CAIRANNE O AGLIANICO O CÔTES D’AUVERGNE O DÃO & BAIRRADA OROSÉS DE PROVENCE

Spécial
Languedoc
Le temps des
larvf.com
grands vins
SELOSSE Saint-Estèphe,
2µ4'Ì'6Ì(+.5 Pauillac,
La transmission Margaux,
réussie Saint-Julien
Les verres
Graves qui les mettent
blancs en valeur
Misez
sur leur fraîcheur

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 Edito
Denis Saverot
Succession
I
l se penche sur la terre de sa parcelle Chanteraine, à Avize,
en Champagne, et entreprend de nommer par leur nom
la dizaine de végétaux différents entremêlés sous un
cep. Des lycophytes primitifs, des mousses si fragiles qu’on
les remarque à peine. Ses mains robustes caressent la terre.
Le voilà maintenant qui extirpe des micronodules de la taille
d’une tête d’épingle. On découvre, fascinés, ces minuscules
fragments métalliques naturels. La signature métamorphique
du sol, la dimension cosmique du vin qui va naître ici.
Quand on le voit à 69 ans, planté comme un arbre, on sait
tout de suite. Le voilà, le grand vigneron. Cette présence, le
ton, la clarté des idées, le choix des mots, ce sens du détail
nourri par une vie d’observation et un solide engagement
philosophique.
Rencontrer Anselme Selosse est une initiation. On res-
sort toujours plus riche que l’on est arrivé. Ce jour-là, avec
Alexis Goujard, nous étions venus évoquer la transmission,
question-clé pour tous les hommes, en particulier ceux qui
traversent la vie liés à un morceau de terre pour en tirer le
meilleur vin possible.
Ce passage de témoin à son fils Guillaume, aujourd’hui âgé
de 33 ans, Anselme Selosse le prépare depuis toujours. À la
fin des années 1990, il avait été frappé par les critiques autour
du château Rayas, lorsqu’Emmanuel
Reynaud succéda à son oncle Jacques.
La transmission n’avait pas été suf-
fisamment annoncée, les jalousies
étaient nombreuses. S’éleva un concert
de lamentations contre la transforma-
tion du style des vins. À tort. Les Rayas
d’aujourd’hui sont encore meilleurs
qu’avant.
Anselme Selosse voulait éviter
ce genre de désagrément à son fils.
Naturellement, il était hors de ques-
« L’art de faire
découvrir par l’élève
ce que l’on cherche
à lui enseigner »
R. Bacqué
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 3
tion d’annoncer : « Guillaume fera ce qu’Anselme faisait ! ». Bloquer
la sensibilité, l’imaginaire, les envies de la nouvelle génération
n’a jamais été une option, explique-t-il à La RVF. Mais pour que
fidèles et connaisseurs acceptent une autre figure à la tête du
domaine Jacques Selosse ainsi qu’une inévitable évolution de
son style, il a fallu prendre le temps de préparer Guillaume
très en amont, c’est-à-dire lui laisser le temps d’affirmer ses
propres valeurs, son savoir-faire. À son rythme.
Cinquante ans plus tôt, ses propres parents avaient donné
à Anselme la direction du vignoble d’un coup, sans véritable
préparation. Il a fait tout le contraire, bien convaincu que les
transmissions les plus réussies sont celles que l’on prépare.
Comment ? Là, pas de recettes, pas de théorèmes, pas de
doctrines, tout ce qu’Anselme Selosse déteste. Sa méthode est
heuristique, autrement dit l’art très ancien de faire découvrir
par l’élève ce qu’on cherche à lui enseigner.
Selosse n’est pas seulement un père avisé. C’est un formi-
dable accoucheur. Il a beaucoup pratiqué avec les jeunes
vignerons champenois dont il a accompagné l’envol, les
Jérôme Prévost, Olivier Collin, Alexandre Chartogne parfois
présentés comme ses disciples – lui préfère parler de compa-
gnonnage. C’est aussi selon cette méthode qu’il a transmis à
Guillaume.
Au fil d’un dialogue nourrissant,
Guillaume et Anselme livrent dans ce
numéro quelques clés de la philoso-
phie familiale. Le respect de la vie, la
confiance en un naturalisme éclairé.
La certitude que la technique forcenée
limite la liberté humaine. L’opposition
à toute forme de standardisation. Avec
ce souci : « Cerner ce qui est permanent
dans ce qui change ».
Me r c i , c h e r A n s e l m e , c h e r
Guillaume, pour cette transmission
sereine. Merci de continuer, depuis
Avize, à faire briller l’esprit artisan dans
la grande lessiveuse des temps.
 Sommaire
Avril 2023

Grand Entretien
8 Anselme et Guillaume Selosse
À Avize, passage de relais entre un père devenu une légende
de la Champagne et son fils qui fait évoluer le style des vins

En direct dans le vignoble

14 Les actus du vin

J.-C. Gutner
• Le modèle champenois chamboule la Provence
• Mondial des sommeliers : ce qu’il dit du vin de demain
• En Languedoc, le temps des vignerons migrateurs Anselme et Guillaume Selosse (Champagne) : « Nous
• Stéphanie Galzy, la voix du vin à l’Assemblée nationale avons toujours dit que Guillaume ferait un vin différent ».
• Somme : la belle ambition des vignerons du Nord
• Économie : la bière détrône le vin dans les hypers

30 Le courrier des lecteurs

Les dossiers
32 Quel verre pour
révéler un grand médoc ?
Notre test avec quatre crus classés du Médoc et huit verres différents

40 Languedoc : le temps
des grands vins
Pic Saint-Loup, Terrasses du Larzac, Faugères… Les grands terroirs

OnlyFrance
du Languedoc décryptés par Caroline Furstoss et Jérémy Cukierman
Les Terrasses du Larzac donnent désormais

Art de vivre des vins d’envergure mondiale.

39 Vu d’ailleurs
Par Pascaline Lepeltier

53 Accord minute
Par Olivier Poussier

54 Carnet de table
Par Olivier Poels

57 Spiritueux
Patchwork intercontinental

59 C’est comme ça
R. Petronio

Lehmann, Riedel, Spiegelau, Zalto…

Par Sébastien Lapaque Pour déguster un grand médoc, choisissez le bon verre !

4 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023

 Sommaire
Avril 2023
De vigne en cave
60 Vie de château
Château Carbonnieux, en Pessac-Léognan

66 Une appellation,
deux styles
Domaines de Marcoux et Pierre André,
à Châteauneuf-du-Pape

70 Dessous du terroir
Côtes d’Auvergne, dans le Puy-de-Dôme

77 Billet de vendanges
Par Jérémy Cukierman

78 Trésors de cave Si les volcans d’Auvergne sont endormis, les vignerons des Côtes d’Auvergne
Par Angélique de Lencquesaing ont réveillé l’histoire de cette AOC bordée par la chaîne des Puys.

Ce numéro contient un encart d’abonnement 69RVMC 2 pages et un encart 69PADL 2 pages jetés sur l’ensemble de la diffusion kiosque France,
ainsi qu’une circulaire jetée sur toute la diffusion abonnés. Offres d’abonnement en pages 52, 58 et 81.

De la Vallée de la Loire à Cairanne,

Les Dégustations en passant par les Graves, à Bordeaux,

nombreuses sont les pépites.

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98 L’aglianico, âme des grands

rouges de l’Italie méridionale
Découvrez les différentes approches stylistiques
de ce grand cépage de Campanie et du Basilicate

102 Graves 2021

Des blancs secs qui font honneur à Bordeaux

106 Cairanne
L’appellation du Rhône sud s’est fixé comme objectif
de devenir la Toscane de la Provence
Taurasi 2015
112 Bairrada et Dão de Pietracupa :
un aglianico très pur
Ces deux appellations incarnent le charme discret lusitanien

117 Bouteille mythique

Banyuls “Rimage Mise tardive” 1985 du Mas Blanc

118 Débat autour d’une bouteille

Photos : D. R.

Médoc Château Bois de Roc 2010 Cartographie :

6 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023

 Grand entretien

Anselme et Guillaume Selosse

« Nous avons toujours dit
que Guillaume ferait
un vin différent ! »
À Avize, en Champagne, le domaine Jacques Selosse, c’est l’histoire non pas d’une succession
mais d’un passage de relais entre un père, Anselme, et son fils, Guillaume, où chacun a
sereinement trouvé sa place. Propos recueillis par Alexis Goujard et Denis Saverot. Photos : Jean-Charles Gutner
Anselme, comment se présentait le domaine à votre arrivée, de fracture comme j’ai pu le vivre à mon époque ». Tout était préparé.
en 1974 ? En Champagne, la transmission doit arriver assez vite sur la
Anselme Selosse. En 1974, je sors de mes études. Le 1er jan- table, car tout se fait lentement.
vier, mes parents me donnent symboliquement les clés du AS. Il était impossible d’annoncer : « Guillaume fera ce qu’Anselme
domaine : « Maintenant, c’est toi, on se met en retrait. Tout ce qu’on faisait ». Il aurait fallu bloquer la sensibilité, l’imaginaire, les
te demande, c’est de continuer à travailler notre vin et d’aller jusqu’au envies de la nouvelle génération. Très vite, nous avons dit :
dégorgement ». Il y avait 4,5 hectares de vignes cultivés, avec une « Guillaume fera autre chose que son père, on assume. Mais au moment
production de 7 000 bouteilles à l’année, soit deux marcs de où il deviendra numéro un, il pourra vous faire goûter ses vins car nous
4000 kilos de raisins. préparons cette transition depuis longtemps ».

Les vins se vendaient-ils bien ? Anselme, qu’appréciez-vous chez Guillaume ?

AS. Avec des représentants. Il y avait peu de réception de clien-
tèle. Ça se passait dans la salle à manger, en famille, avec la toile
cirée « parce que le champagne, ça peut tacher ». Mais, en général,
c’était apprécié.
Et vous, Guillaume, que trouvez-vous en arrivant ?
Guillaume Selosse. J’ai démarré avec la vendange 2018, mais
j’étais déjà sur le domaine depuis six ans et demi. Nous avions
8,5 hectares. Tout était en production sauf une petite parcelle.
Nous étions déjà dans la nouvelle cave au 59, rue de Cramant
à Avize, avec une organisation bien en place. Pour la première
fois, cette année-là, les décisions ont été prises à deux. S’il y avait
un petit point de divergence, la décision finale me revenait.
AS. Dans la famille, on n’a pas trop l’habitude de s’envoyer
des fleurs… On recherche ce qui va le moins bien plutôt que
d’énoncer ce qui va bien… Bon, la première des choses, c’est
l’humilité. Guillaume a conscience qu’il n’est pas un rentier.
Que devant lui s’élève un chemin escarpé. J’admire sa capacité
à dépasser mes pensées, à avoir la capacité de dire « et si… ».
D’aller découvrir. Il a, au niveau du vin, une connaissance que
je n’ai pas. Il peut parler avec vous de telle cuvée chez tel pro-
ducteur, des variations d’expression de cette cuvée en fonction
des millésimes… Moi, je n’ai ni la mémoire ni l’expérience. En
mettant en bouche de si nombreux vins, en multipliant les
expériences, il se crée un univers, il élargit les œillères qui le
bloquaient peut-être en étant avec moi.

À la différence de 1974, le domaine était déjà réputé, non ? Guillaume, qu’admirez-vous chez votre père ?
GS. Le domaine était au plus haut, dans les sommets. Mon père GS. Comment ne pas souligner sa mise en avant de l’arti-
m’avait toujours dit : « Je ne veux pas de transmission coup de poing, sanat champenois ? Au milieu des années 1970, le champagne

Anselme Selosse. Né le 18février 1954 à Épernay. Guillaume Selosse. Né le 21mai 1989 à Reims. Anselme a fait viti-œno à Beaune ;
Guillaume a été pensionnaire au collège de Juilly en Seine-et-Marne puis à Metz. Il a décroché son bac pro viti-œno au lycée
viticole d’Avize, puis son BTS viti-œno au lycée viticole de Libourne. Leurs vins favoris : AS. « J’aime bien suivre mes humeurs, il n’y
a pas d’universel. Ça dépend. Aujourd’hui, c’est le pouilly-fuissé de Gérard Valette, Le Clos de Monsieur Noly » ; GS. « Le Clos de
la Tour de Curon de Stéphane Tissot, à Arbois, qui m’a ébloui maintes et maintes fois ». Signes particuliers : GS. Papa d’un petit
Lazare depuis deux mois ! ; AS. Il a planté du palomino à Essaouira, au Maroc, et rêve de produire son propre savon.
8 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
Guillaume et Anselme
Selosse dans
la “nouvelle” cave
enterrée du domaine.
 Grand entretien
Champagne
d’artisan était peu représenté sur les
tables, chez les cavistes. Avoir ouvert
cette porte, débroussaillé ce chemin,
c’est incroyable, fantastique. Et puis
ce qui m’impressionne, beaucoup
m’en parlent, c’est qu’on ne peut
titiller mon père ni en sciences, ni
en culture, ni en œnologie, ni en
finances, ni en gestion commer-
ciale… Il ne parlera pas de voitures
ni de montres, en revanche, sur les
sujets qui le passionnent, sur tout ce
qui touche au vivant, il est incollable.

Guillaume, quels sont vos fonda-

mentaux ?
GS. Tout vient de l’enfance. J’ai eu la
chance de grandir dans une maison
avec des parents qui aiment manger,
cuisiner. L’éveil des goûts est arrivé
tôt. Des goûts marqués, pas des notes
insipides. Je recherche une certaine
puissance, les choses affirmées, avec
La recherche de maturité des vins avant mise en bouteilles est un sujet qui passionne père et fils.
de la personnalité. En cours d’œno-
logie, j’étais l’un des seuls à apprécier
le vin jaune. Je veux faire des vins assez racés, qui ne vont pas Donc en hiver, nous utilisons des ventilateurs pour faire ren-
forcément plaire à tout le monde, avec ce profil légèrement trer le froid des gelées. Au printemps, quand les températures
oxydatif… Rien de fade. remontent dehors, nous faisons pareil pour réchauffer la cave.
AS. Avant, lorsqu’on vinifiait dans le “garage”, nous étions dans
Trouvez-vous que votre père est allé trop loin dans l’oxydatif la position d’un pêcheur qui affrontait les embruns, le vent, la
à une période ? mer. Le visage marquait beaucoup. La cave d’aujourd’hui est
GS. Non. Je pense même que l’on peut aller encore plus loin. plus apaisée, le vin porte moins les stigmates de ce vécu.

Au domaine, quelle a été l’influence du changement de Pouvez-vous nous parler de votre style ?
cave ? AS. J’ai été fortement influencé par l’Espagne, j’ai rapporté
GS. Il y a quelques années, des critiques nous ont dit : « Le la solera d’Andalousie. Guillaume, lui, lorsqu’il produisait
style du domaine n’a pas changé, mais les champagnes Selosse se sont Guillaume S., vinifiait plutôt à la façon des reserva ou gran
assagis depuis l’arrivée de Guillaume ». J’ai voulu comprendre reserva, c’est-à-dire avec un vieillissement prolongé avant la
d’où ça venait, car j’appliquais encore ce que me mise en bouteilles. Le lien entre nous est peut-être
demandait mon père. En allant voir des vigne- « Je veux celui-ci : aller chercher la maturité hors de la bou-
rons du Jura qui me parlaient de caves enter- teille, avant d’embouteiller.
rées ou extérieures, d’élevages de vins jaunes en faire des vins GS. Entre 2012 et 2022, sur mon petit négoce
milieu humide ou en milieu sec, j’ai compris. La racés, Guillaume S., lorsque j’ai vinifié les vins de Jérôme
majorité des vins du domaine ont été faits dans la rien de fade » Coessens, la cuvée Largillier, l’idée était de se dire :
cave historique du domaine, rue d’Oger. Dans le « J’ai du temps, je ne suis pas obligé d’avoir une rentabi-
Guillaume Selosse
centre du village, là où il y a le grand cèdre. C’est lité super rapide. Donc autant essayer autre chose ». Les
une cave de plain-pied avec juste cette porte en bois assez fine élevages longs m’intéressent. Sur les plus vieux vins, on est
qui sépare l’extérieur de l’intérieur. Donc une cave très sen- allé jusqu’à trois ans d’élevage en fûts, plus un an d’élevage en
sible aux aléas climatiques, avec beaucoup de changements de masse avant la mise.
température et d’évaporation puisque l’endroit est très sec. À
partir de 2009, nous avons basculé dans la nouvelle cave : elle En masse ?
est enterrée, comme fichée dans la craie, plus humide donc GS. Le vin est pompé des différents tonneaux puis rassemblé
avec une évaporation moindre. Même si nous nous efforçons un an en cuves. Avec les lies.
de la faire vivre.
Guillaume, vous jugez possible d’aller encore plus loin que
Faire vivre cette cave ? Pouvez-vous expliquer ? votre père dans l’oxydation. Vous y travaillez ?
GS. L’action de l’aléatoire climatique sur le vin nous intéresse. GS. Aller plus loin, je ne sais pas. En ce moment, j’expérimente
10 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
 Grand entretien
Anselme et Guillaume Selosse
un “jaune” issu de chardonnay champenois, mais
qui n’aura pas de bulles. J’ai eu la chance que
Jacques Puffeney me lègue un de ses tonneaux de
“jaune”, du millésime 2014. Il a bien voulu aussi
me laisser les lies. Donc, depuis 2020, un “jaune”
est en cours au domaine.
Et ça tient ?
GS. Je goûte une à deux fois par an, avec ma
pipette, dès qu’un trou apparaît dans le voile… Et pour l’ins-
tant, il tient ! J’espère qu’il va tenir six ans et trois mois, comme
dans le Jura. Pas pour se comparer, mais pour respecter l’éla-
boration.
AS. La gastronomie compte, Guillaume le disait. On ne fait pas
des vins pour trinquer comme ça. Nous proposons des vins qui
peuvent trouver une place dans un menu, un repas.
Anselme, vous célébrez souvent l’approche méditerra-
néenne du vin. Que voulez-vous dire ?
AS. Le monde du vin se divise en deux. D’un côté, des per-
sonnes qui produisent, des contemplatifs qui écarquillent
les yeux devant les fantastiques expressions de la nature ; de
l’autre, des personnes qui sont de bons commerçants et qui,
pour pouvoir bien commercer, cherchent à mettre les vins
dans des cases. Ceux-là ne supportent pas une chose : qu’un
vin soit inclassable et ne rentre dans aucune des catégories
qu’ils ont pu établir. Les Méditerranéens savent que la nature
est plus intelligente, qu’elle fait
mieux les choses que nous, qu’il faut
juste la contempler.
Il faut donc laisser faire la nature ?
AS. Avec un encadrement quand
même. Mais sans se poser en orga-
nisateur, plutôt en serviteur, pour
l’accompagner là où elle souhaite
aller. Si la nature fait un pas de tra-
vers, si elle sort de son orientation
habituelle, l’idée est de la laisser
faire parce que cela peut aboutir à
quelque chose d’incroyable, hors
normes.
Et si ce qui sort n’est pas beau ?
AS. Je ne me sens pas responsable
de l’adéquation avec la norme de la
beauté. Le vin naît comme il naît.
Ma responsabilité, c’est la vitalité de
la vigne et la vitalité du vin. Le vin
doit avoir la capacité de vivre, de se
développer, de grandir, de maturer.
Je me sens plus obstétricien que
winemaker.
Quelle est la différence ?
AS. Le winemaker doit créer, Anselme Selosse dans sa parcelle des Carelles, au Mesnil-sur-
conduire. Si la naissance n’est pas Oger : « Ma responsabilité, c’est la vitalité de la vigne et du vin ».
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 11
bonne, il peut devenir chirurgien esthétique
« Je me sens pour ramener le vin dans une catégorie, une case,
plus une norme que l’on sait vendre parce qu’on a fait
obstétricien une étude de marché en s’inquiétant de ce que le
que marché souhaite acheter.
winemaker » Guillaume, vous partagez cette vision ?
Anselme Selosse GS. Souvent, j’ai plus d’affinités avec les personnes
qui vivent l’instant présent, qui vont avoir des
sourires, des expressions, donc plutôt des personnes latines,
expansives, qui expriment une joie. Les Anglo-Saxons sont
plus dans l’analytique, un classement, un ordre, moins dans
les sensations. Vivre, discuter, se raconter des choses décou-
sues, ce qui nous passe par l’esprit, c’est intéressant, ça fait
avancer, on se retrouve en émulsion. Chercher qui sera le pre-
mier ou qui sera le moins bon, c’est plus simple.
Tous les vins du domaine Jacques Selosse sont désor-
mais dotés d’une puce NFC sous l’étiquette. Quelle est votre
démarche ?
GS. Le domaine fait face à une très forte demande. Beaucoup
d’importateurs nous disent : « Donnez-nous du vin, nous pouvons
ouvrir vers de nouveaux restaurants ». Mais nous n’avons pas de
stock et sommes contraints de refuser, avec le sentiment d’être
sévères avec tout le monde. Or, sans que l’on sache d’où cela
arrive, en Espagne, en Italie, en Suisse, en Grande-Bretagne,
des offres circulent avec des quantités astronomiques de nos
vins que nous-mêmes n’avons pas
vendues directement.
Par exemple ?
AS. Des lots de 200, voire 300 bou-
teilles de notre cuvée Initial circulent
dans ces pays-là, venant d’on ne sait
où. Les bouteilles sont authentiques,
la contrefaçon en Champagne est
assez compliquée, surtout avec une
bouteille personnalisée. Il s’agit de
savoir d’où est organisé ce marché
gris, de pouvoir identifier les per-
sonnes qui en sont à l’origine.
Pour faire quoi ?
GS. Grâce aux NFC, on peut décou-
vrir que dans telle ville française,
tel revendeur revend la moitié de
son allocation à Singapour. Dans
ce cas, on diminuera son alloca-
tion par deux. Nous pourrons alors
mieux servir les personnes qui ont
confiance dans nos vins, les paient
un prix correct et les boivent.
AS. Un jour, on nous a avertis qu’à
Londres, en zone franche, une
entreprise achetait et stockait des
cuvées Initial par cartons de six.
Cet opérateur avait commencé à
 Grand entretien
Anselme et Guillaume Selosse
acheter à 800 £ (900 €) la caisse de six puis était monté jusqu’à
1150 £ (1292 €). Les vins étaient acquis en Italie, en France, en
Grande-Bretagne et n’étaient pas revendus. L’objectif était
juste d’assécher le marché pour faire grimper les prix. Autant
dire le comble de l’horreur ! Les NFC offrent un moyen d’ar-
rêter ces enchérissements artificiels.
Donc vous connaissez le nom du porteur final de la bouteille?
AS. En aucune façon. Nous travaillons avec la société de tra-
çabilité française WID. Nos distributeurs doivent s’enregistrer
sous WID afin d’être habilités. Ensuite, avec leur téléphone, ils
flashent les bouteilles avant de les revendre. À partir de là, nous
pouvons suivre les bouteilles depuis Avize. Chaque fois qu’un
consommateur final flashe à son tour la puce (par exemple pour
avoir le millésime ou la date de dégorgement, ndlr), la bouteille est
géolocalisée. Si trop de bouteilles circulent en dehors de leur
zone, on demande à notre distributeur de gérer les anomalies
avec l’acheteur des bouteilles. Nous ne demandons pas le nom
du client, seulement son code alphanumérique ou le numéro
de la facture. L’anonymat est respecté. Tout est conforme à la
loi RGPD.
GS. Nous comprenons très bien qu’une bouteille voyage. Un
caviste de Reims peut tout à fait revendre deux bouteilles à
un Singapourien. Nous n’intervenons que si nous constatons
qu’un lot entier a été revendu directement et voyage de façon
inhabituelle. D’autant que, sans précaution, ces bouteilles
peuvent être altérées par ces nombreux déplacements.
Comment voyez-vous le marché français ?
AS. La France est notre priorité. Nous étions à 70 % à l’export
en 2001, nous sommes à 40 % en 2022, à production égale. Le
pays numéro deux est l’Italie. Nous pri-
vilégions les pays où le vin est bu à table
et non en dehors des repas. Ce n’est pas
que nous avons un meilleur profil de
consommation de vin, c’est juste pour
dire : « Restons dans notre culture, l’accord
mets et vin ». Nous adorons aussi faire des
repas avec du saké ou du thé lorsqu’on
va chez yam’Tcha (le restaurant sino-fran-
çais étoilé de la chef Adeline Grattard, à Paris,
ndlr), un moment toujours incroyable.
Mais nous voulons témoigner d’une
façon de consommer le vin, ici, en
France. Le monde est un patchwork de
cultures. Profitons de cette diversité. Si
on consomme tous de la même façon,
si on se ressemble tous, sans identité
culturelle, il n’y a plus d’intérêt.
Guillaume, vous gérez le digital pour
le domaine, cela prend-il beaucoup de
temps ?
GS. Aujourd’hui, avec un texto, via les
réseaux sociaux, tout le monde peut « Grâce aux NFC, nous pourrons mieux servir
avoir accès au domaine, envoyer un les personnes qui ont confiance dans nos vins,
message, prendre un rendez-vous, les paient un prix correct et les boivent. »
12 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
demander des tarifs rapidement. Avant, c’était par courrier,
puis par fax… Je reçois six ou sept demandes de visites ou
de tarifs par jour rien que sur Instagram. Sans compter les
e-mails, le téléphone… C’est très chronophage, il faut suivre
et prioriser.
Entretenir la désirabilité sans générer la frustration n’est pas
évident pour un domaine familial, non ?
AS. On s’est demandé avec Guillaume comment ont prospéré
le “bordeaux bashing” et le “bourgogne bashing”. Je pense que c’est
l’inaccessibilité du domaine, du produit et du vigneron. Quant
tout à coup les bouteilles partent à l’export, le domaine ferme
ses portes, le vigneron ne répond plus au téléphone, cela crée
un état de frustration qui devient un rejet. Rester accessible,
faire l’effort de vendre un maximum de bouteilles en France,
garder les portes du domaine ouvertes sous condition, c’est
important. Je fais l’effort de répondre à toutes les demandes
faites par e-mail et par courrier. Je veux montrer que le
domaine est humain, qu’on reste à l’écoute, sans réponse auto-
matique. Nous ne sommes pas devenus inatteignables.
Jérôme Prévost, Olivier Collin, Alexandre Chartogne…
Anselme, vous avez accompagné beaucoup de jeunes vigne-
rons. Quelle était votre approche ?
AS. Surtout ne pas répondre à leurs questions. Ils étaient avec
moi et je leur disais : « Il n’y a que toi qui connais tes vignes, ce que ça
sent au moment de la fermentation, donc il n’y a que toi qui peux apporter
une réponse ». En fait, je leur reposais moi-même des questions.
Jusqu’au moment où, tout à coup, ils comprenaient le chemin
qu’ils pouvaient prendre pour trouver seuls les réponses. Et
puis les aider m’aidait, j’ai moi aussi des doutes. Il est impor-
tant de pouvoir verbaliser les questions
que l’on se pose, de mettre en face une
réponse. Avec qui d’autre aurais-je pu le
faire ? Pas avec un chef de cave, personne
n’avait pris la même voie que moi.
Vous voyez toujours vos disciples ?
AS. Il n’y a plus de maître et élèves. Je bois
leurs vins et j’apprécie grandement leurs
cuvées, mais j’ai des relations distendues
avec certains. Il a sans doute été trop fait
référence à leur “formation” avec moi.
À un moment, ils en ont eu marre d’en-
tendre parler d’Anselme Selosse, ils ont
eu envie de dire : « Hé, mais c’est moi ! ».
Alexandre Chartogne est la personne
avec laquelle j’ai conservé les meilleurs
rapports. Sur la notion de ferme avec
les animaux, les prairies, il a avancé très
loin, c’est superbe. Il a su prendre son
autonomie sans avoir à tuer le père. Je
remercie surtout Guillaume de n’avoir
pas été jaloux que je ne le prenne pas
comme élève exclusif. Et d’avoir lui aussi
su prendre son autonomie sans que je
me sois senti évincé.•

Le modèle champenois
chamboule la Provence
Prise de contrôle de Minuty, lancement de la marque internationale Roseblood… Le rosé provençal attise la soif
d’investisseurs qui s’arrachent terres et raisins. L’heure est au marketing mondial… comme en Champagne.
D
eux méga-rachats en un mois :
d’abord, à la mi-février, la
prise de contrôle du château
Minuty, le plus beau domaine de la
presqu’île de Saint-Tropez, 170 hectares,
par le groupe LVMH qui exploite déjà
la marque internationale Whispering
Angel. Quinze jours plus tôt, l’homme
d’affaires Stéphane Courbit, le couple
Nicolas Sarkozy-Carla Bruni et la famille
Prats s’offraient le château Beaulieu
près d’Aix-en-Provence et le domaine
de Canterelle dans le Var pour assurer le
sourcing de leur nouvelle marque de vin
rosé, Roseblood.
Dans un mouvement sans précédent,
de puissants investisseurs se disputent
terres et raisins entre Aix-en-Provence
et Saint-Tropez, nouvel eldorado du
rosé. « Ce qui se passe ici autour du rosé est
sans précédent dans le monde, sauf peut-être
dans la région de Marlborough en Nouvelle-
Zélande à la fin des années 1980, lorsque
sont nées les grandes marques de sauvignons
blancs au profil thiolé. Ce choc disruptif se
En direct
Dans le vignoble
Dans l’univers des rosés, Minuty s’est imposé
comme une marque forte.
passe en France, c’est notre chance », analyse
Jean-Guillaume Prats, ancien patron des
vignobles étrangers de LVMH désormais
président exécutif de Roseblood.
Propriétaire dans l’est du Var des
châteaux Sainte Roseline aux Arcs-sur-
Argens et des Demoiselles à La Motte, soit
190 hectares de vignes, Aurélie Bertin a
vu son environnement bouleversé en
trente ans. Son père, le visionnaire gre-
noblois Bernard Teillaud, rachète Sainte
Roseline en 1994. La même année,
14 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
Château Minuty,
la célèbre propriété
de la presqu’île
de Saint-Tropez,
est passée sous
pavillon LVMH.
Château Minuty / H. Fabre
pas très loin, la Tropézienne Valérie
Rousselle prend possession du château
Roubine, à Lorgues. Aux alentours,
toutes les propriétés sont tenues par des
familles locales. Tout a bien changé. En
2023, Aurélie Bertin fait figure de pro-
priétaire historique !
PEYRASSOL, OTT, ESCLANS…
Que s’est-il passé dans ce secteur
oriental du Var ? Dès 2001, après avoir
fait fortune dans les maisons de retraite,
Philippe Austruy s’offre l’exceptionnelle
Commanderie de Peyrassol, 900 ha de
collines dont aujourd’hui 90 ha de vignes
sur les contreforts du massif des Maures,
à Flassans-sur-Issole. En 2004, c’est l’un
des joyaux de Provence, les domaines
Ott, qui rejoint le groupe champe-
nois Louis Roederer. Son propriétaire,
Frédéric Rouzaud, maintient Jean-
François Ott à la tête de la propriété.
En 2006, à 8 km de Sainte Roseline,
le Franco-américain Sacha Lichine, fils
d’Alexis Lichine, le Robert Parker ● ● ●

●●● des années 1960, rachète le château
d’Esclans. Génial précurseur, il conçoit
la première marque mondiale de rosé,
Whispering Angel et lance Garrus, le
rosé le plus cher du monde. Il ouvre le
marché du rosé aux États-Unis.
En 2007, le milliardaire britannique
Mark Dixon, un ancien vendeur de sand-
wichs devenu empereur du coworking
rachète les 145 ha du château de Berne,
à Flayosc. En 2011, un fils de maçon ita-
lien devenu roi du prêt-à-porter avec
sa marque Z, Roger Zannier, s’offre les
100 ha (60 en vignes) du château Saint-
Maur à Cogolin, près de Saint-Tropez.
Et depuis ? « Tout s’accélère depuis cinq
ans », constate Aurélie Bertin. En 2019,
le kaiser des montres de luxe Richard
Mille s’offre le château Rêva à La Motte.
En 2020, c’est l’ex-roi du jambon d’Aoste,
Michel Reybier (château Cos d’Es-
tournel, La Réserve à Paris) qui reprend
le château La Mascaronne au Luc, où il
s’associe à la star de basket Tony Parker.
En 2021, Yves Forestier, empereur du
transport frigorifique à bord de ses
camions “Petit Forestier” met la main
sur le château Saint-Pierre, 55 ha le long
de l’Argens tandis que LVMH croque le Jas
d’Esclans en 2022.
380 EUROS L’HECTO !
C’est donc bien un modèle champenois
qui investit le Sud-Est, avec des opéra-
teurs qui voient grand, soucieux de faire
des marques de rosé de Provence. « Le
côté positif, c’est la forte montée en gamme des
vins de la région, analyse Aurélie Bertin. Le
pendant, c’est la cohabitation avec de nou-
veaux opérateurs dotés d’énormes budgets
marketing. Mais je suis convaincue qu’il y a de
la place pour tous ».
En attendant, le prix de l’hecto de rosé
flambe : 350 à 380 € en Provence contre
80 à 90 € pour le vin de Bordeaux !
Et on n’a sans doute rien vu. « La fraî-
cheur, la minéralité et l’élégance des rosés de
Provence sont uniques dans le monde et la
solide tradition viticole locale est un grand
atout. Le potentiel est énorme, on ne vend que
100000 bouteilles de vins de Provence par an
dans toute la Chine, c’est dérisoire. Je ne serais
pas étonné de voir demain des groupes comme
Diageo, Constellation Brands, Suntory, Gallo,
Treasury Wines, Concha y Toro ou Brown-
Forman investir dans la région », annonce
Jean-Guillaume Prats. Denis Saverot
En direct
Dans le vignoble
Mondial des sommeliers :
ce qu’il dit du vin de demain
Pour la première fois, des boissons sans alcool et des plats vegan étaient
au menu des épreuves du concours de Meilleur sommelier du monde 2023.
P our être sacré Meilleur som-
melier du monde, la connais-
sance aiguisée du vin et de son service
n’est plus une compétence suffisante.
Pascaline Lepeltier, la candidate fran-
çaise, le sait mieux que personne
puisque c’est lors d’une épreuve portant
sur la composition de cocktails qu’elle a
perdu des points.
Ayant mal compris une consigne au
moment de réunir les ingrédients indis-
pensables à deux cocktails, l’Aviation et
le Sazerac, elle termine à la quatrième
place, aux portes de la finale. « Ça s’est
joué à très peu de points avec Reeze Choi, le
candidat chinois qui finit troisième, assure
Jérémy Cukierman, l’un de ceux qui
ont entraîné Pascaline Lepeltier avant le
concours. Elle a assuré dans tous les autres
ateliers, notamment ceux liés aux plats vegan
ou aux boissons sans alcool. »
« C’ÉTAIT LE PLUS DUR »
Les sommeliers ont en effet dû se frotter
aux nouvelles tendances culinaires.
Pour la première fois cette année, il
fallait proposer des accords mets et
vins à partir d’un menu 100 % vegan
ou des plats compatibles avec des bois-
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 15
« Difficile de trouver
des accords à partir
de boissons sans alcool », avoue
L. Cappellen
Raimonds Tomsons, Meilleur
sommelier du monde 2023.
sons sans alcool. Une réelle difficulté.
« C’était le plus dur. J’avais des plats en tête,
mais il est très difficile de trouver des accords
à partir de boissons sans alcool », a concédé
le Letton Raimonds Tomsons après sa
victoire. « Le comité technique a conçu des
épreuves reposant sur des connaissances
classiques – avec toutefois moins de questions
sur des vins ou des régions méconnus – et sur
des aspects plus modernes comme les plats
vegan ou les boissons sans alcool », explique
Jérémy Cukierman.
65 PAYS EN LICE
Autre tendance, l’internationalisa-
tion. Créé en 1969, le concours orga-
nisé par l’Association de la Sommellerie
Internationale (ASI) est devenu mon-
dial. En 1969, sept pays étaient en lice. Ils
étaient vingt-cinq en 1992, soixante-cinq
cette année. Cette évolution traduit une
exceptionnelle diversité de cultures,
d’usages et de coutumes. Loin d’être can-
tonné au service du vin et eaux-de-vie, le
sommelier doit être à l’aise en thés, cafés,
eaux minérales, cocktails du monde,
sakés, baijiu, makgeolli (un alcool de riz
coréen), connaître le nom de cépages
ouzbeks ou indiens… Benjamin Helfer
 En direct
Dans le vignoble

La Chablisienne : la centenaire
ne s’est jamais aussi bien portée !
Créée en 1923, la cave a su renoncer
à la course aux volumes
et est aujourd’hui l’une des plus
prospères de France. La fête
du centenaire s’annonce bien.

F aire un tour de cave avec

Damien Leclerc, directeur de
La Chablisienne, a quelque chose de
rassérénant. En saluant les équipes, on
sent la fierté d’appartenir à une maison
prospère qui compte en Bourgogne. Le
centenaire s’annonce joyeux : grande
fête le 13 mai à l’abbaye de Reigny, sortie
d’un chablis premium “Cuvée 1923”
habillé de l’étiquette historique et d’un
livre illustré sur l’histoire de la maison.
« Nous sommes une coopérative mais avant
tout une belle maison de vin », explique le
directeur, ex-officier des commandos

marine passé par Sciences Po. Cap fixé : se
tenir à l’écart de la course aux volumes et
jouer le luxe accessible. « Avec des Grands
crus à 60 €, des Premiers crus à 40, des villages
à 20 et des petits chablis à 10, nous restons
abordables », continue Damien Leclerc.
CHÂTEAU GRENOUILLES
BIENTÔT SOUS ALLOCATION  représente 60 % des ventes en 2021 dans
L’époque, il est vrai, sert La Chablisienne.
Alors que le monde entier a soif de vins
de Bourgogne et que l’on manque de
blancs, 200 vignerons déclarants tra-
vaillent ici 1 200 hectares de vignes, soit
23 % du vignoble chablisien ! Gage de
qualité, tous livrent la totalité de leur
récolte à la cave. Six millions de bou-
teilles sont produites par an par 80 sala-
riés permanents, soit 54 millions d’euros
de chiffre d’affaires. Le caveau ouvert
363 jours par an réalise 7 % des ventes.
Indice de cette prospérité, le Grand
cru Château Grenouilles, fierté de
la cave qui en vinifie 7,40  hectares
(40 000 bouteilles en 2020), sera vendu
sous allocation à partir du millésime
2021 pour calmer la demande (et éviter
de le vendre trop jeune).
La marque La Chablisienne n’est pas
vendue en grande distribution (sauf
chez Monoprix à Paris, avec une gamme
Christophe Race, le président, Brice Becard, le nouveau chef de cave, et Damien Leclerc,
le directeur (de g. à d.), abordent le centenaire avec des résultats record. Et de nombreux projets !
un peu différente), seuls les vins pro-
posés sous la seconde marque Union des
viticulteurs de Chablis le sont. L’export
92 pays. « Mais nous soignons aussi la France
où le secteur traditionnel, les cavistes, la res-
tauration et les ventes directes sont passés de 7
à 10 millions d’euros de chiffre d’affaires. »
ÉLEVAGES MIEUX GÉRÉS
Bon sang mais comment font-ils ? « On a
réussi le pari de l’appellation et de la marque »,
analyse Damien Leclerc qui défend « la
résilience plutôt que la croissance ». Passé par
Boisset et le groupe Picard, il n’a jamais
regretté d’avoir sorti La Chablisienne
du groupement Blason de Bourgogne,
en 2016. « La complexité générée par l’effet
taille était énorme », juge-t-il. Il observe
aussi que les négociants et coopératives
ayant joué les volumes et les prix bas se
retrouvent étranglés par l’essoufflement
de la GD et la concurrence du Nouveau
monde sur l’entrée de gamme. « Et puis le
vignoble vieillit, les rendements vont baisser. La
seule issue, c’est valoriser nos vins. »
16 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
D. Saverot
En goûtant le Premier cru Vaulorent
et surtout Château Grenouilles 2020,
ciselé et salin, très réussi, on mesure les
progrès réalisés dans l’allègement des
élevages. Le pressurage reste ici assuré
par les vignerons, la cave travaillant les
moûts naturels non débourbés. Élément
important, la vaste cuverie de stockage
(14 000 hectolitres) permet de porter les
vins plus longtemps. Fraîchement arrivé
de Chassenay d’Arce, en Champagne, le
chef de cave Brice Becard, qui remplace
Vincent Bartement, trouve une maison
en ordre et assise sur des stocks impor-
tants : La Chablisienne vend ses 2019 et
2020 quand bien des opérateurs, faute
de vins, proposent déjà leurs 2022.
N’y a-t-il donc aucun sujet d’inquié-
tude ? Si ! Le réchauffement climatique.
« En quinze ans, le début des vendanges a été
avancé de fin septembre à fin août », observe
Damien Leclerc qui s’inquiète aussi de
l’envol annoncé de sa facture d’électricité.
Elle risque de passer de 300000 à 1,8 mil-
lion d’euros par an.
D. S.
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Hermitage: l’eau divise
Chapoutier et Chave
Faut-il autoriser l’irrigation sur la colline
de l’Hermitage après des étés de plus en
plus secs ? Président de l’appellation,
Michel Chapoutier y est favorable et a
mis le sujet sur la table. Mais il rencontre
l’opposition très ferme d’un vigneron
emblématique, Jean-Louis Chave, qui
ne veut pas en entendre parler. À ses
yeux, une AOP d’exception comme
Hermitage ne peut pas verser dans cette
facilité qui enverrait un mauvais signal.
Sancerre: des séminaires
avec les vignerons
Créée à Sancerre, la société Via
Vinoviti propose aux entreprises des
séminaires “Transformation  &  lea-
dership”, “Cohésion & coopération” ou
“Innovation & agilité” avec des vigne-
rons emblématiques comme Daniel
Crochet, Hélène et Alphonse Mellot
(La  Moussière) ou Cyril de Benoist
(domaine du Nozay). Parmi les premiers
clients, les groupes EDF et Colas. Plus
d’infos sur viavinoviti.com
Audrey Braccini quitte
le domaine J.A.Ferret
Audrey Braccini, talentueuse chef de
cave du domaine J.A. Ferret à Fuissé,
quitte le Mâconnais pour rejoindre
son mari Cyril Chirouze, directeur du
Clos Rougeard (Saumur-Champigny).
C’est Julie Pitoiset qui remplace Cyril
Chirouze au château des Jacques.
LE CHIFFRE DU MOIS
17,2
C’est, en milliards d’euros, le montant
des exportations de vins et spiritueux
français. Un chiffre record tiré par l’in-
flation après une année 2021 splendide.
En valeur, Cognac (+9,3 %), Champagne
(+ 20 %), Bourgogne (+ 12,6 %) et désor-
mais la Provence et ses rosés (+ 21,69 %)
jouent les locomotives.
En direct
Dans le vignoble
En Languedoc,
le temps des
vignerons migrateurs
En Lozère,
ici Ispagnac,
l’IGP Cévennes
veut relancer
les cépages
hybrides résistant
à la sécheresse.
Comment déjouer la hausse
des températures sans perdre
son identité ? Les Cévenols pensent
avoir trouvé la solution.
D es grenaches chaleureux, des
syrahs plus alcoolisées, une baisse
d’acidité et des rendements… Le dérè-
glement climatique bouscule les vigne-
rons du Languedoc. Pour garder les
mêmes profils de vins, beaucoup veulent
planter plus au nord et demandent des
extensions d’aire géographique de leur
vignoble pour la récolte 2024.
C’est le cas à Saint-Chinian, où
180 hectares situés hors de l’AOC ont
été étudiés par une commission d’en-
quête de l’Inao en vue d’être intégrés.
« La moitié de la révision d’aire de l’appella-
tion concerne les versants nord, nord-ouest et
les terroirs d’altitude ce qui va permettre aux
vignerons de conserver, malgré la hausse des
températures, les profils de vins caractéris-
tiques de leurs cépages », avance Luc Simon,
le président du syndicat.
Ce scénario dit “nomade”, identifié
dans le projet de recherche européen
LACCAVE (une étude sur les impacts du
changement climatique sur la vigne et
le vin et les stratégies d’adaptation pos-
sibles) arrivé à son terme en 2021, est loin
d’affoler les vignerons. Certains y voient
un effet d’aubaine, comme dans le Gard
18 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
D. R.
où l’IGP Cévennes lorgne désormais vers
la Lozère. « Avec la hausse des températures,
la châtaigneraie dépérit en dessous de 500 m
d’altitude. Pourquoi ne pas planter de la vigne
dans les cantons historiques ? », s’interroge
Jérôme Villaret, chargé de projet pour le
syndicat de l’IGP Cévennes. La demande
d’extension concerne dix hectares entre
Ispagnac, Sainte-Enimie et la Vallée
Française. Mais le réservoir potentiel est
bien plus vaste, avec 451 hectares identi-
fiés… dès 1964 !
LA REVANCHE DU COUDERC
De quoi en faire rêver plus d’un. « Il sera
impossible demain de conserver les profils
actuels des vins avec les cépages et les tech-
niques d’aujourd’hui », explique Danny
Peregrine, le directeur de la fédération
gardoise des vins IGP. D’où l’idée de
relancer en Lozère les cépages hybrides
résistant aux maladies et à la sécheresse
tels le couderc et le villard qui, bien
qu’interdits en 1934, ont perduré jusqu’à
nos jours dans certains coins isolés. « Tous
ne sont pas interdits et ne rendent pas fou »,
précise sans rire Jérôme Villaret. On
veut aussi remettre au goût du jour des
techniques oubliées comme la culture
en treille. Un vigneron serait même
sur le point de planter un hectare au
Pompidou, à 750 m d’altitude, sur la cor-
niche des Cévennes. Idelette Fritsch
 « Une cave qui attire l’œil
par son design et sa différence »
Léa PERRET, Meilleure jeune caviste de France 2022
et co-gérante de la cave Nicolas Lyon Jacobins.

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Le Luberon bouté
hors de Provence?
Les vignerons des Côtes de Provence,
des Coteaux d’Aix et des Coteaux Varois
attaquent l’office du tourisme du
Luberon. Objectif : lui interdire d’utiliser
le terme “Provence” dans sa com œno-
touristique au motif qu’en matière de
vin, le Luberon est rattaché à la Vallée du
Rhône et pas à la Provence. Un premier
jugement à Nanterre a donné raison aux
plaignants. Un appel est en cours de for-
malisation. Mais au fait, pourquoi sur-
nomme-t-on depuis toujours le mont
Ventoux, le “Géant de Provence” ?
Dourthe et Penfolds:
un assemblage dingo
Dans la série des projets un peu fous,
voici le premier vin franco-australien.
“Penfolds II” est le fruit de la collabora-
tion entre la maison bordelaise Dourthe
et le prestigieux domaine australien
Penfolds. Il s’agit du premier assemblage
de vins des deux hémisphères : syrah
australienne (Barossa Valley), cabernets
et merlots bordelais, vinifiés chacun
dans leur région, puis assemblés. Cette
curiosité a un prix, 325 €. Il n’y en a que
4500 flacons.
Miss France agricole
2023 est vigneronne!
Pauline Pradier, vigneronne au
domaine de Vallaurie, dans le Gard, a
été élue Miss Agricole 2023. Elle succède
à une éleveuse de brebis. Organisé sur
Facebook, ce concours amateur a mobi-
lisé 132 jeunes femmes cette année. Voilà
dix ans qu’une vigneronne n’avait pas
été élue par le public.
Philippe Pascal:
l’appel du Beaujolais
Le domaine de Mont Bessay à Juliénas,
création du propriétaire du Cellier aux
Moines (Givry) Philippe Pascal et de
son responsable technique Guillaume
Marko, va mettre ses premiers vins en
bouteilles : un juliénas issu du lieu-dit
En Bessay et un moulin-à-vent Le Vieux
Bourg du millésime 2021.
En direct
Dans le vignoble
Stéphanie Galzy : la voix
du vin à l’Assemblée
La députée de
l’Hérault Stéphanie
Galzy (RN) préside
le groupe d’études
“Vin, vigne
et œnologie”
de l’Assemblée.
Elle veut travailler
sur la sécheresse,
l’arrachage
et la loi Évin.
L es députés ne
parlent pas de
vin qu’à la buvette de Née à Pézenas,
l’Assemblée. Parmi la ancienne conseillère
centaine de groupes bancaire à Béziers,
Stéphanie Galzy
d’études qui œuvrent préside le groupe
au palais Bourbon, “Vin, vigne et œnologie”.
D. R.
“Vin, vigne et œno-
logie” a toujours été
l’un des plus importants. 70 députés y À l’heure où nous écrivons ces lignes, la
sont inscrits aujourd’hui. Et pas seu- première réunion mensuelle du groupe
lement des amateurs de dégustations. annoncée pour le 28 février n’avait pas
« Ces instances sont ouvertes à tous les députés encore eu lieu.
et constituées pour approfondir et suivre
des questions spécifiques, qu’elles soient de LE VIN, CAUSE NATIONALE
nature politique, économique, sociale ou Pour Stéphanie Galzy, « les petits vignerons
internationale », explique le site internet se plaignent d’une absence de concertation
de l’Assemblée nationale (www.assem- avec les instances dirigeantes du vignoble. Je
blee-nationale.fr). En clair, ces groupes souhaite organiser des groupes de travail avec
étudient des problématiques remon- l’Inrae, les vignerons, les chambres d’agricul-
tant du terrain et préparent le travail ture, les fabricants d’intrants… ».
des parlementaires avant d’éventuelles D’autres sujets sont inscrits au menu
questions au gouvernement, des projets du groupe d’études : « La gestion de l’eau car
de lois ou des travaux en commission. la sécheresse de 2022 nous montre à quel point
c’est un sujet important. La question de l’arra-
PASSE D’ARMES chage dans le Bordelais, sur laquelle je n’ai pas
Fin 2022, la désignation de sa présidente d’avis ferme et définitif à date. Il y a eu beau-
a été l’occasion d’une passe d’armes entre coup de subventions attribuées pour planter,
les groupes, Rassemblement National et en faut-il d’autres pour arracher ? Enfin, la
Renaissance. Stéphanie Galzy, députée manière dont on communique autour du vin,
RN de l’Hérault, proche des AOP Saint- tout en restant en conformité avec la loi Évin ou
Chinian, Faugères, Minervois, Picpoul en l’amendant, si nécessaire. Les vignerons ont
de Pinet et Terrasses du Larzac a finale- des cuves pleines d’invendus, que va-t-on faire
ment succédé seule à Marie-Christine au printemps pour les libérer ? Les détruire ?
Verdier-Jouclas et Jacques Cattin, Les distiller ? Je veux faire du vin une grande
députés du Tarn et du Haut-Rhin, non cause nationale pour sauver cette profession
réélus. Le groupe Renaissance (majorité qui souffre beaucoup. »
présidentielle) a refusé la coprésidence. Thierry Masclot
20 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
 CHÂTEAU DE FESLES
38 ha
AOP: Anjou blanc, Anjou
rouge, Anjou Villages,
Bonnezeaux
Cépages : Chenin,
Cabernet Franc
et Grolleau
Conversion bio

Berceau de l’un des meilleurs vins liquoreux au monde, le Château

de Fesles déploie ses ailes comme pour mieux protéger ses progénitures,
ces plans de vigne qui s’épanouissent doucement à ses pieds, avant de les

CHÂTEAU transformer en or.

DE FESLES L’analogie s’impose, tant les teintes du

« Le Bonnezeaux,
l'alchimie entre terroir, climat,
sur-maturation des raisins et rigueur
extrême dans le tri.»
GILLES BIGOT
Chef de culture & Maître de chais
Bonnezeaux du Val de Loire se rapprochent
du précieux métal, par leur robe de couleur
figue, de coing, de poire, de caramel au lait et
de poivre blanc : un vin hors normes avec un
potentiel de garde d’au moins vingt-cinq ans.
jaune profond, et leurs reflets orangés et or
Sur les murs de la salle d’armes du château,
sur la corolle. La demeure et son superbe parc
trônent d’ailleurs de nombreuses distinctions
ont été édifiés à Thouarcé, à 30 kilomètres au
honorant des vins d’anthologie datant de 1929,
sud d’Angers au Xviiie siècle, mais la vocation
1976, 1989 ou 2005. Jugées exceptionnelles,
viticole du site serait bien plus ancienne,
les années 1945, 1947, 1959, sont même
d’après des écrits des moines du Gué de Berge
qualifiées de millésimes du siècle.
citant le cru de Bonnezeaux dès 1055.
Gilles, qui cumule les casquettes de chef
SPLENDEUR DU VAL DE LOIRE de culture et maître de chai, explique :
« Les grands millésimes résultent d’une somme
de petites choses. Par exemple, pendant la
floraison, le temps doit être chaud, venteux et
sec. À la récolte, chaque parcelle doit apporter
Le Château de Fesles est au Bonnezeaux ce que une puissance, une concentration, un fruit qui
d’autres vins légendaires sont au Sauternais. lui est propre… »
Néanmoins, le principal point commun
Et il ne faut pas oublier que si le Château
entre ces liquoreux d’exception réside dans
de Fesles est célèbre pour ses blancs, ses 38
le rôle fondamental de la pourriture noble.
hectares se divisent à parts égales entre les
Le botrytis se développe ici à la faveur des
deux couleurs. Sur le plateau, les vignes de
brouillards issus de la rivière du Layon
enveloppant les vignes.
cabernet franc donnent un rouge vif, une
gamme déclinée en AOP Anjou blanc et en
Le Bonnezeaux du Château de Fesles est un Rosé d’Anjou, avec le Cabernet d’Anjou.
blanc moelleux issu d’un cépage emblématique
de la région, le chenin. Il off re un nez très
concentré aux subtils arômes de confit de

AOP ANJOU - AOP ROSÉ D’ANJOU - AOP CABERNET D’ANJOU - AOP BONNEZEAUX

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION


Ils font du vin au
pays des briques rouges !
Dans la Somme, 200 hectares
de vigne aux mains
de 130 agri-viticulteurs vont
produire 1,5 million de bouteilles
de chardonnay ! Les vignerons
du Nord ont une belle ambition.
L orsqu’on arrive aux abords de l’an-
cienne sucrerie de 3 200 m2 trans-
formée en chai et en caveau de dégusta-
tion, on ne peut s’empêcher de penser :
« Quel drôle d’endroit pour faire du vin ! ». Un
million d’euros a été investi pour réha-
biliter le bâtiment, dont 200 000 par la
région Hauts-de-France. Nous sommes
à Dompierre-Becquincourt, dans la
Somme. Arras est à 50 km plus au nord,
Amiens à 50 km à l’ouest.
ENTRE 7 ET 10 € LA BOUTEILLE
C’est ici, au pays des céréales et de la
betterave, que le groupe issu de la coo-
pérative agro-industrielle Advitam
a implanté son projet de développe-
ment d’une filière viticole dans les
Hauts-de-France. Sa société de négoce
de céréales Ternoveo accompagne les
agriculteurs dans ce projet depuis 2019.
Et aujourd’hui, une filiale vin, Chai des
Hauts-de-France a été créée pour com-
mercialiser du vin blanc au pays des
briques rouges. Le modèle est proche
de celui du négoce, avec des vignerons
partenaires qui ont un contrat.
En direct
Dans le vignoble
C’est dans la Somme,
entre Arras et Amiens,
que le vignoble
picard a vu le jour.
D. R.
Comment ça marche ? Chai des Hauts-
de-France achète les raisins 1,20 € le kilo
avec une possibilité de prime qualita-
tive. Les premiers chardonnays ont été
plantés en 2019 et vendangés à la main
en 2022. 86 hectares sont aujourd’hui
plantés et répartis sur 50 parcelles appar-
tenant à 49 vignerons qui suivent des
formations théoriques et de terrain avec
l’enthousiasme des débutants. Cela leur
permet de se diversifier et de s’adapter
au réchauffement climatique. Les sols
sont argilo-calcaires sauf sur quelques
parcelles crayeuses. L’ensemble est label-
lisé HVE 3, certaines parcelles sont en
conversion bio.
« L’objectif est d’exploiter 200 hectares
dans cinq ans avec 130 vignerons à leur tête »,
indique Xavier Harlé, directeur général
de Ternoveo. “Les 130” est d’ailleurs
la marque retenue pour une gamme
qui comptera quatre cuvées, toutes en
Vin de France. Azimute et Parallèle 50,
40 000 bouteilles au total, seront com-
mercialisées dès cette année, entre 7 et
10 € la bouteille. Fragments et Zénith,
deux cuvées plus exigeantes arriveront
ensuite. Un million et demi de bouteilles
sortiront du chai à horizon de dix ans.
L’équipe de Chai des Hauts-de-France
planche déjà sur un dossier pour pré-
tendre au classement en Indication
d’origine protégée. Mais avant cela, une
étape s’impose : la dégustation des vins !
Rendez-vous en juin. T. M.
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 23
Vin de France: le virage
des vins sans alcool
Longtemps cantonnés dans l’obscure
catégorie “BAVB” (boisson à base de vin),
les fameux “No/low”, autrement dit les
vins sans alcool ou très peu alcoolisés
vont être proposés en Vin de France
(VDF). Bruxelles vient d’autoriser l’usage
des mentions “Vin désalcoolisé” ou “Vin
partiellement désalcoolisé” jusqu’alors
interdites sur les étiquettes.
Chinon les fait craquer!
Ivan Massonnat (domaine de
Beauséjour) n’est plus seul ! Un nouvel
investisseur est séduit par Chinon.
Laurent Dumas, président du groupe
immobilier Emerige, a acheté le
domaine Jourdan & Pichard et ses 17 ha
en biodynamie à Cravant-les-Coteaux.
Son neveu, Antoine Jabot, en prend la
direction. Nous suivrons de près le pre-
mier millésime (2023) de ce domaine
qui devrait changer de nom.
À Quincié, Jean Loron
épaule Périco Légasse
Un peu plus d’un hectare en dévers
mais sur un terroir exceptionnel ! Le
critique Périco Légasse replante sa vigne
au-dessus du village de Quincié-en-
Beaujolais. Les travaux et le fermage ont
été confiés à la maison Jean Loron.
Chablis: Grégory
Viennois quitte Laroche
Directeur technique du domaine
Laroche pendant près de douze ans,
Grégory Viennois passe à son compte
comme conseiller. Il veut aussi s’investir
davantage avec sa femme Delphine dans
le négoce familial Maison de la Chapelle,
réputé pour son irancy.
Second marché aux vins
à Crozes-Hermitage
C’est la seconde édition. Les 14, 15 et
16 avril, 50 vignerons des crus du Rhône
nord proposent des dégustations et des
Off dans les domaines et restaurants de
Crozes-Hermitage. https://legrand-
weekend.crozes-hermitage-vin.fr/
 En direct dans le vignoble
F. Poincet
Le goût et les bons sentiments
L
e syndicat de défense des vins naturels s’engage
contre les violences sexistes et sexuelles car « l’éthique
associée à la production de vins naturels n’est pas simplement
technique mais concerne tout son écosystème » (La RVF n° 665,
novembre 2022). En Champagne, la maison Drappier se
déclare « premier domaine viticole neutre en carbone » après avoir
acheté des crédits auprès de plusieurs programmes de pro-
duction d’énergie renouvelable en Inde et de reforestation
en Amazonie (La RVF n° 665). La lecture de tant de bonnes
résolutions déclenche dans mon esprit un enchaînement
d’interrogations qu’il me démange de partager.
Respect de l’environnement, bilan carbone, ressources
hydriques, circuits courts et agroforesterie… Respect de l’hu-
main et des susceptibilités de chacun : on produit désormais
de la vertu comme on consomme, en conscience. En n’ou-
bliant pas de l’afficher. Le monde du vin n’est-il pas en train
de se muer en concours de rosières ? Les Italiens ont un mot
pour cela, depuis quelques années déjà : buonismo.
Belles et bonnes dans l’absolu, les “prises de conscience”
composant ce feu d’artifice vertueux sont-elles autre chose
que l’adéquation à un cadre moral globalisé, à de nouveaux
tabous et injonctions auxquelles il faut se soumettre sous
peine d’être stigmatisé ?
Le vin obéit à l’air du temps. Mais n’est-il pas aussi fait
d’extravagance, d’insubordination, d’individualisme ?
L’imaginaire du vin renvoie à une culture sédimentée dans le
temps long, aux 8000 ans de son expansion depuis le Caucase
et l’Anatolie. Il a fallu un millénaire pour inscrire les grands
vignobles européens dans la mémoire collective. L’histoire du
vin a été sculptée par les sociétés successives. Son goût a été
forgé par l’irrationnel, des singularités discriminantes, par la
valeur autant que par le désir, l’excès, les fantasmes qui per-
mettent les moments suspendus hors du monde…
Après Yquem, le Montrachet, la Coulée de Serrant,
Château-Grillet et Château-Chalon, imagine-t-on
Curnonsky panthéoniser les cinq vins les plus écorespon-
sables du moment ? Mais attendez… les vignobles distingués
24
Tribune
Par Pierre Citerne,
Docteur en préhistoire
et membre
du comité
de dégustation
de La RVF
par “Cur” en 1930 ne sont-ils pas, en 2022, majoritairement
en biodynamie ?
Ou alors imagine-t-on dans Gargantua frère Jean des
Entommeures partir en guerre contre les bouteilles
lourdes ? Quoique, à la réflexion… Rabelais aurait été
capable de l’imaginer !
Produit alimentaire connoté culturellement, le vin
devient une marchandise de luxe, voire un objet financier
dématérialisé. Alors que producteurs et experts distillent un
discours moralisant en passe de tourner au prêchi-prêcha,
on nous vend aujourd’hui des petits crus sympathiques aux
prix des grands vins, ces derniers étant devenus inacces-
sibles. Duplicité ?
« C’est avec les beaux sentiments que l’on fait la mauvaise littéra-
ture », affirmait Gide, exact contemporain de Curnonsky.
Il serait imprudent d’affirmer que les beaux sentiments
seraient contraires aux bons vins. Sont-ils en revanche suffi-
sants pour créer le goût, le véhicule du plaisir ?
Il y a peut-être davantage d’inconséquence que de tar-
tuferie dans cette course à la vertu, ce qui d’ailleurs n’est pas
moins inquiétant. Je me souviens d’une intervention sur
France Inter de Pierre Rabhi, quelques années avant la mort
de cette figure de l’écologie. Les animateurs amplifiaient
la parole du maître, faisant radiophoniquement les gros
yeux aux quidams pollueurs, aux infâmes diesels, avant de
rendre l’antenne pour permettre une réclame tonitruante
d’Air France vantant nouvelles destinations, tarifs promo-
tionnels et augmentation des fréquences de vol.
Les vignerons au discours environnemental et social si
bien rodé, qui sillonnent en avion le monde pour vendre
aux antipodes des vins pas tous irremplaçables ne sont-ils
pas écartelés dans la contradiction ?
Dans le déluge des résolutions vertueuses comme dans la
spéculation effrénée, la question du goût ne doit pas devenir
accessoire, une simple variable d’ajustement. Le goût est une
réalité fragile et précieuse, le Covid-19 nous l’a crûment rap-
pelé. N’en faisons pas un vulgaire concept.•
- LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
 T E U R
IM P O R TA
T I O N A L
N A L U S I F
EX C

Etats-Unis
Italie

Alto Adige Vénétie

Sicile

Afrique du Sud

Suisse Espagne Chili Argentine

Ribera Del Duero

Siège social : 10 rue des artisans - 21800 DIJON QUETIGNY - 03 80 79 06 77 - contact@le-gout-du-vin.fr - www.le-gout-du-vin.fr

L’HISTOIRE
Le match du siècle!
ChatGPT:O
P.Casamayor:1
Par Pierre Casamayor
E n rédigeant mon article sur le châ-
teau Carbonnieux (lire p. 60), je
me suis amusé à demander au robot
conversationnel ChatGPT de décrire ce
domaine à ma place. Il faut savoir que
cette “intelligence artificielle” (IA) se
nourrit d’une énorme masse de don-
nées piochées dans Internet et s’enri-
chit de jour en jour avec tout ce qui y est
publié.
Le résultat est à la fois intrigant et ras-
surant. Si le robot écrit en bon français,
le contenu ne s’éloigne pas des rensei-
gnements classiques, à la limite de la
banalité et sans aucune réflexion cri-
tique. Comme un texte promotionnel.
De plus, le robot commet des erreurs, ce
qu’il reconnaît avec une déconcertante
désinvolture. Même résultat pour le
commentaire de dégustation qui pour-
rait convenir à nombre de vins blancs de
Graves. Quant à la notation, il hésite à se
mouiller. L’IA a-t-elle accès aux données
de La RVF ? Est-elle programmée pour
ne pas reprendre des notes ?
Aux questions que je lui pose les
réponses sont parfois surprenantes !
Lorsque je lui demande, par exemple,
« Qui sont les propriétaires actuels ? », le
robot répond :
ChatGPT. « Les propriétaires actuels
du château Carbonnieux sont la famille
Guinaudeau, qui a repris le domaine en 1974.
Depuis lors, ils ont entrepris des travaux de
rénovation et de modernisation de la pro-
priété et de ses chais, et ont continué à pro-
duire des vins de haute qualité. »
Je lui dis qu’il se trompe, que le châ-
teau appartient aujourd’hui à la famille
Perrin. Il acquiesce…
ChatGPT. «  Je m’excuse, vous avez
raison, les propriétaires actuels du château
Carbonnieux sont effectivement la famille
Perrin. »
Retrouvez l’intégralité de cet échange
sur larvf.com
En direct
Dans le vignoble
La personnalité du mois
Stéphane Zittoun :
il a numérisé le “Féret”
Patron d’une société
d’analyses de données
numériques, il rachète
la célèbre maison d’édition
bordelaise en 2019 pour
en faire une base de données
sur le vin.
L es éditions Féret, maison
bordelaise fondée en 1812 et
connue pour son monumental
guide Bordeaux et ses vins, vivent
une véritable révolution depuis
leur rachat par Stéphane Zittoun
en 2019.
Ce dernier a bâti son succès
entrepreneurial en développant
NP6, une société d’analyses de
données numériques et de mar- Avec les éditions Féret,
keting digital à Bordeaux. En 2019, Stéphane Zittoun
J. Baudouin
il revend son entreprise pour se allie ses deux passions :
le vin et l’histoire.
lancer dans un nouveau défi. « On
m’a proposé les éditions Féret et le projet
m’a tout de suite plu. Il alliait deux de mes pas- propose aux négociants, aux importateurs et
sions, le vin et l’histoire, et j’avais aussi envie distributeurs des données vérifiées sur les crus.
de quelque chose de concret à reprendre », On offre la possibilité aux châteaux de créer
explique-t-il. leurs propres fiches techniques à partir d’in-
formations (superficies exactes, normes envi-
TRADUCTION EN HUIT LANGUES ronnementales, médailles, notes des critiques)
Aux mains de l’homme d’affaires mises à jour en temps réel et traduites en huit
Marc Faujanet de 2016 à 2019, la maison langues », détaille Stéphane Zittoun.
d’édition est alors dans un triste état.
Stéphane Zittoun relève le gant. Il S’ÉTENDRE À D’AUTRES VIGNOBLES
dépoussière l’institution bordelaise et Pour publier des informations justes, les
la propulse dans l’ère du numérique. éditions Féret ont donc mis au point un
« Les éditions Féret sont un patrimoine excep- système de certification des données, en
tionnel de l’histoire des vins de Bordeaux, il cours de validation avec Bureau Veritas.
restait à transposer cette somme d’informa- « Nous allons chercher l’information à la
tions au digital. Or, nous avons constaté que source pour qu’il n’y ait pas d’erreur », assure
les informations qui circulent sur les vins sont l’entrepreneur. Un système d’automati-
rarement fiables. Les fiches ne correspondent sation, de traduction et de vérification
pas toujours au vin, ni les encépagements ou d’informations qui devrait séduire les
les superficies », poursuit le nouveau pro- châteaux qui connaissent déjà le sérieux
priétaire. des éditions Féret.
Pendant trois ans, ses équipes ont Et si le succès est au rendez-vous,
numérisé l’ensemble des éditions du Stéphane Zittoun pourrait bien étendre
guide (la première remonte à 1850), créé ce modèle à d’autres régions. « À terme,
un nouveau site internet (www.feret. nous aimerions proposer ce service à d’autres
com), véritable portail d’informations vignobles de France », conclut-il.
sur les châteaux bordelais. « Notre outil Jérôme Baudouin
26 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023

Économie
La bière détrône le vin
dans les hypers
Le chiffre d’affaires de la vente de bières en grande distribution va
dépasser celui des vins tranquilles cette année. Une révolution !
Getty Images
En canette ou en bouteille, la bière séduit de plus en plus les jeunes consommateurs.
I l y a des chiffres qui interpellent.
Ceux publiés par l’IRI Worldwide,
une société spécialisée dans l’analyse
de données de marchés, illustrent un
véritable tournant sociologique dans les
habitudes de consommation d’alcool
en France. Si l’on en croit ces chiffres, la
bière serait en passe de détrôner le vin
dans les rayons des grandes surfaces.
Selon l’IRI Worldwide, les ventes de vins
tranquilles et effervescents ne cessent
de diminuer. En 2022, la vente des seuls
vins tranquilles en grande distribution a
baissé de 6 % en volume et de 4,91 % en
valeur, tandis que les ventes de bière ont
connu une croissance inversement pro-
portionnelle.
En quinze ans, la tendance n’a fait
que se renforcer. En 2007, les vins tran-
quilles représentaient 42,2 % de parts de
marché sur l’ensemble des ventes d’al-
cool en grande distribution ; en 2022, ce
volume est tombé à 31,1 %. Dans le même
temps, les ventes de bière ont, elles,
bondi de 36,1 % de parts de marché en
2007 à 51,4 % au premier semestre 2022.
En valeur, le phénomène se confirme.
En 2007, la bière ne représentait que
14,1 % du chiffre d’affaires total des bois-
sons alcoolisées en grande distribution ;
En direct
Dans le vignoble
au premier semestre 2022, il s’élevait à
27 %. Alors que le chiffre d’affaires des
vins tranquilles est passé de 34,1 à 28,9 %
pour la même période. « Dans ces condi-
tions, on pronostique que, dès 2023, le chiffre
d’affaires de la bière en grande distribution
dépassera pour la première fois celui du vin
tranquille », observe Éric Marzec, direc-
teur de clientèle de l’IRI Worldwide.
BIÈRES HAUT DE GAMME
Comment expliquer un tel phéno-
mène  ? La bière séduit les jeunes
consommateurs avec des produits plus
complexes et haut de gamme. Il n’est
pas rare de trouver dans les rayons des
canettes vendues de 3 à 5 €, mais aussi
des marques de bière dont le prix au
litre dépasse les 7 €. De quoi faire rêver
nombre de vignerons.
Alors la bière nouvelle championne
des boissons alcoolisées en grande dis-
tribution ? Pas tout à fait car si l’on ajoute
les chiffres de vente des effervescents, le
vin l’emporte encore d’une courte tête.
Reste à savoir comment vont réagir les
grandes enseignes face à ces nouvelles
tendances de consommation. Dans les
linéaires, les vins occupent toujours
beaucoup plus d’espace que la bière. J. B.
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 27
L’AVIS DU JURISTE
Danemark:
de faux cognacs
pour les Suédois!
Q uand on évoque des contrefaçons
de bordeaux ou de cognac, on
songe d’abord aux marchés asiatiques.
Bizarre, non ? Et pourtant le marché
européen n’est pas à l’abri de ces dérives
comme l’a prouvé une saisie de fausses
bouteilles de cognac… au Danemark !
Fin 2022, l’agence européenne de
police criminelle (Europol) a pro-
cédé à la saisie puis à la destruction de
2 000 bouteilles de faux cognacs desti-
nées au marché suédois.
Exporté à près de 98 % dans le monde
entier, le cognac est l’une des cibles pri-
vilégiées des contrefacteurs. Le Bureau
national interprofessionnel du Cognac
(BNIC), en charge de sa promotion et de
sa protection, livre des batailles inces-
santes afin de préserver l’image et la plus-
value attachées à la fameuse eau-de-vie.
Même si elles s’avèrent peu nom-
breuses sur le sol européen, où la protec-
tion des AOC françaises est très forte, ces
saisies sont toutefois régulières. En 2007,
l’interprofession cognaçaise était inter-
venue en Finlande pour faire détruire
plus de 50000 étuis métalliques destinés
à la vente de contrefaçons de cognac.
Sur ces étuis était précisé que le
“cognac” était distillé à partir de cépages
ugni blanc, colombard, merlot et
cabernet-sauvignon issus des régions
Charentes… et Côtes de Blaye !
Toute contrefaçon de produit alimen-
taire présente un risque pour la santé, en
particulier les faux spiritueux en raison
notamment de leur fort degré d’alcool.
Jean-Baptiste Thial de Bordenave
Avocat - Mineral Wines
Shutterstock
 En direct
Paroles de cavistes

Arthus et Jean, à Paris

Dans le Marais,
la cave des amis
Cette nouvelle cave menée par un duo de copains s’est
bien implantée dans ce merveilleux quartier de Paris,
à deux pas du Musée de la Chasse et de Beaubourg.

C es deux-là sont très amis depuis

une quinzaine d’années. À tel point
qu’Arthus de Germay et Jean Rochereau,
“chapelles” viticoles,
eux restent d’une
grande neutralité ou
passionnés de vente et de vins, ont fini d’un œcuménisme
par ouvrir une cave dans le Marais, dans revendiqué p our
le IIIe arrondissement parisien. faire cohabiter sur
Les deux compères sont expéri- les mêmes étagères
mentés. Jean a fait ses classes au Repaire du conventionnel, du Arthus et Jean
de Bacchus, à la cave de La Tour d’Argent, bio, de la biodynamie ont réalisé leur rêve :
ouvrir leur cave.
puis à Lavinia. Arthus, lui, a travaillé trois ou du “nature”.

ans dans un cabinet de conseil commer-
cial pour structures viticoles. Les voilà
donc réunis à la tête de leur cave inau-
gurée le 25 novembre dernier.
VIEUX MILLÉSIMES
À l’exception du Bugey, leur sélection de
250 références balaie tout le vignoble
français. « Il y a de bons vignerons partout »,
assure Arthus, ce qui est tout à fait vrai.
Ici, les bouteilles sont classées en bou-
tique par ordre de prix. 80 % des vins
présentés sont à moins de 30 € et, sur la
minorité restante, le duo développe une
partie “grands vins” avec une spécialisa-
tion sur les vieux millésimes prêts à boire.
À un moment où de plus en plus de
cavistes militent pour l’une ou l’autre des
LAURA DAVID À MONTLOUIS
La dégustation, la rencontre, voilà ce que
Jean et Arthus privilégient au moment
de choisir un vin. Dans leur best of, citons
par exemple Le  Chemin des Rêves
dans le Languedoc, qui signe des vins
« de grande fraîcheur, aux tanins souples »,
Laura David, vigneronne à Montlouis
distinguée “Découverte de l’année” par
La Revue du vin de France (lire La RVF
n° 667, février 2023), ou encore les
Vignobles Berthier, pour « leurs sauvi-
gnons et pinots délicieux, leurs superbes rap-
ports qualité/prix à Sancerre, Pouilly-Fumé ou
encore les Coteaux du Giennois ».
Dans cette jolie cave du Marais,
vous trouverez aussi des jus de fruits,
D. R.
des cidres, une vingtaine de réfé-
rences de bières artisanales (Cambier,
La Débauche, Popihn, Effet Papillon) et
des spiritueux 100 % français avec un
whisky breton ou du rhum Neisson.
À leur costume de marchands de
vins, Arthus et Jean ajoutent enfin une
dimension pédagogique avec des soirées
dégustation thématiques autour de six
vins. Avec carte, infographies mais sans
lourdeur, bravo ! Pierrick Jégu
Arthus et Jean
42, rue de Saintonge, 75003 Paris
Tél. : 06 52 98 69 46 / 06 37 79 36 52

LES AUTRES
ADRESSES
À PARIS
LA CAVE DES PAPILLES
Une des plus anciennes caves
“nature” de Paris et toujours
l’une des plus passionnantes !
35, rue Daguerre, 75014 Paris.
Tél. : 01 43 20 55 74
MA CAVE FLEURY
Toute ressemblance avec
les champagnes Fleury n’est
pas fortuite… Les délicieuses
excellents flacons en biody-
namie. Cave et bar à vins.
177, rue Saint-Denis,
75002 Paris. Tél. : 01 40 28 03 39
LA CAVE DES CLIMATS
Annexe du restaurant
Les Climats, voilà une cave à AUX VINS VIVANTS
manger qui s’appuie sur une Une cave et un bar à vins côte
très solide sélection de vins et à côte… Belle sélection de
de produits à emporter ou à vins de vignerons dans l’esprit
déguster sur place. bio-“nature”.
35, rue de Verneuil, 75007 Paris. 174, rue Marcadet, 75018 Paris.
Photos : D. R.

bulles maison et d’autres Tél. : 01 42 33 87 94 Tél. : 01 88 48 28 22

28 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023


Lumineux et agréable,
le bâtiment rénové
renferme 1100 outils
créés par les vignerons.
D. R.
Musée du vignoble nantais
Mémoire des outils
au pays du muscadet
Non loin de Nantes, la réouverture de ce lieu permet de retracer l’histoire
du vignoble nantais, ses outils et machines. Un éloge du travail artisan.
L
a France détient en ses vignobles
des sites et des bâtisses excep-
tionnels qui invitent à la contem-
plation de la nature et à la découverte
des usages régionaux de la vigne et du
vin. Le Musée du vignoble nantais (*), à
une vingtaine de kilomètres au sud de
D. Gallard
Nantes, en fait partie. Sa réouverture
le 1er avril dernier offre l’occasion d’ad-
mirer une construction contemporaine
aux lignes droites et régulières d’une
extrême sobriété, un choix qui magnifie
la lumière océane et les vignes alentour.
En y pénétrant, les visiteurs découvri-
ront d’étonnantes collections d’objets et
outils créés au fil du temps par d’ingé-
nieux viticulteurs du Pays nantais sou-
cieux de faciliter le travail dans les vignes.
GRAND HIVER DE 1709
Constitué de 1 100 objets, le fonds du
musée, construit de 1992 à 1995, a été
enrichi au fil des ans par des dons et prêts
de pièces historiques. L’aboutissement
du projet fait la fierté des vignerons des
AOC locales. L’aire de production des vins
En direct
Dans le vignoble
Parmi les outils présentés au musée, l’ingénieuse
brouette à vendange de M. Maillard.
de la région nantaise occupe 6 000 hec-
tares répartis au sud et à l’est de Nantes,
débordant sur la Loire-Atlantique vers la
Vendée et le Maine-et-Loire.
Cette présence viticole fut un temps
menacée. La vigne, arrivée probable-
ment avec les légions romaines, avait
pratiquement disparu de la région au
XVIIIe siècle après le grand hiver de 1709,
un épisode de froid extrême qui toucha
toute l’Europe, gelant cultures, fleuves et
mer le long des côtes. Une double peine
pour les vignerons nantais qui fournis-
saient majoritairement par voie mari-
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 29
time les négociants hollandais, dont les
maisons de courtage installées à Nantes
au XVIIe siècle orientaient une grande
partie de la production de vins vers la
distillation de l’eau-de-vie à destination
des marchés extérieurs.
CHANTÉ PAR JULIEN GRACQ
Les bouleversements commerciaux
survenus après la révocation de l’édit de
Nantes en 1685, interdisant tout exer-
cice de la religion protestante et toute
émigration des protestants, a fortiori les
Hollandais calvinistes, rendirent plus
complexe encore le négoce des vins.
Les terres viticoles furent réaffectées à
d’autres cultures. Le vignoble nantais
saura malgré tout renaître au cours des
siècles suivants avec la replantation pro-
gressive du cépage melon de Bourgogne,
plus connu sous le nom de muscadet, du
nom du vin qu’il produit.
Apprécié par Julien Gracq, le mus-
cadet apparaît dans ses Lettrines I (1967)
lorsque l’écrivain originaire d’Anjou
évoque le soleil du dimanche matin,
« jaunet et jeune, et râpeux comme le mus-
cadet » ; ou encore, « ce vin pour cul-terreux,
quelque chose de fruité et d’agreste, comme
le frais goût de râpe de son petit vin campa-
gnard ».
Le Musée du vignoble nantais est
une visite à ne pas manquer pour tout
amateur de vin, mais aussi pour tout
curieux intéressé par les inventions
techniques et machines agraires, telle
cette étonnante brouette à vendange
datée de 1906 fabriquée par M. Maillard
pour réaliser ses propres vendanges à
La Chapelle-Heulin.
Son originalité : sa maniabilité et sa
simplicité d’emploi par une seule per-
sonne pour circuler entre les rangs de
vigne et charrier plusieurs portoires
(petite cuve dans laquelle on met les rai-
sins) pleines à l’aide de crochets. Cette
brouette fut la première d’une série
diffusée et copiée dans de nombreux
vignobles au XXe siècle. Une invention
écologique avant l’heure, illustration de
l’esprit inventif des hommes de la vigne
du Pays nantais. Bonne visite !
Corinne Lefort
(*) 82, rue Pierre-Abélard, 44330 Le Pallet.
Tél. : 02 40 80 90 13. Site : musee-vignoble-nantais.
eu/accueil. Ouverture du 1er avril au 10 novembre
2023 de 14 h à 18 h, tous les jours sauf le samedi.

L’Aurage
L’Aurage au-delà des modes
en Côtes de Castillon
Nous sommes surpris par votre article
“Castillon : la bataille pour s’affran-
chir de Saint-Émilion” (La RVF n° 666,
décembre 2022 / janvier 2023). En effet,
vous évoquez le château Cadet, lequel
a été renommé L’Aurage depuis son
rachat en 2007. Et puis, peut-on exclure
un cru qui n’est pas dans le club Castillon
Caractères et souhaite, depuis toujours,
rester indépendant ? Comment pouvoir
nous exclure alors que nous n’avons fait
aucune demande d’adhésion ? Nous
sommes attentifs à l’écologie de notre
biotope depuis de nombreuses années,
bien avant que cela soit à la mode. Nous
regrettons enfin que votre article ne
mentionne pas les quatorze propriétés
qui composent ce club.
Caroline et Loulou Mitjavile
L’Aurage. 33350 Saint-Gènes-de-Castillon
aurage@aurage.com
À quand l’édition
des chroniques de
Sébastien Lapaque ?
Merci pour votre revue qui me permet
de progresser chaque mois dans ma
connaissance du vin et de son envi-
ronnement. Sébastien Lapaque envi-
sage-t-il de faire éditer un recueil de ses
tribunes “C’est comme ça et pas autre-
ment”, qui allient harmonieusement
points de vue honnêtes, culture géné-
Courrier
des lecteurs
Caroline et Loulou
Mitjavile, à la tête
de L’Aurage :
résolument
indépendants.
La RVF. Chers Caroline et Loulou
Mitjaville, l’ancien nom de L’Aurage
s’est invité par mégarde dans
notre article, mille excuses ! Selon
les promoteurs du club Castillon
Caractères, il faut être engagé dans
une « démarche environnementale »
pour l’intégrer, c’est-à-dire être HVE,
Terra Vitis, AB, Biodyvin, Bee Friendly,
etc. (liste non exhaustive). Voici les
19 membres en janvier 2023 : domaine
de l’A, château d’Aiguilhe, château
Alcée, château Ampélia, château
Beynat, château Cap de Faugères,
château La Clarière, Clos Puy Arnaud,
château La Brande, L’Hêtre, château
Le Rey, Page, château Peyrou, château
Picoron, château de Pitray, château
Roquevieille, château Poupile, Clos
Bellevue et château Croix La Croix
Lartigue. Jérôme Baudouin
rale et impertinence contenue ?
Vincent Salette
Gérant des GFV Domus & Vitis
vincent.salette@domusetvitis.fr
La RVF. Cher monsieur, avec d’autres
textes que j’ai consacrés à la vigne et
au vin, revus, réécrits et réorganisés
afin de composer un ensemble
harmonieux, une manière de
promenade, un grand nombre de
ces chroniques a été rassemblé dans
On aura tout bu, publié chez Actes Sud
30 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
Coteaux
Champenois :
Jérôme Coessens
et Simon Normand
oubliés ?
Merci pour votre article sur les rouges
champenois (La  RVF n° 668, mars
2023) dont je suis un fervent ama-
teur, ils méritent toute notre atten-
tion. Cependant, comment oublier
deux domaines qui signent des flacons
d’une grande qualité : La Borderie et
Coessens ? Je comprends bien que l’on
ne peut pas les citer tous, mais il me
semble que ces deux-là méritent de
l’être pour la qualité de leur travail, non ?
David Delay
david.delay2@laposte.net
La RVF. Cher David Delay, merci
pour votre fidélité. Dans ce dossier,
il s’agissait de dresser une sélection
représentative des différents
secteurs et styles de vins de la région,
ceci afin de donner au lecteur
une idée précise de la belle palette
de rouges tranquilles produits en
Champagne. Nous ne souhaitions
donc pas établir une sélection
exhaustive des meilleurs
coteaux-champenois. Et vous avez
raison, les vins de Jérôme Coessens
et Simon Normand (La Borderie)
méritent l’attention des amateurs
de pinot noir. Nous saluons réguliè-
rement la qualité des champagnes
de ces vignerons dans La RVF.
Alexis Goujard
en septembre 2022. Puisqu’il m’est
impossible de faire l’éloge de mon
propre travail, permettez-moi de
citer la généreuse lecture de Sylvain
Tesson, parue dans Le Figaro Magazine
du 4 novembre : « Chez Lapaque,
les vers viennent aux lèvres. Alors, mêlant
la déclamation à la dégustation, l’élevage
des amis à la culture du vin, il propose une
vraie écologie : celle de l’intelligence et du
mystère ». En vous remerciant pour
votre lecture attentive et pour vos
compliments. Sébastien Lapaque

Au château de Chamilly,
8 euros la demi-heure de dégustation :
un scandale, vraiment ?
À l’instar du château
de Chamilly, en Côte
chalonnaise, de nombreux
domaines facturent
les dégustations.
Château de Chamilly
Lecteur assidu de La RVF depuis plus de
vingt ans, j’ai souvent suivi vos conseils
d’achat et les vignerons distingués aux
rapports qualité/prix étonnants. Sur la
base de l’article consacré aux vins de la
Côte chalonnaise (La RVF n°667, février
2023), je me suis rendu au château de
Chamilly, domaine aux « vins délicieux
et pas chers » selon vos commentaires.
Là, quel n’est pas mon étonnement
lorsque j’apprends que la dégustation
est payante (8 € les deux vins, 12 € les
quatre…) ! La personne présente justifie
cette pratique en précisant que certains
visiteurs viennent déguster à l’heure de
l’apéritif sans rien acheter (il est environ
15 heures), que la récolte 2021 est bien
maigre, mais que cette somme ne sera
pas facturée si j’achète plusieurs cartons
(ouf, quel geste commercial !). Je goûte
deux vins (un montagny Les Reculerons
2019 et un mercurey-village rouge
Au Pied du Mont Morin). Et là, nouvelle
déception : la quantité infinitésimale
servie ne m’a pas permis véritablement
de goûter ces vins qui, en plus, ont été
servis trop froids.
Jean-Luc Palma
jeanluc.palma@gmail.com
La RVF. Cher M. Palma, merci pour
votre fidélité à La Revue du vin de
France ainsi que pour l’intérêt porté
Courrier
des lecteurs
à notre dossier sur la Côte chalon-
naise. La question que vous posez est
devenue centrale dans un vignoble
en pleine mutation. Bien que cela
puisse surprendre ou choquer, il est
devenu fréquent que les domaines
fassent payer les dégustations. Cette
tendance, hélas !, va se développer.
Certains domaines peuvent même
facturer 30 ou 35 € par personne
pour une série de cinq ou six vins.
Que faut-il en penser ?
Les domaines sont libres de recevoir
ou pas, de facturer ou pas, ou bien
d’intégrer dans le prix des bouteilles
le coût des dégustations,
du personnel et du temps passé lors
de ces dégustations. Notre analyse
est celle-ci : le château de Chamilly
pratique des tarifs de vente à la
bouteille parmi les plus raisonnables
de la Côte chalonnaise et de toute
la Bourgogne. Les propriétaires ont
choisi de facturer les dégustations,
ce qui ne couvrira pas le salaire de la
personne qui gère ces visites. La RVF,
elle, a pour mission de déguster et
mettre en valeur les domaines qui
réalisent les meilleurs vins de France
et d’ailleurs. Nous jugeons le vin,
les pratiques commerciales des uns
et des autres ne peuvent être prises
en compte. Ceci posé et pour être
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 31
tout à fait franc, facturer 8 €
pour deux bouteilles débouchées +
30 minutes de dégustation
commentée avec, au final, deux
bouteilles vendues, est-ce anormal ?
En ce qui concerne la température
de service, si le vin vous paraît
trop froid, il est possible de
le mentionner et d’attendre un peu.
Quant au volume servi, je ne connais
pas de bon vigneron qui sert avec
abondance, la plupart des meilleurs
servent jusqu’à vingt personnes avec
une bouteille. Une précision :
lorsque nous allons, en tant que
professionnels, sur certains salons,
nous payons nous aussi notre dégus-
tation, par exemple au salon
Greniers Saint-Jean d’Angers,
et je ne trouve pas cela choquant.
Beaucoup de vignerons ne roulent
pas sur l’or et n’ont plus les moyens
de supporter le coût de location
de la salle, du personnel d’accueil,
des mailings… Sans parler de la
hausse du prix des matières sèches
(bouteilles, bouchons, étiquettes),
du transport… Recevoir des clients
particuliers de passage pour finale-
ment vendre six ou douze bouteilles
en un après-midi devient
compliqué, ils offrent leur temps
et leurs vins, ce qu’ils ont de plus
précieux. Et puis, cher monsieur,
cette question : avez-vous une idée
du nombre de domaines qui ne sont
plus du tout ouverts à la clientèle
particulière, même en Côte chalon-
naise ? L’avenir, le voici : demain,
seuls les grandes structures
de négoce et certains domaines
de moyenne taille recevront, faisant
payer sous forme de forfait visite
et dégustation dès l’instant où
la personne n’est pas un habitué ou
un gros client. Mais notre échange
me donne une idée : préciser “visite
payante” dans notre Guide vert pour
prévenir les amateurs. Bien à vous,
Christian Martray
 Banc-test

Quel
verre
pour révéler
un grand
médoc ?
Ce n’est plus un secret : le verre influence
la perception que l’on a d’un vin. Comment
choisir le bon ? Notre test avec quatre grands
crus du Médoc dans huit verres différents.
Dégustation et photos de Roberto Petronio

A
près avoir abordé le choix des verres pour déguster
des champagnes (La RVF n° 641, mai 2020), puis des
pinots noirs de la Côte de Nuits (La RVF n°651, juin
2021), nous voilà parvenus à notre troisième volet dédié à l’im-
pact des verres et leur importance sur notre ressenti du vin.
Un ressenti à la fois subjectif, car il est lié à nos sens, et objectif,
parce que force est de constater qu’entre deux verres, un semblait le mieux révéler un grand vin du Médoc. Spiegelau,
même vin peut livrer un message diamétralement opposé. Sydonios, Zalto, Schott Zwiesel et Gabriel Glas nous ont pro-
C’est troublant, oui, mais bien réel ! Nous nous sommes cette posé un seul verre ; Riedel et Lehmann en ont suggéré trois
fois-ci tout naturellement tournés vers l’un des – nous les avons testés en amont avec un Château
vignobles majeurs de l’Hexagone : Bordeaux. Verres Pichon Baron 2018 (Pauillac) afin de choisir celui
Dans le vaste vignoble aquitain, nous nous
sommes concentrés uniquement sur le Médoc,
mécaniques qui nous semblait le plus approprié. À cette sélec-
tion, nous avons ajouté un verre grand public et
terre de prédilection du cabernet-sauvignon, avec ou soufflés bon marché destiné aux bordeaux chez Ikea. Ce
quatre vins issus de quatre appellations majeures : bouche : qui donne un total de huit verres testés, répartis en
Margaux, Saint-Julien, Pauillac et Saint-Estèphe.
Notre choix s’est porté sur un millésime relati-
chaque deux catégories : les verres légers, mécaniques ou
soufflés bouche (Spiegelau, Riedel, Lehmann, Zalto,
vement jeune, 2018, une année marquée par la détail Zwiesel, Sydonios), et les verres mécaniques plus
richesse et la générosité d’un fruit gorgé de soleil, et compte épais (Ikea et Gabriel Glas).
qui ne s’est pas encore totalement refermée. Nous avons débuté par les verres les plus larges
en finissant par les plus étroits, toujours dans le même ordre,
PAS DE VERRE UNIVERSEL pour l’ensemble des vins choisis. Le contenu de deux bou-
Comment avons-nous choisi les verres ? Nous avons sélec- teilles a été servi dans tous les verres afin de lisser la différence
tionné sept marques pour leur travail d'orfèvre autour du vin, que l’on trouve parfois d’une bouteille à l’autre.
Lehmann, Riedel, Spiegelau, Sydonios, Zalto, Schott Zwiesel et Quel constat faisons-nous ? Si chaque vin ne se révèle pas
Gabriel Glas. À chacune, nous avons demandé le verre qui leur de la même manière dans tel ou tel verre, notre banc-test
32 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
 LES 8 VERRES TESTÉS
De gauche à droite sur la photo
ci-contre :
•ZALTO Bordeaux (76,5 cl) :
46 € sur artglasses.fr
•GABRIEL GLAS Stand’Art
(50 cl) : 9 € sur caveulysse.com
•SYDONIOS L’Esthète
(46 cl) : 266,95 € les six sur plus-
de-bulles.com
•LEHMANN Signature
A. Lallement N°3 (63 cl) :
80 € sur lehmann-sa.com
•RIEDEL Bordeaux Veloce
Cabernet/Merlot (82,9 cl) :
55 € les deux sur riedel.com
•IKEA Dyrgrip (58 cl) :
4,99 € sur ikea.com
•SCHOTT ZWIESEL Wine
montre qu’il n’existe pas de verre universel. Le verre doit être s'est imposé lors de la dégus- Classic Select Merlot (67,3 cl) :
sélectionné au cas par cas, en fonction du vin servi et des goûts tation du Château Rauzan- 49,95 €, écrire à philippe@
de chacun. Au château Ducru-Beaucaillou (Saint-Julien) Ségla (Margaux), terminant united-tables-france.com
par exemple, Bruno Borie, son directeur, nous a d’emblée ex aequo avec le Lehmann •SPIEGELAU
annoncé la couleur : il aime déguster dans le verre Gabriel Signature. Le premier étire la Définition Bordeaux (75 cl) :
Glas. Pourtant, à l’issue de notre séance, Bruno Borie a redé- matière de ce cru, le second 17,50 € sur athenaeum.com
couvert son vin grâce au verre Spiegelau qu’il a l'intention nous emmène dans la pro-
d'adopter à l’avenir… Malgré le poids des habitudes – parfois fondeur de son fruit.
des certitudes –, même ceux qui connaissent le mieux leur vin Le bilan de l'exercice ? Trouver le verre qui traduira de la
le redécouvrent en testant un verre plus approprié. manière la plus juste l’expression d’un cru est un exercice aussi
ludique qu'utile qui permet de découvrir et même redécouvrir
SYDONIOS PLUS PRÉCIS AVEC RAUZAN-SÉGLA toutes les facettes d’un vin. Et cette confirmation : lorsque vous
De son côté, le château Pichon Baron, mené par Pierre tenez le bon verre, votre médoc préféré s’en trouve sublimé.
Montégut, a récemment fait l’acquisition de verres Sydonios,
estimant qu'ils restituaient mieux que les autres la droiture de
leurs vins. L'ayant testé au milieu des autres, nous n’avons pas Conditions de la dégustation
partagé ce point de vue : pour nous, le verre Sydonios, peut- Les verres ont été testés par Roberto Petronio en novembre 2022 dans
être parce qu'il est plus fuselé, a tendance à étroitiser voire à chaque château avec la personne qui représentait la propriété, à
comprimer la personnalité de ce grand pauillac. Mais rien n'est l’exception de Château Rauzan-Ségla, dégusté à Pauillac avec Pierre
simple dans cet univers sophistiqué : ce même verre Sydonios Montégut, directeur technique du château Pichon Baron.
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 33

Lehmann et Sydonios
magnifient ce margaux
LE MÉDOC DÉGUSTÉ
Margaux Château
Rauzan-Ségla 2018
L e vignoble de Rauzan-Ségla, pro-
priété de la famille Wertheimer
(Chanel), repose sur trois types de sols :
des graves fines mêlant petits galets et
sable fin, des graves plus épaisses où
s’épanouit le plus souvent le caber-
net-sauvignon et les sols profonds argi-
lo-calcaires aux argiles gris bleuté pro-
pices à la culture du merlot. Un profil
de sol que l’on retrouve un peu partout
sur l’ensemble du Médoc. Le cru possède
une texture soyeuse bien dans l’esprit
du terroir de Margaux. Il séduit par son
profil charnel, sanguin avec beaucoup
de jus et de fruit soutenu par un boisé
quelque peu flatteur sur le millésime
que nous avons dégusté. Rauzan-Ségla a
une belle aptitude à la garde. Nous gar-
dons en mémoire le magnifique 1961.
LES TROIS VERRES PRIMÉS
❶ LEHMANN SIGNATURE
A. LALLEMENT N°3
Il retranscrit
le soyeux margalais
Il y a une impression d’apaisement et de
plénitude dès le premier nez. Ce verre res-
titue la profondeur d’un fruit gracieux. À
l’air, le vin reste très plein et dense, on aime-
rait un rien de nuance en plus. D’abord peu
convaincu par ce verre, Pierre Montégut
estime rapidement qu’il met en avant une
sensation de matière pleine et dense avec
un fruit juteux et soyeux. Même si la finesse
semble un rien atténuée, ce verre retrans-
crit le soyeux que l’on attend de ce terroir.
❶ EX AEQUO SYDONIOS L’ESTHÈTE
Il étire la matière du vin
On est agréablement surpris par la sen-
sation de fraîcheur qui prend forme dans
un parfum évoquant la peau d’orange
Banc-test
Bordeaux
avec un côté pointu. Si l’on cherche à étirer
la matière de ce cru, c’est le verre le plus
approprié. L’attaque en bouche est soyeuse,
le verre donne au vin un corps svelte et lui
confère un bel équilibre. Il y a un rien d’ac-
croche en finale, mais l’ensemble reste
cohérent si l’objectif est de rendre ce vin
plus longiligne que plein. Pierre Montégut
trouve qu’il valorise le caractère velouté
malgré une pointe d’amertume en finale.
➌ RIEDEL BORDEAUX
VELOCE CABERNET/MERLOT
Un air aristocratique
Le vin est droit et concentré avec une touche
graphite, de fruits noirs et d’épices. Il prend
un petit air aristocratique au nez, comme
si l’on remontait vers le nord du côté de
Pauillac, voire Saint-Estèphe. Ce verre
donne la sensation d’un contraste fort entre
une attaque soyeuse et un milieu et une fin
de bouche fermes avec une légère montée
de l’alcool. Pierre Montégut aime son attaque
douce et confortable malgré une finale tan-
nique atténuant un peu les nuances.
1er ex aequo
1er
Les verres Lehmann (1er) et Sydonios (1er ex aequo) mettent chacun en avant une qualité
particulière de Rauzan-Ségla. Le modèle Riedel arrive ici en troisième position.
34 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
LES AUTRES
VERRES TESTÉS
•ZALTO BORDEAUX
Ce verre révèle une belle séduction
aromatique avec une cohérence
de bouche entre la finale et l’attaque
légèrement perturbée par
l’accentuation de la richesse
et la puissance du millésime.
•GABRIEL GLAS STAND’ART
Si le fruit paraît dissocié, marqué par
un boisé imposant, le vin se rattrape
en bouche par sa fraîcheur
et des tanins soyeux.
•SPIEGELAU
DÉFINITION BORDEAUX
Le nez est un peu cosmétique, l’at-
taque est belle, avec du délié, mais le
verre accentue le côté chaleureux du
millésime et les tanins sont poudrés.
•SCHOTT ZWIESEL WINE
CLASSIC SELECT MERLOT
Le nez est diffus. Le verre fait ressortir
une pointe d’alcool avec une matière
un rien trop mordante à cause
de tanins dominateurs.
•IKEA DYRGRIP
Si les tanins paraissent souples et
ronds, le verre rend le cru simple, large,
mal défini, voire un peu commun.
3e
 Banc-test
Quel verre pour révéler un grand médoc?

Sur un
saint-julien,
Spiegelau 3e ex aequo

s’impose
LE MÉDOC DÉGUSTÉ
Saint-julien
Château Ducru-
Beaucaillou 2018
A u sud de l’appellation, en bordure
de la Gironde, Ducru-Beaucaillou
est l’archétype du grand vin fin et délicat.
Derrière une matière plus élancée que
plantureuse, ce deuxième cru classé ne
manque pas d’intensité. Son apparente
délicatesse dissimule un grand terroir qui
donne des vins avec du fond et une belle
aptitude à la garde. Le vrai grand saint-
julien, plus longiligne, aérien et raffiné
que musclé et imposant. Aidé de millé-
simes solaires, Bruno Borie, qui en a la
charge, produit des vins avec des tanins
à la maturité plus aboutie ; la qualité et
l’équilibre de ce cru s’en ressentent.
LES QUATRE VERRES PRIMÉS Saint-Julien s’exprimer
❶ SPIEGELAU
DÉFINITION BORDEAUX
Ce verre valorise
la richesse du fruit
À l’air, le vin gagne en élégance. La pureté
d’un fruit ciselé avec une belle dynamique
est mise en évidence. Bien que gêné par
la taille imposante de ce verre Spiegelau,
Bruno Borie estime qu’il restitue bien les
qualités de son vin. Le toucher de bouche
est ici splendide et tout paraît harmonieu-
sement intégré.
❷ RIEDEL BORDEAUX
VELOCE CABERNET/MERLOT
Le vin gagne
en épaisseur charnelle
Si ce verre révèle un joli parfum, on note
3e
1er
Bruno Borie, directeur du château Ducru-Beaucaillou, redécouvre son vin grâce au verre
Spiegelau (1er), suivi sur le podium par ceux de Riedel (2e), Schott Zwiesel (3e) et Zalto (3e ex aequo).
cependant une très légère dissociation,
comme si le bois n’était pas totalement
fondu. À l’inverse, et c’est ce qui nous séduit
ici, il met en avant une belle sève et le vin
y gagne en épaisseur charnelle, comme si
l’on découvrait un Ducru-Beaucaillou plus
pulpeux avec des tanins soyeux et enrobés.
➌ SCHOTT ZWIESEL
WINE CLASSIC SELECT MERLOT
Il laisse la finesse de
Très frais et pur dans ses arômes, il déve-
loppe une dynamique dans ses parfums,
même si cela poudre légèrement à l’air.
Bruno Borie apprécie la qualité de fruit que
le verre fait ressortir. Il laisse la finesse de
Saint-Julien s’exprimer dans un fruit lumi-
neux, même si le vin conserve une touche
de bois.
➌ EX AEQUO ZALTO BORDEAUX
Le verre accentue
la puissance du vin
Au nez, le fruit paraît très expressif, mais
pointu et non charnel. Le verre étire le vin
avec un côté très septentrional. Il accentue
sa puissance et sa structure tannique, mais
atténue sa profondeur en bouche. Il valo-
rise la fraîcheur du cru par le ressenti d’une
matière tendue.
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 35
2e
LES AUTRES
VERRES TESTÉS
•GABRIEL GLAS STAND’ART
C’est le verre qu’utilise ce château,
mais il aplatit les nuances et rend
le vin horizontal. Malgré un joli fruit
fondu, la magie du cru s’éclipse.
•LEHMANN
SIGNATURE A. LALLEMENT N°3
Ce verre fait ressortir le côté poudré
du vin, ainsi que l’alcool. Le milieu
de bouche est joli, mais la finale
un brin rigide.
•SYDONIOS L’ESTHÈTE
On perçoit des notes poudrées
et de vernis, l’air lui fait du bien.
Malgré un fruit pur en bouche,
sa matière râblée accuse quelques
raideurs.
•IKEA DYRGRIP
On se dit que c’est un joli bordeaux,
mais lequel ? Le verre fait le job mais
aplatit le vin.

Lehmann arrive une nouvelle
fois en tête avec le pauillac
LE MÉDOC DÉGUSTÉ
Pauillac Château
Pichon Baron 2018
D euxième cru classé de Pauillac,
Pichon Baron fait partie de l’élite
du Médoc. Ce vin droit possède une
virilité assumée au cœur même de son
ADN. Musclé et puissant, il ne manque
pas pour autant de grâce. Propriété
d’Axa Millésimes, le château n’a cessé de
progresser ces vingt dernières années
en procédant à une sélection drastique
pour le grand vin, recentré sur les par-
celles historiques du cru. Archétype du
grand pauillac à la matière assise par
une belle colonne vertébrale et un fruit
raffiné, il gagne en soyeux et en finesse
à mesure qu’il prend de l’âge. Jamais
dans la surépaisseur, il est solide, avec de
belles épaules carrées. C’est un cru tendu
auquel la fraîcheur médocaine confère
une noble complexité.
LES TROIS VERRES PRIMÉS
❶ LEHMANN
SIGNATURE A. LALLEMENT N°3
Il révèle l’assise
d’un grand pauillac
Il exprime le caractère solaire du millésime
par des notes de fruits noirs légèrement
confits. À l’air, le vin va vers une splendide
note d’orangette. Il s’en dégage un senti-
ment de plénitude et une vraie cohérence
entre la bouche et le nez. On sent une
grande présence par une belle sève tout
en s’affirmant avec droiture et l’assise d’un
grand pauillac plein et raffiné.
❷ RIEDEL BORDEAUX
VELOCE CABERNET/MERLOT
Il traduit parfaitement
la richesse de l’année
Le premier nez est poudré, mais le fruit
grimpe en intensité à l’air. On sent sa
Banc-test
Bordeaux
richesse mais surtout une matière pro-
fonde avec une belle signature médo-
caine. Pour Pierre Montégut, le verre met
en avant un élevage noble, un fruit mûr
et une matière avec du fond. Il confère au
vin beaucoup de suavité à l’attaque tout en
resserrant la finale. Pierre Montégut trouve
qu’il met en avant la puissance de tanins
bien enrobés tout en traduisant parfaite-
ment la richesse de l’année.
❷ EX AEQUO SPIEGELAU
DÉFINITION BORDEAUX
Un fruit intense et mûr
Le fruit se montre précis malgré une légère
touche beurrée. Si l’on apprécie la pureté de
ce fruit malgré une allure apprêtée, il garde
beaucoup de distinction et de raffinement.
Pour Pierre Montégut, ce verre fait ressortir
un fruit intense et mûr, ouvert, avec une
touche boisée. En bouche, le vin se montre
vif sans la moindre chaleur. Son fruit lumi-
neux est tenu par des tanins enrobés. Il
valorise plus la richesse de l’année que son
identité médocaine.
2e ex aequo
Avec le Lehmann (1er), on ressent une vraie cohérence entre la bouche et le nez du Château
Pichon Baron 2018. Les modèles de Riedel (2e) et Spiegelau (2e ex aequo) se distinguent aussi.
36 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
LES AUTRES
VERRES TESTÉS
•ZALTO BORDEAUX
Si le fruit paraît vif et lumineux, très
pauillac dans sa définition, ce verre
rate la troisième marche du podium
à cause de tanins trop présents.
•SCHOTT ZWIESEL
WINE CLASSIC SELECT MERLOT
Ce verre fait ressortir le bois, bien
que le vin s’épure à l’air avec fraî-
cheur. L’acidité est plus marquée,
tout comme l’identité de son terroir,
mais l’astringence le pénalise.
•SYDONIOS L’ESTHÈTE
Avec son parfum lacté, il ne paraît
pas lié avec un fruit en retrait.
Pierre Montégut trouve le nez
élégant mais plaqué bois, tandis
que les tanins puissants n’ont pas
l’enrobage charnel du millésime.
•GABRIEL GLAS STAND’ART
Si le fruit est mis en avant, il y a
un petit côté poudré. Ce verre
consensuel ne révèle ni les nuances,
ni la complexité du cru.
•IKEA DYRGRIP
Le nez est linéaire, peu nuancé.
La bouche se montre grasse
et généreuse mais simple,
on cherche l’identité de Pauillac.
2e
1er
 Banc-test
Quel verre pour révéler un grand médoc?

Schott
Zwiesel
l’emporte à
Saint-Estèphe 2e

LE MÉDOC DÉGUSTÉ 3e
Saint-estèphe
Château
Lafon-Rochet 2018 3e ex aequo

G uy Tesseron devient propriétaire de

Lafon-Rochet en 1960. En 2021, ses
héritiers cèdent ce quatrième cru classé
1er

de Saint-Estèphe à Jacky Lorenzetti,
homme d’affaires fondateur du groupe
immobilier Foncia, déjà propriétaire
de divers châteaux dans le Médoc. En
2022, un nouveau directeur, Christophe
Congé, est nommé. Il connaît bien le sec-
teur car il a vinifié pendant vingt-trois
ans à Lafite Rothschild, dont le vignoble
est séparé de Lafon-Rochet par un simple
cours d’eau. Comme tout saint-estèphe,
Lafon-Rochet est un cru classé qui a de la
tenue, voire de la fermeté, mais aussi une
fraîcheur toute médocaine.
Une bouche pulpeuse
LES QUATRE VERRES PRIMÉS et suave
On sent à parts égales le fruit mûr et une
❶ SCHOTT ZWIESEL WINE
CLASSIC SELECT MERLOT
Il les surclasse tous !
Son parfum mène droit dans le Médoc avec
une belle fraîcheur atlantique au nez. Ce
verre surclasse de loin tous les autres en
termes d’équilibre et d’élégance. La pureté
du fruit, le toucher de bouche, il donne un
vin lumineux, fin, intense et sapide. Nous
avons fait le test sur d’autres millésimes, le
résultat est identique.
❷ LEHMANN
SIGNATURE A. LALLEMENT N°3
Une belle fusion
Le verre restitue une belle fusion entre le
fruit et l’élevage avec une touche graphite.
Sur tous les millésimes de Lafon-Rochet testés, le verre Schott (1er) s’impose comme le verre idéal.
Il est suivi par le Lehmann Signature (2e), et par les modèles Riedel (3e) et Spiegelau (3e ex aequo).
Il évolue sur la rose capiteuse et paraît posé.
En bouche, le vin est droit et plein. S’il fait
ressortir le côté pulpeux du fruit, ce verre
atténue la pureté du vin tout autant que la
finesse et la structure.
➌ RIEDEL BORDEAUX
VELOCE CABERNET/MERLOT
note beurrée, complétés d’une touche de
poivron mûr. À l’air, le vin s’élargit, mais il
ne gagne pas en complexité. La bouche est
pulpeuse et suave, mais ne nous fait pas
pénétrer dans la verticalité de ce terroir de
Saint-Estèphe.
➌ EX AEQUO SPIEGELAU
DÉFINITION BORDEAUX
Le caractère fruité est
bien mis en avant
Marqué par un parfum lacté, il favorise une
perception prononcée du bois. À l’air, cela
se transforme en une touche graphite. Mais
le caractère fruité est bien mis en avant car
il restitue un vin franc, direct et de belle fac-
ture. Cependant, il dissocie quelque peu le
fruit de son élevage.
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 37
LES AUTRES
VERRES TESTÉS
• SYDONIOS L’ESTHÈTE
Discret, sur la retenue, poudré
mais métallique, voilà pour le nez.
Si l’on apprécie la finesse d’attaque,
le petit coup de chaud en finale
perturbe l’équilibre du vin.
•ZALTO BORDEAUX
La richesse du millésime parle,
il fait ressortir une pointe d’alcool.
Il dissocie sa matière rendant
les tanins saillants, vifs et anguleux.
•GABRIEL GLAS STAND’ART
On a la sensation d’un vin plaqué
bois avec un fruit loin derrière.
Il gagne en élégance à l’air, mais
la bouche se montre brutale,
manquant de nuance.
•IKEA DYRGRIP
Comme pour les autres vins,
c’est linéaire et le terroir ne parvient
pas à s’exprimer.
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 Art de vivre
Vu d’ailleurs
Diasporas liquides
B oissons et cuisine vont de pair, nul n’en doute. C’est
l’âme même de la gastronomie, dans toutes les
cultures du monde. Ainsi, quand l’une s’exporte, les autres
souvent suivent, de plus en plus rapidement à mesure
que l’univers culinaire mondial voit ses frontières dispa-
raître. New York est évidemment une ville où les diasporas
liquides se révèlent selon les tendances de restauration.
Ainsi de la cuisine mexicaine qui a porté l’explosion des
alcools d’agave, du pulque au mezcal. Ou aujourd’hui de la
Corée du Sud. K-Drama, K-Pop, K-Food, rien n’échappe à
l’“hallyu”, la déferlante coréenne. Les boissons ne sont pas
en reste : les K-Sool et autres jeontongjus font partie désor-
mais aussi de mon répertoire de jeu et celui de nombre de
mes collègues, à mon plus grand bonheur.
Oubliez l’image d’alcool industriel sans intérêt servi dans
les K-towns de par le monde : les deux dernières décennies
ont vu la renaissance ou l’émergence d’une production
artisanale mariant traditions, évolutions technologiques
et connaissance d’un marché exigeant. Renaissance car
les guerres et les crises socio-politiques sud-coréennes ont
failli faire disparaître le savoir-faire de ces fermentations et
distillations de riz et autres céréales : la garantie des stocks
alimentaires était une priorité nationale, tout autre usage
étant longtemps interdit.
Quelles sont ces boissons ? Tout simplement du riz (en
majorité), poli ou non, et de l’eau ensemencés de nuruk,
un levain naturel lointain cousin du koji japonais. En
naît un vaste éventail de styles. Juste fermenté, on parle
de wonju, une sorte de saké sud-coréen : la partie claire,
filtrée, historiquement réservée à l’élite est le chungju ou
yakyu, aux notes de seringa et d’agrumes amers délicates
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 39
« S’il est encore
rare de voir
des clients dégustant
des spiritueux avec
leur repas, c’est
une habitude
en Corée du Sud »
Par Pascaline Lepeltier
Sommelière au restaurant
Chambers à Manhattan,
New York, et Meilleur ouvrier
de France (MOF).
qui titre entre 19 et 23° ; les sédiments déposés composent,
eux, le takju consommé ancestralement par les paysans
qui le diluaient à l’eau pour en faire du makgeolli, une
piquette d’à peine 10° légèrement surette, laiteuse, saline,
citronnée et noisetée. C’est par cette dernière porte que
j’ai découvert cet univers fascinant. Brooklyn a vu s’ouvrir
en 2017 les portes d’Hana Makgeolli, créé par Alice Jun et
John Limb, pour faire découvrir à l’Amérique cette culture
unique : leur cuvée Takju 16 offre des d’accords inédits et
magnifiques. Je la marie avec des ris de veau poêlés et leur
choucroute de navets, le suret du ferment lactique étant la
base de l’accord, le laiteux du riz jouant l’harmonie avec la
texture de l’abat. De la patrie mère, j’apprécie le Chungju
de la brasserie Yangchon qui n’est pas sans rappeler un
savagnin de voile plus gras, à l’umami et au champignon
salivants parfaits avec des viandes grillées. Le makgeolli
Red Monkey de Sulseam fait à partir d’une vieille variété de
riz rouge a, quant à lui, une douceur unique aux tonalités
de rose séchée qui fait merveille avec les plats mitonnés
d’épices indiennes ou marocaines comme le ferait un beau
gewürztraminer.
La version distillée du wonju est le soju. S’il est encore
rare de voir des clients dégustant des spiritueux avec leur
repas, c’est une habitude en Corée du Sud. Mais les offrir en
“high ball”, allongés d’eau gazeuse, a du succès : la délica-
tesse du Pungjeong Sagye Winter plaît aux amateurs de gin,
Illustration : Stéphane Manel
alors que le Mir 22, toujours de Sulseam, un des pionniers
ayant exhumé des recettes ancestrales, laisse transparaître
davantage le grain tel un beau genièvre ou un rye. C’est un
véritable sool searching qui s’offre au buveur curieux, et ce
n’est que le début.
Languedoc : le temps
des grands vins
Par Jérémy Cukierman et Caroline Furstoss
Pic Saint-Loup, Terrasses du Larzac, Faugères… Les grands terroirs du Languedoc donnent désormais
des vins d’envergure mondiale pour qui est capable de les appréhender. Décryptage par deux experts.
Propos recueillis par Denis Saverot

L’édition 2000 du Guide vert comptait Peu de moyens, c’est-à-dire ?

cinq domaines étoilés en Languedoc, JC. Cela s’est longtemps traduit par un manque d’am-
ils sont 48 dans l’édition 2023. bition. Le Languedoc était un peu laissé pour compte. Les
Le Languedoc est-il surdoué ? domaines obtenaient les moins bonnes bar-
« Longtemps, riques, les moins bons bouchons, etc. À l’excep-
Jérémy Cukierman. Cette évolution est tion du Prieuré Saint-Jean de Bébian, terroir
logique. Voilà une région dominée historique-
on a historique depuis le XIIe siècle, on assemblait les
ment par les caves coopératives, une région qui assemblé terroirs sans les mettre en lumière. L’absence de
avait peu de moyens, qui n’était pas consciente de les terroirs sans caves enterrées accélérait la sortie des vins sur
son potentiel, « une région qui s’excusait » comme le marché alors que c’est une région de patience
le dit souvent le grand vigneron Olivier Jullien.
les mettre pour les grandes cuvées. Qui boit les grands bor-
Alors que les grandes appellations françaises ont en lumière » deaux 2020 en 2023 ?
vu le jour dans les années 1930 et 1940, les dates de
création des AOC languedociennes témoignent de ce retard : Qui a fait parler du Languedoc en premier ?
les Terrasses du Larzac ont été reconnues en 2014, Picpoul en
2013, Pic Saint-Loup en 2017. À cette aune, les AOC Faugères et JC. À part le Prieuré Saint-Jean de Bébian, le premier
Saint-Chinian, créées en 1982, font figure de vétérans. dont on a célébré le bond qualitatif, le premier à avoir vendu
40 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
 Au nord du vignoble
languedocien, le secteur
des Terrasses du Larzac
rassemble nombre
de vignerons capables
de faire vivre de grands vins.

C. Cruells

une bouteille de languedoc plus de 100 francs, à la fin des
années 1970, c’est le Mas de Daumas Gassac d’Aimé Guibert.
Ce n’est pourtant pas celui qui a valorisé un style régional, une
identité de lieu. Il a fait de très beaux vins à partir de cépages
bordelais replantés à Aniane. C’était une période où il fallait
probablement réussir des vins de standard international et
ses vins, en effet, ont résonné. Mais aujourd’hui, quand on
parle de l’identité du Languedoc, ce ne sont pas les cabernet-
sauvignon de Daumas Gassac qui viennent à l’esprit.
L’approche fine des identités de terroir, le prisme régional,
nous le devons aux vins d’Olivier Jullien, de Laurent Vaillé,
de Marlène Soria ou encore de Sylvain Fadat, à la fin des
années 1980, au début des années 1990.
Des domaines encensés
dans les années 2000
comme Puech-Haut ou
La Négly ont moins la cote
aujourd’hui, pourquoi ?
JC. Il y a eu des erreurs au début parce
que quand on démarre et qu’on veut se
faire repérer, on a tendance un peu à jouer
les gros bras. Il y a eu des extractions pous-
sées, des vins trop définis par la charpente
et l’élevage. Les cuvées du château La Négly
étaient de cette trempe. Ces extractions
au milieu de la garrigue, que l’on doit faire des vins austères et
rigides. Finalement, la vitesse de croisière du Languedoc, on
y arrive tout juste.
Qu’est-ce qui a changé en matière de goût ?
JC. Le toucher de bouche. Le tactile des vins du Languedoc
s’est assagi. Les vins d’Olivier Jullien, par exemple, étaient de
grands vins au début, ils sont bien plus élégants aujourd’hui.
La qualité de la presse, des contenants, s’est améliorée. On peut
aujourd’hui ouvrir les vins plus tôt, c’est une bonne chose. Il
faut une enveloppe autour de la structure du vin, c’est ce qui
fait la différence. Le Languedoc a appris à
maîtriser cela. Quand un consommateur
trouve son vin trop austère sans savoir
quand il pourra l’ouvrir, c’est forcément
un problème.
Comment aborder la région ?
Par les départements,
l’altitude, les cépages,
les terroirs, les AOC ?
JC. La question est délicate. Le
Languedoc, c’est un quart du vignoble
français. Plus que toute l’Australie, presque
deux fois l’Afrique du Sud ! Il faut d’abord se
référer à ses goûts et se documenter. Si l’on
P. Saverot

poussées ont plu un temps, pas que dans
le Languedoc d’ailleurs. La région en
revient. Ce n’est pas parce qu’on est sur des
sols pauvres, dans un endroit accidenté,
Caroline Furstoss et Jérémy Cukierman
sont en charge du Languedoc pour
le Guide des meilleurs vins de France de La RVF.
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 41
est un amoureux de la syrah, le Pic Saint-
Loup, avec au moins 50 % de syrah obliga-
toire dans l’AOC, est une porte d’entrée. On
peut aussi entrer par les styles : si l’on ● ● ●
 LES APPELLATIONS DU LANGUEDOC
Mappavini
aime les blancs salins, salivants, aller à Picpoul est intéressant.
On peut aussi centrer son attention sur des profils organolep-
tiques. Les cailloutis calcaires des Terrasses du Larzac donnent
des vins qui ont une certaine structure, une allonge, une ten-
sion. Après, attention aux simplifications géologiques.
C’est-à-dire ? Quels sont les risques ?
JC. Les Terrasses du Larzac, c’est trente-deux communes
entre Bédarieux à l’ouest et Montpellier à l’est, une super-
ficie très étendue avec ici des résurgences volcaniques, là des
endroits plus argileux, à côté des affleurements calcaires…
Or, aucun livre scientifique n’a jamais démontré que sur des
schistes, le vin est forcément fumé ou qu’il est systématique-
ment plus salin et salivant sur des calcaires. Attention donc aux
démonstrations trop directes entre la géologie et la nature du
vin. Bien sûr, quand le vigneron vit dans un endroit, il a envie
d’exprimer ce que dit le lieu, sa dimension vibratoire. Pour
autant, tout reste une question d’interprétation. Les cailloux
de la garrigue, les épines de genévriers et de kermès portent
aussi une forme de douceur, on peut l’exprimer dans le vin.
Aude, Hérault, Gard : peut-on
hiérarchiser les départements ?
JC. L’Hérault cumule plusieurs appellations de très haut
niveau, c’est un foyer de grands vins. Il y a dans l’Hérault
une forte concentration de vignerons qui ont su exprimer
le potentiel de leur terroir. Le Gard est plus étalé, et puis la
partie orientale du département est rattachée à la Vallée du
42 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
Rhône. Mais quelques spots comme l’Anglade font de grands
vins. L’Aude est à la lisière avec le Roussillon, notamment sur
ses terroirs accidentés de Corbières où il y a beaucoup de vins
intéressants et énormément de dynamisme en ce moment.
Le secteur qui concentre la plus forte
proportion de grands vignerons,
ce sont les Terrasses du Larzac, non ?
JC. C’est là où l’on rencontre le plus de vignerons capables
de faire vivre de grands vins, oui. Rendons ici hommage au
travail de Vincent Goumard du Mas Cal Demoura, il a porté
le dossier de l’appellation. Les Terrasses regroupent des zones
très complexes sur le plan géologique et topographique. À côté
des cailloutis calcaires de Jonquières, on trouve des schistes et
des grès. À Saint-Privat, la cuvée Carlan du Mas Jullien, ce sont
par exemple des schistes et des grès, tout comme Les Vignes
Oubliées de Jean-Baptiste Granier. On a aussi des argiles plus
lourdes et ferrugineuses, les fameuses ruffes, ces terres rouges
autour du lac du Salagou. Citons encore les grèzes glaciaires,
ces sables et cailloux calcaires dans la Vallée de Gassac, des
résurgences basaltiques comme la coulée de lave de Saint-
Félix-de-Lodez… Tout cela sur des altitudes très différentes,
jusqu’à plus de 600 mètres.
Quels profils de vins se détachent ?
JC. Les cuvées Les Combariolles ou Fragments du Mas
Cal Demoura, Autour de Jonquières d’Olivier Jullien apportent
une certaine tension, une trame tannique fine mais marquée.
 Perspectives
Languedoc: le temps des grands vins
Voilà de beaux vins de garde avec leur tension, leur volume, moins sévères et moins tanniques que
côté graphite et salin. Le secteur d’Aniane et de « Les Terrasses les vins influencés par le schiste et le calcaire.
Saint-Jean-de-Fos donne des vins plus veloutés. du Larzac ont Bien sûr, le génie propre de Basile Saint Germain,
Au domaine La  Terrasse d’Élise, la nouvelle une superficie qui affine ses vins très longtemps, est décisif pour
cuvée GN 100 % grenache de Xavier Braujou est obtenir ce joli tactile. Ses vins ne sont pas du tout
époustouflante. Avec son somptueux velouté kir- très étendue » fardés puisqu’on est ici sur des élevages en cuves
sché, le vin affiche un air de famille avec Château de quarante-huit mois. La nature des terroirs
Rayas, avec un peu plus de fraîcheur. Ce toucher de bouche profonds et délicats du Villafranchien s’en trouve soulignée.
soyeux, le gant de velours autour de la puissance, c’est aussi
l’une des forces de La Grange des Pères, presque aérien Comment aborder les terroirs carbonifères ?
malgré la profondeur derrière. Il faut aussi citer le domaine de
Montcalmès de Frédéric Pourtalié, dont une partie des vignes JC. Daniel Le Conte des Floris, par exemple, fait les deux. Il
est dans le même secteur. Une gamme très courte dont un les appelle d’ailleurs Carbonifère et Villafranchien. Daniel met
rouge d’un grand niveau : camphré, profond, très complexe. plus de grenache dans son Villafranchien, qui restitue quelque
La charpente est là, l’enveloppe aussi. chose de plus enrobé, charmant, délicat au niveau tactile, et
plutôt une majorité de syrah, donc plus de charpente, dans sa
Et lorsqu’on monte en altitude ? cuvée Carbonifère. Il est intéressant de goûter chez lui.

JC. La cuvée Les Carlines du Mas Haut-Buis d’Olivier Et le Prieuré Saint-Jean de Bébian ?

Jeantet, un vin crayeux, étiré, acidulé et épicé, exprime bien
la fougue et la verticalité de ces terroirs d’altitude plus ven-
tilés. On perd en moyenne 0,65° C par 100 mètres d’altitude,
le microclimat évolue vite à ce compte-là. Le Clos Maïa, aussi,
au pied du cirque de Labeil, mérite le détour, tant pour les pay-
sages époustouflants que pour le vin. Géraldine Laval a tra-
vaillé longtemps avec Jean-Louis Chave puis Olivier Jullien,
elle fait des vins de très belle facture avec une trame tannique
marquée et qui méritent un peu de patience.
À Arboras, à La Réserve d’O, Frédéric et Marie Chauffray
signent des vins très tactiles. J’aime par exemple les tanins
très veloutés d’Hissez O, un assemblage de grenache et syrah
plantés à 450 mètres d’altitude, dans l’un des secteurs les plus
frais de l’appellation. La qualité de l’interprétation compte
aussi. La cuvée Les Frieys du domaine du Pas de l’Escalette
restitue la structure des terrasses d’éboulis calcaires mais
avec une expression très poudrée, florale apportée par
les vignerons, en l’occurrence les inspirés Julien Zernott
et Delphine Rousseau. Le caractère austère et rigide
d’antan a ici totalement disparu.
Si nous passions à Pézenas ?
JC. Pézenas, petit secteur mais grand terroir !
De grands noms ont fait parler d’eux ici. Là aussi,
la diversité géologique est intéressante avec des
schistes, des argilo-calcaires, des galets roulés – les
fameux galets de quartz blanc – et les zones d’in-
fluences basaltiques. Deux grandes tendances se
dégagent. Les zones appelées carbonifères, soit
des alternances de calcaire, d’argilite, de grès et
de schistes carbonatés, et puis l’autre partie, le
Villafranchien, avec des galets en surface et des
résurgences basaltiques. Les sols de Basile Saint
Germain, au domaine Les Aurelles, sont issus de
cette dernière formation géologique. Si l’on oublie
JC. Cette propriété revient sur le devant de la scène avec le
formidable travail de Benoît Pontenier. Je suis toujours prudent
avec les vins peu protégés en SO2, mais le travail effectué là-bas
est très intelligent, avec les conseils avisés de “Fanfan” Ganevat,
du Jura. Pontenier a baissé drastiquement les doses de SO2 en
élevage, mais en travaillant sur la réduction, c’est-à-dire en
protégeant d’une autre manière ses vins de l’oxygène pendant
l’élevage. Cela fait la différence. Le domaine est grand, plus de
quarante parcelles différentes dont des galets avec des veines
de quartz. Les terroirs sont assemblés dans certaines cuvées.
Là, Benoît vient de découvrir un endroit purement basaltique,
complètement rouge, c’est très impressionnant à visiter parce
qu’en traversant un chemin, on passe d’un vignoble blanc, avec
des calcaires affleurants, à des sols basaltiques très rouges.
J’ai hâte de découvrir le vin qui naîtra sur ce terroir.
Le matériel végétal ?
JC. Il est exceptionnel à Saint-Jean de Bébian. L’ex-
propriétaire, Alain Roux, était allé chercher en son
temps des syrahs chez Gérard Chave (Hermitage), des
grenaches au château Rayas (Châteauneuf-du-Pape),
des mourvèdres au domaine Tempier (Bandol)… Le
choix des cépages compte infiniment. Chez Basile
Saint Germain, Solen, un assemblage carignan/gre-
nache, est un vin plus accessible tant en prix qu’en
toucher de bouche, tandis qu’Aurel, dominé par
le mourvèdre, présente une trame tannique plus
affirmée, davantage de puissance.
Un beau tactile sur un vin né
sur des calcaires, c’est fréquent ?
JC. Encore une fois, attention aux raccourcis,
mais on a souvent plus de charpente et de trame
D. R.

les derniers millésimes un peu plus durs sur les tannique sur les argilo-calcaires ou les schistes car-
finales, ce sont des vins qui ont un peu plus de bonatés tandis que sur les zones volcaniques, sur les
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 43
 ❷

❸ ❹
Chacun dans leur secteur, ces vignerons font honneur au Languedoc : Géraldine Laval (Clos Maïa, Terrasses du Larzac ➊), Marie Toussaint et Vivien Roussignol
(Les Païssels, Saint-Chinian ❷), Rémy et Martine Pédréno (Roc d’Anglade, IGP Gard ❸), Maxime et Olivia Calas (domaine La Bosque, Saint-Chinian ❹).
Photos : D. R.

résurgences basaltiques, le tactile civilisé prend l’ascendant, Et Montpeyroux, le secteur sous le mont
surtout sur les vins jeunes. Les touchers de bouche sont diffé- Saint-Baudille ?
rents, plus que le goût qui dépend de beaucoup de paramètres.
JC. On est ici au nord-ouest de Montpellier, sur les contre-
Et les galets ? forts du Larzac. Montpeyroux est très ouvert aux vents, c’est
bon pour les vignes. Les vins ont du caractère. Parmi les grands
JC. Le galet roulé, les galets d’une façon générale ont ten- ambassadeurs, citons Sylvain Fadat au domaine d’Aupilhac, un
dance à emmagasiner la chaleur. Les vins prennent un tour homme qui respire sa terre, une belle histoire. Sylvain est un
un peu plus charnu, ample, généreux quand la proportion de survivant, opéré plusieurs fois pour une malformation car-
galets augmente. On le voit dans les grands terroirs historiques diaque, qui croque dans la vie. Parti de rien, il vinifiait au début
de Châteauneuf-du-Pape. Dans un assemblage, les galets dans des citernes de camion, avant de construire son chai. Un
apportent de l’ampleur, de la générosité. Après, d’autres choses authentique défricheur. Sylvain a révélé le formidable terroir
comptent, le sous-sol et le régime hydrique notamment. de Cocalières, lieu mythique où, sur des pépérites, des calcaires
portant des éclats basaltiques, il produit un vin de montagne.
Parmi les jeunes à Pézenas, Ils ont défriché le site avec Laurent Vaillé et son frère Bernard,
lesquels s’affirment ? ôtant d’énormes blocs, c’est le Cros Parantoux du
« Il faudrait Languedoc. C’est assez haut en altitude. Malgré
JC. Le domaine Turner Pageot se distingue avec revoir le cahier la puissance du roc, les vins qui sortent de là sont
des vins très tendres, digestes. Avec Caroline, nous
avons aussi découvert cette année le domaine
des charges typés bourguignons, d’une élégance superlative,
aériens, avec de belles acidités et des touchers de
Sauta Roc, la seule cave particulière de Vailhan. Les de Pic bouche très tendres. Et cette aromatique si florale.
vins sont très pulpeux, friands, frais. Saint-Loup » Sylvain aime la Bourgogne, il recherche aussi l’élé-
44 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
 Perspectives
Languedoc: le temps des grands vins
gance par des extractions douces. Les blancs livrent des notes
de pierre à fusil. On retrouve des airs de famille avec des cha-
blis, voire des pulignys, avec une belle réduction, un joli toasté
grillé. Sur les rouges, il va chercher des nuances assez salivantes
et acidulées, tout cela dans un contexte sudiste. Il a compris
qu’il avait deux terroirs : Cocalières, très particulier, et puis la
partie Aupilhac au sud, sur les terrasses, face à Montpeyroux.
Là, on est sur des marnes bleues et des argilo-calcaires. Cela
donne des vins plus amples et charnus. Pour faire une syn-
thèse, il combine les deux terroirs dans sa cuvée Boda, un
assemblage très intéressant.
C’est tout ?
JC. Il faut aussi parler d’Alain Chabanon, de son Esprit
de Fontcaude, à mon sens l’un des vins les plus complets du
Languedoc, profond, camphré, épicé, très long, très juste. Un
vin de caractère avec, en même temps, beaucoup d’élégance
tactile. Chabanon est un personnage très discret, donc moins
connu que Sylvain Fadat, il ne cherche pas la lumière. Mais il a
ses aficionados, j’en fais partie.
Le Pic Saint-Loup, secteur fameux,
ne se trouve-t-il pas à un tournant ?
JC. L’appellation mériterait sans doute de revoir son cahier
des charges. Sur les rouges, tout Pic Saint-Loup doit contenir
au moins 50 % de syrah. À l’origine, c’était une décision logique,
dans le fil de la tradition de ce terroir. Mais le changement cli-
matique bouleverse la donne.
C’est-à-dire ? Que se passe-t-il ?
JC. La syrah est un cépage anisohydrique. Quand il fait très
chaud et très sec, la plante ne régule pas ses pertes en eau,
continue à produire du sucre et à alimenter les raisins en
carbohydrates. La photosynthèse se poursuit. Et là, à un
haut degré alcoolique, la syrah a tendance à compoter.
Alors que le grenache, lui, se bloque. L’activité stoma-
tique est régulée, la photosynthèse interrompue. Il ne
monte plus dans les degrés. Voilà sans doute pourquoi
le grenache est si présent à Châteauneuf-du-Pape.
C’est le seul problème de la syrah ?
JC. Non. La syrah est un cépage tannique,
contrairement au grenache plus faible en
polyphénols. En climat chaud, il existe un pro-
blème de maturité phénolique plus important
sur la syrah. Le réchauffement désynchronise
la maturité technologique du raisin, autrement
dit le sucre et l’acidité, de la maturité phéno-
lique, celle des tanins et des arômes, qui elle
arrive plus tard. Le vigneron se trouve devant un
dilemme. Soit il se dit : « J’ai mes 14°, je ne veux pas
D. R.
monter au-dessus, je récolte ». Mais il peut alors se
retrouver avec des tanins et des arômes verts. Soit
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 45
Le côté camphré, graphite
distingue les meilleurs rouges
du Pic Saint-Loup.
OnlyFrance
il va chercher la maturité phénolique, est contraint de pousser
encore un peu haut les degrés et risque de tomber dans une
générosité excessive. C’est un des soucis, à mon sens, imposé
par le cahier des charges de Pic Saint-Loup.
Il y a quand même de beaux vins, non ?
JC. Bien sûr ! Les belles expressions de Pic Saint-Loup, c’est
Clos Marie de Christophe Peyrus et Françoise Julien et l’Ermi-
tage du Pic Saint Loup des frères Ravaille. Ces vins offrent un
côté garrigue, herbes aromatiques, des notes de mûre sau-
vage, laurier, origan. Avec aussi ce côté graphite, ces notes de
fruits noirs liées à la syrah, mais sans tomber dans la surma-
turité. D’ailleurs, d’une façon générale, l’appellation maîtrise
mieux ses élevages. Cette année, le Clos des Augustins est entré
dans le Guide vert, c’est un domaine qui y allait un peu fort sur
les boisés et qui est bien revenu, retrouvant ce côté camphré,
graphite qui est la vraie signature de l’appellation, sans trop de
maquillage. Citons aussi les vins de Guilhem Viau à la Bergerie
du Capucin, souvent pulpeux, élégants, poivrés et floraux, ou
encore ceux de Sylvie Guiraudon à La Chouette du Chai que
nous suivions avec attention. Leur puissance sombre mais
contenue, leur toucher de bouche suave et la très belle défini-
tion du fruit, avec une juste maturité, forcent le respect.
Quand les boire ?
JC. Les vins à très forte dominante de syrah méritent d’être
attendus trois à cinq ans, les assemblages qui laissent plus de
place au grenache et au cinsault peuvent être bus plus tôt.
Un passage en carafe est plus que conseillé. Mais attendez, je
ne veux pas quitter le Pic Saint-Loup sans évoquer la cuvée
Spoutnik, un vin qui est allé très tôt à l’encontre des modes,
élevé en cuves, très pur. Christophe Peyrus est l’un des pre-
miers à avoir mis en avant l’élégance sur le secteur, se détour-
nant du classicisme austère de la région. Pic Saint-Loup n’est
pas condamnée à faire des vins austères ! On peut y faire des
vins accessibles. La cuvée L’Arbouse, au Mas Bruguière, est un
vin délicat, juteux, pulpeux et très facile d’accès.
 Perspectives
Languedoc: le temps des grands vins

On ne parle pas beaucoup du Gard… « Les saint- presque bourguignonne là encore. Rémy est arrivé
ici marqué par le Rhône nord, il avait travaillé
JC. Allons-y ! Aux portes sud-ouest de Nîmes, chinian sont chez René Rostaing (Côte Rôtie). Puis il s’est rendu
terroir le plus oriental de l’AOC Languedoc, il y a aujourd’hui compte que le terroir était presque plus bourgui-
l’Anglade. Le lieu a été mentionné pour la première plus aériens, gnon que rhodanien. Le style du vin a évolué très
fois en 936 avant notre ère. Louis XIV en a fait servir positivement, dans le sens d’une bonne interpré-
à la Cour en 1696. Au XVIIe siècle, un tonneau de
en finesse » tation du terroir. Il y a pour moi à l’Anglade un fort
l’Anglade valait le même prix qu’un tonneau de potentiel de replantation.
Châteauneuf-du-Pape. Il a hélas ! été l’un des premiers à être
touchés par le phylloxéra, apparu comme on le sait dans le Caroline, si nous parlions d’un autre terroir
Gard. 625 des 650 hectares de l’Anglade ont été détruits, quelle qui compte, Saint-Chinian ?
misère ! Il ne reste aujourd’hui que six vignerons sur 60 hec-
tares plantés. Nous sommes ici sur les argilo-calcaires et silices Caroline Furstoss. L’appellation le mérite ! Traversée par
sur argiles, un sol drainant et propice aux grands vins dans un une cassure géologique en son milieu, elle offre deux profils.
paysage typiquement gardois, cyprès et oliviers. Toute la partie nord se trouve sur du schiste, la partie sud sur de
l’argilo-calcaire qui affleure sur les hauteurs, avec une touche
Bon. Et qui se distingue à l’Anglade ? de grès à l’est. En retrait dans leur jeunesse, les vins sur le cal-
caire sont capables d’aller très loin dans le temps. Ils sont plus
JC. Pour moi, Rémy Pédréno et sa femme Martine portent tendus, avec des tanins plus crayeux, sur la finesse. Sur la partie
l’appellation. C’est Roc d’Anglade. Rémy exprime admira- schistes, on a le côté pierre à fusil, le poivre sauvage. La lecture
blement la finesse de ce terroir avec des élevages très longs, du vin est immédiate, enivrante même. Les vins vont moins
uniquement en foudres. Il tire de ces sols des formidables loin dans le temps mais explosent dès leur jeunesse.
blancs issus de chenin. Le salin, la pureté du vin sont excep-
tionnels. Les rouges issus de carignan, mourvèdre, syrah, gre- D’où vient la notoriété de l’appellation ?
nache et cinsault sont très texturés, sapides, ils renvoient ces
notes d’olives, de tapenade du Sud mais sur une texture fine, CF. Là encore, l’histoire n’est pas très ancienne. Dans
les années 1990, Jean-François Izarn, du domaine Borie
La Vitarèle, fut l’un des premiers à comprendre qu’il y
Delphine Rousseau et
Julien Zernott (domaine avait là des terroirs différents. Le premier, il distingua des
du Pas de l’Escalette). cuvées, Les Terres Blanches pour le calcaire, Les Schistes et
Influencés par puis Les Crès pour sa partie de galets roulés. Sa fille Camille
la Loire, ils ont
chassé l’austérité continue dans cette idée depuis sa disparition.
qui marquait
certains vins
des Terrasses Il a fait ça tout seul ?
du Larzac.
CF. Izarn était très ami avec Marc Valette, du domaine Canet-
Valette, à qui il a transmis sa vision de Saint-Chinian. Sur la
veine calcaire de l’AOC, Canet-Valette fut le premier domaine
à être bien distribué à Paris, remarqué pour ses vins extraits,
puissants. Dix à quinze ans plus tard, dans les années 2000, il
a changé de style. Se détournant des 15° d’alcool, Marc Valette
a adopté les macérations en feuilletage, puis a levé le pied sur
les extractions, fait baisser les degrés. Ce changement de style
a influencé tout Saint-Chinian où l’on trouve aujourd’hui des
vins plus aériens, en finesse.

Et le terroir de Roquebrun ?
CF. Là, un grand vigneron, Thierry Navarre, s’est distingué
Domaine du Pas de l’Escalette / E. Perrin

par ses vins très subtils, infusés. Son travail de l’œillade, un

cépage oublié du Languedoc, proche du cinsault, est remar-
quable. Le vin est léger, très parfumé.

Et les jeunes pousses ?

CF. Il n’en manque pas. Sur la partie schistes, mention-
nons le domaine Les Païssels où Vivien Roussignol a repris les
46 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
 Depuis le vignoble
de Picpoul de Pinet,
on admire l’étang
de Thau et on se régale
d’huîtres de Bouzigues.
vignes du grand-père, avec une palette de
rares et très intéressants cépages oubliés.
Une mention au domaine La Bosque à
Cessenon-sur-Orb, où Maxime Calas, un
élève de Marc Valette, et sa femme Olivia,
travaillent des îlots de très vieilles vignes,
là aussi à 90 % sur des schistes. Le Mas de
Pierril est un jeune domaine que nous
avons repéré l’an dernier, dès la sortie de
son premier millésime, preuve du dyna-
misme de ce secteur. Citons encore la cave
coopérative de Roquebrun, un acteur
majeur avec sa vinothèque où chacun peut
Guilhem Viau. Ses pic-saint-loup de la Bergerie
mesurer la tenue des vins sur trente ans ! du Capucin sont pulpeux et élégants.
Au nord-est de Saint-Chinian, dans
une sorte de prolongement “plein schiste”,
il y a la petite cousine, Faugères.
Où en sont les vins ?
CF. L’appellation est plus petite en effet, mais très
homogène. Les vignerons ont cette volonté de convertir
l’intégralité du vignoble, un peu moins de 2 000 hec-
tares, intégralement en bio. Le désherbage chimique y
est déjà interdit depuis 2011. Faugères est très intéres-
sante. Comment ne pas citer l’emblématique Didier
Barral, le chef de file, un obstiné du respect de son
environnement naturel et aussi un pionnier de la
baisse des niveaux de soufre ?
Didier Barral a eu la réputation
de livrer des vins irréguliers,
très peu protégés. Qu’en est-il ?
CF. Il y a très peu d’artifices dans sa vinification.
Didier joue l’effet millésime en toute transparence.
Chez lui, on ressent nettement dans le verre le profil
D. R.
des millésimes plus chauds, comme 2019. Son vin
blanc m’a procuré de grandes émotions. Mais
Valinière reste la très grande cuvée à mes yeux, qu’il
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 47
D. R.
La locomotive du Languedoc !
Gérard Bertrand est engagé en bio
OnlyFrance
et biodynamie depuis des années.
convient d’attendre cinq ans minimum
pour que l’alcool s’intègre, que la garrigue
prenne l’ascendant sur le fruit, que s’im-
pose cette texture de tanins assez unique.
Ceci est valable pour toutes les grandes
cuvées de Faugères et de Saint-Chinian.
JC. Dans un secteur comme Faugères,
les pH sont potentiellement élevés, il y a
donc plus de risques de déviances quand
on protège moins ses vins. À même niveau
de soufre total dans le vin, il y a beaucoup
moins de soufre actif sur un pH haut que
D. R.
sur un pH bas. Les vins sont donc “naturel-
lement” moins bien protégés.
C’est tout pour Faugères ?
CF. Non ! Le Mas d’Alezon est incontournable. Catherine
Roque, une ancienne architecte, produit ici des vins très régu-
liers, très sincères, dans l’esprit de Faugères. Il y a l’intensité et
cette allonge particulière de la syrah. J’aime aussi beaucoup le
domaine de Cébène, avec à la fois des vins accessibles dans la
jeunesse et de belles cuvées de garde. Et puis Bardi d’Alquier,
bien sûr, l’ancien domaine de Jean-Michel Alquier, parfaite-
ment repris par Sophie et Thibaud Bardi. Prisée par la restau-
ration, leur cuvée La Maison Jaune est une valeur sûre.
Caroline, quel est le profil des cinq
derniers millésimes en Languedoc ?
CF. 2018 est un millésime frais et immédiat. 2019 est à l’op-
posé, solaire, avec des records de températures dans les vignes
fin juin. Les vins sont robustes et de garde, on doit leur laisser
le temps de s’ouvrir. 2021 a été victime du gel, comme beau-
coup de vignobles en France. Les vins sont donc concentrés
mais avec de l’équilibre et de la fraîcheur. 2020 est un beau
millésime d’équilibre, tout y est : le fond, la structure avec un
bel éclat. Il reste 2017, à mes yeux “le” très grand millésime.
Les Frieys 2017 par exemple, au domaine du Pas de l’Escalette,
que j’ai regoûté l’an passé, est une grande bouteille.
 Perspectives
Languedoc: le temps des grands vins
Le moment est peut-être venu
d’aborder les Corbières, non ?
CF. Ah ! Les Corbières ! L’appellation est très vaste,
10 000  hectares plantés, presque aussi grande que
l’Alsace… Boutenac en est l’épicentre, autour du massif
du Pinada, là où se trouve le château Ollieux Romanis
de Pierre Bories. Ses vins issus du cru communal de
Boutenac sont superbes. Mais les Corbières, c’est aussi
une large diversité de terroirs. Conscients de cette
complexité, les vignerons des Corbières essaient de
définir cinq zones distinctes.
Comment s’y prennent-ils ?
CF. Au centre, il y a le cru Boutenac. À l’est, se
trouve la partie mer-étang qui rejoint Fitou ; au nord,
la zone historique entre Narbonne et Lézignan ; à
l’ouest, les contreforts de l’Alaric avec le château
La Baronne et enfin, au sud, la zone des châteaux
D. R.
cathares, très sauvage, à la frontière du Roussillon.
C’est là que se trouve le village de Fontjoncouse, la
fameuse Auberge du Vieux Puits de Gilles Goujon et
quelques bons vignerons. C’est la partie la plus sau-
vage, les routes sont magnifiques, dominées par les châteaux
cathares. Les îlots de vignes sont éparpillés, souvent cachés.
On trouve là des vins modernes avec des élevages raffinés,
beaucoup de fraîcheur.
Les Corbières, c’est toujours
le royaume du carignan ?
CF. Oui, mais l’école beaujolaise a marqué les esprits. Le
carignan est régulièrement travaillé en macération carbo-
nique. L’idée est d’extraire d’abord le fruit pur, moins la struc-
ture et la puissance. Les vins s’apprécient jeunes, comme la
48 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
cuvée Campagnès de Maxime Magnon. Bien sûr, l’école
traditionnelle est toujours là avec des vieux carignans
qui donnent des vins rouges de garde absolument
irrésistibles, telle la cuvée Pièce de Roche du château
La Baronne ou les vins du château Montfin.
Les blancs sont-ils intéressants ?
CF. Oui, très. Les Corbières abritent les plus vieilles
vignes de grenaches blanc et gris, des macabeus
ancestraux. Goûtez ceux du château de Caraguilhes,
frappez à la porte du domaine Ledogar. Les blancs
du domaine des Deux Clés, à Fontjoncouse, sont
remarquables, les deux jeunes vignerons, Gaëlle et
Florian Richter, se sont rencontrés en Bourgogne.
Dans un esprit plus libre, avec des vins moins pro-
tégés, citons Maxime Magnon.
Et le Minervois ?
CF. Le Minervois est très vaste. J’évoquerai en
priorité le plateau de Saint-Jean-du-Minervois, un
terroir de fou qui s’affirme. Mes favoris ? Le domaine
Jean-Baptiste Sénat à Trausse, le Clos Centeilles avec ses
cépages oubliés, quel trésor ! Et puis, bien sûr, plus ancienne-
ment connu, le Clos du Gravillas de Nicole et John Bojanowski.
En balade dans la région, où peut-on
goûter les vins ?
CF. Montpellier, la métropole, s’est ouverte. Le Pic Saint-
Loup n’est plus “le” vignoble de Montpellier, les Terrasses
du Larzac prennent de plus en plus de place. Près du bassin
Jacques-Cœur, dans les nouveaux quartiers de la ville, l’ex-
cellent restaurant bistronomique BG by l’Endroit propose l’une
des plus belles cartes de vins de la région et de beaux pro-
Au centre des Corbières,
le château Ollieux Romanis
s’illustre avec ses superbes
cuvées du cru Boutenac.
D. R.
 Perspectives
Languedoc
duits à l’assiette à prix doux. Juste à côté, le caviste-restaurant
Trinque Fougasse propose des millésimes affinés. Les vins de
l’Aude, c’est plutôt à Narbonne que ça se passe. Et là, les halles
sont un spot. Il y a quelques petits restaurants comme la Maison
Saint Crescent et des cavistes, par exemple Le Collectionneur.
En bord de mer, on trouve des paillotes avec de belles cartes
des vins comme Le Poisson Rouge, à Frontignan. Béziers aussi
compte de belles adresses, comme le restaurant Le Chameau
Ivre et le caviste Le Clos Saint Gabriel de Philippe Catusse.

Et les vins de la zone littorale, Jérémy ?

JC. L’Hérault compte un vignoble littoral passionnant,
Picpoul de Pinet. Avec un domaine emblématique, La Croix
Gratiot, tenu par Anaïs Ricome. Pourquoi ce secteur est-il resté
dans l’ombre ? Au début du XVIIe siècle, le piquepoul blanc,
qui a donné son nom à l’AOC, était reconnu comme l’un des
six cépages les plus nobles du Languedoc. Mais le piquepoul

est aussi un cépage exigeant, tardif, fragile avec une peau assez
fine. Si les baies sont altérées pendant les vendanges, il part vite
en oxydation. Pour autant, bien travaillé, il donne un jus très
frais, avec de l’acidité, de la tension, une belle texture. On est
ici au bord de l’étang de Thau, face à la mer. La ventilation est
plus importante que dans les terres. Les sols sont constitués
d’argilo-calcaires et de marno-calcaires du Crétacé, riches en
cailloux et en quartz, mais avec de bonnes réserves hydriques.
Et puis l’étang, vaste étendue d’eau, a un effet modérateur sur
le climat, moins froid en hiver et un brin moins chaud en été.
Et les vins alors ?
JC. Ils sont vifs, iodés, sur les agrumes mûrs, les fruits du
verger, tout en gardant de l’acidité. Et de la texture. Les plus
beaux sont salivants sans forcément être trop ciselés ni rigides.
Des noms !
JC. La cuvée Bréchallune d’Anaïs Ricome et de son père
Yves, au domaine La Croix Gratiot, en est sans doute la meil-
leure expression. C’est un vin racé, capable de bien
vieillir. Je l’ai goûté après huit à dix ans de cave, il « Les
mérite nos éloges. Aujourd’hui, ces grands vins
valent 15 à 16 euros. Il faut remplir son coffre ! Il y Corbières
a aussi de très beaux vins à 9 ou 10 euros comme abritent
la cuvée classique de La Croix Gratiot, La Serre du les plus
domaine Villa Noria ou encore le picpoul-de-pinet
vieilles vignes
de la Villa Blanche.
de blanc »
À 9 ou 10 euros, les picpouls sont
au prix des sancerres et chablis il y a quinze
ans. Sont-ils au niveau côté goût ?
JC. Ils n’ont rien à envier à beaucoup de chablis ou san-
cerres. Mais ces prix bas altèrent la rentabilité des domaines.
C’est pour cela que la coopérative est si importante dans le sec-
teur, pour l’instant. Secteur à la fois historique et en devenir,
Picpoul a un grand avenir, j’en suis certain.
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 49
D. R.
Près de Marseillan, le domaine La Croix Gratiot mené par Anaïs Ricome
et son père Yves est l’emblème de l’appellation Picpoul de Pinet.
Et plus au sud, Caroline ? La Clape, Fitou ?
CF. La Clape est un terroir magnifique qui offre une belle
variété de vins, avec une influence marine qui préserve la fraî-
cheur et apporte un équilibre salivant. Ici, la référence reste
le château Pech Redon, propriété familiale de Christophe
Bousquet. À Fitou, on atteint vite les 15° sur la partie litto-
rale. Les vins peuvent être très compacts jeunes. Le Mas des
Caprices et le domaine Les Mille Vignes tirent toutefois leur
épingle du jeu, dans un style différent. Les Alsaciens du Mas des
Caprices, Mireille et Pierre Mann, font du corbières en blanc
et du fitou en rouge car les deux appellations se chevauchent.
Leurs vins sont en fraîcheur, abordables dans leur jeunesse.
Aux Mille Vignes, Valérie Guérin s’appuie sur le mourvèdre
qu’elle aime beaucoup, la syrah aussi, avec une approche plus
rhodanienne, sur la maturité. Ce sont des vins de grande garde
qu’il faut savoir attendre.
Est-il judicieux de distinguer
les cépages d’origine espagnole,
carignan, grenache, mourvèdre,
ceux d’origine rhodanienne, syrah,
viognier, roussanne, marsanne,
et les autochtones, cinsault,
piquepoul, terret, ribeyrenc ?
JC. Cette diversité de cépages est un atout pour le
Languedoc, en particulier face au changement climatique. On
n’est pas, dans la région, limité à un ou deux cépages par cou-
leur. Mais il n’y a pas une règle par zone. En matière de cépages,
chaque vigneron doit définir l’alchimie qui correspond à son
terroir. Xavier Braujou (La Terrasse d’Élise) l’a fait avec son for-
midable grenache GN. Mas Cal Demoura fait principalement
de la syrah au bois de Paulio pour sa cuvée Fragments, elle
est ici tendue et fraîche, Vincent Goumard l’a compris ● ● ●
 Perspectives
Languedoc: le temps des grands vins
tout seul. J’adore aussi Ze Cinsault du Pas de l’Escalette, un vin
fruité, gourmand, la quintessence du beau cinsault, un jus de
fruit et de fleurs. Peu charpenté, mais un grand vin.
Y a-t-il de grands viogniers en Languedoc ?
JC. Pas qui me viennent à l’esprit. C’est un cépage com-
pliqué, sensible aux années difficiles, il devient vite grossier
quand il sort de sa zone de prédilection, le Rhône nord. À très
petite dose, il peut toutefois apporter aromatique et rondeur
à l’assemblage.
N’a-t-on pas oublié Limoux ?
Ce serait dommage, non ?
CF. Limoux est un secteur à suivre pour les blancs, char-
donnay et chenin s’y expriment avec précision et fraîcheur. Les
secteurs d’altitude là-bas sont servis par le réchauffement. De
grands vignerons comme Gilles Azam au domaine Les Hautes
Terres, Camille et Thomas Fort à Mouscaillo ou encore Pierre
Fabre au château de Gaure signent de beaux blancs de garde.
Et le prix des languedocs sur les marchés ?
JC. C’est le premier vignoble consommé en France, logique
puisque c’est le plus vaste. Mais on accole trop souvent aux
vins l’étiquette “prix accessibles”. On les assimile à des vins
de bistrots ou de pizzerias, et je n’ai rien contre les pizzerias !
En réalité, les prix modérés du Languedoc sont sa force et
sa faiblesse. Les plus chers des vins du Languedoc ne le sont
pas à l’échelle de la planète vin. La Grange des Pères a connu
une spéculation déraisonnable après le décès de Laurent
Vaillé mais reste loin des prix des vins les plus chers du
Bordelais, de la Bourgogne ou de Champagne.
Qu’en pensent les vignerons ?
JC. J’ai eu ce débat avec Olivier Jullien que j’admire.
Sylvie Guiraudon
(La Chouette
du Chai), vigneronne
à suivre en Pic Saint-Loup.
D. R.
50 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
Olivier veut que ses vins restent accessibles, ses
grandes cuvées sont à moins de 40 euros. Malgré
tout, ce sont les porte-drapeaux qui tirent les
régions, on le voit partout ailleurs. Ici, seule une
toute petite partie des vignerons tire son épingle
du jeu, commence à se faire connaître et atteint
des prix qui garantissent une rentabilité.
D’ailleurs, regardez : très peu de vignerons
en Languedoc roulent en grosses voitures
ou se paient des villas un peu partout. Il y a
ici cette forme de respect paysan de l’his-
toire, y compris chez les plus grands. Il peut
y avoir une spéculation à la revente, comme
sur La Grange des Pères. Mais Laurent
Vaillé lui-même vendait son vin à un prix
très raisonnable. Je trouve cela très res-
pectable, admirable. En même temps, cela
influence le marché, la cote de la région.
Voilà pourquoi le prix moyen dans toutes
D. R.
les appellations du Languedoc reste peu
élevé en comparaison des grandes régions
de France. Et le Languedoc fait partie des
grandes régions de France ! Maintenant, les
amateurs y trouvent leur compte : achetez du Mas Jullien,
faites le plein d’Aupilhac, foncez sur L’Esprit de Fontcaude
d’Alain Chabanon ! On est dans la cour des grands, mais les
prix ne sont pas ceux de la cour des grands.
Quel rôle joue le grand négoce ?
JC. Le négoce représente 80  % du vignoble du
Languedoc-Roussillon. Ils ont les moyens ou plutôt ils se
sont donné les moyens de leurs ambitions. Ils font du bien à
la région. Mais ce sont des empires avec beaucoup de vins, il
y a des choses qu’on aime, d’autres moins. L’usage excessif,
parfois systématique, de bois neuf, la tendance à aller sur
des standards plus internationaux, entraîne un maquil-
lage. À côté, il y a souvent une compréhension assez fine
des terroirs. Le travail de Gérard Bertrand sur le respect de
l’environnement est extrêmement louable. Quand on s’en-
gage en biodynamie sur des centaines d’hectares comme
il le fait, il y a un coût économique, une volonté, des effets
collatéraux positifs pour toute la région. Il montre que c’est
possible, y compris économiquement.
Est-ce que la part du négoce grossit ?
CF. Les rendements ayant baissé sur les derniers mil-
lésimes, beaucoup de vignerons activent une partie de
négoce pour s’assurer un revenu fixe. Les grandes mai-
sons de négoce, elles, investissent dans la terre pour éla-
borer elles-mêmes leurs cuvées. Parmi les noms qui se
distinguent, citons Abbotts & Delaunay, des Bourguignons
arrivés avec une vision nouvelle de petites cuvées et parcel-
laires, Calmel & Joseph qui signe de belles cuvées d’altitude
ou encore Jeff Carrel, qui ressort systématiquement dans
nos dégustations à l’aveugle (cuvée Vieille Mule).•
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 Art de vivre
Accord minute
Arancini et supplì
Ces boulettes voient rouge !
L
es arancini sont des boulettes traditionnelles de
la cuisine de rue sicilienne. Composées de riz, de
viande hachée, de sauce tomate et d’œuf, elles
sont recouvertes d’une chapelure au safran et frites dans
de l’huile bien chaude. Près de Catane, en Sicile orientale,
leur forme ressemble à une pyramide. En Sicile occiden-
tale, près de Palerme, elles sont rondes, évoquant l’orange
par leur taille et leur couleur (arancini signifie d’ailleurs
petites oranges en italien). Il ne faut pas les confondre avec
les supplì typiques de Rome, qui ont généralement une
forme plus allongée et un cœur de mozzarella fondante à
la place de la viande.
UN SICILIEN PLEIN DE PEPS
Sur les arancini, l’accord réclame un vin jovial, fruité,
doté d’une bonne fraîcheur afin de s’opposer au gras de
la friture. En restant en Sicile, ma première pensée va à la
belle expression du cépage frappato réalisée par Arianna
Occhipinti, sur la zone de Vittoria au sud de Catane. Sa
cuvée Il  Frappato 2020 (IGT
Terre Siciliane) est produite à
partir de vieilles vignes plantées
à 280 mètres d’altitude sur des
sables rouges et de la craie. Après
élevage en demi-muids, c’est un
vin infusé, dans un style bour-
guignon, qui possède beaucoup
de peps. Il se mariera parfaite-
ment aux boulettes.
Comme alternative fran-
çaise, je vous propose la cuvée
Ze Cinsault 2021 du domaine
du Pas de l’Escalette, dans les
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 53
« Au sud de Catane,
de vieilles vignes
de frappato livrent
un vin infusé dans
un style bourguignon,
qui se mariera
parfaitement
aux arancini »
Par Olivier Poussier
Meilleur sommelier
du monde 2000
Terrasses du Larzac. Avec ce vin, Delphine et Julien Zernott
nous régalent de la finesse du cinsault, qui livre son fruité
légendaire et sa touche florale. Issu de vieilles vignes plan-
tées dans la Vallée de Lauroux, ce vin offre une texture
extrêmement sapide sur ce millésime 2021 qui n’impose
pas une grande richesse en alcool.
SAVOUREUX PIÉMONTAIS
Avec les supplì romains, mon premier choix s’oriente-
rait vers un vin du Latium issu de cesanese di affile dans
un jeune millésime ; ce cépage autochtone possède une
matière assez fine et délitée sans imposer trop de mâche.
Mais je préfère ici vous confier une proposition plus sep-
tentrionale avec le Dolcetto d’Alba Bricco Bastia 2021 de
l’azienda agricola Conterno Fantino, à Monforte d’Alba
dans le Piémont. Cette cuvée dévoile une belle définition
du croquant et désaltérant dolcetto, un cépage juteux en
toutes circonstances, le plus souvent vinifié en cuves pour
préserver son fruit. Issu d’un terroir à 540 mètres d’alti-
tude, ce vin a subi une courte macération
de six jours en cuves inox. Il est sapide à
souhait. Un régal avec nos supplì.
Côté français, le beau Natural Grenache
Illustration : Stéphane Manel / Shutterstock/ D. R.
sans soufre 2021 du Mas Amiel fera
lui aussi fort bien l’affaire. La gamme
Natural développée par l’œnologue
Nicolas Raffy est un pur bonheur de
fruit et de gourmandise. Il élabore un
cinsault et un carignan dans le même
profil, à découvrir également.
Que vous penchiez pour les boulettes
siciliennes ou pour celles de la capitale
italienne, régalez-vous avant tout !
 Carnet de Table
Le 25 janvier 2023, à Pauillac
Dîner au château Pichon Longueville
Comtesse de Lalande

2016-1945 :
quelle verticale !
Par Olivier Poels

O
n a beau être dégustateur professionnel depuis vingt ans et avoir

NOTRE HÔTE
participé à des centaines de dégustations, dîners, déjeuners,
verticales, horizontales… il est des moments dont on sait qu’ils
u marqueront à jamais. Ce dîner du mois de janvier à Pichon Longueville
Nicolas Gluminea
chon Longueville
Pi Comtesse de Lalande en fait partie et me fait mesurer plus que jamais
Arrivé à la tête de
La lande en 2012, la chance que j’ai de faire ce métier. Plongeons donc sans perdre de temps
Comtesse de r
u (à d., avec Olivie dans ce moment unique et faisons défiler les bouteilles. L’idée de départ
Nicolas Gluminea isan
s équipes, l’art était de déguster le meilleur vin de chaque décennie des années 2010
Poels) est, avec se e magnifique
ce tt aux années 1940. En théorie, huit vins donc… auxquels nous en avons
du renouveau de
nt les vi ns brillent ajouté quatre. Voici donc la liste : 2016, 2005, 1996, 1989, 1982, 1978, 1975,
propriété do
ament
désormais au firm
1966, 1961, 1959, 1953 et 1945. Toutes ces bouteilles issues de la cave du
ocaine.
de l’excellence méd ssède
château ont été, pour la plupart, rebouchées et remises à niveau en 2020.
nt , il po Défendant l’idée que les grands vins ne sont pas nés pour finir au fond
Détail importa
la ca ve . d’un crachoir, il me semblait nécessaire qu’ils nous soient servis au cours
les clefs de
d’un repas qui puisse les magnifier. Repas confié au chef Matthieu Detchart,
qui a parfaitement appliqué l’adage : “À vins complexes, plats simples”.
Au menu donc, lasagnes de homard, bouillon de carapace au vin rouge,

LE LIEU
côte de bœuf de Galice, pommes Darphin aux cèpes et, pour terminer,
crémeux chocolat à la truffe noire. Des plats aussi efficaces que lisibles,
parfaits pour accompagner nos trésors.
Le homard accueille la série des vins les plus “jeunes”, jusqu’au 1989.
Si 2016 semble encore sur la retenue, 2005 est désormais en place, mais
ne demande pas de se presser. 1996 conserve les stigmates d’un millésime
resté froid, avec ses notes de végétal noble qui caractérisent beaucoup
de vins de cette époque. Arrive ensuite la série des vins plus évolués. 1982,
en pleine forme, confirme son statut d’immense réussite. La suite est tout
aussi convaincante, sans fausse note, démontrant la constance de Pichon
sur plus de soixante-dix ans et le formidable potentiel de son terroir.
Qu’il s’agisse du 1975 très droit, à la texture poudrée mais aux tanins fondus,
du 1966 juteux et irrésistible ou du bluffant 1961 d’une jeunesse insolente,
chaque bouteille raconte avec justesse l’histoire de son millésime.
Lorsqu’on voit ce que le château a produit en 2018, 2019 et 2020,
G. Vicence

on comprend que l’histoire est loin d’être terminée.

Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande

Il est rare de trouver dans un château bordelais une vinothèque aussi complète
et fournie. On ne présente plus ce deuxième cru classé de Pauillac dont
les vins ont longtemps été associés à la dynamique May-Éliane de Lencquesaing,
infatigable ambassadrice dans les années 1980 et 1990 de son cru, mais aussi de Bordeaux
en général. Acquis par la famille Rouzaud (Roederer) en 2006, le domaine vise encore
plus haut et les derniers millésimes le confirment.

54 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023

 Verticale à Pauillac

L’ACCORDCRUSTACÉ-VIN
SAUCE
HOMARD CHÂTEAU
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RO ILLE
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PICHON L E
1996
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LE PLUS INATTENDU
CHÂTEAU PICHON LONGUEVILLE
COMTESSE DE LALANDE 1978
Très honnêtement, je ne m’attendais pas à un vin de ce niveau
dans un millésime plutôt tendre et aujourd’hui souvent sur le déclin.
Il se montre d’une élégance sublime, avec un côté soyeux, mais
avec encore beaucoup d’intensité et porté par une longue finale.
Il tient largement tête au 1975 plus réputé (très réussi ici),
mais toujours un rien austère.

LE PLUS CLASSIQUE
CHÂTEAU PICHON LONGUEVILLE COMTESSE DE LALANDE 1953
On attend évidemment le match entre 1959 et 1961, tous deux réputés
exceptionnels – avec un petit supplément de fraîcheur pour 1961.
C’est sans compter 1953, un peu moins connu, mais certainement
pas moins intéressant. Et à Pichon, 1953 est une réussite exceptionnelle,
le vin est dense, fumé, juteux, avec des notes de cèdre, une pointe
balsamique, mais surtout beaucoup d’élégance et de longueur.
Un grand classique pour la propriété.

LE PLUS VÉNÉRABLE
CHÂTEAU PICHON LONGUEVILLE COMTESSE DE LALANDE 1945
Une émotion m’envahit à chaque fois que j’ai la grande chance de déguster
un vin du millésime 1945. Impossible de faire abstraction du contexte
et des conditions dans lesquels il a été produit. En dehors de cela, quel vin,
quelle puissance, quelle tenue ! La bouche est épicée, balsamique, poudrée
dans sa texture, mais d’une infinie longueur. Il demeure immortel.
Photos : O. Poels

LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 55

 Art de vivre
Spiritueux
Patchwork intercontinental
L
es premiers mois de l’année sont l’occasion de faire un point
sur le meilleur des spiritueux. Cette production toujours plus
riche et variée, de grande qualité nous a amenés à entreprendre
un tour d’horizon en France et à travers le monde. Les dix splendeurs
sélectionnées ici ont toutes un point commun : nous avoir laissé un sou-
venir indélébile. Chacune dans leur catégorie, elles s’imposent comme
des références. Belles découvertes ! Cyrille Mald
Ces flacons sont disponibles sur les sites des producteurs ou spécialisés
(lacompagniedurhum.com, monwhisky.fr), dans les boutiques (La Maison du Whisky)
ou certaines caves (Caves Damiani à Marseille, Cave Vintage & Cie à Paris VIIIe).
1 ST WENDELIN
Le Souffle Calcaire, whisky d’Alsace 12 ans, 46,4 %
Ce single malt est issu de la double distillation d’orge maltée
bio d’une parcelle haut-rhinoise située sur un terroir calcaire.
Il a été successivement élevé dans trois fûts différents dont
un ayant contenu du pinot gris Grand cru Vendanges tardives
de Schueller. Cela lui confère ses magnifiques tonalités
de pêche blanche, de cassis, de quetsche et de raisins noirs
frais. 79 € les 50 cl
2 DELAMAIN
Pléiade La Rambaudie, Malaville,
Cognac Grande Champagne, Fût unique, 45 %
La collection Pléiade de l’illustre maison
Delamain fondée en 1763 recouvre
une lignée de cognacs de Grande
Champagne exceptionnels et rares, issus
de fûts uniques (en élevage doux sur
plusieurs décennies). Cette expression
intensément fruitée (cerise noire, figue,
gelée de coing) est rehaussée de cuir noble
pour un volume de dégustation unique.
180 € les 70 cl
3 DISTILLERIE GRANDMONT
Chemin des Moines, liqueur de plantes et d’épices, 55 %
Notre antiquaire en spiritueux préféré a encore frappé fort
avec sa dernière création. Une liqueur de type monastique
particulièrement fraîche (hysope, verveine, angélique,
camphre), au sucre maîtrisé et particulièrement
complexe : bois de santal, miel d’amandier et épices
chaudes (curcuma). Séquencée mais sans rupture.
49,50 € les 70 cl
4 5 6 7
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 57
LES AUTRES EAUX-DE-VIE
4 ISAULTIER
L’Élise, Millésime 2006, rhum vieux agricole, 15 ans,
Antipodes, 55 %
Le nom de ce rhum agricole traversé par des embruns
fruités (agrumes confits) et floraux (pot-pourri) renvoie
à celui du dernier voilier caboteur utilisé par cette belle
maison réunionnaise. 135 € les 70 cl
5 DON MATEO DE LA SIERRA
Cupreata Mezcal artesanal, 46 %
Produit sur les sols argilo-sableux rouges de la côte
pacifique du Mexique par le maestro mezcalero Emilio
Vieyra, ce mezcal de Michoacán évoque une tarte citron
liquide que soulignerait de la fumée de pin. 72 € les 70 cl
6 L’ENCANTADA
Domaine Le Frêche 2006, Collection Renaissance,
Armagnac, 57,3 %
Quinze ans en chai humide ont arrondi l’intensité
structurante du baco, cépage unique de cet armagnac qui
offre une déclinaison de rancios intermédiaires (abricot,
amandon), nougat, raisins secs et cuir frais. 229 € les 70 cl
7 SPIRAL
Ori’Gin Printanier, spiritueux botanique, 43 %
Matthieu Schutzger crée des spiritueux naturels. Ici, l’eau
de source est prélevée en forêt, l’alcool réalisé à partir
de fine de vins “nature” et de marc de riesling Grand cru
biodynamique. Les plantes sont sauvages et cueillies
à la main pour un résultat hors du commun. 60 € les 50 cl
8
MANGUIN
Eau-de-vie Abricot du Ventoux, 45 %
Abricot d’altitude à maturité, fermentation lente,
distillation à double passe en alambic charentais,
sélection des seuls cœurs de chauffe aromatiques,
le fruit dans son âme et toute sa chair. 167 € les 50 cl
9
TEA TROPÉZIEN
Cherry, thé bio distillé, 20 %
Ce thé distillé de fruits et fleurs rouges est aussi
rafraîchissant qu’étonnant, tant la restitution de la cerise,
de la framboise et de l’hibiscus est précise et équilibrée.
Nature ou pour un spritz hors du commun ! 39 € les 70 cl
10
DEAD MAN’S FINGERS
Hemp Spiced Rum, 40 %
Assemblage de rhums caribéens épicé aux chanvres
et à l’extraction de CBD (sans THC) et parfumé de notes
de noix, de cola et d’agrumes cuits. 24,50 € les 70 cl
Photos : D. R.
8 9 10
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 Art de vivre
C’est comme ça et pas autrement
Beauté, mon beau souci
L
’amour est fils de Pénia et de Poros, du dénuement
et de l’abondance, explique Platon en son Banquet,
fabuleux dialogue socratique où les bienfaits de
l’ivresse s’élucident dans une mesure du boire qui est de
boire sans mesure. Mais Érôs lui-même n’est ni dans le
dénuement ni dans l’abondance, jure le philosophe grec
par l’entremise de la prêtresse Diotime, chargée de révéler
le secret de l’amour aux convives d’Agathon.
J’en discutais l’autre jour en Bourgogne, où le contraste
entre un millésime 2021 à la maigre récolte et un millésime
2022 qui a réveillé le souvenir des saisons fertiles illustre
la condition de vigneron dans sa dualité essentielle. « On
fait une chose une année et il faut tout repenser la suivante »,
m’a expliqué Bertrand de Villaine dans sa cave de Vosne-
Romanée. Les 25,5 hectares du domaine de la Romanée-
Conti dont il est le cogérant avec Perrine Fenal procurent
alternativement abondance de beauté et abondance de
soucis aux quarante personnes qui les travaillent sans
qu’aucune d’entre elles n’en décide jamais, spectateurs
médusés de la fécondité des contrariétés et des insuffi-
sances du couple que forment Pénia et Poros. En 2021, le
gel et les maladies n’ont pas empêché la vigne de donner
naissance à de parfaits enfants de l’amour : des vins d’une
très grande finesse et d’une très grande fraîcheur. Hélas ! il
n’y en aura pas pour tout le monde.
«  Quand la qualité d’un millésime est intéressante, la
rareté ne pose de problème qu’au marché  », m’éclaire
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 59
« En 2021, le gel
et les maladies n’ont
pas empêché la vigne
de donner naissance
à de parfaits enfants
de l’amour »
Par Sébastien Lapaque
Écrivain,
chroniqueur
littéraire
et solide buveur
Bertrand de Villaine. À la beauté et à l’amour qui lui
donnent naissance, elle n’ajoute ni ne retranche rien. Tant
pis si le marché laisse croire aux consommateurs que plus
c’est rare, plus c’est cher et plus c’est cher, plus c’est bon.
Quand on le déguste avec piété, avec la bouche et
avec le cœur, le millésime 2021 des Grands crus Corton,
Échezeaux, Grands-Échezeaux, Romanée-Saint-Vivant
et Richebourg, celui des deux monopoles, La Tâche et
Romanée-Conti, réjouit l’œil, le nez et les entrailles par sa
noblesse aromatique, son soyeux sous la langue et sa com-
plexité gustative infiniment précise.
Il est impossible de découvrir ce vin sans songer à l’an-
goisse des hommes qui taillent, ébourgeonnent, palissent
et récoltent le pinot noir bourguignon sous des ciels chan-
geants, dans une espèce de creux souvent inquiétant et
silencieux. Mais le raisin n’est pas uniquement le fruit du
travail des hommes ; il est aussi celui d’un terroir qui doit
être interprété avec art, comme une sonate, un concerto.
Libre et soyeuse, la dernière goutte de romanée-saint-
vivant du millésime 2021 m’a inspiré cette antimétabole
que j’offre à mes lecteurs comme un rébus métaphysique,
comme une charade philosophique : du souci de la beauté
Illustration : Stéphane Manel
naît la beauté du souci.
C’est comme ça et pas autrement qu’on se souviendra
qu’à défaut de pouvoir repartir de la Romanée-Conti avec
une caisse de vin sous le bras, on peut y recevoir une leçon
de sagesse.
 Château
Carbonnieux
Le Clos de Vougeot
bordelais
Propriété des moines durant plusieurs siècles, le château connaît une période faste où son vin blanc
s’exporte jusqu’à Istanbul. Après une succession de propriétaires, il est acquis en 1956 par la famille
Perrin qui développe le vignoble et participe à la création de l’appellation Pessac-Léognan.
Reportage et dégustation de Pierre Casamayor

C
arbonnieux est le pendant bordelais du Clos de
Vougeot, un vignoble monastique en terres aquitaines.
Si l’on connaît des moines contemplatifs, guerriers,
hospitaliers, voire paillards, c’est ici qu’en plein XVIIIe siècle
l’on découvre des moines pères du marketing moderne. Avec
une existence attestée par un document de 1234, ce vignoble
médiéval devient propriété des moines de l’abbaye de Sainte
Croix, dont les vignes seront leur source de subsistance.
Le domaine connaît une parenthèse avec la famille Ferron
qui rachète le domaine à des moines ruinés par la guerre de
60 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
Cent Ans. Ils reviendront en 1740, ce sont alors les Ferron qui
ont des difficultés financières.
S’ensuit une période faste, grâce à Dom Galeas, un moine
mondain, poète et astronome, qui inonde l’aristocratie bor-
delaise de son vin blanc, déjà en cépages assemblés et en fla-
cons bouchés, une exception à l’époque. Si Haut-Brion tient
le haut du pavé pour son vin rouge, Carbonnieux caracole en
tête pour son blanc. Il ne se contente pas du marché local et ce
vin monacal s’exporte jusqu’à Istanbul où le sultan ottoman,
séduit par les charmes d’une captive gasconne, importe des

bouteilles étiquetées “Eau de Carbonnieux”,
un stratagème qui contourne la sèche loi
coranique. La légende lui fit dire : « Pourquoi
les Français s’obstinent-ils à faire du vin alors qu’ils
produisent une eau aussi merveilleuse ? ».
L’ARRIVÉE DES PERRIN
Thomas Jefferson, lors de son passage
à Bordeaux, couronne la réputation de
Carbonnieux, « le vin des Odalisques », avant
que la Révolution ne mette les moines au pain sec et… à l’eau.
Racheté par Élie de Bouchereau, Carbonnieux reste dans cette
famille pendant quatre-vingt-sept ans, avec la création d’une
remarquable collection de cépages. Suit une longue période
où se succèdent nombre de propriétaires, jusqu’à ce que Marc
Perrin, un viticulteur d’Algérie, ne se rapatrie en 1956 sur cette
terre de Graves. Il est suivi par son fils Anthony ; ensemble,
ils redonnent à la propriété tout son lustre, avec des replan-
tations pour reconstituer le vignoble à partir des 30 hectares
rescapés du phylloxéra et la construction d’un nouveau chai.
Anthony Perrin sera président de l’Union des Grands crus, des
crus classés de Graves et un moteur actif dans la création de
l’appellation Pessac-Léognan. Ce sont aujourd’hui ses enfants,
Christine, Éric et Philibert, qui sont aux manettes ; les fils
d’Éric, Marc au commerce et Andréa à la technique, assurent
cette belle continuité familiale.
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 61
Photos : Château Carbonnieux
Carbonnieux occupe le sommet d’une
belle croupe graveleuse au plus haut point
de l’appellation Pessac-Léognan, bordée par
la rivière l’Eau Blanche, entre Couhins et
La Louvière. La grande taille du vignoble, d’un
seul tenant autour du château, implique des
différences de sols qui sont un élément essen-
tiel de la complexité des vins. Issu de l’épan-
dage de graves pyrénéennes au Tertiaire et
garonnaises au Quaternaire sur un substrat de
sédiments calcaires, ce terroir en forme de dôme a été érodé sur
ses quatre faces, avec des versants plus riches en argile au nord,
d’autres plus calcaires ; le haut de la croupe est le plus riche en
graves fines, le rebord est constitué d’une bande sablo-grave-
leuse, avec une originalité, une langue de sables éoliens venue
recouvrir une partie du support calcaire. Autant de types de sols
qui ont été étudiés par des fosses et par la mesure de leur résisti-
vité, autant de situations favorables à tel ou tel cépage.
ANTICIPER LE RÉCHAUFFEMENT
La réputation de château Carbonnieux s’était faite au cours
du temps sur la qualité de ses vins blancs car le cépage sauvi-
gnon était planté sur des terroirs à vin rouge, ce qui induisait
des maturités prononcées et des vins moins marqués par ces
arômes végétaux qui entachent parfois leur finesse. Pour anti-
ciper le réchauffement climatique, ces sauvignons des hauts
 De vigne en cave
Vie de château

En l’espace d’une dizaine d’années,

le château Carbonnieux a beaucoup La verticale de
évolué. D’une grande régularité, les vins
sont très représentatifs de l’esprit
de finesse et d’harmonie qui caractérise
Château Carbonnieux
l’appellationPessac-Léognan.
Le grand vin rouge
Joli nez sur le fruit frais, cassis, notes fumées, touche florale, élégant.
2020 Très cabernet en bouche, attaque souple, matière expressive
95/100 et tanins mûrs, finale épicée. Bel équilibre entre densité et finesse.

2019 Nez sur le fruit rouge très mûr et rôti, épices douces, fraîcheur
mentholée et fumé. Bouche moelleuse, tanins mûrs et gras, présence
95/100 boisée plus marquée. Finale longue, fruité épicé et notes fumées.

2018 Nez fin, fruit frais, belle présence florale qui tend vers la rose séchée,
pointe graphite-fumé. Bouche dense, puissante, tanins mûrs
95/100 et veloutés, finale expressive. Attendre, la matière doit encore se délier.

Palette très complexe, fruité mûr, épicé, notes menthées, fumées

2016 et minérales. Belle bouche satinée, grand fruit mature, expression
96/100 complexe, tanins accomplis encore encadrants. Il finit bien équilibré.

Nez sur des notes pâtissières, vanillées, fruité rouge mature,

2010 notes grillées. Bouche dense et moelleuse, trame riche, finale tannique
96/100 avec du velouté. Bel équilibre pour ce millésime en pleine forme.

Nez axé sur des notes secondaires, bergamote, menthe, cassis rôti,
2005 pointe de cuir. Bouche très suave, dense mais sans lourdeur, beaux
97/100 tanins patinés, jolie longueur aromatique où pointe la truffe.

Le grand vin blanc

Nez déjà complexe ; bouche très tendue, vive, finale sur le fruit blanc
2021 frais et les agrumes, notes de menthe fraîche. Le vin est aujourd’hui
96/100 très séducteur, mais il gagnera en complexité. À attendre.

2020 Nez un peu miellé, avec un fruit blanc mûr, des notes balsamiques
et mentholées, des zestes d’agrumes. Bouche pleine, très fruitée,
96/100 avec du tonus, bien balancée entre gras et fraîcheur.

2019 Nez fin sur les fruits exotiques, mangue, miel, des notes balsamiques,
avec une bouche expressive, de la chair, une belle allonge fruitée mise
96/100 en valeur par une fraîcheur tonique et minérale.

Nez fin et subtil, avec de la fleur blanche, de la pêche, des agrumes.

2018 Bouche très équilibrée entre tonus et matière, avec du gras. Le vin finit
96/100 sur le fruit blanc mature, dans un style très harmonieux.

Beau nez fumé, miellé, avec du fruit blanc mature. Bouche fraîche
2015 mais dense, avec une finale étirée sur une aromatique gourmande.
95/100 Il finit un peu citronné, avec un beau tonus.

Nez minéral, fumé, tilleul, fruits blancs compotés, belle fraîcheur

1997 (herbes aromatiques), vanille. Bouche très expressive, fraîcheur
97/100 sous-jacente qui exacerbe le développement aromatique.

1990 Nez subtil, fleurs séchées, cèpe, très balsamique, pinède et cire
d’abeille. Le fruit revient à l’aération. Bouche expressive, épices douces,
96/100 un peu de fluidité mais belle expression aromatique complexe.

62 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023

 De vigne en cave
Vie de château

de croupe ont été arrachés et replantés sur les terroirs plus

frais du versant nord afin de garder l’équilibre des vins. Même
réflexion sur la place du cabernet-sauvignon, remis en haut de
croupe, et du merlot orienté vers les pentes argileuses, avec la
mise en place lors des replantations de porte-greffes plus tar-
difs. De plus, les sécheresses actuelles ont montré la limite du
riparia ou du 101-14, on s’oriente aujourd’hui vers le gravesac.
Le modelé de cette croupe est favorable à un bon écoule-
ment des eaux, de nombreux fossés recueillent le ruisselle-
ment afin de garder les pieds au sec, l’équilibre hydrique de la
plante est ainsi assuré. Les sols sont travaillés à l’ancienne, avec
les quatre façons traditionnelles, les Perrin ne sont pas favo-
rables à l’enherbement, une erreur démontrée d’après eux
lors des canicules. Une bonne partie du vignoble est conduite
en bio, l’autre bénéficie du label HVE, avec confusion sexuelle, Le chai dédié aux rouges accueille
produits de biocontrôle, mise en jachère fleurie des parcelles 1000 barriques, tandis que
arrachées, préservation des bordures forestières et des haies, celui destiné aux blancs
en contient l’équivalent de 600.
engrais naturels organiques, sans désherbant ou insecticide,
presque aux frontières du bio.
Les vins blancs ont longtemps été suivis par le regretté Denis
UN FRUITÉ INTENSE Dubourdieu, qui favorisait des macérations préfermentaires
Les vignes, d’âge moyen de 32 ans pour les blancs, 27 pour les et un apport d’oxygène. C’est aujourd’hui Christophe Olivier
rouges, sont plantées à 7 200 pieds par hectare, la taille est qui conseille le domaine, on a basculé sur une vinification en
en double guyot Poussard, en cordon pour le sémillon, avec réduction, à l’abri de l’air. Les raisins sont mis à basse tem-
six à huit grappes par pied pour un objectif de pérature dans des ballons inertés au CO2, puis
40 à 45 hectolitres par hectare (30-35 hl/ha en Le vignoble pressés avec injection d’azote au fur et à mesure
2022). Lors des replantations, les bois sont issus d’un seul tenant du pressurage, les lots parcellaires restent
pour certains de sélection massales, comme le séparés, mis en débourbage naturel à 10-12° C,
petit verdot qui vient de château Branaire ou occupe le sommet on laisse ensuite remonter la température vers
le sauvignon de la Loire ; pour les autres, on d’une belle croupe 16-18° C pour démarrer la fermentation avec
se tourne vers des clones moins précoces. Les graveleuse levurage. Les vins sont ensuite entonnés pour
travaux comprennent épamprage, effeuillage poursuivre leur fermentation en barriques dans
côté couchant, vendanges vertes si nécessaire. Les vendanges le chai réservé aux blancs. Ils y sont conservés sur lies fines
sont manuelles avec une centaine de vendangeurs, les raisins avec bâtonnage pendant dix mois. Si l’on logeait autrefois le
sont acheminés au chai dans de petites bennes autovidantes à sémillon dans du bois neuf, on est redescendu aujourd’hui à
double fond, déversés sur une table de tri vibrante. 25 % et on a introduit les élevages en foudres. Autre action pour

Andréa Perrin
Après une licence en biologie
et un Diplôme national
d’œnologue à Bordeaux,
Andréa va bourlinguer chez
Olivier Leflaive, Jaboulet,
Opus One et Cheval des Andes,
en passant par le château
d’Esclans, avant de revenir
en 2019 pour assurer
les vinifications de la famille
Perrin. Ses premiers millésimes
sont brillants.

LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 63

 De vigne en cave
Vie de château

Au XVIIIe siècle, le sultan d’Istanbul importe des bouteilles de blanc étiquetées “Eau de Carbonnieux”, un stratagème qui contourne la sèche loi coranique.

garder le caractère réducteur : le bouchage à l’albumine, filtrés, ajustés en SO2 (30 mg)

avec des Diam, l’objectif est de développer La maison en détail avant mise en bouteilles.
la capacité de garde des vins blancs, des Appellation : Pessac-Léognan.
vins destinés à être consommés aux quatre Surface : 92 hectares, dont 50 LE STYLE DES VINS
coins de la planète qui, comme chacun le de cépages rouges et 42 de cépages Château Carbonnieux a connu une période
sait, est ronde. blancs. où les vins blancs étaient axés sur la légèreté,
Pour les raisins rouges, égrappage total, Sols : graves, argilo-calcaires, le fruité immédiat et la nervosité pour une
foulage et levurage, mise en cuves inox de argilo-graveleux, sablo-graveleux, consommation rapide. A suivi un chan-
150 à 250 hectolitres, les lots rassemblent sur sous-sol calcaire. gement radical avec des vinifications à la
les parcelles de caractéristiques sem- Encépagement : 60 % cabernet- bourguignonne dans beaucoup de bois
blables, quelque trente lots basés sur une sauvignon, 30 % merlot, 7 % cabernet neuf. Aujourd’hui, les vins sont bâtis sur une
unité de terroir. La température est tenue franc et 3 % petit verdot pour maturité optimale, un fruité pur et intense,
plutôt basse, 25° C, le fruité intense des les rouges ; 65 % sauvignon blanc une aromatique vive avec du gras bien équi-
vins de Carbonnieux n’y est pas étranger. et 35 % sémillon pour les blancs. libré par un tonus rafraîchissant, sans que le
Les remontages avec arrosage du chapeau Viticulture : HVE, 30 % en essais bio. boisé ne domine, une belle marche gravie
à la main assurent l’extraction, avec une Production moyenne : 400000 vers un heureux mariage entre la vivacité
cuvaison totale de quatre semaines, une à 500000 bouteilles. explosive du sauvignon et le gras et la ron-
remontée à 30° C vers la fin. La fermen- Commercialisation : deur du sémillon, soit deux tiers-un tiers,
tation malolactique se déroule en cuves, place de Bordeaux à 80 %. et une réduction qui assure la longue garde.
avant un entonnage pour un élevage de dix- Les rouges ont suivi la même progres-
huit mois. La proportion de bois neuf des sion, avec des matières plus charnues, des
barriques de 225 litres se situe autour des 40 %, mais on teste tanins soyeux et une fraîcheur fruitée très appétente, à peine
des 400 litres, des foudres et des cuves bois. Les assemblages épicée par un boisé mesuré, un style très classique avec des
qui vont donner naissance au grand vin et au second La Croix notes fumées complexes, un pas de plus vers la finesse et l’har-
de Carbonnieux ont lieu en février. Les vins sont enfin collés monie.•
64 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
 O T É GÉ E
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PPELLATI
 De vigne en cave
Une appellation, deux styles
Domaines Pierre André
et de Marcoux
Pionniers du bio
à Châteauneuf-du-Pape
Dans ces deux domaines, le bio n’est pas
une simple mode mais une conviction.
D’une grande régularité, leurs châteauneuf-
du-pape se montrent, chacun dans leur style,
d’une pureté intense et d’une belle longévité.
Texte et photos de Roberto Petronio
T
ous les vignerons vous le diront : faire évoluer son
domaine vers la culture biologique, plus encore vers
la biodynamie, n’est pas un acte anodin. Celui-ci
demande un engagement total des équipes, tout en acceptant
le risque de perdre une récolte, de voir chuter les rendements
des vignes pour produire mieux et propre, et un coût qu’il faut
intégrer sur le long terme.
Avec un climat plutôt favorable, grâce au soleil et au mistral,
Châteauneuf-du-Pape recense 35 % de sa surface cultivée en
bio. C’est déjà bien, mais cela pourrait être mieux. D’autant
que sur cette appellation, ce mode cultural a fait ses preuves.
BIO AVANT TOUT LE MONDE
Dans le secteur de Courthézon, le domaine Pierre André a été
un pionnier du bio dans l’appellation. Depuis 1963, pas un pro-
duit chimique n’est entré dans ses vignes. Elles ne s’en portent
pas plus mal. Il suffit d’écouter Sophie Armenier, qui dirige le
domaine de Marcoux, en parler : « Ma sœur Catherine, aujourd’hui
retraitée, m’a toujours dit que les vignes du domaine Pierre André sont
les plus belles de Châteauneuf-du-Pape ». En 1990, le domaine de
Marcoux s’est inscrit dans la deuxième vague des vignerons
qui ont orienté leur travail vers la culture biologique. Ces deux
domaines, pour lesquels le bio n’est pas une mode mais un état
esprit, produisent, dans un style bien distinct, de très beaux
châteauneuf-du-pape avec une grande régularité.
Implanté à Courthézon, le domaine Pierre André cultive
la discrétion. Une belle adresse que l’on se transmet par
le bouche-à-oreille entre amateurs à la recherche de vins
authentiques, nés d’une viticulture respectueuse de l’envi-
ronnement depuis 1963, même si les rares produits chimiques
permis au domaine avant cette date n’ont été utilisés que
quatre ou cinq ans avec parcimonie.
66 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
Arrivée au domaine familial en 1984, Jacqueline André
a presque quarante millésimes à son actif. Elle n’a jamais
renoncé à labourer ses sols et à choyer ses vignes comme un
jardin. « Le bio est rentable, mais cela demande un fort investissement
personnel, il faut être au service du vivant. J’ai l’intime conviction que
la chimie a favorisé la mutation des maladies de la vigne, même si je
ne peux pas en apporter la preuve », confie-t-elle. Son vignoble
planté avec une majorité de grenache est situé essentielle-
ment dans des secteurs aux sols de safres. À la cave, elle vinifie
son châteauneuf-du-pape en grappes entières et l’élève en
foudres. D’une grande pureté, son vin est introverti jeune,
mais il révèle toute sa complexité sur la durée.
BYE BYE LES VINS “À LA PARKER”
Le domaine de Marcoux est, lui, situé dans le secteur d’Orange.
Son vignoble morcelé, aux sols à dominante de galets roulés,
est réparti sur l’ensemble de l’appellation Châteauneuf-du-
Pape. À ses débuts en 1989, Sophie Armenier travaille avec son
frère Philippe qui initie la culture biologique au domaine en
1990. Puis, en 1996, Sophie se retrouve seule aux commandes,
rapidement rejointe par Catherine, sa sœur aînée. Sophie a
produit des vins “à la Parker”, concentrés et riches. Elle avoue
avoir appris de ses erreurs et s’oriente en 2003 vers des rouges
moins opulents. Toujours d’une belle ampleur, ceux-ci se
montrent purs avec un bel accès immédiat mais aussi une
colonne vertébrale garante de leur longévité.
Arrivé en 2014, son fils Vincent Estevenin a, depuis quatre à
cinq ans, fait évoluer la culture de la vigne vers une taille plus
douce pour pérenniser le vignoble. « Pour nous, le bio, c’est un
choix de vie, une conviction, pas un dogme. D’ailleurs, on ne sait pas
travailler autrement », concluent mère et fils.
Domaine Pierre André Domaine de Marcoux
Agriculture : biodynamie Agriculture : biodynamie
Bouteilles : 30000 Bouteilles : 80000
Adresse : 30, faubourg Saint- Adresse : 198, chemin
Georges, 84350 Courthézon de la Gironde, 84100 Orange
Tél. : 04 90 70 73 25 Tél. : 04 90 34 67 43
E-mail :
info@domainedemarcoux.com
Site : domainedemarcoux.fr
Pour
Catherine André
(au centre,
domaine
Pierre André),
Sophie Armenier
et Vincent
Estevenin
(domaine
de Marcoux),
le bio est
un état d’esprit.

Toute la race de Châteauneuf
en six millésimes
Millésime 2020
DOMAINE PIERRE ANDRÉ
•La nature a donné une
vendange saine et équilibrée.
On le ressent dès le premier
toucher de bouche. Tandis
que son parfum offre
une sensation de finesse,
son fruit pur affiche de
la retenue. Puis il libère
une agréable note d’oran-
gette. Délicatesse, finesse
et soyeux forment le cœur
de ce vin gracieux, comme
suspendu.
DOMAINE DE MARCOUX  avec ce millésime ; elle avait
•Ce millésime d’équilibre a
nécessité un long élevage, se
souvient Sophie Armenier.
Ce vin se démarque par
une sensation de gour-
mandise prononcée car
le fruit apparaît plus riche
que celui du domaine
Pierre André. Un vin pur,
à la matière dense et large,
mais avec une puissance
qui le rend aussi plus râblé.
Millésime 2019
DOMAINE PIERRE ANDRÉ
•Son parfum solaire laisse
surgir une note légèrement
sanguine. Avec son fruit
juteux, ce millésime tardif et
concentré livre une richesse
qui dissimule une charpente
solide. Il dégage une impres-
sion de profondeur avec une
note chocolatée probable-
ment liée à la vinification en
grappes entières. Il est taillé
pour la garde.
DOMAINE DE MARCOUX
•Avec un fruit d’une grande
vitalité, il dégage une sen-
sation de parfum de peau
De vigne en cave
Une appellation, deux styles
d’orange à travers un fruit
brillant et lumineux. Un vin
en apesanteur malgré une
trame tannique serrée qui
arrive en finale, garante de
sa longévité. Même s’il se res-
serre et s’intensifie, il garde
un toucher de bouche tout en
finesse grâce à son fruit mûr.
Millésime 2018
DOMAINE PIERRE ANDRÉ
•Il sent le poivron rouge
bien mûr. Jacqueline André
se souvient d’avoir livré un
formidable corps-à-corps
perdu les deux tiers de sa
récolte en raison des condi-
tions climatiques. La finesse
s’impose avec, toujours dans
le style du domaine, beau-
coup de retenue malgré la
belle accroche en bouche. Et
derrière sa belle densité, c’est
son énergie qui séduit.
DOMAINE DE MARCOUX
•Il embaume l’orange
sanguine, voire le zeste
d’agrume. Ce vin très pur et
équilibré est né dans la dou-
leur, deux tiers de la récolte
ayant été perdus. Pourtant, il
ne manque ni de chair ni de
volume. Il garde du soyeux et
de la suavité avec un parfum
évoluant vers une note men-
tholée.
Millésime 2016
DOMAINE PIERRE ANDRÉ
•Il commence à entrer dans
la complexité de l’âge avec
sérénité. À l’air, il devient de
plus en plus lumineux. Une
cuvée dans le pur style du
domaine, tout en nuances,
avançant à pas mesurés. Il
68 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
touche par la fraîcheur et
la délicatesse qu’il distille à
travers une texture tout en
finesse.
DOMAINE DE MARCOUX
•On retrouve son parfum
d’orange sanguine malgré la
différence de profil du millé-
sime. Puis la framboise bien
mûre arrive. Plein et juteux,
avec une belle assise, il se des-
tine à une longue garde. Un
vin d’une réelle gourman-
dise, dont le style donne le
sentiment d’un accès plus
immédiat qu’avec le vin du
domaine Pierre André.
Millésime 2015
DOMAINE PIERRE ANDRÉ 
•Composé de 50 % de clai-
rette complétés de grenache,
ce blanc s’exprime par des
notes de tilleul, de pollen et
de cire d’abeille. La richesse
du millésime donne une sen-
sation de confort olfactif. À
l’air, il sent le silex avec une
étonnante fraîcheur, comme
si son fruit semblait s’être
déshabillé de son enveloppe
charnelle pour nous faire
pénétrer dans le sol.
DOMAINE DE MARCOUX
•Les deux tiers de roussanne
dans l’assemblage de ce blanc
donnent une impression de
richesse malgré la clairette
qui vient compléter le tout.
Une note pâtissière marque
la palette aromatique avec
la sensation d’un fruit plus
confit. À mesure qu’il prend
l’air, ce vin dense s’épure,
affirmant un caractère plus
minéral avec une jolie finale
sur une belle touche plus
végétale que fruitée.
Regards croisés
Sophie Armenier
et Vincent Estevenin parlent
du châteauneuf-du-pape rouge
2017 du domaine Pierre André :
VE. « Dans la série, c’est le plus
harmonieux. Il possède
de la matière et une belle longueur. »
SA. « Je lui trouve beaucoup de fruit
frais bien qu’il soit riche avec ici une
matière plus dure et une structure
qui lui donne de la longueur. Il a
un petit côté fumé. C’est le plus beau
vin de la série. »
Jacqueline André parle
du châteauneuf-du-pape rouge
2017 du domaine de Marcoux :
« Il paraît frais pour le millésime
et il va loin en bouche. Avec
ses notes de fruits rouges, ce vin est
encore très jeune. Il est droit, avec
la densité de 2017, une petite récolte
solaire à cause de la coulure
dans les vignes. Pour moi, c’est
la culture en bio qui lui a apporté
sa fraîcheur ».
Conditions
de la dégustation
Les vins ont été dégustés
au domaine de Marcoux
p a r R o b e r t o Pe t r o n i o
pour La  Revue du vin de
France, Jacqueline André
du domaine Pierre André,
Sophie Armenier et Vincent
Estevenin du domaine de
Marcoux.
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 De vigne en cave
Les dessous du terroir

Côtes d’Auvergne
Des vins forgés par Vulcain
Si les volcans d’Auvergne
sont endormis, ses vignobles
se réveillent. Dans le Puy-de-Dôme,
les vignerons de l’AOC
Côtes d’Auvergne relancent
leur histoire vigneronne.
Par Sophie de Salettes

U
ne histoire ancienne puisqu’elle
commence au Ve siècle. Et une his-
toire marquante : qui se doute que le
vignoble auvergnat couvrait 45 000 hectares à
la fin du XIXe siècle ?
Aujourd’hui, les 246 hectares de vignes à l’ori-
gine des vins de l’appellation Côtes d’Auvergne
sont plantés sur les rebords de la plaine de la
Limagne et sur les flancs des édifices volcaniques
qui marquent le paysage, dont la chaîne des Puys
dominée par le Puy de Dôme (1464 mètres).
« L’aire d’appellation présente une palette de sols
exceptionnelle », souligne le vigneron Jean-
Baptiste Deroche, président de la dynamique
association Vinora (1). Des sols d’origine volca-
nique bien sûr : basalte, pierre ponce, pépérite
et pouzzolane illustrent l’ampleur de l’activité
volcanique passée. Mais aussi des sols d’origine
sédimentaire.
Les formations argilo-calcaires de l’aire sont
issues d’une longue sédimentation de plus de
20 millions d’années dans le bassin d’effon-
drement de la Limagne, entre les Monts du
Livradois à l’est et la chaîne du Sancy à l’ouest.
Elles se situent essentiellement sur les rebords
du bassin. De Chanturgue à Boudes en pas-
sant par Gergovie ou Corent, le vignoble est
en grande partie implanté en coteau (350 à
550 mètres d’altitude) sur des sols marno-cal-
caires mais largement marqués par l’activité
volcanique car recouverts d’éboulis issus des
anciennes coulées basaltiques coiffant les som-
mets (inversion de relief).
Cartographie Mappavini

MULTIPLIER LES ESSAIS

Tout au nord de l’aire d’AOP, le vignoble de
Châteaugay se trouve sur les flancs d’une
ancienne coulée basaltique fragmentée en plu-
sieurs petits plateaux. Là, comme au pied du
70 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
 Les profils
AOP Côtes d’Auvergne
VDQS : 1951 (4 communes) et 1977
(53 communes).
AOC : 2010. Cinq dénominations
géographiques complémentaires
(DGC) : Madargue, Châteaugay,
Chanturgue, Boudes (rouge)
et Corent (rosé).
Surface : 350 hectares plantés,
246 revendiqués.
Production : près de 12000 hecto-
litres dont 66 % de rouge,
17 % de blanc, 17 % de rosé.
Rendement maximum : 55 hl/ha
(52 pour les DGC).

La géologie
L’histoire des paysages des Côtes
d’Auvergne débute il y a 30 mil-
lions d’années par l’ouverture de
la Limagne en de profondes failles
dans lesquelles des sédiments
se déposent au fil du temps. Puis le
Massif Central se soulève et les pre-
miers volcans auvergnats entrent
en éruption. En mode explosif
(formation de ponces, pouzzo-
lanes, pépérites) ou effusif
(coulées de basalte). Plusieurs
massifs volcaniques voient
D. R.

le jour : le Cézallier (grande coulée

La chaîne des Puys dominée par le Puy de Dôme borde l’aire d’appellation Côtes d’Auvergne côté ouest.
basaltique de Boudes), les Monts
Dore (puissantes nuées ardentes
plateau de Gergovie, les sols sont issus tares sur dix communes, à l’origine de à l’origine de la nappe de pierre
de pépérites. Il s’agit de roches volca- vingt cuvées) est un superbe terrain de ponce de Neschers), la chaîne
niques formées de fragments de basalte, jeu pour multiplier les essais à la vigne des Puys (coulées de lave et cônes
reliques de retombées de magma lors comme au chai. Notamment sur les de scories volcaniques). La lave
d’explosions volcaniques, enserrés dans cépages, avec au programme du sauvi- refroidie devenant une roche
une matrice sédimentaire argilo-cal- gnon, du gamaret, du merlot, de la mon- bien plus résistante que le calcaire
caire. deuse, du chenin, de la roussanne, de la ou l’argile, l’érosion met
Au sein de la dénomination géogra- marsanne, du malbec… à nu les anciennes coulées, d’où
phique Châteaugay, côté le basalte aujourd’hui en relief.
Ménétrol, Benoît Montel Des sols LA PERSONNALITÉ Les sols de l’aire d’AOC peuvent
travaille un superbe ver-
sant qui porte aujourd’hui
d’origine DES PARCELLES
Explorer, c’est aussi ce que
être issus de formations sédimen-
taires argilo-calcaires et de roches
trois hectares de gamay, volcanique Jean-Baptiste Deroche et volcaniques dont la diversité
pinot noir, chardonnay, mais aussi Laure Cartier ont à cœur illustre l’ampleur de l’activité
mais aussi syrah. Et six sédimentaire de faire depuis qu’ils volcanique passée.
hectares de plus à partir ont racheté le domaine
de 2024. Un site que le vigneron aime- Miolanne. Explorer et entreprendre Les cépages
rait valoriser en plantant des haies, en car beaucoup de chemin a déjà été par- Les vins blancs sont
installant des ruches, des fruitiers, en couru depuis leur installation il y a dix issus de chardonnay.
accueillant le public. « Ces terres argilo- ans. « Nous avons la chance de travailler Les vins rouges et rosés
calcaires riches en éboulis basaltiques et des vignes plantées sur trois types de sols : de du cépage principal
tournées vers le sud et le sud-est sont très pré- la pierre ponce et des formations argilo-cal- gamay (50 % minimum)
coces. Elles donnent envie d’expérimenter. caires autour du chai à Neschers et des sols et du cépage accessoire
Et de transmettre  !  », s’enthousiasme basaltiques à Gergovie », précisent-ils. pinot noir. Gamay
Benoît Montel. Son vignoble (sept hec- Comme ce pinot noir planté sur un sol
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 71

D. R.
Les vignerons de l’AOC Côtes d’Auvergne espèrent créer un label mondial “Vin volcanique”
d’ici à trois ans. Et nombre de domaines étrangers sont intéressés par leur démarche !
Identifier les
caractéristiques propres
aux vins volcaniques
pour prouver leur origine
argilo-calcaire recouvrant un mètre de
cendres volcaniques (lahars) et jusqu’à
six mètres de pierre ponce. À l’origine
de vins marqués par leur finesse, leurs
notes de rose et leur caractère fumé.
« C’est un terroir sur lequel il faut extraire
avec délicatesse pour éviter toute dureté et
préserver le fruit et la finesse. Les vins ont plus
de matière quand ils sont issus de sols plus
argileux, mais ils sont moins typés », détaille
Jean-Baptiste Deroche. Mieux connaître
la personnalité de chacune des parcelles
permet aussi de mieux les marier. Ainsi,
il a décidé d’ajouter 20 % de pinot noir
de sols sur ponce à son pinot noir de sols
argilo-calcaires. Pour un assemblage
très équilibré, pulpeux, aux tanins fins.
UN GAMAY DE 118 ANS !
À l’autre extrémité de l’aire d’appella-
tion, côté sud, le vignoble de Boudes
occupe une colline calcaire coiffée
d’une coulée basaltique issue des vol-
cans du Cézallier. La majorité des vignes
sont exposées au sud et plantées sur des
sols argilo-calcaires riches en éboulis de
basalte venus du sommet. Pour autant,
David Pélissier a découpé son vignoble
De vigne en cave
Côtes d’Auvergne
de près de neuf hectares en cinq sec-
teurs selon la topographie, le caractère
des sols et l’âge des vignes. La Bressole est
une parcelle emblématique du domaine
et de la région  ; un superbe gamay
d’Auvergne de 118 ans ! Plantée au carré
sur échalas (0,90 m x 0,90 m), la vigne
grimpe jusqu’à 575 mètres d’altitude et
profite à la fois du soleil que reçoit cette
forte pente exposée au sud et de l’eau et
des minéraux que le sol, très riche en
éboulis basaltiques, est capable d’em-
magasiner.
Plus bas, David Pélissier travaille sur
des parcelles très différentes qui com-
plètent son paysage viticole. À Donazat
(Croix blanche), un hectare et demi
Dès 1932, une appellation
d’origine Vins d’Auvergne rassemble
les vins issus de gamay, pinot noir
et chardonnay produits
sur 171 communes du Puy-de-Dôme.
72 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
de pinot noir et de gamay exposés au
sud-est, sur sols sablo-calcaires, à l’ori-
gine de petits raisins concentrés. « Une
exposition très favorable dans notre région
car elle atténue les pics de chaleur subis par les
vignes les années chaudes tout en permettant
une bonne maturation les années fraîches »,
explique le vigneron. Par ailleurs, une
parcelle plus plane et argilo-sableuse
exposée au sud donne une syrah juteuse
et équilibrée. Un environnement qui
complète bien les parcelles très chaudes
des versants basaltiques.
VERS UN LABEL VOLCANIQUE
La diversité du terroir est de plus en
plus valorisée. Pierre Desprat le sait
mieux que personne, lui qui arpente le
vignoble auvergnat avec passion depuis
les années 1980. La Cave Desprat Saint-
Verny, qui gère 170 hectares (travaillés
par quarante-cinq viticulteurs) et dis-
tribue 75 % des vins de l’appellation,
vinifie ainsi dix-neuf vins parcellaires.
Mais c’est avant tout le caractère vol-
canique des vins que Pierre Desprat met
en lumière avec force depuis huit ans au
sein de l’association Vinora qu’il prési-
dait jusqu’en 2022. « Nous voulons appro-
fondir les connaissances sur les terroirs volca-
niques, faire connaître les vins volcaniques,
ceux d’Auvergne en premier lieu. Clermont-
Ferrand pourrait devenir la capitale mondiale
des vins volcaniques ! », lance-t-il.
Une ambition concrétisée par les tra-
vaux menés par Vinora. Le but : iden-
tifier les caractéristiques propres aux
vins volcaniques pour pouvoir prouver
leur origine, avec à la clé la création d’un
D. R.

label. Les scientifiques participant au
projet ont déjà montré que les vins vol-
caniques présentaient des marqueurs
chimiques et organoleptiques associés
aux sols basaltiques, par exemple des
notes fumées et poivrées, corroborés
par la présence chimique de rotundone,
molécule responsable des arômes de
poivre. Autre découverte : le strontium
marque la composition des vins volca-
niques et pourrait garantir leur origine.
« La cartographie des sols du territoire,
en projet, permettra par ailleurs de mieux
connaître les caractéristiques de nos parcelles
viticoles », ajoute Gilles Vidal, viticulteur
et président de l’AOP Côtes d’Auvergne.
PALLIER LE MANQUE D’EAU
Cette connaissance fine du parcellaire
sera aussi très utile pour appréhender
les effets du changement climatique. Le
stress hydrique des vignes devient un vrai
sujet de préoccupation pour les vigne-
rons. Car la pluviométrie est limitée dans
la zone (2). L’effet de foehn (3) dû à la pré-
sence de la chaîne des Puys et du Massif
du Sancy protège le vignoble des masses
humides et fraîches venant de l’ouest.
Les roches volcaniques apparaissent
ici encore comme un atout car elles ont
une capacité particulière à garder l’eau.
« Cela concerne les fragments de lave issus
d’explosions volcaniques, comme les scories de
basalte (pouzzolanes) et les pierres ponces »,
énonce le géologue Patrick Marcel, spé-
cialiste des volcans. Lors de l’expulsion
du magma durant l’éruption, les gaz
Le vignoble
de David Pélissier
est installé
à Boudes,
l’une des cinq
dénominations
géographiques
complémentaires.
D. R.
De vigne en cave
Côtes d’Auvergne
volcaniques s’échappent de la lave, d’où
la formation de petites alvéoles dans la
lave refroidie. Autant de petits réservoirs
capables aujourd’hui d’emprisonner de
l’eau. Par ailleurs, les roches volcaniques
étant très dures, les sols qui en sont
riches résistent très bien au tassement
et laissent donc mieux passer l’eau et les
racines des vignes. Les scientifiques sol-
licités par Vinora ont ainsi démontré que
les parcelles basaltiques présentaient un
déficit hydrique plus faible que les par-
celles argilo-calcaires.
D. R.
« Nos vignes plantées sur éboulis basal-
tiques sous le plateau de Gergovie profitent de Au domaine Miolanne, Laure Cartier
et Jean-Baptiste Deroche explorent
ce sol noir capable de garder l’eau et les nutri- la personnalité de chacune de leurs parcelles.
ments, expose Jean-Baptiste Deroche. Les
agrégats de marnes, calcaires et basaltes for-
ment des sols équilibrés qui donnent des vins (1) Vinora a pour mission de promouvoir les
vignobles d’Auvergne-Rhône-Alpes, d’accompagner
réguliers d’un millésime à l’autre. Les baies le développement économique de la filière et de valo-
atteignent une maturité très aboutie. Notre riser l’image des vins volcaniques.
vieux gamay d’Auvergne profite de ces sols (2) À Clermont-Ferrand : 469 mm de pluie et
chauds, mais l’acidité du cépage est là : les vins 13,8° C de température en moyenne en 2022 ;
sont solaires mais équilibrés. » 613 mm et 12,1° C en 2021 ; 474 mm et 13,6° C en
2020.
L’ENCÉPAGEMENT DU FUTUR (3) Versant ouest, l’air diminue en pression atmos-
phérique et se refroidit, d’où une condensation de la
L’encépagement est aussi un sujet que les vapeur d’eau et des précipitations. Versant est, les
vignerons explorent dans leur recherche masses d’air ayant perdu en humidité redescendent
de qualité et d’adaptation au change- et se compriment, d’où un réchauffement et un assè-
ment climatique. « La syrah, par exemple, chement de l’air.
donne de très bons résultats chez nous dans (4) Leurs vins “hors cadre” sont déclarés en IGP
les zones les plus chaudes, signale Jean- Puy de Dôme ou en Vin de France.
Baptiste Deroche. Mais les années froides et
humides ne lui conviennent pas. Nous sommes
très contents de la syrah que nous avons À déguster en priorité
plantée il y a six ans sur un coteau sud. Mais en
2021, nous avons attendu sa maturité jusqu’au Domaine Miolanne :
28 octobre ! Un mois plus tard qu’en 2022. » •2021
La richesse de l’encépagement •Pinot Noir 2021
futur viendra aussi bien sûr du cru. •Volcane 2021
Notamment via les travaux réalisés •Gamay 2022
au sein du conservatoire de cépages Cave Desprat Saint-Verny :
de Cournon géré avec la Sicarex et •St Roch 1991 2021
qui regroupe vingt-deux cépages •La Légendaire 2019
(170 variétés). Par exemple, le gouais •Terre & Laves 2020
blanc, le saint-pierre doré blanc, le •Gamay 348 2019
chatus noir ou encore l’épinou noir, •Basalte 2019
un cépage dont la souplesse et le degré Benoît Montel :
limité ont retenu l’attention. •Expression 2020
Le cahier des charges de l’appellation •Coulée de Lave 2021
est aujourd’hui encore très restrictif en •Madargue 2021
matière d’encépagement et d’assem- •Bourrassol 2021
blages. Et l’Inao ne permet pour l’instant David Pélissier :
que des expérimentations à hauteur de •Les Fesses 2022
5 % de l’encépagement et 10 % des assem- •Volcanik 2022
•Cuvée X 2021
D. R.
blages. Mais la créativité des vignerons
est bien là (4) !• •Cuvée Prestige 2021
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 73

Coteaux du Lyonnais
La petite appellation qui monte
Aux portes de Lyon, ce vignoble confidentiel mais dynamisé par une jeune génération monte
en gamme depuis dix ans. Une aubaine pour les amoureux de gamay, chardonnay et aligoté.
D. R.
La pression foncière limite les nouvelles installations et les reprises. Dommage !
D
ans les restaurants lyonnais, si
vous demandez un vin local, il
y a de fortes chances que l’on
vous propose un saint-joseph ou un
beaujolais. Pourtant, à quinze kilomètres
de là, un vignoble vallonné borde la
ville sur son flanc ouest : les Coteaux du
Lyonnais, 207 hectares de vignes éparpil-
lées entre le nord-ouest et le sud-ouest
de Lyon. « Une toute petite appellation,
pas du tout connue, où tout était à faire », se
souvient Lucie Riviere, qui a repris le
domaine familial de Prapin en 2016.
Lucie Riviere fait partie des vingt
vignerons indépendants, installés
majoritairement au sud. Au nord, une
vingtaine de coopérateurs adhérents à
l’unique cave pratiquent la polyculture,
fidèles à la tradition des fermes lyon-
naises. Entre cinq et dix d’entre eux
abandonnent toutefois la culture de
la vigne chaque année depuis dix ans.
Tant il est compliqué de vendre les vins
de cette appellation méconnue, coincée
De vigne en cave
Découvertes
entre les vignobles du Beaujolais et de la
Vallée du Rhône.
« On se revendique comme le vignoble de
Lyon », milite le trentenaire Timothée
Béchonnet, du domaine Le Bouc et la
Treille, à Poleymieux-au-Mont-d’Or. Il
est l’un de ces jeunes qui ont rejoint les
Coteaux et repris le bureau de l’appella-
tion (plus d’une dizaine d’installations
en dehors du cadre familial ces dix der-
nières années), tissant ainsi leur iden-
tité. La vigneronne Géraldine Dubois
(La Têtue) a même poussé l’idée plus loin
en installant son chai au cœur de Lyon.
DE NOUVEAUX HORIZONS
Si 90 % des vins sont vendus locale-
ment – ce qui contribue à leur confi-
dentialité –, les cuvées, dont la qualité
ne cesse de progresser, se font peu à
peu connaître hors des frontières de
la région. La mosaïque des terroirs le
permet. « Un vigneron du sud de l’appel-
lation peut vendanger quinze jours avant
74 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
moi », rappelle le nordiste Emmanuel
Rostaing-Tayard pour illustrer la diver-
sité des climats. Gamay, chardonnay et
aligoté sont plantés tantôt sur des roches
volcaniques, tantôt sur des moraines
glaciaires ou des granits gris.
En 2009, Guillaume Clusel, du
domaine Clusel-Roch, découvre ces sols
précieux par hasard en cherchant des
parcelles de gamay à proximité de ses
côte-rôtie. « Il a fait passer un cap à l’appella-
tion », témoigne Pierre Thollet, dernière
génération au Clos de la Petite Gallée.
Aidé de son carnet d’adresses, le célèbre
vigneron rhodanien ouvre de nouveaux
horizons aux Coteaux du Lyonnais. Dans
son sillage, des vignerons jusque-là habi-
tués à vendre leurs vins au domaine pro-
posent leurs cuvées aux professionnels
et aux restaurateurs
Cette reconnaissance est aussi le fruit
d’un travail de longue haleine. Dix ans
plus tôt, les domaines indépendants ont
initié les conversions à l’agriculture bio
et les expérimentations au chai. Trois
fois par an, chacun apportait une cuvée
test lors d’une dégustation à l’aveugle. Le
vigneron qui obtenait la meilleure note
partageait alors avec les autres sa tech-
nique de vinification. Progressivement,
les cuvaisons sont passées de cinq jours
grand maximum à plusieurs semaines.
Les élevages se sont allongés et les conte-
nants diversifiés. Résultat, les vins sont
aujourd’hui complets, profonds, dotés
de matière et armés pour la garde.
Seule ombre au tableau  : la pres-
sion foncière qui limite les nouvelles
installations et les reprises. À l’instar
du Beaujolais, les départs à la retraite
se multiplient dans les Coteaux du
Lyonnais et les chais disparaissent. Et
même si le prix des vignes reste acces-
sible comparé aux vignobles voisins,
grimper sur ces coteaux devient de plus
en plus compliqué. Justine Knapp

Nos vins coups de cœur
en Coteaux du Lyonnais
CLOS DE LA PETITE
GALLÉE, à Millery
Superficie : 10,5 hectares
Agriculture : biodynamie certifiée
Biodyvin
« L’appellation a désormais une vision plus
“gastronomique” de ses vins. On est là
où mon père voulait être à ses débuts »,
précise Pierre, le fils de Patrice Thollet,
l’une des locomotives des Coteaux
du Lyonnais. La famille Thollet prouve
ici que le gamay peut avoir du fond et
se garder en cave. Équilibrés, généreux
et concentrés, ses vins gardent pour
autant éclat et fraîcheur.
Les vins
90/100
•Aligoté 2020
Le nez floral et perçant séduit. Le vin est
gracieux, son fruit plein, gourmand,
sapide. Persistance saline tout
en délicatesse. Un régal. 15 €
90/100
•Vieilles vignes 2020
Le nez, légèrement fumé, est
d’une agréable clarté. Un gamay très
rhodanien, au fruit présent, tout en
volume et largesse, dans un bel équi-
libre. Il se gardera jusqu’à cinq ans. 15 €
88/100
•La Relève 2020
À l’inverse des autres cuvées, égrap-
pées et vinifiées en macérations lon-
gues, ce vin test élaboré par Pierre
Thollet, dernière génération au
domaine, est issu à 100 % de grappes
entières. Un gamay frais, léger,
mais bien défini. Une fine rusticité
teinte la finale et laisse la bouche
aérienne. 17 €
DOMAINE
ROSTAING-TAYARD
à Savigny
Superficie : 8 hectares
Agriculture : biodynamie
certifiée Demeter
D. R.
En 2020, Emmanuel Rostaing-
Tayard se laisse séduire par une
De vigne en cave
Découvertes
parcelle sur pierres bleues (le Beaujolais
est à un virage de son domaine)
et se réinstalle à Savigny, sa commune
de naissance, après s’être formé en
Bourgogne. Il sauve les dernières vignes
de la zone avant arrachage, puis s’étend
sur d’autres terroirs (certains plantés
à 700 m d’altitude) pour élaborer
des cuvées parcellaires. Toutes sont
énergiques, intensément parfumées,
dans des matières élégantes.
Les vins
89/100
•Le Chant du Loup 2021
Onze mois d’élevage à la bourgui-
gnonne pour la première cuvée de
chardonnay du vigneron. Une bouche
souple, précise, éclatante, au fruit
d’une maturité juste. 19 €
90/100
•Ultreïa 2021
Un gamay concentré, garni en extraits
secs, ample. Sa finesse de tanins,
sa trame épicée et sa tension en fin
de bouche le rendent très digeste. 17 €
89/100
•Le Cœur des Hommes 2021
Aromatique dense, autour de la sucro-
sité de la fraise écrasée, sans tomber
dans l’opulence. Longue allonge,
comme les autres cuvées… 18 €
DOMAINE
CLUSEL-ROCH
à Millery, Grigny et Orliénas
Superficie : 8,5 hectares
Agriculture : biologique
certifiée Ecocert
Depuis son domaine de Côte Rôtie,
Guillaume Clusel parcourt
les 30 minutes qui le séparent
de ses parcelles lyonnaises
pour conduire et vendanger
ses vignes. Amoureux du gamay,
le vigneron lui réserve le même
traitement de caractère que
pour la syrah : proportion
de grappes entières, cuvaison
de trente jours, extractions déli-
cates, un an d’élevage en fûts,
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 75
Le vignoble
Mappavini
Date de création de l’AOP : 1984
Superficie : 207 hectares
Cépages principaux : gamay (vins rouges et rosés),
chardonnay et aligoté (vins blancs)
un an en bouteille. Ses coteaux-du-
lyonnais mûrs et savoureux attisent
la convoitise des amateurs, freinée par
de faibles volumes.
Les vins
88/100
•L’Hecto 2020
Un chardonnay gourmand sans
caractère alcooleux (12,5°). Une bombe
de fleurs, dont le bois se fait encore trop
sentir pour le moment. 16 €
89/100
•Traboules 2020
Texture fine et légère, d’une grande
intensité épicée autour du poivre
et de la réglisse. Une cuvée immédiate,
passée six mois en cuves inox. 11 €
91/100
•Le Clos 2020
Figue, petits fruits, fraise : la bouche
est gorgée d’une matière fruitée, avec
beaucoup de minéralité. Les tanins se
détachent de manière millimétrée et la
bouche s’étire en finesse. Déjà délicieux
aujourd’hui, ce vin pourra vieillir. 16 €
Les autres domaines à découvrir
dans les Coteaux du Lyonnais :
•Domaine des Grabottes, à Millery
•Domaine de Prapin, à Taluyers
•Domaine d’Yf, à Beauvallon
•Le Bouc et la Treille,
à Poleymieux-au-Mont-d’Or
•La Têtue, à Lyon
•Baptiste Nayrand, à Millery
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 Art de vivre
Billet de vendanges
Sauvegardons
notre héritage végétal
Par Jérémy Cukierman
Master of Wine et directeur
de la Kedge Wine School
D
ans les instituts de recherches agrono-
miques, des ressources importantes
sont allouées à la production des cépages
résistants ou PIWI – acronyme bienvenu du mot
allemand pilzwiderstandsfähig signifiant capable
de résister aux champignons. Cette solution n’a
pourtant pas démontré sa pérennité, les agents
pathogènes pouvant entamer à terme la résis-
tance de ces nouvelles variétés. Ainsi, malgré un
manque de garanties sur leur efficacité future
et des doutes sur leur qualité gustative, les PIWI
bénéficient d’un soutien scientifique et gouver-
«
nemental sans précédent.
En parallèle, la préservation de la diversité
Avec l’aide végétale, fondamentale pour lutter contre cer-
du pépiniériste taines maladies de la vigne, le dépérissement
du vignoble et s’adapter aux changements cli-
Lilain Bérillon, matiques, mobilise moins. Pourtant le matériel
la maison végétal a été mis à mal et le vignoble en porte les
Louis Roederer stigmates. Depuis les années 1970, la sélection clo-
a créé nale a ainsi fait la part belle à des individus choisis
son propre sur la base de critères aujourd’hui dépassés. À
commencer par le potentiel alcoolique. Pour
conservatoire pallier au déficit de maturité de la vigne, la filière
de cépages viticole a opté pour des clones, comme le 181 pour
champenois » le merlot, le 95 pour le chardonnay ou encore le
777 pour le pinot noir, au fort potentiel alcoo-
lique. Mais aujourd’hui, avec le réchauffement
climatique, il faut contenir les maturités.
La multiplication d’individus identiques a
également appauvri la diversité génétique de la
vigne, et sa capacité à atténuer l’impact du climat.
Si certains clones méritent d’être sauvegardés, ce
patrimoine doit être enrichi.
Le constat est le même avec les porte-greffes, en
témoigne la multiplication des cas de dépérisse-
ment pour le 161-49 Couderc, très à la mode dans
les années 1990 et 2000, ou l’essoufflement rapide
des vignes plantées sur SO4 dans les années 1980.
La conservation de cette diversité végétale doit
être une priorité. Cela passe notamment par la
préservation des sélections massales, avec l’aide
de pépiniéristes engagés et scrupuleux. Ces mas-
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023- 77
T. Legay
sales permettent de perpétuer et d’observer une
multiplicité d’individus et de refaire, ensuite,
des sélections plus fines en fonction de critères
qui répondent aux besoins actuels : résistance au
stress hydrique, maturation progressive, stades
phénologiques plus tardifs… La question de l’au-
torisation de la sélection massale de porte-greffes
– toujours interdite – se pose aussi. La partie raci-
naire n’est en effet pas exempte des problèmes
d’appauvrissement et de déclin.
Il faut donc saluer les initiatives vertueuses qui
commencent à se multiplier. La maison champe-
noise Louis Roederer a créé, avec l’aide du pépi-
niériste Lilian Bérillon, sa propre pépinière et
son conservatoire, avec des dizaines d’individus
des différents cépages champenois et porte-
greffes, afin de pouvoir choisir les combinaisons
porte-greffes et greffons les plus adaptées, en
fonction de critères spécifiques et notamment
climatiques.
Après avoir fondé en 2006 l’Association pour
la sauvegarde de la diversité des cépages de
Bourgogne, Denis Fetzmann et Aubert de Villaine
ont, quant à eux, créé un conservatoire pour
s’émanciper des clones et des porte-greffes peu
qualitatifs. On peut également citer, entre autres,
le conservatoire du gamay saint-romain en Côte
Roannaise ou encore celui de l’abouriou dans
le Marmandais, alors que de vieilles massales
étaient menacées d’arrachage.
Ce travail de conservation doit être massi-
vement soutenu par les régions. Les vignerons
peuvent aussi s’investir, individuellement et col-
lectivement, pour maintenir ces diversités géné-
tiques. Le matériel végétal est un héritage, il faut
le préserver. Il peut ouvrir de nombreuses pistes
face aux défis viticoles actuels, sans pour autant
menacer le potentiel qualitatif de nos cépages
historiques, bien au contraire.•
 De vigne en cave
La cote des vins

La tendance des enchères LA COTE DU MOIS

Par Angélique de Lencquesaing
Pierre Péters,
Chambertin Grand cru: le précieux champagne
La cote des chambertins
l’énigme Dugat-Py Grands crus depuis dix ans
932 €
en 2013 S itué au Mesnil-sur-Oger, au
cœur de la Côte des Blancs,

E n Chambertin Grand cru, la cote

des vins s’envole. Les prix ont été
multipliés par plus de trois en dix ans. 428 €
(la cote du millésime 2008) Pierre Péters est un domaine
familial qui voit le jour en 1858.
Rodolphe Péters et son épouse
Le domaine Dugat-Py s’inscrivait en Fabienne (sixième généra-
tête du classement en 2013 (avec son mil- 238 € tion) perpétuent le savoir-faire
154 €
lésime 2008, rarissime). À cette époque, exceptionnel de leurs ancêtres
118 €
il valait plus de deux fois plus cher que en proposant de très grands
le deuxième, Armand Rousseau. Ce der- Dugat- Armand Perrot- Jacques Trapet champagnes blancs de blancs
Minot Prieur Père & fils
nier prend la tête en 2018 (cote du mil- Py Rousseau
où la pureté laisse transpa-
lésime 2013) et explose en 2023. Apparu 1094 € 973 € raître les superbes terroirs
sur le marché secondaire en 2021, le 2018
en 2018
(la cote du millésime 2013) dont ils sont issus. Les char-
s’échangeait à 2137 €. Il culmine à 3348 € donnays sont magnifiés et
depuis mi-2022 ! s’expriment avec brio dans
Cette hausse s’est assagie depuis une finesse, une élégance
octobre 2022, mais plus aucun cru du et une fraîcheur remar-

D. R.
top 5 est vendu à moins de 500 € en 2023. 197 €
quables. Plébiscitées par les
183 €
Bien qu’ayant vu son prix multiplié par amateurs, les rares cuvées
118 €
près de 5 en dix ans, le chambertin GC de parcellaires de la maison
Trapet demeure attractif. Trois fois plus Armand Dugat-Py Trapet David Rossignol - donnent régulièrement de belles adju-
cher, celui de Denis Mortet signe une Rousseau Père & fils Duband Trapet dications. Ainsi, la cuvée Les Chétillons
entrée tonitruante dans notre palmarès. 3348 €
en 2023 2012, qui s’échangeait contre 160 € en
Cote iDealwine mesurée à partir des ventes aux enchères

Reste un mystère qui n’aura pas 1480 € (la cote du millésime 2018) juillet 2020, s’envolait à 397 € le 18 jan-
échappé au lecteur : pourquoi Dugat-Py 850 € vier dernier (+148 %). Cette même cuvée
est-il sorti de la cote ? Le vin est invisible 790 € dans sa version Œnothèque du légen-
sur le marché. Pour commencer, sa daire millésime 2002 avait atteint 675 €
quantité est infime, 250 bouteilles/an. 525 € en début d’année dernière. Des cham-
Et l’on sait que Loïc Dugat propose son pagnes précieux et recherchés qui se
chambertin GC en décalage, plus tard valorisent donc au plus haut dans les
que ses autres cuvées. Voilà sans doute ventes.
pourquoi il n’est encore jamais apparu
aux enchères. S’il sort un jour, il a toutes
les chances d’égaler la cote du vin du Armand Denis Pierre Perrot- Trapet Les ventes à venir :
domaine Armand Rousseau.
Rousseau Mortet Damoy Minot Père & fils

••  3/04/2023 : Blois, Pousse-Cornet

 7-8/04/2023 : Cannes, Besch
Quelques belles enchères relevées ces derniers mois ••  8/04/2023 : Fécamps, Chalot & Associés
 12/04/2023 : Senlis, Le Coënt

Château Lafleur 2016

Prix d’adjudication
du lot
Prix d’adjudication
unitaire
Cote iDealwine
28/02/2023
Variation/
cote iDealwine ••  13/04/2023 : Paris, IWA-iDealwine
 14/04/2023 : Chinon, HV Chinon
1 double-magnum
Paris (19/01/2023, IWA-iDealwine)
7 440 € 7 440 € 7 440 € -
••  15/04/2023 : Aix-les-Bains, Bennour
 21/04/2023 : Villefranche, Richard
Champagne Krug Vintage 1995
1 jéroboam 2 652 € 2 652 € 2 378 € + 12 %
•• 25/04/2023 : Lyon, de Baecque
 27/04/2023 : Paris, IWA-iDealwine
Fontainebleau (24/01/2023, Osenat)

Cornas Cuvée sans soufre 1999, Thierry Allemand

••
 28/04/2023 : Biarritz, Biarritz Enchères
 29/04/2023 : Vannes, Ruellan.
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Bolgheri Sassicaia 1985, Tenuta San Guido
Paris (12/01/2023, 18-19/01/2023, IWA-
1 bouteille 2 170 € 2 170 € 1 860 € + 17 % iDealwine) ; Fontainebleau (24/01/2023,
Paris (18/01/2023, IWA-iDealwine) Osenat) ; Toulouse (4/02/2023, Primardeco).
78 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
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Concours

LA BOUTEILLE SECRÈTE
Par Philippe de Cantenac
La bouteille qu’il fallait
C ette fois, le printemps est bien là ! Une raison supplé-
mentaire (s’il en faut vraiment une) pour découvrir de
nouveaux flacons, comme ceux de la Bouteille secrète. Pour
découvrir en mars
cela, rien de plus facile : déchiffrez l’énigme et envoyez votre Tavel Prima Donna 2022
réponse complète, AOP, nom du domaine, cuvée et millé- du domaine Maby
sime, ainsi que vos coordonnées, votre date de naissance, sans Depuis plus d’un siècle, la famille Maby façonne
oublier (très important) votre numéro de téléphone, avant le ses vins, animée par la volonté de proposer des
5 avril à minuit à l’adresse suivante : bouteille.secrete.rvf@ cuvées authentiques et révélatrices de leur
gmail.com. Bonne chance ! Réponse dès le 6 avril sur le site terroir. Fidèle à ses trois appellations historiques
larvf.com et sur la page Facebook dédiée à la Bouteille secrète (Tavel, Lirac et Côtes du Rhône), le domaine,
pour connaître le résultat. constitué de 60 hectares, est aujourd’hui réso-
lument tourné vers l’avenir, avec l’ambition
L’énigme du mois d’avril d’offrir des vins toujours plus intenses. Grâce
Vous êtes complètement à l’Ouest et vous voulez une à leurs styles respectifs, les différentes cuvées
indication géographique ? Mon domaine, créé en séduisent aussi bien les amateurs par leur
1955, tient son nom d’une chapelle romane du XIIe. souplesse et leur fruit que les spécialistes par
leur complexité. Croisant deux passions de
Ma cuvée, issue de 3 cépages, pourrait être signée par Richard Maby, les grandes cuvées portent
Nicolas, mon producteur. Oscar Will… un nom évoquant l’opéra et l’art lyrique.
Cette cuvée Prima Donna est un assemblage
Les principes du concours. Se distraire tout en testant ses connaissances, voilà l’esprit de grenache et de cinsault cultivés unique-
de “La bouteille secrète”, le concours proposé par La RVF, en collaboration avec Spiegelau. Comment ment sur un terroir de galets roulés. Prima
participer ? À partir des indices présentés, tentez d’identifier notre “bouteille mystère”. Rédigez lisible-
ment votre réponse (nom de l’appellation, du producteur, du domaine et millésime) sur le coupon-ré-
ponse ci-dessous (ou bien sur papier libre) ou par e-mail, en précisant vos nom et prénom, votre date de
Donna 2022 révèle de puissants arômes de

D. R.
naissance et votre adresse (ainsi que votre numéro de téléphone), qui fera office d’adresse de livraison.
Âge minimum pour participer : 18 ans. Attention : pour être prise en compte, votre réponse doit être
fruits rouges et d’agrumes. On retrouve en
adressée au plus tard le 5 avril 2023, le cachet de La Poste faisant foi. Un tirage au sort déterminera six
gagnants. Ce jeu est gratuit et sans obligation d’achat. Que gagne-t-on ? Chaque mois, six cartons de
bouche un bouquet de petits fruits rouges,
six bouteilles du vin mystère sont en jeu et attribués aux six gagnants tirés au sort. Répartition des lots : une longueur acidulée et une finale fraîche.
un carton de six bouteilles pour chacun des six gagnants. Quand seront communiqués les résultats?
Le nom de la bouteille secrète, son vigneron et la liste des gagnants seront publiés dans le prochain
numéro de La RVF. Les gagnants tirés au sort, parmi ceux ayant trouvé la bonne réponse, recevront
directement le carton de six bouteilles du vin mystère. À vous de jouer!
Le règlement du concours est disponible sur simple demande par courrier à l’adresse suivante :
Concours La RVF “La bouteille secrète”, BP 126, 38504 Voiron cedex. Frais d’expédition des cour-
riers-réponses remboursables au tarif en vigueur sur simple demande par courrier à l’adresse suivante :
La Revue du vin de France, 10, bd des Frères-Voisin, 92130 Issy-les-Moulineaux.

Depuis 1927, le meilleur du vin en toute indépendance

DIRECTION DE LA RÉDACTION
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Denis Saverot (dsaverot@gmc.tm.fr)
Assistante éditoriale : Véronique Géral-Marrast
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Photo de couverture : Thierry Legay, Laure Roussel, verres Spiegelau
Rédacteur en chef : Jérôme Baudouin
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Caviste : Ema Grellier (85 99, lacavervf@gmc.tm.fr), avec Hortense Pennaforte
Ont participé à ce numéro : Jean-Yves Bardin, Philippe de Cantenac, Pierre Casamayor, Pierre Citerne,
Jérémy Cukierman, Idelette Fritsch, Caroline Furstoss, Laurent Gotti, Jean-Charles Gutner, Pierrick Jégu,
Justine Knapp, Sébastien Lapaque, Corinne Lefort, Thierry Legay, Angélique de Lencquesaing,
Robin Lenfant, Pascaline Lepeltier, Gabriel Lepousez, Cyrille Mald, Mappavini, Thierry Masclot,
Roberto Petronio, Olivier Poels, Olivier Poussier, Sophie de Salettes, Jean-Baptiste Thial de Bordenave,
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 Cahier spécial

Les Dégustations
84
90 grands blancs
Pierre Citerne
Docteur
de Loire Olivier Poels
Journaliste
Olivier Poussier en préhistoire
Meilleur
en dix cépages Jean-Emmanuel
Simond
Importateur
sommelier
du monde de vins
98
L’aglianico,
âme des grands rouges
Roberto
Petronio
Journaliste et
de l’Italie méridionale Caroline Furstoss
Sommelière
photographe Pierre
Pascaline
Lepeltier
102 Vila Palleja
Restaurateur
Meilleure
sommelière
de France
Graves 2021 et sommelier

Des blancs secs qui font honneur à Bordeaux

106 Romain Iltis

Meilleur
Alexis Goujard sommelier
Journaliste Cairanne de France
Pierre La tentation toscane Jean-Baptiste
Casamayor Thial de
Œnologue Bordenave
et écrivain 112 Juriste du vin

Bairrada et Dão
Le charme discret des Lusitaniens Gabriel Lepousez
Christian Neurobiologiste
Martray
Sommelier 117 et chercheur

Karine Valentin
Journaliste Banyuls “Rimage Mise tardive” 1985 Alexandre
et vigneronne du Mas Blanc Vingtier
Expert
Hommage à la Catalogne en spiritueux

118
Robin Lenfant Débat autour d’une bouteille Laurie
Caviste Matheson
Médoc Château Bois de Roc 2010 Experte
Jérémy Cukierman en ventes
Master of Wine aux enchères
Directeur du pôle Cyrille Mald
vin de l’école Kedge Expert
Les dégustateurs associés : en spiritueux
Axel Marchal, Michel Dovaz, Philippe Faure-Brac, Robert Vifian, David Biraud,
Isabelle Bachelard, Philippe de Cantenac, Jérôme Baudouin et Sylvie Augereau.

Franck Thomas Tous les vins dégustés à La Revue du vin de France

Meilleur sommelier
d’Europe, directeur sont servis dans des verres
de La RVF Academy

LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 83

 Les Dégustations
En couverture

Cépage le plus planté

en Loire, le sauvignon
s’épanouit avec grâce sur
les coteaux du Sancerrois.

EN COUVERTURE

Éclat des blancs de Loire

90 grands vins en dix cépages
Vous connaissiez le chenin et le sauvignon. Mais avez-vous déjà goûté des vins
de romorantin, de fié gris ou d’orbois ? Nos dégustateurs vous guident à la découverte
des dix cépages qui font les grands vins blancs de la Vallée de la Loire.
Une grande dégustation d’Alexis Goujard et Pierre Vila Palleja. Photos de Jean-Yves Bardin

84 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023

 Les Dégustations
Vallée de la Loire

V
ieilles vignes des Blanderies de La  Ferme de la
Sansonnière, La  Charpentrie du domaine du
Collier, Clos des Perrières de Jérôme Bretaudeau,
Monts Damnés de François Cotat, Silex de Louis-Benjamin
Dagueneau… Voici quelques noms légendaires de blancs de
la Vallée de la Loire prisés dans le monde entier. Dans l’ima-
ginaire collectif, la Loire est la région du petit blanc frais pour
“l’apéro”, la Bourgogne étant celle du grand blanc. De talen-
tueux vignerons ligériens balaient aujourd’hui ces lieux com-
muns d’un revers de sécateur !
Non seulement la Vallée de la Loire produit de grands
blancs, mais la myriade de cépages et de terroirs répartis de
part et d’autre des 1 006 kilomètres du fleuve, des Fiefs ven-
déens jusqu’à l’Auvergne, insuffle aux vins une infinie diver-
sité. Déguster des blancs issus de dix cépages sur une telle
étendue géographique est unique. La compréhension, la
vision, les décisions dans la manière de cultiver, de vinifier et
d’élever son ou ses cépages donnent à chaque vin une particu-
larité irrésistible. Il serait impossible de prétendre réaliser une
sélection exhaustive des meilleurs blancs de Loire en un seul
au domaine Les Poëte, Noëlla Morantin en Touraine et
Antoine Gouffier au domaine du Bouchot prennent
ce travail à cœur.
MÉNARD ET LIEUBEAU
Impossible de faire plus océanique que le melon de
Bourgogne, originellement appelé melon blanc,
cépage emblématique du Muscadet. Accusé de tous
les maux (verdeur, dilution, austérité…), le melon
de Bourgogne revient de loin. La ténacité et le
renouvellement des vignerons du Pays nantais
ont donné un nouveau souffle à ce cépage pour
en faire jaillir son caractère salin, vivifiant et ini-
mitablement rafraîchissant. Aujourd’hui, on ne
fait pas plus frais et fringant que le muscadet. Et
puis quand on le goûte après cinq, dix, vingt ans,
on se rend compte que cette salinité ne fait que
s’accentuer.
On ne présente plus les domaines de l’Écu,
Jo Landron ou Luneau-Papin, brillants révé-

D. R.
dossier. Nous vous proposons néanmoins dans cette dégusta- lateurs des terroirs du Muscadet. Citons alors
tion, pour chacun des cépages, des valeurs sûres et historiques les vins de Jérôme Bretaudeau, l’interprétation
que nous challengeons ici avec des cuvées élaborées par de la plus lumineuse des blancs de la région de ces
jeunes talents prometteurs, signalés par une flèche montante dix dernières années. Avec lui, la jeune génération
dans la dégustation. cisèle des vins plus détendus, plus gourmands, plus digestes
que ceux de leurs parents : François Ménard au domaine
L’EXCITANT CÉPAGE CHENIN Ménard-Gaborit et la famille Lieubeau. N’oublions pas aussi le
Commençons par le chenin, le cépage le plus excitant du travail autour des dix crus communaux. Ils ne font que révéler
moment. Il est intimement lié à la Vallée de la Loire, 92 % des le potentiel de garde et l’intemporalité de ces vins profondé-
surfaces plantées en chenin en France le sont ici. Ces der- ment sages dans la jeunesse et d’une fraîcheur juvénile dans
nières années, l’évolution des vins en termes de finesse et de le temps. Voilà une mise en bouche. Le reste des vins et les sept
profondeur nous enchante. Ses différentes ver- autres cépages sont à découvrir dans ces pages.
sions en effervescent, sec, demi-sec, moelleux ou La myriade
encore liquoreux, selon l’humeur de la météo ou
du vigneron, le rendent encore plus attachant. de cépages QUE VALENT LES DERNIERS MILLÉSIMES ?
Faisons maintenant le point sur les millésimes.
À ce titre, les deux vins du Clos des Bretèches de insuffle Préserver la légendaire fraîcheur ligérienne, tel fut
Mélanie Grenouilleau et Romain Nicolas le défi des vignerons ces dernières années compte-
nous ont vraiment bluffés. Le tout pre- aux vins tenu du bouleversement climatique. 2018 est cer-
mier millésime, 2021, de leurs cuvées une infinie tainement celle qui a le plus subi les effets de la cani-
Les Jauges et Les Bélouines affichent déjà diversité cule avec des blancs présentant peu d’acidité et une
un éclat, une liberté de ton et un lâcher- richesse exacerbée ; des rendements généreux ont
prise admirables ; des chenins secs artisanaux dans permis de diluer cette sensation d’alcool. Le millésime 2019
toute leur splendeur. Le château de Plaisance, une s’affirme, lui, avec une puissance hors normes. La bascule vers
propriété historique de l’appellation Quarts-de- la surmaturité était le piège. Au final, les plus beaux vins sont
Chaume reprise par Vanessa Cherruau en 2019, dotés d’une superbe densité en extraits secs, avec davantage
ne cesse d’affiner son style fin et très soigné. À de fraîcheur. 2020 pose question. Bien plus hétérogène, il a pu
Amboise, en Touraine, le domaine Bonnigal- donner selon les secteurs des goûts végétaux et une amertume
Bodet n’a pas fini de nous séduire avec ses vins appuyée, traduisant un stress de la vigne pendant la maturité
précis, d’une profondeur salivante hors normes des raisins, particulièrement avec le chenin. Les saumurs
dans un secteur plus inattendu ; un travail tirent leur épingle du jeu dans ce millésime très sec. Terminons
ambitieux pour ce domaine de plus de qua- avec l’étonnant 2021, aux maturités plus tardives, qui a donné
rante hectares en conversion bio. naissance à des vins avec moins d’alcool, moins concentrés et
Poursuivons avec le sauvignon blanc, le plus sveltes. Un équilibre que nous avions presque oublié dans
cépage le plus planté en Loire. De superbes la Loire. Ces 2021 séduisent par leur droiture et leur fraîcheur
références venues de Sancerre et de Pouilly- inattendue. Belles découvertes au fil de la Loire. A. Goujard
Fumé ont fait sa notoriété  : Vacheron,
Dagueneau, Pinard, Cotat, Mellot. Nous Conditions de dégustation
sommes convaincus que les voies d’expres- Tous les vins ont été dégustés par Alexis Goujard et Pierre Vila Palleja
sion détendues, savoureuses de ce cépage sont en décembre 2022 dans les locaux de La RVF et lors de visites aux
D. R.

encore à explorer. Alexandre Bain a ouvert le bal domaines. Merci aux interprofessions et syndicats viticoles d’avoir
il y a une quinzaine d’années. Guillaume Sorbe relayé l’appel à échantillons auprès des domaines.

LA RVF N° 669- AVRIL 2023 - 85


Les 90 plus belles cuvées en un coup d’œil
96/100
•Domaine François Chidaine,
montlouis-sur-loire moelleux
Rive Gauche 2020 70€
•Domaine du Collier, saumur
La Charpentrie 2018 65€
•Domaine du Clos Naudin, vouvray
moelleux Réserve 2018 48€
•La Ferme de la Sansonnière,
vin de France demi-sec Vieilles
vignes des Blanderies 2019 65€
95/100
•Clos de l’Écotard,
saumur Les Pentes 2020 53€
•Domaine Andrée,
anjou Les Faraunières 2017 N. C.
•Domaine de Bellevue,
muscadet Gaïa 2020 38€
•Domaine de Bellivière,
jasnières Vigne en Foule 2021 50€
•Domaine François Cotat,
sancerre Monts Damnés 2022 N. C.
•Domaine Louis-Benjamin Dagueneau,
vin de France Buisson Renard 2020 80 €
•Domaine aux Moines, savennières
Roche-aux-Moines 2019 38€
•Domaine Vincent Pinard,
sancerre Petit Chemarin 2020 34€
•Domaine Vacheron,
sancerre Le Pavé 2020 74 €
•Richard Leroy, vin de France
Les Noëls de Montbenault 2020 60€
94/100
•Thomas Batardière,
vin de France Montbenault 2020 40€
•Château Yvonne,
saumur Le Gory 2019 42€
•Clos des Bretèches,
vin de France Les Jauges 2021 36€
•Domaine Alexandre Bain,
vin de France Pierre Précieuse 2019 30€
•Domaine François Crochet,
sancerre Le Chêne Marchand 2020 32€
•Domaine Huet,
vouvray sec Clos du Bourg 2021 32€
•Domaine Luneau-Papin, muscadet
Sèvre-et-Maine Gula Ana 2020 26€
•Domaine des Roches Neuves,
saumur Clos Romans 2020 57€
•La Grange Tiphaine,
montlouis-sur-loire demi-sec
Les Grenouillères 2019 26€
Les Dégustations
Vins blancs de Loire
•Les Poëte, •Domaine Saint Nicolas, vin de France •Domaine de La Croix Mélier,
vin de France Orphée 2018 28€ Le Haut des Clous 2020 26€ montlouis-sur-loire
•Domaine Philippe Tessier, cour- Les Borderies 2020 22,50 €
93/100 cheverny La Portée Dorée 2020 16,50 € •Domaine de la Marinière,
•Bonnigal-Bodet, touraine •Pascal et Nicolas Reverdy, sancerre chinon Blanc Blec 2021 15 €
Amboise LeBuisson 2019 24,50 € Les Angelots 2020 19 € •Thomas Frissant, touraine Amboise
•Thibaud Boudignon, savennières •Famille Lieubeau, muscadet Sèvre et Les Perrières 2019 25€
Clos de Frémine 2020 70€ (cavistes) Maine Clisson 2020 17,50 € •Les Pierres Écrites,
•Château de Coulaine, montlouis-sur-loire
chinon Clos de la Cure 2021 19 € 91/100 Empreintes 2021 19 €
•Château de Plaisance, •Robin Carette, •1006, IGP Val de Loire
anjou La Grande Pièce 2021 36€ vin de France Les Salines 2021 15 € Céleste 2020 20€
•Domaine Brégeon, •Domaine des Bérioles,
muscadet Sèvre et Maine Gorges IGP Val de Loire Tresaille 2021 15 € 89/100
Les Vigneaux 2018 18 € •Domaine du Bouchot, pouilly-fumé •Bedouet Vigneron,
•Domaine Denizot, Terres Blanches 2021 22€ muscadet Sèvre et Maine sur lie
sancerre Damoclès 2019 25€ •Domaine Le Fay d’Homme, Le Domaine 2021 7,50 €
•Domaine de l’Écu, muscadet Sèvre muscadet Sèvre et Maine •Château Les Aveneaux,
et Maine Granite 2020 14 € Monnières Saint Fiacre 2019 18 € muscadet Sèvre et Maine
•Domaine Paul Prieur et Fils, •Domaine Ménard-Gaborit, Goulaine 2019 12 €
sancerre Monts Damnés 2020 32€ muscadet Sèvre et Maine Inspirations •Domaine Les Hautes Noëlles,
•Domaine Claude Riffault, Clos Cormerais 2021 17 € muscadet Côtes de Grandlieu
sancerre Cuvée 469 2021 32€ •Domaines Minchin, menetou-salon Les Parcelles 2020 10,50 €
•Domaine Edmond et Anne Vatan, laTour Saint-Martin Fumet2020 19,95 € •Domaine Luneau-Papin,
sancerre Clos La Néore 2022 N. C. •Domaine Ogereau, anjou sec gros-plant du Pays nantais 2022 13 €
•Domaines Landron, muscadet Sèvre Bonnes Blanches 2021 25€ •Domaine Jean-François Mérieau,
et Maine Haute Tradition 2018 23€ •Domaine des Pothiers, touraine Cœur de Roche 2021 16,50 €
•Jean Baptiste Hardy, muscadet IGP Urfé Fou de Chêne 2020 18 € •Domaine de Montcy,
Clos de Lozangère 2020 29€ •Les Clos Maurice, cheverny Ligère 2020 13 €
saumur Les Bonneveaux 2020 50€ •Domaine Jonathan Didier Pabiot,
92-93/100 •Noëlla Morantin, vin de France LBL pouilly-sur-loire 2021 23€
•Guillerault-Fargette, Vieilles vignes 2019 25€ •Domaine Florian Roblin,
sancerre Epsilon 2019 40€ coteaux du Giennois
90/100 Coulée des Moulins 2020 12 €
92/100 •S et JP Agisson, •Pierre Goiset,
•Michel Autran, vin de France sancerre Équilibre 2019 36€ vin de France La Mauguit 2021 15 €
Ciel Rouge 2019 29 € (cavistes) •Théo Blet, •Locus, muscadet Sèvre et Maine
•Clos Saint Fiacre, saumur La Peyanne 2021 16,50 € Clisson 2019 16 €
orléans Les Larrys 2020 34€ •Fabien Brutout,
•Domaine Bonnet-Huteau, muscadet vouvray sec Bénasse 2020 22€ 88/100
Sèvre et Maine Goulaine 2018 18 € •Clos du Tue-Bœuf, vin de France •Château Perray Jouannet,
•Domaine Patrice Colin, Le Brin de Chèvre 2021 27€ anjou 2019 17,50 €
coteaux du Vendômois moelleux •Domaine de la Chauvinière, •Clos de Breuilly,
Pente des Coutis 2018 25€ muscadet Sèvre et Maine sur lie vin de France 2020 24 € le 2021
•Domaine Haute Févrie, muscadet Clos les Montys Vigne de 1914 2020 18 € •Delaunay vignerons,
Sèvre et Maine Château-Thébaud •Domaine Lucas-Salmon, gros-plant du Pays nantais 2021 8,40 €
Coteaux de l’Ébaupin 2018 14 € muscadet Les Brosses 2020 13 € •Domaine Éric Chevalier,
•Domaine de la Ganolière, muscadet •Domaine Stéphane Orieux, IGP Val de Loire
Sèvre et Maine Gorges 2017 10,50 € muscadet Sèvre et Maine Vallet 2018 15€ Les Gralettes 2019 14-16 € (cavistes)
•Domaine de Montcy, •Jean Wambergue, •Domaine les Trois Toits,
cour-cheverny Lucé 2020 21 € IGP Val de Loire Initial 2021 15 € muscadet Sèvre et Maine sur lie 2021 8 €
•Domaine Jonathan Didier Pabiot,
pouilly-fumé Prédilection 2019 34 € 89-90/100 87/100
•Domaine Pellé, menetou-salon •Domaine Timothée Delalle, IGP Val •Les Pierres d’Aurèle,
Les Blanchais 2020 21 € de Loire Le Moulin Doré 2020 15,80 € touraine Vingt Mars 2021 10 €
86 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
 Les Dégustations
Vallée de la Loire: le chenin

Le chenin, seigneur de la Loire Cuvée

La Charpentrie
2018 du domaine
D ans les années très chaudes actuelles, les vins de chenin empreints d’une douce acidité
et d’une fine amertume sont plus que jamais recherchés. La richesse baroque du chenin sur
les schistes d’Anjou, sa finesse ciselée sur les argilo-calcaires de Saumur, sa droiture sur les perruches
du Collier :
un saumur
resplendissant !
(argiles à silex) de Touraine, à Vouvray et Montlouis offrent une impressionnante palette de saveurs
et de styles. Une diversité encore enrichie avec les demi-secs, moelleux et effervescents. Le travail
accomplit ces dernières années par les vignerons, particulièrement sur les secs, pour dompter
le caractère saillant du chenin et lui apporter plus de finesse est remarquable. A. G.

96/100 Domaine du Clos Naudin, à Vouvray

DOMAINE
FRANÇOIS CHIDAINE Le vouvray en lettres d’or
Montlouis-sur-Loire moelleux
Rive Gauche 2020
Brillant vinificateur de chenin
sec, François Chidaine sait
aussi élaborer de superbes
moelleux. En témoigne
sa cuvée Rive Gauche issue
des tries de raisins botrytisés
de trois parcelles de Montlouis.

D’une sucrosité radieuse,
subtilement florale, elle évolue
vers une grâce infinie. 70 €
96/100
DOMAINE DU COLLIER
Saumur La Charpentrie 2018
Une fraîcheur crayeuse se des-
sine dans ce millésime où
les chenins sont souvent d’une
richesse excessive. Celui-ci, issu
de vieilles vignes des terroirs de
Brézé, est d’une justesse excep-
tionnelle. Il affiche la puissance
et l’éclat d’un grand blanc
ligérien. Resplendissant ! 65 €
96/100
DOMAINE
DU CLOS NAUDIN
Vouvray moelleux Réserve 2018
Une concentration magistrale
se dégage de ce 2018. Un bou-
quet majestueusement nuancé
(fruits confits, épices douces,
vieux rhum…) et une puis-
sance sereine lui confèrent une
allonge inoubliable. Il devrait
évoluer avec grâce dans
les prochaines décennies. 48 €
96/100
LA FERME
DE LA SANSONNIÈRE
Vin de France demi-sec Vieilles
vignes des Blanderies 2019
Cette cuvée historique
D. R.
excès et laisse place surtout
à une fantastique finale
élancée, crayeuse, crissant
presque sous la dent. Une
interprétation contemporaine
d’un blanc ligérien. 53 €
Vincent Foreau assure une transition en douceur vers le bio.
95/100
L es amateurs de grands chenins s’accordent à dire
que ce domaine historique de Vouvray est à part dans
le paysage ligérien. Travaillés par la famille Foreau, les
DOMAINE ANDRÉE
Anjou Les Faraunières 2017
Splendide expression
11,5 hectares de vignes sont idéalement situés. Ces vignes des chenins centenaires sur
puisent dans les perruches (sols d’argiles à silex typiques les schistes, argiles et quartz
de l’appellation) une minéralité singulière. Vins effer- d’Anjou. Ce blanc éblouit par
vescents, secs, liquoreux… tout ici est d’un haut niveau. la franchise de ses saveurs,
Vincent Foreau assure une transition douce, perpétuant sa concentration, son relief.
une approche traditionnelle des vins de Vouvray (fer- Une dizaine d’années après
mentation spontanée, mise en bouteilles précoce) tout en son installation, Stéphane
se convertissant au bio. Mais c’est souvent Philippe, son Érissé confirme le très haut
père, fin gastronome, qui accueille encore au domaine. niveau de ses vins. N. C.
Sa science des accords mets et vins a de quoi faire pâlir
plus d’un sommelier. À visiter absolument. P. Vila Palleja 95/100
DOMAINE DE BELLIVIÈRE
Jasnières Vigne en Foule 2021
de Mark Angeli est toujours jusqu’à une finale crayeuse. Une parcelle minuscule,
aussi rayonnante. En 2019, 65 € plantée de vignes en échalas
est née une version demi-sec et pergola à… 40000 pieds
de ces vignes âgées de 70 ans. 95/100 par hectare. Cette très haute
D’une fine sucrosité, CLOS DE L’ÉCOTARD densité de vignes insuffle au
ce blanc dévoile un équilibre Saumur Les Pentes 2020 chenin un éclat époustouflant.
lumineux, des saveurs Ce 2020 illustre à merveille La bouche charme par sa fraî-
inouïes et profondes grâce la pureté que peut révéler le cheur radieuse et sa texture
à une concentration d’extraits chenin de Saumur. La richesse enveloppante. Un blanc à la
secs exceptionnelle. Il s’étire du millésime s’exprime sans fois juvénile, serein et posé.

Ò Valeur montante Vin en cours de conversion bio Vin biologique Vin en cours de conversion à la biodynamie Vin biodynamique

LA RVF N° 669- AVRIL 2023 - 87

 Les Dégustations
Vallée de la Loire: le chenin

Château de Plaisance, à Rochefort-sur-Loire 94/100 de cave lui feront le plus grand

CHÂTEAU YVONNE
Vanessa, quatre ans déjà ! Saumur Le Gory 2019
Voilà une dizaine d’années que
Mathieu Vallée nous enchante
avec ses blancs de Saumur,
aussi raffinés que profonds. Ici,
sur cette parcelle caillouteuse
de Parnay (exposée ouest),
le chenin prend une dimen-
sion minérale et saline
majestueuse. Il est mené
en finesse. Son évolution
promet d’être gracieuse. 42 €
94/100
Ò CLOS DES BRETÈCHES
Vin de France Les Jauges 2021
Belle réussite pour le premier
millésime sur cette parcelle de
rhyolites (roches volcaniques)
Vanessa Cherruau tient avec panache les rênes du domaine depuis 2019. d’Anjou. Un chenin doté d’un
joli gras, à la texture gracieuse,
bien. 57 €
94/100
LA GRANGE TIPHAINE
Montlouis-sur-Loire demi-sec
Les Grenouillères 2019
Splendide expression
du chenin de Montlouis
en version demi-sec.
Encore juvénile, il montre
toutefois une grande justesse
de délicatesse et de fraîcheur.
Il se révèle avec une grande
précision sans pour autant
être enfermé dans un cadre.
Superbe ! 26 €
93/100
Ò BONNIGAL-BODET
Touraine Amboise
Le Buisson 2019
Il est rare de déguster

B ien connu depuis les années 1960, Plaisance ouvre une

nouvelle page de son histoire lorsqu’en septembre 2019,
à la veille des vendanges, Vanessa Cherruau abandonne
sans aucun excès de concen-
tration. Sa liberté de ton
ne l’empêche pas d’être précis.
une expression de chenin
d’Amboise aussi fine, soignée
et énergique. La maturité
sa carrière de commerciale dans le vin pour reprendre la Une fine amertume étire le vin du millésime donne à la fois
propriété. Vingt-cinq hectares en bio (en 1995) et biodynamie avec éclat. Il s’est superbement de la concentration et un beau
(2008) répartis sur les schistes, spilites, grès et poudingues révélé après un jour d’ouver- relief minéral (calcaire).
d’Anjou, dans les secteurs de Chaume, Quarts-de-Chaume et ture. La relève angevine ! 36 € Voici un blanc plein de vitalité,
Savennières. La finesse et la justesse des élevages menés sous porté par de beaux amers
bois et dans quelques jarres de grès de son premier millésime 94/100 stimulants. 24,50 €
nous ont emballés. La précision et l’éclat de ses blancs, fins DOMAINE HUET
et soignés, ne font depuis que s’accentuer. Un avenir radieux Vouvray sec Clos du Bourg 2021
semble tout tracé pour ce domaine. A. Goujard Ce millésime va à merveille au
style épuré des vouvrays secs

Difficile de donner un âge

à ce vin hors du temps. 50 €
95/100
DOMAINE AUX MOINES
Savennières
Roche-aux-Moines 2019
Né sur le promontoire de la
Roche-aux-Moines, ce 2019
affiche une densité hors
normes, si bien que la sensa-
tion de sucrosité d’un raisin
bien mûr marque le bouquet.
Il faudra au moins trois à
quatre ans pour qu’il s’affine et
se laisse porter par d’élégants
amers minéraux. Il est promis
à un avenir radieux. 38 €
95/100
RICHARD LEROY
Vin de France Les Noëls
de Montbenault 2020
Un monument de concen-
tration et de puissance saline.
Derrière des nuances fumées,
finement grillées, une mâche
formidable se dessine et une
liberté de ton aromatique se
dévoile. Il est porté par de fins
amers. Attendez deux bonnes
années avant de l’ouvrir. 60 €
94/100
THOMAS BATARDIÈRE
Vin de France
Montbenault 2020
Voisin de vignes de Richard
Leroy sur les terres
de Montbenault en Anjou,
Thomas Batardière s’impose
depuis quelques années
comme l’un des grands inter-
prètes de chenins lumineux.
Un 2020 d’une vitalité folle,
avec de fines notes fumées
et une amertume élégante
et vivifiante. 40 €
du domaine Huet. Un équilibre
aérien et fin pour ce blanc à la
droiture calcaire revigorante.
Q ue de chemin parcouru
du Clos de l’Écotard en 2011 !
Une fraîcheur saline cisèle la
gracieuse bouche de ce Clos du
Bourg, lieu-dit emblématique
qui offre selon les millésimes
des blancs secs, demi-secs ou
moelleux. Énergie revigorante
en finale. 32 €
94/100
DOMAINE
DES ROCHES NEUVES
Saumur Clos Romans 2020
Thierry Germain a insufflé
un nouveau style très épuré et
ciselé aux blancs de Saumur.
Leur droiture est telle qu’on
peut parfois leur reprocher
un manque de chair et… de
charme. Ce 2020 offre une
sensation saline très salivante,
avec une expression brillante
du fruit. Deux à trois ans
depuis le premier vin
Michel Chevré avait créé ce petit
domaine alors qu’il était encore
le bras droit de Thierry Germain
au domaine des Roches Neuves.
À l’arrivée de son fils Thibaud,
le domaine a pris une nouvelle
impulsion avec l’acquisition
de vignes sur des argilo-sableux
et argilo-calcaires de Saumur,
dans le secteur de Courchamps.
Il s’étend désormais sur
14,5 hectares. Les blancs secs,
magnifiquement épurés,
restituent à merveille
la fraîcheur, l’élan, le caractère
crayeux du tuffeau saumurois.
Avec des élevages de plus en plus
longs, jusqu’à deux ans pour
la cuvée Les Pentes, les vins
promettent d’aller encore plus
loin. A. Goujard

88 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023


93/100
THIBAUD BOUDIGNON
Savennières Clos de Frémine 2020
Un chenin sec mené au cor-
deau par une vinification
soignée. Rien ne déborde
du cadre, l’ensemble s’exprime
avec une grande précision,
dans un ultra contrôle. Plus
en finesse qu’en concentration
dans ce millésime, ce blanc
termine sur de beaux amers
stimulants. 70 € (cavistes)
93/100
CHÂTEAU DE COULAINE
Chinon Clos de la Cure 2021
Un chenin de Chinon né sur
un coteau riche en argile
et exposé au nord. Un peu
confus à l’ouverture, il se
révèle magnifiquement après
quelques minutes d’aération.
Un bel équilibre classique,
plein d’énergie, sans excès
de concentration, canalisé par
une fraîcheur extrêmement
revigorante. Ce blanc
est une révélation, surtout
quand on sait qu’il est issu
de vignes âgées de seulement
sept ans ! 19 €
Clos de l’Écotard, à Artannes-sur-Thouet
Plongez dans le crayeux
du tuffeau saumurois
Les Dégustations
Vallée de la Loire: le chenin
93/100 Domaine Bonnigal-Bodet, à Limeray
Ò CHÂTEAU
DE PLAISANCE
Anjou La Grande Pièce 2021
La voie royale pour
Impeccablement élevé
en demi-muids, cet anjou
les chenins d’Amboise
se montre élancé, franc
du collier avec une réelle
finesse de texture, sans
le caractère mordant que
l’on retrouve fréquemment
en 2021. Un beau délié
de texture, sans excès
de richesse, porté par de beaux
amers. Ce domaine ne fait
que progresser. 36 €
92/100
MICHEL AUTRAN
Vin de France Ciel Rouge 2019
Puissante concentration
franche des arômes traduisant
la récolte d’un chenin sain
et mûr, avec toutefois
une réduction tenace.
Une belle mâche dessine
la bouche. Espérons que tous
les éléments se mettent en
place dans les deux prochaines
années en bouteille. Inimitable Jean-Baptiste Bonnigal et Stéphane Bodet jouent avec les parcellaires.
expression du chenin
de Vouvray. 29 € (cavistes)
D epuis 2015, l’ambition du duo Jean-Baptiste Bonnigal
et Stéphane Bodet est de hisser les vins d’Amboise
au plus haut niveau. En reprenant le domaine familial
de Jean-Baptiste, ils passent de 80 à 40 hectares de vignes afin
d’isoler les meilleures parcelles du secteur. Produisant aussi
des rouges et des effervescents, c’est surtout avec ses chenins
de haute définition que le domaine se démarque. L’approche
bio dans les vignes et une technique sans artifice à la cave
permettent de révéler le potentiel encore trop méconnu
des vins d’Amboise. De nouveaux parcellaires sont à venir.
P. Vila Palleja

92/100
DOMAINE
PATRICE COLIN
Coteaux du Vendômois moelleux
Pente des Coutis 2018
Un chenin moelleux tout
droit venu des… Coteaux
du Vendômois, au nord-est
de Tours. Une sensation
caillouteuse fraîche se dégage
d’une douceur confortable,
signature du millésime.
Une touche austère lui donne
beaucoup de personnalité.
Déjà très accessible.
Les blancs de Michel (à g.) et Thibaud Chevré se sont magnifiquement épurés. 25 €
92/100
DOMAINE SAINT NICOLAS
Vin de France
Le Haut des Clous 2020
L’appellation Fiefs vendéens
Brem interdit les cuvées 100 %
chenin. L’incontournable
famille Michon est alors
contrainte de déclasser ce
beau blanc, en Vin de France.
Quelle hérésie ! Ce 2020 ne s’en
montre pas moins exotique,
doté d’un joli gras et d’une
allonge portée par un élevage
un peu présent mais soigné.
Taillé pour plus de dix ans. 26 €

Les coordonnées des producteurs sur larvf.com

LA RVF N° 669- AVRIL 2023 - 89


91/100
Ò ROBIN CARETTE
Vin de France Les Salines 2021
Très jolie définition de chenin
venu d’Anjou (schistes, quartz,
phtanite), joliment parfumé,
floral, avec un éclat aroma-
tique enchanteur. Beaucoup de
spontanéité, peu d’épaisseur
mais très digeste. Une réelle
émotion et un prix doux pour
ce jeune talent à suivre. 15 €
91/100
Ò LES CLOS MAURICE
Saumur Les Bonneveaux 2020
Premier millésime du renou-
veau de ce domaine. Un chenin
né sur sols argilo-calcaire
et siliceux de Varrains, d’une
superbe étoffe et concentra-
tion profonde. Il est toutefois
marqué par un élevage en bar-
riques avec une sensation de
bois neuf. Les prochains mil-
lésimes devraient se montrer
plus élancés et aériens. À suivre
de près donc. 50 €
91/100
DOMAINE OGEREAU
Anjou sec
Bonnes Blanches 2021
Réelle recherche de précision
à travers un blanc sec soigné,
millimétré qui, malheureu-
sement dans ce millésime,
manque de maturité et donc
d’épaisseur, de concentration
de matière. Un bon blanc
filiforme. 25 €
90/100
Ò THÉO BLET
Saumur La Peyanne 2021
Premier millésime de Théo Blet
à Saumur. Un beau chenin
qui transpire l’expression
du tuffeau. Ce blanc d’un beau
dynamisme révèle la fraîcheur
haletante, un brin ferme du
millésime tout en gardant l’en-
veloppe séduisante de son éle-
vage en barriques. Un domaine
plein de promesses. 16,50 €
90/100
Ò FABIEN BRUTOUT
Vouvray sec Bénasse 2020
Deuxième millésime de
ce vigneron soigneux. Réelle
Les Dégustations
Vallée de la Loire: le chenin
recherche de concentration
et de style pour ce blanc savou-
reux, doté d’une vinosité
suave, enrobé par un élevage
en barriques encore trop
démonstratif. Les prochains
millésimes devraient s’affiner.
22 €
89-90/100
Ò DOMAINE
TIMOTHÉE DELALLE
IGP Val de Loire
Le Moulin Doré 2020
Un chenin d’argiles à silex de
Touraine dans un registre grillé
sur ses lies, enveloppé par un
élevage séduisant. On sent une
recherche de maturité, garante
d’arômes de fruits jaunes
et d’une belle concentration
de bouche. Premier millésime
de Théo Delalle, formé chez
Jacky Blot. 15,80 €
89/100
Ò DOMAINE
DE LA CROIX MÉLIER
Montlouis-sur-Loire
Les Borderies 2020
Repris en 2017, ce domaine
façonne déjà de délicieux
chenins, menés avec soin.
La bouche coule avec aisance
et beaucoup de gourmandise.
Pas d’une grande complexité
mais il est évident et très
digeste. 22,50 €
89/100
Ò DOMAINE
DE LA MARINIÈRE
Chinon Blanc Blec 2021
Une approche tonique, rafraî-
chissante, joliment citronnée
du blanc de Chinon. Il a
toutefois un gras gourmand
et une salinité en finale très
bienvenue. Un régal à l’apéritif.
Bravo Boris Desbourdes ! 15 €
89/100
Ò THOMAS FRISSANT
Touraine Amboise
Les Perrières 2019
Premier millésime ambitieux
signé Thomas Frissant (le fils
Xavier), dans le secteur d’Am-
boise. Un chenin (vignes de
55 ans) bien mûr, doré, patiné
par son élevage en fûts (300 l),
90 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
d’une belle profondeur sympathique. Un cœur de
de saveurs et d’une densité bouche séduisant et une finale
séduisante. 25 € tout en rondeur. Les millé-
simes suivants vinifiés dans
89/100 la nouvelle cave au cœur
Ò LES PIERRES ÉCRITES d’Angers devraient gagner
Montlouis-sur-Loire en précision. 20 €
Empreintes 2021
Sincère, d’une maturité 88/100
modérée, il se montre franc Ò CHÂTEAU
du collier. Nous aimerions PERRAY JOUANNET
toutefois un vin un peu plus Anjou 2019
affiné, arrondissant ses Rémi Pivert a repris
contours. Des jeunes vignerons ce domaine familial
à suivre de près. 19 € de 20 hectares. Il cisèle
un chenin séduisant, emporté
89/100 par un élevage en barriques
Ò 1006 charmeur. Il manque d’épais-
IGP Val de Loire Céleste 2020 seur et de concentration
Premier millésime de ce en bouche mais on sent une
chenin d’Anjou déjà très volonté de révéler une expres-
épanoui à l’ouverture par sion fine du chenin. Il est au
un joli côté grillé, un fruit jaune début de son histoire. 17,50 €
Clos des Bretèches, à Bellevigne-en-Layon
Les rhyolites et les spilites
magistralement dévoilées
Mélanie Grenouilleau et Romain Nicolas : on aime l’énergie de leurs vins.
L ’évidence de ce premier millésime signé
Mélanie Grenouilleau et Romain Nicolas
nous a subjugués ! Mélanie était professeur d’EPS avant
d’avoir le déclic lors de vendanges chez Patrick Baudouin.
Quant à Romain, il est le maître de chai talentueux
de Terra Vita Vinum en Coteaux de l’Aubance. Leurs deux
blancs 2021 issus de roches volcaniques de Beaulieu-sur-
Layon, Les Bélouines (rhyolites et spilites) et Les Jauges
(rhyolites), offrent une texture à la fois énergique
et réconfortante. Comme un air de famille avec les vins
de La Ferme de la Sansonnière, où Mélanie travaille
en parallèle. Une étoile montante. A. Goujard
 Les Dégustations
Vallée de la Loire: le sauvignon

Le sauvignon blanc, Domaine Claude Riffault, à Sury-en-Vaux

droit et minéral À Sancerre, il allonge

ses élevages avec brio
A ussi appelé blanc fumé, c’est le cépage roi du Centre-Loire et
de ses appellations (Sancerre, Pouilly-Fumé, Menetou-Salon,
Coteaux du Giennois, Reuilly, Quincy). Sur cette myriade de sols
calcaires (caillottes, griottes…), plus ou moins riches en argiles,
de marnes kimméridgiennes (terres blanches), de silex, de sables
et limon, le sauvignon puise sa droiture inimitable, ses tonalités
d’agrumes, de fruits exotiques dans les millésimes chauds,
son caractère floral et minéral pour les vins les plus aboutis.
Sa capacité de garde peut être extraordinaire, de plusieurs
décennies pour certains sancerres, notamment à Chavignol. Avec
le temps, on les confond alors avec de grands chablis.
En Touraine, dans la Vallée du Cher, le sauvignon dévoile un profil
plus gras, des arômes exotiques et d’eau de rose. A. G.

95/100 Chemarin à Bué, le sauvignon

DOMAINE
FRANÇOIS COTAT
Sancerre Monts Damnés 2022
En élevage et déjà vendu ?
C’est la rançon de la gloire,
et les amateurs ne s’y trompent
pas, notamment avec ce Monts
Damnés magnifique, ample
et d’une allonge folle. On est
surpris par sa capacité à allier
l’envergure typique du lieu-dit,
tout en étant élancé et fringant.
Certains diront trop de soufre.
Les derniers vins n’étaient pas
de cette expression. Garde
d’au moins vingt ans. N. C.
95/100
DOMAINE LOUIS-
BENJAMIN DAGUENEAU
Vin de France Buisson Renard 2020
Célèbre pour sa cuvée Silex,
le légendaire domaine
Dagueneau cisèle aussi ce
Buisson Renard, sur un bas
de coteau d’argiles et silex, qui
s’en sort admirablement ces
derniers millésimes généreu-
sement ensoleillés. Encore
fermé à double tour, il n’en
est pas moins superbement
concentré, ultra précis. Une
sensation calcaire, étirée par
des amers insistants. À laisser
en cave au moins cinq ans. 80 €
95/100
DOMAINE
VINCENT PINARD
Sancerre Petit Chemarin 2020
Sur les caillottes du Petit
parvient à puiser une superbe
fraîcheur pour dompter
ce millésime solaire. Un blanc
mené avec un grand soin,
une précision et un gras
de texture, qui est élancée par
une finale calcaire. Deux à trois
ans en cave lui feront le plus
grand bien. 34 €
95/100
DOMAINE VACHERON
Sancerre Le Pavé 2020
Exprimer la légendaire
fraîcheur ligérienne dans
un millésime solaire comme
2020, voilà un défi de taille.
Née sur des marnes du Crétacé,
cette cuvée des cousins
Vacheron nous enthousiasme.
Un bouquet nuancé (agrumes,
anis, aneth…) anime une
bouche intense, sculptée par
un élan extrêmement salivant
en finale. Un maître pour
un ceviche aux agrumes. 74 €
94/100
DOMAINE
ALEXANDRE BAIN
Vin de France
Pierre Précieuse 2019
Après quelques cuvées
malheureuses, on retrouve
le couple Bain à un très haut
niveau en 2019. Le style est
magnifique, énergique, sapide
et lumineux, sans déviance
ni imprécision, à l’image
de ce vin distillant des notes
de sureau, de mangoustan et
Depuis 2008, Stéphane Riffault livre des vins plus précis et cristallins.
B énédicte et Stéphane Riffault continuent à se distinguer
dans le paysage sancerrois. Venu travailler en famille
dès 2001, c’est en 2008 que Stéphane fait prendre
un nouveau virage au domaine avec des vins plus précis
et cristallins. Les quinze hectares certifiés en biodynamie en
2021 offrent une grande diversité d’expressions, notamment
avec les parcellaires. À noter la création de cuvées
confidentielles en 2018 : 469 et 538 ; elles séduisent par
leur éclat et leur allonge. Un nouveau cap sera franchi
prochainement avec l’allongement des temps d’élevage,
permettant de poser encore plus les vins. P. Vila Palleja
de fins amers. Loin des codes 94/100
minces du sauvignon Ò LES POËTE
et de Pouilly-Fumé souvent Vin de France Orphée 2018
répétés, cette cuvée élevée Une admirable expression
trente-neuf mois est du sauvignon dans le secteur
d’une expression singulière. de Reuilly. Cette cuvée affiche
À connaître absolument. 30 € une concentration savoureuse
du fruit, admirablement
94/100 menée en finesse, sans aucune
DOMAINE exubérance dans ce millésime
FRANÇOIS CROCHET solaire. Une évidence de vin,
Sancerre délicat, énergique. 28 €
Le Chêne Marchand 2020
Une belle carrure dessine 93/100
cette cuvée du lieu-dit de Bué. Ò DOMAINE DENIZOT
Elle mêle une certaine puis- Sancerre Damoclès 2019
sance de saveurs contenue par Né sur la vertigineuse côte
une finesse de style éclatante. calcaire de l’Épée à Amigny,
N’hésitez pas à la garder deux ce blanc s’affirme parmi
à trois ans. Elle se posera, se les plus belles expressions que
détendra, se déliera et gagnera nous avons croisées récem-
en sensation minérale. 32 € ment, à la fois en matière de

Ò Valeur montante Vin en cours de conversion bio Vin biologique Vin en cours de conversion à la biodynamie Vin biodynamique

LA RVF N° 669- AVRIL 2023 - 91

 Les Dégustations
Vallée de la Loire: le sauvignon
Clos La Néore
2022 du domaine
93/100
DOMAINE
Edmond et Anne
Vatan : il faudra
CLAUDE RIFFAULT
attendre Sancerre Cuvée 469 2021
ce sancerre au Cette cuvée confidentielle
moins vingt ans. créée en 2018 est un d’un grand
niveau. Issues de vieilles vignes,
la parcelle #469 offre un fond et
une dimension superbes, sur-
tout quand elle est interprétée
avec délicatesse et pureté
comme ici. La fleur blanche, la
peau de citron et la dimension
crayeuse signent le nez. Garde
d’au moins vingt ans. 32 €
92-93/100
GUILLERAULT-FARGETTE
Sancerre Epsilon 2019
Belle évolution de ce domaine
avec ce sauvignon planté
en 1972 sur un plateau de cail-
lottes, élevé tranquillement
dix mois sur lies en œufs béton.
Une expression noble
du sauvignon, sans caractère
variétal ni exubérance. Bien
au contraire ! Nuances d’anis,
d’aneth, d’agrumes… Un beau
gras se dessine jusqu’à
une finale fuselée. 40 €
92/100
DOMAINE JONATHAN
DIDIER PABIOT
Pouilly-Fumé Prédilection 2019
Belle expression bien mûre
d’un sauvignon planté sur
les terres blanches (marnes
kimméridgiennes) de Pouilly-
Fumé. Il assume une concen-
tration enveloppante, loin des
standards de l’appellation, tout
en conservant une finale
calcaire rafraîchissante. 34 €
92/100
DOMAINE PELLÉ
Menetou-Salon
Les Blanchais 2020
Superbe fraîcheur préservée
dans ce sauvignon venu
des marnes kimméridgiennes
exposées au nord. Un millé-
sime 2020 finement contenu
pour souligner d’élégantes
notes d’aneth et d’agrumes.
Il évoluera avec panache
et précision dans la décennie
et certainement au-delà. 21 €

92/100
D. R.

Domaine Alexandre Bain, à Tracy-sur-Loire PASCAL ET NICOLAS

dimension vineuse,
de concentration en extraits
secs et d’équilibre vivifiant.
Tout est absolument bien
cadré. 25 €
93/100
DOMAINE
PAUL PRIEUR ET FILS
Sancerre Monts Damnés 2020
Revenu en 2011, Luc Prieur
a donné un sacré coup
de fouet au domaine familial.
Son Monts Damnés 2020 en est
une illustration remarquable :
caractère caillouteux, puissant
et salivant. Un avenir racé lui
est promis. Des vins à acheter
et à mettre en cave sans
attendre. 32 €
93/100
DOMAINE EDMOND
ET ANNE VATAN
Sancerre Clos La Néore 2022
Les amateurs reconnaîtront
ce style inchangé, imposant de
la patience. Malgré la maturité
du millésime et du lieu,
ce 2022 offre de l’éclat, avec
un style très sapide, digeste
et de demi-corps, loin de la
richesse de certains millésimes
chauds passés. Garde
d’au moins vingt ans. N. C.
REVERDY
De somptueux sauvignons Sancerre Les Angelots 2020
Voici un beau classique de
en attendant… le gouais ! Sancerre, à la fois mûr et frais,
sans artifice. Ce 2020 élevé
finement sous-bois exprime
un fruit juteux. Une belle cuvée
vineuse et profonde pour
passer à table et évoluer
sereinement dans
les prochaines années. 19 €
91/100
Ò DOMAINE DU BOUCHOT
Pouilly-Fumé
Terres Blanches 2021
Quel plaisir de goûter
un pouilly-fumé avec une
telle vitalité. Une expression
bien mûre et détendue, d’une
immédiate gourmandise.
La texture possède un réel
grain fin. Nous l’avons récom-
Alexandre Bain veut replanter des cépages anciens. pensé en 2021 par le prix de la
Découverte de l’année. 22 €
L e domaine Bain est une propriété à part à Pouilly-
Fumé. Alexandre se démarque dès 2007 avec des
sauvignons récoltés à haute maturité, n’utilisant pas de
91/100
DOMAINES MINCHIN
soufre et prolongeant les élevages au moins deux hivers Menetou-Salon
afin de développer le potentiel de ses terroirs. Son style la Tour Saint-Martin Fumet 2020
riche et éclatant se distingue de celui de ses confrères. Dans ce millésime 2020 plein
Malgré certaines erreurs commises dans le passé (excès de soleil, le Fumet (exposition
de maturité, des 2014 « loupés »), il rebondit avec des 2019 nord-est) s’avère finement
somptueux, précis et émouvants. Avec sa compagne exotique, de belle facture pour
Caroline, qui vinifie par ailleurs son propre vin depuis animer des poissons à table.
2020, il tient à développer l’agroforesterie et replanter Sa force ? Séduire le plus grand
des cépages anciens, comme le gouais. P. Vila Palleja nombre. Vous êtes sûrs
de ne pas vous tromper. 19,95 €

92 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023


Vallée de la Loire: sauvignon / melon de Bourgogne
91/100
NOËLLA MORANTIN
Vin de France LBL
Vieilles vignes 2019
Haute concentration pour
ce sauvignon du Loir-et-Cher,
aux notes finement exotiques
et aux nuances de pétales
de rose. Sa mâche et son relief
de saveurs nous enchantent.
La fine amertume en finale
lui confère une fraîcheur
irrésistible. Touche oxydative…
Est-ce un défaut de bouteille ?
Un bon blanc détendu
et profond. 25 €
90/100
Ò S ET JP AGISSON
Sancerre Équilibre 2019
Expression mûre du sauvignon
Les Dégustations
sancerrois (agrumes, fruits
exotiques), techniquement
irréprochable, minutieux
et soigné, et une allonge
moyenne des saveurs. Un petit
domaine mené avec passion
par Jean-Philippe Agisson,
par ailleurs chef de culture
du domaine Louis-Benjamin
Dagueneau, à Pouilly-Fumé.
36 €
89/100
DOMAINE JEAN-
FRANÇOIS MÉRIEAU
Touraine Cœur de Roche 2021
Des notes de fruits exotiques et
de rose typiques du sauvignon
de ce secteur se dévoilent.
On retrouve ces saveurs dans
une texture grasse en bouche
avec une légère sensation
pierreuse en finale. Un bon
ambassadeur du sauvignon
en Touraine. 16,50 €
89/100
DOMAINE DE MONTCY
Cheverny Ligère 2020
Délicieux blanc coulant
et fringant où le sauvignon est
accompagné d’un peu de char-
donnay (20 %). Une approche
de blanc désaltérant et très
digeste animé par les notes
expressives d’agrumes mûrs
du sauvignon. Une cuvée
irréprochable produite
à hauteur de 40000 bouteilles
par an. Une reprise de ce
domaine encourageante
par la famille Chevrier. 13 €
89/100
DOMAINE
FLORIAN ROBLIN
Coteaux du Giennois
Coulée des Moulins 2020
Saluons la régularité
de ce domaine et de cette cuvée
toujours bien soignée au fruité
fringant, nourrie par une tex-
ture friande. Un rapport
qualité/prix imbattable. 12 €
87/100
LES PIERRES D’AURÈLE
Touraine Vingt Mars 2021
Sauvignon franc du collier,
digeste, bien croquant, typique
des sols sableux. Un blanc sec
sympathique pour l’apéritif.
Premier millésime certifié bio.
10 €

Domaine Pellé, à Morogues

Melon de Bourgogne,
Son Morogues il est enthousiasmant
ne déçoit jamais D ’abord appelé melon blanc, il a été rebaptisé melon
de Bourgogne en raison de ses origines bourguignonnes.
C’est le seul cépage autorisé en appellation Muscadet.
Il n’a jamais été aussi enthousiasmant. Sa faculté à restituer
le caractère des sols variés du Pays nantais (gneiss, orthogneiss,
granite, schistes, micaschistes, amphibolite, sables…) est
phénoménale. Il donne ici naissance à des blancs au souffle
océanique, tantôt floraux, tantôt minéraux, profonds, d’une droi-
ture inimitable. En vieillissant, ces vins développent de manière
singulière la cinquième saveur umami, cette salinité si particulière
et inimitable, engendrant une salivation progressive. A. G.

95/100 du Muscadet, ce 2020 révèle

DOMAINE DE BELLEVUE
Muscadet Gaïa 2020
Pour arrondir la force saillante
que confèrent les terroirs
de gabbro au melon, Jérôme
Bretaudeau élève sa cuvée Gaïa
en œufs béton. Quel panache !
D. R.
une belle carrure, une
maturité juste du melon,
évoquant les fruits blancs,
une puissance et des amers
stimulants qui le mèneront
pendant les vingt ans à venir
et au-delà. Quel éclat ! 26 €

Ce 2020 s’inscrit parmi les plus

Les vins de Paul-Henry Pellé sont d’un excellent rapport qualité/prix. grands muscadets des dix der- 93/100
nières années, tant en termes DOMAINE BRÉGEON
D epuis le début du XXe siècle, le nom de Pellé est
synonyme de référence dans le paysage de Menetou-
Salon. Histoire de famille, c’est aujourd’hui Paul-Henry
d’intensité de saveurs,
de profondeur minérale que
de vibration. Une référence.
Muscadet Sèvre et Maine Gorges
Les Vigneaux 2018
Les sols de gabbro de Gorges
(arrivé en 2007) qui est à la tête des 42 hectares. Sous 38 € confèrent une force inimitable
son impulsion, les vins ont gagné en précision et en saveurs. au melon, particulièrement
Ses cuvées parcellaires affichent un très bon niveau, comme 94/100 apprécié dans des millésimes
Le Carroir, Vignes de Ratier et Les Blanchais. La cuvée DOMAINE LUNEAU-PAPIN généreusement ensoleillés
“domaine” Morogues ne déçoit jamais ! Des rapports qualité/ Muscadet Sèvre-et-Maine comme 2018. Une fermeté
prix indéniables. N’hésitez pas à conserver quelques blancs Gula Ana 2020 revigorante anime un gras
en cave, de superbes arômes de truffe blanche apparaîtront Né sur la Butte de la Roche, séduisant et sincère, et une
avec le temps. P. Vila Palleja l’une des plus spectaculaires liberté de ton aromatique. 18 €

Les coordonnées des producteurs sur larvf.com

LA RVF N° 669- AVRIL 2023 - 93


Vallée de la Loire: le melon de Bourgogne
T. Legay
Gabriel Lepousez
Le chenin,
révélateur
de terroir
C apable de produire
des vins secs, tendres,
liquoreux et effervescents,
le chenin est polymorphe
et versatile. Au nez,
il se montre parfois timide
dans le registre sec,
parfois exubérant lorsqu’il
est botrytisé. En bouche,
il s’articule autour
d’une acidité structurante,
avec des concentrations
d’acides tartrique
et malique relativement
importantes. En Anjou,
la juxtaposition de sols
calcaires et de schistes
révèle la grande plasticité
du chenin : sur schistes,
les blancs secs ont
une structure plus
imposante et large,
marquée par un relief
tannique et étirée par
des amers, mais moins
aromatique que les vins
nés sur calcaire. Plus ronds
en attaque, ces derniers
s’expriment ensuite avec
pureté et tension.
Pour l’exercice, comparez-
les avec des chenins
d’Afrique du Sud (premier
producteur mondial
de ce cépage avec
une surface presque deux
fois supérieure à celle
de la France) issus de sols
granitiques !
Les Dégustations
93/100
DOMAINE DE L’ÉCU
Muscadet Sèvre et Maine
Granite 2020
L’un des grands classiques
biodynamiques du Muscadet
emmené par Fred Niger.
La note iodée d’huître marque
inévitablement le nez
de ce 2020. Il assume une belle
maturité de raisin. Les courbes
de l’attaque sont rondes,
la chair savoureuse et la finale
svelte. Toujours irrésistible
d’énergie et d’éclat. Et cela,
toujours à prix doux. 14 €
93/100
DOMAINES LANDRON
Muscadet Sèvre et Maine
Haute Tradition 2018
Un élevage d’un an en cuves
tronconique suivi de vingt-
deux mois en cuves
souterraines pour sublimer
le melon biodynamique né
sur orthogneiss et quartz.
Un 2018 d’une fraîcheur
profonde, hyper vivifiante, et
à la chair dynamique laissant
une sensation de sapidité
franchement appréciée.
Un beau vin iodé intemporel.
Une référence. 23 €
93/100
Ò JEAN BAPTISTE HARDY
Muscadet Clos de Lozangère 2020
Une expression intense
du muscadet, issu de vignes
plantées en 1950 sur des sols
de limon, de sables et de
gabbro. Dessiné par un beau
gras, il livre une puissance
solaire admirablement
contenue. Un blanc ambitieux
sculpté par de beaux amers
minéraux en finale. Pour
une cuisine iodée raffinée. 29 €
92/100
DOMAINE
BONNET-HUTEAU
Muscadet Sèvre et Maine
Goulaine 2018
Un excellent ambassadeur
des crus communaux du
Muscadet. Ce 2018 mêle à la fois
une intensité saline fraîche
un gras puissant. Joliment
structuré par une amertume
94 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
Dans le Muscadet, les vins de Jo Landron restituent la signature
des sols d’orthogneiss et de quartz.
insistante, il revient sur
une sensation salée en finale.
Pas de précipitation, il évo-
luera tranquillement pendant
quelques décennies. 18 €
92/100
DOMAINE HAUTE FÉVRIE
Muscadet Sèvre et Maine
Château-Thébaud
Coteaux de l’Ébaupin 2018
Bien nourri par un millésime
ensoleillé et un élevage sur lies,
ce vin enchante par son élé-
gance. La texture soyeuse s’étire
avec une grande fraîcheur. La
salinité persiste en finale. Beau
blanc de garde. 14 €
92/100
DOMAINE
DE LA GANOLIÈRE
Muscadet Sèvre et Maine
Gorges 2017
Cinquante-sept mois sur lies…
C’est le temps d’élevage de
ce cru puissant, à la structure
musclée, presque tannique. Il
paraîtra austère pour certains,
mais de belle droiture pour
d’autres. Une approche
classique, finement miellée,
du muscadet de garde pour
plus de quinze ans. 10,50 €
92/100
FAMILLE LIEUBEAU
Muscadet Sèvre et Maine
Clisson 2020
Une touche de réduction
allemande (soufre) s’exprime
au nez de ce vin habilement
mené, un peu contenu à l’ou-
verture. Il se détend ensuite
avec panache en bouche, avec
un beau délié et une superbe
persistance saline. Un renou-
veau pour ce domaine à suivre
de très près. 17,50 €
91/100
DOMAINE
LE FAY D’HOMME
Muscadet Sèvre et Maine
Monnières Saint Fiacre 2019
L’approche goûteuse
et immédiate de ce cru
communal séduit. Sa puissance
ne fera pourtant que s’affiner
dans les prochaines années.
De belles notes iodées, d’aneth
et d’herbes aromatiques
se dégagent. 18 €
91/100
Ò DOMAINE
MÉNARD-GABORIT
Muscadet Sèvre et Maine
Inspirations
Clos Cormerais 2021
Une cuvée confidentielle
(1200 bouteilles) du clos
Cormerais sur les rares
micaschistes de Monnières-
Saint-Fiacre, pourvue
d’une belle densité de matière,
bien menée avec une certaine
liberté de ton, jusqu’à
une finale appuyée sur
les amers. Pour la garde,
et surtout la table. Belle montée
en puissance du domaine. 17 €
 Les Dégustations
Vallée de la Loire: le melon de Bourgogne
avec une certaine puissance
Granite 2020
riche impulsée par le terroir
du domaine
de l’Écu : un
et le millésime. Une vinosité
grand classique qui se transforme en salinité
du muscadet en fin de bouche. Idéal pour
toujours à prix la table. Premier millésime
doux. prometteur de Mickaël Salmon
depuis son retour au domaine
familial de Château-Thébaud.
13 €
89/100
BEDOUET VIGNERON
Muscadet Sèvre et Maine sur lie
Le Domaine 2021
Une réussite dans
ce millésime qui exprime
le caractère mûr du fruit.
L’ensemble est détendu,
appétent, avec une pointe
carbonique qui lui donne
du peps. 7,50 €
D. R.
du melon, aux tonalités
aromatiques mûres et libres.
On retrouve cette verve dans
une bouche à l’attaque
gourmande et à la finale
saline. Une réussite
enthousiasmante pour
ce millésime. À boire sans
attendre. 15 €
89/100
LOCUS
Muscadet Sèvre et Maine
Clisson 2019
Voici la dernière acquisition
de la famille Saget, originaire
du Centre-Loire. Joli départ
pour ce cru Clisson (graviers
et galets roulés à dominante
granitique), élevé vingt-quatre
mois sur lies. Un vin
d’une belle densité, avec
une structure saillante,
presque tannique
en finale. 16 €
88/100
Ò DOMAINE
LES TROIS TOITS
Muscadet Sèvre et Maine
sur lie 2021
Une interprétation
gourmande. Porté par
une fine acidité, sans rusticité,
voici un muscadet appétent
que l’on attend pour
le printemps. Une approche
soignée, tonique et rafraîchis-
sante à boire dans sa prime
jeunesse. 8 €

Domaine Ménard-Gaborit, à Monnières

89/100
CHÂTEAU Sa gamme Inspirations
LES AVENEAUX
Muscadet Sèvre et Maine vous donnera des ailes
Goulaine 2019
90/100 Bien plus profond que
DOMAINE la cuvée Bouchère,
DE LA CHAUVINIÈRE ce Goulaine (schistes
Muscadet Sèvre et Maine sur lie clos de La Chapelle-Heulin)
les Montys Vigne de 1914 2020 impressionne par sa densité en
Ce millésime solaire a été cœur de bouche. Une bouche
dompté finement dans puissante qui lui apporte
cette cuvée (vignes de 1914 une belle allonge. La finale
sur sols d’amphibolite est toutefois un peu carrée,
et de gabbro). Un bel élan et presque tannique,
une fine amertume sculptent elle demande à s’affiner. 12 €
la finale. 18 €
89/100
90/100 DOMAINE
DOMAINE LES HAUTES NOËLLES
STÉPHANE ORIEUX Muscadet Côtes de Grandlieu
Muscadet Sèvre et Maine Les Parcelles 2020
Vallet 2018 Une jolie reprise pour
Un muscadet né sur les ce domaine du nord D. R.

micaschistes de Vallet, établi du Muscadet. Une certaine

tout en générosité, en étoffe. Il
s’exprime avec une réelle fran-
chise et conserve une fraîcheur
bienvenue. Pas de précipita-
tion. Il évoluera paisiblement
pendant plus de dix ans. 15 €
90/100
Ò DOMAINE
LUCAS-SALMON
Muscadet Les Brosses 2020
Un muscadet à l’approche
classique, proprement vinifié
liberté de ton se dégage
de ce 2020, bien mûr
et détendu. Une belle
gourmandise et une finale
saline appréciable.
Un renouveau à suivre
de près. 10,50 €
89/100
Ò PIERRE GOISET
Vin de France
La Mauguit 2021
Une interprétation vivifiante
François Ménard signe des blancs plus contemporains, délicieux.
L orsqu’il revient au domaine familial de Saint Fiacre,
François Ménard, du haut de ses 25 ans, convainc
son père Philippe et son oncle Thierry de faire bouger
les lignes. La conversion en bio des 51 hectares de Muscadet
répartis à Monnières-Saint Fiacre, Le Pallet et Gorges,
est lancée. Et pour ne pas perturber trop vite le style
classique, tonique et ferme des vins, François crée sa gamme
Inspirations, une série de blancs bien plus contemporains,
détendus, francs du collier et digestes. Une gamme pilote
pour faire évoluer tranquillement le reste de l’importante
production du domaine. A. Goujard

Ò Valeur montante Vin en cours de conversion bio Vin biologique Vin en cours de conversion à la biodynamie Vin biodynamique

LA RVF N° 669- AVRIL 2023 - 95

 Les Dégustations
Loire: folle blanche, romorantin et tressallier
Un romorantin puissant, plus
Folle Domaine de Bellevue, à Gétigné hivernal qu’estival, dont

blanche: Ses blancs ont l’allonge augure de belles

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C élèbre à Cognac
et en Armagnac, la folle
blanche est dans la Vallée
de la Loire le cépage
de l’appellation Gros-plant-
du-Pays-nantais. Lorsqu’on
apaise ses ardeurs, elle offre
ici des vins vifs, aux arômes
discrets et à l’alcool modéré.
Sa capacité de garde est
plus modeste que celle
du melon de Bourgogne. A. G.
89/100
DOMAINE
LUNEAU-PAPIN
Gros Plant du Pays nantais 2022
Délicieuse folle blanche, pleine
de peps, au fruit tonique
et revigorant. Avec peu
d’alcool (11°), ce blanc stimule
les papilles sans la dureté que
l’on retrouve couramment
avec ce cépage. 13 €
88/100
DELAUNAY VIGNERONS
Gros Plant du Pays nantais 2021
Expression franche de la folle
blanche, finement végétale,
tout en fluidité, sans excès
d’acidité. Seulement 10,5°
d’alcool dans ce blanc hyper
rafraîchissant et salin pour
les fruits de mer. 8,40 €
Romorantin,
des amers
saillants
tressallier
L e tressallier n’est en réalité
autre que le sacy venu de
Bourgogne. À Saint-Pourçain,
il épaule le chardonnay dans
les assemblages. Sa vivacité
aromatique, ses allures
citronnées et d’infusions,
son gras tonique démontrent
qu’il peut rayonner seul.
Une nouvelle génération
de vignerons (Bérioles,
Terres d’Ocre, Wambergue…)
lui donne un nouvel élan. A. G.
91/100
DOMAINE
À la vigne ou au chai, Jérôme Bretaudeau est le roi de l’expérimentation ! DES BÉRIOLES
IGP Val de Loire Tresaille 2021
À la manière d’un artiste, Jérôme Bretaudeau a créé
tout un univers autour de ses vins. Depuis
son installation en 2001, il n’a eu de cesse d’expérimenter
Jean Teissèdre confirme
sa maîtrise du cépage
tressallier et se surpasse
de nouvelles manières de conduire la vigne, de vinifier et avec cette interprétation
d’élever pour révéler une identité singulière du melon de étincelante. Le nez exotique
Bourgogne. Produite sur des sols de gabbro (roche magné- ne se montre en rien
tique) de Vallet, la cuvée Gaïa passe en œufs béton pour exubérant. La bouche est
affiner sa force naturelle. À l’inverse, sur les granites de salivante, longue, dotée
Clisson, la cuvée Les Perrières est élevée sur lies en cuves d’une acidité bien définie.
souterraines pour accompagner la finale amère d’une Belle garde. 15 €
élégance inimitable. Aucun autre domaine ne propose des
blancs aussi lumineux, éclatants d’arômes et de textures 90/100
précises et admirablement détendues. A. Goujard Ò JEAN WAMBERGUE
IGP Val de Loire Initial 2021
Pour un premier millésime,
(notes racinaires, gentiane…), en grande forme, il devrait il démarre fort, grâce à une
il développe en bouche
une carrure impressionnante
évoluer tranquillement dans
les prochaines années. Finale
expression épurée et enjouée,
aux notes de fleurs blanches,
de densité, une acidité et une
amertume saillantes qui le font
sapide, pleine de relief. 21 € de fruits exotiques et d’iode.
La sensation de maturité
évoluer sereinement quelques
décennies. De superbes blancs
92/100
DOMAINE
et sa longueur en font une belle
surprise. 15 €

F rançois Ier a fait venir

des ceps de Bourgogne
pour les planter autour
très déroutants. A. G.

du château de Chambord,
mais à cause de la peste,
ce projet s’est arrêté à…
Romorantin. Le romorantin est
le cépage de la petite appel-
lation du Loir-et-Cher, Cour-
Cheverny (55 hectares). Jamais
extravagant, parfois austère
92/100
DOMAINE DE MONTCY
Cour-Cheverny Lucé 2020
Bouquet de racines de gen-
tiane, finement austère mais
avec une approche détendue
de la bouche vers plus de fruits.
Une puissance solaire cana-
lisée par de beaux amers. Déjà
PHILIPPE TESSIER
Cour-Cheverny
La Portée Dorée 2020
Le nez montre une incroyable
richesse, oscillant entre notes
caillouteuses, racinaires
et d’épices. Une bouche
d’une belle carrure, dense
et structurée par une amer-
tume saillante, une sensation
presque tannique.
88/100
Ò CLOS DE BREUILLY
Vin de France 2020
Encore en dessous des radars,
ce domaine est à découvrir.
Dans un style ciselé, ce vin
offre des notes de mandarine
et de zeste. La bouche est pure,
gourmande et dense. À profiter
dans sa jeunesse. 24 € le 2021

96 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023

 Les Dégustations
Loire: chardonnay, chasselas, orbois et fié gris
Paris. Très connu en Suisse, il a 90/100
Chardonnay, prouvé qu’il pouvait donner ici Orbois, CLOS DU TUE-BŒUF
de jolis blancs, fringants, faible- Vin de France
il brille ment alcoolisés en offrant une un tardif Le Brin de Chèvre 2021
sensation croquante de raisins Cette cuvée Le Brin de Chèvre
à Orléans frais. Revigorant ! A. G. à suivre est un représentant du menu
pineau (90 %, planté en 1937

P lanté tout le long

de la Loire, tantôt pour
élaborer des effervescents,
tantôt des vins tranquilles,
le chardonnay peut aussi bien
être présent à 100 % dans
les vins du petit vignoble
d’Orléans qu’assemblé dans
ceux de Saint-Pourçain.
Ailleurs, on recense quelques
initiatives de vignerons
que l’on retrouve en IGP, avec
des vins aux profils floraux
et droits. A. G.
92/100
CLOS SAINT FIACRE
Orléans Les Larrys 2020
Ce chardonnay peut en bluffer
plus d’un. Encore marqué
par son élevage, le nez évoque
délicieusement la poire
comice et le chèvrefeuille. La
bouche est précise, légèrement
enveloppée, avec une longue
allonge saline. Garde
d’au moins quinze ans. 34 €
91/100
DOMAINE DES POTHIERS
IGP Urfé Fou de Chêne 2020
Du côté de la Côte Roannaise,
l’IGP Urfé permet la créativité
des vignerons. Avec le char-
donnay, par exemple ! Une
interprétation délicatement
beurrée, florale et fine
du cépage d’un équilibre
savoureux qui se débarrassera
de sa note boisée dans
90/100
DOMAINE JONATHAN
DIDIER PABIOT
Pouilly-sur-Loire 2021
Ce pur chasselas du Centre-
Loire séduit toujours par
la sensation charnue
de croquer dans le raisin.
Une fraîcheur florale
et un caractère hyper digeste
se dégagent en bouche.
Ce blanc très facile (11,5°
d’alcool) ne manque pas
de personnalité. 23 €
Jean Wambergue, à Saint-Pourçain
Le nouvel interprète
du tressallier
C épage historique
de la Touraine, surtout
dans le Loir-et-Cher, l’orbois,
aussi appelé le menu pineau,
a été remplacé par le sauvi-
gnon en AOC. Souvent utilisé
pour élaborer des bulles,
il se montre aussi passionnant
en vin tranquille. Sa maturité
tardive lui confère des degrés
d’alcool faibles (moins de 12,5°)
et une vivacité bienvenue
(notes citronnées
et végétales). A. G.
D. R.
et 1950), accompagné du rare
cépage meslier Saint-François,
d’une singularité de saveurs
qui ne vous laissera pas indif-
férent. Un quart a été macéré
pendant trois semaines
en amphores. Derrière
un nez “nature” qui ne raconte
pas beaucoup l’origine, ce vin
dégage une énergie formidable
avec une sensation de quin-
quina, d’herbes aromatiques,
d’amertume ébouriffante
en bouche. Seulement 11,86°
d’alcool et une sensation
franche de croquer dans
le raisin. À boire dans
les prochaines années. 27 €
Fié gris: à
redécouvrir
G énéreusement planté
dans le Haut-Poitou
et la Touraine avant la crise
du phylloxéra, le cépage fié
gris, alias le sauvignon rose,
comme la couleur rosée des
baies le suggère, a quasiment
disparu au profit du sauvignon
blanc, plus productif. Il partage
un lien de parenté avec
ce dernier, en plus exotique
(litchi, eau de rose…), tout
en gardant une certaine toni-
cité. Comme le menu pineau,
il est malheureusement écarté
de l’appellation Touraine. A. G.

les prochaines années. 18 €

Jean Wambergue : deux citations en deux mois dans La RVF !
88/100
DOMAINE
Revigorant P our un coup d’essai, c’est un coup de maître qu’a réa-
lisé Jean Wambergue ! Ouvrier agricole, totalement
ÉRIC CHEVALIER
IGP Val de Loire
chasselas étranger au monde du vin, il devient vigneron par passion
en 2020 et achète 3,5 hectares de vignes pour constituer
Les Gralettes 2019
Derrière une réduction mar-

O n retrouve une trentaine

d’hectares de chasselas
en Centre-Loire, en appellation
Pouilly-sur-Loire (secteur
de Pouilly-Fumé). Il servait
autrefois à produire des raisins
de table qui alimentaient
son domaine. À tout juste 30 ans, mû par une saine ambition,
il élabore des blancs épurés. Au quotidien, il bénéficie
des conseils éclairés de Jean Teissèdre du domaine
quée à l’ouverture, des notes
de litchi et de groseille animent
une matière pourvue d’un gras
des Bérioles, chez qui il vinifie. En 2024, Jean Wambergue séduisant. Sa douce amertume
élaborera dans ses propres installations ses blancs donne du tonus. Un blanc
et ses rouges issus de quelques hectares de pinot noir supplé- assurément sympathique
mentaires. Un vigneron à suivre de près. P. Vila Palleja et original. 14-16 € (cavistes)

Les coordonnées des producteurs sur larvf.com

LA RVF N° 669- AVRIL 2023 - 97

 Les Dégustations
Italie

En Campanie, l’aglianico
Photos : J. Cukierman

se décline sous l’appellation

Taurasi, face au Vésuve
(vu ici depuis la ville de Sorrente).

L’aglianico, âme des grands

rouges de l’Italie méridionale
Fierté de la Péninsule, cet élégant cépage s’épanouit en Campanie et Basilicate où il est mis en valeur par
les vignerons qui en tirent des vins d’une richesse de styles passionnante. Partons à sa découverte !
Une dégustation de Jérémy Cukierman

S
urnommé le “nebbiolo du sud”, l’aglianico est l’un des thermique entre le jour et la nuit y est importante. L’influence
grands cépages de l’Italie méridionale et l’une des plus volcanique n’est pas directe. Les résidus projetés par le Vésuve
anciennes variétés de la péninsule. D’origine grecque, il sont venus enrichir les sols à dominante argilo-calcaire d’une
est introduit en Italie au VIIe siècle avant couche de sables volcaniques et de
notre ère. Selon les textes de l’époque, il cendres très légères. Une géologie parti-
aurait servi de cépage améliorateur dans culière qui protège les vieux ceps francs
l’assemblage du falerne, le célèbre vin de pied du phylloxéra.
romain aromatisé produit en Campanie En Basilicate, les vignes sont directe-
dans l’Antiquité. Goûter de grands aglia- ment plantées sur les pentes du volcan
nicos, c’est donc revisiter trois millé- Vulture, au nord de la région. Les sols y
naires d’histoire. Mais c’est aussi par- sont plus compacts, stratifiés, riches en
courir des paysages accidentés, sculptés métaux et en éléments nutritionnels,
par l’activité volcanique, découvrir parfois jaunes quand le soufre domine
des vignes ancestrales. Certaines res- ou bleus et rouges dans les substrats plus
semblent à de véritables arbres comme ferrugineux.
au domaine Guastaferro, à Irpinia.
Le territoire de l’aglianico s’étend sur TRAME TANNIQUE
deux appellations principales : Taurasi Dans ces deux régions, les vignobles sont
en Campanie (un millier d’hectares) et implantés en altitude, ce qui explique,
Aglianico del Vulture en Basilicate (près outre les caractéristiques intrinsèques
de 1 500 ha). La première fait face au du cépage – puissante trame tannique,
Vésuve, à l’est du volcan. La région est Jérémy Cukierman devant une vigne bicentenaire acidité marquée et large palette aroma
vallonnée, plutôt fraîche, l’amplitude d’aglianico (domaine Guastaferro). Colossal ! tique –, sa formidable capacité de réten-

98 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023

 Les Dégustations
L’aglianico, âme des rouges méridionaux
La dégustation
97-98/100
CANTINE LONARDO
Taurasi T31 2012
Ces vieilles vignes plantées
à Taurasi, en Campanie,
donnent un seul demi-muid
de vin portant le numéro 31.
Équilibre superlatif, notes
d’humus, de rose et d’herbe
coupée, bouche sur le vieux
balsamique, délicate, droite,
à la trame tannique marquée
mais très noble, avec une
pointe de tabac caractérisent
ce vin exceptionnel de profon-
deur et de persistance. Hors
classe. 70 € (cavistes)
96-97/100
LUIGI TECCE
Taurasi Riserva
Poliphemo Vecchie Vigne 2015
Sur le terroir de Paternopoli,
à 480 mètres d’altitude,
tion d’acidité, même lors d’étés particulièrement chauds. ces vieilles vignes s’épanouis-
L’aglianico mûrit tard, sa maturité phénolique est atteinte en sent sur des sols argilo-
octobre, voire début novembre pour les terroirs les plus frais. calcaires. Quarante jours de
Si, à l’instar de tous les grands vins rouges italiens, les éle- macération en cuves ouvertes
vages pratiqués par les vignerons de Taurasi et d’Aglianico del de châtaignier, puis un élevage
Vulture sont longs, les extractions, le temps des macérations, de 24 mois en foudres et demi-
de quelques jours à plusieurs mois, et le choix des contenants muids anciens donne ce rouge
sont eux très variables et mettent en lumière différentes d’une grande finesse malgré
approches stylistiques. Côté vinification, certains vignerons un millésime chaud ! Puissant
préfèrent ne pas trop extraire pendant la fermentation pour mais délicat avec ses arômes
laisser la structure s’exprimer et obtenir des vins plus fins et de graphite, de feuilles de thé,
délicats. Avec deux fois plus de composés phénoliques que le de cerise amarena, sa bouche
nebbiolo, l’aglianico s’y prête très bien. Les domaines Lonardo sur la crème de balsamique.
et Luigi Tecce incarnent parfaitement ce style. D’autres, au Un vin taillé pour la garde.
contraire, choisissent de pousser davantage les extractions 70 € (cavistes)
pour élaborer des vins plus charpentés, qui demandent plus
du temps pour se révéler. C’est notamment la signature du Deux fameux vignobles d’aglianico
domaine Joaquin.
Côté élevage, l’aglianico étant plutôt réducteur en raison de
sa structure tannique et, dans certains sols, de la présence de
soufre volcanique, la micro-oxygénation amenée par les éle-
vages en bois s’impose dans la plupart des caves. La proportion
de bois neuf est très variable, l’usage de foudres et de demi-
muids anciens reste très fréquent. Dans les domaines les plus
traditionnels (Lonardo, Guastaferro, Pietracupa…), on ne
recherche pas la patine boisée.
Il est temps maintenant de partir à la découverte de ce
cépage fascinant, trésor de l’Italie méridionale, et trop souvent
éclipsé par ses voisins septentrionaux.
Conditions de la dégustation
Tous les vins ont été dégustés par Jérémy Cukierman en Campanie et
Basilicate en juin 2022. Les prix indiqués sont les prix moyens cavistes
en Europe, ces vins n’étant pas distribués en France à l’exception de
Mastroberardino (idea-vino.fr) et Pietracupa (artedelvino.fr).
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 99
95-96/100
CANTINE LONARDO
Taurasi Vigne d’Alto 2016
Dans un cirque à 450 mètres
d’altitude sur le terroir de
Taurasi, les vignes ont été plan-
tées entre les années 1920 et
1960, sur tuf et cendres. Elles
sont exposées au sud et très
ventilées. La macération est
courte et l’élevage se fait en
foudres et vieux demi-muids.
Nez sur le fusain et le thé noir,
avec des notes de rose. D’une
grande noblesse, la bouche est
marquée par un grain de tanin
crayeux. Très beau vin.
49 € (cavistes)
95-96/100
GUASTAFERRO
Taurasi Primum Riserva 2007
Ce riserva est issu d’un hectare
de ceps bicentenaires à Irpinia.
Aucun bois neuf pour l’éle-
vage. Notes de boîte à tabac et
de prune noire au nez. Ce vin
d’une immense concentration
titre 15°, sa bouche est sou-
tenue par un support acide qui
lui confère une grande énergie.
Il possède la majesté de son
terroir et de ses vignes immor-
telles. 50 € le 2016 (cavistes)
95/100
PIETRACUPA
Taurasi 2016
Le très grand vigneron Sabino
Mappavini

Loffredo a choisi un terroir
frais (environ 350 mètres
d’altitude) sur la commune
de Torre Le Nocelle, en
Campanie, pour s’installer.
Ses vignes ont aujourd’hui
une vingtaine d’années. Après
un bon mois de macération
et une extraction douce, il
élève son taurasi uniquement
dans de vieux foudres et
demi-muids. En 2016, il n’a été
produit que 2500 bouteilles
en raison de la grêle. Très pur,
ce rouge se montre vertical et
crayeux, mais avec une très
belle onctuosité en milieu de
bouche. Beaucoup de potentiel
et déjà énormément
de charme. 49,50 € (cavistes)
94-95/100
ELENA FUCCI
Aglianico del Vulture Superiore
Titolo 2018
À Barile, en Basilicate, les
vignes sont ici directement
plantées sur les pentes du mont
Vulture, à plus de 600 mètres
d’altitude, et peuvent atteindre
80 ans pour les plus vieilles. La
cuvaison est très courte pour
préserver la délicatesse et la
Taurasi 2015
de Pietracupa :
un aglianico
très pur, vertical
et crayeux.
D. R.
Les Dégustations
Italie
Cantine Lonardo, à Taurasi altitude ; il est même plus vif
que son aîné d’un an, pourtant
Un joyau de la Campanie issu d’une année plus fraîche.
Ce vin est encore droit dans ses
bottes, structuré, très tonique,
sur la cerise noire et une pointe
florale. Très beaux amers.
Immense potentiel de garde.
44 € (cavistes)
94/100
PIETRACUPA
Taurasi 2010
Même origine, même vinifi-
cation et même élevage que le
2016. C’est un grand millésime
d’équilibre. Le vin ne titre que
13°. Du crémeux, de l’onctuo-
sité en bouche. Le toucher est
tendre et pourtant on perçoit
Les vins de Sandro Lonardo, ici avec sa fille Antonella, sont sans fard. beaucoup de tension sous-
jacente. Notes de goudron,
C ette toute petite propriété familiale de seulement cinq
hectares est l’un des joyaux de la Campanie. Sandro
Lonardo a tout d’abord fondé la coopérative de Taurasi à la
de fusain et de noyau de cerise.
Quelle longueur ! N. C.
fin des années 1980, à une époque où quasiment personne, 93-94/100
à l’exception du domaine Mastroberardino, ne produisait VILLA DIAMANTE
son propre vin. En 1997, il décide de voler de ses propres ailes Taurasi Riserva
et d’embouteiller sa production. Il travaille aujourd’hui avec Libero Pensiero 2008
ses deux filles, Antonella et Enza. Le style très traditionnel est Ce riserva est originaire
précis, sans aucun fard, avec des extractions douces, pas de Castelfranci. Par rapport
de bois neuf et des élevages longs. Il privilégie la droiture, à son cadet, il semble légère-
la verticalité et la profondeur. Les amateurs ne s’y trompent ment plus évolué et un peu
pas. Ses aglianicos sont au sommet. Les parcellaires sont d’un plus charnu, avec ses notes de
niveau époustouflant. Le domaine fait aussi vivre une petite sous-bois, de cuir et torréfiées.
rareté, le grecomusc’. Un cépage autochtone quasi-disparu, Il est aussi plus enrobant,
connu sur place sous le nom de rovello bianco, aux subtiles les tanins plus épais, mais il a,
notes cendrées et de citron confit. J. Cukierman en revanche, un peu moins
de verticalité et d’allonge.
Un rouge plus sphérique
fraîcheur du fruit. L’élevage en vieux bois, foudres et demi- qui semble déjà posé, avec une
se fait en barriques (50 % muids. Ses arômes fumés, de belle onctuosité qui enveloppe
de bois neuf) et en demi- fruits noirs, d’épices exotiques sa puissance. 46 € (cavistes)
muids. Voici un millésime très et de réglisse font place à une
équilibré, aux notes de pivoine, bouche d’abord soyeuse puis 93/100
de lavande, de framboise et de tendue avec de la structure CARBONE
groseille. Intense et peu extrait, (cerise amère) et une pointe Aglianico del Vulture
avec un grain de tanin délicat sanguine. Finale très longue Stupor Mundi Riserva 2013
et une très belle persistance sur la rose et la cendre. Issu du terroir de Melfi, dont les
salivante. 47 € (cavistes) Un grand vin. 38 € (cavistes) sols volcaniques contiennent
une forte proportion de soufre.
94-95/100 94/100 2013 est un très beau millésime
GUASTAFERRO VILLA DIAMANTE dans le secteur. Cet aglianico
Taurasi 2016 Taurasi Riserva dévoile un nez fumé, de cigare
Sur la commune de Taurasi Ad Ultimum 2009 froid et de cuir. Sa palette est
à un peu moins de 400 mètres Les élevages sont ici très longs : déjà assez évoluée. En bouche,
d’altitude, les vignes âgées cinq ans en vieux bois on relève une belle intégration
– mais moins que la parcelle de châtaignier et cinq ans tannique un joli velouté et
bicentenaire du domaine – en inox. Millésime chaud mais un style assez aérien. Belle
livrent un grand classique de les vignes (à Montemarano, en longueur et du charme.
l’appellation. Lui aussi est élevé Campanie) sont très hautes en 42 € (cavistes)
100 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023

L’aglianico, âme des rouges méridionaux
92-93/100
D’ANGELO
Aglianico del Vulture Tecum 2017
Les plus vieilles vignes
du domaine – plus de 80 ans –
sur Barile avec ses sols de tuf
volcanique ferrugineux. Cette
cuvée (2000 bouteilles) existe
depuis 2013, elle a été créée
en hommage à Lucio D’Angelo
disparu brutalement en 2007.
L’élevage, long, se fait en cuves
béton, vieux bois et bouteilles.
Le vin s’exprime sur le cuir,
le goudron et l’olive noire. D’un
grand classicisme, il sonne
juste, avec de la brillance et
de l’énergie. 39,50 € (cavistes)
Les Dégustations
importante et pratiquait une
cuvaison très courte. Le vin a
aujourd’hui digéré son élevage.
Il est encore fringant et ne fait
pas du tout son âge. Les tanins
se sont assagis mais sont encore
bien présents. Le marqueur
acidulé du domaine est éga-
lement bien là. Son intensité
fruitée impressionne.
35 € le 2019 (cavistes)
92-93/100
MASTROBERARDINO
Taurasi Riserva Radici 2012
Le producteur historique
de l’appellation n’élabore
aromatiques. Le toucher est
très séduisant, suave, mais il est
un peu plus riche en finale. La
pointe vanillée de l’élevage est
là. Une version plus moderne,
moins droite, mais avec
du charme. 37 € (cavistes)
92/100 Ristorante Oasis
D’ANGELO
Aglianico del Vulture Caselle 2009 Sapori Antichi,
Issu de la parcelle (vignes à Vallesaccarda
de 50 ans sur sols très ferrugi-
neux) qui a donné son nom à la A tavola dai
cuvée, ce vin n’est produit que
les grandes années. À l’instar
Fischetti ! (*)
de la cuvée Tecum, la marque

92-93/100
ELENA FUCCI
Aglianico del Vulture
Titolo 2001
C’est le deuxième millésime
d’Elena Fucci. À l’époque,
la vigneronne utilisait une
proportion de barriques plus
Elena Fucci, à Barile
Son Titolo, quelle énergie !
ce riserva que les meilleures
années. Il est issu de parcelles
haut perchées à Montemarano
et qui reposent sur des sols
argilo-calcaires. La macération
a duré près d’un mois, l’éle-
vage patient est un assemblage
de fûts français et de foudres
slavoniens. Le nez est élégant,
sur la lavande et les herbes
de fabrique du domaine est
un long passage en cuves
béton, puis en vieux foudres.
Millésime chaud, il ne titre
pourtant que 13°. Le nez exhale
des arômes tertiaires : notes
de camphre, d’humus et de
goudron. La bouche se montre
d’une belle complexité, tendre,
avec des tanins assagis
et une légère salinité. Il semble
proche de son apogée.
26 € le 2015 (cavistes)
90-91/100
JOAQUIN
L a famille Fischetti tient
ce haut lieu de la gas-
tronomie qui fait la part
belle aux produits de
la Campanie et à la cuisine
traditionnelle. On dîne
dans la salle à manger, au
milieu de vieux meubles
chinés, en écoutant des
classiques de jazz et Frank
Sinatra. Le service est
à la fois personnalisé et
précis. L’assiette est juste,
savoureuse, ce qui vaut
au restaurant une étoile
Michelin depuis désor-

E n 2000, ses parents

veulent vendre
le domaine familial.
Taurasi Riserva
Della Buona Morte 2015
Ce vin est un assemblage
mais vingt-trois ans. Que
dire de la carte des vins, si
ce n’est qu’elle est impres-
Elena Fucci, qui avait des meilleurs lots de raisins sionnante ? Des verticales
jusqu’alors choisi récoltés sur une parcelle des meilleurs producteurs
une autre voie, décide de 1,2 hectare d’un seul tenant de Taurasi, de Fiano
de revenir à Barile, à Paternopoli. Ils sont issus de di Avellino et Greco di Tufo
sur les pentes du vignes de 120 à 150 ans situées bien sûr, mais aussi les
volcan Vulture, pour à plus de 450 mètres d’altitude. grands noms de Toscane,
reprendre les vignes C’est un vin très concentré et du Piémont, de Vénétie
plantées pour partie dense, avec une pointe lactée et même quelques pépites
par son grand-père. et torréfiée. Il offre du fond, hexagonales, le tout à prix
Elle va alors étudier beaucoup d’extraits secs, mais très doux. Une oasis pour
l’agronomie et l’œno- il a aussi un peu de mal à se les palais éclairés au cœur
logie tout en commen- défaire de l’empreinte solaire de la Campanie. J. C.
çant à embouteiller du millésime et de son élevage (*) À table chez les Fischetti
ses vins. La production (cinq ans en fûts de châtai-
trouve très rapidement Elena Fucci a repris le domaine familial gnier). Il cultive un air d’ama-
sur les pentes du volcan Vulture.
son audience, grâce à des rone, avec ses arômes de raisins les très beaux parcellaires
vins acidulés, pleins et énergiques. Le vin d’Elena s’intitule de Corinthe et de pruneau. du domaine. Très floral, sur la
Titolo, hommage au nom de la parcelle la plus haute achetée 200 € (cavistes) violette, les herbes coupées et
par son grand-père : la Contrada Solagna Titolo. Titolo la myrtille, le nez séduit immé-
se décline en Aglianico del Vulture classique, superiore 90/100 diatement. La structure est là
ou riserva. La vigneronne est également très attachée CANTINE LONARDO mais l’attaque est pulpeuse et
aux pratiques environnementales. Elle a fait construire Irpinia Aglianico 2017 l’acidité très juste. Ce rouge,
un éco-chai en utilisant uniquement des matériaux Cette cuvée est un assemblage au prix très doux, témoigne
recyclés. Ce nouveau bâtiment produit aussi toute de terroirs. Elle affiche du grand talent de ce domaine.
son énergie. J. Cukierman la même ambition que 17 € (cavistes)

En cours de conversion bio Vin biologique Vin en cours de conversion à la biodynamie Vin biodynamique

LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 101

 Les Dégustations
Bordeaux
Photos : D. R. / Château de Respide

Sauvignon, sémillon
(comme ici au château de Respide)
et muscadelle composent
les blancs de Graves.

Graves 2021 : des blancs secs

qui font honneur à Bordeaux
Dans cette appellation réputée pour ses rouges, les rares blancs affirment leur identité.
Cette dégustation d’un millésime 2021 “septentrional” qui tranche avec ses aînés révèle un large
éventail de profils, avec des vins à prix très accessibles. Réjouissons-nous ! Une dégustation de Pierre Citerne

L
es vins blancs représentent aujourd’hui moins du quart
de la production de l’appellation Graves (19 % de graves
blancs, secs, et 3 % de graves supérieurs, moelleux ou
liquoreux). C’était pourtant autrefois la couleur dominante,
notamment dans la partie sud des Graves, autour de Langon.
Le difficile millésime 2021 – le gel a sévèrement touché l’ap-
pellation – a la réputation d’avoir été plus favorable aux blancs
qu’aux rouges. Voici une occasion de le vérifier, en même
temps que de prendre le pouls d’un vin dont le style a consi-
dérablement évolué au fil des ans. Dans un contexte général
d’interrogation sur ce que doit être un blanc sec bordelais, les
graves sont questionnés à la fois par les vins de Pessac-Léognan
au nord et, de l’intérieur, par la nouvelle vague des blancs secs
issus de l’aire d’appellation Sauternes. Voici également l’occa-
sion de réviser sa géographie ! L’appellation est vaste, se déve-
loppant sur près de 50 kilomètres de long ; elle pourrait faire
davantage parler d’elle dans les années qui viennent, car la
relative accessibilité de son foncier en fait une terre d’expéri-
mentation et de prospective.
DES VINS FRAIS ET TONIQUES
Premier constat, les équilibres acides sont très convaincants,
avec des vins globalement frais et toniques, mais sans dilution.
Cependant, la maturité était manifestement parfois un peu
juste et l’état sanitaire des raisins hétérogène. Nous avons noté
une amertume souvent marquée, ainsi que de nombreux vins
réduits, marqués par le sulfitage. Il y a d’autre part quelques
évolutions rapides du profil aromatique. Voilà pour le revers

102 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023

 Les Dégustations
Graves blancs 2021

22 cuvées à partir
de 6,75 euros
Gourmands, minéraux, riches ou salins…
ces blancs 2021 sauront vous séduire. P. Ci
91/100
CHÂTEAU CAZEBONNE
Tout juste mis en bouteilles,
le vin de l’ambitieux domaine
reconstitué autour de Saint-
Pierre-de-Mons par Jean-
Baptiste Duquesne n’est pas
encore en place mais manifeste
déjà un fort caractère, témoi-
gnage valeureux d’un raisin
rare (60 % sauvignon blanc,
35 % sémillon et 5 % sauvignon
gris – le gel ayant réduit le ren-
dement à 3 hl/ha, soit au total
deux barriques de 500 litres).
L’aspect est légèrement laiteux
et la prise de bois encore per-
ceptible, ce qui n’empêche pas
d’admirer la très belle matière,
longue, étirée, un peu
tannique avec sa pointe de miel
Mappavini
reux, gourmand, charnu, il
manifeste beaucoup d’entrain
(communicatif !), ainsi qu’une
belle allonge. Issu d’une petite
propriété du nord de l’appel-
lation, située à Ayguemorte-
les-Graves, proche de
Pessac-Léognan, voici une
interprétation beaucoup plus
mûre et “libre” que la moyenne
du blanc de Graves, une vision
à laquelle nous souscrivons
sans réserve. 18,50 €
89/100
CHÂTEAU
ROQUETAILLADE
LA GRANGE
Le blanc de ce vignoble lié
à l’historique château fort situé
sur la commune de Mazères,

de châtaignier bien calée au sud de Langon, offre une

au cœur de la tension. 16 € dominante végétale en accord
avec la robe très pâle. Le buis
91/100 et l’angélique marquent le nez,
de la médaille de ce millésime 2021 “septentrional” qui tranche CHÂTEAU PEYRAT
comparé aux blancs parfois un peu “bedonnants” de 2015, 2018 L’intensité de sa robe jaune
ou encore 2020. d’or tranche parmi ses pairs ! Château
Stylistiquement, on note une évolution louable vers des vins Original, le nez indique Cazebonne 2021 :
moins marqués par des options techniques voyantes, moins une maturité aboutie, et un fort caractère
de vins très boisés ou caricaturalement thiolés. Les graves même poussée, dans des tona- et une très belle
blancs n’ont aucun intérêt à singer les Côtes de Gascogne, lités plus orange que citron, matière.
ni la Côte de Beaune. Peut-être les vignerons ont-ils fait le avec d’intrigantes pointes de
tour de ces recettes miracles, peut-être leur confiance en la menthe, de santal, de résine…
toute puissance œnologique est-elle devenue moins naïve… Il y a beaucoup de gras en
Notons aussi du côté des choses très positives les prix des meil- bouche, un toucher crémeux
leures cuvées, aucune à plus de 25 euros, certaines à moins de mais sans aucune mollesse,
10 euros, permettant l’accès à des vins possédant un réel carac- un fruit large et savoureux
tère, un sens du lieu, de l’histoire et des cépages. Le sémillon, (80 % de sémillon) qui n’oublie
qui a besoin d’une haute maturité et bénéficie des millésimes ni la tenue acide ni la longueur.
plus solaires, semble à ce sujet confirmer son retour en grâce, 9,50 €
ce qui donne de l’assise et de la texture à ces vins majoritai-
rement basés sur la complémentarité sauvignon-sémillon. 90/100
On peut se réjouir de l’éventail des profils qui, en jouant sur CHÂTEAU LUSSEAU
les cépages et les techniques de vinification, va du blanc tran- La belle maturité du raisin
chant, aromatique et immédiat au vin de matière capable est perceptible dès le nez :
d’évoluer favorablement dans le temps. agrumes, tonalités chaudes,
vivantes, épicées, un peu
Conditions de la dégustation levuriennes et briochées
D. R.

Les vins ont été goûtés à l’aveugle en octobre 2022 par Pierre Citerne à la aussi (vinification en bar-
Maison des vins de Graves de Podensac, que nous remercions vivement riques, élevage sur lies). Le vin
pour l’organisation. confirme en bouche ; savou-

Les coordonnées des producteurs sur larvf.com

LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 103

 Les Dégustations
Bordeaux
Château prise de bois encore saillante,
Roquetaillade une amertume soutenue.
La Grange 2021 : Quoiqu’austère à ce stade,
un blanc fringant
la matière s’avère remarqua-
et direct.
blement bien dotée, y compris
en richesse glycérolée. Produit
tout au nord de l’appellation,
le vin de Montesquieu pos-
sède un indéniable potentiel ;
il faudra un peu de patience
pour le voir se concrétiser. 25 €
88/100
CHÂTEAU DES PLACES
Du nord de l’appellation
(Arbanats), voici un assemblage
(50 % sémillon, 40 % sauvignon,
10 % muscadelle) expressif,
habilement mis en scène par
un schéma vinification-élevage
partagé entre cuves inox
et barriques neuves (30 %
du volume), un fruit accessible
D. R.
tation avec à-propos.
Le millésime 2021 a vu ce cru
important de la région langon-
naise changer de mains ;
si l’on en juge par cette cuvée,
le passage de témoin entre
les familles Bonnet et Chatin
se fait dans une indéniable
continuité de style. 14 €
88/100
CLOS FLORIDÈNE
Le cru de la famille
Dubourdieu, à Pujols-sur-
Ciron, tout près de Sauternes,
est reconnu pour la sûreté
stylistique et la capacité
de garde de son blanc mi-
sauvignon mi-sémillon.
On retiendra de la version 2021
la très belle tenue en bouche,
la fermeté presque minérale
de la matière, l’acidité particu-
lièrement tendue, l’amertume
un peu austère aussi. Le cadre
aromatique livre encore peu
de choses, si ce n’est une
expression thiolée prévisible.
Laissez ce vin campé sur
son socle calcaire tranquille
pendant quelque temps,
il s’épanouira. 20,40 €
87/100
CHÂTEAU DE BEAU-SITE
Ce vignoble fait partie des
domaines Rodrigues-Lalande,
également propriétaires dans
l’appellation Pessac-Léognan.
Si la robe de cet assemblage
équilibré (48 % sémillon, 45 %
sauvignon blanc, 5 % sauvi-
gnon gris et 2 % muscadelle)
est intense, le nez reste assez

titillé par une pointe grillée,

nuancés par une expression de
fruit jaune (coing) qui grandit à
l’aération et équilibre joliment
la perception aromatique.
Beaucoup de CO2 en bouche,
le vin reste fringant, direct,
poussé par une acidité bril-
lante que l’on peut qualifier de
“septentrionale”. L’assemblage
privilégie le sémillon, complété
à parts égales par le sauvignon
et la muscadelle. 9 €
89/100
VIEUX CHÂTEAU
GAUBERT
À la fois solidement constitué et
frais, avec une touche salée qui
qui reste ingambe, livrant Château de la Brède, à La Brède
une saveur de citron mûr
et de chèvrefeuille. Prévisible
mais fort bien mené. 8,80 €
Éloge de la sincérité
88/100
CHÂTEAU PONT DE BRION
Ce domaine familial dont
les vignes sont sises sur la com-
mune de Langon, à la limite de
Saint-Pierre-de-Mons, possède
une appréciable réputation
en matière de vin blanc.
La teinte de ce millésime 2021
est intense, dorée, la matière
bien fournie, encore un peu
austère, épaulée, solide, tex-
turée. Un blanc typé sémillon
(70 % de l’assemblage), doté
d’un caractère entier. On a

prolonge la bouche, ce grand
“classique contemporain” du
nord de l’appellation (Portets)
ne passe pas inaperçu en 2021.
Déjà expressif mais apte à
vieillir, il s’impose avec aplomb
au nez comme en bouche, bien
soclée par le sémillon (50 %).
L’ensemble finit sobre et strict,
ferme, très propre. 14 €
88/100
CHÂTEAU DE LA BRÈDE
La robe frappe par ses beaux
reflets verts ! Le premier
contact demeure discret,
presque réticent, avec une
envie de le voir évoluer. 14 €
88/100
CHÂTEAU DE RESPIDE
Callipyge
Porté par une réduction élé-
gante, cet assemblage paritaire
de sauvignon et de sémillon
se montre déjà très lisible et
séduisant, vif, de bonne inten-
sité, avec un fruit musqué
expressif, une touche de fleur
d’acacia. La pointe grillée
apportée par la vinification
et l’élevage en barriques
de 400 litres (dont 20 % sont
neuves) s’insère dans la dégus-
P. Labeguerie
Dominique Haverlan œuvre aussi au Vieux Château Gaubert
avec son fils Romain, arrivé au domaine en 2018.
V oici le château de Montesquieu, à la limite de l’appella-
tion Pessac-Léognan. Dominique Haverlan,
responsable de ce projet viticole depuis 2012, ne prend pas à
la légère ce contexte historique et monumental, avec un vin
très sérieux, ambitieux, mais sans concession, sans tapage.
Le vignoble a été planté en 2008 ; l’encépagement, équilibré
entre sauvignon et sémillon, présente la particularité d’ac-
corder une part plus qu’anecdotique à la muscadelle (20 %).
Un vin conçu pour la garde, c’est une bonne chose. Aussi
avouons-nous sans regret avoir à l’aveugle préféré l’expres-
sivité et le charme du Vieux Château Gaubert, cœur de l’acti-
vité viticole familiale. La Brède attend son heure ! P. Citerne

104 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023


mutique. La matière est
méritante, un peu tannique,
construite, peut-être un peu
sollicitée mais sans doute
capable de bien évoluer. 14 €
87/100
CHÂTEAU BRONDELLE
Le charme aromatique retient
l’attention dans ce vin dominé
par le sauvignon (60 %), avec
de fines suggestions de menthe
poivrée, de verveine et même
de fleur d’oranger. La bouche
est légère, bien proportionnée,
sans aspérité ni marque
d’élevage (tout se passe
pourtant en barriques, dont
40 % de neuves) ; la matière
se contente sagement de servir
les arômes. 13,50 €
87/100
CHÂTEAU HAUT SELVE
Cette cuvée est issue
d’un vignoble créé ex nihilo
en 1993 sur la commune
de Saint-Selve. Les sauvignons
de l’assemblage sont vinifiés
en cuves et les sémillons
en barriques. En résulte un
vin légèrement doré, à la chair
ample, avenante, de belle et
franche saveur, bien en place,
sans effet de manche. 15 €
87/100
CHÂTEAU LES CLAUZOTS
Cette propriété de Saint-
Pierre-de-Mons propose en
2021 un vin très pâle, au profil
tendu, incisif, fondé sur
une acidité citronnée mais sans
dureté. Le sauvignon (70 % de
l’assemblage) impose son profil
variétal, ici dans une inter-
prétation presque ligérienne :
notes de fleurs blanches,
pointe végétale, alliacée
(aspérule odorante ?). 9 €
87/100
CHÂTEAU
TOUR BICHEAU
L’expression de ce sémillon
majoritaire (70 %), vinifié et
élevé en cuves inox, apparaît
déjà un peu patinée, autom-
nale, avec des suggestions
de fleur d’oranger et de sucre
candi. En contraste avec
En cours de conversion bio
Les Dégustations
Graves blancs 2021
Château Peyrat, à Cérons dans la main avec les notes her-
bacées (buis) caractéristiques
À des années-lumière du cépage dans ses expressions
en limite de maturité. 10,20 €
du “blanc à huîtres”
86/100
CHÂTEAU DE ROLLAND
Issu du terroir calcaire de
Pujols-sur-Ciron, ce sauvignon
majoritaire (70 %), vinifié
et élevé en cuves inox, offre en
première intention une réduc-
tion qui masque la définition
du vin, mais il y a de la matière,
une bonne plénitude. On a
envie de le voir s’épanouir. 9 €
86/100
CHÂTEAU
SAINT-HILAIRE
En agriculture biologique
depuis 1970 (!), ce cru propose
D. R.
un blanc original, très sémillon
Ludovic, Aurélien et Damien (de g. à d.), un trio de passionnés. (90 %), vinifié en fûts neufs,
offrant de jolies saveurs
C ’est une des belles surprises de la dégustation. Elle nous
vient de Cérons, au nord de Barsac ; elle est le fruit
de la réunion de trois associés en 2014, Aurélien Dulor,
de citron meringué et de fleur
d’acacia. L’expression aroma-
tique est déjà bien formée,
Ludovic et Damien Martial. La générosité et l’ampleur on peut même la trouver
de ce sémillon très majoritaire rappellent avec malice un peu évoluée. La présence et
la vocation du cru à produire des vins liquoreux l’allonge en bouche sont de bon
en surmaturité (quelques centaines d’hectolitres produits aloi, fondées sur la perception
chaque année en appellation Cérons, la plus petite de l’amertume. 11 €
du Bordelais). Fermenté grâce aux seules levures indigènes,
vinifié puis élevé un an en cuves ciment (avec tout de même 86/100
10 % du volume qui passe en barriques de 400 litres), voici CHÂTEAU SIRIO
un vin qui dépasse avec beaucoup de panache le cadre trop Issue de la commune de
souvent attendu du graves “blanc à huîtres”… P. Citerne Cérons, dont le vin liquoreux
en appellation communale
devient une rareté, cette cuvée
le nez, il y a beaucoup de gaz 86/100 privilégie le sauvignon (80 %).
en bouche, une matière légère CHÂTEAU JOUVENTE Miel et pointe herbacée
mais savoureuse, franche. On Encore chargée en gaz, cette se partagent le devant de la
se sent proche du raisin. 6,75 € cuvée sans sémillon (75 % sau- scène. Le cépage dominant
vignon blanc, 10 % sauvignon déploie son marqueur sureau,
86/100 gris et 15 % muscadelle) offre un très caractéristique pour cer-
CHÂTEAU DE CASTRES profil peu aromatique mais vif tains dégustateurs. La matière
Appartenant aux mêmes et doté d’une bonne allonge, est directe, un peu amère, mais
propriétaires que le château un air décidé, salin, marin… pleine de santé. 15 €
de Beau-Site, le vin offre On lui confiera volontiers le
un profil voisin mais plus traditionnel plateau d’huîtres 86/100
expressif et soutenu. L’aspect du banc d’Arguin. 15,90 € CLOS DU ROY
doré soutenu est suivi d’un nez Appartenant aux mêmes
suggérant un vin moelleux : 86/100 propriétaires que le château
pêche rôtie, abricot… Grasse, CHÂTEAU LAGRANGE Piada à Barsac, la famille
savoureuse et de belle ampleur, Ce pur sauvignon blanc pâtit Lalande, voici un vin déjà
la bouche patine un peu en d’une réduction initiale un peu bien ouvert, délicat, aux notes
finale, avec une amertume qui trop marquée, mais il y a de la discrètes de zeste de citron
déséquilibre la dégustation. chair derrière, accorte, avec et de fleurs blanches,
Comme si le vin avait voulu une saveur de pamplemousse sans complication mais
trop bien faire. 16 € qui clôt la dégustation, main harmonieux et accessible. 9 €
Vin biologique Vin en cours de conversion à la biodynamie Vin biodynamique
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 105
 Les Dégustations

Sur les coteaux

de Cairanne,
le domaine
de l’Oratoire
Saint-Martin.

Rhône sud
À Cairanne,
la tentation toscane
L’appellation s’est fixé un objectif : devenir la Toscane de la Provence. La cartographie affinée
de ses terroirs, la diversité de ses cépages et un audacieux programme de plantation d’arbres
constituent des atouts précieux pour avancer dans cette direction. Dégustation et photos de Roberto Petronio

S
ituée à quelques kilomètres d’Orange, dans le sud de
la Vallée du Rhône, l’appellation Cairanne est devenue
un cru en février 2016 après huit années de bataille
auprès de l’Inao. Un titre amplement mérité eu égard à la qua-
lité de ses terroirs et de sa production : 1088 hectolitres pour
1 300 hectares dont 25 % cultivés en agriculture biologique.
Et les vignerons de Cairanne n’entendent pas s’endormir sur
leurs lauriers pour faire rayonner leurs vins.
Un soir de janvier, au cours d’un dîner au restaurant Babet
à Vaison-la-Romaine, nous nous apprêtions avec quelques
vignerons à réaliser de très beaux accords autour de leurs
cairannes et d’un pigeon cuit à la perfection, lorsque nous
entendons trois femmes confortablement assises juste der-
rière demander conseil à la maîtresse des lieux pour choisir
le vin. Leur seule consigne : que le vin ne soit pas trop élevé en
degrés. La scène pourrait sembler banale tant cette demande
est récurrente chez les consommateurs lorsqu’il s’agit d’un
cru méridional. Avec le réchauffement climatique, les degrés
montent ; les vins n’ont pourtant jamais été aussi bons, car tout
est question d’équilibre.

106 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023

 Les Dégustations
Cairanne: les vins rouges
Conscient que le réchauffement devient un fléau et que la
montée des degrés effraie les consommateurs, à Cairanne, on Les vins rouges
compte bien changer la donne. Comment ? Laurent Brusset,
vigneron et président de l’appellation, a fait réaliser une étude
des divers terroirs. Le constat est sans appel : sur le plateau en Ils mettent tous leurs raisins
direction de Violès et de l’Aigues, le manque de biodiversité
pénalise la vie dans les sols mais aussi celle de la vigne. Au nord
dans une cuvée unique
de la commune, le secteur de coteaux s’en sort bien mieux. Par définition, la cuvée unique, dite “tradition”, incarne le style
d’un domaine. Nous avons dégusté les 2021 déjà en bouteille et
JUMELLE DE LA TOSCANE ceux en cours d’élevage, qui seront embouteillés sous peu. Issu
Forts de ce constat, les vignerons se sont fixé comme objectif du millésime 2022, le vin du domaine Moun Pantaï sera, quant
d’anthropiser le paysage aux pentes douces de ce petit vil- à lui, mis en bouteilles bien plus tard. R. Petronio
lage du sud de la Vallée du Rhône en plantant mille arbres de
diverses essences (micocouliers, amandiers, cyprès, mûriers
blancs, cognassiers…) en cinq ans en bordure des vignes. Le 94/100 juste. Un vin dense et juteux
but : obtenir un microclimat plus frais, bénéfique à l’équi- LA BASTIDE doté de tanins puissants
libre des vignes. Mais aussi favoriser la pré- SAINT DOMINIQUE et solides qui proviennent
Modeler sence d’une faune utile pour combattre Les 2 Arbres 2021 certainement des 30 % de
le paysage les insectes nuisibles comme le ver de la
grappe (des nichoirs pour les chauves-
Provenant d’un coteau exposé
au sud sur le lieu-dit Estevenas,
mourvèdre dans l’assemblage.
Très réussi. 13,60 €
en plantant souris ont notamment été installés). Et il est composé de quatre
mille arbres surtout, modeler le paysage avec des cépages (grenache, syrah, 91/100
arbres qui se dresseront dans le ciel afin mourvèdre et carignan) à parts GRANDES SERRES
de diverses que Cairanne devienne la sœur jumelle égales. Il délivre un parfum Les Entregades, Les Coustias,
essences d’une Toscane made in Provence. Le projet
peut sembler ambitieux, mais il est perti-
somptueux aux notes de fraise
des bois et d’orange sanguine.
La Ridel 2021
Brut de cuve. Fruit de diverses
nent face à un enjeu de taille : apporter de la fraîcheur dans Ce vin généreux mais raffiné parcelles comme son nom
des rouges toujours plus riches, tout en plantant davantage de à l’attaque gracieuse et fine est l’indique, il développe
raisins blancs pour faire face à la demande croissante. doté d’une belle colonne verté- un très beau parfum où
brale et du jus d’un raisin mûr se mêlent des notes de thym
DES BLANCS MINORITAIRES tout en respectant l’équilibre et d’herbes sèches. En bouche,
Pour illustrer cette évolution, nous avons dégusté les vins du millésime. L’un des plus son fruit pur et intense est
rouges en classant les domaines dans deux familles. Dans la beaux vins de l’appellation. 12 € tout en finesse de texture avec
première, nous avons retenu les domaines produisant une une grande sapidité, un beau
cuvée unique, appelée ici “tradition”. Représentatif du style du 92/100 volume et des tanins soyeux.
domaine, ce vin est un assemblage de ses différents terroirs. DOMAINE DES ESPIERS Très joli vin en perspective. 14 €
Dans la deuxième famille, nous avons rangé les domaines pro- Cuvée 60/40 2021
posant plusieurs cairannes : la cuvée Comme son nom l’indique, 90/100
“tradition” et une cuvée dite “spé- ce vin est composé de 60 % COTEAUX DES TRAVERS
ciale”, issue d’une parcelle ou d’un de grenache et 40 % de mour- Terra Rosea 2021
encépagement particulier. Enfin, vèdre. C’est un vin gracieux, Cette cuvée mi-grenache
quelques domaines produisent aussi avec une belle colonne mi-mourvèdre issue
des blancs qui clôturent cette dégus- vertébrale. Issu du secteur d’une vigne à mi-coteau sur
tation. des garrigues, il se montre plus un versant nord offre
Les vins goûtés sont issus des deux longiligne que charnu tout un parfum légèrement
derniers millésimes : 2021 et 2022. en s’étirant en longueur avec fermentaire. À l’air, une note
Né dans des conditions clima- un fruité éclatant et fin mais florale apparaît, tandis qu’en
tiques difficiles, le millésime 2021 tout en muscle. Très belle bouche, il séduit par le carac-
donne des vins peu charnus mais réussite. 16 € tère charnu de son fruit. 17 €
très agréables grâce à une belle
fraîcheur de fruit. Avec souvent 91-92/100 90/100
un degré de plus, 2022 affiche DOMAINE DOMAINE MOUN PANTAÏ
plus de densité et de profon- CLOS ROMANE Cuvée Jérémie 2022
deur, c’est un grand millésime 2021 Brut de cuve. Son beau fruit
en perspective. Née d’une mosaïque de terroirs riche et pulpeux est porté
entre cailloux, sables et argiles, par des tanins mûrs et fins.
Conditions de la dégustation cette cuvée embaume le fruit Un joli vin en perspective avec
Les vins ont été dégustés par Roberto mûr avec une touche choco- un pourcentage élevé de syrah.
Petronio à Cairanne en janvier 2023, latée. Bien méridional dans Il possède du fond,
étiquette découverte. La majorité des son profil avec ses senteurs de de la gourmandise et un fruit
D. R.

vins n’était pas encore en bouteille. maquis, son fruit charnu sonne savoureux. 11-12 €

En cours de conversion bio Vin biologique Vin en cours de conversion à la biodynamie Vin biodynamique

LA RVF N° 669- AVRIL 2023 - 107


89-90/100
CHÂTEAU
DE SERRE-BLANC
2021
Issue d’un sol de galets calcaires
et marneux, cette cuvée vini-
fiée en grappes entières est tout
en délicatesse avec une matière
qui paraît comme suspendue.
Si l’on apprécie son toucher
de bouche fin, son fruit
manque un rien d’épaisseur…
C’est sans gravité, car ici
le millésime parle. 14 €
88-89/100
BOUTINOT
Les Six 2021
Provenant de divers terroirs
répartis sur l’appellation,
Les Dégustations
Cairanne: les vins rouges
cette cuvée offre un joli fruit
frais. Sa matière pulpeuse
en bouche est tenue par des
tanins puissants mais souples.
Volumineux et soyeux, son
fruit presque sucré ne manque
ni de séduction ni de fond, avec
une finale chocolatée. 15 €
88-89/100
DOMAINE
FOND CROZE
2021
Fruit d’une vigne située
au cœur des coteaux sud au sol
argilo-sablonneux, ce vin tout
en volume sent le raisin
vendangé à belle maturité,
d’où des tanins gras enrobés
par un fruité intense. N. C.
88/100
PIERRE AMADIEU
Les Hautes Rives 2021
Issue d’un terroir de coteau
recouvert de marnes claires
et de cailloutis, cette cuvée est
joliment parfumée. Dans
un style souple et tendre, ce vin
s’appuie sur des tanins délicats
et mûrs avec un fruit pur qui
manque un rien d’éclat
et de relief malgré les 25 %
de mourvèdre. 11,50 €
88/100
DOMAINE
JULIETTE AVRIL
Cuvée Mailys 2021
Brut de cuve. Si le parfum
paraît un peu simple, son joli
fruit gourmand en bouche est
tenu par de beaux tanins mûrs.
L’assemblage des divers
terroirs complémentaires
donne à cette cuvée un fruit
juteux et un toucher de bouche
fort agréable. 12 €
88/100
DOMAINE
LUCIEN TRAMIER
2021
Issu de jeunes vignes sur une
parcelle argilo-calcaire, il offre
un agréable parfum. Il séduit
par sa souplesse et son délié,
mais avec un cœur de bouche
qui ne manque pas d’étoffe.
Un joli vin gourmand pour
un plaisir au quotidien. 10 €

Ils déclinent leurs terroirs

en plusieurs cuvées
Nous avons dégusté en parallèle la cuvée dite “tradition” avec
une cuvée spéciale. Celle-ci est composée soit d’un terroir spéci-
fique, souvent les plus belles parcelles, soit de vignes plus âgées
ou encore construite par un encépagement choisi (par exemple
un fort pourcentage de mourvèdre ou de syrah en plus du
grenache). Nous avons demandé, dans la mesure du possible, un
millésime identique pour les deux cuvées, afin d’avoir une lecture
“horizontale” de la production des domaines. R. Petronio

DOMAINE RICHAUD dans du béton, d’une réelle

Pour apporter plus
de fraîcheur dans son 2021,
Philippe Cartoux a intégré
40 % de mourvèdre.
Domaine des Espiers, à Vacqueyras
La finesse, pas la richesse
94-95/100
L’Ébrescade 2021
Les vignes plantées sur la mon-
tagne de Cairanne donnent
ce vin aux senteurs de maquis,
de sang et de résine de pin. Une
cuvée à dominante de mour-
vèdre élevée dans un foudre
usagé. Volumineuse, avec
un toucher de bouche soyeux,
elle est confortée par des tanins
gourmandise. 18 €
CAVE DE CAIRANNE
92-93/100
Camille Cayran
L’Élégante 2021
Son parfum tout en finesse
et en élégance évoque l’orange
sanguine. En bouche, cette
cuvée offre un surcroît d’étoffe.
Profonde, avec une trame

C omme tous les vignerons de sa génération,

Philippe Cartoux, propriétaire de ce domaine situé
à Vacqueyras, est passé à ses débuts en 1989 par la production
solides mais enrobés par un
fruit généreux. Un must. 25 €
serrée sans la moindre dureté,
vivante et fraîche, elle reflète
l’élégance de Cairanne. 9,50 €
de vins puissants et riches pour séduire les marchés 92/100
à l’exportation. Dès 1996, il opte pour le travail en bio, Tradition 2022 91-92/100
et en 2003, la montée des degrés l’interpelle. Pour lui, plus Cette cuvée provient de vignes Camille Cayran
question de produire des vins trop riches. Il recherche situées en plaine et en coteaux. Sans Soufre Ajouté 2021
davantage de finesse et de fruits frais dans ses vins par Avec ses 35 % de syrah, elle Tout en élégance de fruit, ce vin
un travail en ce sens en cave. Après trois millésimes à son actif embaume la violette, tandis embaume le raisin frais. Vinifié
à Cairanne, son 2021 nous a séduits. C’est un vin raffiné et que sa matière pulpeuse est sans soufre, il offre une grande
précis, plus élancé que charnu, avec une fraîcheur apportée juteuse et précise. Un vin hédo- délicatesse de texture. Très pur,
par 40 % de mourvèdres vendangés mûrs. R. Petronio niste, élevé en grande partie sans manquer de volume, voici

108 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023


le meilleur rapport prix/plaisir
de l’appellation. 7,95 €
DOMAINE ALARY
92-93/100
L’Estevenas 2021
Cette cuvée mi-grenache
mi-syrah est vinifiée avec 50 %
de grappes entières. Elle est
issue du lieu-dit Estevenas,
un terroir de marne et de sable
et d’argiles bleues. Elle déploie
un très beau parfum avec
une note intense de cerise
au chocolat et une touche de
violette. Un vin riche, pulpeux,
aux tanins mûrs et doux.
Un très beau cairanne charnel,
à l’assise solide, évoluant au nez
vers l’olive noire. N. C.
90/100
Tradition 2021
Assemblage de divers terroirs
répartis sur l’appellation avec
une dominante de grenache et
un fort pourcentage de mour-
vèdre. Son fruit vif s’appuie sur
d’abondants tanins puissants
mais avec une matière pro-
fonde. Un vin solide et ample,
avec une belle épaisseur
de fruit. Un cairanne plus
hédoniste que nuancé. 12 €
DOMAINE BOISSON
92-93/100
L’Exigence 2022
Provenant d’un secteur argilo-
calcaire en versant sud avec
des argiles bleues, cette cuvée
composée à 90 % de grenache
met en avant des vignes très
âgées. Elle se démarque par
un parfum évoquant le zeste
d’orange. Son toucher
de bouche restitue à merveille
la finesse que l’on attend
de l’appellation. Un vin délicat
et mûr, tout en nuance
et gracieux. Superbe. 17 €
91/100
Les Trois Terroirs 2021
Brut de cuve. Comme son nom
l’indique, cette cuvée provient
de trois terroirs différents :
un tiers d’un secteur de sable,
un autre tiers de garrigue avec
Les Dégustations
Cairanne: les vins rouges
Cave de Cairanne Camille & Cécilia, DOMAINE
à Cairanne DES AMADIEU
Sous sa houlette, la vieille 91-92/100
Vieilles vignes 2021
dame retrouve des couleurs Ici, le grenache diminue
en proportion pour laisser
place à davantage de mour-
vèdre, une touche de cinsault
et du carignan. La matière
paraît plus ambitieuse mais
noble avec sa trame serrée.
D’où un vin plus épaulé
aux tanins affirmés et au fruit
profond. Il faut l’oublier en
cave au moins cinq ans. N. C.
91/100
Garrigues 2022
Le grenache provient du sec-
teur sud dans les garrigues
avec des sols drainants, tandis
que mourvèdre et syrah
viennent de sols sableux. Avec
son parfum très doux de fruit
Venu de chez Jean-Louis Trintignant, il a accéléré la mue de la cave. confit, fin et gracieux, ce vin est
tout en délié. Son fruit est bien
C réée en 1929, la cave coopérative de Cairanne devrait
faire partie du patrimoine national. Elle a pourtant failli
couler à pic en bradant sa production à la grande
mûr et sa texture délicate
retranscrit à merveille
la finesse de l’appellation. N. C.
distribution. Pour faire repartir cette vieille dame, la cave
a engagé un nouveau directeur en 2015. Formé à Bordeaux, DOMAINE
Denis Crespo connaît bien le secteur car, en bon voisin, BERTHET-RAYNE
il a vinifié durant treize ans au domaine Rouge Garance
pour Jean-Louis Trintignant. Avec sa connaissance intime 91-92/100
de la vigne et du vin, il a réussi à convaincre les 55 coopéra- Les Perchettes 2022
teurs, en les impliquant dans la production des vins, que Cette cuvée se démarque par
seule la qualité paie. Vendanger mûr, faire un travail un pourcentage important
parcellaire, peu sulfiter les vins, tel a été son credo. À l’arrivée, de syrah (40 %) en plus du gre-
ses 2021 nous ont littéralement bluffés. R. Petronio nache. Elle a été vinifiée, élevée
et mise en bouteilles sans
intrants. Son nez de fruit noir
galets, le dernier d’un coteau fruit, d’où un supplément intense et de laurier annonce
avec la présence d’argiles. d’épaisseur mais sans un vin mûr. Son toucher
Elle offre une belle aromatique la moindre chaleur. Un vin de bouche gracieux et
sur le fruit rouge et la berga- charnel, bien équilibré, ses tanins soyeux en attestent.
mote qui précède une bouche avec une matière d’une réelle Avec sa belle assise
riche malgré la fraîcheur du gourmandise. 17 € et sa gourmandise, ce vin
millésime, avec une sensation nous séduit par son profil
rocailleuse en finale. 13 € 91/100 hédoniste mais raffiné. 14,50 €
Les Travers 2022
DOMAINE BRUSSET Issue d’un terroir d’altitude 91/100
en coteau avec des galets Vieilles vignes 2021
92-93/100 roulés, cette cuvée à domi- Issue d’un terroir d’alluvions
Vieilles vignes 2022 nante de grenache libère resituant bien l’eau
L’assemblage est marqué par un fruit parfumé où l’on décèle en période de chaleur,
un supplément de syrah par de l’orange sanguine et une cette cuvée est composée
rapport à la cuvée “tradition”. pointe de cacao. Son fruit à parts égales de syrah
Des vignes âgées donnent profond et charnu est tenu et de carignan avec une domi-
à ce vin son profil légèrement par de jolis tanins solides mais nante de grenache. Malgré
plus confit dans l’expression du mûrs. Belle réussite. 12 € une touche boisée prononcée,
Les coordonnées des producteurs sur larvf.com
LA RVF N° 669- AVRIL 2023 - 109

son fruit en bouche est gour-
mand. À l’air, le fruit reprend
ses droits à travers une plai-
sante matière charnelle. 14 €
DOMAINE
DES ESCARAVAILLES
91-92/100
Scarabée Libéré 2021
Issu d’une vigne plantée sur
les hauteurs de Cairanne,
au lieu-dit Les Combes,
ce vin a été vinifié sans soufre.
Sa particularité : un pourcen-
tage élevé de cinsault qui lui
donne un côté juteux.
Son parfum évoque la peau
d’orange et l’orange sanguine.
En bouche, c’est un véritable
souffle de fruit en suspension.
On a envie de le boire à grandes
rasades ! Large mais délicat,
il est déjà fort accessible. 14 €
Les Dégustations
Cairanne: les vins rouges
soyeux. Un vin de corps, riche,
avec une belle allonge sapide.
13 €
DOMAINE DELUBAC
90/100
L’Authentique 2021
Ce beau vin possède du jus avec
une matière dense nourrie
par un fruit charnel et plein en
bouche. Un vin de mâche, qui
donne l’impression de croquer
dans la peau du raisin. 17 €
89/100
Les Bruneau 2021
Ici, on monte en densité
comme en structure avec
une trame serrée et une assise
Domaine Berthet-Rayne, à Cairanne
solide. Malgré des tanins abon-
dants, on monte en finesse
et en soyeux de texture grâce
à un fruit toujours d’une
grande générosité. 10,50 €
DOMAINE
LES GRANDS BOIS
90/100
Éloïse 2021
Cette cuvée se différencie par
un rien de mourvèdre en plus
et un élevage en bois usagé,
et non en béton. La fraîcheur
du fruit prime, tandis que
les tanins se montrent solides
et fins avec un élevage
présent mais élégant qui s’inté-
grera dans le temps. 14,60 €
89/100
Maximilien 2022
Cette cuvée élevée en cuves
béton ne contient que 50 %
de grenache, complété
de syrah et de mourvèdre.
Son parfum annonce un vin
gourmand. Son fruit pulpeux
en bouche le confirme, resti-
tuant la finesse de Cairanne
par un toucher délicat. 12,60 €
DOMAINE
DE L’ORATOIRE
SAINT-MARTIN
90/100
Haut-Coustias 2021
Le domaine aime le mour-
vèdre ; dans cette cuvée,
il devient majoritaire. En
matière de parfum, on monte
en intensité et en profondeur,
mais à travers l’expression d’un

90/100
Le Ventabren 2021
Provenant d’un assemblage
de parcelles sur le coteau
du massif de Ventabren,
il développe un parfum au fruit
riche et gras avec une sensation
de cerise noire juteuse. Plein
et dense, il est tenu par
des tanins bien mûrs. Un vin
long et large à la fois avec
une belle charpente. 12 €
DOMAINE ROCHE
91-92/100
La Bousquette 2022
Pur et frais dans ses parfums,
provenant majoritairement
d’un secteur d’argiles blanches,
ce vin libère un fruit croquant
mais avec du fond. Son fruit est
plein en bouche, avec du délié,
même si ses tanins doivent
encore se patiner. 17 €
91/100
Tradition 2021
Brut de cuve. Issu de vignes
situées dans le secteur
des garrigues exposées au
sud sur une majorité d’argiles
blanches, il embaume le thym
et la sauge. Sa matière charnue
mais solide est enrobée par
un fruit profond aux tanins
Il a bien fait progresser fruit vif et des tanins qui ont
tendance à s’imposer, mour-
les vins du domaine vèdre oblige. Un vin charpenté,
un brin austère. N. C.
89/100
Réserve des Seigneurs 2021
Issue d’un coteau orienté
au sud, cette cuvée élevée
en béton se démarque par son
fruit frais et croquant. Un vin
plus longiligne que charnu
et très tendu, avec une pointe
d’amertume ; pour cause,
la maturité semble un rien trop
contenue. N. C.
DOMAINE
RABASSE CHARAVIN
90/100
Voilà quinze ans qu’André Berthet-Rayne a opté pour le bio. Cuvée d’Estevenas 2022
Provenant d’un secteur de haut
A rrivé au domaine familial en 1984, André Berthet-Rayne
a travaillé avec son frère aîné jusqu’en 2010, lorsque
ce dernier a pris sa retraite. Longtemps, les deux frères ont
de coteau orienté plein sud,
ce vin à forte dominante
de grenache est marqué par
produit des vins concentrés avec un goût prononcé pour un fruit vif et ciselé avec
le bois. Le domaine a amorcé sa conversion vers le bio un surcroît d’étoffe par rapport
en 2008, et une fois seul aux commandes, André a fait à la cuvée “tradition”. Plus
évoluer le style des vins par une approche parcellaire en allonge qu’en volume,
et une diminution des rendements à la vigne. Il cherche il possède des tanins puissants
à obtenir des vins concentrés par les raisins et non plus que le temps canalisera. 21 €
en cave. Sa fille Alexandra l’épaule depuis 2017. Elle apporte
un regard frais sur les vins, avec des élevages aux notes 89/100
boisées plus discrètes et la production d’une cuvée Tradition 2022
parcellaire sans intrants, Les Perchettes, que nous avons Cette cuvée est née sur un
beaucoup aimée dans le millésime 2022. R. Petronio versant en bas et milieu de

110 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023

 Les Dégustations
Cairanne: vins rouges et vins blancs

Mobilisation mûrs et un fruit frais mais rouges. Un bon classique

généreux. 14 €
Les jeunes vignerons DOMAINE
veulent des vins plus frais LES HAUTES CANCES
89/100
2021
Issus de parcelles des terrasses
de l’Aygues, les sables et les
cailloux sont le socle de ce vin
droit, doté d’un fruit pur aux
senteurs de maquis et de fruits
de l’appellation. 13 €
88/100
Col du Débat 2021
Fruit d’une parcelle d’altitude
exposée au nord et plantée
de vieilles vignes, ce vin
se démarque par un supplé-
ment de richesse
et une matière musclée.
Il accuse une pointe de dureté
à ce stade. À suivre. 16,10 €

Les vins blancs

Claire Richaud et Florent Charancon (Clos Romane) militent
pour planter du cinsault, du carignan et de la counoise à Cairanne.
Les parfums et l’énergie
Face à la montée des degrés, les vignerons se décarcassent pour
trouver des solutions. Problème, cette recherche de fraîcheur
se fait parfois au détriment de la qualité des parfums,
la compensation par l’apport d’élevage boisé n’étant pas
la solution idéale. Toutefois, lorsque les raisins sont vendangés
à pleine maturité, comme au domaine Rabasse Charavin,
les blancs respirent le Sud à plein nez, ils sont plus intenses
et complexes sans perdre leur énergie. R. Petronio

L orsque Laurent Brusset (domaine Brusset) a pris

la direction de l’AOC Cairanne, il a souhaité que les
jeunes vignerons s’impliquent davantage dans la promotion
92-93/100
DOMAINE
90/100
DOMAINE
des vins de Cairanne. Même si tous ne partagent pas RABASSE CHARAVIN BERTHET-RAYNE
es mêmes idées, ces jeunes vignerons considèrent dans 2021 Tradition 2022
l’ensemble qu’une diminution du grenache dans les assem- Quand le raisin est vendangé à Il offre la belle aromatique
blages serait bénéfique pour deux raisons : ce cépage est belle maturité, cela donne des d’un raisin vendangé mûr, tout
sensible au gel et il participe à la montée des degrés dans blancs complexes et parfumés en conservant une agréable
les vins. Pour Claire Richaud (domaine Richaud) et Florent à souhait, comme ici avec des fraîcheur. Avec ses fins amers
Charancon (domaine Clos Romane), planter du cinsault, notes de maquis. Ce blanc sent et une belle qualité de fruit,
du carignan ou de la counoise serait l’une des solutions. les herbes du Sud séchées par ce vin élevé en cuves inox est
Fervents défenseurs du bio, ils estiment que pour relancer le soleil. Dans un esprit simi- un joli référent. 14 €
la consommation en baisse chez les jeunes, il faut produire laire, la bouche complexe est
des vins de qualité, et surtout digestes et frais. R. Petronio profonde et dense. Malgré une 89/100
belle maturité, il regorge d’une DOMAINE BOISSON
intense énergie. Le blanc de Silice 2021
coteau exposé au sud. Sa entières. Axé sur un fruit cro- référence de l’appellation. 16 € Issu d’un sol de sables, il déve-
touche poivrée donne la sen- quant, ce vin a une structure loppe un parfum complexe
sation d’une recherche d’une solide qui, à ce stade, masque 91/100 (ananas, abricot et herbes
maturité fraîche. On apprécie un peu les nuances et la finesse DOMAINE RICHAUD infusées). En bouche, il livre
la finesse de ses tanins, tandis de l’appellation, même 2021 un fruit charnu et profond
que son fruit se montre plus si l’on apprécie l’équilibre Ce domaine de référence intégrant de beaux amers. 13 €
acidulé que charnel. 16 € de son fruit. À suivre. 20 € produit un vin qui flirte avec
l’oxydation sans jamais y bas- 89/100
CLOS DES MOURRES 88-89/100 culer. Cela se traduit par un DOMAINE BRUSSET
Tandem 2021 parfum ample, plus épicé que L’Esprit de Papet 2021
89/100 Cette cuvée provient d’un sec- fruité. En bouche, le vin se Son nez fin est accompagné
Adessias 2021 teur de coteau orienté au nord démarque par une sève géné- d’un boisé subtil qui laisse
Cette cuvée à très forte domi- avec un sol drainant et un fort reuse et riche, tout en restant place à un fruit charnu presque
nante de grenache née d’un pourcentage de syrah. Il donne traçant et sans la moindre tannique. Un blanc avec
terroir d’altitude orienté au naissance à ce vin noir très mollesse. Un blanc singulier du relief, mais d’une agréable
nord a été vinifiée en grappes souple avec de beaux tanins mais de belle facture. 19 € douceur. 19 €

En cours de conversion bio Vin biologique Vin en cours de conversion à la biodynamie Vin biodynamique

LA RVF N° 669- AVRIL 2023 - 111

 Les Dégustations
Portugal
Les vins de ces deux
appellations sont aptes
à affronter de très longs
vieillissements.
R. Lenfant

Bairrada et Dão
Le charme discret lusitanien
Moins célèbres que Porto, ces deux appellations du nord-Portugal, l’une longeant l’Atlantique, l’autre
au milieu des terres, recèlent des vins de grande qualité au charme discret. Une dégustation de Robin Lenfant

A
près une heure de route vers le sud depuis Porto, le
paysage évolue discrètement alors que l’on traverse la
région de Bairrada. C’est une contrée côtière parsemée
de petites collines et de parcelles morcelées, à la végétation
riche, où l’eau n’est jamais loin. Fraîche et humide, la région
subit l’influence de l’océan (plus froid ici qu’à Bordeaux !), dont
les vents et la brume sont rabattus par le Caramulo et le Buçaco,
les deux monts qui la séparent du Dão voisin à l’est. Le Dão est
vert lui aussi, mais plus rude et sauvage, isolé. La rivière épo-
nyme traverse un vaste plateau granitique aux magnifiques
paysages de vallées, de forêts et de pierres. Les vignes n’appa-
raissent parfois qu’au détour d’un bois ou d’un chemin.
Difficile d’imaginer que ces deux territoires, aux vins
méconnus et au charme discret (à l’opposé des paysages spec-
taculaires de la Vallée du Douro), sont les grandes régions his-
toriques de la production viticole portugaise. L’histoire de cet
ensemble du centre-nord du pays, regroupé parfois sous la
dénomination Beiras, remonte aux fondations du Portugal :
dès 1137, son futur roi Alphonse 1er approuve la culture de la
vigne à Bairrada et y lève un impôt.
Sept siècles plus tard, en plein apogée du “vin de Porto”,
les vignes y sont pourtant arrachées sur ordre du marquis de
Pombal. La région se relève grâce à l’export et à la production
d’effervescents en méthode champenoise dont la tradition
remonte à la fin du XIXe siècle. Quant au Dão, il est depuis
longtemps réputé pour la production de vins frais et élé-
gants, capables de vieillir. La région est cependant choisie par
Salazar pour servir de cellier à vin du pays pendant l’Estado
Novo (1933-1974) ; la dictature y impose alors le monopole de
très vastes coopératives qui affaiblira durablement la qualité
et l’image de ses vins.
PIONNIERS VISIONNAIRES
Cette histoire riche et contrastée a façonné les paysages, les
vins et les mentalités. Longtemps ignorées des amateurs, les
deux régions ont pu compter sur quelques pionniers vision-
naires comme Luís Pato (Bairrada) ou Alvaro Castro (Quinta
da Pellada dans le Dão), qui ont toujours affirmé le potentiel
de leurs vins. Il faut dire que ces régions disposent d’atouts
indéniables, à commencer par leur fraîcheur et l’acidité

112 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023

 Les Dégustations
Bairrada et Dão
surprenante que cette dernière confère aux vins, aptes à Entre Porto et Lisbonne, Dão et Bairrada
affronter de très longs vieillissements. De nombreux vigne-
rons venus s’installer ici racontent avoir été marqués par
la vitalité de bouteilles légendaires, qu’il s’agisse d’un vieux
baga, d’un buçaco blanc (lire l’encadré p. 114) ou d’un vin du
Centre d’étude du Dão. La proximité de l’océan à Bairrada et
les barrières montagneuses du Dão, favorisant la fraîcheur
des nuits, y contribuent grandement.
Notre dégustation le confirme : ces deux régions sont
propices à la production de vins de grande qualité qui rompent
avec l’image trompeuse que certains se font des vins portu-
gais, jugés chauds et alcooleux. Plus que de ses bulles, Bairrada
dispose d’un atout majeur : le cépage baga, tannique et tardif,
s’y plaît volontiers… bien qu’il reste difficile à travailler. Sur les
meilleurs terrains argilo-calcaires de la région, il donne nais-
sance à des vins parfumés, structurés et acides, qui deviennent

Mappavini
savoureux après de longues années en bouteille.
Dans le Dão, et notamment dans les zones d’altitude, les
rouges peuvent également se montrer d’une grande fraîcheur.
On y distingue souvent des notes de fruits noirs et une dimen- Un toucher crayeux et austère
sion herbacée ou résineuse. Les plus réussis tirent des terroirs
granitiques de la région une minéralité assez franche, avec des
Bairrada allonge la bouche. Ce blanc
se révèle l’un des plus complets
tanins fins et grenus, à la sensation graphite. La région peut
aussi compter sur une grande variété ampélographique et
Les parfums de la région.
32 € (Clavelin Import)
un extraordinaire patrimoine de vieilles vignes complantées,
toutefois en état d’abandon progressif.
de l’océan 93/100
QUINTA DA VACARIÇA
UNE IDENTITÉ À PRÉSERVER… OU À RETROUVER ? 94/100 •Garrafeira 2014
Les parcelles les plus anciennes, souvent petites, sont en effet FILIPA PATO Malgré une saison terrible-
délaissées par leurs propriétaires devenus âgés ou arrachées & WILLIAM WOUTERS ment pluvieuse, François
pour replanter des variétés à succès. C’est toute la singularité •Nossa Calcário Baga 2019 Chasans (caviste autodidacte
de la région, déjà durement touchée par de terribles incendies Bien qu’il annonce un vin converti vigneron à Bairrada)
ces dernières années, qui y perd. Les blancs dégustés en sont encore serré, le nez voyage réaffirme ici l’aptitude
sans doute l’illustration : s’ils profitent tous d’une acidité natu- entre les registres floral et du baga à produire des rouges
relle, peu d’homogénéité de style ne semble s’en dégager, ni à fruité. Sa bouche harmonieuse uniques et capables de vieillir.
Bairrada ni dans le Dão. Les exemples de vins techniquement associe acidité et notes Le nez dévoile un joli bouquet
réussis mais convenus ne manquent pas. de petites baies rouges avec de fruits noirs avec un début
S’agit-il d’un manque de nouveaux venus, de dynamisme ? une sensation de fruit charnu. d’évolution. La bouche est
La figure du vigneron, capable de travailler la vigne tout en Les tanins du cépage, mûrs savoureuse : il s’en dégage
insufflant vision et personnalité à son vin, est finalement et fermes, marquent la finale. un naturel certain. Les tanins
peu répandue dans la région. Les explications possibles sont C’est une version travaillée et sont encore présents,
nombreuses : la séparation de la vigne et de la cave héritée des élégante du baga : il faudra l’at- en finesse, et le vin se goûte très
maisons de Porto, le modèle coopératif encore puissant et tendre plusieurs années pour bien aujourd’hui. Un superbe
l’omniprésence d’une poignée d’œnologues parfois starifiés découvrir tout son potentiel. rouge qui sent l’océan,
en font partie. Malgré cela, quelques-uns tentent de redé- Fille du célèbre Luís Pato, Filipa et un témoignage du millésime
couvrir leurs terroirs. « Avant de m’installer ici, je me suis demandé a tracé sa propre route et est pour sa région.
pourquoi les livres parlaient de sept sous-régions du Dão sans que ne aujourd’hui une des grandes 29 € (La Cave de Fontenay)
soient jamais évoquées leurs caractéristiques ni leurs différences », figures de la région à l’interna-
raconte le Franco-portugais António Madeira. Lui explore tional. 38 € (Clavelin Import) 93/100
et revendique celle de la Serra da Estrela. Dans son sillage, QUINTA DA VACARIÇA
quelques jeunes producteurs rencontrés sur place, comme 93/100 •Garrafeira 2015
Rui Lucas à Bairrada ou Paul et Charlotte du domaine Vizinho FILIPA PATO Destiné à la table, ce rouge
Vinhateiro, semblent s’inscrire dans une démarche similaire. & WILLIAM WOUTERS partage les qualités de son
Des parcours qui donnent espoir pour l’avenir de ces régions •Nossa Calcário Bical 2019 grand frère 2014, avec d’autres
passionnantes. Les vins de notre dégustation le prouvent : elles Son nez, soutenu par un éle- contours : pleine, mûre
méritent que l’on s’y intéresse. vage élégant, donne une sensa- et fruitée, la bouche conserve
tion de fraîcheur minérale une acidité importante.
Conditions de la dégustation et de raisins bien mûrs. Plus complet, il est aussi moins
46 vins ont été dégustés à l’aveugle par Robin Lenfant à La RVF en août Le cépage bical offre au vin ses accessible à l’heure actuelle.
2022, à la suite d’un appel à échantillons aux producteurs. Sauf excep- notes de citron et de poire, avec Quelques notes tertiaires
tion, nous mentionnons le prix en France et l’importateur de chaque vin. une finale qui évoque la cire. commencent à apparaître.

Les coordonnées des producteurs sur larvf.com

LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 113


Une forme de rusticité agréable
fait aujourd’hui tout
son charme.
N. C. (La Cave de Fontenay)
90/100
NIEPOORT
•Poeirinho Baga 2019
Dirk Niepoort, explorateur
avisé des terroirs portugais,
a investi en 2012 dans la quinta
de Baixo à Bairrada. Pour
ce vin, les bagas issus de vieilles
vignes ont été partiellement
vinifiés en macération car-
bonique. Le nez très parfumé
évoque la violette et la mûre.
La bouche est longiligne, avec
une matière gracile mais des
tanins assez francs. Il offre une
version avenante et accessible
du cépage. N. C. (Taittinger)
Les Dégustations
Portugal
90/100
LUÍS PATO
•Vinho Espumante
Informal 2015
Luís Pato est sans doute
la première figure à avoir fait
connaître la région de Bairrada
et son cépage phare, le baga.
Cette bulle en méthode
traditionnelle en est issue.
C’est une vraie gourmandise
rosée, avec une mousse légère
et des saveurs de framboise,
de miel et de sous-bois.
N. C. (Vins du Monde)
90/100
TIAGO TELES
•Gilda 2021
Auparavant critique de vin,
Tiago Teles a lancé il y a dix
ans une petite production de
rouges dans sa région
natale. Assemblage de baga, Vinho
d’alfrocheiro (proche Espumante
génétiquement du trousseau) Informal 2015
et de trincadeira cofermentés de Luís Pato :
ces bulles
et vinifiés de façon peu inter-
sont une vraie
ventionniste, ce vin se dévoile
gourmandise
tout en chair, avec des notes de rosée.
confiture de mûre et beaucoup
de naturel. Fruité, flatteur
et frais. 22 € (Lagar)
89/100
NIEPOORT
•Vinhas Velhas 2018
Issu de sols calcaires,
ce blanc élaboré par la quinta
de Baixo marie le cépage
bical au maria gomes. On
retrouve un nez de citron
et d’embruns marins, ainsi
qu’une grande acidité
naturelle. La bouche a été

travaillée : elle bénéficie
d’un joli gras et d’une bonne
longueur, bien qu’on distingue
une légère sensation lactique
en finale. N. C. (Taittinger)
88/100
LUÍS PATO
•Vinhas Velhas 2020
Cet assemblage de blanc
(bical et cercial en tête)
présente un nez fruité et iodé.
La bouche est légère, limpide,
avec des notes d’amande
fraîche et de pomme verte.
Un classique pour la région,
R. Lenfant
D. R.
acide et droit, il ouvre peut-
être une nouvelle porte dans
la définition des blancs
de la région, où toute
une variété d’approches
et de styles persiste.
25 € (La Cave de Fontenay)
87/100
CAMPOLARGO
•Rol de Coisas Antigas 2017

Le Palace Hotel
do Buçaco.
dont la simplicité en fera Les différentes variétés
le partenaire idéal de l’apéritif de cet assemblage original,
ou des fruits de mer. établies depuis longtemps
Buçaco, les vins baroques 15,50 € (Vins du Monde) à Bairrada, donnent nais-
sance à un rouge léger, clair et
d’un palace hors du temps 88/100 digeste. Il évoque la fraise et les
QUINTA DA VACARIÇA fruits des bois, avec une acidité
•IG Beira Atlântico
L ’endroit est déjà insolite en soi : au sommet de la mon-
tagne Buçaco se dresse un hôtel aux innombrables
ornements gothiques. Des vins y sont produits depuis cent
Vinho Óis do Bairro 2021
Le léger gaz et le nez très réduit
moins marquée qu’ailleurs.
30 € (domaine)

ans. Traits d’union entre les deux régions, ils ont toujours de ce blanc lui vaudront
assemblé des raisins de Bairrada et du Dão. Ces vieux un passage impératif en carafe.
blancs et rouges, longtemps réservés au restaurant de François Chasans a choisi
l’hôtel, sont devenus un mythe au Portugal. Antonio Rocha le cépage encruzado, célèbre
en supervise aujourd’hui la production : il explique que à Dão, à la suite d’une réflexion
les rouges ont le parfum du touriga nacional en jeunesse sur la longévité des blancs
et la structure du baga après deux décennies. Les blancs de Buçaco (lire l’encadré
(bical, maria gomes et encruzado) impressionnent plus ci-contre). En bouche, ce vin
encore : un 1968 dégusté sur place, étincelant de précision se révèle tendu par la réduc-
et de pureté, nous a marqués par ses notes de pralin, tion et le travail des lies : on
son acidité et ses amers racinaires. R. Lenfant retrouve les notes de sésame
grillé liées à l’autolyse. Pointu,
87/100
QUINTA DAS BÁGEIRAS
•Pai Abel 2020
Ce blanc livre un nez frais,
avec du zeste et de la pomme
verte. Son expression
aromatique citronnée et
son acidité claquante nous
ont convaincus, malgré une
bouche légèrement fluette.
37 € (Di Vinho / Barrère &
Capdevielle)

114 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023

 Les Dégustations
Bairrada et Dão

Dão Porté par une chair mûre

(soupe de fruits) et un allant
Des cépages réputés
naturel, il offre une belle
La fraîcheur définition des rouges fins et

de l’altitude
95/100
ANTÓNIO MADEIRA
•A Palheira 2019
Sélection des meilleurs
tonneaux destinés à la cuvée
Vinhas Velhas, issus uni-
quement de vieilles vignes
complantées au pied de la
Serra da Estrela. Ce massif
racés des granites de la région.
30 € (Lagar)
91/100
ANTÓNIO MADEIRA
•Vinhas Velhas 2020
Cette cuvée naît des vieux pieds
de variétés blanches (arinto,
cercial, bical, siria) complantés
dans les parcelles d’António
et qu’il récolte séparément
des rouges. Vin complexe
et salin qui évoque le citron et
O n trouve dans ces régions une grande richesse
ampélographique : des cépages parmi les plus
réputés du Portugal, comme le touriga nacional
et le baga, seraient originaires du Dão.
Historiquement, les vignes y étaient complantées
de dizaines de variétés, mais celles que l’on retrouve
aujourd’hui le plus sont jaen (mencía), touriga
nacional, alfrocheiro et tinta roriz (tempranillo).
Côté blancs, l’encruzado a le vent en poupe :
ses vins ont souvent la structure pour bien vieillir.
À Bairrada, le cépage rouge emblématique est le
baga, avec son bouquet complexe reconnaissable
au vieillissement. Dans les blancs, le bical apporte

montagneux a donné son
nom à une sous-région très
qualitative du Dão qu’Antonio
Madeira revendique. Avec son
harmonie et sa fraîcheur natu-
relle, ce vin est la pleine expres-
sion de raisins bien nés, portés
à belle maturité. Fruits noirs et
épices s’associent à des tanins
fins mais frontaux dans
une bouche à la dimension
tactile saisissante. Puissant
et complet, il vieillira très bien.
60 € (Lagar)
92/100
CASA DE MOURAZ
•Encruzado 2016
Cultivé par des pionniers de
l’agriculture biologique dans
la région, ce blanc démontre
la capacité de vieillissement
du cépage encruzado. Le nez
légèrement fumé évoque aussi
le miel, avec les prémices
d’une jolie évolution. La
bouche rappelle certains fruits
dorés comme la mirabelle.
Elle compense sa maturité
et son gras par une finale sail-
lante, presque piquante,
qui lui confère une forme
de fraîcheur. 21 € (Viniversa)
92/100
ANTÓNIO MADEIRA
•Vinhas Velhas 2019
Jaen (mencía), tinta ama-
rela, baga et d’autres variétés
complantées dans de petites
parcelles de vieilles vignes. Si
les embruns marins. Sa bouche
combine une grande fluidité
et une subtile empreinte gra-
nuleuse. Travaillé sur l’élevage
et la réduction, ce blanc mérite
d’être carafé ou attendu.
30 € (Lagar)
90/100
CASA DA PASSARELLA
•O Fugitivo Bastardo 2020
Robe très claire pour ce bas-
tardo, qui n’est autre que le
nom du trousseau jurassien
dans la péninsule ibérique.
Avec sa trame délicate et sans
tanins, le vin charme par sa
O Fugitivo
Bastardo 2020
de Casa
da Passarella :
il charme par
sa légèreté.
D. R.
fraîcheur et crémeux, le maria gomes fruit
et arômes, alors que le cercial (différent du sercial
de Madère) donne une acidité marquée. R. Lenfant
légèreté et ses notes agréables
de petits fruits rouges mûrs.
29 € (Vins du Monde)
90/100
CASA DE MOURAZ
•Jaen 2017
Issue d’une zone moins en
altitude (secteur de Tondela,
au sud-ouest de Viseu), cette
mencía offre un profil sérieux.
Pas aussi élancée que ses équi-
valents galiciens, elle a une
belle maturité (mûre, fruits
noirs) et peu d’acidité. Si son
élevage est un peu marqué, il se
montre convaincant et capable
de vieillir. 21 € (Viniversa)
90/100
JOÃO TAVARES DE PINA
•Torre de Tavares Rufete 2019
Le cépage rufete, léger et tardif,
semble convenir à ce secteur
plus argileux et humide de l’est
du Dão (Penalva). Pour cette
cuvée, João Tavares de Pina
l’élève seul en grands conte-
nants de bois de châtaignier.
Acidité et fraîcheur sont de la
partie. Son côté joyeusement
rustique lui va bien, même
si le bois semble le rendre
un peu plus sec. 25 € (Lagar)
90/100
D. R.
Serra da Estrela, le vignoble
conduit par Pedro Jerónimo
est en dehors de l’appellation
Dão. Il a pourtant une histoire
ancienne liée aux ordres reli-
gieux du Portugal. Le vigneron
s’inspire de vieilles méthodes
de production, comme avec
ce clarete issu d’une très courte
macération de cépages rouges
et blancs. Clair et sans tanins,
il évoque le cinsault avec ses
notes de fruits des bois et de
fleurs blanches, ainsi qu’une
sensation de végétal mûr.
Parfumé et étonnant.
30 € (Vinos X Sentidos)
89/100
CASA DA PASSARELLA
•Villa Oliveira
Vinha do Províncio 2019
Un blanc droit et travaillé,
avec du gras, des notes de cire
d’abeille, ainsi qu’un profil
tout en longueur. Ce vin a plus
de profondeur que sa bouche
filante le laisse penser.
55 € (Vins du Monde)
89/100
NIEPOORT
•Conciso 2018
Assemblage de touriga
nacional, jaen, rufete et
alfrocheiro cultivés au pied

son grand frère A Palheira est VINHO DA ORDEM de la Serra da Estrela. Niepoort
encore plus frais et complet, •Clarete 2015 propose ici une version tout en
ce 2019 a un grand potentiel. Situé sur le versant est de la légèreté des rouges du piémont

En cours de conversion bio Vin biologique Vin en cours de conversion à la biodynamie Vin biodynamique

LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 115


de la Serra da Estrela. Le vin est
délicat, avec des notes fumées
et une certaine fraîcheur
végétale. On retrouve les fruits
rouges en finale. À boire plutôt
jeune et légèrement rafraîchi.
Env. 25 € (Taittinger)
88/100
CASA DE MOURAZ
•Elfa 2017
Assemblage d’une trentaine de
variétés complantées sur une
parcelle granitique. Avec ses
notes de pin et de fruits noirs,
sa bouche légèrement rus-
tique, il est produit dans l’esprit
Serra da Estrela
Le retour aux origines
Les Dégustations
Portugal: Bairrada et Dão
des anciens rouges portugais, 88/100 Elfa 2017
où les cépages se complètent JOÃO TAVARES DE PINA de Casa
avec leurs différents niveaux •Terras de Tavares 2019 de Mouraz :
de maturité. 39 € (Viniversa) Assemblage de touriga, mencía un rouge
et rufete. Son nez est frais dans l’esprit
88/100 et “pinote” presque. Sa bouche des anciens vins
JOÃO TAVARES DE PINA est encore serrée : l’attendre portugais.
•Torre de Tavares plusieurs années. Un 2002
Encruzado 2021 dégusté au domaine confirme
Approche variétale, de maturité l’aptitude au vieillissement
légère, du cépage encruzado. de ce profil de vin. 25 € (Lagar)
Ce blanc très tendu a quelques
amers qui le rendent plus 88/100
digeste. Son acidité citrique QUINTA DOS ROQUES
et sa finale crissante le destinent •Touriga Nacional 2020
à être servi à l’apéritif ou Ce vin joue le registre des fruits
en début de repas. 25 € (Lagar) noirs et de la fraîcheur
herbacée caractéristique
de la région. Sérieux et cadré,
il évoque la mûre et la feuille de
tomate. Il est élégant et déploie
en finale une amertume

intéressante. 45 € (Dionis)
d’António Madeira
88/100
VINHO DA ORDEM
•Vinho Branco 2018
Vin orange issu d’une macéra-
tion d’une semaine. Avec
des notes d’orange confite et de
raisins de Corinthe qui tendent
vers le rancio, il marque par sa
singularité au milieu des autres
vins dégustés. L’aromatique est
prenante, mais les tanins sont
joliment intégrés et la bouche
donne une sensation
de sucrosité sans lourdeur.
30 € (Vinos X Sentidos)
87/100
CASA DA PASSARELLA
•O Œnólogo 2019
Un rouge frais qui donne
une bonne idée des vins
de la région. La bouche déploie
R. Lenfant
D. R.
87/100
QUINTA DOS ROQUES
•Encruzado 2020
Dans la lignée du précédent,
ce vin bénéficie en plus d’un
élevage en barriques qui lui
apporte une touche lactique.
Bouche fluide, avec plus de
gras et de texture. Technique,
propre, mais il montre que les
blancs de la région manquent
parfois d’un supplément
d’âme. 25 € (Dionis)
87/100
QUINTA DOS ROQUES
•Garrafeira 2015
Des notes de mûre, ainsi
que d’épices et de pin qui

ses arômes de fruits noirs annoncent un début d’évo-

et de fruits des bois jusqu’à lution. Dominé par le touriga
Les cuvées parcellaires d’António Madeira sont remarquables. une finale un peu plus sèche. nacional, il a malheureu-
18 € (Vins du Monde) sement une finale un peu

F rançais d’origine portugaise, António Madeira se prend

de passion pour le vin à Paris, où il découvre que la région
de ses grands-parents était réputée pour produire des vins
87/100
QUINTA DAS MAIAS
chaude. 70 € (Dionis)

87/100
parmi les plus fins du Portugal. Il prend alors en fermage de •Malvasia Fina 2020 VINHO DA ORDEM
petites parcelles complantées à flanc de montagne : sa pro- Un blanc cristallin et rectiligne, •Vinho Tinto 2019
duction de vins de la Serra da Estrela commence. Des vins marqué par un élevage réduc- Son acidité et sa fraîcheur
de granite et d’altitude, qui brillent par leur fraîcheur et leur teur. Bien que peu aromatique évoquent les montagnes qui
authenticité. Dégustées au domaine, les cuvées parcellaires pour le cépage, il évoque l’ont vu naître. Un rouge d’alti-
(« des grands crus du Dão », comme aime les décrire António) le citron et les fleurs blanches. tude parfumé, avec une petite
sont remarquables de personnalité : certaines évoquent Bien fait, quoique sans grande sensation lactique en finale.
même l’austérité des grandes syrahs d’Ardèche. R. Lenfant personnalité. 20 € (Dionis) 30 € (Vinos X Sentidos)

116 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023

 Les Dégustations
LES 100 BOUTEILLES MYTHIQUES
Banyuls “Rimage
n°35 Mise tardive” 1985
du Mas Blanc
Hommage à la Catalogne
N
ous sommes dans ce terroir sang et or où le
soleil et la tramontane se sont ligués pour faire
mûrir le grenache, rancioter les vins et faire
éclore des personnalités comme André Parcé, le bon
docteur de Banyuls.
Implantés depuis 1625 sur ces terres de schistes, les
familles alliées Parcé et Vilarem font partie du paysage
viticole, le grand-père d’André lui racontait : « Après
avoir rempli les cuves avec la vendange, je les scellais au plâtre
et partais à la chasse. À mon retour un mois après, le carnier
bien rempli, j’ouvrais et découvrais un merveilleux banyuls
ou… un somptueux vinaigre ! ». Une vinification
biblique avant la mode des vins dits “nature”.
André Parcé s’investira dans son domaine,
mais sera un moteur dans la réputation des
vins de ce coin du Roussillon. Il sera partie
prenante dans la naissance de l’appella-
tion Collioure, il redécouvrira les apports
qualitatifs du mourvèdre, de la syrah et de
la counoise. Une forte personnalité parfois
contestée, son coup de génie sera de promou-
voir le banyuls dans la grande restauration.
COUP D’ÉCLAT
Il prit son bâton de pèlerin pour faire le tour
des tables étoilées et entreprit de convaincre
les sommeliers que le banyuls n’est pas seule-
ment un petit apéritif de tête de gondole pour
les cinq-à-sept des personnes âgées. Il avait
pour atout sa qualité de membre de l’Aca-
démie des gastronomes où il reçut le soutien
d’Alain Chapel et d’Alain Senderens. Ce
dernier deviendra même un complice, tant ce
cuisinier était passionné dans les accords mets
et vins. Le coup d’éclat de ces deux compères
sera d’associer le banyuls avec les desserts
au chocolat, un accord qui fera le tour de la
planète.
André Parcé ne s’en tient pas là, il va
compléter ses banyuls traditionnels élevés
un temps en oxydatif, en fûts ou bonbonnes
exposées au soleil pour obtenir le fameux
LA RVF N° 669 - AVRIL 2023 - 117
goût de rancio, par des vins mutés élevés en réduc-
tion comme un vin rouge classique, en s’appuyant sur
la tradition des vintages portugais. Après vinification
partielle et mutage, les vins sont entonnés en fûts à l’abri
de l’air et y passent six mois avant mise en bouteilles.
Certains lots seront élevés plus longtemps pour ce que
l’on étiquettera “Mise tardive”. Des vins très novateurs,
appelés rimage en catalan, ce qui n’empêche nullement
ce provocateur d’élaborer des banyuls dans la tradi-
tion avec élevage en foudres ou des soleras à la mode
ibérique, une gamme qui fera le bonheur des cuisi-
niers et sommeliers.
LIÈVRE À LA ROYALE
Parmi ces rimages, il y a un monument, le Mise
tardive 1985. Il provient des vignes de la Coume
plantées à 350 mètres d’altitude, sur des sols
schisteux d’une extrême pauvreté avec 50 %
de grenache noir, 25 % de syrah et 25 % de
mourvèdre. Dégusté en septembre 1990, il se
présentait ainsi : « Une robe très intense, avec un
nez complexe où se mêlent les fruits noirs, les épices,
l’encens, les notes balsamiques, la garrigue. La bouche
est extraordinairement concentrée avec un équilibre
parfait. Très loin d’avoir atteint sa maturité, une future
bouteille d’anthologie » (La RVF n° 350, novembre
1990). Redégusté à titre privé dix ans plus tard,
le vin avait gagné en velouté et sa complexité
aromatique s’était enrichie de notes de cacao et
cèdre, avec une longueur truffée, une synthèse
admirable entre les traditions espagnole et
française, image de cette Catalogne qui se joue
des frontières.
Et l’alliance gastronomique, me direz-vous ?
Un lièvre à la royale aurait proposé le regretté
Alain Senderens !
Le Mas Blanc a, hélas !, perdu de sa superbe
et l’on aura beaucoup de mal à retrouver
cette cuvée. Il en reste une dans ma cave et
son niveau est parfait. Elle me tente… Jusqu’à
quand vais-je résister ?
Pierre Casamayor
D. R.
 Les Dégustations
DÉBAT AUTOUR D’UNE BOUTEILLE
Médoc
Château Bois de Roc 2010
Jean-Baptiste
Thial de Bordenave
Un médoc modeste
qui fait son effet
B
ordeaux outragé ! Bordeaux brisé ! Bordeaux mar-
tyrisé ! On y est presque… Les producteurs bordelais
traversent une crise d’une ampleur exceptionnelle.
L’occasion pour nos deux experts de saluer l’autre facette de
Bordeaux, ce fabuleux vignoble riche d’opportunités pour les
connaisseurs. À des prix parfois insoupçonnés.
Jean-Baptiste Thial de Bordenave. Olivier, j’ai plaisir à te rece-
voir chez moi pour évoquer un sujet qui me tient à cœur. Car
contrairement à une idée reçue, on trouve à Bordeaux parmi
les meilleures affaires de France et j’entends te le démon-
trer avec ce Château Bois de Roc, un médoc modeste
vendu moins de 10 € qui, je trouve, fait son effet.
Olivier Poels. C’est de surcroît un 2010, et il a bien vieilli.
J’ai déjà mis en avant ce domaine lors de dossiers sur les
vins abordables. Ce cru de la famille Cazenave est élevé
en cuves, sans boisé tapageur. On aime les arômes truffés
des merlots sur argilo-calcaires, avec cette touche de
violette. On pourrait le prendre pour un cru de Saint-
Émilion. L’ensemble est posé, digeste, fin et très
agréable. Il est d’un excellent rapport qualité/prix
face à des vins de Loire ou du Rhône.
JBTB. Moi aussi j’aime beaucoup, avec ce merlot
majoritaire dans l’assemblage. Ce flacon démontre
que Bordeaux produit à moins de 10 € des vins
capables de se bonifier pendant dix ans. Qui d’autre
réussit cela ? Bien des régions produisent des vins
plus chers qui ne tiennent pas ainsi dans le temps. Tu
le sais, j’aime les bourgognes et là-bas, il est difficile
de trouver son bonheur à moins de 20 €. Dire que
Bordeaux a la réputation d’être cher…
OPls. Bordeaux traverse une terrible crise, plus de
1 300 vignerons sont en grande difficulté. La frac-
ture entre les prestigieux châteaux pour lesquels le
marché est reparti de plus belle et la masse de vigne-
rons qui galèrent pour vendre leurs bouteilles est
énorme. Il y a peu, le tonneau de 900 litres de vin
de Bordeaux se vendait 600 €, du jamais vu ! Le prix
d’une bouteille de Premier cru classé en primeur.
118 - LA RVF N° 669 - AVRIL 2023
Olivier Poels
JBTB. C’est triste, et je trouve cela injuste au regard du travail
que fournissent tous ces vignerons pour qui seul l’arrachage
des vignes semble être la solution. Le bordeaux bashing n’a pas
fini de faire des dégâts. Je constate d’ailleurs qu’à Bordeaux,
nombre de restaurants ne servent que peu de vins de la région !
OPls. C’est un signe, Jean-Baptiste, et il faut avoir le courage
de regarder la réalité en face. Pour expliquer ce marasme,
ne parler que de la dérive des prix d’une poignée de crus
classés me semble bien réducteur, c’est un alibi trop facile. Le
problème est bien plus profond. Bordeaux a tout simple-
ment loupé le virage de la modernité. J’appelle cela le
“syndrome Kodak”.
JBTB. Comme les appareils et pellicules photo ? Je ne vois
pas le rapport…
OPls. Les vignerons n’ont pas voulu voir que les désirs des
clients changeaient, que le numérique allait s’imposer.
Ils se sont crus trop puissants et intouchables, “too big
to fail” (trop gros pour tomber), dit-on aux États-
Unis. Ils ont réalisé trop tard leur erreur. Bordeaux
s’est en partie accroché à son image de vin aris-
tocratique, statufiant, la bouteille du dimanche
qu’on garde précieusement en cave, quand les
concurrents de la Loire ou du Rhône assumaient
un côté plus immédiat, “bistrotier”. Je ne parle
même pas du courant bio-“nature” qui donne
une image plus dynamique et contemporaine.
Bordeaux doit comprendre que tout le monde ne
peut pas faire du Lafite ou du Pétrus et qu’il n’y a
aucune honte à produire un “canon” sympa à boire
dans un bistrot avec un steak-frites.
JBTB. Allons donc finir cette discussion – et la
bouteille – dans un bistrot et essayer de convaincre
le patron que Bordeaux élabore des vins agréables
et accessibles dans tous les sens du terme. Ce sera
Photos : D. R. / T. Legay
toujours ça de gagné !
Sur le sujet, lire aussi “Bordeaux étranglé par
la surproduction” (La RVF n°667, février 2023).