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Formes : revue internationale

des arts plastiques

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque de l'INHA / coll. J. Doucet


. Formes : revue internationale des arts plastiques. 1930-11.

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N°9— NOVEMBRE 1930

Formes est une tribune où s'affrontent librement toutes les doctrines vivantes.

SOMMAIRE
— Points névralgiques.
IV. G.
Jean Cassou. — Le Lyrisme de Bonnard.
Waldemar George. — Paul Tchelitchew.
Duncan Phillips. — La " Phillips Mémorial Gallery ", à Washington.
Gaston Poulain. — Sculptures de Henri-Matisse.
J.-B. de La Faille. — L'Exposition Van Gogh à Amsterdam.
Louis Delaporte. — L'Exposition des Antiquités Orientales au Musée de l'Orangerie.
Germain Bazin. — Delacroix et Marc-Aurèle.
W. Zschietzschmann. — Le Musée de Pergame à Berlin.
Henri A. Lavachery. — Les Arts anciens de l'Afrique Noire à Bruxelles.
Chroniques par : L. D., Foundou\idis, W. G., Marcel Zahar.
CORRESPONDANCE DE L'ÉTRANGER
Curt Glaser. — Lettre d'Allemagne.
Hans Tietze. — Lettre d'Autriche.
Georges Marlier. — Lettre de Belgique.

ÉDITIONS DES QUATRE CHEMINS


18, RUE GODOT-DE-MAUROY, PARIS IXe
Seul représentant pour les Etats-Unis et le Canada
DEMOTTE, inc, 25 East, 78th Street, NEW-YORK
FRANCE ÉTRANGER
Prix du numéro : 20 frs Prix du numéro : 25 frs
Abonnement pour 10 numéros : 175 frs Abonnement pour 10 numéros : 220 frs
BONNARD TABLE DES ILLUSTRATIONS

Planche en couleurs : La Couturière. Peinture à l'huile sur toile 1,35x0,80. CollectionBernheim Jeune.
Fig. 1. — Grand nu à la Baignoire. 1926. Peinture à l'huile sur toile. Collection Bernheim Jeune.
Fig. 2. — Le Café. Peinture à l'huile sur toile, 0,72 X 1,06. Collection Bernheim Jeune.
Fig. 3. — Les Palmiers. Peinture à l'huile sur toile. Phillips Mémorial Gallery.
Fig. 4. — Les Bateaux. 1927. Peinture à l'huile sur toile, 0,53 x 0,66. Collection Bernheim Jeune.
Fig. 5. — Paysage. 1921. Peinture à l'huile sur toile. Collection Bernheim Jeune.
Fig. 6. — Nu debout. 1924. Peinture à l'huile sur toile. 1,35 x 0,70. Collection Bernheim Jeune.
Fig. 7. — Nu. 1928. Peinture à l'huile sur toile, 0,40x0,32. Collection Bernheim Jeune.
Fig. 8. — La Robe à carreaux. 1928. Peintureà l'huile sur toile. Collection Bernheim Jeune.

COMPOSITION DE LA PALETTE
Jaunes: strontiane, cadmium.
Orange : cadmium.
Carmins: laque et carmin.
Bleus : cobalt, outremer.
Verts : émeraude, vert de cobalt.
Violet : cobalt clair.
Noir.
Blanc.
Brun rouge.
Ocre rouge.
NOTICE BIOGRAPHIQUE
Pierre Bonnard est né à Fontenay-aux-Roses, en 1867. Il travaille à l'Académie Julian. En 1890, il expose aux Indépendants,
et à partir de 1903, au Salon d'Automne. Des expositionsde peintures de Bonnard se succèdent : chez Le Barc de Boutteville
(1893-1895), chez Tanguy, Vollard, Durand-Ruel (1896-1899), Bernheim Jeune (dès 1900), Druet (1924).
Les tableaux de Pierre Bonnard figurent dans plusieurs musées d'Europe et d'Amérique et dans les collections privées : Laroche,
Monteux, Marcel Kapferer, Georges Menier, Bernheim Jeune, Jos Hessel, Louis Vauxcelles, à Paris ; Duncan Phillips, à
Washington ; Chester Dale, à New-York, etc.

TCHELITCHEW TABLE DES ILLUSTRATIONS


Fig. 1. — Portrait de Mme B... 1930. Peintureà l'huile sur toile, 0,65 X 0,46. Collection Bonjean. Gamme de rouge garance.
Fig. 2. — Les Acrobates. 1929. Peinture à l'huile sur toile. 0,65 x 0,54. Collection Bonjean. Harmonie d'ocrés et de gris vert.
Fig. 3. — La Syncope. 1930. Peinture à l'huile sur toile. 0,60 X 0,81. Collection Demotte. Harmonie de blanc, rouge, gris bleu.
Fig. 4. — L'Acrobate couché. 1930. Peinture à l'huile sur toile. 0,65 X 0,54. Collection Stephen Teunant. Fond gris bleu. Corps en
demi-tons blanc, rose et gris.
COMPOSITION DE LA PALETTE
Noirs : noir d'ivoire, noir de vigne, noir de pêche.
Blanc d'argent.
Ocres.
Terres de Sienne.
Rouges : garances foncées et claires, rouge fixe.
Bleus : bleu céruléen, cobalts, outremers, indigos.
Verts : ombre verte, verts anglais clairs et foncés.
NOTICE BIOGRAPHIQUE
Paul Tchelitchewest né à Moscou, le 21 septembre 1898. Il a vécu à Berlin où il a exécuté des.décors pour le théâtre " L'Oiseau
Bleu ", de 1921 à 1923. Il arrive à Paris en 1923, et expose en 1925 au Salon d'Automne, à la Galerie Druet et à la Galerie
Henry. En 1928, il peint un décor pour les Ballets Russes de Serge de Diaghilew. Des expositionsparticulières de ses oeuvres
ont heu à la Claridge Gallery à Londres, en 1928, à la Galerie Pierre à Paris en 1929. Les tableaux de Tchelitchewfigurent
dans les collections privées : Gertrude Stein, Alphonse Kann, Fukushima, Comte Etienne de Beaumont, Mme Cuttoli,
Docteur Laugier, Serge Lifar, Baron Benoist-Méchain, à Paris ; Samuel Courtauld, Edith Sitwell, Osbert, G. Gorer, Stephen
Teunant, Lady D. Fitherbert, à Londres ; Chester Dale, John Russell, J. Sweeny, à New-York ; M. et Mme R. Church, à
Wertheim
— et dans les Galeries : Pierre, Bonjean, Demotte, Vignon, à Paris;
San Francisco ; Bernard Davis, àPhiladelphie ;
à Londres ;Flechtheim, à Berlin ; Demotte, Helen Hackett, à New-York.

Photographies : Bernheim Jeune, Allié, Lemarre, Archives photographiques, Kessels.


POINTS NÉVRALGIQUES
Réponse à Monsieur Lautier. ment on peut tâter le pouls de l'art contemporain.
Dérogeant à toutes les traditions, M. Eugène Là seulement on peut suivre les recherches, les expé-
Lautier, sous-secrétaire d'État, réputé athénien, riences, les investigations des peintres et des sculpteurs
comme tous ses devanciers, a prononcé devant le cri-
de valeur inégale, mais qui tous, signifient l'avenir.
tique d'art du Temps, un réquisitoire contre M. Henri Des tendances ? D'une part une franche orientation
Verne. Les paroles de M. Eugène Lautier qui ignore vers un art qui procède, dans une certaine mesure, de
entièrement le mécanisme d'un musée comme le Georges de Ghirico. Des caractéristiques ? Un renon-
Louvre, jettent la suspicion sur le Directeur des cement partiel à l'équilibre plastique considéré comme
Musées Nationaux. M. Eugène Lautier n'insinue-t-il une fin en soi, une découverte soudaine du principe
point que les marchands se rendent maîtres du fantastique de la réalité, un penchant prononcé pour
Temple ? A quels motifs obscurs a bien pu obéir le répertoire de formes traditionnelles, cher aux
M. Eugène Lautier pour clamer de la sorte ses griefs peintres antiques et aux maîtres renaissants. Ce
contre un subordonné ? Qu'est-ce qui justifie de la courant, de plus en plus actif est représenté aux Surin-
part d'un ministre nettement incompétent en matière dépendants par Gajoni, Strecker, Gregorio Prieto,
de muséographie, une attaque si perfide contre Albert Kohlen-Payot et beaucoup d'autres. Je mets
l'homme qui a rendu à la cause des musées nationaux naturellement à part Gampigli et Brignoni, Fasini
des services distingués ? et Hayter, dont le cheval qui gambade dans un es-
Après l'épreuve de la guerre, M. Verne a mis le pace désert, est un cheval parlant, un cheval huma-
Louvre sur pied. Il n'a rien négligé pour attirer le nisé. D'ailleurs la tendance à l'humanisation de
public au musée. Il en a rendu accessibles toutes les la faune et de la flore distingue la jeune école de
salles, tous les jours de la semaine. Il a facilité au "peintres-philosophes". La tendance opposée est celle
touriste étranger la visite d'une galerie publique, de Beaudin, de Bores, de Vinès, ces peintres des données
aussi complexe, aussi vaste que le Louvre. Il a créé immédiates de la conscience. Germaine Derbeck,
un personnel de guides cultivés, compétents, qui Gharchonne, Renaudin, Vezelay suivent une ligne
supplantent les camelots faisant office de guides. Il a parallèle à la leur.
insufflé au vieux Louvre un sang jeune. Si Gaspart, doué mais hésitant, peut être assimilé à
Verne a, à son actif, la Salle Gaillebotte, qui fit un artiste d'expression populaire, ni Beauchant qui
couler tant d'encre et qui est, malgré tout, un des plus suggère une atmosphère de neige par des analogies,
beaux ensembles de peinture française du siècle par des associations, par des valeurs tonales, singu-
dernier. Verne a réalisé ou permis la réalisation de lièrement subtiles, ni Boyer, magnifique imagier pri-
l'Exposition Eugène Delacroix, dont l'aménagement mitif, dont la ligne a acquis une infaillible sûreté,
a coûté tant d'efforts, mais qui fut un triomphe. Voilà ne sont des artisans.
comment il est récompensé d'avoir servi la cause de Des tendances ? Celle des élèves de Gleizes qui
l'art français ! ! ! Ce chef, ce pionnier, a soulevé contre piétinent, sans coup férir, sur place, de Banting qui
son oeuvre tous les médiocres et tous les bureaucrates, oscille entre un surréalisme de mauvais aloi et " l'art
tous les jaloux et tous les mécontents, dont notre sous- métaphysique "...
secrétaire est le digne porte-parole. Des oeuvres ? Les envois de Léon Zack, qui rappelle
à la vie le visage, ce domaine réservé, et qui nous ap-
Un foyer de libre activité. paraît comme un artiste d'une qualité très rare ; de
Des noms ? Mieux. Des oeuvres et des tendances. L'an Jean Lurçat dont les échafaudages d'une éloquence si
dernier je déplorais encore au Salon des Surindépen- humaine, si directe, s'opposent aux constructions de
dants l'absence de tels peintres notoires ou populaires. M. Picasso, ces natures mortes à clef d'un style
Le seul Salon déjeunes qui existe aujourd'huien Europe anthropomorphe ; d'Amédée Ozenfant, ce géomètre-
se passe désormais du concours de vedettes et d'étoiles poète dont l'écriture est souple en même temps que
de toute première grandeur. On a dit et redit que le précise.
nombre croissant de galeries privées rendait inutile D'autresméritentd'être cités : Robert Grange, colo-
les Salons. Les Surindépendants semblent prouver riste raffiné qui, délibérément, use de teintes les plus
le contraire. Une galerie de tableaux, si accessible sobres ; Garbell, qui excelle dans l'art du demi-ton ;
soit-elle aux jeunes artistes, poursuit un but stric- John Graham, dont je parle par ailleurs ; Serge Férat,
tement commercial. Bobermann, si romantique dans son austérité ; Marcelle
Elle ne peut être une réserve d'énergies, un foyer Kahn, Picabia, " tel qu'enfin en lui-même l'éternité le
de libre activité, un laboratoire. Les Surindépendants change"; Torres-Garcia, Kotschar, Mendès-France,
ont voulu être cela. Et ils le sont devenus. Là seule- Mané-Katz. W. G.
LE LYRISME DE BONNARD
par JEAN CASSOU

En feuilletant la correspondance de Jacques Ri- les rendant sensibles, et non selon les jeux de mosaïque
vière et d'Alain Fournier, on reconstitue l'atmosphère des esthétiques nominalistes, — les ponts sont rompus :
d'un temps qui se montra fiévreusement épris de il ne pourra plus jamais s'agir pour lui de construire
simplicité. Nous savons tout le mirage qui se cache un art sur des dogmes et des principes, ni de tenter
derrière ce mot. La simplicité ! Autrement dit, sans quelque entreprise volontairement extraordinaire.
doute, ce fameux naturel que poursuivit le siècle le Dès l'une de ses premières lettres (1905), Rivière
plus réglé, le plus civilisé et le plus canonique. Néan- rappelle à son ami cette phrase de Maeterlinck :
moins, il faut admettre que, dans toute recherche du " Le désir de l'extraordinaire est le grand mal des
naturel et dans tout effort vers la simplicité, il entre âmes ordinaires ". C'est dans "les spectacles les plus
du naturel et de la simplicité. Tout est style, certes, ordinaires que ces deux âmes qui le furent si peu se
et rien n'existe qui ne soit parvenu au style, mais le promettent de puiser la forme d'émotion qu'ils se
style du spontané marque une nuance et un goût dif- sentent appelés à communiquer.
férents de ce que signifiera le style du composé et Cet émoi du coeur devant la nature redécouverte,
de l'artificiel. devant les femmes passagères, innocentes et animales,
De deux jeunes gens très instruits, qui passent des ces rêveries sensuelles, cette faim et cette soif de
concours, savent s'analyser et se dévoilent ambitieux nourritures terrestres, qui les incarne mieux que Bon-
de gloire littéraire, on ne saurait donc attendre ce nard, dont le nom revient si souvent dans ces lettres
que l'on appelle communément de la naïveté. Mais et ces confessions ? Avec Bonnard le monde est une
une tendance au naïf. Et, par conséquent —- tout de fête, non pas brutale et magnifique comme chez
même, — sous les aspects les plus savants et les plus Renoir, mais charmante, rafraîchissante et telle qu'il
riches de leur culture, une force cachée, une fraîcheur la fallait à des intellectuels avertis. Charmante,
ardente et secrète, surtout très vivantes chez Fournier, presque consciente de son charme et s'amusant du
puisque ce furent cette force et cette fraîcheur qui désordre et de la nouveauté qu'elle instaure. Cette
firent naître, en fin de compte, le miracle du Grand peinture n'obéit pas à une violente poussée. Mais elle
Meaulnes. jouit délicieusement de sa barbarie mesurée, de son
Cette réserve dialectique une fois marquée, on peut abandon, de sa grâce négligée, de .son oubli des for-
donc s'en tenir au sens des mots et reconnaître qu'il mules et des préceptes, de sa volupté veloutée, aga-
y eut chez les esprits de ce temps-là, non seulement çante, à fleur de peau, de sa coquetterie, de son im-
appétit de simplicité, mais encore simplicité véritable. pertinence. Elle sait ce qu'elle fait, mais ce qu'elle
Si raisonneurs qu'ils fussent, nous les voyons s'abreu- fait, elle le fait à la diable. Elle est intelligente, mais
ver aux sources de l'Insconcient laforguien. Laforgue, elle est libre. Et sa liberté bouscule tout ordre et
Laforgue et Jammes, ces deux noms reviennent cons- toute hiérarchie, coupe la chambre de biais, cepen-
tamment sous la plume de Rivière et de Fournier. Le dant que la fenêtre coupe un bout de nature. Les
premier est le nom — il ne faut pas l'oublier — du fauteuils, la table et la lumière s'en tirent comme ils
meilleur esthéticien de l'impressionnisme que nous peuvent. Et ce qui sert à décorer la réalité devient
ayons eu. Et du poète le plus savamment balbutiant l'objet même du tableau. L'ornement, l'accessoire
et le plus délicieusement ingénu, le plus philosophe de notre existence pratique et mécanique, l'emportent
et le plus tendre. Le second est le nom du seul poète sur la noblesse de l'idéal et du consacré. Toutes ces
rustique que la France trop civile ait jamais possédé. vaines arabesques et ces coins de tapis et de papier
Et ces deux noms, avec ceux de Debussy, de Gau- peint auxquels l'oeil de la vie réelle accorde à peine
guin, de Vuillard, de Bonnard, composent une féerie un regard, voilà qu'ils grossissent démesurément et
aiguë et intime, nostalgique et quotidienne et qui prolongent, et soutiennent, non sans un triomphant
touche l'âme à la façon du souvenir des scènes fami- sentiment de revanche, cette ligne du corps humain
lières de l'enfance. Pour le poète qui se sera nourri où les académies avaient réservé toute une sublime
d'un tel climat, qui rêve de revenir au contact des métaphysique. Étrange renversement que Matisse
choses, de les revoir, de les toucher, de les appeler portera à ses dernières conséquences,et qui affirme un
par leur nom, — mais en les évoquant directement, en insolent principe d'égalité. Un compotier vaut un
BONNARD
BONNARD
Fig. 4.
a

O
visage. Et la nappe de la salle à manger étend sa poil, cette forme d'humeur porte un nom et se trouve
moelleuse campagne, son ciel de neige et de rose où localisée en un point du globe : c'est l'humeur pari-
toute une physique amusante dispose des montagnes sienne. Aussi, des noms de poètes que nous avons cités
de fruits et des assiettes pareilles à des astres : au delà jusqu'ici et avec lesquels nous avons caractérisé le
de ces événements, il se peut que l'observateur ren- goût de naturisme, de ferveur, d'amoureuse humilité
contre une attitude humaine... Morne et paisible, qui situe l'oeuvre de Bonnard, faut-il écarter les noms
celle-ci s'efface dans quelque coin et ne semble devoir d'Alain Fournier et de Francis Jammes, noms adora-
signifier autre chose qu'un vague assentiment — dont blement provinciaux, qui dépassent le but et vont si
à la rigueur on aurait pu se passer, — mais qui peut, loin sur la grand'route de l'émotion et dans les cam-
en quelque sorte, contribuer à fortifier le sentiment pagnes du rêve et du mystère. Restons au sein de la
que tout est bien et qu'un monde aussi fortuit est un grande ville. Car le lyrisme de Bonnard, c'est le ly-
monde parfaitement heureux. risme de Paris, le lyrisme de la rue dont il a si bien
Le bonheur où se complaît ainsi Bonnard volatilise rendu certains aspects de floraison molle, incohérente
la matière au hasard de sa fantaisie et sans d'ailleurs, et fondue, un lyrisme ironique et sentimental et qui a
que la peinture y perde quoi que ce soit de sa décence l'accent de la romance. Et son art est bien un art qui
et de sa dignité. C'est elle qui gagne, au contraire. Et semble, selon les règles de la perfection parisienne, fait
l'on peut à peine dire que l'homme y perde grand'- d'inconstance, de chance et de rien, mais que guide,
chose. Car il y a dans cette sensualité égale et indif- en même temps, un sort heureux, pleinement assuré
férente tant de talent exquis, tant de gentillesse et et qui, jamais, ne bronche et ne commet de faux pas.
tant d'esprit que l'homme ne peut que sourire de se Un autre nom de poète s'impose ici, celui de Léon-
voir relégué au fond de la pièce, derrière les meubles. Paul Fargue, le plus émouvant poète de Paris, celui
Ceux-ci sont si attendrissants ! Se fâcher contre qui en connaît le mieux l'âme, la température et le
Bonnard serait faire preuve d'autant de mauvais goût génie, celui qui en a la plus riche mémoire, celui pour
que cet âpre Genevois qui se plaignit autrefois du qui Paris est plus peuplé que ne sauraient le révéler
peu de coeur de La Fontaine. Au reste, comme La les statistiques. Et de même qu'une peinture de Bon-
Fontaine et comme Colette, Bonnard a peint de bien nard est mouvante, pleine, savoureuse, de même un
comiques animaux. Et son art même ressemble à poème de Fargue dénombre-t-il mille objets, tous
ce que pourrait être l'art de certains animaux. Son curieux ou attendrissants, et nous touche-t-il par une
univers est tel que celui, par exemple, qu'on imagine sensibilité à la fois subtile et populaire, qui, dans cette
que voient les chats. Si soyeux, si plein, si étincelant ! presse de sensations égales, perce tout à coup sa
Il déborde de choses attirantes pour les griffes, de pointe et la cache aussitôt.
tentations et de caresses. Il est joyeux et discret, divers Si Bonnard s'est si peu intéressé aux habitants de
et somptueux, cocasse, ensoleillé, paradoxal, chaotique, ses appartements et de ses jardins, il y a pourtant un
éblouissant et dénué, autant que possible, de tragédie. type humain à la représentation duquel il a concédé
A un art aussi peu humaniste, on a dit plus haut que une dilection particulière. C'est un certain type de
la peinture ne perdait rien. En effet, cet aimable fille, mince, aux jambes longues, aux hanches étroites,
désordre, ce plaisant dédain des préséances ajoutent aux seins juvéniles et hauts, type de vraie Parisienne,
à la jouissance colorée un piquant merveilleux. Et de petite ouvrière, de petite ménagère industrieuse et
surtout il faut admirer chez Bonnard l'instinct qui lui insouciante, de petite bourgeoise chiffonnée. Bonnard
permet d'user d'une telle fantaisie sans que jamais sa la représente le plus souvent à sa toilette, au milieu de
toile flanche. En quoi consiste donc cet équilibre ? l'ébouriffement des serviettes, de l'eau, des objets
Rien ici ne paraît concerté, tout est plaisir et noncha- matinaux, des rideaux clairs. La tendresse qu'il
lance, tout divertit et cependant rien ne tire l'oeil semble témoigner à cette créature est moins rapide,
exagérément, et une malice suprême coupe court à moins distraite qu'à l'ordinaire. Dans ce moment du
toute cette ronde de petites plaisanteries et de brèves réveil, de la solitude et de la nudité, il y a pour l'ar-
émotions, remet chacune à sa place, qui est celle où tiste comme une sorte de gravité émerveillée.
elle semblait tombée par hasard et d'où elle semblait Ce n'est qu'un peu plus tard que la vie reprendra
vouloir s'échapper encore, et nous oblige à reconnaître
ses droits : lorsque cette petite fille sera descendue dans
un harmonieux ensemble là où nous n'avions vu tout la rue, lorsqu'elle sera happée, au point de s'y perdre,
d'abord qu'une promenade de sensations en sensations. dans l'innombrable masse amusante et amusée d'ob-
Mais cette forme d'humeur, ainsi gouailleuse et jets, de véhicules, d'ustensiles, de couleurs, de bruis-
libertine, tendre sans excès, sensuelle sements, de silhouettes, de détails accrochés au pas-
sans passion,
spirituelle, drôle, émue et légère, qui confond l'homme sage, de taches, de rayures, de mouvements, d'éclats,
dans la foule de mille impressions à la fois minuscules qui est le mondede Bonnard, ce qu'il considèrecomme la
et puissantes, cette poésie d'églogue qui ne dépasse pas nature, une nature nullement effrayante, bien qu'assez
la nature des jardins, nature rassurante et confortable insensible, une nature diaprée, gracieuse, toujours
malgré certain air de hérissement touffu et à rebrousse- jeune et toujours poétique et qui ressemble à Paris.
VERS UN ART HUMANISTE
PAUL TCHELITCHEW
par WALDEMAR GEORGE

Nous distinguons dans l'histoire de la peinture trois voyant, une flèche indicatrice. C'est aussi une plaque
états successifs. A l'état panthéiste correspond la hypersensible. Il est doué d'une prescience prophé-
peinture " primitive ".Le peintre dont l'art procède tique. Il empiète sur l'avenir. Il enregistre, envers et
d'une vision médiévale, alors même qu'il se nomme contre tous, ses désirs et ses aspirations. (Son héroïsme
Memlinc ou bien Breughel, perçoit dans la nature la est une fatalité). Il n'est libre ni du choixde ses thèmes
présence d'une force surnaturelle. Le Paysage avec ni du choix de son style. Ces données qui s'imposent
la chute d'Icare, ce miracle, cette illumination, est à lui sont les signes extérieurs de la culture qu'il
l'oeuvre d'un visionnaire. Chaque molécule, chaque incarne, dont il est le porteur.
parcelle du tableau sont animées, pénétrées, imprégnées L'oeuvre de libération accomplie par les peintres
d'une vie et d'une pensée qui échappent à l'entende- qui créent des formes banales, entièrement dépour-
ment humain. A l'état humaniste correspond le vues de valeur émotive, des formes libres, dont aucun
paysage français du Seicento, tel du moins que Poussin lien logique ne justifie la juxtaposition, des formes
l'a conçu. Ce paysage révèle une attitude active de pures, abstraites qui trouvent leur raison d'être dans
l'homme qui met à jour le mystère immanent, qui la cadence plastique — est une légende... dorée.
projette son moi sur les choses, qui leur imprime sa L'histoire de l'art moderne, telle qu'on la conçoit,
personnalité. s'écroule comme un château de cartes. Quand donc
L'état naturaliste, celui dont la forme la plus songera-t-on à lui substituer une méthode assez
typique et la plus aboutie sera l'art de Claude Monet, souple pour tenir compte : i° de l'immédiate réalité
suppose un effacement de l'homme devant les faits. des faits ; 2° d'un déterminisme historique rigou-
L'impressionnisme, mystique des apparences, signi- reux ? Quand donc comprendra-t-on que les confi-
fie l'abdication de l'être pensant et agissant, sa résorp- dences, les propos des artistes, sont des symptômes,
tion, son anéantissement dans l'atmosphère, dans voire des " matériaux " et non des mises au point
l'ambiance aérienne. ou des éclaircissements qui permettent de mettre à
Le peintre primitif, divinise l'univers. Le clas- nu leurs oeuvres ?
sique l'humanise. Le peintre naturaliste, qui s'in-
terdit de rompre l'harmonie naturelle, n'est plus
qu'un élément parmi les éléments. Si grossier soit-il, Tchelitchew appartient à une génération qui a
ce schéma illustre tant bien que mal les possibilités perdu la foi, sinon dans l'art moderne, du moins dans
de l'art européen, ses ressources, ses besoins, ses la nécessité d'être volontairement, consciemment de
moyens d'expression, d'extériorisation. Ceux qui son temps. Il reprend à la base le problème de son
créèrent le mythe d'un art moderne ont sciemment style. Dirai-je qu'il réapprend un langage tombé en
méconnu la continuité et l'enchaînement des faits. désuétude, qu'il le redécouvre ou qu'il le réinvente ?
Faute de recul, et faute de perspective, ils ont cru Je crois plutôt qu'il retrouve normalement un réper-
discerner dans l'art du xxe siècle un phénomène toire et un vocabulaire qui constituent le patrimoine
nouveau et inconnu. Là où se manifeste un penchant commun de l'art occidental. Ce vocabulaire n'est-il
naturel pour telle forme, pour tel mode, ils décelèrent point le sien ? Chacun des termes dont il est compose
une volonté consciente d'affranchissement ou de éveille dans son esprit une résonance précise. Cette
transmutation. Quand Courbet ou Manet utilisent langue européenne, cette langue universelle, cette
l'ordonnance fortuite, accidentelle et renoncent, volens, langue hors de laquelle il n'y a point de salut pour un
nolens à la composition, à l'unité d'action rythmique civilisé, est celle dont se servirent les Grecs et les
et dramatique, quand ils abandonnent le genre épique, Romains, celle qui engendra la statuaire gothique, celle
la peinture d'histoire, on proclame leur droit à dis- dont l'Urbinate détenait les secrets, celle qui, par
poser d'eux-mêmes ! delà l'Egypte et la Syrie, a envahi l'Asie.
Une telle posture devant l'histoire de l'art est Tandis que la science, sous l'égide de Strzygowski
l'effet d'une conception primaire. L'artiste est un bafoue impunément l'esprit européen et le dépouille
TCHELITCHEW
Fig. 1.
TCHELITCHEW
Fig. 2.
de ses biens les plus chers, un jeune artiste nous rap- ses figures animées. A l'hiératisme, à l'immobilité de
pelle par ses oeuvres la vitalité et la pérennité de l'art du xxe siècle, cet art d'idolâtres qui donnent à
l'humanisme latin, de l'anthropomorphisme. Ce leurs faux dieux l'aspect de fétiches ou la forme d'auto-
peintre poursuit-il une action concertée, réagit-il mates, il oppose le mouvement organique. Il crée
sciemment contre le défaitisme, contre le masochisme entre les figures de ses compositions des liens efficients,
d'un art qui tente en vain de transformer son passif des liens psychologiques. Il donne un sens nouveau aux
en actif, qui exploite, qui met en coupe réglée le formes qui pèsent, qui portent. Il rive les uns aux
domaine impondérable du rêve, de la magie et autres les éléments divers des scènes qu'il représente.
de la sorcellerie? Non pas. Il obéit à la "grande loi Il régénère un art incapable de sortir du cercle de feu
de la réaction qui joue dans tous les ordres de où il est enfermé, un art qui passe pour libre, bien que
phénomènes" (i). Il renoue une tradition qui cadre sa liberté soit un vil servage, un assujettissement à la
avec les besoins moraux et affectifs de l'homme occi- facilité, à l'ignorance élevée à la hauteur d'un dogme.
dental. Les thèmes séculaires des figures qui concourent à un
L'homme libre est le centre ardent de l'univers. Il effet d'harmonie générale, les thèmes des figures qui
en est le principe d'énergie. Aussi Paul Tchelitchew s'affrontent, qui luttent, qui se pourchassent, qui
ne s'exprime-t-il que par l'intermédiaire du corps méditent, qui devisent, sont lettre morte pour l'art
humain, cet attribut formel d'une vision humaniste. contemporain. Tchelitchew les rappelle à la vie. Il
Le mouvement constitue l'apport propre de l'art restitue tout son ancien prestige à l'idée d'une action
grec. Or qu'est-ce que le mouvement? Ne décèle-t-il simultanée, unanime, solidaire. Son oeuvre m'apparaît
qu'une aptitude physique à actionner les corps, à avant tout comme un effort de rééducation. Pour la
évoquer la marche, la course et la poursuite ? Le réaliser, le peintre récapitule son outillage technique.
mouvement signifie l'élan vital, un état dynamique, Il étudie la science de la perspective, la science de
une posture de l'homme devant le monde, un esprit l'anatomie. Nous suivons à travers ses travaux suc-
de conquête, une émancipation de l'individu qui cessifs toutes les étapes de cette initiation volon-
pense, qui prend pleinement conscience de son iden- taire, réfléchie. Désormais Paul Tchelitchew dispose
tité et qui secoue le joug d'une vie élémentaire. Sans d'un idiome artistique, doté d'une grammaire, d'une
doute le mouvement peut-il devenir un tourbil- syntaxe collectives, dont il fait un usage strictement
lon cosmique, dont l'homme perd le contrôle. Mais individuel. Je sais que son parler risque d'être qualifié
le mouvement classique de l'époque de Phidias est de langue néoclassique. Je sais aussi qu'il n'est de
une main mise de l'homme sur la nature, une mani- pire injure dans un monde voué aux arts sauvages
festation de la primauté humaine. qu'une telle épithète accolée à une oeuvre. Il n'im-
Tchelitchew inaugure l'art d'action. Il transmet porte. Je n'ai pas peur de mots. Je célèbre dans le
les sensations d'effort, de densité, de poids. Il articule peintre que voici une revanche, une reprise du génie
d'Occident, ce génie syncrétiste qui a l'univers pour
(i) Duhamel. Scènes de la vie future. P. 155. théâtre et dont l'homme est la mesure exacte.

LA PHILLIPS MEMORIAL GALLERY


A WASHINGTON
par DUNCAN PHILLIPS

Depuis 1918, le musée expérimental d'art moderne simple ébauche. Mais ce qui m'incite, néanmoins,
auquel je consacre mon activité a toujours été rema- à adopter cette façon de procéder, c'est la convic-
nié et refondu sous le contrôle libre du public. Dans tion qu'il est impossible d'étendre les bénéfices intel-
mon livre A Collection in the Making, j'ai promis de lectuels qu'on peut tirer d'une galerie d'éducation
publier, de temps en temps, des rapports sur tous les artistique, à un plus grand nombre de personnes, sans
changements relatifs aux projets et buts de la " Phil- tenir compte des avis du public. Certes, l'oeuvre que
lips Mémorial Gallery " dé Washington. Il est peut- j'entreprends fera son chemin même si la masse s'en
être indiscret et contraire aux usages de confier au désintéresse, car c'est toujours la foi fervente d'un
public ses projets, alors qu'ils sont encore à l'état de petit nombre qui constitue le fondement d'une oeuvre
idéaliste. Et, bien que j'aie un vif désir de collaborer l'on pourra étudier les oeuvres d'art groupées en des
avec le public, je ne m'éloignerai pas de la route que ensembles harmonieux. En attendant, il était plus
je me suis tracée. important de montrer des peintures et des sculptures
Ma femme est mon associée de tous les jours. Elle dans le cadre d'une exposition où figureraient des
contribue à l'oeuvre de la Galerie. Je n'ai pas oeuvres d'esprit et de goût semblables, sans toutefois
d'autres conseillers et, notamment, aucun agent tenir compte de différences chronologiques et géo-
parmi les marchands de tableaux et les soi-disant graphiques telles que nous avons l'habitude de les
experts. La faculté de prendre soi-même une décision voir respecter dans les manuels et dans les musées
est la seule sauvegarde contre les dangers de la mode, " orthodoxes ", où l'on applique le système des grou-
si agressive de nos jours, et contre la peur qui para- pements par pays et par époques.
lyse les collectionneurs trop prudents, soucieux de L'intimité et la simplicité constituent l'atmosphère
n'acheter que des oeuvres consacrées par la tradition. la plus favorable aux oeuvres d'art. Fort de cette
Il est vrai que le temps seul résout le problème de conviction, j'ai pensé qu'il était opportun de réformer
la qualité artistique, et je n'ai nullement l'intention les procédés usuels de présentation. En opposition
de critiquer ici la politique saine des musées " ortho- aux galeries somptueuses contenant des oeuvres
doxes ", dont les conservateurs, maniant des fonds parfois médiocres, j'ai adopté le système des petites
publics, ne sauraient se lancer dans les acquisitions salles, où l'on n'exposerait que des pièces de premier
hasardeuses. Mais j'estime qu'un collectionneur par- ordre, sans se soucier de savoir si le public est apte ou
ticulier peut rendre, sans faire trop de bruit, des ser- non à les comprendre. Je veux que notre institution
vices notables, non seulement aux artistesvivants, mais exerce une influence considérable, mais qu'elle arrive
aussi à la cause de l'art d'avant-garde, et je m'ef- à ce résultat en travaillant dans le silence.
force de démontrer que les services rendus par une J'ouvre ma maison à toutes les oeuvres d'art qui
institution semi-publique, comme la nôtre, sont me semblent belles et vraies, quelle que soit l'école
d'autant plus appréciables qu'elle a sur la collection à laquelle elles appartiennent. Conformément à la
privée l'avantage de présenter un caractère didac- directive que je me suis tracée, j'ai réuni une petite
tique. Aussi bien je considère la création d'un musée collection de grands chefs-d'oeuvre, susceptibles d'il-
expérimental comme une initiative d'une réelle né- lustrer par des exemples concrets l'étude de l'histoire
cessité. de l'art, en permettant de comparer l'art moderne
Notre institution, ainsi que celles, analogues, de et l'art ancien. Parfois j'achète et j'expose des oeuvres
la " Barnes Foundation " du " Whitney Muséum ", de d'un style si imprévu et si peu familier, qu'elles pré-
la " Gallery of Living Art ", du " Muséum of Modem sentent les mêmes difficultés d'interprétation qu'une
Art ", et aussi de l'atelier de Stieglitz (que je langue encore inconnue.
comprends dans cette catégorie), ont été fondés et En passant en revue l'activité de notre institution
vivent grâce à la conviction que l'art d'aujourd'hui pendant ces dix dernières années, j'ai sans doute
représente une force, un courant créé par ce qu'il y a peu de chose à dire sur les agrandissements " en
de plus vivant dans les manifestationsde notre époque. surface ". J'ai tenu surtout à équiper et à transformer
Cet art doit, par conséquent, être recueilli et mis à la graduellement ma vieille maison et à soumettre au
disposition de ceux qui savent y puiser comme à une public une collection de peintures, installée dans un
source dynamique et créatrice. Ma mission réside cadre intime. Le bâtiment définitif, destiné à abriter
dans la recherche de l'artiste indépendant et dans sa cette collection, est encore à l'état de projet. Comme les
défense contre l'opinion tyrannique de la foule : fonds limités dont je dispose ne me permettent pas
artistes ou grand public. de construire et de collectionner en même temps,
Lorsqu'en 1918 je conçus le projet de fonder, à la il m'a semblé plus sage de m'en tenir d'abord à cette
mémoire de mon père et de mon frère, une oeuvre dernière alternative.
qui servirait le pays et la ville qu'ils avaient servis, je Tous les ans il me semble que mon goût est sur le
m'aperçus que nous avions besoin d'un musée des- point d'atteindre la maturité définitive. Souventje me
tiné aux expositions temporaires et constamment demande comment je jugerai dans dix ans mes déci-
renouvelées. Je me proposai d'y montrer des oeuvres sions actuelles. Je ne puis vivre, penser, agir qu'en
de la meilleure qualité, notamment des peintures, fonction de mon jugement et de ma sensibilité esthé-
dues aux talents et aux tempéraments de toutes les tique qui évoluent au fur et à mesure que les jours
races, capables de nous faire sentir combien grand est passent. Dans certains musées, les erreurs sont presque
le privilège de posséder une activité visuelle intelli- irréparables. Ma collection à moi est, au contraire,
gente et intense. plastique. Je la moule et la refonds sans cesse, essayant
Contempler une oeuvre d'art isolée et en jouir de la conformer de plus en plus à mes prédilections
comme d'un tout qui se suffit est très bien. Mais j'es- intimes. Quelquefoisje sacrifie des oeuvres excellentes
père aménager dans le musée que je me propose de pour faire place à d'autres, dont le besoin s'avèreà
bâtir plus tard, des salles de dimensions réduites où plus urgent et qui sont plus aptes à compléter ou

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enrichir l'ensemble d'une catégorie d'oeuvres simi- teste, dans ses chefs-d'oeuvre : Paysage du Midi et Manot
laires, ou encore pour combler une lacune. le Danseur, le caractère traditionnel, français et clas-
llDans notre premier catalogue, il y avait beaucoup sique de sa peinture.
de lacunes et j'y exprimai la nécessité de faire l'acqui- Je n'ai pas l'intention d'englober dans ma collection,
sition d'une belle marine de Winslow Homer, d'une largement conçue, tous les artistes contemporains de
tête idéale de George Fuller et d'un tableau de genre valeur. Car, malgré l'esprit de tolérance auquel j'as-
ou portrait — si parfaitement américains— de Thomas pire, et la ferme volonté de me débarrasser de tout
W. Eakins. Des oeuvres types de Degas, Manet, Seurat, préjugé, je ne puis m'empêcher d'avoir des préférences
Van Gogh et Cézanne nous faisaient défaut. Tous ces et des aversions.
désirs ont été exaucés. Je ne m'étendrai pas longuement sur les chefs-
Au moment où je publiai notre premier catalogue, d'oeuvre de notre collection. Lorsque j'acquis le Le
bien des peintres contemporains étaient représentés Déjeuner des Canotiers, de Renoir, qui faisait partie de la
dans notre collection assez imparfaitement. La peinture collection particulière de Durand-Ruel, je savais
américaine y figurait avec les oeuvres de Ryder, que la réputation universelle de cette oeuvre ferait
Twachtman, Weir, Prendergast, Davies et Luks. Au- affluer les pèlerins du monde entier. Je pouvais donc
jourd'hui, j'ai ajouté à cet ensemble des aquarelles espérer que cet appât les attirerait vers d'autres
nouvelles, dues au génie unique qu'est John Marin, oeuvres, moins célèbres, mais tout aussi impor-
les rêveries et les admirables chants en couleurs du tantes.
grand décorateur mystique Augustus Vincent Tack Le noble précurseur que fut Paul Cézanne est
et enfin les oeuvres d'un coloris si subtil, d'un représenté dans notre collection par deux de ses plus
dessin si capricieux de Karl Knaths, cet intimiste grandes créations. La première est le sévère portrait
lyrique. de l'artiste par lui-même que Meier-Graefe considère
Ces trois artistes trahissent l'influence de l'ancien comme l'une des oeuvres maîtresses de l'artiste.
art chinois, avec sa calligraphie sûre et tourmentée, L'autre est le paysage classique de la Montagne
son dessin conventionnel, son clair-obscur, et surtout Sainte-Victoire ayant fait partie de la collection
son don merveilleux de suggérer les choses, réelles ou Reber. C'est là un des exemples les plus purs de
imaginaires. J'ai, en outre, complété nos séries impor- composition architectonique, obtenue directement
tantes d'oeuvres de Ryder et de Davies et acquis de par la valeur constructive de la couleur.
nouvelles toiles de Tucker, Weber, Miller, Kuhn, Le Saint Pierre repentant, du Gréco, Les Prunes, de
Kent, Sterne, O'Keeffe, Dove, Karfiol, Dickinson Chardin, le tableau connu sous le nom de On the
et Marjorie Phillips. Enfin, je mentionne quelques- Stour, de Constable, les Trois Avocats, les Deux Sculp-
uns des jeunes artistes américains, tels que Chapin, teurs et L'Athlète, de Daumier, le Paganini, de Delacroix,
Olive Rush, Coleman, Graham, Davis, Kantor, le paysage, le portrait et la figure classique de Corot,
Weston et Burchfield, entrés dernièrement dans notre le Ballet Espagnol, de Manet, les Rochers d'Ornans, de
collection. Courbet, le Moonlit Cône, de Ryder, le paysage d'été
Jusqu'en 1925, l'art moderne européen et notam- de Twachtman, le Palmier, de Bonnard et le paysage
ment les oeuvres de l'École de Paris n'avaient été du Midi de la France, de Derain, ce sont là, je crois,
l'objet d'aucune étude de notre part. Certes, nous des créations qui vivront éternellement. Mais le
avions fait un beau début, en achetant Le Printemps et tableau le plus saillant que possède notre collection
la Femme au Chien, de Bonnard. (Ce peintre est, à mon est L'Emeute, de Daumier (1).
avis, un des artistes les plus doués et les plus charmants
de notre temps.) Dans le domaine de la sculpture, un L'oeuvre la plus ancienne de la collection est un
portrait égyptien en pierre calcaire, datant de 1350
autre grand artiste, Despiau, est représenté dans la
Phillips Collection par son bustesplendidede MmeDe- avant Jésus-Christ. La plus récente est une toile peinte
rain (plus exactement, le plâtre original de ce chef- par une jeune fille qui a à peine quitté une école
d'oeuvre du portrait). Parmi les acquisitions plus des Beaux-Arts.
récentes, notons Vuillard, Sickert, Maillol, Matisse, Ainsi, par des ensembles de peinture et de sculpture
Max Jacob, Picasso, Derain, Braque, Segonzac, ancienne et moderne, américaine et étrangère, par la
Utrillo, Friesz, Klee, Chirico, Per Krohg et Fautrier. réunion d'oeuvres réalistes et abstraites, je mets en
Les toiles que nous possédons de Bonnard, Vuillard, valeur l'universalité de l'art et la continuité de la
Derain et Braque, ainsi que les sculptures de Des- pensée humaine.
piau, sont particulièrement importantes. Braque est
représenté par quatre toiles qui révèlent les côtés les (1) Authentifié par Arsène Alexandre. Ed. Fuchs, " Der
plus significatifs de son art. D'autre part, Derain at- Maler Daumier", p. 91. "Daumier"parMichaelSadleir.pl.53.
SCULPTURES
DE HENRTMATISSE
par GASTON POULAIN

Si les aristocrates de la peinture étaient dotés d'un simple plaisir de se mesurer avec une matière nou-
blason, trois d'entre eux, au cours des cinquante velle, Matisse modèle donc.
dernières années, auraient eu, à juste titre, le droit Il ne confond point les masses ductiles et les épais-
d'enrichir leurs armes des outils du sculpteur : Au- seurs statiques, propices aux scalpels de la psychologie ;
guste Renoir, Edgar Degas, Henri-Matisse. parfois, témoignage tacite du refoulement d'une sen-
D'autres encore, certes, mais surtout ceux-là, sibilité versatile et cependant continue, se manifestera,
propulseurs insignes des forces qu'ils manipulent. caustique, sa griffe.
Indéniablement, alors qu'inscrits sur le plan des Dépouillés de toute grandiloquence, " délyricisés ",
toiles, leurs moyens d'expression diffèrent de façon écririons-nous, si ce mot ne constituait un néologisme,
sensible, ils ne se présentent point sans similitudes, les bronzes de Matisse se campent sous nos yeux non
lorsqu'ils s'expriment par un jeu de volumes, où comme le résultat d'exercices apaisants, mais ainsi
n'intervientjamais — puisque établie en plein espace qu'une suite, sans vaine fantaisie, forgée d'un mâle
— la perspective en trompe l'oeil, virus de la plasti- pouce en vue de l'extension des possibilités de l'oeuvre
que impure. En quoi consistent ces similitudes ? peinte.
Dans la recherche torturante du geste sculptural Nulle rouerie aux effets mesquins. Le magnétisme
et du geste vrai, et aussi dans cet esprit que nous de Matisse n'est agressif que par intermittences : il
appelerons " mailloléen ", puisque le maître de ne contrarie pas les lignes concrètes.
Marly synthétise à la perfection l'essor d'une géné- La simplification du processus créateur implique
ration vers les dieux, par elle rajeunis et naturalisés la simplicité de l'aspect, d'où l'eurythmie des atti-
Français. tudes. Les boursouflures ne déflorent pas le style de
La Vénus de Cagnes ne voit-elle pas dans les rats Matisse.
d'Opéra de Degas s'ébattre des soeurs cadettes ? Matisse ne pèche point par excès de servilité.
Degas, Renoir et Henri Matisse quittant leurs Tantôt un système d'ovoïdes étirés, s'emboîtant
pinceaux pour l'argile, les ébauchoirs et les mirettes, les uns dans les autres, établit la plénitude des muscu-
obéissent à d'identiques lois et, sculpteurs, paraissent latures; tantôt de légers sectionnements superficiels,
coopérer à différents degrés à une oeuvre, multiple dus peut-être au couteau à palette, déterminent les
certes, mais dont l'unité prime la diversité, tandis que, lumières, précisent les intentions ; tantôt encore une
peintres, ils ne communient pas à l'autel de la même pulpe aride fait songer au levain des laves ini-
esthétique. tiales.
Voici qui est curieux : l'action de leur senestre Petit buste de femme au chignon bouffant, au cou
tempère celle de leur dextre, et, de la sorte, s'apaise grêle, au regard de caméléon, nu étendu, calculé
leur personnalité. pour l'enveloppement visuel, couple debout, la
Des sculptures de Matisse étaient récemment ex- femme aux cheveux courts, dominant de son corps
posées à la Galerie Pierre. semi-masculin la femme aux cheveux longs, tête
Intuitif à l'extrême, le peintre des odalisques s'y émerveillée que se partagent l'étonnement et l'incer-
dédoublait visiblement et, sans que fût en rien atténuée titude, l'oeuvre sculpté d'Henri-Matisse offre plusieurs
l'acuité de son intelligence, s'y montrait cependant morceaux culminants, qui, seuls suffiraient à établir
plus réservé que dans ses compositions qui comportent une célébrité.
de souveraines rutilances. Sans amollir, ni pétrir, Henri-Matisse, magnat de la couleur, n'abdique
sans la moindre gêne comme sans orgueil, pour le pas devant les formes.
Henri MATISSE. Collection Pierre.
Sculpture (bronze). Pierre Collection.
Les tondeurs de moutons, (d'après Millet). VAN GOGH The sheep shearers (after millet).
St Rémy. St Remy.
L'EXPOSITION VAN GOGH
A AMSTERDAM
par J.-B. DE LA FAILLE

A l'occasion du 40e anniversaire de la mort de on accède à la collection réunie avec la collaboration


Vincent van Gogh, M. E. Polak, échevin de l'Ins- de la société " Vincent van Gogh et son temps".
truction Publique et des Beaux Arts de la ville d'Ams- Elle ne contient, à l'exception de trois tableaux de
terdam, a pris l'heureuse initiative d'organiser au l'époque hollandaise, que des oeuvres de l'époque
Musée municipal, à Amsterdam, une grande expo- française : période des débuts à Paris, manières mar-
sition rétrospective de l'oeuvre de Van Gogh. Pour quées par les influences passagères de Monticelli et
réaliser cette importante manifestation, l'échevin a des maîtres impressionnises (Pissarro, Monet, Sis-
sollicité l'appui de la jeune société " Vincent van ley) ; quelques tableaux au pointillé (influence de
Gogh et son temps ", dont le soussigné est le président. Seurat) ; d'autres parmi lesquels le Portrait du Père
Cette société a suggéré de réunir autour de Vincent Tanguy, du Musée Rodin, nous révèlent l'influence
van Gogh des tableaux de ses contemporains français. de l'art japonais. Période d'Arles, où l'art de Van
Grâce à une forte subvention de la municipalité et Gogh, après la transformation manifeste qu'il a
du gouvernement hollandais, l'auteur de cette lettre a subie à Paris, s'est comme épanoui. Van Gogh peint
pu effectuer de nombreux voyages en Suisse, en Angle- des vergers en fleur, des vues des Saintes-Mariés, des
terre, en France, en Allemagne et en Belgique. Il a coins du parc de la ville, les Soleils et autres natures-
acquis la collaboration de plusieurs musées, des col- mortes, de nombreux portraits, notamment celui
lectionneurs et des marchands. Il a réuni plus de de L'Homme à l'oreille coupée (collection S. Courtauld,
110 tableaux ainsi qu'un grand nombre de dessins et Londres). Vient l'époque de Saint-Rémy, où sa
d'aquarelles de Van Gogh, et 200 toiles des maîtres palette s'apaise. On revoit ici les fameux cyprès,
contemporains. Mme Krôller-Mùller a bien voulu s'élançant vers le ciel comme des flammes, les champs
prêter sa fameuse collection de 250 tableaux de Van de blés au pied des Alpilles, les copies libres d'après
Gogh. Voilà donc réunies au Musée municipal Millet, Rembrandt, Delacroix, les iris, les oliviers,
375 oeuvres du maître. L'Exposition, inaugurée le etc. Enfin, les derniers tableaux d'Auvers-sur-Oise :
6 septembre par le ministre de l'Instruction Publique, les champs ondulés, Le Jardin de Daubigny (Galerie
des Sciences et des Beaux-Arts, reste ouverte jusqu'au Nationale, Berlin), La Mairie le 14 Juillet (collec-
2 novembre. Elle offre la possibilité de se rendre tion Paul von Mendelssohn-Bartholdy,Berlin), la
compte du développement de l'artiste, dont on n'a Vue d'Auvers (collection C. Frank Stoop, Londres).
jamais groupé, jusqu'ici, un si vaste ensemble. La C'est à Auvers que Vincent, le 29 juillet 1890, ex-
collection de Mme Krôller contient un grand nombre ténué par les crises nerveuses, consumé par l'ivresse
de dessins de Van Gogh. On peut y étudier les quel- de la création, se tira une balle dans le ventre et
ques dessins qui subsistent de son début (Borinage rendit son âme meurtrie au Seigneur.
1880), ceux qu'il a exécutés à Etten et à La Haye L'exposition embrasse tout l'oeuvre, depuis les
(1881-1883), ceux de Drenthe et ceux de Nuenen études sombres et âpres des paysans du Brabant jus-
(1883-1885). Ces dessins, d'un intérêt capital, nous qu'aux interprétations grandioses de la nature, de
permettent de suivre l'évolution du maître. Ils celui pour qui la vie n'a été qu'une lutte atroce : "La
prouvent l'effort immense qu'il a dû faire pour vaincre tristesse durera toujours ", dit-il peu avant d'expirer.
les difficultés de technique. Oui, cette magnifique exposition rétrospective est
Ces dessins, parfois malhabiles, mais déjà telle- un bel hommage à Van Gogh, dont la victoire fut
ment imprégnés d'une forte personnalité, témoignent tardive, sans doute, mais éclatante.
de sa patience infatigable. C'est le labeur de celui Nul peintre n'a influencé Vincent de façon durable.
qui doit gravir, seul, son calvaire. Aux dessins font Pendant toute sa vie il n'a vendu qu'un seul tableau.
suite les tableaux de toutes les époques. Après la Ne retrouve-t-on pas dans l'oeuvre de Van Gogh toute
collection de Mme Krôller, qui est exposée à part, la nervosité de notre époque ? Ne répond-elle pas à
nos angoisses, à nos efforts Ne reflète-t-elle pas la
? dorf près Zurich, a prêté la belle Nature-morte aux
lutte titanique, toute notre misère et toute notre joie, huîtres. De Claude Monet, quinze oeuvres, dont il faut
notre héroïsme ? C'est peut-être encore pour ces mentionner La Gare Saint-Lazare, de 1877 (collection
raisons diverses que l'on élève aujourd'hui Van Gogh Mme E. Staub, Mânnedorf) et les Champs au Prin-
au rang des plus grands maîtres. temps, de 1887 (Galerie Municipale à Stuttgart).
Présentée par ordre alphabétique, l'exposition Sur la cimaise, Camille Pissarro fait suite à Claude
contient des oeuvres importantes des maîtres contem- Monet avec douze oeuvres ; nous admirons Les Toits
porains français. rouges (Musée du Louvre), une belle toile ensoleillée,
Paul Cézanne y figure avec quinze oeuvres, prove- Les Inondations à Bazincourt (collection Gaston Levy, à
nant entre autres des collections d'Ambroise Vollard, Paris), etc. Raffaëlli n'a pas été omis. Parmi les qua-
de Lord Ivor Churchill et du Dr. Reber, de Lausanne. torze tableaux de Renoir ne figurent point ceux de sa
Suivent Cross et Degas. De Degas, un ensemble de première époque, tels que La Loge, etc. Les organisa-
beaux pastels. De Paul Gauguin, une très belle ré- teurs ne purent les obtenir. De 1875, est exposé Un
trospective de vingt-sept oeuvres permet d'étudier Paysage du printemps (collection S. Courtauld, Londres) ;
les différentes époques de Bretagne, de Martinique, de 1876, L'Enfant à l'arrosoir (Reid et Lefèvre, Londres).
de Tahiti. On remarque Le Banc (collection E. von Parmi les huit oeuvres présentes de Seurat, signalons
Hirsch, Francfort) et les Femmes tahitiennes (Musée Le Pont de Courbevoie (collection S. Courtauld, Londres)
du Louvre), ainsi que onze bois gravés. De Guillau- ainsi que la superbe Vue de la Seine près de la Grande
min, douze toiles. Jongkind, dont C. Pissarro a dit : Jatte, appartenant à Mlle Anna Boch, à Bruxelles.
" Sans lui nous n'existerions pas ", n'a pas été oublié. Les oeuvres de Paul Signac ont été accrochées auprès
Manet, quoiqu'il ne soit pas tout à fait le contem- de celles de son ami Seurat. Les dix toiles d'Alfred
porain de Van Gogh, est représenté par dix oeuvres, Sisley font l'admiration du public hollandais qui subit
parmi lesquelles s'imposent Les Parents du Peintre le charme de la fraîcheur, de la facture spirituelle et
(collection E. Rouart, Paris). Mme Staub, de Mànne- de l'intimité des motifs du grand paysagiste.

L'EXPOSITION D'ART ORIENTAL


AU MUSÉE DE L'ORANGERIE
par Louis DELAPORTE

M. René Dussaud, conservateur des Antiquités d'un mécène. Parmi les autres acquisitions récentes,
orientales au Musée du Louvre, a eu la très heureuse les lecteurs de Formes s'intéresseront tout particulière-
idée de vouloir présenter dans une exposition spéciale ment à certaines têtes de Sémites, sculptées en ronde-
les remarquables résultats des dernières fouilles fran- bosse dans la région à l'est du Tigre, tout au début du
çaises dans le proche Orient asiatique. Précédemment 3e millénaire avant J.-C. Une planche montre une
déjà, dans les salles mêmes du Louvre, une présen- tête de femme, en pierre blanche, à la chevelure abon-
tation avait été faite de découvertes à Byblos, à Doura- dante et soigneusement dressée, aux yeux rapportés
Europos, à Qatna. Cette année-ci, l'abondance et la suivant une technique qui fut toujours très en honneur
variété des documents, malgré une sélection sévère, chez les suméro-akkadiens.
ont nécessité une installation plus importante : au Sur la même planche, une tête sumérienne, très
Musée de l'Orangerie sont réunies les plus belles pièces expressive, malgré la mutilation du nez et la dispari-
des fouilles exécutées depuis moins d'un an par tion des yeux ; elle a été découverte à Tello par M. de
M. l'abbé Henri de Genouillac à Tello, MM. Fran- Genouillac. Formes a publié dans son numéro de
çois Thureau-Dangin et Maurice Dunand à Tell- décembre 1929 quelques intailles du Louvre et du
Ahmar sur l'Euphrate, M. le comte Robert du Mesnil Musée de Kansas City, recueillies par lui dans la
du Buisson dans la vallée de l'Oronte, MM. Schaef- campagne précédente.
fer et Chenet à Ras Shamra. Les fouilles de M. de Une pièce entre toutes mérite d'attirer l'attention
Mecquenem à Suse sont représentées notamment par parmi celles que M. le comte Robert du Mesnil du
la reconstitution de bas-reliefs dont les éléments ont Buisson a rapportées de la vallée de l'Oronte : la
été recueillis en plusieurs campagnes, et les acqui- tête de bouquetin dont nous donnons la photographie
sitions comportent des spécimens de la belle collection est une belle oeuvre d'art sumérien à l'époque de la
du colonel Allotte de la Fuye, due à la générosité IIIe dynastie d'Our, vers la fin du 3e millénaire.
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Dieu coiffé de plumes. 2mc millénaire. Fouilles de MM. Schaeffer et Chenet, à RasShamra.
God with plumed head-dress (2nd millenium). Excavations by MM. Schaeffer and Chenet at Ras Shamra.
Génie à corps de taureau. Bas-relief élamite.2me millénaire. Fouilles de M. Robert dsQnecquenem a Suse.
Genii with the. body of a bull. Elamite bas-relief. (2nd millenium). Excavations by M. R. de Mecquenem at Susa.
DesMvfie M. Lucien Cavro, d'après une peinture inachevée dans le palais, élevé à Tilborsip, sur l'Euphrate,
par TéglathphalasarIII, roi d'Assyrie (vme siècle av. J.-Ch.). Fouilles de M. Fr. Thureau-Dangin, à Tell Ahmar.
Elle faisait partie d'un bas-relief composé de pièces mentable échec. Quelques fragments parmi les mieux
fixées à l'aide de tenons métalliques ; trouvée à conservés ont pu être enlevés de la muraille et trans-
Qatna, elle s'ajoute aux autres documents qui prou- portés soit au Musée du Louvre, soit au Musée d'Alep ;
vent l'influence sumérienne dans cette région, ils servent de témoins à l'oeuvre consciencieuse et
influence dont le premier témoin a été une tête en difficile de relevés en couleurs exécutés par M. Lucien
ronde-bosse jadis publiée par le R. P. Ronzevalle, Cavro, architecte attaché à l'Institut français d'ar-
de l'Université de Beyrouth. chéologie et d'art musulman de Damas. Le bandeau
Un dieu coiffé de plumes, sur une stèle de Ras en tête de cet article appartient à une autre salle ; le
Shamra, dans la deuxième moitié du 2e millénaire, dessin, exécuté en noir, n'a jamais été rehaussé de
est une divinité honorée par des étrangers en ce lieu, couleurs ; il a été masqué par une couche de badigeon
alors appelé Zapouna. Les deux campagnes de fouilles sur laquelle, à une époque postérieure, ont été peints
conduites par MM. Schaeffer et Chenet ont été très des chevaux au repos. Tous les murs de la grande salle
brillantes. Des tablettes cunéiformes sont de pré- de l'Orangerie sont recouverts par les relevés de
cieux témoins de la langue phénicienne parlée dans M. Cavro, et le visiteur peut, sans aucune difficulté,
cette région et les plus anciens documents en cette se représenter l'ensemble du décor.
langue actuellement connus. De Suse proviennent des archers et animaux en
A Tell Ahmar, sur le bord de l'Euphrate, M. Fran- briques émaillées d'époque achéménide. Avec une
çois Thureau-Dangin, assisté de M. Maurice Dunand, patience mise à rude épreuve, M. de Mecquenem a
a entrepris, à l'automne de 1929, des fouilles dont j'ai poursuivi, plusieurs années, durant, la reconstitution
déjà signalé l'importance dans Formes (mars 1930, de reliefs plus anciens ; la tâche était difficile car les
p. 19) ; de ce site provientla belle stèle du dieu Tésoub, briques ne se raccordent presquejamais l'une à l'autre;
exposée au Louvre, alors reproduite dans une planche il semblerait que chacun des ensembles a été moulé
de la revue. Une autre stèle du mêmedieu, de moindres en une seule pièce, puis découpé en tranches avant la
dimensions, est plus complète, mais l'intérêt principal cuisson. L'homme-taureau près de l'arbre sacré et la
de la campagne de 1929 porte sur les peintures du femme de face, qui élève les mains devant sa poitrine,
palais construit en ce lieu, alors appelé Til-Borsip, appartiennent à une époque d'indépendance élamite,
par le roi d'Assyrie Téglathphalasar III, au rxe siècle. au 2e millénaire, dont les monuments sont très rares.
Un grand salon dont la longueur dépassait 20 mètres J'ai choisi pour Formes quelques documents parmi
et la largeur atteignait près de 8 mètres, était orné de les plus remarquables dans l'espoir de convaincre ses
peintures. Le décor, exécuté " à la colle " sur plu- lecteurs que l'exposition d'art oriental mérite au moins
sieurs couches de lait de chaux, reposait sur un enduit une longue visite, facilitée d'ailleurs par les descrip-
de terre fine, de couleur grise, épais d'environ 1 cen- tions d'un catalogue dont M. R. Dussaud a écrit la
timètre, étendu lui-même sur un enduit de terre de préface. Ce sera pour plus d'un visiteur la révélation
3 à 4 centimètres. En vain l'on a tenté de détacher que l'archéologie orientale, loin d'être une science
la peinture des enduits qui la supportent ; des essais hermétique, réserve de véritables joies artistiques à
confiés à des spécialistes réputés ont abouti à un la- ceux qui prennent la peine d'y porter quelque intérêt.

DELACROIX ET MARCAURÈLE
par GERMAIN BAZIN

La Mort de Marc-Aurèle du Musée de Lyon était grandes idées, principalement entre deux pôles ex-
à l'Exposition Delacroix, comme un pont tendu, pour trêmes ?
le visiteur sensible, entre cette exposition et celle de Après s'être donné longtemps l'illusion de dominer
l'art de l'Empire romain, autre " célébration d'un le monde par la connaissance, l'homme finit par se
mystère douloureux ", aurait dit Baudelaire. Un trouver emprisonné dans l'univers idéal qu'il s'est
critique, croyant sans doute être malveillant, n'a-t-ilédifié. Il rompt les cadres, tous les cadres, les cadres
pas dit d'ailleurs qu'on respirait à l'Exposition Dela-culturels, frontières assignées à la pensée par elle-
croix, " une atmosphère du Bas-Empire " ? même, comme les cadres sociaux et religieux, produits
Loin de moi la pensée de ne voir dans l'histoire de son activité civilisatrice. A la philosophie de la
qu'une éternelle et fatale récurrence. Désespérante connaissance succède l'agnosticisme ; à la croyance
pensée ! Cependant, quant au problème central de en Dieu, l'athéisme ; au goût de la hiérarchie sociale
la destinée et des rapports de l'homme avec l'univers, celui de la démocratie. La pensée retrouve sa liberté,
le monde occidental n'oscille-t-il pas entre quelques mais pour se détruire elle-même. Perdant tout espoir dans

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l'absolu, l'homme abandonne jusqu'à sa foi dans le tiellement un " dieu tombé qui se souvient du ciel "•
pouvoir absolu de Vidée, qui échappe au temps, et Le souvenir de l'optimisme d'hier, d'un temps encore
dont le prestige avait été tel à l'époque héroïque de proche où la douleur trouvait sa justification dans
la pensée que l'idée avait été considérée comme l'arché- la certitude d'un au-delà, est encore trop vif pour que
type même de l'univers. l'homme ne pleure pas ce paradis perdu. Le monde
Savoir et pouvoir sont liés. L'homme ne se sent greco-latin au contraire n'avait guère cru à l'immor-
plus maître d'un univers dont la connaissance lui talité de l'âme ; la morale du monde grec classique est
échappe. Une loi universelle, mystérieuse et fatale, bornée au souverain bien terrestre. Le pessimisme
qui entraîne toutes choses dans une transformation antique est donc un pessimisme en soi et le stoïcien
incessante, l'étreint. Dans ce tourbillon, il ne se sent accepte froidement l'idée du néant. Comparez les
plus qu'un atome " une molécule de la nature uni- révoltes d'un Vigny à la sérénité olympienne de Marc-
verselle " (Marc-Aurèle). Son être où il n'y a plus Aurèle, pourtant l'un des philosophes du Portique,
de point fixe parce qu'il n'y a plus d'idées types, donc chez qui l'impassibilité stoïcienne fléchit et se tempère
plus d'absolu, lui paraît participer de ce phénomé- de douceur et d'amertume ! Dans les Pensées, cette
nisme ; et l'écoulement de sa personnalité le remplit oeuvre de désespoir, il n'y a pas un cri de révolte.
d'inquiétude. Dominé par l'univers, il perd confiance Le Romantique abandonne Dieu pour embrasser
en sa vertu d'action, il se sent agi, soumis à un déter- le néant ; le stoïcien, au contraire, dans son néant,
minisme qui le dépasse : le destin. " Tout ce qui t'arrive cherche Dieu. Il n'est pas paradoxal de dire que
se rattache à l'ordre général du monde, était arrêté l'athéisme fut une sorte de purification de l'idée de
dès l'origine, était ourdi dans la trame de ta des- Dieu, souillée de mythique, qui prépara le monde
tinée " dit Marc-Aurèle. classique au spiritualisme chrétien. D'ailleurs, les
La vive conscience qu'a l'homme de ce destin purs stoïciens ne sont pas athées. Certains, comme
fatal, lui fait voir toute la vie dominée par la mort. Marc-Aurèle, doutent, mais n'oublions pas qu'en cette
L'oeuvre de Delacroix, comme celle de Marc-Aurèle, matière, le doute n'est déjà plus l'athéisme. L'homme,
n'est qu'un immense chant funèbre. L'âme n'est pas rationnellement privé de Dieu et isolé du monde,
immortelle ; la vie n'est qu'une succession d'instants. allait chercher avec la divinité et l'univers d'autres
" Ce n'est jamais que l'instant présent qui nous liens, des liens mystiques (non mythiques). Cette
" échappe, on ne peut perdre ni le passé, ni l'avenir : religion unitive, l'Orient devait l'apporter à l'Occident.
" comment pourrait-on ôter à quelqu'un ce qu'il n'a Gardons-nous de ne voir dans l'histoire qu'une
" pas ? " dit Marc-Aurèle. Mais l'âpre sentiment qu'il cohue anonyme. Delacroix cherche à fuir le sentiment
a de la fuite de sa personnalité, oblige l'homme à se du néant par l'exaltation de toutes ses forces vitales, atti-
pencher sur lui-même pour retenir cette vie qui fuit tude d'un génie créateur qui échappe au monde et
sans cesse, cette vie précieuse parce qu'elle est unique.à son destin par la création. " Mourir mais après avoir
C'est alors qu'il note ses pensées (Marc-Aurèle) ou vécu ! s'écrie-t-il dans un texte célèbre. Beaucoup
écrit un journal (Delacroix). Les préoccupations s'inquiètent s'ils vivront après la mort, mais ils ne
morales l'emportent sur la spéculation pure, et la vivent pas ". Au contraire, chez Marc-Aurèle, la mort
morale cesse d'être sociale pour devenir individuelle, est vraiment un principe de mort. Marc-Aurèle, qui s'at-
et tendre à des fins spirituelles. Le philosophe, seule- tache à " considérer la mort sans émoi ", échappe à
ment préoccupé auparavant d'organiser par sa pensée l'angoisse du néant, par une acceptation anticipée
l'ordre extérieur du monde, découvre alors son univers de la mort, une sorte d'anéantissementde soi. " Agis
intime et " n'est plus frappé des objets extérieurs que toujours comme si tu étais sur le point de sortir de la
dans le rapport complet qui existe entre eux et notre vie " dit-il. On sait, d'ailleurs, que cette anticipation
propre nature " (Delacroix). L'homme, ainsi réduit de la mort poussa certains stoïciens jusqu'au suicide
à soi, se réfugie dans son être intime, tend à la concen-érigé en doctrine, et plusieurs en donnèrent même
tration de ses forces psychiques et à la possession de l'exemple. " Placet ? vive, dit Sénèque. Non placet ?
soi. Du moins telle est, dans cette débâcle, l'attitude Licet eo reverti unde venisti. " Aussi la vie, pour Marc-
des grandes âmes qui se gardent " d'errer hors de Aurèle n'est qu'une mortificationincessante,une oeuvre de
soi " (Marc-Aurèle) et de demander, comme tant de
mort : " Dans un instant tu ne seras que de la cendre,
romantiques élégiaques, une sympathie vaine à un " un squelette, un nom et pas même un nom...".
univers " sourd à notre colère " (Marc-Aurèle). Ne sommes-nous pas là à l'opposé de Delacroix qui
Telle est l'attitude de tous les stoïciens et de Marc- proclame que " la vraie science du philosophe devrait
Aurèle ; telle est aussi l'attitude de Delacroix, véri- constituer à jouir de tout " et pour qui " il faut tou-
table fondateur au xrxe siècle de ce culte du moi dont jours désirer quelque chose ou l'espérer " ? Et l'on
Barrés fit sa loi.
sait combien Marc-Aurèle fait profession de mépriser
A l'époque romantique comme au déclin du monde la gloire, alors que Delacroix voyait dans cette " am-
antique, l'homme suit cette pente fatale qui le conduit broisie des grandes âmes " une sorte de justification de
au pessimisme. Cependant le romantique est essen- soi-même. Le désespoir d'un Delacroix porte en soi

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l'espérance, en tant qu'il est actif, espérance qu'il met
l'orgueil dominateur de l'homme antique, mais il
en lui-même. Le désespoir de Marc-Aurèleest au con- hérite du génie pragmatique de Rome, et obéit à une
traire l'absence d'espoir dans toute son atroce nudité.sorte de conformisme d'impérialisme romain, qui
Sous l'aiguillon de la mort, le romantique gémit, ou, entre souvent en contradiction avec sa pensée intime ;
quand il est un Delacroix, trouve dans son pessimisme ainsi il ne cesse de proclamer l'inutilité de la vie indi-
une volonté nouvelle de vivre et un tremplin d'action. viduelle, mais il fait à l'homme un devoir de militer
dans la vie sociale. C'est la résistance instinctive du
Le stoïcien, lui, se fait du néant un manteau d'orgueil.
Voyez certain type de buste romain, dont la repro- civis romanus à la philosophie dissolvante qui lui vient
duction en nombre incalculable, prouve le succès de la Grèce et de l'Orient et qui a conquis sa pensée.
du poncif de " l'homme froidement déterminé au Ainsi se résout l'étrange énigme de cet homme, couvert
désespoir ", fièrement dressé, selon l'expression de du sang des martyrs de Lyon, dont il était déjà le
Marc-Aurèle lui-même, " dans l'attitude d'un soldat frère spirituel, et qui professait " qu'il est du devoir
prêt à quitter la vie au premier signal de la trom- d'un homme d'aimer même ceux qui l'offensent ".
pette ". Rongé par l'Orient, ébranlé par le Nord, après avoir
Et pourtant ce philosophe, qui tient la vie pour réussi à dominer l'un et l'autre en les assimilant,
vaine, fut un grand homme d'action et de gouverne- l'homme antique meurt le front haut, en refusant de
ment. Ce nihiliste est un militant ! Nous touchons s'avouer sa déchéance. Jusqu'à la fin, la statue de-
dans cette contradiction au fond même de Marc- meure inébranlable, " comme un cap contre lequel
Aurèle. Marc-Aurèle, ne l'oublions pas, est avant tout viennent se briser continuellement les flots de la mer ".
un romain. Comme tel, non seulement il garde tout (Marc-Aurèle.)

CONFRONTATIONS

Agnosticisme. vie que celle qu'il a, ni ne jouit d'une sorte de vie autre que
celle qu'il perd. "
Marc-Aurèle : " Tout est opinion... " Delacroix. " Passer du grave au doux, de la ville à la
Delacroix : " ...l'homme, bien qu'il soit fier de son intel- campagne, jusqu'à ce qu'on passe de quelque chose au
" ligence et qu'il s'en serve continuellement pour demander rien. Mais alors, quoi qu'en pense Hamlet, les songes dans
" la raison de tout, ne peut avec son aide, percer le mystère
ce repos propice, ne viendront pas nous apporter les images
" universel... " du mouvement et c'est un bienfait de l'incompréhensible. "

Phénoménisme. Néant de l'homme.


Marc-Aurèle : " Ceci se hâte d'être, cela se hâte de Marc-Aurèle, citant Epictète : " Tu es une pauvre
n'être plus... âme qui porte un cadavre. "
"
Considère souvent la rapidité du torrent qui emporte tout Delacroix : " C'est dans les moments où l'âme se trouve
ce qui existe et tout ce qui naît. Car la nature des choses en face de ce cruel néant que tous les secours sont impuissants
ressemble aux eaux courantes d'un fleuve intarissable ; ses à lui porter consolation... Ilfaut à l'homme doué d'imagina-
oeuvres ne sont que des transformations continuelles dont les tion un certain courage pour ne pas aller au devant du fan-
causes mêmes résultent de mille changements... " tôme et embrasser le squelette. "
Delacroix : " Tout change et tout est roman, nous
sommes frappés de l'anéantissement qui amène la mort... " Vie intérieure.
Ecoulement de la personnalité. Marc-Aurèle : "La philosophie consiste à veiller sur le
génie qui réside dans son coeur. "
Marc-Aurèle : " Tout ce qui est du corps [de l'homme] Delacroix : " Je me suis convaincu que le bonheur est
est comme une eau courante ; tout ce qui est de son âme comme dans le contentement de soi-même... "
un songe et de la fumée. " " ...mais surtout la sécurité de la solitude, voilà un bonheur
Delacroix : " Nous mêmes ne nous oublions-nous pas ?... qui... paraît supérieur à tous les autres. On jouit alors
Pas une parcelle de l'homme d'hier ne vit dans l'homme complètement de soi. "
d'aujourd'hui... "
"Une idée vous arrive, si vous ne la prenez pas au passage, De la gloire.
elle ne vous revient jamais. "
Marc-Aurèle : " Tout s'évanouit en un jour, et ce qui
Mortalité de l'âme. célèbre, et ce qui est célébré. "
Delacroix : " La gloire n'est pas un vain mot pour moi—
Marc-Aurèle "
Dusses-tu vivre trois mille et même
: L'amour de la gloire est un destin sublime qui n'est donné
trente mille ans, n'oublie jamais que personne n'a d'autre qu'à ceux qui sont dignes d'obtenir la gloire...

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LE MUSÉE DE PERGAME
A BERLIN
par W. ZSGHIETZSCHMANN

Karl Humann travaillait à l'aménagement du gorie, donnaient déjà une idée de ce que pouvaient
réseau routier en Asie Mineure, en qualité d'ingé- être les créations des artistes de la cour de Pergame.
nieur, au service du gouvernement turc, lorsqu'il Mais ce n'est qu'à la suite des fouilles faites sur le
découvrit, dans un four à plâtre, installé sur la col- sol même de l'antique résidence de Pergame que
line de Pergame (que couronne un important châ- nous sommes arrivés à connaître la véritable activité
teau fort byzantin), de grands bas-reliefs en marbre, des ateliers de sculpture de cette ville. C'est grâce à
qu'il réussit à enlever aux ouvriers de l'endroit. elles que nous pouvons, aujourd'hui, constater l'unité
Décidé à faire des recherches plus systématiques en de conception artistique de trois générations succes-
vue de nouvelles découvertes, il y revint quelques sives, unité si forte qu'il nous est souvent impossible
années plus tard, vers 1875, et, enthousiasmé par le de discerner la part de chacune de ces générations
succès de ses fouilles, il envoyait au Musée de Berlin dans la production totale.
la dépêche suivante : " Nous avons découvert toute Parmi les très nombreux bas-reliefs et statues que
une époque d'art inconnue ". Rien n'était plus vrai. les fouilles de Pergame ont mis à jour, " l'Autel "
Car c'est grâce à la découverte des sculptures de présente incontestablement le plus grand intérêt
Pergame que le monde des savants et des artistes pour cette simple raison que nous pouvons l'étudier
a réellement commencé à connaître la dernière phase encore aujourd'hui comme le monumentarchitectural
de l'histoire de l'art grec, précédant directement le ayant gardé intacte sa décoration sculptée. Même
classicisme romain. dans l'antiquité, il comptait comme une des oeuvres
Avant ces découvertes, on connaissait sans doute principales de Pergame.
quelques oeuvres très importantes de l'époque hellé- Monument commémoratif, placé au sommet de la
nistique (depuis l'avènement d'Alexandre le Grand). colline centrale, visible de loin, les anciens le consi-
'Parmi celles-ci, on peut citer le groupe de Laocoon, déraient comme une des sept merveilles du monde.
que l'on savait être une oeuvre d'époque tardive ; Le monument se dresse sur une fondation d'environ
on savait également que les grandes sculptures connues 36 mètres carrés ; un large et grand escalier de vingt-
sous le nom de Taureau Farnèse (à Naples) ou le sept marches, situé à l'ouest, conduit à l'autel pro-
groupe de Mênélas et Patrocle (à Florence), étaient prement dit, placé dans la pièce qui occupe le sommet.
des copies d'après des oeuvres de la même époque L'escalier est flanqué d'un haut soubassement qui
hellénistique. Mais on n'arrivait pas à déterminer contourne, comme un bandeau, toute la construc-
avec précision la date à laquelle avaient été créés tion. C'est ce soubassement qui était orné des magni-
les originaux. On essayait, d'autre part, d'acquérir fiques bas-reliefs. A la partie supérieure une corniche
une notion plus exacte de cet art pergaméen, en étu- très saillante porte une colonnade élégante, d'ordre
diant les diverses sculptures dispersées dans les musées ionique. Au milieu de la cour de l'autel, se dresse un
d'Europe — grandes statues et statuettes représentant portique dont le mur postérieur contient une frise
des combattants perses et gaulois, blessés ou tués. sculptée, mais de dimensions plus réduites que celle
On attribuait ces statues à l'atelier de sculpture de Per- de l'extérieur. Sur cette frise plus petite est sculptée
game, grâce à une tradition littéraire, léguée par l'histoire de Télèphe, fils d'Hercule (à qui la tradition
l'antiquité, d'après laquelle les rois de Pergame attribue la fondation de la ville), tandis que la grande
avaient l'habitude de faire placer sur l'Acropole frise extérieure, longue d'environ 120 mètres, repré-
d'Athènes des statues votives commémorant leurs sente le combat des dieux et des géants. L'impression
victoires remportées sur les Perses et sur les Gaulois. que nous fait cette composition est intense. Ses formes
Des oeuvres célèbres, comme le Gaulois mourant du mouvementées, ondoyantes, accusent un caractère
Capitole, ou le groupe superbe du Gaulois et de sa de grandiose exaltation.
femme (autrefois à la Villa Ludovisi, aujourd'hui au Le thème de la gigantomachie n'était pas nouveau
Musée National à Rome), appartenant à cette caté- dans l'art grec. Déjà la période archaïque et, après

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elle, l'époque classique, avaient trouvé des formes- férences de matière de chaque vêtement et que la
modèles pour des compositions destinées à des frises. sculpture de la période classique avait excellé à
Mais la frise de Pergame diffère de celles qui l'ont rechercher les contrastes entre les fines étoffes de lin
précédée, non seulement par l'exaltation générale collantes au corps et les tissus en laine, plus grossiers,
des formes et leur développement baroque, mais sur- tombant en plis épais et lourds. Mais jamais on ne
tout par présentation du thème lui-même. s'était efforcé d'interpréter avec autant de vraisem-
Sur la frise qui décore la maison des Syphniens, blance, l'aspect véritable des tissus, des fourrures.
découverte à Delphes, à la suite des travaux de Le sculpteur de Pergame s'efforce d'obtenir par
l'École française d'Athènes, les dieux et les géants des moyens purement plastiques, des effets que,
s'affrontent comme des guerriers armés, dans une seule, la peinture recherche d'habitude, à l'aide du
bataille sévère. A Pergame, au contraire, chaque pinceau et de la couleur. Mais il faut remarquer que
géant se présente à nous sous une forme particulière. l'art de Pergame ne doit jamais être considéré comme
Les simples soldats de Delphes sont devenus ici des une sculpture pittoresque dans le sens du baroque du
monstres puissants, aux formes qui n'ont plus rien xvine siècle, ou même de l'impressionnisme du siècle
d'humain. Des formes animales sont combinées avec dernier. Jamais en effet, on ne sacrifie à Pergame,
des membres humains : nuques de taureaux qui l'apparence plastique et réelle du détail, en vue de
portent des têtes barbues d'hommes ; serpents qui réaliser un effet pittoresque d'ensemble. C'est cette
terminent, en guise de jambes, des corps humains ; même recherche de la perfection dans le détail qui
bras qui finissent par des griffes de rapaces ; crinières nous fait comprendre la façon dont le sculpteur de
de lion qui garnissent des dos d'hommes. Pergame représente les flammes, les chevelures.
Ces monstres se servent, en guise d'armes, de leurs On parle souvent d'art baroque à propos de l'autel
membres étranges : ils griffent, mordent, frappent, de Pergame. L'évocation est justifiée dans la mesure
s'enlacent. Et cette variété dans les caractères phy- où l'on compare cet autel à une phase bien définie
siques des géants entraîne une multitude de motifs du baroque moderne. Et il ne peut s'agir ici que delà
plastiques dans la représentation de leurs combats, période du début du baroque, période dans laquelle
motifs mouvementés que l'artiste recherche passion- la sculpture reste encore dans les limites de ses moyens
nément. plastiques.
De leur côté,, les dieux combattent dans toute la Le caractère mouvementé, non seulement de la
splendeur de leur corps, que revêtent de riches vête- composition générale, mais aussi des détails (là
ments. Ils luttent avec des glaives, des torches brû- même où le sujet ne l'exige point), l'exagération de
lantes, des massues. Ils sont assistés de leurs animaux toutes les formes du corps humain, de sa musculature,
sacrés tels que chiens, lions, serpents. Pour mettre et enfin les formes tourmentées des personnages qui
bien en relief la beauté des dieux en face de leurs reposent ou qui dorment même — tout évoque
ennemis monstrueux, l'artiste les a figurés, ici et là, directement l'art du créateur du baroque moderne
dans une attitude de parade. et l'on est en droit de considérer l'art de Pergame
Les draperies, aux grands plis profonds, claquent comme michel-angelesque, dans le meilleur sens du
autour des corps, comme si elles étaient fouettées par terme.
un ouragan et ce mouvement extraordinaire fait que Cet art affectionne, tout comme le baroque mo-
nous croyons entendre le vacarme de la bataille. Ce derne, les contrastes les plus violents. Dans la com-
ne sont plus des chocs de boucliers d'hoplites. C'est position des figures, ces contrastes se traduisent par
une lutte des éléments déchaînés, qui semble avoir une prédilection de l'artiste pour des formes qui
été fixée sur cette frise. Le sculpteur tend à des effets s'éparpillent, l'unité de l'ensemble n'étant due qu'à
qui ne sont plus purement plastiques. Et nous verrons, l'action commune (lutte, poursuite, etc.). Les fi-
plus tard, que cette tendance à obtenir des effets qui gures, par leurs saillies et leurs retraits, donnent à
dépassent les moyens propres à la sculpture, est un des l'ensemble un caractère nettement spatial, dans le
traits significatifs du style pergaméen. sens de la troisième dimension. Les contrastes des
Il est extrêmement intéressant d'étudier les détails attitudes, si recherchés dans l'art de Pergame, ne
de cette frise où tout vise au colossal, et de parcourir constituent pourtant pas un simple jeu de style.
les formes de chaque corps et de chaque draperie. Leur signification dépasse le cadre de la forme. Nous
On constate alors que, malgré le caractère grandiose avons déjà constaté que les artistes pergaméens s'ef-
de la composition qui tend à des effets d'ensemble, forcent, tout en employant des moyens exclusivement
les artistes de Pergame ne dédaignent pas les moindres plastiques, de reculer autant que possible, les limites
détails. de la sculpture pure et d'atteindre des effets " hyper-
Traduire le caractère particulier de chaque étoffe, plastiques ".
de chaque épiderme, de chaque tissu, est un fait Des oppositions comme celles entre le corps nu et
nouveau et très caractéristique. Il est vrai que l'art ie corps drapé, des contrastes entre différentes étoffes
grec archaïque avait été capable de rendre les dif- d'aspect dissemblable, tout ceci avait été réalisé
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L'Autel de Pergame reconstitué au Musée de Berlin. The reconstructed Pergamum Altar at the Bèrtfn Muséum.
Détail d'une frise de l'Autel de Pergame. Détail of a frieze from tn*=Pergamum Altar.
(Musée de Berlin). (Berlin Muséum).
déjà avant l'art de Pergame, encore que celui-ci gure la création d'un type de musée tout à fait nou-
ait renforcé ces procédés déjà existants. Mais les veau, c'est-à-dire, le musée d'architecture. On y a
contrastes que cet art recherche particulièrement, installé des fragments d'architectures antiques, tels
sont d'une toute autre nature. Placer au milieu d'une que colonnes, frontons d'un temple, et l'on y a re-
scène de lutte acharnée des corps raidis par la mort ; constitué, dans sa grandeur originale, la porte du
donner au corps radieux d'un géant des extrémités marché de Milet.
en forme de griffes d'oiseaux, réunir dans un même Le problème de l'exposition, d'une partie au moins,
corps, la beauté jeune et l'horreur des formes fantas- de l'Autel de Pergame, dont le musée possède quel-
tiques, tels sont les contrastes où se complaisent ces ques éléments, a été résolu de la façon suivante : on a
sculpteurs. reconstitué, dans la grande salle, la façade avec le
La même tendance se trahit dans les scènes où nous grand escalier et les bas-reliefs, dans toute la largeur
voyons des dieux et des déesses agissant avec une de l'édifice. Les autres éléments ont été mis à leur
extrême cruauté, brûlant, tailladant, étranglant un véritable place, tandis que les parties manquantes
géant qui les implore de son regard pitoyable. Ce ont été remplacées par des moulages. Les bas-reliefs
sont là des effets qui engendrent chez le spectateur des côtés et de la façade postérieure ont été encastrés
des sentiments n'ayant plus rien de la tranquille à leur hauteur véritable, au-dessus du soubasse-
joie, qu'il ressent devant une oeuvre classique. ment.
Ici, l'élévation calme fait place à de fortes commo- La salle, longue de 47 mètres, large de 30 mètres et
tions. haute de 18 mètres, est suffisamment vaste pour
Le sculpteur pergaméen qui nous montre la déesse permettre au spectateur d'embrasser d'un seul coup
de l'Amourécrasant sous sa semelle la figure d'un jeune d'ceil, et à la distance nécessaire, toute la façade de
géant mourant, renversé sur le dos, et courant en l'autel. L'escalier conduit à une autre salle (emplace-
même temps terrasser un autre ennemi, poursuit un ment de l'ancienne cour de l'autel) plus petite, où l'on
but conscient et bien déterminé. a juxtaposé les bas-reliefs de l'histoire de Télèphe.
A l'occasion du centenaire des musées nationaux de Au lieu de ménager des fenêtres dans les murs
Berlin (octobre 1930), on a ouvert au public le latéraux, on a pourvu la grande salle d'un plafond
nouveau " Pergamon Muséum " contenant une en verre, qui laisse pénétrer la lumière librement et
partie de la collection des antiques. Ce musée inau- dans les moindres recoins.

LES ARTS ANCIENS DE I;AFRIQUE NOIRE


AU PALAIS DES BEAUX-ARTS, A BRUXELLES
par HENRI A. LAVACHERY

Le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles réunit des stricte méthode géographique, par régions, et dans
pièces africaines provenant de toutes les régions de les régions, par style. Une petite carte sommaire de
l'Afrique noire
— à l'exclusion de l'Abyssinie et des l'Afrique, placée dans chaque salle, permettra au
régions islamisées. Le but de l'exposition est en profane ou à l'oublieux de situer aussitôt les pièces
effet, avant tout, de présenter des oeuvres de la qui s'y trouvent.
plastique africaine, statues et masques que compléte- On s'efforcera cependant à ce que le classement
ront, d'un côté, des reproductions de peintures, scientifique ne prime jamais dans une présentation
d'un autre côté, des collections réduites mais carac- dont le seul souci est de permettre d'apprécier, dans
téristiques d'objets usuels ornés tels que meubles, sa plénitude, la beauté des pièces exposées. Ainsi,
boîtes, brocs, instruments de musique, outils de sauf pour des objets dont la patine délicate ou l'anti-
sculpteurs, etc., en toutes matières. A ceux-ci s'ajou- quité fragile exigent l'atmosphère spéciale des vi-
teront, tout au moins en ce qui concerne le Congo trines, les grandes statues seront isolées et visibles
Belge et les territoires sous mandat du Ruanda-Urundi,
sous tous leurs angles. Des fonds appropriés, des éclai-
quelques vitrines des plus belles poteries et des van- rages soigneusement étudiés, contribueront à mettre
neries les plus parfaites. Sans avoir la prétention de en relief leur mérite, trop longtemps considéré à un
donner des leçons à des musées d'ethnographie, les titre purement documentaire.
pièces exposées seront cependant classées suivant la Les musées et les collections particulières parti-

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ciperont à cette manifestation d'un caractère inter- missions, pleines de bonnes intentions corrompent
national. définitivement le goût indigène dans leurs écoles et
En Belgique, le Musée du Congo à Tervueren pour leurs ateliers... Sans doute, les dons des races sur-
la première, et sans doute, la dernière fois, consent à vivent. Mais qui s'occupe de leur laisser leur libre
prêter ses plus belles pièces. Les Sociétés coloniales, floraison ?
les premiers pionniers de l'État indépendant du Au moment de réunir quelques oeuvres importantes
Congo, les collectionneurs et les marchands ont de la plastique africaine, je voudrais tenter de faire
consenti à se séparer de tout ce qu'ils avaient de plus le point à son propos : bien noter ce que nous avons
rare. Un grand nombre de pièces splendides sera pour mieux concentrer l'attention sur ce que nous
ainsi montré au public pour la première fois. En ignorons, ou ce que nous connaissons mal.
France, le Musée du Trocadéro, vivement sollicité, Il n'y a pas d'autre classement possible que géo-
consentira sans doute à se dessaisir de quelques graphique : nous n'avons, en général, aucun rensei-
oeuvres importantes. gnement précis sur l'époque des oeuvres que nous
Les grands collectionneursparisiens et marseillais, possédons. Les noirs n'ont pas d'annales écrites et
les grands marchands, les peintres et les sculpteurs, les limites de leur mémoire ne sont souvent que celles
premiers fervents de 1' " art nègre ", prêtent, avec de leur imagination. Pas plus ne connaissons-nous
une grâce charmante, toutes leurs plus belles pièces. beaucoup de noms d'artistes. Les personnalités
Certaines grandes collections allemandes parti- délicates ou fortes ne sont sans doute pas plus rares
cipent également à cette manifestation. en Afrique que chez nous. Mais leurs oeuvres, comme
Il est enfin question que le Musée Ethnographi- elles-mêmes, baignent dans l'anonymat. Dans cer-
que de Rome, qui, comme on le sait, conserve taines tribus tout homme est sculpteur, toute femme,
peut-être les pièces les plus anciennes et les mieux potière, pour les besoins de son ménage, pour cer-
datées de la plastique noire, consente à se dessaisir tains accomplissements religieux. Dans d'autres,
de quelques-unes d'entre elles. les sculpteurs, les forgerons forment une classe spé-
D'autre part, le docteur Frobenius prête au Palais ciale douée de certains privilèges ; chez d'autres,
des Beaux-Arts une série de reproductions des pein- encore, le sculpteur et le sorcier se confondent, et la
tures rupestres des Bushmen qu'il expose en même pratique de l'art tient du mystère et de la magie.
temps à Paris à la salle Pleyel. Une autre salle sera
consacrée uniquement à des documents relatifs à Évitons cependant de croire que l'oeuvre d'art
l'évolution et aux différents aspects de l'architecture primitive soit, plus que les nôtres, le produit d'une
des Africains.
Différentes conférences, accompagnées de projec- sorte de génie racial aussi obscur qu'un esprit de
ruche ou de termitière. Certes, là plus qu'ailleurs,
tions de films, d'auditions musicales, seront données des traditions étroites pèsent sur la personnalité de
pendant la durée de l'exposition et traiteront de la l'artiste. Elles donnent aux oeuvres d'une même tribu
vie esthétique des Noirs.
une ressemblance profonde. Mais un canon précis
arrive à donner une beauté apparente à l'ouvrage
Libérons une fois pour toutes les arts africains du d'un médiocre artisan. Ce n'est que lorsque les for-
qualificatifde " nègre " qui leur fut donné aux jours mules sont appliquées par un véritable artiste —
où les fétiches et les masques étaient mobilisés par les faut-il le rappeler ? — et qu'il sera en même temps un
cubistes contre les anciennes écoles de peinture. technicien parfait, qu'elles feront naître une vraie
Fait singulier, les militants de la jeune peinture oeuvre d'art. Nous avons aujourd'hui un culte assez
opposaient un art nègre, père du volume et de la niais de la maladresse, nous la tenons pour un signe
naïveté vierge, à des arts civilisés. En même temps, de la fraîcheur du coeur. Mais ce n'est que quand la
les savants appliquaient à l'étude d'arts dits " pri- technique est domptée que l'art commence. Le simple
mitifs ", des principes autres que ceux qu'ils jugeaient fait de représenter quelque chose, comme dessine
convenables pour des formes d'une beauté mieux un enfant, n'est pas encore de l'art, quoiqu'on en ait
connue. écrit.
Aujourd'hui que les arts des débuts de l'histoire La connaissance de l'art de l'Afrique noire com-
ont transfusé de leur sang généreux aux arts d'Occi- porte donc une étude approfondie des techniques —
dent, les esthéticiens ont renoncé à voir une différence en général leur aire est plus vaste que celle des
qualificative entre une statue de l'île de Pâques et styles, étroitement localisés. Nous connaissons bien la
l'Aurige de Delphes. technique des arts mineurs ou décoratifs, vannerie,
L'art nègre est mort, vivent donc les arts anciens tissage, poterie ; moins, celle des arts plastiques qui
de
de l'Afrique noire ! se ramènent en Afrique à la sculpture du bois ou
Cependant l'épithète d' " anciens " peut paraître l'ivoire. La sculpture de la pierre est rare et les seules
prématurée. Mais les coutumes religieuses ou tribales pierres sculptées sont si tendres qu'on peut les traiter
s'oublient, nos pacotilles pénètrent partout ; les à la manière du bois. Les bronzes du Cameroun et

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Ituri. Couvercle d'une boîte d'écorce, bois Ituri. The cover of a bark box.
(Collection particulière, à Bruxelles). (Brussels. Private collection).
du Bénin, les terres-cuites d'Ifa, la statuaire métal- ordre assez matériel, comme celles que l'on découvre,
lique du Dahomey, sont aussi exceptionnels dans par exemple, entre l'art des Bakubas du Kasaï et celui
l'ordre des faits que dans celui de la beauté. des Yorubas du Niger.
L'outillage du sculpteur est de toute simplicité. 2° Celui des influences qui depuis l'aube de l'his-
La râpe, des couteaux courbes ou droits, à un ou deux toire ont pénétré l'Afrique, tantôt avec la lenteur d'une
tranchants, l'herminette, dont le bord coupant est
osmose, tantôt avec la soudaineté d'une balle de cara-
porté au bout d'une tige mince ; c'est à peu près bine, tantôt à cause d'un choix fait avec amour,
tout. tantôt comme imposées. L'influence de la civilisation
Il serait curieux de vérifier jusqu'à quel point sans seconde de la vallée du Nil a mis des siècles à
l'adresse du technicien peut ajouter à la force du descendre au delà de Khartoum. A première vue, elle
respect de la tradition : un bon ouvrier aime son n'est sensible que dans la forme de certains ustensiles,
outil, il va jusqu'à aimer les mouvements qu'il fait dans le caractère de quelques ornements. Cependant
avec lui. Il goûte au rythme de leur répétition un véri- peut-on ne pas voir dans la présentation de telle
table bonheur. Des gestes semblables ne sont-ils pas statue, dans la coupe de telle tête, un reflet lointain
près de créer des formes pareilles ? Le fait est certain de la grande leçon de l'esthétique thébaine ?
dans le domaine décoratif. N'en serait-il pas de même Les Arabes au Nord et à l'Est, les Hindous le long
dans l'ordre plastique ? A une certaine mécanisation de l'océan Indien, les Malais à Madagascar n'ont
du travail s'ajouterait encore l'attirance sentimentale
pas fait que passer.
pour des formes répétées partout, dont la présence Ce n'est pas en vain que les Portugais, pendant des
obsède l'oeil et s'impose à l'esprit. siècles, ont visité, ont bâti des comptoirs, ont caté-
Ainsi, même chez l'artiste réellement doué et chisé les côtes de l'Atlantique depuis le Bénin jusqu'à
technicien hors ligne, la coutume, le métier et le l'Angola, la côte du Mozambique à l'Est.
sentiment se coaliseraient pour qu'il ne s'écartât pas La question d'une chronologie se pose alors à nou-
d'un style traditionnel.
veau. Nous devons arriver à déterminer si telle oeuvre
Il y a donc un ou plusieurs types fixes par tribu ou est antérieure à une autre, si le style s'est modifié,
même parfois par village. Ce sont des canons, cor- dans quel sens il l'a fait.
respondant peut-être à un certain idéal de beauté Les patines peuvent nous fournir déjà quelques
physique, ou à une force particulièrement puissante bonnes réponses à la première question. Leur étude
d'expression. plus poussée, sera certes un guide à suivre, si nous
Comment sont nées ces formules si particulières évitons de réclamer une signification trop précise
qu'une observation, même superficielle, arrive à les de ses enseignements.
reconnaître très rapidement ? Notre connaissance des La seconde, question nous amène à une autre bien
origines lointaines des peuplades africaines est plus générale.
encore trop imparfaite pour que nous puissions ré- L'art en ses débuts était-il réaliste ou idéaliste,
pondre à la question. On a cru découvrir des liens reproduisait-il des concepts de l'imagination, ou tout
étroits entre les caractères généraux de certains styles bonnement, cherchait-il à imiter la nature ? L'art
et les milieux où ils florissaient à l'arrivée des blancs. noir donne raison à tous les partis. Il semble bien que,
Longtemps cette théorie appliquée à nos arts a chez lui, les deux conceptions coexistèrent toujours,
contenté l'incuriosité de quelques critiques. Mais chacune répondant peut-être à une utilisation pré-
pour que les peuplades noires aient réellement créé cise... L'art du Bas-Congo, étroitement apparenté
des styles inspirés par la savane nue ou la forêt mul-
tiple, il aurait fallu que ces peuplades y fussent nées.
aux styles du Mayumbe, du Loango et de l'Angola,
présente les exemples du style naturaliste des idoles
Et l'histoire de leurs migrations toutes proches encore médicales à miroir et des maternités, coexistant avec
de nous est là pour nous dire le contraire.
un style fruste où la tète se dégage à peine du bloc,
Les liens du sang, ceux de la linguistique ne semblent les bras collent au corps, les jambes épaisses et sans
pas devoir moins nous tromper. Tout au plus pour- forme, zigzaguent. Les deux styles se confondent dans
rait-on dire que l'art des Bantous montre un sentiment les statues les plus grandiosesde la région, les grands
sensuel de la forme, tandis que les Soudanais la dé- fétiches à clous, gardiens des villages. Le corps in-
pouillent, la simplifient, l'intellectualisent. Mais forme, aux bras confondus avec le tronc, porte une
n'insistons pas, tant il se sait d'exceptions à ces consi- tête qui, dans sa vérité, semble parfois un portrait.
dérations qui voudraient être générales. Les styles, quel que soit leur point de départ, nous
Peut-être y aurait-il encore deux classements à faire, apparaissent encore soumis à toutes sortes de varia-
qui sont loin d'être réalisés : tions. Une des premières publications du Musée de
Tervueren présentait ainsi une curieuse série de trans-
i° Celui des styles, lointains dans l'espace mais pa- formations du type Bayaka. On a parlé de l'évolution
rents par la technique, et surtout par certaines for- des styles, mais, encore une fois, il semble bien qu'en
mules décoratives, certaines solutions plastiques d'un Afrique la plupart des types de la chaîne existent

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mais ils furent produits en même temps, chacune des ajuster la génératrice d'un mouvement utilisé pour
variations étant due à la personnalité d'un sculpteur des buts matériels, construire l'image d'un ancêtre
plus doué d'esprit créateur que les autres. pour y retenir son âme errante... Et que les deux
Pouvons-nous enfin distinguer dans un même style, objets participent de la même beauté, parce que tous
sinon une évolution, tout au moins un mouvement deux dominés par la nécessité de n'être qu'un édifice
vers plus de perfection, ou bien une décadence ? Sans parfaitement adapté à ses fins...
vouloir considérer ici l'art tel que l'a fait l'arrivée des On sait que le symbolisme religieux, magique et
Blancs, ni l'art du Bénin, si fortement influencé lui profane fournit aux arts de l'Afrique noire la plupart
aussi, encore une fois tous les moments de la vie d'un de leurs sujets. La question est vaste mais intimement
art semblent chez les peuples de l'Afrique noire liée à celles qui préoccupent les ethnologues ; nous
fleurir au même instant, se succéder dans l'espace, commençons à en avoir une idée assez complète.
bien plus que dans le temps. Au symbolisme religieux se rattachent les innom-
...Mais, après tout, ce.n'est peut-être qu'un sem- brables statues d'ancêtres (parfois des portraits), des
blant. Car l'archéologie de l'Afrique noire est dans images de divinités (extrêmement rares et presque
sa prime enfance. Et qui peut prévoir ce que nous toujours d'interprétation douteuse), et les masques.
apporteront les découvertes de l'avenir ? L'art noir Du symbolisme magique relève la cohue non
est essentiellement symbolique, presque partout moins nombreuse des " charmes " de forme humaine
religieux. Dès lors, comme dans toutes les religions, ou animale, médicaux, agricoles, amoureux, de la
comme pour tous les symboles (même si leur sens se chasse, de la pêche, pour ou contre tout ce qui est de
modifie), des formes anciennes perdureront à côté la vie ou de la mort.
des plus nouvelles. Nous ne connaissons qu'un court D'un symbolisme intermédiaire entre le religieux
moment de l'art des Noirs. Pas plus que nous n'en et le profane sont les sièges, les oreillers, certains
déterminons l'origine, nous ne pouvons donc encore brocs à figuration humaine qui peuvent après la mort
établir un âge pour des styles différents. recueillir l'âme de leur propriétaire.
Nous voici, enfin, en face des oeuvres elles-mêmes. A un symbolisme profane se rattacheraient enfin
Il est temps que nous les abordions directement. certains objets usuels et particulièrement les motifs
Malgré la diversité des styles, il faut reconnaître décoratifs qu'ils portent. Ils ont, dans la plupart des
que l'art plastique des Noirs possède une forte unité. cas, un sens précis qui semble souvent devenu indé-
Comme l'art grec archaïque, comme l'art égyptien, pendant de la figure qu'ils dessinent. Ainsi les motifs
il est, avant tout, architectural. Une construction des vanneries des Watusi du Ruanda, ceux des ve-
méditée, rigoureusement volontaire est à la base de lours de raphia (qui se retrouvent sur la plupart des
ses formes qui sont toujours la simplicité même. L'ar- objets) des Bakubas du Kasaï. Sont-ils même encore
tiste noir ne s'attache qu'à ce qui est pour lui l'es- employés autrement que pour leur valeur décorative?
sentiel. C'est pourquoi, si délibérément, il sacrifie, Dans bien des cas on peut en douter. Le sens donné
idéalise ou déforme les données que lui a fournies, a-t-il plus d'importance qu'une simple désignation ?
une fois pour toutes, la nature. Parmi les déformations On hésite à répondre définitivement.
qui ont donné lieu à discussion, il en est une qui n'est Quel que soit le sujet qu'elle s'attache à représenter,
pas seulement africaine : l'exagération du volume de retenons encore que la statuaire noire est un art im-
la tête. Plusieurs explications plausibles ont été mobile. Jamais, sauf au Bénin dont l'art n'est pas
données, sauf celle qui supposerait une volonté déli- purement noir, elle ne s'est attachée à la figuration
bérée chez les premiers sculpteurs... Le fait seul est d'une action même lente. Le personnage assis ou de-
certain, dans toutes les oeuvres noires que nous con- bout, rarement à genoux, garde une pose, menaçante
naissons, et chez la plupart des peuples primitifs, parfois, presque toujours d'absolu repos. Le visage
nous trouvons des statues dont les têtes sont énormes est impassible. S'il nous arrive de lui voir un senti-
par rapport au corps. ment, c'est mauvaise lecture de formes inhabituelles.
Lorsque l'artiste noir a bâti sa statue, son oeuvre Cette apathie vient-elle d'une inaptitude à exprimer
est finie. Les ornements qu'il y ajoute, tatouages de les passions ? Il semble peu vraisemblable que des
la tribu, chevelure aux détails délicatement poussés, artistes doués d'une technique aussi raffinée aient
contrairement à ce que l'on pourrait penser, n'ont reculé devant leur représentation. Cet hiératisme
rien à voir avec une fantaisie décorative. Ils sont exac- leur était bien plutôt imposé par les rites. Des per-
tement conformes à la réalité, précis comme un signa- sonnages intermédiaires entre la vie commune des
lement. Ils font partie essentielle de l'oeuvre, dont ils hommes et les forces de la terre et du ciel, des masques
déterminent la signification définitive. qui changeaient quiconque en dieu, sont en dehors
Si sévère fut la leçon d'économie pour notre art de toute expression d'un sentiment humain. Leur
vivant, que l'art " nègre " l'a conduit à aimer la vengeance, leur protection sortent du mystère pour
beauté plus que nue des machines. Étrange rappro- y rentrer aussitôt. On suit leur passage à ces traces,
chement de deux pôles de la création des formes : propices ou funestes.

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LETTRE D'ALLEMAGNE
par CURT GLASER

Pendant la saison d'été, la vie artistique de l'Alle- anciens, principalement du xvrne siècle, époque à
magne, dont Berlin est le centre habituel, s'est laquelle l'Allemagne du Sud connut une production
concentrée dans la capitale bavaroise. Depuis la extrêmement féconde, d'une magnificence et d'une
démolition du vieux " Glaspâlast ", Berlin ne possède richesse décorative extraordinaires dans le cadre du
plus de grand palais d'exposition. On en est réduit à rococo allemand.
installer les vastes manifestations d'art avec beau- Ces grandes expositions furent complétées par
coup de peine, dans les anciens palais désaffectés d'autres manifestations d'art plus modestes mais non
ou dans des maisons particulières, trop petites et moins intéressantes pour les connaisseurs. Ainsi la
inaptes à lès recevoir. D'autre part, Berlin offre Graphische Sammlung a exposé dans ses salles le riche
pendant les vacances, un aspect désertique, cepen- trésor de dessins anciens dont s'enorgueillit la biblio-
dant que Munich, centre de tourisme, réserve toutes thèque de l'Université d'Erlangen. La Staatsbibliothek
ses ressources à la saison d'été. Ceci d'autant plus que a montré ses plus précieux manuscrits moyenâgeux,
les festivals de Beyreuth et d'Oberammergau attirent tandis que le Musée d'Ethnographie a organisé une
les visiteurs du monde entier vers l'Allemagne du exposition de peinture chinoise et japonaise. Dans le
Sud. Le clou de la saison artistique munichoise a été Glaspâlast, enfin, la Neue Sezession a tenté de nous
l'exposition de la collection que le baron Thyssen a donner un aperçu de l'activité artistique de l'Alle-
réunie dans son château de Rohoncz. En vue de son magne contemporaine (exposition dont on a pu
installation provisoire à Munich, on a décidé d'éva- trouver un complément utile à Stuttgart, où le
cuer la Nouvelle Pinacothèque. Le barôh Thyssen Deutscher Kunstlerbunda groupé un grand nombre de
a rassemblé les éléments d'un véritable musée, qu'il peintures). Par ailleurs, à Francfort, on pouvait voir
destine d'ailleurs, sous forme d'une fondation pu- les richesses de l'ancien trésor des Guelfes 1, qui con-
blique à la ville de Dusseldorf. Avec une hâte qui tient quelques-unes de pièces les plus rares de l'art
rappelle la fièvre des collectionneurs américains, cet religieux du moyen âge (le Musée de Cleveland vient
amateur d'art a acquis des tableaux de toutes les d'acheter six pièces importantes provenant de ce tré-
époques et de toutes les écoles de la peinture euro- sor). Ainsi,tandis que l'Allemagne du Sud retient, pen-
péenne, constituant, par la quantité et l'importance dant la saison d'été, l'intérêt de tous les amateurs
des pièces, un ensemble dont peu de particuliers d'art, Berlin se prépare à recevoir, des hôtes du monde
peuvent s'enorgueillir. Et bien que toutes les pièces entier accourus à l'occasion de l'inauguration des
ne soient pas de premier ordre, ni toutes les attribu- nouveaux bâtiments destinés à abriter dignement les
tions certaines, il y a là un nombre considérable de riches collections de la capitale du Reich. Cet événe-
chefs-d'oeuvre qui ont pu être conservés à l'Alle- ment considérable coïncidera d'ailleurs avec le cente-
magne. Cela est d'autant plus heureux que notre naire de la fondation des musées berlinois.Déjà, le grand
pays a vu trop d'oeuvres de son patrimoine artistique Pergamon-Muséum permet aux visiteurs de contempler,
passer les frontières pendant la période d'inflation qui dans tout son développement,la célèbre frise du combat
a suivi la guerre. La sculpture et les objets d'art an- des dieux et des géants. Dans le Deutsches Muséum, on
cien figuraient également dans la collection Thyssen. installe les trésors d'art allemand en partie inacces-
L'exposition du " Residenzmuseum" groupait les sibles jusqu'ici, à cause du manque de place.
plus intéressants objets liturgiques anciens, dispersés Un troisième musée, qui contiendra les collections
dans toute la Bavière, des pièces célèbres d'orfèvre- d'art du Proche Orient, sera prêt dans deux ans.
rie ancienne du haut moyen âge et, notamment le Une grande exposition d'oeuvres d'art dispersées
calice portant la représentation de la Cène, donné en dans tous les anciens palais appartenant à l'État
l'an 770 par le duc Tassilo, à l'abbaye de Krems- prussien, s'ouvre d'autre part à la Kunstakademie.
munster nouvellement fondée. A ces oeuvres du
moyen âge s'ajoutait toute une série d'objets moins (1) Actuellement exposé à Berlin.

LETTRE D'AUTRICHE
par HANS TIETZE

Deux grandes expositions ont lieu cette année, à exposition commémore le 150e anniversaire de la
Vienne, pendant la saison d'été. mort de Marie-Thérèse. Elle évoque, avec éclat, la
Dans la banlieue immédiate de Vienne, au château figure de cette grande impératrice autrichienne.
de Schoenbrunn, autrefois résidence impériale, une L'exposition présente le désavantage (ou l'avantage)

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d'être largement documentaire en même temps due plus plausible. Parmi les meilleures oeuvres de
qu'artistique. Elle montre des documents personnels sculpture, on peut citer un groupe en plomb doré,
de l'impératrice et des témoignages de son activité représentant Séléné et Endymion, dû au sculpteur
universelle, à côté des oeuvres d'art qui caractérisèrent I.-G. Dorfmeister. C'est son morceau de réception
son long règne de quarante ans. Le château de Schoen- à l'Académie des Beaux-Arts de Vienne, daté de
brunn est d'ailleurs le seul monument d'architecture 1765. Quant aux oeuvres de peinture, la plus intéres-
qui pourrait faire croire à l'existence d'un style sante est, incontestablement, le portrait de Anton
Marie-Thérèse. C'était la résidence favorite de l'im- Maulpertsch par lui-même. Cette oeuvre accuse des
pératrice. Tout y évoque le souvenir de sa personna- traits spécifiquement allemands. Comparé aux por-
lité aimable, et son aménagement est l'oeuvre du traits français, anglais ou italiens de la même époque,
goût personnel de Marie-Thérèse. Le château cons- son individualisme romantique et foncièrement alle-
titue en réalité une exception, un corps étranger, si mand exprime parfaitement ce culte du génie, cher
l'on peut dire, dans l'ensemble de l'art contemporain aux jeunes Goethe et Schiller.
du pays qui continuait fout bonnement les traditions Les oeuvres du xvine siècle ne forment qu'une
artistiques léguées par le règne de Charles VI, père partie des acquisitions faites par les musées de l'État,
de Marie-Thérèse. En dehors de Schoenbrunn, l'ar- dans le but de parer, dans la mesure du possible,
chitecture autrichienne de cette époque présente les au danger de l'émigration des oeuvres d'art, rendue
traits d'un baroque tardif qui se transforme, vers la inévitable par la mauvaise situation économique du
fin du siècle, et presque sans transition, en une archi- pays. Le " Kunsthistorisches Muséum ", qui a
tecture à tendances classicistes. ajouté quelques oeuvres de tout premier ordre à ses
L'exposition dont nous parlons ne fait que con- collections, les a acquises à la même source que le
firmer cette opinion. Elle reconstitue le cadre dans Musée Baroque ; elles proviennent des couvents qui
lequel a vécu cette femme charmante, douée de toutes se voient obligés de se défaire de leurs trésors artis-
les qualités du coeur et de l'esprit, que fut la plus tiques et qui vendent à l'État.
grande impératrice d'Autriche. Mais elle nous prouve La " Graphische Sammlung " complète ses col-
le peu d'influence qu'exerça cette souveraine sur les lections de dessins anciens et de gravures rares d'une
destinées de l'art de son pays. Les génies qui illus- façon plus systématique. Elle se propose de nous
trèrent sa cour n'étaient point des peintres ou des donner, dans une grande exposition, un aperçu de
sculpteurs. Us s'appelaient Gluck et Mozart. ses acquisitions, faites depuis dix ans, c'est-à-dire
depuis l'époque où elle devint propriété de l'État.
On ne peut pas dire que l'exposition nous ait révélé Ses séries de dessins anciens, célèbres dans le monde
des documents importants inédits. Parmi les pièces entier, augmentent sans cesse. L'exposition qu'elle
de portée internationale, on ne peut citer que le organisera nous fera voir des exemplaires importants
portrait de Mme Pompadour, par Boucher, prêté de dessins et de gravures, embrassant toutes les
par le baron de Rothschild. Le reste : plans, projets époques. Seul l'art contemporain n'y sera pas re-
non exécutés, petites sculptures et portraits, offre présenté. Cela ne signifie pourtant pas que la " Gra-
un intérêt plutôt local. phische Sammlung " s'en désintéresse. Elle possède,
Plus importante pour la connaissance de l'art au- au contraire, de nombreux et bons exemplaires de
trichien du xvme siècle nous paraît l'exposition or- l'art de notre génération. Mais cette restriction est
ganisée par la " OEsterreichische Galerie ", qui due à la mentalité spéciale de notre ville. Pour les
groupe les nouvelles acquisitions de ce musée, faites Viennois, l'art, c'est le passé ; ils aiment à le consi-
depuis six ans. Ses directeurs ont réussi à enrichir dérer comme un tout historique, désormais immuable.
les collections du Musée Baroque, situé dans le L'activité artistique vivante les effraie par l'acuité
petit palais du " Belvédère ", en acquérant toute une et l'inquiétude, inhérentes à toute création de l'esprit
série d'oeuvres excellentes. Grâce à elles, la notion en pleine évolution. Vienne n'est pas un terrain fa-
d'un art autrichien national du xvme siècle est ren- vorable à l'éclosion des talents nouveaux.

LETTRE DE BELGIQUE
par GEORGES MARLIER

Le XXe Congrès International d'Histoire et d'Art, l'orientation actuelle de l'histoire de l'art. Oserons-
à Bruxelles, dont les séances se sont succédé à nous dire qu'à en juger d'après la qualité moyenne des
Bruxelles pendant plus de huit jours, aura, du moins, cent soixante communications qui furent présentées,
fourni quelques indications significatives quant à cette situation ne nous paraît pas des plus brillantes.
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Cette jeune science semble avoir atteint le stade cri- Peut-être le programme même du Congrès était-il
tique de son développement. La plupart de ceux qui en partie responsablede ce résultat. Programme beau-
s'y adonnent s'enfoncent de plus en plus dans la coup trop chargé puisqu'on avait laissé à tous les
spécialisation à outrance. Ils s'avèrent non seulement orateurs le libre choix de leurs exposés. D'où une
incapables de s'élever à des vues d'une portée géné- véritable mosaïque de petits travaux fragmentaires
rale, mais il semble qu'ils n'aient que mépris pour ces qui entraînaient les auditeurs dans les domaines les
travaux de synthèse, ces bienfaisantes hypothèses plus disparates et les plus étriqués.
que, dans son discours d'ouverture, M. Léo Van Le travail le plus neuf et le plus positif fut fourni
Puyvelde, président du Congrès, avait cependant par la Section qui s'occupa de l'application des
tenu à recommander avec beaucoup de sagacité. rayons X et ultra-violets à l'étude scientifique des
Pour eux l'histoire de l'art se réduit à des problèmes tableaux. Une preuve de plus que les autres points
d'attribution, à la détermination d'une date, à la du programme auraientdû être conçus également sous
découverte d'un document d'archives. Certes, nous forme d'enquête autour de quelque question à la
ne songeons pas à nier la nécessité de cet ordre de fois suffisamment vaste et suffisamment déterminée.
travaux, mais nous constatons que l'on a de plus en Il semble d'ailleurs que les voeux qui furent émis à la
plus tendance à les pratiquer pour eux-mêmes, " pour séance de clôture aient tenu compte de cette nécessité.
le plaisir ", et qu'il ne se trouve presque plus personne Signalons encore que le Congrès a eu comme résultat
qui soit en mesure de les exploiter, de les mettre en intéressant la création d'un organisme international
valeur. Et c'est bien pourquoi l'on a eu trop souvent, permanent de l'histoire de l'art, dont le siège restera
au cours de ces assises, la sensation d'une énorme fixé à Bruxelles jusqu'au prochain Congrès. Celui-ci
machine tournant à vide, avec une gratuité parfaite. se réunira à Stockholm en 1933.

L'ART A PARIS
John Graham appartient à une génération qui a ral, le décor limite le champ d'action, détermine un
utilisé à des fins personnelles les. conquêtes du cu- volume bientôt saturé, une caisse magique de réso-
bisme. Ce jeune Américain dispose librement des nance où vrombissent les effluves dégagés par le
formes et des couleurs. L'objet n'a pour lui aucun drame. De surcroît, grâce à son principe décoratif
sens, aucune réalité. Ce stimulant visuel est un pré- (gamme tonale, dessin), le décor joue un rôle effec-
texte à variations tonales. Le solide métier de John tif dans le ballet. Et la qualité du rôle dépend natu-
Graham, son sens inné de la composition et son intel- rellement de la conception et du talent de l'auteur.
ligence des lois de la peinture lui permettront de fran- Les maquettes de Léon Bakst, de Benois imposent
chir aisément le stade des " expériences plastiques " et à l'esprit du spectateur un sujet défini au moyen
de créer des oeuvres où son talent s'affirmera, désor- d'éléments que la mémoire détermine. Picasso et
mais, nettement, directement. (Galerie Van Leer). Braque soulèvent et brisent des paysages et des archi-
W. G. tectures par la force de leurs sentiments; ils imposent
encore au public une topographie créée par les sou-
Une importante exposition rétrospective réunit bresauts de leur inspiration. Gontcharova (le Coq
à la Galerie Billiet, des maquettes, décors et costumes d'or), Larionow (Baba Taga) introduisent dans la
exécutés pour la Compagnie des Ballets russes de symphonie générale une partition de soutien, de
Serge de Diaghilew. Depuis Bakst et Benois, jusqu'à fond, par des motifs décoratifs qui jouent devant les
Gontcharova, toutes les conceptions intéressantes yeux comme les figures du kaléidoscope. Enfin
du décor furent appréciées et inspirées par Diaghilew, Gontcharova (les Noces), Derain, offrent au ballet un
maître de l'oeuvre du ballet. " décor-support " fait d'un ou de plusieurs plateaux
Le ballet est, en quelque sorte, la matérialisation nus, verticaux, qui semblent lancer, faire voler et bon-
d'une symphonie. Notes, accords, en même temps dir, avancer et reculer ces notes bigarrées, ces accords
qu'émis par l'orchestre, sont figurés sur la scène par doués d'attitudes, ces molécules étonnantes que sont
un ensemble de formes colorées et animées. Les deux les danseurs costumés.
effets synchroniques enregistrés par l'ouïe et le re- Nous avons aimé encore à la Galerie Billiet les
gard se fondent pour provoquerune plus intense per- décors de Beauchant, poète des almanachs mytho-
ception. L'observateur cède et s'émeut, frappé de logiques ; G. de Chirico, poète du magasin des
toutes parts. Le décor intervient encore pour augmen- Antiques ; Max Ernst, J. Gris, Marie Laurencin,
ter d'un élément " d'atmosphère " la valeur du Henri - Matisse, Pruna, Tchelitchew, etc.
spectacle. Par la vertu de son principe architectu- MARCEL ZAHAR.

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MUSEOGRAPHIE ARCHEOLOGIE
par E. FOUNDOUKIDIS par L. DELAPORTE

La Collection Foule au Musée de Philadelphie. — Le ROME. — Dans les Catacombes de Saint-Prétextat,


" Pensylvania Muséum of Art " se propose d'acquérir sur la Via Appia Pighatelli, dans le voisinage de la
une dès collections de l'art gothique et de la Renais- somptueuse villa d'Hérode Atticus, les Chrétiens ont
sance les plus importantes du monde. Réunie par utilisé de nombreux sarcophages païens de cette
M. Edmond Foule, cette collection comprend 191 demeure illustre. Certains de ces sarcophages, mutilés
spécimens de sculpture italienne et française des dans les temps modernes, ont pu être reconstitués
xve et xvie siècles, des meubles, des faïences, des objets par la Commission pontificale d'Archéologie sacrée.
en métal, des tapisseries de la même époque et de L'un deux représente Castor et Pollux protégeant
la même origine. Cette collection est considérée un groupe de chasseurs contre un terrible lion. Sur
comme la seule de cette importance qui soit restée un autre, une femme semble être la figure du Nil.
jusqu'à présent propriété privée. Un sarcophage chrétien de la décadence, admira-
La collection comprend, entre autres chefs-d'oeuvre, blement conservé et contenant encore des ossements,
une terre cuite de Luca délia Robbia, un haut-relief montre au centre le Christ annonçant à Pierre son
en marbre de Desiderio da Settignano, un jubé de triple reniement ; d'un côté, la résurrection de Lazare;
marbre et d'albâtre avec des figures sculptées par de l'autre, Moïse frappant le rocher. Sur le couvercle,
Jean Cousin, etc. à droite, les Noces de Cana et la guérison de l'aveugle-
Une exposition au Musée de Céramiques de Faenza. — né ; à gauche, la multiplication des pains et des
L'exposition de céramiques à l'éclat et aux reflets poissons, ainsi que la résurrection du fils de la veuve
métalliques, provenant de fouilles faites en Egypte, de Naïm.. Entre ces groupes deux anges tiennent un
exposition organisée au Musée de Céramiques de cartouche qui, malheureusement, n'a jamais porté
Faenza par l'éminent orientaliste le Dr. F. R. Martin, d'inscription.
de Stockholm, dans le but d'illustrer la théorie de
l'origine classique de cette technique particulière NÉCROPOLE DE L' " ILE SACRÉE ". — Près d'Ostie,
de la céramique, suscite le plus vif intérêt dans le dans 1' " île sacrée ", que forment la mer, l'embou-
monde savant. chure du Tibre et le canal creusé par Trajan eh
Un nouveau Musée à Prague. — La Tchécoslovaquie l'an 102, des fouilles ont été entreprises sous la direc-
projette la construction d'un grand musée national. tion de Guido Calza, professeur à l'Université de
Les plans ont été établis, le terrain est acheté, la pre- Rome. Elles ont amené la découverte d'une nécropole
mière pierre est même posée. En attendant son achè- des 11e et 111e siècles, la plus importante des nécropoles
vement, on achète des oeuvres d'art. Les pièces acquises romaines actuellement c'dnnues. Elle est formée de
sont provisoirement déposées à la Bibliothèque petites chapelles disposées en groupes ; plus de cin-
Nationale, qui vient d'en faire une exposition. En quante ont été exhumées ; elles se composent des
pièces voûtées, d'une architecture simple, comme il
onze ans, il a été acheté pour une valeur de 6 millions convenait pour les petites gens, marchands, pêcheurs,
de couronnes. Malgré la somme relativement peu
élevée, le Dr Kramar, directeur du futur Musée, a mariniers, esclaves, qui habitaient en ce lieu.
réussi à rassembler des collections déjà importantes Des sarcophages, des bas-reliefs, des peintures, des
et précieuses : primitifs, bohémiens du xive et inscriptions, des urnes ortiées de stucs, des pavages
xve siècles, sculptures bohémiennes du moyen âge, en mosaïque. Dans la tombe d'un médecin, deux bas-
peintures et sculptures de l'époque rococo. Parmi les reliefs le montrent dans l'exercice de son art. Les
artistes étrangers qui viennent compléter la collec- peintures, à sujets mythologiques, représentent de
tion on trouve Magnasco, Van der Velde, Ruys- préférence les dieux Apollon, Mercure, Hercule et
daël, etc. Neptune.
Un nouveau Musée d'antiquités au Caire.
— Le Gou-
vernement égyptien a fait connaître la décision qu'il Le temple d'Himéra, en Sicile, construit vers
vient de prendre de construire un nouvel édifice 480 av. J.-C, pour commémorer la défaite des Car-
destiné aux merveilleuses collections d'antiquités thaginois, a été dégagé par ordre du gouvernement
égyptiennes actuellement entassées dans l'ancien italien. C'est un temple périptère, ortie de quatorze
musée qui est vraiment devenu trop exigu. Le colonnes sur les côtés longs et de six sur les petits
nouveau musée serait conçu selon un plan qui en côtés, haut de 53 mètres. Sa décoration extérieure
ferait le monument le plus somptueux de l'Egypte comportait plus de quarante têtes de lion colossales,
moderne. en relief et peintes de couleurs brillantes.

IMPRIMERIE KAPP, PARIS. LE GÉRANT : BARRÈRE. HÉLIOGRAVUREHELIOS-ARCHEREAU.

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