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Médecines
d’Asie L’art
de l’équilibre

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Ce catalogue est publié à l’occasion de l’exposition « Médecines d’Asie, l’art de l’équilibre »
présentée au musée national des arts asiatiques – Guimet du 17 mai au 18 septembre 2023.

Présidente du musée national des arts asiatiques – Guimet


Yannick Lintz, conservatrice générale du patrimoine

Commissariat scientifique
Aurélie Samuel, conservatrice du patrimoine, commissaire indépendante
Alban François, chargé d’études documentaires, responsable du pôle documentaire, musée Guimet
Thierry Zéphir, ingénieur de recherche, responsable des collections Monde himalayen, musée Guimet

EXPOSITION

Production Prêteurs
Anne Yanover, directrice de la programmation et du public
Anne Quillien, responsable du pôle expositions ALLEMAGNE
Valentine Magne, chargée de production des expositions Berlin, Ethnologisches Museum der Staatlichen Museen zu Berlin
– Preussischer Kulturbesitz
Graphisme et signalétique
Maïté Vicedo, responsable du pôle identité visuelle et médiation BELGIQUE
Anvers, Museum aan de Stroom (MAS)
Régie des collections et documentation
Adil Boulghallat, responsable du pôle régie des collections FRANCE
Laurence Berlandier, régisseuse d’œuvres Lyon, musée des Confluences
Hourya Gaubert, régisseuse d’œuvres Paris, Bibliothèque interuniversitaire de Santé
Dominique Fayolle-Reninger, chargée de documentation Paris, Bibliothèque nationale de France
des collections Paris, Collège de France, Institut des hautes études japonaises
Paris, Fonds de dotation pour la gestion et la valorisation
Communication du patrimoine pharmaceutique
Nicolas Ruyssen, directeur de la communication Paris, musée Cernuschi
Anna-Nicole Hunt, chargée de communication Paris, musée François Tillequin – collection de matière médicale
Chérifa Lehtihet, chargée de communication – réseaux sociaux Paris, musée d’histoire de la médecine
Claire Solery, chargée de projets numériques Paris, musée de l’Homme
Paris, musée du quai Branly – Jacques Chirac
Action culturelle et artistique
Cécile Becker, responsable du pôle action culturelle et artistique ROYAUME-UNI
Londres, British Library
Mécénat Londres, British Museum
Lionel Favereau, responsable du mécénat Londres, Victoria and Albert Museum
Amélie Comodini, chargée de projets événementiels Oxford, Bodleian Library
Oxford, Pitt Rivers Museum
Catalogue
Aude Ferrando, responsable du pôle éditions Collectionneurs privés :
Nathalie Allain
Scénographie Frédéric Bonté
Agence [MAW] Maffre Architectural Workshop Michel Dray† et Olga Dray
Mieko Macé
Fernand Meyer

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Remerciements
Pour le soutien et la confiance qu’ils ont bien voulu accorder à cette exposition,
contribuant ainsi à sa bonne réalisation, les commissaires expriment toute leur
reconnaissance à :
l’ensemble du comité scientifique de l’exposition :
Bingkai Liu, Mieko Macé, Fernand Meyer, Frédéric Obringer, Julien Rousseau,
Ysé Tardan-Masquelier et Francis Zimmerman ;
ainsi qu’à Andréa Barbe-Hulmann, Catherine Blum, Stéphanie Charreaux,
Ariane Da Cuna, Deirdre Emmons, Hartwig Fischer, Marie Gavart, Camille Jolin,
Estelle Lambert, Sylvie Michel, Nathalie Monnet, Sonja Poncet, Jane Portal,
Jude Talbot, Olivier Tavoso.

Les commissaires adressent leurs chaleureux remerciements à l'ensemble


des prêteurs privés et publics qui, par leur généreuse collaboration, ont rendu possible
cette exposition.

Enfin, pour leur aide et leur précieux concours à l’organisation de cette exposition,
les commissaires adressent leur profonde gratitude à l’ensemble des services du
musée Guimet et plus particulièrement à :
Pierre Baptiste, Emmanuelle Bertrand-Renaud, Cristina Cramerotti,
Claire Déléry, Nicolas Engel, Hélène Gascuel, Vincent Lefèvre,
Laurence Madeline, Jeanne Mériaux, Katia Mollet, Saki Noël, Amina Okada,
Huei-Chung Tsao, Valérie Zaleski.

Avertissement au lecteur
Dans ce catalogue, la transcription des termes
japonais et sanskrits a été simplifiée, selon l’usage
dans les ouvrages de large divulgation ; ne sont
donc pas notés les voyelles longues ni les signes
diacritiques.
Le chinois est transcrit selon le système pinyin.
Les autres langues asiatiques sont transcrites
selon un système simplifié respectant au mieux
la prononciation effective des termes.

Abréviations
p. : pali
sk. : sanskrit
th. : thaï

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Auteurs

Pierre Baptiste Mieko Macé


Conservateur général du patrimoine, responsable Historienne et épistémologue HDR,
des collections Asie du Sud-Est, musée Guimet spécialiste de la pensée médicale au Japon

Frédéric Bonté Fernand Meyer


Docteur ès sciences pharmaceutiques, Ancien directeur d’études à l’École pratique
membre de l’Académie nationale de pharmacie des hautes études

Cristina Cramerotti Sylvie Michel


Conservatrice en chef des bibliothèques, responsable Professeur émérite, UMR 8038 (CNRS/Université Paris
des collections de la bibliothèque, musée Guimet Cité), responsable scientifique du musée François Tillequin
– collection de matière médicale
Michel Dray †
Cofondateur de l’équipe de recherche Frédéric Obringer
interuniversitaire Langarts Chargé de recherche, laboratoire Chine, Corée, Japon
(CNRS/EHESS/Université Paris Cité)
Olga Dray
Chargée de mission au ministère de la Culture, Amina Okada
membre du conseil d’administration Conservatrice générale du patrimoine, responsable
de la Société des amis du musée de l’Homme des collections Inde, musée Guimet

Deirdre Emmons Matthieu Ricard


Chargée des collections Asie et des expositions, Moine bouddhiste, humanitaire, auteur et photographe
musée des Confluences
Julien Rousseau
Alban François Conservateur du patrimoine, responsable des collections
Chargé d'études documentaires, responsable Asie, musée du quai Branly-Jacques Chirac
du pôle documentaire, musée Guimet
Aurélie Samuel
Daeyeol Kim Conservatrice du patrimoine, commissaire indépendante
Professeur des universités, département d’études
coréennes, Institut français de recherche sur l’Asie de l’Est Ysé Tardan-Masquelier
(CNRS/Inalco) Directrice projets de l’École française de yoga et du D.U.
« Cultures et spiritualités d’Asie » à l’Institut catholique
Vincent Lefèvre de Paris
Conservateur général du patrimoine, directeur des
collections et de la conservation, musée Guimet Thierry Zéphir
Ingénieur de recherche, responsable des collections
Bingkai Liu Monde himalayen, musée Guimet
Médecin et chercheur au Centre intégré de médecine
chinoise de l’hôpital universitaire Pitié-Salpêtrière, AP-HP ; Francis Zimmermann
enseignant et directeur pédagogique des diplômes Directeur d’études en anthropologie et histoire
universitaires (DUMETRAC et DUPRAC) à Sorbonne des sciences dans le monde indien, École des hautes
Université, Paris études en sciences sociales

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Préface
11 YANNICK LINTZ, présidente du musée Guimet

13 Médecines d’Asie, l’art de l’équilibre


AURÉLIE SAMUEL, ALBAN FRANÇOIS, THIERRY ZÉPHIR

41 Médecine du monde indien


43 L’histoire de la médecine ayurvédique – FRANCIS ZIMMERMANN
57 Les images du corps dans le monde hindou : corps subtil et yoga – YSÉ TARDAN-MASQUELIER
69 Médecine et maladies dans le panthéon brahmanique – VINCENT LEFÈVRE
75 Représenter le corps souffrant : note sur deux exceptionnels portraits moghols – AMINA OKADA

79 Médecine extrême-orientale
81 L’aiguille, le cinabre et la peste. Fragments d’histoire de la médecine chinoise – FRÉDÉRIC OBRINGER
97 La médecine japonaise à travers les siècles – MIEKO MACÉ
111 Les divinités extrême-orientales de la médecine – MICHEL et OLGA DRAY

117 Médecine du monde himalayen


119 La médecine tibétaine – FERNAND MEYER
135 Iconographie bouddhique et médecine – THIERRY ZÉPHIR

145 Soins : méthodes et moyens


147 La pratique de la médecine chinoise – BINGKAI LIU
155 La pratique de la médecine ayurvédique aujourd'hui - entretien avec le Dr Chellappan Rajalakshmi
159 Médecine institutionnelle dans le Cambodge médiéval : les hôpitaux de Jayavarman VII – THIERRY ZÉPHIR
165 La chique de bétel : de la thérapie à l’addiction – PIERRE BAPTISTE
171 La pharmacopée de la collection Dautresme – DEIRDRE EMMONS
179 L’art de la méditation – MATTHIEU RICARD

191 Médecine de l’âme


193 Médecines des remèdes et médecines des rituels. Quelques exemples d’Asie du Sud-Est – JULIEN ROUSSEAU
205 Les vêtements protecteurs des enfants en Chine – AURÉLIE SAMUEL
215 Démons et maladies : l’exorcisme en Asie – ALBAN FRANÇOIS
225 Mu-chamanisme coréen – DAEYEOL KIM

233 Entre Orient et Occident


235 Les savoirs médicaux d’Asie : réception et translations – CRISTINA CRAMEROTTI
243 Le musée François Tillequin – collection de matière médicale – SYLVIE MICHEL
247 La découverte par l’Occident des thérapies indiennes – FRANCIS ZIMMERMANN
253 Le missionnaire, le ginseng et l’Unesco. Les relations médicales entre la Chine et l’Europe – FRÉDÉRIC OBRINGER
263 La découverte de la pharmacopée japonaise et l’introduction de la médecine occidentale au Japon – FRÉDÉRIC BONTÉ
269 La médecine kanpo dans le Japon contemporain – MIEKO MACÉ
273 Comment le yoga a conquis le monde – YSÉ TARDAN-MASQUELIER

279 Bibliographie générale

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L’exposition « Médecines d’Asie, l’art de l’équilibre » est un événement exceptionnel à bien
des égards ! Première exposition consacrée aux trois grandes médecines asiatiques en
France, elle est aussi en quelque sorte un nouveau terrain d’exploration au-delà des fron-
tières traditionnelles du musée national des arts asiatiques – Guimet. Parler de médecines
orientales semble être aujourd’hui quelque chose d’assez banal tant ces domaines sont
ancrés dans les mœurs occidentales. Pourtant, il nous a paru important de présenter dans
cette exposition les grands principes, et en particulier les grands principes communs, qui
régissaient ces traditions médicales. La circulation des énergies, la prise du pouls, l’ap-
proche holistique du patient et la prise en compte d’influences divines ou démoniaques
dans la propagation des maladies sont autant de thèmes propres aux médecines d’Asie.
Bien des parallèles peuvent être faits entre ces pratiques et la vie de nos institutions
culturelles. Réfléchir au sujet d’une exposition, à sa réception par le public revient à éva-
luer l’état de santé d’un projet : sa viabilité. Envisager sa mise en scène, la manière dont
il se visitera et concevoir l’espace dans lequel les visiteurs se mouvront, cela n’est ni plus
ni moins que réfléchir à la circulation des flux pour que déplacements, contemplation,
découverte et agrément du visiteur forment une symbiose harmonieuse. Il arrive aussi que
ces événements soient l’occasion pour certaines œuvres de passer entre les minutieuses
et expertes mains des restaurateurs. Ces médecins de l’art redonnent une vie aux œuvres
abîmées par la nature et le temps. Selon des procédés parfois secrets, souvent complexes
et toujours miraculeux, les pièces renaissent, retrouvent une « seconde jeunesse » pour le
plus grand bonheur de nos visiteurs et des générations futures.
Enfin, comment ne pas penser aujourd’hui, face aux dérèglements du monde, que les
musées et leurs acteurs peuvent jouer un rôle dans le bien-être des gens ? Visiter une
exposition, consacrer pleinement un temps à la contemplation d’œuvres d’art, n’est-ce pas
là une forme de thérapie ? Se laisser aller à des émotions esthétiques, prendre une pause
dans l’écoulement frénétique de nos quotidiens surchargés, c’est se donner l’occasion de
se faire du bien. Ce sont en tout cas les vœux que nous formons pour toutes celles et tous
ceux qui visiteront cette exposition et le musée Guimet.

Yannick Lintz
Présidente du musée Guimet

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Aurélie Samuel, Alban François, Thierry Zéphir

Médecines d’Asie,
l’art de l’équilibre

Évoquer les médecines d’Asie invite à se plonger dans un domaine qui participe du soin,
au sens pratique du terme, mais aussi de traditions dont les fondements s’ancrent dans les
méandres du temps, à la croisée de l’Histoire et du mythe. Que l’on envisage la médecine
indienne, la médecine chinoise ou la tradition médicale du monde himalayen, un trait com-
mun semble se dégager : le corps est parcouru de flux énergétiques de l’équilibre desquels
dépend la bonne santé du patient.
Fondées sur des principes au départ empiriques, à l'instar de la médecine occidentale
d'Hippocrate ou de Galien, les médecines d’Asie sont essentiellement préventives. Attestées
par l’archéologie dès l’aube des civilisations, les pratiques médicales asiatiques s’appuient
sur un ensemble de traités élaborés durant de longs siècles. Les plus anciens à nous être
parvenus semblent avoir été compilés, en Chine, vers le iie siècle av. J.-C., en Inde, dès les
premiers siècles de l’ère chrétienne, au Tibet enfin, au cours de l’époque monarchique
(viie-ixe siècle). Dans une approche liée au bien-être, les médecines d’Asie sont aujourd’hui
largement plébiscitées dans le monde ; elles jouissent également d’un intérêt croissant
dans les milieux médicaux et sont de plus en plus fréquemment incluses dans les parcours
hospitaliers et thérapeutiques conventionnels.

Médecines d’Asie : du mythe à l’Histoire


Les médecines asiatiques s’appuient sur des données communes qu’il est intéressant de
souligner tout en évoquant leurs origines légendaires, les grandes figures qui en fondent
l’historicité et les liens qu’elles entretiennent avec le sacré. Que l’on se réfère aux dosha
en médecine indienne ou que l’on évoque le qi en médecine traditionnelle chinoise, l’équi-
libre des énergies vitales est sans doute le principe fondamental de toutes les médecines
CAT. 1 • Traité d’acupuncture
orientales. La représentation des énergies et de leur circulation dans le corps a donné
en langue thaï lieu à de multiples œuvres de grande force esthétique et de haute portée spirituelle : nadi
Thaïlande, XIXe siècle
Encre sur papier
(canaux) et chakra (cercles) participent d’une cartographie symbolique de l’anatomie
H. 73 cm ; L. 35 cm humaine et dévoilent sa constitution cachée, perçue comme équivalente au grand tout
PARIS, BIBLIOTHÈQUE NATIONALE
DE FRANCE, DÉPARTEMENT DES
que constitue l’univers.
MANUSCRITS, INDOCHINOIS 324

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MÉDECINE
DU MONDE INDIEN

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Francis Zimmermann

L’histoire
de la médecine
ayurvédique

Comme son nom l’indique en sanskrit, l’ayurvéda – « savoir (veda) pour prolonger la durée
de vie (ayus) » – est plus qu’une médecine. C’est une science religieuse dont les premières
prescriptions thérapeutiques, dans les Veda, étaient fondées sur le recours aux puissances
divines. Ainsi, dans l’Atharvaveda composé à la fin du IIe millénaire avant l’ère chrétienne,
pour obtenir la guérison d’une hydropisie (rétention d’eau dans l’abdomen ou une autre
cavité corporelle), on récitait des formules magiques invoquant Varuna, le dieu qui maintient
la loi divine et l’ordre du monde, comme le charme suivant : « Au sein des eaux, ô roi Varuna,
| ta maison d’or est bâtie : || du fond de cette demeure daigne le roi qui maintient la loi divine
| défaire tous les liens ! || 1 » Le même dieu, Varuna, infligeait une hydropisie comme punition
à ceux qui avaient enfreint la loi divine et, en retour, il pouvait les délivrer de cette maladie
en dénouant les liens qui emprisonnaient les liquides organiques dans les cavités séreuses.
À l’origine de la mythologie hindoue, Varuna off rit aux dieux le suc magique d’une plante
céleste qui les rendit immortels et que personnifie Soma, le dieu Lune. Varuna, qu’on repré-
CAT. 22 • Varuna sente souvent à cheval sur un makara, un monstre aquatique (cat. 22), deviendra, avec sa
Inde du Sud, xvıııe siècle créature Soma, le dieu des eaux dans l’hindouisme classique, de même qu’Agni deviendra le
Bois de char
H. 29 cm ; L. 14 cm ; P. 5,5 cm dieu du feu, comme l’indique le halo de flammes jaillissant de sa couronne (cat. 24), et Vayu
PARIS, MUSÉE GUIMET, le dieu du vent, que symbolisent l’antilope, sa monture, et les flèches de l’arc qu’il tient dans
FONDS ANCIEN, MG 1018
sa main gauche (cat. 23), parce qu’elles sont rapides comme le vent. Ce sont les trois forces
CAT. 23 • Vayu de la nature qui commandent la physiologie des êtres vivants. Vayu, le vent, commande le
Inde du Sud, Tamil Nadu,
Shrirangam, xvıııe siècle mouvement et le système nerveux ; Agni, le soleil, commande le feu et le système digestif,
Bois de char et Varuna à travers l’action de Soma commande la distribution des eaux, c’est-à-dire les
H. 36 cm ; L. 24,5 cm ; P. 7 cm
PARIS, MUSÉE GUIMET,
pluies, les rivières, la circulation des liquides organiques dans le corps des animaux humains
FONDS ANCIEN, MG 509 et non humains et la montée des sèves chez les végétaux. On aperçoit donc dans les Veda
CAT. 24 • Agni composés au IIe millénaire av. J.-C. l’ébauche d’une explication humorale des mécanismes
Inde du Sud, Tamil Nadu, physiopathologiques que développeront les traités de médecine ayurvédique mille ans plus
Kumbakonam, XVIIe-XVIIIe siècle
Bois de char tard et sur laquelle nous allons revenir en détail.
H. 80 cm ; L. 40 cm ; P. 8,5 cm
PARIS, MUSÉE GUIMET,
DON GABRIEL JOUVEAU-DUBREUIL, 1.  Atharvaveda, livre VII, hymne 83 ; traduction Victor Henry ; c’est un distique composé de quatre
MG 17866 hémistiches.

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Ysé Tardan-Masquelier

Les images du corps


dans le monde hindou :
corps subtil et yoga

Quand nous disons « corps », nous parlons généralement d’un objet unique et singulier que
nous croyons pouvoir saisir, de l’intérieur, comme « mon corps » ou, de l’extérieur, comme
un organisme à analyser, sonder, disséquer. Un contenant et une enveloppe qui participent
de la conscience de soi et spécifient la relation à autrui. Or pour l’Inde ancienne, un corps
humain visible, animé, charnel, est une forme parmi d’autres de l’individualité, une forme
qui s’ouvre sur une perspective plus vaste, une certaine manière d’être au monde, d’entrer
en relation avec les dieux, les éléments de la nature, les vivants et les morts.
Dans le yoga, cet espace de relations prendra le nom de sukshma sharira, « corps subtil »,
linga sharira, « corps de signes », expressions peu lisibles pour le pratiquant occidental, qui
ont souvent donné lieu à un ésotérisme confus autour de l’énergie, des chakra, des pouvoirs
d’un « corps astral »… Comme il arrive dans tout transfert culturel, les traductions d’une
anthropologie à l’autre se révèlent infirmes ou boiteuses ; il n’est alors d’autre ressource que
d’interroger le contexte de naissance des expériences et des représentations.

L’héritage védique : la polyphonie des corps


Parmi les nombreux scénarios cosmogoniques qu’offrent les Veda, le mythe du décou-
page d’une materia prima tient une place privilégiée. Les dieux accomplissent le premier
sacrifice, l’archétype de tous les rites humains, en démembrant une masse indifférenciée,
qui fait fonction de victime, afin d’en faire surgir l’ordre des choses, dharma. Là où il n’y avait
qu’un chaos pré-cosmique, l’acte de découpage produit un corps, purusha, « l’homme » 1 . Et
de ses différentes parties, émergent les saisons – organisatrices du temps –, les trois pre-
mières collections du corpus védique – articulations de la Révélation –, les quatre classes
de la société, la lune, le soleil, les points cardinaux, etc. (cat. 30). Ainsi le purusha, corps du
monde, est également le corps commun des êtres humains en tant que société organisée et
CAT. 30 • Purusha hiérarchisée. À la différence des genèses proche ou moyen-orientales, qui créent le premier
Népal, daté 1806
Détrempe sur toile
individu, ce mythe exprime le passage de l’inorganisé à l’organisé, d’un tout chaotique à une
H. 159 cm ; L. 95,5 cm multiplicité ordonnée. Il justifie la fonction principale du sacrifice, qui est de faire de l’ordre,
PARIS, MUSÉE GUIMET, DONATION
SOUS RÉSERVE D’USUFRUIT LIONEL
ET DANIELLE FOURNIER (1989), MA 5171 1. Rig Veda Samhita, X, 90.

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CAT. 34 • Postures de yoga
Inde, Andhra Pradesh
ou Tamil Nadu, vers 1820
Gouache sur papier
H. 40,5 cm ; L. 56 cm
LONDRES, BRITISH MUSEUM,
ACHAT (2007), 2007,3005.4

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MÉDECINE
EXTRÊME-
ORIENTALE

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Frédéric Obringer

L’aiguille, le cinabre
et la peste
Fragments d’histoire
de la médecine chinoise

Tenter de saisir en quelques pages ce que fut la médecine chinoise au fil du temps est une
gageure. Les pratiques médicales, les conceptions du corps, de la maladie et de la santé,
de la vie et de la mort ont évolué, se sont superposées ou se sont concurrencées depuis la
dynastie des Shang (xviie-xie siècle av. J.-C.) jusqu’à aujourd’hui. À la dimension temporelle
il faut joindre les différences liées à la géographie politico-historique, avec des tensions
continuelles entre le pouvoir central et les affirmations locales, sur un très vaste territoire.
La question des sources disponibles (il nous est parvenu plus de dix mille ouvrages médi-
caux rédigés pendant la Chine impériale) introduit aussi une sorte de biais ; nous possédons
bien sûr plus de documents sur ce que l’on peut appeler la médecine lettrée, ou de l’élite,
que sur des pratiques plus populaires, qui demeurent moins documentées même si elles se
laissent deviner dans des textes médicaux ou religieux ou encore dans les « notes au fil
du pinceau » (biji) ou les monographies locales (difangzhi), sans parler des enquêtes plus
récentes d’ethnologie et de sociologie des praticiens et des patients. Les approches liées
aux études de genre apportent également un regard nouveau et éclairant1 .
Un autre point à souligner est l’importance des échanges continuels qui existèrent
entre la Chine et ses voisins plus ou moins lointains : relations commerciales (la route de
la soie), échanges religieux (l’introduction du bouddhisme à partir du ier siècle apr. J.-C.),
contacts diplomatiques (avec le système de tributs) ou guerriers… De ces échanges résulta
l’introduction de pratiques et théories médicales, par exemple indiennes (voir les manuscrits
retrouvés à Dunhuang, dans le Gansu) ou arabes (au début des Ming [1368-1644] parut ainsi
un recueil important de prescriptions d’origine musulmane, le Huihui yaofang) 2 .
CAT. 40 • Neijing tu
(« carte du paysage intérieur »),
Un regard rétrospectif et anachronique est aussi souvent mauvais conseiller. La ten-
décrivant le corps humain dance, depuis plus d’un siècle, à trier le bon grain de l’ivraie au nom de la recherche
selon l’alchimie taoïste
Chine, Taïwan,
d’une scientificité rêvée qui donnerait une légitimité moderniste à la médecine classique
XIXe-début XXe siècle chinoise a conduit à reléguer dans les limbes de l’oubli ou du mépris nombre de pratiques
Encre sur papier
H. 115 cm ; L. 55 cm
BERLIN, ETHNOLOGISCHES MUSEUM
1.  Sur l’histoire de la médecine chinoise, voir par exemple Unschuld 1986 ; Hinrichs et Barnes 2013 ; Sivin
DER STAATLICHEN MUSEEN -
PREUSSISCHER KULTURBESITZ (SMPK), 2015 ; Lo et al. 2022.
COLLECTION PAUL UNSCHULD, ID 47771 2.  Lo et Cullen 2005 ; Hinrichs et Barnes 2013.

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Mieko Macé

La médecine
japonaise
à travers les siècles

La médecine japonaise avant le xviie siècle : une autonomie qui s’affirme


La médecine japonaise ne peut être dissociée de son modèle chinois, puisqu’elle s’appuie
sur le savoir continental transmis dans un premier temps par l’intermédiaire de la Corée avant
d’être recherché directement en Chine. Mais contrairement à ce que laisserait supposer une
vue rapide des choses, son histoire ne se présente pas comme un simple processus d’assimila-
tion de la médecine continentale. Derrière un certain nombre d’analogies évidentes puisqu’il
s’agit du même savoir, on peut déceler très tôt un décalage entre les deux médecines.
Au xive siècle on commence en effet à observer une approche différente au Japon. Les
Japonais de cette époque, plus intéressés par l’efficacité des thérapeutiques que par la
théorie, commencèrent à s’affranchir de la vision globalisante liée aux théories développées
dans les classiques chinois. L’effondrement de l’organisation médicale d’État les avait libérés
dès le xiie siècle du carcan de cet enseignement officiel. Nous remarquons donc plusieurs
lignes de force : à l’époque de Heian (794-1185), puis de nouveau vers la fin du xvie siècle, la
volonté très ferme des Japonais d’assimiler et de maintenir au plus haut niveau possible le
savoir médical chinois, puis l’émergence d’un réalisme qui amena les médecins japonais,
à partir du xive siècle et jusqu’au xviie siècle, à une médecine plus pragmatique. Cette
orientation leur permit de rejeter une partie des théories de base de la médecine chinoise,
avant même d’être confrontés à la médecine occidentale à partir du milieu du xviie siècle.

La prédominance des moines au viiie siècle


L’introduction massive de la culture continentale dès le vie siècle ne bouleversa pas
CAT. 48 • Ishizaka Sotetsu
(1770-1841), Souffles nourriciers,
immédiatement les conceptions japonaises. Le bouddhisme et le taoïsme apportaient
souffles défenseurs et les simplement de nouvelles méthodes de purification. Pourtant le bouddhisme était porteur
vaisseaux du milieu du corps
(Ei e chukei zu)
d’une nouvelle perception de la maladie. Devenue le signe même de la condition humaine,
Japon, 1825 la maladie était expliquée comme la rétribution des mauvaises actions des vies antérieures.
Impression xylographique
en couleurs
Mais elle devait aussi attirer la compassion de ceux qui suivent la voie des bodhisattvas.
H. 124 cm ; L. 58 cm L’implantation de la capitale à Nara en 710 paracheva l’État régi par les codes construit
PARIS, BIBLIOTHÈQUE NATIONALE
DE FRANCE, DÉPARTEMENT
sur le modèle de la Chine des Tang (618-907). Ce ne fut pas seulement l’organisation politique
DES MANUSCRITS, JAPONAIS 319 qui fut transplantée, mais l’ensemble des références culturelles véhiculées par l’écriture.

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MÉDECINE
DU MONDE
HIMALAYEN

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Fernand Meyer

La médecine tibétaine

De quoi est-il question ?


Le système de savoirs et de pratiques qu’il est convenu d’appeler médecine tibétaine
est nommé sowa rigpa, « science des soins », dans la langue littéraire autochtone 1 . Dans
l’usage courant des Tibétains on l’appelait, jusque récemment, simplement men, « remède,
médecine », sans qu’il faille autrement préciser puisque cette « médecine » était la seule
disponible, ses praticiens étant dénommés menpa, « personne connaissant les remèdes /
la médecine », ou plus couramment emchi, terme d’origine mongole.
L’appellation sowa rigpa est la traduction littérale du sanskrit chikitsavidya, terme qui,
avec son synonyme ayurveda, « science de la (pleine) durée de vie », désigne la médecine
traditionnelle lettrée en Inde, le premier de préférence, semble-t-il, en milieu bouddhique,
le second en milieu hindou. De ce point de vue, la médecine tibétaine s’inscrit bien dans
un ensemble que l’on pourrait qualifier d’indo-tibétain.
Pour la plupart des auteurs tibétains qui ont écrit sur l’histoire de leur science des soins,
celle-ci ne commence qu’avec l’introduction d’un système d’écriture au Tibet au viie siècle.
Par ce lien ontologique à l’écrit elle entend se distinguer d’autres thérapeutiques de tra-
dition orale.
Cette science des soins tibétaine peut à bon droit être qualifiée de traditionnelle car
elle attache justement une grande valeur à sa transmission continue, idéalement conserva-
trice à travers les siècles, d’un savoir fondateur, au sein de lignages familiaux ou de maître
à disciple. Cela ne signifie évidemment pas que la médecine tibétaine n’ait pas connu de
changements, par révisions, omissions ou ajouts, au cours de son histoire, tout particulière-
ment dans le domaine de ses pratiques, mais que ces changements y ont été intégrés sans
remettre en cause l’enseignement des sources réputées fondatrices.
CAT. 58 • sMan-bla ou Menla
Du fait de l’isolement géographique et politique du Tibet, lequel préserva jusqu’aux
(sk. Bhaishajyaguru, années 1950 sa médecine, comme l’ensemble de sa culture, de l’influence occidentale
« le Maître des remèdes »)
Tibet, XIVe siècle
imposée par les puissances coloniales dans le reste de l’Asie, c’est seulement depuis une
Détrempe sur toile
H. 98,4 cm ; L. 80,7 cm
PARIS, MUSÉE GUIMET, ACHAT (1992), 1.  Pour une introduction générale à la médecine tibétaine, voir Meyer 1987 et 1998, Hofer 2014,
MA 5959 Parfionovitch et al. 1992.

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Thierry Zéphir

Iconographie bouddhique
et médecine

Dès l’origine, au temps même de son fondateur historique1 , la religion bouddhique véhicule
concrètement ou de manière métaphorique un idéal médical. Dans plusieurs de ses ensei-
gnements, le Bouddha se donne lui-même comme le « médecin » ; le disciple, ou plus géné-
ralement le dévot, est décrit comme le « malade », la doctrine (dharma) comme le « remède »
et l’accès au nirvana – représentant l’extinction des passions enchaînant les êtres dans le
cycle infernal des renaissances (samsara) – comme la « guérison » 2 .
La vie de Celui que l’on désigne, entre autres, sous le nom de Shakyamuni est ponctuée
d’événements renvoyant aux notions de douleur, de souffrance morale ou physique, de mala-
die et, bien entendu, de guérison, au sens ici de Salut. Au mitan de son ultime existence, alors
qu’il n’est encore qu’un jeune prince épris de curiosité pour le monde qui l’entoure, le futur
Bouddha vient à faire quatre rencontres auxquelles la confortable réclusion dans laquelle
on l’avait maintenu au sein de son palais ne l’avait pas préparé. La première le confronte
à un vieillard, expression des douleurs corporelles inévitables lorsque vient le grand âge.
La deuxième le met face à un malade, symbole des affections physiologiques dont tout
un chacun fait nécessairement l’expérience au cours de sa vie. La troisième, peut-être la
plus perturbante pour le jeune homme, lui révèle un cadavre, ou un convoi funèbre, image
paroxystique et définitive de la souffrance émotionnelle qu’il faut ici percevoir comme celle
des familiers du défunt face au départ d’un être cher. À ces trois niveaux de douleur vient
répondre la voie de l’apaisement – en terme médical, on parlerait de guérison – manifestée
dans la quatrième rencontre, celle d’un renonçant, voué à la spiritualité et, de ce fait, inac-
cessible, ou mieux, insensible à toute douleur. Outre le fait qu’il engage le Bouddha dans une
voie de quête spirituelle, l’épisode des quatre rencontres met l’accent sur le parallélisme tout
symbolique entre guérison des maux physiques, voire psychiques, et guérison de l’âme et de
CAT. 62 • Avalokiteshvara
l’esprit. Mais concrètement, bien peu d’éléments illustrent réellement le fait médical dans la
sous son aspect Simhanada vie du Bienheureux. On citera tout au plus les informations de nature presque subliminales
« au rugissement du lion »
Chine, fin XVIIIe-début XIXe siècle
Détrempe sur toile
1.  Les dates exactes du Bouddha sont inconnues. Aujourd’hui, les chercheurs s’accordent pour
H. 179 cm ; L. 85,5 cm
PARIS, MUSÉE GUIMET, DON JOSEPH considérer qu’il serait mort vers 400 av. J.-C., au terme d’une vie de quatre-vingts ans.
HACKIN (1938), MG 24905 2.  Pour tout ce qui touche au bouddhisme, voir Cornu 2006.

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SOINS :
MÉTHODES
ET MOYENS

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Bingkai Liu

La pratique
de la médecine chinoise

Avant 1857, il n’existe qu’une seule pratique de la médecine en Chine. Le terme de « méde-
cine chinoise » est apparu en Chine par opposition à celui de « médecine occidentale »
depuis la traduction en chinois sous le titre Xiyi Luelun du livre First Lines on the Practice
of Surgery in the West, publié par Benjamin Hobson, missionnaire médical britannique, en
18571 . Dans les années 1880, les termes « médecine chinoise » et « médecine occidentale »
ont commencé à être utilisés dans la communauté médicale chinoise.
En Chine, la pratique de la médecine traditionnelle est reconnue par l’État en parallèle de
la médecine moderne, et est enseignée au cours de la formation initiale des professionnels
de santé. La plupart des hôpitaux chinois de médecine occidentale disposent d’un service
de médecine traditionnelle.
Cette dernière, en tant que partie intégrante de la tradition chinoise, a été préservée
et développée sans interruption jusqu’à ce jour, sans tenir compte des changements de
dynastie. Elle a survécu non seulement grâce à des techniques qui lui sont propres, mais
surtout grâce à sa nature pratique. En effet, un aspect important de la médecine tradition-
nelle chinoise est l’observation minutieuse du corps humain ; elle définit des ajustements
au cas par cas, se basant sur la réaction spécifique de chaque individu au lieu d’appliquer
une méthode unique pour tous. Elle diffère en cela de la médecine moderne.
Dans le Classique interne de l’empereur Jaune, la thérapie par les pierres (bian shi),
les médicaments, l’acupuncture, la moxibustion, et le guidage-étirement et massage
(daoyin anqiao) sont cités comme les cinq techniques principales employées en médecine
traditionnelle.

La thérapie par les pierres (bian shi)


CAT. 71 • Mannequin
d’acupuncture
Elle trouve son origine au néolithique et constituait l’un des principaux traitements
Chine, dynastie Qing, médicaux de l’époque, essentiellement utilisé pour drainer le pus, le sang et l’eau des affec-
probablement XVIIIe siècle
Papier et carton, laqué et peint
tions chirurgicales. Elle ne s’appuyait pas sur des théories telles que celles des méridiens
H. 46,5 cm ; L. 14 cm et des points d’acupuncture. Elle était en fait le prédécesseur de la chirurgie en Chine.
PARIS, MUSÉE GUIMET,
DON SIR HUMPHREY CLARKE (1967),
MG 24068 1.  Hong et Wang 2014.

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La pratique de la
médecine ayurvédique
aujourd’hui
Entretien avec Chellappan Rajalakshmi,
docteur en médecine ayurvédique, formée à
la Medical University of Chennai. Elle est praticienne
de médecine traditionnelle indienne à Paris.

Les praticiens ayurvédiques d’aujourd’hui ont fait leurs études après la réforme de médecine
des années 1970 en Inde qui officialisa l’enseignement et la pratique du système appelé
Integrated Medicine, agrégeant à l’ayurvéda traditionnel non seulement les éléments
fondamentaux du yoga et de la médecine arabe mais aussi de l’anatomie et la physiologie
venues d’Occident.

Les études médicales ayurvédiques s’inscrivent dans un cycle de 5 ans (7 ans aupara-
vant). L’approche médicale est classique avec un apprentissage de l’anatomie et de la phy-
siologie. Les médecins (vaidya) (cat. 80) se spécialisent ensuite en médecine ayurvédique
avec un maître auprès duquel ils apprennent la science physiologique ayurvédique qui
n’est pas très différente en soi mais dont la terminologie diffère un peu. Habilités à prescrire
certains médicaments allopathiques ou chimiques et à pratiquer de la petite chirurgie
(drainage des abcès, petites opérations), les thérapeutes prescrivent essentiellement des
remèdes à base de plantes. Le praticien allopathe privilégie une approche physiologique,
le médecin ayurvédique s’appuie sur le système (réseau) de canaux d’énergies appelés nadi.
Le rééquilibrage de ces énergies est le point de départ essentiel de tout traitement. Des
blocages peuvent se produire aux points d’entrée de ces énergies (marma) et générer un
déséquilibre des fonctions vitales, provoquant par là même une maladie. C’est une médecine
qui s’adresse aussi aux personnes en bonne santé, pour préserver celle-ci. Elle est donc
préventive et constitue avant tout une hygiène de vie dans laquelle le régime alimentaire
joue un rôle important. Cette médecine n’est pas reconnue comme telle en Occident à
quelques exceptions près, en Suisse et dans une certaine mesure en Allemagne.

Le diagnostic
CAT. 79 • Religieux hindou Le diagnostic s’appuie sur une méthode d’observation et de palpation qui consiste à
et son disciple
Inde, Deccan, vers 1700
analyser la constitution et les organes du patient (protocole appelé darshana sparshana),
Gouache sur papier, toile et ce, dès son entrée dans le cabinet.
H. 22,5 cm ; L. 18,5 cm
PARIS, MUSÉE GUIMET, DÉPÔT
Le praticien commence par observer la démarche, les gestes, la position du corps debout
DU MUSÉE DU LOUVRE, INV. 35566 ou assis, les yeux, la sonorité de la voix, et la façon de s’exprimer. Puis la constitution

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Matthieu Ricard
Ce texte est tiré de l’ouvrage L’Art de la méditation paru en 2008 aux Éditions Nil.

L’art
de la méditation

Pourquoi méditer ?
Nous déployons beaucoup d’efforts pour améliorer les conditions extérieures de notre
existence, mais en fin de compte c’est toujours notre esprit qui fait l’expérience du monde
et le traduit sous forme de bien-être ou de souffrance. Si nous transformons notre façon
de percevoir les choses, nous transformons la qualité de notre vie. Et ce changement
résulte d’un entraînement de l’esprit que l’on appelle « méditation ».
La méditation est une pratique qui permet de cultiver et de développer certaines
qualités humaines fondamentales. Étymologiquement, les mots sanskrit et tibétain,
traduits en français par méditation sont respectivement bhavana, qui signifie cultiver
et gom, qui signifie se familiariser. Il s’agit principalement de se familiariser avec une
vision claire et juste des choses, et de cultiver des qualités que nous possédons tous en
nous mais qui demeurent à l’état latent aussi longtemps que nous ne faisons pas l’effort
de les développer.
Si le but premier de la méditation est de transformer notre expérience du monde, il
s’avère également que l’expérience méditative a des effets bénéfiques sur la santé. Les
méditants expérimentés ont la faculté d’engendrer des états mentaux précis, ciblés, puis-
sants et durables. Des expériences ont montré notamment que la zone du cerveau associée
à une émotion comme la compassion, par exemple, présentait une activité considérable-
ment plus grande chez les personnes qui avaient une longue expérience méditative. Ces
découvertes indiquent que les qualités humaines peuvent être délibérément cultivées par
un entraînement mental.

Sur quoi méditer ?

CAT. 100 • Amida-nyorai
L’objet de la méditation est l’esprit. La méditation n’a pas pour but de le briser ni de
(sk. Amitabha) formant le l’anesthésier, mais de le rendre libre, clair et équilibré.
« sceau de la concentration »
Japon, XIXe siècle
D’après le bouddhisme, l’esprit n’est pas une entité mais un flot dynamique d’expériences,
Bois doré et peint une succession d’instants de conscience. Ces expériences sont souvent marquées par la
H. 143 cm ; D. 117 cm
PARIS, MUSÉE GUIMET, FONDS ANCIEN,
confusion et la souffrance, mais elles peuvent aussi être vécues dans un état spacieux de
MG 26296 clarté et de liberté intérieure.

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MÉDECINE
DE L’ÂME

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Aurélie Samuel

Les vêtements
protecteurs des enfants
en Chine

En Asie, protection et costumes étaient intimement liés. À la fois symbolique et protecteur, le


vêtement était un des moyens d’attirer la bonne fortune et la faveur divine, tout en repous-
sant le mal et les mauvais esprits. Dans la plupart des pays d’Asie, ces vêtements étaient
principalement destinés aux enfants, pour les protéger des maladies comme des menaces
venues des mondes invisibles. En effet, jusqu’au milieu du xxe siècle, le taux de mortalité
infantile était encore élevé en Chine, du fait de conditions d’hygiène parfois précaires mais
également de l’absence de traitements et notamment de vaccins.
Le nouveau-né n’était pas nécessairement considéré comme un être humain à part
entière. Il restait pendant ses premiers jours, voire ses premiers mois, une créature hybride,
entre le monde des esprits et le monde des humains. Cette vulnérabilité venait du fait que
son âme n’était pas encore bien ancrée au corps, des esprits malveillants appelés gui pou-
vant en profiter pour prendre sa place, mais aussi parce que nourrissons et jeunes enfants,
considérés comme « inachevés », avaient une faible constitution physique. Cependant, très
tôt, la médecine chinoise a porté un intérêt particulier aux pathologies des plus jeunes
et aux traitements nécessaires pour assurer leur survie. En effet, la pédiatrie fut dès le
xiie siècle reconnue comme une spécialité médicale 1 . Le nouveau-né était sensible aux
influences extérieures (vent, froid) et les préconisations thérapeutiques visaient, de ce fait,
à entretenir un milieu sain et hygiénique, propice à son développement et à sa santé. Ainsi,
le premier bain au cours duquel le bébé était immergé dans une eau tempérée adjointe de
plantes (armoise, racines du mûrier) et parfois de pièces de monnaie percées ou sapèques,
ne se déroulait que trois jours après la naissance (xisan) afin de ne pas lui faire subir un
changement de température trop brusque pour le corps2 . En complément à cette médecine
pédiatrique, divers procédés étaient employés pour protéger et sauver la vie des plus petits.
Ainsi, un rôle prophylactique important était accordé aux costumes et accessoires pour
CAT. 113 • Chapeau d’enfant, enfants qui les protégeaient non seulement des éléments naturels mais aussi des menaces
à décor de « tête de tigre »
Chine, xxe siècle
visibles et invisibles. Ceux-ci étaient le plus souvent confectionnés par la mère, comme ce
Textile
H. 18,5 cm ; L. 15 cm ; P. 16 cm
LYON, MUSÉE DES CONFLUENCES, 1.  Le Moigne 2011, p. 57.
COLLECTION DAUTRESME, MAHOT_966 2.  Ibid., p. 62.

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Alban François

Démons et maladies :
l’exorcisme en Asie

On pourrait s’étonner de voir l’exorcisme associé à la pratique de la médecine. Toutefois,


si l’exorcisme en Occident – et en particulier dans la religion chrétienne – a l’image d’un
combat entre le bien et le mal pour la possession de l’âme d’un fidèle, la vision asiatique de
cette pratique ne se rattache pas tant à la religion qu’à la médecine de l’âme et au théâtre.
En effet, si dans les médecines traditionnelles asiatiques les maladies sont vues comme des
déséquilibres dans le fonctionnement de l’organisme, ces derniers peuvent être causés par
différents facteurs. La Sushruta samhita, un des traités fondateurs de la médecine tradi-
tionnelle indienne, divise les maladies en trois classes principales que sont les maladies
d’origines corporelle ou mentale, les maladies d’origine externe et les maladies dues aux fac-
teurs naturels et surnaturels1 . Parmi celles-ci, il est fait mention des influences démoniaques
et des malédictions. Pour le Huangdi neijing, ou Classique interne de l’empereur Jaune, le
traitement de l’esprit est en haut de la hiérarchie des interventions thérapeutiques 2 . Par
ailleurs on trouve très tôt en Chine la mention du théâtre d’exorcisme nuo dans les classiques
tels que les Rites des Zhou, le Livre des rites, les Entretiens de Confucius.
Il convient ici de distinguer d’une part les exorcismes thérapeutiques, ceux dans le cadre
desquels on considère que le possédé est un malade à traiter, comme c’est le cas pour le
sanni yakuma au Sri Lanka ; d’autre part les exorcismes visant à purger un mal à grande
CAT. 123 • Masque
échelle pour maintenir un équilibre dans une communauté. C’est ainsi que l’exorcisme nuo,
d’exorcisme tovil en Chine, peut se dérouler sur plusieurs jours et vise parfois à chasser les pestilences dans
Sri Lanka, première moitié
du xxe siècle
des mises en scène impliquant tout un village 3 . Enfin, les exorcismes « privés » ou « person-
Bois, fibres végétales, nels » qui visent à chasser le mal afin d’aider un pratiquant à atteindre un état de conscience
porcelaine, coquillage, cuir,
fil de fer
supérieur à celui dans lequel il se trouve : c’est le cas notamment pour certains exorcismes
H. 43 cm ; L. 31 cm ; P. 14,5 cm dans le cadre du rituel tibétain4 .
PARIS, MUSÉE DU QUAI BRANLY-
JACQUES CHIRAC, 70.2003.22.1

Ces masques à l’aspect


farouche et aux traits
1.  Sigaléa 1995, p. 97-98.
caricaturaux représentent
2.  Dictionnaire de la civilisation chinoise 1998, p. 511.
des démons responsables de
maladies. Ils sont portés lors de 3.  Capdeville-Zeng 2012.
rituels thérapeutiques (tovil). 4.  À noter qu’il existe aussi au Tibet des rituels collectifs, voir Sihlé 2013, p. 197.

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ENTRE ORIENT
ET OCCIDENT

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Cristina Cramerotti

Les savoirs médicaux


d’Asie : réception
et translations

« Superstitions et niaiseries médicales sont universelles ; nous n’avons rien à envier, en


Europe, pour les superstitions médicales répandues dans le peuple des villes et des cam-
pagnes et saints guérisseurs1 . »
Ce commentaire du médecin Eugène Vincent contraste vivement avec la plupart des
ouvrages européens qui traitent de la médecine en Chine. Nombre d’auteurs évoquent la
haute antiquité des textes chinois relatifs à la médecine ; tous cependant regrettent que ce
savoir soit resté immuable. Même son de cloche si l’on se penche sur l’autre grande tradition
médicale asiatique qu’apporte l’Inde.
La question qui se pose dépasse la seule traduction d’un vocabulaire spécialisé. Les
notions mêmes de santé, de maladie, de soin, ne recoupent guère les termes équivalents
des langues européennes. Dans les traditions asiatiques, la santé est question d’équilibre,
de circulation, entre des humeurs ou des principes actifs. Le corps est un microcosme relié
à l’univers, la maladie relève au pire du registre démoniaque, possession ou mauvais sort,
au mieux de l’absence de soin apporté à la préservation de l’équilibre interne du malade.
Dans le premier cas, il s’agira d’expulser le démon, dans l’autre de restaurer l’harmonie
corporelle. Voilà qui ne cadre pas avec la vision de la médecine qui s’impose au xixe siècle
depuis l’Europe, axée sur le traitement des symptômes, du corps physique, indépendamment
de l’environnement spirituel ou de l’état mental du patient.
Ces dernières décennies en Occident, la vogue du recours à des savoirs alternatifs indien
ou chinois, avec l’ayurvéda ou l’acupuncture, et la pratique d’activités physiques comme le
yoga, le tai chi ou le qi gong, révèlent le malaise engendré par une médecine résolument
CAT. 134 • « Notices du cong-
fou » 
axée sur le seul soin. En Asie, l’imbrication des savoirs traditionnels avec les pratiques de
Tiré de Mémoires concernant la médecine moderne est courante, du moins dans les zones urbaines. Les traités et pra-
l’histoire, les sciences, les arts,
les mœurs, les usages, des
tiques anciennes sont de plus en plus revendiqués par les pouvoirs en place, support d’un
Chinois, par les missionnaires nationalisme médical destiné à affirmer la puissance de la tradition face au matérialisme
de Pe-Kin, tome 4, Paris,
chez Nyon l’aîné libraire, 1779
et au souvenir du colonialisme.
Encre sur papier
H. 26,3 cm ; L. 20,3 cm
PARIS, MUSÉE GUIMET, FONDS ANCIEN,
BG 7614 1.  Vincent 1915, p. 163.

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CAT. 137 • Iwasaki Tsunemasa
(Kan’en, 1786-1842), Recueil
illustré de plantes herbacées
(Honzo zufu)
Japon, XIXe siècle
Xylographie et manuscrit à
l’encre et couleurs sur papier
H. 26,8 cm ; L. 18,2 cm
PARIS, MUSÉE GUIMET, DON LOUISE
ANDRIEU (1985), BG 64700

Ouvrage constitué de
91 fascicules – le musée Guimet
en conserve 87 –, traitant de
la classification des plantes
établie par Li Shizhen en Chine
en 1596.

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Francis Zimmermann

La découverte
par l’Occident
des thérapies indiennes

Deux traditions thérapeutiques se sont répandues dans l’Inde entière : depuis l’Antiquité
l’ayurvéda que pratiquent les vaidya hindous, et depuis le ixe siècle la médecine arabe que
pratiquent les hakim musulmans. Au sens premier, le mot sanskrit vaidya et le mot arabe
hakim désignent des « savants » ayant reçu un enseignement fixé dans des textes sanskrits,
arabes ou persans. Leurs premiers contacts avec les Européens eurent lieu au xvie siècle
dans les établissements portugais et principalement à Goa. Une autre thérapie indienne
notable est la médecine Siddha, elle aussi millénaire et dont les textes classiques ont été
composés en langue tamoule, mais elle n’a rayonné que dans l’Inde du Sud et ne fut décou-
verte qu’au xviiie siècle par les Européens, à Pondichéry et dans la Présidence de Madras.
Toutes les thérapies indiennes traditionnelles sont fondées sur une conception humorale
de la physiopathologie, selon laquelle les maladies ont pour cause la corruption des fluides
vitaux que sont les trois humeurs vent, bile et flegme, pour celles qui ont été conçues dans
le cadre de la religion hindoue (ayurvéda et Siddha)1 , ou les quatre humeurs d’Hippocrate,
sang, bile jaune, bile noire et flegme, dans la médecine arabe.
La découverte des thérapies indiennes par les Occidentaux au xvie siècle s’est produite
dans le contexte d’échanges internationaux suscités depuis l’Antiquité par le commerce
des épices et l’existence de routes terrestres et maritimes ouvertes pour exporter les épices
d’Orient, d’abord vers l’Empire romain puis vers l’Italie médiévale où l’on connut donc les pro-
priétés culinaires et pharmaceutiques de plusieurs plantes tropicales bien avant de décou-
vrir les textes sanskrits dans lesquels elles avaient été étudiées. Par ailleurs, les savants
arabes ont précédé de plusieurs siècles les Européens dans la découverte des thérapies
indiennes. Des vaidya exerçaient leur art à la cour des Abbassides à Bagdad au ixe siècle
où les traités sanskrits de Sushruta, Charaka et Vagbhata furent traduits en arabe. Enfin,
CAT.  142 • Jeune femme
les marchands italiens se rendaient en Inde en passant par le Moyen-Orient. Mais Vasco de
portant du bétel à sa bouche Gama ouvrit en 1498 aux Portugais la route des Indes par la voie maritime en contournant le
Inde, Deccan, vers 1700
Gouache sur papier
cap de Bonne-Espérance et c’est à sa suite que voyageurs, missionnaires, administrateurs
H. 16 cm ; L. 9 cm coloniaux et soldats, dans l’Empire portugais, découvrirent les usages locaux de nombreuses
PARIS, MUSÉE GUIMET,
DÉPÔT DU MUSÉE DU LOUVRE,
INV. 35531 1.  Voir le texte de Francis Zimmermann dans ce catalogue, p. 44.

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Frédéric Bonté

La découverte de la
pharmacopée japonaise
et l’introduction
de la médecine
occidentale au Japon
Au cours de son histoire, après l’usage des remèdes populaires à base d’eaux thermales et
de simples, la pharmacie japonaise a été traversée par trois étapes : les remèdes issus de
la médecine sino-japonaise kanpo, les remèdes issus de la pharmacopée européenne et
récemment les médicaments issus des progrès de la chimie.

La pharmacopée kanpo
La médecine kanpo trouve son origine dans l’ancienne médecine chinoise introduite
avec le bouddhisme via la péninsule coréenne au début du vie siècle. Au viie siècle, des
voyageurs japonais rapportent des éléments de la médecine chinoise. Lors de son arrivée
au Japon en 753, le moine bouddhiste chinois Jianzhen apporte des drogues et les pre-
miers ouvrages médicaux. La médecine chinoise est codifiée dans de volumineux traités
de matière médicale, les Bencao, dont le plus ancien est rédigé sous la dynastie Han (206
av. J.-C. à 220 apr. J.-C.). Avec le temps, les Chinois ont appris à identifier un nombre de plus
en plus important de plantes et à en connaître leurs propriétés (cat. 157). Le traité le plus
connu est le Bencao gangmu du médecin chinois Li Shizhen, rédigé au xvie siècle. Le mot
kanpo ou « médecine transmise de Kan » (la dynastie chinoise Han) est créé pour la distin-
guer de ranpo, désignant la médecine occidentale introduite postérieurement au Japon. La
pharmacopée kanpo, composée de substances naturelles, dont de très nombreuses plantes,
reste pendant dix siècles la base de la médecine au Japon.
Les premiers missionnaires portugais arrivent au Japon en 1543. Jusque-là, les médecins
japonais utilisaient les remèdes de la pharmacopée chinoise. Ils n’avaient pas connaissance
de la médecine occidentale et de ses savoirs en anatomie et en chirurgie. Les missionnaires
portugais eux-mêmes, n’ayant pas de connaissances en médecine, se fiaient à la médecine
CAT. 154 • Un médecin
et à la pharmacopée locales sino-japonaises. Par ailleurs, hormis l’introduction de l’alcool
prépare des médicaments pour la détersion des plaies, de l’huile d’olive et de la graisse de porc, les missionnaires se
lors d’une visite à domicile
Kinmozui taisei Zohotosho
servaient majoritairement des remèdes disponibles (réglisse, noix d’arec…) et n’avaient pas
(Encyclopédie illustrée), vol. 3, ou très peu influencé la médecine japonaise. Le médicament kanpo est souvent composé
Japon, 1789
PARIS, MUSÉE GUIMET, FONDS ANCIEN,
d’une combinaison de plusieurs ingrédients. Le diagnostic associe écoute verbale et non
BG 426 verbale du patient, observation des signes, palpation abdominale, examen de la peau, de

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Ysé Tardan-Masquelier

Comment
le yoga a conquis
le monde

Jusqu’à la fin du xixe siècle, la scène du yoga est purement indienne et asiatique, revêtant
des formes culturelles hautement différenciées, qui demandent un complet déplacement
du regard pour des observateurs venus de l’Ouest. Les pratiques des yogis et les textes sur
lesquels elles s’appuient sont d’un ésotérisme déroutant. Et pourtant elles vont gagner le
monde, reconfigurant l’opposition des représentations, des imaginaires, entre une Inde,
réservoir de sagesse, et un Occident rationnel et matérialiste. Un succès surprenant, impré-
visible, qui se découpe en deux périodes aux tonalités différentes.

La première mondialisation du yoga (1893-1968)


Les années 1890-1930 ont marqué un tournant : dans le sillage de la présence de
Vivekananda (fig. 47) au Parlement des religions lors de l’Exposition universelle de Chicago
en 1893, les premiers guru de yoga voyagent vers l’Ouest pour y implanter des écoles. Aux
États-Unis, puis en Europe occidentale, ils viennent combler des quêtes de spiritualité
alternative au christianisme institutionnel et à la rationalité moderne. Ils répondent éga-
lement à un intérêt nouveau pour le corps, dans une perspective hygiéniste et culturiste,
objet de nombreux programmes éducatifs, qui voient leur aboutissement dans les premiers
Jeux olympiques (Athènes, 1896).
En Inde, le hatha-yoga originel, d’inspiration tantrique, où le travail physique ne jouait
qu’un rôle secondaire, s’était peu à peu transformé en une discipline posturale de plus en
plus riche et variée. Dans la seconde moitié du xixe siècle, quand les Britanniques mirent
en œuvre le contrôle de la société indienne, beaucoup de yogis furent les victimes d’une
forme de diabolisation ; en 1891, le premier recensement les classa dans la catégorie des
« vagabonds divers et douteux », les privant de leurs ressources1 . Certains vont alors se
donner en spectacle pour survivre ; postures acrobatiques, planches à clous, crocs, cordes
et transes plus ou moins simulées formèrent le théâtre d’une fascination malsaine. Le milieu
d’intellectuels autochtones qui avait souvent reçu une éducation occidentale dans les
FIG. 46 • Madonna en posture collèges britanniques – en particulier à Calcutta, qui fut le théâtre d’une riche rencontre
de yoga dans le film Un couple
presque parfait de John
Schlesinger, 2000 1.  Voir Voix 2021a.

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