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C H A N T E Z
M A I N T E N A N T !
CHANSONS D’ENFANCE,
DEUX SIÈCLES
D’UN PATRIMOINE VIVANT
Sous la direction d’Anne Damon-Guillot
et Emmanuelle Macaigne
EXPOSITION AU MUNAÉ
JUIN 2022-MARS 2023
ÉCLAIRER
Sommaire
03 Édito Portfolio
L A MÈRE MICHEL
32
Concept DANS TOUS SES ÉTATS
04 LES CHANSONS D’ENFANCE
40 LA RADIO SCOLAIRE
Articles
42 UNE POULE SUR UN MUR :
06 À LA CROISÉE DES CULTURES, LA COMPTINE DES COMPTINES
LA CHANSON DES JOUJOUX
14 C HANSONS ET IMAGES
POUR LES PETITS
22 EDMÉE ET PAUL ARMA
B OUTS D’FICELLE
28
ET RITOURNELLES
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et d’extraits sonores inédits.
Les chansons
d’enfance
Objets, circulation
et mémoire collective
Emmanuelle Macaigne et Anne Damon-Guillot,
coordinatrices scientifiques du présent ouvrage,
respectivement responsable du département Conservation du Munaé, et enseignante-chercheuse
à l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne, département de musicologie, unité de recherche Eccla.
À la croisée
des cultures
La Chanson des joujoux, 1890
Michel Manson,
historien des objets culturels de l’enfance, professeur émérite de l’université Paris 13,
département des sciences de l’éducation
la Sacem, la société des auteurs fondée en 1851, et illustrateurs, et, dans ce vivier artistique, des
corollairement à l’essor du café-concert : « La liens se nouent entre ces différentes sphères artis-
chanson entre dans la sphère marchande où les tiques et culturelles.
enjeux économiques deviennent aussi importants
que les critères artistiques ou politiques 2. » Jules Léopold Dauphin (1847-1925) et Claudius Blanc
Jouy et Alphonse Allais peuvent ainsi commencer (1854-1900) ont également fréquenté Le Chat noir.
à vivre de leurs œuvres. Le cabaret de Rodolphe Le 6 janvier 1893, ils y présentent Sainte Geneviève
Salis accueille chansonniers, musiciens, peintres de Paris. Mystère en quatre parties et douze
tableaux, publié par Heugel & Cie la même année.
2. Martin Pénet, « Café-concert et music-hall », in Christian Delporte, Mais les deux musiciens avaient déjà collaboré
Jean-Yves Mollier, Jean-François Sirinelli (dir.), Dictionnaire
d’histoire culturelle de la France contemporaine, Paris, PUF, 2010, avant cette date, et même avant leur réunion
p. 128-132. autour de La Chanson des joujoux (1890). Dès 1887,
3. Elles paraissent en volume sous le titre Raisins bleus et gris, avec 5. Les citations de Léopold Dauphin sont extraites de lettres
un « avant-titre » de Stéphane Mallarmé, Paris, Léon Vanier, 1897. figurant dans une vente de manuscrits du 26 mai 2011, site
4. I Miei Fantoccj [Petites Suites d’orchestre]. Monsieur Polichinelle de la maison ADER, www.ader-paris.fr (consulté le 20/11/2021).
en voyage, partition piano, avec un sonnet de Paul Arène, op. 58, 6. Véronique Fau-Vicenti, notice « Steinlen Théophile Alexandre »,
E. et A. Girod. Le Maitron [En ligne], https://maitron.fr (consulté le 19/11/2021).
gravés par Michelet – qui gravera aussi La Chanson Si Léopold Dauphin a pu relier Jules Jouy à l’éditeur
des joujoux. Albert Quantin innove également dans Heugel et au thème des jouets, les illustrateurs
l’imagerie pour enfants en utilisant des dessina- Théophile Alexandre Steinlen et Charles Clérice ont
teurs de presse. Il emploie ainsi soixante-dix-sept pu mettre Jules Jouy en relation avec la Maison
artistes, dont Théophile Alexandre Steinlen, qui Quantin qui édite des chansons enfantines. Mais
travaille pour lui de 1886 à 1890 : « […] nombre des la véritable nouveauté pour Jules Jouy, c’est le
thèmes et des techniques narratives de ses débuts, thème des jouets. Voyons comment il a observé et
expérimentés pour la première fois dans la revue décrit la culture ludique des enfants et comment
du Chat noir […] se retrouvent dans ses planches Adrien Marie a représenté les jouets des chansons.
enfantines 10. » L’éditeur d’imagerie Charles Pellerin
(1827-1887) ripostera en utilisant souvent les mêmes
dessinateurs, dont Steinlen et d’autres grands noms Jouets et culturE
comme Benjamin Rabier, Job, Caran d’Ache, Falco 11. ludique
Pourtant, c’est Adrien Marie (1848-1891) qui va illus- Quels sont les jouets que Jules Jouy met en
trer La Chanson des joujoux. Il a déjà travaillé pour scène dans les vingt chansons de l’album ? Cinq
la Maison Quantin, illustrant un album en 1885 et titres n’évoquent pas directement des jouets ;
un livre de René Vallery-Radot en 1887. Mais sur- ils convoquent Noël, le jardinage, la chasse, la
tout, il s’agit d’un grand nom de l’illustration. Il tour Eiffel et le « dernier joujou » qui fait réfé-
a illustré des œuvres littéraires de Victor Hugo, rence à un fusil – pour aller faire une guerre bien
Alphonse Daudet, Jules Verne, et il a été un illus- réelle. Ensuite, les poupées, les poupards (pou-
trateur prolifique de la presse française et londo- pées bébés sans bras ni jambes, emmaillotées,
nienne. Marié à la fille d’Émile Bayard, il illustre des destinées à être transportées ou bercées), les
livres pour enfants chez Hachette et des albums et ménages (ou dînettes), les pantins, les polichi-
livres pour Hetzel. nelles ont droit à une chanson, de même que les
soldats de plomb, les chevaux de bois, les petits
lapins mécaniques, la bergerie, les ballons, le cerf-
10. Dossier de presse de l’exposition « Aux origines de la bande volant, les toupies et sabots, le jeu de patience
dessinée : l’imagerie populaire », musée de l’Image d’Épinal,
26 juin 2021-2 janvier 2022, sur le site
et la lanterne magique. Le mot « joujou », enfan-
https://museedelimage.fr < Archives < Les expositions… tin, apparaît huit fois et le mot « jouet » une seule
11. Francis Marcoin, op. cit., p. 810. fois. Au total, Jules Jouy cite une trentaine de
croisée des cultures, à un moment d’enrichis- romans populaires Pierre Lafitte à la fin du xixe et
sement réciproque des univers artistiques – du au début du xxe siècle. Dans cette collection,
cabaret à la musique dite « savante » et aux nou- on trouve des livres qui transforment des chan-
veaux domaines de l’enfance. Par une pirouette sons enfantines en romans : La Mère Michel,
du destin, une résurgence va se produire. La fille Cadet Rousselle, Compère Guilleri, Giroflé Girofla.
de Léopold Dauphin, Marie-Madeleine, épouse en Certains sont illustrés par Guydo (1868-1930), le
1899 Maurice Étienne Legrand, dit Franc-Nohain pseudonyme que le baron Joseph Robert Guillaume
(1872-1934), journaliste, écrivain, poète, fabuliste Le Barrois d’Orgeval a adopté en 1888. Dessinateur
et librettiste. Elle est illustratrice pour enfants et de presse humoristique, affichiste, il a aussi fourni
son mari va diriger une collection pour la jeunesse, des dessins à la revue Le Chat noir. Autour du livre
« Lilliput Bibliothèque », publiée par l’éditeur de pour enfants, la croisée des cultures se poursuit…
Chansons et images
pour les petits
Le livre de chansons
dans l’entre-deux-guerres
Cécile Pichon-Bonin,
historienne de l’art et de la culture visuelle enfantine soviétiques,
chargée de recherche au CNRS (LIR3S), chercheuse associée au Cercec
BIBLIOGRAPHIE
Alten Michèle, « Un siècle d’enseignement musical à l’école primaire », Vingtième
Siècle, revue d’histoire, n° 55, 1997, p. 3-15 [En ligne : https://doi.org/10.3406/
xxs.1997.3659].
Manson Michel, « Les chansons pour enfants deviennent des livres : du folklore à
l’album de comptines », in Sylvie Rayna, Chloé Séguret, Céline Touchard (dir.), Lire
en chantant des albums de comptines, Érès, Toulouse, 2015, p. 135-156.
Renonciat Annie, Les livres d’enfance et de jeunesse en France dans les années
vingt (1919-1931) : années charnières, années pionnières, thèse de doctorat, sous
la direction d’Anne-Marie Christin, Université Paris 7, 1997.
Šubrtová Milena, « La chanson dans la littérature tchèque pour les enfants et les
jeunes », in Florence Gaiotti, Éléonore Hamaide-Jager (dir.), La Chanson dans la
littérature d’enfance et de jeunesse, Arras, Artois Presse Université, 2020, p. 121-136.
« Rien n’est plus jeune qu’une vieille chanson »… Jean Zay, Robert Jardillier ou encore Darius Milhaud.
C’est ainsi que commencent la plupart des recueils Le siège social est alors situé dans les bureaux de la
de chants d’Edmée et Paul Arma. D’origine hon- Ligue de l’enseignement. À la première réunion de
groise, Paul Arma est né en 1904 à Budapest sous le l’association, organisée le 10 février 1937 au Musée
nom d’Imre Weisshaus, dans une famille juive. Après Social, rue Las Cazes à Paris, Darius Milhaud, com-
avoir subi le pillage de ses premières compositions positeur français du Groupe des Six, est nommé
et le harcèlement des nazis qui faillit lui coûter la vie, président d’honneur et Paul Arma directeur musi-
il fuit l’Allemagne et gagne la France en 1933. Il conti- cal. Cette association a principalement une visée
nue son activité de compositeur, de pianiste mais sociale : les fondateurs souhaitent apporter à la
aussi de chef de chœur. Il dirige notamment la cho- jeunesse populaire une instruction musicale par le
rale juive de Paris, la chorale hongroise, la chorale chant choral, la pratique instrumentale ou encore
de Noirs américains et plusieurs chorales d’enfants, l’accès à des lieux comme des bibliothèques musi-
dont celle du patronage laïque de La Bellevilloise. cales ou des discothèques. Leur ambition va plus
Dans ses Mémoires à deux voix écrits avec Edmée, loin encore, selon un article du 22 janvier 1937
inédits à ce jour, il se rappellera qu’il « était capable consacré à l’association dans le quotidien L’Œuvre :
d’être un enfant parmi les enfants ». À partir de 1937, « […] le rapprochement, sous le signe de la musique
il crée l’association des Loisirs musicaux de la jeu- universelle, de tous les jeunes épris de liberté et de
nesse (LMJ). C’est dans le cadre de ce mouvement fraternité […]. »
qu’il rencontre en 1939 une jeune institutrice, Edmée
Louin, née en 1913. Passionnés tous deux par les tra- Cet objectif devra être réalisé autour des chansons
ditions musicales des peuples du monde, ils collec- traditionnelles et des œuvres musicales écrites pour
teront, harmoniseront, illustreront et publieront de la jeunesse. Et c’est tout le travail qui revient à Paul
nombreux recueils de chants et de danses pour les et Edmée Arma, de recueillir, collecter, harmoniser
enfants et les jeunes. et éditer « des chants du peuple pour le peuple ».
concerts, dans des émissions de radio, et ils enre- petits ensembles instrumentaux et vocaux. C’est ainsi
gistrent même deux disques de chants traditionnels que l’un des premiers quatuors français de flûtes à bec
sous le label La Voix de son maître. Des groupes sera créé. Celui-ci permettra de restaurer et populari-
locaux se forment par la suite dans les arrondis- ser l’instrument auprès des jeunes ajistes (membres
sements de Paris ; des chorales d’enfants voient du mouvement des Auberges de jeunesse).
également le jour : ainsi, les Petits Chanteurs de la
liberté participent également très vite à de nom- En 1937, les LMJ éditent un carnet de dix chansons
breuses manifestations artistiques. intitulé Chantons au vent et destiné à aider ces
jeunes chanteurs à se souvenir des paroles, de la
Les LMJ organisent aussi des formations pour des mélodie, du refrain ou du rythme élancé pour mar-
moniteurs de chant, des conférences musicales com- cher : « Chantez seuls, chantez en chœur, en tout
mentées par le compositeur Jean Wiéner et créent de temps et en tout lieu. »
Bouts d’ficelle
et Ritournelles
Les cahiers de collecte
du folklore enfantin
des années 1930 mis en sons
Anne Damon-Guillot,
enseignante-chercheuse à l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne,
département de musicologie, unité de recherche Eccla
La fiction musicale Bouts d’ficelle et Ritournelles, créée réunit les chantres de l’Éducation nouvelle (comme
spécialement pour l’exposition par les étudiants du Jean Baucomont, inspecteur de l’Enseignement
master Musique et musicologie de l’université de Saint- primaire) qui placent alors l’enfant, et non plus les
Étienne, sous la direction de Péroline Barbet et Anne savoirs, au centre de l’action éducative. Il est en
Damon-Guillot, peut être écoutée sur le site M/Ondes : même temps porté par des compositeurs (comme le
http://peroline-barbet.com/bouts-dficellesritournelles directeur de la Schola Cantorum Vincent d’Indy), qui
associent à la « saine simplicité du folklore » celle du
Quand j’ai découvert aux Archives nationales le fonds peuple. Le projet se veut scientifique enfin : avec le
de l’enquête-concours menée en 1931 et 1932 sur le folkloriste et ethnographe Arnold Van Gennep, Alice
folklore enfantin (communément appelé le « fonds Coirault, inspectrice générale des Écoles mater-
Baucomont », du nom de celui qui a coordonné la col- nelles et épouse de Patrice Coirault, spécialiste
lecte), j’ai immédiatement été saisie par la richesse de la chanson traditionnelle française, ou encore
du patrimoine sonore qu’il révèle et par sa dimension Paul Rivet, professeur de la chaire d’anthropologie
sensible. En effet, ces quelque 10 000 feuillets soi- du Muséum national d’histoire naturelle, il inscrit
gneusement rédigés par les institutrices et institu- l’enfance dans des questions ethnographiques et
teurs comprennent non seulement des devinettes, anthropologiques. En effet, les entreprises précé-
des chansons, des rondes et des jeux – dont les dentes autour du folklore enfantin – Eugène Rolland
enseignants ont tenté de reproduire les mélodies et ses Rimes et jeux de l’enfance parus en 1883, par
et les prononciations – mais aussi leurs remarques, exemple – ne contextualisaient pas les collectes ni
mi-agacées, mi-attendries, face à leurs élèves et ne livraient de véritables analyses.
en miroir de leurs propres souvenirs d’enfants.
Avec les étudiants du master Musique et musicolo-
En 1931, Le Manuel général de l’instruction primaire, gie de l’université de Saint-Étienne, accompagnés
« journal officiel » du ministère de l’Instruction par la documentariste Péroline Barbet, nous avons
publique de l’époque, sollicitait les institutrices et tenté de rendre audible cette polyphonie de voix
instituteurs de France pour collecter le « folklore qui émanait des cahiers jaunis des années 1930.
enfantin tout entier ». Entreprise aussi ambitieuse Il en résulte une création sonore intitulée Bouts
qu’utopiste, caractéristique des volontés holistiques d’ficelle et Ritournelles, entre documentaire histo-
du folklorisme. Ce projet toutefois avant-gardiste rique et fiction, qui propose une approche sensible
La Mère Michel
dans tous ses états
La Mère Michel est représentative de ces chansons issues du patrimoine oral qui se situent à la croisée des
cultures populaire, savante, adulte et enfantine. Au xixe siècle, l’action des folkloristes, éducateurs et édi-
teurs pour la jeunesse va contribuer à l’inscrire définitivement dans le répertoire de l’enfance. La richesse
des iconographies, des supports et des sphères dans lesquels se déploie la chanson trouve son écho dans
une même variété musicale.
Ces deux « fantaisies » des années 1860 destinées à des spectacles de projection
lumineuse inscrivent la chanson dans le champ du divertissement humoristique.
L’histoire est résumée en cinq images seulement. L’univers populaire, la cocasserie,
voire la caricature, sont déjà présents.
1. Fantaisie n° 1, C’est la Mère Michel qui a perdu son chat, vue sur verre, v. 1860.
[Inv. 1979.18216.1]
2. Fantaisie n° 2, Il est dans un grenier, vue sur verre, v. 1860. [Inv. 1979.18216.2]
1
3
Les planches d’imagerie populaire diffusent largement la chanson au xixe siècle, autour de multiples variations.
L’éditeur de Metz propose « la véritable histoire de la Mère Michel », celle de la vengeance de Lustucru dédaigné
par une jeune femme qui allait épouser le Père Michel. L’Imagerie d’Épinal met l’accent sur la truculence
des personnages : une vieille femme en haillons et avinée agrippe un Père Lustucru ensanglanté ; un chat est même
cloué au billot par un couteau. Une autre planche, du même éditeur, convoque plus de personnages : le boulanger
ou M. Rabat-Joie, le commissaire, le marchand de vin et le voisin Grégoire qui provoque Lustucru en duel et épouse
la Mère Michel. La référence à l’univers guignolesque est d’ailleurs particulièrement marquée dans l’Imagerie
de Nancy. On remarque que les planches à image unique présentent souvent la même scène : la Mère Michel
à la fenêtre, le Père Lustucru en cuisinier – avec un couteau plus ou moins ensanglanté – et le chat, plus ou moins
mort. L’imagerie populaire produit en effet des variantes destinées aux plus jeunes, moins sanglantes et moins
cruelles pour les animaux.
1. Imagerie d’Épinal, Le Chat de la Mère Michel, Pellerin, v. 1880. Bois de fil colorié au pochoir. [Inv. 1979.19126]
2. Imagerie de Metz, Véritable Histoire de la Mère Michel et de son chat (chanson illustrée), Thomas et Roy, v. 1863.
Chromotypographie. [Inv. 1979.23738]
1 2
1. La Mère Michel,
couverture de cahier,
v. 1890. [Inv. 2015.8.2562]
2. Nouvelles Devinettes,
« Cherchez le chat
de la Mère Michel »,
Pont-à-Mousson,
Marcel Vagné, v. 1900.
Couverture de cahier
(22,8 cm x 17,4 cm
détail). [Inv.
1979.28688.11]
1 2
3. Tavail d’élève (L. Marchand), C’est la Mère Michel qui a perdu son
chat, cours complémentaire de l’école de jeunes filles, rue de Patay,
Paris, v. 1940, gouache sur feuille Canson. [Inv. 1979.09380.2]
Jusqu’aux années 1950 au moins, la chanson de La Mère Michel est diffusée à l’école primaire
comme maternelle. Ici, elle est identifiée sur une affiche scolaire des années 1920 et sur
un film fixe.
1. La Mère Michel, v. 1920. Frise imprimée en couleur (26,5 cm x 68,7 cm). [Inv. 2010.05952.3]
2. La Mère Michel, Collection des écoles maternelles et des classes enfantines, série
« Vieilles chansons françaises », n° 6621, Paris, Éditions nouvelles pour l’enseignement,
v. 1950. Film imprimé sur pellicule Kodak, 30 vues sous-titrées. [Inv. 1989.00761.8]
EN COMPLÉMENT
Anne Damon-Guillot et les étudiants en musicologie de l’université de Saint-
Étienne ont réalisé une bande sonore à partir de douze versions de La Mère
Michel, à retrouver dans l’exposition ou sur reseau-canope.fr, à la page consacrée
au présent catalogue.
La radio scolaire
La première radio scolaire émet en Grande-Bretagne, en 1927. En France, une première expérimenta-
tion est lancée en 1929 dans le protectorat français du Maroc. En 1930, la Ligue de radiophonie scolaire
est créée et des initiatives locales s’organisent. Durant les étés 1935 et 1936, le poste de la tour Eiffel
diffuse des « cours de vacances par TSF » pour les candidats à la session d’octobre du baccalauréat.
En 1937, Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts, généralise cette expérience.
Pendant la guerre, des émissions sont confiées au Service d’enseignement par correspondance et,
à la Libération, à la Radiodiffusion française. Enfin, à la rentrée 1951-1952, le service de la Radio-
télévision scolaire (RTS) 1 est créé.
1. Pour aller plus loin : Thierry Lefebvre, « À la recherche de la radio scolaire. Une patrimonialisation en cours »,
Sociétés & Représentations, n° 35, 2013, p. 109-116. (En ligne : https://doi.org/10.3917/sr.035.0109)
Les émissions de la RTS constituent des supports En 1964, 142 chants ont été enregistrés, pour un audi-
pédagogiques diffusés en classe, autour d’un poste toire estimé à deux millions d’élèves. L’apprentissage
de radio, selon un programme national et une grille d’un chant est souvent réparti sur trois émissions,
horaire de diffusion fixe. Si l’apprentissage des structurées chacune de manière identique : présen-
langues et de la musique est d’abord favorisé, tation des participants, échauffement de la voix, puis
toutes les disciplines sont peu à peu abordées et pas à pas, émaillé de conseils, faisant progressive-
la forme des émissions se diversifie : cours, repor- ment apprendre le chant par parties, écoutées puis
tages, débats, entretiens, magazines, radiovision reproduites. Des émissions trimestrielles de révi-
à partir de diapositives. Le dispositif atteint son sion sont également proposées. Les émissions sont
apogée entre 1964 et 1976. Durant cette période, de préparées et animées par Jean Ruault, qui assure
15 à 21 heures d’émissions sont diffusées chaque aussi les harmonisations ; elles sont enregistrées
semaine sur France Culture et France Inter. Ce patri- en studio, avec un chœur constitué d’élèves de 7 à
moine radiophonique, produit de 1955 à 1992 par 14 ans, sans compétences musicales particulières.
le ministère de l’Éducation nationale, rassemble Un soliste peut également compléter l’équipe. Dans
12 000 bandes conservées par les Archives audiovi- les années 1970, la classe préparatoire de la Maîtrise
suelles de Réseau Canopé. de Radio France est sollicitée, sous la direction de
Jacques Jouineau et Roger Calmel.
D’octobre 1953 à juin 1972, les émissions de chant
sont produites par Jean Ruault, professeur d’édu- Les leçons radiophoniques sont bientôt complétées
cation musicale dans les écoles parisiennes et à par des brochures mises en vente pour les écoles.
l’École normale d’instituteurs, et sa femme Solange. Ces ressources se déclinent par niveau scolaire. Elles
En 1964, interviewé à l’occasion de la 1 000e émis- présentent d’abord les chants déjà diffusés, puis les
sion 2, il explique que, en 1953, ces émissions avaient chants et récitations qui feront l’objet d’un apprentis-
été pensées, pour l’enseignement par correspon- sage dans l’année, et sont très vite agrémentées de
dance et pour les malades, avant d’être rapidement disques vinyles. Ces recueils sont édités par les orga-
utilisées dans les écoles pour pallier le manque de nismes dont dépend la RTS ou bien, en étroite collabo-
professeurs spécialisés. Leur objectif était de faire ration avec elle, par des éditeurs scolaires – comme
aimer la « bonne musique ». Nathan pour Chants et Récitations, ou Hachette pour
Chant et Poésie. Les plus jeunes apprennent plutôt
2. Institut pédagogique national (France), Bulletin de la Radio-télévision des chants populaires, tandis que les plus grands
scolaire du 10 au 18 avril 1964. s’exercent à partir du répertoire savant.
1. Une poule sur un mur, transcription par Anne Damon-Guillot, in Michèle Garabédian, Magdeleine Lerasle, Françoise Pétreault,
Les Plus Belles Comptines des p’tits lascars (3-6 ans), Paris, Didier jeunesse, 2007.
2. Discoflex-Baby n° 61 : Une poule sur un mur, disque 78 tours en carton plastifié illustré en couleur sur les deux faces, vers 1930.
[Inv. 2016.89.25]. Version interprétée par les chanteurs de l’Opéra-Comique Marcelle Bordas et René Hérent, arrangée par Pierre Blois.
120 petits (ci-dessus). Il fait cette citation comme qu’héroïne de la chanson, en tant que référence
en passant ; les enfants (« les petits ») rencontrent patrimoniale… ce qui amène les enfants à chanter.
en effet une poule sur le chemin du retour vers Représentée sous les traits d’une diva de cabaret,
leur maison, alors qu’elle n’est pas un personnage d’une femme à barbe de cirque, la poule de Claude
du récit. La chanson est évoquée avec l’article Ponti devient pleinement « la poule sur un mur »
défini (« la poule de la chanson »), car il s’agit de puisqu’elle « lève la queue et puis s’en va » quand
celle que tout le monde connaît – pas besoin de les enfants lui chantent sa chanson. Il revient ainsi
« Picoti, Picota », ni du texte complet et ordonné aux enfants le rôle de transmettre et de faire vivre
pour l’identifier. Toutefois, la poule s’ignore en tant un répertoire.
Une poule sur un mur peut être chantée comme une La vitalité de la comptine Une poule sur un mur
formulette d’élimination, mais elle peut aussi devenir doit sans doute à la diversité de ses modalités de
une ronde, comme le montre la peinture d’élève issue circulation, au croisement du livre et de l’oralité.
du fonds Jouclard ci-dessus. Elle est souvent inter- De plus, sa simplicité et son économie de moyens
prétée comme une « enfantine », pour reprendre le lui donnent un grand pouvoir d’évocation qui, tout
terme proposé par Marie-Claire Bruley et Lya Tourn 3, comme le jeu sonore qu’elle implique, suscitent
c’est-à-dire prononcée par un adulte pour un enfant ensemble une adhésion de l’enfant 5. Enfin, comp-
très jeune. Elle présente alors un intérêt « au niveau tine, ronde ou enfantine, Une poule sur un mur
du jeu des rythmes et des sonorités, mais aussi de la habite l’espace ludique de manières variées, qui
gestuelle délicate (les “picoti-picota” à faire dans la sont autant d’occasions de revivifier son existence.
main de l’enfant) 4 » associée à la toute petite enfance.
COMMISSARIAT D’EXPOSITION Cécile Pichon-Bonin, historienne de l’art et Un enregistrement de plusieurs pièces tirées
de la culture visuelle enfantine soviétiques, du Panorama de la méthode de Plain-chant
Commissaire scientifique chargée de recherche au CNRS (LIR3S), cher- de l’abbé Magnat a été réalisé par Volny
Anne Damon-Guillot, enseignante-chercheuse cheuse associée au Cercec. Hostiou au serpent, accompagné de la classe
à l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne, CHAM du Conservatoire à rayonnement régio-
département de musicologie, unité de recher Laurent Trémel, ingénieur de recherche, char- nal de Rouen, sous la direction de Pascal
che Eccla. gé de mission au Munaé, docteur en sociolo- Hellot, et de Patrice Latour (carillonneur).
gie, membre associé du Cirnef (université de
Commissaire générale Rouen-Normandie). Nous voudrions particulièrement remercier
Emmanuelle Macaigne, responsable du dépar les artistes qui ont généreusement accep-
tement Conservation, Munaé. Clara Wartelle Sakamoto, docteure de l’Ins- té que des extraits de leur œuvre soient
titut national des langues et civilisations présentés : Lise Borel, Bruno Fontaine et
Avec les contributions particulières d’Aude orientales (Inalco), spécialiste des chants Yvan Pommaux ; les prêteurs (Robin Arma,
Gérard, chargée de mission Arts et culture, pour enfants au Japon au début du xxe siècle, Archives nationales, Bibliothèque de l’Heure
délégation aux arts et à la culture à Réseau enseignante de japonais à l’Inalco et cher- joyeuse (Ville de Paris) et Bibliothèque Dide-
Canopé, et de Béatrice Allais, Emily Busato et cheuse associée à la Bibliothèque nationale rot de Lyon (ENS) ; les institutions qui ont
Kristell Gilbert (Munaé). de France. mis à disposition images et enregistrements
Les créations sonores Chants de l’enfance, Le (BnF, INA, Musée Carnavalet, Mucem, Musée
Comité scientifique Temps des berceuses et la création originale du Louvre, RMN) ; ainsi que nos partenaires,
Déborah Livet, docteure en histoire de la Bouts d’ficelle et Ritournelles sont l’œuvre de à commencer par l’université Jean-Monnet
musi
que et musicologie, chargée d’ensei Péroline Barbet, en collaboration, pour cette de Saint-Étienne et son laboratoire Eccla, et
gnement à l’université de Rouen-Normandie, troisième pièce, avec Anne Damon-Guillot et aussi : ministère de l’Éducation nationale, de
chercheuse associée à Histemé. les étudiants de musicologie de l’université la Jeunesse et des Sports, rectorat et DAAC
de Saint-Étienne. de Normandie, VO!X Radio France, Sacem,
Frédéric Maizières, maître de conférences en INA, l’école des loisirs, Académie musicale de
sciences de la musique, université Toulouse 2. Ces derniers ont également réalisé un enre Villecroze…
gistrement de 12 versions de La Mère Michel.
Michel Manson, historien des objets culturels La scénographie et l’identité visuelle de l’expo-
de l’enfance, professeur émérite de l’univer- sition ont été confiées à l’agence Soplo.
sité Paris 13, département des sciences de
l’éducation.
SOMMAIRE
Cette exposition bénéficie de la participation du
laboratoire ECCLA (Études du Contemporain en
Littératures, Langues, Arts) et du département de
Musicologie (Faculté Arts, Lettres, Langues) de
l’UJM. Elle reçoit le soutien du projet ARTS (Arts,
Recherche, Territoires, Savoirs).
UNIVERSITÉ
JEAN MONNET
SAINT-ÉTIENNE
Rassemblant 20 000 étudiants et plus de 900
enseignants et enseignants-chercheurs, l’UJM
propose 4 grands domaines d’enseignement sur
5 campus dotés d’un cadre de vie étudiante riche
et dynamique : Arts, Lettres, Langues / Sciences
humaines et sociales / Droit, Économie, Gestion /
Sciences, Technologies, Santé. L’Université
mène une politique ambitieuse de soutien et
d’incitation pour le développement de la recherche
et des activités de transfert et de valorisation.
www.univ-st-etienne.fr