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BISKRA

SORTILÈGES D’UNE OASIS


Roger Benjamin
Exposition à l›Institut du monde arabe,
Paris, 23 septembre 2016 - 22 janvier 2017
Sommaire
Remerciements. ................................................................................................... 4
Avant-propos. Jack Lang ........................................................................................ 6
À Biskra, une question de vision, de regards. Eric Delpont ..................... 8
Introduction. Roger Benjamin ............................................................................... 12
Architecture et urbanisme, Roger Benjamin .................................................. 16
Le tourisme. Roger Benjamin ................................................................................ 58
La peinture. Roger Benjamin ............................................................................... 84
La photographie. Roger Benjamin .................................................................... 126
La Famille Maure,
premiers photographes résidents de Biskra. Gilles Dupont ................. 144
La sensibilité d’avant-garde, Roger Benjamin ............................................. 152
Liste des œuvres exposées. .......................................................................... 170
Bibliographie. .................................................................................................... 172
Comité d’organisation L’Institut du monde arabe remercie les prêteurs qui
ont rendu possible l’exposition.
Cette exposition est conçue et réalisée par le Musée de
l’Institut du monde arabe, avec le soutien exceptionnel ALGÉRIE
de Maître Salim Becha. Alger
Musée d’Art moderne d’Alger (MAMA),
Institut du Monde Arabe Mohammed Djehiche
Jack Lang, président Collection Salim Becha
Mojeb Al-Zahrani, directeur général
David Bruckert, secrétaire général FRANCE
Paris
Commissariat Centre Georges Pompidou, Musée national et Art mo-
derne / CCI, Bernard Blistène
Roger Benjamin
Musée d’Orsay, Guy Cogeval
Professeur d’Histoire de l’art à l’Université de Sydney
Musée du Quai Branly, Stéphane Martin
Conseillers scientifiques Collection Serge Kakou
Agen
Mohamed Slimani
Musée des Beaux-Arts, Marie-Dominique Nivière
François Pouillon
Barcelonette
Musée de la Vallée, Hélène Homps
Musée de l’IMA Bordeaux
Éric Delpont, directeur
Musée des Beaux-Arts, Sophie Barthélémy, Émilie
Assisté de Solène Al Wardi Hervé
Romain Maricaoudin, coordinateur logistique Charenton-le-Pont
Jalal Alami El Idrissi, régisseur Médiathèque de l’architecture et du Patrimoine, Gilles
Fabienne Hereng, assistante de direction Désiré
Lille
Scénographie Palais des Beaux-Arts, Bruno Girveau
Véronique Dollfus Lyon
Musée des Conluences, Hélène Lafont-Couturier
Marseille
Collection Baconnier
Nice
Collection Gilles Dupont
Rodez
Musée Denys-Puech, Sophie Serra
Saint-Germain-en-Laye
Musée départemental Maurice Denis, Christine
Martinez
Toulouse
Collection Michel Megnin

ALLEMAGNE
Francfort
Deutsche Bank Collection, Claudia Schicktanz

DANEMARK
Copenhague
Statens Museum for Kunst, Dorothe Aagesen

ÉTATS-UNIS
Norfolk, VA
Chrysler Museum of Art, Erik Neil

AUSTRALIE
Brisbane
Fryer Library, Collection Hume, University of Queens-
land, Amanda Main
Les organisateurs expriment également leur recon-
naissance à celles et ceux qui, au cours de la prépara-
tion de cette exposition, ont apporté leur aide :
ALGÉRIE PORTUGAL
Alger Porto
Le ministre de la Culture Azzedine Mihoubi, El Hadj Joao-Manuel Mimoso
Maître Salim Becha, Mohammed Djehiche, Dalila
Orfali, Ali Redjel, Nadhéra Hebbache, Fatiha Akeb, ROYAUME-UNI
Tahar Ouamane, la direction du Centre diocésain Londres
Les Glycines, Mathilde Cazeaux, Mohamed Balhi, Gill Perry, Alixe Bovey, Melanie Vanderbrouk
Barkahoum Ferhati, Hafedh Moussaoui.
Biskra SUISSE
Mohamed Bouasaba Slimani, Sadok Gueddim, Slimane Genève
Bécha, El Hadj Turqi , Azzedine Slimani, la famille Mounira Khemir,
Hadjhadj: Badis, Lybia et Salah Eddine, Touik Dribi, Neuchâtel
Bilal Dribi, Salim Cheni, Missoum Belkacem, Abdelha- Régine Bonnefoit
mid Zerdoum, Chemmseddine Boutabba.
TUNISIE
FRANCE Tunis
Paris Khaled Abida, Mohamed-Ali Berhouma
Joseph Asch, Elisabeth Austin-Asch, François et Louis
Pouillon, Michel Megnin, Nicholas Schaub, Émilie
Goudal, François Zabbal, M. Sarrazin, Mercedes Volait,
Sylvie Patry, Augustin de Benoist, Dara Asken, Mélica Les recherches pour cette exposition ont été inan-
Ouenougghi, Wanda de Guebriant, Gwenaëlle Fossard cées par une bourse du Gouvernement australien, la
des Héritiers Henri Matisse, Georges Matisse, Marion « Discovery Oustanding Researcher Award » (DORA)
Vidal-Bué, Lynne Thornton, Harriet O’Malley, Henri et de l’Australian Research Council (ARC), dont le com-
Yvan Touitou, Marie Gautheron, Marie-Éve Bouillon, missaire Roger Benjamin a été titulaire entre février
Fatima Louli. 2013 et février 2016. Les cartes postales, livres et pho-
Aix-en-Provence tographies de la « Collection DORA » de l’Université
Archives nationales d’Outre-mer, Frédéric Gilly, Pierre de Sydney ont été acquis avec le généreux soutient
Barthe de l’ARC.
Nice
Paul et Jeanine Pizzaferri
Le catalogue est publié avec le soutien du Ministère
AUSTRALIE algérien de la Culture et conçu par Ahmed Saidi.
Canberra
Son Excellence M. Lahouiel et Hamza Karour à l’am-
bassade d’Algérie
Sydney
Bruce Isaacs, Mark Ledbury , Annamarie Jagose, Jude
Philip, Mary Roberts, Donna Brett, Stephen Whiteman,
Rachel Di Masi, Cyndi Tang, Sean Gallagher, Luke
Gartlan, et la famille de l’auteur : Jennifer Biddle,
Stuart Benjamin, Sophia Benjamin, Reide Marshall,
et Carson Biddle.

BELGIQUE
Bruxelles
Musée des Beaux-Arts, Ward Verheyen et Véronique
Cardon

ÉTATS-UNIS
Norfolk, VA
Chrysler Museum, Susan Leidy, Mélanie Neil
Washington DC
Library of Congress, Jan C. Jansen, Amanda Brioche

PAYS-BAS
Britte Sloothaak au Stedelijk Museum, Anna Abrahams
au Eye-Museum
Avant-propos
Jack Lang
Président de l’Institut du monde arabe
Lavictime
mémoire de Biskra est sans nul doute
des meurtrissures de l’Histoire.
Parmi ces visiteurs, pourtant, des artistes
adoptent une autre démarche, qu’Eugène
Pour les Algériens, l’essor de la ville et Fromentin, un des tout premiers, synthétise
de son oasis demeure lié à l’entreprise ainsi dans un Été dans le Sahara : « Que suis-
coloniale française, depuis la conquête je venu chercher […] ? Qu’espérais-je y
sanglante jusqu’à l’établissement d’une trouver ? Est-ce l’Arabe ? Est-ce l’homme ? »
administration discriminatoire. En miroir, On serait tenté d’ajouter : est-ce moi ?
pour les Français, voire certains Euro- D’ailleurs, Henri Matisse l’exprime ainsi
péens, la guerre d’Indépendance et les dans une lettre à Georges Rouault à son
accords d’Évianont mis in, brutalement, retour de Biskra : « J’ai appris à me connaître
à une existence au sein d’une société qui un peu plus. » Chacun, qu’il soit écrivain,
les privilégiait. Et c’est ainsi qu’un des lieux peintre, photographe, musicien… l’écrit
les plus courus et les plus prisés dans le dans son journal, sa correspondance ou
monde arabe, pendant près d’un siècle, a en fait la matière de ses romans. Chacun,
perdu son aura. contempteur de la mentalité coloniale,
s’interroge également sur le regard qu’il
À tort, comme les œuvres et documents porte et la vision qu’il donne des Algériens
réunis dans cette exposition le montrent et de leur civilisation. Là encore, les mots
et l’analysent. Biskra, station thermale et de Fromentin ne sauraient être plus justes :
d’hivernage, aimante son lot de visiteurs- « Il faut regarder ce peuple à la distance où
curistes à la recherche d’un exotisme il lui convient de se montrer […] »
facile, tel que l’orientalisme l’a codiié
dès le milieu du XIXe siècle. Ils se font On doit à l’universitaire australien Roger
aisément « voyeurs », aidés en cela par Benjamin, exempt de tout parti-pris ou
le développement de la photographie préjugé, ce regard presque ingénuqui
puis de la carte postale, qui véhiculent guide cette (re) découverte d’un Biskra
en images des souvenirs standardisés : que l’on devine derrière les clichés plus
la palmeraie et son contraire, le désert, complexe, plus nuancédans sa société et
et surtout ce que les éditeurs appelaient son environnement. Un Biskra qui, à l’instar
les « types algériens », du ier chamelier à du procédé photographique, agit tel un
l’équivoque Ouled-Naïl. « révélateur » d’âme…
À Biskra,
une question
de vision, de regards
Eric Delpont
Directeur du musée de l’Institut du monde arabe
Une mince ligne sombre s’étendait en face de nous sur une
longueur d’une lieue, c’était Biskra
Eugène Fromentin, dans une lettre datée du 17 mars 1848

Lorsque l’on n’est pas soi-même artiste,


comment se igurer l’état d’esprit avec
là un paradoxe. L’essor de Biskra comme
station d’hivernage et thermale, drainant
lequel un peintre, un photographe, un musi- des curistes et davantage de touristes
cien, un écrivain conçoit une œuvre, surtout aisés ou fortunés, est indissociable de la
s’il est hors de son environnement habituel ? conquête sanglante de l’Algérie ; de leur
C’est ce que tente d’approcher l’exposition côté, les artistes qui s’y rendent, proitant
« Biskra, sortilèges d’une oasis ». Cette pal- des infrastructures (et accessoirement
meraie, à l’orée du désert saharien, est dans du confort) que cet essor a mis en place
le monde arabe un des rares lieux à avoir, – chemin de fer, hôtels – n’ont de cesse
pendant près d’un siècle, nourrila rélexion, que d’y trouver un retour à l’essentiel, à
l’imaginaire et la création d’artistes venus l’authentique.Et cela, les artistes l’expriment
d’Europe et d’Amérique du Nord. Là, ils se non seulement dans leurs œuvres mais le
sont interrogés sur leur art, leur rapport commentent dans leur correspondance,
avec un peuple ayant une manière de pen- leur journal ou leurs écrits publiés. Eugène
ser et de vivre diférente. Dans ses Tableaux Fromentin le précise comme suit dans un
algériens (1888), le peintre Gustave Guillau- Été dans le Sahara : « Je regarde et ne juge
met le formule ainsi : « […] ces hommes point. Je m’occupe de réléchir dans le sens
difèrent tellement de nous-mêmes, tant matériel du mot, avec l’inertie, mieux avec
d’oppositions les séparent de nos cœurs, l’exactitude d’un miroir. »
qu’on se demande si les liens de l’intimi-
té pourront jamais fondre ensemble deux Encore faut-il pour la réléchir que
races si éloignées. » cette réalité ne se dérobe point. Et plus
particulièrement, les hommes et les
Dans leur démarche, ces artistes ont cherché femmes. Eugène Fromentin, le premier, s’en
à fuir l’ordre colonial institué par la France, plaint : « Il y a une jeune ille que je poursuis,
et à fuir aussi le pittoresque exotique que mais qui se refuse à toute proposition de
cet ordre avait instauré. Henri Matisse, demeurer tranquille à quatre pas de moi,
lors de son passage en 1906, trouve tout avec la seule obligation de me regarder.
« truqué ». On peut imaginer ce qu’il a Tu connais le mépris des Arabes pour la
ressenti lorsque l’on visionne les premières profession que j’exerce. » (Un été dans le
scènes du ilm The Sheik, tourné en 1921,avec Sahara). Et Gustave Guillaumet de renchérir :
Rudoph Valentino dans le rôle-titre. Il y a « Ma présence inquiète visiblement mes
hôtes dès que je veux faire usage de mon contribuent pas peu à cultiver les images
crayon » (Tableaux algériens). Son outillage d’un exotisme facile, voire interlope, avec
de peintre dénonce ses projets ; il éveille une surexploitation des « types » comme
des déiances, provoque des terreurs. Ceci les qualiiaient les éditeurs, au premier rang
explique que peu d’œuvres sont peintes desquels igurent les Ouled-Naïls, promesses
sur place, ce sont davantage des croquis et de plaisirs charnels relevés des piments de
des notes prises dans des carnets, à l’instar l’Orient. Il y a également toutes ces scènes
de ce qu’avait fait Eugène Delacroix lors de de genre qui mettent en scène des enfants,
son voyage au Maroc en 1832. D’ailleurs, plus ou moins habillés. Évidemment, ces
nombreux sont les peintres à se référer à images font penser à André Gide qui fuit
l’expérience de leur aîné, par exemple Henri les parcours balisés pour les touristes : « Oui,
Matisse quand il assiste à une circoncision ce jardin [Landon] est merveilleux […] et
ou encore Maurice Denis qui, sur la place pourtant il ne me plaît guère […] rien ne m’y
du marché à Biskra, note : « Pittoresque paraît naturel » (Amyntas, 1905). Il préfère
intense, triomphe du ton local. Je pense aux s’enfoncer dans la palmeraie, traquer les
carnets de Delacroix (Journal). Le matériel beautés adolescentes qui, devenues adultes,
ainsi récolté servira à élaborer d’ambitieuses ne le séduiront plus autant lors de ses
toiles en atelier. Outre la réserve des venues ultérieures à Biskra… Au-delà de ce
populations et la diiculté de trouver des penchant, le lieu révèle à l’auteur une autre
modèles, le climat rend diicile la peinture dimension de son être, celle des sens jusque-
en plein air, même si Théophile Gautier, là occultés par l’intellect (L’Immoraliste).
dans son compte-rendu du Salon de 1859,
airme que « le Sahara voit maintenant se La mise sur le marché d’appareils
déployer autant de parasols de paysagistes photographiques d’une utilisation simple
qu’autrefois la forêt de Fontainebleau. » (Pocket Kodak) permet à d’autres de capter
Eugène Fromentin rapporte peindre avec une réalité diférente, fort éloignée des
des couleurs à l’état de mortier tant elles images d’Épinal des mœurs locales ou de
sont mêlées de sable… la vie de la société coloniale, cantonnée
dans les constructions ostentatoires
Et là entre en jeu la photographie qui, de Biskra-Ville. Le peintre belge Henri
souvent, nous renseigne au-delà des Evenepoël, lors de son voyage en Algérie
intentions recherchées par celui qui a fait et Tunisie en 1897-1898, en compagnie de
la prise de vue. Dès l’apparition de cette son père (au cours duquel il déplore que
nouvelle technologie comme on dirait les cheminées d’usines aient remplacé les
aujourd’hui, Biskra est photographié, minarets), se fait chasseur d’images, à la
depuis les daguerréotypes des années 1850 fois dans ses carnets de croquis et avec
jusqu’aux vues aériennes des années 1910, son appareil. Il prend plus de cinq cents
sans omettre les vues stéréoscopiques, clichés, le plus souvent sur le vif, et dont le
prémices de la 3D, qui donnent l’illusion résultat est, dit-il, « fort amusant ». On est
d’être sur place. Dans le prolongement de loin des scènes posées devant des fonds
cet engouement, la difusion de la carte peints dans un studio. Son œil de peintre
postale fait s’exclamer l’auteur britannique cadre dans la perspective de composer un
J.F.Fraser : « La moitié des magasins [de tableau. Quant à l’arpenteur général de
Biskra] vend des photographies. L’endroit l’État du Queensland en Australie, Walter
paraît être bombardé par une avalanche Cunningham Hume, il nous a laissé des vues
de cartes postales illustrées. » (Land of surprenantes de l’oasis de Biskra, prises en
the VeiledWomen, 1911).Ces dernières ne 1904 avec un matériel plus sophistiqué :
de vastes étendues cultivées exemptes que les musiciens et chanteurs n’ont pas
de toute construction humaine, comme la moindre honte, pas même les femmes.
hors du temps et loin des trépidations de Rien à voir avec ce que vivent les peintres !
la saison touristique.
Retour à l’image, donc. Les peintures,
Outre son contexte visuel, Biskra séduit photographies et cartes postales réunies
certains avec ses musiques et ses rythmes, dans l’exposition ravivent des souvenirs
neufs pour des oreilles occidentales. Un oubliés, voire occultés en raison des
« rythme impair, bizarrement haché de traumatismes vivaces de la Guerre d’Algérie.
syncopes qui afolent et provoquent tous Elles font s’interroger sur le regard que l’on
les bondissements de la chair » écrit André a porté et que l’on porte sur l’Autre. Et c’est
Gide dans son Journal. Béla Bartók y est lui là que les artistes nous enjoignent à regarder
aussi sensible et procède, en 1913, à des sans cesse avec des yeux nouveaux, en Henri Girardet, École
enregistrements qui nourriront quelques- laissant de côté les certitudes de la société coranique à Biskra, 1881,
huile sur toile, Alger,
unes de ses compostions des années 1920. à laquelle on appartient. collection Salim Becha:
Pendant ces séances, il remarque d’ailleurs ©IMA/ Alice Sidoli.
Introduction
Roger Benjamin
Frances E. Nesbitt, Sunset (Biskra), aquarelle, dans Algeria and Tunis, painted and described, Londres, E. Black, 1906.

13
Biskra est devenu une ville quasi mythique
au cours de mes recherches. C’est en la
Hadjhadj m’accueilli et une semaine mé-
morable commença.
visitant que j’ai pu apprécier le charme
et la complexité historique d’une ville. Je Rapidement, le projet d’exposition s’enri-
rencontre ce nom pour la première fois en chit grâce aux apports de Biskris avertis –
1977, lors de mes études d’histoire de l’art à notamment M. Mohamed Slimani, qui me
l’Université de Melbourne ; dans la légende présenta des citoyens iers de leur histoire
du tableau d’Henri Matisse : Nu bleu (sou- et férus de questions de patrimoine. Ame-
venir de Biskra). Après avoir rassemblé de né en voiture depuis Khenguet Sidi-Nadji
nombreux documents, c’est inalement en à El-Kantara, grâce à Touik Dridi, j’ai pu
2013 que je découvre la réalité de ce lieu. contempler le paysage désertique où se
succèdent les palmeraies et les serres de
Je n’avais pas pu m’y rendre lors de ma pre- fruits et légumes d’exportation. Deux ans
mière visite à Alger, en 1992, car la route de plus tard, je visitais l’ouest des Ziban – les
Biskra était alors trop dangereuse à cause vastes palmeraies de Doucen et Tolga, et
des violences qui ont marqué la « décennie les sites commémorant les massacres de
noire » de l’Algérie. Zaatcha (1849) et El Amri (1876). Grâce aux
conseils de M. Slimani et de ses amis, j’ai
En 2013, les vols directs entre Paris et pu visiter d’autres édiices historiques dont
Biskra, ainsi que la bourse de recherches il est largement question dans cette ex-
du Gouvernement Australien, facilitèrent position : l’ancien complexe du Casino de
mon nouveau voyage. Je is la connais- Biskra, devenu Palais de la Culture, l’ancien
sance de biskris et fut frappé par la gé- Eglise St. Bruno, l’ancien Hôtel du Sahara
nérosité des gens du pays. La famille qui risque d’être démoli…
Biskra, sortilèges d’une oasis — Introduction

Mes collègues biskris, dont Maître Salim la majorité des habitants, de diverses ori-
Bècha, qui a été d’un grand soutien et un gines, surnommés « les indigènes » par les
partenaire actif de cette exposition, ont Français, il est diicile de trouver des récits
insisté pour que celle-ci ne devienne pas un ou des images qui n’est pas étés véhiculés
éloge du colonialisme et du développement par le truchement du colonisateur ou,
touristique de l’époque. Avec le consen- après l’Independence, par des chercheurs
tement de M. Eric Delpont, directeur du des disciplines universitaires tels que l’an-
Musée de l’Institut du monde arabe, et M. thropologie ou l’histoire1.
François Pouillon, nous avons décidés de
ne pas renier les origines violentes de la Depuis peu, une littérature assez particu-
ville moderne de Biskra (la nouvelle ville lière voit le jour à Biskra, et bien qu’ils ne
a été bâtie autour de la plus importante s’agissent pas de livres d’historiens, ils n’en
forteresse militaire de la région), son rôle sont pas moins riches. Abdelhamid Zer-
dans la guerre d’Algérie (voir l’article de M. doum, fonctionnaire Biskri à la retraite, a
Slimani), et de montrer cette métropole publié, par petits fascicules devenus
contemporaine comme une ville prospère presque introuvables2, l’histoire de sa ville
de 300 000 habitants. natale jusqu’à l’aube de l’Indépendance, en
se concentrant sur les époques turques et
Les fondements de l’économie de Biskra françaises. M. Zerdoum, doyen des histo-
n’ont pas changés : l’agriculture (en par- riens de Biskra, adopte un point de vue an-
ticulier la culture de la datte), le tourisme ticolonial et patriote fort instructif. Il donne
(notamment celui ofert par le Hammam de nombreux détails sur la composition de
Salahin), le commerce (Biskra est une la société, surtout musulmane, mais aussi
importante étape des Aurès et le Sud de « judéo-chrétienne » de la ville. Son travail,
l’Algérie), la politique (siège d’une grande comme celui de Paul Pizzaferri, ont servi de
Wilaya), et la fonction militaire (en tant que base historique pour cet ouvrage.
forteresse, muni d’un important aéroport
depuis 1912). On peut ajouter aujourd’hui Paul Pizzaferri, a un autre point de vue.
l’éducation, la ville étant devenue le siège Sa famille, d’origine italienne, est arrivée
de l’Université Mohamed Khider. à Biskra au XIXe siècle et a établi en ville
une société de construction qui prospéra.
La diiculté d’établir un discours équilibré Pizzaferri publie en 2011, quatre gros vo-
1. D’où l’importance de sur l’histoire visuelle de Biskra tient à l’hé- lumes qui sont, eux aussi, très peu difusés
travaux universitaires gémonie des représentations émanant alors qu’ils ofrent une importante docu-
comme ceux de
Dermenghem, de d’Européens, et colons français ; problème mentation – 2500 illustrations, surtout des
Frémaux, de Clancy- classique dans l’histoire postcoloniale. La photographies, des cartes postales et des
Smith, d’Ouennoughi
ou de Brouwer qui, majorité des documents accessibles sont documents d’archives d’époque française.
même s’ils ne sont pas des photographies, tableaux, cartes pos- Ses livres montrent l’essor de la ville mo-
centrés sur Biskra ou sur
les Zibans. tales, ilms, livres de voyage, produits par derne et la vie quotidienne des familles
ceux-ci. Biskra est le relet de cette histoire pied-noir qui constituent une communauté
2. Zerdoum a publié
13 fascicules entre 1998 d’avant-guerre. Il y avait à l’époque, vivante souhaitant vivre en harmonie avec
et 2016 ; le lecteur est presque autant d’Italiens que de Français, ses concitoyens juifs et musulmans, qui ne
renvoyé à la Bibliographie
en in de volume pour ainsi qu’une population importante de jouissaient pas d’un statut d’égalité.
toutes ces références. Juifs, dont peu de traces subsistent. Pour
Les dernières années ont vu l’essor de
publications par des intellectuels nés à
Biskra dans les années 50. Le journaliste
Mohamed Balhi sort en 2011 un livre illustré
Biskra, Miroir du désert, qui se focalise sur
des thèmes proches de ceux que l’on pré-
sente ici : le tourisme, l’avant-garde euro-
péenne, et les arts.

Le roman d’Hamid Grine, actuel Ministre


de la Communication algérien, apporte
une rélexion sur la présence incontour-
nable d’André Gide à Biskra, il y a plus
d’un siècle. Trois autres anciens Biskris
rappellent les années de leur heureuse jeu-
nesse, les troubles de la guerre de l’Inde-
pendence algérienne, et leur exode – avec
un million d’autres européens – vers la
France. Henri Touitou, issu d’une des prin-
cipales familles juives de la région, ofre à
lire ses souvenirs par la poésie ; Martine
Fuchs par le biais d’un récit nostalgique,
et Philippe Barkats sublime l’anecdote 15
avec émotion.

C’est surtout une évocation visuelle de


l’oasis que l’on présente ici, sur les bases
disciplinaires de l’histoire de l’art, sans pré-
tendre fournir une histoire exhaustive. Il y
aura et il doit y avoir d’autres expositions
sur Biskra, surtout celles prenant en compte
le point de vue algérien. Si l’histoire visuelle
qu’on présente ici forme une base utile, on
aura accompli notre mission : remettre en
lumière un haut-lieu des échanges culturels
des plus productifs.
Lieutenant Klipfel, 3e Tirailleurs, Biskra-Ville vue à travers
l’entretoise des ailes d’un biplan, 1912, tirage argentique.
Aix-en-Provence, Archives nationales d’Outre-Mer.

Architecture
et urbanisme
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

Laétait,
situation urbaine à Biskra a toujours été dynamique. Ce qui
en 1816, un chapelet de six hameaux entourant une cita-
delle basse au milieu de vastes palmeraies est devenu, en 2016, une
métropole méridionale de 300 000 habitants. Les palmeraies se
sont déplacées, mais demeure la structure urbaine de six faubourgs
et, quelques kilomètres plus au nord, une ville quadrillée bâtie à
partir de 1847. Aujourd’hui, celle-ci constitue le « centre ville » de
Biskra, capitale d’une wilaya, avec sur son pourtour de vastes
faubourgs d’habitations neuves, érigés sur des plaines autrefois
bonnes pour le pâturage hivernal des troupeaux. L’oued Zerzour
(autrefois l’oued Biskra) avec son vaste lit sec de cailloux, large de
300 mètres, contourne toujours l’agglomération. Et comme avant
au centre de l’oued, le mausolée en pierre du saint patron de la
ville, Sidi Zerzour, veille sur la population.

Alexandre Leroux, Fête au marabout de Sidi Zour-Zour,


tirage argentique, 22 × 28 cm, vers 1880. Sydney, collection DORA.
Franz Blaskovitz,
Palmiers à Biskra, huile
sur toile, 60 × 92 cm.
Alger, collection
Salim Becha.

Le « Vieux » Biskra : habitation et datticulture


L’occupation humaine de Biskra remonte
au-delà de l’histoire écrite : l’oasis est
quatre journées de Baghaïa [Ghardaïa ?]
renferme un grand nombre de bourgs
d’abord mentionnée dans des textes latins dont la métropole se nomme aussi Biske- 19
qui parle d’ « Ad Piscinam » (« à la piscine ») ra. Cette grande ville possède beaucoup
1. Louis Piesse, Itinéraire
comme d’un site de loisirs pour les légion- de dattiers, d’oliviers et d’arbres fruitiers de l’Algérie et de la Tunisie
naires romains1. L’oasis – le Vescera des Ro- de diverses espèces. Elle est entourée d’un (1er éd. 1862), Paris :
Hachette, 1882, p. 410-411.
mains – faisait partie de la ligne des forts mur et d’un fossé, et possède une djamé
– les limes – qui déinissait les frontières des [Grande Mosquée], plusieurs mosquées et 2. Pour un historique
des Ziban aux époques
zones de l’Afrique du Nord contrôlées par quelques bains. Les alentours sont remplis punique et romaine, voir
Rome2. D’importantes traces de la présence de jardins, qui forment un bocage de six Pizzaferri, 2011, vol. 1,
p. 6-47.
romaines sont conservées dans le djebel milles d’étendue […] Les faubourgs de Bis-
Aurès, au nord de Biskra, en particulier à kera sont situés en dehors du fossé et en- 3. Piesse, 1882, p. 409-415,
Timgad, Tebessa et Lambèse ; ainsi que dans tourent la ville de tous les côtés. On trouve a été très attentif aux
vestiges archéologiques ;
les gorges d’El Kantara (« le pont » en arabe) à Biskera beaucoup de savants légistes ; les en général voir Michael
où les Romains ont bâti un pont. Mais aux habitants suivent le même rite [malékite] Greenhalgh, The Military
and Colonial Destruction
abords du Sahara, la réutilisation des maté- que ceux de la ville de Médine4. » of the Roman Landscape
riaux de construction, les sables mouvants of North Africa, 1830-1900,
Leyde : Brill, 2014.
du désert et les inondations dévastatrices Pour sa part, le grand historien et voyageur
de l’oued Zerzour ont efacé la plupart des Ibn Khaldoun fait le commentaire suivant : 4. Abou-Obeïd El-Zekri,
Description de l’Afrique
vestiges archéologiques romains3. « La ville de Biskra, l’Ad-Piscinam ou Ouesker septentrionale, Mac
des Romains, est la capitale du Zab, région Guckin de Slane (trad.),
Paris : Imprimerie
Dès le XIe siècle, les écrivains arabes qui ont qui a pour limite El-Doucen du côté de l’Occi- Impériale, 1859, p. 126-127.
visité Biskra ont observé une capitale régio- dent, Tennouma [qui n’existe plus] et Badis,
5. Ibn-Khaldoun, Histoire
nale prospère, plus grande que pendant du côté de l’Orient […] Le Zab est un pays des Berbères et des
la phase d’occupation turque ultérieure. étendu, renfermant de nombreux villages, dynasties musulmanes,
Mac de Slane (trad.),
Ainsi El Bekri, le « célèbre polygraphe assez rapprochés les uns des autres, et dont 1855-1858, cité par Piesse,
espagnol » écrit : « Biskera, canton situé à chacun s’appelle Zab, pluriel Ziban5. » 1882, p. 411.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

Constantine (Ksentina). Constantine a été


gouverné par l’un des trois beys ottomans
de l’Algérie, qui ont imposé des taxes sur
les produits agricoles des Ziban et ont re-
connu l’importance stratégique de Biskra
en y installant une garnison permanente
de troupes turques.

Vers la in du XVIIIe siècle, l’inluent gouver-


neur de Constantine, Salah Bey, né à Izmir
en Turquie, a porté un intérêt particulier
aux Ziban, les visitant quatre fois et réor-
ganisant l’administration de la région. Salah
Bey remplaça l’ineicace caïd turc de Biskra,
Skombadji, ainsi que d’autres dirigeants des
Ziban de l’Est et de l’Ouest. Salah Bey est
connu pour avoir pris des mesures décisives
ain de résoudre l’éternel problème de la
juste distribution de la ressource la plus
précieuse de la région : l’eau.

Alexandre Leroux, Les données historiques pour la période


Rue du village de
Ras-el-Guerriah
ottoman sont sommaires, en partie parce
dans l’oasis, tirage que peu de documents de l’administra-
argentique, 24 × 30 cm. tion turque ont survécu à l’administration
Paris, photothèque
de l’IMA.
française6. L’historien biskri Abdelhamid
Zerdoum, dans son petit ouvrage très do-
6. Mohamed Balhi,
conversation avec cumenté Les Turcs à Biskra, 1660-1844, en
l’auteur, Alger, septembre propose un bref résumé7. Aroudj et Kheir-
2015 ; voir plus bas
Mohamed Balhi, Biskra, ed-Dine Barbarossa avaient établi la Ré-
miroir du désert, Alger. gence ottomane d’Alger en 1516, mais il a fal-
ANEP Éditions, 2011.
lu des décennies avant que le contrôle turc
7. Abdelhamid Zerdoum, soit efectif dans la partie méridionale de
Les Turcs à Biskra,
1660-1844, Biskra :
la grande province ayant pour capitale Carte de Biskra-Ville et du Vieux-Biskra, dépliant du
EAGB, 1998. Royal Hôtel vers 1900. Sydney, collection DORA.
L’eau
Lanord
forteresse des Turcs se trouvait au
de l’oasis, près des rives de l’oued
Des parcelles de terre ont été divisées en
plusieurs petits vergers protégés par des
Zerzour, ain de surveiller et contrôler la murs en brique crue. De nombreux agri-
distribution de l’eau depuis la source qui culteurs ne possédaient pas de terres, mais
alimente les oasis de Biskra, l’Ain-el-h’amia8. travaillaient dans un système de métayage
L’eau courait dans des séguias, canaux assez qui leur donnait droit à un cinquième des
peu profonds (généralement, trente centi- récoltes, d’où l’appellation de la classe pay-
mètres de large sur quinze de profondeur). sanne khammès, ou cinquième. D’autres
La séguia principale était divisée en trois familles étaient propriétaires de leurs pal-
canaux subsidiaires (vers le lieu de la future meraies, tandis que certaines grandes fa-
« place de Biskra » aménagée par les Fran- milles, comme les Boulakra et les Ben Gana
çais), elles-mêmes ramiiées en dizaines – rivales pour le titre de cheik el Arab at-
de petites séguias qui répartissaient l’eau tribué par le bey de Constantine – avaient
destinée aux agriculteurs des six villages constitué de vastes exploitations dans l’en-
de Biskra. Ce système d’irrigation pour les semble des Ziban. 8. Ibid. p. 63.
palmiers-dattiers et les arbres fruitiers a
fondamentalement façonné l’oasis, son
Paul Lazerges, Le Camp nomade, Biskra, 1890, huile sur toile, 76 × 99 cm, Alger,
écosystème et les pratiques sociales. collection Salim Becha. On voit ici le lit asséché de l’oued Zerzour, et la petite
oasis d’El Alia, au fond à droite.
21
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

Les séguias pouvaient être ouvertes ou fer- Cependant, les sources, débouchés des
mées par une simple écluse en bois ou en vastes nappes phréatiques alimentées par
pierres bien ajustées. L’eau se mesurait en les eaux de pluie tombées sur le djebel Au-
loukha, et le délai de distribution se faisait sous rès au nord (alors que la région des Ziban
la surveillance d’un fonctionnaire. Dans cer- est très peu arrosée) étaient exploitées par
taines communautés, le conseil des notables d’autres moyens. Par ailleurs, les habitants
ou djemâa, supervisait la distribution équitable du Sahara avaient perfectionné les tech-
de l’eau. La légende rapporte que le saint pa- niques de creusement des puits. Il s’agissait
tron de Biskra, Sidi Zerzour, un personnage à d’un travail extrêmement dangereux, fait
l’intégrité reconnue, avait été en charge de la à la main avec des outils et des matériaux
distribution de l’eau, pour laquelle il avait fait simples, par des puisatiers ou harratins11. Les
preuve d’une rare ingéniosité9. colons français ont perturbé cette écologie
en introduisant la mécanisation pour le fo-
rage de puits artésiens.

Les puits artésiens ont ont fortement trans-


formé (et continuent à transformer) le pay-
sage des Ziban, permettant l’extension des
dattiers et des autres cultures12. En 1878
déjà, une société privée avait été créée par
MM. Foureau et Fau ain de poursuivre l’ac-
quisition de terres arables et le creusement
9. Voir Luciani, Sidi de puits13. La Compagnie de Biskra et de
Zerzour et le Beït El Mal,
Alger, Carbonel, 1924. l’Oued R’rhir (CIBOR) a été une puissance
inancière qui a beaucoup contribué à la
10. Voir Piesse, 1882,
p. 411-412. construction de la ville nouvelle de Biskra,
commerciale et touristique, avant 1900.
11. Voir André Gide, Comme on le verra, le développement des
Journal, 7 avril 1896,
p. 78-79, sur les puisatiers bains de Hammam Salahine, le casino avec
arabes de Touggourt ; le son Palace-Hôtel et les tramways, entre
peintre et écrivain Étienne
Dinet témoigne aussi de autres, sont redevables à la CIBOR.
ce métier de bravoure
et d’adresse.
Pourtant, les puits artésiens ont modiié
12. Pour d’autres le niveau de la nappe phréatique pendant
systèmes d’irrigation au
Sahara, voir Mohammed les décennies de leur utilisation, et à la in
Bassin et peigne pour la division des eaux vers trois
El Faïz, « L’eau fondatrice
séguias, jardin Landon, Biskra, septembre 2015. du XXe siècle, les séguias légendaires de
des jardins arabo-
musulmans », dans Jardins Photo de l’auteur. Biskra étaient souvent asséchées. À partir
d’Orient, de l’Alhambra Les Ottomans, en installant leur fort et la des années 1940, des barrages modernes,
au Taj Mahal, Paris , IMA
et Gand , Snoeck, 2016, garnison à la source des eaux, avait le pou- petits et grands, ont été construits ain
p. 43-53. voir de couper l’eau, et ainsi d’asservir le d’assurer l’alimentation en eau de la ville
13. Voir Victor Largeau,
peuple de l’oasis10. Le contrôle de l’eau était en pleine expansion. Aujourd’hui, certains
« Le Sahara algérien, un moyen de forcer le paiement de l’im- jardins publics, tel le parc Landon, béné-
1874-1878, dessins inédits,
Biskra, Touggourt,
pôt et de réprimer la dissidence politique icient d’un approvisionnement en eau
Le Souf, Rhadamès, ou militaire. Ce système de contrôle a été régulier au moyen de séguias (et non par
Ouargla », Le Tour du
Monde, vol. 42, n°. 1069
maintenu par les Français après la prise de la méthode du « goutte-à-goutte », des
(1881), p. 1-35. l’oasis de Biskra, en 1844. tuyaux polymères utilisés dans l’irrigation
Neurdein frères, 382. Tolga, le puits artésien, carte postale vers 1905, Sydney, collection DORA.

moderne aux Ziban). Le développement Ben Azzouz et Doucen en font les plus 14. Les arbres fruitiers et 23
les oliviers ont par tradition
urbain a envahi les palmeraies des six vil- grandes des Ziban. La wilaya de Biskra re- poussé à l’ombre des
lages d’autrefois, tandis que l’extension présente aujourd’hui la troisième région palmiers, et divers légumes
ont été plantés (Matisse
des palmeraies de Tolga, Lichana, Bordj agricole d’Algérie14. exprime son étonnement
de se faire servir à Biskra
« de la salade » cultivée
localement). L’agriculture
aux Ziban s’est aujourd’hui
diversiiée avec de

La datte grandes étendues de


terres couvertes de serres
sur 50 mètres de long,
principalement pour la

Parsurtradition, l’économie de Biskra repose


la datte : déjà au XI siècle, El-Zekri
e
estimé à 140 000, tandis que les habitants
dénombraient 78 variétés de dattes dans
production et l’exportation
de tomates, de fraises et
de pommes de terre.
en énumère plusieurs variétés15. La plante les Ziban, dont la plus célèbre était (et de-
ne pousse pas au nord des contreforts du meure) la deglet-nour16. Un palmier-dattier 15. El-Zekri, 1858, p. 111.
djebel Aurès – la datticulture est très spé- d’aujourd’hui produit en moyenne 8 à 10 16. Georges Hardy,
ciique, géographiquement et écologique- régimes de dattes, chacun de 8 à 10 kilos directeur du jardin d’Essai
à Alger, dont l’article sur
ment. « Les pieds dans l’eau, la tête dans le de fruits ; ainsi un arbre sain peut produire les dattiers des Ziban est
feu », telle est la description locale prover- jusqu’à 100 kilos de fruits par an. Comme l’a reproduit dans Piesse,
1882, p. 413-414.
biale des besoins du palmier-dattier. L’eau montré Mélica Ouennoughi, le palmier-dat-
des séguias et la chaleur estivale intense tier a eu un impact écologique et écono- 17. Mélica Ouennoughi,
Les Déportés maghrébins
des Ziban – pouvant souvent atteindre 50 °C mique considérable sur la vie des oasis en Nouvelle-Calédonie et la
– permet au fruit de se former et de mûrir et a joué un rôle essentiel dans l’identité culture du palmier-dattier :
de 1864 à nos jours. Paris :
à la in de l’été. Dans les années 1860, le culturelle et les pratiques sociales dans L'Harmattan, 2005.
nombre de palmiers-dattiers à Biskra était les Ziban17.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

Régimes de dattes,
Doucen (wilaya de
Biskra), septembre 2015.
Photo de l’auteur.

Lehnert et Landrock, Oasis de Biskra, fête arabe.


Dans Ernst Kühnel, Nordafrika, Berlin, 1924. Sydney,
collection DORA. Ce rassemblement religieux prend
place dans un bâtiment alors remis en état près de
la fontaine turque.

Neurdein frères, 205. Biskra. Dans l’oasis – Arabes


enlevant les mauvaises dattes avant la récolte, carte
postale vers 1910. Sydney, collection DORA.
Six villages, six mosquées
Lorsque les cartes postales de Biskra ont
commencé à être publiées à partir des
années 1880, le fameux « chapelet » de
six villages qui composent le Vieux-Biskra
(comme l’ont appelé les Français), se com-
posait de la façon suivante. En partant du
plus septentrional, Ras El Guerriah, les vil-
lages se nomment M’Cid, Bab-Darb, Bab-
Fath, Gueddache, Medjeniche et Sidi Barkat.
Les villages d’El Alia et Filiache étaient à
proximité, mais de l’autre côté de l’oued
Zerzour. Seul Zerdoum a étudié en détail
ces bourgs. Chaque village formait plus ou
moins une communauté complète et réglée
par sa djemâa ou conseil, s’appuyant sur les
familles et les clans. Chacun d’entre eux
posssédait une petite mosquée, une école
coranique et son cimetière.

Bien que la liberté de culte fût garantie en 25


principe par le régime colonial (en proté-
geant aussi les minorités juive, mozabite et
protestante), il y avait en réalité d’énormes
contraintes. D’après les documents cités par
Zerdoum, en 1848, les autorités françaises
ont saisi : « tous les établissements du culte
musulman du pays (mosquées, écoles co-
raniques, zaouias, mausolées, sanctuaires,
y compris les biens habous dits « de main-
morte » sur les meubles ou immeubles) au
proit de l’Administration coloniale, reniant
de ce fait la déclaration oicielle du comte
de Bourmont faite à Alger, le 5 juillet 1830, Ces mosquées, toutes de taille mo- Photochrom Zurich,
Sidi-Malek, Biskra, vers
au nom de la France18. » deste avec des minarets de trois à sept 1895. Photolithographie
étages, ont un air de famille ; elles ont été à base d’encre,
Par conséquence, les six mosquées du construites sur un modèle traditionnel, 16.5 × 23 cm.
Washington D.C.,
Vieux-Biskra, « en exercice depuis le temps avec une petite salle de prière et un mi- Library of Congress.
des Turcs et traditionnellement gérées par naret de base carrée. La plus prestigieuse
les imams comptables devant la djemâa était celle de Sidi-Malek, à propos de la-
18. Zerdoum, Les Biskris
(l’assemblée des notables), furent placées quelle Zerdoum écrit : « La bourgade Bab- et la France, 1844-1962,
sous la dépendance du capitaine chef du ed-Darb est avantageusement plus histo- Biskra : EAGB, 1998,
p. 78-79.
Bureau politique de l’armée » [c’est-à-dire rique que les bourgades consœurs par le
le Bureau arabe] 19. fait qu’elle possède la mosquée Sidi-Malek 19. Ibid. p. 79.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

Neurdein Frères, Vieux-Biskra, mosquée de Sidi- Albert Ballu, dessin inscrit « Sidi-Moussa, Biskra », crayon sur papier gris, vers
Djoudi, carte postale vers 1905. Sydney, collection 1890. Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine,
DORA. Sur la route étroite qui menait de Ras-el- inv.80/123/2001, doc. 35626. Ballu, l’architecte du casino de Biskra, a étudié les
Guerriah à Biskra-Ville, le grand minaret de Sidi- monuments historiques arabes et romains en Algérie.
Djoudi a rarement été photographié.

(un chérif Arabe), siège du caïdat turc de- Le village de M’Cid, près de l’oued Zer-
20. Zerdoum, Les Turcs puis Ibn Agha en 1660, jusqu’à Ben Gana en zour, possédait sur sa place centrale « la
à Biskra, 1998, p. 37.
Un « Arabe Chorfa » 1844 »20. Pour cette raison et la taille impo- mosquée-école coranique Sidi-Moussa
signiie un chériien – un sante de son minaret, Sidi-Malek a souvent el-Akhdri » 22. Plus connue sous l’abbrévia-
descendent direct du
Prophète Muhammad. été représentée par les imagiers à Biskra. tion Sidi-Moussa, cette mosquée igure
aussi sur les cartes postales. Les mos-
21. Anonyme, « Les Oasis
du Sahara : Biskra », dans Les mosquées, comme la plupart des mai- quées-écoles coraniques de Sidi-Daoudi,
L’Algerie hivernale, n° 25 sons, sont construites avec des troncs de dans le village de Medjeniche, et celle de
(novembre 1896), p. 30.
palmier, des poutres sciées et du toub – Sidi-El-Khanfri, dans celui de Gueddache,
22. Zerdoum poursuit : des briques de terre séchée. Comme l’a sont moins célèbres. En revanche, Sidi
« D’une supericie de
quatre cents mètres
écrit un observateur des mosquées en Abd-er-Moumen, elle aussi située à Bab-
carrés environ, la 1896 : « Simples, dominant sans les humi- Darb, attirait beaucoup l’attention, mal-
mosquée se distingue
par sa tourelle (sommâa :
lier les terrasses éparses, les sanctuaires gré son minaret peu imposant. Son décor
minaret) ayant quatre sans renom de l’oasis sont pourtant pleins complexe suscita l’intérêt d’Albert Ballu et
mètres de côté et seize
mètres de hauteur,
de pieux musulmans à l’heure prescrite de maints photographes. Une restaura-
est considérée comme et les idèles ont poli de leur contact les tion du minaret, efectuée après 1900,en
un exploit en matière
d’édiice religieux à
vieux piliers de terre, qui luisent dans la a altéré le décor.
Biskra » (Les Turcs à pénombre21. »
Biskra, p. 40).
27

Albert Ballu, dessin


inscrit « Sidi Abd er
Moumen, Biskra »,
crayon sur papier gris,
vers 1890. Charenton-
le-Pont, Médiathèque
de l’architecture
et du patrimoine,
inv.80/123/2001, doc.
35626.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

Le village le plus proche de Biskra-Ville, Ras- carrées pour éclairer l’escalier intérieur
El-Guerriah, comportait sur la route princi- utilisé par le muezzin pour monter sur le
pale la mosquée de Sidi-Djoudi, rarement balcon et lancer l’appel à la prière. La plu-
mentionnée dans les textes touristiques part d’entre eux ont une galerie avec deux
mais d’une forte présence architecturale. grandes fenêtres donnant sur les quatre
De son côté, le mausolée du marabout Sidi points cardinaux. La plupart de ces minarets
Lahssen, dans le village de Bab-Fath vers la sont couronnés par des merlons triangu-
sortie de la palmeraie au sud, a souvent été laires qui leur donnent un aspect fortiié.
photographié : on peut penser que c’est Un minaret considérablement plus grand
pour son pittoresque plus que sa valeur re- était attaché à l’ancienne Grande Mosquée
ligieuse, son attrait résidant dans sa grande (djamé) de la citadelle turque de Biskra - il
coupole conique et son emplacement près ressemblait sans doute aux très hauts mi-
d’une route, d’une séguia et des palmiers23. narets toujours visibles à Ouled-Djellal et
Doucen dans les Ziban de l’Ouest. L’entre-
Tous les minarets sont de plan carré (plu- tien des mosquées était fréquent et tradi-
tôt que cylindrique comme le minaret tionnellement inancé par des fonds habous
ottoman), ils disposent de petites fenêtres ou communautaires.

Le tracé urbain
Lesturehistoriens et théoriciens de l’architec-
au Maghreb ont longuement étudié
Le rôle de la rue dans l’urbanisme islamique
aide à comprendre « les ensembles à coni-
l’organisation spatiale et sociale des médi- guration linéaire et sérielle » tels qu’on les
nas et des ksours algériens. On doit à Salah trouve, par exemple, à Ras-el-Guerriah.
Chaouche de l’université de Constantine « Les rues se distribuent selon une hié-
une étude qui analyse la transformation ur- rarchie : rue principale, ruelle, impasse […]
baine de ces espaces pendant l’occupation On retrouve dans ces espaces les maisons
française. Quoiqu’il déinisse la médina, ses riveraines, mais qui n’exploitent la rue que
remarques s’appliquent aux espaces des comme un dispositif de distribution […] La
23. Chaque village de
Biskra possédait plusieurs villages du Vieux-Biskra : « Toute médina est déinissant que comme un « hors de soi »
tombeaux de marabouts composée des mêmes types d’espaces clos par rapport auquel on s’enferme. Et les en-
dans son enceinte ;
Zerdoum, Les Turcs à qui se répètent en elle et qui s’ordonnent sembles conçus à partir d’un espace central
Biskra, en donne la liste, toujours selon les mêmes principes : la – la cour, espace à l’abri autour duquel tout
p. 38-55.
mise en série (juxtaposition), mise en pa- s’organise à diférentes échelles : mosquée,
24. Salah Chaouche, rallèle, mise en réseau, de cellules simples. palais, medersa, fondouk et maison25. »
« L’œuvre coloniale en
Algérie : quel impact sur L’image de l’urbanisme islamique est le
la fabrique de la ville ? », plan de l’habitat : maison repliée sur elle- Pour les maisons du Vieux-Biskra, les témoi-
dans Mélica Ouennoughi
(éd.), Mémoires, histoires même, ouverte sur la cour centrale amé- gnages visuels viennent surtout des toiles
des déplacements forcés. nagée pour isoler la famille et les femmes, de Guillaumet et Bridgman et des photogra-
Héritages et legs (XIXe
– XXIe siècles), Paris, tout en permettant d’accueillir le voisin ou phies de Maure. Ces artistes ont privilégié
L’Harmattan, 2014, p. 134. l’étranger24. » les intérieurs de maisons modestes : « Les
25. Chaouche, 2014,
intérieurs sont frais, admirablement dispo-
p. 134-135. sés contre les rigueurs d’un soleil inexo-
Abdelhamid Zerdoum,
rable, le jour y pénètre parcimonieusement, Plan du village de
jetant dans les réduits une clarté douce, un Ras-el-Guerriah, Vieux-
éclairage discret qui ajoute encore au calme Biskra. Dans Zerdoum,
Les Turcs à Biskra, 1998,
mystérieux qui règne dans les habitations p. 54.
mauresques26. » En revanche aucune pho-
tographie ne paraît montrer, par exemple,
l’intérieur de la résidence de la richissime
famille Ben Gana, indiquée sur les cartes
comme la « maison de l’Agha » sur l’avenue
Carnot, au niveau du marché de Biskra. Ce
témoin de 1896 poursuit en précisant qu’à
Biskra les maisons « des riches, des caïds,
des cadis, des grands propriétaires de
palmeraies sont vastes, de nombreuses
chambres sont disposées autour d’une cour
centrale et dans une sorte de vestibule com-
parable à l’atrium antique27. »

29

La place de Biskra
et le quadrillage du terrain
Suite à la prise déinitive de la citadelle de
Biskra par la colonne du duc d’Aumale
un gouverneur de cercle et de province
d’exercer l’hospitalité d’une façon plus
en 1844, une garnison importante fut éta- cordiale […] Toute la population militaire,
blie par l’armée française dans l’ancien fort artillerie, génie, infanterie, administration,
turc, entre les villages de Bab-Darb et Med- bureau arabe, gouverneur et oiciers, est
jeniche. On doit une des rares descriptions concentrée dans cette vaste casbah bâtie
de ces dispositions provisoires au peintre sur l’emplacement agrandi de l’ancienne, au
Eugène Fromentin : centre du village arabe et avec des briques 26. Anonyme, « Les Oasis
en terre cuite […] Tu vois que la citadelle du Sahara », 1896, p. 30.
« Nous somme logés à la citadelle (il n’y a sert aussi de fondouk aux voyageurs. » 28 27. Ibid.
pas moyen de se loger ailleurs) dans des
28. Eugène Fromentin
chambres afectées par le commandant Depuis l’ère du développement touristique, et Barbara Wright,
Saint-Germain aux voyageurs de distinc- la seule image connue de cette casbah est Correspondance d'Eugène
Fromentin, vol. 1, 1839-
tion. Nous mangeons à sa table et vivons un dessin assez faible, le Fort turc en ruine, 1858, Paris : CNRS, 1995,
entièrement avec lui. Il est impossible à tracé par un chirurgien militaire, en 1848. p. 714.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

Félix Jacques Antoine


Moulin, La casbah
(Vieux-Biskra),
gravure, 19 × 25,5 cm.
Aix-en-Provence,
Archives nationales
d’Outre-mer, dation
Zoumerof.

Quelques mois après la visite de Fromentin,


l’armée commençait son transfert vers la
reconnaissable sur les photos d’Alexandre
Leroux entre autres. Néanmoins, il resta un
nouvelle « place de Biskra » en construction but de visite privilégié.
à cinq kilomètres plus au nord, vers l’autre
fort turc d’où l’on contrôlait les sources. Salah Chaouche donne cette analyse de la
29. Chaouche, 2014, p. 144-145.
Les Biskris et les Français abandonnèrent la politique militaire et urbaine des Français :
casbah et, celle-ci étant construite en toub, « Sous l’autorité de Bugeaud, un réseau de
commença bientôt à s’écrouler sous l’efet camps militaires est créé ex nihilo entre
Aristide Verdalle, Casbah des pluies et du vent. Une photographie 1840 et 1848 […] L’organisation des villes
de Biskara, 1848, dessin de Moulin, en 1856, montre la rapidité de coloniales est un exemple parfait de la
lithographié. De Guyon,
D’Alger aux Ziban, la destruction ; il est possible que le grand projection spatiale d’une conception cen-
l’ancienne Zebe en 1847, minaret de la mosquée, visible sur le des- tralisée du pouvoir : un damier régulier. Ce
Alger : Imprimerie du sin de Verdalle, ait été démoli par le génie plan est déini par le tracé de l’enceinte,
gouvernement, 1852.
(Source : Pizzaferri, français. Vers 1880, le « fort turc » n’était les règles de fortiication, l’emplacement
2011, vol. 1, p. 134). qu’un tas de débris sur un terrain élevé, des portes et l’implantation des établisse-
ments militaires ; il intègre des éléments
majeurs de composition : la régularité, le
traitement de l’espace public, les relations
entre les diférents quartiers, la répartition
de l’espace public/privé ainsi que le réseau
viaire et le découpage en lots. Les rues sont
pavées, plantées et munies de trottoirs […]
À la mairie, la préfecture, les écoles ou le
tribunal, s’ajoutent le musée, le théâtre ou
le kiosque à musique. De cette manière, les
Européens retrouvent les éléments de la vie
sociale à laquelle ils se sont habitués 29. »
Place de Biskra, 1855,
carte préparée par
le génie, direction de
Constantine. Vincennes,
Archives de l’Armée,
Service historique de
la Défense.

Détail, Place de Biskra,


1855, carte préparée par
le génie, direction de
Constantine. Vincennes,
Archives de l’Armée,
Service historique de
la Défense.

En choisissant d’ériger leur place militaire


et la ville neuve à l’écart du Vieux-Biskra,
les autorités suivaient une des options
employées par le génie militaire pour son
implantation dans des territoires toujours
hostiles. D’après Chaouche, en construisant
on pouvait « superposer le nouveau à l’an- 31
cien » (l’option haussmannienne, comme
à Tlemcen ou Touggourt), ou bien « jux-
taposer l’espace fermé et l’espace ouvert »
(Annaba), ou inalement « dédoubler ou se
séparer pour se faire face » (comme à Biskra
et Ouargla). Dans ce « dédoublement », la
ville nouvelle était entièrement séparée
du Vieux-Biskra de plusieurs kilomètres,
et reliée par une seule voie – la route de
Touggourt (desservie par l’hippomobile
Décaudin à partir de 1897). L’autre lien, le
plus important même, était le réseau exis-
tant des aquifères ou séguias : le fort était
bien en amont des palmeraies, et contrôlait
parfaitement la distribution des eaux.
30. Chaouche, 2014, p. 145-
Le plan de Biskra-Ville, en damier, n’a rien déinitive, l’embryon de la ville et sa relation 147, reproduit les plans de
d’exceptionnel ; il ressemble aux autres avec le fort Saint-Germain sont révélés par Picard et de Cote.

villes nouvelles militaires des années 1840 : un plan de la place de Biskra (en langage 31. Le plan de 1853 est
ceux de Sétif, Tiaret, Batna, ou Sidi bel Ab- militaire, une place d’Armes), dessiné en reproduit dans Pizzaferri,
2011, vol. 1, p. 165 ; ce plan
bès30. Mais avant de prendre cette forme 185331. Accompagné d’une légende détaillée fut copié et amélioré
en 1855 dans la version
reproduite ici ; je remercie
Gilles Dupont pour être
intervenu auprès de M.
Pizzaferri à propos de
ces plans.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

et d’un texte manuscrit intitulé « Mémoire rues en longueur et neuf rues en largeur qui
militaire sur la Place », ces documents demeura, peu ou prou, le plan de Biskra-Ville
donnent beaucoup d’informations sur les pour les soixante-dix ans à venir.
origines de la Biskra moderne dans un qua-
drillage du territoire. En 1853, la rue principale de Biskra (connue
plus tard comme la rue Berthe) n’était pas
Aucune description des bâtiments neufs du encore construite ; elle enjambait les quatre
fort n’est donnée, mais la zone civile de la séguias parties de la « cascade » auprès du
place suscite les remarques d’un voyageur fort. La construction en fut rapide : Thierry-
venu de Metz, Charles Thierry-Mieg. En 1859, Mieg y séjourna à l’automne 1859 : « Nous
il louait l’architecture érigée par le génie mi- sommes descendus à l’hôtel du Sahara,
litaire à Biskra, en disant qu’il améliorait le grand bâtiment à rez-de-chaussée, avec
dessin plus « à la française » des bâtiments cour intérieure et terrasse. Dans ce rez-
d’Alger et de Philippeville, parce que les de-chaussée se trouvent la cuisine, la salle
dessinateurs observaient les bâtiments à manger et quelques autres pièces35. »
arabes des lieux : « Toutes les maisons de Le cercle militaire pour les oiciers fut
la Place, ainsi que le cercle des oiciers, sont construit à côté, sur la rue Berthe. Un bou-
à rez-de-chaussée, avec des arcades comme levard extérieur (l’avenue Carnot) venait
32. Charles Thierry-Mieg,
Six semaines en Afrique : dans la rue de Rivoli, des terrasses au lieu de cerner la partie ouest de la ville.
souvenirs de voyage, Paris, toits, et en général des cours intérieures sur
M. Lévy, 1861, p. 234.
lesquelles s’ouvrent les fenêtres. Les murs Il fallut construire une route entre la place et
33. Voir François Béguin, sont faits en pisé ou en brique séchée au le Vieux-Biskra : il s’agit de la route de Toug-
Arabisances : Décor soleil suivant la méthode arabe, et crépis gourt, large et droite comme une lèche et
architectural et tracé
urbain en Afrique du à la chaux, ce qui les rend très solides. On continuant plein sud vers le Sahara. D’après
Nord, 1830-1930, Paris, conçoit qu’une place ainsi garnie soit à la Albert Truphémus, auteur d’un roman an-
Dunod, 1983.
fois élégante et monumentale32. » ti-colonialiste, c’était la voie de communica-
34. Sur le village tion la plus importante de Biskra, souvent
de Ras-el-Mah et
l’organisation initiale de Arcades, cours intérieures, mais dans un photographiée et décrite36.
Biskra-Ville, voir Pizzaferri, style austère – ce n’est pas encore le style
vol. 1, p. 225-243.
« arabisant » leuri de la in du siècle qu’on Un peu plus vers le sud (après le grand jardin
35. Thierry-Mieg, 1861, voit à Biskra33. Le plan de 1855 montre qu’à potager de la garnison, le four à chaux et la
p. 232.
quelque 400 mètres du fort Saint-Germain, salpêtrière) se trouvait le « village nègre ».
36. Truphémus l’a décrite le marché du village Ras-el-Mah34 était déjà Il existait déjà lors de la visite de Moulin en
dans Les Khouan du Lion actif avec un espace entouré de fondouks, 1856 qui photographia plusieurs huttes en
Noir. Scènes de la vie à
Biskra (1931), Gérard d’entrepôts et de magasins, une « maison branches de palmier avec des bâtiments
Chalaye (éd.), Paris : d’Hôtes » (Dar Diaf) et deux ou trois mai- construits dans le fond37. En 1861, Thierry-
L’Harmattan, 2008.
sons éparses (aujourd’hui, à Biskra, une Mieg décrivait ainsi ce village et ses habitants :
37. Voir Félix Jacques- vielle maison porte une plaque, « Maison « Les nègres de Biskra habitent des huttes co-
Antoine Moulin, Gourbis
nègre, tirage albuminé, Dufourg, 1858 », nommant les premiers niques formées de branches de dattiers et de
19 × 25,5 cm, album colons qui installèrent une grande ferme roseaux […] Eux-mêmes, accroupis à l’ombre
Souvenirs de l’Algérie,
province de Constantine, à El-Outaya). L’alignement des rues du vil- des palmiers, s’occupent de la confection des
dation Zoumerof, lage Ras-el-Mah était similaire à celui de la paniers et chapeaux de paille, leur industrie
Archives nationales
d’Outre-Mer (ANOM), place d’Armes ; dans la décennie suivante, principale ; quelques-uns tissent. Ils sont tou-
Aix-en-Provence. la construction des rues en les continuant jours couverts de vêtements bigarrés, de cou-
38. Thierry-Mieg, 1861,
jusqu’au niveau du mur nord du fort fut leurs éclatantes, tandis que les Arabes sont
p. 241. achevée. Cela donna une grille de quatorze invariablement vêtus de blanc38. »
33

Neurdein Frères, Biskra, le village nègre, tirage albuminé, 27,5 × 21 cm, vers 1892. Sydney, collection DORA. Au 39. La date de 1865
centre : la route de Touggourt vue depuis le minaret du Royal Hôtel. À gauche : un abreuvoir ; la fabrique de pour la reconstruction
briques de toub ; le « village nègre » ; au loin les arcades de la villa Bénévent du comte Landon ; à l’horizon : du « village nègre »
le grand cyprés de M’Cid. À droite : l’aile sud du Royal Hôtel (en construction) ; le terrain du jardin du futur provient de « l’assistant
casino de Biskra ; la palmeraie de Ras-el-Guerriah. géographique », ANOM,
site internet.

40. Pour le détail sur la

L e « village nègre » aux rues alignées et


quadrillées, aux maisons en toub, viendra
Les bâtiments principaux de Biskra furent
érigés par des artisans européens, italiens
visite de l’empereur des
Français, voir Octave
Teissier, Napoléon III en
plus tard, en 186539. On peut supposer que pour la plupart, employés par l’entreprise Algérie, Paris : Challamel,
ce fut en préparation de la visite oicielle Rodari Frères et, plus tard, les Pizzaferri41. 1865 ; voir aussi l’article
de Peter Benson Miller,
de l’empereur Napoléon III et de l’impé- On voit ces ouvriers en train d’appliquer « La vision oicielle de
ratrice Eugénie, Biskra étant le point le des enduits de ciment sur les murs du l’Algérie sous le règne
de Napoléon III »,
plus au sud visité par le couple impérial40. M’Sallah, le futur hôpital Lavigerie, sur L’Algérie des peintres,
Aussi, le village de cette minorité ethnique la route de Touggourt, sur une photogra- de Delacroix à Renoir,
Paris : IMA/Hazan, 2003,
de Sub-sahariens fut certainement esquis- phie de Maure : quatre hommes barbus p. 152-166.
sé par les autorités françaises, même si et en chapeau, portant une blouse, sont 41. Pour le détail
les moyens traditionnels de construction accompagnés de trois ouvriers et un des entreprises de
construction, voir
furent employés, avec du toub non recou- garçon musulmans. Pizzaferri, 2011, vol. 1,
vert d’enduit. p. 342.
Maure, détail, Le
M’Sallah, ou futur
hôpital Lavigerie en
construction. Image rare
des artisans européens
– probablement des
Italiens –qui ont bâti la
plupart des immeubles
de Biskra-Ville.

Environs de
l’observatoire de Biskra,
commandant Perrier,
Mémorial du dépôt
général de la Guerre,
vol. 9, Détermination
des longitudes, latitudes
et azimuts terrestres
en Algérie. Paris :
Imprimerie nationale,
1880, pl. 13. Paris,
Bibliothèque nationale
de France, département
des Cartes et Plans.
Maure, Le M’Sallah, ou futur hôpital Lavigerie en construction, route de Touggourt, vers 1889-1890. Nice, collection Gilles Dupont. Aujourd’hui
ce bâtiment est au centre du grand complexe médical Hakim Saadane.
35

Le marché de Biskra
Lagésplace du marché a été un des premiers espaces civils aména-
à Biskra-Ville. Biskra n’a jamais perdu sa fonction de place
commerciale et point d’arrivée des caravanes. Les marchands, les
artisans et les propriétaires de fondouks ont simplement déloca-
lisé leurs activités de l’ancienne casbah et ses alentours vers les
établissements nouvellement érigés.

Quoique dessiné comme une place vide en 1853, le marché fut


bientôt équipé d’un grand bâtiment central de forme carrée, avec
des arcades. Plus tard, de pareilles arcades ont été élevées sur
le pourtour intérieur de la place. C’est sous ces arcades que les
artisans s’abritaient des rayons écrasants du soleil pendant la sai-
son chaude. Dans une aquarelle, l’observateur méticuleux italien
qu’était Gustavo Simoni montre la partie des arcades dédiée aux
tailleurs de vêtements pour hommes.

Alexandre Leroux, Place du marché à Biskra, vers


1885, tirage argentique. Paris, photothèque de
l’Institut du monde arabe. Le marché couvert à
droite et la « mosquée du Caïd » dans le fond.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

Pour les photographes et les éditeurs de Le tableau de Simoni montre des tailleurs
cartes postales, le marché a sans doute été en train de coudre des djellabahs et des
une des zones les plus prisées de Biskra. bournous, tandis qu’une belle toile de
L’image de la place, souvent peuplée l’Américain Charles Thériat représente un
d’hommes en burnous blanc pour la plu- marchand de poteries dans une ruelle, un
part, présentait ce que les marchands de peu à l’écart du marché43.
cartes d’aujourd’hui appellent « une belle
animation ». Certaines fois, on précisait Durant les 170 années de son existence, le
la nature du commerce : « marchand de marché de Biskra-Ville a subi bien des chan-
dattes et galettes », mais il a fallu attendre gements – d’après Mohamed Slimani il a été
les témoignages écrits pour avoir une idée incendié au moins deux fois au XXe siècle –
de la grande diversité des denrées, objets mais en 2016 il subsiste toujours quelques
d’artisanat et même de brocante vendus vestiges des arcades avec leurs auvents en
au marché de Biskra : « Sur une grande et bois peint. Entre les cartes postales éditées
belle place servant de marché, un vaste en 1905 et celles de 1980, les principales
bâtiment ad hoc, avec des arcades, et une diférences sont que la plupart des hommes
boucherie publique. Dans les bazars qui ne portent plus les habits traditionnels, et
l’avoisinent, on trouve surtout des mar- que la mosquée ainsi que les arcades ont
42. Thierry-Mieg, 1861,
p. 239-240. chands mozabites. On y vend principa- été rebâtis.
lement des dattes, du henné, du poivre
43. Charles Thériat,
Marchand assis devant
rouge, de l’orge, du blé, des pastèques, des
son échoppe, localisé raisins, des abricots et des fruits de toutes
« Biskra », s.d., huile sur
toile, 32 × 41 cm, collection
espèces ; enin, des haïks et des vases de
Djilali Mehri. poterie fabriqués à Biskra42. »

Gustavo Simoni, Biskra, vers 1890, aquarelle,


Collection privée, Bridgeman Images. Il s’agit
des arcades du marché de Biskra où les tailleurs
inissaient les bournous à la lumière du jour.

Collection Idéale, P. S., 22 – Biskra, le marché aux dattes, carte postale, vers 1905, et Re Ar, Tlemcen, Biskra – le marché, carte postale vers
1980. Sydney, collection DORA.
37
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

Le quartier des Ouled-Naïls


“ Cesrapprochées
deux rues de plaisir, parallèles,
à tel point que plus d’un
sous le sobriquet de « rue des Ouled-Naïls ».
En fait, les rues parallèles que Gide décrit
café formant corridor ouvre sur les deux s’appelaient oiciellement avant 1962 la
à la fois, et qui communiquent entre elles rue Arcelin (étroite et longue), et la rue La
par trois autres rues, ne sont pas, comme Peyrouse (plus courte mais plus large, et
il advient souvent, dans un coin reculé de la donnant sur le petit square Dufourg).
ville, d’un accès diicile et clandestin ; non,
elles s’ouvrent sans pudeur sur le lieu le plus L’appellation changeante des rues dans
banal, le plus central, près du marché. Un la culture franco-algérienne relève de la
jardin public les prolonge ; l’air n’y est point politique du moment. Pendant l’occupa-
44. André Gide, Amyntas
(1906), Paris, Gallimard,
nauséabond, c’est le grand air qui traverse tion française, les sobriquets ironiques
1925, p. 182. le jardin parfumé. Si tout ce que la ville a de « rue des Saints » et terre-à-terre « rue des
débauché, de suspect, y circule, il y circule Ouled-Naïls » prévalaient. Les noms oiciels
aussi tout ce qu’elle a de noble et de plai- commémorent des oiciers français des an-
Neurdein Frères, Biskra. sant. Tout cela se frôle sans haine ; les plus nées 1840 : Arcelin avait été un chirugien
Rue des Ouled-Naïls
(cafés maures), carte pauvres se mêlent aux riches […] Le plus militaire, La Peyrouse un oicier, et Dufourg
postale, vers 1905. timide enfant passe sans détourner les yeux un des premiers maires de Biskra. Ces rues
Sydney, collection près des illes ; le plus sage vieillard aussi44. » furent débaptisées après l’Indépendance et
DORA. La rue La
Peyrouse vers l’ouest remplacés par les noms des martyrs de la
avec, à gauche, les Cette description par Gide, lors de sa si- guerre de libération : rue Salah Akadi (pour
arbres du square xième visite à Biskra, en compagnie de sa Arcelin), rue Abdelhamid Zarouk (pour La
Dufourg. Le Royal Hôtel
se trouve cent mètres femme, caractérise le « quartier chaud » de Peyrouse) et jardin Larbi ben M’hidi (pour
vers la gauche. la ville, plus connu pendant l’ère coloniale Dufourg).
La rue La Peyrouse, ses fameux balcons et sa société. À gauche : Léon et Lévy,
41. Biskra, Rue des Ouled-Naïls, carte postale, vers 1905. Sydney, collection
DORA. À droite : Neurdein Frères, Rue des Ouled-Naïls, vers 1890, carte postale,
collection DORA.

45. Sur la prostitution


Comme pour la place de Biskra et le vil- Au niveau architectural, ce sont les fameux en métropole, voir
lage Ras-el-Mah qui furent dessinés par balcons des deux rues qui frappent, surtout Richard Thomson et al.,
Splendeurs et misères :
les oiciers du génie français, on peut être dans un contexte musulman. Fabriqués en images de la prostitution
assuré que la rue Arcelin avec ses tout pe- bois, peints en vert ou en rouge, ils difèrent (1860-1910), Paris, musée
tits appartements sur deux étages a été sensiblement des moucharabiehs du Caire ou d’Orsay et RMN, 2015. 39
construite spécialement pour abriter ce bien de ceux de la rue du Caire (de l’Exposition 46.Eugène Fromentin, Un
été dans le Sahara (1857),
qu’on appelait les « illes soumises »45. Leur universelle de Paris en 1889), car leur fonction dans Œuvres complètes, p. 31.
présence est à mettre en relation avec était d’exhiber les dames parées de bijoux, et 47.Voir Barkahoum
celle de la garnison toute proche. On a non pas de les cacher au regard des passants. Ferhati, « La Danseuse
prostituée dite
vu qu’en 1848 Fromentin avait dessiné à « Ouled-Naïl », entre mythe
Biskra une « femme des Ouled-Nayls », et il On sait que,dans le quartier il y avait un et réalité (1830-1962). Des
rapports sociaux et des
explique dans son livre de 1857 que la ville couvre-feu après 22 heures, et qu’il fallait aux pratiques concrètes », Clio :
de Boghari, « entrepôt aux nomades, est femmes « inscrites » laisser-passer pour en sor- Femmes, Genre, Histoire,
17 (2003), p.103-113 ;
peuplee de jolies femmes, venues pour la tir (comme le montre une lettre du chef de la plus généralement, voir
plupart des tribus sahariennes Ouled-Nayl, police à Béla Bartók en 1913). On les voit cepen- Christelle Taraud, La
Prostitution coloniale :
A’r’azlia, etc., où les mœurs sonts faciles, dant poser pour des photographes dans les Algérie, Tunisie, Maroc
et dont les illes ont l’habitude d’aller cher- palmeraies, ou dans leur tribune, aux champs (1830-1962),
Paris, Payot, 2003.
cher fortune dans les tribus environnantes. de courses de Biskra, entourées d’hommes,
Les Orientaux ont de noms charmants pour ou en groupe sur les marches à l’entrée du 48. Pour une appréciation
déguiser l’industrie véritable de ce genre casino avant une de leurs performances. diférente du statut des
femmes Ouled-Naïls, écrite
de femmes ; faute de mieux, j’appellerai Musiciennes, chanteuses et danseuses, elles par un religieux anglais
celles-ci des danseuses46. » Les recherches étaient très prisées à Biskra, surtout avant la dans un livre destiné à une
meilleure compréhension
de Barkahoum Ferhati (elle-même d’ascen- Première Guerre mondiale48. Il faut souligner de la théologie et de l’art
dance Ouled-Naïl et originaire de Bou-Saa- qu’après l’Indépendance, ces rues sont deve- de vivre des musulmans
algériens, voir S. H. Leeder,
da) expliquent qui étaient ces femmes, y nues des rues de petits commerces honnêtes. The Desert Gateway : Biskra
compris les origines de leurs pratiques, Les fameux balcons de l’ancienne rue Arce- and Thereabouts, Londres :
Cassell, 1910, p. 213-219 ;
qui sont bien antérieures à la présence de lin ont tous été démolis. Seuls les plus pitto- voir le livre de l’ethnologue
l’armée coloniale en Algérie47. resques donnant sur le square Larbi M’hidi ont Emile Dermenghem, Le
pays d’Abel : le Sahara des
été maintenus. Ouled-Naïls, des Larbaa
et des Amour, Paris,
Gallimard, 1960.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

Le « goût mauresque » : le casino de Biskra

CAP (Compagnie alsacienne de la photographie), Biskra, le casino, carte postale, vers 1920. Sydney,
collection DORA.
49. Sur Ballu, voir Rachid
Ouahès, « Ballu Albert
(Paris, 1849 - Paris, 1939) »,
dans Dictionnaire des
orientalistes de langue
Sans doute le casino est-il le bâtiment-clef
du centre ville de Biskra en termes de
de ses mosquées au crayon, ainsi qu’une
étude de l’ancienne porte ziride de la mos-
française, François patrimoine architectural ; il est aujourd’hui quée de Sidi Okba. Fils d’un architecte pa-
Pouillon (éd.), Paris : classé monument national. Considéré risien, Ballu, avait été formé à l’École des
Karthala, 2008 p. 43-44,
et Nabila Oulebsir, Les comme un « joyau architectural » (aux dires Beaux-Arts avant de se spécialiser dans la
Usages du patrimoine : du manager du bâtiment) et récemment restauration de bâtiments ecclésiastiques,
monuments, musées
et politique coloniale en restauré avec soin, il est désormais un à Paris et Aix-en-Provence, avant d’arriver
Algérie (1830-1930), Paris : espace public réservé à des évènements à Alger. Là, il a entrepris de faire le relevé
MSH, 2004, p. 251, 322-333.
telles des conférences et des célébra- et dessiner de nombreux monuments de
50. Voir, entre autres, tions communales. l’époque ottomane. Il est nommé archi-
Albert Ballu, Monuments
antiques de l'Algérie :
tecte en chef des monuments historiques
Tébessa, Lambèse, Le casino de Biskra est l’œuvre d’Albert de l’Algérie en 1889, prenant le contrôle
Timgad : conférence faite
au palais du Trocadéro le
Ballu, qui supervisa les fouilles archéolo- des fouilles des sites romains à Timgad,
11 décembre 1893 ; et Les giques de Timgad entre 1889 et 192749. Vers Lambèse et Tebessa50.
Ruines de Timgad (antique
Thamugadi), 2 vols., Paris :
1890, Ballu a visité Biskra et dessiné trois
Ernest Leroux, 1897-1903.
Ce fut probablement quand Ballu travail- Hautefort, dans son ouvrage Aux pays des 51. Voir Zeyneb Çelik,
Displaying the Orient :
lait sur le site de Timgad, avec la suite de palmes, évoque les objections de certains qui Architecture of Islam
« magniiques dessins » de reconstitution « déplore [nt] les discordances de luxe euro- at Nineteenth-Century
World's Fairs, Berkeley :
d’après le matériel archéologique,que la péen, dans ces milieux d’hébraïque simplicité. University of California
Compagnie de Biskra et l’Oued-R’hir lui a L’édiice mauresque leur parut outrager de Press, 1992, p. 128-130.
passé commande du casino. Le bâtiment sa grandeur […] la magniicence divine de 52. Le casino de Hammam
présente des caractéristiques stylistiques l’oasis. Ils soufrirent de l’éclat des lumières R’hira près d’Alger
déjà présentes dans ses travaux antérieurs : du modernisme envahissant, de la redingote l’a devancé.

il avait été l’architecte du pavillon algérien triomphante et des ulsters de façon londo- 53. Anonyme, « À Biskra :
de l’Exposition universelle de 1889 à Paris. nienne. »54 Il faut ajouter que les casinos Dar-Diaf », dans L’Algerie
hivernale, n°. 3 (25
Ce bâtiment a été reconnu à l’époque n’ont pas de place dans la culture arabo-mu- septembre 1896), p. 22.
comme un savant pastiche de divers mo- sulmane (contrairement aux hôtels, équiva-
54. Hautefort, 1897, p. 115.
numents célèbres en Algérie, comme par lents d’institutions traditionnelles comme le
exemple le minaret de Sidi Bou-Médine de fondouk – auberge pour les voyageurs et ca- 55. Frances E. Nesbitt,
Tlemcen, et les mosquées algéroises de ravaniers – ou le dar diaf : la maison d’hôtes). Algeria and Tunisia,
painted and described
Sidi Abd-er-Rahman et de la Pêcherie51. En par Frances E. Nesbitt,
1900, il dessina une cité mauresque pour La salle de jeu du casino a été l’apanage du Londres : A. & C. Black,
1906, p. 67.
le pavillon de l’Algérie à l’Exposition uni- Cercle de Biskra, un club pour les Européens,
verselle, au Trocadéro. En Algérie, Ballu a et elle est longtemps restée un lieu de so- 41
conçu d’autres monuments comme la me- ciabilité pour les étrangers et un nombre
dersa de Constantine (1909), ou la gare et limité de « notables » musulmans. Nesbitt,
la cathédrale d’Oran (1913). dans une brève complainte sur l’introduc-
tion des corruptions européennes chez les
Comme le rapporte un journaliste : habitants de Biskra, le formule ainsi : « Nuit
« Ce premier et unique casino de l’Algérie52 après nuit, des Arabes riches peuvent être
est dû à l’initiative de la Compagnie de vus dans le casino, jouant aux petits chevaux
Biskra et de l’Oued-Rihr ; entièrement avec des visages immobiles, legmatiques,
édiié dans le goût mauresque, il rappelle en prenant leurs gains et leurs pertes avec
Albert Ballu, Paris,
ça et là les meilleurs morceaux des palais une égale indiférence55. » Et Hautefort Exposition universelle
d’Ahmed-bey [dernier bey de Constan- d’ajouter : « Les salons de jeu ne sont pas de 1889, pavillon de
tine], d’Hassan-Pacha [près de la mosquée uniquement fréquentés par les hiverneurs l’Algérie, façade latérale.
Archives nationales
Ketchaoua à Alger] et même de l’Alhambra parisiens, anglais ou russes, l’aristocratie de France.
de Grenade. L’éminent architecte Albert
Ballu donna les plans de ce véritable joyau
architectural. Inauguré en 1893, le casino de
Biskra est aujourd’hui presque totalement
construit. M. Sarrazin, l’architecte délégué
des Beaux-Arts à Timgad, surveille l’achève-
ment de l’aile nord, réservée à un splendide
hôtel, où les touristes trouveront bientôt,
dans l’enceinte même du Dar-Diaf, toutes
les commodités modernes53. »
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

Le porche du casino est constitué par une


arche de douze mètres ornée d’une cou-
ronne de carreaux de faïence ; une petite
antichambre ouvre sur un grand espace
sous une coupole imposante, avec un
plafond à caissons en stuc. Parfaitement
conservé, le sol en mosaïque, aux tesselles
rose pâle et de marbre ocre, s’inspire d’un
modèle italien (les artisans qui l’ont élabo-
rée étaient probablement des Italiens de
l’entreprise Rodari Frères)58. Des photogra-
phies des années 1920 montrent que les
propriétaires utilisaient cette salle comme
un café, avec des tables et des chaises et, à
l’occasion, comme salle de bal. En montant
les escaliers, le public gagnait les galeries
équipées de balustrades en bois inement
travaillé avec des entrelacs « mauresques ».
Collection Idéale, P.S., musulmane apporte autour de la table À l’extérieur, l’absence d’une tour-minaret
92. Algérie. Ouled-Naïls oblongue la note pittoresque des turbans témoigne d’une certaine sensibilité au
de Biskra, carte postale,
vers 1905. Sydney, et des burnous de pourpre. En dépit de la contexte culturel ; au Royal Hôtel, en re-
collection DORA. règle sacrée, caïds, aghas et cheiks, sont ini- vanche, une tour-belvédère de 28 mètres de
Les femmes sont tiés au coup Giraud et au coup Camus56. » En haut est clairement copiée sur les minarets
assises sur les marches
à l’entrée du casino efet l’islam interdit les jeux d’argent, même maghrébins de plan carré.
de Biskra, avant si la passion locale pour les jeux de cartes,
une représentation et les dominos en particulier, est toujours
au théâtre.
manifeste dans les espaces publics et les
cafés des Ziban. La fréquentation du casino
de Biskra par des chefs de tribu algériens
est évoquée dans le ilm hollywoodien The
Sheik, de 1921, avec Rudolph Valentino (les
56. Hautefort, 1897,
p. 117-118. décors s’inspirent visiblement de la rue des
Ouled-Naïls et du casino).
57. Ibid, 1897, p. 115-116.

58. Pizzaferri donne Le théâtre du casino, étroit et long, avec ses


des informations sur
ces entreprises de
cent cinquante sièges, possédait un pros-
construction actives à cenium avec trois arcs outrepassés de style
Biskra, vol. 1, p. 342.
« oriental » derrière la scène. Jusqu’à l’aube
de l’Indépendance, ce théâtre accueillait des
Salle principale de concerts, des vaudevilles montés en Europe,
l’ancien casino de Biskra. ainsi que des attractions locales, principale-
Septembre 2015, ment des spectacles de danse donnés par les
photo de l’auteur.
Soigneusement femmes Ouled-Naïls, accompagnées par des
restaurée par le instrumentistes, ou des groupes de musiciens
ministère de la noirs57. Une photographie de Naïlates assises
Moudjahidine, cette
bâtisse est un « joyau » sur les marches du casino est l’un des très rares
du patrimoine biskri. documents montrant leur lien avec ce lieu.
Le cinéma
Dans les années 1930, les activités du ca-
sino sont en berne en raison de la chute
À l’Indépendance, en 1962, le casino est
abandonné par ses propriétaires, partis en
59. Mohamed Slimani a
fourni des précisions sur
le complexe monumental
du tourisme après le crash de Wall Street en Europe. Il devient la propriété de l’État, géré du casino après 1962 : « La
municipalité avait prêté
1929 et la Grande dépression qui s’ensuit, par la municipalité. Les jeux sont abandon- la bâtisse du casino au
sans oublier la crise politique en Europe, nés, incompatibles avec l’idéal de la nou- ministère des Anciens com-
battants (Moudjahidines)
avec la montée des fascismes en Allemagne velle République. en 1995, qui ont installé
et l’Italie. Le casino change de propriétaire : leur musée en attendant
la construction du musée
il est désormais dirigé par une famille juive La rénovation de la bâtisse au cours des actuel. Et c'est le ministère
locale, les Ayoun. Un cinéma en plein air est dernières années en a fait un lieu populaire des Moudjahidines qui a
fait les travaux de restau-
aménagé dans la cour et les jardins, au-delà pour des projections et des conférences, ration. Le Palace Hôtel a
du bâtiment principal. Ce cinéma est alors des spectacles, des réceptions ; ce « palais été occupé par l'Armée de
libération nationale à l'In-
géré de manière à ce que les Biskris moins du peuple » est considéré par son personnel dépendance de l’Algérie.
aisés ne soient pas les bienvenus. Après la comme un « joyau » parmi les bâtiments de Che Guevara est venu à
Biskra en 1963 ; il a été reçu
Seconde Guerre mondiale, en réaction à Biskra. Le ministère de la Culture a inancé dans cette bâtisse. En 1974,
cet ostracisme, la famille Ben Gana décide une restauration minutieuse de l’intérieur, c’est devenu le siège de la
nouvelle wilaya de Biskra.
de construire un second cinéma , le Rex, notamment la coupole et les stucs59. Après la construction du
pour satisfaire la communauté biskrite. siège actuel de la wilaya, la
bâtisse a été transformée
en Maison de la culture.
Donc le ministère de la
Culture a rénové Le Palace
Hôtel à deux reprises. »
43

Le Palace Hôtel devenu la Maison


de la culture
Une fois le casino achevé, la Compagnie
de Biskra et de l’Oued-Rhir se hâta de
construire un hôtel, la deuxième partie du
complexe ; son exécution a été supervi-
sée par un membre de l’équipe de Ballu à
Timgad, l’architecte Sarrazin. Dans un style
plus minutieux de « néo-mauresque », il a
d’abord été nommé le « dar diaf », mais on
peut supposer que l’incompréhension du
terme par les touristes a conduit à chan-
ger son nom en Palace Hôtel, avant 1900.
Comme le casino, la caractéristique princi-
pale de l’hôtel est une grande coupole sur
quatre étages, ornée d’arabesques en stuc,
et de vitraux.
Photo Combier, 850 Biskra, au Palace Hôtel, carte postale, vers 1910. Sydney,
collection DORA. Six touristes, un couple algérien (à droite) et autant de
chameliers, s’apprêtent à partir en excursion.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

Biskra, Palace Hôtel, le


hall, carte postale, vers Desmontrent
photographies du « salon mauresque »
les meubles incrustés, avec un
1910. Sydney, collection
DORA. Les chaises et
grand tapis et des tentures, dont une avec
les tabourets incrustés le sanctuaire de La Mecque, tandis qu’une
et peints doivent autre est un petit tapis de prière. Tout cela
provenir de Tunisie ou
des villages du nord
est antinomique avec les activités euro-cen-
de l’Algérie. trées de l’hôtel aichées en anglais à l’ex-
térieur : « Tea. Dancing. Jazz band. Lunch.
Dinner. Concert ».

Les principales salles de l’ancien Palace Hô-


tel ont été soigneusement restaurées et,
devenu la Maison de la culture, il est au-
jourd’hui l’un des bâtiments publics le plus
fréquentés à Biskra. Il accueille des exposi-
tions temporaires de photographie et d’art.
La salle à manger somptueuse de l’hôtel,
avec ses arcs outrepassés et festonnés, a été
subdivisée pour accueillir une petite biblio-
thèque, une salle de réunion et les bureaux
de l’administration.

Neurdein Photo, Palace Hôtel, salle à manger, carte


postale, vers 1905. Sydney, collection DORA. En bas,
la salle des fêtes restaurée, actuelle Maison de la
culture, septembre 2015. Photo de l’auteur.
L’hôtel de ville
de Biskra
Achevé en 1893 en même temps que le
casino qui se trouve un kilomètre plus au
sud en direction du Vieux-Biskra, l’hôtel de
ville est la construction la plus pittoresque
érigée par les Français. Dès les années
1860, la mairie dirigée par Jules Béchu
et ses successeurs avait occupé divers
petits bâtiments60.

Selon certains documents aux archives du


musée d’Orsay, la mairie a fait l’objet d’un
concours d’architecture, remporté par un
architecte français établi à Constantine, An- Deux grands lions de marbre rouge gardent Neurdein frères, Hôtel
dré Pierlot61. Pierlot, moins réputé qu’Al- chaque côté de l’entrée, derrière des de ville, Biskra, tirage
argentique, vers 1894.
bert Ballu, était plus baroque. Sa concep- grilles et des balustrades de fer inement Washington DC, Library
tion générale avait déjà été exposée au ouvragées62. » of Congress.
Salon de Paris en 1889 comme un Projet 45
d’hôtel de ville en Algérie. On doit une pre- La rélexion de Pierlot sur le projet et les
60.Voir Pizzaferri, 2011,
mière description du bâtiment, en anglais, exigences de ses clients est expliquée dans vol. 1, p. 358-361 sur
au Britannique Sir Alfred Pease, en 1893 : le texte qui accompagne une suite de plans, l’Hôtel de Ville.
« L’hôtel de ville est un édiice presque ex- des élévations et des perspectives, publiés
61. Salle de
travagant par sa grande taille et son dé- dix ans plus tard : documentation, musée
cor. Il est construit dans un style oriental « Abriter le plus possible les habitants d’un d’Orsay, boîte Pierlot,
André.
exagéré, mais l’apparence du bâtiment, édiice contre l’intensité des rayons du so-
avec sa cour, ses arcades, ses colonnes, leil et les protéger contre la chaleur sans 62. Sir Alfred Edward
Pease, Biskra and the
sa façade, le tout surmonté d’une grande intercepter la circulation de l’air, tel est le Oases and Desert of the
coupole blanche qui monte au-dessus de la diicile programme imposé à tout construc- Zibans : with information
for Travellers, London,
ville et brille de loin au milieu des frondai- teur aux colonies. S’inspirant du style et des 1893, p. 39.
sons vert foncé, est agréable et eicace. coutumes arabes, l’architecte de ce curieux
63. A. Raguenet,
monument a placé ses services autour d’un « Hôtel de ville, Biskra,
patio ou cour intérieure, sur lequel ouvrent Algérie », Monographies
de Bâtiments modernes,
toutes les portes de l’édiice. Les baies […] vol. 17, n°. 4 (1904-05),
qui éclairent les salles principales sont gar- p. 53 ; il continue : « Une
coupole très enlevée
nies d’un balcon couvert rappelant les mi- servant de campanile
radors espagnols et les moucharabys [sic] donne à la façade l’aspect
monumental qui convient
arabes, destinés à empêcher l’aveuglante à un édiice municipal.
lumière de pénétrer directement dans Devenue pendant ces
dernières années une
l’intérieur63. » station d’hiver très
fréquentée, Biskra avait
grand besoin d’un hôtel
de ville digne de sa
prospérité croissante. »
André Pierlot, architecte, Coupe transversale, dans
A. Raguenet, « Hôtel de ville, Biskra, Algérie »,
Monographies de Bâtiments modernes, vol. 17, n°. 4
(1904-1905), p. 51.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

André Pierlot, Façade


principale, dans A. a été exécuté sous la direction d’Auguste
Raguenet, « Hôtel de Vigliano, un entrepreneur venu de Batna.
ville, Biskra, Algérie »,
Monographies de
Bâtiments modernes, À l’époque coloniale, la mairie accueillait
vol. 17, n°. 4 (1904-1905), les fêtes civiles - une photographie des an-
p. 59. nées 1950 montre le cortège d’un mariage
français sur les marches65. Aujourd’hui, le
bâtiment est toujours au cœur de la com-
munauté et abrite le grefe de l’État civil. Les
fonctions administratives de la ville, deve-
nue plus étendue, ont été déplacées dans
les années 1990 dans la nouvelle mairie ou
APC, un bâtiment avec une cour intérieure
impressionnante et sept étages de galeries
à arcades66.

L’obsession de l’époque – lutter contre


un « excès de lumière » et la chaleur en
La paire d’armoiries est une curiosité de
l’hôtel de ville ; elle date de 1896, et se
64. Voir Albert Ballu, Le utilisant des solutions locales et faciliter la compose d’un palmier, d’une séguia, d’un
Monastère byzantin de
Tébessa. Paris : E. Leroux, circulation de l’air – n’est plus d’actualité à soleil couchant et d’un dromadaire. Cette
1897, et les dessins par l’ère de la climatisation. L’intérêt de l’édiice formule apparaît déjà sur les cartes de visite
Ballu et son équipe
reproduits dans Ahmed est mieux cerné par le bon mot des Biskris d’Auguste Maure, le photographe installé
Koumas et Chéhrazade d’aujourd’hui, que le bâtiment relète les à Biskra depuis les années 1870. La devise
Nafa, L'Algérie et son
patrimoine : dessins français diférentes époques de la domination im- latine : « Ieri solitudo, hodie civitas », « hier
du XIXe siècle, Paris : périale dans la région : romaine, byzantine, solitaire, aujourd’hui une cité » avait été
Éditions du patrimoine,
2003, p. 169-195. arabe, turque et française. adoptée par les autorités françaises. Elle est
ambigüe car elle suggère qu’avant la colo-
65. Martine Fuchs, Biskra En efet, la cour centrale fait référence nisation il n’y aurait rien eu d’autre à Biskra,
au gré des souvenirs,
Montpellier : Mémoire de au modèle des villas romaines, référence une oasis occupée sans discontinuer depuis
notre temps, 2005, p. 80. conirmée par les acrotères et les corniches. l’antiquité, qu’un Bédouin et ses chameaux
66. Visité grâce au La colonnade intérieure pourrait avoir pour se reposant sous un palmier solitaire. En
président de l'Assemblée modèle le grand monastère byzantin à 1955, ces armoiries étaient encore utilisées,
populaire communale
de Biskra (dénomination Tebessa que Ballu avait étudié64. La tour, comme le montre le tableau Biskra et ses
de la mairie), avec son dôme oblong, est le geste ex- palmeraies de Roger Chapelet, aujourd’hui
M. Azzedine Slimani.
centrique et théâtral du lieu. Une inscription dans le bureau du maire de Biskra, M. Azze-
gravée atteste que le travail de construction dine Slimani.

André Pierlot, architecte, Hôtel de ville, À gauche, les armoiries de Biskra, datées de 1896, hôtel
Biskra décembre 2013. Photos de l’auteur. de ville ; à droite, les armoiries de Biskra sur un tableau
de Roger Chapelet, daté de 1955. APC de Biskra.
Les grands hôtels

47

Iltels
est impossible de présenter ici tous les hô-
- plus d’une douzaine autour de 1914 -
sur l’axe principal de la nouvelle place de
Biskra. Le Sahara a complètement été refa-
CIM, Casino de Biskra,
carte postale, vers
1950. Sydney, collection
qui ont servi l’industrie du tourisme à Biskra. çonné en 1876-1877 avec l’ajout d’un étage DORA. Une des vues
On en retient cinq, caractéristiques de leur le dotant ainsi de cinquante chambres67. aériennes popularisées
époque respective : l’hôtel du Sahara, histo- Le Sahara, bien que fermé et abandonné par l’inluente
société CIM (Combier
rique, sur la « place de Biskra » (1858) ; l’Oa- aujourd’hui, se trouve en bonne place sur imprimeur Mâcon) ;
sis, où résidèrent Lavigerie et Gide (bâti vers la route principale, l’ancienne rue Berthe, à l’arrière-plan, un
1880) ; le Royal Hôtel, l’un des plus grands qui mène directement à la gare de Biskra. rassemblement sur le
marché aux dattes.
hôtels jamais construits au Maghreb (1892- À côté se trouve l’un des grands cafés de la
1894) ; le Transatlantique, emblématique ville, d’abord appelé le café du Sahara. Ses
d’un tourisme lié aux auto-circuits (vers tables ont migré en face, sur le terre-plein
1920), et enin les Ziban, d’une architecture du jardin public. L’hôtel du Sahara présen-
moderne propre à la nouvelle République tait aux touristes et voyageurs une colon-
algérienne (1968). nade décorative côté rue et, au-dessus, un
large balcon et des chambres donnant sur
Le premier établissement de standing est le jardin public (avec sa longue promenade à
67. Pizzaferri, 2011, vol. 2,
l’hôtel du Sahara, construit comme on l’a la française). Le djebel de l’Ammar-Khadou p. 6, énumère la liste
vu vers 1858, un bâtiment de plein-pied était visible au loin. des propriétaires.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

Léon et Lévy, Hôtel du L’intérieur pouvait s’enorgueillir d’une cour De catégorie moyenne, l’hôtel de l’Oasis, à
Sahara, la cour, Biskra aménagée en jardin avec des arbres fruitiers l’angle de la rue du Cardinal Lavigerie et de
(Algérie), carte postale,
vers 1905. Sydney, et des palmiers en pot, des fauteuils Tho- l’avenue du Général Mac Mahon, donnait
collection DORA. net et un escalier en spirale à double volée sur le jardin public et l’église Saint-Bruno.
menant aux chambres. D’anciennes cartes L’Oasis fut élevé « avant l’arrivée du train »
postales montrent des serveurs européens et sa construction « inancée par la SAISA
en tenues impeccables, les clients portant […] représentée par monsieur Amédée
des canotiers et des chapeaux melon ; un Chardonnet »67. Le cardinal Lavigerie a été
enfant blond en costume de marin prend la l’un de ses premiers clients, lorsqu’il venait
pose. À l’extérieur, dans la rue, on voit des prendre les eaux au Hammam Salahine ; il
Biskris : deux ou trois citadins en burnous logeait dans un appartement au niveau de la
blanc, un homme tenant deux dromadaires terrasse, le même appartement qu’occupa
pour des promenades, un spahi à cheval André Gide dont il donne une description
remontant la rue Berthe, et une calèche dans L’Immoraliste, en 1902.
68. Pizzaferri, 2011, vol.
2, p. 8. avec le sigle de l’hôtel.
49

Au départ, l’Oasis était un bâtiment à un La veuve Schmidt achète l’hôtel à la in Neurdein Frères, Biskra,
étage, semblable au Sahara, avec des ar- du XIXe siècle et le gère jusqu’en 1919. Peu l’hôtel de l’Oasis, carte
postale, vers 1910.
cades au rez-de-chaussée et une véranda avant la Première Guerre mondiale, elle Sydney, collection
à colonnade de soixante mètres de long fait ajouter un deuxième étage et l’en- DORA. On remarque le
au-dessus. Il se vantait de posséder quarante semble du bâtiment est « entièrement re- deuxième étage ajouté
par les propriétaires,
grandes chambres modernes. Compte tenu mis à neuf d’après les principes modernes la famille Schmidt,
de sa proximité avec le fort Saint-Germain de l’hygiène et rehaussé d’un étage d’où vers 1910 ; l’Oasis était
et le le cercle militaire sur la rue Berthe, l’on domine le panorama de Biskra et du le repaire préféré
des colons et des
l’Oasis et son restaurant semblent avoir désert70. » De retour du front en 1919, son militaires français.
été un lieu de rafraîchissement apprécié petit-ils, Lucien Schmidt, reprend l’Oasis
des militaires, comme en témoigne Isabelle avec succès jusqu’en 194671. Le bâtiment
Eberhardt. L’écrivain et journaliste russe, est démoli après l’Indépendence et le site
qui voyageait habillée en homme dans la est aujourd’hui occupé par les bureaux de 69. Isabelle Eberhardt
et Eglal Errera. Isabelle
tenue d’un tolba (jeune étudiant en théolo- la douane algérienne. Eberhardt : Lettres et
gie), a rencontré des oiciers supérieurs à Journaliers : Sept années
dans la vie d’une femme.
l’Oasis en juillet 1899, alors qu’elle cherchait Arles : Actes Sud, 1987,
un permis pour se rendre dans la zone mili- p. 83.
taire plus au sud69. 70. Avertissement sans
date, dans Pizzaferri, 2011,
vol. 2, p. 11.

71. Ibid., p. 8.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

Le Royal Hôtel (1892 – 1894)

Léon et Lévy phot,


Biskra, Royal Hôtel,
carte postale, vers
Lesqueentrepreneurs locaux avaient prédit
le prolongement de la ligne du che-
cour centrale. L’établissement occupe tout
un pâté de la ville sur quelque 150 mètres
1900. Sydney, collection min de fer de Batna à Biskra en 1888 sti- de long. Sa construction, achevée en 1895,
DORA. On voit la mulerait le tourisme. 300 touristes étaient a été inancée par u n proche parent du
façade principale, sur le enregistrés en 1884 ; leur nombre grimpa à comte Landon, « la comtesse Le Marois,
boulevard Mac Mahon.
Le Royal, qui visait une 8 000 par an en 1896. Aussi, le Royal Hôtel a née Landon de Longueville, « de ses deniers
clientèle de touristes été construit sur une échelle beaucoup plus personnel », comme il est spéciié dans les
anglais, a été l’un des grande que le Sahara ou l’Oasis, sur un site actes notariés »72 . La comtesse a embau-
plus grands hôtels
du Maghreb. de premier ordre, aujourd’hui occupé par ché deux hôteliers suisses professionnels,
la poste centrale de Biskra, un square et MM. Bottachi et Oelschläger, pour gérer
divers immeubles de rapport. Le Royal Hô- l’entreprise, la majeure partie du person-
72. Ibid., p. 25. tel est une énorme bâtisse de deux étages nel ayant été recruté dans le canton suisse
dans un style vaguement néo-mauresque, du Tessin73.
73. Ibid. dotée d’un grand jardin d’hiver et d’une
Àson apogée, le Royal Hôtel a fait l’objet
d’une communication intensive dans les
journaux ainsi que dans les guides français
et algériens ; la brochure en anglais van-
tait : « The leading establishment in Biskra
in connection with the famous Garden of Al-
lah » (référence est faite au best-seller de Ro-
bert S. Hichens, The Garden of Allah, publié en
1904). Outre ses installations luxueuses, l’at-
traction du Royal Hôtel était son belvédère
culminant à 28 mètres (environ sept étages),
le point de vue favori sur Biskra et sa région
pendant presque un siècle : « Le belvédère
de l’Hôtel Royal, 92 pieds de haut, ressem-
blant à un minaret (les visiteurs sont aimable-
ment admis), donne un excellent panorama
sur la ville et ses environs, plus agréable en Comme tous les hôtels de l’ère coloniale, le Royal Hôtel,
début de matinée ou au coucher du soleil, bâtiment du Royal Hôtel a survécu à sa fonc- Biskra, dépliant
publicitaire, Alger,
lorsque le Ammar-Khadou (« la joue rose ») tion, même si son emplacement au centre- après 1905. Sydney,
est baigné dans une lumière rougeâtre74. » ville militait contre sa survie. En février 1939, Collection DORA.
la comtesse de Ganay, ille et héritière de la
74.Baedeker, 1911, p. 281.
De nombreuses cartes postales et photogra- comtesse Le Marois, a vendu le bâtiment à
phies montrent au il des ans le panorama à deux hommes d’afaires qui l’ont converti 75. Ibid. 51
partir du belvédère, témoignant de la crois- en appartements et bureaux. Son utilisa- 76. Voir Abdelhamid
Zerdoum, Biskra dans la
sance urbaine de Biskra – au nord vers le tion par des forces militaires – italiennes 2e Guerre mondiale (1939-
Ammar-Khadou et l’avenue de Lacroix (avec et américaines – au cours de la Seconde 1945), Biskra : Comité des
fêtes de l’APC de Biskra,
la statue du cardinal Lavigerie), et au sud sur Guerre mondiale est documentée par Zer- 2015 ; voir aussi Pizzaferri,
la route de Touggourt, qui s’enfonce dans les doum76. Après l’Indépendance, les autorités 2011, vol. 3, p. 180-252.
palmeraies de Ras-el-Guerriah, Bab-Darb et algériennes ont décidé le réaménagement
Panneau en céramique
l’immensité du Sahara au-delà. du quartier et le Royal Hôtel a été démoli représentant le Royal
dans les années 1980. Aujourd’hui, sur la Hôtel sur la façade du
La tour du Royal Hôtel, surmontée d’une pe- façade du bureau de poste qui l’a partielle- bureau de poste principal,
avenue de la République,
tite coupole et d’un mât arborant un grand ment remplacé, un panneau en céramique à Biskra, décembre 2013.
drapeau français, a été largement inspirée rappelle le souvenir de l’ancien édiice. Photo de l’auteur.
par les minarets carrés et leurs merlons des
Ziban. Des cartes postales font découvrir
de nombreux autres espaces de l’hôtel,
de la terrasse à l’énorme salle à manger
aménagée pour servir les occupants des
111 chambres, sans oublier une chambre à
coucher richement décorée. Le Royal Hôtel
a particulièrement été recherchépar par les
touristes britanniques (même son nom latte
leur goût). Vers 1900, une des salles de récep-
tion a été transformée en chapelle anglicane,
desservie par un pasteur installé à Biskra75.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

A. Bougault, 48. Biskra,


minaret du Royal
Hôtel, carte postale,
vers 1905. Sydney,
collection DORA.
Le Transatlantique (vers 1920)

Biskra (Sud-Algérie),
Hôtel Transatlantique, le
restaurant et sa terrasse, 53
carte postale, vers
1940. Sydney, collection
DORA.

L’hôtel Transatlantique est encore debout,


en dépit de sa décrépitude. « Le Transat »,
Immédiatement après la Première Guerre
mondiale, un nouveau président du conseil
comme il est encore populairement appelé d’administration ayant un intérêt particulier
à Biskra, représente un autre moment de pour le Maghreb, John Dal Piaz, mettait en
77. Mohamed Fouad Idder
l’histoire de l’Algérie coloniale77. Il a été le place des circuits en automobile organisés et Alaeddine Belouar,
dernier grand hôtel à être construit à Biskra dans l’ensemble de l’Afrique du Nord78. « L’hôtel Transatlantique
de Biskra (historique,
avant l’Indépendance. Immitant le style lo- analyse stylistique) »,
cal, il faisait partie d’une chaîne hôtellière Des Citroën à six-roues permettaient de thèse de magistère en
architecture, université
fondée par la plus grande compagnie ma- prendre jusqu’à une douzaine de touristes Mohamed Khidher
ritime française, la Compagnie Générale et une petite équipe. Les circuits com- – Biskra, 2012-2013
[en ligne].
Transatlantique, gérée depuis Marseille par mencaient à Rabat sur la côte marocaine,
l’inluent entrepreneur, homme politique et passaient par les grandes villes de Fès, au 78. Charles Ofrey,
auteur, Jules Charles-Roux. La compagnie centre du Maroc et de Tlemcen dans l’ouest « L’Épopée des auto-
circuits nord-africains »,
avait pris conscience du bénéice qu’elle ti- de l’Algérie, puis progressaient vers Oran L’Algérianiste, n° 73, mars
rerait de construire ses propres hôtels pour et Alger avant de bifurquer vers le sud – à 1996, p. 48-59.
les touristes qui empruntaient ses lignes Ouargla ou Biskra – pour ensuite rejoindre
maritimes ; elle commença avec le coquet les villes côtières de Tunisie, avant le retour
hôtel Transatlantique à Tunis, vers 1900. en Europe. C’était une manière d’exploiter
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

Roger Broders, Cie. Gle.


Transatlantique Son père, Georges, avait publié un livre
« The Magic of Islam », sur l’architecture traditionnelle d’Alger en
North African Motor Tours. 1907 dans lequel il aborde la question de
Aiche publicitaire, vers
1930, Bridgeman Images. la prise en compte de la tradition locale
pour concevoir une architecture moderne :
« Ce qu’il importe par-dessus tout, c’est évi-
ter de créer des pastiches qui pourraient
plus tard, à la faveur de l’oubli de l’original,
passer pour de l’authentique et altérer ain-
si la source de nos inspirations. »80 Dans
certaines publications oicielles contem-
poraines, cette méconnaissance du passé
semble être efective81.

Le Transat de Biskra a été l’un des pastiches


les plus explicites de l’art de construire
dans le désert. Selon une étude récente
faite par de jeunes architectes de l’univer-
sité Mohamed Khider, le bâtiment fait de
nombreuses citations locales dans son dé-
cor82. La vitesse avec laquelle le bâtiment
a été érigé, l’embauche d’artisans locaux
la nouvelle réalité politique de l’Afrique du et l’emploi des techniques de construc-
Nord française, composée des trois États tion traditionnelles – tel que l’utilisation
après la mise en place du Protectorat au du bois de palmier pour certains éléments
Maroc, en mars 1912. de la structure et du pisé pour les murs ex-
térieurs – est une source de ierté locale83.
La Compagnie Transatlantique a engagé Sous l’apparence d’une casbah marocaine,
un certain nombre d’architectes familiers il dissimule un vaste jardin de palmiers, des
des conditions locales pour concevoir ces cours de tennis et un café avec terrasse.
nouveaux hôtels, soit une vingtaine en Les intérieurs, aujourd’hui vidés de leur
1930. Un architecte installé à Alger, Jacques mobilier mais ayant conservé leurs vitraux
79. Voir Rachid Ouahès,
« Guiauchain », dans Guiauchain, représentant la troisième et leur charpente intacts, font l’objet d’un
Pouillon (éd.), 2008, génération d’une famille d’architectes programme de restauration, certes coû-
p. 466-468.
longtemps active en Algérie79, déinit un teux, mais indispensable.
80. Georges Guiauchain, vocabulaire architectural vernaculaire
« Considérations
générales sur un style saharien qui a fait ressembler les hôtels
algérien », dans Alger, Transatlantique aux bâtiments de Tom-
1907, 2e édition, Alger :
Jourdan, p. 154. bouctou, avec des éléments rappelant les
grands forts berbères de l’Atlas marocain
81. Voir Biskra, (popularisés par les peintures de Jacques
des remparts de
civilisation, Alger : CDSP Majorelle). Jacques Guiauchain succéda
Éditions, 2009. à Albert Ballu comme architecte en chef
82. Voir Idder et Belouar, du gouvernement dans les années 1920.
2013, p. 41-46.
Jacques Guiauchain, architecte, hôtel
83. Idder et Belouar, Transatlantique, Biskra (vers 1920-1922), décembre
2013, passim. 2013. Photo de l’auteur.
L’hôtel les Ziban (1968)
Aulescours des dernières décennies, l’hôtel
Ziban a été l’établissement phare de
Biskra, et remplit des fonctions aussi bien
sociales que commerciales. L’hôtel reprend
le nom d’un établissement bien connu de
Biskra-Ville, le vieil hôtel des Ziban, rue du
Cardinal Lavigerie84. Bâti sur la route de
M’Cid après le jardin Landon, les Ziban est
une entreprise d’État. Au bord de l’oued
Zerzour, il est l’endroit où les ministres et
leur entourage descendent lors de leur
séjour dans le chef-lieu de la wilaya. Avec
une aile de chambres luxueusement réno-
vées, l’hôtel accueille aussi des hommes
d’afaires et même des familles princières
du Golfe, venues à Biskra pour la chasse
au faucon (en quête de l’outarde, un rare
gibier à plumes de la région).
Fernand Pouillon, architecte, hôtel les Ziban, Biskra
(1968), cour centrale et piscine, septembre 2015. 84. Sur l’hôtel des Ziban,
« l’ancien couvent des
55
Photo de l’auteur. Sœurs de la Charité [Sœurs
blanches] et des Pères
L’hôtel les Ziban était très impressionnant Blancs transformé en
en son temps85. Il a été construit en 1967- hôtel […] dans le style des
haciendas espagnoles »
1968 sur les plans de Fernand Pouillon, comme annexe du
le principal architecte français de l’après- Transatlantique entre 1920
et 1939, voir Pizzaferri, 2011,
guerre, qui a largement contribué à l’habitat vol. 3, p. 34. Aujourd’hui le
populaire en Algérie. Son bureau a conçu bâtiment sert de foyer aux
étudiants étrangers.
quelque trois cents projets et a réalisé des
programmes dans quarante-huit villes algé- 85. On peut regretter que
riennes, en deux temps : durant la période la plupart des chambres
ne semblent pas avoir été
1953-1956, puis en 1965-197886. rénovées depuis l’époque
de leur construction.
Pouillon avait reconstruit le côté ouest du 86. Voir la « Chronologie
Vieux-Port à Marseille, dynamité par les des projets d’architecture
de Fernand Pouillon,
Allemands avant leur retraite en 1944 ; il 1934-1984 », sur http://
conçut là son premier programme d’habitat www.fernandpouillon.
com/fernand_pouillon/
à grande échelle. De tels projets sont architecte/chronologie/
ensuite devenus sa spécialité. À Alger, qui chronologie.html.
a fait igure de champ d’expérimentation 87.Voir Stéphane Gruet,
architecturale et urbanistique, il a dessiné Fernand Pouillon, Humanité
et grandeur d’un habitat pour
les ensembles Dar es-Saada, Dar el Mahçoul tous, Toulouse : Editions
et le Climat de France dans les années 195087. Poiesis, 2013.

Fernand Pouillon, architecte, hôtel les Ziban, Biskra


(1968), vue sur la piscine et la coupole du hammam,
septembre 2015. Photo de l’auteur.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Architecture et urbanisme

Fernand Pouillon,
architecte, hôtel les ticulier. On distingue trois types : le décor
Ziban, Biskra (1968), des chambres et des grands espaces dus à
mur vitré, décembre Pouillon et son équipe, datant de la in des
2013. Photo de l’auteur.
années 1960 (comme le mur avec des cabo-
chons de verre massif insérés dans le bé-
ton) ; les tableaux de chevalet aux murs ; et
les œuvres d’artisanat. Parmi les tableaux,
on peut citer quelques grands panneaux
par B. Hadjhadj, des années 1980. Ils ont
pour sujets un rassemblement de cinq
femmes, un dinandier, une scène de chasse
à l’époque néolithique, inspirée sans doute
par les peintures rupestres du Tassili dans
le sud de l’Algérie88.

Dans les salles de réception de l’hôtel – le


Le projet de l’hôtel les Ziban s’inscrit dans restaurant, le café sous les arcades, l’es-
une initiative du président Boumedienne pace bar et télévision, l’accueil – on trouve
(arrivé au pouvoir en 1965) pour encoura- des copies de tableaux orientalistes, d’une
ger le tourisme en Algérie – « le tourisme qualité moyenne : d’après Étienne Dinet et
national » – ain de compenser le déicit du Gustave Guillaumet (Intérieur à Bou-Saada
tourisme étranger. Les recettes générées conservé au Musée national des Beaux-
par l’industrie pétrolière, après la décou- Arts d’Alger).
verte de vastes gisements dans le Sahara
en 1956, a permis à l’État de inancer de Enin, des vitrines présentent de la poterie
tels projets. Pouillon a construit plus d’une et de la vannerie traditionnelles de la ré-
vingtaine d’hôtels en Algérie, de Sidi-Fer- gion. Ce ne sont pas des pièces de musée,
ruch sur la côte méditerranéenne à Timi- à l’exception de deux énormes jarres (pour
moun et Tamanrasset (la lointaine capitale la conservation des denrées alimentaires)
touarègue). Il a aussi conduit des projets peintes avec des motifs kabyles. On ren-
à Bou-Saada, Ouargla et Laghouat. La plu- contre ce genre de décors dans d’autres
part de ces hôtels ont été construits pen- hôtels à Biskra (par exemple le Qods, en
dant l’expatriation volontaire de Fernand centre-ville). Ces décors font se souvenir
Pouillon, après qu’il ait purgé une peine de l’hôtellerie de l’époque 1900, où le Pa-
de prison en France. Il avait été alors in- lace Hôtel revendiquait ièrement l’artisa-
troduitauprès du nouveau gouvernement nat des bois incrustés de ses meubles et
algérien par l’ancien maire d’Alger, devenu les tissages ornant les diférents espaces.
88. Dès 1970 le peintre un ami personnel, Jacques Chevallier. Aux Ziban, le mobilier remonte aux années
Mohammed Khadda 1960-1980, et les pièces d’artisanat sont
soulignait l’importance
de cet héritage ancien Le décor de l’hôtel les Ziban tel qu’il se uniquement données à la contemplation
pour les arts plastiques présente aujourd’hui est d’un intérêt par- des clients.
modernes en Algérie.
En conclusion, on rappellera les propos de Mellaoui a gagné le Premier Prix national
l’historien de l’architecture maghrébine, d’architecture et d’urbanisme (prix du Pré-
Zeyneb Çelik, sur l’apport de Fernand Pouil- sident de la République) en 2015 pour ce
lon : « Son architecture en Algérie continue batiment90, où le concept du mouchara-
de contribuer à la recherche d’une syn- bieh est réinterprété à travers le motif du
thèse entre le modernisme et les idiomes palmier-dattier (avec un clin d’œil à la fa-
locaux historiques. Cette approche plu- çade du minaret de l’ancienne mosquée
rale, jugée en son temps trop traditionna- de Sidi Okba). Le secteur du tourisme est
liste, est considérée aujourd’hui comme devenu un des plus actifs chez les promo-
exemplaire89. » teurs et bâtisseurs à Biskra : voir l’énorme 89. Zeyneb Çelik,
projet « Les Jardins des Ziban » en construc- « Pouillon, Fernand »,
dans Pouillon (éd.), 2008,
On peut admirer dans un tel esprit cer- tion à l’extérieur de la ville. Une conscience p. 780.
taines constructions de l’architecture du patrimoine architectural peut puiser
contemporaine à Biskra – par exemple de pleinement dans le passé de cette ville 90.Voir Smail Mellaoui,
« Siège du Touring
l’architecte Smail Mellaoui, concepteur du vouée de très bonne heure à l’amélioration Voyages Algérie à Biskra »,
siège de l’agence Touring Voyages à Biskra. de la vie des voyageurs. YouTube, 17 avril 2015.

57

Smail Mellaoui, architecte, Agence Touring Voyages Algérie à Biskra, janvier 2014. Ce bâtiment a obtenu le
Premier Prix national d’architecture et d’urbanisme, décerné 2015.
H. Bouquet, Chemins de
fer P.L.M., Biskra, station
hivernale et thermale,
l’été tout l’hiver,
saison du 1er novembre
au 1er mai, vers 1895,
aiche lithographiée.
Marseille,
collection Baconnier.

Le tourisme
Biskra, sortilèges d’une oasis — Le tourisme

L’hydrothérapie et l’hivernage
Lademise à proit des conditions climatiques
la région a été une des raisons pour
les mois froids de l’hiver septentrional en
venant dans un endroit où le climat, entre
lesquelles les autorités coloniales ont voulu octobre et avril, est nettement plus doux.
étendre la ville de Biskra. Dès les XVIIIe et « Biskra : l’été tout l’hiver » était la devise
XIXe siècles, l’environnement de l’homme d’une aiche encourageant le tourisme
était considéré comme ayant une inluence hivernal. Les gens aisés des Ziban, les
sur sa santé. D’après les médecins, les ma- familles de notables ou les bourgeois
ladies respiratoires incurables, telles que la européens, fuyaient quant à eux, la chaleur
tuberculose, étaient liées à l’humidité et à extrême de l’été (les températures étant
1. Anonyme, « Biskra :
la pollution de l’Europe du Nord. Pour ces comprises entre 45 °C et 50 °C) pour se
station hivernale, pathologies, il était recommandé de s’ex- réfugier sur la côte constantinoise, par
thermale, climatique,
touristique », dans Les
poser au soleil et de se rendre dans des exemple à Philippeville (Skikda). Ceux qui
stations françaises, lieux à l’atmosphère tiède et sèche. C’est restaient – résidents et soldats – étoufaient
vol. 9, novembre-
décembre 1936, p. 58-59.
pour cela que l’Afrique du Nord – l’Égypte sous la chaleur pendant cette période. Les
Le médecin militaire dans un premier temps, puis l’Algérie et la maisons en pisé et les horaires adaptés les
Sériziat publia un rapport
complet sur Biskra et
Tunisie – est devenue une destination phare protégeaient : les soldats de la caserne
la santé en 1865 (Cette pour les malades qui voyageaient sur ordre ne sortaient pas entre 10 et 15 heures. La
année-là, Napoléon III
visite Biskra). Sériziat
de leur médecin1. mise en place d’une grande turbine à glace
recommanda que les rattachée à la centrale électrique apporta
bains soient déplacés vers
Biskra-Ville – un projet qui
Ce climat est également un atout pour les un peu de confort au XXe siècle.
devait attendre plus d’un personnes en bonne santé. Ils évitent ainsi
siècle avant d’être réalisé.

Thermes de Hammam
Salahine, fontaine
chaude, Biskra (Algérie),
carte postale, vers
1905. Sydney, collection
DORA. Écrit à l’encre :
« Cette vue vous repré-
sente l’établissement de
bains où Papa est allé
soigner ses douleurs ».
Lesditerranée
soins par hydrothérapie existent en Mé-
et en Europe depuis l’Empire
romain, qui comptait de grands bâtisseurs
et mosaïstes à l’origine du perfectionnement
des installations du caldarium, du tepidarium
et du frigidarium. L’histoire des bains dans
le monde arabe est riche elle aussi. Outre
le rôle que le hammam joue dans les ablu-
tions en lien avec la pratique religieuse, il est
également recommandé par les médecins
Publicité pour le Hammam Salahine, Biskra, dans Algérie hivernale, organe
arabes pour le traitement de diférentes af- des stations hivernales et thermales de l’Algérie et de la Tunisie, n° 2,
fections, physiques et mentales, et ce dès 5 septembre 1896. Paris, Bibliothèque nationale de France.
le IXe siècle. Comme chez les Romains, il joue
un rôle social important, pour les femmes et
les hommes. En revanche, le bain n’est pas
un lieu portant atteinte aux bonnes mœurs le démontre Éric Jennings, il existait au XIXe 2. Merci à Éric Delpont
comme il était perçu en Europe à la in du siècle un régime spéciique pour les oi- pour ces précisions
sur les bains dans le
Moyen Âge2. ciers des colonies malades et leurs familles monde arabe.
(surtout ceux en poste en Indochine) ; ils
3. Eric T. Jennings,
S’appuyant sur cette tradition algérienne, étaient envoyés dans un réseau de stations Curing the Colonizers.
les entrepreneurs ont essayé d’imposer la thermales en France, en Algérie et en Tunisie, Hydrotherapy, Climatology,
and French Colonial Spas,
même culture des bains de grand luxe qu’en et plus particulièrement à Vichy, à Korbous
Europe, prenant pour modèles ceux de Ba- sur le golfe de Tunis, et à Hammam-R’hira à
Durham : Duke University
Press, 2006. 61
den-Baden, Aix-les-Bains ou Bath. Comme l’ouest d’Alger3.

Anonyme, Fontaine
chaude à Biskra, tirage
argentique, vers 1880.
Courtoisie Photo
Vintage France. Le
bâtiment ancien a été
réaménagé par l’armée
française, vers 1857.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Le tourisme

Anonyme, « À la fontaine
chaude », vers 1890,
tirage albuminé, page
d’album. Courtoisie
Photo Vintage France.
Construction de
l’édiice néo-mauresque
du Hammam
Salahine, Biskra.

4. Dr. Dicquemare, Biskra a toujours été un lieu où les gens


venaient « prendre les eaux ». Situé à sept
En 1890, la Compagnie de Biskra et de
l’Oued-R’rirh (CIBOR) obtient du gouver-
« Biskra comme station
hivernale et station kilomètres de l’oasis de Vescera, l’antique nement le droit d’exploiter les bains avec un
thermale », Revue Ad Piscinam a été pour les légionnaires bail de 99 ans5. La compagnie érige un bâti-
d'hygiène thérapeutique
1894, février (p. 34-46) romains un endroit où ils soignaient leurs ment en pierre de style teinté de néo-mau-
et mars (p. 67-80), blessures. Pour les Arabo-musulmans, ce resque devant les bains déjà existants, sur
et Dr. H. Weisgerber,
« Biskra et Hélouan. Deux lieu devient Hammam Salahine (« le bain des la pente où jaillit la source. Une photogra-
stations hivernales et sanctiiés »). Le site comprenait plusieurs phie amateur montre les murs de pierre en
thermales de l’Afrique du
Nord », Revue d'hygiène étangs d’eau chaude en plein air, et une construction, et la grande curiosité que cela
thérapeutique, 1896, source d’où jaillissait une eau à 46 degrés suscite auprès des résidents locaux.
p. 146-157.
avec un débit de 45 litres par seconde. Il ne
5. La CIBOR était la reste aucune trace du bâtiment datant de Cette construction s’ajoute à l’ancienne pis-
plus grande société l’époque ottomane. cine, qui « a été conservée, mais est réser-
commerciale française
des Ziban. Elle fut fondée vée aux baigneurs indigènes, qui trouvent
en 1878 par MM. Fau et En 1896, une étude médicale compare à côté les bâtiments d’exploitation, salle
Fourreau, qui achetèrent
d’énormes terrains au Biskra à la station thermale égyptienne de de repos, café, qui leur sont nécessaires »
sud, dans l’oued R’hir, Hélouân. Le Dr. Weisgerber décrit le com- 6
. Le bâtiment neuf possède huit petites
avec l’intention d’y forer
des puits artésiens et d’y plexe bâti par l’armée d’Afrique : « Les pre- piscines de 1,5 mètre sur 4, chacune avec
planter des palmeraies ; miers travaux datent de 1857. On creusa un sa propre « salle de repos ». Les salles d’hy-
voir Pizzaferri, 2011, vol. 3,
p. 142-149 pour davantage bassin rectangulaire qu’on couvrit d’un toit, drothérapie comprennent des « douches
de renseignements. et le tout fut entouré d’un bâtiment où l’on en pluie, en cercle, en jet, douches pha-
6. Weisgerber, 1896, installa des chambres pour les oiciers, les ryngiennes, douches de face, salle d’in-
p. 153. soldats et les indigènes, un logement pour halation, etc. »7. Avec cette installation, la
7. Weisgerber, 1896,
le gardien et une écurie » 4. Compagnie espérait attirer une nouvelle
p. 154.
63

catégorie d’hiverneurs européens. Ceux-ci en chantier le casino et son hôtel (Dar Diaf Neurdein Phot. Environs
de Biskra, établissement
se sont jetés sur l’oasis dès que la ligne fer- devenu le Palace) à Biskra-Ville, et a mis en thermal de la fontaine
roviaire a été terminée. Biskra recevait 300 place une hippomobile de type Decauville chaude, carte postale
touristes en 1879, 350 en 1883, et en 1895 pour relier les deux sites. Cette hippomobile vers 1900. Sydney,
collection DORA.
leur nombre était multiplié par vingt. La ville desservait Biskra-Ville et le Vieux-Biskra, et
accueillit jusqu’à 8 000 touristes par an8. terminait son parcours devant le nouveau
8. Anonyme, « Au pays
café-restaurant, Le Petit Robinson9. La ligne saharien », L’Algérie
À Korbous et Hammam-R’rhira, de grands entre le marché de Biskra et les villages du hivernale, n°. 2,
5 septembre 1896, p. 14.
hôtels ont été construits près des com- Vieux-Biskra a été plus fréquentée que celle
plexes de bains. Les sept kilomètres sé- menant au Hammam Salahine. Dans l’Inté- 9. Voir Pizzaferri, 2011,
vol. 3, p. 33 ; ce bâtiment
parant Biskra-Ville de Hammam Salahine rieur de tramway de 1933, Henri Clamens était à l’origine le mess
ont freiné le développement de Biskra qui dépeint un large éventail de la population des oiciers français
stationnés dans l’ancien
n’a jamais atteint la popularité escomptée. locale, notamment des femmes tenant fort ottoman. Pendant
Comme l’acte de cession entre le gouver- leurs bébés et leurs enfants, probablement l’hiver 1897, une
hippomobile relia les
nement et la CIBOR stipulait l’installation en route vers le Vieux-Biskra. stations Biskra-Robinson,
d’hôtels in situ, la Compagnie a alors mis le Vieux-Biskra et la
Fontaine-Chaude, voir
Hurabielle, 1897, p. 48, et
Ottan, 2006, p. 37.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Le tourisme

Lespetite
eaux de Biskra pouvaient être bues en
quantité, mais le bain et les mas-
Carthage en Tunisie (et dont une énorme
statue domine Biskra-Ville de 1900 à 1962),
sages aux jets constituaient les principaux sera un adepte de la saison jusqu’à sa mort
modes de traitement. Les guides détaillent à Alger, en novembre 1892.
la composition chimique des eaux de la
source10, et mentionnent les diférentes Les écrits, qu’ils soient scientiiques ou
maladies qu’elles sont censés guérir : « les littéraires, nous renseignent peu sur les
maladies de peau, rhumatismes, afections pratiques corporelles des curistes au Ham-
10.« Cette source,
d’un débit de 150000 de la gorge, utérines, du tube digestif et mam Salahine. La touriste australienne
litres à l’heure et la constipation « opiniâtre », dysenterie Kate Cunningham Hume inscrit d’une
d’une température
de 46 degrés, a un chronique, blessures de guerre et tuber- façon laconique dans son journal en dé-
bouillonnement gazeux culose » 11. En dehors de la profession médi- cembre 1904 : « Après le déjeuner, suis
très intense et une forte
odeur sulhydrique. Une cale, la population locale avait son propre allée en tram avec les Arabes aux Bains
quinzaine de piscines point de vue sur les propriétés curatives Chauds. Pris bain de soufre, délicieux !
sont construites autour
d’un grand bassin. des eaux. Nesbitt note le contraste entre Promenade buttes. Considéré pierres et
L’analyse a montré que les alentours de Hammam Salahine, qu’il dépôt de sel. Tram ouvert de retour à 5. Un
les eaux de la Fontaine-
Chaude renferment les décrit comme « une scène de désolation to- vent froid. Ai écrit un peu, parlé à M. Sich
acides sulhydrique, tale, volcanique et sombre », et la pratique sur l’Australie et les cartes échangées. Fis
chlorhydrique et silicique,
de la chaux, de la des femmes arrivant avec de grands pa- valises jusqu’à 11. Bien dormi » 14.
magnésie, de la soude et quets sur la tête et qui, après la cérémonie
du chlorure de sodium.
Elles sont excellentes du bain, mettent des vêtements propres Les bains sont également très peu repré-
pour les afections puis lavent toutes sortes de tapis et autres sentés dans la peinture ou dans la photo-
cutanées, pour les
afections rhumatismales draperies brillantes et colorées dans les graphie, à une exception près : un cliché
et goutteuses, et aussi eaux chaudes ; elles étendent ensuite les pris par Antoine Alary d’une douzaine de
pour les engorgements
viscéraux. Cette source tissus sur le sol et rendent ainsi ce terrain femmes Ouled-Naïls qui se baignent dans
est appelée à faire la sauvage plus gai12. l’un des deux petits bassins en plein air,
richesse de Biskra, car les
Européens s’y rendront plus ou moins dévêtues, près du Ham-
par milliers… » ; Marius André Gide, soigné par le Dr Dicquemare mam Salahine. La photo suggère qu’elles
Maure, Guide de Biskra
et ses environs, Biskra : à Hammam Salahine en 1893, conservera n’étaient pas autorisées à pénétrer dans
Maure, sans date (vers par la suite l’habitude de se rendre aux les installations ordinaires, et conirme
1906), p. 27-30.
bains chauds lors de ses séjours à Biskra. qu’elles se séparaient rarement de leurs
11. Citation dans Abdelaziz Il a peu écrit sur les bains mais les qualiie pesantes coifures.
Ghozzi, L'Aiche
orientaliste : un siècle
de « morne » 13. Dicquemare, « médecin de
de publicité à travers la la colonisation » et également maire de Le protocole des bains était, on présume,
collection de la Fondation
A. Slaoui, Casablanca :
Biskra, publie en 1894 des études com- le même que celui d’un hammam algérien
Malika Editions, 1997, paratives entre le climat de Nice et celui aujourd’hui. Le curiste échangeait ses vê-
p. 38.
de Biskra, montrant que ce dernier est en tements ordinaires contre une robe ou
12. Nesbitt, 1906, p. 82. moyenne plus chaud de six degrés pendant une serviette fournie par l’établissement.
l’hiver par rapport à celui de la célèbre sta- Après un bain chaud, il se faisait masser vi-
13. Voir les références
brèves dans Gide, « Le tion méditerranéenne. goureusement les membres à l’aide de ser-
renoncement au voyage, viettes, par un masseur pour les hommes
1903-1904 », Amyntas,
p. 171, 193. La douceur du climat et les bénéices du ou une masseuse pour les femmes.
Hammam Salahine sur sa santé défaillante,
14. Katie Cunningham
Hume, notation du 4
expliquent la présence du cardinal Lavi-
décembre 1904, Diary, gerie à Biskra, après sa retraite en 1890.
UQFL10 Item AB/32, Fryer
Library, University of
Le célèbre prélat, alors archevêque de
Queensland, Brisbane.
65

Henri Clamens, Intérieur de tramway, 1933, gouache sur papier, 66 x 51 cm. Bordeaux, musée des Beaux-Arts, dépôt du Centre Georges
Pompidou, Musée national d’Art moderne/CCI, Paris (inv. AM 2202 D, legs de Mme Frédéric Lung en 1961).
Antoine Alary,
Ouled-Naïls aux bains,
Biskra, vers 1860, tirage
sur papier albumi-
né. Paris, collection
Serge Kakou.

Complexe thermal du
Hammam Salahine, route
de Batna, Biskra. Pho-
to Algerie-Monde.com.
Au XIXe siècle, lorsque le rapport à la nu- ce système en lançant la construction du
dité était plus contraint qu’aujourd’hui, le complexe moderne thermal de Hammam
bain dans la section européenne se prenait Salahine sur un site au nord de la ligne ferro-
probablement en sous-vêtements. Aucune viaire Touggourt - Biskra. Ce complexe ther-
image picturale ou littéraire de l’orienta- mal, qui commence à montrer des signes du
lisme voyeuriste que les bains d’Istanbul temps, comporte trois hôtels, une suite de
ou ceux du Caire avaient suscités n’existe bains et des bâtiments de physiothérapie ;
pour Biskra, et je doute qu’il n’y en ait jamais il comporte également des installations
eue. Le discours médical milite contre cette sportives de plein air, des restaurants et
association du bain à un espace érotique. un théâtre de 600 places15. Il constitue une
destination majeure pour les touristes, cu-
L’idée d’amener les eaux à la population, ristes et congressistes algériens. Le vieux
par des tuyaux allant de Hammam Salahine bâtiment de 1890 a été quant à lui démoli
à Biskra, ne s’est pas concrétisée à l’époque – sans raison selon l’avis de certains Biskris
coloniale. Après l’Indépendance, vers 1975, – quand les eaux thermales ont été détour-
le gouvernement du président Houari nées vers la ville.
Boumediene a investi massivement dans

Le tourisme et Biskra-Ville 67
« Je ne sais où vont les touristes ; je pense Les remarques d’André Gide, méprisantes
que les guides attitrés leur préparent une à l’égard des touristes et des colons, re-
Afrique de choix pour débarrasser des lètent la préoccupation constante de la
importuns les Arabes, amis du secret et de ville : comment divertir les visiteurs venus
la tranquillité ; car je n’en rencontrai jamais s’aventurer dans ce qui était essentielle-
un seul près d’une chose intéressante ; ni ment une communauté agricole et militaire.
même, et fort heureusement, que bien ra- La solution a été trouvée avec la mise en
rement dans les anciens villages de l’oasis, œuvre de ce que nous appelons aujourd’hui
où je retournais chaque jour et inissais par le tourisme environnemental et culturel, et
ne plus efaroucher personne. Pourtant, l’attraction permanente des bains chauds.
les hôtels sont pleins de voyageurs, mais ils Les bains ont donné l’idée d’un casino – il
tombent dans les lacis de guides charla- en existait déjà un à Hammam R’rhira près
tans, et paient très cher les cérémonies d’Alger – mais cet ensemble était quasiment
falsiiées qu’on leur joue. » unique en Algérie. L’installation d’un casino
était culturellement inappropriée dans un
André Gide, Journal, 189616 pays où la religion dominante interdit les
jeux d’argent. Mais le casino a également
ofert aux touristes la possibilité de se ren- 15. Voir : http://www.
contrer pour converser, prendre le thé, et hammam-salihine.com/
index.html.
se divertir le soir venu : les danses de salon
et les représentations théâtrales investis- 16. André Gide, « Feuilles
de Route : Biskra » [1896],
saient le petit théâtre du casino. dans son Journal, 1948,
p. 83.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Le tourisme

Ces établissements ont également été fré- casino au XXe siècle, surtout après que ses
quentés par les résidents dont le nombre gestionnaires aient engagé un producteur
allait croissant à Biskra, et ils ont été promus pour programmer des groupes venant d’Eu-
par les dirigeants locaux ainsi que par des rope et d’Alger17. Cependant, jusqu’en 1946,
entrepreneurs extérieurs. Pizzaferri four- le casino restera inaccessible aux Algériens,
nit une documentation circonstanciée sur à l’exception des notables.
17. Pizzaferri, 2011, vol. 3,
les musiciens – groupes de jazz, orchestres
p. 20-23, d’Amérique latine – qui se sont produits au

Déjeuner au Royal Hôtel,


servi dans le célèbre
jardin d’Allah, Biskra.
Ces déjeuners ont lieu
une fois par semaine en
saison. Carte postale
envoyée le 22 mars
1912. Sydney, collection
DORA. On reconnaît
la grande allée du
jardin Landon.
Le quotidien dans les hôtels
Laettradition de l’hospitalité – ofrir un toit
un repas aux voyageurs, ainsi qu’à
ville nouvelle, de nombreux fondouks furent
déplacés dans les quartiers ouest et nord
leurs montures et leurs troupeaux – était de la ville, autour du boulevard Carnot. Ce
bien ancrée dans cette partie du monde : sont des enceintes dont les parois et les bâti-
comme en attestent les célèbres fondouks ments sont en brique crue. On les voit sur les
qui, à l’époque ottomane et bien avant, photographies prises depuis la colline vers
étaient situés à proximité du « fort turc » Beni-Mora (voir le tableau de Maurice Denis,
dans le Vieux-Biskra. Avec la création de la Le Caravansérail à Biskra).

Au temps de Gustave Guillaumet on ne


comptait qu’un ou deux hôtels à Biskra-
Ville. L’hôtel le Sahara a été le premier à être
construit vers 1858 sur les principes de l’ar-
chitecture moderne ; il est agrandi dans les
années 1880. La construction de l’immense
Royal Hôtel a quant à elle été dépendante
de l’arrivée du chemin de fer, tant pour le
transport des matériaux et du mobilier que
pour celui de sa clientèle.
69
Il est important de rappeler que les hôtels
avaient une activité saisonnière, sauf pour
l’hôtel de l’Oasis ; ils ouvraient en octobre,
étaient surpeuplés de février à mars, puis
fermaient durant les mois les plus chauds,
d’avril à octobre. Le guide Baedeker explique
que l’Oasis est « fréquenté par les Français »
et dirigé à la manière française. 18. Baedeker, 1911,
p. 279 classe deux hôtels
comme établissements
Quelle était la vie dans ces grands hôtels ? de luxe : le Royal (5 à
20 francs par nuit) et le
Baedeker référence seulement le Royal Hô- Palace (7 à 20 francs). Les
tel et le Palace comme des établissements de hôtels les plus modestes
étaient compris entre 3
luxe ; le Sahara, l’Oasis et les Ziban, qui don- et 7 francs pour le Sahara
naient tous trois sur le jardin public, étaient et entre 3 et 5 francs pour
l’Oasis ; les tarifs de l’hôtel
plus modestes mais confortables18. L’hôtel des Ziban étaient entre
Victoria (ainsi nommé en l’honneur de la 2,5 et 5 francs. Le Guide
Joanne de 1930 aiche 5
reine d’Angleterre), assez proche de la gare, catégories pour les hôtels
était bien équipé et se targuait d’installations et mentionne un nombre
d’établissements neufs
modernes « dans le goût anglais »19. À côté et modestes.
se trouvait l’hôtel Terminus, bâti après 1900.
19. Sur l’hôtel Victoria,
voir Pizzaferri, 2011, vol. 3,
p. 31-33.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Le tourisme

Collection Idéale, Biskra, Royal Hôtel, une chambre à coucher, carte postale envoyée en décembre 1906.
Sydney, collection DORA.
20. Gide, L’Immoraliste,
p. 40 ; il est intéressant d’y
ajouter le commentaire
de Sir Alfred Pease :
Dl’appartement
ans son roman L’Immoraliste, Gide décrit
de deux pièces qu’il oc-
1893. Hamid Grine, dans son roman Le Café
de Gide, dont le héros cherche à retrouver
« L'Hôtel de l'Oasis cupa au début des années 1890 à l’Oasis. Il les repaires du célèbre auteur et Prix Nobel,
[…] ne peut être s’attarde sur la terrasse qui donnait sur la trouve lors d’une visite en 2002, que le bâ-
recommandé pour les
familles anglaises, mais végétation luxuriante du jardin public : « Je timent de l’ancien Oasis, bien que toujours
les messieurs qui ne fus complètement séduit par notre home. debout, est laissé à l’abandon ; la terrasse
peuvent pas se permettre
les tarifs plus élevés dans Ce n’était presque qu’une terrasse. Mais qu’afectionnait Gide est à peine reconnais-
les autres hôtels peuvent quelle terrasse ! Ma chambre et celle de sable21.
être assez à l'aise ici, en
pension, à 8,50 fr par Marceline [la femme du narrateur] y don-
jour. Les repas sont pris naient ; elle se prolongeait sur des toits. L’on Lors de son sixième séjour à Biskra, à l’hi-
dans le restaurant public
où il y a un café ; il est voyait, lorsqu’on en avait atteint la partie ver 1903-1904, Gide et son épouse mènent
un peu bruyant, et les la plus haute, par-dessus les maisons, des une existence plus bourgeoise. Le couple
installations sanitaires
ne sont pas bonnes. » palmiers ; par-dessus les palmiers, le désert. descend au luxueux Royal Hôtel (à l’instar
Biskra and the Oases and L’autre côté de la terrasse touchait aux jar- de l’écrivain anglais Robert Hichens qui,
Desert of the Ziban : with
information for Travellers, dins de la ville ; les branches des derniers mi- au même moment, faisait des recherches
Londres : Edward mosas l’ombrageaient ; enin elle longeait pour son roman The Garden of Allah) 22. Sur
Stanford, 1893, p. 23.
la cour, une petite cour régulière, plantée une carte postale d’une grande chambre
21. Grine ignore de six palmiers réguliers, et inissait à l’es- du Royal Hôtel, on remarque l’absence de
sûrement que l’étage
où était probablement calier qui la reliait à la cour. Ma chambre toute référence au cadre ou à l’identité
l’appartement de était vaste, aérée ; murs blanchis à la chaux, maghrébine. Le mobilier, du lit à baldaquin
Lavigerie/Gide, a été
ajouté à l’Oasis vers rien aux murs ; une petite porte menait à la aux fauteuils tapissés et au tapis Axmins-
1910, lors des travaux chambre de Marceline ; une grande porte ter, tout est européen (contrairement à
menés par la propriétaire,
Mme. Veuve Schmidt vitrée ouvrait sur la terrasse 20. » l’ameublement de style mauresque que
(à qui succéda son ils Ballu et Sarrazin dessinent pour le Palace
Lucien après 1920) ; voir
Pizzaferri, 2011, vol. 3, Gide notera plus tard que cette petite suite Hôtel à la même époque). Le décor de
p. 8-11. avait été aménagée pour le cardinal Lavi- cette chambre témoigne de la prépondé-
22. Voir Robert Hichens,
gerie vers 1888, et lui avait été oferte en rance des touristes britanniques à Biskra.
Yesterday, 1948.
Alexandre Bougault, Biskra, Grand café glacier, carte postale, vers 1910. Sydney, collection DORA. Le Grand café glacier se trouvait rue du
Cardinal Lavigerie, près de l’hôtel del’Oasis ; on voit l’arcade géométrique de l’hôtel des Ziban sur la gauche.

Les Anglais ne sont jamais déracinés, dit Gide, Deux cafés cotés se trouvaient à côté des
car ils transportent avec eux leurs « racines ». grands hôtels du Sahara et de l’Oasis ; ils fai-
saient partie intégrante de la vie sociale des 71
« Dans la chambre de Lady W*** on ne se touristes, des oiciers et de l’élite biskrite :
sent plus à l’hôtel. Elle emporte en voyage le café du Sahara et le Grand café glacier.
des portraits de parents et d’amis, un tapis Le Sahara se trouvait rue Berthe, après les
pour sa table, des vases pour sa cheminée arcades de l’hôtel éponyme, en direction de
[…] et dans cette chambre banale elle vit la gare. Ses tables étaient disposées sous
sa vie, à son aise et fait sien chaque objet. les arbres en face, dans le jardin public (cet
Mais le plus étonnant c’est qu’elle a su se emplacement privilégié en fait le café pré-
faire une société. féré des hommes d’afaires et des artistes
d’aujourd’hui). Les serveurs (des Européens
Nous étions quatre ménages français, en tablier blanc) devaient traverser la rue
chacun évoluant à part des autres, chacun qui était assez calme avant l’essor de la cir-
discret, courtois, mais vivant comme en pé- culation automobile.
nitence à l’hôtel. Les Anglais, au nombre de
douze, sans se connaître auparavant, sem- Le Grand café glacier, sur l’autre axe du jar-
blaient des gens qui, s’étant attendus, se din public, rue du Cardinal Lavigerie, était
retrouvent. Confortablement débraillés le à l’origine une dépendance de l’hôtel de
matin, fumeurs de pipes et vaquant à divers l’Oasis. Le « Glacier » comme on l’appelait,
travaux ; le soir, en souliers brillants, en ha- joua un rôle consacré par la littérature dès
bits, corrects et “gentlemen”. La conquête 1930. Truphémus, par exemple, lui dédie un
du salon de l’hôtel leur fut facile23. » chapitre pour fustiger les touristes fortunés
au proit des yaouleds, ces jeunes mendiants
et cireurs de bottes qui constituent d’après 23. Gide, Amyntas, 1906,
lui une véritable « confrérie » [khouan]. Dans p. 174-175.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Le tourisme

le récit, le vieil aveugle Laouer et son petit Une photographie de Bougault montre à
guide Kaddour, deux mendiants de pro- merveille ce petit monde du café glacier – à
fession, prennent pour cible les touristes l’exception des mendiants et des yaouleds.
prenant l’apéritif : La mise en scène semble artiicielle avec
ces deux Algériennes aux côtés de bour-
« Les tables du Café glacier étaient pla- geois européens et de trois notables lo-
cées dehors, sous les arcades, et sur un caux. À l’époque, les femmes restaient au
terre-plein semé de in gravier, parmi les harem et ne sortaient pas ainsi. Il s’agirait
premiers arbustes des allées Berthe [...] À ici d’une jeune juive (à gauche), ou d’une
vingt mètres du Glacier, une odeur compo- courtisane (qui lirte avec le jeune homme à
sée de mimosas, de tabac d’Orient et d’ani- l’arrière-plan). Vers 1910, le Glacier se vantait
24. Albert Truphémus, sette vint chatouiller les narines neuves de d’être un « music-hall » couplé à une salle
Les Khouan du Lion
Noir. Scènes de la vie
Kaddour [...] Ils commencèrent leur tournée de cinéma. Le mot allemand « Kursaal » de
à Biskra, 1931, ré-éd. lente entre les tables, parmi les civils en toile l’enseigne signiie « casino » – donc on peut
Gérard Chalaye, Paris :
L’Harmattan, 2008,
blanche et les dames qui avaient des peaux supposer qu’il y avait à l’intérieur au moins
p. 48-49. de bêtes autour du cou24. » une table de jeu pour les touristes qui ne
voulaient pas faire les cinq cents mètres les
séparant du casino de Biskra.

Le jardin Landon

Léon et Levy, Biskra,


entrée du jardin Landon,
carte postale vers
1905. Sydney, collec-
tion DORA. L’entrée
principale, face à l’oued
Zerzour, est tou-
jours préservée.
73
LeBiskra-Ville
site touristique le plus important à
était sans conteste le grand
somme d’argent tout à fait dérisoire, non
seulement plusieurs hectares de terre culti-
Neurdein Frères,
Environs de Biskra,
propriété Landon, carte
jardin fondé vers 1872 par l’aristocrate fran- vable mais de nombreuses parts sur les postale vers 1905.
çais, le comte Albert Landon de Longueville. eaux d’irrigation. Le commandant Rose et Sydney, collection
Après une première visite pour se soigner le maire Jules Béchu voyant en la personne DORA. L’étrange
colonnade à gauche
aux bains du Hammam Salahine (lors de du comte Landon, venu en 1877 [sic] faire semble s’inspirerdes
la saison 1866-1867), le jeune comte, dont une cure thermale à Hammam Salahine, ruines d’aqueducs
la famille venait du canton de Bénévent l’homme providentiel pour la communauté romains qui sont visibles
dans les Aurès.
l’Abbaye dans la Creuse, en Limousin, entra européenne à cause de la manne inancière
bientôt en pourparlers avec les autorités qu’il représentait, lui facilitèrent largement
coloniales25. Pas un seul récit français sur la résidence dans l’oasis de Biskra.
ce célèbre jardin n’explique comment l’aris-
tocrate a fait pour obtenir un lot de terres C’est ainsi que pour la modique somme
fertiles si étendu (soit 12 hectares) situé de 4 000 francs (soit l’équivalent de 1 600
entre le Vieux-Biskra et la nouvelle ville, réaux, soit un prix d’achat plus bas que celui
longeant l’oued Zerzour. de la dot d’un mariage indigène bourgeois)
le comte Landon dépouilla les gens de la
C’est le Biskri Abdehamid Zerdoum qui ex- bourgade de M’Cid (Ouamane, Houhou,
plique comment cette parcelle de terre fut Boauacid, Dali, etc.) d’une supericie de 13
soumise à une vente forcée par les autorités hectares située dans la zone proche du for-
municipales et militaires qui voulaient à tout tin militaire du Sud26. »
prix attirer ce noble fortuné. Zerdoum re- 25. Zerdoum, Les Français
à Biskra, 1998, p. 43.
late : « Le comte Landon acquit pour une
26. Ibid.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Le tourisme

Anonyme, Le comte Albert Landon de Longueville (à l’extrême gauche) avec des visiteurs, dont deux notables
arabes debout, au jardin Landon vers 1890, tirage argentique, 13,8 x 18,3 cm. Nice, collection Gilles Dupont.

Landon s’intéressait beaucoup à la bota-


nique et recevait, paraît-il, les conseils
Le contraste entre ce témoignage et les
clichés des guides touristiques est frappant.
de Georges Hardy, l’éminent agronome Dans le Guide Joanne publié par Hachette
français qui dirigea le Jardin d’essai d’Alger (1930) on peut lire : « C’est un magniique
(dont une modeste pépinière fut établie enclos d’une dizaine d’hectares créé par
très tôt par les militaires à Béni-Mora). le comte Landon de Longueville (actuelle-
Néanmoins, Zerdoum atteste de « l’arro- ment à la comtesse A. de Ganay), où sont
gance » du comte dans ses relations avec cultivées avec le plus grand soin et avec
27. Ibid., p. 44. Il note
que le comte Landon les Biskris, surtout les gens qui travaillaient succès les essences les plus diverses : lau-
s’est approprié de l’eau pour lui. Il avait l’habitude de se faire porter riers blancs et roses, glycines et belombras,
en faisant « une sorte
d’écluse et deviendra en autour du jardin sur un palanquin hissé par cyprès, hibiscus et bougainvilliers. On a réel-
peu d’années propriétaire quatre jeunes Noirs, les ils de sa cuisinière. lement l’impression de visiter une “ serre
du plus important volume
d’eau (8 loukzas sur 15) Zerdoum concède que « le Jardin d’Allah en plein air ”28. »
destiné à l’alimentation […] est un magniique apport écologique
de la population Msidie
(personnes, animaux, et environnemental, mais rien n’efacera André Gide, dans L’Immoraliste (1902), ne
végétaux). » la honte du maître d’ouvrage pour l’avoir s’appesantit pas sur le jardin Landon, sauf
28. Guide Joanne, 1930,
édiié par la contrainte exercée sur les pai- pour mentionner le banc du parc sur lequel
p. 287. sibles habitants du faubourg de M’Cid » 27. le héros, Michel, va s’asseoir pour y lire des
75
Neurdein Frères, Biskra, propriété de M. Landon de Neurdein Frères, Biskra, propriété de M. Landon
Villeneuve. Le Grand salon, dans Neurdein Frères, de Longueville, grande allée conduisant au salon,
Biskra [album photographique], Paris, vers 1900, tirage argentique, vers 1890. Courtoisie Photo
courtoisie Photo Vintage France. Vintage France.

heures entières. Ce sont plutôt les vergers “ dollars ” [...] J’y vois aussi les personnages
du Vieux-Biskra qui enchantent Gide, avec de Gauguin [...] Par une inéluctable sug-
leurs beaux adolescents joueurs de lûte gestion, le moindre palmier [...] fait rêver
et gardiens de troupeaux. En 1903, il écrit à quelque autre pays où cette végétation
à propos du jardin Landon : serait encore plus naturelle29. »

« Oui, ce jardin est merveilleux, je sais – et Plus que Gide, c’est Robert Hichens, jour-
pourtant il ne me plaît guère. Je cherche à naliste et romancier anglais, qui dès 1904
m’expliquer pourquoi. Peut-être, à cause produit une image puissante du jardin dans
du soin même avec lequel il est entretenu la littérature populaire. En 1911, John Foster
29. Gide, Amyntas, 1906,
(dans les allées sablées pas une feuille ne Fraser concède que « Les hôteliers et les p. 172-174.
traine à terre) ; rien ne m’y paraît naturel commerçants de Biskra devraient ériger
30. John Foster Fraser,
[…] Ici je vois irrésistiblement des person- une statue en or à M. Hichens, ou lui donner The Land of Veiled
nages de Jules Verne ; ils fument des lon- une rente de vingt mille francs par an. Il est Women. Some Wanderings
in Algeria, Tunisia and
drès [cigares de la Havane pour le marché le fabricant de ce Biskra d’aujourd’hui, et a Morocco. Londres :
anglais] ; ils ne disent pas ˝ francs ˝ mais apporté beaucoup d’or à la ville30. » Cassell, 1911, p. 128.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Le tourisme

The Garden of Allah, en Dans The Garden of Allah (dont il n’y a pas qui reprend un dicton arabe, le « jardin d’Al-
Technicolor, produit par de traduction française), une jeune aven- lah » signiie le désert ; mais le public a im-
David O. Selznick, aiche
de cinéma. Courtoisie turière et aristocrate anglaise, Domini En- médiatement associé le jardin botanique
SinemaTürk. ilden, visite Biskra avec sa servante. Elle au nom divin.
prend pour guide un jeune poète arabe,
Larbi, et rencontre un comte italien, Ferdi- Pour des raisons diiciles à apprécier au-
nand Anteoni, qui possède un magniique jourd’hui, ce roman eut un succès phéno-
31. Voir Robert S. Hichens, jardin, lieu des intrigues romantiques qui ménal et en 1912 il en était à sa vingtième
The Garden of Allah,
Londres : Methuen, 1904 suivent. Hichens donne en efet des des- édition. La première adaptation au théâtre,
(en ligne), chapitre 5. criptions séduisantes du jardin, surtout à présentée au Century Theater à New York,
32. Voir Robert
la tombée du jour31. Domini s’échappe vers fut suivie de près par Hichens, qui se rendit
Hichens, Yesterday : the le désert avec un mystérieux Russe, Boris à Biskra pour étofer la mise en scène32. Il
Autobiography of Robert
Hichens, Londres : Cassell,
Androvsky, qui se révèle être un moine y eut trois adaptations au cinéma en 1916,
1947, p. 168-174 ; voir trappiste qui a renoncé avec violence aux 1927 et 1936. La dernière est de David O.
aussi Cezar Del Valle,
« The Garden of Allah on
vœux qu’il a prononcés au monastère de Selznick, avec Marlene Dietrich dans le
Stage and Screen », sur Staeouli. Dans le grand désert, l’Anglaise et rôle de la jeune « amazone » Domini, et le
Theatretalks.blogspot.
com.au, consulté le 13
l’Italien trouvent l’amour… Dans le roman, Français Charles Boyer dans celui de Boris
juin 2016.
Androvsky. Cette production hollywoo-
dienne fut le deuxième ilm à être tourné en
« Technicolor ». Des scènes spectaculaires
dans le désert furent ilmées en Arizona,
et celles ayant pour cadre « Béni Mora »
(c’est ainsi que Hichens a renommé Biskra),
furent tournées sur des backblocks à Hol-
lywood vaguement inspirés par Biskra. Le
mythe du Garden of Allah prenait dès lors
son envol : en 1927, un palais sur Sunset
Boulevard, de style « espagnol colonial »,
devint rapidement un hôtel qui fut ainsi
baptisé. Le « Garden of Allah Hotel » de-
meura une adresse célèbre jusqu’à sa dé-
molition en 195933.

Pourtant, dans la petite ville bien éloignée drogués36. Pourtant Grine rapporte que Jardin Landon, entrée
de Biskra, l’appellation « Le jardin d’Allah » l’un de ses contemporains biskris, un re- et bâtiments principaux
au crépuscule, octobre
a remplacé celle de « Villa Bénévent » sur traité, a agi pour sauver le parc en entre- 2015. Photo de l’auteur.
le portail d’entrée du jardin Landon34. Des prenant un lobbying auprès des autorités
déjeuners en plein air y étaient organisés locales et nationales. Cette entreprise fut
par le Royal Hôtel, « The leading hotel in couronnée de succès, car lorsque je me suis
connexion with the Garden of Allah ». Pen- rendu à Biskra en 2013, le jardin Landon 77
dant une grande partie de l’époque colo- était fermé pour d’importants travaux de
niale, le jardin Landon resta interdit aux rénovation entrepris par une société de
non-Européens et aux colons de condition paysagisme algéro-italienne. En septembre
modeste – il fallut attendre l’administration 2015, le jardin avait rouvert sous la direc-
33. Voir « Garden of
du maire Jules Msellati en 1946 pour que tion d’un agronome algérien, il est dans Allah Hotel », Wikipédia,
les agréments du jardin fussent mis à la un état admirable. Les séguias sont bor- consulté le 13 juin 2016.
disposition de la population musulmane, dées de pierres de rivière, et les chemins
34. Comme en atteste une
ceci après que les propriétaires, les ils de ont été restaurés d’après le dessin original carte postale non datée,
la comtesse de Ganay, eurent accepté de du XIXe siècle. L’eau cristalline, provenant visible sur Delcampe.com.
vendre le domaine à la ville de Biskra35. À d’un puits artésien se trouvant dans une 35. Zerdoum, Les Français
partir de 1946, le jardin Landon était ouvert zone protégée en face de l’entrée, coule à à Biskra, 1998, p. 46-47, où
Auguste et Marius sont
à tous, mais il s’étiola peu à peu. travers le système de séguias. Aujourd’hui, cités pour avoir critiqué
cet aspect du patrimoine biskri est à nou- la politique élitiste du
comte, qui a également
En 2002, Hamid Grine décrit dans son ro- veau vivant, le grand parc botanique étant exclu ses co-religionnaires
man l’état déplorable du jardin. La plupart fréquenté par les familles, les travailleurs chrétiens peu fortunés
du jardin.
des arbres étaient morts ou moribonds ; à l’occasion d’une pause, les étudiants et
le parc était dangereux pour les familles, les touristes. 36. Voir Hamid Grine,
Le Café de Gide, Alger :
étant devenu un repaire de buveurs ou de Éditions Alpha, 2009,
p. 146-150.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Le tourisme

Les excursions

Photomontage
anonyme, La visite au
gourbi, article « La saison
Undans
programme d’excursions touristiques
le désert secret se met en place à
çait toujours avec une escorte de soldats,
sur l’insistance du chef militaire de Biskra,
à Biskra », Fémina, 1905, Biskra. Comme on l’a vu, les premiers ar- le commandant Saint-Germain37. Après les
p. 95. Sydney, collection. tistes-peintres, notamment Fromentin et soulèvements de 1871 et la rébellion d’El
DORA. Le couple à droite
a certainement été ajouté Guillaumet, voyageaient beaucoup dans Amri en 1876, les Ziban connaissent une
sur la photo du gourbi les environs de Biskra et dans les Ziban. La longue période de paix. Cette relative sé-
par la suite. beauté du désert a été magniiée par le cé- curité a été la condition nécessaire à l’essor
37. Le commandant
lèbre ouvrage de Fromentin, Un été dans progressif du tourisme.
Saint-Germain perdit la vie le Sahara (1857), mais il est important de
dans la bataille de Sériana
au nord-est de Biskra,
rappeler que le peintre-écrivain se dépla-
en 1849.
Le désert devient un champ d’expérience née jusqu’aux dunes de l’ouest ». Après une
esthétique pour tous les peintres venus longue attente, les dromadaires et leur guide
à Biskra ; même Matisse disait qu’il visita arrivent. Les dames « veulent enfourcher leur
Biskra « ain de voir ce que c’était que le bête ; mais le portier de l’hôtel, les garçons
désert ». Pour sortir de la ville et de son oa- d’étage, tous les indigènes de service les re-
sis, Matisse it une des excursions les plus tiennent avec efroi et font barrage autour
fréquentées : celle de Biskra à Sidi Okba, des chameaux ». S’ensuit alors toute une pan-
un trajet de vingt-quatre kilomètres qu’il tomime de coups, de cris et d’ordres : « tous
fallait faire soit en calèche, soit à dos de s’entendent pour faire croire aux touristes
dromadaire (pour les braves) ou à cheval (et que leur insigniiante promenade constitue
Matisse était un cavalier expérimenté) 38. une périlleuse épopée39. »

La photographie est le médium privilégié De nombreuses photographies amateurs


pour garder le souvenir de ces courtes ex- inédites présentent des couples d’Euro-
cursions. Deux photos assez convention- péens aux abords de Biskra, comme par
nelles, prises au début de l’essor du tou- exemple un monsieur et sa femme se
risme (en 1886, avant l’arrivée du train), faisant photographier dans les fameuses
montrent un groupe d’Anglais se faisant « dunes d‘Oumach », à quinze kilomètres
photographier par Auguste Maure. La au sud, entourés d’une demi-douzaine de
tenue très correcte des trois hommes et chameliers et de guides. Une des séries
des trois jeunes femmes, fait penser à un les plus intéressantes a été prise par un
groupe de gens fortunés (le grand monsieur couple de riches Américains accompagné
sur la gauche avec son casque pourrait être par un Biskri aisé faisant oice de guide 79
le comte Landon de Longueville). ou drogman, peut-être un notable, de la
région (à en juger par sa tenue distinguée
Une carte postale éditée vers 1910 montre et son turban à cordelettes). Utilisant le
38. Matisse, lettre à
une compagnie de sept touristes euro- « Vérascope Richard », un appareil stéréos- Georges Rouault, datée
péens à dos de dromadaires devant le Pa- copique français, ces photos captent l’am- Collioure, 30 août
1906, dans Jacqueline
lace Hôtel. Les excursionnistes sont deux biance de ces excursions : à cheval dans Munck, Matisse-Rouault :
hommes portant un casque colonial et cinq le djebel d’El Kantara, à côté d’une séguia Correspondance, 1906-
1953 : Une vive sympathie
dames protégées par des voiles de mousse- dans le Vieux-Biskra, Madame et son guide d'art, Lausanne :
line ; debout, un colon en costume paraît di- devant l’ancien fort turc, ou encore dans la Bibliothèque des arts,
2013, p. 18.
riger l’expédition (peut-être M. Bougault, le rue des Ouled-Naïls40.
frère du photographe, qui établit un service 39. Truphémus, 1931,
p. 48-49.
touristique à Biskra vers 1905, qui deviendra Il y eut un nombre surprenant de visiteurs
ensuite le syndicat d’initiative de la ville). aristocratiques et royaux à Biskra, dont les 40. Anonyme, série des
Parmi les Biskris, on remarque un factotum, noms et titres ont été notés avec soin par les vues stéréoscopiques
“Vérascope Richard”, vers
un jeune vendeur de dattes et de boissons, guides et les auteurs modernes41. Le tsare- 1905, au George Eastman
et cinq chameliers assis à même le sol. vitch russe – le ils du tsar – et son entou- Museum, Rochester
(New York), inv. 89 :
rage visitent l’oasis dans les années 1890. 1537 : 0448-0468.
Albert Truphémus fait une amusante satire Les Ben Gana invitent souvent des hôtes de
41. Pour une liste des ex-
d’une scène semblable devant l’hôtel du marque, soit dans leur villa moderne, pas aristocrates propriétaires
Sahara pendant la saison : « Des Anglaises in- loin de l’hôtel de ville sur l’avenue Carnot, à Biskra, voir Zerdoum,
Les Français à Biskra, 1998,
trépides, casquées de blanc et cravatées d’un soit sous des grandes tentes lors de récep- p. 46.
long cheich de mousseline, s’étaient levées tions organisées probablement au champ
42. Voir L’Afrique du Nord
à l’aurore pour entreprendre une randon- de courses voisin, à Béni-Mora42. illustrée, spécial Biskra, 28
février 1925, p. 11.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Le tourisme

Prouho Photographie, Biskra, à l’Hôtel Palace, carte postale, vers 1910. Sydney, collection DORA. Une « cara-
vane » de touristes devant l’actuelle Maison de la culture.

Pendant les années 1920, le tourisme devient Salahine continuent à susciter l’intérêt des
de plus en plus organisé. Les randonnées en visiteurs. On se déplace souvent en auto-
automobile à six roues sont populaires (en mobile particulière, et on se loge, quand
partie à l’initiative de la compagnie Transat- cela est possible, chez des parents plutôt
lantique) 43. Pizzaferri publie même des pho- qu’à l’hôtel.
tos de campements de ces auto-randonnées
avec des tentes très correctes, de modèle Toutefois, un aspect du tourisme de luxe
militaire. Ces tentes remplissaient sans doute subsiste : celui de la chasse au faucon. On
des fonctions séparées : tente pour le cou- a toujours chassé à Biskra – cette activi-
43. Voir Charles Ofrey,
« L’Épopée des auto- cher, la cuisine, la douche, etc., tout comme té avait une fonction sociale qui devint
circuits nord-africains », dans les safaris africains d’aujourd’hui44. une tradition très prisée chez les berbé-
L’Algérianiste, n°. 73, mars
1996, p. 48-59 [en ligne]. rophones et les arabisants. Pendant la
Avec la crise des années 1930 et la faillite période coloniale, les Européens chas-
44. Voir Pizzaferri, 2011, du tourisme de prestige, ces randonnées en saient dans les Aurès (l’hôtel Bertrand à
vol. 3, p. 80, 86-95.
automobiles se font de plus en plus rares45. El Kantara a été un haut-lieu de la chasse
45. Écrivant en 1930, Après l’Indépendance, le tourisme natio- au fusil) et le désert. Les grands fauves ne
Truphémus (p. 116)
déclare : « Depuis la nal algérien des années 1960-1970 prend s’aventuraient plus dans les Ziban, mais il
guerre, Biskra perdait d’autres formes. Le besoin de voir le désert y avait beaucoup de gibier. Dans Au pays
chaque année des
centaines de touristes. pour les Algériens, dans leur propre pays, des palmes, on peut lire : « la plaine est le
Les Allemands ne est moins évident. Mais la visite des sites refuge des lièvres et des gazelles, et l’on
venaient plus ; les Anglais
ne venaient guère ; les et des monuments se perpétue : les palme- peut, en gardant l’afût, tirer le chacal et
hôteliers perdaient de raies des Ziban, les gorges et le pont romain la hyène. Le moulon si recherché, et d’une
l’argent : les guides, les
yaouleds, les loueurs de d’El Kantara, le village troglodyte de Roui chasse à la fois si intéressante et si ardue,
bêtes crevaient de faim. » (exploité dès 1920 par l’hôtel Transatlan- est assez fréquent dans les montagnes du
46. Hautefort, 1997, p.102-
tique), et surtout les bains du Hammam sud-Constantinois » 46. Le gibier des plaines
103.
Auguste Maure, Biskra, mars 1886, tirage albuminé. Nice, collection Gilles Dupont. Un groupe d’excursion-
nistes britanniques ou américains, arrivés par la diligence.

regroupe les outardes, les perdrix et les de fête, le bachagha organisait ce type
cailles. Pour la chasse aux gazelles, « les de chasse, avec des lapins ou des lièvres 81
indigènes, excellents rabatteurs, indiquent comme proies, au champ de manœuvres
les gîtes probables et le chasseur peut de Beni-Mora. Un chroniqueur exprime sa
poursuivre sur un cheval rapide la bête qui désapprobation sur l’organisation d’une
bondit sur le sable et fuit avec une extrême chasse au faucon pour les touristes aus-
rapidité dans l’espace sans limite » 47. si contrefaite.

Il est intéressant de noter que cette chasse De nos jours, la chasse au faucon se pra-
organisée pour les touristes rejoint la tra- tique toujours, avec pour centre l’hôtel les
dition locale, ainsi que la culture aristocra- Ziban à Biskra. Mais au XXIe siècle, les chas-
tique du désert. Les cheiks et les grandes seurs sont surtout de riches Arabes venus
familles, qui possédaient des terres impor- des pays du Golfe, comme les membres
tantes, chassaient à courre depuis toujours de la famille royale saoudienne qui se dé-
avec des fusils, des sloughis, et surtout placent à bord de Land Cruiser blancs. La
avec les faucons. Cette partie de la vie des chasse la plus cotée est celle de l’outarde
47. Ibid. p. 100-101.
grandes plaines a bien été saisie par Fro- « houbara », un oiseau endogène du Ma-
mentin dans ses tableaux, et ses émules ghreb, dont la viande est consommée pour 48. Voir Wikipédia,
« Houbara bustard/
tardifs comme Adolf Schreyer, George ses vertus aphrodisiaques. L’outarde se fait Chlamydotis undulata »,
Washington et Henri Rousseau. Maintes de plus en plus rare, bien qu’elle soit pro- consulté le 6 janvier 2016.
photographies de l’époque montrent les tégée par la législation algérienne depuis 49. Voir « Braconnage :
fauconniers des Ben Gana – deux ou trois 200648. Jusqu’à récemment, sa chasse est Un Émirati et un Saoudien
arrêtés pour chasse
cavaliers qui portaient les oiseaux de proie souvent restée impunie49. illégale à l’outarde »,
encapuchonnés sur leurs turbans. Les jours Algérie-focus, 24
novembre 2015, http://
www.algerie-focus.
com/2015/11/131546/.
Biskra, sortilèges d’une oasis — Le tourisme

L’avenir du tourisme dans les Ziban et sur-


tout à Biskra paraît prometteur. Un syndi-
cat d’investissement, géré par des gens de
la région, est en train d’achever un grand
projet, « Les jardins des Ziban », à l’extérieur
de la ville, au-delà du campus de l’université
Mohamed Khider. Cet ensemble ambitieux
comprend plusieurs piscines, des hôtels de
trois ou quatre étoiles, des salles de cinéma,
des restaurants, et un parc d’attractions50.
Ainsi, on modernise l’infrastructure hô-
telière de Biskra, alors qu’on dénonce en
même temps le manque d’installations pu-
bliques dans la capitale de la wilaya. Comme
on l’a vu, au centre ville, quelques grands
50. Voir : https://www. hôtels de l’époque 1900 – le Sahara et sur-
youtube.com/watch ? tout le Transatlantique – sont abandonnés
v=mX9Ksp4pf3o, consulté
le 10 janvier 2016. ou dans un état de décrépitude. C’est à
l’avenir et aux autorités algériennes de dé-
51. Sur Tanger, voir Roger
Benjamin, « Matisse et
cider de leur restauration, comme cela a
l’hôtel Villa de France : été fait pour le Saint-Georges par exemple,
Hommage et rénovation »
dans Qantara. Magazine
devenu le superbe hôtel El Djazaïr à Alger,
des cultures arabe et ou le grand hôtel Villa de France à Tanger,
méditerranéenne (Paris),
93, automne 2014,
qui vient d’être rénové avec soin par un
p. 62-66. entrepreneur iraquien51.

Auguste ou Marius Maure, Chasse au faucon, Biskra,


vers 1880, tirage argentique. Nice,
collection Gilles Dupont.
83
Anonyme, Peintre travaillant près d’El Kantara, vers 1885. Roger-Viollet, Paris (inv. 3153-16).

La peinture
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

Aujourd’hui la nature a remplacé le paysage historique, et les


peintres se sont aperçus qu’il y avait d’autres hommes que les
modèles d’académie ; la Vapeur tant maudite, comme bourgeois
et prosaïque, les a emportés au vol d’hélice ou de la roue… et
le Sahara voit maintenant se déployer autant de parasols de
paysagistes qu’autrefois la forêt de Fontainebleau.

Théophile Gautier, Salon de 1859.

Eugène Fromentin
Eugène Fromentin,
Chasse au Faucon, 1863,
huile sur toile,
Eugène Fromentin est une personnalité
fondamentale pour les arts visuels en Al-
séjours à Alger, Constantine, Batna, Biskra
et dans les Ziban ; et en 1852-1853, quand il
108 × 73 cm. Norfolk gérie : il a en quelque sorte ixé les conven- est resté un mois à Laghouat – une aventure
(U.S.A.), Chrysler tions de la description de la vie des grandes qui inspira Un été dans le Sahara (écrit en
Museum of Art, don de
Walter P. Chrysler Jr.,
étendues du Tell et du pré-Sahara, ce qu’il 1854 et édité chez Calmann-Levy en 1857) 3.
(ne igure pas appelait « la vie patriarcale » des tribus en Il a relaté abondamment ses voyages dans
dans l’exposition). marche, des chefs montés à cheval, la vie de longues lettres, des carnets de voyage,
sous les tentes et la chasse au faucon. Fro- et bien entendu ses deux livres, Un été dans
mentin a été l’un des rares civils à visiter la le Sahara et Une année dans le Sahel (1859).
région des Ziban dès l’occupation initiale par Le peintre-écrivain franchit les portes du
l’armée française, entre la prise de Biskra en désert à El Kantara pour la première fois
1844 et le siège de Zaatcha en 1849. Dans en 1848 (moment qui donna naissance au
la garnison de cinq cents hommes à Biskra, célèbre passage d’Un Été dans le Sahara).
certains oiciers dessinaient au crayon ou à Il passe sept semaines dans les Ziban avec
1. Aristide Merdalle, l’aquarelle, comme ce chirurgien aide-major son ami parisien, le peintre et futur pho-
reproduit dans Pizzaferri qui a laissé une esquisse de la « Casbah de tographe, Auguste Salzmann. Les deux
2011, vol. 1, p. 134.
Biskara » en 1848 (voir le chapitre « Archi- Français voient davantage du pays que ce
2. Voir Nicolas Schaub, tecture et urbanisme ») 1. Mais on n’a pas qui allait être la norme dans la période de
Représenter l'Algérie.
Images et conquête au encore retrouvé de témoignages dessinés pleine expansion du tourisme. Fromentin a
XIXe siècle. Paris : CTHS de l’arrivée du duc d’Aumale et de ses co- le privilège d’être introduit chez les grands
Éditions, 2015, et John
Zarobell, Empire of lonnes, ou du massacre entre les troupes chefs de la région car le commandant
landscape : space and algériennes et françaises dans la nuit du 12 Saint-Germain, son hôte à Biskra, voulait
ideology in French colonial
Algeria, University Park : mai 1844. Ce sont des évènements diiciles faire aux deux « gentlemen » de Paris les
Pennsylvania State à représenter – et de fait les artistes colo- honneurs du pays par l’intermédiaire du
University Press, 2010.
niaux ne s’intéressaient qu’aux victoires, cheik el-Arab, récemment remis au pouvoir
3. Son livre Une année pas aux défaites2. par les Français. Leur pérégrination revêt
dans le Sahel parut en
1859 ; voir Fromentin,
un caractère diplomatique et ils sont logés
Œuvres complètes, Fromentin fait trois voyages en Algérie : en comme des hôtes d’honneur dans la smalah
Guy Sagnes (éd.),
Paris : Éditions de la
1846 à Alger et Blida ; en 1847-1848 avec des de Si-Hamed-Bel-Hadj.
Pléiade, 1984.
87
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

Eugène Fromentin, Femme des Ouled-Naïls à


Biskra, datée 29 mars 1848, aquarelle et crayon,
37,2 × 30 cm. Lille, Palais des Beaux-Arts
(inv. Pl. 1372).

de longues housses de soie en couleurs,


attendent le signal du départ [...] Derrière
et lentement, divisé par groupes arrive
l’immense convoi, composé de sept cents
chameaux chargés ou libres, de femmes
à pied, de serviteurs, d’enfants (au moins
mille personnes). Il est neuf heures environ.
Le ciel et la plaine sont noyés dans une in-
comparable lumière6. »

Les lettres de Fromentin montrent l’inten-


sité de son excitation et de son éblouis-
sement esthétique. Mais il décrit aussi le
« Notre tente est préparée, intérieur somp- spectacle militaire français, comme lorsqu’il
tueux, tapis ; trois lits couverts de riches assiste à une cérémonie au cours de laquelle
tapis ou d’étofes de soie : oreiller en soie le commandant lut la proclamation oicielle
brochée d’or, en satin rouge et vert. Difa de la République française qui marquait la
[repas de bienvenue] abondante et re- chute de la monarchie. Devant la garnison
cherchée. Le ils du cheik el-Arab dîne avec assemblée, une centaine de Biskris, curieux,
nous. Silence, attitude pensive, attentions avait rejoint la citadelle de Biskra, l’ancien
exquises de notre hôte4. » fort turc réaménagé par les Français avant
la construction du fort neuf, devenu le fort
Fromentin et Salzmann ne sortent jamais Saint-Germain. Mais de telles scènes ne
4. Fromentin, Carnet de sans escorte5. Pour leur sortie vers la plaine constituent pas des thèmes à peindre pour
voyage, 9 mars 1848, dans du Hodna, ils intègrent un goum (une com- cet artiste romantique. D’autant qu’un an
Fromentin 1984, p. 939.
pagnie de soldats montés à cheval) de vingt plus tard, Saint-Germain trouvait la mort au
5. Zarobell souligne spahis. Après des visites au puissant chef combat de Sériana, et Canrobert devenait
l’étroite complicité de
l’artiste avec l’armée : Si Mokrani, les forces des grands chefs un des responsables de l’anéantissement
« Not only does Un Été locaux prennent rendez-vous avec les du Jihad déclaré par Bou-Ziyan à Zaatcha.
dans le Sahara discuss
the military seizure of troupes de Saint-Germain et la colonne du
Laghouat, but this text colonel Canrobert : Fromentin dessine (mais ne peint pas) aux
also emerges from a
militarized milieu that Ziban. Eugène Delacroix au, Maroc, avait fait
made Fromentin’s trip « Journée unique dans notre voyage et de même vingt ans auparavant : le matériel
possible » ; Zarobell,
2010, p.87. qui doit marquer dans tous nos souvenirs. pour peindre à l’huile était trop encombrant.
[...] Les cavaliers en grand costume, le fusil Le crayon et l’aquarelle sont suisants. Son
6. Fromentin, Carnet de
voyage, 11 mars 1848, dans
au poing, toutes les armes de luxe à la cein- beau dessin aquarellé, inscrit : Biskra, 29
Fromentin 1984, p. 393. ture, montés sur des chevaux caparaçonnés mars 1848. Femme des Ouled-Naïls témoigne
de la présence des femmes de cette tribu études faites aux Ziban n’est pas très signi- 7. Voir James Thompson
et Barbara Wright,
à Biskra. Fromentin exécute deux autres icatif. Préparés pour le Salon parisien des Eugène Fromentin, 1820-
études de igures – M. Boursali, le chaouch années 1850-1860, ces tableaux établissent 1876 : Vision d’Algérie et
d’Égypte, édition révisée,
(huissier) du Bureau arabe, également en ce que Jules Castagnary, quoique critique Courbevoie : ACR, 2008,
couleurs et bien observé, et une igure de envers l’orientalisme, appelait « la brillante p. 69-85, et catalogue de
dessins, p. 254-63.
femme debout7. Ces igures mises à part, époque de Fromentin, avec ses fantasias,
il se concentre sur le paysage, faisant au ses chasses au faucon, ses petits chevaux 8. Daumas, Lieutenant-
moins sept esquisses au crayon sur papier frémissants et rapides » 9. Fromentin ne colonel, Le Sahara
algérien : études
gris. Il ne montre point la citadelle de Biskra, révèle que rarement les sources topogra- géographiques, historiques
préférant des proils de bâtiments anciens phiques de ses tableaux – sa célèbre Rue et statistiques, Alger :
Dubos et Paris : Langlois-
dans les palmiers, vus depuis la plaine ou à El-Aghouat du Salon de 1859 en est l’ex- Leclerc, 1845, p. 103.
depuis l’oued Zerzour. Comme l’avait noté ception, mais il voulait ainsi souligner un
9. Castagnary, « Salon
le général Daumas peu avant, « Biskra est lieu devenu historique depuis un massacre de 1876 », dans Jules
moins une ville [...] que la réunion de sept perpétré par l’armée française : la prise san- Castagnary, Salons, vol. 2,
Paris : Charpentier, 1892,
villages ou quartiers disséminés dans des glante de Laghouat en 1852. Et puis sa visite p. 248.
plantations de dattiers8. » de Laghouat (où Fromentin passe quatre
10. Sur le saccage de
semaines) occupe une place déterminante Laghouat voir Benjamin
Comparés à la grande série des tableaux à dans Un Été dans le Sahara10. Claude Brower, A Desert
Named Peace : the Violence
l’huile ultérieurs, cet ensemble de premières of France’s Empire in the
Algerian Sahara, 1884-1902,
New York : Columbia
University Press, 2009,
p. 84-89 ; sur le tableau Rue
Eugène Fromentin, Tentes de la smalah de Si-Hamed-Bel-Hadj (Sahara), 1850, huile sur toile, 44,3 × 85,2 cm.
à Laghouat de Fromentin, 89
voir Zarobell, 2010, p. 75-84.
Montpellier, musée Fabre, donation Alfred Bruyas (ne igure pas dans l’exposition).
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

Gustave Guillaumet
Gustave Guillaumet, artiste demeuré quelque
peu méconnu , est un peintre plus puissant
11
Guillaumet s’intéresse moins à la ville de Biskra
elle-même qu’à la région dont elle est la capi-
que Fromentin, mais comme écrivain, ses Ta- tale. Il peint davantage de tableaux à thèmes
bleaux algériens n’ont pas la qualité littéraire à Bou-Saada, située à cent kilomètres à l’ouest
des récits de voyage de son aîné. Guillaumet – la seule rivale de Biskra dans l’histoire de la
rafraîchit le genre orientaliste avec une ap- peinture au Sahara.
proche moins romantique, plus réaliste des
scènes de la vie dans le Sud algérien. Quoique Dans ses Tableaux algériens, il décrit le soin
sorti de l’École des Beaux-Arts de Paris, il n’a apporté pour gagner la coniance d’une fa-
pas suivi la voie classique. Son échec au Prix mille de Bou-Saada ain de s’installer discrè-
de Rome l’a poussé à visiter l’Algérie en 1862, tement dans son modeste logis en pisé, pour
où il a contracté la malaria et passé trois mois y peindre dans la pénombre12. Trois tableaux
à l’hôpital militaire de Biskra. Son premier de cette série sont conservés au musée d’Or-
contact avec la reine des Ziban ne se fait donc say, mais le plus grand de ces intérieurs, Habi-
pas sous les meilleurs auspices. Néanmoins, il tation saharienne (Cercle de Biskra), présenté
11. Une exposition
Guillaumet circulera en est séduit ; il devait revenir dix fois en Algérie au Salon de 1882, a été exécuté plutôt aux
France en 2017-2018 aux pendant la décennie suivante. environs de Biskra. Cet imposant tableau a
musées des Beaux-Arts de
La Rochelle et Limoges, à été très tôt vendu aux États-Unis, et il est
La Piscine de Roubaix, et Guillaumet était un admirateur de exposé à l’Institut du monde arabe à Paris
au musée des Beaux-Arts
d'Agen ; le commissaire Jean-François Millet, et ses premiers ta- pour la première fois depuis cette vente13.
Marie Gautheron est bleaux africains s’attachent à la vie agricole
l’auteur de L’Invention
du désert. Émergence en Algérie : le labour, où les dromadaires Cette Habitation saharienne, qui montre
d’un paysage, du début remplacent les bœufs (1861), ou encore La avec une grande dignité la vie quotidienne
du XIXe siècle au premier
atelier algérien de Gustave Prière du soir dans le Sahara en lieu et place des habitants d’un ksour, a suscité une vive
Guillaumet (1863-1869), de L’Angélus dans les champs normands émotion chez les admirateurs de l’artiste.
thèse de doctorat,
Université Paris-Ouest- (1863). L’intimité des foyers paysans chez On y voit une famille de cinq personnes, la
Nanterre-La Défense Millet trouve même un écho dans les scènes mère assise meulant du blé, une ille debout
(Paris X), février 2015.
de vie quotidienne dans les ksours et douars qui ile de la laine blanche sur un fuseau,
12. Voir Gustave sahariens de Guillaumet. une deuxième ille qui, accroupie, trait une
Guillaumet, Tableaux
Algériens, Paris : Plon brebis, et une troisième qui apparaît dans
Nourrit, 1891, p. 129-132. Son tableau Le Sahara, qui montre pour la la lumière du fond du tableau, descendant
première fois une vision absolue du vide l’escalier qui conduit à la terrasse14. Le qua-
13. Habitation saharienne,
Cercle de Biskra a été acquis dans le grand désert, suscita les louanges de trième enfant est un bébé, dont le berceau
par Walter P. Chrysler, Théophile Gautier et de Paul de Saint-Victor en bois est suspendu par des cordes ain de
l’héritier de la société
d’automobiles, avant au Salon de 1868. Le squelette du droma- le protéger des piqûres de scorpion.
1960 (date de sa première daire au premier plan anticipe la terrible
exposition aux États-Unis) ;
voir http://collection. famine qui frappa l’Algérie en 1868-1869. « C’est là, assurément, écrit le critique Gaston
chrysler.org/emuseum/. Guillaumet a été témoin des ravages de Schefer, le meilleur tableau que l’Orient ait
14. Deux grands dessins cette famine, causée à la fois par la pau- inspiré. Une lumière difuse, trouble à force
préparatoires sont vreté des récoltes et le léau africain des d’être intense, une atmosphère chaude bai-
conservés au musée
d’Orsay. invasions de sauterelles. Guillaumet en fait gnant tous les objets et estompant leurs
le sujet d’un tableau dans la tradition des formes ; en même temps, une poésie agreste,
15. Gaston Schefer,
« L’Orient », L'Exposition
Pestiférés de Jafa du baron Gros, La Famine une simplicité pleine d’art, tout cela donne à
des Beaux-Arts (Salon de en Algérie de 1869 (musée de Constantine, l’œuvre de M. Guillaumet, une saveur exquise
1882), Paris : Société des
artistes français ; Goupil &
esquisses au musée d’Orsay). et puissante15. »
Cie, Paris : 1882, p. 178.
91

Gustave Guillaumet, Habitation saharienne (Cercle de Biskra), 1882, huile sur toile, 146,1 × 173,4 cm. Norfolk,
Virginia (U.S.A.), Chrysler Museum of Art, don de Walter P. Chrysler, Jr. (inv. 71.655).

D’après les connaisseurs, Guillaumet ras- des troncs de palmier, ce qui explique leur 16. Je remercie mes
sources MM. Mohamed
semble une somme de ines observations16. surface noueuse17. Au-dessus de la brebis Slimani, Tahar Ouamane
Derrière la femme, un petit chat se chaufe pend un objet de forme incertaine : il s’agit et Mme Dalila Orfali pour
ces précisions.
auprès du poêle et, à gauche, une poule d’une guebla, une outre faite d’une peau
et ses poussins picorent les restes du blé. de chèvre avec le poil tourné vers l’inté- 17. Aux Ziban, les troncs
de palmier servaient de
Les formes de la meule en granit et du fu- rieur. Et, suspendus au plafond, des objets colonnes et, sciés latérale-
seau sont exactes, ainsi que celle des po- insolites sont accrochés à une icelle : des ment, de poutres ; pour la
xylographie d’après Guil-
teries visibles dans la pièce. Il y a d’autres omoplates de mouton ou de chèvre, la laumet par Charles Courtry,
détails qui échappent au regard européen. grande corne d’un bélier, et des petits sacs voir http://collection.
chrysler.org/emuseum/.
Les deux colonnes qui soutiennent un pla- en cuir. Cet assemblage servait, m’a-t-on dit,
fond de chaume et les poutres (devenus à contrer le mauvais œil, et à protéger les 18. Ces restes de bélier
seraient ceux de l’animal
invisibles sur le tableau mais présents dans occupants de la maison contre les malheurs sacriié pour la grande fête
une xylographie de L’Art, 1882) ne sont pas et les maladies18. musulmane qui marque
la in du hajj (pèlerinage à
des vestiges de bâtiments romains, mais La Mecque), l’Aïd el-Kébir
(la Fête du sacriice).
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

Maure, détail du Village


nègre à Biskra, tirage
albuminé, vers 1895,
24 × 28,6 cm. Nice,
collection Gilles Dupont.

Gustave Guillaumet,
La Séguia, près de Biskra,
Algérie, 1884, huile sur
toile, 100 × 155,5 cm.
Paris, musée d’Orsay
(inv. RF 446).
L’autre tableau le plus connu de Guillaumet
dans la présente exposition est également
considéré comme un chef-d’œuvre : La Sé-
guia, près de Biskra, Algérie. Exposé au Salon
de 1884 à Paris, il comporte, d’après le pro-
moteur de l’orientalisme Léonce Bénédite
(qui allait en 1885 l’acquérir pour le musée
du Luxembourg), une étude de lumière pour
lui équivalente à celle des impressionnistes :

« Par le choix pittoresque du sujet, l’élé-


gance des silhouettes, la inesse de la lu-
mière, l’exactitude des valeurs, la délica-
tesse des relets qui absorbent les ombres,
par l’habileté dans l’établissement des ter-
rains, la sûreté de leur dessin, la sobriété et
la sûreté de l’exécution, cette peinture est
une œuvre incomparable. Elle a de la suavité
et de la poésie, et une véritable allure de
beauté classique19. »
Gustave Guillaumet,
Guillaumet peint la collecte de l’eau dans derrière deux ou trois petites seguias qui Fileuse assise, tournée
la séguia à l’aide de cruches en terre cuite faisaient des méandres vers les palmeraies vers la gauche ; esquisse 93
par deux jeunes illes sur la gauche, et par de M’Cid, visibles dans le fond. d’une autre femme,
fusain et pastel,
une troisième, placée de l’autre côté du petit 56,6 × 43,9 cm, Paris,
aqueduc consistant en un tronc de palmier Une photographie de Maure vers 1880 musée d’Orsay, conservé
creusé. C’est une image idyllique, pendant montre, à l’horizon, ces murailles, séguias et au musée du Louvre
(inv. RF 1617, ne igure
la saison douce et humide. « Une belle ille, palmiers lointains qu’a dépeints Guillaumet. pas dans l’exposition).
debout, l’amphore sur l’épaule, une illette Au premier plan, des paysans ramassent de
assise à ses pieds, dessine nettement sa sil- la paille hachée (les restes d’une récolte de
houette à contre-jour » écrit Bénédite. « Au blé ou d’orge qu’on utilisait pour nourrir le
fond, une grande ligne d’émeraude, claire et bétail ou pour la prise du toub). Une deu-
19. Léonce Bénédite, « La
refroidie, éveille, à la base, une forêt de pal- xième photographie de Maure, éditée en peinture orientaliste et
miers dont le proil s’estompe dans le ciel. » 20 carte postale « nuage » vers 1895, montre Gustave Guillaumet », La
nouvelle revue, vol. 50,
la même succession des façades des bâti- janvier 1888, p. 336.
D’après les photographies de l’époque, il ments visibles dans La Séguia. Un petit pont
20. Ibid.
semble que le dessin préparatoire et en- en palmier creusé s’y trouve également.
suite le tableau représentent les murailles En revanche, les environs du village sont 21. Je remercie Gilles
extérieures du « village nègre », ce groupe transformés par l’édiication de murs neufs Dupont et Michel
Mégnin pour leur
de maisons construites entre la place de et une végétation plus abondante – comme aimable expertise.
Biskra et le village de M’Cid, près du lit Prosper Ricard l’observera plus tard, les ha-
22. Prosper Ricard, Les
de l’oued Zerzour (voir le chapitre « Ar- meaux de Biskra sont évolutifs, « d’étranges Merveilles de l’autre
chitecture et urbanisme ») 21. En 1881, ces villages de terre, toujours croulants, sans France, Paris : Hachette,
1924, p. 125.
bâtiments récents en toub se trouvaient cesse relevés » 22.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

Frederick Arthur Bridgman


Gérôme pendant cinq ans et a été un de
ses élèves favoris. Il a dès le début de sa
carrière connu un succès énorme, surtout
aux États-Unis. En 1881, il expose trois cents
toiles sur des sujets égyptiens et algériens
à l’American Art Gallery de New York, et
en vend pour plus de 20 000 dollars – une
somme alors considérable23.

Le livre de Bridgman, L’Hiver en Algérie (basé


sur ses articles pour le Harper’s Magazine)
est une référence pour l’historien de la pein-
ture à Biskra. Il contient une vingtaine de
reproductions des tableaux se rapportant à
Biskra et ses alentours désertiques. En tant
que récit littéraire le livre est assez factuel, à
l’exception des passages remarquables qui
transcrivent son expérience, comme sa des-
cription de la tempête de sable qu’il essuie
aux environs de Biskra24. Il a d’ailleurs peint
plusieurs versions de cette scène. En orien-
Anonyme, Frederick
Arthur Bridgman dans
son studio parisien,
Frederick Arthur Bridgman, né en 1847 dans
l’Alabama (de parents venus de Boston),
taliste orthodoxe, Bridgman supprime les
trois soldats français qui l’accompagnaient
vers 1885. Archives devient un des peintres les plus idèles de et qui occupent une place centrale dans
of American Art, l’oasis de Biskra. Il y arrive de bonne heure, son récit ; mais il prend soin de montrer un
Smithsonian Institution, probablement pendant l’hiver de 1873-1874, phénomène de la nature : les éclaircies de
Washington DC.
par la diligence de Constantine. Bridgman ciel bleu pendant que le Sirocco tourmente
et un collègue anglais logent à l’hôtel la terre.
23. Voir Gerald Cazenave et prennent un petit studio dans
M. Ackerman, un quartier pauvre. L’Américain admirait Bridgman est confronté sur place aux soucis
Les Orientalistes de l’École
américaine, Christian- beaucoup Gustave Guillaumet, cet artiste d’un « Roumi » pratiquant l’art jugé parfois
Martin Diebold (trad.), solitaire, et en dépit de ses références aux blasphématoire de la peinture. Son expé-
Courbevoie : ACR, 2003,
p. 29-30. Tableaux Algériens dans son livre L’Hiver rience est comparable à celle de Pierre-Au-
en Algérie de 1890, il n’est pas certain que guste Renoir, présent lui aussi à Alger lors
24. Bridgman, Frederick
Arthur, Winters in Algeria, Bridgman ait fait la connaissance de Guil- de deux visites en 1880 et 188125. En pei-
written and illustrated by laumet. Pendant sa très longue carrière – gnant surtout à Alger, mais aussi à Blida
F. A. Bridgman, New York :
Harper & Bros, 1890, Bridgman peignit jusqu’après la Première et Biskra, Bridgman a des diicultés pour
chap. 37, « Experience of a Guerre mondiale – il est d’abord désigné trouver des modèles. À Biskra il découvre
Sand-Storm », p. 257-262.
comme « le Gérôme américain ». C’est un « des habitants peu enclins à poser : seuls
25. Voir Roger Benjamin, titre latteur car Gérôme était en quelque les plus miséreux des paysans le sollicitaient
avec un essai de David
Prochaska, Renoir in
sorte le chantre de l’orientalisme oiciel à la dérobée (du haut des toits, ou derrière
Algeria, New Haven : Yale dans la France de la Troisième République. les habitations). Malheureusement, les ren-
University Press and the
Clark Art Institute, 2003
Bridgman a fréquenté l’atelier parisien de dez-vous n’étaient souvent pas tenus, les
[Benjamin 2003b].
modèles ne revenaient pas comme prévu, ses couleurs vives en font un naturaliste Frederick Arthur
et le prix de la pose faisait fréquemment inluencé par l’impressionnisme tardif. Bridgman, Tempête de
sable, Biskra,
l’objet d’un fastidieux marchandage 26. » huile sur toile, courtoisie
Le sujet d’une de ses toiles majeures, Le Tajan, Paris (ne igure
La solution est celle de la majorité des Café à Biskra (Smithsonian American Art pas dans l’exposition).
orientalistes, comme en témoigne le por- Museum), existe dans une autre version,
trait photographique dans son atelier, où plus petite et probablement antérieure. 95
il est en train de terminer la toile Jeu de Entre les deux, Bridgman a changé les pro-
hasard (1885). Sur la photo, on voit Bridg- tagonistes, remplaçant l’homme vêtu d’un
man étudier un modèle en costume avec burnous blanc assis devant la colonne cen-
des objets de sa riche collection, mais sur trale par une femme portant une djellaba
la base des esquisses faites à Alger, dans d’un rose vif, un haïk bleu sur la tête. On
les maisons qu’il a pu visiter. pourrait croire qu’il s’agit d’une danseuse
Ouled-Naïl (le public des cafés maures
Les scènes d’intérieurs rustiques consti- étant exclusivement masculin), mais elle
tuent une des spécialités de Bridgman, à ne porte que peu de parure. Dans la ver-
l’instar de Guillaumet. Ses intérieurs repré- sion inale, Bridgman ajoute de la couleur
sentent des familles dans des espaces plus dans le vêtement des hommes, des cartes à
étroits que ceux de Guillaumet, et il y mêle jouer pour les deux personnages au centre
parfois des animaux d’une manière qui et, pour celui qui se tient debout, une pipe
manque de véracité – comme par exemple turque et un impressionnant chapeau de
un cheval barbe blanc dans une pièce prin- paille. Au fond, à peine éclairé par l’ou-
cipale d’habitation. Ses scènes de tissage verture carrée du plafond, on voit le petit
en intérieur, ses barbiers en plein air, ses four du kaoudji et son étagère de tasses. Il
chevaux magniiquement harnachés dans existe un troisième tableau représentant 26. Ackerman, 2003, p. 24.
des petites cours de villages supposés être ce même café– par Eugène-Alexis Girar-
27. Voir Eugène-Alexis
ceux du Vieux-Biskra donnent un sentiment det, le peintre prolixe attitré d’El Kantara Girardet, Joueurs d’échecs
de la paix et de la douceur qui marque la vie (et contemporain de Bridgman) – ce qui (non daté, localisation
inconnue), reproduit
dans les ksours. Son coup de brosse léger indique que ce lieu a dû exister, plutôt dans à : http://www.similart.fr/
mais précis dans la description des choses, le Vieux-Biskra qu’à Biskra-Ville27. node/1630.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture
97

Frederic Arthur
Bridgman, Café à Biskra,
1884, huile sur toile,
46 × 73 cm. Alger,
collection Salim Becha.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

28. Benjamin, 2003a,


p. 163 ; sur la Société des
Les peintres orientalistes
peintres orientalistes
français voir p. 57-103 ; et
Pierre Sanchez, Stéphane
Richemond, La Société
Latravaille
génération suivante de peintres qui
à Biskra est beaucoup plus
de Bompard a fait l’objet d’une récente ex-
position29. Il vient au Maghreb (la Tunisie) en
des peintres orientalistes nombreuse, grâce à la voie ferrée reliant 1882 grâce aux nouvelles bourses de voyage
français (1889-1943), Paris :
l'Échelle de Jacob, 2008. l’oasis à Alger. Plusieurs artistes conirmés ofertes par le ministère des Colonies à Paris
y viennent régulièrement pendant les an- – un instrument de la politique coloniale qui
29. Sophie Serra nées 1890 – marquant l’apogée de la pein- fait émerger toute une école de peintres
et François Leyge,
Maurice Bompard, Voyage ture orientaliste à Biskra. Entre 1893, date orientalistes. Armand Dayot, inspecteur des
en Orient, Rodez : musée du premier salon parisien de la Société Beaux-Arts, et Léonce Bénédite, l’inluent
Denys-Puech, et musée
de Millau et des Grandes des peintres orientalistes français (POF), directeur du musée de Luxembourg, sont
Causses, 2013, surtout et 1911, trente-cinq peintres exposent des les parrains de ces bourses30. Étienne Dinet
Marion Vidal Bué, « Biskra,
une oasis pour les douzaines de tableaux ayant Biskra pour (boursier en 1884), le peintre de Bou-Saa-
peintres et les écrivains », sujet. Lors de la première édition en 1893, da, se rend de temps en temps à Biskra ; il
p. 20-25.
sept artistes montrent des vues de l’oasis n’a laissé que deux petites vues des murs
30. Voir Benjamin, 2003a, en train de devenir célèbre (et il y en eut du Vieux-Biskra, mais son livre Khadra, dan-
« Travelling scholarships
and the academic exotic », bien d’autres dans les salons oiciels) 28. seuse Ouled-Naïl se termine sur une scène
p. 129-157. ayant Biskra pour cadre31. Maurice Potter,
31. Voir Francois Pouillon,
Maurice Bompard, Paul Lazerges, Félix Bu- un peintre-explorateur qui accompagne
Les Deux vies d’Étienne chor, Charles Landelle, Eugène Girardet et la mission de Gabriel Bonvalot en Afrique
Dinet, peintre en Islam.
L'Algérie et l'héritage colo-
Paul Leroy sont attirés par Biskra. L’œuvre de l’Est et trouve la mort en 1900 pendant
nial, Paris : Balland, 1997.

Étienne Dinet et
Sliman Ben Ibrahim,
Khadra, danseuse
Ouled-Nail (1ère édition
1906), enluminée par
Mohammed Racim,
Paris, Henri Piazza,
1925. Alger, collection
Salim Becha.
la traversée des hauts plateaux de l’Éthio-
pie ; Armand Point, né en Algérie et peintre
orientaliste avant de devenir un symboliste
connu à Paris ; Victor Prouvé, ils du maître
décorateur de l’École de Nancy, tous ces
artistes proitent de cette bourse. Après
1907, ces boursiers sont rejoints par des ar-
tistes-voyageurs venus en Algérie grâce aux
bourses de la Villa Abd-el-Tif, une résidence
d’artistes installée dans une villa ottomane,
sur les hauteurs de Hamma à Alger32.

Paul Leroy s’en démarque car il est ara-


bophone ; comme son ami Dinet, Leroy a
suivi des cours d’arabe à l’École des lan-
gues orientales à Paris. Très tôt sociétaire
des Peintres orientalistes français, Leroy
met à proit sa bonne connaissance des Paul-Albert Laurens, l’ami peintre qui ac- Anonyme, Paul Albert
arts musulmans pour dessiner le sigle de compagna Gide lors de son premier voyage Laurens peignant à
Biskra, Algérie, 1892.
la Société, et son talent de linguiste pour en Tunisie et en Algérie, en 1893, était son Bridgman Images.
rédiger en arabe la menu du « Dîner des camarade de lycée. Fils d’un peintre d’his- 99
orientalistes » en 1897, sur une planche toire célèbre, Jean-Paul Laurens, il n’a pas
lithographiée montrant deux enfants de laissé de témoignage de Biskra. Il est sur-
32. Voir Elisabeth
Biskra devant l’oued Zerzour33. La plupart tout connu pour ses nus féminins acadé- Cazenave, La Villa Abd-el-
de ses tableaux de Biskra – portraits et miques et ambigus. Laurens a laissé très Tif : un demi-siècle de la vie
artistique en Algérie, 1907-
scènes de genre – portent une inscription peu d’œuvres algériennes, et quelques- 1962, Paris : Association
en arabe ainsi que sa signature en lettres unes de Tunisie, qu’il visita à nouveau avec Abd-el-Tif, 1998.
latines. Sa ille le décrit peignant « toujours Gide avant de se rendre à Biskra en 1896.
33. Benjamin, 2003, p. 73.
à l’ombre d’un parasol fortement doublé
de toile verte [...] Dans ses moindres sor- On conserve cependant une photographie 34. Sacha Leroy, Un
mâtre de la peinture
ties, son feutre noir à très larges bords le qui montre Laurens en train de peindre en française, Paul Leroy :
protège eicacement du jour aveuglant ; en plein air, une petite toile appuyée sur le 1860-1942, Paris : A. Leroy,
1974, cité dans Marion
été, il porte ses lunettes vertes34. » couvercle de sa boîte de couleurs. Beau Vidal-Bué, « Biskra, une
jeune homme barbu, il porte un casque oasis pour les peintres et
les écrivains », dans Serra,
On voit bien l’orientalisme appliqué de Leroy colonial, un pantalon et une veste, et il 2013, p. 24.
dans la Tisseuse à Biskra, Algérie, qui insiste travaille sous un parasol (comme Leroy)
35. Voir Thierry-Mieg,
sur les détails du métier à tisser modeste monté sur un trépied. Contre le haut mur 1861, p. 240 ; le tissage
à l’entrée d’une maison traditionnelle. en toub, cinq jeunes garçons souriant de très longs pans de
tissu en laine rayée, utilisé
La femme que l’on aperçoit à travers dans leurs burnous blancs – peut-être les exclusivement pour la
les ils de trame proite de la lumière du yaouleds qu’admirait Gide – sont assis par confection des tentes,
était une autre industrie
matin que laisse pénétrer la porte ouverte. terre auprès du peintre. locale importante, prati-
Il s’agit d’une scène de l’industrie locale quée près des tentes par
les Bédouins et souvent
qu’admiraient beaucoup les visiteurs captée par les photo-
de l’oasis35. graphes au XIXe siècle.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

Paul Leroy, Tisseuse à Biskra, Algérie, 1889, huile sur toile, 54,5 × 66,5 cm. Paris, musée d’Orsay, don de Georges et Léon Bénédite
conformément au désir exprimé de son vivant par Georges Michonis, leur ami, 1903 (inv. RF 1977-225).

Maurice Bompard
Larevanche
production de Maurice Bompard est en
abondante. Paysagiste français
surtout le hameau de l’oasis de Chetma.
Ce dernier, à plusieurs kilomètres à l’est
bien connu après 1900 pour ses vedute de de Biskra, est « un bouquet de verdure
Vénise, il débute comme peintre académique que néglige la grande route mais où les
dès 1878. Une bourse de voyage lui permet palmiers sont magniiques et les jardins
de gagner l’Espagne et la Tunisie en 1882. luxuriants » 37. Ici, Bompard développe
C’est une révélation. Bompard devient un une vision franche et déconcertante, son
peintre voyageur : « pas pour de petites es- orientalisme d’atelier faisant place à un
capades exotiques mais de longs séjours où réalisme acharné. Son chef-d’œuvre, Les
il s’installera durablement à l’étranger » 36. Bouchers de Chetma (Marseille, Palais de
Longchamp), se concentre sur une difé-
En mars 1889 Bompard découvre le Sud rence culturelle dans l’alimentation : la fa-
constantinois, et pendant quatre années il çon dont les bouchers arabes découpent
36. Sophie Serra, dans travaille six mois par an aux Ziban, se ren- les carcasses d’agneaux et de chevreaux,
Serra, 2013, p. 28. dant sept fois en Algérie entre mars 1889 après les avoir occis selon le rituel halal, et
37. Lettre de Bompard
et décembre 1893, pour peindre à Biskra, les exposent, encore fraîches, au grand air
citée par Serra, 2013, p 30. Sidi Okba, El Kantara, M’Chounèche et du matin, avant les chaleurs de midi.
101

Maurice Bompard, Ouled-Naïl de Biskra, 1898, huile sur toile, 74 × 60 cm. Rodez, musée Denys-Puech (inv. 1953.48.1).
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

au diadème ; en passant, la courtisane étei-


gnait les lampes ; on entrait dans son étroit
appartement ; on buvait du café dans des
petites tasses ; puis on forniquait sur des
espèces de divans bas38. »

L’Ânier à Chetma montre son sens aigu de


la composition que les élèves de l’École des
Beaux-Arts manifestaient. Les colonnes et
les poutres rustiques taillées dans des troncs
de palmier et les hauts murs en toub enca-
drent une scène lumineuse. À l’ombre des
murailles, un garçon portant une chechia
rouge livre avec son âne des dattes à une
jeune ille assise, dont la tâche est de coudre
des sacs (sans doute pour le transport de la
récolte sur les grands marchés de Biskra).
Ce genre de construction subsiste toujours
ici et là dans les Ziban, par exemple dans
le village abandonné de Lichana (près de
l’ancienne Zaatcha, détruite par l’armée
française en 1849), où les services munici-
paux font appel à de jeunes volontaires pour
restaurer les toits et murs endommagés39.

Maurice Romberg de
Vaucorbeil, Femme de
Biskra, 1908, aquarelle
Son sens de la couleur, restreint à Chet-
ma (à part des taches de sang noircies),
Quoiqu’il continuât à peindre des sujets algé-
riens jusqu’en 1899, Bompard devait quitter
et pastel, Alger, s’épanouit dans l’Ouled-Naïl de Biskra. Vi- le pays d’une façon précipitée en 1893 : à
collection Salim Becha. sion nocturne d’une jeune femme en cos- El Kantara, son domestique l’informe d’un
tume de fête, avec sa robe rouge et une complot visant à l’assassiner ain de « lui
mousseline diaphane verte. Bompard ofre enlever sa sacoche » 40. Le traumatisme qui
une image rare en ne montrant pas une s’ensuit lui fait abandonner l’Afrique du Nord
expression de dédain ou de volupté forcée, pour Venise, plus sûre et tout aussi colorée.
mais de contrainte, voire de fragilité de la
jeune « danseuse » dans la loge où elle tra- Maurice Romberg de Vaucorbeil, peintre et
vaille. André Gide, dans les Nourritures ter- aichiste, sort lui aussi d’une formation aca-
restres, donne une description tranchante démique. Son magniique portrait Femme
38. André Gide, Les
Nourritures terrestres de ces appartements minuscules de la rue de Biskra, montre sa grande maîtrise tech-
(1897), Paris : Gallimard, des Ouled-Naïls : nique. Contrairement à les plupart de ses
1981, p. 137-138.
« La nuit, cette rue s’animait. Au haut des œuvres (notamment ses représentations
39. Pour une série escaliers brûlaient des lampes ; chaque équestres) il dévoile ici une grande délica-
de photographies
contemporaines en femme restait assise dans cette niche de tesse d’exécution. Les traits du visage sont
couleur de Lichana voir lumière que la cage de l’escalier lui faisait ; élégamment soulignés par l’aquarelle, et
Mohamed Balhi, Zaatcha
1849 : L’Insurrection des leur visage restait dans l’ombre sous l’or les « boucles bélier » sont à rapprocher de
Ziban, Alger : ANEP, 2015, du diadème qui brillait ; et chacune sem- l’œuvre de Marie Caire-Tonoir, Femme de
p. 40-49.
blait m’attendre, m’attendre spécialement ; Biskra. Le regard lointain, méditatif, accen-
40. Serra, 2013, p. 31. pour monter, on ajoutait une piécette d’or tue encore la fragilité du visage.
103

Maurice Bompard, Ânier à Chetma, 1891, huile sur toile, 48 × 38 cm. Agen, musée des Beaux-Arts (inv. 6 BR).
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

Les femmes peintres à Biskra


Lesmesure
femmes contribuent dans une large
à l’image peinte des Ziban. Ma-
pour Paul Leroy, ces œuvres s’inscrivent
dans la lignée de Guillaumet (peut-être
rie Lucas-Robiquet (1858-1959) est la plus a-t-elle vu l’Habitation saharienne à Paris,
connue de toutes. Durant ses cinquante au Salon de 1882), mais sont peintes avec
ans de carrière, elle est l’un des exposants un panache et un coloris uniques. Une de
les plus réguliers à la Société des artistes ses toiles importantes, Une caravane dans
français (entre 1880 et 1934) et celle des l’oued Biskra, exposée au Salon des ar-
41. Voir Mary Healy,
Peintres orientalistes. En 1891, elle épouse tistes français en 1893, est précédée par
« Uncovering French un oicier de l’armée française en Algérie, le au moins deux études à l’huile. La vision
Women Orientalist
Artists : Marie-Élisabeth
capitaine Lucas. À sa mort en 1895, elle reste colorée d’une famille en marche dans le lit
Aimée Lucas–Robiquet en Algérie neuf ans, poursuivant sa carrière de l’oued (le marabout et la palmeraie d’El
(1858–1959) », Women's
Studies, vol. 44 n° 8, 2015,
de peintre. Elle a travaillé à Constantine, Alia se voient à l’arrière-plan) rend avec em-
p. 1178-1199. dans le Sud oranais, dans les Ziban (elle était pathie les rapports entre trois générations
à Biskra en 1893) et à Touggourt après 1895. d’hommes et de femmes et leurs animaux
Marie Lucas-Robiquet, Comme le souligne la chercheuse irlandaise – quatre dromadaires, un petit âne et un
Une caravane dans
l’oued Biskra, 1893, Mary Healy, Marie Lucas-Robiquet s’intéres- chien blanc – qui permettent leurs péré-
huile sur toile, sait surtout à la vie des femmes berbères, et grinations (à l’époque, nombreuses sont
106 × 142 cm. Collection a exécuté toute une série d’intérieurs avec les tribus qui pratiquent la transhumance
particulière, courtoisie
SVV Bisman (ne igure des femmes tissant sur un métier vertical et saisonnière entre le Sahara et le Tell).
pas dans l’exposition). des jeunes illes cardant la laine41. Comme
Marie Caire-Tonoir
Marie Caire-Tonoir quant à elle, est connue
comme portraitiste. Femme de Biskra est
devenue, depuis que Lynne Thornton l’a
publiée dans son ouvrage La Femme dans
la peinture orientaliste, une des images em-
blématiques de la peinture orientaliste42.
Marie Tonoir, jeune peintre originaire de
Lyon, se marie avec Jean Caire, un pay-
sagiste originaire de Barcelonnette dans
la vallée de l’Ubaye (Basses-Alpes) venu
à l’École des Beaux-Arts de Lyon43. Plus
expérimentée et douée pour le modèle,
elle présente des nus et des scènes ambi-
tieuses de la vie champêtre au Salon des
artistes français (où elle exposa 24 fois
entre 1882 et 1902). Son mari Jean, rentier
qui fut un des fondateurs du tourisme or-
ganisé dans sa région, expose bien moins
souvent qu’elle.
si malheureusement son nom n’a pas été Marie Caire-Tonoir, 105
Femme de Biskra,
En 1897 et 1898, le couple voyage en conservé. L’absence de bijoux (hormis 1899-1900, huile sur
Tunisie ; Marie expose au Salon de Tunis, d’énormes boucles d’oreille, suspendues toile, 51 × 55 cm. Paris,
et Jean, une fois rentré à Barcelonnette, par des chaînettes à la coife) ne désigne musée du Quai Branly
(inv. 75.10100.1), en
fait une « causerie-projection » avec ses pas une danseuse, mais plutôt une femme dépôt au musée de la
photographies. Leur seule visite à Biskra du ksour (village) ou du douar (hameau de Vallée, Barcelonnette.
intervient pendant la « saison » 1899-1900 ; tentes). Caire-Tonoir a bien observé les ta-
ils louent un logement au 12 rue du Cardi- touages discrets sur le menton et le front,
nal Lavigerie44. La plupart de leurs vingt ainsi que la vivacité remarquable des yeux
toiles peintes sur place ne font pas montre marron. De même pour la coifure : les che-
42. Lynne Thornton, La
d’une grande originalité. De Jean, des rues veux sont nattés et ramassés au-dessus Femme dans la peinture
de villages en plein soleil, des clairières de la tête, selon l’habitude locale, avec un orientaliste, Courbevoie :
ACR, 1985, p. 209.
dans la palmeraie, et une échoppe éclai- ajout de franges en laine teinte, le tout re-
rée au crépuscule. Marie se concentre sur couvert par un petit châle ou un bonnet. 43. Ce compte-rendu
les personnages : une villageoise portant puise largement dans
Hélène Homps, Magali
son bébé dans le dos, un yaouled debout De son côté, La Femme au voile aborde un Botlan et Alain Sagault,
dans la rue, et deux femmes s’activant dans aspect rarement traité de la vie à Biskra. Je Jean Caire et Marie Tonoir :
une communauté de vie
leur foyer. Ses portraits appartiennent à crois y voir une dame de la communauté et de peinture, Paris :
autre registre45. juive, qui porte une ghlila (gilet court), bro- Somogy, 2005.
dée au il d’or sur de la soie lavande, avec 44. Voir Homps, 2005,
Femme de Biskra montre le visage d’une une ceinture en soie à décor de bandes. p. 112-113.
jeune femme avec une franchise et un Caire-Tonoir, elle-même ille de soyeux 45. Je remercie Hélène
niveau de détail admirables. Elle donne lyonnais, aura été sensible à ces détails, Homps de m’avoir montré
des tableaux de Jean
l’impression de pouvoir lui parler, même ainsi qu’aux boucles d’oreille simples Caire et Marie Tonoir
toujours inédits.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

de haute laine jetés sur les banquettes, et


d’éventails ixés au mur. La jeune femme
allongée est celle que l’on voit de près,
sous le titre « Sahara algérien, femme des
Ouled-Naïls » dans l’album de photogra-
vures Biskra, édité par Neurdein frères46.
Cela témoigne de la complicité entre les
photographes et les peintres à Biskra. À
Alger, il arrivait que des peintres louent les
locaux des photographes, y compris leur
stock de costumes, bijoux et objets d’arti-
sanat, pour y faire des tableaux de genre.
Peut-être la même chose s’est-elle produite
chez Auguste et Marius Maure, dans la rue
Berthe à Biskra.

Yvonne Kleiss-Herzig est l’une des plus in-


téressantes artistes de l’École d’Alger. Née
à Tizi-Ouzou en Kabylie en 1895, son père
fut l’artiste d’origine suisse Édouard Herzig,
qui arriva en Algérie en 188347. Herzig père
fut un des premiers artistes européens à
s’intéresser aux arts locaux. Il travailla un
temps pour le Service des arts indigènes à
Alger, exposant même ses propres articles
Marie Caire-Tonoir,
La Femme au voile,
et au collier en or et jade que porte son de mode et de joaillerie d’inspiration « indi-
1898, huile sur toile, modèle. Le proil particulier de l’arcade à gène » aux Arts décoratifs à Paris en 192548.
117 × 90 cm. Lyon, l’arrière-plan est lui aussi explicite : il s’agit Édouard Herzig est aussi connu pour ses
musée des Conluences
(inv. 2007.0.654), en
d’une fenêtre d’un des bâtiments de la villa aiches publicitaires, dont deux sur Biskra
dépôt au musée de la Bénévent appartenant au comte Landon, (voir chapitre « Le Tourisme »). Il encoura-
Vallée, Barcelonnette. dont l’architecte a spéciiquement inventé gea la formation professionnelle d’Yvonne
46. Neurdein Frères, Biskra la découpe, la reprenant dans plusieurs des (Écoles des Beaux-Arts d’Alger et de Paris),
[album photographique petits bâtiments épars de la propriété (la dont l’art pictural est proche de l’art indigé-
avec 24 planches],
Paris : Neurdein, sans loge, le « grand salon principal » qui existe nophile de Léon et Ketty Carré. Sur un fond
date (vers 1900), toujours, et même le portail). de technique académique, Kleiss-Herzig uti-
dernière page. Archives
nationales de l’Outre-mer, lisa des couleurs sourdes, et insista sur une
Aix-en-Provence. Le salon, alors tout juste bâti, apparaît à étude savante des costumes, des textiles
47. Voir Vidal-Bué, deux reprises sur des photographies des et bijoux pour ses sujets. Ses Danseuses
2003 p. 198, 202-203, frères Neurdein – l’une avec une femme Ouled-Nails sont les illustrations parfaites
et Marion Vidal-Bué,
« Yvonne Kleiss-Herzig, », allongée, l’autre sans personnage, toutes de son approche à la fois ethnographique
L’Algérianiste, n° 133, 2011. deux partageant la même profusion de et moderne.
48. Voir Benjamin, 2003,
coussins recouverts d’un cuir in, de tapis
p. 217-218.
Neurdein Frères,
Salon d’une maison de
Biskra (Algérie), vers
1880-1900, Roger Viollet. 107
Il s’agit d’un des petits
bâtiments épars du
jardin Landon.

Yvonne Kleiss-Herzig,
Danseuses Ouled-Nails,
32,5 × 32,5 cm, vers
1935, gouache avec
rehauts d’or sur papier,
Alger, collection
Salim Becha.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

49. Voir Dalila


L’art moderne arrive à Biskra
Mohammed-Orfali,
« La peinture en Algérie
à la recherche de son
style », dans Ramon Tio
Lessertableaux de Biskra qu’on vient de pas-
en revue appartiennent globalement à
Au même moment, en 1906, les premiers
ilms – un nouveau medium qui incarne la
Bellido, Dalila Mohammed l’académisme, teinté d’un impressionnisme modernité du XXe siècle – sont tournés à
Orfali et Fatma Zhora tardif. Il faut attendre le début du XXe siècle Biskra. Félix Mesguich, un des opérateurs
Zamoum, Le XXe siècle
dans l’art algérien, pour que la vision de l’oasis – comme celle de la société Lumière à Lyon50, équipé d’un
catalogue d’exposition, de l’Algérie en général – se modernise49. cinématographe de la marque qui permet
Paris ; AICA Press, 2003,
p. 19-43. Comme précisé dans le chapitre « La sensi- d’enregistrer et de projeter des ilms –
bilité d’avant-garde », Henri Matisse est le tourne deux courts-métrages de 50 se-
50.Voir Félix Mesguich,
Tours de manivelle : premier à apporter à Biskra les procédés condes (le temps de déroulement des pel-
souvenirs d’un chasseur de l’avant-garde picturale – c’est-à-dire le licules de 16 mètres). On y voit des scènes
d’images, Paris : Grasset,
1933, p.98-101 ; son texte, pointillisme exacerbé qu’il a pratiqué à Col- inédites avec des habitants de Biskra : le
daté 1906, décrit plus ou lioure vers 1905-1906. Cela ne l’empêche cortège d’une noce avec dromadaires, bas-
moins le ilm Biskra : une
noce indigène [catalogue pas de choisir la perspective traditionnelle sours et cavaliers devant le casino de Biskra,
1387 des frères Lumière] : d’une rue avec une mosquée dans le fond et une scène dans laquelle un Arabe de
« Dans un carrefour, une
musique de ifres au son qui ne difère pas – excepté dans sa sim- haut-rang fait accourir des gamins du mar-
aigre me surprend : des pliication radicale de moyens – des vues ché en leur jetant des pièces de monnaie51.
cris de joie retentissent :
“ You, You, You ”. Cortège peintes par Girardet ou photographiées par
d’un mariage arabe. Maure et Bougault.
Dans cette foule, des
illettes aux yeux de
gazelle portant déjà un
enfant attaché sur leur
dos ; elles me regardent
avec curiosité… La
nouvelle épouse cachée
à l’intérieur du bassour,
berceau cahotant sanglé
sur le dos d’un chameau,
est dérobée à tous les
regards. Des coups de feu
manifestent l’allégresse
des invités. » (p. 98-99).
Plus loin Mesguich
décrit une fantasia
arrangée avec l’accord
de l’agha Ben Gana,
pour l’enregistrement
sur pellicule. Pendant
la chevauchée, deux
membres du goum
sont jetés à bas de leurs
chevaux et tués sur le
champ. L’autorité militaire
requiert que la Société
Lumière donne une forte
somme d’argent aux
veuves des soldats, et
Mesguich s’échappe à
bord du premier train
(p. 100-101). Ce ilm de
fantasia semble perdu.

51.Thierry Frémaux et
Jacques Gerber, Lumières!
Le cinéma inventé, cata-
logue d’exposition, Paris :
Grand Palais et RMN, 2015
On ne peut sous-estimer l’impact du ciné- traites d’un paysage, expression qu’il pour-
ma (précédé par la chronophotographie de suit après la Première Guerre mondiale.
Jules Marey) sur la vision fragmentée de On distingue les falaises imposantes du
la réalité perçue par les peintres cubistes site, entourées par des bandes compo-
parisiens dès 1909, et les futuristes italiens sées de formes colorées comparables
à partir de 1910. La réalité revue par les aux « lignes-forces » des futuristes italiens
artistes – tel le vol au-dessus de la Manche Giacomo Balla ou Umberto Boccioni. Le
en 1909, observé par le jeune peintre Ro- registre inférieur du tableau montre une 52. Photo de presse
montrant l’aviateur
bert Delaunay et célébré dans l’Hommage synthèse des éléments constitutifs de Lafargue et Bouaziz ben
à Blériot de 1914 – cette perception était l’oasis et de ses deux villages (le « village Gana en passager, dans
Pizzaferri, 2011, vol. 2,
déjà efective à Biskra. En 1912 le lieutenant rouge » et le « village blanc »), soit vingt p. 145.
Max Lafargue faisait voler le Bachaga des palmiers alignés, dont les frondaisons de-
53. Anonyme « H. F.
Ziban, Bou Aziz ben Gana, au-dessus des viennent des formes diaprées, l’eau bleue Valensi », sur Wikipedia.fr
terrains de Beni Mora52. des séguias, des rochers à gauche et des (accès 1er février 2016).
maisons à droite. En 1920-1921 à Bou-Saa- 54. H. F. Valensi, Société
Il est tout de même surprenant de voir da, Valensi analyse avec ce principe syn- des peintres orientalistes
français, catalogue
un futuriste français, Henry Valensi, appli- thétique la perspective d’une rue étroite, d’exposition, Paris :
quer de telles méthodes de composition et rend compte sur un mode abstrait du Grand Palais, n° 386-390 ;
Valensi y participa en
pour peindre des scènes du Sud algérien. délicat processus de pollinisation du pal-
Valensi naît à Alger et y vit jusqu’à l’âge de mier-dattier dans le remarquable Mariage
1906, 1908, 1909 et 1911,
avant de s’orienter vers la 109
société d’avant-garde La
seize ans53. Il expose pour la première fois, des palmiers. Section d’Or.
en 1906, au Salon des peintres orientalistes
grâce à Étienne Dinet et présente des vues Apres les années troubles de la guerre 55. Voir Catherine
Grenier et al., Modernités
impressionnistes d’El Kantara et Biskra54. 1914-1918, Biskra voit arriver un nouvel af- plurielles, 1905-1970 :
Installé à Paris et n’ayant pas besoin de lux d’artistes-voyageurs et de touristes. dans les collections du
Musée d’art moderne,
vendre ses tableaux, il suit le mouvement Depuis 1914, la voie ferrée reliant Biskra à Paris, Centre Georges
de l’avant-garde. Après la parution du « Ma- Touggourt, plus au sud, facilite les dépla- Pompidou, 2013.
nifeste futuriste » dans Le Figaro en février cements dans les régions plus reculées, 56. Voir Marion Vidal-Bué,
1909, il devient un fervent admirateur de F. comme Ghardaïa, capitale mozabite des Les Peintres de l’Algérie
du Sud, Paris : Paris-
T. Marinetti et de ses théories. Valensi est cinq villes du M’Zab56. Paul-Élie Dubois, Méditerranée, 2003.
l’un des organisateurs de la Section d’Or un artiste majeur, arrive en Algérie grâce
57. Voir surtout
en 1912 avec les frères Duchamp, Albert à la bourse de la Villa Abd-el-Tif en 1920, Élisabeth Cazenave,
Gleizes et Jean Metzinger entre autres55. et s’enfonce jusque dans le massif du Explorations artistiques
au Sahara (1850-1975),
Hoggar où vivent les Touaregs57. Au-delà Paris : Éditions Ibis et
El-Kantara, peint en 1913, apparaît comme de Biskra, les artistes découvrent une ré- Association Abd-el-Tif,
2005, et Paul Élie Dubois,
une des premières « expressions » abs- alité plus originale. peintre du Hoggar, Paris :
Éditions du Layeur, 2006.

Henry Valensi, El Kantara, 1913, huile sur toile,


97 × 146 cm. Paris, Centre Georges Pompidou,
Musée national d’art moderne/CCI, legs de l’artiste
en 1960 (inv. AM 2202 D).
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

Maurice Denis
58. Je remercie Marion Maurice Denis, peintre et critique d’art
distingué, n’a rien d’un aventurier lors-
belle mosquée, très ancienne », il remarque
le marché de Biskra :
Vidal-Bué, ainsi que Claire
Denis et Fabienne Stahl qu’il se rend à Biskra en février 192158. L’an- « Grouillement du marché couvert et les ras-
auteurs du catalogue cien artiste symboliste voyage avec sa ille semblements de moutons, chèvres, ânes
raisonné de Maurice
Denis (en préparation) Madeleine, et dès leur arrivée à Alger, ils et chameaux sur la longue avenue Carnot,
pour leur aide en côtoient le peintre Albert Marquet et le avec les nomades, les plus belles loques que
me communiquant
des images et des compositeur Camille Saint-Saëns, visitent j’aie vues : la distribution de bons de pain.
contacts pertinents. la mosquée Sidi Abd-er-Rahman et le Jardin Pittoresque intense ; triomphe du ton local.
d’essai, et rencontrent les collectionneurs Je pense aux carnets de Delacroix [...] Ce qui
59. Maurice Denis,
Journal, vol. 3 (1821-1943), et les artistes de la Villa Abd-el-Tif. Dans son domine ici c’est le rythme des chameaux,
Paris : La Colombe, 1959, Journal, Maurice Denis raconte avec une des ânes, et la ière allure, plutôt lente, des
p. 7-9.
belle alacrité les choses qui ont attiré son hommes : majesté de burnous, les plus sales
60. Denis, 1959, vol. 3, œil de peintre59. mendiants ont de la ligne61. »
p. 8.

61. Ibid. À Biskra, Denis se montre un touriste plutôt Le peintre est sincère dans sa tendance à es-
grincheux, commentant ainsi le Royal Hô- thétiser la pauvreté des gens dans le cadre
Maurice Denis, tel : « plein d’Anglais, luxe insupportable, d’une économie coloniale très inégalitaire.
Le Caravansérail à
Biskra, 1921, huile sur mendicité [...] Notre fenêtre donne sur le Ce que montrent les deux tableaux Le Cara-
carton, 43 × 56 cm. quartier des Ouled-Naïls, sorte de rue du vansérail à Biskra et son pendant L’Abreuvoir
Saint-Germain-en-Laye, Caire, ignoble, dont nous entendons la nuit de Biskra est une féerie de couleurs posées
Musée départemental
Maurice Denis la musique fatigante »60. Après un court sé- sur une observation précise. Denis repré-
(inv. PMD 978.19.1). jour à Sidi Okba, où le peintre apprécie « la sente des lieux que tous les orientalistes
Maurice Denis, esquisse
ont jusqu’alors négligés : la zone des fon- pas hésité à accentuer le contraste entre pour Caravansérail, 1921,
douks et entrepôts au nord du centre-ville, ce modernisme, et le mode de vie des cara- crayon et aquarelle,
au croisement du grand boulevard Carnot vaniers. Comme Claire Denis l’a remarqué, carnet 66, page 27.
Collection particulière.
et du boulevard Gambetta (ou du Nord), le thème de l’entre-aide mutuelle suggérée
avec en son centre l’abreuvoir public62. La par l’utilisation de l’abreuvoir à Biskra sera Maurice Denis, esquisse
centrale électrique, avec sa cheminée haute repris quinze ans plus tard, lorsque Mau- pour L’Abreuvoir
à Biskra, 1921,
de 22 mètres, domine le quartier. rice Denis composera un grand panneau crayon et aquarelle,
décoratif pour le Pavillon de la Solidarité carnet 66, page 37.
Dans ce quartier, les nomades avec leurs nationale à l’Exposition internationale de Collection particulière.
troupeaux et les marchands venus en ca- 1937 à Paris. Là, « Denis a choisi de montrer
ravane – soit du Sahara, des Ziban de l’Est comment l’eau, venue de la montagne, est 62. Voir Marius Maure,
ou de l’Ouest, ou des Aurès au nord – utili- canalisée grâce au travail des hommes, pour plan de Biskra daté 1906 111
pour les noms des rues ;
saient les installations érigées par les Fran- venir s’écouler dans un grand abreuvoir où Denis, ibid., indique « la
çais à leur intention. Il s’agit de cours pour chacun peut puiser » 63. Il reprend la citerne longue avenue Carnot ».
les bêtes, avec de hauts murs et de larges de Biskra comme modèle, en y ajoutant 63. Claire Denis, lettre à
portails. Dans son ravissant petit Carnet de des gens en costume antique. C’est dire l’auteur, le 12 février 2016 ;
voyage n° 66, Denis a exécuté plusieurs des- si les expériences de Denis en Algérie (il a bien qu’une ébauche de
la composition de 1937 ait
sins au crayon et des aquarelles en vue de également peint à Constantine) n’ont pas survécu, la grande toile
tableaux sur Biskra. Il a aussi travaillé avec été supericielles. a disparu.

son appareil photographique.

Dans Le Caravansérail, Denis fait rythmer


les trois chameaux derrière l’homme ha-
billé en bleu et blanc, dans sa « majesté de
burnous ». Il utilise la même teinte bleu-
ciel pour la citerne d’eau au centre de
L’Abreuvoir à Biskra (où un garçon boit à
la fontaine, tandis que les ânes chargés de
fagots s’abreuvent à la citerne). L’abreu-
voir de l’avenue Carnot, qui puise son eau
dans un canal souterrain, est reconnaissable
sur une vue aérienne de Biskra prise par le
lieutenant Klipfel en 1912. Les grands po-
teaux électriques sur la droite font le lien
entre les deux tableaux, et le peintre n’a

Détail de la vue aérienne de Biskra par le lieutenant Klipfel, vers 1912, Album 8Fi, vol. 7.
Aix-en-Provence, Archives nationales d’Outre-mer. Détail indiquant l’abreuvoir de
l’avenue Carnot peint par Maurice Denis, et en haut à gauche, la centrale électrique.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

64. Oskar Kokoschka, Oskar Kokoschka, Exode – Col de Sfa près de Biskra, 1928, huile sur toile, 89 × 131 cm. Francfort, Deutsche
Humanist und rebell, Bank Collection (inv. K 19830193).
catalogue d’exposition,
Par Markus Brüderlin (éd.),
Kunstmuseum Wolfsburg,
Munich : Hirmer, 2014. Je
tiens à remercier Régine
Bonnefoit de la Fondation
Kokoschka pour son aide
Oskar Kokoschka
Une
en me communiquant vue plus large des choses est mani- miques des grandes villes, inspirées par
des documents.
feste dans le tableau du grand peintre les « paysages cosmiques » du XVIe siècle,
65. Dans ce voyage, autrichien Oskar Kokoschka, « humaniste comme La Bataille d’Alexandre d’Albrecht
Kokoschka était
accompagné par un et rebelle »64. Vers 1912, Kokoschka devenait Altdorfer. Kokoschka avait une théorie per-
associé de Cassirer, Dr. une vedette de la peinture en Europe cen- sonnelle du paysage : « Mes paysages sont
Helmut Lütjens (dont il
trouvait la présence un peu trale, en tant qu’expressionniste refusant en trois dimensions, peints spatialement,
encombrante), voir Helmut de se joindre au mouvement. Pendant la basés sur une composition elliptique avec
Lütjens, « Erinnerungen an
Oskar Kokoschka » dans : Première Guerre mondiale, il se bat dans deux foci. Parce que j’ai toujours dénoncé
Kokoschka. Beziehungen l’armée autrichienne avant d’être griève- la soi-disant perspective cavalière, avec son
zur Schweiz, Andreas Meier
(éd.), Wabern (Berne) : ment blessé en 1915. Très recherché pour point de fuite unique. L’homme possède
Benteli, 2005, p. 185-195. ses portraits dans les années 1920, Kokosch- deux yeux »66.
66. Kokoschka cité dans
ka visite Biskra au cours de ses pérégrina-
Edwin Lachnit, « Man tions autour de la Méditerranée, inancées Devenu après la guerre un critique acerbe
has two eyes’ : the City
Views », dans Klaus
par la galerie Paul Cassirer de Berlin65. De de la société européenne et de ses religions,
Albrecht Schröder et Tolède à Prague, d’Istanbul au Caire, Ko- Kokoschka veut voir le désert en Algérie et
Johann Winkler (éd.),
Oskar Kokoschka, Munich :
koschka peint surtout des vues panora- en Tunisie, et s’entretenir avec des musul-
Prestel, 1991, p. 30.
Maure, Biskra – Grand désert du Sahara près du Col de Sfa, tirage albuminé, Anonyme, Oskar Kokoschka en conversation
vers 1880, 12,6 × 25,2 cm. Nice, collection Gilles Dupont. avec deux Bédouins entre Tozeur et Biskra,
le 9 février 1928. Vienne, Universität
für Angewandte Kunst, Oskar-Kokoschka-Zentrum.

67. Sur l’ensemble des


mans. À Tunis, il peint la place Bab-Souika Avec sa « composition elliptique avec deux cinq tableaux nord-
et la mosquée Sidi Mahrez (tout comme foci », son tableau du Col de Sfa parvient africains, voir Johann
Kandinsky l’avait fait en 1905)67. Prenant le à donner le sentiment du désert comme Winkler et Katharina
Erling, Oskar Kokoschka.
113
train vers le sud, Kokoschka et son compa- un vaste espace sans bornes ; à la fois un Die Gemälde, 1906-1929,
Salzbourg : Édition Galerie
gnon de voyage, Helmut Lütjens, passent pays aride mais habité par un peuple ; un es- Wlz, 1995, p. 139-143 ; sur
deux semaines dans l’oasis de Tozeur, dans pace contemporain, quoique évocateur de Kandinsky et Bab Souika,
voir Roger Benjamin avec
le Djérid tunisien. Ils descendent, comme passés lointains. Le titre « Exode » rappelle Cristina Ashjian, Kandinsky
pendant tout leur périple, dans les hôtels l’histoire biblique du peuple d’Israël, mais and Klee in Tunisia,
Oakland : University of
rustiques de la chaîne Transatlantique (voir le peut aussi renvoyer aux longs périples des California Press, 2015,
chapitre « Architecture et urbanisme »). Dans nomades (ainsi qu’au hajj, le pèlerinage à La p. 62-67.
les environs de Tozeur, à la in janvier 1928, Mecque qui, pour les musulmans d’Afrique
68. Voir Winkler et Erling,
Kokoschka exécute un tableau avec deux du Nord, part chaque année du Maroc et 1995, p. 62-67.
femmes berbères68. Il lui faut ensuite louer traverse le Maghreb). Le peintre est fasciné
69. Voir surtout les pages
une voiture pour faire le trajet jusqu’à Biskra. par l’animation des caravanes : que Hurabielle, 1897, p.
108-110, a consacré au col
de Sfa : « Le voyageur,
Pendant son séjour à Biskra en février 1928, « Je suis assis dans le désert et je peins. Une arrivé au point culminant
Kokoschka se fait conduire chaque jour en voiture m’emmène avec mon matériel à du col, voit s’étendre à
ses pieds comme des
voiture de l’hôtel Transatlantique au col de l’aller et au retour. Ici et là des caravanes vagues pétriiées d’un
Sfa. Cette éminence à huit kilomètres de la passent – elles devront igurer dans le ta- océan saharien dont le
lux et le relux seraient
ville sur la route de Batna est réputée pour bleau. Ils marchent bien lentement avec venus battre le pied de la
le panorama qu’elle ofre sur le désert ; elle leurs bêtes, chameaux et moutons vers la montagne. »
igure dans tous les guides et a été sans montagne, parce qu’au sud, où se trouve le 70. Lettre à Romana et
cesse photographiée69. Kokoschka a l’am- vrai désert, c’est déjà une fournaise. Ici c’est Bohuslav Kokoschka [El
Kantara], 22 février 1928,
bition et les moyens pour en faire un grand encore les premières chaleurs ; in mars ce Oskar Kokoschka Briefe,
tableau, doté de mouvement, de couleur sera bien autre chose »70. vol. II, 1919-1934,
Düsseldorf : Claassen
et d’air. Verlag, 1985, p. 189
(traduction de l’auteur
avec Régine Bonnefoit).
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

Apres une semaine, le tableau est terminé Kokoschka n’en a pas ini avec l’Algérie. Sa
et l’artiste en est satisfait : « Mon tableau correspondance révèle le côté méditatif de
est prêt. Aussi bon qu’une esquisse de Ru- son caractère ; il admire la simplicité extrême
bens. Avec un véritable coup de pinceau des mendiants arabes dont l’existence
comme un Fragonard. Je serais jaloux si s’écoule à contempler les grands espaces.
quelqu’un d’autre l’avait peint »71. D’El Kantara, il descend en train à Touggourt
et, ayant eu connaissance d’un « Kloster » à
Les vues panoramiques comme celles de Témacine (à 11 kilomètres de Touggourt), il
Kokoschka sont assez rares. Le peintre s’y rend. Il s’agit de la zaouïa fortiiée de Ta-
Maxime Noiré, qui s’installa dans le pays dans mellaht, dédiée à la confrérie souie très in-
les années 1890, s’intéressa lui aussi à ce genre luente des Tidjania72. Kokoschka rencontre
de vues. Peintre très apprécié de son vivant, le marabout de Témacine, Sidi Ahmet ben
le tableau Boghar, Algérie, efet du matin, est Tidjani, un chérif (descendant du Prophète)
71. Lettre à Anna Kallin [El
Kantara], 29 février 1928, typique de son œuvre. On y voit un campe- réputé détenir un pouvoir de guérison qui
dans Oskar Kokoschka ment de nomades avec leurs troupeaux, dans attirait de nombreux malades à la zaouïa.
Briefe, 1985, p. 191.
la montagne qui borde les premières steppes En présence d’un Père blanc (qui fait sans
72. Guide bleu, 1930, du Sahara vers la in du printemps (au premier doute oice de traducteur), Kokoschka et le
p. 299.
plan les lauriers-roses leurissent). Le cadre marabout parlent de religion. Chose remar-
73. Voir Edith Hofmann, « orientaliste » de ce tableau est en bois ciselé, quable, il a persuadé ce saint personnage
Kokoschka, Life and Work, probablement commandé par l’artiste à un de poser pour un portrait dans la salle de
Londres : Faber and
Faber, 1947, p. 180-181 ; artisan algérois. prière de son « palais »73. D’après un critique,
Winkler et Erling, 1995, ce portrait est « aussi monumental et mysté-
p. 141-142 reproduisent
les lettres détaillées rieux que certaines statues du Bouddha ou
de Kokoschka sur L’Homme au casque d’or de Rembrandt »74.
cette rencontre.

74. Voir Hofmann, 1947,


p. 180, 194.

Maxime Noiré, Boghar,


Algérie, efet du
matin, huile sur toile,
42.5 × 134 cm. Alger,
collection Salim Becha.
Oskar Kokoschka,
Le Marabout
de Témacine,
Si Ahmet ben Tidjani,
1928, huile sur toile,
91 × 130 cm. Vevey
(Suisse), Fondation
Oskar Kokoschka,
Musée Jenisch/ Roger
Viollet (ne igure pas
dans l’exposition).

115
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

Henri Clamens et l’École d’Alger


représentant la façade depuis la grille des
jardins du square Dufourg. La présence de
drapeaux tricolores peints sur la chaux du
mur est peut-être un vestige des cérémonies
du Centenaire de l’Algérie française en 1930.
Si l’on remplaçait aujourd’hui ces drapeaux
tricolores par ceux aux couleurs de l’Algérie,
il y aurait inalement peu de changements, à
l’exception des jeunes et des enfants vêtus
à l’européenne ou à l’américaine (les jeux de
dames quant à eux continuent à être prati-
qués par les adultes). Et surtout, depuis 60
ans, le quartier des « femmes Ouled-Naïls »
n’existe plus.
L’Intérieur du tramway témoigne de l’ori-
ginalité de Clamens. Peut-être inspiré par
Honoré Daumier (Wagon de 3e classe, 1864),
il esquisse en couleurs vives cette voiture de
vingt places remplie d’humbles passagers,
presque exclusivement « indigènes », sur la
Henri Clamens, Café Maure à Biskra, 1932. Paris, Centre Georges Pompidou,
Musée national d’art moderne/CCI (ne igure pas dans l’exposition). route entre le Vieux-Biskra et Biskra-Ville
(voir le chapitre « Le Tourisme »). Cet artiste,
75. Voir Françoise Garcia et
Dalila Mohammed-Orfali,
L’École d’Alger, 1870-1962 :
Pendant les années 1930, la présence des
peintres à Biskra est en partie due aux pen-
formé à l’Écoles des Beaux-Arts de Paris et
bon dessinateur, a préparé son tableau par
collection du Musée sionnaires français de la Villa Abd-el-Tif à Alger : des esquisses au crayon, dont une prise dans
national des beaux-arts
d’Alger, musée des Beaux- une douzaine de bons peintres (et même de l’hippomobile, et une autre à terre, où l’on
Arts, 2003. sculpteurs) qui constituent alors une « École retrouve le motif de la mère souriante em-
76. Simon Arbellot,
d’Alger »75. Henri Clamens est un des meil- brassant sa petite ille. Pendant son séjour
« L’Afrique française au leurs peintres de ce groupe ; jeune artiste de à Biskra en 1933, Clamens réside « dans l’ate-
Pavillon de Marsan », Le Nîmes, il est arrivé à Alger en 1931 avec une lier du jardin Landon afecté aux artistes »77.
Temps, 5 août 1935, p. 6.
Bien qu’Albert Marquet se bourse pour deux années. Il meurt en 1937
rendit dans le Sud algérien, de la tuberculose. Son tableau Café maure à On ne peut pas ici présenter en détail les nom-
il semble ne pas avoir peint
aux Ziban, voir Jean-Claude Biskra surprend par son atmosphère calme breux peintres étrangers venus à Biskra. Aux
Marinet et Guy Wildenstein et sa géométrie simple – comme la plupart côtés des Belges Evenepoël, Adrien van Brise-
(éd.), Marquet : l’Afrique du
Nord : catalogue de l’œuvre des « Abdeltiiens » de sa génération, Clamens broek, Louis-Joseph Anthonissen et Édouard
peint, Paris : Institut admirait Albert Marquet, l’ancien Fauve qui lui Verschafelt, citons le Tchèque Oskar Spiel-
Wildenstein, 2001.
aussi avait résidé de façon saisonnière à Alger mann, le Hongrois Franz Blaskovitz, le Polonais
77. Simone Clamens- depuis 1920, « un père spirituel sous l’autorité Adam Styka, le Russe Alexandre Roubtzof,
Crang, dans Henri Clamens
1905-1937 : du Prix de duquel les jeunes aiment à se ranger »76. les Américains Frederick Bridgman et Charles
Rome à l’orientalisme, James Thériat, le sculpteur anglais Clare She-
Sète : Éditions Singulières,
2009, p. 22, et pour les Proche du marché de Biskra et derrière le ridan, etc78. Les critiques conservateurs pari-
deux esquisses, p. 76. Royal Hôtel, ce café maure a souvent été siens aimaient dire de l’École de Paris qu’elle
78. Voir une liste plus photographié sous un autre angle, dans la di- était largement composée d’étrangers – ils
exhaustive dans Vidal- rection de la rue La Peyrouse (ou des Ouled- auraient pu dire de même à propos de Biskra,
Bué, « Biskra », dans Serra,
2013, p. 23-24. Naïls). Clamens lui donne un autre sens en ce « locus » algérien, français et international.
La peinture algérienne
L’aichage d’un portrait photographique
LaZiban
production locale d’images dans les
a des sources lointaines. Il faut du chef de l’État dans les bâtiments publics
d’abord mentionner la tradition romaine et les petits commerces débute en Algérie
– et le décor des thermes avec des mo- à l’époque coloniale, et se perpétue jusque
saïques iguratives et les murs peints des de nos jours.
maisons avec des scènes champêtres. Puis
à l’époque chrétienne, on peut imaginer En dépit de sa réputation de centre artis-
dans l’ancienne Vescera de petites images tique, les autorités françaises n’ont pas
votives de la Vierge, du Christ en croix et instauré un cursus d’éducation artistique
des saints, dans les maisons comme dans à Biskra81. À l’instar de ceux qui voulant
les églises. Avec l’arrivée des Arabes et suivre un stage professionnel montaient à
l’islamisation progressive du Maghreb, la Batna, Constantine ou Alger, les personnes
représentation d’êtres vivants est proscrite qui ambitionnaient de se lancer dans une
– comme chez les juifs d’ailleurs – suivant carrière artistique devaient faire de même.
les écrits de saints musulmans. Néanmoins, La création d’une École des Beaux-Arts à
une tradition populaire du décor historié Biskra ne date que de 2006, encore est-elle
émerge, certainement à partir de la pré- une annexe de celle de Batna82. 79. Voir Mohamed
sence ottomane dans le Constantinois. Masmoudi, La Peinture
sous verre en Tunisie,
Benmalek Lahcen, né en 1928 à Chetma, Tunis : Cérès, 1969.
Les cafés, les échoppes de barbier, les palais peut être considéré comme le premier ar- 117
et les maisons se parent de telles images. tiste plasticien contemporain biskri dont 80. Voir la série d’images
mises aux enchères ces
La peinture sous verre, surtout tunisienne, le style moderne est parfaitement identi- dernières années, surtout
difuse des représentations des lieux saints, iable. Artiste militant, il tombe au champ par les commissaires-
priseurs Gros & Delettrez
La Mecque et Médine79, qui se retrouvent d’honneur en 1957. D’autres artistes sont à Paris.
également sur les certiicats de pèlerinage, à distinguer, comme le peintre portraitiste
81. À propos des carences
accompagnées de belles calligraphies80. Les Hali Salem, né en 1930, lui aussi militant et du système éducatif pour
sujets religieux des « ixés sous verre » s’ins- ami du colonel Mohamed Chabaâni durant les Algériens durant la
période coloniale, voir
pirent de la geste du Prophète et de celle de la révolution. Il enseigna plus tard la bota- Zerdoum, Les Biskris et la
Ali et de ses ils, sans oublier les épopées, de nique à l’université de Benghazi en Libye83. France, 1998, p. 78-81.
Antar et Abla ou du conquérant de l’Ifriqiya, Hassène Gadi, né en 1937, suivit les cours de
82. Voir Rachid Hamatou,
Sidi Abdallah, représenté sur son cheval. l’École Blot de Reims par correspondance « L’École des Beaux-
(institut de peinture décorative) en 1952, et Arts de Biskra : une
tradition artistique à
À la in du XIXe siècle, les imprimeries devint un peintre reconnu à Biskra84. reconquérir », Liberté
d’Alger, du Caire et de Damas éditent des 27 février 2012 [http://
www.djazairess.com/fr/
chromos reprenant les mêmes sujets, Pour la génération suivante, c’est l’École liberte/172960].
ainsi que des images souies, comme par supérieure des Beaux-Arts d’Alger (éta-
83. Les renseignements
exemple le portrait imaginaire d’Abdelka- blie en 1881 d’abord pour la communauté sur ces deux
der Djilani, fondateur à Bagdad de la confré- française ; après 1920 quelques étudiants artistes proviennent
d’Abdelhamid
rie des Qadiriyya (très présente dans les « indigènes » y étaient admis et, vers 1940, Zerdoum, aimablement
Ziban). De belles calligraphies des versets quelques enseignants algériens étaient re- communiqués par Tahar
Ouamane (aout 2016).
coraniques étaient – et sont toujours – très crutés). Parmi les artistes biskris nés après
répandues dans les magasins, les maisons, l’Indépendance, Abdelkrim Kermiche (né 84. Mohamed Saïd
Hachani, Biskra, oasis de
les foyers d’hôtels et les bâtiments publics. en 1964) termine ses études à l’École des l’art, 1848-2011, Paris :
Édilivre, 2016, p. 220.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

Beaux-Arts en 198985. Il devient un peintre Amri), est lui aussi diplômé de l’École des
naturaliste, ayant une prédilection pour Beaux-Arts d’Alger mais s’est volontaire-
les sujets fortement inluencés par la tra- ment installé dans sa province de Biskra86.
dition orientaliste, mais avec des inlexions Bien d’autres jeunes Biskris sortent di-
diférentes. Mohamed Messaoudi Lamine, plômés de l’École des Beaux Arts, parmi
peintre et sculpteur né en 1961 (il est l’au- ceux-ci, Abdelali Mouada, installé depuis
teur de la grande frise du monument d’El plusieurs années en France87.

Tahar Ouamane et la peinture murale


85. Ibid., p. 220.
Tahar Ouamane est le premier artiste
d’origine biskrite à faire une carrière in-
Constantine (1969-1974) 88. Avec une aptitu-
de pour le dessin, Ouamane expose depuis
86. Ibid., p. 170 ; voir les
planches p. 2, 106, 119 ternationale. Né en 1954, dans une famille 1969, et en 1974, après le succès de son
et 145. inluente de Biskra, il est le petit ils de Si exposition au palais du Bey à Constantine,
Tahar, imam de M’Cid (Vieux-Biskra) au XIXe il devient membre de l’Union nationale des
87. Pour Abdelali
Mouada voir http://www. siècle. Son cousin, Abdelhaidh Ouamane, arts plastiques (UNAP) – le groupement oi-
artistescontemporains. qui connut le sculpteur et écrivain anglais ciel des artistes de la République socialiste.
org/
Clare Sheridan, acheta la villa que sa famille
88. Esquisse biographique occupe encore aujourd’hui, et où sont pré- En 1976, Ouamane est élu membre du bu-
du curriculum vitae
de l’artiste disponible servées quelques œuvres de l’artiste. reau exécutif de l’UNAP au 1er congrès na-
sur www.ouamane.com. tional des plasticiens algériens qui s’était
89. Voir Fatiha Bisker,
Tahar Ouamane a suivi dès l’enfance l’école réuni à Skikda. Il rejoint le Groupe des 35
« Entretiens : Ali Khodja, coranique à Tébessa « où il découvrait la peintres, dissidents de l’UNAP suite à un
Samta Benhaya,
M’Hamed Issiakhem, F.
lettre arabe et l’ornement de la planche co- diférent avec le FLN ; Ouamane participe
Mesli, Ali Kerbouche, », ranique », fait ses études primaires à Tébes- à l’exposition du Groupe à Biskra89.
dans Algérie actualité,
n° 846, 7-13 janvier 1982,
sa (1960-1969), et secondaires à Biskra puis
p. 26.

Tahar Ouamane, L’Union estudiantine, peinture murale, Université d’Alger, Tahar Ouamane, Repaires de mon oasis, technique
Faculté centrale, 1978. mixte, 48 × 48 cm, 2016, collection de l’artiste, Alger.
Tahar Ouamane, détail
Cela ne l’a pas empêché de poursuivre, grâce Ouamane a encore eu recours à la céramique du 8 mai 1945, Sétif,
à de idèles soutiens de la part d’intellectuels, peinte pour orner, plus récemment, les es- fresque céramique,
sa carrière en recevant des commandes paces de réception d’universités en Algérie, 1985, Maison de la
culture de Sétif.
publiques de décor de bâtiments et monu- en employant cette fois une palette et une
ments publics. Comme le disait son aîné, Mo- approche stylisée qui font référence aux mo-
hammed Khadda, « Je crois que la peinture saïques romaines (comme celles de Timgad
socialiste, ce sont les fresques » 90. Parallèle- et Lambèse) et aux panneaux à décor loral
ment, il entame une série d’œuvres inspirées de tradition ottomane.
par la poésie arabe – toiles, peintures sur
90. Mohammed
verre, monotypes et gravures incluant des L’artiste est également inluencé par la calli- Khadda, entretiens dans
techniques mixtes avec des feuilles d’or, de graphie couique du Maghreb, notamment Révolution et travail,
13 mars 1966, n° 100, p. 13,
cuivre et de nacre. celle du mihrab de la mosquée de Sidi Okba,
sur lequel s’entremêlent aussi des motifs is-
reproduit dans Bellido,
2002, p. 133. 119
Ouamane est aussi illustrateur, avec plus de lamiques et berbères. La composition même
cents ouvrages à son actif. Il est un des pre- de ce mihrab a longtemps été pour lui une
miers artistes algériens à avoir eu recours, dès source d’inspiration ; Ouamane l’a progres-
1976, à de la documentation photographique sivement interprétée en la synthétisant sous Tahar Ouamane,
pour élaborer ses décors muraux à Skikda, à forme de carrés et de triangles jusqu’à obtenir L’Oasis des Signes,
l’Université d’Alger, (par exemple le panneau une abstraction géométrique. fresque céramique,
2002, Université
intitulée « L’Union estudiantine »), à Tlemcen, Mohamed Khider
Oran ou Sedrata, ainsi qu’à Cuba (La Havane). de Biskra.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

durant la guerre d’Algérie. Le panneau du


centre évoque le sanglant « Dimanche noir »
(le 29 septembre 1956) au cours duquel un
grand nombre de Biskris furent massacrés
à la mitraillette par des tirailleurs sénégalais
de la garnison de Biskra, après l’assassinat
de l’un des leurs.

Cette composition s’inscrit dans la tradi-


tion de la peinture commémorative que l’on
trouve dans une catégorie de musées propre
à l’Algérie : les musées du ou des Moujahid,
placés sous la tutelle du ministère éponyme.
Ils ont pour modèle le Musée national du
Moujahid ouvert à Alger en 1984, près du
grand Monument aux morts. À Biskra, un
tel musée, dominé par une grande coupole
blanche, est le seul endroit où des œuvres
peintes sont exposées. Les tableaux que
Monument aux morts, Moins décoratifs, moins savants dans l’on y voit sont des adaptations de toiles
2004, Place de la
Liberté, Biskra, vue de leur adaptation de la tradition, les trois ou de gravures militaires françaises, que les
l’ancien Palace-Hôtel, panneaux du Monument aux morts de artistes se réapproprient de manière parti-
photo de l’auteur, Biskra frappent par leur style naturaliste. sane. Pour rendre compte des faits d’arme
décembre 2013
Installés sur la place de la Liberté en 2004, de la guerre d’Indépendance, ils se réfèrent
ces panneaux en carreaux de céramique aux rares photographies prises alors, ainsi
témoignent des batailles dans les Aurès qu’aux témoignages des combattants91.
91. Ce massacre, qui
aurait fait 300 morts, est
totalement absent des
récits des historiens ;
en 2004, le cinéaste
biskri Abdelhamid
Titache, lui consacre
un documentaire avec
l’appui des autorités
de Biskra. Voir O.
Hind, “Documentaire
dimanche noir. De
sang et de châtiment”,
L’expressiondz.com (Le
Quotidien), 8 septembre
2004 (consulté 26
mai 2016).

Détail, Massacre
du dimanche noir,
carreaux de céramique
peints, Biskra, 2004.
Photo de l’auteur,
décembre 2013.
Slimane Bécha
Bécha se souvient d’avoir vu, comme un
enfant ébahi, naître un tableau sur la toile
d’un paysagiste européen dans les jardins
de Biskra. Fils d’un « simple cultivateur de
dattes » dans le village de Lebchèche (à
2 kilomètres de Bab-Darb dans le Vieux-
Biskra), il a eu « la chance d’être scolarisé »
en langue française parmi les 44 garçons
(pas de illes) à l’école du Vieux-Biskra.
Après sept années de scolarité, il obtient
son certiicat d’études et un brevet sportif.
À Biskra, il y avait un centre de formation
professionnelle ofrant ces options aux
jeunes Algériens : la mécanique, la menui- 92. Avec l’aimable
serie, la maçonnerie ou la cordonnerie. intervention de
Mohamed Slimani, j’ai pu
(« L’université était réservée à certains », rencontrer et interviewer
dit-il, par exemple les enfants de riches fa- Slimane Bécha à Biskra,
le 14 octobre 2015 ;
milles, comme les Ben Gana). voir aussi Anonyme,
« Portrait : Slimane Bécha,
Il achève ses trois années d’études en mé- artiste-peintre. Une pure
mécanique artistique »,
121
canique automobile en 1962, l’année de El Watan (Alger),
12 mars 2003.
l’Indépendance. Il est embauché en tant
que motoriste le 31 décembre de la même 93. Les « coopérants »
année au grand centre des chemins de fer étaient de jeunes
Européens, pour la
à Constantine, pour la maintenance des plupart français ou
locomotives diesel d’origine française. Les soviétiques – surtout
des enseignants, mais
mécaniciens de la métropole, des « coopé- aussi des ingénieurs,
Slimane Bécha, Autoportrait en grimpeur de dattier,
rants », donnaient des cours sur l’entretien des scientiiques et des
sans date (vers 2014), huile sur carton 30 × 40 cm. chercheurs en sciences
Biskra, collection de l’artiste. des machines93. sociales – qui allèrent
travailler en Algérie
après les accords d’Évian,
Bécha commence à peindre en amateur dans des industries

E n contrepoint, on peut citer l’artiste au-


todidacte, qui vit toujours sur les terres
vers 1970. Il s’est forgé une technique qu’il
qualiie d’ « impressionniste » 94. Conscient
où les infrastructures
nécessitaient une
maintenance. Ce
familiales à Biskra, Slimane Bécha. Sa car- de la disparition progressive de la ville qu’il programme (qui se
substituait au service
rière de cheminot92 (il a été conducteur de aime, une de ses motivations pour la pein- militaire) s’est poursuivi
trains de grandes lignes entre 1964 et sa re- ture a été la restitution des lieux dont il en- de 1962 à 1982. Voir
Jean-Robert Henry, « La
traite, en 1998) lui a d’abord fait considérer tretient le souvenir. Il se documente à l’aide recomposition des savoirs
la peinture comme un passe-temps qui s’est de cartes postales anciennes de Biskra et, à au Maghreb à l’époque
de la coopération »,
transformé en passion. Bécha est, dans une ce jour, il conserve dans son studio des dos- L’Année du Maghreb,
certaine mesure, le maître de l’école natu- siers, soigneusement ordonnés, contenant V, 2009, consulté le
19 mars 2016. URL : http://
raliste biskrite qui se penche sur le souvenir des photographies anciennes de la ville et anneemaghreb.revues.
des lieux et le patrimoine, en s’appuyant sur de ses alentours. org/701.
des documents photographiques. 94. Anonyme, « Portrait :
Bécha, Slimane », 2003.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

Il copie aussi des tableaux de peintres orien-


talistes du XIXe siècle. En Algérie la copie a
sans doute été initiée au Musée national
des Beaux-Arts d’Alger (ouvert en 1930), où
une génération a été formée à la technique
de la peinture à l’huile en reproduisant de
façon exacte les toiles importantes. Au-
jourd’hui, y compris dans les Ziban, cette
pratique prend une autre dimension : de
nombreux bâtiments publics – des mairies,
des centres culturels, des ministères, des
musées comme le celui des Moudjahidines
à Biskra – sont ornés de copies peintes qui
prennent une nouvelle signiication dans ce
contexte. L’exactitude n’est plus tout à fait
de mise (voir les pâles copies d’après Étienne
Dinet à l’hôtel les Ziban).

Il s’agit d’une réinterprétation postcolo-


niale d’un héritage initialement capté – pour
d’autres raisons – par des peintres-voya-
geurs et artistes étrangers du XIXe et du
début du XXe siècle. Cette passion pour la
copie trouve un parallèle dans la consti-
tution de collections d’œuvres orienta-
95. Voir Roger Benjamin, Slimane Bécha dans son atelier à Bab-Darb, Biskra, en
septembre 2015, photo de l’auteur. Il a dans la main un listes par des Maghrébins, des Turcs, des
« Postcolonial taste ?
Non-Western Markets dossier avec des photos du monument Lavigerie. Égyptiens et des collectionneurs dans
for Orientalist Art », dans les pays du Golfe. Comme je l’ai suggéré
Orientalism : Delacroix to
Klee, R. Benjamin (éd.), ailleurs, l’esthétique naturaliste et qua-
Sydney : Art Gallery of New si-photographique de la peinture orienta-
South Wales, 1997, p. 32-39.
liste s’accorde bien avec la représentation
des scènes de la vie « traditionnelle » 95.

Salon d’une maison


dans le centre de Biskra
avec sur le mur une
copie peinte d’après
Hippolyte Lazerges, Le
Biskri (Porteur d’eau,
huile sur toile, 1879,
Musée national des
Beaux-Arts d’Alger),
octobre 2015. Photo
de l’auteur.
123

Slimane Bécha, Café, rue


Berthe, 2016, huile sur
toile, 36 × 51 cm, Biskra,
collection de l’artiste.
Il s’agit d’une vue
faite d’après une carte
postale dont la Citroën
Traction Avant donne
une indication sur la
date, probablement
après 1940.

L’intérieur de la galerie
L’Orientaliste, rue
Boudjemaa, Biskra-
Centre, octobre 2015.
Photo de l’auteur.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La peinture

Des peintres comme Dinet croyaient préser- L’un des collègues de Slimane Bécha, l’ar-
ver ainsi les mœurs et coutumes algériennes tiste-peintre et encadreur Ali Chérif, exé-
menacées par la modernité coloniale. L’évo- cute lui aussi des copies d’après les orien-
lution de la vie en Algérie, surtout depuis talistes. Il les commercialise dans sa galerie
l’Indépendance, a pris d’autres formes, nommée fort à propos L’Orientaliste, située
mais la valeur historique, voire afective, dans la rue principale qui borde l’ancien
de ces représentations d’un autrefois ne « village nègre » (rue Boudjemaa). Ali Ché-
fait plus polémique. rif privilégie la peinture sur des carreaux
de céramique, mais il vend des copies sur
Cet engouement gagne toute la société. toile peintes par d’autres confrères. Sur ses
Un tableau souvent admiré et copié par les cimaises cohabitent des images éditées par
étudiants au Musée national des Beaux-Arts Photochrome Zurich en 1900 imprimées sur
d’Alger, le Biskri ou Porteur d‘eau d’Hippo- toile, des copies de Dinet également impri-
lyte Lazerges, se retrouve dans un intérieur mées, ainsi que des copies peintes d’après
bourgeois à Biskra. Ce n’est pas une repro- Lazerges, Girardet ou Dinet, à côté de ta-
duction photographique, mais une véritable bleaux sur faïence et d’études photogra-
copie peinte avec des couleurs acryliques. phiques de leurs. La galerie L’Orientaliste
Peut-être le sujet rappelle-t-il que des cen- est un espace voué à l’image du passé biskri,
taines d’hommes de la région de Biskra traité sur le mode décoratif et afectif.
partaient travailler dans les grandes villes
comme portefaix, colporteurs ou vendeurs
de boissons (d’où l’appellation « Biskris »
des porteurs d’Alger).

96. Pour une sélection


Noureddine Tabrha
des œuvres de
Tabrha voir http://
founoun1954.blogspot. Led’une
travail de Noureddine Tabrha témoigne
lecture de la tradition comprise dif-
Une longue série de ses tableaux puise
son inspiration dans les transformations
com.au/2009/08/blog-
post_4582.html. féremment96. Il est à la fois contemporain opérées sur l’univers des signes amazighs :
et nourri du passé. Bien que natif de l’Aurès les caractères tiinagh, les tatouages de
97. Hachani, 2011, p. 193 (Tabrha est né en 1967 à Tajmout dans la femmes (aouchem), le décor des céra-
et 234.
wilaya de Batna) 97, une grande partie de sa miques et des objets en cuir toujours en
98. Mohammed Khadda, carrière s’est faite à Biskra, où il enseigne à usage. Comme le résume la chercheuse
« Les arts plastiques :
enracinement et l’École des Beaux-Arts. Tabrha se présente Hélène Claudot-Hawad :
création » (vers 1980), sur internet et les réseaux sociaux comme
voir http://bmsyoucef.
chez.com/dossier/history_ un « artiste Chaouia », une revendication « Avec des combinatoires ininies du point,
dossier.htm#haut. qui n’est pas anodine en ces années de du trait, et de la ligne brisée, les décors
99. Hélène Claudot-
lutte pour la reconnaissance politique de amazighs privilégient l’abstraction sym-
Hawad, « Nord de la langue amazighe et de son alphabet tii- bolique. Ils mettent en scène les principes
l’Afrique : langue et
écriture amazighes »,
nagh. D’après le peintre Mohammed Khad- universels d’opposition et de complémen-
dans Album du musée, da, « les arts populaires berbères [sont le] tarité qui associent les éléments néces-
Institut du monde arabe,
Paris : IMA, Somogy, 2012,
substrat de notre culture nationale » 98. saires aux cycles de la vie végétale, ani-
p. 70-71. male, sociale, mentale… » 99
L’art de Tabrha a aussi ses origines dans
« L’École du signe », ce courant clef de l’art
moderne algérien qui, depuis les années
1950 avec l’œuvre de M’hamed Issiakhem,
Mohammed Khadda, Choukri Mesli et leurs
émules, a permis une continuité avec l’art
de la calligraphie propre aux sociétés ara-
bo-musulmanes, le monde des signes ber-
bères, et l’abstraction expressionniste de
la peinture moderne euro-américaine100.

Dans une série récente d’œuvres en trois


dimensions, Tabrha utilise un support
unique : des omoplates d’agneau ou de
bélier. Comme on l’a observé dans l’Ha-
bitation saharienne de Guillaumet, les
omoplates étaient suspendues dans les
maisons des Ziban ain de les protéger du
mauvais sort.

Il est possible que l’artiste ait d’abord


employé de vraies omoplates inscrites
de signes épars à la pointe de fer, et qu’il 125
utilise aujourd’hui de petites sculptures
ain de diversiier les formes et les cou-
leurs. Avec l’introduction de la couleur,
Tabrha éprouve une plus grande liberté
en peignant sur ce support. Des pierres
Noureddine Tabrha, Sans titre, 2015-16, technique mixte, environs
creuses inscrites ou des cailloux polis de 75 × 35 × 10 cm. Biskra, collection de l’artiste.
rivière accrochés à des cordons sur le côté
confèrent à l’œuvre une présence encore
plus emblématique. Quoique « après l’In-
dépendance, les signes amazighs et l’al- 100. Article anonyme,
« Peintres du signe »,
phabet tiinagh envahissent un pan des Wikipédia (consulté le 20
arts plastiques algériens » 101 , en 2016 mars 2016).
un artiste comme Noureddine Tabrha 101. Khadda, « Les
montre, par son ingénuité créatrice, la arts plastiques ».
vitalité d’un monde de symboles anciens
qu’il continue à chérir.
Éditeurs Bouillard et F. Simon, Biskra, rue de la Poste, carte postale, vers 1920, Sydney, collection DORA.

La photographie
Biskra, sortilèges d’une oasis — La photographie

De grands hôtels européens ont été érigés [...] il y a un casino


et un champ de courses. Il y a des jardins de promenade où une
musique militaire française est jouée en soirées [...] La moitié
des magasins vend des photographies. L’endroit paraît être
bombardé par une avalanche de cartes postales illustrées.

J. F. Fraser, Land of the Veiled Women, 1911, p. 129.

Lors de son séjour en Algérie, John Fraser,


un voyageur britannique, constate que le
son utilisation politique ; le sultan ottoman
l’encouragea avec la commande d’un livre
1. Voir Michèle développement de la photographie à Biskra montrant les diférents peuples, costumes
Hannoosh, « Practices n’est pas en reste par rapport aux grandes et religions de son empire2.Ces photogra-
of photography :
circulation and mobility métropoles. Les étrangers découvrent la phies devaient être montrés à l’Exposition
in the nineteenth- « Reine des Ziban » à travers la photogra- universelle à Vienne en 1873 ; vers 1890 le
century Mediterranean »,
History of Photography, phie et une « avalanche de carte postales Sultan Abdul Hamid II commanda des pho-
vol. 40, n°1 (février 2016), illustrées ». À l’époque, vers 1910, Biskra tographies de son empire, qui était en train
3-27 ; sur Sevruguin, voir
Frederick N. Bohrer, (éd.), compte déjà trois ou quatre studios de pho- de se moderniser ; des albums luxueux ont
Sevruguin and the Persian tographie – ce qui est assez remarquable alors été envoyés à divers chefs d’État3.
Image, Photographs of
Iran, 1870-1930, Seattle ; pour une ville dont la population civile eu-
University of Washington ropéenne ne recensait que quelques cen- En Algérie, les Biskris de confession musul-
Press, 1999.
taines de personnes. Ce commerce semble mane auraient été réticents vis-à-vis de la
2. Ken Jacobson, avoir été l’apanage des Européens jusqu’à photographie à cause de la prohibition de la
Odalisques & Arabesques :
Orientalist Photography la in de l’époque coloniale, en 1962. représentation igurée. Au Maghreb, Albert
1839-1925, Londres : Samama Chikly a été l’un des premiers à
Quaritch, 2007, p. 46.
Pourtant certains notables algériens, mar- produire des ilms et des photographies.
3. Ibid., p. 55-56. chands ou propriétaires, auraient été en me- Tunisien d’origine juive, il se rend à Biskra
sure d’établir eux aussi des studios, comme pour couvrir en tant que « photojourna-
4.Voir Guillemette
Mansour, Samama Chikly, cela avait été le cas dans l’Empire ottoman, liste » l’inauguration de la statue du cardinal
un Tunisien à la rencontre au XIXe siècle. Ainsi, à Istanbul, au Caire et à Lavigerie en 1900 (Samama Chikly avait été
du XXe siècle, Tunis :
Simpact Éditions, 2000 ; Alexandrie, l’industrie locale de la photogra- son élève à Carthage4).
et Michel Megnin, Tunis phie était dominée par des non-Européens
1900, Lehnert & Landrock
Photographes, Tunis : tels les Frères Abdallah, Pascal Sébah ou Il existe cependant au Getty Research Ins-
Apollonia, 2005. encore Georges Légékian (des chrétiens titute, à Los Angeles, un album de 1881,
5. Texte de catalogue arméniens, syriaques, ou grecs) ; du côté certainement conçu « dans une perspec-
pour Al-Wahhab et Abdu de la Perse, c’était Antonin Sevruguin, d’ori- tive arabe »5. Cet album comprend 107 pho-
Rabbih, compilateurs,
Al Djazaïr et Tunis, gine géorgienne et arménienne, qui en as- tographies dont une dizaine d’images de
1881, album de tirages sura la promotion1. Le développement de la Biskra. Le cofret en acajou protégeant l’al-
albuminés, 38,5 × 30,5 cm.
Los Angeles, Getty photographie se it également en lien avec bum porte un décor ciselé avec une « tugra »,
Research Institute.
Anonyme, Tentes (Bwut Al-Chaar) près de Biskra, dans Al-Wahhab, Abdu Rabbih, Cofret en acajou ciselé pour l’album Al Djazaïr et
compilateurs, Al Djazaïr et Tunis, 1881, tirages albuminés, 38,5 × 30,5 cm. Los Tunis, 1881. Los Angeles, Getty Research Institute.
Angeles, Getty Research Institute.

une signature calligraphiée, et sa couver- liens existant entre artistes, collectionneurs 129
6. Ali Behdad, « The
ture de cuir est décorée d’arabesques et et musées, au-delà des frontières histo- Orientalist Photograph »,
de calligraphies. On pense « qu’il a pu être riques et nationales, le tout contribuant à dans Photography’s
Orientalism. New Essays on
compilé pour un très haut fonctionnaire une image exotique de la région, une vi- Colonial Representation,
ou un riche Arabe » car les inscriptions sion accueillie et perpétuée par l’élite du Ali Behdad et Luke
Gartlan (éd.), Los
sont en langue arabe, mais écrites soit en Moyen-Orient. La photographie indigène Angeles : Getty Research
alphabet arabe, soit en alphabet hébraïque. [...] appartient aussi au réseau orientaliste Institute, 2013, p. 13.
Cet album a peut-être été commandé à un qui utilise son vocabulaire et sa thématique
photographe indépendant à l’occasion de la représentation » 6.
d’un voyage. Dans la section dédiée aux
portraits, des légendes accompagnent les
photographies et permettent d’identiier
les personnes photographiées.

Si l’identité du commanditaire reste incon-


nue, ce document peut être vu comme un
témoin de transfert de technologies et de
données culturelles dans le sens qu’indique
Ali Behdad, qui prône : « Une vision de la
photographie orientaliste qui montre les

Delemotte et Alary, Ruines d’un marabout dans


l’oasis de Biskra, daguerréotypie, mai 1850,
7,3 × 9,7 cm. New York, Rochester, George Eastman
Museum, don de la Eastman Kodak Company.
Moulin, Mosquée
de Sidi Ben Fedhal,
du XIIIe siècle, Vieux-
Biskra, 1856, Aix-en-
Provence, Archives
nationales d’Outre-mer,
dation Zoumerof.

7. Voir Mohammed Sadek


Messikh, L’Algérie des
premiers photographes, ajoutant une légende : Sidi Fedhal, mosquée
Courbevoie : Éditions du
Layeur, 2012, p. 10-15 ;
Deavait
la même manière que Fromentin
croqué la vie des Ziban en sui- du XIIIe siècle. Cette image est difusée en
Excursions daguerriennes vant l’armée d’Afrique (voir le chapitre xylographie par le journal Le Tour du Monde,
était le nom du premier
recueil de xylographies « La Peinture ») ; la photographie apparaît en 1881 (avec une dizaine d’autres vues de
gravées d’après des rapidement à Biskra pour témoigner des Moulin, jamais attribuées)8.
daguerréotypes, N.-P
Lerebours et P. la nombreuses transformations faites par la
Garenne, Excursions colonisation, par exemple l’abandon de la Pendant son séjour de 18 mois en Algérie,
daguerriennes : collection
de 50 planches gravées « citadelle » turque de la palmeraie au proit Jacques-Félix Moulin contribue pleine-
sur acier, représentant les de la place de Biskra. La première image ment à l’enrichissement de l’iconographie
vues et les monuments
anciens et modernes les que l’on a conservée de cette époque est de l’Oasis9. Sa biographie révèle une his-
plus remarquables du un daguerréotype, un rare exemple algé- toire « haute en couleur » ; dans les années
globe. Paris : Rittner et
Goupil, 1841. rien de ce premier procédé mis au point 1840 Moulin commence à Paris à produire
8. Voir Victor Largeau, par Louis Daguerre en 1838. Il s’agit d’une des études en studio, particulièrement des
« Le Sahara Algérien, 1874- plaque unique en cuivre polie recouverte nus féminins, dont quelques-uns seront ju-
1878 », Le Tour du Monde,
vol. 42, n°1069 (1881), d’une couche d’argent qui, après exposition gés obscènes par les autorités du Second
p. 1-35. à des vapeurs d’iode, produit de l’iodure Empire. En 1851 Moulin est condamné à
9. Voir Zarobell, Empire of d’argent photosensible. Ce daguerréotype une amende et à un mois de prison, ce
Landscape, 2010, p. 103- montre les vestiges d’un marabout dans qui le poussera par la suite à respecter les
131, esp. p. 116-122, citant
un mémoire de maitrise une composition étudiée avec le minaret conventions du « nu artistique » 10. En 1855,
par Estelle Fredet, au centre encadré par un palmier et une son ils part en Algérie pour son service mi-
« L’Algérie photographiée
de Félix-Jacques-Antoine koubba. Cette photographie est attribuée litaire et il voit là l’occasion de voyager sous
Moulin, et la politique à deux photographes professionnels venus couvert d’une mission oicielle. « Moulin
algérienne de l’Empire »,
sous la direction de Marc d’Alger, Delemotte et son apprenti, Alary. est muni d’une lettre de recommandation
Michel, IHPOM, 1993-94. Le sujet est similaire aux premières « excur- du ministre de la Guerre ; outre le bon ac-
10. Voir la biographie
sions daguerriennes » à Alger ou au Caire : cueil assuré auprès du gouverneur général
de Moulin dans des monuments historiques et religieux7, d’Alger, le maréchal comte Randon, elle
« Bibliothèque nationale
de France, Les albums
cependant la faiblesse de la mise-au-point facilite le voyage dans le pays et, surtout,
de Napoléon III », http:// limite sa valeur documentaire. En 1856, la réalisation de nombreux portraits des
expositions.bnf.fr/napol/
grand/057.htm, consulté
Jacques-Felix Moulin reprend ce motif en y autorités religieuses et militaires françaises
le 11 mai 2016.
Felix Moulin, Biskra, l’orée du désert, 1856. Paris,
collection Serge Kakou.

arabes que d’oiciers français ; et enin des


portraits de types, dont trois images des
« Naïlat, femmes des Ouled-Naïls ». Moulin 11. Ibid.
inclut sous le titre « Biskris » une série de 12. Ibid.
portraits en studio illustrant des types eth-
niques et diverses professions ; ces photo- 13. Des échantillons de
légendes imprimées de
graphies semblent montrer des habitants Moulin sont visibles dans
d’Alger d’origine biskrie qui émigraient dans l’album de la Bibliothèque
nationale de France, ibid.
le nord dans l’espoir de trouver du travail13.

ainsi que des chefs indigènes » 11. Sur place


sa technique et les facilités que lui procure
sa mission oicielle l’avantagent. Bien
que l’on ignore quel type d’appareil il uti-
lise précisément (il avait apporté 1100 kg
d’équipement en Algérie), Moulin travaille
« avec des négatifs sur verre au collodion
de format relativement modeste (environ
20 × 25 cm) »12. Dans un récit postérieur, il
se plaint des conditions diiciles auxquelles 131
il était confronté, les problèmes liés aux
équipements cassés, au manque d’eau
propre, etc.

Jacques-Félix Moulin sélectionne 300 de ses


clichés répartis en trois grands albums divi-
sés selon les trois départements algériens
(Oran, Alger et Constantine). La partie s’in-
titulant L’Algérie photographiée. Province
de Constantine, Tome III (comprenant 111
épreuves) étudie diférents aspects de la
vie à Biskra : les bâtiments anciens, majo-
ritairement des mosquées ; les paysages,
avec des vues de palmiers aux conins mé-
ridionaux de la palmeraie, des tentes et des
vues du Sahara ; des portraits d’hommes
politiques et de militaires, pris dans la
cour du Bureau arabe ou dans un palais
de Constantine, avec autant de notables

Jacques-Félix Moulin, Bou-Aziz Ben Gana, Cheik-el-


Arab (le serpent du désert), oasis du Vieux-Biskra,
prise à Constantine, épreuve sur papier albuminé
d’après négatif sur verre au collodion, 16,5 × 22 cm.
Aix-en-Provence, Archives nationales d’Outre-mer.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La photographie

nette sculptée et, aux murs, des carreaux


de revêtement en faïence. L’homme avec
une coifure à la turque, Si Hamouda, se
tient à ses côtés en compagnie d’oiciers
français, de chaouchs, de khodjas, et d’in-
terprètes kourloughis. Avec un esprit de
propagande, les Français demandent à
Moulin de photographier dans ce lieu le
personnel des Bureaux arabes de plusieurs
régions (y compris Bône et Mascara). Il fait
poser également les cadis, les magistrats ;
le personnel du Bit el-Mal (tribunal de suc-
cessions vacantes), l’archevêché d’Alger et
son entourage, etc.

Ces portraits oiciels aichent une coopé-


ration, un partage du pouvoir, du savoir et
la maîtrise linguistique ; la photographie
donne l’illusion d’une égalité politique. Mais
après la révolte du cheik Bou-Ziyan en 1849
Jacques-Félix Moulin,
détail de Cheik el Arab, Dans cet album on trouve également des
portraits en assemblée des autorités
et la prise de Zaatcha, le pouvoir demeure
aux mains des oiciers supérieurs de l’ar-
le capitaine Lucas, Si
Amouda, M. Desbarolles,
politiques de l’époque – notables zibanais mée française. Les bach-aghas, aghas, cadis
Constantine. Paris, et militaires du Bureau arabe à Biskra ; ces et cheiks sont sous leur contrôle, jusqu’à la
Bibliothèque nationale portraits deviendront plus rares par la suite. suppression des cercles militaires après la
de France.
Moulin arrive à Constantine, capitale de la crise de 1868-1869.
province, au moment où la France traite
avec le Cheik-el-Arab, Bou-Aziz Ben Gana La collaboration entre Moulin et les autori-
(nommé selon Moulin « le serpent du dé- tés françaises dans la région de Biskra reste
sert »). Bou-Aziz meurt peu après, et son ils, exceptionnelle et ce privilège ne sera en-
Mohamed Srir Ben Gana, est investi du titre suite accordé qu’à un autre oicier français,
de « Bach-Agha des Ziban » (ces titres datent le lieutenant Klipfel, vers 1910. D’autres
de l’administration ottomane ; le dernier ré- photographes sont présents à Biskra dès
gent ottoman de Constantine, Ali-Bey, était les années 1860 tels que Antoine Alary ou
rattaché aux Ziban par sa iliation mater- Charles Portier, qui prendront des clichés
14. Le premier récit
nelle. Il donna aux Ben Gana l’ascendance d’autres aspects de la vie à Biskra. Deux
de ces évènements sur la famille des Bouakkaz, leurs rivaux photographies d’attribution incertaine
est donné par Joseph-
Adrian Seroka, « Le Sud
ancestraux. Arrivé en 1844 à Biskra, le duc montrent des femmes Ouled-Naïls, l’une
Constantinois de 1830 à d’Aumale avait renforcé cette alliance avec les présente se baignant dans un petit
1855 », Revue africaine,
vol. 56 (1912), p. 375-448 ;
les Ben Gana car les Bouakkaz soutenaient bassin près du Hammam Salahine (voir le
Seroka fut oicier puis son ennemi l’émir Abd-el-Kader) 14. chapitre « Le tourisme ») et l’autre vêtues
chef du Bureau arabe
de Biskra entre 1848 et
de leur costume traditionnel devant leurs
1855, et commandant Moulin tire de nombreux portraits oiciels appartements dans la rue des Ouled-Naïls
supérieur du Cercle de
Biskra entre 1855 et 1863 ;
dont trois au moins montrent le vieux cheik près du marché de Biskra-Ville (voir le cha-
pour une bibliographie barbu Bou-Aziz, parfois souriant, dans la pitre « Architecture et urbanisme »).
complète voir Brower,
A Desert Named Peace,
cour d’un palais où l’on aperçoit une colon-
2010, n°3, p. 259.
133

Jacques-Félix Moulin, détail de La Kouma, Constantine ; au centre, assis, le Cheik el Arab, Si Amouda, Paris, Bibliothèque national de France.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La photographie

Neurdein Frères, Types Algériens. Mozabite,


vers 1880. Washington DC, Library of Congress.

Neurdein Frères,
Biskra, rue des
Ouled Naïls, vers 1880.
Gilles Dupont, l’arrière-arrière-petit-ils
d’Auguste Maure, relate l’histoire de
les hommes d’afaires et des portraits de
famille, pour les Européens résidant dans
Washington DC, son aïeul, arrivé très jeune à El Kantara, la ville. Sur les traces de Jacques-Félix
Library of Congress. où il travaille au service postal vers 1860. Moulin, Auguste Maure déinit l’imagerie
Avant 1870, il crée le premier studio pho- historique de Biskra et des bourgs alen-
tographique de Biskra, La Photographie tours. Son studio ofre aux yeux des rares
saharienne, où il produit de nombreux por- touristes de l’époque des vues des lisières
traits de soldats, des cartes de visite pour de palmiers, des séguias et des routes se
perdant à l’inini, des habitations locales, un guerrier touareg qui visite l’oasis, des
des gourbis en tépée, ou des maisons en « marchands mozabites », des « Nègres »
toub. Il réalise également une petite série et des Soudanais, des « nomades », des
d’intérieurs de maisons qui rappellent la Ouled-Naïls (des femmes uniquement),
peinture de Guillaumet ainsi que des por- des agriculteurs khammès, des militaires
traits d’une grande qualité d’Ouled-Naïls dont des chasseurs d’Afrique, et un « goum
en tenue de danse et de cérémonie qui ri- du Sud-algérien » (compagnie de cavaliers
valisent avec le travail des frères Neurdein. avec leur turban orné de plumes d’au-
truche). 15. Sur les Neurdein, voir
Rebecca DeRoo, « Colonial
Étienne et Antonin Neurdein avec leurs Collecting : Women and
« opérateurs », produisent une grande Vers 1900, en plus de la difusion com- Algerian Cartes Postales »,
Parallax (Londres), vol. 4,
quantité d’images à Biskra 15 , dont des merciale classique de ces tirages et leur n°2 (1998), p.145-157, et
cartes postales qui avaient été tirées à édition en cartes postales, on commence Jacobson, 2007, p.259.

partir de négatifs vendus par les Maure à imprimer des albums entièrement consa- 16. La page porte
après 1900. De cette grande société pari- crés à des lieux prestigieux. Plusieurs la mention « format
24 × 30 », pour des tirages
sienne on connaît au moins deux catalo- photographes de renom en composent éventuels. Cet album est
gues commerciaux (à l’usage d’agences comme Jean Geiser, installé à Alger, qui conservé à la Bibliothèque
des frères Neurdein) qui permettent une visite Biskra en 1890 et utilise son fonds
nationale de France ;
mes remerciements à
135
étude de leur production dans les Ziban. d’images pour l’illustration d’un livre de M. E. Bouillon pour me
l’avoir indiqué.
Le premier, l’Album-Référence des vues voyage. De son côté, la maison Neurdein
d’Algérie, 1890, est produit à Paris en 1890 édite un album de luxe comprenant 35 17. Neurdein Frères,
Collections de sujets
(avant l’ère de la carte postale illustrée) photographies originales de Biskra19. En édités dans le format
et contient plusieurs pages sur Biskra ; revanche, Marius Maure publie un album carte postale, Neurdein,
1900, Paris, collection
chacune d’elles constituée de 18 petits de moins bonne qualité car il a recours particulière.
tirages numérotés16. Le deuxième cata- à des reproductions en photogravure20.
logue, les Collections de sujets édités dans Quant à la société Léon et Lévy, elle édite 18. David Prochaska,
« Returning the gaze :
le format carte postale17 ne possède aucune un recueil de 24 vues sur Biskra vers 1910. Orientalism, gender
illustration mais inventorie les titres de 140 Des particuliers composent eux aussi des and Yasmina Bouziane’s
photographic self-
cartes sur Biskra et ses environs (notam- albums dont ils achètent séparément (par portraits », dans Modern
ment El-Kantara). exemple l’album de Moulin conservé aux Art and the Idea of the
Mediterranean, Vojťch
Archives nationales d’Outre-mer a été as- Jirat-Wasiutýski et
La situation géographique de Biskra, un semblé par le général Daumas, premier Anne E. Dymond (éd.),
Toronto : University of
carrefour entre le Sahara et la montagne chef des Bureaux arabes). Pourtant les Toronto, 2007, p. 230.
kabyle, en fait un lieu privilégié pour capter albums des professionnels, en se focali-
19. Neurdein Frères,
ce qui sera les célèbres scènes et types de sant sur une seule ville, ofrent de riches Biskra, sans date
la maison Neurdein. David Prochaska a en recueils de souvenirs. Certains d’entre (vers 1900), album
photographique avec
efet montré que ces études pseudo-eth- eux ont même été difusés en métropole 24 planches, Aix-en-
nographiques ont été prises à Biskra et en raison de la localisation du siège social Provence, ANOM.
à Laghouat, plus au sud18. Ces scènes et de leurs éditeurs (Neurdein Frères établi 20. Marius Maure,
types incluent des « Arabes », des Chaouia, à Paris). France-Album. Biskra & ses
environs. 75 vues, Notice &
un Plan, Paris, France-
Album, sans date (vers 1900).
Biskra, sortilèges d’une oasis — La photographie

Neurdein Frères, Sahara algérien, campement de nomades, dans Biskra, Paris,


sans date (vers 1900). Aix-en-Provence, Archives nationales d’Outre-mer.

21. Voir les stéréoscopies


‘Vérascope Richard’,
Lesétaient
prises de vues stéréoscopiques
très en vogue en métropole
George Eastman dans les années 1870, et jusqu’à la Pre-
Museum, Rochester, New
York, (en ligne). mière Guerre mondiale. Biskra ne fut pas
épargnée par la rapide expansion de son
22. À la grande prière,
tenue sur un terrain près utilisation. Un couple fortuné photogra-
de l’ancien fort turc, Gide, phia ainsi sur plaque de verre son voyage
accompagné par son ami
biskri Athman, est ému nord-africain et leurs excursions en com-
jusqu’aux larmes par « la pagnie d’un guide, avec un appareil fran-
piété de ce people vaincu,
que semble n’accueillir çais, le « Verascope Richard21 ». Leur image
pas le ciel morne » ; la plus remarquable montre des touristes
par contre il remarque,
« à vingt mètres du et des badauds en train de photographier
prédicateur… des une importante cérémonie musulmane à
touristes photographes
hommes et femmes, Biskra : la « grande prière », qui avait lieu à
plus un groupe de sœurs chaque fête de l’Aïd. Les diférentes phases
blanches, photographes
aussi, braquent leurs de la grande prière ont souvent été pho-
appareils, rigolent et tographiées par les (Maure, par exemple),
parodient la voix du
saint. Ils adorent un mais on ne voit jamais – comme on le voit
Anonyme, Femme maniant un appareil
autre Dieu, et se sentent ici – les Européens dont Gide décrit la trou- stéréographique, vers 1900, Macleay Museum,
très supérieurs » (Gide,
Amyntas, p. 198-199). blante présence22. Université de Sydney.
Anonyme, Deux jeunes
hommes dans le « village
nègre » à Biskra, vers
1900, plaque de verre
stéréoscopique, Paris,
photothèque de
l’Institut du monde
arabe, inv. 159396.

Julien Damoy, 21. Biskra, 137


Porteurs de drapeaux,
vues stéréoscopiques,
série n° 9. Sydney,
Collection DORA.

Une série de plaques de verre stéréosco- la rue ou des processions d’une confrère-
piques, datées de janvier 1906, est conser- rie souie23.
vée à l’Institut du monde arabe. L’une
montre une vue de l’intérieur du « village Dans les années 1890, la photographie tou-
nègre », et une autre, la visite d’une tou- ristique prend un nouveau tournant avec
riste française accompagnée de son guide, l’arrivée d’un appareil plus léger, possédant
au vieux fort turc (peut-être celui au nord une vitesse d’obturation instantanée, le
de la ville). Kodak. On assiste alors à une multiplication
de clichés amateurs. Le Kodak se tenait à
Les éditeurs de cartes postales proitèrent hauteur de l’estomac ain de centrer l’ob-
également de ce procédé. Julien Damoy, jectif et fonctionnait avec des pellicules de
riche épicier parisien, édite 26 séries de 24 24 vues que l’on déposait en agences pour
cartes stéréoscopiques sur des villes cé- leur développement sur place (tous les stu-
lèbres (Londres, Bruxelles, Nice, etc.) dont dios de Biskra ofraient cette facilité). Le
Alger et Biskra. Ces séries constituent un « snapshot » était né. Les photographies de
corpus original sur la vie quotidienne des l’artiste-peintre d’avant-garde Henri Evene- 23. Voir « Vues
Arabes. Damoy photographie notamment poël montrent une tout autre approche de stéréoscopiques Julien
Damoy », dans CPArama, 5
la procession d’une grande fête, une « noce la vie locale, informelle et improvisée (voir juillet 2011 (en ligne) pour
indigène » vers M’Cid, des musiciens dans le chapitre « La sensibilité d’avant-garde »). la liste complète.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La photographie

Une deuxième vue procure le sentiment du


désert, donne la sensation de chaleur en ce
mois de décembre, exprime la solitude par
son dépouillement avec deux silhouettes de
palmiers et, à l’extrémité sur la droite, des
« tentes de Bédouins ».

Le mirage de la photographie en couleurs a


titillé les inventeurs et techniciens pendant
des décennies. Dans les années 1890, pour
pallier le manque de couleurs, la société
Henri Evenepoël,
Femme marchant sur
la Route de Touggourt,
Lesdestouristes les plus aisés possédaient
appareils plus performants. L’arpen-
Photochrom Zurich, installée en Suisse
alémanique, fait peindre à l’aquarelle par
tirage albuminé, Album teur-général (Surveyor-General) de l’État des artisans les clichés originaux, puis les
Algérie-Tunisie, 1898. du Queensland en Australie, Walter Cunnin- imprime en séries.
Paris, Musée d’Orsay,
inv. PHO 2003514.
gham Hume, voyagea avec sa femme Kate
en Algérie et en Tunisie en décembre 1904. Photochrom Zurich publie sous forme de
D’après leur journal, ils passent quatre jours à cartes postales au moins quatre images
Biskra, au Royal Hôtel. M. Cunningham Hume de Biskra (sans compter celles d’El Kan-
prend depuis le sommet du tour-minaret tara et de Sidi Okba) qui sont largement
une vue tout à fait exceptionnelle, avec un difusées. Le tirage Biskra, le marché donne
cadrage un peu atypique qui élimine toute l’impression d’une véritable photographie
construction faite par l’homme. Les terres en couleur, jusqu’à ce que l’on remarque
cultivées s’échelonnent jusqu’à l’horizon, et la vingtaine de burnous tous du même ton
le touriste légende ainsi le cliché « Le grand de bleu. On comprend alors que le vert des
Sahara. Cultures, palmiers-dattiers, et lit as- palmiers, l’orangé des toits et les rehauts de
séché de la rivière de Biskra ». blanc sont tous appliqués à la main.

Walter Cunningham
Hume, The Great Sahara.
Cultivation, date palms,
and dry bed of River
Biskra, album d’Algérie
et de Tunisie, décembre
1904, tirage albuminé.
Brisbane, Fryer
Library, The University
of Queensland.

Walter Cunningham
Hume, The Great Sahara,
Biskra, album d’Algérie
et de Tunisie, décembre
1904, tirage albuminé.
Brisbane, Fryer
Library, The University
of Queensland.
139
Photochrom Zurich, Biskra, le marché, tirage moderne. Washington DC, Library of Congress, courtoisie
Photography Collection.

L’autochrome est le premier véritable pro- place importante dans cette production
cédé de photographie en couleur ; il utilisait d’autochromes. Le photographe et éditeur
des plaques de verre recouvertes d’une pré- d’art Jules Gervais-Courtellement travaille
paration à base de graines de pomme de à Biskra en 1910, ses clichés sont conser-
terre microscopiques24. La Société Lumière vés au musée Albert-Kahn : des tentes à la
le met au point en 1903 et le commercialise lisière de l’oasis, une famille préparant un
24. Pour des précisions
à partir de 1907, jusqu’aux années 1930. Les couscous en plein air ; « Un maître faisant techniques voir http://
autochromes dominent alors le marché de l’école coranique »26. www.autochromes.
culture.fr, et l’article
la photographie. Les « Archives de la pla- qui s’y rapporte
nète »25 est le recueil autochrome qui, pour D’autres auteurs demeurés anonymes pra- sur Wikipédia.
les historiens de l’art, est le plus important tiquent également l’autochrome avec suc- 25. Voir le site du musée
à la fois pour son nombre de clichés et son cès. À Biskra, un photographe fait poser Albert Kahn : http://albert-
esthétique. À partir de 1909, Albert Kahn, trois enfants pour un cliché dont il existe kahn.hauts-de-seine.fr

un banquier alsacien, engagea des photo- trois variantes, deux illes en habits verts et 26. Gervais-Courtellement
graphes pour parcourir le monde ain de un garçon en djellaba et chechia rouge, se était un éditeur connu
d’Alger, qui présenta le
constituer cet inventaire des peuples du tiennent devant un grand tronc de palmier, livre de Jules Fréchon,
monde, de leurs modes de vie et de leurs dans la lumière changeante du jour. Biskra pittoresque et
artistique (Alger, 1892).
coutumes. L’Afrique du Nord occupe une
Biskra, sortilèges d’une oasis — La photographie

Anonyme, Trois enfants de


Biskra dans une palmeraie,
plaques de verre procédé
Cesdesimages en couleur, qu’elles soient
photochromes ou des autochromes,
Dès les années 1880, la mode des « pano-
ramas » met à l’honneur les paysages vus
autochrome Lumière, forment néanmoins un petit corpus. Avant depuis les hauteurs de la ville : le minaret
après 1907. Paris, 1904, les cartes postales dites « nuages » de la mosquée de Sidi Malek dans le Vieux-
collection Serge Kakou.
ou « précurseurs », ne permettaient d’écrire Biskra, la colline du poste d’observation
un message qu’autour de l’image réduite militaire vers Béni-Mora, le guet-apens qui
27. Jean-Charles Humbert
précise : « L’illustration (le verso étant réservé pour l’adresse27). devait être au sommet de la cheminée de
d’une carte nuage présente Après la loi française du 18 novembre 1903 la centrale éléctrique, et, après 1894, la
un contour lou. La
bordure de l’image se perd autorisant une illustration en format plein tour-minaret du Royal Hôtel. Le sommet
dans le blanc du support. (avec un verso divisé en deux, pour recevoir du col de Sfa joue un rôle analogue pour les
L’expéditeur utilisait cet
espace pour rédiger un l’adresse à droite et le message, à gauche), prises de vues du « Grand Sahara » (voir le
court texte, le verso étant les cartes postales coloriées à la main ren- cas Kokoschka, dans le chapitre « La pein-
réservé à l’adresse » ; voir
Humbert, Jean Geiser, contrent un véritable succès. ture à Biskra »).
Photographe - Éditeur d’art.
Alger, 1848-1923, Paris : Ibis,
2008, n°1, p. 181.

J. Brun & Cie,


Carpentras, Scènes
algériennes, Yaouleds
de Biskra, carte
postale « nuage »,
vers 1895. Sydney,
collection DORA.
Anonyme, carte
postale coloriée à
la main, n° 11, Biskra,
groupe de chameaux,
vers 1905. Sydney,
collection DORA.

Après 1920, ces prises de vues panora-


miques seront remplacées par des vues
sont exploitées par une société française,
la CIM (Combier Imprimeur Mâcon). Ce
aériennes, car Biskra a très tôt été le ter- sont surtout les bâtiments de Biskra-Ville,
rain privilégié de l’aviation française. Dès comme le casino et le Royal Hôtel, qui ont
1912, le lieutenant Klipfel du 3e Tirailleurs, été photographiés. Il existe très peu de pho- 141
photographe amateur particulièrement tographies aériennes du Vieux-Biskra, mais
productif, s’envole au-dessus de la ville à celle du village de Ras-el-Guerriah, avec la
28. Cette image est
bord d’un biplan militaire de l’escadron mosquée Sidi-Djoudi nichée dans la grande reproduite sur la
basé à Biskra. Mais c’est seulement autour palmeraie, en constitue un bel exemple 28. quatrième de couverture
de chaque tome
des années 1940 que les vues aériennes de Pizzaferri.

Lieutenant Klipfel,
3e Tirailleurs, Biskra-
Ville vue à travers
l’entretoise des ailes
d’un biplan, 1912, tirages
argentique. Aix-en-
Provence, Archives
nationales d’Outre-Mer.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La photographie

CIM Photographe,
Village du Vieux-Biskra,
carte postale, vers
1950, Sydney, collection
DORA. Village de
Ras-el-Guerriah avec la
mosquée de Sidi-Djoudi.
Le Casino de Biskra est
visible tout en haut,
à droite.

29. Pizzaferri,
vol. 4, p. 3-25, « l’école
au XXe siècle », comporte
de nombreuses
photographies ; les
principales écoles de
l’époque coloniale étaient
l’école franco-arabe
(construite en 1897
et dont le bâtiment
subsiste), une école
maternelle, l’école de
illes des Allées, l’école de
garçons des Allées, l’école
de garçons Lavigerie,
l’école du Vieux-Biskra.
On compte aussi des
institutions religieuses
Autionnel
tournant du siècle, le portrait institu-
prend de l’importance à Biskra.
ensembles sur les marches d’une école29.
Les photographies de groupes scolaires,
comme l’école des Sœurs Paul Pizzaferri a publié une série de por- d’équipes sportives, de jeunes scouts,
de Notre-Dame d’Afrique,
et l’ouvroir des Sœurs
traits, dont les plus anciens datent de 1906- donnent une idée de la vie quotidienne
blanches (un grand atelier 1907, montrant des groupes d’écoliers et des habitants aisés de Biskra-Ville, difé-
de tissage de tapis qui se
trouvait près de Ras-el
d’écolières musulmans et pieds-noirs, assis rente de celle des gens de passage, qu’ils
Guerriah).
soient touristes, marchands ou militaires.
Certaines séries témoignent de l’impor-
tance des repères « familiaux » des colons
qui reproduisent leur monde en plein dé-
sert : les écolier(e) s, pendant les années
1930, étaient photographiés déguisés en
« natifs » des régions françaises – les Bre-
tons, les Niçois – mais aussi « en Arabes »,
voir en Pierrots, en marins, en cuisiniers,
ou en personnages du théâtre français30.

La photographie domestique et moderne


se développe en lien avec la disponibilité
croissante des appareils de type Kodak, à
partir de 1900. Dans les années 1930-1940,
la photographie « vernaculaire » familiale cardinal Lavigerie, non loin de la maison Classe de 1911, école des
garçons, Biskra. Paul
prend son essor. Pizzaferri, entre autres, familiale en centre-ville peu après la signa- Pizzaferri, Biskra, 2011,
a publié des photos prises par son père ture des accords d’Évian. Les déchirements vol. 4, p. 5.
ou par des familles connues de Biskra, sociaux et humains de la guerre d’Indépen-
comme les Mselati (à l’époque « l’homme dance ont incité de jeunes photographes
de la famille » avait le devoir de manipuler algériens à se lancer dans le photojour- 143
l’appareil) 31. Ces photos mettent en avant nalisme qui leur a permis de publier leurs
l’environnement social, familial et com- images dans les organes de presse natio-
mercial des pieds noirs de Biskra, avec des nalistes puis de la nouvelle République33.
clichés pris à l’occasion d’anniversaires,
d’excursions, ou immortalisant des scènes En quelques décennies, la photographie
30. Pizzaferri, vol. 4,
de la vie quotidienne32. On doit à Martine à Biskra est devenue un des moyens d’ex- p. 27-28.
Fuchs, Philippe Barkats ou Henri Touitou, pression culturelle les plus prisés. De
des clichés en noir et blanc de ce genre. jeunes artistes ont été formés dans les ly- 31. Pizzaferri, vol. 4,
photos de famille.
cées et à l’École de Beaux-Arts de Biskra,
Sans doute la communauté arabo-musul- et des expositions de photographies nu- 32. Par exemple, les
jeunes cousines de
mane a-t-elle aussi eu recours à la photo- mériques sont régulièrement organisées Philippe Barkats devant
graphie, mais celle-ci a été très peu pu- à la Maison de la Culture de Biskra et dans un repas, Ô Biskra ! Une
enfance algérienne, p. 44,
bliée. On en connait cependant quelques d’autres lieux de la capitale de la wilaya. une réunion de famille au
exemples, comme le portrait commémo- Les photographes amateurs zibanais foi- Jardin Landon, p.75.
ratif du peintre Slimane Becha, igurant sonnent sur internet, proposant un riche 33. Voir Laurent Gervereau
l’ancien cheminot monté sur une énorme corpus patriotique sur « Panoramio », et Benjamin Stora, (éd.)
Photographier la guerre
locomotive après son embauche par les « Flickr », « GoogleEarth », « Pinterest », et d’Algérie, Paris : Marval,
chemins de fer de la nouvelle République d’autres sites encore permettant de relier 2004, et Hannah Feldman,
From a Nation Torn :
algérienne à Constantine, vers 1963. Ou l’image à un lieu précis. La connaissance Decolonizing Art and
encore le père de Mohamed Slimani qui a approfondie de la région en pleine trans- Representation in France,
1945-1962, Durham et
photographié un événement qui a fasciné formation passe nécessairement par la Londres : Duke University
son ils en 1962 : une grue du génie militaire photographie contemporaine. Press, 2014.
démontant la grande statue en bronze du
Biskra, sortilèges d’une oasis — La photographie

La famille Maure, premiers


photographes résidents de Biskra

Anonyme, La famille Maure, Biskra, tirage albuminévers 1905. Collection Nicole Peyriere (née Maure). Cette photo a été prise à l’occasion
de l’enterrement de Magdeleine Sibille, l’épouse d’Auguste Maure, qui se trouve dans l’encadrement de laporte ; son ils Marius est à
gauche avec une veste blanche et un chapeau.

De Barcelonnette à Biskra
C’est dans la vallée de l’Ubaye dans le
Sud-Est de la France, tout près de Bar-
recueilli par sa grand-mère maternelle ha-
bitant Cholonge, situé dans le canton de
34. Joseph Augustin
Maurea eu un seul frère, celonnette, que sont ancrées les origines La Mure, en Isère.Vers 1855, encore ado-
Germain Auguste Maure, de la famille Maure. Joseph Augustin lescent, Auguste se rend pour la première
né le 13 juillet 1839 et
décédé le 5 aout 1840. Maure (dit Auguste) est né à Marseille le fois en Algérie pour travailler auprès de son
4 décembre 184034. Il est l’arrière-petit-ils jeune oncle, Louis-Germain Bertrand, qui
35. L’Afrique du Nord de propriétaires-cultivateurs de Barcelon- avait d’abord été boulanger à Biskra35.
illustrée, mai1931
nette. Orphelin à l’âge de douze ans, il est
Auguste Maure, Diligence

La liaison postale Batna-Biskra sur la route d’El Kantara,


vers 1880. Nice, collection
Gilles Dupont. Cette 145
photographie est publiée
Bertrand organise dès 1858 la toute pre-
mière liaison postale par diligence entre
Le général Desvaux, l’un des premiers
voyageurs sur cette liaison par diligence
par Marius en carte
postale avant 1904.
Batna et Biskra, baptisée « les Messageries- en 1859, commanda la place de Biskra.
du Sahara » 36. Auguste prend une partac- Dans son ouvrage Six semaines en Afrique,
tive à ce service postal, en conduisant la souvenirs de voyage paru en 1861, Charles
malle-poste qui transporte aussi des voya- Thierry-Miegofre une description des dii-
36. Paul Pizzaferri, Biskra
geurs. Il a ainsi l’opportunité de rencontrer cultés de ce voyage, et un commentaire sur Reine des Ziban et du Sud
les rares artistes – des peintres (y compris le jeune cocher qui aurait pu être Auguste constantinois, t. 1,Nice :
Guillaumet et Bridgman), des écrivains ou Maure, comme l’exemple énergique Gandini,2011
des photographes (comme Jacques-Félix- du colonisateur37. 37. Charles Thierry-Mieg,
Moulin et Charles Portier) – venus découvrir Six semaines en Afrique :
Hôtel Bertrand à El Kantara, carte postale, vers 1895. souvenirs de voyage, Paris :
la lumière et les magniiques paysages du Sydney, collection DORA. Michel Lévy Frères, 1861.
Sud constantinois. Nul doute que ces ren-
contres auront contribué à la vocation du
futur jeune photographe.

L’hôtel d’El-Kantara faisait alors fonction


de relais de poste et de caravansérail. L’éta-
blissement, dirigé par la famille Fouquet
de 1859 à 1863, accueillait les voyageurs
qui empruntaient la diligence à destination
ou en provenance de Biskra. Louis-Germain
Bertrand reprit dès 1863 la direction de l’hô-
tel, rebaptisé « l’hôtel Bertrand ».
Biskra, sortilèges d’une oasis — La photographie

Auguste Maure, « Sur


la route vers Biskra »,
vers 1870.
Nice, collection Gilles
La création du studio
Dupont.Le cliché
montre la diicile
traversée de l’oued
en diligence.
« Photographie saharienne »
Sidel’onl’époque
en croit les indications publicitaires
et l’inscription sur l’un des
particulièrement bien les oasis des Ziban
et il a toujours été proche de la population.
murs du studio, il a été fondé en 1860. Il parlait d’ailleurs l’arabe.
Auguste Mauredevient « le premier ar-
tiste-peintre ayant atelier » à Biskra comme Seules quelques cartes de visiteaux aux
l’indique Abdelhamid Zerdoum dans son coins biseautés, tirées à Biskra, par Au-
ouvrage sur les Français à Biskra38. guste Maure sont susceptibles d’être an-
38. Abdelhamid Zerdoum, térieures à 1870.
Les Français à Biskra Biskra est alors essentiellement visitée
1844-1962,édité à compte
d'auteur, 1999. par des militaires, les touristes y étant En 1867-1868, une famine puis une épi-
encore assez rares. La photographie ne démiede choléra frappe Biskra. Auguste
39. Acte de mariage de
Joseph Augustin Maure
constitue pas la principale occupation se réfugie à Marseille où il se marie en
(dit Auguste Maure) et d’Auguste, son volume d’activité n’étant novembre 1868 avec Magdeleine-Louise
de Magdeleine Sibille
le 19 novembre 1868, à
pas suisamment important pour être ré- Sibille, originaire comme sa famille mater-
Marseille. Auguste est munérateur. Grâce aux diférents métiers nelle du canton de La Mure. Auguste exerce
alors domicilié à Biskra
et exerce le métier de
qu’il a exercés à Biskra, Auguste connaît à cette période le métier de courrier 39.
« courrier ».
Par son testament, nous savons qu’Au-
guste devient propriétaire d’un immeuble
à Biskra, situé au 33 de la rue Berthe,
en 187040. Il y installe déinitivement le
studio Photographie saharienne ainsi que
le café des Messageries (vente de bière de
Constantine, vins, liqueurs, tabacs) qui lui
permet sans doute de compléter ses reve-
nus. D’après l’édition de 1873 de l’indicateur
commercial Guillon, Auguste Maure exerce
le métier de crieur, d’aicheur public et de
vendeur de tabacs41.

« L’arrivée de la malle poste avait lieu sur


la place face au café des Messageries. Son
arrivée dans un nuage de poussière avait
un petit air de western à la mode biskrite.
C’était l’événement attendu à l’heure de
l’apéritif par toute une population en mal
de solitude, avide de connaître les der-
Auguste Maure, Européen à Biskra, vers 1865. Sur cette carte de visite ne igure
nières nouvelles venant du nord.42 » pas encore le nom du studio « Photographie saharienne ». Nice, collection
Gilles Dupont.
147

Maure, Le studio
Photographie
saharienne, vers 1870.
Collection Nicole
Peyrière (née Maure).

40. Acte de partage des


biens d'Auguste Maure,
enregistré à la mairie de
Biskra le 22 octobre 1913.

41. Charles Guillon,


Indicateur commercial,
Paris : Librairies
Jules Boyer, Paris,1873.

42. Paul Pizzaferri, t. 1.


Biskra, sortilèges d’une oasis — La photographie

L’essor du studio
Photographie saharienne
Auguste Maure,
Deux soldats en tenue
de zouave, cartes de
visite, vers 1880. Nice,
collection Gilles Dupont.

L’activité photographique prend son essor


grâce à la forte présence militaire dans
En exposant au pavillon de l’Algérie à l’Ex-
position universelle de Paris en 1889, il
la région. En plus des portraits au format remporte une médaille (comme en atteste
de carte de visite, certains soldats avaient la marque au dos de certains tirages)43. Il
à cœur d’envoyer des photos du désert à est cependant resté longtemps l’inconnu
leur famille restée en France. Il faudra tou- dont les spécialistes identiiaient de temps
tefois attendre la toute nouvelle liaison en temps un cliché sur le marché de l’art.
ferroviaire, en 1888, entre Batna et Biskra Auguste est demeuré dans l’ombre de son
favorisant l’arrivée massive des touristes, ils Marius, à tel point que les historiens de
pour qu’Auguste Maure se consacre plei- la photographie ont longtemps considé-
43. Marius Maure
remporte une médaille
nement à la photographie. ré Marius et Auguste comme une seule et
d'or aux Expositions même personne. Né en 1871 à Biskra, Ma-
coloniales de Constantine,
en 1896, et de Marseille
rius, le ils aîné, prend la direction du studio
en 1906.
149

Maure Phot. Ouled-Naïls


vers 1895. Quand Auguste décède le 3 mars Les clichés des scènes de la vie quotidienne à Biskra, vers 1895,
1907 à Biskra, Marius hérite du studio. Pen- étaient généralement diiciles à prendre, tirages argentiques. Nice,
dant plus de soixante-dix ans, les photogra- eu égard aux réserves manifestées par la collection Gilles Dupont.
phies signées Maure ont représenté Biskra population musulmane. Contrairement aux
et ses environs, ses habitants, ses visiteurs, photographes voyageurs, Marius et Au-
ses modes de vie, ses quartiers et ses ma- guste entretenaient des relations de proxi-
44. À noter qu’entre
gniiques paysages44. Les membres de la- mité avec les personnes photographiées, 1890 et 1920, d’autres
tribu des Ouled-Naïls de Biskra, danseuses ce qui leur facilitait les prises de vues. On photographes réputés
s’installent à Biskra,
et courtisanes arabes portant une tenue, remarque sur le cliché des deux Ouled-Naïls proitant de l’attrait
une coife et des bijoux incomparables, ont que celle de droite est identiiée par son croissant suscité par les
Ziban (Émile Fréchon,
souvent été des sujets de prédilection pour prénom : Embarka. Fernand Preys
Auguste et Marius. dit « Fernandus »,
Alexandre Bougault,
Thérèse Landron et
Jean Richardet).
Biskra, sortilèges d’une oasis — La photographie

Maure Phot., Intérieur


arabe, Biskra, 1890,
tirage albuminé. Nice,
collection Gilles Dupont.
L’édition de cartes postales
Marius a été l’artisan de la conversion du Marius adopte un style plus moderne pour
studio en éditeur de cartes postales. De une série de cartes postales en sépia qu’il
nombreuses photographies du studio sont édite dans les années 1910-1930, et il colla-
ainsi difusées en cartes postales entre 1899 bore avec les éditeurs imprimeurs parisiens
et 1910,avec la signature Maure Phot., puis les plus importants, Neurdein (ND Phot.) et
sous la signature Marius Maure jusqu’en Lévy & Fils (LL), et puis avec la C.A.P. (Com-
1930. Marius en proite pour redonner une pagnie alsacienne de phototypie), résultat
nouvelle vie à des clichés réalisés par son de la fusion des sociétés ND Phot. et LL
père plus d’une vingtaine d’années aupa- après 1918, ce qui permettra une difusion
ravant. Il devient aussi le correspondant sur une large échelle de ses clichés.
local de France Album, fournissant de nom-
breuses vues et types humains du sud de L’édition de cartes postales a inalement
l’Algérie publiés dans divers ouvrages. contribué de façon décisive à la réputation
151

Marius Maure, Intérieur


du studio Photographie saharienne. photographes contemporains illustres arabe, 1896. Nice,
Marius Maure a ainsi été un acteur dé- tels Neurdein, Geiser, Leroux, Madon, collection Gilles Dupont.
terminant pendant l’âge d’or de la carte Vollenweider ou Bougault.
postale en Algérie, aux côtés de nombreux

La fin du studio
En 1934, regrettant qu’aucun de ses en- Mme Landron et dirige de fait le studio,
fants ne soit disposé à reprendre le lam- prenant inalement possession des lieux.
beau, Marius cède le studio Photographie Marius Maure décède en 1941 à Rouïba,
saharienne, avec l’ensemble de ses fonds, près d’Alger. Ses descendants n’ont hélas
à Mme Thérèse Landron, elle-même photo- conservé aucune photographie, hormis
graphe. Le ils d’Alexandre Bougault, qui gé- quelques clichés de famille.
rait le syndicat d’initiative de Biskra, épouse
Henri Evenepoël, Son père Edmond Evenepoël en présence du caïd supposé de Sidi Okba (Cercle de
Biskra), tirage argentique, Album de voyage Algérie-Tunisie 1898. Paris, musée d’Orsay, (inv. PHO
2003 1 à 257).

La sensibilité
d’avant-garde
Biskra, sortilèges d’une oasis — La sensibilité d’avant-garde

Après le déclin subit du tourisme de luxe dans les années 1930, la réputation interna-
tionale de Biskra s’est maintenue grâce au souvenir du passage de quelques artistes
d’avant-garde : peintres, écrivains, musiciens. Après l’Indépendance de l’Algérie, leur aura
dans les universités, les concerts et les expositions d’art, a perpétué le nom de cette ville
excentrée de l’Afrique du Nord.

Le protagoniste d’un roman de Hamid Grine (l’actuel ministre algérien de la Communica-


tion) en porte témoignage. Dans Le Café de Gide, un jeune élève du lycée de Biskra, vers
1962, est étonné par ce que dit de Gide son institutrice française ; ses paroles constituent
une « fulgurante révélation du nouveau statut de notre ville : on la voyait comme un trou
perdu au in fond de l’Algérie, juste bonne, croyait-on, pour les grabataires, voilà qu’elle
se parait d’un halo magique […] grâce à un écrivain étranger qui y avait vécu voilà plus
de soixante ans » 1.

André Gide
Parmi tous les artistes venus visiter Biskra,
André Gide est le plus célèbre. C’est dans
qu’il a de lui-même à Biskra, dès 1893, est
relatée dans quatre autres récits autobio-
ses œuvres que les références à cette ville graphiques. Il s’agit de livres de voyage et
sont les plus nombreuses ; il a de plus situé de spéculations existentielles : Les Nourri-
son premier roman, L’Immoraliste, écrit en tures terrestres (1897), Amyntas (avec la
1902, dans l’oasis de Biskra (renommée partie Notes de route, datée de 1903), son
1. Hamid Grine, Le Café
de Gide, Alger : Éditions
« Béni-Mora »). Plus encore, la « révélation » autobiographie écrite en 1925, Si le grain
Alpha, 2008, p. 32.

Jacques-Émile Blanche,
André Gide et ses amis
au Café maure de
l’Exposition universelle
de 1900, 1901, huile
sur toile, 156 × 220 cm.
Rouen, musée des
Beaux-Arts, Bridgeman
Images (ne igure pas
dans l’exposition).
On voit derrière Gide,
portant la moustache,
son ami biskri, le poète
Athman ben Salah.
ne meurt, et enin dans le premier tome de Michel parle, entre autres langues, l’arabe
son Journal, publié vers 1933. Ce dernier - ce n’était pas le cas de Gide -, ce qui lui 2. Voir Robert S.
Hichens, Yesterday : the
reçut un tel accueil que l’écrivain Robert S. permet de fréquenter les cafés et même Autobiography of Robert
Hichens, auteur du roman orientaliste très de s’introduire dans des familles. Michel/ Hichens, Londres : Cassell,
1947, p.66. L’édition
populaire The Garden of Allah dont l’intrigue Gide évite autant que faire se peut les mili- anglaise The Journals of
se déroule à Biskra, l’emporta avec lui dans taires, les colons, les aristocrates qui étaient André Gide, Justin O’Brien
(trad.), Londres : Secker
ses nombreux voyages dans l’entre-deux- nombreux à Biskra, et pour lesquels il avait and Warburg, 1947 a été
guerres2. un dédain propre à l’esprit d’avant-garde. largement difusée dans
le monde anglophone.
À noter que The Garden
Comme nombre de touristes après 1888 Par l’intermédiaire de Marceline, Michel of Allah de Hichens a été
beaucoup plus lu que Gide
(date de l’arrivée du chemin de fer), Gide fait la connaissance de quelques garçons à l’époque, avec 21 éditions
venait à Biskra pour soigner sa tuberculose, et adolescents algériens qui deviennent ses entre 1904 et 1912.
une afection pulmonaire dont l’issue était amis. Il est sensible à leur beauté physique, 3. Il existe toute une
alors souvent fatale. Il a été traité avec et à la manière poétique avec laquelle ils littérature sur cette
question ; voir Robert
succès dans les bains chauds du Hammam voient le monde. Quoique voilée dans le Aldrich, Colonialism and
Salahine par le Dr. Dicquemare. Très so- texte, l’attirance homosexuelle chez Mi- Homosexuality, Londres :
Routledge, 2003 ; Emily
ciable, Gide s’y rendait avec un ami, le jeune chel transcrit l’expérience de Gide3. À l’âge Apter, André Gide and the
peintre Paul-Albert Laurens, le ils d’un très de vingt-quatre ans, Gide a eu à Biskra une Codes of Homosexuality,
Stanford French and Italian
célèbre maître de l’art « pompier », Jean- suite d’expériences charnelles, y compris Studies, 1987 ; et Apter,
Paul Laurens. Bien que Gide ne relate pas avec la première femme qu’il ait connue Continental Drift : from
national characters to
dans son Journal sa première venue à Biskra dans sa vie, une prostituée nommée Me- virtual subjects, Chicago :
en 1893, on peut tenter de la reconstituer ryem, qui allait bientôt devenir la maîtresse University of Chicago
à partir des souvenirs évoqués dans ses d’un ami de collège de Gide, l’écrivain et Press, 1999. 155
écrits ultérieurs. poète Pierre Louÿs4. 4. Voir Pierre Louÿs, Les
Chansons de Bilitis, Paris :
Fayard, 1895 ; et André-
Le caractère autobiographique de L’Immo- Hamid Grine évoque le paradoxe que consti- Ferdinand Herold et Pierre
raliste est incarné dans le personnage prin- tue un grand écrivain dont on ne peut admi- Louÿs, Journal de Meryem,
(1894), publié et annoté
cipal, Michel, un jeune homme de lettres rer les mœurs. Cela témoigne des complexi- par J.-P. Goujon, Paris :
(classiciste et linguiste), venu à Biskra pour tés de la société algérienne contemporaine, Nizet, 1992.
se soigner. Son mariage avec Marceline qui évolue vers un islam réformé. La tenta- 5. Dans Albert Truphémus,
avait été conclu ain de donner satisfac- tive du protagoniste de Grine est de décou- Les Khouan du « Lion
Noir » : scènes de la vie à
tion à son père mourant – une union sans vrir, au seuil du XXIe siècle, la vérité sur ce Biskra. Alger : Soubiron,
amour. Tombé gravement malade durant qu’il appelle « la pédérastie » de Gide, par 1931 (ré-éd 2008), l’auteur
critique avec force le
son voyage de noces en Tunisie, Michel l’intermédiaire d’un Biskri défunt, Omar, tourisme colonial qui
s’installe avec sa femme à Biskra, dans un qui se disait un ancien ami de l’écrivain5. À conduisait au dévoiement
moral des jeunes garçons –
hôtel qui devait être l’Oasis, hôtel où Gide la in du roman, la découverte du journal les yaouleds –, corrompus
continuera à descendre. Pleine de dévoue- d’Omar, écrit en 1903 pendant la présence par leur pauvreté et
les mœurs malsaines
ment, Marceline soigne son mari qui, petit de Gide et de sa femme à l’hôtel l’Oasis, qu’il attribue aux riches
à petit, recouvre la santé. fait la preuve que Monsieur Gide, bien qu’il Européens. Truphemus
était un instituteur
ait paru circonvenir le jeune Omar par ses indigénophile, présent à
En goûtant sans grand intérêt plusieurs des attentions, n’a pas tenté d’avoir avec lui de Biskra depuis 1908.
« attractions » de Biskra, Michel regarde rapports physiques.En conséquence, pour 6. Il faut malgré tout lire
avec suspicion la foire touristique que la le romancier Grine, et pour les Biskris d’au- dans Si le grain ne meurt,
les aveux de Gide sur
ville génère à cette époque. Il est davan- jourd’hui peut-être, il n’existe pas de preuve Ali, Athman, Meryem et
tage intéressé par le petit peuple algérien et déinitive pour accabler le grand écrivain6. Embarka (p. 261-73) et
sur Oscar Wilde, Alfred
son habitat dans ce pays à l’orée du désert. Douglas et Ali à Biskra
(p. 304-08).
Biskra, sortilèges d’une oasis — La sensibilité d’avant-garde

Léon et Lévy, détail


de Biskra – Nègres en
fêtes, carte postale,
vers 1900, Sydney,
collection DORA.

Sa capacité d’observation, sa prose limpide l’an passé ! Que de fois je me suis levé de
font des écrits de Gide, dans leur totalité, mon travail pour l’entendre ! Pas de tons ; du
le témoignage le plus utile sur le Biskra au- rythme ; aucun instrument mélodique, rien
tour de 1900 – on a d’ailleurs recours aux que des tambours longs, des tam-tams et
analyses de Gide à maintes reprises dans des crotales… crotales qui font entre leurs
le présent catalogue. De plus, ses opinions mains presque le bruit d’une averse. À trois,
sont souvent peu orthodoxes, car il avait ils exécutent des véritables morceaux ;
une perception critique du colonialisme et rythme impair, bizarrement haché de syn-
de ses abus, en même temps qu’il proitait copes, qui afolent et provoquent tous les
de la présence française dans le Sahara7. bondissements de la chair. Ce sont, eux,
Gide était de ceux qui préféraient fuir Alger les musiciens des cérémonies funèbres,
7. Dans son Voyage au et les lieux trop reconstruits sur le modèle joyeuses, religieuses ; je les ai vus scander
Congo de 1927 (Paris :
Gallimard) Gide fait français, sans être pour autant un aventu- la danse des bâtons et les danses sacrées
une critique vive et rier ; il aimait son confort ! dans la petite mosquée de Sidi-Malek. Et
convaincante des abus
des grandes entreprises j’étais toujours le seul Français à les voir » 8.
européennes envers Cette clairvoyance, cette inesse d’observa-
les ouvriers noirs dans
les colonies. tion constituent l’apport de Gide à la « sen- Dans son appréciation de la musique
sibilité » d’avant-garde. Par exemple, Gide « nègre », Gide anticipe d’une bonne dé-
8. André Gide, Journal,
1889-1939, Paris : Pléiade, a été parmi les premiers à écrire un éloge cennie les études que le compositeur Béla
1948, p. 82-83. de la musique des Noirs de Biskra : Bartók consacrera à la musique à Biskra. En
9. Voir Gareth Stanton,
somme, la lecture de Gide est essentielle
« The Oriental City : a « Les sons du tambour nègre nous attirent. pour se faire une image de Biskra au tour-
North African itinerary »,
dans Third Text, 3-4 (1988),
Musique nègre. Que de fois je l’entendis nant du XXe siècle9.
p. 3-38.
Henri Evenpoël
Ilbrève
faut ajouter un photographe dans cette
évocation de « la sensibilité d’avant-
garde » à Biskra. La technique de la photo-
graphie a considérablement contribué à la
connaissance de la vie à Biskra, et cela dès
les années 1850, avec la venue de Moulin
et de Beaucorps. On doit l’image que l’on
a de la ville et ses alentours essentielle-
ment aux photographes. Henri Evenepoël
est davantage connu comme peintre que
comme photographe. Il appartenait aux
milieux progressistes à Bruxelles (sa ville
natale) et à Paris, où il résida pendant les
années 1890. Il est un des artistes les plus
marquants à sortir de l’atelier de Gustave
Moreau à l’École des Beaux-Arts (où il eut
pour confrères Matisse, Marquet, Paul
Baignières et Georges Rouault). Mort de
la typhoïde à l’âge de 27 ans, en 1899, Eve-
nepoël a malgré tout laissé de superbes de fête nègre de Blida, Le marché de Blida Henri Evenepoël, 157
L’Annonce de la fête
portraits peints de sa famille et ses amis, et la Fête nègre – le noyau bien connu de nègre à Blida, 1898, h/t,
des scènes de rue avec un sentiment de son œuvre « d’orientaliste ». À cause du 77 × 100cm. Bruxelles,
la couleur et un sens du décor marquants. froid, il se rapproche de la mer, à Tipasa, musées royaux
des Beaux-Arts de
Sans oublier les nombreux tableaux impor- ville célèbre pour ses ruines romaines, où Belgique (ne igure pas
tants et esquisses à l’huile exécutés lors du il demeure six semaines. Il y exécute une dans l’exposition).
long séjour hivernal qu’il it en Algérie, du quarantaine de pochades et d’esquisses.
29 octobre 1897 au 9 mai 189810. Le 27 mars 1898 son père Edmond, haut
fonctionnaire et musicologue à Bruxelles, 10. Hubert Coenen,
« Evenepoël et la peinture
Evenepoël se rend en Algérie sur les conseils le rejoint avec une de ses tantes. Le père orientaliste belge du XIXe
de son médecin ain de soigner lui aussi une et le ils voyagent ensemble pendant deux et du début du XXe siècle »,
dans Elaine de Wilde et
maladie pulmonaire. Il demeure d’abord mois : d’abord à Blida et Tipasa, puis aux al., Henri Evenepoël, 1872-
à Alger, mais ses impressions sont mau- alentours : « nous avons parcouru les en- 1899, Bruxelles : Musées
royaux des Beaux-Arts de
vaises : « J’ai peu apprécié, écrit-il, les bien- virons de Batna avec les anciennes villes Belgique, 1994, p. 125-152.
faits de la civilisation […] Alger est une ville romaines de Timgad et Lambèse – Biskra,-
11. Lettre citée dans Paul
assassinée. D’après d’anciennes gravures et Siddkba [sic], Constantine, Tunis, Kairouan. Fierens, « Henri Evenepoël
des documents j’ai pu me rendre compte de Cette dernière ville pour moi est le point le en Algérie », dans Études
d’art, publiées par le
ce qu’était la ville ancienne […] L’Algérie est plus intéressant du voyage… Là le français Musée national des Beaux-
européanisée […] partout les cheminées n’a encore rien démoli, rien bâti » 12. Arts d’Alger, n° 3, 1947-48,
p. 24.
d’usines remplacent les minarets » 11. Ayant
peint quelques études à l’huile, il s’échappe Tout au long de ce voyage Henri Evenepoël 12. Evenepoël, lettre
du 28 mai 1898, dans
vers l’intérieur du pays. Avec son ami Raoul utilise un appareil photographique « un petit Francis Hyslop (éd.), Henri
du Gardier, il séjourne deux mois à Blida. achat de luxe que je me suis payé […] C’est Evenepoël à Paris : lettres
choisies, Bruxelles : La
Là, Evenepoël parvient à peindre l’Annonce l’achat d’un Pocket-Kodak, petit appareil pho- renaissance du livre, 1971,
p. 173.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La sensibilité d’avant-garde
Henri Evenepoël, L’auteur feuilletant ses albums de
l’Algérie dans son appartement rue de la Motte-
Piquet, tirage argentique, Paris, 1898. Bruxelles,
Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique.

Ses photographies des Ziban couvrent Sidi


Okba, Tolga et Biskra (certainement sa
base hôtelière). À Sidi Okba, mises à part
de belles scènes du marché et de rue, des
petits enfants à pied et même un homme
saisi en train de prier, Evenepoël assiste à la
visite de son père et deux amis européens
chez un notable de la ville, un caïd ou un
cadi (juge). Le caïd était toujours issu de la
famille Ben Ganah. Il semble qu’une visite
guidée – au marché et surtout à la mosquée
de Sidi Okba, réputée la plus ancienne du
tographique anglais [sic], qui coûte 27 francs. Maghreb – ait été quasiment obligatoire
On m’en a déjà beaucoup parlé, j’avais pu pour les visiteurs de marque. Plus d’un vi-
13. Lettre d’Evenepoël
à son père citée dans apprécier sa simplicité et les résultats forts siteur décrit le déjeuner dans le jardin d’un
Dominique de Font-Réaulx, amusants » 13. Les excellentes photographies tel notable16. L’élégance et la désinvolture
« Acquisitions : Henri
Evenepoël, Album de qu’il a prises à Bruxelles et à Paris ont déjà été devant ces visiteurs belges des deux no-
photographies réalisées rapprochées de sa peinture – notamment de tables arabes, l’un caressant son sloughi,
lors d’un voyage du
peintre et de son père ses portraits d’intimité14. bouleverse bien des clichés sur les relations
en Algérie et Tunisie », entre « colons et colonisés » 17.
dans La revue du Musée
d’Orsay, n° 19 (automne Ses clichés du Maghreb présente un grand
2004), p. 54. intérêt historique, en dépit de leur qualité Evenepoël a également « kodaké » des
14. Voir Eliza Rathbone, assez moyenne (ils sont de petit format et scènes absolument neuves. Comme tout vi-
« Henri Evenepoël : an souvent surexposés), ils possèdent en re- siteur à Biskra, les Evenepoël sont allés voir
Abundance of Gifts »,
dans Elizabeth W. Easton vanche une réelle fraîcheur de conception. la célèbre rue des Ouled-Nails. Sur quatre
(éd.), Snapshot : Painters Très attaché à son père (veuf depuis vingt- photographies on voit le père en train de
and Photography, from
Bonnard to Vuillard, New deux ans), Henri rend compte de son visage s’entretenir avec une dame. Un garçon,
Haven : Yale University bienveillant, de ses promenades avec une peut-être le ils de celle-ci, lui tend la main
Press, 2011, p 126-151.
canne ou un parapluie, sur les sites célèbres et Edmond cherche de la monnaie dans sa
15. Fierens, 1947-1948, comme la Grande Mosquée de Kairouan. poche. Henri, conscient de l’importance de
p. 33. cette image, en a fait trois ou quatre agran-
16. Thierry-Mieg, 1861, « Tout au long du voyage, d’ailleurs, il est dissements dans son album.
p. 255-257 (à noter que resté chasseur d’images, muni d’un car-
l’auteur s’étonne de
trouver dans la petite net de croquis et d’un kodak. On conserve On voit que la Biskrite s’intéresse à une boîte
bibliothèque française de ses dessins (silhouettes d’Arabes, de dans la main d’Evenepoël père ; c’est assuré-
du caïd, Un été dans le
Sahara de Fromentin). À Nègres, de palmiers, d’une sténographie ment un autre appareil photo, car la dame
propos d’une difa oferte intelligente et ferme) et près de cinq cents est prise en tête-à-tête sur un autre cliché.
dans son jardin par le
cadi de Sidi-Okba à des clichés photographiques dont il s’est quel- Dans l’histoire photographique de Biskra,
visiteurs britanniques, voir quefois servi pour « établir », pour mettre en ces clichés constituent une série unique,
S. H. Leeder, The Desert
Gateway ; Biskra and page ses tableaux. Il � kodakait ”, comme fort éloignée des conventions orientalistes.
Thereabouts, Londres : il dit, ce qui le frappait au passage, au vol, On est ici témoin d’une rencontre person-
Cassell, 1910, p. 108-114.
réussissant à exprimer quelque chose de nelle, d’une conversation et de la convivia-
17. Voir Albert Memmi, sa vision dans le choix et le découpage des lité dans la célèbre rue des « danseuses » ;
Portrait du Colonisateur
(1966), Rouïba, Algérie :
scènes ixées sur la pellicule. » 15 c’est tout simple, mais très rare.
Éditions ANEP, 2006.
Henri Evenepoël,
Edmond Evenepoël
s’entretient avec une
femme, rue Arcelin
(quartier des Ouled-
Naïl) à Biskra, tirages
argentiques, Album de
voyage Algérie-Tunisie
1898, Paris, musée
d’Orsay (inv. PHO 2003
1 à 257). 159

Henri Evenepoël,
cadrage intégral
du cliché montrant
Edmond Evenepoël qui
s’entretient avec une
femme, rue Arcelin
(quartier des Ouled-
Naïl) à Biskra, tirage
argentique, Album de
voyage Algérie-Tunisie
1898. Paris, musée
d’Orsay (inv. 2003 1 à
257), Paris.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La sensibilité d’avant-garde

Henri Matisse

Henri Matisse, Nu bleu (Souvenir de Biskra), 1907, h/t, 92 × 140 cm. Baltimore, The
Cone Collection, Baltimore Museum of Art (ne igure pas dans l’exposition). On a énormément écrit sur le Nu bleu. Jack
Flam en ofre un résumé circonstancié :
« Cette femme est une sorte de Vénus afri-
caine moderne, et la � laideur ” volontaire
18. Jack Flam, « Matisse
Lesume
voyage d’Henri Matisse en Algérie se ré-
à une brève excursion qui, si elle n’a du tableau a valeur de négation du nu aca-
à Collioure, évolution pas été très fructueuse en termes d’œuvres démique, un peu comme l’Olympia de Ma-
du style et datation des produites in situ, est néanmoins un moment net plus de quarante ans auparavant » 18.
tableaux 1905-1907 », dans
Matisse-Derain, Collioure majeur dans l’iconographie de Biskra. Ceci En efet, la critique française a été très sé-
1905, un été fauve, Paris : en raison du célébrissime Nu bleu « Souve- vère lors de son exposition au Salon des
Gallimard, 2005, p. 43.
nir de Biskra », une huile sur toile de 1907. Indépendants en 1907 ; Louis Vauxcelles
19. Voir Roger Benjamin, On trouve de plus dans sa correspondance par exemple, le traitant de « nymphe hom-
« Expression, Disiguration :
Matisse, the Female Nude
éparse, et patiemment regroupée, un com- masse » en raison de sa tête rasée et de sa
and the Academic Eye », mentaire sur son expérience de peintre, puissance physique19. Parmi les propos ré-
dans In Visible Touch :
Modernism and Masculinity,
riche d’enseignement sur l’attitude d’un cents des historiens d’art dans un contexte
T. Smith (éd.), Power artiste de l’extrême avant-garde, en 1906, postcolonial, James Herbert voit dans la
Publications, Sydney, et
University of Chicago Press,
vis-à-vis de Biskra et des efets du voyage couleur bleue de la femme une référence
1997, p. 75-106. dans un pays et une culture étrangers. possible aux femmes touarègues du Sahara,
20. Herbert, James
avec leur peau teintée par leurs vêtements D., Fauve Painting :
teints à l’indigo. De son côté, Alastair Wright the Making of Cultural
Politics, New Haven : Yale
a souligné l’incertitude de l’identité sexuelle University Press, 1992, p.
et raciale de ce corps, écrivant « Comme 158, et Alastair Wright,
Matisse and the Subject of
pour la représentation du sexe, le tableau Modernism, Princeton, NJ :
brouille les codes picturaux, mélangeant Princeton University Press,
2004, p. 168.
les signes visuels par lesquels la peinture,
typiquement, signiiait la race » 20. 21. Wright, 2004, p. 169
propose la photographie
« La Florentine » de
Le cas est complexe parce que Matisse a en l’Humanité féminine
(1907) comme source
même temps sculpté une igure de femme probable du Nu bleu ; dans
en terre cuite avec le même geste, mais qu’il Ellen McBreen, Matisse's
Sculpture : The Pinup and
intitula L’Aurore. La partie « africaine » du the Primitive, New Haven :
Nu bleu « Souvenir de Biskra » vient en pre- Yale University Press,
2014, l’auteur pousse
mier lieu du décor : les leurs pourpres des ce genre d’enquête,
« violettes africaines » et les palmes dans le commencée par Isabelle
Monod-Fontaine et
fond. Mais ces palmes sont bien observées : Catherine Lampert dans
ce sont de jeunes palmiers-dattiers que l’on The Sculpture of Matisse,
Londres : Thames &
plante directement en terre dans les pal- Hudson, 1984.
meraies des Ziban. Quant à la igure de la
22. Pour un résumé
femme elle-même, on peut la rapprocher aiguë de la littérature
Collection Idéale. 219. Jeune Mauresque, carte postale
des photographies de nus « artistiques » – vers 1905, Sydney, Collection DORA. Il s’agit d’un sur ces cartes postales,
on sait que pendant l’hiver de 1906 Matisse exemplaire de la carte envoyé d’Alger par Henri
si controversées depuis
Malek Alloula (1981),
161
s’est inspiré des modèles photographiques Matisse à Henri Manguin, datée Alger 23 mai, 1906 voir François Pouillon et
(Archives Jean-Paul Manguin). Michel Mégnin, « Le miroir
de la série L’Humanité féminine (un « hebdo- aux alouettes, destin
madaire ethnographique et érotique » selon sociologique des images
du nu indigène », L’Année
Ellen McBreen). Avec Mes modèles, cette abonde, mais pour voir plus loin il faudrait du Maghreb, VI, 2010, p. 19-
revue a inluencé plusieurs igures sculptées y vivre quelques mois. J’y suis depuis quinze 45 ; [http://anneemaghreb.
revue.org/796].
et quelques tableaux de Matisse21. jours et j’ai 8 jours au moins passé en che-
min de fer et en bateau. » 24 23. Sur le site internet
On peut supposer que Matisse a été ému spécialisé dans les cartes
postales anciennes,
sensuellement par certaines cartes pos- Certes Matisse a conscience de la réputa- Delcampe.com, cette
tales de femmes indigènes22. Il en envoya tion des femmes Ouled-Naïls. carte n’est accessible
qu’aux visiteurs ayant plus
au moins cinq depuis l’Algérie : deux avec de 18 ans en raison son
des scènes de rue, deux avec des femmes La carte « ethnographique » qu’il envoie à imagerie « blessante ».
dénudées, et une montrant des Ouled-Naïls Manguin montre trois femmes en tenue 24. Matisse à Manguin,
en costume de fête. La Jeune Mauresque est de fête, une scène posée dans une palme- carte postale, Collection
Idéale. 219. Jeune
une révélation. raie (à noter le jeune palmier à droite, et mauresque, datée Alger 23
la femme étendue par terre). Matisse ad- mai, 1906, Archives Jean-
Pierre Manguin, texte cité
Malgré le côté érotique de l’image, voire met avoir assisté à une « danse du ventre » dans Dominique Fourcade
provocant vu la jeunesse du modèle23, le à Biskra : « Quant à la danse du ventre, je et al., Matisse 1904-1917,
Paris : Centre Georges
message au verso de Matisse à son vieil ami, n’ai pas cherché à en voir à Alger, mais j’en Pompidou, 1993, p. 76.
le peintre Henri Manguin, appartient à un ai par hasard vu pendant un quart d’heure
25. Matisse à Manguin,
autre registre : « Je quitte l’Algérie y étant à Biskra. Les fameuses Ouled-Naïls, quelles lettre de Collioure du
resté trop peu de temps pour travailler car blague ! On en a vu des cent fois mieux à 7 juin 1906, citée dans
Pierre Schneider, Matisse,
c’est un gros morceau, le pittoresque y l’Exposition. » 25 Londres : Thames &
Hudson, 1984, p. 158.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La sensibilité d’avant-garde

UnGrammont
texte récemment exhumé par Claudine
montre que Matisse donne,
Matisse a quand même vécu des moments
où il n’a pas eu l’impression que « tout [ici]
dans ses conversations de 1941, sa propre est truqué » 29, où il a cru voir une cérémo-
explication du motif du Nu bleu, bien éloi- nie authentique :
gnée de celles des historiens de l’art :
« J’ai vu une cérémonie extraordinaire et
« Dans l’oasis de Biskra, surprenante de fraî- par suite de circonstances particulières j’ai
cheur au milieu du désert, l’eau court dans pu y assister, ce qui est extrêmement dii-
une rigole, qui serpente dans les palmiers cile : c’était la circoncision d’un enfant. La
[…] Au bord d’un ruisseau, dans un coin chose se passait dans une maison arabe, et
ombreux, un jeune Arabe enveloppé de avait un pittoresque aussi pur [que celui] de
lainages blancs était étendu, et une jeune la noce juive de Delacroix, et plus beau, plus
femme lui épongeait le front. Je pense que frais de couleur, plus riche surtout, c’était
l’Arabe pouvait avoir un accès de ièvre. En le soir – des rouges, des verts, des leurs
tout cas, c’est cette image, transformée par dans des murs blancs, éclairés pas de gros
mon imagination, qui m’a donné l’idée du cierges. » 30
26. Cité par Claudine
Grammont, « Henri tableau Souvenir de Biskra. » 26
Matisse et la carte Maure, phot. Biskra. Biskra – Ouleds-Nails, carte
postale : Entre motif et postale vers 1905, Sydney, Collection DORA. Il s’agit
cliché » [à parâtre] ; ce On ignore dans quel hôtel logea Matisse, d’un exemplaire de la carte envoyée de Biskra par
texte ne igure pas dans mais ce fut probablement soit l’Oasis, les Henri Matisse à Henri Manguin, datée 18 mai, 1906
Serge Guilbaut (éd.), (Archives Jean-Paul Manguin).
Chatting with Matisse. Ziban ou le Sahara, des établissements de
The Lost 1941 Interview. classe moyenne. On manque de précisions
Henri Matisse with Pierre
Courthion, Santa Monica : sur ses mouvements : on peut supposer
Getty Publications, 2013, qu’il a visité les palmeraies du Vieux-Biskra
mais dans une version
restée inédite dans les et le jardin Landon. Il a vu la danse des
Archives Henri Matisse. Ouled-Naïls, soit au casino soit, plus pro-
Voir aussi Judi Freeman,
« Chronology », dans bablement, dans un café maure du quartier
The Fauve Landscape, qui leur était réservé, près du marché, en
New York : Abbeville,
1990, p. 90-92, et Roger plein centre de Biskra-Ville. Dans une lettre
Benjamin, « Biskra, or the à Georges Rouault, Matisse écrit avoir vu la
impossibility of painting »,
dans Benjamin, 2003a, capitale religieuse des Ziban, Sidi Okba. Il it
p.160-167. donc une petite excursion dans le désert :
27. Matisse, lettre à
« J’ai été vivement impressionné, surtout
Georges Rouault datée par le désert, mais j’ai trouvé bien inhumain
Collioure, 30 août 1906,
dans Jacqueline Munck,
le désert […] Je n’y ai du reste pas pensé
Matisse-Rouault : une minute tellement le désert m’a paru
Correspondance, 1906-
1953 : Une vive sympathie
hostile à tout être vivant. Je doute fort
d'art. Lausanne : que ça puisse te plaire » 27. Certes, Henri
Bibliothèque des arts,
2013, p. 18.
Matisse n’a pas été de ces voyageurs qui
cherchaient dans le désert l’oubli ou une na-
28. Ibid. ture sublime. En revanche, « j’ai appris à me
29. « Le côté mœurs connaître un peu plus. Si tu savais comme
arabes, types, etc. ne m’a j’ai trouvé la France belle en rentrant d’Al-
guère attiré – tout est
truqué. Je m’y suis trouvé gérie. Je m’y suis senti chez moi, dans mes
bien en dehors de tout pantoules. » 28
cela ». Matisse, ibid.

30. Matisse, ibid.


163

Un« riches
peu de ces sensations « fraîches » et
» de la couleur se retrouvent
Anonyme, Scènes et types de l’Afrique du Nord. El Kantara. L’Oued. Éditions R.
Sirecky (Oran), carte postale vers 1920. Sydney, collection DORA.

sur la seule toile que Matisse a peinte à


Biskra. La Rue à Biskra est traitée avec une
approche « néo-pointilliste », celle adoptée
par Matisse lors de son séjour à Saint-Tropez Il s’agit là d’une conception d’avant-garde,
et Collioure entre l’été 1904 et la in de 1905. et la ville de Biskra n’a jamais donné lieu à un
En essayant de représenter une scène aussi tableau pareil. La supposée régression sty-
peu familière que l’oasis de Biskra, Matisse listique de Matisse dans cette toile anticipe
retourne à une pratique qu’il sait maîtriser. d’une bonne décennie le développement
Il était là en « voyage d’études » (selon sa pictural dans la représentation de la ville.
formule), pour observer et non pas pour se La perspective mène vers un petit minaret
documenter (en Algérie il n’a pas dessiné carré, peut-être celui de la mosquée du Caïd,
ni pris de photos, comme il le fera à Tanger derrière le marché à Biskra-Ville. Le sujet, le
en 1912 et 1913). Il écrit à Manguin : « L’oa- point de vue et la structure des lignes sont
sis de Biskra est très belle. Mais on a bien conventionnels – c’est bien le pittoresque
conscience qu’il faudrait passer plusieurs biskri – mais pas la forme : il y a là un éparpil-
années dans ces pays pour en tirer quelque lement de la lumière et de la couleur, et une 31. Matisse à Manguin,
lettre de Collioure du 7 juin
chose de neuf et qu’on ne peut prendre sa indication sommaire des choses totalement 1906, citée dans Freeman,
palette et son système et l’appliquer. » 31 neuve et vigoureuse. 1990, p. 213, n° 38.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La sensibilité d’avant-garde

Henri Matisse, Une rue à Biskra, avril 1906, huile sur toile, 34 × 43cm. Copenhague, Statens Museum for Kunst
(inv. KMS r 77, legs Johannes Rump, 1928).
Béla Bartók

32. Bartók, Béla, « Die


Volksmusik der Araber von
Biskra und Umgebung »,
dans Zeitschrift für
Musikwissenschaft, vol. 2,
n° 1, 9 juin 1920, p. 489-522,
traduit comme « Un essai
de Béla Bartók. La musique
populaire des Arabes de
Anonyme, Béla Bartók Biskra et des environs », par
étudie de la musique Léo-Louis Barbès, Annales
collectée en voyage, de l’Institut d’études
photographie vers 1910. orientales (Alger), t. 18-19,
Getty Images. 1960-1961, p. 301-336, et
« Arab Folk Music from
the Biskra District », dans
165
LedeHongrois Béla Bartók, outre son talent
compositeur, est reconnu pour être
tions – les spécialistes en reconnaissent dix
d’inspiration arabe – qui marque son rôle
Béla Bartók : Studies in
Ethnomusicology, Benjamin
Suchof (éd.), Lincoln,
un des pionniers de l’ethnomusicologie32. dans l’avant-garde de son époque33. Nebraska et Londres :
University of Nebraska
En jeune pianiste virtuose, il a efectué des Press, 1997, p. 29-77.
tournées en Europe depuis 1900. Parallèle- En 1906, Bartók a écouté pour la première
ment à l’avant-garde artistique parisienne fois de la musique arabe lors d’une très 33. Voir l’étude spécialisée
de Sylvia B. Parker, « Béla
(notamment Matisse, André Derain et Pa- courte excursion sur la côte africaine, de Bartók’s Arab music
blo Picasso) qui s’intéresse à la sculpture Ceuta à Tanger, en venant d’Espagne34. En research and composition »,
dans Studia Musicologica,
africaine – comme le mouvement « primiti- 1911, il passe deux semaines à Paris pour vol. 49, n° 3-4 (septembre
viste » –Bartók admire, sur les plans scien- étudier la musique arabe – il achète pour 2008), p. 407-458 (www.
jstor.org/stable/25598331),
tiique et artistique, la chanson des cam- cela un dictionnaire français-arabe. Au dé- citant la thèse de doctorat
pagnes. Dès 1905, il a commencé l’étude but de 1913, la correspondance du musicien de Mehdi Trabelsi, La
Musique populaire arabe
systématique des chants folkloriques des témoigne de ses démarches complexes dans l’œuvre de Béla Bartók
paysans de sa Hongrie natale, de Transylva- pour obtenir les documents nécessaires à (Lille : Atelier national
de reproduction des
nie et de Roumanie. Il a développé une mé- un voyage d’étude en Algérie française (son thèses, 2002).
thode de transcription rapide de la musique pays natal, dans l’Empire austro-hongrois,
34. Janós Kárpáti,
et des paroles. Très tôt, Bartók se procure était alors dans le camp des ennemis de la « Bartók in North Africa :
des machines à enregistrer de type « Edi- France) 35. a unique ieldwork and
its impact on his music »,
son phonographe » (avec leurs cylindres dans Bartók perspectives :
métalliques cirés), qu’il emmène dans les Bartók choisit Biskra pour son renom, son man, composer, and
ethnomusicologist, Elliott
campagnes en Europe, puis en Afrique. accessibilité par le train et sa proximité avec Antokoletz et al., (éd.),
C’est l’utilisation que Bartók fait de cette plusieurs oasis. Le compositeur n’était pas New York et Oxford : Oxford
University Press, 2000, p. 171.
musique traditionnelle dans ses composi- découragé par les températures extrêmes
35. Kárpáti, 2000, p. 172.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La sensibilité d’avant-garde

Neurdein Frères, 514. A - Négros musiciens, carte postale, vers 1905. Sydney, collection DORA.

indiquées dans son guide Baedeker. Bartók Biskra, beaucoup plus commune dans le
et sa femme Márta Ziegler prennent le ba- monde arabe – et la musique rurale, qui
teau de Marseille à Philippeville (Skikda), sur l’intéressait davantage. Pour efectuer ses
la côte algérienne, et descendent en train enregistrements, il devait frayer avec les
vers Constantine (Ksentina) puis Biskra, leur autorités locales, arabes et françaises : « Les
36. Márta Ziegler, « Bartók’s base d’opération au mois de juin 1913. Márta cheikhs étaient très aimables, ils donnaient
Reise nach Biskra », dans a écrit un bref mémoire de leur séjour36. l’ordre aux gens de venir et de chanter. Une
Documenta Bartókiana,
vol. 2, 1965, Denijs Diller Si on y ajoute plusieurs lettres de Béla à chose vraiment remarquable : ces gens
(éd.), Budapest : Akadémiai des collègues hongrois, on est ainsi bien n’avaient pas la moindre honte, pas même
Kiadó, p. 9-13.
renseigné sur ces deux semaines de travail, les femmes » 37. David Cooper précise que
37. Bartók à Ion Birlea en auxquelles une gastroentérite contractée Bartók a dû obtenir la permission de la po-
octobre 1913, cité dans
David Cooper, Béla Bartók, par Bartók à El Kantara mit un terme. lice pour faire entrer des femmes de la tribu
Yale University Press, 2015, des Ouled-Naïls dans son hôtel ain d’enre-
p. 128, n° 53.
Bartók a vite saisi la diférence entre la gistrer leurs chants38. Cette lettre pour le
38. Cooper, 2015, p. 128. musique citadine – celle des cafés de moins déconcertante a été publiée en 1961 :
« Monsieur Béla Bartók
Hôtel les Ziban 167
Biskra.
Monsieur Béla Bartók est autorisé
à sortir du quartier des Ouled-Naïl
telle ille soumise qu’il lui plaira
pour les besoins de sa mission.
Biskra, le 9 juin 1913
Le Commissaire
Signature [illisible] Extraits du célèbre
« Le travail est plus facile ici qu’en Hongrie. texte de Bartók,
Commissariat de Police Les Arabes accompagnent presque tous « Die Volksmusik de
Biskra (Algérie) 39 » leurs chants avec des percussions, parfois Araber von Biskra und
Umgebung », Zeitschrift
sur un rythme très complexe (il s’agit prin- für Musikwissenschaft,
cipalement d’une variation d’accent sur des juin 1920. Fisher Library,
mesures égales, ce qui produit des bases Université de Sydney.
Le langage sec de cette missive laisse sentir
le dédain du commissaire colonial pour ces rythmiques diversiiées). C’est la principale
femmes, leur absence de liberté de mou- diférence entre leurs chants et les nôtres.
vement, et l’impression d’une contrainte Sinon, il y a de nombreuses mélodies ba-
extrême. Il n’est pas avéré que les Bartók en siques (restreintes à trois notes consé-
aient été conscients, hormis le fait que Már- cutives de la gamme) et la portée d’une
ta raconte que le couple avait d’abord tenté quinte est rarement dépassée. Aucun de
de faire les enregistrements dans l’appar- leurs anciens instruments à cordes n’a sub-
tement d’une Naïlate, rue des Ouled-Naïls, sisté (ils les remplacent par le violon) ; leurs 40. Bartók, lettre du 19
juin à Zágon, dans Kárpáti,
mais que le lieu était trop exigu pour l’ap- instruments à vent ont des gammes très 2000, p. 174, n° 11.
pareil. Bartók s’exclame alors : particulières » 40.
39. Ziegler, 1965, p. 16.
Biskra, sortilèges d’une oasis — La sensibilité d’avant-garde

Après Biskra, les Bartók se rendent en


louant une voiture, à Tolga, où ils passent
nord-africaine, sans doute vaut-il mieux re-
garder l’article de Bartók comme l’identii-
trois jours ain de poursuivre leur travail. Les cation d’une ressource pour la composition,
enregistrements avec, cette fois, des musi- un fonds qui nourrira son imagination en
ciens munis d’instruments traditionnels (qui termes de mélodie et de rythme » 43.
fascinaient Bartók), sont réussis. Mais la
nourriture exotique, la chaleur de l’été et les Très peu d’enregistrements biskris sont
tarifs exorbitants de l’hôtel (le Grand hôtel disponibles en ligne, mais leur totalité
de Tolga ou le moins accueillant hôtel des existent en CD-Rom, produit en 2006 par
Touristes ) sont source d’inconvénients41. Janós Kárpáti pour l’UNESCO, Bartók and
Arab Folk Music)44. La Suite de danse pour
Le point culminant du voyage est atteint piano, de 1925 (actuellement disponible
dans la cité religieuse de Sidi Okba, où ils sur YouTube45), est un exemple des com-
travaillent avec un interprète. Márta té- positions de Bartók intégrant des motifs
moigne : d’origine arabe. Reconnaître la valeur de
« L’enregistrement des chants s’est fait la musique populaire, souvent traitée de
dans une ambiance très joyeuse ; ailleurs cacophonie par les étrangers, n’est pas
les chanteurs étaient trop guindés, presque la moindre réussite du compositeur face
41. Cooper, 2015, p. 129 ; d’une humeur noire. Mais ici, c’était plus gai, aux traditions de musique toujours vives
il poursuit : « Le couple
dut afronter un incident avec un chanteur bigleux, un grand artiste aux Ziban.
gênant lorsque le mari qui a su donner du plaisir à l’assemblée » 42.
d’une des chanteuses se
mit en colère et s’en prit
à sa femme qui chantait La dernière étape de ces enregistrements
devant des étrangers ; il se
calma néanmoins quand il était prévue à El Kantara, mais c’est là que
remarqua la présence de Bartók, déjà afaibli par une perte de poids
Márta. »
en raison de la chaleur et de la nourriture,
42. Cooper, 2015, p.129. contracta une gastroentérite. Le couple
gagne Alger où Béla est victime d’un autre
43. Ibid., p130.
accident, une entorse du genou qui le cloue
44. Détail du CD-ROM neuf jours au lit.
Bartók and Arab Folk
Music (2006), dans Parker,
2008, p. 409, n° 9. Une fois rentré en Hongrie, Bartók étudie
45. Comme Kárpáti le
ses notes et ses enregistrements sur cy-
signale. Écouter Bartók lindres. Il en tire un long article, enrichi par
(surtout la partie IV) sur :
https://www.youtube.com/
les rares études sur la musique arabe pa-
watch ? v=Ar8vCyKVSXI rues en français, qu’il publie d’abord dans
la revue hongroise Szimphonia (Budapest),
en 1917. Avec la guerre, l’article ne devait
Plaque apposée en 2004 pas paraître avant 1920 dans la prestigieuse
par l’ambassade de
Hongrie sur la façade de Zeitschrift für Musikwissenschaft. Bien
l’hôtel Transatlantique, qu’elle soit toujours reconnue comme une
à Biskra. Photo de contribution importante dans ce domaine,
l’auteur, 2013. À noter
que le « Transat » David Cooper souligne toutefois l’approche
n’existait pas encore empirique de Bartók et conclut : « Plutôt
en juin 1913 ; les Bartók que d’y voir une contribution majeure à
descendirent à l’hôtel
des Ziban, près du l’inventaire et à la théorie de la musique
jardin public.
Liste des œuvres exposées
Architecture et urbanisme La peinture
© ANOM : ig. 1, 18 © Neurdein / Roger-Viollet : ig. 1, 20
© DORA : ig. 2, 5, 8, 9, 15, 21, 28, 29, 35, 36, 43, 44, © Chrysler Museum of Art : ig. 2, 5
45, 46, 47, 49 © Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métro-
© Salim Bècha : ig. 3, 6 pole / Frédéric Jaulmes : ig. 4
© IMA : ig. 4, 25 © RMN-Grand Palais / Stéphane Maréchalle : ig. 3
© Roger Benjamin : ig. 7, 10, 33, 36, 40, 41, 48, 51, 52, © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Thierry Le
53, 54, 55 Mage : ig. 6
© Lehnert et Landrock / DORA : ig. 11 © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewan-
© Library of Congress : ig. 12, 37 dowski : ig. 7, 12
© Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, © RMN-Grand Palais (musée du quai Branly - Jacques
Charenton-le-Pont : ig. 13, 14 Chirac) / Daniel Arnaudet : ig. 18
© Abdelhamid Zerdoum : ig. 16 © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Pa-
lais / Bertrand Prévost : ig. 22
© Paul Pizzaferri : ig. 17
© Maure / Gilles Dupont : ig. 8, 28
© BNF : ig. 22
© Smithsonian Institution : ig. 9
© Maure / Gilles Dupont : ig. 23, 24
© DR : ig. 10, 29, 35, 36, 37, 45
© Christie’s Images / Bridgeman Images : ig. 26
© Salim Bécha : ig. 11, 30
© Collection Idéal / DORA : ig. 27, 32
© Maurice Romberg de Vaucorbeil / Salim Bécha :
© Photo vintage France : ig. 29, 37
ig. 16
© CAP/ DORA : ig. 30
© Collection privée Archives Charmet / Bridgman
© Archives nationales de France : ig. 31 Images : ig.13
© DR : ig. 38, 39 © Musée Denys-Puech, Rodez : ig. 14
© CIM / DORA : ig. 34, 42 © Musée des Beaux-Arts, Agen, inv. 6 BR : ig. 15
© PVDE / Bridgeman Images : ig. 50 © SVV Bisman : ig. 17
© Musée de la Vallée (musée du quai Branly) / Didier
Le tourisme Michalet : ig. 19
© Yvonne Kleiss Herzig / Salim Bécha : ig. 21
© H. Bouquet / Baconnier : ig. 1 © Musée départemental Maurice Denis, Saint-Germain-
© DORA : ig. 2, 6, 11, 12, 15, 16, 22 en-Laye / Yves Tribes : ig. 25
© BNF : ig. 3 © Catalogue raisonnée Maurice Denis : ig.24, 25
© Photo Vintage France : ig. 4, 5, 18, 19 © ANOM : ig. 26
© Musée des Beaux-Arts, Mairie de Bordeaux / Photo © Deutsche Bank Collection : ig. 27
L. Gauthier : ig. 7 © Iberfoto / Photoaisa / Roget-Viollet : ig. 31
© Serge Kakou : ig. 8 © Musée des Beaux-Arts, Mairie de Bordeaux. Photo
© Algérie-Monde : ig. 9 L. Gauthier : ig. 32
© CIM/DORA : ig. 10 © Tahar Ouamane : ig. 34
© Collection Idéale / DORA : ig. 13 © Roger Benjamin : ig. 38, 39, 41, 43, 44
© Alexandre Bougault / DORA : ig. 14 © Slimane Bécha / Musée national d’art moderne et
© Gilles Dupont : ig. 17 contemporain d’Alger : ig. 40, 42
© Sinema Türk : ig. 20 © Noureddine Tabrha / Musée national d’art moderne
© Roger Benjamin : ig. 21 et contemporain d’Alger : ig. 46
© Maure/ Gilles Dupont : ig. 23, 25
© Prouho Photographie/DORA : ig. 24
La photographie Sensibilité d’Avant-Garde
© Éditeurs Bouillard et F. Simon / DORA : ig. 1 © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewan-
© Getty Research Institute : ig. 2, 3 dowski : ig. 1, 6, 7
© George Eastman Museum : ig. 4 © Jacques-Emile Blanche / Musée des Beaux-Arts,
Rouen / Bridgeman Images : ig. 2,
© ANOM : ig. 5, 8, 15, 26
© DORA : ig. 3, 11, 14
© DR : ig. 6
© Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique,
© Serge Kakou : ig. 7, 23
Bruxelles / photo : AACB : ig. 4, 5
© BNF : ig. 9, 10
© Succession H. Matisse pour l’œuvre de l’artiste /
© BNF / Marie-Ève Bouillon : ig. 13 Baltimore Museum of Art : Fig. 8
© DR : ig. 14 © Collection Idéal / Archives Jean Paul Manguin /
© Library of Congress : ig. 11, 12, 22 DORA : ig. 9
© Macleay Museum : ig. 16 © Maure / DORA : ig. 10
© IMA : ig. 17 © SMK Foto : ig. 12
© Julien Damoy / DORA : ig. 18 © De Agostini / A. Dagli Orti / Getty Images : ig. 13,
© RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewan- © Béla Bartók / Fisher Library : ig. 15
dowski : ig. 19 © Roger Benjamin : ig. 16
© Fryer Library : ig. 20, 21
© J. Brun & Cie / DORA : ig. 24
© DORA : ig. 25
© CIM / DORA : ig. 27
© Paul Pizzaferri : ig. 28

La Famille Maure, premiers photographes


résidents de Biskra,
© Maure / Nicole Peyriere : ig. 1, 6
© Maure / Gilles Dupont : ig. 2, 4, 5, 7, 8, 9, 10, 12
© DORA : ig . 3
© Bourgault / Gilles Dupont : ig . 11
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