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E H B I E N

C H A N T E Z
M A I N T E N A N T !
CHANSONS D’ENFANCE,
DEUX SIÈCLES
D’UN PATRIMOINE VIVANT
Sous la direction d’Anne Damon-Guillot
et Emmanuelle Macaigne

EXPOSITION AU MUNAÉ
JUIN 2022-MARS 2023

ÉCLAIRER
Sommaire

03 Édito Portfolio
L A MÈRE MICHEL
32 
Concept DANS TOUS SES ÉTATS
04 LES CHANSONS D’ENFANCE
40 LA RADIO SCOLAIRE
Articles
42 UNE POULE SUR UN MUR :
06 À LA CROISÉE DES CULTURES, LA COMPTINE DES COMPTINES
LA CHANSON DES JOUJOUX
14 C HANSONS ET IMAGES
POUR LES PETITS
22 EDMÉE ET PAUL ARMA

B OUTS D’FICELLE
28 
ET RITOURNELLES

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et d’extraits sonores inédits.

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pour La Chicorée bleu-argent, autorisation de l’éditeur ou du Centre
Arlatte & Cie, Cambrai, vers 1900. français de l’exploitation du droit de
Chromolithographie (11,2 cm x 7,5 cm) copie (20, rue des Grands-Augustins,
– (inv. n° 2018.3.114). 75006 Paris) constitueraient donc
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articles 425 et suivants du Code pénal.
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Réseau Canopé - Munaé
ÉDITO
Avec cette nouvelle exposition temporaire, le Musée national de l’Éducation
(Munaé) met la richesse de son patrimoine musical en exergue. Celui-ci
trouvera sans nul doute un écho en chacun de nous. En effet, qui n’a jamais
entendu ou fredonné les airs associés au répertoire musical destiné aux
enfants ?
Mais d’où viennent ces chansons qui nous paraissent si familières ? Com­
ment sont-elles parvenues jusqu’à nous ?
À travers un parcours visuel, sonore et interactif, l’exposition Eh bien, chantez
maintenant ! Chansons d’enfance, deux siècles d’un patrimoine vivant invite
le visiteur à comprendre comment les chansons se sont inscrites dans le
répertoire enfantin et quelles routes elles ont empruntées pour venir se fixer
dans la mémoire collective.
Ce thème inédit permet d’aborder la thématique sous différents prismes, rap-
pelant ainsi que le Munaé a pour vocation de conserver et valoriser le patri-
moine matériel et immatériel en lien avec « les éducations », au sens large. En
effet, la chanson enfantine est présente à la fois dans les différentes sphères
de l’éducation, mais aussi dans les différents temps de vie de l’enfant.
Figurant dans les apprentissages et les pratiques scolaires, où elle est vec-
trice de valeurs éducatives, la musique est aussi synonyme de divertissement
et de jeu dans le cadre familial ou dans les lieux et temps de loisirs – et l’on
note par ailleurs une porosité évidente entre toutes ces sphères éducatives.
L’exposition permet de mettre en valeur l’importante collection du Munaé :
recueils, illustrations, cahiers d’élèves, disques ou encore matériels d’écoute.
Ce sont ainsi plus de 350 objets qui sont mis en scène au long d’un parcours
chronothématique. Pour compléter le fonds existant, une importante poli-
tique d’enrichissement a été menée ces dernières années par l’équipe scien-
tifique du musée. Parmi ces nouveaux objets, un « livre à système » rare,
datant de 1900, présente une page consacrée à la chanson La Mère Michel.
Ce projet d’exposition a également été l’occasion de mener des campagnes
de restauration et de numérisation des collections. De surcroît, l’exposition
allie la valorisation d’éléments patrimoniaux, réinterrogés à l’aune de la
recherche scientifique, et la création de nouveaux objets, avec notamment
la réalisation d’une fiction musicale par Péroline Barbet et Anne Damon-
Guillot, en partenariat avec l’université de Saint-Étienne (voir « Bouts d’ficelle
et Ritournelles », p. 28).

Je tiens à remercier l’ensemble des acteurs de ce projet : Emmanuelle


Macaigne, commissaire générale, Anne Damon-Guillot, commissaire scien-
tifique, les membres du comité scientifique, les personnels du Munaé et de
Réseau Canopé ainsi que les prêteurs particuliers et institutionnels.
Je tiens tout particulièrement à souligner l’engagement de l’université Jean-
Monnet de Saint-Étienne, avec le laboratoire de recherche ECLLA (Études du
contemporain en littératures, langues, arts), le département de musicolo-
gie et l’Institut ARTS (Arts, recherche, territoires, savoirs), qui ont contribué
scientifiquement et financièrement au projet.
Enfin, j’espère que cette exposition répondra à l’une de ses ambitions : celle
de vous faire chanter !
Marie Brard,
directrice du Musée national de l’Éducation

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 3


Concept

Les chansons
d’enfance
Objets, circulation
et mémoire collective
Emmanuelle Macaigne et Anne Damon-Guillot,
coordinatrices scientifiques du présent ouvrage,
respectivement responsable du département Conservation du Munaé, et enseignante-chercheuse
à l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne, département de musicologie, unité de recherche Eccla.

L’exploration de la très abondante collection du Le parcours de l’exposition et ce catalogue reflètent


Munaé par le prisme de la musique a mis en évidence le dernier état de la recherche en histoire cultu-
la richesse des représentations illustrées des chan- relle de la chanson enfantine, fruit des travaux
sons enfantines traditionnelles, à partir du xixe siècle, pionniers et, dans le cadre de cet ouvrage, nou-
dans l’imagerie populaire et publicitaire, la littérature veaux de Michel Manson, à travers son analyse de
pour la jeunesse, les productions scolaires et divers La Chanson des joujoux, album symptomatique du
autres supports. Elle a aussi circonscrit une chrono- croisement des mondes culturels qui caracté­ rise
logie : après les années 1960, les objets se font plus la production pour enfants de la fin du xixe siècle.
rares et le répertoire se transforme considérable- Cécile Pichon-Bonin consacre un article aux conti-
ment, alimenté par une production discographique nuités et ruptures artistiques et sociétales dans
exponentielle ou par les dessins animés, marqueurs l’illustration des chansons pour la jeunesse du pre-
générationnels. Car la chanson enfantine se fait mier tiers du xxe siècle. Déborah Livet s’intéresse aux
toujours le miroir dynamique de son temps, quand mouvements de jeunesse promus dès les années
elle reprend les standards du genre en les adaptant 1930 par Paul et Edmée Arma, à travers leur réper-
à la situation politique du moment (Il était un petit toire enfantin idéal.
potache, dans les tranchées de la Première Guerre
mondiale) ou quand elle transmet des stéréotypes La place de la musique a été particulièrement réflé­
discriminants (Une négresse qui buvait du lait, enton- chie, alors que le choix muséographique de départ
née pendant toute la première moitié du xxe siècle). portait sur la mise en valeur d’expôts au fort pou-
voir visuel. Après un siècle et demi d’impressions
Notre regard croise les problématiques du patri­ diverses, une simple image (roi moqué alors qu’il
moine et de l’ethnomusicologie. Nous avons orienté s’habille, Pierrot à la porte avec une chandelle)
le propos sur la circulation d’un patrimoine qui se évoque encore aujourd’hui une chanson de l’enfance.
situe entre jeu, gestuelle et musique. Nous avons Au-delà de la seule présentation des objets tangibles
réfléchi à ses transformations et continuités, aux de la musique, nous avons intégré le sonore dans dif-
enjeux et aux modalités de la fabrication du réper- férents formats, selon les quatre axes suivants.
toire enfantin, à la multiplicité des pratiques. Quel est
le regard porté sur l’enfance à travers l’intérêt pour La création documentaire : à partir de données
ses productions sonores ? Quels discours accom-­­­ ethnographiques résultant de collectes récentes
pagnent les chants qu’on destine aux enfants ? ou anciennes, la documentariste Péroline Barbet

4 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


propose trois créations. Chants de l’enfance qui
met tout à la fois l’accent sur la diversité culturelle
des cours d’école d’aujourd’hui et sur le commun
du patrimoine chanté partagé, constitue une
introduction sonore à l’exposition ; Le temps des
berceuses nous plonge dans le monde de l’intimité
et des toutes premières relations au chant ; enfin,
la fiction musicale Bouts d’ficelle & Ritournelles,
réalisée avec les étudiants du master Musique
et musicologie de l’université de Saint-Étienne,
s’appuie sur une grande collecte institutionnelle
de folklore enfantin menée dans les années 1930.

L’interprétation musicale : à partir de partitions


conservées par le Munaé, le serpentiste Volny
Hostiou accompagne la classe CHAM du Conser–
vatoire à rayonnement régional de Rouen dans
l’exécution d’un plain-chant qui était encore ensei-
gné dans les écoles privées du primaire à la fin du
xixe siècle ; des étudiants du master Musique et
musicologie interprètent quant à eux une multi-
tude de versions de La Mère Michel dont la variété
fait écho à celle des représentations iconogra-
phiques de cette même chanson.

La diffusion de documents audiovisuels : certains


enregistrements constituent des captations d’ins-
tants de vie, même si, en tant qu’ils sont collectés Fillette donnant une leçon de chant à ses poupées : Nous n’irons
plus au bois, Paris, Ch. Fontane éd., entre 1907 et 1931.
de manière ethnographique, ils relèvent déjà du Carte postale colorisée (13,9 cm x 8,9 cm). [Inv. 1998.01616-014]
discours sur l’enfant : la roulée des œufs du lundi
de Pâques (1967), les jeux chantés dans les cours
de récréation (2014). D’autres, issus des archives valeur des ressources habituellement destinées
de l’INA, nous associent à l’enfant spectateur ou aux enseignants et éducateurs et mises à dispo-
auditeur. C’est le cas des comptines extraites des sition sur la plateforme numérique Musique Prim
émissions télévisuelles Martin Martine (1955) ou de Réseau Canopé : Les Comptines de Benjamine
Bonne Nuit les petits (1966), ou encore de l’émis- de Lise Borel et Be-bopera d’Yvan Pommaux et
sion radiophonique Comptines de Philippe Soupault, Bruno Fontaine. Dans cet espace, le visiteur pourra
dans laquelle il qualifie Une poule sur un mur de croiser textes et mélodies ou apprendre un chant
« comptine des comptines » (1958). D’anciens enre- d’une comédie musicale grâce à un pas à pas
gistrements – disques des années 1930, chansons pédagogique. Il pourra aussi accéder à des res-
diffusées par la Coopérative de l’enseignement laïc sources de la plateforme VO!X de Radio France.
de Célestin Freinet, conservés à la BnF – viennent
compléter le tableau. Enfin, l’exposition donne Plusieurs ateliers à destination des élèves
la possibilité de se mettre à la place d’élèves en sont proposés par des artistes (Adélys, Jeanne
classe grâce au dispositif de la radio scolaire des Dambeville, Manuel Lucas), en collaboration avec
années 1970, dont les bandes sont conservées par la délégation académique à l’éducation artistique
les archives audiovisuelles de Réseau Canopé. et à l’action culturelle (DAAC) de Normandie. Ces
ateliers se déroulent au Munaé, en lien avec une
La mise en situation interactive : l’espace de visite de l’exposition.
l’Atelier enchanté ouvre sur l’éducation artistique
et culturelle contemporaine. Il met notamment en Eh bien… chantez maintenant !

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 5


Article

À la croisée
des cultures
La Chanson des joujoux, 1890
Michel Manson,
historien des objets culturels de l’enfance, professeur émérite de l’université Paris 13,
département des sciences de l’éducation

Sauf autre mention, les images sont extraites de l’ouvrage


La Chanson des joujoux de Jules Jouy (texte), Adrien Marie Jules Jouy,
(illustrations), Claudius Blanc et Léopold Dauphin (musique),
Paris, Henri Heugel et Librairies-Imprimeries réunies, vers 1900. cabaret et musique
La Chanson des joujoux : voilà un album pour Jules Jouy (1855-1897) a écrit près de 4 000 chan-
enfants qui est un bel objet, avec des images déli- sons en vingt ans, avec leur musique pour cer-
cieuses illustrant vingt chansons inédites, non taines 1. Issu d’une famille de bouchers installée à
traditionnelles, présentées avec leur partition. Bercy, près de Paris, ayant connu la misère dans
Toutes ces chansons ont pour thème les jouets son enfance, il écrit ses premières chansons alors
des enfants : après tout, pourquoi pas dans un livre qu’il est garçon boucher. Il commence à chanter
pour enfants ? Mais quand on s’interroge sur la dans des goguettes et entre dans un atelier de
diversité des auteurs et des éditeurs, tout se com- peintre sur porcelaine. Il publie sa première chan-
plique. En effet, Jules Jouy, l’auteur des chansons, son dans la presse nationale, Le Tintamarre, en
est un chansonnier de cabaret aux textes souvent 1876. Son écriture est hardie, républicaine, anticlé-
lestes et vulgaires. Claudius Blanc et Léopold ricale et il attise des polémiques. Il débute aussi
Dauphin sont des musiciens classiques – même dans l’écriture de chansons de cafés-concerts
s’ils n’ont pas dédaigné, déjà, mettre quelques qui sont interprétées par les grandes vedettes
chansons en musique. Il y a deux éditeurs : l’an- de l’époque, Aristide Bruant et Yvette Guilbert.
cienne Maison Quantin, éditeur d’imagerie et de Abandonnant son emploi dans la porcelaine, il vit
livres de jeunesse, et Heugel, éditeur musical quelque temps dans une grande pauvreté. On le
publiant la prestigieuse revue Le Ménestrel (1833- retrouve au Cercle des Hydropathes (1878-1880),
1940). Enfin, Adrien Marie est un grand illustra- avec le journaliste et écrivain Alphonse Allais
teur pour la jeunesse, qui dessine l’enfance avec (1854-1905). À la dissolution de ce club littéraire,
tendresse et un talent très sage. Cet album de les deux amis rejoignent l’équipe du cabaret Le
1890 semble donc être à la croisée des cultures : Chat noir fondé par Rodolphe Salis. Tous deux
les chansonniers populaires de Montmartre, la écrivent régulièrement dans la revue éponyme du
musique classique et la pédagogie musicale, la cabaret, publiée de 1882 à 1895. À cette époque,
littérature de jeunesse et l’imagerie, la culture les artistes et musiciens des cafés-concerts sont
ludique de l’enfance. Essayons de dénouer les fils payés mensuellement par l’établissement qui les
de cet écheveau. emploie, tout comme les auteurs des œuvres.
Une part des recettes est également versée à

1.  Patrick Biau, Jules Jouy. Le « poète chourineur », à compte d’auteur,


1997.

6 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


Illustration d’Adrien Marie,
Les pantins, ronde, n° 11,
in La Chanson des joujoux,
p. 69. Chromolithographie
(21,8 cm x 29,8 cm).
[Inv. 1998.01616-046]

la Sacem, la société des auteurs fondée en 1851, et illustrateurs, et, dans ce vivier artistique, des
corollairement à l’essor du café-concert : « La liens se nouent entre ces différentes sphères artis-
chanson entre dans la sphère marchande où les tiques et culturelles.
enjeux économiques deviennent aussi importants
que les critères artistiques ou politiques 2. » Jules Léopold Dauphin (1847-1925) et Claudius Blanc
Jouy et Alphonse Allais peuvent ainsi commencer (1854-1900) ont également fréquenté Le Chat noir.
à vivre de leurs œuvres. Le cabaret de Rodolphe Le 6 janvier 1893, ils y présentent Sainte Geneviève
Salis accueille chansonniers, musiciens, peintres de Paris. Mystère en quatre parties et douze
tableaux, publié par Heugel & Cie la même année.
2.  Martin Pénet, « Café-concert et music-hall », in Christian Delporte, Mais les deux musiciens avaient déjà collaboré
Jean-Yves Mollier, Jean-François Sirinelli (dir.), Dictionnaire
d’histoire culturelle de la France contemporaine, Paris, PUF, 2010, avant cette date, et même avant leur réunion
p. 128-132. autour de La Chanson des joujoux (1890). Dès 1887,

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 7


ils avaient publié chez Lemoine des pièces pour plus joli recueil que je sache. Elles sont gaies au
piano à quatre mains, Scènes et paysages, et possible, naïvement exquises, et toujours d’un
une Farandole pour piano à quatre mains dans modernisme achevé. J’ai déjà composé la musique
Le Monde illustré du 15 janvier 1887. De 1887 à 1889, des dix premières ». Bien que ce recueil soit d’une
Claudius Blanc s’éloigne ensuite de Paris, pour aller grande simplicité, il ajoute qu’il contient « une
diriger le conservatoire municipal de Marseille. De très grande variété d’effets musicaux. […] Mes
son côté, de 1886 à 1896, Léopold Dauphin livre sous 3 fillettes à qui je les ai lues ou chantées y ont pris
le pseudonyme de Pimpinelli des centaines de poé- un très vif plaisir […]. Je compte sur un très grand
sies courtes, légères et insouciantes pour la scène succès ». L’imagerie du volume lui apparaît capi-
du Chat noir 3. Mais celui-ci s’était déjà intéressé à tale et il suggère plusieurs illustrateurs « capables
l’enfance et à ses jouets. En 1876, il avait écrit la d’être naïfs et drôles, dans le sens artistique bien
musique d’un ballet enfantin pour marionnettes, moderne » 5. Léopold Dauphin pensait-il déjà à
Monsieur Polichinelle en voyage 4, et en 1878, il avait quelques illustrateurs fréquentant Le Chat noir ? Et
composé Babils. Jeux d’enfant pour piano (op. 54, qui sont ces artistes, plus précisément ?
E. et A. Girod). La première de ces pièces pour piano
est une berceuse, « pour bercer une petite poupée Le monde des chansonniers est forcément en rela-
de bois », suivie d’une marche « pour faire marcher tion avec celui des dessinateurs – souvent tout à
des petits soldats de plomb », et le recueil finit par la fois peintres, illustrateurs, affichistes et litho-
une musique de scène « pour servir dans un petit graphes, voire caricaturistes –, car leurs chansons
théâtre de marionnettes ». En 1889, ses Petites sont publiées dans des « petits formats » ornés
Chansons sans paroles, éditées chez Lemoine et d’une gravure. Parmi les artistes qui fréquentent
fils, évoquent La poupée cassée, La marionnette le cabaret montmartrois, Adolphe Willette (1857-
danse, Un chagrin d’enfant (associé au refus du 1926) est l’auteur de la fameuse enseigne repré-
frère de l’enfant d’épouser sa poupée) et Valse de sentant un chat noir sur un croissant de lune.
la poupée, qui préfigurent La Chanson des joujoux. C’est lui qui introduit au cabaret l’artiste suisse
Théophile Alexandre Steinlen (1859-1923), installé
L’idée de l’album de chansons sur les jouets est à Paris depuis 1881. À partir de 1883, Steinlen illus-
ainsi peut-être née de la rencontre de Jules Jouy trera soixante-treize numéros de la revue illustrée
et de ces deux musiciens. En revanche, si l’on Le Chat noir 6. De tendance anarchiste, comme
excepte deux chansonnettes – Le mariage d’une Jules Jouy, il dessine des affiches politiques et
poupée (musique de Charles Pourny, Colombier, illustre la presse pour adultes ; mais il jouera aussi
1883) et La poupée nageuse (avec H. d’Arsay, un rôle dans la presse des jeunes. De même que
musique de Léopold Gangloff, Maillard, 1887), qui Charles Clérice (1865-1912), qui illustrera le « petit
ne s’adressent d’ailleurs pas spécialement aux format » d’une chanson écrite par Jules Jouy et
enfants –, le thème des jouets n’est pas abordé Ernest Gerny en 1886, C’est ta poire ! (musique de
dans le répertoire de Jules Jouy avant la créa- Paul Bourgès, Société anonyme du nouveau réper-
tion de La Chanson des joujoux. Le recueil inti- toire des concerts de Paris), et que nous retrou-
tulé La Muse à Bébé, chansons pour les enfants, verons dans l’imagerie enfantine. En plus des
dédiées aux grandes personnes qu’il publie par la nombreux liens d’influences qui se tissent au sein
suite (Librairie Marpon et Flammarion), en 1892, du Chat noir – ceux qui réunissent Jules Jouy et
est loin d’un livre pour l’enfance ! Léopold Dauphin Léopold Dauphin, ceux qui mènent ce dernier sur
se révèle toutefois enthousiaste pour l’album de les thèmes de l’enfance et des jouets et ceux qui
1890. Voici ce qu’il écrit à l’éditeur Heugel dans se créent entre des artistes de la presse adulte et
des lettres de juin à juillet 1890, après avoir reçu de de la presse pour la jeunesse –, les éditions d’ima-
Jules Jouy les textes de « 25 Chansons de Joujoux ; gerie et de livres de jeunesse se trouvent aussi
elles sont absolument réussies ; cela va faire le concernées par cette circulation des illustrateurs.

3.  Elles paraissent en volume sous le titre Raisins bleus et gris, avec 5.  Les citations de Léopold Dauphin sont extraites de lettres
un « avant-titre » de Stéphane Mallarmé, Paris, Léon Vanier, 1897. figurant dans une vente de manuscrits du 26 mai 2011, site
4.  I Miei Fantoccj [Petites Suites d’orchestre]. Monsieur Polichinelle de la maison ADER, www.ader-paris.fr (consulté le 20/11/2021).
en voyage, partition piano, avec un sonnet de Paul Arène, op. 58, 6.  Véronique Fau-Vicenti, notice « Steinlen Théophile Alexandre »,
E. et A. Girod. Le Maitron [En ligne], https://maitron.fr (consulté le 19/11/2021).

8 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


La Chanson des joujoux, couverture.
Cartonnage recouvert d’une percaline grise
illustrée en chromolithographie
(21,8 cm x 29,8 cm). [Inv.1998.01616-046]

Adrien Marie, « Ancienne Maison Quantin 8 ». À côté de la littéra-


livres d’enfants, ture générale – Victor Hugo, George Sand, Alexandre
Dumas fils, etc. –, il développe également un sec-
imagerie teur pour l’enfance à travers une « Encyclopédie
enfantine » qui comprend cinq séries d’albums, de
L’album La Chanson des joujoux est publié par formats différents. La cinquième série est dédiée à
« Au Ménestrel, 2 bis rue Vivienne, Henri Heugel édi­­ la chanson enfantine : Malb’rough, Cadet Rousselle,
teur » pour la musique, mais aussi par l’« An­cienne La Mère Michel, Le roi Dagobert 9. De petit format
Maison Quantin, 7, rue Saint Benoît. Librairies- « in-octavo », les albums comprennent chacun six
Imprimeries réunies ». Fondateur de cette dernière, gravures en couleur, huit pages de texte, une cou-
Albert Quantin (1850-1933) a fait son apprentis­ verture en couleur, et coûtent 15 centimes pièce.
sage chez l’éditeur Mame, à Tours, avant de La maison se vante d’avoir réussi la prouesse tech-
repren­dre l’imprimerie de Jules Claye à Paris, nique d’une qualité d’images en couleur supérieure
en 1876, où il développe l’édition de beaux livres. à celle produite par la chromolithographie grâce
Son Encyclopédie enfantine (1885-1887) comporte à une technique nouvelle, la chromotypographie.
tous les grands noms et ouvrages de la littérature L’album Cadet Rousselle, daté vers 1885-1887, pré-
de jeunesse – Andersen, Cervantès, Defoe, Madame sente la chanson et sa musique. Il est illustré par
d’Aulnoy, Perrault, Les Mille et Une Nuits – et des Faria et Charles Clérice, ce dernier ayant déjà illus-
abécédaires, des albums, etc. Pour développer tré une chanson de Jules Jouy. Les albums sont
son activité, il s’associe avec Henri May, qui devient
l’unique propriétaire de la maison en 1896 7. Dès 8.  Jean Yves Mollier, « Une concentration réussie, la SA des
cette association, les ouvrages portent la mention Librairies-Imprimeries réunies et la Maison Quantin », in L’Argent
et les Lettres. Histoire du capitalisme d’édition, 1880-1920, Paris,
Fayard, 1988, p. 151-168.
7.  Francis Marcoin, Librairie de jeunesse et littérature industrielle 9.  Titres figurant dans le Bulletin de la Maison Quantin,
au xixe siècle, Paris, Honoré Champion, 2006, p. 607-608. n° de mai-juin 1886, p. 15.

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 9


Illustration d’Adrien Marie, Les poupards, chanson, n° 8, in La Chanson des joujoux, p. 51.
Chromolithographie (21,8 cm x 29,8 cm). [Inv. 1998.01616-037]

10 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


Dr Brochard (texte), Adrien Marie (illustrations),
L’Éducation de la poupée, Paris, Ch. Gillot, 1881.
Gravure (13,8 cm x 10,7 cm). [Inv. 2000.02089]

gravés par Michelet – qui gravera aussi La Chanson Si Léopold Dauphin a pu relier Jules Jouy à l’éditeur
des joujoux. Albert Quantin innove également dans Heugel et au thème des jouets, les illustrateurs
l’imagerie pour enfants en utilisant des dessina- Théophile Alexandre Steinlen et Charles Clérice ont
teurs de presse. Il emploie ainsi soixante-dix-sept pu mettre Jules Jouy en relation avec la Maison
artistes, dont Théophile Alexandre Steinlen, qui Quantin qui édite des chansons enfantines. Mais
travaille pour lui de 1886 à 1890 : « […] nombre des la véritable nouveauté pour Jules Jouy, c’est le
thèmes et des techniques narratives de ses débuts, thème des jouets. Voyons comment il a observé et
expérimentés pour la première fois dans la revue décrit la culture ludique des enfants et comment
du Chat noir […] se retrouvent dans ses planches Adrien Marie a représenté les jouets des chansons.
enfantines 10. » L’éditeur d’imagerie Charles Pellerin
(1827-1887) ripostera en utilisant souvent les mêmes
dessinateurs, dont Steinlen et d’autres grands noms Jouets et culturE
comme Benjamin Rabier, Job, Caran d’Ache, Falco 11. ludique
Pourtant, c’est Adrien Marie (1848-1891) qui va illus- Quels sont les jouets que Jules Jouy met en
trer La Chanson des joujoux. Il a déjà travaillé pour scène dans les vingt chansons de l’album ? Cinq
la Maison Quantin, illustrant un album en 1885 et titres n’évoquent pas directement des jouets ;
un livre de René Vallery-Radot en 1887. Mais sur- ils convoquent Noël, le jardinage, la chasse, la
tout, il s’agit d’un grand nom de l’illustration. Il tour Eiffel et le « dernier joujou » qui fait réfé-
a illustré des œuvres littéraires de Victor Hugo, rence à un fusil ­– pour aller faire une guerre bien
Alphonse Daudet, Jules Verne, et il a été un illus- réelle. Ensuite, les poupées, les poupards (pou-
trateur prolifique de la presse française et londo- pées bébés sans bras ni jambes, emmaillotées,
nienne. Marié à la fille d’Émile Bayard, il illustre des destinées à être transportées ou bercées), les
livres pour enfants chez Hachette et des albums et ménages (ou dînettes), les pantins, les polichi-
livres pour Hetzel. nelles ont droit à une chanson, de même que les
soldats de plomb, les chevaux de bois, les petits
lapins mécaniques, la bergerie, les ballons, le cerf-
10.  Dossier de presse de l’exposition « Aux origines de la bande volant, les toupies et sabots, le jeu de patience
dessinée : l’imagerie populaire », musée de l’Image d’Épinal,
26 juin 2021-2 janvier 2022, sur le site
et la lanterne magique. Le mot « joujou », enfan-
https://museedelimage.fr < Archives < Les expositions… tin, apparaît huit fois et le mot « jouet » une seule
11.  Francis Marcoin, op. cit., p. 810. fois. Au total, Jules Jouy cite une trentaine de

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 11


jouets différents, alors qu’Adrien Marie en donne jardiniers, des « petits-fils » et des « garnements »
à voir une soixantaine, parfois déclinés dans des dans Les sabots et les toupies. Par contre, dans ses
modèles différents, comme les poupées, les che- illustrations, Adrien Marie montre de fait des fillettes
vaux à roulettes, etc. Ses dessins reproduisent les et des garçons jouant avec des toupies et des sabots
jouets réels de l’époque tels que nous les connais- que l’on fouette, jouets d’adresse traditionnellement
sons dans les collections et dans les catalogues réservés aux garçons. Jules Jouy écrit aussi des
des grands magasins 12. Ainsi, l’univers ludique de chansons dans lesquelles il n’y a pas de joueurs
l’album est principalement évoqué par l’illustration. enfantins. Dans Les petits ménages, il se contente
de décrire la dînette, mais Adrien Marie ajoute pou-
Mais selon quelles mises en scène, avec quels pée et fillette dans son illustration. Ailleurs, Jules
joueurs ? Jules Jouy ne peut manquer – comme il Jouy s’amuse même à créer une course entre le
se doit à cette époque – de séparer les jouets des cheval mécanique, le cheval à roulettes et le che-
filles de ceux des garçons. Il consacre trois chan- val à bascule sans enfant, comme si les jouets
sons aux poupées, aux petits ménages et aux pou- prenaient vie tout seuls (Les chevaux de bois)
pards, et ce jouet resurgit dans Le jeu de patience : – comme les poupards qui vont mendier sur les
pendant qu’Henri joue avec son puzzle, « Jeanne, sa routes (Les poupards) – mais, là encore, Adrien Marie
sœur, d’un poupard fait le baptême ». Les garçons, ajoute des enfants sur ces jouets et associe des
eux, vont à la chasse aux jouets dans les bazars fillettes aux poupards. Dans la chanson Les petits
en jouant du mirliton, avec des fusils jouets et des lapins ou celle des Ballons rouges, Jules Jouy ne
chiens mécaniques. C’est un garçon qui joue avec un précise pas le sexe du narrateur. On peut en conclure
petit train (Le petit chemin de fer), un autre qui joue que, l’un comme l’autre, ils proposent une vision
avec sa bergerie, disposant moutons et arbres sur le où les stéréotypes de genre du ludique enfantin
tapis vert de la table (Le jeu de patience). Mais Jules existent mais sont nuancés, et parfois effacés. Ils
Jouy ne l’évoque pas clairement puisqu’il les appelle ont pu tenir compte de publications récentes sur
« bébés ». Ailleurs, un garçon joue avec des soldats les jouets : Les Jouets d’enfants d’Anaïs Demoulin
de plomb, chevauche un cheval de bois, mais à ce en 1882 (Hachette), Jeux et jouets du jeune âge de
jeu participent ses sœurs, Marguerite et Adèle, qui Gaston Tissandier en 1884 (Masson) et Histoire des
défendent la forteresse. Ainsi, avec Jules Jouy, tous jouets et jeux des enfants d’Édouard Fournier en 1889
les jouets ne sont pas aussi « genrés » qu’on pour- (Dentu). Adrien Marie avait déjà illustré un petit livre
rait s’y attendre 13, garçons et filles peuvent jouer à du docteur André Théodore Brochard, L’Éducation de
la poupée et à la guerre, comme le montre Adrien la poupée (Gillot, 1881), qui, sous couvert du jouet,
Marie en illustrant Les petits ménages et Les sol- est un petit ouvrage didactique sur l’éducation des
dats de plomb. Dans la chanson Les pantins, les enfants. Le dessinateur y mettait en scène une fil-
joueurs sont deux messieurs et deux demoiselles. lette et sa poupée, et ses dessins dans La Chanson
Les spectateurs de Guignol (Les polichinelles), ceux des joujoux y ressemblent fortement.
qui regardent La lanterne magique ou encore les
enfants qui attendent leurs cadeaux de Noël (Petit L’album La Chanson des joujoux ne surgit ainsi
Noël) sont des deux sexes. Dans Le cerf-volant, pas par hasard, en 1890 ; il est porté par tout un
Jules Jouy évoque des « gamins », sans autre préci- courant éducatif – voir l’importance accordée aux
sion de sexe ; des « petits blondins » dans Les petits jouets à l’école maternelle par Pauline Kergomard,
par exemple –, par une réflexion nouvelle sur les
12.  Pour le rôle joué par les grands magasins dans la diffusion du jouets 14 et par l’expression particulière d’une ten-
marché du jouet et des images des catalogues, cf. Michel Manson, dresse pour les enfants que le regard d’Adrien
Histoire(s) des jouets de Noël, Paris, Téraèdre, 2005, chap. 8 :
« Les grands magasins, la société de consommation et les jouets Marie nous fait partager. Nous sommes bien à la
des étrennes, 1870-1914 », p. 101-114.
13.  Michel Manson, « La poupée et le tambour, ou de l’histoire 14.  Michel Manson, « Faire du jouet un objet d’histoire. Un long
du jouet en France du xvie au xixe siècle », in Dominique Julia, cheminement du xvie au xixe siècle », in Véronique Dasen,
Egle Becchi (dir.), Histoire de l’enfance en Occident, Vol. 1 : Marco Vespa (éds), Jouer dans l’Antiquité classique. Définition,
De l’Antiquité au xviie siècle, Paris, Seuil, 1998, p. 432-464 ; « Les jouets Transmission, Réception, Liège, Presses universitaires de Liège,
et la différenciation sexuelle : une longue histoire culturelle », in 2021, p. 383-398 ; « Le jouet, objet historique et patrimonial.
Danielle Chabaud-Rychter, Delphine Gardey (éds), L’Engendrement Collections, expositions et recherches sur le jouet en France
des choses. Des hommes, des femmes et des techniques, Paris, de 1900 à 1950 », Strenæ (en ligne), n° 17, 2021,
Éditions des Archives contemporaines, 2002, p. 103-121. [En ligne] : http://journals.openedition.org/strenae/6038

12 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


Illustration d’Adrien Marie (détail), Les petits lapins, chansonnette, n° 3, in La Chanson des joujoux, p. 21.
Chromolithographie (21,8 cm x 29,8 cm). [Inv. 1998.01616-014]

croisée des cultures, à un moment d’enrichis- romans populaires Pierre Lafitte à la fin du xixe et
sement réciproque des univers artistiques – du au début du xxe siècle. Dans cette collection,
cabaret à la musique dite « savante » et aux nou- on trouve des livres qui transforment des chan-
veaux domaines de l’enfance. Par une pirouette sons enfantines en romans : La Mère Michel,
du destin, une résurgence va se produire. La fille Cadet Rousselle, Compère Guilleri, Giroflé Girofla.
de Léopold Dauphin, Marie-Madeleine, épouse en Certains sont illustrés par Guydo (1868-1930), le
1899 Maurice Étienne Legrand, dit Franc-Nohain pseudonyme que le baron Joseph Robert Guillaume
(1872-1934), journaliste, écrivain, poète, fabuliste Le Barrois d’Orgeval a adopté en 1888. Dessinateur
et librettiste. Elle est illustratrice pour enfants et de presse humoristique, affichiste, il a aussi fourni
son mari va diriger une collection pour la jeunesse, des dessins à la revue Le Chat noir. Autour du livre
« Lilliput Bibliothèque », publiée par l’éditeur de pour enfants, la croisée des cultures se poursuit…

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 13


Article

Chansons et images
pour les petits
Le livre de chansons
dans l’entre-deux-guerres
Cécile Pichon-Bonin,
historienne de l’art et de la culture visuelle enfantine soviétiques,
chargée de recherche au CNRS (LIR3S), chercheuse associée au Cercec

Les années 1930 voient l’essor du disque et de la Quel répertoire


radio, notamment l’encouragement de l’usage du
phonographe à l’école et la naissance de la radio
pour
scolaire. Mais ces médias, promis à un grand ave- le tout-petit?
nir, connaissent une diffusion encore limitée aux
familles aisées de quelques grandes villes. C’est La période de l’entre-deux-guerres voit se prolon-
seulement à partir des années 1950 qu’ils com- ger les tendances apparues au siècle précédent :
menceront à jouer un rôle plus significatif dans d’une part, la collecte et l’adaptation de textes
la diffusion de la chanson d’enfants. Dans l’entre- relatifs aux divertissements de la bonne société
deux-guerres, le livre conserve une place de choix du xviiie siècle et de chansons traditionnelles issues
dans ce domaine. du folklore populaire ; d’autre part, la création de
chansons originales. Des circulations s’opèrent
Le livre de chansons se décline selon cinq prin- et des chansons proposent un texte inédit sur un
cipaux types de publications : le livre de prix, le air traditionnel, selon une pratique ancienne en
recueil de chants scolaires, le recueil de chan- vogue au début de la IIIe République. Les « comp-
sons pour les mouvements de jeunesse, la parti- tines » font cependant l’objet d’une attention par-
tion illustrée et le livre d’étrennes, qui se présente ticulière. Ce terme, vulgarisé en 1926 grâce au livre
aussi presque toujours comme un recueil. Dans Cent Comptines du peintre surréaliste Pierre Roy,
le champ éditorial des années 1920-1930, le livre désigne une pièce brève ou une formulette, sou-
d’étrennes se veut toujours plus illustré et permet vent rimée et assonancée, chantée ou psalmodiée,
l’épanouissement de l’album, un type d’ouvrage qui accompagne certains jeux d’enfants. Parmi les
dans lequel l’image est aussi importante que le « Albums du Père Castor », Jeux de nourrice (1936)
texte, voire l’emporte sur lui. Développer l’image répond à l’objectif de fixer ce répertoire particu-
permet aux éditeurs de cibler un lectorat toujours lier. Une démarche importante pour Paul Faucher,
plus jeune et de concevoir des ouvrages spéci- directeur de la collection, qui collabore régulière-
fiques pour l’enfant de moins de 7 ans, encore non- ment à cette époque avec Jean Baucomont, ins-
lecteur. Quelles formes cette politique éditoriale pecteur de l’enseignement primaire à l’initiative,
particulière prend-elle dans le domaine du livre de en 1931, d’une vaste enquête auprès des institu-
chansons pour enfants ? teurs sur le folklore enfantin. Jeux de nourrice
participe ainsi à la valorisation de ce répertoire

14 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


particulier qu’est celui de la petite enfance, dans Bécassine:
un contexte où le tout-petit fait l’objet d’un intérêt
croissant. images en chansons
Du point de vue des thématiques, à l’école comme Bécassine, apparue dans le journal La Semaine
en famille, la chanson pour enfants exprime l’esprit de Suzette, devient en 1913 l’héroïne du premier
pacifiste qui anime les années de l’entre-deux- album d’histoires en images de type moderne. Ses
guerres. Elle se présente comme le vecteur privilé- aventures se déploient dans vingt-quatre livres
gié de deux principes pédagogiques essentiels pour parus entre 1916 et 1939. Parallèlement, ce person-
l’époque : premièrement, elle suscite la joie ; deu- nage donne lieu à trois albums annexes qui n’ont
xièmement, elle permet le mouvement et l’expres- pas été prépubliés dans la presse et sont destinés
sion du corps, comme en témoigne l’engouement aux plus jeunes. Entre un alphabet et son com-
pour les chansons mimées et dansées dans les plément (intitulé Bécassine maîtresse d’école),
recueils scolaires et de loisirs. Cette ferveur répond se trouvent Les Chansons de Bécassine (1927), sur
au déploiement des pédagogies actives, portées des paroles de Charles Magué, une musique de
en France notamment par Pauline Kergomard, pre- Francisque Darcieux et des illustrations d’Émile
mière inspectrice générale des écoles maternelles Joseph Porphyre Pinchon. La chanson se prête
en France en 1881, sous le ministère de Jules Jerry, particulièrement bien à la pratique nécessaire-
et le pédagogue Alfred Binet. Si l’expression de la ment oralisée du livre pour le tout jeune enfant.
joie et du mouvement se retrouve dans l’ensemble Et celui-ci peut également s’initier aux lettres ou
de la production éditoriale de l’entre-deux-guerres, à la musique, avec l’aide d’un adulte, tout en se
elle se révèle particulièrement saillante dans le livre familiarisant avec un personnage de fiction dont
de chansons d’enfants. À cette époque, chansons, il pourra ensuite lire les péripéties. Dans cette
joie et mouvement apparaissent en effet comme démarche, l’image permet d’adapter la chanson
des éléments consubstantiels. au petit enfant tout autant que la chanson initie
les plus petits à l’image et au livre.
Une grande partie de la production éditoriale
des années 1920-1930 reprend les codes iconogra­ Ici, le processus habituel d’illustration d’un texte de
phiques élaborés avant la Première Guerre mon- chanson existant s’inverse : on part de l’image du
diale : l’édition de l’imagerie populaire – développée personnage fictif de Bécassine pour écrire une chan-
par exemple par la Maison Pellerin – demeure son. Une expérience qui atteste du nouveau statut
active tandis que les créations marquantes de central de l’image dans la culture enfantine, alors
l’illustrateur Louis-Maurice Boutet de Monvel, dans que se développe une culture audiovisuelle spéci-
les années 1880, continuent d’inspirer. Les livres fique. Ce principe se décline pour les plus grands,
représentent adultes et enfants vêtus à la mode du par exemple avec l’édition des partitions illustrées
temps ancien des chansons ou, au contraire, ins- du premier long métrage de Walt Disney, Blanche-
crits dans leur époque, jouant les scènes évoquées Neige et les sept nains, sorti en 1937, ou à travers
dans les textes ou montrant les gestes et attitudes L’Opéra de Mâli (1936) consacré aux aventures du
qui correspondent à la chanson. Cependant, en célèbre hippopotame, mis en image par René Pellos,
lien avec le développement de l’album, certains également illustrateur des Pieds Nickelés.
ouvrages proposent une approche plus audacieuse
du rapport texte-musique-image. Les grands illus-
trateurs de la période ont immanquablement mis
en images au moins un livre de chansons (Félix
Félix Lorioux:
Lorioux, Benjamin Rabier, Marie-Madeleine Franc- simplifier
Nohain, Jacqueline Duché, Manon Lessel, Guy et séquencer
Arnoux, etc.) et chaque éditeur y va de sa publi-
cation. Précisons ainsi les différentes fonctions D’autres livres sont à mettre directement dans les
assumées par les images à travers la présentation mains des plus jeunes. C’est le cas d’Une poule sur
de quelques exemples remarquables, ou emblé- un mur (1919), illustré par Félix Lorioux. Cet album
matiques, de ces livres de chansons pour enfants. de onze pages offre un choix restreint de formu-

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 15


­­­­­­­­­­­lettes et de refrains célèbres expurgés de leurs à l’attention des plus petits. Les chansons pour
couplets : la brièveté des textes s’impose pour le enfants et les formulettes appartiennent à présent
tout-petit. En tissu, le livre se veut solide et adapté à ces classiques et figurent, dans la production
aux petites mains encore malhabiles. Lorioux de Lorioux, au côté des Contes de Perrault ou de
s’attache à illustrer de manière littérale chaque Robinson Crusoé, de Daniel Defoe.
situation et déploie largement l’image. Pour Une
poule sur un mur ou Dansons la capucine, chaque
vers est assorti de son expression visuelle. L’action
est ainsi minutieusement découpée et exposée
Le «Père Castor»
au jeune enfant non-lecteur qui suit l’histoire et
mémorise le texte grâce à l’image. Lorioux est un MUSIQUE EN IMAGES
illustrateur très actif dans le domaine de l’adap-
tation des classiques pour le tout jeune enfant. Il Deux autres exemples sont offerts par des albums
répond à cette tendance éditoriale du lendemain de la collection du « Père Castor ». Chansons de
de la Première Guerre mondiale qui consiste à jeux (1933) est un recueil établi par Séverine Sestier,
miser sur des « valeurs sûres » (patrimoniales), plu- avec des compositions (visuelles) de Georges
tôt que sur de nouveaux textes, et à les simplifier Tcher­­­­­­­kessof qui tentent de mettre la «  musique

Félix Lorioux (illustrations), Dansons la capucine, Paris,


Hachette et Cie, coll. « L’indéchirable », vers 1920.
Impression en couleur sur feuillet de tissu
(28 cm x 23cm). [Inv. 1978.00054]

16 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


Illustration de Françoise Estachy,
« Je te tiens par la barbichette »,
in Paul Faucher (dir.), Jeux de nourrice,
Paris, Flammarion, coll. « Albums
du Père Castor », 1936, p. 19.
® Médiathèque intercommunale du Père Castor

en images », tel que l’indique le sous-titre. La pré-


face explique le principe du livre : la masse des
L’IMAGE SUPPORT
personnages et des objets correspond à la valeur DE L’INTERPRÉTATION CHANTÉE
des notes. Par exemple, une noire sera figurée par
un homme, une croche par un enfant, tandis que Comme il est annoncé dans sa préface, le deu-
les illustrations se déroulent en suivant la sinuo- xième ouvrage de la collection des « Albums du
sité de la ligne mélodique. Invitation au jeu et au Père Castor » – Jeux de nourrice (1936) – s’adresse
mouvement, l’image se veut aussi une véritable aux « mamans, aux frères et aux sœurs aînés » en
initiation à la lecture du système de notation musi- charge de surveiller les tout-petits. La couverture
cale. L’enfant passe alors de la représentation et la page de titre montrent de jeunes femmes
visuelle concrète à l’écriture musicale abstraite, berçant des nourrissons, renvoyant ainsi à la toute
selon l’un des principes éducatifs importants pour petite enfance. La préface souligne que l’enfant
Paul Faucher, directeur de la collection et fer- pourra suivre les images dès l’âge de 3 ans. Les
vent promoteur de l’éducation nouvelle en France dessins réalisés par Françoise Estachy com-
– un courant pédagogique apparu au xixe  siècle binent récit de l’histoire rapportée dans les textes
et qui s’épanouit à travers différentes tendances et mise en scène de jeunes enfants jouant, indi-
dans les années 1920-1930. Cet album propose quant les gestes à réaliser quand cela est néces-
une méthode d’éducation musicale par l’image ; saire (comme dans Je te tiens par la barbichette).
un art sert ainsi l’apprentissage d’un autre. En L’image met en relation le contenu des textes et la
retour, l’écriture musicale nourrit les réflexions gestuelle, et aide à la compréhension des paroles.
sur la composition et la construction de l’image. Elle inspire enfin une grande douceur grâce à des
La collection du « Père Castor » semble investir mises en page aérées, à l’usage de l’aérographe et
d’une dimension pédagogique le principe de syn- à l’emploi de couleurs tendres. La suavité de l’illus-
thèse des arts cher aux artistes de la fin du xixe et tration invite à celle de la voix. Cette utilisation du
du début du xxe siècle. visuel au service du chant évoque les méthodes et
les principes d’éducation esthétique des enfants
élaborés par le pédagogue tchèque František
Bakulé, dont Paul Faucher (« Père Castor ») s’est
beaucoup inspiré. Lors du travail avec les jeunes

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 17


de sa chorale, Bakulé recourait aux dessins à la de jeu illustré par Georges Tcherkessof, on lit par
plume de Mikoláš Aleš tirés d’un volume d’une exemple que « l’enfant est vie c’est-à-dire mouve-
centaine de chansons et dictons populaires publié ment » ; que la cadence des chansons enfantines
en 1906. Il s’en servait pour aider à l’analyse des est inséparable du mouvement et que ces chants
paroles, afin d’accompagner les petits chanteurs « incitent les enfants à l’expansion physique ryth-
dans le travail d’interprétation qui impliquait éga- mée qui leur est naturelle et dont ils tirent autant
lement différents gestes. Si l’iconographie sert la de joie que de profit ».
compréhension du texte et des gestes, le style
des illustrations suggère une atmosphère ins- La reconnaissance de l’importance du mouvement
pirante au chanteur ou à la chanteuse. L’intérêt dans la vie du petit enfant apparaît à la fois dans le
porté par Paul Faucher à la qualité des images et privilège accordé par les éditeurs aux chansons à
au choix des textes et des chansons atteste de sa mimer et à danser, et dans le caractère dynamique
volonté de proposer une éducation esthétique qui des illustrations. Les figures délurées de Félix
convoque tous les arts et s’adresse à tous les sens. Lorioux, la naïve Bécassine, les personnages qui
Dans l’album Jeux de nourrice, l’ouïe et la vue sont suivent la mélodie chez Tcherkessof (illustration ci-
sollicitées tout autant que le toucher, à travers les contre) ou les enfants qui jouent dans les dessins
effets de texture apportés par les contrastes entre de Françoise Estachy, toutes ces figures en mouve-
le trait, l’effet moucheté de l’aérographe, les aplats ment sont présentées dans des mises en page ani-
de couleurs et les dégradés du crayon de couleur. mées. Par exemple, Lorioux utilise le fond blanc de
la page pour mêler textes et images, déployer des
L’importance du toucher pour l’enfant se retrouve jeux de contrastes de couleurs, d’échelles, et jouer
dans les approches de nombreux éducateurs du entre les aplats et les volumes dans une esthé-
début du xxe  siècle, comme Maria Montessori par tique de montage qui associe des actions succes-
exemple. Les travaux sur les stades de développe- sives dans l’espace d’une même page. Françoise
ment ont mis en exergue l’importance de l’étape Estachy joue également sur le fond blanc et les
sensori-motrice dans la découverte du monde, doubles pages, les titres suivent parfois la diago-
entraînant un changement de paradigme. Le rap- nale, une ligne courbe ou sinueuse, et les images
port de l’enfant à son environnement passe à pré- entourent librement le texte, le faisant apparaître
sent prioritairement par le toucher et le mouvement dans un oculus (Maman les petits bateaux), sur un
(l’enfant se déplace pour appréhender les objets), tissu épinglé (Bête, bête) ou sur une colline (Ut et ut
et non plus par la seule vue. La science alimente la et ho). Louis-Maurice Boutet de Monvel affichait la
définition de la nature de l’enfant et celui-ci appa- partition dans un rectangle blanc entouré par une
raît comme un être naturellement actif. illustration ; Françoise Estachy assouplit ce prin-
cipe et met la mise en page en mouvement. Marie-
Madeleine Franc-Nohain s’affranchit aussi du cadre
dans les trois ouvrages de chansons pour enfants
Chanson, image qu’elle illustre pour l’éditeur Mame, au milieu des
et mouvement années 1930. Les images dynamiques sont censées
correspondre au tempérament actif de l’enfant et,
À une époque qui se passionne pour la vitesse et ainsi, lui plaire.
le mouvement – comme en attestent les diverses
expériences artistiques, depuis les impression- Plus qu’une simple opération de séduction du
nistes, la chronophotographie, puis les futuristes jeune lecteur, certains ouvrages s’assignent des
ou l’art cinétique des années 1920 –, les préfaces ambitions éducatives. Dans la tradition rous-
des livres de chansons d’enfants de l’entre-deux- seauiste consistant à fonder l’éducation sur la
guerres insistent désormais sur le caractère nature de l’enfant, ses désirs et ses besoins, les
essentiel du mouvement dans le développement auteurs reconnaissent le mouvement comme
de l’enfant, sur le fait que le chant induit naturelle- inhérent à la nature de l’enfant et entendent l’en-
ment le mouvement, et que le mouvement accom- courager pour favoriser son épanouissement et
pagnant une mélodie constitue la première étape son développement. L’expression du mouvement
de l’éducation musicale. Dans l’album Chansons correspond ainsi à une invitation au mouvement.

18 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


« Maman les p’tits bateaux »,
Séverine Sestier (recueil établi par),
Georges Tcherkessof (illustrations),
in Paul Faucher (dir.) Chansons de jeux,
Paris, Flammarion, coll. « Albums
du Père Castor », 1933, p. 6.
® Médiathèque intercommunale du Père Castor

Un dernier élément se révèle consubstantiel au Les Chansons de Bécassine (1929) revendiquent


chant et au mouvement à la fois : la joie. Et le une héroïne issue du peuple et, par conséquent,
livre de chansons pour enfants contribue à l’insuf- selon une association d’idées typique de l’époque,
fler. Comme le mouvement, la joie est considérée simple, naïve et affichant une saine gaîté. Cet
comme naturelle à l’enfant et peut être récréative album exprime ainsi les liens étroits qui unissent les
et/ou éducatrice. chansons pour enfants et la gaîté populaire. Cette
dernière fait l’objet d’études savantes et structure
certains recueils de chansons destinés aux plus
grands, comme Les Héros comiques. Dagobert,
Chanson, Malbrough, Cadet Rousselle (1926), dont la pré-
image et joie face est signée par l’écrivain, critique littéraire et
membre de l’Académie française, Émile Faguet.
Au cours des Années folles, au sein d’une société
qui cherche parfois à s’étourdir dans la fête et D’autres albums affichent la croyance de l’époque
le divertissement après les années d’horreur de dans la puissance éducative de la joie et consti-
la guerre, la chanson se veut enjouée et la gaîté tuent des interprétations variées de l’articulation
envahit la culture adulte et enfantine. Les images entre le caractère spontané de la gaîté chez l’en-
débridées de Félix Lorioux et les animaux rieurs de fant et le souci d’une éducation rationnelle. Une
Benjamin Rabier (qui a illustré par ailleurs des par- préoccupation apparaît dans certains livres de
titions de piano de la célèbre musicienne Jane Vieu loisirs et dans de nombreux recueils scolaires qui
en 1908) en sont des exemples emblématiques. Sur font l’éloge de la joie des enfants sages, compre-
le marché du livre de chansons, la folie de Lorioux nons par-là, obéissants. Dans Jeux de nourrice ou
et l’humour souvent satirique de Rabier côtoient dans les trois livres d’enfantines parus chez Mame
d’autres approches plus ou moins policées. en 1936 et en 1938, avec un accompagnement

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 19


d’Ernest Van de Velde et des illustrations de Marie- Ces livres s’inscrivent enfin dans la volonté de
Madeleine Franc-Nohain, les enfants représen- l’époque d’encadrer les loisirs, pour que ceux-ci
tés s’adonnent à des jeux qui répondent à des soient utiles aux masses comme aux enfants ; ils
règles précises. Chantons, dansons et Rondes et sont aussi la manifestation des nouveaux loisirs
Chansons arborent une couverture montrant une artistiques et culturels qui se répandent en parti-
fillette avec sa poupée et des pages de garde sur culier sous le gouvernement du Front populaire,
lesquelles se déploient de tout jeunes enfants au milieu des années 1930. Les images de Marie-
jouant en duo, en trio ou avec un animal. Ce thème Madeleine Franc-Nohain pour Maman les petits
de l’enfant jouant se décline sur toutes les pages, bateaux évoquent, sur la gauche, des enfants
rappelant que la chanson dansée compte parmi les jouant avec un bateau au bord d’un lac ou d’une
premiers jeux de l’enfant. Un commentaire com- rivière et, sur la droite, les vacances en bord de
plète parfois l’image en indiquant quelle gestuelle mer d’une famille aisée. Le chant et le dessin, à
proposer au petit pour accompagner la chanson. l’école comme dans les « Albums du Père Castor »,
Pour les chansons traditionnelles, des enfants reposent sur ce savant équilibre entre apprentis-
des années 1930 bien mis s’amusent à danser ou à sage et détente contrôlée.
mimer la chanson, quand celle-ci appelle le mou-
vement, et investissent des scènes où ils côtoient Outil de compréhension et de mémorisation du texte,
le meunier dormant, la mère Michel et le père support d’éducation au langage musical ou source
Lustucru. L’illustration permet au lecteur-auditeur pour l’interprétation chantée, l’image remplit de
de se transporter dans l’univers de chacun des multiples fonctions dans les livres de chansons pour
textes. L’usage récurrent de la page blanche per- enfants de l’entre-deux-guerres. Favorisant l’adap-
met, comme chez Lorioux et selon une tendance tation du livre au tout-petit, elle apparaît finalement
caractéristique des années 1920-1930, de dévelop- elle aussi consubstantielle à la chanson, à la joie et
per une esthétique de montage et d’exprimer ainsi au mouvement. Elle participe d’une éducation de la
un dynamisme grâce à la représentation d’actions sensibilité associant art et jeu, et impliquant la syn-
successives dans un même espace. Les couleurs thèse de différentes pratiques artistiques : musique,
vives et le mouvement appellent la gaîté. danse, texte et art visuel.

20 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


Ernest Van de Velde (arrangement),
Madeleine Franc-Nohain (illustrations),
in Rondes et chansons avec accompagnements
faciles, « Meunier, tu dors », Tours, Mame, 1938.
Source : Ville de Paris / Fonds patrimonial Heure joyeuse –
Médiathèque Françoise Sagan.

BIBLIOGRAPHIE
Alten Michèle, « Un siècle d’enseignement musical à l’école primaire », Vingtième
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(1882-1939), thèse de doctorat, sous la direction d’Antoine Prost, Université Paris 1,
1993.

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littérature d’enfance et de jeunesse, Arras, Artois Presse Université, 2020, p. 121-136.

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 21


Article

Edmée et Paul Arma


« Rien n’est plus jeune
qu’une vieille chanson »
Déborah Livet,
docteure en histoire de la musique et musicologie, chargée d’enseignement
à l’université de Rouen-Normandie, chercheuse associée à Histemé

« Rien n’est plus jeune qu’une vieille chanson »… Jean Zay, Robert Jardillier ou encore Darius Milhaud.
C’est ainsi que commencent la plupart des recueils Le siège social est alors situé dans les bureaux de la
de chants d’Edmée et Paul Arma. D’origine hon- Ligue de l’enseignement. À la première réunion de
groise, Paul Arma est né en 1904 à Budapest sous le l’association, organisée le 10 février 1937 au Musée
nom d’Imre Weisshaus, dans une famille juive. Après Social, rue Las Cazes à Paris, Darius Milhaud, com-
avoir subi le pillage de ses premières compositions positeur français du Groupe des Six, est nommé
et le harcèlement des nazis qui faillit lui coûter la vie, président d’honneur et Paul Arma directeur musi-
il fuit l’Allemagne et gagne la France en 1933. Il conti- cal. Cette association a principalement une visée
nue son activité de compositeur, de pianiste mais sociale : les fondateurs souhaitent apporter à la
aussi de chef de chœur. Il dirige notamment la cho- jeunesse populaire une instruction musicale par le
rale juive de Paris, la chorale hongroise, la chorale chant choral, la pratique instrumentale ou encore
de Noirs américains et plusieurs chorales d’enfants, l’accès à des lieux comme des bibliothèques musi-
dont celle du patronage laïque de La Bellevilloise. cales ou des discothèques. Leur ambition va plus
Dans ses Mémoires à deux voix écrits avec Edmée, loin encore, selon un article du 22 janvier 1937
inédits à ce jour, il se rappellera qu’il « était capable consacré à l’association dans le quotidien L’Œuvre :
d’être un enfant parmi les enfants ». À partir de 1937, « […] le rapprochement, sous le signe de la musique
il crée l’association des Loisirs musicaux de la jeu- universelle, de tous les jeunes épris de liberté et de
nesse (LMJ). C’est dans le cadre de ce mouvement fraternité […]. »
qu’il rencontre en 1939 une jeune institutrice, Edmée
Louin, née en 1913. Passionnés tous deux par les tra- Cet objectif devra être réalisé autour des chansons
ditions musicales des peuples du monde, ils collec- traditionnelles et des œuvres musicales écrites pour
teront, harmoniseront, illustreront et publieront de la jeunesse. Et c’est tout le travail qui revient à Paul
nombreux recueils de chants et de danses pour les et Edmée Arma, de recueillir, collecter, harmoniser
enfants et les jeunes. et éditer « des chants du peuple pour le peuple ».

Les LMJ se développent rapidement et organisent


Les Loisirs de nombreux événements grâce aux bénévoles
musicaux et aux enseignants : des concerts dans les écoles
et même des « récréations musicales pour la jeu-
de la jeunesse nesse », d’une heure environ, intégrées au rythme
scolaire et à visée pédagogique. La chorale Les
L’association des LMJ imaginée par Paul Arma Jeunes Chanteurs de la liberté est créée grâce à
voit officiellement le jour le 17 janvier 1937, à la de nombreux jeunes gens, garçons et filles, qui
suite d’échanges avec Madeleine et Léo Lagrange, rejoignent les LMJ. On les retrouve lors de plusieurs

22 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


Anonyme, Edmée,
Paul et Miroka Arma,
le 14 avril 1941
à Gif-sur-Yvette.
© Collection Arma

concerts, dans des émissions de radio, et ils enre- petits ensembles instrumentaux et vocaux. C’est ainsi
gistrent même deux disques de chants traditionnels que l’un des premiers quatuors français de flûtes à bec
sous le label La Voix de son maître. Des groupes sera créé. Celui-ci permettra de restaurer et populari-
locaux se forment par la suite dans les arrondis- ser l’instrument auprès des jeunes ajistes (membres
sements de Paris ; des chorales d’enfants voient du mouvement des Auberges de jeunesse).
également le jour : ainsi, les Petits Chanteurs de la
liberté participent également très vite à de nom- En 1937, les LMJ éditent un carnet de dix chansons
breuses manifestations artistiques. intitulé Chantons au vent et destiné à aider ces
jeunes chanteurs à se souvenir des paroles, de la
Les LMJ organisent aussi des formations pour des mélodie, du refrain ou du rythme élancé pour mar-
moniteurs de chant, des conférences musicales com- cher : « Chantez seuls, chantez en chœur, en tout
mentées par le compositeur Jean Wiéner et créent de temps et en tout lieu. »

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 23


Edmée Arma (recueil établi par), Jean Lançois (paroles),
Maurice Tranchant (illustrations), Paul Arma (musique),
Chansons pour Miroka, Paris, Les Éditions ouvrières,
coll. « Les Farfadets », 1946.
© Collection Arma

Le travail jeunesse. Mais Paul Arma ne se décourage pas et il


de collectage imagine un recueil de chansons de métiers des pro-
vinces de France à l’usage des élèves de l’enseigne-
ment technique. Il faudra encore attendre quelques
Dans ses Mémoires à deux voix, Paul Arma évoque années pour que ce recueil soit publié aux éditions
son envie, dès 1937, d’un travail autour des mélodies J. Susse en 1942 (vol. 1), puis 1943 [vol. 2 et 3), sous le
populaires à destination des enfants et de l’ensei- titre Chantons le travail, Chants de métiers.
gnement. Pour le premier carnet des LMJ – Chantons
au vent (1937) –, il souhaite des chansons unique- Dès la rentrée de septembre 1937, les LMJ s’asso-
ment issues du folklore. Finalement, pour des ques- cient aux services des Arts et traditions populaires
tions de rentabilité, il est décidé de ne garder que (ATP) pour lancer l’idée d’une collecte de chants
des chants connus dans le monde des auberges de populaires.

24 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


Edmée et Paul Arma (recueil établi par), illustration d’Antoni Clavé, in Chansons pour Robin, carnet relié,
exemplaire unique, non édité, 1947.
© Collection Arma

Edmée et Paul Arma (recueil établi par), illustration


de Jean Effel, in Chansons pour Robin, carnet relié,
exemplaire unique, non édité, 1947.
© Collection Arma

CHANSONS POUR MIROKA ET ROBIN


Tandis que leur fille Mireille, surnommée Miroka, naît le 14 juillet 1940, Robin voit le jour le 9 mai
1945, comme un symbole de la paix retrouvée. Malgré les difficultés liées à la clandestinité et
aux restrictions pendant la guerre, Edmée et Paul Arma ne cessent de chanter pour leurs deux
enfants. L’album Chansons pour Miroka est publié aux Éditions ouvrières en 1946. Il est destiné aux
plus jeunes, sur le thème des animaux, avec de courtes mélodies richement illustrées pour émer-
veiller les enfants. Pour Robin, c’est un carnet de chansons agrémenté de dessins réalisés par des
amis chers au couple. Il reste aujourd’hui un document inédit et exceptionnel.

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 25


Paul Arma (recueil établi par), Jean Effel (illustrations), Les Chansons de l’Oncle Paul, opus 93, « Ma mère n’avait qu’une dent ».
Chansons sur cartes postales illustrées en trois couleurs, 1re série, Paris, Les Éditions ouvrières, 1943.
Collection particulière © Tous droits réservés

26 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


Commence pour Paul Arma une longue période Am stram gram
d’harmonisation de chants traditionnels à plu-
sieurs voix – Le berger qui me fait la cour et Institutrice de métier, Edmée Arma reste vouée
Jeanneton prend sa faucille (1939) pour voix mixtes toute sa vie à la passion de son mari et à sa carrière
a capella –, ainsi que la publication de nombreux de compositeur. Même s’ils travaillent ensemble
recueils thématiques de chansons pendant toute au collectage de recueils de chants, et notam-
la durée de la guerre : Huit Chansons de métiers, ment à celui du folklore de la Résistance, Edmée
Chantons le travail (161 chansons), Chantons au garde une passion pour le monde de l’enfance. En
vent (111), Chantons le passé (20), Noël ! Chantons témoigne son dernier recueil, publié aux éditions
Noël ! (151), Vieilles Chansons pour jeunes (29), À cœur joie en 1990, intitulé Am stram gram, un
Tous en chœur (30), Chantons les vieilles chansons véritable manuel de chants pour les enseignants
d’Europe (16), Unissons nos voix (16) 1, etc. Au total, qui peuvent l’utiliser à bon escient dans leur classe
près de cinq cents titres sont rassemblés et publiés pour faire chanter les élèves, grâce à de petites
en un répertoire de chants populaires français et formulettes, comptines et chansons.
étrangers grâce à Paul Arma. Pendant la guerre,
sa femme le rejoint très souvent à la Bibliothèque Edmée Arma commence ce travail d’édition autour
nationale pour recopier les textes, tandis que Paul de la chanson enfantine dès 1946, avec plusieurs
relève les musiques. Alors que l’on recherche Imre recueils comme Travaillons en chantant ou Chan­
Weisshaus, compositeur juif réfractaire au STO, sons pour Miroka (Les Éditions ouvrières, 1946). Elle
Paul Arma continue de collecter, composer et diri- se passionne ensuite pour la danse traditionnelle,
ger les LMJ. Il apprendra même quelques années toujours avec une vocation pédagogique, en
plus tard que certaines de ses chansons avaient publiant entre 1946 et 1958 des recueils richement
été envoyées aux prisonniers des stalags. illustrés : Voyez comme on danse (Henri Lemoine,
1946) ; Entrez dans la danse (Henri Lemoine, 1947) ;
Durant l’Occupation, Edmée et Paul Arma s’inté- … et maintenant, dansons ! (Fernand Nathan,
ressent également au folklore de la Résistance en 1949) ; Formons la ronde (Fernand Nathan, 1950) ;
recueillant plus de mille chansons écrites dans la Jouons, dansons et chantons (Bloud et Gay, 1958).
clandestinité. Il s’agit d’un folklore vivant, spon- On y trouve des explications très précises des pas
tané, créé pour s’exprimer et se sentir libre. Après qui permettaient aux enseignants de reproduire
des appels lancés sur les ondes et dans la presse, chaque danse ou ronde traditionnelle. Viendront
de janvier à juillet 1945, Paul Arma reçoit d’autres ensuite des berceuses de tous les pays avec
chants, en plus de ceux déjà collectés. Au total, on Chansons du berceau, un recueil de 84 berceuses
comptabilise près de 1 300 textes recueillis par le du folklore français et étranger publié en 1965 aux
couple dans un tapuscrit aujourd’hui conservé aux Éditions ouvrières, illustré par leur fils, Robin Arma.
Archives de la Ville de Thionville. Ces berceuses paraîtront également dans une
version hongroise en 1973.
En 1942, Paul Arma fait paraître des cartes postales
avec musique et paroles, illustrées par Edmée Edmée Arma publiera aussi plusieurs livres pour
Arma, Jacqueline Gaillard, Guy Georget, Jean enfants dans la collection « Les farfadets », tou­
Effel, Jean-Paul Razavet et Maurice Tranchant. jours aux Éditions ouvrières, comme Le Merveil­leux
Ce très beau travail richement illustré s’intitule Noël dans la forêt, Sept Contes finnois ou encore
Les Chansons de l’oncle Paul. La Malle merveilleuse qui permettait aux petites
filles d’habiller des poupées en papier grâce à un
système de découpage.

Dans ses recueils comme dans les nombreux


1.  Huit Chansons de métiers, Chantons le travail, Paris,
articles qu’elle publiera pour favoriser la pratique
Rouart-Lerolle & Cie, 1941 ; Chantons au vent, Paris, éditions J. Susse, de l’éducation musicale à l’école, on retrouve
1942 ; Chantons le passé, Paris, Rouart-Lerolle & Cie, 1942 ; Noël ! sa passion de la musique et de son métier, son
Chantons Noël !, Vieilles Chansons pour jeunes et Tous en chœur,
Les Éditions ouvrières, 1942 ; Chantons les vieilles chansons d’Europe goût pour l’apprentissage, la découverte et la
et Unissons nos voix, Les Éditions ouvrières, 1943. transmission.

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 27


Article

Bouts d’ficelle
et Ritournelles
Les cahiers de collecte
du folklore enfantin
des années 1930 mis en sons
Anne Damon-Guillot,
enseignante-chercheuse à l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne,
département de musicologie, unité de recherche Eccla

La fiction musicale Bouts d’ficelle et Ritournelles, créée réunit les chantres de l’Éducation nouvelle (comme
spécialement pour l’exposition par les étudiants du Jean Baucomont, inspecteur de l’Enseignement
master Musique et musicologie de l’université de Saint- primaire) qui placent alors l’enfant, et non plus les
Étienne, sous la direction de Péroline Barbet et Anne savoirs, au centre de l’action éducative. Il est en
Damon-Guillot, peut être écoutée sur le site M/Ondes : même temps porté par des compositeurs (comme le
http://peroline-barbet.com/bouts-dficellesritournelles directeur de la Schola Cantorum Vincent d’Indy), qui
associent à la « saine simplicité du folklore » celle du
Quand j’ai découvert aux Archives nationales le fonds peuple. Le projet se veut scientifique enfin : avec le
de l’enquête-concours menée en 1931 et 1932 sur le folkloriste et ethnographe Arnold Van Gennep, Alice
folklore enfantin (communément appelé le « fonds Coirault, inspectrice générale des Écoles mater-
Baucomont », du nom de celui qui a coordonné la col- nelles et épouse de Patrice Coirault, spécialiste
lecte), j’ai immédiatement été saisie par la richesse de la chanson traditionnelle française, ou encore
du patrimoine sonore qu’il révèle et par sa dimension Paul Rivet, professeur de la chaire d’anthropologie
sensible. En effet, ces quelque 10 000 feuillets soi- du Muséum national d’histoire naturelle, il inscrit
gneusement rédigés par les institutrices et institu- l’enfance dans des questions ethnographiques et
teurs comprennent non seulement des devinettes, anthropologiques. En effet, les entreprises précé-
des chansons, des rondes et des jeux – dont les dentes autour du folklore enfantin – Eugène Rolland
enseignants ont tenté de reproduire les mélodies et ses Rimes et jeux de l’enfance parus en 1883, par
et les prononciations – mais aussi leurs remarques, exemple – ne contextualisaient pas les collectes ni
mi-agacées, mi-attendries, face à leurs élèves et ne livraient de véritables analyses.
en miroir de leurs propres souvenirs d’enfants.
Avec les étudiants du master Musique et musicolo-
En 1931, Le Manuel général de l’instruction primaire, gie de l’université de Saint-Étienne, accompagnés
« journal officiel » du ministère de l’Instruction par la documentariste Péroline Barbet, nous avons
publique de l’époque, sollicitait les institutrices et tenté de rendre audible cette polyphonie de voix
instituteurs de France pour collecter le « folklore qui émanait des cahiers jaunis des années 1930.
enfantin tout entier ». Entreprise aussi ambitieuse Il en résulte une création sonore intitulée Bouts
qu’utopiste, caractéristique des volontés holistiques d’ficelle et Ritournelles, entre documentaire histo-
du folklorisme. Ce projet toutefois avant-gardiste rique et fiction, qui propose une approche sensible

28 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


de la mémoire. Nous avons considéré l’archive
comme un outil de documentation scientifique
« – Alice Coirault : Et J’ai le hoquet,
mais aussi comme une invocation, un « jardin de on la met où ?
cocagne », pour une écoute augmentée du monde.
– Jean Baucomont : J’sais pas…
Péroline Barbet nous a guidés pour mettre ce fonds on a qu’à appeler ça “Formulettes
en récit, sous la forme d’un scénario. Comment
amener les grandes questions que pose cette
d’incantation diverses”. »
ample collecte de 1931 ? Pour ce faire, nous com-
mençons notre fiction par les sons actuels d’une La scène sonore qui suit est directement tirée du
cour de récréation enregistrés à l’école maternelle numéro du Manuel général de l’instruction pri-
Chappe de Saint-Étienne, complice du projet. À cette maire daté du 24 janvier 1931. Nous avons choisi de
ambiance sonore se greffent, sur la chansonnette livrer le texte officiel du lancement de l’enquête-
bien connue des Trois P’tits Chats, les voix de concours sous la forme d’une annonce publique :
deux enfants scolarisés tout près du bâtiment des il est déclamé sur un roulement de tambour, avec
Forges dans lequel notre travail collectif s’élabore. un effet de micro visant à donner un aspect
C’est dans ce même bâtiment – quand il n’était pas « années 30 » au timbre de la voix.
encore un Centre des savoirs pour l’innovation rat-
taché à l’université mais une usine – que l’une des Viennent ensuite des scènes qui font entendre les
« voix » de notre bande sonore a travaillé jadis. Il voix de deux enseignantes, jouées par une étudiante
s’agit du grand-père d’une étudiante qui a participé et moi-même. Suite à un long travail de sélection,
au projet avec plaisir ; c’est lui qui demande à voix sur les cinquante-deux institutrices et instituteurs
haute : « D’où viennent les comptines ? » S’engage qui ont participé à l’enquête-concours, nous avons
un court dialogue intergénérationnel avec l’une des retenu Germaine Cuisin (de Paisy-Cosdon, Aube) et
deux enfants, avant qu’il ne propose de conter « la Reine Giry (de Périgueux, Dordogne) 1. La première
folle histoire de Jean Baucomont » : livre un témoignage émouvant car l’exercice de
la collecte la plonge dans ses propres souvenirs
d’enfance. Devenue « institutrice dans le pays où
« Ce sera l’histoire des cours [elle était] écolière », elle décrit avec une délecta-
d’école, de l’enfance et des tion palpable le jeu du « Pata-oup » – l’équivalent
du jeu du loup –, qui reste, « comme autrefois, […]
chansons. Il y aura les belles le grand favori ». Ce cri, « Pata-oup », que les élèves
et les anodines, les idiotes et de maternelle avec lesquels nous avons collaboré
ont bien volontiers poussé, accompagne ainsi les
les historiques, les très courtes paroles de l’institutrice. Germaine Cuisin se remé-
et les longues. Elles se laisseront more également le « jeu de la cachette courante »
(ill. 1, p. 30) auquel ses élèves jouent toujours ; elle
écouter comme des énigmes se montre partagée entre son devoir de l’interdire
qu’aucune tentative d’explication (« parce qu’on s’y échauffe trop ») et une tolérance
compréhensive.
scientifique, aucune volonté de
classement, ne viendront épuiser. » La seconde institutrice, Reine Giry, s’interroge quant à
elle sur la transmission des chansons : « Les enfants
Un son de drone assure la transition avec la scène ne les aiment pas toutes ; ils en adoptent, on ne
suivante, jouée par trois étudiants de musicologie. Il sait pourquoi, quelques-unes qu’ils se transmettent
s’agit d’un dialogue imaginaire entre trois membres (en entier ou en partie), souvent en les déformant ;
du comité de l’enquête-concours : Jean Baucomont, elles entrent par élection dans leur répertoire. » Il y a
Vincent d’Indy et Alice Coirault. Avec humour, les
interprètes mettent en scène l’effort classificatoire
1.  Fonds de l’enquête-concours sur le folklore enfantin,
des folkloristes, ainsi que sa part d’arbitraire et, Archives nationales [cote 201306482 pour Germaine Cuisin,
d’une certaine manière, d’absurde : et cote 201306483 pour Reine Giry].

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 29


1 2

1. Le jeu de la cachette courante raconté par


Germaine Cuisin (Paisy-Cosdon, Aube) en 1931
[cote : 20130648/2] :

« […] à droite le préau, puis l’église, et entre ces


deux constructions une sorte de couloir herbeux qui
tourne […] quelles courses folles peuvent se livrer
là-dedans… et que c’est bon d’être blotti derrière un
pan de mur… de guetter celui qui pique, de croire
le voir venir, de faire tout le tour de l’église, le cœur
battant, et d’essayer de revenir au but, après avoir,
croit-on, eu des ruses de Peau-rouge. Petits et
grands, garçons et filles y jouent… […] »

2. Il était un Kaiser, sur l’air du Roi Dagobert,


recueilli par Reine Giry (Dordogne) en 1931
[cote : 20130648/3].

3. Comptine sur les abbés de la paroisse recueillie


par M. Gillet (Loire) en 1931 [cote : 20130648/6].
Sources : Archives nationales, MNATP, fonds de l’enquête-concours
sur le folklore enfantin.
3

30 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


celles qui viennent de l’école : Adieu l’hiver morose, Marche du Velay, que l’un des étudiants a en charge,
vive la rose de Maurice Bouchor a toujours connu ont ainsi enregistré une comptine issue du témoi-
un franc succès auprès des élèves que Reine Giry a gnage d’un autre instituteur de l’enquête-concours,
connus durant ses vingt-cinq ans d’enseignement. M. Gillet. La comptine, inventée par un certain Paul
« La poésie naïve » de Bouchor, associée à la « saine Laubuge, âgé de 8 ans en 1931, met en scène trois
simplicité » des mélodies populaires, ferait de lui abbés de la paroisse (ill. 3, p. 30).
« l’inventeur de la chanson scolaire républicaine 2 ».
Mais il y a aussi les chansons entendues dans la rue, Le générique de fin reprend une chanson du pot-
ou fredonnées en cachette par les grands frères. pourri d’actualités recueilli par Reine Giry. Les étu-
Pleine de second degré, sans complaisance, Reine diants font une proposition musicale actuelle et
Giry rapporte plusieurs pages de folklore obscène 3. pleine d’humour de Sur la ligne du front chantée sur
Les enfants avec lesquels nous avons travaillé inter- l’air de Sur le pont d’Avignon.
prètent ces chansons avec un plaisir évident, révé-
lant à l’occasion le potentiel radiophonique de la Notre fiction musicale veut mettre en exergue des
voix enfantine qui suscite l’adhésion, l’empathie et continuités, que ce soient des pratiques communes
l’intérêt. Un de mes étudiants imagine un accom- entre hier et aujourd’hui – telle la transmission entre
pagnement à l’accordéon à la « scottish 4 » obscène enfants des jeux chantés dans la cour d’école – ou
Y a-t-il longtemps que vous n’l’avez pas vu ?, trans- bien des airs qui ont traversé les années ; avec les
crite par Reine Giry. Si cette dernière connaît cette références à la Première Guerre mondiale ou bien
chanson depuis 1905, l’étudiant, lui, l’avait apprise celles à une culture chansonnière propre aux pre-
de son grand-père… Les élèves de Reine Giry enri- mières décennies du xxe siècle, elle raconte aussi
chissent également leur répertoire avec les chan- que « le temps a passé ».
sons du music-hall. Ainsi, « un heureux » a vu Le Roi
des resquilleurs (de Pierre Colombier, 1930) au Entre reconstitutions en studio, enregistrements de
cinéma. Deux chansons du film constituent alors, terrain, archives, arrangements musicaux, ambian­
dans notre fiction musicale, le fond sonore derrière ces sonores et évocations électroacoustiques,
la voix de l’institutrice : J’ai ma combine et C’est pour nous avons dialogué avec cette collecte de 1931-
mon papa, dont Reine Giry nous explique que les 1932 et avons tenté de rendre leur oralité à ces voix
enfants n’en connaissaient pas vraiment les paroles, d’enfants, si lointaines et pourtant si familières.
fabriquant alors une « chanson fantaisiste ». Nous Finalement, cette « jeune fille de 90 ans » mise en
avons aussi retenu des chansons enfantines faites scène dans l’une des chansons d’enfants qui ponc-
sur des sujets « politiques ou historiques ». Pendant tuent notre récit semble être ce fonds Baucomont
la guerre, Reine Giry a recueilli un « pot-pourri d’ac- même, recueilli il y a presque un siècle.
tualités 5 » : par exemple, Il était un Kaiser (ill. 2,
p. 30), qui se chante sur l’air du Roi Dagobert. Mes
étudiants se prêtent au jeu et en proposent une
version accompagnée au piano dans notre docu-
fiction. Enfin, Reine Giry évoque les chansons que les
enfants inventent. Ici, nous avons mêlé les sources,
assumant la part de construction de notre travail :
les élèves du groupe d’éveil musical de l’école
intercommunale de musiques et de danses (EIMD)

2.  Claire Giordanengo, « Maurice Bouchor : une vie dédiée


à l’éducation populaire », Interfaces, 2020
[En ligne : https://bibulyon.hypotheses.org/15133].
3.  Sur cette question, voir Claude Gaignebet, Le Folklore obscène
des enfants, Paris, Maisonneuve et Larose, 1974 (3e éd. 2002).
4.  Le terme désigne une danse de couple à deux temps et,
par métonymie, la musique qui y est associée.
5.  Fonds de l’enquête-concours sur le folklore enfantin,
Archives nationales [cote 201306483].

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 31


Portfolio par Emmanuelle Macaigne

La Mère Michel
dans tous ses états
La Mère Michel est représentative de ces chansons issues du patrimoine oral qui se situent à la croisée des
cultures populaire, savante, adulte et enfantine. Au xixe siècle, l’action des folkloristes, éducateurs et édi-
teurs pour la jeunesse va contribuer à l’inscrire définitivement dans le répertoire de l’enfance. La richesse
des iconographies, des supports et des sphères dans lesquels se déploie la chanson trouve son écho dans
une même variété musicale.

Dans cet ouvrage du xixe siècle, les trois principaux couplets


de La Mère Michel sont insérés dans une historiette mettant
en scène un jeune Raoul, bercé par sa bonne. L’illustration montre
un quotidien rassurant, peu caractéristique des « pitoyables
aventures du chat de la Mère Michel ». Le choix de cette
chanson laisse penser qu’il existait certainement déjà
une pratique orale la liant à l’endormissement du petit enfant.
L’air était suffisamment connu pour que la musique ne soit pas
notée. Les folkloristes y remédieront.

J. Mayer, Lassalle (illustrations), Un grand livre


pour les petits enfants. Alphabet suivi
des Contes et Chansons de ma bonne, Paris,
éd. A. Bédelet, v. 1845. [Inv. 1993.01211]

32 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


1

Ces deux « fantaisies » des années 1860 destinées à des spectacles de projection
lumineuse inscrivent la chanson dans le champ du divertissement humoristique.
L’histoire est résumée en cinq images seulement. L’univers populaire, la cocasserie,
voire la caricature, sont déjà présents.

1. Fantaisie n° 1, C’est la Mère Michel qui a perdu son chat, vue sur verre, v. 1860.
[Inv. 1979.18216.1]

2. Fantaisie n° 2, Il est dans un grenier, vue sur verre, v. 1860. [Inv. 1979.18216.2]

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 33


SOMMAIRE

1
3

Les planches d’imagerie populaire diffusent largement la chanson au xixe siècle, autour de multiples variations.
L’éditeur de Metz propose « la véritable histoire de la Mère Michel », celle de la vengeance de Lustucru dédaigné
par une jeune femme qui allait épouser le Père Michel. L’Imagerie d’Épinal met l’accent sur la truculence
des personnages : une vieille femme en haillons et avinée agrippe un Père Lustucru ensanglanté ; un chat est même
cloué au billot par un couteau. Une autre planche, du même éditeur, convoque plus de personnages : le boulanger
ou M. Rabat-Joie, le commissaire, le marchand de vin et le voisin Grégoire qui provoque Lustucru en duel et épouse
la Mère Michel. La référence à l’univers guignolesque est d’ailleurs particulièrement marquée dans l’Imagerie
de Nancy. On remarque que les planches à image unique présentent souvent la même scène : la Mère Michel
à la fenêtre, le Père Lustucru en cuisinier – avec un couteau plus ou moins ensanglanté – et le chat, plus ou moins
mort. L’imagerie populaire produit en effet des variantes destinées aux plus jeunes, moins sanglantes et moins
cruelles pour les animaux.

1. Imagerie d’Épinal, Le Chat de la Mère Michel, Pellerin, v. 1880. Bois de fil colorié au pochoir. [Inv. 1979.19126]

2. Imagerie de Metz, Véritable Histoire de la Mère Michel et de son chat (chanson illustrée), Thomas et Roy, v. 1863.
Chromotypographie. [Inv. 1979.23738]

3. Imagerie de Nancy, La Mère Michel, E. Ferry, v. 1910. [Inv. 1981.00033.42]

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 35


Pour la jeunesse, auteurs et illustrateurs
cherchent à s’adapter à la sensibilité
enfantine. Dès 1882, Maurice Boutet
de Monvel propose une illustration apaisée,
aux couleurs douces. Le sort du chat est
plus suggéré que montré. Un autre procédé
d’adaptation consiste à mettre en scène
des enfants. C’est le cas de Béatrice Mallet
qui réalise, dans les années 1930,
une illustration joyeuse et colorée
gommant les aspects les plus violents :
la casserole à la ceinture du Père Lustucru
remplace le couteau et son chat, certes
caché derrière le dos, est bien vivant
et hilare.

1. L.-M. Boutet de Monvel (texte, illustrations),


Ch. Widor (accompagnements), Vieilles
Chansons et rondes pour les petits enfants,
« La Mère Michel », Paris, Plon-Nourrit & Cie,
v. 1900. [Inv. 1979.32461]

2. Béatrice Mallet, Nos premières chansons,


« La Mère Michel », Liège, Chagor, v. 1930.
[Inv. 1979.32549]
1

L’univers visuel des enfants est aussi


celui du jouet et de l’imagerie publicitaire.
L’illustration de B. Frings se retrouve sur un puzzle
ou une carte-réclame pour les grands magasins
« À la ville de Saint-Denis ».

B. Frings, La Mère Michel, Paris, v. 1900.


Puzzle imprimé sur carton. [Inv. 2019.25.7.4]

36 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


Les variations littéraires à partir du thème de la Mère Michel et de son chat
sont nombreuses. En témoigne ce « livre à système » où apparaissent,
quand on tire sur une languette, deux chats chantant et la Mère Michel qui
se bouche les oreilles. Plus proche du sujet, le roman d’Émile de La Bédollière,
édité en 1846 à destination des plus jeunes (Hetzel et Le Nouveau Magasin
des enfants), narre les aventures du chat Moumouth confié aux bons soins
d’une dame de compagnie, la Mère Michel, et qui subit différentes tentatives
d’élimination par le maître d’hôtel Lustucru. Ce dernier terminera lui-même
dévoré par des anthropophages. La version conservée par le Munaé est
une réédition de 1946, avec des illustrations de Françoise Estachy.

1. Pierre Delcourt, La Mère Michel, Paris, A. Capendu éditeur, v. 1900.


Chronolithographie. [Inv. 2021.34.1]

2. Émile de la Bédollière (texte), Françoise Estachy (illustrations),


Histoire de la Mère Michel et de son chat, Paris, Les éditions des Quatre Vents,
1946. [Inv. 2005.00100]

1 2

La chanson fait également partie de l’univers des enfants scolarisés.


Sur la couverture de cahier reproduite ci-contre, le sort du chat, dont
le portrait apparaît sous un rôti fumant, est laissé à la libre interprétation
de chacun. Un autre exemple place la chanson dans l’univers du jeu :
le chat est caché dans l’image, il n’y a pas besoin de raconter l’histoire.

1. La Mère Michel,
couverture de cahier,
v. 1890. [Inv. 2015.8.2562]

2. Nouvelles Devinettes,
« Cherchez le chat
de la Mère Michel »,
Pont-à-Mousson,
Marcel Vagné, v. 1900.
Couverture de cahier
(22,8 cm x 17,4 cm
détail). [Inv.
1979.28688.11]

1 2

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 37


1

La chanson est présente dans le contexte des fêtes scolaires.


Dans ce cadre, « La Mère Michel » devient un type de déguisement
ou le thème d’un ballet-pantomime. Une photographie
des années 1950 montre un exemple de mise en scène dans
une école maternelle d’Amiens.
Les élèves semblent néanmoins aimer dessiner les détails comme
le couteau ensanglanté et le chat bien mort ! Ce dessin fait partie
d’une série sur les chansons traditionnelles réalisée par les élèves
du cours complémentaire de jeunes filles de la rue Patay, à Paris,
sous la direction d’Adrienne Jouclard.

1. Photographie insérée dans le livret d’accompagnement du disque


de Georges Hacquard, Maurice Oléon, J.-J. Pitres (théorie et livret),
Robert Lopez (musique), C’est la Mère Michel. Sur un air de France.
Ballet pantomime. L’encyclopédie sonore, disque 190 E 811, Paris, 3
Librairie Hachette-Ducretet Thomson, 1959. [Inv. 2010.05290 (1-3)]

2. Lucien Vasseur, Mesdames Questes et Gianelli (texte),


Jean Pourchaux (illustrations), Pour nos fêtes scolaires.
Costumons-nous : décors, costumes, patron, « La Mère Michel »,
Paris, Fernand Nathan, 1934. [Inv. 2019.25.10]

3. Tavail d’élève (L. Marchand), C’est la Mère Michel qui a perdu son
chat, cours complémentaire de l’école de jeunes filles, rue de Patay,
Paris, v. 1940, gouache sur feuille Canson. [Inv. 1979.09380.2]

38 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


1

Jusqu’aux années 1950 au moins, la chanson de La Mère Michel est diffusée à l’école primaire
comme maternelle. Ici, elle est identifiée sur une affiche scolaire des années 1920 et sur
un film fixe.

1. La Mère Michel, v. 1920. Frise imprimée en couleur (26,5 cm x 68,7 cm). [Inv. 2010.05952.3]

2. La Mère Michel, Collection des écoles maternelles et des classes enfantines, série
« Vieilles chansons françaises », n° 6621, Paris, Éditions nouvelles pour l’enseignement,
v. 1950. Film imprimé sur pellicule Kodak, 30 vues sous-titrées. [Inv. 1989.00761.8]

EN COMPLÉMENT
Anne Damon-Guillot et les étudiants en musicologie de l’université de Saint-
Étienne ont réalisé une bande sonore à partir de douze versions de La Mère
Michel, à retrouver dans l’exposition ou sur reseau-canope.fr, à la page consacrée
au présent catalogue.

Pour en savoir plus, avec l’aimable autorisation des auteurs :


– Michel Manson, « Naissance d’une chanson pour enfant : la Mère Michel »,
in Florence Gaiotti et Éléonore Hamaide-Jager (dir.), La Chanson dans la litté-
rature d’enfance et de jeunesse, Arras, Artois Presses Université, 2020, p. 21-38
[article accessible sur le site de Réseau Canopé].
– François Picard, à propos de deux airs de La Mère Michel [article accessible
dans la rubrique « Fichier » sur halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03609102].

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 39


Portfolio par Béatrice Allais et Emmanuelle Macaigne

La radio scolaire
La première radio scolaire émet en Grande-Bretagne, en 1927. En France, une première expérimenta-
tion est lancée en 1929 dans le protectorat français du Maroc. En 1930, la Ligue de radiophonie scolaire
est créée et des initiatives locales s’organisent. Durant les étés 1935 et 1936, le poste de la tour Eiffel
diffuse des « cours de vacances par TSF » pour les candidats à la session d’octobre du baccalauréat.
En 1937, Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts, généralise cette expérience.
Pendant la guerre, des émissions sont confiées au Service d’enseignement par correspondance et,
à la Libération, à la Radiodiffusion française. Enfin, à la rentrée 1951-1952, le service de la Radio-
télévision scolaire (RTS) 1 est créé.

1. Jean Suquet, Radio scolaire :


une chorale de garçons, Paris, 1955.
[Fonds IPN, Photothèque de l’enfance
et de l’adolescence – Inv. 1978.05290.1158]

2. Récepteur combiné Marconi 55 C,


v. 1950. Matériel didactique. Poste
de radio à coffrage bois, surmonté
d’un tourne-disque avec couvercle
« La Voix de son Maître », n° 341.
[Inv. 2011.01599]
1

1.  Pour aller plus loin : Thierry Lefebvre, « À la recherche de la radio scolaire. Une patrimonialisation en cours »,
Sociétés & Représentations, n° 35, 2013, p. 109-116. (En ligne : https://doi.org/10.3917/sr.035.0109)

40 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


1

1 et 2. Georges Hacquard (texte), Grimaud


(illustrations), Chant et poésie pour les enfants
de 5 à 10 ans. L’encyclopédie sonore. Répertoire
de la radio scolaire, disque 190E925. Pochette
du disque phonogramme et double-page
du livret inséré, Paris, Librairie Hachette,
v. 1964. [Inv. 2010.05400] 2

Les émissions de la RTS constituent des supports En 1964, 142 chants ont été enregistrés, pour un audi-
pédagogiques diffusés en classe, autour d’un poste toire estimé à deux millions d’élèves. L’apprentissage
de radio, selon un programme national et une grille d’un chant est souvent réparti sur trois émissions,
horaire de diffusion fixe. Si l’apprentissage des structurées chacune de manière identique : présen-
langues et de la musique est d’abord favorisé, tation des participants, échauffement de la voix, puis
toutes les disciplines sont peu à peu abordées et pas à pas, émaillé de conseils, faisant progressive-
la forme des émissions se diversifie : cours, repor- ment apprendre le chant par parties, écoutées puis
tages, débats, entretiens, magazines, radiovision reproduites. Des émissions trimestrielles de révi-
à partir de diapositives. Le dispositif atteint son sion sont également proposées. Les émissions sont
apogée entre 1964 et 1976. Durant cette période, de préparées et animées par Jean Ruault, qui assure
15 à 21 heures d’émissions sont diffusées chaque aussi les harmonisations ; elles sont enregistrées
semaine sur France Culture et France Inter. Ce patri- en studio, avec un chœur constitué d’élèves de 7 à
moine radiophonique, produit de 1955 à 1992 par 14 ans, sans compétences musicales particulières.
le ministère de l’Éducation nationale, rassemble Un soliste peut également compléter l’équipe. Dans
12 000 bandes conservées par les Archives audiovi- les années 1970, la classe préparatoire de la Maîtrise
suelles de Réseau Canopé. de Radio France est sollicitée, sous la direction de
Jacques Jouineau et Roger Calmel.
D’octobre 1953 à juin 1972, les émissions de chant
sont produites par Jean Ruault, professeur d’édu- Les leçons radiophoniques sont bientôt complétées
cation musicale dans les écoles parisiennes et à par des brochures mises en vente pour les écoles.
l’École normale d’instituteurs, et sa femme Solange. Ces ressources se déclinent par niveau scolaire. Elles
En 1964, interviewé à l’occasion de la 1 000e émis- présentent d’abord les chants déjà diffusés, puis les
sion 2, il explique que, en 1953, ces émissions avaient chants et récitations qui feront l’objet d’un apprentis-
été pensées, pour l’enseignement par correspon- sage dans l’année, et sont très vite agrémentées de
dance et pour les malades, avant d’être rapidement disques vinyles. Ces recueils sont édités par les orga-
utilisées dans les écoles pour pallier le manque de nismes dont dépend la RTS ou bien, en étroite collabo-
professeurs spécialisés. Leur objectif était de faire ration avec elle, par des éditeurs scolaires – comme
aimer la « bonne musique ». Nathan pour Chants et Récitations, ou Hachette pour
Chant et Poésie. Les plus jeunes apprennent plutôt
2.  Institut pédagogique national (France), Bulletin de la Radio-télévision des chants populaires, tandis que les plus grands
scolaire du 10 au 18 avril 1964. s’exercent à partir du répertoire savant.

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 41


Portfolio par Anne Damon-Guillot

Une poule sur un mur :


la comptine
des comptines
« La comptine des comptines ». C’est ainsi que le poète Philippe Soupault qualifie Une poule sur un
mur dans son émission « Comptines », diffusée sur la RTF en 1957 et 1958. Retrouvant le merveilleux
surréaliste (dont il a été l’un des chantres) dans une forme de pratique privilégiée chez les enfants
d’école maternelle, Philippe Soupault caractérise la comptine par la concentration poétique de la for-
mule. Il se distingue en cela de la définition des folkloristes qui, tel Jean Baucomont, voient d’abord en
la comptine une formulette d’élimination – pour compter, éliminer/élire, dans le cadre d’un jeu.

1 et 2. Une poule sur un mur, version présentée comme traditionnelle


(ill. 1) et version belge (ill. 2) par Frank Guibat in Les Comptines
de langue française, recueillies et commentées par J. Baucomont,
F. Guibat, Tante Lucile, R. Pinon et Ph. Soupault, Paris, Seghers, 1975
[1961], « Mélodie et rythme des comptines ».

3. Une poule sur un mur, version transcrite par Jean-Baptiste Weckerlin


in Chansons et rondes enfantines. Avec notices et accompagnement
de piano, Paris, Garnier Frères libraires-éditeurs, vers 1895.
[Inv. 1979.32459]

42 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


1

1. Une poule sur un mur, transcription par Anne Damon-Guillot, in Michèle Garabédian, Magdeleine Lerasle, Françoise Pétreault,
Les Plus Belles Comptines des p’tits lascars (3-6 ans), Paris, Didier jeunesse, 2007.

2. Discoflex-Baby n° 61 : Une poule sur un mur, disque 78 tours en carton plastifié illustré en couleur sur les deux faces, vers 1930.
[Inv. 2016.89.25]. Version interprétée par les chanteurs de l’Opéra-Comique Marcelle Bordas et René Hérent, arrangée par Pierre Blois.

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 43


p. 42), d’origine belge, montre que, comme « une
mélodie peut être commune à plusieurs comp-
tines, le même texte peut se chanter sur plusieurs
timbres 2 ». Par exemple, le disque illustré des
années 1930 conservé au Munaé (ill. 1, p. 43) pro-
pose encore une autre mélodie, commune cette
fois à celle transcrite par Jean-Baptiste Weckerlin
dans ses Chansons et rondes enfantines accom-
pagnées au piano et publiées en 1885 (ill. 1, p. 43).

Si les versions d’Une poule sur un mur diffèrent,


on repère toutefois des éléments récurrents : le
rythme constitué de successions de croches et de
noires, ainsi qu’une grande partie du texte – « Une
poule sur un mur / Qui picotait (ou « picote ») du
pain dur / Picoti, Picota ». Mais la comparaison
avec d’autres versions –  comme celles, sans
transcription musicale, livrées par Eugène Rolland
(ci-contre) – ne permet pas de considérer ces élé-
ments comme des invariants textuels.

Finalement, les critères identificatoires sont mo­­


biles. Par exemple, si « sur un mur » se retrouve dans
la plupart des versions mais pas dans la variante
du Morbihan relevée par Rolland, le groupe ver-
bal « lève la queue », lui, apparaît bien dans cette
dernière ; la présence de ces termes, mais aussi
de « s’en va » et des « piqu- » de « piquette, piquait,
Versions sans transcription musicale livrées par Eugène Rolland, piquant », suffit à associer cette formulette à
in Les Littératures populaires de toutes les nations. Traditions, Une poule sur un mur. Sur le plan mélodique,
légendes, contes, chansons, proverbes, devinettes, superstitions,
t. XIV, chap. XI : « Rimes et jeux de l’enfance. Formulettes
l’ambitus est généralement restreint et la plupart
d’élimination au jeu. 6. Une pourle sur un mur », Paris, des versions fonctionnent avec deux notes formant
Maisonneuve, 1883. une seconde majeure, et une troisième note à dis-
Source : archive.org
tance de quarte ou de quinte des deux notes précé-
dentes, mais dans un ordre qui varie. Plutôt que sur
Une poule sur un mur a connu de nombreuses des invariants qui nous permettraient de trouver
versions. Dans un texte musicologique introductif un modèle commun, Une poule sur un mur repose
à l’ouvrage Les Comptines de langue française 1, sur un certain nombre d’éléments identificatoires
le chanteur-compositeur suisse Frank Guibat en mobiles, autrement dit une circulation de formules
présente deux différentes. Celles-ci ne corres- textuelles et mélodiques qui se combinent.
pondent pas à l’air sur lequel on chante générale-
ment cette comptine aujourd’hui – la production Une poule sur un mur s’est désormais standardi-
discographique l’ayant en partie figé depuis les sée et ne subit plus que quelques variations, d’une
années 1960. La première version (ill. 1, p. 42) est interprétation à une autre. Toutefois, si l’identifi-
présentée comme la plus traditionnelle – elle cation de la chanson est toujours possible, c’est
partage d’ailleurs son timbre (c’est-à-dire son air) parce qu’elle repose sur un patrimoine partagé
avec Ma grand-mère est enfermée. La seconde (ill. 2, qui peut exister même avec des ellipses. L’auteur-
illustrateur Claude Ponti nous le rappelle avec
génie et humour dans son album Pétronille et ses
1.  Frank Guibat, « Mélodie et rythme des comptines », in Jean
Baucomont, Philippe Soupault et al. (dir.) [1961], Les Comptines
de langue française, Paris, Seghers, 3e éd. 1975, p. 26-51. 2.  Ibid., p. 44.

44 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


Claude Ponti, Pétronille et ses 120 petits, Paris, © l’école des loisirs, 1990, p. 40-41.

120 petits (ci-dessus). Il fait cette citation comme qu’héroïne de la chanson, en tant que référence
en passant ; les enfants (« les petits ») rencontrent patrimoniale… ce qui amène les enfants à chanter.
en effet une poule sur le chemin du retour vers Représentée sous les traits d’une diva de cabaret,
leur maison, alors qu’elle n’est pas un personnage d’une femme à barbe de cirque, la poule de Claude
du récit. La chanson est évoquée avec l’article Ponti devient pleinement « la poule sur un mur »
défini (« la poule de la chanson »), car il s’agit de puisqu’elle « lève la queue et puis s’en va » quand
celle que tout le monde connaît – pas besoin de les enfants lui chantent sa chanson. Il revient ainsi
« Picoti, Picota », ni du texte complet et ordonné aux enfants le rôle de transmettre et de faire vivre
pour l’identifier. Toutefois, la poule s’ignore en tant un répertoire.

SOMMAIRE EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! 45


1

1. Une poule sur un mur, illustrations de Félix Lorioux, Paris,


Hachette et Cie, coll. « L’indéchirable », vers 1920. Comptine
imprimée en couleur sur feuillet de tissu (28 cm x 23 cm).
[Inv. 1978.00054]

2. Travail d’élève, cours complémentaire de l’école de jeunes filles


rue de Patay (Paris), vers 1940. Dessin sur feuille de Canson,
gouache et texte à l’encre noire (16,5 cm x 21 cm).
[Inv. 1979.09381.3].

Une poule sur un mur peut être chantée comme une La vitalité de la comptine Une poule sur un mur
formulette d’élimination, mais elle peut aussi devenir doit sans doute à la diversité de ses modalités de
une ronde, comme le montre la peinture d’élève issue circulation, au croisement du livre et de l’oralité.
du fonds Jouclard ci-dessus. Elle est souvent inter- De plus, sa simplicité et son économie de moyens
prétée comme une « enfantine », pour reprendre le lui donnent un grand pouvoir d’évocation qui, tout
terme proposé par Marie-Claire Bruley et Lya Tourn 3, comme le jeu sonore qu’elle implique, suscitent
c’est-à-dire prononcée par un adulte pour un enfant ensemble une adhésion de l’enfant 5. Enfin, comp-
très jeune. Elle présente alors un intérêt « au niveau tine, ronde ou enfantine, Une poule sur un mur
du jeu des rythmes et des sonorités, mais aussi de la habite l’espace ludique de manières variées, qui
gestuelle délicate (les “picoti-picota” à faire dans la sont autant d’occasions de revivifier son existence.
main de l’enfant) 4 » associée à la toute petite enfance.

3.  Marie-Claire Bruley, Lya Tourn, Enfantines. Jouer, parler avec


le bébé, Paris, École des loisirs, 1988, p. 11.
4.  Nadège Salzmann, Origine et signification des comptines, 5.  Marie-Claire Bruley, Marie-France Painset, Au bonheur
Genève, Slatkine, 2017, p. 36. des comptines, Paris, Didier Jeunesse, 2007.

46 EH BIEN, CHANTEZ MAINTENANT ! SOMMAIRE


SUR LA MÊME THÉMATIQUE

Belles plantes ! Un chant, une œuvre Danser avec les œuvres


Modèles en papier mâché Écouter, explorer, interpréter du musée
du Dr Auzioux Ouvrage collectif Démarches, outils
Johann-Günther Egginger 2016 pour concevoir des projets
2018 Livre : 140B4590 Pascale Tardif, Laurence Pagès
Livre : W0009716 2020
PDF : W0010687
Livre : W0022868
PDF : W0022869

COMMISSARIAT D’EXPOSITION Cécile Pichon-Bonin, historienne de l’art et Un enregistrement de plusieurs pièces tirées
de la culture visuelle enfantine soviétiques, du Panorama de la méthode de Plain-chant
Commissaire scientifique chargée de recherche au CNRS (LIR3S), cher- de l’abbé Magnat a été réalisé par Volny
Anne Damon-Guillot, enseignante-chercheuse cheuse associée au Cercec. Hostiou au serpent, accompagné de la classe
à l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne, CHAM du Conservatoire à rayonnement régio-
département de musicologie, unité de recher­­ Laurent Trémel, ingénieur de recherche, char- nal de Rouen, sous la direction de Pascal
che Eccla. gé de mission au Munaé, docteur en sociolo- Hellot, et de Patrice Latour (carillonneur).
gie, membre associé du Cirnef (uni­versité de
Commissaire générale Rouen-Normandie). Nous voudrions particulièrement remercier
Emmanuelle Macaigne, responsable du dépar­ les artistes qui ont généreusement accep-
tement Conservation, Munaé. Clara Wartelle Sakamoto, docteure de l’Ins- té que des extraits de leur œuvre soient
titut national des langues et civilisations présentés : Lise Borel, Bruno Fontaine et
Avec les contributions particulières d’Aude orientales (Inalco), spécialiste des chants Yvan Pommaux ; les prêteurs (Robin Arma,
Gérard, chargée de mission Arts et culture, pour enfants au Japon au début du xxe siècle, Archives nationales, Bibliothèque de l’Heure
délégation aux arts et à la culture à Réseau enseignante de japonais à l’Inalco et cher- joyeuse (Ville de Paris) et Bibliothèque Dide-
Canopé, et de Béatrice Allais, Emily Busato et cheuse associée à la Bibliothèque nationale rot de Lyon (ENS) ; les institutions qui ont
Kristell Gilbert (Munaé). de France. mis à disposition images et enregistrements
Les créations sonores Chants de l’enfance, Le (BnF, INA, Musée Carnavalet, Mucem, Musée
Comité scientifique Temps des berceuses et la création originale du Louvre, RMN) ; ainsi que nos partenaires,
Déborah Livet, docteure en histoire de la Bouts d’ficelle et Ritournelles sont l’œuvre de à commencer par l’université Jean-Monnet
musi­
que et musicologie, chargée d’ensei­ Péroline Barbet, en collaboration, pour cette de Saint-Étienne et son laboratoire Eccla, et
gnement à l’université de Rouen-Normandie, troisième pièce, avec Anne Damon-Guillot et aussi : ministère de l’Éducation nationale, de
chercheuse associée à Histemé. les étudiants de musicologie de l’université la Jeunesse et des Sports, rectorat et DAAC
de Saint-Étienne. de Normandie, VO!X Radio France, Sacem,
Frédéric Maizières, maître de conférences en INA, l’école des loisirs, Académie musicale de
sciences de la musique, université Toulouse 2. Ces derniers ont également réalisé un enre­ Villecroze…
gistrement de 12 versions de La Mère Michel.
Michel Manson, historien des objets culturels La scénographie et l’identité visuelle de l’expo­-
de l’enfance, professeur émérite de l’univer- sition ont été confiées à l’agence Soplo.
sité Paris 13, département des sciences de
l’éducation.

SOMMAIRE
Cette exposition bénéficie de la participation du
laboratoire ECCLA (Études du Contemporain en
Littératures, Langues, Arts) et du département de
Musicologie (Faculté Arts, Lettres, Langues) de
l’UJM. Elle reçoit le soutien du projet ARTS (Arts,
Recherche, Territoires, Savoirs).

UNIVERSITÉ
JEAN MONNET
SAINT-ÉTIENNE
Rassemblant 20 000 étudiants et plus de 900
enseignants et enseignants-chercheurs, l’UJM
propose 4 grands domaines d’enseignement sur
5 campus dotés d’un cadre de vie étudiante riche
et dynamique : Arts, Lettres, Langues / Sciences
humaines et sociales / Droit, Économie, Gestion /
Sciences, Technologies, Santé. L’Université
mène une politique ambitieuse de soutien et
d’incitation pour le développement de la recherche
et des activités de transfert et de valorisation.

www.univ-st-etienne.fr

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