Vous êtes sur la page 1sur 87

NUMÉRO 05

NUMÉRO 05

LE DERNIER
JARDINIER DE LA
FORÊT DU RISOUD
L’HISTOIRE Sur les traces de l’arbre à résonance

DE BLANCPAIN TOUTE LA MAJESTÉ


DU GESTE
L’art séculaire de la gravure,
2008

270 ans d’essais, d’épreuves et d’exploits bien vivant chez Blancpain


Fifty Fathoms Tourbillon
(réf. 5025-3630-52)

WWW.BLANCPAIN.COM
2008
EDITORIAL
| 01

CHER AMATEUR D’HORLOGERIE :


J’ai le plaisir de vous présenter le cinquième numéro

des Lettres du Brassus.

Dans chacune des précédentes éditions des Lettres du

Brassus, notre article principal était consacré à un sujet

d’actualité pour Blancpain. Aujourd’hui, nous dérogeons

à ce principe pour jeter un regard rétrospectif sur notre

manufacture. Nous avons eu la chance de rencontrer

Jean-Jacques Fiechter, directeur général de Blancpain de

1950 à 1980. Au cours de passionnantes conversations, il nous a fait part de nombreuses

informations sur notre patrimoine, issues de son expérience personnelle comme de ses

minutieuses recherches. Fascinés par l’étendue de ses connaissances, nous avons souhaité

les partager avec les connaisseurs et amateurs de Blancpain. C’est donc avec un grand

plaisir que je vous invite, dans ce numéro, à découvrir l’histoire de notre marque ainsi que

de nombreux articles intéressants et divertissants.

Je vous souhaite une agréable lecture !

Marc A. Hayek
Président de Blancpain
À LA UNE

L’HISTOIRE DE BLANCPAIN
270 ANS D’ESSAIS,
D’ÉPREUVES ET D’EXPLOITS

04

LE DERNIER JARDINIER
DE LA FORÊT DU RISOUD
SUR LES TRACES DE
L’ARBRE À RÉSONANCE

14

CHAMPAGNE
DES CHAMPAGNES AUTHENTIQUES QUI
EXALTENT LE CÉPAGE ET LE TERROIR

34

TOUTE LA MAJESTÉ
DU GESTE
L’ART SÉCULAIRE DE LA GRAVURE,
BIEN VIVANT CHEZ BLANCPAIN

62
02 | 03

SOMMAIRE

D A N S L’ A I R D U T E M P S L’HISTOIRE DE BLANCPAIN page 04


ART DE VIVRE LORENZO, LE DERNIER
JARDINIER DU RISOUD page 14
D A N S L’ A I R D U T E M P S À LA RENCONTRE D’UNE
FORCE IRRÉSISTIBLE page 26
ART DE VIVRE CHAMPAGNE page 34
GROS PLAN PRÉCIEUSE TRIADE
LA MAJESTÉ DU GESTE page 44
ART DE VIVRE PHILIPPE CHEVRIER,
L’ARCHITECTE DE LA CUISINE page 54
D A N S L’ A I R D U T E M P S CREVETTE GÉANTE page 62
ART DE VIVRE L’ART SECRET DU
CHOCOLAT SUISSE page 70
NOUVELLES MORCEAUX CHOISIS DE
L’UNIVERS BLANCPAIN page 82
IMPRESSUM page 84

EN COUVERTURE :
La forêt du Risoud, près du Brassus,
d’où provient l’arbre à résonance.
DANS L’ A I R DU TEMPS

U ne certaine appréhension se fait im-


manquablement jour au moment de
se lancer dans la rédaction d’un article qui
Jacques Blancpain, puisque c’est de lui dont il
s’agit, y avait fondé un établissement dont la
taille semble bien modeste par rapport aux
doute pas célébrées 270 ans plus tard si son
cheptel avait retenu l’essentiel de son atten-
tion. Ultérieurement, Jehan-Jacques ajouta
porte un titre aussi solennel que l’histoire de normes actuelles. L’atelier occupait le premier une quatrième occupation à son curriculum
Blancpain ou de toute autre rétrospective étage de la ferme familiale alors que le rez-de- vitae en devenant maire de la commune.
historique d’ailleurs. Si le résultat ne possède chaussée servait de gîte au bétail et aux che- À ce point de notre récit, il convient d’ap-
pas l’ambition de se comparer par son vaux. De manière étonnante, cet édifice porter certaines explications qui peuvent s’ap-
exhaustivité à l’Ascension et la chute de construit en 1636 et utilisé dans un premier parenter à un aveu. Depuis le début des
l’Empire romain, l’exercice peut dès lors temps comme relais de poste se dresse tou- années 1980, Blancpain a fréquemment
s’apparenter à une sorte de défi intellectuel. jours de nos jours. La demeure de Jehan- rendu hommage à sa fondation par Jehan-
À la bonne heure, des sentiers bien tracés Jacques réunissait de manière stratégique trois Jacques Blancpain en 1735, car cette date
permettent de rendre la tâche plus légère. confère à Blancpain le titre de plus ancienne
Pour autant que nous ne tentions pas d’en marque horlogère au monde. Cependant, la
faire trop, de parader, de prêcher ou de tirer du commémoration de cette noble origine s’est
passé d’improbables enseignements pour souvent accompagnée de l’effigie d’un gentil-
l’avenir, il est possible de rendre à l’exploration homme barbu présenté comme étant Jehan-
sa qualité première, celle d’un amusement. En Jacques Blancpain. En réalité, ce portrait est
fin de compte, Oscar Wilde n’était pas loin de bien celui d’un membre de la famille
la vérité lorsqu’il prétendait : « L’histoire n’est Blancpain, mais non celui de Jehan-Jacques,
que commérages ». Aussi, abandonnez l’illu- sinon de Frédéric-Émile Blancpain qui vécut un
sion de vouloir apprendre du passé, fiez-vous métiers dans une proximité très agréable, l’éle- siècle et demi plus tard. Un certain soulage-
au conseil de Bernard Shaw selon lequel vage d’animaux en bas, l’horlogerie en haut et ment préside à la découverte de cette erreur.
« l’histoire nous enseigne que l’on n’apprend l’école cinquante mètres plus bas sur la route. En effet, si elle n’avait été corrigée, le sujet de
jamais rien de l’histoire » et savourez ce récit Toutefois, il semble que nous puissions serei- la peinture serait devenu sur-le-champ l’une
comme un voyageur parti à la découverte dans nement affirmer que Jehan-Jacques se consi- des personnalités les plus avant-gardistes de
des temps et des lieux différents, propices à dérait avant tout comme un horloger, car il toute l’histoire, puisqu’il aurait arboré des
composer le cadre d’un roman ou d’un conte. avait fait figurer cette profession dans les vêtements qui n’étaient destinés à faire leur
Ainsi, il était une fois dans le village de registres du village. Ce détail ne revêt pas apparition qu’un bon siècle plus tard.
Villeret, au cœur du Jura suisse, un maître qu’une signification marginale. Selon toute La date de 1735 mérite également un exa-
d’école qui était devenu horloger. Jehan- vraisemblance, ses activités ne seraient sans men attentif. Selon toute probabilité, Jehan-

L’HISTOIRE
VILLERET AUJOURD’HUI. CI-DESSUS, L’ANCIENNE MAISON FAMILIALE DE BLANCPAIN.
04 | 05

DE BLANCPAIN
PAR JEFFREY S. KINGSTON
DANS L’ A I R DU TEMPS

Jacques débuta son activité d’horloger avant même mode de production que ses confrères des frontières suisses et se rendit
1735. Cette année est cependant attestée établis dans la commune de Villeret, à savoir dans les grands centres économi-
par l’inscription de Jehan-Jacques au titre sous la forme d’une entreprise familiale. À ques européens afin de vendre
d’horloger dans un registre officiel de pro- cette époque, il était habituel que les époux les montres de la famille
priété de la commune de Villeret. Pour pou- travaillent de concert à la fabrication de mon- Blancpain dotées d’un échap-
voir se définir comme horloger à ce mo- tres. Les hommes se consacraient générale- pement à « roue de rencon-
ment, il avait probablement exercé cet art ment à découper et à former les platines et tre ». Chaque année jusqu’à
depuis un certain temps déjà. les ponts, à façonner les roues et les pignons, l’occupation de Villeret par
Blancpain peut donc légitimement affirmer à régler la marche et à emboîter les mouve- la France en 1798, un mem-
être la plus ancienne marque horlogère au ments. Pour leur part, les femmes étaient bre de la famille effectuait
monde. Même si Jehan-Jacques ne fut pas le spécialisées dans la finition et se vouaient au ce voyage d’affaires.
premier horloger de l’histoire, car le métier se polissage et à la décoration des pièces. Quelques années plus tard,
pratiquait déjà depuis plusieurs centaines D’autres membres de la famille s’engagè- les guerres napoléoniennes
d’années, la marque qu’il a fondée est rent bientôt dans la production de montres. provoquèrent des ravages sur
constamment restée en activité depuis 1735 Isaac, le fils de Jehan-Jacques, qui suivit les le commerce familial. Même si
au moins jusqu’à nos jours. Et même si nous traces de son père en embrassant également les Blancpain parvinrent à mainte-
avons une longue épopée à parcourir avant de la profession de maître d’école, fut bientôt nir un certain degré de continuité
parvenir aux années 1980, il importe d’appor- rejoint par une cohorte d’oncles et de tan- pendant ces années de conflit, les jeunes
ter d’ores et déjà une nouvelle précision. Au tes, tous horlogers. hommes de la famille furent appelés à servir
début de la décennie 1980, diverses versions Les Blancpain respectaient une coutume de sous les armes, à commencer par Frédéric-
circulaient – Blancpain n’existait plus, la mar- Villeret selon laquelle il passait pour arrogant Louis Blancpain, qui augmenterait ultérieure-
que avait fait faillite ou avait cessé toute et peu avisé d’un point de vue commercial de ment la taille de l’entreprise horlogère de
activité – pour conférer à Blancpain l’aura faire figurer un nom sur une montre. Ils se manière considérable, et Henri Blancpain,
d’un phénix qui renaissait de ses cendres. contentaient donc de vendre leur production engagé volontaire. Une liste de conscrits éta-
Cependant, aucune de ces affirmations ne sans désignation particulière. La discrétion qui blie en 1806 illustre à quel point l’horlogerie
correspondait à la vérité. Au fur et à mesure caractérisait leurs méthodes de distribution constituait une activité vitale pour l’économie
de la poursuite de notre récit, nous constate- nous prive virtuellement de tout témoignage de Villeret et combien la guerre l’avait fragi-
rons qu’une continuité, sous une forme ou de leurs premières réalisations. Le seul vestige lisée. Sur les 78 recrues enrôlées cette année,
une autre, a toujours existé depuis sa profes- des créations réalisées par la famille Blancpain 46 étaient des horlogers et 5 des graveurs
sion de foi d’horloger en 1735 jusqu’à nos avant l’année 1800 a été découvert sur la face pour 8 paysans et 8 employés aux écritures.
jours. De ce fait, Jehan-Jacques est bien le fon- interne du fond d’une montre ayant appar- À son retour au pays en 1815, Frédéric-
dateur d’un établissement qui est désormais la tenu à Louis XVI, qui portait l’inscription Louis Blancpain imprima un nouvel élan au
plus ancienne marque d’horlogerie au monde. « Blancpain et fils ». Malgré l’absence de piè- travail de l’atelier. Il modernisa la forme de
Nous pouvons raisonnablement supposer ces signées de cette époque, il est avéré que l’échappement et remplaça le dispositif à roue
que Jehan-Jacques Blancpain avait choisi le David-Louis Blancpain jeta son regard au-delà de rencontre par un échappement à cylindre.

VILLERET VERS 1850.


06 | 07

Montre de poche Blancpain


avec échappement à cylindre.

L’ATELIER ORIGINAL DE JEHAN-JACQUES BLANCPAIN (« LA FERME »).


DANS L’ A I R DU TEMPS

Frédéric-Louis lança également une ten-


dance qui se poursuit encore de nos jours, LO
près de deux siècles plus tard, en dévelop-
pant des mouvements ultraplats pour ses CT
montres de style Lépine (les calibres Lépine se
caractérisent par la présence de la couronne à NU
12 heures avec la petite seconde en ligne à 6
heures; à cette époque cependant, le méca- UT
nisme était remonté à l’aide d’une clé). Il
innova dans la production et introduisit la fabri-
cation en série dans les ateliers de l’entreprise.
Hélas, Frédéric-Louis avait payé un lourd
Ci-dessus, le mouvement tribut à la guerre et sa santé déclinante le
Rolls de Blancpain ;
ci-dessous, le mouvement contraignit à remettre en 1830 la maison
Ladybird de Blancpain. dans les mains de son fils, Frédéric-Émile, qui
n’avait alors que 19 ans. Afin de souligner ce
changement de génération, Frédéric-Émile
résolut d’omettre la mention de son pre-
mier prénom dans le cadre de son acti-
vité professionnelle et adopta la raison
sociale Fabrique d’horlogerie Émile
Blancpain. Bénéficiant de l’expérience
de son père qui, malgré sa santé chan-
celante, travailla à ses côtés pendant
plus de 13 ans, Émile rencontra un
succès remarquable et fit de son
entreprise d’horlogerie la plus grande
et la plus prospère de Villeret.
Il n’introduisit pas seulement
l’échappement à ancre, la construction
employée de nos jours dans presque
toutes les montres suisses, mais se spécia-
lisa également dans les montres pour dames
qui devinrent une particularité de Blancpain
pendant plus d’un siècle. Il renouvela de fond

LA FABRIQUE BLANCPAIN VERS 1920.


08 | 09

en comble les méthodes de fabrication et la méthode plus moderne qui permettait de nelle de Jehan-Jacques, Blancpain édifia une
REM décupla
IPSUM DOLORla SIT
littéralement AMET,
production CONSE
des ate- remonter le mouvement et de régler l’heure nouvelle usine de deux étages, qui utilisait
liers par l’instauration d’une ligne de fabrica- par l’entremise de la couronne. Toutefois, le pour la première fois l’eau de la rivière Suze
ETUER
tionADIPISCING ELIT, SED
moderne qui répartissait DIAMNO
l’assemblage défi le plus difficile à surmonter fut sans pour produire de l’électricité.
des montres en divers éléments confiés à dif- conteste la férocité de l’environnement com- La carrière de Frédéric-Émile Blancpain
UMMYférents
NIBH EUISMOD
horlogers. TINCIDUNT mercial. En 1860, le prix moyen d’une montre
Il existe incontestablement s’étendit jusqu’en 1932. À partir de 1915, il
une ironie certaine dans ce progrès accompli pour homme en argent doté d’un échappe- put compter sur Betty Fiechter, qui l’assista
TLAORET DOLORE
par Émile, car un siècleMAGNA ALIQUA.
et demi plus tard, la ment à cylindre s’établissait à 50 francs. Au dans la gestion de l’entreprise. Entre 1915 et
manufacture Blancpain contemporaine est cours des quarante années suivantes, ce prix 1928, Frédéric-Émile prépara Betty à occuper
revenue aux sources d’une tradition plus serait divisé par cinq pour ne s’élever plus qu’à le poste de directrice et à surveiller l’ensemble
ancienne et se distingue du reste de l’indus- 10 francs. Même s’il est certain que cette de la production pour Blancpain. L’usage que
trie par son refus des méthodes de produc- observation ne suscitera aucune commiséra- Frédéric-Émile faisait du dictaphone, une
tion en série au bénéfice d’un assemblage tion de toute personne en relation avec l’infor- remarquable invention de l’époque, témoi-
manuel, effectué du début à la fin par un matique contemporaine où les prix de la puis- gnait de sa passion pour la technologie et
même professionnel, ou selon l’expression en sance et de la capacité peuvent être réduits de son approche progressiste du manage-
usage chez Blancpain par « un seul et même par cent en moins de cinq ans, cette baisse ment. Comme il séjournait de préférence à
horloger qui réalise une montre de A à Z ». drastique toucha de plein fouet l’industrie hor- Lausanne plutôt qu’à Villeret, il gravait ses
La réussite n’accompagna pas unique- logère de Villeret. Sur la vingtaine de compa- pensées sur les rouleaux de cire de la machine
ment Frédéric-Émile dans sa vie profession- gnies qui existaient au moment où Jules-Émile avant de les confier à la poste, dans la parfaite
nelle car ce fut également un père de famille et Paul-Alcide Blancpain reprirent l’entreprise, certitude que ses ordres seraient bientôt exé-
comblé. Ses huit enfants, cinq fils et trois fil- seules trois, hormis Blancpain, étaient encore cutés. S’il avait vécu 70 ans plus tard, il ne fait
les, embrassèrent tous le métier d’horloger. en activité à l’orée du XXe siècle. aucun doute qu’il aurait figuré au premier
Au moment de son décès prématuré en Si Blancpain parvint à survivre au cours de rang des fanatiques de BlackBerry.
1857, à l’âge de 46 ans, trois de ses enfants, cette période où l’industrie fut presque Se reposant sur les rouleaux de cire qui
Jules-Émile, Nestor et Paul-Alcide, reprirent anéantie, elle le doit à une décision avisée de allaient et venaient de Lausanne à Villeret et
les rênes de la maison Blancpain. Jules-Émile qui résolut de se spécialiser dans accordant sa pleine confiance aux talents de
En 1865, Jules-Émile et Paul-Alcide s’asso- les montres haut de gamme dotées d’échap- directrice de Betty Fiechter, Frédéric-Émile se
cièrent pour acquérir la totalité de l’entre- pements à ancre. À la suite du départ de son consacra à étendre les marchés de Blancpain
prise. Ils ne le savaient pas, mais il leur in- frère Paul-Alcide, qui quitta l’établissement et à concevoir des mouvements destinés
comberait de veiller à la destinée de Blanc- familial pour embrasser une carrière de bras- à battre des records. Pour la première fois,
pain au cours d’une période caractérisée par seur à Fribourg, Jules-Émile, désormais rejoint Blancpain regardait de l’autre côté de
de gigantesques changements techniques et par son fils Frédéric-Émile (qu’il importe de ne l’Atlantique et envoya son directeur com-
la pression exacerbée de la concurrence. Du pas confondre avec son grand-père qui por- mercial, André Léal, aux États-Unis.
point de vue horloger, le remontage à l’aide tait les mêmes prénoms), poursuivit sa quête Sous l’angle des mouvements, Frédéric-
d’une clé tomba en désuétude, remplacé par de la modernité. Devant la ferme tradition- Émile était particulièrement fasciné par les
XY BLANCPAIN

JULES-ÉMILE BLANCPAIN. FRÉDÉRIC-ÉMILE BLANCPAIN.


DANS L’ A I R DU TEMPS

défis posés par le remontage automatique. En L’ingénieuse solution retenue consistait à Une lettre touchante témoigne du trans-
1926, il fit la connaissance d’un horloger bri- placer l’ensemble du mouvement sur une fert de Blancpain à Betty Fiechter, après être
tannique, John Harwood, qui vouait ses cage qui lui permettait de coulisser d’avant demeurée deux cents ans dans les mains de
efforts à concevoir un dispositif automatique, en arrière afin d’armer de cette manière le la famille fondatrice. Nellie, la fille de Frédéric-
qui n’existait alors que dans les montres de ressort-moteur. Pour faciliter ce glissement, Émile, écrivit à Betty :
poche, pour les montres-bracelets. Par un tra- des roulements à billes avaient été insérés « La fin de Villeret pour Papa apporte une
vail commun, qui avait pris comme point de entre le mécanisme et la cage. La Rolls, un véritable tristesse, mais je peux vous assurer
départ l’un des calibres de base de Blancpain, nom inventé par Blancpain à des fins com- que la seule solution qui peut véritablement
ils réussirent cette année à réaliser la première merciales, inscrivit ainsi un record mondial et alléger ma tristesse est de savoir que vous
montre-bracelet à remontage automatique. mérita amplement de figurer dans les anna- reprenez la manufacture avec M. Léal. Grâce
Étonnante pour l’époque, la montre Blancpain- les de l’horlogerie au titre de première mon- à cette heureuse solution, je peux voir que
Harwood se caractérisait par la présence d’un tre-bracelet automatique pour dame. les traditions de notre précieux passé seront
épais rotor de remontage décentré à l’extré- La salve des succès remportés par Frédéric- poursuivies et respectées sous toutes leurs
mité du mouvement, qui se déplaçait d’avant Émile s’acheva tragiquement avec sa mort formes.
en arrière dans sa course sur un arc de 180 soudaine survenue en 1932. Simultanément, Vous étiez pour Papa une collaboratrice
degrés. Même si le lancement du premier sys- le nom de famille Blancpain disparut, en l’ab- unique et appréciée. Une fois encore, per-
tème automatique pour montre-bracelet fit de sence d’héritier mâle. Il existait cependant des mettez-moi de vous remercier de votre
cette création l’une des vedettes de la foire de mains capables de reprendre la maison grande et durable tendresse, dont je vous
Bâle de cette année, l’innovation ne s’est pas Blancpain, celles de Betty Fiechter, qui racheta remercie et que j’emporte dans mon cœur. »
arrêtée en si bon chemin. Pour combattre la avec le directeur commercial André Léal Les premiers temps ne furent pas faciles
poussière, le terrible ennemi des mécanismes l’entreprise en juin 1933, en la rebaptisant pour Betty Fiechter. La grande dépression,
horlogers avant l’invention des joints actuelle- Rayville-Blancpain, le premier terme étant une qui n’épargna pas l’industrie horlogère
ment en usage, les inventeurs n’avaient pas anagramme phonétique de Villeret. En raison suisse, provoqua de nombreuses faillites et
hésité à supprimer la couronne qu’ils avaient d’une singularité de la loi suisse, ce change- un chômage massif. La solution de Blancpain
remplacée par un système de réglage de ment de nom n’était aucunement facultatif. fut de chercher refuge aux États-Unis qui, au
l’heure fondé sur la rotation de la lunette. Comme aucun membre de la famille milieu des années 1930, se portaient nota-
La seconde incursion de Frédéric dans le Blancpain ne restait associé à l’entreprise, les blement mieux que les marchés européens.
remontage automatique se produisit quel- nouveaux propriétaires avaient l’obligation Betty Fiechter décida donc de l’approvision-
ques années plus tard, en 1930, avec la pré- d’en modifier la raison sociale officielle (cette ner en mouvements. Rapidement, Blancpain
sentation de la montre pour dame Rolls. Une disposition donna naissance au fil du temps à devint un des principaux fournisseurs des
fois encore par la collaboration avec des spé- de curieuses contorsions, dont celle d’une marques Gruen, Elgin et Hamilton.
cialistes externes, Blancpain développa un célèbre marque horlogère genevoise qui dut Un second coup dur pour Betty Fiechter
dispositif adapté aux montres automatiques rechercher et engager une personne « por- fut la disparition d’André Léal, copropriétaire
pour dames dont les dimensions étaient bien tant le bon nom de famille » afin de conser- de Blancpain, à la veille du second conflit
trop réduites pour pouvoir accueillir un rotor. ver son nom de marque à trait d’union). mondial.

BETTY FIECHTER, DIRECTRICE DE BLANCPAIN DE 1932 À 1950. VILLERET EN 1961.


10 | 11

À la mode de l’époque :
la Ladybird de Blancpain.

LA FABRIQUE RAYVILLE À VILLERET VERS 1963. JEAN-JACQUES FIECHTER


DANS L’ A I R DU TEMPS

M algré ces obstacles, Betty Fiechter


connut un extraordinaire succès.
Rejointe en 1950 par son neveu Jean-Jacques
récession mondiale. La combinaison de ces for-
ces sur le marché fit chuter la production de la
SSIH en 1979 à moins de la moitié de ce qu’elle
Fiechter, l’entreprise connut un regain de était quelques années auparavant avant de
dynamisme, tant dans ses activités de fabri- provoquer des pertes abyssales et de provo-
cant de mouvements qu’au regard du nom- quer une situation de crise avec les banques.
bre de montres vendues sous le nom de À la tête de la SSIH, les arrivées et les
Blancpain. Parmi leurs grandes réussites figu- départs se succédèrent au début de la nou-
rent notamment la Fifty Fathoms, la première velle décennie en réponse à ces pressions. En
montre de plongée moderne, présentée en 1980, l’ingénieur Nicolas Hayek, qui allait fon-
1953 (le numéro 3 des Lettres du Brassus der ultérieurement le Swatch Group au sein
retrace l’histoire complète de la manière dont duquel Blancpain prospère actuellement fut
Jean-Jacques Fiechter développa en collabo- appelé à la rescousse. Au désespoir de trouver
ration avec les nageurs de combat de l’armée des liquidités par tous les moyens, la SSIH
française cette icône de l’horlogerie, qui serait commença à céder son patrimoine. Le premier
non seulement adoptée par les forces navales nom sur la liste était celui du fabricant de
La Rolls de Blancpain. de nombreux pays mais aussi par Jacques- mouvements Lemania (l’entreprise, fusionnée
Yves Cousteau et son équipe) ainsi que la avec Breguet, est aujourd’hui également un
montre pour dame Ladybird, lancée en 1956 membre du Swatch Group). Puis, la SSIH ven-
et animée par le plus petit mouvement rond dit le nom de Blancpain à un consortium
alors fabriqué au monde. Au-delà de ces créa- fondé par le fabricant de mouvements
tions remarquables, les deux membres de la Frédéric Piguet, conduit par Jacques Piguet et
famille Fiechter purent porter la production à Jean-Claude Biver, alors employé de la SSIH.
plus de 100’000 montres par année à la fin L’accord ne portait que sur la cession du nom
des années 1950. de Blancpain tandis que les actifs de Rayville-
Au fur et à mesure de la croissance de Blancpain, à savoir ses sites de production et
Rayville-Blancpain, il devint évident que des son équipement, restèrent toujours opération-
ressources additionnelles étaient requises pour nels pendant la période de la vente.
permettre à la production de répondre à la Ensemble, Jean-Claude Biver et Jacques
demande. Betty Fiechter trouva la solution en Piguet ont inauguré un nouveau chapitre
1961 en intégrant la marque à la Société d’une histoire qui s’étend désormais sur deux
Suisse pour l’Industrie Horlogère (SSIH). Hormis siècles et demi. Ils ont transformé l’ancienne
Rayville-Blancpain, le groupe comprenait Blancpain, l’entreprise qui avait dissimulé une
La Harwood de Blancpain. Omega, Tissot et Lemania. Rayville-Blancpain grande part de son savoir-faire en produisant
devint l’un des poids lourds de la nouvelle des mouvements de haute qualité destinés à
JEAN-CLAUDE BIVER, entité et construisit de nouvelles installations être vendus sous le nom d’autres marques et
DIRECTEUR DE BLANCPAIN DE 1982 À 2002.
de production qui permirent de hisser la pro- laissé chuter à quelques milliers d’exemplaires
duction à plus de 220’000 pièces en 1971. le nombre des garde-temps vendus sous son
Le décès de Betty la même année laissa l’hé- propre nom, en une manufacture qui conserve
ritage dans les seules mains de Jean-Jacques, ses réalisations et ses inventions pour elle-
qui allait être soumis à rude épreuve en raison même. La chronique de son remarquable
de la tourmente qui ébranla l’industrie horlo- éventail de créations et de records mondiaux
gère au milieu des années 1970 avec l’arrivée est désormais retracée dans la section
de la concurrence des montres à quartz, la Tradition d’Innovation du catalogue de
chute du dollar par rapport au franc suisse (qui Blancpain.
a élevé le prix des montres suisses sur les mar-
Consultez notre catalogue en ligne
chés les plus importants à des niveaux incon-
www.blancpain.ch/e/downloads/catalogues
nus jusqu’alors), le premier choc pétrolier et une
12 | 13

La Fifty Fathoms
originale de 1953.

LA MANUFACTURE DU BRASSUS. MARC A. HAYEK, PRÉSIDENT DE BLANCPAIN DEPUIS 2002.


ART DE VIVRE
14 | 15

N ous voici embarqués dans une quête qui va nous conduire hors des sentiers battus.
Lançons-nous sur les traces de l’arbre à guitare, si difficile à dénicher dans sa rare perfec-
tion. Avant cela, il nous faut trouver Lorenzo Pellegrini, le guide. Non, mieux qu’un guide, un
personnage comme il n’en existe plus beaucoup, ou plus du tout. Parmi dix ou quinze mille
autres, il sait repérer et choisir l’épicéa qui servira aux instruments de musique. Doté de cette
faculté, il devient l’œil indispensable au luthier.
Rendez-vous avec lui a bien été pris, quelque part dans la forêt du Risoud au-dessus du
Brassus. « Non loin du refuge Bambi » m’a-t-on dit, mais cette Brocéliande jurassienne est si
dense, si vaste…
– Lorenzo !
– Lorenzo, où êtes-vous ?

PAR DIDIER SCHMUTZ


PHOTOGRAPHIES ANNE-LISE VULLIOUD

LORENZO, CUEILLEUR DE BOIS PRÉCIEUX DANS LES

FORÊTS DU RISOUD ; JEANMICHEL CAPT, ARTISAN

LUTHIER AU BRASSUS, VOICI DEUX DES PROTAGONISTES

D’UNE HISTOIRE PEU BANALE. À ÉCOUTER.

LORENZO, LE DERNIER
JARDINIER DU RISOUD
ART DE VIVRE

LE FORESTIER QUE NOUS RECHERCHONS TRAVAILLE EN SOLITAIRE,


UNE SOLITUDE QUI LE REND ENCORE PLUS DIFFICILE À DÉBUSQUER.
LE VOICI. QUELQUES GOUTTES DE SUEUR PERLENT AU COIN
D’UN REGARD MAGNIFIQUEMENT BLEU.
16 | 17

Rien. Le silence à peine troublé par un vent


léger et le frémissement des branches. De-ci
de-là, sous une racine ou près d’un vieux tronc
conquis par la mousse des ans, nous croisons
quelques signes laissés par notre homme,
comme s’il nous conviait à un jeu de piste.
Avançons en zigzag. Ici, son chapeau de feu-
tre noir, avec un trou. Là, les habits de pluie
qui ont vu passer de nombreux orages, c’est
certain. Un peu plus loin, une échelle appuyée
contre un résineux, des outils… L’air de rien,
ces indices sont précieux, presque rassurants.
Depuis qu’il est en retraite, le forestier que
nous recherchons travaille en solitaire, une
solitude qui le rend encore plus difficile à
débusquer.
« On ne sait pas s’il faut regarder en l’air !
S’il est sur ou au pied d’un arbre… » lance
Céline, directrice et co-fondatrice de JMC
Guitars.
La réflexion me laisse interloqué. Serions-
nous à la recherche d’un écureuil ?
– Oh ! Oh ! Lorenzo, où êtes-vous ! Ohé…
Dans le lointain des frondaisons, seul un
bruit de tronçonneuse assez diffus répond que
Lorenzo se trouve quelque part, là-bas. Au
moins, nous avons maintenant une direction,
sans quoi ce dédale aurait sans doute eu rai-
son de notre orientation. Nombreux sont les
promeneurs qui s’égarent dans la forêt du
Risoud. Tout en ouvrant le chemin, Céline
raconte des histoires de sorcières et de bella-
done, plante hallucinogène dont la consom-
mation permettait à ces dames d’adoucir un
peu leur triste sort. Le Risoud, forêt peuplée de
légendes, il y aurait tant à dire…
Nous suivons de vagues ornières jusqu’à ce
que des feuillus de petit diamètre jonchent le
sol. La forêt est en cours de nettoyage ;
Lorenzo ne doit pas être très loin.
Le voici, courbé sous le poids d’une existence
dédiée aux labeurs et à l’observation des cho-
ses simples. Quelques gouttes de sueur perlent
au coin d’un regard magnifiquement bleu.
D’emblée, je suis frappé par le mimétisme de
l’homme confondu à son environnement. Écu-
reuil, certes non, mais homme-forêt, oui ; pas
étonnant qu’il soit difficile de l’apercevoir.
Il a aujourd’hui 78 ans.
ART DE VIVRE

ENFANCE SYLVESTRE

Lorenzo a vu le jour dans un petit village de la


province de Bergame en Italie. De son pays, il
a conservé l’accent. Et les souvenirs d’une
enfance rude comme ses montagnes.
« À sept ans, j’ai été placé chez des gens
comme domestique pour garder les animaux,
nous avions bien la campagne pour vivre mais
nous étions onze enfants, alors... Pas d’école !
C’était un peu la misère. Ah, ma foi… On était
tout le temps dans la forêt. Il fallait trouver le
bois pour faire les outils, les hottes, les paniers,
les licols pour les bêtes, les tavillons, les meu-
bles de la maison, tout se faisait en bois !
L’automne on ramassait les feuilles qui ser-
vaient ensuite de litière aux animaux durant
l’hiver. La forêt nous donnait tout et nous fai-
sions tout à la main. »
Après avoir transité par les forêts italiennes
(dans les Abruzzes où rodaient les loups et les
ours), françaises (dans les Vosges et les
Landes) et vécu bien des aventures, il est arrivé
en Vallée de Joux. Dans le Risoud, il a sans
doute trouvé son paradis.
– Tu vois ce petit épicéa-là ? me demande-
t-il.
Non, je ne le vois pas. Il est dissimulé par
une touffe de fougères deux fois plus grandes
que lui. J’aurais pu tout aussi bien l’écraser en
marchant dessus. Pas Lorenzo, il a beau être
chaussé de lourdes bottes, on dirait qu’il se
déplace en chaussons, attentif à la moindre
pousse. Il connaît chaque recoin de sa forêt,
repère les petits épicéas et leur prépare un ter-
rain propice à la croissance. Il a fait de la forêt
son jardin.
Il en faut du temps pour devenir un épicéa
de résonance. Ceux que Lorenzo protège et
soigne aujourd’hui seront coupés dans trois ou
quatre cents ans. Toute la valeur des bois du
Risoud éclate dans cette croissance d’une
extrême lenteur, due à un climat difficile.
Avare de ses générosités en raison d’hivers
longs et rigoureux, il ne donne que deux à
trois mois de végétation. Cet été, le bébé que
nous regardons, a grandi de quelque trois cen-
18 | 19

IL EN FAUT DU TEMPS POUR DEVENIR UN ÉPICÉA DE RÉSONANCE. CEUX QUE LORENZO


PROTÈGE AUJOURD’HUI SERONT COUPÉS DANS TROIS OU QUATRE CENTS ANS.
IL NE TOUCHE PAS LES ARBRES, IL LES CARESSE. IL NE LES MESURE PAS, IL LES ENLACE.

timètres. Son cousin de plaine aura, quant à pour signifier « environnement ». Expression D’un arbre à l’autre, du sorbier à l’érable
lui, connu une croissance de 60 centimètres à la fois belle et significative. Non ? en passant par les feuillus qui mangent la
ou plus. Toute la différence est là, visible dans C’est peut-être banal à signaler mais à lumière, d’histoire en histoire, nous voilà
les veines du bois. Ce sont ces épicéas tout en l’heure où le temps s’accélère dans l’irres- parvenus au pied de l’arbre à guitare, l’épi-
patience qui finiront entre les mains adroites pect des équilibres naturels en filant à céa parfait qui sera prélevé à la lune décrois-
du luthier. grande vitesse vers le culte du rendement, sante, généralement en novembre quand la
Lorenzo ne touche pas les arbres, il les certaines vérités sont bonnes à rappeler. Ce sève est redescendue. « Pour nous en luthe-
caresse. Il ne les mesure pas, il les enlace. que fait Lorenzo, tout simplement. Avec sa rie, il n’y a guère que deux jours dans l’an-
Mieux que quiconque, il sait la place essen- conscience écologique innée, il s’inquiète de née qui sont propices à la coupe » précise
tielle qu’ils occupent dans l’ordre de la notre avenir – à raison. Céline, qui n’hésite pas à parler de « rite ».
nature. Alors, parfois, il exprime comme une « Si on pouvait faire quelque chose pour La cérémonie se laisse imaginer.
tristesse, contenant même une pointe éviter le massacre, mais ma foi, à présent... En attendant, il est là, debout devant
d’agacement lorsqu’il peste contre ceux qui Et là, regarde, ce n’est pas l’épicéa mais le nous, élégant, puissant, droit comme un i.
« ne comprennent plus la forêt, ceux qui sapin blanc, le vuarne qui attire la foudre Une majesté. Si le lion se pare du titre de roi
n’ont plus le respect de l’entourage. » parce qu’il est chargé d’humidité, ce qui de la jungle, l’épicéa de résonance règne sur
Entourage, c’est le mot qu’utilise Lorenzo n’est pas le cas de l’épicéa. » la forêt, en particulier sur celle du Risoud ;
ART DE VIVRE
20 | 21

unique, elle ne ressemble à aucune autre, philosophie de vie, tous deux sont pétris à la l’exploration empirique, elle permet de
tant ses arbres à musique sont recherchés pâte de la nature. Voici l’hommage qui sonne conserver la chance d’être novateur en s’ins-
par les luthiers du monde entier. aussi comme un avertissement : « Ces arbres pirant de ce que l’on pourrait appeler la
L’épicéa d’harmonie ne doit pas faire l’aile, n’existent que parce que des gens comme didactique de la découverte. De plus, je n’ai
c’est-à-dire qu’il ne doit pas visser, ce qui Lorenzo existent. Il n’est pas certain dans l’ave- jamais été un bon élève dans le sens où je
arrive pour la plupart des arbres. S’ils tour- nir que l’on trouve encore de bons bois d’har- peinais à ingurgiter ce qui a déjà été digéré
nent à droite, ce sont des dextres, s’ils tour- monie ; pour les choisir, il faut être sensible à dans une didactique inverse de la mienne,
nent à gauche, ce sont des sénestres ou beaucoup d’autres choses et dépasser les celle du maître et de l’élève qui, finalement,
« tzenotze » dans le patois de la région. Ces contraintes matérielles. Lorenzo est la forêt. Il nous éloigne de la vie. »
arbres-là, gauchers ou droitiers, n’entreront vit dans cette vibration. Il voit tout, jusqu’aux La fibre enseignante ne ressort pas par
pas dans la catégorie « bois d’harmonie ». toutes jeunes pousses qui risquent d’être écra- hasard de ces propos. Avant de vivre entière-
C’est là qu’entre en lice l’œil indispensable, sées ; lui en prend grand soin, voilà pourquoi ment du noble art de luthier, Jeanmichel
l’œil qui sait lire à travers l’arbre. En obser- il est le jardinier de la forêt. Peut-être le der- enseignait les travaux manuels dans un col-
vant le comportement de l’épicéa, son élé- nier. Les forestiers du Risoud aimeraient bien lège des bords du Lac Léman. Sa première
gance, sa prestance, en examinant l’évolu- poursuivre dans cette voie tracée par Lorenzo, guitare date de cette période, une guitare
tion des radicelles, Lorenzo va remonter mais ils ne peuvent pas, ils sont déchirés par électrique taillée dans le bois de chêne d’un
dans la vie de l’arbre et, finalement, dire si les objectifs de rentabilité qu’on leur impose. bureau d’écolier. « J’ai été surpris du résultat
oui ou non, il a un futur instrument dans la On travaille au rendement et plus avec la cul- et même content de voir que je pouvais faire
sève. ture de l’endroit et le sens de l’épicéa ! C’est quelque chose sans aucune connaissance
Nous avons suivi Lorenzo, pour qu’il nous déprimant d’y penser, mais je reste persuadé préalable » explique-t-il aujourd’hui. Le
conduise au pied de l’arbre à guitare. L’arbre, que ces valeurs si chères à notre jardinier du deuxième essai, une guitare acoustique,
lui, en sa qualité de bois d’harmonie, va nous Risoud vont revenir. » s’est révélé par contre moins glorieux. « Je
emmener dans l’atelier de Jeanmichel Capt. me souviens que je me suis cassé les dents
Le luthier commence par rendre un bel DE LA FORÊT À L’ATELIER gravement, à cette époque je ne savais
hommage au vieux forestier. Il faut dire que les même pas qu’il existait un bois nommé
deux font la paire ; chacun à leur manière, ils « J’ai refusé par choix délibéré d’apprendre « harmonie ». Peu importe l’échec, dans la
partagent la même passion, vivent une même par les livres. Je suis plutôt partisan de conception du luthier du Brassus, l’écueil est
ART DE VIVRE

là pour être surmonté dans une dynamique Jeanmichel va vivre sa passion et vivre de sa
de progression ; il fait partie intégrante de passion. Pleinement. La didactique de la
cette « didactique de la découverte ». Peut- découverte va prendre tout son sens car,
être, en est-il même le moteur car, au fil des pour l’artisan, il ne suffit pas de fabriquer
expériences et des améliorations, Jeanmichel des instruments, si parfaits soient-ils, il
a perfectionné son art jusqu’à devenir un importe aussi de créer, d’inventer, de faire
véritable orfèvre. Selon bien des spécialistes, progresser l’univers du son et de la musique.
ses guitares se classent parmi les meilleures De cet esprit va naître le Soundboard, la
du monde, de par la présence, la chaleur et table de résonance réalisée en épicéa du
l’ampleur du son bien sûr, mais aussi par une Risoud toujours. Soucieux de sauvegarder,
élégance ergonomique qui frise la perfection. tant que faire se peut, les valeurs dont il est
question plus haut – celles que se partagent
PURETÉ DU SAVOIR-FAIRE le luthier et le cueilleur d’arbre – la manufac-
ture de lutherie oriente sa vocation sur la
Être autodidacte, sans référence, exige mise en valeur des bois indigènes. « Nous
beaucoup d’efforts et de persévérance. Ne renonçons aux bois exotiques issus d’une
jamais se décourager, remettre sans cesse déforestation systématique. Nos bois locaux
l’ouvrage sur le métier, accepter de devoir rivalisent sans complexe d’un point de vue
faire de nombreux essais : voilà quelques esthétique avec les plus précieux des bois
principes de base qui vont conduire l’ex- exotiques. Nul besoin de chercher au loin ce
enseignant au succès dans sa reconversion que nous avons sous la main. Il est agréable
en artisan-luthier. de redécouvrir qu’il n’y a pas besoin d’aller
En 2004, année de l’association avec ailleurs pour trouver son bonheur », affir-
Céline Renaud et de la création de la société ment de concert Céline et Jeanmichel.
JMC Lutherie S.A., qui s’est traduite concrè- Si cela est bien entendu, Lorenzo ne sera
tement par le dépôt de la marque JMC peut-être pas le dernier jardinier du
Guitars, c’est le grand saut. Finie l’école. Risoud. I

« D’UN POINT DE VUE LE SON INTÉGRAL


ESTHÉTIQUE, NOS BOIS
LOCAUX RIVALISENT Pour Jeanmichel Capt, le son est une vibration globale, pas une musique destinée uni-
SANS COMPLEXE AVEC quement à l’ouïe. Voilà une conception du son bien particulière, une conception élar-
LES PLUS PRÉCIEUX DES gie qui va piquer la curiosité du luthier, titiller le créateur, ouvrir des perspectives de
BOIS EXOTIQUES. » recherche qui aboutiront à l’invention du Soundboard.
Cette enceinte de diffusion acoustique reflète, au travers de l’épicéa de résonance,
le son des instruments et des voix, avec un effet saisissant de présence.
Simple dans sa conception, le Soundboard JMC est une alternative qui offre le son
dans son intégralité. L’onde générée est plane, si bien que l’auditeur peut se position-
ner librement dans l’espace. Il entendra de partout un son de grande consistance.
Ainsi, avec le Soundboard, la notion de stéréo devient relative, car le son est dans
l’environnement. Le son crée, transmet toutes les dimensions de la musique, si bien
qu’à l’écouter, l’auditeur se trouve comme enrobé par la symphonie. En supprimant
l’idée de « directionnel », cette enceinte remplace donc merveilleusement les tradi-
tionnels hauts-parleurs.
22 | 23
ART DE VIVRE

UN MONDE EN IMAGES
Les images qui illustrent les pages précédentes proviennent d’un ouvrage intitulé Le cueilleur d’arbre.
Une partie des photographies de ce magnifique reportage sont à découvrir dans le livre publié à compte
d’auteur par la photographe du Brassus Anne-Lise Vullioud.

tous deux viennent de créer la société ano-


nyme JMC Lutherie.
Elle a la chance de commencer ce mandat
par le moment le plus magique, le plus rare
aussi : la cueillette de l’arbre unique. Avec
Lorenzo (lire pages 14 à 23).
En une trentaine d’images lumineuses, la
photographe plonge son « lecteur » dans
l’instant.
Grâce à une lumière maîtrisée de belle
manière, des cadrages dans lesquels
s’équilibre la vie des paysages sylvestres,
grâce aussi à des personnages saisis dans

L e début du parcours d’Anne-Lise Vullioud


ressemble à un grand classique avec l’ins-
cription à l’École supérieure d’arts appliqués
jours au pays. Lorsque la nostalgie me prend,
c’est un besoin de Risoud qui remonte, les
épicéas immenses, le bruit du vent dans les
la sensibilité de leurs gestes particuliers –
bûcherons, forestiers, cueilleur, luthier…
tous sont là – la succession des photos
de Vevey, puis l’obtention du CFC de photo- branches, les odeurs, l’humus, les champi- donne à cet univers les mouvements qui lui
graphe en 1989. En bonne native du Brassus, gnons, j’ai besoin de ces bouffées vitales. » reviennent.
elle commence sa carrière de free-lance en
réalisant des prises de vue grand format pour LE NEZ DANS LE RISOUD « SALADE RUSSE »
l’horlogerie. Jusque-là, rien d’extraordinaire.
Surtout, pas de quoi satisfaire un goût pro- Afin de respirer cet air-là tout en se consa- En 2006, au milieu de ce travail pour JMC
noncé pour les voyages et encore moins l’es- crant toujours plus intensément à ses tra- Guitars, apparaît comme une rupture natu-
prit d’indépendance de la jeune femme, qui vaux personnels, elle installe en 2004 un stu- relle, dictée par les souvenirs d’enfance.
étouffe un peu sur cette voie trop bien tracée. dio dans son appartement du Brassus. Cette « Il n’y a plus de guichet à la gare du
Anne-Lise tourne son regard vers d’autres année-là débute également la collaboration Brassus, depuis longtemps. Aller comman-
horizons. En 1996, elle passe onze mois entre avec Céline Renaud et Jeanmichel Capt ; der des billets pour l’inconnu à Sentier-
Inde, Népal et Tibet. Fascinée, désireuse d’ap-
profondir cette culture lointaine, elle retourne
au Tibet deux ans plus tard. Elle en ramènera
une exposition : « Regards d’Himalaya ».
Voilà des sommets vertigineux qui nous
placent à des milliers de kilomètres des crê-
tes du Jura. Curieuse du monde et de ses
gens, Anne-Lise n’en oublie pas pour autant
la nécessaire origine, les racines.
« Je suis née en Vallée de Joux, mon grand-
père était garde-forestier. Je me souviens qu’il
recevait déjà des personnes intéressées par les
bois de lutherie. Ces arbres me ramènent tou-
24 | 25

Orient, ça sonne un peu exotique, l’aviez- Fin de l’entracte voyageur. Retour dans cueilleur d’arbre, luthier, poète et la photo-
vous remarqué ? Vladivostok, ça veut bien le Jura, après avoir suivi les pérégrinations graphe Anne-Lise Vullioud en cheffe d’or-
dire : Seigneur de l’Orient, et ça fait rêver, d’une photographe qui tricote son existence chestre.
non ? » Écrivant ces lignes, elle entame un entre l’ici et l’ailleurs.
périple ferroviaire, parce que la gare du
Brassus est un terminus et qu’elle ne pou- DANS L’ATELIER LE CUEILLEUR D’ARBRE
vait pas y croire. Comment et jusqu’où aller
plus loin ? S’égrainent alors les gares de Changement d’atmosphère. Autre décor. Photographies de Anne-Lise Vullioud
Moscou, Irkoutsk, Sludjanka, Oulan-Oude, Mais toujours le même regard, juste et pré- et textes de Gil Pidoux
s’enchaînent les rencontres, s’accumulent cis, intime aussi. Anne-Lise Vullioud possède Format 23 cm x 23 cm
les images. Au final, une nouvelle exposi- ces qualités, nécessaires lorsqu’il s’agit d’as- 100 images en bichromie
tion curieusement intitulée « Salade russe ». sister à la naissance d’un instrument. Dans 120 pages
« Parce que la Russie telle que je l’ai décou- l’atelier de Jeanmichel Capt, les lumières Contact : al.vullioud@bluewin.ch
verte, c’est tout un mélange fait d’énormes sont devenues intérieures. Les images sont
contrastes. On retrouve les vestiges d’an- mises en musique.
ciennes époques (tsarisme, communisme) Dans une inversion qui porte sens, les tex-
qui côtoient le présent avec ses magasins tes de l’écrivain et poète Gil Pidoux, illustrent
Auchan dont les Moscovites sont si fiers ; à les images. Attention toutefois à ne pas les
leurs yeux, ces grandes surfaces sont plus réduire à de simples légendes développées.
importantes que la Place Rouge », expli- Ils sont partie intégrante de la symphonie
que-t-elle. que nous offrent tous les artisans de ce livre,
DANS L’ A I R DU TEMPS

D epuis plus d’un siècle, les physiciens se


sont attachés à définir les forces fonda-
mentales de la nature. Au début, ils se sont
Cependant, les bons vivants ont conscience
que ces études sur les phénomènes essentiels
de l’univers ont omis pendant des décennies
colletés avec les effets de l’attraction terres- deux forces primaires parmi les plus puissan-
tre, des forces magnétiques et électriques. Et tes et les plus irrépressibles. Elles ne cessent
Einstein lui-même tenta de les réunir dans sa de faire irruption dans notre existence afin d’y
théorie du champ unifié, hélas sans y parve- exercer leur pernicieuse influence. La pre-
nir. Les physiciens les plus modernes divisent mière est la « force d’attraction d’une cravate
les forces de l’univers en deux camps : les Hermès sur la sauce ». Inextricablement inté-
forces faibles (gravitationnelle et électroma- grée à la structure soyeuse de ces accessoires
gnétique) et les forces fortes (responsables onéreux, cette force est en mesure d’attirer
de la cohésion des atomes). n’importe quelle sauce au cours des premiers
autorisation écrite préalable, il ne peut être ni copié,
Tous nos droits sur ce document sont réservés. Ce dernier
est destiné au seul destinataire autorisé. Sans notre

À LA RENCONTRE
ni reproduit, ni communiqué à des tiers.

D’UNE
FORCE IRRÉSISTIBLE
POUR ÉVITER LES FÂCHEUSES RAYURES SUR

LA LUNETTE, BLANCPAIN A FAIT ŒUVRE DE PIONNIER

EN DÉVELOPPANT DES LUNETTES EN SAPHIR.

PAR JEFFREY S. KINGSTON


PHOTOGRAPHIES THIERRY PAREL
Cotes en mm
Tolérances en μ

Tol. générales: ± 20 Angles non tol.: ± 5°


26 | 27
DANS L’ A I R DU TEMPS

jours où la cravate est nouée. Rien ne peut


l’arrêter. Aucun champ de force ne peut la
contenir. Les tentatives désespérées consis-
tant à l’envelopper dans un sachet plastique
ne représentent pas uniquement une infrac-
tion aux codes vestimentaires dûment sanc-
tionnée par des commensaux désapproba-
teurs, mais elles ne servent qu’à retarder les
effets de cette force jusqu’au premier repas
où la cravate sera arborée sans son emballage
protecteur. Perplexes, les physiciens ne
se soucient guère d’expliquer
cette force. Quant à ceux qui
prétendent qu’il s’agit sim-
plement d’une illustration
de la « théorie des cordes »,
puissent-ils être conviés à se
retirer au fond de la salle.
autorisation écrite préalable, il ne peut être ni copié,
Tous nos droits sur ce document sont réservés. Ce dernier

Avec une déception


est destiné au seul destinataire autorisé. Sans notre
ni reproduit, ni communiqué à des tiers.

EN FABRIQUANT LA LUNETTE EN SAPHIR,

SEULEMENT PRÉCÉDÉ PAR LE DIAMANT SUR

L’ÉCHELLE DE MOHS, BLANCPAIN A DOTÉ LA

MONTRE D’UNE GRANDE RÉSISTANCE POUR

AFFRONTER LES ALÉAS D’UN USAGE QUOTIDIEN.

En 2008, Blancpain a largement étendu la gamme de couleurs


de ses lunettes en saphir qui comprennent désormais le noir,
le blanc ou le gris et offre un large choix de teintes superluminova.

Cotes en mm
Tolérances en μ

Tol. générales: ± 20 Angles non tol.: ± 5°


28 | 29

certaine, nous en sommes réduits à constater


l’absence d’indices qui nous porteraient à
croire que les chercheurs se consacrent d’une
manière ou d’une autre à nous éclairer sur ses
causes. Non, les scientifiques du CERN près
de Genève sont bien trop occupés à admirer
leur nouveau et splendide collisionneur de
hadrons. Pour leur part, les cols blancs
du SLAC à Palo Alto en Californie semblent
vouer toute leur énergie à résoudre leur
préoccupation essentielle, comment accroître
la longueur de leur accélérateur de particules.
Un autre phénomène naturel injustement
négligé par la science contemporaine est la
« force d’attraction exercée sur les objets
durs par la lunette d’une nouvelle montre ».
Toutes les lunettes des montres neuves sont
dotées d’une force extraordinaire qui attire
de manière irrésistible les tables, les poi-
gnées de porte, les manches de casserole,
sans oublier les crochets des ceintures de
sécurité dans les automobiles, en bref, tout
objet susceptible de provoquer une première
marque sous la forme d’une rayure, d’une
ébréchure, d’une égratignure ou d’une composer avec elle. Plutôt que d’utiliser le vaine opposition pour tenter d’annuler la
griffure sur un splendide garde-temps à terme terriblement inconvenant de « rayé », force, car l’objectif reste hors de portée des
peine sorti de son écrin. Il est absolument ils décrivent l’état de leur lunette en jouant marques horlogères comme des scientifi-
impossible de l’éviter. La puissance de sur les mots et évoquent pudiquement sa ques. En lieu et place, il convient de doter la
cette énergie primaire est telle que les « patine ». lunette de montre d’une capacité à résister
amateurs d’horlogerie ont depuis long- Patine ou non, les scientifiques, obsédés aux inévitables rencontres avec tout objet
temps adopté la pratique du double langage par des sujets comme la fusion à froid, qui provoquant une griffure, une bosse ou une
pour tenter de recréent des trous noirs avec leurs nouveaux éraflure. À cet égard, Blancpain a fait
accélérateurs de protons, ne nous sont pas œuvre de pionner en se tournant vers le
d’un grand secours. La force d’attraction de saphir comme matériau pour la lunette.
la lunette reste ainsi inexplorée et inexpli- Au début du XIXe siècle, le géologue alle-
quée alors que son emprise demeure mand Friedrich Mohs développa une échelle
tout aussi vive sur nos vies (et sur nos destinée à évaluer la dureté des minéraux,
montres). Aussi, à qui pourrions-nous qui mesure la résistance aux rayures et porte
donc nous adresser ? aujourd’hui son nom. Le matériau le plus
Eh bien, à Blancpain en premier dur est à l’évidence le diamant qui reçoit
lieu. La manufacture a développé une la note de 10 sur l’échelle de Mohs. La
solution à cette question qui ne recourt deuxième place est occupée par le corindon,
à aucun tour de magie. En effet, le nom générique du saphir, avec une dureté
secret consiste à ne pas entrer dans une de 9. En confectionnant une lunette en
saphir, le minéral qui suit immédiatement le
diamant pour sa dureté, Blancpain l’a dotée
DANS L’ A I R DU TEMPS
autorisation écrite préalable, il ne peut être ni copié,
Tous nos droits sur ce document sont réservés. Ce dernier
est destiné au seul destinataire autorisé. Sans notre
ni reproduit, ni communiqué à des tiers.

À gauche, le verre saphir de la Fifty Fathoms qui possède l’apparence


du verre minéral des modèles de la décennie 1950. À droite, la lunette
grise en or rose du Chronographe Fifty Fathoms, réf. 5085F-3634-52.

Cotes en mm
Tolérances en μ

Tol. générales: ± 20 Angles non tol.: ± 5°


30 | 31

d’une grande robustesse pour résister aux étaient tellement répandues dans l’industrie conduit à une lunette achevée. Un intense
inévitables collisions provoquées par le port horlogère qu’elles étaient devenues la norme. travail a suivi afin de trouver un matériau
quotidien de la montre. Cependant, le verre saphir de la Fifty Fathoms d’étanchéité destiné à protéger la surface
Si l’énoncé de la tâche paraît d’une simpli- Anniversaire devait reproduire la forme de la intérieure sans altérer ou endommager la
cité enfantine – elle consiste simplement à glace originale, qui n’était pas plate mais bom- couleur de la laque ou des repères. Des mois
fabriquer une lunette en saphir – deux années bée, car conçue pour optimiser sa capacité à d’essais et de tentatives avortées ont été
entières de recherches et de développement résister à la pression de l’eau pendant les plon- consacrés à trouver le joint approprié.
ont été nécessaires avant que Blancpain ne gées à de grandes profondeurs. Ainsi, les deux L’attention s’est portée ensuite sur la
soit en mesure de présenter en 2003 la pre- recherches – le projet lunette et le projet verre forme de la bague en saphir. Une surface
mière montre-bracelet au monde dotée d’une – se sont fondues en une seule lorsque supérieure plate était la norme pour les
lunette saphir avec des repères en luminova, Blancpain a entrepris de recréer l’esprit du montres de plongée dans l’industrie. Les
à l’occasion du 50e anniversaire de la Fifty passé à l’aide des technologies contemporai- rares lunettes qui présentaient un certain
Fathoms. D’ailleurs, dès le départ, le projet ne nes de travail du saphir. degré de courbure portaient des repères
se limitait pas uniquement à la simple adop- Les défis à relever étaient nombreux avant qui étaient généralement placés sur la sur-
tion d’un matériel résistant aux rayures pour la que la première lunette en saphir au monde face incurvée. Dans les deux cas, le regard
lunette de la Fifty Fathoms. Les ambitions avec repères luminescents ne devienne réa- n’était pas suffisamment attiré sur la
étaient bien plus grandes. Blancpain souhaitait lité. En premier lieu, il convenait de mettre lunette, au-delà de la couleur et des mar-
en effet capturer l’apparence et le design de au point une technique pour colorer la quages eux-mêmes. Toutefois, comme les
l’emblématique Fifty Fathoms lancée en 1953 lunette et réaliser les repères en luminova. repères étaient situés sur la surface infé-
pour les restituer dans des matériaux moder- L’ingénieuse solution retenue a consisté à rieure de la bague transparente, Blancpain
nes et novateurs. Aussi, il était exclu d’emblée appliquer des couches successives de laque avait la possibilité de conférer à la lunette
de placer une bague en saphir sur la montre et sur le fond plat de la lunette en saphir, avant une profondeur visuelle qui n’avait jamais
de se féliciter du résultat obtenu. La nouvelle d’évider les emplacements des repères. Une existé auparavant. La bague de saphir était
lunette devait conserver l’aspect et le contact fois les creusures pratiquées, il était possible considérée comme une lentille qui, si elle
de son auguste aïeule qui arborait une teinte d’appliquer le matériel luminescent afin de présentait un degré correct de courbure sur
noire et des repères luminescents, deux élé- donner naissance à des repères lumineux qui sa surface supérieure, pourrait animer et
ments de lisibilité essentiels pour la plongée. seraient visibles depuis la surface supérieure. mettre en évidence les repères.
De la même manière, le verre de la montre fai- Cependant, l’application des couches de À nouveau, les essais et les tentatives se
sait lui-même partie intégrante du projet. laque et la confection des repères ne sont que sont succédé afin de déterminer une forme
Contrairement aux lunettes, les glaces saphir des étapes préliminaires sur le chemin qui optimale. Un arrondissement exagéré de la
DANS L’ A I R DU TEMPS

surface supérieure aurait apporté un grand riel adhésif pour assurer la bague en saphir optique qui comprenait également la glace.
attrait visuel, mais comportait le désagréa- dans la rainure en métal dans laquelle elle La Fifty Fathoms originale possédait un verre
ble effet secondaire de déformer les repè- serait insérée. Comme la Fifty Fathoms pos- minéral qui était à la fois épais et bombé pour
res disposés en dessous alors qu’une cour- sède une lunette pivotante (indispensable résister à la pression de l’eau pendant les
bure trop faible aurait réduit la séduction pour la plongée), elle devait être dotée d’une plongées. Il était hors de question de remon-
visuelle. Après des dizaines et des dizaines surface cannelée sur sa circonférence afin d’en ter le temps et de fabriquer le verre de la nou-
d’expérimentations, Blancpain est parve- faciliter le pivotement. Pour sa part, la colle velle montre dans un matériau aussi sensible
nue à un moyen terme fort satisfaisant, un devait associer fermeté et souplesse. Cette aux rayures. Néanmoins, l’apparence origi-
subtil arrondi qui ne déforme pas la per- dernière caractéristique était particulièrement nelle devait être respectée. Ainsi, le nouveau
ception des repères, mais les met en évi- importante car elle devrait compenser les verre saphir présenterait une surface supé-
dence tout en soulignant harmonieuse- changements de température ainsi que la dila- rieure arrondie et un léger épaulement des-
ment les contours de la montre. tion et la contraction de la gaine métallique. tiné à saisir l’atmosphère robuste de l’original
Le travail de développement était cepen- À l’évidence, la lunette en saphir n’était pas de 1953. Mais le verre, même bombé, n’était
dant loin d’être achevé. Blancpain a voué destinée à s’imposer dans un isolement visuel. pas destiné à jouer le rôle d’une lentille, de
ses efforts ensuite à la recherche d’un maté- Elle était partie intégrante d’un ensemble sorte que Blancpain a développé une forme
autorisation écrite préalable, il ne peut être ni copié,
Tous nos droits sur ce document sont réservés. Ce dernier
est destiné au seul destinataire autorisé. Sans notre
ni reproduit, ni communiqué à des tiers.

L’ensemble composé de la lunette et du verre recrée l’apparence


des modèles historiques avec des matériaux contemporains.

Cotes en mm
Tolérances en μ

Tol. générales: ± 20 Angles non tol.: ± 5°


32 | 33

courbée sur ses surfaces interne et externe – dent que la lunette en saphir et le verre demeure l’un des piliers de la collection, il
en contraste avec la lunette saphir qui, bien saphir bombé se retrouveraient dans la nou- est désormais rejoint par le blanc et le gris.
que bombée sur sa face supérieure, est plate velle Fifty Fathoms Sport Collection, qui De la même manière, l’assortiment des
sur sa face inférieure. comprend la ligne Fifty Fathoms, l’Air teintes de luminova s’est également étoffé
Il y a de nombreuses raisons qui expli- Command (lancées en 2007) et la Speed et propose le jaune, l’orange, le gris et une
quent pourquoi l’édition anniversaire de la Command (dévoilée en 2008). Même si les nuance unique de noir qui passe presque
Fifty Fathoms présentée en 2003 et produite formes sont restées identiques à celles de entièrement inaperçue à la clarté du jour,
en trois séries limitées de 50 pièces a été ins- l’édition de 2003, et que les processus de mais luit dans l’obscurité. Les montres pour
tantanément épuisée et s’est transformée production ne se sont guère modifiés à l’ex- femmes possèdent un éventail encore plus
sur-le-champ en une pièce de collection ception de quelques améliorations appor- large, complété encore par le bleu et le
convoitée. Cependant, il ne fait guère de tées au cours des quatre dernières années, la rose pastel. Mais quelle que soit la couleur
doute que cette apparence classique réalisée nouvelle Sport Collection a offert la possibi- choisie, la résistance aux rayures du saphir
avec une technologie moderne résistante lité d’étendre la gamme des couleurs. Le est toujours garantie afin de repousser vic-
aux rayures figurait en tête du palmarès éta- choix prend désormais l’apparence d’un véri- torieusement cette incoercible force de col-
bli par les collectionneurs. Il était donc évi- table arc-en-ciel. Si, comme il se doit, le noir lision. I
ART DE VIVRE

CHAMPAGNE

Maturation du champagne Les Aventures dans les caves de Lenoble.


34 | 35

LA LETTRE
DE BLANCPAIN
SUR LE VIN

A vez-vous jamais fait partie de cette cohorte de consom-


mateurs invétérés, constants et loyaux, au point que s’ils
avaient fait partie d’un programme de fidélisation, ils seraient
aujourd’hui les heureux détenteurs d’une carte diamant ou
platine ? Ils en commandent en prélude à tout repas dans un
grand restaurant, lors de chaque occasion d’une certaine signi-
fication, pour se souvenir des moments importants de la vie.
À mes yeux, une telle attitude est davantage que de la fidé-
PAR JEFFREY S. KINGSTON lité. Et même les croisés à la foi inaltérable ne parvinrent que
rarement à une telle inébranlable obstination.
Cependant, nombre d’entre nous sont convaincus que
telle est la place dévolue au champagne. C’est le compagnon
obligé des fêtes, noces et autres événements marquants de
l’existence. Et, étonnamment, c’est aussi le liquide de prédi-
lection vers lequel se tournent, à l’heure de la victoire, les
joueurs de football et de basket – qui n’ont pour la plupart
pas la moindre idée de ce qu’est véritablement le champagne –
pour asperger joyeusement les membres de leur équipe.
Une fois ces constatations formulées, laissons tomber une
averse glacée sur cette association céleste entre les producteurs
de champagne et leurs fidèles clients qui ne sont jamais effleu-
rés par le doute. En effet, nous pouvons prétendre sans crain-
dre de nous fourvoyer que cette ardeur à consommer du cham-
pagne ne s’accompagne jamais ou presque de la plus petite
notion de ce qu’ils achètent exactement. Toutefois, avant de
vous lancer dans la rédaction de furieuses lettres de protesta-
tion contre cette déclaration qui peut paraître, concédons-le,
quelque peu excessive, prenez le temps de la réflexion. Sans
conteste, la plupart des amateurs de champagne – exception
faite des gagnants des coupes du monde qui l’utilisent davan-
tage pour se doucher que pour le déguster – savent qu’ils peu-
ART DE VIVRE

Vignoble champenois près de Damery.

vent jeter sereinement leur dévolu sur une de Vougeot particulier (naturellement d’une ner ou d’évaluer des vins. Ces caractéristiques
bouteille de Moët & Chandon, de Veuve parcelle de grand cru et composé unique- englobent essentiellement la notion de ter-
Cliquot ou même d’un Taittinger Comte de ment de pinot noir), en se demandant roir. Un vin bien élaboré en incarne le parfait
Champagne. Mais ce sont là des noms de s’il provient de la côte ensoleillée proche du reflet, ou plus exactement, il sera imprégné
marque. Et même si vous vous souvenez que Château ou des vignes moins favorisées qui des arômes et des nuances du lieu précis de
le Bollinger était le champagne préféré de bordent la route nationale. De manière analo- son origine ainsi que, naturellement, des
Churchill, seriez-vous en mesure d’identifier le gue, les fanatiques de bordeaux connaissent caractéristiques propres à son cépage.
cépage particulier qui entre dans la confection la classification officielle des châteaux de Quelle est donc la particularité qui distin-
d’une bouteille de Pol Roger ? À l’évidence, il 1855, leur révision de 1973 ainsi que les gue fondamentalement le champagne de
s’agit d’une cuvée de prestige, mais de quels adjonctions non officielles de Parker. Ils peu- presque tous les autres vins de renom au
vignobles proviennent le Gosset Celebris, vent s’entretenir pendant des heures sur les point que ces informations essentielles soient
la Grande Dame ou le Dom Pérignon ? différences de cépage entre le Médoc et la laissées dans l’ombre projetée par l’éclat
Connaissez-vous le nom des communes vitico- rive droite. Pour leur part, les connaisseurs en des marques ? Comment est-il possible que
les de Champagne, leurs diverses parcelles et cabernet de la Nappa Valley n’ignorent pas même les aficionados les plus fanatiques au
leurs cépages ? Ah, il se peut désormais que le l’existence de Oakville Bench. Cette observa- bénéfice de connaissances encyclopédiques
feu de votre colère se soit apaisé. tion peut d’ailleurs s’appliquer à toutes les sur les cépages, les vignobles et les millési-
Les amateurs de vin peuvent généralement autres régions viticoles de la terre. Les spécifi- mes considèrent ces critères comme parfai-
méditer sur de tels détails. Les passionnés de cités des cépages et des vignobles figurent au tement accessoires, dès qu’il est question de
Bourgogne devisent aimablement sur un Clos premier plan dès qu’il question de sélection- champagne ?
36 | 37

P ar leur habileté en matière de marketing,


les grandes maisons de champagne sont
parvenues à conférer une plus grande impor-
tance à leurs noms plutôt qu’aux cépages et
aux vignobles. Malgré sa tendance au pro-
sélytisme, même Robert Parker, gourou de
l’œnologie s’il en est, n’explique pas ce mys-
LA QUALITÉ ET LE CARACTÈRE DU tère. Le succès des grandes maisons repose
sur l’assemblage de vins provenant de diver-
CHAMPAGNE DÉPENDENT DES SPÉCIFICITÉS ses parcelles et de leur capacité à maintenir le
caractère constant de chaque champagne par
DU VIGNOBLE ET DU CÉPAGE. un savant dosage des cépages, des emplace-
ments et des millésimes. Non seulement le
terroir n’y joue aucun rôle, mais il est méticu-
leusement dissous dans le vin final pour être
dissimulé au palais du consommateur.
Les Lettres du Brassus souhaitent emprunter
ici une autre voie, pratiquement ignorée de la
presse spécialisée et des professionnels du vin.
ART DE VIVRE

Nous examinerons en effet le champagne à


travers le même prisme que les autres vins de
prestige, pour lesquels la qualité et le caractère
sont inséparables des particularités du vigno-
ble et des cépages. Nous avons l’intention de
nous pencher précisément sur cet aspect que
les grandes maisons dissimulent, le terroir.
Même s’il est peu probable qu’après en avoir LENOBLE APPARTIENT À UN GROUPE DE REBELLES
terminé la lecture, des millions de lecteurs gar-
dent ce numéro dans leur poche afin qu’il leur DONT LES VINS AU CARACTÈRE
serve de guide lors de leurs prochaines expédi-
tions à la recherche de merveilles œnologi- AUTHENTIQUE RÉCOMPENSENT LARGEMENT LES
ques, comme c’est à chaque fois le cas pour la
dernière édition du guide Parker, nous espé- EFFORTS REQUIS POUR LES DÉCOUVRIR.
rons cependant présenter à tout le moins une
nouvelle perspective sur le champagne.
Comme les grandes maisons sont les archi-
tectes d’une stratégie qui accorde la primauté
à la marque sur le cépage, il convient de
s’adresser aux petits producteurs indépen-
dants de champagne pour apprécier la notion
de terroir. Un remarquable exemple d’un tel

La colline de Montaigu vue depuis les vignes du Vallon.


38 | 39

domaine champenois est celui d’A. R. Lenoble, Aujourd’hui, Antoine et sa sœur Anne régions vinicoles, les vignobles son classés en
dans le village de Damery. Il est la propriété dirigent conjointement l’entreprise qui est trois catégories : les grands crus en tête de
d’Antoine Malassagne, dont l’arrière-grand- désormais depuis quatre générations dans liste, suivis des premiers crus et, finalement,
père, Armand Graser, un négociant en les mains de la même famille. les vins simplement autorisés à arborer l’ap-
vin alsacien, s’était établi dans la région Le profond fossé qui s’étend entre la philo- pellation vin de Champagne. Dans les gran-
d’Epernay en 1915 et avait commencé à éla- sophie de la maison Lenoble et celle des gran- des lignes, cette classification correspond à
borer du champagne en 1915, avant d’adop- des marques est devenu évident moins d’un celle en usage en Bourgogne.
ter le nom de « A. R. Lenoble » en 1920. La quart d’heure après avoir pris place dans le Cependant, en comparaison avec le paran-
famille Graser possède notamment les vigno- salon de réception d’Antoine à Damery. Le vil- gon bourguignon, les critères sont nettement
bles grand cru de Chouilly. Le père d’Antoine, lage de Damery est situé sur la Marne, proche plus stricts. En Bourgogne, un vignoble de pre-
qui épousa l’une des filles d’Armand Graser, des deux grands pôles démographiques de la mier cru peut être supérieur à un autre. Ainsi,
reprit la maison en 1973. Les marques de région, Reims et Épernay. Antoine sort d’un un Puligny-Montrachet Les Pucelles est géné-
champagne ont tellement passé sous silence tiroir la liste des classifications établie par le ralement considéré comme meilleur qu’un
l’emplacement des vignobles que l’évocation Comité Interprofessionnel du Vin de Cham- Puligny-Montrachet Le Clavoillon. Cependant,
du nom du domaine familial, qui devrait sus- pagne. Elle recense l’ensemble des vignobles les deux dénominations sont à égalité selon les
citer la même émotion que la mention de de l’appellation Champagne, soit toutes les classifications officielles. Dans le cas du cham-
Vosne-Romanée en Bourgogne par exemple, régions autorisées à produire un vin commer- pagne, en revanche, un système de notation
ne provoque aucune réaction, pas même un cialisé sous ce nom, mais surtout – et il s’agit sur 100 points est en usage. Tous les vignobles
froncement de sourcil, des plus fervents ama- là d’un aspect essentiel – leur rang. L’abîme grand cru atteignent le maximum de 100, les
teurs de champagne. En effet, Chouilly n’est apparent entre le champagne et d’autres vins premiers crus entre 90 et 99 et le champagne
rien de moins que l’un des neuf grands crus français n’est donc pas aussi grand qu’il ne le entre 80 et 89. Ainsi, selon le barème officiel,
chardonnay de l’appellation Champagne. paraissait. À l’instar des autres grandes un vignoble premier cru de 99 points se diffé-

Les caves de Lenoble à Damery.


ART DE VIVRE

Anne et Antoine Malassagne.

rencie notablement d’un vignoble de même pagne avec leurs gigantesques besoins se me suis surpris à demander : « Comme il
catégorie dont la notation s’élève à 91 points. retrouvent tout simplement dans l’incapacité s’agit d’un cépage chardonnay – le même
De surcroît, la classification se fait en fonc- de respecter une norme aussi élevée. qui est cultivé en Bourgogne – et qu’il est
tion des cépages. Trois variétés de raisin sont Cependant, aussi passionnante qu’ait pu planté sur une parcelle grand cru, que se pas-
autorisées pour produire du champagne : le être l’étude de cette liste hautement confiden- serait-il si l’on essayait de faire du champa-
chardonnay, le pinot noir et le pinot meunier. tielle, il est certain qu’une discussion sur les gne à partir d’un raisin bourguignon, prove-
Pour les cépages chardonnay et pinot noir, classifications ne représente pas exactement la nant d’un vignoble de grand cru, à l’instar du
les vignobles sont classifiés de manière com- meilleure méthode pour appréhender la notion Corton-Charlemagne ? » À l’écoute de ces
plémentaire sur l’échelle de 100 points. de terroir dans toute son amplitude. Aussi, me propos, Antoine n’a pas esquissé le moindre
Ainsi, Chouilly figure uniquement comme suis-je fait conduire par Antoine à Chouilly, en sourire, mais son visage s’est refermé comme
grand cru sur la liste du chardonnay alors traversant Épernay. La raison en était simple, s’il venait d’avaler un poisson vieux de plu-
que le recensement des grands crus pour le car les deux meilleures cuvées de Lenoble, Les sieurs semaines. Puis, avec une moue qui
pinot noir comprend des vignobles entière- Aventures et Le Gentilhomme, sont unique- indiquait ce qu’il pensait de la profonde igno-
ment différents. Au total, il existe neuf ment produites à partir de raisin récolté sur rance recélée par ma question ingénue, il m’a
vignobles classés grands crus pour le char- les parcelles de Chouilly. Ils sont ainsi des patiemment expliqué que « pour produire de
donnay et treize pour le pinot noir. Quant au champagnes grand cru à 100%, uniquement grands champagnes, le sol doit contenir des
pinot meunier, il ne dépasse jamais la caté- confectionnés à partir de cépage chardonnay. couches de craie et d’autres minéraux essen-
gorie de l’appellation Champagne. Nous faisons d’abord halte au Vallon, l’un tiels. Ils confèrent au vin l’astringence néces-
Tous les champagnes de la maison A. R. des vignobles Lenoble à Chouilly. La cuvée Le saire à son équilibre. Les cépages chardonnay
Lenoble sont élaborés à partir de grands crus Gentilhomme est produite à partir des raisins cultivés en Bourgogne sont bien trop riches
ou de premiers crus. La parcelle à la cotation du Vallon et des Cités, une parcelle voisine et lourds en arômes pour se prêter à la
la moins élevée arbore cependant fièrement sur la même commune. Alors que nous confection d’un prestigieux vin pétillant à la
ses 95 points. Les grandes maisons de cham- déambulions à travers les vignes du Vallon, je suprême élégance. Toutefois, c’est précisé-
40 | 41

ment cette force et cette plénitude qui sont


Le Dr George Derbalian, l’un des experts en œnologie de Lettres appréciées dans les grands bourgognes. »
du Brassus, a fondé la société Atherton Wine Imports établie en Avec leur notation de 100 points, les par-
Californie septentrionale. Il n’est pas seulement devenu l’un des celles grand cru du Vallon et des Cités à
principaux importateurs de grands vins aux États-Unis, mais il a Chouilly appartiennent de plein droit à l’élite
également acquis la renommée parfaitement méritée de figurer de la classification officielle, mais il existe un
parmi les meilleurs connaisseurs en vins du monde. Dans cette emplacement encore plus privilégié, en haut
édition, George Derbalian nous fait partager sa découverte de de la colline : le Montaigu. Là, à portée de vue
l'exceptionnel champagne de A. R. Lenoble. et à une faible distance agréable à parcourir
depuis le Vallon, se trouve le vignoble des
Aventures. Si le terme de « montagne » sem-
ble à l’évidence fortement exagéré pour
décrire l’éminence sur laquelle s’étendent Les
Aventures, cette colline associe néanmoins
une exposition idéale avec un mélange opti-
mal de craie et d’autres minéraux, qui en font
d’une certaine manière le grand cru parmi les
grands crus. L’échelle officielle culmine à 100
points, pourtant Les Aventures mériteraient
encore davantage. La parcelle ne comprend
que quelques rangées de vignes, mais elle
représente un monopole, pour être entière-
ment la possession de la maison Lenoble.
ART DE VIVRE

S i vous êtes à la recherche d’un exemple


du fossé qui sépare les grandes maisons
de champagne avec leur culture de l’assem-
duits en masse se fait jour. Selon les canons
de la célèbre méthode champenoise, les vins
pour les champagnes de Lenoble sont élevés
Les bouteilles poursuivent leur maturation
jusqu’au moment de leur commande par le
client car le remuage ne débute qu’à cet ins-
blage de diverses récoltes et la production sur leurs lies sur des bouteilles disposées tant. Les champagnes de Lenoble sont donc
fidèle au terroir d’un petit établissement, dans les traditionnels pupitres. À de très rares produits « sur mesure » et permettent au vin
vous n’en trouverez de plus éloquent que exceptions près, toute la branche du champa- de mûrir avec ses levures et ses lies, ce qui lui
Les Aventures de Lenoble. Cette cuvée, la gne referme la bouteille en fermentation pen- confère son caractère. Selon le même prin-
meilleure de Lenoble, est uniquement élabo- dant cette phase avec une capsule métallique. cipe, un champagne déjà dégorgé et prêt à
rée à partir de raisins chardonnay, récoltés Ultérieurement, les bouteilles sont inclinées l’envoi n’évoluera en revanche plus guère.
sur la parcelle du même nom. Les vins de avec le goulot vers le bas afin que les lies se Sur un marché dominé par les géants de la
plusieurs millésimes y sont certes mélangés, rassemblent dans le col pendant le remuage production de masse, il est difficile de faire
mais le caractère du vignoble s’impose plei- manuel effectué à intervalles réguliers. Pour connaître les petits volumes « faits à la main »
nement. Il y a naturellement un prix à payer l’embouteillage final, le col est gelé, les gla- de champagnes typiques d’un terroir, d’autant
pour déguster un champagne de cette caté- çons de lies et levures retirés et la bouteille plus que les noms des vignobles et leur classi-
gorie et d’un seul vignoble : une production dotée de son bouchon définitif en liège et de fication demeurent si obstinément dissimulés
extrêmement limitée. Alors que des océans son muselet. Pour la cuvée Les Aventures en aux yeux du public. Mais Antoine Malassagne
de Dom Pérignon sont assemblés chaque revanche, la fermentation en bouteille se fait partie d’un petit groupe de viticulteurs, qui
année, une quête patiente et opiniâtre per- déroule déjà avec un authentique bouchon peuvent être presque considérés comme des
met seule de trouver l’un ou l’autre exem- en liège. Cette mesure permet à une certaine rebelles, car ils élaborent à partir de raisins
plaire de la cuvée Les Aventures. acidité de se transmettre à la bouteille pour récoltés sur leurs propres vignobles des cham-
Après notre excursion dans les vignobles de enrichir le processus de maturation. pagnes au caractère véritable. Les amateurs
Chouilly, nous repartons vers Damery et les Sous un autre aspect, Les Aventures, qui se donnent la peine de rechercher de tel-
caves de Lenoble, où une autre différence comme les autres cuvées de la maison, attes- les merveilles seront grandement récompen-
entre Les Aventures et les champagnes pro- tent de la fidélité à la tradition de Lenoble. sés de leurs efforts. I
LE VILLAGE DE CHOUILLY
42 | 43

NOTES DE DÉGUSTATION :

L E S AV E N T U R E S : A. R. LENOBLE 2002 ROSÉ : mousse rose, de fruits rouges et des notes rôties.
Il s’agit d’un assemblage de trois millésimes Ce rosé est un assemblage de 85% de chardonnay, Ce champagne ne doit pas être bu à la légère, il
exceptionnels, 1990, 1995 et 1996, élaboré exclu- récolté en totalité sur des vignobles grand cru, et requiert et mérite la considération.
sivement à partir de chardonnay récolté sur la 15% de pinot noir premier cru ; cette combinai-
parcelle Les Aventures. Il réunit en lui toutes les son est très peu habituelle pour des champagnes A . R . L E N O B L E 19 9 6
qualités : l’opulence et la maturité de l’année rosés qui contiennent généralement moins de Ce champagne illustre la complexité qui vient
1990, l’éclat et la longueur en bouche de 1996 et 40% de chardonnay. Ce pourcentage élevé de char- avec l’âge en offrant non seulement d’abondan-
la rondeur de 1995. Ce champagne ne révèle pas donnay donne au Lenoble une fraîcheur qui ne se tes notes de levures et d’agrumes, mais aussi de
uniquement un caractère et une structure extra- retrouve pas dans les autres rosés. De manière noisette et de vanille. En bouche, il révèle la qua-
ordinaires, mais également l’élégance d’une surprenante, avec sa faible teneur en pinot noir, il lité du vin qui a servi à son élaboration. Sous cer-
splendide lignée. L’équilibre entre l’onctuosité arbore une teinte un peu plus sombre que la plu- tains aspects, ce vin possède les caractéristiques
et l’intensité du fruit est remarquable. part des autres champagnes rosés. Il offre une d’un grand bordeaux blanc : brillante acidité,
abondance de bulles petites et persistantes à profondes notes de fruit parvenu à maturité et
19 9 9 L E G E N T I L H O M M E : laquelle il convient de prendre garde au moment remarquable longueur en bouche. Lorsque la
Un autre exemple de 100% chardonnay des de servir pour éviter tout débordement. Son nez description s’attache aux cépages qui ont pré-
vignobles grand cru de Chouilly. Il se présente se caractérise par de puissantes notes de levures sidé à la confection du vin plutôt qu’aux bulles,
sous un jour légèrement plus fruité que Les et, comme son aspect le laisse deviner, d’intenses c’est le signe que nous en sommes en présence
Aventures, avec un délicat équilibre entre une arômes de cerise. Contrairement à des champa- d’un grand champagne.
légère note d’agrumes et des nuances de crème. gnes de moindre qualité, le caractère authentique
C’est un vin d’une extrême élégance. de ce vin est sous-tendu d’une grande force. Au
palais apparaissent des parfums de pample-
GROS PLAN

La personnalisation des garde-temps par l’art séculaire de la gravure est


une spécialité emblématique de Blancpain. Le talent de nos graveuses
s’exprime sur des métaux nobles (or, platine, cuivre, laiton) ; elles reprodui-
sent par incision dans la matière des images gravées manuellement sous
le microscope. Pour des garde-temps personnalisés, les graveuses de

PRÉCIEUSE TRIADE
TOUTE LA MAJESTÉ DU GESTE
Blancpain travaillent d’après un dessin choisi par le futur propriétaire, garan-
tissant l’unicité de la montre qui devient ainsi une authentique œuvre d’art
produite à un seul exemplaire. Les artisans graveurs doivent avoir une connais-
sance approfondie des techniques de dessin et une pratique constante qui,
seule, donne à leurs mains la sûreté, l’habileté et la dextérité nécessaires.

PAR DIDIER SCHMUTZ


44 | 45
GROS PLAN
46 | 47

S euls, les meilleurs d’entre les meilleurs


œuvrent dans les ateliers d’où sortent les
montres Blancpain. Au Brassus, la Manufac-
un véritable laboratoire de la création, au
sens large cette fois, de ce que recouvre le
concept du design aujourd’hui.
ture Blancpain constitue sans conteste un Traditions, savoir-faire, geste séculaire,
réservoir de talents. Loin d’être gratuite ou création… le vocabulaire est exactement
disproportionnée, l’affirmation se confirme celui qui sied à la haute horlogerie. Des mots
une nouvelle fois avec Marie-Laure, Anaïs et si précieux suggèrent aussi que les établis de
Gwenaëlle. Afin de faire plus ample connais- l’école d’art parisienne ne sont pas destinés
sance, commençons par un petit tour à au premier venu, tout comme les magnifi-
Paris, plus précisément à la prestigieuse ques établis estampillés Blancpain d’ailleurs.
École Boulle, là où ont été formées les trois Beaucoup d’appelés, peu d’élus. Qu’on en
graveuses. juge. Sur 3500 candidats, en général des jeu-
Fondée en 1886, contemporaine de la nes déjà titulaires d’un bac, en Arts appliqués
Révolution industrielle, l’École Boulle a tra- par exemple, quelque 600 dossiers passent le
versé le XXe siècle et demeure tout à la fois premier écueil ; après une seconde sélection,
un lieu mythique de traditions et d’innova- ils seront moins de 200 à être admis au
tion, un creuset dans lequel s’élaborent de concours d’entrée. Finalement 24 étudiants
nouveaux « savoir-faire » nourris de l’expé- passeront le seuil de l’École Boulle. Pas un de
rience du geste séculaire. L’école est en quel- plus.
que sorte simultanément devenue un Quand on vous disait que « seuls les meil-
conservatoire du geste et des connaissances leurs d’entre les meilleurs… », il n’y avait
artisanales, dans l’acception noble du terme, aucune exagération dans le propos.

QUAND ON VOUS DISAIT « SEULS LES

MEILLEURS D’ENTRE LES MEILLEURS… », IL N’Y

AVAIT AUCUNE EXAGÉRATION DANS LE PROPOS.

Du dessin à la réalisation finale,


la maîtrise artistique des graveuses
est complète. Ici, Anaïs.
GROS PLAN

Gwenaëlle, lors de l’étape du plâtre,


qui lui permettra d’appréhender le volume
définitif. Cette étape sert à évaluer les
difficultés qui surviendront lors de la gravure.

L’ART DE LA GRAVURE MANUELLE CONSTITUE L’EXPRESSION

LA PLUS NOBLE ET LA PLUS PURE DE LA PHILOSOPHIE BLANCPAIN.

Haute horlogerie : le bonheur l’échoppe 1 pour faire du modelé que j’ai


retrouvé l’esprit de l’École, la façon de tra-
Après une formation aussi sélective, on ima- vailler à l’ancienne, la vraie gravure. » Ses
gine que nos graveuses iront poursuivre leur deux collègues ajoutent « qu’en France, en
carrière dans les ateliers d’orfèvrerie ou de entreprise, personne ne fait la différence
bijouterie parmi les plus illustres ou, pour le entre une belle gravure et une autre, seule la
moins, à la Monnaie de Paris, l’établissement rapidité d’exécution compte. Ici, dans l’ate-
qui grave et fabrique les euros de la lier de La Ferme, c’est tout le contraire, nous
République Française, selon les méthodes sommes reconnues pour ce que nous valons
ancestrales pour les matrices de base. et nous avons tout loisir d’exprimer nos dons
Eh bien, non, pas forcément. L’industrie est sur des pièces de montres qui sont déjà, en
également très friande de ces « boullistes ». soi, des œuvres d’art. Le nec plus ultra ! »
Ainsi, avant de trouver le bonheur dans la Oui, effectivement, graver tout en finesse
haute horlogerie, Marie-Laure passera une sur les masses oscillantes des grandes com-
dizaine d’années dans une fabrique spéciali- plications par exemple, constitue ce qu’il y a
sée dans le thermoformage à faire des de mieux. Lorsque l’une des mains de la
moules pour des emballages de parfumerie. triade appose sa patte sur l’une ou l’autre
« Je m’ennuyais, mais je ne m’en rendais pièce, nous entrons de plein pied dans le
pas vraiment compte », confie-t-elle, « c’est registre de l’objet unique. Et c’est exacte-
en arrivant au Brassus et en reprenant ment ce que souhaite Blancpain.

1 Petit outil de graveur, généralement taillé sur mesure selon la morphologie de la main ;
sa lame est affûtée selon différentes formes, plate, ronde et pointue, en fonction du relief à graver.
48 | 49
GROS PLAN
50 | 51

L’art sans concession comme si nous y étions toujours. D’ailleurs,


que ce soit pour répondre à une question,
Outre le diplôme, l’École Boulle donne aussi pour résoudre un problème technique ou
un esprit, un peu à l’image des Compagnons tout simplement par amitié, nous entrete-
du devoir qui parcourent la France – le monde nons des contacts fréquents avec notre
aussi parfois – en travaillant avant d’accom- professeur, Monsieur Le Hir ; il est déjà
plir leur chef d’œuvre et d’entrer dans la vie venu plusieurs fois visiter la Manufacture
active munis d’un bagage qui va bien au- Blancpain. »
delà des compétences professionnelles. Ainsi se tissent des liens précieux et voilà
« Être boulliste, c’est faire partie d’une comment Marie-Laure s’en est allée, un beau
communauté. » Pas l’ombre d’un doute jour de février voir son professeur, porteuse
là-dessus, toutes trois sont unanimes. d’une mission particulière : l’embauche.
« Quand on y entre, on y reste », renchérit C’était en 2007. Quelques mois plus tard,
Marie-Laure, « dès que je vais à Paris, je Anaïs et Gwenaëlle prendront le chemin de
passe par l’École et nous sommes accueillis la Vallée de Joux. La triade est formée.
GROS PLAN

Marie-Laure : « La gravure au binoculaire requiert une concentration sans faille et une véritable gymnastique des yeux. »

À la Direction générale de Blancpain,


décision avait été prise de développer
l’atelier de gravure, mais en évitant de se
techniques numériques ; elles facilitent le
travail, augmentent la vitesse d’exécution
certes, mais elles enlèvent le coup de génie
Blancpain, les responsables de la manufac-
ture ajoutent que « l’on différencie très bien
l’œuvre faite à la main du travail craché par
doter d’une technologie de pointe. Peut- de l’artiste. Ancrées dans leur savoir-faire, la machine ».
être, ou plutôt sans doute parce que la gra- élevées dans le respect de la chose parfaite- Le client – l’amateur d’art devrait-on dire –
vure exclusivement manuelle constitue l’ex- ment manufacturée, les trois graveuses ne semble très bien faire la différence égale-
pression la plus noble et la plus fine – au sens sont pas là pour ce genre d’activités ; elles ment. Les demandes en motifs personnalisés
propre et figuré, dans le geste comme dans n’en voudraient d’ailleurs pas. Écoutez Anaïs : s’accumulent, la liste d’attente s’allonge.
l’esprit – de la philosophie Blancpain. Jamais « Le numérique, ce n’est plus de la gravure ; Dans leur atelier, les trois graveuses sont à
il n’y aura de gravure en machine. Dans cet pour la main, il ne reste que le polissage l’ouvrage ; la patience de l’amateur va être
esprit qui conduit à l’élaboration de l’objet et la retouche. J’ai fait ça pendant six mois, récompensée de belle manière.
d’art, aucune concession ne sera faite aux ce n’était pas intéressant du tout. » Chez I
52 | 53

VOY AG E AU J A P O N
En août 2008 se tenait la Tobu World donc pas trop comment cela allait se pas-
Watch Fair de Tokyo. Le temps de cette ser », dit-elle.
exposition japonaise, Gwenaëlle s’est En l’absence de moule, Gwenaëlle se lan-
muée en ambassadrice du grand art que çait dans un travail délicat, sans filet de
l’on cultive dans l’atelier de gravure de La sécurité. D’où quelques appréhensions,
Ferme. Au pays des estampes, ces peintu- d’autant plus qu’elle gravait son premier
res obtenues à partir d’une fine gravure paysage. Craintes vite envolées grâce à
sur bois, sa présence en démonstration sur l’intérêt d’un public nombreux qui venait
l’espace Blancpain a dû être remarquée. sans doute là en connaisseur puisqu’il y a
Elle livre ici ses impressions. de la gravure dans les estampes japonaises.
« J’avais carte blanche quant au motif, « Les gens venaient en grappe autour du
j’ai donc choisi de graver le Mont Fuji grand écran qui, grâce à une caméra pla-
afin que les spectateurs puissent se cée dans mon binoculaire, projetait l’en-
retrouver dans un paysage familier. semble de mes gestes. Ils manifestaient un
Pressée, j’ai dessiné le croquis dans ma grand intérêt, je l’ai constaté parce qu’ils
chambre d’hôtel sans avoir le temps de revenaient plus tard dans la journée,
passer par l’étape du plâtre ; je ne savais histoire de voir où j’en étais arrivée. »
ART DE VIVRE

Philippe Chevrier,
l’architecte de la cuisine
PAR JEFFREY S. KINGSTON

LE CUISINIER PHILIPPE CHEVRIER, DEUX ÉTOILES AU MICHELIN,

AIME SE COMPARER À UN ARCHITECTE CAR IL CONÇOIT CHAQUE

METS DANS SES MOINDRES DÉTAILS.

S elon une opinion fermement ancrée, la


grande cuisine est une question de sen-
sibilité. Une pointe de ceci, une pincée de
sunlights, et il est parfaitement à sa place
dans nos cuisines domestiques. Des prépara-
tions simples et honnêtes s’accommodent
Ainsi que le savent les grands cuisiniers – et
oubliez à cet égard les insipides fanfarons de
la télévision – la pâtisserie est une science
cela, peut-être quelques gouttes d’une autre parfaitement de cette approche désinvolte. extrêmement exigeante. Les ingrédients doi-
substance, le tout accompagné par le vigou- Cependant, pour être admis dans le cénacle vent être mesurés au gramme et les temps de
reux mélange des ingrédients dans une étroit des grands restaurateurs suisses, il est cuisson à la seconde près. Cette discipline, ou
poêle... autant de signes incontestables pour préférable de se détourner d’une telle légè- pour utiliser le mot de Philippe Chevrier, cette
de nombreuses personnes qu’un grand pro- reté. Le terme que le chef genevois Philippe précision, s’applique à l’ensemble du menu de
fessionnel est à l’œuvre. Ce mythe est nourri Chevrier, deux étoiles au Michelin, a utilisé de son restaurant, le Domaine de Châteauvieux,
par des chefs célèbres, qui paradent à la manière récurrente au cours de notre discus- à proximité de Genève.
télévision et s’exclament « J’ai encore légère- sion au sujet de sa philosophie était celui de Une précision millimétrique est devenue le
ment poivré le tout » et, visiblement enchan- précision. En effet, il considère que la stricte signe caractéristique de la cuisine suisse
tés de leurs propres créations, ponctuent discipline requise d’un pâtissier s’applique à actuelle. Il n’est pas étonnant que Philippe
leur triomphe d’un « waouh, génial » ! tout l’éventail des apprêts de son restaurant Chevrier ait été l’élève du légendaire Frédy
Ce style de cuisine possède sa raison (et il est un pâtissier accompli, une qualité rare Girardet. Pendant son règne à Crissier, une
d’être, à condition de jeter par-dessus bord parmi les grands chefs internationaux qui ont localité proche de Lausanne, Frédy Girardet
les exclamations de contentement autopro- coutume de laisser la question des desserts était tout simplement considéré comme le
clamé des toques aux fourneaux sous les dans les mains des membres de leur brigade). meilleur chef du monde. Un pèlerinage à
54 | 55
ART DE VIVRE
56 | 57
À gauche, le vignoble de Satigny
et le Domaine de Châteauvieux.
À droite, le Homard bleu de Bretagne,
rôti aux girolles, émulsion de
carapaces à l’estragon.

PARVENU AU PINACLE DE LA GASTRONOMIE,


PHILIPPE CHEVRIER EST L’UN
DES TROIS CHEFS QUI DÉFINISSENT
LA CUISINE SUISSE MODERNE.

Crissier était de rigueur pour les gourmets de sur la précision absolue dans la préparation mais représente un véritable sanctuaire à
tous les continents désireux de goûter l’extra- de chaque mets – rien n’est laissé à une l’écart des voies de communication conti-
ordinaire raffinement de son interprétation approximative poignée ou à une tout aussi nuellement engorgées de Genève et une
helvétique de la cuisine française. À l’évi- vague pincée – mais également dans sa intéressante alternative aux établissements
dence, Girardet était connu pour sa minu- conception. Loin de donner naissance à ses du centre-ville pour un séjour dans la région.
tieuse sélection des meilleurs ingrédients et sa créations devant ses fourneaux, avec les Et les collectionneurs horlogers seront parti-
formidable créativité dans la conception ingrédients et les épices à portée de main, il culièrement heureux de constater que cha-
d’une préparation, mais sa grandeur et sa commence par se saisir d’une feuille et d’un que chambre dispose d’un remonte-montre
suprématie sur tous les autres chefs distin- crayon. Il se compare à un architecte qui tra- électrique afin que leur garde-temps soit
gués par le guide Michelin provenaient de son vaille avec son équipe pour dessiner chaque parfaitement remonté au matin, même s’ils
attachement au moindre détail de chacun de apprêt sur le papier. Seule une connaissance l’ont déposé pendant la nuit.
ses mets. Sa précision sous tous les aspects. encyclopédique des produits et des techni- Notre récent repas estival au Domaine de
Formé par Girardet, Philippe Chevrier est ques permet de créer des mets par cette voie Châteauvieux a commencé par un splen-
devenu son élève et a rejoint deux autres de purement intellectuelle. Le travail une fois dide chapelet, ou plutôt une flottille inspi-
ses disciples, Gérard Rabaey (Restaurant du achevé, il dispose, à l’instar d’un architecte, rée, d’amuse-bouches. Les premiers à
Pont de Brent, les Lettres du Brassus n°3) et d’un plan parfaitement détaillé qui ne laisse ouvrir les festivités étaient une mousse de
Philippe Rochat (Restaurant de l’Hôtel de aucun espace d’improvisation à ses commis. homard acidulée avec céleri et une soupe
Ville, les Lettres du Brassus n°1) au pinacle Il en a apporté la preuve lors d’un grand de melon au porto. Je suis en différend
des chefs helvétiques. Girardet leur a trans- repas au Domaine de Châteauvieux. Situé sur avec la plupart des mousses. L’adjonction
mis le flambeau et, à eux trois, ils incarnent une éminence à une dizaine de minutes de de crème pour qu’une préparation mérite
désormais la grande cuisine suisse. l’aéroport de Genève-Cointrin, son restau- ce nom recouvre et altère fréquemment la
La discipline et ce mot qui ne cesse de rant bénéficie d’une vue dominante sur les saveur de l’ingrédient que la mousse est
revenir, la précision, semblent être autant vignobles de Satigny et le Rhône. À contem- censée mettre en valeur. Ce n’était pas le
comprises qu’attendues des gourmets suis- pler ces murs de pierres, la grande cheminée, cas ici. Le riche goût de homard, renforcé
ses. Philippe Chevrier pense que ce n’est pas d’antiques poutres et, naturellement, des par le citron se déployait pleinement et ren-
un hasard si son style s’est développé dans le fleurs à profusion, il est impossible d’imagi- dait encore plus plaisants les minuscules
même pays qui a élevé l’horlogerie au rang ner que le Domaine de Châteauvieux était morceaux de céleri servis en accompagne-
d’un art. Il y voit un parallèle. L’attention récemment encore une pizzeria avant que ment. Le melon et le porto composent à
patiente et immuable au moindre détail qui Philippe Chevrier ne le transforme en l’un des l’évidence un mariage classique et la prépa-
préside à la conception et à la construction temples mondiaux de la gastronomie. En fait, ration lui faisait honneur. En effet, Philippe
d’une montre délicatement assemblée à la avec ses douze splendides chambres, le Chevrier est parvenu à rendre parfaitement
main se reflète dans la réalisation d’un Domaine de Châteauvieux est un véritable cette association car l’équilibre entre le
apprêt délicat. hôtel de campagne qui n’offre pas unique- melon et le vin de porto était, pour rester
Toutefois, le parallèle ne s’arrête pas là. ment le luxe suprême de rejoindre son logis dans le vocabulaire de Chevrier, d’une sub-
Philippe Chevrier n’insiste pas uniquement en quelques pas après un merveilleux dîner, tile précision.
ART DE VIVRE

À gauche, le suprême de pigeon


des Deux-Sèvres poêlé aux petits
pois, cuisse confite et pastille
d’abats à l’ail doux et à la sauge.
En haut à droite, le tartare de
langoustines de Saint-Guénolé au
concombre et au caviar d’osciètre,
vinaigrette d’agrumes et pain
toasté au beurre d’algues.
En bas à droite, le flambage du
dessert aux framboises. Tout à
droite, la grande cheminée.

Une troisième mise en bouche a suivi, la de terre aux pousses d’orties et à l’ail doux. serviette chaude à utiliser en rince-doigts
vichyssoise, crevettes et œufs de moluga Toute personne douée de raison n’aurait pas après avoir manipulé les cuisses de grenouille.
impériale, aussi parfaite que légère, elle se dissimulé une profonde désespérance, née Enfin, l’heure était venue de lever le rideau
distinguait par un vert presque lumineux, de la crainte de ne pouvoir suivre ce rythme sur le premier mets, le tartare de langoustines
produit incontestablement par une abon- hallucinant jusqu’à la fin du repas, alors que de Saint-Guénolé au concombre et au caviar
dance de civette. les plats principaux n’avaient pas encore d’osciètre, vinaigrette d’agrumes et pain
Même après trois amuse-bouches, l’ouver- commencé à faire leur apparition. Mais le toasté au beurre d’algues. À l’instar de toute
ture de Chevrier ne touchait pas encore à sa marathonien de la cuisine qui sommeille en association entre caviar et langoustine, cet
fin. Deux autres apprêts se sont matérialisés moi m’a engagé à goûter aussitôt les cuisses apprêt était parfaitement décadent mais
sous la forme de variations sur le thème du de grenouille. Comme les comparaisons sont simultanément d’une légèreté aérienne. Toute
foie gras. Le premier, une mousse de foie de inévitables et que je confesse un certain fai- l’adresse de Chevrier s’est exprimée dans
canard, gelée de mangue parfumée de citron, ble pour tout mets articulé autour de l’ail, je l’équilibre de la gelée. Bien qu’annoncée
était particulièrement plaisant car plutôt que me suis rapidement convaincu que cet comme une vinaigrette, l’acidité était tout au
d’inscrire une seule saveur en contrepoint à la amuse-bouche était le meilleur de la série. plus un arrière-fond qui ne troublait en rien la
richesse du foie gras, Chevrier en a choisi Les cuisses de grenouille donnent un fond saveur délicate des langoustines et du caviar.
deux, la douceur fruitée de la mangue et l’aci- plutôt neutre qui permet de mettre en valeur Le toast en incarnait un splendide complé-
dité du citron. Si cette mousse était assuré- tout ingrédient qui leur est associé. Ainsi, la ment, qui apportait une nouvelle note océane.
ment un délice, l’escalope de foie gras de tête d’affiche était ici la purée à la richesse Le plat suivant était une nouvelle et bril-
canard poêlée aux cerises, caramel à l’anis opulente, relevée d’ail, d’orties (un ingré- lante démonstration de la précision millimé-
étoilé au vinaigre balsamique l’a encore sur- dient souvent négligé en raison de ses pro- trique de la cuisine de Philippe Chevrier : le
passée. Elle était divine, en n’offrant pas uni- priétés irritantes avant la cuisson) et des mor- homard bleu de Bretagne, rôti aux girolles,
quement à nouveau une double combinaison ceaux de tomates séchées au soleil. émulsion de carapaces à l’estragon. Le
entre saveurs douces et acides, mais la dépas- Après cet imposant convoi de six entrées homard était servi à peine translucide, préci-
sait par un superbe contraste de texture. en matière, je n’en ai pas cru mes yeux sément au point où la texture et la saveur se
D’une manière ou d’une autre, Chevrier est lorsqu’une septième petite assiette est appa- retrouvent à leur sommet. Avec sa douceur
parvenu à rôtir le foie gras en sorte de pro- rue, garnie d’un petit cylindre blanc qui res- et son éclatante fraîcheur, il formait un déli-
duire simultanément un extérieur croustillant semblait à une sorte de grande pilule. Alors cieux contraste avec le caractère terrien des
et un intérieur à la rare onctuosité. que je songeais déjà à me saisir de la four- girolles et, plus encore, avec le fond de cara-
Après cette glorieuse parade de cinq chette pour répondre à ce stimulus, le serveur pace qui présentait une abondance de
amuse-bouches, je ne doutais pas que le s’est écrié « Ne le mangez pas », tout en éle- civette et d’estragon. C’était assurément
splendide foie gras aux cerises en avait repré- vant sa main, paume ouverte, avec ce geste l’une des plus raffinées et délicieuses prépa-
senté le bouquet final. Pourtant, Chevrier a de « stop » universellement compris. Dans rations de homard qu’il m’a jamais été
présenté un nouvel apprêt, qui portait le une sorte de théâtre de table, il a versé de donné de goûter et elle se distinguait tout à
numéro six ! Il s’agissait de jambonnettes de l’eau chaude sur la « pilule » qui s’est immé- la fois par sa superbe légèreté et son délicat
grenouilles sautées, mousseline de pommes diatement transformée. Ah, il s’agissait d’une équilibre.
58 | 59
ART DE VIVRE
60 | 61

À droite, les framboises de Machilly


flambées à l’eau de vie et crème
de cassis, meringue à la crème double,
sorbet aux fruits rouges.

Une inquiétude est apparue. Le homard un défi particulier pour un restaurateur. Si le compote, avant d’être assemblées en forme
avait atteint un tel degré de perfection qu’il fournisseur n’est pas l’un des meilleurs, tous de tour avec des couches de meringue et de
semblait inévitable que l’apprêt suivant ne les soins apportés à la préparation ne suffi- petits fruits frais destinées à être coiffées par
provoque, à tout le moins, une infime ront pas à sauver le mets. Les grands éleveurs le sorbet. Des applaudissements spontanés
déception. Pourtant, tel n’a pas été le cas. le savent et ils ont adopté la coutume de ont chaleureusement salué la dernière tou-
Chevrier a présenté un saumon sauvage désigner leurs pigeons par leur origine. Les che de cette architecture culinaire, la mise en
d’Écosse « mi-cuit », coulis d’oignons rouges Deux-Sèvres figurent sans conteste parmi les place du sorbet.
et queue de bœuf au gingembre, jus de meilleurs et le pigeon était délectable. En point d’orgue, Philippe Chevrier a servi
viande aux échalotes et vinaigre balsamique. Il était temps de goûter aux fromages qui, un large éventail de chocolats faits à la main.
Cette combinaison est tout, sauf évidente. comme de juste, ont accordé la priorité à des Animé d’un dernier élan d’endorphine, je suis
Assurément une tendance se dessine de nos spécialités suisses, à l’instar de la Tête de parvenu à en goûter deux, qui attestaient par-
jours pour accompagner un saumon d’une Moine. Dans la meilleure tradition de Frédy faitement de leur noble origine helvétique.
sauce au vin rouge, car elle relève le carac- Girardet, une sélection de pains spéciaux Ce repas a parfaitement démontré que
tère carné de ce poisson, mais Chevrier s’est était offerte avec le chariot de fromages. Philippe Chevrier mérite amplement sa place
engagé dans une voie plus extrême avec un Pour conclure un repas d’une telle extrava- au sein d’un triumvirat helvétique qui com-
coulis assaisonné de gingembre et d’une gance, deux desserts s’imposaient. Et les prend également Rabaey et Rochat. Depuis
généreuse dose de poivre noir. Le résultat a deux étaient de saison. Le premier s’articulait des années, le guide Gault & Millau lui a
pris la forme d’un chef-d’œuvre. Chacun des autour de gigantesques cerises fraîches, sous accordé la note de 19 sur 20, à l’égal de ses
ingrédients – le saumon, la queue de bœuf, le nom de conversation aux cerises Bigarreaux confrères. Seul Michelin, qui tarde toujours à
les échalotes, le gingembre, le poivre, le vin au citron, glace parfumée à la verveine. Si reconnaître les talents, ne lui a pas encore
rouge – conjugue force et puissance. D’une l’alliance entre les arômes de cerise et de ver- décerné la troisième étoile qu’il mérite à tous
manière ou d’une autre, il est parvenu à les veine était étonnamment harmonieuse en les égards.
dompter en sorte de les unir en une seule bouche, le second dessert lui vola sur-le-
entité où aucun d’eux n’affiche sa supréma- champ la vedette. Il s’agissait d’une prépara-
tie sur les autres. tion aux framboises qui a inéluctablement
Le plat suivant s’est inscrit dans la lignée de attiré tous les regards des convives assis aux
ses prédécesseurs. Le suprême de pigeon des tables avoisinantes, les framboises de
Deux-Sèvres poêlé aux petits pois, cuisse Machilly flambées à l’eau-de-vie et crème de
confite et pastille d’abats à l’ail doux et à la cassis, meringue à la crème double, sorbet
sauge. Le blanc de pigeon parfaitement rôti aux fruits rouges. Dans le cadre d’une vérita- DOMAINE DE CHÂTEAUVIEUX
était servi avec ses accompagnements classi- ble performance artistique qui se déroulait Chemin de Châteauvieux 16
ques, des petits pois frais, une cuisse en sous nos yeux, des framboises étaient écra- Peney-Dessus
confit et les abats mélangés avec des fruits sées dans une poêle, flambées à l’eau-de-vie CH-1242 Satigny – Genève
séchés servis en pastille. Le pigeon représente et à la crème de cassis, puis cuites en une Tél : +41 22 753 15 11
DANS L’ A I R DU TEMPS

CREVETTE
62 | 63

Q uelle entrée en matière scandaleuse, pour ne pas dire


honteuse. Cependant, cet énoncé qui se contredit et
s’annule de lui-même, autour duquel le regretté humoriste
gravées sur un rotor de remontage, pour ne citer que quelques
termes d’une liste qui pourrait se poursuivre à l’infini.
De surcroît, une grande part des triomphes de l’horlogerie
américain George Carlin avait construit un fabuleux moderne réside dans la faculté à transformer, par le
numéro, recèle une contradiction qui compose un recours à une inventivité, une créativité et un
parallèle parfait avec l’enchantement offert savoir-faire hors pair, une complication
par la complication de la Grande Date. originellement conçue pour une mon-
Disons-le d’emblée, aux yeux des hor- tre de poche afin de la réaliser à
logers comme des collectionneurs, les l’échelle nettement plus réduite
montres-bracelets célèbrent la minia- d’une montre-bracelet. Aussi,
turisation. Loin de réduire l’attrait de quelle est donc la place de la
la petitesse, la mode des grandes grande date dans cet univers lilli-
dimensions le renforce. Même si le putien ? Nous voici en effet face
diamètre des montres actuelles s’est à une complication, incontestable-
considérablement accru depuis une ment fondée sur des composants aux
dizaine d’années, les petits détails – et les plus dimensions réduites, qui se vante de sa
raffinés restant les plus appréciés – continuent à taille respectable dans le royaume de l’infini-
définir les critères de la haute horlogerie. Quelle que soit la ment petit. En d’autres termes, une crevette géante.
grandeur d’un boîtier, les collectionneurs ne cessent de s’extasier Blancpain n’est pas la seule marque à proposer une grande
devant le filigrane d’une cage de tourbillon, le polissage des vis date. Nombre de fabricants ont incorporé des dispositifs de
minuscules destiné à leur conférer un éclat particulier, les irrépro- grande date aux garde-temps de leur assortiment. À travers
chables anglages effectués à la main, les décorations finement toute l’industrie horlogère, les systèmes de grande date sont

GÉANTE PAR JEFFREY S. KINGSTON


DANS L’ A I R DU TEMPS

identiques dans leur expression la plus sim- gration d’un affichage de la date aussi grand le dispositif qui allait répondre au nom de
ple, car ils recourent tous à une combinaison que possible dans les dimensions restreintes module 69 devait satisfaire à des exigences
de deux disques pour composer la date et d’un mouvement de montre-bracelet est le qui s’étendaient bien au-delà des questions
atteindre ainsi un affichage dont les impo- parfait contrepoint aux difficultés posées par relatives à la taille, à l’entraînement et à la
santes proportions restent hors de portée l’entreprise inverse, à savoir la miniaturisation synchronisation. À l’évidence, la dimension
pour un seul disque. Un élément permet de complications construites pour la taille était une valeur importante et l’objectif
cependant de les distinguer, il réside dans la généreuse des mécanismes des montres de recherché était de parvenir à un plus grand
créativité et l’intelligence déployées par le poche afin de les adapter aux petits mouve- affichage de la date que d’autres marques
constructeur du mouvement afin de trouver ments des montres-bracelets. À cet égard, le horlogères pour des mouvements de gran-
une manière d’entraîner et de synchroniser succès de l’aventure repose, une fois encore, deur comparable. Cependant, ce critère ne
les deux disques pour indiquer correctement sur le talent et le savoir-faire du constructeur. représentait qu’un point de départ. En effet,
la date en tout temps. Ainsi, dans un splen- Au moment où Blancpain a entrepris de les responsables du projet avaient en tête
dide paradoxe, le défi représenté par l’inté- développer son mécanisme de grande date, un changement instantané alors que les

La Léman Tourbillon
Transparence, limitée
à 27 exemplaires.
64 | 65

La Léman Flyback Grande Date. La Léman Tourbillon Diamants.

réalisations existantes se répartissaient entre force au barillet que les complications de La manière la plus aisée pour comprendre
une modification lente et progressive à l’ap- petite date existantes. Cette condition per- le fonctionnement du module 69 consiste à
proche de minuit et, dans un léger perfec- mettrait en effet d’intégrer la complication le diviser en divers éléments afin d’explorer
tionnement de cette première solution, un à la montre sans qu’elle ne réduise de individuellement chacun d’entre eux :
changement semi-instantané. Blancpain manière considérable la réserve de marche
souhaitait placer la barre encore plus haut. du mouvement. 1. le système de la roue 24 heures et de la
À cet effet, il était indispensable de garantir Blancpain est non seulement parvenue à came de changement de date instantané ;
le blocage de l’affichage de manière totale- atteindre tous ces objectifs avec son nouvel 2. le changement de date pour les unités et
ment fiable pour éviter des indications affichage, mais elle l’a doté d’un avantage le fonctionnement du ressort de blocage /
absurdes à l’instar de « 32 » qui auraient supplémentaire, la minceur. Le volume des d’activation ;
requis l’envoi sans retard de la montre au dispositifs de grande date existants à cette 3. le système de changement du
centre de réparation. Enfin, le mécanisme époque était plutôt imposant et il provoquait disque des dizaines et
devait présenter un bon rendement énergé- une augmentation peu souhaitable de la 4. le système de correction rapide de la
tique et ne retirer que légèrement plus de hauteur du mouvement. date par la couronne.

QUAND BLANCPAIN A ENTREPRIS DE DÉVELOPPER LE MODULE 69

DE GRANDE DATE, LES EXIGENCES S’ÉTENDAIENT BIEN AU-DELÀ DE

LA TAILLE, DE L’ENTRAÎNEMENT ET DE LA SYNCHRONISATION.


DANS L’ A I R DU TEMPS

Le système de la roue 24 heures


et de la came de changement de
date instantané (figure 2).

Le dispositif débute avec le pignon A, situé


dans le quart inférieur droit de la figure 2.
Ce pignon est entraîné par la roue d’heures
de la montre. La réduction opérée par le
pignon transforme la rotation de 12 heures
en une rotation de 24 heures. À son tour, le
pignon entraîne la roue B, qui tourne dans le
sens horaire.
L’élément intelligent de ce système est
représenté par la came C, solidaire de la
roue D. Pendant presque toute la
période de rotation de la roue B, la
came C et la roue D sont entraî-
nées par la roue B. La
« connexion » entre les deux
éléments est effectuée par le
tenon fixé sur la roue D. Ce
tenon s’insère dans une
ouverture oblongue prati-
B
quée dans la roue B et
D
repose presque continuel-
C
lement sur le bord anti-
horaire de l’ouverture. La
rotation de la roue B dans le
sens horaire fait donc avancer
le tenon.

Fig. 1
Vision d’ensemble du module 69 de grande date.
Le nombre de composants donne un aperçu de la
complexité de son fonctionnement.

LA CONCEPTION DU MODULE 69 ABONDE EN SOLUTIONS INTELLIGENTES, UNE

CAME POUR LE SAUT INSTANTANÉ DE LA DATE, DEUX ROUES PROGRAMMÉES

ET UNE SÉCURITÉ CONTRE UN CHANGEMENT DE DATE EN ARRIÈRE.


66 | 67

À minuit, cette agréable relation change Le changement de date pour avancer d’une dent la roue à 31 dents H, il
brièvement. Le sautoir E, doté d’un rubis à les unités et le ressort d’activation / intervient pour bloquer tout mouvement de
son extrémité, avance le long du bord de la de blocage (figures 3 et 4). la roue. Ainsi, un choc inopiné ne pourra
came C. Une observation attentive de la provoquer de changement indésirable dans
came permet de distinguer une protubé- L’élément central de la série précédente était l’affichage de la date.
rance (ou « nez »), suivie par un creux. Ce le brusque saut à minuit de la roue D. La Pour quelle raison l’engagement avec la
« nez » se trouve à la position de minuit. Au roue D s’engrène avec la roue F, qui tourne roue à 31 dents H est-il réalisé par un ressort
moment où la came se dirige vers cette posi- en sens antihoraire. Les deux roues D et F plutôt que par un doigt rigide ? La réponse
tion, la force du sautoir E poussé par le res- effectuent naturellement une rotation toutes réside dans la nécessité de prévenir toute
sort fait brusquement avancer la came vers les 24 heures. modification intempestive de la date vers
l’avant au moment où le ressort fait entrer le Aussi, que se passe-t-il à minuit, en d’au- l’arrière à minuit. Si la couronne était tour-
rubis dans la creusure située après le nez. tres termes, quel est donc l’effet du saut sou- née à l’envers et que le changement de date
Cette action produit naturellement un saut dain vers l’avant provoqué par le sautoir qui s’effectuait par un doigt rigide, le méca-
instantané dans le sens horaire de la came C passe du nez au creux de la came ? Cette nisme courrait le risque de se briser au
et de la roue D, qui sont solidaires. Ce bond action provoque un autre saut, en sens anti- moment où il passerait le cap de minuit en
soudain à minuit, provoqué par le ressort, horaire, de la roue F et du ressort d’activation / marche arrière. Toutefois, comme la transi-
est un élément central dans la réalisation de blocage G, qu’elle supporte. Le saut tion s’effectue par l’entremise d’un ressort,
d’un système de changement instantané de consécutif en sens antihoraire du ressort lors d’un réglage de l’heure en arrière, la
date. d’activation / de blocage lui fait saisir une des roue dépasse le ressort et préserve le sys-
Relevons également que la came C et la 31 dents de la roue H à sa droite et la fait tème de tout endommagement.
roue D peuvent se libérer de la rotation tourner dans le sens horaire. Par l’entremise Le second élément essentiel d’un simple
constante de la roue B, car leur « connexion » d’un autre engrenage, dont le fonctionne- changement d’unité est représenté par la roue
avec la roue B s’effectue au moyen du ment est décrit ci-dessous, la roue des unités I, qui comporte également 31 dents et tourne
tenon dans l’ouverture oblongue. Lorsque la tourne d’une position, ce qui provoque une dans le sens antihoraire. Cette roue peut être
came C saute vers l’avant, le tenon est avance instantanée d’un jour dans l’affichage considérée comme une sorte de roue pro-
simplement repoussé à l’autre extrémité de de la date. À l’évidence, la roue H possède 31 grammée. Au cours de la majeure partie de sa
l’ouverture. Comme la roue B continue sa dents, une pour chaque jour du mois. rotation pendant le mois – elle se déplace
rotation, elle rattrape le tenon et recommence Le ressort d’activation / de blocage pos- d’une dent par jour –, elle fait avancer d’une
à l’entraîner pour le reste de la période de sède une autre fonction, suggérée par la dent la roue J à 10 dents dans le sens horaire.
24 heures. seconde partie de son nom. Après avoir fait Le disque des unités est fixé sur la roue à 10

Fig. 2 Fig. 3
Le système de la roue 24 heures et de la came Le changement de date pour les unités et le ressort d’activation /
de changement de date instantané. de blocage.

E G
B H
C
I
A
D F
DANS L’ A I R DU TEMPS

dents et avance donc d’un jour à la fois. Une la zone des dents tronquées, la dent de la jours, sauf entre le « 30 » et le « 1 » où l’in-
partie de la roue I possède une fonction de date avance du « 30 » au « 31 », passe la tervalle ne comprend que deux jours car
programmation essentielle. Les quantièmes dent tronquée du « 31 », la dent tronquée l’unité des dizaines « 3 » ne reste en place
« 31 » et « 1 » ont la même unité, le « 1 ». Il du « 1 » et, finalement, la dent complète que pendant le « 30 » et le « 31 ».
est donc nécessaire que pendant ces deux pour progresser du « 1 » au « 2». La position Les ergots engagent la roue à quatre dents
jours, le « 1 » reste en place sans avancer. À des dents tronquées assume ainsi une fonc- L, située au-dessous. Le disque des dizaines
l’évidence, les autres parties du mécanisme, y tion de programmation en assurant qu’il n’y est fixé sur la roue L. Ainsi, lorsque l’un des
compris la roue de 24 heures, poursuivront aura pas de changement de l’unité « 1 » ergots engrène l’une des quatre dents, le
imperturbablement leur rotation et provoque- entre le « 31 » et le « 1 ». disque des dizaines avance vers l’unité sui-
ront l’avancement d’une dent. vante, dans l’ordre des quatre positions (« 0 »,
À ce point, interrogeons-nous donc sur la Le système pour changer « 1 », « 2 » ou « 3 »).
manière de stopper l’avancement du disque le disque des dizaines (figure 5).
des unités sur le « 1 » pendant le laps de Le système de correction rapide
temps qui s’étend du « 31 » au « 1 ». La Une autre forme de programmation est uti- de la date par la couronne (figure 6).
réponse se trouve dans la zone représentée lisée ici, illustrée par la came K. Elle se carac-
sur le dessin où l’absence d’une grande par- térise par la présence de quatre ergots sur Le système de correction rapide de la date
tie de deux dents est aisément observable. Il un disque qui tourne dans le sens horaire est constitué d’un rouage qui va de la roue
est possible de remarquer, dans le sens avec la roue intermédiaire H. Ces ergots sont M, à l’extrémité de la couronne, à la roue H
horaire, que de la dernière dent complète à logiquement disposés à des intervalles de dix à 31 dents. Au fur et à mesure de la rotation

UNE VISION GLOBALE DE CES SYSTÈMES PERMET DE CONSTATER

QUE LE MÉCANISME DE GRANDE DATE DE BLANCPAIN

PEUT LÉGITIMEMENT SE PRÉVALOIR DU TITRE DE « COMPLICATION ».

Fig. 4 Fig. 5
Le changement de date pour les unités (suite). Le système pour changer le disque des dizaines.

J K

I
68 | 69

de la couronne, naturellement extérieure M se déconnecte du rouage afin


dans la position de changement de permettre à la couronne de tourner
de date, le rouage avance en fai- librement sans changer la date.
sant progresser les roues à 31 dents. Une vision globale de ces systèmes per-
Le mécanisme doit cependant être met de réaliser que le mécanisme de
configuré en sorte de ne faire avancer la grande date, particulièrement lorsqu’il
date que lorsque la couronne est tournée possède un changement de date instan-
dans la bonne direction. Si la couronne est tané et une protection contre les chocs,
tournée dans l’autre sens – dans la direc- mérite amplement d’être considéré comme
tion qui provoquerait un recul de la date – une « complication ».
la roue M à trois dents sur la droite est dés-
engagée en sorte de tourner librement et
de ne pas engrener le rouage sur sa gau-
che. Le résultat désiré est ainsi obtenu.
Lorsque la couronne est tournée dans
la bonne direction, les trois engre-
nages avancent la date. Si elle
est tournée dans la direc-
tion opposée, la roue I

Fig. 6
Le système de correction rapide de la date
par la couronne.

H
ART DE VIVRE
70 | 71

L’ART SECRET DU
CHOCOLAT SUISSE
PAR DIDIER SCHMUTZ

U n jour, quelqu’un lança cet aphorisme :


« Neuf personnes sur dix aiment le cho-
colat et la dixième est une menteuse. »
quitter le centre-ville ; le déménagement
devient inévitable. Il s’agit d’adapter les lieux
de production à une demande sans cesse
Propos tout en justesse ou simple trait d’es- croissante. Le terrain adéquat pour l’édifica-
prit ? Si la formule devait être vraie, invitons le tion d’une nouvelle usine est trouvé à
sceptique à faire une petite visite. Au terme Kilchberg ; afin d’en assurer le financement,
de la découverte, il aura sans nul doute rejoint la famille transforme sa raison individuelle
le groupe des convaincus. Nous verrons. en une société anonyme : « Chocolat
Direction le n° 204 de la Seestrasse à Spüngli SA ». La fabrique est opérationnelle
Kilchberg, sur la rive gauche du lac de Zurich. en 1899.
Lindt & Sprüngli SA, fameuse entreprise Il en ira ainsi tout au long de l’histoire de
chocolatière suisse, s’est installée là, à la la chocolaterie, elle va d’agrandissements en
veille du XXe siècle. L’histoire commence ce- développements, en passant par l’achat judi-
pendant bien des années plus tôt, en 1845, cieux d’autres entités chocolatières, jusqu’à
lorsque le confiseur David Sprüngli-Schwarz ce que la société devienne « Lindt & Sprüngli ».
et son fils Rudolf Sprüngli-Amman acquiè- Aujourd’hui, l’entreprise est constituée en
rent un atelier couplé à une échoppe au une holding regroupant 17 sociétés, dont
cœur de Zurich. Au fil des ans, à mesure que huit sites de production dans six pays, sur
les succès s’enchaînent, la confiserie grandit, quatre continents. (Lire l’historique « Success
grandit… elle grandit à tel point qu’il lui faut story » page 75).
ART DE VIVRE

Au siège principal, sur la Seestrasse, l’as- de la fabrique dans son environnement.


semblage architectural des bâtiments frappe L’usine et ses activités font partie du pay-
l’œil immédiatement. Issue de l’union heu- sage. D’ailleurs, les gens de Kilchberg l’ap-
reuse de l’ancien et du moderne, née dans la pellent la « Schoggi » ; familier, le surnom
triple alliance de la fine brique rouge si typi- révèle l’attachement.
que des débuts de l’ère industrielle, du verre À ce stade de la découverte, parlant
et du béton, cette architecture – qui aurait d’odeurs, de pierres, de murs, de vitrages,
pourtant pu être hybride ou désordonnée ne croyez surtout pas que nous avons perdu
après maintes transformations et rénova- le fil de notre sujet sur lequel nous comptons
tions – témoigne au contraire d’un dévelop- conduire notre visiteur. La symbolique ins-
pement parfaitement maîtrisé. L’harmonie crite avec les lettres du temps sur les façades
qui règne entre les constructions de la fin du extérieures se retrouve à l’intérieur. Il ne
XIXe siècle et celles des années 2000 s’agit donc pas d’un détour mais bien d’une
résonne comme un symbole, celui d’un pré- entrée en chocolat.
sent construit avec grand respect sur les fon-
dations d’une solide tradition. DANS LE SAINT DES SAINTS
Guidés par Sarah Bouachir, attachée de
presse, prenons sans attendre la direction de Notre visiteur sceptique va avoir un grand
la maison qui abrite le secteur « Recherche privilège. « Nous sommes devant la porte de
et développement », située à une petite l’endroit le plus secret, le plus protégé de
dizaine de minutes de marche du complexe toute l’entreprise, dit Sara Bouachir, rares
principal. Si, durant ce court trajet, l’œil a sont les personnes autorisées à pénétrer en
été accroché, le nez, lui, est surpris. Dans ce lieu. Ici, nos maîtres chocolatiers travail-
l’air flotte un parfum de cacao, parfois doux, lent de façon artisanale ; ce n’est qu’après
parfois intense, tout dépend de la pression de longues semaines de tests, des années
atmosphérique, autrement dit de la météo, même, que nous nous tournons vers la pro-
pluie, brouillard ou soleil. Loin d’incommo- duction industrielle. Vous verrez, c’est fasci-
der les habitants des villas cossues qui joux- nant. Mais Urs Liechti vous expliquera tout
tent les infrastructures chocolatières, ce par- cela mieux que moi », ajoute-t-elle. Sur ces
fum se déguste un peu comme une mise en quelques mots, les présentations sont faites.
bouche ; le voisinage apprécie la présence Urs Liechti, le responsable qui dirige une
72 | 73

petite équipe de quatre autres artisans cho- chocolatiers restent des secrets bien gardés.
colatiers émérites, a l’accueil chaleureux de Rien d’étonnant à cela si l’on sait qu’il faut
ces passionnés, intarissables lorsqu’ils par- parfois plus de deux ans d’imagination et
lent de leur art. Art, le mot est choisi. Dans d’efforts avant de parvenir, enfin, à la com-
cet atelier bat le cœur des créations Lindt & mercialisation. Urs Liechti prend l’exemple
Sprüngli ; les chocolats qui sortent d’ici d’une création récente : celle des mousses,
n’existaient pas avant, ce sont tout simple- réunies dans la collection « Petits desserts »,
ment des œuvres originales, enrobées de lancée en janvier 2008 après 30 mois de
mystères, inimitables car les trouvailles des recherche et beaucoup de soucis. Explications.
ART DE VIVRE

Aucune des installations mécaniques en tous ces savoirs finira par mettre au point la
NOUVELLE TECHNOLOGIE
usage ne parvient à réaliser le résultat es- nouvelle technologie nécessaire à la produc-
« Tous les connaisseurs savent comment compté et pas question de mettre sur le tion de la variété Mousse au Chocolat de la
doit être la consistance d’une vraie mousse marché une création qui ne soit pas par- gamme « Petits desserts ». Pari gagné !
au chocolat et notre idée était de proposer faite. Que ce soit pour le goût ou pour l’as- Inutile de vous dire que les rouages de l’in-
une mousse parfaite, mais en plaque, donc pect, chez Lindt & Sprüngli, on ne déroge vention sont des secrets jalousement gar-
dans des quartiers bombés, enrobés d’une pas à la règle impérieuse qui exige que le dés, comme pour mieux satisfaire l’amateur
fine couche de chocolat afin de maintenir produit artisanal soit fidèlement reproduit auquel pense toujours Urs Liechti.
l’intérieur ». Le pari est lancé dans le but de par la machine. Que faire ? Renoncer ? Écoutons-le conclure de jolie manière ces
réussir une première mondiale, en ce sens « Pas question ! » répond Urs Liechti. « Même quelques instants passés en compagnie de la
qu’il ne s’agirait pas d’une simple tablette si dans notre métier de chercheur-créateur, grande tradition chocolatière suisse.
fourrée. Assez rapidement (quelques mois nous devons être capables d’accepter l’échec « Finalement, notre cadeau, c’est de voir
tout de même), le savoir et l’habileté des en renonçant après des mois et des mois de que des gens vont choisir nos créations, les
chocolatiers proposent un « prototype » qui labeur intensif, là c’était devenu une ques- apprécier, ou avoir le plaisir de les offrir à
passe les tests et satisfait aux exigences de tion d’honneur. » Avec la bénédiction de la d’autres ».
tous, en commençant par l’impitoyable Direction générale, ingénieurs, techniciens, Pour notre visiteur, le temps est venu de
Commission dégustation, les spécialistes du mécaniciens de précision et, bien sûr, les goûter, de laisser fondre en bouche le pré-
marketing et un corpus de consommateurs, maîtres chocolatiers, toute une équipe sent que lui fait Urs, le maître chocolatier.
également invités à donner leur précieux interdisciplinaire se met au travail avec foi et Persistera-t-il dans le mensonge ou le scepti-
avis. Jusque-là, pari gagné. Reste à trouver persévérance, mélangeant savamment les cisme du début de cet article ? Non. Le pas-
le chemin conduisant de l’artisanat à la compétences des uns et des autres. Au sage au 204 de la Seestrasse l’aura
grande production. L’affaire se corse. terme de grands sacrifices, l’addition de convaincu. I
74 | 75

SUCCESS
STORY
retrouver le goût inventé par les artisans monde entier par l’invention de la
sur les plaquettes ou les pralines qui sor- conche (une machine qui donne un cho-
tent par milliers des chaînes de produc- colat fondant, délicat, tel qu’on le
tion industrielle. Retournons à l’histoire connaît aujourd’hui) est le plus renommé
car, avant d’atteindre la holding d’au- de son temps. Pour « Chocolat Sprüngli
jourd’hui, le développement compte AG », c’est un coup de maître qui va assu-
encore bien des étapes. rer définitivement la pérennité de l’entre-
Forts de cet essor réjouissant, les prise qui se transforme en « Chocolade-
Sprüngli délocalisent à Horgen. En 1859, fabriken Lindt & Sprüngli AG ».
ils ouvrent une deuxième confiserie, avec Tout est en place pour affronter les
local de rafraîchissement, sur la très hup- temps modernes. L’entreprise traverse
pée Paradeplatz. Nouveau succès, nou- les deux guerres, rénove ses installa-
veau déménagement. En 1870, la fabri- tions, agrandit ses bâtiments de Kilch-
que retourne au centre de Zurich, à la berg ; elle commence dès le début des
« Werdmühle ». Le site de fabrication années cinquante à prendre pied à
comprend un bâtiment principal avec l’étranger1. Depuis le début de son
cheminée de four à vapeur, un atelier de histoire, Lindt & Sprüngli, représente la
confiserie, une grande pâtisserie et de marque chocolatière suisse « haut de
nouvelles écuries. Le développement de gamme ».
la ville de Zurich, notamment les construc- Évoquons maintenant l’avenir en com-
tions de la gare centrale et de la fameuse pagnie de Ernst Tanner. Le directeur
Banhofstrasse, va placer l’entreprise et ses général du groupe synthétise en rappe-
commerces dans la meilleure position ima- lant que « la stratégie de concentration
ginable. La confiserie devient le rendez- sur les compétences clés acquises au fil
vous incontournable du « tout Zurich ». des ans – à savoir : le contrôle absolu de
chaque étape de production, qui com-
ANNÉE CHARNIÈRE mence par la sélection des fèves de cacao
les plus précieuses (lire « Madagascar »,

L a société Sprüngli & fils est fondée en


1836. Sous la houlette de Rudolf, le
fils, qui s’est lancé dès 1845 dans la fabri-
En 1892, Rudolf Sprüngli-Amman se
retire ; il partage les entreprises entre ses
deux fils. À David-Robert, les confiseries, à
pages suivantes) pour s’achever dans le
produit emballé avec un positionnement
exclusif dans le segment du chocolat
cation d’un nouveau chocolat de qualité Johann, la fabrique de chocolat. Pour ce haut de gamme, synonyme d’une qua-
supérieure, l’atelier de 90 m sis en 2
dernier, en raison du succès toujours, lité fruit de la haute fréquence d’innova-
vieille ville de Zurich va rapidement mais aussi de l’essor du centre-ville de tion – compose une base extrêmement
devenir trop exigu. La grande bourgeoi- Zurich et de ses alentours, le temps est ferme et précieuse pour assurer le succès
sie apprécie cette friandise au goût un venu de trouver un nouvel emplacement et la pérennité de l’entreprise. »
peu exotique. Et en redemande. Nous afin de donner de l’air à l’entreprise, Voilà comment, grâce à la clairvoyance
sommes en 1845. Le pas de l’artisanat à trop à l’étroit dans ses murs de la des dirigeants successifs, l’atelier de 90 m2
la fabrication industrielle s’impose. « Werdmühle ». Le terrain idéal est est devenu un grand groupe internatio-
Attention ! Pas n’importe comment ! trouvé en 1898 à Kilchberg. L’entreprise nal. La clé de ce succès jamais démenti
Tout le génie des pionniers est là. Jamais ne quittera plus ce lieu. depuis plus de 170 ans ? Nous l’avons dit.
ils ne se départiront des valeurs fondatri- À cette même époque, Johann a la Les saveurs mystérieusement et patiem-
ces de l’artisanat, quand bien même ils possibilité d’acquérir la manufacture de ment mises au point par les maîtres
augmentent leur production. Ce défi est chocolat de Rodolphe Lindt, ainsi que la chocolatiers doivent se retrouver exacte-
relevé aujourd’hui encore par les maîtres marque et le procédé exclusif de fabrica- ment dans la production à large échelle.
chocolatiers qui œuvrent à Kilchberg. À tion éponymes. Rodolphe Lindt, chocola- Mais chut ! Les rouages de ce savoir-faire
chaque création nouvelle, il s’agira de tier bernois rendu célèbre dans le unique resteront secrets. I

1 Sociétés Lindt & Sprüngli avec sites de production en Suisse, Allemagne, France, Italie, États-Unis, Autriche. Sociétés Lindt & Sprüngli en Angleterre, Pologne,
Espagne, Canada, Australie, Suède, Mexique, Hongkong et République Tchèque. Réseau de distributeurs indépendants Lindt & Sprüngli dans le monde entier.
ART DE VIVRE

MADAGASCAR

L
b
FÈVES TROPICALES POUR DÉLICES NORDIQUES

e cacao provenant des plantations du


Nord de Madagascar est l’un des meilleurs
PAR DIDIER SCHMUTZ

Les Lettres du Brassus vous convient au


voyage. Allons à la rencontre de ces petits
pical rappellent un passé plus glorieux ; le
présent appartient au désordre et à l’anar-
qui soit, l’un des plus demandés par les choco- paysans, souvent à la merci des aléas du chie d’une broussaille qui reprend peu à peu
latiers haut de gamme. Rien d’étonnant dès commerce mondial, comme en témoigne la ses droits. À l’intérieur, les torréfacteurs
lors s’il se retrouve dans les compositions catastrophe qu’ils ont vécue avec le café. Fort rouillent. Un peu plus loin, les calibreurs, où
inventées par les maîtres chocolatiers de Lindt & heureusement, il en ira tout autrement avec l’on tamisait le café fraîchement torréfié
Sprüngli. Exemple avec la collection Excellence le cacao. Commençons par le côté sombre. avant de l’aspirer dans les silos, ne trem-
qui comprend une plaque « Madagascar » « Ici gît la Cafema. Usine à vendre. » blent plus. Dernières traces de vie, sur la
à 70% de cacao, relevé tout en finesse par L’épitaphe ne laisse place à aucune équivo- machine à emballer, sachets et rouleaux
une pointe de vanille, autre produit malgache que. Autrefois florissante unité de transfor- d’étiquettes semblent prêts à reprendre du
de grande qualité. Les fèves utilisées pour mation de café, la Cafema n’est plus qu’une service, comme si l’activité allait repartir
cette création, très prisée des consommateurs, structure à la dérive avec ses 3600 m de 2
après la pause de midi.
arrivent tout droit de la région du Sambirano, hangars abandonnés. À l’extérieur, les tra- Devant ce spectacle, Mauro, un coopérant
dans le Nord-Ouest de la Grande Île. ces de ce qui devait être un beau jardin tro- italien installé là depuis vingt ans, a le com-
76 | 77
ART DE VIVRE

mentaire sobre, pour ne pas dire résigné. dépenses somptuaires que dans l’achat de
« C’est complètement surréaliste, comme si pièces détachées. Il lâche aussi le mot priva-
une souris mourait de faim dans un magasin tisation, si cher aux chantres du libéralisme
de fromages ! Il y a autour de nous quantité qui dictent leur loi au sein de l’Organisation
de caféiers et ici, tout est parti à l’aban- mondiale du commerce (OMC). Il n’en fau-
don. » En bon Italien qu’il est, Mauro rêve de dra pas plus pour abattre la Cafema et jeter
remettre cette usine en fonction, dans le des centaines de familles dans la misère.
cadre d’un commerce équitable, avec des Comme tant d’autres, Monsieur Didier est
investisseurs dignes de confiance. au chômage. Enfin… chômage est un bien
Quant à Monsieur Didier, le dernier direc- grand mot dans un pays qui ne connaît pas
teur de la Cafema, il raconte la fin de l’en- les allocations. L’ancien directeur s’en tire
treprise en 1994, évoquant la concurrence comme il peut, exerçant quelques mandats
internationale et l’usure du matériel que pour des organisations non gouvernemen-
l’on ne peut remplacer, faute de moyens. tales présentes dans l’île. Et les ouvriers ?
Mal inspirés ou mal intentionnés, les ges- Qu’ils se débrouillent. Et les paysans ? Ils ne
tionnaires de Tananarive, la lointaine capi- récoltent plus ce café dont aucun acheteur
tale, investissent davantage dans des ne veut.
78 | 79

PAYSANS EN MARCHE Dans sa vision du développement, Florian


Noviasy est tout proche de l’idée du com-
Arrêtons-là ce tableau douloureux et pas- merce équitable que caressait Mauro. Une
sons à la bonne nouvelle. Parlons plutôt du utopie ? Non, tant il est vrai qu’en Europe,
renouveau car des perspectives plus réjouis- des importateurs de cacao se déclarent
santes existent bel et bien. Les petits paysans prêts à soutenir le premier maillon de la
font face avec détermination aux modifica- chaîne de production dans ses efforts de
tions de l’environnement économique ; ils se développement. C’est le cas d’Ecom Agro-
regroupent avec le soutien d’organisations industrial Corporation Ltd., une entreprise
européennes, telle l’AFDI – Agriculteurs fran- dont le siège est à Pully, en Suisse romande.
çais pour le développement international. Ils Opérationnelle sur tous les continents dans
ont dans leur manche un atout de premier le négoce du café, du cacao et du coton,
ordre. Le cacao. elle est la première société importatrice de
À Ambanja, nous avons rencontré Florian cacao aux États-Unis et fournit les principa-
Noviasy, l’énergique président de l’ADAPS, les multinationales.
l’Association pour le développement de
l’agriculture et du paysannat du Sambirano LABEL RECHERCHÉ
(district de la province de Diego, dont
Ambanja est le chef-lieu). C’est lui qui est à Avec le cacao, les paysans du Nord-Ouest de
l’origine des communautés des paysans Madagascar détiennent une chance réelle.
dans cette région essentiellement agricole. Le cacao malgache a récemment obtenu le
Sur les 23 communes que compte le district, label « cacao fun » de l’Organisation inter-
15 ont déjà formé des coopératives et rejoint nationale du cacao basée à Londres. Cette
l’ADAPS avec des objectifs qui vont de la pro- classification est attribuée après des tests
tection de l’environnement au développement chimiques déterminant le niveau d’acidité
des cultures vivrières (manioc, patates douces du produit. Des dégustations sont égale-
ou maïs) et des cultures de rente comme le ment effectuées par des professionnels du
cacao, la vanille, le poivre et l’anacarde. monde entier.
ART DE VIVRE

Bien que très faible (5000 tonnes environ), s’engagent techniquement et financière-
la production malgache est très recherchée. ment pour que les associations prennent le
Cas unique sur le marché, elle s’est même chemin de cette production durable. La
affranchie des cours mondiaux et le prix à la même philosophie se retrouve chez Lindt &
tonne (2500 euros) atteint le double de Sprüngli qui soutient des projets à la portée
celui du cacao de Côte d’Ivoire (1300 sociale ou écologique. L’entreprise suisse
euros). apporte également son appui à des universi-
À l’inverse de celui provenant d’autres tés qui œuvrent à l’amélioration agronomi-
pays producteurs, le prix du cacao de que des plantations. Mathieu Vidal, alors
Madagascar ne se discute pas et ne fluctue responsable des achats d’Ecom pour
pas en bourse. En raison de ses caractéristi- l’Afrique, a rencontré Florian Noviasy lors
ques organoleptiques, il a un arôme et une d’un passage à Ambanja. « Je voulais contac-
saveur spécifiques très recherchés par les ter des intervenants de la filière cacao. Notre
chocolatiers. Le succès du cacao malgache entreprise est assez impliquée dans le com-
vient aussi de son côté exotique : le nom merce équitable et nous avons plusieurs ini-
même de Madagascar fait rêver et repré- tiatives dans ce sens-là. Nous recherchons du
sente une aubaine sous l'angle du marke- cacao produit dans des conditions sociales,
ting. De plus, l’île possède des plantations économiques et environnementales dura-
certifiées biologiques, ce qui est encore rare. bles. Dans ce cadre, nous collaborons avec
Les avantages sont donc considérables, des coopératives de planteurs qui ont la
porteurs de grands espoirs à condition de capacité de travailler et de vendre la matière
suivre la filière en mettant en place des première FOB (free on board), ce qui sous-
standards de durabilité qui permettent entend que le groupement est lui-même
de produire des cacaos de qualité traça- exportateur. C’est dans notre intérêt de
bles et certifiables avec un cahier des défendre celui des coopératives. » Même son
charges fixant les règles de production. de cloche du côté de Kilchberg où l’on parle
En Europe, de gros importateurs de « win-win », anglicisme signifiant que de
comme Ecom font le lien entre les co- la production à la transformation, tout le
opératives et les utilisateurs finaux et monde y trouve son compte. S’agissant du
80 | 81

travail de l’ADAPS, Mathieu Vidal le juge


plus que positif : « Il est important que le
développement lancé par l’association se
fasse en partenariat avec un négociant inter-
national et idéalement un chocolatier ; il faut
dépasser le niveau institutionnel des ONG.
Si j’avais un conseil à donner à Monsieur
Noviasy, je lui dirais d’essayer d’intégrer dans
leur projet un utilisateur final, négociant ou
chocolatier. Nous serions tout à fait disposés
à participer avec l’ADAPS à un projet com-
mun : c’est un sujet de discussion qu’on
peut laisser ouvert ». Le message est clair.
Mal partie avec l’enterrement de la
Cafema, l’histoire se termine bien avec le
cacao. I
MORCEAUX CHOISIS DE L’UNIVERS BLANCPAIN

BLANCPAIN PARTICIPE POUR LA NEUVIÈME FOIS AU MONACO YACHT SHOW

Les liens entre Blancpain et le Monaco Yacht Frolla, champion du monde de plongée libre,
Show se sont toujours étendus au-delà du cette institution a pour objectif d’informer le
prestige et de l’éclat que le public associe à public sur le fascinant monde sous-marin et
la Principauté. Un engagement caritatif et de l’inciter à respecter le fragile écosystème
le soutien apporté à la croisade menée océanique.
par Monaco contre la myopathie de La présence de Blancpain à Monaco avait
Duchenne sont les symboles d’un parte- pour cadre cette année le yacht « Over the
nariat ininterrompu au cours des neuf Rainbow ». Son Altesse Sérénissime le Prince
dernières années. Une nouvelle dimen- Albert II de Monaco et les champions du
sion s’y est ajoutée en septembre dernier monde de plongée libre Gianluca Genoni
avec l’appui apporté par la marque à un et Pierre Frolla ont été accueillis à bord par
projet destiné à attirer l’attention des jeu- Marc A. Hayek, président de Blancpain, et
nes générations sur la préservation de la flore Alain Delamuraz, vice-président de Blancpain.
et de la faune marines. Selon une coutume établie depuis bientôt
Lors de l’édition 2008, qui s’est tenue du une décennie, Blancpain a créé un modèle
24 au 27 septembre, Blancpain a annoncé exclusif en l’honneur du Monaco Yacht Show,
son soutien à un programme d’initiation à la qui est traditionnellement dévoilé pendant le
plongée pour une cinquantaine d’enfants, salon. Cette année, il s’est agi d’une édition
organisé par l’École bleue. Dirigée par Pierre spéciale limitée à vingt exemplaires du chrono-

De gauche à droite : Luc Pettavino, S.A.S. le Prince Albert II, Alain Delamuraz, Marc A. Hayek, Pierre Frolla et Gianluca Genoni.
82 | 83

graphe Fifty Fathoms Flyback, au cadran


blanc, à la lunette blanche et au bracelet
blanc. Ce garde-temps au boîtier en acier
inoxydable est animé par le légendaire mouve-
ment chronographe doté d’une roue à colon-
nes et d’un rotor de remontage qui adopte la
forme d’un nautile, visible à travers le fond
transparent. La présence du drapeau moné-
gasque sur le cadran d’une blancheur imma-
culée souligne les excellentes relations nouées
de longue date entre la marque et la
Le yacht « Over The Rainbow ». À droite, S.A.S. le Prince Albert II. Principauté.

UNE NOUVELLE FIFTY FATHOMS DÉVOILÉE À CANNES acier, sa protection antimagnétique et son
bracelet noir en toile de voile, le modèle pré-
Pour la quatrième année consécutive, Blanc- nal de 1953, avec sa lunette noire et son senté en 2008 brillait par son exubérance. La
pain a pris part au Festival International de la cadran noir aux index blancs, son boîtier en série limitée pour le Festival International de la
Plaisance. Afin de souligner l’impor- Plaisance se caractérise en effet par un cadran
tance de l’événement, la marque a blanc, une lunette blanche et un bracelet en
choisi, comme l’an dernier, de lan- toile de voile blanche. Contrairement à la Fifty
cer un important nouveau modèle Fathoms classique dont le fond massif est
dans le cadre du salon cannois. rendu nécessaire par la présence du bouclier
En 2007, Blancpain a présenté à antimagnétique, le modèle Cannes arbore un
Cannes la première série des nouvel- fond transparent qui ouvre au regard le cali-
les Fifty Fathoms, dont les trente bre automatique 1315 à trois barillets et son
premiers exemplaires, exposés sur le rotor de remontage en forme de timon.
stand de la marque, ont immédiate- La Fifty Fathoms Cannes, exclusivement
ment trouvé preneurs. Cette année, disponible dans un boîtier en acier inoxyda-
le voile s’est levé sur une édition spé- ble de 45 mm de diamètre, s’inscrit d’em-
ciale de la Fifty Fathoms. Si l’an der- blée comme une création horlogère d’une
nier, la version de série était fidèle rareté absolue, car elle ne sera éditée qu’à
par son apparence au modèle origi- 20 exemplaires pour le monde entier.
MORCEAUX CHOISIS DE L’UNIVERS BLANCPAIN

LA ONZIÈME BOUTIQUE BLANCPAIN ET LA DEUXIÈME EN SUISSE

Tout autour du monde – Paris, Munich, La boutique de Zurich, qui a officiellement


Tokyo, Shanghai, Macao, New York, Cannes, ouvert ses portes le 30 août, est située sur la
Hong Kong –, les boutiques Blancpain repré- grande artère commerciale de la métropole
sentent des oasis de la culture helvétique. alémanique, la Bahnhofstrasse, à l’angle de
Avec leurs agencements intérieurs aux bois la Paradeplatz. Sur deux étages, la nouvelle
sculptés qui évoquent l’atmosphère des enseigne zurichoise reprend les thèmes fer-
ateliers du Brassus où les garde-temps de mement établis par les autres enseignes
la marque prennent naissance dans les Blancpain – nobles boiseries, confortables
meilleures traditions de l’art horloger, les fauteuils de cuir, espagnolettes traditionnel-
ambassades de la marque, qui reflètent les les en fer forgé pour les présentoirs, sans
valeurs de Blancpain, importent la Suisse et oublier un ancien comptoir de bar où savou-
la Vallée de Joux dans les grandes métropo- rer tranquillement un rafraîchissement.
les internationales.

Éditeur
BLANCPAIN SA
Le Rocher 12
1348 Le Brassus
Suisse
Tél.: +41 21 796 36 36
www.blancpain.com
pr@blancpain.com

Management de projet
Christel Räber Beccia

Rédaction en chef
Christel Räber Beccia
Jeffrey S. Kingston

Auteurs
Jeffrey S. Kingston
Didier Schmutz

Adaptation française
Jean Pierre Ammon

La boutique de Zurich est située à l’angle entre la Bahnhofstrasse et la Paradeplatz. Conception, Graphisme Design, Réalisation
thema communications ag,
Si une telle importation n’est à l’évidence Francfort, Allemagne

aucunement requise dans la métropole Direction Artistique


Frank Dillmann
suisse, il est néanmoins bienvenu que
Photolithographie
Blancpain étende sa présence dans son Karpf Kreative Bildbearbeitung,
pays d’origine en ouvrant à Zurich son Aschaffenburg, Allemagne
Goldbeck Art, Francfort, Allemagne
second point de vente helvétique. La nou-
Impression
velle boutique rejoint sa sœur genevoise, Volkhardt Caruna Medien, Amorbach, Allemagne
qui a récemment reçu le Trophée d’Ex-
Photographies
cellence, décerné par le magazine écono- Blancpain, Domaine de Châteauvieux,
Jeffrey S. Kingston, Andy Koschate,
mique Bilan, pour offrir l’accueil le plus Champagne A. R. Lenoble, Lindt & Sprüngli AG,
Bruno Maillard, Willy Moret, Omega Museum,
chaleureux et les meilleurs conseils parmi Thierry Parel, Céline Renaud, Anita Schlaefli,
tous les prestigieux commerces de la rue du Anne-Lise Vullioud

Rhône à Genève. Imprimé en novembre 2008


NUMÉRO 05

NUMÉRO 05

LE DERNIER
JARDINIER DE LA
FORÊT DU RISOUD
L’HISTOIRE Sur les traces de l’arbre à résonance

DE BLANCPAIN TOUTE LA MAJESTÉ


DU GESTE
L’art séculaire de la gravure,
2008

270 ans d’essais, d’épreuves et d’exploits bien vivant chez Blancpain


Fifty Fathoms Tourbillon
(réf. 5025-3630-52)

WWW.BLANCPAIN.COM
2008

Vous aimerez peut-être aussi