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POMPÉI L’EXPOSITION IMMERSIVE DU GRAND PALAIS


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ÉDITORIAL
SOMMAIRE 58 Les derniers jours de Pline Par Alexandre Grandazzi
EN PARTENARIAT
AVEC

62 Tous les chemins mènent au forum


LE CABINET DES MERVEILLES 64 La cité des hommes Par William Van Andringa
76 Les dieux sont tombés sur la tête Par Jean-Noël Robert
Nombre des superbes fresques qui ornaient les murs de
Pompéi ont été mises à l’abri dans les musées. Elles composent 80 La dolce vita Par Jean-Noël Robert
le plus fastueux ensemble pictural de l’Antiquité romaine. 86 Les plaisirs du bain
88 Les nouveaux jours de Pompéi Par Geoffroy Caillet
96 Les récoltes du Vésuve Par Isabelle Schmitz
UNE ANNÉE PARTICULIÈRE 102 Dernier domicile connu Par Pierre Gros, de l’Institut
Par Irina de Chikoff 110 Au cœur de la maison pompéienne
24 Carpe diem 112 La couleur aux fresques des murs Par Alix Barbet
26 Mélancolie romaine 122 Les trois vies d’Herculanum Par Vincent Trémolet de Villers
28 Place du marché 126 Pillards, poètes et savants Par Thibaut Dary
30 Campagne électorale 132 Rue des boutiques obscures
32 L’heure du bain 134 Quand le Vésuve s’éveillera Par Jean-Louis Voisin
34 Dîners en ville
36 Vive l’arène !
38 Vendanges tardives COMPLÉMENTS D’ENQUÊTE
40 Terre de feu 146 Au-dessous du volcan Entretien avec Massimo Osanna,
propos recueillis par Geoffroy Caillet
152 Sous le feu des projecteurs Par François-Joseph Ambroselli
L’AMOUR ET LA MORT 156 Portes ouvertes
44 Peur sur la ville Par Jean-Noël Robert 158 La mort aux trousses Par Geoffroy Caillet
52 Les belles bacchantes Par Alexandre Grandazzi 160 Plaisirs et lectures
EN COUVERTURE : VICTOIRE AVEC TRÉPIED, FRESQUE PROVENANT DU TRICLINIUM OU SALLE À MANGER D’UNE VILLA DE MURECINE, AU SUD DE POMPÉI (MOREGINE). © COLLECTION DAGLI ORTI/
AURIMAGES. PAGE DE SOMMAIRE : RECONSTITUTION EN 3D, PAR GÉDÉON PROGRAMMES, DU PORTIQUE MENANT À L’OECUS DE LA MAISON DU JARDIN À POMPÉI. © GÉDÉON PROGRAMMES

CE NUMÉRO EST UNE RÉÉDITION ACTUALISÉE DU FIGARO HORS-SÉRIE N° 63 PARU EN AOÛT 2011 ET DU FIGARO HISTOIRE N° 44 PARU EN MAI 2019.

Société du Figaro. Siège social 14, boulevard Haussmann, 75009 Paris.


Président Charles Edelstenne. Directeur général, directeur de la publication Marc Feuillée.
Directeur des rédactions Alexis Brézet. Directeur général adjoint Jean-Luc Breysse.
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LE FIGARO Hors-Série Hors-Série du Figaro. Commission paritaire : N° 0421 C 83022. ISSN : 1951 - 5065.
ISBN : 978-2-8105-0885-3. Edité par la Société du Figaro. Rédaction 14, boulevard Haussmann, 75009 Paris. Tél. : 01 57 08 50 00.
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Origine du papier : Finlande. Taux de fibres recyclées : 0 %. Eutrophisation : Ptot 0,010 kg/tonne de papier. Avril 2020. estLeimprimé
Figaro Hors-Série
dans le respect
de l’environnement.
REMERCIEMENTS. CE NUMÉRO A ÉTÉ RÉALISÉ AVEC LA PRÉCIEUSE COLLABORATION DE MASSIMO OSANNA, DIRECTEUR DU PARC ARCHÉOLOGIQUE DE POMPÉI, MARELLA BRUNETTO,
ATTACHÉE DE PRESSE DU PARC ARCHÉOLOGIQUE DE POMPÉI-ANTIQUARIUM BOSCOREALE, FLORENCE LE MOING, CHEF DU SERVICE PRESSE DE LA RMN-GRAND PALAIS, AUDREY ROUY,
RELATIONS PRESSE DE LA RMN-GRAND PALAIS, AGNÈS GARAUDEL, DIRECTRICE DU DÉVELOPPEMENT ET DES PARTENARIATS DE GÉDÉON PROGRAMMES, BLANDINE HUK, SECRÉTAIRE
DE RÉDACTION, SOPHIE SUBERBÈRE, RÉDACTRICE PHOTO, ALAIN BIROT, LAURE MAESTRACCI, PIERRE DZU ET ROSE-AIMÉE CUROT, RÉDACTEURS GRAPHISTES, SOPHIE TROTIN, FABRICATION.
VIVRE ET MOURIR À POMPÉI
Stendhal n’y avait passé que quelques heures : il prétendait y être à la coquille, les oiseaux viennent se désaltérer dans une vasque
allé onze fois. Il disait y avoir appris plus que dans tous les livres, de pierre au cœur d’un luxuriant jardin. Dans celle des Chastes
parce qu’il y avait vu l’Antiquité « face à face ». Et il est bien vrai que Amants, les convives d’un banquet s’effondrent sur leur lit, terras-
Pompéi offre à ses visiteurs l’illusion d’un incroyable voyage dans sés par l’ivresse avant même d’avoir rien entrepris.
le temps. La reconstitution de la vie antique cesse d’être un exer- Prêtre d’Isis, Octavius Quartio avait aménagé dans son jardin un
cice de pure imagination, une spéculation d’érudit. La maison euripe : une succession de trois bassins longés par deux pergolas
romaine ne se résume plus, soudain, à un plan complexe, un parallèles, et dont les cascades reproduisaient les crues du Nil.
dédale, où l’on s’épuise à distinguer l’atrium du péristyle, l’oecus Une salle à manger en plein air lui permettait de prendre ses repas
du tablinum. Venant d’une rue pavée où ne manquent pas même près d’un nymphée, sous le regard des dieux.
les passages surélevés pour faire traverser, à pied sec, les piétons, La magie de Pompéi tient pour beaucoup à ce statut d’encyclo-
où s’alignent les échoppes, les boulangeries, les ateliers des arti- pédie de la vie quotidienne à l’apogée de l’empire : celle-là même
sans, les restaurants ; d’un forum où voisinent les temples des que présente aujourd’hui le Grand Palais dans sa magnifique
dieux, le marché, les thermes, ou d’une périphérie vouée aux plai- exposition immersive, où l’illusionnisme des images virtuelles
sirs du théâtre, des jeux, de la palestre, le promeneur est invité à permet à de somptueuses reconstitutions en 3D de servir d’écrin à
pousser la porte de demeures qui lui réservent le choc d’une irrup- la présentation de quelques-unes des spectaculaires découvertes
tion dans une Antiquité vivante, avec leurs murs peints à fresque, réalisées sous la direction de Massimo Osanna, le directeur du
où les bacchantes semblent surprises dans la danse des sept voi- site, lors de la récente campagne de fouilles de la région V.
les, tandis que des Amours vendangent, se font auriges, mar- C’est, de fait, la vie même, comme en instantané, que donne à voir
chands d’huile, orfèvres ou forgerons ; où Léda nous jette un regard cette ville morte. Pompéi était alors couverte de trois mille inscrip-
empli de confusion au moment où elle ouvre avec délice son man- tions en grandes lettres rouges et noires témoignant, sur les murs, de
teau à la caresse du cygne ; où les Saisons volent en compagnie des la vigueur de la campagne électorale pour l’élection des duumvirs.
satyres, des Victoires ; où les architectures feintes, entrelacées de Certains des impétrants étaient soutenus par les foulons, d’autres
fleurs, de vignes vierges donnent l’illusion de l’espace et de la pro- par les filles de joie. Des adversaires faisaient d’eux les candidats des
fondeur, encadrant des tableaux où se déploie la légende dorée « assassins », des « soûlards » ou des « bonnets de nuit ». D’autres
des dieux et des héros. Dédale y montre à Pasiphaé la génisse de graffitis étaient consacrés à des invectives, des plaisanteries sca-
bois qui abritera ses amours coupables avec le taureau. Patrocle breuses, des déclarations d’amour. La mélancolie amoureuse y voi-
remet Briséis à Agamemnon sous le regard amer d’Achille ; le roi sinait avec le priapisme obscène, les citations de Catulle et de Virgile.
Pélias pleure des larmes de sang en découvrant le pied nu de son « Le Vésuve fabrique tous les nuages du monde. La mer est bleu
neveu Jason comme l’annonce de sa propre fin ; Persée délivre marine. Il pousse des jacinthes sur les trottoirs. Pompéi ne m’a pas
inlassablement Andromède ; Iphigénie s’avance vers le devin Cal- étonné. J’ai été droit à ma maison, écrit drôlement le jeune Jean Coc-
chas en disant « adieu à la lumière » (Euripide). Chevaux ailés, teau à sa mère. J’avais attendu mille ans sans oser revenir voir ses
© VICTOIRE PASTOP. © BESTRAVELVIDEO/ROBERTHARDING/PHOTONONSTOP.

masques de théâtre, jardins enchantés, villes imaginaires peu- pauvres décombres. »


plent les arrière-plans pour transformer les maisons en une fête La fascination qu’exerce la cité enfouie sous la cendre et les pier-
pour l’œil, une invitation à apprendre à voir les beautés de la Terre, res ponces ne s’arrête pas là, cependant. Elle tient également – la
un appel à cueillir sans attendre les délices de la vie. qualité des reconstitutions qu’en propose Gédéon Programmes
Des atriums semblent conçus pour préserver la fraîcheur et au Grand Palais contribue à le faire sentir – au caractère inexo-
l’ombre. Des péristyles déploient leurs colonnes cannelées autour rable du désastre qui y a arrêté le temps, le 24 octobre 79, sous le
d’alignements de buis, de bosquets d’hortensias. L’eau jaillit des règne de l’empereur Titus.
fontaines et renvoie, à la surface des bassins, l’image toujours Sans doute les curieux se pressent-ils aujourd’hui en rangs ser-
changeante du ciel. rés entre les murs du lupanar, pour y découvrir avec amusement
Décorée par la splendide mosaïque de la bataille d’Alexandre la variété des positions proposées par les « louves » du Ier siècle à
le Grand contre Darius (aujourd’hui conservée au Musée archéo- leurs clients. Mais les attend aussi, dans la caserne des gladiateurs,
logique de Naples), la maison du Faune imite avec bonheur l’empreinte du corps d’une jeune femme parée d’un collier d’éme-
l’architecture des palais hellénistiques. Celle des Vettii affiche la raudes et de bracelets d’or : surprise sur le lieu même où cette res-
profusion de ses motifs avec un luxe de parvenu. Le dieu Priape y pectable matrone était venue accorder ses faveurs à l’une des
pèse, à l’entrée, son énorme sexe, en une démonstration de pros- vedettes de l’arène, elle y est restée figée pour toujours. Ailleurs,
périté, de robustesse et de mauvais goût. Dans la maison de Vénus c’est la fuite éperdue, l’affolement d’une population impuissante
Editorial par Michel De Jaeghere

devant la colère de la terre qui se montrent dans les moulages réa- réactivant le thème antique de la Vanité, avec des tableaux qui
lisés par Giuseppe Fiorelli en injectant du plâtre dans les creux représentent toutes les activités humaines, mises en regard d’un
laissés par les corps sans vie au cœur de la cendre durcie. Certains crâne symbolisant la mort, inéluctable, qui rend dérisoires nos agi-
avaient jeté leurs trésors dans un sac, d’autres avaient fermé à clé tations. Pompéi est une immense Vanité en trois dimensions, la
leur demeure et avaient emporté avec eux leur précieux trousseau plus saisissante et la plus spectaculaire de toutes. Elle nous fait
dans l’espoir de leur prompt retour. Deux enfants se donnaient la assister à l’instant même où le rideau se déchire, où se dissipent les
main en cherchant sous une tuile un dérisoire abri. grandeurs d’établissement. Plus qu’un musée à ciel ouvert, elle
Les plus grands artistes se sont efforcés, depuis des siècles, de nous nous propose un apologue de notre condition.
émouvoir en s’appuyant sur l’effet de contraste qu’offre l’aventure
humaine, notre capacité de démiurge à transformer le monde et le
caractère éphémère, météorique, de notre passage sur la Terre, le LES AMANTS DE BABYLONE
destin qui fait de nous, dit Homère, « de misérables mortels, qui, sem- Nymphée de la maison d’Octavius Quartio (dite aussi
blables aux feuilles des arbres, vivent tantôt abondantes et nourries des maison de Loreius Tiburtinus), décoré d’une fresque illustrant,
sucs de la terre, et tantôt périssent desséchées » (Iliade, XXI). D’autres d’après Les Métamorphoses d’Ovide, l’histoire de Thisbé
en ont fait un sujet de sarcasme. Proust compare dans Le Temps et Pyrame. Les deux jeunes gens s’aiment, mais leurs pères
retrouvé le frivole Paris de la Belle Epoque, soudain menacé, en refusent leur mariage. Ils se donnent rendez-vous, un soir,
1916, par le Vésuve de l’artillerie allemande, au destin de Pompéi. Il hors les murs de Babylone. Thisbé, arrivée la première, est
imagine telle élégante de l’arrière immobilisée à son tour en mettant surprise par une lionne, la gueule ensanglantée. Elle s’enfuit,
« une dernière couche de fard avant d’aller dîner chez une belle-sœur », mais perd son voile que la lionne déchire et tache. En le
ou Sosthène de Guermantes asphyxié par les gaz tandis qu’il finit de découvrant, Pyrame croit que sa bien-aimée a été dévorée
peindre ses faux sourcils. Etude, argent, richesse, plaisir, puissance : et se suicide. Thisbé, qui revient sur ces entrefaites, trouve
le Siècle d’or de la Hollande a enrichi quant à lui l’histoire de l’art en le corps sans vie de son amant et se poignarde à son tour.
Le cabinet
des merveilles
© GEDEON PROGRAMMES
À TABLE ! Reconstitution en 3D, par Gédéon Programmes, du triclinium de la maison du Jardin,
la salle à manger où les convives, à demi accoudés sur un lit, prenaient leurs repas.

Le temps n’a rien enlevé à l’éclat de leur beauté.


Nombre des superbes fresques qui ornaient les murs
de Pompéi ont été mises à l’abri dans les musées
de Naples et sa région. Elles composent le plus fastueux
ensemble pictural de l’Antiquité romaine.
PHOTOS : © ARALDO DE LUCA. © MANUEL COHEN/AURIMAGES.

MAISON DES VETTII


DIVINS CONVIVES La maison des Vettii, l’une des plus
riches de Pompéi, appartenait à deux frères affranchis ayant fait
fortune dans le commerce. A gauche : le triclinium (salle à manger).
Son décor peint se déploie sur trois registres : en bas, une imitation
en trompe-l’œil de panneaux de marbre ; dans la partie médiane,
le centre de chacun des murs est occupé par un grand tableau peint
sur fond rouge et représentant une scène mythologique (de gauche
à droite, Dédale présentant à Pasiphaé la vache en bois qu’il
a fabriquée pour elle, le supplice d’Ixion, et Dionysos découvrant
Ariane endormie) ; en haut, des architectures théâtrales qu’animent
des figures de divinités, de nymphes et de héros. Ci-dessus :
Penthée mis en pièces par les bacchantes (fresque de l’oecus,
le salon d’apparat de la maison). Ci-dessous : un léopard.
MAISON
DES DIOSCURES
SOUS LE CHARME Page de droite : Persée libérant Andromède (Naples,
Museo Archeologico Nazionale). La jeune princesse éthiopienne, enchaînée
sur un rocher, allait être dévorée par un monstre marin lorsque survint Persée,
volant dans les airs grâce aux sandales ailées qu’Hermès lui avait offertes.
Tout juste victorieux de Méduse dont il porte la tête en trophée, le héros s’éprend
de la jeune fille et, en échange de sa main, la délivre. Tirée des Métamorphoses,
cette légende témoigne du succès rencontré par le poème composé par Ovide
quelques années plus tôt, au tout début du Ier siècle, sous le règne d’Auguste.
Cette fresque décorait, dans le péristyle, l’un des deux pilastres d’accès à l’oecus.
A gauche : Zeus trônant, couronné par une Victoire (Naples, Museo Archeologico
Nazionale). Dans sa main droite, le roi des dieux tient le foudre, tandis que de la
gauche il brandit son sceptre. A ses pieds, un globe et son animal attribut, l’aigle.

TOURNOIEMENT
A droite : Faune et bacchante (Naples, Museo
Archeologico Nazionale). Ce type de figures volantes
est caractéristique du quatrième style de la peinture
pompéienne. Associés à Bacchus-Dionysos,
l’une des trois divinités tutélaires de Pompéi avec
Hercule et Vénus, les faunes et les bacchantes, comme
l’ensemble des décors dionysiaques, étaient très
en vogue dans les peintures et les jardins pompéiens.
« Cette région viticole, comme le souligne Jean-Noël
Robert, attendait surtout du dieu qu’il lui assure
la prospérité (…), mais aussi qu’il la transporte dans
un monde d’illusion, celui du théâtre, transformant
la vie quotidienne en mise en scène permanente. »
© LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION. © AKG-IMAGES/MPORTFOLIO/ELECTA. © LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION.
MAISON
DU POÈTE TRAGIQUE
LA SÉPARATION Les Adieux d’Achille et de Briséis.
Cette fresque qui se déployait dans l’atrium est aujourd’hui
conservée au Musée archéologique de Naples. Raconté
© LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION.

dans le chant I de l’Iliade, l’épisode correspond au moment


où Patrocle, fidèle ami d’Achille, saisit le bras de Briséis,
la captive de son bouillant compagnon, pour la remettre aux deux
hérauts venus la chercher sur ordre d’Agamemnon. « La jeune
captive les suit à regret, rapporte Homère. Alors Achille, en pleurant,
s’assied loin de ses compagnons sur les rivages de la mer
blanchissante, et regarde les flots azurés ; puis, étendant les mains,
il implore (…) sa mère chérie : “(…) le puissant Agamemnon
m’outrage ; lui-même il m’arrache, et possède ma récompense.” »
© LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION. © ARALDO DE LUCA.
MAISON DE
CECILIO GIOCONDO

L’ANCÊTRE Ci-dessus : buste en bronze qui se trouvait dans l’atrium de la maison (Naples, Museo Archeologico
Nazionale). Il s’agirait du portrait d’un ancêtre de Cecilio Giocondo, le dernier maître des lieux, que l’un de ses affranchis
lui avait offert. On sait, grâce à un exceptionnel ensemble de cent cinquante-quatre tablettes découvert dans la maison,
que Cecilio Giocondo était banquier, ces tablettes étant des attestations ou des reconnaissances de paiement
établies à l’occasion de ventes aux enchères ou d’affermages de biens de la cité. Page de gauche : Iphigénie en Tauride.
Cette fresque, conservée au Musée archéologique de Naples, provenait du tablinum, la pièce ouvrant sur l’atrium qui
servait de bureau au maître de maison. Prêtresse d’Artémis, Iphigénie devait immoler tout étranger abordant en Tauride.
Inspirée de la tragédie d’Euripide composée à la fin du Ve siècle avant J.-C., la scène figure Iphigénie, sur les marches
du temple, donnant l’ordre d’ôter les liens de deux étrangers qui ne sont autres que son frère Oreste et son ami Pylade
(dont ne subsiste que le côté gauche sur la fresque).
UN COIN DE PARADIS Ci-dessous et détail à droite :
la fresque de ce luxuriant jardin peuplé d’oiseaux, conservée
à l’Antiquarium de Boscoreale, se déployait sur un mur de
l’oecus de la maison. Le rendu de cette peinture du troisième
style est si minutieux que l’on peut reconnaître toutes
les essences (arbousier, palmier, laurier-rose…) et espèces
d’oiseaux (colombe, rossignol, loriot…) représentées.
Au-dessus du jardin, guirlandes de lierre, disque et masques
sont suspendus entre les colonnes d’un péristyle.
Au sommet, sur fond noir, une vasque dorée dans laquelle
viennent boire des colombes. Ci-dessus : masques
de théâtre, provenant de l’oecus (Boscoreale, Antiquarium).
© ARALDO DE LUCA. PHOTOS : © LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION.
MAISON DU BRACELET D’OR
MAISON
DE L’AMOUR FATAL
L’USURPATEUR
Pélias et ses filles, détail de la fresque
de troisième style pompéien
représentant la rencontre entre
Pélias et Jason, qui décorait le
triclinium de la maison de l’Amour
fatal, dite aussi maison de Jason
(Naples, Museo Archeologico
Nazionale). Les trois personnages,
la tête ceinte d’une couronne
de laurier, s’apprêtent à participer
au sacrifice d’un taureau. Les yeux
écarquillés de Pélias, son expression
inquiète intriguent. Pourquoi une telle
appréhension ? C’est qu’il vient
de remarquer Jason qui se tient non
loin de lui. Un détail l’alerte : le jeune
homme ne porte qu’une sandale
© LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION.

au pied droit. Or l’oracle d’Apollon


avait prédit à Pélias, qui avait usurpé
le trône d’Iolcos au père de Jason,
qu’il serait tué par un homme qui
ne porterait qu’une seule sandale.
Pour se soustraire au danger, Pélias
envoie alors Jason quérir la Toison
d’or, sachant que ce périple vouait
son neveu à une mort certaine.
© LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION. © DEAGOSTINI PICTURE LIBRARY/SCALA, FLORENCE.

VILLA DE CICÉRON
SUR LE FIL Ci-dessus : Silène funambule portant
un thyrse (Naples, Museo Archeologico Nazionale).
En compagnie des satyres et des bacchantes, des faunes
et des nymphes, les silènes participaient à la joyeuse
sarabande du cortège dionysiaque. Ci-contre : Centauresse
jouant de la cithare accompagnée d’un jeune homme
avec lequel elle joue des crotales (Naples, Museo
Archeologico Nazionale). Ces deux fresques sur fond noir
sont caractéristiques du troisième style.
Une année
particulière
© GEDEON PROGRAMMES.
SALON D’APPARAT Reconstitution en 3D, par Gédéon Programmes, de l’oecus
(pièce de réception) de la maison du Jardin à Pompéi.

Pompéi a été ensevelie sous les cendres, alors qu’elle


se remettait à peine d’un tremblement de terre survenu en 62.
La vie n’y avait pas moins repris au rythme des saisons,
des jeux et des campagnes électorales. Sur le forum, au théâtre,
dans les thermes et dans les jardins, toute la population
semblait obéir au principe d’Horace : carpe diem. Par Irina de Chikoff
Carpe diem
En ce début d’année 79, la vie est douce
et insouciante à Pompéi.

D
es charbons de cèdre crépitent dans Caius Plinius Secundus ne va sans doute
les braseros. Leur parfum entêtant pas manquer, après le repas, de s’y enfermer
alanguit les femmes qui se reposent comme il le fait toujours lorsqu’il visite ses
dans la salle aux Amours. Elle fait face au amis. L’amiral est un savant. Il a écrit toutes
péristyle dont les colonnes entourent le jar- sortes d’ouvrages ennuyeux et un jeune secré-
din. On attend les beaux jours pour pouvoir taire court toujours derrière lui avec son stylet
y prendre les repas sur les lits disposés et ses tablettes de cire, car Pline veut que tou-
autour d’une grande table en marbre, tes ses observations soient dûment notées.
comme tous les étés. Les femmes soupirent. Elles craignent que
Une esclave parachève la coiffure, tout en l’amiral ne se lance, pendant le souper, dans
boucles, de la maîtresse de maison, tandis ses souvenirs. Il en a tant ! N’a-t-il pas guer-
qu’une autre joue de la cithare. Par Jupiter royé en Germanie avant de devenir procu-
et par Junon ! Comme l’hiver est long ! rateur en Hispanie ? Mais le pire est lorsque
Comme il est ennuyeux de ne pouvoir navi- Pline maugrée contre le luxe, le lucre et
guer sur la mer jusqu’à Herculanum ou Sta- l’otium ! Comme si lui-même, dans sa villa au-
bies, voire jusqu’à Misène où se trouve la flotte impériale que com- dessus du port de Misène, ne coulait pas des jours heureux ! Comme
mande Caius Plinius Secundus. si le bonheur n’était pas le but même de l’existence, sa justification !
L’amiral vient rarement à Pompéi. Il s’entretient avec le maître A Pompéi, on ne boude guère son plaisir de manger, boire le vin
de céans dans le salon ouvert sur l’atrium. Ils ont tiré les rideaux qui mûrit sur les versants ensoleillés du Vésuve, aller au théâtre,
pour plus de confidentialité. Les élections approchent. Les hom- assister aux jeux du cirque, banqueter, choisir des tissus soyeux
mes, déjà, complotent. Bien qu’elles ne prennent pas part au au macellum, se parer de bijoux et se couvrir d’onguents parfumés.
vote, les femmes ne sont pas les dernières à se passionner pour On ne cache ni sa joie ni sa richesse.
un candidat ou l’autre. Et comme il est amusant de parcourir la Salve lucrum ! Lucrum gaudium ! Aucun magistrat de la cité ne
cité quand toutes les façades se couvrent de lettrines recom- manque de rappeler que la fortune est un bienfait des dieux. Et tous
mandant un notable, un gros marchand, voire un banquier au les Pompéiens, dans leur maison, font des offrandes devant leur
duumvirat ou à l’édilité ! laraire, pour rendre grâce aux divinités qui protègent leur prospérité.
Bientôt les jeux aussi vont reprendre et l’on dit qu’une nouvelle Elle vient de la terre, si fertile dans l’ager pompéien. Elle vient des
troupe de gladiateurs va arriver. Les jeux ! Les rires ! La vie en vignobles, du blé, des moutons, des oliviers et de toute l’industrie
somme ! Car qu’est-ce que vivre sinon le plaisir ? qui s’est développée autour des produits de la terre. Ce n’est pas
© ARALDO DE LUCA. © MET/CC0. © DON DESPAIN/ALAMY/PHOTO12.

Les Pompéiens s’entendent à organiser leur demeure pour pour rien que tant de Romains ont acheté des propriétés dans la
l’agrément. Elle n’est pas seulement le lieu où l’on habite, où l’on région depuis les temps lointains où Pompéi est devenue une colo-
se nourrit, où les enfants étudient auprès d’un pédagogue grec et nie romaine. La plus belle. La plus gaie assurément. I. de C.
où le maître règle ses affaires tandis que les esclaves vaquent aux
travaux domestiques. La maison est une sorte de théâtre. Chaque
jour est comme une nouvelle représentation. Au gré de l’humeur et LA CITÉ DES PLAISIRS
des saisons, on se transporte d’une pièce à l’autre. On tire les lits, En haut, au centre : femme assise jouant de la cithare,
les tables, les tabourets aux pieds de bronze et, le soir, les candéla- fresque de la villa de Publius Fannius Synistor à Boscoreale,
bres à longue tige. Tantôt on s’installe pour lire sous une pergola, vers 40-30 avant J.-C. (New York, Metropolitan Museum
près de la volière où gazouillent les chardonnerets, tantôt on se of Art). En haut, à gauche : brasero circulaire en bronze
transporte dans la grande salle à colonnade blanche stuquée découvert dans la maison de Ménandre. Il repose sur trois
parce qu’il y fait plus frais. pieds en forme de patte de lion et est décoré de têtes
Aucune pièce n’a de vocation propre. Même les chambres à cou- léonines en relief (Naples, Museo Archeologico Nazionale).
cher sont parfois abandonnées tandis qu’on va dormir dans le Page de droite : le jardin de la maison d’Octavius Quartio
salon d’apparat dont les murs sont décorés de grands bouquets que traverse un canal (euripus) animé de fontaines
fleuris, ou dans la bibliothèque aux innombrables étagères. et de petites cascades.

24 l nhors-série
Mélancolie romaine
Agé et fatigué, Caius Plinius s’agace
de la légèreté de ses concitoyens.

P
arfois, alors qu’il regarde la Lorsqu’il descend au port de Misène, il
montagne du Vésuve depuis sa se fait transporter par une voiture à
terrasse, les souvenirs affluent deux places. Il les occupe à lui seul.
et Caius Plinius Secundus revoit les Tout est effort désormais. Seuls les
© THE BRITISH MUSEUM, LONDRES, DIST. RMN-GRAND PALAIS/THE TRUSTEES OF THE BRITISH MUSEUM. © COLLECTION DAGLI ORTI/GIANNI DAGLI ORTI/AURIMAGES.

forêts de Germanie où il a si longtemps bains le soulagent. Les bains et le


bataillé du temps de sa jeunesse. L’ami- vin. Il connaît tous les plants des
ral de la flotte impériale a cinquante- vignobles campaniens. Les différen-
six ans. Presque l’âge d’Homère, si l’on tes variétés d’aminnées, la petite
en croit les Anciens. Pline connaît par jumelle, le surcula, l’holconia ! Et que
cœur les vers de l’Iliade. Il les goûte tou- dire du gragnano, si frais, si pétillant
jours autant. Souvent, il se les récite ou des aromatites !
tandis que sa sœur et son neveu croient Pline pourrait en parler pendant
qu’il observe le ciel ou un papillon. Julia des heures. Il le fait souvent au cours
et le jeune Caius sont habitués à ce que des banquets qu’il donne dans sa
Pline soit toujours à l’affût d’un phé- villa ou bien chez des amis dans leur
nomène ou du simple vol des insectes. Bien qu’il ait terminé sa résidence d’été. Ils sont nombreux, les Romains, à avoir construit
volumineuse Histoire naturelle, Pline continue à dicter des notes à une demeure dans la baie de Neapolis. Le climat y est agréable et
son secrétaire, de jour comme de nuit. la vue, un enchantement !
La nature ! Pour l’amiral, qui est frotté de stoïcisme, elle est souve- Les Romains ne sont plus ce qu’ils furent, du temps de la Républi-
raine. Contre elle, on ne peut rien et la sagesse consiste à la connaî- que ! Pline n’est pas hostile aux princes. Au contraire, il comprend
tre du mieux qu’on peut, et à la respecter. Les hommes ne le font pas très bien que Rome, compte tenu de ses immenses conquêtes, se
toujours. Ils croient même pouvoir la soumettre à leurs désirs, à leur devait d’avoir un empereur pour régner sur cet empire. Mais tous les
bon plaisir. Les inconscients ! Ils se fient au bleu du ciel, au calme de Augustes ne sont pas des Octave ! Il y eut Caligula. Et Néron !
la mer, à la richesse du sol qu’ils cultivent et qu’ils pensent inépui- Durant le règne de ce dernier, de 54 à 68, Pline s’était retiré de
sable. Mais quand, soudain, la terre tremble, ils se prennent la tête à l’administration impériale et ne s’était occupé que de ses propres
deux mains, gémissent, s’égaient comme une nuée de moineaux. recherches, de ses écrits. Il n’a repris du service que sous Vespasien,
La terre a tremblé en l’an 62. Et Pompéi, à quelques milles de son ami. Il fut procurateur en Gaule narbonnaise, puis en Hispanie,
Misène, a été en partie détruite. Elle a tremblé plusieurs fois depuis ; avant de devenir l’un des plus proches conseillers du prince.
elle tremblera encore, mais nul ne sait ni le jour ni l’heure. Vespasien s’est-il lassé de ses déclamations contre le luxe, le
Pline attend avec sérénité le moment où lui-même devra quitter lucre et le relâchement des mœurs ? Toujours est-il qu’il a nommé
ses chers livres et s’embarquer pour le Styx. Il ne croit pas à une vie Pline amiral de sa flotte à Misène. Pline ne peut pas dire qu’il est
après la mort. Il est bon que les hommes aient de la religion pour en disgrâce. Il sait néanmoins que Vespasien l’a éloigné de lui.
s’attirer, ici, la bienveillance des dieux. Mais il est insensé d’espé- Ainsi va la vie. Ainsi passe le temps. Le sien s’achèvera bientôt.
rer accéder, comme eux, à l’immortalité. Pline ne s’en inquiète guère. I. de C.
La vie ! Comme elle fut trépidante et joyeuse quand il comman-
dait un corps de cavalerie en Germanie ! Après des études classi-
ques de rhétorique à Rome, il avait embrassé la carrière militaire L’AMIRAL En haut, à gauche : pièce de harnachement
conformément à son rang de chevalier. Que de campagnes pour de chevaux de l’armée romaine déployée en Germanie,
soumettre la tribu farouche des Chauques ! Et des charges, des Ier siècle, argent et bronze, 10,5 cm (Londres, The British
corps à corps ! Pline aimait à se donner de l’exercice, mais durant Museum). Pline l’Ancien, dont le nom est inscrit sur
le casernement d’hiver, il ne pouvait, comme nombre de ses pairs, la pièce, en commandait un corps de cavalerie. En haut,
rester à ne rien faire ou jouer aux dés. Il a rédigé un manuel sur au centre : profil d’empereur romain, probablement
l’art de lancer le javelot à cheval. Vespasien, qui régna de 69 à 79 (Séville, Casa de Pilatos).
Caius Plinius soupire. Il est devenu trop gros, non seulement Page de droite : Bacchus et Ariane, fresque du triclinium
pour monter un coursier mais même pour se faire porter en litière. de la maison des Vettii à Pompéi.

26 l nhors-série
©DEAGOSTINI PICTURE LIBRARY/SCALA, FLORENCE.
Place du marché
On se presse entre les étals des marchands,
à l’affût de merveilles d’Orient ou des derniers potins.

Q
u’il pleuve ou qu’il vente, que le pour un patricien ou d’un édile qui gravit
ciel soit clément ou ingrat, un les marches d’un temple, drapé de dignité,
authentique Pompéien ne raterait tel un sénateur romain.
pour rien au monde le jour du marché Ah ! Rome ! Comme on commente les
dans la cité. Jusqu’au tremblement de dernières modes de la capitale ! Comme
terre de l’an 62, il se tenait dans l’enceinte on envie ceux qui en reviennent ou ceux
du macellum, une grande cour rectangu- qui s’y rendent ! Comme on paonne quand
laire entourée d’une solide colonnade, à Pompéi est qualifiée par quelque flatteur
droite du temple de Jupiter et juste à côté de « petite Rome » non seulement à cause
du sanctuaire des Lares. Mais durant le de son macellum, mais aussi pour ses ther-
séisme, qui n’a épargné aucun édifice mes, ses temples, ses statues, ses théâtres,
public ou privé, le toit du marché s’est ses banquets et même ses lupanars, si
effondré et, dix-sept ans plus tard, il est nombreux dans cette cité qui domine le
encore en réfection. port aménagé à l’embouchure du Sarno !
Les vendeurs ont investi la place du forum, Les matelots de la flotte impériale s’en
aussi bien que les arcs de l’amphithéâtre, donnent à cœur joie quand leur amiral
la pelouse sous les platanes de la grande palestre ou les trottoirs et vient faire une visite à Pompéi.
chaque recoin disponible pour lesquels ils payent un droit de pla- Les jours de marché, les habitants de la campagne environnante
çage, tout comme ils le faisaient au macellum. ne viennent pas uniquement pour vendre leur volaille ou leurs
La foule, éparpillée à travers la ville, n’en paraît pas moins dense. pois chiches ! Le commerce a certes la priorité à Pompéi, où l’on ne
Moins bruyante. Moins colorée. Et les étals des marchands n’ont plaisante guère avec le profit. Mais le plaisir le talonne. Et de près !
rien perdu de leur richesse. Les campagnards viennent vendre des En réalité, l’argent et ce qu’il procure vont de pair. Tant et si bien que
fruits, des légumes, des herbes ; les pêcheurs de la côte remontent les plus belles demeures abritent sur leur façade des boutiques ou
avec des paniers chargés de poissons, de coquillages et de crusta- parfois des thermopolia. Les maîtres de maison les louent ou les font
cés ; toute une armée de colporteurs propose des bijoux, des tis- exploiter par quelques-uns de leurs affranchis. On y vend aussi bien
sus, des vêtements confectionnés, de la vaisselle, des coffres pour le vin produit dans leur vignoble que de la quincaillerie ou du garum,
© DE AGOSTINI PICTURE/AKG-IMAGES . ©MDJ. © ERICH LESSING/AKG-IMAGES.

les serrer, des boissons chaudes ou froides, des plats cuisinés ; des ce condiment des dieux. Rien ne se perd à Pompéi. Ni le moindre
gamins vendent des pains, des pâtisseries, tandis qu’aux portes espace. Ni la plus infime occasion de boire une coupe de vin.
de la ville, se tiennent deux marchés aux esclaves. Revenu de Pompéi, la veille, Caius Plinius se sent fatigué. Il s’est
Jongleurs, saltimbanques, mendiants et diseuses de bonne allongé, plus essoufflé que jamais, sur la terrasse de sa villa et
aventure côtoient les élégants en tunique de lin rehaussée de fil contemple la mer. Puis, il se tourne vers l’est et regarde le Vésuve
d’or qui reviennent de la caserne des gladiateurs où ils ont misé qui verdoie. Strabon avait parcouru la région jadis. Et il avait parlé
sur Celadus pour les prochains jeux. du Vésuve, mais Pline ne se rappelle plus très bien ce qu’il en
Accompagnées par plusieurs servantes, des femmes de notables disait. Il se promet de le vérifier. A l’occasion. I. de C.
ne rechignent pas à se mêler au populaire, tant le marché recèle de
merveilles : perles, rubans, bracelets, sandales d’Egypte, épices
d’Orient ou de la lointaine Arabie dont on vante les effets comme GRAND BAZAR
on échangerait un secret. En gloussant. En haut, au centre : le forum de Pompéi avec, à droite,
Toutes les auberges, ouvertes sur la rue, sont assaillies. Les l’entrée du macellum où se tenait le marché aux poissons.
hommes y jouent aux dés après être passés par l’échoppe de En haut, à gauche : balance en bronze ayant pour
Nonius Campanus, le cordonnier, qui fut soldat de la cohorte pré- contrepoids une tête de Mercure, le dieu du commerce,
torienne. Chez lui, on apprend toujours les dernières nouvelles coiffé du pétase (Naples, Museo Archeologico Nazionale).
et les bons mots que la ville colporte. Car Pompéi est volontiers Page de droite : fresque figurant des marchands
cancanière, comme toutes les cités où l’on aime à flâner, bavarder vendant des outils et des pots sur le forum de Pompéi
et faire rire ses voisins aux dépens d’un affranchi qui se prend (Naples, Museo Archeologico Nazionale).

28 l nhors-série
Campagne électorale
La fièvre électorale s’empare de tous à l’approche
du scrutin des ides de mars.

C
icéron avait coutume de dire « Votez pour Cuspius Pansa, de la
qu’il est plus facile de deve- part des isiaques. »
nir sénateur à Rome que Les thermopolia sont l’un des hauts
décurion à Pompéi. Comme nom- lieux de la campagne électorale. Les
bre de Romains, l’orateur s’était fait alliances se tissent, les complicités se
construire une villa dans la colo- nouent ou se défont autour des tables
nie. Il sait qu’ici les candidats aux et d’une coupe de vin. On échange
élections ne font pas campagne eux- des bons offices. On compte aussi les
mêmes. Ce sont les électeurs qui les inscriptions à travers les rues pour
recommandent aux autres citoyens. faire un pronostic et éventuellement
Et il faut avoir rendu bien des servi- parier sur tel ou tel candidat.
ces pour les amener à le faire ! Quelques quolibets fusent, mais
Simples particuliers, marchands, on évite toujours de heurter de front,
taverniers, artisans ou modestes non pas le candidat lui-même, mais
vendeurs d’oignons s’attellent avec ses partisans. Afin de ne pas s’alié-
ardeur à faire couvrir les murs de leur échoppe ou de leur demeure de ner inutilement, voire dangereusement, une corporation.
lettres rouges et noires. Les témoignages de moralité plaident pour Les cabaretiers eux-mêmes prennent parti et souvent leurs
ceux qui aspirent à devenir duumvirs ou édiles. Les premiers ren- clients soutiennent leur choix. Sans parler des épouses et des ser-
dent la justice et gèrent les affaires de la cité. Les seconds ont la vantes, soucieuses de défendre celui qui répondra le plus favora-
charge des intérêts mineurs de la ville : voirie, entretien des édifices blement aux projets de leur mari ou de leur maître.
publics et religieux, police urbaine. L’aristocratie comme la bour- Sollicités durant toute la campagne par les électeurs et les
geoisie, mais aussi, depuis peu, les affranchis qui ont fait fortune innombrables associations de quartier ou d’intérêts, les « lettris-
dans le commerce souhaitent accéder à l’ordo, ce conseil municipal tes » ne savent souvent plus où donner du pinceau. Après avoir
qui aime à se comparer au sénat romain. Car, par-delà l’honneur de enduit dans la journée le tuf de chaux ou de cire blanche, ils tra-
servir la cité, toutes les affaires, tous les contrats, les permis et les vaillent de nuit, éclairés par la lune ou par un lanternier. Toutes
licences, pour l’ouverture d’un lupanar comme pour celle d’une les commandes doivent être honorées. Il en va de leur réputation.
boutique, passent par les décurions, les duumvirs et les édiles. Comme il en va de la dignité de chaque homme libre de se rendre
© LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION. ©MDJ. © DEAGOSTINI/LEEMAGE.

A l’approche des ides de mars, date traditionnelle du scrutin, la fiè- au Comitium le jour du scrutin.
vre électorale se saisit de la ville. Les corporations professionnelles, A Misène, loin de toute cette animation, Pline l’Ancien est dans
les étudiants, les professeurs, les propriétaires comme les citoyens sa bibliothèque. Il a retrouvé le volume dans lequel Strabon parle
les moins en vue prennent fait et cause pour un favori. On écrira sur du Vésuve : « Cet emplacement était autrefois en continuel incendie
les murs qu’il est vertueux, honnête, digne de gérer les affaires de et couvert de cratères de feu. » Est-il possible que cette paisible
la ville, excellent. Diffamations et injures sont proscrites. Mais montagne ait été, dans les temps anciens, un volcan ? I. de C.
l’humour s’en mêle souvent et l’on pourra lire qu’Albucius n’est
recommandé que par les dormeurs, ou Holconius par les buveurs.
Peu de candidats apprécient d’être soutenus par les filles de joie, HOMO CIVICUS
mais comment les empêcher de mettre leur grain de sel dans la En haut, au centre : la basilique, sur le côté
campagne ? En revanche, on recherche l’appui des associations occidental du forum de Pompéi, où jugements
puissantes comme celles des foulons, des prêtres d’Isis ou des civils et commerciaux étaient rendus par les
vendangeurs, des boulangers ainsi que des orfèvres. duumvirs. En haut, à gauche : statue honorifique
Nul ne reste à l’écart. Les joueurs d’échecs, comme les acteurs d’homme en toge, en marbre, 190 cm (Naples,
ou les spectateurs de l’arène entrent en lice et concoctent leurs Museo Archeologico Nazionale). Page de droite :
propres slogans. Ils sont simples et même laconiques : « Votez inscription électorale provenant d’un mur de
pour Vettius Firmus, de la part de Fuscus et de Vaccula. » ; « Votez la via Consolare à Pompéi, Ier siècle, 214 x 88 cm
pour Casellius Marcellus qui donnera des jeux magnifiques. » ; (Naples, Museo Archeologico Nazionale).

30 l nhors-série
L’heure du bain
Privés ou publics, les thermes rythment
le quotidien des Pompéiens.

L
a vie ne se conçoit pas sans bains. Un Pompéien se priverait ou jaune, bleue quelquefois, sont également décorés de fres-
de garum ou d’une murène, voire de rougets, plutôt que de ques et de bas-reliefs.
renoncer à ce rite qui est aussi un art. Et la plus suave des Traditionnellement sombres, les pièces des thermes sont désor-
voluptés ! Il faut être un Barbare pour l’ignorer ! Ou un sot. mais égayées de baies et de fenêtres vitrées car, contrairement aux
Les demeures les plus luxueuses comportent même des thermes anciens qui n’avaient assez chaud dans le caldarium que s’il était
privés et une piscine circulaire avec des marches en gradins. Mais obscur, les Pompéiens ont dorénavant de plus en plus soif de
les notables, qu’ils soient propriétaires terriens ou marchands, ne lumière. Et de nature. En ville, leur résidence prend modèle sur les
dédaignent nullement les bains publics. On en connaît même qui villas de la campagne et l’importance du jardin ne cesse de croître.
y passent des journées entières à se faire gratter, frotter, masser, Chacun veut une pergola, une volière et de la vigne grimpante
oindre et parfumer après un bain tiède ou très chaud. autour des colonnes des portiques.
Les thermes de Stabies et ceux du forum ne sont pas seulement Les thermes s’adaptent à cet engouement pour les décors cham-
des édifices indispensables à l’hygiène du corps et à son bien- pêtres qui accompagne un épicurisme de plus en plus éloigné des
être. Ce sont des lieux de rendez-vous, de convivialité et de ren- enseignements du philosophe grec. Pline l’Ancien répète souvent
contre. Les femmes, dans la partie qui leur est réservée, y discu- à son neveu, Pline le Jeune, combien les citoyens de l’empire se
tent des dernières modes en vogue à Rome, des spectacles qui sont amollis depuis sa jeunesse. Mais lui-même n’est-il pas sans
vont se donner à l’Odéon ou au Grand Théâtre, de leurs rubans, subir l’influence de l’otium ambiant ? Ne prend-il pas plusieurs
de leurs amants. Les hommes parlent des affaires de la cité, des bains par jour ? Ne vante-t-il pas les thermes marins de Baïes où,
prochains jeux et regrettent le temps jadis où l’on pouvait jeter depuis Misène, il se rend le plus souvent possible ?
aux lions le premier esclave venu tandis que, désormais, il faut A Pompéi, où il serait déshonorant de ne pas suivre les nouvelles
attendre d’avoir un grand criminel sous la main pour se donner le tendances, des bains de mer se sont ouverts avec les beaux jours
plaisir de le voir déchiqueté par les fauves. sur le promontoire de l’Uncino. Les élégants s’y font conduire en
Chez les Grecs anciens, les bains étaient une sorte d’annexe voiture plutôt qu’en char. Les femmes aussi en raffolent. Surtout
de la palestre où l’on se donnait de l’exercice avec vigueur et depuis qu’elles ont découvert que l’eau salée éclaircissait les
rigueur. Pour l’agrément de la compétition. Rome, qui s’est hellé- mèches de leurs boucles. Comme autant de rayons de soleil. Ce
nisée au point d’adopter tous les dieux de l’Olympe, n’a pas le soleil qu’on peut voir se coucher depuis le lido par-delà les tri-
PHOTOS : ©LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION. © ERICH LESSING/AKG-IMAGES.

même goût pour l’athlétisme. Le terrain de sport autour duquel rèmes et les galères qui oscillent au gré des vagues, tan-
s’organisent les thermes n’est qu’une dépendance des bains. On dis qu’une esclave essuie les gouttes de vapeur qui
ne s’échauffe que pour mieux savourer les ablutions dans brillent sur leur peau blanche. I. de C.
le tepidarium ou le caldarium. Quant aux bains froids, on
y a pratiquement renoncé. Les nouveaux thermes en
construction dans la partie orientale de la cité n’en RITUEL
comportent même plus. En haut, à gauche : strigile
Toute une armée de servantes et de serviteurs en bronze incrusté d’argent (Naples,
est à la disposition de la clientèle, depuis les Museo Archeologico Nazionale).
préposés au chauffage, qui scient le bois, jus- Ci-contre : aryballe en verre et bronze
qu’aux épileurs et doucheurs ; mais beau- (Naples, Museo Archeologico
coup préfèrent être soignés par leurs pro- Nazionale). Ce type de petit vase
pres esclaves qui connaissent mieux leurs pansu servait à contenir de l’huile
habitudes, voire leurs lubies. Chanteurs parfumée. Page de droite : caldarium
ou musiciens, poètes ou bouffons peuvent des thermes du forum de Pompéi
également venir divertir les baigneurs tandis édifiés au Ier siècle avant J.-C. En 79,
qu’ils s’alanguissent sous un plafond voûté à dans ces thermes, seule la section
caissons dans lesquels ont été sculptés des des hommes fonctionnait, celle
Amours, des nymphes à demi nues, des oiseaux des femmes étant inutilisable depuis
exotiques, des fleurs. Les murs de couleur rouge, rose le tremblement de terre de 62.

32 l nhors-série
Dîners en ville
Intrigues et affaires politiques se tissent durant les festins.

C’
est Diodorus qui reçoit. Un de Pompéi et aurait trois gros coffres
parvenu. Un fat. Comme le dans l’atrium pour y serrer sa vais-
Trimalcion de Pétrone. La selle en argent ?
bonne société de Pompéi se moque La prospérité est une bonne chose.
volontiers de ce nouveau riche, mais Pompéi aime l’argent. Diodorus éga-
personne ne raterait l’un de ses ban- lement. Au Grand Théâtre, bien qu’il
quets. Car si l’homme n’est guère ne goûte guère les tragédies, ainsi
raffiné, sa table est toujours somp- qu’à l’Odéon et à l’amphithéâtre, il a
tueuse. Les édiles eux-mêmes et les toujours des places à sa disposition.
magistrats quinquennaux ne dédai- Il y invite des notables. Lui-même en
gnent pas ses soupers qui sont don- est devenu un. Prêtre du culte impé-
nés, l’été, sous le péristyle. rial, il ne lui manque que d’être élu
Les femmes conviées ont pris place édile. Et pourquoi pas duumvir ?
dans des fauteuils et les hommes se S’il donne si souvent des banquets,
sont confortablement allongés sur ce n’est pas seulement pour le plai-
les lits. Des trépieds diffusent des sir de faire montre de son opulence,
parfums de myrrhe et d’encens tan- mais pour avancer ses petites affai-
dis que l’assemblée commence par faire des libations aux dieux res. Patiemment, Diodorus intrigue. Car avant de faire acte de candi-
et aux Lares familiaux. dature, il faut organiser en amont un réseau de soutien, tisser sa toile
Pendant ce temps, les esclaves répandent des pétales de roses en rendant des services, se constituer une clientèle qui saura vous
sur les couches et ornent la tête des invités de guirlandes fleuries. recommander, le moment venu.
Sur la table, des olives, des sardines et des œufs garnis d’anchois Diodorus s’y emploie. Il aurait bien voulu que l’amiral de la flotte
sont présentés dans des écuelles en argent. impériale honore l’un de ses festins de sa présence, mais Caius Pli-
Bientôt, on apporte les huîtres de Brindisi, car celles de Bretagne nius se fait rare à Pompéi. Sa santé déclinerait. Il est toujours le nez
n’ont pu arriver à temps. Diodorus en a été bien marri. En revan- dans ses archives ou enfermé dans une bibliothèque comme celle
che, il fait servir du vin non pas de l’ager pompéien mais de la que possèdent ses amis à Herculanum.
région de Falerne, si prisé, et les jeunes serviteurs ne cessent de Une bibliothèque ? Pourquoi Diodorus ne se doterait-il pas d’une
remplir les coupes ciselées, rehaussées de pierreries. C’est un bal- bibliothèque ? Le soleil se couche et les invités se sont levés. L’un
let qui commence. Un va-et-vient incessant autour des lits. Après d’eux titube légèrement. Il s’agit de Démétrios, un poète grec, que
les coquillages, viennent des plateaux d’oursins et des homards. nul n’invite mais qui se joint toujours à d’autres convives. Une
© LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION. © MDJ. © AISA/LEEMAGE.

Ils sont suivis par des tétines de truies farcies, des foies de rossi- mouche, comme on appelle les pique-assiettes à Pompéi. Diodo-
gnols, des langues de cigognes, un sanglier et des rougets. Enfin, rus avait fait la moue en le voyant arriver. Il se dit maintenant que
des fruits et des pâtisseries à foison. ce parasite, dont les odes le font bâiller, est l’homme qu’il lui faut
Au fur et à mesure que le repas se poursuit, entrecoupé par de pour acquérir des volumes susceptibles d’intéresser Pline. Il lui fait
nombreux hommages rendus aux divinités, sans oublier l’empe- maintenant mille grimaces. Et l’invite aux prochains jeux. I. de C.
reur, les visages se colorent et les yeux des femmes deviennent
plus brillants. Chacun s’alanguit. La conversation devient plus
libre et les femmes ne sont pas les dernières à y participer pendant BACCHANALE
que des jeunes filles en tunique blanche éventent chaque convive. En haut, au centre : scène de banquet, fresque ornant
Dans une pièce attenante, des musiciennes jouent de la cithare. la maison des Chastes Amants, à Pompéi. En haut,
Un danseur vient se produire dans la salle à manger. Il est très à gauche : askos, petit vase à versoir muni d’une anse de
jeune, très mince, très beau. Et il jongle avec des rubans qui volent panier, en forme de coq, en terre cuite, 31,5 x 34,5 cm
au-dessus de la tête des invités. (fouilles de Pompéi, réserves archéologiques, Antiquarium
A la place d’honneur, Diodorus, écarlate, se rengorge. Qui aurait de Boscoreale). Page de droite : scène de banquet,
cru, lorsqu’il n’était qu’un simple commis dans une boutique, fresque provenant du triclinium d’une maison de Pompéi,
qu’il serait un jour propriétaire de l’une des plus grandes demeures vers 45-79 (Naples, Museo Archeologico Nazionale).

34 l nhors-série
Vive l’arène !
Les jeux ont repris à Pompéi.
Dans l’arène, des gladiateurs de tout l’Empire s’affrontent à mort.

F
anfare. Trompettes. Parées de leurs plus trente paires de gladiateurs se sont affrontées !
beaux atours, les femmes occupent les Que de libations furent alors adressées à Néron !
gradins les plus hauts. Les notables sont « Habet ! Habet ! » crie la foule. L’un des cava-
installés au plus près de l’arène. Le popula- liers a plongé sa lance en plein cœur de son
rium est réservé aux gens du commun et aux adversaire. « Habet ! » proclame officiellement
esclaves qui accompagnent leur maître. l’editor. Déjà, on traîne à l’aide d’un crochet le
Un frémissement de joie parcourt la foule lors- vaincu vers le spoliarium, une cellule où l’on
que les gladiateurs paraissent, tandis que les entasse les cadavres. Certains y agonisent.
employés de l’amphithéâtre achèvent de ten- Le public, debout, acclame le vainqueur
dre et de nouer entre eux les immenses rideaux alors que six nouveaux combattants entrent
qui protégeront l’assistance du soleil. dans l’arène. Ils se jaugent, bombent leur torse
L’editor, celui qui a organisé les jeux, rayonne. et font jouer leurs muscles enduits d’onguents.
C’est l’un des hauts magistrats de Pompéi. On Ils sont tous passés par une dure école pour
l’appelle le prince des imprésarios. Duumvir devenir gladiateurs. Beaucoup sont des escla-
quinquennal, flamine de Vespasien, Gnaeus ves, mais il y a aussi des hommes libres qui
Alleius Nigidius Maius ne lésine jamais sur choisissent le métier parce qu’on peut y gagner
un spectacle. Il commencera par un combat de cavaliers avec beaucoup d’argent. Beaucoup plus qu’en se contentant de vendre
javelot et bouclier, puis deux hommes s’affronteront au ceste. des pois chiches ! La plupart le paieront tôt ou tard de leur vie. Mais
Enfin, par paires, les rétiaires munis de leur filet et de leur trident qu’est-ce que la vie si on ne la risque pas ? Sur un coup de dés. Au
s’opposeront aux gladiateurs armés d’une épée recourbée, avant service de l’empire. Ou bien dans une arène ! C’est plus exaltant
© ELECTA/LEEMAGE. © ALFREDO ET PIO FOGLIA/LA COLLECTION. © LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION.

la lutte à mort des mirmillons, bardés comme des soldats, avec que de gratter le dos d’un maître ou de laver les latrines !
leur glaive et un bouclier rectangulaire. Et quelle fierté quand tous les gradins crient votre nom ! Que de
Gnaeus Alleius Nigidius Maius le regrette, mais les lions reste- bonnes fortunes, non seulement auprès des filles, mais aussi des
ront sur leur faim, car la justice n’a pu livrer de criminel assez dames de qualité, car elles ne sont pas insensibles aux hommes qui
important pour clore les jeux. offrent leur sang. En revanche, elles ne sont pas les moins impi-
La parade, elle, a fière allure. Le lanista, l’intendant chargé des toyables avec un combattant qui aurait manqué d’audace et de
gladiateurs, a bien choisi sa troupe. Deux Gaulois. Deux courage et, lorsqu’il est à terre, elles réclament qu’on l’achève. Il est
Romains. Publius Ostorius, cinquante et une victoires à son actif, fort rare que l’editor des jeux gracie celui qu’elles ont condamné.
sans compter ses succès auprès des femmes. Un Africain. Un Les femmes ! Gnaeus Alleius Nigidius Maius jette un regard vers
Germain. Quelques débutants pour pimenter le tout. Car les les gradins supérieurs. Son ami Caius Plinius dit qu’elles sont
Pompéiens aiment les nouveaux visages. devenues trop influentes. Et l’amiral ajoute, bougon, que cela
Les paris sont allés bon train. Depuis plusieurs jours, il y avait n’annonce rien de bon pour l’avenir de l’empire. I. de C.
presse à la caserne des gladiateurs. La jeunesse dorée de la cité se
ruine avec désinvolture pour les jeux. Que ferait-elle d’autre si elle
ne dépensait pas les sesterces amassés par ses pères ? AU SPECTACLE
Gnaeus Alleius Nigidius Maius sait bien que son propre fils a misé En haut, à gauche : casque de gladiateur
sur un novice plus que de raison. Il soupire, sourit. Il faut bien que la en bronze avec visière, retrouvé à Pompéi,
jeunesse s’amuse ! Il se souvient encore des tristes années pendant Ier siècle avant J.-C. En haut, au centre :
lesquelles, par arrêt de l’imperator, Pompéi fut privée de jeux. A cause détail d’un bas-relief représentant deux
d’une rixe violente. Néron avait vu rouge. Et il n’avait même pas gladiateurs s’entre-tuant (Naples, Museo
voulu tenir compte du fait que c’est à Pompéi qu’était né le premier Archeologico Nazionale). Page de droite :
amphithéâtre romain ! Grâce aux dieux, lorsque l’empereur a épousé fresque figurant un combat de gladiateurs.
Poppée, cette dernière est intervenue en faveur de sa ville natale. Les Elle orne la tombe de Caius Vestorius
habitants de Pompéi se sont enfin retrouvés sur les gradins de Priscus à Pompéi. Ce jeune édile mourut
l’amphithéâtre pour un spectacle de cinq jours au cours desquels à l’âge de vingt-deux ans.

36 l nhors-série
Vendanges tardives
Le séisme de 62 a ravagé la Campanie
et Pompéi s’en remet à peine.

L’
atmosphère est étrange, inquiétante en En 62… Cela avait été une tout autre chose.
ce mois d’octobre. A Pompéi, Hercula- Une comète était apparue et les augures
num, Stabies et Misène où l’amiral de la avaient déclaré qu’elle annonçait des cataclys-
flotte impériale vient de prendre un bain froid. mes. Et de fait, la terre avait tremblé jusqu’en
La mode en est passée ? Caius Plinius s’en Grèce. Comment les Pompéiens ne s’en sou-
moque bien ! Il ne connaît que deux remèdes viendraient-ils pas ? Chaque temple en porte
à ses maux : les thermes et le vin. Un esclave encore les cicatrices et les voûtes des portes,
vient d’ailleurs de lui apporter une coupe et comme celle du Vésuve, n’ont pas encore été
après en avoir bu une gorgée, Pline la pose sur remontées. Pour apaiser la colère des dieux, on
une table, à côté de lui. Soudain, il remarque a érigé un sanctuaire aux Lares de la ville entre
que la surface du liquide frémit. Aussitôt, il se le macellum et le temple de Vespasien. On a
rend dans sa bibliothèque où son secrétaire procédé à bien des sacrifices. Et puis, la vie a
note depuis plusieurs jours l’intensité des repris. Avec ses banquets, ses jeux, ses bains,
vibrations du sol. La fréquence de ce que ses petites ou ses grandes affaires, ses fêtes.
Pline appelle des « épisodes harmoniques » a Ne vient-on pas de célébrer les Vulcanalia ?
augmenté et leur durée, mesurée à l’aide Il y a eu un grand brasier en l’honneur du dieu
d’une clepsydre, également. du feu et des forges. Et des combats de gladia-
Un véritable tremblement de terre se pré- teurs. Et puis, ce fut le temps des vendanges !
© LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION. © ALINARI/ROGER-VIOLLET. © STEFANO AMANTINI/ANA/ ONLYWORLD.

parerait-il ? Comme il y en a eu tant, plus ou moins violents, Le vin nouveau s’est mis à pétiller, sous les auspices de Bacchus,
depuis celui de 62 ? En 64, Neapolis, où se trouvait l’empereur, cette déité si aimable, si pompéienne !
avait été également touchée. Néron avait dû, à la hâte, interrom- Pline dort peu. Il travaille tard, tous les jours, même quand les
pre le tour de chant qu’il donnait au théâtre. D’autres secousses autres célèbrent une fête. L’amiral a fait allumer torches et candé-
se sont succédé à Pompéi au fil des mois, et la cité, depuis dix- labres pour consulter une nouvelle fois les mesures prises par son
sept ans, est en perpétuel chantier. Pas un édifice public qui ne secrétaire. Les vibrations ont duré un dixième d’heure, puis un
soit en cours de restauration. Pas une demeure où les maîtres cinquième. Elles durent de plus en plus longtemps. Elles sont de
n’attendent pas l’achèvement des travaux. Pour renflouer leurs plus en plus rapprochées.
finances, beaucoup de propriétaires ont renoué avec la vieille Pline relit ce que disait Sénèque, dans ses Questions naturelles,
tradition de cette cité marchande, en louant les pièces qui don- sur les tremblements de terre et il songe de nouveau à Strabon, qui
nent sur une rue à un boutiquier quand ils ne font pas exploiter avait comparé le Vésuve à l’Etna.
l’échoppe par l’un de leurs esclaves. Il fait trop sombre pour voir, au-delà de la baie, vers le nord-est, la
Néron est mort. Vespasien également. Titus est, depuis le mois montagne sur les flancs de laquelle verdoient les vignes à perte de
de juin, le nouvel empereur. Des amis ont dit à Pline qu’il a la vue. Sa terre est si riche ! Si fertile ! Si généreuse !
bonté de s’inquiéter de sa santé. Caius Plinius se méfie de cette Le vent du nord s’est levé. Il emporte les nuages vers Pompéi et
sollicitude. Elle ne présage rien de bon. Mais en regardant le ciel, Stabies. I. de C.
il se dit que le temps n’est guère plus encourageant. L’air semble
orageux, menaçant. Comme marqué par l’attente d’un grand évé-
nement. Comme si la nature savait. Si elle allait punir les hommes LA MENACE
de leurs inconséquences. En haut, au centre : fresque représentant Bacchus
Pline hausse les épaules. Il ne doit pas se laisser aller à des et le Vésuve, qui décorait la maison du Centenaire
superstitions de vieille sibylle. Il reprend sa coupe et boit une gor- à Pompéi, 140 x 101 cm (Naples, Museo Archeologico
gée de vin qui le ragaillardit. Nazionale). En haut, à gauche : rhyton (vase à boire
Au même moment, dans les tavernes de Pompéi, les flâneurs en forme de corne) en verre (Naples, Museo Archeologico
aussi se désaltèrent. Quelques-uns d’entre eux ont perçu les trem- Nazionale). Page de droite : le forum de Pompéi,
blements du sol, mais ils sont si habituels en terre campanienne vu depuis la Curie, avec, au fond, le temple de Jupiter
qu’ils ne voient pas de raison de s’inquiéter. capitolin, surplombé par le Vésuve.

38 l nhors-série
Terre de feu
En cet automne 79, une pluie de cendres
et de boues s’abat sur Pompéi.

P
ieds nus, car dans sa hâte, il n’a même plage où s’entassent des rescapés de Pompéi.
pas attendu qu’un esclave lui donne ses Ils sont couverts de cendres. Hagards. Incapa-
sandales, Pline a atteint la terrasse de sa bles, pour la plupart, de décrire ce qu’ils ont
maison. Par Jupiter ! Une colonne, comme le vécu. Pourtant Pline parvient à recueillir quel-
tronc d’un arbre gigantesque, s’élève vers le ques témoignages.
ciel. De plus en plus haut. Monstrueuse, elle Tout a commencé vers la quatrième heure du
est surmontée d’une ombrelle, tel un pin para- jour par un fracas comme nul n’en avait jamais
sol. Vite ! Noter ce qu’il distingue de ce phéno- entendu. Et puis très vite, ce fut la nuit, tandis
mène ! Personne n’en a vu de semblable ! Et ce que Pompéi était bombardée de pierres. La pani-
grondement. Sourd. Qui ne cesse pas. que a gagné les Pompéiens. Les uns ont cherché
Il faut absolument que son neveu, le jeune refuge sous des voûtes, les autres se sont précipi-
Caius, vienne observer avec lui cette singularité ! tés vers le port en espérant pouvoir embarquer
Il faut armer une liburne pour s’en approcher ! sur un navire. Mais aucun bateau ne pouvait
Pline donne des ordres. Il intime le silence à quitter la côte à cause des vents contraires.
la domesticité qui s’est rassemblée le long de Pline a pris toute la mesure de la catastrophe.
la corniche et qui ne cesse de s’exclamer ! Les Il devine que la tragédie va se solder par des
ignares ! Ils l’empêchent de se concentrer ! Combien peut mesurer milliers de morts. Lui-même est désormais pris dans la nasse. Sa
la colonne ? Plusieurs milles sans doute ! flotte a disparu. Il ne peut plus espérer prendre le large. La mer est
Au même moment, un messager se fraye un chemin jusqu’à démontée, la fumée fait régner l’obscurité. Tout est perdu. Il ne lui
l’amiral de la flotte impériale. Il est arrivé, à bride abattue, depuis reste plus qu’à faire face à l’adversité, en Romain.
Herculanum, avec un appel à l’aide de Rectina, la femme du séna- La villa de son ami Pomponianus surplombe la plage. Pline décide
teur Cascus. La montagne du Vésuve a explosé. Elle supplie Pline de s’y rendre. Pour prendre un bain et une collation et y dormir du
de venir la chercher. sommeil du juste, en attendant la mort inéluctable qui lui est pro-
« Sonnez l’alarme ! Que tout ce qui est en état de naviguer prenne mise. Pomponianus est atterré. La nuit passe, rythmée pour Pompo-
la mer ! » Pline se sent soudain rajeuni. Il ne souffre plus du nianus par les ronflements sonores de son ami. Soudain, au petit
poids des années et surtout de son corps trop lourd. Tous les matin, la terre se met à trembler. Un mur de la villa se fissure. Un
habitants de la région, ceux de Pompéi, d’Herculanum, de Sta- autre. En toute hâte, Pomponianus réveille Pline. Les deux amis se
bies vont se précipiter sur le rivage. Il faut armer la flotte pour les précipitent dehors. Ils descendent vers la plage. Lorsqu’il y parvient,
© ARALDO DE LUCA. © ERICH LESSING/AKG-IMAGES. © AKG-IMAGES.

sauver et arracher Rectina à un sort atroce. Déjà l’amiral a pris Pline est épuisé. Il ferme les yeux. L’air lui manque. Il s’allonge. Son
place dans le véhicule qui se dirige vers le port où sa galère est en voyage s’achève. Aux portes de Pompéi. Une ville morte. I. de C.
train de hisser son pavillon tandis que les marins courent sur les
quais vers leurs embarcations.
A la huitième heure, la liburne a quitté Misène et fait voile vers LA COLÈRE DES DIEUX
Herculanum. Le nuage, par-delà la côte, est de plus en plus som- En haut, au centre : Memento mori, mosaïque
bre, de plus en plus menaçant. Bientôt, la flotte impériale est prise provenant de la tannerie fouillée à Pompéi
sous une averse de pierres ponces et de cendres pétrifiées. Pline ne par le Centre Jean-Bérard, 47 x 41 cm (Naples,
voit même plus les autres navires. Les jets de lapilli s’intensifient. Museo Archeologico Nazionale). En haut,
Ils s’amoncellent sur le pont du bateau, l’alourdissent. Et Rectina à gauche : reproduction du moulage de corps
qui est seule dans sa villa d’Herculanum ! retrouvés dans la maison du Cryptoportique
Pline presse l’équipage, mais lorsque l’amiral distingue la villa à Pompéi (fouilles de Pompéi, réserves archéologiques,
de son amie, il comprend que la liburne ne pourra jamais accoster : Antiquarium de Boscoreale). Page de droite :
la côte est ravagée, non seulement par les déferlantes mais aussi détail de la mort de Pline l’Ancien dans l’Eruption
par une lave de boue et de pierres. Rectina est perdue ! du Vésuve survenue en l’an 79, sous le règne
A grand-peine, la galère parvient à longer le rivage jusqu’à Sta- de Titus, par Pierre-Henri de Valenciennes, 1813,
bies. On lance les ancres. Des matelots aident Pline à rejoindre la huile sur toile (Toulouse, musée des Augustins).

40 l nhors-série
L’amour
et la mort
© GEDEON PROGRAMMES
PERSPECTIVE Reconstitution en 3D, par Gédéon Programmes,
de l’atrium de la maison du Jardin, à Pompéi.

Depuis la redécouverte de Pompéi au XVIIIe siècle, la cité antique


est devenue une source intarissable à laquelle le monde de l’art
et de l’histoire n’a cessé de venir puiser. La vie domestique, les quatre
styles de la peinture, les croyances, l’ordonnancement du plaisir
fascinent encore, vingt siècles après la mort du dernier Pompéien.
Peur sur la ville PAR JEAN-NOËL ROBERT

Le 24 octobre 79, en fin de matinée, l’explosion du Vésuve


va surprendre les habitants de Pompéi dans leurs occupations
quotidiennes et, en quelques heures, les figer à tout jamais.
Ci-contre : péplophore sur une fresque de la villa d’Ariane à Stabies.
© MDJ.
“ Soudain un immense craquement
24 OCTOBRE 79 ceux du forum sont toujours inu-
AVANT LE LEVER tilisables. Seul le temple d’Isis a
DU JOUR été entièrement rebâti grâce à
La nuit enveloppe encore de des fonds privés. En ville, dans
ténèbres les rues de Pompéi. nombre de maisons, les travaux
Dans le quartier du théâtre, de restauration se poursuivent
devant la porte de l’enceinte du encore. D’autres manifestations
temple de la déesse Isis, un petit de l’activité du sous-sol ont été
groupe de fidèles se presse pour perceptibles dans les années qui
la prière du matin. Il fait frais et ont suivi ce terrible tremblement
tous ont revêtu un manteau de de terre. Nul n’en ignore.
laine. Dans les maisons, les bra- Telle est la raison pour
seros ont été allumés. L’automne laquelle, faute de moyens suffi-
est déjà bien entamé, les ven- sants, Pompéi n’est, en 79, que
danges sont terminées, une par- l’ombre d’elle-même. Rectina
tie des olives ont été récoltées et, ignore que le séisme de 62 a été
sur les tables, trônent les fruits une étape essentielle dans la
de saison, noix, figues, châtaignes… Seule l’erreur d’un copiste du préparation des événements de ce 24 octobre, la lave se mettant en
Moyen Age a pu nous laisser croire que la catastrophe s’était dérou- place pour l’explosion finale. Depuis le début de l’été, la fréquence
lée au mois d’août. Les chaleurs de l’été ont vécu. des petits tremblements de terre s’est accélérée. Plusieurs sources
A l’intérieur du temple, un prêtre vêtu de lin blanc, le crâne et la autour du volcan se sont taries, la dilatation des roches bloquant le
figure soigneusement rasés, chaussé de sandales de palmes ou de passage de l’eau. La température du sous-sol s’est élevée de façon
papyrus, ouvre grandes les portes du sanctuaire, puis celles de inquiétante. Mais les Pompéiens ne prennent plus garde à ces
l’enceinte sacrée qui donne sur la rue. Les dévots se pressent à signes, qu’ils peinent d’ailleurs à interpréter. « C’est une chose fré-
l’entrée, mais la statue de la déesse demeure invisible, dérobée quente en Campanie », dit Pline le Jeune.
aux regards des admirateurs par de grands rideaux de lin. Alors
que point le premier rai du soleil, le prêtre écarte la tenture et des 10 HEURES DU MATIN
femmes s’empressent de parer la déesse. Puis l’officiant enchaîne Les rues grouillent de ce petit peuple besogneux qui s’active depuis
prières et libations. Une heure plus tard, la première cérémonie de le lever du jour. Les ouvriers sont au travail, les boutiquiers guettent
la journée s’achève par une invocation au soleil nouveau. Les fidè- le chaland. Certains se pressent sur les gradins du théâtre pour assis-
les quittent alors le temple. Ils ignorent que le prêtre vient ter à la représentation d’une comédie. Soudain, des grondements
d’accomplir le rite matinal pour la dernière fois. souterrains se font entendre, « semblables à des mugissements »,
Vivant à Pompéi, ils ne se sont probablement pas rendu compte nous dit Dion Cassius. « La mer aussi grondait », ajoute-t-il. Les
que, dans la nuit, une petite explosion s’est produite, au sommet habitants pensent qu’il s’agit d’une secousse tellurique comme ils
du Vésuve, crachant un nuage noir chargé de fines particules qui en ont connu les jours précédents. Certains, bien inspirés et mus
se sont déposées sur les flancs du volcan. Tout au plus ont-ils par la peur, commencent cependant à fuir la ville, soit par les voies
entendu la détonation, qu’ils ont prise pour un coup de tonnerre. terrestres, soit en se rendant au port tout proche pour s’embarquer.
Rectina, une amie de Pline l’Ancien, l’amiral de la flotte impériale
basée à Misène (à une trentaine de kilomètres par mer), s’en est
inquiétée suffisamment, cependant, pour lui dépêcher un messa- SANCTUAIRE En haut : les vestiges du
ger. Sa villa se situe au pied du Vésuve et elle a préféré appeler à temple d’Isis à Pompéi. Détruit lors du séisme de 62,
l’aide. Le phénomène lui semble différent des fréquents tremble- il avait ensuite été entièrement reconstruit par
ments de terre qui agitent la région. Nonnius Popidius Celsinus, comme l’indique l’inscription
Le séisme majeur, dont les dégâts restent gravés dans sa au-dessus de la porte latérale, conservée au musée
mémoire, date de dix-sept ans. C’était en 62, Pompéi en avait été de Naples. Page de droite : détail de l’Eruption du Vésuve,
l’épicentre et la cité avait subi des dommages dont la plupart n’ont en avril 1872, chromolithographie en frontispice de
toujours pas été réparés en 79. Les temples ont été détruits, la sec- La Terre et les Mers ou description physique du globe,
tion des hommes des thermes de Stabies et celle des femmes de de Louis Figuier, 1884.

46 l nhors-série
se fit entendre.”

VERS 11-12 HEURES


« Soudain se fit entendre un immense craquement, comme si les mon-
tagnes s’écroulaient et, d’abord, d’énormes roches furent projetées
aussi haut que le sommet. » Sous la pression magmatique, le bou-
chon de lave vient d’exploser, libérant un panache volcanique de
plusieurs dizaines de kilomètres de hauteur qui prend la forme d’un
pin parasol en s’étendant vers le sud-est sous la force des vents
dominants. Le phénomène est inédit et la panique, dès lors, se géné-
ralise. Chacun organise sa fuite, soit en abandonnant tout, soit, refu-
sant de quitter ses biens les plus précieux, en tentant d’abord de les
sauver. L’un des boulangers, surpris par la catastrophe, n’a pas le
temps de retirer ses miches du four. On les retrouvera calcinées mais
intactes. Périssent avec lui quatre mulets et trois ânes. Deux se trou-
vent encore près des meules qu’ils faisaient tourner. Les cinq autres
sont dans l’écurie. Certains servaient peut-être à livrer les comman-
des, mais il faut dire qu’une seule des quatre meules seulement est
en fonctionnement. De nombreux fours avaient été endommagés
en 62. Ils n’avaient toujours pas été remis en état. Dans la rue, gisent
déjà les corps de nombreux Pompéiens, tués par le bombardement
de ponces qui mitraille la cité. Au forum, plus d’un fuyard s’est fait
piéger par la double colonnade qui s’est effondrée sur les passants.
Les moulages dont Fiorelli a eu l’idée en 1863, en injectant du plâtre
à l’intérieur de la gangue formée par la cendre durcie au plus près des
corps, témoignent de la soudaineté et de l’atrocité de la souffrance
dans laquelle meurent les habitants de la cité.

13 HEURES
Les ponces expulsées continuent de retomber en pluie verticale
sur les maisons, provoquant l’effondrement des toits. Dans celle
du Faune, la plus grande de la ville, la maîtresse de maison tient à
rassembler ses bijoux. Quand elle sort, elle est effrayée par la pluie
de ponces mêlées de cendres et se réfugie dans le tablinum. Mais le
toit s’effondre d’un coup, l’ensevelissant avec ses trésors. Les
habitants de la maison de Pansa se montrent plus réactifs. Ils ont
© MANUEL COHEN/AURIMAGES. © DEAGOSTINI/LEEMAGE.

enveloppé quelques œuvres d’art pour les emporter mais, parve-


nus dans le jardin, voyant l’état du ciel, ils ont pris la fuite en cou-
rant, abandonnant tout sur place.
Quelques minutes plus tard s’abat sur Pompéi un nuage de cen-
dres qui va progressivement tout ensevelir sous une épaisseur de
plusieurs mètres. Dans la villa de Diomède, le maître de maison
conduit dans son vaste cryptoportique (souterrain) tous les mem-
bres de sa famille et quatorze serviteurs pour les mettre à l’abri. Il
leur fait apporter du pain, des fruits, puis enfouit des pièces d’or
dans un sac, se saisit de la clé de la maison et se précipite à l’exté-
rieur avec un esclave. Il ne fait que quelques pas avant de s’effon-
drer sur la cendre chaude, asphyxié, comme le seront bientôt tous
les siens, par les gaz délétères qui brûlent l’atmosphère. Non loin de
la villa de Diomède, les riches Pompéiens, qui accordaient aux
“Le soleil disparut totalement.”
défunts une forme de vie après la mort, allaient visiter régulièrement
les tombeaux de leurs ancêtres et partager des repas funéraires avec
eux. C’est là que la mort surprend une famille.
13 heures est également l’heure où Pline, à Misène, est averti par
sa sœur de l’existence d’un étrange nuage qui obscurcit le ciel au-
dessus de la montagne. Curieux de nature, il veut faire mettre à l’eau
une embarcation légère pour aller observer ce surprenant pin para-
sol céleste. Or voici qu’arrive le messager de Rectina. Aussitôt, il
organise les secours et s’embarque en direction d’Herculanum.

16-17 HEURES
Pline est en vue de la côte mais doit bien vite renoncer à poursuivre
son chemin, surpris par le nuage de cendres et par la chute de pon-
ces qui l’empêchent d’approcher. Il observe « le feu immense et
l’émission incessante de fumée » qui obscurcit le ciel. « Le soleil dispa-
rut totalement… » Dès le cours de l’après-midi, une nouvelle phase
de l’éruption a commencé. Les cendres ne tombent plus, mais un
torrent de lave et de boue déferle sur la région, notamment sur Her-
culanum. Ces coulées sont en fait des « avalanches », c’est-à-dire
des nuées ardentes dont les gaz (à plus de 400 °C) figent dans la
mort les rares survivants et calcinent instantanément le bois des
constructions. A Herculanum, pas moins de six avalanches vont
© ST PETERSBURG, RUSSIAN STATE MUSEUM.AKG-IMAGES. © BNF. © LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION.

tout ensevelir sous vingt mètres de dépôt. Les habitants se sont réfu-
giés au bord de la mer, dans les hangars à bateaux. Les gaz brûlants
les saisissent sur place, dans l’exacte position où ils se trouvent au
moment de leur mort par asphyxie.
Pompéi est surtout touchée par la quatrième avalanche, la plus
forte. C’est elle qui achève d’exterminer ceux qui n’ont pas pu ou
pas voulu s’enfuir. Dans la villa des Mystères, on a retrouvé onze FUSION Page de gauche : détail du Dernier Jour de Pompéi,
corps dont celui d’une jeune fille qui a succombé près de la porte de par Karl Pavlovich Brioullov, 1830-1833 (Saint-Pétersbourg, Musée
la villa, sans doute parce qu’elle a tardé à partir. Au premier étage, russe). Ci-dessus : la reconstitution du cratère tel qu’il devait
trois femmes ont été écrasées par la chute du toit tandis que six être avant l’éruption de 79. D’après les plus récentes simulations,
ouvriers, qui travaillaient à la réfection du bâtiment, ont trouvé la le nuage volcanique se serait élevé entre quinze et trente kilomètres
mort au sous-sol où ils se sont réfugiés. Le portier, qui s’est cloîtré de hauteur. La violence de l’éruption a fait bouger la ligne de côte
dans une petite pièce sans fenêtre, n’en a pas sauvé sa vie pour de plusieurs centaines de mètres. Le bilan de la catastrophe pourrait
autant. Les édifices publics n’offrent aucun abri plus sûr. Au tem- atteindre jusqu’à trente mille morts dans la région. Ci-dessous : pain
ple d’Isis, les prêtres sont réunis autour de la table de la cena. Déci- carbonisé trouvé à Pompéi (Naples, Museo Archeologico Nazionale).
dant de sauver leur trésor, ils rassemblent dans un sac pièces d’or et Il y avait une trentaine de boulangeries à Pompéi. Dans l’une d’elles
statues précieuses, qu’ils chargent l’un d’entre eux de mettre à furent découverts quatre-vingts pains calcinés mais entiers.
l’abri. Mais à peine celui-ci a-t-il franchi le coin de la rue qu’il
tombe, terrassé, abandonnant là son précieux fardeau.
La caserne des gladiateurs, située de l’autre côté du théâtre, abrite
plus de soixante personnes, principalement des combattants qui
se réfugient et s’enferment dans les pièces entourant le terrain
d’entraînement. Pas un seul n’en réchappe. A la palestre, c’est un
chirurgien, muni de ses instruments, qui s’effondre alors qu’il tente
sans doute de gagner la demeure d’un patient. Chez Vesonius, les
habitants de la maison ont pu prendre la fuite, mais personne ne

hors-sérien l 49
“ Le Vésuve brillait
de grandes colonnes de feu.”
s’est soucié du chien attaché dans l’atrium, qui s’est débattu autant L’explosion du volcan remonte à quatre ou cinq heures. Les ténè-
que le lui permettait sa chaîne en pataugeant dans la cendre bres ont brutalement envahi Pompéi. La ville, enfouie sous près
chaude, avant de mourir asphyxié… de six mètres de cendres, est rayée de la surface de la terre.
Quoi de plus émouvant que cette famille retrouvée près de la
porte de Nocera ? Deux petits gar- 18-19 HEURES
çons qui se tiennent par la main Pline, qui a dû se détourner du rivage pompéien, a gagné Stabies,
gardent encore au-dessus de leur où il est accueilli par son ami Pomponianus, qui s’apprête à fuir par
tête une tuile censée les protéger, la mer. Il le rassure et va dormir chez lui. Dans la nuit, « le Vésuve
tandis qu’une femme (leur mère ?) brillait en plusieurs endroits de flammes très larges et de grandes
est tombée à genoux derrière eux colonnes de feu dont le vif éclat, la clarté étaient avivés par les ténèbres
en pressant une étoffe contre sa de la nuit ». La terre tremble. Les murs de la villa chancellent. Les
bouche pour éviter de respirer les grondements de la terre finissent par couvrir les ronflements sono-
gaz toxiques. Derrière eux, un res de Pline. Les ponces s’accumulent sur le toit. Il faut partir en
vieillard gît sur le pavé et tend hâte, des oreillers sur la tête pour se protéger.
encore les bras vers les siens,
comme un dernier appel… Ce 25 OCTOBRE - 7 HEURES
ne sont là que quelques-unes Les habitants de Stabies essaient d’embarquer. Une odeur de
des mille cinq cents à deux soufre précède l’avalanche. Pline, qui a du mal à marcher, s’effon-
mille victimes retrou- dre sur la plage, où il est finalement abandonné. Le vent change et
vées, sur une détourne vers Misène la nuée volcanique, qui finira cependant
popula- par épargner la ville.
tion totale
de quinze mille 26 OCTOBRE
personnes, ce qui Les cités les plus emblématiques, Pompéi, Herculanum, Sta-
montre que beau- bies, n’ont plus d’existence que dans le souvenir des survivants.
coup ont quand Le niveau de la mer a changé et la côte s’en trouve redessinée. Le
même pu fuir, au Vésuve, encore fumant, s’apaise.
moins hors de la
ville. 27 OCTOBRE
Le soleil reparaît enfin. Le corps de Pline est retrouvé, sans la
moindre lésion. « L’aspect de son cadavre semble plus proche de
celui d’un homme endormi que d’un mort. » Pour des siècles, Pom-
péi sombre alors dans l’oubli. 3

Latiniste et historien de Rome, Jean-Noël Robert a publié


une quinzaine d’ouvrages sur l’histoire des mentalités dans
l’Antiquité romaine dont Pompéi et la Campanie antique
PHOTOS : © MDJ.

(Les Belles Lettres, 2015).

IMPASSIBLE
A gauche : Péplophore des thermes de Baïes (Naples, Museo
Archeologico Nazionale). Copie romaine d’un original en bronze datant
de 460 avant J.-C. Chef-d’œuvre du sculpteur Calamis, elle était
désignée comme l’Aphrodite Sosandra (« qui sauve les hommes »).
Page de droite : péristyle de la maison des Dioscures à Pompéi.

50 l nhors-série
© PIER PAOLO METELLI. © AFP PHOTO/MARIO LAPORTA. © AKG-IMAGES/BALAGE BALOGH/ARCHAEOLOGYILLUSTRATED.COM

SPÉCULATIONS La villa des Mystères doit son nom à l’exceptionnelle fresque qui couvre de ses figures grandeur nature les murs
d’un salon d’environ trente-cinq mètres carrés. Peinte en un temps très bref, au cours du deuxième quart du Ier siècle avant J.-C., elle est
la plus célèbre de ces mégalographies caractéristiques du deuxième style pompéien. Nombreuses sont les théories avancées pour
déterminer quel en était le sujet. On y voit les étapes de l’initiation aux mystères dionysiaques. Ci-dessus : une femme effrayée se réfugiant
dans le giron d’une femme assise et une ménade dansant en jouant des crotales devant une femme portant un thyrse.

52 L nhors-série
VILLÉGIATURE Afin de compenser la déclivité du terrain et de profiter de la splendide vue sur le golfe de Naples, la villa des Mystères
fut édifiée sur une plateforme puissamment maçonnée (ci-dessus, à gauche). A droite : restitution de la villa après le réaménagement de 70-
60 avant J.-C. avec l’ajout d’une grande pièce au sud-ouest, donnant sur la mer (à droite), et d’une autre au nord ouvrant sur le Vésuve.

Les belles bacchantes


Aux portes de Pompéi, la villa des Mystères offrait
tous les charmes d’une somptueuse résidence de campagne conçue
pour goûter aux joies de l’otium. PAR ALEXANDRE GRANDAZZI

L
a villa des Mystères est, sans aucun des nuisances urbaines et goûter aux joies de ensuite un atrium, c’est-à-dire une cour inté-
doute, l’un des sites les plus fascinants la campagne, tout en ayant la possibilité de rieure, puis un salon. De là, il peut choisir de
de Pompéi, offrant l’exemple admirable- revenir sans délai en ville à chaque fois que se promener à l’ombre du portique qui, sur
ment conservé d’une résidence de plaisance, leurs affaires y rendront leur présence néces- trois côtés, enserre la résidence et permet
à proximité de la cité antique. Découverte au saire. Pour compenser la forte pente descen- d’y profiter de la vue exceptionnelle, au-delà
tout début du XXe siècle, puis fouillée par le dante du terrain choisi près de la route, mais du jardin suspendu aménagé à l’extérieur sur
grand archéologue Amedeo Maiuri en 1929 aussi pour pouvoir profiter au mieux de la la plateforme, tout au long de la colonnade.
et 1930, elle a fait l’objet, à partir de 2013, perspective splendide qui, vers l’ouest et le De la sorte, la villa offre à ses heureux occu-
d’une campagne de restauration de deux ans, sud, s’étend à perte de vue vers Naples et la pants les atouts conjugués d’une prome-
qui a permis de redonner leur éclat originel à mer, où l’on distingue très bien l’île de Capri, nade, ambulatio, et d’un belvédère, prospec-
ses célèbres fresques. L’édifice que l’on visite les constructeurs vont doter la villa d’une tus. A l’intérieur, de part et d’autre de l’atrium,
aujourd’hui n’a pas été construit en une seule base se présentant comme une plateforme se trouve une série de petits appartements,
fois : car, avant la catastrophe de 79, il avait eu puissamment maçonnée, extérieurement desservis par deux longs couloirs latéraux et
une histoire de près de deux siècles et demi. dotée de petites arcades aveugles et abritant composés chacun d’un salon et d’une cham-
Comment se présentait-il donc lors de cha- à l’intérieur un cryptoportique, autrement dit bre, elle aussi avec vue. Autour du grand
cune des différentes phases de son évolution ? un couloir souterrain, refuge d’ombre et de péristyle central se trouve, sur son petit côté
Lorsque commence l’histoire de la villa, les fraîcheur lors des grandes chaleurs, si fré- sud, à gauche quand on vient de l’entrée, un
habitants de Pompéi sont des Samnites. En quentes dans cette région. La villa se pré- ensemble de pièces de service : une vaste
dehors de la cité, mais à moins d’un demi- sente ainsi comme un grand quadrilatère cuisine, une cour de service et même un bal-
kilomètre de la porte d’où part la route qui dont chaque versant fait une soixantaine de neum, c’est-à-dire une petite installation
monte vers le Vésuve en passant par les villes mètres. L’accès principal se fait alors au thermale ; de l’autre côté, s’étend un salon de
connues plus tard sous les noms d’Oplontis milieu du côté est, le long de la route : on entre réception aux vastes dimensions.
et d’Herculanum, une famille aisée de la cité par un vestibule se présentant comme un Cet ensemble imposant va être complète-
décide, entre 200 et 150 avant J.-C., de se couloir voûté, bordé de bancs pour le person- ment remanié durant la décennie entre 70 et
faire construire une résidence située un peu nel de service, et qui débouche directement 60 avant J.-C. Cela fait alors une vingtaine
à l’écart et faite pour le repos et l’agrément. sur une belle colonnade rectangulaire ; droit d’années que Pompéi est passée sous la
Ainsi ses propriétaires pourront-ils s’éloigner devant lui et en enfilade, le visiteur trouve domination de Rome. Ayant opté pour le parti

hors-sérien L 53
ARCHITECTURE
AÉRIENNE
Ci-contre : un salon d’apparat
(oecus) de la villa, orné d’un délicat
décor architectural. Un élégant
portique couvert de voûtes à
caissons y répond à de solennelles
portes fermées sur un espace
imaginaire, peintes sur les murs l’isolement ». Quant au décor pictural dont
des longs côtés. En bas : le sont alors pourvues ces nouvelles pièces, il
péristyle. Il est bordé, côté sud, par est choisi en fonction de la destination de
un ensemble de pièces de service chacune d’entre elles, les longs couloirs
(une vaste cuisine, une cour transversaux remontant à la phase précé-
de service et même une petite dente étant repeints dans ce beau rouge que
installation thermale) tandis qu’au la postérité a appelé « pompéien ». Sur les
nord se déploie un salon de parois des salons précédant maintenant les
réception aux vastes dimensions. chambres, sont figurés tantôt de vastes porti-
ques, où pendent de somptueuses guirlan-
des de fleurs et laissant voir, dans leur partie
des Samnites lors de la guerre dite « sociale », vivre, où les plaisirs de l’esprit se conjuguent supérieure, un coin de ciel bleu, tantôt de
qu’il faudrait plutôt appeler celle « des alliés », avec ceux du retour à une nature idéalisée, la solennelles portes, fermées sur un espace
véritable sens du mot latin socii, elle a été villa des Mystères offre un exemple privilégié. imaginaire. Le décor des chambres se distin-
prise d’assaut par l’armée de Sylla, qui en a Sur ses deux côtés qui ont vue, d’une part gue par une exceptionnelle finesse de motifs,
fait ensuite une colonie romaine : autrement sur le Vésuve, d’autre part sur la mer, l’édifice particulièrement sur les parois des alcôves :
dit, les anciens habitants ont été supplantés va ainsi être doté de deux grandes pièces au-dessus d’un entablement soutenu par
par de nouveaux venus, qui ne sont autres ouvrant sur l’extérieur, la principale étant une architecture aérienne de minces colon-
que les officiers et soldats du dictateur, vété- orientée au sud-ouest, vers Naples, la mer et nes, une tenture noire déployée entre les
rans auxquels ont été donnés en récom- Capri. De part et d’autre de celle-ci, la dispo- montants d’une arcade centrale laisse voir le
pense, au moment de leur démobilisation, sition des lieux va être complètement modi- sommet d’une colonnade incurvée se déta-
terrains et habitations, le tout évidemment fiée : les grandes chambres de la phase pré- chant sur un fond de ciel bleu. C’est que le
confisqué aux autochtones. Dans ce cédente sont remplacées par une série de sommeil qu’on va chercher dans ces cham-
contexte, on peut certes imaginer que la villa suites individuelles, comprenant un salon et bres est considéré dans l’Antiquité comme le
des Mystères soit restée aux mains de la une chambre : comme l’écrit Pierre Gros, « de moment privilégié, grâce au rêve, de la ren-
famille qui l’avait fait construire, presque un tels “appartements”, qui constituaient autant contre avec les dieux et l’au-delà : le motif de
siècle auparavant, mais ce n’est pas le plus d’unités autonomes pour des membres de la tentures abaissées pour laisser voir la colon-
vraisemblable. Car ses nouveaux occupants famille (des couples apparemment), présen- nade d’un sanctuaire sous le ciel illustre ainsi
vont décider de la transformer de fond en taient donc un degré d’intimité plus grand une allégorie du dévoilement et de la décou-
comble, la dotant d’un décor à la dernière que les aménagements antérieurs : le pas- verte du monde divin. Cette thématique se
mode de la Rome d’alors. C’est ainsi que la sage de l’antichambre à la chambre puis à retrouve également dans la suite voisine, qui
villa va devenir l’un des hauts lieux de ce que l’alcôve voûtée marquait une gradation dans a donné son nom à la villa, car on peut y voir la
l’archéologue allemand August Mau appel-
lera, au XIXe siècle, « le deuxième style ».
A quelques jours de voyage de Rome, qui
n’en est éloignée que d’environ deux cent
cinquante kilomètres, le majestueux golfe
de Naples aux sublimes perspectives, où la
culture grecque est omniprésente depuis
des siècles, se présente aux contemporains
de Sylla comme une autre Grèce, plus acces-
sible et plus accueillante que la vraie. Dans
les somptueuses villégiatures qu’elle s’y fait
aménager, l’élite romaine de ce temps va
chercher les plaisirs de l’otium, c’est-à-dire
d’un loisir où la haute culture et l’art de la
conversation occupent, en principe du
moins, la première place. De ce nouvel art de

54 L nhors-série
représentation de « mystères », c’est-à-dire
de rituels d’initiation, destinés en l’occur-
rence à célébrer le culte de Dionysos, appelé,
comme on sait, Bacchus par les Romains. On
est là dans la partie sud de la villa, de l’autre
côté de la cour intérieure qui permet d’accé-
der, le long d’un des deux couloirs longitudi-
naux, à une chambre puis à un salon. Sur les SARABANDE En haut, à gauche : détail du décor à motifs égyptisants du tablinum.
murs de la première pièce où de grands pan- Ce type décor sur fond noir, dépourvu de toute profondeur, est caractéristique du troisième
neaux sont peints en rouge, se détachent style. L’engouement pour ces scènes fidèlement reprises de la peinture égyptienne
des personnages mythiques appartenant témoigne des contacts étroits entretenus avec l’Egypte depuis sa conquête après la victoire
© PIER PAOLO METELLI. PHOTOS : © LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION. © MANUEL COHEN/AURIMAGES.

au monde de Dionysos : une ménade, deux d’Actium en 31 avant J.-C. Ci-dessus : satyre dansant peint sur l’un des murs de la
satyres, dont l’un danse, tandis qu’un peu chambre qui précède le salon où se déploie la mégalographie qui a valu à la villa sa célébrité.
plus loin un autre s’efforce de soutenir un Dio-
nysos nettement plus grand que lui. Mais
c’est le décor du salon adjacent qui a donné usuel, pesait sur eux telle une malédiction de la grande fresque, dite mégalographie, lui
à la villa sa célébrité mondiale. Les murs de empêchant la vérité de se manifester… qui est représenté sur le panneau du fond, fait
cette pièce d’environ trente-cinq mètres car- Pour essayer de raison garder, il vaut mieux pour attirer le regard de qui entre dans la
rés sont en effet entièrement recouverts partir des faits : dans la femme plusieurs fois pièce ou se tient sur le seuil, comme c’est le
d’une peinture à fresque qui fut certainement représentée, on doit reconnaître la proprié- cas de la domina, représentée pensivement
réalisée en un temps bref, quelques jours tout taire, la domina, de la villa, qui a voulu et fait assise le long d’une colonne. Mais qui est la
au plus, mais qui, aujourd’hui, plus de vingt exécuter la fresque. La pièce où se trouve femme dans les bras de laquelle Dionysos
siècles après sa réalisation, continue de fas- celle-ci n’est nullement cachée et elle n’est ni semble se pâmer ? L’ironie du sort, ou plutôt
ciner. Que représente-t-elle ? Pourquoi ces une chambre ni une salle à manger : n’allons de l’archéologie, a ôté sa tête à ce person-
allusions à Dionysos, indiscutablement donc pas imaginer qu’elle était faite pour nage féminin : or son identification oriente
représenté ici ? Et que vient faire la femme accueillir des rites destinés à rester secrets ! toute l’interprétation de la fresque… S’il
élégante qui y apparaît à plusieurs reprises Il est vrai que le culte de Dionysos avait, en s’agissait d’Ariane, l’une des compagnes du
dans différentes tenues et avec des attitudes 186 avant J.-C., été l’objet d’une féroce cam- dieu, on pourrait voir dans l’ensemble du
énigmatiques ? Pour répondre à ces ques- pagne de répression de la part du sénat cycle une variation sur le thème de l’union
tions et à bien d’autres encore, les spécialis- romain. Mais, un bon siècle plus tard, la dévo- amoureuse. S’il s’agit de Sémélé, cela
tes, depuis un peu plus d’un siècle qu’a été tion au dieu était redevenue possible et change tout : en effet, la mère du dieu ayant
découverte la villa, ont accumulé des dizaines même relativement répandue dans les été, disait-on, tirée du domaine des morts par
de théories divergentes, multipliant articles milieux aisés, pourvu qu’elle fût limitée au son fils, l’idée principale de la fresque serait
savants, conférences, congrès et livres, mais cadre privé. Et puis, Dionysos n’était-il pas alors celle de la résurrection. Or, dignement
sans être parvenus à s’entendre ! Comme si chez lui dans cette Pompéi qui, bien avant habillée et assise sur un trône et non pas un lit,
ce nom de « villa des Mystères », ces derniers l’arrivée des Romains, cultivait déjà les fruits l’inconnue est beaucoup plus une mère
étant à entendre cette fois dans le sens le plus de la vigne ? De fait, le dieu est bien le héros qu’une amante. C’est pourquoi, plutôt que

hors-sérien L 55
au prix de travaux importants, devenir un
domaine agricole. Pour cela, un pressoir à
vin est installé dans la partie nord, tandis
que, de l’autre côté, les bains sont transfor-
més en remise, et que, sur la façade le long
de la rue, sont aménagées de petites pièces
où s’installe le personnel de service. C’est là
que la catastrophe finale surprendra l’inten-
dant avec ses proches dont on a retrouvé
les restes dans une pièce à l’étage. Il s’appe-
lait Lucius Istacidius Zosimus, comme en
atteste l’anneau qu’il portait, et il gérait donc
la villa pour le compte de la puissante famille
des Istacidii, dont le tombeau n’est pas très
loin, au bord de la route voisine. L’initiée au
l’évocation des peurs et des plaisirs de la nuit ouvrant vers l’extérieur, le plus petit étant culte de Dionysos qui avait fait faire la grande
de noces, la fresque doit se lire comme l’auto- décoré d’une ancienne statue de marbre, fresque appartenait-elle à cette famille ?
biographie religieuse de celle qui l’a voulue : désormais pourvue d’une tête aux traits de Nous ne le saurons jamais, et c’est un mys-
sur les deux frises convergeant parallèlement l’impératrice Livie, femme d’Auguste et mère tère de plus… 3
vers le panneau central, se reconnaissent de Tibère. Quant au tablinum donnant accès
alors les différentes étapes d’une initiation à l’appartement aux fresques dionysiaques, Alexandre Grandazzi est professeur
religieuse, dont la représentation picturale fut il est alors pourvu d’une fine décoration où, de littérature latine et de civilisation romaine
faite pour donner à sa bénéficiaire espoir et sur un élégant fond noir, se détachent des à Sorbonne Université dont il dirige
confiance dans un au-delà bienheureux. scènes situées dans une Egypte de fantaisie. le département d’études latines. Il a publié
Education de son enfant, purification des Mais le séisme de 62 va, ici comme ailleurs, notamment Urbs. Histoire de la ville
rameaux, concert pour fêter le retour de Dio- causer de grands changements : ses riches de Rome, des origines à la mort d’Auguste
nysos, d’un côté, toilette de la mariée, effroi propriétaires, en effet, cessent visiblement (Perrin, 2017), ouvrage couronné
sacré et danse rituelle, de l’autre, les motifs d’y habiter de façon permanente, et la villa va, par le prix Chateaubriand.
peints sur les deux murs principaux orientent
le regard vers le fond de la pièce, où trône le
couple divin encadré par deux scènes de
révélation sacrée. Ce sont bien chacun des
grands moments de la vie d’une pieuse mère
de famille qui sont mis en correspondance
avec les étapes de la vie et du culte de Dio-
nysos et célébrés ici, dans une œuvre d’art
totale qui, par la magie d’une peinture illusion-
niste, mêle les séductions de l’architecture,
de la sculpture, de la musique et de la danse.
Les propriétaires successifs de la villa furent
sans doute sensibles au caractère excep-
tionnel de cet ensemble, car ils le conservè-
rent, alors même qu’ils changeaient le décor
et la disposition de plusieurs autres pièces.
Au début de notre ère, des deux côtés où
s’offrent les plus belles perspectives vers la
mer, sont aménagés deux salons, dont l’un
particulièrement grand, pourvus d’absides

56 L nhors-série
© PIER PAOLO METELLI. © AZOOR PHOTO/ALAMY/HEMIS. © PIER PAOLO METELLI.

INITIATION Couvrant les parois d’un salon de la villa, vingt-neuf figures se déploient en groupes successifs sur un fond rouge
que rythment des pseudo-pilastres régulièrement disposés. Gilles Sauron a établi une double lecture de cette célèbre fresque : selon lui,
elle représente d’une part le double mythe de Sémélé et de son fils, Dionysos, et, d’autre part, diverses étapes de la vie de la domina,
la maîtresse de maison. Ainsi la première scène (page de gauche, en haut), qui montre une matrone surveillant un jeune garçon nu en train
de lire le livre sacré, peut-être écrit par la femme assise qui tient un stylet dans la main droite et un rouleau, dans la gauche, pourrait figurer
à la fois le jeune Dionysos découvrant le texte sacré dont la connaissance est préalable à son initiation, et la domina veillant à ce que son fils
reçoive l’enseignement nécessaire à sa future initiation. Ci-dessus : des faunes dans un décor pastoral et une femme faisant un geste
d’effroi. Page de gauche, en bas : à côté de Silène, Dionysos se pâme dans les bras de sa mère, Sémélé. Cette scène qui se déploie sur le mur
du fond, et vers laquelle convergent les regards, est le point d’orgue de la frise, qui évoque la divinisation de Dionysos et de sa mère.

hors-sérien L 57
58 l nhors-série
ENCYCLOPÉDIQUE
Page de gauche : Pline l’Ancien,
gravure tirée des Vrais portraits et vies
des hommes illustres grecs, latins
et païens, d’André Thevet, 1584.
Pline l’Ancien est l’auteur d’une
quantité phénoménale d’écrits
et de recherches savantes. Nous
lui devons la seule encyclopédie
antique, en trente-sept volumes,
intégralement conservée. Ci-contre :
pièce d’or à l’effigie de l’empereur
Vespasien, Ier siècle.

Les derniers jours


de Pline
Alors qu’il achève sa carrière relégué
au commandement de la flotte de Misène, Pline l’Ancien
se retrouve aux premières loges pour assister
à l’éruption du Vésuve. Il y laissera la vie. PAR ALEXANDRE GRANDAZZI

D
ans tout bon film catastrophe, il faut Or le neveu, Pline le Jeune, a, parmi ses de l’œuvre, qui, on le sait aujourd’hui, doit être
une victime illustre, qui représentera amis, le plus grand historien de Rome, Tacite. corrigée en « novembre », soit le 24 octobre.
toutes les autres, ainsi qu’un témoin, Vers 106 de notre ère, celui-ci prépare le récit Suprême ironie du destin : le livre de ses His-
chargé de transmettre le récit de ce qui est des années pendant lesquelles régnèrent les toires où Tacite parlait de la catastrophe de
arrivé. L’éruption du Vésuve, clou du scéna- empereurs Vespasien et Titus, et il souhaite Pompéi a disparu, tandis que la lettre de Pline
rio de tant de péplums, ne déroge assuré- avoir des détails sur l’éruption du Vésuve de le Jeune nous a été conservée intégralement,
ment pas à la règle : en l’occurrence, le rôle 79 : quel meilleur informateur trouver que celui comme d’ailleurs tout le reste de sa corres-
de la victime héroïque et celui du témoin sont qui, presque trente ans auparavant, avait pondance. Mais cette lettre, qui se présente
tenus par un oncle et son neveu. Tous les assisté au cataclysme ? Et puis l’historien, qui comme un témoignage objectif, est en réalité
deux sont des hauts fonctionnaires de cet siège aussi au sénat de Rome et se montre un texte littéraire très élaboré et qui recèle plus
Empire romain qui connaît alors son apogée. toujours soucieux du sort de ceux qui, comme d’une arrière-pensée.
Mais l’oncle est aussi le plus grand érudit de Pline l’Ancien, en furent membres, aimerait
son époque, tandis que le neveu, plus mon- avoir des détails sur la mort de l’oncle de son VIVRE, C’EST VEILLER
dain, exercera de très hautes charges sous correspondant. Pline le Jeune va donc lui Pourquoi Pline l’Ancien résidait-il alors en
les règnes des empereurs Domitien et Tra- répondre dans une lettre, en principe privée, vue de Pompéi et quelle avait été sa carrière
jan, tout en menant une brillante carrière mais destinée en réalité à être diffusée dans jusqu’à ce jour fatal où il allait, en même temps
© ADOC-PHOTOS. © ARALDO DE LUCA.

d’avocat et en accordant beaucoup de soin les milieux huppés de la capitale, et qu’il pré- que des milliers d’autres êtres humains, per-
à sa correspondance. L’un et l’autre, que la sente, avec une modestie affichée, comme un dre la vie ? En cette année 79, Pline est un
postérité distinguera en les qualifiant res- simple matériau préparatoire pour la grande homme de cinquante-cinq ans, doté d’une
pectivement comme « Ancien » et comme œuvre historique à laquelle travaille son ami. forte corpulence, l’expression amplitudo
« Jeune », sont originaires de la ville de C’est la fameuse lettre (la seizième du livre VI) corporis utilisée par son neveu faisant même
Côme, autrement dit de cette Italie du Nord, où il précise que la catastrophe se produisit présumer qu’il est atteint d’obésité. Travers
dite alors Transpadane, qui a déjà donné à la « le neuvième jour avant les calendes de sep- familial, semble-t-il, mais sans aucun doute
littérature latine ces écrivains majeurs que tembre », soit le 24 août, selon l’indication du fortement accentué par le régime de vie
furent Virgile et Tite-Live. mois donnée par les manuscrits médiévaux adopté par Pline l’Ancien : dans une autre de

hors-sérien l 59
Reste que, malgré le prestige que pouvaient
lui valoir ses publications, et au sortir de la très
haute responsabilité qu’a été la direction de la
Gaule Belgique, le déroulement de la carrière
de Pline ne sera pas celui qu’il aurait pu espé-
rer : a-t-il commis une faute durant sa dernière
mission, a-t-on estimé en haut lieu qu’il faisait
trop d’érudition et pas assez d’administration,
ses lettres (la cinquième du livre III), en effet, esprits libres – comme Sénèque et Lucain en ou bien son caractère, qu’on devine franc, un
pour expliquer que celui-ci ait réussi, tout en feront la triste expérience –, Pline se réfugie peu brusque, voire gaffeur à l’occasion, a-t-il
menant une très belle carrière administrative, dans l’étude de questions de pédagogie ou de fini par déplaire à Rome, dans le milieu com-
à produire une quantité phénoménale d’écrits linguistique, rédigeant un manuel d’instruction passé, hypocrite et implacable de la cour du
et de recherches savantes, son neveu décrit la oratoire en six volumes ainsi qu’un traité, en Palatin ? Toujours est-il que le commande-
manière dont son oncle employait son temps huit volumes, sur les impropriétés du langage. ment de la flotte militaire de Misène, dont Pline
sans jamais en perdre un seul instant. Descrip- Dès l’accession de Vespasien au pouvoir se trouve investi au moment où la catastrophe
tion célèbre où l’on voit ce haut fonctionnaire suprême, en 70, Pline reprend le cours d’une de Pompéi et d’Herculanum va se déclen-
© PRINCETON UNIVERSITY, ART MUSEUM/AKG-IMAGES. © MUSEE DES AUGUSTINS, TOULOUSE, PHOTO DIDIER DESCOUENS/CC0.

suroccupé, lecteur compulsif et graphomane carrière brillante qui va l’amener à être le cher, est, pour sa carrière, et comme le disait
impénitent, écouter sans cesse, que ce soit au représentant direct de l’empereur – ce qu’on le grand historien Ronald Syme, « un cul-
cours de ses repas, ou dans son lit, dans son appelle alors un procurateur – dans des de-sac » ; bref, ce qu’on appellerait dans un
bain, dans sa litière lors de ses déplacements, régions de l’empire aussi diverses que la Nar- autre contexte une voie de garage, une mis-
la lecture que lui fait, selon l’usage d’alors, un bonnaise, en Gaule, puis l’Afrique du Nord, sion en principe seulement honorifique qui
esclave, et noter en même temps le résumé de ensuite la Tarraconaise, dans la péninsule Ibé- éloigne Pline du centre du pouvoir et de
ce qu’il entend… On comprend que celui qui rique, et enfin la Gaule Belgique : ce poste fait l’entourage direct de l’empereur. Voici cepen-
déclarait que « vivre, c’est veiller » ait, avec de de lui comme l’intendant général des deux dant que, par les hasards conjugués de l’his-
telles habitudes de travail, construit, malgré armées romaines cantonnées le long du Rhin ; toire et de la littérature, cette sinécure sans
une durée de vie limitée, une œuvre énorme. autrement dit, une fonction de la plus haute avenir va se transformer, ce 24 octobre 79, en
Rien qu’en notes de lecture, il laissera ainsi à importance stratégique, assumée par celui qui poste d’observation privilégié de la plus
sa mort plus de cent soixante volumes, rou- bénéficie de la confiance directe de l’empereur grande catastrophe naturelle qu’ait connue le
leaux écrits en caractères minuscules et sur puisqu’il a même, un temps, mais pour des rai- continent européen à l’époque historique,
les deux côtés : quelques années auparavant, sons que nous ignorons, eu le privilège d’être apportant à Pline une mort héroïque et exem-
l’un de ses collègues lui avait proposé en vain reçu chaque matin à l’aube par Vespasien lui- plaire. Certes, il ne périra pas en escaladant le
de les lui acheter pour la somme considérable même. Ces hautes charges ne l’empêchent Vésuve en flammes, comme le voudrait une
de quatre cent mille sesterces ! d’ailleurs pas de continuer ses recherches légende populaire. La réalité, on va le voir, est
Aussi le nombre d’œuvres écrites à partir de érudites, notamment deux immenses ouvra- plus complexe, mais finalement plus belle.
ces notes préparatoires est-il impression- ges qui paraîtront après sa mort : une histoire
nant : dès les débuts de sa carrière, Pline a (perdue) des règnes de Claude et de Néron, ANIMUS MAXIMUS
entrepris une grande histoire des guerres en trente et un volumes, et une encyclopédie Ce 24 octobre 79, en effet, à Misène, vers
menées par les Romains en Germanie (où lui- en trente-sept volumes, qu’il achèvera en 77 et midi, Pline vient de finir de déjeuner frugale-
même se trouve alors), ce qui ne l’empêche dédiera, sous le titre d’Histoire naturelle, à ment après un bain froid et, comme d’habi-
pas de publier un petit traité de technique mili- Titus, le futur empereur, dont il avait été le com- tude, il travaille, étendu sur un lit. Soudain, et
taire, ainsi qu’une biographie d’un grand servi- pagnon d’armes en Germanie. La seule ency- comme le racontera son neveu qui a alors dix-
teur de l’Etat, Pomponius Secundus. De retour clopédie antique intégralement conservée huit ans, la sœur de l’illustre savant montre au
en Italie, en 59, sa carrière va s’interrompre offre un inépuisable inventaire du monde, loin à son frère un phénomène étrange et terri-
pendant une dizaine d’années : l’empereur mais d’un monde d’avant l’industrialisation fiant : là-bas, au bord de l’immense baie de
régnant n’est autre que Néron et, assurément, et ses ravages, et qui a, pour les lecteurs Naples, à une trentaine de kilomètres, un
Pline, trop sérieux, trop moraliste, trop attaché d’aujourd’hui, l’attrait d’un paradis perdu. Au nuage semble jaillir du Vésuve, cette montagne
aux antiques traditions, n’a rien pour lui plaire ! total, l’ensemble des œuvres écrites par Pline jusque-là verdoyante et, croyait-on, paisible,
Durant ces années dangereuses pour les approche la centaine de volumes ! couverte de vignobles et de fermes. En bons

60 l nhors-série
LA MONTAGNE DE FEU Page de gauche : Pline le Jeune et sa mère
à Misène, lors de l’éruption du Vésuve, par Angelica Kauffmann, 1785 (Princeton
Méditerranéens, le neveu, l’oncle et tous les University, Art Museum). Ci-dessus : Eruption du Vésuve survenue en l’an 79,
témoins de ce spectacle sans précédent sont sous le règne de Titus, par Pierre-Henri de Valenciennes, 1813 (Toulouse, musée
frappés par la ressemblance que l’énorme des Augustins). Au premier plan, Pline l’Ancien mourant.
nuée présente avec la forme d’un pin parasol.
L’image est si parlante qu’aujourd’hui, pour ce
type de panache volcanique, les spécialistes qu’il a devant les yeux, et que la pluie de cen- le grand historien de la médecine Mirko
parlent d’éruption « plinienne ». dres et de pierres ponces se fait de plus en Grmek. Comme le laisse deviner son neveu
Saisi par sa curiosité d’homme de science, plus dense. Mais il est impossible d’accoster dans sa description, son oncle jouait la comé-
Pline ordonne qu’on affrète un navire rapide près d’Herculanum, et Pline ordonne de die lorsqu’il plaisantait chez Pomponianus :
afin d’aller voir lui-même ce qu’il en est. A ce rejoindre Stabies, à l’autre extrémité du golfe. mais ne cherchait-il qu’à calmer ses craintes
moment arrive cependant un courrier, envoyé Il y retrouve l’un de ses amis, nommé Pompo- et celles de ses compagnons ? Et, s’il ne pou-
par une amie de l’amiral, qui réside à Hercula- nianus, qui a fait charger ses biens sur des vait aller porter secours comme prévu aux
num sur les pentes du Vésuve et qui demande embarcations et n’attend plus qu’un vent victimes de la catastrophe, pourquoi être allé
secours. Sans hésiter, celui-ci modifie ses favorable pour pouvoir fuir. Pline le rassure, et se coucher au lieu d’observer le déroulement
ordres et commande de mettre à la mer des c’est là que son attitude devient très étrange : d’un cataclysme qui ne pouvait normalement
vaisseaux de guerre : leurs nombreux rameurs parti pour sauver des vies, voici que l’amiral se qu’attiser sa curiosité de naturaliste ?
pourront affronter les flots, qui doivent déjà être met à table, plaisante avec les convives tout en Pour expliquer les bizarreries du comporte-
très agités, et leur grande voile permettra de les rassurant, puis va se coucher et s’endort ment de Pline, Grmek dresse ainsi un véritable
profiter au mieux du vent qui souffle maintenant aussitôt d’un profond et bruyant sommeil ! diagnostic rétrospectif selon lequel l’illustre
en fortes rafales ; ces grands bateaux pourront Réveillé au petit matin par ses compa- Romain aurait été victime d’une crise cardia-
également recueillir un maximum de person- gnons, qui voient le moment où, à cause des que, plus précisément un infarctus du myo-
nes, car – comme on vient de l’apprendre par le cendres qui continuent à s’accumuler, ils ne carde, dont il aurait ressenti les premiers
courrier – une foule s’est maintenant massée pourront plus ouvrir la porte de sa chambre, il symptômes au spectacle de l’enfer des plages
sur le rivage de la baie, attendant des secours. Il retourne, avec eux, vers le rivage d’où tous du Vésuve. C’est pourquoi, arrivé à Stabies, il
n’y a, en effet, plus de temps à perdre. Poussé espèrent pouvoir reprendre la mer. Mais ne pouvait plus être question pour Pline de diri-
d’abord par l’intérêt scientifique, Pline agit arrivé sur la plage, il s’étend de nouveau, ger une expédition de secours et qu’il a été
maintenant par solidarité envers les sinistrés, réclamant à boire, puis, après un dernier obligé de se coucher, cachant son mal sous le
avec la volonté de leur apporter son aide. effort et malgré l’aide de deux esclaves, il masque de la sérénité. Ainsi, il a bien, comme
L’escadre entame alors la traversée de la s’effondre sans vie. Est-il mort d’asphyxie, son neveu l’écrit, fait preuve du plus grand
baie de Naples, passant au large devant le comme son neveu le supposera ? Dans ce courage, animus maximus, mais sans doute
Vésuve en éruption, tandis que l’amiral, cas, ceux qui étaient avec lui auraient dû périr pas au sens où on l’entend généralement : car
debout sur le pont de son navire, dicte à un aussi. La très probable cause de sa mort a été « en prenant conscience de son état de
esclave la description du spectacle dantesque mise en lumière, à la fin des années 1980, par détresse, il a décidé de le dissimuler ». 3

hors-sérien l 61
TOUS LES CHEMINS
mènent au forum
C’est dans ce centre 1. TEMPLE DE JUPITER La construction d’un sanctuaire sur

religieux, politique CAPITOLIN


Comme dans le temple du Capitole à Rome,
le forum commença sans doute sous Néron.
Il était inachevé au moment de l’éruption.
et commercial, Jupiter, Junon et Minerve étaient honorés
au cœur du forum. La triade témoignait 5. TEMPLE DE VESPASIEN
aire élégante et de l’empreinte culturelle de Rome sur ses Comme l’édifice était lui aussi inachevé

majestueuse, que bat colonies. On a retrouvé sur les vestiges du


temple (construit en blocs de lave et de pierre
en 79, et qu’il était sans doute dédié
à un empereur, on lui a donné le nom
le cœur de la colonie revêtus de stuc) une colossale tête de Jupiter. de Vespasien, mort au mois de juin.
Sans être certain de cette attribution.
romaine. Le forum 2. ARC DE TIBÈRE
ÉDIFICE D’EUMACHIA
de Pompéi est l’un des Deux arcs de triomphe furent érigés
sur le forum de Pompéi. L’un, à l’ouest
6.
Sur l’ancienne architrave de marbre
plus beaux qui nous du temple de Jupiter capitolin. L’autre,
à l’est, communément appelé arc de Tibère,
de l’édifice on a retrouvé l’inscription
suivante : « Eumachia, fille de Lucius,
soient parvenus. formait une majestueuse entrée au forum. prêtresse publique, en son nom et au nom
Nous ignorons encore à qui il était consacré. de son fils Marcus Numister Fronto,
a érigé à ses frais et dédié à la Concorde
3. MARCHÉ et à la Piété auguste un chalcidique,
Sa façade principale donne sur le forum. une crypte et des portiques. » Une statue
A l’intérieur se trouvaient les boutiques. d’Eumachia, consacrée par des foulons,
On venait au macellum acheter le poisson a laissé penser que l’édifice leur était
et la viande. Au centre, une fontaine destiné. Il pouvait aussi s’agir d’une petite
permettait de nettoyer les poissons. Bourse ou d’un marché.
On y trouvait un sacellum (petit sanctuaire)
dont subsistent quelques fresques, 7. RUE DE L’ABONDANCE
notamment Pénélope reconnaissant Decumanus maximus de Pompéi,
Ulysse. elle va de la rue de Stabies à la porte
Marine pour son tracé le plus ancien.
4. SANCTUAIRE DES LARES Elle est pavée de blocs de basalte,
Ces divinités protectrices étaient et les trottoirs sont faits de lave
très présentes dans la vie pompéienne. ou de tuf.

11

1
2
13 1 3

© MDJ. PHOTOS : BEAUX-ARTS DE PARIS, DIST. RMN-GRAND PALAIS/IMAGE BEAUX-ARTS DE PARIS.


8. COMITIUM
Ce bâtiment presque carré, qui ne
4
comportait pas de toit, était réservé aux 12
élections des magistrats de la ville
5
(édiles et duumvirs). Les jours d’élections
on y entrait par le forum et on sortait
du côté de la rue de l’Abondance.

9. CURIE
11 6
La Curie ou le senaculum est le lieu
consacré aux assemblées des principaux
magistrats de la ville.
7
10. BASILIQUE 10 8
La basilique, longue de soixante-six mètres
et large de vingt-sept, a été construite
au IIe siècle avant J.-C. Dans ce vaste édifice
9
où l’on rendait la justice, se déroulait aussi
une vie sociale informelle, des réunions
d’affaires, et autres négociations.
Une estrade de deux mètres a été identifiée
comme le tribunal où siégeaient les juges.

11. TEMPLE D’APOLLON 12. FORUM visiter les temples ou sacrifier aux dieux ; on s’y
Ses fondations remontent au VIe siècle Long de plus de cent quarante mètres rencontrait entre amis, on y parlait affaires. »
avant notre ère. Elles précèdent le forum. et large de trente-huit, le forum de Pompéi,
Il était sans doute le premier cœur religieux pavé de dalles de travertin et bordé d’édifices 13. LATRINES PUBLIQUES
de la ville. Agrandi par la suite, il fut enrichi monumentaux, était grandiose. « Interdit aux Cette grande pièce entourée d’un canal
sous le règne de Néron. Deux statues, chars et aux chevaux, écrit Egon C. Corti, les sur lequel on pouvait poser des planches
Apollon fulgurant et Diane, qui en ornaient citoyens s’y promenaient sans entraves et les était séparée du forum par un couloir
la partie centrale, sont conservées marchands s’adonnaient en toute quiétude qui la rendait invisible de la voie publique.
au Musée archéologique de Naples. à leur commerce. On se rendait au forum pour Elle correspondait aux latrines publiques.

6
12
© LORENZO MOSCIA/ARCHIVOLATINO-REA.

VILLE MORTE
Partie de la via Stabiana, à Pompéi,
menant à la porte de Stabies, au sud
de la ville. Cette rue correspondait
au cardo maximus, l’artère principale
de la cité dans l’axe nord-sud. Elle
desservait notamment, dans cette zone,
l’Odéon et le théâtre (sur la droite).
La Cité
des hommes PAR WILLIAM VAN ANDRINGA
Témoignage unique de la vie d’une cité romaine,
Pompéi recèle encore de nombreux mystères. Si les fouilles récentes
ont permis, notamment, de fixer définitivement la date
de l’éruption, un tiers de la ville reste encore enseveli avec ses secrets.
D
1 Quand Pompéi a-t-elle été détruite ?
ans les mois qui précédèrent l’éruption du Vésuve en 79, la
multiplication des secousses sismiques et les signes manifes-
trouvaille d’un laurier bourgeonné, les grenades étant ramassées
en septembre-octobre et les baies du laurier arrivant à maturation
© CARLO HERMANN/KONTROLAB/LIGHTROCKET/GETTY. © LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION. © STEPHANE COMPOINT/BUREAU233.

tes d’une détérioration de la vie quotidienne à Pompéi – le système en octobre-novembre ? Une date automnale expliquait en outre
de distribution de l’eau ne fonctionnait plus – avaient de quoi les braseros trouvés en assez grand nombre et en état de fonction-
inquiéter, sans toutefois que les habitants puissent deviner qu’une nement dans les atriums et les portiques des maisons. Ces argu-
éruption d’une ampleur extraordinaire allait rayer leur ville de la ments et la découverte récente du graffiti invitent donc à reconsidé-
carte. Le 23 juin, l’empereur Vespasien mourut et son fils Titus lui rer la date du « 9 avant les calendes de novembre », soit le 24 octobre,
succéda. Quelques mois après son installation, il apprenait que donnée par d’autres manuscrits de Pline, repoussant ainsi
l’éruption du Vésuve avait balayé les cités établies au pied du de deux mois celle qui est inscrite dans les livres d’histoire.
volcan : Herculanum, Stabies et Pompéi. Mais à quelle Quoi qu’il en soit, les vulcanologues sont unanimes pour
date l’éruption avait-elle eu lieu ? Donnée identifier une éruption explosive d’une ampleur
comme le 24 août (soit « le 9 avant les calendes de exceptionnelle.
septembre ») par la plupart des manuscrits de
Pline, elle a été définitivement remise en cause
en 2018, lorsque le directeur du Parc archéologi- AU COIN DU FEU
que de Pompéi, Massimo Osanna, et son équipe Ci-contre : brasero trouvé dans la
ont découvert un graffiti au charbon men- maison des Quatre Styles, Ier siècle
tionnant « le seizième jour avant les calendes (Pompéi, Parc archéologique).
de novembre », soit le 17 octobre. Il ne pou- En haut : l’inscription retrouvée en
vait, du fait de son caractère volatil à l’air libre, 2018 indiquant une date : « XVI K
remonter à l’année précédente. A cette date, la cité NOV », c’est-à-dire le seizième jour
n’était donc pas encore ensevelie. avant les calendes de novembre,
La controverse n’est pas nouvelle. Les spécialis- soit le 17 octobre 79. Elle confirme
tes de Pompéi avaient en effet remarqué depuis ce que la découverte de braseros
longtemps que la date donnée par ces manuscrits en état de fonctionnement et de
de Pline ne concordait pas avec la période autom- fruits récoltés en automne laissait
nale indiquée par Dion Cassius. D’autres supposer depuis longtemps :
avaient souligné la quantité anormale de fruits l’éruption du Vésuve a eu lieu
cueillis en automne, comme les châtaignes, le 24 octobre 79 et non le 24 août.
noix, noisettes ou grenades, découverts Page de droite : Pompéi au pied
dans les maisons et les fermes du terri- du Vésuve, avec au premier plan,
toire. Comment expliquer par exemple la à droite, le théâtre.
découverte de dix quintaux de grenades
dans un local de la villa B d’Oplontis ou la

66 l nhors-série
2
Pompéi est-elle
une ville typique
du Ier siècle ?
O n questionne souvent le caractère
représentatif de Pompéi. Ce que nous
donneraient à voir les ruines serait une petite
ville italienne vivant essentiellement de la pro-
duction d’un vin bon marché et de poisson
salé. De fait, une simple comparaison entre
les œuvres d’art exposées dans les bâti-
ments publics et les maisons de l’élite de main par le sénat local. La grande cohésion ou celle du pain, cuit dans les trente-cinq bou-
Pompéi, et celles de Naples ou de Pouzzoles des normes qui régissaient les habitudes et langeries de la ville. A l’extérieur de l’espace
suffit à souligner la différence de statut entre coutumes locales tenait sans aucun doute à urbain, dans la nécropole de Porta Nocera, on
ces villes. A Pompéi, en outre, les plus hauts une mécanique simplifiée de la transmission enregistre des milliers de traces laissées par
dignitaires accédaient difficilement au pre- des idées au sein d’une communauté qui les Pompéiens dans les activités liées aux
mier rang de l’ordre équestre, le deuxième dépassait difficilement quinze mille habitants funérailles et aux visites faites aux défunts, qui
grand ordre de l’élite romaine, alors que les (ce chiffre est toutefois discuté). dévoilent les comportements face à la mort
dirigeants des cités voisines de la baie de L’autre avantage d’un tel site est l’état de d’une petite communauté urbaine de Cam-
Naples fournissaient des chevaliers de haut conservation exceptionnel de ses vestiges. panie. Aucune respiration de la communauté
rang et des sénateurs. Nulle part comme à Pompéi, les espaces urbaine antique n’échappe ainsi à l’examen
La question n’est toutefois peut-être pas là, publics, les maisons et les tombeaux ne sont archéologique des peintures ou à l’étude des
dans la mesure où, malgré sa taille relative- aussi bien conservés, malgré les pillages et artefacts et des écofacts qui témoignent de
ment modeste – une soixantaine d’hectares récupérations intervenus entre l’éruption de la vie quotidienne, depuis l’amphore vinaire,
–, Pompéi était le chef-lieu urbain d’une cité 79 et l’ouverture des fouilles en 1748. C’est un encore cachetée et gardée dans le cellier
romaine qui avait obtenu le statut de colonie atout formidable à l’heure où la méthode d’une maison, jusqu’au charbon de bois tiré
en 80 avant J.-C., et où son fonctionnement archéologique permet d’investir tous les du bûcher funéraire de Bebryx, un enfant
était effectivement celui d’une municipalité domaines de l’expérience humaine, jusqu’aux esclave, mort à seulement six ans.
romaine canonique, pourrait-on dire, dirigée comportements et aux façons de croire. Détruite dans la douleur par une catastro-
par un sénat local composé des citoyens les Alors qu’une équipe du Parc archéologique phe naturelle, Pompéi resurgit ainsi du passé
plus riches et les plus influents. La vie s’y s’est attachée, avec des méthodes renouve- comme un laboratoire à ciel ouvert sur la
organisait ainsi comme dans n’importe quelle lées, à dégager un secteur nouveau de la ville société romaine et même, puisque les traces
cité romaine, avec plusieurs caractéristiques romaine encore recouvert des matériaux vol- humaines y sont bien préservées, comme un
qui donnent une importance scientifique caniques de l’éruption de 79, une autre a lieu d’étude unique sur les comportements
indéniable à la cité vésuvienne. Le fait que inventorié tous les éléments de mobilier d’un d’une communauté urbaine. Ce destin très
Pompéi soit une petite ville est un avantage, quartier pour découvrir que celui-ci était peu particulier a une incidence sur le patrimoine et
dans le sens où les relations sociales peuvent ou partiellement habité dans les années qui sa conservation. Il ne s’agit pas seulement en
y être étudiées mieux qu’à Rome, ville très précédèrent l’éruption. Ici, une fouille décrit effet de préserver des kilomètres de murs, de
peuplée et donc complexe et multipolaire. sur la longue durée l’évolution d’un quartier sols ou de parois peintes, comme le retien-
Les Pompéiens formaient au contraire une autour d’une maison de maître, révélant ainsi nent avant tout les médias du monde entier,
communauté où tout le monde se connais- les mille palpitations de l’habitat urbain. Là, on mais de gérer et de conserver un site au
sait et où, très vraisemblablement, les déci- scrute l’organisation du travail et les moyens potentiel scientifique extraordinaire, dans le
sions collectives pouvaient être discutées de production pour restituer les activités éco- contexte forcément menaçant d’une fréné-
directement dans les familles et les associa- nomiques : la production de sauce de poisson sie touristique qui draine plus de trois millions
tions de toute nature, avant d’être prises en (garum), qui faisait la renommée de Pompéi, et demi de visiteurs par an.

hors-sérien l 67
A l’extérieur, l’empreinte laissée dans le sol
par les pieds de vigne et les arbres fruitiers
permet de restituer une unité de production
active jusqu’à l’éruption.
Le commerce n’est pas en reste. Pompéi
dominait l’embouchure de la rivière Sarno,
dont Strabon rappelle qu’elle constituait
un axe économique de premier plan vers
l’intérieur des terres. Pompéi participait ainsi
activement à l’essor du commerce
méditerranéen stimulé par la paix romaine.
L’impact du développement économique sur
l’organisation urbaine est particulièrement
bien cerné par les fouilles anciennes et
récentes, qui ont révélé des alignements

3
impressionnants de centaines de boutiques
autour des monuments publics et le long des
rues. Les locaux de production et les lieux de
vente sont disséminés dans l’ensemble de la
ville, habillant d’un quartier à l’autre les façades
des maisons et animant rues et carrefours.
De quoi vivait Pompéi ? Que ces boutiques ou ateliers soient gérés par
le pater familias de la maison attenante ou
Quels étaient ses activités qu’ils soient loués par un entrepreneur ou par
les pouvoirs publics, ils témoignent d’une
et ses métiers ? économie de proximité extrêmement active,
faite de petits métiers, avec parfois des

L a ville que les touristes visitent aujourd’hui


a pris forme au IIIe et surtout au IIe siècle
avant J.-C. Elle connaît alors une transfor-
colonie en 80 avant J.-C. Pompéi fut ainsi
touchée par le même processus d’hellé-
nisation que Rome, dans le contexte d’un
concentrations qui permettent de parler de
véritables industries locales dédiées au textile,
à la production de parfum ou de produits
mation sans précédent de son aggloméra- développement économique sans précé- dérivés de la salaison du poisson.
tion, les aménagements urbains se succé- dent. Il fut d’abord agricole, avec une inten-
dant à une cadence effrénée jusqu’à l’époque sification de la production dont témoigne dès
impériale et jusqu’à la fin de la ville en 79. cette époque la multiplication des fermes IN VINO VERITAS
L’urbanisme est entièrement restructuré, les et l’adoption d’une gestion productiviste En haut : les jarres à vin insérées dans
premières domus romaines à atrium font d’un territoire volcanique extrêmement le sol de la villa Regina, à Boscoreale,
leur apparition, un théâtre est construit, des fertile, capable de livrer plusieurs récoltes à environ six kilomètres au nord
temples sont érigés, une place publique – le par an (Strabon, V, 4, 3). La villa Regina, à de Pompéi. Page de droite : la villa
forum –, avec une basilique et un marché Boscoreale, fouillée à quelques kilomètres au de Julia Felix. Outre des thermes
public (macellum), est organisée. nord de Pompéi et transformée aujourd’hui et des pièces destinées à la location,
Cette évolution, qui impose des modèles en musée, est un témoin précieux de cette cette domus est dotée d’un vaste
culturels romains, s’explique évidemment par évolution : établie à l’époque du boom jardin agrémenté d’une suite
l’intégration de Pompéi dans l’alliance avec économique, la ferme était encore habitée de bassins. A Pompéi, au moins un
Rome. Celle-ci fit participer la cité vésuvienne par une famille à la veille de l’éruption. Les cinquième des propriétés étaient
aux profits engendrés, au IIe siècle avant J.-C., pièces habitées et dédiées à la production, raccordées au réseau public d’eau
par ses victoires et par l’ouverture du marché notamment un pressoir, sont distribuées courante alimenté par un aqueduc,
méditerranéen, qui bénéficia à l’élite locale, par un portique donnant sur un lieu de vinifi- qu’on utilisait tant pour les bains
surtout après l’obtention du statut romain de cation formé de grandes jarres enterrées. que pour les fontaines et les jardins.

68 l nhors-série
E
4 De quel art de vivre témoigne Pompéi ?
n mettant en lumière un habitat privé inconnu jusqu’alors, les
fouilles de Pompéi ont dévoilé un art de vivre hors du commun,
favorisé, diffusé et amplifié par la paix impériale romaine. Le déga-
gement des espaces domestiques sur la presque totalité de la ville –
visiteurs de tout statut, hommes libres, esclaves, femmes et enfants,
le luxe et les équipements destinés au bien-être corporel : promena-
des (avec pour certains thermes une vue panoramique sur la mer !),
terrains de jeu, gymnase et salles d’eau chauffées. Ce dernier équi-
et les fouilles récentes de la région V le confirment – montre en effet pement prend toute son importance quand on sait que la plupart
que les maisons de l’aristocratie étaient loin d’être les seules à béné- des maisons étaient glaciales l’hiver, chauffées seulement par quel-
ficier de décors élaborés et d’installations raffinées destinées aux ques braseros portatifs installés dans les pièces à vivre.
plaisirs et au bien-être, comme les salles de banquet ou les jardins Evidemment, ce qui retient l’attention dans les maisons que l’on
aménagés. Quoi de plus normal pour une société qui mettait en visite aujourd’hui, ce sont les tableaux peints dans les salles
avant les vertus de l’oisiveté et du plaisir ? Si les dimensions des d’apparat (tablinum et salle à manger), les portiques ou les cham-
espaces et la richesse des décors varient largement selon le statut bres (cubicula), qui montrent que les Romains de Pompéi parta-
social, on est surtout frappé par le degré de participation : à Pompéi, geaient un même patrimoine culturel, articulé sur les réalités divi-
ce ne sont pas moins de quatre cents propriétés riches ou modestes nes et humaines locales. Les parois peintes que l’on s’évertue à
© SCALA, FLORENCE. © ERIC VANDEVILLE/AKG-IMAGES.

qui intègrent à des degrés divers les espaces canoniques d’agré- conserver aujourd’hui racontent en effet les récits d’Homère, le
ment de la maison romaine : salles à manger, jardins, fontaines, etc. sacrifice d’Iphigénie, le départ de Chryséis, la dispute d’Agamem-
Le plaisir des jardins et la vie dans une ville soumise au climat non, la colère d’Achille et d’autres épisodes. Sans surprise, les com-
méditerranéen nécessitaient l’eau courante : un cinquième environ manditaires accordaient une grande importance aux épisodes met-
des domus étaient ainsi raccordées au réseau public d’adduction, tant en scène leur propre histoire et leurs propres dieux, ce qui
alimenté par un aqueduc qui allait chercher l’eau dans l’arrière- explique la répétition des tableaux représentant les amours de la
pays montagneux. L’archéologue Hélène Dessales a montré que grande déesse locale Vénus avec Mars ou les travaux du dieu fon-
l’eau distribuée par les châteaux d’eau et fontaines publiques était dateur de la ville, Hercule (selon la légende locale, la ville tirait son
utilisée pour les bains privés, les fontaines décoratives et les jardins, nom de la procession – en latin, pompa – d’un troupeau de bœufs
tandis que l’eau des citernes, alimentées prioritairement par le bas- qu’Hercule avait ramené de sa lutte contre le monstre Géryon). De
sin de l’atrium, étant jugée plus pure, servait à la consommation même, la guerre de Troie, remise au goût du jour par Virgile, est à
quotidienne. Si peu de demeures disposaient de bains privés, c’est l’honneur dans les décors peints : dans la grande maison de
parce qu’il y avait toujours des bains publics à proximité. On compte Ménandre, des tableaux de l’atrium montrent la mort de Laocoon,
ainsi dans la ville cinq établissements thermaux, qui offraient aux la ruse du cheval ou l’incendie du palais de Priam ; la maison du
Cryptoportique est, elle, un véritable livre ouvert, qui ne compte
pas moins de cinquante épisodes de l’Iliade représentés.
Cette omniprésence de la vie culturelle transparaît également
dans les graffitis en latin, la langue d’usage, et en grec, la langue
culturelle, laissés sur les murs des maisons. Les vers recopiés ou
inventés montrent que l’on connaissait l’Enéide de Virgile ou les
Amours d’Ovide. Cette culture littéraire était alimentée par les
représentations théâtrales données dans deux édifices dont l’un
5
Comment
s’organisait la vie
politique ?
A Pompéi comme à Rome, l’un
des devoirs du citoyen était de voter.
était couvert, ce qui permettait d’organiser des manifestations par L’activité politique est documentée
tout temps. On jouait, à dates régulières, des tragédies (les pièces à Pompéi par une source extraordinaire et
de Naevius et de Sénèque étaient bien connues), des comédies (de unique : les inscriptions électorales peintes en
Ménandre, comme le montre le portrait de la maison du même grandes lettres sur les façades des maisons.
nom), mais également des farces populaires, des mimes et pantomi- Comme aujourd’hui, l’affichage évitait sans
© THE BRITISH MUSEUM, LONDRES, DIST. RMN-GRAND PALAIS/THE TRUSTEES OF THE BRITISH MUSEUM. © LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION.

mes. Cette richesse de la vie culturelle, comme l’art de vivre exprimé doute l’affluence de la journée et avait lieu
dans les maisons, témoigne que, à Pompéi, l’éducation était une plutôt le soir ou la nuit, comme l’indiquent
condition essentielle du bien-être ou du plaisir. C’est sans doute ce certains textes qui évoquent porteurs de
que l’on devrait d’abord retenir d’une visite de la ville. lanterne et échelle ! Chaque année, peu de
Les spectacles d’arène constituaient enfin une institution recon- temps avant le mois de mars, les murs de la ville
nue, qui permettait de mesurer la générosité dispendieuse des étaient recouverts d’injonctions peintes,
grands dignitaires de la cité tout en légitimant leur pouvoir. telles : « Je vous demande d’élire Epidius
En témoigne une inscription récemment découverte sur Sabinus duumvir disant le droit, son client
un tombeau de la porte de Stabies par les équipes du Trebius le demande, avec le consentement
Parc archéologique. L’éloge funèbre fait état de specta- du très respectable sénat local » ; « Je vous
cles exceptionnels, forcément offerts par un personnage demande d’élire Marcus Pupius Rufus
de premier plan, identifié par Massimo Osanna duumvir disant le droit, il en est digne ! » ; « Elisez
au grand notable pompéien de l’époque Caius Iulius Polybius, il fournit du bon pain ! »
néronienne et flavienne Gnaeus Alleius Signées par des électeurs à titre indivi-
Nigidius Maius. On apprend ainsi qu’à duel ou collectif, elles appelaient à voter
l’occasion de sa prise de la toge virile pour un candidat à la charge d’édile ou de
(lorsque le jeune homme devient offi- duumvir. Les deux édiles élus chaque année
ciellement adulte), il offrit au peuple de s’occupaient de la gestion des biens publics :
Pompéi, représenté par les citoyens temples, marchés, rues, routes, location de
mâles adultes, un banquet réunissant biens appartenant à la cité, une foulerie,
six mille huit cent quarante personnes, un domaine foncier, des boutiques. Les
qui fut suivi de combats de gladiateurs duumvirs, eux, dirigeaient la vie publique
d’une ampleur inédite : quatre cent seize pendant un an en appliquant notamment les
gladiateurs furent engagés, soit dix fois décisions prises par le conseil municipal et
plus que dans les spectacles régulièrement en « disant le droit », autrement dit en prési-
donnés dans l’arène locale. Un tel nombre dant les assemblées judiciaires.
indique que le spectacle fut organisé sur plu- Les candidats étaient recrutés dans l’élite
sieurs jours, peut-être une dizaine. Le coût locale, le critère essentiel étant la notabilité
très élevé de tels cadeaux (c’est le sens latin garantie par la richesse patrimoniale. Elle
de munus, le nom donné à ce type de spec- permettait de payer une sorte de droit
tacles) explique d’une part que les mises à d’entrée sous la forme d’un don à la col-
mort étaient généralement peu nombreuses, lectivité sous quelque forme que ce soit
d’autre part qu’on n’offrait qu’exceptionnel- (argent, spectacle ou construction d’un
lement de telles manifestations, généralement édifice public), un peu comme si nos hom-
une fois dans sa vie. mes politiques contemporains devaient

70 l nhors-série
financer un stade ou une équipe de football apprend que, si seuls les citoyens mâles de duumvir, mais l’importance du
avant de pouvoir se présenter aux élections. adultes votaient, les femmes participaient renouvellement exigeait que des citoyens
Mais l’argent et la générosité n’étaient pas cependant aux élections par ce biais. Quant de moindre extraction participent aussi à la
tout. Sur les inscriptions recueillies dans au soutien individualisé des candidats, il vie publique. Ainsi de Caius Veranius Rufus,
l’ensemble de la ville, on soulignait que le s’explique par le caractère clientéliste de dont le caractère modeste de la tombe,
candidat était un bon citoyen, qu’il détenait la société romaine, chacun étant lié à un fouillée récemment dans la nécropole de
l’honorabilité ou le prestige nécessaire à candidat par des liens divers, dont les plus Porta Nocera, comme sa liaison officielle
toute charge publique, sans oublier l’auto- classiques étaient les titres de client ou de avec l’ancienne esclave de son père indi-
rité ou la bonne réputation. On pouvait aussi voisin. Il va de soi que ces soutiens exposés quent un rang social bien plus modeste. Il
être jugé capable de gérer l’administration à la vue de tous réclamaient des faveurs aux n’exerça d’ailleurs qu’une seule fois l’édi-
ou la caisse publique. Parfois, on surven- candidats si ceux-ci étaient élus. lité et le duumvirat.
dait un candidat, comme ce Lucius Popi- La courte durée des mandats explique
dius Secondus, déclaré, d’un quartier à le grand nombre d’inscriptions peintes
l’autre, honnête, irréprochable, éminent, retrouvées. On ajoutait chaque année une JOUR DE VOTE
réservé et vertueux ! annonce électorale sur le même pan de mur, Page de gauche : statuette d’un homme
L’affichage du nom des candidats four- parfois en badigeonnant le texte précédent en toge (Pompéi, Parc archéologique).
nissait le prétexte à l’exposition officielle avec du lait de chaux. Cette fréquence des En haut : une affiche électorale provenant
d’un soutien. Si celui-ci était généralement élections avait également une incidence d’une boutique de la région VI. Autour
un homme, les femmes participaient sur la gestion du personnel politique. Le de la représentation de Liber/Bacchus et
également à la campagne, comme Statia roulement annuel des magistrats faisait que de Vénus Pompeiana, une inscription
et Petronia, unies pour soutenir Marcus des gens aussi honorables et omnipotents soutient la candidature de Caius Iulius
Casellius et Lucius Albucius. Cette que Marcus Tullius ou Nigidius Maius Polybius (Naples, Museo Archeologico
indication est précieuse car elle nous étaient élus à plusieurs reprises à la charge Nazionale).

hors-sérien l 71
S
6 En quoi consistait la vie religieuse ?
i la ville fut détruite trop tôt pour avoir connu le christianisme,
dont on ne trouve aucune trace, les nombreux temples visibles
à Pompéi montrent que les dieux du polythéisme habitaient avec les
hommes et investissaient tout l’espace urbain. Depuis le forum se
conscients qu’une divinité patronnait le désir sexuel. C’était
aussi la déesse des amoureux, comme en témoignent les dizaines
de graffitis en l’honneur de Vénus retrouvés sur les murs de la
ville. On ne résiste pas à traduire l’un d’eux : « Que celui qui est
découpe la silhouette du Vésuve, qui a conditionné l’emplacement amoureux vienne ici. A Vénus, je veux casser les côtes avec mon
du capitole dédié à la triade romaine (Jupiter, Junon, Minerve), Jupi- bâton ; à la déesse, je veux briser les reins. Si elle est capable de trans-
ter étant le dieu des sommets. D’autres grands dieux de Pompéi percer mon tendre cœur (…). »
étaient aussi installés sur la place publique. Ainsi visite-t-on succes- Même s’ils ont, pour une bonne partie, disparu avec l’usure du
sivement le vieux temple d’Apollon (installé dès le VI e siècle temps, les vestiges montrent que les Pompéiens de l’époque
avant J.-C.), la chapelle du marché public (sans doute dédiée à Mer- romaine partageaient leur existence avec les dieux dans une har-
cure, dieu du commerce), l’édifice des « Lares publics » (en vérité monie garantie par la célébration de rituels réguliers, dans les tem-
presque sûrement un sanctuaire de la maison impériale divinisée), ples, sur la place publique, dans les rues et les maisons. Les vestiges
le temple dit « de Vespasien » (qui serait plutôt un temple dédié à de sacrifices découverts sur les autels de la ville semblent indiquer
Auguste sous quelque forme que ce soit) et le portique consacré à la une certaine intensité de l’activité rituelle à la veille de l’éruption.
Concorde et à la Piété divinisées. Empruntant ensuite le vicolo di L’autel du temple d’Isis fumait le matin de l’éruption. Dans les mai-
Mercurio vers le nord, en direction du temple de la Fortune Auguste sons, certaines chapelles, repeintes à neuf, étaient ornées de guir-
(dont l’épithète trahit de nouveau un lien spécifique avec la famille landes. Aux carrefours de la via dell’Abbondanza, les autels étaient
impériale), les visiteurs longent le podium du capitole : sur sa partie encore chauds des sacrifices à peine célébrés. Sur l’un d’eux on a
arrière, on apercevait encore au XIXe siècle une peinture représen- pu identifier la carcasse d’un poulet à demi consumée. Dans le jar-
tant des serpents, qui marquaient l’emprise d’un autel destiné à din du cabaretier Euxinus, on avait offert aux dieux quelques
l’assemblée du voisinage. Malgré les bombardements de 1943, qui grains d’encens en signe d’hommage. Face aux signes précurseurs
ont détruit une partie de ce quartier, on distingue encore, dans certai- de la catastrophe, il fallait à tout prix apaiser le courroux divin.
nes boutiques ouvrant sur la rue, les niches des laraires. De maigres
vestiges, car les cahiers de fouilles attestent que l’entrée des lieux
commerciaux et des maisons était gardée par des dieux peints sur les
façades et aujourd’hui disparus.
Les dieux étaient encore présents dans les habitations. Dans la
maison du Faune, clou d’une visite à Pompéi, la célèbre réplique
d’un satyre en bronze se dresse au centre du bassin de l’atrium, évo-
quant un cycle décoratif entièrement dédié à Bacchus. Dans la cui-
© WERNER FORMAN/UIG/LEEMAGE. © CESARE ABATE/EPA/MAXPPP.

sine, une niche monumentale accrochée à la paroi accueillait les


Lares, dieux protecteurs de la maison, alors que, dans le péristyle,
un haut podium signale encore l’emplacement des statues de quel-
ques divinités domestiques. La suite de la visite fait voir le vicolo
Storto, ruelle étroite et sinueuse, où l’on s’arrête généralement
devant la boulangerie dite de Popidius Priscus : même si, devant les
meules à grain et le four, c’est le fonctionnement du local qui retient
d’abord l’attention, il faut songer aux dieux qui surveillaient l’acti- GÉNIAL Ci-dessus : le laraire, petit sanctuaire en forme
vité des boulangers, en particulier Vesta, la déesse romaine du de temple de la maison des Vettii. Au centre, le Genius du père
foyer, effectivement représentée dans une boulangerie toute pro- de famille s’apprête à accomplir un sacrifice. Il est entouré
che. A quelques mètres de là, au carrefour suivant, une niche se par deux Lares, les dieux protecteurs de la maison. En dessous,
remarque peu, mais les cahiers de fouilles du XIXe siècle permettent un gros serpent, autre représentation du Genius, vient recueillir
d’identifier un autre lieu de culte destiné à l’assemblée du voisinage son offrande. Page de droite : la colonnade du forum devant
qui honorait ses propres dieux, les Lares du carrefour. l’édifice d’Eumachia (à droite), du nom d’une matrone de
Les visiteurs achèvent en principe leur périple par le lupanar, l’aristocratie pompéienne. La fonction précise de cet édifice,
lieu de plaisirs inavouables aujourd’hui, là encore sans être construit au tout début du Ier siècle, reste indéterminée.

72 l nhors-série
«
P
7
En quel état le tremblement de terre de 62
avait-il laissé la ville ?
ompéi, ville bien connue de la Campa-
nie (…), vient d’être renversée par un
tremblement de terre (…). C’est le jour des
récupérations, soit avec des briques produites
en nombre dans le cadre de chantiers de
reconstruction programmés. Les monuments
même encouragées par des dispositions
spécifiques, comme celle de cet affranchi qui,
en échange de la cooptation de son fils (âgé
nones de février, sous le consulat de Regulus les plus stables et les plus solides n’avaient de six ans !) dans le sénat local, fit refaire à neuf
et de Virginius (le 5 février 62 ou 63, la date est pas été épargnés, comme le temple de la le temple d’Isis, détruit par le tremblement
discutée), qu’eut lieu ce séisme. La Campanie, Fortune Auguste, situé au nord du forum et de terre, comme il le précise sur la dédicace
toujours exposée à ce fléau et qui, tant de fois fouillé récemment par mon équipe. L’étude a encore visible à l’entrée.
déjà, sans autre dommage que la peur, y avait révélé plusieurs fissures lézardant l’épaisse Le rythme des chantiers de reconstruction
échappé, est aujourd’hui couverte de morts chape en béton du podium jusqu’au départ est difficile à restituer dans le détail à cause des
et de ruines (…). Ajoutez à cela un troupeau de de l’abside de la cella, qui s’est en effet traces causées par des événements sismi-
six cents brebis tuées, des statues fendues écroulée avant d’être reconstruite avec des ques plus proches encore de l’éruption de 79.
et, après le désastre, des hommes privés de matériaux différents. Inutile de préciser que Les fouilles récentes ont en effet confirmé
raison et hors d’eux-mêmes, errant au hasard les maçonneries de mauvaise qualité, qu’à la veille de l’éruption, la ville connaissait
(…). » Dix-sept ans avant l’éruption du Vésuve, consolidées avec ce mortier terreux bien des secousses sismiques récurrentes,
Sénèque (Questions naturelles, 6, 1) nous connu des archéologues de Pompéi, ont annonciatrices de l’imminence de l’éruption :
apprend que Pompéi avait été touchée par évidemment beaucoup plus souffert que les des maisons, voire des quartiers entiers de la
un tremblement de terre d’une rare violence, élévations en grand appareil. Ce même ville, semblent avoir été en déshérence ou peu
d’une magnitude de peut-être 6 à 7 sur mortier de mauvaise qualité explique aussi occupés, la boulangerie des Chastes Amants
l’échelle de Richter, si l’on peut risquer une sans doute pourquoi les murs peuvent encore tourne au ralenti (une seule meule sur quatre
estimation à la lumière des destructions s’écrouler aujourd’hui à Pompéi. est en état de marche). Les mêmes fouilles
constatées. L’événement s’était accompagné Par miracle, les colonnes du grand portique ont révélé l’existence de travaux de remise
d’un phénomène aujourd’hui bien compris par du campus (un espace dédié aux exercices en service des fosses septiques, découvertes
les vulcanologues, qui annonçait une éruption de la jeunesse pompéienne), proche de béantes et comblées par les pierres ponces
imminente : les six cents brebis mortes l’amphithéâtre, ne s’écroulèrent pas de l’éruption. Or des éboulements de terrain
mystérieusement, dont fait état Sénèque, complètement. Elles furent redressées selon ont été observés à l’intérieur des cavités,
avaient été victimes du dioxyde de carbone un procédé original consistant en une injection démontrant l’intervention de secousses
rejeté par le Vésuve avec la montée du magma. de plomb à leur base. On suppose également sismiques avant la catastrophe. Ces
Dans la ville, des fissures sont visibles un avec de bonnes raisons que l’empereur constatations récentes mettent fin à toute
peu partout sur les murs des maisons et Néron intervint pour relever certains spéculation relative à une Pompéi en parfait
des bâtiments publics, rebouchées soit monuments publics. Pour le reste, toutes état. C’est une ville en grand désarroi et en plein
avec des matériaux composites issus des les bonnes volontés étaient bienvenues et désordre que figea l’éruption de 79.

hors-sérien l 73
8
Quelle a été l’ampleur de l’éruption de 79 ?
Pourquoi Titus n’a-t-il pas cherché à relever les ruines ?
L es vulcanologues sont unanimes sur
la violence de l’éruption de 79. Ils la
le crépitement des pierres ponces, les habi-
tants ne se doutaient cependant pas que le
capitole ou du temple de la Fortune ; là, la partie
haute d’un arc honorifique – décapitée toute-
comparent à celle du mont Pelée, en Marti- pire était encore à venir. fois du cavalier en bronze qui le couronnait – ;
nique, qui, en 1902, détruisit complètement La phase suivante correspondit à l’effon- plus loin, à l’extérieur de la ville, les tours émer-
la ville de Saint-Pierre et causa la mort de ses drement de la colonne en forme de pin gentes des monuments funéraires. En défi-
vingt-cinq mille habitants. On sait aujourd’hui parasol, qui provoqua le déferlement des nitive, le paysage était dévasté sur des cen-
que l’intensité de l’éruption pompéienne nuées ardentes sur les pentes du volcan, sous taines de kilomètres carrés autour du volcan,
s’explique par la longue période de calme la forme de nuages de gaz et de particules la ligne de côte avait reculé de plusieurs kilo-
observée par le volcan entre le début du brûlantes se déplaçant à la vitesse d’un mètres, les villes d’Herculanum, de Pompéi et
Ier millénaire avant J.-C. et 79. Le volcan ne ouragan. Les premières surges (déferlantes) de Stabies étaient rayées de la carte. Le bilan
s’était plus manifesté depuis très longtemps pyroclastiques s’abattirent sur Herculanum, humain était lourd, même s’il reste difficile à
quand les signes précurseurs se firent sen- située au pied même du volcan, peu après mesurer : sur la base des corps retrouvés, on
tir. Le Vésuve devait alors ressembler à une minuit le 25 octobre. Dans la nuit, la troisième estime à deux mille environ le nombre d’habi-
montagne couronnée de forêts avec, sur ses surge s’interrompit à peu de distance de tants pris au piège, sur un total de peut-être
pentes, « de très belles terres de culture Pompéi. La fin était proche. Au petit matin, quinze mille individus, ce qui indique qu’une
© SHUTTERSTOCK/EVDOHA SPB. © MISSION ARCHEOLOGIQUE DE PORTA NOCERA 2.

disposées tout autour », comme le précise vers 6 h 30, le nuage de gaz et de particules bonne partie de la population avait dû fuir, soit
Strabon (V, 4, 8). de la quatrième surge pyroclastique, d’une dans les jours ou les heures précédant l’érup-
Le réveil du volcan fut donc très brutal, vitesse extraordinaire (cent à trois cents tion, soit lors de la première phase de l’érup-
comme l’indique le témoignage de Pline kilomètres-heure), déferla sur la ville, tuant par tion, peut-être pour mourir un peu plus loin.
le Jeune, qui nous a laissé la première asphyxie les habitants enfermés ou les fuyards L’ampleur du désastre explique sans mal
description connue d’une éruption. Les qui progressaient difficilement sur le sol la décision de l’empereur Titus de ne pas
observations géologiques faites dans instable de pierres ponces. Quelques minutes relever les trois villes anéanties. Il super-
l’environnement du volcan et sur les fronts de plus tard, la cinquième surge vint recouvrir visa en revanche la reconstruction des cités
fouille confirment l’ampleur du phénomène. les corps des fugitifs sous une couche de voisines en organisant un chantier de récu-
Si l’on retient la date du 24 octobre, c’est vers cendres. Vers 7 heures du matin, la sixième pération des matériaux dans les zones
midi que Pline décrit la formation d’un nuage surge pyroclastique laissa plus de un mètre publiques de Pompéi. C’est ainsi que le
en forme de pin parasol, suivie d’une pluie quatre-vingts de matériaux volcaniques sur le forum fut dépouillé de son parement de
abondante de pierres ponces centimétriques site, renversant les murs et transportant les marbre et de calcaire et que les statues
qui vont recouvrir la ville sur plusieurs mètres débris, parfois sur de grandes distances. en bronze écroulées sur la place publique
d’épaisseur, provoquant progressivement C’est ce nuage qui toucha Stabies, plus au furent emportées. Quelque temps après,
le blocage des portes et l’effondrement sud, tandis que mourrait Pline l’Ancien. Martial pouvait chanter la fin malheureuse
des toitures. Le phénomène a sans doute L’aspect de la ville laissait alors peu d’espoir des cités du Vésuve : « Ce lieu était fameux
entraîné un début d’exode de la ville et la mort quant à son rétablissement. Des dunes de par le nom d’Hercule. Tout a sombré dans
des premiers Pompéiens (presque quatre cendres grises et noires auxquelles se résu- les flammes : une lugubre cendre recouvre
cents corps ont été retrouvés dans les pierres mait le paysage émergeaient quelques murs le sol, et les dieux eux-mêmes auraient voulu
ponces). Malgré la terreur engendrée par qui avaient résisté : ici, le haut des murs du que cela ne fût pas permis. »

74 l nhors-série
P
9 Après plus de deux cent cinquante ans de fouille,
que reste-t-il à trouver à Pompéi ?
endant plus de deux siècles, les fouilles ont consisté à dégager
des ruines enfouies par l’éruption volcanique et à consolider les
structures à mesure de leur découverte. Elles nous laissent voir une
Caius Veranius Rufus, le fils de Quintus, désormais devenu son
patron, comme le précise la dédicace du nouveau monument. La
proximité des deux sépultures de Clara et de Caius ainsi que le dépôt
ville marquée par les stigmates d’une situation de crise due au réveil des deux incinérations dans la seule tombe de Caius montrent qu’il
du volcan, mais aussi par des récupérations de long terme. Outre le s’agissait en réalité d’un couple qui, malgré les origines serviles de
programme impérial de récupération des matériaux dans les zones Clara, reprenait les rênes de l’histoire des Veranii, une famille en voie
publiques, qui explique l’état de délabrement actuel du forum mal- d’accession aux plus hautes charges politiques de la cité. Cet exem-
gré les anastyloses du XXe siècle, les quartiers d’habitation ont en ple montre combien Pompéi continue d’être un lieu d’étude extraor-
effet été percés, à toute époque, de galeries traversant murs et porti- dinaire, non seulement de la société romaine, mais plus générale-
ques. La mémoire d’un site enfoui avait toujours subsisté et suscité ment des comportements humains.
des pillages qui ont dispersé ou emporté le mobilier des maisons.
Cela amène à nuancer l’idée d’une ville entièrement fossilisée par William Van Andringa est directeur d’études à l’Ecole pratique
l’éruption, même si les ruines donnent à voir l’organisation d’une des hautes études, membre du laboratoire Archéologie et philologie
ville romaine comme nulle part dans le monde méditerranéen. d’Orient et d’Occident et de l’Institut universitaire de France.
Ces dégagements d’ampleur ne constituent toutefois qu’une par- Il travaille depuis plus d’une vingtaine d’années sur le site de Pompéi
tie de l’exploration de la ville. Pompéi avait en effet déjà presque et codirige actuellement la fouille de la nécropole romaine
sept cents ans d’existence au moment de sa destruction. Cette de Porta Nocera (www.facebook.com/portanocera). Il est l’auteur
ancienneté de l’espace urbain est précisée par des fouilles stratigra- de Pompéi, mythologie et histoire (CNRS éditions, 2013), Mourir
phiques d’ampleur, menées surtout depuis le début du XXe siècle, à Pompéi (Ecole française de Rome, 2013, avec Henri Duday,
qui explorent le sous-sol des espaces publics, des maisons et des Sébastien Lepetz, et al.) et Quotidien des dieux et des hommes, la vie
jardins. Depuis une vingtaine d’années, des fouilles et études religieuse dans les cités du Vésuve à l’époque romaine (Ecole
archéologiques menées par des équipes italiennes et internationa- française de Rome, 2009).
les continuent, avec des moyens modernes et des questionnements
renouvelés, d’étudier les mille évolutions d’un espace urbain en
permanente palpitation pendant des siècles. Le programme Pom-
péi-Porta Nocera, porté par l’Ecole française de Rome en collabora-
tion avec d’autres institutions, qui consiste dans la fouille de l’un
des cimetières, le long de la route de Nocera, au sud-est de la ville,
est un bon exemple du renouvellement des perspectives histori-
ques et anthropologiques que permet le site de Pompéi.
L’activité des aires funéraires y avait été stoppée net par l’éruption,
ce qui autorise un examen attentif des aires de crémation des morts,
des sépultures, des sols jonchés des vestiges des rituels d’hommage
célébrés lors des visites faites aux défunts. Les milliers de traces
recueillies permettent de restituer avec une acuité extraordinaire la
tradition funéraire locale. Quant à l’identification des défunts, ren-
due possible grâce aux épitaphes réservées à certaines tombes, à
l’analyse anthropologique des os humains et au traitement mémo-
riel des sépultures restitué par l’archéologie, elle permet d’étudier
sous un angle nouveau l’organisation familiale romaine.
Le programme Pompéi-Porta Nocera fouille ainsi un enclos funé-
raire qui fut attribué par la cité à un certain Quintus Veranius, en
remerciement probable de son engagement pour la collectivité. La FUNÉRAILLES ANTIQUES
fouille fine des structures funéraires a permis de montrer que cet Ci-dessus : la nécropole romaine de Porta Nocera,
enclos familial fut repris et embelli une génération après par Verania qui fait actuellement l’objet d’un programme de fouilles.
Clara, l’ancienne esclave de Quintus, pour elle-même, les siens et Page de gauche : les ruines de l’édifice d’Eumachia.

hors-sérien l 75
FRUITS SACRÉS
Ci-dessous :
Faustine la Jeune en
Cérès-Isis (Naples,
Museo Archeologico
Nazionale). Ci-contre :
Hercule volant les
pommes d’or au jardin
des Hespérides,
fresque de la villa de
Poppée à Oplontis.
La triade des dieux
tutélaires – Hercule,
Bacchus, Vénus –
prime chez les
Pompéiens sur la
triade capitoline –
Jupiter, Junon,
Minerve.

76 L nhors-série
HISTOIRE DE LARES
A gauche : autel en marbre dans
la cour du temple de Vespasien,
à Pompéi, orné d’une scène
de sacrifice : trois esclaves, torse
nu, conduisent à l’autel un
taureau tandis que le prêtre fait
une libation de vin et d’encens.
A droite : fresque avec deux
Lares encadrant le Génie du
maître de maison et celui du lieu
(serpent) dans la maison
de Julius Polybius à Pompéi.

Les dieux sont


tombés sur la tête
La religion à Pompéi est un grand bazar où cohabitent
rites traditionnels, culte des ancêtres et mystiques orientales.
PAR JEAN-NOËL ROBERT

U
ne foule bigarrée et joyeuse déferle sur Derrière lui, deux jeunes garçons (les camilli – au lar familiaris, aux pénates et aux mânes sur
le forum de Pompéi, cœur politique et notre prénom Camille vient de ce mot qui dési- l’autel familial, généralement dressé dans
religieux de la cité. En ce jour de fête gne les serviteurs du prêtre) portent les instru- l’atrium, et implore la protection de ces divinités
particulier, tous les citoyens viennent honorer ments nécessaires à l’accomplissement du tutélaires pour tous les membres de la maison-
PHOTOS : © MDJ. ©AKG-IMAGES/DE AGOSTINI PICTURE LIB./L. ROMANO. © MDJ.

l’empereur, en l’occurrence Vespasien à qui la sacrifice. Face à lui, trois esclaves, torse nu, née. Les fouilles archéologiques ont permis
ville a érigé un temple tétrastyle dont la cour dont le sacrificateur avec une hache, condui- de retrouver quelques beaux spécimens de
s’ouvre sur le forum, précisément en face de sent à l’autel un superbe taureau qui doit bien ces laraires ornés de peintures symboliques.
celui d’Apollon. Le Pompéien, tout au long de peser cinq cents kilos – animal couramment Celui de la maison des Vettii montre même en
l’année, se laisse porter par le rythme de ces offert lors des sacrifices destinés au culte son centre une représentation du pater fami-
fêtes publiques dans un environnement impérial. Le rite sacré va pouvoir s’accomplir. lias à l’heure du sacrifice. Car la vie des Pom-
chargé d’édifices sacrés et de statues de Nous pouvons voir aujourd’hui encore, dans la péiens, à l’instar de celle de tous les hommes
dieux qui sont certainement plus nombreuses cour même du temple, un autel de marbre de l’Antiquité, ne se conçoit pas sans une
que la totalité des habitants. blanc sur lequel figure la scène. Il nous reste à relation permanente avec le sacré. L’homme
Pour l’heure, sous la haute stature du Vésuve imaginer la ferveur qui monte, attisée par antique a besoin de se sentir protégé, et cha-
qui semble ignorer superbement pour quelque l’odeur du sang, les volutes de fumée qui que moment de la vie impose une contrainte
temps encore ce peuple grouillant à ses pieds, s’échappent vers le ciel, la joie populaire qui pour satisfaire l’une ou l’autre des vingt mille
la foule fait silence. Un air de flûte s’élève, enve- étouffe les notes de musique, et le plaisir de divinités qui, selon Varron, se partagent la
loppant d’une atmosphère éthérée la cérémo- partager le festin offert aux dieux. sécurité de tous les moments de l’existence. Il
nie qui commence. Le prêtre, la tête couverte Mais le citoyen n’a pas attendu l’heure de la établit avec les dieux une sorte de contrat
d’un pan de sa toge comme il est de coutume cérémonie pour observer scrupuleusement moral qui n’a rien à voir avec la foi. Il s’engage
dans le rite romain, s’avance près de l’autel son devoir de pietas. Il l’exerce chez lui chaque à respecter scrupuleusement tous les rites,
constitué d’un trépied. Il prononce une prière matin dès l’aube. Au sein même de sa maison, gestes, prières, sacrifices qui obligeront en
tout en faisant une libation de vin et d’encens. le père de famille présente les offrandes du jour retour les dieux à l’assurer de leur protection.

hors-sérien L 77
MAUDITE APHRODITE Ci-dessus : le temple de Jupiter capitolin celle de l’Etat. Cette différence montre sans
sur le forum de Pompéi. En bas : statue d’Aphrodite dite en bikini, se préparant au bain, marbre doute où vont les inclinations religieuses des
avec des traces de dorure et de peinture (Naples, Museo Archeologico Nazionale). habitants. Le cœur des Pompéiens, en effet,
Sous sa sandale, une figurine de Priape. Page de droite : fresque d’un salon de repos de la villa penche pour une autre triade, plus importante
des Mystères à Pompéi célébrant les mystères dionysiaques. On y voit, à genoux, à leurs yeux que celle du Capitole et plus
une porteuse de torche dévoilant le phallus sacré, symbole de fertilité et représentation authentique que celle des divinités égyptien-
de la naissance de Dionysos, et une démone ailée brandissant un fouet. nes, la triade des dieux tutélaires de la ville,
Hercule, Bacchus et Vénus. Hercule est le
fondateur légendaire de Pompéi (ainsi que
L’existence des hommes s’en trouve codifiée femmes sont les bienvenues dans ces cultes d’Herculanum, comme l’indique son nom) et
à l’extrême. Ainsi le pater familias se lève-t-il du étrangers et elles y trouvent une considération le plus ancien temple de la ville lui était consa-
pied droit ; il ne sort jamais de la maison sans dont elles ne bénéficient pas dans la religion cré. Il date du VIe siècle avant notre ère, mais il
saluer le lar familiaris ; s’il rentre chez lui ou traditionnelle. C’est pourquoi, dans certaines n’en subsiste plus aujourd’hui que quelques
pénètre dans la salle à manger, il doit éviter de maisons, comme celle de Julia Felix, dont plu- pierres sur le forum triangulaire situé près du
fouler le seuil et poser d’abord le pied droit. Le sieurs membres de la famille ont appartenu au théâtre. Néanmoins, de nombreuses repré-
sens du sacré, disait Cicéron, n’est que « la clergé d’Isis, c’est un euripe (un canal) qui par- sentations du dieu sur les peintures montrent
science des égards dus aux dieux ». court le vaste jardin sur toute sa longueur, per- que son culte est resté très présent jusqu’à la
Dans la religion traditionnelle, le prêtre n’est mettant de simuler l’inondation sacrée du Nil, catastrophe finale. A Hercule, on faisait des
qu’un technicien qui connaît les gestes rituels gage de prospérité, acte fondateur pour les libations de vin pur, ce qui le lie à Bacchus.
à observer. Le citoyen n’a pas besoin d’inter- dévots d’Isis. Ainsi, diverses religions se super- Vénus a toujours été considérée comme
médiaire pour s’adresser aux dieux. Le posent-elles au quotidien, un peu comme dans la patronne de Pompéi. Cette Vénus Pom-
contact avec eux est direct et personnel, et le Japon d’aujourd’hui, dans une grande soif de peiana, ainsi qu’on la dénommait, correspond
la religiosité subjective. sacré, mais sans rivaliser entre elles, tant la tolé- bien à la Vénus Physica (naturiste) célébrée
Vers la fin de la République, le doute gagne rance de la religion romaine est grande. par le poète épicurien Lucrèce. Dans son pre-
pourtant les esprits et de nouvelles interroga- De la religion officielle traditionnelle, le visi- mier état, avant la présence romaine, elle était
tions surgissent. Les événements tragiques teur trouve la plus éclatante manifestation la protectrice qui garantissait la prospérité de
du dernier siècle avant notre ère ont fait naître lorsqu’il pénètre sur le forum de Pompéi. S’y la ville. La fécondité est associée à l’image de
de nouvelles aspirations. Peut-on se fier aux dressait, sur un podium de trois mètres de la déesse, ainsi que l’amour. Eros est omni-
dieux ? Qu’y a-t-il après la mort ? Est-il pos- haut, le temple de Jupiter capitolin dont il reste présent dans la peinture et la sculpture pom-
sible d’espérer trouver le bonheur dont une dédicace et une tête du dieu qui évoque péiennes. En établissant une colonie à Pom-

© ERIC VANDEVILLE/LE FIGARO MAGAZINE. © MDJ. © PIER PAOLO METELLI.


parlent les philosophes venus de Grèce ? la majesté et la puissance du maître de péi, Sylla a policé l’image de la déesse, lui a
Précisément, au sud de l’Italie et l’Olympe. Ce temple existait depuis le IIe siècle donné une stature plus officielle et lui a fait
de la Campanie, terre ouverte sur avant notre ère, mais ce n’est qu’à partir de construire un temple sur un promontoire qui
le monde et anciennement l’implantation de la colonie romaine par Sylla domine la mer, non loin de la porte Marine.
colonisée par les Grecs qu’il s’est transformé pour accueillir la triade Les Pompéiens, dès l’origine, ont été atta-
d’Orient, se répandent du Capitole – Jupiter, Junon, Minerve –, et chés à une forme de naturalisme qui révérait
de nouvelles croyances, qu’il est devenu le symbole de la domination les dieux de la nature et de la fécondité. Avant
de nouveaux cultes, de Rome sur la région. On pourra remarquer, l’implantation des Grecs et des Orientaux,
comme celui d’Isis. Ils par sa situation sur le forum, au cœur de la ville avant le développement de la colonie romaine
procurent une espé- et en face de la Curie, qu’il se veut le temple le qui renforça l’organisation urbaine de la cité,
rance nouvelle, mais exi- plus important de Pompéi. Et pourtant, ruiné les habitants de la région étaient d’abord des
gent d’être initié à leurs comme de nombreux autres édifices par le paysans, fiers de leurs vignes qui prospéraient
mystères et de s’en remettre tremblement de terre de 62, il n’est toujours sur les pentes du Vésuve. Elles donnaient ce
à des prêtres qui se présen- pas reconstruit en 79, alors que, par exemple, vin fameux, l’ancêtre de celui que l’on nomme
tent comme de véritables le temple d’Isis qui se dresse à côté de la aujourd’hui le Lacryma Christi. Bacchus-Dio-
directeurs de conscience. caserne des gladiateurs a été relevé et a rou- nysos occupait donc une place importante
Il s’agit d’une tout autre vert ses portes. Les fonds nécessaires ont été dans la première triade. Nous savons que,
mentalité religieuse. Les trouvés pour les religions orientales, non pour même après le scandale des bacchanales et
l’interdiction par Rome de pratiquer ce culte Mais l’interprétation des scènes représentées comme de nos jours. Fondé par les Grecs, il
(en 186 avant J.-C.), certaines cités, dont reste incertaine et l’on dénombre des dizaines constituait un élément majeur du premier
Pompéi, ont obtenu des dérogations spécia- d’hypothèses différentes depuis 1910. Il est forum samnite. Adopté par les Etrusques,
les. Jusqu’au dernier jour de la ville, les thèmes clair que nous y voyons des évocations de la puis par les Romains, il a dû laisser la priorité
de la décoration dionysiaque sont restés fort divinisation de Dionysos, figuré au centre, sur le au temple de Jupiter. Mais, on le sait, Auguste
en vogue dans la peinture comme dans les jar- mur du fond, face à l’entrée, et de celle de sa s’est placé très tôt sous la protection d’Apol-
dins. Les artistes représentent des scènes de mère, Sémélé. Nous y voyons également un lon, et le lieu a continué à connaître la faveur
la vie du dieu avec les symboles qui lui sont pro- rappel des étapes de l’initiation dionysiaque. des Pompéiens. Restauré après la catastro-
pres, les guirlandes de lierre, les pampres, les Mais il apparaît que ces tableaux juxtaposés phe de 62, il avait fière allure avec ses colonnes
masques de théâtre, les jardins où s’ébattent mettent aussi en scène la maîtresse de maison corinthiennes peintes en jaune, supportant
nymphes et satyres… Et les sculpteurs ajou- qui, selon Gilles Sauron, aurait souhaité laisser des chapiteaux en stuc de couleur rouge, bleu
tent, dans les péristyles, une touche bachique à la postérité une version mystique de sa vie, et jaune. Sur les murs de la colonnade s’éta-
en disposant des statues de Pan ou des fau- peut-être pour gagner une part d’éternité. On laient les épisodes de la légende troyenne,
nes, comme dans la maison des Amours peut dire qu’elle y a réussi, grâce au travail des peints dans le quatrième style. Les fêtes en
dorés, ou dans celle justement nommée du archéologues et aux visiteurs qui viennent l’honneur du dieu, début juillet, suivaient cha-
Faune avec le célèbre bronze dont une répli- nombreux admirer sa demeure. que année la prise de fonction des magistrats
que anime le bassin de l’un des deux atriums. Avec la prise de pouvoir d’Auguste et l’ins- de la cité. A l’automne 79, les efforts de tous
L’exemple le plus manifeste – et le plus sai- tauration du régime impérial, tous ces cultes, les dieux assemblés demeurèrent vains face
sissant – de la ferveur mystique vouée au culte toutes ces religions se réunissent sous la pré- aux colères de la Terre. Le dernier mot revient
de Dionysos se trouve dans l’une des plus éminence d’un seul culte principal, celui de au poète Martial : « Voici le mont Vesbius
belles villas suburbaines, la villa des Mystères. l’empereur. Les souverains successifs sont (Vésuve), hier encore verdoyant et ombragé
L’immense fresque qui couvre la totalité des honorés au forum et dans tous les édifices de pampres ; (…) C’était le séjour de Vénus
murs d’une pièce de la demeure (vraisembla- publics qui l’entourent. (…) ; ce lieu était fameux par le nom d’Hercule.
blement un salon de repos) montre que la Face au temple de Vespasien, celui d’Apol- Tout a sombré dans les flammes : une lugubre
maîtresse des lieux devait jouer un rôle émi- lon symbolise particulièrement l’histoire de cendre couvre le sol, et les dieux eux-mêmes
nent au sein d’une communauté destinée à ce syncrétisme. Dans l’Antiquité, l’entrée auraient voulu que cela ne leur fût pas per-
la célébration des mystères dionysiaques. s’ouvrait sur le forum, et non sur le côté mis. » (Epigrammes, IV, 44). 3

hors-sérien L 79
80 l nhors-série
AU SPECTACLE
Page de gauche : Les Musiciens
ambulants du culte de Cybèle,
mosaïque réalisée par Dioscoride
de Samos, dans la seconde
moitié du IIe siècle avant J.-C.
Elle décorait la villa de Cicéron
à Pompéi (Naples, Museo
Archeologico Nazionale).
Ci-contre : le Grand Théâtre
avec, à l’arrière-plan, derrière le
mur de scène, le quadriportique
de la caserne des gladiateurs.

La dolce vita
Sur les pentes du Vésuve, Pompéi était la ville de la douceur
de vivre. Ses théâtres, ses palestres, ses thermes et ses maisons
mêmes témoignent du raffinement de l’otium romain.
PAR JEAN-NOËL ROBERT

L
a fortune n’est pas avare de ses facé- placée sous le patronage de Vénus, qu’on ne Agrandi au début de l’ère augustéenne, il
ties. A l’automne 79, le Vésuve a jeté peut célébrer si l’on est un parangon de vertu. pouvait accueillir cinq mille spectateurs
un linceul de cendres sur la vie des D’ailleurs, la douceur du climat campanien et disposait d’un jardin promenoir entouré
Pompéiens. Mais que faisait cette belle jeune n’incitait guère à la rigueur morale. Le golfe de d’une importante colonnade. L’explosion du
femme parée de bracelets d’or et d’un collier Naples était réputé pour offrir un havre de vil- Vésuve surprit les spectateurs en pleine
d’émeraudes vers onze heures du matin dans légiature à toute l’aristocratie romaine, en représentation. Leur présence dans cette
la caserne des gladiateurs ? L’empreinte de particulier Baïes, la reine des stations balnéai- enceinte laisse penser qu’il s’agissait d’un
son corps a été mise au jour dans une salle res, que Sénèque qualifiait d’« auberge des de ces nombreux jours de fête pendant les-
de cette institution en compagnie de celle de vices ». « Voir des gens ivres errer le long des quels se donnaient les représentations
dix-huit idoles de l’arène qui s’y étaient réfu- rivages, des canotiers en parties fines (…) les plus variées. Que jouait-on ce jour-là ?
giées dans l’espoir d’échapper à la colère du et toutes les folies du plaisir, (…) est-ce une Casina ou Les Tireurs de sort, de Plaute ?
volcan. Gageons que la riche matrone n’eût nécessité ? » s’insurge le philosophe. Nous savons que la riche aristocratie de
guère goûté de voir ainsi révélé à la postérité Même si Pompéi est une petite cité plus Pompéi appréciait le théâtre traditionnel et pri-
le secret de passions qu’elle s’était probable- tranquille, toute la baie partage cette douceur sait les loisirs intellectuels en général. Les
ment évertuée à cacher. de vivre ; la frénésie des plaisirs, notamment à témoignages montrent que l’on n’avait pas
Pour sa défense, nous avancerons que son l’heure de l’otium, s’y insinue jusque dans les oublié le poète Naevius, natif de Campanie.
© AKG/DE AGOSTINI PICTURE LIB. © MDJ.

cas n’avait rien d’unique. La petite cité de couches les plus laborieuses de la popula- Mais la préférence allait, semble-t-il, aux tragé-
Campanie nourrissait une grande indul- tion. Il suffit, pour s’en convaincre, de consi- dies de Sénèque qui reprenaient les grands
gence pour les entorses à la morale et servait dérer le nombre et l’importance des sites et sujets mythologiques d’Euripide. Nul doute
de théâtre à bien des turpitudes, comme en édifices réservés aux loisirs pour une ville qui que les lamentations d’Œdipe et la folie de Phè-
témoignent les nombreux graffitis qui cou- ne comptait pas plus de quinze mille âmes. dre ou de Médée y enflammaient les foules.
vrent ses murs. A commencer par celui-ci qui Dans le domaine festif, Pompéi est riche de Les Campaniens aimaient aussi la comédie,
livre l’état d’esprit de l’ensemble de ses habi- deux théâtres et d’un amphithéâtre. Celui certainement Plaute et Térence, et plus par-
tants : « Rien n’est meilleur au monde que la qu’on nomme le Grand Théâtre est le plus ticulièrement la nouvelle comédie grecque,
jouissance. » Il faut dire, à décharge, que la ancien. Il a été construit à l’époque samnite, celle de Ménandre. Dans l’une des plus belles
cité, devenue colonie romaine sous Sylla, était environ deux siècles avant notre ère. demeures de la ville, probable propriété d’une

hors-sérien l 81
branche de la famille de Poppée, la femme éclairé grâce à des fenêtres percées dans les voisins de Nocera, de Nola ou d’autres bourgs
de Néron, les visiteurs pouvaient admirer un murs latéraux. On l’appelle communément situés autour du golfe. Il n’était pas rare que
© MIMMO JODICE. © ROGER-VIOLLET. © ARCHIVES ALINARI, FLORENCE, DIST. RMN-GRAND PALAIS/FRATELLI ALINARI.

portrait de l’illustre poète représenté assis, l’Odéon. Sa construction date des premières s’aiguisent les rivalités régionales et que les
auréolé d’une couronne de laurier. La domus années de l’époque romaine. Il était réservé passions s’échauffent sous le grand vélum
s’appelle d’ailleurs aujourd’hui maison de aux manifestations musicales et aux décla- tendu au-dessus des gradins pour tamiser les
Ménandre. Le public appréciait en effet la mations d’œuvres littéraires. On peut imagi- rais du soleil. Tacite rapporte le récit d’une de
comédie de mœurs, sorte de miroir déformant ner que l’élite intellectuelle de la ville entendit ces rixes au cours de laquelle les affronte-
de la vie quotidienne qu’illustrent plusieurs sur ses gradins les vers des plus grands poè- ments s’exacerbaient plus parmi les specta-
mosaïques du musée de Naples retrouvées à tes latins comme Horace et Virgile. Ce der- teurs que dans l’arène. Ce jour de 59, un motif
Pompéi. Le mime (pièce burlesque jouée sans nier, nous le savons, est venu jusqu’à Naples « futile », le désaccord sur l’issue d’un combat,
masque) et la pantomime (intrigue muette qui s’imprégner de la parole de philosophes épi- mit le feu aux poudres entre Pompéiens et
s’exprime par des gestes et la danse) ont curiens. Quant au conseil d’Horace de jouir Nucériens venus suivre les jeux. Après avoir
connu aussi une certaine faveur sur la scène de chaque jour qui passe – le célèbre Carpe échangé « des plaisanteries de mauvais goût,
du Grand Théâtre, mais la forme comique la diem –, gageons qu’il prenait tout son sens on en vint aux injures, puis aux pierres, enfin
plus goûtée des spectateurs restait les atel- entre deux hoquets du volcan. aux armes ». Bilan : de nombreux blessés,
lanes, des farces populaires proches de la Beaucoup moins raffinés, mais bien plus « mais plus nombreux encore ceux qui pleu-
commedia dell’arte. Ce genre très « napoli- populaires, les jeux donnés dans l’arène ral- raient la mort d’un fils ou d’un père ». L’affaire
tain » est né en Campanie, et Naevius fut l’un liaient tous les suffrages. Les Pompéiens se remonta jusqu’à Rome et le sénat interdit ce
de ses promoteurs. On pouvait s’amuser de montraient très fiers de leur amphithéâtre car
la caricature de personnages du quotidien, il fut le premier édifice de ce type construit en
le médecin, le paysan, le potier, le foulon… et pierre, en Italie, à l’époque romaine. Il date SPORT
de caractères typés et récurrents, dignes en effet de 70 avant J.-C. environ, alors que En haut : la grande palestre
de Guignol, comme Maccus, le soldat à la Rome ne connut son premier amphithéâtre de Pompéi (142 x 107 mètres),
grosse mâchoire, Bucco, le gladiateur goinfre en dur qu’en 27 avant J.-C. Près de vingt mille construite au début du règne
et bavard, ou Pappus, le vieillard. A Pompéi, spectateurs pouvaient s’y serrer pour suivre d’Auguste, servait aux exercices
les inscriptions nous disent que les acteurs les chasses et les combats de gladiateurs, sportifs, mais aussi à l’enseignement
étaient appréciés et honorés, même si leurs c’est-à-dire beaucoup plus que le nombre et à la promenade. D’inspiration
noms nous sont aujourd’hui inconnus. d’habitants de la ville tout entière. C’est que grecque pour l’architecture,
L’autre théâtre, de dimensions plus modes- les Campaniens avaient l’habitude de se elle comprenait toutefois en son
tes (il accueillait mille trois cents spectateurs), rendre dans les cités voisines pour assister centre une nouveauté
était couvert afin d’améliorer l’acoustique et aux jeux et que Pompéi accueillait donc ses bien romaine : une piscine.

82 l nhors-série
THÉÂTRE
Ci-contre : mime et
citharède (Naples,
Museo Archeologico
Nazionale). Cette
fresque a été découverte
à Herculanum dans
une maison située entre
la basilique et le théâtre.
En bas : vue aérienne
de l’amphithéâtre
genre de jeux pour dix ans à Pompéi ! Trois ans de Pompéi. Construit
plus tard, en 62, survenait un tremblement de vers 70 avant J.-C.,
terre qui causa bien des dégâts dans la ville et, il est le premier édifice
devant le désarroi des citoyens, les combats de ce type réalisé
de gladiateurs furent de nouveau autorisés. en pierre, en Italie.
Leur déroulement est bien connu : les magis-
trats chargés des jeux, ou de riches mécènes,
recrutent des gladiateurs dans les écoles spé- des taureaux, des sangliers, des ours et une mais, parfois, le sort en décide autrement. Voici
cialisées où, sous la conduite d’un laniste, ils seconde chasse avec des fauves ». Asteropaeus, cent sept victoires, vainqueur ;
s’entraînent au combat. Ils choisissent aussi Les gladiateurs jouissaient d’une faveur toute Priscus, six victoires, vainqueur ; Oceanus,
des bêtes sauvages chez ceux qui fournissent particulière. Leur popularité a tant crû qu’il fal- treize victoires, gracié ; mais Herennius, dix-
les réserves d’animaux en les faisant venir lut, après 62, transformer le vaste portique du huit victoires, mort ; Murranus, trois victoires,
d’Afrique ou, plus simplement, d’Italie. A cette théâtre en caserne. Ces hommes charpentés mort. Parfois, nous en apprenons davantage
époque, le pays est en effet couvert de forêts et balafrés font chavirer le cœur des femmes sur leur carrière. Flamma (« la flamme »), Syrien
et l’on y trouve des ours mesurant jusqu’à et monter l’adrénaline des spectateurs. On d’origine, était secutor (il n’était protégé que
deux mètres qui conviennent parfaitement connaît leurs exploits, on parie sur eux, on par son casque à visière et son bouclier qua-
pour les chasses de l’arène. De nombreuses grave leurs noms sur les murs des tavernes, on drangulaire) : trente-quatre combats à son actif
inscriptions nous renseignent sur les organi- achète des lampes à huile à leur effigie – les dont vingt et une victoires, neuf matchs nuls ; il
sateurs de ces jeux, sur les dates et sur les produits dérivés ! Un graffiti fait mention d’une fut gracié quatre fois, mais le trente-cinquième
programmes. Nous savons, par exemple, que célébrité dont nous sommes certains qu’elle combat lui fut fatal. Il avait trente ans. On voit
le calendrier concentre l’essentiel des mani- ne s’est jamais produite à Pompéi. Sa noto- que la gloire des gladiateurs se mesure à l’aune
festations en automne et de février à juillet, évi- riété suffit à faire parler d’elle des hommes du risque encouru. Une dernière épitaphe :
tant le cœur de l’hiver (le vent est froid !) et les qui ne l’ont jamais vue. Une autre inscription celle d’Urbicus le secutor, mort à vingt-deux
chaleurs de l’été. Les fêtes s’étalent souvent affirme que Celadus le Thrace est « l’idole ans. On y apprend qu’il s’était marié à quinze
sur plusieurs jours, voire une semaine ou des filles », et présente Crescens le rétiaire ans et était père de plusieurs filles ; il avait com-
deux. A titre d’exemple, le duumvir (magistrat comme « le médecin des poupées nocturnes, battu treize fois. Au dernier affrontement, il ne
de la ville) Aulus Clodius Flaccus, pour les jeux matinales et autres ». Outre leur pouvoir de s’est pas relevé. Sa petite dernière, Olympia,
d’Apollon (début juillet), offrit le deuxième jour, séducteur, leur courage force l’admiration. n’avait que cinq mois. Sa femme, Lauricia,
à l’amphithéâtre, « trente paires d’athlètes, Des épigraphes rapportent les résultats des donne aux autres ce conseil qui laisse à penser
quarante paires de gladiateurs, une chasse, combats. Certains gladiateurs ont été graciés qu’Urbicus aurait dû se méfier : « Quand on a
vaincu quelqu’un, on le tue ! »
Les Pompéiens ont gardé de leurs antécé-
dents samnites et grecs un goût pour les
exercices physiques que n’ont pas déve-
loppé, généralement, les Romains. La jeu-
nesse patricienne a gardé l’habitude de fré-
quenter la palestre dite samnite qui se situe
derrière le Grand Théâtre. Des compétitions
amicales sont fréquemment organisées dans
© MDJ. © AKG-IMAGES/NIMATALLAH.

ce gymnase en plein air. Comme les Grecs,


les garçons se mesurent à la course, au saut
et, surtout, à la lutte. A côté de la palestre, des
soigneurs et des masseurs prodiguent leurs
soins aux athlètes, enduisant leurs corps
d’huile parfumée puis de sable pour rendre, à
la lutte, les prises plus difficiles.
A l’époque romaine, cet engouement pour
le sport ne s’est pas démenti, comme en

hors-sérien l 83
chacun d’eux, on peut voir une peinture éroti-
que des plus explicites. Certains archéolo-
gues ont cru qu’il s’agissait d’une manière ori-
ginale de mémoriser l’emplacement de ses
affaires. En fait, il pourrait s’agir d’une présen-
tation sans équivoque des spécialités dont les
esclaves pouvaient régaler, à l’étage, le visiteur
témoigne la construction d’une grande établissements intra-muros : les vastes ther- après son bain. Il était fréquent, en effet, que ce
palestre à la sortie de la ville, en face de mes de Stabies dont la construction remonte type de prestation fût offert à côté des plaisirs
l’amphithéâtre. Il s’agit d’une place rectan- à l’époque samnite ; les beaux thermes du de la conversation, de la lecture ou du sport
gulaire de cent quarante-deux mètres de forum, à l’ouest de celui-ci, édifiés au début dans la palestre attenante.
long sur cent sept mètres de large entourée de la colonie romaine ; et les thermes cen- Ces peintures qui détaillent les figures du
d’un portique. La superficie importante du traux, datant de la dernière époque de Pom- Kama-sutra romain rappellent celles, bien
lieu permet d’ajouter la pratique d’autres péi, qui n’étaient pas encore achevés en 79. connues, devant lesquelles se pressent les
sports à ceux déjà en vigueur dans l’ancienne Les trois se divisent en deux sections, l’une visiteurs contemporains dans le célèbre lupa-
palestre, comme le saut avec haltères ou le pour les femmes et une autre, plus impor- nar sis dans la rue du même nom. La douceur
lancer du disque. Mais la discipline la plus tante, pour les hommes. Ces édifices offrent
populaire reste cette forme de lutte qui d’intéressants exemples de chauffage par
s’apparente à notre lutte gréco-romaine. hypocauste (la température pouvait atteindre
Beaucoup de jeunes gens viennent librement soixante degrés dans certaines salles !) et
s’exercer, y compris des groupes qui s’adon- d’installations hydrauliques. La somptueuse
nent à certains sports paramilitaires, la course décoration, que l’on peut encore deviner
en armes ou les exercices équestres appelés aujourd’hui, ne ternit pas la réputation de « vil-
« jeu de Troie ». Nous savons que cette vaste las du pauvre » des établissements romains.
place était arborée. L’analyse des racines et Chacun pouvait s’offrir là de longues heures
des troncs calcinés a permis de déterminer la de détente dans l’illusion d’un bien-être phy-
date de la plantation qui correspond à celle de sique qui bénéficiait aussi au moral.
la construction de ce complexe sportif : le tout Mais il ne fallait pas aller loin hors les murs
début du règne de l’empereur Auguste, vers pour trouver d’autres thermes, suburbains,
25 avant J.-C. Toutefois, si la palestre ombra- situés à l’extérieur de la porte Marine, nommés
© MDJ. ©AKG-IMAGES/NIMATALLAH.© STEPHANE COMPOINT/BUREAU233.

gée pouvait s’inspirer de l’architecture grec- aussi « thermes du plaisir ». Ils datent de l’épo-
que, elle comportait une nouveauté bien que augustéenne et présentent les mêmes
romaine : la présence d’une piscine de trente- sections que les autres, à ceci près qu’ils sont
quatre mètres de long sur vingt-deux mètres de mixtes et comprennent aussi une piscine
large dont le fond s’abaissait en pente douce chauffée. La partie la plus intéressante se situe
jusqu’à deux mètres soixante. Les athlètes dans le vestiaire. Des peintures représentent
pouvaient donc s’y détendre d’agréable façon les casiers de bois dans lesquels les baigneurs
à l’ombre des platanes. abandonnaient leurs effets. Au-dessus de
Cependant, pour les Pompéiens les plus
romanisés, la petite palestre des thermes
suffisait à leurs exercices sportifs. Les ther- PLAISIRS DE LA CHAIR
mes, avec leur salle tiède, leurs bains chauds En haut : peintures érotiques dans
et froids et leurs lieux de détente, bénéficient les vestiaires des thermes suburbains
dans la cité campanienne de la même ferveur de Pompéi. Ci-contre : Le Doryphore,
que dans le reste de l’empire. Ils constituent copie romaine d’un bronze de Polyclète
un véritable marqueur identitaire de la civili- (Naples, Museo Archeologico
sation romaine. Quoique de dimensions Nazionale). Page de droite : le lupanar
relativement modestes, la ville compte trois le plus célèbre de Pompéi.

84 l nhors-série
du climat campanien poussait les anciens
Pompéiens à ne pas négliger les plaisirs de la
chair. Le cabinet secret du musée de Naples
le confirmerait à qui en douterait. Nombreux
aussi sont les graffitis salaces qui griffent les
murs des tavernes. Certaines d’entre elles
offraient le gîte en plus du couvert, la fille com-
prise dans le prix. Pompéi comptait plusieurs
lupanars identifiés comme tels (cinq ou six), la
plupart proposant des prostituées, mais tous
les penchants pouvaient trouver à se satis-
faire. Comment « arrêter un cours d’eau éter-
nel », ainsi que l’a écrit un client fataliste sur le
mur de l’un de ces établissements ? Le plus
important était effectivement celui que nous
pouvons voir aujourd’hui, géré par deux hom-
mes, Africanus et Victor. Les archéologues
y ont retrouvé les noms des filles qui y tra-
vaillaient, près d’une vingtaine au total. Leur
« nom d’artiste » se référait à leur « spécialité »
ou à leur origine. Ainsi pouvons-nous deviner
que Cresca était crétoise et Panta (du grec
pan, « tout »), omnipotente ; Victoria laissait
entendre qu’elle sortait toujours victorieuse
des ébats amoureux et Nica (qui en grec signi-
fie « victoire ») recelait le même avantage que
sa collègue, dans sa version hellénique. Mais
il existait aussi des lupanars privés. L’hôtesse
de la belle maison de Ménandre avait fait amé-
nager deux chambres dans la partie servile où
opéraient des esclaves dont les revenus agré-
mentaient sa cassette personnelle.
Les belles demeures de Pompéi offraient
d’ailleurs un cadre des plus propices aux plai-
sirs quotidiens. On y trouve aussi, dans les
chambres, des peintures érotiques dont la
fonction n’a rien de licencieux. Elles invitent dispense sa fraîcheur à la tombée du jour. Là, comme celui-ci : « Je voudrais être la coupe
simplement les couples à imaginer de nou- confortablement allongées sur des coussins ornée de pierres précieuses dans laquelle tu
veaux raffinements amoureux. Mais d’autres profonds et des étoffes de prix, les élites pom- bois à la neuvième heure dans la joie du ban-
plaisirs attendent les habitants : le cadre péiennes goûtent l’instant intemporel du quet. Alors seulement, je pourrais toucher
luxueux des grandes domus, les somptueux dîner, une coupe d’excellent vin du Vésuve à tes lèvres pour y imprimer des baisers impos-
jardins dans lesquels se pavanent des la main. On imagine ces moments d’harmo- sibles autrement. »
oiseaux multicolores, les œuvres d’art qui nie parfaite entre tous les sens, entre la beauté Bienheureux ce défunt dont le désir ravive
habillent les péristyles ombragés invitent à de la nature et celle des corps, à l’heure où, pour nous la sensualité des plaisirs pom-
méditer le Carpe diem d’Horace… Plusieurs par exemple, la belle et noble Novellia, venue péiens. Quant à Novellia, sa beauté s’est éva-
riches propriétaires ont fait aménager des de Nocera, visite les Poppaei de la maison de nouie à l’automne 79, victime de la volcanique
salles à manger en plein air, sous les char- Ménandre. La dame était connue dans toute colère des dieux qui précipitèrent les Pom-
milles, au pied d’une fontaine dont le gargouillis la région et plusieurs distiques lui sont dédiés, péiens dans la nuit de l’histoire. 3

hors-sérien l 85
LES PLAISIRS du bain
Symphonie de colonnes, de fresques et de statues,
les thermes du forum de Pompéi étaient splendides. Ils étaient le lieu
où les hommes et les femmes venaient se délasser.

CHAUD ET FROID Ci-dessus : la grande fontaine du caldarium des thermes du forum à Pompéi. Les baigneurs y puisaient de l’eau froide © MDJ. © BEAUX-ARTS DE PARIS, DIST. RMN-GRAND PALAIS/MATHIEU RABOT/TONY QUERREC (ET DETAIL P.83H).

pour se rafraîchir. Elle est située dans l’abside. Toute la salle est couverte d’une magnifique voûte en berceau. A droite : vue du bassin du frigidarium
dans les thermes du forum. Ci-dessous : reconstitution des thermes du forum par l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts. C’est au début
du Ier siècle avant J.-C., sous la dictature de Sylla, que furent bâtis, aux frais du peuple, les thermes du forum. Les bains samnites que les Romains
avaient trouvés à leur arrivée avaient été aménagés, renforcés, agrandis pour devenir un complexe thermal appelé aujourd’hui thermes de Stabies
(ils se trouvent près de la ruelle du Lupanar). Insuffisamment grands, ils rendaient indispensable la construction des thermes du forum. Après
le tremblement de terre de 62, ne fonctionnaient plus que la section masculine des thermes du forum et la section féminine de ceux de Stabies.
1. GYMNASE Esplanade entourée 3. FRIGIDARIUM On venait Grossiers, sans élégance dans
d’un portique pour les exercices en plein air s’y rafraîchir après les exercices gymniques. l’ornement, ces thermes, plus que des
que l’on faisait avant de se rendre aux bains. Il fallait descendre quelques marches pour bains pour les femmes, pourraient
entrer dans cette petite pièce circulaire avec être des bains inférieurs qui auraient été
2. APODYTERIUM On trouve des niches au mur et une piscine en marbre. ensuite remplacés par les grands
dans le vestiaire des sièges en maçonnerie thermes. En effet, sous Titus, les hommes
le long des parois, et des trous aux murs 4. TEPIDARIUM La salle et les femmes fréquentaient les mêmes
pour fixer les étagères de bois sur lesquelles à température tiède est dotée d’une belle thermes à des horaires différents.
on déposait ses vêtements. Une mosaïque voûte en berceau et d’une série de
blanche entourée d’une bande noire télamons, statues adossées aux piliers qui
constituait le pavement de cette pièce. bordent des niches rectangulaires. Elle était
Un couloir menait du vestiaire au gymnase chauffée par un grand brasero de bronze.
et deux portes ouvraient l’une sur
le frigidarium, l’autre sur le tepidarium. 5. CALDARIUM Un système
de tuyauterie menait l’air chaud sous
le pavement puis dans les parois
1
du caldarium. La salle contenait d’un côté
un bassin, et de l’autre une fontaine,
qui par ses jaillissements rafraîchissait
les baigneurs. Des pilastres cannelés
et peints en rouge soutenaient la corniche.
Après un passage dans
le caldarium, les masseurs 3
(tractatores) s’emparaient du baigneur.
Il allait souvent ensuite directement 5
au frigidarium. « Après les bains brûlants,
entrez dans l’eau glacée, afin que l’eau,
2 4
par sa fraîcheur, fortifie la peau échauffée »
(Sidoine Apollinaire). 6
© MDJ. © BNF.

6. THERMES FÉMININS
On retrouve, dans ces thermes,
le frigidarium, le tepidarium et le caldarium.
Les nouveaux
jours de Pompéi
PAR GEOFFROY CAILLET
Riches de résultats spectaculaires et d’enseignements
précieux, les fouilles qui s’achèveront en 2020 à Pompéi ont ouvert
un nouveau chapitre de l’histoire de la ville ensevelie.
PROTECTION
© PATRICK ZACHMANN/MAGNUM.

RAPPROCHÉE
Massimo Osanna, directeur
du Parc archéologique de Pompéi,
dévoilant une scène animalière
découverte dans la région V,
en octobre 2018, dans cette salle
servant au culte des Lares,
les dieux protecteurs de la maison.
“enUnsûreté
projet qui vise d’abord la mise
des bâtiments exhumés.”

T
rottinant le long du Vésuve spectaculaires : « Il ne s’agit pas à propre-
comme une souris autour d’un ment parler d’une campagne de fouilles,
chat endormi, la Circumvesu- mais d’un projet global de réaménagement
viana a débarqué depuis l’aube du site, qui vise d’abord la mise en sûreté des
à la station Pompei Scavi la plupart des bâtiments déjà exhumés », souligne-t-il.
touristes qui battent le pavé de la ville Autrement dit, le chantier n’avait pas pour
antique. Au mitan de la matinée, ils sont but de mettre au jour les vingt-deux hecta-
déjà des milliers à errer dans les rues des res non encore explorés sur les soixante-
régions VI et VII, à l’ouest de Pompéi, six que compte Pompéi, mais de préserver
au gré de motivations alternativement les quarante-quatre hectares connus, en
esthétiques ou canailles, des fascinan- consolidant les terrains menacés d’effon-
tes mosaïques de la maison du Faune drement par la pression de la couche de
au manuel érotique illustré du lupanar. roche volcanique encore en place.
Quelques îlots plus loin, la via del Vesuvio, qui file vers le nord-ouest, L’écroulement de la maison des Gladiateurs, survenu en 2010,
reste, elle, étrangement déserte. Faut-il y voir la menace du volcan, illustre parfaitement le problème auquel entend répondre le pro-
dont la silhouette se détache en fond de tableau ? « Cette zone nord de jet. Située dans la région III, à l’angle de la via dell’Abbondanza
Pompéi, la plus proche du Vésuve, a été aussi la plus touchée par l’érup- et de la via di Nocera, celle-ci faisait partie des très rares maisons
tion de 79 », confirme Francesco Muscolino, l’archéologue qui nous mises au jour en bordure de cette autre zone encore entièrement
attend dans le dernier tronçon de la rue. Il y a quelques mois encore, sous terre. Or cette exhumation partielle à partir de rues adjacen-
une grille en barrait l’accès aux visiteurs. Et pour cause : la via del tes fragilisait fatalement les structures retrouvées, puisque cel-
Vesuvio marque la lisière de la région V, où se poursuivait il y a peu, les-ci se trouvaient dès lors soumises à la pression du manteau
derrière un écran de bâches et d’échafaudages, la campagne de mise volcanique non fouillé autour d’elles, qui les menaçait à terme
en sûreté et de fouilles menée à Pompéi depuis 2017. d’effondrement. Celui de la maison des Gladiateurs, qui a rouvert
Là où la couche rocheuse laissée par l’éruption étendait jusqu’à ses portes en 2019, a eu au moins le mérite d’alerter sur le nouveau
peu sa masse informe, de nouvelles façades se découpent désor- risque de destruction que courait Pompéi. Dès 2012, le gouverne-
mais le long de la rue. Une fontaine-nymphée, qui appartenait pro- ment italien et l’Union européenne accordaient au site une subven-
bablement à un jardin, a surgi du sol. Un peu plus loin, Francesco tion de cent cinq millions d’euros, donnant ainsi le coup d’envoi du
Muscolino se faufile entre deux murs et pénètre dans un cubi- bien nommé « Grand Projet Pompéi » : le plus grand chantier qu’ait
culum : une petite chambre entièrement peinte d’Amours volants, connu le site depuis plus de soixante ans.
de griffons et de délicats motifs floraux, caractéristiques du qua- Sur la via del Vesuvio, Francesco Muscolino nous explique le prin-
trième style de la peinture romaine, contemporain de la dispari- cipe de la mise en sûreté du front de fouilles : « Il s’agit, dans les zones
tion de Pompéi. Sur un mur, une fresque en forme de tableau à peine exhumées ou encore entièrement enfouies, d’adoucir, par des
© PATRICK ZACHMANN/MAGNUM PHOTOS. © DROITS RESERVES.

représentant Léda et le cygne déploie depuis novembre 2018 son travaux de terrassement, la pente formée par le matériau volcanique.
dessin raffiné et ses couleurs d’une époustouflante fraîcheur, vingt
siècles après avoir été engloutie. C’est elle qui a finalement donné
son nom à cette domus, dont un couloir avait d’abord révélé un
Priape pesant sur une balance son phallus démesuré, et l’atrium,
en février 2019, un Narcisse se mirant dans l’eau.

UN SITE FRAGILE ET MENACÉ


Les annonces de nouvelles découvertes qui ont inondé médias et
réseaux sociaux depuis 2017 ne sont pas pour déplaire à Massimo
Osanna, le très charismatique directeur général du Parc archéologi-
que, renommé en 2019 pour un nouveau mandat. Lui-même relaie
abondamment, sur Twitter et Instagram, les photos des trésors mis
au jour à mesure de leur exhumation, avec un enthousiasme com-
municatif. Mais cet éminent professeur d’archéologie classique
à l’université de Naples tient à rappeler le cadre de ces trouvailles

90 l nhors-série
Pompéi Nouvelles fouilles Zones non fouillées mises en sûreté Autres zones non fouillées

Maison de Léda
Maison des Gladiateurs
Maison des Vettii
Porte
Villa des de Nola
Mystères
Porte
du Vésuve
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de Sarno
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Maison de Pansa Lupanar JuliusPolybius Palestre


Maison du Poète tragique Maison des
Thermes du forum Macellum Maison Chastes Amants
Temple de Jupiter Temple
du Faune I
capitolin de Vespasien Maison de Potager
Ménandre Nécropole

Vi
Temple des Fugitifs
For

a
Temple d’Apollon Edifice

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d’Isis Porte

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de Nocera

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Thermes Grand

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suburbains
Gare Porte
Basilique
VIII Théâtre
Forum
Odéon
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Misteri Antiquarium Porte
de Stabies
Caserne
des
Auto

Naples Gladiateurs
POMPÉI
rout

Pompéi Via Plinio Ville moderne


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100 m

FIL D’ARIANE Page de gauche, en haut : de nouvelles fresques


découvertes en novembre 2018 représentent Ariane, qui a donné son
Celle-ci, constituée de trois à quatre mètres de pierres ponces et d’une nom à cette maison exhumée le long de la via del Vesuvio, en bordure
couche de lave solidifiée, est alors recouverte d’un géotextile pour per- de la zone non fouillée de la région V. Page de gauche, en bas : vue du
mettre une croissance contrôlée de la végétation. On réduit ainsi la manteau volcanique de la région V (à droite), qui reste à explorer et qui
pression du manteau volcanique sur les bâtiments qu’il recouvre ou exerce une pression menaçant les zones déjà exhumées. Ci-dessus :
environne, dans l’attente de pouvoir les fouiller. » C’est à l’occasion de plan de Pompéi. Au nord, la région V, l’une des zones encore non
ces travaux de terrassement qu’ont été mises au jour la fontaine- explorées, a révélé en 2018 de nouvelles merveilles grâce aux travaux
nymphée, la maison de Léda ou celle d’Ariane dans la région V de de mise en sûreté du site. La partie sud de cette zone (en rouge
Pompéi, fouillée seulement jusque-là en partie. sur le plan) a pu faire en effet l’objet de nouvelles fouilles. Un tiers des
Par son ampleur, cette campagne promet déjà d’écrire un chapi- soixante-six hectares du site de Pompéi reste à découvrir. Une
tre essentiel des fouilles de Pompéi. Lancées officiellement au exploration qui, faute de moyens, n’est toutefois pas à l’ordre du jour.
XVIIIe siècle sous la houlette des Bourbons de Naples, elles remon-
tent en réalité au lendemain même de la destruction de la ville.
Envoyée par l’empereur Titus, une commission d’enquête, à laquelle d’une « nonchalance » qui désespère Winckelmann, le spécialiste
se joignent des survivants et des voleurs, se rend alors sur place et en allemand de l’art antique, arrivé sur le site en 1762. L’identification
profite pour récupérer quelques statues, objets de culte et objets per- de Pompéi grâce à une inscription découverte l’année suivante
sonnels dans les cendres encore chaudes. Puis la ville se fige sous change la donne. Savants, artistes et gentry accourent désormais au
son manteau informe et l’on perd jusqu’à la mémoire de son nom. chevet de la ville en voie de résurrection, jusqu’à en faire « un champ
C’est par le plus grand des hasards qu’en 1594, à l’occasion de tra- d’attraction pour les têtes couronnées » (Robert Etienne) sous la
vaux de construction d’un canal pour dériver le fleuve Sarno, l’archi- monarchie de Joachim Murat, féru d’archéologie comme sa femme,
tecte Domenico Fontana met au jour quelques vestiges appartenant Caroline. Au gré des fouilles, la topographie de la ville se dessine.
à la ville. On en reste pourtant là et il faut l’appoint des trois grandes Les maisons émergent de la lave durcie. Fresques, mosaïques et
statues en marbre de femmes drapées, découvertes à Herculanum objets affluent à Naples dans les collections royales.
en 1711, pour stimuler des fouilles dans toute la région du Vésuve. Après le retour des Bourbons en 1815, Pompéi ne connaît plus de
En 1748, Charles III d’Espagne, alors roi de Naples et de Sicile, projet archéologique d’envergure. La ville est surtout l’affaire des
commande l’excavation systématique des vestiges identifiables sur écrivains qui, de Stendhal à Hippolyte Taine en passant par Mark
la « colline della Cività », le nom sous lequel se cache encore Pom- Twain, en rapportent des impressions de voyage. Les noces bur-
péi. Pendant des décennies, les fouilles sont anarchiques. On perce, lesques de la truelle et de la plume sont consommées lorsque
au hasard, des tunnels au milieu des murs pour accéder à l’intérieur Alexandre Dumas, débarqué à Naples avec Garibaldi, se voit
des habitations et en extraire les objets précieux. On fait preuve nommer directeur du musée et des fouilles ! On frémit en pensant à

hors-sérien l 91
“unSous la roche volcanique,
semis d’habitations attend.”
ce que le truculent iconoclaste aurait pompéien tout proche, des dizaines de
fait du site s’il avait eu le temps de lui maisons et les fouilles alors en cours
infliger le traitement aussi génial que sur la via dell’Abbondanza. Sitôt la fin
mensonger dont il a gratifié l’histoire de la guerre, Maiuri s’attelle à panser
dans ses romans. les plaies de la ville tout en continuant
© PATRICK ZACHMANN/MAGNUM PHOTOS. © PHILIPPE GODEFROY. © CESARE ABATE/EPA/MAXPPP.

L’unité italienne marque l’entrée de les travaux de fouilles, notamment


Pompéi dans l’ère scientifique, grâce dans les faubourgs et les sous-sols. A
à la nomination de Giuseppe Fiorelli son départ, en 1961, les deux tiers de
comme inspecteur puis surintendant Pompéi ont été dégagés.
des fouilles de 1860 à 1875. Toujours Si le tiers restant, seulement percé
en vénération aujourd’hui, ce savant de quelques rues, n’a pas encore été
distingué jette les bases d’une véri- fouillé, il fait l’objet de toute l’attention
table archéologie urbaine. Il révolu- des archéologues. Et pour cause : sous
tionne les méthodes de fouilles en abandonnant les dégagements la roche volcanique, ils le savent bien, un semis d’habitations com-
par le bas au profit de décapages horizontaux par le sommet, qui parables à celles qui ont déjà été exhumées les attend. Leur dégage-
permettent de limiter les risques d’écroulement des façades. Il pro- ment est seulement conditionné par la question financière, l’entre-
cède au découpage, toujours en vigueur, de Pompéi en neuf tien des vestiges connus absorbant l’essentiel du budget attribué
régions, subdivisées en îlots et en numéros d’habitations. Il déve- à Pompéi. Les actuels travaux de mise en sûreté n’ont donc pas
loppe l’astucieux procédé des moulages, consistant à injecter du d’autre but que d’assurer leur conservation souterraine, jusqu’au
plâtre dans les cavités laissées par la décomposition des corps jour où des fonds seront alloués à de nouvelles fouilles. Si celles en
humains et des résidus organiques sous la gangue volcanique cours n’agrandiront qu’à la marge la surface totale dégagée, les trou-
avant de briser celle-ci. Tous ses successeurs tiendront comme lui vailles qu’elles permettent n’en sont pas moins exceptionnelles.
un journal de fouilles détaillé, avec examen scientifique des objets
et description minutieuse des bâtiments. QUAND LES MURS PARLENT
L’un des plus fameux, Amedeo Maiuri, qui s’installe à Pompéi Juché sur la couche volcanique, d’où il désigne en contrebas les
pour quatre décennies, doit affronter le bombardement aérien des fascinantes maisons mises au jour, Francesco Muscolino nous
Alliés de l’été 1943. « Plus de cent cinquante bombes tombèrent entraîne plus loin dans la région V, jusqu’au vicolo delle Nozze
alors sur la ville ! » rappelle Massimo Osanna, qui détruisirent d’Argento, qui ouvre sur la vaste demeure éponyme, fouillée en
entre autres les deux arcs du forum, la porte Marine et le Musée 1893. Là où, il y a quelques mois encore, la rue s’arrêtait net au pied

Nouvelles zones de fouilles


POMPÉI

Laraire
V Thermopolium
IV
Maison de Léda

Maison des Dauphins

Maison Maison
Maison des
de Jupiter
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92 l nhors-série
UN AMOUR DE SWAN Ci-dessus : les dernières fouilles
effectuées à Pompéi ont apporté leur lot de découvertes
de la roche, une nouvelle rue est apparue, qui la coupe à angle exceptionnelles. Parmi elles, cette fresque dépeignant les amours
droit. Aussitôt nommée vicolo dei Balconi pour les balcons qui de Léda avec Jupiter transformé en cygne a été trouvée, en
ornent plusieurs de ses façades, elle est si parfaitement dégagée novembre 2018, dans une maison de la via del Vesuvio. Page de
qu’on jurerait qu’elle n’a jamais été enfouie. En la rendant à la vue, gauche, en bas : détail de la zone récemment fouillée. Il s’agit de la
les fouilles ont apporté leur lot de découvertes : un mur couvert bordure du manteau volcanique de la région V encore inexplorée.
d’inscriptions électorales, une petite place avec fontaine et citerne, C’est grâce au programme de travaux visant à mettre en sûreté le
un thermopolium – le fameux « fast-food antique » – avec ses fres- site que les nouvelles découvertes ont pu être faites, les édifices
ques. « Regardez : ce mur s’est incliné sous la pression du flux pyro- déjà exhumés situés à proximité des zones encore enfouies étaient
clastique ! » fait remarquer Francesco Muscolino. A Pompéi, la sur- en effet menacés d’effondrement en raison de la pression exercée
prise est, au sens propre, à chaque coin de rue. par le manteau volcanique. Page de gauche, en haut : portrait de
Quelques mètres plus loin, notre guide soulève avec d’infinies pré- femme trouvé dans la maison de Léda, où ont également été mises
cautions la bâche qui recouvre un mur. Sur la paroi, un graffiti au au jour une représentation du dieu Priape et une autre de Narcisse.
charbon écrit en latin apparaît, qui a tout l’air d’une délation de cour
de récréation : « Il s’est livré à la nourriture avec excès », dit-il en ajou-
tant la date du forfait : « XVI K NOV », abréviation pour « le seizième Plus loin sur le vicolo dei Balconi, on pénètre dans la maison de
jour avant les calendes de novembre », soit le 17 octobre. Révélée à Jupiter, ainsi nommée d’après la fresque du maître de l’Olympe qui
l’automne 2018 après avoir été soumise à des spécialistes, cette orne le laraire de son jardin. Explorée en partie au XIXe siècle, elle a
banale inscription est venue répondre aux doutes que la commu- fait cette fois l’objet d’une fouille systématique, qui a révélé qu’elle
nauté scientifique entretenait depuis longtemps sur la date de était en pleine restructuration au moment de l’éruption. Son atrium
l’éruption. Traditionnellement fixée au 24 août 79 d’après le plus est orné de peintures du premier style, un art importé de Grèce en
ancien manuscrit connu de Pline le Jeune, elle était en effet contre- Italie au IIe siècle avant J.-C. Rare à Pompéi, surtout après le trem-
dite par les fruits d’automne, les braseros et les jarres de vin retrou- blement de terre de 62, cette succession de blocs de stuc peints en
vés à Pompéi, qui plaidaient nettement pour un mois moins estival. rouge, noir, vert ou jaune pour imiter des marbres polychromes tra-
La fragilité du charbon l’exposant à un effacement rapide, l’inscrip- duit probablement le désir des propriétaires de souligner l’ancien-
tion retrouvée pourrait difficilement dater de l’année précédant neté de leur maison et de leur famille.
l’éruption. C’est donc très vraisemblablement à la date du 24 octo- Sur le sol de la maison, Francesco Muscolino dévoile deux éton-
bre 79, soit une semaine après le tracé de ce graffiti facétieux, que nantes mosaïques rectangulaires de la fin du IIe siècle avant J.-C.
Pompéi fut victime de la colère du Vésuve. L’une, en partie endommagée, figure une silhouette humaine,

hors-sérien l 93
“autre
Donner à voir aux visiteurs
chose qu’une ville figée.”
un papillon et des bêtes féroces. porte close dans de nombreuses
L’autre, intacte, représente un maisons de la ville, Massimo
cobra surmonté d’un personnage, Osanna rappelle que trente d’entre
mi-homme, mi-scorpion, doté elles ont été rouvertes de 2016 à
d’ailes de papillon, qui s’envole 2018, après d’indispensables tra-
vers deux créatures ailées. Mas- vaux de restauration ou de mise en
simo Osanna, qui a déchiffré ces sûreté. Il évoque le projet Digital
figures énigmatiques, souligne leur Pompei, lancé en 2015 : cette réali-
caractère exceptionnel : « Il s’agit sation d’un modèle tridimension-
de deux représentations du géant nel intégral de la ville permettra de
mythologique Orion, ce chasseur concevoir un outil de gestion du site
aimé d’Artémis qui, tué par un scor- et, à l’intention des touristes, une
pion, fut transformé en constellation application de visite virtuelle dont
selon le phénomène de la catastéri- l’exposition du Grand Palais à Paris
sation. Cet épisode tout à fait insolite donne en ce printemps la préfigu-
est rarissime dans l’art antique. » ration. Plus traditionnel mais d’une
Dans la maison voisine, dite du Jardin, de sinistres trous, bien utilité incontestable, un autre projet concerne l’installation, à leur
connus des archéologues, défigurent çà et là les parois : « Il s’agit des emplacement d’origine, de copies des centaines de fresques conser-
tunnels creusés très probablement par des pilleurs antiques, qui vinrent vées au Musée archéologique de Naples, qui corrigera l’aspect frag-
chercher ici des trésors mais aussi le matériau de construction offert par mentaire des bâtiments. Autant de moyens qui permettront de main-
les pierres ponces », explique Francesco Muscolino. Au cours de leurs tenir vivante la passion universelle pour la ville morte et d’ajouter,
larcins, ils dérangèrent les huit corps de femmes et d’enfants retrou- pour très longtemps encore, de nouveaux jours à Pompéi. 3
vés par les archéologues. Asphyxiés ou morts sous les décombres,
ceux-ci s’étaient probablement, comme tant d’autres habitants, bar-
ricadés dans cette chambre dans l’espoir d’échapper à l’éruption. Si LES ANIMAUX DU MONDE
macabres qu’ils soient, ces trésors rejoindront ceux qu’accueillent En haut : fragments du plafond à fresque du cubiculum de la
pêle-mêle les dépôts de Pompéi. Parmi eux, le plafond à fresque du maison de Léda. Ils font l’objet d’une patiente reconstitution.
cubiculum de la maison de Léda, tombé en pièces, aligne ses innom- Ci-dessous : fresque découverte en octobre 2018 dans
brables fragments : un gigantesque puzzle qui ne semble pas désar- la maison des Lares, représentant un jardin avec un autel,
mer la patience des archéologues et des restaurateurs de Pompéi. le laraire, protégé par deux serpents. Page de droite :
Alors que les fouilles proprement dites se sont achevées au prin- fresque mise au jour au printemps 2018 dans la maison
temps 2019, la mise en sûreté des régions IV, III, et peut-être I, va des Dauphins, un nom qui lui vient des dauphins et
désormais se poursuivre loin des feux des projecteurs, les travaux de des nombreux animaux aquatiques peints sur ses murs.
terrassement projetés ne devant pas entraîner cette fois de nouvelles
fouilles. Après le spectacle, place au lent travail de restauration et de
PHOTOS : © PATRICK ZACHMANN/MAGNUM PHOTOS.

mise en valeur, et au projet global de réaménagement de Pompéi,


pour lequel Massimo Osanna fourmille d’idées : « Le défi consiste à
donner à voir aux visiteurs autre chose qu’une ville figée. Il faut montrer
l’éruption, en laissant en place cendres et pierres ponces à certains
endroits. Il faut montrer la ville dans son évolution : le tremblement de
terre de 62, auquel Amedeo Maiuri attribuait tous les travaux en cours
dans la ville au moment de l’éruption de 79, mais aussi les secousses
sismiques qui ont ébranlé Pompéi dans les mois précédant l’éruption
et qui expliquent aussi, selon moi, que certaines maisons avaient été
habitées mais inachevées ou le contraire. Il faut aussi parler des victi-
mes : comment traiter et présenter des restes humains ? »
Pour un site qui accueille plus de trois millions et demi de visiteurs
par an, l’enjeu n’est pas mince. A ceux qui se plaignent de trouver

94 l nhors-série
96
PHOTOS : © LUISA RICCIARINI/LEEMAGE. PHOTOS : © MDJ.

L nhors-série
LE VALEUREUX Page de gauche : Flore, fresque provenant de la villa d’Ariane à Stabies. Ci-dessus, à droite : La Bataille d’Issos,
qui opposa Alexandre le Grand (ci-dessus, à gauche) à Darius en 333 avant J.-C. Cette mosaïque de la maison du Faune à Pompéi
serait une copie d’une peinture grecque disparue. En bas : coupe en argent du service de la maison de Ménandre à Pompéi.

Les récoltes du Vésuve


L’incroyable récolte des fouilles entreprises par les Bourbons
dans les cités vésuviennes fait du musée de Naples le temple de la vie
pompéienne dans toute sa fraîcheur. PAR ISABELLE SCHMITZ

D
u haut du monumental escalier qui cheval, saisissante de naturel –, et de bustes quatre coins d’Europe, les érudits accouru-
surplombe le grand atrium du musée, d’hommes célèbres – tel un Caracalla cruel rent pour contempler, enfin, ce qu’on ne leur
elle vous toise, solennelle, coiffée du à souhait et un César aussi subtil que son avait laissé qu’entrevoir lors de leur passage
casque de la sagesse. Athéna, la déesse des modèle. Clou de leur trésor romain, le colos- à Pompéi et à Herculanum. Sur les lieux de
Arts, de la Guerre et des Sciences, invite d’un sal Taureau Farnèse, retrouvé dans les ther- fouilles, les gardiens avaient alors en effet
geste impérieux les visiteurs à goûter les mes de Caracalla, l’un des plus grands pour mission de forcer les visiteurs à avancer
beautés rassemblées dans ce temple des groupes sculptés qui nous soient parvenus rapidement devant les œuvres, afin d’éviter
arts napolitain. N’est-elle pas trop massive de l’Antiquité, était déjà cité comme un les reproductions ! Au plafond de la vaste salle
pour être grecque, trop martiale pour être chef-d’œuvre par Pline l’Ancien. En pendant de la Méridienne, Ferdinand trône aujourd’hui
femme ? Et pour cause : c’est Ferdinand IV. de la richissime collection Farnèse, le musée en médaillon, entouré d’allégories artistiques
Représenté par Canova en défenseur de la napolitain devait exposer tout ce que les et de cette maxime « Jacent nisi pateant » (« Si
culture, le roi des Deux-Siciles, fils de Char- « archéologues Bourbons » avaient collecté on ne les montre pas, elles dépérissent »).
les III d’Espagne, avait réalisé leur rêve com- lors de leurs fouilles des cités campaniennes
mun : ouvrir à Naples, la capitale du royaume, ensevelies, et qui était resté jusque-là consi-
un grandiose institut dédié aux arts. Il unirait, gné dans des petits musées, à
dans ce palais Renaissance, deux noyaux Herculanum et à Capodimonte.
artistiques exceptionnels, hérités de la Rome Les fameuses raccolte vesuviane,
et de la Campanie antiques. Tout d’abord, la les collections vésuviennes, por-
sublime collection de statues romaines taient aussi bien leur nom en ita-
réunie au XVIe siècle par l’ancêtre maternel lien qu’en français : c’était une incroyable
des Bourbons de Naples, Paul III Farnèse. récolte, menée par les hommes de « Sa
Le pape « antiquaire » et son neveu le cardi- Majesté sicilienne ». Commencé en 1777,
nal Alexandre Farnèse avaient rassemblé dans l’ancienne université des Jésuites, le
une profusion de copies romaines de sta- Real Museo Borbonico allait être finalement
tues grecques de toute beauté – comme la inauguré en grande pompe en 1816, après le
gracieuse Vénus callipyge ou l’Amazone à départ des troupes napoléoniennes. Des

hors-sérien L 97
LA DANSE
DES DANAÏDES
A droite et à gauche : deux
des cinq statues en bronze
de Danaïdes trouvées
en 1754 dans la villa des Papyri
à Herculanum. Celles que
Winckelmann considérait
comme des « danseuses »
font écho aux cinquante
Danaïdes du portique du temple
d’Apollon palatin, dans
la maison d’Auguste, à Rome.
Outre ces Danaïdes, la villa
abritait soixante autres statues
en bronze dont celles de deux
jeunes athlètes (ci-dessus,
détail du visage de l’un d’eux)
figés dans leur course de
vitesse, à moins qu’il ne s’agisse
de lutteurs. Page de droite :
La Bataille d’Issos. Le roi de
© MDJ. © LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION. © ARALDO DE LUCA.

Perse Darius, sur son char, est


mis en déroute par Alexandre.
Cette immense mosaïque de sol
(près de six mètres sur trois),
datée du IIe siècle avant J.-C.,
décorait l’exèdre qui se situait
entre les deux jardins avec
péristyles de la splendide
maison du Faune.

98 L nhors-série
Grâce lui soit rendue : le collectionneur jaloux Winckelmann nommait « danseuses » ressem- sol de l’exèdre de la maison du Faune, qui
a réuni le plus incroyable ensemble archéologi- blent étrangement aux cinquante Danaïdes offre probablement une version réduite d’une
que de sculptures, de mosaïques et de peintu- qui ornaient le portique du temple d’Apollon peinture grecque du IV e siècle avant J.-C.
res, qui témoigne, à trente kilomètres de la ville palatin, à Rome, dans la maison d’Auguste : les attribuée à Philoxénos d’Erétrie. Le mur où
morte, que le cœur de Pompéi bat encore, cinq campaniennes seraient un clin d’œil direct elle est aujourd’hui exposée au musée sem-
même si c’est aussi à Naples qu’il faut aller à leurs sœurs romaines. Quel érudit avait bien ble vibrer du fracas des armes, du hennisse-
l’entendre. Ces maisons que l’on découvre in pu doter sa luxueuse villa de soixante-cinq sta- ment des chevaux et du râle des blessés qui
situ, dépossédées de leurs statues, de leur tues en bronze et vingt-huit en marbre, et déte- font revivre la fureur de cette bataille entre le
mobilier, et de ces objets courants qui font nir dans sa bibliothèque mille huit cents rou- roi de Macédoine et Darius III de Perse.
l’épaisseur même de la vie, livrent, au musée, la leaux de papyrus ? Peut-être le beau-père de C’est à une émotion tout autre qu’appelle,
petite musique de leur existence quotidienne. César, Pison, qui fut consul en 58 avant J.-C. dans les salles suivantes, le célèbre « cabinet
Soupçonnait-on que ces Pompéiens ordinai- Comment avait-il conçu et décoré ses pièces ? secret » : cette collection d’œuvres érotiques,
res avaient à leur table des couverts en argent, Historiens de l’art et archéologues se sont pas- autrefois visible à Herculanum seulement sur
d’un raffinement particulier pour les plus aisés sionnés pour la question, et leurs hypothèses permission spéciale des fonctionnaires Bour-
comme Ménandre et son somptueux service nous aident aujourd’hui à pénétrer cet univers bons, fut ouverte au public lors de la fondation
de table ? Qu’ils buvaient dans des coupes de où la culture façonne l’habitat quotidien. Ainsi, du musée. Elle fit scandale. Bientôt affublée de
cristal de roche et se servaient de pichets en dans le grand péristyle de la villa, deux jeunes l’écriteau « Cabinet des objets obscènes », uni-
verre, appréciés par Horace car ils ne don- athlètes de bronze, figés dans leur course de quement accessible à des « personnes d’âge
naient pas au vin le goût du bronze ? L’on savait vitesse par la prouesse du sculpteur, côtoient mûr à la moralité reconnue », elle fut finalement
les villes romaines ornées de statues dans les un Hermès au repos et une Athéna, retrouvés murée et oubliée jusqu’à l’arrivée de Garibaldi
lieux publics, comme celles du théâtre d’Her- chacun à une extrémité du péristyle : interpré- à Naples. La sulfureuse légende est presque
culanum, exposées dans l’atrium du musée, tés comme l’otium face au negotium, les dieux plus intéressante que les objets eux-mêmes,
mais pouvait-on imaginer l’éblouissant ensem- seraient l’éblouissante personnification, au dont la valeur est plus anecdotique et anthro-
ble de la villa des Papyri, qui réunit plus de sta- cœur même de la maison, des deux dimen- pologique qu’artistique : le sexe y apparaît
tues de bronze que toutes celles de la Rome sions fondamentales de l’idéal de vie des comme un vrai sujet d’inspiration, fût-ce pour
antique qui nous sont parvenues ? Qui entre Grecs, adopté par leurs conquérants romains. protéger les tombes masculines, comme le
sans être averti dans cette section du musée Du sol au plafond de leurs maisons, les vain- montrent les cippes apotropaïques de forme
reste muet devant les splendeurs qui peu- queurs se montrent des disciples appliqués phallique, pour éloigner le mauvais œil, mission
plaient, en leur temps, cette demeure. Dans le de leurs vaincus : tout comme ces sculptures, du tintinnabulum (clochette) en forme de gla-
© LUISA RICCIARINI/LEEMAGE.

péristyle majeur, Nicomède I er de Bithynie les mosaïques retrouvées au sol des maisons diateur au phallus spectaculairement trans-
côtoie Ptolémée II Philadelphe et Pyrrhus, roi pompéiennes (et, plus rarement, sur les murs formé en panthère menaçante, ou pour déco-
des Molosses, redoutable adversaire de de leurs péristyles) sont des copies romaines rer maisons et jardins, comme le scabreux dieu
Rome ; le philosophe Héraclite converse avec d’originaux grecs, précieux témoignage du Pan sculpté qui s’accouple à une chèvre, ou
Démocrite, sous le regard de Platon en Dio- niveau de virtuosité qu’avait atteint la peinture les quelques scènes érotiques peintes, moins
nysos et les ricanements d’un silène ivre. Un grecque, telle la célèbre mosaïque d’Alexan- racoleuses que celles du célébrissime lupanar
peu plus loin, cinq sculpturales beautés que dre le Grand, trouvée le 24 octobre 1831, au de Pompéi, et joliment présentées sur un fond

hors-sérien L 99
noir qui suggère le caractère privé de ces Iphigénie. De passage au musée de Naples, une peinture plus rapide évoquent un registre
motifs. La Vénus en bikini, légère et court vêtue, Stendhal avoue avoir vu avec plaisir ces scènes peuplé non plus des habitants de l’Olympe,
pourrait répondre à la poétique définition de mythologiques, mais note qu’« il n’y a point de mais de ceux de Pompéi : simples citoyens
Winckelmann, tombé en arrêt devant les figu- clair-obscur, peu de coloris, assez de dessin, regardant un édit, enfant puni à l’école, mar-
rines ailées peintes sur les murs de Pompéi, et beaucoup de facilité », concluant que « ça chands de tissus discutant leur bout d’étoffe.
« fluides comme la pensée et belles comme si n’est qu’extrêmement curieux ». Taine, pour sa Tout autant que leur aspect naïf, on goûte dans
elles avaient été faites de la main des Grâces ». part, estime que « ce ne sont que des déco- ces tableaux la fraîcheur de la vie. Et, dans l’un
Dans la galerie des peintures, ces fantaisistes rations d’appartement, presque toujours sans d’eux, une valeur prémonitoire : celui qui repré-
créatures volent encore sur des fragments de perspective ». Injustes quant à la variété et la vir- sente la rixe dans l’amphithéâtre, qui opposa
murs arrachés par les émissaires des Bour- tuosité de certaines scènes peintes, nos émi- en 59 les habitants de Pompéi à ceux de
bons. Ceux-ci s’intéressaient surtout à la nents critiques ont vu clair sur un point : les pein- Nocera. Malgré son absence absolue de pers-
représentation humaine : ils laissèrent en géné- tres de Pompéi n’étaient pas tous de grands pective et d’illusionnisme, il n’en paraît pas
ral sur place, aux murs des villas, les décora- artistes mais, pour certains, des copistes par- moins, avec ses scènes d’affolement et ses
tions strictement architecturales, se conten- fois distraits. Ainsi l’Iphigénie de la maison du corps inertes esquissés à la va-vite, l’évocation
tant de piqueter les figures de petite taille qu’ils Poète tragique, en passe de perdre la vie, a déjà poignante du destin d’une ville ordinaire, qui,
jugeaient inutile d’emporter afin que d’autres ne perdu ses jambes : on ne distingue d’elle, por- vingt ans plus tard, mourrait en un seul jour. 3
puissent en profiter… Par-delà ces mesquine- tée à bout de bras, que le tronc.
ries, « i Borboni » ont tout au moins préservé de Ces répliques provinciales des modèles
la détérioration des fresques splendides, dont romains offrent aussi un précieux miroir au À L’ÉCOLE DE LA MACÉDOINE
© LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION. © LUISA RICCIARINI/LEEMAGE.

on savoure aujourd’hui les couleurs intactes. temps qui passe. Le motif de Persée et Andro- En haut : mégalographie, typique
Décors architecturaux aux murs des maisons, mède reflète, par exemple, selon les époques du deuxième style, provenant de l’oecus
mégalographies, portraits, natures mortes, et d’une maison à l’autre, l’exaltation des ver- de la villa de Publius Fannius Synistor
griffons et chimères composent au fil des salles tus héroïques, comme sous Auguste, ou le à Boscoreale, vers 60 avant J.-C. Au centre,
une symphonie visuelle dont on sort étourdi. Ici, repli du goût vers des sentiments plus intimes : le jeune homme coiffé d’un couvre-chef
sur fond rouge vif du triclinium de la splendide tantôt le valeureux Persée délivre, au péril de macédonien et armé d’une lance et d’un
villa de Publius Fannius Synistor à Boscoreale, sa vie, la jeune Andromède du monstre marin, bouclier pourrait être Antigone II Gonatas,
c’est la Macédoine, personnifiée par son cou- tantôt nos deux héros, en galante conversa- qui régna sur la Macédoine de 277 à
vre-chef et son bouclier étoilé, qui domine, l’air tion, semblent engagés, loin de tout danger, 239 avant J.-C. A gauche, se tiendrait
maussade, la Perse au regard vif, coiffée d’un dans des occupations autrement plaisantes. son précepteur ; à droite, sa mère, Phila.
turban. Un motif directement inspiré des palais A côté de ces tableaux mythologiques, Cette fresque, qui reproduit une peinture
hellénistiques, découverts par les Romains d’appétissantes natures mortes aiguisaient du IIIe siècle avant J.-C., célèbre le modèle
durant leur conquête. Une autre interprétation l’appétit des convives, aux murs des triclinia, d’empire universel que représentait pour
y verrait représentés Antigone II Gonatas, roi de tandis que des jardins peints reconstituaient, Rome le royaume macédonien. Page
Macédoine, et sa mère. Là, sur les murs de la sur ceux des péristyles, l’idée d’un paradis. de droite : Zeus et Héra sur le mont Ida,
maison du Poète tragique, on célèbre les noces Dans les auberges, les tavernes et les lieux fresque provenant de l’atrium de la maison
de Zeus et d’Héra, un peu plus loin on sacrifie publics, quelques scènes esquissées dans du Poète tragique.

100 L nhors-série
102 l nhors-série
LA NATURE AU CŒUR
Ci-contre : la forêt de colonnes entourant
l’impluvium dans l’atrium de la maison des
Diadumènes, de l’époque républicaine.
Jusqu’à la fin de la République, l’atrium
reste l’espace central de la maison
pompéienne. Page de gauche : le jardin
et le péristyle de la maison de la Vénus
à la coquille, autour desquels sont
regroupées la plupart des pièces. Cette
disposition qui marginalise l’atrium
au profit du péristyle, faisant de ce dernier
le véritable centre de la maison, est
caractéristique de la fin de la République.

Dernier domicile connu


Plus vaste ensemble d’habitat urbain de l’Antiquité classique
à avoir été si bien conservé, Pompéi offre également
une variété exceptionnelle de maisons, riches d’enseignements
sur la société qu’elles abritèrent au cours des siècles.
PAR PIERRE GROS, DE L’INSTITUT

N
ul autre site antique d’époque clas- Comme on sait, les plus belles de ces domus interprétatifs sont à l’œuvre, dus à Andrew
sique, à l’exception peut-être, mais ont fait l’objet, dès le début du dégagement Wallace-Hadrill ou à Katharina Lorenz, par
dans une moindre mesure, de Délos des villes enfouies par le Vésuve, de recher- exemple, qui permettent de dégager plus net-
en Grèce et d’Ephèse en Turquie, n’offre pour ches assidues, qui n’ont pas toujours été tement les « modes d’habiter » des pièces et
l’analyse de l’habitat urbain un échantillon conduites avec la rigueur souhaitable, puis- des espaces découverts.
© BAVIERA GUIDO/SIME/PHOTONONSTOP. © GETTY IMAGES/ISTOCKPHOTO.

aussi vaste, aussi diversifié et surtout aussi qu’il s’agissait avant tout d’une quête de docu- Nous ne pouvons proposer ici qu’une antho-
bien conservé que Pompéi. Toutefois les rui- ments figurés et d’objets. C’est seulement à logie des principales catégories de maisons,
nes, telles que nous les voyons aujourd’hui, la fin du XIXe siècle que les archéologues alle- mais nous allons tenter de l’organiser en fonc-
ne nous livrent que l’état dernier d’une situa- mands Johannes Overbeck et August Mau tion des tranches chronologiques, en leur
tion qui a évolué sur plus de quatre siècles, et ont établi une première classification des ves- appliquant les nouvelles grilles de lecture. C’est
dont les différentes phases sont inégalement tiges assortie d’un calage chronologique des le seul moyen de situer dans leur contexte his-
restituables. Par-delà les images que nous « styles » de leurs fresques pariétales. Ensuite, torique, social et culturel les différents types
avons tous des grandes demeures à atrium et la fouille systématique s’est instaurée, avec d’habitats, et de saisir au moins partiellement
péristyle, dont les peintures d’une admirable des critères exigeants, établis pour l’essentiel ce qu’ils peuvent encore nous apprendre des
fraîcheur et les aménagements domestiques par le grand pompéianiste italien Amedeo générations qui y ont vécu.
ou décoratifs frappent l’imagination des tou- Maiuri, responsable du site de 1924 à 1961,
ristes comme celle des spécialistes, il importe et poursuivie par les surintendants qui ont LA PÉRIODE SAMNITE
de prendre en compte la profondeur chrono- assumé jusqu’à nos jours la responsabilité fort Peu de maisons complètes nous sont parve-
logique et aussi, ce qui n’est pas moins diffi- lourde de l’exploration et de la préservation de nues des IVe et IIIe siècles avant J.-C., anté-
cile, la diversité typologique des habitations, la ville campanienne, et des monographies rieurs à l’entrée de Pompéi dans l’orbite de
compte tenu de l’espace occupé dans cette détaillées ont été publiées, le plus souvent par Rome. Mais on y relève déjà une ordonnance
ville par l’architecture privée (près des deux des archéologues allemands, dans la série qui témoigne de l’influence du monde italique
tiers de la surface construite). Häuser in Pompeji. Aujourd’hui, des modèles et étrusque. L’une des demeures les plus

hors-sérien l 103
représentatives parmi les plus anciennes, les données archéologiques et le livre VI du
puisque son implantation remonte au moins traité d’architecture de Vitruve. Mais même si
au début du IIIe siècle avant J.-C., est sans la maison du Chirurgien n’est pas un cas isolé
conteste celle dite du Chirurgien, qui offre une dès cette époque, comme l’a encore montré
version accomplie de la séquence vestibulum- l’identification récente d’unités comparables
fauces (couloir d’entrée), atrium-tablinum dans l’îlot 10 de la région VI, il faut imaginer
(région VI, 1, 10), sur un axe longitudinal. Ce une foule d’autres plans imposés par la den-
développement en profondeur, caractéristi- sification du tissu urbain, conjuguée à la fai-
que des premières domus archéologiquement blesse des ressources des couches moins
identifiables, n’est pas dû seulement à la den- favorisées de la population. L’îlot 11 de la ©ELISABETTA COVA .©PIER PAOLO METELLI.
sité du tissu construit, mais procède aussi du région I, par exemple, a conservé la trace
souci d’ériger des barrières entre l’habitation de maisons en batterie dont le plan standar-
et son environnement, au moyen d’abord d’un disé n’excédait pas cent cinquante à cent
mur de façade massif en blocs de calcaire local, soixante mètres carrés ; bien que plusieurs
puis d’un cheminement intérieur du visiteur, fois remaniées, elles conservent la trace
dont l’importance ou le degré d’intimité avec le de leur ordonnance initiale : un petit couloir
maître du logis se mesurent au niveau de péné- menait à une aire centrale, entourée de seule-
tration auquel il est autorisé. Le grand atrium, ment quatre pièces. Un petit jardin, fort étroit,
de type « toscan » selon la terminologie vitru- complétait le dispositif, le tout correspondant
vienne, puisque dépourvu de tout support à ce que Vitruve disait de l’habitat des « gens
intermédiaire, est pourvu au centre de ses de condition ordinaire » (De l’architec-
quatre pans de toiture d’un espace zénithal, ture, VI, 5, 1) : ils n’ont nul besoin de cours
compluvium, laissant entrer l’air et la lumière, d’entrée, de tablina ou d’atriums somptueux
auquel correspondait au sol un bassin de car, ajoutait-il, ils n’ont pas de responsabilités trapézoïdal, où l’ordonnance initiale, axée
recueillement des eaux pluviales, impluvium ; il sociales ni d’ambition politique. selon le schéma de la maison traditionnelle,
était bordé par deux séries de pièces à vivre était complétée par un jardin (hortus) qui occu-
d’une remarquable symétrie. Un jardin animé LES DERNIERS SIÈCLES pait sur trois côtés le reste de la parcelle.
par une colonnade transversale occupait la RÉPUBLICAINS Dès la fin du IIe siècle avant J.-C., un petit por-
dernière partie de la parcelle. Le tablinum, Au IIe siècle avant J.-C., l’alliance avec Rome tique dorique en tuf agrémente la partie nord-
quant à lui, ouvert en exèdre sur l’atrium, salle entraîne sur le moyen terme une nouvelle est du jardin, bientôt complétée par une salle
où se conservaient les archives de la famille, et prospérité économique, véritable âge d’or de à manger de plein air (triclinium d’été), qui
où le dominus pouvait accueillir ses hôtes lors la Pompéi hellénistique, dont les conséquen- constitue l’un des aménagements les plus
de la « salutation » matinale de ses dépendants ces sont sensibles dans l’habitat des classes appréciés de cette période. Dans le même
(les clientes), assumait aussi une fonction de les plus aisées. Quelques maisons, choisies temps toutes les pièces furent décorées de
contrôle puisqu’il permettait d’avoir une vue pour la lisibilité de leurs différentes phases, peintures dites du premier style. Ce détail n’est
sur la section antérieure comme sur la section donnent à voir en direct la nature de cette pas anodin car, très vite, cette ornementation
postérieure de l’habitation. évolution. Il s’agit d’abord de la domus dite « structurale », qui superposait des panneaux
Longtemps, l’attention s’est concentrée sur de Salluste (région VI, 2, 4), établie dès le peints représentant de la base à la corniche
ce schéma, du fait de la convergence entre IIIe siècle avant J.-C. dans un espace de plan tous les niveaux d’un mur en grand appareil,

104 l nhors-série
EAU DE PLUIE
Ci-dessus : le jardin de la maison
devait passer de mode ; le fait que ce symbole l’impluvium, ce qui certes ne suffit pas à trans- de Ménandre, construite au IIIe siècle
de gravité et de simplicité ait été préservé et former cette pièce en un véritable péristyle, avant J.-C., avec son péristyle
renouvelé jusqu’à la catastrophe finale montre mais entretient dès l’entrée l’illusion grati- ajouté à l’époque d’Auguste. Page
combien les propriétaires successifs atta- fiante d’une forêt de colonnes dont seule la de gauche : l’atrium de la maison
chaient d’importance au prestige rémanent de maison des Dioscures proposera une image du Chirurgien, datant du début
la domus italique, en dépit des améliorations comparable. La seconde forme est le redou- du IIIe siècle avant J.-C., avec son
qu’ils lui avaient progressivement apportées, blement de la séquence atrium-tablinum, impluvium. C’est l’une des plus
comme la grande salle à manger ouverte en dans une organisation bipartite qui suppose anciennes maisons de Pompéi.
exèdre sur le péristyle incomplet de l’aile sud. une division non seulement des espaces mais
L’intégration de l’atrium à une conception aussi des circuits : la maison du Labyrinthe
plus élaborée de l’habitat ne manque pas (région VI, 11, 9-10), qui a fait l’objet d’une
cependant de se manifester, sous deux for- récente monographie, en offre l’une des
mes différentes : la première, observable meilleures illustrations. Elle comporte en effet
entre autres dans la maison des Diadumènes un atrium principal, dit corinthien, en raison
(région IX, 1, 20), est la multiplication des sup- des quatre colonnes qui cantonnent l’implu-
ports libres, au nombre de seize, autour de vium, et un atrium secondaire, dit toscan. L’un

hors-sérien l 105
© DEAGOSTINI PICTURE LIBRARY/SCALA, FLORENCE. © PHILIPPE GODEFROY. © LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION.

et l’autre commandent une séquence longi-


Maison de Trebius Valens POMPÉI
tudinale, mais le second est le centre autour
N

duquel s’organisent les appartements des


Chambre
Ala Oecus Cubiculum Exedra Chambre Culina
hôtes, cependant que le premier, plus déve-
Pièce Chambre Exèdre Cuisine
latérale Salon loppé, ouvre le cheminement vers le grand
Cubiculum péristyle (quadriportique autour d’un vaste
Chambre
Peristylium espace libre) et les salles de réception aux-
Via dell’Abbondanza

Atrium
Rue de l’Abondance

Tablinum Péristyle
Vestibulum Bureau quelles il donne accès (oeci pouvant servir de
Entrée
Portique
Triclinium salles à manger ou de simples salons), où le
Aestivum
Chambre
Fauces Triclinium maître de maison recevait les visiteurs de mar-
Laraire Couloir Fontaine d’été
à jets que. Ainsi, en raison d’une vie mondaine plus
Culina Bain développée, cette maison fut dotée d’une
Triclinium Cuisine
Salle à manger
Chambre luxueuse aile d’accueil réservée aux amis.
Latrine Portique Oecus Parmi les grandes maisons de la fin de la
Salon
République, postérieures à la création de la
2m
colonie syllanienne en 80 avant J.-C., celle
MAISON DE VILLE Ci-dessus : plan de la maison de Trebius Valens. Fouillée dite du Méléagre peut nous aider à mieux
à partir de 1913, cette vaste demeure avec entrée sur la via dell’Abbondanza comporte comprendre les raisons et les modalités de
une surface au sol de près de cinq cents mètres carrés et présente l’ordonnancement cette dilatation des espaces de représenta-
classique de la domus italique, articulée autour de l’atrium et du péristyle, cour à portique tion ; un salon dit corinthien en raison de la
d’origine grecque. Tout autour se répartissent les différentes pièces à vivre, avec colonnade qui entoure son espace central
le triclinium (salle à manger), le tablinum (sorte de bureau où étaient conservées les archives) ouvre sur un riche péristyle pourvu, au début
et les nombreuses chambres (cubicula). de l’époque impériale, d’un bassin central qui

106 l nhors-série
FENÊTRE SUR COUR A gauche : la maison du Faune compte parmi
les plus luxueuses de Pompéi. Elle s’articule autour de deux atriums dont le plus
grand communique avec le péristyle et le jardin. Ci-dessus : l’atrium tétrastyle
de la maison des Ceii, dont les quatre colonnes soutiennent le toit et le compluvium
laissant passer la pluie recueillie au sol dans l’impluvium.

affirmera son caractère essentiellement éventuelles, dans les maisons de l’Orient grec les entrecolonnements, comme à la maison
décoratif. Il est clair que les étroits passages de Priène à Pergame, le noyau central de de l’Ephèbe (région I, 7, 10), même si des sal-
ménagés entre le secteur oriental de cette l’habitation, à la fois centre de convergence les à manger ou des salons judicieusement
domus où se déploient sans éclat pièces de et lieu de dispersion, il perd dans les villes disposés au terme des perspectives les plus
service et salles à vivre et le secteur de pres- romaines d’Occident, et à Pompéi plus préci- élaborées permettent à certains hôtes privilé-
tige qui le jouxte à l’ouest n’étaient pas fran- sément, cette fonction originelle et acquiert giés de bénéficier de sa fraîcheur dans la touf-
chissables par tous les visiteurs. La restitution en revanche des valeurs nouvelles : situé en feur de l’été campanien.
axonométrique de la maison des Amours général dans la partie la plus reculée du secteur Pompéi compte dès cette période, parmi
dorés permet de mesurer la marginalisation de représentation, il est d’abord un espace trois ou quatre demeures de grand prix,
irréversible de l’atrium, au profit du péristyle d’accueil et de promenade sur lequel ouvrent véritables palais urbains, comparables aux
sur lequel donne une vaste salle à manger (tri- largement les salons de réception, puis s’enri- plus luxueuses villas comme celle dite des
clinium) pourvue d’un fronton, point focal de chit rapidement d’un jardin plus ou moins Mystères ou celle de Diomède, la célèbre
l’un des plus beaux jardins pompéiens. arboré que des jeux d’eau, sous la forme de maison du Faune (région VI, 12). Si nous la
A ce point de notre itinéraire, il est nécessaire bassins et de fontaines, agrémentent pour le saisissons dans sa dernière phase, entre la fin
de dire un mot de cette structure dont nous plus grand plaisir des visiteurs. Ce carré de du IIe siècle avant J.-C. et le début du Ier siècle
venons d’entrevoir l’importance, à savoir le verdure, où une nature domestiquée déploie après J.-C., nous sommes en présence d’un
péristyle. Dans les grandes demeures des tous ses charmes, tend ainsi à devenir dans établissement complexe de plus de trois mille
classes dirigeantes, dont la superficie dépasse les dernières phases un paysage raffiné, ver- mètres carrés (c’est-à-dire davantage que le
en général cinq cents mètres carrés au sol, sion modernisée du jardin (hortus) ancestral, palais des Attalides à Pergame) qui possède
cette cour portiquée, qui atteignait parfois accessible seulement par la vue, comme le deux atriums, deux péristyles, dont le plus
les dimensions d’un espace public, doit évi- prouvent les murets qui progressivement sont récent, à l’extrémité septentrionale de la par-
demment son nom à ses origines grecques. placés entre les colonnes des portiques péri- celle, ne compte pas moins de quarante-qua-
S’il restait, à travers toutes les modifications phériques, voire les fenêtres qui en occupent tre colonnes et au moins quatre triclinia.

hors-sérien l 107
MEZZANINE
Ci-contre : coupe restituée à travers le péristyle
et le bain de la maison du Centenaire, d’après
J.-L. Chifflot, pensionnaire de l’Académie de France
à Rome, 1903. Elle disposait (à droite) de bains
privés alimentés par une citerne. En bas : l’insula Arriana
Polliana. On observe au premier étage, sur le côté
gauche, les logements des tenanciers des boutiques
ou des ateliers numérotés de 1 à 6, qui encadrent
la porte d’entrée de la domus. Appelées pergulae,
ces étroites mezzanines étaient souvent louées
par eux aux propriétaires de la domus.

Si l’on redescend de ces sommets pour espace plutôt réduit et inconfortable où l’on propriétaires fuient la ville pour se réfugier
examiner les habitations de ce qu’on pourrait pouvait à peine tenir debout : c’est là que les dans leurs somptueuses villas suburbaines,
appeler les classes moyennes, il faut prendre tenanciers, dans des locaux loués le plus sou- et leurs demeures, vendues, louées ou
garde à leur aspect incomplet ou embryon- vent aux propriétaires des domus adjacentes, loties, deviennent en tout ou en partie le
naire. Leur plan plutôt sommaire n’est pas vivaient avec leurs enfants. siège d’activités artisanales ou commercia-
toujours un signe de modestie économique les, cependant que des cloisons ou des
ou culturelle. Songeons par exemple à la LA POMPÉI DU IER SIÈCLE planchéiages intermédiaires définissent
maison de Pinarius Cerialis (région III, 4b), où C’est sans doute à Auguste que Pompéi doit des appartements sommaires occupés par
la structure la plus notable est une cour entou- son premier aqueduc, l’Aqua Augusta, qui per- une population besogneuse.

© BEAUX-ARTS DE PARIS, DIST. RMN-GRAND PALAIS/IMAGE BEAUX-ARTS DE PARIS. © IDIX. © GETTY IMAGES/ISTOCKPHOTO.
rée sur deux de ses côtés d’une brève colon- mit à de nombreuses maisons d’avoir accès au Mais certains ont eu l’opportunité de met-
nade ; elle a livré dans l’une de ses chambres à réseau public de distribution d’eau, sans pour tre à profit la disponibilité des parcelles aban-
coucher (cubiculum) quelques-unes des plus autant se priver des ressources offertes par les données ou détruites pour doter leur domus
belles fresques du quatrième style. De même, citernes. Ce progrès favorisa la mise en place de grands espaces verts propices à l’accueil
dans la maison des Ceii (région I, 6, 15), dans les plus riches demeures de bains privés et à la promenade, où s’affirme le désir de
l’atrium tétrastyle occupe toute la largeur de la souvent fort bien équipés. La maison du Cen- rivaliser, en plein cœur de la ville, avec les vil-
parcelle, mais les annexes de celui-ci, pour- tenaire (région IX, 8, 6), construite dès le IIe siè- las de plaisance. Le cas le plus remarquable
vues d’un étage, pouvaient accueillir dans des cle avant J.-C., fut remaniée en ce sens au est sans doute celui de la maison de D. Octa-
conditions satisfaisantes une famille assez début de l’empire, comme le prouvent les sal- vius Quartio (région II, 2, 1-3. 5-6). Il s’agit en
nombreuse. Pour trouver les catégories les les 5 et 6, piscine froide et salle chaude, situées fait d’une ancienne maison d’époque sam-
plus populaires, indépendamment des escla- de part et d’autre de la cuisine. nite, complètement remaniée par un secta-
ves, dont l’omniprésence dans l’habitat est Toutefois, le nouvel ordre qui s’instaure teur, ou même un prêtre du culte d’Isis, divi-
quasiment invisible, puisqu’ils étaient canton- avec l’empire favorise l’émergence de caté- nité très populaire à Pompéi, l’une des salles
nés dans les sous-sols ou les soupentes, gories sociales qui n’appartiennent plus à la proches de l’ancien tablinum transformé en
quand ils ne couchaient pas tout simplement vieille aristocratie pompéienne, qu’elle soit viridarium pouvant être assimilée à un petit
dans les couloirs de service ou sous les porti- autochtone ou issue de la colonisation. Et sanctuaire égyptien. Deux canaux perpen-
ques des péristyles, il faut aller dans la mezza- l’épigraphie laisse entrevoir l’essor d’une diculaires, bordés de pergolas de verdure,
nine des boutiques ou des ateliers, la pergula, classe de parvenus, composée partiellement se concevaient comme des euripes, qu’on
d’affranchis. S’ils s’aménagent encore des pouvait faire déborder pour mimer les crues
demeures urbaines qui peuvent être luxueu- du Nil. Le plus long, d’orientation nord-sud,
ses, où s’exhibe sous une forme plus matérialisait l’axe d’un grand jardin planté
ou moins triviale la richesse d’arbres de différentes essences et animé
thésaurisée, comme à de statues et de fontaines. D’autres « villas
la maison des Vettii en miniatures », selon la formule de Paul Zan-
(région VI, 15, ker, datables des dernières décennies avant
1.27), le la catastrophe finale, telles la maison du
temps n’est Moraliste (région III, 4, 2-3), la maison de
cependant l’Ancre (région VI, 10, 7) ou celle d’Apollon
plus aux gigantes- (région VI, 7, 23), auraient pu être évoquées,
ques domus. Il le sera qui procèdent de la même tendance. 3
d’autant moins que le ou les
séismes de 62, dans les derniè- Membre de l’Institut, Pierre Gros
res années du règne de Néron, creu- est archéologue et latiniste, spécialiste
sent des cicatrices profondes dans de l’architecture romaine et de l’urbanisme.
le tissu construit et entraînent une ultime Il est l’auteur notamment de L’Architecture
mutation sociale : beaucoup de riches romaine (Picard, 2 volumes).
JARDIN D’ÉDEN
La maison d’Octavius Quartio. Au
premier plan, un petit temple tétrastyle
est érigé sur un nymphée dédié à Diane
et Actéon, qui alimente l’euripus, le long
canal qui court dans le jardin aménagé
à un niveau légèrement plus bas que la
maison. Décoré de fontaines, statues et
bas-reliefs, l’euripus était probablement
rempli de poissons. Un autre petit
temple orné d’une fontaine agrémente
le canal à mi-longueur.
Au cœur
DE LA MAISON POMPÉIENNE
Avec l’arrivée de riches Romains, les modestes maisons de Pompéi
sont remplacées par des domus aux allures de villas.

1. VESTIBULUM maison du Faune qui représente Alexandre 10. BRASERO


L’entrée de la maison, souvent décorée en le Grand lors de la bataille d’Issos. Utilisé dès l’automne pour chauffer
premier style pompéien. On pouvait parfois la maison pompéienne. Certains étaient
y trouver un autel dédié aux Lares, divinités 8. PÉRISTYLE allumés le jour de l’éruption du Vésuve
protectrices du foyer domestique. Colonnade formant un portique qui qui a enseveli la ville.
encadrait le jardin. Inspiré des maisons
2. ATRIUM hellénistiques, il ouvrait l’espace
L’atrium tient son nom de la fumée privé du propriétaire.
du foyer qui encrassait les murs (ater signifie
« noir »). Il était couvert d’un toit incliné 9. TRICLINIUM
vers le centre et percé d’une ouverture Les riches maisons pouvaient
carrée qui laissait échapper la fumée avoir leur salle à manger d’hiver
et servait à l’éclairage. Décoré de fresques et leur salle à manger d’été.
et orné de statues, il était l’endroit Un triclinium contenait
où attendait le visiteur. au moins trois lits sur lesquels
on s’étendait pour manger.
3. IMPLUVIUM Il était en général
Bassin creusé au centre de l’atrium décoré de fresques
et destiné à recueillir les eaux de pluie. représentant des
fruits, des victuailles où
4. BIBLIOTHÈQUE des scènes de jardin.
C’est là que le maître de maison
conservait les papyri. Dans la villa du même 2
nom, à Herculanum, on en a retrouvé
des centaines, la plupart rédigés en grec.

5. CUBICULUM
Plus que des chambres à coucher
les cubicula étaient des petites cellules
équipées d’un lit. On pense qu’elles
n’étaient pas attribuées.
1
6. CUISINE
Le Pompéien, maître chez lui, mobilisait
toutes les commodités pour jouir pleinement
de l’existence. Les plaisirs de la table
© MDJ. © DEAGOSTINI/LEEMAGE.

y tenaient une place prépondérante. Pour 4


des raisons d’écoulement des eaux,
les latrines jouxtaient souvent la cuisine.

7. TABLINUM Fermé par un rideau,


le tablinum était le lieu des rencontres
commerciales ou politiques. Il pouvait être
pavé de mosaïques comme celle de la
CÔTÉ COUR
Ci-contre :
le péristyle de
la maison
de Ménandre
à Pompéi.

9
8

10
3

5
VÉNUS BEAUTÉ
Au fond du jardin avec péristyle
de la maison de Vénus à la coquille,
se déploie la fresque spectaculaire
qui donna son nom à la maison.
Sur la partie inférieure du mur est
représenté un jardin luxuriant
derrière un treillage en osier.
Au-dessus, Vénus, accompagnée
de deux Amours, est figurée
© PIER PAOLO METELLI.

allongée dans une grande coquille.


Entièrement nue, la déesse
protectrice de Pompéi est
uniquement parée d’un diadème,
d’un collier et de bracelets qu’elle
porte au poignet et aux chevilles.
F© PIER PAOLO METELLI.
La couleur aux
fresques des murs
PAR ALIX BARBET
Dans les maisons ou les boutiques et jusque dans les tombes,
couvrant murs et plafonds, la peinture, à Pompéi, était partout présente.
Exceptionnels par leur nombre et leur diversité, les décors pompéiens
et leurs quatre styles reflètent les goûts d’une société brillante et prospère.
“ Les parois mais aussi les plafonds
P
ompéi est évidemment l’usage du stuc. Il remonte au
le site qui nous a révélé II e siècle avant J.-C. C’est une
le plus de peintures copie à l’italienne du style à
romaines, et les derniers incrustations grec, qui remonte
travaux de l’année 2019 pour au siècle précédent. Les parois
consolider les fronts de fouille sont scandées par des pilastres
n’ont pas manqué d’en décou- en relief ; au-dessus de la zone
vrir d’autres encore. Par rapport inférieure, les panneaux, appe-
à d’autres sites de l’Empire lés orthostates, sont colorés, et
romain, Pompéi nous offre en surmontés d’assises de blocs
outre des peintures en place d’appareil à bossages.
dans toutes sortes d’édifices : On le trouve aussi en façade
de la maison privée à l’édifice comme sur celle de la maison
public, religieux, aux thermes, des Ceii avec des imitations de
en passant par les commerces, blocs d’appareil en retrait et des
les bistrots, et les tombes des pilastres encadrant la porte. Le
nécropoles. Non seulement les même système se retrouve éga-
parois étaient peintes, mais également les plafonds et les voûtes lement dans le vestibule de la maison de Salluste (ci-contre), où les
souvent enrichis de stucs. blocs d’appareil sont de couleurs variées, jaune, violet, rouge,
Ce que nous pouvons voir s’étend sur plus de trois siècles, du vert, encadrés par un pilastre cannelé.
début du IIe siècle avant notre ère, avec des traces de décors anté-
rieurs, jusqu’à l’année 79, où l’éruption du Vésuve a englouti la LE DEUXIÈME STYLE POMPÉIEN
ville qui ne réapparaîtra qu’au milieu du XVIIIe siècle. Dès le début du Ier siècle avant J.-C. cette mode fut remplacée par
Otons-nous cependant une idée toute faite de la peinture un nouveau type de décor. On assiste à la naissance du deuxième
romaine qui serait réservée aux pièces intérieures des maisons ; en style à architectures uniquement réalisées en peinture, avec de
fait, elle envahit les façades, les murets des lits comme ceux du tri- savants trompe-l’œil. Les motifs évoluent au cours des années et
clinium d’été de la maison de l’Ephèbe, couvert de scènes parodi- dans la maison du Cryptoportique nous découvrons un style très
ques. Ce sont des scènes grotesques avec des Pygmées, traitées enrichi dans le frigidarium, la salle froide des thermes privés de
sur un fond monochrome bleu vert ; on note un paysage nilotique cette grande demeure (page de droite). C’est une véritable façade
avec des palmiers et la présence d’un sanctuaire avec une statue de théâtre à deux étages qui est peinte en trompe-l’œil, avec des
de la déesse Isis Fortuna portant une corne d’abondance. Devant
la colonnade qui enserre le temple, une femme pose une guirlande
© ARALDO DE LUCA. © PIER PAOLO METELLI. © ARALDO DE LUCA.

sur un autel et un prêtre d’Isis, tête rasée, l’assiste. A côté, Horus


sur un pilier se dresse sous la forme d’un faucon.
Les décors de Pompéi ont été classés en quatre styles par l’archéo-
logue allemand August Mau en 1882 en s’appuyant sur ce qu’en
avait décrit Vitruve dans son livre De l’architecture, où il glorifiait
le début de la peinture imitant une véritable architecture et qui se
serait dégradé par la suite. Sans doute les plus belles « pièces » de
peintures trouvées à Pompéi ont-elles été déposées et sont-elles
désormais visibles au Musée archéologique national de Naples.
Mais ce qui est resté sur place, dans les édifices eux-mêmes, permet
de suivre la succession de ces modes.

LE PREMIER STYLE POMPÉIEN


La maison du Faune, la plus grande des maisons pompéiennes,
conserve encore en place un décor typique de ce qu’on a appelé
le premier style, fait de fausses architectures en relief, grâce à

114 l nhors-série
étaient peints.”

édicules à colonnade en avant-corps. Dans l’édicule de l’étage


inférieur, un athlète nu est campé, alors que derrière le parapet de
l’étage supérieur on découvre les petites figures du public. L’édi-
cule central encadre l’ouverture en demi-cercle de la pièce. Sur la
paroi d’angle, à droite, se répète la répartition à deux étages : en
bas, un candélabre sur fond jaune est rendu plus réel grâce à son
ombre portée sur le mur-cloison à plusieurs rangs de blocs à bos-
sages ; en haut, se profile la figure d’un autre athlète nu. Dans la
même maison, dans une pièce d’apparat, ce sont des hermès qui
sont posés sur les pilastres et qui soutiennent une corniche fictive,
elle-même protégée par une véritable corniche en stuc en relief à
protomé de taureau ailé avec feuilles d’acanthe et arc-doubleau
dans le prolongement du support fictif du satyre en hermès. Entre
les deux, une série de petits tableaux fictifs, à volets vus en pers-
pective, sont disposés, avec diverses scènes.
Dans la maison des Noces d’argent, on retrouve ces architectures
fictives de pilastres, avec des guirlandes accrochées qui rythment la
paroi. La zone médiane à mur-cloison composé d’orthostates jaunes
est agrémentée de guirlandes de fleurs et de fruits accrochées à des
pilastres, suivis d’une assise de blocs d’imitation de marbre, et d’une
corniche soutenue fictivement par des consoles anthropomorphes
représentant des satyres, des ménades ou des centaures.
Dans des villas de très grand prestige apparaît, à côté de ces archi-
tectures illusionnistes, des mégalographies, des personnages gran-
deur nature : ainsi à la villa des Mystères (page de gauche, en bas).
Dans l’oecus, le salon d’apparat, se trouve une frise de rinceaux
peuplée d’Amours à peine visibles, puis un rang de blocs d’appareil
imitant l’albâtre, suivi d’une frise de méandres à svastikas en mono-
chrome beige qui donne l’impression d’être en relief grâce aux
ombres et aux lumières. Dessous, les orthostates rouge vermillon
alternent avec des bandes de séparation rouge bordeaux à bordure STYLÉ Page de gauche, en haut : murs de la maison
d’oves et fers de lance. Devant ces orthostates, se déploient les figu- de Salluste avec leurs blocs de stuc peints imitant des marbres
res de taille humaine d’une mégalographie. A gauche, une jeune polychromes, caractéristiques du premier style. Page
femme présente sur un plateau des offrandes. Elle est ceinte d’une de gauche, en bas : fresque de l’oecus de la villa des Mystères
couronne végétale et regarde vers le spectateur. La seconde femme figurant les étapes de l’initiation aux mystères dionysiaques.
à droite porte une vasque dont l’objet va être dévoilé. Toutes les scè- Ces personnages grandeur nature ou mégalographies sont
nes semblent converger vers l’initiation d’une jeune mariée aux emblématiques du deuxième style. Ci-dessus : sur les murs du
mystères dionysiaques, en présence du dieu lui-même. frigidarium de la maison du Cryptoportique, c’est une véritable
Ces mégalographies sont rares, comme celles retrouvées à Bos- façade de théâtre à deux étages qui se déploie en trompe-l’œil.
coreale dans la villa d’un certain Publius Fannius Synistor, disper-
sées dans une dizaine de musées. Il y a quelquefois des personna-
ges de plus petite taille qui apparaissent dans les architectures, LE TROISIÈME STYLE POMPÉIEN
comme ce poète dans une exèdre fictive de la maison dite de la Vers les années 20-15 avant J.-C., soit un peu après le début du
Bibliothèque en raison de la place retrouvée d’un tel dispositif. Au- règne d’Auguste, naît un nouveau style en réaction au style précé-
dessus de la zone inférieure jaune, à haut podium saillant et bases dent qui abusait des architectures feintes. Le troisième style pré-
soutenant des colonnes cannelées, une exèdre semi-circulaire est fère les murs plats, parfois d’une seule couleur, où se détachent les
peinte. Au milieu, se trouve un poète debout, portant une tunique vignettes au centre des panneaux, des colonnettes devenues cier-
et une couronne de feuilles sur la tête. ges sous des frontons évanescents. On aime peindre des jardins

hors-sérien l 115
“Toutd’une
un répertoire d’ornements
très grande finesse.”
entiers, sur des parois de pièces d’une taille restreinte comme
dans la maison du Verger (page de droite) où un simple cubiculum,
entièrement à fond noir, reçoit un champ clos par une treille de jar-
din, garnie de vasques, de fleurs et de feuillages. En zone supé-
rieure, des colonnettes à chapiteau lotiforme scandent l’espace
du jardin garni de fleurs et d’arbustes. Les essences peintes sont
pratiquement toutes reconnaissables : cerisier, prunier, poirier,
pêcher, citronnier, laurier ou myrte et arbousier, au centre, avec
un serpent enroulé autour du tronc.
Le même thème est repris pour la voûte à fond noir. C’est une
treille qui la couvre, avec des pampres, des roses et des grappes de
raisin et des objets dionysiaques : rhyton, ciste, syrinx, lyre et tym-
panon, ainsi que des oiseaux. Au centre de la voûte, est placé un
tableau de Dionysos sur sa panthère, entouré d’une bordure à
lotus en boutons ou épanouis.
Dans le péristyle de la maison d’Orphée, une peinture de jardin
© ALIX BARBET. © ARALDO DE LUCA. © AKG-IMAGES/DE AGOSTINI/G. CARFAGNA. © MARCO CANTILE/LIGHTROCKET/GETTY IMAGES.

s’étale avec une guirlande suspendue et un oscillum fictif, copiant


les véritables disques sculptés qui ornaient les entrecolonne-
ments des colonnades. A côté, des animaux divers entourent
Orphée jouant de la cithare pour les charmer. Il y a là un lion, une
panthère, un sanglier et un cerf.
Les petits tableaux à volets fictifs, déjà inventés au deuxième
style, par exemple dans la maison du Cryptoportique, continuent
à être peints, ainsi dans la villa Impériale où le tableautin à volets,
appelé pinax, montre une scène de musique (ci-contre, en haut).
Le musicien, un homme très bronzé, assis, joue de la cithare
devant une femme voilée également assise et une jeune fille qui
l’écoutent ; la scène est observée de loin par une femme debout.
Apparaissent des tableaux de grande taille également et tout un
répertoire d’ornements d’une très grande finesse. Cette mode
durera jusque dans les années 40 après J.-C., soit deux bonnes
générations de peintres, qui, dans la dernière phase, reviennent
en partie au vocabulaire architectural du deuxième style, lequel,
transmis au style suivant, est recyclé.
Ainsi, parfois la structure de la paroi est extrêmement complexe
et chargée comme on le voit dans la maison de Marcus Lucretius
Fronto, dans le tablinum, pièce officielle s’il en fut (ci-contre, au
centre). En zone inférieure, le podium noir est décoré d’un jardin
enclos. Au-dessus, une prédelle – un espace situé avant la zone à
tableau – offre des animaux sous des arcs de feuillages, des vases et
d’autres objets sur fond rouge bordeaux. Sur la zone médiane, le
panneau central porte un tableau représentant le mariage de Bac-
chus, tandis que les panneaux noirs latéraux comportent des brûle-
parfums devant lesquels sont accrochés des tableautins (pinakes)
à paysages maritimes. Entre les panneaux, des échappées sont
décorées de fins portiques en perspective. C’est dans la zone supé-
rieure que se déploie une architecture en trompe-l’œil, très com-
plexe, qui annonce la mode nouvelle à venir.

116 l nhors-série
UN JARDIN
EXTRAORDINAIRE
Ci-contre : les murs
de ce cubiculum de la maison
du Verger sont entièrement
peints, sur fond noir, d’un
jardin en trompe-l’œil garni de
fleurs, vasques et arbustes
et peuplé d’oiseaux ainsi que
d’un serpent enroulé autour
d’un tronc. Page de gauche,
en haut : tableautin à volets
(pinax) ornant la villa
Impériale. Un joueur de
cithare à demi-nu régale de
sa musique un auditoire
féminin. Page de gauche, au
centre : vue du tablinum de la
maison de Marcus Lucretius
Fronto. Le décor peint
se structure en trois grandes
parties : en bas, un jardin
clos ; au centre, dans
un espace architecturé, des
tableaux figurant le mariage
de Bacchus (au centre) et des
paysages maritimes (à droite
et à gauche) ; en haut, une
architecture en trompe-l’œil
très complexe. Page de
gauche, en bas : l’oecus de
la maison des Vettii et son
décor d’architectures en
trompe-l’œil alternant avec
des scènes mythologiques
(Penthée mis en pièces par
les bacchantes, à gauche, et
le supplice de Dircé, à droite).

LE QUATRIÈME STYLE POMPÉIEN à un taureau, par les jumeaux Amphion et Zéthos. A droite, au-
Vers 45 après J.-C., l’on note l’apparition du quatrième style, qui dessus d’un mur-parapet à compartiment d’animaux marins en
consacre une renaissance du goût pour des architectures plus bas-relief fictif, la baie, bordée d’une frise à svastikas, est cou-
solides encadrant les panneaux qui s’ornent de bordures ajou- verte d’un plafond à caissons, et au fond se profilent des édicules
rées, aux échappées pleines de fantaisie. Les figures volantes ou en perspective sur fond blanc. Il y a une autre scène de supplice,
statiques ornent le centre des panneaux, d’autres figures plus celui d’Ixion sur la roue, en présence d’Hermès-Mercure, d’Héra,
menues animent les architectures légères des zones supérieures d’Héphaïstos et de deux témoins. On se posera la question : pour-
qui gagnent d’ailleurs le champ des plafonds et des voûtes. quoi ces scènes horribles ? A l’entrée de la maison, dans le vesti-
Par exemple, la maison de l’Ephèbe recycle des éléments du bule, sur la droite, avant qu’on en franchisse le seuil, l’image de
répertoire du style précédent. La paroi est à fond blanc, à pan- Priape est là pour protéger le visiteur qui doit franchir la porte du
neaux à bordures ajourées avec tableautins au centre représen- pied droit. Il pèse sur un des plateaux d’une balance son phallus
tant des poissons ; ils sont séparés par un candélabre doré devant et, sur l’autre, une bourse, prix de sa protection. A ses pieds, une
des petits édicules. La zone supérieure présente elle aussi des édi- corbeille de fruits. Il tient son pédum et a posé un thyrse sur le
cules, agrémentés d’oiseaux et de bordures ajourées. pilier sur lequel il s’accoude.
Dans la maison des Vettii, la zone médiane est traitée en mono- Dans la maison de Loreius Tiburtinus (dite aussi maison d’Octa-
chrome jaune (page de gauche, en bas). Au milieu de l’édicule cen- vius Quartio), on retrouve ces architectures irréelles qui surplom-
tral à colonnes est placé le tableau du supplice de Dircé, attaché bent les parois, aux délicates bordures et figures en vignette, comme

hors-sérien l 117
ce personnage d’un prêtre égyptien tenant un sistre en main. Le riche jardin. Derrière une barrière d’osier et une vasque de fon-
nymphée nous offre le drame de Thisbé se poignardant sur le corps taine à jet d’eau, viennent s’abreuver des oiseaux, au milieu d’une
de son amant Pyrame qui venait de se suicider croyant qu’elle avait végétation luxuriante. Une guirlande végétale encadre la baie fic-
été dévorée par une lionne. De l’autre côté de la fontaine, c’est Nar- tive, et un masque de tragédie y est accroché au sommet. Dans un
cisse qui est représenté, lumineux (page de droite, en haut). cubiculum on trouve un tableau avec Léda et le cygne. Elle est
Apparaissent des paysages avec villas maritimes en plein air, sur debout, le cygne ayant son bec tout près des lèvres de la jeune femme
fond bleu, très fréquents, ainsi dans la maison de la Grande Fon- qu’il va séduire, une des poses de ce sujet, dont on a récemment
taine où l’on voit un pêcheur franchir l’eau sur un petit pont, en découvert un nouvel exemplaire où Léda, assise, accueille dans son
perspective aérienne. giron Zeus transformé en cygne.
Dans la maison des Dioscures, sur la zone médiane, d’amples Certains tableaux au centre des parois nous proposent des thè-
panneaux jaunes portent des personnages flottants, encadrés par mes très inspirés. C’est le cas de ces scènes de banquets dans la
une architecture fictive avec échappée sur de petits édicules, et, maison dite des Chastes Amants où les amants en question échan-
dessous, un tableautin à nature morte où l’on voit, sur une étagère, gent des baisers rien moins que chastes, et où ils se livrent à des
deux chevreuils couchés l’un contre l’autre ; en bas à gauche se beuveries qui se terminent par l’effondrement des convives ivres
dresse un panier en osier à anse débordant de guirlandes, dont (page de droite, au centre). Les scènes se passent justement dans le
une oie, qui occupe le côté droit, tire un pan de son bec. triclinium, la pièce dédiée à ces soupers d’un style particulier.
Par ailleurs, les animaux sont très souvent représentés dans les scè- Il y a bien sûr de véritables scènes érotiques, dans des chambres
nes de chasse, par exemple dans la maison de la Chasse ancienne où réservées de la maison, par exemple dans celle des Vettii, mais
toute une pièce est ornée de prédelles à fond blanc à scène de chasse aussi dans le vestiaire des thermes suburbains. Au registre supé-
avec Amour, des félins poursuivant un cerf ou une biche. rieur, on trouve un personnage atteint d’éléphantiasis, puis des
Dans la maison de la Vénus à la coquille, sur la paroi à fond bleu, scènes érotiques à quatre et à trois personnages. Dans le lupanar,
au fond du jardin, Vénus est allongée sur une coquille, soutenue chaque cellule renferme un tableau où s’ébattent des couples de
par un Amour (ci-dessus). Elle voisine avec la représentation d’un façon fort explicite, afin d’inspirer sans doute les clients.

118 l nhors-série
© ARALDO DE LUCA. © ALIX BARBET. © ARALDO DE LUCA. © ERIC VANDEVILLE/AKG-IMAGES.

Très reconnaissable, la peinture dans les laraires suit des règles


bien établies : outre la présence des dieux lares protecteurs, dans le
thermopolium de Vetutius Placidus il y a le Génie de la maison et les
dieux Bacchus et Mercure ; les serpents sont placés au-dessous, de
part et d’autre de l’autel chargé des offrandes.
Toutefois, il y a parfois des thèmes particuliers, c’est le cas
dans la maison des Amours dorés où le laraire, à l’angle de deux
murs, met en valeur les divinités isiaques. Sur panneaux jaunes,
à bordures ajourées, sur le mur de droite, se détachent les figures
d’Isis, de Sérapis, d’Harpocrate et d’Anubis, tandis que sur le
mur de gauche, un uraeus se dresse à côté d’objets du culte sus-
pendus où l’on reconnaît un sistre, instrument de musique pour
célébrer Hathor et Isis, une patère et une situle. Les serpents
agathodaimon (de bon génie), de part et d’autre d’un autel, sont DES HOMMES ET DES DIEUX Page de gauche : fresque
situés en zone inférieure. du jardin de la maison de Vénus à la coquille. Sur fond de végétation
N’oublions pas la mode des Pygmées que l’on voit sur des frises luxuriante, une statue de Mars, à gauche, et une vasque de fontaine
parodiques déjà signalées, mais aussi dans de grandes scènes en où s’abreuvent des oiseaux, à droite, y encadrent Vénus. En haut :
milieu de paroi, comme dans la maison dite justement des Pygmées. le nymphée de la maison de Loreius Tiburtinus orné d’une fresque
On en remarque un portant des paniers sur une perche. Derrière lui, figurant Narcisse. Au centre : scène de banquet dans le triclinium
différents édifices en perspective, d’inspiration égyptienne, sont de la maison des Chastes Amants. Ci-dessus : laraire de la maison
ébauchés. Un hippopotame et des canards, un crocodile en statue du Cryptoportique. Un serpent, Génie de la maison, se dresse
sur un pilier, près d’un sanctuaire, un palmier sortant d’un dolium vers le buste de Mercure dans une niche sous laquelle un plus petit
animent le décor, et au loin se profilent des Pygmées en barque. serpent est enroulé autour d’un autel.

hors-sérien l 119
“Une grande variété de styles
et de sujets.”
On assiste à la naissance de l’art du portrait, notamment sur petits
tableaux comme les célèbres portraits de Terentius Neo et de sa
femme dans la maison de Paquius Proculus (page de droite). Mais ils
sont encore plus nombreux sur des médaillons en milieu de paroi.
La Schola armaturarum (à ne pas confondre avec la maison des
Gladiateurs), qui s’est effondrée en 2010 après des pluies torren-
tielles, et qui vient tout juste d’être restaurée, conservait des pein-
tures d’un type spécial. Heureusement d’anciens clichés faits en
1968 permettent de revoir les thèmes guerriers au centre des pan-
neaux. On y voit une Victoire ailée portant un bouclier et un glaive
dans un panneau rouge ocre à bordure ajourée. Sur les bords, des
compartiments à dauphin nageant sont encadrés par des édicules
schématiques. Des candélabres dorés scandent la paroi.
A côté de ces décors d’un style bien établi, il y a la peinture popu-
laire qui ne suit pas les règles communes et qui est utilisée dans le
commerce, notamment pour faire la réclame sur la devanture de
l’établissement. Sur la façade de la boutique de Verecundus, la
Vénus pompéienne – car la ville est consacrée à cette déesse – se
dresse sur un char tiré par des éléphants et accompagnée d’Amours
(à gauche, en haut). Elle porte une couronne tourelée et tient un
sceptre. Plus bas figurent les artisans au travail.
Citons encore la caupona d’Euxinus dont l’enseigne est un phénix
au milieu de plantes, avec des guirlandes suspendues au-dessus, en
festons (ci-contre). Au-dessous, deux paons sont affrontés et entre
les deux, on lit l’inscription peinte suivante : « Phoenix felix et tu »
(« Le phénix est heureux et [j’espère que] tu l’es toi aussi »).
Dans les tombes, le décor peint est très varié car il est lié à l’his-
toire du défunt. Ainsi dans le tombeau du jeune édile Vestorius
Priscus, toutes sortes de scènes nous racontent sa vie, une devant
un tribunal, une scène de gladiature qu’il avait financée, une scène
de banquet, une table somptueuse, garnie d’objets en argent.
On pourrait parler aussi de l’impressionnisme avant la lettre,
lorsque l’on voit un tableau avec le cheval de Troie, provenant de
la maison de Cipius Pamphilus, dont tous les acteurs sont des sil-
houettes en touches blanches ou brunes quasi indistinctes.
Cette brève visite des édifices peints de Pompéi nous montre une
grande variété de styles et de sujets, au cours du temps, et selon la
PROMOTION En haut : cette Vénus pompéienne destination des lieux. On mesure ainsi ce que la peinture occidentale
se dressant sur un char tiré par des éléphants orne la façade doit à cet art antique dans la création de genres comme l’illusion-
de la boutique de Verecundus. Elle est un exemple du type nisme et le trompe-l’œil, le portrait, la nature morte, l’impression-
de peinture populaire qui était utilisé dans le commerce nisme même et bien d’autres tendances que nous laissons au lecteur
pour faire sa réclame et qui ne suivait pas les règles communes le plaisir de découvrir sur place ou dans les musées. 3
appliquées à la peinture pompéienne. Ci-dessus : enseigne
de la caupona (taverne) d’Euxinus, avec un phénix surplombant Directrice de recherche honoraire du CNRS, Alix Barbet
deux paons affrontés. Page de droite : le boulanger Terentius est spécialiste des peintures murales romaines. Elle est l’auteur
Neo et sa femme (Naples, Museo Archeologico Nazionale). notamment des Cités enfouies du Vésuve. Pompéi, Herculanum,
Avec ce portrait d’un couple de bourgeois, on assiste Stabies et autres lieux (Fayard, 2001) et de La Peinture murale
véritablement à la naissance de l’art du portrait. romaine. Les styles décoratifs pompéiens (Picard, 2009).

120 l nhors-série
© KONTROLAB/LIGHTROCKET/GETTY IMAGES. © ALIX BARBET. © LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION
© GIANNI DAGLI ORTI/AURIMAGES. PHOTOS : © MDJ.

TRÉSORS RETROUVÉS
Ci-dessus : triclinium d’été décoré de mosaïques dans la maison de Neptune et d’Amphitrite. Page de droite, en haut à droite :
l’atrium de la maison de l’Atrium corinthien avec son bassin. Elle est appelée ainsi du fait de sa cour à péristyle plus proche du style grec
que du style romain. Page de droite, en haut à gauche : jeune athlète en train de courir. Statue de bronze de la villa des Papyri (Naples,
Museo Archeologico Nazionale). Copie romaine d’un original grec du IVe siècle avant J.-C. La villa des Papyri appartenait probablement
à Pison, le beau-père de Jules César. Les fouilleurs de Charles de Bourbon y ont découvert au milieu du XVIIIe siècle une galerie
d’œuvres d’art : animaux, athlètes, Danaïdes. La plus grande partie de ce trésor est exposée au Musée archéologique de Naples.

122 L nhors-série
Les trois vies
d’Herculanum
Au pied du Vésuve, les vestiges d’une cité balnéaire offrent une
délicieuse promenade de thermes en domus, de ruelles en boutiques.
Menacée d’une seconde mort, Herculanum est aujourd’hui sauvée.
PAR VINCENT TRÉMOLET DE VILLERS

D
e la gare d’Ercolano, rien n’indique qu’il fragile, enserré entre les parois rocheuses que Monteix. C’est ici que s’était réfugiée la popu-
existe une ville antique. Une rue dégrin- le Vésuve, en 79, a élevées à plusieurs dizai- lation lors de l’éruption du Vésuve. » Le séisme
gole vers la mer. Elle est bordée nes de mètres de hauteur au-dessus d’elle. a repoussé la ligne de côte de près de trois
d’immeubles construits à la hâte, blocs unifor- « A Herculanum, explique Nicolas Monteix, cents mètres. Dans les années 1980, deux
mes et fonctionnels que colorent le linge et les un archéologue français qui a consacré sa cent cinquante corps ont été retrouvés dans
serviettes de bain qui pendent aux fenêtres. Au thèse à la ville, il n’y eut pas de coulée de lave les cavités des bâtiments de l’ancien front de
loin, l’immense nappe bleue prolonge une mais une nuée ardente portant du gaz et du mer. Des Pompéiens rattrapés par la mort
ligne de massifs roses et blancs et de villas matériel éruptif. Elle est passée à quatre cents alors qu’ils tentaient de fuir. Une barque a été
Belle Epoque. Quelques centaines de mètres degrés au-dessus de la ville. » Le souffle de la mise au jour, elle est aujourd’hui exposée dans
plus bas, une porte un peu glorieuse, qui date mort qui calcine tout sur son passage. Qui un petit musée qui jouxte le site. Plus loin, le
du XIXe siècle, indique que vous entrez sur le fige en une seconde les murs, les meubles et cénotaphe de Marcus Balbus dégage, au
site des fouilles d’Herculanum. Elle sépare la les corps. Il couvrit la cité d’une première cou- centre d’une petite place, une grandeur toute
ville moderne et le site antique. Dans l’odeur che de débris. On pense qu’une seconde provinciale. Une plaque indique que l’évergète
mêlée d’iode, de laurier et de romarin, apparaît vague plus violente charriant des matières avait été d’une grande libéralité avec la ville.
alors une petite bourgade quadrillée de murs magmatiques mais aussi des toits, des pier- Sur cet ancien front de mer, les thermes
ouverts aux quatre vents. Quatre hectares res, des colonnes, a fini d’enfouir la ville. Cet suburbains et les restes de possibles sanc-
dégagés de thermes, de maisons, de bouti- amas volcanique a créé une sorte de tuf. A la tuaires dédiés à Vénus et à Esculape témoi-
ques et de jardins. Un quartier jaune et ocre différence de Pompéi, après l’éruption, Her- gnent de ce que fut la prospérité de la ville
que l’on regarde d’en haut comme un gigan- culanum a disparu de toutes les cartes. La défunte. Avant la catastrophe, entre les lau-
tesque château de sable. croûte volcanique était suffisamment solide riers roses, les cyprès et les palmiers, dans
Ce sont les vestiges de la ville fondée selon la pour que l’on construise sur la ville enterrée le parfum de thym qui monte, on pouvait
légende par Hercule sept siècles avant notre une nouvelle cité : Resina. contempler l’aurore sur le golfe de Naples, l’île
ère. Strabon la situe sur une bande de terre qui Un long tunnel sombre, humide, descend de Capri se découpant sur la mer d’huile, les
avançait vers la mer et précise qu’elle était jusqu’à une bande de terre grasse entourée montagnes s’étirant sur l’eau.
exposée au sirocco. Elle devint colonie romaine de hautes parois de pierre volcanique. « Nous On évalue à cinq mille le nombre d’habitants
dans les années 30 avant J.-C. Un trésor sommes sur la plage antique, indique Nicolas à Herculanum avant l’éruption. On pense

hors-sérien L 123
qu’une grande partie d’entre eux a pu s’enfuir partir des années 1770, les fouilles à Pompéi
par la mer avant le moment décisif. Ils auraient (la cité, redécouverte en 1748, a été identifiée
alors rejoint Naples. Un quartier de la ville aurait en 1763) se montrent plus fécondes, et les
ainsi été peuplé de rescapés d’Herculanum. Bourbons délaissent Herculanum. Il faut
C’est à une fantaisie d’aristocrate que nous attendre 1820 pour que les fouilles y repren-
devons la redécouverte de ce joyau. Emma- nent. Mais c’est véritablement après la Pre-
nuel Maurice de Lorraine avait choisi de ser- mière Guerre mondiale qu’Herculanum
vir l’empereur Joseph Ier. Installé à Naples, il trouve son maître, celui qui va réveiller la ville.
se fait construire une villa à Portici : la villa Amedeo Maiuri, archéologue génial et fantas-
d’Elbeuf. En 1709, il fait forer un puits et que, devient en 1924 directeur du Musée
tombe sur le théâtre antique. Il en archéologique de Naples et surintendant des
remonte les statues de femmes dra- antiquités de la Région Campanie. Il lance la
pées, aujourd’hui au musée de Dresde, reprise complète des fouilles d’Herculanum. Il
qui portent le nom de Petite et Grande parvient à convaincre Mussolini de faire de
Herculanaise. Il récupère aussi des bronzes cette cité antique un projet phare du régime, le
et des marbres. Officiellement, après cette symbole de sa culture humaniste.
découverte, les fouilles cessent. C’est en Dès lors, ce sont quatre hectares de la ville
1738 que reprennent les expéditions sou- qui sont mis au jour. Maiuri et son équipe
terraines. Charles III d’Espagne, alors roi de essayent d’en tracer le plan. Ils cherchent le
Naples et de Sicile, déclenche une campa- forum qu’ils ne trouveront pas. Sans jamais
gne de fouilles dans le sous-sol de Resina. « Il élever un mur au-delà de ce que le temps
fait creuser un grand nombre de tunnels nous a transmis, ils consolident les bâtiments
dans le tuf volcanique », explique Nicolas par des morceaux de tuf jaune aisément
Monteix avec un brin d’admiration pour la identifiables, travaux de restauration qui
performance physique. Très vite, la colline représentent près de 60 % des murs du site.
de Portici, traversée de boyaux souterrains, « Herculanum est, par certains aspects, une
devient un véritable gruyère. Les découver- ville reconstituée, explique Nicolas Monteix.
tes sont fascinantes : des fresques, des mar- Maiuri avait pour ambition de lui donner la plus
bres, des mosaïques. A l’est du théâtre, on grande puissance d’évocation possible. Il
découvre une domus un peu excentrée, peu- suffit de se promener sur le site pour se rendre
plée de figures sombres aux yeux perçants. compte qu’il y est parvenu. » Seul un tiers de la
Ces magnifiques statues de bronze sont ville a été fouillé aujourd’hui. Le reste demeure
aujourd’hui exposées au musée de Naples. enfoui sous la cité moderne. Les vestiges mis
Dans l’un des bâtiments du jardin, ce ne sont au jour n’en sont pas moins fascinants. Ils
pas moins de mille huit cents rouleaux de composent un ensemble unique par sa puis-
papyrus carbonisés qui sont mis au jour. Ils sance d’évocation, la concentration de
PHOTOS : © MDJ. © GIANNI DAGLI ORTI/AURIMAGES.

donnent son nom à la villa des Papyri. chefs-d’œuvre, l’homogénéité des bâti-
Des savants affluent de toute l’Europe. Au ments. En entrant dans la ville, le visiteur est
début des années 1750, Cochin le Fils et Bel- immédiatement projeté deux mille ans en
licard, deux illustres dessinateurs, viennent à arrière. Au cœur d’un trésor tellement riche
Herculanum faire des relevés qu’ils publient qu’il est impossible d’en dresser l’inventaire,
à leur retour sous le titre Observations sur les mais qui donne à voir une ville antique dans
antiquités de la ville d’Herculanum. Le Suisse toute la palpitation de sa vie.
Karl Weber parvient au même moment à Le matin, c’est le temps des travaux et du
dessiner avec une exactitude fascinante le commerce. Dans les boutiques, les étagères
plan de la villa des Papyri. En 1758, Johann de bois portent à l’horizontale les amphores
Joachim Winckelmann se rend sur le site. Il de vin et d’huile d’olive. Le parfumeur fait
publiera quatre ans plus tard son récit des jouer sa presse, le plombier discute sur le
découvertes d’Herculanum et de Pompéi. A decumanus maximus avec les propriétaires
de l’échoppe voisine où sont affichés les prix au jour lors de ces dernières fouilles. Elles ont
des différents vins qui y sont servis. Ces plai- rejoint la fabuleuse collection du musée de
sirs quotidiens voisinent avec les fresques Naples. « Les nombreux papyri inédits carbo-
majestueuses du sacellum des Augustales, nisés de la villa ont fait naître de grandes espé-
le sanctuaire des prêtres du culte impérial. rances », commente Nicolas Monteix. Après
L’après-midi, la fraîcheur des thermes longs les avoir déroulés, puis déchiffrés avec l’aide
et voûtés est sans égale. Les femmes mar- de l’informatique, on a découvert les œuvres
chent sans plus la voir sur la mosaïque de Tri- de Philodème de Gadara, un philosophe grec
ton qui orne le vestiaire ; les hommes s’attar- dont aucune œuvre n’était arrivée jusqu’à
dent au frigidarium dans un décor peuplé nous. « Le rêve est maintenant de trouver la
d’animaux marins. Dans la maison de la Cloi- bibliothèque latine, poursuit Monteix, et pour-
son de bois, on entrouvre la porte à la tombée quoi pas, imaginent les plus audacieux, la scientifiques. Une Maison Maiuri, centre cultu-
du soir. Dans le jardin de la maison de Neptune décade perdue de Tite-Live. » rel consacré à Herculanum, a été inaugurée
et d’Amphitrite, l’eau coule sur le nymphée, Après la mort de Maiuri en 1963, la ville a dans la ville moderne. Si les égouts antiques
bruit fragile de la fontaine d’été. Un petit groupe connu une lente déréliction. Elle était, à la fin ont été retrouvés, dégagés, et sont mainte-
se dirige vers la maison du Relief de Télèphe du XXe siècle, menacée d’une seconde mort. nant réutilisés pour évacuer l’eau, les maisons
pour souper dans le magnifique triclinium de Attaquée par les excréments de pigeons (il a ne sont pas en reste. Peu coûteux, facilement
marbre. Chaque panneau est d’une teinte dif- fallu élever des faucons pour les faire fuir), ron- remplaçable, un toit de bois protège désor-
férente et le crépuscule en change, à chaque gée par les eaux de pluie et celles que dégage mais des caprices du climat les murs et les
seconde, les nuances imperceptibles. la nappe phréatique (le site est en dessous du fresques de la maison du Relief de Télèphe. En
La villa des Papyri est peut-être « la plus pré- niveau de la mer), elle doit sa survie à la pas- octobre 2019, c’est la maison du Bicentenaire
cieuse et la plus riche maison du monde anti- sion d’un riche Américain latiniste : David qui a rouvert ses portes après une longue
que », selon les mots de Maiuri. De 1996 à W. Packard. En 2001, il crée, en partenariat éclipse de trente-six ans. Découvert en 1938,
1998, la villa a été fouillée à ciel ouvert. On a pu avec la surintendance des biens archéologi- soit deux siècles après le début des fouilles à
constater la précision du plan de Weber. Un ques de Naples et de Pompéi puis le soutien Herculanum, ce bâtiment de trois étages avait
atrium réduit au minimum, des pièces ouver- de la British School at Rome, l’Herculaneum été fermé en 1983, faute d’un entretien régu-
tes à la lumière autour du péristyle, un jardin Conservation Project. Grâce au financement lier. Après un travail minutieux, qui a réparé les
rythmé de bâtiments et de bassins dont une de Packard (quinze millions d’euros en dix dégâts occasionnés par une mauvaise res-
piscine de soixante-six mètres de long sur ans), une équipe d’architectes, d’archéolo- tauration antérieure, ses fresques mythologi-
sept mètres de large. Deux statues de marbre gues, de conservateurs et d’ingénieurs ques et ses mosaïques brillent à nouveau de
– la Péplophore et l’Amazone – ont été mises entame dès lors les travaux de conservation tous leurs feux. Mais la transformation la plus
et de restauration. Avec un principe formulé éclatante reste sans doute le dégagement du
par Andrew Wallace-Hadrill, alors directeur decumanus maximus. Autrefois encombré de
de la British School at Rome : « Si l’on ne barrières de sécurité et parsemé d’ordures
s’occupe pas de la conservation, il est inutile (que jetaient de leur balcon les habitants de la
de creuser. » Pour apaiser les tensions qui ville moderne), il est aujourd’hui magnifique-
existaient avec la ville moderne (un grand ment restauré et entièrement ouvert à la pro-
nombre de constructions abusives ont été menade. Large de plus de dix mètres, bordé
détruites au profit de la ville antique), un jardin de maisons prospères et de boutiques, il
public surplombant les vestiges est ouvert. s’emprunte comme le cours d’une ville méri-
Les guides locaux suivent une formation dionale, mais ce cours-là offre avec l’Antiquité
continue au rythme des découvertes un face-à-face saisissant. 3

LES PLAISIRS ET LES JOURS Page de gauche : statue de Livie (la troisième épouse
d’Auguste), trouvée dans le théâtre d’Herculanum (Naples, Museo Archeologico Nazionale).
A gauche : la boutique alimentaire qui communique avec la maison de Neptune et d’Amphitrite.
On y voit des étagères en bois carbonisées sur lesquelles on rangeait les amphores (installées
ici dans un but pédagogique). En haut : le vestibule des thermes suburbains.

hors-sérien L 125
126
l nhors-série
© MARY EVANS/BRIDGEMAN IMAGES.
TERRASSEMENT
Page de gauche : vue des
fouilles archéologiques de
Pompéi, vers 1890. Ci-contre :
Vue de la découverte du temple
d’Isis à Pompéi, par Peter
Fabris, in Campi Phlegraei de
sir William Hamilton, 1776.
Ce temple fut le premier de ceux
de Pompéi à être mis au jour,
de 1764 à 1776. En bas :
moulage de chien retrouvé dans
la maison d’Orphée à Pompéi
(Pompéi, Parc archéologique).

Pillards, poètes et savants


Près de trois siècles après la redécouverte archéologique
de Pompéi, la chasse aux trésors lucrative ou romantique a cédé la place
à l’exploration scientifique la plus rigoureuse. PAR THIBAUT DARY

L
es fouilles de Pompéi ont commencé C’est à l’architecte Domenico Fontana, à napolitain Martorelli, déjà à l’œuvre sur place.
dès les lendemains de la catastrophe, qui l’on doit notamment l’église Saint-Louis- La cendre qui couvre Pompéi est plus facile
a v e c la com m i s s i o n e n v o y é e p a r des-Français, à Rome, que revient la redé- à creuser que le tuf volcanique qui a enseveli
l’empereur Titus pour enquêter sur place. Du couverte des lieux. Retiré à Naples, en dis- Herculanum. A partir de 1754, les fouilles
forum n’émergeaient que quelques colonnes. grâce, pour y finir sa vie, il excava, en 1594, deviennent régulières sur la colline della Cività.
On s’efforça de récupérer, sous les cendres et de façon fortuite, des vestiges romains au C’est là que se porteront bientôt de préférence
les lapilli, les statues et les objets de culte, tan- cours de travaux de construction d’un canal les « antiquaires » pour y exhumer des objets
dis que les rares survivants tentaient de retrou- de dérivation du fleuve Sarno. Pompéi était précieux. On perce sans vergogne des murs
© COLL. SSPL/KHARBINE-TAPABOR. © LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION.

ver quelques-uns de leurs biens enfouis. Des là, mais on ne le savait pas encore, et la peints, on creuse au hasard, on refoule les visi-
pirates mirent sur pied des raids de récupéra- découverte fut dédaignée. teurs étrangers trop curieux. On commence à
tion clandestine. Bien vite, on nivela cepen- Plus d’un siècle plus tard, sur le site d’Hercu-
dant le sol de ce qui avait été Pompéi. lanum, autre ville victime de la colère du Vésuve
« Peu à peu les herbes et les ceps de vigne en 79, on creuse un puits dans la lave durcie.
prirent possession de ce qui avait été le terri- C’est là qu’on trouve trois grandes statues de
toire de la ville, raconte l’historien français femmes drapées, qui finissent dans un jardin
Robert Etienne, et l’humus qui se forma sur la de Vienne, en Autriche, comme cadeaux du
couche de cendres scella désormais le sort vice-roi napolitain au prince Eugène. L’intérêt
de la ville ensevelie, qui entre dans l’anonymat des fouilles devient soudain plus vif, quand
du lieu-dit cività, la cité. » Le temps passa sur même elles ne sont encore qu’une chasse aux
ce manteau de sédiments, si riches en pous- trésors, une recherche d’œuvres d’art suscep-
sières de minéraux que se produisit ici le phé- tibles d’enrichir les collections des souverains.
nomène de l’argilisation, connu dans toutes En 1748, Charles III d’Espagne, alors roi de
les zones volcaniques chaudes, qui donne au Naples et de Sicile, ordonne ainsi l’excavation
terrain une fertilité sans égale. Sous les récol- systématique des vestiges identifiables autour
tes stimulées par « l’engrais tombé du ciel », la du Vésuve. Il adjoint un ingénieur espagnol,
cité disparut bientôt des mémoires. Rocco Gioacchino de Alcubierre, à l’abbé

hors-sérien l 127
Diffusées dans toute l’Europe, les reproduc-
tions des trésors exhumés deviendront bientôt
autant de modèles pour les orfèvres, tapis-
siers, porcelainiers, décorateurs. Elles donne-
ront ses canons au néoclassicisme.
A Pompéi, les édifices sortent les uns
après les autres du sol : l’Odéon, en 1764,
la caserne des gladiateurs, en 1767, la villa
de Diomède, en 1771, et le théâtre, totale-
ment dégagé, en 1789. Les chefs de chantier
se succèdent : Karl Weber, un Suisse dont
Winckelmann louera l’initiative de dresser
enfin « un plan exact des conduits souterrains
et des bâtiments découverts », suivi par
l’Espagnol Francesco La Vega, puis le Corse
Christophe Saliceti à partir de 1806, domina-
tion française oblige.
En 1808, Joachim Murat et sa femme,
Caroline, sœur de Napoléon I er , sont les
nouveaux souverains de Naples. « Férus
d’archéologie, écrit Robert Etienne, ils pren-
nent sur leur cassette personnelle » pour faire

PHOTOS : © BNF.
dégager la muraille limitant la ville. C’est l’épo-
émettre l’hypothèse qu’il s’agit de cette Pom- enfants auront encore du travail sur la plan- que où Pompéi devient « un champ d’attrac-
péi dont Pline a consigné la fin tragique. che », écrit-il dans l’une de ses lettres. Tout en tion pour les têtes couronnées ». Entre 1809
Johann Joachim Winckelmann, spécialiste disant vrai, il va cependant contribuer à accé- et 1811, François Mazois, architecte français,
allemand de l’art antique, découvre le site lérer les choses, œuvrant à la notoriété sou-
en 1762 et proteste devant l’anarchie qui daine de Pompéi dans toute l’Europe.
préside aux fouilles. Alcubierre qui, écrit-il, a En 1763, la découverte de l’inscription
« aussi peu de rapport avec les antiquités que respublica Pompeianorum confirme enfin
la lune en a avec les écrevisses » l’affole par l’identité du lieu. La ville fait son retour dans
ses méthodes de béotien. Ainsi, par exem- l’histoire. Dès lors, les fouilles s’amplifient,
ple, le jour où est découverte une grande ins- soutenues par les souverains de Naples et
cription de lettres de bronze, il les fait arra- déjà courues par les artistes et l’élite de tout le
cher, sans avoir pris copie du texte. « Jetées continent, qui vont en faire, durant plusieurs
pêle-mêle dans un panier », les lettres restè- décennies, l’une des étapes incontournables
rent « exposées pendant plusieurs années » ; de tout voyage en Italie. En 1787, Goethe
« chacun pouvait les arranger à sa fantaisie » visite Pompéi qui lui laisse « l’impression
et « personne ne se trouva en état de dire ce étrange, à moitié désagréable », d’une « ville
qu’elles pouvaient signifier ». Winckelmann momifiée ». William Hamilton, ambassadeur
est navré de la « nonchalance » qui guide les anglais désœuvré, occupe son temps à sui-
travaux. « A ce rythme, nos arrière-petits- vre les chantiers, dont il réalise des aquarelles.

CATALOGUE RAISONNÉ En haut et ci-contre : L’Autel et La Maison dite


de Championnet, dessins réalisés par François Mazois (1783-1826). En 1809, l’architecte
obtint l’autorisation de s’établir à Pompéi pour dessiner et mesurer les vestiges de
la cité ensevelie. L’ouvrage Les Ruines de Pompéi rassemble les résultats de ses travaux.

128 l nhors-série
MÉCÈNES
Ci-dessus : vue des fouilles
réalise quatre cent cinquante-quatre dessins sur-le-champ plus qu’un savant ». En 1834, du côté de la porte de la ville,
de monuments pompéiens, réunis en plu- paraît le roman Les Derniers Jours de Pom- par François Mazois. Dans
sieurs volumes, Les Ruines de Pompéi. Lui péi de l’Anglais Edward Bulwer-Lytton. Le la première moitié du XIXe siècle,
comme d’autres préparent ainsi un trésor Français Hippolyte Taine et l’Américain Mark le chantier de Pompéi avance
pour l’archéologie future, qui ne disposera Twain écriront à leur tour des impressions au gré de l’engouement des
plus que de ces témoignages illustrés quand de voyage. Le comble du rocambolesque souverains de Naples. De 1808
les chercheurs de butins auront dispersé archéologico-littéraire sera de voir Alexandre à 1815, Joachim Murat et sa
bon nombre des objets, mosaïques et pein- Dumas, arrivé à Naples dans le sillage de femme, Caroline, n’hésiteront pas
tures découverts sur place. l’équipée de Garibaldi, et nommé temporai- à mettre à contribution
Les Bourbons revenus sur le trône de rement directeur du musée et des fouilles ! leur cassette personnelle.
Naples, le chantier se poursuit avec des Mais la gloire du passé était une chose trop
hauts et des bas, selon l’intérêt inégal qu’y précieuse pour être laissée indéfiniment aux
manifestent les rois successifs Ferdinand Ier, antiquaires et aux littérateurs. Alors que se
François Ier puis Ferdinand II. Mais la poésie forgeait l’unité italienne, en 1861, « après tant
des ruines de Pompéi enthousiasme l’esprit de chasses aux trésors » et « tant de comé-
romantique naissant. Les écrivains sont frap- dies », il fallait bien que la politique d’un gou-
pés par ces pierres sorties du néant où se vernement central y trouvât son compte, et
dévoile, dans les grandes largeurs, le destin « que commençât une recherche scientifique
tragique d’une harmonie et d’une gloire bri- sérieuse, souligne Robert Etienne. C’est la
sées. Stendhal fait une courte visite sur place gloire de la dynastie piémontaise d’avoir
(il prétendra y être venu plus de dix fois). Il s’y nommé comme directeurs de fouilles les
sent « transporté dans l’Antiquité » qu’on voit meilleurs archéologues, d’avoir entrepris le
« face à face ». A Pompéi, écrit-il, « on en sait dégagement rationnel de la ville antique et

hors-sérien l 129
comme la maison des Vettii, celle de Lucretius
Fronto ou encore la villa des Mystères, et qui fit
recréer en outre certains jardins pompéiens ;
Vittorio Spinazzola (1910-1924), qui choisit de
faire découvrir les quartiers méridionaux et
de dégager l’artère commerciale centrale
de Pompéi, déclenchant l’enthousiasme du
public ; Amedeo Maiuri, qui, sous son « pro-
consulat » (1924-1961 !), conduit avec
méthode la résurrection méticuleuse d’une

© LÉON ET LÉVY/ROGER-VIOLLET. © AKG-IMAGES/ANDREA JEMOLO. © RAPHAEL GAILLARDE/GAMMA.


cité antique, en explorant notamment les
faubourgs et les sous-sols de Pompéi, ce qui
permit d’en découvrir le système d’approvi-
sionnement en eau, mais aussi les strates de
construction les plus anciennes.
Pourtant, tout au long du XX e siècle, cet
effort de mise au jour coïncida en perma-
d’avoir su ressusciter, en restant fidèle à la nence avec un souci qui n’allait que s’aggra-
vérité historique, la vie de Pompéi. » vant : celui de la conservation. « Faut-il conti-
On doit énormément au premier d’entre nuer à découvrir la cité ensevelie, alors que
eux, le numismate Giuseppe Fiorelli, qui bien des chantiers attendent leur publication,
inaugura la tenue d’un journal de fouilles au moment où la végétation et les dégrada-
détaillé, avec examen scientifique des objets tions humaines altèrent la vérité archéologi-
et description minutieuse des bâtiments. que des premiers moments de la décou-
C’est aussi lui qui dressa un plan de la ville, verte ? » demandait déjà il y a plus de vingt ans
qui permit de diviser Pompéi en régions et en Robert Etienne. Pendant des décennies, on a
îlots, attribuant à chaque maison une imma- parlé de « la deuxième mort de Pompéi », dont
triculation. Ce système perdure. Fiorelli, tou- la richesse patrimoniale réclamait des efforts
jours, fait fouiller les maisons depuis les toits, décuplés, quand au contraire ils se rédui-
et non plus depuis les rues, afin d’éviter saient au rythme des négligences, des vols
l’écroulement des façades. Enfin, c’est lui qui et des détournements de fonds. Le « Grand
trouve l’inspiration géniale, à l’effet boulever- Projet Pompéi » et l’impulsion donnée par
sant, pour restituer l’attitude des victimes de l’actuel directeur, Massimo Osanna, depuis
l’éruption de 79 : sous la cendre amoncelée 2014 semblent heureusement avoir ouvert
et durcie, les morts se sont décomposés ; une nouvelle page de l’histoire de la ville. 3
en injectant du plâtre liquide dans les cavi-
tés qu’ils ont laissées, il obtient, après
séchage, le moulage exact et frappant
des Pompéiens à l’heure de leur mort. PÉRIL EN LA CITÉ
Durant plus d’un siècle, des directeurs En haut : la rue des Tombeaux,
de fouilles à l’exigence scientifique la plus à Pompéi. A gauche : buste
rigoureuse vont se succéder : Michele du célèbre historien de l’art Johann
Ruggiero (1875-1893) qui fait notam- Joachim Winckelmann (1717-
ment restaurer la maison du Balcon en 1768). Page de droite : travaux de
surplomb et ses quelque sept cents pein- restauration dans une boutique
tures ; Giulio De Petra (1893-1901 et de la via dell’Abbondanza.
1906-1910), dont les mandats voient la La fresque représente Apollon,
mise au jour des plus fameux monuments en haut, et Vénus.
Rue des
BOUTIQUES OBSCURES
Il y avait à Pompéi une forte concentration d’échoppes
artisanales et de boutiques qui rythmaient la vie quotidienne.
Certaines d’entre elles sont parvenues jusqu’à nous.

BOULANGERIE ambulants. On a trouvé dans cette penser cependant que seuls des aliments
Dans une ruelle de la partie ancienne boulangerie quatre-vingt-un pains solides y étaient parfois vendus. On y trouve
de la ville, la boulangerie de Modeste montre carbonisés, de forme ronde. Les mêmes en général un comptoir revêtu de plaques
le cycle de fabrication du pain qui se que ceux qui apparaissent sur les fresques de marbre avec des dolia (très grandes jarres
déroulait au même endroit du début à la fin. évoquant la vie quotidienne. Dans la maison en terre cuite) posés dans des trous creusés
Le grain était déversé dans des meules des Chastes Amants, qui appartenait à des à cet effet. Les aliments pouvaient ainsi rester
de pierre volcanique. Il était ensuite écrasé boulangers, des squelettes de mulets ou de chauds. Dans le thermopolium du Laraire
et transformé en farine en actionnant chevaux ont été découverts dans l’écurie qui à Pompéi, on a retrouvé la recette d’une
des manches de bois fixés à l’horizontale jouxtait la boulangerie. On estime à plusieurs journée : six cent quatre-vingt-trois sesterces.
que des bêtes (ânes, mulets ou chevaux) dizaines le nombre de boulangeries
tiraient en tournant autour du moulin. Après à Pompéi au moment de l’éruption de 79. FOULERIE
le pétrissage du pain sur un comptoir prévu « Les foulons, explique Robert Etienne,
à cet effet, il était cuit dans le four à bois THERMOPOLIUM occupent une grande place dans la
qui se trouvait non loin de là. On a trouvé Les thermopolia ont longtemps été considérés bourgeoisie industrielle de Pompéi. » On a
près des fours des récipients d’eau. Elle était comme des tavernes (Plaute fait pester l’un retrouvé onze fullonica à Pompéi. Les tissus
sans doute utilisée durant la cuisson pour de ses personnages contre les malfrats qui s’y de laine étaient foulés afin de devenir
rendre le pain plus croustillant. Il était ensuite enivrent) ou comme l’ancêtre de la restauration suffisamment compacts pour pouvoir résister
vendu sur place, ou par des marchands rapide. Des recherches récentes laissent aux intempéries. Ils étaient placés dans
BON MARCHÉ
A droite, en haut : le four et
les meules d’une boulangerie
à Pompéi. Au centre :
le thermopolium de Vetutius

DESSINS : © BEAUX-ARTS DE PARIS, DIST. RMN-GRAND PALAIS/IMAGE BEAUX-ARTS DE PARIS. © LUCIANO PEDICINI/LA COLLECTION. © MDJ. © ALAMY/HEMIS. © MDJ.
Placidus à Pompéi, décoré
d’une fresque de laraire.
En bas : tannerie fouillée par
Jean-Pierre Brun. Le
propriétaire s’y était aménagé
un triclinium d’été. C’est là
que fut retrouvée la mosaïque
à tête de mort (Memento
mori) du musée de Naples. Il y
a moins d’une dizaine de
tanneries connues dans tout
le monde romain. A gauche :
amphore servant à transporter
du garum en provenance
d’Espagne méridionale
(Naples, Museo Archeologico
Nazionale). Elle a été
découverte dans la maison
des Gladiateurs à Pompéi.

un petit bassin plein d’eau. Des ouvriers ils commençaient par imprégner d’un
(des esclaves surveillés par des affranchis) les mordant les fibres brutes « dans la chaudière
battaient avec les pieds puis les tordaient la plus vaste, placée de façon isolée à l’une
avec les mains. Le tissu était ensuite lavé avec des extrémités de l’atelier, puis, selon
de l’urine, rincé, séché, démêlé, peigné. la couleur désirée, ils les transféraient dans
Suivait le soufrage qui avait pour but de rendre l’une ou l’autre des autres cuves. Près de
son éclat au tissu blanc. Puis il était frotté chaque chaudière, une marche permettait
avec de la roche (de la terre d’Ombrie pour aux ouvriers de surplomber le contenu des
la couleur). Brossé, il était soigneusement cuves et, surtout, de remuer les fibres en
étendu sur une terrasse. Enfin une presse cours de teinture afin d’éviter une mauvaise
le repassait. Il était alors prêt pour les clients. répartition de la couleur. Chacune des
chaudières, façonnée dans une épaisse
TEINTURERIE feuille de plomb était chauffée par un foyer
On a identifié à Pompéi une vingtaine sous-jacent. Elles étaient alimentées
d’ateliers de teinturerie. Après en avoir fouillé en eau courante par le biais de canalisations
plusieurs, les archéologues du Centre Jean- en plomb munies de robinets et elles
Bérard sont parvenus à reconstituer le travail disposaient d’un orifice de vidange
des teinturiers. Pour fixer les colorants, permettant de déverser leur contenu. »
Quand le Vésuve
s’éveillera
Hommes politiques, viticulteurs, prêtresses, boulangers,
fabricants de garum ou prostituées… Ils périrent à l’ombre du Vésuve
quand d’autres furent les témoins impuissants de la catastrophe.
Les murs de la ville racontent leur histoire. PAR JEAN-LOUIS VOISIN

PLINE LE JEUNE, C. PLINIUS


CAECILIUS SECUNDUS (v. 61-v. 113)
S’il ne fut pas l’unique témoin de l’éruption du Vésuve, il est le seul
à l’avoir rapportée dans deux lettres célèbres (Lettres, VI, 16 et 20)
adressées à Tacite, l’un de ses amis. Non que le phénomène
volcanique intéressât l’historien, qui cherchait seulement
à connaître les derniers moments de Pline l’Ancien, oncle maternel
de Pline le Jeune. En effet, celui-ci et sa mère se trouvaient alors
à Misène – à une trentaine de kilomètres de Pompéi par mer –,
le port militaire dont Pline l’Ancien commandait la flotte, un poste
réservé aux membres de l’ordre équestre. Né à Côme, d’une
riche famille de notables, orphelin de père assez tôt, C. Caecilius
Secundus fut adopté peu avant 79 par son oncle, qu’il suivit
à Misène et dont il prit le nom. Lors de la catastrophe, il entrait dans
sa dix-huitième année. Il n’en rendit compte qu’au moins vingt-
cinq ans plus tard, non en vulcanologue, mais en écrivain qui avait
recueilli sur le vif des témoignages et avait vu de loin le phénomène
que son oncle voulait étudier. Ses lettres constituèrent pendant
longtemps les sources principales de nos informations sur cette
éruption. Appartenant à l’ordre équestre, il intégra l’ordre sénatorial
peu après 79, ce qui était une ascension sociale normale pour le
descendant d’un haut fonctionnaire bien introduit auprès du Prince.
Il reçut donc le laticlave, c’est-à-dire la tunique à large bande
pourpre, signe extérieur de l’ordre sénatorial. Ayant eu à Côme,
puis à Rome, les meilleurs professeurs, il mena ensuite, de front,
une carrière administrative et une carrière d’avocat. Il excella dans
l’une comme dans l’autre. En 100, il fut nommé consul suffect par
l’empereur Trajan avant de partir, vers 111, administrer la province
de Pont-Bithynie, où il mourut vraisemblablement en fonction vers
113. Riche, généreux, homme de réseaux, passionné de littérature,
fidèle en amitié, mondain adepte de la vie rurale, mais de santé
fragile, il laissa dix livres de Lettres, dont le dernier rapporte sa
correspondance avec Trajan et un Panégyrique de cet empereur.

134 l nhors-série
PHILODÈME DE GADARA
(v. 110 avant J.-C.-v. 40 avant J.-C.)
Située à dix-sept kilomètres au nord
de Pompéi, au pied du Vésuve, Herculanum,
petite cité de la baie de Naples qui
s’enorgueillissait d’avoir été fondée par
Hercule, fut recouverte de boue volcanique
sur une hauteur de vingt mètres. Oubliée,
elle fut retrouvée par hasard au XVIIIe siècle.
L’une des découvertes majeures fut
l’imposante et somptueuse villa des Papyri,
dite aussi des « Pisons », dont le programme
décoratif évoquerait, par allégorie, l’école
fondée par Epicure. On y trouva
une bibliothèque riche de près de
deux mille rouleaux de papyrus,
en langue grecque et latine.
Leur lecture et leur analyse, qui
se poursuivent actuellement, révèlent
des œuvres inédites d’Epicure et surtout
des textes d’un épicurien souvent cité
mais mal connu, Philodème. Il était né vers
110 avant J.-C. à Gadara (Jordanie actuelle),
avait étudié à Athènes, était venu à Rome
où il s’était lié d’amitié avec le beau-père de
Jules César, L. Calpurnius Piso Caesoninus,
le consul de 58 avant J.-C., que haïssait
Cicéron, et en devint une sorte de directeur de
conscience. Puis il s’installa en Campanie,
vraisemblablement dans cette villa dont Pison,
tout pousse à le penser, était le propriétaire.
ILLUSTRATIONS : © HARMONIE BRICOUT POUR LE FIGARO HISTOIRE.

Philodème, lui, devait être tout à la fois


bibliothécaire, professeur, animateur d’un
cercle épicurien que fréquenta Virgile vers
49 avant J.-C. Adepte de la parrhèsia,
le parler vrai qui s’affranchit de la parure de l’art
oratoire, il écrit sur tous les sujets : l’histoire
des écoles philosophiques (l’épicurisme
et les autres), la culture, l’économie, l’éthique,
la rhétorique, le bon gouvernement avec
un traité sur la royauté selon Homère, la vie
religieuse, la musique, les rapports entre
la sensation et ce que les sens ne peuvent
percevoir. Quand et où mourut-il ? Peu après
40 avant J.-C. et à Herculanum, pense-t-on.
Une curiosité : cette villa se visite à Malibu
où, reconstituée à échelle réelle, elle
accueille les collections du musée Getty…

hors-sérien l 135
MARCUS LUCRETIUS
DECIDIANUS RUFUS
Les deux statues placées en son honneur sur
le forum, l’emplacement le plus prestigieux qui soit
dans la cité, le lieu de représentation du pouvoir,
soulignent la brillante carrière de l’homme, né
à Pompéi. La première lui fut offerte de son vivant par
un membre de sa famille d’origine, Marcus Pilonius
Rufus, avant son adoption par la gens Lucretia,
l’une des maisons les plus puissantes de Pompéi
à l’époque augustéenne. La seconde fut érigée
après sa mort, à la suite d’un décret des décurions,
les membres du conseil municipal, qui se
réunissaient dans la curie. Toutes deux indiquent
les charges qu’il avait revêtues après avoir été
édile, magistrat chargé de s’occuper de l’état des
routes, des édifices sacrés et publics, des marchés
et des jeux publics. « Duumvir trois fois » : pour une
année, avec un collègue, c’est le magistrat suprême
de la cité ; il donne des instructions, dit le droit,
préside le conseil communal, a la responsabilité
d’exécuter ses résolutions. « Quinquennal » : la plus
haute magistrature du cursus municipal ; une sorte
de censeur à l’échelle de la cité qui met à jour
les listes des citoyens et vérifie la composition des
membres de la curie. « Pontife » : le degré le plus
élevé dans l’ordre hiérarchique des prêtres publics
à Pompéi. « Tribun militaire nommé par le peuple » :
ILLUSTRATIONS : © HARMONIE BRICOUT POUR LE FIGARO HISTOIRE.

un titre créé par Auguste et qui disparaît peu après,


pour encourager les cités à recommander parmi
l’élite municipale ceux qui pourraient devenir
membre de l’ordre équestre s’ils satisfont aux
conditions censitaires. Lucretius Decidianus Rufus
sera nommé par l’empereur « préfet des ouvriers »,
qui marque l’appartenance à cet ordre. Cette
fonction de chef de cabinet attaché à un magistrat
supérieur est pour lui une fin de carrière plutôt
qu’une ouverture vers un autre monde, celui du
service de l’Etat. Sa carrière locale lui a servi de
tremplin pour accéder à l’ordre équestre. Il n’est pas
le seul Pompéien dans ce cas : ainsi Titus Sornius et
Numerius Herennius Celsus. Tous vivent à la même
époque. Ils doivent leur promotion à la reprise en
main des cités italiennes par le pouvoir augustéen.
Tous ont dû être des partisans d’Auguste.

136 l nhors-série
MARCUS HOLCONIUS RUFUS
L’un des poids lourds de l’histoire de Pompéi : cinq fois duumvir dont deux fois quinquennal, premier
flamen d’Auguste dont il dessert le culte, tribun militaire nommé par le peuple, patron de la colonie dont
il défend les intérêts. Pendant plus d’une vingtaine d’années (il dut commencer sa carrière autour de
20 avant J.-C.), il domina la vie politique de Pompéi en s’appuyant sur d’autres familles de même niveau,
pour former, a-t-on dit, un « trust ». La cité lui offrit une statue (Musée archéologique de Naples), érigée
devant les thermes de Stabies, à un emplacement des plus fréquentés, devant un arc à quatre baies
qu’il avait sans doute fait construire. Il y apparaît cuirassé, évocation de son titre de tribunus militum
a populo, qu’il devait à Auguste, dont la statue est parallèle à la sienne. Les Holconii tiraient leur richesse
de la commercialisation du vin qu’ils produisaient en abondance. Au point qu’un vin – l’Horconia
ou Holconia – portait leur nom. Il était, selon Pline l’Ancien, de qualité médiocre… Mais si puissante
que fût cette famille pendant près d’un siècle, jamais elle n’accéda à l’ordre sénatorial. Pompéi
demeurait une petite ville. Sa fortune permit à M. Holconius Rufus de restaurer et de moderniser,
à ses frais, en 3-2 avant J.-C., avec Holconius Celer (son frère ou son fils ?), le Grand Théâtre
de Pompéi. Ils l’embellirent de revêtements de marbre, créèrent des passages souterrains et des
tribunes, réaménagèrent les gradins selon l’ordre social des spectateurs, agrandirent l’édifice auquel
ils ajoutèrent un mur de scène avec niches, colonnes de marbre et statues. Au premier rang, dans
l’axe central, une place à son nom, marquée par des lettres de bronze incrustées dans le marbre, lui était
réservée, avec un siège dont les trous de fixation sont encore visibles. Ce qui lui donnait une situation
surélevée par rapport à ses collègues. On hésite toutefois sur son accession à l’ordre équestre.

AULUS CLODIUS FLACCUS


Cinq inscriptions ont sorti de l’obscurité ce personnage qui, à l’époque augustéenne,
fut une personnalité de premier plan à Pompéi, issu d’une famille de riches producteurs de vin,
liée par mariage aux Lassii, d’autres viticulteurs. Lorsque Auguste ordonna vers 20 avant J.-C.
d’aligner les poids et mesures sur le modèle romain, c’est à lui et à son collègue du duumvirat
que les décurions confièrent la tâche d’abandonner les normes osques et d’adapter la « table-
étalon » à celles qui étaient demandées par le pouvoir. Aménagée entre le forum et le temple
d’Apollon, à proximité du grand marché, cette table, toujours visible (une copie, l’authentique
est au musée de Naples), permettait grâce à des cavités de taille différente de mesurer
les solides et les liquides. Son inscription funéraire, inhabituellement bavarde, rend compte
de son parcours politique (trois fois duumvir, la dernière en 2-1 avant J.-C.) et détaille avec
complaisance les jeux qu’il donna à chacune de ses élections. Il a ainsi offert « pendant son
premier duumvirat, à l’occasion des fêtes d’Apollon, une procession au forum, des taureaux,
des toreros et leurs aides, trois paires de gladiateurs épéistes, des troupes de boxeurs
et des pugilistes, des spectacles d’artistes de toutes sortes et des pantomimes, dont Pylade,
et il a donné au Trésor public dix mille sesterces. Pendant son deuxième duumvirat,
à l’occasion des fêtes d’Apollon, une procession au forum, des taureaux, des toreros et leurs
aides, des troupes de boxeurs. Le lendemain, à ses frais, à l’amphithéâtre, trente paires
d’athlètes, cinq paires de gladiateurs puis trente-cinq autres paires, une chasse, des taureaux,
des toreros, des sangliers, des ours ; en plus, à ses frais et à ceux de son collègue, une
deuxième chasse avec divers fauves. Pendant son troisième duumvirat, la première partie
des jeux, en y ajoutant des artistes en association avec son collègue ».

hors-sérien l 137
EUMACHIA
Une grande dame issue d’une grande famille
de négociants campaniens dès la fin de
la République, producteurs et exportateurs
d’amphores dont les timbres se retrouvent
en Gaule (Alésia), en Suisse, en Afrique
ou à Minorque, propriétaires de vignobles
et d’ateliers de tuiles et de briques, et
vraisemblablement, par alliance, éleveurs
de moutons pour la production de laine.
Dans ce monde masculin, Eumachia a fait
sa place. Le plus important (soixante mètres sur
quarante) des bâtiments privés qui entourent
le forum est le sien : « Eumachia, fille de Lucius,
prêtresse publique, en son nom et au nom
de son fils Marcus Numistrius Fronto, a fait construire
à ses frais un hémicycle, une galerie souterraine
et des portiques en l’honneur de la Concorde et
de la Piété impériales, et c’est elle aussi qui a effectué
la consécration », disent les deux inscriptions
qui accueillent le visiteur venant du forum, ou,
de l’autre côté, de la via dell’Abbondanza. Au fond
du cryptoportique, dans une niche, une statue
de près de deux mètres, en marbre blanc peint,
la représente en prêtresse de Vénus, vêtue d’une
tunique et d’un lourd manteau qui recouvre sa tête
et son bras gauche. Inspirée d’un modèle grec,
elle lui a été dédiée par les foulons, c’est-à-dire
la corporation des fabricants de draps et des
teinturiers. Si l’on s’interroge sur la destination
de cet édifice (lieu de commerce en gros de la laine,
marché aux vêtements, « Bourse », siège
de la corporation pour les foulons ?), il est certain
qu’il date du règne de Tibère et qu’il s’inspire
de monuments romains impériaux, tel le portique
de Livie. Il y avait quelque respectueuse
impudence pour cette Pompéienne de marquer
ainsi son attachement à la famille impériale.
En outre, sur le plan local, Eumachia, qui devait
avoir un lien économique ou de patronage avec
les foulons de Pompéi, marquait sa prééminence.
Son fils fut élu peu après au duumvirat. Le tombeau
qu’elle fit construire pour elle-même et les siens
dans la nécropole de Porta Nocera est lui aussi
fastueux. Cependant, Eumachia n’est pas un cas
isolé. Existent d’autres femmes, Julia Felix, Mamia,
toutes aussi exceptionnelles, dont la collectivité
reconnaissait les mérites.

138 l nhors-série
AULUS UMBRICIUS SCAURUS
Les Pompéiens, comme les Romains, accommodaient leur nourriture avec une sauce particulière,
le garum, qui devait ressembler au nuoc-mâm vietnamien et dont l’odeur était très forte. Elle était
obtenue par macération de certains poissons dans une saumure concentrée de sel marin. Selon
les espèces de poissons, sa qualité et son prix variaient : de l’allex (ou hallec), « le rebut du garum »
destiné aux plus pauvres ou aux esclaves, à celui qui arrivait de Carthagène et dont le prix pouvait
ILLUSTRATIONS : © HARMONIE BRICOUT POUR LE FIGARO HISTOIRE.

être aussi élevé que celui du parfum, la gamme proposée est large ! A Pompéi, deux types de garum
sont vendus : celui qui provient du sud de la péninsule Ibérique, souvent à l’état brut avant d’être
raffiné et parfois transformé à Pompéi, et celui qui est fabriqué sur place et a gagné, selon Pline
l’Ancien, une réputation internationale. Les salines étaient à quelques kilomètres, vers Torre
Annunziata, et les maquereaux (ils donnaient la meilleure qualité), les thons et les anchois étaient
pêchés dans la mer, parfois fort loin. Le plus important fabricant pompéien était Aulus Umbricius
Scaurus, qui vivait au milieu du Ier siècle. Autour de 30 % des inscriptions sur les amphores de
garum trouvées en Campanie et fabriquées sur place proviennent de ses fabriques, dont trois sont
connues. Ses produits, la sauce de son invention qui porte son nom, son savoir-faire faisaient
autorité, en particulier le garum, « fleur des fleurs ». Et son nom, synonyme de qualité, n’est jamais
signalé sur du garum brut ou non travaillé pour ne pas dévaloriser ses spécialités. Dans sa demeure
furent trouvés aux quatre coins de l’impluvium, dessinés dans un pavement de mosaïque blanc
et noir, quatre récipients à garum. Ils portaient des inscriptions vantant l’excellence du liquamen
de Scaurus ! Or ces textes correspondent à ceux des modèles réels trouvés à Pompéi : des petits
récipients élégants, fines amphores appelées urcei. Ayant amassé une belle fortune, Umbricius
Scaurus fut élu édile, puis duumvir. Mais il n’est pas le seul producteur de garum : une demi-
douzaine d’autres le concurrencent. Existe même, une inscription en fait foi, du garum « casher ».

GNAEUS ALLEIUS NIGIDIUS MAIUS


Avec les Alleii, voici l’une des familles les plus puissantes et les plus riches de Pompéi,
déjà bien connue à l’époque augustéenne, famille de négociants dont le nom apparaît
à Délos, dans les Cyclades, et qui est liée aux Eumachii et aux Nigidii, « industriels »
qui travaillent le bronze. Gnaeus Alleius Nigidius Maius serait né autour des années 20,
mais la date de sa mort est ignorée. En 79 ? Ou après l’éruption ? Ses noms montrent
qu’il naquit dans la famille Nigidia avant d’être adopté par celle des Alleii. Sa mère
adoptive est connue : Pomponia Decharcis, une matrone qu’accueille Eumachia
dans son tombeau de la nécropole de Porta Nocera. Sa fille est prêtresse des
deux grandes déesses locales, Vénus et Cérès ; son père est prêtre du culte impérial
et lui-même est flamine de Vespasien. Bref, une famille qui monopolise les principales
prêtrises de la cité. Sa célébrité personnelle, connue par des inscriptions, provient
de la générosité avec laquelle il donna par quatre fois, à ses frais, de somptueux
spectacles dans l’amphithéâtre. Notamment un combat qui mit aux prises vingt paires
de gladiateurs et leurs remplaçants ; un autre, vers 55, une venatio qui dura trois jours
et au cours de laquelle trente paires de gladiateurs affrontèrent des animaux
sauvages. On comprend qu’il soit acclamé du titre de « prince des
impresarios », c’est-à-dire : « Gloire à toi Gnaeus Alleius Maius, prince des
combats ! » On ne s’étonnera donc pas qu’un homme aussi influent soit
élu duumvir et même duumvir quinquennal. Pourtant, peu de temps avant
l’éruption du Vésuve, en juillet, une inscription peinte fait savoir qu’il met
en location, dans un immeuble (insula) qui lui appartient, des boutiques avec
leurs auvents, des pièces en étage de qualité, plus une maison de maître
(domus). Pourquoi ? Pour s’assurer un revenu. Une autre hypothèse a été
avancée : les élites dirigeantes auraient abandonné progressivement
la ville après le tremblement de terre de 62.

hors-sérien l 139
TERENTIUS NEO
Au musée de Naples, c’est le couple de Pompéiens
le plus célèbre. Tous deux nous fixent de leurs grands
yeux noirs. Lui, traits rudes, barbe clairsemée,
cheveux crépus, portant la toge blanche du citoyen
romain, appuie le menton sur un papyrus qu’il tient
de la main droite. Elle, légèrement en avant-plan, plus
fine malgré ses sourcils épais, bouclettes frisottantes,
coquette avec ses discrètes boucles d’oreilles, est
prête à écrire : un stylet d’une main, des tablettes
de cire de l’autre. Aucun doute, ils posent, fiers de leur
réussite sociale. Ils veulent faire savoir qu’à eux deux,
ils savent lire, écrire, compter. Qui sont-ils ? Parce que
ce double portrait avait été trouvé dans une maison
qui portait sur un mur extérieur, à des fins électorales,
le nom de Paquius Proculus, on a pensé pendant
longtemps que c’était lui et son épouse qui étaient
peints. Une inscription intérieure rectifie l’attribution.
Il s’agit de Terentius Neo, un boulanger dont le moulin
à farine (le pistrinum), les meules actionnées par
un âne ou un cheval, un pétrin, le four et les outils et
bâtiments (grenier, écuries) nécessaires à son usine
à pain se trouvaient tout à côté. Située sur la via
Stabiana, au centre de Pompéi, non loin du forum
et des thermes de Stabies, cette activité devait
être florissante et les clients ne manquaient
pas pour acheter ses pains ronds divisés
en huit portions où parfois se lit la signature
de l’ouvrier esclave. Car le Pompéien est
gros consommateur de pain, que depuis
longtemps on ne cuit plus à la maison :
un kilo par jour, à moins d’un as les cinq cents
grammes. Aussi, dans la cité, plus d’une
trentaine de boulangeries fleurissent-elles.
Fier de sa réussite, Terentius Neo
avait dû faire appel à un peintre
spécialisé dans les portraits, réalisés
selon des éléments stéréotypés,
qui permettaient à ces nouveaux riches
de ressembler aux membres des
ordres supérieurs.

140 l nhors-série
LUCIUS CAECILIUS IUCUNDUS
Ce n’est certes pas l’une des belles maisons
de Pompéi, confortable, sans plus. Son intérêt est
ailleurs : dans son laraire avec deux petits bas-reliefs
de marbre montrant les effets du tremblement
de terre qui secoua la ville en 62 et des bâtiments
qui s’écroulent, et dans un coffre de bois, se trouvant
au premier étage, qui contenait cent cinquante-
quatre tablettes de sapin, partiellement recouvertes
de cire, datées entre 52 et 62. Elles portaient
presque toutes le nom de Lucius Caecilius Iucundus,
l’occupant des lieux. Probablement un affranchi
comme son prédécesseur, L. Caecilius Felix, dont
le buste pourrait avoir orné la maison. Le plus souvent,
la cire a disparu, mais le stylet de métal avec lequel
on écrivait l’a transpercée, et le texte, inscrit dans
le bois, demeure déchiffrable. Il s’agit d’attestations
ou de reconnaissances de paiement relatives
à des opérations commerciales qui, presque toujours,
se déroulent au cours d’enchères qu’organise
Iucundus lors des marchés périodiques ou qui se
rapportent à des affaires conclues entre Iucundus
et la colonie de Pompéi, telle une location de pâture.
Une trouvaille sans équivalent dans tout l’Empire
romain. Selon Jean Andreau, qui en est le spécialiste,
ILLUSTRATIONS : © HARMONIE BRICOUT POUR LE FIGARO HISTOIRE.

Iucundus est un coactor argentarius. S’il n’est pas


un banquier au sens moderne du terme, Iucundus
procède à des encaissements, reverse les sommes
reçues, sert d’encaisseur à ferme à la cité de Pompéi,
ouvre des comptes de dépôts, fournit un service
de caisse, change les monnaies, accorde des prêts
d’argent sur lesquels il prend une commission de 2 %,
en particulier pour les ventes aux enchères, qui
peuvent être des denrées agricoles. Homme d‘affaires
local, au mieux régional, comme le sont ses clients,
il manie des sommes qui s’échelonnent de trois cent
quarante-deux à trente-huit mille soixante-dix-neuf
sesterces, avec une médiane de quatre mille cinq
cents sesterces (un mulet est adjugé à cinq cent vingt
sesterces). Quant à sa fortune, Andreau l’estime
à plus de cent mille sesterces. Un homme aisé qui
n’appartient pas pour autant à l’oligarchie locale.

hors-sérien l 141
PUBLIUS VESONIUS PHILEROS, VESONIA
ET MARCUS ORFELLIUS FAUSTUS
Dans la nécropole de Porta Nocera, un tombeau à édicule retient l’attention :
trois statues sans tête, une de femme encadrée par deux d’hommes ; en dessous,
deux inscriptions. La première : « Publius Vesonius Phileros, affranchi de matrone,
augustal, a fait ce monument de son vivant pour lui et pour les siens, pour Vesonia,
fille de Publius, sa patronne, et pour Marcus Orfellius Faustus, affranchi de Marcus,
son ami. » Les mots en gras ont été ajoutés : Phileros est devenu augustal, membre
d’un collège d’affranchis célébrant le culte impérial, et il a fondé une famille. La seconde,
en dessous : « Passant, arrête-toi un instant si cela ne te dérange pas et apprends
ce que tu dois éviter. Celui que j’avais espéré être un ami m’a intenté des procès,
procurant des accusateurs. Grâce aux dieux et en vertu de mon innocence, je fus libéré
de tout ennui. Que celui de nous deux qui a menti ne soit reçu ni par les pénates,
ni par les dieux infernaux. » Que s’est-il passé ? Des fouilles menées de 2003 à 2007,
sous la direction de William Van Andringa, apportent les solutions de cette mystérieuse
affaire, qui survint vers les années 60, après que Phileros, affranchi de la maison des
Vesonii, eut acquis l’enclos et érigé le monument orné des statues. A l’intérieur de cet
enclos, des stèles avec le nom du défunt marquent l’emplacement de la fosse où sont
déposés ses restes et des tubes à libations assurent la communication entre la fosse
et la surface. Or, la stèle de Faustus a été décapitée et l’ouverture du tube à libations
bouchée, avec le nom de Phileros inscrit dessus. Le « traître » était donc Orfellius Faustus.
Ce n’est pas tout : dans cet enclos sont enterrés, outre Vesonia, le jeune fils de Phileros,
Publius Vesonius Proculus, né libre après l’affranchissement de son père. Mais son âge
au décès a été volontairement vieilli – treize ans au lieu d’un âge estimé entre cinq et
sept ans –, afin que son père, géniteur d’une famille légale et libre, ambitieux et intéressé,
puisse prendre le relais et la richesse de l’honorable famille des Vesonii.

CUCULLA, ZMYRINA, FORTUNATA


ILLUSTRATIONS : © HARMONIE BRICOUT POUR LE FIGARO HISTOIRE.

Des lupae : en latin, la louve, la prostituée, la putain. Une profession qui appartenait aux métiers déshonorants comme l’étaient
ceux des proxénètes, des acteurs et des gladiateurs. De lupa vient le lupanar, le bordel, qu’il est difficile d’identifier, peintures et graffitis
érotiques n’étant pas des critères absolus. Ainsi une petite pièce située près de la cuisine de la maison des Vettii comporte quelques
scènes des plus réalistes ; un phallus géant orné de l’inscription « ici habite le bonheur » invite simplement à entrer dans une boulangerie,
et une série de peintures très suggestives personnalisent les casiers du vestiaire des thermes suburbains à la porte Marine ou servent
de réclame publicitaire… A Pompéi, certains historiens recensent trente-cinq lupanars, soit en gros un pour soixante-quinze hommes
adultes ! Sans compter des bars qui offraient au client d’autres plaisirs qu’une coupe de falerne : « J’ai baisé la patronne », dit un graffiti
alors qu’un autre précise à propos d’une servante montante : « Successa, la petite esclave, est un bon coup. » Il est vrai que Vénus
était la divinité patronne de la cité. Mais un seul bordel, celui du vicolo del Lupanare, derrière les thermes de Stabies, a été construit comme
tel sur deux niveaux avec cinq petites cellules au rez-de-chaussée, autant à l’étage, chacune comportant un lit de pierre. Il appartenait
à deux proxénètes, Africanus et Victor, qui dirigeaient une vingtaine de filles. Combien étaient-elles à Pompéi ? On ne sait. Quels que soient
leur nom (pseudonymes de travail ou véritables patronymes ?), leur tarif (entre deux et vingt-trois as), leurs prestations sexuelles
ou leur lieu de travail (telle la nécropole de Porta Nocera), ces courtisanes, que le latin désigne par une cinquantaine de mots, étaient
traditionnellement reconnaissables à leur tunique courte et à leur chevelure rousse issue d’une teinture ou d’une perruque. Parfois
même elles portent la toge afin de les distinguer des matrones vêtues de la stola (une longue robe). Quant aux clients qui laissent volontiers
leurs noms, il s’agirait pour l’essentiel d’esclaves.
CAIUS IULIUS POLYBIUS
« Elisez Caius Iulius Polybius, il apporte du bon
pain ! » « Polybius édile ! Les voisins votent pour
lui. C’est un bon citoyen. » « Caius Iulius Polybius
duumvir ! Les muletiers demandent de voter pour
lui. » « Caius Iulius Polybius duumvir ! Les pâtissiers
recommandent en masse de voter pour lui. »
Caius Iulius Polybius est tellement connu que son
nom est abrégé en C.I.P. ! La campagne électorale
bat son plein : le peuple – l’assemblée des hommes
libres – choisit par un vote sur le forum ses quatre
magistrats annuels, édiles et duumvirs, qui entrent
en fonction en juillet. Même les femmes, ni éligibles,
ni électrices, s’expriment : « Polybius duumvir !
Lollia le soutient, en accord avec sa famille. »
Cuculla et Zmyrina, des « serveuses » de la taverne
d’Asellina, s’engagent pour lui. Ce qui déplaît
au candidat, qui fait effacer le nom de ces soutiens
compromettants. Une guerre d’affiches, les dipinti,
entretient la fièvre dans la cité. Ces inscriptions
sont peintes sur les murs au pinceau par des
spécialistes, en grandes lettres (jusqu’à soixante
centimètres) noires et rouges, parfois la nuit :
« Porteur de lanterne, tiens bien l’échelle », dit l’une
d’entre elles d’un partisan de Iulius Polybius. Autour
de trois mille ont été relevées. Pour la campagne
électorale de 79, il en reste environ mille cinq cents.
Les autres inscriptions proviennent des campagnes
antérieures et n’ont pas, ou mal, été recouvertes
d’un badigeon après les élections, au début du mois
de mars. Toutes s’organisent sur le même modèle :
nom du candidat, poste convoité, soutiens, parfois
une explication du choix. Guère de programme,
aucun parti politique : le candidat ne compte
que sur lui, sur ses relations, ses amis, ses réseaux
personnels. C’est un homme libre, âgé depuis
Auguste d’au moins vingt-cinq ans, riche afin
de payer la somme dite honorifique à la collectivité,
honorablement connu, détenteur d’une certaine
dignitas (« prestige »), qui respecte l’intervalle
entre deux charges et est inscrit sur les listes
officielles de candidature. Caius Iulius Polybius,
vraisemblablement un descendant d’affranchi,
aurait été élu édile en 73, puis duumvir en 78.

Ancien membre de l’Ecole française de Rome,


Jean-Louis Voisin a enseigné l’histoire romaine
à l’université de Dijon.

hors-sérien l 143
Compléments
d’enquête
© GEDEON PROGRAMMES.
CHAMBRE MORTUAIRE Reconstitution en 3D, par Gédéon Programmes, d’une chambre
de la maison du Jardin à Pompéi, dans laquelle furent découverts les squelettes d’une dizaine de femmes
et d’enfants qui avaient cherché là un abri lors de l’éruption du Vésuve.

L’exposition du Grand Palais nous introduit au cœur de la ville enfouie,


et nous fait revivre les étapes de sa tragédie. Elle nous invite à prolonger
cette expérience en se plongeant dans les ouvrages qui la décryptent.
Ou en regardant les films qui la racontent.
MUSÉE rêver FLÂNER

EXPÉRIMENTER
Au-dessous du volcan
ENTRETIEN AVEC MASSIMO OSANNA, COMMISSAIRE DE L’EXPOSITION « POMPÉI ».
PROPOS RECUEILLIS PAR GEOFFROY CAILLET
Ame du « Grand Projet Pompéi », qui a allié mise en sécurité du site et
fouilles, Massimo Osanna dresse le bilan de cette expérience novatrice,
dont l’exposition du Grand Palais est l’illustration spectaculaire.

● QUEL ÉVÉNEMENT A MOTIVÉ


L’EXPOSITION DU GRAND PALAIS : LES
FOUILLES RÉALISÉES À POMPÉI DE 2014 À
2019 OU LES NOUVELLES TECHNOLOGIES
EMPLOYÉES SUR LE SITE DEPUIS
PLUSIEURS ANNÉES DÉSORMAIS ?
Nous avons d’abord pensé qu’il était temps
de présenter au public les résultats du « Grand
Projet Pompéi », ce programme de mise en
sécurité et de fouille de la région V rendu pos-
sible par le financement consenti par l’Union
européenne en 2012, soit deux ans après
l’écroulement de la maison des Gladiateurs
qui avait sonné l’alarme. Si quelques objets
© GEDEON PROGRAMMES. © PARCO ARCHEOLOGICO DI POMPEI, ARCHIVIO FOTOGRAFICO.

issus de ces fouilles ont été exposés à


Palerme, la plus grande partie est encore iné-
dite. Le choix de Paris tient à plusieurs rai-
sons. Le Grand Palais est bien sûr un écrin
prestigieux, qui me semblait le mieux à même virtuelles. Je n’aime pas les expositions ou la mosaïque en opus vermiculatum qui
de répondre à notre exigence. Mais l’ouver- archéologiques seulement virtuelles. Je suis ornait une fontaine et montre un Dionysos
ture prévue pour l’exposition le 25 mars coïn- convaincu que la matérialité des objets est fon- semblable à celui de la villa des Mystères. Mais
cidait aussi avec la diffusion, le lendemain sur damentale, surtout lorsque ceux-ci provien- le visiteur retrouve aussi des statues, reliefs
France 5, d’un documentaire réalisé par la nent d’un site comme Pompéi, où ils ont pour et peintures qui proviennent de fouilles plus
société Gédéon Programmes. Il s’agit du pre- ainsi dire une biographie, parce qu’on connaît anciennes et donnent une image complète de
mier documentaire complet sur le Grand Pro- le contexte dans lequel ils ont été recueillis : on Pompéi. L’exposition allie l’expérience émo-
jet Pompéi, qui permet de comprendre com- sait où ils ont été utilisés, on connaît les person- tionnelle et la connaissance de la ville.
ment les fouilles se sont déroulées, depuis le nes qui les ont produits, laissés sur place ou Pour la première fois, le public a l’occasion
moment où le plateau rocheux était encore emportés dans leur fuite. Il était donc indispen- de réfléchir à ces fouilles et de trouver la
planté d’arbres jusqu’au dégagement des sable de leur donner toute leur importance. réponse à cette question : que nous resti-
différents niveaux de l’éruption de 79. On découvre ainsi plusieurs objets parmi tuent-elles sur Pompéi que nous ignorions ?
Cette exposition réunit toute la documenta- les plus significatifs des nouvelles fouilles de
tion issue des fouilles : celle récoltée par notre la région V. Le public peut admirer pour la ● EN QUOI CONSISTE L’« EXPÉRIENCE
équipe de professionnels et celle produite par première fois le « trésor de la sorcière » : des SENSORIELLE IMMERSIVE »
Gédéon Programmes pour reconstruire virtuel- dizaines d’amulettes d’ambre, de cristal ou QUE PROPOSE L’EXPOSITION ?
lement l’habitat et l’urbanisme de Pompéi. Elle d’améthyste découvertes dans les restes Elle repose sur la documentation que
conjugue donc objets réels et reconstructions d’un écrin enfoui dans la maison du Jardin, nous avons assemblée grâce aux nouvelles

146 l nhors-série
DÉCOUVRIR IMMERSION
Pompéi S’ÉMERVEILLER

Professeur d’archéologie classique


technologies – de la cartographie laser aux accueillant des vitrines garnies d’objets, des à l’université de Naples, Massimo Osanna
drones, de la thermographie infrarouge à la reproductions de maisons s’alignent comme (ci-dessus, devant une fresque retrouvée
photogrammétrie –, lesquelles ont permis à celles d’une rue véritable et dévoilent l’histoire lors des récentes fouilles) vient de publier
Gédéon Programmes de réaliser des prises de des fouilles. Des reproductions grandeur Les Nouvelles Heures de Pompéi, récit
vues en très haute résolution et de proposer nature des fresques décorant les plus belles vil- du « Grand Projet Pompéi » qu’il a mené
des reconstitutions 3D de la ville d’une très las de Pompéi permettent enfin de se faire une à bien depuis sa nomination, en 2014,
grande précision. En se promenant dans le idée complète de la richesse picturale de la ville. à la tête du site archéologique
Grand Palais, le visiteur déambule ainsi dans Par rapport à de nombreuses reconstitutions le plus prestigieux d’Italie.
les rues de Pompéi au moyen de projections de Pompéi, qui sont à la limite de l’imagination
immersives et au son des bruits de la ville. Il peut et ne respectent presque jamais les données
voir les maisons comme elles étaient en 79, archéologiques, tout est présenté ici avec une VIRTUEL ET VIRTUOSE
mais aussi à l’état de ruines après la catastro- rigoureuse attention aux structures et à ce que Page de gauche : reconstitution de Pompéi
phe. Au centre du parcours, un dispositif spec- nous avons trouvé en fouillant. La reconstruc- peu avant l’éruption du Vésuve le 24 octobre
taculaire simule le déluge de cendres et de lapilli tion des étages supérieurs et des toits se base 79. La qualité des images virtuelles conçues
de l’éruption, qui envahit toute l’exposition. ainsi sur la prise en compte minutieuse de tou- par la société Gédéon Programmes fait le prix
Une autre section s’attache à la redécouverte tes les traces identifiées sur les murs : piliers, de « l’expérience sensorielle immersive » que
de Pompéi au XVIIIe siècle : le long d’un corridor poutres, couvertures qui n’existent plus. Bien propose l’exposition du Grand Palais.

hors-sérien l 147
FOUILLES rêver FLÂNER

EXPÉRIMENTER

TELLE QUELLE Ci-dessus : reconstruction virtuelle de l’oecus de la maison du Jardin,


mise au jour lors des dernières fouilles. L’emploi des nouvelles technologies (cartographie
sûr, l’archéologie n’est pas une science exacte laser, drones, thermographie infrarouge, photogrammétrie) a permis à Gédéon Programmes
et nous avons aussi procédé par hypothèse, de réaliser des prises de vues en très haute résolution et de proposer des reconstitutions 3D
comme pour la maison du Jardin, reconstruite de Pompéi d’une très grande précision, qui n’en laissent pas moins sa part à l’hypothèse.
avec un toit d’atrium plus élevé que d’habi-
tude. Mais tout dans l’exposition est vraisem-
blable et semble dater de 79. qu’astucieuse, imaginée par le conservateur plâtre et ne peuvent faire l’objet d’une ana-
Giuseppe Fiorelli en 1863, consiste à injecter lyse complète.
● L’EXPOSITION PRÉSENTE- du plâtre dans les cavités laissées par la Les corps retrouvés dans la maison du Jardin
T-ELLE LES MOULAGES CORPORELS décomposition de la matière organique sous n’ont malheureusement pas pu être moulés
RÉALISÉS DEPUIS LE XIXE SIÈCLE ? la gangue de lapilli durcie. Nous nous deman- car, vers le milieu du XVIIe siècle, des fouilleurs
LES NOUVELLES FOUILLES ONT-ELLES dons toutefois si nous allons continuer à clandestins s’étaient introduits dans la maison
PERMIS D’EN PRODUIRE DE NOUVEAUX ? l’employer. En scannant les cavités en 3D, on au moyen de trous pratiqués dans les murs.
Nous exposons bien sûr certains des mou- pourrait en effet sauvegarder non seulement La présence de squelettes les a poussés à
lages de corps des victimes, fameux dans le la forme des corps mais aussi les os qui, dans rechercher des bijoux et ils ont mis les os en
monde entier. Cette technique aussi simple le cas de moulages, restent prisonniers du désordre, détruisant les cavités laissées par la

148 l nhors-série
DÉCOUVRIR IMMERSION
Pompéi S’ÉMERVEILLER

cendre solidifiée. Quant au corps que nous


avons trouvé dans la rue, il avait été lui aussi
malmené par le creusement d’un tunnel clan-
destin. Nous n’avons donc pas pu réaliser de
moulages comparables à celui, magnifique,
qui a été fait du cheval retrouvé en 2018 dans
les restes d’une écurie à Civita Giuliana, en
dehors de la ville, et récemment exposé à
Rome aux Ecuries du Quirinal.

● QUEL EST L’APPORT DES


NOUVELLES TECHNOLOGIES À UN SITE
COMME POMPÉI ?
Elles sont fondamentales car elles permet-
tent de documenter désormais toutes les D’OUTRE-TOMBE Ci-dessus : lararium (espace pour les cultes domestiques)
fouilles d’une façon extrêmement soignée, avec représentation des Lari sur les côtés, Ier siècle après J.-C. (Pompéi, vicolo di Lucretius
fournissant une somme d’archives informati- Frontone). En bas : portrait d’une figure féminine, peut-être la maîtresse de maison,
ques riches de milliers de données que l’on Ier siècle après J.-C. (Pompéi, maison du Jardin). Ces deux fresques font partie de celles
peut revisiter, repenser à loisir. Jusqu’à une récemment mises au jour dans le cadre du « Grand Projet Pompéi ».
époque très récente, l’exploration des différen-
tes strates archéologiques détruisait au fur et à
mesure tout ce qui n’était pas enregistré sur le où ils commencent et finissent. Les nouvelles car il faut toujours arbitrer, en fonction du
moment. Les tunnels des fouilles clandestines, fouilles ont permis au contraire de rassembler budget dont on dispose, entre ce qu’on
qui n’ont presque jamais été relevés dans les des données chronologiques sur des tunnels fouille et ce qu’on doit entretenir. La règle
rapports, sont un bon exemple de ces don- antérieurs au début des fouilles officielles en que nous nous sommes fixée à Pompéi est
nées disparues. On ne peut ni les dater ni savoir 1748. On s’est mis à collecter une documenta- en fait de fouiller là où la sauvegarde du site
tion comme on ne l’avait jamais fait à Pompéi. le commande. C’est cette règle qui a guidé
Une autre nouveauté concerne l’extension le « Grand Projet Pompéi », lequel a d’abord
des disciplines sollicitées par les fouilles. Le consisté à mettre en sécurité le front de
travail est désormais réparti au sein d’une fouilles de la région V puis à fouiller à cette
équipe interdisciplinaire composée de chi- occasion. Il faut fouiller en fonction de ce
mistes, de physiciens, de paléobotanistes. A qui est opportun et non pour rechercher
la différence des grandes fouilles du passé, des objets déterminés, comme on le faisait
notamment celles des années 1960, on peut au XIXe siècle.
désormais presque tout comprendre. Les Outre les nouvelles connaissances – sans
analyses de chromatographie liquide, réa- équivalent dans l’histoire de Pompéi, puis-
lisées sur les substances qui se sont dépo- qu’on a fouillé pour la première fois avec
sées sur le fond d’un vase, permettent par des méthodologies adaptées et des tech-
exemple d’en découvrir le contenu. L’analyse nologies particulièrement élaborées –, la
PHOTOS : © GEDEON PROGRAMMES.

de l’ADN permet, elle, de connaître les patho- révolution qu’a connue la ville dans les cinq
logies qui affectaient les personnes dont on a dernières années tient à une vision nou-
retrouvé les ossements. velle, qui privilégie une approche extensive
du site et une compréhension globale des
● QUEL BILAN DRESSEZ-VOUS problèmes plutôt que la résolution d’urgen-
DU « GRAND PROJET POMPÉI » QUI ces quotidiennes. On la doit à une équipe
VIENT DE S’ACHEVER ? d’excellents professionnels : architectes,
Il a montré combien il est fondamental de archéologues, ingénieurs, informaticiens,
continuer à fouiller : modérément bien sûr, restaurateurs, vulcanologues…

hors-sérien l 149
MUSÉE rêver FLÂNER

EXPÉRIMENTER
diagnostic, thérapie, intervention, le tout représentant la transformation en astre du
documenté informatiquement et de façon chasseur Orion est exceptionnelle. Ce mythe
exhaustive. Ce cycle d’entretien est un cercle n’est en effet quasiment jamais illustré dans
vertueux destiné à ne pas s’arrêter. l’histoire de l’art et il est en outre élaboré ici
dans un style sans doute lié à la Méditerranée
● QUELLE A ÉTÉ POUR VOUS LA orientale, à Alexandrie. Quant à l’inscription
DÉCOUVERTE LA PLUS IMPORTANTE FAITE au charbon découverte dans la maison du
À L’OCCASION DU GRAND PROJET ? Jardin, elle est extraordinaire : non seulement
● L’INCURIE DONT L’ÉCROULEMENT Sur le plan urbanistique, fouiller simultané- parce qu’elle a permis de régler de façon défi-
DE LA MAISON DES GLADIATEURS ment toute une rue de Pompéi avec ses bou- nitive la question de la datation de l’éruption,
EN 2010 SEMBLAIT TÉMOIGNER N’ÉTAIT tiques et deux maisons selon des méthodes mais parce qu’elle a été trouvée dans un
DONC PAS D’ABORD LIÉE À UN MANQUE adaptées a été une expérience fabuleuse. contexte familier – une maison dont on
© GEDEON PROGRAMMES/STÉPHANE COMPOINT/SP.

DE MOYENS FINANCIERS ? Ma génération n’avait jamais connu cela. connaît les habitants grâce à leurs squelettes,
Non, le problème était un défaut de vision et D’autant que la fouille de ce quartier nous a l’ameublement, les travaux qui y avaient été
d’entretien de Pompéi. Le site ne disposait permis de dépasser ce lieu commun selon réalisés et ceux qui étaient encore en cours.
pas alors d’un programme systématique lequel Pompéi serait figée dans le temps. Au
d’entretien ordinaire, comme on le fait désor- moment de l’éruption de 79, la ville était en ● QUELS SONT VOS PROJETS
mais chaque jour, chaque semaine ou chaque pleine restauration et nombre de ses bâti- À MOYEN TERME POUR POMPÉI ?
mois. Cet entretien a été commencé de façon ments étaient en travaux. Les fouilles clandes- Nous avons ouvert la via del Vesuvio en
expérimentale avec le Grand Projet, dans tines, qui ont commencé au lendemain de la novembre 2019 pour permettre au public
les zones mises en sécurité. Avec près de catastrophe, ont en outre transformé et abîmé d’admirer depuis la rue les maisons fouillées
soixante personnes cette année (ouvriers, res- les données archéologiques. C’est cet état dans cette zone au cours du Grand Projet,
taurateurs, architectes, archéologues…), les final qu’on découvre aujourd’hui. notamment la maison de Léda, du nom de la
équipes chargées de cet entretien procèdent Sur le plan artistique, la découverte, dans la magnifique fresque qu’on y a trouvée. Nous
de façon méthodique : monitoring, inspection, maison de Jupiter, des deux mosaïques travaillons maintenant sur la restauration

Pompéi au Grand Palais


POMPÉI Promenade immersive. Trésors (4 personnes dont 2 jeunes
archéologiques. Nouvelles découvertes : de 16-25 ans) : 38 €.
une exposition organisée par la Réunion RENSEIGNEMENTS :
des musées nationaux-Grand Palais www.grandpalais.fr
et GEDEON Programmes, en partenariat et 01 44 13 17 17.
avec le Parco archeologico di Pompei. Grand Palais,
Salon d’honneur, entrée
COMMISSARIAT : Massimo Osanna, directeur square Jean-Perrin,
général du Parc archéologique de Pompéi, avec avenue du Général-
la collaboration de Luana Toniolo, fonctionnaire Eisenhower,
archéologue du Parc archéologique de Pompéi. 75008 Paris.
HORAIRES : tous les jours, sauf le mardi, de 10 h Cette exposition bénéficie
à 20 h. Nocturne le mercredi jusqu’à 22 h. du soutien d’Aurel Bgc
TARIF : Plein tarif : 14 €, tarif réduit : 10 €, tarif tribu et de la MAIF.

150 l nhors-série
DÉCOUVRIR IMMERSION
Pompéi S’ÉMERVEILLER
MÉTAMORPHOSE
Ci-contre : mosaïque représentant
le chasseur géant Orion transformé en
constellation après avoir été piqué par
un scorpion. Découverte en décembre
2018 dans la maison de Jupiter, cette
mosaïque est exceptionnelle, le mythe
d’Orion n’étant presque jamais illustré
dans l’histoire de l’art. Page de gauche :
statue en marbre blanc de lièvre ou
de lapin en train de manger des fruits
disposés dans un panier entre ses
pattes. Elle décorait le bord du bassin
de la fontaine située via del Vesuvio.
Outre les fontaines, ce type de petites
sculptures agrémentaient aussi les
jardins pour les animer.

proprement dite, notamment la couverture


de la zone fouillée. J’espère que nous pour-
rons ouvrir celle-ci d’ici la fin de l’année, au
moins en partie.
Un grand chantier de trente-deux millions
d’euros est en outre prêt à s’ouvrir grâce
à des fonds du gouvernement italien. Il
concerne la restauration de l’insula appelée

© PATRICK ZACHMANN/MAGNUM PHOTOS.


méridionale, soit le front de fouilles qui borde
le viale delle Ginestre, avec entrée depuis la
piazza Esedra. Toute cette zone qui va du
temple de Vénus à celui d’Athéna, sur le
forum triangulaire, est recouverte de roche
volcanique, sous laquelle on trouve une partie
des murailles de la ville, mais aussi les nom-
breuses maisons qui y sont adossées : des
maisons à terrasses comptant jusqu’à trois
étages, très fragiles car menacées par la
pression de la roche. Ce chantier d’enver-
gure, qui va nous occuper pendant les deux
années à venir, permettra de mettre en sûreté ● LA FRANCE SEMBLE ENTRETENIR l’architecte François Mazois, qui a publié
cette zone, la dernière à être directement UN LIEN PRIVILÉGIÉ AVEC POMPÉI. à partir de 1813 Les Ruines de Pompéi : ce
menacée d’effondrement. Il sera aussi À QUOI TIENT-IL SELON VOUS ? recueil de dessins détaillés des vestiges
l’occasion de fouiller les magasins situés Par sa dimension humaine et artistique hors retrouvés, qui donnait au lecteur le sentiment
sous le temple de Vénus et encore pleins de du commun, Pompéi appartient au monde de se promener dans les rues, les maisons,
lapilli, ces fragments de lave solidifiés que le entier. Mais l’apport des Français à la ville a les thermes ou les temples, a largement
Vésuve a déversés partout à Pompéi. Et de été très important. Caroline Murat, reine de contribué à la renommée de la ville. C’est en
repenser la question des accès : l’escalier du Naples, s’est passionnée pour les fouilles au quelque sorte l’ancêtre de l’expérience
temple de Vénus, par exemple, est trop étroit cours de son bref règne (1808-1815). Elle a immersive proposée au Grand Palais grâce à
et doit être adapté au flux des visiteurs. notamment promu le travail exceptionnel de l’implication d’une entreprise française ! 3

hors-sérien l 151
MUSÉE rêver FLÂNER

PROMENADES

Sous le feu des projecteurs


PAR FRANÇOIS-JOSEPH AMBROSELLI
L’exposition du Grand Palais est marquée du sceau de l’innovation
technologique. L’idée d’une « exposition immersive » a germé lors du
tournage d’un documentaire sur les dernières fouilles pompéiennes.

P
rojections, simulations numériques, l’éruption, et de l’autre, la rue dans son état l’audiovisuel afin d’offrir au spectateur une
effets sonores, reconstitutions 3D : de fouille », explique Agnès Garaudel, direc- plongée immersive au cœur de la cité romaine.
l’exposition « Pompéi » propose une trice du développement et des partenariats Le résultat est impressionnant : des façades
expérience d’un genre nouveau. Sous la de Gédéon Programmes. Cette société de de maisons pompéiennes ont été reconsti-
verrière du salon d’honneur, la ville enfouie production française, spécialisée dans la tuées en 3D, et servent de décor à des scènes
retrouve ses couleurs chatoyantes : « Nous réalisation de documentaires archéologi- projetées, où des personnages en ombres
avons recréé une rue de Pompéi avec, d’un ques, a coproduit l’exposition « Pompéi ». chinoises déambulent paisiblement. « Nous
côté, la rue antique telle qu’elle était avant Elle a fait appel aux meilleurs spécialistes de ne voulions pas faire dans le kitsch en insérant

152 l nhors-série
DÉCOUVRIR RECONSTITUTION
Pompéi S’ÉMERVEILLER

des scènes jouées par des acteurs. Nous archéologique : « Les archéologues étaient
avons opté pour une évocation poétique de heureux de partager leurs trouvailles avec
la vie dans l’Antiquité, tout en faisant preuve nos équipes. Elles ont vécu des moments
d’une profonde rigueur historique. La préser- d’une grande émotion », explique Agnès
vation du patrimoine est au cœur de notre Garaudel. Toutes les scènes de fiction du
ligne éditoriale », précise Agnès Garaudel. film ont été réalisées en Bulgarie, dans des
décors construits spécialement pour l’occa-
UNE SOCIÉTÉ sion : « Nous sommes même allés jusqu’à
PAS COMME LES AUTRES reconstituer des fresques ! »
La société Gédéon Programmes est en effet
une référence dans le domaine du documen- LA GENÈSE
taire scientifique. Les dizaines de trophées DE L’EXPOSITION
qui ornent ses locaux parisiens témoignent Travailler ensemble a cependant donné aux
de son prestige. Son fondateur, Stéphane uns et aux autres l’envie d’aller plus loin. Et si
Millière, est féru d’archéologie : « S’il n’avait les prises de vues en très haute résolution
pas été producteur de télévision, il aurait été réalisées pour le documentaire étaient mises THÉÂTRE D’OMBRES
archéologue, s’amuse Agnès Garaudel. Il est au service d’une exposition ? Page de gauche et ci-dessus :
à l’affût de toutes les dernières découvertes. Le déclic a lieu à l’automne 2018, lorsque les reconstitutions en 3D réalisées par
Je pense qu’un jour il consacrera son temps à Stéphane Millière visite l’exposition « Cités Gédéon Programme d’une façade
assouvir cette passion. » millénaires » présentée à l’Institut du monde de maison ou d’une rue au pied du Vésuve
Portées par cet amour des belles ruines, arabe. Le producteur est séduit par ce voyage plongent le visiteur de l’exposition
les équipes de Gédéon ont ainsi couvert les virtuel qui l’emmène de Palmyre à Mossoul, et du Grand Palais au cœur de Pompéi.
fouilles sous-marines sur les vestiges du prend conscience du potentiel des images
phare d’Alexandrie, ou le sauvetage de la que ses équipes sont en train de tourner à
cité antique de Zeugma avant qu’elle ne Pompéi. Sans attendre, il engage le scéno- des mêmes personnes que pour « Sites
disparaisse sous les eaux. Elles ont aussi graphe de l’exposition, Sylvain Roca, et lui éternels », car on ne change pas une équipe
accompagné les restaurateurs travaillant demande de réfléchir à un projet d’exposition. qui gagne : « Il était important pour moi d’avoir
dans la galerie d’Apollon au Louvre, ont par- Il mobilise ensuite les équipes de la Réunion une équipe soudée, où les idées circulent de
couru de long en large le Mont-Saint-Michel, des musées nationaux (RMN) qui sont immé- manière fluide, car nous inaugurions un tout
les châteaux de Chambord et de Versailles diatement emballées par l’idée. Le Grand nouveau type d’exposition et nous avions
à la recherche de plans cachés, et filment Palais apparaît, aux yeux de tous, comme beaucoup de personnes à convaincre. »
actuellement le chantier de restauration de l’écrin idéal pour présenter les merveilles de la Parmi ses complices, le réalisateur Olivier
Notre-Dame de Paris. « Pompéi s’est impo- cité ensevelie. La RMN y a déjà fait l’expé- Brunet, responsable de la production audiovi-
sée comme une évidence », explique Agnès rience d’une promenade immersive en 2016, suelle, qui est chargé de créer une multitude
Garaudel. Entre septembre 2018 et octo- lors de l’exposition « Sites éternels » (éga- de petits films destinés à être projetés en très
bre 2019, les caméras de Gédéon ont en lement scénographiée par Sylvain Roca), où grand format. « Nous avions à notre disposi-
effet suivi les archéologues de Pompéi les spectateurs avaient pu admirer de magni- tion les rushs du documentaire, mais nous
durant les fouilles qui ont mis au jour un hec- fiques images du Crac des Chevaliers, de la sommes également allés tourner nos propres
tare et demi de la ville. mosquée des Omeyyades de Damas, de Pal- scènes en Bulgarie – sur le lieu de tournage du
PHOTOS : © GEDEON PROGRAMMES.

Dans ce film diffusé le jeudi 26 mars sur myre, en Syrie, et de Khorsabad, en Irak. documentaire – et à Pompéi », explique Olivier
France 5, Massimo Osanna, le directeur du La machine est lancée : « Dès le début, j’ai Brunet qui, pour définir son rôle dans l’orga-
Parc archéologique de Pompéi, fait office de imaginé une exposition qui nous embarque nisation, use humblement d’une métaphore
narrateur et nous entraîne dans une aventure dans une quête à travers la Pompéi antique et musicale : « Gédéon est le chef d’orchestre, je
palpitante, entrecoupée de scènes de fiction actuelle, explique Sylvain Roca. L’idée était suis un des chefs de pupitre. » Cette collabora-
d’un réalisme saisissant et de séquences fil- de mettre le visiteur dans une posture de tion harmonieuse avait un double objectif :
mées au drone. Embarqué dans une quête chercheur afin d’attiser sa curiosité et de le produire une expérience capable de toucher
effrénée des vestiges du passé, le specta- pousser à explorer l’espace mis à sa disposi- les sens des spectateurs, tout en revenant sur
teur y suit pas à pas l’évolution d’un chantier tion. » Le talentueux scénographe s’entoure la chronologie d’un chantier historique. « Le

hors-sérien l 153
DÉCOUVRIR rêver Pompéi

IMMERSION
éruption, déversant sa nuée ardente sur les au visiteur : s’étant équipé, il se retrouve au
spectateurs : « Cette coulée pyroclastique se centre du triclinium de la maison du Jardin
répand dans toute l’exposition de manière (l’une des deux nouvelles maisons récem-
numérique », explique-t-elle. ment exhumées), et doit résoudre des énig-
Pour créer l’immense perspective qui, de mes afin que la pièce lui apparaisse telle
part et d’autre de l’exposition, plonge notre qu’elle était dans l’Antiquité. « Toutes ces
regard dans l’horizon pompéien, Olivier Bru- reconstitutions 3D et installations interactives
net s’est rendu lui-même dans la cité antique, ont été élaborées sous le contrôle de scien-
a posé sa caméra dans l’une des rues et l’a tifiques et d’archéologues. C’est une expo-
laissé tourner pendant des heures. « Nous sition divertissante mais aussi didactique »,
sommes à la croisée du cinéma, du documen- confirme Agnès Garaudel. « C’est la technolo-
but est de provoquer une émotion qui laisse taire et de l’installation artistique. Cela va porter gie des jeux vidéo appliquée à un contenu his-
des traces », résume le réalisateur. des fruits, se réjouit le réalisateur. Ces “exposi- torique », renchérit Olivier Brunet, fier d’avoir
Le défi a été magnifiquement relevé : le visi- tions immersives”, qui éclairent les esprits et fait renaître cette cité multimillénaire qui, des
teur qui pénètre aujourd’hui dans le salon séduisent les sens, vont se multiplier. » mots de Chateaubriand, demeure « le plus
d’honneur du Grand Palais plonge au cœur Et attirer un public de plus en plus nom- merveilleux musée de la terre ». 3
© AGNÈS GARAUDEL GEDEON PROGRAMMES.

d’une ville animée, où résonnent des excla- breux. Un succès qui s’explique, selon le scé- A voir : Les Dernières Heures de Pompéi,
mations joyeuses d’enfants, le bruit des nographe Sylvain Roca, par l’aspect intuitif de Gédéon Programmes, diffusé sur France 5,
charrettes tirées sur le pavé, et le gazouillis l’offre : « Passer par le visuel avant l’intellec- jeudi 26 mars, à 20 h 50.
des oiseaux. « C’est une exposition qui s’ins- tuel, ça marche toujours bien. Mais notre but
crit dans un cadre spatio-temporel, explique n’est pas simplement d’en mettre plein la vue
Agnès Garaudel. L’écoulement du temps aux gens. Notre démarche est novatrice : pré- MISE EN SITUATION
y est simulé par un jeu d’ombres et de senter des objets réels dans une enveloppe A gauche : tournage en Bulgarie, dans
lumière. » Au centre de la salle, sur quatorze digitale. Nous voulons les émouvoir afin des décors construits pour l’occasion,
mètres de hauteur, le Vésuve impose sa d’aiguiser leur appétit de connaissances. » d’une scène de fiction du documentaire
silhouette majestueuse en image de syn- A l’issue de cette promenade enchante- Les Dernières Heures de Pompéi,
thèse. Toutes les trente minutes, il rentre en resse, un casque de réalité virtuelle est proposé produit par Gédéon Programmes.

BONS VIVANTS
L es gousses d’ail, céréales, figues, grenades, dattes, châtaignes,
lentilles retrouvées sur les sites d’Herculanum et de Pompéi
nous prouvent que les Romains étaient de fins gourmets. Carbonisés,
qu’un citoyen romain se devait d’observer
les bonnes manières, de supporter les effets
de la boisson et de ne pas sombrer dans
ces aliments ont traversé les siècles. Parallèlement à l’exposition l’ivrognerie, que les hôtes d’un banquet
du Grand Palais, le musée de l’Homme rassemble une vingtaine de devaient se parfumer, porter des couronnes
ces denrées que la colère du Vésuve rendit éternelles, mais aussi de fleurs et élire un roi de festin qui leur dirait
de la vaisselle de réception ou des ustensiles de cuisine qui témoignent combien de coupes de vin ils étaient tenus
de l’art de vivre méditerranéen. On y découvre des recettes romaines de boire, et que, enfin, mettre un invité dehors
qui mettent l’eau à la bouche, comme celle de Marcus Gavius Apicius, était une pratique de « barbare ».
célèbre gastronome du Ier siècle, conseillant d’assaisonner le fromage « Dernier repas à Pompéi »,
avec « de la menthe, de la rue de jardin, de la coriandre, du fenouil, jusqu’au 21 septembre 2020. Musée de l’Homme,
de la roquette, de la livèche, du miel, du garum » en indiquant 75116 Paris. Ouvert tous les jours sauf le mardi,
d’y adjoindre du vinaigre « si cela est nécessaire ». On y apprend de 11 h à 19 h. Tarifs : 12 €/9 €. Rens. : 01 44 05 72 72 ;
aussi que le repas constituait un moment clé de la vie familiale, www.museedelhomme.fr

154 l nhors-série
vous convie à un voyage à

Naples et Pompéi
DU 6 AU 10 OC T OB R E 2 0 2 0

avec Geoffroy CAILLET,


Rédacteur en chef au Figaro Histoire.

Partez à la découverte de Naples


l’exubérante, Pompéi et ses récentes
découvertes, Herculanum la disparue,
Caserte, la petite Versailles.

CASERTE

NAPLES

HERCULANUM

OPLONTIS

POMPÉI

VOYAGE RENSEIGNEMENTS
5 JOURS / 4 NUITS
ET RÉSERVATIONS
1ERS INSCRITS 01 57 08 70 02
3 000 €* www.lesvoyagesf.fr

*Tarif indiqué jusqu’au 11 mai 2020 par personne sur la base d’une chambre double à partager. Crédit photo : AdobeStock.
SITE rêver FLÂNER

PROMENADES
Portes ouvertes
Des fouilles réalisées dans le cadre
du « Grand Projet Pompéi » aux réouvertures
après restauration, les nouveautés
ne manquent pas à Pompéi. Tour d’horizon. Pompéi

1 & 2. LÉDA
ET LA SORCIÈRE
Elles sont assurément des fleurons
Villa des
des fouilles récemment achevées : Mystères
la fresque de Léda et le cygne Porte
du Vésuve
(en haut, à droite), découverte dans
une maison de la via del Vesuvio, et
N
le « trésor de la sorcière » (ci-contre), por écrop
te d ole
ensemble d’amulettes de cristal, ’He de l
rcul a Maison des
anu
d’ambre ou d’améthyste, trouvées Villa de m Dioscures
parmi les débris d’un écrin, dans Diomède Porte
une chambre de la maison du Jardin. d’Herculanum VI

Vi
Vi

a
Maison
a

Vil de Salluste
la

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i
3. FRESQUE Maison de Pansa

e
Maison du Poète tragique
DES GLADIATEURS Thermes du forum
Découverte en 2019 dans les fouilles Temple de Jupiter
de la région V, cette fresque qui capitolin
représente de façon extrêmement Temple d’Apollon
réaliste le combat d’un mirmillon
Thermes
et d’un Thrace se trouvait sous l’escalier suburbains
d’une boutique ou d’une taverne sans Gare Porte
Villa dei Marine
doute fréquentée par des gladiateurs. ITALIE
Misteri Antiquarium

4. THERMES CENTRAUX
Auto

Naples
Ouverts au public pour la première fois,
r
oute

les thermes centraux font partie des divers Pompéi


A3

établissements de bains publics de Pompéi.


A leur entrée, le visiteur est plongé dans
un face-à-face bouleversant avec le moulage
du squelette d’enfant découvert au cours
de leur restauration.
DÉCOUVRIR ADMIRER
Pompéi S’ÉMERVEILLER

5. MAISON DES AMOURS


DORÉS Remarquable par son élégant
péristyle et par ses fresques à sujets
mythologiques, cette domus raffinée a
rouvert ses portes après restauration.
Son jardin vaut à lui seul le détour,
comme ceux de la maison de l’Ephèbe
et de la maison de Triptolème,
qui viennent d’être remis en état.

Maison des Vettii

Maison de l’Ara Massima


Maison des Gladiateurs
Maison de Léda
Porte 6. MAISON DES AMANTS
de Nola Découverte en 1933 et fermée depuis
Nouvelles
fouilles les années 1980, cette domus vient de rouvrir
V IV ola au public après une restauration complète.
33 d iN Porte
Via de Sarno Sa particularité consiste dans son péristyle
11 22 za
à étage, une disposition unique à Pompéi.
Maison
III dan
Vi

du Jardin Plus loin dans la région I, la maison du Bateau


a

on
5 bb
del

5 Maison des l’A Villa de Europa a elle aussi rouvert ses portes
del
Ve

Julia Felix
su

Maison Noces d’Argent Maison ia


V Maison et permet au visiteur d’admirer ses peintures
vio

des Amours IX de Julius


Polybius du Moraliste du premier style.
dorés a Thermes
tun 44 centraux Amphithéâtre
For
la Maison des
Maison
de Trebius Maison
del Boulangerie Valens d’Octavius II
Via Chastes Amants
Quartio
VII Lupanar 77 Casa Palestre
del Frutteto
Macellum Maison
du Faune Maison de
Temple Ménandre I Potager
de Vespasien Nécropole
66 Maison
Vi

Temple des Fugitifs


For

Edifice des Amants


St

d’Isis Porte
ab

d’Eumachia
um

de Nocera
ian

Grand
a

Basilique
VIII Théâtre
Forum
Odéon
Plin
io
triangulaire Via
Porte
de Stabies
Caserne 7. CASA DEL FRUTTETO
des
Gladiateurs Fouillée partiellement en 1913 et 1951,
POMPÉI la casa del Frutteto (« maison du Verger »)
Via Plinio Ville moderne
a rouvert ses portes après la restauration
100 m des peintures d’arbres fruitiers et de motifs
égyptiens liés au culte d’Isis qui recouvrent
PAGE DE GAUCHE : PHOTOS: © COURTESY OF ARCHAEOLOGICAL PARK OF POMPEII. les murs de ses chambres : citronniers,
PAGE DE DROITE : PHOTOS : © COURTESY OF ARCHAEOLOGICAL PARK OF POMPEII.
© ANSA/CESARE ABBATE/FOTO FRUTTETO CESARE ABBATE. pruniers, poiriers ou cerisiers peuplés d’oiseaux
y déploient leur étonnante fraîcheur.

hors-sérien l 157
CINÉMA rêver PÉPLUMS

ADAPTATIONS
La mort
aux trousses
PAR GEOFFROY CAILLET
Des films à grand spectacle tirés du roman
de Bulwer-Lytton aux accents intimistes
de Voyage en Italie, le cinéma a largement
exploité la tragédie de la ville ensevelie.

A
vec une quinzaine de films à son actif, mise. Reléguée aux neuf minutes finales pour
Pompéi rappelle à point nommé tout ce cause de technique encore tâtonnante – entre
que l’art de la fiction doit à la réalité. Il faut jets de fumigènes et bousculades de figurants
dire qu’en cumulant si parfaitement sens du –, l’éruption du Vésuve est toutefois rehaus-
destin et du spectacle, le drame de la cité ense- sée d’une trouvaille aussi géniale que simple :
velie par le Vésuve était taillé sur mesure pour le la coloration de la séquence en rouge feu par n’emprunte guère que son titre. Intrigue et
cinéma. Un authentique scénario qui dormait l’adjonction d’un filtre sur la caméra. personnages n’ont rien à voir avec Bulwer-
dans sa cendre, comme d’autres dans le tiroir Beaucoup plus de délire et d’audace carac- Lytton et manquent singulièrement de souffle.
d’un producteur, lorsqu’il vint l’en tirer après térisent le film réalisé en 1926 par Amleto Mais ses décors grandioses prolongent la tra-
dix-huit siècles. Reconnaissons-le d’emblée : Palermi et Carmine Gallone, futur auteur du dition italienne des films antiques à grand
pour le meilleur et pour le pire. Comme sou- mussolinien Scipion l’Africain et de deux Don spectacle, que les Américains renouvelleront
vent, c’est la littérature qui fournit le script com- Camillo. Dernier des grands films historiques dans les années 1950 en tournant à Hol-
plet. Huit films tournés entre 1900 et 1959 se du muet italien, leur œuvre accommode à la lywood et à Rome Quo vadis ? (1951), La Tuni-
réclament ainsi plus ou moins légitimement sauce latine l’Antiquité vue par un sujet de Sa que (1953) et surtout Ben-Hur (1959). Quant
des Derniers Jours de Pompéi, le roman à suc- Très Gracieuse Majesté : en reprenant à leur aux scènes d’apocalypse et aux spectaculai-
cès du Britannique Edward Bulwer-Lytton, compte sa vision romantique de la décadence res destructions de monuments, elles en font
paru en 1834 et devenu l’une des œuvres le romaine, tout en la « décorsetant » de sa pru- l’ancêtre des films catastrophe des années
plus souvent portées à l’écran. L’histoire de derie victorienne. C’est ce qui vaut au specta- 1970, inaugurés par La Tour infernale (1974),
l’Athénien Glaucus, aimé de la jeune aveugle teur le sidérant strip-tease d’une momie sortie comme de superproductions plus récentes
Nydia mais amoureux de Ione et mêlé aux intri- de son sarcophage et la scène de l’orgie chez où, sans surprise, les volcans se taillent la part
gues du perfide Arbacès sur fond de persécu- Arbacès, où des esclaves sont servies nues belle (Le Pic de Dante et Volcano, en 1997).
tion des chrétiens et de catastrophe finale, sur des plateaux de fleurs… Une anticipation Bis repetita placent. Exploitant l’éruption du
offrait au cinéma un point de départ rêvé pour déjantée, à quarante ans de distance, du Vésuve de 1944, l’Italie reprend la main en
des films à visées spectaculaires. baroque Satyricon de Fellini. coproduisant six ans plus tard avec la France
Après un court-métrage britannique, l’Ita- Il fallait les premiers balbutiements du la septième adaptation du roman. Baroud
lie tire parti de la meurtrière éruption du cinéma parlant pour que Pompéi franchisse d’honneur de Marcel L’Herbier, autre vétéran
Vésuve de 1906 pour livrer une deuxième l’Atlantique. C’est chose faite en 1935, sous du cinéma muet, le film vaut surtout pour ses
adaptation du roman. Deux autres films voient la direction d’Ernest B. Schoedsack et de acteurs, Georges Marchal et Micheline Presle.
le jour en 1913, dont une version signée Merian C. Cooper. Deux ans après King Kong, Marchant sur les traces de Fabiola, tourné
Ubaldo Maria Del Colle et Giovanni Enrico le gigantisme est toujours la règle à la RKO quelques mois plus tôt, il est aussi la première
Vidali. Avec ses décors de carton-pâte, sa Pictures, même si Cooper doit revoir à la des adaptations de Bulwer-Lytton à représen-
mise en scène majestueuse et son jeu théâtral baisse ses ambitions de producteur et tourner ter une persécution des chrétiens filmée dans
typique du muet, la grandiloquence y est de finalement en noir et blanc. Au roman, le film le crédible décor des arènes de Vérone.

158 l nhors-série
DÉCOUVRIR EXPÉRIMENTER
Pompéi FRISSONNER

ÉCRAN TOTAL attendue, elle s’efface presque devant le


Ci-contre, en haut : Ingrid raz-de-marée, copié sur le tsunami de 2004,
Bergman dans Voyage en Italie, qui finit par inonder la ville et engloutir une
de Roberto Rossellini (1953). falaise entière en même temps qu’une bonne
La découverte des corps de partie du budget du film.
deux Pompéiens enlacés pour Au fond, c’est seulement loin de la littérature
l’éternité est prétexte à une et des films d’aventures que le cinéma par-

© CINE-PRODUZIONI ASSOCIATE/BBQ DFY/AURIMAGES. © PHOTO12 AUR/SVEVA/ITALIA FILM. © PHOTO12/ARCHIVES DU 7E ART/CONSTANTIN FILM/IMPACT PICTURES.
profonde réflexion sur le couple. vient à explorer une autre image de Pompéi.
Dessous : scène du Pompéi En 1972, le documentaire musical d’Adrian
de Paul W. S. Anderson (2014), Maben, Pink Floyd : Live at Pompeii, filme un
film catastrophe d’un ennui concert du légendaire groupe de rock psyché-
mortel. Page de gauche : délique dans l’amphithéâtre de la ville. Etrange
affiche des Derniers Jours concert en réalité puisque, obsédés par leur
de Pompéi, péplum coréalisé, recherche d’un son parfait, les musiciens n’y
en 1959, par Sergio Leone. ont convié aucun spectateur ! Comme un long
clip, des vues de Pompéi alternent avec des
images d’éruption fournies par Haroun Tazieff
et quelques plans du groupe errant parmi les
fumerolles du Vésuve…
Mais il faut revoir une brève séquence
A l’aube des années 1960 en Italie, les films Ce souci du vraisemblable guide les choix de Voyage en Italie, de Roberto Rossellini
historiques à gros budget cèdent la place aux du scénario en lui faisant par exemple ressus- (1953), pour découvrir la métaphore la plus
péplums, ces films mythologiques low cost, citer Stephanus, le maître foulon, ou encore pénétrante de la cité ensevelie. Lors d’une
peuplés de héros musclés et de nymphettes Polybius, le boulanger de la via dell’Abbon- visite des fouilles, des époux au bord du divorce
évanescentes. Une version hybride des Der- danza, dont le corps a été retrouvé avec sa assistent à l’exhumation de deux corps enla-
niers Jours de Pompéi voit ainsi le jour en femme et ses enfants. Le film montre peintres cés – « peut-être mari et femme », comme le
1959 sous le soleil de Rome. Dans la peau de et plâtriers s’activer à la réfection de l’atrium souligne leur guide. Devant cette étreinte figée
Glaucus, Steve Reeves – ancien Monsieur de sa maison le matin du drame. Or, comme pour l’éternité, Katherine (Ingrid Bergman)
Univers – joue les gros bras face à un Arbacès Alix Barbet le précise dans Les Mystères de réalise la misère de son propre couple. Elle
campé par Fernando Rey, futur acteur pour Pompéi, le making of du film, c’est leur maté- éclate en sanglots et s’enfuit. Cette vision d’un
Buñuel. Riche en effets pyrotechniques, riel (en réalité retrouvé dans la maison des amour impérissable sera le canal de la grâce :
cette fausse superproduction a tout du film Peintres au travail) qui permit de fixer à la les deux époux se réconcilient peu après.
d’action, ce qu’explique assez bien la pré- demi-heure près la chronologie de l’éruption. Dans Etreintes brisées, de Pedro Almo-
sence derrière la caméra d’un Sergio Leone Difficile dès lors de revenir à la fiction pure. dóvar (2009), les protagonistes (Penélope
à ses premières armes. Désormais, c’est à la C’est pourtant ce qu’a tenté Pompéi (Paul Cruz et Lluís Homar) regardent Voyage en
télévision que fleurissent les nouveaux ersatz W. S. Anderson, 2014), film catastrophe Italie à la télévision. Bouleversés par cette
consacrés à la ville maudite. Après une dans tous les sens du terme. Animé par la séquence, ils se prennent à rêver eux aussi
parenthèse comique (Up Pompeii !, 1969, et vague ambition de tenter une variation qui de l’amour éternel et s’immortalisent en
Further Up Pompeii !, 1975), séries et télé- ne soit pas une énième resucée du roman, photo dans les bras l’un de l’autre. Mais
films léchés se succèdent à partir des années son scénario met en scène le Celte Milo (Kit comme si les miracles n’advenaient qu’à
1980, en mettant l’accent sur la reconstitu- Harington, héros de la série Game of Thro- l’ombre du Vésuve, leur étreinte sera bri-
tion de la vie quotidienne. Docufiction réalisé nes), devenu gladiateur à Pompéi. Hélas, ses sée et la photo déchirée. Une façon teintée
par Peter Nicholson en 2003, Le Dernier Jour aventures suintent de bout en bout un ennui d’amertume de rappeler que c’est le privilège
de Pompéi est le plus remarquable. En aussi toxique que les gaz qui ne tardent pas de la ville martyre de conserver, après un tel
exploitant images numériques et effets spé- à s’échapper du Vésuve. Brouillonne à sou- déchaînement de fureur aveugle, l’amour fort
ciaux, il retrace les dernières heures de la ville hait, la reconstitution en 3D de la ville s’inter- comme la mort. Soit les deux thèmes qui font
à travers les trouvailles de l’archéologie et les dit toute immersion un peu suggestive dans tourner, depuis les frères Lumière, les camé-
deux lettres de Pline le Jeune à Tacite. ses arts et sa peinture. Quant à l’éruption tant ras du monde entier. 3

hors-sérien l 159
MUSÉE rêver LIRE

PROMENADES
Plaisirs et lectures
PAR FRANÇOIS-JOSEPH AMBROSELLI, JEAN-LOUIS VOISIN, GEOFFROY CAILLET,
VINCENT TRÉMOLET DE VILLERS ET MICHEL DE JAEGHERE

Pompéi les maisons et les boutiques jadis grouillantes soutiennent son texte, à nul autre
Collectif de vie, explore les alcôves et les tavernes, comparable. J-LV
Prolongement parfait de l’exposition du et nous raconte l’histoire de « sa » Pompéi. CNRS Editions, 2013, 320 pages, 29 €.
Grand Palais, ce catalogue magnifiquement Avec enthousiasme, il fait le récit de la
illustré est une somme de connaissances. dernière fouille en 2018 et 2019, et présente Pompéi et la Campanie antique
Les meilleurs spécialistes reviennent sur ses découvertes comme cette mosaïque De Jean-Noël Robert
l’histoire de la ville antique et sa destruction, d’Orion, dont il a percé le mystère au terme C’est un formidable concentré de toutes
racontent les fouilles du XVIIIe siècle qui d’une enquête rigoureuse, ou cette peinture nos connaissances sur Pompéi et sa région
l’ont arrachée à son sommeil, analysent son murale représentant une Léda au regard que donne ici l’auteur. Grâce à des index,
imagerie conservée pendant des siècles équivoque, portant le cygne sur ses genoux. des plans et des croquis, un « Who’s Who
sous les couches de cendres et de lapilli, Ce livre, agrémenté de photographies et pompéien » des grandes familles, des
et décrivent l’engouement que suscita de plans, n’est pas un simple compte rendu encadrés tel celui des prix des denrées
son architecture chez les peintres français de fouilles, mais une ode à cette cité ensevelie indispensables. On trouve tout et facilement.
du XIXe siècle. Ce magnifique ouvrage qui recèle tant de trésors et d’énigmes. F-JA Avec un sens aigu de la pédagogie, Jean-
est ponctué d’entretiens avec d’éminents Flammarion, 2020, 400 pages, 23,90 €. Noël Robert aborde tous les sujets, le pays,
archéologues, archéobotanistes, l’histoire, l’économie, la politique, la société,
anthropologues, architectes, qui nous le temps, les religions, la culture et la vie
renseignent sur les innovations Pompéi. Mythologie et histoire littéraire, les arts, les loisirs, la vie privée.
technologiques liées à l’archéologie, mais De William Van Andringa L’information est sûre et va à l’essentiel. J-LV
aussi de récits de voyage de Goethe, Avec de nombreuses années de fouilles Les Belles Lettres, 2015, 352 pages, 19 €.
de Chateaubriand, de Gérard de Nerval, à Pompéi, des études très fines sur ses
d’Alexandre Dumas et de toutes ces grandes nécropoles, l’auteur est l’un des meilleurs
plumes qui se promenèrent entre ces ruines spécialistes de cette ville. Y pénétrer
dans l’espoir d’en percer les secrets. F-JA en sa compagnie bouleverse la tranquillité
RMN-Grand Palais, 2020, 192 pages, 25 €. de l’historien ou du touriste. Informé
des dernières découvertes, il part toujours
du réel, c’est-à-dire de l’archéologie.
Les Nouvelles Heures de Pompéi Pour lui, c’est un angle d’approche
De Massimo Osanna privilégié. Par son prisme, il observe la cité
Directeur du site archéologique de Pompéi sur la longue durée, dévoile des stratégies
depuis 2014, Massimo Osanna emmène familiales intimes, corrige affirmations et
le lecteur entre les vestiges de la cité antique, dates, et propose des vues insoupçonnées
se promène dans les rues désertes, entre de Pompéi. D’admirables photos

160 l nhors-série
DÉCOUVRIR PARCOURIR
Pompéi S’ÉMERVEILLER

Les Trois Jours de Pompéi


L’Architecture romaine, D’Alberto Angela
vol. 2 : maisons, palais, villas Un récit, presque un reportage, très bien
et tombeaux ficelé, remarquablement documenté, vivant
De Pierre Gros toutes utiles mais souvent réductrices. Cette en diable. Sans être prisonnier des scrupules
Publié dix ans après le premier volume somme a été rééditée et actualisée en 2009. parfois paralysants de l’historien, tout
(1996), consacré aux monuments publics, Plans, dessins, reproductions, montages en respectant l’histoire dans ses moindres
la seconde partie de cette synthèse sur accompagnent le texte passionnant qui nous détails, Alberto Angela nous transporte en
l’architecture romaine concerne cet habitat plonge dans les différents âges de la peinture Campanie à la veille de l’éruption du Vésuve.
privé dont Pompéi nous a conservé le plus romaine, dont Pompéi offre les plus Puis, en compagnie de personnages
bel ensemble. En tenant compte des derniers extraordinaires fragments. VTV réels que l’on suit dans leurs occupations
acquis de l’histoire et de l’archéologie, Picard, 2009, 287 pages, d’occasion. quotidiennes, il nous entraîne au fil des jours
Pierre Gros, spécialiste absolu du sujet, et des pages, vers la catastrophe finale.
offre au lecteur un ouvrage d’une richesse Du bel ouvrage. J-LV
exceptionnelle. Aussi clair qu’informé, Payot, « Petite Bibliothèque Payot », 2019,
il embrasse tout à la fois les données sociales, 480 pages, 9,90 €.
économiques et culturelles pour mettre
en lumière l’origine et l’évolution des différents
types d’architecture de l’habitat urbain,
des villas (de rendement, de plaisance, sans
oublier les villas impériales comme celle
d’Hadrien) ou des monuments funéraires
et mémoriaux. Un livre magistral, soutenu La Vie quotidienne à Pompéi
par une abondante iconographie. GC De Robert Etienne
Picard, 2006, 528 pages, 105,50 €. Paru en 1966, revu et corrigé en 1998,
voici LE livre classique pour comprendre
Pompéi, même si de nombreuses Pompéi.
La Peinture murale romaine découvertes ont été faites depuis sa parution. La vie d’une cité romaine
D’Alix Barbet Robert Etienne (1921-2009), grand historien, De Mary Beard
Archéologue de renom, Alix Barbet fait partie forte personnalité, belle plume, connaissait Professeur de lettres classiques
des plus grands spécialistes de la peinture très bien la petite ville. Son ambition ? à l’université de Cambridge, l’auteur est
murale romaine au monde. En 1985, Non d’écrire un guide pour la visiter, mais une star dans son pays. Elle est érudite,
elle publiait le premier ouvrage en langue de donner un compagnon solide. Il présente a de la verve, n’hésite jamais à provoquer
française, destiné à la fois aux spécialistes l’histoire, les bâtiments de la cité et surtout son lecteur par peur de l’ennuyer, aime
et au grand public, qui tentait de donner ses habitants. A travers leurs occupations, les réalités concrètes, craint comme la peste
une synthèse du sujet. Elle s’y dégageait leurs peines, leurs ambitions, leurs joies, de verser dans l’académisme (ce qui lui arrive
de la tentation catégorique qui, après leurs croyances, Robert Etienne fait découvrir cependant : ainsi l’économie de son livre).
la classification de l’archéologue allemand l’âme même de Pompéi. Un reproche : Se balader avec elle dans la cité campanienne
August Mau en 1882 divisant la peinture pas d’index. J-LV ne manque ni de piquant, ni d’aperçus
romaine du début du Ier siècle avant J.-C. Hachette, « La Vie quotidienne », 448 pages, savants, ni d’anecdotes. Et elle répond
à la fin du Ier siècle de notre ère en quatre d’occasion. à toutes vos questions. J-LV
styles, a entraîné de multiples subdivisions Seuil, « Points Histoire », 2015, 480 pages, 11 €.

hors-sérien l 161
LIRE FLÂNER Pompéi
S’ÉMERVEILLER

dix-huit siècles et éveillant à une seconde le cratère du Vésuve, Dumas multipliant


existence la Cité de la Mort » : telle était les discussions savantes dans la maison
l’ambition d’Edward G. Bulwer-Lytton en du Faune ou Flaubert méritant, une fois
publiant, en 1834, ses Derniers jours de de plus, son surnom de « bœuf de labour
Pompéi. Romancier, dramaturge, homme avec un carnet de notes ». Un précieux
Vie, mort et résurrection d’Etat, poète, il signait là un livre promis à guide de près de cent pages, illustré
d’Herculanum et de Pompéi devenir, au côté de Quo vadis ?, l’un des plus par des cartes, complète ce fort volume
D’Egon César Corti célèbres (et des plus lus) romans historiques pour en faire le bréviaire irremplaçable
Publié pour la première fois en 1940, et nourri consacrés à l’Antiquité romaine. L’histoire de tout amoureux de Pompéi. MDeJ
par la fréquentation (et par les recherches) d’un amour contrarié à l’ombre menaçante Omnibus, 1 022 pages, 2002, d’occasion.
de celui qui fut pendant près de quarante ans du Vésuve, les intrigues diaboliques de
(1924-1961) le surintendant incontesté méchants très méchants contre des bons
des antiquités de Naples et de Pompéi, très bons, la présence anachronique
l’infatigable « inventeur » des vestiges d’une communauté chrétienne guettée par
d’Herculanum, Amedeo Maiuri, le livre du le martyre ont certes un peu vieilli : ils relèvent
comte Egon César Corti fut, avant les travaux de la loi du genre. L’évocation des rues et
de Robert Etienne, le premier ouvrage de des maisons de Pompéi est pleine de charme
synthèse sur les cités du Vésuve. Ecrit d’une et de vie. De la villa de Diomède à la maison
plume alerte, il ressuscite avec bonheur de Salluste et de celle du Poète tragique
leur histoire et leur vie quotidienne. Le récit au temple d’Isis, Bulwer-Lytton a su exploiter
enlevé des approches et du déroulement à merveille les découvertes de l’archéologie.
de la catastrophe de 79 est complété par celui Ses descriptions font de son livre le plus Fièvre électorale à Pompéi
des années d’ensevelissement et d’oubli, savoureux des guides dans les venelles de De Karl-Wilhelm Weeber
ainsi que par l’évocation très vivante de la cité ensevelie. MDeJ Elles sont sans doute moins décoratives
la découverte et des fouilles archéologiques. Les Belles Lettres, 2007, 465 pages, 21,30 €. que les fresques des murs, elles n’en sont pas
Parfois dépassé ou contredit par les moins instructives. Les rues de Pompéi nous
avancées scientifiques accumulées depuis ont conservé près de trois mille inscriptions
quatre-vingts ans, il n’en reste pas moins électorales : des noms écrits à coups de
l’une des plus agréables introductions pinceau en grandes lettres rouges ou noires
à l’histoire d’Herculanum et de Pompéi. MDeJ pour faire la promotion d’un candidat aux
Payot, « Petite Bibliothèque Payot », 1995, fonctions d’édile ou de duumvir, manifester
314 pages, d’occasion. le soutien que lui apportent ses partisans
et ses amis. Karl-Wilhelm Weeber en a réuni,
traduit et commenté deux cents dans ce petit
livre. Ici, les porteurs de sac recommandent
un candidat aux passants ; là, ce sont ses
Pompéi. Le rêve sous les ruines voisins qui se prononcent pour lui. Ailleurs,
Collectif Julius Polybius a fait lui-même effacer les
Stendhal, Gautier, Nerval sont passés traces du soutien sans doute compromettant
par Pompéi. Maître de conférences honoraire que lui apportaient deux demoiselles de petite
de langue et de littérature latines, spécialiste vertu. Là encore, ce sont des plaisantins
incontesté du péplum, Claude Aziza a réuni qui affirment que « tous les bonnets de nuit »
Les Derniers Jours de Pompéi dans cette superbe anthologie tous les textes votent pour Macerius, que les assassins
D’Edward G. Bulwer-Lytton littéraires inspirés par les cités du Vésuve. On soutiennent Vatia, et que « tous les soûlards
« Repeupler une fois encore ces rues y retrouve bien entendu le roman de Bulwer- du soir recommandent sa candidature ».
désertes, restaurer ces ruines élégantes et Lytton, mais on y fait aussi des rencontres Une initiation savoureuse aux coulisses de
réanimer des ossements encore cachés inattendues. On y croise l’inusable président la vie politique à Pompéi. MDeJ
à son regard, traversant ainsi un gouffre de de Brosses descendant en rappel dans Les Belles Lettres, 2011, 160 pages, 14,90 €.

162 l nhors-série
LA CURIOSITÉ EST
UN VILAIN DÉFAUT
DU LUNDI AU VENDREDI
14H-14H30 et 21H-22H
SIDONIE BONNEC & THOMAS HUGUES
Entourés d’intervenants passionnés et
passionnants, Sidonie Bonnec et Thomas
Hugues répondent aux questions que l’on
se pose tous et à celles que l’on ne s’est
jamais posées !

Lundi 6 avril : “Pompéi”


Avec Geoffroy Caillet
PHOTO : NICOLAS GOUHIER / RTL

Rédacteur en chef au Figaro Histoire

EN PARTENARIAT AVEC
Comprendre
la culture d’un pays,
c’est voyager plus loin
Quand vous partez avec Les Maisons du Voyage,
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