VINI 

BE GOOD ● JURANÇON ● JEAN FAURE ET BEAU-SÉJOUR BÉCOT ● HAUT-MARBUZET

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PRIORITÉ AUX VINS PLUS FRAIS !
100 cuvées produites entre 250 et 500 mètres

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CAVISTES
Le Covid dope
les ventes
en ligne

ENQUÊTE
La France
redécouvre ses
cépages interdits

LOIRE
SPÉCIAL
CHENIN
D’ANJOU
90 blancs secs
époustouflants
à partir de 9 €
DEUX SIÈCLES
DE GRANDS VINS
D’ESPAGNE
Vega Sicilia, Pingus,
Recaredo, Palacios
Remondo… JAMBONS & VINS
Pata Negra, San Daniele, Prisuttu corse…
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Les mariages réussis
 a millefoli
Achille um
 Edito
Denis Saverot
La remontada de l’Anjou
L
a Loire, la Loire, la Loire ! Partout, chez les cavistes bran-
chés de la Bastille à Paris, dans les bistrots de Marseille ou
de Montpellier, retentit la même musique. Ou plutôt ce
cri de ralliement. Et cela tombe bien, Alexis Goujard et Pascaline
Lepeltier, spécialement revenue de New York pour l’occasion,
explorent ce mois-ci les territoires secrets et les plus belles
expressions du chenin sec d’Anjou. Un cépage majeur dans un
vignoble en totale transformation : pour l’amateur, cela s’ap-
pelle un effet d’aubaine.
La Loire et ses coteaux comptent depuis longtemps dans l’uni-
vers du vin. Il y a mille ans, les sœurs de l’abbaye du Ronceray
exploitaient le vignoble de Chaume, creuset des futures AOP
Quarts-de-Chaume Grand cru et Coteaux du Layon. Blois et
Montsoreau, Chenonceaux et Chaumont-sur-Loire contri-
buèrent à façonner la riche culture gastronomique ligérienne,
en particulier au rythme des banquets de la cour des Valois.
De nos jours, se promener sur les hauteurs de Savennières
permet de sentir, à travers la beauté de la pierre, l’assise noble
des bâtisses, la lumière, le legs de l’histoire. Michel Dovaz l’as-
sure : « Il suffit de poser un pied à la Coulée de Serrant, de contempler
la Loire de ce point dominant, pour sentir dans sa chair que l’on foule un
lieu exceptionnel ».
De ces temps glorieux, la Loire a gardé
la maîtrise du français le plus pur et un
certain art de la table. Cela s’appelle la
civilisation. Mais après tant de hauts, la
région connut aussi des bas. L’Anjou n’a
pas su entretenir la flamme de ses crus
légendaires. Comment Bonnezeaux,
Quarts-de-Chaume,CoteauxduLayon
« Une pépinière
de grands
blancs secs éclôt
sous nos yeux »
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 3
ont-ils pu s’étioler à ce point ces vingt dernières années quand
les crus de Bourgogne, leurs fiers contemporains, n’ont jamais
cédé une once de leur superbe ?
Heureusement, la Loire, fleuve romanesque s’il en est, charrie
un atout puissant : la résilience. Le prix des terres ayant fondu,
en particulier dans les vignobles de liquoreux d’Anjou, se joue
sous nos yeux une double remontada. Tandis que des propriétés
historiques changent de main avec des ambitions réaffirmées,
tels Terra Vita Vinum (ex-domaine Richou) ou le château de
Plaisance, tandis qu’émergent des projets d’ampleur comme
Belargus, porté par un authentique amoureux des vignerons,
l’Anjou devient en même temps la terre promise des pionniers
du bio, de la biodynamie, des vins “nature”. Une pépinière de
grands blancs secs éclôt sous nos yeux.
La France les découvre quand le monde les adore déjà. Dans la
foulée des Richard Leroy, des Patrick Baudouin, des jeunes gens
surdoués émergent. Thomas Batardière ou Olivier Lejeune par
exemple, ceux que l’on appelle les enfants de Mark Angeli, autre
pionnier des vins naturels, vendent déjà leurs vins comme des
stars au Japon ou en Scandinavie, pays où le bio fait désormais
la loi. Suivons Alexis et Pascaline, ils nous emmènent frapper à
la porte de ces nouveaux talents d’Anjou, tels Julien Delrieu ou
le domaine Bertin-Delatte, à Rablay-sur-
Layon. Poétique et magique à la fois.
Vous l’avez compris, ce numéro est…
déjà trop court. Nous évoquerons plus
tard les autres merveilles à glaner au fil
de la Loire, les vins de volcans qui s’affir-
ment aux sources du fleuve, l’héberge-
ment magique de la famille Marcon, à
Saint-Bonnet-le-Froid. La renaissance
annoncée de Chinon. Ou encore, à
l’extrême ouest, en Muscadet, le travail
admirable d’un Jérôme Breteaudeau
ou de Marie et Pierre-Marie Luneau, au
domaine Luneau-Papin.
Aujourd’hui, place à l’Anjou retrouvé !
PM
« Dompter la puissance
pour la rendre à la grâce
et retrouver ainsi la
puissance de la grâce. »
Nicolas Thienpont,
vigneron

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 Sommaire
Avril 2021

Grand Entretien
10 Fabrice Gendrot
Ce Chinonais bon vivant anime Vini Be Good, un réseau commercial
innovant qui fédère quarante vignerons pointus de la Loire

En direct dans le vignoble

14 Les actus du vin
Les grands vignerons face au défi de la vente en ligne

Champagne : Nicolas Feuillatte et Castelnau accélèrent leur fusion
Coronavirus : la bière et les brasseurs sous haute pression
Les crus du Beaujolais se rêvent en Premiers
L’Afrique du Sud mise au régime sec !
L. Ragot
« Il faut de l’amour pour bien vendre le vin », lance
Fabrice Gendrot, ambassadeur tonique des vins de Loire.

26 L’invité
Patrice de Moncan, auteur-éditeur passionné de vin

28 Grand vigneron de demain

Valentin Morel, du domaine Les Pieds sur Terre dans le Jura

30 Le courrier des lecteurs

Les dossiers
34 Les cépages interdits
font de la résistance

D. R.
Les cavistes chics (ici, l’équipe de Au Millésime, à Strasbourg)
Des vignerons passionnés travaillent à l’avenir de variétés hybrides sont passés à la vente sur Internet.
anciennes que l’administration voudrait voir disparaître

42 Cavistes chics : eux aussi

basculent sur Internet !
La crise du Covid-19 a accéléré la migration vers le Web.
Pour certaines adresses installées, c’est une remise en question

Art de vivre
53 Vu d’ailleurs Par Pascaline Lepeltier
55 Accord minute Par Olivier Poussier
56 Quand le vin magnifie les
plus beaux jambons d’Europe
Shutterstock

Pata Negra, Ibaïma, San Daniele… : ces jambons

réputés sont l’occasion d’accords inattendus !

LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 5

 Sommaire
Avril 2021

Art de vivre
63 C’est comme ça Par Sébastien Lapaque
64 Spiritueux
Des Alpes à la Martinique, dix eaux-de-vie complètement bio

De vigne en cave À Jurançon, la place

grandissante des vins secs
rebat les cartes.
66 Vie de château

D. R.
Château Haut-Marbuzet, à Saint-Estèphe

72 Une appellation,
deux styles
Châteaux Beau-Séjour Bécot,
et Jean Faure à Saint-Émilion

76 Les dessous du terroir

D. R.
Jurançon, le souffle des Pyrénées
Le pittoresque Henri Duboscq
81 Trésors de vos caves a fait de Haut-Marbuzet l’un des vins
les plus célèbres de Bordeaux.
Par Angélique de Lencquesaing

Les dégustations
En Anjou Noir, la famille Mosse,
Emmanuel Ogereau et Cédric Bourez
(La Galerne, en bas à d.) livrent
de formidables blancs secs.

88 Anjou Noir :
une révolution
en 90 chenins secs
Réputée pour ses moelleux, la région fait sa mue pour révéler
le potentiel de blancs secs issus de chenin
101 Les 100 bouteilles mythiques
Ermitage rouge Cuvée Cathelin 1990 du domaine Jean-Louis Chave

102 Languedocs d’altitude

L’altitude influence favorablement le bouquet des vins dans les régions
méditerranéennes. La preuve en 266 cuvées languedociennes

112 Grands vins d’Espagne

Ces cuvées font la fierté d’un vignoble qui affirme son indépendance

122 Débat autour d’une bouteille

Monte Bello 1995 de Ridge Vineyards (Californie)
J.-Y. Bardin

LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 7

 Grand entretien

Fabrice Gendrot
« Il faut de l’amour
pour bien vendre le vin »
Faire du bon vin, c’est bien, mais il faut aussi savoir le vendre. Fédérant 40 vignerons pointus
de la Loire, le Chinonais Fabrice Gendrot anime un réseau commercial innovant, où ambition
et solidarité fonctionnent à plein. Il nous livre les coulisses de son passionnant métier.
Propos recueillis par Denis Saverot et Alexis Goujard, photos de Ludovic Ragot

Présentez-nous Vini Be Good, le groupement de vignerons
que vous dirigez.
Vini Be Good réunit une quarantaine de domaines qui ont
fait le choix d’une distribution commune de leurs vins. Avec
une ligne directrice : la Loire. L’idée vient de Jean-Luc Danto,
caviste à Saint-Nazaire. Dès les années 1990, il avait misé sur
les vins de qualité avec une approche bio, distribuant auprès
des restaurateurs et cavistes des vignerons pionniers tels
Mark Angeli, Guy Bossard, Philippe Alliet, François Chidaine,
Thierry Germain… Vingt-cinq ans plus tard, notre gamme
s’étend du Muscadet, avec le domaine Les Hautes Noëlles,
jusqu’à la Côte Roannaise, avec Vincent Giraudon. Nous ven-
dons800000bouteillesparanetsommescapablesdegrouper
dans une seule commande pour un restaurant ou un caviste
des caisses panachées de tous nos vins, ce qui permet de
mutualiser les coûts de distribution.
La logistique, ça compte. Mais au-delà, que proposez-vous ?
Notre truc, c’est la détection de jeunes vignerons à fort poten-
tiel. On les accompagne sur les vins et le commerce, afin qu’ils
collent mieux au marché. S’ils ne travaillent pas en bio, on les
incite à passer le cap.
Comment êtes-vous organisé ?
Lorsque j’ai commencé à Vini Be Good en 2005, j’étais seul.
Il a fallu mailler la distribution en France. Aujourd’hui, neuf
salariés travaillent à notre siège et dans notre entrepôt à
Avoine, près de Chinon, et 40 agents indépendants couvrent
la France pour vendre les vins. Ce sont des agents multicartes,
la plupart d’entre eux proposent des vins équivalents dans les
autres vignobles. D’où l’importance de proposer une carte de
vignerons pointus de la Loire et en bio. Mon boulot consiste à
accompagner nos agents dans la stratégie de vente, aller voir
les clients avec eux, organiser des rencontres avec les vigne-
rons. Ce dernier point est essentiel, cavistes et sommeliers
adorent rencontrer les vignerons. Vini Be Good s’occupe de
tout : les frais de transport, de logistique, d’agence.
Qu’est-ce qu’un bon agent ?
Il faut être passionné ! Avoir l’amour du vin et du commerce,
respecter les règles, être capable de s’adresser aussi bien à un
caviste qu’à un sommelier ou à un chef. Dans le commerce,
il y a des objectifs à atteindre, mais il faut surtout savoir bien
vendre le vin, c’est-à-dire proposer le bon vin au bon endroit.
Un caviste du XVIe arrondissement de Paris n’a pas la même
clientèlequ’unbaràvinssurleVieux-PortdeMarseille.Unbon
agent sait aussi détecter des points de vente qui collent avec
les volumes produits par le vigneron. Si un viticulteur produit
50000bouteillesdesacuvée“domaine”,mieuxvauts’adresser
àungrossisteouàuncavisteimportantquipeutpasserduvin,
commeondit.Siondoitplacer5000bouteillesà10euroshors
taxes, on ne va pas s’adresser à un caviste de quartier qui vend
la plupart de ses vins 12 euros TTC. Ça lui ferait une bouteille à
20 euros qui dormira dans son rayon.
Certains agents devenus célèbres, Philippe Noyer par
exemple qui a lancé à Paris le Clos Rougeard et Didier
Daguegueau, sont aussi accusés d’avoir fait grimper les prix.
Une critique fondée ?
Philippe Noyer est un ovni sur le marché du vin. Il a eu le nez
fin en fixant des critères précis et en s’y tenant : il choisissait
des propriétés familiales, de moins de 15 hectares, ayant l’am-
bitiondefairedesgrandsvins.Maisavantd’atteindrecessom-
mets, les domaines doivent beaucoup investir et assurer leurs
arrièresencasdepépinsclimatiques.Après,onnemaîtrisepas
la spéculation. J’ai connu le Clos Rougeard à 25 euros, c’est le
prixqueçavalait.Laspéculationafaitlereste (unClosRougeard
vaut aujourd’hui environ 200 euros, ndlr).

Fabrice Gendrot. Né le 18 mars 1977 à Soudan. Ses plus beaux souvenirs de dégustation : chinon Les Picasses 2004 du
château de Coulaine, un vosne-romanée 2003 de René Engel, les tavels du domaine l’Anglore. Signe particulier : va ouvrir
cet été avec sa femme Laurence une bâtisse du XIVe siècle, la Seigneurie du Néman, sur les bords de l’Indre, où l’on pourra
découvrir les vins de Loire dans un cadre bucolique, entre deux têtes piquées dans la rivière.
10 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
 Rabelaisien dans l’âme,
Fabrice Gendrot aime déboucher
de grands formats au moment
de passer à table, comme avec
ce remarquable gigot d’agneau cuit
au foin et en croûte de pain
par le chef Jacques Marcon !
 Pour stimuler les agents de Vini Be Good,
Fabrice Gendrot (marinière) n’hésite pas
à les emmener à la rencontre des vignerons.
Ici dans le Sancerrois, avec notamment
Pierre Martin et Marius Tabordet.

le caviste par Vini Be Good, transport,

logistique et frais d’agence compris. Le
vigneron, l’agent, le caviste ou le restau-
rateur, chacun doit vivre de son travail.

Le vin au restaurant est-il trop cher ?

Il y a des abus, c’est sûr. Mais tout dépend
du lieu où l’on se trouve. Un restaurant
trois étoiles du Guide Michelin n’a pas
les mêmes problématiques qu’un res-
taurant de quartier. Le premier offre un
service personnalisé, avec un somme-
lier. Si le vin est gardé quelques années,
ce stockage se répercutera sur le prix.

Cela concerne aussi les vins de Loire ?

Comment détectez-vous les bons vignerons de demain ?
Pas mal de vignerons, chaque année, frappent à notre porte.
Mais on préfère les chercher nous-mêmes, avec nos critères.
Il faut que le vigneron ait un esprit d’équipe, qu’il accepte de
partager son système de distribution, qu’il soit ambitieux. On
doit sentir chez lui une sensibilité particulière, la volonté de
travailler dur dans la vigne afin de produire des grands vins.
Ici, entre un vin acheté 5 euros et un
autre 7 euros (prix hors taxes pour les professionnels, ndlr), il y a un
monde ! Avec 2 euros de plus, le vigneron peut passer d’un vin
gourmand à un vin plus profond. Cette soupape financière
permet d’allonger les élevages, d’investir dans du matériel…
C’est primordial pour produire le vin le plus abouti possible. Et
il y a une jeune clientèle prête à mettre quelques euros de plus
pour acheter une meilleure bouteille.

Pouvez-vous donner des exemples ? Comment fixez-vous le prix d’un vin ?

Antoine Van Remoortere, à Menetou-Salon : on l’a trouvé grâce Le critère numéro un est la qualité. Mais cette qualité, il faut
à La RVF. En 2010, nous cherchions des vins dans ce coin-là. Et savoir la positionner dans les caves et restaurants et ça, c’est
nous sommes tombés sur un article sur Menetou-Salon, avec la connaissance du marché qui le permet. Lorsque Mathieu
le nom de ce jeune vigneron que nous ne connaissions pas : Vallée a repris le château Yvonne, en 2007, la cuvée La Folie
“Antoine Van Remoortere, domaine à suivre”. On l’a tout de coûtait 15 euros chez un caviste. C’était une cuvée gourmande.
suite appelé. La cooptation fonctionne aussi. Quelques années Et là, ce vigneron s’est dit : « Je vais faire des grands vins ». Il a
plus tard, on avait besoin d’un pouilly-fumé. C’est là qu’An- poussé tous les curseurs : l’expression du terroir par un tra-
toine Van Remoortere, toujours le même, nous a dit : « Marius vail plus abouti à la vigne, le ciselage du vin par une cave plus
Tabordet, je pense qu’il fait tout dans le bon sens. Allez-y ! ». Depuis performante. Le vin n’a jamais été aussi bon, les prix ont suivi.
ce moment-là, on accompagne Marius dans le Aujourd’hui, il vaut 20 euros, une récompense
commerce. Il peut consacrer tout son temps à après les risques pris par le vigneron qui aug-
ses vignes, qu’il convertit en biodynamie, et à « Notre truc, c’est mente chaque année les prix de 3 % pour pro-
ses vins qui n’ont jamais été aussi bons. la détection de gresser. Il pourrait les augmenter de 15 % d’un
Quelles sont vos plus grandes fiertés ?
jeunes vignerons coup mais il ne le fait pas.
Je pense à Florent Barichard. Florent a tra- à fort potentiel » La notoriété compte-t-elle dans le prix ?
vaillé chez Vincent Carême à Vouvray pendant Bien sûr ! En 2018, le château Yvonne a décroché
cinq ans. Déjà, il montrait beaucoup de motivation. On l’a sa deuxième étoile dans votre Guide des meilleurs vins de France,
suivi lorsqu’il s’est installé à Saint-Pourçain, au domaine des puis Mathieu Vallée a fait la couverture du spécial vin du Point.
Terres d’Ocre. On a même adressé un courrier aux banques : Résultat, en deux ans, on a manqué de vin et on a été contraints
Vini Be Good s’engageait à commercialiser ses vins alors que de les proposer sur allocations. Dans ces moments-là, il est
Florent n’avait pas fait sa première récolte ! On a travaillé avec important de continuer à fournir les clients fidèles qui t’ont
lui sur les étiquettes, le style des vins et la stratégie tarifaire. fait confiance. Mais on ne peut pas empêcher les prix de
Depuis les ventes marchent très bien et on a noué une rela- grimper.
tion de confiance très forte : il a placé son gagne-pain entre nos
mains. Et pourtant, je vous assure, c’est plus facile de lancer un Vendre ses vins sur allocations, est-ce idéal ?
sancerre ou un pouilly-fumé qu’un saint-pourçain. Tout le monde en rêve, pas moi. C’est confortable, tout est
prévendu. C’est un aboutissement pour le domaine. Mais les
Et le prix ? allocations créent aussi de la frustration, notamment pour les
Nous établissons le prix le plus juste possible. Un vin vendu clients de longue date. J’ai un tempérament de puncher. Je pré-
5,50 euros hors taxes par le vigneron sera livré à 8  euros chez fère me battre pour vendre des nouvelles cuvées.
12 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
 Grand entretien
Fabrice Gendrot
Une fois lancés, les domaines ne risquent-ils pas de quitter
Vini Be Good pour vendre en direct à leurs clients ?
Les vignerons savent qu’on les a aidés à se développer. La plu-
part (Gérald Vallée, Vincent Carême, Dominique Joseph…)
sont actionnaires, donc très investis. Ils ont accès aux comptes
et voient bien la cohérence de notre système. C’est un soula-
gement pour eux de voir leur travail respecté et payé au prix
juste, sur le long terme. Faire des “one shot” ne dure qu’un
temps.
Y a-t-il des endroits clefs où placer les vins pour être reconnu ?
Là, on peut parler de Paris. C’est une ville moteur. Nous y ven-
dons 30 à 40 % de nos volumes. À Paris, tu peux vendre les
mêmes vins dans le XIe, fief des vins “nature”, et dans les bis-
tros huppés de Saint-Germain-des-Prés. C’est rare.
Un vin qui se vend à Paris se vendra-t-il dans les autres
grandes villes de France ?
Non ! Paris a depuis toujours le goût ligérien. Mais on n’en est
plus au petit rouge de Saumur-Champigny servi frappé. On
y boit aujourd’hui des vins plus élaborés, tout en gardant ce
goût de la fraîcheur ligérienne. Après, chaque ville a sa spéci-
ficité. À Marseille, quand je proposais des muscadets il y a dix
ans, ils faisaient la grimace. Maintenant ils en redemandent
car ce sont des vins très rafraîchissants. Autre exemple inté-
ressant, Montpellier. On n’y connaissait pas les vins de Loire
il y a quinze ans, aujourd’hui le panier moyen est assez élevé.
Le bio est-il devenu un critère pour le grand public ?
Dans le IXe ou le XIe arrondissement de Paris, c’est devenu un
critère. En revanche, dans le VIIe ou le VIIIe, les vins bio sont
mal vus parfois. Mais le label bio ouvre des marchés, c’est
évident. Chez nous, il y a deux ans, deux de nos 40 domaines
n’étaient pas certifiés. Les autres leur ont dit : « Tu fais le boulot
qu’il faut à la vigne, prends le label ! ». Et cela a fonctionné.
Citez-nous des vignerons qui vous ont bluffé dans la Loire ?
Mathieu Cosme à Vouvray, il a misé sur une décroissance
intelligente. Tout le monde achète des hectares quand les vins
rencontrent le succès, lui fait l’inverse. Il se rend compte que
pour bien faire son boulot, il faut réduire les surfaces. Romain
Paire, en Côte Roannaise, mérite notre admiration. Il élève des
vaches, exploite son bois pour créer de l’énergie. Il va au bout
de la démarche. C’est salutaire dans un monde où on s’acca-
pare parfois les notions du bio par opportunisme commercial.
Et l’Anjou, que nous saluons dans ce numéro ?
C’est la terre promise de celles et ceux qui veulent s’ins-
taller sans être des “filles et fils de”. Parmi les bons, Thomas
Batardière à Rablay-sur-Layon, un ancien du château Yvonne,
est à suivre de près (lire p. 96, ndlr). C’est un modèle de microdo-
maine. Il pourrait tout vendre seul mais il nous fait confiance
et nous laisse vendre une partie de sa production.•

Comment a évolué l’image des vins de Loire ?

C’est le jour et la nuit. Les chenins d’il y a quinze ans, il fallait
se les farcir. Par ici, quand on disait « ça chenasse », ce n’était pas
bon signe ! Maintenant, tout le monde veut du chenin. À Saint-
Nicolas-de-Bourgueil, Saumur-Champigny ou Montlouis,
seuls deux ou trois vignerons se distinguaient. Aujourd’hui,
on les compte par dizaine. Mais si la notoriété va de pair avec la
qualité, c’est grâce au collectif que les choses bougent.

Et le muscadet que l’on dit en crise ?

Il y a de grands vins, mais au niveau de la notoriété, c’est dif-
ficile. Ils ont enfin créé des crus, cela aurait pu être anticipé.
Ceux qui s’en sortent ont choisi la qualité, tu es obligé de pro-
duire du très bon pour vendre. Après, la région offre d’ex-
cellentes affaires. Nos muscadets, on les trouve à moins de
10 euros la bouteille chez le caviste, ils mériteraient d’être à 15.
Le vigneron gagnerait mieux sa croûte.

Quels secteurs de la Loire montent en puissance ?

Les appellations satellites comme Saint-Pourçain, Côte
Roannaise ou Menetou-Salon. On peut parler aussi de
Cheverny avec les délicieux sauvignon-chardonnay et
gamay-pinot de Laura Semeria, au domaine de Montcy, ou du
domaine des Huards. La Touraine aussi, avec les vins de Jean- Basé à Chinon,
François Mérieau. Des vins lunaires ! En face, des appellations Fabrice Gendrot vend
plus connues comme Sancerre menacent de décrocher : 80 % 800 000 bouteilles
des vins partent à l’export, les prix s’envolent et comme ça de vins de Loire par an, dans
toute la France et au-delà.
marche, on fait parfois moins d’efforts et la qualité n’est plus
forcément au rendez-vous.
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 13

S’ils considèrent Internet
comme une vitrine, pas
question pour Anselme
et Guillaume Selosse
d’y vendre leurs Grands
crus de Champagne.
Les grands vignerons
face au défi de la vente en ligne
Des signatures du vignoble français tels Anselme et Guillaume Selosse, le domaine Prieuré Roch
ou le château Rayas refusent de vendre leurs vins sur Internet. Mais le Covid-19 pourrait rebattre les cartes.
I ncroyable mais vrai ! En 2021, tels
les Gaulois du village d’Astérix,
une poignée de prestigieux domaines
français, comme la Romanée-Conti,
Prieuré Roch ou Jean-Marc Roulot en
Bourgogne, le domaine Jacques Selosse
en Champagne, le château Rayas à
Châteauneuf-du-Pape… résistent
encore et toujours à l’envahisseur
numérique et refusent mordicus de
vendre leurs vins sur Internet.
FIDÈLES AUX CAVISTES
« Cette décision prend racine dans l’histoire
du domaine, raconte Guillaume Selosse
au domaine Jacques Selosse, à Avize, en
Champagne.Lorsquemesparentsontrepris
le domaine en 1974, les débuts ont été difficiles
et pendant vingt ans, ce sont des cavistes, en
En direct
Dans levignoble
premier lieu Lucien Legrand, qui les ont aidés
à gagner en notoriété. Maintenant que le
succès est là, ils entendent leur rester fidèles. »
L’attachement n’est cependant pas la
seule motivation des intéressés. Bien
des vignerons célèbres pensent que les
cavistes conseillent mieux leurs clients,
qu’eux seuls sont capables de réserver
leurs vins si prisés à la bonne personne
(qui saura l’apprécier). À l’inverse, les
sites internet sont accusés de vendre
au premier venu, un(e) anonyme qui
avec un carnet de chèques bien fourni
pourra rafler la mise. « Nous faisons des
vins avec une âme, nous voulons qu’ils soient
vendus par des gens capables de transmettre
cette émotion », confie Bernard Noblet, le
mythique chef de cave de la Romanée-
Conti, aujourd’hui en retraite.
14 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
J.-C. Gutner
C’est ainsi que tous les ans, agents,
particuliersetrestaurateursbénéficiant
des précieuses allocations se pressent
au domaine de la Romanée-Conti afin
de déguster le nouveau millésime… et
de signer la charte de bonne conduite !
Conditions de vente, zone de chalan-
dise, prix à pratiquer, et bien sûr inter-
dictionderevendresurInternet…ysont
inscrits noir sur blanc. Une pratique qui
devientdeplusenpluscourantechezles
vignerons devenus spéculatifs.
RAYÉS DES LISTES !
Au domaine de la Romanée-Conti, gare
à ceux qui ne jouent pas le jeu. «Nousdis-
posons de moyens pour remonter jusqu’au
client qui a revendu son vin sur Internet, pré-
vient Bernard Noblet. La sanction ? ● ● ●

●●● Ils sont rayés des listes. Nous sommes
intransigeants, nous ne voulons pas de spé-
culation. »
Et pourtant il n’est pas rare de retrou-
ver des vins de château Rayas, Selosse ou
du DRC sur Internet… Comment ? « 90 %
de nos vins sont des allocations directes, mais
lorsque notre stock est épuisé ou que le
domaine ne veut vraiment pas vendre en ligne,
nous allons les acheter en seconde main chez
des particuliers, des restaurateurs qui veulent
se refaire une trésorerie ou encore des gros-
sistes spécialisés… C’est un marché très impor-
tant, détaille Bernard Le Marois qui
dirige le site wineandco.
Naturellement, les vignerons concer-
nés apprécient peu : ils voient-là un
dévoiement de leurs précieuses bou-
teilles et déclinent toute responsabilité si
le vin présente un éventuel défaut…
DES MENTALITÉS QUI ÉVOLUENT
La crise du Covid-19 pourrait cependant
les conduire à mettre un peu d’eau…
dans leur vin. « Nous avons conscience de la
situation sanitaire, les gens se déplacent moins
en boutique, admet Guillaume Selosse,
lui-même acheteur de vins en ligne à
titre personnel. Nous acceptons que nos
bouteilles soient présentes sur le site internet
d’un caviste, mais pas que le prix soit affiché
ou qu’on puisse la mettre dans le panier. Cela
doit rester une vitrine. »
Aux Caves Legrand à Paris, alors qu’il
avait toujours refusé de vendre du vin
(hors primeurs) sur Internet pour pri-
vilégier le contact avec le client et le
conseil, Gérard Sibourd-Baudry réflé-
chit, prudemment, à faire ses premiers
pas en ligne. « Nous pourrions vendre cer-
tains vins produits en grande quantité et qui
ne demandent pas d’explications trop pous-
sées sur Internet, ou proposer un système de
préréservation pour nos clients japonais ou
américains… précise-t-il. En revanche, nous
continuerons à réserver les vins des domaines
dont nous avons signé la charte de bonne
conduite à nos clients physiques. » Les lignes
bougent…
La vente en ligne va-t-elle rattraper
son retard ? Bernard Le Marois y croit :
« Nous aussi allons voir les domaines, nous
leur expliquons que nous portons le vin en
stock. Nous écrivons les fiches produits avec
eux, ils maîtrisent leur image et leur position-
nement ».
Fabien Humbert
En direct
Dans le vignoble
Nicolas Feuillatte et Castelnau
accélèrent leur fusion
Dans une Champagne en crise, les coopératives trop nombreuses doivent
se regrouper pour vivre. Le géant Feuillatte et Castelnau montrent la voie.
Si elle est validée en juin, cette fusion fera de Nicolas Feuillatte le deuxième plus gros acteur champenois.
D
epuis quelques mois, la
rumeur d’un rapprochement
entre deux des plus impor-
tantes coopératives de Champagne
enflait. L’annonce en début d’année de
l’association du Centre vinicole-Cham-
pagne Nicolas Feuillatte (CV-CNF) et de
la Coopérative Régionale des Vins de
Champagne (Champagne Castelnau)
n’a donc pas provoqué de séisme. Dans
cecontextedifficilepourlaChampagne,
elle semble même stratégique.
TROP DE COOPÉRATIVES
S’il est accéléré par la crise sanitaire liée
au Covid-19, ce type de rapprochement
répond à un problème structurel : le
trop grand nombre de coopératives
champenoises. Plus ou moins impor-
tantes,commercialisantleursbouteilles
sous une marque ou non, elles sont 132
selon les derniers recensements.
La Fédération des Coopératives
Vinicoles de la Champagne incite d’ail-
leurs ces caves, surtout les coopératives
de pressurage, à se regrouper. Trop de
frais de fonctionnement et un marché
atone pénalisent ces structures sou-
vent peu préparées à la crise sanitaire.
Témoin la puissante Cogévi à Aÿ, une
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 15
J.-C. Gutner
grande coopérative champenoise, qui,
entre licenciements, résultats en berne,
démission du président… traverse une
forte zone de turbulences.
Dans un tel contexte, se regrouper
permet de survivre, mais aussi de pro-
gresser. Grâce à sa future union, Nicolas
Feuillattevadevenirl’undesplusgrands
acteurs champenois, pas tant au niveau
de la commercialisation (même si la
marque produit plus de dix millions
de bouteilles par an), ni même en tant
que propriétaire de vignes en propre
(Nicolas Feuillatte en possède peu), mais
entermesd’approvisionnementsenrai-
sins, le nerf de la guerre en Champagne.
De fait, Nicolas Feuillatte, fort de
2 255 hectares (union de 72 coopéra-
tives et 5 000 vignerons), recevrait en
dot les 800 hectares (23 coopératives
et 750 vignerons) de la Coopérative
Régionale des Vins de Champagne. Avec
un peu plus de 3000 hectares, ce projet
de fusion placerait Nicolas Feuillatte
en seconde position, derrière Moët
Hennessy Champagne Services qui dis-
posed’unapprovisionnementdeplusde
5000 hectares.
Sophie Claeys
lachampagnedesophieclaeys.fr
 En direct
Dans le vignoble

La saga Armand
de Brignac continue
Un nouvel état-major
En prenant une participation de 50 %
dans Armand de Brignac, Moët Hennessy
aux Caves Legrand
s’associe avec le rappeur Jay-Z. Ce dernier Le caviste de la rue de la Banque recrute trois jeunes talents pour booster
a acquis la marque en 2014. La gamme son activité de “galeriste du vin”. Et mieux faire rêver le monde depuis Paris !
Ace of Spades (entre 200 et 400 € selon les

C
cuvées) vient donc étoffer le portefeuille ette fois, c’est la bonne ! devenurestaurateuràsuccèsàNewYork
“champagne” du groupe avec des pro- Inamovible Senior advisor de (ilyafondélerestaurantRacines),cepère
duits très bling-bling destinés aux jeunes Legrand de famille sou-
noctambules argentés. À noter  : les Filles & Fils, l’une riant a une intui-
champagnes sont toujours élaborés par des plus belles tion folle : après
la maison Cattier, à Chigny-les-Roses. vitrines du vin quinze ans aux
français à Paris et États-Unis,ilacédé
PrieuréRochreprend dans le monde,
Gérard Sibourd-
Racines à la veille
du Covid-19 ! Sa
leClosdesVaroilles Baudry, 72 ans, nouvelle mission :
Très coté et recherché, le domaine chamboule son fédérer un groupe
Prieuré Roch (Nuits-Saint-Georges) a état-major pour diversifié (45 mil-
repris le Clos des Varoilles en Gevrey- mieux conquérir lions d’euros de
Chambertin Premier cru. Ce monopole la planète vin. chiffre d’affaires
de 6 ha, situé dans la Combe de Lavaux, Tel Napoléon au en 2020) et surtout
était jusqu’alors le fleuron du domaine lendemain de accélérer la vente
des Varoilles, propriété du vigneron et Wagram, il vient de de fins flacons

négociant suisse Gilbert Hammel.
Truffes de Loire : Bouygues
appuie sur le champignon
Étienne de Bonnaventure, Nicolas
Grosbois… nombreux sont les vignerons
du Chinonais à avoir planté des truf-
fières. Ils sont aujourd’hui rattrapés par
les Bouygues qui ont planté 20 ha de
chênes autour de Chinon, avec des
extensions prévues du côté de Richelieu.
Objectif des propriétaires du Clos
Rougeard : exploiter 100 ha de truffières
d’ici à dix ans.
LE CHIFFRE DU MOIS
D. Saverot
nommer trois français (Selosse,
maréchaux aussi Dans la galerie Vivienne, Gérard Sibourd-Baudry R a y a s , B i z o t ,
jeunes que hardis.
Arnaud Tronche
pose avec sa nouvelle garde rapprochée. DRC, Ausone…)
de Londres à
devient directeur général de Legrand Singapour en passant par les États-Unis
Filles & Fils, Francois de Nicolay est et Tokyo (Legrand est contrôlé par le
chargédedévelopperleclubEighty-Two Japonais Nakashima).
Advisory et Simon Robert décroche le
secrétariat général de Legrand & Co. DE SINGAPOUR AU BRÉSIL…
À 31 ans, François de Nicolay, spécia-
UN MARIAGE ET UNE DÉMISSION liste de géopolitique, va développer le
Il faut dire que Sibourd-Baudry, aussi club Eighty-Two Advisory. Réservé au
à l’aise pour commenter la program- départ à de riches amateurs japonais
mation de l’Opéra de Vienne que les (15000 £ de cotisation annuelle), ce club
nouveaux enjeux de la plantation de créé à Londres a vocation à ouvrir de
cacaoyers au Costa Rica, avait joué de nouveaux comptoirs à Singapour, au
malchance lors de sa précédente réor- Brésil et en Côte d’Ivoire. Coïncidence,
ganisation. En 2019, quelques mois le jeune homme est l’exact homonyme

300 000
C’est le nombre d’abonnés au compte
TikTok d’Émile Coddens, second de
chai du domaine Plou, en Touraine.
Le jeune homme de 23 ans enchaîne
les publications de vidéos sur le
réseau social. Face caméra, il livre avec
humour et pédagogie des histoires et
conseils autour du vin. Et le chiffre ne
fait que monter !
après avoir installé à la tête du groupe le d’un autre François de Nicolay, proprié-
jeune et brillant François Chirumberro taire du domaine Chandon de Briailles,
(Faculté d’œnologie à Bordeaux, MBA à Savigny. Issus de deux branches de la
Columbia University), ce dernier épou- même famille, les deux hommes ne se
sait Alexandra Mentzelopoulos, héri- connaissaientpas,celanesauraittarder!
tière du château Margaux, stoppant Enfin, un profil plus business, Simon
derechef sa collaboration avec les caves Robert, un Franco-Italien de 35 ans
Legrand : impossible de vendre les vins (ESCP, MBA Boston University) devient
de la concurrence… secrétaire général du groupe. Passé par
Cettefois,lecastingsembleaussiprécis Leboncoin puis BPI France, cet expert
que pointu. À 44 ans, Arnaud Tronche de la digitalisation devra accélérer dans
prend la direction générale du groupe. ce domaine. À chacun, La RVF souhaite
Profil atypique, ingénieur télécom bonne chance. Denis Saverot
16 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021

Les gros faiseurs comme
les microbrasseries
sont affectés par
les conséquences
du Covid-19.
Tous ne se
relèveront pas.
La bière et les brasseurs
sous haute pression
La fermeture des bars et restaurants plonge la filière brassicole dans
la tourmente et hypothèque l’avenir de nombreuses microbrasseries.
S
i l’année 2020 a été très compli-
quée pour la viticulture fran-
çaise, elle le fut plus encore pour
le monde brassicole. Le secteur étroi-
tement lié à la restauration et à l’événe-
mentiel (festivals, salons…) a enregistré
une baisse de 35 % de son chiffre d’af-
faires en 2020, et ce, malgré un report
des ventes vers la grande distribution.
En pleine expansion ces dernières
années et représentant à ce jour
2 000 entreprises dont 1 990 PME,
la bière est donc fragilisée. Maxime
Costhile, délégué général des brasseurs
de France, s’inquiète : « Bon nombre des
microbrasseries ont moins de trois ans d’exis-
tence et doivent aujourd’hui rembourser
l’achat de leur matériel. Leur avenir est très
incertain ».
UNE SITUATION CATASTROPHIQUE
Mais tous les brasseurs ne subissent pas
cette crise de la même façon. « Les bras-
seurs qui vendent leurs bières en bouteilles
s’ensortentbeaucoupmieux, analyse Hervé
Marzioux,biérologue.Ilsontsuparlebiais
de “drive”, de circuits courts et autres inno-
vations se réinventer. Ceux qui privilégient la
venteenfûtsetpourquilarestaurationrepré-
senteungrosmarché traversentune situation
bien plus périlleuse. »
En direct
Dans le vignoble
Shutterstock
D’autant que la durée de la pandémie
ne fait pas leurs affaires. « La conserva-
tion en fût, c’est six mois maximum si l’on veut
garder les vertus organoleptiques et d’effer-
vescence à la bière ; en bouteille, c’est deux à
trois ans, précise Édouard Haag, P.-D.G.
de la brasserie Météor à Hochfelden, en
Alsace. Un homme qui a déjà subi une
baisse mensuelle de 70 % de son chiffre
d’affaires, plus la perte de 3 000 hecto-
litres lors du premier confinement et de
1000 hectolitres lors du deuxième…«La
fermeture des bars et restaurants en octobre
nous a beaucoup affectés. Nous avons perdu
grosaveclabièredeNoël,plusonéreuseàpro-
duireavecsesépices.Etpourtant,nousavions
réduitlaproductionde50%»,décrypte-t-il.
Le flou qui pèse sur la réouverture des
bars et restaurants ajoute au malaise
des brasseurs. « Pour être prêts à la reprise,
nous avons besoin de deux mois, entre la
production et le temps de repos nécessaire à
la bière, confie encore Édouard Haag.
« Aujourd’hui, les brasseurs tournent au
maximum à 70 % de leur capacité, déplore
Maxime Costhile. Et derrière, la filière du
houblonpeineaussi,lesstockss’accumulent.»
Tous espèrent que la situation sani-
taires’améliorepourrelancerunsecteur
désormais en péril. Mais sans certitude.
Romain Iltis
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 17
David Biraud coache les
Français pour le mondial
Le sommelier David Biraud, auréolé de
cinq titres en concours internationaux,
a reçu pour mission de coordonner une
équipe d’entraîneurs afin de coacher
les compétiteurs français du prochain
mondial de sommellerie qui aura lieu en
France, en 2023. L’objectif ? Remporter
enfin ce titre qui échappe à la France
depuis vingt ans, faute d’une préparation
technique coordonnée, dit-on.
Un caviste amoureux
au cinéma !
Le réalisateur Ivan Calbérac (L’Étudiante
et Monsieur Henri, Venise n’est pas en Italie)
prépare un film sur le vin. L’histoire
est celle de Jacques (Bernard Campan),
un caviste, qui rencontre Hortense
(Isabelle Carré), une jeune sage-femme.
Naturellement, une histoire d’amour va
naître entre eux. Le tournage a débuté le
14 mars, sortie du film dans un an.
Meursault:pasdetrêve
Covid chez les allocataires
Qui a cru que la crise du Covid-19 et ses
conséquences économiques allaient
détendre le marché des grands vins
bourguignons, que certains allocataires
en manque de fonds allaient renoncer à
leurs allocations ? Il n’en est rien. Chez
Roulot, chez Coche-Dury, on entend le
même son de cloche : « Tout le monde est
venu chercher ses vins cette année ». Dans
un contexte boursier chahuté, le vin
semble même jouer le rôle de valeur
refuge. Résultat, la cote des bouteilles
mythiques n’a jamais été aussi élevée. La
crise ne touche pas tout le monde de la
même manière.
Vouvray : François Pinon
nous a quittés
Vouvray a perdu l’un de ses vignerons
les plus sensibles et talentueux. François
Pinon était revenu au domaine familial
de Vernou-sur-Brenne après une pre-
mière vie de psychologue pour enfants.
Nos pensées vont à sa famille et à son fils
Julien qui l’avait rejoint au domaine.

et Christophe Grenier :
engagés dans la renaissance
D. R.
Capet-Guillier : la conversion
d’un château à Saint-Émilion
Rénovation du château, replantations, préservation de la faune, conversion bio, tests en biodynamie…
La RVF suit ici, mois après mois, les chantiers lancés par ce Grand cru qui change de philosophie et d’époque.
U
n simple stage peut suffirepour
laisser une empreinte durable.
Et même donner son prénomà
une vigne. « Nous venons de baptiser notre
parcelle destinée à la permaculture “Louise”,
pour saluer l’excellent travail de notre sta-
giaire, Louise Nicourt ». Ainsi s’enthou-
siasme Lucie Lauilhé, directrice tech-
nique du château Capet-Guillier, qui
ne regrette pas d’avoir confié à la jeune
femme les recherches documentaires
de ce projet permacole.
LA PLANTATION DE 1 675 PIEDS DE VIGNE
Choix des cépages, mais aussi des plantes
aromatiques qui repousseront les rava-
geurs, des alliacés (ail, échalote…) qui
aideront la vigne à fixer l’azote, sélection
de nichoirs pour accueillir les chauves-
souris, recherche sur les nématodes,
ces vers indispensables à la vie du
sol… Durant neuf mois, l’étudiante de
Montpellier SupAgro s’est investieàfond
pour proposer un écosystème harmo-
nieux, favorable à la biodiversité. Lamise
en pratique débutera au printemps,avec
la plantation de 1 675 pieds de vigne.
En direct
Dans le vignoble
Lucie Lauilhé
de ce Grand cru.
À la tête des propriétés bordelaises du
géant Advini, dont Capet-Guillier, Jean-
Pierre Durand est heureux de mener ce
genre d’expérience. « À notre échelle, nous
parvenons à recréer un esprit de famille tout
en laissant la place aux initiatives. Lorsque
j’ai présenté en réunion de direction l’idée de
planter des oignons dans les vignes, on a un
peuri,maisaufinalonvalefaire.»
Cette parcelle en permaculture est
l’une des nombreuses transformations
entreprisesauchâteaudepuissonrachat
par Advini en 2009.
Le vignoble est réorganisé en deux
parties, dédiées chacune à une cuvée.
Sur la plaine sableuse naît La Tour Capet
et sur le coteau argileux le grand vin,
Capet-Guillier. Les 15 hectares de l’en-
semble sont largement restructurés.
« Dans les sables, il y avait du cabernet-sauvi-
gnon qui avait du mal à arriver à maturité. À
laplace,nousavonsplantédumalbec.Quand
il en bave, il peut être très qualitatif », relate
Christophe Grenier, qui veille sur les
vignes et le vin du château depuis 2011.
Le domaine entame sa conversion bio
auprès d’Écocert en2020et prévoitd’es-
18 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
Photos : M. Garçon
sayer des préparations biodynamiques.
En commençant par une décoction de
prêle avant Pâques, en prévention contre
le mildiou. « Nous cherchons le moyen de
pratiquer une viticulture saine et équilibrée,
qui rende la vigne de moins en moins sensible
aux maladies », explique Lucie Lauilhé.
INTÉGRER LE FUTUR CLASSEMENT
Quant aux bâtiments, ils ont eux aussi
été rénovés. Les travaux du château sont
en cours d’achèvement. Le chai à bar-
riques est tout neuf. Tout comme le chai
de vinification, qui permet depuis 2017
un travail parcellaire très précis. D’ici
quelques semaines, le public pourra
venir découvrir sur place le résultat.
Autant d’efforts pour limiter l’impact
environnemental du domaine, faire
progresser ses vins et lui donner une
chance d’intégrer le prochain classe-
ment de Saint-Émilion, prévu en 2022.
Si le château s’y fait une place, nul doute
que Louise sera invitée aux célébrations.
Baptiste Charbonnel
Prochains rendez-vous en mai sur larvf.com
et dans le numéro de juin de La RVF.
 DE VISU-REIMS

L’ A B U S D ’ A L C O O L E S T D A N G E R E U X P O U R L A S A N T É . C O N S O M M E Z AV E C M O D É R AT I O N .

Le Pigalle du vin s’éveille !
Aux manettes du bar à vins 228 litres, le
duo Pierre et Louis Renauld s’associent
avec Robin Lenfant pour ouvrir la Cave
Pigalle, à côté de leur première adresse.
Dans leurs casiers, 400 références orien-
tées bio et biodynamiques avec des éta-
lons (Ganevat, Lahaye, Valette…) et plein
de découvertes (les Errances en Anjou,
Stéphane Syran en Côtes de Toul…).
Rendez-vous au 3, rue Victor-Massé dans
le IXe arrondissement.
Bourgueil:lederniervol
deLudovicRagot
Enfant de la Touraine angevine, il avait
été barman puis restaurateur, patron
du Café de la Promenade, fief des vigne-
ronsdeBourgueil,puisdeLaGuinguette
de Ludo, en Alsace, région natale de
sa femme. Il avait signé de superbes
cabernets francs aux côtés de son pote
vigneron Pierre Caslot, avec lequel il
avait créé la Bourgueillothérapie, évé-
nement sympathique autour de l’art et
du vin. Marin et pilote, il adorait inviter
copains et copines à survoler la Loire
et ses appellations aux commandes
de son petit avion jaune, un Pietenpol
des années 1930. Photographe devenu
vidéaste inspiré sur le tard, il avait créé
SoifTV,unechaînedocumentaireintelli-
gente sur le vin et l’univers des boissons.
Sensible, cultivé, Ludovic Ragot était un
sacré bon compagnon ; il s’est envolé
définitivement le 12 février, quelques
jours après avoir photographié pour
La RVF son ami Fabrice Gendrot, direc-
teur du collectif vigneron Vini Be Good
(lirep.10).ÀsafemmeSophie,leursdeux
filles Lina et Jeanne, La RVF adresse ses
condoléances. D. S.
D. Saverot
En direct
Dans le vignoble
Les dix crus du Beaujolais
veulent hisser leurs lieux-dits,
ici La Madone à Fleurie,
au rang de Premier cru.
Les crus du Beaujolais
se rêvent en Premiers
“Perdu” dans les arcanes de l’Inao en 1982, le dossier des lieux-dits des crus
du Beaujolais est exhumé par un vignoble en quête de reconnaissance.
S
urprise ! En Beaujolais, près d’une
cuvée sur quatre est déclarée sous
un nom de lieu-dit : La Madone
à Fleurie, Les  Capitans à Juliénas,
Les Rochegrès à Moulin-à-Vent… C’est
ce qu’a constaté l’Organisme de ges-
tion (ODG) des crus du Beaujolais en
épluchant les déclarations de récolte.
Toutefois si ces vins sont reliés à des par-
celles précises par leurs producteurs,
cette réalité échappe trop souvent
aux amateurs. « Il y a un décalage entre la
déclaration de récolte et l’étiquetage. Très
souvent, trop souvent, les vignerons ne men-
tionnent pas les lieux-dits sur leurs bouteilles »,
regrette Nathalie Chuzeville, directrice
de l’ODG.
UNE NÉCESSITÉ POUR LE BEAUJOLAIS
Dommage  ! Les têtes pensantes du
vignoble l’ont compris : c’est la mise en
avant de ces terroirs qui peut permettre
aux vins de tout le Beaujolais de monter
en gamme. Une nécessité pour la région.
« L’offre des crus est concentrée autour de
10 euros. Et comme ils représentent le haut de
la pyramide, il est difficile pour les beaujolais et
beaujolais-villages de progresser à leur niveau
de prix », reconnaît Nathalie Chuzeville.
Depuis 2019, l’ODG des dix crus du
Beaujolais s’est donc mis au travail.
20 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
Shutterstock
« Nous avons ausculté chaque AOP : l’histo-
rique, les ventes, les stocks, les replis, la moti-
vation collective… Il faut adapter le projet
à chaque cas », précise la directrice de
l’ODG. Une dégustation mensuelle est
organisée avec l’objectif de caractériser
un lieu-dit en particulier. Des apports
sur la géologie, la toponymie, l’expo-
sition permettent aux vignerons de se
réapproprier leurs parcellaires.
BIENTÔT DES PREMIERS CRUS ?
L’effet d’entraînement joue à plein. « À la
première dégustation, à Brouilly, nous n’étions
que neuf, intervenants compris. À la dernière,
on ne se comptait plus », se réjouit Nathalie
Chuzeville. Peu d’aspects sont laissés de
côté ; un travail photographique sur le
triptyque sol/paysage/patrimoine est
en cours. Tout comme la mise en place
d’une cartographie enrichira les outils à
la disposition des producteurs.
L’idée, à terme, est de faire émerger
des candidats au rang de Premier cru.
Des contacts ont été pris avec les voisins
de Pouilly-Fuissé, fraîchement récom-
pensés par l’accession de 22 climats
dans cette catégorie. Quelques judicieux
conseils ne seront pas de trop avant de
s’engager dans cette aventure de longue
haleine… Laurent Gotti
 En direct
Dans le vignoble
La personnalité

Né à Chiraz, il veut ressusciter

les vins perses… à Bergerac !
Membre d’une famille d’opposants aux mollahs, le médecin Masrour Makaremi lance Cyrhus,
une cuvée de syrah née comme un « acte de résistance » face à la destruction du vignoble iranien.

S
on père Hassan est psycha-
nalyste, artiste, militant des Masrour Makaremi
droits de l’homme et ancien a acquis cette amphore
pré-islamique iranienne
chargé de recherche à la Sorbonne. pour y faire transiter le jus
Sa sœur Chowra est anthropologue, de ses futures cuvées.
chercheuse au CNRS, et réalisatrice.
Masrour Makaremi, 43 ans, médecin,
spécialiste en orthopédie dento-faciale
installé à Bergerac, ajoute une nouvelle
activité à cette famille de la diaspora
iranienne pour le moins active en lan-
çant une marque de vin : Cyrhus, dont
la première cuvée est en vente depuis
le 21 mars (1) à l’occasion du nouvel an
perse (ou nourouz).

LES PRINCES SUMÉRIENS

S’EN DÉLECTAIENT
Cettecuvéedesyrahréaliséeencollabo-
rationaveclevigneronGrégoryDubard
(Vignobles Dubard) est évidemment un
peu plus qu’une nouvelle bouteille sur
le marché. « Je suis arrivé à l’âge de 10 ans
en France après que ma famille ait dû fuir la
révolution islamique. Pour moi, il y a un lien
charnel avec le vin car je suis né à Chiraz,

une des capitales historiques du vin iranien ;
ce projet est donc un acte de résistance »,
explique le souriant quadra.
L’Iran des mollahs est en effet respon-
sable de la destruction d’un vignoble
millénaire : les vins perses, de Chiraz
aux monts Zagros, dont la création
remonte à la nuit des temps puisque,
déjà, les princes sumériens s’en délec-
taient. L’épouse d’Hassan Makaremi,
la mère de Masrour, elle, a disparu
dans les geôles de Téhéran au début
des années 1980. Deux tragédies qui
expliquent aujourd’hui l’initiative du
médecin bergeracois. Mais lui se tourne
résolument vers l’avenir : « Ce régime de
terreur aura une fin, dit-il. Et l’on replantera
la vigne en Iran pour y refaire du vin ».
En attendant, le projet Cyrhus (ins-
piré du nom de l’empereur Cyrus le
Grand) décolle. Phase 1 : mise en vente
via Internet de très exactement 559 bou-
teilles (2) de cette première cuvée élevée
dans une jarre de 500 litres.
ANTIQUITÉ PRÉ-ISLAMIQUE
Symboliquement, Masrour Makaremi
entend aussi faire transiter les jus par
une petite amphore-relique iranienne
qu’il a acquise aux enchères (photo).
« C’est une antiquité pré-islamique, elle a
probablement porté du vin perse », s’en-
thousiasme notre médecin passionné
d’histoire, qui peaufine son lancement
commercial grâce à quelques coups de
main d’entrepreneurs de la “Wine Tech”
(le réseau des start-up du vin). Phase 2 :
il espère pouvoir créer un petit vignoble
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 21
D. R.
expérimental à Bergerac – « Un chai
perse, c’est mon rêve » – grâce à une levée
de fonds qu’il reste à organiser.
Pour l’heure, les cuvées Cyrhus sont
élaborées à partir de quelques ceps
de syrah plantés voici cinq ans chez
Grégory Dubard (premier millésime :
2019). Dans l’avenir, l’optimiste Masrour
Makaremi espère revenir un jour sur
les terres de son enfance participer à la
reconstruction, inéluctable, du grand
vignoble iranien. « Il arrivera alors, dit-il,
avec l’excellence du savoir-faire français, son
pays d’adoption, dont il loue la liberté tous les
jours. » Benoist Simmat
(1) www.cyrhus-wine.com
(2) - 559 avant notre ère est la date de naissance
de Cyrus le Grand.

Paroles de caviste, à Bayonne
Ancien sommelier de tables étoilées, Kévin Tribot a ouvert sa cave en 2015.
Le Sang des Vignes
Une pépite en terre basque !
Sur les bords de l’Adour, à Bayonne, Kévin Tribot entretient une sélection
remarquable de 800 références de France et d’Espagne.
À
la grande époque du transport
maritime, lorsque le port de
Bayonne voyait transiter par
ses quais une foule de marchandises,
le rez-de-chaussée de cette bâtisse
située sur les bords de l’Adour était un
chai. Les navires accostaient juste en
face et embarquaient les barriques.
Aujourd’hui, un simple ponton n’ac-
L’ŒIL
DE L’EXPERT
avec
Maîtriser
l’environnement
En direct
Photos : D. R.
cueilleplusquelesbateauxdeplaisance,
maislecommerceduvincontinuegrâce
à Kévin Tribot !
Ancien sommelier de tables étoilées,
KévinTribotad’aborddémarréuneacti-
vité de grossiste et conseils auprès des
restaurateurs. Douze ans plus tard, tout
en continuant à vendre du vin aux pro-
fessionnels,ilaajoutélacorde“caviste”à
D e la vigne au verre, les vins travaillés
en biodynamie exigent une approche
fine et sur-mesure des vignerons. Dans la
lignée de cette attention toute particu-
lière, EuroCave vient soigner le vin jusqu’à
l’optimum de garde, sublimant l’intention
de départ du vigneron pour une dégusta-
tion toujours plus près du raisin et du ter-
roir. Il faut pour cela réunir des conditions
de stockage combinant les meilleurs fac-
teurs environnementaux : température
stable, peu ou pas de vibrations, hygro-
22 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
son arc en inaugurant Le Sang des Vignes
en 2015. Là, aidé de Bruno Lorenzon, il
expose quelque 800 références de vin.
Plutôt que de présenter un catalogue
exhaustif des appellations françaises,
Kévin Tribot s’attache au travail des
vignerons. « Le minimum syndical, c’est le
bio ou la biodynamie, même si ce n’est pas le
label qui nous intéresse, mais la démarche, et
l’humain », explique-t-il.
Si le Sud-Ouest est bien représenté
dans la cave, avec les vins de fidèles
piliers comme Elian da Ros, dans le
Marmandais, ou les Riouspeyrous du
domaine Arretxea, à Irouléguy, sa curio-
sité le mène à chiner partout. Du côté
du Jura avec les cuvées de Ganevat, de
l’Anjou avec les vins plus confidentiels
de Nicolas Prigent : « Une de mes dernières
grandes émotions ! ».
SON BONHEUR EN GALICE
Ce qu’il aime dans les vins ? L’équilibre,
des finales fraîches, des éléments qui
ne s’inventent pas mais qui sont forcé-
ment issus d’un travail rigoureux à la
vigne. La même exigence le guide sur les
terroirs d’Espagne, le pays voisin d’où il
importe des vins. Et là, pas question de
verser dans la caricature de vins body-
buildés : « EnEspagne, jechercheles cépages
endémiques, locaux, je veux trouver de la
finesse, donc je me dirige vers des vignobles
d’altitude ou des secteurs ventés ». À l’écart
des vignobles les plus connus, il trouve
notamment son bonheur en Galice. Et,
vous, vous trouverez à coup sûr le vôtre
à Bayonne… Pierrick Jégu
Le Sang des Vignes
11, avenue du Capitaine-Resplandy,
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métrie à 75 %… « C’est comme recréer un
mini-climat, un véritable défi ! »
En plus de choisir des matériaux durables,
l’aluminium et le bois, pour la conception
de ses caves, EuroCave développe des
procédés permettant de maîtriser tou-
jours plus précisément l’environnement
à l’intérieur et à l’extérieur de la cave.
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 En direct
Dans le vignoble

L’AVIS DU JURISTE

L’AfriqueduSud
miseaurégimesec!
La colère gronde dans
le vignoble sud-africain après
la reconduction de l’interdiction
de vente d’alcool dans le pays.

V ente d’alcool interdite. Voilà la

mesure anti-Covid inédite mise
en place par le président de l’Afrique du
Sud Cyril Ramphosa et reconduite trois
fois depuis le mois de mars 2020.
C’est justement cette dernière recon-
duction, le 28 décembre, qui a fait sortir
de ses gonds VinPro, le principal syn-
dicat des viticulteurs sud-africains qui
a décidé d’attaquer cette décision en

justice.
Le secteur viticole d’Afrique du Sud
représente en effet un pan important
de l’économie et des emplois du pays.
On estime aujourd’hui les préjudices de
ces interdictions à près de 450 millions
d’euros de pertes pour la filière.
VinPro a donc décidé de saisir la Cour
suprême du Cap pour faire annuler
cette décision : « Face à l’impact dévasta-
teurdecettetroisièmeinterdictionsurlafilière
vitivinicole, VinPro se voit dans l’obligation de
se pourvoir devant la Cour suprême du Cap ».
Le syndicat considère notamment que
la baisse importante de cas détectés et
d’hospitalisation devrait permettre une
levée de cette interdiction adaptée selon
les provinces. Ainsi dans la province du
Cap-Occidental, où la pandémie est
maîtrisée, l’interdiction ne se justifierait
plus. « L’exécutif provincial devrait être habi-
lité à gérer la vente au détail d’alcool pendant
la durée de la pandémie », plaide VinPro.
Le syndicat souhaite donc que les
décisions relatives à ces interdictions ou
leurs annulations soient déléguées aux
pouvoirs provinciaux.
Il faut noter que le président Cyril
Ramphosa, élu en 2018, est un homme
d’affaires qui a fait fortune en prenant
des participations variées, notamment
dans les mines, dans l’immobilier et…
dans les chaînes sud-africaines de
McDonald’s et Coca-Cola.
Jean-Baptiste Thial de Bordenave
Juriste - directeur de DLLP Wine
C’est en famille que les Champseix goûtent aux performances du moteur 3 l de leur Motobloc.
Motobloc 1921: la belle bordelaise
de Jean-Pierre Champseix
À Lalande-de-Pomerol, il ressuscite l’histoire automobile locale
avec cette voiture aux allures de calèche superbement restaurée.
« U ndesneztanins
riche, au fruité profond sur
fins… il sera à son apogée
entre quatre et dix ans ! » Le lalande-de-po-
merol 2016 du château Vieux-Chevrol
n’est pas le seul trésor vivant que Jean-
Pierre Champseix affectionne. Un mil-
lésime 1921 n’en finit pas, lui, d’être à son
apogée. Par sa robe exceptionnelle. Et sa
rareté. Dix-sept exemplaires seulement
sont encore répertoriés : une Motobloc,
marque de voiture de luxe, créée à
Bordeaux en 1902 et disparue en 1932.
CINQ ANS DE RESTAURATION
Un véhicule hors du temps, à mi-chemin
par son look entre une automobile et une
calèche avec son armature en bois, dans
un état incroyable après cinq ans de res-
tauration.
« Quand je l’ai découverte en 2004 dans
une annonce, elle m’a intéressée pour son
histoire locale. À une époque où d’autres
marques ont aussi été “tuées” en Aquitaine
par la concurrence de Henry Ford. Il avait
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 23
P. Genet
installé à Bordeaux une chaîne de montage de
sa fameuse Ford T, produite en grande série, et
valant trois fois moins cher qu’une Motobloc
encore fabriquée artisanalement à un exem-
plaire par jour. »
UN MOTEUR D’AVANT-GARDE
Mais en 2021, cette voiture au moteur
3 l d’avant-garde, et déjà 4 vitesses, fait
encore merveille sur la route pour trans-
porter toute la famille.
Côté vignes, le fils Michel et sa com-
pagne Marion, tous deux ingénieurs
agronomes, ont pris la relève en 2013 et
adopté la viticulture bio. « On a redonné
de la vie microbienne aux sols en arrêtant les
traitements chimiques et en plantant un rang
sur deux féverole, radis, seigle ou moutarde,
explique-t-il. Cela a amélioré la porosité du
sol et l’enracinement des vignes qui ont ainsi
mieux résisté à la sécheresse en 2019-2020
avec au final un vin plus équilibré entre alcool
et fruité. »
Philippe Genet (vinsetvintage.fr)

Patrimoine
Fondation Fernet-Branca
Elle distille l’art contemporain en Alsace
À Saint-Louis, dans le Haut-Rhin,
ce musée d’art contemporain
est installé dans l’un des joyaux
du patrimoine industriel de la région.
L
a Route des Vins du Haut-Rhin
et ses 37 Grands crus, parmi les-
quels les prestigieux Osterberg
et Vorbourg, sont la gloire du dépar-
tement. Mais le Haut-Rhin possède
aussi de nombreux autres sites patri-
moniaux liés aux vins et spiritueux : le
remarquable bâtiment du musée d’art
contemporain de la Fondation Fernet-
Branca, du nom de la célèbre marque
d’amaro italien créée en 1845 par
Bernardino Branca, en est un exemple.
UN GLOBE SURVOLÉ D’UN AIGLE
Sise à Saint-Louis, à une quarantaine
de kilomètres au sud de Mulhouse et à
quelques encablures de la ville suisse de
Bâle,ladistilleriesurprendparsonéton-
nante architecture. Sa toiture est sur-
montée d’un globe de verre, lui-même
survolé par un majestueux aigle en
cuivre d’une envergure de 9 mètres. Le
rapacetientdanssesserresunebouteille
du digestif mondialement apprécié. La
structure métallique du globe a été réa-
lisée à Saint-Louis par les ateliers de ser-
Surmonté de son aigle
de cuivre, le musée
accueille des expositions
d’art contemporain
mais aussi de photos.
D. R.
En direct
Dans le vignoble
rurerie Ruhlmann. L’aigle, lui, trônait
sur le pavillon Fernet-Branca de l’Expo-
sition internationale de Milan en 1906. À
l’intérieur du bâtiment, dix fûts géants
destinés au vieillissement de la liqueur
sont installés par l’artisan tonnelier
strasbourgeois Rodolphe Fruhinsholz.
UN PROJET SIGNÉ WILMOTTE
En 1996, la façade est inscrite au registre
des bâtiments historiques. Quatre ans
plus tard, la distillerie ferme ses portes.
Dès 2003, la famille Branca, proprié-
taire de la marque, transforme, avec le
soutien des autorités locales, le site en
musée. Le chantier est confié à l’archi-
tecte Jean-Michel Wilmotte.
Aujourd’hui, c’est l’Association pour
le musée d’art contemporain Fernet-
BrancaàSaint-Louisquianimelelieu.De
nombreuses expositions d’art moderne
et de photos s’y tiennent tout au long
de l’année : elles attirent de nombreux
amateurs d’art contemporain venus en
voisins depuis la Suisse à l’occasion de la
célèbre foire Art Basel.
L’ancienne distillerie italienne
témoigne aussi d’un riche patrimoine
industriel en Alsace bâti du temps de la
présence allemande. La distillerie pro-
duisait en moyenne 300 000 bouteilles
24 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
D. R.
par an qui étaient essentiellement des-
tinées au marché germanique.
Cette liqueur, dont la recette est tou-
jours gardée secrète, est obtenue par la
macération d’herbes, de racines, de
fleurs, d’écorces, de zestes d’agrumes et
d’épices dans un distillat d’alcool de
raisin, additionné de sirop de sucre,
avant de reposer un an dans des fûts de
chêne. Très populaire, elle était destinée
« à aider les gens atteints de problèmes de
digestion ». On lui attribuait également
des effets antalgiques, permettant de se
prémunircontrelecholéra(unemaladie
très fréquente dans le nord de l’Italie au
XIXe siècle, et dans le bassin méditerra-
néen au XXe siècle) ou d’en guérir.
TRÈS PRISÉE EN AMÉRIQUE DU SUD
Le digestif reste encore très prisé en
Amérique du Sud (le continent a connu
une forte immigration italienne).
D’ailleurs, après le musée d’art de Saint-
Louis, c’est en Argentine que Fernet-
Brancaapoursuivisonmécénatculturel,
en lançant un concours d’arts visuels.
Covid-19 oblige, le musée propose des
visitesvirtuellesdesescollections.Quant
auxcinéphiles,ilspeuventrevoirlascène
du Père Noël est une ordure dans laquelle
Thérèse,prised’unmalaiseaprèslamort
du réparateur d’ascenseur, demande
à Josette un verre de Fernet-Branca.
Bonne santé à tous. Corinne Lefort
 Propriété emblématique de l’Anjou, le Château de Fesles fut construit au XIe siècle au som-
met du 4e point culminant du Val de Loire, dominant ainsi la rivière Layon. Le domaine
viticole date lui aussi de la même époque. Au cours des siècles, les propriétaires successifs
du Château de Fesles sont des familles aristocratiques qui entretiennent le château et déve-
loppent progressivement le vignoble.
C’est au XIXe siècle que la famille Boivin, vignerons passionnés, acquiert la propriété, contri-
buant largement à l’accroissement du vignoble, à l’amélioration des techniques de viticul-
ture et de vinification, et au développement commercial. En 1991, la propriété est entière-
ment restaurée sous l’impulsion de son propriétaire de l’époque, Monsieur Gaston Lenotre.
La famille Helfrich, propriétaire depuis 2008, continue à oeuvrer pour tirer le meilleur parti
de ce terroir.
Un millénaire après sa création, cette propriété remarquable continue à in
notamment en pratiquant une agriculture en cours de conversion biologiq

Le Bonnezeaux,
l’alchimie entre terroir, climat,
sur-maturation des raisins
et rigueur extrême dans le tri.
GILLES BIGOT
MAÎTRE DE CHAI

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L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION

 En direct dans le vignoble
L’invité
Avec Debra
Finerman, Patrice
de Moncan
raconte les goûts
de 160 célébrités
en matière de vin.
« Colette a contribué
à la naissance des appellations »
Parmi toutes les histoires du livre, laquelle est la plus
cocasse ?
Je trouve très drôle la relation de Napoléon Ier au cham-
bertin. Il en tombe amoureux à Auxonne (en Côte-d’Or, ndlr)
alors qu’il est lieutenant en second, et il en boira, allongé
d’eau, jusqu’à la fin de ses jours, excepté à Sainte-Hélène. Il
aime tellement ce vin qu’il en emporte une grande quan-
tité en Égypte. Trop même, puisqu’il n’arrive pas à tout
boire. Durant la campagne de Russie, son aide de camp en
conserve toujours une bouteille contre sa poitrine pour
pouvoir à tout moment le servir chambré !
Contemporain de Napoléon, Talleyrand aimait que
ses invités savourent les grands vins qu’il leur servait.
Lors d’un dîner, il est choqué de voir un de ses hôtes vider
d’un trait son châteauneuf-du-pape. Bon diplomate, il
explique à haute voix à sa voisine l’importance de prendre
le temps d’observer le vin dans le verre, d’en parler, puis,
seulement, d’oser le toucher du bout des lèvres.
Vous rappelez que Colette a fait la promotion du vin
Mariani, issu de la macération de feuilles de coca dans
du bordeaux.
Une boisson très en vogue à l’époque, dont raffolait
Apollinaire. Une autre publicité de Colette a fait grand
bruit, celle qui vantait les mérites d’une maison de Nuits-
Saint-Georges, qui assemblait des vins de plusieurs
régions. Des vignerons ont vivement protesté et l’affaire
a contribué à la naissance des appellations contrôlées au
début des années 1930.
Vous écrivez de Staline qu’il aimait mélanger du vin rouge
géorgien et de la vodka.
Il aimait par-dessus tout inviter des gens dans sa datcha de
26 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
Patrice de Moncan
Installé en Bourgogne,
l’auteur-éditeur s’amuse,
dans Leurs Vins préférés (*),
à dresser le portrait
de personnalités historiques
et contemporaines à travers
le contenu de leurs verres.
Propos recueillis
par Baptiste Charbonnel
D. R.
la banlieue de Moscou et les saouler le plus possible. Les
invités n’osaient pas dire stop. Khrouchtchev a raconté
ces interminables dîners alcoolisés qui s’étiraient jusqu’à
4 heures du matin.
Certains, à l’image de Johnny Depp, ont un rapport plus
artistique au vin.
L’acteur américain a posté sur Instagram la photo d’un
tableau qu’il venait d’achever, représentant une bouteille
de Calon-Ségur, son vin préféré. Sans le Covid-19, il n’au-
rait jamais fini cette bouteille, ou plutôt ce tableau, com-
mencé en 2006.
Y a-t-il une personnalité citée dans le livre pour qui vous
vous êtes pris d’affection ?
J’aime l’amateur de vin qu’était Thomas Jefferson, auteur
d’un grand classement des vins français, notamment de
Bordeaux, près de soixante-dix ans avant celui de 1855.
Une fois élu président des États-Unis, il tente de favoriser
le vin dans le but que celui-ci remplace le whisky dans les
habitudes de ses concitoyens. Mais cela n’a pas fonctionné.
Avez-vous eu la chance de goûter des vins historiques ?
Récemment, j’ai bu quelque chose d’incroyable chez
François Audouze (collectionneur de vieux millésimes, ndlr), un
vin rouge de 1780 ! On ne sait pas d’où il venait, mais c’était
un régal. Le clou d’un dîner où François a
également ouvert un Pommery 1949 et un
Dom Pérignon 1985.•
(*) Leurs Vins préférés, légendes historiques
& stars actuelles, co-écrit avec Debra Finerman,
Les Éditions du Mécène, 340 pages, 14,90 euros
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 Art de vivre
Grand vigneron de demain
M¿r
­4S PMKR]MPEQS H
REPMXr
P·MQEKIIXPETIVWSR
EMRIJEQMPMEP
HIWGYZrIWHYHSQ
Son travail militant, ses vins passionnants
attirent depuis quelques millésimes déjà
l’amateur curieux. Car ce vigneron à la person-
nalité marquante confirme une fois de plus
que le Jura est un vignoble particulièrement
fécond en matière de jeunes talents.
A
vant était le domaine Morel-Thibaut, associa-
tion de deux vignerons qui a fonctionné pen-
dant vingt-quatre ans au cœur du vignoble
jurassien, à Poligny. En 2014, l’entité s’est
scindée en deux, et Valentin Morel a pris la suite de son
père Jean-Luc. Le jeune homme ne s’est pas contenté de
changer le nom du domaine, il a, en quelques millésimes,
efficacementmodifiél’imageetlapersonnalitédescuvées.
LE VIN ET LA VALEUR DU VIGNERON
Après avoir quitté le monde du vin pour en découvrir
d’autres, c’est nourri de ses expériences (études de droit,
poste dans la fonction publique…) et de ses lectures que
Valentin Morel est revenu sur les terres familiales, avec
des idées personnelles sur le vin et la valeur du travail
vigneron, ainsi que sur le conditionnement sociologique
des consommateurs. Une vision militante mais non
dénuée d’une précieuse hauteur de vue.
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 28
Valentin
Morel
dudomaineLesPiedssurTerre,
dansleJura
Fortement ancrée dans les différentes parcelles
que possède la famille (secteurs des Trouillots et
de Saint-Savin), la production de Valentin Morel
équilibre intuitivement tradition jurassienne
(savagninsousvoile,poulsardettrousseauremar-
quablesdeparfumetd’équilibreen2018,crémant
vif et droit, superbe macvin) et propositions ori-
ginales (chardonnay macéré, cuvée issue de
cépages résistants…). Ses six hectares de vignes
sontcultivésenagriculturebiologique,avecune
vive attention portée à la biodynamie et aux
techniques de conservation des sols.
DES TROUSSEAUX ET
DES SAVAGNINS ENTHOUSIASMANTS
Valentin Morel attire désormais les regards
sur le secteur de Poligny, entre Arbois et
Château-Chalon, historiquement dans
l’ombre de ces deux noms célèbres. Les pro-
positions sont nombreuses, les intentions
tout à fait louables. Avec le temps et les nou-
velles plantations de trousseau, de poulsard
et de savagnin, ses vins déjà passionnants
Photos : D. R.
devraient encore gagner en cohérence et en
profondeur.
Pierre Citerne
 Le summum de l’assemblage en Champagne

Recréer l’année parfaite

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À propos de l’Alsace, de la
Les propos de Pierre Citerne sur la biodynamie et l’Alsace, publiés dans notre numéro de février,
ont fait réagir nos lecteurs, en particulier alsaciens. Nous faisons vivre ici cette discussion “au large”.
Cher Pierre Citerne, jusqu’à la lecture
de vos propos sur la biodynamie dans
la dernière livraison de La RVF (n° 647,
février 2021), j’avais pour le fin dégusta-
teur et le passeur d’émotions que vous
êtes la plus belle estime. Je suis tout à la
fois alsacien et amateur de vins qui, à
défaut d’être « purs », sont produits dans
le respect des hommes et des terroirs. Si
je vous accorde le droit au désaccord par-
fait, je vous interdis par contre de tenir
des propos aussi insultants pour ma
région et ses hommes, dont vous ignorez
a priori la cruelle histoire. Être universi-
taire ne vous donne droit à aucune cir-
constance atténuante et je constate une
fois de plus cette triste réalité : la culture
et l’éducation ne protègent de rien. Qui
veut grandir doit s’ouvrir dit l’adage (…).
Même si certaines thèses steineriennes
ont pu être récupérées par le régime nazi
– mais combien d’intellectuels totale-
ment insoupçonnables ne l’ont pas été –,
le cœur de la pensée anthroposophique,
à savoir l’idée que la matière n’est pas
tout et que des forces la dépassent, était
honni par les nazis. Comment pouvait-il
en être autrement, ce postulat mettant
à mal l’idée même de race et de diffé-
Courrier
des lecteurs
rences entre les hommes ?
Pascal Herrscher
5, chemin du Londenbach
68140 Soultzeren
Pierre Citerne mélange “pureté, bio-
dynamie, Alsace et Allemagne nazie”,
c’est inacceptable. L’histoire tragique
du XXe siècle nous a appris les consé-
quences d’un tel état d’esprit, stigma-
tisant tout ce qui est différent de sa
propre conception des faits. Oui, la
biodynamie est entrée en France par le
chemin de l’Alsace. Peut-être parce que
les Alsaciens savent teinter l’esprit car-
tésien avec un peu de germanisme, le
germanisme d’avant les nationalismes,
celui de Goethe. Comme la vigne,
ils plongent leurs racines dans deux
mondes différents pour en tirer une
synthèse enrichissante. Il est évident
que la biodynamie n’est qu’un moyen
pour faire le meilleur vin possible. Il y
a surtout un être humain (le français
n’a pas le mot pour dire der Mensch)
qui donnera la direction et l’impulsion.
Savoir élever son regard au-delà des
frontières et reconnaître les frontières à
ne pas dépasser est le propre d’un esprit
éclairé. Dommage que votre article ne
mentionne pas le nombre, le plus élevé
en France, de vignerons alsaciens en bio-
dynamie par rapport à la surface viticole.
Jean-Marie Stoeckel, sommelier retraité
68590 Thannenkirch
stoeckel@wanadoo.fr
N ous avons été abasourdis par les
propos provocateurs de M.  Pierre
Citerne, revendiqués d’ailleurs comme
tels, parmi d’autres témoignages de pas-
sionnés de vin qui expriment ce que la
biodynamie représente à leurs yeux.
M. Citerne se sent gêné par l’idée de
nostalgie de la pureté, que cette idée de
la pureté soit très germanique, que « jus-
tement » la biodynamie ait essaimé en
France à partir de l’Alsace. Il s’interroge
sur un développement probablement
30 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
plus important de la biodynamie si l’Al-
lemagne nazie avait gagné la guerre, ce
quirelèved’uneatteinteàlamémoirede
l’Alsace. L’Alsace est le territoire français
qui a été le plus confronté à des guerres
et des tragédies. La dernière guerre
provoquée par l’Allemagne nazie est la
plus abjecte. Elle reste ancrée dans nos
mémoires et nous ne pouvons tolérer
ces sous-entendus prêtant à l’Alsace
d’être le symbole d’un étendard germa-
niqueetencoreplusnazi.L’Alsaces’estde
touttempsbattue,relevée,reconstruite,
guidée par l’espérance, la tolérance,
le respect et l’exemplarité, des valeurs
portées par nos vignerons. Grâce à cela,
l’Alsace a souvent été en avance sur son
temps : le bio et la biodynamie en sont
un exemple.
Didier Pettermann
Président du Conseil interprofessionnel des
vins d’Alsace (CIVA)
12, avenue de la Foire-aux-Vins, BP 11217,
68012 Colmar cedex
La RVF. Messieurs et chers lecteurs,
je vous remercie sincèrement pour
vos courriers. Je le reconnais,
ma réflexion aurait mérité un déve-
loppement que le format de l’article
ne permettait pas. C’était un peu sec.
Je suis navré que votre patriotisme
alsacien ait été heurté par la formu-
lation volontairement un peu
provocatrice (et présentée comme
telle) de ce texte. Ce n’était pas mon
intention. L’Alsace est une contrée
merveilleuse ; la cathédrale
de Strasbourg, parmi les œuvres
du génie humain, est une de celles
qui me touchent le plus.
Mon propos était d’interroger
le succès actuel de la biodynamie
par une proposition uchronique.
Pourquoi maintenant ? Et pourquoi
si tard ? Quelle est son origine ?
Son cheminement ? Le vin s’inscrit
en effet dans la géographie et dans
l’histoire, il n’est pas loin de consti-

biodynamie et de l’histoire
tuer le sujet idéal pour la géographie
historique. Oui, j’ose me poser
la question des contingences
de l’histoire de la biodynamie et de
son rayonnement. Comme j’ose me
demander ce que serait aujourd’hui
le vin de tokaji si le bloc soviétique
ne s’était pas effondré, ou alors
s’il n’avait jamais étendu son emprise
sur la Hongrie… comme je me
demande parfois quelle aurait été
la fortune des vins de Bordeaux
si Aliénor d’Aquitaine n’avait pas
épousé Henri Plantagenêt. A-t-on
encore le droit de se demander
à quoi aurait ressemblé le XIXe siècle
européen si l’issue de la bataille
de Waterloo avait été autre ? A-t-on
encore le droit, en essayant de réflé-
chir, d’oser le paradoxe et la provo-
cation, l’impertinence de ce qui n’est
pas advenu ou de l’idée qui pourrait
ne pas convenir à chacun ?...
Bien entendu, ma réflexion ne visait
aucunement à établir un lien formel
entre nazisme et biodynamie ;
c’est une problématique historique
qu’il appartient aux historiens
spécialistes de la période de traiter.
Elle émane en revanche de l’idée
que l’esprit germanique, depuis au
moins le romantisme, et sans doute
avant, entretient un lien profond
et singulier avec la nature, perçue
sous un angle cosmique, panthéiste,
d’où l’idéalisation et une certaine
nostalgie d’une hypothétique pureté
originelle ne sont pas absentes. Dans
Marie-Thérèse et Maurice Barthelmé
(Albert Mann) : engagés en biodynamie !
D. R.
Courrier
des lecteurs
H. Spenlehauer
Cécile et Isabelle Meyer (Josmeyer) :
le meilleur de la biodynamie à Wintzenheim.
les arts, les sciences, les doctrines
sociales et politiques, cette sensibi-
lité s’est exprimée pour le meilleur
et pour le pire. Comme vous le souli-
gnez, elle a aussi, à de multiples
reprises, fécondé le “cartésianisme”,
qui résume, lui aussi de façon
simplificatrice, voire caricaturale,
l’esprit français.
Je n’ai aucune dent contre
les vins issus de la biodynamie.
Au contraire ! Je m’incline devant
leur indéniable qualité, qui ressort
régulièrement lors de mes dégusta-
tions (à l’aveugle) dans des vignobles
très divers. D’un point de vue
moral et esthétique l’agriculture
biodynamique me semble cent fois,
mille fois préférable à l’agriculture
industrielle, qui règne sans partage
depuis les années 1950, qui a certes
réussi à nourrir le monde, mais
au prix de la négation de la dignité
du vivant : végétaux, animaux,
hommes, paysages bafoués, avilis…
Je persiste néanmoins à affirmer
mes réticences intellectuelles face
à un corpus de croyances auxquelles
il est expressément demandé
aux adhérents de souscrire. Ce n’est
pas propre à la biodynamie, j’ai
les mêmes réticences face à d’autres
idéologies. On ne m’ôtera pas de
l’idée qu’aujourd’hui la croyance en
des dilutions extrêmes, des interac-
tions subtiles, des contacts relevant
de l’aura et des équilibres cosmiques
traduit avant tout la nostalgie d’une
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 31
pureté révolue – partagée à mon avis
par les tenants du “vin nature” –,
inatteignable dans une écosphère
bien plus polluée que celle qu’a
connue Steiner (microplastiques,
radioactivité cumulée, ondes
diverses et variées, explosion
du trafic aérien, accumulations
et rémanences toxiques, foisonne-
ment et réactions croisées des molé-
cules de synthèse…). Cela relativise
toute volonté d’être en 2020 au plus
proche d’un concept de “naturalité”
dans son activité agricole, sauf
à considérer la biodynamie comme
un rituel de réparation, donc
comme une pratique d’essence
religieuse. Pierre Citerne
La RVF. En octobre 2018, La RVF avait
titré en couverture : “L’Alsace,
vignoble le plus biodynamique
d’Europe”. Il s’agissait d’une
première, saluant le rôle de pion-
nier de la région dans ce domaine.
Nous n’avons pas changé d’avis.
À l’intention de M. Stoeckel, préci-
sons que si l’Alsace compte selon
les derniers rapports 908 hectares
de vignes en biodynamie contre 159
pour le Jura, en pourcentage des
terres viticoles cultivées c’est le Jura
qui, avec 8,15 % de ses vignes en
biodynamie, se classe devant l’Alsace
(5,82 % de vignes en biodynamie)
et les autres régions françaises.
Denis Saverot
D. Saverot
Jean-Michel Deiss, ici avec Mathieu, son fils,
s’est inspiré des travaux de Rudolf Steiner.
 Courrier
des lecteurs

Biodynamie :
le jeu des trois
familles
J’ai lu avec attention votre dossier sur la
biodynamie. Je m’interrogeais en effet
sur cette pratique et n’ai encore jamais eu
l’occasion de me procurer une bouteille
issue de cette méthode. Bravo pour ce
dossier, complet et instructif. Toutefois,
Après la Moselle (photo), je ne me retrouve pas dans la nomencla-
Caroline Furstoss ture des dégustations. Vous citez “Les
Shutterstock

aura à cœur d’explorer pures interprétations du terroir”, “Les

les vignes de Lorraine.
cuvées classiques” et “Les cuvées auda-

Parlez-nous
cieuses”. Quelles sont les différences ?
B. Luciani, ab.luciani@orange.fr

des vins de la Lorraine ! La RVF. Cher M. Luciani, seuls les vins

Votre carte des régions viticoles fran-
çaises cultivées en biodynamie me fait
réagir (lire La RVF n° 647, février 2021).
Je suis étonné de ne pas voir la Lorraine,
c’est pourtant une région viticole en
pleine expansion munie de vignerons
talentueux qui travaillent vaillamment
près de 200 hectares de vignes, dont
un certain pourcentage selon les pré-
ceptes de la biodynamie, au château de
Vaux et au domaine de Muzy notam-
ment. À quand un article sur cette
superbe région viticole qui est en train
de prendre un virage à 180 degrés ?
Maxime Perrin
maxime.perrin57@gmail.com
La RVF. Cher M. Perrin, message
transmis à Caroline Furstoss,
qui s’intéresse ces temps-ci aux vins
des trois Moselle (la française,
la luxembourgeoise et l’allemande).
N’en doutons pas, elle aura à cœur
de poursuivre son exploration
des vignobles de l’Est en passant
par la Lorraine. La rédaction
biodynamiques ayant obtenu
les meilleures notes ont été retenus.
Le périmètre de ces trois familles
a été défini par nos experts à l’issue
des dégustations. Dans “Les pures
interprétations du terroir” ont été
rangés les vins exprimant un lieu
d’origine plutôt que le style du vinifi-
cateur. “Les cuvées classiques” sont
plus marquées par les vinifications
et les élevages. Enfin, “Les cuvées
audacieuses” s’affranchissent
des standards des appellations pour
explorer des goûts nouveaux.
Alexis Goujard

Bordeaux 2011, exceptionnel, a fait je ne souhaitais pas inter- de La RVF et en formulant

dix ans après
Je n’ai pas trouvé cette année
votre dossier annuel sur
les bordeaux dix ans après
alors que j’attendais votre
expertise du millésime 2011.
Comptez-vous le publier
dans les prochains mois ou
avez-vous stoppé cet exercice
avec le millésime 2010 ?
Michael Beau
mbeaufr@yahoo.fr
La RVF. Cher M. Beau,
vous avez raison, l’ami
Roberto Petronio,
visiblement sous
le charme d’un millésime
une pause après avoir
célébré les glorieux
bordeaux 2010 (lire
La RVF n° 638, février
2020). La poursuite
de cette série est
en discussion au sein
de la rédaction, n’hésitez
pas à nous faire part
de vos souhaits.
La rédaction
À propos
de notre échange
D ans votre dossier dédié
à la biodynamie, vous avez
publié un échange privé sans
mon autorisation, alors que
32 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
venir ni publier quelque
chose dans votre magazine
(lire La RVF n° 647, février
2021). Les propos rapportés
ont été sélectionnés et sont
réducteurs. De plus, je n’avais
mis en avant ni titre profes-
sionnel, ni affiliation institu-
tionnelle.
Valery Rasplus, Inrae
valery.rasplus@free.fr
La RVF. Cher M. Rasplus,
notre reporter Fabien
Humbert vous a sollicité
d’une façon parfaitement
transparente et profes-
sionnelle, en se présen-
tant comme journaliste
une demande d’interview
explicite. Il a ensuite
reproduit vos propos
sans les transformer.
Si vous estimez que notre
article est incomplet,
nous vous invitons
à prendre la parole dans
le cadre d’un prochain
dossier consacré
à la biodynamie vue
côté scientifiques, sujet
sur lequel travaille
le professeur Pierre
Casamayor, ancien
enseignant d’œnologie
à l’Université Paul-
Sabatier de Toulouse.
Denis Saverot
 Enquêtes et révélations

Les cépages
INTERDITS
font de la résistance
Noah, concord, isabelle, jacquez, baco noir, clinton, muscat bleu… Depuis la création des AOP,
l’administration veut la peau de ces variétés hybrides anciennes. Une France occulte
de vignerons passionnés travaille pourtant à leur avenir, au nom de l’écologie et d’un goût retrouvé.
Une révélation de Benoist Simmat

L
es alchimistes sont rares en Bordelais. Si vous voulez
en rencontrer un, allez du côté de Barsac. Vous y
trouverez Alain Déjean, exploitant d’un domaine
au nom très classique, Rousset-Peyraguey, et auteur de
quelques vins expérimentaux qui le sont beaucoup moins,
par exemple à partir d’un cépage que l’on ne s’attendrait pas
à voir ici. « Je tiens de mon grand-père une parcelle de 38 ares de
noah, que je me suis mis à tailler très court, à vendanger en vert et à
faire surmaturer, comme les sémillons. C’est là que ça devient inté-
ressant… », lance-t-il, un rien mystérieux.
Le résultat ? La cuvée Oxydatif, un liquoreux pour le
moins innovant : 20 % de noah viennent donner une
réplique de tourbe et de fruits secs au classique sémillon.
Mais comme ses voisins, Alain Déjean fait aussi dans le blanc
sec. Pour une barrique bien particulière, il a intégré jusqu’à
50 % de noah afin de doper la vivacité de son jus. Une seule
fois, lors d’un salon récent dans l’est de la France, il a même
Photos : D. R.
Mais autant prévenir dès maintenant l’amateur d’origi-
nalités : vous ne trouverez pas ces petites pépites chez les
grands cavistes de Bordeaux, Lyon ou Paris. Pour une raison
assez simple : vinifier du vin avec du noah et le vendre,
même en quantité réduite, est toujours interdit en France,
85 ans après le vote d’une loi controversée. Pour certains
analystes, il s’agissait de brimer l’électorat petit-paysan
alors que le Front Populaire se préparait à prendre le pou-
voir. Pour d’autres, le texte visait à prévenir la surproduc-
tion en mettant à l’index des cépages réputés productifs.
Toujours est-il que le 24 décembre 1934, le soir du réveillon
de Noël (!), l’Assemblée nationale prohibe brutalement six
cépages : le noah, donc, mais aussi l’isabelle, l’othello, le jac-
quez, le clinton et l’herbemont.
UN MÉTISSAGE PROHIBÉ
Ces six espèces de vignes assez particulières ont un tort :

proposé au public d’amateurs de goûter un 100 % noah. « Je celui d’être nées “métisses”, issues d’hybridations entre
suis reparti sans mes bouteilles », s’amuse l’alchimiste. cépages européens (vitis vinifera en bon latin, la vigne
34 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
 Voilà un bordeaux qui
ne ressemble pas aux autres :
ce blanc sec de Sauternes
contient une bonne proportion
de noah, cépage officiellement
interdit depuis… 1934 !
 Certains cépages interdits, comme ici le jacquez, sont issus d’une longue tradition d’hybridation initiée au lendemain de la crise du phylloxéra.
méditerranéenne) et cépages venus d’Amérique du Nord
(vitis labrusca, riparia…). Des variétés résistantes, productives,
faciles à conduire et qui ont servi à repeupler le vignoble après
la grande crise du phylloxéra, à la fin du XIXe siècle. Mais entre
les deux guerres, les temps ont changé. « On les a accusés de tous
les maux, d’être mauvais, de rendre fou. En réalité, il s’agissait bel et bien
de lutter contre les risques de surproduction et de maintenir les cours
du vin à un niveau élevé en privilégiant les gros marchands de vin qui
mélangeaient jus d’Algérie et du Midi au détriment des treilles de tous
les provinciaux de France », résume Hervé Garnier, président
de l’association Mémoire de la Vigne, dans les Cévennes. Une
de ces zones de résistance d’où les “interdits” n’ont jamais dis-
paru,carilsétaientprésentsunpeupartout, comme
cefutlecasenÎle-de-France,enVendée, dans
le Jura, en Corrèze, en Ardèche…
L’associationvinified’ailleurs quelques
milliers de litres de jacquez cévenol
tous les ans depuis trois
décennies. Puisqu’on n’a
pas le droit de les vendre,
les 5 000 bouteilles
annuelles sont bues avec
gourmandise lors des fêtes
de village, partent
dans les caves de
ses membres
ou sont “tro-
quées” avec
Le cunningham :
venu des États-
Unis, il survit
en Europe !
les randonneurs, les touristes, les curieux. Même les plus
fameux professionnels en croquent : un des cogérants de la
Romanée-Conti servait il y a peu à sa table une de ces bouteilles
“interdites” ! Car c’est une autre absurdité de cette législation
Le retour
du cunningham
en Amérique
Lucie Morton est à l’ampélogra-
phie américaine ce que fut Pierre
Galet à la science française des
cépages ; elle fut d’ailleurs son
élève, sa traductrice et pratique
toujours la langue de Molière.
Quand le documentariste
Stéphan Balay est venu dans son
laboratoire de Charlottesville Lucie Morton, ancienne élève
(Virginie) tourner une séquence de et traductrice de Pierre Galet.
son film Vitis Prohibita, il lui a offert une bouteille de vin français
confectionné avec des cépages “interdits”, dont le cunningham,
hybride franco-américain aujourd’hui disparu aux États-Unis.
L’ampélographe suit donc un projet de réintroduction
de ce cépage américain grâce à des boutures rapatriées l’année
dernière du sud de la France vers la célèbre université Cornell
(État de New York), qui travaille sur la vigne depuis les débuts
de la viticulture américaine, voici 200 ans. Après une longue
quarantaine de rigueur, ce matériel est en observation et pour-
rait être mis en culture rapidement. Lucie Morton, qui travaille
dans un vignoble expérimental de Virginie, souhaitera
sans doute y tester quelques ceps le plus vite possible. B. S.
 Révélation
Cépages interdits
jacobine, toujours défendue vaille que vaille avoir laissé sa bar-
en 2021 par l’administration. « Si vous possédez rique à l’air libre huit
des pieds de cépages interdits, vous avez tout à fait le années pour obtenir
droit d’en tirer du vin pour une consommation fami- ce résultat. « Prenez
liale, amicale ou associative », explique Gilbert l’isabelle : c’est un cépage
Bischeri, lui aussi vigneron amateur depuis qui développe un fort
des lustres, fanatique de clinton, à l’origine du goût de fraise des bois,
premier conservatoire des cépages “oubliés”, à un marqueur gustatif
Aujac (Gard). « Chez nous, on ne dit pas vin, on dit aux États-Unis, mais
directement clinton ! », s’amuse ce résistant dans qui surprend agréa-
l’âme. blement chez nous », précise
En effet, et c’est là que l’affaire se corse, en sus Sébastien Tan. Ce pépi-
des six cépages maudits par l’administration niériste bio de Béziers est
en 1934, des dizaines d’autres sont considérés l’un des rares à commercia-
comme “non autorisés” ou “oubliés”, selon les liser des plants de ces cépages
interlocuteurs. Pourquoi ? Ils n’ont jamais été “alternatifs” auxquels ses
inscrits dans le “répertoire officiel” devenu clients s’intéressent de plus Interdit
obligatoire en France dans les années 1950, en plus. Comptez 12 euros en 1934,
l’isabelle
au moment de la deuxième vague pièce pour du reste cultivé
de l’interdiction des cépages alter- « Ces espèces jacquez ou du sur l’île de
natifs. Le conservatoire de Gilbert york madeira, une la Réunion.
Bischeri contient donc des variétés n’existent pas autre rareté.
aux noms très exotiques : concord, car elles Les vignerons professionnels devenus militants
baco noir, cunningham… auxquelles pourraient
être ajoutés le muscat bleu, le plantet, le tressalier, ne sont pas pluie. Quand Robert Plageoles (Gaillac) a com-
des “oubliés” ne sont pas tous nés de la dernière

le gros noir, le lucie-kulhmann. Notre Sauternais dans l’ordi ! » mencé à replanter du verdanel ou de l’ondenc
Alain Déjean cultive même un rare aranjat, non dans les années 1980, les Douanes lui ont fait savoir
identifié par l’administration. Récupéré à l’issued’unhéritage que ces espèces « n’existaient pas » car « elles n’étaient pas dans l’or-
familial, il donne un rosé bordelais maison dutroisièmetype! dinateur » (!). Au Clos de la Roque (Saint-Ambroix, Gard), le
tonitruant Yves Simon est réputé sortir tous les ans L’interdit,
RETROUVER DES GOÛTS ORIGINAUX cuvée rebelle qui exhale les arômes du clinton et de l’isabelle
Une France de passionnés s’évertue donc à conserver, dupli-
quer, exploiter, vinifier et embouteiller ces raisins prohibés Avec son association Mémoire de la Vigne, Hervé Garnier récolte
dont l’administration française ne veut plus entendre parler depuis une trentaine d’années une parcelle de jacquez en Ardèche.
au nom d’une certaine idée de la rationalisation des cépages
du vignoble hexagonal. Un vignoble monopolisé depuis
l’après-guerre par les “stars”, devenues au fil des décennies
les références du bon goût moderne : cabernets, chardonnay,
syrah et autre merlot.
Cette viticulture occulte a passionné le réalisateur indépen-
dant Stéphan Balay, un Sudiste ayant toujours vu son propre
père boire du clinton de contrebande. En 2019, il en a tiré un
documentaire remarqué, Vitis Prohibita (*), quiafaitcauserdans
les rangs de vigne. « Chaque fois que je présentaislefilmquelquepart,
des spectateurs dans la salle m’expliquaient qu’ils cultivaienteux-mêmes
du noah ou du jacquez », s’amuse-t-il. Un phénomèneeuropéen:
« J’ai tourné en Roumanie, en Italie, en Autriche. Tous les vignerons
européens sont soumis à la même interdiction de cescépages,pourtant
devenus traditionnels avec le temps. Tous se croient isolés alors qu’ils
sont très nombreux mais travaillent dans une relative discrétion »,
conclut le réalisateur, qui prépare une suite à son travail (voir
encadré ci-contre).
Effectivement, un nombre impossible à définir de profes-
sionnels, de retraités de la vigne ou d’amateurs initiés cultive
ces “interdits” afin de retrouver, enfin !, des goûts originaux.
« Le noah, c’est de la pâte à modeler, mon liquoreux a un goût d’huître
en finale ! », s’extasie l’alchimiste Alain Déjean, qui précise
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 37
 Révélation
Cépages interdits
(fruits des bois). On est loin des désagréables effluves de “pisse
de renard”, réputation usurpée dont les vins prohibés ont
souvent fait les frais, selon le vigneron Jean-Benoît Goulabert.
Dans Vitis Prohibita, on voit le vigneron lozérien faire goûter sa
cuvée Les Yeux Bleus… devant le sommelier du célèbre restau-
rant étoilé L’Agapé, à Paris, assez agréablement surpris.
LA PANACÉE FACE AUX MALADIES ?
Mais l’argument qui relance l’intérêt pour ces hybrides tra-
ditionnels, c’est qu’ils constituent les ceps idéaux quand on
ambitionne de façonner les très en vogue
Malgré vins “nature”, en limitant au maximum les
les interdits, intrants ou traitements. « De par leurs géné-
ces cépages coup mieux aux maladies. Nous pouvons parfois
tiques américaines, ces espèces résistent beau-
n’ont jamais nous affranchir de tout traitement ! », s’extasie
totalement le passionné Lilian Bauchet, du domaine
du même nom, à Morgon. Dans son hectare
disparu expérimental, où une vingtaine d’hybrides
franco-américains prennent leurs aises,
nulle trace des maladies traditionnelles. Autre exemple : un
conservatoire de cépages anciens en Ardèche où les porte-
greffes, qui possèdent aussi une génétique “américaine”, ne
développent pas la flavescence dorée, le fléau du moment.
« L’autre avantage, c’est que la vinification “nature” est elle-même
facilitée par le grand nombre de levures présentes sur ces raisins hybrides,
et par leur plus grande contenance en anti-oxydants, ce qui facilite la
conservation, donc évite l’usage du soufre », détaille Geoffrey
Estienne, créateur d’une exploitation innovante
dans son domaine du Trimoulet (Creuse).
Ce néovigneron, par ailleurs un
des leaders français de la
LEXIQUE
Le maquis de la législation
En France, environ 250 cépages sont inscrits sur la « liste
des variétés de raisins de cuve pouvant être plantées, replantées
ou greffées à des fins de production vitivinicole » (BO du 26 mars
2020, aliéna a). Il s’agit d’une majorité de cépages “classiques”
(cabernet, cinsaut, clairette, chardonnay, merlot, sauvignon…),
auxquels s’ajoutent quelques spécialités régionales (cham-
bourcin, villard noir, rayon d’or, castet, fié gris, terret bourret…)
et de plus rares nouveautés récemment admises, comme
une vingtaine de cépages hybrides (souvignier gris, sauvignac,
cabernet blanc…). Une liste annexe (alinéa b) donne le droit
de vinifier certaines espèces, mais uniquement dans certains
départements (une vingtaine peuvent utiliser le célèbre
chasselas pour faire du vin, treize pour le muscat d’Alexandrie).
Des communes de l’Ain ou de Haute-Savoie peuvent produire
du raisin de cuve non inscrit en France à condition qu’il soit
exporté en Suisse (alinéa c). Des variétés corses ou créées par
l’Inra sont au “classement temporaire” pour dix ans (alinéa d).
Les cahiers des charges des appellations listent bien entendu
elles-mêmes les cépages acceptés pour produire des AOP ou IGP.
Aujourd’hui, 90 % du vignoble français est planté avec
seulement 40 cépages. B. S.
myrtille, ne veut pas trop en dire sur les espèces utilisées. « C’est
ma R&D », dit-il joliment…
Il faut voir de ses yeux ces vignes expérimentales poussant
librement à hauteur d’homme pour se rendre compte à quel
point nous sommes loin de la viticulture héritée de l’après-
guerre. C’est en effet à la fin des années 1950 que le ministère
de l’Agriculture, au nom d’une certaine idée “nationale” du
vin, décide de faire le ménage dans l’ampélographie française,
et d’écarter la plupart des hybrides au profit de notre bonne
vieille plante indigène, la vitis vinifera pure. En 1958, le jeune
fonctionnaire chargé de compter les points, qui deviendra
par la suite la plus grande autorité française en matière d’am-
pélographie, s’appelle Pierre Galet (décédé en 2019). Selon ses
investigations, la France comptait alors 250 espèces de vinifera,
mais 2 000 hybrides de toutes sortes : premiers hybrides amé-
ricains, hybrides franco-américains, créations des hybrideurs
français du début du XXe siècle (lire encadré ci-dessus)…
D’ailleurs, sur le 1,2 million d’hectares que comptait alors le
vignoble tricolore, 400 000 étaient encore plantés en hybrides,
dont très exactement 62 000 en “interdits” de 1934.

AU NEZ ET À LA BARBE DES DOUANES

Prohibé depuis 85 ans,
le noah a toujours été
présent en Vendée,
entre autres.
38
Malgré les efforts de l’administration (campagne de commu-
nication, primes à l’arrachage, pression dans les appellations
d’origine…), ce capital ampélographique, s’il a reculé, n’a
jamais disparu. Le noah existe toujours partout en Vendée,
l’isabelle reste le cépage emblématique de la Réunion. Les
Cévennes ne jurent toujours que par le clinton ou le jacquez.
Des centaines de vignerons amateurs ou professionnels les
cultivent, officiellement à titre associatif ou expérimental. Et
- LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
 Révélation
Cépages interdits
Andrieu et José Bové a
organisé à Bruxelles
une dégustation
de “vins interdits”.
Rien n’y a fait. De
rares interprofes-
sions, hors AOP, évi-
demment, envisagent
de bousculer le calen-
drier. « Notre sentiment
est que ces cépages, outre
leurs qualités écologiques,
incarnentl’avenirdevins typiques,
non-photocopiables, qui per-
mettent de se démarquer com-
mercialement », soutient le bien
Dans les années 1950, le ministère de l’Agriculture lance une campagne nommé Christian Vigne, pré-
d’arrachage pour éradiquer les six cépages déjà interdits en 1934. sident de l’IGP Cévennes, qui
veut demander cette année
enréalité,desmilliersdebouteillesissuesdecépagesinterdits des « autorisations de plantations
sont finalement vendues, au nez et à la barbe des Douanes. à titre expérimental ». L’IGP Gard
« J’ai des demandes de la France entière, du Jura, de Bretagne, de Nice, est aussi dans le coup. En atten-
pour des hybrides, interdits ou non : de l’isabelle, du noah, du clinton, dant que le législateur bouge,
du dattier de saint-vallier… On s’aperçoit qu’ils demandent moins de les vignerons de l’IGP orga-
travail», s’amuse Laurent Cabrol, à la fois vigneron et pépinié- nisenttoujoursdesdégustations L’othello est
riste (société Viticabrol) dans le sud du pays. Il vient d’envoyer de “vins interdits” pour leurs un hybride
entre le clinton
50 plants de noah destinés à être plantés… sur l’île d’Yeu ! clients. À titre familial et gratuit, et le muscat
bien entendu. de Hambourg,
UNE VISION PLUS “LIBÉRALE” DE NOS VOISINS créé en 1859.
Cette France clandestine n’attend qu’une chose : que la légis- (*) Vitis Prohibita, documentaire
de Stéphan Balay (vitis-prohibita.com),
lation s’assouplisse enfin. « La situation est complexe parce que
également disponible sur www.fruitsoublies.org
l’évolution juridique n’est pas la même dans tous les pays », pointe
Stéphan Balay. Nos voisins européens semblent en effet Suite de l’article page 40
adopter une vision plus “libérale”. Dans le Piémont italien,
les vignerons peuvent vinifier librement leur clinton. Dans
le Burgenland autrichien, leurs homologues ont obtenu une
dérogation (jusqu’en 2030 !) pour inté-
Un verre grer de l’othello ou du concord dans
de clinton Açores leur uhudler (une spécialité locale). Aux
espagnoles, la principale société
n’a pas suffi viticole, Azores Wine Company (AWC)
à convaincre vend en magasin sa cuvée d’isabelle, la
bien nommée A Prohibida.
le ministre de La situation française est d’autant
l’Agriculture plus étonnante que les cépages interdits
ou oubliés sont cultivés dans le monde
entier, aux États-Unis, en Inde… « Nous nous battons pour faire
évoluernotrelégislation:elleestabsurdeetbridelebasculementversla
biodiversitéetlesbonnespratiques», s’agace Vincent Pugibet, pré-
sident de PIWI France, et surtout un des plus gros vignerons
d’hybrides en France, des hybrides récents, mais tout autant
victimes des pesanteurs réglementaires (lire p. 40).
Il est difficile de faire bouger les choses. Des associations
ont fait le siège du cabinet de Stéphane Le Foll, du temps où
il était ministre de l’Agriculture (2016). Un verre de clinton
n’a pas déridé le lieutenant de François Hollande. La même Interdits à la vente, les vins (ici, la Cuvée des Vignes d’Antan) issus
année, une délégation menée par les députés européens Éric de cépages prohibés peuvent cependant être bus en famille ou entre amis.
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 39
 Révélation
Cépages interdits
La longue marche
des nouveaux
des résistants
hyb ri
V
incent Pugibet milite active-
ment pour une certaine biodi-
versité : celle des cépages, mais
du monde entier. « Depuis les
années 1950, la France ne veut entendre parler
que du vinifera, c’est une des raisons pour les-
quelles le matériel végétal de notre pays s’est
affaibli », assure ce jeune vigneron sudiste à
l’accent chantant depuis son domaine de la
Colombette, près de Béziers. Ici, par oppo-
sition à cette uniformisation du paysage
ampélographique, une centaine d’hec-
tares de ceps “résistants” ont été plantés,
des croisements de toutes les origines (européennes, asia-
tiques, russes, américaines…), avec une prédilection pour les
créations récentes : celles qui permettent d’obtenir des ceps
ancrés dans la viticulture du futur. Des ceps qui résistent bien
aux maladies, au changement climatique, et qui développent
des goûts intéressants.
Toutefois, dès ses débuts, il a été contraint de s’approvi-
sionner hors de nosfrontières.«Depuisdesdécennies,lesautorités
agricoles françaises ontétabliunmonopolesurlacréationdenouvelles
espèces de vigne », dit-il en pensant à des institutions comme
l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) ou
l’Institut français de la vigne et du vin (IFV). Il est loin, le temps
des prolifiques “hybrideurs” de cépages, comme Georges
Couderc ou Albert Seibel, qui réinventaient le vignoble après
la grande catastrophe du phylloxéra…
CABERNET JURA, MUSCARET, SAUVIGNAC…
Récompensé en 2018 par le prix de l’innovation de La RVF,
Vincent Pugibet trouve donc son bonheur chez des fournis-
seurs allemands, suisses ou italiens, auxquels il achète des
plants aux noms deromanspoliciers:cabernetblanc,cabernet
noir, cabernet Jura,sauvignac,muscaret,souvigniergris…Des
mélanges piochant parfois loin dans le capital génétique de
plants venus du bout du monde, comme les vitisamurensis : ces
ceps d’origine russe (vignes du fleuve Amour) sont très prisés
car même l’hiver sibérien ne les fait pas décliner !
40 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
« Les autorités agricoles
françaises ont établi
un monopole sur
la création de nouvelles
espèces de vigne »
Vincent Pugibet
Prèsdecinquanteespèces sont exploitées,
ce qui fait du domaine de la Colombette
le plus différencié de France. Mais pour
l’heure, les Pugibet ne peuvent vendre que trois cuvées, car la
majorité des cépages ne sont toujours pas dûment inscrits sur
le registre des espèces autorisées pour vinifier en France !
UN JOLI CAS D’ÉCOLE
Selon l’association PIWI (acronyme du mot allemand
Pilzwiderstandsfähig, signifiant capable de résister aux cham-
pignons), dont Vincent Pugibet préside l’antenne française,
seuls vingt nouveaux cépages “résistants” ont été tamponnés
par les Douanes, vingt-cinq autres étant toujours bloqués par
l’administration, alors même qu’elles sont déjà en règle avec
leurs pays d’origine. Un joli cas d’école. « J’obtiens des résultats
magnifiques avec mon sauvignon kretos », assure le vigneron, qui
ne peut commercialiser ce vin avec une telle mention, alors
que les voisins italiens ne s’en privent pas !
Vincent Pugibet a l’habitude de croiser le fer avec l’adminis-
tration tricolore. « Deux ans de bagarre pour faire reconnaître des
droitsa minimaàl’expérimentation», sesouvient-t-il, regrettant
que la France freine à nouveau des quatre fers. Au moment de
la réforme des droits de plantation (2016), il avait été question
qu’un catalogue européen, faisant la somme des catalogues
nationaux,deviennelarègleenmatièredevariétés autorisées.
Une douzaine de pays, dont la France, refuse toujours cette
libéralisation, au nom de la volonté de se concentrer sur les
espèces « les plus intéressantes » au niveau « agronomique et tech-
nologique », selon FranceAgriMer. B. S.
 Enquêtes et révélations

Cavistes chics:
euxaussi
basculent
surInternet!
La crise du Covid-19 a accéléré la migration des cavistes vers le Web.
Pour certaines adresses installées, c’est une remise en question.
Une enquête de Fabien Humbert

C
’est une révolution à bas bruit fermées. Avant que la bonne nouvelle ne
qui se joue dans le monde feutré tombe : les cavistes, considérés comme des
des cavistes indépendants pre- commerces essentiels, peuvent rouvrir !
mium. Ces bastions de la vente « Les premières semaines, nous avons eu très
physique optent de plus en plus peu de visites, se souvient pourtant
pour la vente dématérialisée ! Mais Ludovic Ripart à la Cave du Marché
quelle mouche les a donc piqués ? Les sites (Chartres). Les gens avaient peur de
Pourquoi des hommes et des internet sortirdechezeux…Heureusement,notre
femmes, dont le credo est le conseil ont pris siteinternetaprislerelais.»CarLudovic
et l’accueil dans un lieu chaleu-
reux rempli de bonnes bouteilles,
le relais lors Ripart appartient à cette caste de
cavistes qui avaient déjà fait le pari
iraient-ils vendre leurs flacons du premier de vendre à la fois dans un lieu phy-
sur des sites internet distants par confinement siqueetuneboutiqueenligne.C'est
nature ? Cette mouche (du coche), aussi le cas de l’ex-footballeur Éric
a un nom, qui fait frémir la planète Carrière, dont la cave s’était dotée
depuis un an désormais : le Covid-19. d’une boutique en ligne en novembre 2019
Revenons un peu en arrière. En mars 2020, (la chance du champion ?), de Dominique
le premier confinement est décidé en France. DupuchauxCavesd’UlysseàMargaux(depuis
Pendant quelques jours, c’est la stupeur : un 2004), de Damien de Gironde à La Cave du
Photos : D. R.

silence glaçant s’empare des rues désertes, Château à Paris (depuis 2017), ou de Michel
tandis que les portes des commerçantsrestent Falck, à Strasbourg (Au Millésime). •••
42 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
 Incontournable à Paris,
installée dans
un hôtel particulier,
La Cave du Château
décline aussi sa superbe
gamme de vins sur
son élégant site internet.
 Enquête
Les cavistes chics en ligne
••• Quant aux autres, ils ont dû se résoudre à accélérer
un processus qui était devenu inéluctable. Ce fut chose
faite dès avril 2020 pour les Caves du Forum à Reims et leurs
500 m2 qui servaient autrefois à stocker le champagne des
Caves Carrière, à Dijon
grandes maisons. « Notre site était prêt depuis un an, mais nous
ne l’avions pas encore lancé », se souvient son dirigeant Fabrice LaBourgogne
Parisot. À Rennes, c’est lors du deuxième confinement, en
novembre 2020, que Nadine Gaillard a dû se résoudre à
vendre en ligne quelques références de son Cellier Saint
aucœurdujeu
Germain,idéalementplacéentrelamairie,leQuaiLamartine Les points forts de la cave : fondée en 2010 par l’ancien foot-
et l’église Saint-Germain. Même la vénérable Tour d’Argent à balleur professionnel Éric Carrière (champion de France avec
Paris, qui vendait déjà des vins dans son épicerie fine, a com- le FC Nantes et l’Olympique lyonnais, vainqueur de la coupe
mencé à mettre régulièrement en ligne quelques trésors de des confédérations avec les Bleus en 2001), cette cave à vins de
sa mythique cave. « Nous ne disposons pas de chiffres officiels, mais la périphérie de Dijon propose plus de 4000 références (55 % de
selonlesremontéesduterrainquenousavonsrécoltées,labascules’est Bourgogne, 10 % de Rhône). La sélection comporte des grands
faitedefaçontrèsimportantedepuislacriseduCovid-19», confirme noms pour lesquels tout amateur se damnerait (Leroy, Jamet,
Nathalie Viet, déléguée géné- Comtes Lafon…), mais aussi des cuvées signées de domaines
Comment avons- raledesCavistesProfessionnels. plus confidentiels qu’il fait bon découvrir comme un morgon
nous procédé ? Corcelette 2017 de Foillard ou le bourgogne blanc Éclat de
UNE NOUVELLE CLIENTÈLE Calcaire 2019 de Pierre Girardin. Cette offre va grossir puisque
Pas évident de sélectionner Avecunpeuderecul,nouveaux la cave dispose aujourd’hui de 5000 flacons en vieillissement.
huit “cavistes chics” parmi venus sur le Web et vieux bris- Les plus sur le Web : le site des Caves Carrière propose
les 5 800 cavistes français ! Dans cards se montrent plutôt satis- 3176 références et offre une véritable virée virtuelle dans
la liste des indépendants (près faits d’avoir su prendre la vague le vignoble bourguignon grâce à un outil de géolocalisation
de 5 000), nous avons retenu de la vente en ligne. Les chiffres agrémenté de photos. C’est simple, on s’y croirait !
ceux chez qui l’on peut acheter sont en effet éloquents. Selon Boutique : 12, rue de Skopje, 21000 Dijon
en ligne (ce qui a exclu de grands la Fédération e-commerce et Site : www.caves-carriere.fr
noms comme les Caves Legrand vente à distance (Fevad), les Infos pratiques : la livraison, qui se fait entre 24 et 72 heures,
à Paris ou Antic Wine à Lyon). ventes sur Internet ont pro- coûte de 9,90 à 20 €. Pas de frais de port offerts.
D’autres, comme Lavinia, gressé au global de 8 % au 3e tri-
ne disposaient plus de magasins mestre 2020, mais celles des
physiques. Nous cherchions des enseignes disposant aussi de
cavistes jouissant d’une réputa- magasins physiques ont, pour
tion d’excellence, proposant leur part, explosé de 29 % !
des grands crus et des pépites Tous les cavistes que nous
plus abordables. Tous sont très avonsinterrogésdéclarentavoir
regardants sur la provenance enregistré de fortes hausses
des bouteilles (achetées en majo- de ventes sur Internet (+ 50 %
rité en direct) et souples en cas de en 2020 pour la cave stras-
problème avec les vins vendus. bourgeoise Au Millésime, par
Naturellement, cette sélection exemple),mêmesilesventesau
n'est pas exhaustive. F. H. magasin restent toujours très
majoritaires. Certains, comme
La Cave du Château, ont même
embauchéunasdue-commercepouranimerleursite:«Ilmaî-
trise des notions comme le “référencement”, ou l’optimisation pour les
moteurs de recherche (SEO), qui nous semblent un peu barbares, mais
quipermettentàunsiteinternetdegagnerenvisibilité,éclaireDamien
de Gironde.Ledigital,c’estunmétier».
Si les boutiques en ligne ont permis aux cavistes de garder
le contact avec leur clientèle habituelle pendant les confine-
ments, elles leur ont aussi permis d’en gagner de nouveaux.
« Notre clientèle en boutique est en général âgée de plus de 45 ans. Elle
se caractérise par un pouvoir d’achat élevé et témoigne d'un certain
intérêt pour les primeurs, analyse Dominique Dupuch. Sur le site,
lesclientssontplusjeunes,avecunpaniermoyenmoinsélevé,maisdes
goûts plus éclectiques. » ••• En bon capitaine, Éric Carrière a constitué une équipe d’experts.

44 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021

 Enquête
Les cavistes chics en ligne

La Cave du Château, à Paris

Service premium
aux Champs Élysées
Les points forts de la cave : avec son joli portefeuille de vins
et spiritueux à 99,9 % français, La Cave du Château fait figure de
spécialiste du haut de gamme (50 % de l’offre en ligne est à plus
de 100 €). La sélection assez diversifiée témoigne d’une légère
préférence pour les bourgognes (28 %) et les bordeaux (26 %).
Citons par exemple le Château La Tour Haut-Brion rouge 1990,
le châteauneuf-du-pape rouge Réserve des Célestins 2007
du domaine Henri Bonneau, ou le vin de France blanc Solera
façonné par Jérôme Bretaudeau (domaine de Bellevue…
Les plus sur le Web : créé en 2017, le site est presque aussi
bien achalandé que le magasin (3 600 références contre 3 800
en boutique). On y trouve notamment les vins de Primum
Familiae Vini (association de douze grandes familles de vigne-
rons français et étrangers, dont le domaine Clarence Dillon).
Ce sont les seuls vins étrangers disponibles.
Boutique : 31, avenue Franklin-Roosevelt, 75008 Paris
Site : www.lacaveduchateau.com
Infos pratiques : la livraison se fait en deux jours ouvrés à domicile
Damien de Gironde (en costume) dirige depuis six ans La Cave du Château.
en France ; frais de port de 12 à 33 € selon le nombre de bouteilles.

La Cave du Marché,
à Chartres
Unpionnier
duWorldWideWeb
Les points forts de la cave : ce caviste iconique du centre
de Chartes a pris très tôt le virage de la vente sur le Web
(2008), et ça se voit. Le catalogue complet de La Cave
du Marché contient environ 2000 références de vins,
champagnes et spiritueux, avec 58 % d’étiquettes à plus
de 100 €. 45 % des références sont des bourgognes, 39 %
des bordeaux. Quelques trésors ? Corton-charlemagne
Grand cru 1996 de Coche-Dury, Pétrus 2005 ou cornas 2016
de Claudia et Laurent Jaboulet.
Les plus sur le Web : ce site respire le professionnalisme,
facile d’utilisation et efficace. La sélection (1269 références)
permet de s’offrir des millésimes anciens en quelques clics.
Boutique : 13, rue des Changes, 28000 Chartres
Site : www.lacavedumarche28.com/fr/
Infos pratiques : livraison à J+1 si la commande est passée avant
12 h 00. Les frais de port (à partir de 21 € pour une bouteille) sont
La Cave du Marché appartient à la caste
offerts lorsque le panier d’achat dépasse 500 €.
des précurseurs de la vente en ligne.

LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 45

 Enquête
Les cavistes chics en ligne
••• Maiscepassageduphysique au digital ne fait pas l’una-
nimité et suscite aussi des questionnements. « Je me demande Pas besoin de cheval
si cela vaut vraiment le coup, s’interroge Nadine Gaillard, qui a de bois pour pénétrer
repris le Cellier Saint Germain il y a huit ans. Moi, je veux voir dans l’enceinte
mes clients, parler de mes vins, avoir du relationnel… et puis, face à la des Caves d’Ulysse !
concurrence exacerbée d’Internet, il est difficile d’être compétitif sur
les prix. » En effet, là où un caviste doit composer avec quatre
ou cinq (dans le pire des cas) magasins concurrents dans son
environnementimmédiat,lorsqu’il passe en ligne, il doit fron-
talement faire face aux 507 autres sites (selon FranceAgriMer)
qui vendent du vin en ligne. Dont certains sont, compara-
tivement, de véritables mastodontes : Millesima, Vinatis,
Wineandco, iDealwine, Veepee… Impossible de rivaliser avec
eux sur les prix ou le nombre de références.

UN POSITIONNEMENT DIFFICILE
De nombreux cavistes refusent donc de participer à la guerre
des prix et mettent en avant leurs qualités intrinsèques : le
conseil, une sélection rigoureuse, toujours ou presque en
direct auprès des domaines et… le fait de posséder une vraie
boutique ! « Les gens aiment savoir
à qui ils achètent leurs grands vins.
Les chiffres Ils savent où nous trouver en cas de
pour comprendre problème, ça les rassure », confie
Les chiffres de 2020 n’étaient Ludovic Ripart.
pas encore disponibles Il leur faut aussi composer avec
au moment où nous imprimions les vignerons (minoritaires) qui
ce numéro, mais FranceAgriMer refusent de voir leurs vins vendus
estimait que la vente
numérique de vin avait généré
en ligne (lire également page 14).
« Il existe des chartes de distribution Caves d’Ulysse, à Bordeaux
500 millions d’euros (souvent en Bourgogne:domaine
en 2019, répartis entre
507 sites. 31 % des sites
de la Romanée-Conti, domaine
Prieuré Roch, domaine Jean- Les grands formats
sont tenus par des cavistes, mais Marc Roulot, ndlr) qui stipulent
ils ne parvenaient qu’à générer que les vins ne doivent être vendus ont leur Ithaque
qu’à table ou en boutique, raconte Les points forts de la cave : les Bordelais n’ont qu’à
4 % de ce chiffre d’affaires
global. La vente en ligne captait David Ridgway, le sommelier de faire quelques kilomètres pour rejoindre cette véritable
9 % des ventes de vin en France la Tour d’Argent. Dans ce cas bien sûr, mine à pépites (émanation de la maison de négoce Ulysse
(hors restauration), contre nous respectons le choixduvigneron.» Cazabonne), à moins qu’ils ne préfèrent commander en ligne
environ 70 % pour la grande D’autres contournent l’interdic- et se faire livrer. On vient souvent y glaner des vins bordelais
distribution. Tandis que la vente tion en informant leur clientèle (70 % des 1 400 références), qu’on peut aussi acheter
en direct au domaine ou chez qu’ils possèdent ces grands vins en primeur. S’y pressent des grands crus établis (souvent en
un caviste ne représente que (souvent spéculatifs) via leur site grands formats, une des marques de fabrique de ce caviste)
10 % environ du marché. F. H. internet, mais qu’ils ne sont dis- comme ce Château d’Yquem 1999, ou des domaines qui
ponibles qu’en boutique, là où ils montent comme château Dompierre à Pauillac ou château
peuvent vérifier l’acheteur de la La Fleur Lauga à Saint-Julien. Le maître des lieux, Dominique
bouteille sous allocation. Dupuch, note cependant « une croissance très importante sur
Globalement, les cavistes convertis à Internetsedisentdonc les vins d’autres régions depuis quatre ou cinq ans » : le Bordeaux
satisfaits d’avoir franchi ce cap. Même si cela ne leur permet bashing est passé par là…
pas de gagner des sommes astronomiques, il s’agit pour eux Les plus sur le Web : parmi les 1  200 références, une majo-
d’un troisième canal de vente, aux côtés de la venteenmagasin rité est étiquetée Bordeaux, souvent en grands formats.
et des commandes par téléphone ou par e-mail, elles aussi en Boutique : 2, rue de la Trémoille, 33460 Margaux-Cantenac
forte progression (+ 46 % à La Cave du Château en 2020, par Site : www.caveulysse.com/
exemple). Mieux le site internet d’un caviste permet souvent Infos pratiques : le délai de livraison en France métropolitaine est
aux clients de choisir une bouteille qu’ils iront ensuiteacheter à peu près de 72 à 96 heures ouvrées. Les frais de port sont offerts
sur place. Car le conseil restera toujours la valeur ajoutée à partir de 350 € d’achat.
numéro 1 des cavistes.• Suite page 49
46 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
Passion - Indépendance - Authenticité

Un des meilleurs de Grande Champagne 1 er Cru de Cognac

2020 : Gold Medal at International Wine & Spirits Competition

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LʼABUS DʼALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.

 Enquête
Les cavistes chics en ligne

Entre deux ventes

de vin en ligne,
le célèbre David
Tour d’Argent, à Paris
Ridgway finalise
le recrutement
de son successeur ! Lesaintdessaints
duvinenunclic
Les points forts sur le Web : la Tour d’Argent, comme chacun
sait, est d’abord un restaurant, mais doté d’une cave mondia-
lement célèbre ! Et depuis le Covid-19, la Tour vend désormais
certains de ses vins en ligne ou sur place. Comment passer
sous silence cet événement majeur ? L’iconique sommelier
du lieu David Rigdway et l’ex-Lavinia Yannick Branchereau,
directeur général du groupe, nous permettent enfin
d’accéder à une petite partie (15 à 20 références par mois)
des 300000 trésors enfermés dans la cave du restaurant.
On trouvera ainsi un puligny-montrachet 1er cru Clavoillon 2006
du domaine Leflaive, une côte-rôtie Château d’Ampuis de
E.Guigal… Le site internet et l’épicerie située au rez-de-chaussée
du célèbre établissement permettent aussi d’acheter des vins
vendus sous l’étiquette de la Tour d’Argent, glanés chez des grands
noms comme Jean-Luc Thunevin, Denis Dubourdieu…
Boutique : 17, quai de la Tournelle, 75005 Paris
Site :www.boutique.tourdargent.com
Infos pratiques : la livraison se fait à J+1 à partir de 12 € la bouteille,
et les frais de port sont offerts à partir de 150 € d’achat.

Au Millésime,
à Strasbourg
Lacrème
desspiritueux
etvinsd’Alsace
Les points forts de la cave : à bientôt 60 ans,
Michel Falck est retourné sur les bancs de l’école
pour faire partie du premier millésime du diplôme
universitaire de dégustation géosensorielle mis en
place par Jacky Rigaux et Jean-Michel Deiss. Sinon,
il est aussi, et surtout, caviste (deux magasins
à Strasbourg). On y trouve une sélection éclectique Michel Falck (à d.) et son équipe proposent 1 200 étiquettes sur leur site internet.
(Alsace, 21,6 % ; Champagne, 15,8 % ; Bourgogne, 10 % ;
Bordeaux, 9,5 % ; Rhône, 8,6 % ; vins européens, 7,7 %...) et de qua- sont… des spiritueux (rhums, whiskies, cognacs…). Bien sûr, nous
lité, mais à prix raisonnables : Au Millésime recense ainsi 236 réfé- sommes en Alsace : 33,6 % des vins sont bio ou biodynamiques.
rences de vins à moins de 20 €. Au rayon des belles étiquettes, Boutique : 7, rue du Temple-Neuf, 67000 Strasbourg
on croise le riesling Clos Sainte Hune du domaine Trimbach dans Site : www.aumillesime.com
les millésimes 1998, 2000, 2001, 2002, 2003, 2004, 2013 et 2014. Infos pratiques : les bouteilles sont livrées par coursier à Strasbourg
Les plus sur le Web : le site existe depuis 1998 ! L’internaute a (à partir de 10 €) le jour même, et par colis dans le reste de la France
accès à 1 200 références (contre 2 000 en cave). Près de la moitié (comptez 16 € pour les frais de port) à J+1.
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 49
 Enquête
Les cavistes chics en ligne

Cellier Saint Germain,

à Rennes
Un nouveau venu
dans l’univers on line
Les points forts de la cave : Nadine Gaillard a repris cette ins-
titution rennaise à la retraite du fondateur des lieux, le cha-
rismatique Jean-Pierre Lécluze, il y a huit ans. Un pari risqué
pour celle qui était auparavant caviste dans le Nord. Mais
un pari réussi : les Rennais et, grâce à la boutique en ligne,
l’ensemble des Français trouvent toujours en ces lieux une
sélection de vins au cordeau, éclectique (Bordeaux, 15 % ; Sud
et Rhône, 25 % ; Bourgogne, 10 % ; Loire, 15 %...), qui fait la part
belle aux grandes bouteilles (Lafite, Romanée-Conti, Graillot,
etc.), mais aussi aux flacons à prix doux. On trouvera ainsi
80 bouteilles à moins de 20 € et dix à plus de 100 € en ligne.
Les plus sur le Web : le nombre de références disponibles sur
le Web est encore réduit (160 contre 1 400 sur place). Il faut
dire que le site n’a vu le jour qu’en novembre 2020.
Boutique : 3, rue du Vau-Saint-Germain, 35000 Rennes
Site : www.celliersaintgermain.fr
Infos pratiques : livraison gratuite par un caviste “assermenté” à partir
de 80 € dans la métropole ! Sinon, comptez à partir de 10 € la bouteille. Cette cave a été tenue durant quarante ans par Jean-Pierre Lécluze.

Le Caviste
de l’année 2017
de La RVF expose
Les Caves du Forum,
ses trésors dans
d’historiques
à Reims
caves voûtées.
Son offre en ligne
est 100 % pétillante
Les points de la cave : entré comme salarié en 2002,
Fabrice Parisot rachète Les Caves du Forum et ses 500 m2
de caves voûtées du XVIe siècle en 2004. Il refond une
gamme de 4 500 références, dont une majorité de cham-
pagnes. Si l’on trouve de grandes maisons, Fabrice Parisot
s’enorgueillit de mettre en avant des vignerons valorisant
la notion de terroir, dont des exclusivités, comme
les champagnes rosés d’Aurélien Lurquin achetés en bar-
riques puis embouteillés (300) ou Flavien Nowack (NWK).
Les plus sur le Web : mis en ligne trois semaines après
le premier confinement, ce site ne propose que du cham-
pagne, c’est-à-dire 454 références. Les amateurs de vins
des autres régions devront se rendre au magasin !
Boutique : 10, rue Courmeaux, 51100 Reims
Site : www.lescavesduforum.com
Infos pratiques : livraison en 48 heures pour la France, la Belgique
et l’Allemagne à partir de 10 € ; gratuite en France à partir de 250 €.

50 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021

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des vins sans sulfite. Nous
n’aurions pas obtenu la même
qualité de produit sans le
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l’oxygène dissous et le choix
d’un obturateur Nomacorc »
Pierre Philippe, Les Vignerons de Buzet

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L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION

 Art de vivre
Vu d’ailleurs
Du “clean wine” au boire propre
L
e clip dure neuf minutes sur Instagram. Cameron
Diaz, un verre de rosé à la main, discute avec
sa business partner de la marque de vin qu’elles
viennent de lancer. Choquées de savoir que pendant des
années, elles ont consommé à l’insu de leur plein gré des
vins pleins d’additifs, elles ont pris les choses en main.
Avaline, leur gamme de clean wines, est née.
En d’autres termes, elles veulent offrir un vin produit à
partir de raisins certifiés bio et avec un nombre limité d’ad-
ditifs, mais aussi, comme l’annonce stratégiquement l’éti-
quette, sans sucre ajouté, ni colorant artificiel, ni concentré
et vegan. Elles surfent sur la vague du manger, boire et vivre
plus sain, et ne sont pas les seules. C’est un marché en pleine
explosion estimé à des millions de dollars que quelques
marques se disputent : Good Clean Wine, Scout & Cellar et
leurs Clean-Crafted Commitment ou encore Wonderful
Winc dont les vins sont “paléo”, “kéto” et peu caloriques.
On ne peut s’empêcher de voir ici que toutes les cases
du marketing bien-être sont cochées opportunément,
du design de la bouteille à la communication très ciblée
public féminin aisé soucieux de son style de vie et seg-
ment-clé de croissance. La qualité intrinsèque du vin est
secondaire, seule compte l’inoffensivité de la bouteille
“propre”, qui est généralement levurée, collée, filtrée et
sulfitée, mais analysée ! Cela dérive même en allégations
nutritionnelles suspicieuses. Il y a de bonnes raisons de
condamner le mélange des genres. Mais aussi de saluer
la prise de conscience par une actrice grand public aux
millions de followers du manque de transparence volon-
tairement entretenu de l’industrie viticole et le push pro-
motionnel apporté en quelques mois à dénoncer ce fait.
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 53
« Il est grand temps
que l’exception vin
soit levée et que
la liste des ingrédients
soit obligatoire,
et pourquoi pas
celle des auxiliaires
technologiques »
Par Pascaline Lepeltier
Sommelière-associée
du bistrot-gastro
Racines NY à New York.
Meilleur ouvrier
de France (MOF).
Il est grand temps que l’exception vin soit levée et que,
comme pour tout autre produit agro-alimentaire, la liste
des ingrédients soit obligatoire, et pourquoi pas celle
aussi des auxiliaires technologiques. Faut-il craindre la
réaction du consommateur ? L’intérêt pour les clean wines
suggère tout le contraire : il y a une demande réelle d’in-
formation et de choix en connaissance de cause par les
nouveaux amateurs, mais aussi par des professionnels
respectés qui le réclament depuis des années. Je les sou-
tiens absolument. Imaginez que même pour moi qui ai
l’opportunité de visiter les domaines, mes questions tou-
chant la culture et la production ne reçoivent souvent que
des réponses évasives.
Bercée par la houle, je réfléchis sur le pont du Grain
de Sail amarré dans le port de Brooklyn. Ce deux-mâts
conçu par une équipe bretonne termine juste sa pre-
mière traversée transatlantique pour livrer 15 000 bou-
teilles de vins bio (*) avant de partir pour les Caraïbes et
l’Amérique centrale et rapporter café et fèves de chocolat
à Morlaix. Ce projet de fret à la voile sur de longues dis-
tances et avec un moindre bilan carbone s’enrichit de
la recherche d’ingrédients de goût provenant d’agri-
cultures durables et de relations commerciales soute-
nant création d’emplois, juste rétribution, distribution
réfléchie et prix abordable. Passant d’un verre d’Au-
dessus des Nuages du domaine Hebinger au jurançon sec
Illustration : Stéphane Manel
de château Lafitte, je me dis que je me retrouve bien plus
dans cette façon de boire propre.
(*) En 2012, Olivier Cousin avec TOWT (Transoceanic Wind Transport) et
Rosforth & Rosforth furent les pionniers du transport de vin à voile moderne,
livrant leurs flacons notamment au restaurant Noma de Copenhague.
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 Art de vivre
Accord minute
Le pois chiche
Fraîcheur et personnalité !
U
tilisé depuis des millénaires dans la cuisine au
Proche-Orient, le pois chiche appartient à la
famille des légumineuses, au même titre que la
lentille ou le haricot. Ingrédient indispensable des recettes
d’Afrique du Nord ou de quelques plats méditerranéens
qui le magnifient, il revient aujourd’hui en force dans nos
assiettes pour ces vertus nutritives.
Riche en protéines végétales (entre 17 et 23 %), amidon,
fer, phosphore, vitamines et minéraux (magnésium, man-
ganèse), pauvre en graisse et sans cholestérol, il est l’un des
légumes secs les plus intéressants et offre une formidable
alternative à la viande. Les recettes à base de pois chiche
abondent. Il peut être utilisé comme garniture ou seul, il
se suffit à lui-même quand il est bien préparé.
ET POURQUOI PAS UNE MALAGOUSIA GRECQUE ?
Pour une recette estivale de velouté glacé de pois chiche et
courgettes, chèvre et menthe fraîche, je vous recommande
un vin désaltérant et aromatique. La touche de chloro-
phylle et les saveurs du lait caprin nous orientent vers un
blanc fruité et épicé. Pourquoi
ne pas opter pour un blanc grec
de la région de Thessalie. Grâce
à Vangelis Gerovassiliou, la
fameuse Ktima Gerovassiliou a
sauvegardé un cépage voué à dis-
paraître, la malagousia, parfaite-
ment gérée sur le millésime 2020.
Je ne suis pourtant pas un fana-
tique des cépages qui imposent
une certaine exubérance, mais
ici elle est bien domptée. Le vin
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 55
« Les vins blancs
de type oxydatif
s’en sortent très bien,
tout comme les vins
blancs aromatiques
et les rosés
de caractère »
Par Olivier Poussier
Meilleur sommelier
du monde 2000
apporte son fruité et son épice tout en gardant une belle
harmonie de bouche et une trame sapide.
Mais si la Grèce est belle, il faut bien revenir dans l’Hexa-
gone ! Direction le nord de la Vallée du Rhône. Je vous pro-
pose une jolie expression du cépage viognier avec la cuvée
Pied de Samson 2019 du domaine Vernay. Ce vin signé
Christine Vernay est élaboré à partir de viognier planté
au-delà de 300 mètres d’altitude. C’est une version très
élégante, avec beaucoup de fraîcheur.
UN ROSÉ DU LANGUEDOC, FRAIS ET VINEUX
Sur un curry de pois chiche où la garam masala, un
mélange d’épices torréfiées, côtoie les saveurs de cumin,
de coriandre fraîche, de curcuma et de pulpe de tomate,
il faut se tourner vers des vins d’une grande personnalité.
Les vins blancs de type oxydatif s’en sortent très bien, tout
comme les vins blancs aromatiques et les rosés de carac-
tère qui, à la fois, affichent une puissance de goût et béné-
ficient d’une température fraîche de service pour couper
la chaleur des épices en bouche. Choisissez par exemple le
coteaux-du-languedoc rosé 2019 du Mas Jullien.
Olivier Jullien dévoile chaque année un rosé
vineux issu de saignée avec les cépages grenache et
Illustration : Stéphane Manel / Shutterstock
cinsault. Le millésime 2019 se montre assez fidèle
à la fraîcheur de ce que nous sommes en droit d’at-
tendre de ce terroir des Terrasses du Larzac.
Pour l’option oxydative, je vous suggère un jerez
fino En Rama 2019 d’Emilio Lustau. La mention
“En Rama” indique que ce fino est tout droit sorti
du fût et n’a pas subi de fortification finale à la mise
en bouteilles. Le service de ce vin devra se faire
entre 10° C et 12° C. ¡Salud!
 J
Espagne, Italie, Corse,
Pays basque… Ces terroirs
donnent naissance
à de délicieux jambons
que nous avons ici mariés
à des vins pour le moins
inattendus, pour le plus
grand plaisir des papilles !
Une dégustation d’Olivier Poels
Photos : Fabrice Leseigneur
Art de vivre
Quand le vin
magnifie les plus beaux
ambons
d’Europe
C
omment résister à une fine
tranche de jambon à l’apéritif ?
Depuis l’Antiquité, l’homme est
épris de cette cuisse de cochon salée et
séchée, et il s’en produit dans de nom-
breuses régions d’Europe, avec, comme
pour le vin, une notion de terroir forte.
Race de cochon, alimentation, climat,
savoir-faire local, techniques de salage
et de séchage sont autant de paramètres
qui façonnent la personnalité des jam-
bons. Pour cette dégustation, nous avons
choisi quatre jambons d’exception,
il en existe évidemment bien d’autres.
UNE EXPLORATION PASSIONNANTE
L’idée n’est pas de les hiérarchiser,
mais de les associer avec des vins pour
les magnifier. L’Italie, l’Espagne
et la France produisent des jambons
de grande réputation, protégés par des
appellations d’origine qui garantissent
la provenance et le savoir-faire.
Le San Daniele italien, le célèbre Pata
Negra ibérique, le rare Prisuttu corse et
l’Ibaïama basque sont tous des produits
d’exception que nous avons voulu
confronter à des bouteilles de toutes
provenances, ne cherchant pas l’accord
local souvent évident mais un peu facile.
Cette exploration et ces rencontres nous
sont apparues passionnantes et ont
ouvert la voie à des accords surprenants.
Très en vogue, les jambons secs sont
hélas ! souvent galvaudés par une indus-
trie peu regardante qui se fournit
en porcs de mauvaise qualité et a recours
à toute une panoplie de techniques
qui ôtent toute âme à ces produits.
Nous nous sommes donc concentrés sur
56 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
une charcuterie authentique, souvent
assez chère mais garantissant des mets
de noble facture. Nous vous présentons
aussi quelques autres pièces de
charcuterie classiques et remarquables
qui constitueront un beau moment
de dégustation, tels le chorizo,
le saucisson sec ou le jambon blanc.
L’IMPORTANCE DE LA DÉCOUPE
On ne le dira jamais assez, mais
la découpe du jambon est fondamentale.
Tellement fondamentale qu’il existe
en Espagne un diplôme de “coupeur de
jambon”. Il s’agit de respecter l’équilibre
entre le maigre et le gras, et de tailler à la
juste épaisseur pour permettre d’exalter
les saveurs du jambon. Tout un art.
À l’exception du San Daniele italien, les
jambons de ce dossier se découpent à la
main, avec un couteau long, fin et affûté.
De nombreux producteurs proposent
des jambons ou morceaux désossés
qui peuvent être coupés à la machine.
C’est une solution pratique, car acheter
une pièce entière s’avère onéreux
et, surtout, nécessite un certain débit.
De la même manière que la découpe
est importante pour profiter de toute
la subtilité du jambon, la température de
service est aussi essentielle. Trop froid,
le jambon se ferme et n’exprime pas
ses arômes. Son gras durcit. Trop chaud,
il fond et se montre écœurant. Une tem-
pérature de 16° à 18° C est idéale.
Enfin, pour déguster au mieux
ces jambons d’exception, aucun artifice
n’est requis ; oubliez pain, ail, tomates,
cornichons qui parasitent les goûts.
Il ne vous reste qu’à passer à table !
 D epuis quelques années, le Pata Negra, jambon 100 % ibérique,
s’impose comme la “star” des grands jambons secs. Il doit être
Pata Negra issu d’une variété de porc spécifique, le cochon ibérique, non croisé,
nourri aux glands durant les quatre derniers mois de sa vie.
ibérique & Gare aux imitations ! L’appât du gain et la demande mondiale forte
ont conduit à des dérives, avec une baisse notable de la qualité

Shutterstock
Champagne Brut de nombre de ces jambons. En outre, il n’est pas toujours facile
Nature 2012 by de s’y retrouver dans les différentes mentions et appellations :
le Cebo ou le Bellota, par exemple, sont issus de porcs croisés.
Starck de Roederer Chaque jambon doit être accompagné d’une carte d’identité qui
précise la variété de cochon, le type de nourriture, la provenance
La rencontre entre et la durée de séchage (jusqu’à soixante mois). Il existe par ailleurs
l’intensité des bulles plusieurs appellations d’origine contrôlée. Popularisé par plusieurs
chefs prestigieux, issu d’une grande tradition, cher et puissant
et celle du jambon en goût, le jambon ibérique possède une personnalité unique.
espagnol Notre jambon 100 % ibérique est une sélection
de la maison Bellota Bellota.
Le cochon : il s’agit d’un porc ibérique originaire du sud-ouest
du pays. De petite taille (environ 180 kg), il est élevé en liberté ou en
semi-liberté, il affiche une couleur foncée (d’où son nom qui signifie
“patte noire”) et un poil très ras. Sa faculté à infiltrer le gras dans
sa chair en fait un animal idéal pour l’élaboration des jambons.
Sa nourriture, naturelle, est composée, entre autres, de glands.
La dégustation : première donnée essentielle, ce jambon doit être
coupé à la main selon une technique précise qui vise à respecter
l’équilibre entre le gras et le maigre, et à tailler la tranche suffisam-
ment épaisse pour conserver de la mâche et suffisamment fine pour
ne pas être écœurante. En fonction de l’endroit du jambon dans
lequel les morceaux ont été découpés, les saveurs seront différentes.
Plus confites et puissantes à l’arrière, plus moelleuses avec des notes
de noisette dans la grande noix (du côté où le pied remonte). Le gras
joue un rôle fondamental d’exhausteur de goût, il doit dégager
des notes de noisette, de sous-bois, mais en aucun cas de rancio.
L’accord : la tentation est de lui accorder un vin de Jerez sec, ce qui,
au demeurant, fonctionne à merveille. Un vin de type oxydatif
français fonctionne aussi, car il faut une belle réserve de puissance
et de saveur pour se confronter à ce gras puissant. J’aime l’idée de le
marier à un grand champagne, même si cet accord est à haut risque.
Trop jeune, le champagne est dominé ; trop riche, il s’écrase.

LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 57

 E ntre le Pays basque et le jambon, l’histoire d’amour remonte à la
nuit des temps ; la première foire au jambon à Bayonne date de
Ibaïma
basque &
1462. Il n’est néanmoins pas toujours facile de s’y retrouver entre les
différents produits : jambon de Bayonne, Ibaïama, Kintoa… Autant
d’expressions différentes et de cahiers des charges pour des produits
qui ont beaucoup progressé ces dernières années, n’ayant plus
Jerez fino seco de complexes face à la toute-puissance de leur voisin espagnol.
d’Emilio Hidalgo Nous avons sélectionné le jambon Ibaïama, “la source mère”
en basque, de la maison Louis Ospital. Auparavant dénommé
Une évidence Ibaïona, ce jambon est né en 1985 sous l’impulsion de trois charcu-

en bouche
tiers soucieux de sauver la race locale de porc. Il est produit selon
un cahier des charges strict. Seules 3 500 pièces sont vendues chaque
année. L’affinage, à l’air libre, dure entre quinze et vingt-et-un mois.

Notre jambon provient de la maison Louis Ospital,

à Hasparren.
Le cochon : l’Ibaïama est issu du cochon de race Duroc, né, élevé
et abattu au Pays basque. Seules trois maisons en proposent. Assez
lourd (180 kg minimum), ce cochon bénéficie d’une alimentation
naturelle garantie sans OGM et sans antibiotiques, et est abattu
à 12 mois minimum. Le gras doit faire 25 mm d’épaisseur au moins.
La dégustation : proche de son cousin ibérique, ce jambon basque
possède néanmoins sa propre personnalité. Celui que nous
dégustons affiche dix-huit mois d’affinage. Son gras est bien intégré,
avec un très beau persillage et de fines saveurs. Il est harmonieux,
avec ce goût de noisette typique et un côté fondant. Moins complexe
que les plus grands jambons ibériques, il est bien plus abordable.
L’accord : un accord majeur avec un grand jambon ne peut se conce-
voir sans un vin de Jerez. Il y a entre ce vin du sud de l’Espagne au
caractère oxydatif ménagé, aux saveurs marines et à l’acidité affûtée
et les jambons noblement affinés une complémentarité qui sonne
comme une évidence en bouche. Nous avons opté ici pour un fino,
élevé sous voile et donc moins oxydatif qu’un oloroso. Parfaitement
sec, il offre un répondant idéal au jambon et à son gras. L’un joue
avec l’autre et la grande qualité du jerez (qui fonctionne aussi à la
perfection sur le jambon ibérique) est de donner beaucoup d’allonge
au jambon. La finale spectaculaire dure de longues secondes.

58 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021

 Art de vivre
Accords vins & jambons

L e nord de l’Italie est réputé pour ses jambons depuis le Moyen Âge.
Deux appellations d’origine se côtoient, le Prosciutto di Parma
et le San Daniele. Elles produisent de très grands jambons, issus d’un
savoir-faire et d’un cahier des charges rigoureux. Les producteurs
de San Daniele sont regroupés au sein du Consorzio Del Prosciutto
di San Daniele. Les porcs sont élevés et abattus dans une zone géogra-
phique précise. Salage et affinage font aussi l’objet d’une charte stricte.
Au-delà de la zone géographique d’appellation (plus petite pour
le San Daniele), la différence majeure entre ces deux produits
intervient au moment du salage : le San Daniele est pressé afin
de permettre une meilleure pénétration du sel et sa cuisse est tordue
au niveau de l’articulation, ce qui lui confère une forme de guitare
spécifique. Il est par ailleurs affiné un peu plus longtemps (treize
mois minimum) dans une atmosphère plus sèche, à l’air des collines
du Frioul. Contrairement aux jambons espagnols, ceux-ci sont
désossés et donc destinés à une découpe à la machine.

Notre jambon est un San Daniele de 20 mois

d’affinage du Consorzio Del Prosciutto di San Daniele.
Le cochon : c’est le cochon valpadana qui confère sa personnalité
au San Daniele. Il peut atteindre les 200 kg. Son élevage traditionnel
remonte à plusieurs siècles. Le jambon bénéficiant d’une appellation
d’origine contrôlée, il doit être né, élevé et abattu sur place.
La dégustation : les grands jambons italiens se distinguent par leur
San Daniele élégance et leur finesse. Moins puissants que les jambons ibériques
ou français, ils offrent un moelleux incomparable. Tranché très
italien & finement, pour en capter toutes les saveurs, ce San Daniele fond
dans la bouche et libère des saveurs douces et persistantes.
Côtes-du-Jura L’accord : l’association aurait pu se faire avec un vin du Frioul, d’au-
Chardonnay tant que la région ne manque pas de propositions, mais nous avons
cherché quelque chose de plus inattendu. Avec le Jura, nous tenons
sous Voile 2014 une sérieuse piste, mais un vin jaune se montre trop puissant. Il faut
de Macle donc descendre d’un ton, ce qui est fait avec un chardonnay au rancio
moins marqué, bien qu’élevé sous voile, dans le millésime 2014. Un
La puissance vin vigoureux et doté d’un très bel équilibre en finale. Bingo ! L’accord
opère à merveille. Le jambon semble même gagner en puissance
du San Daniele au contact du vin. Il ne faut pas le servir trop frais, 10° C est parfait.
révélée par
le chardonnay

LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 59

Prisuttu
corse &
Saint-Aubin
A h, la charcuterie corse ! Tout un programme, entre légendes,
arnaques et véritables trésors. Passons sur les vrais faux
produits vendus aux touristes peu regardants et concentrons-nous
Premier cru sur l’une des plus belles fiertés gastronomiques de l’île, l’authentique
jambon issu d’un cochon sauvage, le porc nustrale.
La Chatenière 2015 Peu exporté, le grand jambon corse se mérite et il faut avoir ses
“entrées” pour avoir la chance d’en déguster tant la production de ce
de Pierre-Yves cochon est difficile, donc limitée. D’un poids compris entre 6 et 10 kg,
Colin-Morey le jambon, salé au sel sec de mer, ne peut contenir d’additifs. Il est
affiné en cave douze mois minimum. Un temps qui peut être allongé
Un accord pour développer ses arômes grâce à la flore qui le recouvre. Depuis
2012, il existe une AOP qui protège trois fleurons de la charcuterie
tout en subtilité corse : jambon sec de Corse, coppa de Corse et lonzo de Corse.
qui se joue Notre jambon provient de chez Félix Torre,
autour du gras éleveur et sélectionneur de porcs nustrales à Cuttoli.
Le cochon : le porc nustrale, “le nôtre” en corse, est un animal
exclusif à l’Île de Beauté. Issu d’une souche méditerranéenne, il a failli
disparaître à cause des nombreux croisements. Rustique et sauvage,
l’animal se nourrit d’herbes du maquis, de glands, de châtaignes,
d’herbes des pâturages. En fin de vie, il est nourri durant quarante
jours à la farine de châtaigne, ce qui influe sur le goût de sa chair, de
son gras. Il est abattu entre 12 et 36 mois, en hiver, à un poids de 85 à
140 kg. La production est hélas ! très faible et ne suffit pas à combler la
demande. Il n’y a qu’une dizaine de producteurs-éleveurs d’authen-
tique charcuterie corse sur l’île. Méfiance donc au moment d’acheter.
La dégustation : ce jambon est exceptionnel, affiné à la perfection.
Le gras est translucide, il fait penser au fameux lard de Colonnata
(Italie). Au nez, il se montre enivrant, exprimant des notes que seule
une fermentation parfaitement menée peut apporter. La bouche suit
avec de fines saveurs de beurre, de cuir, d’étable, de noisette. Le tout
avec une incroyable douceur et surtout une immense persistance.
L’accord : la subtilité des arômes de ce jambon appelle un vin lui
aussi subtil. Les essais avec des “oxydatifs” ne sont pas concluants,
le jambon se trouve écrasé par les saveurs des vins. Ce bourgogne
blanc joue dans un registre finement grillé et iodé, avec un bon
support acide. Tout se joue autour du gras. Le vin est suffisamment vif
pour le “nettoyer” et préparer les papilles à la prochaine bouchée.

60 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021


D’autres belles charcuteries à marier
En dehors du jambon sec, il existe de nombreuses charcuteries, souvent moins onéreuses et pourtant
délicieuses lorsqu’elles sont réalisées dans les règles de l’art. Du saucisson au jambon blanc,
en passant par le chorizo, nous les avons, elles aussi, associées à des vins qui sauront les magnifier !
Jambon blanc
& morgon 2017
du domaine Marcel Lapierre
L’un des rares à se
marier avec un rouge
Le plus connu mais aussi le
plus dévoyé des jambons est
le jambon blanc, ou jambon
de Paris. Cuisse de cochon
cuite dans un bouillon, il est
ensuite désossé et taillé en
tranches. Ingrédient phare
du jambon-beurre, il est
aussi délicieux à déguster en
fine chiffonnade à l’apéritif.
Mais c’est surtout l’un
des rares jambons à se marier
avec bonheur avec un vin
rouge. Ici, notre choix s’est
porté sur un morgon
du domaine Marcel Lapierre,
tout en fruit et gourmandise.
Ce domaine, précurseur
dans l’élaboration de vins
dits “nature”, propose une
cuvée qui s’allie parfaitement
avec la délicatesse de notre
jambon aux notes douces
et au gras fin. Cet accord
canaille, efficace et classique,
fonctionne à merveille.
Chorizo
& coteaux-du-vendômois
rosé 2018 du domaine Colin
Un rosé qui contre
les notes épicées
Originaire d’Espagne, le cho-
Art de vivre
Accords vins & jambons
rizo est une charcuterie
de caractère au profil plus
ou moins piquant. Il est
donc important qu’elle soit
réalisée avec équilibre pour
ne pas perdre les saveurs de
la viande au profit des épices.
C’est le pimenton, variété
de piment proche du paprika
qui lui confère sa couleur
et son piquant. Pas si évident
donc à accorder.
La rencontre avec cette cuvée
de pineau d’aunis de la Loire
(vinifié ici en rosé) est
diabolique. Le vin se montre
capable d’affronter notre
effronté chorizo et d’en
contrer les notes épicées.
L’un et l’autre se répondent
à merveille et le balai des
saveurs est de haute volée.
Saucisson
& mondeuse 2018
du domaine Belluard
Un blanc énergique
lui sied à merveille
Saucisson, béret et baguette,
voilà ce qui illustre le plus
souvent la France à
l’étranger ! Cette charcuterie
dont la recette remonte à
l’époque romaine demeure
un indispensable de nom-
breux moments de convivia-
lité. Artisanal, il doit offrir
un parfait équilibre entre
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 61
maigre et gras, et surtout
bénéficier d’un parfait temps
de séchage. Pour lui tenir
compagnie, la tradition
recommande un verre de
beaujolais… pourquoi pas.
Un blanc sec est aussi très
à l’aise, mais c’est avec
une mondeuse de Savoie du
domaine Belluard que nous
avons trouvé le bonheur. Ce
vin énergique et gourmand
tient tête à notre saucisson.
Lonzu
& champagne
Terre de Vertus 2012
de Larmandier-Bernier
Il appelle la fraîcheur
d’un champagne
Ce morceau de filet maigre
de cochon corse est affiné.
Il se révèle très intéressant,
avec un gras de couverture
qu’il ne faut pas enlever.
L’équilibre entre la partie
maigre et la partie grasse
donnant toutes ses saveurs
à ce produit relevé par
un poivre tonique. Affiné
longuement, celui que
nous avons dégusté est d’une
remarquable puissance.
Il appelle la fraîcheur
d’un champagne. Ses saveurs
semblent capables de jouer
avec la patine d’une bouteille
de quelques années. Un
Blanc des Millénaires 2004
de Charles Heidsieck fonc-
tionnait bien, mais, au final,
c’est vers les notes iodées et la
vivacité d’un Terre de Vertus
2012 de Larmandier-Bernier
que l’accord a penché.
Bresaola
& vinho verde
Via Latina 2018
L’harmonie avec
un blanc portugais
Contrairement à toutes
les autres charcuteries,
la Bresaola della Valtellina
est réalisée à base de viande
de bœuf. Cette spécialité de
Lombardie bénéficie d’une
Indication géographique
protégée qui garantit son
élaboration sur place, mais
hélas ! pas la provenance des
bœufs (souvent d’importa-
tion). Réalisée dans les règles
de l’art, elle reste très moel-
leuse et fondante en bouche.
Viande assez maigre, elle
se marie aussi très bien en
carpaccio avec du parmesan.
Nous lui avons trouvé
un accord surprenant avec
un vinho verde portugais,
produit dans le nord-ouest
du pays à base d’alvarinho
et dont l’esprit frais, vif et
immédiat s’harmonise avec
cette viande au goût légère-
ment fumé et puissant.
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 Art de vivre
C’est comme ça et pas autrement
La Romanée-Conti : elle doit
beaucoup à la République
L
e croira-t-on ? La Romanée-Conti est à sa manière
un vin républicain. Un détour par l’histoire du
domaine est nécessaire pour illustrer ce paradoxe.
En 1760, le climat le plus célèbre de Bourgogne, dont le
caractère exceptionnel avait été distingué par les cister-
ciens dès le Moyen Âge, a en effet été acquis par Louis-
François de Bourbon, sixième prince de Conti.
Cette maison turbulente n’a pas donné naissance qu’à
des serviteurs des rois de France. Les lecteurs des Mémoires
du cardinal de Retz se souviennent du rôle joué par
Armand de Bourbon, deuxième prince de Conti et frère
du Grand Condé, pendant la Fronde. Le 8 février 1649,
lors du combat de Charenton opposant les troupes du roi
menéesparsonfrèreàcellesdelaFrondeparlementaire,il
était àlatêtedesinsurgés.C’estàl’occasiondecettebataille
romancée par Alexandre Dumas dans Vingt ans après que
La Rochefoucauld, l’auteur des Maximes, a été blessé à la
gorge par un coup de feu.
Quelques mois plus tard, les Frondeurs ont été éloignés,
mais les princes du sang n’ont jamais renoncé à prendre
leur revanche sur la Couronne. C’est ainsi que Louis-
François de Bourbon, le sixième prince de Conti, un long
siècle après toutes ces querelles, faisait figure de chef de
file del’oppositionprincièreàLouisXVàlafindesavie.On
l’apprend en lisant la biographie que lui consacre Laurens
Delpech (Le Prince de la Romanée-Conti, Flammarion).
Aucommencementdesacarrière,leprince,dontlenom
a été accolé au vin de la Romanée pour la suite des siècles,
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 63
« En 1794, c’est
l’administration
de la Ire République
française qui
a joint le nom
de Conti à celui
de la Romanée »
Par Sébastien Lapaque
Écrivain,
chroniqueur
littéraire
et solide buveur
était pourtant plutôt dévoué au roi, même si ce dernier
s’est toujours méfié de ses ambitions et de sa réputation de
libre-penseur. Colonel de cavalerie à 16 ans, maréchal de
camp à 17, il fut un excellent militaire avant de devenir un
fin diplomate.
Agnostique et franc-maçon, le petit-neveu du Régent
ne tarda pas à s’éprendre des idées nouvelles et à se lier
avec Rousseau et Beaumarchais. En 1756, pour divers
motifs dans lesquels entre l’opposition des Parlements,
des jansénistes et des adversaires du renversement des
alliances – l’alliance traditionnelle entre la France et la
Prusse contre la Grande-Bretagne et l’Autriche ayant été
changéeenunealliancedelaFranceetdel’Autrichecontre
laGrande-BretagneetlaPrusse–,laruptureavecleroiétait
consommée.
Pendant vingt ans, Louis-François de Bourbon fit
partie des Grands du royaume qui donnèrent l’assaut
à la monarchie absolue, entraînant sa chute en 1789.
Durant cette nouvelle Fronde, le sixième prince de Conti,
homme de plaisirs couvert de femmes, acheta à la famille
Croonembourg la vigne de la Romanée qui allait devenir
la Romanée-Conti. En 1794, c’est l’administration de la
Illustration : Stéphane Manel
PremièreRépubliquefrançaise(septembre1792-mai1804)
qui a joint le nom du dernier propriétaire du domaine
vendu comme bien national à celui de la Romanée. À
l’époque de la Convention !
C’est ainsi, et pas autrement, que le vin qui régale les rois
doit son nom à des coupeurs de têtes.
 Art de vivre
Spiritueux

Dix spiritueux Concentrés d’arômes

et de saveurs parfois
oubliés, ces eaux-de-vie

complètement bio nous plongent au cœur

de terroirs revitalisés.
De la Suède au Brésil,
une passionnante
exploration. Par Cyrille Mald

L
e vert a la cote : les spiritueux biologiques s’affirment
en même temps que la demande des consommateurs
progresse. Une évolution qui s’inscrit dans le projet
d’un développement durable, et connaît de beaux succès.
En culture parcellaire sur un sol vivant, les céréales,
1 DOMAINE
DES HAUTES GLACES
Ceros, Single Rye Organic Whisky, Isère, 53 %
Cette ferme-distillerie des Alpes
les plantes aromatiques, les baies (et autres fruits) possède ses propres cultures d’orge,
retranscrivent les qualités de leurs terroirs, eux-mêmes de seigle… qui tournent sur
façonnés par les variétés de sols, le climat et le savoir-faire les parcelles pour en assurer
des cultivateurs et distillateurs. la revitalisation. Le domaine
des Hautes Glaces se distingue
Cette approche écologique se couple souvent à une volonté aussi par l’exploitation
de préservation de variétés anciennes : les rendements sont en propre d’aires de maltage,
plus faibles, mais les arômes plus intenses, car quels que par la longueur des fermentations
soient les nutriments contenus dans le sol, ils sont concentrés et des distillations dans
dans moins de céréales, de fruits ou de plantes – des matières des alambics artisanaux à feu nu
de petites contenances. Le seigle
premières exemptes d’intrants chimiques de synthèse, utilisé pour cette édition limitée
d’OGM, de traitements ionisants. provient de la moisson 2015
Partout en France et dans le monde, ce qui est recherché du climat Les Gabert. Les fûts roux
n’est pas la rentabilité, mais la qualité artisanale des produits… de vin jaune et de cognac utilisés
pour l’élevage donnent au whisky
Et le résultat se lit ici dans le verre. un profil aromatique aussi
La plupart de ces flacons sont disponibles sur les sites marchands atypique que merveilleux, partagé
des producteurs et dans les boutiques en ligne spécialisées, entre le seigle torréfié, la menthe
comme naturopolis.fr, mydistillerie.com. poivrée et le chocolat, mais
également l’ardoise, les olives
noires et la tarte aux noix.
154 € les 70 cl

2 SANTANERA
Organic tequila blanco, # BatchPiedra
Lote : Tobla-20, Mexique, 42,04 %
Seules 0,5 % des tequilas sur le marché
possède une certification bio, car il faut
produire ses propres agaves bleus
pour assurer une complète traçabilité
« de la terre au verre ». Deuxième jima (coupe
des feuilles) avant la charge en four à pierre
3 CAZOTTES
Goutte de Prunelart, eau-de-vie
de raisin passerillé, Tarn, 45 %
volcanique, usage de levures indigènes, Les vergers et les vignes du domaine
fermentation en onze jours, coupes sont cultivés en agriculture bio
longues des têtes et des queues : chaque triplement certifiée, avec des pratiques
cuvée porte le nom de la parcelle dont biodynamiques. Le prunelart, ancestral
les agaves ont été extraits, afin d’exprimer cépage gaillacois, a été distillé, après
pleinement leur terroir. passerillage, dans un vieil alambic
Ici, la minéralité des roches du Ceboruco, à entraînement à la vapeur à trois vases
à 1 400 mètres d’altitude, sur les contreforts en série couplés à une colonne de type
du volcan de Tequila, offre des tonalités Stupfler et refroidissement à serpentin.
Photos : D. R.

d’argile fraîche, de galet de plage, de pierre Des notes racées de pamplemousse,

de lave, soulignées par la goyave et l’agave d’arbouse et de sureau s’ourlent
cuits, les fleurs de violette et les graines de touches de marjolaine,
de moutarde. Quand l’agave bleu devient de pimprenelle et de bigarreau.
vert ! 136 € les 70 cl Envoûtant. 58 € les 50 cl

64 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021

 Art de vivre
Spiritueux

4 LACHANENCHE
La Roche Bénite, pastis bio
Alpes-de-Haute-Provence, 45 %
5 MAISON HÉROUT
Blanche d’Alambic,
eau-de-vie de cidre, Manche, 40 %
Cette maison, fondée en 1946 sur
On ne présente plus cette distillerie d’altitude
la presqu’île du Cotentin, est précurseur
aux portes du Mercantour, où la biodiversité est
de la production cidricole bio
l’une des plus riches d’Europe. La badiane y est distillée
d’excellence en méthode ancestrale.
lentement, à faible pression, dans un alambic à double
Baigné par le climat océanique, le verger
retors de 1907, tandis que les plantes des Alpes
de dix hectares, en enherbement
(grande armoise, sarriette, hysope, génépi…) infusent,
intégral, est implanté sur un sol
donnant toute sa fraîcheur (estragon, lavande sauvage)
de sédiments schisteux et gréseux,
et sa spécificité (serpolet, angélique) à ce pastis des Alpes
complétés de granites. Il est constitué
de Haute-Provence.
de 25 variétés de pommiers de haute
40 € les 70 cl
et basse tige, dont la Rouge de Cantepie,
initialement endémique au domaine.

6
Cette eau-de-vie florale (fleur
LES VERGERS de pommier) et fruitée (pomme
D’ARLETTE fraîche), d’une extrême délicatesse,
Waldmeister (aspérule odorante), restitue pleinement la vivacité
liqueur de plante, Bas-Rhin, 38 % légèrement amère des cidres issus
Cette plante aux magnifiques de ce magnifique terroir. 48 € les 70 cl
fleurs blanches étoilées libère,
en séchant, des arômes
caractéristiques de fève de tonka,
d’angélique, d’herbe de bison
et de foin fraîchement coupé.
Des parfums dus à la présence
abondante, dans sa racine
7 NEISSON
L’Esprit Bio, rhum blanc agricole,
Martinique, 70 %
et ses tiges, d’une substance Fraîcheur et complexité
naturelle : la coumarine. aromatique caractérisent ce grand
Une trame aromatique ici cru du Carbet. La fleur de canne
magnifiée par la distillerie souligne la banane verte
artisanale de Vœllerdingen, dont et le mangoustan, glissant vers
le verger est entièrement cultivé le végétal subtil des fermentations
en biodynamie. 24 € les 35 cl longues. Les strates aromatiques
n’en finissent plus de s’accumuler,
oscillant entre groseille blanche,
agrumes riches et fruits exotiques.

8
L’ensemble est mis en relief par
DWERSTEG DESTILLERIE une belle tonicité.
Pax Organic Vodka, Allemagne, 40 % 66 € les 70 cl
Créée il y a près de 140 ans, cette distillerie
familiale produit des spiritueux artisanaux
à partir de matières premières biologiques
et équitables depuis 1996. Même le papier

9
d’impression est issu de cultures certifiées FSC,
tandis que l’ensemble de la production est ABELHA
alimenté en électricité verte. Cette vodka est issue Cachaça, 3 ans, Brésil, 39 %
du meilleur épeautre de Westphalie, cultivé Cette cachaça artisanale
dans l’une des plus anciennes fermes d’Osnabrück. d’une grande élégance est
Il a été finement torréfié pour développer élaborée à partir de cannes à sucre
des arômes maltés incomparables. récoltées sans brûlis par
39 € les 70 cl un collectif de fazendas (fermes)
biologiques de Rio de Contas
à 1 200 mètres d’altitude,
aux abords du parc national

10 SPIRIT OF HVEN
Organic Aquavit, Suède 40 %
Dans le détroit d’Øresund, entre le Danemark
de la Chapada Diamantina (État
de Bahia). Le cœur de chauffe est
laissé à maturation plusieurs mois
dans des cuves en inox et élevé
et la Suède, l’île de Ven (Hven pour les Danois) trois ans dans de petits fûts
abrite quelques-uns des meilleurs agriculteurs de 250 litres en bois de garapa.
de Suède, ainsi que la distillerie Spirit of Hven. Cette essence accentue le profil
Celle-ci propose un aquavit aux notes claires miellé de cette boisson, qui
de carvi associées à la fraîcheur du millepertuis, développe aussi des arômes
des oranges et citrons de culture biologique de fleurs de canne, de freesia,
et une pointe de mochaccino. Il peut être servi de bois de santal, de pêche jaune
pendant le repas, ou en apéritif sur de la glace, et d’épices chaudes (safran, fève
assorti d’une tranche d’orange. de tonka). 41 € les 70 cl
38 € les 50 cl
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 65
 Haut-Marbuzet
La flamboyance
du style Duboscq
Photos : D. R.

Le pittoresque Henri Duboscq a fait de Haut-Marbuzet un des vins les plus célèbres
de Bordeaux. Aujourd’hui, ses fils reprennent peu à peu l’exploitation pour faire
la synthèse entre l’originalité paternelle et le goût plus classique de Saint-Estèphe.
Reportage et dégustation de Pierre Casamayor

66 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021

 De vigne en cave
Vie de château
C
’est la star absolue des années 1980-
1990. Haut-Marbuzet était à cette
époque l’enfant chéri des ama-
teurs, séduits par son style extraverti et
séducteur, en vin jeune comme après des
années de garde, un exploit à une époque
où les saint-estèphe ne sortaient de leur
gangue d’austérité qu’au bout d’une longue
patience. Ce qui allait de pair avec de vio-
lentes critiques des gardiens du temple :
la “pute” du Médoc, disait-on ou pouvait-on lire dans les
gazettes ! Le “flamboyant”, aurait-on dû préciser. Le vin de
Haut-Marbuzet était un don Juan auquel nul amateur ne pou-
vait résister et cela faisait enrager les marques les plus hup-
pées. Il formait d’ailleurs un duo de francs-tireurs avec Jean
Gautreau de Sociando-Mallet, l’un avec le merlot, l’autre avec
le cabernet-sauvignon, pour des pieds de nez à la morgue des
crus classés.
UN VIGNOBLE RECONSTITUÉ
L’histoire commence en 1952 lorsqu’un homme, Hervé
Duboscq, issu d’une famille modeste, ce qui peut nourrir
l’idée de s’enrichir, acquiert quelques hectares en viager sur
la commune de Saint-Estèphe. Ce ne sont pas les meilleures
parcelles, mais elles vont initier la saga Duboscq. Elles pro-
viennent d’une propriété appartenant à la famille Mac Carthy,
négociants aux Chartrons à la fin du XIXe siècle, le domaine
est alors morcelé et en voie de dispersion. Ces terres vont petit
à petit tomber dans l’escarcelle de la famille Duboscq, car
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 67
c’est une époque où les vignes se vendent
à des prix plus que raisonnables, aux anti-
podes des sommets surréalistes actuels. Le
vignoble s’agrandit donc peu à peu, il atteint
aujourd’hui les 75 hectares. L’ancienne pos-
session des Mac Carthy est alors reconsti-
tuée, avec l’acquisition plus tard des meil-
leurs terroirs. Henri Duboscq en évalue la
proportion aujourd’hui à quelque 20 %.
Enfin presque, car au beau milieu trône le
très aristocratique château de Marbuzet avec sa colonnade,
une folie construite, dit-on, pour les beaux yeux d’une dan-
seuse du Grand Théâtre de Bordeaux, aujourd’hui possession
du tout aussi théâtral Cos d’Estournel. Pour les Duboscq, la
danseuse, ce sera le vin.
On peut distinguer douze parcelles sur la croupe de
Marbuzet, vers Pomys et le Houissan. Dans le lot, l’entité de
Chambert Marbuzet, 7 hectares sur la haute terrasse, un temps
second vin, aujourd’hui vinifiée à part, présente un style dif-
férent car plus riche en cabernet-sauvignon, au contraire
de Tour Marbuzet, 7 hectares sur des sols argileux de contre-
croupe en majorité merlot. Pour le grand vin, c’est le sommet
de la croupe, près du village, séparé de celui de Cos d’Estournel
par une combe.
UN ENCÉPAGEMENT ATYPIQUE
Henri Duboscq se plaît à dire : « Je fais le vin que j’aime ». On
devrait dire le vin qui lui ressemble : enjôleur, volubile, un vin
d’amour et de certitudes. Coup de chance, coup de génie ou
Henri Duboscq et ses fils
La saga Duboscq
continue et si Henri,
cet homme haut
en couleur, théâtral
et séducteur, a porté
Haut-Marbuzet
au firmament
de la renommée,
les épisodes suivants
ont fait entrer Bruno (à g.)
et Hugues dans
cette histoire de famille,
entièrement au service
de ce cru de Saint-Estèphe.
La continuité semble
assurée, même
si chaque génération
apporte sa sensibilité.
 De vigne en cave
Vie de château
Haut-Marbuzet
en 15 millésimes
Bien difficile de classer les vins à boire ou à attendre tant
le charme juvénile est ici évident. On peut cependant
conseiller deux à trois ans de garde avant d’ouvrir,
mais la belle alliance auteur-terroir se révélera dans toute
sa complexité vers les dix ans. Quant aux vieux millésimes,
ils démontrent la grande capacité de garde de ces vins,
alors que l’on pourrait penser le contraire lors de leur sortie.
2018 Un joli fruit rouge occupe le nez, avec un ton boisé
discret, une belle note florale, de violette. Bouche pleine,
96/100 sur un fruité intense et précis, avec des tanins veloutés,
une trame sapide, un grand équilibre. Le style est plutôt
classique, le charme immédiat en prime.
2017 Le nez est plus grillé, avec des épices. Le boisé est plus
présent, mais il y a encore du floral, un fruité intense.
93/100 Bouche plus carrée, avec des tanins plus structurants,
mais le toucher est bien là. Belle finale tonique où le fruit
reprend la vedette. Un autre style, plus linéaire.
2016 Excitante note florale, avec une belle expression fruitée,
96/100
une présence épicée bien fondue. L’aromatique est
plutôt extravertie. La bouche est riche, tendue, avec
de beaux tanins encadrant une matière satinée,
une allonge sur cette subtilité. Un millésime plus raffiné.
Irrésistible aujourd’hui, mais qui sera plus grand demain.
2015 Nez plus mûr, avec du fruit rouge rôti, une présence
épicée marquée, une touche de cuir noble. Bouche ample,
94/100 solaire, avec de la générosité mais toujours cet équilibre.
Le vin finit sur une longueur cacaotée, dans un style plus
sudiste. Le côté flamboyant d’autrefois revient.
2010 Un nez tout en finesse, sur un fruité précis, avec
des notes de pivoine. La bouche est dense mais sans
96/100 pesanteur, avec des tanins riches et veloutés, une finale
très étirée, sapide et expressive, des notes minérales
remontent. Un beau vin qui allie classicisme et
personnalité, il semble déjà sur son plateau de qualité.
2009 De beaux arômes de fruits rouges rôtis, épices douces,
avec un boisé encore présent mais très bien marié
96/100 au fruit. La bouche est très veloutée, presque crémeuse,
avec du gras, une force tannique bien domptée,
une finale assez explosive où la truffe pointe son nez.
Un millésime très extraverti, à saisir sur sa volubilité.
2003 La robe commence à prendre des accents secondaires.
Nez de fruits confits, aux notes fraîches d’herbes
93/100 aromatiques, de cuir et une touche grillée. La bouche
est pleine, généreuse, avec du gras, des tanins peut-être
un peu bloqués par la sécheresse, mais les argiles bleues
des bons terroirs ont réussi à rétablir l’équilibre acide.
Belle finale équilibrée, encore jeune, un 2003 réussi.
68 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
2001 Un nez sur les notes épicées, de cuir, peut-être pas
très net, mais on est là dans un style un peu ancien.
93/100 Bouche pleine, plutôt carrée, loin du style voulu par
son géniteur, mais il y a de la race. Un vin un peu collet
monté, sur son austérité. Il y avait 100 % de bois neuf,
aujourd’hui complètement fondu, c’est la revanche
du terroir de Saint-Estèphe.
1995 Un nez sur une aromatique à l’ancienne, avec du cuir,
des fruits rouges compotés, des épices poivrées,
95/100 de la truffe. Une bouche complexe et très lissée,
veloutée, avec des tanins qui penchent vers l’amabilité
du merlot. Belle finale généreuse, longue et épicée.
Un vrai moment de gourmandise, bien dans le style
du cru dans ces années.
1990 Un nez expressif, avec du fruit encore frais, des notes
96/100
réglissées et vanillées, minérales, une pointe poivrée,
un peu éthéré. Bouche veloutée, lisse et crémeuse,
avec des tanins complètement fondus, une allonge
aromatique complexe. Un très beau vin de grande
séduction qui finit en fanfare, encore sous l’empreinte
du maître des lieux.
1987 Un nez de végétal noble, asperge, menthe, avec
des accents tertiaires, du fruit sec, des épices.
92/100 La bouche est étonnamment pleine pour le millésime,
avec des tanins un peu pointus mais expressifs,
la longueur est plus modeste mais le plaisir est là.
La démonstration qu’Haut-Marbuzet sait réussir
les millésimes sans envergure.
1985 La robe est un peu tuilée et le nez un peu iodé, avec
du fruit rôti et grillé, des notes d’encaustique, de cèpe.
95/100 La bouche a la conversation d’un vieux claret
de qualité, avec des notes de bonbon à la fraise,
une trame tannique fondue mais encore encadrante,
une finale fruitée à souhait, dans un registre encore
alerte. La magie des vieux vins.
1982 Des arômes de cacao, cuir, jus de viande, épices douces,
camphre, truffe, avec une bouche expressive.
96/100 Les tanins sont encore satinés. Finale très sapide, sur
le cacao, le pain d’épices, les fruits grillés, le vin a gardé
le style Duboscq avec toute sa faconde.
1978 Nez complexe, un peu décadent avec des notes
de vernis, fruits à l’eau-de-vie, angélique, havane.
93/100 Bouche très lisse, avec des tanins un peu évanouis, mais
sa belle aromatique finale dévoile toute la complexité
d’un vin d’auteur qui revient vers son terroir.
1970 Le nez a gardé de la jeunesse, avec une belle présence
fruitée, une touche de rose fanée racée. Une bouche
96/100 pleine, étonnamment fraîche et jeune, avec des tanins
très fondus, une belle suavité en finale. Alors que bien
des 1970 sont morts debout, celui-ci est encore vivant.
 De vigne en cave
Château Haut-Marbuzet
Premiers crus classés. Il sera le chantre de ces éle-
vages et expliquera à ses auditoires médusés les
différentes qualités des bois de futaille : Tronçais,
Nièvre, Vosges, Limousin, Jupille. Chacun appor-
tant ses qualités ou ses défauts et convenant à tel
ou tel millésime. Tâtonnements, bifurcations,
retours en arrière, le parfait équilibre a demandé
du temps, mais la proportion sera ajustée chaque
année, tout comme l’assemblage des parcelles. Un
dosage très personnel, la signature de ce diable de
vigneron.
« Mon vin est viril parce que de Saint-Estèphe, mais il
estcaressantparce que de moi ». Ce vin serait-il trans-
sexuel ? Un travail de magicien plutôt, car avec
des vignes jeunes et des terroirs modestes, Henri
Duboscq a fait des miracles. Un vin irrésistible
dans sa jeunesse du moins, car après une dizaine
d’années de garde, il échappait à son géniteur
pour retrouver les gènes de son terroir.
Unesignature plébiscitée par tout ce qui compte
à Paris et ailleurs, les trompettes de la renommée
Un nouveau chai a été édifié, où s’affiche la devise d’Henri Duboscq, “Qualité est ma vérité”. sont entonnées par des Maurice Druon, Hubert
L’élevage des vins est passé de 100 % de bois neuf à 75 % aujourd’hui. Monteilhet, Michel Charasse. Tous succombent
au charme de ce macho à la sensibilité féminine.
marketing avant l’heure, le vin qu’il aime est adoré des clients. Un jour, Fernand Cousteaux, rédacteur en chef de La Dépêche
Mais lorsqu’Henri rejoint son père en 1962, le vin se vend mal, du Midi, lui dit : « Vous êtes un exhibitionniste de l’émotion… et ça
lenégocen’achètequ’àbasprix,ilfautcoupercecordonombi- marche!». Cette trilogie merlot/maturité/bois neuf allait d’ail-
licalaveclesystèmebordelais.Haut-Marbuzetsevendradonc leurs inspirer nombre de vignerons en quête de notoriété.
en direct, avec constitution d’un fichier de fidèles, un sys-
tème qui le fera taxer de vin “commercial”, comme si le but de L’ÉVOLUTION DES TECHNIQUES
chaque vin n’était pas d’être vendu ! Maiscela,c’étaitavant!Lesvignes ont pris de l’âge, tout comme
Pour faire le vin qu’il aime, Henri Duboscq va imposer leur propriétaire ; les fils d’Henri sont entrés dans l’aventure,
sa propre vision du saint-estèphe : tout d’abord du merlot, Bruno à la technique et Hugues au commerce, ce sang neuf a
encoredumerlot,avecsongrasetsonmoelleux,sestaninsplus fait évoluer les techniques. « Avec l’acquisition des meilleurs ter-
arrondis que ceux de l’austère cabernet-sauvignon. Le caber- roirs et les replantations de merlot sur les magiques argiles bleues qui
net-sauvignon apporte la rigueur et la noblesse régulent l’alimentation en eau, mes vins ont besoin de
médocaine, le cabernet franc sa subtilité, lorsqu’il « Mon vin est moins d’extraction et de bois neuf », constate Henri
n’est pas trop capricieux. Un encépagement aty-
pique donc, mais orienté vers le fruité jeune et des
viril parce Duboscq. Le petit verdot est introduit pour 2 à
5 % en diminuant le cabernet franc, un nouveau
tanins aimables. Ensuite, des maturités poussées, que de Saint- chai est édifié, avec des cuves plus petites pour
un exercice d’équilibriste en millésime pluvieux Estèphe, mais parcelliser, inox ou bois. On introduit la thermo-
car Henri Duboscq veut garder ses levures indi-
gènes et s’interdit donc les anti-botrytis, mais un caressant régulation, on lève le pied sur les températures
de fermentation, limitées à 30° C. La fréquence
exercice qui porte les polyphénols à maturité et parce que des remontages est diminuée. On se contente de
donc à des tanins veloutés. de moi » 75 % de bois neuf en se recentrant sur les bois de
Tronçais.Uneévolution qui garde le style maison,
UN ÉLEVAGE DÉTONNANT mais revient vers une certaine orthodoxie bordelaise.
La viticulture est cependant des plus classiques, avec des façons Henri n’a pas voulu que ses fils passent le diplôme d’œno-
culturales traditionnelles : travail du sol, ébourgeonnage et logue : « Vous trouverez toujours un bon œnologue pour vous
rognage, traitements raisonnés, sauf sur 7 hectares près du vil- conseiller ! ». Bernard Grandchamp, ancien de Cheval Blanc,
lage où le bio vient rassurer les habitants. Tri à la vigne, puis au apporte son expertise des terroirs, mais ne rentre pas au chai,
chai, éraflage. C’est à la cave qu’Henri Duboscq sonne la charge. Henri Duboscq reste maître des lieux. « Je suis l’œnophile de Haut-
Il privilégie à l’époque les cuves béton, avec des fermentations à Marbuzet, je continue à faire mon vin », affirme-t-il. Il a inculqué
très haute température – on peut friser les 35° C –, des remon- ses principes à ses fils et leur a délégué des pouvoirs, mais reste
tages bi-quotidiens, des saignées, de longues cuvaisons, bref, cependant aux manettes derrière la superbe table d’assem-
de fortes extractions pour des vins puissants, capables d’af- blage qu’il a fait édifier avec vue sur le vignoble : « C’est ma der-
fronter son dernier credo : 100 % de bois neuf, à l’instar des nière folie ! Lorsque je goûte la cuve n° 5, je peux voir d’où vient le vin ».
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 69

Château Haut-Marbuzet
Henri Duboscq et son fils Bruno travaillent un vignoble dont les premières parcelles de vignes ont été acquises en 1952. Il atteint aujourd’hui 75 hectares.
Un vin qui est devenu une parfaite
synthèse entre la notion de vin d’auteur
et l’expression d’un terroir, peut-être
moins flamboyant qu’autrefois mais avec
un côté plus sérieux, une profondeur et
une élégance supérieures. Saint-Estèphe
reprend ses droits et l’ovni des débuts a
atterri dans son appellation.
UN STYLE SINGULIER
Si les anciens clients regrettent les côtés
grillés et vanillés des débuts, tous restent
des inconditionnels de ce vin singulier,
un vin délicieux dans sa jeunesse mais
que l’on aurait tort de ne pas laisser
vieillir, une signature qui a conquis ses
lettres de noblesse. Le vin des jouis-
seurs est devenu celui des gourmands
tempérés, à l’instar du très vert maire
de Bordeaux Pierre Hurmic qui, lors-
qu’on lui demande s’il ne boit que des
vins bio, avoue son penchant pour Haut-
Marbuzet, quitte à perdre des voix dans
son camp pour en retrouver dans l’autre.
De vigne en cave
Le domaine
en détail
Appellations : Saint-Estèphe,
Cru bourgeois exceptionnel en 2003,
n’a pas postulé au nouveau classement.
Surface : 75 hectares.
Sols : graves günziennes, sous-sol
calcaire, alios et argiles bleues, entre
Cos d’Estournel et Montrose.
Encépagement : 55 % merlot,
40 % cabernet-sauvignon,
3 % cabernet franc, 2 % petit verdot,
âge moyen des vignes : 50 à 60 ans.
Viticulture : classique, une partie en bio.
Vinification : égrappage et foulage,
léger sulfitage, fermentations en cuves
béton, inox et bois.
Élevage : 12 à 18 mois dans 75 % de bois
neuf, 3 à 4 soutirages, collage au blanc
d’œuf, légère filtration avant mise.
Proportion de Grand vin : 60 %.
Second vin : Mac  Carthy.
70 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
On avait coutume de qualifier Haut-
Marbuzet de vin à la jupe fendue, tout
un programme… Depuis le mouvement
#MeToo, on y a cousu quelques boutons !
Note de l’auteur : J’amenais chaque année la
promotion des futurs œnologues de Toulouse
en visite dans le vignoble bordelais et ne man-
quais pas de leur faire écouter le discours d’Henri
Duboscq, qui prenait un malin plaisir à leur
exposer l’exact contraire de ce qu’ils avaient
appris à l’école. À un élève qui, s’inquiétant des
montées de température en fermentation et des
risques de volatile, lui dit : « Mais alors, vous allez
à Lourdes ! », Henri Duboscq répondit : « Non,
jeune homme, c’est Lourdes qui vient à moi ! ».
Certains étaient déstabilisés, d’autres en ont
fait leur miel, cela leur a sûrement appris que la
technique n’est pas tout et que les vins d’auteur
peuvent transgresser les règles, car tous se rejoi-
gnaient sur la notion de plaisir évidente qui se
dégageait à la dégustation. Les discussions dans le
bus du retour étaient animées ; vingt ans après, les
anciens que je rencontre s’en souviennent encore.
 De vigne en cave
Une appellation, deux styles
Châteaux Jean Faure
et Beau-Séjour Bécot
Saint-Émilion :
cap vers la fraîcheur
Arrivés respectivement en 2014 et en 2018,
Julien Barthe, du château Beau-Séjour
Bécot, et Marie-Laure Latorre, du château
Jean Faure, accentuent le virage
de Saint-Émilion vers des vins plus fins.
Texte et photos : Roberto Petronio
L
es crus classés de Saint-Émilion ont connu un bel essor
dans les années 1990-2000 grâce à des vins puissants,
riches et très boisés. Un style élaboré par quelques
œnologues de renom, tel Michel Rolland, pour séduire le
célèbre critique américain Robert Parker.
Jouxtant le village de Saint-Émilion sur un plateau calcaire
où le merlot s’épanouit pleinement, le château Beau-Séjour
Bécot s’est inscrit dans cette mouvance. Mais avec l’arrivée
d’une nouvelle génération aux commandes, le style a évolué
vers davantage de finesse et de fraîcheur.
À l’autre bout de l’appellation, dans la prolongation du pla-
teau de Pomerol, le château Jean Faure est situé à quelques pas
de château Cheval Blanc. Son vignoble repose sur des sols où
se mélangent sable et argiles. Les argiles profondes sont de
même nature que celles que l’on retrouve à Pétrus. Un terroir
approprié au cabernet franc, tandis que la maturité du merlot
doit être contenue. Le vin possède un caractère d’un naturel
frais et élancé.
Malgré leurs différences de terroir et de profil, ces deux crus
majeurs poursuivent le même objectif : redéfinir l’équilibre
du grand saint-émilion d’aujourd’hui et de demain. Des vins
orientés vers moins d’opulence et de richesse, qui privilégient
la fraîcheur et l’élégance pour ciseler l’identité de leur terroir
avec précision et pureté.
LA PUISSANTE MINÉRALITÉ DE BEAU-SÉJOUR BÉCOT
Contigu à Saint-Émilion, le vignoble de Beau-Séjour Bécot
repose sur une épaisse dalle calcaire, dont le matériau pier-
reux en sous-sol a servi à construire le village. Propice au
merlot, son terroir chaud donne des vins amples mais tou-
jours guidés par une puissante minéralité due à la présence
du calcaire.
72 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
Julien Barthe a pris les rênes du domaine de sa belle-famille
en 2014, misant sur des vins plus accessibles jeunes, des vins
tendus et frais mais surtout moins opulents. Il y est parvenu
en vendangeant plus tôt, en introduisant partiellement de la
vendange entière dès 2017 et en utilisant un peu moins de fûts
neufs. Pour abonder dans cette quête de fraîcheur, les jeunes
vignes sont plantées nord/sud et non plus est/ouest.
À l’arrivée, Beau-Séjour Bécot a perdu en surépaisseur et a
gagné en profondeur, avec un fruit plus précis et plus frais, un
boisé moins envahissant que par le passé, tout en ayant pré-
servé son beau potentiel de garde.
JEAN FAURE, ÉLANCÉ ET RACÉ
Situé à l’extrême nord-ouest de l’appellation, le vignoble du
château Jean Faure repose, lui, sur un sol argilo-sableux don-
nant de magnifiques résultats avec le cabernet franc. Depuis
son rachat en 2002 par Olivier Decelle, propriétaire de Mas
Amiel dans le Roussillon, il a été cultivé en agriculture biolo-
gique, puis conduit en biodynamie. Un mode cultural qui a
permis de redonner vie à ce superbe cru.
Arrivée en 2018 comme directrice technique, Marie-Laure
Latorre fait partie de cette génération de vinificatrices qui
refuse les vins opulents et surboisés. « J’aime les vins fins et frais,
mais avec de la tenue. Dès mon arrivée, j’ai tout vinifié sans soufre afin
d’obtenir un fruit encore plus pur », s’enthousiasme-t-elle.
Résultat : Jean Faure a gagné en épure et en précision au
cours des derniers millésimes, tout en confortant la singu-
larité de son terroir. Avec un assemblage où domine de plus
en plus le cabernet franc (grâce aux argiles lui évitant le stress
hydrique) et un usage très modéré du bois neuf, Jean Faure se
montre élancé, racé, avec une fraîcheur presque innée. Il s’af-
firme comme l’un des crus majeurs de Saint-Émilion.
Château Jean Faure Château Beau-Séjour Bécot
Agriculture biodynamique Agriculture raisonnée
Bouteilles : 60 000 Bouteilles : 85 000
33330 Saint-Émilion 1, lieu-dit La Carte,
Tél. : 05 57 51 34 86 33330 Saint-Émilion
Site : www.jeanfaure.com Tél. : 05 57 74 46 87
Site : www.beausejour-becot.com
 Les vinificateurs Julien Barthe
et Marie-Laure Latorre défendent
tous les deux une vision modernisée
du vin de Saint-Émilion.

Deux crus qui s’affirment
en cinq millésimes
Millésime 2014
CHÂTEAU
BEAU-SÉJOUR BÉCOT
Son parfum légère-
ment crémeux semble
patiné par une prise de
bois qui atténue l’éclat
de son fruit tout en pré-
servant le tempérament
solaire de son terroir.
Doux à l’attaque, il offre
une finale qui fait ressortir
la puissance des calcaires
par son allonge, même si l’on
reste davantage dans la pulpe
du fruit que dans l’énergie du
minéral.
CHÂTEAU JEAN FAURE
Au nez, il donne un sen-
timent de verticalité car
son fruit se montre vif.
Plus pointu et ciselé
que Beau-Séjour Bécot,
il paraît aussi plus sep-
tentrional tant dans ses
parfums que dans l’éclat
de son fruit. Par effet de
contraste, la bouche,
dense, surprend par son
amabilité et ses tanins
fins qui laissent augurer une
belle garde.
Millésime 2015
CHÂTEAU BEAU-SÉJOUR BÉCOT
Son fruit d’une belle matu-
rité semble mieux intégrer
son élevage sous bois. Il pos-
sède du gras, de l’allonge,
une pointe d’amertume. On
a la sensation d’une barre
calcaire en finale, tandis
que la perception de son sol
chaud ressurgit à travers son
fruit solaire. Un vin dont les
différents éléments ne sont
pas encore liés à ce stade.
Laissons-le grandir.
De vigne en cave
Une appellation, deux styles
CHÂTEAU JEAN FAURE
Le nez balance entre les
notes de violette, de graphite
et de framboise. Malgré la
maturité du millésime, son
fruit reste vif et pointu. Plus
charnu que 2014 tout en res-
tant fin, c’est une véritable
main de fer dans un gant de
velours. À l’inverse de Beau-
Séjour Bécot, il semble lié sur
toute la longueur de bouche
par un fruit très pur et une
matière dense.
Millésime 2016
CHÂTEAU BEAU-SÉJOUR BÉCOT
Son fruit a gagné en éclat et en
épure, tandis que sa fraîcheur
évoque la forêt des Landes.
Sans perdre en profondeur,
il paraît plus élancé avec un
fruit déjà fort appétant. Ici,
le calcaire lui confère une
stimulante fraîcheur. Un vin
équilibré, droit et plein en
bouche.
CHÂTEAU JEAN FAURE
Un mélange subtil entre fruit,
rose et thym parfume le nez.
En bouche, ce 2016 évoque
sans la moindre chaleur la
cerise à l’eau-de-vie, étayée
par des tanins denses et
mûrs. Par son élégance et sa
fraîcheur, ce cru nous révèle
la singularité de ce terroir
majeur de Saint-Émilion.
Millésime 2017
CHÂTEAU BEAU-SÉJOUR BÉCOT
Ce secteur chaud n’a subi
aucun dégât lié au gel. À l’in-
verse, il y a un changement de
cap dans le style. Les merlots
ont été vendangés plus tôt
et vinifiés partiellement en
grappes entières.Sonparfum
74 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
floral précède un fruit tendu,
sans dureté en bouche. D’un
équilibre souverain, il a gagné
en précision, en pureté, en
fraîcheur de fruit. Ses tanins
sont bien plus élégants.
CHÂTEAU JEAN FAURE
Le gel du 20 avril a fait perdre
95 % de la récolte, d’où un vin
composé à 97 % de cabernet
franc. Son nez très frais
s’impose par une touche de
végétal noble à l’accent ligé-
rien. Il précède une bouche
dense et pleine. Un vin serré,
tout en allonge, qui affirme
avec justesse l’épanouisse-
ment du cabernet franc dans
ce secteur de Saint-Émilion.
Millésime 2018
CHÂTEAU BEAU-SÉJOUR BÉCOT
La part d’élevage sous bois
neuf est passée de 75 % en
2014 à 57 % pour ce millésime.
Une partie du vin est égale-
ment élevée en amphores
pour figer le fruit. Derrière
une touche florale, il reste
une petite note beurrée.
Dans ce millésime chaud, les
tanins sont d’un magnifique
soyeux. Son fruit reste gra-
cieux à souhait.
CHÂTEAU JEAN FAURE
Premier millésime vinifié
sans soufre, Jean Faure
trouve son équilibre entre
une fraîcheur presque innée
et la maturité de 2018. Sans
perdre en verticalité, il a
gagné en largeur et en soyeux
avec des tanins très souples.
Millésime après millésime, ce
cru a pris du galon. Fin et déjà
fort plaisant à boire, il nous
surprendra par son potentiel
de garde.
Regards croisés
Julien Barthe
parle de Château
Jean Faure 2019
« J’aime le nez de
ce vin, c’est le plus
dense de la série mais aussi le plus
précis. Si 2018 m’a semblé juteux,
2019 apparaît plus structuré et
plus géométrique dans sa forme.
J’apprécie sa typicité, avec ces notes
de ronce qu’il développe au nez, tout
autant que son caractère affirmé. »
Marie-Laure
Latorre parle
de Château Beau-
Séjour Bécot 2019
« Je trouve qu’il y
a une belle évolu-
tion de ce cru, et ce 2019 est le plus
abouti de la série. Son fruit est très
beau, complexe, avec le calcaire qui
lui apporte une belle concentration
minérale. Malgré cela, il reste d’une
grande “buvabilité”. Le boisé semble
plus chocolaté et plus adapté. On
est moins sur des notes briochées,
comme cela peut être le cas sur les
millésimes antérieurs. Son attaque
suave provient du merlot, tandis que
le calcaire le tient en bouche. »
Conditions
de la dégustation
Les vins ont été dégustés
au château Jean Faure par
Roberto Petronio pour
La Revue du vin de France,
Marie-Laure Latorre pour
le château Jean Faure et
Julien Barthe pour le château
Beau-Séjour Bécot.
©
 De vigne en cave
Les dessous du terroir

Jurançon
Le souffle des Pyrénées
Ce vignoble du Piémont
pyrénéen occupe tradi-
tionnellement les terroirs
précoces pour donner des
vins moelleux. Mais la place
grandissante des vins secs et
le réchauffement climatique
rebattent les cartes. au
Par Sophie de Salettes

«U n prince enflammé » : ainsi

Colette désigne-t-elle,
dans Prisons et paradis,
le fameux liquoreux né sur les pentes
du Piémont pyrénéen. Car si Jurançon
produit de plus en plus de vins secs,
c’est d’abord le royaume des vins moel-
leux issus de petit manseng : des nectars
capables de marier avec brio complexité
aromatique et fraîcheur intrinsèque.
Le terroir de l’AOP est en effet taillé sur
mesure pour pousser vers la surmaturité
ces raisins à l’acidité précieuse. Premier
atout de Jurançon : le foehn, ce
sud chaud et sec qui souffle en a
et provoque le passerillage d
L’importante pluviométrie an
assure par ailleurs aux mansengs une
alimentation en eau et une maturation
régulières. La morphologie du paysage
et le caractère des sols complètent le
tableau.
CIRQUES DE VIGNES
Juranço
uvions et li
vions fluviat
pes sommit
asses de Mo
dingues de
micr
à la s .
ces épaisses assises à galets carbonatés qui mique du chai sont d’autres points mis
arment les coteaux de Jurançon et dessinent les en avant pour expliquer la profondeur
conques caractéristiques de l’AOP. Les vignes des vins de Joliette, dont la rareté et l’his-
sont plantées sur les pentes des cirques ou sur toire mouvementée alimentent aussi la
les versants des reliefs nord-sud », décrit le renommée.
géologue Jean Delfaud, professeur émé- Dans le secteur occidental de l’aire,
rite à l’Université de Pau et expert Inao. les collines formées de molasses argi-
Cartographie : Alexandre Nicolas

Dans la partie nord-est de l’aire, les sols
sont issus de poudingue calcaire, un
conglomérat à galets, entrecoupé de
lits argileux. Gravette et galets siliceux
recouvrent ponctuellement les som-
mets. Les pentes fortes et les cirques
modelés dans la roche génèrent des
Au-delà des qualités de son sol issu
d’une formation de gravettes siliceuses
sur poudingue, riche en concrétions
ferrugineuses, la particularité du célèbre
vignoble de Joliette tient ainsi avant
tout à sa forme de conque. « Un véritable
four ! », estime Jean Delfaud. La densité
76 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
lo-sableuses sont moins escarpées  ;
elles sont séparées par de larges vallons
nord-sud. Les versants orientés à l’ouest
sont plus raides et graveleux que ceux
qui regardent l’est, souvent recouverts
de colluvions. Nous sommes ici dans la
zone la plus précoce de l’AOP. « Le foehn
 De vigne en cave
Jurançon

Les profils
AOP : 1936 (doux), 1975 (sec).
Surface : 1 354 hectares de vignes
sur 6 880 hectares classés (25 com-
munes des Pyrénées-Atlantiques).
Production annuelle :
50 000 hectolitres, dont 70 %
de moelleux et 30 % de sec.
Le jurançon contient plus de 40 g/l
de sucres résiduels, le jurançon
Vendanges tardives plus de 55 g/l,
le jurançon sec moins de 4 g/l.
Rendements autorisés :
40 hectolitres par hectare pour les
vins doux, 60 hl/ha pour les secs.
Densité de plantation minimale :
4 000 pieds par hectare.

Les sols
L’aire d’appellation comprend
trois grands ensembles. Le secteur
D. R.

nord-est repose sur des bancs

Les expositions à l’est de plusieurs parcelles du vignoble de Camin Larredya expliquent cimentés à galets carbonatés et
pourquoi Jean-Marc Grussaute produit plus de vins secs que de moelleux.
lits argileux (altérites rubéfiées) :
s’engouffre dans les vallées ouvertes vers le sud, fois mal-aimées car elles se montraient les poudingues dits de Jurançon
ce qui pourrait en partie expliquer cette dou- incapables de donner des raisins suffi- (Oligo-Miocène). Dans la partie
ceur », suggère Jean Delfaud. Le réseau samment mûrs. Mais le réchauffement nord-ouest, les sols sont issus d’une
hydrographique secondaire dessine climatique et l’évolution des pratiques molasse argilo-sableuse à gravette
des versants nord et sud. Les parcelles viticoles conduisant à l’élaboration de et galets siliceux (Miocène).
de ce secteur orientées au sud sont les vins toujours plus riches et moins vifs, Les sols sont plus acides, même
plus précoces de l’appellation (2) ; et d’au- ces zones plus froides constituent désor- si l’on trouve parfois des passées de
tant plus quand l’altitude est mais une ressource précieuse. calcaire lacustre et du poudingue.
modérée, la position abritée Pour De même que les cépages Le secteur sud repose sur des
des vins
des vents d’ouest, avec des sols secondaires oubliés, qui per- flyschs (Crétacé supérieur), une
argileux caillouteux capables mettent d’obtenir des équi- accumulation de turbidites sili-
de garantir une alimentation moelleux libres en alcool moins élevés. ceuses entrecoupées d’argiles et de
hydrique équilibrée. aériens Cet intérêt pour les sec- bancs calcaires. La cuesta calcaire
La partie sud du territoire est
la plus tardive car la plus froide et des secs teurs tardifs s’est affirmé
assez récemment. Il y a encore
de Lasseube date du Paléocène. Sur
les sommets de l’aire subsistent des
et humide. Les sols sont issus aboutis et vingt ans, les parcelles les plus dépôts continentaux détritiques :
de flysch, une roche sédimen- équilibrés solaires étaient les plus recher- gravette siliceuse du Miocène
taire constituée d’une alter- chées  ; les vignerons cher- et argiles à galets siliceux datant
nance de bancs durs gréseux ou calcaires chaient avant tout à mettre en avant la du Pliocène (Nappe de Maucor).
et de bancs tendres sableux ou argileux. complexité et la puissance du manseng
Des bancs rocheux ayant résisté à l’éro- dans un vin moelleux. Aujourd’hui, Les cépages
sion suivent une ligne est-ouest : ils pour proposer des vins moelleux plus Les cépages principaux (plus
façonnent des versants exposés au sud aériens, ou pour construire des vins secs de 50 % de l’encépagement)
soumis à un ensoleillement fort capable aboutis et équilibrés, ils s’appuient sur sont le petit manseng
de compenser l’air froid des Pyrénées ces zones où la tonicité des raisins mûrs (720 ha), le gros manseng
toutes proches. est davantage préservée. (610 ha), et les cépages acces-
Les vignerons souhaitent donner soires : petit et gros courbus
UNE RESSOURCE PRÉCIEUSE ses lettres de noblesse aux vins secs de (10 ha), camaralet (9 ha) et
Si l’AOP offre un terroir idéal pour éla- Jurançon, plus récents dans la vie de l’ap- lauzet (5 ha). Les vendanges
borer de grands vins moelleux, elle cache pellation. Ils réfléchissent notamment à tardives sont issues
Petit
aussi des terroirs à blanc sec très intéres- la distinction de cuvées qui suivraient des mansengs. manseng
sants : des parcelles plus fraîches, autre- un cahier des charges plus exigeant, à
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 77

Photos : D. R.
définir collectivement. « Des vins identi-
taires », souligne Jean-Marc Grussaute
(Camin Larredya).
RENAISSANCE DU TERROIR CALCAIRE
C’est dans la perspective de valoriser
les identités diverses du terroir que
Jean-Marc Grussaute a redonné vie au
vignoble de la Côte blanche en 2013 (3).
Cette barre calcaire, située dans le sec-
teur sud, s’étage entre 260 et 300 m
d’altitude. « Il s’agissait d’explorer une autre
latitude, une autre géologie, une autre expres-
sion dans les vins, résume le vigneron. Sur
la Côte blanche (Lasseube), le petit manseng
a moins de sucre qu’au domaine (Jurançon),
à maturité physiologique égale. » Le vin se
révèle à la fois dense, délicat et long.
Les pentes fortes, tournées vers le sud
et le sud-est, sont à la fois soumises à un
La large palette
de sols et d’expositions
permet de construire
l’équilibre des vins
ensoleillement fort et à l’air froid des
Pyrénées. « Côté sous-sol, on observe une
alternance de bancs verticaux marneux et cal-
caires, d’où plusieurs bandes de sols parallèles
aux courbes de niveau. La présence d’éboulis
calcaires favorise le drainage naturel », décrit
l’expert Inao Bertrand Fasentieux, ingé-
nieur d’étude en Géosciences à l’Univer-
sité de Pau.
Les charmes de la cuesta calcaire
de Lasseube et le défi d’y faire du vin
ont aussi séduit la vigneronne Irène
Guilhendou (domaine Latapy), qui a
78 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
Au Clos Larrouyat,
Maxime et Lucie Salharang
travaillent trois hectares
de vignes à Gan, tandis
que Jean-Marc Grussaute
exploite onze hectares
à Jurançon et Lasseube.
commencé à planter la pente verti-
gineuse de Broc et Labau en 2018. Au
programme : 1,5 hectare de mansengs
et gros courbu, mais aussi du cabernet
franc. Rendez-vous en 2025 pour les
premiers jus, comme indiqué par le
nom du projet participatif, Latapy :
Objectif 2025.
L’EXPLORATION DES TERROIRS
DanslequartierUchadeMonein, Franck
Lihour (domaine Castéra) a d’abord
misé pour ses vins secs sur Tauzy. Cette
parcelle donnait toujours à son père
les vins moelleux les moins concentrés
et les plus fins de la gamme. « Elle est
exposée au nord-est en haut et à l’est en bas.
Lavignen’yrestepasensoleillée aussi tard qu’à
Caubeigt, une pente bien plus solaire dédiée
aumoelleux,danslaquellelepetit manseng est
trop exubérant pour donner un vin sec équi-
libré », relève-t-il. À Tauzy, le profil aro-
matique est moins exotique, davantage
sur les agrumes ; le vin est tendu et salin.
Quand Maxime et Lucie Salharang
(ClosLarrouyat)récoltentleurs premiers
raisinssurleshauteursdeGan en 2014, le
caractère froid de leur terroir s’affirme
et bouscule les jeunes vignerons. « En
2020, notre petit manseng était à
13,5° d’alcool potentiel… Ailleurs, il
atteignait parfois 19° ! Chez nous, le
petit manseng ne dépasse pas 15° »,
précisent-ils. Issus des argiles
bariolées à cailloux calcaires
et ophites du Trias, les sols du
domaine sont froids. De sur-
croît, les parcelles sont hautes
(320 à 340 m), ventées, majo-
ritairement exposées à l’est et
bordées de bois. Maxime capte
d’autant mieux la salinité des
vins qu’il est très précis dans la
sélection et l’assemblage des jus.
Le caractère tardif du terroir de
Larrouyat se ressent aussi dans
le vin moelleux Phoenix, dont
les 50 grammes de sucres rési-
duels sont emportés par une
vague de fraîcheur.
 De vigne en cave
Jurançon
La richesse du terroir maturitédesbaiesdoitêtreaboutiecarlesrai- Franck Lihour élabore cinq vins à partir
des 12 hectares de vignes qu’il exploite
de Jurançon inspire sins doivent à la fois préserver leur acidité et
présenter de beaux amers mûrs et arrondis »,
avec ses parents à Monein.

aussi hors du cadre souligne-t-il.

de l’appellation
À Jurançon, l’exploration des terroirs
peut continuer. « Des centaines d’hectares
classés non plantés sont adaptés à la produc-
tion d’excellents vins secs. Il s’agit par exemple
deparcellesexposéesaunordetpeupentues (4)
ou de plateaux soumis au vent, indique Luc
Blotin, ingénieur délimitation et pro-
tection des terroirs à l’Inao de Pau. Ces
parcelles ont été jugées intéressantes car leur
situation globale est favorable malgré leur
caractère froid. Grâce à la présence de galets,
par exemple, qui réchauffent le sol et favo-
risent le drainage. »
DES VENDANGES BIEN ESPACÉES
La large palette de sols et d’expositions
del’AOPJurançonpermetauxvignerons
de construire l’équilibre de leurs vins,
comme l’expose Jean-Marc Grussaute :
« La parcelle Castagnère exposée au sud-est
constitue ma réserve de fraîcheur, indispen-
sable dans l’équilibre de mes vins secs. Elle
compense le réchauffement climatique… ».
Le vigneron de Camin Larredya se sert
desraisinsdubasdelaparcelle,plusvifs,
pour tendre sa cuvée La Part Davant,
alors que les raisins issus de la partie
haute, plus mûrs, vont dans La Virada,
au profil plus épicé. « Quoi qu’il en soit, la
Au domaine
Cauhapé,
Henri Ramonteu
élabore aujourd’hui
Si Henri Ramonteu (domaine
Cauhapé) est prêt à attendre janvier
pour ramasser ses derniers petits
mansengs destinés au vin le plus
liquoreux de sa gamme, il se passionne
aussi pour les vins secs qui représentent
aujourd’hui 75 % de sa production,
contre 25 % il y a vingt-cinq ans. « Notre
terroir est capable de nous donner de grands
vins blancs secs très originaux. Et la variété de
noscépageslocauxestuneforce.Ils’agitnéan-
moins de dompter le petit manseng qui est un
véritable pur-sang ! », insiste-t-il.
Le vigneron de Monein multiplie
donclesdatesdevendangepourobtenir
diverses expressions du cépage. Deux
mois s’écoulent entre la récolte des
raisins destinés aux deux secs les plus R. Cardon
extrêmes de la gamme (entre le 1er sep-
tembre et le 1er novembre en 2020). En L’histoire continue à s’écrire en
outre, il valorise les expositions à l’est et Jurançonnais, les Pyrénées en toile de
aunord-est,etdessecteursplusproches fond.
des montagnes. Ainsi, les trois parcelles (1) Près de 1 200 mm par an.
deLaütexposéesaunord-estdonnentle (2) Les raisins de Monein ont une semaine d’avance
sur Jurançon et presque deux sur Lasseube.
vin Canopée : « Un petit manseng très mûr
(3) 1,5 hectare a été planté entre 2013 et 2017,
mais équilibré, vendangé fin novembre ». avec 90 % de petit manseng, 5 % de lauzet
Et le vin Quatre Temps rassemble des et 5 % de camaralet.
mansengs issus d’une parcelle fraîche (4) Le caractère froid est exacerbé par la pente,
de Lasseube et d’une parcelle de une parcelle pentue qui regarde le nord est
Lahourcade exposée à l’est. donc a priori exclue de l’aire classée.
EXPÉRIMENTER D’AUTRES VOIES
La richesse du terroir de Jurançon
À déguster
en priorité
•Rondeau
inspire aussi hors du cadre de
l’appellation. Au-delà de ses vins Domaine Latapy :
d’AOP,AntoineArraou(château 2016, Le Cercle 2016,

•LaCamin
75 % de vins secs. Lafitte)construituneidentité jurançon sec 2020
originale en explorant tou- Larredya :
jours plus en profondeur Part Davant 2019, Costa
son terroir, mais aussi en Blanca 2018, La Virada 2018,

•
s’inspirant d’autres régions. Au Capcéu 2018
Ilélaboreparexempleunvin Château Lafitte :
pétillant de gros manseng, Argile 2019, jurançon doux

•
marqué par sa finesse. Le 2015, Funambule 2019
vigneron expérimente aussi Domaine Larrouyat :
d’autres voies pour élaborer Météore 2019, Comète 2019,

•
un vin moelleux sans soufre : Phoenix 2019
il a ainsi installé une solera Domaine Cauhapé :
dans le chai et des bon- Quatre Temps 2017, Canopée

•
bonnes de verre, exposées 2018, C de Cauhapé 2017
au soleil et aux variations de Domaine Castéra :
D. R.

températures, dans la cour Tauzy 2019, Caubeigt 2018,

Memoria 2019
D. R.

du château.
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 79
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La tendance dumarché
Par Angélique de Lencquesaing
Vins étrangers :
la ruée vers l’or de Hongrie
D
e la Grèce aux contreforts
de l’Himalaya, la viticulture
s’étend et justifie un attrait
mondial pour des crus européens, fruits
d’une tradition ancestrale, mais aussi
pour ce que l’on appelait auparavant les
vins du Nouveau Monde. Ainsi, en 2020,
les enchères de vins étrangers affichent
une belle croissance. Sur la plateforme
d’iDealwine, leur part a bondi de 1 à 5 %
des volumes échangés. Si des grands
noms comme Screaming Eagle ou
le super toscan Masseto de la Tenuta
dell’Ornellaia sont difficiles à obtenir
autrement que par le biais d’un système
d’allocation, les tokaji hongrois affolent
salles des ventes et sites spécialisés. Ces
nectars de 50 cl se distinguent désormais
du pinot gris alsacien, puisqu’ils ont
depuis 2007 le monopole de l’usage de ce
nom magique, à la fois cépage et terroir.
Sans surprise, l’eszencia atteint des
sommets, à l’image du 1889 (Berry Bros,
1 474 €, + 20 %). Difficile à dénicher en
dehors de sa région natale ou des mar-
chés anglo-saxons, ce vin dont la fer-
En 2020, les vins hongrois
de Tokaji ont affolé
Shutterstock
les salles des ventes
et les sites spécialisés.
De vigne en cave
Les enchères
mentation dure plusieurs années est
doté d’un potentiel de garde centenaire.
Les vieux millésimes sont sous les feux
des projecteurs, en attestent les adjudi-
cations du 1901 du même négociant et
du 1866 de Bekeny à 1 228 € chacun.
Classé sur une échelle de trois à six
puttonyos (unité qui exprime la sucro-
sité du vin), le tokaji aszú réalisé à
partir de baies botrytisées est aussi très
recherché. Citons le tokaji azsú 5 putto-
nyos 1989 de Disznóko (74 €), l’une des
signatures les plus réputées. Après des
années de disette, la Hongrie devient
une mine d’or, ces terroirs historiques
étant enfin valorisés après cinquante
longues années de collectivisme. Le
château Pajzos, créé en 1991 seulement,
et Zoltán Demeter, réputé pour valoriser
les plus grands terroirs viticoles régio-
naux, sont à surveiller de très près.
Analyse réalisée à partir des ventes de
Paris (21 et 27/01/2021, IWA-iDealwine,
30/01/2021, Daguerre) ; Saint-Cloud
(24/01/2021, Le Floc’h) ; Marseille
(20/01/2021, Maison R&C)
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 81
LA COTE DU MOIS
Paul Jaboulet Aîné :
le culte des vieilles
cuvées La Chapelle
L a grande cuvée de la maison
rhodanienne Paul Jaboulet
Aîné, l’hermitage La Chapelle,
est issue d’une sélection de
vieilles vignes de syrah prove-
nant de l’une des plus belles
parcelles du coteau de l’Her-
mitage. Parcelle au faîte de
laquelle se trouve d’ailleurs
une petite chapelle.
Dans les plus grands et
vieux millésimes, cette
cuvée atteint des som-
mets en termes de prix,
comme en 2016, année
où le mythique millésime
1961 a été adjugé 13 319 €
sur iDealwine. Depuis le
milieu des années 2000,
les prix se sont stabilisés et
assagis, mais cette cuvée,
réputée pour son poten-
tieldegardeexceptionnel,
demeure l’un des vins les
D. R.
plus prisés de la Vallée du
Rhône, surtout dans des
millésimes anciens et excep-
tionnels.
Plus récemment, en janvier 2021,
La Chapelle s’est vendue 3 819 € dans
le millésime 1949 (un grand millésime,
toutefois un cran en dessous du légen-
daire 1961), pour le bonheur d’un ama-
teur britannique.
Les ventes à venir
3/04/2021 : Fécamp, Chalot et Associés
• •
7/04/2021 : Lyon, Conan 9/04/2021 : Paris,
••
Fine Spirits Auction 10/04/2020:Versailles,
Versailles Enchères 14/04/2021 : Paris,
• •
Cornette de Saint-Cyr 15/04/2021 : Paris,
IWA-iDealwine 15/04/2021 : Toulouse,
••
Marambat-de Malafosse 16/04/2021 :
Chinon, Chinon Enchères 21/04/2021 :
• •
Paris, Artcurial 22/04/2021 : Reims,
Châtivesle 24/04/2021 : Cannes, Besch
• •
24/04/2021 : Villefranche, Richard
27/04/2021 : Lyon, De Baecque.
 De vigne en cave
Les enchères

Par Angélique de Lencquesaing

Bourgogne : les Premiers crus

de la Côte de Beaune sur 11 ans
C
e palmarès des Premiers crus cheretlemoinsonéreuxestréduit.Tout tionnel, Michel Lafarge, dont le beaune
de la Côte de Beaune distingue cela fait de ce Premier cru un vignoble Grèves gagne en ampleur avec l’âge.
quatre rouges et un blanc, le d’opportunités. Sans surprise, le climat des Grèves, l’un
fameux Clos des Mouches de la maison Deux signatures se détachent : le Clos des plus importants en surface (20 hec-
Joseph Drouhin. En onze ans, les prix des Mouches (blanc) de Joseph Drouhin tares) et le plus renommé de la Côte de
ont progressé ici, mais sans commune et le beaune Grèves Vigne de l’Enfant Beaune, est donc bien représenté dans
mesure avec ceux des vins de la Côte Jésus, icône de la maison Bouchard Père ce top 5. À l’inverse, le Clos des Ursules,
de Nuits. Sans doute l’ancrage fort des & fils, le second volant la vedette au pre- parcelle historique de la maison Louis
maisons de négoce y est-il pour quelque mierdepuis2015.Notonslabonnetenue Jadot qui dominait les débats en 2010, ne
chose. De plus, l’écart entre le cru le plus depuis onze ans d’un domaine tradi- figure plus dans notre palmarès.

L’évolution des Premiers crus de Côte de Beaune sur 11 ans

Cote iDealwine mesurée à partir des ventes aux enchères

en 2010
(la cote du millésime 2005)
en 2015
(la cote du millésime 2010)
98 €
90 €
en 2021
(la cote du millésime 2015)

83 €
77 € 77 €
74 €
67 € 68 €
65 €
60 € 59 €
55 € 52 €
47 € 45 €

Clos des Grèves Vigne de Clos des Clos de Clos des Clos des Grèves Vigne de Grèves Les Grèves Les Grèves Grèves Vigne de Clos des Grèves Clos de Clos des
Ursules l’Enfant Jésus Fèves la Féguine Mouches Mouches l’Enfant Jésus Domaine Domaine Domaine l’Enfant Jésus Mouches Domaine la Féguine Fèves
Louis Jadot Bouchard Chanson Domaine Joseph Joseph Bouchard Michel des Croix de Montille Bouchard Joseph Michel Domaine Chanson
Père & fils Jacques Prieur Drouhin Drouhin Père & fils Lafarge Père & fils Drouhin Lafarge Jacques Prieur

Quelques belles enchères relevées ces derniers mois De belles affaires à

Prix d’adjudication Prix d’adjudication Cote iDealwine Variation/
Châteauneuf-du-Pape
du lot unitaire 28/02/2021 cote iDealwine
Chambertin Grand cru 1999, domaine Leroy Châteauneuf-du-Pape regorge de
Paris (27/01/2021, IWA-iDealwine) 6 908 € 6 908 € 3 555 € + 94 % belles signatures, tout en restant
1 bouteille
accessible. Il y a ici de belles affaires à
Chartreuse Tarragone jaune période 1921-1929 réaliser aux enchères, surtout si vous
Marseille (20/01/2021, Maison R&C) 5 182 € 5 182 € 1 390 € + 273 % recherchez des millésimes un peu
1 bouteille
fondus. Nous avons relevé la vente
La Grange des Pères 2016 de ce 1998 du domaine de Marcoux à
Saint-Cloud (24/01/2021, Le Floc’h) 5 000 € 417 € 169 € + 147 % 41 € (- 7 %), de cette Bernardine 2005
12 bouteilles
de M.Chapoutier à 37 € (- 11 %), de ce
Château Haut-Brion 2000 blanc 2009 de La Nerthe à 44 € (- 9 %)
Paris (21/01/2021, IWA-iDealwine) 4 298 € 716 € 637 € + 12 % ou encore de ce 2013 du Clos des
6 bouteilles Pape à 50 € (- 14 %). Quant à ce 2001
Château Gruaud Larose 1985 du château de Beaucastel, domaine
Paris (30/01/2021, Daguerre) 988 € 82 € 74 € + 11 % longtemps au sommet de l’AOP, un
2 bouteilles amateur l’a saisi à 74 € (- 14 %).

82 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021

 RTCURIAL

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération

RÉVÉLEZ LA VALEUR

Agrément CVV Du 25/10/2001 - Commissaire priseur : Stéphane Aubert

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Ventes aux enchères Contact s
21 et 22 avril - 14h Laurie Matheson
(clôture du catalogue : +33 (0)1 42 99 16 33
fin mars)
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Présence physique des acheteurs selon règlementation en vigueur
Maître Frédéric DELOBEAU Emilie & Robert GORRETEAU
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LA BOUTEILLE SECRÈTE La bouteille qu’il fallait

découvrir en mars
Par Philippe de Cantenac Vacqueyras Tradition 2018
du domaine La Garrigue
P our fêter l’arrivée des beaux jours, quoi de mieux que
de recevoir un carton d’un grand vin ? Pour cela, il
vous suffit de déchiffrer l’énigme du mois et d’envoyer votre
Le domaine est situé au cœur des Côtes du
Rhône méridionales sur l’aire d’appellation de
réponse(AOP,nomduchâteau,cuvéeetmillésime)àl’adresse Vacqueyras, dans le département du Vaucluse
suivante : bouteille.secrete.rvf@gmail.com avec vos coordon- (84), aux pieds des dentelles de Montmirail.
nées complètes, y compris votre date de naissance, et surtout Créé en 1850, d’une superficie de 75 hectares,
n’oubliez pas votre numéro de téléphone ! Date limite d’envoi il s’est agrandi petit à petit et est exploité par la
desréponses:le5avrilàminuit.Résultatdèsle6avrilsurlesite famille Bernard depuis six générations.
larvf.com, rubrique jeux concours. Travaillé dans le respect de la tradition et de la
nature, le vignoble est conduit selon les prin-
L’énigme du mois de mars cipes de la culture raisonnée, sans désher-
Mon domaine qui a pointé le bout de son nez à la mort de
Charles VI fut récompensé en 1855. Parmi les domaines de bants, ni pesticides. Les différentes parcelles

D. R.
monappellationnéeen89,jefaispartiedesplusprochesdela du domaine sont situées sur les communes
mer.Macuvéeportelenomd’unbâtonnetdecouleur.Louise de Vacqueyras, Gigondas, Sarrians et Violès.
consacrée pour l’ensemble de son œuvre, a l’iris qui brille. L’âge moyen des vignes de syrah, mourvèdre,
grenache blanc, cinsault et clairette est de 40 à
60 ans. Certaines vignes de grenache ont entre 80 et 100 ans.
Les principes du concours. Se distraire tout en testant ses connaissances, voilà l’esprit
de “La bouteille secrète”, le concours proposé par La RVF, en collaboration avec Spiegelau. Comment Cette cuvée Tradition incarne la philosophie du domaine
participer ? À partir des indices présentés, tentez d’identifier notre ”bouteille mystère“. Rédigez lisible-
ment votre réponse (nom de l’appellation, du producteur, du domaine et millésime) sur le coupon-ré- avec une belle pureté de fruit, un réel équilibre et une
ponse ci-dessous (ou bien sur papier libre) ou par e-mail, en précisant vos nom et prénom, votre date
de naissance et votre adresse (ainsi que votre numéro de téléphone), qui fera office d’adresse de propension à vieillir très longtemps dans une bonne cave.
livraison. Âge minimum pour participer : 18 ans. Attention : pour être prise en compte, votre réponse
doit être adressée au plus tard le 5 avril 2021 à minuit, le cachet de La Poste faisant foi. Un tirage au
sort déterminera six gagnants. Ce jeu est gratuit et sans obligation d’achat. Que gagne-t-on ? Chaque
mois, six cartons de six bouteilles du vin mystère sont en jeu et attribués aux six gagnants tirés au
sort. Répartition des lots : un carton de six bouteilles pour chacun des six gagnants. Quand seront
communiqués les résultats ? Le nom de la bouteille secrète, son vigneron et la liste des gagnants PAN SUR LE GOULOT
seront publiés dans le prochain numéro de La RVF. Les gagnants tirés au sort, parmi ceux ayant trouvé
la bonne réponse, recevront directement le carton de six bouteilles du vin mystère. À vous de jouer !
Le règlement du concours est disponible sur simple demande par courrier à l’adresse suivante : Dans notre numéro de mars 2021 (La RVF n° 648), le très joli chas-
Concours La RVF “La bouteille secrète”, BP 126, 38504 Voiron cedex. Frais d’expédition des cour-
riers-réponses remboursables au tarif en vigueur sur simple demande par courrier à l’adresse suivante : sagne-montrachet blanc Morgeot noté 90/100 en p. 109 est produit par
La Revue du vin de France, 10, bd des Frères-Voisin, 92130 Issy-les-Moulineaux. la maison Jean-Baptiste Jessiaume, et non par le domaine Jessiaume
comme indiqué par erreur. Toutes nos excuses à cette maison créée en
Ce numéro contient deux encarts d’abonnement 2 pages jetés sur l’ensemble de la diffusion kiosque
France et international. Offres d’abonnement en pages 54, 62, 80 et 85. 2019 à Santenay, que vous pouvez contacter au 03 80 20 92 16.

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84 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021

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 Cahier spécial

Les Dégustations
88
Chenins secs
Pierre Citerne
Docteur d’Anjou Noir : Olivier Poels
Journaliste
Olivier Poussier en préhistoire Jean-Emmanuel
Meilleur
sommelier
révolution Simond
Importateur
de vins
du monde
en 90 cuvées
Réputée pour ses moelleux, la région
Roberto fait sa mue pour révéler le potentiel Caroline Furstoss
de blancs secs issus de chenin
Petronio Sommelière
Romain Iltis Journaliste et
Meilleur photographe Pierre
sommelier Vila Palleja
de France 101 Restaurateur
et sommelier
Les 100 bouteilles mythiques
Ermitage rouge Cuvée Cathelin 1990
du domaine Jean-Louis Chave
Karine Valentin
Alexis Goujard
Journaliste
102 Journaliste
Pierre et vigneronne
Casamayor
Œnologue
Languedocs d’altitude : Jean-Baptiste
Thial de
Bordenave
et écrivain
le Sud et la fraîcheur réunis Juriste du vin

L’altitude influence favorablement le bouquet

des vins. La preuve en 266 cuvées nées sous
le soleil entre 250 et 500 m d’altitude
Alexandre Ma
Christian 112 Formateur
à Bordeaux
Martray
Cyrille Mald
Expert
Sommelier La formidable affirmation Alexandre
en spiritueux Vingtier
des grands vins d’Espagne Expert
en spiritueux
La viticulture espagnole s’illustre au travers
Les dégustateurs associés : de ces cuvées marquantes, fiertés d’un vignoble
Axel Marchal, Michel Dovaz, qui affirme son indépendance
Philippe Faure-Brac, Robert Vifian,
Laurie
David Biraud, Isabelle Bachelard,
Fabrizio Bucella, Philippe de Cantenac,
122 Matheson
Experte
Florence Bal, Jérôme Baudouin
et Sylvie Augereau.
Débat autour d’une bouteille en ventes
aux enchères
Montebello 1995 de Ridge Vineyards (Californie) Pascaline
Lepeltier
Meilleure
Tous les vins dégustés à La Revue du vin de France sont servis dans des verres sommelière
de France

LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 87

 Les Dégustations
Encouverture

EN COUVERTURE

Chenins secs d’Anjou Noir :

une révolution en 90 cuvées
Réputée pour ses moelleux, cette région fait aujourd’hui sa mue pour révéler le potentiel
de blancs secs issus de chenin et apparaît comme un formidable territoire d’expérimentations.
Une grande dégustation de Pascaline Lepeltier et Alexis Goujard. Photos : Jean-Yves Bardin

L
a RVF aurait-elle pu consacrer un dossier de quatorze
pages aux chenins secs d’Anjou il y a cinq ans ? Rien
n’est moins sûr… Si la région a connu une métamor-
phose assez récente, il est important de cerner un peu son
histoire pour comprendre pourquoi l’Anjou est devenu l’un
des vignobles les plus excitants de France.
Cépage historique angevin, appelé “plant d’Anjou”, le chenin
fut pendant longtemps l’or liquide de la région, transmuté
par la magie de la pourriture noble, le botrytis ; ce dernier a
trouvé un parfait terrain d’expression sur les coteaux bruns
de schistes des Coteaux du Layon, de Bonnezeaux, Quarts-de-
Chaume et Chaume. Mais après la Seconde Guerre mondiale,
le déclin du marché des vins moelleux, suivi de la nécessaire
contraction des coûts de production, conduisent le chenin à
connaître une crise majeure : clones productivistes replantés
sur des terroirs mécanisables, abandon des tries, abus des
rendements, du soufre et de la chaptalisation… La qualité et
l’identité se perdent, les coteaux historiques, impossibles à
travailler à la machine, sont oubliés, sauf rares exceptions ;
le chenin est arraché au profit des cabernets pour façonner
des rosés secs-tendres et des rouges techniques, qui semblent
alors plus rentables.
CHACUN CHERCHE SON CHENIN
Au cours des années 1980 et 1990 et dans le sillage des vignerons
de Savennières apparaît une génération composée de fortes
personnalités (Philippe Delesvaux, Jo Pithon, Mark Angeli,
Patrick Baudouin, Joël Ménard, Richard Leroy…), qui milite

88 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021

 Les Dégustations
Cheninssecsd’Anjou Noir
terroirs et de personnalités fait naître une myriade de styles,
si bien que certaines des plus belles expressions de chenin se
retrouvent en Vin de France plutôt qu’en appellation Anjou.
APPRENDRE DE SES DÉFAUTS
Cette nouvelle vague de blancs angevins fait frissonner les
palais en quête de sensations fortes. Dans les années, 2000, elle
séduit de nombreux jeunes qui rêvent de devenir vignerons.
Le foncier est abordable, la liberté d’expression au rendez-
vous. Pour celui qui veut s’installer avec quelques hectares de
vignes, l’Anjou apparaît comme la terre de tous les possibles.
Ces néovignerons sont souvent en quête d’un mode de vie
idéaliste, mais leur conception du vin semble approximative :
c’est le boom des vins “nature”, avec sa multitude de blancs
parfois gazeux et criblés de défauts (oxydation prématurée,
réduction tenace, envol du taux d’acidité volatile…).
Et puis, avec le temps, vient la sagesse : les défauts dus à des
prises de risques excessives en vinification servent de leçon.
Émergent alors de nouvelles expressions de vins vivants, pleins
de vitalité, qui deviennent peu à peu les canons stylistiques de la
région, à l’image de Benoît Courault et de Charlotte et Thomas
Carsin (Terre de l’Élu). En 2008, Thibaud Boudignon démarre
un projet ambitieux de reconquête de terroirs d’Anjou et
Savennières. Il est aujourd’hui l'un des plus grands vinifica-
teurs français. Parmi les vignerons installés depuis moins de
La diversité de terroirs
dix ans, nous sommes subjugués par l’éclat et la précision des
(ici le vignoble des Coteaux du Layon)
et de personnalités fait naître
vinsdeThomas Batardière, à Rablay-sur-Layon, et de Stéphane
une myriade de styles, et certaines Érissé, à Saint-Georges-sur-Layon.
des plus belles expressions Les domaines historiques ne peuvent rester insensibles à
de chenins se retrouvent en Vin de France. l’émulation insufflée par cette bande de vignerons francs-ti-
reurs. Le domaine Ogereau, par exemple, qui doit sa solide
réputation à ses liquoreux et ses rosés tendres, impressionne
pour des liquoreux authentiques. Ce qui suppose le retour parladéfinition de ses blancs secs. Évoquons aussi le domaine
des tries, des rendements raisonnés et un travail respectueux Les Grandes Vignes, qui convertit ses 50 hectares à la biody-
des sols. Mais que faire dans les millésimes où la pourriture namie et n’hésite pas à fournir des raisins aux jeunes du coin
noble ne permet pas d’atteindrelaconcentrationespérée?Des dont les dernières récoltes ont été anéanties par le gel.
chenins secs ! C’est alors une réflexion profonde qui s’engage Quarante ans après le début de sa révolution, l’Anjou attire
autour des blancs secs. Pourquoi le chenin des schistes ange- aussi des investisseurs ambitieux, croyant au potentiel des
vins ne brillerait-il pas comme celui des tuffeaux blancs secs. En 2018, le financier Ivan Massonnat
voisins de Saumur, et un peu plus loin celui de Cette nouvelle s’entiche du domaine Pithon-Paillé. Il milite désor-
Vouvray et Montlouis ? Les Angevins doivent mais pour faire autoriser les blancs secs en appel-
trouver des réponses à de nombreuses questions : vague fait lation Quarts-de-Chaume. L’année suivante,
quels rendements ? Quelle date optimale de matu- frissonner Luc Briand acquiert le domaine Richou (devenu
rité ? Faut-il intégrer des raisins botrytisés ? Laisser
courir la fermentation malolactique ? Élevage en les palais Terra Vita Vinum), quand Vanessa Cherruau,
alors enceinte de huit mois, achète le château de
cuves ou en barriques?Mettresonvinenbouteilles en quête Plaisance… la veille des vendanges !
Quelques pistes sont peu à peu affirmées : le de sensations artisanaux. Pauline Laire rapatrie des raisins d’Au-
à Pâques ou privilégier des élevages longs ? Dernier phénomène passionnant ? Les négoces
passage à une viticulture bio, voire biodynamique, fortes vergne au Muscadet, qu’elle vinifie dans son chai
d’une part ; de l’autre, la diminution des doses de urbain appelé 1006 à Angers. Bruno Ciofi, ancien
soufre, qui permet auxvinsdegagnerennatureld’expression, dudomainede la Pinte (Jura) et de La Ferme de la Sansonnière,
de mieux refléter la mosaïque impressionnante de sols décou- est aux manettes de Bérêt et Cie. Vous l’aurez compris, derrière
lant du Massif armoricain. Les schistes dominent ces terroirs la légendaire douceur angevine se cache un vignoble bouillon-
de roches sombres métamorphiques mêlés à des spilites, rhyo- nant de découvertes et de vins aux personnalités folles pour
lites, phtanites, grès, poudingues, quartz, sables, charbon, et lesquels il ne faudra pas craindre les sensations fortes.
même calcaire du Quaternaire, striant les multiples expo-
sitions des coteaux et plateaux de part et d’autre du Layon. Conditions de dégustation
Moins ciselé que son voisin saumurois, le chenin dévoile ici Les 312 blancs ont été dégustés à l'aveugle par Pascaline Lepeltier et
des matières au charme plantureux, aux notes de fruits jaunes Alexis Goujard en novembre 2020 et janvier 2021, les vins en appella-
mûrs, parfois de coing, nuancées par des touches fumées et tion Anjou à InterLoire et les vins de France au domaine Les Grandes
de safran, portées par de fins amers en finale. La diversité de vignes. Ces dégustations ont été complétées par des visites de domaines.

LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 89

 Les Dégustations
Cheninssecsd’Anjou Noir

À Savennières, les pionniers Savennières

Roche
aux Moines 2018

des chenins secs de schistes du domaine

aux Moines :
un chenin
lumineux.
L ’histoire des grands secs d’Anjou Noir est d’abord saponarienne. Née en 1952, Savennières fait
dix ans plus tard le choix de la liberté des styles en fonction des millésimes grâce à la vision de
Mme de Jessey et de Jean Baumard, qui comprennent que, dans les années compliquées, il vaut
mieux des secs de terroir que des moelleux chaptalisés. La brèche est ouverte : 1961, 1966 et 1969 sont
“secs” au château de la Roche aux Moines. Avec l’arrivée de Nicolas Joly, biodynamie et levures indi-
gènes offrent un nouveau ton dans une appellation en crise. Les secs deviennent la norme. Le style
– sec de botrytis, austère, “malo” bloquée par un usage abusif du SO2 – évolue alors que l’appellation
s’ouvre aux “layonneurs” (Claude Papin) et que des héritiers (Tessa Laroche) prennent la main. Grâce
à ces domaines pionniers, Savennières est sauvée, mais c’est aussi le chenin sec de schistes qui
gagne ses lettres de noblesse. Par leurs expériences, ces pionniers font toujours référence. P. L.

95/100
LA COULÉE La Coulée de Serrant, àSavennières
DE SERRANT
Un grand chenin aussi

Coulée de Serrant 2019
Tout juste mis en bouteilles, ce
2019 développe une puissance
flamboyante. Marqué par une
note végétale noble, le bouquet
au fruité doré dynamise une
matière d’une force impres-
sionnante enrobée par une
sensation de sucrosité. La mer-
veilleuse finale sapide promet
quelques décennies de garde.
66 € // Bouteilles/an : 18000
94/100
DOMAINE AUX MOINES
SavennièresRocheauxMoines2018
Ce domaine a connu une pro-
gression prodigieuse au cours
des dernières années. Un blanc
lumineux de la butte histo-
rique de la Roche-aux-Moines,
d’une puissance phénoménale
tenue par des amers stimu-
lants, admirablement assagis
par un élevage moderne
méticuleux, qui peut encore
s’affiner. Une période
réjouissante s’annonce pour
ce vignoble radieux.
T. Legay
troublant qu’attachant
amer, avec une structure
tannique prégnante. À carafer
ou à laisser vieillir.
38,90 € // Bouteilles/an : 7 500
92/100
LA COULÉE
DE SERRANT
Savennières Roche aux Moines
Clos de la Bergerie 2019
Toujours marqué par un nez
déroutant d’oxydo-réduction
à l’ouverture, ce puissant 2018
a besoin de temps pour s’ouvrir
et apaiser sa puissance amère.
Sculptée par des saveurs de
saponaire, sa bouche vaillante
se détendra dans les vingt pro-
chaines années. Il nous semble
que ce vin pourrait être élevé
Nicolas Joly fut l’un des pionniers de la biodynamie dans les années 1980. plus longtemps pour gagner
en raffinement et précision.
Q uel amateur de grands blancs n’a pas un jour été captivé
ou dérouté par un millésime de la Coulée de Serrant ?
Pour comprendre ce vin, issu de sept hectares exploités en
29 € // Bouteilles/an : 13000

40 € // Bouteilles/an : 37000
93/100
DOMAINE DU CLOSEL
Savennières Clos du Papillon 2018
L’expression variétale
du chenin laisse place à celle
du terroir de schistes, rhyolites
et quartz. Une incroyable puis-
sance dans ce millésime solaire
pour ce vin à la fois gras et
92/100
monopole par la famille Joly, incarnée par Nicolas et sa fille DOMAINE DU CLOSEL
Virginie, il faut imaginer le prodigieux coteau coulant en Savennières
terrasses jusqu’à la Loire. Son sol de schistes rouges à quartz Les Caillardières 2018
offre au chenin un écrin d’expression mythique. En effec- Sur cette parcelle aux sols
tuant des vendanges par tries jusqu’à ajouter des grains schisto-gréseux et sables
botrytisés, Nicolas Joly cherche à produire un grand blanc sec éoliens, le vin mêle puissance
doté de la complexité aromatique profonde d’un liquoreux. soyeuse et structure tannique
D’une couleur bien dorée, titrant parfois plus de 15 degrés austère. Ce très bon classique
d’alcool et d’une masse tannique musclée, l’équilibre singu- de l’appellation fera merveille
lier de la coulée-de-serrant est aussi troublant qu’attachant ; avec une volaille crémée.
son aptitude au vieillissement est admirable. A. G. 34,90 € // Bouteilles/an : 9 747

90 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021


90/100
LA COULÉE
DE SERRANT
Savennières Les Vieux Clos 2018
Assemblage de plusieurs
parcelles de schistes, quartz
et sables entre Épiré et la
Roche-aux-Moines, Les Vieux
Clos livre une expression plus
large et oxydative du chenin.
Bigarade et vesou dominent
la bouche aujourd’hui, mais
la structure contenue par
la réduction lui promet
une belle complexité à la garde.
28 € // Bouteilles/an : 20000
90/100
DOMAINE AUX MOINES
Vin de France
Le Berceau des Fées 2019
Issu des jeunes vignes de
Roche-aux-Moines, ce blanc
cristallin offre un fruité lumi-
neux. Très beau croquant revi-
gorant pour ce vin dont l’ex-
pression s’intensifie et gagne
en profondeur au fil des ans.
Profitez-en dès maintenant.
20 € // Bouteilles/an : 6 000
89/100
DOMAINE DES BAUMARD
Savennières Clos du Papillon 2015
Puissant, bien cadré par une
sensation généreuse de soufre,
il illustre une vision classique
de la vinification. Cinq ans
après, ce Clos du Papillon, ter-
roir emblématique de schistes
gréseux de Savennières, a
gagné en profondeur, tout en
conservant une certaine rigi-
dité. Finira-t-il par se libérer ?
Le temps nous le dira.
28 € // Bouteilles/an : 10 000
89/100
DOMAINE DES BAUMARD
Savennières Clos Saint Yves 2018
Dans ce millésime solaire, il
conserve une droiture ferme
qui atténue la richesse. Encore
contenu par une sensation de
soufre élevée, il annonce une
aptitude à la garde de plus de
quinze ans. Les amateurs de
blancs classiques seront ravis
par ce vin insubmersible après
quatre jours d’ouverture.
27 € // Bouteilles/an : 10 000
Vin en cours de conversion bio
Les Dégustations
Une révolutionen90 cuvées
Ils ont réinventé
les blancs secs d’Anjou
i Savennières est le berceau des chenins secs de la région, la révolution de style a lieu au cœur du
S Layon dans les années 1990. Par amour des moelleux, une génération idéaliste mêlant enfants
du cru et néovignerons s’empare des coteaux. Joël Ménard, Jo Pithon, Philippe Delesvaux d’abord,
puis Mark Angeli, Richard Leroy, Patrick Baudouin touchent au graal pour réaliser qu’il ne peut
être atteint tous les ans sans tricher. 1998 est un tournant : dans cette annus complicatus pour les
liquoreux, les secs de la Sansonnière brillent. Preuve est faite qu’il est possible de façonner de grands
secs en vendangeant à dessein des raisins mûrs bien cultivés. La révolution s’emballe. Les nouvelles
cuvées de ces têtes chercheuses attirent : René Mosse, Stéphane Bernaudeau, Benoît Courault s’ins-
tallent sur la rive gauche de la Loire, tandis qu’Éric Morgat ou Damien Laureau arrivent à Savennières.
Chacun à leur façon, c’est en synergie qu’ils réinventent le chenin sec depuis vingt ans. P. L.
98/100 hors norme pour ces Onglés encore tenue, mais le bouquet
LA FERME touchés par le gel en 2019. Une promis avec quelques années
DE LA SANSONNIÈRE extraordinaire tension effilée sera sans nul doute splendide.
Vin de France et éclatante dompte la densité La salinité explose en finale et
Vieilles vignes des Blanderies 2017 tannique des schistes, présa- lui confère l’allonge des plus
D’une intensité florale et miné- geant un remarquable poten- grands blancs de terroir.
rale, ce chenin radieux survole tiel de garde. L’aromatique est N. C. // Bouteilles/an : 2000
le reste de l’Anjou. Un équilibre
magistral sur une ligne de
crête entre subtile oxydation et Richard Leroy, àRablay-sur-Layon
éclat fruité hors du commun.
Profondeur et sérénité L’évidence de l’eau de roche
sublimes ont été puisées dans
des vignes de près de 80 ans.
46 € (cavistes)//
Bouteilles/an : 1000
98/100
RICHARD LEROY
Vin de France
Les Noëls de Montbenault 2018
Transcendée par un travail
d’orpailleur dans un millé-
sime de vigneron, la rhyolite
des Noëls de Montbenault
absorbe la puissance de 2018,
sans perdre cette transparence
unique. Un acidulé ciselé
touche les lèvres dès les pre-
mières secondes, jouant du En vingt ans, Richard Leroy est devenu un grand artisan respecté de tous.
contrepoint avec une mâche
généreuse mais dansante. La
minutie de l’élevage souligne
l’élan naturel avec des oxy-
O n ne présente plus Richard Leroy, néovigneron fou
de vin devenu, en deux décennies, un grand artisan
respecté de tous et un personnage de bande dessinée croqué
do-réductions magistrales. Il a avec intelligence par Étienne Davodeau dans Les Ignorants.
de superbes années devant lui. Passionné par les grains nobles dès son arrivée, en 1996, à
50 € // Bouteilles/an : 6000 Rablay-sur-Layon, il comprend rapidement que les secs sont
la voie d’expression de ses terroirs jardinés et de sa recherche
97/100 d’absolu, détachée du botrytis comme de l’appellation.
STÉPHANE Magnifiés par des élevages au cordeau, libérés par la vinifica-
BERNAUDEAU tion sans soufre, ses chenins offrent avec sincérité l’évidence
Vin de France Les Onglés 2019 d’une eau de roche que peu de vignerons savent encapsuler.
Un millésime à l’équilibre Sa quête infinie ? La simplicité du vrai vin bu. P. L.
Vin biologique Vin en cours de conversion à la biodynamie Vin biodynamique
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 91

96+/100
RICHARD LEROY
Vin de France Les Rouliers 2018
Véritable éponge du millé-
sime, Les Rouliers exsude
en 2018 son caractère solaire
(mirabelle, mandarine, rei-
nette) et une largeur attendue
tirée des schistes gréseux de
Faye, au bord du Layon. Cette
force encore tumultueuse
rafraîchit pourtant comme un
torrent de montagne. Les dons
d’éleveur de Richard Leroy
apportent le juste toucher de
fût pour allonger encore le vin.
Ne le buvez pas trop vite.
40 € // Bouteilles/an : 2 500
96/100
THIBAUD BOUDIGNON
Savennières Clos de la Hutte 2018
Un visionnaire de l’Anjou pour
un chenin cousu avec brio
afin de révéler une précision
de saveurs admirable et
une persistance saline
remarquable. À partir de 2022,
pour se régaler jusqu’en 2035.
Env. 65 € (cavistes)
95/100
STÉPHANE
BERNAUDEAU
Vin de France Les Nourrissons 2019
Surprenant ! Son nez pétu-
lant de fleur des tropiques lui
donne un charme juvénile rare.
L’élevage adoucit la force des
vieilles vignes touchées par le
gel, amadouant de très beaux
amers structurants. Une suavité
concentrée joue avec la miné-
ralité tout en pointillé, intensi-
fiant encore l’exubérance
aromatique de ce millésime.
N. C. // Bouteilles/an : 900
95/100
BENOÎT COURAULT
Vin de France Les Guinechiens 2019
Un chenin saillant mais serein,
tout en muscles et en tension,
combinant la fougue des
vieilles vignes revigorées par
les schistes gréseux de Faye et la
sensualité du millésime. Coing
et combava jouent avec un
léger fumé autolytique tout en
soulignant la tenue de bouche,
alors que l’acidité racinaire
Les Dégustations
Cheninssecsd’Anjou Noir
IGP Val de Loire
Chenin 2018
du Clau de Nell :
un superbe
chenin à garder
dix ans.
D. R.
dessine un grain tannique
apprivoisé.
60 € (magnum) //
Magnums/an : 400
94/100
DOMAINE MOSSE
Vin de France
Les Bonnes Blanches 2018
Issus d’un terroir de
métagrauwacke et quartz
sur schistes lui conférant
la blancheur de son nom,
il commence à révéler une ten-
sion saline appétante, doublée
d’une fraîcheur détonante
pour ce millésime solaire.
Plus typique de la rive gauche,
on aime cette allégresse
davantage florale (seringa) que
racinaire avec des amers doux
d’oranges Navel confites
suggérés par un joli élevage.
29 € // Bouteilles/an : 6 500
94/100
LA FERME
DE LA SANSONNIÈRE
Vin de France La Lune 2018
Un assemblage lumineux
des parcelles de Mark et Martial
Angeli : le caractère solaire
de l’année lui confère
92 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
une sensation pulpeuse 93/100
d’un superbe réconfort. CLAU DE NELL
Sans aucun artifice, l’allonge IGP Val de Loire Chenin 2018
florale et la pureté donnent Les argiles limoneuses et le grès
l’impression de croquer dans posés sur le tuffeau mettent
le raisin frais. C’est très rare ! en lumière un chenin d’une
28 € (cavistes) // superbe maturité. Son gras
Bouteilles/an : 5000 savoureux est étiré avec pré-
cision par une acidité saillante
93/100 et une amertume rocailleuse.
CLÉMENT BARAUT Comptez dix ans de garde.
Savennières Roche-aux-Moines 34,80 € // Bouteilles/an : 7 000
Les Petites Combes 2019
Superbe épaisseur et concen- 93/100
tration pour ce chenin des BENOÎT COURAULT
schistes pourpres de la Roche- Vin de France Gilbourg 2019
aux-Moines. L’ensemble est S’ouvrant sur la pulpe sensuelle
mené avec minutie tout en typique de cet assemblage par-
déroulant une allonge vivante. cellaire du coteau des Mailles,
Pour la table et la garde. la bouche se retend et se
35-40 € // Bouteilles/an : 1300 retient. Sans artifice, son fruit
Éric Morgat, àSavennières
Des vins stylisés
à la puissance aérienne
Installé en 1995, Éric Morgat a constitué 6,5 ha de vignes à partir de friches.
F ils des coteaux du Layon, où ses parents possédaient
le château du Breuil, Éric Morgat a choisi les coteaux
de la rive droite de la Loire, à Savennières, pour débuter
en 1995 son projet idéaliste. Il constitue dès lors
ses 6,5 hectares à partir de friches et vise à « traduire
les paysages dans ses vins » avec une réflexion sur l’esthétique
des blancs secs angevins. « À Savennières, il faut dompter
la puissance d’alcool et l’amertume naturelles », explique-t-il.
Après des phases tantôt boisées, tantôt lactées, les derniers
vins sont parfaitement stylisés, comme en témoignent
Le Clos Serteaux 2016 (95/100, 80 €, 1 200 bouteilles/an),
magnifique expression de Savennières à la puissance
aérienne, ou l’anjou Litus, expression traçante des spilites du
lieu-dit Pierre-Bise à Beaulieu-sur-Layon. Revigorant ! A. G.
 Les Dégustations
Une révolutionen90 cuvées
vivant déroule des notes de
reine-claude et de clafoutis aux
Domaine Mosse, àSaint-Lambert-duLattay
mirabelles saupoudré de fleur
de sel. Quelque temps en bou-
Sylvestre et Joseph Mosse portent
teille affinera sa finale déliée haut l’œuvre de leurs parents
sur la noisette du Piémont.
22 € // Bouteilles/an : 4 500

93/100
CATHERINE ET PHILIPPE
DELESVAUX
Anjou Franc de Pied 2018
Une retenue élégante et une
fraîcheur admirables sont
préservées dans ce millésime
solaire opérant comme un
exhausteur de saveurs miné-
rales. Ce chenin non greffé
brille par son épure cristalline
et vivifiante. Déjà en pleine
forme, il scintillera dans
les quinze prochaines années.
20 € // Bouteilles/an : 2 000

93/100
DOMAINE
DAMIEN LAUREAU
Savennières Bel Ouvrage 2016
Sur les sols de rhyolithe (roche Les frères Mosse sont partis pour s'illustrer tout autant que leurs iconiques parents, René et Agnès.
volcanique), ce chenin déve-
loppe une force austère et une
fine réduction qui séduira les
amoureux de blancs puissants
O fficiellement aux commandes du domaine depuis fin 2019 mais très impliqués depuis
2015, Joseph et Sylvestre continuent avec ambition et talent le travail fondateur mené
par leurs iconiques parents, René et Agnès Mosse, autrefois marchands de vin en Touraine,
portés par de beaux amers. Il sur les grands chenins secs d’altérite de schistes. Riche d’un très beau parcellaire de vignes
enchâssant Saint-Lambert-du-Lattay (avec une incartade sur la rive droite de la Loire,
à Savennières), les deux frères mènent encore plus loin aujourd’hui leurs fameux chenins
Savennières des Bonnes Blanches et du Rouchefer. De la vigne à la cave, expérimentations et travail
Bel Ouvrage minutieux se répondent pour produire de très prometteurs 2020 goûtés en élevage. P. L.
2016 de Damien
Laureau : pour
les amoureux
de blancs
est au début d’une vie 93/100 terre cuite devient de plus
d’environ vingt ans. ÉRIC MORGAT en plus volubile au fil des mois.
puissants.
48 € // Bouteilles/an : 10000 Anjou Litus 2018 Le bouquet, entre fleurs
Fantastique expression du verger, zeste de pomelo
93/100 du chenin sur les spilites et amande blanche, introduit
DOMAINE MOSSE de Pierre-Bise, une roche une bouche plus structurée,
Vin de France volcanique spécifique aux à la finale de thé blanc.
Les Bonnes Blanches 2019 coteaux du Layon. La droiture Un exemple gastronomique
Dense jeune, ce 2019 promet électrique cisèle une matière de maîtrise de la puissance
des émotions fortes dans intense, à la puissance saline des schistes friables.
le temps. La remarquable énergisante. Parfaitement 46 € // Bouteilles/an : 1800
concentration du vin n’enlève stylisé pour plus de dix ans.
rien de la finesse que confère À boire à partir de 2022. 92/100
le terroir, portée par une 50 € // Bouteilles/ an : 3500 LE CLOS DES TREILLES
pointe d’acidité nerveuse qui Anjou Victoire 2019
l’élance. Plus entêtant que 2018 92+/100 À l’image de Nicolas Reau, ce
avec ses notes de giroflée et TERRE DE L’ÉLU chenin combine avec bonheur
cantaloupe, ce vin bénéficiera Vin de France Ephata 2018 la densité libre du cépage et
de la bouteille qui lui apportera Ample et sobre, cette cuvée un délié vibrant apporté par
D. R.

une réduction saline excitante. ambitieuse de vieilles vignes de les terroirs argilo-calcaires
29 € // Bouteilles/an : 3800 chenin élevée en grès puis en jurassiques du Thouarsais qui

Les coordonnées des producteurs sur larvf.com

LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 93


peuvent revendiquer l’appella-
tion Anjou. Un vin mélodieux
dont les notes de chair blanche
et d’agrumes doux portent
la tension mûre à point
du millésime, soignée par
un élevage précis.
30 € // Bouteilles/an : 2000
92/100
DOMAINE
PATRICK BAUDOUIN
Anjou Les Gâts 2014
Voici le dernier millésime
disponible d’un grand
classique. Une fraîcheur
intense structure le vin comme
fil conducteur. L’exposition
nord de la pente douce
du coteau renforce la fine
Domaine Delesvaux, àSaint-Aubin-de-Luigné
Les Dégustations
Cheninssecsd’Anjou Noir
austérité de ce blanc aux
saveurs nuancées (anis, fenouil,
caillou…) ; sa trame élancée
reflète l’identité ligérienne.
35 € // Bouteilles/an : 4500
92/100
DOMAINE JUCHEPIE
Anjou Les Monts de Juchepie 2018
Nez virevoltant de notes
de poivre blanc, avec une fine
oxydation ménagée.
Une très belle construction
en extraits secs, une finale
franchement nette, avec
des airs jurassiens presque
iodés. Très belle identité
d’un chenin de Faye-d’Anjou
mûr, puissant et droit.
19 € // Bouteilles/an : 3 000
92/100 Bastingage 2019
LA GRANGE AUX BELLES de Terre de l’Élu :
Vin de France La Roche de Mûrs 2019 un chenin
À fleur d’ardoise sur un coteau renversant, plein
surplombant l’Aubance, c’est de promesses.
un terroir de caractère qui
a été redécouvert par le trio
de la Grange aux Belles.
Encore dans son enfance,
la bouche, longue et flam-
boyante, virevolte entre fleur
de frangipanier, Drap d’Or et
tabac blond du fût Stockinger.
Sa vigueur doit être domptée
par un temps de bouteille.
30 € // Bouteilles/an : 2 500
92/100
BRUNO ROCHARD
Vin de France Moque-Souris 2019
Un nez discret de freesia
et de cédrat prélude à une
bouche éclatante et tonique,

portée par un acidulé rafraî-
Quarante-trois vendanges chissant sur une trame riche
et élancée. 2019 est sans nul
et toujours la grinta ! doute une des expressions
les plus abouties de cette cuvée
Moque-Souris, chenin à la fois
aérien et ancré dans la rive
gauche du Layon, est un beau
reflet du travail consciencieux
de Bruno Rochard.
Une référence du millésime.
19 € // Bouteilles/an : 1000
91+/100
TERRE DE L’ÉLU
Vin de France Bastingage 2019
Expression de la complexité
des schistes et quartz enchâs-
sant les coteaux de Saint-
Aubin-de-Luigné, ce jeune
Bastingage est encore timide
mais tout en promesse avec
ses notes florales printanières.
Le tranchant de l’acidulé fumé
Les secs de Catherine et Philippe Delesvaux sont exemplaires de pureté. typique de 2019 équilibre déjà
la générosité de ses terroirs
D epuis leur installation en Anjou en 1978, les biodyna-
mistes sensibles Catherine et Philippe Delesvaux
se sont taillé une réputation internationale grâce
solaires et son élevage.
19 € // Bouteilles/an : 10000
à leurs chenins liquoreux, notamment en sélection de grains 91/100
nobles, nés dans le ravissant paysage de la corniche angevine, DOMAINE
entre les Vallées de la Loire et du Layon. Si bien que leurs secs PATRICK BAUDOUIN
sont restés longtemps dans l’ombre. Les 2018 s’avèrent Anjou Le Cornillard 2017
exemplaires de pureté : ils exaltent avec précision la beauté Expression pleine et bien mûre
minérale des schistes carbonifères, particulièrement dans ce blanc de haute concen-
la cuvée Franc de Pied issue d’une parcelle plantée sans tration, un brin exubérant. Des
porte-greffes en 2000. Une démonstration quelques mois saveurs fumées embaument
avant leur 43e vendange. A. G. une matière puissamment
D. R.
rocailleuse. Parfaitement
en place, il est harmonieux
dès aujourd’hui et pour les dix
prochaines années.
32 € // Bouteilles/an : 2 600
91/100
DIDIER CHAFFARDON
Vin de France Isidore 2018
Produit dans les millésimes
qui le permettent, ce chenin
improbable transcende
les canons et transmute
la matière. Le juteux salivant
prend la bouche. La nèfle
répond à la bigarade, et la
liberté de ton se ressent dans
l’allonge de la finale. Il mérite
le temps, l’écoute et l’accord.
27 € (cavistes)
91/100
CATHERINE ET
PHILIPPE DELESVAUX
Anjou Feuille d’Or 2018
Voici l’une des plus belles
affaires de l’Anjou. D’un éclat
de fruit vivifiant, ce 2018 offre
une remarquable définition
du chenin dans ce millésime
généreusement ensoleillé.
Une douceur zestée stimule ce
délicieux blanc rafraîchissant.
12,50 € // Bouteilles/an : 5 000

94 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021

 Les Dégustations
Une révolutionen90 cuvées
Domaine Patrick Baudouin, 90/100
DOMAINE
àChaudefonds-sur-Layon DES TERRES BLANCHES
Une approche fine Anjou Clos Bel Air 2018
Terroir oublié des Deux-Sèvres
des crus de l’Anjou célébré par Curnonsky.
Au Clos Bel Air, près d’Oiron,
les schistes laissent place
à des sables micacés. Exacerbée
en 2018, la maturité exotique
du chenin explose au nez,
introduisant une chair ample
et miellée tenue par un acidulé
discret qui se révélera davan-
tage avec un peu de garde.
19 € // Bouteilles/an : 3260
90/100
DAMIEN LAUREAU
Savennières L’Alliance 2019
Archétype du savennières
droit, net et précis. Bien ficelé
par son élevage sur lies et
épuré, sans esbroufe.
19 € // Bouteilles/an : 8000
Chez Patrick Baudouin, chaque verre est un clin d’œil du terroir. 90/100
LE PAS SAINT MARTIN
P our mieux comprendre l’histoire de l’Anjou et l’évolu-
tion du chenin au fil du temps dans la région, Patrick
Baudouin est le guide idéal. Célèbre dans les années 1990
Anjou Mille Rocs 2018
Le caractère solaire de 2018 a
conféré une mâche de bouche
pour avoir poussé à l’extrême l’expression botrytisée inattendue à cette cuvée
du chenin, ce défenseur du goût des vins d’AOP s’illustre produite sur les schistes orien-
également avec des secs ambitieux à partir de 2001. taux de l’Anjou Noir. Sa trame
De l’élancé et frais Les Gâts (planté en 1974 en pente douce tonique de pomelo est enrobée
exposée au nord), au puissant et rocailleux Cornillard par le gras fumé du millésime
(vieilles vignes exposées au sud-est), en passant par et de l’élevage soulignant
l’élégant savennières Bellevue (altération de schistes des amers fenouillés
ocres talqueux exposée au sud), chaque cuvée exprime et une réduction saline.
l’identité du terroir. Son dernier défi ? Faire reconnaître Sans conteste, un vin de table.
la dénomination de cru d’Anjou blanc par l’Inao. A. G. 19 € // Bouteilles/an : 4000
89+/100
91/100 90+/100 DOMAINE
LES VIGNES DE BABASS JEAN-CHRISTOPHE DES SABLONNETTES
Vin de France GARNIER Vin de France Le P’tit Blanc 2019
Joseph, Anne, Françoise 2018 Vin de France La Roche 2019 Tonitruante de franchise,
Hommage de Sébastien Les vieilles vignes plantées cette cuvée emblématique
Dervieux à la vision pion- sur les terroirs carbonifères de la famille Ménard est depuis
nière et militante de la famille de Beaulieu-sur-Layon, deux décennies une porte
Haquet, opposée à tout intrant sur la rive droite du Layon, d’entrée simple et réjouissante
chimique dans la vigne et le vin, offrent la mâche attendue dans l’univers des chenins
ce chenin est issu des dernières du millésime. Vin sans artifice secs d’Anjou Noir. Une bouche
plantations effectuées par jouant sur son énergie charmeuse, presque tropicale
la fratrie en 1998. Exprimant naturelle. Les acidulés de zeste dans ce millésime, avec une
encore la fougue de sa jeunesse, de pomelo et de framboise fluidité appétente rehaussée
c’est une expression sans com- blanche donnent de l’allant par un petit grain tannique et
promis du plateau de Chaume à une structure qui pourra une finale “nature” bien tenue.
qui continuera à révéler encore patienter un moment De l’authenticité à un rapport
son originalité sur vingt ans. en cave. qualité/prix imbattable.
26,50 € // Bouteilles/an : 2 000 25 € // Bouteilles/an : 2000 10 € // Bouteilles/an : 15 000
Vin en cours de conversion bio Vin biologique Vin en cours de conversion à la biodynamie
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 95
89+/100
DOMAINE
DES SABLONNETTES
Vin de France Zeste 2019
Zeste est l’un des rares chenins
de macération de la région :
il prouve que la versatilité
tannique du cépage nécessite
une viticulture de qualité
et un certain doigté pour être
domptée. Le nez emporte sur
une variation de zestes (kum-
quat, mandarine). Les amers
de quinine donnent du relief
et une jolie longueur à une
bouche digeste et franche.
17 € // Bouteilles/an : 4 000
89+/100
LOÏC MAHÉ
Savennières Amphorae 2018
Préservée et policée par
le travail en grès et terre,
la cuvée Amphorae dévoile
une expression plus aérienne
que tellurique des chenins de
Savennières, assemblant ter-
roirs de schistes et de sables.
Notes de propolis et de tilleul,
de kaki et de fleur de frangi-
panier. La bouche se tendra
encore en bouteille.
35 € // Bouteilles/an : 3 800
89/100
DOMAINE
LA PAONNERIE
Anjou Le Blanc de la Jacquerie 2018
À l’extrême ouest de l’Anjou,
sur les microgranites d’Anetz,
dans le secteur des coteaux
d’Ancenis, ce vin bénéficie de
l’influence océanique et de la
douceur angevine. Expression
dense et bien mûre dans
ce millésime solaire, cet anjou
séduit dans sa jeunesse par
la spontanéité de son fruit.
15 € // Bouteilles/an : 5 000
89/100
DOMAINE
DES TERRES BLANCHES
Anjou Les 3 Poiriers 2019
Un peu brut, mais quelle spon-
tanéité de fruit ! Des notes
de fruits jaunes saupoudrent
une matière ample et goû-
teuse. Expression franche
des calcaires du Thouarsais.
14 € // Bouteilles/an : 13 400
Vin biodynamique
 Les Dégustations
Cheninssecsd’Anjou Noir

Les fantassins de la nouvelle La Montagne

2018 du château
de Bonnezeaux :
garde de l’Anjou Noir un blanc plutôt
libre, virevoltant.

’Anjou semble la terre de tous les possibles pour les jeunes qui veulent se lancer. Le prix abor-
L dable du foncier (de 15 à 20 000 € l’hectare) permet d’acquérir quelques hectares et une cave
modeste. Quelle est la vision esthétique des vignerons installés depuis moins de dix ans ? Deux
écoles stylistiques se distinguent. La majorité affirme son attachement à la tendance “nature” :
ils revendiquent une utilisation faible, voire nulle, des intrants œnologiques comme les sulfites, et
classent leur production en Vin de France. Ces prises de risques peuvent s’avérer intéressantes pour
explorer des expressions alternatives du chenin, mais ces vins qui séduisent des palais excentriques
manquent nettement de précision. Parmi les réussites, retenons Olivier Lejeune, Julien Delrieu
et Bertin-Delatte. De l’autre côté, une poignée de vignerons, tel Cédric Bourrez (Clos Galerne),
proposent une approche plus bien plus cadrée des vinifications. Si la maîtrise technique est là,
une sensibilité supplémentaire permettra de débrider le style et d’offrir plus de vitalité aux vins. A. G.

96+/100 Domaine Thomas Batardière,

DOMAINE ANDRÉE
Anjou Les Faraunières 2016 àRablay-sur-Layon

À pas feutrés, Stéphane Erissé
prouve depuis plusieurs
millésimes que le chenin
sur les argiles houillères peut
atteindre un niveau excep-
tionnel de retenue dentelée
et de minéralité éclatante,
sans perdre de son caractère.
L’élevage au cordeau magnifie
la salinité effilée d’une superbe
matière première, libre et
précise. Ce beau vin complet
commence à se dévoiler.
39 € // Bouteilles/an : 2000
92+/100
BERTIN-DELATTE
Vin de France Vingt-Neuf 2018
Une remarquable réussite de
maîtrise, fraîcheur et élégance
dans un millésime chaleureux.
Cette cuvée de vignes plantées
en 1929 s’impose en toute dis-
crétion depuis plusieurs mil-
lésimes comme une vraie belle
expression du chenin sur les
schistes pourpres rive droite de
Rablay-sur-Layon. Son indé-
niable potentiel de garde en
fait une référence de la région.
26 € // Bouteilles/an : 2 000
92/100
DOMINIQUE DUFOUR
Vin de France Aussigouins 2017
Admirable microcuvée
d’un ingénieur retraité
devenu vigneron pour
D. R.
L’ex-sommelier est tombé
amoureux des schistes
ses beaux jours. Sa parcelle des
Aussigouins jouxte les Noëls
de Montbenault à Rablay-
sur-Layon. Transparence
remarquable du terroir dans
ce blanc salin, finement
austère avec une vitalité saine
de saveurs et de matière.
25 € // Bouteilles/an : 3 000
91+/100
THOMAS BATARDIÈRE
Vin de France Les Cocus 2019
Situé entre Montbenault et
Les Aussigouins, face à Rablay,
Les Cocus voit une veine de
phtanites siliceuses trouer les
schistes gréseux. Dans ce vin
de garde, le chenin se fait char-
meur, mêlant fleur de frangi-
Thomas Batardière : des vins sincères et pleins de vitalité. panier et melon Galia avant de
se retendre sur une réduction
T homas Batardière s’est « égaré » en sommellerie avant
de trouver sa voie de vigneron au château Yvonne,
à Saumur, où le talentueux Mathieu Vallée lui transmet le
saline. Elle confirme le poten-
tiel qualitatif de ce coteau
de Faye et ses parcellaires.
métier. Après trois ans de collaboration, le jeune Batardière 26 € // Bouteilles/an : 3 000
veut prendre son envol. Le tuffeau du Saumurois l’enchante.
Mais les schistes d’Anjou sont bien plus abordables pour se 91/100
lancer dans l’aventure. En 2012, c’est le grand saut sur quatre CLOS DES PLANTES
hectares à Rablay-sur-Layon, et la conversion à la biody- Vin de France Clos des Plantes 2019
namie débute. « Je ne cherche pas à donner un style à mes vins, Poiesis est la seule cuvée
mais plutôt à m’effacer le plus possible dans la vinification au profit de blanc produite en 2019. Elle
de l’expression du terroir », confie ce vigneron volubile, dont réaffirme la puissance volca-
les cuvées enchantent par leur sincérité et leur vitalité. A. G. nique mais ciselée des rhyolites

96 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021


de Montbenault. Large avec
des notes de zeste d’orange
maltaise, de reinette et de
sauge, son étoffe prometteuse
demande un peu de cave.
26 € // Bouteilles/an : 2000
91/100
CLOS GALERNE
Anjou Exspecto 2018
Un premier millésime ambi-
tieux pour cette parcelle de
spilites et de schistes pourpres.
Une puissance rocailleuse
se dégage, marquée par
des notes de fruits jaunes et
de zestes. Une technique bien
calibrée qui permet de cerner
l’identité de ce terroir.
26 € // Bouteilles/an : 1480
90/10
BÉRÊT ET COMPAGNIE
Anjou Ze Chenin 2020
Nouvelle cuvée cousue main
du négoce artisanal de Bruno
Ciofi. Assemblage passionnant
de chenins issus de calcaire
et schistes à parts égales dans ce
blanc goûteux, franc du collier
et extrêmement rafraîchissant.
13 € // Bouteilles/an : 4200
90/100
CHÂTEAU
DE BONNEZEAUX
Vin de France La Montagne 2018
Un peu virevoltant à l’ou-
verture, ce 2018 (troisième
millésime) du secteur de
Où trouver
les chenins d’Anjou ?
Les Dégustations
Une révolutionen90 cuvées
Bonnezeaux s’ouvre vers une Clos Galerne, àRochefort-sur-Loire
matière mûre, à la puissance
encore carrée. Un blanc plutôt Après Puget-sur-Argens,
libre mais prometteur, à laisser
encore un an en bouteille. bonjour Beaulieu-sur-Layon !
34 € (cavistes) //
Bouteilles/an : 1200
90/100
LA FERME
DE MONT BENAULT
Vin de France
Les Pierres Bleues 2018
Sur les hauteurs de Mont
Benault, Stéphane Rocher pro-
duit un chenin “lâché”. En 2018,
la concentration du millésime
est intensifiée par les schistes
affleurants. S’y ajoute l’enver-
gure des vieilles vignes qui,
aujourd’hui, imposent davan-
tage leur densité tannique Les vins de Cédric Bourez sont techniquement irréprochables.
savoureuse que leur énergie.
Une pointe d’acidité exalte des
notes d’aubépine et de thé
Earl Grey. Un carafage l’élance.
E n mai 2018, Cédric Bourez quitte le château de
Vaucouleurs en Provence avec sa femme Myrtille et leurs
quatre enfants pour s’installer au Clos Galerne. Quelques
18-20 € // Bouteilles/an : 2000 mois plus tard, c’est le temps des premières vendanges,
et de la première rencontre avec le chenin. Avec dix hectares
90/100 de vignes réparties à Beaulieu-sur-Layon, Chaume
LA FRANCHAIE et Savennières, l’affaire ne s’annonce pas mince. Pourtant,
Vin de France Lapin Blanc 2019 on est loin du caractère trop libre que l’on rencontre dans
Un chenin très franc et immé- les cuvées signées par la plupart des nouveaux venus.
diat produit sur les terroirs Au contraire, les vins sont techniquement irréprochables,
saponariens encore méconnus et même un peu trop. Pour cette première, il fallait parfai-
de La Possonnière, tement contrôler. Dès 2018, on cerne l’ambition de chenins
à La Franchaie. La pointe récoltés à juste maturité et menés avec précision, révélant la
de réduction autolytique s’es- puissance des terroirs. Reste à débrider les vinifications. A. G.
tompe rapidement pour laisser
place à un floral exotique.
La matière charnue, sans lour- deur, bordée d’amers doux, de texture délicate, typique des
s’allège en finale. terroirs plus sablo-limoneux
23 € // Bouteilles/an : 1200 aux alentours de Faveraye-
89+/100
Mâchelles, rive gauche du
Layon. Une attaque sans fard
PAULINE LAIR
IGP Val de Loire Céleste 2020
avec une jolie chair révèle
une sensibilité de vinification

L es petites surfaces et des récoltes décimées par les gels

rendent parfois difficile l’accès à certaines bouteilles.
Voici quelques adresses locales où vous procurer
Premier millésime prometteur
de ce négoce urbain ! Encore
perturbé par une activité fer-
qui sait ne pas trop en faire.
16 € // Bouteilles/an : 1500

les plus beaux chenins d’Anjou. À Angers, Des halles mentaire, le fruit de ce chenin 89/100
et des gourmets offre la sélection la plus pointue, avec de Saint-Aubin-de-Luigné DOMAINE
un expert de la région aux commandes, Patrick Rigourd. s’annonce franc. À suivre… BENJAMIN AZZARA
Autre solide sélection, À boire et à manger, tenu par Alex 20 € // Bouteilles/an : 3200 Anjou Clos de la Pépinière 2019
Forge, ancien de Jo Pithon. Parmi les tables amoureuses Macération de vingt jours pour
de vins, Chez Rémi, Un Brin Folk ou encore La Table 89+/100 ce chenin “orange” mêlant
de la Bergerie, à Champ-sur-Layon, sont chacune dans LA VINOTERIE notes florales et oxydatives.
leur genre des institutions locales. En caves à manger, JEAN-MARIE BROUSSET Sensation franche de croquer
ne manquez pas à Rochefort-sur-Loire, Canon canon de Vin de France dans le raisin, ponctuée
Tim Toïgo pour découvrir l’Anjou underground, ou l’effi- Harmonie du Soir 2019 de beaux amers. Parfait pour
cace Une fille et des quilles, rue Baudrière à Angers. P. L. Sur un nez délié de camomille des anchois salés.
et de noyau, c’est un chenin 25 € // Bouteilles/an : 100

Les coordonnées des producteurs sur larvf.com

LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 97


89/100
THOMAS BATARDIÈRE
Vin de France
L’Esprit Libre 2019
Un chenin d’une spontanéité
et d’une franchise enivrante.
Un blanc sec mené dans
son plus simple appareil, où
les saveurs d’agrumes (citron,
yuzu…) animent une bouche
délicieusement croquante.
20 € // Bouteilles/an : 4 000
89/100
DEBOUT BERTIN
Vin de France Pacotille 2019
Tourbillonnant de saveurs
libres mais mûres du chenin.
Un blanc encore gazeux, mais
aux saveurs généreusement
franches. Déroutant pour
les palais classiques, il faut
le boire dans sa jeunesse.
25 € // Bouteilles/an : 1 200
89/100
JULIEN DELRIEU
Vin de France
Pont Bourceau 2019
Une expression florale
et fraîche du chenin.
Vraisemblablement pressé
en douceur pour offrir
une matière souple équilibrée
entre un fruit aérien
et une allonge fraîche.
À déboucher dans les six ans.
15 € // Bouteilles/an : 6 000
89/100
CLOS GALERNE
Anjou Moulin Brûlé 2018
Un chenin un peu contenu qui
déroule toutefois une rondeur
alléchante en bouche. Loin
de la tendance “nature”,
on sent une volonté d’exprimer
un fruit précis. Une évolution
à suivre de près.
32 € // Bouteilles/an : 1 700
89/100
MAI ET KENJI
HODGSON
Vin de France Faia 2018
Encore un peu fou, ce chenin
façonné par ce couple
nippo-canadien virevolte
de saveurs libres. La matière,
poignante et énergique, est
patinée par un élevage qui
Les Dégustations
Cheninssecsd’Anjou Noir
naturelle. Une cuvée à boire
Clos des Plantes, àFaye-d'Anjou dans sa jeunesse.
Il a troqué le joystick pour 17 € // Bouteilles/an : 2500
le sécateur et les massales 88/100
CÉDRIC GARREAU/
GARO’VIN
Vin de France Lunatic 2018
Une macération d’une dizaine
de jours donne ce blanc
assez exubérant, peu cadré,
construit par une structure
tannique intéressante
jusqu’à une finale tout feu
tout flamme.
14 € // Bouteilles/an : 4000
88/100
DOMAINE DES PZ
Vin de France
Un Bout de Chemin 2017
Sous une réduction tenace,
ce chenin avance une sensa-
tion d’acidité volatile élevée.
Une matière un peu carrée en
bouche. On sent qu’un terroir
pousse derrière jusqu’à
une allonge libérée.
11 € // Bouteilles/an : 1100
Olivier Lejeune s'est initié à la vigne à Felton Road, en Nouvelle-Zélande.
88/100
R ien ne prédestinait le Nordiste Olivier Lejeune
à replanter des massales à Mont Benault. Après
une première vie en Asie dans les jeux vidéo, il change
DOMAINE VINCENDEAU
Anjou Le Raguenet 2019
Une touche de sucrosité des
de cap : ce sera la vigne, la Nouvelle-Zélande et la biodynamie schistes verts et pourpres de
à Felton Road. Découragé par un foncier inabordable, Rochefort-sur-Loire enrobe
il vendange chez Mark Angeli qui le prend sous son aile. une fraîcheur pleine d’élan.
La magie des terroirs et de la camaraderie opère. En 2017, Dénué de saveurs boisées, le
il s’installe sur quelques hectares délaissés de chenin, fruit se révélera de manière
cabernet et grolleau. La solidarité l’aide à surmonter fringante dans la jeunesse.
les premiers millésimes, au cours desquels il doit affronter le 18 € // Bouteilles/an : 2089
gel et l’absence de chai. 2020 inaugure enfin une jolie récolte
et une cave pour abriter le travail de ce vigneron sensible 87/100
dont les cuvées impressionnent déjà par leur toucher. P. L. THOMAS ZURBACH
Vin de France L’Envolée 2018
Un blanc tenu par une réduc-
lui donne des airs jurassiens. fédérateur que l’on aimerait tion présente, qui cache un
À ouvrir dès le printemps toutefois plus vivifiant. bon fond de vin mûr et frais.
et dans les cinq, six ans. 24 € (cavistes) // Dépouillé, bien fichu, direct
26 € (cavistes) // Bouteilles/an : 4000 et en toute simplicité.
Bouteilles/an : 2500 14 € // Bouteilles/an : 1000
88/100
89/100 LES ERRANCES 86/100
PIERRE MÉNARD VindeFranceQuandfondlaNeige, DOMAINE LES CANONS
Anjou La Varenne de Chanzé 2019 OùvaleBlanc?2019 Anjou La Montagne 2019
La puissance profonde Sous une forte réduction, un Premier millésime convain-
et l’intensité de ce terroir chenin de bonne constitution cant pour ce chenin du secteur
schisteux (avec spilites exposé avec beaucoup de rondeur de Bonnezeaux. Pas encore très
au sud) se dégagent de cette se dessine. Malgré une saveur précis, il est juteux et augure
cuvée menée par un élevage lactée, la bouche se termine d’une progression future.
luxueux. Un beau blanc par une fraîcheur d’agrumes 13,60 € // Bouteilles/an : 6 000
98 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
 Les Dégustations
Une révolutionen90 cuvées

Les grands domaines Anjou Bonnes

Blanches 2018
de Belargus :
qui font leur mue un premier
millésime
encourageant.
es domaines de plus 20 hectares, repris par la nouvelle génération ou par des propriétaires
C ambitieux, n’hésitent pas à remettre à plat les modes de culture conventionnels
en se convertissant massivement à la viticulture biologique, voire biodynamique. Leur révolution
consiste également à revoir un modèle de production historiquement bâti sur le cabernet d’Anjou
rosé et sur les blancs moelleux, dans l’objectif de conquérir le cœur des amateurs de grands
blancs secs. Cette mue, couplée aux dizaines de milliers de bouteilles produites, font d’eux
des ambassadeurs essentiels au rayonnement de l’Anjou à travers le monde. Leurs cuvées d’entrée
de gamme constituent d’ailleurs une très belle mise en bouche. A. G.

93/100
TERRA VITA VINUM Domaine Ogereau, àSaint-Lambert-du-Lattay
Savennières Bigottière 2018
Ce savennières s’élance tout en Ses chenins secs nous
finesse, sans passage en force.
D’un éclat subtil, il offre l’ex- épatent de plus en plus
pression épurée des schistes

D. R.
gréseux verts avec phtanite.
Beaux amers zestés en finale.
Certifié Demeter en 2020.
25,90 € // Bouteilles/an : 8100

92/100 chenin du secteur de l’Aubance

DOMAINE OGEREAU
Savennières L’Enthousiasme 2018
Un beau vin défini avec une
précision chirurgicale, au bou-
quet finement nuancé. Sans
aucune exubérance, ce 2018
dévoile des subtilités florales
et pierreuses. On retrouve un
très beau raffinement dans sa
bouche sans débord, un brin
lactée. La vibration du fruit
monte en puissance en finale.
32 € // Bouteilles/an : 2000
92/100
DOMAINE OGEREAU
Anjou Vent de Spilite 2019
Sur un sol composé de la
fameuse roche volcanique,
ce chenin développe une force
énergique remarquable.
Une matière intense enveloppe
C onnu depuis longtemps pour ses merveilleux liquoreux
cieux cabernet d’Anjou rosé, le domaine Ogereau incarne
pourvu d’une belle réduction
grillée. La puissance fumée
se transmet dans une bouche
racée, ciselée par de beaux
amers. Plus de dix ans de garde
l’attendent.
29,90 € // Bouteilles/an : 8000
91/100
DOMAINE
DE LA BERGERIE
Anjou Zerzilles 2018
Un sec né sur le terroir
à liquoreux de Quarts-de-
Chaume. Il a été récolté à
juste maturité pour mettre en
lumière une définition saline
Emmanuel Ogereau est bien décidé à explorer la voie des chenins secs. du chenin. Un profil digeste,
sans manquer de profondeur.
des Coteaux du Layon et Quarts-de-Chaume et son déli-
Ce n’est que le début !
24 € // Bouteilles/an : 3300

une trame en bouche droite
comme un “i” et tenue par
un élevage soigné. À ouvrir
entre 2022 et 2035.
25 € // Bouteilles/an : 3200
92/100
TERRA VITA VINUM
Anjou Grandes Rogeries 2019
Dégusté avant mise, voici un
le parfait exemple de propriété familiale qui évolue sereine- 90/100
ment vers les grands blancs secs. Nous avons d’ailleurs récom- CHÂTEAU
pensé cette progression remarquable par une étoile dans DE BOIS-BRINÇON
notre Guide des meilleurs vins de France 2021. Ici, tout est établi Anjou
avec minutie et grand soin pour sculpter des vins propres Les Saules de Montbenault 2017
et précis (trop sérieux pour certains palais) que quelques Le coteau de rhyolites
années de garde sublimeront. Parmi les 24 hectares de vignes de Montbenault surplombant
du domaine, le patrimoine de lieux-dits (Bonnes Blanches, Rablay-sur-Layon imprime
Ardenay, Vent de Spilite…) promet une exploration passion- sa patte de puissance volca-
nante des facettes du chenin sur les sols angevins. A. G. nique contenue à cette cuvée

Vin en cours de conversion bio Vin biologique Vin en cours de conversion à la biodynamie Vin biodynamique

LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 99


produite depuis 2013 par
Xavier Cailleau. La jolie tension
amère saline s’accommode
bien d’un élevage qui rehausse
son gras fumé.
23 € // Bouteilles/an : 2500
90/100
DOMAINE BELARGUS
Anjou Bonnes Blanches 2018
En lice pour la reconnaissance
des crus angevins, ce terroir
de Saint-Lambert-du-Lattay
s’exprime avec une enveloppe
suave tirée d’un élevage sous
bois ambitieux, et l’énergie que
lui confère une belle matière
première. Premier millésime
encourageant.
40 € // Bouteilles/an : 2200
89/100
CHÂTEAU DE PLAISANCE
Anjou La Grande Pièce 2019
Un chenin de grès et poudin-
gues en recherche d’épure
et de tension. Un peu habillée
par un élevage luxueux,
la bouche pourrait gagner
en étoffe. Premier millésime
de Vanessa Cherruau,
une vigneronne à suivre.
30 € // Bouteilles/an : 1700
89/100
DOMAINE DE BABLUT
Anjou Ordovicien 2018
Expression d’un chenin bien
mûr, bien façonné lors
d’un élevage soigné, avec
une fraîcheur préservée dans
ce millésime généreusement
ensoleillé. Consensuel, ce qui
n’est pas une peite qualité.
Ce domaine de 55 ha a
largement contribué à l’essor
des blancs secs d’Anjou.
14,50 € // Bouteilles/an : 5000
89/100
DOMAINE BELARGUS
Anjou Ronceray 2018
Un certain exotisme se dégage
de cette cuvée habilement
élevée. Sa rondeur sensuelle
et son allonge posée séduiront
le plus grand nombre.
Il conserve de la fraîcheur et
propose une approche digeste
dans ce millésime solaire.
28 € // Bouteilles/an : 18 000
Les Dégustations
Cheninssecsd’Anjou Noir
Les vignerons
87/100
CHÂTEAU
Nicolas Reau et
BOIS-BRINÇON
Sylvie Augereau.
Vin de France Origine
Expérimentation intéressante
d’un chenin macéré huit mois
en dolia. Derrière une forte
réduction, s’ouvre un jus
au cœur souple allant vers
une finale plus ferme, un brin
rustique. Une prise de risque
inspirante, à affiner !
35 € // Bouteilles/an : 600
87/100
CHÂTEAU DE PASSAVANT
Anjou 2019
Quand le chenin rencontre Voici une expression de chenin
bien mûr, techniquement
le calcaire jurassique bien ficelé. Ce n’est pas le plus
émouvant mais il a le mérite de
S ur les pourtours schisteux de l’Anjou Noir, se trouvent
de beaux terroirs calcaires tombant en appellation
Anjou. Leurs profis plus effilés, avec un bouquet d’agrumes
séduire le plus grand nombre.
À boire dans sa prime jeunesse.
9 € // Bouteilles/an : 20 000
doux et une mâche tannique plus délicate, distinguent
les cuvées qui en sont issues. Des vignerons mettent 86/100
en avant ces vignobles hors des sentiers battus : aux bords DOMAINE DE BOIS MOZÉ
de la Loire, au Thoureil, Sylvie Augereau bichonne ses Anjou Clair de Terre 2019
vieilles vignes révélées dans une cuvée sincère de macéra- Davantage marqué par la note
tion, Peau. Près d’Ambillou-Château, Sylvain Potin pour- de biscuit de son élevage
suit l’inspiration d’Anne-Claude Leflaive sur le tuffeau en amphore que par le terroir,
argilo-sableux du Clau de Nell. À Oiron, Benoît Blet ce chenin charme toutefois par
et Nicolas Reau font revivre le vignoble historique sa trame digeste et douce.
du Thouarsais, oublié après le phylloxéra, en dévoilant 14,20 € // Bouteilles/an : 2 300
la personnalité du chenin sur calcaire jurassique. P. L.
Anjou Les Pierres
89/100 est bien droit et fuselé, sans Girard 2018
LES GRANDES VIGNES pour autant être décharné. du domaine
Vin de France 17 € // Bouteilles/an : 8 700 de La Bergerie :
La Varenne du Poirier 2019 un blanc rond
Cette cuvée franche permet de 88/100 et fringant,
goûter la touche plus aérienne CHÂTEAU à savourer jeune.
et juteuse des terroirs de la rive DE LA ROULERIE
droite du Layon ; la finale d’ar- Anjou Magnolia 2019
moise et de noyau de mirabelle Un blanc sec bien mené, avec
rappelle que les schistes verts une rondeur suave. Facile
ne sont pas loin. Comme pour d’approche, il présente un gras
nombre de chenins “nature”, avenant, une fraîcheur un peu
un petit élevage en bouteille faible dans ce beau millésime.
aiguisera son profil. 17 € // Bouteilles/an : 5 000
17 € // Bouteilles/an : 20000
88/100
88/100 DOMAINE
CHÂTEAU DE PLAISANCE DE LA BERGERIE
Anjou Ronceray 2019 Anjou Les Pierres Girard 2018
Récolté sur le fil de maturité, Entrée en matière gourmande
ce chenin développe une cer- pour comprendre le style
D. R.
taine énergie. Une approche précis des sœurs Guégniard.
contemporaine pour un Rond et fringant, à boire jeune.
ensemble ciselé avec soin. Tout 12,60 € // Bouteilles/an : 9 000
100 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
 Les Dégustations
LES 100 BOUTEILLES MYTHIQUES
Ermitage rouge
Cuvée Cathelin 1990
Domaine Jean-Louis Chave
L’éloquence des Bessards
n°15
C
’est une star absolue des ventes aux enchères : la
Cuvée Cathelin fait l’objet des spéculations les
plus effrénées. Les quelques flacons restants
sur les 2 500 produits en 1990 s’arrachent à prix d’or,
atteignant 6 300 euros chez iDealwine, ce qui désoleson
géniteur pour qui le vin est avant tout fait pour être bu.
Le 2009 dépasse les 10 000 euros, une folie !
Gérard Chave est “le” vigneron emblématique de
l’Hermitage, même si sa maison de Mauves nesesignale
ni par son faste, ni par une quelconque ostentation.
Ici, pas de showroom, pas de visites, on ne s’occupe que
du vin. Et quel vin ! Le domaine, initié voilà 540 ans,
possède les meilleurs terroirs de ce coteau magique.
Les premières parcelles furent acquises en 1885. Le
père de Gérard, Jean-Louis, fit monter en flèche la
notoriété ; son fils, désormais aux manettes, porte
le même prénom. La continuité est exemplaire.
LE PATRONYME DE SON AMI PEINTRE
Basé sur un assemblage autour du lieu-dit
Les Bessards, avec Les Roucoules, Péléat,
Le Méal, Les Dionnières, L’Ermite, son ermi-
tage a pendant longtemps représenté tout
l’art de ce vigneron de l’extrême, jaloux de
sa « petite syrah » peu productive, sourcilleux
d’une viticulture au plus près de la nature,
avec ses sélections massales, son respect du
sol, sa volonté d’atteindre les grandes matu-
rités, ses vinifications adaptées aux matières
premières, ses élevages en foudres puis en
fûts avec une dose modérée de bois neuf. Un
vin qui sait allier la belle concentration équi-
librée avec le charme aromatique, le velouté
des tanins et un tonus éclatant.
C’est le millésime 1990 qui enfante cette
cuvée hors du commun. Après un printemps
doux, un été très chaud (un peu moins qu’en
1989) mais sec, les maturations se sont déblo-
quées grâce aux quelques pluies de début
D. R.
septembre. Comme de coutume, Gérard
Chave a attendu le dernier moment pour
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 101
vendanger. Son tri drastique, ses vinifications au petit
point (chaque parcelle est vinifiée pour en extraire tout
le caractère, soit en cuves bois soit en inox, soit pigée
soit remontée) dévoilent que Les Bessards présente une
structure et une densité supérieures. Gérard décide d’en
faireunecuvée à part, élevée en barriques neuves. Pour la
nommer, il emprunte le patronyme de son grand ami, le
peintreBernard Cathelin (1919-2004), qui illustrait parfois
ses étiquettes. Une légende est née, elle ne sera produite
que dans les grands millésimes : 1995, 1998, 2003…
Jenerésiste pas au plaisir de vous livrer mon commen-
taire de cette merveille dégustée en 1995, alors qu’elle
commençait à peine à s’ouvrir : « Une maturité exception-
nelle, Des arômes de fruits noirs confits, de réglisse, d’épices
finement boisées, de cacao. La bouche est impressionnante
de densité mais le tout est fondu dans une harmonie et
une finesse d’école. Les tanins, gras et soyeux, viennent
prolonger ce vin dans une longueur exceptionnellement
aromatique. Un vin d’anthologie ». Qui récoltait
cinq étoiles, à une époque où La RVF n’avait pas
encore succombé à la notation sur 100. Vu le
prix atteint aujourd’hui par ce vin, je ne suis pas
sûr de pouvoir le déguster à nouveau…
UN ARTISANAT DE LUXE
Jean-Louis Chave est désormais le maître
des lieux. Après des études à l’université cali-
fornienne de Davis, il est venu épauler son
père, puis a pris la direction du domaine. Au
vignoble, il entreprend de gros travaux, réin-
vestit le coteau de Bachasson en Saint-Joseph,
berceau de la famille, et fait l’acquisition du
Clos Florentin, magnifique coteau détruit par
le phylloxéra, pour une résurrection totale. Le
domaine atteint aujourd’hui 21 hectares, et la
nouvelle génération reste dans le droit fil de
la philosophie maison : respect des équilibres
naturels, maturités optimales, peu d’inter-
ventions afin de laisser le vin se construire pas
à pas. De l’artisanat de luxe en quelque sorte.
Pierre Casamayor
Shutterstock Les Dégustations

D’ouest en est, nous sommes allés chercher les vignerons qui suivent la veine montagneuse, comme ceux de Saint-Chinian, adossés au Massif central.

Languedocs d’altitude :
le Sud et la fraîcheur réunis
Oui, l’altitude influence favorablement le bouquet des vins dans les régions méditerranéennes.
Pour le vérifier, nous avons dégusté à l’aveugle 266 languedocs nés sous le soleil,
mais entre 250 et 500 mètres d’altitude. Passionnant ! Par Caroline Furstoss et Idelette Fritsch

D
éguster à l’aveugle les vins d’altitude en Languedoc ?
L’idée lancée par La RVF a intrigué plus d’un vigneron
de l’arc languedocien. La question devient brûlante
dans le contexte du réchauffement climatique, alors que les
vins se chargent en degrés sous l’effet des températures esti-
vales. Et pourtant, ce sujet a rarement été étudié sérieusement.
C’est connu : les vins de montagne sont plus frais, digestes,
avec des tanins plus souples. En altitude, la température baisse
de 0,6° C tous les 100 mètres. Et l’amplitude quotidienne de
températures, avec des nuits fraîches, favorise une matura-
tion lente des raisins et des acidités préservées. D’où l’idée du
présent palmarès, qui a conduit plus d’un syndicat d’appella-
tion à ressortir ses vieilles cartes IGN pour répondre aux cri-
tères imposés par La RVF : l’appel à échantillons concernait
uniquement les vins d’AOP dont le vignoble se situe à plus
de 250 mètres au-dessus du niveau de la mer. Exit les doux
reliefs habillés par la garrigue, les coteaux à influence médi-
terranéenne et même les soubergues, les collines en occitan.
Forcément, il y a eu des déçus. « Les soubergues, vaste zone inter-
médiaire située entre 100 et 250 mètres, bénéficie de la double influence
maritime et montagneuse », nous a expliqué Jean-Philippe
Granier, directeur technique de l’AOP Languedoc. Mais il fal-
lait trancher. À l’arrivée, seuls 20 % du vignoble épousaient nos
critères, mais le tamis a fait émerger de belles pépites !
TROIS PALIERS POUR UN TOUR D’HORIZON
D’ouest en est, nous sommes allés chercher les vignerons qui
suivent la veine montagneuse : sur les terroirs audois du pié-
mont pyrénéen (Corbières, Fitou) ; au pied de la Montagne
noire avec les atypiques Limoux, Malepère et Cabardès ; sur
les coteaux du Languedoc adossés au Massif central (Saint-
Chinian, Faugères, Terrasses du Larzac) et les derniers contre-
forts des Cévennes (Pic Saint-Loup). Et nous vous proposons
un tour d’horizon des vins dégustés sous anonymat mais

102 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021

 Les Dégustations
Vins d’altitudeenLanguedoc
par paliers d’altitude : d’abord les vins produits entre 250 et
300 mètres d’altitude, puis entre 300 et 350 mètres et enfin les
vins nés au-dessus de 350 mètres.
Des fruits rouges, des tanins souples, une bouche rafraîchis-
sante sont les grands atouts des vins rouges retenus ici. Sur les
hauteurs, les notes “engarriguées” typiques du Languedoc, les
échos de tapenade, les tanins accrocheurs laissent place à des
expressions plus aériennes. Mais le terroir est bien là, dans les
notes fumées des schistes de Faugères (cuvée Jalka rouge du
Mas Lou) ou les calcaires du Minervois (L’Inattendu blanc du
Clos du Gravillas), avec cette sensation de caillou qui s’exprime
dès le nez. En blanc, c’est le vignoble de Limoux, plus connu Le village de Minerve, une merveille.

D. R.
pour sa blanquette et son crémant, qui présente les acidités les
plus remarquables. Son climat plus apaisé, donc plus frais, y fait
des merveilles sur le mauzac et le chenin ligérien. Mais gare aux
Vins nés entre
boisés luxuriants sur les chardonnays qui laissent une bouche
pâteuse ! À cause d’eux, de nombreux limoux ont été écartés
250 et 300 m d’altitude
ce niveau d’altitude 93/100
de notre sélection.

SUR LA CORDE RAIDE

À au-dessus de la mer,
de grandes réussites
Autre enseignement de cette dégustation : une majorité (85 %) se distinguent
de domaines conduits en bio et biodynamie se distingue. En à Saint-Chinian, Faugères
altitude, les maladies de la vigne se font plus rares, l’isolement et dans le Minervois.
géographique préserve la plante. Pour les vignerons, travailler Leurs atouts ? L’équilibre
sans fongicides ni herbicides est plus aisé. Mais la médaille a entre fruit et épices,
son revers : des gelées redoutées, certaines maturités tardives et surtout la texture
qui imposent d’aller chercher la matière en repoussant les très souvent suave
dates de récolte. « Sur les hauteurs, la fraîcheur est naturelle, mais et onctueuse des tanins.
c’est une viticulture sur le fil où l’on peut vite basculer en sous-maturité
avec des vins à 12 degrés », admet Julien Zernott, du domaine du 95/100
Pas de l’Escalette (350 mètres) en Terrasses du Larzac. MAS JULLIEN
Si l’altitude est un avantage dans le contexte du changement •Terrasses du Larzac
climatique, elle ne fait donc pas tout : terroirs gélifs, exposi- Carlan 2019
tion, course du soleil… « Il y a des dizaines de paramètres à maî- Vin enveloppant, avec
triser, insiste Olivier Jullien. Sur un terroir calcaire à Jonquières, à des notes de poivre sauvage et
100 mètres, j’aurai des acidités plus hautes (donc des pH plus bas) qu’à genièvre, complexe et doté de
300 mètres sur un schiste : en bas, je cherche les fraîcheurs de profon- tanins très soyeux. Finale mar-
deur, la complexité des vins qui puisent leur densité et leur matière fluide quée par l’écorce d’agrumes
dans les grands terroirs. Sur les hauteurs, pour ma cuvée Les Rougeos, qui prolonge l’instant.
avec des raisins récoltés entre 350 et 420 mètres, je cherche les fraî- Le vignoble s’échelonne entre
cheurs d’altitude, un vin d’un accès plus immédiat. Dans les deux cas, 250 et 350 m d’altitude. 35 €
la grande quête vigneronne, c’est l’équilibre. »
Faut-il dès lors songer à découper en deux les Terrasses du 94/100
Larzac, entre piémonts (80-150 mètres) et reliefs du Larzac LE LOUP BLANC
(jusqu’à 400 mètres) ? Diviser Saint-Chinian ou le Minervois, •Minervois
entre les causses au pied de la Montagne noire et les vignes qui La Mère Grand 2018
regardent vers la plaine ? Le débat est ouvert, surtout dans Très clair, un vin fluide, avec
une région chaude comme le Languedoc. Mais il n’est pas prêt un nez complexe de fleurs
d’être tranché ! I. F. séchées, très subtil. La bouche
délicate s’adresse aux amateurs
Conditions de dégustation de vins fins et raffinés.
266 vins rouges et blancs ont été dégustés en janvier 2021 par Caroline On retrouve une sensation
Furstoss et Idelette Fritsch dans les locaux de la Maison des vins du de caillou qui caractérise
Languedoc, à Montpellier. Les millésimes 2016 à 2019, bien représentés, le paysage à 250 m de hauteur.
côtoyaient les rouges 2007 et blancs 2010. 20,50 €
LANYE-BARRAC
VITIFARM
•Saint-Chinian Beauvin 2017
On repère cette belle cuvée
à ses notes de menthe poivrée,
son beau toucher de bouche,
fin et sapide. Issu de coteaux de
schistes, à 290 m d’altitude, le
vin est élevé 24 mois en demi-
muids. La cuvée Rabidote
(90/100, 11 €) est plus simple
avec ses notes de quetsche ;
c’est un vin aux tanins gour-
mands et frais, les vignes sont
plantées 30 m plus bas. 29 €
92/100
ROUANET
MONTCELEBRE
•Minervois Alveoline 2016
Axé sur le noyau, la cerise,
ce vin aux tanins souples
et onctueux garde une bonne
dynamique en bouche.
Syrah et grenache sont
plantés à 290 m sur calcaire
à alvéolines. 9,90 €
92/100
LES ÉMINADES
•Saint-Chinian Sortilège 2018
Très gourmand, doté d’un nez
délicatement floral, il propose
une bouche aux tanins suaves,
fins et rafraîchissants. Une
cuvée réussie issue de la partie
argilo-calcaire à 270 m. 17 €

Vin en cours de conversion bio Vin biologique Vin en cours de conversion à la biodynamie Vin biodynamique

LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 103


92/100
DOMAINE
MARION PLA
•Saint-Chinian
Expérience Singulière 2018
La réglisse et les fruits noirs
s’invitent au nez de cet assem-
blage de mourvèdre
et grenache plantés à 260 m
d’altitude. La finale accro-
cheuse rappelle une sensation
caillouteuse. Une belle expres-
sion argilo-calcaire. 15 €
92/100
ANNE GROS
ET JEAN-PAUL TOLLOT
•Minervois La Ciaude 2018
Un nez intense de fruits
Les Dégustations
Vinsd’altitude
des bois, dans un registre épicé, 91/100 Beauvin 2017
de Lanye-Barrac :
une belle tenue de bouche avec CHÂTEAU CASTIGNO des notes de
des tanins fins et gourmands. •Saint-Chinian menthe poivrée
Très belle réussite pour Secret des Dieux 2016 et un beau
ces vieilles vignes de carignan, Des notes de fruits rouges, toucher
syrah et grenache sur la zone une belle intensité et des tanins de bouche.
de Cazelles. 23 € possédant une force saline très
intéressante pour ce vin issu
91/100 de vignes plantées à 255 m sur
CALMEL ET JOSEPH sol argilo-calcaire. 21,90 €
•Saint-Chinian Les Cuvées
Rares Les Sept Puits 2017 91/100
Un vin velouté aux notes DOMAINE
de myrtille et de cèdre, à la LES COMBES CACHÉES
bouche fraîche et revigorante. •Minervois-La-Livinière
Il est issu de vignes de plus Soleil Rouge 2018
de 30 ans, plantées à 250 m Juteux et frais, cet assemblage
sur coteaux argilo-calcaires de cinsault et syrah a tout pour
exposés nord-ouest. 22 € plaire ! Les tanins sont fins,

la finale élancée. Ces vignes
âgées d’une vingtaine d’années
Maison Calmel & Joseph, à Montirat sont situées à 250 m d’altitude.
Depuis vingt ans, les terroirs 16 €
frais sont leur affaire 91/100
LE CLOS DU MARBRIER
•Minervois-La-Livinière
Haute Main 2016
Les notes de girofle, de fruits
rouges, se démarquent
d’un support de tanins enro-
bants et bien intégrés. Finale
sur une sensation juteuse
de fruits rouges. 19 €
91/100
DOMAINE MORTIÈS
•Pic Saint-Loup
Jamais Content 2019
Un nez bien en place de fruits
D. R.
D. R.
une persistance de fruits
rouges. Voici un vin juteux,
aux tanins fins, bien intégrés.
La finale révèle une structure
qui devrait se tenir pendant
cinq ans avec joie. Sur ce même
sol de schistes, la cuvée
Terroirs d’Altitude s’est aussi
démarquée (91/100, 11,60 €)
dans un style juteux, cendré
et délicat. 23,70 €
91/100
DOMAINE
BERTRAND-BERGÉ
•Fitou La Boulière 2017
Une expression fine et racée
des poudingues à 250 m d’al-

rouges et d’épices ; une bouche titude. Cette cuvée jouit d’une

Laurent Calmel et Jérôme Joseph apprécient « les bouches qui s’élèvent » complète, épicée, à la fraîcheur trame fraîche sans manquer de
dans leurs cinquante cuvées issues de vingt-cinq appellations.
bien intégrée, et des tanins qui structure : un grand vin ! 20 €
« Osantent
n n’a pas gagné le concours de la vigne la plus haute », plai-
Laurent Calmel et Jérôme Joseph, élus en
s’affirment avec classe, polis
par un élevage long en foudres. 91/100
2018 négociants de l’année par La RVF. N’empêche, depuis Syrah et grenache d’une tren- MAS D’AMILE
vingt ans, le duo exploite le filon des terroirs frais sur vingt- taine d’années sont cultivés •LanguedocMontpeyroux2017
cinq appellations du Languedoc-Roussillon. En cinquante à 250 m. 25 € Très frais et léger, ce montpey-
cuvées, principalement des vins d’assemblage, ils cherchent roux présente une structure
la buvabilité, « les bouches qui s’élèvent » et les plus belles expres- 91/100 fine et croquante de fruits,
sions des terroirs de Saint-Chinian, Minervois, Faugères… DOMAINE avec un magnifique support
En 2015, la maison Calmel & Joseph (un million de bouteilles) LA BORIE BLANCHE de petites épices (cannelle).
a acquis son premier domaine en Corbières : 20 hectares •Minervois-La-Livinière Une belle expression caillou-
cultivés en bio à 300 mètres d’altitude, pour « un vin concentré, Grand Vin 2018 teuse du calcaire entre 270
à notre image », assurent ces frères de négoce. I. F. Le nez légèrement fumé offre et 300 m. 18 €

104 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021


91/100
CLOS DU GRAVILLAS
•Minervois L’Inattendu 2019
Le nez nous transporte par
ses notes de fleurs blanches
et de mandarine. La bouche
est souple, bien équilibrée,
la finale poivrée. Les très
vieilles vignes de grenache
et maccabeu se plaisent sur
ce sol calcaire à 260 m. 20 €
91/100
DOMAINE
DE MONTAHUC
•Muscat
de Saint-Jean-de-Minervois
Chemin du Chêne 2019
Nez bien net de muscat, avec
un côté verveine, profond et
aromatique. Le sucre est bien
intégré dans ce vin plein de
Les Dégustations
enLanguedoc
90/100 Domaine du Loup Blanc, à Bize-Minervois
DOMAINE
ROSE ET PAUL Nicolas Gaignon, un Loup
•Malepère Roudel 2019
Un bel équilibre général carac-
Blanc descendu de la Loire
térise ce malepère robuste,
aux notes de fruits noirs.
En bouche, la fraîcheur prend
le dessus malgré des tanins
un peu asséchants. Merlot,
cabernet franc et grenache
proviennent d’un terroir
à 270 m. 19 €
90/100
CLOS DU GRAVILLAS
•Minervois
Rendez-vous sur la Lune 2019
Ce 2019 est prometteur,
complet, doté de tanins bien
intégrés. Sa fraîcheur en finale
le rend attrayant. 15 €
D. R.

gourmandise, qui pourra être

apprécié au début du repas,
comme à la fin ! Ce muscat
petit grain est planté entre 250
et 280 m sur calcaire. 12,60 €
91/100
CHÂTEAU
DE LA LIQUIÈRE
•Faugères 2019
Des notes de poivre sauvage,
une bouche suave, bien équili-
brée et fraîche. Cette cuvée est
un bon classique. Le vignoble
commence à 250 m pour
atteindre 350 m. 10,90 €
90/100
DOMAINES PAUL MAS
•Limoux Arrogant Frog 2019
Un vin fruité et croquant à la
trame longiligne avec une per-
sistance de fruits rouges. 9,90 €
90/100
CHÂTEAU GUILHEM
•Malepère Prestige 2019
Il a pour lui un fruité charnu,
appuyé par un support d’épices
et une fraîcheur persistante.
L’harmonie est au rendez-vous
pour ces cépages océaniques
cultivés à 275 m. 11 €
90/100
RIMBERT
•Saint-Chinian-Berlou
Dom Rimbert de Berlone 2016
O riginaires de Saumur, Nicolas Gaignon et Carine Farre,
Le nez de ce saint-chinian
est intensément fumé, avec
un appui de fruits rouges ;
la bouche est friande, dotée
de tanins bien intégrés et
d’une finale en équilibre. 17 €
90/100
CHÂTEAU
ESTANILLES
•Faugères Vallongue 2020
Encore très jeune, ce faugères
blanc à l’allure ligérienne pré-
sente un caractère cristallin et
sapide. Marsanne, roussanne
et vermentino sont plantés
à 250 m sur schistes. 12 €
90/100
KHALKHAL-PAMIES
•Minervois
Lauraire des Lys 2016
Ce minervois est un vin
équilibré, une gourmandise
de fruits, aux tanins frais, avec
une finale élancée. Il est issu
d’un sol calcaire rocailleux
à 250 m. 22 €
Cette année, Nicolas Gaignon prend aussi les rênes du Mas Champart.
associés à deux proches vivant à Québec, créent
le domaine du Loup Blanc en 2003. Ils commencent avec
une vieille cave et 17 hectares sur le plateau argilo-calcaire
du Minervois. Si le vignoble n’est qu’à 250 m d’altitude,
l’approche ligérienne leur permet de livrer des vins frais
et digestes, à l’instar de La Mère Grand, un carignan élevé
en foudres de chêne. En 2015, leur tanière s’agrandit : un chai
moderne sort de terre pour accueillir une gamme de vins
bio et biodynamiques : Soif de Loup, Les Trois Petits C…
Doté d’un flair rare, Nicolas Gaignon devient en 2021 chef
d’exploitation du Mas Champart, à Saint-Chinian. I. F.
90/100 lourdeur, pour ce vin qui offre
L’ESTABEL d’emblée au nez un panier
•Languedoc d’agrumes et de fleurs de prin-
Cabrières Pioch Farrus 2018 temps. La finale, marquée de
Le nez est très ouvert, dans beaux amers, le relance après
un registre de fruits rouges ; un milieu de bouche plus fluet.
la bouche est fine, les tanins Le vignoble se situe entre 280 et
souples… On décèle une belle 300 m d’altitude, sur le Causse.
fraîcheur dans ce vin qui rend 15 €
hommage aux mines de cuivre
à 250 m d’altitude. 8 € 90/100
CHÂTEAU GLÉON
90/100 •Corbières La Clef 2018
DOMAINE On découvre un fruité pul-
LES COMBES CACHÉES peux, avec une trame fraîche
•Minervois Combe Violon 2019 et solide, une alliance des fruits
Une belle enveloppe mais sans des bois avec le romarin et une

Les coordonnées des producteurs sur larvf.com

LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 105


bouche voluptueuse. En 2017, la
cuvée Villa Ad Clivum (91/100,
12,50 €), elle aussi cultivée à
280 m, s’avère plus construite,
suave, dotée de tanins épicés
et vifs en finale. 9,50 €
90/100
CALMEL & JOSEPH
•Corbières Les Terroirs 2019
Parmi les corbières, ce vin issu
d’un terroir mixte à 250 m est
le plus léger. On ressent
des notes de fruits rouges et
une structure fraîche, à allier
avec un plat gras pour balancer
les tanins qui accrochent
légèrement. 12,50 €
89/100
LA GRAINE SAUVAGE
•Faugères Rocalhàs 2017
Après une bonne aération, des
notes d’herbes séchées et flo-
rales apparaissent. La bouche
se concentre sur un équilibre
entre acidité et amertume,
avec une bonne gestion des
extraits secs. La vigneronne a
sélectionné spécialement cette
parcelle de schistes à 420 m
pour élaborer son blanc ! 22 €
89/100
ABBAYE
SYLVA PLANA
•Faugères
Les Moines Blancs 2019
Une chair ferme pourvue
d’une acidité bien intégrée,
des notes de coing en finale qui
apportent de la gourmandise.
Grenache blanc, roussanne
et vermentino sont plantés
à 265 m sur schistes. 10 €
89/100
CHÂTEAU VILLERAMBERT
•Minervois Incarnat 2018
Un nez profond de fruits noirs
(myrtille) et une touche
de cannelle, qui enrobe
la bouche, caractérisent
ce vin bien structuré,
aux tanins fondus. Incarnat
Les Dégustations
Vinsd’altitude
Domaine de Cébène, à Faugères 89/100
Brigitte Chevalier LES MAÎTRES VIGNERONS
DE CASCASTEL
réinvente son 45e parallèle •Fitou
Expression de Schistes 2018
Cette cuvée retranscrit son
terroir de schistes de Cascastel,
à 260 m, une quarantaine
d’hectares au cœur du Haut-
Fitou. Le vin se révèle fin et
juteux, l’élan de fruits rouges
est omniprésent, avec
une finale pointue qui rappelle
la cranberry. 9,60 €
89/100
CHÂTEAU
DE NOUVELLES
•Fitou
Cuvée Vieilles vignes 2017
Un vin équilibré qui offre
une sensation persistante
de fruits rouges ; ces vieilles
I. Fritsch
vignes sont cultivées à 270 m
Nés plein nord, les rouges de Brigitte Chevalier sont taillés pour la garde. d’altitude. 13 €
A près vingt ans dans le négoce, cette Bordelaise pur jus
a laissé tomber en 2007 les argilo-calcaires de Saint-
Émilion pour les schistes d’altitude de Faugères. Avec une
89/100
DOMAINE DE CAMBIS
•Saint-Chinian Kalliope 2019
idée en tête : recréer sur dix hectares, parcelle après parcelle, Un saint-chinian au style léger :
« son 45e parallèle ». À 350 mètres de haut, les vignes face on lui trouve des notes
au nord, dans l’axe des vents dominants, sont un écrin pour de coing et de fleur d’oranger.
le grenache, la syrah, le mourvèdre et les vieux carignans. La finale un peu chaleureuse
Conduit en bio, avec des apports de tisanes biodynamiques, est balancée par un caractère
le domaine produit des vins issus de sélections parcellaires. légèrement brioché et éner-
Salinité, profondeur, pureté ? De ces trois mots, c’est gique. Grenache blanc,
le dernier qui définit les faugères de Brigitte, élevés trois ans roussanne et vermentino sont
en bouteilles avant leur commercialisation. I. F. ici plantés sur schistes entre
250 et 400 m. 13 €
assemble onze terroirs (marbre Syrah et grenache sont plantés 89/100
rose, schistes, argilo-calcaire…) sur un sol argilo-calcaire L’ESTABEL
à une altitude moyenne à 280 m d’altitude. 4,60 € •Clairette du Languedoc
de 260 m. 18 € Cabrières Le Grand Pan 2020
89/100 Un nez torréfié, complété par
89/100 CHÂTEAU LALIS des arômes de mandarine,
CELLIER •Languedoc fenouil et réglisse. La bouche
DES DEMOISELLES Briac d’Alaric 2018 est fraîche avec des notes
•Languedoc Belle tenue, avec une structure d’infusions de plantes, dans
Domaine des Vals 2019 modérée et une finale une impulsion longiligne.
Le nez de quetsche accom- accrocheuse pour cette cuvée Seules 800 bouteilles
pagne une bouche juteuse et de mourvèdre et syrah née de cette cuvée Le Grand Pan,
croquante, avec de l’allure et entre 280 et 300 m, sur née sur le schiste de Cabrières,
une persistance de fruits qui les contreforts de la Montagne à 250 m d’altitude, ont été
apporte de la gourmandise. d’Alaric. 10 € produites. 8,50 €
106 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021

Vins nés entre 300
et 350 m d’altitude
cette hauteur-là,
À émergent nombre
de réussites. L’expression
des différents terroirs est
bien marquée. On apprécie
le point d’équilibre entre
acidité et alcool.
93/100
DOMAINE DE CÉBÈNE
•Faugères Felgaria 2017
La riche palette d’épices
douces rappelle le Maghreb !
La bouche est marquée par le
santal et la rose, avec une struc-
ture de moyenne puissance
pour cette cuvée à majorité de
mourvèdre et syrah plantés à
300 m. Les Bancèls 2017 a aussi
retenu l’attention (90/100,
17,50 €). Sa structure fine béné-
ficie d’un bel appui de fruits
rouges, de cade et de girofle.
Saluons ce vin aux notes déli-
catement fumées, à la finale
équilibrée et salivante ! 39 €
93/100
DOMAINELESSERRALS
•Faugères Côte à Côte 2018
Des notes de moka et de can-
nelle pour ce vin salivant et
frais, à la tenue parfaite, gour-
mand et qui a la structure pour
durer. Il assemble des parcelles
de plus de 30 ans sur deux
coteaux à 320 m. À la même
altitude, la cuvée Aquilae,
(aigle en latin), clin d’œil à ce
rapace qui survole la parcelle
de mourvèdre et une pointe
de syrah, offre des tanins bien
fondus avec une persistance
épicée et une finale un peu plus
chaleureuse (92/100, 18 €). 13 €
93/100
LES VIGNES OUBLIÉES
•Terrasses du Larzac 2018
Les épices et les fruits noirs
Vin en cours de conversion bio
Les Dégustations
enLanguedoc
s’entremêlent avec des notes
de nigelle, de cacao, de mûre.
La bouche est fine et complexe,
avec une belle amertume
en finale. 20 €
92/100
DOMAINE
DE FERRUSSAC
•Terrasses du Larzac
Nègre Bœuf 2018
Le nez s’ouvre sur des arômes
de nigelle, de fruits noirs
et de violette, tandis que
la finale s’appuie sur des notes
de bois exotique et d’écorce
de mandarine. Cette cuvée
regroupe des parcelles
plantées de 270 à 350 m. 22 €
92/100
DOMAINE LA BOSQUE
•Saint-Chinian
Patte de Loup 2017
Une belle expression de
schistes, avec des notes de
fruits noirs et de petites épices
au nez, une bouche onctueuse
et gourmande. Syrah et
grenache sont présents à parts
égales (vignes de 35 ans plan-
tées sur schistes à 300 m). 17 €
92/100
DOMAINE LE CAZAL
•Minervois
Le Pas de Zarat 2017
Un côté juteux, sans trop de
puissance, un équilibre sur le
fil, des notes de zan et de fruits
rouges. Carignan, grenache et
syrah ont été plantés il y a trente
ans sur ces marnes argilo-cal-
caires à 300 m de haut. 14,60 €
92/100
DOMAINE DE BARROU
•Minervois Les Cresses 2018
Des arômes d’encens au nez,
complétés par une touche
Vin biologique Vin en cours de conversion à la biodynamie
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 107
de mûre. La bouche est très
agréable, avec un beau support
de fruits et des tanins polis,
une finale qui fait perdurer
la sensation de fruits. La notion
de lieu-dit s’impose avec
cette parcelle argilo-calcaire
perchée à 320 m. 20 €
92/100
LES VIGNES OUBLIÉES
•Languedoc 2019
On adhère à ce nez délicat d’au-
bépine. Ce vin est frais et cro-
quant, avec une belle colonne
vertébrale salivante. 19,50 €
91/100
CALMEL & JOSEPH
•Terrasses du Larzac 2018
Le nez est poudré, avec une
touche grillée, les tanins
se montrent soyeux et fondus,
avec une finale très gourmande
qui laisse un goût de mûre.
Une belle expression
de mourvèdre, complété par
de la syrah et du grenache
plantés à 300 m d’altitude. 17 €
91/100
DOMAINE
DU CAUSSE D’ARBORAS
•Terrasses du Larzac
L’Extrême 2018
Nez très délicat sur la menthe
poivrée, les baies rouges et
les fruits noirs. La bouche est
onctueuse, avec des tanins
fins : un vin noble et complexe,
à la finale dynamique. À 320 m,
il offre une expression fine
des éclats calcaires. 18 €
91/100
DOMAINE DE CABROL
•Cabardès La Dérive 2017
L’alliance de syrah et de caber-
net-sauvignon à 300 m d’alti-
tude en moyenne fonctionne
très bien, offrant des notes
de petits fruits rouges et une
texture fine, avec beaucoup
d’éclat et de dynamisme
en finale. 19 €
Le Pas de Zarat
2017
du domaine
Le Cazal :
un minervois
juteux, tout
en équilibre.
D. R.
91/100
DOMAINE COULET
•Terrasses du Larzac
Tour de Baulx 2018
Son nez très délicat évolue sur
des arômes de pêche de vigne,
de fruits rouges et de laurier.
La bouche est facile, avec
une structure moyenne et pul-
peuse. Une belle réussite pour
ce trio syrah, grenache, cari-
gnan, planté à 300 m. 11 €
91/100
DOMAINE
DES GRECAUX
•Languedoc Montpeyroux
Hemera 2016
Un nez frais de garrigue, avec
une dominante de thym. La
bouche est longiligne, libérant
une fraîcheur certaine de bout
en bout. Un support d’épices
fines et de fruits rouges frais
pour cet assemblage de syrah
et grenache à 330 m. 18 €
91/100
CLOS BAGATELLE
•Saint-Chinian
Je me Souviens 2017
Des notes délicatement fumées
Vin biodynamique

au nez et une belle accroche
en bouche, accompagnées
par le girofle et l’orange amère
en finale, caractérisent ce vin
complexe et suave. Le mour-
vèdre, planté avec de la syrah
à 300 m sur sols de schistes et
calcaire, donne le tempo. 46 €
91/100
CLOS D’ELLE
•Languedoc Rouviège 2019
Équilibré, avec un caractère
épicé, on retrouve la pulpe de
la pêche de vigne et une finale
qui rappelle le caillou dans ce
duo roussanne/vermentino
planté sur le causse d’Aumelas
à 300 m d’altitude. 10,40 €
Domaine de Ferrussac,
à La Vacquerie-et-Saint-Martin-de-Castries
Des rouges au pays des vaches
I. Fritsch
Les Dégustations
Vinsd’altitude
91/100
LES CRUS FAUGÈRES
•Faugères
Parfum de Schistes 2019
Notes de fenouil et d’agrumes
au nez ; la bouche est ample
et dotée d’un équilibre très
réussi, alliant beaux amers
et vivacité sous-jacente.
Une belle pépite ! 6,70 €
91/100
DOMAINE DES PRADELS
QUARTIRONI
•Saint-Chinian Ristretto 2017
Une explosion de violette au
nez ! La bouche offre une trame
sapide et svelte avec un appui
de fruits rouge acidulés. C’est
une cuvée largement dominée
par la syrah, plantée à 300 m
sur schistes ordoviciens. 22 €
91/100
DOMAINE
DU SACRÉ-CŒUR
•Saint-Chinian
L’Ancêtre 2019
Une expression gourmande
de fruit, les tanins sont fins et
clairs avec une fraîcheur sous-
jacente. Vieilles vignes plantées
à 290 m sur argilo-calcaire. 8 €
91/100
CLOS MARIE
•Pic Saint-Loup Simon 2018
Le vin s’ouvre lentement sur
des notes d’épices fines, de
thym citron. Bouche sur le fil,
avec une acidité présente, bien
intégrée, et des tanins fins pour
ces vieilles vignes de syrah,
grenache et mourvèdre. 30 €
91/100
DOMAINE
DE L’ARBUSSELE
•Faugères L’Envol 2019
Un vin suave et onctueux, basé
sur les baies, qui rappelle
l’alisier. La finale est longiligne,
les tanins sont croquants.
Un assemblage de syrah,
grenache et carignan à 300 m,
un rapport qualité/plaisir
qu’il ne faudra pas rater ! 8 €
91/100
d’une belle emprise florale.
La bouche est suave, avec
une longueur fruitée qui
rappelle les fruits des bois.
Carignan et syrah, complétés
d’une touche de grenache
et de mourvèdre, sont plantés
à 300 m. 31,20 €
91/100
CHÂTEAU
DES ADOUZES
•Faugères Le Tigre 2018
Une belle expression
du schiste, fumé et caillouteux,
avec une bouche élancée,
fraîche. On ressent ici cette
notion d’altitude, où l’alcool
et l’acidité trouvent un point
d’équilibre idéal. Les vignes
de carignan, grenache et syrah
de plus de 50 ans sont à 300 m
d’altitude. 10 €
90/100
CHÂTEAU DE CIFFRE
•Faugères Grand Vin 2017
L’approche est sanguine, avec
des notes d’écorce d’orange ;
la bouche est élancée, avec
des tanins tout en finesse
et une belle dynamique
en longueur. Né à 300 m,
ce faugères est complexe,
il a tout d’un grand. 25,30 €
90/100
DOMAINE
DU MÉTÉORE
•Faugères

MAS NICOLAS Les Perséides 2016

Le Savoyard Renaud Rossignol a repris les cinq hectares de son grand-père. •Faugères Le nez balsamique et floral
Le Coing Secret 2018 offre un piquant délicieux ;

V endanger à 350 mètres d’altitude ou relever

des terrasses de trois mètres sur les éboulis du Larzac
exige force et détermination. À 29 ans, celle de Renaud
Un côté lardé qui rappelle
la Vallée du Rhône. La bouche
offre une certaine générosité
la bouche est fraîche avec
des tanins suaves et une finale
d’orange amère qui renforce
Rossignol est de roc. En 2015, ce Savoyard reprend et du volume. Syrah et carignan une fine amertume. Les vignes
le vigneronnage de son grand-père en Terrasses du Larzac : plantés à 300 m. 15 € de 40 ans sont plantées
cinq hectares de rouges, puis six avec les blancs. Encore plus à 300 m. 18 €
haut, dans la ferme familiale du XVIe siècle, à la Vacquerie, 91/100
il élève des bovins de race Aubrac en pâture libre et installe DOMAINE 90/100
sa cave. Là, à 630 mètres, les “malos” sont lentes mais BINET-JACQUET LES CRUS FAUGÈRES
les idées fusent : en conversion bio, le fumier des vaches sert •Faugères •Faugères
à amender les vignes. Renaud produit trois rouges, sur Grande Réserve 2017 Parfum de Schistes 2019
le fruit, digestes, les “Vins et bovins du Larzac”. I. F. Un nez légèrement fumé doté Nez envoûtant de rose avec

108 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021

 Les Dégustations
enLanguedoc
un côté fumé et une bouche Château de Cazeneuve, à Lauret
André Leenhardt
fraîche et équilibrée pour
ce trio syrah, grenache,
et son fils Quentin
livrent deux parcellaires
Calcaire & Causse
mourvèdre planté à exacte- de haut vol sur
le causse de l’Hortus.
ment 342 m au-dessus
de la mer ! 8,10 € V igneron, André Leenhardt l’est sous
toutes les coutures : président du cru
Pic Saint-Loup pendant dix ans, il y exploite
90/100 30 hectares en agriculture biologique,
PEYREGRANDES à 150 m d’altitude. Dans les années 1995, les
•Faugères Prestige 2019 calcaires durs du causse de l’Hortus (450 m)
Réglisse, notes de fruits lui font de l’œil. « Mixés à des poches d’argile,
rouges confits, finale ce sont des terroirs frais porteurs d’avenir »,
gourmande sans trop d’alcool. se convainc-t-il. Un premier projet
À 300 m d’altitude, la syrah syndical tombe à l’eau, mais le vigneron
et le carignan s’expriment persévère en solo. Bonne pioche !
au mieux avec un petit support Autorisation de déboisement, préparation
de mourvèdre. 11,50 € des sols en 2003. Les 3,5 hectares du causse
de l’Hortus livrent deux vins parcellaires,
90/100 Le Causse, en rouge et en blanc. La route
DOMAINE est tracée pour Quentin, le fils, arrivé
DE FERRUSSAC au domaine en 2010. I. F.
I. Fritsch

•Languedoc
Les Renardières 2019
Un nez envoûtant avec
des épices et des fruits noirs, Vins nés à une altitude à l’intensité du fruit noir. Issu
d’un rare terroir argilo-calcaire
finale fraîche avec de l’élan
pour ce combo syrah/grenache supérieure à 350 m avec basalte orienté au nord
à 350 m d’altitude. 19,60 €
de la Vacquerie, à partir
ur les hauteurs de 94/100
de 300 m d’altitude. 14 €

90/100
S Faugères, du Minervois
MAS FABREGOUS
•Terrasses du Larzac
Sentier Botanique 2007
Une belle évolution de notes
de tapenade, de moka subtil
allié à l’humus, avec des tanins
fondus et une sensation
d’orange amère en finale qui
lui donne du relief. La capacité
de vieillissement se confirme
avec cette cuvée Sentier
Botanique née entre 300
et 450 m. 35 €
89/100
DOMAINE BERNATAS
•Limoux
La Petite Cordillère 2019
Des notes torréfiées pour
ce jeune chenin planté à 320 m.
La bouche est fraîche et fluide,
presque discrète mais son élan
en finale lui donne du relief.
19 €
ou du Pic Saint-Loup,
ces parcelles associent
personnalités marquées
et finesse. En blanc, Limoux
reste une valeur sûre ;
en rouge, les Terrasses du
Larzac offrent une palette
de fruits rouges unique,
avec des tanins salivants !
96/100
MAS JULLIEN
•Terrasses du Larzac
Lous Rougeos 2018
Nez au registre délicat
et poudré. La bouche se
montre onctueuse et pulpeuse,
dense et fraîche. Une grande
réussite pour un plaisir
immédiat ou à encaver ! 34 €
94/100
MAS LOU
•Faugères Jalka 2019
Ce cinsault né à 400 m sur
schistes est un vin de patience,
à la bouche très fraîche
et élancée, aux tanins fins,
tout en dentelle ! 15 €
94/100
CHÂTEAU
DE CAZENEUVE
•Pic Saint-Loup
Le Causse 2017
Notes délicates de genièvre,
tabac, humus. La bouche
séduit par sa texture fine
aux saveurs de fruits rouges et
de menthol. Une réussite pour
cet assemblage syrah/grenache
sur calcaires durs qui, à 400 m,
survolent l’appellation ! 31 €
94/100
DOMAINED’AUPILHAC
•Languedoc Montpeyroux
Les Cocalières 2018
Un vin à la structure envelop-
pante, dont les tanins s’affine-
ront avec les années. Les belles
notes de garrigue se mêlent
DOMAINE DU
PAS DE L’ESCALETTE
•Languedoc Les Clapas 2019
Il se démarque par sa bouche
tonique et cristalline, soutenue
par des notes de romarin
et de fruits jaunes. Grenache
et carignan blanc sont plantés
à 350 m d’altitude. 24 €
94/100
DOMAINE D’AUPILHAC
•Languedoc
Les Cocalières 2019
Ce blanc né sur une parcelle
isolée à 350 m présente un fort
attrait salivant, avec des notes
d’abricot et de bruyère blanche
qui persistent. 19,60 €
94/100
CLOS MAÏA
•Terrasses du Larzac 2018
Expression fine et suave ; la
belle proportion de grenache
donne un élan de fruits rouges,

Les coordonnées des producteurs sur larvf.com

LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 109

 Les Dégustations
Vinsd’altitude
avec des parfums de menthe 93/100 93/100 Faugères
poivrée. Il reflète la pureté des LES HAUTES TERRES ERMITAGE Jalka 2019
du Mas Lou :
éboulis calcaires du plateau du •Limoux Louis 2019 DU PIC SAINT-LOUP
un superbe
Larzac, à 350 m d’altitude. 25 € Expression complexe au nez •Pic Saint-Loup cinsault
comme en bouche, avec Cuvée Sainte Agnès 2018 né à 400 m
94/100 des notes de chèvrefeuille. Nez fumé avec des fruits rouges d’altitude.
MAS HAUT BUIS Une belle trame fluide pour et des épices. La bouche allie
•Terrasses du Larzac cet assemblage de chardonnay la fraîcheur de la citronnelle au
Costa Caoude 2018 et chenin issu de terroirs entre fruit rouge juteux. On retient
Un vin plein, aux notes 350 et 500 m. 16 € une belle trame acidulée pour
d’amarena et de tabac blond. ces vieilles vignes plantées
Sa bouche est profonde : la 93/100 à 400 m sur calcaire. 21 €
trame fine est pleine de fruits, DOMAINE
les tanins s’avèrent onctueux. DE MOUSCAILLO 93/100
Un vin à encaver si possible. •Limoux 2018 BORIE LA VITARÈLE
En attendant, on peut profiter Des notes grillées, appuyées •Saint-Chinian
d’une autre cuvée issue aussi de par une bouche ample Les Schistes 2018
ces terroirs d’altitude à 350 m : et une fraîcheur saline très Très pierreux, le nez rappelle
Carline (91/100,13 €) offre déjà agréable. Chardonnay, d’emblée le schiste ! Complets

d’intenses notes d’orange
avec une profondeur épicée
et des tanins polis. 25 €
Domaine de Mouscaillo, à Roquetaillade
Fous de mauzac !
D. R.
chenin et mauzac sont plantés
entre 400 et 500 m d’altitude.
16 €
et onctueux, les tanins
enrobent le palais sans force.
Son très beau toucher
de bouche est parti pour durer
quelques années ! 16,90 €
93/100
MAS CHAMPART
•Saint-Chinian
Clos de la Simonette 2017
Ce clos planté de mourvèdre,
carignan et grenache sur
calcaire survole le vignoble
à 450 m d’altitude ! Des notes
florales délicates et des tanins
suaves caractérisent ce vin
d’une grande élégance. 23,60 €
93/100
DOMAINE DU
PAS DE L’ESCALETTE
•Terrasses du Larzac
T. Legay
de laurier. Les tanins sont pré-
sents en filigrane, avec un grain
très fin, de la structure mais
en finesse pour ce vin né entre
350 et 380 m. 27 €
92/100
MAS D’ALEZON
•Faugères Montfalette 2019
L’explosion aromatique
se concentre sur la violette,
le curry et des nuances mus-
quées addictives. La bouche
est incroyablement fraîche,
portée par les schistes ardoi-
siers (400 m) où sont plantés
depuis près de 50 ans mour-

vèdre, syrah et grenache. 18 €

Camille et Thomas Fort se sont juré de relancer l’historique cépage. Le Grand Pas 2019
On apprécie d’emblée le nez 92/100
C hef de culture pendant treize ans au château de Tracy à
Pouilly, Pierre Fort a fini par écouter Didier Dagueneau,
qui lui disait : « Ton terroir est magnifique, rentre chez toi ! ».
empli de fruits rouges, avec
une petite touche de vanille
qui apporte la gourmandise, et
DOMAINE
CIRY CATTANEO
•Minervois Malabestia 2018
Dans la Vallée de Roquetaillade, l’une des plus hautes la bouche tout en finesse ! 28 € Nez charmeur, aux notes
de l’AOP Limoux, il crée en 2004 le domaine de Mouscaillo. de rose et de fleurs séchées. En
Près d’une génération plus tard, en 2020, Thomas Fort et sa 92/100 bouche, un bel attrait de fruits
femme Camille reprennent le domaine. Leur limoux blanc DOMAINE et une structure en demi-puis-
délivre tout le potentiel du chardonnay, sur un îlot exposé DE LA RÉSERVE D’O sance qui fait saliver ! Ce côté
face au nord. Ils l’associent au chenin et au mauzac, cépage •Terrasses du Larzac gourmand est dû au grenache,
historique du Limouxin. Habituellement employé pour Hissez O 2017 assemblé à un peu de carignan
la blanquette et le crémant, il est ici réhabilité en vin Un joli nez de fruits noirs, légè- et syrah sur ce socle argilo-cal-
tranquille à partir de clones plantés sur 50 ares. I. F. rement fumé avec une touche caire qui domine à 380 m. 12 €

110 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021


91/100
MAS D’ALEZON
•Faugères Cabretta 2019
Roussanne, clairette et gre-
nache sont plantés sur schistes
entre 350 et 400 m. Notes
de tilleul, de miel, avec une
touche d’herbes aromatiques.
L’oxydation ménagée donne
un accès pommadé ; la bouche
reste fraîche et droite. 20 €
92/100
DOMAINE
PETER SICHEL
•Corbières Parcellaire 2018
Jeunes grenaches plantés sur
une arène gréseuse à 420 m.
Nez aux notes de garrigue,
fruits noirs et amarena ;
bouche suave, aux tanins lon-
gilignes, à la finale bien définie
par les fruits rouges. 29 €
92/100
MAS LASTA
•Terrasses du Larzac 2018
À 500 m, ce vignoble de grès
et schistes bat un record d’alti-
tude. On perçoit des notes
de genièvre et de fruits noirs ;
la bouche offre des tanins polis
et onctueux, avec de la mâche
mais sans trop de force ! 20 €
92/100
TROIS TERRES
•Terrasses du Larzac
Bagnaloup 2018
Ces vieilles vignes de carignan,
grenache et une touche
de syrah sont plantées à 370 m.
Notes de fleurs séchées, avec
des tanins fins et fondus dans
une texture onctueuse. 12 €
92/100
DOMAINE CLAVEL
•Languedoc Copa Santa 2018
Ce trio syrah, grenache et
mourvèdre naît à 350 m
d’altitude. Notes de noyau et de
quetsche au nez. La bouche est
charnue, avec une belle per-
sistance de fruits et d’épices en
Vin en cours de conversion bio
Les Dégustations
enLanguedoc
Domaine Ciry Cattaneo, à Laure-Minervois sur les dernières parcelles
avant les Pyrénées, à 400 m.
Un souffle d’Orient Notes de fleurs et d’infusion
pour ce blanc élancé, à l’acidité
bien intégrée. 23 €
90/100
MAISON S. DELAFONT
•Limoux 2017
Chardonnay planté sur sol
argilo-calcaire et grès à 500 m
d’altitude. Belle intégration du
chêne dans ce vin qui envoûte
par ses parfums de miel
de fleurs. La bouche est fine,
I. Fritsch
la finale sapide. 19,50 €
David Ciry partage son temps entre les hauteurs de la Beeka et du Languedoc.
90/100
Œ nologue conseil au Liban, David Ciry s’envole deux
mois par an pour choyer, à 1 200 m d’altitude, les
raisins des domaines Kanafar, Terre Joie et Aurora, dans le
DOMAINE
DES PIERRES BLEUES
•Corbières Morphé 2017
vignoble de la Bekaa. Mais c’est en Méditerranée occidentale, Un assemblage de syrah et
plus exactement en Minervois, que cet accroc de la raréfac- grenache subtilement épicé,
tion de l’air s’est installé comme vigneron. En 2015, il acquiert fruité, pulpeux ; finale légère-
2,5 hectares dans une combe entre 350 et 380 m, sur le village ment asséchante pour ce vin né
de Siran. Plantées face au sud, sur des argilo-calcaires à 400 m d’altitude. 8,20 €
profonds, les vignes (en bio) livrent des vins au profil de fruits
frais, herbacés. Les blancs suivent grâce à un hectare planté 90/100
en roussanne et grenache gris. David Ciry s’essaye aussi MAS CHAMPART
aux cépages anciens (picpoul noir, ribeyrenc) avec le projet •Saint-Chinian 2019
d’acquérir, un jour, des vignes à 500 mètres. I. F. Les six cépages de ce blanc sont
plantés sur sol calcaire, à 400 m.
Bel élan. Trame fine, des notes
finale. Le calcaire accompagne 91/100 d’écorces d’agrumes, herbes
la bouche en filigrane. 21 € CALMEL & JOSEPH aromatiques, citronnelle, dans
•Faugères Les Terroirs 2019 un esprit fluide. 14,70 €
91/100 Une gourmandise ! Complet,
CHÂTEAU DE FAUZAN sans trop de puissance. Issu de 90/100
•Minervois-La-Livinière parcelles de syrah à 350 m pour DOMAINE GIRARD
L’Aldene 2017 moitié, complétée par du cari- •Malepère Tradition 2019
Le nez poivré, très vif, prend gnan et du grenache. 12,50 € Assemblage merlot et cabernet
ses marques. La bouche offre franc plantés à 350 m d’alti-
du relief, avec des tanins bien 90/100 tude. Juteux et frais, il livre une
intégrés. 10 € DOMAINE CHABBERT sensation de ronce et une belle
•Minervois 2019 longueur fraîche. 8,50 €
91/100 Une sacrée énergie accom-
DOMAINE pagne ce vin aux notes de thym 90/100
CAUJOLLE-GAZET citron et à la bouche cristalline. CHÂTEAU
•Terrasses du Larzac Grenache blanc et roussanne DE PENNAUTIER
La Coulée Douce 2018 sont plantés à 400 m. 9 € •Cabardès
Ce vin salivant promet un sacré Terroirs d’Altitude 2016
éclat de fruits rouges, avec 90/100 Vin fluide, sur le moka et les
des tanins fondus. Une belle CHÂTEAU DE GAURE fruits noirs, parfait à boire. Des
adresse à la Vacquerie, à partir •Limoux Oppidum 2019 tanins enrobants et une cer-
de 350 m d’altitude. 17 € Chardonnay, chenin et mauzac taine fraîcheur (360 m). 10,80 €
Vin biologique Vin en cours de conversion à la biodynamie Vin biodynamique
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 111
 Les Dégustations

La région de la Rioja
a largement dominé
l’histoire viticole
espagnole jusque
dans les années 1980.

Shutterstock

La formidable affirmation
des grands vins d’Espagne
Du modèle français des débuts aux actuelles expérimentations stylistiques
et aux explorations de terroirs nouveaux, la viticulture espagnole s’illustre au travers
de ces cuvées marquantes, fiertés d’un vignoble qui affirme son indépendance. Par Pierre Citerne

112 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021

 Les Dégustations
Les grandsvinsd’Espagne

V
élasquez, Ribera, Le Greco, Murillo, Goya, Picasso, dépendance culturelle et même politique. Dans l’Espagne du
Dalí… Il y a dans la peinture espagnole une expres- vin, les choses évoluent rapidement, le train s’emballe peut-
sivité, une violence, un besoin d’affirmation que être. Comme pour la mise en valeur des cépages autochtones
l’on ne rencontre que rarement dans les peintures française, et l’émergence des vins “nature”, le pays fait mieux que com-
flamande ou italienne, comme un besoin vital d’affirmer bler son retard, il met les bouchées doubles.
l’unicité de son génie. Un « refus du classicisme », a pu dire l’his-
torien Bartolomé Bennassar, spécialiste de l’Espagne moderne UN PATRIMOINE VITICOLE ENFIN RECONNU
et contemporaine, et critique taurin reconnu. Au moment où se multiplient les cuvées de grand prestige,
En irait-il de même pour ses vins ? L’Espagne a besoin de nous avons choisi de nous pencher sur les plus significatives.
bouteilles qui soient des icônes pour affirmer au monde son Pour comprendre leur avènement, il faut penser leur émer-
existence, nationale ou parfois régionale, pour son plaisir et gence en trois périodes : avant la Movida, du XIXe siècle aux
pour sa grandeur… La fonction de représentation, fonction années 1970 ; puis l’éveil général à la modernité, les ambitions
iconique, sacrée, existe dès les origines dans le rapport que mondiales, qui caractériseront les années 1980 et 1990 ; enfin
les sociétés méditerranéennes entretiennent avec le vin. Elle les années 2000 et plus encore 2010, qui engendrent une
semble en Espagne s’exacerber. Le consommateur deviendrait grande diversification des styles et des propos, marquées par
presque un célébrant. Il faut que ce soit rare, il vaut mieux que la reconquête territoriale et ampélographique d’un patri-
ce soit cher. En un mot, il faut au vin des habits de lumière. moine viticole dont on ne suspectait pas l’étendue.
Nous n’avons pas cherché l’exhausti-
UN BRIN DE MÉGALOMANIE vité mais plutôt des points de repère, des
Au XIXe siècle, le modèle du grand vin est cuvées qui ont marqué leur temps ou qui
français. C’est celui que les aristocrates et nous ont marqués, illustrées par des mil-
les esthètes espagnols tenteront d’importer lésimes contemporains et d’autres ayant
dans leur pays. Aujourd’hui, même si les passé, souvent avec brio, l’épreuve des
techniques et les idées venues de France ans:vingt-cinq étiquettes présentées dans
continuent à irriguer les nouvelles explo- l’ordre chronologique de leur création,
rations du vin espagnol, le rapport est de 1870 à 2014. Amateurs ou producteurs
différent. Contrairement aux vignerons français, nous avons tendance à observer
français, parfois dépassés par la valeurspé- les grandes cuvées espagnoles comme
culative de leurs vins mais continuant à des bêtes curieuses, alors que les grands
les commercialiser à des tarifs “rai- amateurs et les producteurs qui
sonnables” pour ne pas perdre leur comptent en Espagne sont depuis
clientèle historique (on pense bien presque deux siècles nourris
sûr à des noms tels Coche-Dury ou des modèles français. Peut-être
Overnoy), qui attendent à tout le devrions-nous regarder à notre
moins que le marché réponde avant tour par-dessus les Pyrénées,
d’augmenter leurs tarifs, il semble nous y reconnaîtrions l’origine
que les producteurs espagnols des cépages qui font nos grands
soient enclins d’emblée à créer des vins du Sud (le trio grenache, cari-
vins très chers, “super premium”. gnan, mourvèdre) ; nous verrions
En cela, l’Espagne paraît bien plus aussi que, depuis plusieurs décen-
proche du Nouveau Monde que nies, les pouvoirs publics ont en
du modèle européen classique. Ce Espagne, à rebours de ce qu’on
n’est pas forcément un mimétisme, constate en France, reconnu avec
c’est peut-être la conscience de son constance la valeur culturelle et
talent, un brin de mégalomanie, patrimoniale du vin.
comme chez ses grands artistes. On
pense à Picasso répondant à l’au- Conditions de dégustation
bergiste lui demandant de signer le Tous les vins ont été dégustés par Pierre
croquis qu’il venait d’exécuter sur la Citerne, la majorité en février 2020
nappe : « Je règle l’addition, je n’achète dans les locaux de La RVF, les millésimes
pas l’immeuble ». plus anciens lors de diverses occasions
Cette “montée en lumière” de antérieures. Les prix indiqués sont ceux
certaines cuvées traduit une réus- pratiqués par les cavistes.
site sociale, économique, comme le
Priorat, réinventé pour illustrer le
miracle économique catalan, pour
L’Ermita d’Álvaro Palacios
T. Legay

répondre, faire pièce aux étiquettes

célèbres de la Rioja et de la Castille, et Unico de Vega Sicilia,
deux emblèmes de l’Espagne.
dans une volonté d’affirmation d’in-

LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 113


Du XIXe siècle aux années 1970 :
une influence française très marquée
S i l’on excepte le vignoble
andalou de Jerez et le cas
unique de Vega Sicilia, la Rioja
domine largement l’histoire
viticole espagnole jusque dans
les années 1980. Depuis les
années 1870, l’importance des
bodegas historiques groupées
autour de la gare de Haro
ne s’est pas démentie. Leurs
grandes cuvées, modelées
par le rayonnement des vins
français du XIXe siècle,
ont survécu à la terrible
industrialisation qui a affecté
les vins espagnols dans
les années 1970. À la fois héral-
diques et modernistes (dans
le sens de l’Art Nouveau),
leurs étiquettes en sont
des témoignages vibrants ;
celle du Castillo Ygay est un
chef-d’œuvre. Leur prestige
demeure à ce jour et sort
même renforcé par l’affirma-
tion d’un classicisme qui vient
en contrepoint endurant aux
différents “progressismes”
qui se sont parfois essoufflés.
L’influence française, prépon-
dérante, court de ces pion-
niers jusqu’à la création du
Marqués de Cáceres à l’aube
des années 1970, qui introduit
par le truchement d’Émile
Peynaud l’approche borde-
laise contemporaine. On
Les blancs de López
de Heredia atteignent
des sommets
d’expression, d’élégance
et de persistance.
D. R.
Les Dégustations
25 grandsvinsd’Espagne
retrouve ce fil conducteur
bordelais en Catalogne,
où le cabernet-sauvignon de
la maison Torres ouvrira lui
aussi la porte de la modernité,
l’ouverture au monde qui
accompagne le changement
politique et la Movida
culturelle.
BODEGAS
LÓPEZ DE HEREDIA
Rioja Gran Reserva
Viña Bosconia
Cette bodega demeurée
familiale depuis sa fondation
en 1877 suscite depuis quelques
années un engouement plané-
taire du fait même du caractère
anachronique de ses vins,
sanctuarisés contre vents
et marées. La visite des chais,
inoubliable, illustre ce que dit
Pierre Casamayor des riojas
traditionnels : « Ils sont faits
comme les bordeaux d’autre-
fois… ». Tondonia et Bosconia
sont les deux étiquettes princi-
pales, déclinées en Reserva et
Gran Reserva. Contrairement
à d’autres cuvées historiques
de la Rioja, elles correspondent
à des vignobles parfaitement
circonscrits, propriétés de la
maison. De vrais vins de terroir
avant que le concept ne
connaisse un succès plané-
114 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
taire ! Nous avons toujours eu
un faible pour Bosconia, pro-
duction beaucoup plus réduite
que Tondonia, et dont la bou-
teille bourguignonne était
censée indiquer le caractère
plus charpenté. 1947 (97/100,
750 €) est un grand millésime,
dégusté plusieurs fois avec
une constance remarquable.
Encore rubis, la teinte ne trahit
aucune usure. Le nez est
une déclinaison de cuirs,
de sous-bois, d’encens…
L’aération amène des notes
de venaison marquées ; on
retrouve une matrice de cerise
confite, légèrement lactée,
caractéristique des riojas, d’où
se détache une pointe men-
tholée d’une grande fraîcheur.
La matière est encore riche,
dotée, avec des tanins saillants
mais ordonnés, une saveur
vivifiée par une puissante aci-
dité, d’une jeunesse étonnante.
Présence, austérité et tenue :
ce brillant septuagénaire est
l’égal d’un grand barolo ou
d’un grand corton.
BODEGAS
LÓPEZ DE HEREDIA
Rioja Gran Reserva Blanco
Viña Tondonia
Produits en quantité bien
plus limitée que les rouges,
ces blancs fondés sur le cépage
viura (macabeu) et très longue-
ment élevés atteignent des
sommets d’expression, d’élé-
gance et de persistance, dans
un style qui brouille la ligne
de partage entre oxydation et
réduction. Le millésime 1994
(96/100, 90 €) affiche une robe
toujours relativement pâle
malgré la longueur de l’élevage.
Le nez suggère tour à tour le
miel, la cave humide, le vieux
meuble ciré, la sacristie… On
ne peut qu’être frappé par la
grande complexité du message
aromatique, dont la saveur
exacerbe encore la portée.
Mais il n’y a pas de gras en
bouche ! Le vin est tout en ten-
sion, en ressort, en extrait
sec… L’ensemble possède
une grâce, une assurance
très particulière, une
esthétique assumée,
épurée, qui défie le
temps. En remontant de
vingt ans, le 1973 ne paraît
pas plus vieux, la fraî-
cheur semble encore
accrue, ainsi que le carac-
tère réducteur, introspectif,
minéral, qui a le suprême bon
goût de ne pas exclure le plaisir.
CVNE
Rioja Gran Reserva Imperial
La Compañía Vinícola del
Norte de España, fondée en
1879, est devenue sous l’acro-
nyme CVNE un des noms
les plus emblématiques du vin
espagnol. Depuis sa création, la
cuvée Imperial est élevée dans
le chai construit entre 1890 et
1909 par Gustave Eiffel, témoi-
gnage à la fois de liens forts avec
la France et du désir de moder-
nité qui animaient les acteurs
principaux de l’âge d’or de la
Rioja. Les millésimes anciens
bénéficiaient d’élevages beau-
coup plus longs que les actuels.
Si Imperial est historiquement
fondée sur des raisins
de la Rioja Alta, l’autre cuvée
phare, Viña Real, s’appuie sur
les raisins de la Rioja Alavesa,
zone plus fraîche et atlantique.
La capacité de vieillissement
de l’Imperial est admirable,
comme en témoigne le 1957
(93/100, 250 €), qui n’est pas
l’un des millésimes les plus
réputés. La robe dépouillée
offre des reflets corail et brun.
En revanche, le nez est encore
très riche, suggérant confitures
et même fruits frais, nimbés
d’une tonalité lactique caracté-
ristique, très pinotant finale-
ment ! Tenue, et même
aplomb : la bouche est un
exemple parfait de la finesse
endurante des vieux riojas.

Le rouge Gran Reserva Especial
Castillo Ygay de Marqués de Murrieta
incarne le rioja classique, même si les millésimes
les plus récents se teintent de modernité.
LA RIOJA ALTA
Rioja Gran Reserva 904
La Rioja Alta est l’une des
bodegas les plus connues et les
plus traditionnelles de la Rioja,
encore aujourd’hui propriété
des descendants des familles
qui fondèrent l’entreprise en
1890. Son style flamboyant,
aromatique, en même temps
que fin et distingué, est
demeuré remarquablement
stable et reconnaissable au fil
des décennies. 90 % de tempra-
nillo complétés par 10 % de gra-
ciano, quatre ans d’élevage en
fûts de chêne américain fabri-
qués sur place : 904 est une des
deux cuvées de Gran Reserva
(la cuvée 890, moins régulière,
est élevée plus longtemps
encore). Son nom vient tout
simplement du premier millé-
sime où elle fut produite, 1904,
l’âge d’or de la Rioja ! Vanille,
épices douces, confiture de lait,
cèdre, bourbon… Le nez avoue
sans détour son élevage en fûts
de chêne américain ; l’en-
semble exprime néanmoins un
fumet particulièrement com-
plexe, profond, patiné, harmo-
nisé. Ce caractère est repris en
bouche par une matière puis-
sante, vigoureuse, moins évo-
Les Dégustations
de 1870ànosjours
luée que ce à quoi le nez nous
préparait. Une version particu-
lièrement réussie grâce
à la qualité du millésime 2010
(94/100, 45 €), frais et vibrant.
Vitalité, originalité, caractère !
BODEGAS
VEGA SICILIA
Ribera del Duero
Gran Reserva Unico
C’est le seul cru dont l’aura
mystérieuse avait avant
la Movida dépassé les frontières
d’Espagne. Déjà, Raymond
Dumay écrivait en 1976 : «Onne
saitpasquiboitVegaSicilianioù,
maisonsaitqu’ilestpayécher,
enmoyennedixfoisplusque
lesvieuxriojasquisuiventdans
lahiérarchie». L’auteur de
LaMortduvin affirmait l’origine
cistercienne de Vega Sicilia,
liant directement l’invention
du domaine à la Reconquista.
Son histoire moderne débute
en 1864, lorsque sont implantés
des cépages bordelais. Elle
se précise en 1915 lorsque sont
créées les deux cuvées emblé-
matiques du domaine, Unico et
Valbuena. Jusqu’au rachat par
la famille Álvarez en 1982, Vega
Sicilia demeure un vin ésoté-
rique, que l’on se procure par
Les coordonnées des producteurs sur larvf.com
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 115
l’entregent, le statut social,
davantage que par les deniers.
Avec leurs imperfections
mais aussi avec un génie incon-
testable, original, certains
millésimes de cet assemblage
dominé par le tempranillo et
longuement élevé en barriques
nous ont donné le grand
frisson : 1968, 1970, 1974, 1981,
1983… Millésime au cœur
de l’activité de Mariano García,
œnologue capital, responsable
des vins de ce qui apparaît
comme l’âge d’or du domaine,
le 1987 (98/100, 400 €)
s’annonce par une robe rubis
dépouillée mais encore dense,
un grand nez automnal porté
par l’acidité volatile, mille
nuances d’épices, lactiques,
de bourbon – le bois américain
a laissé sa marque –, mais aussi
une intensité fruitée irrépres-
sible. Matière très présente,
longue, ample… vraiment
unique ; elle a la finesse des
riojas “à l’ancienne”, avec une
tout autre puissance de feu.
MARQUÉS
DE MURRIETA
Rioja Gran Reserva Especial
Blanco Castillo Ygay
Fondé au mitan du XIXe siècle,
D. R.
Marqués de Murrieta est un des
quelques noms de la Rioja dont
l’histoire résonne sur trois
siècles différents. Issu d’un
vaste vignoble de 300 hectares,
le rouge Castillo Ygay Rioja
Gran Reserva Especial a laissé
des millésimes qui sont des
repères pour les amateurs de
riojas traditionnels (1925, 1968).
Les millésimes les plus récents
de cette bouteille à l’étiquette
inimitable s’infléchissent vers
une légère modernisation
de ce classicisme. L’électrochoc
est venu d’une direction moins
attendue, d’une cuvée ressus-
citée, créée en 1919 et aban-
donnée depuis les années 1960.
Ce blanc 1986 (99/100, 500 €),
sorti plus de trente ans après
sa naissance, après vingt-et-un
ans passés en barriques,
possède une magie particu-
lière. Jaune citrin, il distille à
foison de magnifiques nuances
d’évolution longue, avec
une réduction tendant vers le
mousseron, le zeste d’agrume
et le minéral qui évoque
les plus grands chablis, une
acidité tranchante, beaucoup
de fruit, énormément de fond,
encore davantage de rigueur et
paradoxalement tout autant de

plaisir… À un moment où
l’Espagne viticole cherche
de nouvelles directions, ce vin
est un rappel magistral de l’his-
toire de la région viticole la plus
traditionnelle interprétée
par un de ses producteurs
historiques. Inoubliable !
RECAREDO
Corpinnat Reserva Particular
Fondée en 1924, la maison
Recaredo jouit d’un statut par-
ticulier parmi les bodegas his-
toriques du Penedès, patrie du
cava, dont l’essor est contem-
porain de celui de la Rioja.
Signe des temps, avec d’autres
producteurs réputés, Recaredo
a quitté la dénomination
d’origine Cava, au cahier des
charges jugé beaucoup trop
laxiste, pour revendiquer ses
effervescents sous l’étiquette
Les Dégustations
25 grandsvinsd’Espagne
maison, témoignant
d’une volonté d’élevage long,
novatrice dans les années 1960.
Assemblage de xarello (40 %)
et de macabeu (60 %), le millé-
sime 2008 (94 /100, 60 €),
reflets argentés et bulle très
fine, offre une présentation
d’une élégance remarquable.
L’expression aromatique,
riche, anisée, méditerra-
néenne, situe le vin dans
son espace géographique ;
les intenses notes biscuitées
et levurées lui confèrent
beaucoup de profondeur.
On retrouve cette puissance
de goût et cette distinction
en bouche, fines notes grillées,
moka et praliné… très belle
bulle crémeuse et policée.
GRAMONA
Corpinnat Celler Batlle
Vitalité,
quitté la dénomination originalité et
pour s’exprimer au sein du caractère sont
“club” Corpinnat. La maison les attributs
a fait le choix précoce d’éle- de la cuvée 904
vages prolongés (cuvées II de La Rioja Alta.
et III Lustros). Avec 158 mois
sur lattes, Celler Batlle,
cuvée créée en 1968, pousse
le concept encore plus avant.
Le millésime 2005 (89/100,
60 €) affiche un style marqué,
une évolution aromatique
tertiaire, tendant vers la com-
plexité automnale : feuilles
mortes, cave humide, nougat,
notes d’écorce (vieillissement
sous liège). La matière est
riche, terrienne, avec une
amertume soutenue et un
dosage perceptible (la liqueur
d’expédition est issue d’une
solera maison, centenaire).
Le style idiosyncratique de ce
vin de grand caractère s’avère

T. Legay
Corpinnat. Créée en 1962, la Autre bodega familiale histo- plus difficile à comprendre
Reserva Particular représente rique du cava, fondée en 1884, et apprécier, de l’extérieur,
le socle traditionnel de la Gramona a, comme Recaredo, que les vins de Recaredo.

Les années 1980 et 1990 :

l’éveil à la modernité et les ambitions mondiales
A vec et surtout après
la Movida (début
des années 1980), en léger
décalage avec elle, la moder-
nité déboule dans l’arène :
des vins plus denses, foncés,
extraits, prêts à en découdre
non seulement avec les éter-
nels modèles français, mais
avec le monde entier. Voici
la “alta expresión”, avatar du
“goût Parker”. Le terme appa-
raît, dit-on, avec le Barón de
Chirel de la bodega historique
D. R.

Marqués de Riscal, millé-

sime 1986. Le parallèle est
criant avec les vins de garage
de Saint-Émilion : extraits,
méticuleusement boisés, très
chers… Au-delà de la Rioja,
des ambitions régionales se
font jour ; la Ribera del Duero
et le Priorat, enfant chéri du
boom économique catalan,
sont les nouveaux terrains
du désir où explose le prix de
Depuis son vignoble aux terrasses onduleuses, Álvaro Palacios a donné une nouvelle envergure au Priorat.
quelques cuvées. Certains
de ces vins ont réussi à passer
l’exubérance de l’adolescence,
à faire oublier ses excès, pour
accéder au statut enviable de
référence pérenne.
Ce n’est pas que le goût qui
change, c’est aussi le contexte
dans lequel le vin est conçu.
Dans la Rioja, le modèle du
château bordelais (Remelluri,
Contino) a déjà émergé à côté
de celui des grandes bodegas
acheteuses de raisin. Des pro-
jets architecturaux comme
ceux de Marqués de Riscal,
d’Enate dans le Somontano
marquent l’époque et son
ambition nouvelle. Moins
chargées, plus directives, par-
fois quasiment suprématistes
(Pingus), les nouvelles
étiquettes font écho à l’envie
de se mesurer à la Californie.
Parallèlement, on assiste
à l’apparition du concept, très
français, de vigneron auteur.

116 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021


Le paradigme du vigneron
remplace celui de la bodega,
celui-là s’affranchissant de
celle-ci pour créer sa propre
trace (Mariano García,
le précurseur, quittant Vega
Sicilia, puis Álvaro Palacios
et Telmo Rodríguez quittant
les bodegas familiales pour
devenir eux-mêmes,
Benjamín Romeo quittant
Artadi, Peter Sisseck quittant
Hacienda Monasterio…).
PESQUERA
Ribera del Duero Tinto
Gran Reserva
Avec Pesquera, l’histoire
semble s’accélérer. Ce domaine
clé de l’affirmation internatio-
nale du vin espagnol est créé
par Alejandro Fernández
et Esperanza Rivera au début
des années 1970 ; le premier
Pesquera commercialisé sera
le millésime 1975. 1982 voit la
création de la cuvée Janus, qui
enthousiasmera Robert Parker
et, par son truchement,
attirera les regards du monde
du vin sur la Ribera del Duero
de façon beaucoup plus large
que le confidentiel et fantasque
Vega Sicilia. On retrouve dans
les millésimes des années 2000
le style démonstratif
et vigoureux qui avait marqué
les dégustateurs des décennies
précédentes, mais avec peut-
être davantage de subtilité
dans l’élevage. L’âge de raison ?
Convaincant, le 2008 (91/100,
60 €) affiche toujours,
après quelques années,
une grande densité, des notes
empyreumatiques puissantes
qui irriguent un fruit noir
profond, une force tannique
et alcoolique bien cadrée par
un élevage qui reste en retrait
du fruit. La saveur pimentée
et poivrée prend, dans ce mil-
lésime plus frais, des tonalités
presque atlantiques.
HEREDEROS
DEL MARQUÉS
DE RISCAL
Rioja Reserva Barón de Chirel
Bodega pionnière, d’emblée
tournée vers le modèle borde-
Les Dégustations
de 1870ànosjours
Les vins de dessert espagnols, ARTADI
Rioja Viña El Pison
une tout autre histoire Issu d’un projet coopératif,
piloté par le clairvoyant agro-
P as de xérès dans notre panorama, absents comme les
autres grands “vins de méditation” espagnols, mutés ou
non. Le pays peut s’enorgueillir pourtant de vins de dessert
nome Juan Carlos López de
Lacalle, Artadi s’est fait un nom
grâce aux ambitieuses cuvées
dont le renom est bien plus ancien que celui de ses vins de vinifiées par Benjamín Romeo
table : vins d’Alicante, de Malaga, de Montilla, de Catalogne… dans les années 1990. Après
Ce sont sans doute eux les plus grands vins d’Espagne ! avoir abandonné le système
Mais ils n’ont pas eu la chance d’accompagner le renouveau de dénomination classique
économique, le désir de modernité qui traverse par à-coups (Crianza, Reserva, Gran
l’Espagne depuis 150 ans… Ils s’inscrivent dans des cycles plus Reserva), Artadi a cessé de
longs. Nous sommes persuadés que leur heure viendra. Qui revendiquer l’appellation Rioja
a goûté un grand oloroso sec, la rarissime tintilla de Rota, un en 2015. Mettant en valeur un
véritable fondillón d’Alicante, un rancio centenaire du Priorat tempranillo planté en 1945, le
(le priorat d’avant le priorat…) ne l’oubliera jamais ! P. Ci vin de la Viña El Pison (premier
millésime en 1991) est le plus
emblématique de cette moder-
lais, Marqués de Riscal voit CLOS MOGADOR nité qui, au travers d’une
le jour en 1858. Le cabernet- Priorat Clos Mogador approche monocru et d’un éle-
sauvignon constituait encore René et Isabelle Barbier vage exigeant en barriques
le fondement du vin le plus s’installent au Clos Mogador de chêne français, a retenu
célèbre de Riscal durant la pre- en 1979. Avec Álvaro Palacios, l’attention de la critique inter-
mière moitié du XXe siècle : José-Luis Pérez (Clos Martinet), nationale. Le millésime 1995
la Cuvée Médoc. Créée en 1986, Carlos Pastrana (Clos de l’Obac) (89/100, 400 €) illustre ce désir
la cuvée Barón de Chirel et Daphne Glorian (Clos de briller au firmament
renoue avec cette histoire, Erasmus), ils font partie du gotha vineux : une densité
dans son ambition internatio- des pionniers dont le premier de fruit sans doute jamais vue
nale comme dans son recours millésime commun, fondateur, dans la Rioja auparavant, de la
au grand cépage médocain 1989, marquera la renaissance prunelle, de la mûre, beaucoup
(on compte près de 20 % tant commentée, tant admirée, de cerise confite, le tout géné-
de cabernet-sauvignon dans du Priorat. Le terroir classique
l’assemblage). Ce propos, de schiste ardoisier du Clos Fidèle
cet élan, trouvent un écho Mogador est exploité de façon à l’identité
vingt ans plus tard dans attentive par une famille atta- sauvage
le geste architectural décon- chée au respect de son environ- du Priorat,
structiviste de Frank Gehry : nement. Fondé sur le grenache le Clos Mogador
l’hôtel Marqués de Riscal. et le carignan, le vin inclut aussi est le vin le plus
Cuvée premium et métal syrah et cabernet-sauvignon emblématique
froissé convergent dans son assemblage. Le millé- de cette région.
dans l’affirmation du goût sime 2015 (93/100, 75 €) se
que partage l’Espagne avec montre d’emblée très expressif,
le Nouveau Monde viticole balsamique et résineux,
pour une certaine post- très maquis : ciste, myrte, men-
modernité. Revenons au vin. thol… fumé aussi, épicé, avec
Le Barón de Chirel 1996 des notes de viande fraîche,
(92/100, 80 €), malgré une bor- un panache mis en relief par
dure brunissante, montre une l’acidité volatile. La matière est
robe encore intense, au centre sonore, pleine, puissante,
très sombre, sang caillé. portée par des tanins virils
Le boisé lactique est toujours et un alcool généreux. Fidèle
aux avant-postes, amalgamé à l’identité sauvage du Priorat,
à un fruit confituré, très épicé le vin regorge de caractère, sans
et chocolaté, girofle, camphre, accuser rudesse ni lourdeur.
goudron… Le vin retrouve Et il vieillit très bien, comme
dans l’âge mûr la tenue, en attestent les millésimes des
l’allonge et la sveltesse années 1990 encore délicieux
d’un rioja classique, même aujourd’hui. Sa continuité
T. Legay
si les tanins sollicités marquent stylistique en fait le plus
une certaine sévérité. emblématique des priorats.
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 117

D. R.
reusement assaisonné par
l’élevage, chocolat et café, tor-
réfaction en évidence. La gour-
mandise confite de la chair va
loin, alors que, traditionnelle-
ment, les riojas étaient des vins
particulièrement secs, une
insistante sucrosité demeure
et forme contraste avec
une acidité marquée.
L’impression est celle d’un vin
très sudiste, lorgnant vers le
Nouveau Monde. Avec le recul,
c’est bien le vin d’une époque.
ÁLVARO PALACIOS
Priorat L’Ermita
Depuis son arrivée dans le
Priorat en 1989, Álvaro Palacios,
issu d’une famille vigneronne
en Rioja et Bordelais de forma-
tion (tropisme perceptible
dans l’équilibre rigoureux
de ses vins), a donné une
envergure supplémentaire
à cette petite région viticole.
Cette ambition culmine avec
la très rare cuvée L’Ermita, née
en 1993 d’un vignoble en ter-
rasses onduleuses d’une indi-
cible beauté. Les rendements
de cette vigne exposée au nord
sont très faibles, de l’ordre de
10 hl/ha. La cuvée est élaborée
à partir de vieux grenaches
(85 %), complétés par du cari-
gnan et un faible pourcentage
de raisins blancs complantés
(grenache, macabeu, pedro
ximenez). La robe du 2016
(95/100, 1 200 €) est assez
tendre, l’expression aroma-
tique, d’une transparence
remarquable, renvoie à une
typicité très méditerranéenne :
résine, caramel, graphite,
notes balsamiques, feuille
de figuier, menthol… Si le vin
Les Dégustations
25 grandsvinsd’Espagne
exprime en bouche la richesse
veloutée attendue, s’il garde
pleinement l’identité aroma-
tique du lieu, il montre une
finesse considérable, soutenue
par une acidité longiligne.
La matière s’est considérable-
ment épurée par rapport
aux versions “années 1990” de
la cuvée. L’élevage, d’une durée
de quinze mois, est désormais
d’une discrétion parfaite.
Encore introverti, distingué
mais serré, avec une finale
stricte, pierreux plus que
fruité, c’est davantage un vin
de puriste que d’hédoniste.
DOMINIO DE PINGUS
Ribera del Duero Pingus
Voici “le” vin emblématique
de cette deuxième étape, de
cette Movida “alta expresión”
des années 1990. Création
de l’œnologue danois formé à
Bordeaux Peter Sisseck, Pingus
naît en 1995 de deux parcelles
de vieux tempranillo sur le ter-
ritoire de La Horra. Le dogme
bordelais du tri – les meilleurs
raisins dans les meilleures
barriques – est à la base de
la concentration et du succès
de la cuvée, d’emblée adoubée
par Robert Parker. Plus de vingt
ans après, l’enthousiasme est
encore là, même si certains
osent dire que le second vin,
Flor de Pingus, manifeste peut-
être davantage de souplesse et
de nuance… Le millésime 2016
(94/100, 1200 €) de Pingus a été
salué par la critique comme
une des versions majeures de
ce vin culte, dont la production
demeure limitée : autour
de 8000 bouteilles. La robe est
très dense, opaque, noire, la
118 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
bordure fuchsia extrêmement
mince. Grand nez à l’ouverture
de la bouteille ! Mélange
explosif de menthe et de
chocolat, avec des accents
de guimauve, genièvre, noix
de muscade, cannelle…
La bouche s’impose en puis-
sance, en extraction ; solaire,
elle tangente l’éthanal
(pruneau…) et laisse un sillage
sucré. À l’aération, le vin passe
par des phases de fermeture,
de durcissement, avec un éle-
vage qui se fait saillant, avant
d’explorer à nouveau des tona-
lités toujours mentholées, bal-
samiques, camphrées. Encore
fermement ancré dans le style
profond, extrait, sollicité
qui a fait sa réputation, Pingus
ne renie pas la posture qui l’a
si vite fait grand d’Espagne.
BODEGAS MAURO
Vino de la Tierra de Castilla y
Leon Terreus Pago de Cueva
Baja
Mariano García, illustre vinifi-
cateur de Vega Sicilia de 1968
à 1998, crée sa propre bodega
en 1978 à Tudela del Duero,
légèrement en dehors de
l’appellation Ribera del Duero.
Le style des vins établit un pont
très intéressant entre tradition
et modernité, se situant
au cœur de la changeante
identité du grand vin ibérique.
Terreus, créé en 1996, est un
monocru de pur tempranillo.
Son élevage est un peu plus
court, 24 au lieu de 33 mois,
et son fruit plus frais, plus
dense, moins patiné que celui
de la très séduisante cuvée VS,
qui rappelle davantage Vega
Sicilia, son caractère lactique
Ribera del Duero Pingus est
“le” vin iconique de la Movida
“alta expresión” des années 1990.
et épicé. Vigueur et piquant
ressortent de la dégustation
du millésime 2012 (93/100,
90 €), aux notes boisées
puissantes mais pleinement
inscrites dans la dynamique
du vin, à l’instar de certains
riojas traditionnels. Épices
douces, piment fumé, touches
lactiques parent un vin,
généreux, serré mais opulent
et juteux, d’une densité
et d’une tenue remarquables.
TORRES
Conca de Barberà
Gran Muralles
Le Gran Coronas Reserva 1970,
fondé sur le cabernet-sauvi-
gnon, était une entrée décisive
dans le monde globalisé du vin.
La maison Torres n’a depuis
cessé d’en occuper les avant-
postes. Créée au milieu
des années 1990, la cuvée
Gran Muralles illustre avec
beaucoup d’à-propos (et même
anticipe) le désir d’ancrage
patrimonial qui a succédé
à l’internationalisme débridé :
retour aux cépages autoch-
tones (grenache, carignan,
mourvèdre, mais aussi les plus
idiosyncratiques querol
et garró), revendication
d’un terroir (sol schisteux de
la petite dénomination Conca
de Barberà) et d’une histoire
longue (ces “grandes murailles”
sont celles qui protégeaient
l’abbaye cistercienne
de Poblet). Vinification et
élevage (18 mois en barriques
neuves de chêne de la forêt
de Tronçais) demeurent
fidèles aux canons du luxe
international en vigueur dans
les années 1990, que l’habillage
et les tonalités gustatives du vin
expriment d’ailleurs parfaite-
ment. L’évolution du 1996

(92/100, 90 €), premier millé-
sime, s’avère très convaincante.
Complexe et profond, le nez
reste “bordelais” dans ses sug-
gestions de cèdre, d’humus ;
davantage truffe et iris à l’aéra-
tion. Capiteux et distingué,
dense, moelleux en bouche
à plus de 20 ans d’âge, encore
foncé, il offre une texture
serrée mais très satinée.
Une pointe de douceur
marque seule son caractère
méditerranéen.
BENJAMÍN ROMEO
Rioja Contador
Vinificateur chez Artadi,
Benjamín Romeo crée progres-
sivement sa bodega à la fin
des années 1990. Ce faisant,
son approche, artisanale,
vigneronne, regarde (une fois
de plus) vers la France, et sin-
gulièrement vers la Bourgogne.
Originaux, subtils, étonnam-
ment libres et sensuels, les
1999, 2000 et 2001, premiers
millésimes de Contador, ambi-
tieuse cuvée de vieilles vignes
de tempranillo des environs de
San Vicente de la Sonsierra, ont
interpellé dans leur jeunesse
plus d’un dégustateur. Les mil-
lésimes suivants accentuent
la stature et le cossu de la cuvée,
avec notamment des élevages
aussi soignés que prégnants.
C’est sans doute ce qu’il fallait
faire, car le succès auprès de
la critique fut au rendez-vous
et Contador devint une icône.
La robe du 2016 (94/100, 300 €),
frangée par une mince bor-
dure violine, prélude à un nez
cacaoté, empyreumatique,
évoquant à la fois la brouette
de sarments en train de brûler
et le coulis de framboise…
L’intensité se confirme en
bouche, portée par une acidité
tonique. Le profil à la fois plein
et percutant, ligneux et fruité,
cousine avec une syrah septen-
trionale. La finale, d’une lon-
gueur indéniable, accentue
encore ce caractère fumé,
graphite, âtre. Dans la lignée
des très cotés 2004 et 2005,
D. R.
le vin cherche l’élégance sans
renoncer à la démonstration.
Les Dégustations
de 1870ànosjours
À partir des années 2000,
la reconquête territoriale est lancée
O n voit en Espagne,
à partir des années 2000,
et plus encore 2010, émerger
l’ambition de territoires
moins connus : Bierzo, Toro,
Sierra de Gredos au nord-
ouest de Madrid… De grands
vignerons se les sont
réappropriés ; ils n’ont mis
que quelques années pour
enfanter des étiquettes
convoitées. Dans les régions
connues, historiques comme
la Rioja, ou plus récemment
adoubées comme le Priorat,
on assiste à des changements
de style, voire de paradigme.
Les cépages internationaux
passent de mode ; le grenache,
historiquement présent dans
de nombreuses régions,
est revalorisé ; les cépages
autochtones rares sont mis
à contribution. Les vins
se font plus clairs, plus fins,
avec une expression du fruit
que l’on désire plus libre,
moins marqué par l’élevage.
La Californie fait peut-être
moins rêver, les modèles
redeviennent majoritaire-
ment français. La jeune garde
des vinificateurs espagnols
découvre les vins “nature”,
notamment grâce à la sélec-
tion du caviste madrilène
Lavinia, qui ouvre en 1999.
Recaredo introduit la notion de cru dans les effervescents catalans.
Les coordonnées des producteurs sur larvf.com
LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 119
Quant aux étiquettes, elles
poussent la sobriété jusqu’au
minimalisme (Turó d’en
Mota), revenant volontaire-
ment à un classicisme noir
sur blanc qui n’est pas sans
évoquer l’étiquette du DRC…
On notera que ces grands vins
de la dernière tendance,
plus fins, plus frais, plus
libres, continuent la tradition
des prix démonstratifs.
Est-ce un atavisme espagnol ?
Spéculation, oui mais sur
quoi ? Sur la rareté, sur
la bravoure, le panache,
le culot ?
RECAREDO
Corpinnat Turó d’en Mota
Bodega de pointe de Sant
Sadurní d’Anoia, capitale cata-
lane du cava, Recaredo montre
la voie d’une modernité qui est
avant tout le retour à la terre et
au végétal. Cette cuvée est une
sélection parcellaire, un pur
xarello planté en 1940, cultivé
en biodynamie comme
l’ensemble du vignoble de
la maison. Elle constitue une
sorte de réinvention, ou plutôt
d’invention de la notion de cru
dans un monde, celui des effer-
vescents catalans, qui y était
étranger. Le succès et la noto-
riété, dès le premier millésime,
Aidé par
la magie
du lieu et l’âge
des vignes
(110 ans),
cette cuvée
pur grenache
de René Barbier
est vraiment
spectaculaire.
T. Legay
1999 (sorti en 2008), furent
retentissants ! C’est mérité
car le résultat gustatif, fruit
d’un très long élevage sur
lattes, 144 mois dans le cas du
2004 (95/100, 100 €), dépasse
la communication. L’élégance,
d’abord réservée, peut faire
penser à un grand chardonnay
de la Côte des Blancs. Jaune
d’œuf, praliné, pistache…
puis arrive la touche anisée,
fenouil sauvage, très catalane.
Conjuguant intensité et droi-
ture, gourmandise et réserve,
c’est un grand vin blanc, dont
la profondeur et l’élégance
font oublier, à l’instar
des plus grands champagnes,
l’effervescence.
DESCENDIENTES
DE J. PALACIOS
Bierzo La Faraona
Nous sommes ici aux avant-
postes de la reconquête de

Microcuvée
du Chinonais
Bertrand
Sourdais,
La Diva impose
un fruit
remarquable
et spontané.
T. Legay
prestige des vignobles atlan-
tiques de la péninsule ibérique.
La jeune appellation Bierzo,
reconnue depuis 1989,
se trouve au nord-ouest de la
province de Léon, son cépage
est le mencia, dont le caractère
oscille du cabernet franc au
grenache. On trouve derrière
ce projet l’inarrêtable Álvaro
Palacios, qui a créé le domaine
avec son neveu Ricardo en 1999
à partir de vieilles vignes haut
perchées. Plusieurs cuvées
parcellaires se dégagent rapi-
dement, Las Lamas, Moncerbal
et, en 2001, La Faraona (les plus
hautes vignes, à 1 000 m d’alti-
tude). La robe du 2015 (95/100,
1 000 €) est assez tendre.
Son nez manifeste d’emblée
un charme singulier, prenant,
évoquant la rose fanée et
la sellerie. Le profil de bouche
est atlantique, aérien mais
sanguin, possédant beaucoup
de caractère et de longueur,
une veine acide soutenue,
une saveur reprenant ad libitum
la gamme des cuirs frais. La
“délocalisation” du grand vin
rouge ibérique des tropismes
méditerranéens et continen-
taux vers ce tempérament
Les Dégustations
25 grandsvinsd’Espagne
océanique est réussie !
Mais attention, ce vin raffiné
n’est pas démonstratif, on peut
passer à côté, ce qui, vu
son prix, serait dommage…
RENÉ BARBIER
Montsant Espectacle
del Montsant
Voisine du Priorat, l’appella-
tion Montsant est moins
réputée. Dès le premier millé-
sime, 2004, ce pur grenache,
aidé par la magie du lieu et l’âge
des vignes (110 ans), a pourtant
attiré l’attention des critiques
et le désir des amateurs.
Œuvre de René Barbier,
l’un des grands acteurs de la
renaissance du Priorat, c’est
un exemple de reconquête
de terroirs exceptionnels
en dehors des appellations
les plus connues. Le vin est
effectivement spectaculaire,
on comprend à la dégustation
pourquoi il s’est imposé si rapi-
dement. Tout est velouté dans
le fruit légèrement confit du
jeune millésime 2017 (92/100,
120 €). Suave, généreux, TERROIR AL LIMIT années 2000, le style a considé-
il conserve fraîcheur et défini- Priorat Les Manyes rablement évolué. Les choix
tion. La sucrosité évoque Piloté par l’Allemand Dominik esthétiques sont devenus suffi-
des fraises très mûres, chauf- Huber, d’abord associé au samment forts pour insuffler
fées par le soleil. L’aération le Sud-Africain Eben Sadie, puis aux terroirs méditerranéens de
complexifie et le tend. La garde en solo, ce domaine fait partie l’appellation une personnalité
permet à cette cuvée à la nature de ceux qui ont donné un deu- nouvelle : vendanges plus pré-
solaire assumée de développer xième souffle à la renaissance coces, vinification en grappes
de riches nuances épicées et du Priorat. Depuis la naissance entières sans extraction méca-
balsamiques tout en restant du projet, fondé sur l’achat nique et élevages moins mar-
toujours très proche du fruit. de raisins, au début des qués. Pur grenache en altitude,
Les Manyes est devenue
la cuvée la plus emblématique
de Terroir al Limit, celle qui
L’aristocratie à venir tranche le plus, car elle n’est pas
issue du sol schisteux associé
D ’où viendront les prochains mythes, les prochaines
étiquettes rares, novatrices ou coûteuses (probable-
ment les trois à la fois) qui deviendront les nouvelles
au Priorat mais d’un substrat
argilo-calcaire. Sans aucune
sous-maturité, Les Manyes 2017
références du désir ? La redécouverte des vignobles (93/100, 180 €) persiste dans
“marginaux” devrait encore s’accentuer. Après la Sierra une recherche d’élégance et de
de Gredos madrilène, quelle autre sierra verra son patri- fraîcheur. On sent l’influence
moine de vieilles vignes en gobelet (de grenache ou de l’École de Calce dans
de cépages endémiques ayant frôlé l’extinction) ressuscité, ce vin où structure tannique
valorisé et peut-être adulé ? Pour l’heure, on peut constater abondante (poivre vert
la montée en puissance de Toro, autre patrie castillane des tanins de rafle) et élégance
du tempranillo, où des cuvées comme Termanthia et des formes cohabitent admira-
Teso la Monja commandent déjà des tarifs impressionnants. blement. Il a besoin de temps
Le futur : nous parions sur la Galice ! Pour l’originalité et d’aération pour qu’émerge
de ses vins, leur fraîcheur qui colle à l’air du temps, pour la finesse florale et épicée dont
la beauté de ses vignobles restés à taille de vigneron. P. Ci le cépage est capable.
120 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021

Auteur de nombreuses cuvées,
le propriétaire négociant,
Telmo Rodriguez,
dépoussière l’image
des grands vins ibériques.
D. R.
Les Dégustations
de 1870ànosjours
ment, atlantique dans sa fraî-
cheur poivrée (on penserait
presque à un pineau d’aunis !),
Telmo Rodríguez dépoussière
et désoriente à la fois… Comme
si, en vingt-cinq ans, depuis
la “alta expresíon” jusqu’à
cette cuvée, une boucle avait
été bouclée.
DOMINIO DE ES
Ribera del Duero La Diva
Le Chinonais Bertrand
Sourdais offre à la Ribera
del Duero un de ses nouveaux
visages stylistiques, rajeunisse-
ment dont on peut estimer
que la région avait bien besoin.
Après dix ans de direction
technique au Dominio
de Atauta, il fonde sa propre
activité, partagé en deux
entités, Antidoto et Dominio
de Es, créées en 2011, exploitant
le potentiel des très vieilles
vignes de la région de Soria,
dans la partie orientale plus
continentale et froide
ment admiratif en goûtant
pour la première fois la cuvée
Rumbo al Norte (2010)
de Commando G : comment
pouvait-il être espagnol, ce vin
si clair et si parfumé ? Rumbo
al Norte fait partie de ces
quelques cuvées parcellaires
issues de vieilles vignes de gre-
nache, arbitrairement parta-
gées entre trois appellations
(Vinos de Madrid, Méntrida,
Vinos de la Tierra de Castilla y
Leon), et mises en lumière par
une jeune génération de pro-
ducteurs dont le chef de file
est incontestablement Daniel
Gómez Jiménez-Landi, anima-
teur avec Fernando Garcia
Alonso du projet Commando G
(G comme grenache !).
Implantée sur les sols grani-
tiques de la Sierra de Gredos,
parfois constellés de blocs erra-
tiques, chacune de ces vignes
est un poème, renvoyant à une
viticulture pré-industrielle. La
Tumba del Rey Moro provient
que de la “alta expresíon”…
La méthode d’élaboration
ressemble à celle de L’Ermita
en Priorat (éraflage et foulage,
fermentation en cuves bois,
levures indigènes, fermenta-
tion malolactique en barriques
et élevage de 16 mois).
Peu coloré, le millésime 2017
(93/100, 360 €), le quatrième
seulement, détoure au fil d’un
toucher remarquablement fin,
étagé, articulé, un fruit ave-
nant, évoquant la cerise (plus
rouge que noire), la fraise
au sucre et le tabac blond. Il y a
aujourd’hui indéniablement
un air de famille entre les vins
d’Álvaro Palacios, non seule-
ment ses grandes cuvées par-
cellaires, rares et inabordables,
mais aussi ses vins plus acces-
sibles. Ayant su se débarrasser
du style emphatique et parfois
pesant des années 1990, il a
néanmoins conservé son iden-
tité propre, sans succomber
aux dernières tendances,

de l’appellation. La Diva est d’une vignedu

TELMO RODRÍGUEZ
Rioja Las Beatas
Personnage clé dans l’essor
des vins espagnols, Telmo
Rodríguez quitte le domaine
familial Remmelluri en 1994
pour fonder avec l’œnologue
Pablo Eguzkiza l’activité de pro-
priétaire négociant qui porte
son nom. En collaboration
avec des vignerons locaux, il va
créer de nombreuses cuvées,
d’un extrême à l’autre de la
“peau de taureau”, de la Galice
jusqu’à l’Andalousie. La plupart
feront date. Communicant et
formateur, il a une influence
immense. Revenant au point
de départ, au sol ancestral de
la Rioja Alavesa, il définit après
des années de recherches
quatre cuvées parcellaires
issues de son domaine
de Lanzaga. Las Beatas, sur
la commune de Labastida, est
isolée dès 2011. Avec ce rioja
2013 (91/100, 220 €) étonnant,
limpide, élevé en foudres, qui
une microcuvée issue d’un seul
cru de 0,3 ha, des vignes
pré-phylloxériques de tempra-
nillo complanté d’albillo
(cépage blanc). À la fois explosif
et très détaillé, le millésime
2017 (95/100, 796 bouteilles !,
600 €) impose un fruit remar-
quable, toute une gamme
nuancée entre baies rouges
et noires. La grande discrétion
de l’élevage (barriques François
Frères usagées) fait beaucoup
pour la vibration de ce vin pul-
peux, fin, long et savoureux. Il
exprime toute la structure et la
maturité gourmande des vieux
tempranillos de la Ribera,
sans les écueils de lourdeur
et de dureté malheureusement
fréquents. Très maîtrisé et
paradoxalement spontané !
COMMANDO G
Vinos de Madrid
Tumba del Rey Moro
L’avènement des “grenaches de
Madrid” constitue sans doute
le plus grand bouleversement
En Afrique cultivée à 1100 m
Sud, la région qui sont en gros celles du vin
d’altitude.
de Stellenbosch livre desen cou-
Plus intense “nature”. Des vins caractérisés
leur que d’autres
rieslings botrytiséscuvées par-
rappelant par leur définition, leur préci-
le célèbrecelle-ci,
cellaires, vin de Constance.
isolée pour sion, et même une forme
la première fois en 2012, offre de rigueur, plus cérébraux
dans le millésime 2017 (96/100, que truculents.
100 €) un magnifique nez à la
fois solaire et provocant, riche
Cette cuvée
et nuancé, terre et fruit, pointe
90 % grenache
animale en filigrane. La vinifi- d’Álvaro
cation en grappes entières fait Palacios
ressortir une grande finesse de ressemble bien
parfum et de texture, en même peu aux riojas
temps qu’une armature classiques.
tannique très serrée qui en fait
un vrai vin de garde malgré
l’excitation immédiate
de sa séduction parfumée.
PALACIOS
REMONDO
Rioja Quiñon de Valmira
Le projet d’Álvaro Palacios est
un retour aux origines, dans
le fief familial, à Alfaro en
Rioja Baja, réputée pour son
grenache davantage que pour
son tempranillo. Et cette cuvée
de grand luxe, tant anticipée,
est en effet presque un pur gre-
T. Legay

privilégie l’expression directe dans le panorama gustatif des nache (90 %). Difficile avec elle
du fruit, paradoxalement grandes cuvées espagnoles. Je de retrouver les linéaments
ambitieux dans son dépouille- me souviens de mon étonne- du rioja “classique”, pas plus

LA RVF N° 649 - AVRIL 2021 - 121

 Les Dégustations
DÉBAT AUTOUR D’UNE BOUTEILLE
Ridge Vineyards
Olivier Poels
Monte Bello1995, Californie
Le champion de la Côte ouest
A
moureux de San Francisco, Jean-Baptiste Thial de
Bordenave profite d’une halte dans l’Yonne, chez
Olivier Poels, pour partager avec lui un vin califor-
nien mythique : la cuvée Monte Bello 1995 de Ridge Vineyards.
Un style très éloigné des standards californiens actuels.
Jean-Baptiste Thial de Bordenave. Mon cher Olivier, lors de
notre dernier débat, tu m’as renvoyé à mes chères études de
chardonnay, trouvant mon Yattarna 2008 de Penfolds déce-
vant. Je vais essayer de prendre ma revanche ! Que penses-tu
de cette bouteille ?
Olivier Poels. Merci pour ce vin, cher Jean-Baptiste. Avant toute
chose, je tiens à dire que je trouve cela très bon… et je pense
que ce n’est pas un vin français.
JBT. Un point pour toi, il s’agit bien d’un vin étranger. Et je te
remercie de me dire sans tergiverser que tu le trouvestrès
bon. Je suis fatigué de ces dégustateurs qui passent dix
minutes à analyser le vin en détail avant de commencer
à dire s’ils l’apprécient ou pas.
OPls. On pourrait penser qu’il est français de prime
abord, mais je perçois un petit côté mentholé dans la
maturité qui m’emmène vers d’autres cieux. Une
déduction facile pourrait m’amener à penser que
nous sommes en Australie, et que tu tentes habile-
ment de réhabiliter le domaine Penfolds en servant
un Grange, dont ce vin possède des caractéristiques
frappantes. Mais ce serait trop facile.
JBT. Je comprends bien les marqueurs qui te font
penser à Grange, et j’aurais moi-même pu y penser
sans aucun doute avec ce menthol si caractéristique
de cette cuvée. Mais ce n’est pas Grange ! Ceci dit,
nous sommes bien dans le Nouveau Monde.
OPls. D’accord… je pense qu’il y a une large domi-
nante de cabernet-sauvignon avec une très belle
maturité, et encore une fois ce côté très mentholé.
Peu de pays peuvent produire ce type de vin. J’exclus
l’Amérique du Sud, l’Afrique du Sud… et je pense
qu’il ne peut s’agir que des États-Unis.
122 - LA RVF N° 649 - AVRIL 2021
Jean-Baptiste
Thial de Bordenave
JBT. Bravo ! C’est un vin américain.
OPls. En revanche, nous ne sommes pas du tout ici dans la cari-
cature de ce que je pourrais imaginer d’un vin de la Napa Valley,
surconfit, surboisé et confituré. La fraîcheur est superbe !
JBT. Olivier, tu tapes dans le mille. Ce n’est pas en effet un vin
de la Napa Valley.
OPls. Est-ce un vin élaboré par Paul Drapper, le winemaker de
Ridge Vineyards, à Santa Cruz ?
JBT. Bien vu ! C’est un Monte Bello de Ridge Vineyards, en effet.
OPls. Cette dégustation confirme ce que je pense de ce
domaine : c’est ce qu’il se fait de mieux aux États-Unis. Quelle
digestibilité ! J’adore ça.
JBT. C’est une bouteille que j’ai dans ma cave depuis
vingt ans, rapportée des États-Unis après avoir vécu en
Californie pendant un moment. Je suis surpris comme toi
par la fraîcheur de ce vin. Mais tu n’en as pas encore fini :
quid du millésime ?
OPls. Je dois t’avouer, Jean-Baptiste, que je ne suis pas
un spécialiste des vins californiens, mais il doit s’agir
probablement d’un millésime des années 1990, entre
1995 et 1997.
JBT. Tu m’impressionnes, Olivier. C’est Monte Bello
1995. Nous sommes ici au sud de la Silicon Valley, loin
des nouveaux standards de Napa, ces vins un peu
lourds et alcoolisés pour nos palais européens. Le
vin a gardé une fraîcheur magistrale grâce à l’altitude
de Santa Cruz et un assemblage comprenant plus de
70 % de cabernet-sauvignon, du cabernet franc, du
merlot et surtout 10 % de petit verdot, que l’on devine
avec cette légère rusticité en finale.
OPls. Merci Jean-Baptiste. Je pourrais descendre à
la cave et sortir quelques grands bordeaux 1995 qui
Photos : D. R.
n’ont peut-être pas cette fraîcheur, juste pour voir.
D’ailleurs, c’est ce que je vais faire !•