Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
DUNKERQUOIS
L'édition originale de cet ouvrage,
imprimée sur papier couché de luxe,
est constituée de
500 exemplaires numérotés
de 1 à 500
et de 50 exemplaires hors commerce
numérotés de I à L
@W e s t h o e k - E d i t i o n s 1984
Toute reproduction même partielle interdite sans autorisation de l'éditeur.
J e a n ��, DENISE
CARNAVAL
DUNKERQUOIS
Reportage photographique de Jean-Charles Bayon
Dunkerque, un nom qui claque au vent comme une oriflamme ! Ville gagnée
sur la mer, vieux nid de corsaires, enjeu de furieuses batailles du passé entre
Espagnols, Français, Anglais et Allemands, Dunkerque a retrouvé la paix. Grand
port industriel de l'Europe du Nord, immense chantier en perpétuel devenir,
ruban d'usines déroulé le long du littoral, cité aux rues rectilignes bordées
d'immeubles stricts de l'après-guerre, Dunkerque, c'est le bout de la Flandre, le
« Westhoek », presque le bout du monde ! Pourtant, une fois l'an, le vent qui
chasse dans le ciel du Plat-Pays ses vagues de nuages venus de la mer devient
vent de folie, et pousse à travers toute l'agglomération, de Rosendael à
Saint-Pol-sur-Mer, des nuées de masques et des forêts de parapluies...
Le carnaval dunkerquois, c'est avant tout la bande des pêcheurs, la
« visschersbende », masse compacte et disparate, compression de rangs cahoti-
ques, cohortes improvisées formant un inquiétant kaléidoscope prêt à tout
balayer sur son passage. Dans cette fantastique fête brueghelienne se côtoient de
superbes nègres emplumés brandissant les reliefs de leurs festins cannibales, des
pêcheurs d'un temps révolu, des cosaques, des corsaires, des écoliers aux tabliers
de vichy, des « sauvages » de toutes les parties du monde, des moines, des
Chinois, des explorateurs, des femmes déguisées en hommes, des militaires d'une
autre époque, un fier Viking coiffé d'un moulin à légumes en guise de casque, des
bébés en barboteuses mâchonnant d'énormes tétines, des Gaulois ou des Goths
parés de cornes puissantes, et puis, surtout, toute une foule de personnes aux
ingénieux costumes tirés d'oripeaux dérisoires. Çà et là, de provoquantes
créatures au maquillage outré et aux appâts rebondis, inondées de parfums
agressifs, dévoilent sans pudeur leurs dessous affriolants et le galbe gracieux de
leurs jambes poilues aux muscles de lutteurs. Chez nous, pas de défilés de chars,
mais la participation massive de la population ; pas de batailles de fleurs mais un
engagement physique complet dans un gigantesque chahut collectif ; pas de
costumes somptueux mais la fantasmagorie des déguisements de la plus haute
fantaisie et l'exubérance des couleurs vives dont sont grimés les visages ; pas de
service d'ordre mais une ville entière livrée à la déraison ! Dans l'air flotte l'odeur
douceâtre de la bière et de la sueur que le fumet généreux du poisson sec ne
parvient pas à masquer. A l'appel magique et stridulant des fifres, au roulement
guerrier du tambour battant le rigodon, répondent la cacophonie des choeurs
époumonnés et le joyeux tintamarre d'une fanfare aux ordres d'un tambour-
major de parodie. En marge de la « bande » règne « l'intrigue » : des groupes aux
masques grimaçants s'en prennent aux spectateurs auxquels ils dévoilent
publiquement des vérités qui ne sont pas toujours bonnes à dire, tandis que,
solitaire, le « figueman » promène imperturbablement son hareng-saur .suspendu
par une ficelle au bout d'une perche...
A la tombée de la nuit, la lame de fond vient se briser dans l'apocalypse d'un
« rigodon final », ronde infernale que couronne un nuage de vapeur. Le calme ne
revient que lorsque retentissent les premières mesures de la « Cantate à Jean
Bart » : alors tout un peuple, à genoux, les yeux brillants d'émotion et les bras
tendus vers le ciel, clame un dernier hommage au corsaire statufié pendant que
Reuze, le géant d'osier, contemple d'un œil débonnaire l'agitation des parapluies
qui marquent la cadence d'une immense ovation païenne.
Pour se reposer d'avoir sauté, couru, chahuté, hurlé toute une après-midi, les
« masques », précédés de musiciens plus ou moins chevronnés, envahissent les
cafés et les maisons amies, histoire d'attendre le début du bal qui durera toute la
nuit ! Le lendemain, encore, il est courant de rencontrer, au hasard des rues, des
groupes hagards, hirsutes, décolorés, insolites vestiges de l'immense fête tribale
qui chaque année rassemble dans son « melting-pot » les rondes initiatiques et
barbares des Dunkerquois de souche ou d'adoption venus des quatre coins du
monde.
Arrivé à Dunkerque en 1967, j'ai d'emblée été conquis par l'étrange et
violente beauté de cette fête retrouvée dans un monde qui en a perdu le sens. De
« bandes » en bals, mes amis dunkerquois m'ont initié et m'ont fait comprendre
que la massive participation de la population aux débordements carnavalesques
ne doit rien au hasard. J'ai peu à peu découvert que le carnaval dunkerquois
trouve sa vitalité dans de profondes racines qui le rattachent à une très ancienne
tradition : la truculence du parler, l'abolition momentanée mais presque totale
(quoique quelque peu ambiguë) des barrières sociales et des interdits, les excès
de toutes sortes, la dérision des costumes, le rituel des chahuts et la richesse du
répertoire carnavalesque n'en sont que la résurgence. J'ai voulu faire partager ma
passion.
Au printemps 1977, avec R o c h Vandromme, un vieil ami de la bande, qui
de son côté avait commencé une ébauche de lexique du parler dunkerquois, j'ai
décidé de tenter l'aventure de publier un livre sur les chansons du carnaval. Pour
que l'entreprise ait quelque chance de succès, il fallait renforcer l'équipe par de
vrais carnavaleux, dunkerquois de souche, qui par leurs témoignages permet-
traient d'éclairer le sujet sous toutes ses faces. Ce fut d'abord J e a n C h a t r o u s s a t
qui, depuis des décennies, notait sur un petit carnet les mots dunkerquois
entendus dans son magasin de fruits et légumes de la Place de la République et
qui possèdait un répertoire de chansons locales dans lequel nous avons largement
puisé. Ce fut ensuite S e r g e Blanckaert, journaliste à « La Voix du Nord » de
Dunkerque et qui a « couvert » tous les carnavals de la région pendant de
nombreuses années. J e a n Wispelaere, le musicien,, eut la redoutable tâche de
retranscrire toutes les partitions musicales des chansons que nous collections dans
les endroits les plus divers. Et puis, enfin, il y avait Michel Heyden, une des
grandes « figures » du carnaval de l'après-guerre et qui nous a quittés trop tôt ; lui
qui disait : « le carnaval, ça ne se raconte pas, ça se fait », n'en finissait pas de
raconter, et nous l'écoutions. L'association carnavalesque et philanthropique
« Les Corsaires Dunkerquois » nous apporta sa caution pour le financement et
neuf mois plus tard, « Les Enfants de J e a n B a r t » étaient en librairie, donnant
naissance à Westhoek-Editions, mais ça, c'est une autre histoire...
De nouveau épuisé après quatre rééditions, le livre commençait à dater un
peu et j'ai pensé qu'il avait besoin d'une bonne réactualisation. La partie
historique a été reprise, complétée, réécrite et illustrée des meilleurs documents
historiques connus. J'ai demandé à. J e a n - C h a r l e s B a y o n , photographe à « La
Voix du Nord », qui a suivi avec moi presque toutes les manifestations
carnavalesques de la région dunkerquoise en 1982, 1983 et 1984, d'en recréer
l'ambiance par l'image. Le répertoire de chansons carnavalesques a été revu et
mis à jour et je n'ai pas omis d'y intégrer les « créations » apparues au cours de ces
sept dernières années. Enfin, le lexique du parler dunkerquois a été corrigé et
présenté de façon plus vivante...
« Carnaval Dunkerquois » se veut le livre de fête de toute une population, je
suis persuadé qu'elle s'y retrouvera !
Il se veut aussi un livre d'histoire, pas d'histoire avec un grand H, mais
d'histoire populaire, de celle dont les archives ne livrent que quelques mots, et
encore, du bout de lèvres dédaigneuses ! « Un peuple sans histoire est un peuple
sans avenir » dit-on, eh bien ! Le peuple du carnaval n'a pas de souci à se faire,
son histoire existe, que ponctuent les noms de ses héros : Marie-Patate, l'oncle
Cô, Manootje, Mietje Kattoen, Crote Mion ou autre Henrit'che Barboil...
Enfin, à l'heure où le carnaval dunkerquois est devenu un événement
d'importance nationale, ce livre voudrait en être l'ambassadeur souriant.
J. DENISE
HISTOIRE
DU CARNAVAL
DUNKERQUOIS
par Jean Denise
Les douze verres de genièvre
DE TWAELF GLAZEN.
10. 'k Nemen uyt het glazeken tien : Cette chanson célèbre les excès d'alcool,
Tien, 't is om te zien,
Negen dae me beven ;
courants dans le monde maritime du XVIIIe
Jan domme ! enz. siècle.
II. 'k Nemen uyt het glazeken elf : Elle a été collectée à Dunkerque dans la
Elf, 'k drink het zelv,
Tien 't is om te zien ;
première moitié du XIXe siècle par l'ethno-
Jan domme ! enz. musicologue Edmond de Coussemaker qui
12. 'k Nemen uyt het glazeken twolf :
la publia en 1856 sous le n° 119 dans ses
Twolf, 'k moet het wolgen, « Chants populaires des Flamands de Fran-
Elf, 'k drink het zelv, ce ».
Tien, 't is om te zien,
Negen doe me beven, Elle a été enregistrée dans le disque
Acht geeft me magt,
Zeven is me leven,
« Chants des marins des côtes de Flandre et
Zes, 'k doe me best, des Pays-Bas » [Disque co-produit par Westhoek-
Vyf doe me blyven,
Vier is me manier, Editions », Dunkerque et « Le Chasse-Marée », Lo-
Drie om twee, rient].
Chapitre 1
Au temps de la « foye » :
le départ des pêcheurs d'Islande au début du XVIIIe siècle
A D u n k e r q u e , les j o u r s g r a s s o n t m a r q u é s d e p u i s l o n g t e m p s p a r d e s m a n i f e s t a t i o n s
c a r n a v a l e s q u e s . L a m e n t i o n la p l u s a n c i e n n e qui ait é t é r e t r o u v é e à c e j o u r est u n e o r d o n n a n c e d u
Magistrat (1) ainsi libellée : « l ' o n d é f e n d p a r ces p r é s e n t e s d e la p a r t d e s bailly, b o u r g m e s t r e e t
é c h e v i n s d e c e t t e ville a v e c c o m m u n i c a t i o n et o r d r e s d e M o n s i e u r d e B o n n a r c o m m a n d a n t à t o u s
les b o u r g e o i s et h a b i t a n s d e cette ville qui p r é t e n d e n t d ' a l l e r e n m a s q u e , qu'ils n e s ' a d v a n c e n t d e
ce f a i r e s a n s p r é a l a b l e c o m m u n i c a t i o n d e M o n s i e u r le C o m m a n d a n t afin q u e q u e l q u ' u n d e l e u r
b a n d e r e s p o n d d e c e qui p o u r r a i t arriver e t s e f a s s e n t c o n n a i s t r e à M o n s i e u r le C o m m a n d a n t , fait
le 16me j a n v i e r 1 6 7 6 » (2). L e registre d e s c a p i t a t i o n s p o u r l ' a n n é e 1 7 0 9 fait é t a t d ' u n l o u e u r d e
c o s t u m e s et d e m a s q u e s n o m m é L a f o n d ; il était établi p l a c e R o y a l e (3) e t p a y a i t 4 livres d ' i m p ô t s .
C ' e s t v e r s cette é p o q u e é g a l e m e n t q u e s o n t m e n t i o n n é e s p o u r la p r e m i è r e fois les « f o y e s » d e s
p ê c h e u r s d ' I s l a n d e : e n s e t r a n s f o r m a n t e n « v i s s c h e r s b e n d e s » (4), c e s o n t elles qui o n t d o n n é a u
c a r v a v a l d u n k e r q u o i s le c a r a c t è r e m a r i t i m e qu'il a g a r d é d e p u i s .
D a n s la p r e m i è r e moitié d u XVIIIe siècle, D u n k e r q u e c o m p t e à p e i n e 1 5 0 0 0 â m e s (6), et s a
p o p u l a t i o n d e « g e n s d e m e r s » oscille e n t r e 1 0 0 0 et 2 0 0 0 p e r s o n n e s divisées e n d e u x classes très
distinctes : les m a t e l o t s et les p ê c h e u r s . L e s p r e m i e r s , attirés à D u n k e r q u e p a r la n a v i g a t i o n d e
c o m m e r c e e n t e m p s d e p a i x et p a r l ' e m b a r q u e m e n t s u r les n a v i r e s c o r s a i r e s e n t e m p s d e g u e r r e ,
f o r m e n t u n e n s e m b l e u n e n s e m b l e instable c o m p r e n a n t u n i m p o r t a n t c o n t i n g e n t d ' é t r a n g e r s
v e n u s n o n s e u l e m e n t d e H o l l a n d e et d e s P a y s - B a s a u t r i c h i e n s ( n é e r l a n d o p h o n e s c o m m e l'était
D u n k e r q u e à cette é p o q u e ) m a i s aussi d e s h o r i z o n s les p l u s divers : V e n i s e , G è n e s , C a t a l o g n e ,
Portugal, Irlande e t m ê m e Angleterre. L e s p ê c h e u r s , a u contraire, s o n t a u t o c h t o n e s e t f o r m e n t
u n e c o m m u n a u t é stable e t h o m o g è n e : h a b i t a n t à p r o x i m i t é i m m é d i a t e d e la halle a u p o i s s o n
m a l g r é les a g r a n d i s s e m e n t s successifs d e la ville, ils r e s t e n t fidèles à l e u r m é t i e r qu'ils e x e r c e n t d e
p è r e e n fils, s e m a r i e n t a v e c d e s D u n k e r q u o i s e s issues d e leur milieu e t d e m e u r e n t t r è s a t t a c h é s à
leurs traditions et à la l a n g u e f l a m a n d e qu'ils s e r o n t p a r m i les d e r n i e r s à p r a t i q u e r (7).
B e a u c o u p d e ces p ê c h e u r s c o m b i n e n t la p ê c h e a u h a r e n g (en a u t o m n e e t e n hiver) e t la
p ê c h e à la m o r u e (au p r i n t e m p s et e n été). C e t t e d e r n i è r e qui s ' e s t d é v e l o p p é e t a r d i v e m e n t à
D u n k e r q u e (à partir d e 1 5 5 0 v e r s le D o g g e r - B a n k (8)) p r e n d u n e i m p o r t a n c e c o n s i d é r a b l e a u
XVIIIe siècle, et, à la différence d e s a u t r e s p o r t s français, elle est dirigée e s s e n t i e l l e m e n t v e r s
l'Islande (9). L e b a t e a u m o r u t i e r d e l ' é p o q u e est le « d o g r e » (10), m a u v a i s m a r c h e u r m a i s t e n a n t
b i e n la c a p e , qualité essentielle p o u r la p ê c h e e n I s l a n d e ; j a u g e a n t 7 5 à 1 2 0 t o n n e a u x , il e s t
m o n t é p a r u n é q u i p a g e d e 12 à 15 h o m m e s .
A la fin d u XVIIIe siècle, ce s o n t e n m o y e n n e 6 5 à 8 0 d e ces d o g r e s qui a p p a r e i l l e n t c h a q u e
a n n é e à la fin m a r s , e m p o r t a n t a v e c e u x 1 0 0 0 à 1 2 0 0 p ê c h e u r s d u n k e r q u o i s . M a l g r é c e d é p a r t
tardif (au siècle suivant, les d é p a r t s a u r o n t lieu u n m o i s et m ê m e parfois d e u x m o i s p l u s tôt), le
v o y a g e s ' e f f e c t u e d a n s d e s c o n d i t i o n s p a r t i c u l i è r e m e n t difficiles. L a m e r est s o u v e n t g r o s s e , les
c o u p s d e v e n t imprévisibles s o n t m e u r t r i e r s et le froid est si i n t e n s e q u e les voiles, les c o r d a g e s d e
m a n œ u v r e et le p o n t s o n t c o u v e r t s d e glace qu'il faut e n l e v e r à intervalles réguliers p o u r c o n s e r v e r
a u b a t e a u s a liberté d e m a n o e u v r e . L e s b o u r r a s q u e s d e neige, les b r o u i l l a r d s givrants r e n d e n t la
n a v i g a t i o n p a r t i c u l i è r e m e n t d a n g e r e u s e a u x a b o r d s d e l'Islande o ù la r e n c o n t r e d ' u n i c e b e r g n ' e s t
p a s rare. A p r è s d e u x à trois s e m a i n e s d e n a v i g a t i o n (11), la p ê c h e c o m m e n c e alors q u e les
brillantes clartés d e s a u r o r e s b o r é a l e s c è d e n t p e u à p e u la p l a c e a u j o u r p e r p é t u e l : d e m a i à juillet,
il n ' y a p a s d e nuit e n Islande et, « l o r s q u e le p o i s s o n d o n n e , les h o m m e s n ' o n t parfois, d a n s les
p r e m i e r s mois, q u ' u n r e p o s d e 3 h e u r e s s u r 2 4 . L e s d i m a n c h e s e t f ê t e s s o n t i n c o n n u s »...
La pêche dunkerquoise à la morue par la chanson populaire
Haelt op u karegador, 10. Laissez donc aller le navire ; qu'il fasse écumer les vagues ;
Met een woord, déployez le hunier. lJ'atelot, apporte-nous la bouteille ! Pilote, à
bâbord ! regarde, voilà Nieuport. Puis, d'un commun accord, nous
Zoo 't behoort, tenons la côte jusqu'à Dunkerque.
Haelt den visch maer binnen boord.
VERTREK NAER ISLAND. Ces deux chansons dunkerquoises relatives
à la pêche à la morue en Islande semblent
dater du XVIIIe siècle et sont restées long-
temps très populaires à Dunkerque. Elles y
ont été collectées au début du XIXe siècle par
l'ethnomusicologue Edmond de Coussema-
ker qui les a publiées sous les numéros LXIV
et LXV dans son recueil de « Chants Popu-
laires des Flamands de France » (1856).
Les conditions de vie à bord, la dureté du climat ne sont peut-être que peu de chose en
comparaison de l'isolement moral dans lequel vivent ces hommes qui restent six mois sans
nouvelles de leur famille : ce n'est qu'à la fin du XVIIIe siècle et surtout au XIXe siècle qu'un peu de
courrier commence à circuler de manière très sporadique lors du va-et-vient des « navires
chasseurs » (14). Pendant toute la campagne, il est formellement interdit aux dogres de stationner
en baie et, à plus forte raison d'aborder dans l'île, sauf cas de force majeure pour lesquels les
capitaines doivent rédiger un rapport circonstancié. Au cours de ces escales exceptionnelles,
l'équipage n'est pas autorisé à descendre à terre. Vie cloîtrée, monotone, que rythment seuls les
chants de relève, les prières récitées en commun et les repas pris par bordée, dans la crainte du
prochain coup de vent : « on sait avec quelle rapidité se forment les tempêtes dans les parages
d'Islande. A la mer la plus calme au soleil le plus radieux, succèdent le plus terrible coup de vent, la
brume la plus opaque. Des tourbillons de neige obscurcissent en quelques instants l'atmosphère.
Des rafales furieuses, des lames énormes entraînent vers les brisants les navires qui se sont laissé
surprendre... » (15). Dans ces cas désespérés, il ne reste souvent aux pêcheurs qu'à faire brûler un
cierge béni à la « Petite Chapelle » le jour de la Chandeleur et à demander l'intercession de
« Notre-Dame des Dunes », la vierge salvatrice dont personne à bord n'a manqué d'emporter une
statuette protectrice ; à leur retour qui s'échelonne entre le 20 août et le 2 septembre, tous
participeront à la neuvaine de la Petite Chapelle, remerciant la Madone dunkerquoise de les avoir
protégés « au milieu des dangers ».
La peur du naufrage, l'isolement moral, une vie très dure sont difficilement supportés et
beaucoup d'hommes cherchent l'oubli dans l'alcool. Outre la petite bière, boisson quotidienne
distribuée à raison d'un pot (2,2 litres) par homme et par jour, la consommation de genièvre est
impressionnante : pour la durée de la campagne (moins de 180 jours) chaque dogre emporte
officiellement 40 litres de cet alcool par membre d'équipage qui en reçoit environ 1/4 litre par jour.
En réalité, les quantités consommées sont bien supérieures : avec la complicité des capitaines,
beaucoup de genièvre est embarqué à la place d'autres provisions de bord lors de l'armement du
navire ou encore clandestinement en rade de Dunkerque. Les abus d'alcool, courants dans le
monde maritime de cette époque, ont inspiré la célèbre chanson dunkerquoise « De twaelf
glazen » (les douze verres de genièvre) reproduite page 12. Ils ont été à l'origine de nombreuses
catastrophes en Islande, et il ne manque pas de récits de capitaines qui ont perdu ou endommagé
leurs navires parce que les marins n'étaient plus en état d'effectuer les manoeuvres. Aussi, sous la
pression des armateurs et de leurs compagnies d'assurance, la quantité de genièvre destinée aux
hommes d'équipage embarqués pour l'Islande a constamment diminué, passant de 0,25 1par jour
au XVIIIe siècle à 0,04 1 en 1935. De plus, la majeure partie de l'alcool n'était plus distribuée à
l'état pur mais diluée dans de l'eau bouillante ou du café chaud, pour fabriquer un breuvage
portant le nom de « gloria » : « à la première heure du jour, chaque homme reçoit sa ration d'eau
de vie. Il en absorbe aussitôt la valeur d'un petit verre. Le reste sert à composer les « glorias » et ce
soin est laissé aux hommes de poste » (16).
Les six mois passés à bord des dogres armés pour la pêche à la morue en Islande dans la
crainte de laisser une veuve et des orphelins sans aucune ressource en cas de disparition en mer
n'encourageaient pas les pêcheurs dunkerquois à s'embarquer de gaieté de cœur pour de telles
campagnes qui d'ailleurs tournaient parfois à la mutinerie (17). Aussi, les armateurs étaient-ils
contraints de verser une partie du salaire à titre d'avance pour pouvoir recruter leurs
équipages (18). A cette avance s'ajoutait la « foye », transcription phonétique du mot flamand
«fooy » qui signifie « festin » ou « fête ». Cette foye était organisée dans une auberge appelée
« foyus » transcription phonétique du flamand « foyhuys ».
La tradition rapporte qu'à l'origine, la foye était destinée à renforcer les liens qui devaient unir
les marins pendant des mois de vie commune. Ce sont deux vieilles chansons dunkerquoises
relatives à la pêche à la morue en Islande, « Reys naer Island » (voyage en Islande) et « Vertrek
naer Island » (départ pour l'Islande) qui, les premières, font allusion à ces « foyes ». Collectées
dans la première moitié du XIXe siècle par l'ethnomusicologue flamand Edmond de
Coussemaker (19), elles sont d'ailleurs intéressantes à plus d'un titre (voir pages 14 et 15). Dans
leurs premiers couplets, elles décrivent les préparatifs du départ et font mention de la foye qui
semble consister en un repas bien arrosé au cours duquel les pêcheurs et leurs compagnes dansent
au son du violon : « quand vient le moment de faire foye, on danse et on s'amuse ; personne ne se
plaint. Mais vienne le moment de s'embarquer, alors chacun se sent la tête lourde » [Vertrek naer
Island]. « Quand tous les préparatifs sont faits, nous faisons «foye » cela va sans dire. Chacun doit
s'y trouver avec sa bien-aimée ; ménétrier, joue-nous encore cette « matelotte ». Plus d'un couple
se dit adieu cette nuit. Quand la foye est terminée, nous devons bien entendu, mettre à la voile »
[Reys ner Island].
Raymond de Bertrand décrit cette foye comme une « sorte de fête que se procurent les
navires de pêche quelques jours avant leur départ vers l'Islande. Tous les marins auxquels se
joignent leurs femmes entendent simultanément la messe. Le midi, ils se réunissent de nouveau
dans quelque auberge pour y prendre un repas en commun, et, le soir, ils se livrent à des danses
au son du violon. L'armateur fait les frais de la journée pour une somme fixe, et l'équipage qui ne
sait pas toujours se borner dans ses amusements en supporte le reste. On se livre assez
fréquemment à des excès, dans ces réunions dans ces réunions où la bière et les spiritueux coulent
à grands flots, et comme la mésintelligence dans un équipage est une chose fâcheuse, les
armateurs ont fait tout ce qu'ils ont pu pour abolir cette fête. Quelques-uns ont réussi et paient
pour en faire un meilleur usage, à chaque homme, lors de la liquidation des avances, une certaine
somme à titre de folhuys » (20). « Le dimanche qui précède le jour du départ, le Rosendael reçoit
toutes'les familles, c'est comme une ducasse : on rit, on chante, on danse, on boit » (21). « Le
fooihuys est dépensé dans un établissement ou cabaret fixé d'avance. Les hommes s'y rendent
accompagnés de leurs femmes : la boisson préférée est le « gloria » composé d'eau chaude, de
rhum et de sucre » (22). Il semble bien que le « Rosendael » comme on disait alors ait été un des
lieux de prédilection pour la foye des Islandais. Ainsi Henri Durin cite un départ de nuit décidé à
l'improviste par les capitaines qui voulaient profiter d'un vent favorable : « à minuit, la plupart de
nos jeunes marins étaient encore tout à la danse et à leur joyeux ébats à Rosendael, au « Retour de
la pêche », quand, et quelle ne fut pas leur douleur, arrivèrent plusieurs patrons pour les prévenir
qu'il fallait partir. Tous suivirent, à part un petit nombre d'attardés qui durent s'embarquer tout
endimanchés » (23).
'n N e u z e n uyt !
On ne sait que peu de choses du carnaval dunkerquois sous l'Empire. Des bals parés et
masqués sont organisés dans la salle de spectacle, mais les temps sont durs à Dunkerque où le port
a été totalement délaissé au profit d'Anvers. Les avis que publient les loueurs de costumes reflètent
bien le malaise économique (voir page 34).
C'est à cette époque qu'aurait eu lieu un exploit extraordinaire attribué au capitaine corsaire
dunkerquois Gaspard Malo (34). Dans la nuit du mardi gras au mercredi des cendres 1809, après
le carnaval, il fait embarquer ses vingt quatre hommes d'équipage encore masqués et déguisés à
bord du « Furet », un lougre armé de quatre canons. Dans la matinée, le navire corsaire qui croise
à 15 miles de Dunkerque rencontre une galiote hollandaise qu'il décide de capturer. Le « Furet »
qui navigue sous pavillon neutre se rapproche facilement du bateau convoité. Gaspard Malo
commande alors à son équipage « 'n neuzen uyt » ce qui, en flamand, signifie « les masques
dehors » (35). L'équipage dunkerquois monte aussitôt sur le pont et les marins se mettent à
chahuter et à danser en chantant à tue-tête les chansons de carnaval de l'époque. Confiant, le
bateau hollandais se laisse si bien approcher qu'il se fait grappiner et aborder avant d'avoir réagi et
que les corsaires carnavaleux s'en emparent sans coup férir.
En 1814, sous la pression de la 6e coalition, Napoléon évacue la Hollande laissant Dunkerque
sans défense, ce qui oblige à « tendre l'inondation » (36). La situation est alors si critique que le
maire interdit toute manifestation carnavalesque, décision qui n'est prise que dans les cas
extrêmes (37).
Les bals masqués
Le carnaval dunkerquois a déjà pris sa forme définitive et se divise en deux groupes d'activités
bien distincts : les bals masqués et les défilés dans la rue.
Les bals masqués sont marqués par une très importante discrimination sociale comme le
montre clairement le témoignage laissé par G. Fleury (38). Au Bal de Sainte Cécile, il a respiré
« avec délices le parfum du musc et de l'essence de rose » et son beau domino de satin chamaré
n'y a été taché que par quelques traces de poudre laissées par de « jeunes et belles marquises »
dont il a effleuré les fraîches toilettes. Organisé dans un but charitable, le bal de Sainte-Cécile n'est
fréquenté que par la bourgeoisie huppée « réunie pour le plaisir et la bienfaisance » et il manque
quelque peu de chaleur. Au « Bal du Spectacle » ou « Bal de l'Opéra », il y a foule et les galantes
rencontres dans les troisièmes et les loges grillées alimentent « les caquets et les médisances »... Au
cabaret du « Papier Lanteern », c'est la bande des pêcheurs qui déferle : « c'est au Pampieren
Lanteeren (39) que va se reposer en dansant toute la nuit, cette troupe de pêcheurs qui, tout le
jour, a roulé dans la rue comme une avalanche. Singulière manière de se reposer, n'est-ce pas ?
C'est au Pampieren Lanteeren qu'éclate la grosse joie, l'ivresse bruyante du peuple marin. C'est
au Pampieren Lanteeren que la pêcheuse de grenades (40) danse la Pastourelle avec le pêcheur
de morue, que la marchande de poisson galope avec le déchargeur du port. Vous diriez une grosse
charge de cavalerie, tant ces messieurs et ces dames y mettent d'abandon et de laisser-aller.
Effacez-vous promptement, collez-vous à la muraille pour faire place au tourbillon, ou vous courez
le risque d'être renversé et foulé aux pieds, l'escadron entier vous passera sur le corps, car je doute
qu'il y ait force humaine qui puisse l'arrêter lorsqu'il galope »... « Et bien ! les pêcheurs et les
pêcheuses s'amusent dans cette galère mieux peut-être que nous au bal de Sainte-Cécile ». Ici, pas.
de doux propos murmurés à l'oreille des danseuses, pas de préciosités, mais des invitations
galantes formulée dans le langage le plus cru... Ne croirait-on pas lire une description de nos
actuels bals d'après-bande ? Tout y est, même le « parfum irritant de bière, de poisson sec et de
tabac qui saisit à la gorge ». Que diable G. Fleury allait-il faire dans cette galère ? Son beau domino
à peine poudré au bal de Sainte-Cécile, se retrouva fariné par un « maître paillasse » au bal de
l'Opéra et acheva sa vie au Papier Lanteern.
Dans la rue
« Il y a foule, chacun veut payer son tribut au carnaval : c'est une contagion, cela se
gagne » (38). « A neuf heures du matin, le dimanche de la quinquagésime, on voit déjà de jeunes
mioches travestis circuler dans les rues, et, à l'issue de la grand'messe, « agter d'hooghe misse »,
ainsi qu'on le disait autrefois, on entend les tambours et le fifre de la bande des pêcheurs, « de
Visschersbende », qui font leur première tournée pour faire des recrues » (41).
Le dimanche gras est le jour d'un fantastique cortège au milieu duquel s'avance le Reuze :
revêtu d'un ancien costume militaire aux couleurs vives, coiffé d'un bicorne à cocarde tricolore
armé d'un large cimeterre, il a vraiment fière allure ! Son passage est annoncé par le « keerd uw
eens om » joué à la cornemuse, au fifre et au tambour par un groupe de musiciens en costume du
XVIIIe siècle. Il est escorté par les « macabres », personnages en forme de boule multicolore qui
sont chargés d'écarter la foule sur son passage.
A la tête du cortège, les « Pierlala » (prononcer « Pirlala ») ou « polichinelles-vampires »
personnages légendaires du carnaval de Dunkerque se livrent aux pires excentricités et cherchent
à choquer les bourgeois par leur saleté et leur grossiéreté grivoise. « Le Pierlala, c'est le bossu,
mais le bossu qui a passé ses nuits de carnaval en orgies, qui est tombé dans le ruisseau en
cherchant sa porte, et qui a pris un vieux chapeau de sa femme pour le sien tant il était ivre » (38).
Leurs costumes sont souillés par la boue du ruisseau dans laquelle ils se roulent volontiers avant
d'aller frotter leurs bosses déformées sur ceux qui, par malheur, se trouvent sur leur passage :
« Quel plaisir ! Rencontrions-nous dans la rue un de nos camarades non travesti, nous
l'entourions ; nos bosses se serrant en cercle, l'enfermaient, le serraient jusqu'à le faire crier et lui
ôter sa respiration ! Alors, nous ébranlant en cadence, nous sautions à qui mieux mieux et nous le
forcions à suivre cet irrésistible exemple ! Plus d'une fois, feignant de faire un faux-pas, l'un de
nous se laissait choir dans l'eau de quelque ruisseau... Alors il menaçait de ses embrassades
compromettantes les amis, les inconnus qu'il rencontrait. Les dames mêmes n'étaient pas à l'abri
de ces témérités ! Quel plaisir de voir fuir devant vous les plus jolies personnes de la ville ! de les
Le carnaval de Dunkerque sous la Restauration, aquarelle publiée par Henri Durin. [Ex. «Dunkerque à travers les siècles », collection René Dehaene].
entendre se récrier, puis revenir de plus belle avant que le danger fut passé » (42). Coiffés d ' u n
vieux chapeau de femme retourné, armés de battes, ils sèment la panique en fonçant dans la foule
massée le long du passage du cortège, ce qui leur vaut d'ailleurs parfois de cruelles mésaventures :
« un brave campagnard des environs, houspillé un p e u trop cavalièrement p a r nos bossus, se
fâcha tout rouge. C o m m e il était doué d'une force peu ordinaire, il saisit l'un d'entre eux et,
avisant un de ces crochets de fer qui se trouvent à la devanture des bouchers, il l'y suspendit p a r sa
bosse, aux applaudissements répétés des spectateurs » (41). Le « Pierlala » est l'exemple type de
l'inversion des classes sociales et de la licence des m œ u r s en temps de carnaval : ce sont les jeunes
gens des meilleures familles de la ville qui forment le gros de leurs rangs bien que « quelques
hommes d'un âge mûr trouvent toujours le moyen de s'y glisser... C'est bon genre à ce qu'on m'a
assuré » (42).
Mélangés aux Pierlalas, les bossus s'en distinguent par la fraîcheur de leur costume vert ou
rouge rehaussé de galons d'or, par leurs « deux bosses tirées au cordeau » (38), par leur grand
chapeau pointu, leur collerette en fraise, et leur visage masqué. Les bossus se recrutent également
parmi les classes les plus distinguées de la ville et leur « bande joyeuse, un petit panier à la main, se
précipite comme un torrent dévastateur et met tout en fuite sur son passage » (41).
Derrière les bossus et les « Pierlala » précédée d'un « cheval jupon » identique à ceux qui
protègent le Reuze de Cassel, s'avance une musique improvisée : bouquin, flûte, violon jouent au
rythme du tambour, des cymbales et de la grosse caisse. Les musiciens portent les mêmes
L e c a r n a v a l d e D u n k e r q u e s o u s la R e s t a u r a t i o n . [Ex. Henri Durin « Dunkerque à travers les siècles », collection René Dehaene].
costumes que ceux de la bande de masques qui les suit et que semble diriger un Polichinelle : des
Arlequins, Colombines, Dominos, Marquises, Gilles, Paillasses, magiciens et « petites vieilles » à la
cape grise, mais aussi des « Turcs » coiffés d'un turban orné d'un croissant d'or, portant une veste
et un gilet aux couleurs vives et un large pantalon serré à la cheville, des « Romains » vêtus d'une
longue robe rouge, d'un pantalon blanc et coiffés d'un cylindre sans bord planté d'un bouquet. Au
premier plan, un bossu égaré rafraîchi sa bosse dans la boue du ruisseau.
Le violon qui ferme la marche précède une bande d'enfants costumés arborant les couleurs
de Dunkerque. Derrière s'avance un groupe formé de pilotes et de bazennes (44) aux riches
costumes, de « coursiers » (corsaires) qui soufflent dans un « teutre » (45), des pêcheurs d'Islande et
des pêcheuses de « grenades » (40). La musique qui les suit est composée de musiciens de la
Garde Nationale dont certains ont revêtu le costume des pilotes et d'autres celui des marins
dunkerquois : chapeau verni de forme plate, chemise de laine rouge, pantalon bleu partiellement
recouvert par un jupon de toile.
Un esquimau sur sa périssoire précède les armes de la ville : un chevalier à la queue de
dauphin. Juste derrière, voici le bateau de Jean Bart qui semble avancer de lui-même tant les
rameurs, qui portent l'ancien costume des marins dunkerquois, y mettent d'énergie. Le Chef
d'Escadre est au gouvernail, couronné par la Victoire assise à la poupe ; devant lui, Mars se tient à
droite et Neptune à gauche.
Derrière le Reuze arrive un groupe de diables qui se tiennent par la queue. Vêtus d'un
costume de lustrine sombre agrémenté de flammes rouges, la tête revêtue d'une cagoule avec des
cornes rouges sur le front et une langue de flamme pendante, ils hurlent des grivoiseries et,
frappent à tour de bras sur les spectateurs avec une vessie gonflée. Ils descendent peut-être des
diables qui accompagnaient le cortège du Reuze lors de la fête de Saint-Jean-Baptiste au XVIIIe
siècle (voir page 106).
L e c a m a v a l d e D u n k e r q u e s o u s la R e s t a u r a t i o n . [Ex. Henri Durin « Dunkerque à travers les siècles », collection René Dehaene].
L e l u n d i e s t m a r q u é p a r l a s o r t i e d e l a b a n d e d e s p ê c h e u r s . C ' e s t le t r i o m p h e d e la
d é r a i s o n , d e s e x c è s d e t o u t e sorte, d e l ' é c l a t e m e n t d e la g r o s s e joie f l a m a n d e . « La bière, les
sirops, le genièvre, l ' e a u d e vie, le p u n c h p l e u v e n t p a r t o u t , et p a r t o u t , c o m m e v o u s le p e n s e z , les
t ê t e s s e m o n t e n t , les excentricités a b o n d e n t » (43). C o n t r a i r e m e n t à ce qui s e p a s s e d e n o s jours, la
v i s s c h e r s b e n d e est c o n s t i t u é e p a r « le p e t i t m o n d e , c o m m e o n dit, les p e t i t s ouvriers, les b o n n e s e t
les grisettes » (46) qui, le soir, s e r e t r o u v e d a n s les b a s t r i n g u e s R o u z e t (47) o u N e e r m a n (48) et a u
c a b a r e t d u « P a p i e r L a n t e e r n ». P o u r la b a n d e d e s p ê c h e u r s d u lundi, les m a s q u e s s o n t affublés d e
d é g u i s e m e n t s qui n ' o n t g u è r e c h a n g é d e p u i s : « d e s habits r e t o u r n é s , d e s c h a p e a u x fripés, les
a c c e s s o i r e s d e toilette les p l u s inusités s o n t p o r t é s ce j o u r - l à p a r t o u t e s s o r t e s d e p e r s o n n e s . P l u s u n
a c c o u t r e m e n t offre d e disparate, d ' i m p r é v u , d ' e x c e n t r i q u e , p l u s o n s ' e n affuble a v e c joie, p l u s o n
le r e g a r d e a v e c intérêt ! » (42). L a municipalité veille à faire r e s p e c t e r u n m i n i m u m d e b i e n s é a n c e
c o m m e le r a p p e l l e u n r è g l e m e n t qui, c h a q u e a n n é e d e p u i s 1 8 1 6 stipule q u e les m a s q u e s n e
p o u r r o n t : « p o r t e r ni é p é e , ni b â t o n , ni a u c u n e arme »... « q u e n u l n e p o u r r a p r e n d r e d e
d é g u i s e m e n t qui serait d e n a t u r e à t r o u b l e r l ' o r d r e p u b l i c et c o n t r a i r e a u x b o n n e s m œ u r s », q u ' « il
est d é f e n d u à t o u t e p e r s o n n e m a s q u é e , d é g u i s é e o u travestie, e t à t o u t a u t r e individu, d ' i n s u l t e r
qui ce soit, d e s e p e r m e t t r e à l ' o c c a s i o n d u carnaval, a u c u n e a t t a q u e o u p r o v o c a t i o n , d e
s ' i n t r o d u i r e p a r la v i o l e n c e d a n s les b o u t i q u e s o u maisons. Il est é g a l e m e n t d é f e n d u d e p r o v o q u e r
De gauche à droite : Pierlala ou polichinel
vampire, macabre, bossu.
Bien d'autres chansons très populaires du carnaval de Dunkerque ont disparu du répertoire et
seraient aujourd'hui tombées dans l'oubli sans l'admirable travail effectué par Edmond de
Coussemaker dans la première moitié du XIXe siècle (19). C'est grâce à lui que de nos jours, de
nombreux « groupes folk » ont pu mettre à leur répertoire d'anciennes chansons flamandes du
carnaval dunkerquois comme « De Bazinne » (La Bazenne), « Anne marie », « 'T carillon van
Duynkerke » (Le carillon de Dunkerque), « Lire boulire », « Moeder Porret » (La mère poireau),
reproduites page 33. Toutefois le collectage d'Edmond de Coussemaker demeure incomplet. Il est
possible qu'il soit passé à côté de certains airs qu'il n'a pas entendus : c'est sans doute le cas pour
Les musiciens de la Garde Nationale ont revêtu des costumes de pêcheurs et de pilotes de Dunkerque.
[Ex. H. Durin «Dunkerque à travers les siècles», collection René Dehaene].
Le b a t e a u d e J e a n Bart. [Ex. H. Durin « Dunkerque à travers les siècles », collection René Dehaene].
L e c h a r d e s m a s q u e s et d e s diables. [Ex. H. Durin « Dunkerque à travers les siècles », collection René Dehaene].
Je remercie tous ceux qui m'ont aidé à réunir les documents et photos anciennes qui illustrent
cet ouvrage : Claude Baert, Claude Burnod, Jean Chatroussat, Thérèse Cléty, Christian Declerck,
Pierre Declerck, Raymond Declerck, René Dehaene, Louis Fauquembergue et la Société
Philanthropique et carnavalesque « Les Acharnés », Georges Hennebert et le Comité des
« Quat-z-arts », M. Kuhnmunch (Musée de Dunkerque), Mme Kuhnmunch-Varet (Archives
Municipales de Dunkerque), Hugues Leys, les Mairies de Dunkerque, de Coudekeraue et de
Saint-Pol-sur-Mer, Guy Messiant, Jacques Tillie, ,"'Roch Vandromme, Pierre Vaillant, Jean
Wispelaere.
Collection « Mémoire Collective »