeux
innocents pour pleurer de plus belle.
— Tu n’as pas de cœur, Will, maugréa-t-elle en descendant les marches, la main tendue.
— Hé ! Il ne faut pas les encourager.
Ignorant sa remarque, elle caressa la tête du bouc, qui se laissa faire d’un air ravi.
— Oui, vous êtes gentils. Will a dit qu’il vous donnerait à manger. Il faut juste que vous soyez un
peu patients, parce que c’est un gros feignant, vous savez.
— Fais attention, ils vont manger ton beau pantalon rose.
A ces mots, elle se tourna vers lui pour lui adresser un regard furibond.
— Et si tu allais mettre une chemise ?
Tout en étouffant un rire, il repartit donc vers sa chambre, où il prit une rapide douche avant
d’enfiler des vêtements de travail. Quand il retourna dans la cuisine, il l’y trouva en train de préparer du
café.
Pendant qu’elle faisait frire les saucisses et les œufs qu’ils avaient achetés la veille, il dressa la
table et fit griller des toasts.
Leur petit déjeuner fut ponctué par les cris du bouc.
— Je vais faire la vaisselle, déclara-t-il quand ils eurent terminé. Il faut que tu te prépares pour
aller travailler.
— Tu as besoin de quelque chose en ville ? demanda-t-elle en posant son assiette dans l’évier.
— Non, je te remercie.
Prenant appui sur le plan de travail, elle s’adossa à l’évier. Les bouts de ses petits seins pointaient à
travers le tissu de son T-shirt. Il dut se faire violence pour relever les yeux.
— C’est toi qui as tout payé, hier, marmonna-t-elle.
— J’aurais acheté ces choses de toute façon. C’était prévu dans mon budget.
— Mais ça fait tout de même de grosses dépenses.
Voyant qu’elle insistait, il comprit que le moment était venu de clarifier les choses.
— Ecoute, quand je t’ai parlé de l’héritage de tatie Willie, ce que je ne t’ai pas dit, c’est qu’il était
énorme. Elle m’a laissé largement de quoi acheter ce ranch, le rénover, le meubler, acheter du bétail et
des outils, et même m’offrir quelques petits extra. Mais ça ne m’intéresse pas vraiment ; ce que je veux,
c’est réinvestir tout cet argent dans le ranch. Avec ce que j’ai moi-même économisé et ce qu’elle m’a
laissé, je suis à l’abri du besoin, ne t’en fais pas. Et j’ai largement de quoi nourrir ces chèvres.
Ses yeux bleu de Chine se tournèrent vers lui.
— Tu es sûr ?
— Puisque je te le dis.
— Alors j’ai épousé un homme riche, lança-t-elle sur le ton de la plaisanterie.
Il la regarda de haut en bas, parce qu’elle était un véritable plaisir pour les yeux, avec ses joues
roses, ses cheveux blonds emmêlés et ses lèvres pleines qu’il aurait tant aimé embrasser.
— Si vous me traitez bien, femme, je nourrirai vos chèvres.
— Ah, parce que maintenant, ce sont mes chèvres ?
— Ce n’est pas toi qui es allée les caresser en leur parlant comme à des bébés ?
Elle leva les yeux au ciel.
— Bon, je crois que je ferais bien d’aller me préparer.
Il la regarda s’en aller, les yeux fixés sur les courbes parfaites de ses fesses, qui auraient donné des
idées à n’importe quel homme. Pendant toutes ces années, il l’avait considérée comme une petite sœur,
quelqu’un sur qui il devait veiller. Et il avait toujours su qu’elle détestait ça.
Mais de toute façon, désormais, il n’avait plus envie de la traiter ainsi, sauf, peut-être, pour la
taquiner un peu. Car il ne se sentait plus du tout comme un frère vis-à-vis d’elle. Protecteur, oui. Mais pas
comme avant. Pas depuis la soirée du mariage où, devant le punch, il s’était brutalement rendu compte
que la petite Jordyn Leigh Cates n’était plus si petite que ça. Qu’elle était devenue une jeune femme. Une
très belle jeune femme.
Il fallait qu’il soit honnête avec lui-même : il était ravi de jouer au jeune marié avec elle.
Mais il devait se montrer très prudent. S’il n’y avait pas de bébé, elle partirait avant septembre.
Elle avait un rêve, et elle était déterminée à le réaliser.
Il ne pouvait pas se mettre en travers de son chemin.
Pourtant il aurait vraiment aimé pouvoir se souvenir de ce qui s’était passé le samedi soir. Quoi que
ce soit, il aurait vraiment voulu pouvoir conserver ces souvenirs. Pour se les remémorer quand elle
quitterait Rust Creek Falls, le laissant seul dans son ranch.
En songeant encore une fois à la soirée du samedi, il se souvint tout à coup qu’il avait quelque chose
à faire : se rendre au bureau du shérif pour expliquer ses soupçons concernant le cow-boy au chapeau
blanc.

* * *

Après le départ de Jordyn, il passa quelques coups de téléphone. A l’ancien propriétaire, pour lui
parler des chèvres et des poules abandonnées. Et à la compagnie de satellite locale, qui promit d’envoyer
quelqu’un le lendemain, pour installer la télévision et Internet.
Une fois cette tâche terminée, il partit pour Kalispell acheter plusieurs objets dont ils avaient besoin
dans l’immédiat, dont des meubles, une télévision, une machine à laver et un sèche-linge, qui devaient lui
être livrés le lendemain.
De retour à Rust Creek Falls, il fit escale au bureau du shérif, où il parla avec un détective nommé
Russ Campbell. Mais au bout de quelques minutes à peine, il se rendit compte qu’il n’avait aucune preuve
pour étayer ses soupçons. Le cow-boy, il ne l’avait vu qu’une fois, et la seule chose qu’il avait à lui
reprocher, c’était le clin d’œil adressé à Jordyn. Ce qui ne pouvait en aucun cas être considéré comme
une preuve qu’il ait versé quelque chose dans son punch.
Son seul argument était en réalité son mariage impulsif, que ni Jordyn ni lui ne se rappelaient
clairement. Mais aucun d’entre eux ne voulait que les habitants de la ville, y compris ce détective,
sachent que ce mariage était pour eux un problème. Il ne pouvait donc pas mentionner le fait que sa femme
et lui n’étaient pas ensemble avant cette fameuse soirée.
Aussi finit-il par expliquer que Jordyn et lui s’étaient sentis comme ivres au cours de la soirée et
s’étaient réveillés avec un sérieux mal de crâne. Certes, ils avaient tous deux bu plusieurs verres de
punch, mais sur une période de plus de sept heures. D’autre part, la mariée avait affirmé à Jordyn que le
punch était très faiblement alcoolisé.
— C’est ce qui m’a semblé aussi, répondit le détective en hochant la tête. Ce punch ne contenait
qu’une très petite quantité de vin pétillant.
— Vous voulez dire que vous étiez présent ce soir-là ? demanda Will.
— Tout à fait.
Campbell expliqua qu’il avait été recruté par le shérif pour assurer une présence policière au cours
de la soirée. Non par parce qu’il craignait des débordements quelconques, mais parce que la réception
avait lieu dans un parc public. Il affirma qu’il avait observé la façon dont les gens s’étaient comportés ce
soir-là et confirma que beaucoup d’entre eux avaient agi bizarrement.
— Si j’ai bien compris, reprit Will, vous êtes en train de me dire que, selon vous, quelqu’un aurait
pu verser quelque chose dans le punch.
— Je n’ai rien dit du tout. Ou du moins pas encore. Mais je rapporterai au shérif Christensen ce que
vous m’avez expliqué. Et je puis vous assurer que nous procéderons aux vérifications nécessaires.
Will quitta le bureau du shérif sans plus de réponses qu’en entrant. Mais il lui semblait que Russ
Campbell avait paru intéressé par ses propos et il était quasi certain qu’une enquête serait menée.
De retour au ranch, il déchargea son pick-up. Jordyn arriva presque au même moment. L’air joyeux,
elle vint lui prêter main-forte.
Quelques instants plus tard, les chèvres se rassemblèrent en bas des marches et le bouc se remit à
pleurer.
— Il faudrait vraiment qu’on leur donne à manger, murmura Jordyn.
Ils les conduisirent donc vers le plus petit des pâturages adjacents, où l’herbe était assez haute.
Après avoir rempli leur auge et leur abreuvoir, ils laissèrent les animaux paître tranquillement pour partir
nourrir les poules. Une fois cette tâche effectuée, il se rendit dans la cuisine, tandis qu’elle allait ranger le
grain dans la grange.
Quelques instants plus tard, elle rentra dans la cuisine d’un pas précipité, se lava les mains et, sans
dire un mot, prit dans le réfrigérateur le poulet rôti qu’il venait d’acheter et entreprit de le couper en
deux.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Pardon ? fit-elle en remettant une moitié de poulet dans le sac en papier.
— Qu’est-ce que tu fais de notre dîner ?
— Il y a une chatte avec cinq chatons dans la grange, répondit-elle en emballant l’autre moitié du
poulet dans du papier absorbant. Elle a besoin de protéines pour nourrir ses petits.
— Est-ce qu’elle n’est pas censée attraper des souris pour ça ?
Ignorant sa remarque, elle se dirigea vers la porte.
— J’irai chercher des croquettes pour chats demain en rentrant du travail, affirma-t-elle, avant de
disparaître dans le jardin.
Il ne chercha pas à protester. Il avait bien vu l’expression qu’elle affichait. Peu importe ce qu’il
pourrait dire ou faire pour essayer de l’en dissuader, elle nourrirait ce chat.
Dix minutes plus tard, elle réapparut. Il était environ 18 h 30.
Il prit alors une décision :
— Si on allait manger à Kalispell ? Ce n’est qu’à une demi-heure de route…
Il comprit tout de suite qu’elle allait s’opposer à cette idée.
— C’est dépenser de l’argent pour rien, commença-t-elle.
— Je suis riche, ne l’oublie pas.
— Mais on a plein de choses à ranger. Et puis j’ai transpiré en nourrissant les chèvres.
— On rangera demain. Tu veux prendre une douche ? Prends-en une. Départ dans dix minutes.
— Dix minutes ? Tu es fou !
— Ne perds pas ton temps à discuter avec moi.
Un quart d’heure plus tard, ils étaient partis.
Comme ils avaient tous deux aimé le restaurant italien où ils s’étaient rendus la dernière fois, ils y
retournèrent.
Pendant le repas, il lui parla de sa discussion avec le détective Campbell.
— Il m’a rappelé que beaucoup de personnes avaient eu un comportement bizarre ce soir-là. Ce qui
m’amène à penser que ton punch n’aurait pas été le seul à avoir été drogué.
— Alors maintenant, tu penses que quelqu’un a essayé d’empoisonner la ville entière ? demanda-t-
elle en enroulant des spaghettis autour de sa fourchette.
— Je ne sais pas trop quoi penser. Sauf que je devrais sûrement laisser la police et la justice
s’occuper de l’enquête.
— L’enquête ? Carrément ?
— Campbell a dit qu’ils allaient se pencher dessus.
Elle prit une bouchée de spaghettis.
— La police est donc aux trousses du terrible empoisonneur de punch.
— C’est exact.
— Alors il ne nous reste plus qu’à découvrir l’identité du mystérieux auteur de la rubrique people
du journal. Ce serait un service rendu à la ville entière. Mais, d’un autre côté, tout le monde aime cette
rubrique.
Il se prit à rire.
— C’est vrai. C’est bien écrit. Et c’est très drôle. Enfin, à condition que l’on n’en soit pas le sujet,
évidemment.
Elle se pencha vers lui, les yeux brillants.
— Mais sérieusement, Will, à ton avis, qui est-ce ?
— Comment pourrais-je le savoir ? Je te rappelle que je viens juste d’arriver en ville.
— C’est quelqu’un de très observateur et qui a un don pour l’écriture. Peut-être une enseignante,
comme Willa Traub, la femme du maire. Ou bien Kristen Dalton. Tu la connais ?
— Pas que je sache.
— C’est la fille de Charles et Rita Dalton. Elle a une sœur jumelle : Kayla.
— Ça ne me dit rien.
— Eh bien, Kayla est très discrète, mais Kristen, au contraire, est très extravertie. Elle adore jouer
la comédie et travaille d’ailleurs dans un petit théâtre à Kalispell. Elle ne manque jamais une fête. Oui, je
la vois bien dans le rôle de la mystérieuse auteure de la rubrique people ; c’est une rebelle dans l’âme.
— Qu’est-ce qui te fais penser que ce n’est pas un homme ?
— Je ne sais pas, répondit-elle en riant. Mais ça se pourrait aussi, oui. Pourquoi pas Homer
Gilmore ?
— Jamais entendu parler de lui.
— Il était au mariage samedi. Mal rasé, quatre-vingts ans environ, et toujours l’air bizarre.
Il but une gorgée d’eau.
— Je ne me le rappelle pas non plus.
Comme pour le réprimander, elle agita son doigt devant lui.
— Il faudrait tout de même que tu commences à connaître tes nouveaux voisins.
— Laisse-moi un peu de temps. Ça fait à peine une semaine que je suis ici.
— Homer est assez gentil. Il est arrivé en ville l’année dernière. J’ai entendu dire qu’on l’avait
trouvé en train d’errer dans les bois. Il prétendait être le fantôme du Noël passé.
— Tu n’es pas sérieuse ?
— Si, si.
— J’espère qu’il se fait aider.
— Il n’a pas besoin d’aide. C’est un personnage, c’est tout. Mais à bien y réfléchir, je ne pense pas
que ce soit lui. La rubrique existait déjà avant son arrivée en ville.
Elle secoua la tête. Elle était vraiment adorable, avec sa queue-de-cheval, à enrouler ses spaghettis
autour de sa fourchette.
Il était d’ailleurs si occupé à admirer son épouse temporaire qu’il ne remarqua pas la personne qui
s’était approchée de leur table pendant qu’ils parlaient.
— Will ? Jordyn Leigh Cates ? Je n’arrive pas à y croire !
Desiree Fenton. De Thunder Canyon. Mauvaise surprise. Desiree et lui étaient sortis ensemble deux
ans auparavant. Et les choses s’étaient mal terminées entre eux.
Il fit de son mieux pour se composer un visage souriant.
— Desiree, quelle bonne surprise !
Jordyn, après avoir reposé sa fourchette, lui fit un petit signe de la main.
— Salut, Desiree. Comment ça va ?
— Très bien, répondit-elle d’un air radieux. Attendez, ajouta-t-elle en fronçant les sourcils, si je me
souviens bien… toi, Jordyn, tu as emménagé juste après les inondations, c’est ça ?
— Tout à fait. Rust Creek Falls avait besoin d’aide pour la reconstruction.
Desiree se tourna vers lui.
— Et c’est au même moment que ta sœur a emménagé ?
— Exact, répondit-il en hochant la tête. Jordyn et elle sont venues ensemble. Avec la sœur de
Jordyn, Jasmine.
— On avait envie d’un nouveau départ, tu comprends ? ajouta Jordyn.
— J’ai entendu parler de ça, fit Desiree d’un air entendu. Des tas de filles de Thunder Canyon qui
sont parties pour Rust Creek Falls afin de trouver du travail. Ou l’amour. Si je me souviens bien, on a
parlé de « ruée vers l’homme ».
« La ruée vers l’homme ». N’était-ce pas ce qu’avaient dit ces horribles commères au
supermarché ?
— C’est exact. Nous faisions partie de la « ruée vers l’homme ». Cece, Jasmine et moi.
Desiree tourna un sourire beaucoup trop triomphant vers lui.
— Et toi, Will, qu’est-ce qui t’amène dans la région ?
— Je viens d’acheter un ranch non loin de Rust Creek Falls.
L’air sidéré, elle le regarda en clignant des yeux.
— Tu as acheté un ranch ? Déjà ?
Son sourire avait disparu.
Priant pour qu’elle s’en aille rapidement, il lui répondit simplement :
— Oui. Les circonstances ont changé.
— J’imagine, répondit-elle en reprenant un sourire forcé. Quant à moi, je suis là pour une semaine
ou deux, afin d’aider ma tante à déménager.
Elle tourna la tête vers une table proche de la fenêtre, où une jolie femme aux cheveux gris entamait
avec ravissement un plat de pâtes.
— Tatie Georgie a vu sa santé baisser, ces temps derniers. Nous avons donc décidé de la ramener à
Thunder Canyon où elle sera logée dans une résidence médicalisée.
Jordyn la regardait d’un air beaucoup trop circonspect. Cecelia avait dû lui raconter que Desiree et
lui avaient eu une aventure. Et rien qu’en observant son comportement, Jordyn avait dû comprendre que
Desiree n’était pas satisfaite de la façon dont les choses s’étaient terminées.
— C’est gentil d’être venue aider ta tante, lâcha-t-elle en se mettant à tortiller nerveusement une
mèche de sa queue-de-cheval.
Desiree aperçut alors l’alliance de Jordyn. Un petit cri s’échappa de ses lèvres, et aussitôt, elle
tourna un regard inquisiteur vers lui. L’air de rien, il prit son verre d’eau pour le porter à ses lèvres,
confirmant ainsi ses soupçons : il portait, lui aussi, une alliance.
— Pourquoi ai-je l’impression que des félicitations sont de rigueur ?
— Merci, Desiree, dit-il en reposant son verre. Jordyn et moi nous sommes en effet mariés samedi
dernier.
— C’est vrai ?
— Oui, confirma Jordyn.
Silence. Desiree prit un air gêné.
— Eh bien, je vous souhaite beaucoup de bonheur à tous les deux, finit-elle par lâcher.
— Merci, répondit doucement Jordyn.
Les lèvres rouges de Desiree se tordirent un peu.
— Bon, ravie de vous avoir vus, tous les deux. Prenez soin de vous.
— Toi aussi, répondit Jordyn.
— A bientôt, Desiree, ajouta-t-il.
Et ce fut tout. Desiree finit par tourner les talons pour rejoindre sa tante, à l’autre bout de la salle.
Ils échangèrent très peu de mots pendant le reste du repas. Jordyn ne semblait pas savoir comment
réagir. Et il n’avait pas envie de revenir sur cette vieille histoire.
— Ça va, Will ? lui demanda-t-elle doucement quand ils eurent regagné la voiture.
— Très bien, merci.
Elle lui jeta un rapide regard suspicieux.
— Ça n’a pas l’air, en tout cas.
— Puisque je te le dis, lui répondit-il d’un ton légèrement agressif, afin de mettre fin à la
conversation.
Comme elle se tut pendant quelques instants, il se laissa aller à penser qu’il s’était montré assez
mufle pour la réduire au silence. Mais c’était sans compter sur sa légendaire obstination.
— Je sais que tu es sorti avec cette fille, reprit-elle. Cece m’en avait parlé. Et maman aussi. Je sais
que c’était sérieux. Desiree paraissait bouleversée après ça. Et tu n’as pas eu l’air vraiment ravi de la
revoir.
Elle s’interrompit. Agacé, il se risqua à jeter un coup d’œil dans sa direction. Elle avait les mains
croisées sur les genoux, la tête baissée, l’air tendu.
— Laisse tomber, Jordyn. Ce n’est pas important.
— Tu mens, et mal, répondit-elle sans lever les yeux.
— Laisse tomber, répéta-t-il.
Brutalement, elle releva la tête pour le regarder droit dans les yeux.
— OK.
Le reste du trajet se fit en silence.
Une fois qu’ils furent au ranch, elle se dirigea droit vers la cuisine, où elle commença à ranger les
affaires qu’il avait achetées.
— Laisse ça, lui intima-t-il. Je m’en occuperai demain. Tu n’as pas de devoirs à faire ?
Elle avait un pot de beurre de cacahuètes dans une main et une boîte de cacao en poudre dans
l’autre.
— Mais…
— Laisse ça, Jordyn, dit-il d’une voix un peu plus rude qu’il ne l’aurait souhaité.
Elle lui jeta un regard noir. Puis, après avoir violemment posé les deux objets dans un placard, elle
se tourna vers lui, les deux mains levées en geste de reddition.
— Très bien.
— Tu n’as pas de devoirs à faire ?
Elle serra les lèvres, et il crut qu’elle allait l’envoyer balader. Mais, curieusement, elle lui répondit
d’un ton calme :
— Il faudrait que j’aie accès à Internet pour les faire. Mais ce n’est pas un problème. Je resterai à la
garderie deux heures de plus demain après-midi. Sarah a la Wi-Fi.
Elle lui jeta un regard de défi, avant d’ajouter :
— Alors ne m’attends pas avant 18 heures, voire 19 heures, pour me laisser le temps de faire ce que
j’ai à faire.
Il aurait dû accepter la situation. Si elle voulait faire ses devoirs chez Sara Johnston, où était le
problème ? Nulle part. Mais comme toujours, il ne put s’empêcher de s’opposer à elle.
— Tu feras tes devoirs ici.
— Je te demande pardon ? demanda-t-elle d’un air à la fois surpris et irrité.
— Tu m’as très bien entendu. Tu peux faire tes devoirs ici.
— Ce n’est pas ce que tu as dit, et tu le sais aussi bien que moi. Tu m’as donné un ordre, Will. Tu
n’as aucun droit de me donner des ordres. C’est à moi de décider de l’endroit où je veux faire mes
devoirs. Et de toute façon, comme je viens de te l’expliquer, je ne peux pas les faire ici, puisqu’il n’y a
pas de connexion Internet.
— Demain, à la première heure, les types du satellite viennent nous raccorder. On aura la télé et
Internet avant midi.
A ces mots, ses joues prirent une nuance plus rouge.
— Dans ce cas, d’accord. Je reviendrai dès que j’aurais fini le travail.
— Bien.
L’air toujours aussi gêné, elle se mordilla la lèvre inférieure.
— Bon, je vais voir comment se portent les animaux, finit-elle par marmonner en se dirigeant vers
la porte de derrière.
Il aurait dû en rester là. Mais il ne put s’empêcher de l’arrêter en l’attrapant par le bras.
— N’importe quoi pour ne pas rester avec moi, hein ?
L’air étonné, elle s’immobilisa, avant de baisser les yeux vers ses doigts et de les relever vers lui.
Quelque chose se mit à y briller. Quelque chose de chaud. Et de dangereux.
— Tu n’étais pas obligé de dire ça.
Il aimait la sensation de la chaleur douce de sa peau contre la sienne. Il l’aimait beaucoup trop. A
contrecœur, il la libéra.
— Tu as fini ? demanda-t-elle, comme si elle attendait qu’il cesse de se comporter en imbécile et
qu’il lui dise ce qu’il avait sur le cœur.
— C’est juste que je n’ai pas envie de parler de Desiree, finit-il par avouer, pour répondre à sa
demande tacite.
— Alors ne le fais pas, répondit-elle sèchement en se dirigeant à nouveau vers la porte.
Il eut envie de la rattraper. Mais dans ce cas, il faudrait lui parler à cœur ouvert. Or, il n’était pas
prêt. Aussi la regarda-t-il passer la porte en se maudissant intérieurement de sa lâcheté.
- 8 -

Jordyn discuta longuement avec les chèvres, qui tombèrent d’accord avec elle : Will était une tête de
lard. Elle passa aussi un peu de temps avec la maman chatte et ses bébés, qu’elle caressa à tour de rôle.
Quand elle rentra, il n’était plus dans la cuisine. La porte de sa chambre était fermée, et elle pouvait
voir de la lumière filtrer par en dessous. Très bien. Il n’avait qu’à bouder dans sa chambre. Pas de
problème.
A la fois irritée et attristée, elle finit de ranger les provisions qu’il avait achetées et déballa un
micro-ondes, un mixer et un ouvre-boîte électrique.
Après cela, elle monta à l’étage et passa le reste de la soirée dans sa chambre.
Le lendemain matin, ils mangèrent leur petit déjeuner en silence. Quand elle partit pour le travail, ils
n’avaient pas échangé un mot.
Lorsqu’elle rentra, dans l’après-midi, elle remarqua un troupeau de vaches sur la colline, près de
l’étang. Les premières bêtes de Will avaient dû arriver.
En approchant de la maison, elle remarqua également deux pick-up garés dans la cour. Elle reconnut
les véhicules des frères de Will. Mais la maison était silencieuse. Ils avaient dû commencer à travailler
dans les pâturages.
De toute façon, elle avait des devoirs à faire. A condition, bien sûr, que Will ait fait installer la Wi-
Fi, comme il l’avait promis. Le grand téléviseur qui reposait désormais sur la cheminée semblait en tout
cas l’indiquer. Et ce n’était pas la seule nouveauté. Un canapé, deux fauteuils et une table basse avaient
été installés, rendant le séjour beaucoup plus accueillant. La buanderie était désormais équipée d’une
machine à laver et d’un sèche-linge. Et, en passant dans la cuisine, elle n’avait pas manqué de remarquer
la nouvelle table, avec ses six chaises assorties.
Décidément, quand Will décidait de faire les choses, il agissait vite et bien. Elle aurait presque pu
en être admirative, si elle n’avait pas été aussi fâchée contre lui.
Le bouc avait dû l’entendre arriver. Comme à son habitude, il pleurait comme un bébé. Tout en riant
un peu, elle partit nourrir les chèvres, les poules et les chats.
Une fois de retour à l’intérieur, elle prépara un pot-au-feu qu’elle laissa mijoter. Puis elle monta
dans sa chambre, sur la porte de laquelle il avait accroché une note : « Wi-Fi opérationnelle », pouvait-
on lire, suivi du nécessaire mot de passe. Après s’être confortablement installée sur son lit, elle se mit au
travail.
Vers 19 heures, elle entendit la porte s’ouvrir et des voix d’homme résonner. Elle aurait
naturellement préféré rester dans sa chambre pour éviter Will, mais elle appréciait ses frères et il aurait
été impoli de ne pas se déplacer pour les saluer.
Comme elle s’y était attendue, elle trouva les frères Clifton dans la cuisine, en bleus de travail,
occupés à boire une bière, les mains fraîchement lavées. Leur mère les avait bien élevés. Ils avaient
même pensé à retirer leurs bottes avant d’entrer.
— Bonjour tout le monde, lança-t-elle en entrant.
Rob, le plus jeune, la prit dans ses bras, avant de lui désigner Will.
— Mais qu’est-ce qui t’a pris, Jordyn, de te marier avec lui ?
— Je ne sais pas. Un moment de folie. Comment vas-tu ?
— Je n’ai pas à me plaindre. Tu es magnifique, comme toujours.
Will marmonna quelque chose qu’elle ne réussit pas à entendre. Mieux valait sans doute qu’il en soit
ainsi.
L’ignorant royalement, elle se mit à rire.
— Tu dis ça parce que tu es intéressé par mon pot-au-feu.
— Eh bien, c’est vrai que ça sent très bon.
Jonathan, le troisième après Will, s’approcha d’elle.
— Si Will te donne du fil à retordre, n’hésite pas à me le faire savoir. Je m’occuperai de son cas.
Elle le prit à son tour dans ses bras.
— J’ai toujours su que je pouvais compter sur toi, Jonathan.
Will s’éclaircit la gorge.
— Alors, on dîne ?
Elle fut tentée de lui répondre de façon caustique. Mais ses frères étaient là. Et de toute façon, elle
connaissait un bien meilleur moyen de le piquer au vif. Tout sourires, elle posa donc les mains sur ses
larges épaules musclées.
— On dîne, oui. Mais il faut que quelqu’un mette la table.
Gardant le bras le long du corps, il baissa les yeux vers elle et se mit à la regarder d’un air
suspicieux.
— Parfait. On s’en occupe.
— Merci. Comment s’est passée ta journée, mon cœur ?
Ses yeux devinrent troubles, puis elle vit ses mâchoires se crisper. Bien. Elle avait touché la corde
sensible. Elle sentit ses mains chaudes glisser autour de sa taille et se poser sur ses reins. Pour quelqu’un
d’aussi agaçant, il savait vraiment se comporter en séducteur.
— Très bien, finit-il par répondre. On a réussi à faire pas mal de choses. Plusieurs troupeaux sont
déjà arrivés. Je les ai achetés aux enchères la semaine dernière.
— J’ai vu quelques vaches près de l’étang quand je suis arrivée.
Il fit glisser une main le long de son dos, dans un mouvement lent et langoureux qui ne pouvait être
qualifié que de « sensuel ». Un délicieux frisson lui parcourut le corps. Elle laissa son regard glisser vers
sa bouche et ses lèvres si douces comparées au reste de son corps.
Elle remarqua alors que lui aussi regardait fixement sa bouche. Elle retint son souffle. Et soudain,
elle sentit ses bras musclés se refermer autour d’elle. Il pencha la tête vers elle, et son odeur virile et
divine se fit soudain plus forte, plus enivrante.
Et son baiser ? Spectaculaire. Elle sentit une vague de chaleur déferler sur elle, ses genoux se
dérober sous son corps. Rien d’étonnant à ce que Desiree Fenton regrette de l’avoir perdu.
Quand il releva la tête, elle se sentit marquée, comme si son corps puissant et musclé avait laissé
une empreinte sur le sien. Le regard de Will était brûlant de colère. Mais il n’y avait pas que ça. Loin de
là. La flamme qui brûlait en lui était aussi celle de la passion.
Ce n’est qu’un baiser, voyons ! Une marque publique d’affection visant à les rendre crédibles dans
leur rôle de jeunes mariés.
La voix de Jonathan, taquine, la ramena à la réalité :
— Il y a des hôtels pour ça.
Ce commentaire eut pour effet de briser la tension. Tous se mirent à rire.
Pour se libérer de son étreinte, elle plaqua les mains sur la poitrine dure comme du roc de Will.
— Allez, les garçons : mettez la table. Je m’occupe du dîner.
Les frères Clifton mangèrent avec appétit. Ils quittèrent ranch à 20 h 30 pour rejoindre l’hôtel
Maverick Manor, après avoir promis de revenir le lendemain matin. Une journée qui allait encore être
bien occupée au Flying C. C’était en effet ce jour-là que le couple embauché par Will pour l’aider devait
arriver, ainsi que les trois chevaux qu’il possédait et les meubles qu’il avait laissés à Thunder Canyon.
Une fois les Clifton partis, la maison parut à Jordyn bien silencieuse. Il n’y avait plus qu’elle et lui,
avec la rancœur de la veille qui se dressait entre eux comme un mur. Pour ne pas trop y penser, elle
entreprit de faire la vaisselle.
Mais il s’approcha avec un torchon.
Encore du silence.
Ce fut lui qui finit par le briser :
— J’ai acheté un lave-vaisselle hier. Et la machine à laver, tu l’as vue ?
Elle n’avait plus vraiment envie de se disputer avec lui. Mais elle n’avait pas non plus envie de se
montrer trop gentille.
— Oui. Elle a l’air bien, répondit-elle donc simplement.
— Le lave-vaisselle sera installé demain.
— Génial, répondit-elle sans lever les yeux de l’assiette qu’elle était en train de frotter.
— Tu… Tu as bien eu le mot de passe, pour la Wi-Fi ?
— Oui, merci, répondit-elle en lui tendant l’assiette.
— Et tes devoirs, ça a été ?
— C’est fait.
Elle rinça la dernière assiette. Il la sécha et la rangea. Quand tout fut fini, il insista :
— J’ai réussi à joindre l’ancien propriétaire.
— Ah oui ?
— Il n’a pas de place pour ses animaux là où il vit maintenant. Pour faire bref, je suis donc
l’heureux propriétaire d’un bouc, de deux chèvres, d’une chatte, de ses chatons, d’un coq et d’une poule.
Voire plus. Le temps nous le dira.
Elle ne fit pas de commentaire. Qu’aurait-elle pu ajouter, de toute façon ? Elle trouvait cela très
bien. Beaucoup trop bien. Il ne fallait pas qu’elle s’attache à ce lieu. Puisqu’elle partirait bientôt pour
Missoula. Il s’agissait de ses responsabilités à lui, qu’il allait devoir, bien rapidement, assumer seul.
Il s’éloigna d’elle pour aller ranger les assiettes dans un placard. Une fois la porte refermée, il resta
immobile, lui tournant le dos.
Et soudain, brutalement, il se retourna.
— Combien de temps vas-tu encore être en colère contre moi ?
Les coins de sa bouche sensuelle étaient affaissés, ses beaux yeux troublés.
Et à le regarder, elle sentit un sentiment de chaleur se nicher au creux de sa poitrine. Un sentiment de
tendresse. Aussi se sentit-elle obligée de lui apporter une réponse honnête :
— Jusqu’à ce que tu me parles, j’imagine.
Ses yeux bleus se fixèrent sur les siens.
— Et si on allait s’asseoir dans le salon, sur le canapé tout neuf…
Elle prit la main qu’il lui tendait. Et, au moment où ses doigts se resserrèrent autour des siens, elle
se sentit curieusement soulagée.
Dans le séjour, ils s’assirent chacun à un bout du canapé. Après s’être débarrassée de ses
chaussures, elle se tourna vers lui.
— C’est très simple, déclara-t-il de but en blanc. J’avais juré de ne jamais me marier avant de
m’être installé. Et Desiree le savait très bien quand on s’est mis ensemble.
— Tu veux dire que tu le lui as annoncé directement ?
— Tout à fait. Et je lui ai même précisé combien de temps ça prendrait : environ vingt-cinq ans. A
cette époque, je ne pouvais pas savoir que j’allais perdre tante Willie et que les choses allaient changer.
J’avais vingt-huit ans quand Desiree et moi avons commencé à nous fréquenter. Et, de façon générale,
j’essayais de me montrer franc et honnête avec les femmes avec lesquelles je sortais.
— De façon générale ?
— Oui, et même de façon systématique. Tu te souviens de Brita Foxworth ?
Elle prit quelques instants pour réfléchir.
— Oui. Tu sortais avec elle au lycée. Tout le monde pensait que vous alliez vous marier après le
bac.
— C’était le rêve de Brita. Mais j’ai dû lui faire comprendre qu’il ne se réaliserait pas. En tout cas
pas avant plusieurs années, que j’aie acheté un ranch. Ce qui, d’après mes calculs, ne devait se produire
que quand j’aurais atteint l’âge de quarante-cinq ans environ. Brita et moi avons donc rompu juste après
le bac, quand je lui ai expliqué que je ne comptais pas me marier avec elle ou avec qui que ce soit avant
de longues années. Après ça, chaque fois que je suis sorti avec une femme, je me suis assuré que les
choses étaient bien claires entre nous sur ce point.
Elle se tourna à son tour vers lui et étendit le bras sur le dossier du canapé dans sa direction.
— Alors tu as eu cette conversation avec Desiree dès le départ ?
— Tout à fait. Et elle a dit que ça lui convenait très bien. Qu’elle ne voulait pas se marier, de toute
façon.
— A en juger par la tête qu’elle a faite quand elle a compris qu’on était mariés, je dirais qu’elle a
soit menti, soit changé d’avis entre-temps.
A son tour, il fit un geste. Il lui posa ses deux mains, larges et chaudes, sur les genoux.
— Desiree et moi, nous sommes sortis ensemble pendant près d’un an.
Elle ne put s’empêcher de faire une petite grimace.
— Je ne m’étais pas rendu compte que ça avait duré si longtemps.
— Je l’aimais bien, tu sais ? Je m’amusais bien avec elle. Je pensais qu’elle n’avait pas de souci
avec la façon dont les choses se passaient. Mais un soir où on était dans son appartement, elle m’a fait
toute une scène. Elle a pleuré, elle m’a dit qu’elle m’aimait, qu’elle ne pouvait plus supporter la situation.
Qu’elle voulait se marier avec moi, avoir des garanties, la bague au doigt et tout ce qui s’ensuit.
— Est-ce que… est-ce que tu étais amoureux d’elle ?
Elle regretta aussitôt ces propos. S’il disait oui, logiquement, la question suivante serait : es-tu
toujours amoureux d’elle ? Mais aurait-elle le courage de la poser ?
Certes, leur mariage n’était qu’un mariage de façade, mais plus le temps passait, plus elle se
sentait… investie. Si elle apprenait qu’il avait toujours des sentiments pour Desiree Fenton, elle se
sentirait blessée, c’était certain.
De toute façon, il mettait beaucoup trop de temps pour répondre.
— Comme je te l’ai dit, je l’aimais bien. Mais je n’étais pas amoureux et je ne voulais pas me
marier avec elle.
Soulagement. Ce fut un sentiment de soulagement profond qu’elle ressentit à ces mots. Mais elle
décida de ne pas trop réfléchir à ce que cela signifiait. Elle aurait tout le temps de penser à cela plus tard.
— Les hommes sont parfois aveugles, s’entendit-elle dire.
— Aveugles ? Elle ne m’a rien dit pendant des mois et des mois. Je pensais qu’elle était heureuse.
Et tout à coup, elle est venue me voir pour m’expliquer qu’elle ne l’était pas.
— Je suis sûre qu’il y a eu des signes. Mais tu as refusé de les voir.
— Peut-être, répondit-il. C’est possible. Tout ce que je sais, c’est que j’ai eu l’impression d’être
une véritable ordure quand j’ai rompu avec elle et que j’ai de nouveau eu cette impression quand je l’ai
revue hier soir. Je ne voulais pas lui faire de mal, vraiment.
Elle ne put s’empêcher d’imiter le son de sa voix :
— « Je ne voulais pas lui faire de mal, vraiment. »
— Je t’assure. Mais si tu penses que je me suis planté, dis-moi ce que j’aurais dû faire.
Se sentant moins à l’aise, tout à coup, elle garda le silence.
— Je ne sais pas, finit-elle par répondre. Dans les couples, les gens finissent souvent par souffrir. Et
il me semble avoir entendu dire qu’après votre rupture, elle s’était mise avec Roger Boudreaux, et que
c’était lui qui avait rompu aussi. Peut-être qu’elle n’est pas très à l’aise avec les hommes, après tout.
Tout en se penchant vers elle, il serra tendrement ses genoux entre ses bras.
— J’ai envie d’une bière. Tu en veux une ?
— Non, merci.
Il revint quelques minutes plus tard, une bouteille à la main. Après s’être de nouveau assis à côté
d’elle, il but une longue gorgée.
— Alors, entre toi et moi, tout va bien ?
Elle plongea son regard dans le sien avant d’acquiescer.
— Oui, tout va bien.
Tout en poussant un profond soupir de soulagement, il se laissa retomber contre le dossier.
— Content de l’apprendre.
Elle songea à leur mariage qui n’était qu’un accident. Qui n’était que temporaire. Mais elle ne put
empêcher les mots de sortir de sa bouche :
— Une chance que tu aies acquis ce ranch avant samedi soir, tu ne trouves pas ?
Il afficha un air perplexe, fronça les sourcils.
— Pourquoi dis-tu ça ?
— Réfléchis : si tu t’étais réveillé marié à moi et que tu n’avais pas encore réalisé ce rêve, tous tes
grands projets auraient passé à la trappe, non ?
Il lui adressant un regard méfiant qu’elle ignora royalement.
— Donc, après notre divorce, tu te mettras de nouveau en chasse ? Pour te trouver une jolie petite
femme. Et réaliser un rêve de quinze ans…
— Jordyn, commença-t-il en reprenant son intonation réprobatrice.
— Quoi ? répondit-elle d’un air faussement innocent.
— Je suis peut-être aveugle, mais je sais très bien que le grand amour n’est pas une chose que l’on
peut trouver parce qu’on l’a planifié. Ce n’est pas comme d’acheter un canapé ou une télé.
— Je vois que tu es un romantique, rétorqua-t-elle d’une voix ironique.
— Ne te moque pas de moi. Je suis sérieux. Dans deux ans environ, quand le ranch sera bien lancé,
je me mettrai à la recherche de la femme idéale, oui. Mais je me montrerai très exigeant. Je veux ce que
mes parents ont eu. Ce que tes parents ont eu. L’amour absolu. Je ne me contenterai pas de moins que ça.
A ces mots, elle sentit son cœur se serrer.
— Tu as l’air triste. Qu’est-ce que j’ai fait, encore ?
— Rien, répondit-elle en plongeant son regard dans le sien.
— Allez, dis-moi, insista-t-il d’une voix si douce qu’elle sentit son cœur fondre.
— C’est juste que… Ce que tu viens de dire, j’ai trouvé ça très beau.
— Et… ? demanda-t-il d’un air suspicieux.
Elle se sentait désormais trop timide, trop jeune, trop tendre.
— Et c’est très bien.
Une mèche de cheveux noirs retomba sur le front de Will. Sans réfléchir, elle leva la main pour la
dégager doucement de son visage.
Mais elle s’arrêta au milieu de son geste. Elle ne pouvait pas. Cela aurait été trop intime. Puisqu’ils
n’avaient pas de public pour juger de leur degré d’affection.
Sans paraître remarquer son dilemme, il prit la télécommande.
— Tu veux regarder la télé ?
— Oui, pourquoi pas ?
Il mit la chaîne de sport, sur laquelle était diffusé un match de rugby. Elle n’appréciait le rugby que
très modérément. Mais assez pour rester assise à côté de lui, tout près de lui, dans son nouveau canapé.
Alors qu’il étirait ses bras le long du dossier du canapé, ses doigts effleurèrent ses épaules. Un
délicieux frisson lui parcourut le bras.
— Mets-toi à l’aise, lui conseilla-t-il au même moment.
Instinctivement, elle se rapprocha de lui. Parce qu’elle avait envie de se blottir contre lui, de sentir
la chaleur de ses bras autour d’elle, de faire comme si…
Comme si rien.
Comme s’il avait deviné son désir, il passa son bras musclé autour d’elle et l’attira à lui. Et tout
naturellement, elle se laissa aller contre son flanc.
C’était bon, tellement bon.
Beaucoup trop bon, d’ailleurs. Beaucoup trop intime, puisqu’ils n’étaient que tous les deux dans la
pièce et qu’ils n’avaient rien à prouver à quiconque.
Il la serra un peu plus fort contre lui.
— Ça va mieux ? murmura-t-il.
— Oui, répondit-elle en se lovant contre son corps dur et chaud.

* * *

Elle se réveilla au milieu de la nuit, à l’étage, dans son lit, toujours vêtue de son jean et de son T-
shirt.
Quel homme, songea-t-elle en se débarrassant de son soutien-gorge et de son pantalon. Puis elle
rabattit les couvertures sur elle et sombra à nouveau dans le sommeil, tout en souriant béatement.

* * *

Le lendemain était un vendredi.


Quand elle revint du travail, les frères de Will étaient déjà repartis pour le Maverick Manor. Will la
conduisit jusqu’à l’ancienne maison du gardien pour la présenter à ses nouveaux occupants : Myron
Stevalik, qui l’aiderait au ranch, et sa femme Pia. Elle les trouva tous deux très sympathiques et ne
manqua pas de dire à Pia de venir la voir si elle avait besoin de quoi que ce soit.
En regagnant le corps de ferme, elle s’aperçut que le perron était recouvert de meubles et de
cartons : Myron et Mia avaient apporté tout ce qui se trouvait dans la petite maison que louait Will à
Thunder Canyon.
Ensemble, ils rentrèrent et rangèrent ces divers objets, dont une commode, deux chaises, et même
une table de chevet qu’il lui proposa de placer dans sa chambre. Elle l’aida ensuite à ranger les cartons
contenant ses affaires personnelles.
Vers 19 heures, ils dînèrent sur la grande table de chêne que les Stevalik avaient également
rapportée de Thunder Canyon. Et après le repas, il alla soigner ses chevaux, qui étaient arrivés le matin.
Pour sa part, elle entreprit de ranger les nouveaux cartons de vaisselle et d’ustensiles de cuisine.
Quand il revint, vers 21 h 30, il lui restait encore un carton à ranger. Sans rien dire, Will le repoussa
dans un coin.
— Will ! Je n’ai pas fini avec ça.
— Ça ira pour ce soir.
— Mais je veux juste…
— Tu en as fait assez pour aujourd’hui.
Ils avaient fait de sérieux progrès. La maison commençait à paraître chaleureuse et confortable.
Naturellement, les murs auraient eu besoin d’un bon coup de peinture et la cuisine d’équipements un peu
plus modernes. Mais il y avait désormais tout le confort. Et elle se sentait satisfaite d’y avoir contribué.
La voix de Will coupa court à ses pensées :
— Et si on se regardait un film ?
Un film ? Très bonne idée. Surtout s’il remettait ses bras autour d’elle et qu’elle pouvait se servir de
son torse dur et puissant comme d’un oreiller. Et s’il la portait dans ses bras pour la coucher dans son lit,
comme la veille au soir.
— Jordyn Leigh ? fit-il.
Il attendait toujours sa réponse.
— Euh… pardon. Tu sais, je suis un peu fatiguée. Je crois que je ferais bien d’aller me coucher.
— Tu es sûre ?
Avait-il vraiment l’air déçu qu’elle ne souhaite pas rester avec lui ? Ou prenait-elle ses rêves pour
la réalité.
Peu importait. Elle avait pris sa décision. Elle allait dans sa chambre.
— Oui, je crois que j’ai bien besoin d’une bonne nuit de sommeil.
Elle lui adressa un large sourire qui lui sembla à elle-même forcé. Et lui aussi dut le percevoir
comme forcé, car il prit soudain un air circonspect.
— Tout va bien ?
— Oui, oui. Je suis juste un peu fatiguée.
Bien qu’il parût toujours suspicieux, il n’insista plus.
Après lui avoir souhaité bonne nuit, elle monta les marches en se forçant à ne pas se retourner.
Quand elle se réveilla le lendemain, il était déjà sorti pour soigner les animaux. Elle commença à
préparer le petit déjeuner, et il ne tarda pas à rentrer.
Il venait à peine d’entamer ses œufs au bacon quand il redressa brusquement la tête et fixa son
regard sur le sien.
— Des projets pour aujourd’hui ?
Elle but une gorgée de café, avant de répondre :
— Finir de ranger la cuisine, et peut-être étudier un peu.
— Que dirais-tu d’un pique-nique ? proposa-t-il en lui adressant un sourire des plus séduisants.
Juste toi et moi. On partirait à cheval. Le Flying C est le plus joli ranch de la vallée de Rust Creek, et
j’aimerais avoir l’occasion de te le faire visiter.
La proposition lui parut attrayante. Et de toute façon, qu’avait-elle à craindre ? S’ils étaient chacun
sur un cheval, au beau milieu de la journée, que pouvait-il bien se passer ?
— Eh bien… pourquoi pas ? Je pense que c’est une bonne idée.
— Prends un maillot de bain. On va suivre la rivière, et je connais un super petit lac avec une
cascade. Ça nous rafraîchira un peu.
Se rafraîchir. Oui, ce ne serait pas une mauvaise idée. Car les idées qu’il lui inspirait avaient
tendance à…
— Euh… Jordyn ?
Elle se rendit soudain compte qu’elle avait les yeux perdus dans le vide.
— Oui ?
— Tu emportes un maillot de bain ?
— Oui, d’accord. Oui.

* * *

A 11 h 30, elle se trouvait sur le dos de Darling, la jument pie de Will, tandis que lui montait Shady,
son étalon noir préféré.
Après avoir contourné l’étang, ils se retrouvèrent le long de la rivière bordée de grands saules et de
cotonniers. Mais malgré l’ombre qu’apportait toute cette verdure, elle avait chaud, et de temps à autre,
des gouttes de sueur perlaient sur son front.
Au bout de quelques minutes, elle entendit une sorte de rugissement bas et continu.
— Je crois que j’entends ta cascade.
Il lui fit signe de se placer à côté de lui.
— Elle est tout près, oui.
— Un petit bain ne me ferait pas de mal.
Elle le vit sourire sous son chapeau.
— A moi non plus.
Le bruit de l’eau s’intensifia. Ils quittèrent le sentier pour couper entre les arbres.
— On y est, finit-il par déclarer d’un air satisfait.
Et elle comprit immédiatement pourquoi. Dans un bassin turquoise, une haute cascade se déversait
entre des rochers d’un noir de jais.
— C’est magnifique.
— Je savais que ça te plairait, dit-il d’un air plus satisfait encore.
Après être descendus de cheval, ils burent un peu d’eau puis se déshabillèrent. Un instant plus tard,
elle portait juste son bikini imprimé hawaïen, et lui son boxer.
Il plongea le premier, et quand, après l’avoir imité, elle sortit la tête de l’eau, elle laissa échapper
un petit cri de surprise.
— Elle est froide !
— Viens, dit-il en s’esclaffant.
Et il commença à nager vers la cascade.
Elle le suivit jusqu’à un endroit où ils purent sortir de l’eau en escaladant les rochers glissants. Elle
prit soin de positionner ses pieds et mains aux endroits où il avait mis les siens mais, par deux fois, elle
manqua de glisser.
La deuxième fois, il se tourna vers elle en souriant.
— Besoin d’aide.
— Tu veux rire ? Je sais très bien ce que je fais.
Tout en secouant la tête, il continua à grimper. Et, une fois arrivé en haut, il lui tendit la main. Elle
faillit rétorquer qu’elle pouvait très bien se débrouiller seule. Les vieilles habitudes avaient la vie dure :
elle avait passé presque toute son enfance à dire à Will Clifton qu’il n’avait pas à la commander et
qu’elle n’avait pas besoin de son aide.
Mais cette fois-ci, elle ne put s’empêcher de rire d’elle-même et de son côté puéril. Et naturellement
elle prit la main qu’il lui tendait. Tout en se redressant, il tira sur son bras, et elle finit par grimper à son
côté, sans pouvoir s’empêcher de rire de nouveau quand elle vacilla un peu.
Pour qu’elle retrouve son équilibre, il la prit dans ses grands bras.
— Qu’est-ce qu’il y a de drôle ?
Elle plongea son regard dans ses yeux bleu clair cerclés de bleu foncé. Et soudain, il n’y eut plus
rien de drôle. Ses cheveux humides étaient d’un noir d’encre, et de petites gouttes d’eau étaient restées
accrochées aux traits sculpturaux de son beau visage, et à ceux, plus durs encore, qui dessinaient les
muscles puissants de ses épaules et de son torse. Elle avait envie de rester là pour l’éternité, dans la
chaleur de ses bras humides et forts, sous les rayons de ce beau soleil estival, qui filtraient à travers les
feuilles des arbres.
— Jordyn ?
— Hm ?
— Tu es encore en train de le faire.
— Quoi ?
— De ne pas m’écouter quand je te parle, les yeux perdus dans le vide, comme si tu étais à des
kilomètres de là.
— Ce n’est pas vrai, répondit-elle doucement. Je suis bien là.
Elle regarda sa bouche, consciente que si elle l’embrassait maintenant, elle ne pourrait pas prétexter
la nécessité d’une démonstration publique d’affection. Il n’y avait personne pour les regarder. Si elle
l’embrassait, ce serait un vrai baiser. Ce serait parce qu’elle avait envie de l’embrasser. Et elle avait
envie de l’embrasser.
Très envie.
De vagues souvenirs de la soirée du samedi semblaient vaciller dans l’air entre eux. Cela faisait-il
vraiment juste une semaine qu’ils avaient dansé ensemble au clair de lune, qu’ils s’étaient dit « Oui »
devant la juge ?
Cela faisait-il vraiment juste une semaine qu’elle s’était réveillée avec une bague au doigt ?
— Jordyn ?
La bouche de Will, curieusement, sembla devenir plus douce, plus pleine, formant un contraste
encore plus saisissant avec le reste de son corps, les lignes dures de sa mâchoire, les lignes dures de ses
muscles, ses bras puissants tendrement et fermement enroulés autour d’elle.
Et pourquoi sentait-il toujours si bon ? C’était vraiment injuste.
— Jordyn ? répéta-t-il.
— Will, répondit-elle au même moment d’une voix très douce, comme s’il s’agissait d’un secret.
Ou d’une prière.
Puis elle posa les mains à plat sur son torse, les fit lentement remonter pour les enrouler autour de sa
nuque.
— Will ?
Sa réponse ne fut qu’un murmure rauque :
— Jordyn.
Et ses lèvres se joignirent aux siennes.
- 9 -

Will couvrit ses lèvres douces et tentantes des siennes.


Tout comme il l’avait fait l’autre soir, quand il l’avait embrassée devant ses frères. Et à la supérette,
devant les deux vieilles commères.
Ou encore samedi soir, quand il l’avait embrassée juste parce qu’il en avait envie.
La petite Jordyn Leigh Cates. La reine du baiser.
Le goût délicieux de sa bouche n’aurait plus dû être une surprise pour lui. Et pourtant, à chaque fois,
il en était émerveillé. Il avait le sentiment qu’il ne pourrait jamais se remettre du plaisir que lui
apportaient ses lèvres douces et sensuelles. Chaque baiser était comme le premier.
Quand bien même il n’aurait certainement pas dû, il espérait qu’il y en aurait d’autres, et beaucoup,
au cours des quelques semaines qu’ils allaient passer ensemble.
Son corps frêle semblait juste à sa place entre ses bras. Et le mieux de tout, c’était qu’elle ne
cherchait pas à s’écarter de lui, alors qu’il n’y avait personne pour les observer. Elle lui rendait son
baiser. Il sentit son sexe durcir au moment où elle écarta les lèvres pour lui permettre de goûter plus
profondément à elle.
Elle était tellement délicieuse. Et elle était sienne.
Sa femme.
Enfin, seulement pour un temps.
Mais peut-être pas. Peut-être y avait-il eu plus que des baisers entre eux le samedi soir. Et dans ce
cas, peut-être portait-elle son enfant.
Et si tel était le cas, ils s’étaient mis d’accord pour rester ensemble et s’arranger afin que leur
mariage dure.
Quoi qu’il en soit, pour l’heure, la vie était belle. Il continuait à l’embrasser. Elle continuait à lui
rendre son baiser.
Sensuellement, il fit glisser ses mains sur la peau soyeuse et humide de son dos. Ses seins fermes
étaient délicieusement pressés contre sa poitrine, et il savourait cette sensation, malgré le tissu du maillot
de bain. Son odeur emplissait l’air, pêche mûre et averse de printemps. Elle était totalement enivrante.
— Assieds-toi, murmura-t-il entre ses lèvres écartées.
Elle soupira contre sa joue.
— Tu veux dire : avant que nous tombions ?
— Oui.
Il joignit de nouveau sa bouche à la sienne et se mit à mordiller sensuellement sa lèvre inférieure,
qu’il apaisa ensuite en y passant la langue. Tout en continuant de l’embrasser, il fléchit les genoux et
l’entraîna avec lui.
De bout de ses doigts brûlants, elle lui effleura la joue.
— On ne devrait pas faire ça.
Ivre de désir, il prit son index entre ses lèvres, l’embrassa, le lécha. Puis, à contrecœur, le lâcha.
— Chut. Tout va bien. On fait juste…
— Quoi ?
— On s’amuse juste un peu. Ça ne fait de mal à personne.
Tout en produisant un murmure méditatif, elle se mit de nouveau à lui caresser le visage du bout des
doigts.
— Tu es sûr ?
— Naturellement.
Mais il aurait dû lui avouer la vérité. Admettre qu’il n’était sûr de rien.
Son érection était de plus en plus douloureuse. Mais qu’est-ce que ça pouvait faire ?
Il allait simplement continuer à l’embrasser et à la tenir dans ses bras. Qu’y avait-il de mal là-
dedans ? Ils l’avaient de toute façon déjà fait plusieurs fois.
— Will…
En guise de réponse, il captura sa bouche pour lui donner un autre baiser. Un long baiser. Au départ,
elle se raidit un peu. Mais elle ne tarda pas à se laisser aller entre ses bras.
Quand il finit par détacher ses lèvres, elle se blottit contre lui et nicha sa tête dans le creux de son
cou.
— Tu embrasses très bien, Will, murmura-t-elle.
— C’est exactement ce que j’étais en train de penser de toi.
Elle se mit à rire. Un petit son cristallin, ravissant.
— Sérieusement ?
— Je t’assure, répondit-il en dégageant les cheveux de son visage. Je crois qu’il y a une véritable
alchimie entre nous, Jordyn Leigh.
Elle releva le visage, et il dévora du regard la bouche si tendre qu’il venait d’embrasser.
— C’est ce que je me dis aussi. Mais qui l’eût cru ? Toi et moi, comme ça, ensemble. Alors que je
t’ai toujours considéré comme un véritable enquiquineur.
Amusé, il déposa un rapide baiser sur ses lèvres.
— Tu ne penses pas ce que tu dis.
— Oh que si. A Thunder Canyon, toutes les filles ne me parlaient que de toi et de ton prétendu sex-
appeal. Et à chaque fois, je leur répondais : « C’est vrai qu’il est beau et qu’il peut parfois se montrer
charmant, mais tu ne le connais pas comme je le connais. »
Il choisit prudemment ses mots.
— Je crois que je ne vais retenir qu’une chose de cette histoire : tu me trouvais beau et charmant.
— Oui, tu n’as qu’à faire ça, murmura-t-elle, la tête toujours blottie dans son cou.
Surpris par ce changement de ton, il dégagea de nouveau les cheveux de son visage.
— Regarde-moi.
— Non.
— Allez…
Elle s’exécuta.
Aussitôt, il captura sa bouche. Mais, cette fois-ci, il lui tira un petit cri de surprise, ce qui ne
l’empêcha pas de l’embrasser. Longtemps.
Très longtemps. Jusqu’à ce qu’il ait envie de bien plus que ce baiser pourtant si agréable, passionné
et voluptueux.
Les joues roses, les lèvres rouges, elle finit par relever la tête vers lui.
— Je crois qu’on ferait mieux de s’arrêter là, dit-elle d’une voix haletante.
S’arrêter était la dernière chose dont il avait envie. Mais elle avait raison.
— Oui, je crois aussi.
Elle laissa doucement retomber la tête contre son épaule. Pendant quelques instants, ils restèrent
ainsi, sans rien dire.
— J’aime beaucoup cet endroit, lâcha-t-elle enfin. La cascade, les saules, le soleil…
— J’étais sûr que ça te plairait, répondit-il en prenant sa main dans la sienne et en entrelaçant leurs
doigts. Viens, on continue.
Prudemment, ils continuèrent d’escalader les rochers jusqu’à l’endroit où la cascade se déversait en
écume blanche et mousseuse dans les eaux cristallines du lac.
— Toi d’abord, suggéra-t-il.
Sans hésiter, elle s’approcha du rebord de la falaise et plongea. Son corps mince et élancé disparut
quelques instants sous la surface. Et soudain, ses beaux cheveux dorés émergèrent de l’eau turquoise.
Tout en les rejetant en arrière, elle se mit à rire gaiement. Riant à son tour, il suivit son exemple pour
venir la rejoindre.
Quand ils finirent par sortir de l’eau, elle alla chercher un peigne dans sa sacoche et attacha ses
cheveux humides en une tresse épaisse. Après avoir étendu une couverture sur l’herbe, ils mangèrent des
sandwichs et des pommes puis s’allongèrent quelques minutes côte à côte pour se sécher.
L’ambiance, sous les arbres, était douce et paisible. Et la semaine avait été longue et agitée. Il ferma
les yeux et dut s’assoupir quelques minutes. Quand il se réveilla sous les branches d’arbre, il se tourna
aussitôt pour voir si Jordyn était toujours là. Manifestement, elle était endormie, elle aussi. Il passa
quelque temps à admirer la courbe de sa bouche et ses longs cils dorés alanguis sur ses pommettes hautes.
Elle finit par ouvrir lentement les yeux.
— Will, murmura-t-elle en lui souriant.
N’y tenant plus, il rapprocha son visage du sien.
— Dis-moi de ne pas t’embrasser à nouveau.
Elle ne répondit pas à sa demande, se contentant de prendre doucement son visage entre ses mains.
— Will, répéta-t-elle d’une voix basse et sensuelle.
Ses paupières mi-closes lui firent l’effet d’une invitation, si douce qu’il ne put y résister. Cédant à
son instinct, il joignit ses lèvres aux siennes pour lui donner un long baiser, lent et profond, un baiser qui
avait le goût de pomme et de soleil et ne pouvait mener qu’à un autre baiser.
Et encore un autre.
Avec un petit gémissement de plaisir, elle tourna son corps vers le sien. Ils étaient désormais face à
face, et de ses mains brûlantes, elle caressa langoureusement ses épaules, sa poitrine, sa nuque, lui
procurant des sensations aussi délicieuses que voluptueuses. Ses jambes nues venaient effleurer les
siennes, envoyant de petites décharges de plaisir partout dans son corps. Tout en lui murmurant des
encouragements, elle se mit à l’embrasser avec plus de passion encore.
— Will… Oh ! Will…
Aussi se mit-il à la caresser à son tour, passant les mains sur sa taille fine, les laissant glisser sur la
courbe parfaite de ses hanches, poursuivant son chemin, passant et repassant les mains entre ses cuisses
brûlantes.
Elle avait la peau si douce, si chaude qu’il ne se lasserait jamais de la toucher. En remontant les
mains le long de son dos, il finit par tomber sur l’attache de son maillot de bain. Qu’il ne manqua pas de
maudire intérieurement. Et quand il redescendit, il se retrouva confronté au bas du maillot.
Il la voulait nue.
Oui, nue. Complètement nue.
Il continua de l’embrasser, se perdant dans sa douceur, sa senteur. Et quand ses mains retombèrent
sur l’attache du maillot, il lui parut soudain tout naturel de la dégrafer. Un petit geste de la main, et…
Elle poussa un cri et s’arrangea pour empêcher le haut de tomber.
Ce qui eut pour effet de le ramener à la réalité. Au même instant, ils s’écartèrent l’un de l’autre,
haletants.
Elle avait le regard perdu, et sa bouche était rouge de ses baisers.
— Je… Je ne sais vraiment pas si nous devrions…
Sa voix s’étrangla.
Il se sentait pour sa part incapable de parler, tant il était choqué par son propre comportement. Etait-
ce une façon de s’occuper de la petite Jordyn Leigh ? Mais qu’est-ce qui lui avait pris ?
— Lève-toi et tourne-toi, finit-il par ordonner d’une voix qui lui parut à lui-même désagréable.
Elle se redressa pour s’asseoir, mais ne se tourna pas. Au lieu de quoi, elle continua de le regarder
fixement, les yeux grands ouverts, l’air… blessé.
— Will, pourquoi es-tu fâché contre moi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
— Rien du tout, répondit-il en s’efforçant d’adopter un ton plus doux. Ce n’est pas contre toi que
j’en ai, mais contre moi. Je n’aurais jamais dû t’embrasser. Et encore moins retirer ton maillot.
— Ce n’est rien.
Alors qu’elle prononçait ces mots, la bretelle du maillot en question tomba le long de son bras. Elle
serra plus fort le tissu. Elle était tellement jolie, avec ses joues roses et ses lèvres gonflées d’avoir été
tellement embrassées.
Dans un petit murmure, elle insista :
— Tu n’as rien fait de mal.
— Bien sûr que si, répliqua-t-il.
Tout en poussant un petit cri de surprise, elle se recroquevilla sur elle-même. Il eut envie de la
prendre dans ses bras, de lui promettre que tout allait finir par s’arranger. Mais il savait où tout cela allait
les mener : à d’autres baisers, d’autres caresses, d’autres occasions de lui retirer son maillot.
Elle avait beau embrasser comme une déesse, elle était vierge. Ou du moins l’était-elle jusqu’à la
semaine passée. Il était censé veiller sur elle. Pas essayer de la déshabiller.
— Tourne-toi, ordonna-il d’une voix bien plus dure qu’il ne l’aurait souhaité. Je vais te le rattacher.
Sans cesser de tenir son maillot, elle tourna ses jolies jambes sur le côté pour lui présenter son dos
qui était mince, doux, tentant comme tout en elle.
— C’est… Je me suis juste dit que nous devrions peut-être arrêter, balbutia-t-elle. Les choses vont
peut-être un peu trop loin. Ce… Ce que je veux dire, c’est que toi et moi, ensemble, de cette façon, ce
n’était pas prévu dans le plan.
— Certainement pas, oui, répondit-il en poussant sa natte pour ragrafer son maillot.
— Merci.
Elle remonta la bretelle tombée avant de se retourner vers lui.
— Tu vois, ce n’est rien, lâcha-t-elle alors en rougissant un peu.
Il la regarda, si douce et sexy, avec une seule envie : l’embrasser à nouveau.
— On ferait bien d’y aller, marmonna-t-il.
— Si tu es fâché, dit-elle avec la petite voix charmante qu’elle prenait toujours quand elle voulait
lui faire la leçon, je crois qu’on ferait bien de discuter du problème. Tu ne devrais pas être aussi dur avec
toi-même. Tu n’as rien fait de mal, j’étais consentante.
— Je ne suis pas fâché.
Il mentait, mais il ne voulait pas en parler. Il ne voyait pas ce que cette discussion pourrait lui
apporter. En dehors de davantage de colère contre lui-même.
— Viens. Allons-y.
Pendant quelques secondes, elle resta assise à le regarder avec une expression à la fois blessée et
enfantine. Il crut qu’elle allait insister, lui faire un sermon sur les bienfaits de la communication, ce genre
de choses.
Mais elle prit son jean et commença à se rhabiller. Soulagé, il l’imita et remit son chapeau. Après
avoir rassemblé leurs affaires, ils remontèrent à cheval et partirent.
Le trajet du retour se fit sans encombre.
Et aucun d’eux ne prononça le moindre mot.

* * *

Une fois devant la maison, Will lui dit qu’il allait soigner les chevaux. Pour sa part, Jordyn décida
de rentrer.
Elle avait beaucoup à faire. Et notamment dans la cuisine. Après avoir préparé un gratin de
macaronis, elle entreprit de ranger le reste de la vaisselle et des ustensiles. Mais quand elle eut terminé,
Will n’était toujours pas rentré.
Après ce qui s’était passé à la cascade, elle se sentait toute bizarre. Cela avait été si bon de
l’embrasser, assise entre ses jambes sur les rochers, et de l’embrasser encore, étendue sur la couverture.
Force lui était de constater qu’elle regrettait de l’avoir arrêté, de ne pas l’avoir laissé continuer, retirer le
haut de son maillot de bain puis le bas, quelles qu’en soient ensuite les conséquences.
Car au fond, elle savait que tout se serait merveilleusement bien terminé.
Mais était-ce vraiment ce dont elle avait envie ? Après toutes ces années passées à attendre
l’homme spécial à qui elle offrirait son cœur et son corps ? Non. Faire l’amour avec Will, aussi bon que
cela puisse être, n’était pas une bonne idée.
Mais pourquoi pas, après tout ?
Plus elle réfléchissait à la question, plus elle se sentait perdue, désorientée.
Aussi décida-t-elle de ne pas y penser. De faire ce qu’elle avait à faire, en oubliant ce qui s’était
passé à la cascade.
Après avoir terminé le gratin et l’avoir placé au réfrigérateur, elle monta dans sa chambre pour
étudier.
Mais, quand elle redescendit à 19 heures, elle trouva son plat sur la table de la cuisine, chaud et à
moitié entamé. Will lui avait laissé un mot à côté :
« Parti boire une bière avec Craig et Rob. Rentrerai tard. Ne m’attends pas. »
Ah oui ? Et dire qu’elle l’avait qualifié de charmant à la cascade. Qu’elle s’était laissé embrasser,
et même déshabiller. Mais pourquoi avait-elle pensé que c’était peut-être avec lui qu’elle avait envie de
faire l’amour pour sa première fois ? Ou peut-être sa deuxième, puisqu’elle ne savait toujours pas ce qui
s’était passé samedi soir ?
Quel mufle ! Jamais plus elle ne lui adresserait la parole.

* * *

Will retrouva ses frères à l’Ace in the Hole. Il but une bière avec eux, joua au billard et essaya
d’oublier les sensations que lui avaient procurées les douces lèvres de Jordyn contre les siennes, l’odeur
de sa peau, le bonheur sur son visage quand elle avait sorti la tête de l’eau en rejetant ses cheveux dorés
en arrière.
Alors qu’il était perdu dans ses pensées, Craig lui demanda pourquoi Jordyn ne l’avait pas
accompagné. Il répondit par un vague murmure. Un instant plus tard, Rob le prit à part pour lui dire à quel
point il était heureux pour lui.
— Tu as tout, maintenant : ce beau ranch et Jordyn Leigh.
— Merci, répondit-il sur un ton brusque.
Mais Rob ne se laissa pas impressionner :
— J’ai toujours eu un petit faible pour Jordyn Leigh. Mais tu sais comment elle est : pas facile à
aborder. La façon dont elle regarde les hommes… On dirait qu’elle sait très bien ce qui se passe dans
leur tête. Ça me faisait un peu flipper. Et puis j’ai l’impression qu’elle ne m’a jamais pris au sérieux
quand j’ai essayé de lui demander de sortir avec moi.
Furieux, Will serra les poings.
— Attends. Tu viens de me dire que tu avais toujours eu un faible pour ma femme ?
Tout en fronçant les sourcils, Rob recula d’un pas.
— Waouh ! Tu es jaloux à ce point-là ?
— Pour tout te dire, j’envisage même de te mettre mon poing dans la figure.
— Si tu avais voulu le faire, ce serait déjà fait, rétorqua Rob, qui paraissait néanmoins consterné.
— Ne me redis jamais ça.
— Ce que je voulais t’expliquer, c’est…
— Peu m’importe. Ne redis jamais ça.
— Du calme. A qui est-ce le tour ?
Craig, de l’autre côté de la table, venait de manquer son coup. Will prit sa queue de billard et
s’éloigna de son frère, non sans lui avoir adressé un regard mauvais.
Vers 22 heures, il en eut assez. Il se sentait mal, surtout parce qu’il ne s’était pas bien comporté. Il
aurait dû partager avec elle le plat qu’elle avait préparé plutôt que de le manger dans son coin et de
disparaître comme un voleur. Quel genre de type se conduisait ainsi ?
Les sales types.
— Je rentre, annonça-t-il à ses frères.
Rob sourit.
— Fais un gros bisou à Jordyn pour moi.
— Tu me cherches ?
Encore une fois, Rob ne se laissa pas impressionner : tout en continuant de sourire, il mima un
baiser.
Craignant de perdre de son sang-froid, Will tourna les talons et partit.
Quand il arriva devant la maison, il remarqua qu’il y avait de la lumière au rez-de-chaussée. Après
avoir garé le pick-up, il resta quelque temps immobile derrière le volant. Il se sentait mal. Il aurait dû
s’excuser, mais d’un autre côté, il avait peur d’aggraver les choses en remettant le sujet sur le tapis. Cela
dit, il ne pouvait pas rester assis dans le noir éternellement.
Résigné, il finit par s’extirper de la voiture et entra dans la maison. En passant la porte, il entendit la
télévision. Mais soudain, ce fut le silence. Au moment où il voulut entrer dans le séjour, Jordyn en sortit.
Vêtue d’un jean et d’un petit T-shirt rose, les cheveux flottant librement sur ses épaules, les yeux pleins
d’innocence.
— Will ! lança-t-elle avec ironie. Je ne t’attendais pas de sitôt.
— Je t’avais dit de ne pas m’attendre, répondit-il sèchement.
Elle inclina la tête sur le côté, et ses cheveux dorés retombèrent sur son épaule. Puis elle croisa les
bras.
— Comme tu m’avais dit de ne pas t’attendre, justement, j’envisageais de monter me coucher,
répondit-elle d’une voix calme et raisonnable. Du reste, j’envisageais même de ne plus te parler du tout
jusqu’à nouvel ordre. Mais je me suis dit que c’était puéril et qu’il valait mieux que j’attende que tu
rentres pour qu’on règle le problème dès ce soir.
Il ouvrit à nouveau la bouche, mais la referma sans se laisser le temps de mentir à nouveau en
prétendant qu’il n’y avait aucun problème à régler.
— Tu as quelque chose à me dire ? demanda-t-elle en s’approchant de lui.
Oui. J’ai envie de t’embrasser encore. J’ai envie de te faire toute sorte de choses, et j’ai envie de
les faire maintenant.
— Euh…
Il ne savait plus quoi dire et s’en voulait d’être aussi bête.
Son visage s’adoucit. Elle était tellement belle, tellement fine. Il ne la méritait pas.
— Je t’écoute, insista-t-elle. Vas-y.
Son esprit était totalement vide. Pour gagner du temps, il retira son chapeau et l’accrocha à la
patère.
Quand il se retourna, elle n’avait pas bougé.
Elle était devant lui, toujours aussi belle, toujours dans l’expectative, attendant qu’il lui révèle ce
qu’il avait sur le cœur.
Le moment était bien choisi pour présenter ses excuses.
— Je m’en veux de m’être comporté comme je l’ai fait à la cascade. Et, au lieu de prendre sur moi,
j’ai déchargé ma colère sur toi. Et je m’en veux encore plus pour ça. Si je suis parti m’occuper des
chevaux seul, c’est parce que j’espérais gagner un peu de temps pour trouver comment m’excuser auprès
de toi. Mais plus j’étais loin de toi, plus il me paraissait difficile de revenir t’affronter. Quand j’ai fini
par rentrer, j’ai vu que tu étais dans ta chambre. Alors, lâchement, j’ai mangé une part de ce délicieux
gratin que tu avais préparé, je me suis dépêché d’écrire ce mot et j’ai disparu comme un voleur.
Quand il eut fini de parler, le silence se fit pendant quelques secondes, puis elle tourna les talons et
se dirigea vers l’escalier.
— C’est tout ? demanda-t-elle.
Penaud, il haussa les épaules.
— Rob a un faible pour toi. Et je te demande pardon, Jordyn Leigh. Je suis vraiment désolé pour la
façon dont je me suis comporté.
Elle le regarda pendant ce qui lui sembla une éternité.
— J’accepte tes excuses, murmura-t-elle enfin.
A ces mots, il sentit son cœur se gonfler dans sa poitrine.
— C’est vrai ?
— Oui, répondit-elle en lui tendant une main qu’il se hâta de prendre, de crainte qu’elle ne change
d’avis.
Et quand ses doigts rencontrèrent les siens il eut soudain l’impression que tout était parfait. Que le
monde était parfait.
— Waouh !
Elle se mit à rire.
— Tu pensais que je te laisserais tomber aussi facilement.
— Eh bien, oui, je crois, répondit-il en passant sa main libre dans ses beaux cheveux blonds.
Ses grands yeux bleus pleins de confiance, elle le laissa faire sans protester.
— Merci, lâcha-t-il d’une voix basse.
— De rien. Tu veux une bière ou un café ?
— Un café, oui, pourquoi pas ?
— Viens, dit-elle en le conduisant vers la cuisine.
Il remplit la cafetière, elle mit le filtre et le café. Tout près l’un de l’autre devant le plan de travail,
ils attendirent que le café passe sans prononcer le moindre mot. Mais c’était là un silence agréable. Les
mots semblaient inutiles pour le moment.
Quand le café fut prêt, ils remplirent leurs mugs et allèrent s’asseoir.
— Je ne vais pas dormir de la nuit, si je bois du café à cette heure-ci, déclara-t-elle avant de
prendre néanmoins une gorgée. Donc Rob a un faible pour moi ?
Pourquoi lui avait-il dit ça ?
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
Elle prit une autre gorgée de café.
— Je ne comprends pas pourquoi tu es venu t’excuser si tu envisages de continuer à me mentir.
Bien malgré lui, il se vit contraint de céder :
— En fait, je l’ai trouvé assez pénible ce soir. Il n’arrêtait pas de me dire que j’avais tout : le ranch
de mes rêves, une femme magnifique. Et tout à coup, il m’a dit qu’il avait toujours eu un faible pour toi,
mais que tu ne l’avais jamais pris au sérieux.
— Rob, un faible pour moi ? répéta-t-elle d’un air incrédule. Allez, tu le connais. Il a juste voulu te
taquiner.
— Alors je n’aurais pas dû le menacer de lui mettre mon poing dans la figure ?
— Tu n’as pas… ?
— Je ne l’ai pas fait, non. Mais j’ai bien menacé de le faire. Et tu as raison : il a sûrement dit ça
pour me taquiner.
Il ne savait pas si c’était le cas ou non. Mais qu’est-ce que ça pouvait bien changer, de toute façon ?
Si Rob avait vraiment envisagé de sortir avec elle, il était trop tard désormais. Jamais un Clifton ne
courtiserait une femme mariée. Et moins encore la femme de son frère.
Mais que se passerait-il quand elle ne serait plus sa femme ?
Mieux valait ne pas y penser.
Et puis qu’est-ce que ça pouvait bien faire que Rob ait été intéressé par Jordyn Leigh ? Qui ne
l’aurait pas été ? Elle était belle, fine et avait bon cœur.
De toute façon, il devait regarder les choses en face : Rob n’était pas le seul à avoir un faible pour
Jordyn. Ce qui s’était passé entre eux à la cascade l’avait contraint d’admettre qu’il avait lui-même envie
d’elle.
Sa jolie voix le ramena doucement à la réalité :
— Will ?
— Oui.
— Quelque chose ne va pas ?
Que pouvait-il répondre ? En admettant la vérité, il s’enfoncerait plus profondément encore dans des
territoires qu’il n’avait pas envie d’explorer. D’un autre côté, il n’avait pas envie de lui mentir à
nouveau.
Mieux valait donc se montrer aussi vague que possible :
— Ça va. C’est juste que je me sens mal vis-à-vis de… tout ce qui s’est passé.
Sa stratégie sembla fonctionner.
— Passe à autre chose, répondit-elle d’une voix douce. Tout va bien, maintenant.

* * *

Jordyn savoura avec bonheur le reste de la soirée. Ils prirent une autre tasse de café dans le séjour
et regardèrent un film. Will la laissa choisir une comédie romantique. Il regarda jusqu’au bout et sembla
même apprécier.
Elle aurait aimé pouvoir sentir son bras autour de ses épaules, mais il se tint à l’écart. Et, après ce
qui s’était passé à la cascade, se blottir contre lui aurait sans doute été… tenter le diable.
Quand le film fut terminé, elle alla se coucher. Et malgré toute la caféine ingurgitée, elle s’endormit
aussitôt qu’elle eut posé sa tête sur l’oreiller.
Le lendemain matin, alors qu’elle prenait son petit déjeuner avec Will, Cece appela pour les inviter
à dîner. Ils se mirent d’accord et acceptèrent.
Le soir, chez Cece et Nick, Rita et Charles Dalton vinrent se joindre à eux. Les Dalton, qui avaient
cinq enfants, dont les jumelles Kristen et Kayla, les invitèrent pour le dimanche suivant.
Le lundi, Jordyn s’aperçut que sa vie au ranch avait pris un rythme agréable où elle se sentait
parfaitement à sa place. En rentrant du travail, elle aida Pia à nettoyer et organiser les écuries. Et après
avoir nourri les chèvres, les poules et les chats, elle dîna paisiblement avec Will.
Il n’y avait plus de dispute entre eux. Tout se déroulait à merveille.
Le mardi, comme toujours, ils prirent le petit déjeuner et le dîner ensemble. Ils discutèrent de sa
journée de travail et des progrès de Will au ranch. Ils rirent. Il la taquina, et elle le taquina en retour.
Ils se comportaient comme n’importe quel jeune couple marié, sauf que, quand venait l’heure de se
coucher, ils partaient chacun dans une direction opposée. Elle avait désormais l’impression que, s’il y
avait un bébé, ils n’auraient pas trop de problèmes pour s’entendre. Ils se construiraient une jolie vie,
fonderaient une famille et seraient heureux. Elle savait désormais que c’était possible.
Ils étaient bien assortis. Très bien assortis, même. Les choses fonctionneraient entre eux.
Et s’il y avait un bébé, ils pourraient être ensemble sur tous les plans. Ils deviendraient un véritable
couple, et elle découvrirait enfin ce que cela signifiait de faire l’amour avec un homme bien. Ce n’était
pas exactement ce dont elle avait rêvé. Mais ce n’était pas loin tout de même.
Le mercredi matin, elle se réveilla très tôt, avec une douleur au ventre. Elle essaya de l’ignorer,
mais sans succès.
Et cette douleur, elle ne la connaissait que trop bien.
A contrecœur, elle regarda les draps.
Du sang.
- 10 -

Quelque chose n’allait pas chez Jordyn.


Will le remarqua dès le mercredi matin. Elle était silencieuse, paraissait préoccupée. Il chercha à
creuser, mais comme elle lui répondit que tout allait bien, il décida de ne pas insister.
Il travailla tard à confectionner un abri pour les chèvres et ne la revit donc pas avant le dîner au
cours duquel elle se montra plus taciturne encore que pendant le petit déjeuner.
Quand ils eurent fini de manger, elle lui annonça qu’elle sortait. Sans doute pour bichonner les
chèvres et s’assurer que les chats et les poules avaient assez à manger. Il se rendit donc dans le séjour
pour regarder la télévision. Mais à la nuit tombée, elle n’était pas venue le rejoindre.
Il commença à s’inquiéter. Même quand elle ne passait pas la soirée avec lui, elle venait toujours lui
dire bonsoir.
De plus en plus anxieux, il finit par éteindre la télévision et tendre l’oreille pour essayer de
déterminer si elle était rentrée. Pas un bruit.
Il se leva, fit le tour des pièces du rez-de-chaussée. Personne. Il sortit, vérifia les granges et les
écuries. Aucun signe. Elle avait dû monter dans sa chambre.
De retour dans la maison, il entendit le sèche-linge sonner. En l’ouvrant, il y découvrit des draps
propres.
Une idée lui vint : il allait monter pour les lui donner. Cela lui fournirait un prétexte pour essayer de
lui parler et de comprendre ce qui avait bien pu se passer puisqu’elle se comportait comme si elle n’était
plus que l’ombre d’elle-même.

* * *

Jordyn posa son ordinateur à côté du lit. Il était inutile de faire semblant d’étudier. Elle était
beaucoup trop triste pour se concentrer.
Elle aurait dû descendre pour annoncer à Will la bonne nouvelle. Elle aurait dû la lui dire au petit
déjeuner. Au pire au dîner. Mais elle cherchait en fait à repousser ce moment.
Et elle ne comprenait pas bien pourquoi. Complètement déprimée, elle n’avait aucune envie de
parler. Les hormones, sans doute.
Elle venait de prendre un antalgique quand elle entendit frapper à la porte.
— Jordyn, tu es réveillée ?
Pendant quelques secondes, elle resta immobile, le regard fixé sur la porte, à envisager de faire
semblant de dormir. Mais elle devait affronter la réalité.
— Entre !
La porte s’ouvrit, et il apparut, tenant des draps.
— Je me suis dit que tu en aurais peut-être besoin.
Elle avait d’autres draps, et il le savait aussi bien qu’elle. Il était monté pour voir comment elle
allait, essayer de comprendre sa tristesse. Curieusement, pourtant, la vue de son sourire charmeur et de
son regard inquiet ne fit que redoubler son mal-être.
— Tu veux que je t’aide à les plier.
Elle resta immobile, assise sur le lit, à le regarder, admirative de sa beauté et de sa virilité, à
souhaiter que…
Quoi ?
Elle ne savait pas vraiment ce qu’elle souhaitait. Juste que les choses puissent être différentes.
— Jordyn ?
Laissant les draps sur une chaise, il s’approcha.
Tout en poussant un profond soupir, elle tapota le lit pour lui faire signe de s’asseoir à côté d’elle.
Il répondit immédiatement à son invitation.
— Bon, qu’est-ce qui ne va pas ?
Comment lui expliquer ? Comment expliquer cet étrange état de dépression dans lequel elle s’était
retrouvée plongée après avoir compris qu’elle n’était pas enceinte ? Ils s’étaient mariés par accident, ils
avaient prévu de divorcer. Ils n’étaient pas ce qu’ils prétendaient être à la face du monde.
— Allez, dis-moi, insista-t-il, coupant court à ses pensées.
— J’ai une bonne nouvelle à t’annoncer, finit-elle par murmurer.
— Si c’est une bonne nouvelle, je ne vois pas pourquoi tu as l’air si déprimé.
Lasse, elle porta les mains sur ses tempes douloureuses et commença à les masser.
Délicatement, il les lui prit et les écarta de son visage.
— Parle-moi. Dis-moi ce qui ne va pas. Donne-moi une chance d’arranger les choses.
— Tu ne pourras rien arranger. Et de toute façon, ça n’a rien d’horrible. C’est une bonne chose,
vraiment.
— Mais dis-moi ce que c’est, insista-t-il en la regardant d’un air toujours aussi préoccupé.
Ce fut ce regard qui finit par la convaincre. Il se souciait vraiment d’elle, il avait vraiment envie de
savoir ce qui n’allait pas. Elle ne pouvait plus garder cela pour elle.
— J’ai mes règles. Je ne suis pas enceinte.
L’espace d’une seconde, il parut aussi consterné qu’elle. Mais peut-être était-ce son imagination qui
lui jouait des tours. Car presque aussitôt, il affirma :
— Eh bien, c’est une super-nouvelle.
— Oui. Géniale.
Inclinant son visage sur le côté, il se mit à l’observer.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Allez, tu peux me le dire.
Elle sentit ses épaules s’affaisser.
— J’ai mal au ventre, c’est tout. Et à la tête, aussi.
Ce qui n’était pas totalement faux, même si ces douleurs n’étaient pas la cause principale du profond
sentiment de tristesse qu’elle ressentait en cet instant.
— Viens, dit-il en passant un bras autour de ses épaules pour la serrer contre lui.
S’abandonnant au réconfort qu’il lui offrait, elle blottit son corps las et douloureux contre le sien,
laissant sa tête reposer contre sa large épaule.
— Tu veux de l’aspirine ou un truc comme ça ? lui demanda-t-il.
Elle se serra un peu plus contre lui, respirant pleinement son odeur. Elle se sentait mieux, bien
mieux dans la chaleur de ses bras.
— Je viens de prendre un cachet. Tu sais, c’est bizarre…
— Quoi ? demanda-t-il en relevant doucement son menton.
Elle plongea son regard dans le sien.
— Je ne sais pas. Je crois que je commençais à m’habituer à l’idée que nous allions avoir un bébé.
C’est bizarre, tu ne trouves pas ? Parce que, on ne l’a fait qu’une fois. Et encore, on n’en est même pas
sûrs.
— Ce n’est pas bizarre, lui répondit-il d’une voix rassurante. Tu as essayé de te préparer, c’est tout.
— C’est une façon de voir les choses.
Il la serra plus fort contre lui et se mit à lui masser le dos.
— Ça va passer, ne t’inquiète pas.
— Je sais.
D’ailleurs, elle se sentait déjà mieux. La chaleur de ses mains, qui massaient ses épaules, avait déjà
commencé à apaiser sa tension. De toute façon, dès qu’elle avait senti ses bras autour d’elle, elle avait eu
l’impression que tout allait mieux. Elle aurait voulu pouvoir rester là, blottie contre lui, éternellement. Et
il n’avait pas l’air pressé de s’éloigner, lui non plus.
Alors elle ferma les yeux et…

* * *

Will la serra plus fort contre lui et écouta sa respiration, qui devenait peu à peu plus lente et
régulière. Ce faisant, il songea au bébé qu’ils n’auraient pas.
C’était une bonne chose. Une excellente chose. Elle avait des projets d’avenir. Un bébé aurait tout
changé.
Quant à lui, il avait beaucoup de travail à accomplir pour remettre le ranch en route. C’était un
travail très prenant et il n’avait pas prévu de fonder de famille avant plusieurs années.
Il valait mieux pour eux que leur mariage se termine comme ils l’avaient prévu. Ils pourraient
ensuite se reconcentrer sur leurs projets personnels, divorcer en août et reprendre le cours normal de
leurs vies, chacun de leur côté.
Voilà ce que lui disait sa raison. Mais d’un autre côté, il sentait quelque chose de lourd peser sur
son cœur, un sentiment d’abattement. Il avait dû se préparer lui aussi. Se préparer à rester marié à Jordyn,
à devenir père de famille.
Tout cela ne se produirait donc pas. Et il aurait dû se sentir ravi. Soulagé, même.
Or il se sentait profondément attristé.
Comme s’il avait perdu quelque chose de précieux. Ou comme s’il avait cru en quelque chose de
précieux, et brutalement découvert que cette chose n’avait jamais existé.

* * *

Jordyn se réveilla seule dans son lit le lendemain matin. Will, toujours aussi gentil et attentionné,
avait apparemment tiré la couette sur elle avant de partir.
Elle s’assit dans le lit et éclata en sanglots.
C’était stupide, elle le savait. Elle n’avait aucune raison de pleurer, mais ne pouvait s’en empêcher.
Au bout de quelques minutes, elle décida cependant de se secouer, d’aller prendre une douche. Elle
resta longtemps sous l’eau chaude. Et quand elle quitta la salle de bains, elle se sentait beaucoup mieux.
Will était un type génial, et il n’y avait pas de bébé. Tels étaient les faits.
Ils devraient donc s’en tenir à leur plan initial.
Comme pour chasser la tristesse de la veille, elle se coiffa et se maquilla avec beaucoup de soin,
avant de descendre préparer du pain perdu à la cuisine.
Quelques instants plus tard, il entrait dans la cuisine.
— Tu es très jolie. On dirait que ça va mieux ?
Elle lui adressa son sourire le plus radieux.
— Beaucoup mieux. Merci.
— Tu n’as plus mal au ventre ?
Il essayait de se montrer gentil. Mais elle n’avait pas envie de parler de son mal de ventre. Peut-être
lui avait-elle confié trop de choses ?
Après tout, il n’était pas vraiment son mari. Elle était allée trop loin hier soir, à pleurer sur son
épaule parce qu’elle n’était pas enceinte, à se plaindre de ses petits maux, à se blottir contre lui, à
l’inviter à lui masser le dos, à s’endormir contre lui.
Il lui avait semblé important de fixer des limites, mais depuis quelque temps, elle s’obstinait à les
franchir sans arrêt, en le traitant comme s’il lui devait quelque chose, en l’embrassant ou en se lovant
contre lui quand ils étaient seuls et qu’ils n’avaient rien à prouver à personne.
Il fallait que tout cela cesse.
— Je me sens très bien, finit-elle par répliquer. Vraiment.
Comme s’il ne savait s’il devait ou non la croire, il lui jeta un regard en coin.
— Si tu le dis…
Il semblait dubitatif, comme s’il avait l’impression qu’elle jouait la comédie, qu’elle ne se sentait
pas bien du tout.
Elle eut envie de s’insurger, mais se retint. Inutile de faire des histoires pour rien. Il était temps de
passer à autre chose, de ressortir et de remplir les papiers de divorce. Il fallait qu’elle arrête de
repousser ce moment. Elle allait s’en occuper. Dès aujourd’hui.
Mais où étaient-ils, d’ailleurs, ces fichus papiers ? Lui avait-il donné ceux qu’elle devait remplir ?
Elle n’arrivait pas à se le rappeler.
Sans le vouloir, elle se mit à dévisager Will en fronçant les sourcils.
— Qu’est-ce qu’il y a ? finit-il par demander.
Mais soudain, elle ne se sentit plus le courage d’évoquer ce sujet avec lui.
— Rien. Je t’assure.
Ils devaient être en haut, quelque part dans sa chambre. Avant de partir travailler, elle les chercha.
Toutefois, elle eut beau retourner ses affaires, impossible de mettre la main sur ces papiers.
Une fois arrivée à son bureau, elle décida donc de se rendre sur le site du comté pour les imprimer.
Et le soir venu, de retour au ranch, elle décida de les remplir avant de se mettre à étudier.
C’était vraiment fastidieux. Elle devait dresser la liste des choses et des sommes qu’elle possédait.
Will avait-il commencé à remplir ses formulaires ? Il possédait bien plus de choses qu’elle, et il lui
faudrait sans doute du temps pour retrouver les documents et les chiffres exacts. Mieux valait donc sans
doute qu’elle en parle avec lui, pour s’assurer qu’il s’y était bien mis.
Le soir, au milieu du dîner, elle décida donc de se lancer :
— J’ai commencé à remplir les papiers du divorce hier. Ils veulent savoir tout ce qu’on possède et
la valeur exacte de ces biens, pour qu’il n’y ait pas de dispute entre nous. Ça va être long à faire. Surtout
pour toi. Entre le ranch, les terres, le bétail, les véhicules, les meubles…
— Je devrais m’en sortir, répondit-il en haussant les épaules.
— Alors tu as commencé, toi aussi ?
Il prit une bouchée de côte de porc.
— N’est-ce pas ce que je viens de te dire ?
— Je ne sais pas. Ce n’était pas très clair.
— Ouais. Je vais m’y mettre.
Tout en buvant une gorgée d’eau, elle se demanda pourquoi il semblait tout à coup si irrité.
— Bon. Qu’est-ce qui ne va pas ? Pourquoi refuses-tu de parler de cela avec moi ?
— Tout va bien, rétorqua-t-il en prenant cette fois-ci une bouchée de purée.
Il commençait vraiment à l’agacer. Mais il fallait qu’elle reste concentrée sur son objectif :
l’encourager à remplir les papiers.
— Est-ce qu’au moins tu sais où sont ces papiers ? J’ai cherché les miens partout et, comme je ne
les ai pas trouvés, j’ai dû les réimprimer au travail.
— Je sais où ils sont oui, répondit-il d’une voix neutre. Si tu avais tant besoin des tiens, tu n’avais
qu’à me demander.
Malgré le ton pour le moins agressif de la réplique de Will, elle essaya de se montrer aussi calme et
raisonnable que possible.
— Je ne voulais pas t’embêter.
— Ça ne m’aurait pas embêté.
— Très bien. Le problème, cependant, c’est que nous devons retourner au centre administratif, le 31
au plus tard. Ce qui ne nous laisse que deux semaines. Si nous y allons le 31, il faudra ensuite trois
semaines avant qu’on obtienne notre rendez-vous.
Elle secoua la tête, avant de poursuivre :
— Ce qui risque de faire un peu tard, puisque je dois être à Missoula durant la troisième semaine
d’août. Bon, s’il le faut, je pourrai sans doute revenir à Rust Creek Falls pour le rendez-vous. Mais
j’aimerais mieux éviter. J’aurais beaucoup de choses à faire en arrivant. Et il faut tout de même compter
deux heures de route.
Elle s’interrompit, attendant qu’il dise quelque chose.
Mais, sans même relever la tête, il continua de manger.
Will termina sa côte de porc, sa purée, et même ses petits pois. Il n’avait pourtant jamais été un
grand amateur de petits pois. Mais Jordyn le déroutait vraiment. Qu’est-ce qu’elle avait, depuis le matin,
à se comporter si bizarrement ? Pourquoi ne cessait-elle de le harceler à propos d’une chose sur laquelle
ils s’étaient mis d’accord depuis longtemps ?
Elle continuait de parler, de lui dire ce qu’il savait déjà. Il était allé au centre administratif avec
elle. Conscient des délais, il était déterminé à tout faire pour les tenir. Elle n’avait absolument aucune
raison de continuer d’insister ainsi.
— Il faut vraiment que tu t’occupes de ces papiers, Will, renchérit-elle, pendant qu’il se faisait ces
réflexions.
Ç’en fut trop. Il laissa tomber sa fourchette, qui heurta bruyamment son assiette.
— Combien de fois comptes-tu me répéter ça ?
Comme s’il venait de l’insulter, elle prit un air vexé.
— Je veux juste m’assurer que tu t’en occupes, c’est tout.
— Je m’en occupe, marmonna-t-il. Ne t’en fais pas.
— Parfait. Alors passons à autre chose.
— Ecoute, c’est toi qui insistes depuis tout à l’heure pour parler de ça, rétorqua-t-il, furieux. Mais
qu’est-ce que tu as, aujourd’hui ? Tu es arrivée ce matin avec le grand sourire faux que tu adresses aux
étrangers. Et maintenant, tu me casses les pieds pour remplir les papiers du divorce. Je ne comprends pas
ce qui t’arrive. Et je n’aime pas ça du tout.
Elle pinça les lèvres.
— Tu as fini ?
— C’est à toi que je devrais poser la question. Ne t’inquiète pas pour ces papiers. Ils seront prêts
en temps voulu.
— Merci, répondit-elle sur un ton qui n’évoquait en rien de la reconnaissance.
Et, après avoir violemment posé son assiette dans l’évier, elle quitta la pièce comme une furie. Il
l’entendit monter les marches quatre à quatre puis claquer la porte de sa chambre.
Voulait-elle le punir en le laissant seul ? Si c’était le cas, elle se trompait lourdement.
Après avoir débarrassé la table et rempli le lave-vaisselle, il se rendit dans son bureau pour
observer les fameux papiers.
Elle avait raison — ce qui ne fit que l’énerver davantage — : il y avait énormément d’informations
à rassembler. Mais il s’efforça de s’atteler à la tâche, de rechercher les données dans ses dossiers
personnels, et au moment où il alla se coucher, tard dans la nuit, il avait rempli la moitié de la
documentation.
Le lendemain matin, ils prirent leur petit déjeuner sans échanger un mot.
Il n’arrivait pas à la comprendre. Le mercredi soir, quand elle lui avait dit qu’elle n’était pas
enceinte, elle s’était montrée douce et tendre avant de s’endormir dans ses bras. Il aurait pu rester assis
éternellement, à la tenir dans ses bras. Il avait même envisagé de rester allongé avec elle, de serrer toute
la nuit son corps frêle contre le sien pour goûter au bonheur de se réveiller à ses côtés.
Mais il l’avait quittée à regret quelques heures avant l’aube.
Et quand il l’avait retrouvée le lendemain matin, il s’était demandé ce qui était arrivé à la femme
chaleureuse, franche et affectueuse qu’il avait laissée un peu plus tôt.
Elle ne lui parlait même plus, désormais. Elle venait de partir au travail sans lui avoir adressé la
parole.
Bien qu’il ait des choses à faire à l’extérieur, il décida de se rendre dans son bureau pour terminer
de remplir les papiers. A l’heure du déjeuner, tout était prêt pour la visite de la fin du mois au centre
administratif.
Se sentant malheureux, délaissé, furieux, il engloutit rapidement un sandwich et se hâta d’aller
retrouver Myron pour l’aider à déplacer un troupeau.
Le soir au dîner, il attendit qu’elle lui reparle des papiers. Mais il ne l’entendit rien dire si ce ne
fut : « A table » et « Tu peux me passer les haricots verts ? »
Ils se menaient désormais une guerre froide. Très bien. Il pouvait parfaitement s’en accommoder. Un
peu de distance ne leur ferait pas de mal.
Ils remplirent le lave-vaisselle dans un silence total. Et une fois cette tâche terminée, il se tourna
vers elle.
— Je vais boire un verre avec mes frères à l’Ace in the Hole.
— Très bien, répondit-elle en lui adressant un sourire glacial. Je vais en ville, moi aussi, rendre une
petite visite à Melba.
— Amuse-toi bien, grommela-t-il.
— Merci. Toi aussi.
Nouveau sourire glacial.

* * *

Will était déjà parti quand Jordyn monta dans sa voiture pour aller voir son ancienne logeuse.
Elle arriva à la pension peu avant 20 heures. Après l’avoir prise dans ses bras, Melba la conduisit
jusqu’à son séjour pour qu’elle puisse saluer son mari Gene.
— Comment se passe ta vie de couple ? lui demanda ce dernier.
Elle fit de son mieux pour jouer son rôle.
— Je n’ai jamais été aussi heureuse, répondit-elle.
Et au moment où elle prononça ce mensonge, elle se rendit compte que, deux jours plus tôt, cela
aurait été vrai.
Melba la conduisit ensuite dans la cuisine, où elle lui servit des cookies maison. La pâtisserie
s’avéra si délicieuse qu’elle ne put s’empêcher de se resservir. Le chocolat avait vraiment quelque chose
de réconfortant.
Pour alimenter la conversation, elle parla à Melba du ranch, des chèvres, des chatons et des efforts
qu’ils faisaient pour redonner vie aux lieux.
Melba lui conseilla de ne pas trop en faire, de prendre du temps pour elle et pour apprécier les
choses.
— Tu es sûre que tout va bien, ma chérie ? lui demanda-t-elle.
Elle avait toujours eu une sorte de sixième sens.
Jordyn s’efforça de répondre d’un ton léger.
— Tout va bien, merci. Mais je crois que ça irait encore mieux, avec un autre cookie.
— Sers-toi.
Alors qu’elle s’exécutait de bon cœur, Claire entra dans la pièce. Elle tenait dans ses bras la petite
Bekka. Après s’être versé une tasse de café, elle laissa Jordyn prendre le bébé.
Manifestement de bonne humeur, Bekka se mit à gazouiller en agitant ses petites mains devant elle.
Tout en la serrant contre elle, Jordyn essaya d’ignorer le profond sentiment de tristesse qui l’habitait.
Ce sentiment n’avait aucun sens, vraiment. Mais elle l’éprouvait avec force. C’était une tristesse
pour le bébé qu’elle n’aurait pas, alors qu’elle avait commencé à l’aimer et à le désirer, bien qu’il n’ait
jamais existé.
Elle n’avait pas parlé à Claire depuis que la jeune femme était venue la voir à la crèche et lui avait
confié que son mari était reparti à Bozeman sans elle. Jordyn avait envie de lui demander si elle avait eu
de ses nouvelles depuis, mais la question semblait délicate.
Claire coupa court à ses pensées :
— Tu as lu la Gazette de dimanche ?
Jordyn secoua la tête.
— D’après le mystérieux chroniqueur people, un certain détective de Kalispell enquêterait sur la
possibilité que quelqu’un ait drogué le punch, le soir du mariage.
Instinctivement, Jordyn déposa un baiser sur la petite joue ronde de Bekka.
— Des pistes sur l’identité de cette personne ?
Ensemble, Melba et Claire secouèrent la tête.
— Jusqu’ici, aucune, répondit cette dernière.
Bekka finit par s’agiter, et sa mère la reprit pour aller la coucher. N’ayant aucune envie de retourner
dans le ranch vide, Jordyn s’attarda un peu. Elle demanda à Melba des nouvelles de Claire.
— Toujours pareil, malheureusement, répondit la vieille femme en secouant la tête. J’espérais que
Levi passerait la voir, ou au moins prendrait de ses nouvelles, mais jusqu’ici, rien.
Les pensées de Jordyn, comme c’était très souvent le cas, se tournèrent vers Will.
— Parfois, les gens se disent des choses qu’ils n’auraient pas dû. Des choses blessantes. Et ensuite,
c’est leur fierté qui les empêche de s’excuser ou d’essayer de réparer leurs erreurs.
Melba lui tapota le bras.
— Je sais qu’ils s’aiment profondément. C’est pour cela que je ne perds pas espoir. Le véritable
amour traverse aussi des moments difficiles. C’est un peu comme la foi. Il devient plus grand quand il est
mis à l’épreuve.
Jordyn soupira.
— C’est très beau, Melba. Vous êtes une véritable philosophe.
— Juste une vieille femme qui a vécu une vie bien remplie, répondit-elle en lui tendant l’assiette de
cookies. Prends, sers-toi.
— J’en ai déjà mangé trois. Mais il est difficile d’y résister.
— Alors ne résiste pas. Fais-toi plaisir. On ne vit qu’une fois.
Elle se laissa tenter. C’était bon d’être là, dans la confortable cuisine de Melba. Et réconfortant
aussi, de manger ces biscuits, de discuter de tout et de rien, de l’amour et de la vie. Elle aurait aimé
pouvoir rester là toute la nuit.
Mais vers 22 heures, voyant que la vieille femme semblait fatiguée, elle dut se résigner à partir.
Avant qu’elle ne passe la porte, Melba la prit dans ses bras.
— Mes amitiés à ton mari.
— Je lui transmettrai, promit Jordyn.
Enfin, à condition que je lui reparle un jour.
Le chemin le plus rapide pour se rendre au ranch était de prendre à gauche, par la rue principale.
Mais elle tourna à droite, puis de nouveau à droite.
Et, quelques minutes plus tard, elle se retrouva sur le parking de l’Ace in the Hole.
- 11 -

Tout en buvant sa deuxième bière, Will se demanda ce qu’il faisait là.


Ses frères jouaient au billard, flirtaient avec les serveuses et avaient l’air de s’amuser beaucoup.
Mais pas lui. Il n’arrêtait pas de penser à Jordyn, de se demander si elle était contente de sa visite chez
son ancienne logeuse.
S’était-il montré trop dur avec elle ? Car à bien y réfléchir, elle avait raison. Ils avaient un plan, un
plan pour lequel il était nécessaire de remplir ces saletés de papiers de divorce. Il fallait en passer par
là, il n’avait pas d’autre choix. Mais quand elle lui en avait parlé, il l’avait repoussée. Pouvait-il lui
reprocher de lui en avoir voulu ?
Quand il rentrerait, si elle était là, il irait s’excuser de s’être si mal conduit. Et peut-être pourrait-il
en profiter pour l’encourager à lui expliquer pourquoi elle s’était tout à coup mise à se comporter avec
lui comme avec un étranger, en lui adressant des sourires forcés et des regards froids et distants.
Mais si elle refusait de se confier, que pourrait-il faire ? Rien. Elle n’avait pas de compte à lui
rendre, après tout.
Il était son mari, certes, mais pas par choix. Et ce ne serait pas éternel. Ils s’entendaient bien. Il
adorait être en sa compagnie. Elle était différente des autres femmes qu’il avait connues. Elle était
courageuse, ne baissait jamais les bras. Et jusqu’au matin, elle s’était toujours montrée franche, lui
confiant toujours ce qu’elle avait sur le cœur.
Elle ne cherchait pas à s’accrocher à lui. Mais les rares fois où elle semblait le faire, cela lui
plaisait. Il aimait se sentir indispensable à ses yeux, alors qu’avec n’importe quelle autre femme il aurait
pris ses jambes à son cou.
Elle avait de l’esprit, était drôle, belle.
Mais leur relation avait une date d’échéance. Et il ne pouvait pas lui en vouloir d’essayer de
l’empêcher de trop se rapprocher d’elle.
Alors qu’il se faisait ces réflexions, Rob, de l’autre côté de la table de billard, s’était brutalement
redressé alors qu’il s’apprêtait à tirer. Et, après l’avoir regardé d’un air entendu, il se tourna vers le bar.
Machinalement, il suivit le regard de son frère.
Et il découvrit Jordyn, vêtue du même jean et du même débardeur violet qu’elle portait quand il
l’avait laissée dans la cuisine, quelques heures plus tôt.
Jordyn. Comme elle était belle !
La nuit parut soudain plus belle, elle aussi. La musique plus mélodieuse, les lumières plus vives.
Mais pourquoi se trouvait-elle ici ? Etait-il arrivé quelque chose ?
Vaguement inquiet, il posa sa bière pour aller la rejoindre.
Quand elle le vit approcher, ses yeux s’agrandirent, s’adoucirent. Ses lèvres s’écartèrent
légèrement. Elle paraissait essoufflée. Enthousiaste.
Comme si elle était vraiment ravie de le voir.
Et qu’il était le seul homme dans le bar.
Il se fraya un chemin à travers la foule.
— Jordyn.
— Will, fit-elle en levant son beau visage vers lui.
— Tout va bien ? Il s’est passé quelque chose ?
— Non. Non. Enfin, rien d’important. En fait…
Ses lèvres pleines et sensuelles se mirent à trembler.
— Je ne sais pas. Je suis allée chez Melba. Et j’allais rentrer au ranch, mais je suis venue ici. J’ai
cherché ton pick-up dans le parking. Et quand j’ai fini par le trouver, je me suis garée en me disant que
j’allais entrer pour…
Il ressentit le besoin de la toucher. Lentement, il passa la main dans ses longs cheveux soyeux. Elle
ne protesta pas. Bien au contraire. Elle se rapprocha encore de lui.
— Je… je regrettais, tu vois ? De m’être mêlée de tes affaires au sujet de ces papiers.
— Je me suis mal comporté, reconnut-il.
— Et moi, je t’ai harcelé.
— Viens, rentrons, suggéra-t-il en lui prenant le bras.
— Mais tes frères ?
— Ne t’inquiète pas pour eux. Ils s’amusent.
— Ils ne vont pas se demander où tu as disparu.
— Rob t’a vue. Il m’a vu venir à ta rencontre. On leur dira qu’on est rentrés ensemble.
— Je ne voulais pas gâcher ta soirée.
— C’est tout le contraire, Jordyn : ma soirée, tu l’as embellie.
Un beau sourire vint illuminer son visage.
— Tu le penses vraiment ?
— Bien sûr. Allez, viens.

* * *

Vingt minutes plus tard, ils se garèrent ensemble dans la cour du ranch. Will se hâta de sortir de son
pick-up pour lui ouvrir la portière et la prendre dans ses bras.
— Will…
Elle paraissait de nouveau essoufflée. Ses yeux, qui reflétaient le clair de lune, avaient pris une
nuance argentée.
— Au petit déjeuner, hier, quand je me suis montrée si distante…
— Oui ?
Instinctivement, il passa de nouveau la main dans ses cheveux, si doux et chauds, qui avaient eux
aussi pris des reflets d’argent.
— C’est parce qu’il me semblait que nous commencions à nous montrer un peu trop intimes, tu
comprends ? Il fallait qu’on se fixe des limites.
— Oui, je comprends. Notamment après ce qu’il s’est passé l’autre soir.
Elle hocha la tête.
— Quand je t’ai dit que je n’étais pas enceinte ?
— Oui.
— Je me suis sentie si proche de toi à ce moment-là, Will. J’ai adoré la façon dont tu t’es comporté
avec moi, dont tu m’as prise dans tes bras et caressé le dos. La façon dont tu m’as réconfortée.
— Mais… ?
— Mais le lendemain matin, j’ai eu peur.
— J’aurais dû me montrer plus compréhensif.
— Et j’aurais dû me montrer plus honnête, t’expliquer que j’avais peur, plutôt que dresser des murs
entre nous.
— J’ai compris, Jordyn, ne t’en fais pas.
Ses yeux argentés cherchèrent les siens.
— C’est vrai ?
— Oui.
— Alors, toi et moi, on est de nouveau amis ?
Il avait envie de bien plus en fait. Mais il allait se contenter de ce qu’elle lui offrait. A partir du
moment où elle ne se comportait pas avec lui comme avec un étranger.
— Bien sûr.
— Je suis vraiment contente, Will. Je n’aime pas quand les choses se passent mal entre nous.
La lumière dans ses yeux. La façon dont elle réussissait à se montrer à la fois timide et audacieuse.
Elle était vraiment unique. Exceptionnelle, en fait.
Lentement, elle fit glisser une main sur son épaule pour remonter jusqu’à son cou et lui caresser les
cheveux.
— Et est-ce que tu pourrais… ? commença-t-elle.
— Oui ?
— …
— Allez, je t’écoute.
— Je… J’aime bien quand tu me prends dans tes bras, Will. J’aime quand tu m’embrasses. Il ne
nous reste pas beaucoup de temps, tu sais ?
A ces mots, il sentit les battements de son cœur s’accélérer.
— Je sais, oui.
— Je n’ai pas envie de te perdre. Je n’ai pas envie de te démontrer mon affection uniquement en
public. J’ai envie…
L’air intimidé, elle s’interrompit. Mais il était bien déterminé à l’encourager à lui faire part de ses
sentiments :
— Tu as envie que je t’embrasse, Jordyn Leigh ?
Portant une main à sa gorge, elle acquiesça.
— Oui, répondit-elle en relevant le menton pour lui offrir ses belles lèvres. Oui, j’en ai envie.
Embrasse-moi, Will.
C’était la plus belle offre qu’on lui ait jamais faite. Une offre qu’il ne pouvait refuser.
Lentement, il pencha donc la tête vers elle, se montrant au départ doux et tendre, effleurant
sensuellement ses lèvres. Jusqu’à ce qu’elle s’ouvre à lui en poussant un soupir brûlant.
Alors, il scella sa bouche plus fermement à la sienne, passa la langue entre ses dents, rencontra la
sienne, d’abord timide puis beaucoup plus audacieuse. Elle avait un goût délicieux, une odeur irrésistible.
Elle était tout simplement divine entre ses bras, et il aurait aimé pouvoir l’y garder jusqu’à la fin des
temps.
Il releva la tête et elle poussa un petit grognement de protestation.
Mais il joignit aussitôt ses lèvres aux siennes pour l’embrasser avec toute la passion qu’elle lui
inspirait.
Au loin, un coyote se mit à hurler.
Quand il releva de nouveau la tête, elle lui sourit d’un air rêveur, des étoiles dans les yeux.
— On rentre ?
Il acquiesça.
A l’intérieur, elle prépara du pop-corn tandis qu’il leur servait deux verres de bière. Puis ils
s’installèrent sur le canapé du séjour, où il la serra contre lui.
Elle avait le bol de pop-corn sur les genoux. Il en prit une poignée.
— Qu’est-ce que tu voudrais regarder ? Attends, laisse-moi deviner… Quelque chose de
romantique.
Elle se mit à rire gaiement.
— Non, je crois que, ce soir, on aurait plutôt besoin de courses-poursuites et d’explosions.
— Si tu le dis, répondit-il en haussant les épaules. En tout cas, moi, ça me va.
Ils regardèrent donc un film d’action. Et, malgré les bombes et les crissements de pneus, elle
s’endormit au bout d’une demi-heure.
Quand le film fut terminé, il la porta jusqu’à sa chambre. Mais au moment où il la déposa sur le lit,
elle ouvrit les yeux.
— Qu’est-ce que… ?
— Chut. Dors, l’interrompit-il.
Et alors, à sa grande surprise, elle passa les bras autour de son cou.
— Dors avec moi, murmura-t-elle.
— J’aimerais beaucoup, mais il y a des tentations auxquelles il me serait bien difficile de résister,
répondit-il.
Ces mots eurent pour effet de la faire rire. Un joli son cristallin.
— Je suis si tentante que ça ?
— Je ne vois même pas pourquoi tu me poses cette question.
— Ça veut dire oui, n’est-ce pas ?
Appuyant son front contre le sien, il acquiesça.
— Evidemment.
Elle soupira.
— Mais si on dort comme à l’hôtel : moi sous le drap et toi dessus ?
Naturellement, il ne put résister.
— Je vais éteindre en bas et me brosser les dents.
— Mais tu promets de revenir ?
Il l’embrassa sur la joue.
— Juré.

* * *

Quand il revint dans la chambre, vêtu d’un boxer et d’un T-shirt, un drap à la main, elle sortait tout
juste de la salle de bains. Elle sentait le dentifrice et avait enfilé un gigantesque T-shirt jaune.
Passant un bras autour de ses épaules, il la conduisit vers le lit, la regarda s’allonger au bord et
rabattre le drap sur elle.
— Viens, murmura-t-elle ensuite, en tapotant l’oreiller à côté d’elle.
Il s’exécuta.
— Tu es contente ?
— Oui, répondit-elle en éteignant la lumière. Bonne nuit, Will.
— Dors bien, Jordyn Leigh.
Jordyn se réveilla au milieu de la nuit. Le corps chaud de Will était contre elle, son grand bras
enveloppé autour de sa taille. Troublée, elle ne bougea pas, osant à peine respirer.
C’était si bon d’être étendue dans le noir avec lui.
« Spécial ». C’était le mot qui convenait. Elle sentit un sourire se dessiner lentement sur son visage.
Spécial, oui. Il y avait entre eux quelque chose de spécial.
Et il était spécial.
Elle avait passé toute sa vie à attendre cet homme spécial.
Will.
Qui l’eût cru ?

* * *

Le lendemain matin, au petit déjeuner, elle ne put s’empêcher de le regarder et de le regarder


encore, essayant de se montrer discrète.
Mais elle n’était pas très douée pour la discrétion. Ou alors, il était très perspicace :
— Qu’est-ce qu’il y a ? finit-il par lui demander.
— Comment ça ? demanda-t-elle, avant de prendre une gorgée de café.
— Tu n’arrêtes pas de me regarder bizarrement.
— Moi ? fit-elle en rouvrant le pot de confiture. Cette confiture est délicieuse, tu ne trouves pas ?
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Rien, répondit-elle en s’efforçant d’afficher un air innocent.
L’air suspicieux, il la regarda en fronçant les sourcils.
— Tu es sûre ?
— Certaine. Mange tes œufs.

* * *

— Tu le fais encore, Jordyn.


On était samedi soir. Après avoir fait les courses pour la semaine, ils avaient décidé d’aller dîner
ensemble dans un restaurant mexicain de Kalispell.
Jordyn savourait cet instant.
Après avoir repris un taco trempé dans du guacamole, elle se décida à répondre :
— Je ne vois pas du tout de quoi tu parles. Ce guacamole est délicieux.
— Tu n’arrêtes pas de me dévisager, lâcha-t-il d’un air accusateur.
— Pas du tout.
— Tu as changé.
Pour se donner une contenance, elle prit sa margarita et passa la langue sur le rebord du verre pour
en lécher le sel. Il l’observait. Ses yeux devinrent un peu brumeux. Et elle s’en réjouit.
— Je suis au restaurant avec toi. Je passe un bon moment. C’est tout.
Il lui jeta un regard noir.
— Mais il n’y a pas que ça.
— Je t’assure que si. Pourquoi te montres-tu si suspicieux ?
— Tu n’arrêtes pas de me regarder. Tu complotes quelque chose, c’est ça ? Au supermarché, tu as
disparu pendant cinq bonnes minutes. Et quand tu es réapparue, tu avais un petit sourire narquois.
— Je n’ai jamais eu de petit sourire narquois.
— Si. Tout à l’heure. Où es-tu allée ?
— Il fallait que j’achète deux ou trois choses.
— Quelles choses ?
Elle s’efforça de lui adresser son sourire le plus doux.
— Arrête ça, Will. Qu’est-ce que tu veux que je complote ?
— Peu importe. De toute façon, je ne préfère pas savoir, maugréa-t-il en reprenant ses couverts.
De retour au ranch, ils rangèrent les provisions. Puis il déclara qu’il avait des papiers à classer
dans son bureau.
— Je t’attends ? lui demanda-t-elle.
L’air gêné, il baissa les yeux.
— Pas la peine, non. Ça risque de prendre du temps.
Elle comprit aussitôt le but de sa manœuvre : s’isoler avant qu’elle ne lui demande encore de
dormir avec elle. Or, elle aurait bien aimé, justement. Elle aurait voulu pouvoir se réveiller au milieu de
la nuit dans la chaleur rassurante de ses bras.
Mais elle décida de ne pas insister. Elle aimait beaucoup le titiller, mais elle n’était pas encore
prête à sauter le pas. Certes, le temps leur était compté, mais il leur restait tout de même plus d’un mois
de cohabitation. Elle n’avait pas besoin de précipiter les choses.
D’autre part, elle n’avait pas beaucoup d’expérience dans le domaine de la séduction. Elle devait
admettre qu’elle n’avait aucune idée de ce qu’elle faisait et peur d’arriver à un point de non-retour si elle
continuait de se rapprocher de lui.
Après lui avoir souhaité bonne nuit, elle monta donc dans sa chambre afin de lire un peu avant de se
coucher.
Le lendemain soir, ils se rendirent comme convenu au ranch Dalton pour dîner. Cece et Nick étaient
présents, de même que les jumelles Dalton, Kristen et Kayla.
Comme toujours, Kayla se montra discrète et effacée. Elle ne parla quasiment pas de la soirée.
Kristen, au contraire, riait beaucoup et les divertit avec des anecdotes sur le rôle de strip-teaseuse
qu’elle jouait depuis peu au théâtre. Une fois de plus, Jordyn se demanda si la jeune femme n’était pas la
mystérieuse journaliste people de la Gazette.
Juste avant le dessert, Cece la prit à part sous le porche. Manifestement, elle avait quelque chose à
lui confier.
— Tu as l’air heureux, Jordyn Leigh. Tu es rayonnante, tu sais ?
— Très bien, répondit-elle à son amie de toujours, en lui adressant un sourire espiègle. Qu’est-ce
que tu veux ?
— Eh bien, pour tout te dire, je me demandais juste si un petit Clifton n’était pas en route.
Jordyn leva les yeux au ciel.
— Enfin, Cece, on est mariés depuis à peine deux semaines.
— Parfois les bébés arrivent vite.
— Pas si vite, chez nous, répliqua-t-elle en secouant la tête, pour chasser aussi la pensée de ce bébé
qu’elle n’avait pas eu. Où est-ce que tu es allée pêcher cette idée ?
— Je ne sais pas. Il y avait quelque chose dans tes yeux à chaque fois que tu as regardé Will, ce
soir. Quelque chose d’heureux et d’un peu secret aussi. J’ai pensé que tu étais peut-être enceinte, mais
que tu ne voulais pas le révéler pour le moment.
Jordyn fut tentée de se confier à son amie, de lui dire que, si elle était si rayonnante, cela n’avait
rien à voir avec une grossesse. La raison de son bonheur, c’était qu’elle avait enfin trouvé l’homme
qu’elle avait tant attendu. Et il s’avérait que cet homme était son mari.
Tout au moins pour le mois à venir.
Mais elle ne pouvait pas se confier à la sœur de Will. Lui expliquer ses projets de divorce. Il lui
faudrait pour cela attendre que cette histoire soit derrière eux. Elle le ferait un jour ou l’autre.
Pour l’heure, cependant, Will et elle avaient un accord. Un accord secret, dont ils ne pouvaient
parler à personne.

* * *

Ils rentrèrent au ranch peu après 21 heures.


Et à la seconde où ils passèrent la porte, Will se mit à énumérer toutes les choses qu’il avait à faire.
— Il faut que j’aille m’occuper des animaux. Et ensuite, il faudra que je termine les comptes…
Elle faillit se jeter dans ses bras. Mais elle se retint in extremis. Sans rien tenter, elle lui souhaita
bonne nuit et le laissa partir. Et ainsi en alla-t-il le lendemain soir et le surlendemain.
Will avait toujours des tas de choses à faire dans la soirée. Il sortait s’occuper des animaux puis
partait s’enfermer dans son bureau. Pour sa part, dans sa chambre, elle lisait, étudiait et se promettait de
lui déclarer sa flamme le lendemain.
Le mercredi soir, comme d’habitude, il sortit après le dîner. Honteuse de sa propre lâcheté, elle le
regarda s’éloigner.
Après avoir passé un bref coup de téléphone à sa mère pour lui donner de ses nouvelles, elle prit un
long bain chaud et mit ce laps de temps à profit pour se livrer à un peu d’introspection. Il fallait qu’elle
avoue à Will ce qu’elle attendait de lui. Le temps passait rapidement, il ne lui en restait plus beaucoup
pour rendre les choses possibles entre elle et l’homme spécial qu’elle avait enfin rencontré.
S’il la repoussait, eh bien, tant pis. Au moins elle aurait essayé.
En quittant la salle de bains, elle entendit la télévision dans le séjour. Pour une fois, il ne s’était pas
retranché derrière la porte de son bureau. En haut de l’escalier, elle s’arrêta, hésita. Elle portait un vieux
short de pyjama rose, de grosses chaussettes roses et un T-shirt kaki. Pas vraiment la tenue idéale pour
séduire.
Mais, si elle retournait dans sa chambre pour enfiler quelque chose de plus sexy, elle ne trouverait
sans doute pas le courage de redescendre. Elle resterait là toute la soirée, à s’interroger sur la tenue la
plus appropriée.
Non. Elle allait faire sa déclaration. Maintenant.
Elle descendit les marches lentement, à la fois terrorisée par son manque d’expérience, et nerveuse
au point d’avoir peur de tomber.
Les mains et les genoux tremblants, elle finit par atteindre le hall. La porte du séjour était ouverte.
Elle pouvait le voir, assis sur le canapé, en train de regarder une comédie sur le grand écran de
télévision.
La main sur le pilier de l’escalier, elle resta quelques instants à regarder sa nuque, ses larges
épaules, son long bras étendu sur le dossier du canapé. Ses cheveux paraissaient humides et il portait le
T-shirt gris qu’il avait sur lui quand il avait dormi avec elle. Il avait dû prendre une douche après être
rentré.
Parfait. Ils étaient tous les deux bien propres. Ce qui est toujours une bonne chose quand on
s’apprête à faire l’amour. Surtout pour la première fois.
Ses pieds refusaient d’avancer. Que lui arrivait-il ? Il fallait qu’elle avance, qu’elle entre dans le
séjour pour commencer à le séduire.
Plusieurs secondes s’écoulèrent. Et tout à coup, elle n’y tint plus.
Si elle ne pouvait se résoudre à s’approcher de lui, peut-être pouvait-elle le convaincre de
s’approcher d’elle ?
Elle prit une profonde inspiration, ouvrit la bouche.
— Will !
Sa voix avait résonné bien plus fort qu’elle ne l’aurait souhaité.
L’air surpris, il se retourna vivement.
— Oui ?
Timidement, elle lui adressa un petit signe de la main.
— Tu pourrais éteindre la télé et venir vers moi, s’il te plaît ?
Elle s’attendait à ce qu’il secoue la tête et continue de regarder son film, mais lentement, il éteignit
le poste, reposa la télécommande et se leva. Le souffle court, le cœur battant à tout rompre, elle le
regarda approcher.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
De crainte qu’il ne comprenne ce qu’elle envisageait de faire et décide de prendre la fuite, elle le
prit par la main.
Affichant une mine déconcertée, il cligna des yeux.
— Qu’est-ce qu’il y a, Jordyn ? demanda-t-il d’un air inquiet.
C’est maintenant, ou jamais, Jordyn Leigh.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Dis-moi, insista-t-il.
Il paraissait désormais anxieux. Il n’avait donc pas compris. Mais ce n’était rien. Elle s’était
préparée à prendre l’initiative, à mener le jeu. Il fallait absolument qu’elle sache si cet homme spécial la
considérait lui aussi comme quelqu’un de spécial.
— Will ?
— Oui.
— Dors avec moi ce soir.
Il afficha une expression qui n’avait rien d’encourageant.
— Jordyn, je…
La déception s’abattit comme un poids sur sa poitrine. Sans même s’en rendre compte, elle fit
glisser les mains sur les muscles durs de sa poitrine, avant de les enrouler autour de son cou.
— S’il te plaît.
A ces mots, il émit un grognement sourd. Le cœur plein d’espoir, elle continua de le dévisager.
— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée d’en faire une habitude, murmura-t-il.
— Une habitude de quoi ? demanda-t-elle, surprise.
Il soupira. Lourdement.
— De dormir ensemble.
Enfin, elle comprit.
— Attends. Tu pensais que je parlais de « dormir », au sens littéral du terme, comme nous l’avons
fait vendredi et l’autre soir à l’hôtel, c’est ça ? Et tu n’as pas envie de « juste » dormir avec moi ?
— C’est ça, répondit-il d’une voix neutre.
— Tu veux… plus que de dormir avec moi ?
Tout en détournant le regard, il se mit à nouveau à bredouiller son nom.
Elle comprit alors qu’elle devait commencer à le séduire. De ses mains, qui n’étaient plus que très
légèrement tremblantes, elle se mit donc à caresser les muscles fermes de son torse.
— Alors tu vas me laisser tous les soirs toute seule dans ma chambre, avec mon petit canard de
bain ?
L’air sidéré, il ouvrit de grands yeux. Il était tellement mignon quand il faisait cela.
— Je n’en crois pas mes oreilles.
— Ce n’est pas parce que je suis vierge que j’ignore le désir. Et puis nous ne savons même pas si je
le suis toujours. Si ça se trouve, il s’est déjà passé des tas de choses entre nous.
— Jordyn, mais qu’est-ce qui te prend ? fit-il d’un air choqué.
Elle ne pouvait plus faire marche arrière.
— Bon. Je vais faire en sorte que les choses soient claires entre nous. Ce n’est pas vraiment de
« dormir » avec moi que je te demande.
Elle sentit son corps se crisper sous ses mains.
— Mais… tu…
Manifestement, il ne savait pas par où commencer.
Il fallait qu’elle l’aide en lui énonçant les choses clairement.
— J’ai envie de toi, Will, chuchota-t-elle.
Puis elle regarda avec fascination ses beaux yeux bleus, soudain éclairés par la compréhension.
— C’est…
Sa voix se brisa. Elle vit sa pomme d’Adam se lever et s’abaisser brutalement.
— C’est une question de sexe, c’est ça ? C’est pour ça que tu me regardes tout le temps depuis
quelques jours ?
Elle se sentit soudain agressée.
— Tout le temps ? Arrête. Quelques coups d’œil de temps en temps, c’est tout.
— Tu vois très bien ce que je veux dire, répondit-il entre ses dents serrées.
De nouveau, elle lui caressa les pectoraux du plat de la main. Sa peau était brûlante. Elle sentait sa
chaleur se répandre à travers le tissu de sa chemise. Son odeur délicieuse. Et son souffle. Ne paraissait-il
pas un peu agité ?
Sensuellement, elle glissa les doigts sur ses épaules dures comme la pierre, descendant le long de
ses bras tout aussi durs jusqu’à arriver à ses grandes mains puissantes.
— Et si on allait s’asseoir ? proposa-t-elle en entrelaçant ses doigts aux siens pour le tirer vers le
canapé.
Elle s’assit mais, à son grand regret, il ne vint pas se placer à côté d’elle.
— Laisse-moi juste une minute, lâcha-t-il sans pour autant essayer de dégager sa main.
Relevant la tête, elle vit briller dans son regard une lueur de désir. Intimidée, elle baissa les yeux.
Une bosse s’était formée sous son jean, en dessous de sa ceinture.
Soudain gênée, elle lâcha sa main et détourna le regard.
L’espace de quelques minutes, elle s’était sentie adulte et maîtresse de la situation. Mais
désormais…
— Excuse-moi, bredouilla-t-elle en plaquant ses mains sur ses joues brûlantes. Oublie ça. Je
n’aurais jamais dû.
Un silence. Suivi d’un petit ricanement.
Vexée, et même blessée, elle se boucha les yeux.
— Et maintenant, tu te moques de moi. Je te déteste, Will Clifton.
— Ce n’est pas vrai. Tu m’aimes. Et même beaucoup.
Elle avait toujours les mains pressées sur ses yeux, mais elle le sentit bouger à proximité. Quand il
s’assit près d’elle, elle entendit un sourd grognement. Ce qui lui procura un sentiment de satisfaction. Son
jean était désormais trop serré. A cause d’elle.
— Jordyn, fit-il d’une voix chantante, comme il le faisait quand elle avait six ans.
— Ne te moque pas de moi, grommela-t-elle.
Elle le sentit alors passer doucement la main dans ses cheveux pour dégager une mèche de son front.
De petites décharges de plaisir lui parcoururent la peau.
— Va-t’en, dit-elle en le poussant avec son coude.
— Jordyn, répéta-t-il sur le même ton mélodieux.
Mais désormais sa bouche était à quelques centimètres de son oreille, et elle pouvait sentir son
souffle chaud contre son cou.
Elle frissonna de plaisir, mais refusa néanmoins de le regarder.
— Laisse-moi tranquille.
— Quoi ? Mais c’est toi qui as commencé, répondit-il, avant d’embrasser ses cheveux. Et je ne te
laisserai pas tranquille tant que tu ne m’auras pas parlé.
Ses doigts brûlants se mirent à lui courir le long des poignets.
— Allez, regarde-moi.
De guerre lasse, elle finit par céder.
— Très bien. Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?
Il l’embrassa malicieusement sur le bout du nez.
— Tu es trop mignonne.
— Ce n’était pourtant pas le but recherché…
— Et quel était le but recherché ?
— J’aurais voulu être… sexy. Irrésistible.
Passant les bras autour de ses épaules, il l’attira plus près.
— Mais tu l’es. Et tu n’as pas besoin de faire quoi que ce soit pour ça.
Elle se laissa aller contre lui. L’espace d’un instant, ils restèrent immobiles. Elle se sentait bien,
vraiment. Apaisée. Mais avec tout de même ce petit brin d’excitation, ce feu du désir qui couvait.
Will finit par rompre le silence :
— Parle-moi. Explique-moi ce que tu penses.
Il avait raison : il fallait qu’elle s’explique.
— Tu te souviens, le jour où on s’est réveillés mariés ?
— C’est le genre de choses qu’on n’oublie pas.
— Je t’ai dit que je voulais me préserver pour le mariage.
— Oui.
Sa voix était plus basse, désormais, rauque et séduisante.
— Je n’ai pas oublié non plus, reprit-il. Tu as dit que tu attendais quelqu’un de spécial.
Tout en se redressant un peu, elle braqua audacieusement son regard sur le sien.
— Eh bien, c’est toi, Will. Tu es spécial pour moi. Je veux que tu sois le premier.
Sans répondre, il la regarda fixement. Etait-il heureux ou cherchait-il un moyen de la repousser
gentiment ? L’expression de son visage était indéchiffrable.
Aussi décida-t-elle de se couvrir :
— Ecoute, je comprends. Je sais que ce n’est pas pour toujours. Tu as tes projets, pour ton ranch,
pour ton avenir. Et moi, j’ai les miens. A la fin du mois d’août, je débarrasserai le plancher.
— Attends.
— Quoi ?
— Tu veux dire que, quoi qu’il puisse se passer entre nous, le plan ne changera pas ?
— Exactement. Ce qui s’est passé entre nous, aussi beau et magique que cela puisse paraître, n’est
qu’un accident. Quelqu’un a drogué le punch et nous nous sommes retrouvés mariés. Pour un temps.
— Mais…
— Tu pourrais me laisser terminer, s’il te plaît.
— Vas-y.
— Sache que j’ai adoré le temps que j’ai passé avec toi. J’en ai aimé chacune des secondes, y
compris les moments difficiles, y compris ceux où on s’adressait à peine la parole, et… tu sais quoi ?
— Non.
— Eh bien, tant pis si ce n’est pas pour toujours. La vie est trop courte, le temps passe trop vite. Je
sais que faire l’amour avec toi sera quelque chose de beau et d’exceptionnel, et tout ce que j’avais espéré
pour ma première fois. Je ne me souviens plus de ce qui s’est passé le soir de notre nuit de noces, mais
désormais, je suis pleinement consciente, Will. Et je t’ai choisi. J’ai envie de toi.
A ces mots, son visage changea. Sa bouche et ses yeux devinrent plus doux.
— Jordyn, lâcha-t-il d’une voix qui n’était qu’un murmure rauque, même s’il s’est passé quelque
chose entre nous ce soir-là à l’hôtel, ça ne compte pas, et tu le sais aussi bien que moi. Tu n’es pas
obligée de…
— Chut, fit-elle en pressant son index sur sa bouche sensuelle pour lui intimer le silence. Voilà.
Maintenant, tu sais pourquoi je te regardais tout le temps, tu sais ce que j’avais à l’esprit. Et la balle est
dans ton camp. Réfléchis.
Elle sentit les lèvres de Will vibrer contre son doigt. Une vague de désir lui traversa le corps.
— Réfléchis ? Tu me demandes de réfléchir ? Ecoute, Jordyn, je ne vois pas à quoi je pourrais
penser d’autre.
Elle aurait aimé pouvoir rester toute la nuit dans ce canapé avec lui. Mais elle avait dit ce qu’elle
avait à dire, il fallait qu’elle lui laisse le temps de se décider.
— Eh bien, penses-y, conclut-elle en se levant. Et si on se donnait la nuit pour réfléchir ? Chacun de
son côté, bien sûr.
— Je n’ai aucune envie de passer la nuit à réfléchir, répondit-il en se levant à son tour.
— Alors dors bien.
Elle commença à monter l’escalier. Mais, à la deuxième marche, elle sentit sa main sur son bras.
- 12 -

— Ne pars pas, dit-il en la tirant par la main pour l’obliger à lui faire face.
Le cœur de Jordyn se mit à battre à tout rompre, mais elle réussit tout de même à se dresser sur la
pointe des pieds pour effleurer de sa bouche les lignes dures de sa mâchoire.
— Bon, d’accord.
Il baissa la tête vers elle. Et ses yeux étaient pleins d’interrogations et de chaleur. Une chaleur
envoûtante.
— Tu es sûre ?
— Certaine, répondit-elle sans hésiter.
— Tu n’as pas peur de regretter ?
De nouveau, elle plaça un index contre ses lèvres et sentit le souffle chaud de Will contre la paume
de sa main.
— Non. Je ne regretterai pas. Jamais.
Elle sentit ses yeux s’emplir de larmes.
— Tu pleures, murmura-t-il en secouant la tête.
— C’est un grand moment pour moi, tu sais ? Un grand moment sur le plan émotionnel.
Tendrement, il lui caressa la joue. Et elle sentit la chaleur de sa peau se diffuser jusqu’au plus
profond de son être. Comment s’y prenait-il ? Il avait un don pour la transformer en véritable brasier.
— Tu es certaine que c’est ce dont tu as envie ?
Elle plongea son regard dans le sien.
— Oui. Toi et moi. Amants. Je ne vois pas comment je pourrais me montrer plus claire.
Il lui passa la main dans les cheveux, avant de prolonger sa caresse sur le visage puis la gorge.
C’était un simple effleurement, et pourtant, elle sentit une nouvelle vague de chaleur lui parcourir le
corps.
— Tu es tellement belle, murmura-t-il en remontant les mains vers sa nuque.
Il rapprocha alors son visage du sien.
Et leurs lèvres finirent par se rejoindre.
Ce baiser !
Au bout de quelques secondes à peine, elle sentit ses genoux se dérober sous elle et une chaleur
ardente se nicher au creux de son ventre.
Quand il détacha ses lèvres, elle laissa échapper un petit grognement de protestation.
— Allons dans mon lit, affirma-t-il.
Troublée, elle sentit sa bouche s’assécher.
— D’accord… ton lit. Mais il faut d’abord que j’aille dans ma chambre.
Sans rien dire, il la regarda fixement. Une lueur de désir brûlait dans ses yeux.
— Pour aller chercher des préservatifs, reprit-elle d’une voix hésitante. Et du lubrifiant. Will !
Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ?
Sa bouche se tordait. Elle voyait bien qu’il essayait de se retenir de rire.
— Samedi, à Kalispell, quand tu as disparu au supermarché… ?
— Oui, c’est là que je les ai achetés. Juste au cas où j’aurais le courage de te déclarer ma flamme.
— Ne t’inquiète pas. J’ai des préservatifs.
— Et du lubrifiant ? Enfin, on n’en aura peut-être pas besoin, mais…
— Bon. Va le chercher.
Elle tourna les talons, mais changea d’avis aussitôt et, vivement, l’attrapa par la main.
— Viens avec moi. Je crois qu’on ferait mieux de rester ensemble. Au cas où l’un d’entre nous
changerait d’avis.
— Je t’attends, répondit-il sans bouger. Mais si tu ne redescends pas, je comprendrai.
Comme elle hésitait, il dégagea sa main de la sienne pour désigner l’escalier.
— Vas-y !
— Mais je veux que tu…
— Vas-y !
Malgré ses doutes, elle fit l’aller-retour aussi vite que possible et quand elle arriva au bas des
marches, le tube à la main, elle constata avec soulagement qu’il était toujours là. Qu’il l’attendait comme
il le lui avait promis.
Leurs regards se rencontrèrent, s’arrimèrent l’un à l’autre. Un véritable brasier brûlait désormais au
creux de son ventre. Et elle sentait sa chaleur se répandre dans son corps, lui procurant de voluptueuses
sensations.
Comme il ne bougeait pas, elle resta quelques instants à le regarder, essayant de reprendre son
souffle. Et enfin, elle descendit les deux marches qui le séparaient encore de lui.
— Prête ? lui demanda-t-il avant de la prendre dans ses bras.
Le corps serré contre sa poitrine, elle sentit ses pieds se soulever du sol.
Souriant de bonheur, elle passa les bras autour de son cou et le serra contre elle.
— Embrasse-moi encore, demanda-t-il.
Sans même réfléchir, elle lui offrit ses lèvres. Et il les prit, enfonçant sa langue en elle, prenant
possession de sa bouche. Et de bien plus encore. Son esprit, son corps, ses sens tout entiers.
Sans détacher ses lèvres des siennes, il la porta jusqu’à son lit. Sa chambre, qui n’était éclairée que
par la lumière du couloir, était à demi plongée dans la pénombre.
Après l’avoir déposée sur le lit, il alluma une petite lampe de chevet, ce qui lui tira un cri de
surprise.
— C’est trop ? demanda-t-il.
La lampe ne diffusait qu’un doux halo de lumière autour du lit. Et pourtant, elle sentit un frisson de
peur lui parcourir le corps à l’idée de se montrer nue devant lui.
— Pour ma première fois, expliqua-t-elle, ne pourrait-on pas l’éteindre ?
— Comme tu veux. Mais je vais d’abord tirer les draps.
Elle le regarda faire. Tout lui semblait étrange, irréel, soudain. Elle ne regrettait pas sa décision,
non. Mais elle ne se sentait plus aussi sûre d’elle-même.
Il finit par éteindre la lampe, mais de la lumière passait toujours dans l’embrasure de la porte.
Alors qu’elle songeait à tout cela, il s’était mis à observer son visage.
— Plus noir ? demanda-t-il, comme s’il avait lu dans ses pensées.
— Oui, s’il te plaît, murmura-t-elle.
Au moment où il se leva pour fermer la porte, elle se sentit beaucoup mieux. Son cœur battait à tout
rompre, son corps brûlait de désir. Tous ses sens étaient en alerte. Et la tension, dans son ventre, s’était
apaisée. Elle se sentait plus en sécurité.
Quand elle l’entendit revenir, elle se leva, et ses yeux finirent par s’accommoder à l’obscurité. La
lueur de la lune filtrait à travers les rideaux de coton.
Sa silhouette, devant elle, était grande et large.
Et soudain, il la prit dans ses bras, pressant son corps contre le sien. Dur. De partout.
Elle poussa un petit soupir de plaisir. Bien qu’elle ait les nerfs à fleur de peau, la sensation de son
corps contre le sien était tout simplement divine.
Il déposa un lent et tendre baiser sur ses lèvres et, sans l’interrompre, se mit à retirer son T-shirt.
— Lève les bras, murmura-t-il contre sa bouche.
Sensuellement, il fit glisser le tissu le long de son buste, déclenchant en elle de petits frissons de
plaisir. Son short ne tarda pas à suivre. Tout aussi lentement, il le fit glisser le long de ses cuisses.
Quand elle n’eut plus sur elle que ses chaussettes, il se remit à l’embrasser, l’enveloppant à nouveau
dans ses bras puissants et musclés.
— Toi aussi, murmura-t-elle. Ta chemise, ton jean…
Elle le sentit sourire contre ses lèvres. Au même instant, il prit ses mains dans les siennes et les
plaça sur sa taille. Comprenant le message, elle déboutonna sa chemise de ses mains tremblantes, avant
d’en faire glisser les pans le long de ses larges épaules.
Le tissu tomba mollement sur le sol. Il retira lui-même son jean et elle le sentit se pencher pour le
retirer.
Et quand il se redressa, elle tendit la main vers lui, plaça une paume sur son cœur et se mit à suivre
les contours de ses pectoraux. Une ligne de poils sombres dessinait le milieu de sa poitrine. Elle savait
bien où elle menait, mais ne se sentait pas assez encore assurée pour la suivre.
Percevant son hésitation, il plaça les mains sur ses épaules.
— Allonge-toi, lui intima-t-il d’une voix douce et pourtant très ferme.
Il avait le contrôle total de la situation.
Avec un sourire, elle songea à leur enfance, à ce besoin qu’elle avait toujours eu de s’opposer à lui,
de lui résister chaque fois qu’il essayait de prendre le contrôle.
Et soudain, elle ne put s’empêcher de rire.
Aussitôt, il la serra contre lui. C’était bon, tellement bon. Son corps pressé contre le sien, sans
aucune barrière.
— Tu trouves ça drôle ?
— Oui, murmura-t-elle. Enfin, je suis un peu nerveuse.
Relevant son menton du bout de ses doigts, il l’embrassa à nouveau. Un baiser tendre qui devint de
plus en plus ferme, de plus en plus profond. Elle s’abandonna alors totalement à ses sensations : cette
bouche brûlante contre la sienne, ses seins nus contre ce torse ferme, ce sexe dur contre son ventre, ces
larges bras autour d’elle.
Quand il finit par détacher ses lèvres des siennes, elle n’avait plus aucune envie de rire.
— Allonge-toi, répéta-t-il.
Et cette fois-ci, elle n’hésita pas : elle s’étendit sur le lit.
Après être venu la rejoindre, il l’embrassa à nouveau, longuement, très longuement, passionnément,
tout en la caressant avec une sensualité et une passion qu’elle n’aurait jamais crues possibles.
Sa maîtrise de la situation l’aidait, la rassurait. Elle sentait toujours son érection contre son ventre.
Mais elle essayait de ne pas trop y penser, de ne pas trop réfléchir à l’issue de tous ces baisers et de
toutes ces caresses.
D’autant moins qu’il ne semblait pas pressé d’en arriver là.
Au contraire, il prenait son temps pour la découvrir, l’explorant lentement. Comme s’il pouvait
passer toute la nuit à se contenter de la caresser. Ses mains, forgées par le travail à l’extérieur, étaient
légèrement rêches. Et chacune de leurs caresses provoquait un véritable déferlement de plaisir.
La première fois qu’il passa la paume contre son téton, elle laissa échapper un petit gémissement.
— Tu aimes ça ? murmura-t-il contre sa joue.
— Oh ! oui !
— Encore ?
— Oui !
De ses larges mains, il se mit à pétrir ses petits seins, qui se retrouvèrent enveloppés dans leurs
paumes.
— Ils sont parfaits, murmura-t-il.
— Tu ne les trouves pas trop petits ? demanda-t-elle.
Et elle regretta aussitôt sa question.
— Ils sont parfaits, insista-t-il.
Elle ne put s’empêcher de sourire.
— Ce soir, tu as l’air de tout trouver à ton goût.
Sensuellement, il effleura ses lèvres des siennes.
— Dis-moi ce que toi, tu trouves bien et ce que tu n’aimes pas, d’accord ?
— D’accord.
Il effleura son téton du bout des doigts. De nouveau, elle poussa un petit gémissement.
— Est-ce un gémissement de plaisir ?
— Oui.
Sa bouche avait désormais quitté la sienne. Elle eut envie de lui demander de l’embrasser encore.
Mais, bien vite, elle se rendit compte qu’il n’avait pas cessé de l’embrasser. Ses lèvres douces et
sensuelles traçaient un chemin de baisers sur sa gorge. Et c’était délicieusement bon. Quand il atteignit sa
poitrine, il prit l’un de ses tétons durcis par le désir dans sa bouche, lui procurant avec sa langue un
plaisir qu’elle n’aurait même pas pu imaginer dans ses rêves les plus fous.
— Oh oui, comme ça, Will ! Comme ça, ne t’arrête pas.
Il obtempéra, et plus encore. De ses mains brûlantes, il caressait son corps tout entier, attisant
encore en elle le désir, transformant son corps en un véritable brasier.
Et soudain, ses mains arrivèrent là où elles devaient arriver.
Sous le coup de la surprise, elle tressauta.
— Ça va ? demanda-t-il.
— Oui, répondit-elle d’une voix assurée. Je t’interdis de t’arrêter.
— Vos désirs sont des ordres, madame, marmonna-t-il en écartant légèrement ses cuisses.
Elle sentait que son sexe était brûlant et déjà très humide. Il y glissa un doigt.
Merveilleux. Bien mieux que quand elle le faisait elle-même. Bien mieux parce qu’elle avait
confiance en lui. Mais aussi à cause de l’effet de surprise et du délicieux sens de l’interdit. Sans parler de
la chaleur de sa peau, de la puissance de son grand corps viril. Il était partout autour d’elle, en elle.
Elle n’était pas totalement novice avec les hommes. Il lui était arrivé quelquefois de batifoler un
peu. Mais jamais de cette façon. Elle n’avait jamais connu quelque chose d’aussi intime, d’aussi
fabuleux.
Alors qu’elle s’abandonnait à ces divines sensations, il glissa un autre doigt en elle et y imprima un
langoureux mouvement de va-et-vient. Parallèlement, à l’aide de son pouce, il massait son clitoris. Sa
bouche, elle, était toujours sur ses tétons.
Elle sentit le plaisir monter en elle. Tellement bon.
Tellement bien.
Avec Will. Qui l’eût cru ?
Sa nervosité avait totalement disparu. Tout ce qu’elle sentait, c’était son grand corps penché au-
dessus du sien, sa bouche contre ses tétons durcis, ses doigts dans son sexe humide, son pouce sur son
clitoris. Instinctivement, elle se cambra, ondula des hanches en rythme avec lui.
Et tout à coup, le plaisir, tel un véritable feu d’artifice de sensations voluptueuses, éclata dans son
sexe, dans sa poitrine, dans sa tête. Elle laissa échapper un cri.

* * *

— Repose-toi, lui dit-il, quelques minutes plus tard, quand elle eut repris ses esprits.
Elle avait une sensation de bien-être qu’elle n’avait encore jamais connue. Mais son souffle n’était
pas totalement apaisé.
— Mais je ne suis pas fatiguée et je veux…
Il lui fit signe de se taire en plaçant un index sur ses lèvres.
— Repose-toi, insista-t-il. Il n’y a que toi et moi ici. Personne ne viendra nous déranger. Nous
avons tout le temps.
Tout le temps ?
Non. Ils n’avaient pas tout le temps. Certes, il leur restait encore plusieurs semaines avant qu’ils ne
divorcent et qu’elle ne parte pour Missoula. Plusieurs semaines. Mais le temps passait tellement vite.
Alors qu’elle se faisait ces réflexions, il effleura sa tempe de ses lèvres et elle sentit son souffle chaud lui
soulever les cheveux.
— Et toi ? finit-elle par dire. Tu ne te sens pas un peu… ?
— Ça va.
— Mais tu ne vas pas exploser ou je ne sais quoi ?
Il eut un petit rire amusé.
— Ne te moque pas de moi !
— D’accord, ma chérie.
— Will ! Tu viens de m’appeler « ma chérie ».
— Ça ne te plaît pas ?
Elle prit quelques instants pour réfléchir.
— Si. Si, beaucoup.
— Bon, très bien. Mais ne t’inquiète pas. Je ne vais pas exploser, répliqua-t-il en tirant le drap sur
eux.
Pendant quelques instants, faisant de son mieux pour se montrer obéissante, ce qui, comme chacun
d’eux le savait, n’était pas son fort, elle essaya de rester immobile, étendue à côté de lui.
Mais elle ne pouvait pas dormir. Elle était beaucoup trop excitée. Trop curieuse aussi, trop…
captivée.
Elle avait tant attendu cette nuit avec cet homme. Et elle n’avait aucun regret. Mais il était hors de
question qu’elle s’arrête maintenant.
— Will ?
— Repose-toi, Jordyn.
— J’étais en train de me dire… j’ai envie de te voir. Mais je suis toujours un peu intimidée à l’idée
que toi aussi, tu me voies. Alors je me demandais si tu pouvais fermer les yeux et me promettre de ne pas
tricher, pendant que j’allumerai la lumière.
— Tu n’as pas l’intention de te reposer, c’est ça ? demanda-t-il, sans paraître pour autant fâché.
— Non. Tu fermes les yeux ?
Il mit un certain temps à répondre, mais il finit par acquiescer.
— Tu ne triches pas, d’accord ?
— Promis.
Tout en tenant le drap sur sa poitrine, elle se pencha sur le côté pour allumer la lampe de chevet.
Puis elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Il était allongé sur le dos et, comme promis, gardait
les yeux fermés. Le drap le recouvrait à partir de la taille. Mais elle put tout de même admirer les lignes
sculpturales de ses abdominaux et pectoraux, les longs muscles noueux de ses bras et de ses épaules.
— Tu ne triches pas ?
Ces paroles eurent pour effet de le faire sourire.
— Je t’ai promis que non.
— Bon. Alors je voudrais soulever un peu le drap.
Il ne fit pas de commentaire, mais il continua à sourire. Lentement, elle tira sur le drap, qu’elle finit
par rabattre jusqu’à ses pieds.
Il ne bougea pas.
La vue qui s’offrit à elle était absolument splendide. Il était tout en muscle. Et toujours excité. Elle
n’avait donc pas de souci à se faire quant à son pouvoir de séduction.
Même si elle n’était pas une experte, il lui semblait que son sexe était bien large et bien long. Peut-
être avait-elle un peu de souci à se faire de ce point de vue-là, compte tenu de sa supposée virginité.
Mais après tout, c’était un homme, elle était une femme, et leurs corps étaient faits pour cela.
— Will, murmura-t-elle en se penchant au-dessus de lui et en laissant doucement son front retomber
contre le sien, je n’arrive pas à croire que nous fassions ça.
Il ne répondit rien, se contentant de secouer la tête.
Aussi décida-t-elle de prendre l’initiative en l’embrassant, commençant doucement, comme il
l’avait fait lui-même, effleurant ses lèvres des siennes, mordillant sa lèvre inférieure, attendant qu’il
s’ouvre à elle avant d’enfoncer sa langue dans sa bouche. Au bout de quelques secondes, il lui passa les
bras autour de la taille.
Et après cela, elle ne put déterminer lequel d’entre eux avait le contrôle de la situation. Il se mit à
caresser son corps. Et elle se sentit devenir plus audacieuse, allant même jusqu’à prendre son sexe en
main. La peau en était douce, soyeuse. Et il était dur comme un roc.
Tout en poussant un petit grognement contre sa bouche, il plaça sa main sur la sienne, la guidant pour
lui imprimer un rythme plus rapide et une pression plus ferme.
Au bout d’un certain temps, il arrêta sa main. Manifestement, il ne voulait pas jouir de cette manière.
Ce qui lui convint très bien, car il se remit aussitôt à caresser sensuellement son corps brûlant de
désir, ne tardant pas à l’amener à un point qu’elle jugea être de non-retour.
— Attends, murmura-t-elle alors. Où sont les préservatifs ? Je te veux en moi.
— Dans le tiroir. De ton côté.
Il la guida pour qu’elle le déroule sur son sexe. Elle versa ensuite une petite noisette de lubrifiant
sur ses mains et, après les avoir frottées l’une contre l’autre, se mit à en masser son membre, ce qui lui
tira un nouveau grognement de plaisir.
— Je crois qu’il vaut mieux que tu te mettes sur moi pour contrôler le mouvement, murmura-t-il.
Conformément à sa promesse, il avait gardé les yeux fermés, ses longs cils noirs reposant sur ses
pommettes hautes.
— Oui. Je pense que ce sera parfait.
Un sourd gémissement s’échappa de sa gorge.
Elle chevaucha donc son corps. Et une fois qu’elle fut au-dessus de lui, il massa à son tour son sexe
à l’aide du lubrifiant, la rendant plus humide, plus chaude, plus excitée encore. Elle se mit à onduler des
hanches au même rythme que ses doigts, se délectant de chacune de ses caresses.
— Tu es prête ? finit-il par murmurer d’une voix calme, bien que l’expression de son visage soit
tendue.
Après avoir inspiré profondément, elle prit son sexe dans sa main, se réjouissant de la façon dont il
durcit encore au contact de sa peau. Puis, après s’être hissée un peu plus haut sur ses genoux, elle le
positionna sous elle. Et enfin, lentement, elle redescendit.
Mais elle ne tarda pas à s’interrompre. Son corps semblait résister, alors qu’il était à peine entré en
elle.
— Ça va ? marmonna-t-il.
— Laisse-moi un peu de temps.
— On a toute la nuit.
C’était gentil de sa part, mais l’expression de son visage le trahissait. Et cette expression était sans
équivoque : il brûlait d’envie de s’enfoncer en elle. Ce moment devait être aussi difficile pour lui que
pour elle.
— Ne t’inquiète pas, ça va aller, la rassura-t-il.
Et il se mit à la toucher à nouveau.
Il savait exactement où elle avait besoin d’être stimulée. Laissant sa tête retomber contre sa poitrine,
elle ferma les yeux en soupirant pour mieux sentir son corps se détendre, s’ouvrir à lui. La sensation
d’inconfort disparut. La chaleur réapparut au centre de son corps et commença à se répandre, à la fois
excitante et rassurante. De nouveau, elle se sentait bien, ici, au-dessus de son sexe dur, qui était presque
fiché en elle.
Elle en voulait davantage. Elle voulait le sentir en elle, se sentir unie à lui, bouger en symbiose avec
lui.
Lentement, elle fléchit les genoux pour le prendre en elle. Mais même la légère douleur qu’elle
ressentait résonnait comme une promesse, alors qu’ils attendaient tous deux, le souffle court, que son
corps l’accepte et l’accueille profondément.
Quand ils y furent presque, il posa une main sur ses hanches et l’attira contre lui.
— Will, murmura-t-elle.
— Ça va ?
— Oh oui.
— Bon.
Il traça un chemin de baiser sur la courbe de son cou. Relevant son menton, il se mit ensuite à lécher
la peau sensible du centre de sa gorge. Puis il reprit sa bouche. Et elle s’ouvrit à lui avec bonheur.
Son baiser ne semblait pas avoir de fin.
Ses cheveux étant retombés, il les prit dans ses mains et, tout en les caressant, les remit derrière son
dos.
C’était merveilleux.
Le goût de sa bouche, la sensation de son corps puissant contre le sien, ses mains dans ses cheveux,
la toute première fois de sa vie qu’elle le sentait en elle.
Elle se mit à bouger, à moins que ce soit lui qui ait commencé. Elle n’en était pas certaine, et de
toute façon, peu importait. L’essentiel, c’était qu’elle trouvait divin de s’éloigner et se rapprocher de lui,
de le quitter et de le reprendre. Ses mains légèrement râpeuses, qu’il avait replacées sur ses hanches, la
guidaient, la soutenaient.
Comme promis, il avait gardé les yeux fermés. Mais plus le plaisir grandissait en elle, plus il lui
semblait malhonnête de se cacher de lui de quelque façon que ce soit.
— Will ?
— Hmm ? fit-il d’une voix rauque.
— Tu… Tu peux me regarder, maintenant.
Ses beaux yeux bleus s’ouvrirent.
— Magnifique, balbutia-t-il d’un air subjugué, après l’avoir regardée quelques secondes.
Fermant les yeux pour mieux savourer l’instant, elle se mit à se balancer plus fort sur lui. Le plaisir
continuait de grimper, elle sentait qu’elle se rapprochait de quelque chose de fort… d’extatique. Et
soudain, elle poussa un cri. Le plaisir s’était mis à déferler en elle par vagues successives, aussi intenses
que délicieuses.
Posant les mains sur sa taille, il la guida alors sur le côté et vint se placer sur elle. Une lueur de
passion éclairait ses beaux yeux bleus.
— J’ai peur de te faire mal, balbutia-t-il.
— Tu ne me fais pas mal, parvint-elle à répondre d’une voix tremblante, alors que les dernières
ondes de plaisir passaient sur son corps. Tu ne pourrais pas.
Alors, s’appuyant sur les mains, il se remit à aller et venir. Instinctivement, elle enroula les jambes
autour de sa taille, ondula au même rythme que lui.
Quelques instants plus tard, elle le sentit trembler en elle, tandis qu’il murmurait son nom. C’était
merveilleux. Parfait.
Tout ce qu’elle avait toujours rêvé pour sa première fois.
Passant les bras autour de lui, elle le serra contre son cœur.
- 13 -

Le lendemain, en rentrant du travail, Jordyn installa ses affaires dans la chambre de Will.
— Parce que pour le temps qui nous reste, lui expliqua-t-elle, je veux que nous soyons ensemble.
Vraiment ensemble.
Will savait qu’il n’aurait pas dû la laisser faire, tout comme il n’aurait pas dû lui céder, la veille. Il
ne fallait pas qu’ils s’attachent trop l’un à l’autre. Mieux valait donc maintenir un peu de distance entre
eux. Surtout pour elle, qui n’allait pas tarder à devoir partir.
Mais aussi pour lui. Car en faisant l’amour avec elle, en partageant sa chambre avec elle, il lui
serait bien plus difficile de la laisser partir. Il aurait dû refuser.
Mais la veille déjà, quand elle lui avait demandé d’être son premier homme, il n’avait pas pu
résister. Elle était si belle, si douce et si sincère. Elle lui avait pourtant demandé d’y réfléchir.
Mais il n’avait aucune raison de réfléchir. Il aurait donné tout ce qu’il avait pour passer la nuit avec
elle. D’ailleurs, il ne regrettait rien. Et désormais, il comptait profiter de chacune des secondes qu’il
passerait avec elle.
Et, quand l’heure viendrait, il la laisserait partir.
Sans regret, là encore.
Le soir, au dîner, en s’asseyant en face d’elle, il eut du mal à croire que, quelques heures plus tard,
ils seraient au lit ensemble. Il regarda ses beaux yeux bleus pétillant de joie.
Il se rendit compte alors qu’il ne pourrait tenir tout ce temps. Quelques heures, c’était beaucoup
trop.
Dès qu’ils eurent débarrassé la table, il la prit par la main et la conduisit jusqu’à sa chambre. Cette
soirée fut encore meilleure que la précédente. Car il n’avait plus peur de lui faire du mal. Et elle semblait
elle aussi plus à l’aise, moins timide. Et, cerise sur le gâteau, elle ne lui demanda pas d’éteindre la
lumière. Il eut donc le plaisir de l’admirer du début à la fin. La regarder, c’était presque aussi bon que de
la tenir dans ses bras.
Le vendredi soir, ils firent l’amour sur le canapé. Il ne vit pas la deuxième mi-temps du match. Mais
c’était le cadet de ses soucis.
Le lendemain soir, après avoir encore une fois fait l’amour, ils s’endormirent paisiblement. Mais ils
furent réveillés à 4 heures du matin par les cris du bouc. Comme, au bout de dix minutes, il ne cessait
toujours pas, ils décidèrent de se lever. Ils arrivèrent dehors juste à temps pour voir l’une des chèvres
mettre au monde un petit chevreau tacheté de noir.
Tout en s’approchant de la mère et du petit, Jordyn remercia le bouc de les avoir avertis. On aurait
dit que l’animal lui répondait : à chaque fois qu’elle terminait une phrase, il poussait un petit cri.
— Arrête de l’encourager, finit-il par grommeler.
— Mais il est mignon, protesta-t-elle, avant de se tourner vers le bouc. Tu vas me manquer quand je
serai partie.
Comme s’il avait compris ses paroles, l’animal émit une sorte de gémissement plaintif. On aurait dit
qu’il ne pouvait pas supporter cette idée.
Mais à bien y réfléchir, lui non plus. Les paroles qu’elle venait de prononcer l’avaient profondément
perturbé.
Mais quel était son problème, au bout du compte ? Ils s’étaient mis d’accord dès le départ, elle
n’avait pas suggéré de changement dans ses plans.
Pour essayer de se reprendre, il se détourna. Fort heureusement, elle était trop occupée à caresser le
bouc pour se rendre compte qu’il se comportait comme un imbécile.
Constatant qu’il ne pouvait pas la regarder sans se crisper, il finit par lui annoncer :
— Comme je suis réveillé, je vais m’occuper des chevaux.
— Je peux t’aider ?
— Non, ça va aller, répondit-il avant de se tourner vers l’écurie.
— Will, attends !
Il dut lutter de toutes ses forces pour ne pas lui crier de le laisser tranquille. Prenant une profonde
inspiration, il se tourna le plus lentement possible.
— Et si tu rentrais nous préparer du café ?
Sans répondre, elle se mordilla la lèvre inférieure. Et à la regarder, il eut envie de mordiller lui-
même cette lèvre, de la prendre dans ses bras, de l’embrasser jusqu’à ce que la tête lui en tourne puis de
la porter dans ses bras pour la ramener dans sa chambre.
Et ne jamais la laisser partir.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? finit-elle par murmurer d’une toute petite voix.
Après avoir pris quelques secondes pour essayer d’apaiser son esprit, il fit de son mieux pour
répondre le plus calmement possible :
— Rien. Je n’en ai pas pour longtemps.
Elle observa son visage. Il connaissait ce regard. Elle ne le croyait pas et ne le lâcherait pas.
— Bon. A tout à l’heure, alors, finit-elle par répondre, à sa grande surprise.
Et elle tourna les talons.
Il resta immobile quelques instants à la regarder s’en aller dans la faible clarté d’avant l’aube. Il
aurait dû se féliciter de ne pas avoir perdu son sang-froid. Mais les félicitations ne sont pas de rigueur
quand on se sent nul sur tous les plans.
Le week-end passa sans qu’il ne commette la moindre idiotie. Le samedi soir, ils dînèrent à
Kalispell avant d’aller voir un film au cinéma. Et quand ils rentrèrent, ils firent l’amour pendant des
heures. Le dimanche soir, ils avaient invité Cece et Nick, Rita et Charles Dalton, ainsi que les Stevalik.
La soirée fut un succès. Il était heureux d’avoir sa famille, ses amis et ses voisins autour de lui,
d’être à un bout de la table de sa salle à manger et de regarder Jordyn, à l’autre bout. Il était heureux de
se dire qu’en cet instant précis, il avait tout ce pour quoi il avait tant lutté depuis le jour où, à l’âge de dix
ans, il avait décidé qu’il serait propriétaire d’un ranch.
Il avait réussi. Il avait ce qu’il avait toujours voulu. Un ranch, une maison. Et, temporairement, il
partageait son rêve avec une femme qui s’était révélée être tout ce qu’il avait toujours voulu avoir sans le
soupçonner. Tout. Et elle était dans sa vie depuis toujours.
Il la regardait bavarder joyeusement avec Cece. Et quand elle passa le plat de légumes à Myron, il
eut une révélation. Il l’avait attendue toute sa vie.
Toute sa vie, il avait espéré ce moment où, quatre semaines plus tôt, l’ayant remarquée devant le
buffet, il s’était senti littéralement attiré par elle. Avant, elle était trop jeune pour lui, qui était de toute
façon trop occupé à bâtir son avenir.
Il avait failli la manquer. Mais le destin les avait réunis et les avait mariés. Et ils étaient désormais
là, mari et femme, assis aux deux bouts de la table dominicale.
Il n’y avait qu’un seul problème. Cela ne durerait pas. Car son rêve à elle n’était pas le sien.
Mais était-ce vraiment important ? Ne pouvait-elle pas réaliser son rêve tout en restant sa femme ?
Après tout, elle avait envie de lui. Depuis le mercredi soir, elle le lui avait prouvé à chacune des
occasions qui s’étaient présentées. Se pouvait-il qu’elle veuille faire de lui son premier et son dernier, le
seul et unique ?
Ils s’entendaient si bien qu’ils avaient l’impression d’avoir toujours vécu ensemble. Et quand ils se
disputaient sur un sujet ou une autre, ils réussissaient toujours à arranger les choses. Ils allaient au fond
du problème et trouvaient un moyen de le résoudre.
Elle était parfaite pour lui.
Et peut-être pensait-elle la même chose de lui. Peut-être, comme lui, était-elle en train de se
demander comment lui expliquer qu’elle ne voulait plus divorcer. Qu’elle voulait que les vœux qu’ils
avaient prononcés et dont aucun ne se souvenait prennent une réelle signification. Et que leur mariage
dure.
Jusqu’à la fin de leurs jours.

* * *

Ce soir-là, quand tout le monde fut parti, il était déterminé à lui dire ce qu’il avait sur le cœur.
Mais elle l’embrassa. Et au lieu de lui dire ses sentiments, il les lui montra.
Le lundi, comme toujours, elle partit travailler. Il se rendit pour sa part à Kalispell afin d’y faire
quelques emplettes. Mais sur le trottoir, devant la supérette, il tomba nez à nez avec Elbert Lutello.
— Comment va votre magnifique épouse ? demanda l’homme en lui serrant la main.
— Très bien, je vous remercie. Elle est toujours aussi merveilleuse, répondit-il sincèrement.
— Et pourtant, mon assistante m’a dit que vous étiez venus chercher des papiers de divorce,
murmura Elbert en fronçant les sourcils.
Surpris, Will resta quelques instants sans rien dire. Le petit homme, tout sourires, reprit la parole :
— Mais elle m’a aussi appris que vous n’étiez jamais venu les rapporter. J’imagine donc que tout se
passe bien pour vous dans votre petit nid d’amour.
— Vous avez raison, Elbert, répondit Will, rassuré. Je suis l’homme le plus heureux du monde.
— Tant mieux. C’était exactement ce que je voulais entendre. Carmen va être ravie.
— Présentez-lui mes amitiés.
— Promis.
Ils se quittèrent en se serrant la main.
Mais avant de quitter Kalispell, Will accomplit un pas supplémentaire vers son rêve d’avenir. Et en
rentrant au ranch, il se jura de tenter sa chance. Le soir venu, il allait faire sa déclaration.
Mais au cours du dîner, elle lui rappela qu’ils devaient se rendre au centre administratif avant la fin
de la semaine pour que l’audience ait lieu avec son départ à Missoula.
D’une voix prudente qui lui fit grincer les dents, elle lui demanda :
— As-tu fini de les remplir ?
Il sentit son estomac se retourner, son cœur s’emballer. Tout à coup, il avait envie de frapper
quelque chose.
— Je m’en occupe, répondit-il d’une voix qui n’avait rien d’aimable.
Et pourtant, elle continua d’insister.
— Je ne voudrais pas te bousculer, Will, mais comme tu le sais, c’est très long. Ça prend beaucoup
de temps.
Ces saletés de documents étaient remplis depuis longtemps. Il aurait dû le lui dire, la rassurer en lui
faisant comprendre qu’il avait fait sa part.
Mais au lieu de cela, fou de rage, il se leva d’un bond.
— Mais tu me bouscules, Jordyn. Tu me harcèles, même. Alors lâche-moi un peu avec ça.
Comme prévu, elle se tut. Pinçant les lèvres, elle le regarda de ses grands yeux pleins de douleur et
de confusion.
Il se sentit aussitôt coupable. Il venait de se comporter comme un mufle.
— Ils seront prêts vendredi. Ça te va ? finit-il par lâcher en s’efforçant d’adopter un ton plus calme
et mesuré.
— Oui, répondit-elle avec un sourire forcé. Je prendrai ma journée pour qu’on y aille vendredi.
Tout était donc terminé. Elle venait de lui faire clairement comprendre qu’elle ne voulait rien
changer à leur plan initial. Il allait donc devoir profiter des moments qui leur restaient puis, le moment
venu, la laisser partir sans se battre.
Un peu plus tard, il s’excusa de lui avoir mal parlé. Elle l’embrassa et lui dit qu’il était pardonné. Il
aurait dû lui expliquer qu’il avait fini de remplir les papiers, mais il s’en abstint. D’une certaine façon, il
ne pouvait se résoudre à lui avouer que tout était prêt pour leur divorce.
Car lui-même n’était pas prêt et ne le serait jamais. Et au fond de lui, il espérait toujours trouver un
moyen de lui dire ce qu’il avait sur le cœur.
Le mardi matin, en allant au courrier, il trouva une grosse enveloppe expédiée par l’université de
Missoula. Il n’eut aucun mal à imaginer ce qu’elle pouvait contenir : informations sur les logements, les
repas, les transports… Bref, tout ce dont elle avait besoin pour commencer sa nouvelle vie.
En rentrant à la maison, il fut pris d’une folle envie de jeter l’enveloppe à la poubelle. Mais ce geste
n’aurait fait que prouver qu’il était un parfait abruti.
Cette enveloppe, c’était une nouvelle étape sur la route de l’accomplissement de son rêve. Et il ne
pouvait en aucun cas s’interposer.
Il finit donc par la déposer sur la table de la cuisine. Puis il alla chercher les papiers du divorce, les
plaça à côté et, le cœur serré, repartit travailler.

* * *

En rentrant du travail, Jordyn aperçut la silhouette de Will près de l’étang. Mais elle détourna
aussitôt le regard pour se concentrer sur la route. Le voir lui rappelait que demain serait le grand jour. Le
jour où ils partiraient à Kalispell pour remettre les papiers du divorce.
A condition, bien sûr, qu’il les ait remplis.
Mais il lui avait promis de le faire. Et il tenait toujours ses promesses. Elle n’avait donc pas besoin
de se tracasser à ce sujet.
Et au pire, qu’arriverait-il ? S’il ne tenait pas sa promesse, eh bien, ils resteraient mariés un peu
plus longtemps.
Rester mariée à Will, c’était exactement ce dont elle avait envie.
Mais pas de cette façon-là. Non, pas comme ça. Elle ne voulait pas rester mariée avec lui
simplement parce qu’il ne s’était pas donné la peine de remplir ces documents.
Elle voulait son amour. Elle voulait qu’il souhaite rester marié avec elle. Et elle voulait qu’il le lui
dise de façon claire et sans équivoque.
Or il ne l’avait pas fait.
Mais elle non plus, à vrai dire.
Et de plus, elle n’avait rien fait pour qu’il comprenne. Elle l’avait harcelé avec les documents à
remplir jusqu’à ce qu’il lui dise qu’il n’en pouvait plus. Quel message avait-il pu en tirer ? Aucun, si ce
n’est qu’elle avait hâte d’en finir avec le contrat qui les liait l’un à l’autre.
Il fallait qu’elle fasse quelque chose. Tout de suite.
Le problème était que…
Et s’il lui disait « Non » ? Et s’il lui disait qu’il l’appréciait beaucoup, qu’il aimait faire l’amour
avec elle, mais qu’il n’avait aucune intention de rester marié avec elle ? Et s’il lui disait qu’il ne
comptait se mettre à la recherche d’une épouse que dans un an ou deux ?
Elle ne pourrait sans doute pas le supporter. Même s’il ne se montrait pas brutal et trouvait un
moyen de lui dire les choses avec gentillesse.
Car peu importait la façon dont il enroberait le message. De toute façon, son cœur serait brisé.
Pouvait-elle prendre le risque ? Le temps lui était compté.
Après s’être garée dans la cour, elle se rendit dans la cuisine. Le courrier de l’université était
arrivé. Et, à côté de l’enveloppe, Will avait placé un tas de documents.
Il lui fallut un moment pour comprendre de quoi il s’agissait, car tout à coup ses yeux s’emplirent de
larmes et tout devint flou. Mais quand elle se fut essuyé les yeux du revers de main, elle n’eut plus d’autre
choix que de regarder la réalité en face : ces documents, c’étaient les papiers du divorce.
Ses mains tremblèrent quand elle les prit pour les passer rapidement en revue. Il avait rempli toutes
les lignes.
Toutes les lignes !
Les yeux toujours rivés sur les documents, elle se laissa tomber sur une chaise. Elle aurait voulu
pouvoir les jeter à la poubelle, les déchirer en mille morceaux, les réduire en cendres.
Mais c’était ridicule. Elle était ridicule.
Ce n’était pas la faute de ces documents s’il ne voulait pas rester marié avec elle.
Mais de toute façon, comment pouvait-elle savoir ce qu’il voulait ? Lui avait-elle posé la question ?
Etait-elle allée le trouver pour lui dire honnêtement ce qu’elle voulait ?
Non.
Parce qu’elle était lâche. Ridiculement lâche. Et il fallait que cela cesse.
D’un bond, elle se leva et passa la porte, qu’elle claqua violemment derrière elle. Dans leur petite
prairie, les chèvres l’entendirent, et le bouc se mit à pleurer comme un bébé. L’espace d’une seconde,
elle fut tentée d’aller le caresser, de vérifier comment se portait le chevreau, d’entrer dans la grange pour
voir comment grandissaient les chatons.
Mais non. Elle ne pouvait pas se laisser distraire de son objectif. Le bouc et les petits devraient
attendre. Elle irait les voir plus tard.
D’un pas déterminé, elle se dirigea vers l’étang. Enjambant des clôtures et ignorant les vaches qui
relevaient la tête pour la regarder passer, elle se dirigea vers le sommet de la colline.
Une fois en haut, la main en visière sur les yeux, elle fit un tour sur elle-même et finit par le repérer.
Il était en contrebas, dans un bourbier, occupé à tirer sur une corde pour essayer de dégager une
génisse qui semblait refuser d’avancer. Will et l’animal étaient couverts de boue.
Sans réfléchir, elle descendit la pente en courant. Il fallait qu’elle lui dise ce qu’elle avait sur le
cœur, qu’elle tire les choses au clair entre eux, peu importaient les conséquences. Comme il lui tournait le
dos, il ne pouvait la voir arriver.
Elle s’arrêta à dix mètres environ du bourbier, le souffle court, le cœur battant à tout rompre. Il
fallait tout de même qu’elle lui laisse le temps d’achever la tâche difficile qu’il était en train d’accomplir.
Plaçant une main sur sa bouche pour ne pas le distraire, elle le regarda traîner le veau à moitié embourbé,
qui le regardait à travers ses yeux mi-clos, pleins d’espoir et de fatigue.
Il était presque arrivé à extraire l’animal de la flaque, quand les genoux de celui-ci cédèrent. Il
s’effondra bruyamment dans la boue.
Il fallait qu’elle se bouge. Elle ne pouvait pas rester les bras ballants.
— Tu veux que je t’aide ? demanda-t-elle. Je peux attraper sa queue ?
Manifestement surpris, il tourna la tête vers elle.
— Jordyn ? Depuis combien de temps es-tu là ?
— Trop longtemps. J’attrape sa queue.
Elle avait à peine fait trois pas qu’il l’intercepta de sa main gantée.
— Non, fit-il en regardant son jean propre et ses bottes de ville. Tu n’as même pas de gants.
A ce moment-là, la petite vache, dans un mugissement d’effort, se redressa. Will se remit à tirer sur
la corde.
La génisse fit quatre pas et se retrouva hors du bourbier.
— Là, ma fille, la réconforta-t-il en s’approchant pour détacher la corde.
La petite vache laissa échapper un mugissement qui ressemblait à un cri de fatigue.
Jordyn sentit son cœur se gonfler. Elle ne pouvait plus attendre une minute de plus.
— Will Clifton, commença-t-elle en replaçant sa main en visière au-dessus de ses yeux, j’ai vu les
papiers du divorce que tu as laissés sur la table et je regrette de t’avoir harcelé pour que tu les
remplisses. C’était lâche de ma part. Parce que la vérité, c’est que je ne voulais absolument pas que tu les
remplisses. J’adore ce ranch, Will. J’adore notre vie ensemble. J’adore les chèvres, les chats, les poules.
Et même cette petite vache pleine de boue que tu viens de sortir de là. J’adore mon travail, Rust Creek
Falls et tous les amis que j’ai ici. Alors, dans l’éventualité où tu ressentirais la même chose que moi, je
préférerais ne pas aller à Missoula. Je peux tout aussi bien continuer à suivre mes cours en ligne. Et…
Etait-elle vraiment en train de tenir ce discours ? Dans ce contexte ?
Oui, apparemment.
A genoux dans l’herbe, couvert de boue, Will, qui avait toujours son bras autour du cou de la vache,
la regardait dans l’ombre de son chapeau. Sans rien dire.
Essayait-il de trouver un moyen gentil de la repousser ?
Elle hésita, puis se reprit. Non, il était hors de question qu’elle recule maintenant.
S’il ne ressentait pas la même chose, elle assumerait, tant pis. Mais elle en avait assez de dissimuler
ses véritables sentiments, de prétendre qu’elle voulait partir alors qu’elle n’avait envie que de rester.
Elle allait prendre un risque, suivre son cœur. Et elle allait le faire maintenant.
Elle redressa les épaules, releva le menton.
— S’il te plaît, Will. Je t’aime. Pourrais-tu réfléchir à l’idée de rester marié avec moi ?

* * *

Sous le coup de la surprise et du soulagement, Will sentit ses genoux vaciller. Il dut s’accrocher au
cou de la vache.
Jordyn l’aimait.
Elle voulait rester avec lui.
Machinalement, il détacha la corde du cou de la génisse. La petite vache trébucha une ou deux fois,
mais elle ne tarda pas à repartir en trottinant joyeusement vers l’herbe verte.
Jordyn n’avait pas bougé. Curieusement immobile, elle continuait de le regarder en se mordillant la
lèvre inférieure, protégée par l’ombre de sa main.
Sans réfléchir, il retira son chapeau et ses gants, et les laissa tomber dans la boue.
— Jordyn, dit-il.
Son corps et son cœur étaient si pleins d’elle qu’il ne pouvait en dire plus pour le moment. Il n’y
avait que son nom. Son nom qui était tout.
— Oui ?
Elle laissa ses mains retomber sur ses cuisses. Il pouvait désormais voir ses yeux, qui étaient emplis
de larmes.
— Ma chérie, ne pleure pas.
— Will, fit-elle, avant d’éclater en sanglots.
Bouleversé, il s’approcha d’elle, la prit dans ses bras.
— Je vais te mettre de la boue partout, balbutia-t-il, confus.
Elle releva la tête vers lui. Elle avait les joues humides de larmes et une petite tache de boue sur le
menton.
— De la boue ? Tu sais, c’est le cadet de mes soucis.
Ses mains étant à peu près propres, il essuya les larmes à l’aide de son pouce. Puis il l’embrassa. Et
il mit tout ce qu’il avait dans ce baiser. Son cœur, ses rêves, tout son amour.
— Je t’aime aussi, Jordyn Leigh, dit-il en relevant la tête. Et ce que je souhaite, c’est exactement la
même chose que toi : que tu restes ici, au Flying C, et que tu sois ma femme jusqu’à la fin de mes jours.
— C’est vrai ? Tu es sûr ?
— Certain. C’est de ça dont j’ai envie, plus que tout au monde.
Il pencha la tête pour l’embrasser à nouveau. Mais juste au moment où ses lèvres rencontrèrent les
siennes, elle laissa échapper un petit cri.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il, inquiet.
Du plat de la main, elle poussa sur sa poitrine pour l’écarter.
— Dis-moi la vérité, Will. Tu es vraiment sûr ?
Ses bras étaient désormais vides, et il ressentait son absence comme une douleur.
— Ecoute, Jordyn. Je viens de te le dire.
Les bras de chaque côté de son corps, elle releva la tête vers le ciel bleu.
— Will, je te connais. Je sais que tu es un garçon bien. Et du coup, je ne peux m’empêcher de me
demander si tu as accepté par noblesse, parce que c’est ce dont moi j’ai envie et parce que tu crois au
caractère sacré des vœux que nous avons prononcés, même si nous ne nous en souvenons pas. J’ai peur
que tu n’acceptes de rester avec moi que parce que c’est la chose la plus honorable à faire.
Il l’aimait. Mais là, il avait bien envie de l’étrangler.
— Rien de tout ce que tu viens de dire n’est vrai.
— Mais tu ne peux pas me reprocher d’avoir essayé de savoir, marmonna-t-elle en reniflant. Tu
comprends, il faut que j’en sois certaine.
Il prit quelques instants pour réfléchir.
— Bon, finit-il par dire. Viens.
— Mais, Will…
— Chut, Jordyn, plus un mot, lui intima-t-il en plaçant son index sur ses lèvres.
Tout en lui prenant la main, il se mit à marcher en direction de la maison. Elle se laissa faire sans
rien dire. Quand, quelques minutes de silence plus tard, ils arrivèrent près du corps de ferme, le bouc, en
les voyant arriver, se mit à pleurer.
— Tais-toi ! lui cria-t-il.
Et, étonnamment, le petit animal obéit.
Il ne prit pas la peine de retirer ses bottes pleines de boue pour entrer dans la maison. Il passa
directement la porte puis traversa la cuisine et le hall pour la conduire dans son bureau.
— Reste là, ordonna-il quand ils furent près de la fenêtre. Ne bouge pas.
Elle le regarda d’un air perplexe, les yeux grands ouverts. Mais elle ne chercha pas à protester.
Tâchant de ne pas trop penser à ce regard perdu, il ouvrit le tiroir de son bureau et en tira la petite
boîte tapissée de velours qu’il y avait glissée. Ses doigts lui paraissaient curieusement gauches et gourds,
mais il réussit tout de même à l’ouvrir. Et à en extirper les deux bagues qu’elle contenait.
Quand elle les vit, elle ouvrit grand la bouche, mais aucun son ne s’échappa de sa gorge.
— Donne-moi ta main, dit-il en posant un genou au sol.
De nouveau, ses yeux s’emplirent de larmes. Mais il la connaissait désormais assez bien pour
distinguer les larmes de joie de celles qui trahissaient de la tristesse.
Quand elle lui tendit la main, il retira de son doigt l’alliance bon marché qu’elle portait depuis ce
matin à Kalispell où ils avaient fait le projet de divorcer. Et à la place, il glissa la bague de fiançailles
sertie de diamants et l’alliance de platine assortie.
— Will, murmura-t-elle.
Et ce fut suffisant. Rien qu’au son de sa voix, il avait compris qu’elle le croyait enfin.
— J’ai vu Elbert Lutello en ville, lundi.
— Non !
— Si.
— Et qu’a-t-il dit ?
— Qu’il savait que nous avions demandé des documents pour divorcer. Mais qu’il avait ensuite
deviné que nous avions décidé de rester ensemble puisque nous n’avions pas rapporté les papiers. Il a dit
que sa femme serait ravie d’apprendre que nous étions heureux.
Elle baissa vers lui des yeux pleins de tendresse.
— Je t’aime, Will.
Emu, il ravala sa salive avec peine.
— Après avoir rencontré Elbert, je suis allé à la bijouterie la plus proche et j’ai acheté ça pour toi.
— Lundi ? fit-elle d’un air sidéré. Tu as fait ça lundi, et je ne me suis doutée de rien ?
— Cela fait des jours, maintenant, que j’essaie de trouver un moyen de te demander de rester avec
moi, de rester ma femme jusqu’à ce que la mort nous sépare. Je veux la même chose que toi, Jordyn. Tu es
la femme de ma vie. Et je pense que tu l’as toujours été. Dès la seconde où je t’ai vue, au mariage, dans ta
robe de cocktail bleu nuit, j’ai compris que quelque chose de magique allait se passer entre nous.
Ses joues étaient roses de plaisir.
— Mais je pense que le punch a aussi joué un rôle, ajouta-t-elle d’un air taquin. Ainsi que ces
romantiques de Lutello.
— Un peu, peut-être. Mais je te jure sur ma vie, Jordyn, qu’au bout du compte, le résultat aurait été
le même. Peu m’importe la façon dont c’est arrivé. L’essentiel, c’est que cela soit arrivé. Mais je ne
voulais pas t’empêcher de réaliser tes rêves.
— Ce n’est pas le cas. Mon rêve, c’est ça. Toi et moi, ensemble, ici, au ranch. Oui, je veux
décrocher mon diplôme. Et je vais l’obtenir. Mais je n’ai pas besoin de partir à Missoula pour ça. Si je
voulais quitter la ville, c’était surtout parce que je pensais avoir besoin d’un nouveau départ. Et puis je
me suis réveillée mariée avec toi. Et notre relation s’est révélée en fait le nouveau départ dont j’avais
besoin. Donc, je ne partirai pas. Je reste ici. Avec toi.
— Jordyn, murmura-t-il en se redressant.
Tendrement, elle plaça les mains sur ses épaules.
— Quand je pense que je t’ai littéralement harcelé avec ces papiers ! J’ai été tellement lâche. Je me
disais qu’en faisant pression sur toi, je finirais par t’amener à craquer, à me déclarer ton amour…
— Ces papiers étaient prêts depuis des semaines, avoua-t-il.
— Non ?
— Si. Mais j’ai refusé de te l’avouer. Je tergiversais, j’essayais de trouver le bon moment. Mais
lundi soir, juste quand j’allais me décider, tu as remis cette histoire de papiers sur la table. Et j’ai pris ça
comme une preuve de ton désir de partir. Et par conséquent, je me suis dégonflé.
— On a été tellement bêtes, tous les deux.
— Mais on ne l’est plus, répliqua-t-il en relevant doucement son menton du bout des doigts.
N’y tenant plus, il prit sa bouche avec passion tout en la serrant fort dans ses bras.
Elle se mit à rire contre ses lèvres puis lui rendit son baiser tandis qu’il la portait dans ses bras et
traversait la maison pour l’emmener jusqu’à la salle de bains. Il avait envie de prendre une douche avec
elle pour se débarrasser de toute cette boue.
Mais, naturellement, ils ne firent pas que se laver.
De la salle de bains, il la conduisit jusqu’à sa chambre, leur chambre, où ils célébrèrent comme il se
devait la fin de leur projet de divorce et le début du reste de leur vie.

* * *

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TITRE ORIGINAL : THE M AVERICK’S ACCIDENTAL BRIDE
Traduction française : M URIEL LEVET
© 2015, Harlequin Books S.A. © 2016, Harlequin.

Tous droits réservés, y compris le droit de reproduction de tout ou partie de l’ouvrage, sous quelque forme que ce soit. Ce livre est publié avec l’autorisation de
HARLEQUIN BOOKS S.A. Cette œuvre est une œuvre de fiction. Les noms propres, les personnages, les lieux, les intrigues, sont soit le fruit de l’imagination
de l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, des
événements ou des lieux, serait une pure coïncidence. HARLEQUIN, ainsi que H et le logo en forme de losange, appartiennent à Harlequin Enterprises Limited
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