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331
25 novembre 2021
 Bracelet Tonkinois en or jaune avec torsade
de boules d’or et fermoir à decor concentrique.
Création de Suzanne Belperron en 1939 pour Marie Bell.
À découvrir sur le Stand 16 Larengregor.
 Portrait de Louis Philippe Léon Haudebourt,
fils de l’artiste (1833), Antoinette-Cécile-Hortense Haudebourt
Courtoisie Galerie William Diximus. La Biennale
Direction de la publication : Pierre Naquin
Rédaction en chef : Carine Claude
Stéphanie Perris
Gilles Picard
Clément Thibault
Secrétariat de rédaction : Carine Claude
Stéphanie Perris
Auteurs : Carine Claude
Pierre Naquin
Stéphanie Perris
Traduction : Fui Lee
Maisha Schimpelsberger
Conception graphique : Pierre Naquin
Maquette : Pierre Naquin
Nadège Zeglil
Relecture : Stéphanie Perris
Ahfine Zeglil
Retouches : Olivier Guitton

Contact : news@artmediaagency.com
Diffusion : 230.000+ abonnés numériques
3.000 copies imprimées

© ADAGP, Paris 2021 pour les œuvres de ses membres

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ÉVÉNEMENT
La Biennale 2021 10

INTERVIEW
Henri Jobbé Duval ⋅ Anisabelle Berès-Montanari 16

BLOC-NOTES
Détail de Biennale 24

TÉMOIGNAGES
Collectionneurs 2.0 34

RENAISSANCE
Vever 40

FOCUS
Réglementations 46

RENCONTRE
Françoise Livinec 52

DATA
Pierre Soulages 58
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LA BIENNALE : UN NOUVEAU SOUFFLE
Du 26 novembre au 5 décembre, le vaisseau amiral du Syndicat National des Antiquaires
(SNA) s’installe sous les voutes du Grand Palais Éphémère. Une renaissance.
C’est une bonne nouvelle pour le monde des antiquaires.
Et le marché de l’art en général. Désormais sobrement intitulée
La Biennale, l’historique Biennale des antiquaires, devenue un
temps Biennale de Paris, est portée depuis près de soixante ans
par le vénérable Syndicat National des Antiquaires qui souffle cette
année ses 120 bougies. Devenue annuelle en 2017, elle s’installe
au Grand Palais Ephémère le temps des travaux de restauration
du Grand Palais historique, son lieu d’ancrage habituel.
Pour cette 32e édition, le SNA lui donne un nouvel élan
en nommant un nouveau directeur artistique à sa tête.
Co-fondateur de la FIAC, directeur associé d’Art Paris ou encore
commissaire général de Révélations aux côtés d’Ateliers d’art
de France, Henri Jobbé Duval vient de prendre les rênes de
l’événement. « Le Syndicat National des Antiquaires a repris
en main la Biennale et porte les responsabilités financières,
explique-t-il. Les participants de cette 32e édition ont pris le
parti de défendre un événement créé par un groupement
professionnel qui fête ses 120 ans, un salon qui aura
beaucoup souffert ces dernières années, à cause du
contexte sanitaire et des tensions au sein même de la
profession. Jusqu’au bout, le SNA se bat pour tous les
acteurs (et pas uniquement ses adhérents) avec une
Biennale, la seule au monde à être annuelle ! Mais
beaucoup d’événements portent en leur nom une réalité
qui n’est plus : Le Paris-Dakar ne passe plus à Dakar… »
Haut de gamme et haute facture
Avec ses 63 exposants, La Biennale 2021 est une
édition resserrée. Un seul mot d’ordre : du haut
de gamme. Privés de foires pendant la pandémie,
de nombreux antiquaires avaient mis de côté leurs
chefs-d’œuvre pour l’occasion. Organisé en quatre
— Carine Claude
grands secteurs — les Beaux-Arts, les
Antiquités, le Design et la Joaillerie —
le salon rassemble les spécialités
qui ont fait sa réputation : l’art ancien,
l’art moderne, la sculpture, les arts
décoratifs, le mobilier et les objets
d’art en tête, mais aussi l’archéologie,
les arts extraeuropéens, le design
ou encore les livres anciens. 6.000 ans
d’histoire à parcourir à pas feutrés.
L’art contemporain est à l’honneur,
avec une dizaine de galeries
spécialisée et un parcours de
sculptures indoor, en écho au
Sculpture Garden de la Biennale
de Genève, invitée spéciale de cette
édition 2021 [voir encadré p.12].
Pensé comme une promenade
au sein de la Biennale, le parcours
indoor accueille une dizaine d’œuvres
rythmant les allées et les placettes.
Dès l’entrée, le visiteur fait face
aux imposants Pigeons voyageurs
(Die Taubenpost) de l’artiste Adel
Abdessemed. En contrepoint, au
milieu de l’allée qui ouvre sur la Tour
Eiffel, trône l’imposant homme volant
de l’artiste belge Panamarenko, Brazil,
un homme-oiseau à mi-chemin entre
Icare et Jules Verne. Elle appartient
aux collections du prestigieux musée
11
ÉVÉNEMENT LA BIENNALE 2021

de Flandre [voir encadré p.15], tout islamique, à l’art africain…, déclare Nouveauté de cette édition : La Biennale
comme le bronze de Wim Delvoye, Henri Jobbé Duval. Les antiquaires et a créé un service d’expertise destiné aux
Möbus Dual Corpus Direct Current, les galeries sont tous des passeurs de visiteurs. Au cœur du salon, un espace
autre étape de ce parcours culture, aux côtés des grandes maisons rassemblant experts indépendants
de sculptures. Le programme de haute facture, c’est pourquoi il faut délivre conseils aux amateurs,
se prolonge autour d’autres œuvres, redonner à la Biennale toute sa collectionneurs et exposants pour
dont David et Goliath de Christophe dimension socioculturelle, sans les accompagner jusqu’à l’achat final.
Charbonnel (Galerie Bayart), oublier sa dimension économique, La haute gastronomie, qui faisait partie
Les fragments du temps de Christian tout aussi importante. J’ai le sentiment intégrante des premières éditions
Lapie (Galerie RX), Cerchio, Untitled que l’on ne met pas assez en avant les de la foire des antiquaires et qui s’était
de Bruno Romeda (Galerie Dutko), compétences que partagent les de longue date éclipsée, s’installe chez
le Baiser de Jivko et L’Homme marchands qui défendent tous des Gustave. Le chef étoilé Nicolas Sale
au trophée de Raymond Martin valeurs liées au patrimoine, à la prend la tête de ce restaurant de La
(L’Univers du Bronze). connaissance des œuvres et à leur Biennale, tout aussi éphémère que le
transmission. » Un sentiment partagé Grand Palais qui l’accueille. La direction
Si l’accent est particulièrement mis sur par les exposants du secteur joaillerie, artistique en a été confiée à Benoît
l’art contemporain cette année, la à l’instar de Jacques Sitbon, directeur Heintz. Sa ligne ? Donner « le sentiment
32e édition signe le grand retour de la de Larengregor : « La situation a d’être à la maison dans un cadre épuré,
joaillerie et des maisons dites de changé, les grandes marques aussi. Il avec la Tour Eiffel comme joyau. »
« haute facture », fleurons des premiers est logique que des manifestations Il y a en effet pire comme décor.
temps de la Biennale des antiquaires. comme celle-ci s’adaptent. Les
« Si un temps, la place accordée à la grandes maisons de joaillerie Perspectives d’avenir
haute joaillerie a été trop importante françaises étaient présentes par le Ce n’est pas la première fois que
au point peut-être de déstabiliser la passé, elles ont une histoire commune la Biennale est contrainte de quitter
lecture que l’on pouvait avoir de la avec l’art. Paris reste Paris et elle les murs du Grand Palais historique.
Biennale, nous avons été attentifs à ce demeure attractive, malgré un contexte Déjà en 1994, elle s’était installée
qu’un équilibre entre les différentes politique et économique difficile. au Carrousel du Louvre, le Grand Palais
spécialités soit préservé, de Parfois, l’histoire est plus forte que le étant fermé pour une longue période
l’archéologie à l’art du XXe siècle, de l’art monde violent qui nous entoure. » de travaux jusqu’en 2006. La nouvelle
vague de réhabilitation sera plus courte,
mais non moins pharaonique avec
La Biennale invite… un budget total de 466 millions d’euros
étalés sur trois ans. La restauration
Premier grand partenariat international de La Biennale nouvelle formule : intégrale du bâtiment — la première
l’invitation lancée à Thomas Hug, organisateur d’artgenève et de la Biennale depuis sa construction pour
de Genève – Sculpture Garden. À travers une sélection d’artistes, il revient l’Exposition universelle de 1900 —
sur les deux premières éditions de son événement en 2018 et 2020 et livre un entrainera une véritable métamorphose
aperçu du cru 2022. Pendant trois mois, la ville de Genève accueillera en effet architecturale : réhabilitation des
une multitudes de sculptures monumentales dans les parcs, les places et sur volumes et de la lumière, augmentation
quelques quais. Car l’ambition de cette exposition en plein air est de de la capacité d’accueil, création
s’implanter comme un événement artistique majeur pour la région avec une de deux nouveaux auditoriums,
exposition de sculptures de qualité et gratuite tout au long de l’été. Initiée aménagement d’un toit en terrasse.
et organisée par artgenève en collaboration avec le MAMCO et la ville de Sa surface augmentera ainsi de 30 %,
Genève, la biennale 2022 est placée sous le commissariat de Devrim Bayar. passant de 3.000 à 3.900 m².
Une aubaine pour La Biennale
À Paris, son stand de 130 m2 donne donc un avant-goût de sa programmation, qui ne bénéficie « que » de 2.679 m²
à des échelles évidemment moins imposantes. Par exemple, le duo Daniel de stands au Grand Palais Éphémère.
Dewar & Grégory Gicquel avait produit en 2020 une suite de sculptures Elle devrait ainsi retrouver son écrin
monumentales taillées dans un marbre rose évoquant un corps morcelé. historique à l’automne 2024, date à
Les artistes l’ont déclinée dans un format plus réduit, avec un relief en chêne laquelle le Grand Palais éphémère sera
d’où émergent poitrines et fragments de corps. Ce qui renvoie au thème démonté une fois les Jeux Olympiques
fédérateur du stand : l’humain morcelé, suggéré ou évoqué. On y retrouve une achevés. Les organisateurs semblent
sculpture en métal de Neil Beloufa (galerie kamel mennour), l’œuvre déjà préparer le terrain. Ils annoncent
composite Chariot of a Secret Order de Stefan Tcherepnin (Francesca Pia) ou qu’à terme, le nombre d’exposants
encore un bronze de Tunga (Franco Noero). En retour, La Biennale aura une s’établira autour de 130, soit deux fois
visibilité et une présence curatée lors d’une prochaine édition d’artgenève. plus que pour cette édition test.

AMA · 331 · 25 novembre 2021

Les falaises et la mer (détail, 1931), Dominique Peyronnet
Courtoisie Fondation Dina Vierny . Musée Maillol. La Biennale
XXX XXX

Dark Rose, Elsa Jin

© Elsa Jin. Courtoisie La Biennale

AMA • 331 • 25 novembre 2021

ÉVÉNEMENT
L’accent est également mis sur
l’internationalisation de l’événement.
Si sa réputation n’est plus à faire,
la crise de 2020 et le contexte sanitaire
encore incertain ont pu freiner la
présence des galeries internationales,
en particulier américaines. Pour cette
32e édition, l’Autriche, la Belgique,
l’Espagne, les États-Unis, Monaco,
le Royaume-Uni et la Suisse sont
représentés. « Nous avons opéré
un repositionnement et réaffirmé les
bases de la foire pour qu’elle puisse de
nouveau rayonner internationalement
tout en embrassant une approche
transversale et actuelle de la création »,
confie Henri Jobbé Duval. De l’avis
général, des antiquaires et de leurs
représentants, La Biennale a une carte
à jouer, en particulier dans un contexte
post-Brexit qui risque de faire basculer
le centre de gravité du marché
de l’art européen. « Paris reste dans
l’imaginaire la capitale mondiale. Elle
a un héritage et il faut l’ancrer dans le
marché, affirme Julien Flak, spécialiste
d’art tribal. S’il existe un salon pendant
lequel on peut briller, c’est La Biennale.
C’est un défi, mais il faut en faire
un écrin pour nos spécialités. C’est une
belle page à réécrire aujourd’hui.
Et puis, quand on fait un bel
événement, le public répond au quart
de tour, on l’a bien vu dans cette
période compliquée. » Henri Jobbé
Duval renchérit : « Il faut rappeler que
Paris est une ville emblématique
et que l’image de la France continue
de rayonner à l’international dans
les domaines de la culture et du luxe.
La Biennale s’inscrit dans cet
écosystème avec aujourd’hui un lieu
prestigieux au cœur de la capitale.
Un atout considérable qui participera
de la grandeur de la Biennale. »
La figure tutélaire d’André Malraux
plane encore sur cet événement dont
les origines se fondent avec l’histoire
du patrimoine français [voir encadré
p.22]. Les musées ont d’ailleurs
largement répondu à l’appel
de cette 32e édition [voir encadré].
L’histoire d’amour se poursuit.
LA BIENNALE 2021
…les musées !
Le musée de Flandre à Cassel
Conçu comme un parcours permanent miniature, le stand du musée
de Flandre permet de découvrir la pluralité et la richesse de l’art flamand
du XVe siècle à nos jours à travers une vingtaine d’œuvres, dans un dialogue
entre art ancien et création contemporaine. On y croise le travail de Joachim
Patinir, Pieter Coecke d’Alost, David II Teniers, Joos II de Momper, Roelandt
Savery, Jan Fyt, Wim Delvoye, Thierry de Cordier et Éric de Ville.
Les Ateliers d’art, moulages et chalcographie de la Rmn – Grand-Palais
Qui ne connaît les célèbres moulages de la Rmn trônant dans les boutiques
des musées ? Créés il y a plus de 200 ans, ces Ateliers de la Réunion des
musées nationaux-Grand Palais exposent cette année à la Biennale
des moules anciens ou insolites, fragments poétiques, estampes virtuoses et
créations contemporaines. On y découvre l’estampe L’Amour et la Mort (2021)
d’Annette Messager, la gravure La Rose du Louvre (2020) de Jean-Michel
Othoniel, le modèle en plâtre du Transi de Ligier Richier (1500-1567), l’aile de
la Victoire de Samothrace… Un aperçu des savoir-faire rares de ses artisans-
mouleurs et taille-douciers.
Le Mobilier national
Le Mobilier national présente l’installation Dans un nuage de pixels conçue
par l’artiste numérique Miguel Chevalier et les designers A+A Cooren. Il s’agit
de l’un des derniers projets de mobilier finalisé en 2021 et porté par
les manufactures et les ateliers du Mobilier national. « L’image internationale
de la France en matière d’arts décoratifs se fonde historiquement
sur l’aménagement et la décoration de pièces à vivre, avoue Hervé Lemoine,
directeur du Mobilier national. Par la présentation de cet ensemble mobilier
de Miguel Chevalier et A+A Coreen à La Biennale, le Mobilier national renoue
avec cette tradition française d’ensemblier. Nuage de Pixels valorise à la fois
les savoir-faire traditionnels de nos manufactures, mais également
la richesse de la création contemporaine. »
Fondation Dina Vierny – Musée Maillol
Voulu par Dina Vierny, le musée Maillol ouvre ses portes le 20 janvier 1995 et
présente depuis la plus importante collection d’œuvres d’Aristide Maillol
(1861-1944) ; il brosse un panorama complet des créations de l’artiste en
sculpture, peinture, dessin, terre cuite et tapisserie. L’institution se distingue
aussi par des expositions phares mettant à l’honneur de grands noms de
l’histoire de l’art : Francis Bacon, Klimt, Diego Rivera et Frida Kahlo, Morando,
Basquiat, Keith Haring, Poliakoff, Botero, Rauchenberg, Bonnard… Pendant
La Biennale, le stand fait dialoguer des œuvres des collections du musée —
Cinq oiseaux d’André Bauchant, Après le bain de Dominique Peyronnet,
Harmonie d’Aristide Maillol — avec des œuvres de la fondation Dina Vierny,
dont un Autoportrait de Jean Eve.
Sèvres – Manufacture et musée nationaux
La Manufacture n’est pas qu’un musée. Laboratoire vivant du design et des
arts décoratifs, elle accueille 120 céramistes qui y exercent et maîtrisent une
trentaine de métiers. Les matériaux (pâtes, couleurs, émaux…) y sont
fabriqués in situ selon des techniques préservées, mais servent la création
contemporaine. À l’occasion de La Biennale, elle présente ainsi un panorama
d’œuvres de toutes les époques, des chefs-d’œuvre centenaires aux
prouesses de la haute facture contemporaine.
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« LA BIENNALE DÉFEND DES VALEURS
COMMUNES ET L’INTÉRÊT GÉNÉRAL »

L’incertitude a plané jusqu’à la dernière minute, mais La Biennale prend bien

ses marques du 26 novembre au 5 décembre au Grand Palais Éphémère. Un soupir
de soulagement pour sa présidente Anisabelle Berès-Montanari et Henri Jobbé Duval,
nouveau directeur artistique de l’événement.

L’histoire récente de La Biennale n’aura pas été un long fleuve Henri Jobbé Duval (H. J. D.) :
tranquille. Changements de cap, annulation en 2020, imbroglios La Biennale est un événement
commerciaux et vives tensions ne présageaient rien de bon. Mais le historique de notoriété mondiale.
Syndicat National des Antiquaires (SNA) a finalement pu maintenir Il fait la promotion de l’engagement et
l’organisation de son événement phare. Un soulagement pour des valeurs portées par les antiquaires,
sa présidente, Anisabelle Berès-Montanari qui défend bec des valeurs historiques, patrimoniales,
et ongles la profession auprès des pouvoirs publics et pour qui mais aussi créatives et techniques. Or,
la nécessité de maintenir cet événement historique au sein de la ces valeurs sont également partagées
capitale s’impose plus que jamais dans un contexte post-Brexit par les galeries d’art moderne
— le flou londonien pouvant servir les intérêts de Paris dans sa et contemporain, car elles défendent
reconquête de place majeure du marché de l’art. L’édition 2021 un patrimoine artistique en devenir.
signe également le démarrage d’une nouvelle collaboration C’est pourquoi nous avons souhaité
avec l’arrivée d’Henri Jobbé Duval. Rodé aux arcanes des apporter une dimension plus
foires et des salons — il fut cofondateur de la FIAC, du Salon transversale, plus ouverte au salon
du Livre, d’Art Paris et de Révélations —, il reprend du service qui va de nouveau pouvoir rayonner
en tant que directeur artistique d’une Biennale qui doit internationalement, à condition
reconquérir les cœurs. Entretien croisé. que les acteurs se fédèrent…

Comment s’inscrit cette édition dans la (longue) histoire de
l’événement ? Une continuité ? Une rupture ? Un renouveau ?
Anisabelle Berès-Montanari (A. B.-M.) : Je ne dirais
pas qu’il s’agit d’une redéfinition de l’événement,
mais plutôt de son adaptation après l’interruption
de 2020. Tout simplement parce que le monde change
et que nous sommes bien obligés de changer avec lui.
C’est pourquoi certaines galeries d’art moderne sont
présentes cette année. La Biennale reste l’une des plus
prestigieuses foires au monde, au côté de quelques
grands événements d’art internationaux. À ce titre,
elle fédère chaque année les principaux acteurs du
marché de l’art et grands collectionneurs qui se
retrouvent lors de ce rendez-vous incontournable.
Quels sont les principauxdéfis que vous
avez dû relever pour l’organisation de
l’édition 2021 ?
H. J. D. : Tout d’abord, nous avons
dû affronter des défis d’ordre
conjoncturel. La crise sanitaire
a perturbé le calendrier des salons,
pour la plupart annulés en 2020.
Lorsque les événements ont à
nouveau pu se tenir, l’offre a explosé
et tout le monde s’est retrouvé dans
le même créneau de dates. C’est
devenu compliqué. Rien qu’à Paris,
certains galeristes se sont retrouvés

— Carine Claude 17
 INTERVIEW
à exposer à Art Paris, puis à la FIAC,
voire à Paris Photo en l’espace de
quelques semaines. Et puis il y a eu
des frictions individuelles vis-à-vis de
l’histoire récente de la Biennale. Or,
les salons, qui sont des événements
à la fois économiques et culturels,
profitent tous à la dynamique
du marché et à l’ensemble des
acteurs. Il faut regrouper les énergies,
tout en prenant en compte les
différences de points de vue
de chacun. Pour résumer, être
bienveillants et constructifs.
Monter un projet comme celui-ci nécessite de déployer énormément d’énergies.
Les membres du bureau et du conseil d’administration du SNA, mais aussi les
adhérents se sont beaucoup investis. C’est un acte altruiste qui vise à aider
l’ensemble des acteurs de ce secteur.
L’installation au Grand Palais Éphémère
est également une première…
A. B.-M. : Pour de multiples raisons,
nous avons dû préparer cette édition
un peu plus tardivement
que les années précédentes.
Mais l’installation au Grand Palais
Éphémère est plutôt une bonne
surprise. Même s’il est temporaire,
le lieu offre plus de confort que la
Grand Palais historique qui avait,
en effet, grand besoin d’être rénové.
Ce qui nous manque le plus est sa
belle verrière…
H. J. D. : Cette édition est un peu
un numéro 0. C’est un acte fondateur
pour que les trois éditions à venir,
qui se tiendront au Grand Palais
Éphémère, préparent un retour
brillant au Grand Palais historique.
Notre concept avec un contenu
revisité et un positionnement
AMA · 331 · 25 novembre 2021
qui correspond aux nouvelles
attentes des professionnels comme
du public permet de construire
une relation de confiance, différente,
sur le long terme, avec l’ensemble
des acteurs du milieu.
Quelles sont les grandes caractéristiques
de votre programmation ?
A. B.-M. : C’est une évidence de le dire,
mais les gens ont été privés d’art et
de culture pendant près de deux ans.
Ils veulent revenir dans les foires,
voir des œuvres. La Biennale est
— Henri Jobbé Duval
assez unique. C’est un salon
de très haut niveau. Nos exposants
ont sélectionné avec un très grand
soin des pièces importantes,
rares et de très grande qualité.
Plus de soixante participants
et plusieurs institutions muséales
se sont engagés à nos côtés pour
accompagner le rayonnement
international de notre salon.
Autrefois, la Biennale s’appelait
la biennale des antiquaires
et de la joaillerie — et aussi
de la haute gastronomie.
La joaillerie fait partie de l’ADN
de notre événement, elle revient
à sa juste place. Les maisons ont
souffert de la fermeture de leurs
marchés asiatiques. Elles se sont
retrouvées dans une position
inconfortable, mais elles redécollent
et nous sommes ravis de les accueillir.
H. J. D. ⋅ A. B.-M.
Qu’est-ce qu’un salon comme la
Biennale apporte à ses exposants ?
H. J. D. : Un salon de prestige
comme celui-ci est un bras de levier
économique très important grâce
aux flux financiers et aux échanges
qu’il génère. C’est aussi un moment
où les acteurs mettent leur énergie
en commun pour servir l’intérêt
général, mais aussi un levier
de confiance et de démocratisation
de l’accès à l’art. Nos métiers sont
parfois méconnus. Il faut sensibiliser
un nouveau public, le former pour
qu’il soit capable d’apprécier la valeur
intrinsèque de l’art. Les valeurs
d’exigence, les savoir-faire créatifs
et techniques, le patrimoine que
nos exposants défendent sont
toujours d’actualité.
Les antiquaires, galeries et marchands
d’art ont été fortement impactés
par les confinements successifs.
Quel est aujourd’hui leur état d’esprit ?
A. B.-M. : Ils ont évidemment traversé
une année extrêmement difficile.
Selon moi, et ce n’est que mon avis,
les vrais galeristes — ils ne sont pas
si nombreux — c’est-à-dire ceux
qui ont une histoire, un stock
et qui connaissent leur métier vont
sans doute pouvoir tenir. Les choses
risquent d’être plus compliquées pour
certaines galeries plus récentes qui
n’auront pas les finances pour résister.
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AMA • 331 • 25 novembre 2021

 INTERVIEW H. J. D. ⋅ A. B.-M.

Certaines spécialités en ont-elles pâti
plus que d’autres ?
A. B.-M. : L’art contemporain sans
aucun doute. En général, vous
achetez du contemporain et de l’ultra
moderne quand vous avez déjà
acheté autre chose avant. C’est rare
de commencer par ça. Or, pendant
la crise, les gens se sont tournés vers
des œuvres ou objets plus classiques.
C’est presque un réflexe : pendant
des périodes d’incertitudes,
on se rassure et on s’intéresse
à des choses plus évidentes.
A. B.-M. : Les plateformes numériques
ne sont pas faites pour moi. Elles
peuvent être utiles dans certaines
spécialités, comme la sculpture ou
les multiples. Mais à partir d’un
certain prix, les clients veulent voir
l’œuvre en direct. Ils doivent pouvoir
se projeter dans leur intérieur, se
rendre compte de l’état, de la taille
exacte de l’objet par eux-mêmes. Bien
entendu, le numérique est un outil
de communication remarquable,
nous sommes présents sur les
réseaux sociaux. Pour l’achat,
mais nous avons bien entendu des
collectionneurs de tous âges,
quelles que soient les spécialités.
Heureusement pour nos marchands !
H. J. D. : Je pense que les nouvelles
générations sont particulièrement
sensibles aux valeurs que nous
véhiculons, aux questions de savoir-
faire, de responsabilité et de
patrimoine. Défendre des valeurs
avec lesquelles on a plaisir à vivre
est devenu un phénomène sociétal.
Les plus jeunes vont, par exemple,
privilégier les circuits courts

La Biennale reste l’une des plus prestigieuses foires au monde, au côté de quelques
grands événements d’art internationaux. Elle fédère les principaux acteurs du
marché de l’art et grands collectionneurs qui se retrouvent lors de ce moment
incontournable. C’est une occasion unique de découvrir des pièces rares
sélectionnées avec soin par chaque exposant. — Anisabelle Berès-Montanari

Pendant la crise, le commerce de l’art
a été soutenu par le déploiement
des plateformes numériques.
Quelle part occupe aujourd’hui
le digital dans vos spécialités ?
H. J. D. : Le numérique est important
pour nos métiers, mais il ne doit pas
prendre le pas sur l’essentiel, à savoir
qu’une œuvre sur un écran ne sera
jamais qu’une reproduction. Une
œuvre d’art porte une dimension
matérielle, tactile, qui lui confère une
portée spirituelle. Par contre, les
nouvelles technologies sont
essentielles pour la communication,
mais aussi à terme pour la traçabilité
des œuvres grâce à la blockchain, par
exemple. Les professionnels doivent
les connaître dans leur intérêt et dans
celui des futurs collectionneurs.
c’est autre chose, même si l’on
connaît bien le marchand.
A. B.-M. : Je connais de jeunes
collectionneurs qui apprécient
et qui aiment ce qu’ils achètent
en toute sincérité et non pour
spéculer. Mais ce n’est pas toujours
évident de se lancer. D’abord,
les œuvres sont de plus en plus
rares et difficiles à trouver. Ensuite,
les prix ont augmenté dans
tous les domaines, donc les jeunes
collectionneurs ne peuvent pas
toujours se les offrir. Enfin, ils doivent
aussi avoir une certaine culture.
Tant mieux si une nouvelle
génération répond à l’appel,
et la qualité dans leurs habitudes
de consommation. Or, derrière
la création, il y a toujours
une qualité défendue par un
galeriste. Collectionner de l’art
correspond bien à toutes ces
attentes.
Quelles sont selon-vous les principales
qualités d’un marchand d’art ?
A. B.-M. : D’abord, il faut un œil
— on ne peut pas faire sans.
Et être passionné. La plupart des
vrais marchands sont eux-mêmes
des collectionneurs, pas forcément
dans leur domaine d’ailleurs. Il faut
également avoir une volonté de fer.
Parfois, il m’est arrivé de dire à un
collectionneur : « N’achetez pas cette
pièce, elle n’est pas faite pour vous. »

21
 INTERVIEW
Vous ratez peut-être une vente, mais
vous ne perdez pas votre client.
Il faut savoir ce que l’on veut : soit
vous voulez construire des collections
valables qui porteront votre trace,
soit vous vendez tout et n’importe
quoi. Et puis, j’apprends encore
tous les jours quelque chose.
C’est un métier qui me comble —
mis à part quelques inconvénients
administratifs…
H. J. D. : C’est un engagement
qui se prend avec passion et
exigence. Il faut ensuite établir
de la confiance dans les relations
que l’on construit. Entre le galeriste
et les artistes qu’il va défendre, entre
le marchand et ses collectionneurs.
Si l’on prend un autre secteur, celui
du livre, l’histoire démontre qu’il n’y a
pas de grands auteurs sans grands
éditeurs et vice versa. C’est la même
chose dans les arts. L’œil de
l’antiquaire et la relation intime
qu’il établit avec les objets leur
apportent une dimension
supplémentaire. Des collectionneurs
ont bâti de magnifiques collections
en ne faisant confiance qu’à un seul
marchand, car ils avaient construit
une complicité sur la base d’un
dialogue et de valeurs partagées.
Pour résumer, qu’est-ce qui fait
l’essence de La Biennale ?
H. J. D. : Un événement comme celui-
ci est un bien commun, à l’intérieur
duquel des biens circulent.
Le patrimoine, ce sont ces biens
circulants. La Biennale est un
formidable outil qui sert l’intérêt
général et doit être un lieu
de convergence.
A. B.-M. : Paris retrouve sa Biennale,
et c’est peut être le début de quelque
chose de plus important. Car avec
les difficultés rencontrées par
Londres suite au Brexit, Paris
a l’occasion de redevenir une place
centrale du marché de l’art. Je pense
que nous avons une carte à jouer.
AMA • 331 • 25 novembre 2021
HJD ⋅ ABM
60 ans d’émerveillement
Elle est née avec l’époque des grands gestes culturels d’André Malraux.
La Biennale, qui s’apprête à fêter ses soixante ans, est le fer de lance du
Syndicat National des Antiquaires (SNA), l’une des plus anciennes
associations de marchands d’art de France fondée en 1901. Dès les
années 50, l’idée d’un grand événement rassemblant la profession fait
son chemin dans l’esprit de Pierre Vandermeersch, alors président du
syndicat. La première « Foire des Antiquaires de France » est lancée
en 1956 et se tiendra jusqu’en 1961 à la Porte de Versailles. Mais c’est
en 1962 sous l’impulsion d’André Malraux que la foire devient
la Biennale des Antiquaires et qu’elle s’installe sous les verrières
du Grand Palais. Grands antiquaires, décorateurs, joailliers, libraires
sont rassemblés dans un décor féérique constitué de pavillons,
de jardins et de fontaines. C’est sous l’appellation « Les Antiquaires
et les Décorateurs au Grand Palais » que cette première Biennale
ouvre d’ailleurs ses portes. Le succès est immédiat. En 1964,
la deuxième édition de la Biennale des Antiquaires accueille
350.000 visiteurs — et le Bal des Débutantes. Les scénographies
somptueuses deviennent sa marque de fabrique. Au fur et à
mesure des éditions, Karl Lagerfeld, Jean-Raphaël Milles-
Lacroix, Guy Balhardère, Pier Luigi Pizzi, Christophe
Decarpentrie, Nathalie Crinière ou encore Jacques Grange en
signeront le décor. Les personnalités politiques et le show
business s’y pressent. Et la Biennale se diversifie, notamment
avec l’art déco qui apparaît en 1972. Au début des années 80,
une centaine d’exposants participent à l’événement.
En 2002, l’arrivée d’une vingtaine de grandes galeries
européennes et américaines renforce la dimension
internationale de la Biennale. Trois institutions
prestigieuses sont les invités d’honneur de la 28e édition
en 2016 : le Musée de l’Ermitage qui présente des fleurons
de ses collections, le Mobilier national et la fondation de
la Haute Horlogerie. C’est aussi à partir de cette
édition 2016 que la sélection des exposants est réalisée
par une Commission Biennale désormais ouverte
à des personnalités qualifiées extérieures au SNA.
En 2017, l’évènement devient annuel et se renomme
« La Biennale Paris ». Cette année-là, elle rend
hommage au patrimoine de la famille de Jean Paul
Barbier-Mueller, grand collectionneur suisse d’objets
d’arts africains, océaniens et précolombiens.
Pour sa trentième édition en 2018, La Biennale
Paris présente l’exposition centrale « Napoléon,
Empereur sous la verrière » autour de la collection
unique de Pierre-Jean Chalençon, pendant que
Jean-Charles de Castelbajac enchante la nef du
Grand Palais avec son Carrousel Céleste.
Cap sur Bahreïn en 2019 avec une exposition
d’art, de design et d’archéologie de l’émirat.
Douze jeunes galeries rejoignent alors le salon.
Un frémissement vers l’art contemporain
qui se concrétise en 2021.
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LA BIENNALE… EN DÉTAIL

La Biennale, c’est un voyage au cœur de l’histoire de l’art, de l’archéologie à la peinture

XIXe en passant par les arts décoratifs, le mobilier, la sculpture et les arts extraeuropéens.
Avec, pour cette édition nouvelle formule, un coup de projecteur sur l’art contemporain
et la joaillerie qui fête cette année son grand retour.

Art ancien et XIXe. En force cette galerie intervient également

C’est l’un des secteurs phares de La Biennale. Une dizaine pour des institutions publiques
d’antiquaires exposent une sélection pointue d’art ancien et de tel le musée du Louvre, et, bien
peintures allant du XVe au XIXe siècle. Chez Florence de Voldère, entendu, pour des collectionneurs
on découvre des trésors de la peinture flamande et des maîtres souhaitant valoriser leur collection.
des écoles du Nord du XVIe au XVIIe siècle. « Pourquoi la peinture
flamande ? Parce qu’elle nous apporte la joie du quotidien, Installé depuis 2012 au cœur du
l’optimisme de la Renaissance, la confiance dans l’homme célèbre marché Biron dans les puces
et un modèle d’esthétique », avoue la galeriste parisienne de Saint-Ouen, William Diximus
installée depuis 1984 avenue Matignon. L’art du XVIIIe français se passionne pour l’art des XVIIIe
brille pour sa part à la galerie Perrin avec deux sculptures et XIXe siècles. Portraits, scènes de
représentant Mars et Vénus de Robert Le Lorrain. « Peu genre et de mythologie, paysages…
d’œuvres de cet artiste subsistent, la plupart ont disparu. William Diximus est un amoureux
Cette rareté rend notre paire plus exceptionnelle encore, de la peinture XIXe. « Ce siècle
bien qu’elle l’est déjà par son incroyable qualité d’exécution est foisonnant, il a donné naissance
et sa patine merveilleuse », explique l’antiquaire. La galerie à tellement de mouvements
Giovanni Sarti se consacre à deux spécialités rares : artistiques, s’émerveille l’antiquaire.
les « Primitifs italiens » des XIVe et XVe siècles et les objets Si le XVIIIe siècle est celui du mobilier,
en marbre et pierres dures, même si hôtel particulier le XIXe est incontestablement celui
près des Champs-Élysées où siège la galerie regorge de de la peinture. » Pour La Biennale, il a
mobilier et de tableaux (principalement italiens) allant sélectionné un portrait d’enfant, peint
jusqu’au XVIIIe siècle. Pour la Biennale, cette maison par Hortense Haudebourt-Lescot,
propose une nature morte de G.B. Ruoppolo : Sarments l’une des rares femmes peintres de
de vignes avec du raisin blanc et noir, une pastèque, la fin XVIIIe et du début du XIXe siècle.
des courges et autres fruits. « Cette nature morte, en « Haudebourt-Lescot a été remise
excellent état de conservation, révèle la spectaculaire en lumière à l’occasion de l’exposition
sensibilité baroque de l’artiste, alors à l’apogée du Luxembourg consacrée
de sa carrière », précise l’antiquaire. Les cadres aux “Peintres femmes aux XVIIIe
sont également à l’honneur dans cette section avec et XIXe siècles” ainsi qu’aux récentes
Capucine Montanari. Dotée d’une grande collection acquisitions de musées, notamment
de modèles anciens français, espagnols, italiens américains. Ici, elle a représenté
et hollandais, allant du XVIe siècle au XXe siècle, son fils avec un certain nombre

— Carine Claude 25
 BLOC-NOTES
d’attributs, dont un carnet à dessins ;
l’enfant voulait devenir architecte
comme son père. Tout est beau
dans ce portrait : la composition, la
lumière, le personnage », commente
l’antiquaire qui précise « Ce que nous
recherchons ce sont les grandes
œuvres de petits maîtres ». William
Diximus présente également une
série de papiers peints de 14 m de
long représentant l’histoire de Psyché
en 12 tableaux grisaille réalisée
par la manufacture Desfossé & Karth
vers 1872. Un ensemble spectaculaire
dont une série similaire,
mais incomplète, est conservée au
musée des Arts décoratifs de Paris.
Art ancien et XIXe
Librairie Amélie Sourget (Paris) ;
Galerie Ary Jan (Paris) ; Galerie Éric
Coatalem (Paris) ; Costermans &
Pelgrims de Bigard (Bruxelles) ; Galerie
Diximus (Paris) ; Galerie Dreyfus
(Bâle) ; Librairie JC Vrain (Paris) ;
Galerie Perrin (Paris) ; Galerie Giovanni
Sarti (Paris) ; Galerie Marc Segoura
(Paris) ; Galerie Florence de Voldère
(Paris) ; Cadres Montanari (Paris)
Art moderne. Richesse et variété
Spécialiste de la peinture française
et européenne de la fin du XIXe
et du début du XXe siècle, en
particulier l’école orientaliste et la
Belle Époque, Ary Jan présente une
belle sélection d’œuvres dont
Madame Helleu à l’ombrelle de Paul
César Helleu (1859-1927) et une vue
du Pont de Brooklyn, New York de
Bernard Buffet. « L’entre deux siècles
voit apparaître de nouveaux courants
artistiques, dont l’impressionnisme,
qui aujourd’hui ont fortement occulté
la peinture académique de cette
période », précise le galeriste.
La spécialité est également bien
représentée par la galerie RX. 18 ans
après l’ouverture de son adresse
à Matignon et dix ans après celle
de son lieu monumental à Ivry-sur-
AMA · 331 · 25 novembre 2021
DÉTAIL DE BIENNALE
Seine en 2011, l’enseigne qui avait
investi un nouvel espace dans le
Marais en 2016 s’aventure désormais
outre-Atlantique avec une annexe
américaine dans le quartier huppé
de Chelsea à New York. Pour La
Biennale, elle a choisi une série Sans
titre de Hermann Nitsch de 1938.
À la galerie Hurtebize, les
collectionneurs découvriront une
composition de Georges Mathieu
datant de 1961, Ravissement, une
toile de Moïse Kisling de 1924, Jeune
Brune aux Yeux bleus, une Tour Eiffel
de Bernard Buffet et une composition
d’Hans Hartung. Implantée à Cannes
depuis plus de vingt ans, cette galerie
s’est spécialisée dans les tableaux
postimpressionnistes et modernes,
et quelques coups de cœur
contemporains. Balayant l’histoire de
l’art occidental, d’Antoine Le Nain à
Donald Judd, en passant par Greuze,
Renoir ou Pablo Picasso, la galerie
Dreyfus, installée à Bâle, expose pour
sa part Place du Tertre à Montmartre
de Maurice Utrillo, une huile sur toile
signée des environs de 1920-1922.
Art moderne
Galerie Berès (Paris) ; Galerie Alexis
Pentcheff (Paris) ; Galerie RX (Paris) ;
Galerie Ary Jan (Paris) ; Galerie
Hurtebize (Paris) ; Jody Klotz Fine Art
(Abilene, États-Unis) ; Galería de Arte
Jordi Pascual (Barcelone) ; Galerie
Louis & Sack (Paris) ; Galerie Patrice
Trigano (Paris) ; Galerie Perahia (Paris)
Art contemporain. Ici, maintenant !
Depuis plusieurs éditions, l’art
contemporain s’est frayé un beau
chemin au sein de La Biennale. Le
phénomène se confirme cette année
avec la présence d’une douzaine de
galeries présentant des sculptures et
peintures contemporaines. La galerie
Françoise Livinec [voir p.52]
a choisi d’exposer le travail de Loïc
Le Groumellec et de Ricardo Cavallo.
Elle donne également à voir Sphinge,
une peinture de Marjane Satrapi
autrice oscarisée dont le travail
pictural est méconnu. On se souvient
de Persepolis et Poulet aux prunes.
Pour sa part, Opera Gallery consacre
un solo show au maître de l’Outrenoir
[voir encadré p.64] avec une sélection
d’œuvres illustrant les principales
périodes de production de Pierre
Soulages, des années 1950 à nos jours.
La sculpture contemporaine est
également à l’honneur à la galerie
Bayart, notamment dans sa version
monumentale, avec le David
et Goliath de Christophe Charbonnel.
Les fondateurs Caroline et Thomas
Bayart, qui travaillent en exclusivité
avec leurs artistes, défendent
également d’autres médiums
comme la peinture, la photographie,
le dessin, le design, ou encore
les installations. Mais l’ADN de cette
galerie installée depuis 2008 rue des
Beaux-Arts à Saint-Germain-des-Prés
reste bel et bien la sculpture.
Toujours du même Christophe
Charbonnel, on pourra admirer
un Masque de Poséidon en bronze,
plusieurs interprétations de la figure
d’Oros ainsi qu’un Bras
monumental II d’un mètre
cinquante de long. « Chaque pièce
métallique constituant ce bras
a méticuleusement été pensée, créée,
façonnée, puis soudée à l’ensemble.
Homme transformé ou machine en
construction ? Ici, l’artiste questionne
l’identité du corps, et instaure une
véritable confusion entre ce rapport
ambivalent du progrès technologique
et de l’évolution de l’humanité »,
expliquent le duo de galeristes
qui présentent également des
bronzes de Romain Langlois ainsi
qu’un ensemble de sculptures
de Massimiliano Pelletti, dont une
Vénus en onyx rose et micro cristal.
Ouverte depuis 2007, la galerie
Najuma, spécialisée dans les
mouvements d’après-guerre,
présente pour La Biennale une
sélection d’œuvres abstraites des
années 50-60. Elle opère un coup
de projecteur autour du geste,
de l’écriture et de la matière,
T1963-E23 (1963), Hans Hartung
Courtoisie Galerie Najuma. La Biennale
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© Christ Galerie Bayart.
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Courtois
 BLOC-NOTES
regroupés sous le vocable d’art
informel avec des artistes tels Olivier
Debré, Hans Hartung, Alberto
Magnelli, Georges Mathieu… Elle fait
aussi la part belle à Jean Degottex
en proposant des œuvres allant des
années 60 aux années 80. Un travail
qui puise aux sources de l’écriture
automatique des Surréalistes.
« Notre exposition pourrait se
résumer en un mariage élégant entre
artistes expressionnistes abstraits
et nouveaux réalistes tels que César
et Jacquet, mêlant arts graphiques
et sculptures », précise Fabrice
Miliani, fondateur de la galerie.
Art contemporain
Galerie Bayart (Paris) ; Galerie Claude
Bernard (Paris) ; Galerie La Forest
Divonne (Paris, Bruxelles) ; Galerie
Françoise Livinec (Paris) ; Galerie Guy
Pieters (Knokke-Heist, Laethem-
Saint-Martin) ; Galerie Najuma
(Marseille) ; Opera Gallery (Paris, New
York, Miami, Londres, Monaco,
Genève, Aspen, Dubaï, Beyrouth,
Hong Kong, Singapour, Séoul)
Sculpture. Tout bronzé
L’Univers du Bronze rend hommage
à deux grands maîtres de la sculpture
XIXe, Rodin et Carpeaux. « Je présente
deux pièces importantes et de qualité
muséale, s’enthousiasme Alain
Richarme, fondateur de la galerie
de la rue de Penthièvre. Tout d’abord,
L’Âge d’Airain de Rodin en petit
modèle, le premier à avoir été fondu
après la mort de l’artiste. Il s’agit
d’un tirage fabuleux, une fonte
de 1922 avec le cachet “M” prévu
originellement pour le musée Rodin
ou celui de Tokyo. L’épreuve est
exceptionnelle. La patine, la fonte,
l’empreinte sont éblouissantes.
La sculpture s’éveille à la vie.
La pièce est passée par une collection
japonaise, puis dans les mains
de Monsieur Krugier avant d’arriver
chez nous récemment. Une dizaine
DÉTAIL DE BIENNALE
d’épreuves sont actuellement dans
des musées comme le Metropolitan.
Nous présentons l’Ugolin de
Carpeaux qui, lui aussi, est rarissime.
Je ne l’ai pas vu sur le marché depuis
trente ans. C’est là encore un
somptueux tirage d’époque avec
le cachet de la propriété de
Carpeaux. » En complément de ces
deux chefs-d’œuvre, Alain Richarme
propose à l’extérieur de son stand un
ensemble de dix œuvres d’Umberto,
le sculpteur animalier contemporain
représenté par la galerie.
Il est à cheval entre la Rive droite
et la Rive gauche. En septembre 2020,
le galeriste Nicolas Bourriaud,
spécialiste de la sculpture
européenne XIXe et XXe, a ouvert
un nouvel espace quai Voltaire
en complément de sa galerie du
Faubourg Saint-Honoré.
Pour l’évènement, il a sélectionné
un plâtre signé « A. Bourdelle »
et dédicacé : Beethoven à la colonne
les yeux fermés. Il s’agit de l’une
des nombreuses études de l’artiste
consacrées à l’illustre compositeur,
la figure de Beethoven ayant
accompagné Bourdelle tout au long
de sa carrière. « C’est l’un de ses
exemplaires les plus aboutis,
une œuvre similaire est conservée
au musée Bourdelle », précise Nicolas
Bourriaud. Sa sélection pour
La Biennale ne s’arrête pas là.
Il y présente deux œuvres de Bugatti,
une petite panthère et un flamant
avec des fontes originales d’Hébrard,
ainsi qu’une pièce de Paul Jouve
« que l’on connaît davantage pour
sa production picturale que pour son
œuvre sculptée », précise le galeriste,
mais aussi des sculptures de
Carpeaux ou encore une quinzaine
d’œuvres de Barye « dignes
d’Orsay et du Louvre en qualité
de réalisation ». Et de résumer :
« Nous exposons beaucoup
de pièces à La Biennale, car il n’y a
pas eu de foires internationales
depuis un certain temps. »
Sculpture
Galerie Nicolas Bourriaud (Paris) ;
Univers du bronze (Paris)
Arts décoratifs, mobilier, objets d’art et
design. Le beau et l’utile
Noir et épuré, le stand Benjamin
Gastaud s’ouvre comme un écrin pour
illuminer des vases de Lalique aux
couleurs éclatantes. Spécialiste depuis
plus de dix ans de l’œuvre du grand
verrier, cet antiquaire de Saint-Ouen
qui œuvre sous l’enseigne BG Arts
a souhaité travailler l’idée de la série.
« Ce sont des pièces emblématiques
de son travail qui, pour la plupart,
n’ont jamais été rééditées par
la maison Lalique. Elles couvrent
la période 1910 et 1945 et posent la
question du travail du verre par René
Lalique et son influence sur l’ensemble
des arts décoratifs. » L’antiquaire
présente par ailleurs un ensemble
de meubles de Jallot spécialement
acheté pour La Biennale.
La galerie d’arts décoratifs Yves et
Victor Gastou, spécialisée dans le
mobilier et la sculpture des
années 1940 à 1970, a choisi une
sélection d’œuvres à la rencontre
entre le design et la sculpture « avec
une touche de surréalisme ».
Pour l’événement, l’enseigne de la rue
Bonaparte a composé un ensemble
de meubles-sculptures d’artistes
iconiques du XXe siècle confronté aux
créations contemporaines de Béatrice
Serre, Emmanuel Jonckers et Agnès
Debizet qui ont été spécialement
créées pour La Biennale. Parmi les
œuvres phares de la présentation
figurent le fauteuil Coque de Philippe
Hiquily, la table-sculpture Araignée
de Victor Roman et les colonnes
Entrelacs surnaturalistes
en céramique d’Agnès Debizet.
Chez Mathivet, on tient à présenter
le must de l’art déco, notamment
l’exceptionnelle lampe Flambeau
en bronze d’Alberto Giacometti.
Créée en 1934, elle s’inscrit dans
la lignée de ses créations de 1927
comme La femme à la cuillère ;
cette lampe totémique associe
les éléments géométriques comme
le cube, le cône ou encore le cylindre.
« Les pièces que nous avons choisies
sont exceptionnelles par leur rareté
et par l’importance qu’elles
29
 BLOC-NOTES
représentent dans leur époque.
En tant que marchand spécialisé
dans le XXe siècle, j’ai souhaité mettre
en lumière la lampe d’Alberto
Giacometti qui est tout simplement
la continuité de son travail cubiste
en sculpture dans les arts décoratifs »,
explique Fabien Mathivet qui
a confondé sa galerie avec son
épouse Céline en 2004 à Saint-
Germain-des-Prés. « À peu près
à la même époque, Paul Dupré Lafon,
extraordinaire ensemblier, créait
la table lumineuse moderniste que
nous présentons, poursuit le duo.
Cette pièce n’est jamais apparue sur
le marché dans sa forme complète.
En effet, elle est augmentée de deux
consoles qui, une fois réunies,
peuvent se transformer en une table
à jeux. Et comme la table lumineuse
initiale peut rabattre ses deux volets,
elle peut également devenir
une console ou un bureau. »
Un ensemble de miroirs, tables
et cabinets sont mis à l’honneur
sur le stand de la Maison Rapin,
spécialiste du mobilier et des objets
d’art des XIXe et XXe siècles. Michel
Giraud, qui a récréé dans son espace
rue de Seine l’intérieur d’un amateur
des années 1930, présente également
une sélection de meubles
et d’arts appliqués.
Arts décoratifs, mobilier,
objets d’art et design
BG Arts (Paris) ; Galerie Dutko
(Paris) × Luigi Toninelli (Monaco) ;
Galerie Yves et Victor Gastou (Paris) ;
Galerie Michel Giraud (Paris) ;
Kunsthandel Kohlhammer (Vienne) ;
Galerie Mathivet (Paris) ; Maison
Rapin (Paris)
Joaillerie. Best friend!
La 32e édition de La Biennale signe
également le grand retour
de la joaillerie avec une dizaine
d’exposants. La maison Vever,
pour qui 2021 est l’année
AMA • 331 • 25 novembre 2021
DÉTAIL DE BIENNALE
de la renaissance [voir p.40], présente
des pièces d’archives, des bijoux ainsi
que ses nouvelles créations de haute
joaillerie. Son univers créatif, peuplé
de créatures fantastiques, est illustré
par des nymphes en or blanc,
jaune ou rose recyclé et d’émail
plique à jour réalisé par Sandrine
Tessier, meilleure ouvrière de France.
On découvre également la série
des bagues Gingko et des pendants
d’oreilles inédits.
Cartier, Van Cleef and Arpels,
Chaumet, Boucheron, Fouquet…
Les grandes signatures de la joaillerie
se bousculent chez Larengregor,
maison basée à Genève et spécialisée
en pierres précieuses et en bijoux
anciens. Pour sa première
participation à La Biennale,
Jacques Sitbon, son directeur,
veut renouer avec l’émotion :
« Plus que jamais, les gens ont besoin
de rêve, d’émotion, de spiritualité.
Or, dans l’histoire de la joaillerie,
il y a eu une fracture lorsque
le marketing s’est imposé dans
les grandes maisons. Auparavant,
les gens restaient bouche bée devant
les vitrines. » Entre autres merveilles,
il présente le Tonkinois, un bracelet
or jaune composé d’un important
fermoir à décor concentrique
retenant une torsade de boules
d’or créé par Suzanne Belperron
en 1939. « Jean Despres était
un orfèvre sublimissime, Fouquet
était un prince de la modernité,
ajoute Jacques Sitbon. Je vais
essayer d’apporter ma contribution
à l’émotion et au rêve pendant
La Biennale à travers mes choix,
qui sont éclectiques, même si l’art
nouveau et l’art déco me touchent
plus particulièrement. »
Joaillerie
Bernard Bouisset (Béziers) ; Elsa Jin
(Hong Kong) ; Henn of London
(Londres) ; Hervieux & Motard
(Rouen) × La Métairie (Versailles) ;
Horovitz & Totah (Genève) ;
Larengregor (Genève) ; Orpheo
Genève (Genève) ; Galerie Alain
Pautot (Clermont-Ferrand) ;
Vever (Paris)
Art tribal. Ethnies amies
Les marchands d’art tribal dévoilent
aussi leurs coups de cœur et leurs
chefs-d’œuvre. Anthony Meyer ouvre
son « Jardin secret » aux visiteurs
de La Biennale. Dans cette exposition
particulièrement intime,
ce spécialiste des arts océaniens
et eskimos du quartier Saint-
Germain-des-Prés pioche dans
sa collection privée et dans
le catalogue pour évoquer
ses multiples passions, du Haut
Moyen Âge, aux arts d’Afrique
et d’Asie en passant par des pièces
lithiques pré et protohistoriques
à l’art contemporain. Sans oublier
quelques joyaux des cultures
anciennes des îles du Pacifique
et de l’Arctique. « Sortant du carcan
des spécialisations et de l’expertise
qui me limite, je propose un regard
personnel sur les différentes époques
et cultures qui m’entourent
à la maison et dans mes songes, »
explique-t-il. Loin d’être une
présentation exhaustive des
domaines proposés à sa galerie,
il confie que quelques objets sont
inédits sur le marché. « Ce sera
une sorte de buffet froid de ce que
j’aime », ajoute-t-il avec humour.
Julien Flak se concentre pour sa part
sur les arts du Grand Nord américain
et sort pour l’occasion deux pièces
d’exception de sa galerie : un masque
à transformation (homme-oiseau)
de la région de l’île de Vancouver
de culture Nuu-Chah-Nulth (Nootka)
et le célèbre masque Yup’ik Eskimo
d’Alaska, véritable « totem » du
Surréalisme qui fut l’un des premiers
— si ce n’est le tout premier — masque
complexe exposé à Paris dès 1935
par Charles Ratton et resté dans des
collections françaises depuis.
« Ce masque est un jalon absolu
de l’histoire des arts », s’émerveille
Julien Flak en parlant de cette pièce
au pedigree prestigieux passée par les
collections de la Heye Foundation, de
Charles Ratton, d’Alain de Monbrison
et de Michel Périnet. Il a d’ailleurs
atteint le prix de 375.000 € le 23 juin
dernier chez Christie’s lors de la
dispersion de cette dernière collection.
Coque armchair (1975), Philippe Hiquily
Courtoisie Galerie Yves et Victor Gastou. La Biennale
XXX XXX

Les vraits pourtraits et vies des hommes illustres (1584), André Thevet
Courtoisie Librairie Amélie Sourget. La Biennale

AMA • 331 • 25 novembre 2021

 BLOC-NOTES
À noter également la présence
de la galerie barcelonaise Guilhem
Montagut, qui se consacre depuis
plusieurs années à l’art des premières
périodes des sociétés tribales,
en particulier d’Afrique.
Art tribal
Galerie Flak (Paris) ; Galerie Meyer
(Paris) ; Montagut Gallery (Barcelone)
Arts asiatiques et arts de l’Islam.
So far so close
Dirigée depuis 1987 par Annie
Janssens, la Ming-k’i Gallery est
spécialisée à la fois dans les arts
de la Chine antique et de l’Amérique
précolombienne. Outre plusieurs
ensembles de figurines en terre cuite
représentant des dames de cours
ainsi que des danseuses et des
musiciens, la galeriste a choisi
quelques pièces d’exception pour
illustrer des périodes plus anciennes
d’archéologie chinoise.
« Les analyses Carbone 14 sont
encore en cours, mais je pense
présenter un grand cheval en bois
de la dynastie des Han dans un état
exceptionnel de conservation. C’est
une pièce extrêmement rare qui a été
préservée, car elle était ensevelie
dans une région au climat très sec »,
précise Annie Janssens qui apporte
également de Belgique deux très
beaux bronzes chinois, dont un bœuf
datant des Royaumes Combattants
ou de la dynastie des Han.
Trois générations d’antiquaires
et toujours autant de passion
chez la famille Kevorkian qui se dédie
depuis 1923 aux arts de l’Inde
et de l’Islam ainsi qu’à l’archéologie
orientale. Portée par l’actualité
muséale de cette automne,
notamment les expositions « Cartier
et les Arts de l’Islam. Aux sources
de la modernité » au Musée des Arts
Décoratifs [voir encadré p.44] et « Arts
de l’Islam, un passé pour un présent »
dans plusieurs villes de France jusqu’en
DÉTAIL DE BIENNALE
mars prochain — la galerie a monté
une sélection spéciale Biennale
en écho à ces manifestations.
« Deux périodes — l’art de la Turquie
ottomane et celui de la dynastie qajar
en Iran (fin XVIIIe-XIXe siècle) —
sont aussi mises en exergue, explique
Corinne Kevorkian. Avec notre
sélection, nous abordons la question
de la représentation humaine ainsi que
les courants d’échanges dont témoigne
la circulation des œuvres, des formes
et des techniques entre l’Orient
islamique, la Chine et l’Europe. »
Arts asiatiques et arts de l’Islam
Kent Antiques (Londres) ; Galerie
Kevorkian (Paris) ; Galerie
Louis & Sack (Paris) ; Ming-k’i
(Waardamme)
Archéologie. Découvertes enfouies
Pour sa première participation à
La Biennale, Jean-Christophe Argillet
de la galerie Furstenberg a sélectionné
avec soin un ensemble d’une
quinzaine de pièces précolombiennes
représentatives de son enseigne.
Taïno, Pérou, Costa Rica, Colombie…
« Il faut du haut niveau pour respecter
l’esprit de La Biennale », affirme
le galeriste, éditeur des estampes de
Salvador Dali depuis 1971 et qui confie
être tombé dans l’art précolombien un
peu par hasard. « J’ai eu un choc en
visitant une exposition sur le Mexique
à Genève en 1996. À partir de là, je me
suis documenté et j’ai acheté mes
premières pièces. J’ai organisé ma
première exposition précolombienne
dans ma galerie qui était très éloignée
de l’archéologie puisqu’elle était
spécialisée dans les estampes
surréalistes. Elle a plutôt bien marché
et je m’y consacre depuis », ajoute
celui qui fait désormais référence
en Europe pour l’art précolombien
avec une poignée de confrères.
Spécialiste de l’Égypte antique,
Antonia Eberwein retrouve le chemin
des foires avec La Biennale.
Et s’en réjouit : « Beaucoup de pièces
que je présente n’ont jamais été
montrées sur un salon. Par exemple,
ce bel ensemble de vases canopes
en calcaire du Moyen Empire. Ils sont
complets, avec les quatre vases,
ce qui est assez rare. Ils sont vraiment
sublimes avec leurs traces de
polychromie d’origine. » À leurs
côtés figure un oushebti au nom
de Neferibresaneith daté du règne
d’Amasis de la 26e dynastie.
« Les statuettes funéraires de
Neferibresaneith ont longtemps été
considérées comme les plus beaux
exemples ayant survécu de la fin de
la période dynastique. Cette statuette
fait partie d’une importante collection
de 336 oushebtis retrouvés en 1929
par l’égyptologue anglais Cecil
Mallaby Firth, dans la tombe de ce
haut fonctionnaire de la cour Saïte. »
Chez les Cahn, l’archéologie est aussi
une histoire de famille. Fondée il y a
150 ans, la galerie est actuellement
dirigée par l’archéologue classique
Jean-David Cahn, qui en représente
la quatrième génération. Dédié à
l’archéologie classique, le répertoire de
la maison bâloise couvre aussi bien la
statuaire gréco-romaine que les vases
à figures noires et rouges, en passant
par les verreries, les bijoux et les pièces
de monnaie. Pendant La Biennale, elle
présente, entre autres, une sélection
de marbres et de bronzes antiques.
La galerie Kevorkian, présente sur La
Biennale dans la spécialité des arts de
l’Islam, met un coup de projecteur sur
son autre domaine de prédilection :
l’archéologie de l’Orient préislamique.
« Celui-ci permettra d’apporter un autre
éclairage sur les arts de l’Islam, en
montrant que si ces derniers (bien que
séculaires) puisent aussi leur inspiration
dans certains préceptes dictés par la
religion, ils trouvent aussi pour
beaucoup leur source dans des cultures
et traditions orientales anciennes,
parfois même plurimillénaires »,
explique Corinne Kevorkian.
Archéologie
Galerie Cahn (Bâle) ; Galerie Eberwein
(Paris) ; Galerie Furstenberg (Paris)
33
 GE Frau im Fenster (1
aselitz
979-198
1),

Georg B La Bienn
ale
e Meyer.
ie Galeri
Courtois
MOIGNA
TÉ
ACHETEURS 2.0
Virage numérique, réseaux sociaux, néo-collectionneurs, mutation des comportements
d’achat… Dans le monde d’après, qui achète de l’art tribal et de l’archéologie ?
Témoignages post-Covid.
L’heure est au bilan. Alors que les galeristes reprennent le chemin
des foires, les questions affleurent. Quels enseignements tirer
de cette période inédite ? Les métamorphoses digitales accélérées
par la crise sanitaire mondiale sont-elles durables, voire
souhaitables ? Qui sont les nouveaux acheteurs d’un marché
désormais hybride tiraillé entre modèle traditionnel
et mutations technologiques ? Comme dans d’autres domaines,
les acteurs de l’art tribal et l’archéologie constatent
ces changements et tirent leurs conclusions. Alors, à quoi
ressemblent aujourd’hui leurs collectionneurs ? En quoi
la crise a-t-elle modifié leurs pratiques ? Quatre marchands
d’art tribal et d’archéologie témoignent de ces évolutions
et partagent leurs expériences. Et leurs points de vue.
Julien Flak. Galerie Flak. Paris
« J’ai tendance à penser que la Covid n’a pas révolutionné
notre monde, mais qu’elle a accéléré les choses, comme
un catalyseur. Avec le distanciel, un modèle économique
émerge et il est bien réel. En ce qui me concerne,
c’est une période positive pour la galerie. J’ai renforcé
des liens avec mes clients. Depuis le confinement,
j’ai des discussions extrêmement privilégiées avec mes
collectionneurs, car nous gardons du temps pour nous.
Le service est encore plus personnalisé, du sur-mesure
dans nos recherches d’objets, dans nos informations,
avec plus de vidéos, plus de newsletters. J’ai toujours
fait de la pédagogie dans mon domaine, mais la crise
a renforcé cet aspect de mon métier. »
« Il est très difficile de dresser une typologie de mes
nouveaux clients, mais il est clair que des profils
d’utilisateurs se dégagent sur les réseaux sociaux
— Carine Claude
et les autres vecteurs numériques.
Ils ne recherchent absolument pas la
même chose en fonction des canaux
qu’ils utilisent. Ce qui se passe sur
Instagram est très intéressant, même
si je n’arrive pas à savoir comment
les gens m’ont connu. Une pub ?
Le bouche-à-oreille ? Un salon ? Un
post ? On a beau avoir une approche
rationnelle pour connaître ses clients
et son marché, il n’y a pas de recette
pour savoir ce qui va fonctionner. Il y
a une immense part de spontanéité.
Toute vente est magique. »
« Les grands salons restent des points
d’ancrage importants, avec
l’excitation de sortir des objets
exceptionnels à ce moment-là.
Auparavant, tout tournait autour
de la galerie, et ponctuellement
des foires qui étaient les rendez-vous
habituels. Or, les choses évoluent
vite. D’un point de vue technique,
mais aussi parce que l’on observe
un phénomène d’hyperconcentration
des vendeurs alors que la pression
immobilière est de plus en plus forte.
À quoi ressembleront les galeries
et leurs clients dans cinq ans ?
Je l’ignore. Des galeries du métavers
sans lieu physique ? Un galeriste
35
XXX XXX

Masque à transformation, Nuu-Chah-Nulth (XIXe siècle)

Photo Danielle Voirin. Courtoisie Galerie Flak. La Biennale

AMA • 331 • 25 novembre 2021

 TÉMOIGNAGES COLLECTIONNEURS 2.0

instagrameur avec 400.000 followers ?
Des private dealers (même si le
modèle américain n’a jamais pris en
Europe) ? On a tendance à être assez
conservateurs dans nos métiers, mais
il ne faut pas être aveugles et sourds
aux évolutions du moment, car elles
ne sont pas forcément destructrices. »
AnthonyMeyer.Galerie Meyer.Paris
« Pour évoquer ces questions,
je vais donner un exemple concret :
l’exposition “Lithique” que j’ai
organisée pendant le Parcours
des mondes en septembre dernier,
un ensemble d’objets en pierre
du monde entier à tous les prix.
J’ai choisi à rebrousse poil du marché
une sélection de 350 objets allant de
50 à 150.000 euros. Avec leurs petits
prix, des pièces fort simples comme
des pilons ou des têtes de haches
ont pu faire plaisir à tous types
de collectionneurs, car je veux sortir
du carcan et des sentiers battus de
l’hyperspécialisation. Il faut montrer
que nous, galeristes, avons un regard
plus vaste que les spécialités dans
lesquelles on nous enferme. »
et ça réfléchit deux heures sur des objets à 150 euros. Ce n’est donc pas le prix
qui joue. Or, derrière un écran, on clique froidement, analytiquement. »
« Le marché est actif, mais il y a trop de compétition. J’en ai assez de cette
concurrence féroce, à toujours vouloir montrer le plus extraordinaire, le plus cher,
etc. Tout le monde vise le haut du panier en oubliant qu’il y a énormément
de collectionneurs qui ne peuvent investir que quelques centaines d’euros,
mais qui veulent être dans le jeu et qui ont besoin d’ajouter quelque chose à leur
collection. Plutôt que de les laisser partir acheter en ventes aux enchères et qu’ils
prennent le risque de se planter, il faut les nourrir avec quelque chose de bon.
C’est particulièrement vrai pour les jeunes acheteurs. Nous ne sommes plus dans
les années 80 où l’on voyait des adolescents débarquer dans les galeries avec
l’argent de Noël ou des anniversaires, mais je pense que nous pouvons revenir
à ces attitudes-là. Il faut constamment nourrir cette jeunesse, car il faut prévoir
le remplacement de nos collectionneurs… Ce qui m’a étonné également,
c’est le nombre de femmes qui achètent de plus en plus pour elles-mêmes,
pas pour faire plaisir à quelqu’un. »
Jean-Christophe Argillet.Galerie Furstenberg.Paris
« Tout d’abord, nous n’avons pas les mêmes acheteurs en tribal et en archéologie.
Déjà parce que nous n’avons pas le même rapport au temps. En archéologie,
on parle de 1.000, 2.000, 3.000 ans d’histoire. En tribal, on est sur les XIXe-XXe siècles,
rarement plus tôt. Même si nous sommes parfois réunis sur des événements,
les secteurs restent très cloisonnés. En revanche, dans ma spécialité d’art
précolombien, j’ai des amateurs d’archéologie chinoise ou classique par exemple.
Et puis, nous avons un stock fini d’objets. Les objets que je présente s’arrêtent à la
conquête espagnole au XVe siècle. Si l’on respecte les mesures des pays d’origine, on
ne peut travailler qu’avec des objets arrivés en 1970 aux États-Unis et 1994 en France,
contrairement à l’art africain ou asiatique où les marchés sont encore alimentés. »

L’art précolombien a toujours été très marginal en Europe. Nous ne sommes

qu’une poignée de marchands. Des personnalités comme Paul Éluard ou André
Breton avaient un œil. Dans mon domaine, la première fois qu’une exposition
a présenté des objets conséquents, c’était chez Pierre Matisse à New York.
À l’époque, il n’y avait que des esprit aventureux et curieux qui pouvaient
s’y intéresser. C’est encore un peu vrai aujourd’hui. — Jean-Christophe Argillet

« Ensuite, c’était incroyable de voir
l’émulation générale. Tous voulaient
emporter quelque chose de cette
expérience. C’est peut-être
psychologique, on l’a vu dans
les ventes Périnet ou Vérité :
un objet isolé par rapport au reste
de ces collections n’aurait peut-être
eu aucun attrait. Le nombre est
quelque chose d’excitant également.
Les ensembles correspondent
d’ailleurs bien à la mentalité
des collectionneurs contemporains.
C’est le phénomène de l’enfant dans
une boutique de bonbons. Ça discute
« En archéologie, le profil type du collectionneur était jusque là une personne
pouvant avoir 50 ou 100 pièces dans sa spécialité. Ce profil existe de moins
en moins. Nous rencontrons davantage de personnes qui nous disent
“J’ai une collection Support Surface” ou “J’ai une collection d’art abstrait
et ça m’intéresserait d’introduire une pièce archéologique”. Ces profils ne vont
pas aller sur le nombre, mais sur quelques pièces de haut niveau, de belle facture
et d’un certain prix. Je dirais qu’il y a de moins en moins de collectionneurs
compulsifs, d’accumulateurs. On est sur des publics où l’esthétique de l’objet prime
sur son ancienneté ou sa culture, qu’il soit du Pérou, du Mexique ou du Costa Rica,
Aztèque préconquête ou Olmèque. »
« Nous n’avons pas eu de nouveaux clients pendant cette période chahutée.
Nous n’avons travaillé qu’avec nos acheteurs habituels et nous n’avons pu le faire
à distance que grâce au lien de confiance qui avait été préalablement créé.
À chaque fois que j’ai sollicité des prospects, cela n’a rien donné. Mais quand

37
 TÉMOIGNAGES COLLECTIONNEURS 2.0

Je pense qu’une partie des gens qui s’intéressent aux arts non africains
rejoignent un peu les collectionneurs d’il y a cent ans, c’est à dire qu’ils
découvrent des formes qu’ils n’ont jamais vu auparavant, notamment dans
les arts d’Amérique du Nord. Ils ont cette curiosité disruptive qui les
amène vers des œuvres méconnues, plus surprenantes. — Julien Flak

je me suis adressé à mes acheteurs,
ils ont répondu présents. Et puis,
je dirais que l’un des aspects négatifs
de cette période est que certains se
complaisent désormais un peu trop
dans le virtuel, ce que je trouve assez
aberrant, car à un moment donné,
il faut retrouver le face-à-face avec
l’objet. Les meilleures notices et les
plus belles photos ne le remplaceront
jamais. Le choc que l’on peut ressentir
devant l’œuvre ne peut exister
à distance. Le rapport dimensionnel
est également difficile à appréhender
en photo. Je regarde toutes ces
ventes en ligne d’assez loin, même
si certaines maisons peuvent trouver
tout ceci très confortable. Pendant
toute cette période, nous nous
sommes débrouillés comme
on a pu les uns, les autres,
mais il est temps d’en sortir. »
Corinne Kevorkian.Galerie Kevorkian.Paris
« Étonnamment, nous avons plutôt
bien travaillé à distance avec Internet
pendant les confinements, ce qui
n’est pas du tout dans nos pratiques
habituelles et dans la manière dont
j’entends mon métier, car il est
important de voir matériellement
l’objet. L’émotion à distance n’est
jamais la même que devant l’œuvre
réelle. Le plaisir de notre métier est
d’avoir un échange, un dialogue, une rencontre avec le public,
de discuter autour d’une œuvre avec laquelle il est en contact.
Mais les temps changent. Comme tout le monde, nous travaillons
de plus en plus en numérique. Le phénomène a été accéléré bien
sûr par l’impossibilité d’ouvrir les galeries et de se déplacer.
Les outils de communication numériques deviennent des outils
de commercialisation, ce ne sont plus les mêmes approches. »
« L’autre point marquant — et j’en fus la première surprise —
est que le digital a attiré quelques nouveaux acheteurs.
D’une part, nous avons vu certains de nos clients traditionnels
acquérir nos œuvres uniquement par le biais de notre site
ou de nos newsletters. Et par le site web, nous sommes
rentrés en contact avec de nouveaux clients. Même si ces
derniers ont une certaine familiarité avec cette spécialité,
ils achetaient pour la première fois dans ce domaine-là.
Ils font du cross collecting, en quelque sorte. Il est certain
que nous avons vendu des pièces dans des domaines
où nous sommes reconnus au sein de notre spécialité,
comme l’archéologie orientale de l’âge du bronze
à l’âge du fer entre l’Asie occidentale et l’Asie centrale,
autour du monde iranien, ou des bronzes du Louristan
qui sont nos objets de prédilection. »
« L’archéologie orientale attire ces nouveaux acheteurs,
car ce sont des arts très accessibles par rapport
à la qualité des pièces proposées. Elles sont
intemporelles, ce sont des arts originaux, dans leurs
matériaux, dans leurs formes d’expression. Quelque
part, elles sont modernes et peuvent s’intégrer
à des environnements fort différents. Comme elles
ont été produites par des civilisations méconnues,
elles laissent place à l’imagination, chacun
peut s’y projeter. C’est un saut dans l’inconnu. »

AMA · 331 · 25 novembre 2021

Grand vase zoomorphe, Iran occidental
Courtoisie Galerie Kevorkian. La Biennale
 AISSANC

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Courtois
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UNE JOAILLERIE ÉTHIQUE ET CHIC

La Belle au bois dormant vient de se réveiller. 200 ans après sa fondation, la Maison Vever
renait sous l’impulsion de Camille Vever, représentante de la septième génération de
cette dynastie de joailliers. L’une des belles surprises de La Biennale.

On l’avait presque oubliée. En 1982, la maison Vever avait tiré
le rideau du 14 rue de la Paix, fief de cette dynastie de joailliers
de haute volée qui marquèrent de leur griffe l’histoire des métiers
d’art des XIXe et XXe siècles. Sans doute faut-il en trouver la raison
dans les difficultés économiques traversées par les maisons
indépendantes à l’heure où l’industrie du luxe s’agitait d’une
frénésie d’hyperconcentration et de rachats — LVMH naît en
1987. Pourtant, ce fleuron de la haute joaillerie à la française
était une institution en soi fondée par le Lorrain Pierre-Paul
Vever en 1821 ; ses fils Henri et Paul hissent leur établissement
au firmament de l’art nouveau, raflant une moisson jamais
égalée de Grands Prix lors des Expositions universelles
de Paris. Ils savaient bien s’entourer. Le génie de Lalique,
celui de Grasset… Leurs parures ornent alors le gotha
de l’époque, du tsar Alexandre III à l’impératrice Eugénie
en passant par le Shah de Perse et les demi-mondaines
régnant sur la Belle Époque. Les frères passent la main.
Le XXe siècle avance, l’énergie s’étiole.
Il faudra attendre la septième génération, celle
de Camille Vever, pour retrouver la dynamique des pères
fondateurs. « L’histoire de cette maison a toujours été là,
en moi », confie cette femme de 43 ans formée
à la finance à Dauphine et à l’ESCP qui a fait
ses premières armes dans les banques d’affaires
et les fusions-acquisitions. « La joaillerie était très
présente chez nous. Déjà, parce que les dernières
personnes qui l’ont dirigée étaient mon grand-père
et mon grand-oncle. Mon père se souvenait
très bien de la boutique et des ateliers du 14 rue
de la Paix, des clients, du toucher, des odeurs.
J’avais l’impression de vivre ces histoires à travers
les images que je m’étais
construites. » Dans l’appartement
familial, la griffe Vever est partout.
Les médailles des Expositions
universelles. Le papier à en-tête.
L’édition originale de La Bijouterie
française au XIXe siècle, la bible
du métier rédigée par son aïeul.
Même le pommeau de l’épée du
Maréchal Foch transformé en tampon
buvard sur le bureau de son père.
« Nous avions quelques bijoux,
mais surtout beaucoup d’écrins
vides ! Vous avez comme ça des
indices un peu partout dans
l’appartement familial. Et puis
la joaillerie Vever a un patrimoine
actif et vivant puisque certains bijoux
passent aux enchères à des prix
élevés et que des parures sont
conservées dans de grands
musées, comme aux Arts déco
ou au Smithsonian Design Museum
de New York. » Les célèbres peignes
Vever sont au Petit Palais, tandis que
la broche Apparition s’admire à Orsay.
L’envie ne fait pas tout. Le déclic
a lieu lorsque Camille Vever, alors
directrice de la société de recherche
clinique Keyrus Biopharma se dit
que l’expérience acquise « dans un

— Carine Claude 41
RENAISSANCE
domaine où je ne connaissais rien »
pourrait lui être utile pour relancer
l’entreprise familiale. « J’ai entendu
cette petite voix et soudain, le projet
que j’avais en tête depuis longtemps
me semblait plus réaliste, même
sans connaître le métier de joaillier. »
Sa personnalité fait le reste.
Ses amis l’appellent d’ailleurs « la
balle rebondissante ». Celle qui
se décrit volontiers comme optimiste
et impatiente, intuitive
et pragmatique, se reconnaît aussi
bien dans la citation de Churchill
— « un pessimiste voit la difficulté
dans chaque opportunité, un
optimiste voit l’opportunité dans
chaque difficulté » — que dans celle
d’Abraham Lincoln dont elle a fait son
motto : « la meilleure manière de
prédire l’avenir, c’est de le créer. »
Pour moi, il est important que Vever soit présente sur La Biennale. Camille
représente les valeurs exprimées par toute cette nouvelle génération. Elle défend
des qualités territoriales, sociales, patrimoniales, créatives. Et ce sont exactement
les valeurs que nous voulons promouvoir sur La Biennale. — Henri Jobbé Duval
Elle part alors de son intuition :
reprendre les valeurs de l’art nouveau
et développer un concept vertueux
autour de la flore, de la faune et
des femmes grâce à un engagement
sociétal. Une ode à la nature
respectueuse des matériaux et des
procédés de fabrication. « Une fois
ça en tête, j’ai fait mon analyse
de marché et j’ai vu que je répondais
à un besoin. Aujourd’hui, les bijoux
écoresponsables disponibles sont
des bijoux sans histoire, sans univers
créatif et sans signature stylistique.
Je pense que les femmes veulent
des bijoux qui répondent à ces
valeurs respectueuses du travail
et de l’environnement, mais avec
une qualité exceptionnelle.
Cette demande n’était pas assouvie.
Par ailleurs, le terrain de l’art nouveau
AMA · 331 · 25 novembre 2021
n’est pas occupé par les grands
joailliers qui s’intéressent plutôt
à l’art déco. Enfin, les maisons
de luxe existantes ne proposent
tout simplement pas de joaillerie
écoresponsable. »
Début 2020, Camille Vever décide
alors de fonder une entreprise
à mission, un statut prévu par la loi
PACTE pour les entreprises qui
œuvrent « pour le bien commun
en mettant au cœur de (leur) modèle
la résolution des défis sociaux et
environnementaux ». Concrètement :
non seulement ses ateliers sont tous
français, mais les matériaux viennent
tous de filières écoresponsables. Exit
l’industrie minière. « Nous travaillons
avec un fournisseur de diamants de
laboratoire qui fait la taille également.
C’est transparent en termes de circuit.
Les gemmes sont moins chères de 30
à 40 % et on le rétrocède aux clients
sur nos prix de vente. Cela fait partie
aussi de notre mission, je trouve ça
juste. » Extraire 1 carat de diamant
produit 2,5 tonnes de déchets miniers
et consomme 480 litres d’eau, contre
70 pour un diamant de synthèse. Et
zéro déchet… L’or qu’elle utilise est,
pour sa part, recyclé. Car l’exploitation
aurifère a, elle aussi, un impact
considérable sur l’environnement :
déchets miniers, pollution des sols,
émission de gaz à effet de serre. On
estime en effet que 80 % des réserves
d’or de la Terre ont déjà été extraites
et qu’au rythme actuel d’extraction, il
ne reste que quinze ans de ressources
disponibles dans les sols. Idem pour
les écrins écoconçus, c’est-à-dire où
VEVER
l’impact environnemental est mesuré
à chaque étape de sa création :
matières naturelles, recyclées,
recyclables ou upcyclées, pas de
plastique, et une fabrication locale,
en France dans un petit atelier
artisanal, l’Atelier Dreieck à Paris
spécialisé dans la reliure, la papeterie
et la restauration de livres anciens.
« Quand j’ai voulu lancer Vever, je ne
voulais pas vendre des bijoux sans
savoir d’où viennent les matériaux.
Mais aujourd’hui, le marché des
pierres précieuses est assez opaque,
sauf pour certains grands groupes
qui ont une vision claire sur leurs
filiales. Aujourd’hui, vous allez avoir
beaucoup d’intermédiaires dans
l’extraction aurifère et minière, avec
des systèmes de rétrocommissions
à chaque étape. Il est très difficile de
connaître les conditions d’extractions
réelles, leur impact sur l’homme,
l’environnement, le travail. »
Camille Vever veut donner du sens
à ses bijoux. Et sait bien s’entourer.
Elle rencontre Sandrine Delage
à l’incubateur de l’Académie des
métiers d’art pendant qu’elle se fait
accompagner dans le développement
de son projet. La complicité nait et
Sandrine Delage, passée par Harry
Winston et Cartier, devient directrice
de la création de la maison Vever.
« Un bijou Vever est un bijou d’art,
qu’il coûte 1.000 ou 350.000 euros, car
dix personnes auront travaillé sur la
pièce en y mettant tous leurs savoir-
faire. Nous avons le souci du détail,
par exemple avec un serti imaginé
 Vever
Camille
ie Vever
Courtois
RENAISSANCE VEVER

J’ai eu cette étincelle, car j’ai eu envie de faire revivre, à mon échelle, la joaillerie
de manière différente. La maison devait devenir une entreprise écoresponsable,
en écho avec ce mouvement de l’art nouveau qui avait secoué l’école de la
joaillerie à l’époque. Il s’agit de se mettre en harmonie avec la société et avec la
nature en utilisant de l’or recyclé et des diamants de laboratoire et de valoriser
le savoir-faire français, par exemple en remettant au goût du jour l’émail
plique-à-jour qui est une technique oubliée. — Camille Vever

« Cartier et les arts de l’Islam »

dans l’univers végétal, une liane qui
s’entoure autour du doigt. L’or est
travaillé de manière différente, il est
satiné et brossé à la main. On travaille
aussi l’émail plique-à-jour qui permet
de sublimer le bijou à travers des
variations de couleurs et de lumières
qui le traversent comme un vitrail. »
Lancée officiellement en juin 2021,
la maison Vever participe à son
premier événement international
avec La Biennale. Camille Vever y
présente l’univers fantasmagorique
de ses collections où se mêlent
inspirations végétales toutes en
courbes et art nouveau.
« Nous présentons nos collections
de créatures fantastiques avec
des déesses, des nymphes, dans
plusieurs couleurs d’email et d’ors
différents, ainsi que notre collection
Ginko joaillerie et haute-joaillerie
avec de nouveaux modèles. »
« Pour moi, il est important que Vever
soit présente, car c’est une belle
endormie, s’enthousiasme Henri
Jobbé Duval, directeur artistique
de l’événement. Vever est un joaillier
réputé internationalement et Camille
est quelqu’un de passionnant.
Elle représente les valeurs exprimées
par toute cette nouvelle génération.
La manière dont elle veut relancer
la maison, l’esprit, la culture de l’atelier
tel qu’il existait et qu’elle-même définit
comme une entreprise à mission
est tout à fait inspirante. Elle défend
des qualités territoriales, sociales,
patrimoniales, créatives. Et pour moi ce
sont exactement les valeurs que nous
voulons promouvoir sur La Biennale. »
Une féérie. Pour sa grande exposition d’automne, le musée des Arts
décoratifs explore comment les arts de l’Islam ont inspiré
la création de la maison Cartier, du début du XXe siècle à nos jours.
Co-produite par l’institution parisienne et le Dallas Museum of Art
en collaboration avec le musée du Louvre, « Cartier et les arts de
l’Islam. Aux sources de la modernité », retrace ainsi l’origine de
cet intérêt pour les motifs orientaux à travers plus de 500 pièces
— bijoux et objets du joaillier, chefs-d’œuvre de l’Art islamique,
dessins, livres, photographies et documents d’archives.
L’histoire de la famille Cartier est jalonnée de coups de cœur,
de voyages et de collections d’œuvres d’art oriental. Déjà,
avec Louis Cartier et sa passion pour les miniatures persanes
au tout début du XXe siècle. Puis en 1911 avec Jacques
Cartier. Le commerce des pierres précieuses et des perles
lui ouvre alors la voie de l’Inde. Ses clients sont les
maharadjahs et il collecte ainsi des bijoux indiens anciens
et contemporains qu’il revend ou recompose au gré
de ses inspirations. Une réinterprétation moderniste
des répertoires et des formes, source de la fameuse
esthétique Cartier. En témoignent les ornements de tête,
diadèmes et autres parures spectaculaires au premier
rang desquelles figure le collier draperie rehaussé de
diamants, d’améthystes et de turquoises commandé
par le duc de Windsor en 1947 pour son épouse.
À travers un parcours thématique et chronologique
décliné en deux volets, l’exposition retrace, dans une
première partie, l’origine de cet intérêt pour les arts
et l’architecture de l’Islam à travers le contexte
culturel parisien du début du XXe et explore
le climat de création autour des dessinateurs
et des ateliers, à la recherche de leurs sources
d’inspiration. La seconde partie illustre le
répertoire de formes inspiré par les arts de l’Islam
depuis le début du XXe siècle jusqu’à nos jours.
« Cartier et les arts de l’Islam.
Auxsources de la modernité »
Jusqu’au 20 février 2022
Musée des Arts décoratifs
107 rue de Rivoli. Paris 1er
www.madparis.fr

AMA
 l’atelier
Travail à
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Carpeau
n, Jean-Baptiste
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QUAND RÈGLEMENTATIONS
RIMENT AVEC COMPLICATIONS

Ils croulent sous des tonnes de paperasses. Envahis par les démarches administratives,
les marchands d’art doivent sans cesse s’adapter aux évolutions fiscales
et règlementaires de leur commerce. État des lieux.

En Europe, mais désormais également aux États-Unis, les AML
font grincer des dents. L’objectif de ces anti-money laundering
regulations (AML) est pourtant louable. Elles cherchent à
contrecarrer les circuits du blanchiment de capitaux et du
financement du terrorisme. Du côté de l’Union, la directive
européenne dite « 5e directive anti-blanchiment » mise en
application depuis le 10 janvier 2020 prévoit dans son volet
« marché de l’art » tout un arsenal de mesures pour protéger
les professionnels de l’art et leurs clients, un secteur réputé
sensible aux transactions illicites au même titre que la banque
ou l’immobilier. Pour Bercy et les douanes, les marchands
d’art peuvent être des cibles potentielles de ces circuits
illégaux. Selon la cellule de renseignement financier Tracfin et
la DGDDI (direction générale des douanes et droits indirects),
ces métiers sont « particulièrement exposés aux risques »
de délinquance financière et terroriste. « Nous savons bien
que les douanes ne cherchent pas à nous pénaliser, car
elles considèrent plutôt que nous sommes des victimes,
mais la mise en application de la directive est complexe
et pèse fortement sur nos activités », constate Marion
Papillon, présidente du Comité Professionnel des
Galeries d’Art (CPGA). Car nombre de ces obligations
de vigilance et de déclaration prévues par la 5e directive
sont déjà appliquées par les professionnels de l’art
dans leurs transactions habituelles. « Nous faisons tous
très attention à l’origine de nos objets et nous faisons
encore plus attention à qui nous les vendons, affirme
Anisabelle Berès-Montanari, présidente du Syndicat
national des Antiquaires (SNA). On ne peut se
permettre de prendre de risques, car une réputation
met 40 ans à se forger et peut se détruire en cinq
minutes. C’est le cœur même de notre métier. »
Cette méconnaissance du métier
est justement pointée du doigt par
l’ensemble des commerçants d’art
qui voient d’un mauvais œil certaines
exigences de Bercy perçues comme
une intrusion dans la vie privée
de leurs clients, notamment les
procédures de vérification de
l’identité de l’acheteur, de l’origine
de ses fonds ou encore la destination
finale de l’achat. Un petit séisme dans
un marché feutré où la confiance
entre marchand et collectionneur
est centrale. « Il est évident que nous
souhaitons tous contribuer à la lutte
contre le blanchiment, mais nos
interlocuteurs connaissent mal nos
métiers et les applications sont très
éloignées de notre quotidien »,
affirme Marion Papillon, constatant
que le dialogue se noue avec Tracfin
et les douanes depuis quelque
temps. Elle ajoute : « C’est un sujet
permanent. Les choses évoluent
encore et nous devrions réagir sur
un nouveau texte courant novembre.
Mais derrière se cache la question
du gel des avoirs, dont ont parle
encore peu, mais qui peut avoir
des conséquences pour nous,
commerçants. En tant que comité,
nous accompagnons nos membres et

— Carine Claude 47
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AMA • 331 • 25 novembre 2021

 FOCUS
leur fournissons des outils qui leur
permettent d’être en conformité
avec la loi. »
Embouteillages à l’export
Autre sujet de discorde : les certificats
d’exportation, les fameux
« passeports » qui accompagnent
les œuvres à l’international.
Que ce soit pour un salon,
une expertise ou une vente
à l’étranger, les œuvres d’art
voyageuses doivent être
accompagnées d’un certificat
d’exportation délivré par le ministère
de la Culture, certificat qui se double
d’une licence dès lors que le bien
sort de l’Union Européenne.
Établis en fonction de la valeur
et de l’ancienneté de l’œuvre,
ces « passeports » sont attribués
après examen par un ou plusieurs
conservateurs. Or, les délais
d’obtention de ce précieux sésame
sont longs, parfois très longs
comme le constate Nicolas
Bourriaud, spécialiste de la sculpture
du XIXe et du XXe siècle :
« Avec la Covid, les délais ont été
nettement allongés. C’était déjà long
avant, mais maintenant, il faut
compter plusieurs mois pour
les obtenir. » Les conservateurs
de musée, submergés par des milliers
de demandes, ne déclarent
finalement qu’une dizaine de trésors
nationaux par an. « Dans les faits,
les œuvres empêchées de sortie sont
anecdotiques, observe Marion
Papillon. J’ai envie de dire, tout ça
pour ça. On nous pousse à travailler
toujours mieux et plus vite.
Or, comment travailler si on ne peut
pas exporter ? Il y a un paradoxe.
C’est pourquoi nous demandons
que des efforts soient réalisés
sur la dématérialisation. »
RÉGLEMENTATIONS
Résilience du marché
Résilience. Le terme tourne en boucle depuis 2020 pour décrire la manière
dont le marché de l’art s’est comporté pendant la crise sanitaire (pour rappel,
les ventes globales d’art et d’antiquités ont baissé de 22 % l’an passé, mais
ont quand même réussi à atteindre la barre symbolique des 50 Mrds $). Le
dernier rapport le confirme : tous les indicateurs sont au vert (ou presque).
Publié sous la houlette de l’économiste Clare McAndrew, fondatrice d’Art
Economics et autrice du célèbre The Art Market, la bible des performances du
marché de l’art, The Art Market Mid-Year Review dresse le bilan du premier
semestre 2021 en se focalisant sur les ventes et l’emploi. Basée sur les
résultats d’une vaste enquête menée auprès de marchands d’art et de
collectionneurs fortunés, l’étude est une sorte d’avant-goût du très attendu
rapport annuel qui sera publié en mars prochain.
Premier constat : l’impact sur l’emploi est moins sévère que prévu et celui-ci
retrouve son niveau pré-Covid de 2019. Un quart des galeries, contraintes de
réduire leurs effectifs en 2020, relancent les embauches. Au premier semestre,
la part des galeries qui recrutent (25 %) est supérieure à celles qui doivent se
résoudre à se séparer de leur personnel (13 %). Côté business, les plus grandes
galeries, qui sont aussi celles qui avaient enregistré le plus fort déclin de leurs
ventes en 2020, voient le bout du tunnel avec une augmentation de 21 % du
volume de leurs transactions. Cependant, les petits commerces dont les ventes
n’excèdent pas les 250.000 $ annuels et les galeries intermédiaires qui font
moins d’un million de dollars de chiffre d’affaires continuent de souffrir (− 3 %).
La part des ventes réalisées lors des foires s’est contractée de 7 % (11 % si l’on
exclut les OVR). Quant à elles, les ventes en ligne représentent désormais un
tiers de l’activité des galeries. 37 % des enseignes interrogées misent sur une
amélioration de leur rentabilité en 2021. Les grandes galeries, en particulier
celles dépassant les 10 M$ de chiffre d’affaires, sont les plus optimistes et
prévoient d’ores et déjà des marges nettes en hausse de 43 % pour
l’exercice 2021. Quoi qu’il en soit, une majorité écrasante de galeries (91 %)
pense que leurs ventes vont repartir à la hausse.
Le début de l’année a également été marqué par le phénomène des NFTs qui
ont généré des ventes substantielles et alimenté le second marché. D’une
année sur l’autre, les transactions NFTs en Ethereum, l’une des principales
cryptomonnaies, sont passées de 17,4 M$ début 2020 à un stratosphérique
1,3 Mrds $ au premier semestre 2021, dont un bon quart consacré à acheter
de l’art. Le nombre d’acheteurs a explosé, passant de 9.100 à 53.200 en un an.
Les collectionneurs les plus fortunés (les High Net Worth Individuals ou
HNWI), en particulier les millennials, ont servi de locomotive pour passer la
crise de 2020. Rien qu’au premier semestre 2021, ils ont dépensé en moyenne
242.000 $ pour acheter de l’art (+ 42 %). Et près d’un tiers d’entre eux a dépensé
plus d’un million de dollars pour acheter de l’art au cours de la même période.
D’ailleurs, ce sont les femmes qui en achètent le plus, avec une dépense
moyenne de 410.000 $, presque deux fois plus que les hommes. Instructif.
49
 FOCUS
Le Brexit n’a rien arrangé : désormais,
les licences d’exportation sont aussi
devenues obligatoires vers
l’Angleterre. « Dans notre galerie,
une personne passe la moitié de son
temps à gérer les passeports et
maintenant les exportations vers
l’Angleterre, déplore le marchand
d’art Nicolas Bourriaud. C’est le gros
point noir. Depuis le Brexit, les
transports sont interminables entre
Paris et Londres. Or, nous travaillons
beaucoup avec l’Angleterre à l’achat
et à la vente. Certaines demandes ne
sont pas revenues depuis plus de
trois mois. C’est une usine à gaz. Les
transporteurs sont un peu perdus.
Et puis les taxes sont désormais à
5,5 %, comme pour les États-Unis…
Nous avons des piles de documents
à gérer avec les transporteurs et c’est
une vraie contrainte. Nous exposions
souvent à Londres, par exemple à
Masterpieces. On n’a pas fait la foire
avec la Covid, mais je ne sais même
pas si nous serons en mesure de faire
la prochaine à cause de ces normes
douanières. La marchandise en
import temporaire est devenue
extrêmement complexe. Cela double
l’administratif d’un salon classique,
avec l’incertitude de ne pas avoir les
pièces à temps et une immobilisation
financière importante pour les frais
de douanes. »
Le marchand n’est pas au bout de ses
peines : si aujourd’hui l’importation
de biens culturels ne fait l’objet que
d’un contrôle douanier, le règlement
européen a pris un tour de vis
en 2019 là encore sur fond de lutte
contre le terrorisme. À partir du
28 juin 2025, importer un bien
culturel sera lui aussi soumis
à licence et déclaration…
Un petit geste
Depuis le 1er janvier 2021, un décret
a cependant fait évoluer les règles
existantes depuis 1992 en relevant
le montant des seuils d’exportation
d’œuvres d’art et en simplifiant
un certain nombre de règles,
notamment la non-différenciation
entre l’exportation vers un état
membre de l’Union Européenne
AMA • 331 • 25 novembre 2021
RÉGLEMENTATIONS
ou vers un état non membre. Concrètement, le seuil des aquarelles, gouaches
et pastels de plus de 50 ans pour lesquels le certificat est nécessaire est passé
de 30.000 à 50.000 €, celui des dessins de 15.000 à 30.000 € ou encore des
peintures, passant de 150.000 à 300.000 €. Une adaptation à l’augmentation
des prix du marché de l’art depuis les trois dernières décennies. « Les
certificats étaient en décalage avec la réalité du marché, observe Marion
Papillon. Mais la modification de ces seuils, c’est 25 ans de bataille… »
Le casse-tête de l’ivoire
Du côté de l’ivoire, c’est la cacophonie. D’une part, la nécessaire protection
des animaux contre le braconnage. De l’autre, une évolution législative
en dents de scie oscillant entre régulation stricte du commerce des ivoires
anciens et interdiction pure et simple, le tout émaillé de consultations
publiques menées par le gouvernement et la Commission Européenne.
Un arrêté de 2017 interdit le commerce d’ivoire en France avec quelques
dérogations, notamment le commerce et la restauration d’objets
travaillés dont l’ancienneté est antérieure au 1er juillet 1975. Mais encore
faut-il déterminer le poids, le volume et l’ancienneté de l’ivoire
de chaque objet pour voir s’il rentre ou pas dans les clous
des dérogations. Un véritable casse-tête pour les acteurs du marché
de l’art. « La question de l’ivoire est un bon exemple de ce que
peuvent faire nos organisations syndicales ensemble,
en concertation également avec les maisons de ventes,
lorsque nous devons intervenir sur des sujets règlementaires
communs, dit Marion Papillon. On voit que la question de l’ivoire
se durcit très fortement et durablement. Nous allons sans doute
arriver à une interdiction complète à terme. »
Autre point dans le collimateur du gouvernement : la loi Aillagon
de 2003 et ses dispositions fiscales en faveur du mécénat. Bercy
cherche à faire le ménage dans le pullulement des crédits d’impôt
et scrute à la loupe certaines fondations d’entreprise. De là à faire
l’amalgame avec l’acquisition d’œuvres d’art par les entreprises, il
n’y a qu’un pas. Pourtant, l’article 238 bis AB de la loi, qui permet
à une entreprise qui acquiert l’œuvre originale d’un artiste
vivant de déduire le montant de son achat de son résultat en le
fractionnant sur cinq exercices, est bien une réduction d’impôt
et non pas un crédit ou une déduction d’assiette. « C’est un
autre point crucial dans nos préoccupations, confie Marion
Papillon. Nous travaillons de longue date sur ce sujet, car
début 2019, Bercy avait borné ce dispositif au
31 décembre 2022 dans le cadre de la PLF 2020 avec
nécessité de l’évaluer. Le risque est sa suppression pure et
simple. Nous avons multiplié les rencontres et les
discussions pour démontrer qu’il était efficace. On sait
que le cabinet de Roselyne Bachelot défend sa
prolongation par anticipation. La même chose a été faite
dans le spectacle vivant, on ne voit pas pourquoi ça ne
s’appliquerait pas aux arts visuels, car cette disposition
est un véritable levier de relance. » Prochain cheval de
bataille de la Présidente du CPGA : l’élargissement de
ce dispositif aux professions libérales, exclues pour
des raisons comptables lorsque la loi avait été votée
en 2003. Mais les négociations risquent de trainer
alors que l’horizon du 31 décembre 2022 se
rapproche. « On aimerait juste qu’il soit débattu
cette année. Et pas à la dernière minute… »
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« LA DÉMARCHE PERSONNELLE
D’UN ARTISTE RENVOIE À L’UNIVERSEL »
Entre Paris et la Bretagne, la galeriste Françoise Livinec défend une vision universelle
et transfrontalière de l’art. Avec un brin de philosophie.
Elle a un pied en Bretagne et l’autre à Paris. Elle dialogue entre
art contemporain et moderne, abstraction et figuration, peinture
et littérature. Ses artistes traversent les continents, d’Afrique
en Corée, de Chine en Amérique. Chez Françoise Livinec,
les frontières sont poreuses. Ce qu’elle recherche ? L’universalité
de la peinture. Sa programmation se déploie entre ses galeries
parisiennes de la rue Penthièvre et de l’avenue Matignon,
et le centre d’art « L’école des filles », un projet singulier qu’elle
porte depuis 2009 en Bretagne. Réhabilitée en espace d’art,
l’ancienne école communale du Huelgoat, dans le Finistère,
ouvre ses portes au public entre juillet et septembre.
On y découvre une programmation pointue d’expositions
collectives et de solo shows, mais surtout un festival
littéraire. Parrainé par Mona Ozouf et Alain Rey,
« L’été des 13 dimanches » réunit chaque week-end une
cohorte d’historiens, philosophes et autres sociologues
pour dialoguer avec des romanciers de renom
et des « personnalités du réel ». Entretien.
Pourquoi avez-vous choisi d’exposer à La Biennale ?
Au début de mon activité, j’étais aux puces de Saint-
Ouen et j’ai toujours mélangé les styles, les époques,
les matières. Comme je ne suis pas quelqu’un
de « carriériste », tout ce que j’ai fait est le fruit
de rencontres et d’amitiés. C’est ainsi que
j’ai participé au Pavillon des Arts et du Design
grâce à Patrick Perrin. Ensuite, j’ai suivi
Guillaume Piens dans sa folle aventure d’Art Paris
et maintenant, Henri Jobbé Duval pour qui
j’ai beaucoup d’amitié dans ce renouveau
de La Biennale.
— Pierre Naquin
La Biennale s’ouvre de plus en plus à
l’art contemporain. Quelle place y
trouvez-vous ?
Je crois énormément à la transition
pour notre avenir à tous et cette
transition n’est possible que si nous
arrêtons d’être chacun dans notre silo
de confort. Il faut toujours aller voir
ce qui se passe à côté dans d’autres
domaines. Si l’on adapte cette
réflexion au marché de l’art, je pense
que les collectionneurs d’aujourd’hui
ne bâtissent plus des univers à vivre
avec une seule époque, un seul style
d’œuvres. En fonction d’une certaine
ligne esthétique, ils ont besoin de
s’enrichir d’expressions, de périodes et
de matières différentes, que ce soit du
mobilier, de la sculpture, des tableaux.
L’artiste est extraordinaire, car c’est
un démiurge qui consacre toute sa vie
à une esthétique, à un cheminement
qu’il poursuit de manière
obsessionnelle, comme le font
les romanciers. Tandis que la grande
chance du collectionneur, c’est de
pouvoir s’enrichir d’univers différents.
D’ailleurs, tous les décorateurs
d’aujourd’hui se nourrissent
d’époques et de styles variés.
C’est ce que je trouve passionnant.
53
 RENCONTRE FRANÇOISE LIVINEC

Chez les collectionneurs justement,
observez-vous de nouveaux
comportements ou habitudes ?
Depuis la reprise, nous avons reçu
de nouveaux collectionneurs
de 30-40 ans qui travaillent dans
différents domaines para-artistiques,
des directeurs artistiques,
des graphistes, des éditeurs. Ils ont
en commun une solide culture en
histoire de l’art et sont à la recherche
de propositions esthétiques fortes.
démarche personnelle, plus il touche
à l’universel. Ce qui m’intéresse est
donc de trouver des artistes singuliers
qui ont leur propre écriture et qui
se démarquent des autres.
Qu’avez-vous prévu pour La Biennale ?
Nous présentons des laques, des lavis
et une sculpture en bronze de Loïc
Le Gromellec. Son œuvre s’inscrit
dans une histoire de l’art pictural
qui se réfère au minimalisme,
à être exposée il y a sept ans chez
Jérôme de Noirmont et nous lui
avions consacré une exposition
l’année dernière qui s’intitulait
« Femme ou rien » dans notre galerie
de la rue de Penthièvre. Ce très beau
tableau représente une femme
avec une évocation en arrière-plan
de l’ancien drapeau iranien
avec l’emblème du lion solaire,
avant que le Shah ne soit destitué
par la révolution islamique.

La singularité d’un artiste est confrontée à plusieurs contraintes : tout d’abord,

son œuvre doit s’inscrire dans l’histoire de l’art ; ensuite, il doit se démarquer
totalement des autres, ce qui signifie que son écriture puisse être immédiatement
identifiable ; enfin, il doit être obsessionnel pour que toute sa vie durant,
il continue d’enrichir, de développer et de travailler son esthétique… d’aller
de tableau en tableau toujours plus loin dans cette quête. — Françoise Livinec

Quels types d’œuvres ou d’artistes
exposez-vous ?
Tous les artistes que nous
représentons à la galerie s’inscrivent
dans ce champ de l’histoire de l’art.
Ils ne sont pas du tout iconoclastes.
Par ailleurs, toutes les œuvres que
nous présentons sont créées de la
main de l’artiste, ce ne sont pas des
créations d’ateliers. Comme le disait
Léonard de Vinci, une œuvre d’art
est le fait de l’esprit. Mais elle ne se
réduit pas qu’à cela. Il faut qu’elle
existe dans une matière et que
l’artiste fasse l’effort de lui donner
cette vie matérielle par le travail
de la main. Pour résumer, l’effort
chronophage qui donne vie à des
pigments, à de l’huile, à une toile,
c’est ce qui en fait la beauté.
Si vous deviez décrire la ligne
de votre galerie ?
Nous travaillons beaucoup sur les
frontières. Les frontières humaines,
mais aussi celles entre l’abstraction
et la figuration. C’est pourquoi je
m’attache à présenter des artistes
de pays, de continents différents.
Les œuvres d’art nous permettent
de nous interroger sur nos identités.
Et plus un artiste est dans une
au monochrome, dans une forme
de radicalisme qui induit une
méfiance, voire un rejet de toute
narration par l’image. Cette idée
impliquerait la production d’un
même tableau, indéfiniment…
mais différemment.
Nous exposons aussi des œuvres
de Ricardo Cavallo, un artiste argentin
né en 1957 qui s’est isolé en Bretagne
il y a une vingtaine d’années.
Longtemps, il a bénéficié d’une
notoriété importante. Il a exposé
à la FIAC, Simone Veil avait accroché
l’un de ses grands tableaux dans son
salon. Nous préparons son retour sur
le devant de la scène. C’est ainsi que
nous avons commencé à travailler
avec le metteur en scène Barbet
Schroeder, qui vient d’une grande
famille de collectionneurs allemands
— son grand-père avait constitué l’une
des premières collections d’art brut.
Il veut que son film testamentaire
soit un hommage à la peinture.
Il va tourner à Orsay et dans tout un
tas de musées, mais le cœur de son
film sera l’œuvre de Ricardo qu’il
collectionne depuis quarante ans.
Nous montrons également Sphinge,
une œuvre très importante de
Marjane Satrapi. Elle avait commencé
On connaît Marjane Satrapi pour ses
romans graphiques — notamment
Persepolis — plutôt que pour
sa production picturale…
Elle a toujours peint et dessiné,
mais elle a d’abord eu besoin de faire
ce travail cathartique sur le trauma
d’une adolescence confrontée à une
révolution et à une guerre en Iran.
Après le succès de Persepolis, on lui
a demandé d’en faire l’adaptation dans
un film d’animation. Elle a beaucoup
apprécié ce travail collectif qui lui a pris
du temps. Mais son travail pictural reste
la colonne vertébrale de toute son
esthétique. Or, il est très peu montré,
car sa production est rare. Marjane
ne produit qu’un tableau par an.
Chaque tableau est un long processus
de réflexion et de travail. C’est de l’ordre
de la nécessité de vivre, je dirais.
Ce portraitn’estpas sans rappelerceuxde
Tamara de Lempicka,mais ilpossède aussi
quelque chose de la miniature persane…
En effet, on a rattaché le travail
de Marjane Satrapi à plusieurs
mouvements de la fin du XIXe
et du début du XXe siècle, mais son
écriture reste très personnelle. Tamara
de Lempika montrait un autre versant
de l’émancipation des femmes dans

AMA · 331 · 25 novembre 2021

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 RENCONTRE

les années 30, dans un milieu très privilégié. Ici, on parle

de l’émergence des femmes suite à une révolution et une
guerre, aujourd’hui, ce sont elles qui sont actives et qui
tiennent la société. Là encore, c’est une question de silo,
car en France, il faut assigner chaque personnalité
à une expression artistique. Or, vous avez des personnes
qui évoluent en dehors de l’ordinaire comme Marjane
Satrapi. Elle réalise des romans graphiques,
des peintures, des films… Tout ce qui émane d’elle
est extraordinaire, car c’est une femme d’engagement.
D’ailleurs, l’une de ses œuvres a été retenue pour les
Jeux Olympiques de 2024. Les tapisseries d’Aubusson
vont tisser l’un de ses tableaux pour emblème.

Combien représentez-vous d’artistes ?

Une grosse dizaine d’artistes dont j’ai
l’exclusivité constitue le cœur de la galerie.
Mais je suis constamment en quête
de nouveaux talents, quel que soit leur âge.
Par exemple, je viens de faire rentrer un
artiste italien d’une cinquantaine d’années
découvert dans un château chez des
collectionneurs que je venais livrer.
Je travaille également avec des artistes
coréens. Pendant La Biennale, je présente
en avant-première des Montagnes de
Jang Kwang-Bum qui seront exposées
à partir du 25 novembre en partenariat
avec le centre culturel coréen.

Fonctionnez-vous au coup de cœur ?

Ce n’est pas tant la personnalité
ou l’identité de chaque artiste
qui m’intéresse, mais le fait qu’il
donne la plus grande profondeur
de sa relation à sa vie, à son
environnement. Marjane Satrapi
nous touche lorsqu’elle parle
de l’Iran, même si on ne
connaît pas le pays. C’est
pareil avec la photographe
Osvalde Lewat ou la peintre
Adjaratou Ouedraogo, qui
commence à rentrer dans
de très belles collections.
En octobre dernier, j’étais
avec elle à Ouagadougou
pendant le Fespaco,
le plus grand festival
de cinéma africain, et
j’ai filmé le processus
de création d’un
tableau du début
à la fin. J’aime cette
proximité avec
les artistes, avec
les auteurs.

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 Sans titre (2012), Ricardo Cavallo
© Ricardo Cavallo. Courtoisie Galerie Françoise Livinec. La Biennale
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Soulage
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81 × 60, © Opera
Peinture

DATA
PIERRE SOULAGES

C’est l’artiste de tous les superlatifs. Légende vivante hypermédiatisée, longévité

et popularité exceptionnelles… Toujours en activité à 100 ans passés,
Pierre Soulages n’en fini pas de peindre.

Il y a tout juste un an, Pierre Soulages célébrait son centenaire et une nette évolution du marché,
avec lui, une pluie d’expositions événements — le Louvre, explique Julie Ralli. Un collectionneur
Pompidou — mais aussi de records en salles de ventes. Dès 2017, parisien nous avait confié une œuvre
préfigurant la déferlante des 100 ans, une toile de 1962 passait plus ancienne du début des
le seuil symbolique des 5 M€ chez Sotheby’s Paris. L’année années 50 qu’il avait acheté
suivante, une peinture de 1959 s’envolait à 9,4 M€ (frais inclus) l’équivalent de 450.000 euros
chez Christie’s New York le 14 novembre 2018, un an avant chez Christie’s Paris en 2014
l’apothéose atteinte chez Tajan le 26 novembre 2019 avec et que nous avions vendu
une œuvre de 1960 adjugée 9,6 M€, un prix jamais atteint aux un million d’euros frais compris. »
enchères par le maître de l’Outrenoir. Pour Julie Ralli, directrice
du département art contemporain de l’étude Tajan, si la Plusieurs facteurs expliquent
provenance, la date, la taille et la qualité de cette toile en font la flambée du marché de Pierre
une œuvre exceptionnelle, le contexte autour des 100 ans Soulages : la relative rareté des
de Soulages et un intérêt croissant du marché international œuvres « historiques » disponibles
sont autant de facteurs qui expliquent ce record. malgré un catalogue conséquent,
une longévité exceptionnelle et
« Il y a eu une vraie bataille d’enchères, se souvient-elle, 70 ans de carrière, des lots
car l’œuvre était estimée entre 4 et 6 M€. À New York, millionnaires qui pèsent pour
la toile de 1959 qui avait fait 10,6 M$ (soit 9,4 M€ avec la moitié de son chiffre d’affaires
frais) était estimée entre 10 et 15 M$, ce qui signifie qu’elle (soit 120,5 M€), des œuvres
a été vendue au montant de sa garantie. Le cas de figure plébiscitées qui trouvent facilement
est très différent ici avec une œuvre tout à fait inédite. » preneur (son taux d’invendus est
Achetée juste après sa création par James Johnson exceptionnellement bas : 7,6 %),
Sweeney, alors directeur du musée Guggenheim de une solide notoriété internationale
New York, la toile intitulée Peinture, 200 × 162 cm, ainsi qu’une consécration médiatique
14 mars 1960 était en effet restée dans sa famille et institutionnelle matérialisée par un
toutes ces années et n’avait encore jamais été mise musée à son nom — Pierre Soulages
sur le marché. Avec un chiffre d’affaires global de appartenant au cercle très restreint
243,5 M€, la cote de Soulages monte en flèche des artistes vivants ayant un musée
depuis 2011, année où il a passé pour la première dédié. En bref, une « légende vivante »
fois la barre des deux millions d’euros aux célébrée par une foule de
enchères. « En 2017, nous avions déjà remarqué rétrospectives et d’hommages.

— Pierre Naquin, Stéphanie Perris et Carine Claude 59

Pierre Soulages dans son atelier à Paris (1967), Fritz Pitz
Photo Fritz Pitz. © musée Soulages
DATA PIERRE SOULAGES

Évolution du nombre d’expositions par type 70 ans de carrière

Né le 24 décembre 1919 à Rodez,
Pierre Soulages se destine d’abord
au professorat de dessin et gagne Paris
pour tenter le concours d’entrée
à l’École Nationale supérieure des
Beaux-Arts. Malgré son admission,
il ne suivra pas cet enseignement qu’il
juge trop conservateur et préfère les
expositions expositions de groupe expositions monographiques visites au Musée du Louvre. De retour
dans l’Aveyron, il décide de se
consacrer à la peinture, mais à la fin de
la Seconde Guerre mondiale, le jeune
Évolution du nombre d’expositions par pays homme choisit de s’installer à Paris.
Sa peinture détone dans un contexte
d’après-guerre qui fait la part belle
à la couleur. Lui, l’enfant du Rouergue
façonné par ce pays rude et austère,
fasciné par l’art préhistorique, choisit
la force du brou de noix pour peindre
des toiles abstraites à la gestuelle
puissante. Peu couteux, ce matériau
destiné à la teinture du bois lui offre
France Allemagne États-Unis Suisse autres
la liberté du geste et la recherche
de la lumière. Le noir est déjà là,
omniprésent, jouant des dégradés et
Évolution du nombre d’expositions par type d’institution de solides architectures, denses
réseaux de lignes graphiques inspirés
des arbres, dont il partage le goût avec
son ami le peintre Atlan. Dans les
années 50, du noir naît la couleur.
Le signe tend à disparaître au profit de
coups de brosse et de traces laissées
par le geste du peintre qui, sous le
noir, révèle la couleur lumineuse :
rouge, bleue… En 1979, Pierre
galeries musées festivals autres
Soulages complète sa trilogie du noir
avec le fameux Outrenoir, jouant cette
fois sur la texture, la matière.
Répartition du nombre d’expositions par… Les toiles sont recouvertes d’une
épaisse couche de peinture noire que
le peintre peint en de grands gestes
horizontaux, dessinant sur la surface
des lignes régulières qui captent la
lumière et créent d’infinies variations.
Avec la maturité, l’artiste tend vers
l’ascèse du geste, dépouillé, maîtrisé,
qu’il met en pratique dans ses
…type d’exposition recherches pour les vitraux de l’abbaye
expositions de groupe de Conques, considéré comme son
…type d’institution expositions monographiques …pays testament artistique. Pendant presque
dix ans, de 1987 à 1994, il réalise
galeries France 104 vitraux pour l’abbatiale romane.
musées Allemagne Les ébauches de ses travaux formeront
festivals États-Unis une première donation en 2005,
autres Suisse à l’origine du projet d’un musée
autres Soulages, inauguré en 2014.

61
La reconnaissance américaine etasiatique Évolution du nombre d’articles publiés
En France, il est d’abord repéré par la
célèbre galeriste Colette Allendy qui le
présente pour la première fois en 1950
dans une exposition collective intitulée
« D’une saison à l’autre ». Mais
la notoriété internationale de cette
icône de l’art français se dessinera
d’abord outre-Atlantique. Dès son
premier voyage aux États-Unis en 1957, Évolution du nombre de lots proposés
il rentre dans les collections publiques
et privées américaines. Trois ans plus
tard, il fait déjà partie de l’exposition
d’été du MoMA ainsi que celle du
Guggenheim dédiée à la nouvelle
avant-garde européenne. En 1954,
c’est le galeriste Samuel Kootz
qui lui offre sa première exposition
monographique. Sans doute le rôle de
Kootz sera fondamental. Ce marchand Évolution du chiffre d’affaires annuel
d’art new-yorkais qui épingle Braque,
Léger et Picasso à son impressionnant
palmarès apportera Soulages sur un
plateau aux collectionneurs américains.
En 1953, il participe à sa première
biennale (celle de São Paulo) avant
de prendre part aux trois premières
Documenta (1955, 1959 et 1964).
Durant ces années 50, de nombreuses Évolution du prixmoyen
institutions achètent ses œuvres telles
que le Guggenheim et le MoMA de
New York ou la Tate Gallery de Londres,
et le musée d’art moderne de Rio de
Janeiro. En 1960, la Kestnergesellschaft
de Hanovre sera la première institution
à dédier une monographie à l’artiste,
suivi l’année d’après par
le Gemeentemuseum Den Haag à
Évolution du tauxd’invendus
La Haye et la Kunsthaus de Zürich.
C’est en 1979 que Pierre Soulages fera
l’objet d’une première présentation
au Centre Pompidou et vingt ans plus
tard au musée Fabre de Montpellier.

L’Asie connaît aussi Soulages depuis

longtemps. « Soulages et Zao Wou-Ki
étaient très amis, ils avaient le même
marchand dans les années cinquante », vendu invendu
explique Franck Prazan directeur
Évolution du nombre de lots et du chiffre d’affaires par année de création
de la galerie Applicat-Prazan et ancien
directeur général de Christie’s France.
« Zao a fait connaître le Soulages
en Asie. Hors République populaire,
les Chinois ont eu très tôt les capacités
financières d’acquérir des œuvres
de Zao Wou-Ki, et par conséquent,
de découvrir le travail de Soulages. »

chiffre d’affaires nombre de lots

AMA • 331 • 25 novembre 2021
 DATA
Nombre d’articles par langue
français allemand
anglais espagnol autres
Depuis le début des années 2000,
ce spécialiste des peintres de l’après-
guerre observe une activité intense des
collectionneurs de la diaspora chinoise,
« notamment celle de Taipei »,
sur le marché des œuvres historiques
de Soulages. Le galeriste Gilles Dyan,
fondateur des galeries Opera, observe
la même frénésie chez cette nouvelle
génération de collectionneurs sur les
places américaines et asiatiques.
« Avant, Soulages était un artiste qui se
vendait essentiellement à des Français
ou à des francophiles. Depuis deux
ou trois ans, les prix montent
significativement, son marché s’ouvre
à l’international. Je sens cet intérêt
dans toutes mes galeries, à New York,
à Londres, à Singapour, à Hong Kong »,
ajoute le marchand d’art.
Une forte représentation institutionnelle
Au total, 385 expositions dont 65 solo
shows auront été dédiées au peintre.
Malgré sa notoriété aux États-Unis et
en Asie, ce sont surtout la France et
l’Allemagne qui ont le plus présenté
Pierre Soulages, avec respectivement
90 et 85 expositions. Suivent les États-
Unis (55 expositions) et la Suisse (30).
En France, Paris concentre 37,5 %
des expositions (dont plus de la moitié
des solo shows), suivi par Lyon et
Bordeaux (8 présentations chacune).
Montpellier a organisé quatre
expositions (dont 2 monographiques).
En Allemagne, c’est Cologne (15 expos,
19,5 %) devant Munich (10, 13 %), qui a
le plus présenté son travail. Aux États-
Unis, pas de surprise, 64,8 % des
Tauxd’invendus
vendu
invendu
présentations (et 81,8 % des solo
shows) ont lieu à New York. La ville
aura même, au final, davantage
exposé Pierre Soulages que Paris
(35 contre 30 et 9 contre 8 solos).
Artiste institutionnel, Pierre Soulages
est principalement présenté
en musées (51,8 %), bien plus souvent
qu’en galeries (38,2 %). Ce n’est
d’ailleurs que vers la toute fin
des années 1990 que le nombre
d’expositions chez les marchands
décolle véritablement. On compte
moins de quinze shows en galeries
avant 2000. L’artiste n’a finalement
été représenté que par une poignée
d’enseignes : la galerie Boisserée avec
15 présentations (dont le dernier solo
show date de 2014), la galerie Karsten
Greve (13 présentations dans ses
espaces de Paris et Saint-Moritz,
dont 2 solo shows), la galerie
Alice Pauli (10 présentations dont
3 monographiques, la dernière datant
de 2012) et la galerie Rieder (8 dont
2 solos, le dernier en 2009). À noter
aussi la galerie Samuel Kootz qui, si elle
n’a consacré que quatre expositions
au peintre, n’a présenté que des
monographies (toutes sur la décennie
entre 1954 et 1964). Pierre Soulages
est apparu dans 13 expositions (dont 3
entre 1953 et 1955) au MoMA, mais sans
jamais bénéficier d’une présentation
solo. Idem au Guggenheim (6 + 1 à
Bilbao). Le Centre Pompidou (avec le
musée Fabre) est la seule institution à
avoir montré le peintre plus d’une fois
en solo (5 expositions en tout à Paris,
4 à Montpellier).
PIERRE SOULAGES
Malgré un nombre relativement
conséquent d’expositions jusqu’à
la fin des années 1960 (plus d’une
cinquantaine avant 1970), c’est
véritablement à partir de la fin des
années 1990 que le nombre de
présentations de l’artiste par an
progresse véritablement — passant
de moins de 10 en 2000 au double
en 2010, pour ensuite osciller entre
15 et 20 présentations annuellement.
Cette courbe ascendante se lit
également dans la presse. Le nombre
d’articles dédiés à Pierre Soulages
progresse depuis le milieu des
années 2000 jusqu’à un premier pic en
2014, année de l’ouverture du musée
à Rodez, puis un second en 2019 pour
ses 100 ans (plus de 1000 articles rien
que pour cette année). Depuis, le
nombre d’articles se stabilise autour
de 500 sujets par an. Au total, ce sont
un peu plus de 7.700 articles de
presse qui ont été écrits, dont les trois
quarts (71,3 %) en français.
Rareté des œuvres historiques
Alors que le nombre de lots proposés
en vente suit une progression régulière
à partir de la fin des années 1980,
le chiffre d’affaires annuel aura mis
un peu plus de temps à décoller :
il restera bien en dessous de la barre
des 5 M€ jusqu’en 2005 (moins de
1 M€ cette année-là) avant de graviter
autour des 15 M€ de 2013 à 2017
avant d’exploser en 2018 (30,4 M€).
Le prix moyen suit une trajectoire
relativement similaire, mais avec
davantage de volatilité qui s’explique
par une très grande proportion
de multiples. Après une période
d’évolutions fréquentes (qui s’explique
aussi par le peu de transactions)
jusqu’à la fin des années 1990, le prix
médian progresse régulièrement
(de 775 € en 2000 à 3.800 € en 2021).
La peinture reste le médium de
prédilection de Pierre Soulages même si
le marché propose quelque 150 dessins
et d’improbables sculptures, céramiques
ou tapisseries. Le travail de gravure de
l’artiste se vend en nombre en salle des
ventes : plus des trois quarts des lots
proposés sont des estampes. Malgré
63
DATA PIERRE SOULAGES

un nombre de lots 15 fois moins

important, le dessin réalise un meilleur
chiffre d’affaires (7,5 M€ contre 6,2 M€). La
peinture avec 575 lots réalise l’écrasante
majorité du chiffre d’affaires (91,4 %) :
222,5 M€. Rappelons que le prixmoyen
d’une toile de Soulages est de 373.750 €.
Chiffre d’affaires par médium
Soulages est très souvent réduit à peinture œuvres sur papier
l’Outrenoir. « Souvent, le public identifie Nombre de lots par médium multiples autres
Soulages à ses monos pigmentaires,
peinture œuvres sur papier
c’est-à-dire à ses Outrenoirs qu’il peint
à partir de 1979. Mais ce n’est qu’une multiples autres
moitié de sa production », explique
Benoît Decron, directeur du musée de
Rodez. Son catalogue riche de plus de
1.600 œuvres doit être ramené à une
carrière qui s’étale sur plus de 70 ans.
Et Pierre Soulages, dans sa quête Chiffre d’affaires par pays de vente
de perfection, n’hésite pas à détruire
les toiles dont il s’estime insatisfait. France Royaume-Uni
L’intérêt pour l’œuvre de l’artiste Nombre de lots par pays de vente États-Unis autres
se porte principalement sur une France Royaume-Uni
petite décennie entre 1954 et 1963. Allemagne autres
Une décennie prolifique puisqu’elle
représente un tiers de l’ensemble de la
production de Pierre Soulages. Avec un Une expo Soulages pour La Biennale
chiffre d’affaires de 139,7 M€, les œuvres
Pendant La Biennale, l’Opera Gallery consacre une exposition personnelle
de cette période constituent 57,4 % du
au maître de l’Outrenoir à travers une sélection d’œuvres couvrant
total des produits de vente (et un prix
les principales périodes de production de l’artiste. « Dans un espace dédié
moyen de 143.170 €, supérieur de 67 %
d’environ 40 m2, nous présentons huit toiles de Pierre Soulages réalisées
au prix moyen général constaté).
entre les années 50 et aujourd’hui, explique Marion Petitdidier, directrice
adjointe d’Opera Gallery. On balaye presque toutes les périodes de sa
Mais aujourd’hui, les prix les plus
production, ce sera un beau panel pour comprendre son travail. » Parmi les
significatifs sont atteints par les
œuvres sélectionnées figure notamment un grand polyptyque Outrenoir
œuvres recensées au premier tome
de 3,24 m de haut, pièce maitresse de l’exposition « Pierre Soulages,
de son catalogue raisonné qui couvre
une expérience au présent » organisée par la galerie en juin 2021 à Paris.
la période 1946-1959. « Le corpus
« Cette pièce monumentale constituée de quatre panneaux a été réalisée par
est fermé et limité. Entre 1946 et 1959,
Pierre Soulages en 2005, précise Marion Petitdidier. C’est incontestablement
seules 372 peintures ont subsisté,
une œuvre de qualité muséale. La National Gallery de Washington
dont 52 peintures au format muséal.
en possède d’ailleurs une très similaire, un don de la part de Pierre et Colette
La moitié est aujourd’hui conservée
Soulages. » Un bel hommage pour cet acteur majeur de l’art informel.
dans des institutions. Ce qui signifie
qu’il ne devrait pas y avoir plus de
25 grands formats encore en mains
privées », analyse Franck Prazan, maison Tajan, grâce à son record de 2019, réalise 3,91 % du chiffre d’affaires (9,5 M€)
spécialiste de cette période. avec seulement une vingtaine de lots (prix moyen : 559.820 €). Artcurial, qui a
présenté un nombre beaucoup plus conséquent de lots (330 lots), réalise un chiffre
Le duopole traditionnel du marché de 8,1 M€ (prix moyen : 24.830 €). À noter : la maison Caen Enchères n’a vendu qu’une
de l’art s’applique une nouvelle fois seule œuvre de Soulages… mais directement pour 1,2 M€ ! En tout ce sont
au second marché de Pierre Soulages presque 350 opérateurs qui auront proposé des œuvres de l’artiste.
avec 77,3 % du chiffre d’affaires total
de l’artiste réalisé par Christie’s (40,2 %, Notoriété internationale, longévité exceptionnelle, reconnaissance du grand public,
97,9 M€) et Sotheby’s (37,1 %, 90,4 M€). musée dédié à son œuvre de son vivant… Pierre Soulages occupe une place unique
Les prix moyens sont supérieurs pour dans le paysage artistique français et sur le marché de l’art. « Soulages, c’est un peu le
la maison américaine (430.675 € Pont du Gard, résume Benoît Decron. Sa stature est immense. D’un côté du pont, vous
contre 334.150 €). À noter que la avez l’art moderne et de l’autre, l’art contemporain. Il émarge aux deux domaines. »

AMA • 331 • 25 novembre 2021

 oulages
1960, Pierre S ,4 M€
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200 × 16 Ta
Peinture mbre 2019 par © Tajan
27 nove
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