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Master 1 Anthropologie
Lyon, 2019
2
REMERCIEMENTS
À ma famille qui me manque énormément mais qui est toujours présente : mon
(incroyable) mère Analuza Batista, ma sœur LuanaVaz et meu pequeno-grande neveu
João Lucas Vaz.
Être loin de chez soi n’est pas facile (surtout en ce moment politique tellement
difficile chez moi), mais être loin c’est aussi se lancer vers la rencontre des autres. Je
remercie énormément mon réseau affectif et de soutien que j’ai en France : Ju Bezerra
et Bastien Mocacera?, Gabrielle Aurand, Sabrina Caldiès à Lyon. Le stage à Marseille
était possible grâce à Andréia Astier, Joran Tabeaud (Jojo), Sergio Bacalhau, Perlla
Rannielly. Je remercie également Benjamin Ruschi (et la petit Nora), Renata Pires et Lis
Stegmann. Aux amis du Mucem : Emmanuelle Dorbaire, Nicolas Doduik et Meriem
Griss.
Je remercie mes amies toujours présentes dans ma vie, même avec la distance et
la saudade : Camila Góes, Luisa Victor, Lorena Cronemberg, Vi Laraia, Maria Acselrad
et à tous les membre du Coletivo Lugar Comum.
À tous ceux que j’ai pu rencontrer cette année autour de l’anthropologie dans la
promo du master, et autour de la musique grâce au Maracatu Casa Amarela.
Á Jurema Sagrada qui me donne la force et aux Orixás qui me donnent l’amour.
3
Sommaire
INTRODUCTION 6
Musée et anthropologie 22
Enjeux 22
Historique 25
Du musée du Trocadéro au Musée de L’Homme 25
Le musée de l’Homme et le musée du Quai Branly 27
Le Musée des Civilisations de l’Europe et de la méditerrané (Mucem) 28
4
CHAPITRE 3 – ON DANSE ? MÉDIATIONS ET DANSE AU MUCEM,
MARSEILLE. 43
L’exposition On danse ? 43
CONCLUSION 63
BIBLIOGRAPHIE 66
ANNEXES 71
5
INTRODUCTION
Dans le cadre du mon premier stage au Musée d’art moderne Aloísio Magalhães,
la formation avec la commissaire Suely Rolnik2 en vue de la conception de l’exposition
de l’artiste brésilienne Lygia Clark a aiguisé mon intérêt sur la puissance de la
médiation dans le musée. Artiste moderniste, Lygia Clark a lancé à son époque une
nouvelle manière d’aborder l’œuvre artistique : elle a apporté au musée la nécessité
d’un engagement du corps du visiteur à travers la sensation et la perception 3. Une autre
question abordée dans cette formation était celle de l’importante de la médiation dans
l’élaboration même d’une exposition, surtout pour une artiste dont les œuvres trouvent
sens à travers l’expérience.
1
. Mon travail final s’intitule : Museu em movimento : dança, mediação e antropologia.
2
.Suely Rolnik est psychanalyste, critique d'art et de culture et professeur titulaire à l'Université
Catholique de São Paulo où elle coordonne un programme de doctorat d'études transdisciplinaires
sur la subjectivité contemporaine. Elle a été professeur invitée dans le cadre du programme d’études
indépendantes (PEI) du Musée d'Art Contemporain de Barcelone (MacBa).
3
.Pour approfondir sur l’importance de Lygia Clark dans la relation entre art et le musée au Brésil
voir : Suely Rolnik (2007/1) « La mémoire du corps contamine le musée ». Multitudes nº 28, p. 71 à
81.
6
dans un musée d’anthropologie. Intitulé « Médi(action) : déplacer le musée au travers
du sensible », ce projet, destiné à un public adolescent, proposait d’aborder les questions
historiques et anthropologiques présentées par l’exposition permanente du musée
« Nordeste : territoires pluriels, culturels et droits collectifs ». Le développement d’un
éventail d’activités proposées aux jeunes visiteurs (jeux corporels, mises en récit,
travaux de description, etc.) m’a conduit à formuler une série d’interrogations.
Comment intégrer à l’expérience sensible du visiteur une dimension anthropologique ?
Comment la danse en particulier peut permettre la transmission d’une culture matérielle
et immatérielle évoquée par une exposition ethnographique ?
Quelles sont les relations possibles entre la danse et le musée ? Quelle est
l’intérêt du musée – espace constitué à partir de la notion archive, gardien de la
mémoire – pour la danse, art éphémère ? Ce mémoire envisage d’étudier la relation
entre la danse et le musée et plus spécifiquement la danse dans la médiation culturelle.
La danse peut-elle constituer une pratique expérimentale de médiation au sein du musée
et du musée d’anthropologie en particulier ? Quelles sont les expériences possibles
apportées par la danse dans une médiation ?
4
.Theresa Jill Buckland (2013). « Mudança de perspectiva na etnografia da dança ». In CAMARGO,
Giselle Guilhon Antunes (org) Antropologia da dança I/. Florianopolis: Insular .Traduction libre du
portugais.
7
Développée par Theresa Jill Buckland dans son essai d’introduction à l’ethnologie de la
danse intitulé « Mudanças de perspectiva na Ethnografia da Dança5 » (2010), cette
notion invite à inclure dans les observations du chercheur sur le terrain la représentation
de ses sensations corporelles, puisque « la force de l’ethnographie est, avec toutes ses
imperfections, d’éclairer les expériences et d’obtenir une compréhension des pratiques
partagées qui sont en même temps rarement consensuelles mais plutôt conflictuelles,
négociées et émergentes6 ».
8
ethnographique10. Le paradigme « d’embodiment » présenté pour Thomas J. Csordas11,
nous montre que le corps doit être compris non comme un objet « bien pour penser »
mais comme un sujet nécessaire pour être12. La notion d’embodiment est donc « un
champ méthodologique indéterminé défini par des expériences perceptuelles et par la
présence et l’engagement au monde. [...] l’expérience incarnée est le point de départ
pour analyser la participation humaine au monde culturel13 ». C’est à travers cette
approche que souligner l’importance de l’engagement du corps de la chercheuse-
danseuse dans une recherche anthropologique en danse14 devient, pour moi, nécessaire.
9
le chercheur et les sujets du terrain, deux principales réflexions épistémologiques me
semblent se distinguer : l’anthropologie réflexive des années 1960, et particulièrement
les contributions de l’épistémologie féministe16, ainsi que l’anthropologie de la danse et
du corps.
10
À travers cette réflexion, il me semble important de considérer mes propres
prismes sociaux dans les relations qui se jouent sur le terrain : jeune femme, brésilienne,
donc étrangère en France. Considérer toutes les possibilités de ces « mosaïques » qui
impliquent d’« affecter et être affectée21 » devient incontournable dans la recherche et
est, sans doute, enrichissant pour l’anthropologie.
11
questions développées jusqu’aujourd’hui autour de « la danse » ne peuvent pas nous
aider à penser ce que nous appelons « danse ». L’ethnomusicologue Hugo Zemp cite la
définition interculturelle de la danse proposée par l’anthropologue Judith Hanna dans
son ouvrage To dance is human (1979) :
12
« folkloriques ». Au contraire, ma pensée sur la médiation dansée se tourne vers une
recherche de mouvements du corps établis à travers la relation avec les œuvres, l’espace
du musée et les contextes des œuvres exposées. Il s’agirait plutôt d’explorer la capacité
de la danse de mettre en relation les autres et soi-même dans l’espace du musée, et ce à
partir des œuvres exposées. Il me semble nécessaire pour cela de convoquer des
questions sociales et humaines – normalement abordées dans le musée
d’anthropologie – à partir de la danse et du corps.
L’intérêt n’est donc pas de parler d’un style particulier de danse, mais de
comprendre la danse comme la mise en relation avec l’autre et avec soi-même par le
corps en mouvement dans l’espace (espace, temps et corps, éléments indispensables
pour penser et pratiquer la danse), capable de faire sentir et penser.
Pour l’élaboration de cette réflexion, nous allons initier une discussion sur
l’entrée de la danse au musée à travers un bref historique ouvrant sur une présentation
de quelques enjeux de la notion (notamment à partir de l’esthétique et des travaux
développés autour de la médiation dansée dans le musée). Cette première approche
permettra ensuite de réfléchir sur les enjeux de la relation entre l’institution muséale et
l’anthropologie, puis sur la manière dont la danse devient un élément de recherche pour
l’anthropologie et par conséquent pour le musée d’anthropologie.
Afin d’entrer plus avant dans les questionnements que je me propose de traiter
dans ce mémoire, il était également nécessaire de faire une cartographie des médiations
dansées dans les musées à Lyon. J’ai ainsi participé à des médiations dansées dans
divers musées, afin d’observer et décrire les activités développées, et de vivre moi-
même l’expérience de la médiation dansée. J’ai pu identifier trois médiations basées sur
la danse à Lyon durant cette année universitaire : des rituels dansés à partir d’œuvres
d’art de la collection permanente, par la Compagnie Propos au Musée des Beaux-Arts
de Lyon, une « visite expérience » intitulée « Posture(s) à l’œuvre dans l’exposition
Radio/ Tomorrow’s Sculture de Katinga Bock » à l’Institut d’Art Contemporain de
Villeurbanne (IAC), et un bal chorégraphié en écho à l’exposition Claude, un empereur
au destin singulier au Musée des Beaux-arts de Lyon. Ces trois expériences dans
13
différents types de musées suivant différents modes d’élaboration de médiation ont
nourri mes questionnements sur les relations entre danse, musée et anthropologie.
J’aborderai cet apport dans le deuxième chapitre de ce mémoire.
14
CHAPITRE 1 –DANSE, MUSÉE ET
ANTHROPOLOGIE : L’EXPÉRIENCE À TRAVERS LE
MOUVEMENT
John Dewey dans son ouvrage L’art comme expérience (1934) convoque
plusieurs idées sur la relation entre œuvre d’art et expérience. Selon lui « l’œuvre d’art
se compose en fait des actions et des effets de ce produit sur l’expérience 32 ». En
31
.Jacques Ranciere. (2011) Aisthesis. Eric Loret, « Libération » 17 novembre.
32
.John dewey. (2005). L’art comme expérience. Editions: Folioessais. p.30
15
critiquant le musée comme un espace rappelant la montée du nationalisme et du
l’impérialisme, il affirme :
Le musée est en cela conçu comme un espace isolé de la vie quotidienne par un
régime de classification du « beau ». Par conséquent, l’esthétique éloignerait l’art des
gens, du quotidien et donc, de l’expérience. Il s’oppose également à la tradition
kantienne, c’est-à-dire à la prévalence de la notion de beauté ; John Dewey34 défend que
L’art est non pas l’émanation spirituelle éthérée d’une muse céleste
lointaine, mais une excrétion incarnée, expressivement épurée, des
énergies naturelles présentes dans nos transactions vivantes avec
notre environnement naturel et culturel, orientée vers un
accomplissement supérieur de la vie35.
C’est donc à travers une conception de l’esthétique incarnée que la danse peut
être utile dans la médiation muséale.
33
.Ibidem, p.37.
34
.Idem
35
.Richard shusterman. (2005). Présentation de l’édition française de L’art comme expérience.
Traduction coordonnés par Jean-Pierre Cometti. Collection : Folio Essais. Ed : Tractatus & Co.
36
.Walter D. Mignolo (2010) Aiesthesis decolonial. Calle14, v.14, n.4, Enero-juin.
37
.Maria Acselrad. Op. cit. p.57
16
Historique
C’est cependant dans les années 1960 que la relation entre danse et musée
s’intensifie. En 1964 Merce Cunningham crée l’évènement Museum Event No1 :
38
.Marisa Hayes. (2017/1). Dates Clefs. Repères, cahier de danse 2017/1 (n° 38-39), p. 4-6.
DOI 10.3917/reper.038.0004
39
.Idem
40
.Musée d’art Moderne de Paris, Event Merce Cunningham. Disponible sur:
http://www.mam.paris.fr/fr/activite/event-merce-cunningham. [Consulté le 12 août 2019].
41
.Fabienne Boursiquot (2014) « Musée et anthropologie ». Essai bibliographique sur les ouvrages DE
L’ESTOILE B (2007) Le goût des autres. De l’exposition coloniale aux arts premiers. Paris, Édiations
Flammarion et MAZÉ, C., F. POULARD ET C. VENTURA (dir.) (2013) Les musées d’ethnologie. Culture,
politique et changement institutionnel. Paris, Éditions du CTHS In Anthropologie et Sociétés, vol.
38, nº 309-323.p.8
42
.« Le terme « happening » fut choisi en avril 1957 par Allan Kaprow pour désigner un événement en
général et prit la forme de collages de différents éléments artistiques s’organisant en
« environnement » ou assemblages dans lesquels le public intervenait » (ROQUES, Sylvie et
VIGARELLI, Georges (2008/2) « Enjeux et limites de la performance ». Communications, nº83,
p.169-179. P.173).
17
représentations de la danse professionnelle en dehors de l’espace conventionnel, à
savoir celui du théâtre.
Dans son mémoire de master, Charline Bidault propose une liste non-exhaustive
des présentations de danse au sein de musées ayant eu lieu ces dernières années en
France :
18
de consommation ». […] En 2012, la Tate Modern a créé les
Tanks, « des espaces bruts, industriels, souterrains [...] qui seront le
point d'ancrage pour la présentation d'art vivant et de films au sein
de la Tate Modern » ; le Museum of Modern Art (MoMA) accueille
de manière régulière des artistes comme Boris Charmatz, par
exemple avec Three Collective Gestures en 2013 ; les galeries d’art
font de même avec par exemple l’exposition Move.
Choreographing You : Art and Dance Since the 1960s à la
Hayward Gallery à Londres en 2012, qui intégrait « des
installations reconstituées et commandées (quelques
participatives), des œuvres d’art, et des performances (qui étaient
pour la plupart des reconstitutions) ». Plus récemment, le Centre
Pompidou accueillait Anne Teresa De Keersmaeker en mars
dernier pour sa création-exposition de neuf jours
Work/Travail/Arbeid, qui « re-imagin[ait] sa chorégraphie Vortex
Temporum [...] dans un environnement muséal » et permettait au
public de se promener, « occup[er] l’espace, s’imbriqu[er] même
dans l’œuvre et la danse47 ».
47
.Charline Bidault. (2016). Op. cit. p.11.
48
.Marisa Hayes. Op. cit., p. 4-6. Visite dansée au musée des beaux-arts de Nancy, Cie La Brèche
Aurélie Gandit. Video Visite danse disponible sur: https://vimeo.com/19248064. [Consulté le 10
août 2019]
49
.Musée de la danse. Disponible sur: http://www.museedeladanse.org/fr/articles/musee-de-la-
danse.html . [Consulté le 10 août 2019]
19
vraiment une œuvre commune où on peut passer du visiteur au
spectateur, au participant, à l'artiste, à l'œuvre d'art 50...
État de l’art
La relation entre danse et musée est encore très peu traitée dans l’univers
académique et universitaire au Brésil comme en France. Il me semble donc important de
mener une réflexion et un dialogue avec les travaux initiés auparavant. Commençons
par en résumer les principaux.
Au Brésil, Ail Regina da Silva écrit dans son mémoire Interdit de toucher,
autorisé de danser : danse et médiation dans le Musée d’art contemporaine 51 (2017) sur
l’expérience de six médiations réalisées dans l’exposition au MAC/USP à São Paulo. La
danse était choisie comme outil de médiation pour être une activité artistique possible à
réaliser pour tout le monde, pour tous corps. Ail da Silva évoque les théories de
Merleau-Ponty pour aborder la question d’expérience et de la perception de l’art, en
considérant qu’occuper le musée par la danse peut transformer la manière de se déplacer
dans l’espace et de transformer la relation avec l’art à travers le corps. Elle est
50
.Entretien avec Boris Charmatz sur France Culture « Le Musée de la Danse est une œuvre commune
où on peut passer du rôle de visiteur à celui de danseur », le 15/10/2017. Disponible sur :
https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/la-nuit-revee-de-boris-charmatz-
entretien-23. [Consulté le 11 août 2019]
51
.Traduction libre du portugais. Original: Proibido tocar, permitido dançar: dança e mediação no
museu de arte contemporanêa. SILVA, Aila Regina da. (2017). “Proibido tocar, permitido dançar”:
dança e mediação no museu de arte contemporânea. Dissertação Mestrado programa de pós-
graduação Interinidades em Estéticas e História da arte. São Paulo- SP
20
également l’auteur de l’article intitulé « Le corps médiateur : danse et médiation dans le
musée52 » construit à partir de ses recherches précédentes.
En ce qui concerne les deux projets moteurs de son analyse, le projet Dancing
Museums, organisé par un centre de développement chorégraphique français, était
destiné à intégrer la danse dans le musée. Dans le cadre du programme « Europe
Créative », ce projet avait cinq structures de danse associées et huit musées européens.
La Briqueterie, centre de développement chorégraphique, portait le projet avec la
chorégraphe Tatiana Julien dans le Musée du Louvre et au MAC VAL. L’idée du projet
était « d’explorer, à travers la danse, de nouveaux liens plus vivants entre le public et les
œuvres pour que les musées puissent devenir des espaces de partage55 » L’auteur montre
que les projets comme celui-ci permet de faire du spectateur, un « acteur dans la
réception autant que dans la création 56 ». La médiation dansée devient ainsi intéressante
à la fois pour les danseurs – qui mènent leurs recherches et créations –, pour le musée
– qui développe de nouveaux projets – mais aussi pour les publics – qui peuvent
52
.Traduction libre du portuguais : O corpo mediador: dança e mediação no museu (2017/1).
53
.Laurent Pichaud. (2006) « Faire « voir du lieu » avec la danse. », in: Repères, cahier de danse, n° 18
("Espaces de danse"), février, p. 19-21 , p.20.
54
.Charline Bidault. (2016). Op. cit.
55
.Ibidem, p.53.
56
.Ibidem, p.54.
21
participer de manière plus vivante et personnelle à une médiation culturelle. La
restitution du projet en France était finalisée par la déambulation chorégraphique
intitulée Prière de ne pas détruire dans plusieurs salles du Louvre le 18 mars de 2015.
Le projet était réalisé avec la participation de danseurs professionnels et amateurs – qui
s’étaient précédemment rencontrés – mais aussi du public le jour de la présentation.
C’est important de considérer que la danse n’était alors pas convoquée pour le
divertissement du public mais pour restituer et montrer les réflexions permises par le
projet et pour instaurer également un dialogue avec le public, donc en tant que médium
d’approche entre visiteurs, œuvres et musée.
Musée et anthropologie
Enjeux
Le musée, dans le sens commun, peut être compris comme un lieu de mémoire,
un lieu où le temps s’arrête. Dans la modernité, la conception du musée a
considérablement changé, ainsi que l’idée même de ce qui peut habiter un musée.
57
.Ibidem, p.75.
58
.Ibidem, p.76.
22
Aujourd’hui, il est possible de concevoir et faire l’expérience du musée comme un
espace de réflexion et d’expérimentation. En pensant le musée d’anthropologie dans ce
contexte, il est possible de percevoir les différents modèles et structures de ce type de
musée et ses transformations au long terme selon les enjeux politiques, scientifiques et
économiques.
59
.Fabienne Boursiquot (2014) « Musée et anthropologie ». Essai bibliographique sur les ouvrages DE
L’ESTOILE B (2007) Le goût des autres. De l’exposition coloniale aux arts premiers. Paris, Édiations
Flammarion et MAZÉ, C., F. POULARD ET C. VENTURA (dir.) (2013) Les musées d’ethnologie. Culture,
politique et changement institutionnel. Paris, Éditions du CTHS In Anthropologie et Sociétés, vol.
38, nº 309-323. p.310
60
.Benoît De L’Estoile. (2010) Le goût des autres. De l’exposition coloniale aux arts premiers.
Flammarion, Paris. p.301.
61
.Jean Jamin. Faut-il brûler les musées d’ethnographie ?.(1998) Gradhiva n° 24, p. 65-69.
23
l’esthétisme, les objets ethnographiques devenant des objets d’art. D’autres s’engagent
dans la voie d’une collaboration avec les communautés dont les objets sont exposés62».
Les « musées des Autres », très présents encore dans la muséographie française,
posent aujourd’hui encore des problèmes épistémologiques à l’anthropologie. Selon
l’angle de l’altérité – Nous/Autres –, ils relèvent souvent d’un héritage de projet
d’affirmation d’une identité collective : cette identité se constitue sur les Autres, mais
par le Nous. C’est à travers cette articulation que l’on perçoit la présence d’une pensée
coloniale. A l’instar de Nélia Dias, on peut s’interroger : « pourquoi, alors que le
colonialisme a disparu, les « catégories du colonialisme » continuent-elles encore à
façonner les modes d’analyses des objets65? ». Finalement, qui est concerné par le
musée d’anthropologie ?
24
affirment par exemple que ces « institutions culturelles et scientifiques [sont]
éminemment liées au politique66 ». La constitution d’un musée d'ethnographie nous
amène par conséquent à penser l’anthropologie et le musée comme des outils politiques
d’État, participant à la consolidation de l’idée de nation et au désir de patrimoine.
Historique
25
exposant les objets tour à tour selon un esprit pédagogique et une tournure exotique,
récurrente dans les expositions coloniales72.
26
Le musée de l’Homme et le musée du Quai Branly
Le projet « Arts premiers », mis en place en 1996, annonce la crise de
l’ethnographie au sein du musée. Celui-ci envisage de redéfinir la relation entre
l’ethnologie et le musée, indépendamment du Muséum National. La création du musée
du Quai Branly évince cependant ces projets et le musée de l’Homme – fermé en 2003 –
devient quelques années plus tard une galerie d’exposition et de diffusion culturelle, en
conséquence d’une réforme du Muséum National. En 2005 le Musée du l’Homme est
inauguré par la deuxième fois et vise à présenter le rapport entre l’Homme et la nature
au travers d’un message politique et citoyen où « la connaissance et la prose de
conscience de la fragilité de l’humanité79 » est mise en avant.
Conçu par le président Jacques Chirac80 le Musée du Quai Branly ouvre ses
portes en 2006. Ce musée représente un certain désir de changement du statut des objets
ethnographiques qui tendent à devenir des objets d’art ; la construction du sens du
musée tient du fait que la « découverte de l’Autre à travers ses arts […] constitue sa
mission81 ». La reconnaissance d’une esthétique universelle, défendue par le Musée du
Quai Branly, apporte également d’autres questionnements importants concernant la
question de l’ethnographie et de l’art : « ne serait-ce pas une sorte d’interprétation
ethnocentrique que d’exposer des objets en tant qu’objets d’art alors que leur sens
d’origine n’était pas artistique et que la catégorie d’art reflète un point de vue
occidental82 ?». Sur « le mythe des arts premiers » le Musée du Quai Branly – qui porte
son adresse dans son nom plutôt que son statut (musée d’art ou un musée
d’ethnographie) – emploie son « instrument de légitimation du projet du musée […] tout
en évitant d’affronter le poids de l’héritage colonial ou l’histoire des collections 83 ».
Actuellement, le Musée du Quai Branly continue d’être un important musée qui abrite
en France des objets ethnographiques extra-Européen. À travers son centre de recherche
et les multiples activités développées au sein du musée, il suscite des réflexions autour
de l’anthropologie, de l’art et du musée.
79
.Fabrice Grognet. (2013). Op. cit. p.59
80
.C’est important de souligner qu’ « en effet le musée du quai Branly est avant tout, comme l’affirme
le président Stéphane Martin, “un vrai projet présidentiel et un vrai projet politique” ». (PAGANI,
Camille, Op. cit, p.270).
81
.Benoît De L’Estoile. (2010) Op. cit. p.345
82
.Camilla Pagani. Politiques de reconnaissance dans les musées d’ethnographie et des cultures au
XXIª siècle. (2014).Doctorat de Philosophie. Université Paris-Est-Créteil- Università degli studi di
Milano. (p.270).
83
.Ibidem, p.271.
27
Le Musée des Civilisations de l’Europe et de la méditerrané (Mucem)
Héritage du MNATP le Musée de Civilisations d’Europe et Méditerrané
(Mucem) a été inauguré en 2013 à Marseille. Le mot « civilisation » inclus dans le nom
du musée consiste en une « appellation révélatrice d’une certaine approche muséale, qui
vise à mettre en valeur la diversité de discours, de points de vue et d’identités
historiques qui compose une société à un moment donné 84 ». Orienté vers une
anthropologie symbolique (qui cherche à rompre dans la foulée avec la pensée
folkloriste85), le Mucem révèle le processus d’européanisation et la division entre les
Autres (Musée du Quai Branly) et le Nous (le Mucem) en vogue actuellement dans le
monde86.
Que veut dire un musée consacré aux sociétés « autres », qu’il soit
d’art ou d’anthropologie, dans un monde postcolonial ? À quels
84
.Fabienne Boursiquot (2014) Op. cit. (P.322).
85
.Camille Mazé.; POULARD, Fréderic; VENTURA, Chistelle. ( dir. ). 2013 Op. cit.
86
.Camilla Pagani. Op. cit.
87
.Voir le « Projet scientifique et culturel » du Mucem édité en 2017, p. 15.
88
.Bruno Suzzarelli. (2013). « Préface : Quels musées de civilisation(s) pour l’avenir ? ». In
CHEVALIER, Denis (dir.). Métamorphoses des muées de société. Paris (ouvrage issu des premières
rencontres scientifiques internationales organisées par le Mucem), (p.9).
89
.Voir le « Projet scientifique et culturel » du Mucem édité en 2017, p. 46.
28
défis sont confrontés les réalisateurs d’expositions s’ils veulent
donner aux visiteurs la compréhension d’un monde contemporaine
complexe90 ? »
Une des premières études sur la danse en anthropologie a été réalisé par le
britannique Edward Evan Evans-Pritchard (1902-1973). Intitulé « The Dance », elle est
publiée en 1928 dans la revue Africa91. D’autres anthropologues britanniques ont
également traitéde la danse dans leurs travaux : Radchiffe-Brow (1881-1955),
Malinowski (1884-1942 et encore Raymond Firth (1901-2002). En Amérique du Nord,
le culturaliste Franz Boas (1858-1942) traite de la danse dans son Primitive Art. Sa fille,
Franziska Boas (1902-1980), organise quant à elle le premier symposium sur la danse
en 1942 dans une perspective anthropologique92. En France, Émile Durkheim (1857-
1917) et son neveu Marcel Mauss (1872-1950) participent à la fondation de l’Institut
d’ethnologie et influencent les travaux des africanistes de l’époque qui abordent la
danse dans leurs travaux. Marcel Mauss publie en 1936 l’article « Les techniques du
corps93 », encore aujourd’hui utilisé comme référence pour la recherche concernant les
pratiques corporelles. Les archives internationales de la danse fondées par Rolf de Maré
– évoquées plus haut – réunissent par ailleurs plusieurs chercheurs qui travaillent sur les
études folkloriques et intéressés par la danse.
90
.Benoît De L’Estoile. (2010) Op. cit. (P.286)
91
.Edward Evans-Pritchard. « The Dance », Africa, vol . 1, 1928, p.446-462
92
.d’Andrée Grau et Georgiana Wierre-Gore. (2005) Anthropologie de la danse. Genèse et
constructions d’une discipline. Centre National de la Danse, Paris. p.12.
93
.Marcel Maus (1936) « Les techniques du corps », Journal de psychologie normal et pathologique,
vol.32, nº 3-4, p.271-293.
29
Mais c’est seulement à partir des années soixante avec la publication par
Getrude Kurath de son article « Panorama of danse ethnology94 » que la danse est
admise officiellement comme objet de recherche en anthropologie. Cette relation va se
développer au fur et à mesure de l’avancement de la recherche en anthropologie. La
danse est dès lors considérée comme un « fait social total95 » – qualité attribuée aux
phénomènes qui sont à la fois expression et synthèse de l’ensemble de la vie sociale
d’une société donnée – et mérite donc d’être étudiée au même titre que la religion ou la
politique96.
Après une brève recherche97, j’ai pu identifier qu’une seule expérience au sein de
musées ethnographiques français a réellement exploré la danse comme un outil de
médiation. Pour les vacances de la Toussaint de 2015, le Musée du Quai Branly, en
partenariat avec le Collectif 3 à l’œuvre, a gratuitement proposé au visiteur, la « Visite
en mouvement : Une histoire dans l’histoire »,
30
du Quai Branly et mise en place par le Collectif 3 à l’œuvre. La description sur le site du
Musée présente l’activité : le musée se parcourt à plusieurs, en suivant ses sensations et
en se laissant porter par son imagination 98. Dans son mémoire, Charline Bidault expose
cette expérience de visite :
Guidés par des danseurs, les visiteurs étaient invités à incarner eux-
mêmes un objet par le mouvement : par exemple, placée devant un
tambour africain, une des danseuses proposait à un petit groupe de
visiteurs d’interpréter le tambour, en donnant des petits coups de
poing sur les bras et le dos de ses voisins, selon un rythme musical.
Par cette activité simple, ludique et accessible à tous, la danse offre
une manière d’être soi-même investi par les œuvres 99.
Si les analyses mises en place sur les musées en France autour de la performance
montrent que l’espace pour la danse est plutôt celle des spectacles, il me semble
important de s’intéresser au cas particulier d’utilisation de la danse comme support pour
la médiation dans les musées d’anthropologie français. Quelle est la place de
l’expérience dans la médiation pratiquée au sein des musées d’anthropologie ?
Comment la danse peut-elle être un outil de médiation culturelle au sein de telles
institutions ?
Récemment, divers musées en France ont accueilli des expositions sur la danse
et notamment des musées d’anthropologie. En 2017, le Musée des Confluences à Lyon
a présenté Corps rebelles101 tandis que le MuCem exposait On danse ? un an plus tard.
Orienté vers la compréhension de la danse contemporaine, Corps rebelles développait
six grands thèmes – danse virtuose ; danse vulnérable ; danse savante, danse populaire ;
danse politique ; danses d’ailleurs ; Lyon, une terre de danses ; le Sacre du printemps –
et proposait le studio danser Joe, atelier immersif et résidences d’artistes. Le public était
98
.Musée du Quai Branly, Détails de l’évènement –visite corporelle des collections, 2015. Disponible
sur : http://quaibranly.fr/fr/informations-pratiques/aller-plus-loin/visites-et-ateliers/visites-guidees/
details-de-levenement/e/visites-corporelles-des-collections-36129/ [Consulte le 12 août 2019].
99
.Charline Bidault. (2016) Op. cit.
100
.Ibidem, p.34.
101
.France Culture, Danse au musée, « Danse au musée ». Disponible sur :
https://www.franceculture.fr/emissions/le-petit-salon/danse-au-musee. [Consulté le 3 juillet 2019].
31
également invité à une expérience participative réalisé par Moment Factory d’après
l’œuvre Joe de Jean-Pierre Perrault102.L’exposition On danse ? du MuCem visait quant
à elle à exposer l’acte de partage de la danse. L’expérience de cette exposition, ainsi que
les médiations mises en place à son occasion, seront abordées dans le troisième chapitre.
102
.Avec la collaboration de la Fondation Jean-Pierre Perreault et le Musée de civilisation.
32
CHAPITRE 2 – MÉDIATION CULTURELLE,
ANTHROPOLOGIE ET DANSE
C’est à partir des années soixante qu’émergent les politiques culturelles pour la
médiation visant, encore aujourd’hui, « la participation possible de chacun à la vie
culturelle par les pratiques d’expression, d’éducation non formelle, d’engagement, par
le lien tissé entre des pratiques sociales aujourd'hui éclatées (travail, engagement
politique, activité artistique104) ». Bien que la pratique professionnelle de la médiation
ait cours dans les musées français depuis longtemps déjà, ce n’est qu’à partir de 2004
que la loi relative aux musées mentionne les attributions du médiateur : « chaque musée
de France dispose d’un service ayant en charge les actions d’accueil des publics, de
103
Marie-Christine Bordeaux. (2008) La médiation culturelle en France, conditions d’émergence,
enjeux politiques et théoriques. Actes du Colloque international sur la médiation culturelle,
Montréal, p.1.
104
.Ibidem, p.8.
33
diffusion, d’animation et de médiation culturelles. Ces actions sont assurées par des
personnels qualifiés105 ».
105
.Ibidem, p.4.
106
.Ibidem, p.7
107
.Ibidem, p.8.
108
.Marie-Christine Bordeaux. 2008 Op. cit p.10.
34
Dans l’introduction de son article « La médiation culturelle : une construction du
lien social » (2000), Jean Caune lance diverses questions à propos du secteur culturel :
Bien évidemment, ces questions ne sont pas simples à résoudre. Pour cela, il me
semble en tous les cas qu’il faut toujours mettre en évidence les médiations culturelles
« qui met[tent] en œuvre une intention et une attention sensible 110 », ce que Jean Caune
qualifie de médiation esthétique.
35
danse, et la performance permettent de penser la puissance d’une médiation basée sur
une expérience du sens et de la perception, capable de formuler des questions à partir du
corps en mouvement113 : c’est l’idée que celui-ci peut être un outil de documentation et
d’investigation des éléments artistiques et politiques exposés par le musée114.
36
d’actions et de réflexions, celle-ci devrait en effet trouver un support important dans les
jeux, les danses et les chants – autrement dit dans le mouvement du corps – pour
« médiatiser » les expositions ethnographiques ; ceci estimant la médiation culturelle
comme une partie notable d’une exposition, particulièrement indispensable dans la
présentation des cultures immatérielles.
117
. Aila Regina da silva. (2017.1) O corpo mediador: dança e mediação no museu. Repertório,
Salvador, ano 20, n.28, p.390-402.
118
. Maria Acselrad (2018). Op. cit
119
. David. Le Breton Antropologia do corpo e modernidade (2011) Tradução de Fábio dos Santos-
Petrópolis, RJ: Vozes, p.50 (traduction du portugais).
120
. Thompson Lemos Silva-Neto (2015). A cognição corpórea como continuidade crítica das
ciências cognitivas. Tese (doutorado) - Universidade do Estado do Rio de Janeiro. Instituto de
Filosofia e Ciências Humanas, p.215 (traduction du portugais).
37
Médiation dansée : trois expériences à Lyon
Pour élucider les différentes possibilités d’utilisation de la danse dans la
médiation culturelle, nous présentons trois expériences vécues dans deux musées à
Lyon : au musée des Beaux-Arts de Lyon, avec deux propositions du danseur Denis
Plasard et sa compagnie (Compagnie Propos) dans deux expositions distinctes ; et à
l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne, proposition de la danseuse Marie-
Zénoibe. Ces expériences ont non seulement rendu possible le contact avec des danseurs
qui proposent de telles médiations, mais aussi une première réflexion sur la médiation
dansée en France.
La médiation était mise en place dans trois salles du musée, le public, dont je
faisais partie, riait, discutait et applaudissait, positionné autour des deux danseurs qui
changeait de lieu dans la salle à chaque changement de tableau. Six œuvres ont été
38
présentées de manière dansée : (annexe 1 ; image 1) Portrait d’une officier de marine
(vers 1845), de Jean- François Millet ; (annexe 1 ; image 2) Les deux avocats (1862), de
Honoré Daumier ; (annexe 1 ; image 3) L’Automne (1864), de Puvis de Chavannes ;
(annexe 1 ; image 4) Champs de blé dans le Morvan (1842), de Jean-Baptiste Camille
Corot ; (annexe 1 ; image 5) La noce chez le photographe (1879), de Dagnam-
Bouveret et (annexe 1 ; image 6) La fanfare de bois-le-rois (XIX siècle) 121, de Antoine-
Jean Bail.
Pour le premier tableau, les danseurs ont présenté une « danse d’arme » ; pour le
deuxième, inspirés de l’ancienne pratique des avocats d’échauffement vocal avant les
audiences, ils ont présenté une chorégraphies basée entre la voix et le geste ; ensuite, ils
ont montré une danse de cours ; pour la quatrième œuvre, ils ont été inspirés par le geste
de la récolte de blé ; pour la cinquième, ils ont proposé un jeu de photo-mariage, c’est-à-
dire une danse de couple au son de la musique (l’idée était de répéter le même rituel
avec les yeux fermés) ; pour le dernier tableau, ils ont créé une chorégraphie à la vitesse
progressive au fur et à mesure qu’une cellule de danse est ajoutée. Les six chorégraphies
ont été présentées en une médiation qui a duré environ une heure trente, avec des
moments accompagnés de musiques et d’autres sans.
Cette médiation m’a incitée à regarder les œuvres présentées par la danse avec
plus d’intérêt. Chaque geste, position des personnages, couleur, etc. me conduisaient à
différentes perceptions sur l’œuvre et à des voies d’imagination multiples, comme par
exemple pour le tableau Les deux avocats (illustration 2) : quels seraient les types de
discussions entre eux ? Après la fin de la médiation, je suis retournée dans la salle
d’exposition pour regarder tous les tableaux présentés et je me suis permise de
121
. Annexes 1
39
construire des histoires sur l’image devant moi et sur l’élaboration des tableaux
(époque, technique, etc.).
Dans la salle réservée, le public s’est disposé en cercle et, conduit par Marie-
Zénoibe, a initié une sensibilisation des paumes et de la tête par des petits massages et
perceptions tactiles de différentes parties du corps. La danseuse a ensuite proposé une
investigation corporelle avec un tissu (annexe 2, image 7). Tour à tour, chacun entrait
dans le cercle et expérimentait la construction de postures avec le tissu. Les autres
essayaient d’élaborer des postures à partir du mouvement de la personne : placer le
poids, les formes, répondre à la relation du tissu avec le corps – observer et sentir,
autrement dit, à partir du mouvement de l’autre. Nous avons également exploré le tissu
par deux (annexe 2, image 8) : la première personne posait le tissu sur l’autre qui devait
réagir avec le corps. Ce n’est qu’ensuite que nous sommes entrés dans l’exposition : le
but était alors de jouer le rôle de visiteur et d’élaborer des postures devant les œuvres
(annexe 2, images 9 et 10). Dans la salle d’exposition, l’indication de la danseuse était
de prendre deux minutes pour regarder les salles et créer des postures pour l’œuvre de
notre choix.
40
fin, nous avons discuté de la difficulté de construire une unique posture devant une
œuvre et de celle d’agir sous le regard de visiteurs qui ne participaient pas à la
médiation. Le manque d’habitude de ce type de médiation et des expérimentations
artistiques face à l’œuvre dans le musée révèle qu’il y a des postures attendues face à
l’œuvre et que le regard des autres porté sur nous exerce un type de contrôle sur nos
corps vers un comportement qui est admis ou pas.
41
musique pour donner le temps de chaque pas. Après la première chorégraphie, le
danseur a proposé de se mettre par deux, le bal commençait ainsi avec les rencontres
générées par la danse.
Chaque fois que le chorégraphe ajoutait des pas, il faisait référence à des
éléments de l’exposition, par exemple à la texture des tables Claudiennes, discours de
Claude gravé dans le bronze. Dans le bal, Denis Passard a proposé quatre types de
marche qui variaient selon la musique, rendant possible un mélange entre les
participants. Finalement, le public était invité à danser par deux les yeux fermés,
proposition qui n’a pas vraiment fonctionné à cause du manque d’intimité et de
confiance entre les participants. Avec un air léger et détendu, la grande majorité des
participants au bal est allée visiter l’exposition, où, par hasard, on pouvait y retrouver un
partenaire de danse.
42
CHAPITRE 3 – ON DANSE ? MÉDIATIONS ET
DANSE AU MUCEM, MARSEILLE.
L’exposition On danse ?
Mise en place au MuCem entre le 20 janvier et 20 mai 2019, l’exposition On
danse ? a été élaborée par la commissaire générale Émilie Girard (conservatrice en chef
du patrimoine, responsable du département des collections et des ressources
documentaires au MuCEM), la commissaire associée Amélie Couillaud (commissaire
d’exposition indépendante, programmatrice de spectacles) et Cécile Degos, responsable
de la scénographie. Pour élargir le point de vue sur les questions sur la danse, Boris
Charmatz122 (danseur, chorégraphe et fondateur du Musée de la danse à Renne) était
l’artiste invité pour cette session au MuCEM.
43
danse dans divers musées en France 123, les commissaires de l’exposition On danse ? ont
envisagé « moins une exposition sur la danse ou sur le danseur que sur l’acte de
danser ; c’est-à-dire non pas sur la danse comme phénomène réservé à une élite de
professionnels surentrainés mais sur la danse comme fait partagé, partageable par le
plus grande nombre124 ». La scénographie est conçue notamment à partir de trois
dimensions fondamentales de la danse125 – le corps, l’espace et le temps – et à partir de
deux questions : « Où commence la danse ? » et « Vers qui danse-t-on ? ».
Dans une salle située au deuxième étage du bâtiment J4, l’exposition était
composée d’une boucle de six heures de soixante extraits vidéo exposée sur douze
écrans de différentes tailles, matériaux et formes disposés autour d’un ensemble de
structures inspirées du mobilier urbain (balançoire, rampe de skate, bancs, etc.). On
pourrait ainsi considérer que l’exposition On danse ? correspond à une exposition
d’immersion. Même s’il est possible de la considérer ambitieuse et floue, l’idée d’une
exposition immersive est de transmettre de manière sensible et sensorielle les sujets
abordés qui y sont abordés126.
44
Tenez l’objet absolument immobile ». Le second, Instructions (2018), correspondait à
un texte gravé sur un mur noir où étaient donné des indications simples de mouvements
du corps pouvant constituer une danse128)S’ajoutait à ces espaces la salle de chauffe sur
laquelle nous reviendrons plus loin.
Notons d’emblée que le désir d’innovation peut être perçu dans l’imbrication de
la proposition des objets et vidéos exposés (voir Annexe 5). Les commissaires sont
parties du corps du visiteur pour, d’après Émilie Girard lors de notre entretien,
construire une scénographie « dynamique où le mouvement soit complètement
prenant129 » pour « inviter [les visiteurs] à découvrir la danse là où on n’a pas l’habitude
de la voir et à réaliser à quel point elle modifie le rapport avec soi et avec les autres 130 ».
Pour l’élaboration de cette scénographie, elles ont ainsi choisi l’utilisation d’une
moquette pour que le visiteur puisse explorer les différentes possibilités d’expérimenter
une exposition.
128
.Informations disponibles sur la fiche « Peut-on danser dans un musée ? » du projet « Le Mucem
c’est quoi ? », organisée par les responsables du champ social et handicap et destinée aux
animateurs, aux éducateurs, aux enseignants, aux accompagnateurs qui souhaitaient visiter le Mucem
en autonomie avec un groupe de jeunes, c’est-à-dire sans payer la visite guidée. Video : objet
chorégraphique Instructions, William Forsyte, 19 avril 2019. Disponible sur :
https://youtu.be/qcQQlDJzj_E
129
.Entretien avec Émilie Girard au CCR le 15 mai 2019.
130
.Voir le site du Mucem sur l’exposition On danse ?
131
.Entretien avec Émilie Girard au CCR le 15 mai 2019.
45
absent –, de multiples projets de médiations ont été mis en place. Je présente ici les
observations collectées dans ce sens pendant mes séjours au Mucem.
Les outils de médiations dans un musée sont variés : il est possible d’employer à
la fois le texte, différents types de visites, des projets, des évènements, etc. Pour ce qui
concerne les médiations directes avec le public par des médiateurs ou des guides, le
Mucem utilise deux méthodes : les médiations postées, assurées par les médiateurs (ou
« compagnons de voyage132», employés par MUSÉA – Accueil de publics133) présents
dans la salle d’exposition et disponibles pour tous les visiteurs ; et les visites guidées et
les ateliers, prestations payantes assurées par des guides (employés par Pont-des-Arts :
l’invitation à l’art134).
J’ai pu, ensuite, faire des observations dans la salle de la médinathèque. Cet
espace, situé au premier étage du Mucem, est destiné à diffuser des archives vidéo de
l’INA en dialogue avec les expositions temporaires. Pour l’exposition On danse ?,
étaient par exemple montrés des extraits d’entretiens et de chorégraphies de danseurs
célèbres comme Pina Bausch ou Boris Charmatz. Dans ce même espace, était mis à
132
.Voir le « Projet scientifique et culturel » du Mucem édité en 2017, p. 124.
133
.Site MUSEA : https://www.musea-accueil.com/fr/home/.
134
.Site Pont-des-arts : http://www.pont-des-arts.com/.
46
disposition du public un dispositif spécifique, le photomaton, qui prenait des séquences
de photos des usagers pour en faire une courte vidéo. Celle-ci pouvait être partagée sur
les réseaux sociaux, ce dispositif constituait ainsi à la fois une médiation et une stratégie
de publicité pour l’exposition.
Par ailleurs, j’ai suivi la restitution du projet « Bar masqué – Nuit Vernie » mené
par la responsable du champ du public scolaire en partenariat avec le Ballet National de
Marseille, les élèves du Lycée Saint-Louis et Emmaus. La présentation dans le théâtre et
dans le hall du musée a marqué pour moi la fin de mes observations au Mucem.
Afin de mieux comprendre les enjeux autour des médiations mises en place pour une
telle exposition, nous avons choisi de présenter les usages de la salle d’exposition
– notamment déterminés par la présence des médiateurs MUSEA et des agents de
sécurité –, de la salle de chauffe et des deux visites-ateliers : « On danse ? » et « La
47
danse, très peu pour moi ». Pour cela, nous commencerons par décrire l’activité pour
ensuite rendre compte d’observations d’ordre général puis anecdotique qui nourriront
notre réflexion.
Salle principale
Observations générales
Globalement, les usages possibles de la salle étaient beaucoup plus explorés par
les enfants (j’ai pu entendre d’un enfant occupé à jouer : « Ici, c’est ma salle
préférée ! »). Après quelques instants d’observations dans la salle, les adultes présents
avaient en effet tendance à limiter leur usage de la scénographie. La balançoire et les
rampes étaient ainsi l’espace des enfants et des jeunes tandis que les espaces pour
s’assoir confortablement étaient utilisés par les adultes. Parfois, les parents
expérimentaient la balançoire et les rampes en compagnie de leurs enfants.
48
En fait, le musée n’est pas considéré comme un espace pour danser mais plutôt
comme un espace pour regarder, lire, écouter. Les codes traditionnels du mode de visite
d’une exposition (en particulier les rituels « ne pas toucher les objets » et « faire
silence » ou « ne pas faire de bruit ») constituaient ainsi une barrière difficilement
surmontable pour les usages proposés par cette exposition : courir, danser, sauter et
expérimenter des objets participatifs (œuvre de Forsythe). Selon la description d’un
agent de sécurité, les seuls publics qui se permettaient de danser étaient les enfants (j’en
ai pu voir moi-même imiter les danses présentées par les vidéos, danser en groupe, etc.)
et les « baba cool135 ». Finalement, la salle d’exposition était utilisée d’avantage comme
un cinéma qu’une salle de danse. Une partie du public et des agents de sécurité ayant
exprimé leur incompréhension de la relation de certaines vidéos avec la thématique de
l’exposition, il est possible d’y voir là un frein à l’appropriation et l’expérimentation de
l’espace par les visiteurs, pour qui le regard traditionnel de spectateur prévaut sur le rôle
possible d’acteur.
Ils ont en revanche rencontré des difficultés pour trouver leur placement dans la
salle (les médiateurs se tiennent soit à l’entrée de l’exposition, soit circulant dans la
salle, soit avant la sortie de l’exposition) et pour mettre en place différentes approches
afin d’accéder aux publics et d’établir des dialogues.
135
.Je trouve cette remarque particulièrement riche d’interprétations possibles. Elle mériterait une
analyse que nous n’avons pas la possibilité de développer ici.
49
Une autre question abordée par les médiateurs lors de mes entretiens concerne le
manque d’espace pour les propositions de médiations qui auraient pu être effectuées
dans les expositions. Jeunes (entre 20 et 30 ans) dont les études sont liées à l’art, au
musée et/ou à la médiation, les médiateurs MUSEA auraient pu apporter des
suggestions à partir de leurs champs d’études et de leurs expériences au contact direct
avec les publics.
Par ailleurs, les agents de sécurité ont eu un rôle ambigu dans l’exposition On
danse ?. D’une part, leur seule présence indiquait un système de règles à suivre (ne pas
toucher à la sculpture à l’entrée, ne pas maltraiter les appareils, l’espace, etc…), de
l’autre ils avaient la fonction de médiateurs (surtout les jours d’absence de médiateurs
MUSEA) lorsqu’il s’agissait au contraire de toucher et manipuler les œuvres.
Salle de chauffe
50
les questions évoquées par l’exposition à travers l’expérience en elle-même, et par l’acte
de danser.
La salle était délimitée par un tapis de danse au milieu de la salle et des canapés
disposés autour. L’espace est une dimension importante de la danse. Le tapis, par
exemple, est devenu, du moins au sein de l’« espace occidental », le lieu par excellence
pour les cours de danse136. Lors de notre entretien, une des danseuses médiatrices de cet
espace témoigne :
Observations générales
Avec une extraordinaire diversité des publics, la salle de chauffe était un outil de
médiation non seulement pour l’exposition mais également pour le musée. Les visiteurs
136
.Nous en profitons cependant pour affirmer que d’autres espaces de danse sont aujourd’hui
envisagés. À l’École des sables, par exemple, tous les cours sont dispensés sur le sable.
137
.Danseurs participants de la salle de chauffe : Djino Alolo Sabin, Regis Badel, Eric Minh Cuong
Castaing, Boris Charmatz, Montaine Chevalier, Sonia Darbois, Raphaëlle Delaunay, Sandra
Français, Gaspard Guilbert, Christophe Haleb, Christophe Ives, I-Fang Lin, Filipe Lourenço,
Dorothée Munyaneza , Julien Monty, Balkis Moutashar, Fabrice Ramalingom, Asha Thomas.
51
devenaient ici acteurs/danseurs dans le musée et plusieurs personnes venaient tous les
week-ends pour participer à cette activité138.
L’espace a cependant été jugé inapproprié par une partie du public interrogé car,
espace de passage, les visiteurs se sentaient trop exposés. Les usages multiples de cet
espaces (évènements, expositions, passage d’entrée pour le cinéma, etc.) provoquait un
conflit entre ceux-ci. Une des danseuses participant aux activités en salle de chauffe a
quant à elle exprimé le regret de ne pas avoir pu profiter d’une salle de ce type au cœur
même de l’exposition. Notons cependant que les visiteurs – parmi eux plusieurs
venaient par choix, d’autres parce qu’ils avaient découvert l’activité pendant la visite au
musée – étaient satisfaits de la proposition et plusieurs restaient tout l’après-midi dans la
salle de chauffe.
52
roulant a attiré mon attention car c’était la première fois que j’observais une personne
dans une telle situation participer à la salle de chauffe. Je participais alors à l’activité
proposée par le danseur avec le reste du groupe. La personne en fauteuil, venue pour
cette activité, est restée tout le long de l’animation séparée du groupe, qui réalisait une
activité collective sur le tapis.
Deux modèles de visite était pensés : une destinée aux enfants de moins de 8 ans
et une pour les enfants à partir de 8 ans. La visite était constituée de trois parties :
l’accueil du groupe dans le hall du musée, une brève visite dans la salle d’exposition
– avec une discussion sur les vidéos et les objets exposés et un temps d’exploration des
53
espaces immersifs de la salle – et, finalement, le développement de l’activité dans une
salle située au premier étage inférieur du musée.
Le jeu destiné aux enfants de moins de 8 ans s’appelait « On danse les
couleurs141 ». Il visait à faire entrer les enfants dans la danse à travers le développement
d’une relation avec un objet (un foulard coloré). Rassemblés ensuite selon la couleur de
leur foulard, les enfants étaient ensuite invités à élaborer une chorégraphie à partir des
mouvements expérimentés plus tôt.
140
.Scénario de la visite-atelier « On danse? », conception de Marina Costa, 21 décembre 2018.
141
.Vidéo : On danse en famille ?, « On danse les couleurs », Mucem, 19 avril 2019. Disponible sur :
https://youtu.be/8_hWZ3o1dT4
142
.Vidéo : visite-atelier « On danse ? », Mucem, 04 avril 2019. Disponible sur:
https://youtu.be/ag4mKr8HD4Y
54
Si on considère la relation entre les œuvres et le public, ces deux activités
montrent la possibilité de médiation à partir de la thématique globale puisqu’elles
conduisaient à mettre le corps en mouvement à travers un objet relationnel et médiatiser
les œuvres à travers des vidéos en travaillant sur ce que l’on voit et imagine à partir de
celles-ci.
De manière globale, on peut dire que la visite-atelier « On danse ? » a atteint ses
objectifs : la participation des élèves à l’atelier par une expérience de danse et
l’instauration d’un dialogue entre l’exposition, l’atelier et l’enseignement dispensé à
l’école. Quant aux familles, l’atelier a indubitablement favorisé l’interaction pratique
entre les parents et les enfants. Notons que l’utilisation de la tablette a encouragé les
plus jeunes à participer à l’activité, participation parfois difficile à cause de la nécessité
d’un engagement certain du corps. Un approfondissement pratique sur la danse me
semble en revanche important pour les guides responsables d’ateliers de ce type.
Une incohérence avec la thématique de l’exposition peut par ailleurs être repérée
car, tandis que l’exposition aborde l’acte de danser – ce que tout le monde fait –,
l’atelier se propose d’inventer une chorégraphie – travail caractéristique de la danse
professionnalisée. Certains accompagnateurs de groupe ont de plus remarqué la taille
réduite de la salle pour l’élaboration de l’atelier, ils étaient cependant satisfaits en raison
de la réussite de l’activité.
143
.Agence de guides conférenciers qui propose des visites guidées pour les institutions des secteurs
culturels et des rallyes culturels pour le public.
55
classique, etc.) ; je préfère danse avec… (les amies, seules, etc.) ; je danse quand ?
(depuis toujours, depuis le ventre de ma mère) ; pour moi la danse c’est ? (participation,
partage, mode d’expression144). Ses questions aidaient à introduire la thématique par les
expériences passées du visiteur et permettaient le tissage de liens entre les membres du
groupe.
Observations générales
La visite « La danse très peu pour moi » a eu beaucoup moins d’impact que
l’atelier « On danse ? ». Adressée à un autre public (non pas à des visites scolaires mais
à des visites spontanées), cet atelier a été suivi par un public habitué à la danse
(danseurs amateurs, amateurs de spectacles de danse, etc..).
Le peu de temps passé dans l’exposition été remarqué par plusieurs groupes qui
auraient aimé que l’atelier puisse se dérouler au sein de la salle d’exposition.
L’utilisation de la tablette diminuait de plus l’importance de la présence du corps
comme instrument pour l’expérience en danse et provoquait la dispersion du groupe :
chacun regardait les vidéos sur une tablette et presque personne ne participait à la
discussion menée par la guide. Des questions importantes étaient pourtant soulevées par
les guides mais l’expérience par le corps en mouvement n’était pas du tout permise par
cet atelier.
Par ailleurs, les lacunes de spécialisation technique autour la danse de la part des
guides de musée a provoqué des difficultés d’adaptation de la visite interactive pour un
groupe de gens âgés. Si la danse est pour tout le monde – jargon bien exploité dans
144
.Exemples de réponses données par les participants de la visite-atelier du 6 avril 2019, 14h30.
56
l’exposition et sa médiation – pourquoi ne pas donner la possibilité d’expérimenter la
danse aux plus âgés145 ?
Anecdote : On danse ?
« Lors de la visite-atelier du 12 mai, une famille (dont cinq jeunes) a trouvé trop
court le moment passé dans la salle d’exposition (remarque récurrente du public) alors
qu’ils ont passé beaucoup de temps dans la salle d’atelier où ils ont simplement regardé
les vidéos sur les tablettes – qu’ils n’ont pas eu le temps de regarder dans la salle
d’exposition. À côté, dans la salle de chauffe, se déroulait avec enthousiasme un atelier ;
les regards de toute la famille se tournaient vers cette expérience. La discussion
organisée dans le cadre de leur visite-atelier n’a pas « pris » et l’atelier s’est terminé. La
famille a alors tout de suite « plongé » dans la salle de chauffe (où ils sont restés toute
l’après-midi) à la recherche de l’expérience évoquée par l’expression phare de
l’exposition, l’acte de danser, qu’ils n’avaient pas trouvé dans l’atelier « La danse très
peu pour moi ».
L’acte de danser est toujours lié à son contexte social et culturel. A priori tout le
monde peut danser, mais ce n’est en revanche pas tout le monde qui danse
effectivement. L’exposition On danse ?, qui n’aborde pas la danse en soi mais plutôt
l’acte de danser, relève le défi d’élaborer une exposition sur cette thématique et les
enjeux qui l’entourent. On retrouve ainsi dans les textes de son catalogue certains
enjeux définitionnels évoqués dans notre introduction : « une marche n’est pas une
danse, mais on peut la voir comme une danse146 ». Si tout geste ou mouvement du corps
constitue de la danse, on ne peut pour autant pas dire que tout est danse. Que reste-t-il
pour la danse ? Notons que dans l’exposition On danse ? ainsi que dans ses médiations,
145
.Je fais ici référence à la visite-atelier « La danse, très peu pour moi » réalisée le 11 avril 2019
spécialement adaptée pour un groupe des seniors de la Maison du Bel âge. Cette forme d’adaptation
n’a cependant pas permis d’aborder les enjeux théoriques ni pratiques de l’exposition.
146
.Romain Bigé. (2018). « Oú commence la danse ? ». In GIRARD, Émilie, et COUILLAUD, Amélie
(dir.). On danse ? (Catalogue de l’exposition). Marseille : Musée des civilisations de l’Europe et
Méditerranée.
57
le Mucem a choisi d’aborder l’acte de danser à partir du regard spécifique de la danse
contemporaine et de ses pratiques.
Par ailleurs, le regard sur les danses d’une société peut éclairer des questions
touchant aux genres, aux races, aux classes sociales, mais aussi à l’acceptation sociale
du corps. Dans un musée d’anthropologie ou de société, poser la question de la
représentation est indispensable. Après une analyse rapide, on perçoit que, malgré la
grande diversité de thématiques couvertes par l’exposition On danse ?, la majorité des
vidéos projetées dans la salle d’exposition étaient issues de productions européennes et
nord-américaines. Cela montre que la diversité des représentations envisagées par le
musée de civilisations n’était pas la priorité.
« Je n’aime pas trop la vidéo comme support de la danse. Parce que
je suis quelqu’un du spectacle vivant et je sais trop ce qu’est le
vivant et l’instant présent – qui est absolument gommé et réduit
avec la vidéo. Maintenant la vidéo c’est une trace indéniable et
c’est une trace moderne. Après j’avais envie d’autres… comme je
ne suis pas quelqu’un de la vidéo et qui n’est pas envie de me
retrouver devant un écran, j’étais un peu en manque d’autres
ressources visuelles : des partitions, des objets, des costumes, des
choses qui nourrissent plus mon imaginaire […]. Notre pratique est
bien éphémère mais comment faire autrement ? »
58
En ce qui concerne les expériences de médiations à partir du corps en
mouvement, nous pourrions remarquer que la relation entre les œuvres exposées et les
médiations aurait pu être plus solidement établie. La salle de chauffe, qui avait pour but
de montrer et partager la pratique du danseur, a présenté en cela quelques lacunes. Très
peu de références aux œuvres exposées étaient en effet utilisées dans les activités
proposées et une partie des danseurs n’ont pas même visité l’exposition.
147
.Raíssa Fonseca (2017). Musées en mouvement : danse, anthropologie et médiation culturelle.
Dossier final pour la spécialisation en Danse et éducation. Recife : CENSUPEG, p. 2. (Traduction
libre.)
148
.Romain Bigé. (2018). Op. cit.
59
conséquent une revendication politique de diversité des formes possibles de concevoir
la médiation, l’art et le musée.
Un musée qui se propose de faire comprendre « le monde où l’on vit » (avec un
regard particulièrement tourné vers l’Europe et la Méditerranée) assume la
responsabilité de montrer la diversité culturelle existante et de fournir l’accès aux
différents publics concernés. Pour cela, il me semble donc important de ménager des
espaces de dialogues et d’expériences qui fournissent un regard sur les différences et
l’altérité.
Une autre question considérable est celle de créer la possibilité d’accès à des
personnes, groupes et familles qui désirent mais ne peuvent accéder au musée pour des
raisons économiques. Dans le cadre de l’exposition On danse ? les visites guidées se
sont adressées dans leur majorité à des groupes scolaires (et très peu à des associations
ou centres de loisir – c’est-à-dire aux publics généralement issus de milieux sociaux
149
.« Projet scientifique et culturel » du Mucem édité en 2017, p. 120.
60
défavorisés). L’entrée gratuite des visites-ateliers pour les associations au faibles
moyens mise en place pour l’exposition de Jean Dubuffet, un barbare en Europe,
représente en ce sens un progrès dans la politique de diversification et d’inclusion de
publics.
Avec les rencontres permises par la salle de chauffe (activité gratuite pour tout le
public), il me semble évident que la proposition par le musée d’expériences par le corps
en mouvement peut être un dispositif à la fois pour attirer le public qui n’a pas
l’habitude de fréquenter un musée d’anthropologie, mais aussi pour montrer au public
présent que ce type de pratique – auquel il n’est pas habitué – permet d’expérimenter le
musée d’une autre façon.
61
chez l’élève une sorte de révélation, ou à tout le moins d’éveiller sa
curiosité150.
C’est sur cette envie d’éveiller la curiosité que la médiation doit se baser pour
inviter la participation du visiteur en créant un espace pour être actif dans la pensée et
dans le corps, pour découvrir ensemble d’autres manières de penser l’espace du musée
aujourd’hui.
150
.Ibidem, p. 119.
62
CONCLUSION
Nous avons vu qu’une médiation dansée peut assumer diverses formes. Une
médiation dansée doit être avant tout une expérience artistique (et politique) en
établissant des possibilités de relations entre l’art et les questions sociales abordées dans
le musée. Si on considére que la médiation dans le musée est un laboratoire d’art, c’est-
à-dire un espace dédié à des expérimentations – pratiques et réflexives –, la médiation
au musée d’anthropologie doit aussi être pensée comme un espace pour élaborer des
questions sur la propre anthropologie, notamment quant à son héritage colonial et ses
enjeux sociaux actuels. La relation entre la notion d’esthétique et d’expérience, conçue
comme aisthesis, nous invite à considérer que la danse, à partir des sensations et
perceptions, peut être une pratique expérimentale dans la médiation entre le public et les
œuvres exposées. Une médiation dansée proportionne donc une autre manière
d’expérimenter les œuvres et le musée.
63
propositions innovatrices et participatives. Cette participation du public montre qu’un
autre musée et une autre médiation sont envisagées par les visiteurs.
À travers cette réflexion, nous pouvons constater que le croisement des pensées
et des pratiques de la danse, du travail des médiateurs et des méthodes de recherche en
anthropologie peut contribuer à l’expérience en tant que pratique pédagogique dans le
musée d’anthropologie. Précisons toutefois qu’un projet de médiation dansée doit être
élaborée de concert par les médiateurs, danseurs et anthropologues afin de rendre
possible une pratique et une réflexion consistante.
Décoloniser les musées me semble donc aussi urgent que faire de l’espace du
musée, à travers l’expérience esthétique qu’il propose, un espace de dialogue sur
l’altérité. Autrement dit, il s’agit de créer des espaces d’inclusion de publics
traditionnellement non « représentés », dépourvus de l’habitude ou de moyens
financiers nécessaires à l’accès au musée. Au moment où on lance le regard sur la
construction du musée d’anthropologie, et par conséquent sur l’anthropologie elle-
même, nous percevons ses changements dans la pratique et dans la pensée. La nécessité
d’aborder dans le musée d’anthropologie les questions actuelles de l’anthropologie
– une pensée décoloniale, féministe et anti-raciste – devient donc évidente. AUtrment
dit, de telles questions doivent être travaillée dans la médiation, espace capable de
« remuer » ces réflexions à travers de plusieurs stratégies pédagogiques et artistiques,
dont, bien sûr, la danse.
64
Master 2, il sera nécessaire de mener des entretiens plus proches : du public pour
comprendre l’intérêt et l’expérience du visiteur (y a-t-il un changement de perception
sur l’exposition ?) ; des danseurs et chorégraphes (comment et pourquoi le danseur et/ou
le musée sont intéressés à la fois par l’art matériel et l’art du mouvement ?); et des
médiateurs et médiatrices du service de médiation du musée (quel est l’intérêt du musée
de proposer une médiation dansée?). Il me semble également nécessaire une réflexion
sur la différence entre le rôle du guide et celui du médiateur au sein des musées en
France.
65
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15/10/2017. Disponible sur : https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-
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août 2019]
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Disponible sur :
http://quaibranly.fr/fr/informations-pratiques/aller-plus-loin/visites-et-ateliers/
visites-guidees/details-de-levenement/e/visites-corporelles-des-collections-
36129/ [Consulte le 12 août 2019].
Visité dansée au musée des beaux-arts de Nancy, Cie La Brèche Aurélie Gandit.
Disponible sur: https://vimeo.com/19248064
70
ANNEXES
Annexe 1 : Tableaux ayant fait l’objet de médiation au Musée des Beaux-arts 73
71
Annexe 1 : Tableaux ayant fait l’objet de la médiation « Rituels dansés »
réalisée au Musée des Beaux-arts de Lyon
72
Tableau 4 : Champs de blé
dans le Morvan, (1842), de
Jean-Baptiste Camille
Corot.
Source :http://www.mba-
lyon.fr/static/mba/contenu/
img/Collections%20en
%20mvt/Champs-Morvan-
detail.jpg
73
Annexe 2 : Photographies de la médiation à l’Institut d’Art Contemporain
de Villeurbanne
Figure 1 : Expérimentation seule avec le Figure 2 : Expérimentation avec l’autre,
tissu, « Visite expérience : posture(s) à « Visite expérience : posture(s) à
l’œuvre », Source : IAC l’œuvre » Source : IAC
Figure 3 : « Visite expérience : posture(s) à Figure 4 : « Visite expérience : posture(s) à
l’œuvre dans l’exposition Radio/ Tomorrow’s l’œuvre dans l’exposition Radio/ Tomorrow’s
Sculture de Katinga Bock». Source : IAC Sculture de Katinga Bock». Source : IAC
Figure 5 : « Visite expérience : posture(s) à Figure 6 : « Visite expérience : posture(s) à
l’œuvre dans l’exposition Radio/ Tomorrow’s l’œuvre dans l’exposition Radio/ Tomorrow’s
Sculture de Katinga Bock». Source : IAC Sculture de Katinga Bock». Source : IAC
74
Annexe 3 : Planning d’activités du Mucem lors du stage
DATE HORAIRE OBJETS D'OBSERVATION REMARQUES
S
PREMIERE CAMPAGNE D’OBSERVATION
Vendredi 29 14h - 23h Exposition – Forum
Mars
Samedi 30 15h - 23h Programmation des étudiants
Mars
Dimanche 31 12h - 20h Programmation des étudiants
Mars
Lundi 1er Avril 12h - 20h Visite scolaire – Exposition
Mardi 2 Avril PAUSE
Mercredi 3
PAUSE
Avril
Jeudi 4 Avril 9h - 18h Visite scolaire – Exposition
Vendredi 5 9h - 18h Visite scolaire – Exposition
Avril
Samedi 6 Avril 14h - 18h Salle de chauffe – Forum
Dimanche 7 12h - 18h Exposition – Forum Premier dimanche du mois : entrée
Avril du musée gratuite
Lundi 8 Avril Début des vacances scolaires pour
PAUSE la zone de Marseille
Mardi 9 Avril PAUSE
Mercredi 10 9h - 18h « On danse en famille » (de 15h à
Avril 16h30) – Exposition
Jeudi 11 Avril 9h - 18h Visite atelier « On danse en famille »
(de 15h à 16h30) – Exposition
Vendredi 12 9h - 18h Visite atelier « On danse en famille »
Avril (de 15h à 16h30) – Exposition
Samedi 13 14h - 18h Salle de chauffe – Exposition – Forum
Avril
DEUXIÈME CAMPAGNE D’OBSERVATION
Jeudi 18 Avril 9h - 18h Exposition
Vendredi 19 9h - 18h Visite atelier « On danse en famille »
Avril
Samedi 20 14h - 18h Salle de chauffe – Exposition
Avril
Dimanche 21 14h - 18h Salle de chauffe Week end de Pâques
Avril
TROISIEME CAMPAGNE D’OBSERVATION
Samedi 11 Mai Représentation Ballet National de
Marseille – Projet Emmaüs
Dimanche 12 12h - 18h Salle de chauffe – Exposition
Mai
Lundi 13 Mai PAUSE
Mardi 14 Mai PAUSE
Mercredi 15 Séance ajustement nuit des musées
Mai
Jeudi 16 Mai
Vendredi 17 Répétition Bar masqué au MuCEM
Mai
Samedi 18 Mai Nuit des musées et restitution de Bar
75
masqué – Exposition et forum
76
Annexes 4 : Tableau récapitulatif des observations réalisées au Mucem
Nb de
nb Type d'outils de Matériel Départements
visite Prix
d'obs médiation utilisé /institutions
urs
Publics
En visites autonomes
450
Expositi Moquette/écran/ Commissaire/ Prix du
6 Texte/espace par
on objets scénographe billet
jour
pas de
Médina Écran/ Département de
6 Vidéo/texte/internet donné Gratuit
-thèque canapé/Photomaton communication
es
Programmation 30-80
Salle de Tapis/lumière/
4 Danseur culturelle/commiss par Gratuit
chauffe musique
aire jour
En visites-atelier
9 dont 20/25 14€/
On 3 Foulard/
familial
Guide Ponts des arts par 9,5€
danse ? tablette/carte/geste
es visite /4,5€
La
danse Tablette/
12/20 14€/
très écouteurs/questions
3 Guide Ponts des arts par 9,5€
peu (pour interagir avec le
visite /4,5€
pour groupe)
moi
Les projets
Département du
développement
culturel et des
publics (chargée de
Spectacles, boîte de
médiation
danse, concerts,
Danses 1 événementielle du
Spectacle/vidéo/ performances 2176 /
de (30 pôle Gratuit
expérience (partenariat ScPo- 839
mars mars) développement
master 1 projet
culturel et chargée
culturel)
des familles et des
jeunes du pôle de
diversification des
publics)
Mix- 2 Spectacle/vidéo Danse et vidéo (en Département du Non Gratuit
rens-
danse (9 et partenariat avec la développement
eigné
26 compagnie de danse culturel et des
mai) Zouze (Chritophe publics (chargée
Haleb). Participations des publics du
du Centre Social Saint- champs social et du
Gabriel, l'IRSAM Arc- handicap du pôle
en-ciel, Aix-Marseille de diversification
Université, Le club des publics)
77
senior et le CCAS St
Victor; la Maison pour
Tous Centre Social
Saint-Mauront
National et le lycée
Saint- Charles
Salle de spectacle
Nuit 1 (participations du Non
Chargée du publics
des (18 Spectacle Ballet Nacional, rens- Gratuit
scolaire eigné
musée mai) étudiants lycée Thiers
et Emaüs)
Les
agents
de 3 Regard/parole Onet sécurité / /
sécurit
é
Les Objet
média- 6 Mediateur.trice chorégraphique/parole MUSEA / /
teurs /papier
Outils pédagogiques
78
Annexes 5 : Dessins de l’exposition On danse ? par Emmanuel Prost
Figure 7 : Dessin de l’entrée de l’exposition On danse ? au Mucem, par Emmanuel Prost, le 16 Mai
2019. Source : archive personnelle.
Figure 8 : Dessin de l’exposition On danse ? au Mucem, par Emmanuel Prost, le 16 Mai 2019.
Source : archive personnelle.
79
Figure 9 : Dessin d’exposition On danse ? au Mucem, Balançoire, fait par Emmanuelle Prost le 16
Mai 2019. Source : archive personnelle.
80
Annexe 6 : Liste de links d’accès aux vidéos
« Salle de chauffe, Exposition On danse ?, Mucem, 18 mai 2019 »:
https://youtu.be/7S9jGLIS4aQ
81