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ROBINSON

DANS SON ILE ,

OU

ABRÉGÉ

DES AVENTURES DE ROBINSON.

DESTINÉ A SERVIR DE SECOND LIVRE DE LECTURE


DANS LES ÉCOLES PRIMAIRES.
MA

VORU FOR

A PARIS ,
CHEZ L. HACHETTE ,
IBRAIRE DE L'UNIVERSITÉ ROYALE DE FRANCE ,
rue Pierre-Sarrazin , n. 12.
:

ROBINSON
DANS SON ILE.
AVIS DE L'ÉDITEUR .

Tout exemplaire de cet ouvrage non revêtu de


ma griffe sera réputé contrefait.

L. Machettes
UNIVERSIDAD COMPLUTENSE

5 3 2 5 8 51956

624292576
1363624449

IMPRIMERIE D'AMÉDÉE GRATIOT ET C ,


Rue de la Monnaie , no 11.
EH
ROBINSON elos
DANS SON ILE

OU

ABBÉ GÉ

DES AVENTURES DE ROBINSON ,


A L'USAGE DES ÉCOLES PRIMAIRES .

ouvrage autorisé
O
PAR LE CONSEIL ROYAL DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE,
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NOUVELLE ÉDITION. AE ST
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A PARIS ,
CHEZ L. HACHETTE,
LIBRAIRE DE L'UNIVERSITÉ ROYALE DE FRANCE ,
RUE PIERRE -SARRAZIN , nº 120

1839.

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ᎣᎢ
AVANT - PROPOS.

Tout le monde a lu Robinson ; c'est par ex

cellence le livre du jeune âge. Robinson éprou

vant , après son évasion de la maison pater


nelle , tous les malheurs qui lui ont été prédits ;

puis , une fois le malheur venu , se confiant à


Dieu et à son courage , luttant , avec sa seule
industrie , contre les besoins de tout genre , et

finissant par triompher de tous les obstacles ;


ce même Robinson , après plusieurs années
d'une entière solitude , dont il a su adoucir les
rigueurs et charmer les ennuis , saisissant avi
dement l'occasion de secourir un homme en

core plus malheureux que lui , et enfin reve


nant dans sa patrie , et là goûtant le bonheur
qu'il avait imprudemment sacrifié pour cou
rir le monde : tout cet ensemble forme pour
6

les enfants un spectacle plein d'intérêt , et une


suite d'utiles et vivantes leçons.
Mais l'ouvrage entier est peut - être trop
chargé de détails longs et inutiles . D'ailleurs ,
c'est surtout dans son ile que Robinson joue
un rôle vraiment remarquable , et qu'il reçoit
de sa solitude même et de son industrieuse
patiencé un caractère et une physionomie qui
lui sont proprës. Nous nous sommes donc at
taché à cette partie des aventures de notre hé
ros , suivant en cela l'opinion d'un écrivain ,
qui , malgré de nonibreuses et funestes erreurs,
fait quelquefois autorité en matière d'éducation .
N'y aurait -il pas moyen de rapprocher tant
« de leçons éparses dans tant de livres , de les
å réunir sous un objet commun qui pût être
« facile à voir , intéressant à suivre , et qui
a
půt servir de stimulant même à l'enfance ?
« Si l'on peut inventer une situation où tous
a les besoins naturels de l'homme se montrent
« d'une manière sensible à l'esprit d'un enfant,
a et où les moyens de pourvoir à ces mêmes
« besoins se développent successivement avec
à la même facilité, c'est par la peinture vive
« et naïve de cet état qu'il faut donner le pre
a mier exercice à son imagination .
Philosophe ardent , je vois déjà 's'allumer
« la vôtre. Ne vous mettez pas en frais ; celle
« situation est trouvée , elle est décrite.
Puisqu'il nous faut absolument des li
« vres , il en existe àn qui fournit, à mon
gré , le plus heureux traité d'éducation na
a turelle .
« Ce livre sera le premier que lira mon
« Émile ; seul il composera durant longtemps
« toute sa bibliothèque , et il y tiendra tou
« jours une place distinguée . Il sera le texte
auquel tous nos entretiens sur les sciences
« naturelles ne serviront que de commentaire.
« Il servira d'épreuve , durant nos progrès , à
- 8

« l'état de notre jugement ; et , tant que notre


goût ne sera pas gâté , sa lecture nous plaira
toujours. Quel est donc ce merveilleux livre?
« est.ce Aristote ? est -ce Pline ? est ce Buffon ?
N
a Non ; c'est Robinson Crusoé .
a Robinson Crusoé dans son ile , seul , dé
« pourvu de l'assistance de ses semblables et
a des instruments de tous les arts , pourvoyant
cependant à sa subsistance , à sa conserva
tion , et se procurant même une sorte de
« bien - être : voilà un objet intéressant pour
« tout âge , et qu'on a mille moyens de rendre
a agréable aux enfants.
« Cet état n'est pas , j'en conviens , celui de
« l'homme social ; vraisemblablement il ne doit
« pas être celui d'Émile : mais c'est sur ce
« même état qu'il doit apprécier tous les au .
« tres . Le plus sûr moyen de s'élever au-dessus
« des préjugés et d'ordonner ses jugements
« sur les vrais rapports des choses , est de se
9

a mettre à la place d'un homme isolé , ci de


juger de tout comme cet homme cu doit ju
« ger lui-même, eu égard à sa propre utilité.
« Le roman , débarrassé de tout son falras ,
a commençant au naufrage de Robinson près
« de son ile , et finissant à l'arrivée du vaisseau
qui vient l'en tirer , sera tout à la fois l'amu
« sement et l'instruction d'Émile durant l'é
a poque dont il est ici question . Je veux que la
a tête lui en tourne , qu'il s'occupe sans cesse
a de son château , de ses chèvres , de ses plan
a tations ; qu'il apprenne en détail , non dans
« des livres , mais sur les choses , tout ce qu'il
« faut savoir en pareil cas ; qu'il pense être Ro .
« binson lui -même ; qu'il se voic habillé de
« peaux , portant un grand bonnet , un grand
sabre , tout le grotesquc équipage de sa fi
a gure , au parasol près dont il n'aura pas be
« soin. Je veux qu'il s'inquiète des mesures à
CL
prendre , si ceci ou cela venait à lui manquer;
1.
10 --

« qu'il examine la conduite de son héros ; qu'il

« cherche s'il n'a rien omis , s'il n'y avait rien

« de mieux à faire ; qu'il marque attentivement

« ses fautes , et qu'il en profite pour n'y pas


« tomber lui-même en pareil cas : car ne dou
« tez point qu'il ne projette d'aller faire un
a établissement semblable ; c'est le vrai châ

« teau en Espagne de cet heureux âge , où l'on

« ne connaît d'autre bonheur que le néces


saire et la liberté . »

( ROUSSEAU , Émile , livre III . )


ROBINSON

DANS SON ILE.

CHAPITRE PREMIER .

Naissance de Robinson . - Ses premières études. - 11


quitte l'Angleterre. - Il essuie une tempête. - Il est
fait esclave.

Je suis né, l'an 1632 , dans la ville d'York ,


où mon père s'était retiré depuis qu'il avait
cessé le commerce. Il m'avait procuré une
instruction assez étendue , autant du moins
que le comportaient l'éducation domestique
et une école de province. Il me destinait à
l'étude des lois ; mais j'avais de tout autres
vues. Le désir d'aller sur mer et de courir
les aventures me possédait uniquement :
rien ne fut capable de l'affaiblir , ni les lar
mes de ma mère , ni les sages conseils de
12 -

mon père , qui employa toutes les raisons


imaginables pour m'y faire renoncer . Il me
prédit même que , si je suivais ma folle in
clination , il m'arriverait de grands mal
heurs , et qu'alors , mais inutilement , je
n'aurais que trop le temps de me repentir
d'avoir résisté à ses avis et méprisé ses pré
visions.
Voyant que je ne pourrais amener mes
parents à approuver mon dessein , j'avais
été mille fois tenté de m'échapper , quand
une occasion se présenta tout - à-coup , et dé
termina mon évasion .
Je me trouvais un jour à Hull . J'y ren
contrai un de mes amis sur le point d'aller
par mer à Londres . Entraîné par ses instan
ces , je ne consulte ni père ni mère , et ,
comme un jeune écervelé , je m'embarque
sans avoir reçu la bénédiction de mes pa
rents , sans avoir imploré la bénédiction du
ciel. Ce jour , le plus fatal de ma vie , fut le
1er septembre 1651 .
A peine étions-nous sortis de la rivière
d'Humber , qu'une bourrasque assez forte ,
qui paraissait à mon inexpérience une ter
rible tempête, nous assaillit. Le malaise et
-- 13

la terreur s'emparèrent à la fois de mon


âme et de mon corps . Saisi d'une tristesse
profonde, je fis vœu de retourner chez mon
père comme l'enfant prodigue, et d'ètre do
cile à ses avis , si j'échappais à ce danger.
Mais le lendemain le vent tomba , la mer
devint calme, et avec l'orage s'évanouirent
mes bonnes résolutions . Je me mis au train
ordinaire des gens de mer . On fit du punch ,
je m'enivrai ; et , dans une nuit donnée aux
divertissements , j'oubliai mon repentir et
toutes mes promesses pour l'avenir.
J'étais bientôt parvenu àà en
en éloigner jus
qu'à l'idée , j'avais presque entièrement
étouffé la voix de ma conscience ; mais la
Providence me ménageait une seconde le
con . Nous essuyâmes près de la rade d'Yar
mouth une véritable tempête , et la crainte
me rendit tous mes remords . Les matelots
cux-mêmes étaient épouvantés , ils adres
saient leurs prières au ciel et se préparaient
à la mort ; car l'eau gagnait toujours dans
le vaisseau , malgré le travail de la pompe.
Nous allions infailliblement périr , si un
bâtiment , qui vint à passer près de nous ,
n'eût détaché une chaloupe à notre secours .
14

Ce ne fut qu'à travers mille dangers que


nous parvinmes à terre.
C'est alors que j'aurais dû abandonner
une carrière qui s'ouvrait si malheureuse
pour moi, et regagner la maison paternelle :
une mauvaise honte me retint ; je préférai
poursuivre ma vie aventureuse .
Je m'embarquai pour un voyage de Gui
née. Ce voyage, le seul qui m'ait réussi, me
rendit à la fois marin et commerçant. Je ti
rai un parti fort avantageux d'une somme
que , malgré ma conduite à leur égard , mes
parents avaient eu la bonté de me faire pas
ser par une voie détournée .
Le succès de ce premier voyage m'in
spira le désir d'en faire un second ;mais ce
lui-ci fut étrangement malheureux. Entre
les îles Canaries et les côtes d'Afrique, nous
fûmes faits prisonniers par un corsaire turc.
Je restai esclave à Salé pendant deux ans ,
abimé dans ma douleur , sans qu'aucun
moyen s'offrît à moi pour recouvrer ma li
berté . Un jour pourtant mon patron m'or
donna d'aller prendre du poisson pour son
diner. Je fis aussitôt mon plan . Je préparai
le bateau , j'y plaçai des provisions , je m'é
15

loignai du rivage , et , comme le vent était


favorable , je parcourus en peu de temps
beaucoup de chemin .
J'étais toutefois dans le plus grand em
barras, ne sachant quelle route suivre,quand
j'aperçus fort heureusement un vaisseau
portugais, lequel , prenant mon bateau pour
celui d'un bâtiment naufragé , eut l'huma
nité de s'arrêter et de m'atiendre. On m'y
reçut généreusement , moi et ce qui m'ap
parlenail. Le capitaine , qui était le meilleur
homme du monde, me transporta au Bré
sil, sans qu'il m'en coûtât la moindre chose.
Il m'acheta niême mon bateau , ce qui me
mit en état d'entreprendre une plantation.
Elle réussit à merveille , et , au bout de
quelques années , elle devint considérable.
Je gagnai aussi beaucoup d'argent en ven
dant des marchandises anglaises qu'on re
cherchait extrêmement dans ce pays-là .
Je pouvais ainsi amasser une grande for
tune et mener une vie tranquille et heu
reuse ; mais ma fureur de courir l'emporta
sur tous les conseils de la prudence et de
la raison . Je m'embarquai encore une fois
sur un vaisseau qui faisait le voyage d'Afri
16

que pour la traite des nègres. J'avais été


séduit par la proposition que les proprié
taires m'avaient faite de me donner une
partie de bénéfices égale à la leur, sans que
j'eusse à entrer dans les frais de l'entie
prise. Ils me reçurent en qualité de subré
cargue .

ee000 GG0000000000000000000-000960000000000006000097900

CHAPITRE II .

Robinson fait naufrage .

Nous partîmes le 1er septembre 1659 , le


même jour auquel , huit ans auparavant, je
m'étais éloigné de mon père et de ma mère,
et embarqué à Hull , au mépris de leurs sa
ges avis . Au bout de douze jours de naviga
tion, il s'éleva un affreux ouragan qui nous
dérouta entièrement. Pendant dix joursnous
fümes à la merci des flots , nous attendant
à chaque instant à être engloutis . Enfin , le
17 -

vent s'étant un peu abattu , nous faisions


voile vers la Barbade ( car le voyage d'Afri
que était devenu impossible , à cause du
mauvais état de notre vaisseau) , lorsqu'une
nouvelle tempête nous emporta du côté de
l'ouest avec la même impétuosité que la
première , et si loin de tout pays civilisé ,
que nous devions être dévorés par les sau
vages , si nous échappions à la rage des
flots . Bientôt nous donnâmes avec violence
contre un banc de sable ; le vaisseau s'arrêta
tout-à-coup , et les vagues s'y précipitèrent .
Notre situation était inexprimable ; nous ne
savions pas sur quelle terre nous avions été
portés, si elle était habitée ou déserte , et le
vaisseau était sur le point de se briser .
Nous essayâmes , mais le cœur glacé et
sans le moindre espoir, notre dernière res
source : nous nous jetâmes dans notre cha
loupe, en nous recommandant à la miséri
corde de Dieu . La mer s'élevait à une hau
teur épouvantable contre les terres . Comme
nous travaillions cependant à nous en ap
procher, une vague semblable à une mon
tagne se porta sur nous avec tant de furie ,
que la chaloupe fut complètement renver
18

sée , et à peine eûmes-nous le temps d'in


voquer le nom de Dieu , que nous étions
lous engloutis .
Il n'y a point de paroles qui puissent
exprimer la confusion et le trouble de mes
pensées, lorsque je me sentis précipité au
fond de l'eau. Quoique je nageasse fort
bien , je ne pouvais me dégager assez pour
respirer, jusqu'à ce qu'une vague, m'ayant
emporté bien avant sur le rivage , elle s'y
brisa el me laissa presque à sec et demi
mort . Je conservai néanmoins ma présence
d'esprit , et me hâtai de me relever, afin de
gagner la terre avant qu'une nouvelle va
gue fondît sur moi : mais deux fois l'onde
furieuse vint s'opposer à mes efforts ; une
dernière secousse me jeta rudement contre
un rocher, auquel je me cramponnai , ne le
quittant qu'après que la vague eut passé et
repassé sur moi. Je courus ensuite de toutes
mes forces et je pris terre . Parvenu sur le
haut du rivage, je m'assis sur l'herbe, à l'a
bri de la fureur des eaux .
- 19

CHAPITRE III.

Robinson est agité de mille sentiments divers, mcm Sa


première nuit.

On ne saurait dépeindre les transports


d'une âme qui se voit ainsi arrachée à une
mort qu'elle a regardée comme prochaine
et inévitable. Je me promenais au bord de
la mer, levant les mains vers le ciel , faisant
mille signes et mille gestes , et réfléchissant
à cette miséricordieuse Providence qui m'a
vait sauvé seul du naufrage dans lequel
avait péri tous mes camarades car je ne
découvris la trace d'aucun d'eux . Je consi
dérais la mer encore écumante et courrou
cée , et je m'étonnais d'avoir pu arriver
jusqu'à terre . Mais bientôt de nouvelles ré
flexions succédèrent à ce premier sentiment
de bonheur, et je trouvais que ma délivrance
était elle-même une cruelle épreuve ; j'étais
mouillé , et je n'avais point d'habits pour
20

me changer ; j'avais faim , et je n'avais rien


à manger ; j'avais soif, el je n'avais rien à
boire ; j'étais faible, et je n'avais rien pour
me fortifier. Je n'avais d'autre perspective
que de mourir de faim ou d'être dévoré par
les bêtes féroces. Pas une arme pour me
défendre ni pour tuer quelque animal dont
je pusse me nourrir : je ne possédais au
monde qu'un couleau, une pipe et un peu
de tabac. La nuit qui s'approchait ajoutait
à mes angoisses. Quel sera mon sort, m'é
criai-je douloureusement en courant çà et
là comme un insensé , si cette terre nourrit
des bêtes dévoranles qui ne manqueront pas
de chercher leur proie durant la nuit ?
Mon unique ressourceétait de monter sur
un arbre. Il y en avail un près du rivage ,
je le destinai à me servir de gile. J'eus le
bonheur de trouver à peu de distance de
l'eau douce : j'en bus avec délices, el, après
m'être mis un peu de tabac dans la bouche
pour prévenir la faim , je revins à mon ar
bre. Je m'y plaçai le mieux que je pus , de
manière à ne pas tomber, et je m'endormis
profondément; car ma fatigue était ex
trême.
- 21

Concenocicccccccccaronece000010onacoconcocioeconom

CHAPITRE IV .

Robinson fait un premier voyage au vaisseau .

Il était grand jour quand je m'éveillai .


Le sommeil avait merveilleusementréparé
mes forces ; le temps était clair et la iner
parfaitement tranquille.
Je fus surpris de voir que le vaisseau
avait été poussé par la marée très-près du
rocher contre lequel j'avais été jeté .Le bâti
ment paraissaitencore reposersur sa quille.
J'aurais bien voulu être à bord , afin d'en
tirer les choses les plus indispensables.
En regardant autour de moi , je décou
vris la chaloupe à environ deux milles; mais
c'était vers le vaisseau qu'étaient tournés
tous mes désirs : j'espérais y trouver de quoi
fournir à ma subsistance , au moins pour le
moment . ESE
Dans l'après-midi, lame etant fort caline
et la marée très-basse, jxyapgaijusqu'à an
quart de mille du vaişseau, Jeas alorsaves
22 -

douleur que , si nous étions restés à Bord .


?
nous serions tous arrivés heureusement å
lerre . Cette triste pensée m'arracha des lar
mes amères.
Comme il faisait très - chaud, je me dé
pouillai de la plus grande partie de mes
vêtements, et je me jetai à l'eau. Arrivé au
pied du bâtiment, je crus d'abord qu'il me
serait impossible d'y monter ; mais ayant
aperçu un bout de corde qui pendait à
l'avant , je m'en saisis et je grimpai sur le
château -gaillard. Le vaisseauétait entrou
vert, et il y avait beaucoup d'eau à fond de
cale ; mais il était placé de manière à ce que
le pont fût toul- à- fait exempt d'eau , et tout
ce qu'il renfermait parfaitement sec. Je cher'
chai d'abord partout, examinant ce qui était
gåté et ce qui était bon . Comme j'avais une
faim extrême , je remplis mes poches de bis
cuit , que je mangeais tout en faisant aulre
chose. Un bon coup de rhum , que j'avais
trouvé dans la chambre du capitaine, ranima
mon courage .
Le dénûment où je me trouvais de tout
moyen de transport éveilla mon industrie.
Nous avions à bord plusieurs vergues , un
23

ou deux mâts de perroquet , et deux ou


trois grandes barres de bois ; je résolus de
les meltre en œuvre. Je lançai loutes ces piè
ces hors du bord , après les avoir séparé
ment attachées à unecorde, afin qu'elles ne
dérivassent point . Cela fait, je descendis sur
le côté du bâtiment , el , les tirant à moi ,
j'en attachai quatre ensemble par les deux
bouts, le mieux qu'il me fut possible , don
nant à mon ouvrage la forme d'un radeau ;
et, après y avoir posé en travers deux ou
troisplanches fort courtes, je trouvai que
je pouvais bien marcher dessus , mais qu'à
raison de sa trop grande légèreté , il ne
pourrait pas porter une charge un peu
pesante . Je repris donc mon travail : avec
la scie du charpentier, je partageai une des
vergues de belle en trois pièces de longueur,
et je les ajoutai , non sans beaucoup de
peine , à mon radeau ; l'espérance de me
fournir des choses nécessaires me servait
d'aiguillon et me faisait faire bien au-delà
de ce dont j'aurais été capable en tout autre
occasion.
Mon radeau était assez fort pour porter
un poids raisonnable. Il s'agissait mainte
24

nant de voir de quoi je le chargerais , et


comment je préserverais cette charge de
l'insulte des eaux de la mer. Je mis d'abord
sur mon radeau toutes les planches que je
pus trouver, puis trois coffres de matelots ,
que j'avais ouverts en forçant les serrures ,
et que j'avais ensuite vidés , et je les des
cendis avec une corde sur mon radeau . Dans
le premier je mis des provisions , du pain ,
du riz , trois fromages de Hollande , cinq
pièces de bouc séché et un petit reste de
blé d'Europe . J'arrangeai séparément plu
sieurs caisses de bouteilles renfermant des
eaux cordiales .
Tandis que j'étais ainsi occupé, la marée
commençait à monter, et j'eus la mortifica
tion de voir flotter et s'en aller au gré des
eaux mon habit , ma veste et ma chemise
que j'avais laissés sur le rivage : je n'avais
gardé que ma culotte et mes bas . Heureuse
ment je découvris de quoi réparer ample
ment ma perte ; mais je ne pris cette fois
que ce dont je ne pouvais absolument me
passer ; car bien d'autres choses me tenaient
plus à cœur. De ce nombre étaient des ou
tils pour travailler quand je serais à terre ,
- 25

Après avoir bien longtemps cherché , je


trouvai le coffre du charpentier . Ce m'était
un véritable trésor; tout l'or du monde ne
m'eût pas valu ces moyens de travail . La
chose que je désirais le plus vivement après
cela, c'étaientdes munitions et des armes .
Je m'emparai de deux bons fusils qui étaient
dans la chambre du capitaine , avec quel
ques cornets à poudre , un petit sac de
plomb et deux vieilles épées rouillées . Je
déterrai aussi , après avoir visité tous les
coins et recoins , deux barils de poudre ,
qui furent placés sur mon radeau avec les
armes .

CHAPITRE V.

Robinson revient à terre et amène heureusement sa


cargaison.

JE crus alors m'être muni d'une provi


sion suffisante : il ne me restait plus de souci
que pour la conduire à terre ; je n'avais ni
voile, ni rames , ni gouvernail ; et la moin
2
26

dre bouffée de vent pouvait submerger


toute ma cargaison . Trois choses pourtant
soutenaient mon courage : la mer était tran
quille, la marée montait et portait à terre ,
le vent, tout faible qu'il était , ne laissait
pas de m'être favorable. Je trouvai encore
deux ou trois rames à moitié rompues, deux
scies, une bisaiguë et un marteau, que j'a
joutai à ma cargaison. Après cela je memis
en mer . Mon radeau vogua très-bien l'es
pace d'environ un mille ; seulementje m'a
perçus qu'il dérivait un peu de l'endroit
où j'avais pris terre auparavant : cela me ſit
juger qu'il y avait un courant d'eau , et par
conséquent j'espérai trouver une baie ou
une rivière qui me servirait de port pour
débarquer.
En effet, je découvris en face de moi une
petite ouverture de terre vers laquelle je
me sentais entraîné par le courant. Je gou
vernais mon radeau le mieux que je pouvai ;
pour lui faire tenir le fil de l'eau ; mais
comme cette côte m'était tout- à - fait incon
nue, je faillis faire un second naufrage. Je
m'en allai toucher sur le sable d'un bout de
mon bateau, l'autre bout floltant toujours ;
27

peu s'en fallut que ma cargaison ne glissât


toute de ce côté-là , et qu'elle ne tombât
dans la mer. Je m'efforçai de retenir les cof
fres à leur place en m'appuyant contre ;
mais je n'aurais pas eu assez de force pour
dégager le radeau : je n'osais d'ailleurs pas
quitter cette attitude ; je restai ainsi près
d'une demi- heure, jusqu'à ce que la marée
me relevât peu - à - peu et me remît de ni
veau.
L'eau , croissant toujours , poussa mon
radeau jusqu'à l'embouchure d'une petite
rivière . J'attendis là que la marée fut tout
à - fait haute, me servant de ma rame en
guise d'ancre pour arrêter mon train près
d'un morceau de terre plat et uni que l'eau
devait bientôt couvrir . Ce moyen me réussit :
dès que je m'aperçus que mon radeau avait
assez d'eau, je le jetai sur cet endroit et l'y
amarrai en enfonçant dans la terre mes deux
rames rompues contre le côté, chacune à
un bout . J'attendis ainsi que la marée s'a
baissât et laissât mon train à sec et en sû
reté ,
-- 28 --

CHAPITRE VI.

Première excursion de Robinson dans l'intérieur du


pays. - Il s'assure que c'est une île. - Premier coup
de fusil.

J'ALLAI de là reconnaître le pays et cher


cher un endroit où je pusse demeurer et
déposer mes effets . Je pris un de mes fusils ,
un pistolet , un cornet de poudre , un petit
sac de plomb , et je m'en allai à la décou
verle .
Arrivé au haut d'une montagne escarpée ,
je reconnus que j'étais dans une île ; je ne dé
couvris d'autres terres que quelques rochers
fort éloignés et deux petites îles , situées à
près de trois lieues du côté de l'ouest . Je vis
alors à quel entier isolement j'étais con
damné , car l'île me paraissait tout-à- fait
déserte et privée d'habitants , à moins que
ce ne fussent des bêtes féroces . Je n'en
voyais cependant aucune ; mais j'apercevais
quantité d'oiseaux qui m'étaient inconnus .
29

J'en tirai un fort gros, posé sur une branche


d'arbre, à l'entrée d'un grand bois : je crois
bien que c'était là le premier coup de fusil
tiré dans cet endroit depuis la création du
inonde ; il fut suivi d'un bruit conlus de
cris et de piaulements poussés à la fois par
un nombre infini d'oiseaux . Celui que jetuai
était une espèce d'épervier dont la chair ne
valait rien du tout .
Je revins à mon radeau ; et je m'occupai
tout le reste du jour à le décharger; mais
à l'entrée de la nuit , mon embarras de la
veille se représenta. Cependant je n'étais
pas aussi dépourvu de toule ressource; je
parvins à me faire une espèce de hulle avec
mes coffres et mes planches, el je dormis
paisiblement.

2.
T

- 30

CHAPITRE VII.

Robinson retourne plusieurs fois au vaisseau et en rap I


porte grand nombre de provisions. - 11 se fait un
meilleur asile pour la nuit.

Je me résolus le lendemain à faire un


second voyage au vaisseau ; j'espérais en em
porter encore bien des choses, et il ne fal
lait pas perdre de temps , car la première
tourmente pouvait le mettre en pièce . Cette
fois , éclairé par l'expérience , je préparai
un second train moins lourd que le premier ,
et je le chargeai beaucoup moins . J'empor
tai deux ou trois sacs de clous et de pointes,
une grande tarière , une douzaine de ha
ches, une pierre à aiguiser, trois leviers de
fer, sept mousquets , un autre fusil de chasse ,
quelque peu de poudre , deux barils de bal
les , ungros sac de dragées , et tous les habits
que je pus trouver, avec un branle , un
matelas et quelques couvertures . Le tout
arriva fort heureusement à terre.
Rien de ce que j'y avais laissé en partanț
- 31

n'avait été endommagé ; je ne vis aucune


marque d'irruption ni d'homme ni de bête :
j'aperçus seulement un gros chat sauvage
assis sur un de mes coffres : il ne parut
nullement effrayé, mangea même quelques
morceaux de biscuit que je lui jetai , et se
retira.
Je commençai à me faire une petite tente
avec la voile que j'avais et des piquets que
je coupai pour cela . J'y apportai tout ce qui
se serait gâté à la pluie on au soleil , et je
me fis un rempart des coffres vides et des
tonneaux , que je plaçai les uns sur les au
tres autour de ma tente pour la fortifier
contre toute espèce d'assaillants .
Je barricadai ensuite la porte avec des
planches et un coffre vide. Je me mis au lit
pour la première fois , après avoir placé
mon fusil près de moi, mes pistolets à mon
chevet, et je dormis tranquille toute la nuit.
Mon magasin était bien , je pense, le plus
considérable qui eût jamais été amassé pour
une seule personne ; mais je n'étais pas en
core content, et je voulais tirer du vaisseau
tout ce qui serait transportable .
Ainsi, je m'en allais chaque jour à bord.
---- 32

Je rapportai, entre autres choses , tout ceque


je pus enlever des agrès , de petites cordes ,
du fil de carrelet , et une pièce de canevas
à raccommoder les voiles . Ce qui me fit le
plus de plaisir dans tout mon butin fut un
grand tonneau de biscuit , trois barils de
rhum ou d'eau - de-vie , une boîte de casso
nade et un muid de fleur de farine . Je vidai
au plus vite le tonneau de biscuit , j'en is
plusieurs parts , et je les enveloppai dans des
morceaux de voiles . Je conduisis ensuite
toute cette charge à terre avec le même
bonheur que les autres.
Après avoir dépouillé le vaisseau de tout
ce qui pouvait aisément se transporter, je
me mis à couper les câbles en morceaux
proportionnés à mes forces . Je fis ungrand
radeau avec la vergue de beaupré et celle
de misaine , et j'y amoncelai deux câbles ,
une haussière et toute la ferraille que je
pus arracher, puis je commençai à voguer ;
mais la charge était si lourde que, ne pou
vant gouverner le radeau comme à l'ordi
naire, il se renversa et me jeta dans l'eau
avec toute ma cargaison , qui fut perdue en
grande partie. Je ne sauvai qu'un certain
33.

nombre de pièces de câbles et quelques


morceaux de fer.
Il y avait treize jours que j'étais à terre ,
j'avais déjà fait onze voyages au vaisseau ,
et je crois que, si le calme eût continué, j'au
rais amené tout le bâtiment pièce à pièce.
Le temps se mettait à l'orage quand j'entre
pris mon douzième voyage. Je découvris
encore une armoire avec des tiroirs , l'un
d'eux contenait une petite paire de ciseaux
et dix ou douze couteaux , avec autant de
fourchettes ; l'autre renfermait trente six li
vres sterling, moitié en or , moitié en argent ,
et quelques autres pièces . Combien alors
j'estimais davantage le moindre ustensile !
Je me préparais à faire mon radeau ; mais
le vent s'éleva si fort , et le temps était si
chargé, que je n'eus rien de mieux à faire
que de regagner la côte à la nage .
J'étais heureusement arrivé chez moi et
posté dans ma tente , au centre de mes ri
chesses, lorsque la tempête commença ; elle
dura toute la nuit , et le lendemain je ne vis
plus le vaisseau : je m'en consolai bientôt ,
puisque j'avais emporté tout ce qu'il était
utile d'en enlever.
in 34

00006 00000000000000oGOOOD.00000000000000000000000000

CHAPITRE VIII .

Robinson se construit une forte habitation . - Inquiétudes


pour son magasin de poudre. -Il découvre des boucs
sauvages .

J'avais à me mettre en sûreté contre les


bêtes et les hommes sauvages, s'il yen avait.
Dans celte vue, je résolus de me dresser
une forte tente et de me creuser une cave.
Je choisis pour emplacement une petite
plaine, située au pied d'une colline élevée,
dont le front était raide et sans talus , de
sorte que rien ne pouvait venir sur moi de
haut en bas. Je plantai le piquet justement
devant un enfoncement qui se trouvait dans
la façade du rocher, et qui ressemblait
assez à l'entrée d'une cave. La plaine for
mait devant mon habitation une espèce de
tapis vert qui se prolongeait jusque vers la
mier .
Avant de dresser malente , je décrivis un
35 -

demi-cercle qui comprenait environ dix ver


ges dans son demi-diamètre du rocher à la
circonférence, et vingt depuis un bout jus
qu'à l'autre. Dans ce demi-cercle, je plantai
deux rangs de fortes palissades que j'enfon
çai très-avant , en même temps que je les
faisais sortir de terrre de plus decinqpieds,
et je les aiguisai par le haut. Il n'y avait pas
plus de six pouces de distance de l'un à
l'autre.
Ensuite je pris les pièces de câbles que
j'avais coupées à bord du vaisseau, et je les
range i les unes sur les autres dans l'entre
deux du double rang, jusqu'au haut des
palissades: j'ajoutaid'autres pieux d'environ
deux pieds et demi, appuyés contre les
premiers et leur servant d'accoudoirs en
dedans du demi-cercle. Cet ouvrage était
si fort et si haut qu'il n'y avail ni homme
ni bète qui pût le forcer ou l'escalader.
Aussi me coûta-t-il beaucoup de temps et
de travail .
Je fis, pour entrer dans la place, non pas
une porte, mais une petite échelle , avec
laquelle je passais par-dessus mes fortifica
tions et que je retirais après moi. De cette
36

manière, je me croyais parfaitement en


sûreté contre toute agression ,
Ce fut dans ce fort que je transportai
toutes mes richesses. Je m'y érigeai ensuile
une grande tente double , recouverte de toile
goudronnée pour la garantir des pluies qui ,
pendant un certain temps de l'année, sont
excessives dans ces régions.
L'arrangement de ma tente terminé, je
m'occupai de ma cave , et pour cela je creu
· sai bien avant dans le roc, jetant à mesure
la terre et les pierres au pied de la palissade ,
ce qui éleva mon terrain d’un pied et demi
à peu près. J'eus ainsi un excellent cellier
derrière ma tente .
Sur ces entrefaites, j'éprouvai un jour
une grande inquiétude. Il survint une pluie
considérable accompagnée de violents coups
de lonnerre: rien n'était plus simple ; mais
tout à coup l'idée me vint que ma poudre
pouvait prendre feu et sauter en un instant;
que deviendrais-je alors ? Frappé de cette
crainte , aussitôt que l'orage fut passé, je
suspendis toutes mes occupations ordinai
fes , et je me mis à faire des sacs pour
y distribuer ma poudre , et ensuite les
37

disperser çà et là dans les creux de rochers


à l'abri de l'humidité , afin que , si le feu
prenait à un paquet , il ne pût pas se com
muniquer aux autres. Cette opération me
coûta bien quinze jours, car je fis au moins
cent sacs pour mes cent vingl livres de
poudre.
Dans une des promenades que je faisais
chaque jour pour reconnaître les produc
lions de l'ile et pour tuer quelque chose
que je pusse manger, je vîs qu'il y avait des
boucs dans l'île , mais si sauvages , si rusés
et si légers à la course , que je ne pus les
approcher. Je ne me décourageai pas, et
après avoir remarqué leurs allées et leurs
venues , je reconnus que , lorsque j'étais
dans les vallées et que je les voyais sur les
rochers, ils s'enfuyaient avec une extrême
vilesse ; mais que , s'ils étaient à paitre dans
les vallées et que je fusse sur les rochers,
ils ne prenaient seulement pas garde à moi.
D'où je conclus qu'ils avaient la vue tette
ment tournée en bas, qu'ils VOT at fonts
peu les objets placés au-dessus deux: je
commençai désormais ma chasse paete haud
des rochers et je les tuais à plaisir.
38

Cependant mille pensées agitaient mon


esprit, tant ma condition se présentait à moi
sous une image terrible. Jemevoyais privé
de beaucoup de choses , seul, abandonné
de tout l'univers, et j'étais tenté d'accuser la
Providence ; mais aussitôt je me rappelais
que j'étais le seul sauvé du naufrage, que
le vaisseau avait été amené si près de terre
que j'avais pu en tirer tout ce que je possé
dais; qu'enlin j'avais plusieurs moyens de
fournir à ma subsistance ; et ces pensées
me consolaient un peu .
00006 OGOG20000 20001 c0.000006090000000GOOOOO0006 20000

CHAPITRE IX .

Robinson commence son calendrier. Un chien , sauvé


aussi du naufrage , s'attache à lui.

Il faut maintenant que je remonte jus


qu'au commencement de ma vie monotone
et solitaire , et que j'en continue par ordre
l'étrange et pénible récit.
C'était le 30 septembre que j'avais mis le
pied sur cette terre de désolation, au temps
39

de l'équinoxe d'automne, alors que le soleil


dardait presque perpendiculairement ses
rayons sur ma tête ; car j'étais à 9 degrés
23 minutes au nord de la ligne .
Au bout de dix ou douze jours, je pensai
que je perdrais bientôt ma supputation du
temps quand le papier et l'encre viendraient
à me manquer, et que je ne pourrais plus
distinguer les dimanches des autres jours.
Pour prévenir cette confusion ,j'érigeai près
du rivage, à l'endroit où j'avais pris terre ,
un grand poteau en forme de croix , sur
lequel j'écrivis en grosses lettres : « Je suis
venu dans cette île le 30 septembre 1659.»
Sur les côtés de ce poteau , je marquais
chaque jour un cran, lous les sept jours un
cran deux fois plus grand, et tous les pre
miers du mois un autre plus grand encore.
Jetins ainsi fort exactementmon calendrier .
J'ai oublié , en désignant les choses que
j'avais trouvées dans le vaisseau , de parler
de compas , d'instruments de mathémali
ques , de livres de navigation et de trois
Bibles , et aussi de deux chats et d'un chien
qui m'avaient suivi à terre. Pendant plu
sieurs années , le chien remplit auprès de
--- 40

moi les fonctions d'un serviteur et d'un ca


marade fidèle . Il ne me laissait manquer de
quoi que ce soit qu'il pût aller chercher ; il
employait toute sa souplesse et son instinct
à me faire bonne compagnie ; une seule
chose lui manquait , à mon grand déplaisir ,
la parole .

CHAPITRE X.

Comment Robinson supplée au défaut de plusieurs outils


et agrandit son logement.

NONOBSTANT mon gros magasin , plu


sieurs choses me manquaient encore : je
n'avais ni pelle , ni pioche, ni bêche pour
fouir et transporter la terre ; ni fil , ni ai
guilles , ni épingles , ni toile ; mais j'appris
bientôt à m'en passer.
Le défaut d'outils rendait extrêmement
lents tous mes travaux . Je fus un an entier
à confectionner ma palissade. Chacun des
pieux était si lourd , j'étais si long à le cou
― -
41

per dans le bois , à le façonner , à le trans


porter, qu'il me coûtait souvent à lui seul
deux jours de travail . Dans le commence
ment , j'employais pour l'enfoncer une grosse
pièce de bois ; plus tard , je me servis d'un
>
levier de fer et j'eus un peu moins de peine .
Au reste , quelque long et ennuyeux que
fût un ouvrage , il ne me rebutait pas . J'a
vais assez de temps à moi pour n'en être
pas avare. Il était naturel que je tombasse
souvent dans des réflexions assez tristes sur
ma situation ; mais , après en avoir mûrement
examiné les biens et les maux , je finis par
conclure qu'il n'en est pas de si misérable
dans la vie où il ne soit possible de trouver
quelque consolation ; je m'accoutumai peu
à peu à ma solitude, et je résolus de m'em
ployer tout entier à me procurer tous les
adoucissements que je pourrais imaginer.
J'avais d'abord placé pêle-mêle dans ma
tente tout mon butin , meubles , ustensiles
et outils, de manière à tenir tant de place ,
qu'à peine en restait- il pour moi . Je me mis
à élargir ma caverne en tout sens ; le roc
cédait assez facilement à mon travail ; j'y
pratiquai une porte indépendante de mes
42 -
fortifications. Ma caverne ainsi agrandie ,
je la garnis plus tard de tablettes sur les
quelles je rangeai mes affaires ; mes outils
et mes armes étaient suspendus au rocher
au moyen de chevilles que j'y plaçai . De 1
sorte que ma caverne ressemblait à un ma
gasin général , et je trouvais facilement
chaque objet, tant il y régnait d'ordre.
Quoique jusque-là je n'eusse manié au
cun outil , je parvins à faire beaucoup de
choses à l'aide seulement d'une hache et
d'un rabolt; mais aussi quel travail ! Si, par
exemple, je voulais fabriquer une planche,
il me fallait couper un arbre et le tailler des
deux côtés jusqu'à ce qu'il fût suffisamment
aminci ; je laplanissais ensuite avec un ra
bot . Je n'avais qu'une seule planche par
arbre et avec une peine prodigieuse; mais
ni mon temps, ni les arbres n'étaient bien
précieux . Je me servis , pour faire une chaise
et unelable, des morceaux de planches que
j'avais retirés du vaisseau .
- 43

600000000000000000000oCene00000000000000000000000000

CHAPITRE XI .

Il tient un journal de ses aventures .

Quand je fus à-peu-près installéet pourvu


de quelques meubles , je commençai à tenir
un journal , que je continuai avec persévé
rance .
Mon journal commença au 30 septem
bre 1659 , jour de mon naufrage; les pre
miers temps furent employés comme je l'ai
déjà raconie.
Je reprends au 17 novembre, lorsque je
commençai à creuser ma caverne.
Il me manquait trois choses fort néces
saires : une pelle, une pioche , une brouette
ou un panier. Je suppléai à la pioche avec
des leviers de fer bien pesanis , mais du
reste assez propres à remuer la terre. Quant
à la pelle, j'étais fort embarrassé.
18 novembre. En cherchant dans les bois ,
je trouvai une espèce d'arbre très- dur, que
les Brésiliens appellent arbre de fer ; j'en
coupai un morceau avec une extrême peine,
44

et je fus bien longtemps à le façonner avant


de parvenir à lui donner uneforme de pelle .
Au lieu de brouette , je me fabriquai un
instrument à peu près semblable à l'oiseau
dont se servent les manoeuvres pour porter
le mortier.
23 novembre. Je repris mon travail et
continuai pendant dix-huit jours à élargir
et à allonger ma caverne assez pour me
servir de magasin , de cuisine , de salle à
manger et de cellier
10 décembre. Je regardais ma voûte
comme achevée, quand tout-à-coup il se fit
un grand éboulement d'un côté. Je fus ex
trêmement effrayé et avec raison ; car, à
coup sûr, si je m'étais trouvé dessous , je
n'aurais pas eu besoin d'autre enterrement.
J'eus beaucoup à faire pour réparer ce dé
sastre ; il fallut d'abord enlever toute la
terre qui était tombée, et ensuite étançon
ner la voûte .
11 décembre. Je dressai deux étais qui
montaient jusqu'au faîte , avec deux mor
ceaux de planches en croix sur chacun, et
je continuai toute la semaine à ajouter d'au
tres étais semblables, qui assurèrent tout-à
45

fait ma voûle , et qui, formant un rang de


piliers , partageaient ma maison en deux
vastes salles.
Il fit ensuite mauvais temps pendant plu
sieurs jours : je ne pus pas sortir et je con
tinuai mes arrangements intérieurs.
27 décembre . Jetuaiun chevreau et j'en
estropiai un autre, que j'emmenai en laisse
au logis . Je lui bandai bien la jambe, el
j'en pris un tel soin qu'il se guérit parfai
lement. Il finit par s'apprivoiser à merveille ;
ce qui me donna l'idée d'entretenir des
animaux privés , afin d'avoir de quoi me
nourrir quand mes munitions seraient con
sommés.

ఆ 00000000000000000000000000000000000000

CHAPITRE XII .

Robinson fait plusieurs découvertes utiles. -


Il recucille
quelques grains de blé .

Depuis le mois de janvier jusqu'au 14


avril, je m'occupai à mes fortifications. J'é
tais souvent empêché par les pluies ; mais à
force de persévérance , j'en vins à bout, et
3.
46

mon habitation se trouva absolument ca


chée . Pendant ce temps- là, je faisais chaque
jour ma tournée dans le bois, et je fis plu
sieurs découvertes utiles. Eutre autres, je
trouvai une espèce de pigeons fuyards fort
délicats à manger et faciles à prendre, lors
qu'ils étaient jeunes , parce qu'ils se réfu
giaient dans les creux des rochers .
Il me manquait encore beaucoup de cho
ses ; je ne pus jamais , par exemple, parve
nir à achever un tonneau et à y meltre les
cercles : j'essayai en vain pendant plusieurs
semaines. Je n'avais pas de chandelle : il
fallait donc m'aller coucher dès qu'il faisait
nuit , c'est-à-dire presque toujours à sept
heures. Pour y remédier un peu , je conser
vais la graisse des boucs que je tuais ; j'en
mellais au lieu d'huile sur un petit plat de
terre que j'avais façonné et fait sécher au
soleil, et , avec un fil de carrelet en guise de
mèche, j'obtenais de cette espèce de lampe
une lumière qui , quoique bien faible , me
faisait grand plaisir.
Il arriva qu'un jour, fouillant dans mon
magasin , je trouvai un reste de blé que
j'avais rapporté du vaisseau ; mais il avait
- 47

élé mangé par les rats , et je n'y voyais plus


quedes cosses et de la poussière. Comme
j'avais besoin du sac, j'allai le vider au pied
du rocher. C'était un peu avant les grandes
pluies , et je l'avais fait avec si peu d'atten
tion , que lorsque environ un mois après
j'aperçus là quelques liges , je les pris pour
des plantes inconnues ; mais un peu plus
tard , je fus bien étonné de voir dix ou
douze beaux épis verts, de l'espèce qui vient
en Europe.
Je ne puis exprimer la diversité de mes
pensées à celle vue. Jusqu'ici je n'avais eu
aucune idée sérieuse de religion , j'avais à
peu - près regardé tout ce qui m'était arrivé
comme l'effet du hasard ; mais la vue de
ce grain venu là sans que je m'en fusse oc
cupé, dans un climat que je n'y croyais pas
propre, mefit élever mes pensées vers Dieu ,
et le bénir d'avoir dirigé ma main de telle
manière que ce grain , que je ne croyais plus
bon à rien , avail été jelé justement au pied
du rocher, et s'était ainsi trouvé garanti du
soleil .
Je ne manquai pas de faire dans le temps
convenable , qui était à la fin de juin , ma
48

petite moisson ; je la destinai toute à être


semée , espérant qu'avec le temps j'en ré
colterais assez pour me fournir de pain .
Une trentaine d'épis de riz s'étaient trou
vés mêlés à mon blé : je les conservai avec
le même soin , et par la suite , le riz me fut
doublement utile , soit comme pain , soit
comme mets ; car j'avais réussi à l'apprêter
sans le mettre en pâte.
Je reviens à mon journal .

CHAPITRE XIII.

Tremblement de terre.

17 avril. Le lendemain du jour où j'avais


terminé toutes mes fortifications , je faillis
voir tous mes travaux renversés et perdre
la vie . J'étais occupé derrière ma tente : je
vis tout-à-coup la terre de la voûte s'ébou
ler , mes piliers craquaient horriblement ;
je m'enfuis du côté de ma palissade . C'était
un tremblement de terre. Il y eut trois se
cousses si violentes , que tout un côté du
49

rocher situé à un demi -mille de moi s'é


croula avec un bruit terrible ; la mer elle
même était prodigieusement agitée.
J'étais saisi d'épouvante en considérant
ma tente et toutes mes richesses près d'être
ensevelies sous les ruines de la montagne
qui les dominait . Je fus longtemps après la
dernière secousse sans oser remuer ni re
poser dans mon enceinte , de peur d'y être
enterré tout vif.
Cependant le ciel se couvrait, et au bout
d'une demi-heure il s'éleva un ouragan fu
rieux . A l'instant vous auriez vu la mer
blanche d'écume inonder le rivage de ses
flots , et des arbres entièrement déracinés
tomber çà et là. L'ouragan dura trois heu
res , et fut suivi d'une pluie extrêmement
violente. Je fus forcé de rentrer dans ma
tente ; mais la pluie augmentant toujours 9
je n'y fus bientôt plus à l'abri ; je revins
dans ma caverne encore tout tremblant de
peur de la voir s'écrouler sur moi . Je finis
pourtant par me remettre peu à peu de ma
frayeur, et un petit verre de rhum acheva
de me redonner du courage.
La pluie dura toute la nuit et une partie
-- 50

du lendemain je ne pus pas sortir . Je ré


fléchissais pendant ce temps-là que si l'île
était sujette aux tremblements de terre , il
me fallait bâtir une cabane dans un lieu
découvert .
Le 22 avril , de grand matin , je songeai
à mettre mon dessein à exécution ; mais
j'étais bien arriéré du côté de mes outils :
mes bisaiguos et mes haches étaient tout
émoussées à force de couper et de façonner
du bois dur et noueux . J'avais bien une
pierre à aiguiser ; mais je ne savais com
ment la faire tourner. Cet obstacle m'intri
gua beaucoup . Je parvins néanmoins à mon
ter une roue que je faisais tourner avec mon
pied , de sorte que mes deux mains restaient
libres. Cette machine me coûta toute une
semaine d'ouvrage ; mais aussi j'eus le plaisir
de la voir aller à merveille , et tous mes ou
tils furent parfaitement aiguisés .
30 avril . M'étant aperçu que ma provision
de biscuit diminuait beaucoup , je me rédui.
sis à un seul par jour , à mon grand regret .
Le mai . je trouvai sur le rivage quel
ques débris du vaisseau . Le tremblement de
terre l'avait assez rapproché de terre pour
51

que je pusse très facilement essayer d'en


prendre encore quelque chose. Cette idée
écarla toul-à -fait le désir de changer d'habi
tation . En effet , depuis le 3 mai jusqu'au
15 juin , j'y allai chaque jour, et , à force
de travail et de peine, j'en enlevai des plan
ches et du fer en assez grande quantité pour
construire un bâteau , si j'avais su comment
m'y prendre. J'avais aussi apporté pièce à
pièce cent livres de plomb roulé.
16 juin . En allani vers la mer je trouvai
une tortue, la première que j'eusse encore
vue dans l'ile ; elle renfermait une soixan
taine d'æufs. Comme depuis longtemps je
n'avais goûlé autre chose que des oiseaux et
des boucs , cette nouvelle nourriture me
parut la plus délicieuse du monde.
00000000000000000000-000000006000060000000000000a.rebe

CHAPITRE XIV .
Maladie de Robinson . - Il a recours à Dieu , et se
ranime par la lecture de la Bible,

18 et 19 juin . Je ne sortis point , j'é


prouvais du frisson . Le 20, je n'eus point
52

de repos de toute la nuit ; j'avais la fièvre ,


accompagnée de grandes douleurs de tète.
Le 21. Malade et plongé dans un profond
chagrin en ine voyant réduit à ce triste état ,
privé de tout secours humain , je me mis à
prier Dieu ; mais sans trop savoir ce que je
disais .
Je continuai à être très-souffrant pendant
trois ou quatre jours .
Le 25. Un mal de tête affreux et un accès
de fièvre très-violent , qui dura sept heures,
se termina par une sueur abondante qui
m'affaiblit beaucoup
Le 26. J'étais mieux ; je pris mon fusil et
je me traînai dansle bois pour me procurer
quelques vivres . Je tuai un chevreau, dont
je grillai quelques morceaux . J'aurais bien
voulu en faire cuire une partie dans l'eau ,
pour avoir du bouillon , mais je n'avais pas
de marmite.
Le 27. La fièvre me reprit si fort que je
ne pus sortir de mon lit pendant toute la
journée. Je mourais de soif ; mais j'étais
trop faible pour aller chercher de l'eau.
Dans ma détresse je m'écriais de temps en
temps : « Seigneur, ayez pitié de moi, ne m'a
53

bandonnez pas ! » Quand l'accès fut passé, je


m'endormis. Pendant ce sommeil , je fis un
songe effrayant: il me sembla voir un homme
d'une nature tout extraordinaire descendre
du milieu d'un tourbillon de flammes et de
fumée. La terre trembla quand il la toucha.
Je le vis alors s'avancer vers moi armé d'une
pique, et je l'entendis proférer ces paroles :
Parce que tu ne l'espas convertià la vue
de tant de signes, lu mourras; et il levait sa
redoutable lance pour me frapper .
Celte vision jeta dans mon âme un pro
fond sentiment de terreur, et cette impres
sion resta tout entière malgré la lumière
du jour. Hélas ! les bonnes instructions que
j'avais reçues dans mon enfance, je les avais
entièrement négligées ; j'avais vécu dans
une complète indifférence pour le bien et
pour le mal. J'avais commencé par désobéir
à mon père et à ma mère , et jen'avais ja
mais depuis considéré mes malheurs comme
une punition.de Dieu , pas plus que je ne
l'avais remercié pour les consolations qu'il
m'avait envoyées . Mais à l'aspect de la mort
ina conscience s'éveilla : j'avais l'âme brisée
de remords ; je fis pour la première fois de
― 54

ma vie une prière fervente : je suppliai Dieu


de venir à mon aide.
Le 28. Je pus me lever , et je m'occupai
à préparer quelques rafraîchissements pour
le lendemain , car la fièvre revenait régu
lièrement tous les deux jours. Je remplis
d'eau une grande bouteille , j'y mêlai un
peu de rhum , et je la mis à côté de mon
lit. Je mangeai ensuite trois œufs de tortue ;
puis j'essayai à me promener ; mais j'étais
trop faible pour aller loin : je m'assis à terre
et je contemplai la mer tout pensif. Jerevins
ensuite, et j'entrevoyais avec effroi le re
tour de la fièvre quand je me ressouvins ,
que les Brésiliens remédiaient à toutes leurs
maladies avec du tabac. Je savais qu'un de
mes coffres en devait renfermer : je l'ouvris
aussitôt , et j'y trouvai en effet du tabac ,
et , ce qui me valut encore mieux , une
Bible.
J'employai mon tabac de trois manières
différentes j'en mis une feuille verte dans
ma bouche ; comme il était très-fort , cela
m'étourdit beaucoup ; j'en grillai sur des
charbons ardents, en me tenant le nez des
sus aussi longtemps et aussi près que pos
― 55

sible ; enfin j'en fis tremper dans du rhum ;


et je le bus ensuite. Cette potion me donna
brusquement dans la tête et me tint en
dormi jusqu'au lendemain trois heures de
l'après-midi. Je dirai même plus , car je ne
puis m'ôter de l'esprit que je dormis toute
la nuit que j'avais pris cette espèce de mé
decine , tout le lendemain et une partie du
jour suivant. Quoi qu'il en soit , je me
trouvai fort soulagé à mon réveil , l'appé
tit revint , et j'allai toujours de mieux en
mieux .
4 juillet. Je commençai à lire la Bi
ble. Je me fis une loi d'en lire quelque
chapitre soir et matin , et bientôt j'é
prouvai mille consolations de cette bonne
habitude . Ma condition , quoique la même
à l'extérieur , était devenue bien plus
douce , puisque j'avais appris à la suppor
ter en paix .
Mes forces revenant chaque jour , je ré
solus d'entreprendre un voyage. Il y avait
déjà dix mois que j'étais dans cette île , je
ne voyais aucune possibilité d'en sortir ; je
croyais fermement que jamais créature hu
maine n'y avait mis le pied ; je voulus au
56

moins la connaitre parfaitement, et voir si


je ne découvrirais pas quelque nouvelle pro
duction .

0904 000000G00000000190000000060000000000066 0006 06000

CHAPITRE XV.

Robinson visile une partie


cam
de l'île et se fait une maison
de pagne.

Je commençai ma visite le 15 juillet , du


côté de la petite baie qui avait servi de port
à mes embarcations. En suivant la rivière ,
découvris de belles prairies , qui s'élevaient
insensiblement, de sorte qu'ellesme paru
rent ne devoir jamais être inondées . Il y
avait au pied des coleaux qui les bordaient
du tabac vert , de belles plantes d'aloès ,
plusieurs autres que je ne connaissais pas ,
et plusieurs cannes à sucre , mais impar
faites faute de culture.
Le 16. Je m'avançai un peu plus que la
veille ;la campagne était plus couvcr
ic de
57

bois.Des melons et d'autres espèces de fruits


croissaient çà et là , des raisins pendaient
sur les arbres et étaient mûrs pour la ven
dange. J'en fis d'excellents raisins secs , en
les exposant au soleil : cela fut pour moi
après l'automne un manger aussi agréable
que sain .
Je passai là toute la journée, et même ,
pour la première fois de ma vie solitaire, je
me décidai à découcher. Je pris mon loge
ment sur un arbre pareil à celui qui m'avait
offert asile à mon abord dans l'ile.
Le lendemain matin je continuai ma vi
site , et, après quatre milles de marche ,
j'arrivai à une vallée délicieuse ; la verdure
y était si fraîche , la prairie si émaillée ,
qu'elle ressemblait à un jardin cultivé ; un
charmant petit ruisseau la traversait. Je
in’arrêtai et je sentais un véritable plaisir
à me considérer comme seigneur et maître
de lout ce qui m'enlourait.
Je trouvai quantité de cacaoliers , de li
moniers , de citronniers , d'orangers , mais
tous sauvages ; cependant les linjons avaient
très-bon goût, et leur jus mêlé avec de l'eau
faisait une boisson fort agréable.
58

Je cueillis une quantité considérable de


ces fruits et beaucoup de raisins . Je les mis
en monceau, et je retournai chez moi après
trois jours d'absence , résolu de revenir au
plus tôt avec les moyens de les transporter .
Le lendemain je retournai avec deux sacs
pour enlever ma récolte ; mais je la trouvai
toute dispersée. Une grande partie avait été
dévorée par les bêtes sauvages . J'employai
alors une autre méthode : après avoir cueilli
mes grappes de raisin , je les suspendis à
de longues branches d'arbre , et je les laissai
ainsi sécher au soleil .
J'étais amoureux de cette vallée char
mante , et j'y aurais bien volontiers établi
mon habitation , si je n'avais craint , en
m'enfermant ainsi entre les collines. de
m'ôter toute chance d'affranchissement . Je
m'y fis toutefois une métairie au milieu
d'une enceinte assez spacieuse , entourée
d'une double haie , bien palissadée , haute
de six à huit pieds , et toute remplie en de
dans de menu bois ; une échelle me servait
à entrer et à sortir , comme dans ma for
teresse .
Je me trouvais ainsi propriétaire de deux
59
maisons , une de ville et une de campagne.
Je ne jouis pas beaucoup de celle -ci la pre
mière année , car les pluies me ramenèrent
.

bientôt à ma vieille demeure et pour long


temps. J'y transportai mes raisins , qui
étaient alors parfaitement secs el excellenis:
j'en avais plus de deux cents grappes.
GOOG0000060000020006000000006989060000-0000000000000

CHAPITRE XVI.

Robinson sème son grain et parvient à fabriquer des


paniers.

Les pluies durèrent depuis le 15 août


jusqu'à la mi-octobre , et quelquefois si
violentes que , pendant plusieurs jours, il
était impossible de sortir. Pour me désen
nuyer, je m'occupai à agrandir encore ma
caverne .

Dans une des petites excursions que le


temps me permit de faire, j'eus le bonheur
de tuer un bouc et une énorme tortue .
Voici comment je réglai mes repas : pour
déjeûner, une grappe de raisin ; à dîner, un
morceau de bouc ou de tortue grillée ; le
60

soir , deux ou trois œufs de tortue faisaient


mon souper .
Le 30 septembre , c'était le jour anni
versaire de mon funeste débarquement ; je
l'observai comme un jour de jeûne solennel ,
et le consacrai tout entier à des exercices
religieux .
Je commençais à connaître un peu les sai
sons ; mais j'avais fait une cruelle expé
rience. On se rappelle que j'avais gardé
pour les semer les trente épis de riz et les
vingt d'orge que j'avais récoltés si heureuse
ment au pied du rocher. Je me mis donc
à cultiver une pièce de terre le mieux que
je pus avec ma pelle de bois , et j'y semai
mon grain , la moitié seulemeut , fort heu
reusement , car il ne vint pas à maturité.
La saison sèche arrivant peu de temps après
mes semailles , il fut très-longtemps sans
lever , et dans la saison pluvieuse il ne poussa
que de faibles tiges qui pourrirent . Je fis plus
tard un nouvel essai au mois de février , et
cette fois-là je réussis parfaitement : j'eus
une petite , mais très- belle moisson ; elle
consistait en deux picotins , l'un de riz ,
l'autre d'orge .
61

L'encre commençait à s'épuiser, de sorte


que je la ménageai beaucoup, et je n'écrivis
plus que les circonstances principales de
ma vie .
Vers le mois de novembre , dès que les
pluies furent passées , j'allai faire un tour à
ma maison de campagne ; j'y trouvai des
améliorations. Les pieux dontj'avais formé
ma haie avaient tous poussé de longues
branches commecelles des saules ; je les tail
lai , je les cultivai le mieux possible : au
bout de trois ans ils couvraient entièrement
mon enceinte, quoiqu'elle fût fort grande,
et leur ombrage était si épais , qu'on aurait
très-bien pu se loger dessous pendant toute
la saison sèche. Je passai la belle saison à
me faire des provisions pour le mauvais
temps ; pendant celui-ci, je trouvai encore
bien des moyens de m'occuper .
Je désirais vivement me faire un panier :
je savais un peu comment m'y prendre ,
parce qu'étant enfant j'allais souvent m'a
muser auprès d'un vannier, je le regardais
travailler, el je mettais même quelquefois
la main à l'oeuvre. Il me vint à l'idée que
les branches même de l'arbre qui m'avait
44
62

fourni les pieux de ma haie pourraient bien


être assez flexibles pour cela . En effet elles
étaient excellentes : j'en coupai une grande
quantité, je les portai dans mon enclos pour
les faire sécher , et pendant la saison sui
vante je fis un grand nombre de paniers
qui étaient au moins très-bons , s'ils n'étaient
pas d'un travail très -fin .

CHAPITRE XVII .

Il recommence sa visite dans l'île , et attrape un chevreau


qu'il apprivoise.

JE résolus de recommencer avec le beau


temps ma visite de l'île , et de passer de
l'autre côté de ma métairie jusqu'à la mer .
Je pris donc mon fusil , une hache , une
I
bonne quantité de plomb et de poudre , des
biscuits , des raisins secs , et je me mis en
route avec mon fidèle chien .
Quand j'eus traversé la vallée , je décou
vris la mer à l'ouest , et comme le temps 1
1
était fort clair , je vis distinctement une
63 ―

autre terre que mon île , éloignée de plus de


quinze lieues . Je conjecturai que ce devait
être l'Amérique, mais qu'aussi c'était l'A
mérique habitée par des sauvages , de sorte
que je ne fus nullement tourmenté du désir
d'y passer.
Cette partie de l'île où je me trouvais
était toute différente de celle où je m'étais
d'abord fixé, et cent fois plus agréable . J'y
vis quantité de perroquets , je réussis à en
attraper un, auquel je me promis bien d'ap
prendre à parler . Je ne m'avançai pas de
plus de deux milles par jour, car je faisais
cent détours dans chaque endroit pour ne
rien perdre d'utile à découvrir, et chaque
soir j'arrivais fort las à mon gîte, c'est-à - dire
à un arbre.
Arrivé près des bords de la mer , je les
vis couverts d'une quantité considérable de
tortues : il y avait aussi une multitude d'oi
seaux ; j'aurais pu en tuer beaucoup , maist
je ménageais mon plomb. Les boucs étaient
encore bien plus communs que de mon côté.
Cependant , toute charmante que fût cette
contrée, je n'avais pas la moindre envie de
m'y fixer. Il me semblait que j'étais là en
64

pays étranger; ma patrie, c'était ma vieille


maison .
Je continuai du côté de l'est douze milles
plus loin , et , après avoir planté une grande
perche pour me servir de marque, je re
tournai dans mon habitation , déterminé,
dans mon premier voyage , à prendre de
l'autre côté , et à faire ainsi le lour jusqu'à
ce que j'eusse retrouvé ma marque .
En revenant , mon chien attrapa unjeune
chevreau : cela me fit un grand plaisir; car
je désirais depuis longtemps me former un
troupeau , et cela me donnait espoir d'en
attraper d'autres. Je lui fis un collier et je
l'emmenai non sans peine à ma métairie.
Delà ,je regagnai ma maison . On ne saurait
croire avec quelle satisfaction je revis mon
vieux foyer, et je reposai mes membres sur
mon lit suspendu. Je restai quelques jours
tranquille, car mon long voyage m'avait fa
tigué; j'allai ensuite voir où en était mon
petit chevreau. L'ennui et la faim l'avaient
rendu si souple et si docile qu'il me suivit
sans la moindre difficulté, el depuis il ne me
quittait pas plusque mon chien . Mon perro
quet , à qui j'étais venu à bout de faire une
65

cage , commençait aussi à me connaitre très .


bien; il répétait déjà un peu mon nom .
CO20 . 20.a @60500000000000000066000000000000qageviri

CHAPITRE XVIII .
Il fait sa seconde moisson .

Je me retrouvais à la saison pluvieuse


d'automne et bientôt au deuxième anniver
saire de mon débarquement; mais je con
mençais cette troisième année d'une manière
bien plus consolante. J'avais appris à me
résigner passablement à mon sor!, et je
n'étais plus entièrement seul , puisque je
savais maintenant m'adresser à Dieu dans
ma détresse . J'avais réglé mes occupations
de manière à n'être jamais oisif. Toute ma
journée se trouvail partagée entre mes de
voirs envers Dieu , mes courses dans l'ile
avec mon fusil, les soins qu'il me fallait
prendre pour apprêter ma nourriture et
préparer ines provisions, et enfin les heures.
d'ouvrage .
Versla fin de décembre, mon grain se
trouva mûr pour la seconde fois de l'année,
66

et cette seconde moisson devait être bien


plus abondante que la première. Il s'agissait
de la couper, et je n'avais pas de faucille ;
j'en fabriquai une avec des coutelas que
j'avais trouvés dans le vaisseau . Mon grain
coupé, je le froissai entre mes mains , et
j'eus le plaisir de voir que mon demi-picotin
de semence, m'avait rendu deux boisseaux
et demi ou à- peu- près , car je n'avais pas de
mesure .

Je fus très- encouragé par cette bonne


réussite , et je resserrai soigneusement mon
grain , afin de le semer encore tout entier la
saison prochaine, et d'arriver à en avoir assez
pour mes semailles et pour ma nourriture.
Je m'occupai donc de disposer un plus
grand morceau de terre : j'eus une peine
incroyable à labourer mon champ avec ma
pelle de bois qui me tenait lieu de bêche et
même de charrue. Après avoir semé, je pris
de longues branches d'arbres que je trainais
sur la terre pour suppléer à la herse, et je
finis par entourer tout le terrain d'unehaie.
Ces différents ouvrages me.coûtèrent trois
mois d'un travail aussi assidu que les pluies
me le permirent .
67

Dans l'intérieur j'avais toujours mille


occupations , et puis j'apprenais à parler à
mon perroquet. Les premières paroles que
j'entendis prononcer dans l'ile d'une autre
bouche que la mienne furent celles de ce
petit animal : Perroquelmignon ; c'était son
nom , et il le répélait fort bien .
00000006660000000000000000000000000000000000000000000

CHAPITRE XIX.

Robinson se façonne des vases de terre . Diverses


iuventions .

Je cherchais depuis longtemps comment


m'y prendre pour faire quelques vaisseaux
de terre :je pensais bien que si je trouvais
de l'argile convenable, le soleil étail si chaud
dans cette ile que je viendrais facilement à
bout de les faire bien sécher. Je ferais bien
rire à mes dépens si je racontais tous mes
essais pour former celle pâle , les mille
figures plus étranges et plus difformes les
unes que les autres que je donnais à mes
ouvrages ; combien lombèrent parce que
l'argile n'était pas assez ferme, combien se
- 68 deter

fendirent parce qu'ils étaient trop tôt expo


sés à l'ardeur du soleil, combien enfin se
brisèrent en les changeant de place , si
bien qu'au bout de deux mois de travail
j'avais en tout deux vastes , mais fort laides
machines.
Comme ces deux-là étaient bien cuites et
durcies au soleil , je les plaçai dans de grands
paniers d'osier pour les empêcher de se cas
ser, et je remplis le vide entre le pot et le
panier avec de la paille de riz et d'orge.
Je réussis enfin à donner des formes plus
agréables à un bon nombre de vases plus
petits ; mais tout cela ne répondait pas au
désir que j'avais d'un vaisseau capable de
contenir des liqueurs et d'aller au feu . Un
jour que j'étais auprès de mon feu , j'y
aperçus un morceau de ma vaisselle qui y
était devenu dur comme de la pierre et rouge
comme une tuile ; charmé de cette décou
verte, je m'empressai de faire une pile de
trois de mes grandes cruches et de trois de
mes pots , avec un monceau de cendres en
dessous; puis j'allumai tout autour un bon
feu , qui flambait si bien qu'en peu de
temps je vis mes vases tout rouges , saus
- 69 S

qu'aucun parût fêlé . Je les laissai à ce degré


de chaleur pendant cinq ou six heures , jus
qu'à ce qu'un d'eux commença à fondre et
à couler ; car le gravier qui se trouvait
parmi l'argile se liquéfiait par la violence du
feu, et il se serait tourné en verre si j'eusse
continué. Je tempérai donc mon brasier par
degrés, et je restai debout toute la nuit , de
peur qu'il ne s'éteignit trop subitement . A
la pointe du jour, je me trouvai possesseur
de trois cruches , je ne dirai pas belles ,
mais bonnes , et de trois autres pots deterre
parfaitement cuits ; un d'eux avait même
reçu un vernis fort agréable par la fonte du
gravier. Inutile de dire que depuis ce temps
là je ne me laissai manquer d'aucun vase
qui pût me rendre quelque service.
J'étais si transporté de joie en pensant
que j'avais enfin une marmite , que je n'at
tendis pas seulement que mes pots fussent
refroidis , je me hâtai d'en remplir un d'eau
et d'y mettre un morceau de bouc . Mon
bouilli fut excellent.
Ce qui m'importait le plus ensuite , c'é
tait d'avoir une pierre dont je pusse me
servr pour broyer mon blé (carje n'élevais
- 70 -

pasmes prétentions jusqu'au moulin). Je


cherchai pendant plusieurs jours, mais inu
tilement , une pierre assez grosse pour la
pouvoir creuser : d'ailleurs, je n'avais pas
d'outils propres à cela et aucune inclination
pour ce genre de travail ; je me contentai
donc d'un gros billot de bois bien dur. Je
l'arrondis el le façonnai en dehors avec ma
hache, puis je le creusai en appliquant le
feu à la manière des sauvages , qui creusent
ainsi leurs canots. Je fis ensuite un gros et
pesant pilon avec ce qu'on appelle bois de
fer .
Celte difficulté surmontée , restait à faire
un tamis pour préparer ma farine et la sé
parer des cosses et du son . Je meressouvins
que j'avais rapporté du vaisseau deux ou
trois cravates de grosse mousseline; j'en fis
de petits sacs assez propres à l'usage auquel
je les destinais .
Venait ensuite la boulangerie, dont les
travaux devaient s'étendre tant à pétrir qu'à
cuire au four. Quand je voulais enfourner
mon pain , je commençais par faire un grand
feu sur mon foyer, qui était pavé de bri
ques . Lorsque mon bois était réduit en char
- 71

bon , je l'écartais du foyer que je balayais


bien proprement , j'y posais ma pâle en la
couvrant d'un vase de terre large et peu
profond autour duquel je ramenais les char
bons et les cendres , pour y concentrer la
chaleur .
Je cuisais ainsi mes pains d'orge aussi
bien que dans le meilleur four du monde :
non content de faire le boulanger, je tran
chai du påtissier, et je me fis plusieurs
gâteaux. Je fis en outre plusieurs poudings
de riz .
Maintenant que. ma récolte augmentait ,
j'avais vraiment besoin d'élargir ma grange
pour loger tout mon grain ; carmes derpières
semailles m'avaient rapporté jusqu'à vingt
boisseaux d'orge et au moins autant de riz.
Je voulus calculer quelle quantité de
grain me suffirait pour une année , et je re
connus que quarante boisseaux étaient tout
ce que j'en pourrais consommer : je dispo,
sai mes semailles en conséquence,
72
產8

CO9000occac06007200000000000000000000000000000000GOODO

CHAPITRE XX .

Robinson , construit un canot dont il ne peut faire


usage :

On croira facilement que mes pensées se


tournaient souvent vers la terre que j'avais
aperçue en face de l'île ; je m'imaginais que
si je parvenais à y passer, je trouverais là
quelque moyen de m'affranchir de ma mi
sère, sans songer à tous les dangers qu'ilme
faudrait courir, y compris celui de tomber
entre les mains d'anthropophages. Ce der
nier danger était d'autant plus probable ,
que , d'après mes calculs, je ne pouvais être
tris-éloigné des côtes des Caraïbes.
Je crus pouvoir remettre en état la cha
loupe du vaisseau , qui avait été jetée sur
le rivage , et je consumai trois semaines en
lières en eſforts infructueux pour la redres
ser. Je ſus enfin forcé d'abandonner ce
projet; mais mon désir était plus violent
que jamais . Il me vini à l'idée qu'il me se
73
rait facile à moi , seul et sans instruinents
convenables , de faire avec le tronc d'un
chêne un canot semblable à ceux que fa
briquent les sauvages . Je commençai donc
ce travail insensé , en m'élourdissant sur
toutes les difficultés de l'exécution .
Je coupai d'abord un cèdre énorme
comme peul-ètre n'en fournit jamais le Li
ban pour le temple de Jérusalem . Près
du tronc , le diamètre était de cinq pieds
dix pouces , et de là il prenait quatre pieds
dix pouces sur une hauteur de vingt-deux
pieds, puis il allait en diminuant jusqu'aux
branchages. Ce fut un travail immense pour
l'abattre: je mis vingt jours à le hacher et
à le tailler au pied , quinze jours à l'ébran
cher et à trancher le sommet. J'employai à
cela haches et bisaigues et lout ce que ma
charpenterie me pouvait fournir de plus
puissant, joint à toute la vigueur dont j'é
tais capable. Il me fallut ensuite un mois
de travail pour le façonner et le raboler de
manière à obtenir quelque chose de sem
blable au dos d'un bateau . Je mis Trois mois
à le creuser de façon à en faire une cha
loupe. Il est vrai qu'elle était parfaite , et je
5
74

ne m'étais servi d'autre chose que du ciseau


et du marteau , avec une assiduité que rien
ne pouvait lasser. Je me vis enfin possesseur
d'un fort beau canot , capable de porter
vingt-six hommes , et ainsi bien plus que
suffisant pour moi et pour ma cargaison .
J'étais transporté de joie à la vue de mon
ouvrage ; il ne restait plus qu'à le lancer en
mer je me donnai pour cela une fatigue
prodigieuse : je nivelai le terrain jusqu'à la
mer: mais j'eus beau faire , il me fut aussi
impossible de remuer mon canot , qu'il me
l'avait été de faire bouger la chaloupe .
Je voulus ensuite creuser un canal pour
amener la mer jusqu'à mon canot , puisque
je ne pouvais le faire aller jusqu'à la mer ;
mais je calculai qu'il me faudrait au moins
dix ou douze ans de travail pour en venir
à bout, et j'abandonnai encore ce projet que
j'avais déjà commencé à mettre à exécution .
Ce me fut un grand chagrin.
Sur ces entrefaites , je commençai ma cin
quième année de séjour dans l'ile . Je dois
dire que depuis quelque temps j'éprouvais
un sentiment de résignation religieuse qui
adoucissait singulièrement tous mes maux .
75

Je me surprenais même bénissant et rëmër


ciant Dieu , qui m'avait prodigué , à moi
indigne , tant de ressources et de consola
tions au milieu de toutes mes peines .

CHAPITRE XXI .

Robinson exerce le métier de tailleur. Il se prépare


à faire le tour de l'île.

PLUSIEURS des choses que j'avais appor


tées du vaisseau étaient maintenant ou tout
à-fait usées ou tout près de l'être . Ainsi mon
encre était sur le point de manquer : à force
d'y mettre de l'eau pour la prolonger, elle
ne marquait presque plus . Mes habits deve
naient chaque jour plus mauvais il ne me
restait plus que quelques chemises : je les
conservais avec le plus grand soin , car sou
vent les chaleurs étaient si violentes que
tout autre vêtement était insupportable.
Cette même chaleur rendait indispensable
aussi d'avoir la tête couverte pour sortir,
76

autrement j'éprouvais de grandes douleurs .


Tout cela me fit songer à mettre en œu
vre les haillons que je possédais . Je me fis
une espèce de robe avec de gros surtouts et
autres choses semblables quej'avais sauvées
du naufrage. Je me trouvai donc tailleur ou
plutôt ravaudeur, et , après bien des pei
nes , je vins à bout de faire deux vestes et
deux culottes , mais le tout d'un travail pi
toyable.
J'avais conservé toutes les peaux de bêtes
à quatre pattes que j'avais tuées . Je m'en fis
d'abord un grand bonnet en tournant le poil
en dehors , et ensuite un habillement tout
entier : une large veste et des pantalons . Je
m'en trouvai à merveille : ainsi vêtu , j'étais
très-bien garanti de la pluie .
Je me fabriquai ensuite un parasol ou
parapluie, comme on voudra , car il me dé
fendait également de la pluie et du soleil ;
j'essayai plusieurs fois sans réussir à mon
gré. Mon parasol s'étendait bien , mais il ne
pouvait se plier, ce qui le rendait fort em
barrassant à force de patience , je parvins
à en fabriquer un qui s'étendait et se pliait
à volonté.
- 77

Je menai pendant cinq ans mon train de


vie ordinaire , sans qu'il m'arrivât la moin
dre chose remarquable. Ma plus grande oc
cupation pendant cet espace de temps fut
de fabriquer un autre canot, mais beaucoup
plus petit quele premier ; il avait été fait
à un demi-mille de la mer, et il m'avait
fallu deux ans entiers pour y amener l'eau ,
en creusant un canal profond de six pieds
et large de quatre. Maintenant ce canot
n'était pas assez grand pour hasarder un
voyage en terre ferme ; je résolus d'entre
prendre seulement le tour de mon île. J'é
quipai pour cela mon canot le mieux possi
ble : j'y établis un måt et une voile ; ensuite
je fis des layettes aux deux extrémités, pour
y mettre bien à sec mes provisions et mes
armes ; je plantai un parasolà la poupe du
vaisseau , et je faisais de temps en temps
quelques petites promenades pour essayer.
Mon bâtiment allant à merveille, je m'oc
cupai des provisions . Je pris deux douzaines
de pains d'orge , un pot de terre plein de IJEL
riz et une petite bouteille de rhum 于g la
9 de
surtlo
dragée , et enfin deux gros vo outs17 l'un9
, 91
DE
78 -

pour me coucher dessus et l'autre pour me


servir de couverture .

CHAPITRE XXII .

Danger qu'il court. - Son retour.

C'ÉTAIT le 6 novembre , l'an sixième de


mon règne ou de ma captivité , que je m'em
barquai pour ce voyage. L'île fort peu large
en elle-même , était bordée à l'est de ro
chers qui s'étendaient deux lieues avant
dans la mer . La mer était calme ; mais je
n'eus pas plus tôt atteint la première pointe
de rocher, que je me trouvai dans une eau
très-profonde et dans un courant aussi ra
pide que celui d'une écluse de moulin . Je
ne pus jamais retenir mon canot près du
rivage; le courant l'emportait avec violence ,
et toutes mes manoeuvres n'aboutissaient à
rien . Je me crus inévitablement perdu ; car
lorsque je serais jeté en pleine mer, je de
vais mourir de faim, puisque je ne pouvais
- 19
rencontrer aucune terre sans un très-long
voyage. Oh ! comme alors mon île me pa
raissait le lieu le plus délicieux du monde!
J'en étais éloignéde deux lieues , et , quoi
que je n'eusse plus d'espoir, je continuais
cependant à manœuvrer avec beaucoup de
vigueur, ce qui n'empêchait pas que je ne
m'éloignasse toujours; enfin , vers midi, le
vent s'éleva très-favorable pour moi. J'étais
alors si loin qu'à peine pouvais -je découvrir
mon ile ; néanmoins mon courage se ra
nima , je mis à la voile ; j'eus le bonheur de
rencontrer un autre courant qui portait
vers mon île, et au bout d'une heure je re
gagnai le rivage. Je ressentis , en me retrou
vant en sureté, une joie plus vive qu'il n'est
possible de l'exprimer ; je remerciai Dieu de
tout mon coeur ; je placai mon canot dans
une petite baie , à quelque distance , et je
me mis en route pour ma maison de cam
payne . Je sautai la haie et je me couchai à
l'ombre , où je m'endormis , car j'étais d'une
lassitude extraordinaire . Quelle fut ma sur
prise en m'éveillant d'entendre une voix qui
répétait : Robinson , Robinson Crusoe , où
avez-vous été , pauvre Robinson Crusoe' ?
G 80

J'en fus d'abord tout épouvanté , mais j'a


perçus bientôt mon perroquet perché sur la
haie, qui était venu là comme pour célébrer
mon retour .

69696840966000064873666847049649648784066040764789**92

CHAPITRE XXIII .

Robinson forme un troupeau de chèvres et une


laiterie.

J'AVAIS assez de mes essais et de mes


excursions je restai plus d'un an parfai
tement tranquille . Pendant ce temps-là je
me perfectionnai beaucoup dans les arts
mécaniques . Je devins un excellent maître
potier, donnant à mes vaisselles des formes
de plus en plus commodes . Je trouva¡ mème
moyen de faire une pipe, et rien au monde
ne me causa une pareille joie et une si
grande vanité.
81

Je fis aussi beaucoup de progrès dans la


vannerie je m'étais fait de vastes et pro
fondes corbeilles , qui me servaient à trans
porter mes viandes de chèvre ou de bouc ,
à serrer mes œufs de tortue , à renfermer
mon grain .
Ma poudre commençait à diminuer , et
comment sans elle me procurer des vivres ?
Je nourrissais depuis huit ans ma chèvre,
dans l'espoir de former un troupeau ; mais
je n'avais pas encore pu réussir à en attra
per d'autres. Je tendis d'abord des filets ,
mais ils étaient trop faibles : je les trouvais
rompus et mangés . J'essayai des trébuchets ;
je fis plusieurs creux dans les endroits où
les chèvres avaient coutume de paître , je
couvris ces creux de claies , que je chargeai
de terre en y parsemant des épis de riz et
de blé. D'abord les chèvres venaient manger
mes grains , s'enfonçaient même un peu ;
mais elles trouvaient moyen de s'échapper;
à la fin je perfectionnai si bien mes trappes ,
qu'un matin je trouvai dans l'une un vieux
bouc d'une grandeur extraordinaire , et dans
l'autre trois chevreaux , l'un mâle et les
deux autres femelles .
5.
82 -

Je lâchai le vieux boue ; mais j'attachai


mes trois chevreaux et je les amenai chez
moi, non sans beaucoup de difficulté. Ils ne
voulurent d'abord pas manger; mais, quand
ils eurent jeûné pendant quelque temps, ils
se laissèrent tenter par le bon grain , et
commencèrent à s'apprivoiser.
Il fallul ensuite songer à les enfermer
dans une espèce de terrain entouré de haies,
afin qu'ils ne pussent pas se saụver , el que
les chèvres sauvages ne vinssent pas s'y
mêler. C'était une grandeentreprise pour
un seul homme ; mais c'était absolument
nécessaire. Je choisis pour mon enclos une
plaine de pâturages que traversaient deux
ou trois filets d'eau , et qui aboutissait à
de grands bois . Je lui donnai cent vingt
aunes de longueur et une largeur de deux
cents. J'y travaillai avec beaucoup de vi
gueur ; pendant ce temps-là mes chevreaux
paissaient près de moi avec des entraves
aux jambes, de peur qu'ils ne s'échappas
sent

d'orge et de riz , qu'ils venaient prendre


dans ma main. Dans l'espace d'un an et !
demi , j'eus fun troupeau de douze bêtes ,
83

boucs , chevreaux et chèvres , et deux ans


après , j'en avais quarante -trois , bien que
j'en eusse tué plusieurs pour mon usage.
Ce ne fut que plus tard que je pensai à
profiter du lait de mes chèvres : je ſus ravi
à cette idée . Je m'établis bien vite une lai
terie . Mes chèvres me donnaient souvent
huit à dix pintes de lait par jour ; je me mis
à traire, à faire du beurre, du fromage , et
je finis par réussir très- passablement.
Oh ! que la bonté de Dieu est admirable !
et comme il sait tempérer par mille dou
ceurs les plus tristes conditions !
84 L

GORGOC4006 0000000000000000006 2000 20001 100061000600000

CHAPITRE XXIV .

Robinson au milieu sa famille. - Son bizarre


équipement,

Il n'est personne qui ne se fûl diverti à


me voir dîner avec loute ma famille , à la
vue de toute ma cour , entouré de mes su
jets, sur lesquels j'avais un droit absolu de
vie et de mort.
Mon perroquet, comme le favori , avait
seul le privilége de parler ; mon chien ,
devenu vieux et un peu chagrin , était tou
jours assis à ma droite ; mes deux chats
étaient chacun à un bout de la table, allen
dant que je leur donnasse quelques légers
morceaux par une faveur spéciale.
Un jour il me prit une violente envie de
faire un voyage à la pointe de l'ile , et d'ob
server de nouveau les côles. Je m'y ache
minai dans un équipage qui , à coup sûr,
85

dans une ville d'Europe , exciterait de


grands éclats de rire ou causerait quelque
épouvante .
J'avais un chapeau d'une hauteur effroya
ble et sans forme, fait de peaux de chèvre,
et par derrière j'avais attaché la moitié
d'une peau de bouc , qui me garantissait le
cou de la pluie el du soleil .
En dessus de mes pantalons , fabriqués
d'une peau de vieux bouc , je portais une
espèce de robe courte, faite aussi de peaux
de chèvre, et qui me descendait jusqu'aux
genoux . En guise de souliers , je m'étais fait
une paire de je ne sais quoi ressemblant
un peu à des bottines , mais d'une forme
étrange et barbare comme le reste de mon
accoutrement .
A un ceinturon de la même étoffe que
mes habits, pendaient , au lieu d'une épée
et d'un sabre, une scie et une hache . J'avais
encore un autre ceinturon , moins large
que le premier, posé sur mon cou et sous
mon bras gauche; à celui-là étaient atta
chés deux sacs ; l'un pour la poudre, l'autre
pour la dragée. Sur mon dos , je portais
une corbeille ; sur mes épaules , un fusil ;
-86

et, sur ma tête , un parasol des plus comi


ques et des plus grossiers .
Quant à ma personne elle-même , elle
était passablement bizarre aussi : j'avais
laissé croître ma barbe sur la lèvre supé
rieure , de sorte que j'avais une paire de
moustaches d'une longueur et d'une forme
véritablement monstrueuses .

Arrivé à une pointe de l'île , je fus très


étonné de trouver la mer parfaitement tran
quille , et de n'apercevoir aucune trace de
ce fameux courant qui m'avait mis si fort
en danger ; après plusieurs observations
je reconnus que je devais l'attribuer au
reflux de la marée, et qu'ainsi , en choisis
sant bien mon temps , je pourrais ramener
mon canot près de ma maison ; mais le sou
venir du danger que j'avais couru me re 7
tint je me contentai de faire souvent de
petites promenades tout près des côtes ,
m'éloignant tout au plus de deux jets de
pierre.
87

CHAPITRE XXV .

Robinson aperçoit les traces d'un pied d'homme. - Sa


frayeur et ses précautions.

Un jour que j'allais à mon canot , je dé


couvris très-distinctement sur le sablé les
marques d'un pied d'homme. Je m'arrêtai
tout court, comme si j'eusse été frappé de
la foudre ou que j'eusse eu quelque appari
tion. Je regardai tout autour de moi , je
prêtai l'oreille ; mais je ne vis ni n'entendis
rien j'allai sur le rivage , je ne trouvai au
cun autre vestige d'homme.
Ne sachant que conjecturer, je revins tout
troublé à mon habitation , je regardais à
chaque pas derrière moi , et je prenais cha
que buisson pour un homme. Mon imagi
nation épouvantée prêtait à tous les objets
des figures effrayantes .
Je me précipitai dans ma forteresse: Je
88

ne pus fermer l'ail de toute la nuit . Je me


figurais par moments que c'était le diable ;
mais celte crainte insensée faisait bientôt
place à une autre plus réelle : je voyais déjà
des sauvages poussés dans l'ile par des vents
contraires, ayant découvert ma chaloupe et
vu par là que l'île était habitée, et revenant
en plus grand nombre pour piller et détruire
tous mes établissements . Je me voyais tombé
entre leurs mains, égorgé et servant à leurs
cruels festins .
Au milieu de ces désolantes pensées , je
ne savais quel parti prendre. L'ombre d'une
créature humaine, un seul de ses vestiges
me causait les plus mortelles frayeurs, à moi
qui, quelques jours auparavant, regrettais
si amèrement d'être séparé de toute société,
et à qui la vue d'un homme aurait paru une
espèce derésurrection . Je me calmai pour
tant peu à peu , et il me vint tout-à-coup
dans l'idée que peut-être bien j'avais déjà
passé moi-même par ce chemin, et que ce
pouvaient bien être mes propres vestiges
qui m'eussent effrayé. Là-dessus je repris
courage , et je me décidai à sortir de ma
retraite, car il y avait trois jours que je
89

n'avais bougé ; je n'avais plus d'eau , et je


pensais d'ailleurs que mes chèvres avaient
grand besoin d'être traites : en effet , les
pauvres bêtes avaientbeaucoup souffert.
Je m'acheminai de là tout tremblant vers
l'endroit en question ; mais je trouvai le
vestige plus grand que mon pied , de sorte
que je revins chez moi plus effrayé encore,
et lout frissonnant comme si j'avais eu la
fièvre. Les sauvages n'y font cependant, me
disais -je, que des courses fort rares, puisque
depuis quinze ans je n'en ai pas aperçu ;
l'ile est riante et fertile , il n'est pas étonnant
qu'elle soit visitée;en me retranchant encore
plus, mon habitation est si cachée, peut-êlre
resterai-je tranquille . Je me mis à faire une
nouvellepalissade àquelque distance de mon
>
rempart, que je rendis épais de plus de dix
pieds à force d'y apporler de la terre. J'y
fis cinq ouvertures assez larges pour y pas
ser le bras , et je plaçai là cinq mousquels
en guise de canons sur des espèces d'affûts,
de sorte que je pouvais faire feu de toute
mon artillerie en deux minutes de temps.
Je plantai un peu plus loin un espace assez
considérable de rejetons d'un bois semblable
90

à celui de l'osier. Comme célte espèce dé


bois croît très -vite , au bout de six années
ils formaient une forêt impénétrable, et âme
qui vive n'aurait pu imaginer qu'elle cachât
l'habitation d'une créature humaine .
Je m'attachai en même temps à mettre
mon troupeau hors d'insulte. Pour cela , je
fis deux ou trois enclos, éloignés les uns des
autres, au milieu de bois bien fourrés , où
je plaçai cinq ou six chèvres , afin que , si
l'un venail à être découvert , j'eusse toujours
une ressource .
Je recourais volontiers à la prière ; mais
j'éprouvais que l'inquiétude et l'agitation
nous rendent souvent incapables de bien
prier, comme une maladie qui nous allerre
sur le lit de mort nous laisse peu disposés à
une véritable repentance.
CCM 91

CHAPITRE XXVI .

Robinson trouve les débris d'un festin de cannibales.

Le seul vestige d'un pied d'homme m'a


vait coûté un travail excessif ; depuis deux
ans je vivais dans des transes continuelles,
lorsqu'unjour, ayant poussé ma promenade
plus loin qu'à l'ordinaire , et d'un côté du
rivage où je n'avais jamais été , je fus saisi
d'une horreur inexprimable en voyant épars
sur la terre , des crânes , des mains , des pieds
et d'autres ossements d'hommes ; près de là
étaient les restes d'un feu et un banc creusé
dans la terre en forme de cercle , où sans
doute ces abominables sauvages s'étaient
placés pour faire leur affreux repas . Je m'é
loignai précipitamment , puis je m'arrêtai
tout-à-coup , mon sang était glacé dans mes
veines ; quand je revins un peu à moi , je
remerciai Dieu du fond de mon cœur de
92 ◄

m'avoir dirigé plutôt de l'autre côté de l'île


que de celui- ci , et je rentrai chez moi plus
tranquille , car je remarquai que ces anthro
pophages ne venaient pas pour se mettre en
possession de quelque chose , mais seulement
pour faire leurs festins . J'avais passé déjà
dix-huit ans sans qu'ils m'eussent jamais dé
couvert, je pouvais encore espérer le même
bonheur.
Cependant cette affreuse découverte me
rendit fort mélancolique ; j'eus beaucoup de
peine à reprendre ma vie ordinaire .
Je n'osais plus tirer de coups de fusil , et
c'était avec toute l'inquiétude possible que
je me hasardais à allumer du feu ; je crai
gnais que la fumée ne me trahît . Je me mis
à faire du charbon , afin d'éviter à l'avenir
la fumée du bois , quand j'aurais à cuire
mon pain ou à préparer mes autres mets .

93
1
CHAPITRE XXVII .

Il découvre une nouvelle grotte .

COMME un jour je coupais pour cela de


grandes branches d'arbres dans mon habita
tion des bois , j'aperçus derrière un grand
rocher l'entrée d'une caverne . Poussé par la
curiosité , j'y entrai ; mais j'avoue que j'en
sortis avec toute la précipitation imagina
ble ; car j'avais aperçu dans l'obscurité deux
grands yeux brillants comme des étoiles .
J'eus pourtant honte de ma faiblesse , et ,
me saisissant d'un tison enflammé , je ren
trai brusquement dans l'antre. A peine eus-je
fait trois pas que ma frayeur redoubla : j'en
tendis un grand soupir , puis des sons sem
blables à des paroles mal articulées , suivis
d'un soupir encore plus effrayant . Une sueur
froide m'inonda le visage , mes cheveux se
94

dressèrent sur ma tête; je meranimai ce


pendant par la pensée que Dieu pouvait me
protéger là comme en tant d'autres rencon
tres ; et en avançant eneore un peu, je dé
couvris une vieille chèvre d'une grandeur
extraordinaire , couchée à terre , près de
mourir de vieillesse. Je fus alors pleinement
tranquillisé , et je remis au lendemain une
plus complète inspection de la caverne. En
effet , j'y revins ,muni de chandelles faites
de graisse de bouc, et de pierres à fusil. Il y
avait dans cette caverne une autre ouvera
lure, mais dont l'entrée était si basse , qu'il
me fallut d'abord ramper l'espace de dix
aunes à peu près . Je me trouvai ensuite
fort au large, sous une voûtede vingt pieds
de haut . La lumière des deux chandelles
que j'y avais allumées était réfléchie de mille
manières par les murailles d'alentour ; je ne
savais ce qui les rendait aussi brillantes, et si
c'étaient des diamants , ou d'autres pierres
précieuses, ou de l'or.
Cette grotte était charmante, le fond uni
et sec , couvert d'un gravier fin ; aucune
vapeur , aucune humidité ne paraissait sur
95

les murailles, et on n'y voyait aucune trace


d'animaux venimeux ; le seul désagrément,
c'était la difficulté de l'entrée : mais cela
même faisait sa sûreté . Charmé de cette
nouvelle découverte, j'y portai tout ce qui
m'était le plus précieux , et surtout mes
munitions et mes armes de réserve .

GOOGOC00169000S000600000000000000600000.0906 @ 0966 000

CHAPITRE XXVIII .

Les sauvages abordent dans l'ile pour y faire un


festin .

J'étais alors dans la vingt - troisième


année de ma résidence dans l'île, et j'étais
tellement accoutumé à mon genre de vie ,
que je ne demandais pas mieux que d'y
passer le reste de mes jours , entouré de
tout ce qui m'était nécessaire et utile , je
dirai même agréable; car je trouvais quel
96

que amusement dans la société de mon


chien et de mon perroquet , et enfin je me
résignais à mourir dans ma grotte : j'étais
heureux pourvu que les sauvages ne vins
sent pas troubler ma tranquillité, mais le
ciel en avait décidé autrement .
Un jour du mois de décembre , temps
ordinaire de ma moisson , je fus lout sur
pris , au lever du soleil , d'apercevoir une
grande lumière sur le rivage, à une demi
lieue de moi.Je vis avec la plus grande afflic
tion que les sauvages avaient abordé de mon
côté . Je me relirai vite dans mon château et
me préparai à la défense , chargeant toute
mon artillerie . J'attendis deux heures ; mais
enfin ne pouvant plus supporter cet état
d'anxiété et d'incertitude, je montai sur le
haut d'un rocher où , m'étant mis ventre à
terre, je vis , à l'aide de ma lunelte d'appro
che, neuf sauvages rangés autour d'un petit
feu : ils paraissaient attendre le reflux pour
s'en retourner; car aussitôt ils mon érent
dans leurs canots , après avoir dansé , el fi
rent force de rames .
Je pris mes armes alors, et j'arrivai sur
97

le rivage. Les marques de leur férocité y


étaient restées comme la première fois; j'en
conçus une telle indignation , que je ne
rêvais plus que destruction et carnage. Il se
passa cependant quinze mois avant que je
revisse aucun vestige de ces cannibales.

GoG i trosobanoagooo00000000000000000000000000000

CHAPITRE XXIX.

Naufrage d'un vaisseau espagnol près de l'île. »

Vers le milieu du mois de mai , il s'é


leva une épouvantable tempète pendant la
nuit ; je crus entendre un coup de canon
tiré en mer : aussitôl je gagne mon rocher .
A l'instant même, je vois une lumière; puis
un second coup frappe mon oreille . Jugeant
que ce devait être quelque batiment en
danger, j'alluinai un grand feu au haut de
la colline. Un troisième coup de canon et
ensuite plusieurs autres se firent entendre
6
98

venant tous du même point. J'entretins mon


feu toute la nuit . A la pointe du jour, je
courus de ce côté, et j'aperçus avec dou
leur le corps d'un vaisseau qui s'était brisé
dans la nuit sur des rocs. Rien ne peut ex
primer le désir immense que j'avais qu'un
homme au moins se fût sauvé. Jamais l'iso
lement ne m'avait paru si pénible.
Quelques jours après, la mer apporta
surlerivage le corps d'un jeune mousse.
Que n'aurais-je pas donné pour le rappeler
à la vie !
La mer était devenue calme : je mourais
d'envie de visiter le vaisseau . Enhardi par
les observations que j'avais faites depuis ma
première expédition sur le flux et le reflux ,
je me hasardai, et, en moins de deux heu
res, j'arrivai au vaisseau .
C'était un bien triste spectacle: Ce vais
seau , qui paraissait de structure espagnole,
était comme cloué entre deux rocs , et en
grande partie fracassé. Dans l'intérieur du
bâtiment deux hommes noyés se tenaient
embrassés l'un l'autre; il n'y avait rien de
vivant, excepté un petit chien exténué de
faim , que je pris avec moi. Je mis dans ma
99 Hallo

chaloupe plusieurs coffres et un petit ton


neau rempli d'une vingtaine de pots , plu
sieurs fusils , un grand cornet de plomb ,
une pelle , des pincettes , un chaudron , une
chocolatière , et je revins à mon île , ramené
par la marée. Je portai ce nouveau butin à
ma grotte. Les coffres contenaient quelques
habits , du linge et une assez forte somme
d'argent .

CHAPITRE XXX .

Robinson sauve Vendredi.

Je repris ma vie accoutumée , mais je rou


lais sans cesse dans mon esprit les moyens de
me tirer de l'île , ou tout au moins d'y avoir
un compagnon . Mon désir devint si violent,
que je résolus de m'emparer de quelque
sauvage à tout prix ; chaque jour j'allais à
100

la découverte , et je désirais maintenant ,


aussi ardemment que je l'avais craint , de
rencontrer des cannibales .
J'avais été dix -huit mois sans rien aper
cevoir, lorsqu'un matin je vis sur le rivage
six canots dont les sauvages étaient descen
dus à terre . Ce nombre dérangeait toutes
mes mesures , car ils étaient ordinairement
cinq ou six dans chaque barque , et quelle
possibilité pour un seul homme d'en venir
aux mains avec une trentaine !
Cependant, après quelques moments d'in
décision , je préparai tout pour le combat ,
et je me plaçai au haut du rocher , de ma
nière à ce que ma tête ne passåt pas le som
met de mon échelle.
Ils étaient trente au moins , et dansaient
autour d'un grand feu , avec mille gestes bi
zarres . Une minute après , ils tirèrent deux
misérables d'une barque : le premier tomba
aussitôt assommé, deux ou trois de ces bour
reaux se jetèrent sur lui , lui ouvrirent le
corps , et préparèrent les morceaux pour
leur infernale cuisine. Pendant ce temps - là ,
l'autre malheureux , se trouvant un peu
plus de liberté, conçut l'espoir de se sauver,
- 101

et se mit à courir avec toute la vitesse ima


ginable du côté du rivage qui menait à mon
habitation .
Je fus d'abord terriblement effrayé ; mais
je vis bientôt qu'il n'était suivi que par
trois hommes , et qu'il gagnait beaucoup de
terrain sur eux . Entre lui et mon habitation
se trouvait une petite baie : il ne s'en mit
pas en peine, et, quoique la marée fût très
haute , il gagna le bord dans une trentaine
d'élans tout au plus , et se remit à courir avec
la même force . Ses ennemis , au contraire ,
s'arrêtèrent ; l'un d'eux s'en retourna tout
à-fait , et les deux autres mirent à passer
cette eau , le double du temps qu'y avait
employé leur prisonnier.
Je fus alors pleinement convaincu que le
ciel m'appelait à sauver la vie de ce mal
heureux . Je descendis précipitamment du
rocher, je pris mes fusils et je me jetai entre
les poursuivants et le poursuivi , en tâchant
par mes cris et mes signes , de lui faire com
prendre de s'arrêter ; mais je crois qu'il avait
d'abord aussi peur de moi que d'eux . Cepen
dant je me jetai brusquement sur le premier
et je l'assommai d'un coup de crosse ; le se
6
102

cond s'arrêta tout court ; il était armé d'un


arc qu'il préparait déjà, mais je tirai sur lui
et il tomba mort du premier coup. Le pauvre
fuyard , quoiqu'il vît ses deux ennemis hors
de combat , était tellement épouvanté du feu
et du bruit , qu'il restait sans bouger , et
son air effaré témoignait beaucoup plus
d'envie de s'enfuir encore, que de s'appro
cher. Je lui faisais mille signesgracieux, et
enfin, après beaucoup d'hésitation , il se ha
sarda à venir, en se mettant à genoux à
chaque dix ou douze pas , pour me témoi
gner sa reconnaissance. Arrivé près de moi,
il se jela à mes genoux , baisa la terre , et
puis , prenant un de mes pieds , il le posa
sur sa tête, sans doute pour me rendre hom
mage en qualité d'esclave , et me jurer fidé
lité . Je le relevai en le caressant pour l'en
courager ; mais l'affaire n'était pas encore
finie , car le premier sauvage n'avait été
qu'étourdi. Jele fis remarquer à mon es
elave; là-dessus , il prononça quelques mots
qui , quoique je ne les comprisse pas, ne
laissaient pas de me charmer , comme le
premier sond'une voix humaine qui frappât
mon oreille depuis vingt-cinq ans. Il me fit
103 -
signe de lui prêtér mon sabre, et il trancha
la tête de son ennemi d'un seul coup.
Après cette expédition , il revint vers moi
en riant et en sautant beaucoup pour célébrer
son triomphe.
Je l'emmenai ensuite avec moi dans ma
grotte; là, je lui donnai du pain , une grappe
de raisin et surtout de l'eau ; car la fatigue
de sa longue et rapide course , l'avait fort
altéré. Je lui fis signe d'aller dormir, en lui
montrant un tas de paille de riz avec une
couverture qui me servait souvent de lit à
moi- même.
104

0000000000-00-00 DOGGOOOCocooGespao000

CHAPITRE XXXI .

Éducation de Vendredi.

Mon nouveau compagnon était un grand


garçon de vingt-cinq ans à peu près , par
faitement bien fait.Ses membres annonçaient
de la force et de l'adresse ; son air était
mâle , sans mélange de férocité ; il avait
le sourire doux et agréable ; ses cheveux
étaient longs et noirs, son front élevé, ses
yeux brillants et pleins de feu , sa bouche
fort belle et ses dents parfaitement rangées
et blanches comme de l'ivoire .
Après avoir sommeillé une demi- heure,
il sortit de la grotte pour me rejoindre ,
car, dans cet intervalle , j'avais été traire mes
chèvres qui étaient tout près de là ; il renou
vela ses premières cérémonies , et me fit
entendre , par lous les gestes imaginables ,
105

son désir de s'assujettir à moi pour toujours .


Je fis de mon mieux pour lui faire entendre
à mon tour, que j'étais content de lui ; je lui
donnai du lait dans un pot de terre après y
avoir d'abord trempé mon pain , et ilme fit
signe qu'il le trouvait excellent.
Je commençai bientôt à lui parler : je lui
enseignai d'abord qu'il se nommait Ven
dredi, nom que je lui avais donné en mé
moire du jour où il était tombé en mon
pouvoir. Il apprit bien vite à me dire mon
maitre , et à répondre à propos oni ou non .
Il parut fort réjoui de la promesse que
je lui fis, de lui donner des habits , car il
'était absolument nu. En passant par l'en
droit où nous avions enterré les deux sau
vages , il me fit signe qu'il fallait les dé
terrer et les manger. Là-dessusje pris le ton
d'un homme fort en colère ; je fis comme si
j'allais vomir ; je lui ordonnai de se retirer
un moment ; il le fit avec beaucoup de sou-
mission .
Nous descendimes ensuite au lieu du fes
tin : il était couvert d'ossements et de chair
à moitié mangée, enfin detoutes les affreuses
marques d'unrepasde triomphe. J'étais saisi
106

d'horreur. Vendredi me fit entendre, par ses


signes , qu'ils avaient mangé trois prison
niers , et que lui- même devait être le qua
trième ; qu'il y avait eu une grande bataille
entre eux etle roi dont il était sujet, et qu'il
y avait eu beaucoup de prisonniers de part
et d'autre, destinés tous au même sort que
æux dont je voyais les restes .
Je dis à Vendredi de ramasser tous ces
restes el d'allumer un grand feu qui les ré
duisît en cendres . Je vis bien que son esto
mac était avide de cette chair ; mais je lui
marquai tant d'horreur pour un appétit si
dénaturé, qu'il n'osa pasle manifester.
Revenu à mon château , je m'occupai des
habits de Vendredi. Je lui donnai une cu
lotte de toile, une veste de peau de chèvre
et un bonnet de peau de bouc , que je lui
fabriquai avec assez d'adresse. Il était charmé
de se voirpresque aussi bien que son maître ,,
et il ne fut pas longtemps à se faire à son
costume .
Quand nous eûmes vécu trois ou quatre
jours ensemble , je voulus le dégoûter de
son appélit de cannibale en lui faisant man
ger de la viande. Je l'emmenai à mon en
107

clos, et je fis feu sur un chevreau. Mon pau


vre Vendredi , qui m'avait vu terrasser de
loin un de ses ennemis , sans comprendre
comment , tremblait comme une feuille à
ce nouveau prodige , et il ouvrit prompte
ment sa veste pour examiner s'il n'était point
blessé : il vint ensuite se jeter à mes ge
noux , en me tenant un long discours ou je
ne compris rien , sinon qu'il me suppliait de
ne pas le tuer . Je le rassurai et je l'envoyai
ramasser le chevreau . Pendant ce temps-là
je rechargeai mon fusil et je tirai un perro
quet. De sorte que mon sauvage ne m'ayant
rien vu remettre dedans , le regardait comme
une source inépuisable de destruction , et je
crois qu'il aurait adoré moi et mon fusil, si
je l'eusse laissé faire.
Le même soir , j'écorchai le chevreau , je
le coupai en pièces , et j'en fis bouillir une
partie . Je donnaiun morceau de cette viande
bouillie à Vendredi , et il la trouva très
bonne . Lejoursuivant, je le régalai d'un plat
de rôti . J'attachai mon morceau de chevreau
à une corde , et je le faisais continuellement
tourner devant le feu . Dès que Vendredi en
eut goûté , il fit mille grimaces pour me
108

dire qu'il le trouvait excellent et qu'il ne


mangerait plus de chair humaine.
Comme j'avais maintenant deux bouches
à nourrir, je choisis un champ plus étendu
et je me mis à l'enclore avec Vendredi, qui
marda avec tout le zèle possible . Je tâchais
en même temps de lui apprendre à parler :
c'était le meilleur écolier du monde . Il était
si gai et si heureux quand nous parvenions à
nous comprendre, que je trouvais un plaisir
extrême à nos conversations. Il avait pour
moi toute la tendresse possible , et moi je
l'aiinais aussi avec passion .
109

2006 GOODOHSA6000000000000000000060066GGUOGOGG366GOO

CHAPITRE XXXII .

Entretiens de Robinson et de Vendredi.

Un jour je voulus savoir s'il regrettait sa


patrie ; et , comme il commençait à être en
état de me répondre, je lui demandai si
sa nation n'était jamais victorieuse dans les
combats. Se meltant à sourire : Oui , me
dit-il , nous toujours combattre le meilleur.
Moi. D'où vient donc que tu as été fail
prisonnier ?
Vendredi. Ma nation pour combattre .
beaucoup
Moi. Mais comment as-tu donc été pris ?
Vendredi. Eux beaucoup plus que ma
nation où moi être. Eux prendre un, deux ,
trois et moi . Ma nalion battre eux dans
l'autre place où moi n'être pas : là ma na
tion prendre un , deux grands mille.
7
110

Moi. Pourquoi les tiens ne t'ont-ils pas


repris sur les ennemis ?
Vendredi. Eux porter un , deux, trois
et moi dans le canot ; ma nation n'avoir
point canot alors.
Moi. Eh bien ! Vendredi, que fait ta na
tion de ses prisonniers ? Les mange-t-elle?
Vendredi. Oui , ma nation aussimanger
hommes, manger tout-à-fait.
Moi. Où les mène-t-elle ?
Vendredi. Les mener partout où trouver
bon .
Moi. Les mène-t-elle quelquefois ici ?
Vendredi. Oui , ici ei beaucoup autres
places.
Moi. Etes-vous venus ici ?
Vendredi. Oui , moi venir ici , dit- il en
montrant du doigt le nord-ouest de l'île.
Quelque temps après , étant allé avec lui
de ce côté -là , il reconnut l'endroit où ils
étaient venus faire autrefois un grand festin,
et me dit qu'il avait aidé à manger vingt
hommes, deux femmes et un enfant . Il ne
savait pas compter jusqu'à vingt ; mais il
mit autant
compde pierres sur le sable et me pria
de les ter.
111

Je lui fis mille questions sur le continent,


sur les côtes , sur la mer, sur les peuples
voisins ; il me donnait tous les renseigne
ments qu'il pouvait : il me dit aussi que, bien
loin derrière la lune , vers le couchant de la
lune, c'est-à-dire à l'ouest de son pays, il y
avait des hommes blancs et barbus comme
moi.
Je lui demandai là -dessus comment je
pourrais faire pour aller trouver ces hommes
blancs , et il m'assura que ce serait très
possible en deux canots , c'est-à - dire dans
un canot grand comme deux .
Tout cela me donna quelque espoir, et
me fit penser qu'un jour, avec le secours
de mon fidèle Vendredi , je sortirais de
mon île.
Je ne négligeais pas dans nos conversa
tions de poser dans son âme les principes
de la religion chrétienne. Un jour, entre
autres , je lui demandai qui avait fait le ciel ,
la terre et la mer : il me répondit que c'était
un vieillard nommé Bonakmucké, très-âgé,
plus âgé que la lune et les étoiles ; que toutes
les créatures lui disaient : O ! et que c'était
chez lui qu'on allait après la mort .
112

Je pris de là occasion de l'instruire dans


la connaissance du vrai Dieu , créateur de
toutes choses. Il m'écoutait avec altention ,
et paraissail recevoir avec beaucoup de plai
sir les notions que je lui donnais sur Jésus
Christ venu dans le monde pour nous sau
ver, et sur la manière de prier Dieu , qui
entend tout ce que nous lui disons , quoi
qu'il soit dans le ciel.
Oh ! me dit- il un jour, puisque volie
Dieu , qui demeure plus haul que le soleil ,
entend tout ce que vous lui dites , il est bien
plus grand quele nôire, qui ne peut nous
entendre que si nous allons lui parler sur
la montagne où il demeure. Peu à peu son
caur s'ouvrit aux vérités saintes de la reli
gion. Je conjurais Dieu de suppléer à loul
ce qui me manquait pour le bien instruire ;
car jusque-là je m'élais moi-même bien peu
occupé de toutes ces choses .
―― 113 -

CHAPITRE XXXIII.

Projets de voyage.

JE passai ainsi trois ans aussi heureux


qu'on peut l'être en ce monde. Mon cher
sauvage était maintenant en état de conver
ser avec moi. Je lui racontai mes aventures
et la manière dont j'avais vécu dans l'île ; je
l'initiai dans le mystère des armes à feu ; je
le mis de moitié dans toute ma vie .
Je lui avais fait remarquer les restes de
la chaloupe du vaisseau ; après l'avoir exa
minée , il dit : Moi avoir vu une pareille
chez ma nation . Puis il me fit comprendre,
en comptant sur ses doigts , que dix -sept
hommes blancs avaient été jetés sur leurs
côtes , et qu'ils y demeuraient depuis quatre
ans ; et, comme je paraissais étonné qu'ils
n'eussent pas été mangés : Oh ! non , me
114 -

dit-il , eux frères avec nous; nous ne manger


hommes que quand la guerre fait battre .
Longtemps après , comme le jour était
parfaitement serein , Vendredi aperçut, du
haut de la colline , le continentde l'Afrique.
Il se mit à sauter, à gambader, en criant
de loutes ses forces : 0 joie ! ô plaisant ! là
voir mon pays ; là voir ma nation . Cette
grande joie me fit peur : je craignais qu'il
ne voulût me quilter ; je luidemandai s'il
voulait retourner dans sa patrie , redevenir
sauvage , et manger des hommes. Il parut
très -chagrin à cette question , et me répon
dit en braplant la tête : Oh ! non , Vendredi
leur conter vivre bons , prier Dieu , manger
pain de blé , lait , chair de bête, non plus
manger hommes; mais bien content si vous
avec moi : non Vendredi là et point maitre
là .
Pour bien m'assurer de sa pensée à cet
égard, je fis semblant de le vouloir ren
voyer en effet dans son pays tout seul ; mais
il en fut désespéré , et prenant une hache,
il me la presenta en disant : Vous prendre,
vous tuer Vendredi; non envoyer Vendredi
chez sa nation . Il avait les yeux pleins de
115

larmes , et prononçait ces mots d'une ma


nière si touchante , que je fus alors pleine
ment convaincu de toute sa tendresse pour
moi : je lui promis de ne jamais le renvoyer
contre son gré.
Je formai la résolution de hasarder le
passage au continent et de rejoindre les
hommes barbus ; j'espérais de là trouver
moyen de regagner ma patrie ; nous nous
mîmes donc à l'ouvrage , Vendredi et moi.
Il s'y prit fort adroitement pour m'aider à
creuser le canot . Au bout d'un mois de rude
travail , notre barque était achevée. Il nous
fallut ensuite une quinzaine pour la mettre
à l'eau, en la conduisant pouce à pouce au
moyen de quelques rouleaux .
Je vins à bout d'y ajouter un mât , une
voile triangulaire quenousappelons en An
gleterre une épaule de mouton , une ancre
et un câble. J'y adaptai aussi un gouver
nail, qui me coûta autant de peine que toute
la barque. 19
14
VO216150
DE

!
116

CHAPITRE XXXIV.

Vendredi délivre son père.

PENDANT près de trois mois de suite , je


m'occupai à préparer voiles, mâts, gouver
nail , etc.; j'enseignai à Vendredi la ma
nœuvre , et il devint en peu de temps un
habile matelot. Tout était prêt pour notre
expédition , lorsqu'un matin je vis arriver
Vendredi tout effaré : il vola par- dessus le
retranchement extérieur, comme si ses pieds
n'eussent pas touché à terre, et il se mit à
crier : O maitre ! ô douleur ! ô mauvais ! là
bas , un , deux , trois canots .
Le pauvre garçon était plus mort que vif,
et il s'imaginait que les sauvages étaient
venus tout exprès pour le mettre en pièces
et le dévorer. Je m'efforçai de le ranimer ,
et je lui promis de risquer ma vie pour sau
ver la sienne , s'il voulait m'en promettre
autant et suivre exactement mes ordres .
- 117 --

Moi, répondit-il , mourir quand mon maître


ordonne mourir. Là-dessus je lui fis boire
un coup de rhum pour lui fortifier le cœur.
Je partageai entre nous les armes à feu , je
mis à mon côté mon grand sabre tout nu ,
et Vendredi prit sa hache.
Préparés de cette manière , nous monta
mes sur la colline , d'où nous aperçumes
nos ennemis , au nombre de vingt-trois ,
ayant avec eux trois prisonniers.
Ils avaient débarqué fort près de ma pe
tite baie. Un bois épais , placé entre eux et
nous, permettait d'approcher à portée de
fusil , sans qu'ils nous aperçussent . Nous
avançâmes dans le plus grand silence jusqu'à
ce que nous fûmes assez près pour les voir
distinctement autour de leur feu " se re
paître de la chair des prisonniers . A quel
ques pas de là , un autre , garrotté et étendu
sur le sable , allait bientôt subir le même
sort ; celui-là était un blanc , un homme
barbu , comme disait Vendredi , un de ceux
qui s'étaient sauvés dans leur pays.
Je vis qu'il n'y avait pas un instant à
perdre. Deux de ces barbares s'étaient dé
tachés pour expédier le pauvre chrétien : ils
7.
118

lui déliaient déjà les pieds , lorsque je dis


à Vendredi : Allons , fais maintenant tout
ce que tu me verras faire; puis , prenant nos
mousquets, nous fimes feu en même temps .
Vendredi visait si juste qu'il en tua deux et
en blessa trois ; j'en tuai un et j'en blessai
deux . Tous les autres se levèrent précipitam
ment dans une horrible consternation , sans
savoir de quel côté tourner leurs pas . En
même temps nous tirâmes chacun notre fu
sil : il n'en tomba que deux, mais beaucoup
furent blessés . Alors nous sortîmes du bois :
je courus vers l'homme qui avait failli être
égorgé, tandis que Vendredi se dirigeait vers
un des canots où deux ou trois sauvages s'é
taient réfugiés .
Je coupai les liens du pauvre prisonnier,
et je lui demandai qui il était . Il me répon
dit : Christianus. Il semblait à demi mort ,
je le ranimai avec un peu de liqueur ; puis ,
reconnaissant qu'il était Espagnol : Segnor,
lui dis -je , s'il vous reste quelques forces ,
prenez ce pistolet et cette épée , et faites-en
bon usage . Ces armes parurent lui rendre
toute sa vigueur : il courut avec fureur sur
ses ennemis et en dépêcha plusieurs à coups
- 119

de sabre. Vendredi poursuivait les autres


avec sa hache , si bien que , sur vingt - un ,
quatre seulement nous échapperent , qui
avaient pu regagner leur canot . Ils faisaient
force de rames pour s'éloigner de nous ;
nous voulions les attaquer ; mais je fus bien
surpris , en montant dans une de leurs bar
ques , d'y trouver un troisième prisonnier ,
garrotté comme l'avait été l'Espagnol , et à
qui il restait à peine un souffle de vie ; je
commençai par le délier ; mais il poussait
des cris lamentables , s'imaginant que j'al
Jais lui ôter la vie. Je lui envoyai Vendredi
avec un verre de rhum. Dès qu'il l'eut re
gardé , il se mit à l'embrasser, à pleurer, à
rire, à sauter il avait reconnu son père . Il
accourut pour me le dire, puis il se hâta de
retourner sur ses pas . Il m'est impossible de
peindre toutes les tendres extravagances aux
quelles il se livra à la vue de son père sauvé
d'entre les mains des bourreaux . Tantôt il
entrait dans le canot , tantôt il en sortait ,
puis il y rentrait de nouveau , et s'asseyait
auprès de son père ; pour le réchauffer, il
lui tenait la tête serrée contre sa poitrine
pendant des demi-heures entières ; ensuite
- 120

il lui prenait les mains et les pieds , tout


engourdis par la force avec laquelle ils
avaient été attachés , et tâchait de les amollir,
en les frottant. Quant aux canots que nous
avions voulu poursuivre , ils étaient main
tenant hors de notre vue : il s'éleva deux
heures après un vent impétueux qui proba
blement ne leur permit pas de regagner
leurs côtes .
J'appelai Vendredi , qui était encore près
de son père , et je lui donnai pour ce bon
vieillard un gâteau d'orge et une poignée
de raisins secs ; j'en donnai autant à l'Espa
gnol , et je lui fis aussi frotter les jambes
par Vendredi il le faisait avec zèle ; mais
souvent il se retournait du côté de son père,
comme pour s'assurer s'il était toujours là ,
et comment il se trouvait .
― 121 --

CHAPITRE XXXV.

Établissement des nouveaux habitants.

Il s'agissait d'amener chez moi mes nou


veaux compagnons . Vendredi , aussi robuste
qu'agile , chargea l'Espagnol sur ses épaules
et le plaça dans le canot à côté de son père ;
puis, lançant la barque à l'eau , il l'emmena
en un clin d'oeil dans ma baie.
Il n'était pas facile de les faire sortir de
cette barque , car ni l'un ni l'autre ne pou
vait marcher je fis pour cela une espèce
de brancard , sur lequel nous les posâmes ;
mais quand nous fùmes arrivés à notre re
tranchement extérieur , il s'éleva une nou
velle difficulté : comment les faire passer
par-dessus ?
Je pris le parti de leur dresser, le plus
vite possible , une petite tente couverte de
122

ramée et de vieilles voiles , et je leur fis là


deux lits avec quelques bottes de paille e!
une bonne couverture .
Dès
que mes bòtes furent logés , je son
geai à rétablir leurs forces par un bon
repas . Je luai un chevreau d'un an , je fis
un excellent bouillon , et j'accommodai un
très-bon plat de viande avec de l'orge et
du riz.
Mes hôtes ainsi restaurés, nous commen
çames à entrer en conversation . Le père de
Vendredi m’assurait que je serais parfaite
ment reçu dans son pays. D'un autre côté ,
l'Espagnol me parlait de ses dix -huit com
pagnons , dénués de tout sur une terre
sauvage , et me demandait si je voudrais
bien les faire venir dans l'ile , étant alors
en nombre , nous pourrions organiser un
bâtiment capable de nous conduire en pays
civilisé. J'y consentis à condition qu'il leur
ferait promettre à tous de me reconnaître
pour leur commandant, jusqu'à ce que nous
fussions arrivés à tel pays chrétien que je
désignerais . Néanmoins je résolus de diffé
rer de cinq ou six mois l'exécution de ce
grand dessein , et d'employer ce temps à aug
123

menter nos provisions ; car elles auraient


étébien loindepouvoir suffire àvingt hommes
de plus . Nous nous mîmes donc tous quatre
à défricher un espace de terrain assez grand
pour qu'on pût y semer vingt-deux bois
seaux d'orge et seize jarres de riz .
J'employai ensuite Vendredi et son père ,
sous la direction de l'Espagnol , à la char
penterie: ils me firent une douzaine de bonnes
planches de chêne , d'à peu près deux pieds
de large, trente- cinq pieds de long , et de
deux à quatre pouces d'épaisseur. C'étaient
déjà d'excellents matériaux pour la cons
truction d'un bâtiment.
Je songeai en même temps à augmenter
mes troupeaux : nous parvînmes à attraper
vingt-deux chevreaux ; outre cela , je fis sé
cher une quantité énorme de raisin.
La récolte fut assez bonne pour que nous
pussions nourrir les nouveaux hôtes que nous
attendions .
Tous nos préparatifs étant faits , mon Es
pagnol s'embarqua , avec le père de Vendredi ,
dans ce même canot qui les avait amenés dans
l'ile pour y être mangés. Je les munis de tout
ce qui pouvait leur être utile, et nous con
- 124

vînmes du signal par lequel ils nous annon


ceraient leur retour.
Mais on va voir quel événement imprévu
nous empêcha de les attendre .

CHAPITRE XXXVI .

Des matelots révoltés débarquent dans l'île et veulent


abandonner leur capitaine. - Robinson aide celui-ci à
les réduire .

IL y
Y avait déjà huit jours qu'ils étaient
partis , quand un matin Vendredi vint me
réveiller en criant : Maitre , ils sont venus .
Je pris vite ma lunette et je montai au
haut du rocher. Quel fut mon étonnement ,
lorsque je vis clairement un vaisseau à l'an
cre , à deux lieues et demie au nord-ouest !
Je crus reconnaître , par la structure du
bâtiment , que le vaisseau était anglais aussi
bien que la chaloupe qui venait au rivage ,
poussée par un vent favorable.
125 -

Je ne saurais exprimer l'impression que


cette vue fit sur mon imagination . J'étais tout
bouleversé , je ne pouvais deviner ce qui
amenait un bâtiment anglais de ces côtés-ci .
Quoi qu'il en soit , la chaloupe fut bientôt
à terre à un quart de lieue de moi.
Lorsqu'ils furent débarqués , je vis qu'ils
étaient onze , trois sans armes et garrottés
comme des prisonniers ; un d'eux paraissait
au désespoir. Les matelots se mirent à rôder
dans l'île. Pendant ce temps-là , les trois
prisonniers s'assirent par terre ; leur triste
contenance me fit souvenir de celle que
j'avais eue autrefois moi-même , en abordant
sur ce rivage. J'avais le plus grand désir de
délivrer ces pauvres gens . Je me préparai au
combat ainsi queVendredi, avec toutes sortes
de précautions .
Vers le milieu du jour , comme il faisait
très-chaud , les drôles s'enfoncèrent dans le
bois pour chercher de l'ombre. Les trois
prisonniers étaient couchés sous un grand
arbre , près de moi et loin de la vue des
autres. Je m'avancai donc vers eux dans
mon formidable équipement ils furent
d'abord fort effrayés ; mais bientôt rassurés
126

par mes paroles, un d'eux me dit qu'il était


le capitaine du vaisseau , et que ses gens
s'étant révoltés contre lui , voulaient l'aban
donner , lui , le contre-maître et un passa
ger , dans ce désert . Je lui promis alors de
tout hasarder pour sa délivrance , s'il voulait
s'engager, supposé que nous parvinssions
à reprendre le vaisseau , à me ramener en
Angleterre , moi et mon esclave ; il me le
promit de tout son cœur. Je lui donnai trois
mousquets , des balles , de la poudre , et il
s'avança résolument vers les mutins avec ses
deux compagnons . Il en tua d'abord deux
des plus rebelles ; les autres , nous voyant en
force et bien armés , demandèrent quartier :
on le leur accorda , à condition qu'ils aide
raient à recouvrer le vaisseau . En attendant ,
ils furent tous garrottés .
J'eus alors le temps de faire au capitaine
le récit de mes aventures , il l'écouta avec
une attention qui allait jusqu'à l'extase. Je
le menai à mon château , je lui montrai en
détail toutes mes richesses ; puis , après
qu'il eut pris quelques rafraîchissements ,
nous songeâmes aux mesures à prendre pour
nous rendre maîtres du vaisseau ; ils étaient
127

encore vingt - six à bord ; comment les


attaquer ou empêcher au moins qu'ils ne
vinssent nous détruire ? Nous commençames
par couler la chaloupe à fond, afin qu'ils ne
s'en pussent pas servir .
Bientôt nous vimes arriver, au même en
droit où avait abordé la première chaloupe
une seconde , montée de dix hommes armés.
Ils furent bien surpris de trouver leur cha
loupe dans l'état où nous l'avions mise : ils
poussèrent de grands cris pour appeler
leurs compagnons, mais inutilement ; ceux
ci ou n'enlendirent pas ou n'osèrent pas ré
pondre.
Trois des nouveaux arrivants restérent
dans la chaloupe , les sept autres débar
quèrent pour aller à la découverte. Is mar
chaient serrés les uns contre les autres , et ,
n'osant pas se hasarder plus avant, ils criè
rent encore de toutes leurs forces , pour se
faire entendre de leurs compagnons ; puis ,
ne recevant aucune réponse , ils reprirent
le chemin de la mer. Le capitaine était ay
désespoir de les voir ainsi échapper ; mais
je m'avisai d'unstratagème. Vendredi et le
contre-maitre allerent se placer à l'oues!
128

de la petite baie, et là poussèrent un grand


cri ; aussitôt ils y conduisirent leur cha
loupe : deux y restèrent et les autres sedi
rigerent du côté où ils avaient entendu crier.
Vendredi continua à les faire aller de col
line en colline , attirés par ses cris , jusqu'à
un endroit très-épais du bois , assez avant
pour qu'ils ne pussent pas regagner la cha
loupe avant la nuit . Pendant ce temps, nous
nous assuråmes des deux qui y étaient restés ;
puis , quand il fit bien obscur, et que les
autres revinrent à leur chaloupe, nous lom
båmes brusquement sur eux : la nuit les
empêchait de découvrir notre nombre ; ils
demandèrent quartier. On me consulta en
grande cérémonie comme le gouverneur.
Je me tenais un peu caché , afin de produire
plus d'effet à l'aide de cette fiction , car
j'étais supposé avoir une garde de cinquante
hommes .
On les garrolta tous, les plus mulins fu
rent conduits dans ma grotte , et nous ré
solûmes de nous faire aider par ceux qui
montraient un sincère repentir à recouvrer
le vaisseau . Ils étaient douze en tout pour
celle entreprise , que le capitaine conduisit
129

avec une grande habileté . Il parvint , moitié


par force , moitié par adresse , à faire céder
tous les rebelles .
J'entendis sept coups de canon : c'était
le signal dont nous étions convenus ; el
bientôt après je vis venir le capitaine , qui,
d'une voix triomphante , s'écria :
Mon cher ami , mon libérateur , voilà votre
vaisseau ; il vous appartient , aussi bien que
nous et tout ce que nous possédons .

CHAPITRE XXXVII.

Robinson établit plusieurs matelots dans l'île.

Je tournai les yeux vers la mer ; je vis


le vaisseau à l'ancre à un petit quart de
lieue du rivage . Ma délivrance maintenant
était sûre. Je fus tellement saisi de ce bon
heur inespéré , queje serais tombé à terre ,
si le capitaine ne m'avait soutenu . Je fus
130

longtemps sans pouvoir parler , je pleurai


enfin beaucoup , et je fus soulagé. Nous
nous embrassâmes tendrement en nous re
gardant mutuellement comme le libérateur
l'un de l'autre. Le capitaine m'offrit ensuite
tout ce qu'il jugea m'être agréable , et, entre
autres choses , un habillement complet des
pieds à la tête. On s'imaginera sans peine
que dans les commencements j'en étais un
peu gêné.
Je reçus ensuite , avec toute la dignité d'un
gouverneur, les matelots séditieux : je leur
dis qu'ils méritaient tous d'être pendus à
la grande vergue ; mais que j'étais assez
porté à leur pardonner, s'ils voulaient pren
dre le seul parti qui fût convenable , celui
de rester dans l'ile : ils me remercièrent de
cette proposition . Là- dessus , je leur donnai
toute espèce de renseignements et d'instruc
tions , pour qu'ils pussent y vivre commodé
ment. Je leur dis ma manière de faire du
pain , d'ensemencer les terres , de sécher les
raisins . Je leur parlai des dix-huit Espagnols
qui devaient arriver , je leur donnai une
lettre pour eux , et je leur fis promettre de
vivre en bonne amitié .
131ANCO

Je leur laissai mes armes ; je leur enseignai


aussi ma manière d'élever des chèvres , de
les engraisser, de faire du beurre et du fro
mage, et je leur remis une bonne provision
de poudre que le capitaine consentit à reti
rer du vaisseau .

CHAPITRE XXXVIII .

Il s'embarque et retourne dans sa patrie .

Le jour suivant , je m'embarquai , emme- '


nant mon cher et fidèle Vendredi . En quit
tant mon île , je pris avec moi , comme sou
venir, mon grand bonnet de peau de chèvre ,
mon parasol et mon perroquet ; j'emportai
aussi l'argent qui m'avait été si longtemps
inutile.

C'est ainsi que j'abandonnai l'île le 19 dé


cembre 1686. J'y avais demeuré vingt- huit
ans , deux mois et onze jours . Mon voyagefut
heureux ; j'arrivai en Angleterre le 11 juin
- 132 - >

1687 , après avoir été trente - cinq ans hors


de ma patrie .
Je n'y retrouvai plus personne de ma fa
mille , mon père et ma mère étaient morts
depuis longtemps . Je me mariai; j'ai mainte
nant deux garçons et une fille , et je goûte
vivement tout le bonheur de la vie sociale,
le charme de la conversation , les pures
jouissances attachées à cette continuelle ré
ciprocité de services qui anime et embellit
notre existence, et dont , par ma faute, j'avais
été si longtemps privé.

LY
RN
C

NO L
E
N

FIN
133 ---

MORALITÉS .

Sous la forme agréable d'aventures intéressantes , l'His


toire de Robinson offre aux jeunes lecteurs d'excellents
principes de morale : nous allons examiner l'ouvrage cha
pitre par chapitre , sous ce nouveau point de vue. Si la
lecture de ces moralités offre moins d'attraits , peut-être
offrira-t-elle une instruction plus facile pour les jeunes in
telligences qui ne seraient pas capables de découvrir sans
guide le but moral de l'auteur.

CHAPITRE Ier.

Nous devons à nos parents le respect , l'amour et l'obéis


sance. L'enfant qui désobéit à son père ne réussit jamais ;
il semble que Dieu se charge de punir sur la terre les en
fants ingrats et dénaturés . Aussi Robinson , qui s'embarque
à l'insu de ses parents , qui résiste aux larmes de sa mère
et aux sages conseils de son père , en est puni sévèrement ;
et cela même , ainsi qu'il le reconnaîtra plus tard , est une
marque de la bonté de Dieu envers lui . Les malheurs l'ac
cablent successivement. Une tempête affreuse lui fait
concevoir des remords de sa mauvaise conduite . A peine
échappé au danger, il est retenu par une mauvaise honte ,
et , au lieu d'aller implorer son pardon aux pieds de son
père, il se rembarque , et il est de nouveau exposé à de
nombreuses infortunes. Avant de suivre Robinson , je de
manderai à mes petits lecteurs la permission de leur ra
conter une histoire qui leur prouvera que l'amour pour sea
parents reçoit toujours sa récompense .
8
134
Un jeune Français qui venait d'être racheté d'esclavage
à Tunis , reconnait , au moment de s'embarquer pour
son pays , son vieux père , qui avait été fait prisonnier
par les Barbaresques , et qui faisait partie d'un groupe
d'esclaves ; ému jusqu'aux larmes , il se précipite dans les
bras de son père', il sollicite comme une grâce de prendre
la place du vieillard. Je suis plus robuste , dit -il au maître
de l'esclave, je suis pluscapable de travailler ; ma reconnais
sance de ce bienfait sera élernelle. On consent à l'échange ;
mais le bey ou gouverneur, qui fut instruit de ce dévoue
ment sublime, le racheta une seconde fois et le combla de
présents à son départ pour la France , où il eut le bonheur
de ramener son vieux père.
CHAPITRES II et III .

Robinson , échappé comme par miracle à l'esclavage , se


rembarque ; au bout de quelques jours il fait naufrage :
seul de tout l'équipage du vaisseau , il échappe à la mort ,
mais pour expier ses fautes dans une île déserte.
La protection visible de la Providence touche son cæur
de repentir ; au lieu de s'abandonner au désespoir , il re
prend courage et trouve , dans sa force et dans son intelli
gence , les moyens de subvenir à ses premiers besoins.
CHAPITRES IV et V.

C'est une idée bien ingénieuse de nous montrer un


homme isolé de ses semblables , et luttant avec le besoin ,
n'ayant pour ressource que son industrie et les débris que
lui offre le vaisseau sur lequel il traversait la mer peu de
jours auparavant .
Dans la position où se trouve le pauvre Robinson , les
objets perdent leur valeur fictive pour ne conserver que
leur valeur réelle. L'or , les diamants et les habillements
somptueux semblent à Robinson sans aucune importance ;
il leur préfère une scie de charpentier, quelques provisions
et des armes. Ce mépris des choses qui paraissent si pré
135
cieuses aux hommes réunis en société fera sans doute
naître quelques réflexions dans l'esprit des enfants , et ils
comprendront combien il est insensé d'y attacher son
bonheur.

CHAPITRES VI et VII .

Instruit par l'adversité, Robinson agit avec prudence ;


il fait une excursion dans son ile pour reconnaître si elle
est habitée, et à quelle nature de dangers il va se trouver
exposé . Nous pouvons tirer de cette conduite une moralité
qui trouve son application dans toutes les positions de la
vie. Avant d'agir , examinons quelle est la conséquence
probable de ce que nous nous proposons de faire , c'est un
moyen infaillible d'éviter l'erreur,
Si nous remontons à l'origine des sociétés , nous voyons
les hommes chercher une retraite et un abri dans le creux
des arbres et des rochers ou dans des cavernes ; ils songent
surtout à la conservation de leur existence et à l'acquisition
des objets matériellement nécessaires à la vie. Ainsi , ils
poursuivent les animaux dans les forêts et cultivent labo
rieusement la terre. Bientôt après , ils construisent des
huttes , et , à mesure que l'intelligence humaine se déve
loppe par le besoin , les arts industriels viennent embellir
la vie de l'homme civilisé , en lui créant de nouveaux be
soins et de nouveaux plaisirs. Cette manière d'envisager
l'histoire de Robinson offre à nos jeunes lecteurs une ins.
truction intéressante . C'est un tableau plein de vérité des
efforts des premiers hommes pour triompher des obstacles
que leur opposait la nature. À la vérité, Kobinson est né
dans un pays civilisé, il connaît déjà les arts ; mais comme
il ne les a pas cultivés spécialement, et que, d'ailleurs, il
n'est pas aidé par le concours de ses semblables , sa mal
heureuse position nous touche et nous émeut , et nous le
voyons avec plaisir retirer du vaisseau ce qui doit l'aider à
supporter la rigueur de son sort .
136

CHAPITRES VIII et IX.


Une habitation ne suffit pas dans l'état sauvage , il faut
que ce soit une retraite cachée , et même un moyen de
défense . Aussi Robinson prend toutes sortes de précau
tions pour construire un petit fort contre l'attaque des
hommes et des bêtes sauvages. Il s'assure le moyen de me
surer le temps , et il se fait un calendrier par le lever et le
coucher du soleil . La Providence , qui veille sur lui , et à
qui il rapporte tout ce qui lui arrive de consolant , ne veut
pas qu'il soit dans un isolement trop complet; elle lui fait
retrouver dans le vaisseau deux chats et un chien , qui
égaient- et animent sa solitude.

CHAPITRES X et XI .
Abandonné à sa seule intelligence , et stimulé par la né
cessité et le besoin, qui sont les meilleurs maîtres pour
s'instruire , Robinson conimence à se fabriquer , avec
quelques outils, les objets qui lui sont les plus utiles. Mais
que d'efforts pour obtenir une scule planche ! Un arbre
entier devait être coupé et aminci par un long et pénible
travail. Combien , par un retour naturel sur nous-mêmes ,
ne devons-nous pas bénir notre sort dans la société, où le
dernier des misérables est mille fois moins à plaindre que
nulre pauvre Robinson !
CHAPITRES XII et XIII .
Bientôt il trouve dans la graisse des boucs qu'il tue à la
chasse un moyen de se procurer de la lumière. Mais le pain
lui manquait pour sa nourriture , et c'était une privation
insupportable . Dieu voulut que les grains jetés par Robin
son au pied d'un rocher lui donnassent de beaux épis de
blé , qui devinrent par la suite un bien plus précieux pour
notre solitaire que toutes les richesses du monde . Une
pierre mue par une roue donne à Robinson la facilité d'ai
guiser ses outils , et d'augmenter ainsi son bien-être,
137 -

CHAPITRE XIV.

Ici l'auteur a voulu nous faire apprécier toute la misere


de l'état d'isolement , contraire d'ailleurs à la nature de
l'homme, qui est né pour la société. Des pluies et un
trembler.ent de terre sont les premières calamités qui af
fligent notre ami Robinson ; la fièvre et les maladies s'u
pissent pour l'accabler. Dans cet état d'abandon , il élève
son ame vers le Créateur , et commence à lire régulière
ment des chapitres de la Bible . Il trouve dans la lecture
des livres saints unc consolation à ses malheurs , qu'i
apprend à supporter avec résignation .

CHAPITRES XV, XVI , XVII et XVIII .

L'homme est perfectible par sa nature, mais plus il a , plus


il connaît , plus il veut connaitre , et celle ambition , lors
qu'elle est resserrée dans des limites convenables , est le
principe de toutesles améliorations et du perfectionnement
élève l'homme au-dessus des animaux . Robinson se
serait trouvé heureux à son arrivée dans l'ile d'avoir une
maison et tout ce qu'il s'est procuré depuis par son tra
vail : à présent qu'il jouit de ces biens , il n'est point en
core satisfait. Il commince à voyager dans son ile pour y
faire des découvertes ; par suite il se bâtit , dans une val
lée charmante, une maison de campagne. La récolte du
blé lui donne une leçon utile , et il s'instruit à ses dépens
de l'époque favorable aux semailles . Pour conserver ses
provisions , il fait des paniers.
1
Nos jeunes lecteurs , en voyant leur ami Robinson ap
privoiser un perroquet et un chevreau , commencent sans
doute à se rassurer sur sa position , mais qu'ils songent ce
pendant à tout ce qui lui manque encore , non pour vivre
commeen Europe, mais pour fournir à ses premiers be.
soins : ils béniront Dieu de ne les avoir pas condamnés à
une vie aussi inisérable .
8.
E 138
CHAPITRE XIX.
Quand nous voyons dans notre pays des marmites et au
tres vases de terre livrés à si bas prix dans le commerce
nous ne songeons ni à leur valeur réelle , ni aux difficultés
qu'il a fallu surmonter pour les amener au point de per
fection actuelle .
Ce XIXe chapitre est propre à nous faire réfléchir sur
l'importance des premières découvertes, dues le plus sou
vent à ce qu'on pourrait appeler le hasard , si la Provi
dence divine ne suffisait à rendre compte de tout. Il nous
initie aux essais qu'il a fallu tenter pour arriver à la pa
nification ou art de fabriquer le pain . D'abord on grilla le
ble pour le réduire plus facilement en farine ; mais que de
travaux avant de moudre le blé au moyen du vent ou de
l'eau , avant de séparer la farine du son , avant de donner
au pain cette légèreté , cette blancheur que l'on obtient
aujourd'hui si facilement !
CHAPITRES XX , XXI , XXII , XXIII et XXIV .
Qu'il y a loin du spectacle imposant d'un vaisseau de
ligne fendant majestueusement les flots, à une fréle bar
que , ou au premier canot creusé par la main de l'homme !
et cependant que de difficultés pour le creuser, pour l'é
quiper, pour le mettre à flot! Robinson est mème obligé
d'abandonner une entreprise qui lui a coûté cinq mois
de travaux assidus .
Quand il a usé ses habits , il songe à en faire de nou
veaux, et il devient tailleur, à peu près comme les premiers
hommes , qui se vêtirent d'abord de peaux d'animaux.
Le désir de la liberté excite le courage de Robinson, qui
parvient , après des efforts qui lui coûtèrent plusieurs an
nées , à construire un petit canot ; mais , éloigné de son ile
par un courant rapide, il regrette ce qu'il vient de quitter,
et il remercie Dieu avec ferveur lorsqu'il est ramené au
rivage par un autre courant. C'est ainsi que l'homme passe
sa vie à désirer sans cesse .
Las de ses excursions , notre héros fait des progrès dans
- 139
les arts utiles; il parvient à se composer un troupean de
chèvres qui lui donnent du lait , du beurre et du fromage .
CHAPITRES XXV , XXVI , XXVII , XXVIII et XXIX .
De véritables dangers viennent menacer Robinson : il
aperçoit sur le sable la trace d’un pied d'homme , et cette
vue le glace d'épouvante . Voilà l'homme en présence de
ses ennemis ; obligé de veiller à sa propre sûreté , il ne lui
suffit plus d'être industrieux et travailleur, il faut qu'il se
défende contre l'agression de ses semblables.
Combien sont barbares les sauvages qui n'ont aucune
idée de civilisation , puisqu'ils peuvent dévorer d'autres
hommes ! Combien nous devons nous trouver beureux dans
une société où l'on rencontre , il est vrai , des hommes vi
cieux et méchants , mais où l'on est à l'abri de leur féro
cité sous l'égide des lois et de l'autorité .
CHAPITRE XXX .
Malgré l'amélioration successive du sort de Robinson , il
n'est pas encore heureux ; il lui manque le plus grand des
biens , la société d'un ami. Il vous est difficile sans doute,
mes jeunes amis , de comprendre ce vide : au milieu de
votre famille , de vos camarades , vous jouissez de votre
bonheur sans l'apprécier ; mais réfléchissez que Robinson
est privé depuis vingt - cinq ans de la société et de la vue
de ses semblables , et jugez quelle dut être sa joie quand il
eut un compagnon pour parlager ses peines et ses plaisirs.
CHAPITRES XXXI , XXXII , XXIII et XXXIV .
Ces quatre chapitres sont d’un vif intérêt ; nous y voyons
Robinson donner à Vendredi les premières connaissances
et les premiers éléments d'une langue inconnue. Ce bon
jeune homme , reconnaissant envers son bienfaiteur, mon
tre une intelligence qu'on ne s'attendait pas trouver
dans un sauvage : sa naïve frayeur en voyant les terribles
effets de l'explosion de nos armes à feu , son courage dans
l'expédition contre les sauvages , son bon naturel quand il
140
sauve son père , offrent des peintures pleines de charmes
et de vérité. Combien seraient coupables les enfants d'un
pays aussi éclairé que la France, s'ils manquaient à leurs
devoirs envers les parents que Dieu leur a donnés , lors.
qu'ils voient un sauvage se montrer si tendre et si recon
naissant envers son vieux père !
CHAPITRES XXXV , JUSQU'A LA FIN .
Les chapitres qui terminent l'Histoire de Robinson of
frent un intérêt non moins dramatique que moral : l’au
teur fait débarquer dans l'ile des soldats révoltés, pour
mettre son héros à même de rendre un grand service au
capitaine du vaisseau. Celui-ci , par reconnaissance , em
barque Robinson qui arrive en Angleterre après trente - cinq
ans d'exil ,
Que nos jeunes lecteurs , après avoir achevé l'Histoire
de Robinson , se trouvent heureux de la condition que le
Ciel leur a assurée sur la terre ; qu'ils bénissent Dieu de
ne pas les avoir soumis à une aussi rude épreuve et de les
avoir fait naître dans le plus beau pays de l'Europe , à une
époque où les hommes jouissent d'une douce liberté el de
toutes les commodités de la vie ; ils auront recueilli de
leur lecture une excellente morale.
141

EXPLICATION
DE

DE QUELQUES MOTS TECHNIQUES .

AGRES. Voiles , cordages , et, part et d'autre à la circon


en général, tout ce qu'ilfaut férence.
pour équiper un vaisseau. DRAGEE. Plomb pour tirer
ANCRE. Machine de fer qu'on aux oiseaux.
jette au fond de l'eau pour ÉCLUSE
1 rivièreClôture faite sur une
fixer les navires. ou un canal avec
ANTHROPOPHAGES. Mangeurs des portes qui se baissent
d'hommes . et s'élévent , se ferment
AUNE. Mesure de trois pieds ou s'ouvrent , pour retenir
huit pouces (un mètre deux l'eau ou la lâcher.
décimètres ) . ÉPERON. Pointe qui termine
BEAUPRÉ. Mât couché sur l'é la proue d'un vaisseau.
peron , à la proue d'un ÉrA1. Pièce de bois avec la
vaisseau. quelle on soutient un mur
CABLE. Grosse corde . qui menace ruine.
CALE. Fond de cale , le lieu FLUX. Mouvement réglé de
le plus bas d'un vaisseau . la mer vers le rivage à cer
CANNIBALES. ( Voyez ANTHRO taines heures du jour.
POPHAGES. HANSIERE. Cordage qu'on
CHATRAUGAILLARD. Loge jette aux navires qui veu
ment élevé sur la poupe ou lent venir à bord d'un
sur la proue d'un vaisseau. autre.
DEGRE . Mesure de vingt-cinq LAYETTES. Coffrets en bois.
lieues ( cent onze kilomè- LEVIER. Barre de bois ou de
tres onze décamètres ). fer à l'aide de laquelle on
DIAMETRE. Ligne droite qui soulève un fardeau.
passe par le centre d'un LA LIGNE. On appelle ainsi
cercle et se termine de l'équateur , qui divise la
142

terre en deux parties': l'une PROUE . L'avant d'un vaisseau.


méridionale , l'autre sep- QUILLE . Longue pièce de
tentrionale. bois qui va de la poupe
MAT. Grosse et longue pièce à la proue du vaisseau "
de bois plantée debout et qui lui sert de fonde
dans un vaisseau. ment.
MAT DE PERROQUET. Petit mât RADEAU. Pièces de bois liées
arboré sur les grands. qui forment une espèce de
MILLE. Mesure d'environ plancher sur l'eau.
mille pas géométriques REFLUX. Mouvement de la
( demi-lieue. - deux kilo mer qui se retire après le
mètres vingt-deux déca flux.
mètres ). SUBRECARGUE. Celui qui vend
MISAINE. Voile du mât qui dans les comptoirs d'une
est entre le beaupré et le compagnie les marchan
grand mât d'un navire. dises qu'elle y fait porter,
MOUSSE . Petit garçon qui sert et qui en achète d'autres
dans l'équipage d'un vais pour le retour du vaisseau .
seau. VERGE. Mesure dont on se
POUDING. Ragoût anglais , or servait pour mesurer les
dinairement composé de terres .
mie de pain , de moelle de VERGUE . Pièce de bois lon
bœuf, de raisin de Corin gue'et ronde, attachée au
the , etc. travers d'un mât pour sou
POUPE. L'arrière d'un vais tenir la voile.
seau,
--- 143 ---

TABLE .

AVANT-PROPOS. Page 5
CHAPITRE PREMIER, Naissance de Robinson. -Ses pre
mières études.· -Il quitte l'Angleterre. Il essuie
une tempête. - Il est fait esclave. II
CHAP. 11. Robinson fait naufrage . 16
CHAP. II. Robinson est agité de mille sentiments
divers. - Sa première nuit. 19
CHAP. IV. Robinson fait un premier voyage au vaisseau. 21
CHAP . V. Robinson revient à terre et amène heureu
sement sa cargaison. 25
CHAP . VI . Première excursion de Robinson dans l'in
térieur du pays . - Il s'assure que c'est une île. ――
Premier coup de fusil. 28
CHAP. VII. Robinson retourne plusieurs fois au vaisseau *
et en rapporte grand nombre de provisions. - Il se
fait un meilleur asile pour la nuit. 30
CHAP. VIII. Robinson se construit une forte habitation .
- Inquiétudes pour son magasin à poudre. Il
* 2 0
découvre des boucs sauvages. 34
CHAP. IX . Robinson commence son calendrier. -
Un chien , sauvé aussi du naufrage', s'attache à lui. 38
CHAP. X. Comment Robinson supplée au défaut de
plusieurs outils et agrandit son logement. 40
CHAP. XI. Il tient un journal de ses aventures. 43
CHAP. XII. Robinson fait plusieurs découvertes utiles.
1000 10

-- Il recueille quelques grains de blé. 45


CHAP. XIII. Tremblement de terre. 48
CHAP. XIV. Maladie de Robinson. - 11 a recours à
Dieu , et se ranime par la lecture de la Bible. 51
CHAP. XV. Robinson visite une partie de l'île et se fait
une maison de campagne. 56
CHAP. XVI. Robinson sème son grain et parvient à
se fabriquer des paniers. 59
114 144

26
CHAP. XVI. I recommence sa visite dans l'ile , et at "

86
10
trape un chevreau, qu'il apprivoise. 62

5
2
8
1
CHAP. XVIII . Il fait sa seconde moisson . 65
CHAP. XIX. Robinson se façonne des vases de terre .
- Diverses inventions. 67
CHAP. XX. Robinson construit un canot dont il ne
peut faire usage . 72
CHAP. XXI. Robinson exerce le métier de tailleur. - II
se prépare à faire le tour de l'île. 75
CHAP. XX11 . Danger qu'il court. - Son retour. 78
CHAP. XXII . Robinson forme un troupeau de chèvres
et une laiterie. ზე
CHAP. XXIV. Robinson au milieu de sa famille. - Son
équipement. 84
CHAP . XXV. Robinson aperçoit les traces d'un pied
d'homme. - Sa frayeur et ses précautions. 87
CHAP. XXVI . Robinson trouve les débris d'un festin de 1
cannibales. 91
CHAP. XXVII Il découvre une grotte. 93
CHAP. XXVIII. Les sauvages abordent dans l'île pour y
faire un festin . 95
CHAP. XXIX. Nanfrage d'un vaisseau espagnol près
de l'île. 97
CHAP. XXX. Robinson sauve Vendredi . 99
CHAP. XXXI. Éducation de Vendredi . 104
CHAP. XXXII. Entretiens de Robinson et de Vendredi. 109
CHAP. XXXIII. Projets de voyage . 113
CHAP. XXXIV. Vendredi délivre son père . 116
CHAP . XXXV. Établissement des nouveaux habitants. 121
CHAP . XXXVI Des matelots révoltés débarquent dans
l'île et veulent y abandonner leur capitainc.
Robinson aide celui-ci à les réduire 124
CHAP. XXXVII . Robinson établit dans l'île plusieurs des
matelots rebelles. 129
CHAP. XXXVIII. Il s'embarque et retourne dans sa patrie. 131
MORALITÉS. 133
EXPLICATION de quelques mots techniques . 141
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