ALPHONSE MELLOT ● VIGNES PENTUES : UN TRAVAIL HÉROÏQUE ● OVERNOY - HOUILLON

BANC TEST
Les verres
qui valorisent
le champagne

larvf.com
BARCELONE
DOSSIER SPÉCIAL 10
spots
Où va le vin pour boire
du vin
en France ?
Évolution du goût des vins,
baisse de la consommation,
environnement, hygiénisme…

ROSÉS
BORDEAUX DE GARDE
POUR RÊVER 50
Ces grands crus bombes
qui subjuguent à mettre
en cave
nos dégustateurs

LANGUEDOC
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ET ROUSSILLON
Quels rouges
vieillissent
le mieux ?
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L’ a b u s d ’alco ol est d an g e re ux po u r la s ant é. A con som m er avec modéra t i on .

 Edito
Denis Saverot
Au cœur de notre identité
P
our la première fois depuis près de quarante ans, ce
numéro de printemps de La Revue du vin de France n’est
pas dédié à la dégustation des vins du nouveau millé-
sime. L’annulation pure et simple des primeurs de Bordeaux, la
plus ancienne et la plus courue des dégustations de vin nouveau
dans le monde, a donné dès la mi-mars la mesure de la déflagra-
tion traversée par la planète vin. Au-delà de Bordeaux, nos pen-
sées les plus affectueuses vont naturellement à tous les vigne-
rons de France et d’ailleurs qui, ce printemps, accompagnent la
vigueur de leur vigne sans être sûrs de pouvoir vendre leurs vins.
Toutefois, cette crise sans précédent nous permet déjà de
mesurer l’importance de ce geste simple et fondamental : par-
tager un verre de vin. Comme s’il avait fallu vivre l’impensable,
la fermeture brutale des restaurants, des terrasses des cafés, le
rideau de fer tiré sur les caveaux, la mise en chômage technique
des cuisiniers et des serveurs, pour comprendre tout ce que l’on
avait perdu. Et l’on mesure ici l’irremplaçable charge d’amitié,
de culture, de respect, d’art de vivre contenue dans ce geste
simple, pouvoir ouvrir librement une bouteille de vin, saluer
ses compagnons, lever son verre et sourire à la vie.
Par nécessité et par tempérament, c’est déjà vers la renais-
sance, le redémarrage, cette montée de sève portée par le prin-
temps qu’il faut désormais se tourner. Chères lectrices et chers
lecteurs, gageons qu’il va faire soif dès cette fin de printemps !
Oui, il est bon au moment où j’écris ces
lignes – encore confiné – d’imaginer
retrouver nos amis bistrotiers, restau-
rateurs, cavistes et sommeliers, cette
généreuse communauté réunie pour
nous accueillir à nouveau et distribuer
ce plaisir simple mais qui pour bien des
Français constitue le sel de la vie. Oui,
en se brisant, cette chaîne humaine de
passion et de partage laisse à voir, en
creux, la trame fine du tissu social qui
nous permet de vivre avec élégance,
culture et dignité.
Soyez-en sûrs : La RVF et ses dégusta-
teurs sont déjà mobilisés et vont conti-
« Pouvoir ouvrir
librement
une bouteille de vin,
lever son verre
et sourire à la vie »
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 3
nuer à tout faire pour distinguer les meilleurs vins, pour sou-
tenir le travail de nos vignerons et les efforts de toutes celles et
ceux qui servent ce vin dans leurs restaurants, leurs caves, leurs
hôtels et leurs magasins, aux quatre coins du pays.
Peut-être la communauté des passionnés de vin peut-elle
aussi s’entendre pour relever ensemble un défi. Car tandis
que médecins, infirmières et personnels soignants condui-
saient une lutte admirable contre le virus, sauvant des vies mais
aussi notre art de vivre, des carences terribles paralysaient nos
hôpitaux. Masques, tests de dépistage, respirateurs artificiels,
lits pour faire face : tout ou presque a manqué pendant des
semaines. Comment, dès lors, ne pas songer avec consterna-
tion aux milliards d’euros publics dépensés depuis quinze ans
pour financer des organismes sanitaires spécialisés dans le déni-
grement du vin et sa culture, des instituts, offices, associations
capables d’assimiler nos bordeaux et bourgognes à du poison,
de juger nos champagnes et vins de Loire « cancérigènes dès le pre-
mier verre », fiers de vilipender les cavistes restés ouverts dès le
début de l’épidémie…
Il faut qu’un jour prochain la Cour des comptes se penche
sur cet indigne gaspillage, ces millions investis dans les cam-
pagnes calomniant le vin, les médias attaqués devant les tribu-
naux pour apologie du vin. Pour quels résultats, alors que nos
hôpitaux manquaient de l’essentiel ? Le moment est venu de
dénoncer cette hypocrisie. Oui nos vins,
notre gastronomie, nos restaurants, nos
terrasses sont notre âme, des biens pré-
cieux car ils nous aident à vivre plaisam-
ment, dans la civilisation et la concorde.
Ils créent des emplois non délocali-
sables (merci à tous nos agriculteurs !),
ils embellissent nos paysages. Alors
ensemble, aidons l’État à réparer les
erreurs qui ont été commises, à redis-
tribuer l’argent public dans le sens des
vraies priorités et à remettre le vignoble
à sa place : en bordure de nos villages
mais au centre de notre géographie, au
cœur de notre identité. 
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 Sommaire
Mai 2020

Alphonse Mellot (Sancerre) : « Faire des vins d’équilibre,

c’est ce qu’il y a de plus difficile dans la vie d’un vigneron ».

Grand Entretien
8 Alphonse Mellot
Pionnier de la biodynamie à Sancerre, il s’est éloigné du négoce pour
se recentrer sur ses terroirs et valoriser l’identité ligérienne

En direct dans le vignoble

14 Les actus du vin
Sortie du glyphosate : la viticulture héroïque remonte la pente

J. Baudouin
IGP Île-de-France : des premiers pas heurtés
Arménie, la renaissance d’un vignoble historique
Yves Vatelot, l’homme qui voulait bousculer les crus classés de Bordeaux
Crise du Covid-19 : le calvaire des salons viticoles
Face à la forte baisse de consommation de vin chez
35 L’invité les jeunes… la viticulture française doit se réinventer.
Raphaël Chaume, as du rugby lyonnais et futur vigneron à Vinsobres

37 Le courrier des lecteurs

Les dossiers
40 Où va le vin en France ?
Nouveaux modes de consommation, défis environnementaux…
le vin français fait face à une situation sans précédent dans son histoire

Shutterstock
56 Verres et champagnes :
la quête du Graal ! Cuvées “nature” et champagnes abordables enflamment
Avec quel verre savourer votre champagne ? La réponse avec ce
les comptoirs des bars, des bistrots et des cavistes de Barcelone.
banc test de 14 verres et 5 champagnes aux styles très différents

Art de vivre
55 Vu d’ailleurs Par Pascaline Lepeltier
67 Accord minute Par Olivier Poussier
68 Barcelone et le vin
Bars à vins, cavistes… nos bonnes adresses de la capitale catalane
Par Vincent Pousson

75 C’est comme ça Par Sébastien Lapaque

76 Spiritueux
Shutterstock

L’élite mondiale de la vodka en dix flacons

LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 5

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négative et un choix technique
car il protège nos vins peu soufrés
des risques d’oxydation »
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 Sommaire
Mai 2020
De vigne en cave
78 Vie de château
Château Marjosse, le jardin secret de Pierre Lurton

84 Uneappellation,deuxstyles
Meursault Perrières avec les domaines Coche-Dury
et Michel Bouzereau et Fils

D. R.
Rosés, rouges et blancs : les vins de l’AOP Côtes de Provence
88 Les dessous du terroir Sainte-Victoire se singularisent par leur fraîcheur.
Côtes de Provence Sainte-Victoire, un souffle de fraîcheur

D. R.
92 En toute intimité Le rosé de
la famille Négrel
Daniel Alibrand, le héraut de Sauternes (Mas de Cadenet)
a conquis les chefs
94 51 rosés qui jouent provençaux.

dans la cour des grands

De la Provence à la Loire, du Languedoc à la Champagne,
notre tour de France des rosés de gastronomie
Par Karine Valentin

101 Trésors de vos caves

Par Angélique de Lencquesaing

Les Dégustations
108 Ces bordeaux

D. R.
Photos :
Entre millésimes de légende, étiquettes mythiques et découvertes… Lynch-Mou
ssas
Château
Seize dégustateurs de La RVF racontent les vins qui les ont marquéés.

128 Languedoc et Roussillon

n
Leurs vins rouges vieillissent-ils bien ? La réponse avec notre
dégustation du millésime 2010, dix ans après sa naissance

136 L’histoire d’une transmission

Pierre Overnoy et Emmanuel Houillon Château Margaux

139 Leur dernière emplette

140 Les coordonnées des producteurs
141 Les 100 bouteilles mythiques
Château Haut-Brion 1989

142 Débat autour d’une bouteille

Champagne Grand Siècle de Laurent-Perrier

20 - 7
LA RVF N° 641 - MAI 2020
 Grand entretien

Alphonse Mellot
« Ce n’est pas la biodynamie
qui fait des grands vins,
ce sont les hommes »
À la tête de ce fameux domaine pionnier dans la biodynamie à Sancerre, il s’est
éloigné du négoce pour se recentrer sur ses terroirs et valoriser l’identité ligérienne.
Propos recueillis par Jérôme Baudouin et Denis Saverot, photos de Jérôme Baudouin

Pour débuter cet entretien, vous nous servez un vin très
original, tiré de votre cave. Quel est-il ?
J’ai choisi le cépage que j’aime, le pinot noir, car je suis un
amoureux de la Bourgogne. Ce vin qui nous accompagne est
un chambolle-musigny 2017 de David Duband.
Vous êtes un grand vigneron de Sancerre et vous nous servez
un vin de Bourgogne. Pourquoi ?
Parce que c’est un vigneron que je connais bien et nous avons
un profil très similaire : nous sommes deux perfectionnistes.
David, c’est quelqu’un qui a beaucoup évolué, qui s’est remis
en question. Et j’apprécie l’homme aussi.
La Bourgogne reste-t-elle pour vous le vignoble vers lequel
vous tournez votre regard, plus que vers l’ouest et la Vallée de
la Loire ?
À Sancerre, effectivement, nous sommes bien sûr influencés
par la Bourgogne, car c’est dans cette région que sont éla-
borés les plus grands pinots noirs du monde. Nous avons ce
cépage en commun, mais nous sommes fiers de notre iden-
tité ligérienne, nous n’élaborons pas de pâles copies de vins
de Bourgogne. Nous faisons avant tout des sancerres rouges.
Comment se traduit cette identité ligérienne dans vos
pinots noirs ?
Nous élaborons des vins beaucoup plus frais et épicés qu’en
Bourgogne. Nous travaillons sur des élevages très peu mar-
quants, presque infusés. Le bois doit être seulement là pour
apporter un supplément d’âme au vin.
Nous avons pourtant vu dans votre cave un nombre incal-
culable de contenants différents. Des foudres en forme d’œuf,
de sphère, des barriques, des futailles, des demi-muids… On
pourrait penser que vous êtes un amateur de bois dans vos
vins. Or, on ne le sent guère en dégustation.
Ma cave est un paradis de la tonnellerie française, c’est vrai,
mais ici le bois n’est pas là pour marquer le vin. La diversité de
ces contenants me permet de jouer sur les échanges en cours
d’élevage,sansmarquerlevin.J’aiunedizainedefournisseurs
que je fais travailler sur des formes parfois étranges.
Après avoir été encensé, l’usage du bois est critiqué. Vous
continuez pourtant dans cette voie.
Pour moi, le vin sans le bois est inconcevable. Le bois apporte
beaucoup au vin et inversement. C’est comme un liant en cui-
sine. Tandis qu’une cuve en inox, c’est neutre.
Vous travaillez en biodynamie. Comment justifiez-vous
votre penchant pour le bois lorsque vous êtes au salon
Millésime Bio, par exemple, où la tendance est plutôt à son
abandon ?
Ce sont deux choses différentes. La biodynamie se fait à la
vigne. Et l’usage du bois n’est pas le même selon que l’on tra-
vaille en Languedoc, à Bordeaux, dans la Vallée de la Loire ou
en Bourgogne.
Que vous apporte la biodynamie dans l’équilibre de vos
raisins et de vos vins ?
Grâce à la biodynamie, nous avons encore davantage dévoilé

Alphonse Mellot. Né le 3 décembre 1969 à Neuilly-sur-Seine (92). Titulaire d’un BTS viticulture œnologie à Bordeaux-
Blanquefort, licencié de viticulture à la faculté de Dijon, diplômé d’œnologie à Montpellier et vigneron à Sancerre et en
VDP Coteaux charitois, il est aussi coureur à pied et amateur de moteurs de motos qu’il restaure à ses heures perdues.
Ses plus grands vins dégustés : le musigny 2008 du domaine Comte Georges de Vogüé et les vins de Lalou Bize-Leroy.
8 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
Au milieu de dizaines de contenants
baroques utilisés dans ses chais,
Alphonse Mellot est fier de cette barrique
sphérique aux allures de Nautilus, conçue
à sa demande par Seguin Moreau.
Là, il affine “20 000 pieds sous Sancerre”,
un nouveau rosé issu de pinot noir planté
à une densité de 20 000 pieds/hectare.
 Merci !

Merci à Stéphane Derenoncourt et à Hannah ;

Merci à Bertrand Chemin, à Aude et à Laurent ;
Merci à Nicolas Dubedout, à Francisco,
Gémina, Hélène, Maria, Momo, Sami et à Serge ;
Merci à Virginie Blanchet, à Laeticia,
Solaine et à Perrine ;

qui ont mené Château Malescasse

à la mention Cru Bourgeois Exceptionnel

Sans leur passion, leur talent, leur professionnalisme,

rien n’aurait été possible…

Philippe Austruy

chateau-malescasse.com

L’ A B U S D ’ A L C O O L E S T D A N G E R E U X P O U R L A S A N T É . A C O N S O M M E R A V E C M O D É R A T I O N
 Grand entretien
Alphonse Mellot
le terroir. C’est moi qui l’ai lancée ici, en 1993. Nous sommes
certifiés depuis 1999. Grâce à elle, nos acidités sont plus hautes,
notamment dans les années chaudes. Avec la biodynamie,
nous avons aussi redécouvert le sens de l’observation, le bon
sens. Autant de points que nous avions oubliés avec la viti-
culture intensive, souvent résumée par l’adage “une bonne
récolte est une grosse récolte”. La biodynamie permet d’éla-
borer des vins différents, mais attention : ce n’est pas la biody-
namie qui fait des grands vins, ce sont les hommes.
Du domaine Mellot, on dit souvent que c’est un grand
domaine qui s’est imposé par une activité de négoce. Où en
êtes-vous dans l’arbitrage entre domaine et négoce ?
Le négoce a contribué au rayonnement de la viticulture fran-
çaise, et c’est encore le cas dans certains vignobles. Chez nous,
cela a été l’inverse. En 1983, mon père a compris que le négoce,
ce n’était pas l’avenir, alors qu’il avait été l’un des plus gros
acheteurs du Sancerrois. Lorsque je suis arrivé sur le domaine
en 1991, nous vendions plus de 400 000 bouteilles juste pour
le marché parisien. Un volume supérieur à l’ensemble de
notre production actuelle. Nous avons presque divisé par
trois les volumes produits entre les années 80 et aujourd’hui.
À présent, il nous reste un tout petit peu d’achat de raisins et
quelques parcelles sous forme de fermage où nous cultivons la
vigne et payons le raisin au propriétaire de la vigne, qui est cer-
tifiée Biodyvin. Cela n’a pas été évident au départ : quand vous
allez voir le banquier en lui disant que vous faisiez 1,5 million de
bouteilles et que vous voulez désormais en produire seulement
400 000, il faut être sûr de son coup, même en promettant de
vendre le vin plus cher. Nous avons mis vingt ans pour y arriver.
« Le vin sans le bois, c’est inconcevable ; le bois est comme un liant
en cuisine », estime Alphonse Mellot, fier de naviguer à contre-courant.
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 11
Comment se répartit votre
production justement ?
« Avec
Aujourd’hui, le domaine la biodynamie,
couvre 58 hectares à Sancerre nous avons
et 18 au domaine Les Pénitents, redécouvert
à la Charité-sur-Loire, dans le
Morvan. Soit 76 hectares inté- le bon sens »
gralement certifiés en biodynamie. Nous avons toujours été
importants, mais nous nous sommes recentrés sur la qualité.
Vingt-huit personnes travaillent à la vigne. Nous sommes plus
proches du jardinage que de la viticulture, c’est un choix.
Vous faites partie des incontournables de Sancerre, comme
les domaines François Cotat ou Edmond Vatan. De nouveaux
vignerons émergent-ils ?
Des domaines historiques de l’appellation comme Cotat ou
Vatan, plutôt de la génération de mon père voire plus anciens,
comme Edmond Vatan, ont marqué par leur style les vins de
Sancerre. Mais des jeunes émergent, tels le domaine du Pré
Semelé, Matthieu Delaporte à Chavignol, le domaine Prieur, le
domaine Fleuriet ; des talents en devenir qui ont été influencés
par Vatan, Cotat ou Mellot. Et puis il y a aussi les ténors, comme
les domaines Vacheron et Vincent Pinard.
Jouez-vous également un rôle de transmission auprès des
domaines alentour ?
Nous avons été pionniers dans la biodynamie et dans de nom-
breuses expérimentations. Nous n’avons jamais refusé de
donner des conseils et de transmettre notre expérience. Je n’ai
rien à cacher et j’aime la transmission.
Vous êtes membre de Biodyvin, l’association qui regroupe
les vignerons biodynamistes. Michel Chapoutier a été
contraint de quitter Biodyvin parce qu’une partie de son
activité de négoce est en viticulture conventionnelle. Quelle
réflexion cela vous inspire ?
Pour ma part, je trouve dommage que Michel Chapoutier ait
quitté Biodyvin. Il faisait partie des membres fondateurs de
l’association. Mais ce n’est pas une raison pour jeter l’opprobre
sur le négoce. Michel Chapoutier a fait du très bon travail. J’ai
choisi la voie de l’arrêt du négoce parce que je pense que ce
n’est pas une solution d’avenir. Aujourd’hui, tout le monde se
met à faire du négoce, à cause des années difficiles, à cause de
la demande que l’on annonce exponentielle. Mais il ne faut pas
se leurrer, lorsqu’on est négociant, on est tributaire de ce que
veut bien nous vendre le vigneron. Dans des appellations qui
vont mal, vous êtes décideur de ce que vous voulez acheter,
mais dans des appellations qui vont bien, comme à Sancerre,
le choix est moins évident.
Avec votre famille, vous avez un projet d’hôtel de charme
et de spa en plein cœur du village, dans l’ancienne maison de
votre grand-mère. Pouvez-vous nous l’expliquer ?
J’aime avoir des projets, je suis un bâtisseur, mon grand-père
l’était aussi. Cela va dans la continuité de notre travail. Nous
aimons recevoir, faire découvrir nos vins et faire rêver les gens.
Il manque à Sancerre un bel hôtel de charme.
 Grand entretien
Alphonse Mellot
Faites-vous attention à préserver
l’identité de chacun de vos terroirs ?
Vous l’avez vous-mêmes remarqué
en cave : nous vinifions et élevons de
nombreuses cuvées qui portent le
nom de chaque terroir.

Sancerre dispose d’une mosaïque

de terroirs. L’appellation pour-
rait-elle faire émerger des climats
ou des Grands crus comme en
Bourgogne ?
Nous possédons cette diversité
en effet. Mais cela n’avance pas
aujourd’hui, parce que, politique-
ment, c’est difficile. L’AOP s’étend sur
quatorze communes et il sera com-
pliqué de définir qui sera Grand cru
ou Premier cru. Et humainement,
cela peut être vraiment dur.

D ans l’appellation voisine,

« Je suis en recherche perpétuelle de valorisation du terroir. En cuisine, les grands chefs peuvent expéri-
à Pouilly-Fumé, deux leaders,
menter plusieurs fois par jour, nous, vignerons, n’avons qu’une chance par an », souligne Alphonse Mellot.
Alexandre Bain et Louis-Benjamin
Dagueneau, ont décidé de quitter
Ce matin, dans votre cave, vous critiquiez ceux qui pensent l’AOP. Qu’en pensez-vous ?
que si l’on n’est pas en biodynamie et adepte de la vendange Je pense que c’est une erreur. Ils ont chacun leur identité, mais
entière, on est un “con”. Vous regrettez un certain dogmatisme ? ils devraient se battre pour leur territoire. Ils produisent des
Oui, c’est vrai, je suis contre ces dogmes dans lesquels certains grands vins et n’ont pas galvaudé Pouilly-Fumé. Après, ils ont
veulent nous enfermer. La biodynamie doit être un plus, tout certainement leurs raisons.
comme la vendange entière. Ce sont des choix pour aller plus
loin. En ce qui concerne la vendange entière, certaines années, Nous avons pu voir dans votre chai des outils parfois inédits.
selon son état, je choisis de ne pas égrapper 100 % de ma ven- Une forme de quête de perfection. La technique ne prend-elle
dange. Dans d’autres millésimes, je vais en faire moins. Il faut pas dans certains cas le pas sur la bonne pratique ?
s’adapter aux conditions du millésime. Je ne me considère pas comme quelqu’un de technique, mais
comme un perfectionniste. Je suis en recherche perpétuelle
Pour vous, qu’est-ce qu’un grand vin de Sancerre ? de valorisation du terroir. J’expérimente de très nombreuses
Je voudrais répondre au-delà de Sancerre. Pour moi, un grand solutions. Je suis très admiratif des grands chefs cuisiniers et de
vin doit être bon dès maintenant et également vingt ans après. leur créativité. Mais eux peuvent tester leur savoir-faire plu-
Mais il doit avant tout être évident. Après, en tant qu’amou- sieurs fois par jour, alors que nous, vignerons, n’avons qu’une
reux du pinot noir, j’attends la finesse, l’équilibre et la puis- chance par an.
sance. Le pinot noir doit réunir tous ces éléments. Faire des
vins d’équilibre, c’est ce qu’il y a de plus difficile dans la vie d’un Quelles sont les cuvées qui vous ont ému ou qui vous ont fait
vigneron. D’autant qu’il faut avoir fait des vins d’excès pour évoluer dans votre style ?
élaborer des vins d’équilibre. Un vin m’a fait beaucoup réfléchir, c’était chez mon impor-
tateur aux États-Unis qui fêtait ses 50 ans. Il m’a demandé de
Et pour un grand vin blanc ? choisir un vin et j’ai opté pour un musigny 2008 du domaine
Un grand vin blanc doit être encore meilleur car il est une pro- Comte Georges de Vogüé, une cuvée que je n’avais jamais bue.
messe de plaisir immédiat. Il doit être éclatant dès la première Et j’ai découvert la bouteille parfaite. Elle n’était pas dans la
gorgée. démonstration par rapport aux vins choisis

Et la part de l’identité des sols dans ces vins ?

« Faire des vins par les autres convives. Il y avait du Pétrus, du
d’équilibre, c’est
Pavie. Eh bien, ce vin tout en délicatesse a fait
Notre objectif est de révéler la quintessence l’unanimité.
du terroir dans nos vins. Mais je crois qu’à un ce qu’il y a de plus
moment donné, si vous avez un vrai terroir et difficile dans la vie D’autres vins vous ont-ils impressionné ?
que vous faites tout ce qu’il faut, il s’impose de
lui-même. d’un vigneron » Les vins de Lalou Bize-Leroy : ils sont simple-
ment parfaits et parlent d’eux-mêmes.•
12 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
 En direct
Danslevignoble

D. R.
À Irouléguy, Jean Brana consacre 950 heures par an à tailler l’herbe dans ses vignes en terrasses pour éviter l’utilisation de produits chimiques.

La sortie du glyphosate
La viticulture héroïque remonte la pente
Alors que le plan de sortie du glyphosate d’ici 2022 est semé d’embûches, plusieurs vignobles situés dans
des secteurs non mécanisables expérimentent diverses solutions alternatives. Mais les coûts restent élevés.

A
u dernier G7 à Biarritz, les chefs
d’État ont pu déguster l’irou-
léguy blanc 2018 du domaine
Brana, une propriété de 20 hectares
plantés à 90 % en terrasses étroites à
forte pente (60 %). Le vigneron Jean
Brana enherbe totalement ses vignes,
sans recours au désherbage chimique
depuis cinq ans. Le rêve dans un monde
demain sans glyphosate et un choix de
cuvée de circonstance pour le président
de la République, Emmanuel Macron
qui avait annoncé quelques mois aupa-
ravant au Salon de l’Agriculture que la
France allait devenir d’ici trois ans « le
premier vignoble mondial sans glyphosate ».
Mais cette échéance présidentielle
menace les vignobles à forte pente, non
mécanisables, reconnus héroïques pour
leur difficulté à être travaillés. Sur les éti-
quettes des vins de Jean Brana, rien ne
transpire en effet de ses conditions de
travail. « Avec 950 heures de travail à l’hec-
tare, le surcoût de production est le principal
frein à l’abandon des produits chimiques »,
affirme-t-il.
LE TREUIL DANS LE RHÔNE
Si l’enherbement peut être une solution
au Pays basque avec 1 500 millimètres de
pluviométrie annuelle, sur la côte cata-
lane, la solution est beaucoup moins évi-
dente pour les AOP Banyuls et Collioure
soumises à des climats semi-déser-
tiques. « Sur les coteaux, les réserves en eau
ne sont pas suffisantes pour que la vigne sup-
porte la concurrence de l’enherbement, il faut
des sols nus ! », explique Pierre Gaillard.
14 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
Ce pionnier de la rive droite du Rhône
a créé, en 2002, le domaine de Madeloc,
en Roussillon, en replantant 15 hectares
de vignes alignées dans le sens de la
pente afin de pouvoir travailler les sols
avec un treuil d’ici quelques années.
Mais cette pratique ancestrale engendre
là aussi un surcoût de main-d’œuvre :
10 000 euros l’hectare par an. Et si Pierre
Gaillard l’applique déjà sur ses pro-
priétés rhodaniennes en Côte Rôtie et
à Saint-Joseph…, Banyuls attendra. « À
Madeloc, nous utilisons encore la chimie, mais
faisons des essais au treuil pour nous assurer
de la faisabilité technique et économique de
cette pratique. »
L’abandon du désherbage chimique
est plus problématique encore pour la
multitude de petits coopérateurs ● ● ●

●●● qui apportent leurs raisins à la
cave et en tirent de faibles revenus. 90 %
d’entre eux n’envisagent pas d’avenir
sérieux sans chimie. Seuls les domaines
les mieux valorisés y arrivent. À l’image
des domaines Cazes (groupe Advini)
qui ont envoyé un signal fort à l’AOP
Collioure en convertissant à la biody-
namie, en 2019, les 63 hectares des Clos
de Paulilles, un vignoble vitrine qui
se jette dans la mer entre Collioure et
Banyuls.
RATIONALISER SES COÛTS
Ce challenge, la chef de culture du Clos
de Paulilles, Aurélie Mercier, s’y est pré-
parée dès 2012 en stoppant tout désher-
bant chimique sur 30 hectares mécani-
sables. Reste les 33 hectares à très fortes
pentes. L’enherbement y sera généralisé
cette année avec trois tontes annuelles,
des opérations de griffage du sol et le
recours à la pioche. « Partout où je peux
passer un treuil, un cheval, une chenillette,
un chenillard, ce sera étudié. Pas question de
transformer Paulilles en bagne ! », prévient
Aurélie Mercier qui rationalise ses coûts.
La jeune femme rêve du robot tondeur
Vitirover développé à Saint-Émilion
pour l’entretien des sols enherbés. Mais
à 3 000 euros l’hectare, Vitirover conti-
nuera à circuler dans les prestigieux
châteaux du Bordelais, loin des pay-
sages grandioses de la Côte vermeille.
« Nous avons des besoins spécifiques sur les
fortes pentes et nous représentons un marché
de niche sans trop de moyens alors que les
vendeurs de technologie s’intéressent à des
vignobles à forte valeur ajoutée tels Bordeaux
et la Champagne », regrette-t-elle.
UN ENJEU COLLECTIF
Bien que ténues, des voix s’élèvent pour
défendre les territoires de cette viticul-
ture héroïque, des zones-clés à l’échelle
socio-économique des régions.
« Collioure sans ses murets, ce n’est plus
Collioure. Les vacanciers tourneront les talons
face à des paysages en jachère faute de vigne-
rons pour les entretenir. C’est un enjeu collectif
et il faudra un jour que la collectivité s’engage »,
prévient le député de l’Hérault Philippe
Huppé, membre de la mission d’infor-
mation commune sur le suivi de la stra-
tégie de sortie du glyphosate. Sans que sa
délégation ne se soit encore prononcée
sur l’échéance de 2022. Idelette Fritsch
En direct
Dans le vignoble
IGP Île-de-France :
des premiers pas heurtés
À peine née, la dénomination francilienne connaît déjà sa première crise
de croissance avec trois modèles économiques qui s’opposent.
En attendant la première récolte cet automne, séance de décavaillonnage au Clos Ferout, dans le Vexin.
C
’est un combat vieux de vingt ans
qui vient de trouver son aboutis-
sement en janvier 2020. L’Inao a
signifié à Patrice Bersac que la création
de l’Indication géographique protégée
(IGP) Île-de-France allait sous peu être
publiée au Journal officiel.
Depuis 1999, le président du Syndicat
des vignerons d’Île-de-France (SYVIF)
militait pour que ce vignoble autre-
fois l’un des plus vastes de l’Hexagone
(42 000 hectares au XVIIIe siècle) renaisse
de ses cendres. « Ça n’a pas été facile. Nous
nous sommes heurtés à la fois à la prover-
biale inertie administrative, à la mauvaise
volonté de la viticulture française et même à
l’opposition de la chambre d’agriculture d’Île-
de-France, regrette-t-il, avant que tout le
monde finisse par tirer dans le même sens. »
LES FORCES EN PRÉSENCE
Depuis 2016 et la libération des droits
de plantation décrétée par l’Europe,
le vignoble francilien se développe à
la vitesse grand V. Mais deux modèles
économiques s’affrontent. D’un côté
le SYVIF, qui regroupe les anciens
vignobles patrimoniaux (ceux qui culti-
vaient la vigne pour leur consommation
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 15
D. R.
personnelle), des néoruraux se lançant
dans la vigne et des agriculteurs soucieux
d’écologie. « Nous défendons une viticulture
non productiviste, qualitative, biologique cen-
trée sur le vigneron qui possède sa vigne et fait
son propre vin », explique Bruno Lafont, le
fondateur du Clos Ferout (Vexin).
De l’autre, la chambre d’agriculture
qui a créé l’Association des viticulteurs et
vinificateurs en Île-de-France (AVVI), et
qui y voit d’abord une solution de diver-
sification pour les agriculteurs de la
région revenus du blé ou de la betterave.
Ces deux mondes ont bien du mal
à coexister. Surtout qu’un troisième
acteur est venu chambouler l’équilibre
des forces : la Winerie Parisienne. La
start-up qui vinifiait jusqu’à présent des
raisins venus de toute la France dispose
désormais d’un vignoble de 23 hec-
tares près de Versailles. « Notre première
cuvée 100 % francilienne sera lancée en 2020,
annonce le directeur Julien Brustis. Et à
l’avenir nous aurions vocation à acheter les
raisins des viticulteurs d’Île-de-France. »
Un appétit qui inquiète certains, mais
qui rappelle surtout qu’un vignoble
vivant fait coexister plusieurs modèles
économiques. Fabien Humbert
 « Toute la diversité, tout le charme,
toute la beauté de la vie est faite d’ombre et de lumière. »
L éon Tols toï

Arménie, la renaissance
d’un vignoble historique
Non loin de la Grotte Areni-1, le plus vieux site de vinification au monde,
le premier vignoble bio d’Arménie inspire une révolution qualitative.
Photos : Christelle Zamora.
Hovakim Saghatelyan savoure son voskehat, un blanc sec. Son rouge certifié bio est le premier
en Arménie à avoir décroché une médaille d’or dans un concours international.
D
epuis quelques années déjà,
la viticulture arménienne vit
une révolution qualitative.
Une révolution saluée par une médaille
d’or décernée à la cuvée Trinity 6100
Areni noir du domaine Trinity Canyon
Vineyards au concours international
Challenge Millésime Bio en 2020.
Tout a débuté dans la région de Vayots
Dzor, le terroir aujourd’hui le plus prisé
d’Arménie.Lesinvestisseurslocauxyont
initié une production haut de gamme.
Parmi eux, Hovakim Saghatelyan, le
copropriétaire du domaine Trinity
Canyon Vineyards : « Issu de vendanges
manuelles,d’unevinificationsurlefruitetélevé
six mois en fûts, notre rouge est le premier vin
bio arménien médaillé d’or dans un concours
international ». Après avoir contribué à
relancer la tradition du vin sec armé-
nien, son domaine a en effet obtenu la
certification bio européenne en 2019.
UN CONSEILLER PROVENÇAL
« Ils sont venus chercher conseil au domaine
il y a une douzaine d’années », se souvient
Jean-Luc Isnard du domaine Solence,
enProvence.Levigneronprovençals’est
ensuiterenduàErevan,lacapitalearmé-
nienne. « Nous avons choisi les cépages, le
En direct
Dans le vignoble
nom du domaine. Comme ils sont trois, nous
avons opté pour Trinity. Le paysage a inspiré
Canyon », ajoute-t-il. Artem Parseghyan,
jeuneœnologueetingénieuragronome,
a été recruté dans la foulée.
L’histoire de ce vignoble bio de cinq
hectares cultivé à 1300 mètres d’altitude
s’est écrite autour du cépage areni qui
faitlaréputationdescommunesviticoles
de la région. Endémique, cultivé franc
de pied sur un sol argileux-sableux, il y
est protégé du phylloxéra. La syrah, le
cabernet-sauvignon et le cépage local
voskehat complètent l’encépagement.
« Trinity Canyon Vineyards exporte déjà
une partie de ses 25000 bouteilles en France.
D’autres producteurs devraient bientôt être
certifiés bio », éclaire Bernard Ganimian
qui importe ces vins dans l’Hexagone.
L’histoire du domaine Trinity Canyon
Vineyards illustre la volonté de tout un
vignoble de valoriser un patrimoine
exceptionnel. La grotte Areni-1, toute
proche, renferme l’un des trésors de
l’histoire viticole mondiale : les plus
anciens vestiges d’une cave de produc-
tiondevin.Àproximité,unparcarchéo-
logique est annoncé et les vignerons de
cecruendevenirrêventdéjàd’uneroute
des vins. Christelle Zamora
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 17
Mercato à Savennières
Vanessa Cherruau, 32 ans, reprend le
château de Plaisance de Guy Rochais,
25 hectares cultivés en bio et biodynamie
situés dans les appellations Quarts de
Chaume, Chaume et Savennières. Non
loin de là, au domaine du Closel, l’équipe
technique se réorganise après le départ
de Pauline Lair, l’ex maître de chai partie
en décembre dernier pour développer
un négoce de vins bio de Loire à Angers.
Évelyne de Pontbriand continuera à
superviser les vinifications.
La maison Girardin
étoffe son vignoble
en Côte de Beaune
La maison Girardin (Meursault) reprend
l’exploitation de huit hectares de
vignes en Côte de Beaune : Chassagne-
Montrachet et Puligny-Montrachet
Premiers crus, Saint-Romain, etc.
Depuis sa vente en 2012 par son fonda-
teur, la maison Vincent Girardin a ainsi
constitué un domaine de plus de 33 hec-
tares implantés dans les plus beaux ter-
roirs de la Côte de Beaune.
Louis Roederer
s’offre un diamant
Après Roederer Estate et Merry Edwards
Winery, Frédéric Rouzaud, propriétaire
des champagnes Louis Roederer, pour-
suit ses acquisitions en Californie en
rachetant Diamond Creek. Une winery
de la Napa Valley de près de 33 hectares
exclusivement plantés de cabernet-sau-
vignon. Avec ce dernier achat, la famille
Rouzaud renforce sa position dans l’uni-
vers des grands vins rouges.
Le “nature”prend
sesdroits
Les vins “nature” bénéficient enfin
d’un label reconnu par la DGCCRF :
“Vin méthode nature”. Son statut sera
privé pendant trois ans mais son cahier
des charges est déjà très clair : certifica-
tion biologique, vendanges manuelles,
levures indigènes, pas d’intrants.
L’adjonction de sulfites est autorisée
jusqu’à 30 mg/l.

Entouré de son épouse Stéphanie et de l’équipe du château de Reignac, Yves Vatelot a tenté de placer son vin au sommet des crus de Bordeaux.
Yves Vatelot : l’homme qui voulait
bousculer les crus classés de Bordeaux
Dans l’Entre-deux-Mers, Yves Vatelot rêvait de hisser son château de Reignac, simple bordeaux supérieur,
au niveau des plus prestigieux crus, quitte à bouleverser le classement de 1855. Et se brûler les ailes.
«L a chance d’avoir du talent ne
suffit pas. Il faut encore le talent
d’avoir de la chance ». Depuis
qu’il est en âge de rêver, Yves Vatelot,
propriétaire du château de Reignac, à
Saint-Loubès, court après cette maxime
attribuée à Hector Berlioz. Avec beau-
coup d’envie, une foi farouche dans le
travail et, parfois, une bonne fortune.
Car derrière le sourire à pattes d’oie de
ce sexagénaire alerte se cache la rage
d’un businessman redoutable.
L’homme a tout fait dans sa vie. Il a
implanté des barrages hydroélectriques
en Savoie, plus tard revendus à des can-
tons suisses. Ou encore participé au
rachat la chaîne Buffalo Grill. Mais son
coup de maître remonte aux années 80,
lorsqu’il invente une nouvelle généra-
tion d’épilateurs, qu’il baptise Silk-épil.
En direct
Dans le vignoble
D’un seul coup d’un seul, il renvoie la cire
au rayon des souvenirs moyenâgeux,
assurant libérer les femmes des doulou-
reuses séances de « tour du maillot ». En as
du commerce, il revend très vite sa trou-
vaille à Braun pour des millions d’euros.
Sa fortune est faite.
UN TERROIR POUR UNE CONQUÊTE
Notre homme décide alors de réaliser
son rêve de jeunesse, acquérir une
propriété viticole. Mais pas n’importe
où : dans le vignoble le plus célèbre du
monde. « Je suis allé voir le prince des notaires
de Bordeaux, se souvient-il, maître Giraud.
Puis j’ai consulté le roi des œnologues, Michel
Rolland. » Ensemble, ils passent au crible
les deux rives du Bordelais. Graves,
Médoc, Margaux… Les offres sont
légion, mais les crus les plus prestigieux
18 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
Photos : D. R.
hors de portée de la bourse du pionnier
de l’épilation électrique.
Ce sera donc le château de Reignac,
à Saint-Loubès, acquis en 1989. Nous
sommes à 12  km au nord-est de
Bordeaux. Peu connue pour son vin,
la propriété s’étend sur 134 hectares,
dominée par une belle bâtisse du
XVIIe siècle élevée sur une ancienne
forteresse, à restaurer. « L’endroit était
enchanteur et le château magnifique, se rap-
pelle-t-il ému. Et Michel m’a assuré que ce
terroir-là n’était pas comme les autres. »
Le lieu ne manque pas de charme il
est vrai. Au confluent de l’Entre-deux-
Mers, il réunit les qualités des sols des
rives droite et gauche, un peu d’ar-
gilo-calcaires de Saint-Émilion, une
touche de graves du Médoc. Yves est
emballé, les débuts sont idylliques. « Le

potentiel était là, on a même retrouvé des
étiquettes datant de 1926 et 1952 siglées “Cru
exceptionnel” », s’enflamme-t-il. Il s’ins-
talle sur place avec femme et enfants,
réforme l’organisation du travail.
Arrache et replante 30 hectares. Rénove
les chais trop anciens en inventant un
procédé de fermentation en barriques
qu’il fait breveter. « On a trouvé le moyen
de fondre les tanins du bois et les tanins du vin
d’une manière plus souple et plus précoce »,
raconte-t-il. Enfin, il fait creuser un lac
en amontpourprotégerlesvignesdugel
de printemps puis engage le domaine
dans une démarche environnementale
d’agriculture raisonnée, sans toutefois
aller jusqu’à la certification bio.
IL OBTIENT UN 90/100 PAR PARKER
Les résultats de cette reprise en main
sont très attendus. En 1996, Yves Vatelot
décroche un 90/100 par le célèbre guide
Parker. « En maintenant de faibles rende-
ments dignes de crus classés, 35 hectolitres
par hectare et avec l’utilisation de barriques
de chêne français de haute qualité, M. Vatelot
réussit à produire un vin surclassant de
loin son appellation », salue l’oracle de
Monkton. Il est rare qu’un bordeaux
supérieur soit ainsi distingué. Il entrera
plus tard dans le Guide des meilleurs vins
de France de La RVF (sans étoile dans
l’édition 2020). Mais cela ne suffit pas
Château de Reignac a développé une véritable offre œnotouristique avec des dégustations à l’aveugle dans le pigeonnier.
En direct
Dans le vignoble
Reignac devient
le “vin pirate”
des dégustations
du Grand Jury Européen
face à Pétrus et Lafite
à Vatelot qui veut hisser son vin dans le
légendaire classement des crus de 1855.
L’Olympe des bordeaux. Un classement
qui, hélas pour lui, est intangible.
Proche du Grand Jury Européen, il
prend l’initiative de présenter Reignac
comme “vin pirate” au milieu des plus
grands crus classés. En 2009, à l’issue
d’une dégustation à l’aveugle, son vin
sort devant Pétrus et Lafite Rothschild.
Maisàl’extérieur,l’élitedesdégustateurs
mondiaux reste dubitative. Vatelot, il
est vrai, fait partie des (nombreux) pro-
priétaires qui aident financièrement le
Grand Jury Européen… Et ce résultat
n’ébranlera jamais la très noble famille
des crus classés en 1855, inflexible et
impénétrable.
L’IRE DES CRUS CLASSÉS
En 2014, agacé, notre homme pousse
plusloinlebouchonets’offredesencarts
publicitaires dans Le Figaro indiquant :
“Reignac, 1er grand cru classé”. Cette
mention est suivie d’un astérisque ren-
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 19
voyant à un démenti énigmatique : « Si
c’était vrai peu se l’offriraient ». Cette fois,
c’en est trop : l’Union des Grands crus
classés de Graves, le Conseil des vins de
Saint-Émilion et le Conseil des Grands
crus classés de 1855 portent plainte et
se constituent partie civile. Condamné
en 2017, Vatelot écope d’une amende
salée pour lui et sa société, assortie de
dommages et intérêts pour chacune des
parties civiles. C’en est fini des rêves de
classement du maître de Reignac.
LE PMU EN AFRIQUE
Et aujourd’hui ? Yves Vatelot assure tou-
jours vendre 360 000 bouteilles par an.
En France d’abord, via la grande distri-
bution grâce à un partenariat avec les
centres E.Leclerc, et aussi à l’étranger.
Plusdevingtpersonnescontinuent à tra-
vailler à temps plein sur la propriété. Et
si le château a décroché plusieurs labels
de l’œnotourisme grâce, entre autres,
à une tour de dégustation à l’aveugle
unique au monde, Yves Vatelot sillonne
plus épisodiquement les croupes argi-
lo-calcaires de son terroir. Le million-
naire a en effet décroché l’exclusivité du
développementduPMUenAfrique pour
desmontantsdeparisapprochant les dix
milliards d’euros… On est certes un peu
loin de Saint-Loubès, mais là encore la
vendange est belle. François Tauriac

Un merlot signé
Lamerat et Montel
Mais que nous mijotent le rugbyman
de l’Union Bordeaux Bègles, Rémi
Lamerat, fraîchement diplômé d’un BTS
viti-œno, et le vigneron des Côtes d’Au-
vergne, Benoît Montel ? Un merlot, clin
d’œil au vignoble bordelais mais planté
en Auvergne. Quelques milliers de bou-
teilles seront disponibles dès le mois de
décembre 2020.
L’IGP Pays d’Oc se dote
d’un vaisseau amiral
L’interprofession des vins IGP Pays d’Oc
doit bientôt inaugurer son nouveau
siège à Lattes. Avec ses 130 m de long et
ses 60 m de large, le bâtiment s’appa-
rente à un paquebot. Doté d’une salle de
dégustation unique en Europe, il pourra
accueillir plus de 150 dégustateurs.
Les Fèvre bientôt
maîtres du bio à Chablis
Nathalie et Gilles Fèvre (Chablis) ont
engagé la conversion de la totalité de leur
domaine, une cinquantaine d’hectares.
Une volonté concomitante avec l’arrivée
de leur fille Julie, œnologue et ingé-
nieur-agro. À l’issue de cette conversion,
prévue pour 2021, le domaine deviendra
le plus important producteur bio du
vignoble chablisien.
LE CHIFFRE DU MOIS
8,5
C’est en millions d’hectolitres le
volume des stocks de vins de Bordeaux
dans les propriétés, soit l’équivalent
de plus de deux campagnes, alors que
le vignoble girondin a une capacité
de commercialisation d’environ
4 millions d’hectolitres.
Jamais Bordeaux n’avait connu
un niveau de stock aussi élevé pour
un potentiel de commercialisation
aussi faible. Et ce dans un contexte
économique déjà très dur.
En direct
Dans le vignoble
Crise du Covid-19
Le calvaire des salons vinicoles
Suite à l’annulation des principaux salons, la filière est menacée.
Pour relancer son activité, elle va devoir repenser ses événements.
L
es salons professionnels et de
dégustation constituent l’agora
des amateurs de vins. Les vigne-
rons y rencontrent leur public. Les
professionnels négocient entre eux les
échanges dans une filière très interna-
tionalisée. La crise du coronavirus a fait
s’effondrer ce calendrier patiemment
bâti avec le temps.
On ne compte plus les événements
décalés, reportés ou annulés : Vinitaly,
Vinexpo Hong Kong, le Salon des vigne-
rons indépendants, Prowein, Vinomed,
Bien Boire en Beaujolais, les Grands
Jours de Bourgogne et même les pri-
meurs de Bordeaux. « C’est grave car ces
événements sont depuis longtemps des lieux
de rencontres indispensables pour partager
un produit qui change à chaque millésime »,
explique Rodolphe Lameyse, directeur
général de Vinexpo.
Cettesituationinéditemetenlumière
leurrôlecentral:quandilsdisparaissent,
le business ne se fait plus ! « Certains de
nos adhérents réalisent jusqu’à 30 % de leur
chiffre d’affaires en direct avec le public »,
explique Florence Corre, des Vignerons
indépendants (450 000 visiteurs sur
14 événements annuels). La situation du
millésime 2020 est encore aggravée par
20 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
En raison
de l’épidémie
du Covid-19,
le salon allemand
Prowein a dû
annuler son
édition 2020.
D. R.
l’arrêt des exports en raison du confine-
ment de la plupart des pays de la planète.
La filière salon est donc en danger.
Annulations et reports coûtent des mil-
lions. « Certains événements ne s’en remet-
tront pas », prédit un opérateur. La situa-
tion est tellement particulière qu’il n’est
pas possible de s’assurer : « Nous pouvons
nous couvrir contre le risque d’attentat terro-
riste, pas contre celui d’une épidémie. Les assu-
reurs refusent », explique Florence Corre.
LES SALONS DEVRONT CHANGER
Dans le monde d’après, les salons
devront peut-être imaginer de nouvelles
formules : des événements plus nom-
breux, plus petits, dédiés à certains pays
ou régions. Vinexpo Bordeaux n’est-il
pas déjà passé d’une édition interna-
tionale à quatre, avec Paris, New York et
Shanghai ?
Enfin, la filière devra compter sur la
fidélité du public. Mais de ce côté-là,
elle n’a pas de raison de s’inquiéter. En
2008, après la campagne de vaccination
contre un autre coronavirus, le SRAS, les
Vignerons indépendants avaient réalisé
leur record de fréquentation pour un
seul événement : 150 000 amateurs à la
Porte de Versailles ! Benoist Simmat
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION

Briser le confinement
Les vignerons ont démontré que même
confinés ils pouvaient être très actifs.
Sur les réseaux sociaux, ils ont utilisé
#LaVigneContinue créé par le lobby
Vin & Société et l’agence bourguignonne
La Bicyclette de Paul pour partager leur
quotidien à travers des photos et des
vidéos toujours consultables en ligne.
Lancement repoussé
pour Ivan Massonnat
Ivan Massonnat (PAI  Partners), fon-
dateur en Anjou noir de l’ambitieux
domaine Belargus (ex-Jo  Pithon), a
décalé à la rentrée le lancement de son
“club” d’amateurs. Une organisation où
les futurs allocataires “abonnés” se ver-
ront proposer ses chenins mais aussi des
événements liés à la vie du domaine.
Le lézard de Cascatel
Présent sur la liste rouge des espèces
menacées en France, le lézard ocellé fait
l’objet d’un programme de protection
dans le vignoble des Corbières. La cave
coopérative Les Vignerons de Cascastel,
qui en a fait son animal totem, lui a
même dédié sa nouvelle cuvée baptisée
Timon Lepidus (millésime 2019).
Michael Broadbent
tire sa révérence
Formidable dégustateur, Master of Wine
dès 1960, auteur prolifique d’ouvrages
à succès sur le vin, Michael Broadbent
est décédé le 17 mars dernier à l’âge de
92 ans. Ce grand critique anglais fut
aussi l’âme des ventes aux enchères de
vins chez Christie’s à Londres pendant
près de cinquante ans. Et l’un des chro-
niqueurs phares du magazine Decanter
pendant trente-cinq ans.
Christies Wine Auctions
En direct
Dans le vignoble
Dans son nouvel écrin dijonnais, Daniel Passeri a choisi de promouvoir les vins étrangers.
Daniel Passeri, le passeur
de grands crus s’installe en France
Après les Antilles où il est devenu distributeur des plus belles références
du monde, ce Bourguignon part à la conquête de l’Hexagone.
C
’est l’histoire d’un jeune cuisi-
nier parti faire ses armes sur l’île
de Saint-Martin, dans les Petites
Antilles, et devenu en quarante ans l’un
des principaux distributeurs de belles
bouteilles dans la région.
DanielPasseri,Bourguignonetamou-
reuxduvin,youvredeuxrestaurantsau
milieudes années 80 (dontLeTastevin)et
s’aperçoit rapidement qu’il est impos-
sible de s’approvisionner sérieusement
enréférencessolides.«Jesuisdoncdevenu
importateurdevins,maisd’abordpourm’ap-
provisionner moi-même », se souvient-il.
Saufquetouslesrestaurateursetcavistes
des Antilles demandent à accéder à son
catalogue. Les riches touristes assoiffés
de jolis crus sont toujours plus nom-
breux à Saint-Barth, Barbuda ou Saint-
Christophe…
RETOUR AUX SOURCES
Daniel Passeri devient alors importa-
teur à temps plein. Avec une passion
assumée pour les grandes étiquettes
des vignobles en pointe : «Desgrandscrus
américains de Californie, d’Oregon, de l’État
de Washington, mais aussi des crus chiliens,
22 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
D. R.
argentins, sud-africains, et bien sûr italiens.
Cela fait un moment que les Français n’ont
plus le monopole de l’excellence », souligne
cet allocataire de la Romanée-Conti.
Sasociétéfournitdesvinsdemoyenne
gamme, des pépites françaises et étran-
gères (Clos de Tart, Harlan, Screaming
Eagle, Gaya…) à un millier de caves,
restaurants ou resorts de luxe. Notre
Bourguignon voyage partout, ouvre
des boutiques baptisées Le goût du vin
à Saint-Martin, Saint-Barth et Anguilla,
et stocke un demi-million de bouteilles
dans une zone où leur conservation
exige un certain professionnalisme.
Entre-temps, l’enfant de Dijon est
revenu vivre auprès des siens et vend ses
pépites internationales aux belles tables
de l’Hexagone. « Même si cela reste difficile
pourlesextraordinairescrusaméricains,dont
jemesuisfaitunespécialité», regrette-t-il.
Quoi qu’il en soit, il peut toujours se
rattraper avec la riche clientèle de la
jet set. Car si un passionné accostant
en yacht à Monaco désire une caisse de
Screaming Eagle dans les 24 heures, la
société de Daniel Passeri peut exaucer
son vœu. B. S.

L’ADRESSE UNDERGROUND
RewinedàRennes
Depuis peu, la capitale bretonne
s’est enrichie de ce comptoir à la
chaleureuse ambiance bistrotière.
I nauguré sans grande publicité en
septembre 2019, ce comptoir-là,
patronné par Émeline Macé et Alan
Floc’h,n’apourtantpastardéàs’imposer
sur le pavé rennais. Pas étonnant vu sa
bonnegueuled’atmosphèrebistrotière.
Plutôt calme la journée, l’endroit se
met à sérieusement palpiter aux pre-
mièresheuresdel’apéro,auzinccomme
surlespetitestablesd’unemiseenscène
rassembleuse. L’ambiance est bonne, et
les produits aussi !
Sur une imposante étagère en bois,
les boss – gentils comme tout – affichent
leurs convictions pour une viticulture
bio et “nature”, avec de nombreux et
excellents canons comme ceux du
domaineLéonine,dansleRoussillon,ou
du domaine Séléné, dans le Beaujolais.
Côté solide, le Rewined ne se contente
pas de quelques basiques sans relief,
mais envoie de la charcut’ et des fro-
mages de belles provenances, et des
frichtis maison(de 4 à 15 €) drôlement
bien ficelés : saumon gravlax, poireaux
à la vinaigrette et ricotta, etc.
Au cœur de la capitale bretonne, déjà
bien pourvu en points de chute vineux,
celui-ci a donc trouvé sa place et la
mérite amplement ! Pierrick Jégu
23, rue de la Chalotais, 35000 Rennes
Tél. : 02 90 89 16 44
Au Rewined, Émeline et Alan affichent
leurs convictions pour les vins bio et “nature”.
D. R.
En direct
Dans le vignoble
Championnat de France avec Spiegelau
Breteau et Ranceze
raflent la mise à Vouvray
En terre ligérienne, rien ne semblait pouvoir freiner l’irrésistible réussite
du champion du monde en titre et de son talentueux partenaire.
Joli succès pour cette troisième manche du championnat qui a réuni 70 équipes.
L ’appellation Vouvray accueillait le
7marsdernier70équipestrèsmoti-
vées pour la troisième étape du cham-
pionnat de France de dégustation 2020.
Champion du monde en titre,
François Breteau est en grande forme.
AssociéàManuRanceze,ils’estaisément
imposédevantJackyCamusetChristian
Colin et le duo Nicolas Arlicot/Dimitri
Juszczyk.
Les vins proposés lors de cette étape
ligérienne ont posé pas mal de pro-
blèmes aux dégustateurs. Le terret
bourret du domaine de La Font des
Ormes, un joli blanc issu d’un cépage
peu connu, a dérouté le plus grand
nombre. Jean-Luc Chauvet le plaçait à
Cassis, le duo Medrinal/Zuffrano, lui, le
situait en Savoie. Le superbe muscadet
du château Thébaud a été souvent pris
pour un chardonnay, notamment par
Didier Sanchez et Eddy Gautier du club
IVV, et Bruno Oeschlin et Pascal Vigne
de Vignyfica. Mais il n’a pas échappé à la
sagacité de Pierre Rey et Marc Lignac.
À l’issue de cette manche, cinq nou-
velles équipes se qualifient pour la
grande finale nationale prévue le 6 juin
prochain à Châteauneuf-du-Pape.
24 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
D. R.
Un grand merci à toute l’équipe de
l’appellation Vouvray pour son accueil
et la logistique parfaite.
Prochaine étape le 6 juin à Lattes.
Philippe de Cantenac
Renseignements et inscriptions :
championnat.degustation.rvf@gmail.com
Les équipes qualifiées :
1ers : François Breteau/Manu Ranceze
2e : Jacky Camus/Christian Colin
3e : Nicolas Arlicot/Dimitri Juszczyk
4e : Sabine Merdinoglu/Hakim Mireau
5e : Filip Mesdom /Serge Codden
Les vins dégustés : champagne blanc de noirs
Grandcru,ÉdouardBrun•IGPPaysdeCauxVieilles
vignes 2018, domaine de La Font des Ormes • mus-
cadet Château-Thébaud 2015, château Thébaud •
alsacerieslingGrandcruZinnkoepflé2018,Mickaël
Moltès • sancerre Les Panseillots 2018, domaine
Guillerault-Fargette • patrimonio 2019, Clos Alivu •
collioure Les Canadells 2018, domaine de la Tour
Vieille • côte-roannaise Clos du Puy 2018, domaine
des Pothiers • touraine Brin d’épice 2018, domaine
du Chapitre • nuits-saint-georges 1er cru Château-
Gris 2017, Albert Bichot • saint-joseph Anaïs 2017,
domaine du Chêne • fronton Les Complices 2018,
domaineLaurou.
L ’A B U S D ’A L C O O L E S T D A N G E R E U X P O U R L A S A N T É . À C O N S O M M E R A V E C M O D É R A T I O N . 

À Lyon, le bar à vins-restaurant les Assembleurs est l’un des pionniers du vin à la tireuse en France.
Patron, un demi de rosé !
La tireuse s’empare du vin
Le vin à la tireuse va-t-il détrôner la bière à la pression ? Le concept qui
cherche à redémocratiser les vins plaisirs pourrait bien séduire les zincs.
S ervir un verre de vin comme on tire
un demi de bière à la pression, en
voilà une drôle d’idée ! « J’ai dû faire dix-
sept banques avant de voir mon projet de
financement accepté », explique Antoine
Oran, pionnier du canon servi à la
tireuse dans son établissement lyonnais
désormais bien connu : les Assembleurs.
Le concept ? Oran et ses équipes vont
chercher dans le vignoble des jus qu’ils
assemblent eux-mêmes dans des fûts
de nouvelle génération. Ceux-ci sont
ensuitebranchéscommedesfûtsàbière
sur les becs de l’établissement, et distri-
bués au client, au verre ou à emporter,
comme les cubitainers d’autrefois.
« Mon idée, c’est que 90 % des vins servis
à la bouteille sont bus dans l’année. Ce sont
des vins plaisirs. Il faut en redémocratiser la
consommation », détaille l’entrepreneur,
dont le prix au verre plafonne à 5 euros.
UNE TENDANCE VENUE DE NEW YORK
Julien Maillet, patron de la Liquiderie
dans le quartier de Belleville, à Paris,
spot de vins tendance “nature” en vrac,
a également ouvert un bar à vins de six
becs. Ses vins sont assemblés chez des
vignerons partenaires. « Par exemple,
nous venons de mettre en fûts six cuvées
spéciales sur mesure chez Anthony Tortul,
En direct
Dans le vignoble
P. Genet
La Sorga en Languedoc », détaille-t-il. Et
les tarifs sont doux, entre 3 et 5 euros,
une façon pour lui de protester contre
certaines marges prohibitives. Goguette,
Les Grands Verres, Rosa Bonheur, Soif… Ils
sont encore rares en France à épouser
cette tendance née aux États-Unis avec,
entre autres, le célèbre Loïs dans l’East
Village à New York qui sert ses cuvées à la
pression dans des verres à eau !
ÉCOLOGIQUE ET RENTABLE
Tous louent les qualités de l’invention.
L’empreinte carbone est divisée par
trente. « Un fût pèse 1,2 kilo, soit l’équivalent
de 27 bouteilles », explique Antoine Oran.
Ce fût revient aussi moins cher (une
centaine d’euros pour le professionnel)
et permet de conserver les jus plus long-
temps qu’un BIB. Six mois s’il est ouvert,
trois ans s’il reste en cave.
Bien sûr, cette invention a ses limites.
Dans cet environnement étanche, le vin
n’évolue pas. Tout comme ses avantages.
On peut minimiser l’apport en soufre.
Quoi qu’il en soit, elle a déjà séduit de
grands noms du vignoble, tels les Perrin
à Châteauneuf-du-Pape qui l’utilisent
pour exporter certaines de leurs cuvées
aux États-Unis. Chez Loïs, peut-être ?
Benoist Simmat
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 27
L’HISTOIRE
Un princedeCahors
au fond du gouffre
Le célèbre gouffre de Padirac va
fêter les 130 ans de sa découverte
en accueillant dans ses entrailles
plusieurs bouteilles de la cuvée
Probus du Clos Triguedina.
Le 3 juin prochain, si tout va bien, le
gouffre de Padirac accueillera des visi-
teurs pas comme les autres. Pas moins de
500 bouteilles et 25 magnums de Probus,
le fameux cahors signé Jean-Luc Baldès
(Clos Triguedina), seront mis à l’élevage
à 100 mètres sous terre.
Lubie de vignerons décidés à imiter
les multiples expériences menées en
grottes ou sous la mer ? Non ! Il s’agit de
célébrer l’anniversaire de la découverte
du plus fameux des complexes souter-
rains naturels avec la création d’une
“Cuvée des 130 ans”, qui bénéficiera de
conditions idéales (13° C et 98 % d’humi-
dité en permanence) afin d’être réguliè-
rement dégustée pour juger de son évo-
lution particulière.
L’idée est née d’une rencontre il y a
deux ans entre Laetitia de Ménibus, la
directrice de Padirac, et Jean-Luc Baldès.
Le fameux vigneron avait d’abord rêvé
élever ses vins… dans l’espace, mais il n’a
pas réussi à convaincre Thomas Pesquet,
le plus connu des spationautes. Un
cahors siglé Padirac, site mondialement
connu, ce n’est pas si mal. B. S.
D. R.
Jean-Luc Baldès va déposer 525 flacons de
son célèbre malbec à 100 mètres de profondeur.

LE LIVRE DU MOIS
La chartreuse :
le goût du mystère
L es éditions Glénat et les amateurs
ont de la chance. Si, en 1990, Michel
Steinmetz, alors étudiant en médecine
à Grenoble, n’avait pas acheté une bou-
teille de Grande Chartreuse jaune 1962
(Tarragone) pour célébrer ses 28 ans à
Voiron, ce livre n’existerait pas.
Pourquoi ? Parce que cette bouteille
a suscité un intérêt légitime chez notre
jeune carabin. Car l’histoire de cette
liqueur est passionnante, riche, très
longue (cinq siècles) et mystérieuse. Elle
voisine avec l’histoire de France : laï-
cité, lois anti-congrégations religieuses,
expulsions, saisies, confiscations des
biens des émigrés, ventes des biens
nationaux… L’État encaisse.
Et la résistance des moines crée la
légende  : la “fuite” à Tarragone, en
Espagne, la nouvelle distillerie, les nou-
velles plantes, la mise en bouteilles à
Marseille, etc. Et surtout, une réussite
incroyable : la tarragone n’est pas une
vague imitation. La preuve, aujourd’hui
elle est très recherchée. Les dernières
bouteilles produites datent de 1989.
Deux remarques enfin. Primo, seul un
passionné pouvait écrire cet ouvrage.
Secundo, le livre s’achève par le cata-
logue de datation, outil indispensable à
tout amateur. Michel Dovaz
Chartreuse, guide de l’amateur de liqueur
Michel Steinmetz,
19 x 28 cm, 192 p., 25 €
Éditions Glénat
En direct
Dans le vignoble
L’IMPROBABLE DU PROFESSEUR FABRIZIO BUCELLA
Une fiabilité sans
commune mesure
L
es physiciens et les théoriciens
des sciences utilisent le terme
“incommensurable” pour des
paradigmes ne pouvant pas être com-
parés. Littéralement, ils n’ont pas de
commune mesure. Les jugements émis
lors des concours de vins appartien-
draient-ils à cette catégorie ?
Les compétitions sont censées éva-
luer la qualité des vins et attribuer des
récompenses en fonction des mérites.
Quand on parle d’évaluation d’un vin,
on voudrait que celle-ci ne soit pas le
résultat contingent d’une dégustation
à un moment donné, en un lieu donné,
par un dégustateur donné. L’expertise
doit être commensurable, les juges des
concours reçoivent à ce titre des fiches
de dégustation pour chacun des vins
soumis à leur appréciation.
ÊTRE OU NE PAS ÊTRE COHÉRENT ?
Si le système était parfait, un expert éva-
luant un vin devrait lui attribuer tou-
jours la même note, quelle que soit la
situation. On peut bien sûr accepter des
petites variations, mais pas des chan-
gements trop importants. L’expert doit
être cohérent avec lui-même. Ce critère
Le vigneron et professeur Robert Hodgson, ici avec sa femme Judy, s’est amusé à démontrer
le caractère incohérent de certains résultats de dégustations lors de concours de vins.
28 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
se nomme la cohérence intra-juge ou
intra-expert.
Vigneron à ses heures perdues et
professeur émérite de la Humboldt
State University en Californie, Robert
Hodgsonaanalysélesrésultatsdequatre
éditions de la California State Fair Wine
Competition. Lors de ces éditions, il a
“truqué” les séries (30 vins dégustés) en
présentant à 64 juges trois fois le même
vin issu de la même bouteille.
Résultat : les juges n’ont été cohérents
que dans 18 % des cas, attribuant à l’un
des échantillons “pirates” tantôt une
médaille d’or, tantôt une médaille de
bronze, voire aucune médaille. Les cas
de cohérence, eux, ont été relevés sur
des vins n’ayant, pour la plupart, obtenu
aucune distinction.
Dansunmonderationnel,cegenrede
révélationschoquerait.Maislamagiedu
vin consiste à garder le sourire en toutes
circonstances même devant certaines
incohérences. C’est là l’un des mystères
impénétrables de l’œnologie. Et que
celui qui n’a jamais acheté une bouteille
auréolée d’une médaille me jette la pre-
mière bière. Fabrizio Bucella
Professeur à l’Université libre de Bruxelles
Amy Kumler
Un millésime pour l’année, une promesse pour la vie

PAUILLAC, GRAND CRU CLASSÉ EN 1855

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ,

À CONSOMMER AVEC MODÉRATION

Dans leurs vignes de Morgon, Patricia et Jacky Grolet trinquent à leur “Ferrari suédoise”.
La Volvo P1800 S
La beauté suédoise de Jacky Grolet
Dans le Beaujolais, si vous ne croisez pas ce cuisinier-vigneron
au guidon de l’une de ses motos de collection, vous l’apercevrez
à coup sûr au volant de son splendide coupé de 1964.
M
ais où est Jacky Grolet ?
Tantôt sur une de ses motos
anciennes, tantôt sur son
tracteur dans les vignes, tantôt derrière
les fourneaux de son restaurant, tantôt
au volant de sa Volvo P1800 S de 1964. Ce
superbe coupé surnommé la “Ferrari
suédoise” lui sert aussi pour le plaisir
de voiture de tous les jours. « Ma femme
Patricia la trouvait jolie, et moi aussi, alors on
a craqué ! »
Dans ce haut lieu du Beaujolais qu’est
Villié-Morgon, Jacky Grolet n’est pas un
vigneron comme les autres. « Normal,
dit-il,j’aid’abordeuunCAPdecuisinier!»Et
ce bon vivant avait ouvert un restaurant
à l’enseigne Le Bacchus.
Mais quand il a commencé en 1982 à
reprendre le petit vignoble de 1,6 hec-
taredesongrand-père(iltotalisequatre
hectares aujourd’hui), une seconde vie
a débuté pour lui. « Ça devenait difficile de
menerlesdeuxàlafois,alorsexitlerestaurant
en 2007. »
En direct
Dans le vignoble
P. Genet
Mais pas le talent de maître queux.
Dans une vieille bâtisse retapée face à la
fameuseCôteduPy,ilsouvrentl’Auberge
de Bellevue où l’on ne déjeune que sur
réservation privée.
POLEPOSITIONPOURSACUVÉERACER
« C’est mon assurance anti-grêle qui a permis
de nous en sortir malgré les intempéries en
2016et2017.» Et un emploi du temps plus
souple lui permet à la fois de peaufiner
sonmorgonvinifiéetélevéuniquement
en cuves béton et non en fûts. « Car l’ap-
portduboissurlegamayluifaitperdrel’inten-
sité de son fruité ».
Et d’assouvir sa passion pour la moto
qui l’emmène sur les circuits de course.
Sansjamaisperdredevuequ’ildemeure
vigneron. « J’ai lancé une Cuvée Racer. Sur
l’étiquette, j’ai fait reproduire une moto de
course Norton. Cette cuvée a rencontré un
succès fou, elle représente maintenant un
quart de mes ventes ! »
Philippe Genet (vinsetvintage.fr)
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 31
L’AVIS DU JURISTE
Leterroirviticole
faitsapubàlatélé
D
epuis 2015, la notion de “com-
municationnon-publicitaire”,
qui permet notamment de
communiquersurlepatrimoineviticole
et l’œnotourisme avec beaucoup moins
de contraintes que les publicités tradi-
tionnelles sur l’alcool, a été introduite
dans la loi Évin.
Pourtant, depuis cette date, les tenta-
tives de communiquer sur de nouveaux
supports autorisés comme la télévision
ont été plutôt timides.
On se souvient par exemple des très
agréablesmini-reportages“Uneminute,
un vignoble” diffusés entre 2017 et 2018
sur France Télévisions.
Les choses ont cependant évolué très
récemment.Entrele2etle15mars 2020,
les téléspectateurs de BFM et LCI ont pu
voir une publicité de 20 secondes met-
tant en avant les activités culturelles et
touristiques du vignoble de Saint-Mont
dans le cadre de la manifestation “Saint-
Mont en fête”.
Financé à hauteur de 70000 euros par
l’office de tourisme Cœur Sud-Ouest
(soutenuparleSyndicatdesvinsde l’AOP
Saint-Mont et la Cave de Plaimont), ce
spot intitulé “Vous avez tant à décou-
vrir” montre ainsi une famille évoluant
dans les vignes et dans une cave de la
région, en train de dîner et d’assister à
un concert dans une ambiance estivale
très conviviale.
Les scènes de dégustation ont toute-
fois été évitées par précaution, ce qui
prouve que malgré cet assouplissement
le terrain de la communication reste
miné. En effet, rien dans le texte de la loi
n’interdit de montrer un consomma-
teur en action dès lors, naturellement,
que celui-ci serait montré de manière
objective, et en respectant “l’esprit” de
la loi Évin.
Cette opération devrait toucher selon
les estimations environ dix millions de
téléspectateurs au travers de 80 diffu-
sions du spot.
Jean-Baptiste Thial de Bordenave
Juriste - directeur de DLLP Wine

Pour cette exposition
exceptionnelle, des œuvres
prêtées par les musées
du Louvre et d’Athènes
côtoieront celles
d’artistes contemporains.
À Bordeaux, la Cité du Vin
vous invite à trinquer à la santé des dieux
Dès l’Antiquité, le vin était le véhicule idéal pour communier avec le divin et l’art en est le grand témoin.
D
écalée de quelques semaines
pour cause de coronavirus,
l’exposition “Boire avec les
dieux” doit ouvrir ses portes en juin
prochain à la Cité du Vin, à Bordeaux.
Elle retrace l’épopée culturelle du vin
dans la civilisation gréco-romaine au
travers de pièces archéologiques, d’us-
tensiles à boire, d’objets antiques mais
aussi de créations artistiques contem-
poraines monumentales spécialement
conçuespardesstreetartistesderenom,
MonkeyBird, Delphine Delas et Rouge.
LE VIN ÉLEVÉ AU RANG DE DIVINITÉ
AufilduparcoursproposéparlaCitédu
Vin se précise une histoire d’hommes
et de croyances qui n’a cessé d’évoluer
pendant des millénaires, notamment
par l’entremise de Dionysos, le dieu de
la vigne et du vin.
Selon la légende, Dionysos serait né
des amours de Zeus et de la mortelle
Sémélé. C’est lui qui fit découvrir la
vigne aux hommes et leur enseigna l’art
d’en tirer le vin. En vérité, ce dieu plein
de fougue et de vivacité a été associé à la
En direct
Dans le vignoble
pluieetàlacroissancedesplantes,incar-
nant la force végétale.
Au cours de ses recherches, l’histo-
rien Daniel Noël, spécialiste des reli-
gions de la Grèce antique, a maintes fois
étudié les origines mythologiques du
vin, réparties entre Œnopion, le fils de
Dionysos, à Chios, Dionysos et le berger
à Tyr, Dionysos et Icarios à Athènes (*).
Le dieu du vin participe ainsi à l’ex-
pansion politique du vin et à son essor
commercial dans le monde antique. La
citéd’Athènes,parexemple,intégrerale
vin dans son système social sous de mul-
tiples formes, notamment par le biais
des fêtes dionysiaques.
DES PERSES À DIONYSOS
Au travers de cette exposition, la Cité
du Vin s’attache donc à révéler les liens
étroits tissés par la civilisation gréco-
romaine entre le nectar divin et les
hommes. La présentation d’une cin-
quantained’œuvresantiquesexception-
nelles provenant des musées du Louvre
et d’Athènes permettra d’admirer les
nombreusesreprésentationsartistiques
32 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
D. R.
de Dionysos et la richesse des rituels et
banquets qui lui sont associés.
Rappelons toutefois que si Dionysos,
Bacchus pour les Romains, demeure
en Occident lié à la part divine du vin
et à l’ivresse, d’autres civilisations ont
égalementusédeboissonsfermentées,
désinhibitricesetsouventélitistespour
approcher les dieux.
Les peuples indo-européens pro-
duisaient un breuvage euphorisant
nommé soma. Mentionné dans le
Rigveda, l’un des quatre grands textes
canoniques de l’hindouisme rédigé
entre 1 500 et 900 avant notre ère, il
est utilisé comme élixir d’immortalité
et offert en sacrifice aux dieux. Tout
comme le haoma des Perses. Fidèles et
prêtres buvaient cette boisson hallu-
cinogèneissuedel’ephedra,uneplante
sacrée, mélangée à de l’eau ou du lait,
pour communier avec les dieux.
Corinne Lefort
(*) Le vin mélangé entre Dionysos
et la cité, Daniel Noël, Pallas, 1998.
www.laciteduvin.com
twinphotographie.com
www.lasuite-atelier.com

L’ a b u s d ’alco ol est d an g e re ux po u r la s ant é. A con som m er avec modéra t i on .

 En direct dans le vignoble
L’invité
E. Perrin
« La vigne est un lieu préservé de
la pression extérieure, un bonheur »
Vos parents sont vignerons au domaine Chaume-Arnaud,
à Vinsobres, où vous avez grandi.
Je suis amoureux de ma région. J’adore la vue sur le mont
Ventoux, la vigne et les oliviers. C’est à chaque fois un
grand bonheur d’y retourner, de me couper du rugby et de
retrouver ma famille. J’y fais le plein d’énergies positives.
Vous aimez aussi y chercher des truffes. Une activité dont
vous êtes, paraît-il, un spécialiste !
Petit, on m’avait appris à chercher la truffe à la mouche,
c’était une sorte de chasse au trésor. Depuis, nous avons
planté des truffières, mais elles ne donnent pas toujours.
Reste-t-il une forme de polyculture sur le domaine ?
Mon grand-père avait de la vigne et des abricots. Mes
parents ont eu des melons. Désormais, ils cultivent des
tomates bio, en plus de faire du vin en biodynamie.
Vous songez à retourner y vivre ?
On revient toujours à l’endroit où l’on est né. Mon grand
frère Thibaud y est revenu, mon petit frère Samuel est
encore étudiant, mais nous nous retrouverons au domaine
pour y bosser ensemble. Le métier de vigneron est l’un
des plus beaux du monde à mes yeux. Créer un vin de ses
propres mains, soigner ses vignes, être en osmose avec la
nature, dans notre monde, c’est un luxe.
Un métier auquel vos études vous ont préparé.
J’ai fait un BEP Vigne et vin à Hyères, puis un bac pro Vigne
et vin, en partie à Hyères et en partie à Orange. Gamin,
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 35
Raphaël
Chaume
Vainqueur du bouclier
de Brennus avec
Clermont-Ferrand
en 2017, le pilier du
LOU se destine, après
le rugby, à revenir
travailler à Vinsobres
au domaine familial.
Propos recueillis
par Baptiste Charbonnel
j’étais sur les tracteurs, j’étais un petit paysan. Mais depuis
douze ans, ma vie est consacrée au rugby, j’ai donc besoin
d’une bonne mise à jour !
Quel aspect de ce métier vous attire le plus ?
J’aime me retrouver seul dans les vignes. C’est le meilleur
endroit pour faire le point sur soi. Un lieu préservé de la
pression extérieure, c’est du bonheur pur !
Quels sont les vins qui vous ont marqué ?
Durant mes études, j’ai eu la chance de travailler au Clos du
Caillou, à Châteauneuf-du-Pape, avec Sylvie Vacheron et
Bruno Gaspard. J’y ai de très bons souvenirs et les vins sont
délicieux. Idem à l’Oratoire Saint Martin, à Cairanne, avec
la famille Alary. J’aime aussi beaucoup les vins du domaine
Camin Larredya, à Jurançon ; Jean-Marc Grussaute est un
ami de la famille et nous avons le rugby en commun.
Achetez-vous du vin régulièrement ?
J’en achète, mais surtout j’en pique chez mes parents ! Je
prélève quelques bouteilles parmi celles que d’autres
vignerons leur ont échangées sur les salons.
Votre club, le Lyon Olympique Universitaire (LOU), est très
bien classé, vous visez le titre ?
J’aimerais gagner un autre bouclier de Brennus (récom-
pense décernée à l’équipe victorieuse du championnat de
France de rugby à XV, le Top 14, ndlr). J’ai eu la chance de
connaître cette joie avec Clermont-Ferrand en 2017, c’est
ce qu’il y a de plus beau pour un rugbyman.
 Courrier
des lecteurs

Clos Rougeard Les Poyeux Alexandre

à 105 euros : chiche ? de Lur Saluces,
merci !
M erci pour le renou- à 299 € et encore, c’était un 2012 ! Ne
veau de La RVF engagé serait-il pas plus judicieux de préciser Le cri de désespoir de
depuis plusieurs mois. que ce vin est “introuvable” ? Cela dit, si notre cher Alexandre
Merci aussi de nous faire vous me dénichez douze bouteilles des de Lur Saluces dans
“rêver” chaque mois avec Poyeux2014à105€,jevousenoffreune! sa tribune «  C’est
des flacons inaccessibles Vincent Jung Sauternes qu’on abîme ! »

F. Poincet
ou introuvables… Rêver Metz (57) (lire La  RVF n°  639,
seulement,carj’aiunpro- mars 2020) me fait
blèmeaveclesréférences La RVF. Cher monsieur, voilà réagir. J’ai la chance d’avoir dans ma cave
deprixquevousdonnez le problème avec les domaines de grands et vieux sauternes, mais je suis
pour les plus beaux devenus spéculatifs ! Certains aussi un grand amateur de liquoreux
vins que vous avez revendeurs n’hésitent pas à faire du monde entier, que je ne bois jamais
dégustés.Unexemple exploser la cote des Poyeux 2014. avec de la glace ou en cocktail ! À part
dans votre numéro D’autres réservent les vins du Clos quelques très vieux millésimes d’excep-
de février 2020 Rougeard à prix abordables (env. tion, des vins de “méditation” comme
(La RVF n° 638) : le 105 €), vendus à l’unité, à quelques disent les Italiens ou de “courtoisie” pour
saumur-champigny clients privilégiés. Si vous recher- nous autres Français, des vins à boire
Les Poyeux 2014 du chez des cabernets francs à prix avec des initiés, les sauternes entrent
Clos Rougeard pré- doux dans la lignée du Clos de plain-pied dans les vins de repas,
senté à 105 € la bou- Rougeard, je vous recommande aussi bien en entrée si l’on enchaîne
teille (prix cavistes). La Charpentrie 2015 du domaine avec un rouge, sur un plat principal si
Le moins cher que du Collier et Le Beaumeray 2015 du l’on cherche un peu d’originalité dans
j’ai pu trouver était château Yvonne. Alexis Goujard la manière de le cuisiner, et bien sûr en
D. R.

fin de repas si l’on sait s’amuser avec les

Le Clos Rougeard est entré en peu de temps dans la sphère des domaines différentes variétés de dessert et les dif-
spéculatifs. Au grand dam de nos lecteurs qui ont du mal à trouver ses vins.
férents sauternes, pacherencs et autres
layons, tokaji, vouvrays et jurançons.

La Provence, terre de vins bio

Certains sommeliers et cavistes com-
mencent à proposer à leurs clients des
associations mets et vins avec des moel-
J ’ai lu avec intérêt votre article dans votre graphique. Mais pour la leux type sauternes. C’est aussi à vous,
“Bordeauxauvert”(lirenotrehors-série Provence, en l’occurrence la région journalistes spécialisés, de jouer le rôle
n° 37, novembre 2019). Aimant beau- Paca hors Vaucluse, l’Agence Bio cite d’initiateur en mettant l’accent sur les
coup les vins de Provence, j’ai été surpris 10 623 hectares en bio, alors que votre accords somptueux que l’on peut réa-
devoirsurvotregraphiquequelarépar- graphique ne recense que 2 674 hec- liser avec un sauternes tout en jouant
tition des vignes en bio de Bordeaux tares. Pourquoi cette différence ? sur les millésimes, comme le fait parfois
était légèrement supérieure à celle de la Göran Boman Olivier Poussier dans sa rubrique.
Provence, qui bénéficie pour- Abonné en Suède Alain Jaspard
tant d’un climat plus favo- HORS -SERIE goran@gmboman.se Monaco
NOTRE
SÉLECTION

alain.jaspard@monaco.mc
larvf.com

rable. Dans le livre The Wines of 400

ANNUELLE

La RVF. Cher monsieur

COUPS

Provence (éditions Tricolour) DE CŒUR

CHAMPAGNE,
LOIRE, JURA

La RVF. Cher Alain Jaspard, merci

BOURGOGNE,

dont je suis l’auteur, j’ai publié Boman, vous avez raison,

ALSACE, RHÔNE,
LANGUEDOC...

des statistiques indiquant que

Bordeaux
21 % des vignobles de Provence AU-DELÀ DES PRÉJUGÉS
nous avons commis une
erreur lors de la réalisation
pour votre fidélité. La tribune
d’Alexandre de Lur Saluces,
sont bio ou en conversion bio Pourquoi ils nous séduisent de notre graphique. Il y a bien largement reprise et commentée,
M 01143 37H F 8 50 E RD

ENTRETIEN

en 2017, alors que votre gra- 10674 hectares de vignes a nourri un vif débat sur la situation
JEAN-PAUL KAUFFMANN
SON REGARD SUR BORDEAUX

phique n’en indique que 10 %.
J’ai vérifié les chiffres officiels pour
2018 de l’Agence Bio (agencebio.org/
vos-outils/les-chiffres-cles). Selon cette
source, la région de Bordeaux compte
10817 hectares en bio, ce qui est indiqué
en bio en Provence et non de Sauternes. Acculés par la crise
2674 hectares comme indiqué. économique, de nombreux
Les chiffres que vous citez sont tout propriétaires encouragent
à fait corrects. Toutes nos excuses une approche nouvelle des vins
à nos lecteurs, ainsi qu’aux de Sauternes. Nous y reviendrons.
Provençaux ! Jérôme Baudouin Denis Saverot
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 37
 Courrier
des lecteurs
la Pro D2 n’est pas soumise à cela, dans la
mesure où à Biarritz, par exemple, on
peut boire une excellente bière basque
ou à Oyonnax une très bonne bière du
Jura. Dans certains stades du Sud-Ouest
ou d’Occitanie, il est même possible de
se faire servir des vins locaux au verre,
ce qui renforce encore une convivialité
déjà très forte. Ne serait-il pas souhai-
table de convier les gens de l’Anpaa, de
l’OFDT et autres sectaires à assister à des
matches de rugby ? Ils verraient qu’il
existe un autre monde que le leur, des
Les clubs de rugby gens qui préfèrent venir au stade plutôt
peuvent demander que de prendre des antidépresseurs
jusqu’à dix dérogations lorsqu’ils ont des soucis.

Shutterstock
annuelles pour vendre de Philippe Dupuis
l’alcool pendant les matches.
Vitry-sur-Seine (94)

On peut boire de la bière dupuisphilippe48@neuf.fr

La RVF. Cher M. Dupuis, merci pour

et (parfois) du vin cet utile témoignage. La situation est

très embrouillée. Au départ, la loi

dans les stades

Je ne suis pas d’accord avec le dernier
paragraphe de l’édito de Denis Saverot
intitulé « L’avatar de trop » (lire La RVF
n° 638, février 2020). En effet, la loi Évin
ne s’applique pas au rugby et heureuse-
ment : cela signifie qu’il reste encore des
espaces de liberté, de convivialité et de
bonheurcheznous.Jemerendssouvent
dans des stades pour assister aux cham-
pionnatsderugbydeTop14etdeProD2,
voire au Stade de France afin d’assister
aux matches de l’équipe de France. Et
là, dans tous les points de vente de bois-
sons des stades, se trouvent des pompes
à bière qui servent des hectolitres d’une
marque internationale au logo à fond
vert. Personnellement, je n’apprécie
que très peu cette mousse. En revanche,
d’autres personnes plébiscitent cette
boisson, et il n’est pas rare de voir des
spectateurs se lever plusieurs fois par
match pour faire remplir leurs gobelets
de40clàlapompe.Ilexisteaussidesfûts
debièrequicirculentsurledosdejeunes
gens, permettant ainsi aux supporteurs
assoiffés de ne pas manquer la moindre
seconde du match tout en ne craignant
pas la déshydratation.
J’ai cru comprendre qu’il existait un
contratdedistributionexclusiveentrele
fabricantdelabièreetlaLiguenationale
derugbypourleTop14.Maisjepenseque
Évin promulguée en 1991 interdit
la vente d’alcool dans les établisse-
ments sportifs, donc dans les stades.
Dans les faits, il y a des exceptions :
chaque club peut demander jusqu’à
dix dérogations par an. En revanche,
dans les loges et salons VIP, les bois-
sons alcoolisées, dont le champagne,
peuvent être vendues toute l’année,
ces lieux étant régis par une loi sur
la restauration. Dans tous les cas,
on reste très loin de la possibilité de
présenter en toute liberté des vins
de qualité lors de matches de basket
comme à San Francisco, une situa-
tion racontée dans nos colonnes par
Jean-Baptiste Thial de Bordenave
(lire La RVF n° 637, décembre 2019/
janvier 2020). La rédaction

Les vins oranges sont-ils introuvables ?

Abonné à La Revue du vin de France,
j’anime un club d’œnologie à Gap depuis
une quinzaine d’années après en avoir
créé deux autres dans l’Ain, où nous
habitions. J’ai déjà organisé une dégusta-
tion de vins oranges en 2014. À l’époque,
j’avais trouvé ces vins très intéressants.
Votre article et vos notes de dégustation
m’ont donné envie de recommencer
(lire La RVF n° 639, mars 2020). À partir
de cette lecture, j’avais sélectionné
une dizaine de vins de régions et de
styles variés dans l’espoir de pouvoir
en acheter cinq. Mais je n’ai même pas
réussi à en trouver un seul ! Ils étaient
tous déclarés “épuisés” ou bien proposés
sur un site étranger inconnu où il faut
payer en couronne danoise… Pourriez-
vous m’aider à trouver ces bouteilles s’il
vous plaît ?
Laurent Proux
lproux@free.fr
38 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
La RVF. Cher M. Proux, certaines
cuvées sont en effet produites en
très petites quantités, vite épuisées.
Aujourd’hui, c’est le Languedoc qui
offre la plus importante variété et
la plus grande disponibilité de vins
oranges. Une piste : le site vins-
etonnants.com, spécialiste histo-
rique des vins “particuliers”, propose
une belle gamme de vins oranges
de toutes régions. Pierre Citerne
www.lasuite-atelier.com

L’ a b u s d ’alco ol est d an g e re ux po u r la s ant é. A con som m er avec modéra t i on .

 Enquêtes et révélations

Société
Où va le vin
en France ?
Durcissement économique international, montée en puissance des ligues anti-alcooliques,
nouveaux modes de consommation, défis environnementaux, réduction de la taille
du vignoble, mais aussi épidémie de coronavirus… Le vin français doit faire face à une situation
sans précédent dans son histoire et inventer les stratégies qui assureront son avenir.

Une enquête de Jérôme Baudouin, Baptiste Charbonnel, Denis Saverot et Jean-Emmanuel Simond

C
omme le disait, non sans humour,
Jacques Chirac : « Les emmerdes, ça vole
toujours en escadrille ». Et il faut bien le
reconnaître la filière viticole semble les accu-
muler ces derniers temps. Brexit, taxes impo-
sées par Donald Trump, crise à Hong Kong,
coronavirus, reports et annulations d’évé-
nements majeurs comme les Grands Jours
de Bourgogne, Prowein, Vinitaly, Vinexpo
Hong Kong ou les Primeurs de Bordeaux. Sans
oublier les attaques redoublées des ligues anti-alcooliques
après l’annulation du Dry January par Emmanuel Macron.
DES ENJEUX MAJEURS
Dans ce contexte particulièrement tendu, nous nous sommes dans le même temps, les jeunes se tournent plus volontiers vers
interrogés sur la situation du vin en
France. La viticulture hexagonale est-elle Pesticides, réchauffement climatique…
au diapason des enjeux majeurs auxquels La viticulture française doit se réinventer. national des interprofessions des vins à
elle doit faire face ? Pour répondre à cette
question, nous avons articulé ce dossier
en cinq parties : les vignerons au défi de
répondre aux attentes des consomma-
teurs, la forte “déconsommation” de vin
en France, la montée en puissance des
lobbys hygiénistes, les problématiques
environnementales et enfin l’évolution
du goût du vin.
Nous aurions aussi pu aborder la ques-
tion des exportations. Maislasituationest
Shutterstock
si ce n’est que les marchés étrangers sont de plus en plus diffi-
ciles à conquérir pour les vins français.
Et puis si nous avons recentré notre enquête sur la France,
c’est que notre pays demeure le premier débouché commer-
cial pour ses vins. À lui seul, le marché français absorbe près de
60 % de la production viticole hexagonale.
LE SPECTRE DE LA “DÉCONSOMMATION”
Mais pour combien de temps encore ? Selon les dernières
études de FranceAgriMer, 39 % des volumes de vins tranquilles
sont achetés par des consommateurs de 65 ans et plus. Et si
l’on élargit la tranche d’âge en y intégrant les 50-64 ans, on
découvre que ce vaste ensemble, qui représente près de 30 % de
la population française, achète à lui seul 78 % de ces vins. Et que
la bière ou d’autres boissons alcoolisées.
Dans une note de 2018, le Comité
appellation d’origine et à indication géo-
graphique alertait déjà contre la “décon-
sommation” des Français.
Les vins bon marché (moins de 4 €) sont
les plus touchés par ce changement de
consommation, tandis que les vins les plus
chers continuent, eux, à attirer de nou-
veaux consommateurs.
Reste que la viticulture française repose
largement sur une production de masse,
et c’est sans doute là l’enjeu majeur de la

tellement changeante depuis quelques filière dans les années à venir : se réin-
mois qu’il est difficile d’établir un constat, venter pour produire moins mais mieux.
40 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
Le nombre de vignerons
a été divisé par 3,4 Des consommateurs
entre 1990 et 2018 Taille moyenne
toujours moins nombreux
d’une exploitation Seulement 20% des moins de 30 ans
viticole en 2018 imaginent boire du vin à l’avenir.
1990 290 000
2018 85 000 8,8 ha
20%

Le déclin des
consommateurs réguliers
Le vin quotidien Si le gros du volume est absorbé
par les consommateurs réguliers,
des plus de 50 ans : ils ne représentent plus que 17%
78% des vins sont bus en France
de la population, contre 50% en 1980
par les plus de 50 ans LE VIN

78 % EN FRANCE 1980 50% 30%

EN SIX
CHIFFRES 2015 17% 50%
39% 39% CLÉS

Régulier Occasionnel
qui consomme du vin qui consomme du vin
50-64 ans 65 ans et +
presque tous les jours plusieurs fois par mois

4,2
MILLIARDS
DE LITRES

17%
de la production mondiale
2000 872 000 ha
Deuxième producteur
2018 750 000 ha
mondial en volume Une superficie en baisse
et le premier en valeur du vignoble hexagonal
Illustration : L. Timon

en 2019
Sources : FranceAgriMer/Kantar Worldpanel, FEVS, Vin & Société/Ifop

① La Production
Les vignerons au défi de répondre
aux attentes du consommateur
Les Français boivent moins de vin, le nombre
de producteurs chute, de même que les super-
ficies consacrées à la vigne. Dans ce contexte,
de quelles clés ont besoin les vignerons pour
perdurer ? Des chercheurs nous éclairent.
«M ettre le consommateur au centre
des préoccupations ». Voici l’une
des principales recommanda-
tions du rapport d’information sur l’avenir de
la viticulture française remis au Sénat en 2002
par Gérard César. À l’époque sénateur UMP de
Gironde, l’élu connaît bien son sujet puisqu’il
est lui-même viticulteur. Près de vingt ans plus
tard, ce défi reste amplement d’actualité.
Face à une triple baisse – celle de la consom-
mation (lire p. 45), celle du nombre de viticulteurs (1), divisé
par trois entre 1990 (290 000) et 2018 (85 000) (2), et celle des
superficies viticoles (le vignoble a régressé de 14 % entre 2002
et 2014 (3)) –, comprendre et satisfaire la demande est une
question de survie. « Le consommateur se lasse de plus en plus des
vins trop lisses, il a besoin de piquant et d’aspérité, analyse Joëlle
Brouard (4), ancienne directrice du Mastère Commerce inter-
42 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
Face à la baisse de
sa superficie, moins 14 %
entre 2002 et 2014,
le vignoble français doit
s’adapter aux attentes
des consommateurs
pour assurer sa survie.
national des vins et spiritueux de Dijon. La baisse de consomma-
tion structurelle change le métier de vigneron. Avant, le consommateur
devait entrer dans le monde du vin ; maintenant, c’est le vin qui doit se
faire une place dans le monde du consommateur. »
CAPTER L’ATTENTION
La progression des certifications en bio et en biodynamie est
l’une des illustrations les plus éclatantes de cette adaptation au
goût du consommateur, de plus en plus friand de ces vins. Pour
Jean-Marie Cardebat (5), professeur d’économie à l’université
de Bordeaux et à l’Inseec Business School, deux philosophies
vigneronnes s’affrontent : celle du terroir à tout prix, ancrée
sur l’appellation et la tradition, et celle du consommateur, plus
encline à s’adapter aux désirs de ce dernier. « Sauternes doit-il
s’arc-bouter sur les liquoreux malgré des ventes difficiles ? », s’inter-
roge Jean-Marie Cardebat. Pour lui, la réponse est claire : l’ap-
pellation doit aussi produire des vins blancs secs si elle veut
retrouver un public.
La conjoncture laisse peu de doute sur le fait que le nombre
de producteurs va continuer à chuter en France. À la baisse
de la consommation et à la concurrence internationale, il
faut ajouter la pression démographique, la recherche fréné-
tique de terrains à bâtir et les obstacles fiscaux aux succes-
sions, qui contribuent à grignoter de la vigne et des domaines.
 Enquête
Où va le vin en France ?
Dans ce contexte, il est vital de capter l’attention du des viticulteurs français. Les coopératives entre-
consommateur. « C’est l’une des raisons pour lesquelles tiennent un tissu agricole vivant, mais leur situa-
la dénomination Vin de France remporte un tel succès. Chiffre-clé tion est très hétérogène et une partie d’entre

6 10
Certains producteurs sont prêts à quitter les appella- elles sont menacées. « Il est des coopératives qui
tions pour s’exprimer. Ils ont un réel besoin de liberté, vignerons sur ont fait un travail monumental pour se moderniser.
avance Joëlle Brouard. Les étiquettes et les noms de
cuvées en témoignent. Les Prestige et Tradition laissent ont 50 ans C’est le cas par exemple de Tutiac, au fin fond de la
Gironde, ou de Nicolas Feuillatte en Champagne.
place au Grololo (cuvée du domaine angevin Pithon- et plus Beaucoup de personnes ne savent même pas que
Paillé, ndlr). » ce sont des coopératives. Mais d’autres sont très en
retard dans la valorisation de leur production », sou-
LA FOUGUE DE LA JEUNESSE ligne Raphaël Schirmer, géographe à l’université
Mais se démarquer implique de se remettre en question, Bordeaux Montaigne (10).
voire d’investir. La jeune génération, qui a beaucoup voyagé,
y est prête. Cependant à l’échelle du secteur, ce n’est pas si LE VIGNERON AVANT LE VIN
évident. Six viticulteurs sur dix ont 50 ans et plus (6), et une Bousculés dans leurs habitudes de production, les vignerons
partie d’entre eux ne voit pas l’intérêt de prendre de nouveaux le sont aussi dans leur façon de vendre leur vin. « La marge se fait
risques à l’approche de la retraite. « Historiquement, on s’aperçoit au moment de la vente. Or, pour augmenter son prix, il ne faut pas être
quelesmomentsd’adaptationdanslevignoblecoïncidentavecl’arrivée àlamercid’unnégociant,ilfautêtrecapabledevendresoi-même.C’est
de jeunes. Dans l’Alsace des années 60, ce sont eux qui ont poussé pour une clé importante », détaille Jean-Marie Cardebat. Importante
CIVB / A. Ibanez

replanterdescépagesnobles.EnBourgogne,danslesannées30,cesont et en phase avec les attentes du consommateur, qui aspire au

aussi les jeunes qui ont apporté une grande attention à la technique », contact direct avec le producteur, à travers l’œnotourisme ou
rappelle Olivier Jacquet (7), docteur en histoire de l’université les salons. « Quand on voit que l’appli pour smartphone Vivino (qui
de Bourgogne. Des mouvements qui ont favorisé la montée livre de multiples informations sur les bouteilles, et vous aide à choisir
en gamme des vins. Une notion décisive à une époque où la et à acheter votre vin, ndlr) a dépassé les 40 millions d’utilisateurs, on
France boit moins mais mieux, et plus facile à appréhender se dit que le plus malin, c’est celui qui réussira à y mettre en avant son
que celle de qualité. vin », prédit l’économiste.
«Laproductionestcondamnéeàs’élever.L’avenirs’assombritpour «Levignerondoitdavantages’impliquerlui-mêmedanslavente,car
lesvinsdemasse,carilseradeplusenplusintenabledeproduirecequi on dit désormais qu’on achète le vigneron plus que le vin. Aujourd’hui,
se fait à l’autre bout de la planète pour deux ou trois fois moins cher », pourvousconseiller,lecavistedécritlevigneronavantlevin»,constate
assureChristopheLucand (8),professeurd’histoireàl’Institut Joëlle Brouard. C’est tout le paradoxe que vit une majorité de
universitaire de la vigne et du vin de Dijon et à Sciences-Po producteurs, adulés comme des rock stars par une partie du
Paris. Un constat qui interroge en particulier le modèle coo- public mais incertains de pouvoir financer leur prochaine
pératif et ses 40 000 apporteurs (9), soit environ la moitié tournée. Baptiste Charbonnel

Tous les types de vins ne sont pas voués à disparaître, les productions de qualité ont de l’avenir.

(1) Parmi les producteurs qui

déclarent commercialiser tout
ou partie de leur récolte.
(2) Les chiffres-clés de la filière viti-
vinicole 2008-2018 (FranceAgriMer).
(3) Plan stratégique 2025 de la filière
(FranceAgriMer, 2014).
(4) Elle travaille désormais pour
l’agence de conseil et marketing
Terroir Manager et siège au Comité
de pilotage de la chaire Unesco
Culture et traditions du vin.
(5) Il préside aussi l’Association
européenne des économistes du vin.
(6) Plan stratégique 2025 de la filière
(FranceAgriMer, 2014).
(7) Il est également chargé de mission
pour la chaire Unesco Culture
et traditions du vin.
(8) Auteur de Comment la France
a révolutionné le monde du vin,
Dunod, 2019.
(9) Rapport du Haut conseil
de la coopération agricole, 2006.
Shutterstock

(10) Auteur de Bordeaux et ses

vignobles, un modèle de civilisation,
Sud-Ouest, 2020.
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 43
La Revue du vin de France vous offre
le Guide des millésimes 2020
en version numérique !

BOURGOGNE BOURGOGNE DU SUD

La qualité Laissez-vous séduire par le classicisme des 2010
VINS BLANCS DE LA CÔTE DE BEAUNE DE 2018 À 1999 (suite) CÔTE CHÂLONNAISE, MÂCONNAIS ET BEAUJOLAIS DE 2018 À 2009
et la garde MILLÉSIME NOTE POINTS FORTS POINTS FAIBLES GARDE MILLÉSIME NOTE POINTS FORTS POINTS FAIBLES GARDE

des grands vins 2008 17,5/20

9LQV pOpJDQWV 5pXVVLWHV j 0HXUVDXOW
HW &KDVVDJQH0RQWUDFKHW
0DQTXH GH JUDV GHV YLQV PDLJUHV Grande 2018 17/20
Beaux poui ly-fu ssé, givrys et saint-véran,
EHDXMRODLV F{WHGHEURXLOO\ HW ÁHXULHV
De faibles maturités phénoliques,
GHV Y QV YDULpWDX[
Grande

de 1999 à 2018 /HV PHXUVDXOWV VDLQWDXELQ Des pulignys décevants, des vins Début Miser sur Morgon et Brouilly, Des secteurs touchés par la grêle,
2007 15/20 HW VDLQWURPDLQ VRQW UpXVVLV WURS YLIV 8QH JUDQGH KpWpURJpQpLWp d’apogée 2017 16/20 *LYU\ HW 3RXLOO\)XLVVp GHV TXDOLWpV KpWpURJqQHV
Moyenne

*UDQGV FUXV 5pXVVLWHV j 0HXUVDXOW Début Privilég er Morgon et Brou lly, Mercurey
2006 15,5/20 6DLQW$XELQ &RUWRQ&KDUOHPDJQH
3DUIRLV XQ PDQTXH GH IUDvFKHXU
d’apogée 2016 16/20 HW 5XOO\ /HV SRXLOO\V VRQW WUqV UpXVVLV
'HV TXDOLWpV KpWpURJqQHV Moyenne

'HV YLQV ULFKHV HW WUqV DURPDWLTXHV Quelques parcelles grêlées Beaux moulin-à-vent, morgons, juliénas, Éviter les robes légères
2005 17/20 &RUWRQ&KDUOHPDJQH DX VRPPHW DX VXG GH OD UpJLRQ
$SRJpH  2015 16,5/20 VDLQWDPRXU JLYU\V HW PHUFXUH\V RX OHV YLQV WURS DOFRROHX[
Moyenne

Des vins gras et de belle expression, Excellents blancs à Bouzeron et

2004 16/20 DYHFGHODIUDvFKHXU
2wGLXPHWGLOXWLRQ $SRJpH 2014 16,5/20 3RXLOO\)XLVVp 6XSHUEHV EHDXMRODLV
8QH TXDOLWp KpWpURJqQH Grande

Petits rendements et souplesse À boire Privilégier Rully, Montagny, avec des

2003 16/20 /D JUDQGH GHQVLWp GHV FXYpHV au plus tôt 2013 14,5/20 'HV PDQTXHV GH PDWXULWp Moyenne

Guide
GHV YLQV 7HQGDQFH j OD ORXUGHXU YLQV GHQVHV 'HV EHDXMRODLV ELHQ WHQGXV

%ODQFV DURPDWLTXHV URXJHV FKDUPHXUV Une qualité hétérogène, des vins

2002 17/20 'HV YLQV GHQVHV HW pTXLOLEUpV /D GLOXWLRQ GXH DX[ IRUWV UHQGHPHQWV À boire 2012 15/20 0RUJRQ HW 0RXOLQj9HQW HQ SRLQWH HQ VRXVPDWXULWp SHX GH YROXPHV
Moyenne

des
Des blancs vifs, beaujola s charmeurs, /D JUrOH D IDLW GHV GpJkWV j 5XOO\ Début
2001 15/20 4XHOTXHV EHOOHV FXYpHV 'HV SUREOqPHV GH PDWXULWp À boire 2011 15/20 VXUWRXW GDQV OHV FUXV GX VXG GHV VDLQWYpUDQ SDUIRLV GpFHYDQWV d’apogée

millésimes
ÉDITION 2020
2000 16/20

1999 17/20
'HV YLQV FRPSOHWV HW pTXLOLEUpV

Une belle maturité du raisin, des vins

ULFKHV *UDQGV PHXUVDXOWV
&HUWDLQHV FXYpHV VRQW G OXpHV

' OXWLRQ HW ORXUGHXU

$SRJpH 

$SRJpH 
2010 16,5/20

2009 18/20
Des cuvées de rouges classiques
HW pTXLOLEUpHV DYHF GH OD IUDvFKHXU

Des fruités matures,

GHV YLQV DURPDWLTXHV HW pTXLOLEUpV
'HV YLQV EODQFV SDUIRLV GpVpTXLOLEUpV

4XDOLWp KpWpURJqQH
Début
d’apogée

Début
d’apogée

20 LE GUIDE 2020 DES MILLÉSIMES / SUPPLÉMENT DE LA REVUE DU VIN DE FRANCE N° 641 SUPPLÉMENT DE LA REVUE DU VIN DE FRANCE N° 641 / LE GUIDE 2020 DES MILLÉSIMES 21

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 En dix ans, la part
des 18-30 ans qui
boivent du vin au
moins une fois par
semaine a baissé
de 39 % à 31%.
Shutterstock

② La consommation
Un constat très sec : les Français
boivent de moins en moins
Recul de la famille dite traditionnelle, repas plus
vite avalés, appétence des jeunes pour le sucre…
De multiples facteurs expliquent la forte baisse
de la consommation de vin dans notre pays.
Quels facteurs ont favorisé cette évolution ? Pour com-
mencer,lescomportementsdesFrançaisontchangé.Lagloba-
lisationagitaussisurlaviedetouslesjours:lesrepasfamiliaux
traditionnels ne sont plus la norme et l’on consacre beaucoup
moins de temps au repas, de plus en plus souvent pris devant
un écran. Du coup, la consommation quotidienne de vin lors

L
a tendance est régulière depuis trente desrepas,largementmajoritairedanslesannées60,n’estplus
ans : on boit de moins en moins de vin aujourd’huiquelefaitdeshommesdeplusde50ans,rappelle
en France. Toutes les études le disent. une étude de FranceAgriMer publiée en 2017 (4).
La consommation annuelle de vin tranquille
par un ménage français a chuté de 38 litres LA TRANSMISSION EN RECUL
en 2008 à 29 litres en 2015, selon une étude de La composition de la famille elle-même a changé et cela joue
FranceAgriMer publiée en 2019 (1). Soit l’équi- un rôle décisif. On sait que les foyers composés d’une per-
valentd’unebouteilledemoinsparmois sonne achètent beaucoup moins de boissons alcoolisées
et par foyer ! Seuls 15 % des Français que les foyers ordonnés autour d’un couple (1). Or le
déclarentboireduvinquotidien- Consommation nombre de célibataires et de familles monoparen-
nement alors qu’ils étaient majoritaires il y a annuelle de vin tales ne cesse d’augmenter. Selon l’Insee, sur
une quarantaine d’années, confirme Jérôme par ménage 8 millions de familles françaises avec enfants
Fourquet,directeurdudépartementOpinion mineurs, 23 % sont monoparentales, soit deux
(2) En 2008
fois plus qu’en 1990 (5).
de l’Ifop, dans son dernier livre . Et ce recul
n’épargne pas les jeunes, au contraire : ces dix 38 litres Ce recul de la famille nucléaire traditionnelle
dernières années, la part des 18-30 ans qui En 2015 et l’effacement du repas familial pénalisent la
boivent du vin au moins une fois par semaine a
(3)
29 litres transmission de la culture du vin au sein du foyer.
baissé de 39 % à 31% . D’après une étude de l’Ifop (2), 12 % des jeunes ne
45 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
 Enquête
Où va le vin en France ?
boivent jamais de vin en famille. On aborde ici un point très
sensible : trois jeunes sur dix ne boivent jamais de vin et 66 %
d’entre eux n’y touchent pas parce qu’ils n’aiment pas son
goût (3). On vérifie là le caractère culturel du vin : commencer
à boire du bordeaux ou du bourgogne n’est pas qu’une affaire
de goût, c’est le résultat d’un apprentissage et d’une proximité
avec le vin, notamment en famille.

UN BASCULEMENT GÉNÉRATIONNEL
La composition sociologique de la population française
change elle aussi, et cela n’est pas neutre. En 2016, 7 % des
jeunes Français déclarent ainsi à l’Ifop ne jamais boire de vin à
cause de leur religion (2). On mesure ici l’influence croissante
de l’Islam, seule grande religion à proscrire la consommation
d’alcool. Et l’on voit bien, en région parisienne, que les débits
de boissons alcoolisées ont quasiment disparu des rues des
anciennes cités communistes devenues aujourd’hui majori-
tairementmusulmanes,commeSaint-Denis (6) ouTrappes (7).

P. Cronenberger
DanssonlivreL’Archipelfrançais,naissanced’unenationmultipleet
divisée, Jérôme Fourquet met d’ailleurs en regard l’explosion
de la consommation de cannabis avec la non moins specta- « Contrairement au vin, la bière ne déçoit pas », analyse Olivier Dauga,
culaire diminution de la consommation de vin. Aujourd’hui, consultant bordelais auprès de propriétés viticoles.
presqueunjeunedemoinsde17anssurdeux(47,8%)adéjàfait
aumoinsunefoisl’expérienceducannabis,tandisque61%des la tequila, le gin et la vodka (56 % des achats par des ménages
jeunes déclarent ne jamais ou rarement boire du vin (3). « La de moins de 50 ans (1).
mise en perspective de l’évolution de la consommation du vin et du
cannabispermetd’observerunbasculementgénérationnelet DES PALAIS FORMATÉS PAR LE SUCRÉ
culturel en train de se produire sous nos yeux », analyse Les jeunes Ce tour d’horizon ne serait pas complet sans évo-
Jérôme Fourquet. privilégient la bière
querl’évolutiondesgoûts.LespalaisdesFrançais
Le vin rouge est particulièrement touché sontdeplusenplusformatésparlesucré,parles
32 % à l’apéritif
par cette évolution négative : près de la moitié sodas,lesglaces,audétrimentdesamersenpar-
43 % en soirée
(43 %) des volumes de vin rouge est achetée par ticulier.Chezlesjeunes,l’étudeFranceAgriMer
les65ansetplus,seulement5%parlesménages et délaissent le vin confirme que les Français boivent de plus en
demoinsde35ans!Etaujourd’hui,seulesdeux 12 % à l’apéritif plus de boissons rafraîchissantes sans alcool (1).
boissons alcoolisées ont un profil résolument 13 % en soirée Pourquoi les jeunes privilégient-ils la bière ?
jeune.Labière(20%desachatspardesménagesde Parce qu’elle est moins chère, souvent sucrée
moins de 35 ans) et certains spiritueux, notamment et qu’elle « ne déçoit presque jamais, contrairement au
vin », analyse Olivier Dauga, conseiller bordelais de nom-
Moins chère que le vin, souvent sucrée, la bière, avec ses goûts variés breux domaines viticoles. À noter : les bières artisanales dites
et ses packagings attractifs, séduit largement les jeunes. “craft” ouvrent de nouveaux horizons en matière de goûts,
de méthodes, de packagings, tandis que les vins traditionnels
ont tendance à ennuyer de nombreux jeunes.
Un dernier chiffre donne une idée de la représentation
du vin chez les jeunes : si 32 % d’entre eux associent la bière à
l’apéritif et 43 % à la fête en soirée, ils ne sont que 12 % à asso-
cier le vin à l’apéritif et 13 % à la fête en soirée. Pour la majo-
rité des jeunes (40 %), le vin est associé aux repas pendant le
week-end. Ils ne sont plus que 18 % à l’associer au repas pris
pendant la semaine (3). Denis Saverot

1) Évolution des achats de boissons alcoolisées par les ménages français pour
leur consommation à domicile entre 2008 et 2017, FranceAgriMer, 2019.
2) L’Archipel français, naissance d’une nation multiple et divisée, Seuil, 2019.
3) La génération Y et le vin, étude Ifop-Vin & Société, 2016.
4) La consommation de vin en France en 2015, FranceAgriMer, 2017.
Shutterstock

5) Chiffres pour l’année 2015, Insee, Tableau de l’économie française Ménages Familles, 2019.
6) Saint-Denis, ma ville à l’heure islamiste, Marianne, novembre 2015.
7) La Communauté, Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, Albin Michel, 2018.
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 46
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nous en informer à l’adresse ci-dessus. Pour toute information complémentaire, consulter notre Politique de Confidentialité sur le site www.magazines.fr.

③ La santé
Le vin face à la montée
en puissance de l’hygiénisme
Depuis la promulgation de la loi Évin en 1991,
les associations hygiénistes tentent d’interdire
la consommation d’alcool en France. Et le vin,
chargé de symboles, est leur meilleur ennemi.
L
a scène se déroule en novembre dernier
lors d’un repas à Épernay, en marge de
la visite officielle d’Emmanuel Macron
en Champagne. Jean-Marie Barillère, le pré-
sident de l’Union des maisons de Champagne,
et Maxime Toubart, le président du Syndicat
général des vignerons champenois, inter-
pellent le président de la République pour
connaître sa position sur le Dry January, un
mouvement originaire de Grande-Bretagne
qui impose un mois sans alcool et que le gouvernement fran-
çais devait instaurer en janvier 2020. « Vous pouvez faire savoir
qu’il n’y aura pas de janvier sec, nous a assuré le président », lance
Maxime Toubart dès la sortie du déjeuner.
C’est ainsi que le “janvier sec” aurait été annulé par le pré-
sident de la République et que la filière vin s’est une nouvelle
fois attiré les foudres des ligues antialcooliques. Une véritable
levée de boucliers qui s’est immédiatement traduite par la
48 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
Après l’annulation
du “janvier sec” par
Emmanuel Macron,
les attaques des ligues
antialcooliques
ont redoublé contre
la filière vin.
Shutterstock
publication d’une multitude de dossiers et d’études dans la
presse mettant en avant les dangers de l’alcool et la mortalité
due à sa consommation.
UN PLAN DE COM’ BIEN HUILÉ
La bataille entre filière viticole et associations antialcooliques
n’est pas nouvelle. Mais ce mouvement a connu une tout autre
ampleur en 1991 avec la loi Évin, qui a donné un cadre législatif
aux associations pour attaquer les publicités et le non-res-
pect des règles de communication sur les alcools et le tabac.
L’Association nationale de prévention en alcoologie et addicto-
logie (Anpaa), fondée en 1872, a été dès le départ le fer de lance
de ces attaques judiciaires et l’une des plus en pointe sur ce
sujet éminemment politique.
Financée par des fonds publics, l’Anpaa dispose d’un budget
de fonctionnement de plus de 102 millions d’euros. Elle s’ap-
puie sur un réseau très puissant au sein du ministère de la
Santé et de différentes institutions, comme l’Office français
des drogues et des toxicomanies et la Mission interministé-
rielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives.
Autant de rouages qui évoluent dans la sphère d’influence du
ministère de la Santé afin de produire des statistiques et dif-
fuser des chiffres toujours plus impressionnants, sous le sceau
du ministère.
 Enquête
Où va le vin en France ?
Car, si le combat des ligues antialcooliques a quitté le ter-
rain judiciaire, c’est pour mieux investir celui de l’opinion
De 1980 à 2015, l’évolution du profil
publique, avec force chiffres et plans de com’ bien huilés afin des consommateurs de vin
d’éradiquer ce “monstre” qu’est l’alcool. Et le vin en particu- En % des Français de 15 ans et plus
lier, symbole hautement culturel. Les nombreuses enquêtes 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015
avec leurs chiffres alarmants largement diffusées dans les 60%
quotidiensnationauxleprouvent.Ainsi,àencroireuneétude
de Santé publique France publiée en janvier 2020, 23,6 % des 50%
Français auraient un problème avec l’alcool. 40%

DES CHIFFRES SPECTACULAIRES 30%

Mais quel crédit accorder à de telles statistiques quand on 20%
sait que pour ne pas faire partie de ces 23,6 % il faut respecter
les trois critères suivants : deux verres de vin par jour, deux 10%
jours d’abstinence par semaine et dix verres maximum par

Illustration : L. Timon
0%
semaine ? Or, si vous ne buvez pas de la semaine, et qu’un soir,
vous consommez trois verres de vin, Santé publique France
considère alors que vous avez un problème avec l’alcool
puisque vous n’avez pas respecté la règle des deux verres par Réguliers Occasionnels Non consommateurs
jour. Idem si vous dégustez un verre de vin quotidiennement Source : FranceAgriMer
mais sans respecter une abstinence de deux jours, même si
vous n’avez bu que sept verres dans la semaine. évolué.Depuislebingedrinkingsévitchezlesjeunes,laconsom-
Tout aussi contestable est le chiffre des 41 000 morts liés à mation de vin a baissé et le nombre de buveurs réguliers est
la consommation d’alcool. Ce chiffre provient d’un article passé de 24 % de la population en 2000 à 16 % en 2015, selon
du Bulletin épidémiologique hebdomadaire de Santé FranceAgriMer.Qu’importelaméthode,cequicompte,
publique France (dépendant du ministère de la c’est le chiffre à mettre en avant. Plus il est spectacu-

23,6 %
Santé) du 19 février 2019, consacré à la consom- laire et plus il est jugé efficace.
mation d’alcool et rédigé à partir d’une étude
réalisée par l’épidémiologiste Catherine Hill des Français UNE GUERRE DES LOBBYS
et le biostatisticien Christophe Bonaldi. Si les auraient un problème De même, depuis 2017, Santé publique France
deux chercheurs donnent une fourchette avec l’alcool, a fixé des critères de consommation d’alcool
comprise entre 23 000 et 41 000 morts, c’est le si l’on en croit plus sévères que ceux de l’Organisation mon-
second chiffre qui a été arbitrairement retenu. les chiffres officiels diale de la santé établis en 2000, à savoir deux
Or, nous avions démontré il y a quelques mois, verresparjourmaximumpourlesfemmes,trois
sur notre site internet larvf.com, que ce résultat pour les hommes et quatre en une occasion.
n’avait été obtenu qu’à partir d’estimations mathéma- Deux, trois, quatre, la règle est simple à assimiler.
tiques réalisées pour une étude sur les habitudes de consom- Mais depuis 2017, la France a imposé une nouvelle règle. Les
mation datant de 2002… Autant dire qu’en seize ans, elles ont quantitésfixéessontdésormaislesmêmespourlesfemmeset
les hommes : deux verres maximum par jour, pas plus de dix
En 2000, la règle fixait deux verres par jour pour les femmes et trois verresparsemaineetdeuxjoursd’abstinenceparsemaine.La
pour les hommes. En 2017, elle est passée à deux verres pour tous !
morphologied’unhommen’étantpascelled’unefemme,l’al-
cooln’estpasassimilédelamêmefaçonparl’unouparl’autre.
Pourquoialorsinstaurerdesrèglesidentiques?Ilfautdécor-
tiquer les avis d’experts dans un rapport de 2017, établi par
Santé publique France et l’Institut national du cancer, visant
à renouveler le discours de prévention contre l’alcool, pour
trouvercettejustificationàlapage13:«Sionobservescientifique-
ment des différences quant au risque absolu entre femmes et hommes,
la distinction selon le genre peut provoquer des interrogations avec en
arrière-plan un éventuel soupçon de sexisme ou d’obstacle à l’émanci-
pation des femmes ». On appréciera cette élégance vis-à-vis du
genreféminin,maisalorspourquoinepasappliquercemême
principe à tous les types de risques ?
Faceàcetteavalanchedestatistiquesréaliséesparlesexperts
du corps médical, la filière a bien du mal à lutter à armes
Shutterstock

égales. Une guerre des lobbys s’est engagée. Et elle risque de

durer. Jérôme Baudouin
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 49

④ L’environnement
Le vignoble prié de se mettre au vert
Confronté au réchauffement climatique, poussé
à limiter, voire à abandonner les pesticides,
le vignoble doit aussi composer avec un voisinage
de plus en plus critique sur sa façon de travailler…
au risque de dégrader l’image du vin.
C
’est sans doute l’un des défis les plus
marquants de cette dernière décennie
pour le vignoble. Les questions envi-
ronnementales tournent dans toutes les têtes
comme une musique lancinante. Et la filière
viticole, bien consciente de la situation, tente
par tous les moyens de progresser sur plu-
sieurs fronts en même temps. Si bien qu’entre
2010 et 2018, selon l’Agence Bio, les surfaces
viticoles passées en culture biologique ont plus
que doublé, pour représenter environ 10 % de la superficie
du vignoble hexagonal, soit 94 000 hectares de vignes certi-
fiées et en conversion en 2018. Une surface qui aurait, selon
les premières estimations (les chiffres officiels n’étant pas
50 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
À cause
du réchauffement
climatique,
les vignerons doivent
composer avec
des vendanges de plus
en plus précoces.
encore publiés), passé le cap des 100 000 hectares en 2019. Ce
qui représente 6 726 propriétés viticoles pour l’ensemble de
la France. Dans les faits, la viticulture est l’un des bons élèves,
tous secteurs agricoles confondus. Et la progression est rapide
dans toutes les régions.
Il faut dire que les attentes des consommateurs, qui veulent
boire mieux et plus sain, sont très fortes. Cela se traduit d’ail-
leurs par une progression à deux chiffres des ventes de vins
bio dans les différents circuits de distribution. Selon l’Agence
Bio, 12 % des boissons alcoolisées – le vin représente l’écra-
sante majorité de ce chiffre – achetées par les Français sont bio
et représentaient en 2018 (dernières données officielles) un
chiffre d’affaires de 1,053 milliard d’euros, soit le double par
rapport à 2013. Une évolution très rapide et inimaginable il y a
encore dix ans. Et la tendance est toujours à la hausse.
AGRIBASHING, UN PHÉNOMÈNE EN VOGUE
Mais au-delà des bons chiffres de la consommation et de l’aug-
mentation des surfaces de vignes en conversion biologique,
la filière est confrontée à un phénomène sociétal beaucoup
plus large et qui touche toute l’agriculture. Une forme “d’agri-
bashing”, pour reprendre le terme adopté par la Fédération
 Enquête
Où va le vin en France ?
nationale des syndicats d’exploitants agricoles. Les problèmes
de voisinage, les suspicions de pollution de l’air avec les pesti-
cides deviennent récurrents. Des vignerons nous rapportent
qu’ils se font taxer de pollueurs par des riverains ou des tou-
ristes qui les croisent sur leur tracteur. La mise en place des
“zones de non traitement” – les fameuses ZNT – aux abords
des cultures renforce ce sentiment de défiance de la part des
voisins et bien sûr des consommateurs. Dans le Médoc, ce
sont les cheveux des enfants d’une école qui sont analysés et
un domaine viticole qui doit se convertir au bio sous la pres-
sion locale, suite à l’implantation d’un nouveau collège joux-
tant ses vignes. Dans ce contexte conflictuel, la filière viticole
est obligée de faire vœu de transparence et d’évoluer sous le
regard scrutateur d’une société toujours plus soucieuse de
son bien-être et de sa qualité de vie.
DES CERTIFICATIONS NÉCESSAIRES
La situation est d’autant plus délicate que le vin n’est plus
considérécommeunproduitalimentairedepremièrenéces-
sité mais comme un produit culturel, si bien que l’association
entre vin et pesticides fragilise son image. Dans un contexte
économique complexe, la filière viticole, pour coller à ce
marché des vins bio, tente de rattraper son retard en voulant
imposer des certifications environnementales de type Haute
valeur environnementale (HVE), faciles à mettre en place
Shutterstock
etpeucontraignantespourlesproducteurs.Derrière
le sigle HVE se cache en réalité une viticulture en
lutte raisonnée, mais avec un système de com-
pensation dans lequel il est toujours possible
en
d’employer des désherbants chimiques et des 100000
pesticides de synthèse… à condition de planter
deshaiesoud’installerdespanneauxsolaireset
de récupérer l’eau de pluie. Un “greenwashing”
6726
qui pourrait bien faire long feu, mais qui a le
mérite de faire prendre conscience à une partie des
acteurs de la filière de la nécessité de faire des efforts
pour préserver l’environnement.
La mise en place de “zones de non traitement” aux abords des cultures renforce
le sentiment de défiance envers les vignerons de la part de leurs voisins.
Shutterstock
LA RVF N° 641- MAI 2020 - 51
Répartition des circuits de distribution
de vins et boissons alcoolisées bio
41%
20% 21% 19%
Illustration : L. Timon
Grandes
Magasins Vente Artisans-
et moyennes
spécialisés bio directe commerçants
surfaces
Source : Agence Bio
À ce contexte socio-environnemental s’ajoute le dérè-
glement climatique qui a un impact prégnant sur la
Le bio viticulture. Si les vendanges sont plus précoces
France et les degrés d’alcool plus élevés, les vigne-
rons savent qu’ils ont encore une marge de
hectares manœuvre en faisant appel à d’autres cépages
et ou en modifiant leurs méthodes culturales
vignerons pour freiner l’augmentation du potentiel
alcoolique des vins.
en 2019 Mais les producteurs de toutes les régions sont
surtout confrontés à des accidents climatiques
de plus en plus fréquents. Alors qu’au XXe siècle, un
épisode grave de gel impactait la récolte en moyenne une fois
par génération, depuis dix ans, ces épisodes
se multiplient au point que les vignerons le
redoutentchaqueannée.Deshiversdouxpro-
voquent des débourrements plus précoces, si
bien que la vigne se trouve particulièrement
fragilisée face au gel dès les mois d’avril et mai.
Lescourbesderendementparrégionsontpar-
lantes, elles illustrent une plus grande variabi-
lité de volume de production.
LE CHANGEMENT CLIMATIQUE
Face au gel, des idées émergent, des solutions
individuelles et collectives sont mises en place
afin de modérer les morsures du froid. Mais
que vaudront-elles sur le long terme et com-
ment évoluera le climat ? Un difficile ques-
tionnement prospectif auquel il est encore
compliqué d’apporter des réponses durables.
Mais une chose est certaine, il mobilise toute la
filière viticole. Jérôme Baudouin

⑤ Le goût du vin
Place à la légèreté
Fini la puissance imposante, les élevages
généreusement boisés, le sucre prononcé…
Dans les vins, comme dans tous les autres
domaines, la tendance est à la légèreté,
au naturel et aux expériences originales.
S
i les modes de consommation ont
profondément évolué au cours de ces
quinze dernières années, comme nous
avons pu le voir dans les différentes parties de
ce dossier, le style du vin a lui aussi entamé des
changements importants. Une mutation est en
cours, tant technique que stylistique. Aux vins
boisés et massifs des années 90 et du début des
années 2000, les vignerons, très au point tech-
niquement explorent de nouveaux territoires
gustatifs, s’affranchissent des règles des appel-
lations et repoussent certaines limites œnologiques.
Une curiosité accrue, parfois motivée par la demande des
marchés étrangers, et une recherche de diversification des
goûts ont contribué au renouveau de vignobles entiers et à
l’intérêt pour des cépages autochtones longtemps ignorés.
En témoigne l’incroyable essor des vins du Jura et de Savoie,
52 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
Vins rouges légers,
vins oranges,
vins blancs tendus,
ces nouvelles
expressions s’imposent
peu à peu dans
notre univers gustatif.
Shutterstock
mais aussi certaines expressions venant du Sud-Ouest ou de
la Vallée de la Loire. Des cépages capables de mûrir en tempé-
rant les degrés alcooliques, tels que le carignan et la counoise
dans le sud de la France ou l’aligoté en Bourgogne, retrouvent
aujourd’hui droit de cité.
D’un style privilégiant l’extraction et des élevages généreu-
sement boisés qui, sous l’influence du célèbre critique améri-
cain Robert Parker, ont longtemps prédominé dans les rouges
à Bordeaux, en Bourgogne ou dans la Vallée du Rhône…, nous
assistons à une inflexion stylistique en faveur de vins plus
fruités, plus digestes, aux tanins plus fins et mieux intégrés.
LES LIQUOREUX EN VOIE DE DISPARITION
Ainsi les vins de certains producteurs, comme ceux du
domaine Armand Rousseau à Gevrey-Chambertin, qui il y a
vingt ans étaient parfois jugés trop légers ou manquant de car-
rure, font aujourd’hui figure de grands classiques incontestés
en Bourgogne. Le développement d’élevages alternatifs en
amphores, jarres, grès ou encore bonbonnes en verre résulte
pour partie d’une recherche de diversification et d’atténua-
tion des goûts liés aux élevages en fûts de chêne, ouvrant des
pistes captivantes pour l’avenir.
Mais cette course à la tension et à la légèreté dans les vins
pousse aussi à l’abandon par les consommateurs des vins
liquoreux ou mutés. Un paradoxe dans une société qui n’a
 Enquête
Où va le vin en France ?
A. Bonnet

jamais consommé autant de sucre dans son alimentation. De

nombreux sauternes ou vins d’Alsace issus de pinot gris ou de
gewurztraminersontinjustementdélaissés.Etlesmerveilleux
muscats du Cap corse sont aujourd’hui en voie de disparition. Bio ou “nature“, les vins d’Athénaïs Béru à Chablis
M.-È. Brouet

ou de Jean-François Ganevat dans le Jura répondent

LES GRANDS MILLÉSIMES SONT PLUS FRÉQUENTS aux goûts des nouveaux consommateurs.
Née en réaction aux problèmes d’oxydation, la mode actuelle
des vins blancs secs soumis aux diktats de la fraîcheur, de la
tension et de l’acidité conduit au rejet de certaines expres- puligny-montrachet1er cruClavoillon.L’unevini-
sions charnues ou tout simplement issues de raisins récoltés fiée à partir de raisins issus d’une parcelle cultivée
à pleine maturité. Les blancs de Meursault, par exemple, ont en“conventionnel”etl’autreàpartirdebaiesnées
souvent perdu ce volume de bouche et ces savoureuses notes d’unevigneconduiteenbiodynamie.La“version
de noisette qui ont jadis fait leur gloire au profit d’expressions biodynamique” a peu à peu gagné en intensité
plus variétales et linéaires. et en pureté de saveurs, ce qui a convaincu le
Rappelons que le réchauffement climatique a entraîné domaine de se convertir complètement à la fin
de meilleures maturités dans tous les vignobles français. des années 90.
Résultat, des millésimes au caractère insuffisamment mûrs,
comme ceux des années 70 ou de quelques années des décen- UN RAFRAÎCHISSANT VENT DE LIBERTÉ
nies80et90,ontquasimentdisparu.Descaractères Dans le sillage du bio et de la bio-
plus solaires, avec parfois des degrés d’alcool plus Nous dynamie, l’arrivée des vins natu-
élevés, semblent devenir la norme, même dans les assistons rels et des blancs de macération,
vignobles septentrionaux comme la Vallée de la
LoireoulaChampagne.Lesprofilsdemillésimesde aujourd’hui due au rejet des modèles domi-
nants jugés trop formatés, à la
légende,tels1947et1959,deviennentplusfréquents. à une peur parfois excessive des doses
2015, 2018 ou 2019 partagent avec ces réfé- inflexion de soufre et au besoin accru
rents de nombreux points communs.
en faveur d’expérimentation ressenti par
certains vignerons, a fait souffler
L’AVENTURE DE LA BIODYNAMIE de vins plus un vent de liberté dans le monde
Par ailleurs, la chaptalisation tend à se digestes du vin. Ainsi, la macération a
R. Petronio
réduire, et une meilleure compréhen- apporté relief et équilibre mais
sion généralisée des techniques de viticulture et aussi la fraîcheur des amers aux blancs du
de vinification a contribué à faire progresser le Sud ou encore d’Alsace où le gewurztra-
niveau général des vins. Cette amélioration glo- miner, par exemple, livre désormais des
bale s’illustre aussi par l’essor considérable de expressions moins capiteuses, plus digestes.
l’agriculture bio et de la biodynamie, véritable Défiance envers des vins jugés trop technologiques,
tendance de fond. recherche de pureté du goût en bannissant les intrants…
L’aventure du château Pontet-Canet, cin- Certains vins “nature” ne sont certes parfois pas exempts de
quième cru classé de Pauillac, converti à la biody- défauts,maisilsuffitdegoûterceuxdeJean-FrançoisGanevat
namie dès 2004 et qui fait désormais jeu égal avec dans le Jura, du Clos des Vignes du Maynes dans le Mâconnais,
les premiers crus classés dans bien des dégusta- duchâteaudeBéruàChablisoudeMarkAngelienAnjoupour
tions, est à ce titre édifiante. se convaincre que l’émotion et la singularité des expressions
Tout comme l’expérience menée par le sont au rendez-vous. Répondant aux attentes de nouveaux
domaine Leflaive, en Bourgogne, qui a comparé consommateurs, ces vins font aujourd’hui figure de clas-
D. R.

pendant plusieurs années deux versions de son siques. Jean-Emmanuel Simond

LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 53
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Vu d’ailleurs
Les winecasts nous racontent le vin
A
vec le rythme de vie trépidant de la restauration
new-yorkaise, il y a malheureusement trop peu
de temps pour apprécier la lecture d’articles
écrits. Je me suis donc tournée vers les podcasts du vin,
appelés les winecasts.
Toujours à un clic d’oreille, gratuits et pas ou peu rému-
nérateurs (donc faits par des passionnés), ils ont une vraie
liberté de ton. Aujourd’hui, il y en a pléthore, mais certains
ont vraiment une qualité de programmation et de pro-
duction remarquable. Voici une liste de ceux que j’écoute
régulièrement, en anglais et en français – il est intéressant
d’ailleurs de noter l’influence des styles nationaux dans
leur réalisation. Je les classe en deux grandes catégories :
“talk” et institutionnels.
En mode “talk” (inspiré des talk-shows américains), le
podcast le plus complet aujourd’hui pour comprendre
l’histoire contemporaine du vin est sans nul doute
I’ll Drink to That !, créé en 2012 par Levi Dalton, ancien
sommelier d’étoilés new-yorkais. Très fin esprit critique,
excellent intervieweur, il s’entretient avec des personna-
lités de toute la filière, livrant à chaque fois à l’auditeur
une mine d’informations. Aubert de Villaine, Christian
Moueix, Jancis Robinson ou encore Michel Lafarge sont
passés par son micro. Cela vaut d’apprendre l’anglais juste
pour les écouter ! Encore dans la langue de Shakespeare,
Interpreting Wine par Lawrence Francis se veut accessible
au néophyte via des épisodes de 30 mn souvent groupés
en thèmes creusant des sujets comme les vignerons
d’Autriche ou le jerez. En France, La Terre à boire de Romain
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 55
« Toujours à
un clic d’oreille,
gratuits, faits par
des passionnés,
les winecasts ont
une vraie liberté
de ton »
Par Pascaline
Lepeltier
Sommelière-associée
du bistrot-gastro
Racines NY
à New York.
Meilleur ouvrier
de France (MOF).
Corler, avec des chroniqueurs variés, offre une écoute
sensible mêlant conversations au ton libre et dégusta-
tions. Enfin, pour des entretiens plus intimistes, deux me
plaisent : le jeune Le Bon grain de l’ivresse, aux interviews les
pieds dans la vigne, et Les Sourires du vin du caviste-restau-
rateur Yann Diologent.
Parmi les podcasts “institutionnels”, j’en retiens deux,
excellents. Le premier, La Cité du vin, propose à l’écoute
les conférences de très haute volée organisées à Bordeaux
sur des sujets pluridisciplinaires tels que “Vin, droit et
santé”, “L’origine des cépages” ou encore “Le vin dans
l’œuvre de Houellebecq”. Les grands entretiens sont aussi
remarquables. Le second, GuildSomm, le site de référence
pour la formation des sommeliers américains au Master
Sommelier, où Masters of Wine, producteurs, chercheurs
et sommeliers sont invités à partager leur savoir en répon-
dant au très pédagogue Geoff Kruth.
Cette liste ne serait pas complète sans la radio, qui offre
aussi de très bonnes émissions en replay. Je me régale
d’On va déguster, sur France Inter, par François-Régis
Gaudry, avec les interventions impertinentes et euphori-
santes des différents chroniqueurs de la rubrique vin. Et
je n’oublie pas non plus In Vino d’Alain Marty que j´écoute
depuis mes débuts de sommelière.
Illustration : Stéphane Manel
Des voix riches, des angles variés portés par des pas-
sionnés, les winecasts revitalisent la parole du vin, mon-
trant la richesse et la diversité du vin comme univers
culturel à part entière. Consommez-les donc sans aucune
forme de modération !
Verres et champagnes :
Avec quel verre savourer votre champagne préféré ? Existe-t-il un verre universel ? Chaque modèle
est-il élaboré pour un type de bulles précises ? Pour le savoir, nous avons testé quatorze verres avec
cinq champagnes aux styles très différents. Une expérience riche d’enseignements.
Une dégustation de Roberto Petronio

A
ujourd’hui, tous les dégustateurs, les amateurs
comme les professionnels, reconnaissent volontiers
que la forme d’un verre influe sur le goût et les par-
fumsduvin,qu’ilsoiteffervescent,tranquille,destyleoxydatif
ouencoredoux.Pourensavoirplus,nousavonstestéquatorze
verres très différents avec cinq champagnes aux profils divers
(blanc de blancs, blanc de noirs…). Et nous l’avons à nouveau
vérifié, la perception d'un même champagne change nette-
ment d’un verre à l’autre. Et ce quel que soit son caractère.
et de plusieurs millésimes, puis pour la cuvée S 2007 de Salon,
un pur chardonnay du Mesnil-sur-Oger, et le blanc de blancs
millésimé 2002 de la maison Delamotte. Pour finir, nous
avons sélectionné un pur pinot noir non millésimé signé
Benoît Lahaye, l’un des vignerons de référence à Bouzy, et un
assemblage de Grands crus issus de la Côte des Blancs et de la
MontagnedeReimsdelamaisonJeeper,relancéeparl’homme
d’affaires Michel Reybier, par ailleurs propriétaire du château
Cos d’Estournel à Saint-Estèphe.

CINQ CHAMPAGNES AUX STYLES VARIÉS POUR CHAQUE VIN, DOUZE VERRES AU BANC D’ESSAI
Mais existe-t-il un verre universel ou faut-il un verre adapté Et côté verres ? Nous n’avons pas souhaité ici procéder à un
Photos : R. Petronio

à chaque type de champagne ? Pour répondre à cette ques- banc test de toutes les marques présentes sur le marché – trop
tion, nous avons choisi de tester cinq champagnes aux styles fastidieux–etavonssélectionnéquatorzeverresutilisés,appré-
variés.NousavonsoptépourlacuvéeV.O.dudomaineJacques ciésetrecommandéspardesprofessionnels.ChezRiedel,ver-
Selosse, un assemblage de plusieurs crus de la Côte des Blancs rier autrichien, que l’on retrouve dans de nombreux étoilés,
56 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
 Flûtes longilignes,
verres aux formes
élégantes et
généreuses,
les cinq champagnes
de notre dégustation
ont tous trouvé
le calice qui a su
révéler tout
leur raffinement.

la quête du Graal !
nous avons retenu deux flûtes en cristal : un nouveau modèle, Blanc 76 cl, un verre soufflé bouche, et le Jamesse Grand Blanc
le Superlegerro (sans plomb), et une flûte plus classique bap- 75 cl, un verre mécanique. Le dernier verre convoqué est le
tisée Performance. Chez Spiegelau, fabricant haut de gamme Bormioli Rocco inAlto Tre Sensi Medium utilisé par Jeeper.
qui fournit les verres utilisés par le comité de dégustation de
La RVF, nous avons opté pour un nouveau venu, le Novo, un IDENTIFIER LE BON VERRE
classique, l’Authentis, le Highline et enfin l’Expert, le verre Au total, quatorze verres mais seulement douze d’entre eux
étalon du domaine Jacques Selosse. Nous avons aussi testés avec chaque vin. Ainsi, l’Expert de Spiegelau
voulu tester une jeune marque française, Sydonios, Nous n’a été testé qu’avec les vins des domaines Jacques
soutenue par de nombreux sommeliers. Ses verres
l’Esthète et l’Universel fabriqués sans plomb sont très n’avions pas Selosse et Benoît Lahaye. Le verre Audrey de Schott
Zwiesel qu’avec les champagnes Salon et Delamotte.
appréciés en Champagne. l’impression Et le Bormioli Rocco inAlto Tre Sensi Medium
Pour élargir cette sélection, nous avons ensuite de déguster qu’avec le champagne Jeeper. Tous les autres verres
consulté quelques membres du comité de dégus-
tation dont Alexis Goujard, en charge de la
le même vin ontEtété testés avec l’ensemble des champagnes.
la conclusion ? Si la forme du verre modifie
Champagne pour le Guide des meilleurs vins de France. Il nous a la perception du champagne, il nous est apparu évident que
conseillé le verre White Wine de Zalto. Les maisons Salon et chaque cuvée avait son verre de prédilection, LE verre idoine
Delamotte, qui apprécient le Sweet Wine de Zalto ainsi que en quelque sorte apte à valoriser au mieux ses équilibres tant
le modèle Audrey de Schott Zwiesel, nous ont aidés à étoffer aromatiques que gustatifs. Bonnes dégustations !
notre sélection.
Pour les verres de grande taille, nous nous sommes tournés Tous les prix mentionnés dans ce dossier sont
vers Lehmann Glass, qui élabore le Jamesse Prestige Grand des estimations données à titre indicatif.
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 57
 Banc test
Verres et champagnes
Les six autres verres
Le Superleggero de Riedel distingués
Sydonios l’Esthète
brille avec les bulles d’Avize Avecl’Esthète,la V.O. semontrecrayeuse,
saline,unbrindispersée.Env.34,50€

Le champagne dégusté
Extra-brut blanc de
blancs Grand cru V.O.
➌ Lehmann Glass Jamesse
de Jacques Selosse Prestige Grand Blanc 76 cl
Le domaine Jacques Selosse est installé
à Avize, sur la Côte des Blancs. Ses cham-
pagnes singuliers, au tempérament
affirmé, naissent de raisins vendangés
à haute maturité et élevés sous bois plus
ou moins neufs, dans l’esprit des grands
bourgognes blancs. Des champagnes
volumineuxetcomplexes,parfumés,aux
saveurs intenses. Ils sont le fruit d’une
viticulture haute couture en évolution
permanente. Pour ce test, nous avons
opté pour la cuvée emblématique
d’Anselme Selosse, V.O. pour Version
Originale, un pur chardonnay dont les
raisins proviennent des Grands crus de
Cramant, Avize et Oger. Trois millésimes
successifs sont assemblés dans ce cham-
pagne blanc de blancs.
Guillaume, son fils, trouve que le verre
met en valeur la bouche équilibrée et bien
balancée du champagne. Env. 35 €
Sa grande taille sert le vin
Malgré sa taille imposante, ce verre soufflé
bouche libère de jolis parfums, très immé-
diats.Toutenpréservantsafinesse,ilconfère
au vin le profil d’un beau blanc tranquille
maisaussiceluid’ungrandchampagneparla
vivacité, le délié et l’éclat ressenti. Toutefois,
pour Guillaume Selosse, cela manque de
profondeur, son père juge qu’il exacerbe le
côté crayeux du vin. Env. 10 €
Spiegelau Expert
L’Expertnousplongedanslevin.Maisilfait
lejobsansvicenivertu.Env.5€
Riedel Performance
LePerformancevalorisedavantagelecôté
vineuxqu’effervescentduvin.Env.23€
Sydonios l’Universel
L’Universeldonnecorpsauvinmais
ilconfèreunecertainesécheresse.Env.35€
Spiegelau Authentis
Ici,riennedomine.Levinafficheunebelle
cohérenceetunebulleélégante.Env.9€
Zalto White Wine
Avec le Zalto, la V.O. apparaît plus dense
mais avec une bulle trop vive. Env. 35 €

Les trois verres primés

❶ Riedel Superleggero
Le virtuose autrichien
C’est avec le Superleggero que l’extra-brut
V.O. s’exprime le mieux. D’une belle
allonge, il se montre droit, précis, minéral,
plus froid que chaud. Le fruit est bien pré-
sent. Ce verre signé Riedel exprime avec
maestria l’élégance et le raffinement de cette
cuvée de grands chardonnays. Anselme
Selosse lui-même est séduit par ce verre
qui révèle le nez, la bouche crémeuse de son
champagne, son caractère vivant. Env. 80 €

❷ Spiegelau Highline
3
Le sens de la nuance 2
Dans ce calice, le V.O. affirme sa finesse et 1
se montre plus nuancé que puissant, avec
une belle rectitude en bouche. Il souligne
sa délicatesse aromatique. Anselme Selosse
estime qu’il met en avant un nez compact Droit, précis, minéral, fruité, long… C’est avec le Superleggero de Riedel
et augmente sa profondeur en bouche. que l’extra-brut d’Anselme Selosse se révèle véritablement.

LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 59

 Banc test
Verres et champagnes

Les six autres verres

Avec Salon, Lehmann Glass distingués

et Spiegelau talonnent Riedel

Zalto White Wine
LeZaltodonnedeladynamiqueauSalon
2007maissanslongueur.Env.35€

Le champagne dégusté
Brut blanc de blancs
S 2007 de Salon
Les raisins de dix-neuf parcelles, les
mêmes depuis un siècle, entrent dans
la composition du champagne Salon
pour produire que les grandes années
ce pur chardonnay du Mesnil-sur-Oger.
L’élevage en cuves accentue sa pureté.
Cela donne un vin nerveux et tendu
jeune, à la limite de l’austérité mais avec
une dynamique redoutable. La cuvée S
n’est vendue qu’après dix ans d’affi-
nage en cave. Comme le souligne Didier
Depond,directeurdeschampagnesSalon
etDelamotte:«Elledoits’affinerenbouteille
et son dosage léger exalte sa beauté tel un trait
de crayon discret sous les yeux ». Nous avons
dégusté 2007, le millésime actuellement
commercialisé par la célèbre maison.
fruit ; les amers restent agréables, donnant
à ce blanc de blancs 2007 une persistance
tout en harmonie. Env. 10 €
➌ Spiegelau Highline
Il souligne l’éclat du fruit
Dans ce verre, le champagne exhale de fins
arômes sur les agrumes. Ici, très élégant,
ce grand chardonnay développe une jolie
vivacité, tout en allonge de bouche. Son
fruitmontreunbeléclat,complétéparune
agréable finale, saline et crémeuse. Mais
Didier Depond trouve que ce verre confère
à son 2007 un côté “caractériel”, nerveux,
un peu crispé. Env. 35 €
Spiegelau Novo
Levins’appuiesuruneaciditévive
auxdépensdesesnotessalines.Env.15€
Sydonios l’Universel
LeSydoniosmetenreliefl’aciditédu
champagne,moinssonélégance.Env.35€
Schott Zwiesel Audrey
Utilisé par Salon, ce verre donne pourtant
un vin carré, sans nuances. Plusdisponible
Riedel Performance
DansceRiedel,lesamersdominentetla
finaleestécourtée.Dommage!Env.23€
Zalto Sweet Wine
« Il offre un peu d’amabilité », regrette Didier
Depond. Nous acquiesçons. Env. 35 €

Les trois verres primés

❶ Riedel Superleggero
Il exalte la minéralité
Après quelques instants passés dans le
verre, le nez paraît évolué mais d’une
grande noblesse. À nouveau impérial, le
Superleggero fait ressortir une fine miné-
ralité et une touche d’épices, et ce vin de
13 ans ne trahit pas ses qualités. Nous avons
apprécié la mise en valeur de son côté à
la fois crayeux et crémeux. Pour Didier
Depond,ceverreapporteunejolieconcen-
tration à ce brut 2007. Env. 80 €

❷ Lehmann Glass Jamesse

Prestige Grand Blanc 76 cl 3

L’éléganceselonLehmann 2
La grande taille du Lehmann semble être 1
un handicap pour Didier Depond même
s’il apprécie les qualités gustatives et olfac-
tives de son vin dans ce verre. Malgré son
volume, ce verre soufflé bouche joue l’élé- Là encore la virtuosité du Superlegerro de Riedel impressionne. Avec lui, le chardonnay
gance. Il fait bien ressortir le crayeux et le du Mesnil-sur-Oger rayonne, se montre épicé et finement minéral.

60 - LA RVF N° 641 - MAI 2020

 Banc test
Verres et champagnes

Les six autres verres

Doublé Riedel sur distingués
Schott Zwiesel Audrey
un Delamotte très apéritif Ceverreexprimebienlesqualitésdu2012.
Maisilyavaitplusprécis…Plusdisponible

Le champagne dégusté
Blanc de blancs 2012 Prestige Grand Blanc 76 cl
de Delamotte Avec lui, ce 2012 apparaît
Appartenant au groupe Laurent-Perrier,
cettemaisoninstalléeauMesnil-sur-Oger
estdirigée,commeleschampagnesSalon,
par Didier Depond. Elle s’appuie sur un
approvisionnementenraisinsprovenant
principalement de la Côte des Blancs.
D’oùdesvinsàdominantedechardonnay.
Cette maison produit un très beau millé-
simé en blanc de blancs, plus immédiat et
accessible en termes de complexité et de
prix que son grand frère le champagne
Salon.Unvinfraisetdigeste,àapprécierà
l’apéritif.
➌ Lehmann Glass Jamesse
plein et délié, fin et vif
Si le directeur de la maison Delamotte se
montre une nouvelle fois dubitatif devant
les formes très généreuses de ce Jamesse
PrestigeGrandBlanc,quinécessiteunrem-
plissageimportant,ilneniepaspourautant
ses qualités. Car avec ce verre, le cham-
pagne exprime toute son élégance avec des
parfums subtils. Il trouve ici son équilibre
entrevivacitéetfinesseetsemontreàlafois
plein et délié. Nous adhérons pleinement.
Env. 10 €
Sydonios l’Universel
Mêmes’ildéveloppeunejoliesensation
crayeuse,levinestsurlaretenue.Env.35€
Spiegelau Novo
AvecleNovo,laboucheapparaîtplus
puissante.Maisceverren'apasconvaincu
DidierDepond.Env.15€
Zalto White Wine
LeZaltoélargitplusqu’iln’allonge
levin.Ilaccentuesonamabilité.Env.35€
Zalto Sweet Wine
Ilsoulignelavigueurduvinmaisaccroît
unpeutropl’acidité.Env.35€
Spiegelau Highline
Le fruit manque ici d’éclat malgré
une belle fraîcheur à l’attaque. Env. 35 €

Les trois verres primés

❶ Riedel Performance
Le verre fait sensation
avec ce pur chardonnay
Ce verre transmet une agréable vivacité
tout en en valorisant l’élégance du cham-
pagne. On a une belle sensation de densité
et de mâche dans ce pur chardonnay. Il en
ressort un champagne plein en bouche
mais harmonieux, s’équilibrant par d’ap-
pétants amers en finale. Didier Depond
adhère totalement au dialogue qui s’ins-
taure entre le champagne Delamotte et le
Performance de Riedel. Env. 23 €

❷ Riedel Superleggero
Il respecte le champagne
Ici, la cuvée s’exprime avec finesse. Le nez
est bien défini par la craie. Derrière une
2
attaque légèrement acidulée, on retrouve
une agréable douceur et des amers déli- 3
cats sur le zeste d’agrumes. On a une belle 1
décomposition du vin en bouche, il trouve
son équilibre par cette aimable générosité
de milieu de bouche. Bémol sur les mensu-
rations du verre. Didier Depond est ici gêné Si le Jamesse Prestige Grand Blanc de Lehmann Glass et le Superlegerro de Riedel soulignent
par sa haute taille. Env. 80 € la finesse du 2012 de la maison Delamotte, c’est le Performance qui en dévoile toute l’harmonie.

62 - LA RVF N° 641 - MAI 2020

 Banc test
La quête du Graal

Les six autres verres

Sydonios souverain pour distingués
Spiegelau Highline
valoriser le terroir de Bouzy Il restitue l’expression de ce pinot avec vivacité.
Il passe tout près du podium. Env.35€

Zalto White Wine

Le champagne dégusté
Blanc de Noirs
de Benoît Lahaye
Le domaine Benoît Lahaye est implanté à
Bouzy. Un terroir propice à la culture du
pinot noir. Il y pratique une viticulture
certifiée biologique depuis 2003 et selon
les principes de la biodynamie depuis
2014. Une démarche environnementale
que l’on retrouve dans la qualité et la per-
sonnalité de ses vins. Le domaine reven-
dique cette cuvée millésimée chaque
année. Mais pour ce dossier nous avons
opté pour la singularité de sa cuvée Blanc
de Noirs sans année. Elle met en avant la
pertinence du pinot noir comme cépage
majeur de la Champagne tout en laissant
ressurgir la magnifique personnalité du
terroir de Bouzy donnant un vin vif mais
profond et complexe.
Lahaye aime la fraîcheur qui en ressort.
Benoît, lui, trouve qu’il capte toute son élé-
gance, au nez comme en bouche. Env. 80 €
➌ Sydonios l’Universel
Une minéralité renforcée
Avec cet Universel, on est plus sur la craie
que sur le fruit, avec une belle présence
en bouche. L’attaque se montre franche et
ferme,sansagressivité.Celarenforcel’idée
de minéralité mais avec de la générosité.
PourÉtienneLahaye,laboucheseprésente
bien mais le nez est en retrait. Benoît aime
lavivacitéquienressortmaisilregretteune
élégance tronquée. Env. 35 €
Ceverredurcitlevin.Ilmetenrelief
l’austérité,l’aciditéetlasalinité.Env.35€
Spiegelau Expert
L’Expertlivreunvindroitetpersistant.
Classique,sansmauvaisesurprise.Env.5€
Riedel Performance
ÉtienneLahayeletrouveplutôtfavorable
auvin.Maisilécourtelafinale.Env.23 €
Spiegelau Novo
AvecleNovo,cechampagnesemontre
crémeuxmaislabulleesttropforte.Env.15€
Zalto Sweet Wine
Avec le Sweet Wine, le vin paraît trop salin.
Il grossit la bulle et durcit la finale. Env. 35 €

Les trois verres primés

❶ Sydonios l’Esthète
Le premier choix de
Benoît et Étienne Lahaye
Dans ce verre, le nez immédiat et gourmand
délivre une note de frangipane. La bouche se
montre aérienne et crémeuse avec un beau
toucher. La bulle est présente, l’Esthète valo-
rise l’équilibre entre un fruit pur, une acidité
et une salinité harmonieuse tout en conser-
vant de la gourmandise. Étienne Lahaye en
fait son premier choix, tout comme Benoît
(le père) qui aime sa mise en avant des notes
de fruits rouges. Env. 34,50 €

❷ Riedel Superleggero
3
2
Il capte l’élégance du vin
Avec le Superlegerro, ce blanc de noirs déve- 1
loppe une belle note d’amande fraîche et de
zeste de citron confit. Si l’attaque est fine, il
monte crescendo. Le verre offre une belle pré-
sence et révèle son équilibre par son carac- Pour le blanc de noirs de Benoît Lahaye, c’est au tour de la jeune maison Sydonios
tère crémeux et son fuité dense. Étienne de se distinguer avec l’Esthète qui sublime le fruit et l’Universel qui exacerbe sa franchise.
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 63
 Banc test
Verres et champagnes

Les six autres verres

Avec Zalto, Jeeper distingués
Lehmann Glass Jamesse
démarre en trombe ! Prestige Grand Blanc 76 cl
Ceverresoulignelafinesseduvin.
Labouchesemontretroplarge.Env.10€

Le champagne dégusté en cohérence de bouche. Le Jeeper s’équi- Spiegelau Authentis

L’Authentisrenforcel’aciditéduvinetmet
Brut Grand cru libre entre une belle vivacité due à une aci-
dité qui en tire profit et une densité de fruit
enavantunevirilitéunpeuforcée.Env.9€

de Jeeper
De 2009 à 2013, Nicolas Dubois a produit
sous la marque Jeeper plusieurs mil-
lions de bouteilles destinées à la grande
distribution. En 2013, il s’associe avec
Michel Reybier (propriétaire de châ-
teau Cos d’Estournel, à Saint-Estèphe).
L’activité est scindée en deux. D’un côté,
les champagnes signés Nicolas Dubois
restent vendus à la grande distribution ;
del’autre,leschampagnesJeeper,issusde
vignes ayant reçu le plus haut niveau en
Haute valeur environnementale, tentent
desehisserparmilesvinshautdegamme.
Sa cuvée Grand crus, à dominante de
chardonnay, est logée dans une bouteille
dessinée pour limiter le recours au SO2.
Ce champagne est commercialisé après
six ans de vieillissement pour développer
toute sa complexité.
qui harmonise l’ensemble avec une bulle
bien présente. Env. 23 €
➌ Riedel Superleggero
Il exacerbe le côté riche,
extraverti du champagne
Servi dans le Superleggero, le champagne
semble gagner en richesse comme s’il
paraissait à la fois plus gras et plus ouvert.
Le Jeeper prend même un petit côté extra-
verti avec une belle attaque crémeuse.
Mais on ressent également une acidité plus
prononcée sans que cette dernière nuise à
l’équilibre d’ensemble. Env. 80 €
Lehmann Glass Jamesse
Grand Blanc 75 cl
AvecleLehmann,leJeeperdevientlargeet
puissantmaispeunuancé.Env.8€
Sydonios l’Esthète
Dansceverre,lefruitsembles’élargiravec
unebullequiserelâche.Env.34,50€
Bormioli Rocco inAlto
Tre Sensi Medium
Ceverreaccentuelasensationd’undosage
quin’estpourtantqu’à6g.Env.3,50€
Sydonios l’Universel
Avec l’Universel, le vin semble construit sur
l’acidité et une bulle prononcée. Env. 35 €

Les trois verres primés

❶ Zalto White Wine
Dans le Zalto, le Jeeper
paraît plus équilibré
C’est avec le White Wine de Zalto que ce
champagne trouve son plus bel équilibre.
On sent une maturité accomplie et une fine
minéralité. La bouche devient sérieuse,
carrée mais sans aucune sévérité. Le Jeeper
y gagne en profondeur. Le verre révèle
la densité et la pleine expression de cette
cuvée. Pour Nicolas Dubois, le président,
c’est le verre idéal. Env. 35 €
3 2
❷ Riedel Performance
Le Riedel met l’accent 1
sur la pureté du fruit
Avec ce verre, c’est la finesse qui est mise en
avant, même si le nez demeure légèrement
en retrait. Le fruit se montre ici plus pur. Élancé, fin, le White Wine de Zalto semble taillé pour le brut Grand cru de Jeeper.
Globalement, le vin gagne en précision et Avec lui, le champagne s’épanouit littéralement. Une vraie rencontre !

64 - LA RVF N° 641 - MAI 2020

 La Vigne en Héritage

LANGUEDOC - CORBIÈRES - MINERVOIS

LA CLAPE - CÔTES DU ROUSSILLON
Prolongez l’expérience Bonfils en profitant de nos
établissements oenotouristiques de luxe : Château
Les Carrasses (Quarante), Château St-Pierre de Serjac
(Puissalicon) et à venir Château Capitoul (Narbonne).

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L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION

 Art de vivre
Accord minute
La langue de bœuf ou de veau
Un plat canaille relevé par le gamay
E
n France, la langue est un plat “canaille” typique
des bistrots. Cet abat à la chair très tendre offre un
bon équilibre entre protéines et matières grasses.
Si sa préparation est fastidieuse – la phase de dégorgement
est un peu longue et la cuisson est lente –, les recettes qui en
découlent sont délicieuses : langue sauce gribiche, langue
sauce cornichons, langue sauce madère, etc.
Prenons la classique langue à la sauce piquante.
Composée de purée de tomate, de concentré de tomate et
d’échalotes, avec un léger côté épicé apporté par des cor-
nichons émincés, cette sauce donne beaucoup de relief à
la texture tendre de la langue. Sur cette recette, les vins les
plus adéquats doivent être juteux, dotés d’un fruit gour-
mand et d’une belle acidité en bouche. De préférence pas
trop puissants en alcool et plutôt jeunes, avec une trame
rafraîchissante. La belle acidité du vin est importante car
elle se joue des saveurs “aigrelettes” du cornichon.
Sur ce type de plat, j’ai un penchant pour le gamay,
avec une belle expression de Côte
Roannaise  : la cuvée Perdrizière
2018 de Stéphane Sérol. La variété
gamay-saint-romain séduit par son
fruit scintillant et ses notes de poivre
au moulin. L’altitude du vignoble
confère souvent à cette appellation
une belle adéquation entre maturité
et fraîcheur en bouche ; ce sont des
vins sapides. La cuvée Perdrizière
affiche un cœur de bouche plein.
La partie vendange entière étire la
bouche et le fruit reste toujours bien
67 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
« Le gamay-
saint-romain
séduit par son
fruit scintillant.
Sans excès
de puissance,
il respecte la chair
de la langue »
Par Olivier Poussier
Meilleur sommelier
du monde 2000
croquant. C’est une association maîtrisée sans excès de
puissance, qui respecte bien la chair de la langue.
Dans le même esprit, mon deuxième vin est issu d’une
appellation générique bourguignonne qui, lorsqu’elle
est vinifiée par un vigneron hors pair, peut atteindre un
niveau de qualité vraiment intéressant. Il s’agit du bour-
gogne passetoutgrain 2016 du domaine Robert Groffier
Père et fils. Si seulement les vignerons pouvaient tous
porter autant d’attention que Nicolas Groffier à l’élabora-
tion de leur passetoutgrain ! Cet assemblage gamay et pinot
noir dévoile sur le joli millésime 2016 une bouche étoffée
et à la fois digeste. Ce vin parfaitement équilibré surfe sur
l’acidité de la tomate et le léger piquant du cornichon.
À l’étranger, gardons le même esprit avec une belle dôle
du Valais élaborée par Marie-Thérèse Chappaz, à Fully, en
Suisse. Assemblage de gamay, pinot noir, gamaret et gal-
lotta, La Liaudisaz 2018 est un vin plein de fruit, sans pré-
tention mais avec une trame de bonne facture.
Traversons les Alpes pour découvrir un
vin du Piémont. Le cépage italien qui livre
des vins légers avec une belle fraîcheur pou-
vant être bus dès la mise en bouteilles, c’est
le dolcetto. La première cuvée domaine se
Illustration : Stéphane Manel / Sucré Salé
montre parfaite : le dolcetto d’alba 2018
d’Aldo Vajra exprime de la gourmandise,
avec des baies rouges et une pointe d’épices
flatteuse. La bouche est fidèle à ce cépage
rond et souple, c’est un vin glouglou !
À vous de faire votre choix, tout en gar-
dant à l’esprit qu’il est essentiel dans cet
accord de ne pas choisir des vins trop riches.
 Art de vivre

Barcelone
ne tourne
plus le dos
au vin
En cinq ans, Barcelone s’est amourachée du vin.
Cuvées “nature” et champagnes abordables enflamment
les comptoirs des bars, des bistrots et des cavistes.
Texte et photos de Vincent Pousson

M
algré sa gaieté de façade, sa “joyeuse vulgarité”, tier du Born. Barcelone en fait toujours un peu trop – c’est
la deuxième ville d’Espagne a longtemps eu le vin aussi pour ça qu’on l’aime –, et ses marchands de vin, portés
mauvais. Jusqu’à l’aube des années 2010, les pres- par l’énergie des nouveaux convertis, n’ont pas manqué
cripteurs locaux, sommeliers, journalistes, lui préféraient le d’en rajouter dans l’adhésion bruyante, barbue et tatouée.
gin tonic ou les grosses bulles du mousseux local (sauf excep- Toujours est-il que pour une partie de la jeunesse branchée,
tions), mieux assortis aux stupéfiants excès dont la “cité des il est devenu chic de remplir son verre de jus de raisin plus
prodiges” s’est fait une spécialité internationale. Sans parler ou moins bien fermenté.
de la bière, boisson fétiche des moins de 50 ans avec le Coca- En témoignent les nombreux bistrots ouverts depuis
Cola, (dé)formateur de tant de palais ibères. cinq ans, dans lesquels on arpente le vignoble avec plus de
À la décharge des Catalans, reconnaissons que les vins décontraction, comme au Bar Salvatge, dans le quartier bobo-
locaux, copieusement “parkérisés”, s’inspiraient justement identitaire de Gràcia, où jurançon et penedès sont servis à
de la finesse, de la distinction du fameux soda la tireuse. Même si d’un point de vue statistique,
américain. Et pour arranger le tout, le système Les marchands la consommation espagnole de vin reste faible
de distribution verrouillé par des monopoles de vins de (24 litres par habitant par an), le regain d’intérêt
imposait partout les mêmes références de vins Barcelone est indéniable, d’autant qu’en plus des crus
espagnols. Si bien que les pijos, ces héritiers snobs
des grandes familles bourgeoises qui ont grandi ont l’énergie nationaux, l’offre internationale est plutôt large :
de nombreuses appellations françaises côtoient
dans des écoles privées d’inspiration britannique, des nouveaux des rieslings allemands (très à la mode au début
sont passés sans transition des riojas et riberas de convertis du siècle) et des importations américaines.
la cave de papa de l’époque franquiste aux cuvées Dernier point, le prix des bouteilles au
mondialisées dont on leur vantait les qualités dans les cours restaurant est souvent très bas, parfois équivalent au tarif
de savoir-vivre anglo-saxon. caviste. L’occasion bien sûr de découvrir la jeune viticulture
Bref, celui qui ne connaissait pas l’adresse des vieux espagnole, de la Rioja à la Galice en passant par les sierras de
asadores (restaurants de viande à la braise) où les Viña Real Madrid et les nouvelles expériences menées en Andalousie.
des années 60, ces fantastiques riojas qui rappellent Rayas, se Mais n’ayez pas honte de boire autre chose que du local ;
bradaient à 25 euros, s’ennuyait ferme. Et puis, au milieu des à Barcelone, il n’est pas rare de trouver de beaux flacons
années 2010, tout s’est accéléré, avec comme protagoniste, la français, des champagnes notamment, à la moitié, voire
mouvance naturiste emmenée par les précurseurs de L’Ànima au tiers des prix pratiqués dans la restauration française.
del Vi, estaminet catalano-parisien du très touristique quar- Il serait ballot de ne pas en profiter…
68 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
 Art de vivre
Barcelone et le vin

De L’Ànima
del Vi
au Bar Salvatge,
face à la
Méditerranée,
Barcelone
a de quoi
ensorceler les
connaisseurs !

LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 69

 Art de vivre
Barcelone et le vin

Rafael Peña, le chef francophile du Gresca Bar, est un fou de vin.
Gresca Bar
Barcelone est une fête
V ous aimez manger et boire ? Foncez ici ! Sur les ruti-
lantes banquettes de ce bistrot chic de l’Eixample,
quartier orthogonal et un peu terne de la fin du XIXe siècle,
on se régale de plats francs du collier, volontiers canailles,
qui mêlent les recettes espagnoles et françaises ; attention,
ce n’est pas de fusion qu’il est question ici mais de confluence
amicale, de métissage réfléchi dans des petites assiettes,
mi-tapas mi raciones, où le goût prime sur le chichi : ris de
veau finement moutardés, petits pois microscopiques, tripes
castillanes, aubergines laquées, seiches à l’oignon confit…
Mais contrairement à tant d’autres tables de la ville, chez
Rafa Peña, francophile, fou de vin, il y a à boire. De tout et
beaucoup. Une collection de cornas de Thierry Allemand,
les riojas d’Olivier Rivière, l’étonnant As Furnias galicien,
du local parfois brutal… Dans une des variantes du dialecte
régional, “gresca” signifie “fête”, “noce”. Difficile de mieux
traduire ce que l’on ressent dans cette précieuse maison.
Réservation indispensable ; au téléphone, précisez bien que
vous souhaitez être dans la partie bar et non au restaurant.
Gresca Bar, carrer de Provença 230, 08036 Barcelona.
Tél. : 00 34 934 516 193.

Monvínic
La“vibliothèque”
académique
D e prime abord, cet “espace de divulgation de la culture
vinicole”, caché au fond d’une allée de bureaux, n’a pas
grand-chose à voir avec un bar à vins. De bar, d’ailleurs, il n’y a
pas, à peine un petit comptoir. Mais ne soyez pas rebutés par
la déco. Monvínic, caprice du riche héritier de laboratoires
pharmaceutiques espagnols, abrite la plus longue carte des
vins de la capitale régionale : jusqu’à 3000 références de la
terre entière servies à prix doux par une demi-douzaine
de sommeliers (les plus connus de la région sont passés par
ici). L’encombrante syrah de la Barossa Valley y côtoie l’élé-
gance montagnarde de l’humagne du Valais sous le regard
amusé d’un sercial madérien bien plus ancien que la Sagrada
Família. Une mention particulière pour le grand choix de
jerez, manzanilla et montilla-moriles.
Si, depuis sa création en 2008, l’âme de Monvínic est une
Française, Isabelle Brunet (ex d’ElBulli), sa cuisine est elle
aussi dirigée par une femme, Ariadna Julian, passée par Paris,
experte en poissons méditerranéens. À la salle de restaurant,
un peu triste, préférez la terrasse accessible dès le printemps,
ou la table de cuisine. On peut aussi grignoter dans la bou-
tique mitoyenne, davantage branchée “vin nature”.
Monvínic, carrer de la Diputació 249, 08007 Barcelona.
Tél. : 00 34 932 726 187. Plus de 3 000 références de vins vous attendent chez Monvínic.

LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 70

 Art de vivre
Barcelone et le vin

Bar Salvatge
Le vin des rues
G ràcia, souvent, on connaît sans connaître ce quartier
biscornu, jadis un village indépendant surplombant
Barcelone. À cause du paseo éponyme, sorte de Champs-
Élysées barcelonais, qui y conduit. Aussi parce que les
touristes le traversent, généralement en souterrain, par
le métro, pour monter au parc Güell. Pour autant, ce sont
les locaux “pur jus” qui constituent la clientèle principale,
bobo-identitaire, de ce bar animé de la joyeuse calle de Verdi.
La raison majeure du succès du Salvatge (prononcez “sal-
vatja”, sauvage en catalan) réside dans le concept tout bête
inventé par ses créateurs, dont le sommelier français Ludovic
Darblade : une bonne partie du vin y est servi à la tireuse. Un
peu à la façon de ce qui se faisait dans la Barcelone montal-
banesque de Pepe Carvalho. Jus locaux évidemment, d’autant
qu’un des associés est vigneron, mais pas que ; selon les arri-
vages, le robinet de rouge très ligérien du Bierzo y côtoie le
jurançon biodynamique d’Antoine Arraou (château Lafitte).
La tonalité du lieu, comme de la quasi-totalité des bistrots
barcelonais en vogue, reste très naturiste. On y mange éga-
lement d’excellents en-cas entre mar i muntanya, seiches et
cochonnaille catalane.
Au Bar Salvatge, la plupart des vins sont servis à la tireuse.
Salvatge, carrer de Verdi 50, 08012 Barcelona.

Vila Viniteca
Tél. : 00 34 932 529 767.

Chez Vila Viniteca, les crus français sont parfois moins chers qu’en France !

L’incontournable
L avinia avait bien tenté une entrée à Barcelone avant de
battre en retraite en 2011. L’institution du Port Vell, Vila
Viniteca, elle, a survécu à la crise et surtout à l’air parfois vicié
de la baie de Barcelone. Parce qu’évidemment, il y a cette
boutique exiguë de la calle dells Agullers, dans le quartier des
vendeurs de valises ; pour autant, Vila Viniteca est devenu un
empire. Derrière l’aspect bonhomme de Quim Vila, hésitant
entre l’épicier mozabite et le senhor Oliveira da Figueira de
Tintin, se cache un redoutable homme d’affaires. Troisième
génération de bouticaires, il est devenu, avec ses associés,
un des principaux califes du luxe liquide en Espagne, à
peine concurrencé par certains de ses anciens vizirs. Il faut
reconnaître que la visite à sa maison-mère demeure incon-
tournable pour l’œnophile. Le grand cru français s’y négocie
parfois moins cher que sur sa terre natale tandis qu’il pousse
ses affidés, du Priorat quand c’était la mode, d’autres régions
plus fraîches d’Espagne désormais. Sans compter son amour
récent pour les “vins libres”. On aime ou l’on n’aime pas
“Quim”, il n’empêche (pardonnez-moi pour pour la ringar-
dise de l’épithète) qu’il demeure “incontournable”.
À noter que Vila Viniteca dispose, à deux pas de la bou-
tique, en face de la sublime basilique Santa Maria del Mar,
d’une sorte de show-room, La Vinya del Senyor.
Vila Viniteca, carrer dels Agullers 7, 08003 Barcelona.
Tél. : 00 34 902 327 777.
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 71
 Art de vivre
Barcelone et le vin

L’Ànima del Vi regorge d’excellents crus “nature” français et espagnols.
L’Ànima del Vi
Précurseur du “nature”
C e bistrot monté par un Français a incontestablement
modifié la géopolitique vinicole barcelonaise. D’abord
par son approche du vin, considéré non plus comme un
ennuyeux sujet d’étude ou de concours mais comme une
boisson de partage. Ensuite parce qu’il est à l’origine de l’im-
pressionnante vague naturiste qui s’est emparée en un temps
record des établissements branchés de la ville. Benoît Valée
aurait presque pu franchiser sa formule tant on l’a vue copiée
ici et là, jusque dans son voisinage immédiat.
Le point fort du lieu, c’est le regard critique de son pro-
priétaire sur ce qu’il sert. Si bien que l’on y découvre d’inté-
ressantes références qui ne souscrivent pas toutes à la radi-
calité du genre, à l’image (pour ne citer que les tricolores de
l’étape) des champagnes de la famille Boulard ou des cahors
de Sophie et Julien Ilbert (château Combel La Serre). Pour
autant, ceux qui cherchent du “bizarre” devraient eux aussi
trouver leur bonheur. En plus de soirées qui s’éternisent,
rideau baissé et piano ouvert, c’est aussi un bon endroit pour
casser la croûte entre un cap i pota (pied et tête mijotés au
piment) d’anthologie, une grande cecina galicienne (jambon
de bœuf) et des œufs-mayonnaise plus parisiens que nature.
L’Ànima del Vi, carrer dels Vigatans 8, 08003 Barcelona.

“Faire vermut” Tél. : 00 34 933 683 612.

Une tradition locale Le très looké Bar Brutal rassemble les adeptes du vermouth.

L es puristes vous diront que le vermouth (“vermut” en

catalan) est d’abord une façon de maquiller les hecto-
litres de picrate qui encombrent les plaines catalanes, et ils
n’auront pas nécessairement tort. Il n’empêche qu’au-delà
des produits industriels, on trouve de jolis apéritifs à base
de vin (c’est le terme légal) artisanaux et que “faire vermut”,
comme l’on dit ici, est une tradition profondément ancrée.
Y souscrire, le dimanche midi notamment, vous donnera au
yeux de vos interlocuteurs catalans une certaine crédibilité.
“Faire vermut”, il existe des lieux pour ça, à l’image de l’ef-
ficace Morro Fi. Monté par une bande de copains à l’orée du
Gaixample (le Marais barcelonais), ce coin de rue s’est en fait
démultiplié en cinq petits bars de quartier dont le vermuth
maison est quasiment la seule boisson. Comme il se doit,
on l’accompagne d’olives, de chips, d’anchois et surtout de
longues discussions autour d’un petit verre cylindrique orné
d’une rondelle d’orange et de siphon d’eau de Seltz.
Dans un autre style, plus touristique, hyper looké, goûtez
celui du célèbre Bar Brutal, dans le Born. Remarquablement
fruité, finement épicé, il est élaboré par les Italiens du
domaine Partida Creus, vers Tarragone. Commandez-y
également l’excellente bière maison.
Morro Fi, carrer del Consell de Cent, 171. Site : morrofi.cat
Bar Brutal, carrer de la Princesa 14, 08003 Barcelona.
Tél. : 00 34 933 199 881.
72 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
 Art de vivre
Barcelone et le vin

Les autres lieux à découvrir à Barcelone

rences au verre + cocktails +
musique.
Carrer de Còrsega 338,
08037 Barcelona.
Tél. : 00 34 933 885 866.
Via Veneto
Dans ce restaurant 60’s, on
déguste un excellent canard
au sang et la cave, avec
sommelier à l’ancienne,
recèle des reliques
de l’Espagne d’avant.
Carrer de Ganduxer 10,
08021 Barcelona.
Tél. : 00 34 932 007 244.
Cuvée 3000
Un gros distributeur
régional passé sans transi-
tion du Billecart-Salmon
À Granja Elena, Patricia Serra vous accueille dès 10 heures du matin.
et du priorat parkerisé à
La Sorga et aux déconcer-
tants verdejos castillans de
Microbio. Restent de belles
références.
Carrer de Lepant 149,
08013 Barcelona.
Tél. : 00 34 932 651 096.
La Confiteria
Un des temples de la mixo-
logie barcelonaise avec le
Paradiso, le Dr. Stravinsky et
le Dry Martini. Formidable
décor original d’une vieille
bonbonnière romantique
des environs du Broadway
barcelonais.
❶ Carrer de Sant Pau 128,
08001 Barcelona.
Tél. : 00 34 931 405 435.

Granja Elena La Vicoca

Excentrée, à l’orée de la
zone portuaire, la table de
référence des petits déjeu-
ners “à la fourchette”, dès
10 heures du matin. On y
mange sainement en levant
gaillardement le verre, et il y
a de quoi !
Passeig de la Zona Franca 228,
08038 Barcelona.
Tél. : 00 34 933 320 241.
Denassus
Une petite adresse du quar-
tier très animé de Poble Sec
que l’on se repasse sous le
manteau. Plats canailles et
un vrai intérêt pour le vin.
❸ Carrer de Blai 53,
08004 Barcelona.
Tél. : 00 34 933 877 645.
Monocrom
Accueil chaleureux dans ce
En dehors des sentiers
battus, non loin de la gare
ferroviaire de Sants.
On y boit aussi bien du
bordeaux que des crus
espagnols en grignotant
un gentil morceau.
❹ Carrer d’Hostafrancs de Sió
18, 08014 Barcelona.
Tél. : 00 34 934 638 699.
La Violeta
À deux pas de la Cova
Fumada, adresse phare de
la Barceloneta, ce bar à vins ❶ ❷
récent fait figure d’adresse ❸ ❹
montante. Tapas (au sens
catalan…) “kilomètre zéro”,
Slow Food.
Carrer del Baluard 58,
08003 Barcelona.
Tél. : 00 34 932 219 581.
Muti Club
Barcelona Food Experience

bar à vins d’un quartier froid, Entre la boîte de nuit et le

sélection internationale,
petits plats sympathiques.
❷ Plaça de Cardona 4,
08006 Barcelona.
Tél. : 00 34 935 167 302.
bar à vins des années 80.
Clientèle aimant voir et
être vue, les étiquettes qui
claquent, tendance Vega
Sicilia. Quatre-vingt réfé-
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tation des traitements. Pour exercer vos droits, veuillez contacter le Groupe Marie Claire (GMC) par mail à dpo-rvf@gmc.tm.fr ou par courrier à Groupe Marie Claire-DPO –10, boulevard des frères Voisin - 92130 Issy Les Moulineaux, en justifiant de votre identité. Vos données postales sont susceptibles d’être transmises à nos
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 Art de vivre
C’est comme ça et pas autrement
En souvenir
de la Maison-bouche du Roi
H
enri IV était mort depuis six ans, en 1616, lorsque
LouisXIII,roideFranceetdeNavarre,aproclamé
l’union du Béarn au Très Chrétien Royaume, qui
n’a été effective qu’en octobre 1620, « avec réserve expresse de
leurs droits, franchises et immunités internes qui seront inviolable-
ment gardés et observés », comme on disait dans l’ancienne
France hérissée de libertés. Jusqu’à la Révolution, le Béarn
a conservé son statut d’autonomie et Pau un parlement
dontlesactesétaientrédigésenbéarnais.Nousen parlions
l’autre jour avec Yves Camdeborde, au Comptoir du Relais,
place de l’Odéon à Paris. Le chef béarnais recevait un hôte
insigne en la personne de Jean de France, comte de Paris.
Pour traiter le prince, il avait fait mettre en glace une
bouteille de Drappier, le champagne favori du général
de Gaulle, dont les échanges des années 1953-1970 avec le
précédentcomtedeParis,legrand-pèredeJeandeFrance,
demeurent enveloppés de mystère. Et préparé une poule
au pot servie en quatre services, en souvenir des grandes
heuresdelaMaison-boucheduRoi,danslagalerieduBord-
de-l’EauauLouvrequ’affectionnaitHentiIV.Àl’époque,on
ne parlait pas de runners, pour qualifier les jeunes gens qui
portaient les plats, mais de galopins. Beaucoup de monde
s’agitaitsouslesordresdupremiermaîtred’hôtel:sauciers,
souffleurs, hâteurs de rôts, tournebrochiers. Les coureurs
de vinétaientchargésd’allerchercherlefruitdelavigneàla
cave, le sommelier de le préparer et l’échanson de le servir
après l’avoir goûté.
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 75
« Nous avons
dégusté le
millésime 2018
de la cuvée
À Bouche que
Veux-tu en
essayant de
tirer un bilan du
mouvement des
Gilets jaunes »
Par Sébastien
Lapaque
Écrivain,
chroniqueur
littéraire
et solide buveur
Nous aurions pu choisir un jurançon sec pour accompa-
gner le bouillon de poule aux perles du Japon et les toasts
de campagne masqués de farce aux abats nommés “rôtis”.
Mais j’ai voulu faire découvrir au prince les jolis vins que
produit Jean-Christophe Comor au domaine Les Terres
PromisesdansleVar.Nousavonsdoncdégustélemillésime
2018 de la cuvée À Bouche que Veux-tu, issue de clairette
et de rolle, en essayant de tirer un bilan du mouvement
des Gilets jaunes, que le comte de Paris a pu observer de
près à Dreux, où il vit avec sa femme Philomena, le dau-
phin Gaston, âgé de 10 ans, et leurs quatre autres enfants.
Héritier en ligne directe d’Henri IV, gardien d’un principe
d’arbitrage capable de faire valoir la continuité des projets
de la patrie au milieu des combinaisons, le prince parle de
la France avec une sagesse toute capétienne.
Ilapourvocationdeservir.Lescirconstancesluipermet-
tront peut-être de proposer aux Français un avenir nou-
veau, conforme au réveil de leur sensibilité traditionnelle
et de leur redécouverte de la durée historique. La dégus-
tation du millésime 2017 de la cuvée L’Antidote, un 100 %
carignan qui a établi la réputation de Jean-Christophe
Comor, nous a invités à le croire. Avec les légumes roulés
Illustration : Stéphane Manel
dans la moelle et la poule au pot servie en tranches, façon
lièvre à la royale, l’accord était parfait. C’est comme ça, et
pasautrement,qu’undernierverrenousfitrêveraudestin
d’un jeune garçon français destiné à monter un jour sur le
trône de la maison héréditaire sous le nom de Gaston Ier.
 Art de vivre
Spiritueux

L’élite mondiale En marge des versions

industrielles peu
flatteuses, des distilleries

de la vodka japonaise, péruvienne

ou encore canadienne
nous surprennent avec

en dix flacons des cuvées originales

et sublimes.
Par Cyrille Mald

L
a vodka est une formidable école pour apprendre à et Alexandre Vingtier
dégusterlesspiritueux.Produitextrêmementrectifié,
elle ne supporte en effet aucune imperfection. Une
grande vodka est une prouesse d’équilibriste. Pour atteindre
l’excellence, il faut savoir masquer le goût et l’amertume
de l’éthanol avec une pincée d’éléments tirés de la matière
1 CHISTI ROSI 2017
Vodka de blé malté bio, Russie, 40 %
La Russie est l’un des foyers originels
première et de la fermentation. Il faut également retirer les de la vodka où elle a connu des perfection-
impuretés durant la distillation et l’éventuelle filtration, tout nements majeurs au cours des dernières
en jouant sur la présence de l’alcool, en dosant le piquant en décennies. La distillerie Kemlya repousse
ici les limites connues avec une vodka
bouche ou en finale, afin d’éviter un résultat trop linéaire. de blé local d’une seule ferme, certifié bio
Bref, trouver le triangle parfait arômes/alcool/texture, ce qui et malté. Distillée, cuvée après cuvée, dans
est à la fois une science, un artisanat et une quête esthétique. un petit alambic en cuivre, elle est diluée
Lemarchédesvodkasestdominépardesalcoolsindustriels à l’eau artésienne et filtrée à travers
sans grand intérêt, mais ces derniers ne doivent pas occulter une membrane d’argent, des cristaux
de quartz et du charbon de bois de
les cuvées exceptionnelles produites dans le monde entier. bouleau. Le blé malté imprime sa douceur
Pour faire reconnaître cette qualité, de nombreux pays font et son côté poivré et développe des notes
valoir leur histoire et leur patrimoine à travers une Indication de nectarine,citron vert et mandarine.
géographique. C’est le cas de la Suède (Svensk Vodka), de la L’ensemble est très dynamique en bouche,
Finlande(Suomalainen/Finskvodka),delaLituanie(Originali avec une texture ronde et gentiment
picotante, prenant des accents légère-
lietuviška degtiné), de la Pologne (Polska Wódka), de l’Estonie, ment caramélisés et chocolatés. Du grand
de la Russie (Русская водкa, toujours en attente de reconnais- art ! Sans doute la meilleure vodka
sance internationale) et de la Norvège (Norsk vodka). Après du monde, en tout cas l’une des rares que
un best of des vodkas françaises (lire La RVF n° 600, avril 2016), l’on peut déguster pure et à température
nousvousinvitonsàuntourdumondedesmeilleuresvodkas! ambiante ! Il existe aussi une version au
seigle malté et une autre marque Spelta,
Pour découvrir toutes les facettes de la vodka, il existe plu- à base d’épeautre malté, peut-être encore
sieurs adresses incontournables : Vodka Lab meilleure. 45 € les 70 cl
àRennes,LaMaisonduWhiskyetLesCavesdu
Roy à Paris ou encore urbandrinks.fr.

2 PURITY 34
Vodka de blé d’hiver et d’orge maltée bio,
Suède, 40 % 3 MENAUD
Vodka de blé et de seigle, Canada, 40 %
Après Chisti Rosi, Purity est la vodka la plus Cette jeune distillerie québécoise
récompensée de la dernière décennie. et “terroiriste” réussit parfois
Et pour cause, son petit alambic en cuivre à détrôner Purity auprès des amateurs
de 600 litres a été spécialement conçu pour de vodka moderne avec son arôme
produire une vodka artisanale d’une de banane cuite et de nashi envoûtant,
grande pureté, huileuse, presque crémeuse sa fraîcheur minérale, sa belle palette
en bouche, comme les plus grandes vodkas d’épices plutôt douces et une explosion
polonaises. Son intensité aromatique est de fruits secs et de chocolat en finale.
Photos : D. R.

remarquable : chocolat blanc, amande, Sans oublier une belle texture

agrumes, réglisse et vanille. Sa minéralité est onctueuse, une bouche dynamique,
volontaire car elle est diluée à l’eau neutre sans aucune agressivité et de l’umami
et minérale. Il existe trois versions, 17, 34 et bien présent rappelant certains jolis
51 correspondant au nombre de distillations sakés. Une réussite !
(17 par passage). Un petit bijou ! 47 € les 70 cl 40,50 € les 75 cl

76 - LA RVF N°641 - MAI 2020

 Art de vivre
Spiritueux

5 QURI
Vodka de quinoa et de blé, Pérou, 40 %

4 HOPHEAD VODKA
Vodka aromatisée, États-Unis, 45 %
Élaborée à partir de deux types
De passage au Pérou pour y déguster des piscos,
nous avons rencontré un jeune distillateur
américain avec une solide formation scientifique
qui s’est lancé dans l’aventure de la vodka
de houblon mis en macération avant péruvienne à base de quinoa et de blé.
distillation dans l’alcool neutre, Pas moins de cinq souches de levures différentes
cette vodka aussi fraîche (céleri, fleur sont employées pour obtenir un profil
de houblon) qu’ultra aromatique (litchi, des plus complexes. Et pour respecter
pain grillé, poivre blanc) offre un plaisir au mieux cette richesse, elle est distillée
de dégustation très immédiat. lentement à trois reprises dans un petit alambic
Embouteillée à 45 %, sans filtration de 180 litres. Une vodka de caractère, dans
à froid, elle exprime un caractère plein un registre très pâtissier, sur le lait d’amande,
et évolutif qui surprendra tout amateur la noix, le caramel, la muscade et le poivre long,
à chaque instant de la dégustation. avec des notes d’agrumes et herbacées rafraîchis-
43 € les 70 cl santes en finale. De quoi plaire aux amateurs
de single malt ! Environ 30 € sur place

6 KALAK SINGLE MALT

Vodka d’orge maltée, Irlande, 40 %
Élaborée à partir de 100 % d’orge maltée et d’eau
pure des montagnes du comté de West Cork,
cette toute première vodka single malt d’Irlande,
distillée quatre fois en alambic “pot still”, révèle
une rondeur aromatique impressionnante. Pure,
anisée, au profil très céréalier sur l’orge maltée,
cette vodka au nom de déesse celtique, reine
7 ABSOLUT ELYX
Vodka de blé d’hiver, Suède, 42,3 %
C’est la version craft et single estate de la grande
de l’hiver de la mythologie irlandaise (Kalak), est marque suédoise, produite dans une distillerie
presque brutale de nature ! 46,90 € les 70 cl ad hoc de 1921, dont la colonne en cuivre a été
ressuscitée pour l’occasion. Chaque année,
le processus de fabrication est perfectionné
et atteint désormais un niveau impressionnant.
Le zeste de citron est très présent dès le premier

8
nez, rehaussé par quelques touches de poivre
CHASE ENGLISH et de pain. Le blé tendre est bien présent
POTATO en bouche, avec des arômes de noisette laissant
Vodka de pomme de terre, place en finale à des notes fraîches et fruitées
Angleterre, 40 % sur la pomme verte. 42 € les 70 cl
Distillée trois fois dans la ferme
familiale d’Hereford
en Angleterre à partir
d’un alambic à repasse en cuivre
sur mesure “Fat Betty” couplé
à une colonne (250 pommes
de terre sont nécessaires pour
produire une seule bouteille !),
cette vodka crémeuse (lait
d’amande et de cajou) offre
des notes capiteuses, fruitées
et épicées (melon, coriandre
et anis étoilé). 59 € les 70 cl
10 KETEL ONE
Vodka de blé, Pays-Bas, 40 %
Distillée trois fois dans les distilleries
Nolet à Schiedam, aux Pays-Bas,
cette vodka de blé résulte
d’un assemblage de distillats
de colonnes et d’alambics à repasse

9
en cuivre à feu nu (ketel
NIKKA COFFEY en néerlandais, le premier datant
Vodka de maïs et d’orge maltée, Japon, 40 % de 1864). Soyeuse, elle développe
Cette vodka est produite avec le fameux de riches notes aromatiques
alambic Coffey de la distillerie de whisky (citron, miel de manuka, poivre
Miyagikyo puis filtrée sur un lit de charbon blanc, fenouil, réglisse douce)
de bois de bouleau. L’ensemble lui confère et une fraîcheur incomparable.
une texture (fève de tonka, framboise, crème La référence des mixologues.
de maïs) et une vivacité (poire, crème florale, 27 € les 70 cl
lait de coco et noix de cajou torréfiée)
exceptionnelles. 45 € les 70 cl

LA RVF N°641 - MAI 2020 - 77

 Château
Marjosse
Le jardin secret
de Pierre Lurton
Directeur des châteaux d’Yquem et Cheval Blanc
pour le compte de LVMH, Pierre Lurton bichonne aussi
ses propres cuvées dans la propriété bordelaise qu’il a acquise
il y a une vingtaine d’années au cœur de l’Entre-deux-Mers.
Reportage et dégustation de Yohan Castaing
78 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
 De vigne en cave
Viedechâteau

L
e soleil n’est encore ni trop haut, ni trop
chaud. Déjà, les tons ocre des pierres cal-
caires se réfléchissent sur les murs de la
chartreuse de Marjosse, située sur la commune de
Tizac-de-Curton, au cœur de l’Entre-deux-Mers
viticole. Cette vaste région, connue pour ses vins
blancs et rouges modestes mais fruités, dont on
peine à comprendre pourquoi certains ne plaisent plus, béné-
ficie d’une climatologie et d’une géologie propres à produire
de très beaux vins pour qui s’en donne la peine.
Sur le perron de cette magnifique bâtisse construite en 1782
par Victor Louis, l’architecte du Grand Théâtre de Bordeaux,
Pierre Lurton contemple avec bonheur la charmille, cette allée
ombragée qu’il aimait, adolescent, remonter au galop avec
son frère. Tout le monde à Bordeaux et dans l’univers viticole
connaît Pierre Lurton, directeur de château Cheval Blanc à
Saint-Émilion depuis 1991 et d’Yquem à Sauternes depuis 2014.
Mais les années filent et après vingt-trois ans d’un engagement
sans faille au service du groupe LVMH (Bernard Arnault et
Albert Frère rachètent Cheval Blanc en 1997), Pierre Lurton,
63 ans, est particulièrement ému de recevoir La RVF dans la
propriété qu’il a achetée pièce par pièce au fil des ans et qui, à
brève échéance, occupera tout son temps.
« Marjosse fait partie de mon enfance, déclame-t-il. Je suis né au
château Reynier, à 600 mètres de ce lieu magnifique. Je venais faire de
l’équitation avec mon frère et nous venions rendre visite au général
Deleuze », alors propriétaire des lieux. Les Deleuze
et les Lurton sont liés : « Imaginez, mon père faisait
danser les filles du général ici, à Marjosse, dans cette
magnifique salle du XVIIIe siècle ».
Ni trop grand, ni trop petit, l’œil toujours en
éveil et le langage chatoyant, Pierre est un membre
de la grande famille Lurton. Fils de Dominique
Lurton (le plus jeune frère de la fratrie) et d’Hélène Lafitte, il a
« appris très tôt la diplomatie familiale ». Pendant que ses glorieux
oncles créent le « bordeaux moderne », son père, moins attiré par
les devants de la scène, gère le château Reynier, la propriété
familiale. Pierre s’engage dans des études de médecine, mais
c’est au cours d’un stage au Clos Fourtet, Premier Grand cru
classé de Saint-Émilion et propriété de son oncle Lucien, qu’il
contracte le virus du retour à la terre : « J’ai dit à mes parents :
c’est ma vocation. J’ai tout arrêté et je suis arrivé au Clos Fourtet au
bon moment ». En prenant la direction du cru, il le fait renaître
de ses cendres. De la galaxie Lurton, il avait le nom, il se forge
désormais un prénom.
MARJOSSE PARTAGE LE CALCAIRE AVEC SAINT-ÉMILION
Aussi ambitieux et doué soit-il, le jeune Pierre Lurton, au
contact des grands vignobles bordelais, ne perd pas ses racines
terriennes. « À l’époque, je rêvais déjà de posséder mon carré de vignes
et d’avoir une maison. » Naturellement, son regard se porte vers
Marjosse où le général, polytechnicien de son état, ne semble

Pierre Lurton.
C’est lors d’un
stage au Clos
Fourtet, alors
propriété de
son oncle Lucien
Lurton, que Pierre
Lurton décide
d’arrêter ses
études pour
donner libre cours
à son amour pour
le vin. Après des
résultats notables
à Clos Fourtet,
il est nommé
directeur de
château Cheval
Blanc en 1991,
année où il
acquiert Marjosse.
En 2014, il prend
également la
direction de
château d’Yquem,
autre propriété
de LVMH.
Photos : D. R.

LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 79

 De vigne en cave
Vie de château

Château Marjosse
En blanc comme
en rouge, les
vins se montrent
chatoyants,
frais et alertes.
L’utilisation
parcimonieuse
en rouge et blanc
de barriques
(50 % maximum Les rouges AOPBordeaux
de bois neuf) est
parfaitement
gérée. La densité 2018 Encore en fût. Nez énergique et aromatique, des notes d’iris, de fram-
boise, de fruits noirs. Texture juteuse, franche, parfaitement équilibrée
est présente et la 17/20 et fraîche. Franc et pur. Un Marjosse racé.
tension calcaire
structure 2016 Après quelque temps en bouteille, ce millésime exhale des notes d’épices,
l’allonge. de fruits noirs. En bouche, une tension racée, un grain fin et une trame
16,5/20 tannique particulièrement délicate. Un Marjosse de gastronomie.

2015 Des notes de violette, de menthol, de prune. Texture charmeuse avec

des tanins consensuels, un bel équilibre et une finale subtile. À matu-
16,5/20 rité actuellement.

2010 Douces notes de réglisse et élégance pour des raisins à la juste maturité.
Une texture charnue, de la rondeur, du moelleux et une finale légère-
16/20 ment sur la truffe. Encore cinq ans pour ce très beau vin.

2009 Un bouquet d’épices, de truffe et une trame florale pour un ensemble

particulièrementracé.Toucherdebouchedélicatquiexprimeunecer-
17/20 taine force et tout le potentiel de la propriété.

2005 Servi en magnum. Après une ode aux fleurs (violette et iris), le nez se
recentre sur les fruits noirs bien mûrs. Droite et élégante, la bouche se
16/20 serre un peu et laisse les tanins s’exprimer.

2003 Le millésime solaire marque un peu avec des notes d’épices, de réglisse
soutenues par une réelle fraîcheur. Tension calcaire en bouche, des
17/20 tanins équilibrés et une finale aérienne. Encore jeune pour le millésime.

Les blancs AOP Entre-deux-Mers

2018 Poire, pêche blanche, délicatesse mentholée pour un nez gourmand,

friandeténergique.Droiteetjuteuse,laboucheestparfaitementéqui-
17,5/20 librée avec un parfait contrepoint au bouquet.

2016 Floral, mentholé et très fruits blancs à l’aération. La bouche est tendue
à souhait, énergique et minérale. Un très beau blanc qui se servira en
17/20 apéritif ou sur des plats.
D. R.

2015 Floral et frais, presque iodé, le nez est engageant, équilibré, alerte. La
bouche est ronde, la structure minérale et l’ensemble parfaitement en
16,5/20 harmonie. Un très beau blanc.

80 - LA RVF N° 641 - MAI 2020

 De vigne en cave
Château Marjosse

Le chai de Marjosse se veut fonctionnel, sans chichi ; il est le terrain idéal pour créer de nouvelles cuvées parcellaires .

« C’est en vinifiant pas avoir de successeur. Il rêvait

d’acquérir la magnifique chartreuse
de la chartreuse, où il installe son chai, un bâtiment rectan-
gulaire, fonctionnel. « Au début, nous nous sommes développés
à Marjosse posée au sommet d’un vallon, les en fermage, cela permet de moduler les volumes lors des aléas clima-
que je me suis vignes étendues à ses pieds : « J’étais tiques », précise Pierre Lurton. La région a beau être belle, le
rendu compte au Clos Fourtet quand je me suis intéressé
à Marjosse et à son écosystème, en regard
climat n’est pas clément. Les gelées sont régulières. Avec ses
équipes, il remembre, achète, échange, revend et décide de
de la réalité de Saint-Émilion, de l’autre côté de la développer le vignoble sur un terroir « magnifique ». Autour de
de ce métier » rivière. Le site est beau et je pense que là la chartreuse, les vignes sont plantées sur un terroir de calcaire
où le lieu est beau, nous sommes aptes à à astéries dont il faut reconnaître « qu’il a été magnifiquement
faire de grands vins ». Il est vrai qu’avec Saint-Émilion, Marjosse travaillé par l’ancien métayer ». Les vignes sont saines, âgées et
partage le calcaire, cette pierre poreuse et friable qui laisse regorgent de trésors comme le malbec ou la muscadelle, deux
les racines de la vigne s’enlacer dans ses anfractuosités et qui cépages pourtant peu aimés par les viticulteurs. Cet acte fon-
donne aux maisons bourgeoises de la région cette teinte jaune dera son approche viticole, à rebours des principes en cours
caractéristique. dans cette région bordelaise. « Je n’arrache ni les vieilles vignes,

DE CLOS FOURTET À CHEVAL BLANC Directeur technique du château depuis 2017, l’œnologue
Jean-Marc Domme (à d.) a pour mission de produire des cuvées singulières.
En 1991, il réalise son « rêve » et devient en même temps direc-
teur de château Cheval Blanc, le fameux Premier Grand cru
classé A de Saint-Émilion. Sa carrière s’emballe, mais son cœur
se raisonne : « J’avais besoin d’avoir une propriété. Avoir la tête dans
les étoiles, c’est bien, mais les pieds dans la terre, c’est mieux ». Il n’aura
de cesse, dès lors, de trouver la synergie entre deux mondes
qui s’ignorent parfois. « Dans ma gestion des crus classés, cela m’a
aidé. J’ai toujours eu cette retenue, cette humilité et cette décontraction
dues à mes racines de l’Entre-deux-Mers. C’est quand j’ai commencé
à vinifier à Marjosse que je me suis rendu compte de la réalité de ce
métier », souligne-t-il.
Un dur labeur, en effet, qui ne laisse guère de place aux aléas
climatiques ou aux difficultés économiques. Malgré cela,
nécessité faisant loi, il restructure le vignoble, crée un nouveau
chai et affiche son ambition pour ce cru. Il demande alors à son
père de lui vendre un lopin de terre, à quelques encablures
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 81
 De vigne en cave
Château Marjosse

Il a évité l’écueil ni le malbec et restructure le vignoble

en augmentant la surface foliaire et
d’appliquer en contournant la viticulture alors
aveuglément en cours dans l’Entre-deux-Mers. Je
les préceptes l’ai fait car je suis un privilégié dans ce
des crus classés système. Notre approche viticole n’est
pas évidente pour d’autres vignerons
qui n’ont pas la chance d’être rattachés à des crus prestigieux comme
Yquem et Cheval Blanc. Faire du vin, c’est beaucoup d’argent et c’est
parfois compliqué économiquement. Même dans ma situation de
privilégié, c’est difficile, alors j’imagine les autres », s’exclame-t-il,
mi-enthousiaste, mi-réaliste. Une situation particulière qui
lui a permis en 2013 et en 2017 de prendre la difficile décision
de faire l’impasse sur les vins rouges, car « les lots n’étaient pas
assez qualitatifs ».

VERS DES CUVÉES PARCELLAIRES

Aujourd’hui, château Marjosse, son œuvre, s’étend sur
presque 30 hectares de vignes. Douze hectares sont dédiés au
vin blanc, quand 18 hectares le sont aux rouges. La produc-
tion moyenne s’élève à quelque 80 000 bouteilles de blanc et
130 000 bouteilles de rouge. Depuis deux ans, Pierre Lurton a
fait appel à Jean-Marc Domme, œnologue formé à Bordeaux Pierre Lurton a fait certifier Marjosse en HVE3 en 2019.
et passé par les domaines Garcin-Cathiard (Clos L’Église à
Pomerol, Barde-Haut à Saint-Émilion entre autres), pour semblage. C’est alors le moment de “descendre” les vins en
dynamiser le domaine et produire des cuvées singulières. barriques, dont le pourcentage de bois neuf n’excède jamais
« Marjosse est en train de sortir de sa chrysalide et nous souhaitons les 50 %.
développer de nouvelles cuvées parcellaires et monocépages. Elles
doivent être un pôle d’excellence et surtout ne pas dévaloriser l’en- UNE LOCOMOTIVE DE L’ENTRE-DEUX-MERS
semble », souligne Pierre Lurton. Simplicité étant souvent gage de fiabilité, Pierre Lurton a évité
Il est vrai que les vins de Marjosse possèdent en eux tout le l’écueil que beaucoup pouvaient attendre de lui : appliquer à
potentiel pour combler le cœur des amateursdevinssansque Marjosse, de manière aveugle, les préceptes des Grands crus
cette exigence ne se départisse jamais d’une classés. C’est bien une voie différente que ce
buvabilité totalement assumée. En blanc Le domaine vigneron engagé a souhaité prendre. Un peu
comme en rouge, les vins sont chatoyants, en détail comme un récent voisin très célèbre, Jack Ma,
frais et alertes. Aucune trace de boisé vul- Appellations : Bordeaux, qui redonne son lustre identitaire au château
gaire, malgré l’utilisation, certes parcimo- Entre-deux-Mers et Vin de de Sours situé à Saint-Quentin-de-Baron, à
nieuse, de barriques. La densité est présente France pour les monocépages. quelques encablures de Marjosse. Une situa-
et la tension calcaire structure l’allonge. Les Surfaces : 12 ha de blancs et tion qui n’inquiète guère Pierre Lurton, au
vins de Marjosse portent en eux l’enthou- 18 ha de rouges. contraire : « Je me réjouis que des investisseurs
siasme bordelais à prix tendres. Le millé- Cépages : merlot, cabernet- comme Jack Ma arrivent ici, même si je n’ai pas for-
sime 2016, droit et ciselé, est commercialisé sauvignon, cabernet franc cément le dernier mot lorsqu’on se dispute quelques
autour de 9 euros chez les cavistes. Et même et malbec pour les rouges ; parcelles ».
à ce prix-là, la viticulture est engageante. Le sauvignon, sémillon et musca- En malicieux voisin, il ne peut s’empêcher
domaine a obtenu le label HVE3 (le plus haut delle pour les blancs. de citer son oncle et mentor, André Lurton :
niveau de certification environnementale) Âge des vignes : entre 10 et « Toute ma vie, j’ai essayé de faire de l’argent avec
en juillet 2019. 90 ans. un peu de vin et maintenant, il semble que les gens
Au chai, les blancs, après pressurage, sont Sols : argilo-calcaires avec fassent du vin avec de l’argent ». Il avoue que « la
vinifiés dans des cuves béton et mis en bou- un plateau calcaire à astéries région a besoin de locomotives. Nous devons être
teilles après quatre à cinq mois d’élevage. Les autour de la chartreuse. des locomotives. Je me dois de réussir et d’entraîner
rouges, eux aussi, sont vinifiés en cuves béton Viticulture : HVE3, juillet 2019. dans mon sillage d’autres personnes. J’ai beau-
en fonction de la parcelle et du cépage. Pas de Vinifications : éraflage, coup d’ambitions. Et je suis à l’orée, au moment
cofermentation pour se laisser la possibilité pressurage direct, fermenta- de ma retraite, de réaliser complètement ce rêve
d’isoler un lot et lui apporter une vinification tion en cuves béton, élevage en à Marjosse ». Cultiver son jardin secret, c’est
particulière. La fermentation malolactique partie en fûts pour les rouges, bien cela qui semble animer Pierre Lurton,
se déroule généralement aux alentours des en cuves béton pour les blancs. redonnant espoir à une région et s’inscrivant
mois de décembre et janvier, suivie par l’as- dans les traces familiales et vigneronnes.•
82 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
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 De vigne en cave
Une appellation, deux styles
Domaines Coche-Dury et
Michel Bouzereau et Fils
Meursault Perrières
en majesté
Au sommet de l’appellation Meursault,
ce fameux climat bourguignon est sublimé
par deux authentiques vignerons.
Texte et photos de Roberto Petronio
L
e climat des Perrières représente le nec plus ultra des
Premiers crus de Meursault. S’il n’a pas le titre de Grand
cru, il en possède l’étoffe et la complexité, tant par sa
puissance que par son air majestueux. Ce climat se divise en
deux secteurs : Les Perrières du dessous, le plus noble, qui dif-
fère des Perrières du dessus non pas tant par la nature de la
roche mère que par celle de son sol. Dans les deux cas, nous
sommes face à un vin d’exception. Le domaine Coche-Dury est
propriétaire de deux parcelles de vignes dans la partie haute
du climat. Depuis 2004, le domaine Michel Bouzereau et Fils
possède quant à lui une parcelle dans le haut et une dans le bas.
Raphaël Coche et Jean-Baptiste Bouzereau sont d’authen-
tiques vignerons, ils ont les pieds enracinés dans leurs vignes.
Leur présence active pourrait se résumer à cette phrase de
Raphaël Coche : « Nous devons être à tous les niveaux et à toutes
les étapes meilleurs que les gens qui collaborent avec nous pour leur
montrer la viticulture qualitative que nous tenons à impulser dans
nos domaines ». Et malgré leur différence de style, ces deux
domaines possèdent un socle identique : un niveau d’exigence
élevé qui propulse leurs vins au sommet de l’appellation.
DENSITÉ ET COMPLEXITÉ CHEZ COCHE-DURY
Producteur icône dont les blancs sont prisés par les amateurs
du monde entier, le domaine Coche-Dury est un référent
incontestable. À moins de 40 ans, Raphaël Coche a déjà le
corps meurtri par le dur labeur que nécessite le travail sans
relâche dans ses vignes. Arrivé en 1997 au domaine familial
avec son père, sous l’œil avisé de son grand-père, il le dirige
entièrement dès 2010.
Raphaël n’a cessé de faire progresser le domaine malgré son
haut niveau de notoriété. Il s’est imposé un retour au labour
systématique, mais aussi une diminution des rendements.
En cave, par des pressurages distincts de ceux que pratiquait
84 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
son père, il est allé chercher de la texture et des tanins dans ses
blancs. Ses élevages sur lies ne vont plus explorer cette réduc-
tion aux notes grillées si caractéristiques des vins du domaine.
D’une puissance redoutable, ses blancs ont gagné en densité,
en pureté et en complexité. Le revers de la médaille est qu’il
faut les attendre au moins quinze ans. C’est le prix à payer pour
savourer son Perrières qui, quel que soit le millésime, est un
vin de garde de très haute volée.
SOUPLESSE ET ÉPURE CHEZ BOUZEREAU
Moins célèbre que Coche-Dury, le domaine Michel Bouzereau
et Fils n’en produit pas moins des vins d’exception couronnés
par une troisième étoile dans notre Guide des meilleurs vins de
France 2020. Sensiblement plus âgé que Raphaël Coche, Jean-
Baptiste Bouzereau ne ménage pas non plus ses efforts pour
hisser son domaine au plus haut. Depuis son arrivée en 1990,
il a fait évoluer la production en douceur par un travail plus
pointu dans ses vignes. Aspirant à des vins profonds, il mise
sur les vendanges à pleine maturité, esquivant la tendance
des vins tendus. Pour abonder dans ce sens, il a allongé ses éle-
vages depuis 2002 et ajusté ses pressurages pour obtenir une
matière qui va chercher jusque dans la peau des raisins.
Si ses élevages ont un temps marqué ses vins, ceux-ci expri-
ment aujourd’hui mieux les nuances de leurs terroirs, dans
un style tout aussi généreux. Ils sont moins puissants mais
plus sereins et plus accessibles dans leur jeunesse que ceux du
domaine Coche-Dury. Des vins plus souples de prime abord
mais pas moins intenses et tout aussi complexes. Et sur les der-
niers millésimes, ils ont gagné en épure sans perdre en pro-
fondeur, à l’image de son magnifique Perrières.
Domaine Coche-Dury Domaine
Agriculture : conventionnelle Michel Bouzereau et Fils
Bouteilles : 45 000 Agriculture : conventionnelle
25, rue Charles-Giraud, Bouteilles : 65 000
21190 Meursault 5, rue Robert-Thénard,
Tél. : 03 80 21 24 12 21190 Meursault
Tél. : 03 80 21 20 74
Site : michelbouzereauetfils.com
 Raphaël Coche
(à g.) et Jean-Baptiste
Bouzereau. Ces deux
quadragénaires
ne ménagent pas
leurs efforts pour livrer
des meursaults
de très haute volée.

Meursault Perrières
en cinq millésimes
Millésime 2017
DOMAINE
COCHE-DURY
Finement boisé, avec
une note de pierre
qui prend l’ascen-
dant, il s’épure à l’air.
Son attaque charnue
contraste avec sa
puissance. Son
énergie minérale
s’étale et persiste en
finale. Il trouve son
équilibre entre une matière
tannique, des amers stimu-
lants et une acidité qui le por-
teront loin dans le temps.
DOMAINE MICHEL
BOUZEREAU ET FILS
Il embaume les épices
avec une légère touche
anisée et une sensa-
tion de poudre de
pierre plus que de
caillou. Pur, ciselé,
tendu, avec un mar-
queur salin très fort.
Plus doux et cré-
meux que le vin de
Coche-Dury, plus
nuancé, il affiche
une sérénité accrue malgré
une acidité prégnante.
Millésime 2016
DOMAINE COCHE-DURY  et stimule les sens avec force
Malgré une note d’ananas
frais, on a l’impression de
respirer deux cailloux que
l’on vient de frotter. Un vin
très sérieux, mais avec une
pointe de gourmandise.
Égal à lui-même, il impose
sa puissance tout autant que
sa vivacité, renforcé par cette
structure tannique, véritable
fil conducteur des vins de
Raphaël Coche.
De vigne en cave
Une appellation, deux styles
DOMAINE MICHEL
BOUZEREAU ET FILS
Un nez légèrement en retrait
malgré une pointe d’épices.
On retrouve son attaque
douce, mais avec un milieu
de bouche dense, plein et
un fruit généreux à souhait.
Il monte crescendo avec une
invariable sérénité. Le travail
des vins sur lies fait ressortir
une pointe de réduction de
bon aloi, avec l’épaisseur de
chair d’un fruit omniprésent.
Millésime 2010
DOMAINE COCHE-DURY
Son parfum combine une
fine note de noisette et une
rémanence sur un beau
végétal. Il prend une dimen-
sion racinaire, oubliant
son fruité juvénile. Sa puis-
sance tellurique traduit l’ex-
pression d’un terroir fort,
mais associé au puissant
style maison. Un vin rayon-
nant, salin, avec une acidité
tonique qui réveille les sens.
DOMAINE MICHEL
BOUZEREAU ET FILS
Gracieux, floral, tout en élé-
gance et doté de cette belle
enveloppe charnelle qui
n’entrave pas son caractère vif
et épuré. Il regorge d’énergie
par cette touche de poudre
de pierre évoquant sa roche
mère qui se délite.
Millésime 2006
DOMAINE COCHE-DURY
À la vendange, les raisins
tournaient rapidement, et
si les peaux étaient brunes,
les jus ne l’étaient pas. Il en
ressort un vin très frais aux
86 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
senteurs de menthe. Ce mil-
lésime sait se bonifier en bou-
teille. Musclé, le vin s’étire en
longueur, même s’il a gagné
en amabilité par une chair
bien présente. Avec une belle
fraîcheur en fil conducteur.
DOMAINE MICHEL
BOUZEREAU ET FILS
Plus sphérique dans sa forme,
avec des parfums guidés par
des notes d’épices. Plus gras
et nourrissant mais sapide, il
possède de la mâche. D’une
belle élégance aromatique,
avec une minéralité comme
englobée, voire dominée
par la pulpe du fruit, du fait
d’une vendange légèrement
tardive.
Millésime 2005
DOMAINE COCHE-DURY
De fines notes d’amande
grillée sont relayées par
la sensation de cailloux
chauffés au soleil. Après une
pluie bénéfique à la ven-
dange, il a fallu trier les raisins
qui ont mûri en deux jours.
Cela se traduit par une belle
puissance équilibrée par
une maturité optimale. Un
Perrières encore très loin de
son apogée. Magistral !
DOMAINE MICHEL
BOUZEREAU ET FILS
Il accuse une évolution sur
des notes tertiaires avec une
pointe de tilleul. Mais il se
ressaisit rapidement, allant
vers une touche de pample-
mousse et de beaux amers.
Le terroir reprend ses droits
avec une pointe mentholée,
voire d’iode et de coquillage.
Ce Perrières grandit indénia-
blement à l’air.
Regards croisés
Raphaël Coche
parle du
meursault
Perrières 2007
du domaine
Michel Bouzereau et Fils :
« J’aime son côté fleur de lys,
voire pollen. Je l’assimile
à du safran. Il y a beaucoup
d’élégance mais aussi de subtilité
dans ce vin. On a l’impression
d’un vin bien cadré. On a une
pointe de pivoine, mais aussi de
poivre. Le palais est bien pris, il y a
de la chair. Je croyais que les 2007
étaient plus fluets, ce n’est pas
du tout le cas ici. Il possède de
l’étoffe, mais avec un fruit précis ».
Jean-Baptiste
Bouzereau parle
du meursault
Perrières 2007
du domaine
Coche-Dury :
« C’est le premier millésime où j’ai
l’impression que tout est en place.
Car les vins demandent du temps.
La puissante acidité que l’on ressent
sur les millésimes plus jeunes
s’intègre totalement avec l’âge. Mais
la cohérence du style reste intacte.
Les vins de Raphaël ont besoin
de plus de temps que les miens pour
se livrer et pour se mettre en place.
Ils offrent du relief et une forte
dynamique ».
Conditions
de la dégustation
Les vins ont été dégustés au
domaine Michel Bouzereau et
Fils par Roberto Petronio pour
La Revue du vin de France,
Jean-Baptiste Bouzereau,
son épouse et sa fille pour
le domaine Michel Bouzereau
et Fils, ainsi que Raphaël Coche
du domaine Coche-Dury.
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 De vigne en cave
Les dessous du terroir

Côtes de Provence
Sainte-Victoire
Un souffle de fraîcheur
Cet écrin de fraîcheur don
des rosés d’une grande
finesse. Mais il est aussi à
l’origine de rouges et blan
équilibrés qui méritent to
leur place dans la région.
Par Sophie de Salettes

C
’est un coin de Provenc
s’abrite des chaleurs esti
derrière les collines. L’aire d
Côtes de Provence Sainte-Victoi
trouve à l’extrémité occidental
Côtes de Provence, dans le Haut b
de l’Arc. Cet amphithéâtre ouvert
l’ouest est délimité au nord par la
tagne Sainte-Victoire, précédée pa e
plateau du Cengle. Il est prolongé à l’est
par les collines boisées de Pourrières et
de Pourcieux. Et au sud, par les m
de l’Étoile, de Regagnas, de l’Olym
de l’Aurélien.
Marnes, calcaires sur argiles rougeâtres à lentilles gréseuses (Campanien)
UN PROFIL PLUS CONTINENTAL Calcaires avec intercalations marneuses et gréseuses (Santonien)
Le vignoble est installé dans un véritable Calcaires (Jurassique)
écrin aux sols assez profonds et au profil
plus continental que le reste des Côtes
de Provence ; il en résulte des vins au Mathieu Bessonnet profite des carac- tude, mais sans trop de vent pour que le stress
caractère plus frais. Le Mont Aurélien téristiques du terroir de la Sainte- hydrique reste limité. »
et le massif de la Sainte-Baume abritent Victoire pour aller vers toujours plus La fraîcheur du terroir se ressent éga-
en effet le secteur des influences régu- de fraîcheur et d’équilibre dans les vins. lement dans les vins rouges comme dans
latrices de la mer. Les températures « Les sols de ce terroir sont relativement pro- ceux d’Esquirol, issus des contreforts du
sont plus basses en hiver, à la fin de l’au- fonds et nous bénéficions de la fraîcheur liée Mont Aurélien, où la syrah (95 %) et le
tomne et au début du printemps. Les à l’altitude. Une fraîcheur importante pour cinsault à l’origine de la sélection par-
amplitudes thermiques et le mistral l’équilibre des vins, mais aussi parce qu’elle cellaire profitent de l’altitude et de l’ex-
(d’ouest/nord-ouest) sont plus mar- les fait tenir dans le temps, souligne le res- position au nord.
Cartographie : Alexandre Nicolas

qués. Les précipitations sont pour leur
part plus faibles : de 600 à 700 mm par
an en moyenne, avec un été sec, un pic
principal de précipitations en automne
et un secondaire au printemps ; contre
800 à 950 mm dans les zones centrale et
orientale des Côtes de Provence.
ponsable du développement extérieur
des Vignobles Chapoutier (domaine
des Ferrages). Le travail viticole est par
ailleurs adapté dans cette perspective.
« Par exemple, côté rosé, nous privilégions un
portretombantdelavignepourquelesraisins
restent à l’ombre. Nous cherchons aussi l’alti-
88 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
Au pied du Mont Aurélien, le vignoble
du château Grand Boise est sans doute le
plus froid de l’aire d’appellation. 43 hec-
tares de vignes répartis en 92 parcelles,
entre 300 et 640 m d’altitude (1). Saint-
Jean est la plus haute parcelle du versant
nord (500 m). « C’est un terroir très froid
 De vigne en cave
Côtes de Provence Sainte-Victoire
Photos : D. R.
L’AOP Côtes de Provence Sainte-Victoire concerne les communes de Châteauneuf-le-Rouge,
Meyreuil, Peynier, Puyloubier, Rousset, Le Tholonet, Trets, Pourcieux et Pourrières.
qui ne reçoit que six à sept heures
de soleil par jour fin septembre,
Cet écrin conviennent bien à la pro-
duction de vins rouges. Dans
note Jean Simonet, gérant du livre des d’autres secteurs, comme
château. Le grenache de Saint- vins au Camp Redon, les sols sont
Jean a donné du rosé les premières
années, mais en 2019, nous avons
caractère plus riches et plus propices
à produire des vins rosés ou
décidé d’en faire un rouge très frais, plus frais blancs. La capacité des sols
aromatique et poivré. » que le à retenir l’eau est un critère
reste des d’autant plus important que
LA GESTION DE L’EAU
Le paysage et les sols de l’AOP Côtes de la faiblesse des précipitations
“utiles” inquiète, dans un
sont liés à la structure géolo- Provence contexte climatique marqué
gique synclinale de la Haute par les sécheresses comme par
Vallée de l’Arc. Le vignoble est installé les épisodes de pluies violentes.
entre 170 et 500 mètres d’altitude, essen- Selon les caractéristiques des
tiellement sur les formations du Crétacé terres qu’ils travaillent, les vignerons
supérieur, du Paléogène et sur les col- cherchent les meilleures stratégies pour
luvions et alluvions qui les recouvrent s’adapter au risque de stress hydrique
localement (lire l’encadré sur les sols, de la vigne. Ainsi, l’équipe du château
ci-contre). Grand Boise a repris d’anciens terrasse-
Selon leur capacité de réserve ments afin de limiter la pente des par-
hydrique, les sols sont plus adaptés à la celles et de retenir la terre et l’eau. « La
production de vin rouge, rosé ou blanc. biodynamie aide aussi à maintenir les sols
Par exemple, à Esquirol, les sols riches en souples et à optimiser l’absorption de l’eau,
éclats calcaires, équilibrés et drainants explique Jean Simonet. Le matériel végétal
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 89
Les profils
AOP : Côtes de Provence Sainte-
Victoire en 2005 (rouges et rosés).
Neuf communes.
Rendement maximum : 50 hl/ha
(55 en AOP Côtes de Provence).
Surface classée et production :
2 900 ha en 2021. 652 ha revendi-
qués en 2019 pour 30 000 hl
produits, dont 95 % de rosé.
Les sols
La majorité des sols viennent de
formations détritiques lacustres
du Crétacé supérieur constituées
d’argiles et marnes rouges coupées
de lentilles de grès. Ils sont sablo-
limoneux. Certains secteurs pré-
sentent des sols sablonneux issus
de la décomposition des grès.
Sur les formations limono-argi-
leuses et gréseuses du Paléocène,
les sols sont sablo-limoneux avec
quelques passées argileuses pro-
fondes. La couverture caillouteuse
issue de la Sainte-Victoire et de
la partie est du Cengle est consti-
tuée de cailloux calcaires mêlés
à une matrice argilo-limoneuse.
Sur les versants du Mont Aurélien
(nord) et de l’Olympe, des dépôts
caillouteux calcaires similaires
recouvrent les formations du
Crétacé. Les dépôts les plus anciens
portent des sols caillouteux à
matrice limono-argileuse. Les plus
récentes des sols limono-argileux.
Les cépages
Grenache, syrah et cinsault repré-
sentent au minimum 80 % de l’en-
cépagement (contre 70 % en Côtes
de Provence), avec 50 % minimum
de grenache/syrah. Le cabernet-
sauvignon ne dépasse pas 10 % dans
les vins rouges. Dans l’aire Sainte-
Victoire, le grenache (+ 8 %),
la syrah (+ 4 %) et le cabernet-
sauvignon (+ 3 %) sont
plus présents que
dans l’AOP Côtes de
Provence. Le cinsault
est plus rare (- 7 %) ; le
mourvèdre, peu représenté,
préfère la bordure maritime.
 Guillaume Philip signe avec sa femme Virginie Fabre une large palette de vins du domaine des Diables et de la marque MIP (pour Made in Provence).
Le manque d’eau
touche d’autant plus
les vignes qu’elles sont
jeunes et plantées dans
des terres sableuses
estégalementunsujet:nousavonsplantéune
sélectionmassaledegrenachenoirissudusud
de l’Espagne, choisi pour sa grande résistance
à la sécheresse. » Ainsi, 90 % des vignes
du château Grand Boise sont cultivées
sans irrigation. Mais il est important
de noter que le rosé ne représente plus
aujourd’hui que 50 % de la production
du domaine…
S’ADAPTER AU RÉCHAUFFEMENT
Globalement, le manque d’eau oblige
de plus en plus souvent les vignerons de
la Sainte-Victoire à irriguer leurs vignes
(sur dérogation), surtout dans les zones
les plus sablonneuses de l’aire d’appel-
lation. Une irrigation techniquement
possibleaujourd’huisurenviron50%du
vignoble(majoritairementdanslapartie
Bouches-du-Rhône) et qui concerne
principalement les jeunes vignes.
« Compte tenu du dérèglement climatique, il
paraît de plus en plus indispensable d’être en
mesure d’irriguer ponctuellement les vignes.
Cela reste bien sûr dépendant du millésime
et soumis à autorisation, rappelle Jean-
Jacques Balikian, directeur de l’associa-
tion des vignerons de la Sainte-Victoire.
Cette situation tient aussi au fait que la pro-
duction de rosé représente la grande majorité
des volumes… »
De son côté, Guillaume Philip
(domaine des Diables) mise sur la
précision et ausculte ses vignes pour
répondre avec rigueur aux besoins
de chacune d’elles. En effet, selon la
richesse en argile des sols, la charge
caillouteuse, l’âge des vignes et l’étape
de son cycle végétatif, la plante a besoin
Jean Simonet dirige le château Grand Boise
depuis plus de sept ans.
90 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
d’apports différents en éléments nutri-
tifs et en eau.
Le manque d’eau est d’autant plus
difficile à gérer que les cépages ne sont
pas sudistes. C’est le cas au domaine des
Masques, un vignoble niché au pied de
la montagne Sainte-Victoire. « Malgré le
caractère frais du terroir de la Sainte-Victoire
et de notre terroir en particulier (les sols argi-
lo-calcaires du plateau du Cengle, à 500 m
d’altitude), le manque d’eau et la chaleur se
font de plus en plus sentir, s’inquiète le res-
ponsable du domaine Yannick Burles.
Jusqu’en 2003, on récoltait le chardonnay
mi-septembre. Puis la vendange a eu lieu en
août de plus en plus souvent. Auparavant,
les vins faisaient leur fermentation malo-
lactique en fûts. Aujourd’hui, on bloque la
“malo” et on diminue l’élevage sous bois pour
obtenir plus de fraîcheur et de finesse. » Pour
autant, le secteur de la Sainte-Victoire et
notamment les parcelles les plus hautes
se démarquent par leur caractère frais :
la maturation des raisins a lieu dix à
quinze jours plus tard que dans la partie
basse de l’aire et un mois plus tard qu’en
bord de mer !
SYRAH, CARIGNAN, VERMENTINO…
Le domaine des Masques cultive son
originalité. L’ancien propriétaire avait
choisi de planter du chardonnay sur
ces terres argilo-calcaires fraîches.
Puis du cabernet-sauvignon et de la
syrah. Les propriétaires actuels, Carl et
 De vigne en cave
Côtes de Provence Sainte-Victoire
Les vignerons Sophie Mestdagh,
réalisent un misent sur la
syrah, accom-
travail de fond pagnés par un
pour mettre talent du genre,
en valeur le vigneron Yves
la singularité Cuilleron, tombé
amoureux du
de leur terroir site. Chardonnay,
syrah, grenache,
viognier… « Le vermentino a aussi toute sa
place dans le domaine, il est d’ailleurs prévu
pour 2020, lance Yannick Burles. L’altitude
lui conférera de la fraîcheur et une palette aro-
matique loin de toute exubérance. La clairette
me semble aussi très intéressante. J’aimerais
également réintroduire le carignan blanc qui
était autrefois bien présent dans mon village,
Pourrières. »

VALORISER LES PARCELLES

La famille Sumeire (château Coussin)
aime aussi la diversité des cépages, sans
pour autant sortir du cadre de l’appel-
lation. Selon le millésime et la cuvée de
rosé (95 % de la production), le grenache
est assemblé avec plus ou moins de Olivier et sa sœur Sophie perpétuent l’histoire de la famille Sumeire, installée à Trets
depuis le XIIIe siècle et actrice du monde du vin depuis plus de 200 ans.
syrah, de cinsault ou même de tibouren.
Et selon la réponse des cépages au mil-
lésime, les cuvées César, taillées pour la depuis 1992, ils réalisent un véritable À déguster en priorité
garde, verront ou non le jour en rosé, travail de fond pour souligner la singu- Les rosés
blanc et rouge. Car l’objectif est bien de larité de leur terroir et le valoriser. « Nous Château des Ferrages : 2019
valoriser les meilleures parcelles de ce réfléchissons même à une caractérisation des Domaine des Diables : L’Hydropathe
terroir particulier. « Un terroir distingué terroirs et au classement futur de crus au sein Élite 2019
dès 2005 en tant que première dénomina- de l’appellation Sainte-Victoire », indique Domaine des Masques :
tion du terroir des Côtes de Provence, avec Jean-Jacques Balikian. Exception 2019, Émotion 2019
un cahier des charges plus restrictif (sélection Un travail de carac- Château Coussin : 2019
parcellaire, rendements moindres…) », rap- térisation des terroirs
pelle Olivier Sumeire, vigneron et pré- qui pourrait peut-être Les blancs
sident de l’association des vignerons de un jour mener à définir Château des Ferrages :
la Sainte-Victoire. des secteurs dédiés à la Les Infirmières 2018
Dès 2021, la délimitation parcellaire production de rosés, de Château Grand Boise : 2018,
en cours de finalisation classera en rouges ou de blancs… Cuvée 1610 2018
AOP Côtes de Provence Sainte-Victoire Domaine des Masques :
environ 70 % du territoire déjà classé AOP chardonnay Exception 2018
Côtes de Provence situé au sein des neuf (1) La partie la plus haute Domaine des Diables :
du domaine, tournée versle
communes qui forment le terroir de la sud est située hors de l’aire
MIP Classic 2019
Sainte-Victoire. Soit près de 2 900 hec- Sainte-Victoire.
tares. En outre, un travail est en cours (2) Pour faire une Les rouges
pour aller vers une reconnaissance des demande auprès de Château des Ferrages : Esquirol 2016
vins blancs dans les années à venir (2). l’Inao, il faut notam- Château Grand Boise : 2017,
ment qu’un volume Cuvée 1610 2017
AMBITION COLLECTIVE représentatif (5 000 hl Domaine des Masques :
par an) de vin blanc soit
Car les vignerons de la Sainte-Victoire produit sur les parcelles Syrahdictive 2016
sont organisés, dynamiques et ambi- identifiées en Côtes Château Coussin : 2018,
tieux. Rassemblés au sein de l’associa- de Provence Sainte- César à Sumeire 2015
tion des vignerons de la Sainte-Victoire Victoire.
91 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
 De vigne en cave
En toute intimité

Daniel
Alibrand
Le héraut
de Sauternes
L’ancien marin-pêcheur de Vendée a mis
le cap sur Sauternes, presque par hasard,
pour devenir l’un des porte-voix des vignerons
non classés. Un héraut de Sauternes,
intransigeant avec la notion d’excellence
et qui sait se faire entendre.
Par Jérôme Baudouin

M
illésime 1973. Une année pourrie, à Sauternes
comme ailleurs. « Je n’ai jamais rien goûté de bon de
mon année de naissance ! », lâche Daniel Alibrand
avec sa gouaille tourangelle caractéristique. Presque dépité.
Comme s’il regrettait de ne pas être né dans un millé-
sime mythique. Il hausse les épaules, arpente ses vignes du
domaine de l’Alliance, observe la moindre imperfection.
L’herbe qui repousse entre les rangs après la brève pluie
de début septembre. Tire une feuille d’un geste vif. Trie les
grappes qui viennent d’être vendangées. La récolte est belle.
Son blanc sec devrait être à son goût. À la fois plein et tendu.
« Il y aura du vin ! », clame-t-il. La quantité est là. Enfin ! Il faut
dire qu’après le gel de 2017 et la grêle de 2018, la situation
est critique. En deux millésimes, Daniel Alibrand a produit
l’équivalent d’une demi-récolte, comme la plupart de ses voi-
sins. « Au syndicat, entre vignerons, on se dit après chaque assem-
blée générale qu’on a touché le fond à Sauternes, et puis non, chaque
année, on creuse toujours. On va finir par trouver du pétrole », dit-il,
amusé de son bon mot.

UN SOMBRE TABLEAU
Pourtant, les galères de l’appellation, il connaît. Depuis
qu’il s’est installé, en 2005, sur la commune de Fargues, six
domaines ont mis la clé sous la porte : « Certains ont fait faillite,
Photos : J. Baudouin

d’autres sont partis à la retraite sans trouver de repreneur ». Le tableau

est sombre au pays du plus grand des liquoreux. De beaux ter-
roirs sont à vendre pour 20 000 euros l’hectare, à peine plus
cher qu’un hectare de bordeaux générique. « Des jeunes pour-
Convaincu que seule la qualité sauvera Sauternes, il a combattu le projet de création raient s’installer, mais il n’y a pas de perspectives économiques pour le
des Côtes de Sauternes, voué à écouler les productions bas de gamme de l’AOP. sauternes actuellement », analyse-t-il, fataliste.
92 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
 De vigne en cave
Daniel Alibrand

Il connaît la Malgré les difficultés, Daniel Alibrand Sauternes, il navigue vers la Gironde. Un temps, il pense s’ins-
petite musique reste exigeant avec son travail. Ses taller comme marin-pêcheur à Arcachon. « Je voulais être indé-
vignes, travaillées comme un jardin, pendant, vendre ma production. » Mais des vignes appartenant
des tempêtes, sont cultivées en bio. Son épouse Valérie à la mère et à l’oncle de Valérie sont à reprendre. Une belle
du froid, de la et lui y passent leur vie. Par tous les opportunité pour s’installer sur cette prestigieuse appella-
gîte incessante temps. Avec cette volonté d’excellence tion. C’est comme ça qu’en 2005, le couple crée le domaine de
chevillée au corps. Daniel n’hésite pas à l’Alliance, 6,5 hectares répartis sur la commune de Fargues.
se faire entendre au sein du syndicat viticole pour rappeler à Sans moyens mais avec la conviction de faire le meilleur vin,
chacun que seule la qualité fera sortir Sauternes du marasme ils s’accrochent à leur production comme des marins au bas-
qui l’envahit. En quelques années, il est devenu le porte-voix tingage. L’affaire tangue, mais ne coule jamais. Daniel éla-
des crus non classés, qui ont bien souvent du mal à se faire bore des sauternes digestes, longs, différents. Il parcourt la
entendre. Il faut dire que plus de la moitié de l’appellation est France entière pour proposer ses vins aux restaurants pres-
détenue à présent par des crus classés. tigieux. Presque quinze ans après, son
Son vin est à la carte de plus de 50 restaurants
Ses mots, ses idées sifflent comme des étoilés de France. Mieux que tous les crus classés ! sauternes est à la carte de plus de cin-
balles. Il pose son chapeau comme un quante restaurants étoilés de France, et
soldat son casque sur la tête. chez autant de cavistes haut de gamme.
Il est devenu l’une des figures mon- Aucun cru classé ne peut se targuer
tantes de l’appellation. Tant pour ses d’être présent sur autant de belles tables
vins que pour les idées qu’il défend. hexagonales.
S’opposant ouvertement à Xavier
Planty, qui, récemment encore, était UN BLANC SEC CONVAINCANT
l’influent président de l’AOP et copro- Sa dernière cuvée –  son nouveau
priétaire du château Guiraud. Mais combat – a déjà fait mouche malgré la
se rangeant à ses côtés lorsqu’il s’agit faible production. “Déclinaison” est
de dénoncer les vignes hybrides un blanc sec élaboré à partir de raisins
résistantes. Pourfendant le projet de botrytisés. Un nez de liquoreux et une
sous-catégorie de Sauternes (AOP bouche de vin sec. Son profil, radicale-
Côtes de Sauternes), voué à écouler les ment différent des blancs secs de graves
productions bas de gamme de l’AOP, élaborés par les autres domaines de
ou le manque de solidarité dans ce Sauternes, séduit sommeliers et chefs
vignoble en crise. Le franc-parler de cuisiniers. C’est d’ailleurs le coup de
Daniel Alibrand en a décoiffé plus d’un. cœur de Roberto Petronio au domaine
Surtout dans le milieu très feutré des crus dans notre Guide des meilleurs vins de France
classés de Bordeaux, où l’on n’a pas l’habitude de voir un éner- 2020, avec la note de 17,5/20. « Ce beau vin de gastronomie montre
gumène montrer les poings lorsqu’une injustice est flagrante. la voie et le potentiel du terroir de Fargues pour élaborer des blancs
secs », note le dégustateur. Mais en raison de sa méthode d’éla-
LE VENT DU DESTIN boration, il est vendu en simple vin de France. « Notre identité
Le vigneron n’en est pas à son premier combat. Dans une autre à Sauternes, c’est le botrytis, pas le sucre. C’est ce qui nous singularise
vie, marin-pêcheur à Saint-Gilles-Croix-de-Vie et aux Sables- parmi tous les liquoreux du monde, alors pourquoi ne produit-on pas
d’Olonne, il a vécu les grandes manifestations de pêcheurs à un blanc sec à partir de raisins botrytisés ? Il porte en lui l’identité de
Rennes en 1994. La fin de la pêche au thon germon. Bosco sur Sauternes. Moi, j’y crois », affirme-t-il comme pour mieux être
des chalutiers en Atlantique-nord pour des campagnes de plu- entendu. Mais nul n’est prophète en son pays. Quoique… si,
sieurs semaines, il connaît la petite musique des tempêtes, du pour une fois, le Tourangeau inspirait ses voisins.•
froid, du vent du nord qui bastonne sur le pont, givre les drisses
et coupe les doigts frigorifiés. De la gîte incessante quand on
vide les filets. De l’équilibre précaire sur le pont et dans cette Le domaine de l’Alliance en détail
vie de marin, ponctuée par des escales éphémères. De l’acci- Surface : 8,7 ha de blanc. 78 % de sémillon, 21 % de sauvignon
dent qui vous retourne une vie, comme son bras gauche, en blanc et 1 % de muscadelle. Le vignoble s’étend sur les différentes
1995, en versant des poissons dans la cale. Un pas précipité, croupes argilo-graveleuses de Fargues. Les vignes du domaine
la perte de l’équilibre, le bras emporté avec les poissons. 360° jouxtent celles des châteaux de Fargues et Rieussec.
autour de l’épaule. Le rapatriement en urgence. Opération. Les cuvées : le domaine en produit quatre. Le grand vin
Rééducation pendant un an. Une vie de marin qui s’achève en se nomme Domaine de l’Alliance. Le second vin, Esquisse, est
un tour de main. Et le monde du vin qui le cueille au passage. un sauternes plus léger et vif, commercialisé très tôt. La cuvée
« J’avais une copine, son père était vigneron à Vouvray. J’ai com- Définition est un bordeaux blanc sec. Enfin, Déclinaison est
mencé à travailler à la vigne comme ça et j’ai tout de suite aimé », un blanc sec élaboré à partir de raisins botrytisés.
raconte-t-il. Mais le vent du destin en décide autrement. Il Production moyenne : 18 000 bouteilles/an.
va devoir patienter. En rencontrant Valérie, originaire de
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 93

51 rosés qui jouent
dans la cour des grands
Appelez-les comme vous vous voudrez :
rosés de garde, rosés de terroir ou rosés
de gastronomie… Une chose est sûre :
les grands vins rosés existent. Nous avons
fait un tour de France pour vous le prouver.
Une dégustation de Karine Valentin
F
ace aux rosés de consommation rapide qui sont une
aubaine pour certains vignerons, une nouvelle ten-
dance se dessine, s’enracine depuis quelques années
avec des cuvées profondes et colorées que beaucoupqualifient
de garde, de terroir ou de gastronomie.
Une tendance que l’on observe aussi bien enFrancequehors
de nos frontières. Les Anglais, par exemple, réclamentdeplus
en plus ces rosés à la robe au ton prononcé, voire orangé. Ils
en raffolent. Normal, me direz-vous, pour ceux qui ont jadis
inventé le clairet de Bordeaux. Ce “demi-rouge”adepuiscédé
la place à des bordeaux plus pâles qui tentent d’imitercertains
rosés provençaux à l’improbable couleur diaphane.
C’est pourtant sur l’arc méditerranéen riche en cépages
autochtones (grenache, tibouren, cinsault, mourvèdre,
syrah…) que la notion de grands rosés trouve toute son
essence. Prenez le Clos Cibonne de la famille Deforges, en
Côtes de Provence. Parangon du rosé de garde, il impose le
94 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
Loin des standards
des vins technologiques,
les rosés de Provence,
du Languedoc mais aussi
de Loire et de Champagne
séduisent de plus en plus
les amateurs de grands vins.
tibouren et son caractère inimitable (lire également La RVF
n° 640, avril 2020). Le Languedoc, les Corbières en particu-
lier,etleRoussillondisposentaussideconditionsidéalespour
élaborerderemarquablesvinsdontlacouleurn’estplusiciun
sujet. Rosé clair, orangé ou pelure d’oignon… qu’importe !
Légèrement tanniques, épicés ou boisés, ils sont adoubés par
les amateurs en quête de sensations.
LA PATINE DU TEMPS LEUR VA SI BIEN
Et le vignoble français tout entier se laisse désormais gagner
par cette envie. Du sud au nord, les terroirs à rosés sont iden-
tifiés, les raisins conduits pour élaborer de magnifiques vins
qui se révèlent avec le temps. Au bout d’une année, de cinq
ans, de dix ans voire davantage encore, ces rosés deviennent
mordorés, s’oxydent légèrement, ce qui leur réussit plutôt
bien, à l’instar de la cuvée L’Irréductible 2004 du domaine de
La Bégude, à Bandol. Ailleurs, dans le Sud-Ouest ou dans la
Vallée de la Loire, quelques cépages (braucol, duras, négrette,
abouriou, pineau-d’aunis, grolleau…) confèrent à ces vins un
tempérament original.
Enfin, une fois n’est pas coutume, saluons ici certains effets
bénéfiques du réchauffement climatique qui, sur les grands
terroirsseptentrionaux,permettentauxraisinsdejouird’une
maturitéoptimaleetdedonnernaissanceàdesroséscapables
Shutterstock
de s’imposer sur les plus belles tables, à l’image des trop rares
et radieux rosés des Riceys, en Champagne.

LA PROVENCE
Les mourvèdres de
Bandol livrent les meil-
leurs rosés de garde de la
région. Ils sont talonnés
par quelques cuvées
dont les vinifications
préservent le terroir.
18/20
DOMAINE HAUVETTE
Les Baux-de-Provence
Petra 2018
La couleur d’un rosé de
Provence est un faux pro-
blème. Qu’importe qu’il soit
pâle ou soutenu, l’essentiel
est la lumière qu’il dégage,
tout autant que la race du
jus qui l’accompagne. Chez
Dominique Hauvette, le rosé
est un vin d’envergure, simple
et frais, habillé d’une finesse
exquise. On y retrouve toute
l’élégance du cinsault. Ce divin
rosé se révèle après un an de
bouteille. 23 €
17/20
CLOS CIBONNE
Côtes de Provence
Cuvée Prestige Caroline 2017
Intense et complexe, doté
d’une précision délicate et
d’une belle densité, ample
et bien structuré, ce rosé est
une véritable gourmandise.
Un idéal de tibouren, un
cépage ancestral que la famille
Deforges n’a jamais délaissé.
Elle en tire aujourd’hui l’un
des rosés les plus originaux de
France. Il se goûte comme un
vieux champagne sur ses notes
grillées de réduction. 22 €
17/20
DOMAINE
DE TERREBRUNE
Bandol 2016
La finesse d’un grand rosé
détermine sa capacité à vieillir.
Avec Terrebrune, on est servi
par l’élégante harmonie
d’une bouche aussi ardente
que séduisante où la pureté
Vin biologique
De vigne en cave
Grands rosés de France
Domaine de la Bégude, 17/20 16/20
Bandol DOMAINE GAVOTY
Côtes de Provence
« Un bon rosé est un rosé Clarendon 2018
qui vieillit bien ! » Ce rosé fumé, puissant et
intense dévoile de gourmandes
saveurs de fruits rouges. Nous
aimons son profil racé et
complexe, sa finale aux amers
tendres sur la pâte de coing,
capable d’évolution. 15,70 €
16/20
DOMAINE LES BÉATES
Coteaux d’Aix-en-Provence
Vieille vigne Terra d’Or 2012
Son fruit toujours intense
est un pur délice. D’une belle
ossature, d’une mâche déli-
cate, sa bouche est parfumée
d’arômes de fruits rouges nets
et frais et d’une touche de rose.
La complexité dans la douceur,
en quelque sorte. 30 €
16/20
DOMAINE TEMPIER
D. R.
Goûtez à L’Irréductible de Soledad et Guillaume Tari, elle vous étonnera. Bandol 2018
Le millésime 2018 n’est pas
S ouvent refusée à l’agrément, la cuvée L’Irréductible affiche
l’ampleur des grandes bouteilles, de celles qui se débouchent
pour faire la nique à tous ceux qui pensent qu’il n’y a de bon
d’une ampleur remarquable
mais il a engendré des rosés
d’une grande finesse, capables
rosé que celui de l’année. Car pour Guillaume Tari, « un bon vin de vieillir à Bandol. À condi-
est un vin qui vieillit », qu’il soit rouge ou rosé. Il est vrai que tion toutefois de dépasser les
le mourvèdre et son terroir en altitude sont propices 50 % de mourvèdre dans les
à l’élaboration de ce type de rosé. Le millésime 2004 livre assemblages. Encore timide,
une matière lumineuse, énergique, avec des tanins ramassés le nez fait place à une bouche
derrière un fruit confit et une ceinture iodée. 56 € d’une vigueur inattendue pour
l’année et d’une puissance
domptée par un léger élevage
du mourvèdre se précise dans résonne dans une note légère- en barriques. 22 €
un éclat final assez magistral. ment tannique. Belle garde
Le domaine imprime dans en perspective, à l’image 16/20
son rosé la qualité singulière du grand millésime 2011. 16 € LA BASTIDE BLANCHE
de son terroir. 21 € Bandol 2016
16/20 Les rosés de La Bastide Blanche
16/20 CHÂTEAU SIMONE s’expriment toujours sur
CHÂTEAU PRADEAUX Palette 2018 la générosité. L’association
Bandol 2018 Le rosé de Simone brille d’un mourvèdre/cinsault/grenache
Avec ses 75 % de mourvèdre, éclat précieux. Tout dans ce assaisonnée d’une lichette de
le rosé de Pradeaux plante vin respire encore la jeunesse : clairette apporte ici une belle
le décor. Son tempérament l’ampleur du nez au fruit complexité à l’ensemble. Sa
sudiste se révèle en bouche remarquable, la structure aux matière soyeuse, ciselée par
avec une structure à la touche tanins rebondis, la largeur une tension iodée particulière
iodée et aux parfums de zestes de la bouche et la richesse de la signe un rosé sous influence
d’orange confite et d’épices finale. Le voilà parti pour une maritime. Vous pouvez le
douces. La finale vibrante dizaine d’années de garde. 28 € garder cinq à six ans. 15,50 €
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 95
Vin en cours de conversion à la biodynamie Vin biodynamique

15,5/20
CHÂTEAU
LA ROUVIÈRE
Bandol 2018
La famille Bunan a su tirer parti
d’un millésime 2018 en demi-
teinte pour produire un rosé
tactile, au grain délicat, issu
de mourvèdre pour moitié et
de cinsault et grenache pour
l’autre. La belle propriété
du Castellet signe ainsi un vin
d’évolution moyenne, déjà
intéressant par la salinité de sa
finale. 18,50 €
15,5/20
DOMAINE
LES BASTIDES
Coteaux d’Aix-en-Provence
Rosé Saignée 2017
Le rosé de saignée de Carole
Salen puise sa fraîcheur dans
le terroir du Puy-Sainte-
Réparade. Le grenache et
le cinsault macérés plusieurs
heures puis fermentés
en levures indigènes commu-
niquent leur complexité au jus
pulpeux et épicé. Ce 2017
développe des trésors de
complexité et prendra avec
l’âge plus d’étoffe encore. 10 €
Avec ce 2018,
le château
La Rouvière
a signé
un délicat
bandol rosé.
De vigne en cave
Grands rosés de France
15/20
CHÂTEAU
BARBEYROLLES
Côtes de Provence
Pétale de Rose 2018
En introduisant dans sa cave un
pressoir à vis, Régine Sumeire
fut la première à extraire en
douceur des rosés de couleur
pastel dont la Provence a du
mal aujourd’hui à se défaire.
La couleur a dépassé la vigne-
ronne dont les rosés vont dans
le sens du fruit et de la préci-
sion. Des vins de gastronomie
que l’on juge à la pulpe de leur
fruit et aux amers délicieux.
39 € (magnum)
15/20
CHÂTEAU DE PIBARNON
Bandol 2018
Ce rosé puise sa personnalité à
la fois dans les calcaires de son
Mas de Cadenet, 15/20
Côtes de Provence Sainte-Victoire
Pionnier du rosé de terroir
sol et dans l’air marin.
La structure du mourvèdre
complexifie la puissance
épicée typique de Pibarnon.
Droit dans son millésime,
ce rosé équilibré possède
la gourmandise de la jeunesse
et la profondeur nécessaire
pour bien vieillir. 21 €
15/20
CLOS DU CAS
Bandol 2011
Il fallait bien un magnum pour
laisser au mourvèdre (90 %)
tout le loisir de s’exprimer.
Nez de bergamote, à la pointe
torréfiée, presque pralinée ;
bouche à la matière d’une
richesse particulière, à la finale
charnue. Arrivé à maturité, ce
vin est un modèle de l’expres-
sion jubilatoire du mourvèdre
dans les rosés. 35 € (magnum)
15/20
CLOS DE L’OURS
Côtes de Provence L’Accent 2018
L’équilibre tendu, la délicatesse
et la dimension profonde de
ce rosé laissent entrevoir une
structure capable de rester
frais pendant plusieurs mois.
Les touches zestées en finale
relèvent la fraîcheur et en
rajoutent sur son harmonieuse
personnalité. 16 €
15/20
DOMAINE
DE LA MONGESTINE
Coteaux varois en Provence
M 2019
Sa couleur pâle donnerait
plutôt envie de l’ouvrir dès cet
été… Mais la profondeur de
sa structure et le velouté de sa
texture incitent à le garder.
Vinifié comme un blanc, en
amphores, sans soufre, à partir
de grenache et de cinsault, il
pourrait bien vous surprendre
d’ici un ou deux ans. 14,40 €
15/20
DOMAINE
LA RÉALTIÈRE
Coteaux d’Aix-en-Provence
Cante Gau 2018
On connaissait les rouges très
frais de La Réaltière, et voilà
que l’on découvre ses rosés
salins et taillés pour la garde.
D’une grande fraîcheur, le
rosé Cante Gau est vinifié sans
aucun artifice. Son jus au fruit
jovial est pourvu d’une belle
énergie. 17 €

15/20
DOMAINE LA SUFFRÈNE
Bandol Sainte Catherine 2016
D. R.

Le rosé de Guy, Maud et Matthieu Négrel a conquis les chefs provençaux.

Une paire de raisins vertueux :
le mourvèdre et le carignan

E n 1989, Guy Négrel, alors président du Comité interprofes-

sionnel des vins de Provence, avait déjà dans l’idée de créer
un rosé de terroir alors que cette couleur n’en était qu’à ses
coiffent l’assemblage de Sainte
Catherine. La puissance du
rosé installe son parfum épicé
balbutiements. À l’époque, il vinifiait son rosé comme un blanc et ses notes florales sur une
et fut le premier à l’élever sous bois. Ses enfants Maud et Matthieu densité savoureuse. Encore
maintiennent ce cap avec brio. Leur rosé séduit les chefs fraîche et juvénile mais ambi-
T. Legay

provençaux depuis longtemps. Le 2013 se livre sur une tension tieuse, cette cuvée peut vieillir
fine et un volume complexe. 22 € quelques années. 25 €
96 - LA RVF N° 641 - MAI 2020

15/20
DOMAINE LES TERRES
PROMISES
Coteaux varois en Provence
L’Apostrophe 2019
Pulpeux, jovial et élégant… On
pourrait ajouter intelligent,
affable et précis. Tel est le rosé
de Jean-Christophe Comor.
Depuis son arrivée dans le Var,
ce dernier produit des vins
complets : gourmands jeunes,
puissants avec l’âge. 13 €
15/20
DOMAINE RAY-JANE
Bandol 2017
D’une intensité remarquable,
le nez évoque un grand blanc
de blancs de Champagne.
Puis la bouche se cale sur des
saveurs de fruits bien mûrs, de
zestes d’agrumes et un tanin
granuleux. La finale se montre
plus confite, tout en restant
croquante. 13,20 €
15/20
DOMAINES OTT
Château Romassan
Bandol 2018
On peut être très pâle et très
puissant. La couleur de ce rosé
se rapproche de celle d’un
blanc, c’est ce qui détermine
également sa nature, avec une
belle présence du mourvèdre
(52 %). Agréable dès mainte-
nant avec son fruit léger et sa
douceur héritée d’un élevage
de trois mois en foudres, il
arbore aussi la structure indis-
pensable pour vieillir. 23,60 €
15/20
MYRKO TÉPUS
IGP Coteaux du Verdon 2018
Myrko Tépus et sa compagne
Marianne Conan sont parmi
les derniers vignerons installés
en Provence. Après avoir goûté
ailleurs, Myrko s’est fait une
idée précise du vin qu’il voulait
produire sur son terroir froid
situé au nord du Var. Issu de
grenache et cinsault, son rosé
élevé en cuves béton et nourri
De vigne en cave
Grands rosés de France
de ses lies possède profondeur
et précision, atouts majeurs
des grands vins. 15,50 €
14,5/20
CHÂTEAU D’OLLIÈRES
Coteaux varois en Provence
Prestige 2018
Ce rosé de table affiche une
pureté plus que louable. En
bouche, le fruit est exotique,
la matière tendre et franche,
la finale épicée. Il gagnera en
amplitude dans les prochains
mois. 13,30 €
14,5/20
MAS DE LA DAME
Les Baux-de-Provence
Bois de Rose 2017
Les rosés boisés se multiplient
ces dernières années. Les meil-
leurs vignerons qui vinifient
leur rosé comme un grand
blanc utilisent la barrique avec
intelligence. C’est le cas pour
cette cuvée dans laquelle le
mourvèdre élevé dans le bois
apporte une profondeur et un
toucher de bouche caractéris-
tiques. 13,40 €
14/20
CHÂTEAU
VIGNELAURE
Coteaux d’Aix-en-Provence
2018
Une petite pointe de cuir et
une belle tension signent ce
rosé à la matière riche, puis-
sante et veloutée, au grain de
tanin tourné vers les épices. Le
volume complexe n’empêche
pas le vin d’évoluer vers la fraî-
cheur, le terroir de Vignelaure
s’y prête. La belle concentra-
tion, les arômes de fruits mûrs
laissent envisager une garde
d’une dizaine d’années pour ce
rosé qui intègre une pointe de
cabernet. 16,50 €
14/20
DOMAINE SAINT ANDRIEU
Côtes de Provence
Lily Rose 2016
La famille Cordier-Bignon
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 97
Les coordonnées des domaines en page 140
(château Talbot à Saint-Julien)
a investi dans cette vaste
propriété. Issu du pressurage
direct de mourvèdre à 90 %,
le rosé est ensuite logé en
barriques sur lies fines. Le bois
marque le vin dont les ron-
deurs fruitées exposent dans
le même temps des saveurs
boisées. 38 €
14/20
FIGUIÈRE
Côtes de Provence
Pionnière 2018
Léger et fluide, le vin monte en
puissance dans le verre. Une
touche d’amertume souligne
la finale. Rondeur, vivacité et
tension… il réclame quelques
mois pour prendre les belles
rondeurs des rosés mûrs qui
vieillissent avec la même grâce
que les blancs. 40 €
13,5/20
CHÂTEAU DE BEAUPRÉ
Coteaux d’Aix-en-Provence
Collection du Château 2014
D’une douce évolution, le rosé
générique est croquant et
affiche un profil qui rappelle
celui des vins andalous. La
cuvée Collection du Château
offre un autre profil, sur la
densité et la fraîcheur. 29 €
LELANGUEDOCET
LE ROUSSILLON
Même très pâles, certains
rosés offrent une profon-
deur similaire à celle des
plus beaux blancs de ces
deux vignobles.
17/20
DOMAINE
LE ROC DES ANGES
Côtes du Roussillon
Les Vignes Métissées 2019
Ne vous fiez pas à la pâleur du
rosé de Marjorie Galet. Vinifié
comme un blanc, d’une pro-
fondeur dynamique qui laisse
présager une garde de plu-
sieurs années (entre cinq et dix
Vinifié comme
un blanc, ce
“must” du Roc
des Anges
se gardera cinq
à dix ans !
D. R.
ans), ce vin est un must à base
de grenache, carignan,
macabeu, muscat et cinsault.
22,50 €
16/20
MAXIME MAGNON
Corbières Métisse 2018
L’originalité de ce vin tient
dans la macération de cinsault,
grenache et lledoner pelut.
Il en résulte un rosé un rien
frondeur mais qui en milieu
de bouche s’installe conforta-
blement sur un fruit tonique et
moelleux à la fois. Encore trois
ou quatre ans de garde. 16 €
15/20
AMISTAT
Vin de France Tatsima Gris
Rosé de macération issu
de grenache gris et de macabeu
en vendange entière, ce vin
se goûte sur les amers.
Original et sauvage, il est
vibrant d’énergie. On dirait
l’Andalousie. 22 €
15/20
DOMAINE D’AUPILHAC
Coteaux du Languedoc
Lou Maset 2019
Avec leurs vins d’une grande

pureté, Sylvain et Désirée Fadat
ont marqué toute une géné-
ration de vignerons langue-
dociens. Leur rosé qui a fait sa
“malo” ne déroge pas à la règle.
Ce vin offre un jus radieux,
solaire et intense sur un fruit
rouge croquant. Garde de
quatre à cinq ans. 12,60 €
14,5/20
CHÂTEAU
CLAUD BELLEVUE
Languedoc Saint-Georges-
d’Orques La Galante 2018
Syrahs et grenaches apportent
une sucrosité radieuse
à ce rosé qui tire de son terroir
une matière tannique à la
finale légèrement zestée et une
tension matinée de salinité.
Deux ans de garde. 8 €
D. R.
14/20
DOMAINE HENRY
Languedoc Saint-Georges-
«CeStéphanie
d’Orques Vin Vermeil 2018
Magnifique avec ses reflets
dorés et original, ce rosé offre
un jus croquant de cerise et de
menthe. Le grain presque tan-
nique donne tout son caractère
à ce rosé. À boire sur deux ans.
18 €
La Moussière
est un
audacieux rosé
de pinot noir
au plus près
du fruit.
D. R.
De vigne en cave
Grands rosés de France
Château Lassolle, 16/20 LA CHAMPAGNE
Côtes du Marmandais Le vignoble des Riceys est
Un abouriou éclatant l’un des plus grands ter-
roirs de rosés de garde.
17/20
OLIVIER HORIOT
Rosé des Riceys
En Valingrain 2015
Concentration, couleur, préci-
sion, éclat du fruit… Ce rosé est
parfait. Son jus puise sa tonicité
et sa minéralité dans le calcaire
du terroir des Riceys. Olivier
Horiot, vigneron talentueux et
expert en rosé, fait vieillir son
vin un an en petits contenants
puis six mois en cuves avant sa
commercialisation. 33 €
LE SUD-OUEST
Stéphanie Roussel a réussi à insuffler une vigueur particulière à son rosé.
Les terroirs mais aussi
n’est pas un rosé, mais un rouge de pressurage », lance
Roussel à propos de son vin. Vigneronne à
une kyrielle de cépages
d’une formidable ori-
Marmande depuis 2002, elle est parvenue à donner une vigueur ginalité caractérisent
particulière à son rosé issu d’abouriou, dont une partie est les rosés de cette vaste
pressurée et l’autre ajoutée en grappes entières dans la cuve. région.
Le vin est ensuite laissé neuf mois en jarres. Éclatant d’énergie,
ce rosé interpelle autant qu’il séduit. 11 € 16/20
CHÂTEAU DE BEL
Bordeaux 2018
LA VALLÉE 16/20 Ce merlot sanguin est élevé
DE LA LOIRE ALPHONSE MELLOT dix-huit mois sur lies. Sa géné-
Sancerre La Moussière 2018 rosité se lit d’abord dans sa
Les rosés ligériens pré- Pensé pour faire du rosé, robe à la couleur mordorée,
sentent des profils tota- ce pinot noir est planté sur lumineuse. Puis en bouche où
lement inattendus qui un terroir à blancs. Audacieux, il tire de ses saveurs d’épices
défient les rosés sudistes, longiligne et vibrant, ce san- douces un tempérament
le réchauffement clima- cerre est vinifié en pressurage exotique et de sa pointe légè-
tique n’y est pas étranger. direct, au plus près du fruit. rement oxydative un charme
Son éclat est ensuite préservé presque effronté. La finale est
16/20 dans une cuve ovoïde. N. C. une caresse de merlot et le prix
DOMAINE d’une douceur exquise. 10 €
DE BELLIVIÈRE 15/20
Vin de France LA MADONE 15/20
Aurore d’Automne Côtes du Forez DOMAINE LE ROC
Ce rosé moelleux issu de Gamay sur Volcan 2018 Fronton Ninette 2019
pineau-d’aunis récolté tard Son nez floral lui confère toute La négrette, cépage original
dans l’année, il a le verbe haut son originalité. Croquant de de Fronton, insuffle aux rosés
et l’épice mûre. Quant au fruit, minéralité, il livre une struc- de l’appellation un élan peu
il se montre flatteur et cour- ture à peine granuleuse sur ordinaire. Elle colore les vins
tois en milieu de bouche, plus un fruit rouge enhardi par la d’une touche de rose intense
acidulé en finale. C’est une puissance des sols volcanique et leur apporte une dimension
curiosité dont il reste quelques et granitique. Un gamay à la à la fois fruitée et florale. Plus
bouteilles au domaine. 50 € puissance jubilatoire. 12 € complexe que d’ordinaire, la
98 - LA RVF N° 641 - MAI 2020

texture de cette Ninette est
forgée par une matière cou-
lante, suave et dotée d’une fraî-
cheur indispensable à tout rosé
respectable. 7,50 €
LA CORSE
Des vins affranchis de
toute mode, droits dans
leur costume deux-pièces
composé d’un raisin ori-
ginal et d’un climat à part.
16/20
DOMAINE ABBATUCCI
IGP Valle di Nero 2015
Le cépage carcajolo nero
donne naissance à un rosé
singulier. Issus des arènes gra-
nitiques du terroir du sud de
De vigne en cave
Grands rosés de France
tion consacrée aux rosés
de terroir de ne pas évoquer
ce tavel, parangon du rosé qui
vieillit merveilleusement. Il
unit la fluidité d’une matière
unique et l’équilibre géné-
reux et vibrant d’un grenache
épuré. Le terroir est bien mis
en avant grâce à la viticulture
biodynamique et l’élevage en
bois est tout à la gloire de ce
rosé profond. Impossible de lui
résister. Env. 30 € (cavistes)
16/20
DOMAINE
DES CARABINIERS
Tavel 2018
Ce 2018 sait allier le croquant
d’un fruit tendre et mûr à la
profonde densité des gre- Le tavel
de L’Anglore : un
naches de Tavel. Le tout est
incontournable
animé par l’énergique tonicité en matière
des vins issus de la viticulture de rosés de terroir.
biodynamique. Ce tavel est
doté d’un tanin courtois à la
fois riche et plein. 12,60 €
15/20
SCAMANDRE
IGP Gard Le Rosé 2015
De très vieilles vignes de gre-
nache produisent ce rosé élevé
quelques mois en barriques.
Le soin apporté donne de la
cohérence et du volume à
cette cuvée à la texture suave.
Le fruit exotique se mâtine de

l’île et cultivés en biodynamie,
les raisins sont pressés directe-
ment pour produire ce rosé qui
sera ensuite élevé six mois. À la
dégustation, tous les repères
sont faussés tant ce vin nous
emmène ailleurs. Parfums de
maquis, puissance, vinosité et
fraîcheur : un pur délice ! 25 €
15/20
E CROCE - YVES LECCIA
Patrimonio 2018
Avec les 10 % de nielluccio
de son assemblage, la cuvée
E Croce livre quelques parfums
accrocheurs d’épices. Ce vin
grandit en bouteille, il prend
alors de la densité et développe
de savoureuses notes d’épices
et de garrigue. 14 €
D. R.
Domaine de la Mordorée, 16/20
Tavel Reine des Bois 2018
Un tavel savoureux touches mentholées. Tout
ce que l’on attend d’un rosé
de gastronomie. 25 €
14/20
DOMAINE MABY
Tavel Libiamo 2018
Les épices, la puissance, une
belle tension, un volume rare
construit sur une finale sail-
lante : ce tavel oscille entre
l’ampleur de la bouche et la
trame acérée d’une finale
précise où perce encore une
pointe de bois. Il se juge sur sa
personnalité et sa capacité de
garde d’une dizaine d’années.
19,50 €

LA VALLÉE 14/20
DU RHÔNE DOMAINE
DES MARAVILHAS
C’est à Tavel que l’on Lirac Pradau 2015
trouve le plus grand Lirac et Tavel mènent le même
D. R.

nombre de rosés proches Madeleine (à g.) et Ambre Delorme perpétuent la qualité de leur rosé. combat pour la reconnaissance
de leur terroir. Une mine de leur identité forte au sein
de rosés de gastronomie.

18/20
C hristophe Delorme, disparu en juin 2015, a légué à sa femme
Madeleine et à sa fille Ambre 60 hectares de vignes bio qui
passeront sous peu en biodynamie. Ici, l’objectif a toujours été de
des crus rodhaniens. Les vins
sont à un niveau parfait et les
prix restent abordables. Ce
DOMAINE placer l’identité du terroir de Tavel au centre du vin. Fortes de ce rosé sent l’amande avec des
DE L’ANGLORE double héritage, mère et fille ont maintenu la Mordorée parmi touches de xérès. Il affiche une
Tavel 2018 l’élite des domaines de l’appellation. Leur savoureux 2018, confit tension nette et séduit par son
Impossible dans une dégusta- dans sa pointe citronnée, est velouté et délicat. 15,60 € bel éclat d’épices douces. 10 €
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 99

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L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION


La tendance dumarché
Par Angélique de Lencquesaing
Métras et Lapierre en tête
des palmarès du Beaujolais
P
uisque rien n’est habituel en
ces temps-ci, évoquons une
régiontropsouventignoréedes
amateurs dans les ventes : le Beaujolais.
Avec leur image de vins “faciles”, à boire
jeunes, les flacons de cette région sont
rares aux enchères (1,1 % des volumes
échangés en 2019, pour 0,25 % de la
valeur adjugée). Pourtant, certaines
signatures méritent toute l’attention
des amateurs, et ce pour deux raisons.
D’une part, les crus du Beaujolais,
Morgon et Fleurie en tête, peuvent se
prévaloir d’une belle capacité de garde,
leurs millésimes matures se valorisent
régulièrement.
D’autre part, le Beaujolais est l’un
des foyers où le vin “nature” a émergé :
certaines signatures sont aujourd’hui
plébiscitées. En tête des palmarès, la
cuvée L’Ultime d’Yvon Métras, à Fleurie,
Les morgons du domaine Louis-Claude Desvignes font grimper les enchères.
D. R.
De vigne en cave
Les enchères
est recherchée de l’Hexagone à l’Asie, y
compris dans les millésimes récents.
En magnum, son 2014 s’échange 393 €
(+ 31%) et le 2009 atteint 332 €. Idem
à Morgon, avec les vins du domaine
Marcel Lapierre, l’un des précurseurs
du vin “nature” (2005 : 98 €, 2003 : 86 €).
Autre cuvée recherchée, la fameuse
Cuvée 3.14 du domaine Foillard, qui
atteint 87 € (le 2013) et 80 € (le 2014).
Parmi les signatures qui font grimper
les enchères actuellement, on trouve
également Louis-Claude Desvignes
(morgon Javernières Les Impénitents
2017 en magnum : 82 €), château Thivin
(côte-de-brouilly Cuvée Zaccharie 2017
en magnum : 70 €) ou encore Joseph
Chamonard (morgon Le Clos de Lys
2009 en magnum : 68 €). À suivre égale-
ment, Mee Godard (Passerelle 577 2016
en magnum : 59 €).
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 101
LA COTE DU MOIS
La dynamique
Armand Rousseau
D. R.
C e domaine appartient au trio des
signatures stars de la Côte de Nuits,
aux côtés des domaines de la Romanée-
Conti et Georges Roumier. Si les cours
des grands crus de Bourgogne pla-
fonnent actuellement, voire subissent
pour certains un léger reflux, Armand
Rousseau demeure actuellement le plus
dynamique des trois. Son Grand cru
emblématique, le chambertin, est celui
qui fait vibrer les amateurs au tout pre-
mier chef. Après les prix records enre-
gistrés en 2019 sur les années matures
(1991 : 5 472 €, 1985 : 4 742 €), le 1999 a
récemment été adjugé 2 824 €, le 1988,
2 149 € et le 1996, 2 026 €. La cible des
acheteurs se répartit principalement
entre les États-Unis et Hong Kong.
Bordeaux à prix doux
Les opportunités bordelaises sont nom-
breuses actuellement. Au plus haut
niveau, Château Margaux trébuche
(2000 : 675 €, - 11 %). Idem pour les années
matures de Mouton Rothschild, et dans
les “petits millésimes” (1985 : 275 €, - 14 %,
1993 : 393 €, - 8 %, 1994 : 276 €, - 25 %).
Parmi les années plus récentes, six bou-
teilles de Château Gruaud Larose 2016
ont été adjugées 344 €, soit 57 € le flacon
(- 20 %). Si les Carruades de Lafite sont
toujours prisées, les seconds vins offrent
de belles opportunités : Bahans de Haut-
Brion 1996 : 58 € (- 20 %), Alter Ego de
Palmer 2012 : 65 € (- 16 %).
Analyse réalisée à partir des ventes de Villefranche
(22/02/2020, Richard), Paris (13/02/2020, Tajan ;
18/02/2020, Brissonneau ; 28/02/202, Artcurial ;
4/03/2020 et 12/03/2020, IWA iDealwine).
 De vigne en cave
Les enchères
Par Angélique de Lencquesaing

L’appellation Saint-Julien depuis 25 ans

Indétrônable Léoville Las Cases
S
ouventconsidérécommeunpos-
sible Premier cru classé, château
Léoville Las Cases tient son rang
de leader au sein de l’appellation Saint-
Julien. Un constat qui se mesure sur
vingt-cinq ans, avec toutefois des évolu-
tions notables durant cette période.
Les niveaux de prix ont été multi-
pliés par plus de 3 dans les ventes aux
enchères et Las Cases a creusé l’écart adjugé dans les ventes à des prix attrac-
avec les autres propriétés de l’appella- tifs (1996 : 127 €, -14%, 1990 : 104 €, -7%),
tion, notamment avec les deux autres sa cote ne cesse de progresser. De son
Léoville (Poyferré et Barton) toujours côté, Beychevelle, très recherché en
bien placés. Asie, talonne les Léoville.
Autre évolution, Ducru-Beaucaillou Enfin, depuis dix ans, les crus non
challenge désormais Las Cases, alors classés de Saint-Julien ont décroché.
qu’il était absent de notre palmarès En effet, si Gloria faisait partie de notre
en 1995. Et même s’il est actuellement top 5 en 1995, il a depuis disparu.

En vingt-cinq ans, les écarts se sont creusés

Cote iDealwine mesurée plusieurs années après la sortie de chaque millésime à partir des ventes aux enchères

en 1995
(la cote du millésime 1990)
180 €
en 2010
(la cote du millésime 2005)
192 € en 2020
(la cote du millésime 2015)

136 €
115 €
101 €
75 € 78 € 76 € 74 €
57 € 55 €

38 € 36 € 28 € 28 €

Château Château Château Château Château Château Château Château Château Château Château Château Château Château Château
Léoville Léoville Léoville Gloria Beychevelle Léoville Ducru- Léoville Léoville Beychevelle Léoville Ducru- Léoville Léoville Beychevelle
Las Cases Barton Poyferré Las Cases Beaucaillou Barton Poyferré Las Cases Beaucaillou Barton Poyferré

Quelques belles enchères relevées ces derniers mois

Prix d’adjudication Prix d’adjudication Cote iDealwine Variation/
du lot unitaire 31/03/2020 cote iDealwine

Pétrus 1999
Paris (13/02/2020, Tajan) 13 020 € 2 170 € 2 026 € +7%
6 bouteilles
Château Mouton Rothschild 2000
Paris (18/02/2020, Brissonneau) 10 044 € 1 674 € 1 596 € +5%
6 bouteilles
Corton-Charlemagne Grand cru 2014,
domaine Coche-Dury
Paris (28/02/2020, Artcurial) 3 968 € 3 968 € 3 745 € +6%
1 bouteille
Hermitage rouge 2009, Jean-Louis Chave
Paris (31/01/2020, IWA iDealwine) 2 990 € 997 € 669 € + 49 %
3 magnums
Échezeaux Grand cru 2010, domaine Bizot
Paris (4/03/2020, IWA iDealwine) 2 579 € 1 290 € 737 € + 75 %
2 bouteilles
Chambertin Grand cru 1998,
domaine Armand Rousseau
Villefranche (22/02/2020, Richard), 1 bouteille 1 612 € 1 612 € 1 596 € +1%
D. R.

102 - LA RVF N° 641 - MAI 2020

Terroir, Terroir raconte-moi ton histoire

Prochaine vente aux enchères publiques

GRANDS VINS ET SPIRITUEUX
Mercredi 3 et Jeudi 4 Juin 2020 à 10:00 et à 14:15

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.

Durant la période de confinement, nous respectons
les consignes sanitaires, nos experts chiffrent gracieusement
vos listes de vins que vous souhaitez vendre.

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Maître Frédéric DELOBEAU Emilie & Robert GORRETEAU

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Arcadia ovv 2002-254 T. : 095 078 1855  Fax : 095 578 1855
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Le Mesnil sur Oger, Vertus, Le Mont Aimé
Pascal Doquet, Vigneron dans la Côte des Blancs Réserves climatisées à Amiens et à Nanterre
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 Jeu
Concours

LA BOUTEILLE SECRÈTE La bouteille qu’il fallait

découvrir en avril
Par Philippe de Cantenac
La Madeleine de Saint Mont 2014
de Plaimont
E n mai, fais ce qu’il te plaît ! Et si, ce qui vous plaisait, c’était
derecevoirsixbouteillesd’ungrandvin?C’estcequiarri-
vera si vous êtes tiré au sort au jeu de la Bouteille secrète. Pour
Situé au cœur du Sud-Ouest, le vignoble de
Plaimont s’étend depuis les contreforts pyrénéens
cela, il vous suffit de déchiffrer l’énigme du mois et d’envoyer jusqu’aux collines ondulantes de la Gascogne sur
votre réponse (AOP, nom du château, cuvée et millésime) à des terroirs d’une richesse unique. Les vigne-
l’adresse suivante : bouteille.secrete.rvf@gmail.com avec vos rons de Plaimont, défenseurs de l’esprit
coordonnées complètes, y compris votre date de naissance et coopératif, sont engagés dans une conduite
votrenumérodetéléphone.Datelimited’envoidesréponses: précise de leurs vignes, respectant au mieux
le1er juinàminuit.Résultatdèsle2juinsurlesitedelarvf.com l’environnement et leurs traditions sécu-
consacré à la Bouteille secrète et sur notre forum. laires. Cette parcelle, La Madeleine, aux
Bonne chance à tous ! vignes âgées de plus de 100 ans, est dans un
exceptionnel état de conservation. Issu de
L’énigme du mois de mai tannat, de cabernet-sauvignon et de pinenc,
Cueille le bon jour et bois celle du matin. le vin se livre sur un nez intense qui libère des
Le prix de La panthère des neiges rime notes fruitées (cerise) et épicées. L’attaque est
franche, la bouche pleine et généreuse. Le bel
avec ma cuvée. équilibre entre densité et fraîcheur reflète
la force de ce terroir alors que les tanins,
Les principes du concours. Se distraire tout en testant ses connaissances, voilà l’esprit surprenants par leur finesse, traduisent l’âge
des vignes. Un vin qui se conservera au moins

D. R.
de “La bouteille secrète”, le concours proposé par La RVF, en collaboration avec Spiegelau. Comment
participer ? À partir des indices présentés, tentez d’identifier notre ”bouteille mystère“. Rédigez lisible-
ment votre réponse (nom de l’appellation, du producteur, du domaine et millésime) sur le coupon-ré-
ponse ci-dessous (ou bien sur papier libre) ou par e-mail, en précisant vos nom et prénom, votre date de
une dizaine d’années.
naissance et votre adresse (ainsi que votre numéro de téléphone), qui fera office d’adresse de livraison.
Âge minimum pour participer : 18 ans. Attention : pour être prise en compte, votre réponse doit être
adressée au plus tard le 1er juin 2020, le cachet de La Poste faisant foi. Un tirage au sort déterminera six
gagnants. Ce jeu est gratuit et sans obligation d’achat. Que gagne-t-on ? Chaque mois, six cartons de
six bouteilles du vin mystère sont en jeu et attribués aux six gagnants tirés au sort. Répartition des lots :
un carton de six bouteilles pour chacun des six gagnants. Quand seront communiqués les résultats?
PAN SUR LE GOULOT
Le nom de la bouteille secrète, son vigneron et la liste des gagnants seront publiés dans le prochain Dans notre numéro d’avril (La RVF n° 640), dans l’article intitulé
numéro de La RVF. Les gagnants tirés au sort, parmi ceux ayant trouvé la bonne réponse, recevront “L’entreprise et le vin, le bon goût se cultive aussi au travail” (p. 44), nous
directement le carton de six bouteilles du vin mystère. À vous de jouer!
Le règlement du concours est disponible sur simple demande par courrier à l’adresse suivante : avons mentionné par erreur que David Cobbold travaillait pour l’École
Concours La RVF “La bouteille secrète”, BP 126, 38504 Voiron cedex. Frais d’expédition des cour-
riers-réponses remboursables au tarif en vigueur sur simple demande par courrier à l’adresse suivante : du vin de Paris. Il n’en est rien, il est l’un des cofondateurs de l’Académie
La Revue du vin de France, 10, bd des Frères-Voisin, 92130 Issy-les-Moulineaux. du vin de Paris. Toutes nos excuses à notre éminent confrère.
Ce numéro contient deux encarts d’abonnement jetés sur l’ensemble de la diffusion kiosque : un encart d’abonnement 4 pages sur l’ensemble de la diffusion kiosque France et étranger
et un encart d’abonnement 4 pages sur sur l’ensemble de la diffusion kiosque France métropolitaine uniquement. Offres d’abonnement en pages 47, 74 et 105.

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DIRECTION DE LA RÉDACTION Directeur général délégué du Groupe Marie Claire : Amalric Poncet
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Romain Iltis, Alexandre Ma, Cyrille Mald, Christian Martray, Laurie Matheson, Roberto Petronio,
Olivier Poels, Olivier Poussier, Jean-Emmanuel Simond, Jean-Baptiste Thial de Bordenave, La Revue du vin de France est éditée par Revue du vin de France SAS, au capital de 1 537 500 €,
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Ont participé à ce numéro : Fabrizio Bucella, Philippe de Cantenac, Pierre Casamayor, Baptiste Charbonnel, Principaux actionnaires : Holding Évelyne Prouvost
Pierre Citerne, Michel Dovaz, Idelette Fritsch, Caroline Furstoss, Philippe Genet, Fabien Humbert, Romain Iltis, Commission paritaire n° 0317K81425, ISSN 1634-7625
Pierrick Jégu, Sébastien Lapaque, Corinne Lefort, Angélique de Lencquesaing, Pascaline Lepeltier, Impression : Walstead Central Europe
Alexandre Ma, Cyrille Mald, Christian Martray, Laurie Matheson, Roberto Petronio, Olivier Poussier, Dépôt légal à parution © 2020, Revue du vin de France SAS
Vincent Pousson, Sophie de Salettes, Benoist Simmat, Jean-Emmanuel Simond, François Tauriac,
Jean-Baptiste Thial de Bordenave, Karine Valentin, Pierre Vila Palleja, Alexandre Vingtier, Christelle Zamora Conception graphique : Claude Maggiori.
Pour contacter votre interlocuteur, composez le 01 41 46 suivi des 4 chiffres correspondant au poste Origine du papier : Finlande
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104 - LA RVF N° 641 - MAI 2020

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 Cahier spécial

Les Dégustations
108
Ces bordeaux qui
Pierre Citerne
Docteur
Olivier Poussier en préhistoire
nous ont fait rêver Olivier Poels
Journaliste
Jean-Emmanuel
Meilleur Seize dégustateurs de La Revue du vin de France Simond
sommelier racontent les vins de Bordeaux qui les ont marqués. Importateur
du monde
Un voyage dans le temps entre millésimes de vins

de légende, étiquettes mythiques

et découvertes à suivre…

Roberto
128 Caroline Furstoss
Petronio Sommelière
Romain Iltis
Meilleur
Journaliste et
photographe
Les rouges du Languedoc Pierre
Vila Palleja
sommelier
de France et du Roussillon Restaurateur
et sommelier

vieillissent-ils bien ?
La réponse avec notre dégustation du millésime
2010, dix ans après sa naissance
Karine Valentin
Alexis Goujard
Pierre
Journaliste 136 Journaliste
et vigneronne
Casamayor Jean-Baptiste
Œnologue
L’histoire d’une transmission Thial de
et écrivain Pierre Overnoy et Emmanuel Houillon Bordenave
Juriste du vin

139
Leur dernière emplette
140 Alexandre Ma
Formateur
Christian
Martray Les coordonnées des producteurs à Bordeaux
Cyrille Mald Sommelier
Alexandre
Expert
en spiritueux 141 Vingtier
Les 100 bouteilles mythiques Expert
en spiritueux
Château Haut-Brion 1989
Les dégustateurs associés :
Axel Marchal, Michel Dovaz,
Philippe Faure-Brac, Robert Vifian,
142
David Biraud, Isabelle Bachelard, Débat autour d’une bouteille Laurie
Matheson
Fabrizio Bucella, Philippe de Cantenac, Champagne Grand Siècle de Laurent-Perrier Experte
Florence Bal, Jérôme Baudouin en ventes
et Sylvie Augereau. aux enchères
Pascaline
Lepeltier
Meilleure
Tous les vins dégustés à La Revue du vin de France sont servis dans des verres sommelière
de France

LA RVF N° 641-MAI 2020 - 107

 Les Dégustations
En couverture

ssas
au Lynch-Mou
Châte

Château Margaux

Mémoire collective d’un vignoble sans égal

Ces bordeaux
qui nous ont fait rêver
Par Jérôme Baudouin, Pierre Casamayor, Pierre Citerne, Caroline Furstoss, Alexis Goujard, Romain Iltis, Pascaline Lepeltier,
Alexandre Ma, Christian Martray, Laurie Matheson, Roberto Petronio, Olivier Poels, Jean-Emmanuel Simond,
Jean-Baptiste Thial de Bordenave, Karine Valentin et Pierre Vila Palleja

C
hers lecteurs, vous avez pour habi-
tude de trouver dans La Revue du
vin de France datée du mois de
mai, le compte-rendu de nos dégustations
primeurs du dernier millésime récolté à
Bordeaux. Au regard des contraintes sani-
taires exceptionnelles auxquelles la France
a dû s’adapter cette année pour lutter contre
le Covid-19, il ne nous a pas été possible de
réaliser ces dégustations. Nous reviendrons
donc, dès que cela sera possible, sur les vins
du millésime 2019.
En lieu et place des primeurs, nous avons
choisi de nous plonger dans nos souvenirs
et de rendre hommage aux grands vins
de Bordeaux qui ont marqué notre exis-
tence. Pour cela, nous avons demandé aux
membres du Comité de dégustation de
La RVF de raconter trois vins qui resteront à
jamais imprimés dans leur mémoire.
Chaque dégustateur, amateur ou pro-
fessionnel, a tout au long de sa vie ren-
contré des vins “décisifs”. Des bouteilles
qui servent de repère, qui provoquent la
réflexion ou ouvrent de nouveaux hori-
zons. Des vins qui bousculent, émeuvent,
interpellent. Parmi ces cuvées qui ont
marqué notre vie de disciples de Bacchus,
il y a évidemment les grandes légendes, les
mythes, que tout amoureux du vin rêve

108 - LA RVF N° 641 - MAI 2020

 Les Dégustations
Bordeauxdelégende
Bailly
hâteau Haut-
C

s
Scène de vendange
au château Montrose
dans les années 60.

Château P
ichon-Lon
gueville Ba
ron

de déguster. Comment ne pas évoquer part et a touché Alexis Goujard ou encore

l’un des plus grands vins jamais produits La Closerie des Moussis, ce médoc original
à Bordeaux, Château Mouton Rothschild que nous décrit Pascaline Lepeltier.
1945, que Roberto Petronio a eu l’immense Quant aux vieux millésimes, ils ont sou-
chance de savourer lors d’une fin de soirée vent la capacité de nous émouvoir et d’en-
à Vienne et qui se montra à la hauteur de sa trer au panthéon de nos plus belles émo-
réputation… Fantastique millésime 1945 tions. Jean-Emmanuel Simond évoque
évoqué aussi par Jérôme Baudouin au tra- ainsi Haut-Bailly 1918, un vin produit
vers d’une bouteille de Pichon pendant la Première Guerre
Baron renversante. Le château Des mondiale et toujours en pleine
Haut-Brion 1934, dégusté par le forme. Émouvant ! Féru de fla- 1982 généreusement
é é t offert
ff t par un hhomme
sommelier Pierre Vila Palleja, à légendes, cons anciens, Jean-Baptiste Thial attachant, le grand Henri Duboscq, et que
l’époque en plein service au res-
taurant Lasserre, fait aussi partie
des vins de Bordenave loue de son côté
les vertus surprenantes d’un
Romain Iltis sera toujours marqué par le
Roc de Cambes 1998, symbole de sa pre-
de ces vins cultes. à part, des Lynch-Moussas 1955 d’une fraî- mière rencontre avec la famille Mitjavile,

DES HOMMES ET DES LIEUX

millésimes cheur exemplaire.
Et puis, nous ne saurions
ces grands stylistes de la Rive droite.
Voici donc une sélection éclectique de
Au-delà de ces crus d’exception, anciens… déconnecter les vins des circons- vins de Bordeaux qui ont tous en commun
des vins plus modestes, plus inat- tances ou des personnes qui ont d’avoir marqué les palais des dégustateurs
tendus ont eux aussi laissé des traces dans accompagné nos moments de dégustation. de La Revue du vin de France. Il ne s’agit
notre mémoire. Tel Château Camus 1985, Ainsi Christian Martray n’oubliera pas de pas forcément des plus grands crus, des
un graves assez méconnu qui fit chavirer sitôt les saveurs d’un Yquem 1988 bu au châ- bouteilles les plus rares ou les plus presti-
Pierre Citerne, le saint-émilion La Fleur teau lors de sa première visite dans ce lieu gieuses, mais de vins qui ont la plus grande
de Lisse 2018 qui, loin des canons tradi- magique, de même que jamais ne s’effacera des qualités, celle de nous avoir émus.
tionnels bordelais, joue une partition à de ma mémoire le goût du Haut-Marbuzet Olivier Poels

LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 109


Rive gauche
Graves ou sauternes,
ils ne les oublieront jamais
Issus de millésimes mythiques ou injustement oubliés, de propriétés et d’appellations célèbres
ou au contraire méconnues, ces vins ont marqué et parfois guidé la vie de nos dégustateurs.
LES VINS
DE GRAVES
Graves
CHÂTEAU CAMUS 1985
Un souvenir de
l’extrême sud bordelais
L e Château Camus n’est pas le plus connu
des vins de Graves. Je l’ai moi-même
découvert à la table d’un ami langonnais,
intime du vigneron. Ce dernier, Jean-Luc
Larriaut, disparu il y a quelques années, avait
repris le domaine familial sans que la conduite
d’une exploitation viticole soit une vocation.
Peut-être faisait-il un vin à contrecœur, je
ne sais, il le faisait certainement à contre-cou-
rant : peu extrait, tannique pourtant, mince,
sans aucune marque d’élevage, avec une pré-
dominance du cabernet-sauvignon et cette
matrice chlorophyllienne que l’on appelle
aujourd’hui “végétal noble” après l’avoir vouée
aux gémonies pendant des années. Des vins
qui, dans les millésimes de belle maturité, ont
admirablement vieilli, sans rides, dégageant la
persévérance du fruit et la distinction du sol.
Tel ce 1985 goûté à deux reprises, truffé, svelte,
vif même, évolué mais encore très net dans
ses contours et ses parfums. Indéniablement
racé, ce vin auquel le temps a donné raison n’a
rien à envier aux crus de l’appellation Pessac-
Léognan et montre tout le potentiel du sud de
la région des Graves qui possède de magni-
fiques croupes graveleuses (allez faire un tour
du côté de Saint-Pierre-de-Mons…).
Il m’est agréable, en des temps qui sont diffi-
ciles pour les appellations moins célébrées de
Bordeaux, de saluer la mémoire d’un vigneron
modeste et incompris dont les vins, trente ans
après, montrent encore ce qui pourrait être la
voie à suivre pour cette région déjà plus gas-
conne que véritablement bordelaise, riche en
terroirs méconnus. P. Ci
Les Dégustations
Encouverture
R. Grman
Jean-Emmanuel Simond a été subjugué
par un Haut-Bailly 1918 dégusté en 2008.
Pessac-Léognan
CHÂTEAU
HAUT-BAILLY 1918
Ce centenaire n’avait
rien perdu de sa superbe
E n décembre 2008, Yves Legrand, caviste
parisien réputé, organise une soirée
“Hommage aux Poilus” autour de vins des
années 1914 à 1918. Dégusté juste après Latour
1916, dont l’usure trahit son grand âge, Haut-
Bailly 1918, inattendu à ce niveau, porte à
leur paroxysme les qualités d’un vénérable
grand bordeaux. Sa robe rubis très claire est
étonnamment peu évoluée. Le bouquet est
extraordinaire : roses, fleurs séchées… tout
est aérien, élégant, raffiné, d’une très grande
110 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
fraîcheur. Élancée, svelte, la trame du vin se
déploie autour d’un fruit moelleux et fin qui se
prolonge longtemps, avec une exceptionnelle
intensité aromatique. Les tanins sont encore
perceptibles. Les convives sont tous bluffés
par la quasi-perfection de cette bouteille.
Véritable révélation, ce vin en état de grâce
a su déjouer l’usure du temps et prouve que
le vieillissement harmonieux ne résulte pas
forcément d’une structure tannique ferme.
La mention “Cru exceptionnel” qui figure
sur l’étiquette semble pleinement justifiée
pour ce vin qui, jusque dans les années 30,
s’est vendu au même niveau de prix que les
premiers grands crus classés. Haut-Bailly a
la réputation d’être un vin plutôt tendre, au
profil charmeur et gracieux, relativement
accessible dans sa jeunesse, avec des tanins
fins. J’ai toujours eu pour ce cru une inclina-
tion particulière, incarnation d’un classicisme
raffiné qui a toujours su déjouer les excès des
modes et s’affirme d’une régularité sans faille
depuis des décennies. Les 1986 et 1990, bus
récemment, sont magnifiques. J.-E. S.
CHÂTEAU
HAUT-BRION 1934,
MISE POUR LE RITZ
Demi-bouteille
Un grand vin plein
d’enseignements
L orsque j’étais jeune sommelier, j’ai eu
la chance de travailler dans l’une des
plus belles caves de son époque : le restau-
rant Lasserre à Paris. Ce joyau caché derrière
le Grand Palais regorgeait de flacons somp-
tueux, notamment de grands bordeaux
achetés pendant l’âge d’or par monsieur René
Lasserre. Lors d’un service chahuté, un client
demanda un flacon qui m’intriguait depuis
quelque temps : une demi-bouteille de Haut-
Brion 1934. Je n’avais jamais dégusté ce vin,
mais connaissais la réputation légendaire
du millésime. J’émettais toutefois des doutes
quant à sa conservation du fait du format.
Un collègue sommelier me conseilla avec
insistance de décanter ce vin, ce qui me sur-
prit car un vin de cet âge, conservé de plus en
petit format, risque d’être fatigué : le décanter
pourrait accélérer son oxydation. Je suivis
son conseil. D’abord, j’ouvris la bouteille. Un
bouchon parfait, entier, d’une taille minus-
cule en sortit. Le vin sentait divinement bon.
Je pris le soin d’en prélever quelques gouttes
pour vérifier sa tenue. Un vin d’une robe
noire, d’une densité extrême se plongea dans
mon verre. Le nez était renversant. Il oscillait
 Les Dégustations
Bordeauxdelégende

P. Labeguerie
La dégustation du millésime 2013 du château Les Carmes Haut-Brion a su convaincre Alexandre Ma de l’énorme potentiel de certains crus non classés.

entre le grand vin de Bordeaux assagi par le
temps, avec l’humus, le tabac, la truffe, et un
vin fringant, jeune, avec la tombée de fruit
noir, les épices douces, le pot-pourri. Mais
c’est la bouche qui m’étonna le plus : pleine,
riche, savoureuse, aux tanins encore alertes.
Lafinalesalineapportaunelongueurdémen-
tielle. En bref, un très grand vin, qui pouvait
encore vieillir longtemps. J’appris par la suite
que ce lot fut acheté par M. Lasserre au Ritz
pendant les années 60… Incroyable !
Mon enseignement fut multiple. D’abord,
toujours déguster le vin pour ce qu’il est.
Ensuite, qu’à cette époque, les bouchons
étaient de très grande qualité, que les vins
n’étaient pas assemblés pour homogénéiser
la production, mais des barriques étaient
spécialement sélectionnées par des ache-
teurs aguerris. Et que le sommelier du Ritz de
l’époque et monsieur Lasserre au moment de
son achat avaient vraiment du nez ! P. V. P.
CHÂTEAU LA MISSION
HAUT-BRION 1961
Pas le plus grand des
cession de Michel Dovaz pour cette rubrique,
la plus ancienne de La RVF. Premier sujet :
LaMissionHaut-Brion.Jecommencetrèsfort,
mais remercie Chantal Lecouty, rédactrice en
chef de l’époque, pour sa confiance.
JeanDelmasm’accueilleavecbienveillance,
il me fait visiter le chantier du chai inox avec
sa température régulée et automatisée – une
révolution à l’époque –, me conte l’histoire
du château et son sauvetage par Haut-Brion,
le cru devait disparaître sous une autoroute !
Vient la dégustation, avec un style qui s’im-
pose : autant le grand frère Haut-Brion est
subtil, racé, tout en finesse aristocratique,
autant La Mission est puissant, un vin de chair
et de structure, plus ouvert de prime abord.
On me dit que La Mission l’emporte dans
les millésimes difficiles et que Haut-Brion
reprend son rang dans les grandes années.
Mais ce jour-là, j’apprends une chose
capitale. Je n’osais espérer que l’on me fasse
déguster Laville ou Haut-Brion blanc, espoirs
douchés lorsque je découvre la série de vins
rouges alignés sur la table. Ma surprise fut
grande lorsque, après une vingtaine de vins
rouges, on apporta les blancs. Bien évidem-
aprèslesrouges.Legrandsouvenirestcepen-
dant ce 1961, volumineux et puissant,
avec une cohorte aromatique faite de
cuir, tabac, réglisse et fruits rôtis, un
vin en plein apogée, sapide et pro-
fond, étiré sur une belle complexité.
Ce n’était pas le plus grand des 1961,
mais c’était mon premier ! P. C.
CHÂTEAU
LES CARMES
HAUT-BRION
2013
Une très belle
leçon de vie
L e vin est un produit
magique qui apporte non
seulement le plaisir, mais livre
aussi des enseignements. Voici
une leçon que j’ai apprise d’un
grand vin de Pessac-Léognan :
ne jamais abandonner, l’espoir
D. R.

ment, après la charge tannique de cette série
1961 mais mon premier qui imprégnait la bouche, le premier vin
blanc apparaissait comme rafraîchissant et
vient souvent d’un désespoir.
C’était au printemps 2014, le
temps était humide et sombre, Les Carmes

A utomne 1986, c’est ma première “Vie

de Château”, je viens de prendre la suc-
le contraste lui allait fort bien. Depuis ce jour,
je demande toujours de déguster les blancs
j’allais déguster les vins pri- Haut-Brion 2013,
meurs 2013 de Bordeaux. Au fil éclatant et juteux.

Les coordonnées des domaines en page 140

LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 111


de la dégustatio n, je compris que c’était un
millésime très difficile. Je tournais entre les
différentes appellations et mon humeur était
grise comme le ciel. Tout à coup, je fus rattrapé
par un cru non classé : ce vin dévoilait une
fraîcheur végétale bien agréable qui me fit
penser à la vendange entière. Pour moi, c’était
une nouvelle expérience sur la Rive gauche.
Le fruit, éclatant et juteux, révélait l’élégance
inoubliable du cabernet franc. Je fus touché
par ce vin, je sentais un grand potentiel.
C’est le premier millésime où le château
Les Carmes Haut-Brion a utilisé davantage de
cabernet franc que de merlot dans son assem-
blage. Depuis, la qualité de ses vins s’améliore
année après année, et tout particulièrement
en 2015 et 2018. Retour sur le passé, Château
Les Carmes Haut-Brion 2013 nous a apporté
une nouvelle possibilité et peut être un nou-
veau style, mais aussi un nouvel espoir. A. M.
Les Dégustations
Encouverture
enchères. J’ai acheté une caisse de douze bou-
teilles à un prix très modéré. La dégustation
du premier flacon fut à la hauteur de mes
attentes. Quel vin ! Un haut-médoc ultra racé
et classique, aux senteurs de cèdre, de cigare
qui impressionnait surtout par son allonge et
sa fraîcheur en bouche.
Il me vint alors deux questions : pourquoi
cet immense vin ne jouissait-il pas, sur le plan
international, d’une plus grande réputation et
pourquoi la cote de ce 1990 était-elle si raison-
nable au regard de la qualité du vin ? Sociando
est une marque largement diffusée en France
(et au Benelux). Jean Gautreau, homme
visionnaire qui fut si habile pour produire,
dès les années 80, des vins de très haut niveau,
n’eut pas le même engagement pour commu-
niquer. Finalement, tant mieux pour l’ama-
teur-buveur que je suis, j’ai ainsi pu continuer
à acheter Sociando à un prix accessible. O. Pls

CLOSERIES
LES VINS DES MOUSSIS,
DU MÉDOC BARAGANE 2016

D. R.
Ah, la vitalité
rajouter encore à l’allonge de bouche saline.
Haut-Médoc des cépages oubliés ! Et quelle sensation de croquer dans des baies

L ’an dernier, je retournai à Vinexpo

Bordeaux pour la première fois en huit
sauvages acidulées, expérience que je ne
connais que dans ces vins issus de centenaires
CHÂTEAU ans. Je ne pouvais y passer qu’une journée,
entre Paris et Londres, présentant dans
non greffées. Cette cuvée révèle le potentiel
de ces variétés indigènes longtemps mépri-
SOCIANDO- lestroisvillesdesséminairessurlaviticul- sées qui, aujourd’hui, offrent des solutions
MALLET 1990 ture de l’État de New York. Mais je voulais futures, et un exemple de viticulture portée
profiter de l’occasion d’être dans le sud- par deux admirables vigneronnes. P. L.
Ultra racé, il faisait Médoc pour aller visiter Closeries des
Moussis, le domaine de Pascale Chaume
jeu égal avec les et Laurence Allias dont tous les vins Margaux
m’avaient impressionnée par leur
ténors de Bordeaux délicatesse et leur toucher lors de

T out amateur de Bordeaux

possède des bouteilles de
Sociando-Mallet dans sa cave.
Pour ma part, j’ai commencé à en
acheter au début des années 90.
Le vin avait très belle réputation,
méritée, et était surtout accessible
en matière de prix : 70 francs la
bouteille environ à cette époque.
J’avais entendu parler du 1990
qui, disait-on, était au niveau de
bien des crus classés prestigieux.
En 1999, il avait d’ailleurs sur-
classé à l’aveugle tous les ténors de
Bordeaux lors d’une dégustation
D. R.
dégustations professionnelles. Une
cuvée se distinguait par sa com-
plexité, Baragane.
Je me rendis à Arsac et Laurence
me conduisit dans la parcelle de ce
vin qui m’avait tant parlé. Je décou-
vrais quelques rangs de vieilles
vignes préphylloxériques, franches
de pied, tordues par les années, où
se mêlaient une dizaine de cépages,
pour la plupart oubliés. Les vignes,
magnifiques,respiraientdevitalité,
régénérées par le travail en biody-
namie. Une bouteille du 2016 fut
débouchéeparPascaledanslacour,
CHÂTEAU
MARGAUX 1982
La révélation dans
une cave en Alsace
J ’ ai eu mes premiers rapports avec les
vins de Bordeaux à L’Auberge de l’Ill, à
Illhaeusern en Alsace, où j’étais stagiaire som-
melière en 2004. Au restaurant, je découvrais
cette région au travers de quelques gouttes
que je pouvais déguster avant de proposer la
bouteille au client.
Un soir de repos, Pascal Leonetti qui était

du Grand Jury, créant la surprise.
Le problème, c’est que je n’en avais
pas en cave. L’opportunité d’en
acquérir vint quelques années
plus tard, lors d’une vente aux
derrière le petit garage simplement
aménagé en cave. Dans ce millé-
Une valeur sûre sime, davantage de rafles avaient
que tout amateur été gardées, l’élevage discret venant
doit avoir en cave. juste relever la matière tannique et
en pleine préparation pour devenir deux
ans plus tard Meilleur sommelier de France,
m’emmena chez un ami vigneron alsacien
à la cave très pourvue, qui n’hésitait pas à
ouvrir ses trésors pour des entraînements de

112 - LA RVF N° 641 - MAI 2020


Bordeauxdelégende
Souvent occulté par le mythique 1982, le millésime 1983 du château Rauzan-Ségla, deuxième
cru classé de Margaux, mérite d’être redécouvert. Et pas uniquement à la Saint-Valentin !
dégustationàl’aveugle.Unedizainedegrands
noms duvignoblefrançais,maisparmieux,le
Château Margaux m’avait frappé, sans savoir
ce que je buvais ! Ce vin qui avait évolué pen-
dant une vingtaine d’années m’a fait décou-
vrir des notes d’encens, de mine de crayon
que je n’avais jusque-là jamais croisées : une
révélation ! J’ai alors observé les dégustateurs
avertis ; très vite, ils ont reconnu la patte élé-
gante de ce château, mais les hésitations por-
taient sur le millésime.
C’était pour moi le premier vrai verre d’un
grand cru classé et il était né en 1982, comme
moi. Quelle chance d’appréhender ces vins
par leur potentiel de vieillissement ! Il ne
me restait plus qu’à visiter le Médoc, mais les
moyensdetransportdel’AlsaceversBordeaux
étant rares ou très longs à cette époque, c’est
une région que je ne connaissais pas et que
j’allais découvrirtroisansplustardseulement,
lors de Vinexpo 2007. C. F.
CHÂTEAU
RAUZAN-SÉGLA 1983
Une si romantique
Saint-Valentin !
U n de mes très proches amis travaille à
Hong Kong, où il déniche souvent des
bouteilles rares. Pour célébrer mon anni-
Les Dégustations
CLOS DU JAUGUEYRON,
NOUT 2014
J’ai senti l’énergie
d’un lieu particulier
L a plus vaste des appellations médo-
caines naît sur un sol vertueux de très
vieux cailloux roulés par les siècles, protégé
par la forêt et par l’estuaire qui repousse les
nuages. Margaux, adoubée d’un classement
commandé par Napoléon III en 1855, compte
21 crus classés, un premier et les autres…
Parmi ces autres, une pépite de huit petits hec-
tares perdus dans la forêt d’Arsac et un couple,
Michel Théron, transfuge du Minervois, et
Stéphanie Destruhaut, fille du coin.
Lorsque je suis arrivée pour la première
fois dans l’airial du Clos du Jaugueyron, une
prairie comme celle des vieux dessins animés
de Walt Disney, une maison en bois ouverte
sur la nature, une cave minimaliste, j’ai senti
l’énergie d’un lieu particulier et je savais
déjà que j’allais aimer les vins. Les cuvées
transpirent le terroir margalais travaillé en
biodynamiedepuisledébut,donnantauxvins
un petit supplément d’âme qui les rend inou-
bliables. Tout le boulot à l’extérieur et rien ou
versaire, il m’a offert une vieille bouteille presque en cave : le margaux ne tire pas uni-
de Rauzan-Ségla dont le millésime est resté quement son originalité de sa caste des “sans-
inconnu car son étiquette était très abîmée. grade”, mais d’une patine au tanin vibrant, au
Je l’ai conservée en attendant de la boire pour style aérien qui se lit déjà dans le nom de cette
une belle occasion. superbe cuvée, Nout, déesse égyptienne du
Mafemmemeditsouvent:«Levinesttonseul ciel. K. V.
romantisme ». J’avoue ne pas être très roman-
tique, et à part lui offrir de belles bouteilles,
je n’ai pas d’autres idées de cadeau. J’ai donc
décidé d’ouvrir ce mystérieux flacon pour
fêter la Saint-Valentin. Au dîner, fébriles et
intrigués, nous voilà prêts à vivre cette nou-
velle aventure. J’ai décanté le vin à l’avance,
une inscription sur le bouchon a fini par
dévoiler son millésime : 1983. Son expression
aromatique était tendre et délicate. Il offrait
une attaque douce de poivron grillé et de
pétalederoseséché,lesfruitsnoirsséduisants
s’intégraient dans la forêt où les sous-bois se
trouvaient partout. La bouche s’exprimait
dans une harmonie de finesse et d’ampleur
qui se terminait dans une texture raffinée et
veloutée. À la lumière de la bougie, ce verre de
Château Rauzan-Ségla 1983 était parfait. Le
romantisme a sûrement parlé aussi.
À mon avis, ce millésime à Margaux a
été sous-estimé dans les pays asiatiques,
le charme de 1983 étant caché derrière le
légendaire 1982. J’aurai plaisir à partager mes
T. Legay
impressions avec vous quand l’occasion se
présentera à nouveau de déguster des mar-
gaux 1983. Tchin ! A. M.
Caroline Furstoss fut initiée aux crus classés
de Bordeaux avec Château Margaux 1982.
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 113
 Les Dégustations
Encouverture
tant, un sphinx qui vous impressionne.
Pauillac En 1999, Éric de Rothschild et Charles
Chevallier me reçoivent avec Jo Gryn,
ami et complice, lui pour un journal
CHÂTEAU LATOUR bruxellois, moi pour La RVF. Ils nous ont
préparé une dégustation verticale qui
1999 restera à jamais dans nos mémoires :
22 millésimes de 1959 à 1998, un
Le charme d’un voyage au pays des plus grands.
millésime oublié Les millésimes se succèdent,
avec leur lot de confirmations ou
fondé à 80 % sur le cabernet-sauvignon avait
une trame fine dans une structure charpentée,
avec un milieu de bouche onctueux ; les tanins
étaient bien sûr dans la dureté, mais le fond du
vin lui promettait un avenir radieux !
C’était une expression finalement “clas-
sique” de ce cru, déjà terriblement séduisante.
Une injustice du classement de 1855 aussi,
car pour moi Lynch Bages, ce cinquième cru
classé, est au niveau de l’élite. Sorti au prix
primeur à un peu plus de 60 €, il représente

O n ne présente plus ce Premier

Grand cru classé de Pauillac.
J’ai eu le privilège d’organiser en
janvier 2006 une dégustation de
prestige pour une quarantaine de
personnes issues du “gratin” de la
sommellerie alsacienne. Frédéric
Engerer, directeur de Latour, était
à la manœuvre et avait apporté plu-
sieurs millésimes, tous plus aboutis
les uns que les autres. Déjà, lors du
déballage des vins, une certaine
sacralité s’était installée. Voir autant
D. R.
de surprises. Il y a les petites années
comme 1980, 1984 ou 1987, avec des
matières légères mais toujours
pour moi le grand vin à prix abordable qu’il ne
fallait pas rater. Au fil des ans, j’ai eu l’occasion
de recroiser ce vin, et il se précise avec grâce et
cette élégance aristocratique, un race, un très gros canon, à boire dès mainte-
peu hautaine, qui constitue l’ADN nant ou dans les prochaines décennies… C. F.
du cru – « des Lafite pour le déjeuner »,
dit Éric de Rothschild avec malice. Il
y a les superbes réussites telles 1988,
CHÂTEAU
1989 et 1990, un trio d’anthologie. Il LYNCH-MOUSSAS 1955
y a les sommets comme le 1996, avec
un équilibre parfait entre un fruité Sa fraîcheur reste gravée
opulent et une fraîcheur follement
vibrante. Il y a enfin le vin d’antho-
dans ma mémoire

de millésimes d’un vin mythique

devant soi est toujours un moment
particulier. Nous avons ainsi eu le Coincé entre
logie, comme on en rencontre peu
dans sa vie de dégustateur : le 1959
que, ce jour-là, Éric de Rothschild
I l y a quelques années de cela, alors que je
déambule dans les rues du vieux Bordeaux
avec un ami restaurateur, nous tombons nez
deux très grands
privilège de déboucher et déguster avait préféré au 1961.
millésimes, Latour
une dizaine de millésimes du 1999 a enchanté
Je ne résiste pas au plaisir de vous
grand vin et des Forts de Latour, le Romain Iltis. faire partager mon commentaire
second vin, parmi lesquels 1990, de l’époque (La RVF n° 447, janvier
1988 et 1985. Chaque bouteille était 2000) : « Comment décrire l’indescrip-
contrôlée par M. Engerer, qui nous expliquait tible ? Le nez s’avère exceptionnel, avec une gamme
le millésime et son ressenti. de fruits confits, d’épices, de minéral, de truffe et de
Au cours de cette dégustation, c’est le 1999 bois précieux, un condensé de la race “lafitienne”. La
qui m’a interpellé. Ce millésime souvent bouche présente encore une densité de matière, une
oublié, car situé entre les excellents 2000 et richesse profonde, une trame de velours, des tanins
1998, était le plus charmeur et le plus abor- d’anthologie, une longueur qui n’en finit pas de finir
dable. Je me souviens de ses notes de cendre, sur un feu d’artifice aromatique. Un très grand Lafite
de cuir qui agrémentaient un nez d’une qui résout l’impossible équation : puissance et finesse
très grande finesse. La structure de bouche, peuvent se conjuguer ». Fermez le ban ! P. C.
veloutée et suave, sollicitait l’ensemble des
papilles gustatives avec la précision et l’inten-
sité que l’on connaît de ce pauillac. Mais c’est CHÂTEAU
indéniablement sa longueur qui demeure le LYNCH BAGES 2010
plus nettement dans ma mémoire. Complexes
et intenses, les notes de fruits noirs, de balsa- Ce grand vin du Médoc
mique, de gentiane, de truffe s’étiraient avec
maestria. J’ai eu la chance d’ouvrir trois fois côtoie l’élite
cette bouteille depuis et mes impressions
d’alors n’en ont été que confirmées. R. I. C ’est au sein de l’équipe de La Revue du vin
de France que j’ai pu m’initier à la dégus-
tation des primeurs de Bordeaux en mars
CHÂTEAU LAFITE 2011. Un exercice compliqué dans les premiers
temps pour moi qui n’avais l’habitude de
ROTHSCHILD 1959 goûter que les vins en bouteille. Un voyage en
Médocdelongenlargequinousfaitparcourir
Un voyage au pays lespropriétésetdompteraufuretàmesurece
Château Lynch Bages,
de la race “lafitienne” fameux millésime 2010 dont il était question.
C’est à Pauillac, en compagnie de Jean-
un cinquième cru classé
au niveau des plus grands.

P armi les Premiers crus classés du Médoc, Charles Cazes, que j’ai eu l’un des coups de
Lafite Rothschild est parfois le plus dis- cœur de cette campagne primeur. Ce vin

114 - LA RVF N° 641 - MAI 2020


Bordeauxdelégende
à nez, au détour d’une rue, avec un nouveau
bar à vins sobrement appelé Le Wine Bar.
Conscience professionnelle oblige, nous
décidons de tester ce nouvel établissement
et nous ne sommes pas déçus. Nous y décou-
vrons une des cartes des vins les plus folles
qu’il m’ait été donné de voir. Elle comporte
un nombre incalculable de grands vins de
Bordeaux dans des millésimes anciens pro-
posés pour quelques dizaines d’euros : Haut-
Brion 1956 à 120  €, Château Petit-Village
1990 à 70 €, Château Margaux 1976 à 140 €…
Incroyable !
Au milieu de ces trésors, un vin m’inter-
pelle : Château Lynch-Moussas 1955, l’un de
mes millésimes anciens préférés, vendu pour
E n février 2004, je suis invité à Vienne, en
la somme dérisoire de 80 €. Nous demandons
au propriétaire à voir la bouteille, qui présente
un niveau quasi impeccable. Nous décidons
donc sans hésitation d’en acquérir une sur le
champ pour la déguster, et quelle surprise !
Le vin fait preuve d’une vigueur et d’une fraî-
cheur incroyables. Aucune trace de “poussière
humide” que l’on peut trouver sur des vins
d’un tel âge, mais encore des fruits rouges,
du miel, de la prune, le tout porté par une
belle trame acide agrumée. Il aurait été facile
E n2010,avecOlivierPoels,nousréalisions
D. R.
Les coordonnées des domaines en page 140
Les Dégustations
de lui donner vingt ou trente ans de moins à
l’aveugle. Ce Lynch-Moussas 1955 reste gravé
dans ma mémoire comme le parfait exemple
du potentiel de garde incomparable des
grands vins de Bordeaux. J.-B. T. de B.
CHÂTEAU MOUTON
ROTHSCHILD 1945
L’eucalyptus et la
menthe me font douter
Autriche, par Dorli Muhr, l’ex-épouse de
Dirk Niepoort (vins portugais du Douro). Le
séjour est axé sur plusieurs événements, dont
la vente de vins d’un collectionneur américain
à l’hôtel du Palais Coburg. Visites du vignoble
autrichien et dîners autour de quelques très
beaux vins doivent s’enchaîner durant trois
jours. Peter Pühringer, un homme d’affaires
allemand propriétaire du Palais Coburg, pos-
sèdeunemagnifiquecollectiondegrandsvins
du monde entier. À l’issue de l’un des dîners,
nous sommes conviés à rejoindre ses appar-
tements privés. Une poignée de journalistes,
la chef du département international du vin
de Sotheby’s, Serena Sutcliffe, et moi-même
atterrissons sur le toit-terrasse du Palais.
Tout en admirant Vienne de nuit, on nous
sert un Mouton Rothschild 1945. Je n’en crois
pasmesyeux.Sarobecouleurébènetrahitson
âge,ilembaumeplusl’eucalyptusetlamenthe
que les notes de havane et de bois précieux si
caractéristiques des grands pauillacs. Serena
Sutcliffe, qui a bu maintes fois ce vin de son
année de naissance, est tout aussi dubitative
quant à l’origine de ce nectar qui a plus l’ac-
cent d’un vin américain que d’un médoc.
De passage au château Coutet en septembre
2019, je croise Aline Baly, directrice marke-
ting de Mouton Rothschild, qui a récemment
dégusté ce Premier cru classé de Pauillac. Elle
me confirme que ce légendaire 1945 sent bien
l’eucalyptus et la menthe. Ouf ! c’était bien
un authentique Mouton Rothschild 1945 que
nous avions dégusté. R. P.
CHÂTEAU PICHON-
LONGUEVILLE BARON
1945
Magnum
L’un de mes plus beaux
moments de plénitude
une dégustation verticale du Château
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 115
T. Legay
Roberto Petronio a été très intrigué par
ce Mouton Rothschild 1945 dégusté à Vienne.
Pichon-Longueville Baron, à Pauillac, afin de
mesurerlesprogrèsconsidérablesréaliséspar
ce deuxième cru classé depuis son rachat par
la société Axa Millésimes en 1987. Le château
nous a alors ouvert quinze millésimes, de
2009 à 1995. Puis, au cours du repas, Christian
Seely, le gérant de Pichon Baron, et Jean-René
Matignon, son directeur technique, nous
réservent une sacrée surprise : trois vieux
millésimes du cru qu’ils nous servent en
magnum, à l’aveugle. Charge à nous d’identi-
fier le millésime.
Si 1961 a très vite été trouvé, nous avons
eu plus de mal à identifier le millésime 1959.
Mais c’est avec la dernière bouteille, que nous
pensions être un 1969 ou un 1971, que la sur-
prise a été totale. C’était un 1945 d’une jeu-
nesse incroyable, aux notes de fruits confits,
d’épices,decigare,avecunetexturedebouche
d’un très grand velouté. Chaque gorgée nous
apportait un nouveau déploiement d’arômes
et de sensations.
Mais ce qui nous a le plus émus, c’est sans
doute l’émotion qu’a procuré ce vin à Jean-
René Matignon, qui n’avait jamais eu l’oc-
casion de le goûter auparavant. « Lorsque j’ai
ouvert le magnum dans la matinée, j’étais persuadé
que le vin était déjà passé. Je l’ai laissé reposer,
s’aérer et après deux heures, il a retrouvé vie et s’est
magnifié », nous raconta Jean-René Matignon,
comme s’il venait de ressusciter un mort. Ce
vinmagiquedemeurepourmoilepauillacqui
m’aprocurél’unedesplusbellessensationsde
plénitude. J. B.
 Les Dégustations
Encouverture
cisément dans le Médoc qui représentait à reuse et dépourvue d’étiquette.Sitôt
Saint-Estèphe mes yeux l’eldorado œnologique. Le château ouverte, sans protocole pompeux,il
Haut-Marbuzet jouissait déjà, à l’époque, m’en servit un verre, en annonçant
d’une excellente réputation ; c’est donc tout fièrement : « Haut-Marbuzet 1982 ! ».
CHÂTEAU naturellement que j’y ai sollicité et obtenu un
rendez-vous pour une dégustation.
Les premiers effluves furent un
choc. Un nez envoûtant et complexe
HAUT-MARBUZET 1982 C’est un petit homme affable, au regard aux notes de fruits noirs, d’épices,
Ce vin a marqué ma vie malicieux et pétillant, qui me reçut. Henri
Duboscq avait le verbe haut, l’esprit aiguisé et
de délicat fumé. Je m’en souviens
encore. La bouche, tout en déli-
de jeune dégustateur un grand sens de la générosité. Après m’avoir
fait déguster le dernier millésime en bou-
catesse, en rondeur, exprimait
la suavité qui a toujours fait

C ’était en 1992, j’avais 21 ans et une pas-

sion grandissante pour le vin. Profitant
de quelques jours de congé, j’avais organisé
teille, comme le veut la coutume, et visible-
ment ravi de nos échanges et des questions
que je lui posais, il disparut quelques minutes
la réputation du cru. Aucun
doute, ce vin avait marqué
ma vie de jeune dégustateur.
mon premier voyage à Bordeaux, plus pré- avant de revenir avec une bouteille poussié- Il allait longtemps servir de
“mètre étalon” à mes dégus-
Incontournable à Saint-Julien, le château Beychevelle reçoit quelque 20 000 visiteurs tations. J’ai eu l’occasion par
chaque année, dont notre dégustatrice Laurie Matheson à l’été 2019. la suite de déguster ce vin à
plusieurs reprises, dont un
magnum acquis récemment
qui s’est montré d’une très
belle expression, toujours
émouvant. O. Pls

D. R.
CHÂTEAU
MONTROSE Dégusté à quinze
1990 ans d’intervalle,
il n’a pas bougé.
Il a bouleversé
mes convictions
L a première scène se passe en 2004. Alors
jeune dégustateur plein de certitudes et
fou de Bordeaux, je participe à un dîner entre
amis au cours duquel de grands vins sont
dégustés à l’aveugle. Une bouteille balaye tout
sur son passage et crée l’unanimité : Château
Montrose 1990. Ce vin change alors ma per-
ception et mes convictions. Un nouveau
continent de compréhension du vin s’ouvre
à moi, car j’ignorais qu’un bordeaux pou-
vait développer une telle puissance et inten-
sité. C’est un tango vibrant entre puissance
et grâce, avec une densité folle de fraîcheur
d’eucalyptus et de réglisse, un pur velouté de
fruits noirs avec des notes de cuir, de boîte à
cigares et un équilibre parfait. Ce vin devient
alorspourmoiuneréférencedontpeusesont
approchés depuis.
Quinze ans plus tard – il y a donc quelques
mois –, l’excitation est à son comble : j’ai l’oc-
casion de goûter à nouveau ce vin, apporté
par un ami dans un restaurant de Bordeaux.
Hasard de la vie, alors que nous sommes à
peine attablés, entre dans l’établissement un
des participants du dîner de 2004 ! Je ne peux
évidemment m’empêcher de l’inviter à par-
tager cette bouteille avec nous. Dès les pre-
miers effluves, nous nous dévisageons, cho-
qués : le vin est exactement comme dans nos
D. R.

116 - LA RVF N° 641 - MAI 2020


Bordeauxdelégende
souvenirs. Après l’avoir goûté, il lâche : « C’est
dingue, il n’a pas bougé ! ». En effet, ce Montrose
1990 est comme les plus grands vins de
Bordeaux : il a su rester figé dans l’excellence
pendant de nombreuses années. J.-B. T. de B.
Saint-Julien
CHÂTEAU
BEYCHEVELLE
1998
Magnum
La délicieuse harmonie
d’une journée estivale
F. Leseigneur
V ivant à Paris, je suis en manque de
vignobles. Toutes les occasions sont
bonnes pour m’y rendre. Été 2019, après
Pas de doute pour Olivier Poels, Las Cases 2016
une matinée culturelle à la Cité du Vin de
marquera l’histoire des grands vins de Bordeaux.
Bordeaux, nous prenons notre temps pour
rentrer à Soulac-sur-Mer au nord du Médoc,
où nous sommes en vacances avec des amis
qui découvrent la région. Aucune urgence
pour rentrer puisqu’au menu du soir, un
duo de jeunes est aux commandes. J’ai tout
de même un programme à tenir, car nous
sommes convenus que je donnerai des
petits cours avec accords mets et vins.
Le principe étant qu’un chef tiré au sort
et son commis achètent et préparent
le repas de l’apéro au dessert, selon un
budget. Établi depuis quelques années,ce
challenge familial permet à tout le monde
de profiter des congés !
Le magnum décanté le matin
nous attend. Nous voilà donc à faire
des pauses sur les parkings devant
les grilles de Palmer et Margaux.
Prendre la route de Beychevelle
pour voir le château du bord du
fleuve avec ses carrelets. Puis Pichon
Comtesse, Baron et Latour, et cap
sur le port mélancolique de Pauillac.
Flâner dans les jardins de Mouton,
poursuivre la route pour aperce-
voir Lafite, direction Saint-Estèphe,
avec Cos si étonnant… Pour par-
faire enfin l’harmonie de la journée
en nous régalant d’un magret de
canard poêlé et petits farcis à la
ricotta. Le vin est à maturité, avec
de la réserve. Il dévoile des notes
d’épices douces, sous-bois et prune
confite. Élégant, puissant, complexe, Olivier Poels voue parfait des planètes, conjonction
d’une belle texture et longueur. Un une passion pour ce entre une climatologie idéale,
grand et délicieux saint-julien. L. M. grand saint-julien. des connaissances techniques
Les Dégustations
CHÂTEAU LÉOVILLE
LAS CASES 2016
Ce millésime reste
“ma” référence
J
e n’en ai jamais fait mystère, parmi
les grands vins de Bordeaux, je
voue une passion à ce cru de Saint-
Julien d’une régularité absolue depuis
près de quarante ans. J’ai eu la chance
de déguster tous les grands millé-
simes produits ici, dont les 1986,
1989,1990,1996,2001,2005,2009,
2010…Desvinsd’uneprofondeur
et d’une intensité qui me parlent
particulièrement.
Mon premier contact avec le
2016 remonte au printemps 2017,
au moment des dégustations
primeurs. On pourrait dérouler
les superlatifs pour commenter
ce vin. Pour ma part, je le consi-
dère (avec quelques autres crus)
comme ce que Bordeaux a pro-
duit de plus grand dans son his-
toire.Jen’aiaucundoutesurlefait
que ce 2016 marquera, par son
équilibre et sa définition, l’his-
D. R.
toire des grands vins de caber-
net-sauvignon. Un alignement
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 117
abouties (ce qui n’était pas encore le cas dans
les années 80), des rendements maîtrisés, du
matériel de pointe et des moyens d’opérer des
sélections strictes. Dès les dégustations pri-
meurs, j’identifiais donc un vin immense.
Dégusté à plusieurs reprises après mise
en bouteilles, il ne m’a jamais déçu, faisant à
chaque fois montre d’une puissance et d’un
équilibre parfait. L’histoire nous dira si l’évo-
lution climatique, le développement des
techniques viticoles et œnologiques à venir
permettront d’aller encore plus loin… D’ici là,
ce 2016 demeure “ma” référence. O. Pls
DOMAINE
DU JAUGARET 1996
Gagné par la mélancolie
du gardien de phare
L es chais en terre battue, où l’on sent le
vin organiquement lié à la terre, il n’y
en a plus beaucoup à Bordeaux. Me vient
forcément à l’esprit celui du château Tertre
Rotebœuf, à Saint-Émilion, dont la visite à
chaque fois m’enchante, bol d’air (im)pur
après tant de lieux de vinification et d’élevage
architecturés, ripolinés, cliniques.
Un chai en terre battue, j’en ai connu un
autre à Saint-Julien, prestigieuse commune
médocaine devenue fief monopolistique des
grands crus classés. Enquêtant pour La RVF
en 2013 sur les “insoumis” de Bordeaux, j’étais
allé à la rencontre de Jean-François Fillastre,
septuagénaire cultivant à peine plus d’un hec-
tare de vigne, au cœur du village. Arrivé sous
la bruine et dubitatif, je fus peu à peu pris par
le personnage, qui m’évoquait un gardien de
phare paysan au milieu des déferlantes capi-
talistes, par le lieu faiblement éclairé, ses éma-
nations, par les vins sincères et artisanaux que
je goûtais à la barrique (des cuvées régulière-
ment rejetées à l’agrément). J’oubliais le poids
du puissant voisinage et me laissais gagner par
un sentiment d’éternité vigneronne.
Puis nous sommes allés déjeuner au
Lion d’Or, à Arcins. Monsieur Fillastre avait
sous le bras un 1996, ouvert sitôt que nous
fûmes attablés. Un vin à l’abord réservé, sobre,
solide comme son géniteur, mais d’une grande
richesse de sève, s’épanouissant au fil du repas
jusqu’à paraître velours absolu au dernier
verre. La compagnie pure et mélancolique de
ce moine vigneron, cette auberge délicieuse-
ment surannée, les landes de bruyères traver-
sées me rappelèrent que si, à Saint-Émilion,
nous sommes déjà en pays romain, roman,
presque méditerranéen, le Médoc est un finis-
tère, une Écosse des vignes pleines de légendes
et de romantiques tragédies. P. Ci
 Les Dégustations
Encouverture
passer dire bonjour à mon amie, en profiter
pour acheter du vin à l’occasion de l’anni-
versaire que nous fêtions. Quel bel endroit !
Les bâtiments bourgeois du XVIIe siècle, les
vignes tombant en cascade vers l’église et le
village.
Nous avons offert à nos fils, tous deux nés
en 1998, une bouteille à mettre en cave pour
plus tard… Et, secrètement, une troisième,
une surprise pour s’en délecter le soir même.
Les garçons ne voulaient plus quitter leur
trésor des yeux, les bouteilles furent portées
dans les chambres et posées tout près des
lits en arrivant à la maison. Je me souviens
qu’ils s’épiaient pour voir si l’autre n’allait pas
toucher le précieux coffret bois de l’autre…
Quelle joie lorsque nous leur avons dévoilé
le secret en ouvrant la dive bouteille pour en
boire « un petit peu » ! C’était riche, gourmand,
c’était bon ! Leurs bouteilles sont toujours en
cave… L. M.
T. Legay

Alexis Goujard : « N’attendez pas quarante ans

CHÂTEAU
pour vous régaler d’un sauternes ! ». CLIMENS 2001
Ce que Climens m’a
SAUTERNES appris sur la dégustation
ET BARSAC
C limens est pour moi l’un des plus grands
vins liquoreux de la planète par son éclat
et la palette aromatique très complète qu’il
dévoile avec une pureté et une fraîcheur
CHÂTEAU exceptionnelles. C’est un vin qui trans-
cende. En 2002, je goûtais les bordeaux
dattes de Bam, que j’ai mangées fraîches et
avec gourmandise dans le sud de l’Iran. J’en
D’ARCHE 1998 primeurs du millésime 2001 avec Michel fais part à Michel Bettane qui, ne connaissant
Une surprise pour Bettane et Thierry Desseauve. Un millé-
sime d’anthologie à Climens, né sous les
pas ce type de datte, me reprend : « En dégus-
tation, ne fais jamais référence à quelque chose que
nos enfants meilleurs auspices climatiques. Je reve-
nais de plusieurs années en Asie et mes
personne ne connaît. La dégustation doit rester
un langage universel et compréhensible de tous ».

C ’était il y a douze ans, début

août, lorsque mon fils était
plus jeune, nous sommes allés avec
sens étaient encore très inspirés par
des amis au parc accrobranche sur
le Ciron, à Bommes. Nous avons
aussi fait du kayak sur la char-
mante rivière, source des brumes
matinales si précieuses aux vins de
la région ; incroyable ! Je trouvais
magique de pouvoir m’amuser en
familledansl’ombredecevignoble
majestueux et solennel. Après ces
moments de joie, nous avons pris
la route des châteaux, en ne croi-
V. Bengold
les pays que j’avais traversés.
Pour les primeurs, Bérénice Lurton
est la seule propriétaire à Bordeaux à
ne pas faire goûter un assemblage
prédéfini du millésime, mais à pro-
poser de déguster directement à
la barrique les différentes tries. Un
exercice extrêmement intéressant
qui illustre tout le travail de trie mené
pendant les vendanges par l’équipe
de Climens. Ainsi, à mesure que nous
dégustions les lots en cave, nous pou-
vions nous rendre compte, dans le
Michel avait parlé avec raison. Je n’ai jamais
oublié ce conseil et les arômes de dattes se
sont évanouis dans la complexité de ce remar-
quable Climens 2001 qui a mis du temps à
s’ouvrir, mais qui, aujourd’hui, est peut-être
l’un des plus beaux millésimes du château.
J. B.
L’EXTRAVAGANT
DE DOISY-DAËNE 2002
Il m’a dévoilé le style
des grands liquoreux

sant quasiment personne par cette vin en cours d’élevage, de l’influence

chaleur estivale. J’étais toute sur-
prise de ne pas y voir de touristes,
lorsque Saint-Émilion, bondé,
n’est qu’à une heure de route de
Barsac et Sauternes. Notre destina-
tion était le château d’Arche pour
des épisodes climatiques, de l’évolu-
tion de la maturité du sémillon et des
variations aromatiques.
2001, l’un des plus Dans l’un des lots, je perçois un
grands millésimes arôme parmi d’autres qui me fait
de Climens. penser immanquablement aux
L e sauternes, c’est le grand mal-aimé de
Bordeaux : mévente qui perdure, rejet
des vins liquoreux par les consommateurs,
difficulté et coûts élevés de production…
Pourtant, quand ce vin atteint un équilibre
souverain, quelle parfaite intégration des

118 - LA RVF N° 641 - MAI 2020


sucres, quelle richesse de saveurs et
d’arômes ! C’est le cas de L’Extravagant
de Doisy-Daëne, une exceptionnelle
cuvée que je retiens pour illustrer la
grandeur de ce chef-d’œuvre en péril
qu’est Sauternes. Bu il y a trois ans,ce
vin s’est inscrit dans ma mémoire
et a agi comme le révélateur de
la variété et de la complexité des
styles que les grands liquoreux
bordelais peuvent offrir.
Doisy-Daëne, propriété de
Barsac voisine de Climens, appar-
tient à la famille Dubourdieu qui
y élabore des vins toujours fins
et précis. À côté de la cuvée clas-
sique, à dominante de sémillon,
L’Extravagant n’est produit que
dans les meilleurs millésimes,
issu d’une trie beaucoup plus
riche, souvent plus tardive, de
raisins pleinement botrytisés,
avec souvent une proportion de
sauvignon plus importante dans
l’assemblage. Ce 2002 est frap-
pant par son caractère très suave,
empreint d’une grande fraîcheur,
avec un botrytis subtil et très fin.
Les Dégustations
Bordeaux de légende
Bâtiments du XVIIe siècle,
vignes tombant en cascade
vers l’église et le village :
la magie du château d’Arche
ne peut que vous gagner.
D. R.
Il étonne par sa vivacité et sa délicatesse,
qui évoque plus certaines vendanges tar-
dives ou grands beerenauslese allemands.
L’aciditéapportéeparlesauvignoncontre-
balance la quantité importante de sucres
résiduels (230 grammes). Une friandise
magistrale, à boire avec recueille-
ment. J.-E. S.
CHÂTEAU
DE FARGUES 2006
Le réconfort d’un
jeune sauternes
À l’écoute des annonces terribles
de la pandémie du corona-
virus et à l’appel au confinement
des Français, il fallait une grande
bouteille pour retrouver de l’opti-
misme. L’envie d’un beau liquoreux
se dessine. Pourquoi attendre plus
D. R.
de quarante ans qu’un sauternes
“mange” ses sucres pour le boire ? La
Fargues : richesse suave d’un jeune liquoreux
sa production nous love immédiatement dans un
relève de l’orfèvrerie. grand confort. Le 2006 du château
Les coordonnées des domaines en page 140
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 119
de Fargues m’a semblé convenir parfaitement
à la situation.
Cette année-là, le château de Fargues a pro-
duit une demi-récolte habituelle. Quatre tries
drastiques étalées du 8 septembre au 2 octobre
ont été opérées pour se débarrasser de la pour-
riture acétique sur les raisins provoquée par
les redoutables drosophiles. Le résultat de
cet assemblage à dominante de sémillon avec
du sauvignon est une prouesse. Le temps fait
évoluer paisiblement les arômes de fruits exo-
tiques, d’orange confite, une touche safranée
et une sensation d’acidité volatile élevée
rehaussant l’ensemble. La bouche conserve
une liqueur intense à l’enveloppe charnelle
incomparable. Voilà l’archétype d’un grand
vin liquoreux dont la production relève de
l’orfèvrerie. En effet, un pied de vigne peut
offrir héroïquement l’équivalent de quelques
verres de vin. De plus, il faut entretenir un rap-
port particulier à la dégustation avec lui. C’est
l’anti-glouglou, le contraire des vins fruités et
légers à la mode que l’on boit à la régalade. Il
faut laisser venir ce Fargues. Le sentir tranquil-
lement, le boire par petites gorgées et jouir de
sa finale interminable. A. G.
CHÂTEAU
D’YQUEM 1937
L’expérience de la durée
selon Bergson
L ’été 2005 ensoleille Paris. Je finis le stage
diplômant pour mon Master en manage-
ment de la restauration chez le traiteur pari-
sien Potel et Chabot. Ne pouvant être en cave,
je m’occupe du planning des maîtres d’hôtel.
L’un d’eux, connaissant mon amour grandis-
sant du vin, arrive un vendredi après-midi
d’août, juste avant que je ne reprenne mon
train pour rentrer à Angers. « Tu dois goûter
ça », dit-il en me tendant un flacon bleuté au
verre ancien, bullé. L’étiquette de la bouteille,
à moitié pleine, indique Yquem 1937. Le direc-
teur du département me montre la pile de
gobelets à café ; nous n’avions pas de verre. J’en
remplis six pour l’équipe, quelques centilitres.
Puis je goûte, et le temps s’arrête.
Tout se dilate, le vin est si complexe, si subtil,
je n’avais jamais rien dégusté d’équivalent, où
autant de qualités, de nuances se fondent tout
en projetant une fulgurance d’images men-
tales. Bergsonienne de formation, je me dis
que ça doit être cela, l’expérience de la durée.
À la première gorgée, je sais que, dorénavant,
ma voie doit être le vin. J’embarque avec moi
le reste de la bouteille offerte et redéguste le
vin le lendemain avec celui qui allait devenir
mon maître à goûter, Patrick Rigourd, dans

sa cave angevine. La magie est là, intacte. Je
commence ma formation en sommellerie
avec lui quelques semaines après. Les grands
liquoreux de botrytis purs, sans corruption
artificielle de cette magie naturelle, relèvent
des grands chefs-d’œuvre de l’histoire du vin.
Sauvons-les. P. L.
CHÂTEAU
D’YQUEM 1988
Un accord
fusionnel avec
ce nectar
I noubliable dans la vie
d’un sommelier, ma
première visite au château
d’Yquem a eu lieu précisé-
ment le 26 novembre 1988,
un jour de brouillard, par-
fait pour favoriser l’indis-
pensable botrytis cinerea qui
complexifie les grands vins
de Sauternes. C’était un mil-
lésime très tardif, même s’il
est arrivé de rentrer des rai-
sins d’Yquem en décembre.
J’étais accompagné de Jean-
BernardBravo,anciencopro-
D. R.
priétaire du cru classé châ-
teau Caillou à Barsac. Nous
La magie d’Yquem
1988 a marqué
Christian Martray.
avions d’abord rendez-vous
au domaine contigu, château
Raymond-Lafon, propriété
Les Dégustations
Encouverture
de Pierre Meslier, maître de chai du château
d’Yquem. Puis il nous dévoila les coulisses
d’Yquem, nous offrant les premières gouttes
du précieux nectar qui coulait des pressoirs
verticaux, un moment qui permet de réaliser
le travail et la fragilité dans l’élaboration d’un
grand vin de botrytis.
Presque vingt-cinq années plus tard,
au Hameau Albert 1er, je réunissais comme
chaque mois nos clients autour d’un
domaine qui venait présenter ses vins à mes
côtés. Pour la cinquantième de ces déjeuners
œnologiques, château d’Yquem et château
Cheval Blanc nous avaient fait l’honneur
de leur présence, avec Sandrine Garbay
pour Yquem et Pierre-Olivier Clouet pour
Cheval Blanc. Entre autres trésors, Yquem
1988 fut servi sur une clémentine soufflée
et une crêpe Suzette safranée… Les parti-
cipants s’en souviennent encore ! La magie
d’Yquem 1988 opérait, la sensation de sucro-
sité s’estompait avec le temps et l’accord avec
le safran et les agrumes de ce dessert était
fusionnel ! C. M.
CHÂTEAU LAFAURIE-
PEYRAGUEY 1906
Une verticale
d’anthologie pour
les 400 ans du château
E n décembre 2018, une verticale d’an-
thologie est organisée au restaurant de
Lafaurie-Peyraguey pour fêter les 400 ans de
120 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
En 2018, Lafaurie-
Peyraguey a fêté
ses 400 ans autour
d’une exceptionnelle
verticale de ses vins.
R. Petronio
ce Premier cru classé de Sauternes : 25 millé-
simes entre 1906 et 1945 sont servis lors d’un
dîner exceptionnel. Silvio Denz, propriétaire
depuis 2014, reçoit pour l’occasion une quin-
zaine de personnes, amis, responsables du
château et journalistes spécialisés. En charge
de la carte des vins du restaurant de Lafaurie-
Peyraguey, je participe à cette dégustation.
Tandis que nous sommes installés à table, des
séries de quatre millésimes nous sont servies,
enverticalecroissante,accompagnéesdeplats
raffinés du chef Jérôme Schilling.
J’avais déjà eu l’occasion, comme mes com-
pagnons d’un soir, de déguster des vieux sau-
ternes, preuve si besoin du potentiel de garde
incroyabledecesliquoreux.Cequimarqueles
convives ce soir-là, c’est la capacité de chaque
millésime à garder une personnalité, une
gamme aromatique ou une liqueur qui lui est
propre.Parmiles1913,1920etautres1929,tous
detrèsgrandsvins,j’airetenule1906.Unlivret
deprésentationdétaillelescaractéristiquesde
chaque millésime. Commentaire sur 1906 :
« Un millésime d’une rare puissance, avec du corps
et du volume, des vins qui doivent s’affiner ». Un
sourire m’échappe : un vin de 112 ans qui doit
encores’affiner…Ehbien,oui!Cevinpourrait
s’affiner. Certes, son nez de réglisse, de tabac
etdeboisde santal étaitenvoûtant. Labouche
était marquée par une grande acidité, un
velouté charmeur et des notes de mirabelle,
de gelée de coing et de mangues séchées. Mais
quel potentiel encore ! Unanimement, ce vin
conquit, surprit et donna le ton à cette soirée.
La concentration se fit d’un coup, l’attention
s’intensifia, le moment était prêt à s’inscrire
dans notre mémoire. R. I.

Bordeaux de légende
Rive droite
De Clinet à Roc de Cambes,
ils les ont étonnés et séduits
Si les vins de Saint-Émilion et Pomerol sont les plus cités, d’autres cuvées issues d’appellations
plus simples se sont elles aussi imprimées à jamais dans la mémoire de nos dégustateurs.
POMEROL
CHÂTEAU CLINET 1988
Servi en Bourgogne,
ce pomerol fut
un enchantement
U ne journée qui ne débutait pas comme
les autres, où l’on a le plaisir et le privilège
de déguster au domaine de la Romanée-Conti.
Nous étions en Bourgogne avec quelques amis
sommeliers. Dégustation le matin, un cérémo-
nial immuable : d’abord les vins jeunes en fûts,
puis de vieux millésimes et, en bouquet final,
nous sont servis par le maître de la cave, le
grand Bernard Noblet, la romanée-conti 1965
et le Grand cru montrachet 1993. Nous par-
F. Leseigneur
En visite à La Romanée-Conti, Christian Martray
garde un souvenir ému d’un Château Clinet 1988
servi sur une épaule d’agneau rôtie.
Les Dégustations
tions ensuite déjeuner chez l’organisateur de
cette visite, le regretté Jean-Claude Pion, alors
agent de la Conti. Notre hôte nous montrait
un bel esprit d’ouverture, puisqu’il nous servit
quelques bouteilles de Château Clinet 1988.
Ce fut un enchantement, une révélation ! Ce
vin était traversé jusque dans sa chair par des
saveurs marquées de truffe noire d’une telle
intensité ! Arômes que l’on doit à la présence
dominante de merlot, dont on parlait dans les
livres mais que je n’avais pas eu l’occasion de
constater dans un pomerol né sur un grand
terroir. Ces subtils effluves m’avaient envoûté.
Cela se mariait à la perfection avec une épaule
d’agneau rôtie dont j’ai encore le souvenir.
À plusieurs occasions, j’ai dégusté Château
Clinet sur des millésimes plus récents et tou-
jours constaté qu’il lui fallait quinze à vingt
ans pour exprimer ces notes tertiaires si
caractéristiques et si plaisantes à nos palais. Je
retrouvais récemment ces notes truffées avec
l’excellent fronsac Château La Rousselle 2001
et avec Château Lacroix-Lartigue (Castillon-
Côtes de Bordeaux), deux vins plus acces-
sibles. C. M.
PÉTRUS 1953
Magnum
C’était un faux !
H iver2010.Lorsd’unvoyageenAsie,avec
Bernard de Laage De Meux, l’ex-direc-
teur export de château Palmer, j’ai la chance
de croiser un grand collectionneur à Macao,
Louis Ng Chi Sing. Il nous reçoit à l’hôtel-
casino Grand Lisboa de Macao. Au menu :
cuisine italienne. Durant le repas, des vins
plus somptueux les uns que les autres nous
sont servis : champagne du domaine Jacques
Selosse, montrachet 1988 du domaine de la
Romanée-Conti, Châteaux Palmer 1966, puis
un Château La Mission Haut-Brion 1961 avant
de clôturer par un splendide La Tâche 1971.
Peu avant la fin du repas, Louis Ng Chi Sing
demande à Bernard de Laage son année de
naissance.Ilmeconvieàvenirvoiruneinfime
partie de sa collection où trônent de magni-
fiquesflaconsdontunmagnumdePétrus1953
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 121
avec lequel nous revenons à table. Une fois le
repas achevé, il fait servir ce vin icône. Dès le
premier nez, je ne retrouve pas les notes de
truffe caractéristiques d’un grand pomerol à
son apogée, ni toute sa complexité. Doutant
du flacon, je glisse à l’oreille de Bernard : « J’ai
l’impression que c’est un faux ». Bernard abonde
dans mon sens. Je pressens un moment délicat
qui va chahuter soit mon expertise, soit mon
savoir-vivre. Je tranche en éclairant notre
hôte de mon ressenti. Ni une ni deux, il fait
débarrasser les verres et la bouteille. Une
atmosphère glaciale vient figer cette fin de
soirée. Bernard me murmure alors à l’oreille :
« Je pense que son fournisseur va entendre parler de
lui, dès demain ! ». R. P.
CHÂTEAU
TROTANOY 1994
Un vin touché
par la grâce
N ous étions trois compagnons
de table lors d’un déjeuner
de juillet 2017. L’un venait
accompagné d’une côte de
bœuf, une race croisée d’Angus
et Salers maturée 90 jours. Les
deux autres se chargeaient de
trouver les vins pour épouser
au mieux la belle pièce de
viande. Parmi les quelques
flacons ouverts, le Château
Trotanoy 1994 me laisse un
grand souvenir.
La bonne compagnie de mes
francs buveurs et la position
parfaitedesplanètesontcertai-
nement contribué à l’immense
plaisir que cette bouteille m’a
procuré ; ce millésime ne s’ins-
D. R.
crivant en effet pas parmi les
plus inoubliables de Bordeaux.
Une partie de la vendange a
Trotanoy 1994 :
une gourmandise
d’ailleurs été généreusement splendide.
arrosée par la pluie, donnant
naissanceàdesvinssouventmaigres.Lesmer-
lots de Trotanoy s’en sont sortis à merveille.
À cette date précise du déjeuner, ce vin est
touché par la grâce en étant à parfaite matu-
rité. Tout en nuance, en rien démonstratif,
pas trop puissant, avec une pointe de rugosité
commes’ilavaitsouffertd’unemétéodifficile,
de fines saveurs de réglisse et de cédrat pro-
longeant une bouche soyeuse. D’une gour-
mandise splendide ! Une certaine sérénité se
dégage de ce petit cru appartenant à la famille
Moueix et magnifié par l’intuitif Jean-Claude
Berrouet. A. G.
 Les Dégustations
Encouverture

VIEUX CHÂTEAU lors de l’exposition de tableaux de maîtres

anciens. Matthieu Fournier, commis-
Émilion, avec une philosophie du naturel et
du millésime, la recherche du point de matu-
CERTAN 1993 saire-priseur chez Artcurial, commen- rité optimale, en évitant les surmaturations.
L’habit ne fait tait les scènes religieuses, portraits et
esquisses pendant que nos convives se
Ausone est un cru taillé pour des gardes
éternelles, une célèbre dégustation de 1988
pas le moine régalaient les yeux et les papilles.
Nous avons dégusté des vins fran-
est remontée jusqu’au XIXe siècle, avec d’éton-
nantes révélations comme un 1831 encore

U n joli vin est souvent un vin de

circonstance. En 2011, alors
que j’étais commis sommelier à
çais ayant eu un lien commercial
historique avec la Belgique. Un bor-
deaux pour Anvers au Moyen Âge
l’Hôtel de Crillon à Paris, je travail- et un bourgogne pour la présence
lais avec mon chef-sommelier de au pouvoir des ducs de Bourgogne
l’époque, David Biraud, pendant au XIVe siècle. Trois natures mortes
un service du déjeuner. Un client magnifiques ont été mises en
régulier, que David connaissait lumière. Les éléments peints ser-
bien, lui demanda un conseil vant à illustrer une symbolique,
pour un vin de Bordeaux souple, parfois sans cohérence saisonnière.
pouvant accompagner son plat de Passionnant  ! De lecture parfois
viande et lui permettre de travailler facile, la pomme indique l’amour,
l’après-midi. Ce type de demande le raisin et le vin la renaissance et
était courant. David me demanda l’eucharistie. Et un peu moins pour
de lui préparer une bouteille de la fleur de pavot qui indique le som-
D. R.
vivant ou un 1945 qui faisait figure de jeune
homme ! Lorsqu’on dit qu’un vin s’étoffe avec
l’âge, Ausone en est l’exemple le plus éclatant :
il commençait sa carrière un peu fluet, struc-
turé sans excès, charnu mais sans lourdeur, il
pouvait être dédaigné dans les dégustations à
l’aveugle à une époque où quelques haltéro-
philes tenaient le haut du pavé.
Dans la verticale proposée à l’occasion de
ma rubrique “Vie de Château” en 1992, c’est le
1982 qui m’avait ébloui, avec une complexité
inouïe, faite de fruits rôtis, épices et bois exo-
tiques, avec une bouche riche et suave, une
richesse tannique égayée par une fraîcheur
tonique, une finale d’anthologie tant elle

Vieux Château Certan 1993. Je suis meil, un fruit frais l’abondance, un était équilibrée, le vin n’était pourtant pas
un fan absolu de cette propriété, fruit pourrissant la vanité, un citron encore à son apogée. Plus tard, en recevant
mais force est de constater que la en partie pelé le temps qui passe et mon co-auteur Hubert Monteilhet, j’ai servi
modestie (sur le papier) de ce mil- Un vin envoûtant un papillon l’âme ou la vanité et sa Ausone 1985 et 1986 sur des bécasses rôties.
lésime un peu maigre ne pouvait dans un millésime beauté éphémère… Si le 1986 épousait le côté saignant du volatile,
révéler la superbe de ce château. réputé faible. L’apothéose de notre soirée se le 1985 se mariait avec la “rôtie”, entrailles et
Je pensais même que David voulait punir ce déroula devant une toile figurative peinte par foie gras mixés, sorte de toast magique à la fois
client avec ce flacon, alors que je n’avais jamais Pieter Brueghel le Jeune (1564-1638), intitulée canaille et raffiné. Il est hélas aussi difficile de
dégusté ce vin. Le Roi boit !. Une scène d’épiphanie païenne se procurer des bécasses que des bouteilles
Mais lorsque je décantai ce flacon, je me festive dans la Flandre austère de l’époque. d’Ausone ! P. C.
rendis compte du plaisir parfait de ce vin au L’œuvre montre le roi du jour qui porte une
millésime modeste. Le nez était envoûtant, couronne et lève son verre, entouré de joyeux
plein de fruits noirs juteux, de cèdre et de drilles. La richesse du discours accompagnait
papier d’Arménie. La bouche était typique à merveille celle du vin. Grâce au merlot domi-
du château, crémeuse, aux tanins envelop- nant dans son assemblage, malgré son jeune
pants, et son niveau modeste le rendait très âge, il s’est révélé tout en élégance et gourman-
sapide. La longueur était peut-être en des- dise, quel bonheur ! L. M.
sous de celle d’un millésime plus bâti, mais
le plaisir et la gourmandise étaient au ren-
dez-vous. Le client était ravi. David me confia
avoir acheté ces bouteilles en primeur et être
SAINT-ÉMILION
tombé amoureux de ce vin, à un prix modeste
au regard du cru. Mon enseignement me rap-
pela que l’habit ne fait pas le moine et qu’il faut
toujours écouter un sommelier bienveillant et
CHÂTEAU
aguerri. P. V. P. AUSONE 1982
VIEUX CHÂTEAU
Le style si particulier
CERTAN, LA GRAVETTE de Pascal Delbeck
DE CERTAN 2017
Une passionnante
C
e sont les derniers millésimes de Pascal
Delbeck, avant qu’Alain Vauthier ne
reprenne les manettes de ce cru historique,
en lui imprimant un virage stylistique davan-
dégustation pour tage tourné vers l’air du temps. Pendant long-
accompagner Brueghel temps, un conflit a opposé les familles copro-
priétaires, mais Pascal n’a jamais dévié d’un

J ’ai récemment coanimé une soirée à

Bruxelles pour une centaine de convives
iota dans son respect de ce terroir magique, à
peine 6,5 hectares sur la côte calcaire de Saint-

122 - LA RVF N° 641 - MAI 2020

 Les Dégustations
Bordeaux de légende

CHÂTEAU boré avec 65 % de cabernet franc. Or, cela pré-

figure en réalité l’encépagement à venir de la
JEAN FAURE 2018 propriété, grâce aux nouvelles plantations en
Un saint-émilion cours. L’ayant dégusté à plusieurs reprises, en
fin de vinification, puis en cours d’élevage, j’ai
décalé et inspirant pu constater que ce 2018 livre déjà une partie
de l’avenir de Jean Faure. Ce saint-émilion

C ertains vins, très rares, sont capables de

préfigurer des styles en devenir, de mon-
trer une voie possible au-delà du cadre de
l’appellation, et c’est sans aucun doute le cas
de Jean Faure. Ce cru classé de Saint-Émilion,
situé à proximité des châteaux Cheval Blanc,
La Dominique et face à L’Évangile à Pomerol,
est conduit en biodynamie avec brio par son
propriétaire, Olivier Decelle, admirablement
secondé par Marie-Laure Latorre. Depuis son
rachat en 2004, l’homme a métamorphosé le
cru par des choix judicieux qui lui ont permis
de progresser très rapidement, sur une ligne
stylistique originale. Je le suis avec attention
depuis des années.
élancé, ciselé, au fruit croquant et frais offre
un profil presque ligérien. La vinification
en cuves béton, avec très peu de soufre, ren-
force encore l’éclat du fruit, souligné par des
tanins vibrants en bouche. Ce vin vivant, délié
et complexe tutoie déjà, malgré sa jeunesse,
son terroir argileux mêlé de crasse de fer. Jean
Faure 2018 révèle une autre vision des vins de
Saint-Émilion, très pertinente, décalée et ins-
pirante. J. B.
CHÂTEAU
FIGEAC 1971
Pierre Desproges

OlivierDecelleaimelesvinsélancés,aufruit
naturel et préservé, sans maquillage et il a un
goûtaffirmépourlecabernetfranc,quirepré-
sente plus de la moitié de l’encépagement des
18 hectares de Jean Faure. Le millésime 2018
voitunebonnepartiedesmerlotstouchéspar
G oûté en compagnie de la famille
le mildiou. Si bien que ce millésime a été éla-
Ausone, Figeac, Pavie Macquin, La Mondotte…
Saint-Émilion est une source intarissable
de grands vins qui ont marqué nos dégustateurs.
J. Baudouin
l’avait tant aimé
Manoncourt,propriétairedudomaine,
et de Frédéric Faye, son directeur, lors d’un
déjeuner au château, ce vin brillait de mille
feux. Pourtant, les millésimes servis à ses
côtés étaient des plus relevés : 2001, 1998,
1990,1989,1982,1966,1961,1959,1949…Moins
coté, 1971 fut pour moi le point culminant de
cette farandole de vins merveilleux qui illus-
traient tous la spécificité de Figeac, certes
construit sur les cabernets, comme les vins du
Médoc, mais d’une distinction d’arômes et de
texture qui lui sont propres. Si la robe a bruni,
le bouquet est sublime, palpitant, musqué
et “féminin”, une indéfinissable “odor di
femina”… Malgré la profondeur du nez, la
richesse de la bouche est inattendue, avec
un fruit suave, presque sucré, qui conserve
cependant une extrême délicatesse jusqu’à la
flamboyante finale.
Ce vin extraordinaire parvient à mettre
sous l’éteignoir le sublime 1982 qui le précé-
dait. Que possède-t-il de plus que les autres ?
C’est le millésime de Pierre Desproges ! « J’avais
commandé un Figeac 1971, mon saint-émilion pré-
féré. Introuvable. Sublime. Rouge et doré comme
peu de couchers de soleil. Profond comme un la
mineur de contrebasse. Éclatant en orgasme au
soleil. Plus long en bouche qu’un final de Verdi. Un
vin si grand que Dieu existe à sa seule vue. » Difficile
d’imaginer plus somptueuse description ;
inclinons-nous ! Elle est tirée de L’Aquaphile,
saynète des Chroniques de la haine ordinaire où le
narrateur déjeune avec une commensale pos-
T. Legay
Au milieu d’une verticale de Figeac, le millésime
1971 « brillait de mille feux » selon Pierre Citerne.
« Je ne l’ai plus jamais aimée. » Je pensais alors à
la mère de Thierry Manoncourt, qui pouvait
reconnaître chacun des millésimes de son
cru, à condition de les couper d’eau. C’est
du moins ce qu’on m’a raconté… Je pensais
aussi que l’assiette que j’avais devant moi – un
énorme pâtisson (du potager de Figeac) géné-
reusement farci de chair à saucisse, sorte de
soucoupe volante vert tendre, mamelonnée,
gratinée, posée sur un lit de coulis de tomate
– s’associait au 1971 dans une joyeuse incon-
gruité, visuelle et gustative, qui n’aurait peut-
être pas déplu à l’écrivain. P. Ci
CHÂTEAU
FIGEAC 2003
Avec lui, j’ai enfin percé
Le secret d’un tiers
P ar une matinée bien ensoleillée, dans
le village de Suze-la-Rousse, dans la
Drôme, un grand cru de Bordeaux a livré un
secret au jeune élève chinois bien décidé à
consacrer sa vie à l’univers du vin que j’étais.
Ce jour-là, un ami organisait une dégustation
chez lui. Parmi les belles bouteilles exposées,
j’ai tout de suite été attiré par une bouteille
endormie dans une chaussette toute noire…
Quel vin se cachait dans cette bouteille ? Face
à un tel mystère, je me suis empressé de le

sédant toutes les qualités jusqu’au moment déguster. La robe brillait sous le soleil avec un
où elle versa de l’eau dans le divin breuvage. reflet légèrement tuilé, son ampleur aroma-

Les coordonnées des domaines en page 140

LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 123


tique mêlait les fruits noirs et les fruits secs
torréfiés doucement, une note d’épices se
dévoilait lentement en bouche et j’y ai trouvé
la note mentholée que je découvre souvent
dans les cabernets franc et sauvignon. Les
tanins étaient riches mais bien poudrés, indi-
quant probablement une grande proportion
de barriques neuves pendant l’élevage.
« Rive gauche, c’est certain », ai-je dit à mon
ami. Il a souri et m’a répondu : « Alex, tu crois
que je proposerais un vin si facile à identifier ? ».
C’était Château Figeac 2003. Un cru de la Rive
droite bordelaise. Ce jour-là, je n’ai pas trouvé
la bonne réponse, les autres participants non
plus. J’étais si étonné : comment expliquer
qu’un vin de la Rive droite évoque l’âme des
crus de la Rive gauche ? Un an plus tard, après
avoir découvert le sol du château Figeac, plus
argileux sur la parcelle de l’ouest, moins gra-
veleux en bas de croupe, j’ai enfin compris
le “secret d’un tiers” (cabernet-sauvignon,
cabernet franc, merlot) : Figeac a écouté son
terroir en choisissant cet assemblage, c’est la
nature qui a créé ce chef-d’œuvre. A. M.
CHÂTEAU
FLEUR DE LISSE 2018
Le plaisir de découvrir
de nouveaux talents
C ontrairement à la bien-pensance snob
d’une part du monde du vin, la viticul-
ture et l’œnologie bordelaises ne sont pas
C’est en Suisse en 1997 que le sommelier Christian Martray a découvert le formidable saint-émilion de La Mondotte, une propriété jusque-là inconnue.
Les Dégustations
Encouverture
sclérosées. De fins stylistes émergent chaque
année. Le Château Fleur de Lisse 2018 m’a
beaucoup touché, car il illustre à merveille
ce qui anime notre métier de dégustateur :
détecter le potentiel de nouveaux talents dont
la sensibilité et la vision mènent au fil des mil-
lésimes à créer leur identité et à l’ancrer parmi
les plus beaux vins de leur secteur.
Propriétaire du château La Loubière en
Bordeaux, la famille Teycheney investit les
bas de coteaux de colluvions limono-cal-
caires de Saint-Étienne-de-Lisse en 2016,
au château Fleur de Lisse, en appellation
Saint-Émilion Grand cru. Patrick Teycheney
laisse les manettes à sa fille Caroline. Venue
du monde de l’horlogerie de luxe, la jeune
femme appréhende peu à peu la terre. Elle
nomme Nicolas Géré, passé à bonne école
chez Jean-Louis Chave, directeur technique
de la propriété. Lors d’une visite à la propriété
à l’automne dernier, le tandem me présente
ses trois premiers millésimes : 2016, 2017 et
2018. En trois ans, le bond de finesse et d’éclat
du vin est impressionnant. Le bouquet subtil
de fruits noirs et de réglisse du 2018, sa matière
concentrée extraite en douceur, portée par
des tanins établis tout en finesse, sont remar-
quables. Ce millésime commence à dessiner
la vision stylistique du château, témoignant
du passage en bio (certification en 2020) avec
des pratiques biodynamiques, une part géné-
reuse de cabernet franc (50 %), garant d’un
grain frais particulier, et un affinage en bar-
riques et jarres de terracotta. Un domaine à
suivre de près. A. G.
124 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
CHÂTEAU
PAVIE MACQUIN 1998
Un grand millésime
signé Maryse Barre
L ’énorme chêne du château Pavie Macquin
se dresse au faîte du plateau calcaire de
Saint-Émilion. C’est là qu’il y a plus de vingt
ans, je rencontrais Maryse Barre. Elle dirigeait
le château pour le compte des propriétaires
héritiers d’Albert Macquin, le fondateur, ingé-
nieur agronome qui vulgarisa le plant greffé
pour sauver le vignoble du phylloxéra. Avec
son sourire bienveillant et sa douceur, Maryse
fut mon mentor en biodynamie. Elle m’en-
seigna comment observer la terre, à juger de sa
bonne ou mauvaise santé rien qu’à sa couleur,
m’expliqua les constellations, la dynamisa-
tion… C’était aux balbutiements. Nicolas Joly
prêchait encore dans le désert, mais moi, tout
de suite, j’adhérais à la philosophie.
Jamais depuis je ne me suis véritable-
ment séparée du château Pavie Macquin.
Maryse Barre est partie à la retraite, Nicolas
Thienpont, propriétaire du domaine, l’a rem-
placée. Il a dû faire des choix, abandonner la
biodynamie, mais les calcaires du plateau ne
s’en laissèrent pas compter, faisant toujours
passer dans la structure très particulière de ce
Premier cru classé l’extraordinaire présence
du terroir. Parmi les plus grands millésimes
du château, 1998 est un symbole, la référence
du fan club auquel j’appartiens. Son faux air
D. R.

Bordeaux de légende
D. R.
Pour Pierre Casamayor, Château Ausone
est un cru « taillé pour des gardes éternelles ».
cistercien et sa présence saline touchent. La
même présence dans le 2017, marqué par la
dynamique des jeunes cabernets francs issus
de sélections massales et plantés sur les cal-
caires affleurant du plateau mirobolant. K. V.
LA MONDOTTE 1996
Ce jeune merlot pur
m’avait bluffé
J ’étais chef-sommelier au Relais et
Châteaux Ermitage des Ravet, en Suisse,
en mars 1997. Je participais à Saint-Gall à une
grande dégustation d’un importateur au
choix très pointu de vins du monde entier. Il
enprofitaitpourfairedécouvrirenavant-pre-
mièrequelquesprimeursdeBordeaux.Parmi
lesdomainesprésents,StephanVonNeipperg
faisait déguster en personne son grand cru
classé de Saint-Émilion Château Canon-la-
Gaffelière 1996, mais aussi une propriété voi-
sine alors inconnue, La Mondotte.
La dégustation montrait une nette dif-
férence entre ces deux vins. La Mondotte
1996 était remarquable, sa concentration,
sa texture de bouche, un boisé effective-
ment marqué, mais la pureté et l’équilibre
de ce jeune merlot pur m’avait bluffé. Je me
souviens avoir dit au propriétaire du res-
taurant où j’officiais, Bernard Ravet : « Nous
devons prendre un maximum de bouteilles de cette
Mondotte 1996 ! ». Lui me suggérait de prendre
Canon-la-Gaffelière, qui serait plus facile à
vendre (car plus connu) bien que plus cher
que La Mondotte. Après avoir insisté, nous
avons confirmé cet achat de Mondotte 1996.
Les Dégustations
Quelques mois passent, Robert Parker
lui attribue 97/100 et La RVF le note 19/20 !
L’importateur m’appelle pour me demander
de réduire notre commande car ses clients
veulent tous acheter cette rarissime
La Mondotte… Il était jubilatoire de décliner
cette proposition et réjouissant d’avoir fait le
bonchoix!Cefutl’occasiond’entendreparler
de Stéphane Derenoncourt, qui faisait ses
débuts à La Mondotte. Rappelons qu’il accéda
au rang de Premier Grand cru classé de Saint-
Émilion en 2012. C. M.
BORDEAUX ET
CÔTES, SATELLITES
DE SAINT-ÉMILION
Bordeaux
DOMAINE
DE CAMBES 2001
Ce “simple” bordeaux
me revigore
B ordeaux ne doit pas être réservé
aux grandes occasions ou aux
étiquettes prestigieuses, et l’attracti-
vité en berne des vins de la région doit
hélas beaucoup à un certain confor-
misme œnologique qui a sévi – et sévit
encore – pour gommer l’individua-
lité des styles.
En début de confinement pour
cause de coronavirus, en écrivant
ces lignes, je choisis d’aller fouiller
dans ma cave pour aller chercher
unvin“modeste”,desimpleappel-
lation Bordeaux. Mon goût per-
sonnel pour les vins à maturité me
faitchoisirunDomainedeCambes
2001, qui offre un bouquet com-
plexe et très expressif, associant
fruits rouges légèrement confits,
notes de tabac et tonalité fine-
ment poivrée, avec ce marqueur
si caractéristique de végétal mûr
des cabernets bien nés. Sa matière
charnue et fraîche, d’une déli-
cieuse souplesse, présente un fruit
gourmand et mûr, mis en valeur
par des tanins fondus. Avec son Domaine de
allonge salivante, ce vin s’avère par- Cambes : singulier un fruité capiteux, avec de la puis-
faitementdigeste,revigorantmême, et convaincant.
Les coordonnées des domaines en page 140
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 125
et prouve que des terroirs modestes, bien mis
en valeur, offrent des résultats remarquables.
Propriété de la famille Mitjavile, ce vin
est le petit frère de Roc de Cambes et Tertre
Rotebœuf, dont il partage la personnalité ini-
mitable, fondée sur des raisins très mûrs, lon-
guement infusés, donnant au vieillissement
des expressions singulières et affirmant une
vision bien différente de la doxa bordelaise
habituelle. Ce style peu consensuel m’en-
chante, et cette bouteille me convainc une
fois de plus de la pertinence des choix ici à
l’œuvre. Ajoutons que le prix de ce vin, bien
qu’élevé pour l’appellation Bordeaux, reste
très attractif à ce niveau de qualité. J.-E. S.
Montagne-Saint-Émilion
CHÂTEAU
FRANC BAUDRON,
MIRANDE 2018
Cette bouteille
n’a pas fait un pli !
C
’est la bouteille que j’ai ouverte le 7 mars
2020, lorsqu’on venait d’apprendre la
fermeture des écoles dans ma région du
Haut-Rhin. C’était le point de départ
concret du Covid-19, qui allait affecter
notre quotidien. Toute la famille autour
de la table, nous étions en train d’orga-
niser les jours à venir, sans nous douter
encore d’un confinement à venir… Puis
cette bouteille a pris le relais et les dis-
cussions se sont centrées sur le vin :
« Il a quelque chose, il est original ! »,
« C’est puissant, mais pas agressif », « Il
faudrait le carafer, non ? ».
Ce vin moitié merlot, moitié
cabernet franc, sans soufre ajouté,
met en avant le plateau calcaire de
Mirande. Une cuvée très confiden-
tielle, travaillée tout à la main et au
pied, en hommage au grand-père
Nelson Guimberteau. La nouvelle
génération qui gère aujourd’hui le
domaine est convaincue par le bio
et les vignes sont certifiées depuis
plus de dix ans. Les galères clima-
tiques (gel, grêle) n’entament en
rien la motivation de la famille et
j’admire leur travail. Ce vin montre
D. R.
un nez concentré et profond de
mûre, avec une touche de sucre
muscovado. En bouche, il garde
sance mais des tanins souples et

friands. Voici le style de bordeaux que j’aime,
accessibles à tous (moins de 15 € pour la plu-
part des cuvées) et qui procurent des émo-
tions. Ce soir-là, la bouteille n’a pas fait un pli !
C. F.
Canon-Fronsac
CHÂTEAU
LA FLEUR CAILLEAU,
CUVÉE 43 2005
Il peut défier
les plus grands
L orsque je m’occupais d’une partie de la
Rive droite de Bordeaux pour le Guide
des meilleurs vins de France de La RVF), j’ai eu la
chance de visiter un domaine qui fait partie
des locomotives des appellations Fronsac
et Canon-Fronsac : Paul Barre. L’humilité
de Paul cache une détermination et une
énergie incroyables. Il cultive en biodynamie
ses vignes depuis 1990 et multiplie les essais
pour connaître au mieux sa propriété. Cette
énergie et cette détermination ont été trans-
mises à Gabriel, son fils, et Édith, sa belle-fille,
dignes successeurs du domaine.
En 2018, ils m’ont proposé de déguster la
gamme, et un vin m’a renversé : la Cuvée 43
2005 de La Fleur Cailleau. Initiée en 1996,
cette sélection des meilleures barriques du
millésime est élevée deux années afin de
révéler au mieux les nuances calcaires de
cette petite croupe qui domine la Dordogne.
Ce qui interpelle dans ce vin, c’est cette com-
binaison d’intensité fruitée, de noblesse et de
profondeur minérale. La texture de bouche,
Les Dégustations
Encouverture
entre rondeur et fermeté, est poursuivie par
une longueur incroyable et un grain de tanin
millimétré. Cette bouteille peut défier les plus
grands de la Rive droite… À glisser lors d’une
dégustation à l’aveugle ! P. V. P.
Francs-Côtes de Bordeaux
CHÂTEAU LE PUY
Ce vin me procure
un plaisir immense
A près avoir quitté son restaurant
La Régalade, situé à la sortie de
Beaune en direction de Dijon, Maria
Goncalvès a ouvert en 2011, en plein
cœur de Beaune, dans une superbe
bâtisse du nom du Chalet Saint
Paul, La Régalade de Maria. Sa cui-
sine généreuse et haute en saveur,
plus bistronomique que gastrono-
mique, n’avait qu’un seul défaut :
ses prix stratosphériques. Le res-
taurant a depuis fermé ses portes.
Si son fameux pâté en croûte
façon Dumaine était l’une de ses
spécialités, Olivier Poels, Denis
Saverot et moi sommes allés nous
délecter, l’année de l’ouverture
du restaurant, d’une magnifique
côte de veau dont Maria maîtri-
sait parfaitement la cuisson. Pour
accompagner cette viande épaisse
et imposante dans l’assiette, en
pleine cité bourguignonne, notre Un liquoreux
choix s’est porté sur un délicieux d’une immense
bordeaux, Château Le Puy. complexité.
126 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
Pour Roberto Petronio,
Château Le Puy
pourrait réconcilier
les plus récalcitrants
F. Poincet
avec les vins girondins.
Je n’ai pas retenu le millésime. Qu’importe,
car j’ai encore en mémoire la douceur et la
franchise de son fruit. Un bordeaux déli-
cieux, précis, sans artefact, sans barrique
outrancière et sans tanins racoleurs. Juste
un fruit d’une douceur sereine. Un vin équi-
libré, juteux à souhait, au caractère atlan-
tique affirmé, un bordeaux qui réconcilierait
les plus récalcitrants avec les vins girondins.
Un rouge intense et digeste transpirant l’âme
vigneronne comme je les aime. Il fait
partie de ces magnifiques vins de soif
qui me procurent un plaisir immense à
chaque fois que j’ai l’occasion d’en boire
unebouteilleenbonnecompagnie.R.P.
Sainte-Croix-du-Mont
CHÂTEAU
LAURETTE 1945
Il vola la vedette
à Latour !
L ’été dernier, me voici dans ma
cave à Bordeaux pour choisir
une bouteille en vue d’un dîner.
D’habitude, l’exercice ne me pose
pas trop de difficultés, mais cette
fois le choix est compliqué : il s’agit
en effet d’un dîner à Los Angeles
en présence d’un grand amateur
américain vivant à Irvine, et je
D. R.
connais déjà les autres bouteilles
qui seront servies : Screaming
Eagle, Château Latour, Schrader…
Je ne peux objectivement pas riva-
liser. Je choisis de privilégier un

Bordeaux de légende
autre type de rareté : un millésime mythique
dans une appellation sous-cotée par rapport
aux vins extraordinaires qu’elle produit,
Sainte-Croix-du-Mont. Ce sera donc un
Château Laurette 1945, que je m’étais procuré
aux enchères pour quelques dizaines d’euros.
Un mois plus tard, nous voilà attablés au
restaurant La République, à Los Angeles, pour
cette dégustation. Mon vin est servi en der-
nier : il s’avère d’une immense complexité
avec des notes de menthe exotique, de thé à
la pêche, d’encens, d’abricots secs et de sub-
tiles épices, le tout porté par un velouté splen-
dide. Tout le monde est subjugué et le silence
se fait. Le sommelier de l’établissement, qui
n’en revient toujours pas, me demande alors
l’autorisation de le faire goûter à une table de
grands amateurs. Après quelques instants,
tout le monde se réunit et ne parle plus que de
ce petit sainte-croix-du-mont qui aura fina-
T. Legay
lement volé la vedette, le temps d’un soir, aux
vins les plus chers du monde… J.-B. T. de B.
Sainte-Foy-Bordeaux
CHÂTEAU DU CHAMPS
DES TREILLES,
VIN PASSION 2016
Je veux défendre ce type
de blanc à l’ancienne
J e trouve magique le duo sémillon-sauvi-
gnon, parfois complété de la rare mus-
cadelle, quand les raisins sont mûrs et les
bouteilles assagies par quelques années de
garde. Loin des interprétations thiolées, aux
acidités vertes et aux finales bloquées que je
goûte peu, cet assemblage n’est malheureu-
sement pas très en vogue et peu compris. Je
me trouvais ainsi récemment à un séminaire
international de sommeliers sur les blancs
de Bordeaux quand fut dégustée, au milieu
d’une série de vins creux aux notes artificielles
de levures aromatiques, une des références
qui me suit dans tous mes restaurants, le Vin
Passion du château du Champs des Treilles, ce
jour-là dans le millésime 2016. Produit sur les
argilo-calcaires de Sainte-Foy par Corinne et
Jean-Michel Comme, adeptes précoces de la
biodynamie dans le Bordelais, c’est un vin dans
lequel richesse et tension se répondent avec
des notes d’oxydo-réduction complexes de
pâte d’amande, fleur de pêcher, safran, zeste
d’orange, rehaussées de pointes fumées. Une
bouteille de gastronomie, au prix dérisoire.
Le vin était délicieux. Il provoqua pourtant
une levée de boucliers : pas de fraîcheur, des
Les coordonnées des domaines en page 140
Les Dégustations
Karine Valentin a juré de ne jamais passer
à côté d’une bouteille du domaine de l’A.
notes évoluées, trop lourd, il ne correspon-
dait pas aux canons du bordeaux blanc. J’en
fus si effarée que je pris le micro et me lançai
dans une défense de cette expression unique
d’assemblagehistorique,vinifiéeàl’ancienne,
sans maquillage, loin des vins anémiques,
réducteurs et impersonnels. Plus que jamais,
je compris ce jour-là la nécessité de défendre
la dégustation comme éducation à la géogra-
phieculturelleduterroiretàlacomplexitédu
goût vivant. P. L.
Castillon-Côtes de Bordeaux
DOMAINE DE L’A 2009
Ce millésime m’a donné
l’envie de faire du vin…
M a première rencontre avec Christine
Derenoncourt fut assez brève et plutôt
silencieuse.Stéphane,sonmari,débutaitdans
le conseil et tous les deux avaient un désir de
vigne,devinification,detransmission.C’était
en 1999, ils créent alors le domaine de l’A à
Sainte-Colombe, à l’est du plateau calcaire de
Saint-Émilion, grâce à une souscription avant
mêmequelecrowfundingsoitinventé.Certains
leur firent confiance, à raison : le domaine a
aujourd’hui 2 étoiles dans le Guide des meilleurs
vins de France de La RVF.
Je devais les rencontrer une poignée d’an-
nées plus tard, je goûtais leur vin et me jurais
alors de ne jamais passer à côté d’une bou-
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 127
teille de l’A sitôt que j’en aurais l’occasion. Elle
se présente souvent, et même si désormais
je connais le vin, la rencontre me surprend
à chaque fois par la capacité qu’ont ses mer-
lots à s’approprier les argiles du terroir. J’aime
en particulier les formes onduleuses d’une
structure dont on se souvient longtemps après
avoir bu le vin dans la fraîcheur évocatrice des
calcaires du lieu. J’ai surtout en mémoire un
2009 goûté lors d’une dégustation à l’étranger
au milieu d’une ribambelle de crus d’ex-
ception, dont un châteauneuf-du-pape de
Beaucastel, un saint-émilion Grand cru de
Jean Faure, un condrieu de Georges Vernay,
quelques grands d’Alsace et de Bourgogne…
Malgré le soleil de son année de naissance, le
Domaine de l’A 2009 brillait plutôt par la fraî-
cheur d’un équilibre irréprochable. K. V.
Côtes-de-Bourg
ROC DE CAMBES 1998
Ce vin m’a guidé
vers la sommellerie
C e vin marque mon entrée active dans le
monde de la sommellerie, du vin. C’est en
2002 que je l’ai découvert pour la première fois
sur la carte d’un restaurant. Lors de mon stage
de fin d’étude en mention sommellerie, alors
que mon ambition de carrière était tournée
vers la cuisine, je goûtais lors d’un service
mon premier Roc de Cambes. Ce n’était pas
le premier bordeaux que je dégustais, mais
ma jeune mémoire olfactive avait comme
étalon le saint-émilion Grand cru que mon
père ouvrait lors du repas dominical. Malgré
la goutte que j’ai pu déguster ce jour-là, le style,
la patte de la famille Mitjavile m’ont littérale-
ment transporté. Jamais, dans un bordeaux,
les tanins ne m’avaient semblé aussi pulpeux,
aussi tendres. Le fruité, gourmand malgré
son jeune âge, avait cassé les codes et rendait
l’ensemble frais et enjoué. Surprenant dans ce
millésime que je ne savais pas encore austère.
L’enthousiasme a opéré et ce vin est resté
gravé dans ma mémoire. Quelques mois plus
tard, j’ai réussi à acquérir trois bouteilles à un
prix abordable pour ma bourse de jeune tra-
vailleur et je l’ai fait goûter à mes amis ama-
teurs. Il y avait, au-delà du plaisir renouvelé de
ce vin, l’idée d’avoir déniché un cru d’excep-
tion sur une appellation peu reconnue. Cet
état d’esprit m’anime encore aujourd’hui. Ce
vin reste pour moi, malgré sa singularité, l’ap-
proche émotionnelle et initiatique des grands
bordeaux. R. I.
D. R. Les Dégustations

Depuis vingt ans, la viticulture et les pratiques œnologiques ont fait des progrès considérables en Languedoc et en Roussillon.

Languedoc et Roussillon
Leurs rouges vieillissent-ils bien ?
Si l’on ne doute pas du potentiel de garde des bordeaux et des bourgognes,
qu’en est-il des cuvées de ces vignobles sudistes ? Réponse avec cette
dégustation du millésime 2010, dix ans après sa naissance.
Par Caroline Furstoss et Romain Iltis

L
es grands vins sont ceux qui traversent le temps. S’il est
généralement admis qu’un grand pauillac, un grand
pomerol ou un grand bourgogne peuvent vieillir avec
grâce, il n’en est pas de même dans l’esprit de l’amateur pour
les vins du Languedoc et du Roussillon. Cela tient d’abord à
l’histoire de ces vignobles. Leur émergence est en effet plus
récente et les premiers domaines phares émancipés de la
coopération n’ont vu le jour que dans les années 90.
2010, MILLÉSIME CHAUD ET SEC MAIS ÉQUILIBRÉ
Et pourtant que de progrès accomplis en trente ans. La viti-
culture s’est adaptée au climat, les pratiques œnologiques ont
progressé. À l’instar de Laurent Vaillé à la Grange des Pères, de
nombreux domaines ont choisi l’agriculture biologique, ont
opté pour des vinifications moins extraites, ont mieux dosé
leur boisé pour produire de grands rouges. Mais étaient-ils
armés pour affronter le temps ? C’est ce que nous avons voulu
savoir en dégustant le millésime 2010.
Pourquoi 2010 ? Après une décennie passée en bouteille, ce
millésime nous a semblé un bon étalon pour juger du poten-
tiel de vieillissement des vins du Languedoc et du Roussillon.
Millésime chaud et sec, 2010 est en effet plus équilibré que son
prédécesseur 2009.
LA PATINE DU TEMPS RÉVÈLE LE CARACTÈRE DES TERROIRS
Mais que disent les vins aujourd’hui à l’aune de la dégustation ?
Alors que certains vins s’avèrent confits et lourds, une grande
majorité nous ont étonné par leur fraîcheur, quelques rouges
requérant même davantage de patience pour s’épanouir plei-
nement. La patine du temps révèle également la personnalité
de certains terroirs. Les belles surprises ne manquent pas dans
plusieurs secteurs.

128 - LA RVF N° 641 - MAI 2020


Leurs vins rougesvieillissent-ils bien ?
Saint-Chinian d’abord.
L’appellation se distingue
avec des vins équilibrés,
encore jeunes. La variété de
leurs expressions met en
avant leur terroir : le schiste
à la Linquière, l’argilo-cal-
caire au château Fonsalade
ou les crès (galets roulés) au
domaine Viranel.
À Faugères, c’est le caractère
cendré des vins qui charme.
Ils s’ouvrent peu à peu, tels les
Grandes Bastides d’Alquier ou
Montfalette du Mas d’Alezon.
SOYEUX ET ÉLÉGANTS
En Pic Saint-Loup, les vins
dévoilent des tanins soyeux et
de fins arômes de rose séchée,
comme dans les cuvées Sainte
Agnès de l’Ermitage du Pic
Saint-Loup ou La Grenadière
du Mas Bruguière.
Terroirs d’altitude, les
Terrasses du Larzac et Mont-
peyroux ont livré des rouges
élégants. La Boda d’Aupilhac
ou Les Combariolles du Mas
Cal Demoura en témoignent.
Dans le Roussillon, ce sont
les vins de Collioure qui
offrent le plus de plaisir. Après
dix ans, leur personnalité
fumée et très digeste séduit.
TAILLÉS POUR LA GARDE
En résumé, les rouges du
Languedoc et du Roussillon
vieillissent bien, voire très
bien et s’invitent dans la cour
des grands vins hexagonaux.
Les 92 cuvées retenues ici,
présentées par appellations
d’est en ouest, le prouvent.
Bonnes dégustations !
Conditions
de la dégustation
Suite à un appel à échantillons,
seuls 415 vins ont été réunis. Pour
la plupart, ils proviennent des
œnothèques privées des vigne-
rons, les domaines ne conservant
pas à l’époque leurs vins. Ils ont
été dégustés à l’aveugle au Mas de
Saporta, à Lattes, par Caroline
Furstoss et Romain Iltis en octobre
2019. La plupart des prix indiqués
ici sont ceux des vins affichés à leur
sortie en 2011 ou en 2012.
Les Dégustations
De Montpellier à Collioure,
92 cuvées qui ont traversé le temps
Ils brillent
hors des AOP
Parce que certaines grandes
signatures du Languedoc et
du Roussillon se situent hors
des cases de l’appellation,
nous avons choisi de débuter
cette dégustation par ces sept
cuvées incontournables ! C. F.
17/20
OLIVIER PITHON
IGP Côtes catalanes Le Pilou
La robe carmin est d’un éclat
magnifique. Cette cuvée
est issue d’une parcelle de
0,75 ha plantée de carignans
centenaires située à Calce. Le
Pilou est l’une des cuvées les
plus digestes et raffinées de la
dégustation ! 35 € le 2016
17/20
ROC D’ANGLADE
IGP Gard
Un vin superbe, éclatant
avec des notes fumées et des
touches de nigelle. Une fraî-
cheur unique et incompa-
rable qui est la signature de ce
domaine emblématique de
l’ouest nîmois. 64 €
16,5/20
CLOS
DU ROUGE GORGE
IGP Côtes catalanes
Après aération, le nez imprime
des notes de pin et de menthol
addictives. La couleur limpide
aux reflets magenta reflète bien
la souplesse de bouche, avec
des tanins qui font saliver. 30 €
16/20
DOMAINE
LA TERRASSE D’ÉLISE
IGP Pays d’Hérault Le Pradel
Quelle chance à qui pourra
contempler cette couleur
rouille encore brillante et
vivante ! Cette cuvée 100 % cin-
sault est d’une telle souplesse,
En conversion bio Vin biologique
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 129
avec cette persistance de fruits
rouges écrasés, légèrement
15,5/20
VILLA SYMPOSIA
confits, qu’il en devient irrésis-
tible et si facile à boire ! 24 €
L’Origine
La syrah bien mûre impose sa
typicité. Réglisse, fruits noirs
15,5/20 intenses, note de tannerie, la
MAS DE DAUMAS GASSAC générosité du climat trouve
IGP Pays d’Hérault une justesse dans la finale,
Haute Vallée du Gassac fraîche et élancée, de ce beau
De style très bordelais, le Mas languedoc. 23 €
de Daumas Gassac impose sa
signature avant tout ! Élaboré 15/20
avec pas moins de 23 cépages, CHÂTEAU LE THOU
cabernet-sauvignon et franc et À Georges et Clem…
merlot étant largement majo- Une sensation toastée, accen-
ritaires. Après un temps d’aéra- tuée par les notes de cuir,
tion, on trouve le laurier et l’en- imprime la trame gourmande
cens, une texture onctueuse et et charnue de cette cuvée.
des tanins affirmés. Env. 110 € L’allonge, racinaire, reste
sapide. 17 €
15/20
DOMAINE LES ENFANTS 14,5/20
SAUVAGES DOMAINE LA GRANGE
IGP Côtes catalanes Castalides Icône
Roi des Lézards Des notes de fumé et de
Le nez de ce carignan s’ouvre compote de fruits évoluent
doucement sur des notes de dans une bouche ample et
tabac blond, de cuir. La bouche généreuse. L’allonge est large,
est fixée sur des notes de bal- marquée par des épices et une
samique, avec une texture touche lardée. 39 €
enrobante mais une finale un
peu sèche qu’il faudra associer
à une viande en sauce pour un Le Pilou
succès assuré. 20 € (épuisé) d’Olivier Pithon :
l’une des cuvées
14,5/20 les plus raffinées
RIBERACH de la dégustation.
IGP Côtes catalanes Hypothèse
Cette très belle version de cari-
gnan noir sur granite dévoile
des notes de moka. Un vin
onctueux, aux tanins soyeux,
très persistant. 28 €
Languedoc
Les hiérarchisations et décou-
pages de terroirs laissent peu
d’espace à cette appellation
trop générique qui peut être
produite dans toute la région.
T. Legay
Quelques cuvées émergent
sans pouvoir déterminer un
style ou une approche. R. I.
Vin biodynamique
 Les Dégustations
LanguedocetRoussillon

Languedoc de fruits noirs. La bouche est

Pic Saint-
Loup
Une réelle identité se dégage
dans ce secteur, justifiant
l’AOP obtenue en 2017. Les
meilleurs vins sont empreints
de tanins soyeux, issus
du calcaire, de subtiles notes
de framboise et d’une vraie
sensation de garrigue. R. I.
18/20
ERMITAGE
DU PIC SAINT-LOUP
Guilhem Gaucelm
Intense, le nez rappelle le
poivre sauvage, le moka et
les fruits rouges confits. La
bouche, pleine et onctueuse,
ne manque pas de mâche et
offre une fraîcheur effrontée.
41 €
18/20
MAS BRUGUIÈRE
La Grenadière
La texture tannique marquée
par le calcaire soutient
d’envoûtantes notes de
quetsche, d’épices. L’éclat salin
de la finale rappelle le caillou.
Très belle évolution. 25 €
17,5/20
SAINT DAUMARY
Troisième Mi-Temps
Un élevage peu marqué
permet l’expression franche
de garrigue, de bois de
romarin. Lardée, la longueur
s’étire avec subtilité. Un vin
tendre, veloutée et se conclut
typiques de la syrah, enrobent
des tanins aujourd’hui fondus.
et développent avec l’âge
des notes cacaotées. R. I.
sur une plaisante sapidité. 18 € Ce vin est subtilement truffé
16,5/20
15,5/20
en finale. 20 €
DOMAINE
ERMITAGE ELLUL-FERRIÈRES
DU PIC SAINT LOUP Languedoc Les Romarins
Cuvée Sainte Agnès
Une impression terreuse avec Grés de Sa texture se montre dense et
charnue. Les notes de fram-
un bouquet de fleurs séchées
pour ce vin sapide et équilibré. Montpellier boises cuites apportent une
fraîcheur qui dévoile ensuite
Il étonne par son aspect avec beaucoup de finesse des
fringant et son allure encore On ressent dans les vins touches de garrigue. 15 € le 2016
vaillante ! 21 € le climat globalement plus
chaud de ce secteur situé 16/20
15/20 autour de l’agglomération ABBAYE DE VALMAGNE
CLOS MARIE montpelliéraine. Ils ont ici Turenne
Les Glorieuses plus de coffre, sont aussi plus La sensation de gourmandise
De salvatrices notes de fram- marqués par leur élevage des tanins est accentuée par
boise affinent une structure
dense, à l’acidité tonique et
franche. Puissante, c’est à table Focus
que cette cuvée sera le mieux
révélée. 60 € le 2017 Inédit : le département
15/20 de l’Hérault archive ses vins
SAINT DAUMARY
L’Asphodèle
Une bouche pleine est tramée
par des tanins élégants. Le
caractère tertiaire de truffe et
de graphite rappelle la terre et
se prolonge par de très beaux
amers. 17 €
14,5/20
BERGERIE DU CAPUCIN
Larmanela
Une structure tannique
encore présente ouvre
des notes d’olive noire, de cuir
ou de prune. Agréable,
il n’a pas encore livré tout
son potentiel. 30 €

d’une grande finesse. 12 €
16/20
MAS FOULAQUIER
Les Calades
Le caractère délicat de la fraise
confite imprime une texture
gourmande, aux tanins fins.
Une touche minérale étire l’en-
semble avec personnalité. 25 €
15,5/20
DOMAINE MIRABEL
Les Éclats
L’empreinte de la garrigue se
combine avec d’intenses notes
14/20
CHÂTEAU DE LANCYRE
Vieilles vignes
Une sensation de puissance
émane de ce vin qui révèle
des arômes de fumé, de lard
et d’épices type poivre noir.
L’allonge s’étire avec force
et intensité. 25 €
14/20
DOMAINE
ZÉLIGE-CARAVENT
Velvet
Des notes évolutives de cuir,
de fraises confites et de fruits,
D. R.
À Pierres-Vives, 172 cuvées sont évaluées tous les ans.
C ’est à 7 mètres sous terre, dans le sous-sol paisible
du “vaisseau de verre et de béton” dessiné par l’architecte
Zaha Hadid qui abrite les archives départementales
de l’Hérault à Pierres-Vives, que reposent à 16° C et 60 %
d’humidité 3 500 bouteilles de 172 références du vignoble
languedocien. Depuis 2012, l’Hérault mène en effet une ini-
tiative unique en France : évaluer le potentiel de garde de ses
vins. Tous les ans, en novembre, un comité de dégustation
d’une trentaine d’experts juge des vins affinés (2009, 2012 et
2013) et livre son pronostic quant à leur avenir. Des analyses
physico-chimiques des vins et une étude sur la qualité des
bouchons sont réalisées par des laboratoires. La conclusion
est sans appel : en 2018, 80 % des vins provenant du millésime
2009 ont encore une belle capacité de garde. C. F.

130 - LA RVF N° 641 - MAI 2020

 Les Dégustations
Leurs vins rougesvieillissent-ils bien ?

En Terrasses Languedoc Domaine Peyre Rose

du Larzac,
ce 2010 d’Olivier Montpeyroux Son millésime 2010 vient
Jullien est un pur
vin de méditation. Ici, les vins conservent une juste d’être commercialisé
belle densité dans le temps.
La fraîcheur issue de l’altitude
exacerbe le fruit. R. I.

17,5/20
ALAIN CHABANON
L’Esprit de Font Caude
La précision de la texture
et des arômes est admirable.
Les notes de prune et de myr-
tille s’associent à une sensation
de réglisse dans ce vin long
et digeste en finale. 29 €

16,5/20
DOMAINE
D’AUPILHAC
T. Legay

La Boda
Un équilibre abouti révèle

D. R.
aujourd’hui toute la com- Marlène Soria a pris l’habitude d’affiner longuement ses rouges en cave.
plexité de cette cuvée. Poivre

des saveurs de prune et de cuir.

L’allonge est marquée par
noir, petits fruits noirs, girofle,
les arômes s’entrechoquent
sans jamais lasser. 54 €
S ’il est une figure du vignoble languedocien en matière de
millésimes affinés, c’est bien Marlène Soria. Elle plante
ses vignes à Saint-Pargoire dans les années 80 et vinifie pour
des notes de cacao. 25 € la première fois en 1988. Le travail de la vigne lui prend beau-

14,5/20 Languedoc coup de temps, elle ne met en bouteilles sa première récolte

CHÂTEAU
HAUT-BLANVILLE
Grande Cuvée
Ce vin d’une belle concentra-
tion et à l’élevage ambitieux
semble avoir trouvé son équi-
libre. Les notes de myrtille et
d’épices évoquent une eau-
de-vie. 23 €
Terrasses
du Larzac
Les vins d’une régularité
admirable ont su conserver
de la fraîcheur et surtout de
la jeunesse. Une génération
talentueuse a depuis réussi
à décrocher l’AOP. R. I.
qu’en 1990. C’est grâce à un importateur, rencontré en 1992,
qu’elle commence à commercialiser ses vins, mais elle prend
l’habitude d’en mettre une bonne partie de côté pour les
années de petites récoltes, de plus en plus fréquentes à cause
du réchauffement climatique et des incendies. En 2020,
elle commercialise ainsi le millésime 2010 pour ses trois
rouges, que nous n’avons pas pu goûter à cause des mesures
de confinement liées au Covid-19. Des millésimes plus
affinés, de 2002 à 2006, sont encore disponibles et 2005
pour la cuvée Oro, le blanc unique à l’élevage long. C. F.

14,5/20
DOMAINE
DE LA TRIBALLE
La Capitelle part en Fumée
Le nez est envoûtant tel un
panier de fruits rouges. Ample
et élancée, la bouche révèle
avec délicatesse des notes
de pivoine et de violette. 18 €
14/20
MAS NOVI
Prestigi
Un vin marqué par les fruits
cuits et le toasté de l’élevage en
barriques. Une identité aroma-
tique sudiste de garrigue et de
tapenade inscrit bien ce rouge
dans son appellation. 13 €
18/20
MAS CAL DEMOURA
Les Combariolles
Un vin au sommet, charnu et
juteux. Les notes d’humus s’as-
socient aux arômes de poivre
noir avec une rare précision.
La longueur, intense, porte une
touche minérale. 27 € le 2017
17,5/20
MAS JULLIEN
Intense, c’est un pur vin de
méditation. Il traduit avec
sincérité ce millésime chaud et
sec. Majestueux, il se livre avec
le temps et l’aération ; alors, les
notes de romarin et de nigelle
apparaissent. 33 € le 2017
16,5/20
MAS CAL DEMOURA
L’Infidèle
Densité et mâche sont appor-
tées par des tanins fins. Les
arômes, marqués par la mûre,
s’ouvrent avec finesse et se pro-
longent en finale. 19 € le 2017
16,5/20
MAS DE LA SÉRANNE
Antonin et Louis
Gelée de fruits noirs, fumé,
réglisse, la complexité et l’élé-
gance des tanins procurent un
réel plaisir. Évoluant positive-
ment à l’air, il garde encore
un potentiel de garde. 30 €
16/20
DOMAINE L’HERMAS
La jeunesse de la robe et de la
structure surprend. Les notes
de cassis frais donnent une
sensation juteuse et affinent
l’ensemble. Les épices et le cuir
concluent la bouche avec frian-
dise. 25 €
15,5/20
LE CLOS DU LUCQUIER
Cuvée Philippe
Les épices douces, poivre et
girofle, marquent ce vin plus
giboyeux. La chair et le volume
ample de la bouche conservent
finesse et élégance. 13,50 €

Les coordonnées des domaines en page 140

LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 131


Ce 2010 du Mas
des Brousses
appelle une
cuisine riche.
T. Legay
15,5/20
MAS DES BROUSSES
Une belle patine avec des notes
de réglisse et d’anis au nez. Un
peu plus en retrait, la bouche
est suave, avec une finale légè-
rement sèche qui appelle une
cuisine riche. 18,50 € le 2017
15/20
MAS DES CHIMÈRES
Nuit grave
Les notes de groseille et
de framboise enjolivent
le caractère riche et grillé de ce
beau vin. Complexe, il s’ouvre
au cours de la dégustation
et se conclut dans un registre
torréfié. 13,50 € le 2018
15/20
MAS DE L’ERME
Une sensation plus élancée
marque ce vin qui dévoile des
notes de prunes cuites. Un peu
dense en milieu de bouche,
l’éclat calcaire de l’allonge
affine l’ensemble. 16 €
14,5/20
LES VIGNES OUBLIÉES
Les notes de sous-bois et de
torréfaction accentuent le
plaisir juteux et gourmand de
Les Dégustations
LanguedocetRoussillon
la texture. Une sensation suave pour ce rouge fin et délicat. La 14,5/20
de cuir frais la prolonge. 25 € framboise confite apporte de CHÂTEAU DE L’ENGARRAN
la gourmandise en bouche et Quetton Saint Georges
Languedoc les tanins se sont affinés avec le
temps. Ce vin racé peut encore
Le nez a besoin d’air pour
exprimer ses notes de tape-
Pézenas vieillir. 22 € nade et de fruits rouges. Un vin
dense, avec des notes de cacao
La variété et la complexité
des terroirs de Pézenas
Languedoc qui se mêlent à la framboise et
des tanins raffinés. 21,50 €
engendrent des vins
singuliers. C. F.
Saint Georges 14/20
16/20
d’Orques DOMAINE DE LA MARFÉE
Les Champs Murmurés
DOMAINE Cette appellation livre des Le nez évoque l’encens avec
LE CONTE DES FLORIS vins agréables, situés dans une touche de curry. La bouche
Villafranchien une bonne moyenne. Aucun est en phase de plénitude,
Nez poivré et notes de romarin coup de cœur. C. F. équilibrée avec un grain fin.
31 € le 2017
Cave de Roquebrun
Faugères
Cette coopérative
À l’ouverture, ces vins ont
ne cache pas ses ambitions besoin de s’aérer. Les mar-
queurs fumés et cendrés du
schiste font effet, ils se sont
révélés avec le temps. Des
rouges aux notes sanguines,
avec beaucoup de relief. C. F.
17,5/20
BARDI D’ALQUIER
Les Grandes Bastides d’Alquier
Le nez nous emporte dans la
garrigue avec cette sublime
note cendrée. Les tanins sont
fondus, une dentelle qui tire
sur l’élégance. 69 €
16,5/20
CHÂTEAU
DES PEYREGRANDES
Marie Laurencie
Une évolution sage sur des
notes de cuir et une touche
fumée. La bouche est patinée,
D. R.
Alain Roger est fier de son œnothèque, unique dans la région. elle rappelle le velours avec
sa finale de framboises
L a cave coopérative de Roquebrun, qui totalise 650 hec-
tares de vignes plantées sur sols de schiste, stocke
environ 500 bouteilles de saint-chinian Roquebrun par an
écrasées. 15,80 €
16,5/20
depuis 1988. Trois caves semi-enterrées ont été construites MAS D’ALEZON
pour accueillir cette œnothèque unique dans la région ! Montfalette
Selon son directeur Alain Roger, un cahier des charges plus Complexe et racé, le nez nous
strict à la vigne mais aussi des techniques plus abouties emmène dans un registre fine-
en cave ont amélioré la longévité des vins. Ici, on pratique ment fumé, avec une touche
la macération carbonique avec des temps de fermentation d’olive noire et des notes kir-
de trois à quatre semaines, ce qui permettrait aux vins schées. La bouche est charnue,
de tenir dans le temps et de développer leurs fines saveurs mais le temps a fait son effet et
de moka et de cerises à l’eau-de-vie, et même une note de livre des tanins polis et dociles.
bois subjective, puisque l’élevage se fait en cuves inox. C. F. 18 € le 2018
132 - LA RVF N° 641 - MAI 2020

Leurs vins rougesvieillissent-ils bien ?
16/20
DOMAINE
LÉON BARRAL
Jadis
Le nez évoque les épices
indiennes. Il nous fait voyager.
Son caractère poivré est un bel
atout. Notes de fruits rouges
confits en bouche avec une
touche balsamique. La finale
est encore serrée. 30 € le 2016
16/20
DOMAINE DES TRINITÉS
Cuvée 42
Le tabac, le cuir et le poivre de
Sichuan s’entremêlent au nez.
La bouche est ample, avec une
impression de fruits mûrs. 30 €
15,5/20
DOMAINE
OLLIER-TAILLEFER
Grande Réserve
Un nez fumé avec une présence
dominante de fruits noirs et
une touche de figue. 12,50 €
le 2016
14,5/20
L’ANCIENNE MERCERIE
Couture
Un vin qui montre une belle
patine de genièvre avec une
trame gourmande et salivante
en bouche. 18 €
Saint-Chinian
Une très belle impression
générale. Que ce soit sur les
schistes, les galets ou la partie
argilo-calcaire, les réussites
sont partout ! Les vins ont
évolué lentement, offrant
des nez sans trop d’évolution
et des trames sapides remar-
quables en bouche. C. F.
17,5/20
CHÂTEAU FONSALADE
Felix Culpa
Intense et frais, le nez évoque
les fruits des bois, avec une
petite touche volatile qui le
rend finalement très séduisant.
En bouche, le vin est complet,
Les Dégustations
17/20
CHÂTEAU VIRANEL
V Prestige
Frais et délicat, le nez de cette
cuvée V nous emporte dans
un registre à la fois floral et de
peausserie. Les tanins sont fins
et la finale sapide. 39 €
17/20
DOMAINE
LA LINQUIÈRE
Sentenelle 310
Terreux avec cette touche irré-
sistible de rose et de coriandre,
ce vin d’altitude offre des
tanins croquants. Un air rho-
danien pour cet assemblage
65 % syrah et 35 % mourvèdre.
18 €
16,5/20
CHÂTEAU LA DOURNIE
Élise
Intense, le nez d’Élise affiche
à la fois un registre de fruits
rouges, d’épices et des notes
racinaires. Volume et race se
complètent en bouche, avec
surtout une finale salivante !
17,30 €
16,5/20
MAS CHAMPART
Causse du Bousquet
On découvre ici un nez à la
personnalité affirmée, avec des
notes de graphite et une évo-
cation du girofle. La bouche
est équilibrée, dotée de tanins
sophistiqués. 14,90 € le 2016
16/20
BORIE LA VITARÈLE
Midi Rouge
Luxuriant, le nez exhale des
notes de cuir et de poivre, avec
une touche fumée. La bouche
est ample avec des tanins
patinés. Sans trop de force, il
offre du relief et de belles émo-
tions ! 65 €
16/20
DOMAINE NAVARRE
Le Laouzil
Une expression addictive de
schiste, dans son caractère
15,5/20
CAVE DE ROQUEBRUN
Complexité et fraîcheur se
mêlent dans un contexte ter-
reux et frais, sans manquer de
finesse. 10,90 €
Saint-Chinian
Roquebrun
C’est la cave coopérative qui a
le monopole dans cette dégus-
tation, elle mérite un détour
(lire l’encadré ci-contre). C. F.
15/20
CAVE DE ROQUEBRUN
Seigneur d’Aupenac
Aromatique et intense, avec
des notes légèrement fumées.
Racé et intemporel. 22,20 €
le 2016
Languedoc
La Clape
L’AOP, obtenue en 2015, fut
portée par les blancs et leur
potentiel à retranscrire le
caractère marin du terroir.
C’est cette identité qui marque
aussi les meilleurs rouges. R. I.
Le Laouzil
du domaine
Navarre :
totalement
addictif !
T. Legay
15/20
CHÂTEAU MIRE L’ÉTANG
Ducs de Fleury
Les petits fruits rouges enjo-
livent une texture veloutée et
gourmande. De subtiles notes
iodées l’étirent. 14 € le 2017
14/20
CHÂTEAU PECH REDON
L’Épervier
Ce vin exprime aujourd’hui
des notes de compote de mûres
et de prunes. Dense et digeste,
il est à son apogée de friandise.
20 €
Minervois
Une jolie homogénéité dans
cette appellation. De belles
maturités avec des évolutions
sur des notes de sous-bois et
d’épices. C. F.
16,5/20
CHÂTEAU SAINT JACQUES
D’ALBAS
La Chapelle
Magnifique nez de moka, de
sous-bois, de truffe et de poivre
sauvage. La bouche confirme
cette complexité alliée
à la finesse des tanins. Finale
salivante. 22 €
16/20
DOMAINE
DES MAELS
Une belle évolution de sous-
bois, une bouche complexe
avec du relief. Les tanins sont
fins. C’est un vin parfait à boire
maintenant. L’aération ne lui
est pas favorable. 8 €
16/20
DOMAINE
JEAN-BAPTISTE SÉNAT
Le Bois des Merveilles
Un rouge plein de vigueur et de
force, avec des notes d’épices
envoûtantes. Ce carignan
assemblé avec 30 % de gre-
nache est majestueux. 25 €
16/20
LA CROIX DE SAINT JEAN

encore juteux sans manquer fumé, pierreux au nez et une Signature

de structure, d’une énergie bouche longiligne et encore Réglisse, cèdre et humus se
folle ! 25 € sapide ! 19 € partagent le nez. La bouche

En conversion bio Vin biologique Vin biodynamique

LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 133


séduit avec ses tanins fondus
et sa complexité. À marier avec
du gibier. 25 €
15,5/20
DOMAINE PIERRE FIL
Dolium
Cette cuvée fondée sur
le mourvèdre offre un nez
de balsamique, de figue mûre,
et une bouche poudrée et
onctueuse. 15 €
15,5/20
DOMAINE VORDY
Cuvée Alice
Le nez animal à l’ouverture
laisse place à la réglisse et
au camphre. La bouche est
juteuse, mais les tanins stricts
auront besoin d’un plat en
sauce pour absorber la pointe
de sécheresse. 15,20 €
Les Dégustations
LanguedocetRoussillon
légère avec une finale marquée
par la maturité de fruits. 22 €
14/20
DOMAINE ANCELY
Les Vignes oubliées
Son caractère boisé prend le
dessus et enrobe la bouche.
La noix de muscade et le curry
sont les témoins d’un vieillisse-
ment heureux, avec des tanins
qui sèchent la finale, et qui
appellent donc la table. 16 €
Corbières
Une déception pour cette
large appellation, seule
une vingtaine de domaines
a répondu à l’appel à échantil-
lons. C. F.
16/20
CHÂTEAU GLÉON
Villa ad Clivum
Son nez profond de poivre sau-
vage et de girofle est aguicheur.
En bouche, le vin bénéficie de
tanins polis par le temps avec
une belle longueur minérale.
12,15 €
15/20
CHÂTEAU LA BARONNE
Les Chemins
Le nez de fruits secs, can-
nelle avec une petite touche
giboyeuse est séduisant.
En bouche, le vin se montre
ample, avec une belle rondeur
et toujours un éclat de fruits
noirs en finale. Une référence
dans cette appellation ! 19 €
14,5/20
DOMAINE
DE LA CENDRILLON
N° 1
Parfums de moka et de laurier.
Les tanins sont onctueux avec
une finale racée et épicée pour
ces vieilles vignes de mour-
vèdre et de grenache nées sur
un terroir frais. 35 €
14,5/20
DOMAINE DU GRAND CRÈS
Cuvée Majeure
Ce corbières interpelle par
son aspect fringant, avec une
réminiscence de fruits rouges
et une touche lardée au nez.
La bouche est un petit cran en
dessous avec encore beaucoup
de fraîcheur et un côté un peu
plus étriqué en finale. 18 €

14/20 Insolite Corbières

CHÂTEAU AGNEL
Les Carmes
Assez démonstratif, le nez
d’épices, qui rappelle la syrah,
nous éloigne du reste des vins
du Minervois. Sa trame est
longiligne avec des tanins
encore anguleux. 6 €
Minervois
La Livinière
L’écart entre les vins de l’ap-
pellation Minervois et du cru
La Livinière n’est pas flagrant.
La personnalité des vins n’est
pas très marquée. C. F.
Laconservationdesbouteilles, Boutenac
une culture à creuser Ce cru offre des cuvées
propices au vieillissement.
Les vins font preuve
d’une belle patine. C. F.
16/20
CHÂTEAU
LA VOULTE-GASPARETS
Cuvée Romain Pauc
Le nez évoque un bouquet
garni, avec une belle patine du
temps. Sa tenue se confirme en
bouche, avec un côté suave et
une finale qui rappelle la figue,
les épices orientales et l’orange
amère. 20 €

16,5/20 15/20
D. R.

CHÂTEAU SAINTE-EULALIE
La Cantilène
Une valeur sûre. Ce vin est
large, ample, avec des notes
d’évolution noble. Le moka
trouve ici une place de choix,
délicieusement souligné par
des tanins onctueux. 20 €
14,5/20
DOMAINE DE L’OSTAL
Grand Vin
Le nez discret reflète le carac-
tère de ce vin, plutôt effacé,
avec des notes de fruits des bois
bien mûrs en finale. Trame
Jean-Baptiste Granier élève son vin dans cet « abri sous roche ».
CHÂTEAU
FABRE GASPARETS
I l y a trente ans les vignerons languedociens n’auraient
jamais imaginé faire vieillir leurs vins, comme en atteste
l’absence de caves enterrées dans les villages occitans.
Belle construction, notes kir-
schées et fumées. Fruits noirs
et épices sont finement pré-
Mais les temps changent et les vignerons cherchent par sents en bouche avec une finale
tous les moyens à améliorer le stockage de leurs vins pour acidulée et équilibrée. 15,60 €
mieux les affiner. C’est ainsi que les frères Guibert le 2017
du célèbre Mas de Daumas Gassac ont investi en 2017
les caves à fleurines du village de Compeyre, dans l’Aveyron, 14/20
non loin de Millau, pour y entreposer leurs bouteilles TERRE D’EXPRESSION
depuis le millésime 1978 ! Plus proche du vignoble, L’Improbable
Jean-Baptiste Granier du domaine des Vignes Oubliées Notes de fruits secs et de feu
exploite depuis 2013 un « abri sous roche ». Cette cave naturelle de cheminée pour ce vin
lui permet d’élever sa cuvée de Terrasses du Larzac dans aux tanins encore accrocheurs
une fraîcheur et une hygrométrie optimales. C. F. et à la finale épicée. 17,90 €

134 - LA RVF N° 641 - MAI 2020


Leurs vins rougesvieillissent-ils bien ?
Fitou
Les 2010 restent ici concen-
trés et présentent des arômes
cuits. Quelques cuvées émer-
gent mais elles gagneraient à
être plus digestes. R. I.
15/20
DOMAINE
LES MILLE VIGNES
Atsuko
Le nez généreusement épicé
est le prélude à une bouche à la
fois pleine et dense. Une belle
acidité, soutenue par des notes
balsamiques, allonge le vin
avec gourmandise. 55 €
15/20
MAS DES CAPRICES
Anthocyane
Un fitou musclé et dense, par-
fumé de notes de fruits noirs,
encore d’une belle tenue. 18 €
14,5/20
DOMAINE
DE LA ROCHELIERRE
Noblesse du Temps
Avec ses notes de sous-bois,
d’humus et de trompette-de-
la-mort, et ses tanins enrobés,
ce vin est à son apogée. 20 €
Côtes du
Roussillon
Le climat généreux marque
les vins par des structures
plus opulentes et concen-
trées. La fraîcheur du carac-
tère fruité est ici primordiale
pour la digestibilité. R. I.
15,5/20
CHÂTEAU
SAINT NICOLAS
Côtes du Roussillon Nicolaus
Le boisé, présent mais élégant,
soutient les notes de sous-bois,
de cacao et de gelée de fruits
noirs. La texture, veloutée et
généreuse, s’affine grâce aux
épices de la finale. 25 €
15/20
DOMAINE DE BESOMBES
Côtes du Roussillon L’Esprit Singla
Les tanins tendres et juteux
Les Dégustations
Un nouvel écrin pour 15,5/20
DOMAINE VAL DE REY
les vignerons de la région Côtes du Roussillon-Villages
Tautavel Cœur de Vignes
N ouveau passage obligé à Nîmes à l’Hôtel Imperator,
une adresse mythique qui s’est refait une beauté. Même
si la clientèle a pour habitude de boire les vins dans leur jeu-
Les notes de café et de fruits
rouges en compote agré-
mentent une bouche charnue
nesse, le sommelier Logan Thouillez a passé plus de six mois et généreuse. Une subtile aci-
à dénicher des millésimes affinés, grâce à la proximité des dité vient rafraîchir l’ensemble.
vignerons mais aussi avec l’aide du fournisseur local Caves 41. 14 €
« Le millésime 2010 est superbe aujourd’hui, mais il a encore un beau
potentiel de vieillissement. Pour ma part, je préfère servir les vins 15/20
de ce millésime dans des verres larges plutôt que de les carafer », DOMAINE MODAT
souligne-t-il. Avec ses 700 références, cette équipe menée Côtes du Roussillon Caramany
par Pierre Gagnaire a pour ambition de proposer la plus belle Sans plus Attendre
carte du Languedoc-Roussillon. Cinq domaines de ces deux Dix ans après, ce rouge ciselé,
vignobles sont également mis en avant avec des verticales aux arômes de prune cuite et
qui redescendent jusqu’à la fin des années 90 ! C. F. de gelée de mûre, conserve
une belle fraîcheur. L’éclat de la
finale apaise la générosité de sa
rappellent les fruits noirs. truffe, évoluent avec finesse. texture suave. 21 €
Arrive ensuite un caractère L’éclat minéral de l’allonge pro-
de tannerie et de café torréfié. longe le plaisir. 22 € 14,5/20
11 € DOMAINE GARDIÉS
16/20 Côtes du Roussillon-Villages
14,5/20 DOMAINE GAUBY Tautavel Les Falaises
DOMAINE TRELOAR Côtes du Roussillon-Villages L’intensité du fruit porte
Côtes du Roussillon Tahi Coume Gineste encore ce vin à la structure
Une sensation lardée et sauvage Ce vin aérien est issu d’une dense et équilibrée. La finale,
agrémente une bouche géné- parcelle complantée (prin- d’une grande finesse, rappelle
reuse et pleine. L’allonge, un cipalement de grenache) sur la framboise confite et pro-
peu faible, reste élégante. 24 € schistes et marnes argilo-cal- longe la sensation d’équilibre.
caires. Après une décennie, la 63 €
14,5/20 magie opère en bouche : par-
DOMAINE fums de rose, tanins délicats… 14/20
JEAN-PHILIPPE PADIÉ
Côtes du Roussillon Petit Taureau
Une réussite ! 77 € le 2018 CHÂTEAU LES PINS
Côtes du Roussillon-Villages
Ce vin élancé, vinifié en
grappes entières en cuves
16/20
DOMAINE SINGLA
Les notes friandes de myrtille
enrobent une texture ample.
béton, affiche aujourd’hui une Côtes du Roussillon-Villages La générosité de la finale
bouche fraîche et sapide, sans Castell Vell dessert un peu ce “villages”.
miser sur la structure. 15 € La bouche charnue et Dommage ! 25 €
veloutée est enjolivée par de
Côtes du douces saveurs de fruits cuits.
L’ensemble procure une sen-
Collioure
Roussillon- sation de tendresse. La finesse
des tanins porte des notes de
Le caractère maritime et le
schiste livrent des vins sou-
Villages torréfaction typiques des vins
du Roussillon. 18 €
vent digestes qui expriment
le fumé et les fruits noirs avec
Les zones classées villages une grande finesse. R. I.
possèdent une énergie 15,5/20
supplémentaire évidente. R. I. DOMAINE BOUDAU 16,5/20
Côtes du Roussillon-Villages CLOS SAINT SÉBASTIEN
17/20 Henri Boudau Inspiration Marine
CLOS DES VINS D’AMOUR À ce stade, une subtile touche La finesse du schiste semble
Côtes du Roussillon-Villages de confit épouse avec bonheur décuplée dans ce rouge. Les
Un Baiser les notes de figue. Une tension tanins suaves accompagnent
Une texture dense et ciselée gourmande sous-jacente et des des effluves de truffe et de
porte un vin d’un superbe tanins soyeux se combinent cacao amer. Une touche délica-
éclat. Les notes de quetsche, dans une bouche enjouée et tement salée porte la finesse en
combinées aux effluves de d’une belle finesse. 11,60 € bouche. Quelle longueur ! 30 €
Les coordonnées des domaines en page 140
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 135
 Les Dégustations
Jura

L’histoire d’une transmission

Overnoy
Houillon
de père en fils
La transmission d’une exploitation se révèle souvent un parcours du combattant
à l’issue plus qu’incertaine. Dans le Jura, Pierre Overnoy et Emmanuel Houillon
l’ont réussie, bien que n’ayant aucun lien de filiation… au départ.

Par Karine Valentin, photos : Marie-Ève Brouet

À
lavigneentraindetrierlesbaiesde « Avant l’arrivée de la chimie, tout le monde était
la vendange, d’égrapper à la main enbio.Lespremiersdésherbants sont arrivés dans
sur le rebond d’une claie en bois leJuraaudomainedelaPintevers 1964. Les labo-
ou à prendre une décision dans l’échange ratoires nous promettaient qu’on ne s’embêterait
avec son fils et sa belle-fille, Pierre Overnoy plus avec le matériel qui casse et les travaux
adansleregardlalueurapaiséeduvigneron pénibles. Cela m’intriguait, tout le monde en par-
quiatransmis.Luiquin’ajamaiseud’enfant lait. Certains produits interdits en Suisse étaient
s’esttrouvéunfils:Emmanuel autorisés en France, on s’en
Houillon, son ouvrier. En « Un jour, moquait. Le Français était sans
l’adoptant officiellement Pierre m’a dit : douteplusrésistant que le Suisse…
“Il faut que
devant un juge le 21 juin 2012, Mais les clients venaient chez nous
Pierre a fait d’Emmanuel, ce parce qu’on ne désherbait pas »,
gamin embauché un jour de je t’adopte” » raconte le vigneron.
septembre, son successeur.
«C’estvenudoucement.Unjour,Pierrem’adit:“Il UN FILS DANS LES VIGNES
fautquejet’adopte”», se souvient Emmanuel. Pierre, son frère Maurice et leur père Louis
Aujourd’hui, lorsque “Manu” prononce partageaientlamêmecave, chacun ses fûts.
Pierre, le i disparaît et l’on entend «père». « On m’avait appris durant un stage d’œnologie à
Beaune qu’il fallait vinifier avec du soufre, j’en ai
UNE SAGESSE SIMPLE donc mis dans mes vins, poursuit Pierre. Or, je
«Commeonadeuxoreillesetunebouche,ondoit mesuisrenducompteensentant les moûts de mon
écouter deux fois plus que parler », aime à dire frère et de mon père que, chez eux, ça sentait bon.
Pierre Overnoy. Cette écoute de la nature J’avaisbeaurespirerlemien,rien ne montait. Eux
et des hommes, cette façon de s’arrêter de n’avaient pas fait de stage… »
parler lorsqu’on lui coupe la parole, cette Repéré au début des années  80 par
sagesse simple sont le socle sur lequel il a Jacques Néauport, agent parisien pionnier
construit son désir de vin au plus proche de de la commercialisation des vins “nature”,
ce qu’il doit être, un don généreux de soi. puisréférencéaurestaurant d’Alain Chapel
Ses cinq frères et sœurs, qui ne sont pas avec son ploussard millésime 1986, le jeune
devenus paysans, ont été tout aussi géné- producteur de Pupillin, qui se réclame des
reuxaveclui.Dudomainepaternelenpoly- travaux de Jules Chauvet, sort du cercle des
Emmanuel Houillon culture lui échoient 25 ares de ploussard, vignerons conventionnels pour intégrer
est arrivé à 15 ans
25 autres de savagnin et quelques bêtes. celui plus confidentiel des insoumis de
au domaine,
un peu par hasard.
C’était en 1968, une année marquée par les l’époque.Ildeviendra,avec Marcel Lapierre
Il n’en est jamais reparti. conflits sociaux et les vins naturels. La en Beaujolais, la signature dont se récla-
“chienlit” à la ville, les pissenlits dans les ment les vignerons “nature” d’aujourd’hui.
vignes où quelques vignerons restent Overnoy n’a pas qu’un seul héritier.
sourds aux sirènes de la chimie pour pré- Lorsque Manu débarque avec la vigueur
server leur santé, celle de leurs clients et de son adolescence, Overnoy n’utilise plus
l’authenticité de leurs vins. Overnoy en est. de soufre depuis longtemps. Tout com-

136 - LA RVF N° 641 - MAI 2020

 Les Dégustations
Pierre OvernoyetEmmanuel Houillon
mence à la vendange 1989. Emmanuel
Houillon se présente au domaine suite à
la demande d’un ami de son père, client
d’Overnoy, pour aider à la récolte. Il revient
l’année d’après, convaincu qu’il veut
devenir vigneron… Il avait 15 ans, l’école
n’était pas son fort et les pratiques un peu
rebelles du producteur lui ouvrent des
perspectives. À cette époque, Pierre est
seul à la vigne, Emmanuel entre en appren-
tissage, vient habiter chez lui et suit une
formation en alternance jusqu’au bac pro
avant de devenir ouvrier au domaine en
1996. « Manu a vite été dans le coup, même sans
être né dans la vigne », relève Pierre Overnoy.

EN DOUCEUR DEPUIS TRENTE ANS

Lorsque Pierre part à la retraite, en 2001,
Emmanuel rachète une partie des stocks
et le foncier. Il passe de 2,5 à 6,5 hectares
de chardonnay, savagnin et ploussard,
dont une majorité de massales, qui, n’ayant
jamais vu d’intrants, s’en sortent pas mal
grâce à une population de levures saines et
travailleuses.
Afin de loger le surplus de récolte,
Emmanuel et Anne, sa femme, rachètent
la maison Bouilleret, celle de la sœur de
Pierre Overnoy. Elle devient le siège de la
famille Houillon, elle est aussi pourvue de
caves qui viennent compléter celle de la
maison de Pierre. Sur un mur, elle conserve
sa fameuse plaque gravée des trois noms
“Pierre Overnoy, Emmanuel et Anne
Houillon” et, juste en dessous, de la mention
“Vins produits sans désherbant chimique”, pour
ceux qui auraient manqué une étape !
Emmanuel Houillon, lui, n’en a manqué
aucune. Dès le départ, il est converti  :
« Lorsqu’à 15 ans, on découvre la viticulture
de Pierre et le vin “nature”, il n’est pas envisa-
geable de faire autrement. Si je n’avais pas pu
faire un vin comme ça, je serais parti à l’usine ». Dès le début,
Pierre Overnoy
Aujourd’hui, Manu a 45 ans. « Tout aétéfaiten
a considéré
douceur durant trente ans. Au fur et à mesureque son jeune ouvrier
je prenais des responsabilités, Pierre en lâchait », comme
raconte-t-il. Il va même plus loin, à com- son propre fils.
mencer par la certification en biodynamie.
« Je voulais une relation plus personnelle avec la
vigne. La biodynamie procède d’un travail sur soi
relié au vin », insiste-t-il.

UNE ŒUVRE PARTAGÉE

De toute façon, cela ne change pas grand-
chose aux pratiques, l’agrobiologie est au
cœur du système Overnoy-Houillon dans
un échange toujours aussi productif. Il le
fut sur le sujet du chardonnay. « Sur le plous-
sard, on était déjà pas mal au point, maisilrestait
le chardonnay sur lequel nous avions un travail
à faire pour qu’il devienne bon plus vite, ● ● ●

Les coordonnées des domaines en page 140

LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 137

 Les Dégustations
Pierre OvernoyetEmmanuel Houillon
● ● ● explique Pierre Overnoy. Manu a une
bonne approche sur le sujet. Évidemment, nous
menons nos réflexions en commun », souligne
Pierre Overnoy. Ils réfléchissent donc de
concert, achètent un pressoir pneuma-
tique, le surélèvent pour supprimer la
pompe, puis investissent dans un œuf en
béton. Depuis le chardonnay rayonne. Le
2015, par exemple, se montre jubilatoire
de tension et de lumière, cristallin comme
de l’eau de roche, mais profond comme les
marnes de son sol.
Le lien qui unit les deux hommes tient
autant de l’affection que du soin apporté
à une œuvre partagée sur ce vignoble de
Pupillin, capitale du ploussard. Chez les
Overnoy-Houillon,onditploussard,moins
chic que poulsard, mais tellement plus
jurassien.

Propos consignés dans l’ouvrage

La parole de Pierre,
aux éditions Mêta Jura, 2011.

Le vin de Manu :
CHARDONNAY 1996
« C’est mon millésime préféré.
1996 est l’année où je suis devenu
ouvrier chez Pierre.
Harmonieux, ce chardonnay
offre une belle richesse et
une grosse acidité. Un peu dur,
il est aujourd’hui très jeune,
avec ses arômes de truffe, de
racines, de fumé et encore une
légère réduction en bouche.
Sa richesse est liée à
D. R.

sa belle tension, il n’a

que 24 ans. »

Le vin de Pierre :
SAVAGNIN 1989
« Ce vieux savagnin ouillé
arbore une robe d’un
jaune doré avec des reflets
bronze. Elle est limpide,
brillante, signes de sa
jeunesse éternelle.
À contre-jour, il laisse
scintiller de fines pépites Fruit de leur réflexion,
d’or fin. La bouche est l’utilisation
puissante, pleine, racée. d’un œuf béton
Une main de fer dans fait rayonner
D. R.

un gant de velours. » leur chardonnay.

138 - LA RVF N° 641 - MAI 2020


Bien sûr, nos dégustateurs ont le privilège de goûter de beaux vins
tout au long de l’année, mais il leur arrive aussi d’acheter à titre personnel des bouteilles
qui leur ont transmis une émotion particulière. Ils racontent.
Oliviers Poels
Des bourgognes
légendaires
Au domaine, à Meursault
C’est un rituel depuis vingt ans.
En début d’année, je me rends
au domaine Coche-Dury,
à Meursault, pour un moment
très privilégié. Celui de passer
un moment dans la cave avec
Jean-François ou Raphaël
Coche-Dury à déguster
les derniers vins en bouteilles
ou en élevage dans les
barriques. Puis de bénéficier
d’une allocation, cette année
seize bouteilles panachées,
du bourgogne au corton-
charlemagne. Des flacons
qui patienteront au fond
de ma cave au moins dix ans.
1132 € les 16 bouteilles
Corton-
charlemagne
du domaine
Coche-Dury
Les Dégustations
LEUR DERNIÈRE EMPLETTE
Cyrille Mald
Un whisky texan
inspiré de l’Écosse
À la cave Vintage & cie,
à Paris
La spécificité de cette bombe
aromatique qui ravira autant
les amateurs de whiskey
américain que de single malt
écossais : un vieillissement hors
normes durant quatre ans
en barriques de bourbon sous
le climat extrême de Waco
(Texas), et une maturation de
douze mois supplémentaires
en fût unique de ratafia
champenois qui lui a arrondi
les angles mais pas le caractère.
Cela lui confère un épicé
moelleux et d’incomparables
notes de fraise fermentée
Je repars avec une bouteille !
120 € chez le caviste
Single Malt
Texas
Whisky
Batch 003
2014,
Dumangin,
46 %
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 139
Jean-Baptiste Thial de Bordenave
Une pépite
du Minervois
Sur Internet
En vacances à San Francisco,
j’ai eu la chance au détour
de l’un de mes établissements
favoris, l’Amelie Wine Bar, de
découvrir une pépite : la cuvée
Vin de plume 2017 du domaine
du Somail. Composé à 80 %
de mourvèdre et 20 % de syrah,
ce minervois présente à la fois
une concentration et une
fraîcheur explosives, avec
de superbes arômes sudistes
de garrigue, d’épices et de
petites baies. Je me rends donc
immédiatement sur le site du
domaine pour en commander
six bouteilles, soit… 60 euros !
10 € sur le site
domainedusomail.com
Minervois
Le Vin de
Plume 2017
du domaine
du Somail
Alexis Goujard
Gaillac lève le voile
aux enchères !
À la maison de vente
Pousse-Cornet, à Blois
Étant abonné aux mots-clés
“vin sous voile” sur le site
interencheres.com, je reçois
régulièrement des offres
de ventes aux enchères de vins
oxydatifs. Dernièrement,
la notification sur mon smart-
phone d’un lot de quatre vins
liquoreux et de voile de Gaillac
m’a fait bondir du canapé !
Parmi eux, un Vin de Voile 1996
du domaine Plageoles,
la référence de l’appellation
Je me vois déjà l’ouvrir avec
un jambon du Quercy
de Patrick Duler.
70 € le lot aux enchères
Vin de Voile
1996 du
domaine
Plageoles
Photos : D. R.
 Les Dégustations
Les coordonnéesdesproducteurs

A-B Ermitage du Pic Saint-Loup,

tél. : 04 67 55 23 49
Léon Barral (dom.),
tél. : 04 67 90 29 13
Ott (dom.), tél. : 04 94 98 71 91
Overnoy (maison Pierre),
A (dom. de l’), tél. : 05 57 24 60 29
Abbaye de Valmagne, Fabre Gasparets (ch.), Léoville Las Cases (ch.), tél. : 03 84 25 12 31
tél. : 04 67 78 06 09 tél. : 04 68 27 10 80 tél. : 05 56 59 18 33 Padié (dom. Jean-Philippe),
Agnel (ch.), tél. : 04 68 76 21 68 Fargues (ch. de), tél. : 05 57 98 04 20 Les Bastides (dom.), tél. : 04 68 64 29 85
Amistat, tél. : 06 16 82 22 04 Figeac (ch.), tél. : 05 57 24 72 26 tél. : 04 42 61 97 66 Pavie Macquin (ch.),
Ancely (dom.), tél. : 04 68 91 55 43 Figuière, tél. : 04 94 00 44 70 Les Béates (dom.), tél. : 04 42 57 07 58 tél. : 05 57 24 74 23
Ancienne Mercerie (dom. de l’), Fil (dom. Pierre), tél. : 09 67 19 40 24 Les Carmes Haut-Brion (ch.), Pech-Redon (ch.), tél. : 04 68 90 41 22
tél. : 04 67 90 27 02 Fleur de Lisse (ch.), tél. : 06 70 10 10 71 tél. : 05 56 93 23 40 Pétrus, tél. : 05 57 51 17 96
Anglore (dom. de l’), Fonsalade (ch.), tél. : 04 67 89 57 90 Les Enfants Sauvages (dom.), Peyre Rose (dom.),
tél. : 06 63 81 98 32 Franc Baudron (ch.), tél. : 04 68 45 69 75 tél. : 06 09 22 52 73
Arche (ch. d’), tél. : 05 56 76 67 67 tél. : 05 57 74 62 65 Les Mille Vignes (dom.), Peyregrandes (ch. des),
tél. : 06 07 75 58 tél. : 04 67 90 15 00
Aupilhac (dom. d’), tél. : 04 67 96 61 19
Ausone (ch.), tél. : 05 57 24 24 57 G-H-J Les Pins (ch.), tél. : 04 68 64 22 37 Pibarnon (ch. de), tél. : 04 94 90 12 73
Barbeyrolles (ch.), Gardiés (dom.), tél. : 04 68 64 61 16 Les Terres Promises (dom.), Pichon-Longueville Baron (ch.),
tél. : 04 94 56 33 58 Gauby (dom.), tél. : 04 68 64 35 19 tél. : 06 81 93 64 11 tél. : 05 56 73 17 17
Bardi d’Alquier, tél. : 04 67 23 07 89 Gavoty (dom.), tél. : 04 94 69 72 39 Les Vignes Oubliées, Pithon (Olivier), tél. : 04 30 44 85 71
Beaupré (ch. de), tél. : 04 42 57 33 59 Gléon (ch.), tél. : 04 68 48 85 95 tél. : 06 72 77 38 88 Pradeaux (ch.), tél. : 04 94 32 10 21
Grand Crès (dom. du), Les Vins de la Madone,
Bégude (dom. de la),
tél. : 04 42 08 92 34 tél. : 09 61 48 72 67 tél. : 04 77 97 07 33 R-S
Bel (ch. de), tél. : 05 24 24 69 96 Haut-Bailly (ch.), tél. : 05 56 64 75 11 L’Hermas (dom.), tél. : 06 64 89 20 29 Rauzan-Ségla (ch.),
Bellivière (dom. de), Haut-Blanville (ch.), Lynch Bages (ch.), tél. : 05 56 73 19 31 tél. : 05 57 88 82 10
tél. : 02 43 44 59 97 tél. : 04 67 25 22 53 Lynch Moussas (ch.), Ray-Jane (dom.), tél. : 04 94 98 64 08
Bergerie du Capucin, Haut-Brion (ch.), tél. : 05 56 00 29 30 tél. : 05 56 00 00 70 Réaltière (dom. de la),
Haut-Marbuzet (ch.), tél. : 04 94 80 32 56
tél. : 04 67 59 01 00
Besombes (dom. de), tél. : 05 56 59 30 54 M Riberach, tél. : 04 68 50 56 55
tél. : 06 12 10 97 68 Hauvette (dom.), tél. : 04 90 92 03 90 Maby (dom.), tél. : 04 66 50 03 40 Roc d’Anglade, tél. : 04 66 81 45 83
Beychevelle (ch.), tél. : 05 56 73 20 70 Henry (dom.), tél. : 04 67 45 57 74 Maels (dom. des), tél. : 04 68 27 52 29 Roc de Cambes (ch.),
Borie La Vitarèle (dom.), Horiot (Olivier), tél. : 03 25 29 32 16 Magnon (Maxime), tél. : 05 57 74 42 11
tél. : 04 67 89 50 43 Jaugaret (dom. du), tél. : 04 68 45 84 71 Rochelierre (dom. de la),
Boudau (dom.), tél. : 04 68 64 45 37 tél. : 05 56 59 09 71 Maravilhas (dom. des), tél. : 04 68 45 70 52
Jean Faure (ch.), tél. : 05 57 51 34 86 tél. : 04 66 79 98 11 Saint-Andrieu (dom.),
C Margaux (ch.), tél. : 05 57 88 83 83 tél. : 04 68 20 00 13
Cambes (dom. de), tél. : 05 57 74 42 11 L  Marfée (dom. de la),
tél. : 07 78 67 05 49
Saint-Daumary (dom.),
tél. : 04 99 61 06 55
Camus (ch.), tél. : 05 56 76 44 53 La Baronne (ch.), tél. : 04 68 43 90 20
Carabiniers (dom. des), La Bastide Blanche, Mas Bruguière, tél. : 04 67 55 20 97 Saint Jacques d’Albas (ch.),
tél. : 04 66 82 62 tél. : 04 94 32 63 20 Mas Cal Demoura, tél. : 04 68 78 24 82
Cave de Roquebrun, La Croix de Saint-Jean, tél. : 04 67 44 70 82 Saint Nicolas (ch.), tél. : 04 68 53 47 61
tél. : 04 67 89 64 35 tél. : 04 68 46 35 32 Mas Champart, tél. : 04 67 38 05 59 Saint-Eulalie (ch.),
Cendrillon (dom. de la), La Dournie (ch.), tél. : 04 67 38 19 43 Mas d’Alezon, tél. : 04 67 95 19 72 tél. : 04 68 91 66 09
tél. : 04 68 44 23 94 La Fleur Cailleau (ch.), Mas de Cadenet, tél. : 04 42 29 21 59 Scamandre, tél. : 06 15 38 63 07
Chabanon (Alain.), tél. : 06 84 63 60 40 Mas de Daumas Gassac, Sénat (dom. Jean-Baptiste),
tél. : 04 67 57 84 64 La Grange (dom.), tél. : 04 67 98 13 56 tél. : 04 67 57 71 28 tél. : 04 68 78 38 17
Champ des Treilles (ch. du), La Linquière (dom.), Mas de l’Erme, tél. : 04 67 88 70 63 Simone (ch.), tél. : 04 42 66 92 58
tél. : 06 83 45 55 91 tél. : 04 67 38 25 87 Mas de la Dame, tél. : 04 90 54 32 24 Singla (dom.), tél. : 09 67 30 77 90
Claud Bellevue (ch.), La Mission Haut-Brion (ch.), Mas de la Séranne, Sociando-Mallet (ch.),
tél. : 05 57 49 48 23 tél. : 05 56 98 75 14 tél. : 04 67 57 37 99 tél. : 05 56 73 38 80
Climens (ch.), tél. : 05 56 27 15 33 La Mondotte, tél. : 05 57 24 71 33 Mas des Brousses, tél. : 04 67 57 33 75
Clinet (ch.), tél. : 05 57 25 50 00 La Rouvière (ch.), Mas des Caprices, tél. : 06 89 15 18 50
Mas des Chimères,
T-V-Y-Z
Clos Cibonne, tél. : 04 94 21 70 55 tél. : 04 94 98 58 98 Tempier (dom.), tél. : 04 94 98 70 21
Clos de l’Ours, tél. : 04 94 04 77 69 La Suffrène (dom.), tél. : 04 67 96 22 70 Tépus (Myrko), tél. : 06 11 76 93 65
Clos des Vins d’Amour, tél. : 04 94 90 09 23 Mas Foulaquier, tél. : 04 67 59 96 94 Terre d’Expression,
tél. : 04 68 34 97 06 La Terrasse d’Élise (dom.), Mas Jullien, tél. : 04 67 96 60 04 tél. : 04 68 43 61 18
Clos du Cas, tél. : 06 10 32 14 84 tél. : 06 22 91 81 39 Mas Novi, tél. : 04 67 24 07 32 Terrebrune (dom. de),
Clos du Jaugueyron, La Voulte-Gasparets (ch.), Mellot (Alphonse), tél. : 04 94 74 01 30
tél. : 05 56 58 89 43 tél. : 04 68 27 07 86 tél. : 02 48 54 07 41 Treloar (dom.), tél. : 04 68 95 02 29
Clos du Rouge Gorge, Lafaurie-Peyraguey (ch.), Mirabel (dom.), tél. : 06 22 78 17 Triballe (dom. de la),
tél. : 04 68 29 16 37 tél. : 05 24 22 80 11 Mire l’Étang (ch.), tél. : 04 68 33 62 84 tél. : 04 67 59 70 33
Clos Marie, tél. : 04 67 59 06 96 Lafite Rothschild (ch.), Modat (dom.), tél. : 06 11 64 40 38 Trinités (dom. des),
Clos Saint Sébastien, tél. : 05 56 59 26 83 Mongestine (dom. de la), tél. : 04 67 90 23 25
tél. : 04 68 88 30 14 Lancyre (ch. de), tél. : 04 67 55 32 74 tél. : 06 13 90 37 85 Trotanoy (ch.), tél. : 05 57 51 78 96
Coche-Dury (dom.), Lassolle (ch.), tél. : 06 19 54 68 34 Montrose (ch.), tél. : 05 56 59 30 12 Val de Ray (dom.), tél. : 04 68 29 45 55
tél. : 03 80 21 24 12 Latour (ch.), tél. : 05 56 73 19 80 Mordorée (dom. de la), Vieux Château Certan,
Comte Abbatucci (dom.), Laurette (ch.), tél. : 05 56 62 01 31 tél. : 04 66 50 00 75 tél. : 05 57 51 17 33
tél. : 06 95 37 17 41 Le Clos du Lucquier, Mouton Rothschild (ch.), Vignelaure (ch.), tél. : 04 94 37 21 10
tél. : 04 67 44 63 11 tél. : 05 56 73 20 20 Villa Symposia, tél. : 09 88 66 90 32
D-E-F Le Conte des Floris (dom.), Viranel (ch.), tél. : 04 67 89 60 59
Doisy-Daëne (ch.), tél. : 09 51 20 71 70 N-O-P Vordy (dom.), tél. : 04 68 32 41 52
tél. : 05 56 62 96 51 Le Puy (ch.), tél. : 05 57 40 61 82 Navarre (dom.), tél. : 04 67 89 53 58 Yquem (ch. d’), tél. : 05 57 98 07 07
Ellul-Ferrières (dom.), Le Roc (dom.), tél. : 05 61 82 72 38 Ollier-Taillefer (dom.), Yves Leccia (dom. d’E Croce),
tél. : 06 15 38 45 01 Le Roc des Anges (dom.), tél. : 04 67 90 24 59 tél. : 06 23 47 29 45
Engarran (ch. de l’), tél. : 04 68 29 16 62 Ollières (ch. d’), tél. : 04 94 59 85 57 Zélige-Caravent (dom.),
tél. : 04 67 47 00 02 Le Thou (ch.), tél. : 04 99 41 02 74 Ostal (dom. de l’), tél. : 04 68 91 47 79 tél. : 06 87 32 35 02

140 -LA RVF N° 641 - MAI 2020

 Les Dégustations
LES 100 BOUTEILLES MYTHIQUES
ChâteauHaut-Brion1989
Lechef-d’œuvredeJean-BernardDelmas
n°10
L
’année 1989, exceptionnelle notamment dans le
Bordelais,étaitfavorableàl’élaborationdegrands
vins. Des conditions climatiques hors normes
et une précocité de vendanges record pour le siècle
dernier ont donné des vins d’une superbe concentra-
tion, aux tanins de velours.
Le millésime, notamment grâce à un été caniculaire,
est certes très chaleureux et les vins présentent une
belle richesse alcoolique, mais avec néanmoins une
aciditésuffisantepourapporter unéquilibresouverain
aux jus des meilleurs terroirs. Longtemps considéré
comme légèrement inférieur à 1990, 1989 est d’ailleurs
pourbeaucoupd’amateursentraindedépasser,lente-
ment mais sûrement, depuis quelques années son
glorieux cadet en conservant davantage de fraîcheur
au vieillissement.
PRÈS DE 43 MILLÉSIMES À SON ACTIF
Parmi toutes les grandes réussites de ce millé-
sime, un vin parvient toutefois à se détacher :
Château Haut-Brion. Si je n’avais jusqu’alors
jamais eu la chance de goûter ce vin, j’en avais
déjà beaucoup entendu parler. C’est en effet
un cru qui revient régulièrement dans les
conversations entre passionnés sur les plus
grands vins jamais produits, régulièrement
cité au milieu de confrères mythiques tels
que Cheval Blanc 1947, Mouton Rostschild
1945,Pétrus1990,LaChapelledeJaboulet1961
ou encore La Tâche 1962.
Mais ce vin, c’est avant tout l’un des
sommets atteints par le regretté Jean-
BernardDelmas,décédéilyapeu,quiarégné
surl’élaborationdeHaut-Brionpendantprès
de 43 millésimes (de 1961 à 2003). Disparu le
3 octobre 2019 à l’âge de 83 ans, Jean-Bernard
Delmas était devenu une figure embléma-
tique de la propriété, après avoir succédé à
son père Georges Delmas, régisseur de Haut-
Brion depuis 1923, et avoir passé le relais à son
fils Jean-Philippe en 2004.
Le samedi 30 novembre 2019, je reçois
des amis à dîner, parmi lesquels le golfeur et
passionné de vin Grégory Bourdy. Pourquoi
D. R.
prends-je le soin de préciser la date exacte ?
LA RVF N° 641 - MAI 2020 - 141
Parce qu’il s’agit de la date d’anniversaire de Jean-Bernard
Delmas et qu’en cet honneur, un des convives a apporté
un Château Haut-Brion 1989. Une occasion m’était
donc donnée de goûter ce vin exceptionnel qui obtint
plusieurs fois la note parfaite, notamment par Robert
Parker qui déclarait à son sujet : « C’est l’un des plus grands
Haut-Brion jamais réalisés par le domaine. Vous devriez boire
autant de fois que possible ce vin, la vie est trop courte ! ».
FIGÉ DANS L’EXCELLENCE
Lenezestmajestueuxdeconcentration et de fraîcheur,
avecdesarômesdecèdre,deterre d’orage, de cassis, de
réglisse, de graphite et de poivre de Sichuan. On sent
immédiatement l’aura des plus grands, et l’on devine
que le vin ne “bougera” plus à l’aération, comme figé
dans l’excellence. En bouche, l’attaque est opulente
et les notes fumées si caractéristiques du cru
explosent, entrelacées de camphre, de liqueur de
framboise et de sirop de cassis, le tout porté par
des tanins d’une pureté exceptionnelle et une
aciditéparfaitequiprolonge la finale à l’infini.
Tout le monde veut prendre la parole pour
donner ses impressions, mais se ravise fina-
lement en constatant que le vin est encore
en train de s’exprimer et d’évoluer quelques
minutes après l’avoir bu. La perfection ?
Je n’oserai jamais dire cela. Mais je ne peux
m’empêcher de raconter une anecdote
édifiante à mes convives au sujet de ce vin.
LascènesepasseàHong Kong pendant l’au-
tomne2018.PeterLam, puissant milliardaire,
à l’époque président de l’Office de tourisme
de Hong Kong, me reçoit dans ses bureaux,
au sommet de l’un de ses gratte-ciels, avec
vue imprenable sur la baie. Reconnu comme
l’un des plus grands collectionneurs de vin
au monde, Peter Lam possède plusieurs
centaines de milliers de grandes bouteilles
réparties dans ses nombreuses caves. Parmi
tous ces grands crus, il décide d’ouvrir à cette
occasionsonvinpréféré : Château Haut-Brion
1989. Pour quelle raison ? C’est tout simple-
ment, selon lui, le vin qui se rapproche le plus
de la perfection.
Jean-Baptiste Thial de Bordenave
 Les Dégustations
DÉBAT AUTOUR D’UNE BOUTEILLE
Laurent-Perrier
Olivier Poels
Champagne Grand Siècle
Un grand champagne
à l’heure de la transparence
A
mateur de champagne, Denis Saverot propose à
Olivier Poels de déguster la cuvée Grand Siècle de
Laurent-Perrier. Lancée en 1959, cette bouteille de
prestige est un assemblage de crus et de millésimes jusqu’ici
tenus secrets et évoluant au rythme des tirages. Mais les choses
bougent et la maison fait évoluer le concept de ce célèbre vin.
Denis Saverot. Olivier, pour terminer cette journée, je te
propose de venir déguster dans mon bureau cettecuvée
Grand Siècle. J’imagine que tu connais ce vin.
Olivier Poels. Oui, bien sûr. C’est d’ailleurs étonnantque
tu me proposes cette cuvée. On ne la croise passisouvent,
un peu comme si elle était passée de mode.
DS. C’est vrai, je me souviens que lorsque je suis arrivé à
La RVF, il y a près de vingt ans, cette cuvée jouissait d’une
réputation aussi forte que Dom Pérignon. C’était une
marque que l’on croisait dans tous les lieux branchés et
dans la haute gastronomie. Aujourd’hui, elle sefaitplus
discrète. Comment l’expliquer ?
OPls. Bernard de Nonancourt, qui a dirigé la marque
jusqu’en 2010, était un homme très charismatique et
un grand visionnaire. Il a porté cette cuvée, comme
toute la maison d’ailleurs. Il y a eu un moment de
flottement après sa disparition, mais Laurent-
Perrier semble décidée à relancer ce cham-
pagne pour lequel elle modifie sa stratégie
de communication, rendant sa composi-
tion plus transparente.
DS. La grande particularité de Grand Siècle
est l’absence de millésime. Il s’agit en réalité
d’un assemblage de trois grands millésimes
qui, jusqu’ici, n’étaient pas mentionnés.
Une sorte de secret de fabrication qui entre-
tenait un peu le mystère autour de cette
cuvée. Les amateurs sont aujourd’hui en
quête de transparence et la marque s’adapte.
Penses-tu que cela aille dans le bon sens ?
OPls. C’était inévitable. Je précise quand
même qu’il existe quelques versions millé-
142 - LA RVF N° 641 - MAI 2020
Denis Saverot
simées de Grand Siècle comme 1988, 1989 ou 1990. À l’heure
de la transparence, il n’est plus possible de ne pas indiquer
aux consommateurs ce qu’il y a dans les bouteilles. Grand
Siècle est donc désormais numéroté. Ici, il s’agit de l’Itération
numéro 24, soit la 24e version de la cuvée ; en cherchant sur
Internet, on découvre que cela correspond à l’assemblage des
millésimes2004, 2006 et 2007. Je milite depuis longtemps
pour que figurent sur les bouteilles de champagne un
maximum d’informations – comme par exemple la
date de dégorgement, mais c’est un autre débat. Le fait
ici de mentionner les millésimes qui composent le vin
estunetrès bonne chose qui fournit de précieuses indi-
cations aux amateurs.
DS. Revenons à cette bouteille. Comment trouves-tu le
vin ? Pour ma part, j’aime son côté apéritif et élégant. On
perçoit une bulle fine et de jolies notes briochées très
agréables. C’est parfait à déguster maintenant et l’équi-
libre me plaît beaucoup.
OPls. Oui, c’est un champagne au profil consensuel,
crémeux et flatteur. Tu as raison sur son élégance et
son raffinement. Il remplit sa mission : incarner une
grandecuvée qui séduira le plus grand nombre. Reste
quand même son prix : 115 €, c’est une somme !
DS. C’est vrai, mais cela se situe dans la même
fourchette de tarifs que la concurrence. C’est
le prix à débourser pour une grande cuvée.
OPls. Les grandes cuvées, à l’exception de
Dom Pérignon, Cristal de Roederer, Krug
et sans doute Comtes de Champagne de
Taittinger, représentent des marchés de
niche insignifiants en volume. Les marques
se doivent d’en produire pour leur image,
mais leur tarif très élevé fait qu’en réalité,
hormis dans la grande restauration qui les
sert à la coupe après avoir négocié les prix au
plus bas, ces champagnes se vendent peu.
T. Legay / D. R.
DS. Je suis tout de même ravi d’avoir partagé
cette bouteille avec toi. Franchement, elle se
montre très agréable à boire.