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Commissariat scientifique
Aurélie Samuel, conservatrice du patrimoine, commissaire indépendante
Alban François, chargé d’études documentaires, responsable du pôle documentaire, musée Guimet
Thierry Zéphir, ingénieur de recherche, responsable des collections Monde himalayen, musée Guimet
EXPOSITION
Production Prêteurs
Anne Yanover, directrice de la programmation et du public
Anne Quillien, responsable du pôle expositions ALLEMAGNE
Valentine Magne, chargée de production des expositions Berlin, Ethnologisches Museum der Staatlichen Museen zu Berlin
– Preussischer Kulturbesitz
Graphisme et signalétique
Maïté Vicedo, responsable du pôle identité visuelle et médiation BELGIQUE
Anvers, Museum aan de Stroom (MAS)
Régie des collections et documentation
Adil Boulghallat, responsable du pôle régie des collections FRANCE
Laurence Berlandier, régisseuse d’œuvres Lyon, musée des Confluences
Hourya Gaubert, régisseuse d’œuvres Paris, Bibliothèque interuniversitaire de Santé
Dominique Fayolle-Reninger, chargée de documentation Paris, Bibliothèque nationale de France
des collections Paris, Collège de France, Institut des hautes études japonaises
Paris, Fonds de dotation pour la gestion et la valorisation
Communication du patrimoine pharmaceutique
Nicolas Ruyssen, directeur de la communication Paris, musée Cernuschi
Anna-Nicole Hunt, chargée de communication Paris, musée François Tillequin – collection de matière médicale
Chérifa Lehtihet, chargée de communication – réseaux sociaux Paris, musée d’histoire de la médecine
Claire Solery, chargée de projets numériques Paris, musée de l’Homme
Paris, musée du quai Branly – Jacques Chirac
Action culturelle et artistique
Cécile Becker, responsable du pôle action culturelle et artistique ROYAUME-UNI
Londres, British Library
Mécénat Londres, British Museum
Lionel Favereau, responsable du mécénat Londres, Victoria and Albert Museum
Amélie Comodini, chargée de projets événementiels Oxford, Bodleian Library
Oxford, Pitt Rivers Museum
Catalogue
Aude Ferrando, responsable du pôle éditions Collectionneurs privés :
Nathalie Allain
Scénographie Frédéric Bonté
Agence [MAW] Maffre Architectural Workshop Michel Dray† et Olga Dray
Mieko Macé
Fernand Meyer
Enfin, pour leur aide et leur précieux concours à l’organisation de cette exposition,
les commissaires adressent leur profonde gratitude à l’ensemble des services du
musée Guimet et plus particulièrement à :
Pierre Baptiste, Emmanuelle Bertrand-Renaud, Cristina Cramerotti,
Claire Déléry, Nicolas Engel, Hélène Gascuel, Vincent Lefèvre,
Laurence Madeline, Jeanne Mériaux, Katia Mollet, Saki Noël, Amina Okada,
Huei-Chung Tsao, Valérie Zaleski.
Avertissement au lecteur
Dans ce catalogue, la transcription des termes
japonais et sanskrits a été simplifiée, selon l’usage
dans les ouvrages de large divulgation ; ne sont
donc pas notés les voyelles longues ni les signes
diacritiques.
Le chinois est transcrit selon le système pinyin.
Les autres langues asiatiques sont transcrites
selon un système simplifié respectant au mieux
la prononciation effective des termes.
Abréviations
p. : pali
sk. : sanskrit
th. : thaï
79 Médecine extrême-orientale
81 L’aiguille, le cinabre et la peste. Fragments d’histoire de la médecine chinoise – FRÉDÉRIC OBRINGER
97 La médecine japonaise à travers les siècles – MIEKO MACÉ
111 Les divinités extrême-orientales de la médecine – MICHEL et OLGA DRAY
Yannick Lintz
Présidente du musée Guimet
11
Médecines d’Asie,
l’art de l’équilibre
Évoquer les médecines d’Asie invite à se plonger dans un domaine qui participe du soin,
au sens pratique du terme, mais aussi de traditions dont les fondements s’ancrent dans les
méandres du temps, à la croisée de l’Histoire et du mythe. Que l’on envisage la médecine
indienne, la médecine chinoise ou la tradition médicale du monde himalayen, un trait com-
mun semble se dégager : le corps est parcouru de flux énergétiques de l’équilibre desquels
dépend la bonne santé du patient.
Fondées sur des principes au départ empiriques, à l'instar de la médecine occidentale
d'Hippocrate ou de Galien, les médecines d’Asie sont essentiellement préventives. Attestées
par l’archéologie dès l’aube des civilisations, les pratiques médicales asiatiques s’appuient
sur un ensemble de traités élaborés durant de longs siècles. Les plus anciens à nous être
parvenus semblent avoir été compilés, en Chine, vers le iie siècle av. J.-C., en Inde, dès les
premiers siècles de l’ère chrétienne, au Tibet enfin, au cours de l’époque monarchique
(viie-ixe siècle). Dans une approche liée au bien-être, les médecines d’Asie sont aujourd’hui
largement plébiscitées dans le monde ; elles jouissent également d’un intérêt croissant
dans les milieux médicaux et sont de plus en plus fréquemment incluses dans les parcours
hospitaliers et thérapeutiques conventionnels.
13
L’histoire
de la médecine
ayurvédique
Comme son nom l’indique en sanskrit, l’ayurvéda – « savoir (veda) pour prolonger la durée
de vie (ayus) » – est plus qu’une médecine. C’est une science religieuse dont les premières
prescriptions thérapeutiques, dans les Veda, étaient fondées sur le recours aux puissances
divines. Ainsi, dans l’Atharvaveda composé à la fin du IIe millénaire avant l’ère chrétienne,
pour obtenir la guérison d’une hydropisie (rétention d’eau dans l’abdomen ou une autre
cavité corporelle), on récitait des formules magiques invoquant Varuna, le dieu qui maintient
la loi divine et l’ordre du monde, comme le charme suivant : « Au sein des eaux, ô roi Varuna,
| ta maison d’or est bâtie : || du fond de cette demeure daigne le roi qui maintient la loi divine
| défaire tous les liens ! || 1 » Le même dieu, Varuna, infligeait une hydropisie comme punition
à ceux qui avaient enfreint la loi divine et, en retour, il pouvait les délivrer de cette maladie
en dénouant les liens qui emprisonnaient les liquides organiques dans les cavités séreuses.
À l’origine de la mythologie hindoue, Varuna off rit aux dieux le suc magique d’une plante
céleste qui les rendit immortels et que personnifie Soma, le dieu Lune. Varuna, qu’on repré-
CAT. 22 • Varuna sente souvent à cheval sur un makara, un monstre aquatique (cat. 22), deviendra, avec sa
Inde du Sud, xvıııe siècle créature Soma, le dieu des eaux dans l’hindouisme classique, de même qu’Agni deviendra le
Bois de char
H. 29 cm ; L. 14 cm ; P. 5,5 cm dieu du feu, comme l’indique le halo de flammes jaillissant de sa couronne (cat. 24), et Vayu
PARIS, MUSÉE GUIMET, le dieu du vent, que symbolisent l’antilope, sa monture, et les flèches de l’arc qu’il tient dans
FONDS ANCIEN, MG 1018
sa main gauche (cat. 23), parce qu’elles sont rapides comme le vent. Ce sont les trois forces
CAT. 23 • Vayu de la nature qui commandent la physiologie des êtres vivants. Vayu, le vent, commande le
Inde du Sud, Tamil Nadu,
Shrirangam, xvıııe siècle mouvement et le système nerveux ; Agni, le soleil, commande le feu et le système digestif,
Bois de char et Varuna à travers l’action de Soma commande la distribution des eaux, c’est-à-dire les
H. 36 cm ; L. 24,5 cm ; P. 7 cm
PARIS, MUSÉE GUIMET,
pluies, les rivières, la circulation des liquides organiques dans le corps des animaux humains
FONDS ANCIEN, MG 509 et non humains et la montée des sèves chez les végétaux. On aperçoit donc dans les Veda
CAT. 24 • Agni composés au IIe millénaire av. J.-C. l’ébauche d’une explication humorale des mécanismes
Inde du Sud, Tamil Nadu, physiopathologiques que développeront les traités de médecine ayurvédique mille ans plus
Kumbakonam, XVIIe-XVIIIe siècle
Bois de char tard et sur laquelle nous allons revenir en détail.
H. 80 cm ; L. 40 cm ; P. 8,5 cm
PARIS, MUSÉE GUIMET,
DON GABRIEL JOUVEAU-DUBREUIL, 1. Atharvaveda, livre VII, hymne 83 ; traduction Victor Henry ; c’est un distique composé de quatre
MG 17866 hémistiches.
43
Quand nous disons « corps », nous parlons généralement d’un objet unique et singulier que
nous croyons pouvoir saisir, de l’intérieur, comme « mon corps » ou, de l’extérieur, comme
un organisme à analyser, sonder, disséquer. Un contenant et une enveloppe qui participent
de la conscience de soi et spécifient la relation à autrui. Or pour l’Inde ancienne, un corps
humain visible, animé, charnel, est une forme parmi d’autres de l’individualité, une forme
qui s’ouvre sur une perspective plus vaste, une certaine manière d’être au monde, d’entrer
en relation avec les dieux, les éléments de la nature, les vivants et les morts.
Dans le yoga, cet espace de relations prendra le nom de sukshma sharira, « corps subtil »,
linga sharira, « corps de signes », expressions peu lisibles pour le pratiquant occidental, qui
ont souvent donné lieu à un ésotérisme confus autour de l’énergie, des chakra, des pouvoirs
d’un « corps astral »… Comme il arrive dans tout transfert culturel, les traductions d’une
anthropologie à l’autre se révèlent infirmes ou boiteuses ; il n’est alors d’autre ressource que
d’interroger le contexte de naissance des expériences et des représentations.
57
64
L’aiguille, le cinabre
et la peste
Fragments d’histoire
de la médecine chinoise
Tenter de saisir en quelques pages ce que fut la médecine chinoise au fil du temps est une
gageure. Les pratiques médicales, les conceptions du corps, de la maladie et de la santé,
de la vie et de la mort ont évolué, se sont superposées ou se sont concurrencées depuis la
dynastie des Shang (xviie-xie siècle av. J.-C.) jusqu’à aujourd’hui. À la dimension temporelle
il faut joindre les différences liées à la géographie politico-historique, avec des tensions
continuelles entre le pouvoir central et les affirmations locales, sur un très vaste territoire.
La question des sources disponibles (il nous est parvenu plus de dix mille ouvrages médi-
caux rédigés pendant la Chine impériale) introduit aussi une sorte de biais ; nous possédons
bien sûr plus de documents sur ce que l’on peut appeler la médecine lettrée, ou de l’élite,
que sur des pratiques plus populaires, qui demeurent moins documentées même si elles se
laissent deviner dans des textes médicaux ou religieux ou encore dans les « notes au fil
du pinceau » (biji) ou les monographies locales (difangzhi), sans parler des enquêtes plus
récentes d’ethnologie et de sociologie des praticiens et des patients. Les approches liées
aux études de genre apportent également un regard nouveau et éclairant1 .
Un autre point à souligner est l’importance des échanges continuels qui existèrent
entre la Chine et ses voisins plus ou moins lointains : relations commerciales (la route de
la soie), échanges religieux (l’introduction du bouddhisme à partir du ier siècle apr. J.-C.),
contacts diplomatiques (avec le système de tributs) ou guerriers… De ces échanges résulta
l’introduction de pratiques et théories médicales, par exemple indiennes (voir les manuscrits
retrouvés à Dunhuang, dans le Gansu) ou arabes (au début des Ming [1368-1644] parut ainsi
un recueil important de prescriptions d’origine musulmane, le Huihui yaofang) 2 .
CAT. 40 • Neijing tu
(« carte du paysage intérieur »),
Un regard rétrospectif et anachronique est aussi souvent mauvais conseiller. La ten-
décrivant le corps humain dance, depuis plus d’un siècle, à trier le bon grain de l’ivraie au nom de la recherche
selon l’alchimie taoïste
Chine, Taïwan,
d’une scientificité rêvée qui donnerait une légitimité moderniste à la médecine classique
XIXe-début XXe siècle chinoise a conduit à reléguer dans les limbes de l’oubli ou du mépris nombre de pratiques
Encre sur papier
H. 115 cm ; L. 55 cm
BERLIN, ETHNOLOGISCHES MUSEUM
1. Sur l’histoire de la médecine chinoise, voir par exemple Unschuld 1986 ; Hinrichs et Barnes 2013 ; Sivin
DER STAATLICHEN MUSEEN -
PREUSSISCHER KULTURBESITZ (SMPK), 2015 ; Lo et al. 2022.
COLLECTION PAUL UNSCHULD, ID 47771 2. Lo et Cullen 2005 ; Hinrichs et Barnes 2013.
81
La médecine
japonaise
à travers les siècles
97
La médecine tibétaine
119
Iconographie bouddhique
et médecine
Dès l’origine, au temps même de son fondateur historique1 , la religion bouddhique véhicule
concrètement ou de manière métaphorique un idéal médical. Dans plusieurs de ses ensei-
gnements, le Bouddha se donne lui-même comme le « médecin » ; le disciple, ou plus géné-
ralement le dévot, est décrit comme le « malade », la doctrine (dharma) comme le « remède »
et l’accès au nirvana – représentant l’extinction des passions enchaînant les êtres dans le
cycle infernal des renaissances (samsara) – comme la « guérison » 2 .
La vie de Celui que l’on désigne, entre autres, sous le nom de Shakyamuni est ponctuée
d’événements renvoyant aux notions de douleur, de souffrance morale ou physique, de mala-
die et, bien entendu, de guérison, au sens ici de Salut. Au mitan de son ultime existence, alors
qu’il n’est encore qu’un jeune prince épris de curiosité pour le monde qui l’entoure, le futur
Bouddha vient à faire quatre rencontres auxquelles la confortable réclusion dans laquelle
on l’avait maintenu au sein de son palais ne l’avait pas préparé. La première le confronte
à un vieillard, expression des douleurs corporelles inévitables lorsque vient le grand âge.
La deuxième le met face à un malade, symbole des affections physiologiques dont tout
un chacun fait nécessairement l’expérience au cours de sa vie. La troisième, peut-être la
plus perturbante pour le jeune homme, lui révèle un cadavre, ou un convoi funèbre, image
paroxystique et définitive de la souffrance émotionnelle qu’il faut ici percevoir comme celle
des familiers du défunt face au départ d’un être cher. À ces trois niveaux de douleur vient
répondre la voie de l’apaisement – en terme médical, on parlerait de guérison – manifestée
dans la quatrième rencontre, celle d’un renonçant, voué à la spiritualité et, de ce fait, inac-
cessible, ou mieux, insensible à toute douleur. Outre le fait qu’il engage le Bouddha dans une
voie de quête spirituelle, l’épisode des quatre rencontres met l’accent sur le parallélisme tout
symbolique entre guérison des maux physiques, voire psychiques, et guérison de l’âme et de
CAT. 62 • Avalokiteshvara
l’esprit. Mais concrètement, bien peu d’éléments illustrent réellement le fait médical dans la
sous son aspect Simhanada vie du Bienheureux. On citera tout au plus les informations de nature presque subliminales
« au rugissement du lion »
Chine, fin XVIIIe-début XIXe siècle
Détrempe sur toile
1. Les dates exactes du Bouddha sont inconnues. Aujourd’hui, les chercheurs s’accordent pour
H. 179 cm ; L. 85,5 cm
PARIS, MUSÉE GUIMET, DON JOSEPH considérer qu’il serait mort vers 400 av. J.-C., au terme d’une vie de quatre-vingts ans.
HACKIN (1938), MG 24905 2. Pour tout ce qui touche au bouddhisme, voir Cornu 2006.
135
La pratique
de la médecine chinoise
Avant 1857, il n’existe qu’une seule pratique de la médecine en Chine. Le terme de « méde-
cine chinoise » est apparu en Chine par opposition à celui de « médecine occidentale »
depuis la traduction en chinois sous le titre Xiyi Luelun du livre First Lines on the Practice
of Surgery in the West, publié par Benjamin Hobson, missionnaire médical britannique, en
18571 . Dans les années 1880, les termes « médecine chinoise » et « médecine occidentale »
ont commencé à être utilisés dans la communauté médicale chinoise.
En Chine, la pratique de la médecine traditionnelle est reconnue par l’État en parallèle de
la médecine moderne, et est enseignée au cours de la formation initiale des professionnels
de santé. La plupart des hôpitaux chinois de médecine occidentale disposent d’un service
de médecine traditionnelle.
Cette dernière, en tant que partie intégrante de la tradition chinoise, a été préservée
et développée sans interruption jusqu’à ce jour, sans tenir compte des changements de
dynastie. Elle a survécu non seulement grâce à des techniques qui lui sont propres, mais
surtout grâce à sa nature pratique. En effet, un aspect important de la médecine tradition-
nelle chinoise est l’observation minutieuse du corps humain ; elle définit des ajustements
au cas par cas, se basant sur la réaction spécifique de chaque individu au lieu d’appliquer
une méthode unique pour tous. Elle diffère en cela de la médecine moderne.
Dans le Classique interne de l’empereur Jaune, la thérapie par les pierres (bian shi),
les médicaments, l’acupuncture, la moxibustion, et le guidage-étirement et massage
(daoyin anqiao) sont cités comme les cinq techniques principales employées en médecine
traditionnelle.
147
Les praticiens ayurvédiques d’aujourd’hui ont fait leurs études après la réforme de médecine
des années 1970 en Inde qui officialisa l’enseignement et la pratique du système appelé
Integrated Medicine, agrégeant à l’ayurvéda traditionnel non seulement les éléments
fondamentaux du yoga et de la médecine arabe mais aussi de l’anatomie et la physiologie
venues d’Occident.
Les études médicales ayurvédiques s’inscrivent dans un cycle de 5 ans (7 ans aupara-
vant). L’approche médicale est classique avec un apprentissage de l’anatomie et de la phy-
siologie. Les médecins (vaidya) (cat. 80) se spécialisent ensuite en médecine ayurvédique
avec un maître auprès duquel ils apprennent la science physiologique ayurvédique qui
n’est pas très différente en soi mais dont la terminologie diffère un peu. Habilités à prescrire
certains médicaments allopathiques ou chimiques et à pratiquer de la petite chirurgie
(drainage des abcès, petites opérations), les thérapeutes prescrivent essentiellement des
remèdes à base de plantes. Le praticien allopathe privilégie une approche physiologique,
le médecin ayurvédique s’appuie sur le système (réseau) de canaux d’énergies appelés nadi.
Le rééquilibrage de ces énergies est le point de départ essentiel de tout traitement. Des
blocages peuvent se produire aux points d’entrée de ces énergies (marma) et générer un
déséquilibre des fonctions vitales, provoquant par là même une maladie. C’est une médecine
qui s’adresse aussi aux personnes en bonne santé, pour préserver celle-ci. Elle est donc
préventive et constitue avant tout une hygiène de vie dans laquelle le régime alimentaire
joue un rôle important. Cette médecine n’est pas reconnue comme telle en Occident à
quelques exceptions près, en Suisse et dans une certaine mesure en Allemagne.
Le diagnostic
CAT. 79 • Religieux hindou Le diagnostic s’appuie sur une méthode d’observation et de palpation qui consiste à
et son disciple
Inde, Deccan, vers 1700
analyser la constitution et les organes du patient (protocole appelé darshana sparshana),
Gouache sur papier, toile et ce, dès son entrée dans le cabinet.
H. 22,5 cm ; L. 18,5 cm
PARIS, MUSÉE GUIMET, DÉPÔT
Le praticien commence par observer la démarche, les gestes, la position du corps debout
DU MUSÉE DU LOUVRE, INV. 35566 ou assis, les yeux, la sonorité de la voix, et la façon de s’exprimer. Puis la constitution
155
L’art
de la méditation
Pourquoi méditer ?
Nous déployons beaucoup d’efforts pour améliorer les conditions extérieures de notre
existence, mais en fin de compte c’est toujours notre esprit qui fait l’expérience du monde
et le traduit sous forme de bien-être ou de souffrance. Si nous transformons notre façon
de percevoir les choses, nous transformons la qualité de notre vie. Et ce changement
résulte d’un entraînement de l’esprit que l’on appelle « méditation ».
La méditation est une pratique qui permet de cultiver et de développer certaines
qualités humaines fondamentales. Étymologiquement, les mots sanskrit et tibétain,
traduits en français par méditation sont respectivement bhavana, qui signifie cultiver
et gom, qui signifie se familiariser. Il s’agit principalement de se familiariser avec une
vision claire et juste des choses, et de cultiver des qualités que nous possédons tous en
nous mais qui demeurent à l’état latent aussi longtemps que nous ne faisons pas l’effort
de les développer.
Si le but premier de la méditation est de transformer notre expérience du monde, il
s’avère également que l’expérience méditative a des effets bénéfiques sur la santé. Les
méditants expérimentés ont la faculté d’engendrer des états mentaux précis, ciblés, puis-
sants et durables. Des expériences ont montré notamment que la zone du cerveau associée
à une émotion comme la compassion, par exemple, présentait une activité considérable-
ment plus grande chez les personnes qui avaient une longue expérience méditative. Ces
découvertes indiquent que les qualités humaines peuvent être délibérément cultivées par
un entraînement mental.
CAT. 100 • Amida-nyorai
L’objet de la méditation est l’esprit. La méditation n’a pas pour but de le briser ni de
(sk. Amitabha) formant le l’anesthésier, mais de le rendre libre, clair et équilibré.
« sceau de la concentration »
Japon, XIXe siècle
D’après le bouddhisme, l’esprit n’est pas une entité mais un flot dynamique d’expériences,
Bois doré et peint une succession d’instants de conscience. Ces expériences sont souvent marquées par la
H. 143 cm ; D. 117 cm
PARIS, MUSÉE GUIMET, FONDS ANCIEN,
confusion et la souffrance, mais elles peuvent aussi être vécues dans un état spacieux de
MG 26296 clarté et de liberté intérieure.
179
Les vêtements
protecteurs des enfants
en Chine
205
Démons et maladies :
l’exorcisme en Asie
215
235
Ouvrage constitué de
91 fascicules – le musée Guimet
en conserve 87 –, traitant de
la classification des plantes
établie par Li Shizhen en Chine
en 1596.
240
La découverte
par l’Occident
des thérapies indiennes
Deux traditions thérapeutiques se sont répandues dans l’Inde entière : depuis l’Antiquité
l’ayurvéda que pratiquent les vaidya hindous, et depuis le ixe siècle la médecine arabe que
pratiquent les hakim musulmans. Au sens premier, le mot sanskrit vaidya et le mot arabe
hakim désignent des « savants » ayant reçu un enseignement fixé dans des textes sanskrits,
arabes ou persans. Leurs premiers contacts avec les Européens eurent lieu au xvie siècle
dans les établissements portugais et principalement à Goa. Une autre thérapie indienne
notable est la médecine Siddha, elle aussi millénaire et dont les textes classiques ont été
composés en langue tamoule, mais elle n’a rayonné que dans l’Inde du Sud et ne fut décou-
verte qu’au xviiie siècle par les Européens, à Pondichéry et dans la Présidence de Madras.
Toutes les thérapies indiennes traditionnelles sont fondées sur une conception humorale
de la physiopathologie, selon laquelle les maladies ont pour cause la corruption des fluides
vitaux que sont les trois humeurs vent, bile et flegme, pour celles qui ont été conçues dans
le cadre de la religion hindoue (ayurvéda et Siddha)1 , ou les quatre humeurs d’Hippocrate,
sang, bile jaune, bile noire et flegme, dans la médecine arabe.
La découverte des thérapies indiennes par les Occidentaux au xvie siècle s’est produite
dans le contexte d’échanges internationaux suscités depuis l’Antiquité par le commerce
des épices et l’existence de routes terrestres et maritimes ouvertes pour exporter les épices
d’Orient, d’abord vers l’Empire romain puis vers l’Italie médiévale où l’on connut donc les pro-
priétés culinaires et pharmaceutiques de plusieurs plantes tropicales bien avant de décou-
vrir les textes sanskrits dans lesquels elles avaient été étudiées. Par ailleurs, les savants
arabes ont précédé de plusieurs siècles les Européens dans la découverte des thérapies
indiennes. Des vaidya exerçaient leur art à la cour des Abbassides à Bagdad au ixe siècle
où les traités sanskrits de Sushruta, Charaka et Vagbhata furent traduits en arabe. Enfin,
CAT. 142 • Jeune femme
les marchands italiens se rendaient en Inde en passant par le Moyen-Orient. Mais Vasco de
portant du bétel à sa bouche Gama ouvrit en 1498 aux Portugais la route des Indes par la voie maritime en contournant le
Inde, Deccan, vers 1700
Gouache sur papier
cap de Bonne-Espérance et c’est à sa suite que voyageurs, missionnaires, administrateurs
H. 16 cm ; L. 9 cm coloniaux et soldats, dans l’Empire portugais, découvrirent les usages locaux de nombreuses
PARIS, MUSÉE GUIMET,
DÉPÔT DU MUSÉE DU LOUVRE,
INV. 35531 1. Voir le texte de Francis Zimmermann dans ce catalogue, p. 44.
247
La découverte de la
pharmacopée japonaise
et l’introduction
de la médecine
occidentale au Japon
Au cours de son histoire, après l’usage des remèdes populaires à base d’eaux thermales et
de simples, la pharmacie japonaise a été traversée par trois étapes : les remèdes issus de
la médecine sino-japonaise kanpo, les remèdes issus de la pharmacopée européenne et
récemment les médicaments issus des progrès de la chimie.
La pharmacopée kanpo
La médecine kanpo trouve son origine dans l’ancienne médecine chinoise introduite
avec le bouddhisme via la péninsule coréenne au début du vie siècle. Au viie siècle, des
voyageurs japonais rapportent des éléments de la médecine chinoise. Lors de son arrivée
au Japon en 753, le moine bouddhiste chinois Jianzhen apporte des drogues et les pre-
miers ouvrages médicaux. La médecine chinoise est codifiée dans de volumineux traités
de matière médicale, les Bencao, dont le plus ancien est rédigé sous la dynastie Han (206
av. J.-C. à 220 apr. J.-C.). Avec le temps, les Chinois ont appris à identifier un nombre de plus
en plus important de plantes et à en connaître leurs propriétés (cat. 157). Le traité le plus
connu est le Bencao gangmu du médecin chinois Li Shizhen, rédigé au xvie siècle. Le mot
kanpo ou « médecine transmise de Kan » (la dynastie chinoise Han) est créé pour la distin-
guer de ranpo, désignant la médecine occidentale introduite postérieurement au Japon. La
pharmacopée kanpo, composée de substances naturelles, dont de très nombreuses plantes,
reste pendant dix siècles la base de la médecine au Japon.
Les premiers missionnaires portugais arrivent au Japon en 1543. Jusque-là, les médecins
japonais utilisaient les remèdes de la pharmacopée chinoise. Ils n’avaient pas connaissance
de la médecine occidentale et de ses savoirs en anatomie et en chirurgie. Les missionnaires
portugais eux-mêmes, n’ayant pas de connaissances en médecine, se fiaient à la médecine
CAT. 154 • Un médecin
et à la pharmacopée locales sino-japonaises. Par ailleurs, hormis l’introduction de l’alcool
prépare des médicaments pour la détersion des plaies, de l’huile d’olive et de la graisse de porc, les missionnaires se
lors d’une visite à domicile
Kinmozui taisei Zohotosho
servaient majoritairement des remèdes disponibles (réglisse, noix d’arec…) et n’avaient pas
(Encyclopédie illustrée), vol. 3, ou très peu influencé la médecine japonaise. Le médicament kanpo est souvent composé
Japon, 1789
PARIS, MUSÉE GUIMET, FONDS ANCIEN,
d’une combinaison de plusieurs ingrédients. Le diagnostic associe écoute verbale et non
BG 426 verbale du patient, observation des signes, palpation abdominale, examen de la peau, de
263
Comment
le yoga a conquis
le monde
Jusqu’à la fin du xixe siècle, la scène du yoga est purement indienne et asiatique, revêtant
des formes culturelles hautement différenciées, qui demandent un complet déplacement
du regard pour des observateurs venus de l’Ouest. Les pratiques des yogis et les textes sur
lesquels elles s’appuient sont d’un ésotérisme déroutant. Et pourtant elles vont gagner le
monde, reconfigurant l’opposition des représentations, des imaginaires, entre une Inde,
réservoir de sagesse, et un Occident rationnel et matérialiste. Un succès surprenant, impré-
visible, qui se découpe en deux périodes aux tonalités différentes.
273