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Didier Desert

Vins
D ’AUVERGNE
& DU MA S SIF CENT RAL

Vins
D ’AUVERGNE

D ’AUVERGNE & DU MASSIF CENTRAL


Porter les saveurs peu médiatisées des vins d’Auvergne et les
promouvoir constitue aujourd’hui une véritable quête pour & DU MASSIF CENTRAL
Didier Desert. Grand « ambassadeur » de la cause, il a choisi
de nous entraîner dans l’intimité exigeante et amicale de ses
Photos : Joël Damase
relations avec des vignerons indépendants et de nous en
faire savourer tous les éléments : paysages, sols, cépages,
climats, saisons… La revue de détails est impressionnante mais
Préface : Olivier Poussier
gouleyante à souhait, bien servie par l’œil avisé et appréciateur
de Joël Damase qui nous régale avec ses photos.

Vins
Ce livre est donc à déguster avec audace et enthousiasme pour
changer résolument son regard sur une ressource patrimoniale
et gustative qui gagne à être connue.

Préface d’Olivier Poussier, meilleur sommelier du monde en


2000 et chef sommelier de la maison Lenôtre.
Didier Desert

ISBN : 978-2-918098-81-2
Prix : 26,99 €

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Didier Desert

Vins
D ’AUVERGNE
& DU MA S S IF C ENTRAL

Photos : Joël Damase

Préface : Olivier Poussier


© Éditions de La Flandonnière, 2019
3 rue des Gourlettes, 63450 Saint-Saturnin
editionsdelaflandonniere@gmail.com
www.editionsdelaflandonniere.com

ISBN : 978-2-918098-81-2
Tous droits réservés pour tous pays
P R É FAC E

P
arcourir cet ouvrage, c’est
découvrir des appellations
peu médiatiques et des
vignerons attachés à leur
patrimoine et à leur région. C’est une
vraie démarche que je soutiens au
quotidien dans ma vie de sommelier.
Étudier avec précision la spécificité de ces appellations qui regorgent
de talents et de jeunes vignerons prometteurs. Retranscrire avec du fond
et de la sensibilité le travail de tous ces vignerons passionnés qui, chaque
année, se challengent pour produire les vins les plus racés possible.

Tous ces vignobles d’Auvergne et de l’Aveyron en passant par la Loire


méridionale et l’Allier contribuent à la diversité du vignoble français.
La complexité géologique, véritable puzzle des sols, est une chance
pour ces vignobles.

Ce livre met aussi en évidence l’importance de la pluralité des cépages


qui participent à la diversité du goût et nous éloignent des stéréotypes.

Vous comprendrez ainsi la relation qu’il peut y avoir entre un gamay Saint-
Romain et un terroir de granit sur la Côte Roannaise, entre le mansois
(fer servadou) et les sols de rougier du terroir de Marcillac ou encore
entre le gamay noir à jus blanc et le sol volcanique et granitique du Forez.

Explorer la définition aromatique et gustative du cépage tréssalier ;


comprendre la complexité du cépage mansois avec la touche pyrazine si
fidèle à ce cépage ; méditer un instant sur les beaux arômes poivrés du
gamay Saint-Romain, c’est tout cela que vous trouverez dans cet ouvrage.

Olivier Poussier

Meilleur sommelier du monde 2000


Chef sommelier Lenôtre

Vins d’Auvergne et du Massif central


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PR O P O S I N T R O D U C T I F S

É
voquer les vins d’Auvergne suscite toujours On connaît aussi largement les bougnats, ces Auver-
de la curiosité et même de l’amusement, gnats de Paris, ou plus exactement venus à Paris du
parfois de l’ironie. Ils peuvent appeler quelques Cantal, du Nord-Aveyron, ou de Lozère, que l’on identifie
émotions enfouies en sollicitant la mémoire à l’histoire de la brasserie parisienne, des bistrots de
comme une madeleine de Proust pour ceux qui ont comptoirs, ou des belles tables.
grandi sur place. Il est par contre plus rare de susciter de
l’enthousiasme tant ces vins merveilleux sont aujourd’hui Mais qui se rappelle qu’il y a un vignoble, certes très peu
encore méconnus. Le vignoble d’Auvergne souffre ainsi étendu aujourd’hui ? Ceux qui, au temps où l’on roulait
d’un curieux paradoxe, il est à la fois certainement le encore sur les nationales pour la route des vacances et
plus vieux et le plus oublié des vignobles français et qui évoquent, presque timidement, un saint-pourçain,
un des moins connus, marqué par une histoire compli- un boudes, ou d’autres, qui s’attardent dans la région
quée et une production confidentielle. pour quelques jours de villégiature et gardent un vague
souvenir d’un repas local et d’une expérience rare, un
Pour beaucoup l’Auvergne se limite à son terroir et
marcillac ou un châteaugay ! Ceux qui ont enfoui en
quelques produits phares, les lentilles de Saint-Flour
eux le souvenir d’une enfance au pays et la nostalgie
ou du Puy, le bœuf de Salers, le saint-nectaire, la belle
des flacons du cru partagés au bistrot du coin ou sur
charcuterie, la verveine. Sa gastronomie se résume à des
la table familiale, le dimanche ou l’été.
recettes emblématiques comme la potée, la truffade
ou l’aligot, et à cette impression d’une cuisine riche En pratique, on peut facilement délimiter le vignoble
plus que savoureuse, canaille plus que gourmande, auvergnat qui est administrativement organisé autour
chaleureuse et roborative. Les amateurs d’ovalie vous de quatre appellations. On trouvera en allant du nord au
citeront l’ASM, la belle équipe de Clermont, dont la sud, les AOC Saint-Pourçain en Allier, Côtes d’Auvergne
quête du Brennus reste une des plus belles histoires dans le Puy-de-Dôme, Côtes du Forez et Côte Roannaise
du rugby français. dans le département de la Loire. On peut également
Chacun pourra resituer aisément la topologie si particu- trouver des vins, confidentiellement, dans le Cantal et
lière de la région, avec ses volcans, la faille de Limagne la Corrèze. Enfin, par tradition et compte tenu de l’ADN
désormais inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, de mon restaurant, enraciné dans ce département, j’ai
le puy de Dôme, le Mont-Dore, et des paysages majes- toujours associé à la famille des vins d’Auvergne ceux
tueux, des villages charmants, des maisons austères. produits en Aveyron, même s’ils sont techniquement
C’est une destination touristique de plus en plus courue, rattachés à la grande famille des vins du Sud-Ouest. Un
et l’offre de culture et de divertissement largement ensemble d’environ 1 500 hectares, soit l’équivalent sur
développée a pu, ces dernières années accompagner six départements de la superficie de vignes plantées à
et alimenter ce flux de visiteurs bienveillants. Margaux ou à Bandol !

Vins d’Auvergne et du Massif central


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De mon expérience à l’Ambassade d’Auvergne, où gastronomie auvergnate se conjugue donc en solide et
j’accueille chaque jour de nombreux gastronomes et en liquide et que les deux fonctionnent bien ensemble.
amateurs de bonne chair, français et étrangers, je peux
La reconnaissance du plus grand nombre sera plus
catégoriser assez simplement les réactions familières
longue, compte tenu des volumes encore confidentiels,
que j’entends quand après avoir choisi les plats qui
et donc des occasions de faire découvrir ces vins. Elle
vont régaler mes visiteurs vient le moment de parler
suppose des efforts constants et de tous les acteurs
vin. Invariablement, les réactions, spontanées pour la
de la filière pour être extrêmement sélectif et quali-
plupart, tournent autour d’une curiosité polie et bienveil-
tatif, à tous les niveaux, indépendants et coopérateurs.
lante, d’une large méconnaissance ou d’une apprécia-
Mais déjà le monde du vin – cavistes sélectifs, somme-
tion plutôt réservée. Il y a ceux qui ne connaissent qu’un
liers, journalistes – commence à s’y intéresser, et c’est
nom, et s’y raccrochent avec persévérance, parce que
un signal encourageant pour poursuivre sur cette voie.
c’est une expérience ou ceux qui décrochent, car l’aven-
ture leur paraît hasardeuse. Seuls quelques étrangers, Le vignoble auvergnat devient attractif pour les jeunes
plus curieux, demandent à découvrir des vins qu’ils ne vignerons qui cherchent une terre où exprimer leur
connaissent pas et dont ils sont naturellement incapables savoir-faire, et qui viennent s’y installer. Avec les anciens,
de situer les principales caractéristiques. ils innovent de plus en plus tant sur l’encépagement
que sur les techniques de vinification. Le vignoble est
Mais pour tous, quelle surprise quand je leur donne la
dynamique et tourné vers l’avenir avec des pionniers
carte des vins où trônent fièrement plus de 50 références
du bio et du raisonné qui imaginent collectivement une
régionales, toutes sévèrement sélectionnées, et que je
autre approche du travail de la terre et de la production
leur parle d’accord met/vin, de finesse, d’élégance, de
du vin. Les terres à replanter sont nombreuses même
puissance aussi parfois.
si les (re)trouver est souvent difficile, la réussite est au
Et au final, cette curiosité face à la diversité des vins bout du chemin !
produits sur les aires d’appellation laisse place à la
Le réchauffement climatique, qui donne plus d’ensoleil-
révélation du plaisir inattendu. Je peux ainsi noter au fil
lement pour ces vignobles d’altitudes, le travail de fond
des dégustations l’étonnement, la satisfaction et tout
sur la filière, à tous les niveaux, la mise en place d’opé-
simplement le plaisir à découvrir des vins gourmands,
rations d’envergure comme le salon international des
agréables à boire, bien équilibrés et si loin finalement de
vins volcaniques à Clermont-Ferrand, tous les signaux
l’image que l’on s’en fait ! Combien de mes clients sont
sont au vert pour que ce beau vignoble ressorte de cette
repartis surpris mais surtout convaincus que le terroir
longue période d’hibernation et retrouve sa place, dans
auvergnat ne se limite pas aux produits alimentaires,
le cœur des amateurs !
et qu’il faut désormais et plus que jamais y associer
la production viticole ! Ils prennent conscience que la Foi d’Auvergnat, j’y crois !

Vins d’Auvergne et du Massif central


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Vins d’Auvergne et du Massif central
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H I STOIR E ET GÉO GRAPHIE
DU VIG NO BLE

L’
histoire du vignoble, comme souvent, se L’AUVERGNE DEVIENT
confond avec celle des hommes et des femmes
qui l’ont écrite au fil des ans. Je me souviens
LE CELLIER DE LA FRANCE
de cette visite à Gilles Bonnefoy, la première
fois que j’ai eu le plaisir de découvrir son chai, alors Sans remonter aux calendes romaines, la région a
en plein travaux d’agrandissement, et son vignoble, toujours produit du vin, mais finalement comme partout
en plein cœur du massif du Forez, à Champdieu, en en France, où la production devait se situer au plus près
Loire. Il m’a emmené au sommet de cette colline qui de la consommation tant transporter le vin a été toujours
surplombe le village et sur laquelle un abbé soucieux difficile et hasardeux pendant de longs siècles. Ce fut
d’aiguiser la piété des habitants du cru fit dresser en donc le cas, ici aussi, où les vignes s’installent progres-
1874 cette immense et majestueuse Madone. Les vigne- sivement et significativement à partir du XIe siècle et la
rons l’ont vite adoptée en guise de remerciements pour viticulture représente bien souvent une activité majeure
les bienfaits qu’elle leur prodiguait et dans l’espérance dans les villages et autour des villes.
d’une protection durable, et Gilles l’a aussi choisie
en guise de patronyme quand il a créé son domaine. Au-delà de la consommation locale, sans intérêt notoire,
quelques crus d’Auvergne ont été jusqu’à rayonner
En me guidant le long des quelques arpents de vignes sur les grandes tables souveraines. On citera le
escarpés sur lesquels il produit aujourd’hui ses beaux
saint-pourçain ou le chanturgue qui peuvent se targuer
gamay, Gilles me montre le panorama à perte de vue,
d’avoir eu l’honneur de fréquenter les palais et de flatter
ces beaux valons aujourd’hui en culture traditionnelle,
les gosiers royaux, vantés par Henri IV ou Louis XIV,
ou rendus à l’habitat péri-urbain et pointe du doigt une
entre autres ! Le chanturgue donna d’ailleurs la recette
ferme imposante au loin : « mon arrière-grand-père a
du coq au vin éponyme en bonne place dans les princi-
acheté cette ferme avec le fruit d’une vendange, c’était
à la fin du XIXe siècle, il n’y avait que des vignes ici, pales bibles culinaires de la gastronomie française
partout » me confesse-t-il. de tradition !

De telles anecdotes, nombreux sont les Auvergnats qui Au XVe siècle, les grandes familles de Clermont qui
pourraient vous en conter, sur ces massifs ou dans les tenaient commerce de vin demandaient au roi protec-
villages vignerons du Puy-de-Dôme, ou encore dans tion pour leur production. Aux XVIe et XVIIe siècles, les
l’Allier quand les vignes de Saint-Pourçain s’étendaient vins de Saint-Pourçain, par exemple, étaient catégorisés
aussi à perte de vue. L’histoire de ce vignoble est finale- au sommet de la hiérarchie des vins de France, jouis-
ment celle d’une longue absence, entre opportunisme saient d’une grande reconnaissance et affichaient des
et renaissance. Celle d’un terroir qui se mérite, qui prix à la hauteur des sommets auvergnats, bien devant
s’oublie et qui se révèle. les voisins bourguignons ou les lointains bordelais.

Vins d’Auvergne et du Massif central


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HISTO IRE E T GÉO GRAPHI E D U VI GN OBLE

Si l’activité vinicole a toujours été une source principale n’était pas des plus qualitatives, mais la raison l’empor-
de revenus dans de nombreux secteurs de la région, et tait : il fallait du vin et on en faisait, pour le plus grand
employait le plus grand nombre des paysans du cru, bien de chacun !
on peut plus sûrement situer l’apogée économique du
Pourtant, le phylloxéra est retors, et après quelques
vignoble auvergnat au cours du XIXe siècle. Le phylloxéra
années d’acharnement sur les vignobles historiques,
avait déjà ravagé la quasi-totalité du vignoble français,
à flâner dans le doux climat océanique du Bordelais ou
à une rapidité incroyable. Toute la France ? Non ! Il y
plus exigeant sur les terres bourguignonnes, le ravageur
avait un coin de France qui n’était pas touché et faisait
prend de l’altitude et trouve le chemin des volcans autour
de la résistance, pas de village armoricain ici, mais bien
des années 1890. Aussi foudroyant et soudain qu’il le
une revanche d’Alésia ! En Auvergne, allez donc savoir fût 20 années plus tôt ailleurs, il a rapidement détruit
pourquoi, le phylloxéra n’arrivait pas… enfin pas encore ! les jeunes vignes auvergnates, et rendu subitement les
terres à une agriculture plus austère, mais plus durable
À cette époque, il faut se rappeler que la France ouvrière
aussi, dans ce contexte particulier. Un coup de mildiou
ou paysanne carburait au petit rouge. Il fallait du cœur
en 1910 parachèvera l’ouvrage et précipitera l’effondre-
à l’ouvrage pour aller aux champs ou à l’usine, et de
ment brutal de la filière.
l’énergie à revendre. Alors pour alimenter la production,
pour nourrir nos braves hommes, on buvait ! Du petit
rouge, peu titré, souvent coupé, mais en quantité ! Boire UNE CULTURE DU VIN
ses 5 ou 10 litrons quotidiens était monnaie courante
QUI DEVIENT ACCESSOIRE
en ce temps-là, et la classe laborieuse grondait de
voir la production à ce point amputée ! Il fallait donc
trouver à produire. Alors foi d’Auvergnat, s’il y a un Les Auvergnats se sont adaptés, et les vaches ou les
marché, allons-y ! plantations céréalières ont pris la place des rangs
de vignes. En quelques années, la superficie plantée
Pendant 10 ans, 15 ans, 20 ans, les Auvergnats se sont a été divisée par 100, puisqu’on dénombre moins de
(re)découverts une âme de vignerons, plantant du gamay 1 500 hectares de vignes sur l’ensemble des terroirs
en grande pompe, et faisant sommairement « pisser » auvergnats aujourd’hui…
la vigne pour alimenter la France assoiffée et asséchée. La physionomie du vignoble auvergnat, et ce faisant
des vignerons auvergnats, a bien changé pendant cette
De cette époque, nous gardons encore aujourd’hui la
longue période de jachère, ou de vaches maigres. Il y a
trace et le souvenir de ces villages vignerons, où dans
toujours eu certes des vignerons, en mono-activité, qui
chaque ferme ou masure, on adjoint un chai, et ces caves
avaient le souci de maintenir l’étendard des belles appel-
taillées à fleurs de collines, qui retrouvent leur desti-
lations, dans chacun des territoires, à Saint-Pourcain, en
nation vinicole. Il faut aller à Aubière par exemple, où
Côtes d’Auvergne, dans le Forez ou en Côte Roannaise,
l’on peut toujours voir le quartier des caves, comme à
mais ils étaient très peu nombreux, et sans volonté
La Sauvetat. Dans ces villages, l’histoire est toujours
marquée d’innover ou de se développer, gardiens d’une
visible et présente, même si l’activité viticole a depuis
tradition abandonnée, vigiles d’un terroir oublié, résis-
longtemps quasiment disparu. C’est dans ces ensembles
tants de la dernière heure.
originaux, aussi pratiques que pittoresques, que l’on
stocke, pas bien longtemps, la vendange et les flacons À côté, il y avait des paysans vignerons, qui conser-
bouchés à la va-vite. Le marché est prospère, l’Auvergnat vaient sur leurs exploitations quelques rangs de
fleure le filon, et rapidement ce sont plus de 150 000 vignes, en activité complémentaire, pour les besoins
hectares de vignes qui sont plantés. L’Auvergne est de la maisonnée, pour partager avec les amis, ou pour
le dernier réservoir de France, pour le grand bonheur alimenter les caves coopératives qui se sont constituées,
de tous, même si ce qui est vite produit et qui sort de sur chacune des zones de production, et qui tendent à
la région s’assimile majoritairement plus à une belle porter l’identité locale et à assurer un débouché peu
piquette qu’à du vin de garde ! rémunérateur à une production peu maîtrisée. C’est ainsi
qu’apparurent au fil des années « La Clermontoise » en
L’arrière-grand-père de Gilles était de ceux qui ont 1935, ou « La Cave des coteaux » en 1950 (qui deviendra
répondu à l’appel et initié un vaste mouvement. L’image Saint Verny), toutes deux dans le Puy-de-Dôme, puis

Vins d’Auvergne et du Massif central


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PRO PO S INTRO DUCT I FS

la cave de Saint-Pourçain en 1952, celles de Roanne en LE RÉVEIL ET LA RENAISSANCE


1957 ou du Forez en 1962.
DU VIGNOBLE
Le vignoble d’Auvergne toujours marqué par cette image
peu flatteuse acquise juste avant l’arrivée du phylloxéra, Depuis quelques années, pourtant, les choses évoluent et
s’est installé durablement dans une forme assumée changent doucement, mais sûrement. Du fait de la conju-
de discrétion insouciante. Il s’est ainsi laissé progres- gaison de plusieurs facteurs, le vignoble auvergnat est
sivement, durablement, mais sûrement oublier des en pleine renaissance, en pleine effervescence, en pleine
consommateurs, tant nationaux, que, ce qui est plus transformation. Terroir historique et terroir d’avenir, le
gênant, locaux. Il suffit encore aujourd’hui de regarder vignoble auvergnat commence à prendre conscience de
la carte des vins des restaurants du cru ou les étals des son potentiel et s’organise pour le révéler, avec humilité
cavistes pour voir la portion plus que congrue réservée et dévouement, avec volonté et compétence, avec abnéga-
tion et constance.
à la production locale.
Déjà les différentes unions de vignerons et les syndicats
Si l’industrialisation et l’évolution des moyens de trans-
avaient œuvré pour obtenir une reconnaissance officielle
ports au cours du XIXe siècle avaient déjà impacté signi-
des instances professionnelles. Accompagnant un travail
ficativement les zones de chalandise et la capacité
permanent d’évolution des encépagements, des méthodes
à produire des vignobles auvergnats, l’évolution des de travail et de la diffusion de leurs vins, les quatre appel-
besoins urbains à la fin du XXe et au début du XIXe siècle lations ont successivement obtenu l’appellation d’ori-
a terminé son ouvrage. Ainsi, le besoin incessant de gine « Vin délimité de qualité supérieure – VDQS » puis
nouveaux arpents de terres pour ériger sa maison indivi- l’appellation d’origine contrôlée – AOC, l’INAO (Institut
duelle et monter sa clôture a eu raison des derniers national des appellations d’origine) saluant après un
bastions. À Chanturgue, l’urbanisme rampant et le travail approfondi d’analyse et d’enquête, une signature
décalage accru entre le prix de la terre agricole et de locale et une base qualitative solide.
la terre à bâtir ont entraîné la disparition de la majorité
Ce fut le cas en 1955 (VDQS) et 1994 (AOC) pour la Côte
des rares vignes qui restaient. Il en fut de même dans Roannaise en rouge, en 1953 (VDQS) puis 2000 (AOC) pour
les quartiers nord de Clermont où les cadres de Michelin les Côtes du Forez en rouge également, en 1977 (VDQS)
et les nouvelles stars de l’ASM devaient se loger sur les puis en 2010 (AOC) pour Saint-Pourçain, pour les blancs,
hauteurs dominant les quartiers populaires. Le prix de rosés et les rouges, enfin en 1955 complété en 1977 (VDQS)
la terre à construire devient trop élevé pour permettre et en 2010 (AOC) pour les Côtes d’Auvergne blancs, rosés
d’enraciner la production viticole. et rouges. On notera que ce dernier décret d’appellation

Vins d’Auvergne et du Massif central


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HISTO IRE E T GÉO GRAPHI E D U VI GN OBLE

affirme également l’existence et la particularité de cinq époux Tricot, Patrick Bouju ou Pierre Bauger, Frédéric
crus, chanturgue, madargue, châteaugay, boudes (unique- Gounant, les frères Rols, Nicolas Carmarans et bien
ment en rouge) et corent (exclusivement en rosé). d’autres, qui ont signé une approche en rupture,
qui bousculent les codes, qui revisitent la partition.
Encore fallait-il construire sur cette base officielle, et
Travaillant souvent hors appellation, avec des volumes
inscrire la dynamique qualitative dans la durée, mais
inversement proportionnels à leur réputation et recon-
aussi l’innovation. Cette accélération plus récente que
naissance par les cavistes pointus et amateurs éclairés,
l’on observe de façon significative depuis une quinzaine
ils n’en sont pas moins des marqueurs du territoire.
d’années est le fruit de la volonté des hommes – et des
Et ils sont de plus en plus rejoints par des viticul-
femmes – du plus grand respect de la terre et de la lente
teurs plus « conventionnels » mais aussi exigeants qui
mais inexorable modification du climat.
emboitent le pas, comme Gilles Persillier, Yvan Bernard,
Les vignerons ont le désir de réécrire l’histoire, ou plus Jean Teissedre, Stephane Sérol et Gilles Bonnefoy.
exactement d’écrire une nouvelle histoire, en conju-
Un autre facteur dominant de cette évolution ou révolu-
guant tradition et innovation. Ils travaillent pleine-
tion du vignoble est l’écoute des sols et des climats.
ment, ils investissent, avec détermination et raison,
Le caractère volcanique des terroirs – à l’exception de
ils testent en permanence de nouvelles pratiques,
Saint-Pourçain, plus au nord – est un élément de diffé-
comme Benoît Montel et ses immersions dans le lac
renciation et de typicité qu’il faut travailler, mettre en
Pavin, anecdotiques et à visée caritative, ou ses vinifi-
évidence, faire ressortir. Le gamay est ici poivré comme
cations en amphore, plus convaincantes. Ils multiplient
nulle par ailleurs. Et ce caractère unique et exceptionnel
les cépages, bien au-delà de ce que prévoient les diffé-
devient une marque de fabrique, une référence identi-
rents décrets d’AOC, avec la conviction que ce terroir-
taire, un blason et un étendard pour inscrire le vignoble
là permet beaucoup d’audaces. Il est étonnant de voir
dans un futur particulier, spécifique et reconnu.
comment la redécouverte de ces cépages, l’envie de les
apprivoiser, impacte aujourd’hui la production, et permet C’est ainsi par exemple, sous l’égide acharnée de Pierre
aussi de mieux valoriser l’originalité qui en résulte. Il Desprat, légendaire figure du vignoble et incontournable
en va ainsi du damas noir, une forme autochtone de acteur économique de son développement, qu’est née
syrha, remis en avant par Pierre Goigoux, et suivi par l’idée d’un salon international des vins volcaniques, à
beaucoup d’autres, du pinot, réintroduit progressive- Clermon-Ferrand, pour revendiquer et préempter tout
ment pour apporter plus d’équilibre au vin du cru, en à la fois un territoire de communication et une expres-
assemblage, et que beaucoup proposent désormais en sion organoleptique qui sont uniques, pour capitaliser
mono-cépage et pas simplement en complément obligé sur cette différence, pour gagner en notoriété !
du gamay, ou encore en blanc, avec des gewurztrami-
Enfin, l’évolution du climat, même si elle nous alerte
ners, des rieslings, des pinots gris, des chasselas, des
et nous inquiète, tous, apporte un léger mieux pour
viogniers, etc., que l’on retrouve chez les Verdier-Logel
les vignes, permet des maturations mieux maîtrisées,
ou chez Vin & Pic en Forez, et chez plein d’autres aussi,
et l’on voit apparaître les belles années à l’ensoleille-
bien sûr. Tous témoignent dans leur travail et dans leurs
ment durable, des cuvées titrant 15 °C comme la cuvée
choix de cette furieuse envie de faire découvrir des
Filiation de la famille Laurent à Saint-Pourçain, un OVNI
savoir-faire, des typicités, des pratiques, des saveurs
pour l’appellation, mais une approche du vin qui inter-
nouvelles, et de s’amuser autant que de progresser…
pelle et peut séduire.
Dans le même temps, les installations se moder-
La configuration particulière des plantations sur les flancs
nisent, s’organisent, les vignerons qui font le pari de
de la faille de Limagne a toujours permis au vignoble de
la mono-activité s’équipent pour gagner en autonomie
bénéficier du fameux effet de foehn, qui protégeait les
et en capacité d’intervention, pour mieux maîtriser les
vignes d’un hiver souvent rigoureux, et d’un printemps
cycles de production, rénovent ou construisent des
tardif. L’ensoleillement qui a vocation à être plus marqué
chais plus fonctionnels, plus adaptés.
sera un allié supplémentaire pour accompagner l’adap-
Le pays est aussi traversé depuis longtemps par une tation des vignes et du vignoble et l’évolution des vins
école très singulière du bio et du raisonné. Nombreux qui sont produits ici, en respectant leur originalité mais
sont les pionniers qui ont pris racine dans la région, les en offrant un champ des possibles plus large.

Vins d’Auvergne et du Massif central


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PRO PO S INTRO DUCT I FS

Vins d’Auvergne et du Massif central


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HISTO IRE E T GÉO GRAPHI E D U VI GN OBLE

Si les caves coopératives ont longtemps absorbé une appuyer la conquête des palais et des opinions. Seule
grande partie de la production, que ce soit à Saint- une grande œuvre commune pourra y contribuer pour
Pourçain, en Côtes d’Auvergne avec Saint Verny, ou en le bénéfice de tous.
Forez (désormais regroupée avec les caves du Beaujolais
Un gros effort est également fait en matière de marke-
dans l’entité Agamy – acrostiche de gamay), on peut là
ting et de commercial, presque une révolution. Les
aussi noter une évolution sensible.
vignerons déclinent de nombreuses cuvées pour
L’histoire récente de la cave de Saint Verny est à ce s’appuyer sur une plus grande diversité, prennent des
titre exemplaire. Sous l’impulsion de Pierre Desprat, qui agents, font des salons, vont au contact des clients,
l’a reprise en main et rachetée à Limagrain, des choix particuliers ou professionnels, ouvrent leurs caves.
structurants ont été faits tant au niveau de l’appui à la
viticulture que sur la vinification pour engager un saut Pour soutenir ces démarches, les étiquettes se colorent,
qualitatif autant salutaire qu’emblématique du combat se chamarrent, s’affranchissent des codes histo-
mené ici pour une reconnaissance économique comme riques pour proposer une version épurée et élégante
œnologique. Un recensement critique des parcelles a ou canaille et triviale, comme le firent naguère les
été entrepris et des cuvées parcellaires ont été élabo- domaines du sud de la France pour sortir de leur isole-
rées, le travail de la vigne est mieux défini et suivi, les ment et tuer leur mauvaise réputation. L’histoire, à une
installations ont été entièrement revues et moderni- moindre échelle, tant les volumes et les superficies
sées, un grand chantier marketing a imprimé un ton à concernés sont différents, se répète avec beaucoup
la gamme et dynamisé le commercial, tant en France d’ingrédients similaires.
qu’à l’export, avec déjà de beaux succès. Et déjà des signaux positifs – faibles encore – témoignent
Ce combat de la qualité, longtemps initié et porté par de la justesse de ces stratégies, de la bonne prise en
une frange des vignerons indépendants, doit être suivi compte de ces enjeux, et les premiers résultats de
par l’ensemble des caves pour garantir une cohérence certains sont un encouragement pour tous à accélérer
de l’offre en termes de qualité et d’identité, et servir le rythme. Les vins d’Auvergne surprennent de plus en
les vins d’Auvergne ou la marque vins volcaniques, plus dans les grandes dégustations où ils arrivent à se
de façon pérenne et manifeste. La production totale faire une petite place. Les sommeliers qui se prêtent au
du vignoble est encore trop faible pour rester dispa- jeu de la découverte et de la dégustation sont unanimes
rate, les moyens de communication et d’existence pour partager leur étonnement et leur satisfaction. Les
de chacune des appellations sont trop limités pour cavistes s’engagent de plus en plus dans la promotion

Vins d’Auvergne et du Massif central


12
PRO PO S INTRO DUCT I FS

des vignerons locomotives de l’appellation et s’ouvrent décret d’appellation, ou en IGP Auvergne, notamment
progressivement aux autres. Les vins d’Auvergne sont pour les mono-cépages ou les cépages non référencés.
de retour, et c’est une belle et bonne nouvelle !
À l’est, les vignobles du Forez et de la Côte Roannaise
sont localisés sur le département de la Loire. Les
LA GÉOGRAPHIE rouges sont en AOC quand les blancs, commun aux
deux vignobles, sont commercialisés sous l’appella-
À l’Ambassade d’Auvergne, qui s’est longtemps appelée tion IGP d’Urfé.
Ambassade d’Auvergne et du Rouergue, l’Aveyron a Aux confins du Cantal, des vignerons ont replanté les
toujours fait partie de notre histoire. C’est donc naturel- historiques terrasses de Molompize, les vins, produits
lement que nous portons les couleurs de la région en IGP, sont rattachés au comté Tolosan, curiosité
Auvergne au sens large, entendue non pas au sens administrative.
administratif, qui d’ailleurs a disparu avec la création
d’une grande région Auvergne-Rhône-Alpes, mais au Quelques vignes sont exploitées en Corrèze, le long
sens d’une culture – d’abnégation, de travail – et d’une de la Vézère, et vinifiées par la Cave des coteaux.
géographie – le Massif central. La vision que je porte Enfin, l’Aveyron, rattaché historiquement aux vins
des vins d’Auvergne va donc un peu au-delà de ce que du Sud-Ouest, mais dont la filiation auvergnate a
la règle ou l’étymologie admettraient ! toujours été sinon revendiquée du moins affirmée par
Le vignoble auvergnat s’étend sur un large territoire. les bougnats à Paris, propose une plus grande diver-
Plus au nord, en Allier, l’appellation Saint-Pourçain, sité d’appellations, tant le département est vaste et
et des cuvées commercialisées en IGP Val de Loire les terroirs contrastés. Le vignoble de Marcillac au
marquent l’entrée en Auvergne, et l’articulation avec centre est le plus connu, mais on peut également citer
les vins de Loire. Au centre, le Puy-de-Dôme recouvre les vins de Millau, d’Estaing, du Fiel, qui illustrent
l’appellation Côtes d’Auvergne, qui se décline en l’ancrage historique de la vigne dans ce départe-
cinq crus, chanturgue, châteaugay, madargue au nord, ment (qui louche à vouloir depuis toujours regarder
boudes et corent au sud. Les vins en dehors de ces vers Bordeaux, Toulouse ou Montpellier quand on est
cinq zones d’appellation sont commercialisés en appel- au sud, vers Clermont-Ferrand ou vers Paris quand
lation Côtes d’Auvergne s’ils respectent les critères du on est au nord !).

Vins d’Auvergne et du Massif central


13
A71 Vers Paris

Beauregard-
Vendon

A89 Gimeaux
Prompsat
Yssac-la-
Tourette

Châtel-Guyon
Vers Bordeaux

Riom

Volvic

r
L’Allie
Ménétrol
Châteaugay
Malauzat Vers Lyon
A72
Sayat

Blanzat Cébazat

Clermont-Ferrand

Lempdes Vertaizon
Dallet

Aubière Mezel Chas


Beaumont Chauriat
Cournon-
d’Auvergne Saint-Bonnet-
lès-Allier
Pérignat-
lès-Sarliève
Billom
Romagnat
La Roche- Saint-Georges-
La Roche-Blanche Noire sur-Allier
Orcet

Chanonat
Le Crest Les Martres- Mirefleurs
de-Veyre

Saint-Amant- Veyre- Laps


Saint-
Tallende Monton
Maurice
Corent
Pignols
La Sauvetat Vic-le-Comte
Saint-Sandoux
Authezat

Plauzat

Neschers
Sauvagnat-
Sainte-Marthe

Saint-Yvoine

Issoire

A75

Chalus
Saint-Hérent
Boudes

Vers Millau
VI G N O B L E E T VI G N E R O N S
D E S CÔT E S D’AU VE R G N E

C
ette appellation constitue une curiosité séman- On identifie des traces du vignoble auvergnat dès le
tique souvent d’ailleurs source de confu- Ve siècle, mais sa topographie comme son image ont
sion. Si les vins dits des Côtes d’Auvergne fortement évolué au fil des ans et son histoire est diverse,
sont bien au cœur du vignoble auvergnat, chaotique parfois.
ils peuvent s’appuyer sur l’usage exclusif du nom de
la région pour caractériser la production départemen- Le vignoble est aujourd’hui fragmenté sur une grande
tale, limitée au seul Puy-de-Dôme. C’est aussi, des cinq partie du département. Il se présente sous la forme d’un
vignobles principaux que je décris, le plus grand, sinon le rectangle long, qui occupe une superficie totale d’environ
plus historique, même si son histoire est proche de celle 400 hectares (dont les 3/4 pour les vins en AOC) sur plus
des voisins de l’Allier. de 50 communes. Les vignes sont situées sur une bande

Vins d’Auvergne et du Massif central


15
VIGNO B L E E T VIGNE RO NS DES CÔT ES D’AUVER GN E

d’environ 70 km du nord au sud, entre Riom et Boudes et Les sols de l’appellation sont en majorité basaltiques,
une vingtaine de kilomètres d’est en ouest. Si les surfaces même si l’on retrouve sous les coulées des marnes argilo-
plantées sont très éparses, on peut néanmoins noter la calcaires. Les différents secteurs se caractériseront par
présence de deux pôles d’importance qui concentrent des matériaux variés comme des marnes, des basaltes,
aujourd’hui une grande partie des terres cultivées. Ces des granits, des arkoses qui forgent la diversité des crus
deux aires viticoles, qui correspondent à des foyers histo- et la richesse des gammes… On trouvera des sols argilo-
riques et qui sont aujourd’hui animées par un noyau calcaires sur les rebords du bassin de la Limagne, et des
de vignerons actifs et dynamiques, s’organisent autour sols basaltiques sur les flancs des volcans ou à proximité
des cinq crus. Entre Riom et Clermont-Ferrand au nord, des coulées basaltiques des reliefs inversés.
pour chanturgue, châteaugay et madargue, et autour Les cépages traditionnels de l’appellation sont en rouge
de Boudes au sud, pour boudes et corent. gamay et pinot, qui doivent être assemblés avec une
Témoin de l’apogée de l’activité viticole à la fin du dominante de gamay, et en blanc le chardonnay. Cette
XIXe siècle, le vignoble est solidement ancré sur des identité chromatique est le fruit d’une longue évolution
terroirs assez typés, implanté le long du bassin de la et de l’abandon progressif de nombreux cépages, réputés
Limagne et sur les flancs volcaniques, dans une zone moins qualitatifs. Une maîtrise rigoureuse des rende-
délimitée par la chaîne des Monts du Forez à l’est, et la ments participe de l’évolution qualitative recherchée.
chaîne du Sancy, à l’ouest. De nouveaux cépages viennent compléter les gammes de
Située entre plaines et montagnes, soumise à la fois aux certains vignerons, la syrah, moins épicée que sa voisine
influences océaniques et continentales, la région est une sudiste, donne des vins élégants et fins.
terre de contrastes. Les vignes sont protégées par l’effet Des trois cépages qui rentrent dans l’élaboration des vins
de foehn qui convertit l’air froid au passage des reliefs, en AOC Côtes d’Auvergne, les gamays, majoritaires, et les
régulant ainsi les températures et limitant les précipita- pinots noirs couvrent la plus grande partie du vignoble.
tions. On trouve au nord des vignes plantées dans le sens Les chardonnays, plus récents, sont quant à eux présents
de la pente, plus au sud, des plantations en terrasses. dans une plus faible proportion.
Emblématique de son identité, l’activité volcanique à l’ori- Des nombreuses variétés existantes, c’est le gamay
gine de la Chaîne des puys est indissociable du paysage « beaujolais » qui s’est imposé aujourd’hui dans la région.
du vignoble et signe son caractère unique et original. On trouve également vers Montpeyroux, à 25 km au sud

Anecdote
La légende du vieillissement en buron !

Pierre Desprat en homme de marketing avisé, respectueux du temps qui passe et façonne,
a voulu imaginer une cuvée spéciale et un cérémonial particulier qui rythme les saisons
et participe à la promotion des vins du cru. Ainsi est née la Légendaire, une cuvée vinifiée
et mise en bouteille à Saint Verny qui va vieillir quelques mois dans un buron du Cantal.
Chaque année, au sortir de l’hiver, la maison Desprat organise une grande fête, et convie
de nombreuses personnalités à l’événement. Il faut voir cette chaîne humaine qui porte
les caisses jusqu’aux camions qui vont ensuite distribuer dans toutes les bonnes tavernes
de la région, et bien au-delà, cette cuvée choisie. L’étiquette, et la pratique du vieillis-
sement en altitude renvoient à la mémoire du grand-père, la célébration annuelle et les
fastes qui l’accompagnent illustrent le poids de la maison.

Vins d’Auvergne et du Massif central


16
VIGNO B L E E T VIGNE RO NS DES CÔT ES D’AUVER GN E

de Clermont-Ferrand des sols en arkose, très spécifiques, VISITER LA RÉGION


propices à renforcer le caractère épicé du gamay. Le pinot
noir ou auvernat en Auvergne, s’épanouit plus facile- J’ai choisi l’automne pour illustrer le Puy-de-Dôme car
ment sur des terroirs argilo-calcaires et supporte bien le les couleurs si particulières de cette saison mettent en
climat local. Le chardonnay, autre « jeune » cépage pour valeur le relief, les contours montagneux, les pierres
la région, sera planté sur des sols argilo-calcaires, mais des villages, l’âme des Auvergnats qui profitent des
idéalement situés plus en altitude. derniers beaux jours avant de se préparer à la rudesse de
l’hiver. Les vignes sont si clairsemées que les vendanges
Produisant uniquement des vins tranquilles en appel- passeront inaperçues au promeneur, mais la nature qui
lation, la gamme des vins s’organise autour des trois donne toute sa force avant de s’endormir, les odeurs
couleurs. Les vins rouges sont élaborés avec une forte de sous-bois, la végétation qui se pare de ses habits de
majorité de gamay et souvent assemblés avec du pinot, lumières prennent ici une texture magique.
dans des proportions allant de 10 à 30 % pour apporter
structure, rondeur et équilibre. Compte tenu des condi- Il faut d’abord prendre de la hauteur et se rendre au
tions climatiques difficiles et des aléas qui perturbent sommet du puy de Dôme pour savourer la majesté des
régulièrement le niveau de production, mais aussi du lieux. De là on appréciera le paysage alentour et choisira,
fait de la petite taille des exploitations, les vignerons presque à vue d’œil, les villages anciens et beaux qu’il
ont tendance à concevoir ces vins pour être bus jeunes, reste à visiter. Le choix est difficile tant l’offre est vaste.
frais, fruités avec des arômes de fruits rouges. Pourtant, Je citerais Châteldon, même si la source d’eau ne se visite
élevés dans la perspective de durer, ils présenteront plus pas, Billom avec son ail noir si original, Ambert, Boudes,
de structure, de richesse, de puissance, avec des notes de les villages vignerons, parce que chacun me ramène
à une émotion. D’autres vous citeront aussi Brioude,
fruits mûrs. Les expériences que j’ai pu voir de vieillisse-
Murol, Montpeyroux ou encore Usson, tant les villages
ment sont assez exemplaires et démontrent à l’évidence
ici ont gardé l’empreinte du passé, la beauté des pierres.
un potentiel qui reste à révéler et à exploiter, tant pour
Même si l’on fait la route des vins, du nord au sud, on se
le plaisir de la dégustation, que pour asseoir la réputa-
rappellera que ces terres donnent des eaux uniques et
tion des vins de l’appellation.
la visite de Volvic s’impose. On fera une étape dans les
Les blancs sont élaborés à partir du seul cépage chardon- cités thermales qui continuent à faire vivre avec passion
nay. Selon les élevages, rapides en cuves, ou plus longs en et énergie une tradition ancrée, autour d’établissements
barriques, ils présenteront une minéralité plus ou moins au charme suranné et délicat.
marquée, et une proportion de gras variable. Ces vins sont
La découverte du terroir passe aussi, au-delà des vins,
marqués par des arômes d’agrumes, de fruits exotiques.
par la dégustation des nombreux fromages, incon-
Les rosés sont produits essentiellement à partir de gamay tournables que la région produit, et qu’on aura plaisir
avec peu de couleur, marqués par une belle fraîcheur ils à dénicher chez des petits producteurs à la ferme, ou
sont plutôt assez fruités. sur les marchés.

Anecdote
Les immersions dans le lac Pavin

Benoît Montel n’a pas choisi d’élever ses vins en altitude, mais de les immerger dans
les profondeurs du lac Pavin, si particulier où les eaux de surface et les eaux profondes
sont purement et simplement délimitées ! La vente aux enchères des vins immergés est
réalisée chaque année au profit d’une association caritative. Mais l’animation qui prévaut
sur les plages du lac, lors de l’immersion et quand les plongeurs vont chercher les palettes
enfouies, vaut le détour, par la convivialité bon enfant qui la caractérise.

Vins d’Auvergne et du Massif central


17
STÉPHANE BONJEAN
Blanzat

L’ E N J E U D E L A M É M O I R E ,
L E C H A L L E N G E D E L’AVE N I R

S
téphane porte à l’évidence des traces de il façonne son espace de travail et imprime sa signature.
vignerons dans son ADN. Respectueux de Pour Stéphane, la magie de ce terroir doit s’exprimer dans
cet héritage, il pense et construit son avenir la garde des vins qui ont du potentiel, qui se révèlent
en cherchant à mieux comprendre et appri- après quelques années. En Auvergne, la dernière période
voiser le passé. Homme de passions, il investit des de grande plantation remonte à l’immédiat après-guerre,
champs de connaissance, l’ampélographie, la géologie…, à une époque où le vin était presque considéré comme
à la périphérie de son activité principale, pour mieux un alicament. On a fait alors le choix majoritaire du
exprimer toutes les nuances de son métier. gamay Saint-Romain, facile à travailler. Cela, au détri-
ment de cépages plus tardifs, plus fragiles ou capricieux,
Vigneron depuis cinq générations par son père et sept
mais plus authentiques et qu’il convient aujourd’hui
du côté de sa mère, on peut dire que Stéphane a des de réhabiliter, comme le noir florien par exemple qui
racines ici, dans ce village de Blanzat si emblématique fait saliver Stéphane quand il en parle ou, bien sûr, le
de l’histoire et de la tradition viticole auvergnate. Ses gamay d’Auvergne qui donne des jus plus proches d’un
premiers souvenirs de la vigne, ce sont les vendanges à bourgogne que d’un beaujolais !
4 ans, c’est aussi la fierté de pouvoir tailler ses premiers
bois sous l’œil bienveillant et l’autorité apprenante du L’homme, certainement perçu à contre-courant, et qui
grand-père à 7 ans ! le revendique aussi, cherche des textures, des arômes,
des saveurs, qui sont à la fois plus marquées et plus
Le vin comme une évidence, la vigne en héritage, en nuances.
Stéphane part naturellement faire des études à Beaune
à la fin des années 90, puis choisit le Québec pour aller S’il a été de tous les combats collectifs, en famille quand
parfaire son apprentissage. Il travaillera là-bas sur le son père a été à la pointe pour obtenir l’AOC, ou avec ses
cycle végétatif des cépages dans ce contexte clima- collègues du cru, au sein des instances locales, Stéphane
tique si particulier. semble plus s’inscrire dans une démarche singulière à
l’écart des tendances. Il revendique cette différence,
En 2001, Stéphane s’installe, loue quelques vignes et presque une forme de poésie dans la démarche. C’est
fusionne avec le GAEC des parents. Si son père prend ainsi qu’il évoque ces murs de pierres sèches qui bordent
très vite sa retraite, sa mère continue à ses côtés. Cette ses vignes et qu’il s’acharne à redresser les jours de
association lui permet de ne pas se concentrer exclusi- pluie ou encore ces amandiers qu’il plante au bout des
vement à la vigne. Il part au Vietnam monter un projet rangs de vigne pour coloniser les oiseaux, offrir une
de vignoble. Il découvre la géologie, la vulcanologie et ombre légère aux ceps.
l’archéologie, qui sont à la fois un moyen d’étancher sa
soif de connaissances et un complément naturel pour L’homme est cultivé, fin connaisseur de son histoire, de
son environnement, de son métier. Il comprend sa respon-
mieux exercer son métier. En 2014, sa mère arrête son
sabilité actuelle et future. S’il n’est pas engagé dans une
activité, Stéphane prend sa totale autonomie, il est enfin
démarche bio affichée, son approche est délibérément
et pleinement vigneron à Blanzat, appellation Châteaugay !
attentive à son impact sur la nature. Stéphane utilise
Il n’aime rien autant que ces vignes centenaires qui lui donc naturellement les codes du bio, peu de travail des
ont été transmises et qu’il a sauvées. Arrachant certaines sols, pour les garder vivants, enherbement naturel et
parcelles, replantant, sélectionnant les greffons et les arrachage manuel sous les rangs, aromathérapie et utili-
pieds, redessinant petit à petit le domaine familial en sation d’huiles essentielles pour traiter les vignes, avec
choisissant les cépages à conserver et ceux à réimplanter, une individualisation pour chaque parcelle.

Vins d’Auvergne et du Massif central


19
STÉPHANE BONJEAN

Cet enjeu de biodiversité, cette idée de redonner aux pu entreprendre de redonner vie à des vieux cépages
vignes une capacité naturelle à lutter et résister aux ou au plus classique mais inattendu pour la région
maladies, c’est aussi comprendre le cheminement de gewurztraminer !
nos ancêtres. On revient toujours avec Stéphane à cette
Enfin, le projet de la « cabane pointue » va permettre de
synthèse entre l’histoire et l’avenir.
rapidement rajouter 2 ha de vignes, avec des chardon-
Il en est de même avec les cépages autochtones, nays sur la partie exposée au nord-est, des pinots et
oubliés, uniques, que Stéphane rêve de réintroduire, des gamays en sélection massale sur le côté est/sud-est
aussi bien en rouge qu’en blanc. Il faut dire qu’il a de l’arc naturel. C’est un projet participatif qui vise à
pu identifier sur les vignes plus que centenaires du redonner une vitrine à Châteaugay mais aussi associer
domaine familial plus de 30 cépages différents ! un grand nombre d’amateurs dans une dynamique collec-
Il en est ainsi des projets d’avenir. Stéphane travaille, tive originale. Dans le domaine, les sols en châteaugay
avec d’autres amateurs, techniciens, experts, à préserver se partagent en pépérite cendreuse, avec une allure de
notre mémoire viticole en imaginant un conservatoire dalle de béton un peu curieuse mais qui confère une
des cépages auvergnats. Il veut constituer une base de réelle spécificité aux vins, et en pépérite plus ocre, plus
données naturelle et pérenne qui permette de porter jaune, classique du terroir. Il dispose également de sols
la mémoire du terroir et de ces cépages uniques qu’il basaltiques et les blancs sont plantés sur des sols argilo-
continue à authentifier. calcaires à flanc de bas coteaux.

À titre personnel l’avenir s’inscrira à Châteaugay, dans Le chai est implanté en cœur de village, et témoigne
la réhabilitation d’une belle parcelle en arc, autour de de l’histoire de la famille avec ses caves taillées dans
la « cabane pointue » ! C’est un projet collectif, basé sur la lave, qui se découvrent et révèlent leur caractère
une souscription large, qui doit permettre de replanter particulier.
très vite 2,5 ha et à terme 8 ha, d’offrir une vitrine à Stéphane travaille uniquement en cuve inox, en jouant
l’appellation, avec un réceptif original. Ce sera aussi, des bâches, des couvertures, des abris et des brûleurs à
forcément quand on connaît l’homme, un champ d’expé- gaz pour réguler au mieux les températures et donner
rimentation pour des cépages connus de lui seul qui du temps aux fermentations, aux élevages, aux vinifi-
n’attendent que d’être révélés. cations. Ici les vins sont élevés dans la durée pour leur
L’homme, de conviction autant que de passion, n’a assurer un avenir. Il n’y a qu’à goûter des bouteilles
d’autres craintes, que de n’avoir pas le temps de pouvoir de 5 ou 10 ans pour comprendre comment le poten-
réaliser tous ses projets. C’est peut-être aussi pourquoi tiel de garde est magnifié.
il rêve d’un avenir plus collectif, d’un monde où la Les barriques sont installées dans les différentes caves
solidarité vigneronne ne serait pas un vain mot !
attenantes au chai dont chacune offre une ambiance,
une « colonisation naturelle » spécifique et propice à
LE DOMAINE l’épanouissement du vin, à sa respiration.
Le domaine est assez concentré sur les communes
En ressortant de la visite du chai et des caves, avec le
de Blanzat, Châteaugay, Cébazat et Sayat. Il compte
souvenir en bouche et en tête des cuvées en cours de
aujourd’hui environ 4,5 ha en production en appella-
« finition » goûtées à la cuve ou au fût, vous pourrez
tion Châteaugay (pour les rouges), loin des 8 ha au
un instant profiter du caveau de dégustation pour
moment de l’installation.
aller voir ce que deviennent ces vins après leur mise
Le domaine est majoritairement planté en gamay en bouteille.
d’Auvergne. On trouve aussi un peu de pinot et des
chardonnays. Certaines parcelles gardent encore les LES DIFFÉRENTES CUVÉES
traces des encépagements historiques avec des pieds
Fiche de dégustation
parfois difficiles à identifier. Il faut dire que quand on
parle de vieilles vignes, ici, on parle de 12 à 15 décennies !
Quatre cuvées représentent l’univers à part de Stéphane
Stéphane a récemment acquis 0,5 ha de foncier en Bonjean, plus quelques quilles plus confidentielles,
IGP, à la périphérie de l’appellation d’origine, où il a ou des cuvées anciennes, qui vieillissent encore ici.

Vins d’Auvergne et du Massif central


20
La cuvée Gabin est la plus identitaire. À base pour Cette cuvée est composée de gamay à 80 % et de
moitié de gamay centenaires et de pinot, plantée sur pinot, plus certainement quelques cépages oubliés qui
des terroirs caractérisés par cette pépérite cendrée si résistent sur les parcelles. L’élevage se fait en cuve puis
particulière. Élevé en cuve sur lie, le vin peut paraître en fûts, bois anciens pour ne pas marquer les vins mais
facile, en première intention, simple, gouleyant, simplement leur apporter une oxygénation optimale.
passe-partout… Selon les millésimes, ce sera l’un ou Ce travail donne des vins qui offrent beaucoup de
l’autre des deux cépages présents qui dominera en fraîcheur, avec des notes de fruits croquants, de la
attaque, pour laisser place à un bel équilibre en milieu rondeur et de la souplesse. Curieusement, Les copains
de bouche. Le côté plus épicé arrivera en fin de dégus- d’abord est un peu la synthèse des deux premières
tation, à qui sait attendre ! cuvées de Stéphane, la finesse de Gabin et la densité
de Brin d’amour en un seul flacon !
Brin d’amour est une cuvée où le gamay va dominer.
Les terrains sur lesquels cette cuvée est ramassée
sont plus chauds, mieux drainés. Le vin élevé lui aussi
en cuve sur lie est plus tannique, plus structuré. C’est
un vin authentique qui se boit en mangeant, en hiver,
avec un bon plat régional. Toutefois le côté plus poivré
n’est pas antinomique avec un dessert chocolaté.
Les copains d’abord porte bien son nom ! C’est une
cuvée vendangée par les amis, les copains, les clients,
qui viennent ici pour s’amuser, et s’initier à la confec-
tion du vin. La matinée est consacrée à la vendange,
l’après-midi au foulage !
STÉPHANE BONJEAN

Enfin, une cuvée de blanc, les Palles, 100 % chardonnay, on arrive à faire éclore la cuvée Élisa. C’est une cuvée
en AOC Côtes d’Auvergne, élevée en gros fûts de que Stéphane ne fait plus, ayant dû se résoudre à
400 litres pendant 12 à 14 mois, sans sulfite. La patte arracher les vignes trop anciennes et peut-être implan-
particulière de Stéphane s’exprime dans cette cuvée tées sur des terroirs moins propices, mais qu’il avait
avec des notes de châtaignes grillées en fin de bouche. pourtant su dompter pour faire une bouteille généreuse,
C’est un vin sec mais avec beaucoup de gras, qui peut élégante, qui ne laissait pas indifférent, à l’image de
parfois tirer presque sur un chenin en vieillissant. Une celui qui l’avait réussie !
bouteille qu’il faudra aérer pour développer les notes
fruitées et son côté très capiteux.
06 83 12 88 90

LA BOUTEILLE PHARE
selon le vigneron www.stephane-bonjean.com

L’homme sûr de son fait répond spontanément « Toutes 88 rue du Clos 63112 Blanzat
car chacune me représente ! » mais en creusant un peu, GPS : 45.831026 / 3.077828

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
Votre saison ? La bouteille de vin d’Auvergne
L’automne, les vendanges, bien sûr, que vous auriez aimé signer ?
les vinifications qui clôturent une année Les Bourrassol Vieilles vignes de Benoît
de travail. À l’automne, notre bébé arrive, Montel ou Les Grandes Heures, madargue
c’est notre récompense. en pinot de feu Bernard Boulin.
Un plat qui vous fait saliver ?
Vous êtes plutôt blanc ou rouge ?
Ris de veau aux morilles.
Rouge.
Un accord met vin insolite ?
Vous êtes plutôt gamay ou pinot ? Les vins d’Auvergne sur de la cuisine
Gamay… d’Auvergne assurément ! asiatique, anguilles à la vietnamienne
ou fondue japonaise (champignons
Un cépage inattendu que vous plongés dans un bouillon odorant).
aimeriez travailler ?
Un restaurant qui vous fait rêver ?
Le noir florien !
Pierre Gagnaire à Paris.
La bouteille que vous emmèneriez Un vigneron que vous aimeriez rencontrer ?
sur une île déserte ? La famille Sélosse en Champagne.
Brin d’amour – parce qu’on n’est jamais
Un rêve que vous aimeriez réaliser ?
mieux servi que par soi-même…
Que mon fils prenne le relais,
et une bouteille de Liber Pater
en ayant plus de temps que j’en ai
de Loïc Pasquet, à Bordeaux.
pour faire plein de choses en plus.
Un souvenir de dégustation ? Si vous n’aviez pas été vigneron ?
Meursault Genevrières Enseignant ! Prof de biologie
de chez M. & Mme Brin. ou d’histoire.

Vins d’Auvergne et du Massif central


22
BENOÎT MONTEL
Riom

LA TÊTE ET LES ÉPAULES…


ET LA VIGNE COMME TERRAIN DE JEU !

I
l y a deux colonnes vertébrales chez cet homme, le vin Benoît décide de rentrer au pays et de s’installer. Il a
et le rugby, comme autant de passions, de doctrines, déjà la conscience du potentiel de ce terroir et il sait
porteuses d’humilité et de travail bien fait. Vigneron qu’il y a tout à prouver. Il revient donc au pays en 1998,
innovant qui construit un domaine en constante sans fortune, sans vigne en héritage, il entreprend de
évolution, Benoît a plus souvent les pieds sur terre convaincre, les parents, les banquiers, les voisins, de
que la tête entre les perches, même si les escapades lui donner sa chance. Ce sera encore Pierre Sucheyre
au stade Marcel-Michelin rythment les saisons autant qui jouera un rôle clé, et qui aidera à faire « basculer »
que les floraisons de ses vignes de Bourrassol. quelques familles du cru pour lui louer les terres et
les rangs de vigne dont il a besoin pour commencer à
Benoît ne connaissait de la vigne et du vin que les
exercer son métier et démontrer son talent !
quelques arpents cultivés par son père sur la commune
de Bourrassol. C’était déjà son autre terrain de jeu, avec Il commence avec 4 ha de vignes éparpillées assez loin
le rugby, grande tradition familiale. aux alentours de Clermont, un petit local de 80 m2 fait
Gamin, il aimait se retrouver, entre les rangs, à voir son office de chai en plein centre-ville de Riom, et il achète
père travailler le sol, les ceps ! C’est ainsi que lorsque à Bourrassol ses premiers arpents de terre pour planter
ses résultats scolaires l’orientent vers une formation des chardonnays.
courte et pratique, il choisit d’aller étudier la vigne et En 2001, un peu poussé par les voisins, mais aussi face
le vin. Après avoir rapidement validé l’option avec Pierre à la nécessité de se développer, il achète un bâtiment
Sucheyre, technicien à la fédération viticole et surtout industriel en périphérie de Riom pour en faire son chai,
grand architecte de la renaissance du vignoble auver- son caveau, son espace de réception. Une bâtisse en
gnat, le voilà parti à 14 ans à peine, au lycée agricole plein cœur des vignes aurait été plus alléchante, mais
de Beaune. Avec de l’abnégation, du courage autant en homme – et investisseur – avisé, il sait que le chemin
que du désir, il y restera finalement 7 ans, enchaînant est encore long et les embuches nombreuses pour sortir
un BEP, un Bac Pro et de longs apprentissages dans de de l’anonymat. Ce chai aura toujours un peu de valeur
belles maisons bourguignonnes. s’il faut envisager un autre chemin !
À cette époque, il s’intéresse plus à la vigne qu’au vin, à Benoît est tout à la fois inscrit et ancré dans la tradi-
la végétation. La vigne, c’est vivre dehors, travailler les tion, en jouant à fond la carte qualité dans les appella-
sols, regarder la nature s’épanouir et s’endormir, c’est tions historiques. En parallèle, il est capable d’innova-
aussi bien sûr les vendanges, la fête avec les copains tions dans les cépages, les modes de vinifications, pour
du rugby ! Ce sera donc chez Leflaive qu’il commence à explorer de nouveaux terrains, de nouvelles sensations…
réellement « goûter », avec le maître de chai, une heure Ainsi il replante à Madargue, seul vigneron indépen-
chaque jour. C’est là aussi qu’il découvre vraiment le vin,
dant de cette micro-appellation au nord de Clermont,
qu’il comprend la continuité et la cohérence du travail
il se renforce à Châteaugay ou Chanturgue, les deux
du vigneron, de la vigne à la cave, du plant au raisin, et
autres « climats » du nord. Il introduit des syrahs, qui
du chai à la bouteille. L’idée de faire du vin, d’aller au
vont donner le magnifique et bien nommé Sang des
bout de l’intention, de maîtriser son destin est désor-
Volcans, ou plus récemment des viogniers.
mais ancrée, elle le guidera pendant les 20 années
suivantes. Même si la maison Leflaive, consciente des Côté chai, il fait rentrer des amphores, pour tester
qualités de l’apprenti vigneron, lui propose un poste des vinifications différentes, aller chercher d’autres
en béton dans ce territoire bourguignon mythique, expressions, en termes de structure ou d’arôme. Puis

Vins d’Auvergne et du Massif central


23
BENOÎT MONTEL

il s’amuse, à immerger par exemple des bouteilles, laisse un peu de répit, et aux projets qui foisonnent.
puis carrément un fût entier ! Au fond du lac Pavin ! Il souhaite regrouper encore plus ses vignes autour
de Bourrassol, berceau de la famille et qu’il évoque
Avec ce désir constant d’innover, de progresser, le
déjà comme son tombeau ! Il pense à planter de
domaine s’est agrandi, diversifié, restructuré en
nouveaux cépages, peut-être roussane, marsanne,
presque 20 années et représente aujourd’hui une
ou mondeuse en rouge, pour continuer à explorer des
dizaine d’hectares, de bonnes et belles terres, en
cuvées originales et distinctives, mais aussi à démon-
pleine propriété. Le travail de Benoît a été à l’image
trer que le potentiel du terroir peut permettre toutes
de ce qui s’est fait dans la région, plus de qualité et
les audaces. Il pense aussi à transmettre ce qu’il a
moins de quantité.
appris, ce qu’il a entrepris. Il envisage de passer la
Quand on a grandi à l’école du rugby, l’altruisme main pour ses engagements collectifs. Il souhaite
n’est pas un vain mot et le collectif est une évidence. évidemment relayer ses connaissances, comme il
L’engagement dans le métier de Benoît s’est décidé le fait aujourd’hui en accueillant dans ses vignes ou
très tôt, presque sur un coup de tête. À l’aube de la dans son chai un grand joueur de l’ASM qui prépare
quarantaine, il assiste à la réunion annuelle de la sa reconversion pour l’après-rugby. Il aimerait aussi,
fédération quand le président en exercice annonce à bien sûr, préparer la transmission de son domaine au
la surprise générale qu’il laisse son mandat. Benoît sein de la famille, à son fils ou à son neveu chez qui il a
lève la main, se porte candidat. Il sera élu à l’unani- su susciter une curiosité et peut-être instiller le désir.
mité et va désormais œuvrer pour faire rayonner les
vins du cru, ici, car nul n’est assez prophète en son LE DOMAINE
pays comme au-delà des frontières du Puy-de-Dôme.
Indépendants ou coopérateurs trouveront en Benoît Le domaine fait aujourd’hui un peu plus de 10 ha, acquis
un défenseur acharné et un soutien bienveillant. Les progressivement au fil des années, pour accompa-
initiatives pour faire connaître les crus d’Auvergne gner la demande croissante des vins de plus en plus
sont nombreuses – salons professionnels avec les réputés de Benoît.
autres appellations auvergnates. Son rapport à la
Les gamays représentent la majorité des vignes
terre évolue aussi, avec du réalisme, de la raison, et
plantées, avec plus de 6 hectares, complétés pour
de la persévérance. Benoît n’a pas appris le « bio »
les rouges par 1,5 hectares de pinot et de façon plus
et ne veut pas jouer les apprentis sorciers. Il change
anecdotique, quelques ares de syrah et récemment
doucement, car c’est dans le sens de l’histoire et
de gamaret.
presque une évidence pour celui qui regarde la terre
tous les jours. Il va chercher à stimuler les défenses Les blancs occupent 20 % des terres, avec pour moitié
de la vigne, à développer ses anticorps naturels, en des chardonnays, de tradition locale, et en complément
stimulant les plantes, en intervenant plus en préventif des sauvignons, et très récemment, des viogniers.
qu’en curatif.
À Madargue, les terrains sont des sablo-marneux, ce
Il en est de même pour le vin qu’il produit, et qui « ne qui explique une typicité toute particulière de ce cru, si
peut pas être le même tous les ans ». Pour respecter marginal encore dans la production totale de la région.
ce que la nature lui donne chaque année, il ramasse
Les chanturgues et les châteaugays sont plantés sur des
les raisins à maturité, fait des cuvaisons plus longues,
sols argilo-calcaires, avec pour les derniers des traces
baisse drastiquement les doses de sulfite.
de basalte, de pépérite, de granit qui vont renforcer le
Benoît est à la mi-temps de ce chemin qu’il a entre- côté plus poivré du vin.
pris, seul, avec force et détermination, humilité et
Pour préserver la valeur patrimoniale du bâtiment, s’il
abnégation depuis 20 ans, Les années ont parfois été
devait en changer l’usage, et aussi pour rester dans
dures, avec le gel qui emporte presque tout l’espoir
un environnement professionnel, où son activité ne
de récolte, mais il garde l’œil qui pétille, l’énergie qui
peut pas déranger le voisinage, Benoît a choisi avec
déplace des montagnes, fussent-elles des volcans !
un bon sens tout paysan d’implanter son chai dans
Quand il imagine les 20 prochaines années, il pense un bâtiment industriel de la périphérie de Riom. Le
à toutes ces belles récoltes à venir, si le climat lui chai est vaste, mais déjà marqué par la croissance

Vins d’Auvergne et du Massif central


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BENOÎT MONTEL

régulière du domaine, et donc des volumes, depuis chardonnay à 100 % cette cuvée bénéficie d’un élevage
l’installation en 2001. Passée l’entrée, on arrive dans un plus long que les Bourrassol pour donner un côté plus
vrai bric-à-brac ! Il y a ici les cuves, en résine de verre, marqué au vin. Cette typicité presque bourguignonne
depuis l’origine, pour une vinification douce, qui domine. s’affiche comme un retour aux sources ou à l’école !
Quand le regard s’habitue à l’espace, on découvre aussi
Benoît cultive aussi les sauvignons avec la cuvée
les nouvelles venues, ces amphores de terres cuites qui
À l’endroit/à l’envers. À l’endroit donne un vin plus
viennent parfaire les vieillissements des plus belles
sec, plus fruité, un peu minéral. Pour ce qui est de
cuvées. On enjambe les caisses en attente de livraison,
À l’envers, on y trouve plus de sucre résiduel pour un
on contourne les palettes ou les box qui accueillent les
vin plus rond, plus doux.
quilles nues.
La gamme des rouges se décline autour de huit cuvées.
Les vendanges se font en mécanique pour certaines
parcelles et manuellement pour les plus belles vignes. Il y a, comme pour les blancs, d’abord et avant tout la
Les raisins sont triés, égrappés. Pour les rouges, Benoît cuvée Bourrasol, en hommage aux arpents du papa, ce
pratique une macération à froid pendant 2 jours, et utilise berceau où Benoît s’est initié avec ces vignes de gamay
des levures indigènes et sélectionnées pour les fermen- plantées en appellation Châteaugay. Les plus jeunes
tations. Il n’utilise plus de souffre. Pour les blancs, le vignes, avec un petit rendement, donnent un vin très
pressurage est direct, pneumatique, les fermentations poivré, tout en élégance et en finesse.
sont faites exclusivement avec des levures indigènes.
Plus loin, les vieux gamays centenaires donnent la
La commercialisation des vins est d’abord locale, auprès cuvée Vieilles vignes qui a contribué à faire connaître
des cavistes et restaurateurs du cru, avec une prédi- Benoît, identifié précocement par le guide Hachette !
lection pour tous les sites touristiques de la région ! Sur un terroir de granit, il produit des beaux gamays qui
Cette implantation a du sens et le principe du « ruissel- vont bénéficier d’un élevage en barrique, pour donner
lement » fonctionne à merveille. De nombreux parti- un vin bien équilibré, avec du potentiel de garde. Cette
culiers, après avoir découvert les vins de Benoît sur cuvée est devenue sa signature ou son porte-drapeau.
la table d’un restaurant, appellent et viennent à Riom Depuis 2012, Benoît assemble, après sélection, une partie
acheter quelques flacons. Benoît fait aussi quelques des Bourrassol et des vieilles vignes pour produire une
rares salons, à Clermont ou à l’invitation de copains, cuvée très volcanique, très consensuelle, vendue en
histoire de se croiser, d’échanger quelques bouteilles AOC Côtes d’Auvergne. C’est un vin de soif, plus facile,
et de s’enrichir des progrès de l’autre. Aujourd’hui, les sur le fruit et les épices qui participe de la joie festive
professionnels représentent 60 % des volumes et les autant, que par conséquence, de la qualité et la régula-
particuliers 30 %, ce qui laisse un petit 10 % pour l’export rité des deux cuvées phares en châteaugay !
ou un peu de grande distribution.
Benoît est le seul indépendant à produire du madargue,
LES DIFFÉRENTES CUVÉES il met en bouteille deux cuvées, une plus classique,
Traditionnelle et une vinifiée en amphore, sans sulfite,
Fiche de dégustation
comme un vin nature, Avenir. Ses madargues sont carac-
térisés par le fruit, rouge, mûr, avec des tanins assez fins.
La gamme de Benoît est assez large et diversifiée,
La particularité du terroir ici donne aux gamays auver-
et donne à voir l’étendue de son savoir-faire, sa
gnats une texture plus proche de ceux du Beaujolais,
maîtrise des jus et sa volonté de chercher à innover
sans les touches épicées ou poivrées que l’on retrouve
en permanence.
habituellement dans la région.
Quatre cuvées de blancs, d’abord :
Benoît a pu acquérir une des dernières parcelles de
Bourrassol, en 100 % chardonnay, élevée en cuve. C’est Chanturgue, dans la périphérie urbaine de Clermont et
un vin sur la fraîcheur, avec un joli fruité et une belle propose une cuvée 100 % gamay, dominée par le fruit.
brillance. Typé « sud » il est plus lourd en bouche.
À Saint-Bonnet-près-Riom, Benoît a replanté des pinots,
Verticale est une cuvée d’assemblage entre les jus élevés ce cépage historique mais longtemps oublié dans la
en barrique et ceux élevés en amphore. Toujours en région. Les vignes sont encore jeunes et donnent un

Vins d’Auvergne et du Massif central


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BENOÎT MONTEL

vin sur le fruit, léger. La cuvée les Grolières se carac- LA BOUTEILLE PHARE
térise par peu de structure mais beaucoup de rondeur. selon le vigneron
Enfin, il faut évoquer Le Sang des Volcans, cette cuvée « Un Bourrassol , forcément, car je retourne toujours
en 100 % syrah qui m’a fait découvrir tout le talent de à cet endroit ! Le premier que j’ai vinifié, en 99, était
Benoît et permis d’apprécier le viticulteur autant que somptueux ! On regarde toujours un peu différem-
l’homme. Les vignes sont plantées à Saint-Bonnet- ment son premier bébé ! Je garde aussi un très beau
près-Riom au nord, sur un sol argilo-calcaire. Avec souvenir du millésime 2012, une année en général
une maturité plus tardive, ces vignes souffrent plus bien réussie partout et par tous ! »
facilement des aléas climatiques, sont plus souvent
gelées que de raison, et le vin est produit en – trop –
04 73 64 96 14
petite quantité. Cette cuvée est un peu la synthèse du
vigneron, la force du rugbyman, la finesse du profes-
6 rue Henri-Goudier, 63200 Riom
sionnel auvergnat qui a fait ses classes en Bourgogne,
GPS : 45.883688 / 3.123466
la richesse aromatique du cherchant qui innove et
remet chaque année le travail sur l’ouvrage.

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
Votre saison ? Un plat qui vous fait saliver ?
L’automne, comme une évidence, La truffade.
le fruit de tout le travail de l’année
avec les vendanges, les couleurs Un accord met vin insolite ?
des vignes, des forêts, les odeurs Celui que m’a proposé et fait découvrir
des sous-bois, les belles journées. Olivier Poussier très récemment,
un Bourrasol sur un dessert
Vous êtes plutôt blanc ou rouge ?
Rouge. aux fruits rouges.

Vous êtes plutôt gamay ou pinot ? Un restaurant qui vous fait rêver ?
Gamay. Les Frères Troisgros à Roanne.

Un cépage inattendu que vous Un vigneron que vous aimeriez rencontrer ?


aimeriez travailler ? Dagueneau à Pouilly,
Mondeuse. le pape des vins de Loire !
La bouteille que vous emmèneriez Un rêve que vous aimeriez réaliser ?
sur une île déserte ?
Voyager, car je n’en ai jamais vraiment
Un Bâtard-Montrachet de chez Leflaive.
eu l’occasion, l’Écosse, pour les paysages,
Un souvenir de dégustation ? la nature retirée, les Highlands
Domaine Ramonet à Chassagne- et le rugby, évidemment !
Montrachet, une dégustation épique
dans le chai, où le propriétaire ouvrait Si vous n’aviez pas été vigneron ?
des bouteilles ou des magnums, les unes J’aurais été éboueur ! Je me souviens,
derrière les autres, que du bonheur ! tout gamin, de mon émerveillement
La bouteille de vin d’Auvergne à regarder le lundi matin, tôt, passer
que vous auriez aimé signer ? le beau camion des éboueurs, avec
Un chanturgue de Michel Bellard. son gyrophare, ça me faisait rêver !

Vins d’Auvergne et du Massif central


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DAVID PÉLISSIER
Boudes

L’ H O M M E C U R I E UX
D U M O N D E Q U I L’ E N TO U R E

V
enu à la vigne par atavisme mais sans bagage Marqué par l’expérience paternelle, qui s’est escrimé
particulier ou domaine dans l’escarcelle, toute sa vie sur ces vignes sans pouvoir réellement
David s’est construit en 20 ans une identité en vivre décemment, il fait un « business plan » pour
vigneronne, dans ce terroir de Boudes qui l’a s’assurer qu’il pourra vivre de cette passion en partage,
vu naître et où il vit encore. Le garçon est pragmatique, en héritage. Il se lance au début des années 90, d’abord
fonctionne par expérience, et progresse année après au côté du père puis se forme progressivement. En 2000,
année. Fidèle dans ses engagements, malicieux dans avec ses premières économies, il plante « ses premières
le regard et jusque dans certaines de ses étiquettes, vignes » sur la parcelle des Fesses, située sur le coteau
il a su au cours de ces 25 années de labeur devenir est de Boudes. En 2003, il plante des vignes sur le versant
lui-même. Ses vins sont à son image, authentiques, opposé, sur les vestiges supposés d’un ancien monastère
généreux, canailles ! très apprécié de son grand-père. En 2009 et 2010, il reprend
Chaque saison lui apporte son lot de chantiers, de leçons définitivement les hectares encore exploités par son
pour l’avenir et de belles surprises aussi ! père, le domaine a atteint une taille critique suffisante.

Il reste beaucoup moins de vignes à Boudes qu’il n’y Tout au long de ces années, il n’a pas seulement étendu
en avait quand David enfant accompagnait son grand- le domaine exploité jusqu’à sa périphérie actuelle, il a
père sur les pentes escarpées qui dominent le village. aussi appris son métier et s’est forgé des convictions.
Si l’activité était alors la principale source de revenus Cet apprentissage est métissé, bigarré, sous influences.
ici, et occupait une grande partie des familles du cru, En effet, David, issu d’une famille vigneronne mais sans
on vivait encore chichement, de la vigne, de la terre, et formation adaptée, est d’abord un grand pragmatique, il
on devait faire quelque chose à côté, pour boucler les n’a pas de dogme, mais des questions qui le font avancer.
fins de mois. Son grand-père tenait le bistrot du village, Il bénéficie aussi d’une véritable intuition, forgée par
son père cultivait des céréales. l’expérience, l’observation, qui dictent les décisions, et
sécurisent les audaces !
Conscient de la dure réalité économique du métier, David
s’est d’abord imaginé professeur des écoles, il se voyait, Il s’est ainsi construit au fil des années en écoutant les
transmettre, tuteur de ces jeunes pousses en devenir et aïeux d’abord, qui le nourrissent d’anecdotes sur l’his-
qu’il faut mettre sur la voie ! Très vite l’idée de suivre toire du vignoble, les épisodes climatiques ou culturels,
la tradition familiale, ancrée dans le travail de la terre sa façon d’y répondre. C’est un gain de temps énorme
depuis cinq générations, s’impose. David l’explique par que de pouvoir se référer à celui qui a déjà connu une
le côté presque mystique du vin, au-delà de la magie situation particulière, qui a su y répondre en positif ou
qui permet en quelques mois de transformer le raisin négatif mais en conscience ! Il me parle de tous ces
que l’on a patiemment cueilli à l’automne en un nectar petits détails difficilement exploitables autrefois et
gourmand et élégant. qui font aujourd’hui la différence, lors des cultures ou
de la vinification.
Il faut voir comment il s’inscrit dans cette lignée, avec
le souci de faire perdurer le métier, le nom, les vignes Il s’est souvent appuyé sur Pierre Sucheyre qu’il accom-
tout en écrivant sa page audacieuse à l’image de ses pagne souvent dans ses visites aux vignerons du coin,
étiquettes ! Il prend plaisir à m’expliquer comment il qu’il écoute et interroge. Pierre sait adapter son jugement
utilise le sabot du grand-père, avec un curieux fer en et son conseil à celui qu’il rencontre, adapter son degré
forme de crochet scellé à la semelle pour replanter d’exigence à celui du vigneron qui l’appelle. David en
les échalas et pour donner un tuteur aux 15 000 ceps apprend beaucoup, se forge un référentiel d’expériences
de cette vigne plus que centenaire qu’il me fait visiter. qui l’aident à avancer dans la bonne direction.

Vins d’Auvergne et du Massif central


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D AV I D P É L I S S I E R

Il s’essaye à faire des vins qui ressemblent à ceux qu’il Il se forge une philosophie de vie, simple, « Fais ce que tu
goûte, qu’il aime, aux types qui le marquent, comme aimes vivre », et on pourrait rajouter ce que l’humilité lui
Pouilly-Fuissé ou Chambolle-Musigny. Avec un terrain interdit de dire, « fais le bien » ! Cette marche en avant
de jeu et des moyens sensiblement différents, il ne copie toujours, se fait en respectant le passé, mais en innovant,
pas mais s’inspire, il ne reproduit pas mais progresse. Ses comme il a su le faire par exemple sur ses étiquettes.
vins cherchent à représenter le terroir d’ici, bien sûr, et
Pour l’avenir, David imagine d’abord un beau chai, juste
chaque parcelle apportera sa spécificité aux cuvées ou aux
sur le côté de la maison, à l’opposé de celui, historique,
assemblages, mais David a une signature bien présente
qu’il exploite actuellement, et qui devient trop étroit. On
avec des vins naturellement fruités mais qui présentent
ne s’éloigne jamais vraiment de la maison ici, quand les
toujours une certaine complexité.
vignes les plus éloignées sont à vue d’œil et accessibles
Il apprend en marchant, enfin, et tire des enseignements en marchant. Ce nouveau chai dont il rêve permettrait de
de son propre chemin, d’une saine curiosité partagée. Ainsi disposer d’une salle à barriques plus vaste, plus adaptée
il a rejoint une quinzaine de vignerons, qui se réunissent aux vinifications plus travaillées qu’il fait aujourd’hui.
de façon informelle au sein d’un club. Cette intelligence Il voudrait également intégrer un espace dégustation
collective, hors appellation car il n’y a pas deux vignerons pour recevoir les clients de passage, assez nombreux,
venant d’une même zone de production, est une pratique qui viennent découvrir la vallée des Saints, une curio-
vertueuse qui ouvre des horizons tout au long de l’année. sité topographique locale, et l’historique vignoble de
Boudes. David voudrait aussi continuer à planter quelques
Il croit plus que tout en l’observation, qui doit lui donner
vignes et introduire ici des cépages résistants. Ce sont des
les informations pour décider. Il est tellement baigné
cépages hybrides, homologués pour faire du vin, mais pas
de ce besoin de parcourir son domaine, et les alentours,
référencés pour l’appellation, qui permettent de drasti-
à la quête de nouveaux signes qu’il participe à raison
quement limiter les traitements, revenir en quelque sorte
d’une heure et demie par semaine au Bulletin de santé
aux sources préphylloxériques, quand les ceps se défen-
du végétal. En anticipant les variations climatiques, la
daient tout seuls.
sensibilité aux différentes maladies, il peut mieux traiter,
ce qui veut souvent dire moins traiter. Il en est ainsi du Fort de ce nouvel équipement, il ambitionne de faire des
réchauffement climatique qu’il constate, et qui modifie vins plus élégants, de travailler des micro-cuvées spéci-
les conditions de travail au domaine. Si le grand-père a fiques, en parallèle des flacons phares du domaine, pour
eu vendangé parfois en novembre, sous la neige, il sait cibler un public plus exigeant.
bien que cela n’est plus près d’arriver. Il fait aujourd’hui
L’avenir, David le voit en rose tant il constate, autant qu’il y
clairement plus chaud, plus tôt, plus fort, ce qui permet
participe, au renouveau des vins d’Auvergne. La notoriété
de vendanger souvent dès septembre, d’avoir une arrière-
grandit, dépasse les frontières de la région, la reconnais-
saison plus longue et plus propice au travail du vin.
sance est en marche ! C’est ce qui d’ailleurs l’a décidé
Pourtant, si le changement climatique lui paraît une à sortir, tardivement, du relatif isolement dans lequel
évidence, il n’est pas encore totalement converti aux il s’était installé localement, au niveau professionnel.
modes de cultures et de production bio. Il utilise plus de
Si à Boudes on s’entraide naturellement entre vigne-
80 % de produits issus du bio, mais refuse catégorique-
rons pour les travaux que l’on fait mieux à plusieurs
ment d’utiliser du cuivre par exemple. Le terroir est ici
ainsi que pour les matériels que chacun ne peut avoir,
relativement clément, protégé, il peut à moindre risque
David a cependant été pendant longtemps assez peu
pratiquer une agriculture raisonnée. Il ne désherbe pas
présent dans les instances professionnelles locales et
une vigne jeune, enherbe un rang sur deux les autres
peu actif, en général, au niveau des Côtes d’Auvergne.
parcelles, laisse le plus souvent l’herbe faire son travail,
notamment sur des sols très pentus où la terre aurait L’idée et le projet de lancer le 1er salon des vins volca-
tendance à glisser. Il va investir dans un interceps pour niques, avec VINORA, prévu en 2020, ont été un déclen-
mieux configurer et protéger les sols, va acheter un pulvé- cheur. Il croit à cette nouvelle impulsion, portée entre
risateur ciblé pour limiter drastiquement les intrants qu’il autres par Pierre Desprat, et avec lui, une poignée de
continue à utiliser. En ce domaine comme en d’autres, vignerons indépendants. C’est un facteur supplémen-
il est pragmatique, avance par touches successives, se taire de reconnaissance et de différenciation pour les
forge une opinion. vins d’ici, ceux auxquels il croit depuis si longtemps.

Vins d’Auvergne et du Massif central


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D AV I D P É L I S S I E R

LE DOMAINE LES DIFFÉRENTES CUVÉES


Fiche de dégustation
Le domaine s’étend essentiellement sur la crête qui
domine le village à l’est. Les vignes sont escarpées, en La cuvée les Fesses, étiquette enseigne du domaine, se
altitude, difficilement mécanisables. De très vieilles décline sur les trois couleurs.
parcelles, en échalas, cohabitent avec des plantations
Les Fesses en blanc est faite à partir de chardonnay, à
plus récentes. Sur le versant opposé, face à la maison,
100 %. C’est une cuvée brute de cuve, où les raisins expri-
quelques parcelles plus récentes complètent l’ensemble
ment plus une certaine minéralité, des notes de fruits
pour une superficie totale de 5 hectares.
à chair blanche.
Le gamay est majoritaire, planté sur 2,5 hectares de
Les Fesses en rosé est un vin d’assemblage, moitié gamay
basalte, avec de très belles parcelles centenaires, aux
pour le fruité, moitié pinot pour la structure. Issus de
ceps torturés, agrippés aux flancs du vallon ! Le pinot
terrains argilo-calcaires, les gamays à jus rouge plantés
est planté sur 2 hectares, majoritairement sur un piton
en 2009 aux fins exclusives de faire du rosé apportent des
rocailleux, et des sols argilo-calcaires, très venteux.
arômes de fruits rouges, de bonbon anglais.
Enfin, on trouve une plus petite parcelle de chardonnay,
Les Fesses en rouge, issu pour partie des mêmes parcelles
sur environ un demi-hectare, de sols argilo-calcaires.
qui servent à faire le rosé, est fermenté en grappes
Les vendanges sont ici un moment particulier. David
entières. Ce vin commercialisé en appellation Boudes
est toujours au village celui qui vendange le dernier,
est marqué par un côté assez poivré, avec une certaine
en pleine maturité. On trie sur pieds, à la vigne et on
rondeur. Même si les vignes sont situées sur la fin de la
fera un deuxième tri à l’arrivée au chai. La topologie du
veine basaltique, il reste très typique du terroir local.
vignoble et l’âge de certaines vignes ne permettent pas
de mécaniser et les vendanges se font à la main, avec Plus élaborée et plus ambitieuse, la cuvée X, n’y voyez
porteur et cueilleur, à l’ancienne ! Pour les blancs, le aucun lien coquin avec la cuvée précédente, est déclinée
ramassage des raisins se fait majoritairement le matin, en deux couleurs.
à la fraîche, pour que la température du raisin que l’on
Les blancs sont élevés en barrique, pour donner plus
rentre en chai ne soit pas trop élevée.
de gras, les arômes sont plus confits. Les rouges sont
Au chai, on trouve aujourd’hui des cuves inox, pour les 100 % à base de pinot, issus de parcelles au sud-est
blancs, et des cuves en fibre de verre pour les rouges et très venteuses qui drainent et assèchent les grappes et
les rosés. Les rouges sont vinifiés grappe entière, pour concentrent les arômes. Les rendements ici sont assez
apporter cette structure qui caractérise sa signature. Les faibles, de l’ordre de 20 à 25 hecto/hectares et les vins
cuvaisons sont assez longues, de 7 à 10 jours et souvent sont très élégants. Pour cette cuvée X, blancs comme
jusqu’à 15 jours, pour extraire de la matière. Ce travail rouges sont des vins à potentiels, qui justifient qu’on
exige une surveillance particulière, accrue, et une grande les attende un peu pour révéler toutes leurs qualités.
vigilance. Les blancs sont pressurés directement, avec
Volcanique est le petit nouveau de la gamme, qui arrive
des fermentations à 16 ou 17 °C, pour garder les arômes.
avec l’ambition de s’imposer comme une signature,
Quelques barriques de plusieurs vins, majoritairement
marqué au fer par cette empreinte qui s’impose comme
bourguignonnes, même si 2 ou 3 bordelaises ont encore
un symbole sur l’étiquette. C’est un vin fait à 100 % à base
droit de cité, tant elles ont révélé un potentiel insoup-
de gamay, issu de vignes anciennes. Pour cette nouvelle
çonné, et surtout durable, accueillent les raisins issus
cuvée, David a cherché avec des cuvaisons longues à
de vieilles vignes qui donnent la cuvée prestige, pour
extraire le maximum de structure, à faire ressortir le
des élevages lents. La commercialisation des vins se
côté poivré si typique de l’appellation lié à la présence
fait beaucoup au domaine, ou sur des salons, auprès de
en quantité de motendone.
particuliers, qui représentent selon les années de 30 à
40 % des débouchés. David fait ainsi 4 ou 5 salons par an, Enfin, la cuvée Prestige est issue des plus vieilles vignes
pour renouveler la clientèle et aussi retrouver les copains en échalas, au sommet du village, celles où enfant
vignerons du club d’échanges. La clientèle professionnelle, David accompagnait son grand-père pour des moments
cavistes, restaurateurs, boutiques de produits régionaux, complices. Ces parcelles sont plantées principalement en
prend le reste, principalement sur la région. gamay, mais on trouve aussi du pinot pour un petit tiers.

Vins d’Auvergne et du Massif central


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D AV I D P É L I S S I E R

Les jus sont élevés en cuve puis en barrique, pendant 6 étaient ronds, poivrés, avec de belles notes de fraise
à 8 mois, qui vont donner un côté légèrement vanillé. C’est des bois, il y avait un tel relief ! Devant une telle spéci-
la cuvée emblématique du domaine qui a connu avec le ficité je ne pouvais pas me résoudre à l’idée de l’assem-
millésime 2018 une cure de jouvence et bénéficie désor- bler comme je le faisais jusque-là. Cette découverte a
mais d’une présentation plus en phase avec son potentiel. été révélatrice aussi du travail parcellaire que je voulais
entreprendre et mettre en avant. »
LA BOUTEILLE PHARE
selon le vigneron
04 73 96 43 45
« La première cuvée des Fesses en rouge, en 2002 a été
un vrai déclencheur. J’ai découvert cette année-là sur Route de Dauzat, 63340 Boudes
une cuve en particulier un potentiel incroyable. Les jus GPS : 45.460690 / 3.184952

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
Votre saison ? 100 vins auvergnats. Nous avons découvert
Le printemps. C’est la période de l’année qu’il y avait à la fois une très belle trame,
où la nature se réveille, où les oiseaux de la qualité, et une vraie homogénéité.
chantent, où les odeurs apparaissent
à nouveau. La bouteille de vin d’Auvergne
que vous auriez aimé signer ?
Vous êtes plutôt blanc ou rouge ? Un pinot noir de Marc Pradier.
Rouge.
Un plat qui vous fait saliver ?
Vous êtes plutôt gamay ou pinot ? Ris de veau aux morilles.
Gamay.
Un accord met vin insolite ?
Un cépage inattendu que vous Un chardonnay sur une belle viande
aimeriez travailler ? de salers.
Un cépage corse, découvert chez un copain
de notre club de vignerons, le nielluciu, Un restaurant qui vous fait rêver ?
il ressemble étonnamment au gamay. Le restaurant Origines d’Adrien Descouls
au Broc, qui est voisin !
La bouteille que vous emmèneriez
sur une île déserte ? Un vigneron que vous aimeriez rencontrer ?
Un Chambolle-Musigny. Manuel Olivier en Bourgogne.

Un souvenir de dégustation ? Un rêve que vous aimeriez réaliser ?


À l’occasion du salon « Ici commence Aller au Brésil.
la Loire » en 2018, nous étions plus de 30
ou 40 vignerons auvergnats réunis dans Si vous n’aviez pas été vigneron ?
un restaurant parisien (NdA l’Ambassade J’aurais été prof des écoles, j’étais parti
d’Auvergne !). Chacun avait pris plusieurs pour ça au début, avant que le virus
cuvées, et nous avons dû goûter plus de ne me prenne !

Vins d’Auvergne et du Massif central


32
PIERRE DESHORS DOMAINE DE LA TOUR DE PIERRE
Le Crest

L’HOMME QUI A PLUS D’UN TOUR


DANS SON SAC !

P
ierre donne parfois l’image d’un vigneron beaucoup de moyens pour faire des essais. Il faut bricoler,
espiègle mais il ne se résume pas à cela. construire, aller vite, tout imaginer. Il fait les premières
Témoignant d’une volonté acharnée de sortir vinifications pour vendre le vin en bouteille, et rencontre
son domaine de l’ombre, de s’accomplir à à cette occasion le laboratoire conseil qui le suivra tout
travers la réalisation de beaux vins, il participe avec les au long de sa carrière. Il essaye de comprendre la logique
copains des vignes alentours, à l’essor du vignoble auver- financière du propriétaire qui cherche à l’enfermer dans
gnat ! Il y a beaucoup d’humanité et d’humilité dans sa dé- une équation purement comptable.
marche tellement le chemin a pu paraître long à celui
Une première expérience riche qui le conduit ensuite au
qui a multiplié les expériences chez les autres avant
domaine de la Sauvageonne, la propriété du copain de
de se lancer. Pierre avance sans cesse, progresse,
son père, qu’il rejoint avec l’idée de pouvoir peut-être
toujours, et nous surprend avec ses cuvées en perma-
la reprendre à son compte. Il continuera à se former,
nence renouvelées.
à se tester pendant 3 ans. Il pousse les vinifications
Les raisons qui conduisent quelqu’un à vouloir faire du beaucoup plus loin, multiplie les tours de passe-passe.
vin sont souvent familiales, il y a une part d’ADN. Pour Malheureusement, des problèmes familiaux obligent le
Pierre, pas de vigne dans la famille, pas de terre appro- propriétaire à vendre le domaine à Gérard Bertrand. Le
priée, ce sont les vacances chez un copain de régiment rêve de reprise s’envole et Pierre avec, qui part sur Aix-en-
de son père, vigneron dans le Languedoc, qui lui donne- Provence. Avec l’expérience, il cherche plus de confort, se
ront les premiers émois et instilleront le virus du vin. limite à l’administration du domaine, regarde la produc-
Quelques années plus tard, alors qu’il fait des études tion de plus haut et apprend la gestion.
d’ingénieur, dans le domaine agroalimentaire, il découvre
Ces trois expériences, complémentaires l’aident à se
les vertus du vin en voyant un de ses professeurs se
projeter et quand la dernière aventure s’achève en 2006,
métamorphoser après la visite agitée d’une cave ! Cela
l’idée de s’installer et de reprendre un domaine le conduit
provoque un déclic chez Pierre, il décide de réorienter
jusqu’en Auvergne, à mi-chemin de la Haute-Loire de son
son apprentissage et part faire sa 3e année d’ingénieur
enfance et de Clermont d’où vient son épouse, une sorte
à Montpellier, pour découvrir, pendant un an, le monde
de retour aux sources. Sans connaissance du milieu local,
et la technique du vin. La formation qu’il intègre est très
sans grands moyens, mais avec la dextérité de celui qui
côtée, elle ouvre des passerelles dans le secteur, le met
sait ce qu’il veut, il fait le siège des exploitants, lors de
en contact avec de nombreux professionnels, lui donne
l’AG de la fédération viticole ou à Vinidôme. À force de
les bases techniques pour se dévouer à ce beau métier.
distribuer son CV, il finit par décrocher un projet d’asso-
Il commencera sa vie professionnelle en privilégiant ciation et de reprise d’un domaine au sud de Clermont.
trois contrats de 3 ans, dans des domaines situés dans
Pendant un an en binôme, il participe aux vendanges de
le Sud. Ces aventures successives ne se terminent jamais
2006, à la taille à l’hiver 2007, puis très vite tout seul, en
comme il l’avait imaginé au départ mais il a chaque fois
reprenant les bâtiments et le matériel qu’il achète, et les
su rebondir jusqu’à réaliser le rêve de s’installer. Il y
vignes de son prédécesseur qu’il gardera en fermage, il
aura d’abord ce domaine à Montpellier où il vient avec
construit sa tour, la Tour de Pierre. Il fera ses premières
un CDD pour gérer les vendanges, du raisin de table en
vendanges à l’automne 2007.
juillet jusqu’aux vendanges tardives des derniers raisins
en novembre. Il profite du départ du régisseur, et de Peut-être marqué par ce qu’il a vu lors de son séjour
l’arrivée à la tête du domaine d’un financier ambitieux dans le Sud, Pierre ne veut pas de vin passe-partout,
mais inexpérimenté pour signer son premier CDI. Il prend sans âme, il veut des vins qui créent une émotion. Alors
cette expérience comme un terrain de jeu où il dispose de il cherche, se cherche, et multiplie les approches, toujours

Vins d’Auvergne et du Massif central


33
Vins d’Auvergne et du Massif central
34
DOMAINE DE LA TOUR DE PIERRE

avec beaucoup de discernement, de savoir-faire mais dans Pierre ne s’est pas engagé dans la transition bio car il
beaucoup de directions ! S’il avoue aimer de la même façon veut que l’on achète ses vins pour ce qu’ils sont, mais pas
chacune des cuvées qu’il a créées, plus d’une quinzaine parce qu’ils ont été produits selon tel ou tel procédé. Pour
aujourd’hui, il reconnaît que c’est difficile à gérer pour lui, autant, curieux de ce que font les autres en la matière, il
et potentiellement déroutant pour les autres. Il réfléchit utilise de plus en plus de produits bio, à la vigne, au chai,
à apporter un peu de rationalité, mais convient qu’il est mais ne veut pas se priver des moyens qui lui permettent
difficile de renoncer à tel ou tel flacon, à telle ou telle in fine de rentrer une vendange saine au chai.
micro-parcelle au potentiel inversement proportionnel à Il est très engagé dans l’écosystème local, avec les voisins,
son charme ! Il est comme ça Pierre, qui voudrait simpli- qui sont devenus des amis, et auprès de qui il siège dans
fier, mais continue de gérer avec brio sa complexité ! les instances fédérales ou professionnelles. Président
un temps des vignerons indépendants, actif toujours,
Son vignoble est extrêmement morcelé, fruit d’une crois-
à la fédération, au syndicat, il prend sa part et sait ce
sance par à-coups, de vignes récupérées de-ci de-là. S’il
que le collectif peut apporter. Il est ainsi très intéressé
a la chance d’exploiter de très bons terroirs, il doit en
par la dynamique que pourrait apporter l’image des vins
permanence courir partout, et passe souvent plus de
volcaniques.
temps à rallier une parcelle qu’à y travailler ! Autant
de parcelles donnent beaucoup de cuvées ! C’est un S’il cherche en permanence à innover, à imaginer l’avenir
jeu complexe. Pour assurer un équilibre économique, et pour s’y préparer, il s’inquiète malgré tout, comme la
une pérennité au domaine, avant même d’envisager de plupart de ses collègues, des risques climatiques. S’il est
rationaliser les terres et l’outil de travail, il a cherché difficile sur quelques années de juger d’un changement
des ressources complémentaires en négoce. C’est une de climat, il observe pour autant les brusques variations,
façon d’augmenter les volumes sans pour autant se l’ampleur des phénomènes, l’absence de repères, qui
perdre encore plus dans les dédales du foncier. Ainsi, impactent régulièrement son activité, et plus largement,
il vient de s’associer à des coopérateurs qui voulaient son cadre de vie.
quitter la cave pour racheter leurs raisins et les vinifier, Pierre est ainsi, du haut de sa Tour, il observe, il avance,
s’accordant sur un cahier des charges précis au niveau il confectionne ses vins comme des pistes à suivre, nous
de la viticulture, lui garantissant la qualité souhaitée. balade dans le labyrinthe de ses cuvées, se prépare à un
monde qui change.
Il y a d’abord le souhait de disposer d’un vrai chai. Celui
qu’il a acquis il y a quelques années est devenu trop petit,
LE DOMAINE
assez inadapté aux vins qu’il fait, aux volumes qu’il traite.
Il colmate autant que possible les brèches chaque année,
Pierre exploite aujourd’hui un peu plus de 6 hectares
installe des cuves un peu partout. Il a acheté sur les flancs
de vignes, dispersés aux environs du domaine. Sans
du village, une parcelle de 2,5 hectares sur laquelle il se souci de cohérence, autre que vouloir sauver de belles
voit déjà à l’affiche, avec un bâtiment moderne et quelques vignes, et dans une démarche plus opportuniste que
parcelles de vignes autour ! Ce pourrait être aussi une rationnelle, Pierre a récupéré au fil des années de
belle vitrine pour accueillir les nombreux clients particu- nombreuses petites parcelles qu’il exploite et vinifie
liers de passage, qui constituent une base solide à entre- séparément pour en garder la spécificité.
tenir et à soigner. Il y a un sentiment d’urgence quand il
en parle, tant on sent que ce projet lui tient à cœur, pour Au Crest, il dispose de 4 hectares, environ, sur deux
ce qu’il représente, et ce qu’il permettra de changer dans parcelles principales de basalte où sont plantés des
son organisation quotidienne. Il envisage parallèlement de gamays. Il faut y rajouter deux micro-parcelles, sur
se recentrer sur les élevages, et d’abandonner quelques marne et sous-sol de basalte, qui donnent les cuvées
fermages. Avec l’âge, il veut se ménager, et se voit plus Magma et Les lauriers de 16 ares, de très belles vieilles
faiseur de vin que viticulteur ! Abandonner ses parcelles vignes en gamay.
sera un déchirement, mais le besoin de cohérence est le Sur Authezat, des sols en arkose sur plaque d’argile sont
plus fort. Il se fixe comme objectif de produire 100 000 plantés pour moitié en chardonnay et pour moitié en pinot,
flacons par an, ce qui fait déjà un beau volume, et quelques l’ensemble faisant un petit hectare. Enfin, sur le puy de
nouveaux marchés à dénicher ! Corent, une petite parcelle de gamay planté sur pouzzolane.

Vins d’Auvergne et du Massif central


35
DOMAINE DE LA TOUR DE PIERRE

À ces ressources, sur un foncier principalement en fermage, agent commercial pour assurer le développement sur les
il faut rajouter les allocations de raisins qu’il a contractua- réseaux professionnels, CHR et cavistes. L’augmentation
lisées, sur place pour des gamays d’Auvergne, et dans le significative et soudaine des volumes, avec l’apport du
Sud, pour des cépages plus exotiques. Les volumes sont fermage, suppose de repenser un peu l’organisation
assez conséquents et représentent à peu près l’équivalent commerciale et de sécuriser de nouveaux marchés
de ce qu’il ramasse sur les parcelles qu’il entretient direc- rapidement, ce à quoi Pierre s’emploie.
tement. Restent les friches achetées au bas du village qui
représentent en partie l’avenir pour Pierre, et une source LES DIFFÉRENTES CUVÉES
de simplification bienvenue ! Sur les hauteurs du village, Fiche de dégustation
le bâtiment acheté en 2006 abrite le chai, un petit espace
de dégustation pour accueillir les clients, une cave d’éle- Les chardonnays sont plantés sur deux parcelles
vage où trônent encore de vieux fûts qui rappellent le et donnent deux cuvées assez différentes et
passé de la maison, et la demeure familiale. L’outil de complémentaires.
travail est aussi disparate que les vignes, peut-être tout
Nuit Blanche, élevé en cuve uniquement, est plus sur le
simplement car il s’est construit en parallèle. À chaque
fruit, sec. Pierre veut en faire un vin d’apéritif, avec un
nouvelle parcelle, ou achat de raisin, il fallait rajouter
peu de gaz pour lui donner du peps !
des cuves. Avec l’augmentation significative des raisins
l’an dernier, ce ne sont pas moins de 36 cuves que l’on Magma est un vin plus élaboré, avec du gras, des arômes
dénombre désormais ! compotés de fruits jaunes. Fermentation malolactique
et fréquents bâtonnages lui donnent de l’amplitude très
Pierre travaillant le plus souvent tout seul, il a organisé
agréable en bouche.
son chai de façon concentrique, pour pouvoir tout super-
viser, quel que soit l’endroit où il se situe. La vendange Les rosés se déclinent en quatre cuvées, toutes diffé-
est mécanisée, autant que possible. Le tri est fait sur rentes !
pied et les raisins sont égrappés. Pierre convie aussi les
Il y a d’abord Envie en rose, le vin de copains, facile à
copains, les voisins, les amis, à une journée de vendange
boire. Situé en appellation Côtes d’Auvergne, 100 % à base
des plus petites parcelles qui ne peuvent être mécanisées.
de gamay, c’est un vin de soif, assez standard. Corent,
L’intention est surtout festive, et l’idée de se retrouver
comme son nom l’indique, est la cuvée plus embléma-
pour partager dans un grand moment de convivialité. Les
tique de l’appellation, c’est aussi un vin plus minéral,
rouges sont vinifiés dans les cuves béton, avec remon-
plus tendu, assez clair. Pinochio est un 100 % pinot, fait
tage, pigeage et délestage. Les opérations se décident à
comme on ferait un deuxième vin ! Pierre a voulu faire une
la dégustation, sur la base des objectifs décidés en début
saignée sur ses pinots pour les renforcer et leur donner
de campagne et définis avec le laboratoire qui aide Pierre
plus de structure. Enfin, Conservatoire est plus anecdo-
à calibrer les opérations en fonction des orientations
tique. Pierre a pu récupérer les raisins issus du conser-
recherchées pour chaque cuvée. Il n’y a pas de systéma-
vatoire local des cépages auvergnats, des raisins issus
tisme mais une approche spécifique pour chaque situa-
de 10 cépages différents, qu’il a assemblés pour faire un
tion ou expression.
rosé sympa sans prétention autre que témoigner de ce
Le travail en amont avec le laboratoire permet à Pierre devoir de mémoire qui anime le conservatoire !
de se décharger d’un grand stress dans cette période
La déclinaison de la gamme en rouge est encore plus
critique des vinifications. Les décisions sont élaborées
pléthorique, avec de la diversité, mais de la cohérence qui
selon des choix arrêtés avant les vendanges, plus de
va bien au-delà des seuls noms des étiquettes, toujours
froid pour le fruit, plus de chaud pour la structure. Cet
ludiques, et qui signent la patte du vigneron accompli !
apport technique est un soulagement, mais permet
Magma est certainement la carte de visite du domaine,
surtout de progresser régulièrement et d’améliorer
une cuvée maîtrisée, en gamay, à 100 %. C’est un vin
constamment la qualité des vins produits. La commer-
élégant fruité, avec de belles notes épicées, tout en
cialisation des vins du domaine se fait majoritairement
rondeur et souplesse.
auprès d’une clientèle de particuliers, qui viennent
au domaine, ou que Pierre rencontre sur des foires et Deux cuvées plus « haut de gamme » montrent le talent
salons qu’il enchaîne. Il s’est récemment adjoint un du vinificateur.

Vins d’Auvergne et du Massif central


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DOMAINE DE LA TOUR DE PIERRE

Les lauriers de 16 ares (la taille de la parcelle qui les LA BOUTEILLE PHARE
produit) sont issus de gamay en très vieilles vignes. C’est selon le vigneron
un travail plus sélectif, plus abouti. Les vins ont une person-
nalité marquée, même si elle peut évoluer d’une année Magma est assurément la signature emblématique de
sur l’autre, selon qu’ils connaissent ou non un passage en Pierre, le vin qui lui a permis de passer un cap, de s’affi-
barrique. Ce sont des vins très ronds et élégants. O’Terra cher autant que de s’affirmer, sur ce vignoble qu’il a rejoint
est l’équivalent en 100 % pinot. Les vignes plantées sur quelques années après les autres de sa génération. Pour
des sols de gore, des éboulis argileux, produisent des très Pierre, le millésime 2009 est forcément le plus lourd affec-
petites baies. Les vins ont un côté confit très plaisant. Le tivement, le plus attachant car le premier. Le point d’inter-
pinot est marqué, rond, subtil, avec une belle structure. rogation majestueux sur l’étiquette a fait parler de lui
Gampinayot est la seule cuvée d’assemblage gamay-pinot, alors que Pierre voulait simplement demander ce que les
en Côtes d’Auvergne. Un vin qui trouve plus naturellement uns et les autres pensaient de ce premier essai. Et puis il
ses débouchés à l’export, avec de la matière, de la struc- évoque 2015, aussi, pour les qualités particulières de ce
ture, plus vineux. Plein d’épices est une cuvée 100 % gamay, millésime, protégé des dieux, des vents, du temps. Une
sur le fruit, avec des notes poivrées. C’est un vin léger et belle réussite, un millésime abouti avec un grand poten-
souple, à boire jeune, en gourmandise. Enfin, dernier né tiel de garde, pour les chanceux ou les sages.
de la gamme Prémice sur lequel Pierre a voulu faire un
clin d’œil pour marquer l’arrivée de ces raisins rentrés
cette année pour la première fois. Pour inaugurer cette 04 73 39 00 88
nouvelle collaboration, il a voulu faire un vin type primeur 10 rue Néraud
vinifié rapidement, en fermentaire, sortie début décembre. 63450 Le Crest
C’est un 100 % gamay très frais, sur le fruit, léger. GPS : 45.687598 / 3.126410

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
Votre saison ? La fin de l’été, Un souvenir de dégustation ? Un restaurant
c’est le seul moment de l’année, Mon premier employeur a eu qui vous fait rêver ?
avant les vendanges, où j’ai une un jour l’ambition de faire Le Crillon, à Paris.
semaine pour moi, où je peux dans l’Hérault des vins à
disposer de mon temps. Un vigneron que vous
100 dollars ! Pour se faire une
aimeriez rencontrer ?
idée plus précise du chemin
Vous êtes plutôt blanc Bernard Hudelot, au Château
ou rouge ? Rouge. à parcourir, il a été acheter
de Villars-Fontaine
plein de bouteilles à ce prix
Vous êtes plutôt gamay en Bourgogne.
et on les a toutes ouvertes !
ou pinot ? Gamay. Un rêve que vous
La bouteille de vin
Un cépage inattendu que aimeriez réaliser ?
d’Auvergne que vous auriez
vous aimeriez travailler ? Mon chai !
aimé signer ? Impromptu,
Marsanne. de Desprat Saint Verny. Si vous n’aviez pas été
La bouteille que vous vigneron ?
Un plat qui vous fait saliver ?
emmèneriez sur une Si je ne suis pas sûr de savoir
La tête de veau.
île déserte ? Domaine bien faire le vin, je suis sûr
Haut-Blanville 1998, un des Un accord met vin insolite ? que je ne saurais rien faire
premiers vins que j’ai vinifié, Un vieux Banyuls sur un d’autre. Peut-être aurais-je
il y a longtemps, il m’en roquefort (même si c’est été dans le secteur des
reste 2 ou 3 en cave ! moins inattendu aujourd’hui !) eaux et forêts.

Vins d’Auvergne et du Massif central


37
YVAN BERNARD
Montpeyroux

LE VIGNERON MILITANT

Y
van est un homme qui gagne à être connu. En 2004, Yvan loue un appartement à Montpeyroux. Le
Si la première rencontre peut s’avérer austère maire veut réinstaller une activité vigneronne dans le
et difficile, l’homme se révèle vite un vigneron village, comme témoin du passé, et pour accompagner
accompli, engagé dans le renouveau du le regain d’attractivité touristique du village qui vient
vignoble, un compagnon sincère dans ses choix, ses d’être reconnu « Plus beau village de France ». Il propose
amitiés, ses combats. Vigneron par conviction tardive, de lui mettre à disposition un chai, en plein centre, et
Yvan a longtemps fait des vins à son image, brut de décof- quelques arpents de terre en contrebas. Ce sera le début
frage, qui s’apprivoisent doucement. Puis, il s’est laissé d’une activité plus structurée, plus organisée.
progressivement emporter par la tendance au renouveau
Yvan entreprend d’étoffer son domaine, remembre,
des vins, à l’attente plus exigeante des clients envers les
rachète, replante. La surface viticole monte rapide-
vins du cru. Il a cherché à maîtriser ses jus, arrondir les
ment jusqu’à 8 hectares, ce qui est conséquent dans la
angles, jouer des sensibilités des terroirs pour installer
région. De 2005 à 2009, Yvan investit, agrandit, s’endette.
une patte unique et recherchée.
L’entrepreneur s’émancipe à côté du vigneron qui revoit
Rien ne prédestinait réellement Yvan à faire du vin, issu ses gammes pour satisfaire une clientèle différente,
d’une famille terrienne et ouvrière. Il veut se spécia- plus curieuse.
liser dans le commerce des vins et spiritueux. Toutefois
Lui qui a toujours préféré le travail au chai à celui de
l’idée de passer sa vie à vendre le vin des autres ne le
la terre, faire le vin plus que la vigne, va commencer à
branche finalement pas tant que ça ! Le virus commence
préciser sa patte, sa signature. Longtemps il a préféré
à faire son chemin et il bascule sur un troisième BTS, en
s’effacer derrière le vin, juste l’accompagner, lui donner
œnologie cette fois.
du muscle et du caractère. Maintenant, il cherche plus
Sans trop d’expérience, plus pressé de se confronter qu’il ne le faisait au départ à mettre en valeur les carac-
à la réalité du métier que de chercher à expérimenter téristiques de chaque parcelle, à différencier les cuvées,
ses connaissances universitaires dans le domaine d’un à faire ressortir la finesse et l’élégance des crus.
autre, Yvan s’interroge très tôt sur le lieu d’atterrissage
Cette évolution du travail au chai constituera les prémices
idéal pour poser ses valises et planter ses premiers ceps.
d’une autre grande révolution, dans les vignes cette
S’installer en Auvergne à cette époque est plus simple, fois. La naissance de sa fille en 2008 lui fait prendre
moins risqué. L’investissement de base est modeste, le conscience de sa responsabilité, lui rappelle l’impérieux
champ des possibles vaste, tout est à reconstruire, et besoin d’être en accord avec soi-même. Il constate tous
on n’est pas sous les feux de la rampe. Le retour à la les jours les effets du dérèglement climatique, qui se
terre sera donc aussi le retour à la maison ! Il trouve traduit par des événements plus fréquents et violents,
en 2001 ses premières vignes à Corent, alors qu’il est qui s’accompagne d’une perte des repères traditionnels
encore étudiant, et s’essaye au métier à temps partiel. qui rythmaient le travail des paysans !
En 2002, Benoît Montel qui avait commencé quelques
Pour mettre en cohérence ses idées et ses actes, il
années plus tôt cherche à recentrer son activité sur le
s’engage dès 2009 dans la conversion bio et promeut ce
nord du département, Yvan lui reprend quelques vignes.
type d’agriculture. Le mouvement est compliqué dans un
Il se fait prêter un chai à Authezat pour les premières
environnement céréalier qui reste très conventionnel où
vinifications, adhère à la CUMA pour partager du matériel.
la cohabitation est parfois houleuse. Il partage ce combat
Ce sont les années d’insouciance où l’on avance avec ce avec les copains, Jean-Pierre Pradier et Gilles Persillier,
qu’on a, où l’on produit comme on peut, où l’on avance qui se sont engagés sur la voie en même temps que lui
parce qu’on ne peut pas rester en place ! et ils s’entraident.

Vins d’Auvergne et du Massif central


39
Cette décision a des conséquences majeures, immé- Verny. Même si les tailles varient et que les critères
diates. La manière de travailler change du tout au tout, sont différents, chacun participe d’un résultat commun.
la manière d’être aussi, car c’est une posture du quoti-
L’avenir passe par là, et par quelques projets, plus propres
dien qui s’installe. L’acte est militant mais s’avère un
à son activité. Yvan envisage de construire un chai plus
excellent choix commercial. Le stress change de camp
spacieux, plus fonctionnel, au pied du village, car le
et les clients affluent. Le label bio est porteur et facilite
bâtiment municipal qu’il utilise aujourd’hui est devenu
le développement de l’activité !
très étroit pour les volumes qu’il traite. Il veut aussi
Militant de la première heure, Yvan est naturellement planter plus de vignes pour atteindre une taille critique
engagé dans les instances professionnelles, et s’emploie qui permette d’assurer la pérennité économique de
à porter les couleurs du monde paysan. Il est actif au l’activité, de le mettre plus à l’abri des aléas climatiques.
sein des vignerons indépendants, et préside depuis 2015 Il a démarré une activité de négoce, au début pour faire
l’AOC Côtes d’Auvergne, le syndicat chargé de la défense face à la perte d’une grande partie de la récolte, suite
de l’appellation. Il a été porte-parole de la Confédération aux épisodes de gel de 2016 et permettre de continuer
paysanne de 2014 à 2017 et siège toujours à la SAFER à faire un peu de vin.
pour défendre les intérêts des vignerons et aider à l’ins- Il continue aujourd’hui pour accompagner le dévelop-
tallation de nouveaux venus comme à la transmission. pement économique de son activité et soutenir les
Cet homme plutôt solitaire à la base a curieusement du investissements nécessaires à venir. Il achète des
mal à rester seul. Il s’anime dès qu’on parle des copains, raisins dans la région, de beaux gamays issus de vieilles
vignerons, avec qui on partage le coup et les quilles du vignes à Boudes, mais aussi en Loire – toujours des
fond du chai. Il se rend bien compte qu’on ne peut pas gamays – pour faire une cuvée à l’étiquette embléma-
tout faire tout seul. Du coup, il a recruté récemment tique, banlieue rouge…
une « équipière » en CDI qui l’aide au quotidien et avec Yvan ne craint pas grand-chose, si ce n’est l’accéléra-
laquelle il peut échanger. tion des incertitudes climatiques et des aléas impos-
Avec le recul, il porte un regard lucide et plein d’espoir sibles à gérer, aux impacts de plus en plus sensibles. Il
sur les vins d’Auvergne, conscient des progrès réalisés pressent aussi l’émergence de nouvelles maladies de la
et du potentiel qui reste à révéler. Il note ce qui a été vigne, qu’il faudra apprendre à traiter. Le reste ce n’est
fait en une seule génération. Il y a aujourd’hui une que du bonheur, celui de faire du vin, de le boire avec
réelle identité auvergnate totalement assumée, avec les amis, et de refaire le monde à la veillée !
laquelle on peut jouer, construire, avancer. Cette recon-
naissance permet aujourd’hui plus d’audace. Il y a LE DOMAINE
une clientèle nouvelle qui adhère, qui reconnaît notre Le domaine s’étend aujourd’hui sur environ 8 hectares,
travail, nos évolutions, et qui nous soutient, des gens répartis sur trois secteurs assez proches. Il faut ajouter
qui sont fiers de boire nos vins et le revendiquent ! Le à ces vignes une activité d’achat de raisin, récente, qui
côté militant n’est jamais loin. Yvan considère que ce complète la production à hauteur de 20 %. Les parcelles
combat de la reconnaissance, cet objectif d’être consi- les plus proches, sur les terrasses de Montpeyroux, font
déré comme une région viticole à part entière est un de l’ordre de 3 hectares, plantées essentiellement en
combat de tous, vignerons indépendants en appella- gamay, pinot et un peu de syrah. Les sols sont ici parti-
tion, vignerons natures, qui sont nombreux ici, et coopé- culiers et uniques, avec ce revêtement d’arkose, très
rateurs regroupés derrière la maison Desprat à Saint coloré, amalgame de granit décomposée avec le sous-sol
calcaire. Il reste encore sur ce site remarquable quelques
arpents à planter, qui jouxteront le futur chai !

Vins d’Auvergne et du Massif central


40
Y VA N B E R N A R D

C’est à Corent qu’Yvan a encore le plus de vignes, avec de fraîcheur et une belle acidité. Ce sont des vins assez
4 hectares de gamay, pour le rosé bien sûr, mais aussi pour tendus, droits, avec peu de gras, un peu atypiques pour
faire du rouge en AOC Côtes d’Auvergne. C’est là aussi des chardonnays du cru.
qu’il exploite l’ensemble de ses vignes en chardonnay. Les
Deux cuvées composent la gamme de rosés. D’abord
sols sont exclusivement volcaniques, avec ces fameuses
Corent, bien sûr, le bien nommé en appellation. Issu de
pouzzolanes à l’est, des basaltes sur calcaire au sud,
terres en pouzzolane, 100 % à base de gamay, c’est un
pour les chardonnays, et du basalte pur au nord. Enfin,
rosé plutôt coloré, presque forcé, avec un joli compromis
à La Sauvetat, il a regroupé ses principaux pinots sur un
entre le gras et l’acidité. Ils sont vinifiés en pressurage
hectare de belles terres argilo-calcaires. Ces parcelles
direct, avec une très courte macération.
acquises au fil du temps, sont majoritairement compo-
sées de très vieilles vignes ; les plus anciennes datent Arkose est un rosé plus vineux, à la robe plus intense,
de 1941, et beaucoup ont été plantées dans les années façon clairet. Yvan assemble les petites parcelles du
60. Enfin, quelques parcelles sont plus récentes et ont village, avec du gamay et de la syrah, pour faire un vin
été plantées par Yvan. L’ensemble est donc très hétéro- de copain, un rosé de pays, facile à boire à tout moment,
gène et reste difficile à exploiter au quotidien. et pas qu’en été !
Le chai installé dans un bâtiment de centre-ville témoigne Enfin, la gamme de rouges se décompose autour de
du développement de l’activité depuis quelques années.Il quatre identités assez différentes.
a fallu pousser les murs pour installer les cuves en fibre
La cuvée phare, d’abord, avec Les Dômes, en Côtes
en nombre suffisant, et jongler pour pouvoir garder un chai
d’Auvergne, qui est un assemblage gamay à 80 % et pinot.
à barrique pour quelques élevages en bois de plusieurs
Cette cuvée s’est affirmée en même temps qu’elle s’est
années. Yvan est à l’étroit et s’imagine déjà dans son
assagie au fil du temps. Le style est plus net, précis, Yvan
nouveau chai, à quelques encablures. Les vendanges
va rechercher le fruit, la légèreté. Il a travaillé la saveur
sont mécaniques pour partie, manuelles là où ce n’est
avec un vin plus gouleyant, plus accessible. Les gamays
pas envisageable, du fait de la topologie ou de l’âge et la
viennent de Corent, ils apportent de l’épice, des notes
configuration des vignes. Le tri est fait avant vendange,
poivrées mais aussi beaucoup de fruit. Pour ne pas trop
sur pied. L’égrappage est partiel et Yvan fixe le pourcen-
structurer ses vins, Yvan enlève les presses, raccourcit les
tage de vendange entière qu’il incorpore chaque année,
cuvaisons. Les pinots sont choisis en fonction des objec-
un peu au feeling, en fonction de la tendance qu’il veut
tifs d’assemblage chaque année, ils viennent apporter un
donner à ses vins. Les vins sont à près de 70 % commercia-
peu d’équilibre, de densité.
lisés auprès de professionnels, restaurateurs ou cavistes.
Cette clientèle s’est étoffée mais surtout délocalisée, Petrosus est la cuvée 100 % pinot, un peu la signature
Yvan n’est plus prophète qu’en son pays, et pose désor- d’Yvan. Les raisins issus de terroirs argilo-calcaires sont
mais ses vins un peu partout en France. La localisation égrappés, restent 3 semaines en cuve, puis sont élevés
particulière du chai, dans un village classé, à quelques 10 mois en barrique. Le fût ne vient pas apporter du bois,
encablures de la sortie d’une autoroute très passante, il y a d’ailleurs très peu de bois neuf, mais de la structure.
facilite en parallèle la venue d’une clientèle particulière Taillés et ciselés pour durer, ce sont des vins au potentiel
qui représente près de 30 % des ventes aujourd’hui, avec de garde réel, qu’il faut savoir attendre.
une belle fidélisation, comme en témoigne le succès des
Arkose est le pendant de Petrosus, cuvée 100 % à base
cuvées « de négoce ». L’export reste encore marginal.
de gamay issu de vieilles vignes du village, au rendement
plus faible, à la maturité plus tardive et poussée. Les cuvai-
LES DIFFÉRENTES CUVÉES
sons sont de l’ordre d’un mois, avant un vieillissement en
Fiche de dégustation foudre. Les vins sont plus concentrés, plus épicés, avec
des notes de fruit noir écrasé, qui parfois justifient une
En blanc, Yvan propose Oppidum, sa seule cuvée 100 %
aération préalable à la dégustation, pour laisser s’épa-
chardonnay. Les raisins sont ramassés sur des sols de
nouir les arômes sans qu’ils soient trop agressifs.
calcaire et de basalte. Les jus sont vinifiés avec des levures
indigènes, les fermentations durent 3 à 4 semaines, pas Enfin, Yvan propose une cuvée en 100 % syrah, sur une
de malo, et élevage en cuve pendant 6 à 8 mois. Les vins vigne plantée en 2004, sur les terrasses du village, qui
ont un côté plus minéral et sec, ils présentent beaucoup donnent leur nom à la bouteille. Les cuvaisons sont plus

Vins d’Auvergne et du Massif central


41
Y VA N B E R N A R D

longues encore que les gamays, jusqu’à 5 à 6 semaines, Il se rappelle aussi du Petrosus 2009, la première année
et l’élevage se fait aussi en vieux fûts. Loin des syrahs où il se lance vraiment dans la production d’un 100 %
du sud, Les Terrasses ont un côté aérien avec des notes pinot. Les premières impressions en cuve sont catastro-
florales assez délicates ! phiques, le vin semble imbuvable ! Pierre Sucheyre lui
conseille pourtant de l’oublier, de ne rien faire si ce n’est
LA BOUTEILLE PHARE laisser faire le temps et la nature. Quelques mois plus
selon le vigneron tard, surprise, les dégustations des premières bouteilles
sont divines ! Il a le regret aujourd’hui de les avoir vendues
Il est toujours difficile de choisir et de limiter une vie de trop vite, de ne pas en avoir gardé suffisamment tant il
travail à un seul flacon, Yvan citera sa première bouteille se régale quand il lui arrive d’en ouvrir une !
de Corent en 2001, à l’époque en rouge (l’appellation
Corent est aujourd’hui exclusivement réservée aux vins 04 73 55 31 97
rosés). Une cuvée qui n’existe plus mais qui reste son
premier ouvrage ! Rue de la Quye, 63114 Montpeyroux
GPS : 45.623727 / 3.203107

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
Votre saison ? Chassagne-Montrachet, c’est toujours un
Plus qu’une saison, un moment grand moment et de belles découvertes.
de l’automne, quand les vendanges J’ai aussi en mémoire une incroyable
se terminent. C’est pour moi la période verticale chez Dujac à Morey-Saint-Denis !
la plus stressante, quand on rentre
La bouteille de vin d’Auvergne
en quelques jours le travail de l’année,
que vous auriez aimé signer ?
que tout se joue.
Les Grandes Heures de Bernard Boulin.
Vous êtes plutôt blanc ou rouge ?
Les deux… mais s’il faut vraiment choisir, Un plat qui vous fait saliver ?
plutôt blanc, in fine. Le chou farci.
Vous êtes plutôt gamay ou pinot ? Un accord met vin insolite ?
Pinot, historiquement, c’est la première Un repas entier au champagne.
chose que j’ai bue, à la maison, pendant
Un restaurant qui vous fait rêver ?
mes études à Beaune, ça m’a marqué,
Pas de désir particulier d’aller dans
même si je fais aujourd’hui beaucoup
tel ou tel grand, ou alors tous !
plus de gamay !
Non, je rêve plutôt du prochain petit
Un cépage inattendu que vous aimeriez boui-boui qu’on va découvrir avec les
travailler ? copains, et la surprise du bon moment
Je n’ose pas sortir des standards, qu’on va y passer.
mais je rêverais de pouvoir travailler
le riesling, mon cépage préféré. Un vigneron que vous aimeriez rencontrer ?
Lalou Bize-Leroy.
La bouteille que vous emmèneriez
sur une île déserte ? Un rêve que vous aimeriez réaliser ?
Un Saint-Joseph, L’Olivaie du domaine Petit je rêvais de pouvoir faire
Coursodon. le Tour de France à vélo.
Un souvenir de dégustation ? Si vous n’aviez pas été vigneron ?
Les virées en Bourgogne avec les copains, Prof peut-être, j’aurais été de toute
quand on s’arrête chez Lamy-Pillot à façon malheureux !

Vins d’Auvergne et du Massif central


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ANNIE SAUVAT D O M A I N E S A U VA T
Boudes

UNE FEMME D’INFLUENCES

Q
uand on commence à connaître Annie et que et fixe un cap. Elle va investir massivement, s’agrandir,
la retenue toute professionnelle laisse place s’équiper, et commercialiser avec brio ses vins.
à une certaine confiance, ou tout du moins
Michel prend ses marques au chai, Annie s’engage
connivence plus familière, on perçoit mieux
localement pour animer la filière, préempte le domaine
l’étincelle qui fait vibrer cette femme venue
commercial… et Claude, avec sagesse et confiance, suit,
au vin par filiation, vigneronne un peu par hasard, mais qui
conseille, discute, échange. Attentif à voir sa fille et son
ne boude pas, aujourd’hui, son plaisir d’en avoir fait son
gendre s’implanter, il accompagne avec bienveillance les
métier, et de produire de beaux vins sur sa terre natale.
nouvelles idées qu’apportent les jeunes et s’inscrit dans
Annie a eu la chance de naître sur le vignoble, et de cette dynamique de changement et de développement.
découvrir ce travail de la vigne et du vin auprès de Claude
Sauvat, un père passionné et passionnant, curieux autant La foi chevillée au corps, seule femme vigneronne à
d’apprendre que de transmettre. C’est peut-être ainsi, l’époque dans la région, Annie se lance dans cette vie avec
sans idée préconçue et avec pour seul repère ce souci de beaucoup d’énergie et quelques convictions. Il y a bien sûr
comprendre, qu’Annie a choisi de faire d’abord des études l’idée de faire des vins qualitatifs, de donner un style qui
d’œnologie, à Mâcon-Davayé. Mais l’idée à cette époque témoigne du potentiel de la région, alors que rares sont
n’était pas tant de revenir sur la propriété familiale que ceux qui y croient à cette époque. Guidée par ses goûts
d’acquérir une base solide sur le métier et plus largement personnels autant que par son intuition de l’évolution
le secteur de l’œnologie. Dans son projet, à l’époque, du marché, Annie choisi de faire des vins qui s’effacent
l’œnologie est le domaine de connaissance mais c’est derrière le terroir et témoignent de sa typicité, des vins
bien le marketing qui est l’expertise recherchée ! Et très qui soient remarqués mais pas marqués !
vite d’ailleurs, Annie part sur le campus d’HEC à Jouy-en- Sous influence de monsieur Vincent, propriétaire du château
Josas pour se former à la communication et au marke- de Fuissé, son professeur d’œnologie à Davayé, Annie veut
ting, avec l’idée de rejoindre une interpro ou une grande faire des blancs et sera la première à réintroduire des
maison, pour faire parler le vin ! chardonnays dans la région. La première aussi à choisir
Au début de ces années d’études, elle rencontre Michel, qui un élevage en barrique, non pas pour donner du bois, de
suit le même parcours, à Mâcon puis à Paris et deviendra la puissance, pour marquer les jus ou pour bodybuilder
son mari. Ensemble, ils font finalement le choix de devenir des flacons indigents, mais pour aller chercher de l’élé-
vignerons et c’est tout naturellement qu’ils viennent s’ins- gance, de la finesse, un peu de structure. Si les blancs ne
taller à Boudes. Annie s’associe avec son père, en créant représentent que 10 % des volumes, c’est pourtant cette
en 1987 un GAEC pour reprendre mais surtout développer patte sur les chardonnays qui a fait connaître le domaine
l’activité historique du domaine. Avec l’aide de son mari, et impose son image. C’est ainsi qu’Antheus est vraiment,
qui prend les rênes du chai, sous le regard du père qui ne depuis plus de 30 ans, la cuvée signature des Sauvat.
lâche rien, bien trop amoureux de son métier, mais qui sait
Des années passées à apprendre le marketing, Annie a gardé
se mettre au service des jeunes et en retrait quand il faut
une vision et une appétence pour l’image, ses étiquettes
les laisser avancer, ils vont poursuivre l’œuvre entamée
portent un discours, un langage, une promesse. Il y a eu
dans les années 70. Toujours fidèles aux choix d’origine,
longtemps cette vision d’une campagne en marche, qui
ils écrivent, à trois, une nouvelle page du domaine.
évoque certainement le chemin vers la reconnaissance,
Très tôt portée par une vision, avec l’ambition de faire et aujourd’hui s’affirme une élégance tout en nuances,
reconnaître par le plus grand nombre la qualité crois- avec un parti pris de sobriété. La modernité des premières
sante des vins du cru, Annie met des mots sur les images « mises en pages » laisse le pas désormais à un certain

Vins d’Auvergne et du Massif central


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D O M A I N E S A U VA T

classicisme, la marque est positionnée, reconnue par Tout à cette préoccupation, elle évoque avec une forme
les adeptes, s’impose simplement. Il faut un écrin chic. de nostalgie les idées qu’elle n’a pas pu mettre en œuvre,
des envies de cépages, de flacons, qui resteront dans
Ainsi la gamme se veut toujours très lisible et cohérente.
son imaginaire… Le travail quotidien est suffisamment
Qu’il s’agisse des blancs, des rosés, ou des rouges, aussi
prenant pour bien faire l’essentiel et la vie de vigneron
bien les pinots que les gamays, l’offre est constituée de
est trop courte pour réaliser tous ses rêves !
deux cuvées, une entrée de gamme bien faite et plus
facile à boire, et une cuvée phare, plus travaillée, élabo-
rée, à laisser évoluer. S’y ajoutent naturellement au fil des LE DOMAINE
saisons quelques cuvées originales, qui rythment l’his-
toire du domaine et montrent à découvrir le travail des Le domaine fait aujourd’hui 11 ha. Il est majoritairement
vignerons qui œuvrent ici ! planté en gamay, sur 6,5 ha, que complètent 3,5 ha de
pinot noir. Enfin, les chardonnays, pourtant signature des
La réussite passe par une bonne implantation dans les Sauvat dès les années 80, représentent à peine un hectare.
circuits professionnels et notamment la restauration.
Avec l’appui de Michel Mioche, emblématique proprié- L’essentiel du vignoble est donc planté en cépages du
taire de l’hôtel-restaurant Radio sur les hauteurs de cru, en cépages « autorisés », même si Annie, Claude et
Clermont-Ferrand, et séduit par les vins du domaine, les Michel ont un temps voulu s’essayer à des diversifica-
Sauvat sont vite remarqués par les Toques d’Auvergne, tions et ont planté il y a quelques années des cépages
ce qui assure débouché et notoriété locale. inhabituels pour la région, comme des syrahs, ou des
viogniers… Si ces expériences n’ont pas forcément eu les
Très tôt Annie s’est engagée dans les instances profes- résultats escomptés et ont rapidement tourné court, il
sionnelles et a pris sa part du travail collectif pour faire reste encore aujourd’hui de cette époque quelques raies
bouger les lignes, reconnaître l’appellation. Elle crée sur une parcelle à l’arrière de la maison. Ces rares raisins
avec Michel en 1988 la branche auvergnate des vigne- sont vinifiés pour le seul usage et plaisir de la maisonnée
rons indépendants, regroupant les aînés pour donner et des amis qui sont invités à partager ces bouteilles « de
un élan collectif. derrière les fagots ». On ressent aussi un certain regret
Annie comprend aussi le potentiel touristique de la qu’exprime Annie quand elle en parle, elle qui aurait aimé
région et le bénéfice qu’elle peut en tirer. Claude déjà pouvoir ajouter ces cuvées originales à sa gamme déjà
avait su fidéliser une clientèle de particulier qu’il fallait large et donner à voir et à goûter une plus large palette
développer. L’attractivité du territoire et le développe- de son domaine.
ment du tourisme des campagnes justifie la création d’un Plutôt rare dans la région, le domaine Sauvat apparaît
vaste espace de réception, pour vendre à la propriété. relativement concentré, sur l’appellation Boudes, avec
D’ailleurs, dans cette même logique, Annie cherchera à des vignes sur les deux principaux coteaux, de Boudes
s’inscrire dans la récente dynamique de l’œnotourisme et de Bard, sur des sols essentiellement argilo-calcaires,
pour y trouver un nouveau relai de croissance et de typiques de l’appellation. Les vignes sont exposées
débouché pour ses vins. sud/sud-est, plantées dans le sens des pentes sur des
parcelles relativement escarpées, exigeantes. Toutes
Ces dernières années, Michel s’est éloigné. Annie doit plus
les parcelles sont enherbées depuis plus de 20 ans pour
définir et imposer sa marque, sa vision que l’on retrouve
retenir au maximum la terre.
dans des cuvées comme Petite Folie ou Météor qui vient
de gagner une médaille d’or au Concours Général Agricole. Si le mode d’agriculture est resté conventionnel, avec
une réflexion permanente pour des usages raisonnés
Alors que Claude est toujours présent, à plus de 80 ans,
des intrants, les normes HVE commencent à être mises
la troisième génération ne se destine pas à poursuivre
en place progressivement.
l’aventure. Avec ce regret de ne pas pouvoir transmettre
le domaine à ses filles, Annie doit désormais songer à Un gros travail a été fait pour disposer d’un outil de
l’avenir pour pérenniser le potentiel de ce vignoble, qui travail performant et vaste, le chai a été construit dans
est dans l’air du temps avec des vins tout en fraîcheur et sa forme moderne dès l’arrivée d’Annie et de Michel sur
qui s’imagine un avenir unique avec la signature « vins le domaine Il a été largement agrandi quelques années
volcaniques ». Mais ce sera l’œuvre de son successeur ! plus tard. Il est entièrement équipé en cuves inox, pour

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D O M A I N E S A U VA T

accueillir une vendage manuelle, triée sur pied, égrap- Avec un choix historique et toujours assumé de proposer
pée pour les rouges. Un beau chai à barriques accueille exclusivement des cuvées en monocépage, les rouges se
les vins pour le vieillissement, des blancs et quelques déclinent en deux appellations. Les gamays sont identi-
cuvées de rouges avec un choix particulier de travail- taires pour le cru local, appellation à part entière, Boudes,
ler en fûts de 300 litres depuis la campagne 2000. On alors que la typicité particulière des pinots noirs s’exprime
recherche notamment pour les blancs une belle acidité en IGP Côtes d’Auvergne.
et fraîcheur plus qu’un côté beurré, tout en renforçant
On trouvera ainsi, selon les années, la quantité produite,
leur potentiel de garde. Les rouges sont très identitaires
la qualité particulière de telle ou telle parcelle, la capacité
de l’appellation, avec beaucoup de finesse, de rondeur,
à isoler des jus, les cuvées phares et des productions plus
d’élégance et peu d’aspérité.
atypiques ou circonstancielles.
On trouve à côté un bel espace de dégustation, témoin
Trois ou quatre cuvées différentes composent la gamme
de l’activité importante avec les clients particuliers, qui
des gamays.
viennent au domaine depuis longtemps. Claude avait déjà
eu cette intuition de vendre en bouteille et de constituer Demoiselles est la cuvée d’entrée de gamme, un vin
une clientèle de particuliers, nombreuse et solide. Et puis frais, vinifié en cuve, sur le fruit, avec de la fraîcheur
le chai est situé sur une zone touristique, la vallée des mais peu de matière.
Saints, qui attire les marcheurs.
Origine est une cuvée parcellaire, également élevée en
Aujourd’hui cela représente plus de 30 % des ventes, le cuve, mais qui bénéficie d’une macération plus longue,
reste étant distribué auprès des cavistes et des hôtels- plus soutenue, pour extraire plus de terroir. Les vins sont
restaurants, de la région, mais aussi sur Lyon, en Bretagne plus structurés, avec des notes d’épices et de fruits rouges.
et à Paris où Annie a l’habitude de faire des salons et
Enfin, Météor, avec toujours plus de macération, mais
d’aller à la rencontre d’une nouvelle clientèle. L’export
toujours uniquement en cuve, est une cuvée très plaisante,
reste très marginal.
avec des aromatiques plus développées, des expressions
gourmandes au nez et en bouche, et beaucoup d’élégance.
LES DIFFÉRENTES CUVÉES
Fiche de dégustation Les bonnes années, quand la qualité de quelques vignes
surnage le reste de la production, les Sauvat s’amusent à
La gamme est étendue, avec un constant travail de mise travailler les vins plus longuement, et réservent quelques
en avant des parcelles, des cépages, des cuves, travail- barriques pour donner un côté plus racé et structuré, que
lées séparément pour proposer des approches diffé- l’on retrouve avec la cuvée Argile.
rentes, complémentaires, mais toujours représentatives
Côté pinot noir, on retrouve, comme pour les blancs et
de l’appellation.
les rosés, l’idée de proposer deux cuvées contrastées.
Les blancs qui ont imposé la marque Sauvat dans le Coquines est le vin de copain, le pinot toute en légèreté,
paysage auvergnat se déclinent en deux cuvées. Il y a élevé en cuve. Un vin canaille pour se faire plaisir sans
bien sûr Anthéus, la marque de l’élégance des chardon- se faire mal.
nays auvergnats, un vin de garde, vinifié en barrique,
Nymphéa, constituée à partir des meilleures parcelles,
aux arômes complexes, à la robe soutenue, à la bouche
avec des jus élevés en barrique, est la cuvée où s’exprime
généreuse. L’expression des chardonnays est identitaire,
l’élégance des Sauvat, avec de beaux arômes plus mûrs,
travaillée, précise.
plus confits. Un vin tout à la fois fragile et puissant, où la
Et il y a Indigène, une cuvée plus en facilité, en légèreté, finesse ressort jeune et l’élégance après quelques années.
vinifiée en cuve, avec des notes plus agrumées, plus
On peut enfin citer, pour l’anecdote, des cuvées éphémères,
fraîches, plus éphémères.
des vins de vignerons, selon les années, les envies, avec
On trouve la même dichotomie sur les rosés, avec une par exemple un travail très original de gamay sur paille,
cuvée plus caractéristique de la région, un vin assez sec, ou des chardonnays liquoreux. Ils témoignent d’un savoir-
en fraîcheur, en finesse, et une cuvée plus tendre, avec faire et d’une forme d’espièglerie. Curiosités à goûter si
plus de sucrosité, plus généreuse. l’occasion vous en est donnée !

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D O M A I N E S A U VA T

Vins d’Auvergne et du Massif central


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D O M A I N E S A U VA T

LA BOUTEILLE PHARE avec beaucoup de puissance, d’ampleur, de matière. Un


selon le vigneron vin qui ne ressemble pas aux vins d’ici et que certains ont
vite confondu avec un Pic-saint-Loup ! Un vin d’où ressort
Quand on demande à Annie sa cuvée phare, elle pense
la patte du vigneron plus que le terroir où il a été produit.
d’abord à la cuvée Anthéus, au travail sur les chardonnays
Un vin d’ailleurs…
qui caractérise ces 30 années de travail, qui signe l’iden-
tité propre du domaine et qui témoigne encore aujourd’hui
de la reconnaissance au professeur et mentor qui les a
accompagnés, tout au début, à l’école du vin ! Les blancs 04 73 96 41 42
sont la marque distinctive des Sauvat !
En creusant un peu, un souvenir très particulier revient, www.sauvat-vins.com
celui de la cuvée Mythique 2005, c’est son nom mais aussi
Route de Dauzat, 63340 Boudes
visiblement son caractère pour Annie. C’est une bouteille
GPS : 45.461086 / 3.182248
rare et très atypique, un gamay vieilli en barrique neuve,

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
Votre saison ? La bouteille de vin d’Auvergne
L’hiver, on est tranquille dans nos vignes, que vous auriez aimé signer ?
on peut se recentrer sur soi. Le Sang des volcans de Benoît Montel
Vous êtes plutôt blanc ou rouge ? (mais j’ai aussi une pensée pour un superbe
Les deux ! Joker ! châteaugay 2018 de Stéphane Bonjean).

Vous êtes plutôt gamay ou pinot ? Un plat qui vous fait saliver ?
Pinot noir. Saint-Jacques cuisinées au vin de paille
Un cépage inattendu que vous aimeriez (maison, à base de gamay).
travailler ?
Un accord met vin insolite ?
La syrah, j’ai essayé il y a quelques
Poisson beurre rouge avec un pinot.
années, mais mal conseillée sur les
greffons, ça n’a pas été concluant. Un restaurant qui vous fait rêver ?
Si j’avais le temps et si c’était à refaire,
Guy Savoy.
je recommencerai aujourd’hui.
Un vigneron que vous aimeriez rencontrer ?
La bouteille que vous emmèneriez
sur une île déserte ? Pierre Gaillard, en Côte-Rotie.
Un liquoreux de Loire, Bonnezeaux Un rêve que vous aimeriez réaliser ?
ou Quarts-de-chaume.
Avoir du temps pour voyager, et voir
Un souvenir de dégustation ? des expositions d’art contemporain.
À l’invitation des vins du Jura,
une dégustation de vin jaune Si vous n’aviez pas été vigneron ?
exceptionnelle, beaucoup de flacons, Un métier artistique, créatif, dans
et énormement d’émotion. l’événementiel peut-être.

Vins d’Auvergne et du Massif central


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PIERRE DESPRAT D E S PR AT S A I N T VE R N Y
Veyre -Monton

LE LÉGENDAIRE

S’
il est un homme qui personnifie l’appellation, d’information par son grand-père, en présence de son père
c’est bien Pierre Desprat. À la tête d’une entre- et de son oncle. Là, à la surprise générale, le patriarche
prise familiale cantalienne de distributeur et annonce sa décision : ce sera à Pierre, qui ne s’y attend
grossiste en vin, il s’est petit à petit imposé pas, de reprendre l’entreprise. Ce sont des décisions qui
dans le paysage auvergnat en même temps qu’il s’est fait ne se discutent pas, fils ou petit-fils s’exécutent, même
à l’idée de passer de l’autre côté du miroir et de devenir si le principe laisse amer la génération oubliée et Pierre
vigneron lui-même. L’homme voit les choses en grand, et se met à l’ouvrage ! Très vite, avec l’enthousiasme de
avec l’acquisition de l’ancienne cave de Saint Verny, il met la jeunesse, et déjà un réel talent d’entrepreneur, il va
aujourd’hui en bouteille et en marché près de la moitié profondément réformer l’entreprise, remettre de l’ordre
des vins produits dans le Puy-de-Dôme. dans son fonctionnement, réorienter son activité, trouver
et fidéliser de nouvelles compétences. En parallèle, il se
Il y a aussi la volonté d’être celui par qui le vignoble auver-
forme au vin, avec Jean Lenoir, qui lui apprend à déguster,
gnat retrouvera son rang et sa noblesse ! Altruisme, égo
à assembler. Pendant 30 ans, il développera ses propres
démesuré, destin, boulimie, chacun y verra des motiva-
marques et aussi une grosse structure de négoce, qui
tions différentes et contradictoires. Lui a les siennes,
alimente les bars et restaurants de la région, mais aussi
assurément, et il faut chercher dans l’étiquette de La
du grand Paris, où les Auvergnats ne sont jamais loin.
Légendaire, sa cuvée iconique, le regard du grand-père
tutélaire pour mieux les percevoir. Entrepreneur dans l’âme, il bâtit un petit empire local.
L’entreprise se développe, s’étend. Acteur incontour-
L’entreprise Desprat « fait » du vin ici à Aurillac depuis
nable du négoce auvergnat, de Saint-Pourçain aux Côtes
1885, ce qui en fait la plus ancienne entreprise canta-
d’Auvergne, il développe aussi une « carte » qui représente
lienne, et avec Pierre, ce sont cinq générations qui s’y
l’ensemble du vignoble français. Il devient un partenaire clé
sont croisées et succédées.
pour de nombreux cavistes, restaurateurs, commerçants
Quand Pierre se raconte, tout commence et tout revient de la région. Cette région Auvergne qui est le berceau de
aux nombreux moments passés avec son grand-père, dont la famille représente encore aujourd’hui plus de 50 % de
on comprend l’importance et l’emprise encore aujourd’hui. son bassin de chalandise. Opportuniste, il s’appuie sur des
Il y a cette figure du patriarche, celui que l’on aime autant hommes proches pour reprendre une vieille distillerie, la
que l’on admire, que l’on craint aussi certainement, parfois. maison Couderc, avec Jean-Jacques Vermeersch, avec qui
Il y a cet homme qui vous met sur le chemin, vous accom- il lancera plus récemment une brasserie, ou assurer un
pagne toujours et qu’on ne peut pas décevoir ! avenir au domaine, quand il s’associe avec Pierre Goigoux.
Ces souvenirs sont nombreux, et les plus marquants nous Il y a enfin le souvenir de ce conseil prémonitoire du grand-
racontent aussi la vie de Pierre parfois en miroir, comme père qui suggère à Pierre de s’intéresser au vignoble voisin
pour s’en affranchir et grandir. du Puy-de-Dôme, si peu connu et à la réputation peu relui-
sante à l’époque, et d’en faire « quelque chose ». Cette
Il y a bien sûr les souvenir de l’enfance et de l’adoles-
remarque anodine, ou injonction a posteriori, devient
cence, quand il fallait aller donner un coup de main au
son challenge. Ce sera son fardeau, comme on porte ses
chai. De ces rendez-vous manqués avec les copains et
traditions, tout au long de ces années de restructuration
les copines, Pierre se jure de ne pas suivre la voie tracée
et de développement rapide de l’entreprise.
et après des études vite expédiées, il trouve les moyens
de donner libre cours à son bagout naturel en devenant Il part donc à la découverte de ce territoire si proche
vendeur pour les chewing-gums Hollywood. Il y a aussi et mais méconnu, et des vignerons installés ou en devenir.
surtout ce souvenir de cette réunion familiale en 1982, chez Il découvre que la cave des Coteaux, l’ancêtre de Saint Verny
Laurent Berthomieux, le notaire local, convoqué sans plus vend surtout des vins de l’Hérault, apprend à connaître

Vins d’Auvergne et du Massif central


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Vins d’Auvergne et du Massif central
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D E S PR AT S A I N T VE R N Y

les vignerons historiques, Pierre Lapouge, Michel Béard, Au cours de ces années passées à vendre du vin, mais
puis toute la génération montante des Montel, Pélissier, aussi à échanger avec ceux qui le font, Pierre se fait ainsi
Deshors, Sauvat, et consorts. Il fait de plus en plus partie progressivement à l’idée que pour s’accomplir, profession-
du paysage, visite sans relâche les exploitations pour nellement, il ne pourra pas se contenter de continuel-
goûter les cuvées, noter les progrès année après année, lement vendre le vin des autres, mais qu’il devra aussi
acheter ou réserver des volumes, renforcer les liens avec devenir vigneron. D’abord se pose la question du partage
les vignerons. de la valeur, entre l’amont et l’aval de la filière, question
altruiste et de bon sens, la question de la reconnaissance
Pour asseoir la distribution de ces vins qu’il aime mais
aussi, bien sûr, car c’est le nom sur l’étiquette qui finale-
qui restent difficiles à écouler, il devra construire son
ment compte et demeure, et la question du sens, enfin,
histoire et son argumentaire. Il voudra d’abord s’appuyer
qu’il s’agisse du sens de son métier, de son parcours, de
sur le passé des vins d’Auvergne qui sont le fruit d’une
son image, de la trace qu’il laissera.
histoire mais cette approche ne connaîtra pas un succès
notoire. Il s’essayera ensuite à promouvoir l’idée d’un vin Ce sera sa deuxième révolution intellectuelle, après
de copains, la dimension conviviale, l’occasion du casse- le saut improvisé dans l’entrepreneuriat et l’obsession
croûte pour positionner ces vins en progrès mais encore d’épouser le métier qu’il exerce sous toutes ses formes.
loin de faire l’unanimité. L’image s’installe un peu mais Très vite il avait eu l’occasion de s’associer avec Pierre
ne suffit toujours pas à écouler tous les stocks, à témoi- Goigoux, à Châteaugay, et de pouvoir revendiquer cette
gner de la réelle qualité des vins et à asseoir la notoriété « citoyenneté » vigneronne. Mais si l’intention humaine
du vignoble. était louable, la ficelle était encore un peu grosse, et le
projet peut-être un peu à l’étroit pour deux.
Il a toujours eu cette intuition que le terroir est unique
avec ces sols volcaniques que l’on ne retrouve que dans Il y a aussi l’aventure de La Légendaire, cette cuvée
quelques endroits de la planète. Avec l’inscription récente mythique, presque mystique quand il en parle et qu’on
de la Chaîne des puys et de la faille de Limagne sur la ressent l’attachement de l’homme à cette quille, cette
liste du patrimoine naturel de l’Unesco, il a la conviction étiquette. L’idée consiste à retrouver les habitudes du
qu’il peut en faire un atout différenciant et un vecteur de grand-père qui enfouissait chaque hiver quelques flacons
promotion. Dans la foulée, il réfléchit au lancement de pour les laisser vieillir et qu’il déterrait plus exactement
cette identité volcanique des vins d’Auvergne et imagine à la saison de la chasse ! Avec cette légende familiale,
son premier salon mondial, qui verra le jour début 2020 ! Pierre tient son histoire pour sortir « sa quille » embléma-
tique, celle qui témoigne de l’histoire et des savoir-faire
Pierre a toujours pleinement revendiqué la typicité si parti- familiaux, des valeurs de partage, de respect du terroir,
culière de ces vins. Le côté pierreux du basalte, la minéra- et qui devient un incontournable objet de marketing sous
lité volcanique ressortent beaucoup plus aujourd’hui des la marque Desprat. Chaque année, le dernier lundi avant
vins, dont on cherche à extraire et à affirmer l’identité Pâques, Pierre et son équipe convient à Salers les journa-
et l’originalité. Le terroir auvergnat a toujours produit listes, quelques sommités locales, les amis bien sûr et les
beaucoup de rouges, des vins aux caractéristiques poivrées professionnels cavistes et restaurateurs. Tous ensemble,
et structurées claires, avec une présence toute particu- ils constituent une chaîne humaine et sortent les caisses
lière des gamays et des pinots qui ne ressemblent pas du buron où le vin a reposé quelques mois. Cette fête est
aux autres. Pourtant, Pierre confesse volontiers que le devenue en quelques années un rendez-vous incontour-
plus grand potentiel est certainement dans les blancs, qui nable qui fait le buzz et renforce le crédit de la maison !
pourront sans aucun doute rivaliser avec les plus grands, La légende Desprat s’écrit page après page.
tant le chardonnay s’exprime ici avec bonheur.
Comme cela ne suffit pas, il vise plus grand et après
Les vins de soif sont devenus des vins de plaisir. Reste quelques années de partenariat commercial et beaucoup
à enchaîner quelques millésimes généreux pour faire de discussions, il saisit l’opportunité de reprendre, à titre
du stock et démontrer leur potentiel de garde qui est privé, la cave coopérative de Saint Verny. La « cave » fédère
toujours la marque de fabrique des grands vins. L’homme de nombreux viticulteurs, et vinifie plus de 50 % des raisins
est visionnaire, anticipe les tendances, les mouvements ramassés sur le département. L’outil est vétuste, l’organi-
et sait combien il y a à prouver encore, aussi assurément sation à parfaire, la gamme à repositionner ! Pour autant,
qu’il a la certitude d’y arriver ! Pierre a trouvé un terrain de jeu à l’échelle de son talent

Vins d’Auvergne et du Massif central


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D E S PR AT S A I N T VE R N Y

et aussi l’occasion de donner raison aux intuitions du dans son sillage. Il prend sa part dans cette phase de
grand-père ! Il va devenir le premier vigneron du Puy-de- transition progressive, de prise de conscience. Les coopé-
Dôme, en volume au moins. rateurs sont invités et aidés à passer en HVE (haute valeur
environnementale), les traitements ont ainsi été divisés
Avec ce nouveau challenge de taille par rapport à l’acti-
par quatre en 8 ans. Des produits naturels ont été préfé-
vité traditionnelle de négoce, qui représente à peu près
rés pour les traitements. Le rythme aussi change et le
le même chiffre d’affaires, Pierre prend son bâton de
préventif systématique est abandonné. Au niveau de la
maréchal diront certains et s’affirme autant qu’il s’affiche
cave, la micro-oxygénation est systématisée pour limiter
en locomotive de l’appellation. Les autres acteurs s’esclaf-
voire supprimer les intrants.
fent ou se réjouissent, l’épient ou le copient, lui avance.
Mais l’humain n’est jamais très loin des affaires, il use Être en position dominante n’est pas simple tous les jours
de pédagogie, cherche à rassurer, à inscrire sa démarche et l’homme est sous les projecteurs, encensé par les uns
dans une dynamique plus large, à être reconnu pour tel. et craint ou raillé par les autres ! Pierre se donne 5 ans
pour organiser la filière, mettre le vignoble en énergie
Avec cette acquisition, l’idée, assez simple finalement
(et pas en tension !), révéler la pépite cachée qu’est ce
sur le papier, est de gérer cet ensemble de 200 hectares,
vignoble de niche et passer le relai à ses filles qui viennent
hétérogène plus qu’hétéroclite, avec plus de 150 coopé-
de le rejoindre dans l’entreprise, Léa prenant en charge
rateurs qui se partagent le foncier, comme on gère un
l’export à Saint Verny et Lucie la comptabilité à Aurillac !
domaine… !
S’il confesse n’avoir rien fait pour les inciter à le rejoindre,
Une bonne identification de l’ensemble des vignes permet on sent néanmoins chez l’homme de transmission qu’il est
de mettre en place une approche parcellaire, et de travail- percer l’immense fierté de voir avec ses filles la sixième
ler selon la typicité des sols, des vignes, et des viticul- génération se préparer à assurer l’avenir !
teurs pour certaines des cuvées phares. Des travaux
Pierre sait qu’il n’a plus rien à prouver, sauf peut-être à la
importants au chai permettent de disposer d’un outil de
mémoire de son grand-père, et considère ce dernier défi
travail performant. La méthode est éprouvée, le calendrier
comme une chance ! C’est pourquoi il s’y emploie quasi-
rapide. Certains grincent des dents, d’autres tournent le
ment à temps plein, laissant l’entreprise d’Aurillac bien
dos, mais la majorité suivent et les résultats s’annoncent
organisée et performante, fonctionner plus en autonomie.
avec de belles cuvées qui voient le jour. S’ensuit une recon-
naissance du marché, notamment à l’export, qui découvre En homme d’engagement et de combat, il se démultiplie
ces vins si particuliers ! pour la région et la filière. Vice-président de la marque
Auvergne, il s’emploie à défendre l’identité locale dans
Un gros travail est fait en parallèle au niveau du marke-
ce grand ensemble qu’est devenue la région Auvergne-
ting, pour donner une identité aux différentes cuvées, jouer
Rhône-Alpes. Il est présent dans les instances syndicales
des codes modernes de communication. Une gamme est
viticoles, et bien sûr préside aux destinées de VINORA,
créée avec pour point commun l’altitude des parcelles,
l’association mondiale des vins volcaniques qu’il a portée
pour le chardonnay, la syrah, le gamay. Des étiquettes
sur les fonts baptismaux.
ludiques, presque éphémères viennent égayer la gamme
et jouent des moments de l’année ou des occasions pour L’homme fascine, il dérange autant qu’il impose. Il a une
venir prendre leur place à table ou sur le comptoir. Ce formidable capacité d’entraînement, avec une foi et une
travail de l’image s’appuie naturellement sur les gains énergie incroyable, un sens aigu de l’autre et une vraie
qualitatifs qui sont réguliers et manifestes, même s’il finesse d’analyse pour accorder la confiance quand il
y a aussi à gérer de gros volumes aux moindres préten- le peut, mais aussi tenir à distance s’il faut protéger le
tions. Quelques flacons sortent de l’ordinaire, Basalte, projet, l’entreprise, la progéniture.
Impromptu, Chalus, sans parler de La Légendaire, produite
La question n’est pas tant de savoir si son ambition pour
historiquement ici, mais certainement suivie avec encore
l’Auvergne est sincère ou intéressée, si son moteur est
plus de précision depuis que Pierre a la main sur l’outil !
la croyance dans le potentiel de la région, ou la volonté
Dans le même temps, Pierre anticipe une forte évolution d’inscrire son propre développement dans ce potentiel. Il
vers des modes plus raisonnés de culture en accord avec y aura toujours des personnes pour chercher à l’enfermer
les attentes des consommateurs qui ne comprennent plus dans une seule de ces deux dimensions, qui douteront
de voir un tracteur laisser sa trace d’intrants chimiques ou l’idolâtreront. Ce qu’il faut arriver à déterminer, c’est

Vins d’Auvergne et du Massif central


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D E S PR AT S A I N T VE R N Y

s’il y arrivera seul, ou participera d’un mouvement plus pour la sortir. Même si 2015 est certainement plus accompli
collectif, avec les nombreux vignerons indépendants qui comme millésime, c’est 2017 qui me donne cette émotion
s’attellent à la tâche depuis longtemps, dans une vision particulière du flacon que l’on aurait pu ne pas connaître !
plus large, avec les vignobles voisins qui participent de
En rouge, Basalte 2015 est un vin exceptionnel, qui a
l’identité auvergnate aussi, et qui prennent leur part dans
un potentiel de garde incroyable. Pour cette cuvée, on
les progrès de la filière.
avait baissé les rendements, choisi des cuvaisons plus
Il rêve de pouvoir réunir autour de la table tous les acteurs longues pour révéler le potentiel du millésime, utilisé
de la filière vinicole qui partagent les mêmes objectifs moins de bois dans l’élevage pour ne pas trop marquer
alors même que sa position dominante est autant un le vin. C’est une vraie réussite et un marqueur de notre
atout qu’un handicap pour y arriver. ambition qualitative ! »

La cuvée dont il est le plus fier


04 73 69 60 11
Pierre évoque deux flacons, un blanc et un rouge, pourquoi
choisir finalement ? www.saint-verny.com

« La Légendaire 2017, en blanc a connu des débuts diffi- Cave Saint Verny
ciles, avec plus de 50 % de gel sur les parcelles qui la 2 route d’Issoire, 63960 Veyre-Monton
produisent. Il a fallu sortir les tripes et y mettre du cœur, GPS : 45 665281 / 3.164467

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
Votre saison ? La bouteille de vin d’Auvergne
L’été, je suis un homme de chaud plutôt que vous auriez aimé signer ?
que de froid ! Magma, rouge, de Pierre Deshors.
Vous êtes plutôt blanc ou rouge ? Un plat qui vous fait saliver ?
Blanc. Lièvre à la royale, sans aucun doute !
Vous êtes plutôt gamay ou pinot ? Un accord met vin insolite ?
Je suis un amoureux inconditionnel
Un grand blanc, un Château Chalus
du pinot.
par exemple, sur une grande viande rouge
Un cépage inattendu que vous aimeriez une côte de bœuf d’aubrac maturée
travailler ? par exemple.
Le mamollo, un cépage de Toscane, qui est
un terroir à même altitude que l’Auvergne, Un restaurant qui vous fait rêver ?
avec une certaine similitude climatique, Anne-Sophie Pic.
c’est ma madeleine de Proust !
Un vigneron que vous aimeriez rencontrer ?
La bouteille que vous emmèneriez Pierre Gaillard.
sur une île déserte ?
Légendaire blanc 2017, je suis dingue Un rêve que vous aimeriez réaliser ?
de ce chardonnay, de ce qu’on en a fait Pouvoir passer une journée entière
cette année-là. avec John Sabot, le spécialiste mondial
des vins volcaniques.
Un souvenir de dégustation ?
Un grand champagne, cuvée Si vous n’aviez pas été vigneron ?
Dom Pérignon 1982. J’aurais été restaurateur.

Vins d’Auvergne et du Massif central


53
Paris (400 km)

La
Lo
ire
La Pacaudière
Le Crozet
Changy
D4

Ambierle

N7
Saint-Haon-le-Vieux

Saint-Haon-le-Châtel Renaison
Roanne
Saint-André-d’Apchon

CÔTE Saint-Alban-les-Eaux
ROANNAISE Villerest
Villemontais

Saint-Jean-Saint-Maurice-sur-Loire

D51 D8

A72

A89
Clermont-Ferrand

D1089
Feurs
Boën-sur-Lignon

D8
Montrond-les-Bains

Montbrison
A72

CÔTE
FOREZ D8

Andrézieux-Bouthéon

Saint-Étienne
D498

Firminy

Saint-Bonnet-le-Château
VI G N O B L E E T VI G N E R O N S
D E L A CÔT E R O A N N A I S E
E T D E S CÔT E S D U F O R E Z

L
es deux appellations sœurs, Côte Roannaise En plein renouveau depuis quelques années, sous
et Côtes du Forez, ont la particularité d’être l’impulsion d’une poignée de vignerons, le vignoble
les plus en amont de la vallée de la Loire, représente encore une activité limitée et quasi symbo-
à une encablure de Saint-Étienne et deux lique dans l’économie locale. Pas plus d’une quaran-
de Lyon ou Clermont-Ferrand ! Outre la proximité taine de vignerons indépendants (30 en Roannais, 9 en
géographique évidente : quelques kilomètres à Forez) portent les couleurs de la région au sein de
peine séparent le nord du Forez du sud du Roannais la famille des vins de Loire, auxquels il faut rajouter
– ces deux appellations partagent le choix d’un vin quelques coopérateurs qui apportent leurs raisins à
en mono-cépage, avec le gamay, qui est utilisé aussi la petite cave coopérative du Forez.
bien pour les vins rouges que pour les rosés. Les Les deux vignobles ont comme autre particularité
vins blancs, encore assez minoritaires aujourd’hui, commune d’être assez étendus. Si quelques villages
sont proposés en appellation Vin de pays d’Urfé, peuvent revendiquer une forte identité vigneronne,
dénomination également utilisée par les vignerons comme Renaison ou Ambierle, par exemple, les vignes
des deux vignobles pour l’ensemble des vins rouges restent globalement très dispersées. Vignoble le plus
hors appellation ! en amont du fleuve, les Côtes du Forez sont nichées sur
les premiers coteaux volcaniques du Massif central et
Ici, la vigne semble être arrivée à la toute fin du 1er millé- s’étendent sur près de 150 hectares et 17 communes,
naire, plus tardivement que sur les départements autour de Montbrison. Pour mémoire, il y avait ici
voisins du Puy-de-Dôme ou plus au nord ceux de l’Allier, plus de 5 000 ha de vignes à la fin du XIXe siècle ! La
où des vignes sont plantées dès l’époque gallo-romaine. Côte Roannaise, plus au nord, représente une super-
Le pourtour du vignoble a beaucoup évolué, connais- ficie de 210 ha répartis sur 14 communes. Les vignes
sant là comme ses voisins une longue période d’abon- sont situées sur une étroite bande de 20 km de long, à
dance, au XIXe siècle, d’effondrement, avec l’attaque l’ouest de Roanne, au pied des monts de la Madeleine.
du phylloxér a puis de sommeil, au XXe siècle. Personne Les vignes sont habituellement plantées entre 400 et
ne jugeait utile de replanter les vignes disparues aussi 600 mètres d’altitudes, ce qui donne aux vins beaucoup
soudainement que sûrement. de fraîcheur.

Vins d’Auvergne et du Massif central


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VI G N O BL E ET VI G N ERO NS DE L A CÔTE ROANNAIS E ET D ES CÔT ES D U FOREZ

On retrouve des sols très similaires sur les deux Ainsi on trouve des chardonnays, mais aussi des
vignobles, des terres basaltiques d’origine volca- viogniers, des roussannes ou encore des pinots gris
nique et des terres granitiques, issues de l’érosion très flatteurs. Quelques cépages « alsaciens » ont
du Massif central. Ce double terroir confère aux vins même été plantés (hors appellation) et les cuvées
produits ici une typicité particulière, marquée par la en riesling ou gewurztraminer sont étonnantes de
fraîcheur du fruit et des notes très épicées. Les blancs curiosité et de gourmandise.
trouvent aussi une expression originale et séduisante,
Le chemin vers l’AOC a été une aventure d’hommes,
avec beaucoup de volume aromatique, de profondeur
et de densité en bouche. une volonté de se structurer pour faire reconnaître les
progrès accomplis et se donner une perspective, s’ins-
Le cépage principal est le gamay Saint-Romain, un crire dans une démarche durable de qualité et de recon-
raisin noir à jus blanc, utilisé aussi bien pour les rouges naissance. Les premiers à dégainer ont été les vignerons
que pour les rosés. Les vins sont marqués par une roannais, sous l’impulsion de Robert Sérol en particu-
belle acidité, une robe intense tirant sur le grenat, des lier, qui obtiennent cette reconnaissance officielle en
arômes francs. La plupart de ces vins sont agréables 1994. Les vignerons du Forez suivent, avec à la pointe
à boire jeunes, sur le fruit. Des cuvées particulières, du combat Jacky Logel, et obtiennent leur précieux
issues des plus vieilles parcelles ou vinifiées plus sésame en 2000 ! Compte tenu de l’étroitesse du terroir,
longtemps en barriques, peuvent pourtant prétendre à du nombre limité de vignerons qui œuvrent ici et du
un vieillissement qui donne à voir et goûter la qualité faible volume produit, les deux vignobles sont même
des terroirs et la patte des vignerons ! allés jusqu’à partager une identité commune et joindre
Quelques essais de plantations sur des cépages leurs moyens au sein d’une entité commune, l’AVFR,
comme les syrahs, mis en bouteille en appellation pour Roanne et Forez. Ils se projettent aujourd’hui, avec
Vin de France ou IGP Urfé, donnent des vins bien les collègues du Puy-de-Dôme, dans une nouvelle étape
structurés, aux arômes profonds, à la robe soyeuse et structuration des appellations, autour de l’image
et témoignent de la richesse du sol, de son potentiel. porteuse des vins volcaniques, une façon habile de
resserrer autant que de renforcer les rangs et surtout
Les blancs, classés en IGP Urfé – ou vin de France
de revendiquer un patrimoine et une typicité uniques,
parfois – peuvent être issus d’une plus grande variété
de gagner en visibilité.
de cépages, ce qui autorise beaucoup plus de diver-
sité de la part des vignerons, et nous offre à décou- C’est que le temps est favorable aux petites appel-
vrir la large palette des talents qui s’expriment ici. lations, avec un net regain d’intérêt pour les terroirs
VIG N OBLE ET VIGNE RO NS DE L A CÔTE ROAN N AI SE ET D ES CÔT ES D U FOR EZ

originaux, pour les produits de niche, pour des vins particulière. On jouit à l’ouest d’un point de vue unique
légers, bio aussi – dans une dynamique constante sur la vallée de la Loire.
et déjà dominante ici. Cette tendance est manifeste
autant chez les consommateurs, amateurs avertis, Le plus au nord, on s’arrêtera à Ambierle, pour voir les
que chez les cavistes, dans les bars à vins, ou sur les vestiges de l’abbaye bénédictine, les belles toitures,
cartes de quelques grandes tables qui jouent aussi de goûter aux produits locaux. Tout au sud, on gravira
plus en plus le jeu de la découverte et de la surprise. le pic de Saint-Romain-le-Puy, sur les traces d’Alde-
bertus, premier prieur installé ici au Xe siècle pour voir
les belles vignes en terrasses, parsemées de coqueli-
VISITER LA RÉGION cots et visiter le monastère aujourd’hui magnifique-
Pour ce vignoble tout au bout de la Loire, j’ai choisi ment restauré !
le printemps quand la nature, largement dominante
Pour aller de l’un à l’autre, on fera escale à Saint-Haon-
dès qu’on s’éloigne des centres urbains, se réveille et
le-Châtel pour marcher le long des remparts historiques,
apporte ses couleurs pâles et chamarrées du matin et
flâner dans les rues de l’ancien faubourg, à Champdieu,
une palette de touches plus vives au fur et à mesure
pour découvrir son cloître et son église romane, ou à
que sortent les fleurs. Ici le terroir est très morcelé,
Saint-Bonnet-le-Château, capitale mondiale de la boule
entre quelques grands axes routiers, les perspectives
de pétanque, pour visiter la collégiale. Enfin, un petit
des villes éloignées, Clermont-Ferrand, Lyon, Saint-
Étienne qui attendent aux extrémités, et des massifs détour à Charlieu, plus à l’ouest, s’impose pour voir
assez contrastés. l’abbaye bénédictine.

Il faut quitter les nationales, sans charme évident, pour Entre ces deux points, vous aurez parcouru la route
cheminer sur les départementales et voir les beaux des vignobles, aperçu quelques parcelles de vignes,
villages, qui se nichent à faible distance, marqués par poussé la porte d’un caveau, rencontré un vigneron. Il
l’histoire. Ici, chaque pierre, chaque village, témoigne à faut aussi faire un saut au château des Cornes d’Urfé,
sa façon de l’imposant passé jacquaire et religieux de à Champoly, qui a donné son nom au vignoble du cru et
la région, à côté d’un patrimoine culturel et séculaire visiter ses ruines majestueuses. Cette bâtisse médié-
très riche et bien entretenu. vale est située sur un belvédère exceptionnel qui offre
un poste d’observation unique sur la région et notam-
Dès que l’on prend un peu de hauteur, on entre dans ment les monts de la Madeleine et le massif des Bois
un espace de fraîcheur, de calme, une atmosphère Noirs, emblèmes du pays.

Anecdote
Comment ne pas évoquer la famille Troisgros quand on parle de Roanne… et des vins
d’ici. La gastronomie reste un grand moteur pour le rayonnement de la région et a pu
servir de locomotive à la renaissance du terroir, tant le vin est indissociable de la table
et de la bonne chère. Avec cette conviction, et une foi évidente, les Troisgros se sont ainsi
associés avec la famille Sérol pour planter de la vigne et produire du vin à leur nom !
En partageant la paternité de ces cuvées, en revendiquant jusque dans la bouteille leur
origine locale, les Troisgros affichent une confiance dans la Côte Roannaise qui parti-
cipe de leur renouveau et prouve une fois de plus qu’un vignoble ne peut pas réellement
exister et s’affirmer sans le soutien inconditionnel des professionnels du cru ! Si le cas
de grands chefs « vignerons » est loin d’être unique, cette initiative – une des premières
et qui a marqué les esprits – reste emblématique car les bénéfices qui en résultent vont
bien au-delà de la complémentarité des acteurs concernés.

Vins d’Auvergne et du Massif central


57
Vins d’Auvergne et du Massif central
58
STÉPHANE & CARINE SÉROL DOMAINE SÉROL
Renaison

L’ EXI G E N C E AU S E R VI C E
D E L A PA S S I O N !

D
ans un des plus beaux et historiques domaines et l’histoire se met en route ! Robert se fait un nom et
de la Côte Roannaise, Stéphane a su à la s’approprie les lieux. Figure du vignoble, il se bat pour faire
fois reprendre le flambeau, tant au niveau reconnaître la qualité des vins et faire rayonner l’appel-
de l’exploitation que de l’appellation, mais lation. Le hasard des rencontres ou tout simplement la
aussi développer l’existant et dynamiser l’activité. Si persévérance et l’intuition le mettront sur le chemin de
notre homme est au quotidien un travailleur acharné et Pierre Troisgros, le restaurateur emblématique et porte-
précis, c’est aussi un visionnaire qui se construit sur des étendard de la région. S’ils ne sont pas encore copains
convictions, simples et efficaces. Son travail est axé autour comme cochons, ils deviendront au fil du temps beaucoup
de l’appellation, qu’il s’agisse du sol ou des vins ciselés plus que cela. Pierre décide de mettre les vins de Robert
au plus près du terroir. Sur de tels principes combinés à à la carte du restaurant. C’est un choc, un coup de projec-
son énergie et à l’héritage paternel, il a fait en quelques teur unique, une chance pour Robert et avec lui tous les
années de son domaine, une référence. vins de l’appellation.
Quand on arrive chez les Sérol on est d’abord absorbé par Dans les années 80, Robert poursuit l’extension du domaine,
le point de vue unique qui domine la Côte Roannaise. Ici, plante, investit sur l’appellation et fait parler de lui avec
la ferme familiale se transmet en interne depuis le XVIIe encore la famille Troisgros et le lancement d’une sélec-
siècle. Comme partout, on y faisait du vin, de la volaille tion éponyme. Au début des années 90, à une époque où
ou des bestiaux et on cultivait des céréales. Il y avait les grands chefs rêvent tous de devenir un peu vignerons,
toujours un enfant pour reprendre le flambeau. Robert, le il ira même plus loin en créant une société commune avec
père, s’installera ainsi en 1964. Il modifiera l’équilibre des Pierre pour planter la parcelle des Blondins et l’exploiter
activités abandonnant les cultures et réduisant progres- en coproduction ! L’obtention de l’AOC, en 94, après un
sivement la part de l’élevage. Il décide de faire parler la travail important initié et porté sous l’égide de Robert,
terre et la vigne autrement. C’est à cette époque que l’on accélérera la dynamique du vignoble, toujours confiden-
peut réellement dater le début du domaine. C’est aussi le tiel en termes de surface et de volume. On a misé intel-
début d’une grande histoire d’amour entre la famille et ligemment sur un socle identitaire simple et solide, des
l’appellation tant les destins de l’un et de l’autre semblent vins rouges, uniquement, un cépage local, le gamay Saint-
intimement liés ! Romain, mais cela suffit pour gagner auprès des cavistes
et des amateurs une image de niche bien installée.
Robert qui ne veut que faire du vin réfléchit au moyen
d’en vivre et participe à la première tentative de créer Dès lors, le domaine Sérol s’étoffe et compte déjà plus
une cave coopérative. Si l’essai est loin d’être concluant, d’une douzaine d’hectares. Les vins se vendent mieux et
ce n’est pas une raison suffisante pour qu’il renonce. Il le temps semble venu d’associer la nouvelle génération à
comprend qu’il vaut mieux d’abord compter sur lui-même l’édifice. Des trois fils de Robert, ce sera le plus jeune qui
et se lance donc en 1971 dans la mise en bouteille et la répondra à l’appel. Stéphane a toujours suivi son père dans
commercialisation de ses vins, mouvement très pionnier à les vignes, au chai, attentif au travail bien fait et curieux de
l’époque pour des vins qui n’ont encore aucune notoriété ! cette exigence qui guide la démarche de Robert. Il a choisi
Avec une première mise de 600 bouteilles de rouge et sa voie assez tôt et part se former dès 1990, au réputé lycée
autant de rosé, il prend son bâton de pèlerin et part agricole de Mâcon-Davayé. Il étudie la viticulture, enchaîne
écouler dans les environs ses vins, légers, gouleyants, des stages en Beaujolais, en Bourgogne. Conseillé par son
sur le fruit. Il lui faudra seulement deux ans pour trouver oncle, il consacre ses premières économies à l’achat d’une
assez de débouchés et réussir à vendre l’ensemble de sa belle parcelle de vigne, Oudan. En 1996, il s’associe finale-
production embouteillée. Ensuite, la dynamique s’installe ment avec son père et débarque réellement sur la propriété.

Vins d’Auvergne et du Massif central


59
DOMAINE SÉROL

Stéphane prend vite ses marques et la mesure de sa le laisse conter. C’est peu dire que la propriété est belle.
place à côté de Robert. Ce dernier, très engagé à l’exté- On sent partout, dans les vignes, dans les chais, dans les
rieur ne lui fait pas d’ombre et laisse son fils s’épanouir ! chemins, dans la demeure familiale, ce souci d’esthétisme
Il prendra d’ailleurs très vite sa retraite. Stéphane va qui est plus qu’une règle ici. Cette esthétique se retrouve
continuer à développer la propriété autour de la bâtisse dans les cuves et les cuvées, les premières alignées avec
familiale historique dans laquelle il s’installera plus tard rigueur, les secondes déclinées sobrement. Des codes
avec Carine, son épouse, là où il implantera son chai. couleur forgent une identité à part illustrée tout en nuances
Il achète des terres, restructure, replante. Ne laissant rien d’un flacon à l’autre !
au hasard, il se fait aider par un géologue et un ingénieur
On retrouve cette épure jusque dans le discours. Chez
agronome pour étudier les sols, comprendre l’identité des Stéphane, le verbe est droit quand il nous raconte ses
parcelles, adapter les cultures, choisir les bons cépages vins, son histoire, sa vision. C’est que chez les Sérol, l’exi-
et produire des vins porteurs d’un patrimoine génétique. gence n’est pas un vain mot et s’applique à tous et à tout.
En près de vingt ans, la superficie du domaine sera quasi- Stéphane décide de tout et délègue assez peu, tant il a
ment triplée pour atteindre aujourd’hui 32 hectares en besoin de maîtriser son sujet, d’être au cœur de la produc-
production et 4 en plantation. tion pour en donner le meilleur. On ne peut pas parler de
Stéphane se construit une vision, il sait que le moment sa réussite sans y associer Carine. En 2010, elle a posé ses
est venu de faire des vins différents de ceux que faisait bagages ici pour épouser le vigneron et en même temps
Robert, car les goûts évoluent et les moyens techniques la cause du vignoble. Elle a pris en charge l’administra-
offrent plus de possibilités. Il veut imposer une signature tif, qu’elle structure et surtout une partie importante du
originale, avec l’élégance comme empreinte, le travail commercial, qu’elle dynamise. Lui s’occupe du vignoble,
du parcellaire comme identité. Fier de ses gamays Saint- avant toute chose, même s’il contribue aussi aux ventes,
Romain autant que de leur origine locale, il impose des naturellement.
vins qui respectent le cépage, avec la pureté du fruit. Il Stéphane est un homme altruiste et engagé, pour son
équipe le chai en conséquence pour pouvoir travailler domaine, bien sûr et auprès de ses équipes, qu’il guide et
chaque parcelle de façon différenciée et authentique, accompagne au quotidien, pour les autres aussi, vignerons
dans la franchise brute des cuves béton, sans apport du cru, qu’il soutient. Il s’est engagé depuis longtemps pour
de bois, à l’exception de quelques grands foudres, très une agriculture responsable et respectueuse. Dès l’an 2000,
neutres, pour certaines cuvées. Si pour ce qui concerne il engage une démarche vers le bio, avec le label Terra Vitis.
le vin la transition est en évolution, au niveau de l’enga- La conversion bio du domaine est vraiment entamée en
gement collectif elle sera dans la continuité du travail 2008 et parachevée en 2014. C’est une démarche progres-
engagé par Robert. Figure incontournable de l’appella- sive qui reste compliquée et coûteuse. Il faut faire émerger
tion, longtemps en charge de la communication, Stéphane une conscience collective, argumenter, convaincre.
joue encore aujourd’hui un rôle clé dans l’organisation de
Dans un environnement de plus en plus urbanisé, et une
la filière, au niveau des vignobles voisins de Roanne et
société en mutation, la responsabilité du vigneron est
du Forez réunis au sein de l’AVFR (Association des vins
totale. S’engager dans une démarche bio n’est plus une
du Forez et du Roannais) qu’il préside depuis 2016, autant
alternative mais bien une évidence. Stéphane considère
que par le soutien important qu’il apporte au projet de
ce chemin comme inéluctable mais rentable. Longtemps
Loire volcanique, qui a vocation à regrouper plus large-
contraignant pour les équipes, qui mettent du temps à se
ment les vignerons d’Auvergne sous une seule bannière.
former, s’adapter, le bio est aujourd’hui devenu un argument
Plus anecdotique, ce passage de témoin, se retrouvera de recrutement, c’est aussi un atout commercial. En 2016,
jusque dans les liens avec la famille Troigros ! Si le lien Stéphane va plus loin et rejoint l’association Biodyvin pour
générationnel persiste, la façon de faire du vin change. convertir le vignoble à la culture biodynamique. Le premier
Les fils préfèrent des vins très ambitieux là où les pères objectif est de redonner de la vie, de dynamiser l’écosys-
cherchaient des vins légers et faciles à boire ! Au final, tème environnant. Il essaime aussi, car près de la moitié du
cette transition générationnelle, réussie, s’est faite de vignoble roannais a suivi le chemin initié. Stéphane a pour
façon naturelle. Au printemps 2019, Robert était toujours ambition que le vignoble roannais gagne encore en densité,
là, pour nous accueillir, avant de laisser Stéphane nous en qualité, en notoriété, en crédibilité. Pour y arriver, il a
faire visiter la propriété. On sentait la fierté quand il des projets, pour lui, son domaine et pour l’appellation
contemple ce que son fils a fait du domaine et nous aussi, naturellement.

Vins d’Auvergne et du Massif central


60
DOMAINE SEROL

Vins d’Auvergne et du Massif central


61
DOMAINE SÉROL

Son domaine a atteint aujourd’hui une taille conséquente la qualité du grain et protéger la vigne. Les raisins sont
et n’a pas vocation à évoluer significativement, sauf l’arri- triés sur table à l’arrivée des caisses. La vendange est
vée prochaine des chenins récemment plantés. Il faudra partiellement égrappée, Stéphane pratique la cuvaison
donc chercher les nouveautés du côté de l’environne- en format sandwich, un peu de grappe, un peu de raisin,
ment d’abord, du chai ensuite. Pour ses vins, il a intro- un peu de rafle pour laisser les jus infuser avec pressu-
duit récemment, en test, de belles amphores de terre rage et remontage régulier. Les cuves en béton brut ou
cuite. Avec ce procédé qui offre une meilleure micro- béton résiné sont thermo-régulées. Les vinifications sont
oxygénation des jus, il peut travailler de petits volumes assez courtes, en levures indigènes, avant des élevages
et faire des vins plus opulents, encore plus identitaires, plus longs, jusqu’à 11 mois pour les cuvées parcellaires,
au rang près ! Quand il regarde l’appellation, il appelle en foudre de bois.
et pousse à l’installation de plus de jeunes, qui doivent
Avec un caveau de dégustation ouvert 6 jours sur 7, 20 % de
prendre le relai et monter en gamme. Il faut que chacun
la production est commercialisée sur place ou auprès de
prenne sa part pour asseoir la notoriété du vignoble,
particuliers. Les cavistes et les restaurateurs représentent
que tous travaillent ensemble pour que s’installe une
ensemble environ 45 % des volumes. Enfin, l’export, très
dynamique collective. Pour assurer cette future transi-
développé, absorbe le solde, soit environ 35 %, princi-
tion, Stéphane imagine un conservatoire des cépages,
palement en Europe du Nord et en Amérique du Nord.
car on ne peut réécrire l’histoire que si on la connaît !
Avec Carine, ils verraient d’ailleurs bien leur fille reprendre LES DIFFÉRENTES CUVÉES
le domaine. Elle affirme déjà, avec l’assurance de son âge, Fiche de dégustation
son désir de perpétuer le savoir-faire et l’amour du métier
de son père, l’héritage de son grand-père ! De fait, il est La gamme est assez riche, représentative de la diver-
possible que l’histoire de la Côte Roannaise se conjugue sité des sols du domaine. Les cuvées sont majoritaire-
encore longtemps avec passion, à la façon des Sérol. ment en rouges, auxquels se rajoutent un blanc, deux
rosés et un pétillant.
LE DOMAINE
Les Orignelles est la cuvée d’entrée de gamme. C’est une
Le domaine fait actuellement 32 hectares, auxquels cuvée gourmande, sur le fruit, avec de la légèreté, très
viendront bientôt s’ajouter 4 hectares en cours de planta- peu d’aspérité et un côté facile à boire… rapidement !
tion. La quasi-totalité du parcellaire est planté en gamay
Saint-Romain, qui produit les rouges et les bulles, que Éclat de granite se veut l’étendard du domaine, par sa
complètent pour les blancs 1,5 hectares de viognier et typicité comme ses volumes, plus conséquents. C’est une
2 hectares de chenin à venir. Les vignes sont essen- cuvée d’assemblage des coteaux granitiques, qui propose
tiellement concentrées autour de l’exploitation, au plus de matière, de minéralité. Le vin est toujours sur
cœur géographique de l’appellation et les parcelles les le fruit mais avec une plus grande complexité aroma-
plus éloignées se trouvent dans un rayon de quelques tique. C’est un vin qui a un peu d’épaule et est taillé
kilomètres. pour durer un peu plus que le précédent.

Les sols sont constitués de variantes de granitique, avec Viennent ensuite la série des parcellaires.
des sables, des gores, des granits purs, qui vont donner
Les Blondins d’abord, du nom de la parcelle plantée avec
des nuances et des typicités à chaque parcelle.
la famille Troisgros (et qui donne en parallèle une cuvée
Le vignoble est partout structuré à l’identique, remarqua- propre aux deux noms) sur des beaux sols de granit et
blement dessiné et entretenu en toute saison. La densité de gore. Cette sélection de vieilles vignes est vinifiée
des ceps est élevée pour un travail à l’enjambeur même si pour partie en cuve et pour partie en foudre, les vins
le travail manuel est dominant. Dans un environnement présentent une belle complexité aromatique, beaucoup
au relief vallonné, les pentes sont assez marquées, les de finesse, d’élégance en bouche et en même temps une
rangs sont enherbés pour limiter les risques de glisse- réelle profondeur. Un vin au caractère affirmé.
ment et abriter une microfaune salutaire.
Les Millerands, ensuite, issus de vieilles vignes situées
Pour la vendange, on cueille le raisin à la main, naturel- tout en haut du domaine, produisant des petits grains.
lement, pour mieux sélectionner les raisins, préserver Les vins élevés uniquement en cuve béton sont très

Vins d’Auvergne et du Massif central


62
DOMAINE SÉROL

concentrés, très juteux, ils offrent une belle intensité LA BOUTEILLE PHARE
aromatique en bouche. selon le vigneron
Oudan est une parcelle très solaire et donne un vin très
Les Millerands 2010. Ce millésime a été très particulier,
chaleureux, avec des notes épicées très marquées, une
après une année 2009 marquée par l’opulence. Cette
belle rondeur en bouche, beaucoup de finesse.
année-là, il a fait froid, les vendanges ont été assez
Perdrizière, enfin, est un vin de garde. Issu de vignes tardives, vers mi-octobre. Les rendements ont été très
plantées sur des dégradations de granit, des terrains plus faibles, avec une forte concentration des jus. C’est un
froids, il donne des vins en tension, assez profonds, qu’il millésime dans lequel nous n’avons pas cru au début…
faut savoir attendre. J’ai pu goûter les trois premières et puis les bouteilles se sont révélées, avec beaucoup
cuvées en amphore, sans souffre, qui au stade des de garde, de potentiel. Les vins dégustés quelques
premiers essais et de faibles volumes, le cœur des années plus tard, alors qu’il en restait très peu, étaient
parcelles, n’en proposent pas moins déjà de très belles étonnants de fraîcheur, de finesse. Une découverte, un
choses en dégustation. Les cuvées Chez Blondin, Chez vrai bonheur… et le regret de ne pas en avoir gardé plus !
Muron et Chez Coste sont assurément à suivre tant la
finesse du terroir, l’élégance du domaine, la patte du
vigneron ressortent et dominent.
04 77 64 44 04
De Butte en Blanc est la cuvée issue des viogniers sur
granit, vinifiée en fût de 500 litres. Ces blancs sont très www.domaine-serol.com
aromatiques, avec des expressions de fruits à chair
jaune, un peu d’agrume et avec beaucoup de gras. Des Les Estinaudes, 42370 Renaison
blancs opulents à boire en mangeant. GPS : 45.058020 / 3.909309

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
Votre saison ? La bouteille de vin d’Auvergne
Le printemps, c’est le redémarrage que vous auriez aimé signer ?
de la végétation, le retour des oiseaux, Les cuvées en amphore de Benoît Montel.
l’effusion des odeurs.
Un plat qui vous fait saliver ?
Vous êtes plutôt blanc ou rouge ? Le ris de veau.
Blanc… en début de soirée.
Un accord met vin insolite ?
Vous êtes plutôt gamay ou pinot ? Pas insolite mais merveilleux, un grand
Gamay ! bourgogne sur du rouget, en général
le pinot fonctionne bien sur du poisson.
Un cépage inattendu que vous aimeriez
travailler ? Un restaurant qui vous fait rêver ?
Le chenin (mais c’est en cours) sinon, Bras à Laguiole.
le riesling.
Un vigneron que vous aimeriez rencontrer ?
La bouteille que vous emmèneriez Olivier Lamy du domaine Hubert Lamy
sur une île déserte ? à Saint-Aubin.
Un Savennières Un rêve que vous aimeriez réaliser ?
de la Roche-aux-Moines. Faire des grands chenins !
Un souvenir de dégustation ? Si vous n’aviez pas été vigneron ?
Bonnes-Mares 1996 J’aurais été boulanger !
du domaine Groffier. Un produit fermenté !

Vins d’Auvergne et du Massif central


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YANN PAL AIS D O M A I N E D E S PA L A I S
Charpin ot , Ambierle

M O I N E -VI G N E R O N
ET BON VIVANT

C
hez cet homme qui n’est pas entré dans le deuxième chance. Il s’applique, s’amuse et enchaîne
vin comme on entre en religion, il y a un les étapes, BEP agricoles, Bac technique, BTS Viticulture
côté moine-jouisseur. Yann est un vigneron en 1991. Pas encore convaincu par l’idée de faire du vin
appliqué, qui sait se fixer des objectifs, lui-même, il poursuit un temps avec une licence des
organiser son domaine et son travail au cordeau pour sciences de l’éducation, se voit enseignant, et file faire
se donner du temps avec sa famille, ses copains. Lui, son service militaire.
qui a installé son palais au pied de l’ancien monastère
Au retour, l’envie de vin est la plus forte et il part quelques
bénédictin, a su avec philosophie trouver un équilibre
années en Beaujolais et dans le Mâconnais faire ses
économique entre la vigne et l’œnotourisme, un équilibre
classes dans différents domaines et apprendre le métier.
de vie entre le travail et le plaisir, et prendre racine,
tranquillement dans ce village où il est venu un jour En 2000, le vigneron perce enfin sous la bure de l’apprenti
faire renaître une vieille ferme familiale ! et Yann décide de reprendre ces terres, libres de droits
de plantations que la famille a conservées en l’état.
Il propose une large gamme de vins légers et équilibrés,
Il s’emploie à redonner au village son patrimoine viticole
tout en couleurs, celles des robes, claires, presque pastel
oublié, sous la bénédiction séculaire des moines et de
et celles plus bigarrées des étiquettes qui déclinent, à
ses aïeux.
l’envie, son identité et ses dernières idées.
Peut-être un peu moine bénédictin dans sa façon méticu-
Le beau village d’Ambierle offre au détour de la natio-
leuse de définir les objectifs et organiser les tâches, il est
nale 7 qui le borde, un paysage de carte postale. C’est
aussi bon vivant dans l’âme et ne fait rien qu’il ne puisse
un ancien complexe prieural des moines bénédictins
maîtriser avec un certain confort de vie. Il redessinera
où subsistent encore aujourd’hui de nombreux vestiges
donc le domaine, comme il est encore aujourd’hui, par
de ce riche passé, proches des vignobles ! Des vignes
touches successives entre 2000 et 2009, cherchant paral-
récemment plantées mais qu’on imagine presque avoir
lèlement à organiser l’activité globale de l’exploitation.
toujours été présentes.
Celle-ci trouve son équilibre entre la vente du vin et l’œno-
Yann n’est pas à proprement parler un enfant du pays, tourisme ou la location de salle, son « assurance grêle » !
né à quelques kilomètres d’ici, mais sa famille a toujours
Yann commence en 2000 avec deux petites parcelles,
eu des terres et des bâtisses sur Ambierle ! Longtemps
le Carré du prieur en gamay et le Jardin des moines en
exploité, le domaine familial est tombé à l’abandon avec
viognier. Toujours guidé autant par le souci de maîtriser
la crise de la viticulture dans les années 50. Il ne restait
son exploitation que par l’envie d’innover, il plantera
que des friches et des ruines quand il a voulu venir s’y
progressivement en 2003, 2006, 2009, des parcelles au
installer en 2000 ! Le parcours relève du hasard, la suite
pied du monastère avec des cépages variés.
du talent du moine-vigneron qui s’exprime ici !
C’est que notre homme n’est pas du style à se fier à
Comme pour beaucoup de cancres au parcours chaotique
une seule chapelle.
et de rebelles à l’école, il a été promptement réorienté
à 16 ans vers l’enseignement technique. Il trouve là un Il restaurera les ruines, pour installer sa maison, vivre
intérêt pour la matière enseignée et ce qu’on lui donne sur place, mais aussi le chai, le caveau de vieillisse-
à faire. Il perçoit aussi une dimension humaine, une ment, de dégustation et puis une belle salle de récep-
reconnaissance qu’il n’avait pas eue. Ce lycée agricole tion qui accueille aujourd’hui de nombreux événements
ne sera pas la punition attendue mais l’école de la familiaux ou conviviaux.

Vins d’Auvergne et du Massif central


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D O M A I N E D E S PA L A I S

Avec ce positionnement spécifique, il peut se targuer de et des vins plus structurés, avec du potentiel de garde,
vendre plus de 60 % de sa production sur place, entre les pour les repas d’hiver.
visiteurs du chai, les invités des réceptions et les repas
Il mesure aussi combien l’agriculture en général, et la
servis ici, toujours accompagnés, forcément, de vins du
viticulture en particulier, sont à un tournant, en pleine
domaine ! D’ailleurs, tout est fait pour faire vivre une
mutation. Les gens veulent s’approprier le travail du
expérience aux visiteurs, avec un parcours fléché, codé,
vigneron, le découvrir, le comprendre, presque devenir
du chai où l’on comprend comment se fait le vin, à la
partenaire. Une nouvelle clientèle très jeune s’inté-
cave où on peut le déguster et l’acheter, pour finir, le
resse au vin. Elle veut voir la vigne, le chai, discuter,
cas échéant par la salle où on le consomme !
échanger et goûter autant que boire. Alors Yann entend
Et puis ce flot de visiteurs, attiré par le village, ou par développer encore l’activité d’accueil, adapter le réceptif
les fêtes au domaine, reste sur place et consomme ! Le pour multiplier les occasions de rencontre avec des
village a retrouvé tous ses atours et son attrait ! soirées à thèmes.

Yann est très actif au sein des instances viticoles locales, Ensuite jamais à court d’idées, soucieux de préserver
qui regroupent les vignerons des deux vignobles voisins l’avenir autant que de réhabiliter le passé, il travaille
et frères de Roanne et du Forez, au sein desquelles il est à la reconstruction d’une vieille bâtisse familiale du XVIIe
plus particulièrement en charge de l’appellation « Vin au centre du village pour en faire une maison d’accueil
de pays d’Urfé ». Il est également membre d’une CUMA, des personnes âgées autonomes !
structure de mutualisation du matériel entre vignerons À Ambierle, selon la tradition, née au temps où des
du village, qui permet d’acheter des équipements plus cohortes d’ânes amenaient les pierres des carrières
performants et de les amortir à plusieurs. voisines pour bâtir l’abbaye, il y a les ânes « néchus » et
Il fait partie de plus de l’association des Vins d’Abbayes, les ânes « venus », c’est comme cela qu’on qualifie les
qui regroupe les vignobles historiquement rattachés à habitants selon qu’ils sont nés ici ou venus s’y installer.
une activité monastique. Cette association fédère une Yann « venu » ici pour faire du vin, a réussi le tour de
trentaine d’exploitations, avec une certaine dynamique force de devenir en quelques années un « néchu » tant
commerciale et une belle notoriété ! il a fait pour le village, comme les moines bénédictins
Yann s’investit aussi pour la préservation des sols… et de autrefois, en réimplantant des vignes et en dévelop-
la santé des paysans ! Très vite il a décidé de se convertir pant une activité œnotouristique qui « ruisselle » dans
au bio, cheminement progressif qui le conduira à un tout le village.
passage officiel en 2009. Il sait que le salut ne viendra
que des paysans eux-mêmes qui devront se prendre en LE DOMAINE
main et décider de s’affranchir des chimistes.
Yann exploite environ 6 hectares de vignes, sur un
Il intervient donc le moins possible, laisse l’herbe et ses domaine qui en compte une quinzaine où pâturent
brebis faire le travail dans les vignes, recherchant un tranquillement des brebis qui alternent au fil des saisons
compromis hydrique équilibré. Il en est de même sur les les prairies et les vignes, broutant l’herbe et fertili-
vinifications, où il cherche toujours à limiter les sulfites sant les sols !
au strict nécessaire, ne rajoute aucun intrant, travaille
en levures indigènes. Dans cette partie de la Côte Roannaise, les sols
sont granitiques, assez acides, très drainants. Ils se
Au fil de ces années, Yann a imposé sa patte, ses vins, distinguent par une terre battue de granit rose très
ses idées. Il a toujours voulu faire des vins à la robe particulière. Pour l’exploitation, l’avantage est de
pâle, claire, avec des notes rubis pour les rouges, de pouvoir intervenir à tout moment car les terres ne sont
beaux pastel jaunes ou roses pour les blancs. Il s’amuse jamais grasses ni collantes. Par contre les outils s’usent
à décliner les cuvées comme d’autres les chapelets, prématurément sur les cailloux grossiers et les sables.
et quand il n’a pas assez de cépages pour lancer une
nouvelle cuvée, il assemble des cépages pour sortir du La moitié du domaine est plantée en gamay, 1 hectare
cadre. Il cherche à faire en même temps des vins légers en viognier, le reste se partage entre syrah, roussanne,
et frais, à rotation rapide, pour la consommation estivale et gewurztraminer.

Vins d’Auvergne et du Massif central


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D O M A I N E D E S PA L A I S

On entre d’abord dans le chai, dans cette ancienne bâtisse de vins très large allant de l’apéritif au dessert, décli-
entièrement réhabilitée qui garde la trace de son histoire. nant toutes les couleurs, en rouge, blanc ou rosé et
Yann a installé pour les vinifications des cuves inox quelques bulles.
complétées par quelques cuves acier pour les élevages,
Commençons avec les rouges.
ainsi que des fûts de 225 litres pour certaines cuvées.
La vendange est manuelle, les raisins sont triés sur pied, La cuvée historique du domaine en appellation est Le
puis dans la benne et enfin à l’entrée du chai, sur le Carré du Prieur, du nom de la parcelle de gamay que
tapis. Yann préfère travailler grappe entière et n’érafle Yann a plantée d’abord. C’est un vin facile, léger, fruité,
que les syrahs. Les blancs sont pressurés directement, un vin de copains à partager autour d’une charcuterie…
sans macération pelliculaire. Les levures sont indigènes.
En IGP Urfé, Le Temps des Griottes est une cuvée 100 %
La vendange commence par les parcelles destinées à syrah. Le vin est égrappé, élevé en fût de chêne. Peu
donner les vins plus fruités, plus légers, pour lesquels épicé et assez léger, il développe de beaux arômes de
les fermentations sont assez courtes, de l’ordre de fruits rouges.
6 jours, ainsi les jus ne prennent pas la rafle. Les cuves Dernière née du domaine, la cuvée Si Nature est en
ne sont pas chauffées car Yann ne cherche pas forcément gamay vinifié sans ajout de sulfites. Un vin « nature »,
beaucoup d’extraction ni de couleur. Avec ces courtes un peu canaille, à boire jeune, sur le fruit avec de belles
fermentations, les cuves peuvent dans la foulée faire un notes poivrées.
second service et accueillir les cuvées plus structurées,
vendangées ensuite, qui elles resteront plus de 15 jours. Enfin, deux cuvées d’assemblage, gamay et syrah,
Le vieillissement se fait principalement dans les cuves complètent la gamme des rouges. Sous le même nom,
acier et un peu en fûts de bois anciens pour donner un La Tassée des Anges se présente dans sa version corsée,
surcroît de finesse à certaines cuvées. au caractère épicé, plus tanique et dans une version
vieillie en fût de chêne qui lui confère des tanins plus
Le chai se prolonge par les caveaux de dégustation où soyeux et délicats.
l’histoire des moines se rappelle à nous. D’ailleurs une Au chapitre des blancs, on trouve la cuvée historique et
grande partie de la récolte est vendue sur place. Le toutes les déclinaisons qu’a pu imaginer Yann.
site touristique attire beaucoup de monde et très vite,
Yann s’est organisé pour accueillir les visiteurs et leur Le Jardin des Moines, issue de belles et anciennes
donner à voir et à goûter ses cuvées. C’est ainsi près parcelles de viognier présente de beaux arômes de fruits
de 60 % de la production qui sont écoulés sur place jaunes, abricot et pêche. C’est un vin élégant représen-
auprès de particuliers. tatif de l’identité du domaine, dans l’idée qu’on pourrait
se faire d’un vin de messe plutôt généreux !
Les restaurateurs et cavistes, de la région ou d’ailleurs,
La Vie en Rose est un 100 % gewurztraminer, cépage assez
représentent environ 30 %. Le solde est vendu par l’inter-
peu courant dans la région. Loin de son Alsace natale,
médiaire de l’association des Vins d’Abbayes, un peu
vendangé relativement tôt et donc assez sec, il présente
d’export, quelques associations.
une étonnante couleur pastel tendant sur le rose et des
arômes assez riches.
LES DIFFÉRENTES CUVÉES
Fiche de dégustation Pour les blancs aussi, Yann s’amuse à assembler des
cuvées et des cépages, pour aller chercher d’autres notes,
Yann, qui fut qualifié un jour par Pierre Troisgros « d’inno- d’autres impressions. Avec la cuvée Du Soleil dans ta Vie
vateur » a toujours une idée qui chasse l’autre pour sortir il vient compléter ses jus issus de roussanne avec un peu
une nouvelle cuvée, un mode de vinification, un assem- de gewurztraminer. Le vin est marqué au nez par des
blage, qui viennent bousculer les codes et évangéliser arômes denses, riches et un équilibre de gras et d’aci-
des clients aux goûts forcément disparates. dité agréable en bouche.
C’est pourquoi, depuis les débuts avec deux parcelles, deux On trouvera aussi deux cuvées différentes de rosés, à base
cépages et deux cuvées, du chemin a été parcouru. Au de gamay, pour le plaisir et les repas d’été et une décli-
domaine des Palais, on élabore aujourd’hui une gamme naison de vins effervescents, blancs et rosés.

Vins d’Auvergne et du Massif central


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LA BOUTEILLE PHARE Du coup, seuls ceux qui sont allés manger chez lui ont
selon le vigneron eu le plaisir de découvrir cette cuvée que Yann chérit !

Le Jardin des Moines 2003, un de ses tout premiers. Le


chef étoilé du village, Thierry Fernandez, avait demandé 04 77 65 60 31
à venir goûter ses vins, c’est un cuistot embléma-
tique, mais quelqu’un de très timide, qui n’osait pas www.domainedespalais.fr
venir le déranger. Yann est allé le chercher et il est
tombé amoureux du vin dégusté à la cuve, il a acheté Charpinot, 42820 Ambierle
avant sa mise en bouteille l’intégralité du millésime. GPS : 46.13879 / 3.901941

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
Votre saison ? Un plat qui vous fait saliver ?
L’été, on bosse mais on peut aussi Un plat du Sud, l’aïoli.
profiter des belles soirées, faire la fête
et boire un canon avec les copains, Un accord met vin insolite ?
c’est magique. Un fromage persillé avec mon
Vous êtes plutôt blanc ou rouge ? assemblage roussanne, gewurtztraminer.
Blanc.
Un restaurant qui vous fait rêver ?
Vous êtes plutôt gamay ou pinot ? Une pensée pour Chez Gisèle, restaurant
Gamay – forever !
à Ambierle, qui va fermer bientôt,
Un cépage inattendu que vous aimeriez Roellinger à Cancale.
travailler ?
Le chasselas, c’est fruité, léger, Un vigneron que vous aimeriez rencontrer ?
j’ai fait de belles découvertes en Savoie. Aubert de Villaine.
La bouteille que vous emmèneriez
Un rêve que vous aimeriez réaliser ?
sur une île déserte ?
Avoir un énorme étang au bas
Le Jardin des Moines !
de ma propriété, comme
Un souvenir de dégustation ? un gigantesque miroir dans
Une verticale de Bandol, lequel se reflèterait le village.
au domaine Pibarnon !
La bouteille de vin d’Auvergne Si vous n’aviez pas été vigneron ?
que vous auriez aimé signer ? Mon rêve de gamin, c’était
Petrosus, d’Yvan Bernard. d’être boulanger !

Vins d’Auvergne et du Massif central


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GILLES BONNEFOY LES VINS DE LA MADONE
Champdieu

L’ H O M M E Q U I C H U C H OT E
À L’ O R E I L L E D E L A M A D O N E

A
moureux de la terre, vigneron accompli, patrimoine et se transmettait aux aînés. Ce sera l’oncle
technicien hors pair, Gilles a dessiné en une de Gilles qui en héritera, et son père devenu maçon, mais
vingtaine d’années le contour d’un domaine toujours paysan dans l’âme, continue à aider et passer
exemplaire. Il signe des vins très typés, aux tous ses samedis à la ferme. Après le lycée agricole et
caractères naturellement équilibrés ! Il est intransigeant son bac en poche, il hésite entre un BTS protection de la
sur les enjeux environnementaux, au-delà des modes nature et un autre dans le vin. Il opte finalement pour ce
et des tendances. De fait, il ne fait aucune concession dernier. À la fin de ses études, il rejoint le groupe LVMH
à la qualité des vins qui doivent s’affirmer pour leur avec un poste de commercial, qu’il occupera sept ans.
présence, leur finesse, et pas leur mode de production.
En parallèle, il a l’opportunité de reprendre en 1997 une
Très vite repéré par les cavistes et les amateurs éclairés, petite parcelle de vigne, dans le village natal, puis très
il affirme au fil des ans sa signature et construit son vite une seconde. L’activité est forcément accessoire, il
succès commercial, tout en gérant un développement s’amuse, s’essaie dans un chai voisin où il dispose d’un
maîtrisé de son exploitation. petit espace à lui.
Ici, à Champdieu, au cœur du vignoble forézien, au moment L’opportunité d’un plan social chez LVMH lui permet de
où toutes les vignes de France sont victimes du phylloxéra, récupérer la mise de départ nécessaire pour se lancer,
les vignerons avaient financé l’installation de cette im- et d’acheter un peu de vigne. Comme l’équilibre écono-
mense Madone, pour implorer sa bénédiction, et espérer mique n’est pas encore possible, il travaillera jusqu’en
sa protection. 2003 à mi-temps, en tant que consultant. Au cours de cette
période, il exploite déjà 2 hectares et en plante 4 de plus.
Si la peste tant crainte n’est apparue, ici comme partout
en Auvergne qu’une vingtaine d’années plus tard, elle Entre 2003 et 2004, il peut enfin se consacrer pleinement
n’en a pas moins eu les mêmes impacts dramatiques. à son activité, avec l’aide de son père, maçon, construire
Plongeant le vignoble dans l’abîme et renvoyant les vigne- un chai, une cave, une maison. Il devient vigneron à 100 %.
rons à d’autres formes d’agriculture.
Lancer une telle activité est forcément lourd, prenant, il
Gilles a pourtant pris la Madone du village comme em- faut du temps pour se consacrer aux vignes, sans négliger
blème quand il est revenu ici pour créer son domaine, en la commercialisation. Il faut aussi investir, dans des
1999. C’est presque par hasard qu’il a travaillé ses premiers équipements, de nouvelles surfaces à planter, en 2007,
rangs de vignes sur les flancs de la colline où elle trône. puis régulièrement dans la décennie suivante. Il « monte »
Très symboliquement, il se déclare aujourd’hui sous sa son domaine jusqu’à 11 hectares, entièrement concentrés
protection bienveillante ! sur Champdieu, même si les parcelles se partagent entre
des sols granitiques et d’autres volcaniques.
Il semblerait cette fois que la promesse divine soit tenue
ou alors c’est que la technique parfaite de cet homme Dès le début, Gilles a conscience de sa responsabilité, il
a réussi à faire revivre ces vignes, avec deux ou trois se rend compte de l’état des sols, de la nature et de la
collègues devenus aussi emblématiques que lui de cette capacité à agir des agriculteurs en la matière.
petite appellation. Aujourd’hui, sa notoriété est à l’image
Il bascule rapidement, dès 2000, dans une agriculture
de ses vins : beaux, élégants, généreux.
bio pour les vignes, et introduit le bio dans la cave à
Les aïeux ont longtemps fait du vin, mais également des partir de 2005. Ensuite, il prend le temps nécessaire pour
fruits, des céréales, de l’élevage. La ferme était tout le apprivoiser ces méthodes. Il comprend que les bonnes

Vins d’Auvergne et du Massif central


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Vins d’Auvergne et du Massif central
70
LES VINS DE LA MADONE

pratiques ont un impact, réel et durable. Il s’intéresse à sur environ 11 hectares, une superficie nécessaire pour
la biodynamie, partage ses réflexions avec Jacky Logel, assurer un équilibre économique pérenne.
en voisin, et ensemble ils investissent, achètent du
Les blancs, des sauvignons blancs et gris et des rous-
matériel, se forment. Il sera certifié Demeter en 2008.
sannes, représentent 1,5 hectare de belles vignes
Cette démarche prend tout son sens dans le collectif.
plantées sur des parcelles volcaniques. Les gamays
Avec d’autres agriculteurs du Forez, ils créent un groupe
noirs à jus blanc, qui constituent la base du domaine,
pour se former, échanger et préparer ensemble le plus
s’étendent sur environ 8 hectares, 5 sur granit et 3 sur
possible les produits dont ils auront besoin, s’inscri-
sol volcanique. Enfin, Gilles a planté plus récemment
vant dans un cercle court et vertueux !
environ 1,5 hectare de gamay teinturier, principalement
Si la labellisation est une évidence pour Gilles, il souhaite sur des sols de granit. C’est une approche d’innovation,
aller au bout et se faire contrôler par un organisme sur des cépages peu connus, avec peu d’histoire et donc
habilité. Il faut pouvoir démontrer chaque jour que tout peu de repères pour le vigneron.
est fait comme il se doit, et s’étalonner régulièrement sur
des référentiels exigeants. D’ailleurs, ici aussi, l’approche Reste une parcelle, au pied de la maison et du chai, où
séduit et fait des émules. Sur l’appellation Forez, qui se Gilles vient de découvrir avec surprise la présence très
limite a une dizaine de vignerons indépendants, et des rare de traces de calcaire dans un sol granitique. C’est
coopérateurs qui alimentent la cave du coin, trois exploi- une bizarrerie écologique mais une vraie opportunité
tations sont aujourd’hui en bio, et ceux qui continuent pour s’amuser à chercher des typicités assez différentes
de travailler en « conventionnel » sont beaucoup plus de ce que l’on trouve habituellement ici.
attentifs à leurs pratiques culturales. Les vignes sont en général exposées est et sud/sud-est,
En homme d’engagement, Gilles s’est aussi tout naturel- jamais situées à plus de 5 ou 6 minutes à vol d’oiseau du
lement intéressé à l’organisation de la profession, qui chai. Cette organisation, très rapprochée, donne évidem-
était en sommeil, faute de participants. Cette nouvelle ment beaucoup de confort et de réactivité pour travailler.
organisation des professionnels qui offre plus de réacti- Ce choix de l’harmonisation et de la rationalité des struc-
vité et d’efficacité collective, a aussi permis de mieux tures viticoles permet de limiter le nombre des équipe-
définir les trajectoires parallèles et complémentaires ments, et donc d’en avoir de plus perfectionnés. En ayant
des indépendants, désormais majoritaires, et de la cave tout sous la main, Gilles peut optimiser ses opérations
coopérative qui met encore sur le marché en appellation sur le terrain autant que s’adapter avec rapidité aux
Forez une petite partie des raisins ramassés. contraintes de l’environnement ou aux sautes d’humeur du
Après une vingtaine d’années de dur labeur, Gilles consi- temps, ce qui sur des sols argilo-calcaires, très drainants,
dère avoir atteint aujourd’hui une taille critique de et plus fragiles, est essentiel.
11 hectares, suffisante pour vivre de son travail, faire Comme la vigne, le chai témoigne d’un souci d’effica-
face aux enjeux d’investissement, et il l’espère, suffisam- cité, de maîtrise, de rigueur technique qui caractérise
ment attractif pour garder ses enfants sur l’exploitation le personnage et sa démarche.
et leur donner envie de prendre le relai, le moment venu.
Il vient d’achever la refonte complète de ses infrastruc- Il est entièrement et uniquement équipé de cuve
tures, et dispose d’un outil très performant et fonctionnel. inox. Gilles s’est récemment doté d’un égreneur, pour
Gilles veut consacrer les prochaines années à recréer travailler sans rafle, mais sans abîmer le fruit pour
du vivant avec des projets qui tournent plus autour de autant. Cet équipement permet ainsi de détacher le
l’écosystème et de l’environnement de l’exploitation. Lui, grain de la grappe sans pression, sans frottement, et
dont le père a troqué avec son oncle la ferme familiale de lui conserver toutes ses qualités. La conséquence
contre cinq cochons, rêve de transmettre son domaine étant de donner aux vins plus d’élégance !
à ses enfants pour qu’ils en vivent dignement.
Les vendanges sont manuelles, par principe autant
que par nécessité, au vu des pentes et de la topologie
LE DOMAINE
des parcelles. Des tapis en amont et en aval permettent
Parti de rien ou quasiment, le domaine a atteint en de transporter la vendange vers les cuves, après un
quelques années sa taille critique et s’étend désormais tri manuel.

Vins d’Auvergne et du Massif central


71
LES VINS DE LA MADONE

Les cuvaisons des rouges sont généralement très courtes, malolactique, les vins sont légers, marqués par un côté
de l’ordre de 7 à 8 jours, jusqu’à 15 pour les vieilles vignes, très fruité, avec des notes d’agrumes, typique du cépage,
dont on va chercher à extraire plus de matière. et légèrement fumé, typique du sol.
Les blancs sont pressurés lentement pendant 4 à 6 heures, Roussanne est ramassé sur des pentes plein sud, ce sont
et sont élevés sans souffre, avec une maîtrise des tempéra- des vignes plus tardives. Toujours vinifiés sans malo, ces
tures autour de 17/18 °C, quand les fermentations démarrent. vins conservent une belle acidité, mais avec plus d’alcool.
Ils sont beaucoup plus gras, avec des arômes de fleurs et
Dans l’ensemble, Gilles utilise très peu de barriques, voire
toujours marqués par le côté fumé lié que donne le terroir.
pas du tout sur certains millésimes quand il considère
que c’est superflu, pour garder aux vins en devenir leur Une seule cuvée de rosé, classique du domaine depuis le
typicité, leur fraîcheur ! début, sans prétention. Cette cuvée est faite à partir de
saignées de gamay à jus blanc, ramassés sur des sols à
La commercialisation du domaine est au départ largement
la fois granitiques et volcaniques. Le vin est assez coloré
axée sur le local, avec une zone de chalandise porteuse,
en général, garde une belle acidité.
des villes alentours où existent des débouchés naturels
et assez faciles. Cette proximité correspondait aussi à la La gamme des rouges est vaste, elle reflète aussi le champ
notoriété très limitée de l’appellation. Mais depuis 3 ou des possibles qu’offre un cépage, et ses déclinaisons.
4 ans, les choses changent, rapidement, sous l’influence Si Gilles reste fidèle au gamay, identitaire du vignoble
d’une demande très tendance pour les vins bio, ou en biody- forézien, il cherche à en appréhender la grande diversité,
namie, pour les petites appellations confidentielles. De fait, en plantant par exemple des gamays de Bouze ou diffé-
les choses s’accélèrent pour ceux qui s’y sont préparés. rentes sortes de gamays teinturiers…
Gilles a toujours choisi et assumé de travailler de préfé- La Madone Rouge est la cuvée phare du domaine. Les
rence avec des professionnels, des revendeurs, et a vignes ont entre 10 et 15 ans, sont plantées sur des sols
toujours pratiqué une politique de prix plus élevés pour volcaniques et granitiques. La vendange est totalement
les particuliers. C’est ce qui explique que le poids de cette égrainée, les cuvaisons sont assez courtes et les fermen-
clientèle plus familière pour ses collègues et voisins reste tations se font à partir de levures indigènes. L’assemblage
encore marginale ici, même si le beau caveau de dégusta- des différentes parcelles se fait après malo, et très faible
tion jouxtant le chai, ouvert quelques heures par semaine, sulfitage. Le vin a un côté toasté très marqué, il est très
accueille quelques passants attirés par sa notoriété. poivré, avec des notes de cerises sauvages.
Avec plus d’une quinzaine d’agents sur toute la France,
il s’organise aujourd’hui pour développer et répondre à Mémoire de Madone est à l’opposé. Issus de vieilles vignes,
la demande d’une clientèle professionnelle, de cavistes, sur sols 100 % volcaniques, les raisins sont entièrement
de restaurateurs sur tout le territoire. égrainés et vont connaître une cuvaison plus longue, qui
donnera curieusement peu de couleur mais une structure
L’export, enfin, représente un débouché très significatif tanique prononcée.
avec près de 25 à 30 % des ventes.
Migmatite est issu de parcelles plus au sud, sur des terrains
LES DIFFÉRENTES CUVÉES argileux très lourds. Avec 50 % de grappes entières, Gilles
Fiche de dégustation recherche plus de structure, de la finesse aussi. Ce sont
des rouges classiques pour l’appellation, peu fumés, avec
Gilles travaille les trois couleurs, et fait aussi un vin effer- beaucoup de fruit.
vescent, soit onze cuvées au total, une gamme très étoffée
Enfin, Dacite est le petit dernier, la curiosité géologique
rapportée à la taille du domaine, et la volonté de donner à
qui donne une cuvée à part, unique. La dégustation révèle
goûter toutes les nuances du terroir.
un vin très floral, avec des notes de pivoine, de violette.
Les cuvées de blancs d’abord. Léger, rafraîchissant, c’est néanmoins un vin plus nerveux,
plus riche que La Madone.
Sauvignons de Madone est un assemblage de sauvignon
blanc, à 40 % et de Sauvignon gris, à 60 %, récoltés sur Gilles a aussi deux cuvées en IGP Urfé, avec les gamays
sol volcanique. Ce sont des vignes jeunes, avec de beaux – non conventionnels pour l’appellation – qu’il a plantés
rendements, qui donnent des vins frais. Sans fermentation plus récemment.

Vins d’Auvergne et du Massif central


72
LES VINS DE LA MADONE

Gamay’s est un assemblage de gamay teinturier et de LA BOUTEILLE PHARE


gamay de Bouze à jus blanc. Les raisins sont égrainés, selon le vigneron
l’élevage se fait sans souffre. Le vin est incroyable-
Deux cuvées ont une place à part dans le souvenir
ment fruité, avec des notes de fruits rouges très
de ces années passées à faire des belles quilles. Il y
vives. Un plaisir gourmand et canaille facile à boire…
a d’abord Roussanne 2007, une cuvée extraordinaire,
et à reboire !
un vin élevé sur bois, riche, gras, hors norme, qui l’a
Les Rougeots du clos représentent un assemblage de beaucoup marqué. Plus récemment, Migmatite 2017,
différents gamays teinturiers plantés à 600 m d’altitude, un millésime difficile et compliqué pour tout le monde
sur un sol de migmatite. Les jus ont beaucoup de couleur, dans la région, était vraiment bluffant !
avec des notes de fruits mûrs et une belle acidité qui
donne un côté métallique. 04 77 97 07 33

Enfin, Les Bulles de Madone, un effervescent rouge, www.lesvinsdelamadone.fr


donne une version colorée, gourmande et très fruitée du
gamay qui pétille, et participe à la fête ! 42600 Champdieu
GPS : 45.637396 / 4.027405

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
Votre saison ? Romanée-Conti en l’occurrence !
Le printemps. La nature, les vignes J’en garde un souvenir impérissable.
revivent, renaissent, il y a une explosion
La bouteille de vin d’Auvergne
de couleurs, de senteurs, c’est magique.
que vous auriez aimé signer ?
Vous êtes plutôt blanc ou rouge ? Le Marcillac Vieilles Vignes
Rouge. de Philippe Teulier.
Vous êtes plutôt gamay ou pinot ? Un plat qui vous fait saliver ?
Gamay. Une aile de raie aux câpres.
Un cépage inattendu que vous aimeriez Un accord met vin insolite ?
travailler ? Une Roussanne sur une fourme
J’adore les vins du Sud-Ouest, peut-être de Montbrison.
la négrette, ou le tanat, très différents
Un restaurant qui vous fait rêver ?
(l’un est assez léger et fleuri quand
À Laguiole, la maison Bras.
le second est dense, puissant), mais
plus que tout j’aimerais travailler Un vigneron que vous aimeriez rencontrer ?
le fer servadou ! Aubert de Villaine, du domaine
de la Romanée-Conti.
La bouteille que vous emmèneriez
sur une île déserte ? Un rêve que vous aimeriez réaliser ?
Un Chaupin du domaine Transmettre ma passion et mon domaine
de la Janasse, 2005. à mes enfants, qu’ils en soient fiers,
heureux, et puissent en vivre.
Un souvenir de dégustation ?
J’étais étudiant et nous avions été Si vous n’aviez pas été vigneron ?
embauchés pour donner un coup de main J’aurais forcément travaillé proche
au service, à la foire de Mâcon. À la fin de de la nature, en lien avec la préservation
l’événement, on a pu goûter tous les vins de la faune et de la flore, garde-chasse
du domaine de la Romanée-Conti – sauf la ou garde-pêche peut-être.

Vins d’Auvergne et du Massif central


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CAVE VERDIER-LOGEL
Marcilly-le - Châtel

UNE HISTOIRE DE SUCCESSION

A
vec les Verdier-Logel, c’est une histoire de pour lui succéder. Ce sera Odile, diététicienne, qui répond
famille. Jacky L. & Odile V. ont lancé le domaine à l’appel, avec Jacky Logel, son mari, menuisier travail-
dans les années 90. Maxime G. leur neveu et lant en Suisse. Ils saisissent ensemble l’opportunité
Julie L., leur fille, vont prendre la relève par qui se présente et viennent s’installer dans le Forez en
amour de cette terre forézienne transmise en héritage. 1991 avec leurs deux enfants. Si le grand-père avait des
idées, Jacky, lui, a des convictions. Il sera vigneron, tout
Au moment où s’organise la transmission du domaine,
simplement, et arrête les autres activités de la ferme !
la figure de Jacky reste emblématique de cette aventure
vigneronne au cœur du Forez, région et vignoble, décou- Pour satisfaire aux exigences réglementaires, Jacky
verts grâce à son épouse. Le personnage est riche et au lycée agricole de Mâcon-Davayé et Odile à celui de
contrasté de prime abord. C’est tout autant le copain Montbrison passent rapidement leurs qualifications.
idéal de belles soirées à refaire le monde qu’un grand Jacky apprend surtout à cette époque, tant sur les bancs
amoureux du vin, de la terre, un fin connaisseur aussi de l’école que dans les exploitations où il est accueilli,
qui sait écouter les autres. ce qu’il ne veut pas faire !

Maxime, depuis quelques années, et Julie qui arrive sur Avec 8 hectares de vignes, ils se lancent dans l’aven-
le domaine, vont pouvoir prendre leur envol, avec cet ture. Encore apprenti vigneron mais déjà sûr de son fait,
oncle, ce père comme parrain et cette tante, cette mère Jacky met ses premiers vins en bouteilles, 10 000 flacons
toujours calme et bienveillante pour les épauler. qu’il écoulera en quelques mois à peine. La cave Verdier-
Logel peut être créée véritablement. Lucile naît sur le
C’est Maxime que j’ai rencontré longuement pour parler domaine en 1992, en même temps que la première cuvée
du domaine mais c’est d’abord Jacky que l’on a beaucoup signée par Jacky.
évoqué tant il incarne le domaine et plus encore, l’his-
toire de ce vignoble forézien auquel il est si attaché. Cet Faute de moyens et déjà pressé, Jacky installe son chai
Alsacien arrivé en Loire en 1992 est devenu en quelques dans l’ancienne stabulation, transforme sommairement
années ou presque une légende. C’est peu dire, au moment le bâtiment en cuvage – un provisoire qui va durer. Le chai
où Maxime s’apprête à prendre la relève, que la figure est toujours là aujourd’hui, au bas de la maison – il devient
de Jacky incarne la cave Verdier-Logel depuis bientôt 30 le premier vigneron indépendant du vignoble forézien !
ans et que, de fait, la relève est un challenge. Il fera de sa méconnaissance du métier sa force, se
Jusqu’en 1990 le grand-père Verdier faisait du vin mais formera surtout sur le tas, un peu dans ses vignes, dans
avec son épouse, ils avaient choisi de diversifier les son chai, par expérimentation et rencontres. Il multi-
plie les contacts, visite les vignerons voisins de la Côte
revenus venant principalement de l’élevage en dévelop-
Roannaise, ceux des Côtes du Rhône septentrionaux,
pant des activités touristiques autour d’un écosystème
s’appuie sur un technicien de la chambre d’agriculture,
vertueux. Ils ont ainsi créé une auberge paysanne avec
se forge une opinion. Il a la sagesse d’écouter, d’obser-
les voisins agriculteurs, La Césarde, qui existe toujours
ver, de se renseigner. Il prend les bonnes idées là où elles
sur les hauteurs du village où l’on consomme les produits
sont, les adapte, les applique.
du cru. Puis, en entrepreneur avisé pour l’époque, il ouvre
un camping à la ferme et des gîtes. Il participa égale- Très vite il impose sa singularité, en plantant du pinot
ment à la mise en place de la cave coopérative du Forez. gris dès 1995, en introduisant les vinifications parcellaires
Espérant trouver une solution familiale pour assurer l’ave- en 1993, séparant les cuvées issues de basalte de celles
nir de son exploitation, il lance un appel à ses quatre filles issues de granit, en cherchant avant toute chose à faire

Vins d’Auvergne et du Massif central


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C AV E V E R D I E R - L O G E L

parler le terroir. Il accompagne le développement et le De cet accident climatique majeur, au domaine on garde
succès de la cave qu’Odile gère à ses côtés en achetant en mémoire l’élan de solidarité qui en a découlé : don
des terres, plantant de nouvelles parcelles, de nouveaux de vendanges par les amis vignerons, coups de main
cépages comme ces malbecs qu’il fait venir de Cahors ! des copains.
Il se lancera aussi par exemple, objet de raillerie des
Avec les aides à l’installation, l’énergie du débutant, la
voisins, dans la vendange verte car c’est à ses yeux un
foi dans cette entreprise et beaucoup de bonne volonté,
facteur de qualité indéniable !
il apporte du réconfort quand Odile et Jacky doutaient
C’est que Jacky est devenu un vrai amoureux du vin tout face à cette adversité. Il prend sa part du travail fasti-
autant qu’un fin connaisseur qui excelle dans les dégus- dieux avec les assurances, monte les dossiers, parti-
tations qu’il multiplie à l’envie, toujours à l’affût d’une cipe au redémarrage et s’associe à l’entreprise en 2015.
idée, d’une expression. Il plantera des viogniers, des
À son tour Maxime cherche à s’initier, mais si Jacky
rieslings, des gewurztraminers. Il adossera des rangs de
s’était rapidement, à grand coup de voix, imposé face au
vigne sur deux pics distants d’une dizaine de kilomètres, grand-père, il en sera autrement pour lui qui se glisse
l’un à Montverdun des pinots gris, l’autre aux Corbines avec discrétion à côté de l’oncle. C’est qu’il est plein
des syrahs — avec une bande de copains du cru ! de bonne volonté mais ne sait pas encore faire grand-
De tous ses voyages en Alsace, en Allemagne, de ses chose. Alors il subira régulièrement les foudres de Jacky,
rencontres, Jacky a très tôt la conviction qu’il faut meilleur vigneron que pédagogue, qui sait trop combien
modifier les modes de culture, le rapport à la terre. Il une erreur peut coûter cher pour laisser son apprenti
a été un des tout premiers à s’engager dans l’agricul- apprendre par tâtonnements. Maxime a la sagesse de
ture biologique, s’opposant sur ce sujet violemment à se plier avec humilité à l’exercice, de faire le dos rond
son beau-père ! Il faut dire qu’en 1997, le bio n’a pas quand les décibels montent, d’absorber avec discrétion
forcément bonne image, encore moins dans le milieu le savoir du tonton un peu flingueur ! Intuitivement, il
du vin d’ailleurs. Ce sera un chemin difficile, avec des sait que Jacky a bien souvent raison !
bonnes et des mauvaises surprises. Si, au début, les En 2013, il deviendra grand, Jacky lui propose de s’occuper
rendements baissent, en période difficile, les vignes de bout en bout d’une parcelle délicate, un peu compli-
des Verdier-Logel résistent naturellement ! quée, plantée en lyre. Cette cuvée, Apprendre à Lyres,
Jacky a la conviction profonde que ce travail impacte porte donc doublement bien son nom ! Maxime sort ses
positivement les vins, que la biodiversité dans les vignes premiers vins, avec une certaine fierté.
favorise la diversité des vins, renforce le côté distinctif Depuis les débuts, la cave Verdier-Logel a imposé une
du terroir de chaque parcelle. signature claire, une patte à nulle autre pareille, les vins
Homme de terrain et homme de réseaux, il s’engage ici sont à l’image de celui qui a fixé le cap, généreux,
aussi collectivement et fédère une dynamique qui authentiques, plus concentrés. Petit à petit, Maxime
aboutit en 2000 à l’obtention de l’AOC pour l’appella- apprend à faire des vins comme les aime Jacky, marqués
tion. Il s’impose naturellement en quelques années par le terroir, qui mettent en avant cette expression parti-
comme une des grandes figures du vignoble. Puis culière du gamay volcanique. Le domaine passe rapide-
ment le cap difficile des années de grêle, reprend son
vient le temps de s’interroger sur la suite. Lui, qui a
envol et sa notoriété qui le porte, auprès des clients, des
pris le métier et le domaine avec force et rapidité, sait
amateurs, des professionnels qui en ont depuis longtemps
qu’une transition peut être longue, qu’il faut prépa-
compris le potentiel.
rer le successeur. Alors, comme le grand-père Verdier
à l’époque, il lance un appel familial. Ses enfants En quelques années, Maxime aura su prendre petit à petit
sont en 2011 trop jeunes, trop loin ou pas intéressés. sa place dans le trio, avec Odile qui pilote l’administra-
Maxime, le neveu, un Verdier s’ennuie dans son métier de tif, la comptabilité, le caveau et l’accueil des clients et
laborantin à Lyon. Il voit là une opportunité de changer Jacky qui fait le tri dans les différentes activités et se
de vie. Après une courte formation à Mâcon-Davayé, consacre plus à ce qu’il aime. Ce dernier laisse progres-
quelques stages chez les copains de Jacky, il débarque sivement le travail des sols mais pas totalement celui
au domaine en 2012, une année après que la grêle ait des chais, passe un peu plus de temps à parcourir les
frappé durement le vignoble. salons, les caves, à porter la bonne parole. Ces dernières

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CAVE VERDIER LOGEL

années, Maxime s’engage aussi dans le travail collectif au bienveillant des sœurs Verdier, qui voient leurs progé-
niveau de l’appellation et prend en charge les questions nitures s’associer pour perpétuer le métier, le vignoble
de communication, bon sang ne saurait mentir ! reste dans la famille. Maxime et Julie vont faire en 2019
La greffe est réussie. Maxime ira jusqu’à racheter la leurs premières vinifications ensemble et imaginent déjà
demeure voisine, autrefois occupée par un ennemi de la la feuille de route qui les attend.
famille. Avec ce pied de nez aux rancœurs de voisinage, Il y a d’abord la question du chai, devenu au fil des
Maxime boucle l’histoire et peut voir l’avenir avec sérénité. années un joli capharnaüm et qu’il faut envisager de
Déjà le prochain changement se profile. Jacky atteint l’âge refaire totalement. Les premiers travaux ont débuté
de la retraite, Julie, une de ses filles, va reprendre à l’été dans les bâtiments qui jouxtent les maisons pour dessi-
2019 les parts de son père et rejoindre la société. Elle qui ner le contour des futures installations techniques et de
avait toujours laissé la porte ouverte à cette idée vient réception. L’arrivée de Julie va permettre d’accélérer le
de s’installer, comme ses parents quelques années plus financement et la réalisation.
tôt, dans un des anciens gîtes de la ferme et s’initie à son
tour au métier de vigneron. Avec un diplôme d’ingénieur Côté vigne et vin, Maxime et Julie envisagent de renou-
agronome, des expériences intéressantes en France et à veler le vignoble en plantant des sélections massales, de
l’étranger et une forme d’ADN viticole, elle va apporter s’orienter progressivement vers la biodynamie, de travail-
des atouts dans l’exploitation ! L’histoire dira si le père ler le potentiel de garde de leur vin pour renforcer l’image
sera plus pédagogue que l’oncle ! En tout cas, sous l’œil et donner à goûter des vins différents, plus aboutis.

Vins d’Auvergne et du Massif central


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Enfin, ensemble, ils veulent surfer sur la dynamique à auprès d’une clientèle de particuliers. Les profession-
venir des vins volcaniques et participer au rayonnement nels, cavistes et restaurateurs, représentent environ les
de l’appellation en France et à l’international. La troisième mêmes proportions. Les 20 % restant partent à l’export.
génération est en place, dans un contexte plus favorable
de montée en notoriété de l’appellation et d’image du LES DIFFÉRENTES CUVÉES
domaine bien installée. Fiche de dégustation
LE DOMAINE On fait différents blancs au domaine, qui donne à voir
une large palette de l’étendu des possibles, du vignoble
La superficie de l’exploitation est de 17 hectares de comme du savoir-faire du vigneron.
vignes. La grande majorité, 14,5 hectares, est plantée en
gamay, moitié sur des sols granitiques et moitié sur des Petite vertu, issue de viogniers plantés en altitude, donne
sols basaltiques. Les 3,5 hectares restant sont plantés un vin sur la fraîcheur du fruit, assez tendu.
en pinot gris, principalement et en viognier, en riesling, Loyela Blues, en riesling, avec une robe assez claire est
en malbec, en syrah ! un vin très floral, qui offre une belle finesse en bouche.
Les vignes sont plantées assez larges, avec un espace- Les pinots gris sont déclinés en deux versions, et
ment des rangs de 2,5 mètres et 4 000 pieds à l’hectare, témoignent de la sensibilité des terroirs, de leur expres-
ce qui est assez bas dans l’appellation. sion particulière.
Les parcelles sont pratiquement exclusivement autour Pierrelune est issu de parcelle granitique, c’est un vin
de la maison, du chai, à l’exception de deux parcelles, strict, tendu, avec une belle acidité et un peu d’amer-
nichées au loin sur des pics volcaniques embléma- tume, des arômes de fruits jaunes. La Sentimentale
tiques de la région ! montre l’expression du basalte sur le même cépage, le
La vendange est naturellement manuelle, triée pour vin est beaucoup plus gras, plus structuré et les aroma-
partie sur pied, pour partie sur table de tri à l’entrée tiques plus discrètes, tout en élégance.
du chai. Plus de la moitié est éraflée, avec des cuvai- On retrouve cette dichotomie sur les rouges avec les
sons mixtes « en sandwich » ! deux cuvées d’assemblage du domaine.
Le chai est constitué d’un ensemble hétéroclite de La cuvée des gourmets, en 100 % gamay, issue de vignes
cuves, en béton, en inox, en fibre, installées là au fil du plantées sur sols granitiques, donne un vin léger, fruité,
temps et de l’augmentation des volumes. On imagine
un peu canaille, facile à boire sur une planche de cochon-
facilement le joyeux bazar au temps des vinifications !
naille. La Volcanique, avec le même cépage mais issu
Pour les rouges, les jus sont encuvés de 8 à 10 jours pour de sols basaltiques, offre plus de tanins. C’est un vin
les cuvées les moins marquées, 15 jours pour la cuvée à l’abord plus austère mais qui gagne à être attendu
Volcanique et jusqu’à 3 semaines pour Poycelan. Les pour découvrir des arômes riches d’épices, de poivre,
élevages sont de 6 à 12 mois selon les cuvées, princi- un peu fumés. C’est une cuvée toute en sincérité, très
palement en cuve inox, à l’exception d’un peu de bois identitaire du domaine, avec une belle structure et une
pour arrondir les angles, du malbec par exemple. Les capacité à durer.
blancs sont pressurés en direct, avec des débourbages
Poycelan est une cuvée d’image, c’est un vin qui donne
à froid et une fermentation en cuve inox. Le principe
à voir la patte du vigneron qui s’y colle. On est sur des
général, c’est de faire des vins qui ont quelque chose
sols de basalte, plantés avec des sélections massales de
à dire, qui expriment leur histoire, leur attache et aussi
gamay qui donnent de toutes petites baies, très concen-
un peu l’histoire de leur maître – de chai !
trées. La cuvaison est plus longue, pour extraire toute
Compte tenu des volumes, les vins ne restent pas la finesse des grains, pour faire ressortir les tanins très
longtemps quand ils sont embouteillés. Il vaut mieux souples. Le vin offre à la dégustation un beau velours,
prévoir tant que Maxime n’a pas commencé à mettre des notes poivrées, des touches fumées. Une grande
quelques stocks de côté. La commercialisation se fait maîtrise et beaucoup de générosité dans ce vin qui met
en grande partie au caveau, pour 40 % des volumes, en valeur la belle expression du gamay d’ici.

Vins d’Auvergne et du Massif central


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C AV E V E R D I E R - L O G E L

Enfin, dernier né de la gamme, Côt à Côte est une ode autre limite que le cadre défini au départ. Il y a aussi de
poétique à la France vigneronne. Des malbecs de Loire la nostalgie, car les parcelles vont être arrachées et que
vinifiés à la beaujolaise, pour éviter que les tanins ne ce vin n’existera plus, sous cette forme.
soient trop envahissants. Le vin est léger, sur le fruit,
avec des belles notes de fruits rouges.
04 77 97 41 95
LA BOUTEILLE PHARE
selon le vigneron www.verdier-logel.com

Pour Maxime, Apprendre à lyres garde une place à part, 640 rue de la Côte,
celle de ses premiers essais, de son apprentissage, comme 42130 Marcilly-le-Châtel
un jouet que l’on commence à utiliser et maîtriser, sans GPS : 45.703054 / 4.031603

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
C’est Maxime qui s’est prêté au jeu. La bouteille de vin d’Auvergne
que vous auriez aimé signer ?
Votre saison ?
Un pinot noir à Saint-Pourçain,
L’automne, pour la cuisine qui va avec,
de Florent Barichard, les Terres d’Ocre.
les champignons, les châtaignes, les
pâtés aux pommes de terre que l’on Un plat qui vous fait saliver ?
fait pour les vendanges. Pour Odile, Le patia ! Une spécialité très forézienne.
c’est aussi l’époque des vendanges. Pommes de terre cuites très longtemps
On y travaille dur mais c’est un temps dans la crème, le plat que l’on mangeait
de rencontre et de partage. autrefois dans les jasseries des monts
du Forez.
Vous êtes plutôt blanc ou rouge ?
J’étais très rouge… je suis de plus Un accord met vin insolite ?
en plus blanc ! Un gewurtz sec avec des fromages
puissants, types maroilles,
Vous êtes plutôt gamay ou pinot ?
langres, munster.
Gamay.
Un restaurant qui vous fait rêver ?
Un cépage inattendu que vous aimeriez
Pas très loin d’ici, Jacques
travailler ?
et Régis Marcon.
Riesling – mais on en fait déjà,
le cabernet franc. Un vigneron que vous aimeriez rencontrer ?
Pas forcément un en particulier,
La bouteille que vous emmèneriez
mais plutôt en général, les vignerons
sur une île déserte ?
du Val de Loire, pour comprendre
Un Côtes du Forez, sur basalte,
quelle raison les a poussés
qui me rappelle la maison.
à abandonner le gamay !
Un souvenir de dégustation ?
Un rêve que vous aimeriez réaliser ?
Le dernier qui m’a marqué, un très bon
Que l’histoire se perpétue, que mes
vin corse, avec des noms de cépages
enfants vivent ici, continuent la vigne, que
imprononçables, qui est sorti tout seul,
le film de ce qui nous lie se poursuive.
au milieu d’une série de quilles, sans les
a priori de l’étiquette. Un vin rustique, Si vous n’aviez pas été vigneron ?
très frais, identitaire. J’aime bien les Je serais toujours laborantin ! Non, pas
dégustations à l’aveugle. possible… peut-être chef-cuisinier !

Vins d’Auvergne et du Massif central


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Vins d’Auvergne et du Massif central
80
ROMAIN PAIRE DOMAINE DES POTHIERS
Villem ontais

ENTRE TRADITION & MODERNITÉ,


L’HISTOIRE D’UN LIEU-DIT DEVENU
UNE MARQUE REPÈRE !

O
n pourrait dire en écoutant Romain nous principalement de l’élevage. La surface de vigne oscille
parler de son histoire qu’elle recèle à la fois ainsi entre quelques arpents et une dizaine d’hectares,
des racines et des ailes. Les racines de cette sur lesquels alternativement on plante ou on arrache des
famille qui a su garder ce domaine, jusqu’à ceps, au fil des siècles. La ferme est toujours au centre
prendre le nom du lieu-dit sur lequel elle s’était un jour des terres, avec la bâtisse d’habitation et les bâtiments
posée. Les ailes de faire connaître au monde entier les dédiés à l’exploitation. Les terres les plus belles, en hauteur,
qualités longtemps insoupçonnées des vins de la Côte sont généralement plantées de vignes, les plus humides,
Roannaise qu’il contribue à magnifier. au bas du domaine, servent à l’élevage et au pâturage.

Entre transmission et transgression, Romain construit son Romain s’intéresse depuis tout petit à l’agriculture. Très
parcours et son identité. Très tôt attrapé par le succès, vite, lui qui suit son père dans les travaux quotidiens de
avec la mise en lumière inattendue de ses vins par une la ferme, sait qu’il sera en charge de porter cet héritage.
star du milieu, il surfe sur cette notoriété soudaine pour On ne prend pas les terres, on en hérite et on les garde
solidifier l’édifice, diversifier son offre, ancrer le domaine jusqu’à les transmettre, à la génération suivante.
historique dans l’avenir de l’appellation. Pourtant, il opte très tôt pour une spécialisation et choisit
Dans cette partie plus méridionale du vignoble roannais, de se former avant toute chose à devenir vigneron. En
le nom des Pothiers est associé au lieu depuis des siècles. 2003 il obtient son BTS puis enchaîne sur une licence
Romain revendique avec autorité 1 000 ans d’histoire et commerce du vin en 2004, conscient que savoir produire
nous apprend que la famille a épousé au XIVe siècle le du vin, même bon, ne suffit pas si on n’a pas de stratégie
nom du lieu-dit où elle est implantée. On sent l’engage- pour valoriser et écouler les stocks ! Quand il rejoint la
ment de Romain à perpétuer l’activité aujourd’hui profon- propriété en 2005 et s’associe avec son père, les vignes ne
dément ancrée dans ses racines terriennes et ances- représentent que 5 hectares, déclinées autour de quatre
trales. Si jour après jour, dégustation après dégustation, cuvées. Romain décide à cette époque de louer quelques
il s’affirme comme une des stars de l’appellation, tant sa arpents de vignes, pour étoffer la production et élargir le
réputation a franchi rapidement les portes du domaine, champ des possibles. Pendant des années, il va se consa-
la mémoire des anciens le contemple et l’oblige. crer à faire grandir le domaine, acheter des terres, un
hectare par an, méthodiquement, planter des parcelles.
Toujours resté dans la famille des Pothiers, il a fallu la Il va s’employer à rénover les pratiques et à démultiplier
Grande Guerre, son hécatombe pour que, faute de fils l’offre. Georges reste avec lui jusqu’en 2017, l’assiste,
revenu de la boucherie, le domaine change de lignée et l’accompagne, le conseille. Ils travaillent de concert et
que le beau-frère, Claude Paire, prenne le relai. C’est de l’envie de l’un se nourrit de l’expérience de l’autre. Ayant
cette branche qu’est issu Romain, quatrième génération la chance d’avoir son père au domaine, Romain va aussi
de Paire à œuvrer au domaine, où il s’est installé à son passer pendant ses premières années beaucoup de temps
tour dans la bâtisse historique. à présenter ses vins, les faire découvrir, les faire aimer. Un
travail de pédagogie et d’évangélisation qui porte rapide-
C’est aussi en fonction des choix radicaux en termes
ment ses fruits, qui l’installe durablement sur le marché
d’orientation des cultures, de l’activité, qu’il décide et
des cavistes, influents relayeurs d’image.
met en œuvre et en surfant sur la notoriété nouvelle de
l’appellation qui bouge en parallèle, que le domaine prend Petit à petit, le fils s’affirme. Si on efface le prénom de
vraiment son envol, se crée une identité. Longtemps, ici Georges sur les étiquettes des bouteilles, il reste pour
comme ailleurs, on a fait du vin à côté d’autres cultures, autant sur la porte du domaine ! Le moteur de Romain est

Vins d’Auvergne et du Massif central


81
DOMAINE DES POTHIERS

clairement le changement, l’innovation, mais il puise son il a longtemps du mal à comprendre l’intérêt, l’approche,
énergie dans cette tradition partagée. On se situe plus les méthodes alors il déguste beaucoup, étudie pour se
dans l’accélération que dans la rupture. faire son opinion, comprendre et construire sa méthode.
Il bascule totalement en 2010.
Le travail de Romain se distinguera par des vinifications
toutes en élégance, en finesse. Il sera repéré dès 2008 Avec un peu de recul, il mesure l’apport de ces choix sur
par Olivier Poussier, meilleur sommelier du monde (qui ses vins qui présentent beaucoup plus de fraîcheur, d’équi-
participera à révéler au plus grand nombre Benoît Montel libre, de profondeur. L’acidité naturelle est présente, struc-
en 2019 !), qui attirera les regards sur lui et permettra turante comme une béquille qui épaule le vin en devenir.
d’enclencher une mécanique vertueuse. Les premiers La matière est plus nuancée, en témoin du terroir, de sa
succès et la notoriété grandissante donnent les moyens diversité. Il constate aussi combien les terres sont vivantes,
de faire mieux, d’investir, d’augmenter la qualité, de vendre animées, les vignes plus fortes, résistantes.
plus cher, de replanter et de continuer à progresser ! La
dynamique est en place, les bases solides ! Engagé, il l’est aussi pour son appellation dont il préside
le syndicat avec la volonté de se mettre au service du
Transition en souplesse aussi pour l’activité d’élevage, que collectif pour faire rayonner la Côte Roannaise comme il
Romain délaisse longtemps et dont il découvre au moment a su le faire pour son domaine. Il sent bien que le vent est
où Georges prend sa retraite l’intérêt, la complémenta- favorable et qu’il faut aider les vignerons les plus anciens
rité avec la viticulture. Il y a en effet beaucoup de bases à transmettre. Il faut également susciter des vocations
communes entre les deux activités, et c’est un facteur de pour que des jeunes s’installent d’autant que le foncier
cohérence pour le domaine. Le fumier des vaches sert de est encore à un prix très abordable.
compost pour les vignes, les marcs de raisin finissent dans
l’alimentation des limousines, sans parler de la commer- Il n’a d’autres inquiétudes, en bon paysan, que de voir les
cialisation, où les passerelles sont nombreuses dans le accidents climatiques contrarier ses projets, et mesure
monde de la gastronomie ! combien la vulnérabilité des exploitants est aujourd’hui
excessive. Mais cela n’empêche pas d’avoir des projets.
Pour Romain, maintenir cette double activité est désor- Déjà à l’étroit dans ce chai qui n’a pas 10 ans, il a dessiné
mais une évidence, car la cohérence technique n’est rien les plans des prochains bâtiments, en continuité des
à côté de la cohérence générationnelle qu’il faut entre- vieux murs actuels, qui abriteront deux nouvelles caves,
tenir. Avec ce tribut au travail des ancêtres, Romain fait un espace de stockage pour les bouteilles, des bureaux
aussi œuvre de mémoire, ce qui n’est pas pour lui déplaire. et un caveau de dégustation pour accueillir les visiteurs.
Cette transition douce trouve tout son sens dans la Il veut aussi continuer à planter quelques vignes avec
conversion en bio qui devient aujourd’hui une marque de l’objectif d’atteindre la superficie de 25 hectares.
fabrique maison, une signature du domaine.
Ses enfants sont encore un peu jeunes pour se projeter
Georges a toujours eu conscience de la nécessité de faire dans la suite, lui pas assez vieux pour passer la main, s’arrê-
attention à la terre héritée des ancêtres, sans s’engager ter en si bon chemin. Cependant, on imagine aisément
à l’époque dans une démarche labellisée. Romain choisit que l’histoire des Paire au lieu-dit des Pothiers est loin
dès la première année la certification bio puis rapidement de nous avoir tout révélé !
intègre les princeps de la biodynamie. Il veut faire des
vins propres, sans impact sur l’environnement !
LE DOMAINE
Il observe les autres vignerons, s’interroge. Il mesure
aussi combien son père a été précurseur dans ses choix de Le domaine couvre 21 hectares de vignes, plus les prairies
culture, dans son approche raisonnée. Le bio est de suite dédiées à l’élevage bovin. Romain a principalement planté
une évidence, avec la conviction qu’il faut commencer par du gamay Saint-Romain, sur environ 17 hectares, que
se protéger soi-même, conscient aussi de sa responsabilité complètent 2 hectares de chardonnay, 1 hectare de pinot
environnementale, de son impact sociétal puis mesurant, gris et pour l’anecdote quelques rangs de riesling et de
anticipant finalement, l’engouement des consommateurs. négrette. La moitié des vignes est située à immédiate
Toutefois, ce ne sera qu’un début car très vite il a envie proximité des bâtisses et Romain a progressivement
d’aller plus loin. Intéressé par la biodynamie dès l’origine, racheté et souvent planté l’autre moitié.

Vins d’Auvergne et du Massif central


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Les sols ici, comme sur beaucoup de la Côte sont grani- commerciale, un levier de développement direct – par
tiques, avec quelques variantes selon les parcelles. Une les volumes : il écoule aujourd’hui auprès d’eux plus
densité moyenne de l’ordre de 5 000 pieds à l’hectare de la moitié de ses bouteilles – et indirect : ils sont des
et un travail adapté de taille permettent de bien maîtri- relais de notoriété. En prenant régulièrement la route,
ser les rendements et les maturités. Les vignes sont en il voit des gens, comprend leurs attentes, valorise son
engrais verts, un rang sur deux, travaillées aussi un rang travail. Il peut se confronter à leurs dégustations, discu-
sur deux et labourées sous les pieds. ter, argumenter.

Le chai dans sa forme et son organisation actuelles date L’export constitue le second gros débouché, avec plus
de 2011, quand Romain s’est senti à l’étroit et limité techni- d’un tiers des ventes, aux États-Unis, en Europe du Nord,
quement par le cuvage historique et la cave de vieillis- au Japon… Enfin la restauration, pour 5 %, et les parti-
sement existantes. Pour mettre en œuvre sa vision des culiers, pour 5 %, complètent les ventes.
vins, pour décliner sa patte déjà affirmée, il a choisi une
organisation en ligne des cuves, qui permet de limiter LES DIFFÉRENTES CUVÉES
au maximum les transports, de raisins, de jus. Il a choisi Fiche de dégustation
des matériaux bruts – l’inox, le béton et le bois – pour
toujours vinifier au plus près du terroir. Le côté millimé- Romain vinifie plus d’une dizaine de cuvées, entre les
tré des installations, l’organisation des équipements, la assemblages et les parcellaires, trois en blancs, une en
dynamique des tâches qui s’enchaînent, tout ici tranche rosé et en pétillant et sept en rouges. Toutes sont présen-
avec l’image extérieure rustique des bâtiments. tées avec la même identité qui a été choisie et mise en
place en 2009. Les étiquettes déclinent sur une même
Quand l’automne approche et que les raisins sont mûrs, base graphique des couleurs pastel et avec elles les
la vendange est naturellement manuelle, avec un premier nuances de son terroir, de ses parcelles, de ses envies.
tri par les vendangeurs, sur le pied, et un second, sur
table, à l’arrivée au chai. Une partie importante de la Aris est une cuvée d’assemblage de jeunes vignes de
vendange est égrappée, mais Romain laisse souvent chardonnay, élevée en cuve béton. Ce vin produit en plus
un peu de grappe au cœur des cuves. Les macérations grande quantité, est assez vif, tendu, floral. C’est un vin
sont assez courtes, de 8 jours à 3 semaines au maximum assez frais, facile, à boire jeune.
pour certaines cuvées — et jusqu’à 6 mois pour les essais Fou de Chêne est vinifié à partir de vieilles vignes de
en amphore — en levures indigènes, sans souffre pour chardonnay, avec un élevage plus long, en foudre.
les rouges. Romain laisse travailler le raisin, il fait peu Derrière une robe, très claire, se dévoile un nez assez
d’extraction, intervient peu sur les fermentations, avec vif, avec des notes acidulées. En bouche, le vin est très
un nombre très limité de pigeages ou de remontages. gras, avec un côté velours détonnant de l’impres-
Les élevages se font dans des cuves béton où, pour privi- sion visuelle et olfactive, le bois est assez présent.
légier les matériaux respirants, dans des grands foudres C’est une version aboutie de la cuvée Aris qui peut
de bois. Chaque cuve peut loger environ un hectare de se garder avec sagesse quelques années.
vendange, ce qui correspond en règle générale à la taille
Hors piste est une déclinaison, dans l’esprit de Fou
des parcelles. Six cuvées sont ensuite assemblées et six
de Chêne, mais avec des pinots gris. Après un an
cuvées vinifiées et élevées séparément, pour garder la
d’élevage, sur lie, cette cuvée garde une
spécificité et l’identité de la parcelle qui les produisent.
belle fraîcheur, reste très minérale. C’est
Conscient très tôt de leur rôle d’influenceurs, Romain un beau vin sec, tendu, avec des arômes
a toujours considéré les cavistes comme une priorité d’épice, de fruit jaune.

Vins d’Auvergne et du Massif central


83
DOMAINE DES POTHIERS

Domaine est la cuvée du père, issue de vignes histo- bouche, il a une généreuse opulence qui s’affirmera avec
riques plantées par le grand-père. Avec un élevage pour des mets plus riches.
partie béton et un tiers de foudre, cette cuvée se carac-
Les Grenettes résulte d’un essai, tout nouveau, de vinifier
térise par une agréable légèreté, un peu de matière et
des ceps de négrette. Jeu de mains, jeu de vilains, le jus
la densité du fruit. C’est un vin au profil aquilin d’où
est très concentré, presque noir, avec un côté canaille
ressortent des notes épicées. Vin tout en souplesse qu’il
très marqué qu’on ne retrouve pas dans le reste de la
convient de boire sur le fruit.
gamme, plus policé et à l’élégance noble.
N° 6 (du nom de la cuve où il a été produit la première
fois !) est une cuvée issue de deux parcelles assemblées, LA BOUTEILLE PHARE
aux rares sols d’argile. C’est un vin plus rond mais avec selon le vigneron
une belle matière. C’est un vin épicé aux belles notes
poivrées, un vin qui a de l’esprit, et revendique son lieu Le Clos du Puy 2010, ce fut un millésime improbable, que
de naissance avec fierté. nous n’avons pas vu venir. Avec le temps, cette cuvée est
devenue incroyable ! Le plus bel équilibre entre acidité,
La Chapelle est un cuvée parcellaire issue d’un terroir de fraîcheur et matière qu’il m’ait été donné à produire.
granit vert, les vignes les plus en altitude de Romain. Si
l’épice est bien présente, le vin apparaît plus léger, avec
une petite astringence en fin de bouche.
04 77 63 15 84
Clos du Puy est issu d’une parcelle en granit rose, plantée
en altitude, et qui présente la particularité d’être close www.domaine-des-pothiers.com
de murs, comme en Bourgogne ! C’est un vin qui se
mérite, qui se révèle. Les arômes de fruit sont concen- Les Pothiers, 42155 Villemontais
trés, presque infusés. Avec beaucoup de matière en GPS : 45.999898 / 3.952814

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
Votre saison ? Un plat qui vous fait saliver ?
L’automne, les vendanges qui démarrent Une côte de bœuf, limousine
et marquent l’aboutissement de toute évidemment, élevée au domaine
une année de travail. encore mieux !
Vous êtes plutôt blanc ou rouge ? Un accord met vin insolite ?
Rouge. Oups ! Mon vin de paille de gamay, 3 ans
Vous êtes plutôt gamay ou pinot ? d’élevage oxydatif, avec une fourme de
Gamay Saint-Romain, forcément. Montbrison, accord local, accord parfait !

Un cépage inattendu que vous aimeriez Un restaurant qui vous fait rêver ?
travailler ? La Marine à Noirmoutier,
Riesling. Alexandre Couillon.
La bouteille que vous emmèneriez Un vigneron que vous aimeriez rencontrer ?
sur une île déserte ? Les frères Gonon à Saint-Joseph.
Pas un vin de chez moi ! Mais un gamay,
peut-être une morgon de chez Desvignes. Un rêve que vous aimeriez réaliser ?
Monter tout en haut du mont Blanc.
La bouteille de vin d’Auvergne
que vous auriez aimé signer ? Si vous n’aviez pas été vigneron ?
Bourrassol de Benoît Montel. Paysan, d’une manière ou d’une autre.

Vins d’Auvergne et du Massif central


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L AURENT & CHRISTINE DEMEURE VIN & PIC
Boisset-Saint-Priest

L’HOMME QUI A DU MAL À CHOISIR !

L
aurent Demeure a découvert ce milieu du vin et se distingue, par la qualité de ses cuvées, par l’origi-
par hasard, presque par raccroc. Lui qui a tout nalité de son discours.
appris sur le tard et sur le tas, fait des vins d’une
Quand vient le temps de penser à sa succession, Daniel
grande variété et d’une belle complexité. Plus
essaie autant qu’épuise ou congédie quelques préten-
attaché à sa terre, à ses vignes, qu’à son appellation, il
dants qui n’ont pas su trouver leur place. Il se rend
ne jure que par la diversité des cuvées. Dur au labeur,
compte combien il va être difficile de trouver la perle
toujours enthousiaste quand il parle de son métier, il
rare qui saura lui succéder sans le remplacer, le suivre
ne semble s’épanouir que par les expérimentations qu’il
tout en continuant à innover, puiser dans son savoir sans
conduit chaque année, sur des vinifications, sur des
le copier. Apprenant la situation de Laurent, pressentant
cépages, sur des parcelles, pour nous étonner beaucoup,
la possible complicité à installer, il vient donc frapper à
nous régaler toujours.
sa porte : « Tu arrêtes le lait, tu vas être au chômage,
Le domaine est aujourd’hui autant marqué par la figure est-ce que tu voudrais faire du vin ? » Alors Laurent suit,
tutélaire de Daniel Mondon, le fondateur, que par la géogra- instinctivement. Il saisit cette chance qui lui est donnée
phie du vignoble dont l’incroyable pic de Saint-Romain-le- de rester dans le monde agricole. Difficile de dire s’il se
Puy. Il faut mentionner l’énergie que déploient Christine, choisit un nouvel avenir ou si c’est le vin, et Daniel, qui
son épouse, et Laurent à faire découvrir leurs vins. l’ont choisi. Après une période probatoire, probante, une
rapide vérification de l’état de la comptabilité, l’associa-
Tout a commencé par un coup frappé à sa porte en 2005,
tion est scellée et Laurent rentre au GAEC en 2006.
quand Daniel Mondon est venu proposer à Laurent Demeure
de s’associer avec lui et de faire du vin ! La réponse ne Le tandem improbable se met en place, Laurent avide
s’est curieusement pas faite plus attendre que la question. d’apprendre reste dans l’ombre de Daniel, il écoute,
Elle n’était peut-être pas beaucoup plus réfléchie, mais a observe, questionne. Lui que rien ne prédestinait au vin
scellé le destin de l’un comme de l’autre, le début d’une n’a aucune à idée préconçue sur ce que doit être le vin,
belle amitié, d’une grande complicité. ce qu’il doit dire, représenter. Il prendra tout ce que lui
donne Daniel sans a priori, il prendra même et surtout
Laurent était venu quelques mois plus tôt s’installer dans
ce virus d’excentricité qui caractérisait le vigneron et qui
le village de sa femme pour succéder à son beau-père
est devenu 15 ans après la signature assumée et reven-
avec le projet de reprendre l’activité laitière familiale.
diquée du domaine.
Après une courte formation en poche, il avait tourné sans
regret le dos à sa vie d’avant, abandonné précipitamment Pendant cette période d’apprentissage, avec le souci de
la ville et convaincu Christine de le suivre. Les débuts s’installer durablement, de faire vivre sa famille, Laurent
ont été plus compliqués qu’escomptés et le conduisent commence à agrandir le domaine. Par devoir de reconnais-
très vite à renoncer à son projet et à cesser l’activité. Il sance, de tribut à l’accueil qui lui a été fait et la chance
se retrouve un peu perdu, se demande ce qu’il va bien donnée, par sens d’une responsabilité nouvelle aussi, lui
pouvoir faire pour se relancer, avec toujours le désir de qui n’est ni vigneron à la base, ni natif du cru, veut faire
rester proche de la terre ! perdurer le patrimoine forézien. Il rachète petit à petit
des parcelles en choisissant toujours celles qui ont une
De son côté, Daniel Mondon avait depuis 1974 créé un GAEC
histoire : plantées en 1924, en 1936, rattachées à un lieu
avec son frère et sa femme, et ils faisaient tous les trois
particulier. Si choisir c’est renoncer, lui qui ne sait pas
du vin, mais aussi d’autres choses. Plus en charge de la
choisir ne peut pas renoncer quand se présentent ces
partie viticole du domaine, Daniel s’était au fil des années
mini-parcelles endormies. Il les rajoute à l’escarcelle aussi
imposé comme un vigneron un peu décalé et très talen-
garnie qu’hétéroclite, on s’arrangera toujours !
tueux. Tournant le dos à la coopérative locale en 2000
pour se lancer en vigneron indépendant, il multiplie les « Mais où sont les vignes ici ? » C’est presque un leitmo-
essais et les cuvées. Il a un côté savant-fou, qui s’amuse tiv, une question qui revient à chaque fois qu’il fait visiter

Vins d’Auvergne et du Massif central


85
XXX

Vins d’Auvergne et du Massif central


86
VIN & PIC

le vignoble à des visiteurs attirés par l’énergie et la folie Les Demeure se retrouvent seuls, même si Daniel veille
du maître des lieux, curieux de comprendre d’où sortent toujours au grain. L’homme, l’ami, n’est jamais très loin
ces vins improbables. Dans ces terroirs qui ont largement pour réconforter, apporter un conseil, lever les doutes
perdu la mémoire des vignes qui recouvraient tous les qui s’installent parfois. Mais la charge de travail dans les
vallons et coteaux au XIXe siècle, ne subsistent aujourd’hui, vignes et au chai reste conséquente et difficile pour un
comme presque partout en Auvergne, que quelques traces seul homme. Alors Maxime, le fiston, décide de rejoindre
éparses. Pourtant, quel choc quand il nous emmène au l’aventure.
pic Saint-Romain, une des plus belles vignes qu’il m’ait
Même si l’on vit bien du vin aujourd’hui ici, les aléas sont
été donné de voir, accrochée à flanc de colline, plantée
immenses, les incidents climatiques destructeurs, les
en terrasse. Laurent l’appelle son « Mont-Saint-Michel »
réglementations de plus en plus contraignantes. Il faut
et on imagine bien, les jours où la brume recouvre les
un sacré moral et un bon physique pour se lancer dans
paysages, l’émergence de ce pic comme flottant sur une
l’aventure ! Pour Christine et Laurent, cette arrivée est
mer de nuage ! un signe pour continuer à développer le domaine. Avec
L’histoire de cette parcelle, exploitée par deux vigne- l’idée de la relève future, la perspective de durer, le temps
rons du cru, est assez étonnante. Quand la municipalité est revenu d’avoir des projets, d’imaginer l’avenir et de
entreprend de réhabiliter les ruines de cet ancien prieuré s’y préparer !
magnifique, se pose rapidement la question de défricher Pour Laurent, le rêve serait de pouvoir construire un beau
les pentes. Deux vignerons proposent d’y planter des chai, plus près du village. Un nouveau chai qui apporte,
vignes et se partagent en 97 les quelques hectares de par rapport aux installations actuelles, de l’espace. Il en
terrasses, à construire. manque terriblement comme de la rationalisation et la
Ce sera aussi le début de l’aventure pour Daniel, qui décide modernisation des équipements pour gagner en maîtrise.
de tourner le dos à la cave coopérative pour s’installer en Christine, elle, rêve que Laurent arrive à se discipliner un
vigneron indépendant. Vingt ans plus tard, Laurent choisira peu, se concentre sur un nombre plus limité, plus gérable,
à son tour d’innover avec des plantations atypiques et de cuvées. Si le projet de Laurent semble réaliste autant
de les placer sous la protection de trois femmes emblé- que réalisable, celui de Christine apparaît plus utopique,
matiques du village. Il choisit d’implanter des chenins, tellement cette effervescence créative est une signature !
les premiers sur le fleuve Loire dont il fera trois cuvées,
Berthilde, Dédette et Anna aux typicités marquées. LE DOMAINE
Au cours de ces années, l’organisation du domaine va
régulièrement évoluer. C’est que la voie du développe- L’exploitation fait aujourd’hui 8 hectares de vignes très clair-
ment n’est pas évidente sur ce domaine atypique. semées. La plus grande parcelle couvre les pentes du pic
Saint-Romain, sur environ 2,5 hectares où on retrouve les
Laurent n’est nulle part ailleurs mieux que dans ses vignes, viogniers historiques, des syrahs, des siebels, des gewurzt,
artiste vigneron plus que commerçant, il s’amuse. Pour encore jalousement entretenus par Daniel Mondon !
lui le travail commence au premier coup de sécateur en
janvier et la saison se termine au chai, quand il faut vinifier À Saint-Georges-Haute-Ville, une parcelle de 1,5 hectare
les raisins qui arrivent. Pour le reste c’est le domaine de est plantée principalement de chardonnay et d’un peu
Christine, qui a rejoint le GAEC officiellement en 2013 de siebel. La troisième belle parcelle, de 1 hectare de
chenin, est à Boisset. Pour le reste, il faut compter avec
avec l’enjeu commercial en tête. Le domaine prend le
de nombreux petits îlots de 1 000 à 3 000 mètres, disper-
nom de Vin & Pic, en toute simplicité, les noms s’effacent
sés au gré des trouvailles, des envies, de Laurent, dans un
derrière les lieux !
large rayon autour de la maison. La parcelle de Boutonnière
Quand vient pour Daniel le temps de prendre sa retraite, par exemple, est la plus haute de l’appellation à l’évi-
les Demeure accueillent Pierre Rolle, un jeune vigneron, dence. Cette organisation du vignoble présente l’avan-
formé dans de grands domaines. Laurent devient à son tage de limiter l’exposition aux risques climatiques, très
tour celui qui doit transmettre, assurer le tuilage avec localisés en général, mais n’est pas sans poser quelques
le nouvel arrivant. Ils vont poursuivre ensemble l’aven- contraintes d’exploitation, quand il faut intervenir sur la
ture pendant cinq années avant que Pierre ne parte vers culture et suivre l’évolution des vignes tout au long de
d’autres horizons en 2018. l’année ! Les sols sont principalement granitiques, avec,

Vins d’Auvergne et du Massif central


87
VIN & PIC

sur le magnifique piton volcanique de Saint-Romain-le- à la maison. Les Demeure participent aussi à quelques
Puy, des résurgences d’argile et de sable qui donnent marchés de Noël, dans le coin, ainsi qu’au salon de
une finesse toute particulière aux vins qui naissent ici ! Saint-Galmier, « La Loire aux trois vignobles » ! Les profes-
sionnels, restaurateurs et cavistes, se chargent d’écouler
Les Demeure n’ont pas fait le choix de basculer en bio,
le reste de la production et représentent environ chacun
mais s’inscrivent depuis toujours dans une agriculture
20 % des volumes.
raisonnée. Laurent intervient très peu dans les vignes,
limitant au maximum les interventions, même s’il en faut
compte tenu de la topologie particulière du domaine,
LES DIFFÉRENTES CUVÉES
difficilement mécanisable. Au chai, il intervient encore Fiche de dégustation
moins, sans intrant extérieur, utilisant uniquement des Les cuvées sont tellement nombreuses qu’il est diffi-
levures indigènes. cile de parler de chacune. Laurent travaille toutes les
Si la majorité des vignes sont en zone d’appellation, Laurent couleurs, les cépages, les maturités. Il s’amuse aussi à
n’a jamais trop cherché à revendiquer cette origine dont faire quelques effervescences et des assemblages inatten-
il pense qu’elle véhicule encore une image difficile, de dus. Il aime plus que tout aller au bout de ses recherches,
vins à l’acidité rebelle ! Il vinifie la majorité des parcelles comme avec cette parcelle de chenin qu’il a voulu décli-
et des cuvées en Vin de France, sans que cela ne pose ner en blanc sec, en liquoreux et en méthode tradition-
aucun problème de commercialisation. nelle, trois expressions très différentes d’un même raisin !

Le chai est toujours au cœur de l’exploitation des Mondon, Commençons par les blancs les plus identitaires…
entre l’ancien séchoir à tabac qui sert de hangar, les maisons Aldebertus, 100 % viognier. C’est un peu la cuvée phare
de Fernand et de Daniel, les étables. Dieu n’est jamais très du domaine, issue du pic Saint-Romain et au patronyme
loin quand il faut goûter, décider, arbitrer, partager une du premier prieur qui s’installa ici ! Les raisins sont récol-
nouvelle idée ou un coup à boire… Le bâtiment qui abrite tés en légère sur-maturité. Dans le verre, le vin offre une
la partie technique est séparé entre un espace de récep- belle robe intense, qui donne un avant-goût de la densité
tion de la vendange, ouvert sur l’extérieur, une cuverie à venir en bouche. Le nez est très expressif avec des notes
où se côtoient plein de petites cuves, en fibre de verre de fruits jaunes, des touches exotiques aussi. Enfin, on
pour la plupart et un petit caveau pour les barriques, où découvre un bel équilibre entre l’opulence, la générosité
les plus belles cuvées continuent leur élevage au calme. d’un côté et la finesse de l’autre.
Dans la plus grande salle du bâtiment, de nombreuses
grandes tables sont là, à l’année, pour accueillir les Fort et Libre (phonétiquement Forez libre !) est une
vendangeurs, à la saison et le traditionnel repas annuel quille très originale, d’une grande complexité, qui peut en
où les Demeure accueillent leurs amis et clients autour décontenancer certains. C’est un assemblage de viognier
d’une pantagruélique soupe au chou et force flacons du et de gewurztraminer, également récolté en légère sur-
cru ! C’est que ce lieu, inadapté à souhait pour faire du maturité, pour donner beaucoup de gras et de rondeur.
vin, respire la vie, l’envie ! Laurent s’y attache même s’il Cette cuvée est élevée sur lie en barrique. La robe est
songe parfois à s’installer dans un chai plus fonctionnel, très soutenue, un beau jaune, le nez est d’une grande
plus adapté à sa créativité débordante. finesse, avec des notes de pêches de vignes, de litchis.
On retrouve en bouche une concentration rare, une belle
Le travail sur la vendange est d’une simplicité toute en
intensité. C’est un vin qui s’apprivoise et devient totale-
contradiction apparente avec la belle complexité des vins
ment addictif !
qui écloront quelques mois plus tard. Pas de tri à l’arrivée
au chai, un égrappage sur 100 % des baies, des fermenta- Dernière cuvée de blanc, Lie, choisie aussi pour son côté
tions plutôt courtes, 1 à 2 semaines, sur les rouges, plus très décalé ! Ce vin est fait à partir des jus de bourbes
longues, d’environ 8 mois, pour les blancs. Une fois mis des cuvées de viognier, qui sont refroidies plusieurs
en bouteille, les vins sont stockés au village de Boisset- semaines et soutirées. À la dégustation, on quitte
Saint-Priest où les Demeure habitent et ont ouvert un bel presque l’univers du vin pour s’enivrer d’un nectar. La
et accueillant caveau de réception. C’est que la commer- robe est très colorée, presque ocre, le nez marqué par
cialisation se fait à près de 60 % sur place, auprès de l’agrume est très puissant, la bouche est incroyable-
particuliers fidèles ou curieux, qui viennent jusqu’ici pour ment profonde, riche. On évolue au sein d’un exercice
choisir parmi les 23 cuvées, celles qu’ils vont ramener de style qui bouscule les codes et les certitudes.

Vins d’Auvergne et du Massif central


88
VIN & PIC

Laurent vinifie aussi des rouges… est très expressif, avec des notes de groseilles, de
framboises assez étonnantes. C’est un vin très flatteur
Caractère est la seule cuvée vendue en AOC Forez ! C’est
en bouche, agréable, marqué par une légèreté toute en
naturellement un 100 % gamay, issu de vieilles vignes
nuance, une belle vivacité.
plantées avant la Seconde Guerre mondiale ! Les jus
sont rouge vif, presque minéraux, le nez est marqué par
LA BOUTEILLE PHARE
la réglisse, les fruits rouges très mûrs, avec des touches
selon le vigneron
épicées qui se dévoilent en deuxième rideau. En bouche,
Caractère confirme bien celui du terroir dont il reven-
Laurent a une nostalgie toute particulière pour ses Seibel.
dique l’origine, avec des tanins souples, de la rondeur et
Il attache beaucoup d’importance à cette cuvée, à ce
une belle fraîcheur.
cépage naturellement protégé, résistant aux maladies
Syrah est une cuvée issue des vignes de Saint-Romain- qui a vocation à revenir en force, à être redécouvert.
le-Puy, le petit frère en rouge du viognier, très identitaire
aussi du travail de Laurent. La robe est d’un beau rouge
aux reflets grenat, le nez est légèrement épicé avec des 04 77 24 98 89
notes de fruits rouges confits. En bouche c’est un vin qui
propose une belle structure. www.vin-et-pic.com

Enfin, la cuvée Seibel, que Laurent affectionne particu- 20 rue de Bellevue, 42560 Boisset-Saint-Priest
lièrement. La robe est rouge mais peu marquée. Le nez GPS : 45.513620 / 4.1041075

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
Votre saison ? La bouteille de vin d’Auvergne
L’été, parce que c’est la saison des grillades que vous auriez aimé signer ?
et des belles quilles… Et puis avant, j’avais Le Sang des Volcans de Benoît Montel.
même les cigales !
Un plat qui vous fait saliver ?
Vous êtes plutôt blanc ou rouge ? Les tripes.
Blanc.
Un accord met vin insolite ?
Vous êtes plutôt gamay ou pinot ?
Un vin de paille rouge avec un roquefort.
Gamay.
Un restaurant qui vous fait rêver ?
Un cépage inattendu que vous aimeriez
travailler ? La Chèvre d’Or à Èze.
Gros manseng, j’ai failli le faire Un vigneron que vous aimeriez rencontrer ?
avant de planter mes gewurzt. Un autre fou ! Le domaine de la Coulée
La bouteille que vous emmèneriez de Serrant – la famille Joly.
sur une île déserte ?
Un rêve que vous aimeriez réaliser ?
Aldebertus !
Avoir plusieurs motos dans mon garage,
Un souvenir de dégustation ? une pour chaque spécialité… et un chalet
La première fois que je suis allé en Belgique à la montagne.
à l’invitation de mon revendeur, qui convie
chaque année 25 vignerons. On dort chez Si vous n’aviez pas été vigneron ?
l’habitant, tout le monde emmène du vin… J’aurais été champion de moto, j’adore
on déguste… ce fut assez dingue. la vitesse, les sports mécaniques.

Vins d’Auvergne et du Massif central


89
Vers Paris
A77

Chemilly

L’Allier
D65

Besson
Vers Mâcon
A6

N79 Bresnay

Châtel-de-Neuvre

Meillard

Monétay-sur-Allier

D34

D18
Contigny

D1 Verneuil-en-Bourdonnais

N9

Bransat Saulcet
D46

D46

Louchy-Montfand
Cesset Saint-Pourçain-sur-Sioule

Montord

Fleuriel

Chareil-Cintrat

D987

Deneuille-lès-Chantelle

La Bouble Chantelle Fourilles

D36
ule
Sio
La

Vers Clermont-Ferrand
A75
VI G N O B L E E T VI G N E R O N S
D E S A I N T- P O U R ÇA I N

L
e vignoble de Saint-Pourçain est certainement (appellation d’origine vin délimité de qualité supérieure).
un des plus anciens de France et fut, aussi Il faudra attendre 2009 et après de gros efforts de la
longtemps, un des plus réputés. Au cours de profession, viticulteurs indépendants et coopérateurs,
l’histoire, les papes à Avignon d’abord, les pour que Saint-Pourçain se voit enfin attribuer le saint
rois de France, Henri IV, Louis XIV, ensuite, et bien Graal des vignobles français et devienne une AOC (appel-
d’autres, se régalaient de ce vin considéré parmi lation d’origine contrôlée) à part entière !
les meilleurs, proposé parmi les plus chers, et qu’il
Cette recherche de reconnaissance est passée par
convenait, autant que possible, de produire en tant
que propriétaire, comme en atteste le nombre de une meilleure sectorisation des vignes et par le choix
nobles qui, au cours de l’histoire, ont acquis quelques de nombre limité de cépages. L’aire d’appellation est
arpents de vignes dans la région. traversée par trois rivières, l’Allier au nord, la Sioule
jusqu’à Saint-Pourçain, la commune qui donne son nom
Ici, la vigne a longtemps été l’activité principale, et à l’appellation, au centre, puis la Bouble au sud. Après un
c’est l’arrivée du phylloxéra qui va porter un coup fatal travail de remembrement, d’arrachage et de conversion
à la filière, qui mettra longtemps à remonter la pente. des terres, de sélection plus rigoureuse des parcelles,
Avant l’arrivée de ce péril planétaire, à la toute fin du l’aire d’appellation et de production, bien définie, s’étend
XIXe siècle, l’Allier comptait encore 15 000 hectares de désormais sur dix-neuf communes de Chemilly au nord
vigne. Il n’en reste pas plus de 800 aujourd’hui, fruit d’un à Chantelle au sud. Le vignoble représente ainsi une
lent et inexorable désamour pour le vin et d’abandon large bande de 5 à 7 km de largeur et de 35 à 40 km
des cultures par les vignerons tentés par d’autres modes de longueur. Les vignes sont habituellement plantées
de production ou d’élevage. entre 250 et 400 mètres d’altitude, principalement orien-
Tout au long du XXe siècle, de lents mais réels progrès, tées à l’est. On y trouve des sols de différentes natures,
des choix volontaires sur les terroirs cultivés, sur les apportant chacun une spécificité aux cépages qui y sont
cépages travaillés, sur les méthodes de viticulture et de majoritairement plantés. Au nord de l’appellation sur les
vinification ont permis de retrouver une reconnaissance anciennes terrasses de l’Allier prédominent des sols très
au moins technique, avec un premier décret de 1951 qui sablonneux, au nord-est des coteaux pierreux, à l’ouest
octroie au vin de Saint-Pourçain l’appellation AOVDQS des granits, et au sud des argilo-calcaires.

Vins d’Auvergne et du Massif central


91
VIGNO B L E E T VIGNE RO NS D E SAI N T-POU R ÇAI N

Au cours des cinquante dernières années, pour accom- se tournant au nord, l’appellation continue à chercher
pagner les efforts de repositionnement qualitatifs de sa voie pour affirmer sa singularité. Si les décrets
l’appellation, répondre aux attentes de l’INAO (l’institut fixant les règles de l’appellation, imposant le pinot
national des appellations d’origine), et regagner en en minorité, limitant l’usage du tressallier, corres-
notoriété, un gros travail de rééquilibrage de l’encépa- pondaient à de réels enjeux de qualité à l’époque,
gement a été entrepris. l’évolution des modes de vinifications, la meilleure
connaissance des cépages et la capacité à maîtriser
Concernant les blancs, le choix a été fait de privilé-
leur particularité autorise les vignerons à explorer
gier le chardonnay en majorité, pour la rondeur et le
de nouvelles pistes. Plusieurs cherchent aujourd’hui
gras, le tressallier, cépage immémorial et autochtone,
à proposer des cuvées parcellaires, en mono-cépage,
qui apporte toute sa spécificité, beaucoup de vivacité,
pour affirmer une identité particulière et porter au
une certaine minéralité et un potentiel de garde, et
débat un propos complémentaire. À chacun de jouer
enfin, en plus faible proportion le sauvignon, qui
sa partition pour poursuivre le long travail de revalori-
apportera de la fraîcheur et des notes acidulées.
sation de l’appellation entrepris depuis un siècle, car si
Les cépages anciens, réputés moins qualitatifs, ont
l’appétence pour les vins de terroir et de producteurs
été abandonnés. Ensemble, et dans des proportions
est réelle, si les « petites » appellations n’ont bien
variables, mais encadrées, ces trois cépages donnent
souvent plus de petit que la surface plantée, il reste
des vins secs qui restent légers avec une prédomi-
encore du chemin pour retrouver sa place à la table
nance du fruit. Les saint-pourçains blancs se carac-
des rois, et le champ des possible est vaste, comme le
térisent par une robe jaune plutôt pâle, le nez est à
la fois fruité et floral, la bouche est aromatique, avec challenge que tous s’emploient à relever au quotidien.
une certaine longueur.
Pour les rouges, le choix a consisté à renforcer la
part de pinot, pour apporter de l’équilibre et de la
VISITER LA RÉGION
rondeur au côté frais et gourmand du gamay, qui J’ai choisi l’hiver pour illustrer Saint-Pourçain
pouvait montrer ici ses limites en mono-cépage. car la rigueur de cette saison donne un éclairage
Le gamay reste majoritaire, et apportera la finesse, particulier au relief plus austère de cette partie
alors que le pinot apportera de la structure. Les saint- de l’Auvergne, moins accidentée, aux limites du
pourçains rouges se caractérisent par une belle robe Bourbonnais, et en contrebas de la faille de Limagne.
rouge grenat, le nez s’oriente sur les fruits rouges et
avec un côté assez épicé, la bouche est souple, légère, Le vignoble Saint-Pourçain s’apparente forcément
fraîche. C’est un vin plus en finesse qu’en structure, à sa « capitale » éponyme, Saint-Pourçain-sur-
agréable à boire jeune. Sioule. La bourgade de 7 000 âmes qui est un peu
éloignée des grands centres urbains a gardé un
L’appellation produit également des rosés, à partir
dynamisme économique certain et une activité
de gamay, dans des volumes et aux caractéristiques
industrielle importante. Chaque jour, on y vient de
plus anecdotiques.
loin pour travailler. Elle n’a pas un grand caractère,
Le Saint-Pourcinois est aujourd’hui partagé entre la si ce n’est le centre historique qui domine et offre
cave coopérative, qui vinifie de l’ordre de 60 % de la de belles façades et de beaux vestiges des temps
production locale, assure une grande diffusion, en plus glorieux, quand l’activité viticole enrichissait
France et à l’export, et une vingtaine de vignerons la région. De beaux petits villages se découvrent
indépendants, qui témoignent de la diversité et de en faisant la route des vignobles, et en quittant les
la dynamique de ce terroir. Aux confins des vins de grands axes routiers qui marquent le territoire et
Loire, en regardant le sud et des vins d’Auvergne en délimitent l’espace.
VIGNO B L E E T VIGNE RO NS D E SAI N T-POU R ÇAI N

L’hiver, plutôt clément ici où la neige est plus rare en-Bourbonnais. On ira parfaire sa visite des caves et
et peu abondante, renforce les contrastes, dessine s’initier à l’histoire du vin et des cépages au château
le côté cristallin de la pierre, exagère les lignes du de Chareil-Cintrat qui perpétue les cépages anciens et
paysage. Un climat donne à comprendre la rigueur oubliés, plantés ici pour entretenir leur mémoire mais
des gens du cru, attachés au travail bien fait mais surtout leurs greffons. On goûtera la fameuse andouil-
sachant savourer tous les beaux moments de la vie.
lette de Saint-Pourçain ou, pas si loin, la moutarde de
On visitera le centre-ville, avec ses édifices anciens, Charroux à l’ancienne, ou pourpre, qui est faite à base
le beffroi, la belle église Sainte-Croix et s’il est ouvert de verjus de Saint-Pourçain. Et pour les amateurs d’art
son musée de la vigne et du terroir, installé dans contemporain, une visite à Street Art City s’impose,
l’ancienne maison du bailli, ou aux alentours le pour découvrir cette « villa Médicis » de l’art urbain,
curieux musée du lavage et du repassage à Verneuil- qui revit sous les couleurs des artistes invités.

Anecdote
L’histoire de la Ficelle de Saint-Pourçain

On vous a conté la légende de cet aubergiste bourbonnais, Sieur Gaultier, qui au


XVe siècle avait le premier, au fond de son gourbi mal éclairé, eu cette idée de mesurer
ce que les clients avaient bu pour ne facturer que la quantité consommée, en plongeant
une ficelle dans leur pichet. Cette belle légende a été imaginée sur un coin de table par
quelques coopérateurs et amis de la cave de Saint-Pourçain qui tout à la fois cherchaient
une idée pour relancer la vente des vins du cru et rêvaient d’un événement comparable
au Beaujolais nouveau pour marquer l’actualité. C’est ainsi qu’est née la Ficelle de Saint-
Pourçain, une bouteille sérigraphiée, illustrée chaque année par un dessinateur de renom.
Ceci marque les premières mises en bouteilles du cru de l’année, avec force fêtes et dégus-
tation, au village ou à Paris où la confrérie des Compagnons de la Ficelle de Saint-Pourçain
créée pour l’occasion se rend à la rencontre des journalistes et des bistrotiers ! Le vin
proposé chaque année est facile, léger, rapidement vinifié, et plus canaille que gourmand.
C’est un vin de soif un peu en décalage avec le potentiel qualitatif de l’appellation, mais
une belle initiative pour faire parler de l’appellation, amuser les amateurs et drainer un
peu de monde autour d’une idée partagée de la fête. Quant à la tradition de servir du vin
« à la ficelle » - plus poétique - ou « au compteur » - plus marchand - elle perdure dans
de nombreux établissements qui voient là une alternative ludique et pratique à la vente
au verre ou au stockage de tristes demi-bouteilles peu esthétiques et inadaptées à la
conservation du vin. C’est une pratique qui tend à se répandre, pour le plus grand plaisir
de tous, les consommateurs qui choisissent leur limite et les bistrotiers qui peuvent ainsi
ouvrir plus facilement de belles quilles à la dégustation.

Vins d’Auvergne et du Massif central


93
DENIS BARBARA DOMAINE GROSBOT-BARBARA
Cesset

UN ÉCRIN DE NOBLESSE ET
UN CŒUR ROCK & ROLL

R
encontrer Denis est toujours un moment rare, En 1995, Denis n’a pas encore totalement ses diplômes
tant la parole est riche, le verbe bien tourné, en poche, et planche sur son mémoire de fin d’étude.
la connaissance large, et l’accueil chaleureux. À cette époque, Elie Grosbot, un vigneron de Saint-
Il est un des rares à vivre en limite d’appel- Pourçain, pense depuis un moment déjà à arrêter son
lation, au-delà de cette fameuse crête qu’il a baptisée activité, sans pour autant souhaiter perdre la main sur
« notre côte de Beaune » et sur laquelle sont plantées son domaine. Il appelle un jour Denis pour lui proposer
les plus belles vignes de l’appellation, ou presque ! Il n’en de s’associer, avec l’idée de pouvoir continuer un peu,
est pas moins, pour moi, une des figures les plus emblé- tout en lui laissant carte blanche. Un prêt bancaire
matiques de ce qu’est et surtout sera Saint-Pourçain ! rapidement négocié, les sujets de mémoire laissés en
plan, c’est le début de l’aventure, avec zéro moyen, un
L’homme a de la noblesse, non pas de sang, mais de peu de stock, quelques vignes, des projets pleins la tête
cœur et d’esprit ! Il connaît son sujet et a construit un et une foi chevillée au corps ! Le domaine prendra le
univers tout en finesse, qu’il s’agisse de ses vins, aux nom de « Grosbot-Barbara », pour témoigner de cette
étiquettes toujours renouvelées, de son chai aux lignes volonté de transmission dans la durée, pour rapprocher
pures, de son caveau de dégustation, refuge intemporel la tradition et la modernité, pour s’ancrer dans le passé
où il propose des expériences sensorielles ! Et en même et imaginer le futur. Et même si aujourd’hui Denis a la
temps, il faut voir comment son pied se met à battre la (quasi) pleine propriété du domaine, ce tribut, ce crédit
mesure, sans retenue, dès que la musique sonne, dès à la mémoire de son prédécesseur, à celui qui lui a mis
que l’amitié donne, dès que l’on peut ouvrir un flacon le pied à l’étrier et lui a fait confiance, est une évidence,
avec les copains, les amis, mais aussi les amateurs qui une marque qu’il n’entend pas changer, effacer !
viennent à la source chercher leur saint-pourçain à nul
La vente rapide du stock permet de financer les premiers
autre pareil !
équipements, rapidement le domaine évolue et en 2001
L’histoire de Denis n’est pas banale. Son grand-père Denis construit son chai pour être totalement autonome
était vigneron à Saint-Pourçain, et jeune, il connaissait et disposer d’un outil à sa main !
cette odeur de la terre, du chai, du vin. C’est un oncle Pour mieux comprendre la noblesse du maître des
qui reprend les vignes, presque par défaut, ou plutôt lieux, attardons-nous un instant sur le dernier espace
par devoir, mais qui n’arrive pas à pérenniser l’activité. emménagé au fond du chai, un espace de dégustation qui
Et si le domaine disparaît du patrimoine familial, l’ADN se mérite et se découvre avec le sentiment de toucher à
reste, et faire du vin devient pour Denis une évidence, la magie du personnage qui l’a voulu, imaginé, réalisé.
pas une urgence pour autant.
Ce caveau a été conçu pour immerger le visiteur dans
Il n’est pas pressé et part sur un coup de tête à Berlin. une expérience sensorielle qui doit permettre de
La vie, déjà, la fête aussi, l’ouverture aux autres et aux comprendre et de vivre le vin que l’on déguste, bien
cultures. Après avoir passé pratiquement un an sur place, au-delà des premières sensations gustatives. La table
il revient en France et il entreprend des études, en suivant de dégustation, réalisée par un artisan d’art du cru,
des cours d’œnologie à Beaune et Dijon. Il travaille en propose une vision cadastrale du vignoble : le veiné
Bourgogne auprès de Sylvain Pitiot et comprend que si du bois donne le relief, la vibration de l’ensemble
le vin c’est ça, alors c’est du vin qu’il fera. Il étudie aussi inspire le ton général. Derrière un paravent, des carot-
la gestion, le marketing, le commerce, car il a toujours tages de chaque parcelle permettent de mieux appré-
un champ de vision large et une curiosité sans borne. hender le lien entre le sol et le caractère d’une cuvée.

Vins d’Auvergne et du Massif central


95
Sous le ciel étoilé et la voûte céleste, au plus profond L’homme est pour moi une des figures du cru, et c’est en
de son chai, derrière une grille qui grince doucement à homme engagé qu’il participe à l’évolution de l’appella-
chaque passage, Denis nous invite à vivre ses vins, et à tion, conscient de la nécessité de renouveler son image
mieux comprendre l’homme qui les produit ! pour assurer son avenir, de travailler moins de surface
La signature du domaine est toute à son image. Denis mais de privilégier la qualité, de choisir des circuits de
veut des vins vrais, droits, honnêtes. Ici, on respecte distributions plus valorisants que la grande distribution,
le millésime, les données d’entrées, on ne gomme pas et de redonner à Saint-Pourçain cette noblesse (le vin
les aspérités du temps, mais on cherche une fraîcheur, des Rois) perdue ou oubliée !
une vivacité qui doit perdurer au fil des années. Si les
Il est très attaché au territoire, conscient de porter les
saint-pourçains ne sont pas recherchés pour leur garde,
couleurs d’un vignoble de niche, mais pense que le salut
Denis souhaite que ses vins conservent cette fraîcheur
passe par les aventures et les initiatives individuelles
dans la durée et les façonne dans cette perspective.
pour revaloriser l’image de l’appellation, pour tirer vers
Ses rouges sont élégants, avec beaucoup de rondeur et le haut la production, et donc le ressenti et la percep-
de finesse, construits pour durer et garder du gras et tion des consommateurs du cru, qui ne sont pas les plus
des arômes sur le tard. Ses blancs sont opulents, gras, fervents ambassadeurs, et ceux de plus loin, qui restent
amples, généreux, avec une belle maîtrise des assem- à évangéliser.
blages. J’ai toujours « rangé » Denis dans les grands
faiseurs de blanc, qui peuvent largement rivaliser, sur Attaché à une culture raisonnée et de qualité, Denis a
ses belles cuvées, avec ces bourgognes qui l’ont initié rejoint le Collège culinaire de France qui réunit artisans,
autrefois. Il apporte un supplément d’âme à ces quilles producteurs et restaurateurs de qualité dans une
avec des habillages léchés et poétiques. démarche militante pour manger mieux !

Vins d’Auvergne et du Massif central


96
DOMAINE GROSBOT-BARBARA

Il est toujours plein de projets, et s’enthousiasme à l’idée fonctionnel, et propose une esthétique épurée, classique
de façonner une friche qu’il vient de terrasser, ce qu’il à l’image de la noblesse des vins produits ici. Si la bâtisse,
visait depuis plus de 20 ans ! Il me parle, avec de telles d’un vert pâle un peu terne, cherche à se fondre dans le
étincelles dans le regard et une incroyable gourmandise paysage, l’intérieur témoigne de la force tranquille du
dans la voix, de ses futures vignes, plusieurs hectares sur domaine et des goûts du propriétaire. Le cuvier à l’étage
une crête calcaire voisine, comme de son corton à venir ! Il est classique, peu encombré, de cuves en acier émaillé, et
y a en effet un côté missionnaire chez lui, de visionnaire, aussi de quelques cuves inox. Le sol est recouvert d’une
d’homme engagé, de penseur et de passeur. Il va ainsi résine rouge vif. Le sous-sol abrite un grand espace de
s’engager, lui aussi, vers plus de cuvées en mono-cépages, travail et de stockage, accolé à un chai à barriques, digne
en contradiction avec les standards de l’appellation, mais des beaux châteaux bordelais, avec des lignes épurées
avec la seule ambition de valoriser et mettre en avant ce du sol au plafond, qui dirigent l’œil vers le caveau de
qui se fait de mieux ici, ce qui se fait de plus distinctif. dégustation, niché tout au fond.
C’est un sacré pari et un réel challenge de s’affranchir de
l’appellation pour mieux faire grandir l’identité locale, de Au niveau du travail de la vigne et du vin, on peut noter
forcer le destin pour forger l’avenir. qu’ici la vendange des rouges est éraflée avant d’être
encuvée et que les macérations peuvent aller jusqu’à
Un avenir qui se fera peut-être dans la transmission généra- 30 jours. Pour les blancs, un pressurage pneumatique
tionnelle, celle qui lui a fait défaut mais qui aussi lui a et une bonne gestion des températures permettent de
donné sa force, son fils étant déjà sur la voie, se prépa- chercher une belle intensité aromatique et plus d’ampli-
rant à être vigneron, à son tour. tude en bouche.

LE DOMAINE Les vins sont commercialisés en direct auprès d’un public


de particuliers pour 20 %. 20 % sont par ailleurs exportés
Denis Barbara s’est associé à Elie Grosbot en janvier en Europe (Italie, Belgique), au Canada et aux États-Unis.
1996. Il a ensuite progressivement façonné son parcel- Enfin la majorité de la production trouve son débouché,
laire, et acquis progressivement la totalité des vignes auprès des restaurateurs et cavistes.
qu’il exploite.
LES DIFFÉRENTES CUVÉES
Actuellement, le domaine exploite une superficie plantée
de 8,5 hectares, assez regroupés sur une partie de l’appel- Fiche de dégustation
lation, sur les communes de Bransat, Verneuil et Montord. Les vins rouges
L’encépagement est classique pour l’appellation, avec
les quatre cépages traditionnels : Ici, deux cuvées en rouge, très typées par le cépage
- gamay & pinot sur 5 ha, majoritaire qui les définit, l’une en gamay, l’autre en
- chardonnay & tressallier sur 3,5 ha. pinot noir. La Chambre d’Edouard et Les Ferneaux sont
Les vignes autour du chai, à côté de la maison sont les deux signatures de Denis, encore aujourd’hui en AOC
situées en périphérie de la zone d’appellation, elles Saint-Pourçain, même si la tentation de passer en IGP
donnent Le Clos Jacques Chevallier et Le Quarteron Val de Loire est manifeste au moins pour La Chambre
en blanc. d’Edouard. Les deux cuvées proposent une même décli-
naison de finesse et d’élégance, plus en rondeur pour La
Denis vient de finaliser un projet d’acquisition qu’il porte
Chambre d’Edouard à base de pinot noir et plus marquée
depuis plus de 20 ans sur un des plus beaux terroirs de
par l’épice pour Les Ferneaux à base de gamay. J’ai
l’appellation, qui va lui permettre d’augmenter signifi-
pu goûter des millésimes plus anciens, où ces vins
cativement sa superficie et d’élever encore le niveau
conservent à la fois une belle fraîcheur, une belle struc-
de sa production.
ture et des arômes délicats. Ils ont un étonnant poten-
Concernant la nature des sols, on trouve essentielle- tiel de garde.
ment des argilo-calcaires, et des terres granitiques où
les gamays vont trouver toute leur expressivité. Les vins blancs
Le chai, construit en 2001 a été profondément trans- Si le parcellaire blanc est plus réduit en superficie, il est
formé et agrandi en 2015. Il est à la fois superbement aussi plus diversifié, dans ces terroirs, ces climats. Ainsi,

Vins d’Auvergne et du Massif central


97
DOMAINE GROSBOT-BARBARA

Denis Barbara peut laisser aller sa passion des blancs sur LA BOUTEILLE PHARE
plusieurs cuvées, assez différentes les unes des autres. selon le vigneron
Le Vin d’Alon est la cuvée d’origine, proposition classique
d’un assemblage chardonnay/tressallier, vinifié et élevé Quand il s’agit de choisir la cuvée phare du domaine,
en cuve, où la fraîcheur et la vivacité dominent. La cuvée sans hésiter, Denis évoque un blanc : la cuvée S.A.S.
S.A.S. le Prince Charles-Henri de Lobkowicz reste dans le Prince Charles-Henri de Lobkowicz 2009. Mémoire
l’identité saint-pourçain mais avec un élevage en fût émue de la visite du Prince, fierté d’avoir particulière-
qui donnera plus de gras et d’amplitude. Cette bouteille ment bien maîtrisé les ingrédients d’une cuvée rare ?
est parrainée par le Prince qui a visité le domaine et qui Les raisons sont diverses, mais le plaisir et l’émotion
peut s’enorgueillir d’une telle filiation bourbonnaise. sont au rendez-vous de ce souvenir apparemment
Trois cuvées plus confidentielles en volume complètent très particulier.
la gamme, en appellation saint-pourçain :
- Les Maltôtes, nom d’un impôt alimentaire créé par 04 70 45 39 92
Philippe le Bel – les trésoriers qui collectaient cet impôt
06 83 04 77 38
utilisaient une ancienne bâtisse, qui trône toujours ici,
entre quelques belles parcelles de vignes.
barbaradenis@orange.fr
- Puis Le Clos Jacques Chevallier, hors appellation, car www.domaine-grosbot-barbara.com
planté près de la maison, sur terrain granitique, donnant
un vin très gras, marqué bien sûr par la vivacité du
Montjournal RD 46, 03500 Cesset
tressallier, mais avec beaucoup de charnu et des arômes
complexes d’agrumes et de fruits jaunes. GPS : 46.3165841 / 31.820119

On découvre également la vigne du Quarteron à quelques


mètres de là, côté ouest.

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
Votre saison ? La bouteille de vin d’Auvergne que vous
Le printemps, car la vigne, après la taille, auriez aimé signer ?
est prête pour offrir ses différents stades Un saint-pourçain 1959
de végétation. du domaine Pétillat.

Vous êtes plutôt blanc ou rouge ? Un plat qui vous fait saliver ?
Rouge, car c’est plus apaisant. Noix de Saint-Jacques.

Vous êtes plutôt gamay ou pinot ? Un accord met vin insolite ?


Pinot. Foie gras poêlé et porto.

Un cépage inattendu que vous aimeriez Un restaurant qui vous fait rêver ?
travailler ? Roellinger à Cancale.
Le chenin. Un vigneron que vous aimeriez rencontrer ?
Yves Gangloff en Côte-Rotie.
La bouteille que vous emmèneriez
sur une île déserte ? Un rêve que vous aimeriez réaliser ?
Un corton-renardes. Faire le tour du monde en bateau.
Un souvenir de dégustation ? Si vous n’aviez pas été vigneron ?
Un nuits-saint-georges 1er cru (l’année Je ne peux rien faire d’autre… j’aurais été
de naissance de son père). de toute façon libre !

Vins d’Auvergne et du Massif central


98
JEAN TEISSÈDRE , SOPHIE & JÉRÔME ROUX DOMAINE DES BÉRIOLES
Cesset

LE SENS DE LA TERRE
EN HÉRITAGE

Q
uel que soit le membre de la famille et aussi le lien, important, avec la gastronomie.
Teissèdre que vous rencontrez, il se Le vin est un complément naturel de la table, l’accord
référera rapidement à la maxime « Seul des deux est essentiel, il fera des vins à manger !
on va plus vite, en famille on va plus Rétrospectivement, Jean concède que s’il était destiné à
longtemps ! » pour raconter leur histoire, devenir vinificateur, il a certainement dans cette orien-
leur travail, leurs aventures, leurs projets ! Ici, on a le tation assumé par projection l’envie non aboutie du
sens de la terre depuis longtemps et chacun s’emploie père. D’ailleurs, Sophie aussi se lance dans le métier du
à faire du domaine une signature durable du Saint- vin, suit le même parcours académique, et va faire ses
Pourcinois, et une identité qui déborde du seul cadre gammes, et sa vie, à Grignan où elle rencontre et épouse
viticole pour s’établir dans une dynamique locale large : Jérôme. Après 15 ans, le domaine des Bérioles déjà bien
le vin, les céréales, l’œnotourisme, la restauration ou sur les rails, la sœur et le beau-frère quittent le Sud pour
l’hébergement peut-être demain ? venir s’associer à Jean et imaginer un avenir familial
Sur ce domaine créé par Olivier le père, en 1976 et au domaine. Ils se partagent les tâches, Jean assure
Odile, son épouse, on a longtemps cultivé unique- le travail de la vigne, Jérôme celui du chai et Sophie le
ment de la céréale, mais déjà avec un sens profond commercial et l’administratif. Ensemble ils élaborent de
de la responsabilité environnementale. Sous l’impul- nombreux projets, veulent faire rayonner l’appellation
sion d’Odile, les Teissèdre acquièrent en 1989 un ancien et le domaine, développent l’œnotourisme, valorisent
clos du XVIIIe siècle : Les Bérioles. Ils y plantent 3 ha les produits de la ferme et du domaine, façonnent leur
de vigne, et s’initient à la viticulture pour avoir une devenir et s’ancrent dans cette terre qu’enfant Jean
activité plus variée. Pas de vinification en propre à aimait tant gratter dans le jardin familial.
cette époque, et les raisins rejoignent encore la cave Comme un ADN familial, ils ont en commun ce souci
coopérative de Saint-Pourçain. de préserver les sols, de ne pas insulter l’avenir, d’être
En 2011, Jean, le fils, après des études d’œnologie et acteurs d’un développement responsable et se conver-
une formation de terrain solide dans le Mâconnais tissent rapidement à la biodynamie. Ils prônent une
et le Val de Loire, décide de venir s’installer au pied agriculture bio, propre, raisonnée, ils recherchent l’équi-
de cette belle église de Cesset. En lui grandit l’obsé- libre des sols, de la vigne. C’est pour eux une évidence
dante idée d’aller au bout de l’aventure, de maîtriser et aussi un combat qui doit dépasser le strict cadre
la chaîne de production et de valeur dans son intégra- du domaine familial. Ils ont cette volonté de trans-
lité. Avec sa passion du vin et sa maîtrise de la vinifi- mettre, de partager, de faire émerger de nouvelles
cation, il entreprend de transformer la vieille bâtisse idées, méthodes, pratiques, de nouvelles ambitions.
bourbonnaise attenante, longtemps délaissée, en un La terre est en héritage…
chai moderne et bien équipé pour se lancer. S’ils ont
Cette démarche se retrouve également dans leurs vins,
conscience de la notoriété relative du saint-pourçain,
qu’ils veulent assez digestes, sur le fruit, avec beaucoup
les membres de la famille sont prêts à s’engager pour
de fraîcheur, typés Val de Loire d’une certaine façon.
la faire évoluer, collectivement et par leur travail quoti-
Se réunissant toutes les semaines pour discuter de tous
dien aux Bérioles.
les sujets qui touchent à leur activité, ils cherchent dans
Son goût pour le vin est ancien, formé par son père et leurs choix, leurs décisions, à imposer une signature,
les dégustations régulières où il apprend à comprendre une identité. Leurs vins sont marqués par le parcellaire
les différences, les nuances, ce qui procure le plaisir, qui les voit naître, témoignent du climat qui les a vu

Vins d’Auvergne et du Massif central


99
DOMAINE DES BÉRIOLES

grandir, mais toujours avec de la matière, de la struc- entre les îlots de l’espace pour protéger la vigne et les
ture, pour préserver la garde. J’ai goûté avec beaucoup modes de culture spécifiques. Pourtant, la richesse des
de plaisir des vins de plus de 5 ans qui avaient encore sols, les orientations des parcelles, la particularité des
un formidable potentiel. climats témoignent d’une réelle diversité qui permet un
travail tout en finesse, une fois les vendanges isolées et
Pour l’avenir, les Teissèdre/Roux voient loin et rêvent
rentrées au chai.
de nouveaux horizons, de nouvelles cuvées. Ici, on
affiche clairement la volonté de faire des Bérioles « le Le chai installé dans cette vieille bâtisse est très harmo-
domaine tressallier ». Alors que ce cépage si particulier nieux, avec un bel équilibre des volumes et des espaces.
est la seule chose d’unique que peut revendiquer Saint- C’est un lieu empreint de solennité et de calme. Il est
Pourçain, Jean regrette de ne pas pouvoir mettre en équipé de cuves classiques en béton, en inox et de
bouteille des mono-cépages en appellation et de devoir plusieurs foudres bois, qui vont permettre une perma-
l’assembler avec des chardonnays, plus classiques. Les nente micro-oxygénation des vins en devenir.
vignerons espèrent que le décret d’appellation pourra
La vendange est faite en caisse de 20 kg, à la main, et tous
évoluer et mettre en avant ce cépage unique et identi-
les raisins, blancs comme rouges, sont triés sur table, en
taire de l’appellation car le dilemme est grand, sortir
entrée de chai. Les blancs sont pressés vendange entière,
de l’AOC, perdre ce lien historique avec Saint-Pourçain
par parcelle, avec une recherche de jus très limpide. Les
et mettre en marché en IGP Val de Loire ou attendre
levures sont indigènes pour les blancs et chimiques pour
une hypothétique évolution de l’AOC.
les rouges.
Au-delà de la seule activité viti/vinicole, ils veulent illus-
Les plus belles cuvées profitent d’un élevage en fût de
trer ce goût de la gastronomie que leur ont transmis
500 litres, avec des bois issus de la forêt de Tronçais à
leurs parents, et défendre ce patrimoine génétique où
la chauffe légère pour ne pas trop marquer les vins. Les
le vin sert le plat autant qu’il l’accompagne. C’est dans
vinifications vont rechercher de la rondeur et la souplesse.
cette optique qu’ils imaginent des activités d’œnotou-
Ce vieillissement maîtrisé va apporter du gras, de la
risme, créent des chemins de traverse dans le vignoble
complexité aromatique et optimiser le potentiel de garde
et autour de la cave, des parcours que l’on suit à pied,
qui est la signature du domaine.
en Méhari ou que l’on survole en pendulaire. Qu’ils
imaginent demain pouvoir pour l’activité céréalière La production annuelle est d’environ 80 000 cols en
aller aussi au bout du processus et faire leur farine, moyenne. Les vins sont vendus à 60 % dans les cafés,
pourquoi pas leur pain ? hôtels et restaurants par l’intermédiaire d’agents localisés
dans les différentes régions de France, et finalement assez
Ce sont finalement des entrepreneurs, pleins de rêves peu autour du domaine. Le marché export représente 20 %
mais terriblement ancrés dans le réel, pour faire avancer des volumes et les particuliers le solde.
les choses avec efficacité et détermination. Ils ont un
projet commun, une vision qu’ils mettent en œuvre
LES DIFFÉRENTES CUVÉES
pas à pas, en famille, pour aller plus loin, ensemble.
Fiche de dégustation
LE DOMAINE Le domaine des Bérioles produit chaque année quatre
cuvées de blancs et quatre cuvées de rouges auxquelles
De 7 ha au départ, le domaine est aujourd’hui organisé
se rajoutent un rosé et une méthode traditionnelle plus
autour de 15 ha en exploitation plus 2 en plantation, moitié
anecdotiques.
rouge et moitié blanc. Les gamays représentent environ
2,5 ha et les pinots 5. Pour les blancs, le chardonnay Aurence est la cuvée en saint-pourçain blanc, à base
domine à côté de 1,5 ha de tessaillier. Les sols sont majori- de parcelles argilo-calcaires vinifiées à part et assem-
tairement argilo-calcaires pour les pinots et les blancs, blées. C’est un vin droit, équilibré, assez tendu, bien
granitiques pour les gamays et quelques petites parcelles représentatif de l’appellation.
de pinot et de tressallier.
Tressaille est comme son nom veut bien l’indiquer une
Les parcelles de vignes sont relativement regroupées, cuvée 100 % tressallier, en IGP Val de Loire. Vinifiée en cuve
sur deux communes, mais avec le souci de préserver inox, soutirage sur lie fine, puis cuve béton sur lie pendant

Vins d’Auvergne et du Massif central


101
2 à 3 mois. C’est la cuvée identitaire du domaine, le pari Pour les rouges, on retrouve la même diversité d’approche
de magnifier le tressallier pour le bonheur des amateurs. que pour les blancs.
Le cépage est ici bien maîtrisé, sans cette agressivité
Mille-pattes est un vin de copain, à tous les sens du
naturelle qui peut nous en détourner si elle domine.
terme. Vin frais, à boire rapidement, il exprime toute
Il y a beaucoup de rondeur et toujours une belle fraîcheur.
la gourmandise du gamay. Vendangé par les amis et
Intrépide est un 100 % chardonnay, né en fût de 500 litres clients du domaine, qui viennent ici pendant une journée
et vinifié 12 mois en barriques neuves sur lie. C’est un partager la vie des vignerons dans un grand moment de
vin élégant et complexe, assez gras, avec des arômes convivialité et d’échanges pour « faire le vin ». Ce vin est
riches et compotés. un clin d’œil à l’amitié canaille.

Autochtone porte bien son nom et veut donner le meilleur Grandes Brières est une cuvée typique de l’appellation,
du tressallier. Issu d’un parcellaire granitique, ce vin élevé avec la légèreté de sa naissance, mais la structure de
12 mois en barriques de l’Allier neuves offre une grande son élevage. Un vin gourmand et facile à partager. Plutôt
complexité. La minéralité naturelle du cépage est équili- qu’un pigeage classique, les raisins, égrappés, sont ici
brée par une rondeur agréable. Les arômes sont subtils, infusés longuement dans une cuve béton pour apporter
tendus, très frais. de la finesse et travailler le côté épicé des gamays.

Vins d’Auvergne et du Massif central


102
DOMAINE DES BÉRIOLES

Auvernat est travaillée dans le même esprit mais en utili- millésime froid et humide il fallait travailler en préci-
sant essentiellement des Pinot. C’est une cuvée toute sion (c’est l’année où a été introduit la vendange en
en rondeur, très représentative de son cépage, avec des caisse), prendre des risques, être vigilant et attentif
notes de fruits rouges. On remarquera une belle struc- du début à la fin. Réussir ce type de vin, la première
ture et un potentiel d’évolution. fois que l’on est confronté à ce type d’incertitudes et
de complexité est un légitime motif de satisfaction, et
La Chabanne est au rouge ce que Autochtone est au blanc,
un souvenir sur lequel on se construit et on s’affirme.
un vin de garde, où toute la finesse du pinot trouve son
expression dans un long élevage en fût. C’est une cuvée
06 14 23 40 72
emblématique du travail accompli ici et du potentiel du
06 21 04 37 45
domaine, en ou hors appellation !

LA BOUTEILLE PHARE domainedesberioles@gmail.com


selon le vigneron www.lesberioles.com

Tressaille 2013. C’est un vrai millésime de vigneron,


Place de l’Église, 03500 Cesset
quand la nature est capricieuse et que la vie n’est
GPS : 46.296291 / 3.216998
facile ni pour la vigne, ni pour le viticulteur ! Pour ce

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
C’est Jean qui s’est prêté à l’exercice Un souvenir de dégustation ?
Un sancerre 2012 de François Crochet.
Votre saison ?
Le mois de mai, parce que je suis né La bouteille de vin d’Auvergne
en mai… mais aussi et surtout parce que la que vous auriez aimé signer ?
vigne est en fleurs à ce moment. Les beaux gamays de Gilles Bonnefoy.

Vous êtes plutôt blanc ou rouge ? Un plat qui vous fait saliver ?
Blanc, frais. Langoustines snackées.
Un accord met vin insolite ?
Vous êtes plutôt gamay ou pinot ?
Tressallier sur un homard au four,
Plutôt pinot, même si (dixit) il y a de bons
beurre salé.
gamays, sur granit.
Un restaurant qui vous fait rêver ?
Un cépage inattendu que vous Pic à Valence.
aimeriez travailler ?
Le romorantin, pour la région, Un vigneron que vous aimeriez rencontrer ?
et le saint-pierre doré, cépage autochtone Les frères Bret à Vinzelles.
de l’appellation oublié. Un rêve que vous aimeriez réaliser ?
La bouteille que vous emmèneriez Pouvoir parcourir tous les vignobles français
sur une île déserte ? à la découverte des cépages autochtones.
Un petrus 1985 et une bulle(s) extra-brute de Si vous n’aviez pas été vigneron ?
chez Gonet-Medeville pour J’aurais fait de la bière !
se rafraîchir avant. Ou j’aurais été paysagiste.

Vins d’Auvergne et du Massif central


103
FLORENT BARICHARD, ÉRIC & VALÉRIE NESSON LES TERRES D’OCRE
Châtel- de -Neuvre

LES IDÉES CLAIRES


ET LE VIN PUR

I
ci, la notion de famille prend tout son sens et donne C’est dans cette ambition partagée de faire du vin autre-
son âme au domaine. Les Terres d’Ocre c’est la ment, de porter un discours de simplicité et de pureté,
rencontre d’un terroir, marqué par l’ocre du sous-sol qu’ils construisent le chai, redessinent le pourtour de
qui a donné son nom, et d’une ambition familiale pour la propriété, qui passera en moins de 5 ans de 8,5 à
aller de l’avant. Longtemps coopérateurs, Valérie et Éric 14 ha aujourd’hui, qu’ils formalisent le projet écono-
se sont associés avec leur neveu, Florent, pour créer un mique, et l’identité marketing. Ils sélectionnent les
domaine de toutes pièces, et imposer une signature parcelles ou les îlots qu’ils préfèrent, en abandonnent
originale et déjà accomplie. d’autres, pour rechercher les meilleurs sols, équilibrer
les encépagements, et atteindre une dimension qui
Il n’y a pas ici un vigneron mais trois, aux partages des
permette de travailler, dans la diversité des crus et des
tâches bien définis et à la complicité bien ancrée. Valérie
cuvées, et aussi de vivre, décemment, à trois. Éric reste
et Éric installés sur place depuis 1993, travaillaient la terre
le maître des vignes, et Florent prend en main le chai,
et la vigne pour apporter leurs raisins à la cave coopé-
même si bien sûr tout le monde participe et chacun
rative voisine. Mais rapidement ils veulent sortir de la
contribue, Valérie a pris avec autorité l’administratif.
démarche initiale qui les enfermait dans une équation
Le plan de marche est suivi avec détermination et les
peu satisfaisante ni valorisante, et formulent l’objectif
étapes franchies avec succès !
d’aller au bout et produire du vin. Soucieux d’agréger une
compétence technique dans le domaine de la vinification La transmission est naturellement et curieusement au
qu’ils ne maîtrisaient pas, ils ont longtemps cherché à cœur de cette aventure, transmission d’une passion,
s’associer avec un vigneron installé dans l’appellation d’une envie, d’une ambition, volonté de construire un
sans qu’aucune opportunité ne puisse se concrétiser. domaine pérenne, et qui pourra revenir à la troisième
génération un jour, volonté d’accompagner la transfor-
Las, après quelques années de quête infructueuse, quand
mation d’un vignoble aussi ancien qu’encore largement
l’envie d’abandonner prend le dessus sur l’énergie pour
figé dans la nostalgie de son passé et qui ne demande
continuer, ils étaient prêts à lâcher cette activité qui
qu’à s’affranchir de quelques préceptes pour regagner
ne les nourrissait plus, à tous les sens du terme. À ce
une image de qualité et de gourmandise canaille. Ils ont
moment, un jeune neveu, Florent, qui venait régulière-
le souci d’une approche et d’une démarche naturelles,
ment les côtoyer à la vigne pour parfaire son appren-
respectueuses de la terre et des cycles.
tissage du métier, emporte l’adhésion et c’est avec lui
qu’ils décident, avec beaucoup de fierté, de s’associer Leur philosophie, leur patte, leur signature, sont toutes
en 2013. Pour le meilleur… et le meilleur ! empreintes de simplicité, de bon sens, mais aussi d’une
volonté claire et forte de faire en sorte que les choses
S’il n’avait pas souvent l’occasion de goûter une bouteille
aboutissent, contre vents et marées, ou ici contre gel
sur la table familiale, Florent a toujours su qu’il voulait
et tempête ! L’observation joue un rôle majeur, ils
travailler la terre, ici à Saint-Pourçain, pour y faire du vin,
connaissent chacun de leurs ceps, ils regardent les
et qu’il devrait s’éloigner un temps pour apprendre le
évolutions du marché.
métier de vigneron avant de revenir s’installer. Parti faire
des études d’œnologie à Sancerre puis à Tours, et faire Bio ou raisonné par souci de se protéger plus que par
ses gammes chez Vincent Carême en vouvray, ou jusqu’en militantisme, soucieux de revenir à des vins plus en
Afrique du Sud, il viendra d’abord donner un coup de main fraîcheur, en finesse, peu marqués par l’alcool, recher-
à la vigne de 2008 à 2013 puis finalement concrétiser ce chant l’élégance plus que le plaisir immédiat, les Nesson-
projet commun en 2013 pour créer le domaine in extenso. Barichard produisent des vins qui s’imposent dans le

Vins d’Auvergne et du Massif central


105
LES TERRES D’OCRE

paysage en transformation de l’appellation. La modernité quand on arrive. Le bâtiment s’impose, avec modernité,
du travail au chai, de l’approche marketing et commer- élégance. La partie émergée abrite l’espace de dégustation
ciale, la pertinence des choix techniques permettent et des bureaux, d’où se dévoile le chai en contrebas. Une
d’atteindre les objectifs fixés et de regarder l’avenir belle cuverie en béton et inox vient d’être complétée par
avec sérénité. Le rythme d’équilibre a été atteint en des amphores et un œuf béton pour un travail très parti-
5 ans, l’outil de production est en place, performant et culier sur certaines cuvées. Des foudres bois doivent venir
adapté, la marque a gagné ses galons de noblesse, et enrichir le dispositif et élargir le champ des possibles pour
les projets pour le futur sont cohérents. Comme le dit les vinifications. L’exploitation est totalement autonome
Florent, il faut aller vite à l’essentiel, et constamment sur son équipement.
se renouveler car finalement, un vigneron va faire dans
sa vie 30 cuvées ? 40 s’il accompagne son successeur ? La réception se fait en caisse palette et par charriot éléva-
Si se faire plaisir est une exigence, l’occasion de faire teur, pour des raisins triés à la vendange pour les blancs
le vin que l’on aime ne se présente qu’une fois par an ! et sur table pour les rouges. Les vins sont travaillés en
levure indigène.
Les questions pour les années à venir se posent déjà, en
gens bien ordonnés, et les réponses se dessinent tranquil- La commercialisation est assurée principalement par une
lement. Soucieux de mettre en valeur le patrimoine de centrale, intitulée Vini Be Good. Une petite clientèle parti-
l’appellation, et ses éléments distinctifs, malgré le cahier culière commence à témoigner sa fidélité au domaine.
des charges contraignant, Les Terres d’Ocre vont mettre Enfin, un peu d’export complète le dispositif.
sur le marché certaines de leurs cuvées en appellation IGP
Val de Loire plutôt que AOC Saint-Pourçain. Conscients LES DIFFÉRENTES CUVÉES
de la qualité du parcellaire sur les pinots, affichant le Fiche de dégustation
désir de magnifier le tressallier, cépage emblématique de
Les vins rouges
l’appellation, les Nesson-Barichard veulent faire plus de
mono-cépage, et proposer des vins au caractère marqué. Instan T est la cuvée signature en Saint-Pourçain (elle
Ce choix de sortir du cadre est un pari mûrement réfléchi, existe aussi en blanc). C’est la cuvée classique pour
c’est le prix à payer pour un espace de liberté nécessaire représenter l’appellation. Avec un bel équilibre entre
et pour un travail abouti, à la signature authentique. les cépages assemblés, gamay et pinot, beaucoup de
fraîcheur et de légèreté.
LE DOMAINE
Inédi T essentiellement en pinot, témoigne de la rondeur
Le domaine est créé en 1996 par Valérie et Éric Nesson, de ce cépage sur ce territoire. Avec beaucoup de finesse,
pour la seule activité de viticulture. En 2013, la partie vinifi- et de rondeur, cette cuvée qui s’affranchit des standards
cation est rajoutée, avec l’arrivée de Florent. Le domaine et des codes de l’appellation va être proposée en IGP
prend alors le nom de Terres d’Ocre. Val de Loire sous l’identité Les Cailloux du nom de la
Ils exploitent une superficie plantée de 14 hectares, assez parcelle sur lequel ce vin est produit. Un engagement
éclatée sur l’ensemble de l’appellation, avec quatre îlots réfléchi plus qu’un désengagement et un pari assumé
principaux. L’encépagement est classique pour l’appella- sur le potentiel de la région et son avenir.
tion, avec les quatre cépages traditionnels :
- gamay sur 4 ha, Les vins blancs
- pinot sur 3 ha, On retrouve Instan T, assemblage chardonnay/tressallier
- chardonnay sur 4 ha,
et une belle fraîcheur très représentative de ce qu’on
- tressallier sur 3 ha.
peut faire de bon sur l’appellation, un vin de gourman-
On trouve aux Terres d’Ocre les trois typologies de sols dise à partager sur un plateau de charcuterie !
présents à Saint-Pourçain, le granit rose pour les gamays
Sous l’étiquette Les Gavroches, le domaine propose
et du sablo-argileux pour les blancs, des vieilles vignes
aujourd’hui un blanc plus accompli, vieilli en fût, avec
de blancs sont plantées sur des sols argilo-calcaires.
beaucoup de gras et un bois très présent. Demain, suivant
Le domaine dispose d’un bel équipement de production et le modèle d’Inédi T, Les Gavroches vont affirmer leur
de réception. La façade rouge vif se détache du paysage spécificité et le caractère si particulier du tressallier,

Vins d’Auvergne et du Massif central


106
LES TERRES D’OCRE

en mono-cépage, là aussi, en IGP Val de Loire. Ce cépage veut, lui, voir le travail sur la durée et évoque l’ensemble de
si technique, et dont il faut déjà bien trouver l’équi- la gamme des Instan T (sauf 2014, trop difficile peut-être).
libre dans un assemblage traditionnel, va offrir, seul, On sent toute la fierté de voir le chemin parcouru, la
une étonnante vivacité dont il faudra bien maîtriser cohérence de ces quilles au fil des ans, et de leur signa-
l’ampleur, et travailler la rondeur. Mais c’est un vrai et ture, imaginée par Florent, et qui façonnent aujourd’hui
bel exercice de vigneron ! cette aventure autant que leur succès commun. Au
bout de la discussion, un « trait commun » résume
LA BOUTEILLE PHARE l’affaire, Valérie et Éric avouent avoir découvert le saint-
selon le vigneron pourçain depuis qu’avec Florent ils se sont mis à en faire !

Quand il s’agit de choisir la cuvée phare du domaine, la


04 70 43 12 71
complicité des trois compères fait place à des gourman-
06 65 46 20 19
dises et des souvenirs plus individuels. Florent pense de
suite à Ardelles une cuvée vinifiée en 2013, à majorité de
lesterresdocre@orange.fr
gamay, un de ses premiers vins qu’il a voulu travailler en
trompe-l’œil, proposant un gamay aux allures de pinot !
Pour Valérie, l’année 2013 a aussi force symbolique, mais Les Gavroches, 03500 Châtel-de-Neuvre
c’est un blanc qui vient en mémoire, Instan T. Enfin Éric GPS : 46.4178543 / 3.3080399

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
C’est Florent, seul, qui s’est prêté Un souvenir de dégustation ?
à l’exercice. Un vouvray de chez Vincent Carême,
la cuvée Ancestrale 2015.
Votre saison ?
Le printemps, car c’est à ce moment que la La bouteille de vin d’Auvergne
vie reprend, c’est vert, c’est joyeux ! que vous auriez aimé signer ?
Les Maltôtes 2014 de Denis Barbara !
Vous êtes plutôt blanc ou rouge ? Un plat qui vous fait saliver ?
Rouge (sans trop d’hésitation). Les huîtres.
Vous êtes plutôt gamay ou pinot ? Un accord met vin insolite ?
Gamay (curieusement !) Les huîtres avec un tressallier
qui magnifie le côté iodé.
Un cépage inattendu que vous
Un restaurant qui vous fait rêver ?
aimeriez travailler ?
Jacques et Régis Marcon,
Le saint-pierre doré, cépage blanc
à Saint-Bonnet-le-Froid.
autochtone mais oublié. On comprend
très vite que ce n’est plus un rêve Un vigneron que vous aimeriez rencontrer ?
mais déjà une réalité et que nous aurons Jean-François Ganevat, Jura.
bientôt la surprise de découvrir Un rêve que vous aimeriez réaliser ?
ce cépage dans un flacon ! On en a tellement, trop…
faire du vin ailleurs…
La bouteille que vous emmèneriez
sur une île déserte ? Si vous n’aviez pas été vigneron ?
Un romanée-conti 1984... J’aurais été dans la m…,
avec un beau verre à vin ! viticulteur, vinificateur ?

Vins d’Auvergne et du Massif central


107
Vins D ’AUVERGNE & du Massif Central
108
FAMILLE L AURENT FAMILLE L AURENT
Saulcet

UNE HISTOIRE DE FAMILLE,


UNE HISTOIRE D’ENGAGEMENT

O
n pourrait presque dire que l’histoire de en surface travaillée, 130 ha, mais aussi beaucoup plus
Saint-Pourçain, c’est aussi celle de la famille mécanisée, se réduit et ne représente plus que 30 % du
Laurent, qui fait du vin ici depuis 1651. À la chiffre d’affaires de l’exploitation.
croisée du classicisme, de la défense d’une
Si le précédent changement de génération, entre
certaine idée de l’appellation, et d’une tentation d’évasion
Jean-Pierre et son père peut être caractérisé de « diffi-
et de rupture, les deux générations en place poursuivent
cile », avec un vrai choc générationnel et un conflit sur
avec talent et enthousiasme la saga familiale.
l’évolution des vins, l’arrivée de Damien dès 2011 apparaît
Dans la famille Laurent, on trouve Jean-Pierre, le père, beaucoup plus fluide, avec une bonne valorisation de
Corinne, la mère, et Damien, le fils ! Il est rare de ne pas la complémentarité. Jean-Pierre et Damien ont d’abord
les voir ensemble, et on mesure ce que le sens du mot une base technique commune. Les deux ont une solide
famille veut dire ici ! formation. Ils s’accordent naturellement sur le projet et
sur les objectifs, sur le sens qu’ils veulent donner à l’évo-
Pas moins de douze générations de vignerons se sont
lution du domaine et aux vins qu’ils façonnent, même
succédées ici, avec une grande constance. Le berceau
si Corinne veille au respect d’une certaine tradition et
familial n’a été déménagé que trois fois en presque quatre
d’une identité et fait figure de juge de paix quand il faut
siècles. Pour le dernier déménagement, les Laurent ont
arbitrer et décider !
même emporté avec eux le nom du lieu-dit, pour ne pas
avoir l’impression de déménager. À chaque génération, Entre eux, ils se partagent le travail de la terre en fonction
c’est toujours un seul garçon qui prend le relais et assure de leurs compétences respectives. Corinne, de son côté,
la continuité de l’œuvre. C’est presque génétique, le frère supervise l’administratif et pilote l’activité commer-
et la sœur de Damien, dernier fiston converti, ne prévoient ciale, importante compte tenu des volumes produits.
pas de déroger à la règle. On reste chez les Laurent très En femme d’engagement, elle s’emploie aussi au sein
ancrés au terroir et le vignoble reste concentré, même si de la profession, dans l’appellation, ou avec les vigne-
pour faire face aux aléas climatiques et limiter le risque rons indépendants, pour défendre l’identité du terroir et
en cas de grêle ou de gel, le vignoble ne peut pas être de ses traditions. Il y a toujours eu ce côté militant chez
totalement regroupé autour du domaine ! les Laurent, et ce n’est pas avec la génération en place
que ça va changer !
Au fil des siècles, l’activité a toujours été partagée entre la
vigne et la culture céréalière. Très récemment, au regard de Beaucoup à Saint-Pourçain pensent, avec trop de modestie
cette longue histoire, le vin est devenu une activité princi- ou d’humilité, peut-être aussi manque de confiance, que
pale. Le grand-père de Damien exploitait 8 ha de vignes le vin, « c’est mieux ailleurs ». D’ailleurs cette image de
et 30 ha de céréales. En 1988, quand Jean-Pierre s’ins- vin de soif leur colle à la peau, ce qui a eu le don d’agacer
talle au côté de son père, il agrandit le vignoble jusqu’à Jean-Pierre pendant ses études à Beaune. Vexé, il décide
13 ha. Corinne qui épouse Jean-Pierre en 1991 s’instal- ainsi, dès 1987, de mettre des fûts bois pour apporter
lera elle-même en 1994 et ajoutera 5 ha supplémen- plus de structure à ses vins ! Damien avait peut-être
taires en 2000. Avec quelques acquisitions ou locations lui aussi cette image quand il part dans le Sud. Comme
de parcelles, en convertissant aussi certaines terres son père, il revient avec la volonté de faire mentir cette
céréalières au potentiel viticole plus sûr, la part totale antienne, avec la volonté de faire des vins plus ronds,
du vignoble augmente régulièrement pour représenter plus élégants. Ensemble, le père et le fils modifient les
18 ha en 2009 et 34 ha aujourd’hui. Dans le même temps, élevages, travaillent plus les assemblages pour recher-
l’importance de l’activité céréalière, beaucoup plus grande cher des équilibres, jouer des disparités et des forces de

Vins d’Auvergne et du Massif central


109
FAMILLE L AURENT

chaque parcelle, rajouter du fût quand cela a du sens. Ils 27 jours, selon les cuvées, les années. L’élevage en fût,
cherchent à créer une identité propre, à porter un discours partiel, a été introduit à la fin des années 80, dans un
construit mais aussi renouvelé, avec l’espoir et l’ambition mouvement très précurseur pour la région. Les blancs
de changer cette image du Saint-Pourcinois. sont en pressurage direct et élevés également en fût
(pour certaines cuvées).
Sur l’évolution des modes de culture, ils ne cèdent pas
spontanément aux sirènes du tout bio, mais cherchent Le chai, un grand bâtiment agricole au milieu de l’exploita-
à prendre ce qui les intéressent. Ainsi, avec l’aide du tion, est en grands travaux de transformation et d’agrandis-
réseau FABRE, ils adoptent les règles d’une agriculture sement. Les Laurent disposeront à la fin du chantier d’un
raisonnée dans les années 90. Ils évoluent rapidement outil de travail beaucoup mieux organisé, avec un chai
pour le travail des sols, mais restent conventionnels pour à barriques qui promet d’être majestueux, des espaces
la vigne, se limitant à rechercher un peu plus de sélecti- de réception de la vendange, de vinification, de mise en
vité, de mesure. Ils se convertissent progressivement aux bouteille et de stockage plus fonctionnel. Enfin, il est prévu
normes HVE (haute valeur environnementale) qui imposent un espace de réception pour les clients de passage totale-
un ensemble de bonnes pratiques dans le monde agricole. ment repensé.

Quand on se projette dans l’avenir, Damien évoque en La commercialisation est marquée par le bon sens paysan
premier lieux les naturelles inquiétudes face au change- qui caractérise les grandes familles agricoles. Ici, c’est la
ment climatique, qu’il observe avec ses parents aux restauration locale (45 % des ventes) et le client parti-
premières loges. Il regarde aussi avec curiosité l’évolu- culier (45 % aussi) qui font l’essentiel des volumes. L’un
tion des modes de consommation, et le rapport à l’alcool nourrissant certainement l’autre, tant la présence dans les
et au vin des générations en devenir, cherchant quelle circuits de la restauration traditionnelle peut être locale-
place il faudra gagner pour continuer à exister. ment porteuse d’image et vectrice de notoriété. Le solde,
10 %, part à l’export. Si les Laurent font toujours quelques
Mais l’avenir ce sont aussi des rêves et des projets. Les salons particuliers, à Paris, à Clermont, à Lyon, c’est toujours
Laurent veulent se faire plaisir et surprendre les gens. l’immense majorité des clients particuliers qui vient jusqu’au
Marqués par leur passage dans d’autres vignobles de domaine pour « chercher son vin ». Cet ancrage commer-
France, ils voudraient partir sur des vins plus atypiques, cial, fondé sur une pratique ancienne, une fidélisation
planter des cépages moins conventionnels pour la région, durable, et une réelle maîtrise des risques, représente une
ce qui suppose de nombreux arbitrages ! grande force pour le domaine. C’est une approche totale-
ment remarquable.
LE DOMAINE
LES DIFFÉRENTES CUVÉES
Les 34 ha de vigne s’étalent sur les trois types de terroir Fiche de dégustation
et sur huit villages différents.
Les rouges occupent une grande partie des vignes avec L’organisation de la gamme est assez lisible, et commune
respectivement 13 ha de pinot et 9 ha de gamay. Pour aux blancs et aux rouges, avec trois identités qui
les blancs, le chardonnay est naturellement majoritaire, dessinent une hiérarchie !
avec 7,3 ha que complètent 2,7 ha plantés en tressal-
Il y a d’abord Tradition, qui propose le côté simple des
lier pour respecter la proportion recherchée par l’appel-
saint-pourçains, des vins frais, légers, faciles à boire… et
lation. Un peu de sauvignon, anecdotique, rentre aussi
à boire jeunes. Ce sont des vins sans prétention, mais qui
dans l’assemblage des blancs.
portent bien leur nom dans l’univers saint-pourcinois !
Compte tenu des superficies plantées, du volume à traiter
Vient ensuite la cuvée Calnite, qui offre plus de personna-
et dans un souci de mieux maîtriser le temps, le choix
lité. Sur un mix de terroirs choisis, les vins ont plus plus de
a été fait de mécaniser la vendange, le tri embarqué et
tanins, plus d’onctuosité. Ils restent très identitaires pour
l’éraflage. Cette option adaptée à la taille du vignoble
l’appellation et représentatifs d’un savoir-faire maîtrisé.
offre plus de réactivité et de souplesse pour faire du
sur-mesure en fonction des maturités observées sur les La cuvée Puy Réal, en blanc et en rouge, est le fruit d’un
parcelles. Le domaine est autonome sur ses équipements. assemblage des meilleures parcelles et bénéficie d’un
Pour les vinifications, les rouges sont macérés entre 4 et élevage plus long, en bois neuf. Ces cuvées donnent à

Vins d’Auvergne et du Massif central


110
goûter des vins plus complexes, plus généreux. C’est la LA BOUTEILLE PHARE
force du domaine qui s’exprime ici, et témoigne de la selon le vigneron
progression constante de la qualité des vins produits
ici. À côté de ces étiquettes normées, à la hiérarchie Filiation est un roc, que dis-je, un précipice dans lequel
bien établie, qui déclinent en gamme successive des on a envie de se replonger inlassablement. Marqué par
identités cohérentes et complémentaires de l’appella- son parcours dans le Sud, Damien a voulu imposer son
tion, on va trouver ce que j’appelle de vrais « vins de empreinte dès sa première année au domaine. Fort d’une
vignerons ». Des cuvées qui portent un autre discours, arrière-saison très clémente, il a gardé quelques belles
s’affranchissent des codes et des cadres de contraintes, parcelles de pinot et de gamay en surmaturation, vendan-
pour laisser libre cours à l’imagination et aux envies gées bien après les autres. Les raisins étaient extraordi-
du vigneron. naires, la matière trop riche pour être assemblée dans
Puy Réal. Il en fera une cuvée à part, élevée patiemment
C’est d’ailleurs par une de ces cuvées, Filiation, vinifiée pendant plus de 18 mois en barriques recyclées. Ce vin
en 2011, que j’ai découvert les Laurent, et ce fut un choc ! est d’une élégance incroyable quand il s’ouvre. Le vieillis-
C’est pour moi le flacon à ne pas manquer chez eux. sement lui donne une volupté rare. Filiation, c’est aussi
Si Filiation est l’OVNI en rouge, que l’on ne s’attend l’idée de ce passage de témoin avec le père et avec lui,
pas à trouver mais dont on ne peut plus se passer, les les onze générations qui ont conduit le domaine jusqu’à
Laurent se sont aussi amusés à sortir des blancs de aujourd’hui. C’est donc en quelque sorte autant une cuvée
l’ordinaire. Ces deux cuvées sont pour moi plus anecdo- de rupture que de compromis.
tiques sur le plan du plaisir gustatif et de l’émotion,
mais restent des témoins de cette envie de jouer des 04 70 45 90 41
codes ! Yvonne est une vendange tardive, pour le moins
inattendue dans le coin, et Indocile, une cuvée rebelle, 3 chemin de Montifaud, 03500 Saulcet
avec une très forte sucrosité en bouche et une surma- GPS : 46.332454 / 3.264329
turation qui imprime un côté très confit aux arômes.

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
C’est Damien La bouteille que vous Un blanc boisé avec
qui s’est prêté à l’exercice. emmèneriez sur une île un fromage.
déserte ? Un minervois
Votre saison ? L’été en Un restaurant qui vous fait
de chez André Iché.
souvenir des années passées rêver ? La maison Decoret à
à Montpellier… et parce Un souvenir de dégustation ? Vichy (les parents y sont allés
que c’est ma période Un Grange des Pères lors mais on n’était pas du voyage).
de végétation. d’un repas familial pour Noël
sur une belle côte de bœuf. Un vigneron que vous
Vous êtes plutôt blanc
aimeriez rencontrer ?
ou rouge ? Rouge, même si je La bouteille de vin
J’aurais aimé rencontrer
m’amuse aussi beaucoup d’Auvergne que vous auriez
à travailler les blancs. aimé signer ? J’aime regarder monsieur Dagueneau.
plus loin. Un rêve que vous aimeriez
Vous êtes plutôt gamay
ou pinot ? Pinot. Un plat qui vous fait saliver ? réaliser ? Avoir un domaine
Une côte de bœuf, charolais dans les Pyrénées-Orientales.
Un cépage inattendu que
forcément dans la famille !
vous aimeriez travailler ? Si vous n’aviez pas été
Grenache. Un accord met vin insolite ? vigneron ? Architecte.

Vins d’Auvergne et du Massif central


111
Aurillac

Entraygues-le-Fel
Figeac

Estaing
Le
Lot

L’Aveyron

Rodez

Millau
Le Tarn

A75
Saint-Affrique

Vins d’Auvergne et du Massif central


112
VI G N O B L E E T VI G N E R O N S
DU MASSIF CENTRAL

T
erre de contraste, vallonnée, traversée par À son apogée, au XIXe siècle, la vigne est omniprésente
le Lot, l’Aubrac et le Tarn, l’Aveyron offre un sur la totalité du département et une bonne part de
paysage grandiose, difficile d’accès. Ici, plus l’économie locale tourne autour du vin. Le vignoble,
qu’ailleurs, la vigne se mérite. Son histoire est dont la superficie totale ne représente aujourd’hui qu’un
ancienne, traversée d’influences diverses, marquée par peu plus de 300 hectares, se concentre désormais sur
la topologie unique des paysages et la détermination quatre zones de culture principales. Chacune présente
des hommes, qui sont durs à l’ouvrage, souvent bâtis- des spécificités de sols, de climats, d’organisation de la
seurs avant de pouvoir être vignerons. L’expérience de filière, de typicité de vin, reflétant en cela la richesse
ce vignoble est esthétique avant d’être sensorielle, des lieux. Les quatre appellations sont en appellation
tant les lieux impriment le caractère des vins qui y d’origine contrôlée, depuis 1990 pour Marcillac et depuis
sont produits ! 2011 pour les trois autres, Entraygues & Le Fel, Estaing
On peut remonter à la fin de l’époque romaine pour et Côtes de Millau.
trouver les premières implantations de vignes, ce qui
Marcillac
en fait un des plus anciens de France. Il faut aussi
suivre le tracé des chemins de Compostelle pour voir Au nord-est du département, entre Rodez et le beau
et comprendre comment la région et l’économie viticole village de Conques, se trouve le cirque de Marcillac,
en particulier a pu évoluer et profiter des apports multi- l’appellation la plus connue, la plus vaste aussi qui
ples des pèlerins, tant du point de vue économique s’étend sur près de 200 hectares. Ici, on ne produit que
que de la diffusion de la connaissance, comme sur les des rouges et un peu de rosé, même si quelques vigne-
cépages par exemple. rons proposent des cuvées hors appellation en blanc.

Vins d’Auvergne et du Massif central


113
VIGNO B L E E T VIGNE RO NS DU MASSI F CEN T R AL

Le vallon est caractérisé par des sols calcaires très riches terrasses qui dessinent et façonnent le paysage, et
en oxyde de fer, qui vont lui donner cette couleur ocre témoignent à l’évidence de l’énergie singulière qu’il faut
si particulière et son nom « les rougiers ». Les vignes, avoir ici pour faire du vin et du courage des hommes
toujours exposées sud, sont plantées en terrasse sur le qui s’y emploient !
pourtour de ce grand amphithéâtre, lazuré de murs en
L’organisation du vignoble est par contre très différente,
pierres sèches et de vignes alignées, aux rangs espacés
avec quelques vignerons indépendants, uniquement du
épousant la courbe de niveau.
côté d’Entraygues et du Fel, et une cave de l’autre, les
Le cépage dominant est le fer servadou, ou mansois, Vignerons d’Olt, qui a entrepris il y a quelques années,
comme dans beaucoup de vignobles du Sud-Ouest où autour de brasseurs parisiens (mais nés ici !), de redonner
on le retrouve sous des noms différents. Il peut être vie au vignoble d’Estaing.
assemblé avec du cabernet sauvignon et du merlot,
que l’on retrouve régulièrement sur le département, Les vins du nord sont légers et fruités, fins et gouleyants,
ou avec du prunelard. canailles à souhait pour les fêtes de village et les soirées
de copains.
Les vignerons de Marcillac, indépendants et coopéra-
teurs, se sont engagés depuis longtemps dans un travail Côtes de Millau
collectif d’amélioration de la qualité et de reconnais-
sance du vignoble. Leurs efforts ont été récompensés Enfin, tout au sud du département, dans cette partie
avec l’obtention de la très courue appellation d’origine de l’Aveyron tournée plus naturellement vers Toulouse
contrôlée en 1990. Aujourd’hui encore, la production et Montpellier, on trouve les vins de Millau. Les vignes
se partage entre la cave coopérative des Vignerons du s’étendent sur une petite soixantaine d’hectares de sols
Vallon et une quinzaine de vignerons indépendants. argilo-calcaires, elles sont plantées le long des coteaux
qui dominent la Haute Vallée et les Gorges du Tarn,
Les vins sont très marqués par le cépage, même si la offrant des points de vue exceptionnels et de belles
signature de tel ou tel vigneron peut émerger sur telle expositions. Ici, plus au sud, mais toujours en altitude,
ou telle cuvée, vinifiée à part, ou issue de très vieilles
l’influence méditerranéenne se fait sentir jusqu’au choix
parcelles. Les marcillacs sont généralement assez
des cépages avec la syrah, bien présente, qui s’épanouit
frais, sur le fruit, légèrement épicés, avec une certaine
favorablement, et le gamay, toujours à l’aise en paysage
rugosité, aspérité de caractère qui s’accommode bien à
montagnard. On trouve aussi des cépages blancs, chenin
la cuisine locale ! Ce sont des vins à boire plutôt jeunes
et mauzac, pour les vins blancs.
même si quelques cuvées présentent une aptitude rare
au vieillissement et peuvent témoigner, après quelques Ici, cohabitent une petite poignée de vignerons indépen-
années de cave, du potentiel du vignoble. dants et quelques coopérateurs réunis autour de la
CAV Pays de Millau. Ils produisent des vins marqués
Entraygues & Le Fel / Estaing par cet assemblage original entre le gamay et la syrah.
Les rouges sont plus structurés, épais, mais avec de
Tout au nord du département, à quelques encablures l’une beaux arômes de fruits rouges. Les blancs sont assez
de l’autre, on trouvera les appellations d’Entraygues- frais et vifs.
le-Fel, qui empiète même un peu sur le Cantal voisin,
et Estaing. Ces deux appellations sont proches géogra- IGP Aveyron
phiquement, situées au bord du plateau de l’Aubrac,
dominant la Truyère ou le Lot. Elles s’étendent sur On trouve également quelques rangs de vignes ou
une superficie d’environ 20 hectares chacune, avec parcelles vinifiées en appellation IGP Aveyron ou Vin de
des sols schisteux, essentiellement, ou granitiques à pays de l’Aveyron. Soit parce que les cépages ou la couleur
Entraygues. Ici, on trouve une belle diversité de cépage, le ne correspondent pas au décret d’appellation, pour les
fer servadou bien sûr, en majorité, mais aussi des caber- vignerons qui produisent majoritairement en AOC, soit
nets francs et des cabernets sauvignons, du gamay à parce que les vignes sont situées hors zone d’appella-
Estaing, du chenin pour les blancs, et un cépage histo- tion. Ainsi, une petite vingtaine de vignerons représentent
rique et autochtone, le fel ! Les vignes sont partout environ 25 hectares de micro-vignobles, dispersés sur
étonnantes, accrochées en altitude, le long de longues tout le département, avec une grande liberté de cépage

Vins d’Auvergne et du Massif central


114
VIGNO B L E E T VIGNE RO NS D U MASSI F CEN T R AL

et d’approche. Ils témoignent de la richesse du terroir Il faudrait un livre à lui seul pour faire l’inventaire des
local et d’une autre idée de faire du vin. points d’intérêts touristiques, tant ils sont nombreux et
variés ici, et il faudrait revenir souvent en vacances pour
Vin du Comté Tolosan en faire le tour. Le département est assez contrasté,
Citons enfin pour mémoire cette vaste appellation, entre le plateau de l’Aubrac, les alentours de Rodez,
rattachée administrativement aux vins du Sud-Ouest, ou les Gorges du Tarn, mais à chaque fois ressort le
qui couvre aussi l’Aveyron même si les vignerons caractère évident de la nature, qui domine toujours
préfèrent ici sortir leurs quilles en IGP Aveyron ou l’homme ici par sa majesté et sa réticence à se laisser
Vin de pays de l’Aveyron. Sans identité véritable, elle discipliner. Que l’on marche en suivant les traces des
héberge de nombreux micro-vignobles, dont celui du pèlerins de Compostelle pour s’imprégner de la terre,
Cantal. On trouve en effet en remontant la route vers des plateaux de l’Aubrac, du Larzac, du Ségala, que
le Puy-de-Dôme quelques parcelles de vignes du côté l’on se perde dans les fermes à la recherche des beaux
de Molompize, dans le Cantal, accrochées aux terrasses producteurs pour découvrir le terroir, ou que l’on visite
qui dominent le village. Trois vignerons se partagent les beaux villages, si nombreux ici, pour les amoureux
les rares parcelles de vignes, ouvragées à l’ancienne de belles pierres, l’escapade est toujours aussi magique.
et difficiles à travailler. Ils produisent des vins fruités Les amoureux de modernité passeront à Millau sous
et légers, qui méritent le détour. Ceux qui accèderont le viaduc, imposant, ou au musée Soulages, enfant du
à la cabane de pierre, au milieu des quelques rangs de pays. Les amoureux de châteaux iront à Bournazel ou
gamay ou de syrah, auront peut-être la récompense à Belcastel. Les passionnés d’architecture religieuse
de boire un canon, s’ils rencontrent les maîtres des choisiront Conques ou la cathédrale de Rodez.
lieux, ou la chance de croiser un chevreuil venu goûter
quelques raisins bien sucrés ! La découverte de la région est gourmande aussi tant
la gastronomie est ancrée dans chaque famille, chaque
VISITER LA RÉGION estaminet ! Ce n’est pas un hasard si les Aveyronnais,
chassés du pays par la crise économique, sont devenus
J’ai choisi l’été pour illustrer l’Aveyron car cette région – avec les voisins cantalous et lozériens – les maîtres
vaste, montagneuse, découvre tous ses charmes sous cafetiers et restaurateurs à Paris !
le beau soleil de juillet ou d’août. Il suffit de serpenter
les routes de montagnes, aller d’un vignoble à l’autre, Il y a des pierres, des chemins, des rivières, une faune et
surfer d’un vallon à l’autre et découvrir les rivières une flore riches, une histoire, des histoires… et un peu
encaissées, pour s’en convaincre. de vins, pour se donner du cœur à l’ouvrage !

Anecdote
Les frères Rols

Au-dessus de la merveilleuse abbaye de Conques, vous pourrez voir quelques rangs de


vignes qui dominent avec majesté le village et les nombreux touristes et pèlerins qui
y font étape. Ici, ce sont deux frères qui ont décidé de faire du vin ! Un peu à l’écart et
à mi-chemin des vignobles en appellation de Marcillac ou d’Entraygues, mais au cœur
d’un des plus beaux sites touristiques de la région, ils proposent différentes cuvées en
appellation IGP Aveyron. L’aventure a commencé en 2007, avec un peu de folie, beaucoup
d’abnégation, peu de chance au départ tant la nature a été capricieuse, mais la persévé-
rance a fini par payer, et les frères Rols, presque des moines-vignerons tant le travail ici
est ingrat, se sont taillés à la force de leur engagement une petite place dans le monde
des vins nature. S’ils ne roulent pas encore sur l’or, et que les routes pour accéder aux
vignes sont de vieux chemins cabossés, on les appelle déjà les Rols-Rols !

Vins d’Auvergne et du Massif central


115
PHILIPPE TEULIER DOMAINE DU CROS
Goutrens

L’A RT I S A N D U R E N O U VE AU

S
i Philippe a toujours souhaité être vigneron, l’évolution du monde agricole, le vin est devenu acces-
sur ces terres d’Aveyron, il a surtout voulu, soire. Longtemps on n’a sorti qu’un vilain rouge et on
en homme de terrain engagé, démontrer le élevait aussi à côté quelques vaches, quelques oies, on
potentiel du vignoble de Marcillac. plantait quelques céréales ou du tabac. Un siècle plus
tard, en 1964, son petit-fils fera les premières mises
En près de 40 ans de labeurs, de combats, de progrès,
en bouteilles, démarche audacieuse pour le coin et
il s’est construit, avec son domaine une image singu-
l’époque ! Philippe, part en 76 passer son brevet profes-
lière. Il a imposé une signature d’élégance. Il a fait sortir
sionnel viti/œno. En 1981, service militaire effectué,
Marcillac du vallon et exporte désormais plus de 30 %
jeune papa, il revient à Marcillac et cherche à s’installer,
de sa production, car il voit loin depuis longtemps déjà,
à côté des bases familiales ! Il prendra à la location
pour lui, pour l’appellation, pour l’Aveyron !
2 hectares de vignes cédés par des exploitants partant à
L’homme qui a fait de cette terre son domaine, son la retraite, et en 1984 il bâtit son chai. On peut dire qu’il
moteur, est toujours souriant, jouissant de cette recon- a déjà une certaine ambition, ou qu’il est très vision-
naissance qui a guidé son parcours, et qui témoigne naire, car le bâtiment conçu à l’époque où il travaille
de sa réussite ! Sa fierté aujourd’hui est qu’on ne se à peine 3 hectares de vignes est encore aujourd’hui
moque plus à l’idée de faire des vins par ici et qu’au opérant pour des volumes multipliés par 10 !
contraire on les goûte avec plaisir !
L’homme se révèle vite un peu boulimique, il reprend
Il y a de la passion chez cet homme, nourrie par le chaque parcelle de vigne qui se libère dans les alentours,
regard qu’il porte sur la région, où il est né, par l’amour de belles parcelles avec du potentiel, et d’autres plus
du vin, qu’il a toujours voulu faire, par le désir de sortir difficiles, qu’il loue ou achète. Il replante parfois,
l’appellation de l’anonymat, par cette promesse qu’il quand les vignes sont trop anciennes, trop abîmées,
se fait, très tôt de prouver qu’on peut faire ici des vins il transforme, façon puzzle. Par étapes successives,
de qualité. en une trentaine d’années, il étend la superficie du
domaine avec la renommée qui suit, 10, 20, 30 hectares…
Il y a très clairement aussi dans l’aventure de Philippe,
il dépasse aujourd’hui les 33 hectares en exploitation,
l’histoire du domaine du Cros, et aussi plus largement
un très gros domaine pour l’appellation.
celle de l’appellation Marcillac, un désir de revanche
nourri de l’adversité et des moqueries, quand ses Amoureux du terroir, convaincu très tôt du potentiel de
copains apprentis vignerons le chambraient sur le fait l’appellation, il s’engage à l’opposé et s’évertue à mettre
de produire du vin en Aveyron ! en valeur les vignes et le vin qu’il produit, travaille ses
vinifications, joue sur plusieurs tableaux en différen-
Issu d’une famille de paysans, comme tant de gens
ciant ses cuvées. L’objectif consiste à illustrer tout le
qui vivent sur ces terres aussi austères que magiques,
potentiel du terroir et répondre aux attentes diverses
Philippe n’a jamais douté de son destin. Au début des
du marché, qui souhaite des vins jeunes, sur le fruit,
années 1870, le grand-père, se rappelant peut-être
mais qui attend aussi des vins aux tanins gourmands,
l’histoire vigneronne de la région, et la noblesse des
aptes au vieillissement.
crus qu’on y produisait, achète une petite propriété,
le Cros, et ses 8 hectares de terres, dont un planté de Il est attentif à retrouver le chemin des anciens, et à
belles vignes sur les terrasses qui dominent le vallon écrire en même temps une nouvelle page pour participer
de Marcillac. Si à l’origine du domaine, on pouvait à l’avenir du terroir. Il se concentre par exemple sur le
vivre de la seule activité viticole, avec le temps et fer servadou, ce cépage local, exigeant, difficile parfois

Vins d’Auvergne et du Massif central


117
DOMAINE DU CROS

à travailler, mais au rendu noble quand on le maîtrise. à son expérience, pour ne pas se précipiter et apprend
Il modifie son approche de la vendange, égrappe chaque à prendre le temps. Il constate le chemin parcouru en
année de plus en plus pour chercher des tanins plus 30 ou 40 ans, vers des pratiques plus respectueuses des
fins, plus nobles, utilise des vieux foudres, et plus tard sols, des vins mais reste conscient de l’enjeu économique
des barriques pour la cuvée phare, Les Rougiers. Il est de l’exploitation, sur des parcelles morcelées avec une
attentif aux conditions de stockage des bouteilles, bref, superficie conséquente.
se donne toutes les chances. Il veut faire mentir les
Si le temps n’est pas encore au bilan, malgré les années
mauvaises langues et relever le challenge avec d’autres
passées, et les réussites qui se succèdent, Philippe pense
comme Martine Pagès ou Jean-Luc Matta. Au-delà,
quand même aux enjeux de transmission, pour toute cette
ils inspirent toute la jeune génération qui s’engage à
génération qui a accompagné la transformation en AOC
redorer l’image du vignoble de Marcillac.
et qui a su porter l’image de l’appellation à son niveau
Au cours de ces années, s’il tâtonne, beaucoup, comme il actuel. Cette génération qui a connu de grands change-
le confesse, il progresse surtout, et en moins de 10 ans, ments arrive dans son ensemble au bout de l’aventure,
avec une taille critique de 7/8 hectares de vignes qui et doit penser à transmettre désormais, car il faut du
lui permet de se consacrer enfin exclusivement à la temps pour installer un vigneron !
production et à l’élevage du vin, il va surtout façonner
Cette question de la transmission se pose naturelle-
sa patte, maîtriser son œuvre.
ment aussi pour Philippe à titre personnel, car le vin c’est
De ce point de vue, 1990 ne sera pas seulement une vraiment une affaire de famille. Si la mère de Philippe
belle année par les exceptionnelles conditions clima- est toujours présente, Julien le fils n’est jamais très loin.
tiques, mais aussi pour Philippe le sentiment d’avoir fait Ses deux fils ont fait des études viticoles et il a eu le
son premier vin réellement accompli : celui qui marque bonheur d’accueillir le plus jeune en 2006 au sein du GAEC.
la fin de l’apprentissage et le début de la notoriété.
Alors pour l’aider dans ce projet, pour préparer cette
Curieusement, le travail collectif engagé quelques
transition, il veut parachever la transformation du
années avant pour obtenir l’AOC aboutit cette même
domaine, et il a quelques projets à court terme qu’il
année 90 au classement de l’appellation par l’INAO
entend conduire. Il souhaite d’abord finir de restructurer
et à la reconnaissance du potentiel du terroir et de
le domaine, recomposer au mieux les parcelles, pour
la dynamique collective des vignerons qui l’animent.
faciliter le travail de la vigne, redonner du souffle aux
Philippe a très tôt l’intuition que les vins de l’Aveyron plus vieilles parcelles. Il envisage également d’agrandir
présentent des similitudes de terroir, de besoin de commu- rapidement le chai, qui est devenu un peu étroit, avec
nication, d’ambition et de défense des intérêts des vigne- 33 hectares de vignes en production. Philippe souhaite
rons avec les autres appellations de niche du Sud-Ouest doubler la surface technique, tout en gardant la configu-
qui essaient tant bien que mal d’exister à l’ombre du ration et la structure actuelles qui facilitent le travail par
vignoble bordelais qui capte toute la lumière. Ensuite, gravitation. Enfin, pour attirer et satisfaire une clientèle
il convient de ne pas être noyé dans le grand bassin nouvelle, il voudrait également construire un espace de
viticole du Languedoc-Roussillon. Alors, dans cette grande réception, pour accueillir les particuliers et les cars de
région de vin qu’est l’Occitanie, il milite pour donner tourisme qui fréquentent la région, l’été, et leur proposer
une identité propre et distincte à cette zone et parti- un circuit panoramique assorti d’une dégustation.
cipe à la création du Comité interprofessionnel des vins
Quand il regarde le chemin accompli, Philippe a le sourire
du Sud-Ouest, dont il est acteur pour les vignobles de
tranquille de celui qui a pris sa part du travail, sûr de son
tailles modestes. Homme engagé, politique dans l’âme,
fait et de ce qu’il impulse. II est fier d’avoir relevé le gant
Philippe ne s’imagine pas pour autant figé dans des
et porté haut les belles couleurs de l’appellation. Il lui
carcans. Il n’a pas fait le choix du bio par exemple, consi-
reste encore beaucoup à faire et l’énergie ne manque pas.
dérant que les contraintes, topologiques notamment
sont difficilement contournables, mais assumant aussi
LE DOMAINE
que le cépage est plus résistant au climat et donc que
la vigne demande moins de traitements. Il pratique une Le domaine a connu une croissance régulière et
agriculture raisonnée, limite les intrants, ne désherbe constante depuis près de 40 ans et s’étend aujourd’hui
que partiellement les rangs, se fie plus à son intuition, sur plus de 33 hectares en production sur des terres de

Vins d’Auvergne et du Massif central


118
grès rouges ou des éboulis calcaires. Les sols sont restaurateurs, plus 10 % de particuliers qui viennent au
assez marqués par les rougiers, ces argiles si particu- domaine. 30 % des bouteilles partent à l’export et 30 %
lières qui façonnent le paysage de l’Aveyron. sont distribués par l’intermédiaire d’un GIE (groupe-
ment d’intérêt économique) – Java du Sud-Ouest –
Ce sont de belles vignes, largement plantées sur le
monté par plusieurs vignerons du secteur pour couvrir
cirque de Clairvaux en terrasses. Les autres parcelles
les marchés des grandes métropoles dont ils sont un
très morcelées du fait de l’histoire, se situent à proxi-
peu éloignés !
mité, dans un rayon de 5 kilomètres. Il y a beaucoup
de vieilles vignes, en pleine maturité, et des vignes
plus jeunes qui ont remplacé au fil des ans les plus
LES DIFFÉRENTES CUVÉES
anciennes parcelles, pour garder au domaine tout Fiche de dégustation
son potentiel.
La gamme du domaine du Cros est principalement rouge
À part quelques vignes de petit muscat, de sémillon avec trois cuvées historiques, Lo Sang del Païs, le vin
ou de sauvignon pour les cuvées de blancs, secs et historique, VV la cuvée phare, et Les Rougiers, une cuvée
liquoreux, qui représentent à peine un hectare de premium. Une nouvelle cuvée, Numéro 25, imaginée par
vigne, le domaine est exclusivement planté en fer Julien, vient compléter la gamme depuis peu.
servadou ou mansois. Ce cépage de la famille des
cabernets se retrouve le long des chemins jacquaires Lo Sang del Païs est un marcillac classique, dans son
dans tous les vignobles du Sud-Ouest. À Marcillac, jus, où la fraîcheur du fer servadou s’exprime naturel-
où il s’exprime peut-être encore mieux qu’ailleurs, il lement avec des notes de fruits rouges, de cassis, de
est possible de l’assembler à hauteur de 20 % mais poivre. C’est un vin léger et agréable à boire. Il faut le
Philippe a toujours fait le choix du mono-cépage pour boire jeune, pour garder sa vivacité.
ses rouges. Car même si le fer servadou est un cépage La cuvée VV, cultivée sur des parcelles de vieilles vignes,
compliqué, il y avait là aussi l’objectif de démon- donne un autre aperçu du terroir. Le vin élevé en vieux
trer qu’on peut en faire quelque chose d’unique, de foudres est plus structuré, les tanins sont plus fondus.
maîtrisé. Il n’est pas nécessaire de l’assembler pour La matière domine plus que le fruit et ce vin a un poten-
le promouvoir ! tiel de garde étonnant. Il se révèle après 3 ou 4 ans mais
Il a bâti son chai avec le souci de respecter la vendange. trouve sa plénitude au bout de 6 ou 8 ans.
De fait, les installations techniques se succèdent le
Les Rougiers est la cuvée à part, issue de parcelles
long de la pente pour travailler en « gravitation »
choisies, élevée en barrique pendant de longs mois,
naturelle. L’arrivée de la vendange se fait à l’étage
et qui se bonifie au chai pendant au moins 4 ans avant
supérieur, les raisins, triés sur pied, ramassés dans des
d’être commercialisée. C’est un vin plus ample, aux
caissettes de 50 litres sont apportés en rotation rapide
notes de fruits confits, de griottes. C’est ce que j’appelle
au chai pour être égrappés et foulés puis « descendus
un vin de vigneron, qui donne à voir et surtout à goûter
» dans les cuves inox où commencent les macéra-
ce que sait faire de mieux l’homme qui l’a imaginé et
tions qui vont durer une dizaine de jours, pour les
tenu par la main.
vins sur le fruit et jusqu’à 5 semaines pour les vins
plus structurés. Enfin, on appréciera comme il se doit Numéro 25,
dernière cuvée de la gamme, voulue et pensée par
Philippe sait qu’il faut donner du temps à ses jus pour
Julien. Numéro 25 comme l’âge qu’il a quand il achète la
qu’ils donnent le meilleur. Il surveille ses températures,
ferme voisine du domaine et ses premières parcelles de
pige et remonte, laisse infuser les peaux, travailler
vignes. Il s’est essayé à vinifier sans souffre, à chercher
la matière. Les vins sont ensuite élevés en cuves de
à faire plus ressortir les tanins, à apporter plus de sucro-
fibre, en vieux foudres ou en barriques anciennes pour
sité dans ses jus. C’est un marcillac atypique, qui se
la cuvée des Rougiers. Les blancs sont fermentés en
cherche encore mais qui trouvera sa voie, assurément,
barriques neuves (pour les liquoreux) ou barriques
un jeu d’équilibriste, tout en douceur, avec du gras, du
d’un an (pour les secs).
fruit. Un rosé et deux blancs, aux volumes plus anecdo-
La commercialisation des vins du domaine est assurée tiques, complètent la gamme. Le rosé est assez vineux,
localement à hauteur de 30 % auprès de cavistes et de soutenu, un peu poivré. C’est un vin à boire en mangeant !
DOMAINE DU CROS

Le Blanc de Blancs, en IGP Aveyron, est étonnant de réalisé un vin abouti, celui qu’il cherche à faire depuis
complexité. Un vin où le fruit du sauvignon le dispute au 10 ans, et aussi le vin qui peut marquer réellement le
gras du muscat, dans un équilibre dense et voluptueux. début de son aventure de vigneron accompli.
C’est une belle surprise qui a le seul défaut d’être rare !

LA BOUTEILLE PHARE 05 65 72 71 77
selon le vigneron
Philippe a immédiatement en tête son VV 90. L’année www.domaine-du-cros.com
où l’appellation devient une AOC, avec un climat excep-
tionnel du début du printemps à la fin de l’automne, 12390 Goutrens
Philippe a le sentiment curieux d’avoir en même temps GPS : 44.431834 / 2.398603

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
Votre saison ? La bouteille de vin d’Auvergne
L’automne, parce que le boulot est que vous auriez aimé signer ?
fini ! J’aime le calme de l’automne, Je ne les connais que trop peu, plus tourné
cette influence méditerranéenne vers le Sud-Ouest que vers le Nord-Est !
qui accompagne les belles journées Un plat qui vous fait saliver ?
d’arrière-saison. Un tajine, des épices.
Vous êtes plutôt blanc ou rouge ? Un accord met vin insolite ?
J’étais plutôt rouge… mais je me régale Je trouve étonnant de boire un vin léger,
de plus en plus avec des blancs. fruité sur de la cuisine asiatique par
exemple, sur des plats épicés, sur des
Vous êtes plutôt gamay ou pinot ? notes sucrées. Le fait de ne pas vouloir
(Question délicate – voire incongrue – jouer en concurrence, avec des vins
dans ce coin du Massif central !) charpentés par exemple, permet de faire
Je n’ai pas assez de recul ! ressortir des notes inattendues, et ça nous
Le pinot pour sa notoriété. change des traditionnels accords avec les
plats régionaux !
Un cépage inattendu que vous
aimeriez travailler ? Un restaurant qui vous fait rêver ?
Les frères Troisgros.
Le fel, c’est un cépage local oublié,
dont on a retrouvé quelques pieds Un vigneron que vous aimeriez rencontrer ?
dans de vieilles parcelles, il apporte Mon arrière-grand-père, je discuterai avec
beaucoup de fraîcheur, d’acidité, lui pour comprendre pourquoi il a acheté
je suis sûr que ce serait une colonne ce domaine, car j’en découvre chaque jour
vertébrale intéressante pour nos blancs. le potentiel, et je voudrais savoir s’il avait
eu cette intuition.
La bouteille que vous emmèneriez
Un rêve que vous aimeriez réaliser ?
sur une île déserte ?
Construire mon nouveau chai, terminer le
Une grosse bouteille, au moins 3 litres !
travail au domaine, pour passer la main
et un vin maison, une cuvée VV du Cros. à Julien, on reste toujours en chantier
Un souvenir de dégustation ? finalement !
Il y a très longtemps, mais je l’ai Si vous n’aviez pas été vigneron ?
encore présent en mémoire tellement Paysagiste, j’ai toujours adoré utiliser une
il m’a marqué à l’époque, un Beychevelle. pelle mécanique, ça m’amuse !

Vins d’Auvergne et du Massif central


120
PHILIPPE ANGLES DOMAINE DU MIOULA
Salles-la-Source

ENTREPRENEUR VIGNERON
DE PÈRE EN FILS

Q
uand on demande à Philippe de raconter En entrepreneur avisé, le père de Philippe s’organise.
son vin, son domaine, il parle d’abord Il lui faut de la terre, des vignes, un homme-orchestre
de son père, cet entrepreneur devenu pour conduire les opérations au quotidien, et des conseils
vigneron, et de cette passion qu’il a reçue pour l’aider à maîtriser le sujet qu’il découvre et apprend,
en héritage ! Dans la famille on aime le sur le tas.
travail bien fait, le travail d’orfèvre, et si on est venu
À la fin des années 90, n’ayant pu obtenir de droits de
à la vigne tardivement, on fait le vin par respect, pour
plantations sur son domaine, il se lance donc dans l’achat
l’amour du vallon et de l’Aveyron ! Alors quand Philippe
de vignes, un peu partout. Au fur et à mesure, il remembre
prend le relai de son père, il perpétue cette approche
l’ensemble pour implanter les parcelles tout autour du
qui regarde ses vignes de loin, certes, mais si souvent
domaine et constituer un ensemble d’un seul tenant,
et avec tant d’attention, qu’il ne rate rien, et surtout autour de la bâtisse. Il recrute un jeune vigneron du coin,
pas une vendange. Emmanuel Fric, pour s’occuper de la culture de la vigne
L’histoire du domaine commence en 1994 avec une rupture. et du travail au chai. Enfin, il s’adjoint les conseils d’un
Bernard Angles, entrepreneur prolifique de la région, œnologue bordelais, Patrice Lescaret, recommandé par
divorce. Il se cherche un toit, et trouve en 1995 sur les le sommelier des Bras à Laguiole, qui va aider à struc-
coteaux de Saint-Austremoine une maison abandonnée, turer la démarche !
avec aux alentours quelques rangs de vignes clairsemés. Il Pendant 10 ans, sous le regard vigilant de l’homme
a tout de suite le coup de cœur pour cette bâtisse du XIIe d’affaires, qui fixe le cap et suit de près les évolutions,
siècle, il y refera sa vie ! Il pense aussi à Philippe, son fils les impulsions de Patrice, qui orientent les choix et
passionné d’équitation, qui pourra sur ce beau domaine définissent les investissements importants pour s’équiper
donner libre cours à son envie de galoper ! à la hauteur de l’ambition affichée, et le travail d’Emma-
Esthète et épicurien, Bernard veut que tout soit beau, nuel, qui s’affirme au quotidien dans son rôle de maître
parfait, et il suffit de visiter l’exploitation aujourd’hui pour d’exploitation, le domaine prend progressivement une
s’en convaincre, tant l’illusion d’un coin de paradis prend place dans le paysage local.
tout son sens ici. En même temps qu’il redonne son lustre En effet, toute la fine équipe s’est mise au travail, étudie
à la demeure, il fait réhabiliter les parcelles de vignes les sols, sélectionne les cépages, pour orienter la culture
avec l’idée de produire quelques bouteilles pour la famille – si les vignes sont enherbées, elles doivent aussi rester
et les amis, sans plus de prétention que de voir de ses propres ! On réhabilite les vieux bâtiments pour construire
fenêtres de belles vignes alignées, propres, au cordeau. un chai, il faut l’équiper de matériel pour trier la vendange,
pour érafler, avec partout un souci marqué pour l’hygiène
Pendant 2 ou 3 ans, on fera appel à un voisin vigneron pour
et la propreté, clés de voûte de la qualité. Rien n’est trop
s’occuper de la vigne et des raisins. Alors que les résul-
beau pour l’entrepreneur qui sait qu’il faut se donner
tats sont mitigés et la qualité discutable, l’idée de faire
les moyens pour avancer ni pour l’œnologue exigeant
vraiment du vin commence à faire son chemin. Même si
et soucieux de prouver la justesse de ses convictions.
la terre ici est très différente des emblématiques sols de
Rougiers, typiques de l’appellation, que l’on retrouve chez Les progrès des vins ne se font pas attendre. Si la
les Teulier ou Matha, qui tirent déjà l’appellation à cette première vendange de la nouvelle vie du domaine en
époque, les argilo-calcaires du domaine et des alentours 2001 n’est pas excellente, 2002 apporte déjà des signaux
qui offrent un beau potentiel pour faire un vin de qualité. positifs et donne le ton. En 2003, la cuvée maison est

Vins d’Auvergne et du Massif central


121
DOMAINE DU MIOULA

épinglée par le guide Hachette avec un coup de cœur ! entre le père et le fils, qui supervisent l’arrivée et le tri
C’est le début de la reconnaissance et de l’affirmation des raisins, alternant à chaque tombereau leur place à la
du domaine parmi les belles propriétés et signatures table de tri, répétant invariablement les mêmes gestes.
de l’appellation. Au cours de cette décennie, l’équipe
Philippe veut aussi apporter sa pierre à l’édifice, créer
installe aussi sa patte. Le choix est de laisser s’exprimer
« son » vin. Il découvre un jour le potentiel d’une sélec-
le terroir, le cépage, avec un parcellaire encore jeune.
tion massale plantée par son père, où sont vinifiés les
Les sols du domaine apportent beaucoup de finesse aux
raisins issus d’une parcelle préphylloxérique unique. Avec
vins, le fer servadou, identitaire de l’appellation, donne
Athanase il décide de ne pas l’assembler, ce qui donnera
du fruité, de la légèreté. Les techniques de vinifica-
la cuvée Patrimoine, comme ce que représente la vigne
tion apporteront en plus un peu de gras, de densité. Ils
à la région, un patrimoine gustatif !
seront aussi les premiers à réintroduire les blancs dans
la région et à planter des chardonnays, sur le domaine, Pour les choix de culture, Philippe garde une approche
avec de beaux résultats ! raisonnée, prudente, à tous les sens du terme. Il prend
conscience des dégâts potentiels des produits phytosa-
Entrepreneur par atavisme, Philippe suit toujours ce qui
nitaires pour l’homme et la nature. Il a aussi conscience
se passe « à la maison » et s’intéresse avec curiosité à
des contraintes particulières de l’environnement dans
ce hobby paternel, à l’évolution du domaine.
lequel il travaille, la topographie des sols, le climat,
Ainsi lorsque Bernard, qui souhaite prendre un peu les cépages et qu’il est difficile de se convertir totale-
de recul, lui propose assez naturellement en 2012 ment en bio.
de reprendre progressivement le flambeau, Philippe
S’il n’imagine pas encore pouvoir s’installer sur place,
va donc à son tour, depuis Paris, prendre le costume
ce qui est autant un rêve qu’un objectif à moyen terme,
d’entrepreneur-vigneron. Petit à petit, il commence à
il revendique cette liberté d’entrepreneur au service de
écrire une nouvelle page de l’aventure du Mioula. En 2014,
la propriété, comme son père avant lui. L’activité est
il devient officiellement le gérant de la SCEA qui exploite
toujours modeste, un hobby sérieux ! Avoir un métier par
le domaine.
ailleurs, disposer d’un revenu, regarder avec un peu de
Philippe qui a observé les progrès de notoriété de l’appel- hauteur et de distance, donne beaucoup de liberté pour
lation veut s’inscrire durablement dans cette dynamique, décider, évoluer, avancer, sans attentes particulières ou
la perpétuer autant que l’accélérer. Si l’équipe perma- calcul de retour sur investissement.
nente en place au domaine, bien formée, va continuer,
Quand on lui parle d’avenir il pense d’ailleurs avant tout
Philippe va installer un nouveau binôme au pilotage. Son
à l’appellation, qu’il rêve de voir encore plus reconnue,
père s’était beaucoup appuyé sur Patrice Lescaret qui
qualitative. Il pense aussi à la filière, et évoque ce besoin
souhaitait arrêter, il fera donc tandem avec Athanase
qu’il y a et ce désir qu’il aurait d’aider à installer d’autres
Fakorellis – dont le nom lui est suggéré par les médocains
vignerons, dans le vallon, pour que collectivement, une
Yves et Stéphanie Vatelot du château Reignac.
nouvelle dynamique se mette en place, qu’on soit plus
Philippe va entreprendre de diversifier les cuvées, nombreux à tirer vers le haut.
d’apporter ses nuances, de construire sa vision, il procède
Il pense aussi naturellement au domaine, à cette maison,
par petites touches, sans révolution, mais avec un savoir-
dans laquelle il aimerait vivre à temps plein, une fois
faire qui mêle intuition et conviction. Comme son père,
les banques remboursées ! Il imagine déjà les travaux
il supervise l’exploitation, intervient sur les décisions
à entreprendre au chai pour continuer à avancer, avec
critiques, gère le commercial, un peu l’administratif et
de nouvelles tables de tris, de nouvelles techniques
interagit de plus en plus avec l’équipe à distance. Il a aussi
de vinifications, l’essai de jarre peut-être. L’idée n’est
besoin d’être là pour sentir les choses et « descend » au
jamais de faire toujours plus grand mais, comme il l’a
Mioula toutes les 3 semaines. Bernard, qui vit désormais
appris, de faire mieux.
à l’étranger est souvent sur place, garde un œil, partage
les réflexions. Ainsi, le temps des vendanges est sacré, Il se rend chaque jour un peu plus compte de la beauté
et on sait à Paris qu’il sera absent chaque année, à peine de la terre, de la vigne, de l’idée de faire du vin, de la
joignable quand le temps est venu de rentrer la récolte. chance d’avoir un père qui a initié l’aventure et lui a mis
Il y a toujours à cette époque un rituel bien en place, le pied à l’étrier.

Vins d’Auvergne et du Massif central


123
LE DOMAINE LES DIFFÉRENTES CUVÉES
Le domaine du Mioula en impose avec son entrée majes-
Fiche de dégustation
tueuse, les murs de pierre, les vignes taillées et alignées,
Le domaine produit, marginalement, deux cuvées en
le parc aménagé. Il s’étend sur une trentaine d’hectares
blanc, et plus largement, cinq en rouge. Un rosé complète
de terres, prairies, bois, avec 4,5 hectares de vignes d’un
la gamme de façon anecdotique.
seul tenant, autour de la bâtisse principale. La vigne de La
Cabane et celle de La Roque, plantées de très vieux ceps, Terres Blanches est le blanc d’entrée de gamme, assem-
complètent à courte distance le parcellaire sur environ blage sur une base de chardonnay, avec un peu de musca-
0,5 hectare. Le domaine est quasi exclusivement planté delle et de chenin. C’est un vin facile à boire, sur la
en fer servadou, plus quelques arpents de blancs, essen- vivacité, la fraîcheur.
tiellement des chardonnays, mais aussi un peu de musca- Terres d’Or est la belle cuvée. Avec les mêmes cépages,
delle et de chenin, plantés à proximité de la maison, le mais un travail plus approfondi, du bâtonnage, un
tout sur des sols argilo-calcaires. vieillissement en barrique, ce vin est très différent
du premier, plus gras, avec des arômes complexes de
Le chai conçu à la fin des années 90 est toujours aussi
fruits jaunes. C’est un vin au caractère atypique pour la
soigné aujourd’hui. L’équipement est à la hauteur des
région, et très personnel que l’on peut aussi attendre
ambitions affichées au début de l’aventure, avec de belles et déguster après 4 ou 5 ans de bouteille.
cuves, majoritairement en inox, un peu de barriques,
sélectionnées. Domaine du Mioula est le rouge basique du domaine,
vendu en bouteille et en bag-in-box sur le marché local.
Dans cette demeure ancienne, le vieillissement et le C’est un rouge typique de son appellation, issu de vignes
stockage des vins se fait dans de belles caves voûtées. plantées au début des années 2000. C’est un vin, facile,
léger et fruité, un petit bonbon qui se laisse boire avec
La commercialisation se fait essentiellement par l’inter-
gourmandise !
médiaire d’un caviste-grossiste local, à Rodez, qui a cru au
potentiel du domaine avant d’autres, et à qui aujourd’hui Terres d’Angles est issu de très vieilles vignes de plus
on conserve cette confiance acquise dans les périodes de 80 ou 90 ans. Produites uniquement les années où
moins fastes, quand il fallait encore construire et installer la qualité le justifie, les bouteilles connaissent 3 ans de
l’image et la réputation. La situation du domaine, sur la vieillissement avant d’être proposée à la dégustation.
route qui relie le musée Soulages de Rodez au beau village C’est une cuvée plus structurée, avec de belles notes de
de Conques, attire de nombreux touristes et promeneurs fruits grillés, et une matière ample.
qui s’arrêtent ici acheter quelques flacons, sans pouvoir le Philippine, du nom de la fille de Philippe, est un peu une
goûter comme le rappelle avec malice Philippe. Le reste cuvée surprise, après des essais de vieillissement dans du
de la production part sur Paris, où Philippe a un agent bois. Si les vins ne sont curieusement pas marqués par les
et quelques amis, à l’export ou est vendu sur internet. tanins, très peu présents, le fruit domine à la dégustation

Vins d’Auvergne et du Massif central


124
DOMAINE DU MIOULA

avec beaucoup de finesse. C’est un vin qui évolue progres- qu’il avait d’avoir un père qui ait pensé à planter une
sivement dans le temps. Année après année, le terroir et sélection massale, et la chance de pouvoir donner vie
le cépage, dominés au départ, reprennent leurs droits, et à cette intuition, en allant au bout de l’idée. Bernard
donnent à goûter des flacons assez originaux. avait fait analyser des pieds centenaires avec l’INAO,
décidé avec un pépiniériste de refaire 900 pieds et
Patrimoine, enfin, est issu des vieilles vignes préphyl-
fait le pari de les replanter. Philippe, lui, est allé plus
loxériques de La Roque que Philippe a souhaité vinifier
loin, en choisissant de ne pas vinifier les raisins issus
séparément, avec l’assentiment d’Athanase. C’est une
de cette parcelle avec les autres pour qu’elle puisse
cuvée étonnante de fraîcheur et de légèreté. Le vin peu
exister pour et par elle-même.
marqué par les tanins présente des arômes complexes,
une belle finesse en bouche. C’est un vin qui se mérite
tant il faut l’attendre parfois pour qu’il explose en bouche. 05 65 71 83 69

LA BOUTEILLE PHARE
selon le vigneron www.marcillac.net

Une cuvée vient immédiatement à l’esprit de Philippe, Le Mioula, 12330 Salles-la-Source


Patrimoine. Parce qu’il a réalisé un jour la chance GPS : 44.451182 / 2.479514

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
Votre saison ? La bouteille de vin d’Auvergne
Le printemps, car tout reprend vie ! que vous auriez aimé signer ?
Je ne les connais pas assez.
Vous êtes plutôt blanc ou rouge ?
Un plat qui vous fait saliver ?
Rouge.
Côte de bœuf, je suis un viandard !
Vous êtes plutôt gamay ou pinot ? Un accord met vin insolite ?
(Question difficile pour un vigneron Un grand porto avec du roquefort.
aveyronnais !)
Un restaurant qui vous fait rêver ?
Pinot.
Je suis impatient de découvrir
Un cépage inattendu que vous la nouvelle table de Michel Bras à Paris,
au musée Pinault.
aimeriez travailler ?
Syrah. Un vigneron que vous aimeriez rencontrer ?
Marcel Deiss, en Alsace – j’aurais
La bouteille que vous emmèneriez aussi aimé rencontrer Aimé Guibert,
sur une île déserte ? du Mas de Daumas Gassac.
Un bourgogne 99 du domaine
Un rêve que vous aimeriez réaliser ?
Méo-Camuzet.
Voir un jour un marcillac champion
Un souvenir de dégustation ? du monde des vins ! Même si ce n’est pas
le mien. Cela prouvera que l’appellation
Celui-là même ! J’ai aussi en mémoire
a démontré tout son potentiel !
la dégustation pour la première fois
de ma sélection massale, à la cuve, Si vous n’aviez pas été vigneron ?
une belle émotion ! J’aurais aimé être cavalier !

Vins d’Auvergne et du Massif central


125
GILLES MONIER GILLES MONIER
Massia c

DE LA PIERRE À LA VIGNE,
L’ H U M I L I T É FA I T E VI N !

I
l y a des hommes qui créent des vignobles et d’autres Le vin n’était pas une évidence pour Gilles, simple
qui en bâtissent. Gilles Monier est de ceux-là, avec amateur éclairé. Il s’est lancé, juste avec cette idée que
son alter ego Stéphan Elzière. Géologue, puis arbori- cela pouvait être fait, peut-être aussi pour faire mentir
culteur, il s’est laissé emporter par le projet fou tous les railleurs ! Sans formation technique idoine, il doit
de faire renaître les palhàs, ces historiques terrasses apprendre un nouveau métier sur le tas, en marchant.
abandonnées de Molompize et des pays coupés ! Depuis, Très vite, il se rapproche de Pierre Sucheyre, « l’homme
il apprend à maîtriser la magie particulière de ce terroir des vins d’Auvergne », technicien à la chambre d’agri-
et à révéler son potentiel. Ainsi, il sort des vins confi- culture, qui accompagne les vignerons du Puy-de-Dôme
dentiels, tout en élégance, où les chardonnays, notam- dans le vaste chantier d’amélioration de la qualité et de
ment, peuvent facilement tenir la comparaison avec la quête de l’AOC. Grâce à la bienveillance de la chambre
beaucoup de bourgognes. du Puy-de-Dôme, qui s’accorde avec celle du Cantal pour
le libérer quelques heures de temps en temps, Pierre
Si son père a toujours eu une activité agricole, maraî-
peut venir partager ses connaissances autant que son
chère et en verger, à Massiac, aux confins du Cantal
énergie et les aider dans leur apprentissage du métier.
et du Puy-de-Dôme, Gilles s’est d’abord intéressé à
Ensemble, ils choisissent les cépages à implanter, les
la science des sous-sols. Toutefois, il n’oublie jamais
modes de palissages, supervisent la vigne qui prend ses
Massiac et revient à l’aube de la quarantaine reprendre
marques, attendent les premiers raisins…
l’activité parentale.
Venu le temps de la première vendange en 2004, Pierre
En 98, les élus de la communauté de communes de
trouve à Chalus, chez les Abonnat, un coin de chai pour
Massiac, dont il est, cherchent à revaloriser le patri-
que Gilles puisse faire ses premières vinifications. Son
moine local, et à renforcer l’attractivité de ce territoire
propre chai sera installé à Massiac un peu plus tard, en
à mi-chemin entre Clermont-Ferrand et Aurillac ! Ils
2005, dans une belle bâtisse au centre du village. Pierre
imaginent alors ce projet de réhabilitation des palhàs,
l’accompagne également sur ce travail d’élevage, qui
sur les coteaux de la rivière Alagnon. Ces terrains étaient
donne toute son ampleur aux vins. Pierre est visible-
devenus des friches depuis l’abandon de l’activité viticole
ment un bon transmetteur, Gilles un bon élève, même
il y a plus de 100 ans.
si on peut percevoir de l’empirisme dans l’apprentissage
Les collectivités s’engagent, choisissent le site de du métier. On devine de l’écoute, de l’abnégation, des
Molompize où les murets historiques sont peut-être les expériences, de la foi, de la chance, et du génie, assuré-
moins endommagés et abondent largement le projet pour ment, tant les flacons que l’on déguste aujourd’hui sont
rendre ces terres à une activité agricole. L’appel à projets merveilleux d’équilibre et de finesse !
pour redémarrer une activité viti/vinicole est lancé et ce
Gilles garde de cette période d’apprentissage pas à pas
sont bien les deux futurs vignerons, Gilles et Stéphan
le besoin de partager les décisions, de se confronter à
Elzière, qui relèvent le pari de replanter de la vigne et de
un sachant pour avancer à deux. Une fois Pierre parti
vivre du vin, sur ces terres austères ! Le challenge est de
à la retraite, il gardera un œnologue conseil, Claude
taille et les sceptiques nombreux. Mais ils avaient une
Serra, qui l’accompagne toujours aujourd’hui à chaque
foi à déplacer des montagnes et ils l’ont fait.
grande étape des vinifications. L’humilité de l’homme
D’ailleurs quelques années plus tard, un troisième compa- se satisfait de cette assistance régulière, de ce conseil
gnon, Simon Chabasseur, s’est aventuré à son tour, certai- bienveillant. Néanmoins quand on l’entend parler de
nement encouragé par leurs premiers succès. son métier, on perçoit le vigneron accompli !

Vins d’Auvergne et du Massif central


127
GILLES MONIER

Après une première vendange à plus de 50 ans, Gilles générations pour percer totalement les mystères d’un
va enchaîner une quinzaine de millésimes, et découvrir, terroir et apprendre à en tirer tout le potentiel, il parti-
pierre après pierre, vin après vin, les qualités particu- cipe à écrire les nouvelles pages de l’aventure. En 2012,
lières de ce terroir à nul autre pareil. Cela lui permettra par intuition mais certainement déjà convaincu du poten-
de formaliser son savoir-faire. tiel de ce terroir à produire des blancs, il s’est essayé
au pinot gris et a obtenu des résultats passionnants !
Il se forge son identité de vigneron, avec pour credo de
Il aimerait encore aujourd’hui produire plus de blancs,
respecter ce que la terre et la nature lui donnent à vinifier
même si s’agrandir est toujours une gageure. Il aimerait
chaque année, de s’effacer pour révéler l’identité de son
aussi se tester sur des pinots noirs, cépage roi ou noble
terroir. Il prend les raisins et accompagne, en nuances,
pour lui, grand amateur de bourgogne !
les jus pour en faire de beaux vins ! Les terres sont ici
assez différentes des voisins en Côtes d’Auvergne, à plus Côté chai, il songe à introduire des levures indigènes,
de 600 ou 700 mètres d’altitude, avec de fortes pentes. signe d’autonomie, voire d’autarcie, volonté là encore
Le climat – semi-montagnard – est particulier, avec de de s’effacer derrière la nature et laisser faire ? C’est en
forts contrastes entre le jour et la nuit, et des tempéra- tout cas une décision qui couve !
tures en moyenne plus faibles. Les maturations sont de
Enfin, Gilles garde de la saison 2017 et du gel quasi-total
fait plus longues, et il faut parfois attendre la Toussaint
de son domaine (touché à plus de 85 %) le sentiment
pour rentrer l’intégralité d’une vendange. Les vins sont
de fragilité de son métier. Démuni pour lutter face à de
marqués par une certaine élégance, moins épicés pour
tels phénomènes, il a cette crainte permanente de voir le
les rouges, plus aromatiques pour les blancs que ceux
travail d’une année anéanti par les caprices de la nature !
que l’on retrouve plus au nord.
Quand il regarde le chemin parcouru, avec Stéphan,
Quand on évoque la question, lancinante, du respect il se plaît à constater le renouveau du terroir, même si
des sols, et de la nature, il reconnaît d’ailleurs faire du aujourd’hui, on ne compte guère plus de 6 hectares de
bio, ou quasiment. Le terroir de Molompize est sain, les vignes partagés entre les trois compères.
vignes bien aérées et ventilées, et il n’est pas néces-
saire de trop traiter, le cuivre et le souffre seuls suffisent. Il faut dire qu’ici planter, d’abord, et exploiter, ensuite,
Enfin, un label bio serait plus une source de contrainte revient beaucoup plus cher qu’ailleurs, et que les vocations
administrative alors que l’homme est plus passionné par sont rares ! Il reste encore beaucoup à faire pour asseoir
le temps passé dans son chai que par la vie de bureau, la notoriété de ces vins racés ! Charge aux générations
lui qui n’a ni site web pour se faire connaître, ni email suivantes de raconter la belle histoire des palhàs, et plus
pour communiquer ! encore de travailler pour perpétuer et tirer profit de la
singularité de ce bout de vignoble perché, son originalité,
Il en est de même quand on cherche à comprendre son son esthétique, à couper le souffle !
« écosystème ». Gilles n’aime rien de plus que travailler
seul, il est engagé dans une démarche solitaire, à l’exclu- Gilles est déjà un grand classique, même si ce n’est certai-
sion des voisins de Massiac, bien sûr, Stéphan et Simon, nement pas la qualification qu’il préfèrerait. Il a réussi à
qui sont parties prenantes de l’aventure ! D’abord, le réveiller ce vignoble oublié, dans des conditions difficiles
vignoble, situé dans le Cantal, est curieusement rattaché et exigeantes, avec beaucoup de disponibilité et d’enga-
administrativement à la région Midi-Pyrénées, et aux gement ! On ne peut pas parler de référence, ici, tant le
vins du Sud-Ouest. Cette appellation en Vin du Comté vignoble est encore confidentiel, mais la signature est
Tolosan, pour le moins surprenante, au regard de la celle d’une grande maîtrise, d’une constance dans les
géographie tourne de facto le dos aux collègues auver- années, d’un travail en profondeur !
gnats, tous situés bien au nord, avec qui les relations
sont donc plus rares. Il y a une spécificité cantalienne LE DOMAINE
qui s’impose, et une filiation des vignobles du Fel qui
L’appellation des vins de palhàs est en Comté Tolosan, et
s’exprime ici !
ne reflète rien d’autre qu’un rattachement administratif.
Gilles qui maîtrise son sujet, bien plus qu’il ne l’avoue, a Ce bout de terroir, minuscule, accroché à flanc de coteaux,
envie d’aller plus loin, de tester de nouvelles approches donne des rouges très fins, peu marqués par les tanins,
de travail. Même s’il faut, selon lui, au moins deux assez fruités, et des blancs avec beaucoup de finesse.

Vins d’Auvergne et du Massif central


128
Le domaine de Gilles Monier s’étend sur 2,3 hectares Les volumes sont très faibles, compte tenu de la
et se partage entre les parcelles historiques de superficie plantée et des rendements contenus dans
Molompize, où tout a commencé, et celles plus la région. La commercialisation est donc dimen-
récentes, de Massiac. sionnée en conséquence, sachant que ce n’est pas
la tasse de thé de Gilles ! La clientèle, acquise au fil
Les deux sites ont des particularités différentes. des ans, est quasi exclusivement professionnelle,
À Molompize, les vignes sont plantées perpendi- et se partage entre restaurateurs et cavistes, pour
culairement à la pente, sur chaque terrasse, et les partie sur l’Auvergne mais aussi un peu partout en
rangs se limitent souvent à quelques ceps de vignes. France. Le succès de Gilles s’est construit progres-
L’accessibilité y est très limitée et les conditions sivement par bouche à oreille. De toute façon avoir
d’exploitation difficiles. À Massiac, les terrassements ses vins se mérite ! Il faut d’abord arriver à le joindre
se sont faits avec une approche plus soucieuse de et l’apprivoiser ! Curieusement, on arrive à trouver
l’exploitation, avec une alternance de banquettes quelques millésimes plus anciens, car l’homme avisé
en talus et en replat. Les vignes sont plantées sur donne du temps à ses quilles avant de les laisser
les courbes de niveau du site, exposées perpendi- s’envoler, pour notre bonheur !
culairement, le travail y semble plus rationnalisé.
LES DIFFÉRENTES CUVÉES
Les sols composés de roches métamorphosiques,
Fiche de dégustation
avec des couches de schistes et de gneiss, proches
des granits, sont assez acides, très légers et filtrants
La gamme de Gilles se compose de trois cuvées en
et donnent des tanins très fondus.
blanc, deux chardonnays, qui sont travaillés différem-
Gilles a surtout planté des blancs, sur près de ment, Les terrasses de Victor et Les Félines, un pinot
gris, La pierre qui danse, et un en rouge en 100 %
2 hectares, avec deux tiers de chardonnay sur Massiac
gamay, Les terrasses de Victor.
et Molompize, et un tiers de pinot gris, plus récents,
intégralement à Massiac. Les gamays représentent Les terrasses de Victor en blanc sont élaborés à partir
un peu moins d’un hectare et sont aussi partagés de chardonnay vinifiés pour partie en cuves et pour
entre les 2 sites. partie en barriques, puis assemblés. Les vins sont
plus sur la fraîcheur, avec de beaux arômes de fruits
Le chai est au cœur du village, il est équipé de cuves jaunes, et se dégustent jeunes.
en fibre de verre, et surtout d’un grand espace d’éle-
vage et de vieillissement en barriques. Les Félines, toujours en chardonnay, mais élaborés
à partir d’une sélection parcellaire sur les vignes les
Gilles pratique naturellement une vendange manuelle, plus hautes, et d’une vinification intégralement en
en petites caisses de 15 kg, les raisins, en général barriques neuves, est un vin plus typé, plus marqué.
très sains, sont peu triés, sur pied éventuellement, et C’est une cuvée qui peut facilement s’attendre 3 ou
majoritairement éraflés (même si certaines années, 4 ans, avec des notes de fruits compotés, beaucoup
jusqu’à 20 % des gamays sont incorporés en vendange de gras, tout en préservant une belle minéralité. Ce
entière). Les maturations sont assez longues, jusqu’à vin est un parangon d’élégance. Il peut facilement se
un mois pour les gamays, car les tanins ne ressortent comparer à un grand bourgogne, sans sourciller ! C’est
pas et les jus restent équilibrés. L’élevage se fait en la signature de Gilles, et sa fierté aussi !
cuve, d’abord, puis en barriques, de plusieurs vins, La pierre qui danse est une cuvée en pinot gris, entiè-
car le but n’est pas tant de donner de la structure rement élevée en cuve. Plus sur la fraîcheur, avec
que de favoriser une belle oxygénation. des notes acidulées qui fournissent un vin d’apéritif,
plaisant. C’est un vin de vigneron, aussi, fruit d’une
Les chardonnays sont en pressurage direct, les
recherche sur un cépage que Gilles a voulu apprendre
fermentations et les élevages se font principale-
à découvrir, à patiner.
ment en barriques neuves (sauf une partie qui reste
en cuve pour la cuvée Les terrasses de Victor). Les Enfin, Les terrasses de Victor en rouge, présentent
levures sont encore allogènes aujourd’hui. toute l’étendue du travail de Gilles sur des gamays très
GILLES MONIER

peu typés et très différents des vins que l’on trouve sur réussies, en blanc, mais celle-ci a un côté sentimental
les sols volcaniques voisins. Les gamays de Gilles sont particulier. C’était une très belle année, chaude, facile
très peu épicés, plutôt ronds et souples, le fruit est d’une certaine façon : un bel été, un automne magni-
présent mais ne domine pas, l’acidité est bien équili- fique, bref, une année en or pour faire de beaux vins.
brée, la structure est encore légère, les vins sont plus C’est aussi l’année où j’ai acheté mes premières barriques
élégants que canailles plus gourmands que désoiffants ! neuves pour vinifier mes blancs, ce fut une belle surprise.
Cette cuvée m’a donné envie de continuer à faire des
LA BOUTEILLE PHARE blancs de cette façon, plus marquée. Il m’en reste trois
selon le vigneron ou quatre quilles en caves, en souvenir ! »

« Ma première cuvée Félines en chardonnay, sur le millé-


06 45 18 30 07
sime 2009, peut-être parce que c’est la première fois que
je faisais cette cuvée, que je travaillais différemment
mes chardonnays, parce que je les trouvais très réussis… 6 rue Jean-Rieuf, 15500 Massiac
Il y a eu bien sûr et heureusement d’autres années GPS : 45.251412 / 3.199392

LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !
Votre saison ? on perçoit l’émotion de ce moment,
L’été, parce que le stress du printemps et de partage entre amoureux de vins
les gros aléas climatiques sont derrière mais aussi entre père et fils !)
nous, parce que les vignes se transforment,
La bouteille de vin d’Auvergne que
les raisins prennent leurs belles couleurs, la
vous auriez aimé signer ?
chaleur nous fait du bien…
Un 100 % tressallier découvert
Vous êtes plutôt blanc ou rouge ? sur un salon à Saint-Flour.
Blanc !
Un plat qui vous fait saliver ?
Vous êtes plutôt gamay ou pinot ? La blanquette de ma maman !
J’ai un vrai regret à ne pas avoir Un accord met vin insolite ?
pu travailler du pinot noir, la Bourgogne Un chardonnay sur des plats très épicés,
pour moi c’est le sommet ! Ce cépage méditerranéens. On cherche toujours
est le plus beau ! plus de force sur les rouges pour essayer
Un cépage inattendu que vous d’équilibrer la puissance de l’épice,
aimeriez travailler ? sans jamais y arriver.
Le chenin ! Un restaurant qui vous fait rêver ?
La bouteille que vous emmèneriez L’auberge du vieux puits, de Gilles Goujon.
sur une île déserte ?
Un trésor de ma cave, un chambolle- Un vigneron que vous aimeriez rencontrer ?
Je ne sais pas (on comprend dans le refus,
musigny blanc de chez De Vogüé.
feutré, de répondre à cette question une
Un souvenir de dégustation ? retenue toute simple,
Mon fils faisait un stage chez De Voguë. à ne pas vouloir se comparer).
Nous avons passé une après-midi entière,
Un rêve que vous aimeriez réaliser ?
seuls avec le maître de chai, à découvrir
Ouvrir une librairie avec ma compagne.
les plus beaux flacons de la cave.
C’est un souvenir incroyable (et la voix Si vous n’aviez pas été vigneron ?
de Gilles vibre d’ailleurs différemment, Je serais resté géologue.

Vins d’Auvergne et du Massif central


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Vins d’Auvergne et du Massif central
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Vins d’Auvergne et du Massif central
132
CO N C LU S I O N

N
ous voilà parvenus au terme de ce périple ce souci de voir se perpétuer l’activité. Conscients
sur les routes viticoles d’Auvergne et certainement qu’une page nouvelle est en train de
d’Aveyron, à la rencontre de ces vingt s’écrire et désireux de la voir s’inscrire dans la durée,
domaines qui font le vin d’ici ainsi que ils forment le vœu que cette trace qu’ils ont amorcée
la réputation de ces vignobles volcaniques uniques. trouve une suite. On ressent à chaque fois l’enjeu, non
Ces hommes et ces femmes sont, pour moi, à la fois pas tant patrimonial, que culturel, politique, collectif.
des moteurs de la dynamique retrouvée du vignoble Il faut que ce qu’ils ont réussi à faire en peu de décen-
et des marqueurs des progrès qualitatifs importants nies serve aux autres.
qui ont été réalisés ces dernières années. J’ai bien sûr
une pensée pour tous ceux que je n’ai pas pu évoquer, Deuxième constante, qu’ils soient de longues dates
ces vignerons indépendants qui s’inscrivent aussi engagés en bio, ou qu’ils continuent à travailler en
dans cette mouvance et aussi ceux, nombreux dans mode conventionnel, tous ont conscience des risques
la région, qui ont fait le choix d’un mode d’agriculture majeurs et des enjeux fondamentaux du respect de la
différent et font des vins bio ou nature en Auvergne terre, des équilibres, de leur responsabilité sociétale
plutôt que des vins d’Auvergne bio. Ils participent de et citoyenne. Ils ressentent profondément les évolu-
la même aventure ! tions de leur environnement, qu’ils observent tous les
jours, ils mesurent combien les aléas climatiques sont
Au-delà de leurs particularités individuelles, des soudains, exacerbés, imprévisibles. De fait, le mouve-
parcours multiples, des histoires originales, des spéci- ment s’accélère, les conversions se multiplient.
ficités dans leur mode de travail, que j’ai eu plaisir à
entendre, comprendre et partager dans les portraits Le travail accompli ces dernières années porte ses
que j’ai pu faire d’eux, au-delà même des caractéris- fruits. La réputation des vignerons se développe de
tiques qu’ils ont en commun, et qui créent une forme même que celle des appellations qu’ils nourrissent.
de signature, chamarrée d’humilité et d’audace, je La volonté de travailler à un échelon régional, pour
voudrais souligner deux choses qui m’ont marqué ! affirmer la typicité volcanique des sols va encore
accroître cette dynamique.
Tous, sans exception, m’ont parlé de leur désir de
transmettre et évoqué cette question de l’avenir. Chaque jour, je vois de nouveaux convertis dans mon
Qu’ils soient issus d’une longue tradition viticole ou restaurant, qui prennent plaisir à découvrir ces vins
paysanne ou qu’ils soient de récents convertis, venus méconnus et en redemandent ! Les sourires bienveil-
à la vigne ou à l’Auvergne pour exprimer leurs talents, lants que j’observais à mes débuts laissent place à
tous ont cette obsédante quête de transmission, beaucoup d’enthousiasme. Buvons à cette réussite !

Vins d’Auvergne et du Massif central


133
L’AUT E U R

D I D I E R D E S E RT Bordelais d’origine, cadre en entreprises


puis associé dans un grand cabinet
de conseil, j’ai découvert l’Auvergne
son terroir, ses reliefs, ses produits,
en devenant restaurateur et en reprenant
l’Ambassade d’Auvergne, une noble
institution parisienne !
Marqué par l’enseigne, qui m’est apparu
comme une injonction à devenir
un porte-parole de cette belle région,
je me suis employé depuis à donner
à connaître et à goûter ce que la région
offre de mieux, des produits de terroirs,
avec une vraie diversité et une grande
richesse. Je pars régulièrement
à la recherche de nouveaux producteurs,
d’inattendu, de surprenant,
de merveilleux…
Autant que restaurateur, artisan, je suis
devenu en quelque sorte ambassadeur
de cette belle région, sans lettre de cachet
officielle, mais avec la foi excessive
des néo-convertis !

Vins d’Auvergne et du Massif central


134
LE QUESTIONNAIRE DE PROUST !

Votre saison ? Un souvenir de dégustation ? leurs certitudes ou leurs attentes !


L’automne, pour la douceur du Ma première grande émotion avec À titre personnel, j’ai été totalement
temps, les couleurs de la nature, un vin, une bouteille de Pichon bluffé par l’association d’une poule
les saveurs avec la saison des Comtesse 1980 partagée avec un faisane rôtie avec un joli sauternes,
champignons. Je ne trouve rien de copain étudiant – à l’époque où des ou un maury du Mas Amiel sur notre
plus beau qu’une vigne rougeoyante, étudiants pouvaient encore s’offrir fameuse mousse au chocolat !
après les vendanges, quand la nature un grand cru classé de Bordeaux !
se pare de ses plus beaux atours Je me rappelle encore de ce nez Un restaurant qui vous fait rêver ?
avant de s’endormir. hallucinant, impossible pendant Que j’ai eu la chance ou pas de
de longues minutes de goûter m’asseoir à leur table, je pense
Vous êtes plutôt blanc ou rouge ? le vin tellement j’étais fasciné d’abord à tous les grands chefs
par ses arômes ! auvergnats, bien sûr, qui nous
J’ai été « initié » avec des rouges,
dont j’ai longtemps apprécié montrent le chemin, Jacques &
la texture, la gourmandise. La bouteille de vin d’Auvergne Régis Marcon, Serge Vieira, Jacques
Cependant, j’aime de plus en plus que vous auriez aimé signer ? Decoret, les copains aussi Adrien
les vins blancs, par leur finesse, leur Je préfère signer des plats, ma crêpe Descouls, Rodolphe Regnauld,
complexité, leur capacité à épouser Ginette, ma crème brûlée à l’ail Jean-Pierre Vidal, tous les autres,
tous les moments de la vie. Quoi de noir de Billom. Après, il est difficile tant il est difficile d’être exhaustif !
mieux que de trinquer entre amis de choisir parmi les 50 références Il y a pourtant une table que je n’ai
avant de partager un bon repas ? et plus de vins d’Auvergne que pas encore pu découvrir, malgré de
je propose à la carte de mon fréquentes balades dans la région,
restaurant. S’il faut vraiment en j’aimerais passer la porte
Vous êtes plutôt gamay ou pinot ?
sortir du lot, j’en retiendrais deux. de la maison Bras, à Laguiole !
Vu mes origines, je n’ai découvert
Filiation de la famille Laurent, à
ces cépages que tardivement. Je suis
Saint-Pourçain, a été ma première Un vigneron que vous aimeriez
plus facilement rentré sur les pinots,
grande claque avec les vins rencontrer ?
mais je prends de plus en plus de
d’Auvergne, dégustée sur un salon, Tous ceux que je ne connais pas
plaisir à goûter de beaux gamays,
j’ai acheté tout le stock qui restait encore, les stars comme les plus
qui révèlent des nuances étonnantes
au domaine ! Fort et Libre, en blanc, obscurs, les plus modestes.
avec quelques années de garde !
chez Vin & Pic, une divine surprise Aller à la découverte d’un vigneron,
d’une rare complexité, une si belle d’un vignoble, comprendre son
Un cépage inattendu quille que je l’ai même invitée au travail est toujours un moment
que vous aimeriez travailler ? repas de noces de ma fille aînée ! de partage, un instant magique.
Je n’ai aucune compétence Chaque rencontre est unique.
particulière à travailler la vigne, Un plat qui vous fait saliver ?
même si ça m’amuserait de partager
Saliver était mon hobby, c’est Un rêve que vous aimeriez réaliser ?
l’exploitation de quelques rangs avec
devenu mon métier ! Par nostalgie, J’ai déjà beaucoup de chance d’avoir
un vigneron ! Si je devais en planter,
je citerais la lamproie, souvenir pu réaliser, la cinquantaine passée,
je m’orienterai peut-être vers
de mes attaches bordelaises, celui de devenir restaurateur,
des viogniers, des syrahs !
et le ris de veau, que mon chef de pouvoir rendre chaque jour
à l’Ambassade d’Auvergne maîtrise des gens heureux !
La bouteille que vous emmèneriez particulièrement !
sur une île déserte ?
Si vous n’aviez pas été vigneron ?
Sans nul doute un 100 % savagnin, Un accord met vin insolite ?
sec, de la maison Rollet Père & Fils, Je ne le suis pas assurément.
J’attache beaucoup d’importance aux J’admire trop leur travail pour
dans le Jura. Chaque fois que j’ai
accords mets/vins et j’aime orienter m’imaginer pouvoir le faire !
le bonheur d’en ouvrir une quille,
mes clients à la découverte des vins
je me dis qu’après avoir goûté ça,
de notre carte, en fonction des plats
on peut mourir !
qu’ils ont choisis, quitte à bousculer

Vins d’Auvergne et du Massif central


135
Remerciements

Au terme de cet ouvrage je voudrais témoigner ma reconnaissance


et remercier ceux qui m’ont mis sur le chemin, ceux qui m’ont accompagné
et ceux qui m’ont fait confiance, mon éditeur en premier lieu.
Je pense d’abord à ceux qui, dans ma famille, m’ont transmis l’amour
et le goût du vin, les deux Yves, Juana, José, Tito et Mateo.

Je salue aussi mes amis qui partagent cette passion et m’ont accompagné
dans l’aventure de l’Ambassade d’Auvergne, ils se reconnaîtront,
ainsi que les Auvergnats, qui m’ont accueillis avec bienveillance.

Je remercie ma femme et mes filles sans qui je ne serai pas là.

Création graphique : Julien Bremard


www.dumkit-graphic.com

Achevé d’imprimer en octobre 2019


Dépôt légal : novembre 2019

Imprimé en Union européenne

Distribué par : Cartothèque EGG,


ZAC de la Liodière, route de Monts, 37300 Joué-lès-Tours
commande@cartotheque.com ; code dilicom : 3012261610000

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