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Photo © Musée Archéologique de Sofia, Bulgarie
TRESORS
DE L'ART L'art animal de l'ancienne Thrace
MONDIAL Détail d'une plaque d'argent réalisée par un artisan thrace à la fin du 4» siècle avant notre ère. On y
voit un lion accroupi sur sa proie, un cerf. Les orfèvres thraces de l'Antiquité ont su représenter des
scènes de chasses miniatures remarquables, tout comme des scènes rituelles et des combats
^ d'animaux. Ces montrent une grande habileté dans l'expression du mouvement et
l'expression dramatique, résultat obtenu grâce à une parfaite maîtrise de la stylisation. Aujourd'hui
au musée archéologique de Sofia, cette plaque (longue de 8,7 cm) est l'un des nombreux
Bulgarie chefs-d'Juvre de l'art thrace découverts en Bulgarie.
pages
Edition française :
Edition anglaise : Howard Brabyn (Paris) 71 LES CICATRICES DE LA GUERRE
culture
religieux en Russie, sa construction a
été entreprise sous la direction du
Prince Sviatoslav Vsevolodovich. CI-
contre, ce masque à barbe pointue, qui
se trouve au portail nord de l'Eglise,
pourrait être le portrait de ce prince.
et histoire
LES peuples slaves sont, avec les peu¬ accrocher son bouclier aux portes de Cons¬ téraires, picturales ou autres, ont procuré
ples latins et germains, un des grou¬ tantinople en souvenir de ses victoires), un plaisir esthétique indéniable à des géné¬
mais aussi à cause de leur culture originale, rations successives de Slaves et de non
pes ethniques principaux du conti¬
diversifiée et hautement développée. Slaves.
nent européen. On peut entendre parler
des langues slaves sur les bords de la Mer Un de ces Etats, la Grande Moravie, fait Ecrit en un langage concis et pittores¬
Blanche comme de l'Adriatique, dans les inévitablement penser à la grande aventure que, dans une forme poétique admirable, le
vastes étendues qui vont de ta mer Baltique de Cyrille et Méthode les civilisateurs, "Dit de la campagne du Prince Igor" égale
à l'Oural et, plus loin, jusqu'en Sibérie et en les créateurs de l'alphabet slave. Les deux par ses qualités artistiques et spirituelles
Extrême Orient.
frères, originaires de Salonique, poursuivi¬ des comme les chansons des Nibe¬
Le chroniqueur gothique Jordan (11* siè¬ rent plus de vingt ans une activité qui com¬ lungen et la Chanson de Roland. L'
cle) raconte que les "Antes" (branche mença en 863, lorsqu'ils arrivèrent en fait parvenir jusqu'à nous le bruissement
Moravie à la demande du Prince Rostislav des herbes de la steppe où, en 1185, le
orientale des Slaves) avaient un dieu du
tonnerre, Peroun, qu'ils lui offraient en pour y enseigner aux habitants la foi chré¬ Prince Igor de Novgorod-Séverski s'élança
sacrifice des taureaux, croyaient aux sirè¬ tienne dans la langue du pays. contre les Polovéts, le cliquetis des glaives
nes et adoraient les fleuves et les arbres. Une vie des Saints fort ancienne rap¬ et la respiration haletante des chevaliers qui
s'affrontaient en un combat mortel... Le
porte qu'après avoir entendu l'Empereur
Au Moyen-âge, les historiens byzantins byzantin lui souhaiter bon voyage, Cyrille "Dit du Prince Igor" est le témoin éloquent
sont unanimes à noter le courage et le sen¬ dit : "Apprendre sans alphabet et sans des temps lointains, des sentiments et des
timent de l'honneur qu'on trouve chez les livres, c'est exactement comme si l'on pensées des hommes qui habitaient la Rus¬
sie médiévale.
tribus slaves, ainsi que leur hospitalité et notait une conversation sur l'eau". Aussi,
surtout leur amour de la liberté. A la diffé¬ avant de partir, mit-il au point l'alphabet De Dubrovnik, nous rappellerons le rôle
rence du reste de l'Europe ancienne, ces slave avec l'aide de Méthode. L'activité de
que cette ville a joué dans le développe¬
tribus n'ont pratiquement pas connu le Cyrille et Méthode eut un vaste retentisse¬ ment de l'humanisme européen. Cette ville-
règne de l'esclavage. ment en Moravie, en Pannonie et dans République a conservé durant plusieurs siè¬
d'autres territoires des Slaves occidentaux.
cles et malgré des guerres constantes, mal¬
En Europe, à la fin de l'Antiquité et au
Bien que leur entreprise se soit heurtée à gré les remaniements successifs de ses
début du Moyen-âge, les sociétés esclava¬
l'hostilité farouche de l'Eglise catholique, frontières, toute son indépendance. Elle fut
gistes font place à des sociétés de type féo¬ rivale de Venise en matière d'économie et
elle'se développa bientôt en Bulgarie où se
dal et à un autre type d'organisation de
concentra leur activité. La propagation de de culture. Rien d'étonnant à ce que le
l'Etat. Les Slaves participent à ce proces¬
l'écriture slave fut un événement historique Sénat vénitien ait émis un décret spécial
sus qui concerne toute l'Europe : il suffit de
considérable pour tous les peuples slaves. déclarant : "Chaque vendredi, étudier le
rappeler la. formation d'Etats slaves tels que
Elle fait par conséquent époque dans l'his¬ moyen d'anéantir Dubrovnik".
la Principauté de Moravie, la Russie de
toire de la culture mondiale.
Kiev, la République de Dubrovnik. C'est là que des mathématiciens, des
On ne peut parler de la Russie de Kiev poètes, des historiens et des philosophes
Ces Etats slaves avaient un grand poids sans évoquer l'extraordinaire essor des vil¬ éminents ont conçu leur C'est ici
politique auprès des pays voisins, non seu¬ les, des métiers artisanaux, du commerce, que, du 15" au 17« siècle, le travail et le
lement par leur puissance économique et le développement des contacts politiques talent d'architectes et d'ingénieurs, de tail¬
militaire (en 911, le Prince de Kiev, Oleg, fit internationaux. La culture artistique atteint leurs de pierre anonymes donnèrent nais¬
alors un très haut niveau. sance à un ensemble architectural d'une
Il est impossible d'avoir une vue com¬ harmonie unique en son genre et qui, au
DIMITRI MARKOV, Académicien, Directeur
plète de la culture mondiale si l'on n'a pas sein d'une nature somptueuse, apparaît
de l'Institut des Etudes slaves et balkaniques
présentes à l'esprit les réalisées comme une huitième merveille du monde.
auprès de l'Académie des Sciences de l'URSS,
est président de l'Association internationale dans le monde slave à cette époque. Ces "Celui qui cherche le paradis sur terre doit w
pour l'étude et la diffusion des cultures slaves. qu'elles soient architecturales, lit aller à Dubrovnik", disait Bernard Shaw, f
> La Forteresse de Dubrovnik et la Cour au
Prince démontrent l'originalité de la civilisa¬
tion dalmate, originalité due en particulier à
ses liens étroits avec la riche culture popu¬
laire et avec le mode de vie si particulier des
Slaves du sud.
Le
Kremlin
travers
les
âges
disait hussite I La doctrine de Hus fut à la surent prendre une part active à ce grand 1500 ans. Sa théorie héliocentrique permit
base de l'idéologie révolutionnaire des bur¬ mouvement de l'esprit. par la suite à Giordano Bruno de repousser
gers et de la paysannerie. Plusieurs générations d'hommes de la les frontières de l'univers encore plus loin,
Au Moyen-âge, les peuples slaves eurent Renaissance ont élaboré une nouvelle en supposant l'existence de systèmes solai¬
res innombrables semblables au nôtre.
à subir le joug étranger. La Pologne et la vision du monde, une nouvelle conception
Russie soutinrent les attaques incessantes de l'homme. Ces idées se sont incarnées
De nombreux faits témoignent de
des voisins orientaux de l'Europe. Cela ne dans des chefs-d' artistiques, elles
l'importance accordée par ses contempo¬
fut pas sans marquer leur développement ont engendré des progrès scientifiques. On rains aux travaux de Copernic. Le jeune
culturel. peut relever plusieurs noms slaves parmi Comenius, notamment, était tombé en
ces penseurs et ces créateurs. 1614 à Heidelberg, sur le manuscrit "De la
Néanmoins, lorsque le courant de la
Renaissance européenne rénova la culture Citons en premier lieu Copernic (1473- révolution des corps célestes". Sans hési¬
du Moyen-âge, les Slaves, dans les condi¬ 1544) : il réfuta le modèle du monde consa¬ ter, il l'acheta avec ses dernières écono¬
tions historiques qui leur étaient propres. cré par l'Eglise et qui faisait autorité depuis mies. Après quoi, il dut faire à pied les cent
kilomètres qui le séparaient de son domicile r 9* ^.
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Photos (1) : Vue de Moscou à travers les souvenirs d'un voyageur allemand du 16* siècle,
Aaan Olearius. (2) Le premier plan de Moscou, connu a ce jour, publié en 1566 par un
ambassadeur autrichien Slgismund Guerberstein, précieuse source Iconographique pour
l'étude du plan urbain de l'ancienne Moscou. (3) Place centrale du Kremlin au 17* siècle.
(4) Gravure du 16* siècle de tailleurs de pierre moscovites ; l'inscription signale que "cet
été là (1367), le Grand-Duc Dimitri construisit Moscou en pierre et qu'à partir de ce
temps là Moscou ne fut plus construit qu'en pierre". (5) Le Kremlin au 18* siècle, vu de
la rive droite de la Moskova : gravure de Mikhaïl Makhaev.
d'Etat et du poète... Il partage avec le la formation politique des masses populai¬ monde actuel, et sur celle des peuples sla¬
grand Lavoisier la découverte de la loi de res. Ainsi pour la comédie musicale de celui ves tout particulièrement.
conservation de la masse. qu'on appelle le père du théâtre polonais, Les idées'dont ces cultures se nourris¬
8
Les Sarmates, peuple
nomade qui parcourait les
steppes, de l'Oural à la mer
Caspienne aux 3*/4* siècles avant
J-C, fabriquaient de superbes spécimens
de joaillerie. Cette plaque de poitrail en or, Photo © Edition "Progrès", Moscou
pour cheval, trouvée dans une sépulture d'un
noble sarmate, provient sans doute d'un atelier
grec ; les figures centrales représentent
Dionysos et Athéna.
Au seuil
LORSQUE l'empire romain fut anéanti au-devant de la nouvelle structure féodale Avars... Dans tous les documents écrits
sous la poussée des Barbares, l'Eu¬ européenne. En Europe de l'Est, où les Sla¬ anciens, les nombreuses campagnes des
rope féodale s'établit sur ses ruines ves étaient établis de longue date, tout nomades sont éloquemment décrites : ce
et sur ses cendres. Le rôle joué par les tri¬ comme dans l'Europe du centre et du sud- sont des remparts romains qui s'effon¬
bus slaves dans cette grande migration de est où les Slaves s'étaient solidement ins¬ drent, des villes assiégées, la population
peuples fut notable. tallés après les grandes invasions, les tribus des provinces de l'Empire romain qui fuit
Byzance, l'ancien Empire Romain slaves s'engagèrent sur la voie de la féodali- ou tombe sous la coupe des conquérants.
d'Orient, fit une cure de jeunesse en allant sjation. On constate l'apparition de gouver¬ Et il est surtout question de l'Europe du
nements et de nationalités slaves. sud-est. D'après les récits dès témoins, les
hordes de nomades ravagèrent les provin¬
La vie économique des Slaves a rejoint le
VLADIMIR KOROLIOUK, historien soviétique, ces romaines, transformèrent tout en pâtu¬
niveau de celle des autres Européens en
chef du Département d'histoire ancienne et rages et prirent une partie des habitants
d'histoire médiévale à l'Institut des Etudes slaves premier lieu dans les domaines de la pro¬
comme esclaves.
et balkaniques de l'Académie des Sciences de duction agricole, de l'artisanat et du com¬
l'URSS. Auteur de nombreuses études sur la merce urbains.
Or le système économique des nomades
formation des Etats slaves, les origines des peu¬
Au premier abord, on pourrait penser ne pouvait subsister sans l'agriculture.
ples de l'Europe orientale et les relations entre
Europe centrale et orientale aux 16'-18 siècles. Il que ce sont les nomades qui ont joué le rôle Lorsque les Avars se fixèrent, au 6* siècle,
participa à la rédaction de l'ouvrage "Les Slaves essentiel dans ces grandes migrations de ils se tournèrent vers l'agriculture. Le travail
de l'Orient" publié par l'Unesco en 1965. peuples : les Sarmates, les Huns, les de la population slave agricole et le sang
des Sarmates qui passent toute leur vie en taureaux, et on accomplit d'autres rites
chariot et à cheval". sacrés" (Procope de Césarée).
tie. Dans quelle région vivaient les Slaves ? gue commune et des m semblables se
sont conservées chez les Slaves. Et les
Un certain nombre d'auteurs antiques puis
d'auteurs byzantins rattachent les Slaves à bases de la vie économiques sont restées
la région de Sarmatie (ou Scythie) ; mais les mêmes. La communauté ethnique des
leurs contemporains mieux informés avan¬ Slaves a pour fondement leur continuum
cent des opinions différentes. de langue et de structures parentales.
Tacite, le grand historien romain du 1" Les auteurs antiques témoignent aussi
siècle de notre ère, distingue nettement les de l'unité existant dans les croyances
Slaves des habitants de la Sarmatie. Il se mythologiques des Slaves. Dans les
fonde pour cela sur des critères en partie mythes païens s'exprimait la conscience
économiques. "Cependant, écrit-il, on mythofogique d'une ethnie. "Pour tout le
peut les ranger (les Vendes, les Slaves) plu¬ reste, chez ces deux tribus barbares (les
tôt au nombre des Germains, car ils se Antes et les Esclavons), la vie et les lois
construisent des maisons, portent des bou¬ sont semblables. Ils pensent qu'un dieu,
cliers, se déplacent à pied et d'ailleurs avec créateur de la foudre, règne sur tous les
une grande rapidité ; tout cela les distingue autres : et on lui apporte en sacrifice des .
10
plus important. Khors et Dadjbog sont les nombreuses croyances : les Vilas, les Béré- A vrai dire, le christianisme a répris à son
dieux de l'aurore et du soleil. Volos (ou guines sont les esprits des bois, des monta¬ compte des cultes et des rituels païens. De
Veles) est le dieu des troupeaux, le dieu de gnes, des fleuves et des lacs (c'est-à-dire ce fait, certaines "couches sédimentaires"
l'élevage et du pâturage. Mokoch est la de l'eau). Larilo est une divinité qui apporte des anciennes conceptions religieuses sla¬
déesse de la fécondité, celle aussi du filage la fertilité : il est associé au printemps. ves ont été conservées au Moyen-Age,
et du tissage. D'après les chroniques lati¬ Koupala est selon toute apparence la divi¬ dans le cadre de l'idéologie chrétienne
nes et les fouilles entreprises sur certains nité du soleil. Des esprits comme "Lignée", dominante.
sites archéologiques des 11*-12* siècles, les "Parturiente", "Aïeux", "Tchours",
L'unité des croyances, la continuité de la
systèmes des dieux païens se présentaient "Dziady", "Domovoi" sont les ancêtres
langue et des rites du mariage, le caractère
de manière quelque peu différente mais sur défunts du clan patriarcal et, plus tard, de commun de la culture matérielle montrent
une base identique. la famille patriarcale slave. Mais la structure
objectivement l'existence d'une commu¬
des mythes slaves païens a été détruite par nauté slave.
Le folklore slave a conservé les traces de l'apparition du christianisme.
C'est la localisation des Slaves (Vendes)
dans les documents cartographiques anti¬
ques (les Tables de Peutinger) qui permet
de parler d'une migration des Slaves vers le
Sud-Ouest au 3* siècle. L'immense flot de
Slaves ne déferla en Europe centrale et en
Europe du Sud-est qu'aux 5"-7* siècles. Les
Slaves se fixèrent dans les Balkans, les
Alpes Dinariques, Carniques et Juliennes et
les Alpes du Sud, dans le bassin du
Danube, sur les territoires situés à l'est de
l'Elbe. C'est le conflit avec les Slaves aux
6*-7* siècles, lors des migrations en Europe
du Sud-Est, qui décida du destin de
l'Empire romain d'Orient. Cet empire anti¬
que et esclavagiste devient alors l'Empire
Byzantin, un état féodal du Moyen-Age.
11
Détail montrant une arcature aveugle et des plaques de faïence ornant les murs de l'église
Saint-Georges-sur-la-Montée, bâtie à Pskov, au 15* siècle.
> leur région d'origine. C'est sur ces territoi¬ Les villes slaves, centres artisanaux et prisonniers-esclaves, des fourrures et des
res que se constituèrent les premiers Etats commerciaux, apparurent aux 8* et 9° siè¬ produits artisanaux.
d'Europe centrale et d'Europe du Sud-Est : cles. L'essor des villes bulgares se produisit
Les voies de transit vont, par la Volga, de
le premier Royaume bulgare et la Grande au 10* siècle. Au début du 11* siècle,
la mer Caspienne à Novgorod et à la mer
Moravie. Ce n'est qu'au 10* et au début du Byzance conquit la Bulgarie, de sorte que
Baltique. Les routes des "Varègues aux
1 1* siècles que l'ensemble des régions attei¬ le développement des villes se poursuivit
Grecs", celles de Kiev à Cracovie, Prague
gnit le même niveau de développement. ensuite surtout chez les Slaves de l'Ouest
et Ratisbonne, sont très animées. On
L'Etat slave le plus important fut la Russie et de l'Est. Les fortifications de,s villes com¬
de Kiev.
entend parler arabe, grec, allemand, nor¬
prennent remparts, fossés et tours. Les
mand, et bien sûr aussi la langue slave sur
portes sont particulièrement fortifiées.
Dans les Etats constitués pendant la pre¬ les marchés comme à la cour des princes et
mière phase du féodalisme, les princes, la La construction des fortifications était dans l'aristocratie de Kiev, de Novgorod et
haute noblesse, les chevaliers de la garde conduite par les Slaves. Parmi les métiers, de Smolensk. Les villes des Slaves du Sud
des princes et des boyards, vivaient tous du les métallurgistes, les forgerons, les serru¬ présentent à peu près les mêmes caracté¬
travail des paysans. Dans les régions fores¬ riers, les armuriers, les potiers, les verriers, ristiques. Dans les villes de Dalmatie, où la
tières, on était passé à l'agriculture de les maçons et même les savetiers et cor¬ population est romano-slave, les mar¬
labour ; des animaux de trait y étaient donniers constituaient des spécialités dis¬ chands italiens sont alors en nombre
employés. Au 13* siècle, on peut déjà dire tinctes. Le bois était l'affaire des tourneurs important.
que le labourage avait partout triomphé. sur bois, des tonneliers, des charrons. L'art
de la joaillerie était hautement développé. Dans les grandes villes slaves, on chan¬
L'horticulture et la culture maraîchère
Les produits artisanaux russes et particuliè¬ tait déjà des sagas et des chants célébrant
conservent leur importance dans l'écono¬
rement les dagues d'acier, les cotes de les princes et leurs exploits ; des bylines
mie. On connaissait la fève, les pois, les
mailles, les objets en or et les sculptures sur (épopées et rapsodies populaires) étaient
lentilles, les navets, \er pavot ; on faisait
os se répandirent sur les marchés d'Orient interprétées à la cour. Ces villes étaient évi¬
pousser la carotte, l'ail, le concombre, ainsi
et d'Occident où ils étaient très appréciés. demment des centres culturels et tout par¬
que le pommier et le poirier. La pêche et
ticulièrement des centres littéraires. Là se
l'apiculture complétaient la nourriture des
On peut dire que l'essentiel, pour les vil¬ développèrent aussi la peinture et l'archi¬
paysans, avec la cueillette largement
les, était le lien plus ou moins étroit qui les tecture.
répandue des baies, des champignons et
rattachait au marché régional capable
des racines. La création d'une écriture slave et d'une
d'absorber la production des artisans.
Le développement du labourage, avec L'apparition et la croissance des villes chez langue littéraire commune à tous les Slaves
son emploi des bêtes de trait, laisse suppo¬ les Slaves témoignent donc d'un processus (par Cyrille et Méthode, au 9* siècle) fut
une manifestation essentielle de la commu¬
ser l'importance de l'élevage. Les Slaves qui aboutit rapidement à séparer l'artisanat
employaient b et chevaux. L'élevage de l'agriculture, et qui avait commencé très , nauté culturelle slave à l'époque du Haut
des vaches et des porcs représentait une tôt. Les villes a forte population d'artisans Moyen-Age. Les circonstances historiques
branche importante de l'économie. Celui ont fait que cette écriture s'est surtout
et de commerçants, placées sur les trajets
des chèvres et des moutons était évidem¬ maintenue et développée chez les Slaves
des marchands étrangers, se transfor¬
de l'Est et du Sud. Les écrits sur écorce de
ment lié à l'agriculture, mais surtout dans maient en d'importants centres commer¬
les pâturages des Carpathes et des Bal¬ ciaux et diplomatiques. bouleau, découverts par les archéologues
kans. soviétiques, sont un indice fort important
A Prague et à Wolyn, à Kiev et à Novgo¬ du haut niveau culturel que la société de
Trois cycles : les rites et coutumes agrai¬ rod viennent alors s'installer des ambassa¬
l'ancienne Russie avait atteint, grâce en
res, ceux de l'élevage, ainsi que les rites des et des missionnaires. Des marchands
particulier à l'existence de cette écriture
concernant le mariage et la fécondité, se étrangers viennent vendre leurs produits. slave (voir la photo page 25).
rapportent directement au travail et au Ils échangent tissus, pierres précieuses,
mode de vie de la paysannerie slave. argent, bijoux et épices contre des Vladimir Korollouk
12
Les noces
de la terre
et des
hommes
par Alexandre A. Gura,
Olga A. Ternovskaya
et Nikita I. Tolstoï
i
si
groupes ethniques. Elle représente donc
une source d'information importante pour
reconstituer la genèse des peuples slaves.
13
y L'un d'eux, appelé couronne, est une
coiffe confectionnée à l'aide d'épis, de
fleurs, de branches, de rubans... Le rituel
fondé sur le tressage des couronnes con¬
tient toujours des éléments du rite nuptial :
la fête des moissons revêtait elle-même la
forme d'une noce. La plus belle et la meil¬
leure moissonneuse y tenait le rôle de la
fiancée, le personnage principal. Le rite
avait en particulier une signification magi¬
que ; dans la chanson biélorusse de la mois¬
son, on chante : "Maître, embrasse la maî¬
tresse plus souvent, le blé sera plus abon¬
dant".
14
Les fiançailles conclues, la situation de la
fiancée se modifie : elle a pour ainsi dire
cessé d'être une jeune fille, sans être encore
une femme mariée. Elle n'a plus ses anciens
liens de parenté et ne fréquente plus ses
anciennes relations, mais n'a rien qui les
remplace. Dans le peuple, on considère que
la fiancée est alors beaucoup plus exposée
à l'influence dangereuse des maléfices et
des forces Impures. C'est la raison pour
laquelle elle ne s'occupe pas des travaux
ménagers. Souvent, dans la crainte qu'on
lui jette un sort, elle ne sort même pas de la
maison. Cette période Intermédiaire est
marquée extérieurement par des détails
dans le vêtement, la coiffe et la coiffure.
temps les personnages d'une représenta¬ blé... En de rares occasions, lorsqu'il est Les chemins vers l'église et le trajet
tion dans laquelle une place est attribuée à prévu que le marié ira vivre chez sa femme, Jusqu'à la maison du fiancé étaient considé¬
chacun : chacun est à la fois acteur et spec¬ les marieurs s'en vont chez lui ; parfois rés comme dangereux. Ceux qui partici¬
tateur. Il n'était pas rare que l'on fasse venir c'est la fiancée qui vient elle-même offrir sa paient à la noce s'efforçaient donc de se
à la noce des musiciens professionnels, des main. La cérémonie de l'accord s'achève préserver contre les "mauvaises gens" sus¬
pleureuses, un ordonnateur principal, une par les fiançailles ; les futurs mariés ceptibles de leur jeter un mauvais sort.
guérisseuse qui protégeait les jeunes s'apprêtent pour la noce et réunissent les Chez les Slaves orientaux, par exemple, de L
mariés des maléfices, ou encore un boute- invités. nombreux récits racontent comment des"
15
Les cent
baisers
, sorciers ont transformó en loups des noces saute par-dessus, on frappe la terre de bran¬ enchanteresses et les démons. Ce jour-là,
entières... ches en feu, on s'ébat... Cette nuit-là, à d'après les anciennes croyances, la sorcière
Un des actes rituels fondamentaux dans l'aube, on ramasse des herbes et l'on se pouvaient venir et prendre le lait des
raconte la légende de la "fleur de fougère" vaches. Aussi les Poléchtchouks posaient-
le mariage est le changement de coiffure de
(les fougères n'ont pas de fleurs) dont la Ils des orties sur le rebord des fenêtres et
la fiancée : la jeune épousée reçoit sa coiffe
rencontre porterait bonheur... sur le seuil de la maison : ainsi la sorcière
de femme mariée.
s'y piquerait et s'en irait.
Le cortège menant les jeunes mariés au lit Les farces des jeunes villageois, qui se
nuptial se déroule habituellement dans la sont conservées jusqu'à nos jours, sont très Lea Slovaques apprécient (a vertu des
maison du fiancé. Mais cette nuit-là, les curieuses et strictement déterminées par le herbes ramassées la nuit de la Saint-Jean :
mariés la passent en général dans un local rite. Les jeunes bouchent par exemple la
non chauffé : un appentis, une grange ou cheminée pour que la fumée se répande
une étable I dans la maison lorsqu'on allume le poêle.
Ou bien ils enlèvent les battants d'un portail
Le jour suivant est consacré aux jeux et
et les jettent dans le potager voisin. Ou
au rire. On taquine les jeunes mariés, on
encore ils tirent un seau d'eau du puits,
inflige des punitions aux marieurs. Les gens
avec une chaîne, et tendent la chaîne en tra¬
de la noce parcourent le village déguisés vers de la route...
les hommes habillés en femmes et vice¬
versa. Ou bien l'on se déguise en tzigane... Tout comme les sauts par-dessus le feu
Parfois, par exemple dans la région du ou les branches brûlantes battant la terre,
Polzssié biélorusse, on joue une vaste paro¬ ces farces avaient autrefois une significa¬
die des moments principaux de la noce. tion rituelle (conjuration des démons, puri¬
fication, fertilisation). Par la suite, elles
La dernière partie du rite nuptial com¬ n'ont plus été qu'amusement. Tout le vil¬
porte enfin la toilette rituelle des jeunes lage est alors en fête et personne n'y dort.
mariés dans le bain après la nuit de noces,
En Pologne, sur le cours inférieur du Bug,
les épreuves rituelles de la jeune maîtresse
la veille de la Saint-Jean, les jeunes filles
de maison et les visites de tous les parents
posent sur l'eau des petites plaques de bois
les uns chez les autres, pour des repas.
rondes portant des bougies allumées et de
petites couronnes de fleurs ; elles y lisent
Encore aujourd'hui, dans la région du
l'avenir : si les ronds se mettent à tourner, il
Polzssié, on célèbre en été. le 7 juillet (du
nouveau calendrier), une ancienne fête y aura une noce l'année prochaine, sinon il
n'y en aura pas. En Ukraine et en Biélorus¬
slave la fête d'Ivan Koupala. Elle corres¬
sie, on lance des couronnes et on lit l'avenir
pond à la Saint-Jean du calendrier religieux.
dans le mouvement des couronnes.
Cette fête s'accompagne d'un rituel pitto¬
resque qui s'est conservé depuis l'époque En Slovaquie, ce même soir, les jeunes fil¬
païenne, bien que la hiérarchie ecclésiasti¬ les creusent un trou dans la terre, de leurs
que l'ait toujours combattu avec acharne¬ pieds nus, puis y mettent du sucre et du
ment.
pain. A l'aube, elles regardent ce qui s'est
La veille de la fête d'Ivan Koupala, à la produit : si le sucre et le pain sont intacts,
Au moment de Noël, un spectacle
tombée de la nuit, on allume de grands feux elles resteront vieilles filles ; s'ils ont dis¬
religieux très spécifique, appelé "Hérode",
sur la rive d'un fleuve ou sur les collines. Le paru, elles doivent se préparer à mourir. Si
est toujours au c des coutumes
plus souvent, on en allume trois. Aupara¬ l'on y trouve des fourmis, elles épouseront
populaires polonaises. Il se déroule autour
vant, les garçons et les filles ramassent des un brave jeune homme ; s'il s'y trouve un
de la naissance du Christ et de la venue
tas de bois morts et de la paille... Parfois, ils étourneau, ce sera un veuf.
des Rois mages. Les principaux rôles sont
font un mannequin de paille qu'ils brûlent Tout comme les Poléchtchouks (les habi¬ confiés à Hérode, à la Mort et au Diable.
ensuite ou qu'ils noient dans le fleuve. tants du Polzssié) et d'autres Slaves de Ici, ensemble de chant et de danse de
Le feu brûle jusqu'à minuit ou jusqu'au l'Est, les Slovaques se préservaient, le jour Kachoubie, dans le traditionnel spectacle
matin. Quand il est près de s'éteindre, on de la Saint-Jean, contre les sorcières, les de "Hérode".
16
ils disent que, ce Jour-là, les herbes crient
sans qu'on les entende : "Et moi aussi,
prends-moi I Et moi aussi, prends mol I".
Chez les Serbes, cette fête s'appelle la
"Saint-Jean Cueilleur d'herbes". Les Bulga¬
res, le "jour de Jean", ramassent des her¬
bes et protègent les vaches et les champs
contre les sorcières qui tentent de s'empa¬
rer du lait et des récoltes ; et les jeunes filles
interrogent alors l'avenir sur leur promis. Ce
jour-là, selon les Bulgare», Enio (Jean) a Jeté
une houppelande sur ses épaules car on va
vers la neige.
O. Temovskaya et N. Tobtol
17
Page de droite
Etonnantes découvertes
des restaurateurs russes
Grâce aux patientes recherches des restaurateurs, on peut découvrir
aujourd'hui de véritables chefs-d'èuvre de la Russie ancienne. Plusieurs
fois repeinte, rénovée et mise au goût du Jour souvent très
grossièrement à diverses époques, une icône, couverte de suie et de
vernis, noircie, peut, une fois débarrassée des couches de peinture
surajoutées, redevenir un chef-d'tuvre. Les travaux de restauration des
icônes ont débuté à la fin du siècle dernier. Des méthodes scientifiques
sont certes utilisées, mais l'intuition et le talent du restaurateur
demeurent les garants du succès de l'entreprise, comme le souligne le
maître-restaurateur russe Savely Yamchikov. A titre d'exemple, les
photos 1, 2 et 3 nous montrent trois phases successives de la restauration
de l'Apûtre Paul, Icône du 16* siècle, restaurée en 1970-73 par I. Gromova
aujourd'hui au Musée de laroslav-Rostov.
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18
SUITE DE LA PAGE 18
byzantine, l'icône du Sauveur (ci-dessous à droite) se définit par dans la collégiale de ce monastère.
un air de calme concentration capable de susciter les émotions
Page de gauche
ENTRE la civilisation byzantine et ses slave atteignit une certaine maturité, où se s'établir avec les Russes après l'an 860.
voisins, l'interaction culturelle a été constituèrent des Etats, que des liens soli¬
Dans l'arsenal des diplomates et des
intense jusqu'au 12* siècle. L'Empire des s'établirent avec Byzance.
hommes politiques byzantins, la christiani-
byzantin était alors en effet le pays le plus Les premiers contacts historiquement sation était un des procédés les plus effica¬
avancé d'Europe et du Proche-Orient, attestés datent de la fin du 5° siècle, vers la ces. Selon l'époque, le lieu et les circons¬
l'héritier de la culture antique et hellénisti¬ fin des grandes migrations, Iqrsque les tances, elle pouvait paraître comme une
que. Il constituait le noyau d'une vaste aire populations slaves se -répandirent en condition préalable à l'expansion ultérieure,
dans laquelle la religion orthodoxe était la Europe orientale, en Europe centrale et comme un moyen de s'assurer une neutra¬
forme dominante de la vie spirituelle. dans la péninsule balkanique. Au 7* siècle, lité amicale, d'affirmer une présence politi¬
L'aire du christianisme oriental se consti¬ les Slaves pénétrèrent dans le Nord de que, de se faire des alliés ou des vassaux...
cette péninsule et s'établirent de façon par¬ Avec les Slaves des Balkans, qui se trou¬
tua pour l'essentiel pendant les siècles
ticulièrement dense en Mésie, en Macé¬ vaient plus loin que les frontières des pre¬
entourant "l'an mil". Elle engloba alors les
doine, en lllyrie et en Thrace du Nord. Une miers Etats slaves, la christianisation fut un
vastes étendues de l'Europe balkanique et
partie des contingents slaves atteignit la moyen puissant de soumission et d'assimi¬
orientale, tout en perdant des territoires
Thessalie, la Grèce centrale, le Pélopon¬ lation. Les missionnaires précédaient
importants ailleurs, au Proche-orient et en
Afrique du Nord, à l'issue des conflits qui nèse et les îles de la mer Egée. . l'armée byzantine ; ils la suivaient aussi.
opposèrent Byzance au monde musulman La lutte acharnée de Byzance contre les
Les hommes d'Etat et d'Eglise de
(d'abord aux Arabes, ensuite aux Turcs). Slaves eut désormais pour but non de les
l'Empire avaient acquis une grande expé¬
Du côté de l'Occident latin et de la chasser, mais de les soumettre, d'en faire
rience de la domination sur les peuples
papauté, le schisme intervenu en 1054 fut des chrétiens, des sujets' obéissants de
vaincus. En répandant le christianisme
rendu manifeste par les croisades occiden¬ l'Empire. ,- - .
dans des pays et régions qui parlaient une
tales vers l'Est et vers Byzance. Progressi¬ Les contacts établis avec l'Empire, puis autre langue, ils accordaient aux néophy¬
vement, les traces de Byzance s'effacèrent la dissémination des populations slaves tes, contrairement à ce que fit l'Occident
sur les territoires perdus. Le temps et dans ces territoires, furent une sorte de latin, le droit de rendre les services religieux
d'autres civilisations les firent ensuite dis¬ catalyseur. Le développement social dans leur langue. Ils le faisaient en particu¬
paraître presque totalement. s'accéléra. Les Slaves occupaient des lier lorsque l'assimilation semblait politique¬
régions où l'on travaillait la terre depuis des ment impossible. ^ . {i,Í "''/'
Le destin du christianisme oriental dans
temps très anciens, où existaient une agri¬
les régions du Nord, où dominaient les Sla¬ La grande Moravie, qui avait devancé de
culture intensive et une vie citadine déve¬
ves, fut très différent. L'interaction cultu¬ deux ans la naissance du Royaume- Bul¬
loppée. La population locale ne fut pas par¬
relle entre Byzance et le monde Slave fut gare, fut en 863 la première à recevoir offi¬
tout, loin de là, repoussée vers le Sud.
particulièrement stable et constante. Elle a ciellement de Byzance le christianisme.
duré presque autant que l'histoire millé¬ L'implantation dans les Balkans eut aussi
de grandes conséquences sur le destin de C'est de cette période que date la. créa¬
naire de Byzance et a touché la grande
masse des Slaves. Seuls sont restés hors l'Empire lui-même. Les Slaves comblèrent tion de l'alphabet slave par les frères Cyrille
et Méthode. Ces derniers traduisirent aussi
de l'aire orthodoxe, suite aux événements le vide démographique qui s'était creusé
dans de nombreuses régions après les inva¬ en langue slave toute la littérature liturgi¬
des 9* et 10* siècles, les peuples slaves de
sions dévastatrices des Goths, des Huns, que et canonique nécessaire au fonctionne¬
l'Ouest (les Polonais, les Tchèques, les Slo¬
des Proto-Bulgares, des Avars et des Sla¬ ment normal de l'Eglise. Autour d'eux
vaques, les Polabes et les Baltes), ainsi que
ves eux-mêmes. s'agrandit peu à peu un cercle de disciples
les Croates et les Slovènes, tous intégrés à
et d'élèves slaves.
la sphère du christianisme occidental. Les colons slaves de la Mésie, région
protégée par le Danube, la mer Noire et la Ces événements jouèrent un rôle révolu¬
Le développement des relations entre les
ligne des Balkans, se trouvèrent placés tionnaire dans le développement ultérieur
Slaves et Byzance fut très complexe. L'ini¬
dans des conditions particulièrement favo¬ de la culture en Bulgarie, en Serbie et dans
tiative des contacts venait en général des
rables. Là, avec la participation active et l'ancienne Russie. L'expansion de l'écriture
Slaves. C'est au moment où la société
sous la prédominance politique provisoire créée par Cyrille et Méthode à travers tous
des Proto-Bulgares du khan Asparuh, les pays slaves s'affirma à la fin. du 9* et au
DIMITR ANGUELOV, eminent historien bul¬ numériquement peu importants mais bien 10* siècle. Ce fut surtout le royaume de
gare est, depuis 1949, professeur d'histoire de organisés sur le plan militaire, apparut pen¬ Bulgarie qui joua un rôle d'initiateur dans la
Byzance à l'Université de Sofia. Membre corres¬ dant le dernier quart du 7* siècle le premier diffusion de cette écriture et de la littérature
pondant de l'Académie des Sciences bulgare, il Etat slave sur le sol byzantin : la Bulgarie. en vieux slave à laquelle elle avait donné
est l'auteur de nombreuses études spécialisées Byzance. établit avec elle des contacts naissance.
sur l'histoire de la Bulgarie et de Byzance.
étroits et constants pacifiques ou hosti¬ Au moment où la Bulgarie fut christiani¬
les.
sée, Byzance adopta toutefois une position
GENNADY UTAVRINE, eminent spécialiste Avec les Slaves du groupe serbo-croate, différente de celle qu'elle avait eue lors de
soviétique en matière d'histoire des relations
des relations politiques s'établirent à peu la christianisation de la Grande Moravie. En
entre Byzance et la Russie, est l'auteur d'un
près au milieu du 9* siècle, au moment où 865, la Bulgarie adopta le christianisme,
ouvrage fondamental en trois volumes sur
"l'Histoire de Byzance". Il est membre de la les Etats indépendants se formèrent à mais on ne mit à sa disposition ni ecclésias¬
rédaction de la revue soviétique "Byzantsky Vre- l'Ouest et au Nord-Ouest de la péninsule. tiques de culture slave, ni traductions des
mennik" ("L'époque byzantine"). Des relations semblables commencèrent à livres d'Eglise en langue slave. Dans ce
22
pays slave, l'office devait être fait en grec.
Ici se dévoilait un projet bien précis des
hommes politiques de Byzance.
23
, aux marchés de l'Empire. Avant même sa raissent dans ces domaines à la fois une
formation en un Etat unique, la Russie avait école artistique originale, un language litté¬
noué des liens commerciaux avec les colo¬ raire et un style bien particuliers. Les Slaves
nies de Crimée qui appartenaient à l'Empire ont assimilé les traditions de l'art et de la
24
Naissance d'un alphabet
Cyrille avec son frère Méthode entreprit la conversion des
Slaves au christianisme. A cet effet, il Inventa l'alphabet dit
"cyrillique". Il traduisit la Bible et les textes liturgiques grecs
en langue slavonne. L'usage de cet alphabet se répand en
Russie à travers la Bulgarie au X* siècle. Modifié au 17*
siècle, sous Pierre le Grand, il est devenu l'alphabet russe.
Cet alphabet est utilisé mâme chez certains peuples non
slaves comme les lakoutes, les Kazakhs, les Oudmourtes et
les minorités de l'Extrême Nord et de l'Altaï. Un certain
nombre de textes écrits sur des écorces de bouleau,
découverts à Novgorod en 1951, prouvent que
l'alphabétisation n'était pas réservée à une élite mais qu'elle
avait atteint depuis longtemps les couches populaires.
Photos (1). Manuscrit du 14* siècle. St Cyrille et St Méthode,
apôtres des Slaves, transcrivant les Saintes Ecritures en
langue slavonne. (2) Détail d'une fresque d'une façade
d'église du 13-14* siècle à Berenda, en Bulgarie, montrant
Photo © Courrier de l'Unesco. édition russe Photo © Ed. Littérature oour enfants. Moscou
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IL Y A 1000 ANS
Le voyage d'Ibn-Fadlan
sur la Volga
26
Ibn-Fadlan faisait partie de l'ambassade envoyée par
le Califat arabe de Muktadir auprès du tsar des
Bulgares de la Kama et de la Volga en 921. Il visita
la capitale des Khazars, Ityl, et la capitale de cette
principauté appelée "Grande Bulgarie". Cette
capitale se trouvait près de l'endroit où la Kama se
jette dans la Volga et ses ruines se sont conservées
jusqu'à nos jours. Là comme à Ityl,. il vit des Slaves.
Le texte que l'on va lire est extrait du livre intitulé
"Le Voyage d'Ibn-Fadlan sur la Volga" (sous la
rédaction d'I. Ju. Kratchkovski, M.-L., 1939).
Jf Al vu les Russes lorsqu'ils vinrent s'installer avec leurs mar¬ Quand les bateaux accostent, tout le monde sort de chez soi
chandises sur les rives de l'Ityl, et jamais je n'ai rencontré avec du pain, de la viande, du lait, de l'oignon et une boisson
des individus aux membres aussi parfaits : ils font penser à- chaude, puis s'approche d'un grand poteau placé là, lequel a un
des palmiers ; ils sont roux, n'ont ni veste, ni chemise, mais les visage pareil à celui de l'homme ; tout autour, il y a de petites effi¬
hommes portent une tunique dont ils enveloppent l'un des côtés gies et, derrière ces effigies, de grands poteaux sont fichés dans la
de leur corps et sous laquelle passe l'un de leurs bras. Ils ont tous terre. L'homme s'approche alors de la grande effigie et lève les
avec eux un glaive, un couteau et une hache dont ils ne se sépa¬ yeux vers elle en disant : "O, Seigneur I Je viens de loin, j'ai avec
rent jamais ; leurs glaives sont larges et ondulés, les lames sont de moi... tant de têtes de bétail, de zibelines, tant de peaux", jusqu'à
fabrication franque. Depuis le bout de leurs ongles jusquà leur cou, ce qu'il ait énuméré tout ce qu'il a apporté comme marchandises.
on peut voir peints des arbres verts, des portraits et d'autres cho¬ Puis il dit : "Je viens f offrir ce présent" et dépose ce qu'il a
ses. Toutes les femmes portent fixée à la poitrine une petite boîte apporté devant le poteau en ajoutant : "Je souhaite que tu
'de fer ou de cuivre, d'argent ou d'or selon la condition et la m'envoies un marchand avec des dinars et des drachmes qui
richesse de leur mari ; et chacune de ces boîtes porte un anneau m'achètera tout ce que je veux vendre et ne contredira pas cha¬
auquel est attaché un couteau. Elles portent au cou des chaînes cune de mes paroles" ; et il s'en va. Si la vente est difficile et dure
d'or ou d'argent, car, lorsque le mari a 10 000 drachmes, il fait une trop longtemps, il revient alors avec un autre présent une
chaîne à sa femme ; quand il en a 20 000, il lui en fait deux ; et, de deuxième, une troisième fois ; et, si ses désirs tardent encore à se
la même façon, chaque fois qu'il a 10 000 drachmes de plus, il réaliser, il apporte un cadeau à l'une des petites effigies en lui
ajoute une nouvelle chaîne à sa femme, ce qui fait qu'on en voit demandant d'intercéder pour lui : "Ceci est pour la femme de
souvent avec de nombreuses chaînes au cou. Mais leur plus belle notre Seigneur et ses filles", et il ne laisse aucune des effigies sans
parure, ce sont des colliers verts en argile, faits de ces perles que lui avoir demandé et l'avoir priée d'intercéder en sa faveur... Mais
l'on remarque parfois sur les vaisseaux : les hommes s'efforcent de la vente est souvent aisée et, lorsqu'il vend, il dit : "Mon Seigneur
se les procurer par tous les moyens, achètent une perle pour une a exaucé mon v il faut l'en récompenser". Et il prend un certain .
drachme, et les enfilent aux colliers de leurs femmes. nombre de b et de moutons, les tue, distribue une partie de la
Ils arrivent de leur pays et jettent l'ancré dans l'Ityl, qui est un aux pauvres et apporte le reste qu'il jette devant le grand
fleuve immense, et construisent sur ses rives de grandes maisons poteau et les petits tout autour ; puis il suspend les têtes des
de bois ; ils se groupent à dix, ou à vingt, ou davantage, dans la b*ufs et des moutons aux poteaux fichés dans la terre et, la nuit
même habitation. Ils ont chacun leur banc sur lequel ils s'asseyent tombée, les chiens viennent tout manger ; alors, celui qui a fait
pour commercer... cela dit : "Mon Seigneur a daigné venir manger mon cadeau".
27
Les Slaves
par Oljas O. Suleimenov
et
l'Orient
Un réseau millénaire
d'échanges culturels
et commerciaux
NOS connaissances sur les relations plus tardives. C'est là que l'on trouve les chure de la Kama), les embarcations des
les plus anciennes entre les Slaves premières mentions des Slaves. Les autres marchands orientaux remontaient vers le
et l'Orient ont pour source le folk: arabes des 8* et 9* siècles appelaient déjà le nord. Ce qui les attirait, c'étaient les riches¬
lore, les données linguistiques et archéolo¬ Don "le fleuve slave" et la mer Noire "la ses fabuleuses des pays septentrionaux et,
giques, les témoignages fragmentaires mer russe". Certains géographes arabes du en premier lieu, les fourrures : renard
d'écrivains latins. Mais, à partir du 6* siècle, haut moyen-âge donnaient une telle exten¬ argenté, zibeline, martre, hermine,
nous disposons de témoignages écrits très sion à l'ethnonyme de Slave qu'ils y castor... Ces richesses étaient fort appré¬
importants, même s'ils sont, sur ces con¬ incluaient aussi des peuples d'origine ger¬ ciées à Bagdad et à Boukhara, au Khorezm
tacts quelque peu disparates et morcelés. manique. et au Caire. Les poètes les célébraient ; et
Ils portent sur la période où les Slaves com¬ les rois, émirs et princes s'efforçaient de se
Ce n'était pas une simple erreur des
mencent à être bien connus à Byzance et surpasser les uns les autres par l'opulence
autres musulmans ; pas non plus le fait du
où, par l'intermédiaire des Grecs, on apprit des cadeaux venus des lointains territoires
hasard. Cela s'expliquait par la très grande
en Orient le nom même de "Slaves". du nord. On importait aussi d'Europe orien¬
extension et l'intrication des voies mar¬
tale la cire, le miel, et des esclaves.
Les traditions de cette période, ainsi chandes connues des peuples slaves et
d'ailleurs que les annales préislamiques, orientaux. Cela s'expliquait aussi par le rôle De leur côté, les pays slaves voyaient
nous ont été conservées par les chroniques décisif des peuples slaves dans les relations affluer les objets orientaux. Ils recevaient
entre Orient et Occident. en particulier des monnaies d'argent. Aussi
trouve-t-on encore de nos jours, sur tout le
A partir du 8* siècle, les pays du Califat
vaste territoire des Slaves de l'Ouest et de
OUAS O. SULEIMENOV, grand écrivain et arabe commercent de plus en plus avec les
poète du Kazakhstan (URSS) écrit ses l'Est, de nombreux trésors de monnaies
pays de l'Europe orientale et du bord de la
tuvres en russe et en kazakh. Auteur de 10 orientales remontant aux 8" et 9* siècles :
Baltique. Depuis le début, la navigation sur
volumes de poésie et de nombreuses études sur ce sont les témoins muets de relations
la Volga y joue un rôle considérable. En
les cultures slave et turque, il fait partie du commerciales animées.
groupe international de rédacteurs de l'Unesco passant par les riches cités commerçantes
pour la préparation de l'Histoire des civilisations d'Ityl (dans la région de l'actuelle Astra¬ Le commerce ne se limitait pas aux voya¬
de l'Asie centrale. khan) et de Bulgar (au sud de l'embou ges des négociants orientaux dans les terri-
28
Photo tirée de "Histoire illustrée de l'URSS © APN, Moscou
Un ancôtre du rouble : la
monnaie, de poids et
d'ornement aux temps de la
Russie Kievienne du 9* siècle.
toires slaves. Les marchands slaves étaient ques et annales russes, polonaises et tchè¬ quée, me semble-t-il, par le réexamen criti¬
eux mêmes nombreux et bien connus dans ques composées aux 11* et 12" siècles (par que des idées reçues sur le rôle des peuples
les différentes cités du Califat arabe. Leurs exemple la chronique polonaise de Gallus turcs. C'est par l'intermédiaire de ces peu¬
vaisseaux descendaient la Volga et le Don Anonymus et la chronique tchèque de ples que, pendant fort longtemps s'est éta¬
Côme de Prague) contenaient des informa¬ bli l'essentiel des contacts entre les Slaves
en direction de la mer Caspienne et de la
mer Noire. De là, les marchands slaves tions sur les civilisations de l'Orient anti¬ et cette immense aire culturelle si diverse
transportaient leurs marchandises à dos de que : l'Egypte, l'Assyrie, la Médie, la Perse. que l'on nomme l'Orient.
chameau vers Bagdad. La chronique russe du début du 12* siècle, Les Turcs nomades et sédentaires
connue sous le nom de "Chronique de Nes¬ étaient les voisins les plus proches des Sla¬
L'essor des relations commerciales entre
tor", fait état de la voie commerciale qui, ves du côté de l'Est. Si les relations des Sla¬
les pays du Califat et les territoires slaves
par la Volga, mène à la mer Caspienne, et ves avec les Arabes, la Perse et l'Extrême
aiguisait l'intérêt des savants arabes à au-delà au Khorezm. L'ouvrage historique Orient ne sortaient pour ainsi dire pas, au
l'égard de ces voisins du nord. On trouve d'un auteur polonais du 15* siècle, Jan Dlu- moyen-âge, des limites du négoce, par
déjà nombre de faits intéressants concer¬
gosz, mentionne à plusieurs reprises les contre les contacts entre Slaves et Turcs
nant les Slaves chez les auteurs des 8* au
peuples de l'Orient antique et médiéval. étaient plus étroits et plus durables : il est
10* siècles. Les euvres des géographes et
Les tribus nomades belliqueuses qui impossible d'étudier l'histoire des formes
historiens arabes de cette époque contien¬
vivaient au nord des terres slaves, les Pet- étatiques, de l'économie et de la culture
nent ainsi des renseignements sur l'origine
chez les Slaves sans tenir compte du "fac¬
des Slaves, leurs relations avec les autres chénègues d'abord, puis les Polovtses qui
teur turc" (1).
peuples, leurs temples et leur religion, la vie firent souvent figure d'ennemis politiques
et les m des différentes tribus, les pre¬ des Slaves, ne faisaient pas obstacle aux Mais jamais une complète harmonie n'a v
miers Etats slaves. contacts culturels. Ils laissaient franchir régné dans l'histoire des civilisations, de r
leur territoire aux marchands slaves et
De leur côté, les Slaves puisaient leurs
jouaient parfois le rôle d'intermédiaires. (1) Le nom de Turcs recouvre tout un ensemble de tri¬
connaissances sur l'Orient autant dans
bus et de peuples, d'origines diverses, qui ont fait leur
l'information orale contemporaine que Actuellement, l'étude des relations cultu¬ conjonction vers les 6*-8* siècles en Asie du centre et du
dans les ouvrages historiques. Les chroni relles entre les Slaves et l'Orient est mar nord-ouest.
29
, leur formation et de leur développement. tié du 17* siècle, lorsqu'il fut reconnu défi¬
Bien souvent, les représentants d'un pays nitivement impossible d'arriver en Chine de
se rendaient chez leurs voisins non pas ce côté, "en raison des grandes banquises,
avec une caravane de marchandises, mais froidure et obscurité".
bardés de fer, le glaive à la main. Les con¬ Les contacts toujours plus intenses entre
flits entre peuples tournaient parfois à la peuples slaves et peuples orientaux, l'inté¬
tragédie pour l'un d'eux. C'est ce qui est rêt mutuel que ces peuples se montraient
arrivé aux Slaves de l'Est lorsque dévalè¬ eurent pour conséquence l'établissement
rent sur leurs terres, au début du 13* siècle, et le développement d'échanges culturels,
les nomades de la steppe conduits par l'interaction des cultures. Pour les noma¬
Batu-Khan. La Russie de Kiev s'effondra,
des orientaux, le fait même de fréquenter
ainsi que de nombreuses principautés rus¬ les peuples slaves a joué ainsi un grand
ses. Les Slaves de l'Est, en luttant contre le rôle. Les nomades empruntaient graduelle¬
joug tataro-mongol, firent obstacle à la ment à leurs voisins le mode de vie séden¬
marche de la Horde vers l'Ouest, mais leur taire.
propre culture dut se développer sous une
Cependant l'influence culturelle se faisait
domination étrangère pendant près de trois
souvent aussi par l'intermédiaire d'autres
siècles. D'autre part le désir de libération
contribua à l'unification de la Russie, à la peuples, et à travers tout un processus de
sédimentation où s'accumulaient quantité
formation d'un Etat centralisé, à l'appari¬
d'éléments provenant de différentes cultu¬
tion et au développement de nouvelles for¬
res. Et il n'était nullement obligatoire
mes culturelles. Les contacts des Slaves
qu'une telle influence prenne la forme de
avec l'Orient se poursuivirent même sous le
l'emprunt direct à une culture étrangère :
joug tataro-móngol.
beaucoup plus courants étaient l'emprunt
Après l'adoption du christianisme en créateur et la réélaboration.
Russie, la visite de l'Orient par les voya¬
Les Slaves, qui pratiquaient le travail de
geurs s'est faite très souvent sous la forme
la terre depuis les temps les plus anciens,
de "pèlerinage en Terre Sainte". Des récits
manifestèrent le plus vif intérêt pour l'agri¬
de pèlerins sur Constantinople, l'Empire de
culture des peuples orientaux. Le riz parvint
Byzance et la Palestine sont introduits à
en Europe des lointaines contrées de
partir du 12* siècle dans les chroniques rus¬
l'Orient par l'intermédiaire de Byzance et
ses. Il existait depuis le 11* siècle un quar¬
des Arabes : en Russie, on l'appelait le "mil
tier russe à Constantinople, où habitaient
sarrasin". Au 17* siècle, le tsar Alexeï Mi-
les marchands venus de Russie ; dans les
khaïlovitch fit faire près de Moscou un jar¬
monastères, des colonies de moines russes
se formaient. Certains de ces moines tra¬
din où l'on essayait de faire pousser les
plantes rapportées d'Orient. Les ambassa¬
duisaient dans leur langue les ouvrages
deurs de Russie s'efforçaient toujours de
grecs ou recopiaient les écrits slaves du
rapporter des pays orientaux de nouveaux
Embellie par la fantaisie, l'histoire de Sud et les faisaient parvenir à Moscou. On
l'expédition indienne d'Alexandre de spécimens de flore. Ils se virent plus d'une
y trouve la première mention de l'arrivée
Macédoine était très connue dans le fois chargés de se procurer en Chine des
des Turcs au Moyen-Orient.
monde slave. Ci-dessus, une tète d'ivoire, "arbustes à thé".
tout récemment découverte dans le village Depuis longtemps, l'imagination des Sla¬
On ramenait aussi d'Orient des animaux
de Vergina, en Grèce, semblerait être le ves était captivée par l'Inde. L'histoire de la
portrait du jeune Alexandre. campagne d'Alexandre de Macédoine, rares : lions, tigres, chameaux, éléphants.
Dès le 10» siècle, des chameaux avaient été
embellie par l'imagination locale, était
répandue chez les Slaves de l'Ouest et de amenés en Pologne : le prince Miesko 1"
l'Est : il y était question de la conquête en expédia un comme cadeau à l'empereur
d'une contrée fabuleuse appelée "Alexan¬ germanique. Au 16" siècle, le Shah d'Iran
drie". Les informations sur le "pays des offrit à Ivan le Terrible plusieurs éléphants.
merveilles" arrivèrent d'abord chez les Sla¬ En 1741, il en arriva d'un coup quatorze à
ves indirectement, surtout par l'Asie cen¬ Saint-Pétersbourg. On fit construire spé¬
trale, la Transcaucasie et la Perse. Le pre¬ cialement pour ces animaux exotiques une
mier voyageur russe à avoir vu l'Inde de ses "cour elephantine" où les soins étaient
propres yeux fut un marchand de Tver donnés par des cornacs indiens. Dans les
nommé Afanassi Nikitine : il y séjourna de villes et villages, la venue de ces animaux
1466 à 1472. Il a décrit son expédition dans exotiques s'annonçait de bouche à oreille.
un livre intitulé "Voyage au-delà de trois Leur aspect, modifié par l'imagination
mers". A la différence de beaucoup de populaire, trouva place dans la sculpture
voyageurs, Nikitine a su se rapprocher des sur bois des paysans qui ornaient leurs
Indiens, a bien appris à connaître le pays et isbas des images sculptées d'animaux
ses coutumes.
inconnus (voir l'article consacré à ce sujet,
p. 46 de ce numéro).
Au 16* siècle, lorsque commence l'épo¬
que des grandes découvertes géographi¬ On importait dans les pays slaves la pro¬
duction de l'artisanat oriental, et, en
ques, l'Europe est bouleversée par ce
Orient, on estimait beaucoup celle des
qu'elle apprend sur les trésors fabuleux de
l'Inde et de la Chine. Les Slaves se trouvent maîtres-artisans slaves. Ce n'est pas un
être alors sans doute le maillon le plus hasard si d'habiles ouvriers d'origine slave
se trouvaient à la cour de nombreux poten¬
important dans les relations commerciales
tats orientaux. Au 13" siècle, à Karakorum,
et culturelles qui se multiplient entre
l'Europe occidentale et l'Orient. Au début alors capitale de la Mongolie, travaillait
toute une colonie d'artisans russes. L'un
du 16* siècle, Guérassimov, ambassadeur
de Moscovie à Rome, présenta un projet de d'entre eux, l'orfèvre Kosma, fit pour le
recherche d'une voie maritime septentrio¬ khan Gujuk un trône et grava le sceau de
nale vers la Chine. Le tsar Ivan le Terrible, l'Etat dont on a conservé l'empreinte sur
une lettre du khan au pape.
Créatures fabuleuses, ces hommes-bâtes qui montrait de l'intérêt pour l'Orient, pro¬
sont les héros d'un texte biélorusse du 16* mit une forte récompense à qui parviendrait Les relations culturelles avec les pays
siècle, contant les épisodes de la vie en Chine par les mers du Nord. Ces tentati¬ d'orient jouèrent également un grand rôle
d'Alexandre. ves ne cessèrent que dans la seconde moi dans le domaine de la vie quotidienne.
30
L'histoire de la diffusion du thé est intéres¬
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rares : lions, tigres, éléphants, siècles. Inversement, les Slaves ont joué un
furent envoyés par des rôle important dans l'introduction de la
potentats orientaux à de hauts médecine scientifique en Orient. Ce sont
dignitaires slaves. Des éléphants des médecins russes qui, au milieu du 19*
en provenance de Perse
siècle, fondèrent le premier hôpital du
arrivèrent à Moscou et cet
événement fut commémoré
Japon. Le premier médecin de Mongolie
fut un docteur russe, P. Chastine. Ses
dans une gravure populaire (ci-
dessus) méthodes de soins se répandirent si bien
que, dans la langue mongole, les mots
"médecin" et "Chastine" furent longtemps
des synonymes.
Les contacts séculaires avec l'Orient ont
31
W européen. Leurs langues conservent donc
' certains traits qui les rapprochent des lan¬
gues indo-iraniennes. Mais, en outre, il
existe dans toutes les langues slaves de
nombreux éléments lexicaux et grammati¬
caux d'origine orientale (en particulier tur¬
que), tandis que toute une série de mots
slaves a pénétré en Orient.
32
LJT ÉTAT d'ancienne Russie s'étendait La conscience d'appartenir à un pays tes rivières et tes sources vénérables, tes
de la mer Blanche à la mer Noire et grand et illustre se retrouve dans l'ouvrage montagnes escarpées, tes hautes collines,
des Carpates aux steppes arrosées du métropolite de Kiev, Hilarión : "De la loi tes chênaies touffues, tes champs merveil¬
par la Volga. Son essor commença au 10" et de la grâce". A propos des princes rus¬ leux, tes bêtes de toute sorte et tes oiseaux
siècle, après l'unification des tribus slaves ses, l'auteur s'exclamait : "Ce n'était pas innombrables, tes grandes villes, tes
de l'Est autour de Kiev. Il se prolongea jus¬ une mauvaise terre obscure qu'ils gouver¬ bourgs admirables, tes cloîtres, tes égli¬
que vers 1130. Alors, le développement de naient, mais la Terre russe qui est célèbre ses I..."
l'ancienne Russie qu'ont été réalisées lés L'adoption du christianisme en 989 rap¬ et de châteaux avait beaucoup d'impor¬
ruvres les plus importantes de l'art et de procha la Russie des pays du monde chré¬ tance. Ainsi se perfectionnait, se dévelop¬
l'architecture. tien et surtout orthodoxe. Ce fut une étape pait le talent des architectes russes. La
décisive pour le développement de l'art Russie étant un pays de forêts, la plupart
Ce fut "l'âge d'or" de l'art russe ancien.
russe ancien. L'écriture fut introduite en des édifices des premières périodes furent
Il est chanté dans les bylines et les cuvres construits en bois.
Russie à cette époque et le christianisme se
littéraires du temps. Le cycle de bylines qui
trouva ainsi adopté dans la propre langue
ijacontent la vie des preux de la Russie kié- du pays. Ce fait stimula considérablement La ville russe ancienne était constituée
vienne (llya de Mourom, Dobrynia Nikitich d'un centre fortifié (le "diétinets"), où se
l'originalité de l'art féodal, et en particulier
et Aliocha Popovitch) est très caractéristi¬
l'art religieux. trouvaient les résidences du prince, des
que à ce point de vue. Ces bylines, conser¬ boïars et de leurs gardes, d'une "ville péri¬
vées depuis des siècles dans la mémoire L'esthétique russe ancienne est remar¬ phérique" où vivait, à l'abri des remparts, la
populaire, montrent les vifs sentiments de quable par son caractère patriotique, qui a majeure partie de la population, et de
fierté et d'admiration que l'on éprouvait à marqué en particulier la poésie lyrique. "bourgades" (ou "koldy"), peuplées de
l'époque pour la grandeur et la puissance L'amour pour la terre natale, pour la nature marchands et d'artisans. Les villes les plus
de l'Etat kiévien.
du pays, est un leitmotiv de l'art russe importantes de Russie (Kiev, Novgorod,
L'art russe a trois sources essentielles : le ancien, et surtout de l'épopée. Les chroni¬ Smolensk, Tchernigov, Vladimir-
riche héritage culturel des tribus slaves de ques russes en sont imprégnées. C'est Volynsk...) comptaient aux 11"-12" siècles
l'Est ; les problèmes posés par les condi-, l'essence du célèbre "Dit de la campagne plusieurs dizaines de milliers d'habitants.
tions de vie et les exigences de l'Etat en d'Igor". Et dans le "Chant du désastre de la Elles comptaient parmi les plus peuplées
ancienne Russie ; l'assimilation de l'expé¬ Terre russe", l'auteur célèbre ainsi sa terre d'Europe.
rience artistique et ¡technique des autres natale : "O, terre russe, comme tu es
pays, et surtout da Byzance, gardienne des belle I Toutes tes beautés nous enchan¬ Ces villes étaient embellies par les i
grandes traditions de la culture antique. tent : nous enchantent tes lacs nombreux. ensembles de bâtiments en bois que for- 1
33
> maient les palais des princes et des boïars,
ainsi que par un grand nombre d'églises et
de monastères en bois et en pierre. A l'épo¬
que de la foire s'y rassemblaient des mar¬
chands venus d'Allemagne et du Khorezm,
d'Italie et du Califat, de Scandinavie et de
Byzance. Les marchands de Kiev, de Nov¬
gorod et de Smolensk faisaient de longs
voyage en mer. Grâce à ces échanges, les
objets d'art de nombreux peuples arrivaient
en Russie. Leur influence se faisait sentir
dans la variété des thèmes et des techni¬
ques, dans le niveau professionnel des
artistes.
des byzantines, et des formes architectura¬ mosaïques disposées selon une ordonnance précise, raisonnée.
A droite, détail d'une fresque d'inspiration nettement byzantine, datant
les propres à l'école russe ancienne. La
du 11* siècle : visite de la Vierge Marie à sa cousine Elisabeth, mère de
forme des coupoles qui couronnent les Saint-Jean-Baptiste.
églises est ainsi inspirée, selon de nom¬
breux chercheurs, par les casques des
guerriers russes. Elle semble tout à fait spé¬
cifique.
l'origine une surface beaucoup plus impor¬ au milieu du 11* siècle. A cette époque,
Le trésor le plus précieux de la Russie de
tante. sous l'influence de la féodalité qui se déve¬
Kiev est la cathédrale Sainte-Sophie. Sa
Des mosaïques couvrent les piliers, les loppe, certaines régions russes deviennent
construction, si l'on en croit la chronique
russe la plus ancienne, le "Récit des années voûtes et les murs de la nef centrale inon¬ plus puissantes, leurs centres s'agrandis¬
dée de lumière par la partie orientale. Elles sent et se construisent. On observe, dans la
passées" commença en 1037 à l'endroit où,
produisent un effet particulièrement saisis¬ politique des princes établis dans ces
un an plus tôt, laroslav le Sage avait défini¬
régions, une tendance à s'isoler de Kiev.
tivement écrasé les Petchénègues. Sous sant. La composition en mosaïque qui
les ajouts postérieurs et les surélévations représente l'Eucharistie et les Pères de L'influence de l'Eglise va croissant, la cons¬
l'Eglise dans l'abside centrale est exécutée truction de monastères prend de l'ampleur.'
des 17"-18* siècles, la cathédrale a parfaite¬
ment conservé ses formes primitives. de main de maître. Certains des personna¬ Pourtant, Kiev reste comme auparavant
ges : Saint Laurent, Saint Grégoire Pala- la capitale de la Russie. C'est de là que les
Edifiée en souvenir de la victoire rempor¬
, mas et Saint Jean Chrysostome, sont con¬ influences culturelles et artistiques se diffu¬
tée sur les Petchénègues et devenue le
sidérés comme des chefs d' de cet sent dans toute les terres de l'ancienne
symbole de la nouvelle unification de la
art.
Russie sous le pouvoir du prince de Kiev, la Russie. A cette époque se forme, à la Laure
cathédrale Sainte-Sophie est remarquable Il s'est conservé à Sainte-Sophie environ de Kiev (le "monastère des grottes"), un
par son architecture grandiose et harmo¬ 650 m2 de mosaïques. De l'avis du spécia¬ centre culturel important fondé sur l'art et
nieuse, ses vives couleurs intérieures, l'élan liste soviétique Viktor N. Lazarev, huit maî¬ sur l'architecture.
de ses formes. tres au moins ont participé à leur exécu¬ Avec ses coupoles d'or, ses mosaïques
Les deux tours où se trouvent les esca¬ tion. La richesse de leur palette apparaît et ses fresques, la cathédrale Saint-Michel
liers menant aux tribunes sont décorées de vraiment étonnante. On a recensé 177
(1107-1113) constitue un magnifique
fresques très intéressantes. De nombreu¬ nuances de couleurs différentes, parmi les¬ ensemble d'art monumental. Comme à
ses scènes représentent les divertissements quelles la couleur verte compte à elle seule Sainte Sophie et à la Laure, il y avait dans
princiers : luttes, courses, chasses, fau¬ 34 nuances, la jaune 23 et même la grise l'abside principale une grande composition
9...
conniers, mais aussi danseurs et musiciens. représentant la communion des apôtres.
On voit représentée sous les tribunes la A Tchernigov, la cathédrale du Sauveur, L' "Eucharistie" de Saint-Michel se dis¬
famille de laroslav le Sage : Anne, devenue commencée dans les années 1035-1036
tinguait sensiblement de celle de Sainte-
reine de France, Elisabeth, reine de Nor¬ selon la chronique, est un autre monument
Sophie. On sent ici une plus grande liberté
vège, et Anastasie, reine de Hongrie. célèbre de la Russie de Kiev. Son plan en
dans le groupement des personnages. Une
On a découvert à Sainte-Sophie, sous longueur la distingue de la cathédrale
plus grande attention est accordée aux
des inscriptions plus tardives, environ Sainte Sophie.
traits évoquant la psychologie desapôtres ;
2000 m2 de fresques du 11* siècle qui ont Une nouvelle étape dans l'art et l'archi¬ la gamme de couleurs se fait intense et
été restaurées ; ces fresques couvraient à tecture de la Russie kiévienne est franchie vive ; la linéarité est renforcée. Ces particu-
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larités, aussi bien que les inscriptions, per¬ sculpture se limite à des motifs ornemen¬ rod. Des pêcheurs de Novgorod attrapè¬
mettent de reconnaître dans les mosaïques taux. rent un tonneau plein d'objets précieux
de Saint-Michel le pinceau de maîtres qu'Antoine, en partant de Rome, avait jeté
Novgorod fut également un centre archi¬
locaux. Certains chercheurs tiennent pour à l'eau. C'est sur ces trésors que fut érigé le
tectural important. Ses églises et monastè¬
l'un des auteurs de ces mosaïques un grand monastère.
res du début du 12* siècle ont été bien con¬
peintre russe qui vécut autour de 1100, servées jusqu'à nos jours : la cathédrale Malgré son caractère typiquement
Alipi. Saint-Nicolas-Thaumaturge (1113), les médiéval, cette légende recèle un fond de
La vie et les travaux d'Alipi sont racontés monastères Saint-Antoine (1117) et Saint- vérité : les affaires d'Antoine qui sont par¬
en détail dans le "Paterik" de la Laure de Georges (1119). On y voit d'une part venues jusqu'à nous proviennent effective¬
Kiev, recueil de récits consacré à ce centre l'influence d'édifices comme la Laure de ment d'Europe occidentale ; de plus la
d'un point de vue aussi bien religieux que Kiev : ce sont des monuments dont les légende reflète les contacts très étroits
culturel. Alipi, d'après le Paterik, ne pei¬ coupoles terminées par une croix reposent qu'avait Novgorod avec l'Europe occiden¬
gnait pas d'icônes "pour s'enrichir". Il col¬ sur six piliers. Mais on y reconnaît d'autre tale, contacts que l'on connaît bien, tant
lectionnait avec soin les vieilles icônes exé¬ part la tradition de la cathédrale Sainte- par les sources écrites que par les données
cutées par d'autres maîtres, et les restau¬ Sophie de Novgorod : formes puissantes, de l'archéologie.
rait. Ses propres suvres étaient si belles plastique sévère des façades et des tours, La peinture de chevalet russe de la fin du
que les anciens Kiéviens les croyaient pein¬ couronnement de l'église par trois ou cinq 10* siècle et de la première moitié du 11*
tes avec l'aide des anges et prêtaient aux coupoles. L'architecture de la cathédrale siècle ne nous est pas parvenue. Il est
couleurs qu'utilisait Alipi des vertus curati¬ du monastère Saint-Georges est particuliè¬ cependant fait mention, dans les chroni¬
ves. rement majestueuse. ques, des icônes qui ornaient les premières
La sculpture païenne nous est connue Dans la cathédrale du monastère de églises. Au 1 1* siècle et même au début du
Saint-Antoine (1125), les fresques ont été 12*, des icônes furent apportées de
par de nombreuses découvertes archéolo¬
giques et par les sources littéraires. On peut partiellement préservées. Elles rappellent Byzance en Russie en grande quantité. A
sans doute expliquer par l'attachement par leur caractère la peinture romane, mais ces modèles d'icônes d'origine byzantine
anticipent par certaines de leurs particulari¬ se rattache la célèbre Vierge de Vladimir,
qu'on lui portait, l'installation sur la place
centrale de Kiev des statues antiques rap¬ tés (leur manière libre et énergique) sur plu¬ qui joua un grand rôle dans le développe¬
portées de Chersonese par le prince Vladi¬ sieurs traits qui caractérisent la peinture ment de la peinture russe ancienne.
mir. novgorodienne des époques suivantes. Des icônes russes se répandirent dans les
Le fondateur de ce monastère fut pays voisins. Elles y étaient très estimées.
C'est sans doute pour cette raison que
Tel fut le destin de l'icône de Czestochowa,
l'église byzantine désapprouvait la sculp¬ Antoine le Romain. La légende dit qu'il
si célèbre en Pologne. .
ture à thèmes : à Sainte-Sophie de Kiev, à quitta Rome, traversa la Méditerranée et la
la cathédrale de Sauveur de Tchernigov, la Baltique sur une meule et arriva à Novgo L'art du livre et de la miniature atteignit I
35
un très haut niveau dans la Russie de Kiev.
On aimait depuis longtemps les livres en
Russie, on les conservait, on les ornait
richement. Comme le dit un chroniqueur
du 11* siècle, les livres, "ce sont des fleu¬
ves qui abreuvent l'Univers, ce sont des
sources de sagesse, car il y a en eux une
profondeur insondable".
que de ce temps. Comme le dit l'académi¬ sacerdoce. Aussi ces peintres étaient-
ils des moines. Les deux plus grands
cien Boris A. Rybakov, "la Russie du 12*
peintres d'icônes furent Théophane le
siècle fut un peu le co-auteur des diverses
Grec (seconde moitié du 14* siècle) et
La cathédrale Sainte Sophie de Kiev, formes du style roman..." Andreï Roublev (voir page 21). Un autre
placée sous la double invocation de la grand maître moscovite fut Maître
Vers les environs de 1130, on cesse de
Sainte Sagesse de Dieu et de la Vierge
construire, comme cela se faisait dans la Denis, appelé aussi Dionysios (1440-
Marie, a été élevée en 1037 par laroslav le
1508). Il peignit avec un sens aigu de la
Sage ; admirable travail d'architectes et de Russie de Kiev, en mélangeant les maté¬
magnificence et de la splendeur et le
milliers de bâtisseurs anonymes. Elle était riaux (brique et pierre). Les architectes,
souci de l'esthétique. Il se rattache
surmontée primitivement de treize dans chacune des régions où ils'travaillent,
cependant à Roublev par une
coupoles symbolisant le Christ et ses utilisent les matériaux locaux. En Dniéprie spiritualité perceptible dans le dessin
disciples. Les toitures et les coupoles ont et en Volynie, on construit en briques ; allongé des personnages. Cette icône
été refaites en style baroque au 17* siècle.
dans les régions de Galitch et de Vladimir- de Maître Denis provient de l'Eglise de
Les fresques des escaliers illustrent des la Dormition, au Kremlin, Moscou ;
Souzdal, on utilise la pierre locale, le mar¬
scènes de la vie à la cour princière aujourd'hui conservée à la Galerie
scènes de chasses, acrobates, histrions
bre, et on orne les façades des bâtiments
Trétiakov, elle représente le
seul exemple que l'on puisse voir en de sculptures en pierre blanche : une
Métropolite Alexis tenant l'Evangile de
Russie de peintures de maurs dans un grande force d'expression est atteinte dans
la main gauche. Les scènes
sanctuaire. Ici, jeux de cirque à l'Instar de des chefs-d'euvre comme l'église de hagiographiques'se lisent de gauche à
ceux qu'on offrait à Noël à l'Empereur l'Intercession de la Nerl (1165) et la cathé¬ droite et de haut en bas. Elle a été
Constantin. drale Saint-Dimitri de Vladimir (1194-1197). peinte vers 1483.
Photo Bob Saler © Rapho, Paris
Les icônes de Dimitri Solouski à Dimi-
trov, celles de la Vierge de la Laure, celles
de la Dormition'de Novgorod sont de mer¬
veilleux monuments de la peinture des 12*
et 13* siècles (elles sont toutes conservées
à la galerie Trétiakov de Moscou).
louri Assaev
Photo © Académie d'Art de l'URSS, Leningrad
36
5
Hilft i
Photos © Miodrag Djordjevic, Bibliothèque publique Saltikov - Tchedrine, Leningrad
L'art
de la fin du Moyen-Age, a laissé les
témoignages d'un langage pictural humain,
parfois entièrement coupé des dogmes de
l'école de Constantinople. Sur les fresques,
les ¡cônes, les miniatures, on peut reconnaître
des gens du peuple, des visages proches et
familiers. Tels ces quatre Evangelistas (en
haut des deux pages), miniature exécutée par
Maître Radoslav provenant d'un Evangéliaire
serbe datant de 1429, conservé à la
Bibliothèque publique Saltikov Tchédrine
de la Morava
de Leningrad. Les quatre Evangelistas
écoutent la parole de Dieu que leur dicte à
l'oreille l'esprit de la Sagesse divine.
L'iconographie traditionnelle leur attribue les
animaux de la vision d'Ezéchiel et de
Une école de sensibilité et de grâce
l'Apocalypse, de gauche à droite : un bBuf
accompagne Saint-Luc ; un lion, Saint-Marc ;
dans la Serbie du 15e siècle
un ange Saint-Mathieu ; un aigle, Saint-Jean.
41
> Auparavant, l'art de la Serbie faisait par¬ qui savait bien qu'elle courait à sa perte, en moines, les évêques, les prêcheurs sont
tie intégrante de la culture byzantine chré¬ témoigne largement. Cette école porte, représentés comme des "hommes célestes
tienne. Il a connu à ce titre un sort singu¬ dans l'histoire de l'art serbe ancien, le nom et des anges terrestres", tout en beauté
lier. d'Ecole de la Morava. extérieure et en perfection intérieure. Il
s'agit là d'hommes et d'un univers qui ne
Après la débâcle de "la grande Serbie" A partir du 12* siècle, la recherche esthé¬
pouvaient exister qu'en peinture, en littéra¬
en 1371 et l'extinction de la dynastie de tique serbe s'exerce toujours sur deux
ture et en musique.
Stefan Nemanjia, les familles princières des plans : la beauté extérieure et la beauté
Lazarevic et des Brankovic essayent de se intérieure. Ces deux tendances à caractères Cet art reflète largement le mysticisme
maintenir dans l'étroit territoire qui s'étend opposés, et de valeur inégale, vont attein¬ du christianisme oriental. L'émerveillement
entre la Save et le Danube au nord et les dre l'une et l'autre leur expression la plus devant la Révélation donne à l'expression
deux Morava au sud. (Ces deux rivières, éclatante sous le despotat serbe. Leur con¬ artistique une qualité quasi dramatique. Le
traste est surtout prononcé dans l'architec¬ sanctuaire est caché derrière une cloison
qui finissent par se joindre pour se jeter
dans le Danube, ne doivent pas être con¬ ture. architecturale à laquelle sont accrochées
fondues avec le fleuve homonyme, qui les ¡cônes : cette iconostase, à l'instar de
Les églises aux espaces intérieurs parfai¬
coule dans la Tchécoslovaquie actuelle et l'antique "scenae frons" des théâtres, a
tement conçus et aux façades somptueu¬
d'après lequel on désigne la vaste région de ses convenaient bien aux offices liturgiques trois portes occultées par de riches tentu¬
la Moravie). res : à des moments rituels précis, ces ten¬
et au faste spectaculaire des cérémonies.
tures sont soulevées. Dans les grandes égli¬
Sur ce territoire des Morava méridiona¬ Ces espaces allongés s'y terminaient en
demi-cercle, surmontés, en haut, par les ses, il y avait toute une décoration de la
les, où se livraient le combat entre le chris¬
conques de leurs absides et par les calottes pierre, jadis polychrome : de larges bandes
tianisme européen et l'Islam envahissant, le
ornementales, des arcades, de grandes
"despotat" (ce terme, emprunté à la hiérar¬ de leurs nombreuses coupoles : l'ensemble
rosaces et des bas-reliefs plats, surtout
chie princière de Byzance, ne comporte était adapté aux besoins d'une représenta¬
autour des fenêtres. Les motifs décoratifs
aucune acception péjorative) n'aura qu'une tion liturgique complexe, avec ses protago¬
sont d'une grande variété : des rubans
durée courte : entre 1402 et 1459, il est la nistes, ses deux ch et ses cortèges
entrelacés, des anges, des animaux fabu¬
dernière oasis de la chrétienté libre dans les merveilleux, tels qu'on les voit dans les
leux, des figures énigmatiques et au
Balkans. C'est l'époque où la Serbie méri¬ fresques de l'époque. Les compartiments,
milieu de tout cela, comme au monastère
dionale devient l'asile de myriades d'émi- passages et cloisons de ces églises étaient
non seulement fonctionnels, mais offraient
de Kalenic par exemple, le centaure Chiron,
grants venus de Byzance, du Mont Athos,
maître de musique d'Achille.
de Macédoine, de Bulgarie et d'Albanie. aussi une parfaite acoustique.
paroles connues, d'une ambiance musicale ture, ses fresques, ses icônes, sa riche bro¬
qui donne aux gestes des personnages derie, son orfèvrerie et surtout dans ses
peints un rythme étrange, qu'on dirait infini miniatures. Les ornements servaient tou¬
H
une musique qui n'est pas de ce monde jours à exprimer une beauté extérieure qui
et qui imprègne les fidèles d'une foi cons¬ cachait les valeurs plus hautes, profondé¬
tante. ment mystiques et à peine perceptibles, de
la beauté intérieure.
Les personnages singuliers des "maîtres
TEFAN Lazarevic, fils de chapelle", aux vêtements richement Cette grande vision d'un monde parfait,
^^^^^Ä I du prince Lazare ornés et aux étranges tricornes blancs, évoquée à l'heure du péril le plus extrême,
iH tombé en 1389 sur le nous sont déjà familiers par les fresques les exerçait un attrait extraordinaire sur le
champ de bataille de Kosovo où les Turcs plus anciennes, remontant au milieu du 14* monde chrétien byzantin survivant : aux
l'emportent définitivement sur les Serbes, siècle : à partir de ce siècle, leurs noms intellectuels spiritualises qui, au 15* siècle,
est un représentant typique de son épo¬ mêmes nous sont connus Stefan, Isaija, erraient entre l'Italie et les steppes lointai¬
que : despote de l'empire byzantin et che¬ Joakim ainsi que les morceaux qu'ils ont nes de la Russie, elle apportait une pro¬
valier ayant prêté serment au roi de Hon¬ composés. messe.
grie, vassal du Sultan et commandant en Dans cette petite Serbie du 15* siècle, un
Mais la beauté de l'espace sacré et empli
chef d'une armée, guerrier et au surplus art à la fois seigneurial et monacal, né du
de musique s'agrémente également d'une
poète lui-même, il ralliait autour de lui, à sa contraste entre luxe et ascèse, a su faire
peinture murale nouvelle. La délicatesse
cour de Belgrade, un grand nombre d'écri¬ coïncider les deux types de beauté. Les
subtile des modulations musicales se
vains, car il aimait la littérature. Pour le flat¬ chemins de l'art européen se diversifiaient
retrouve dans les fresques. On renonce aux
ter, ses contemporains l'appellent "le nou¬ donc : alors que l'Occident reniait la pen¬
traits de pinceau puissants et roides. La
veau Ptolémée". Il est à l'origine de l'école sée et l'art médiévaux, l'Orient s'y tenait
dite de Resava, d'après le nom du monas¬
figure humaine, stylisée, d'une plasticité
avec persévérance. Il se montrait sceptique
tère qui en était le siège et de la rivière
marquée et ressemblant presque à une
à l'égard de la matière, de la nature et de la
sculpture, perd ses particularités d'individu
auprès de laquelle se trouvait le monas¬ raison humaine, et aussi envers la spiritua¬
terrestre.
tère : école non de simples copistes, lité de la fin de l'Antiquité, à laquelle il
comme on le dit à la légère, mais de "tra¬ La peinture de la Morava s'éloigne désor¬ empruntait pourtant son art : cet art où
ducteurs", ainsi que la désignent ses con¬ mais de ce qui caractérisait les fresques seule la forme ressemble à la réalité et n'est
temporains. anciennes. Elle reprend les techniques les en fait que symbole, allégorie spirituelle.
Or en même temps, une école, encore plus subtiles de la peinture sur bois : les Les écrivains qu'étreignent les Muses, dans
plus considérable, se formait sous les mouvements sont vus et fixés d'une les miniatures de Maître Radoslav, sont
mêmes auspices. On a dit parfois que l'art manière saisissante, cependant que les peut-être les meilleurs exemples de cette
était un produit de temps paisibles et heu¬ gestes restent doux et harmonieux. Dans culture traditionaliste complexe qui a donc
reux : rien de plus faux, et cette naissance cette peinture du despotat serbe, on repré¬ trouvé dans la peinture son expression la
d'une école qui enseigne la sensibilité et. la sente de préférence des scènes de la vie plus achevée.
grâce au milieu d'un temps de malheur et terrestre du Christ : les saints guerriers, les Svetozar Radojclc
42
DUBROVNIK
Porte ouverte sur le monde latin
Depuis la période médiévale, Dubrovnik, ville de Yougoslavie (Croatie), dressée sur un rocher sur la côte
dalmate, assurait le contact entre l'orient et l'occident. La ville eut beaucoup à souffrir d'un tremblement
de terre en 1667, qui détruisit partiellement le port et les remparts qui entouraient la vieille ville (ci-dessus
à droite). Il reste encore des vestiges d'une magnifique enceinte (vue aérienne ci-dessus à gauche).
LA septième décennie du 17" siècle Citoyens pouvaient penser que la douceur A cet instant, sous ce ciel pur et au bord
n'a pas été heureuse pour l'Europe. de leur Adriatique les protégerait toujours. de cette mer paisible, la terre se mit sou¬
Au long de ces dix années, toutes Cette ville, l'une des plus belles de son siè¬ dain à trembler. Dans un vacarme
sortes de catastrophes et de fléaux s'abatti¬ cle, s'était donné le nom de Dubrovnik et effrayant, en quelques instants, la ville
rent en vagues successives de Londres portait brodée sur son drapeau l'inscription entière se transforma en un amas de ruines.
jusqu'en Asie Mineure et de la Sicile aux Libertas. Tout ce qui faisait la fierté des habitants,
pays Scandinaves. Les guerres s'ajoutèrent les palais, les monuments, les églises et les
Le mercredi 6 avril 1667, le Mercredi
aux épidémies. Les victimes se comptèrent murailles, tout ce que le savoir, l'amour et
par centaines de milliers. Saint, vit le jour se lever sous un ciel d'azur la fortune avaient érigé au long des siècles,
et sur une mer calme. A huit heures du
tout s'écroula comme un château de car¬
Il se trouvait pourtant, sur la carte de
matin, le ciel était encore transparent ; la tes.
l'Europe, une ville orgueilleuse qui jouissait
mer léchait doucement le pied des fortifica¬
des progrès de la fortune et de la paix. Ses Le prince souverain de la République,
tions de la ville. Les gentilshommes déam¬
toute sa suite et les plus hauts fonctionnai¬
bulaient devant le palais en attendant la
res de l'Etat trouvèrent sous les décombres
cloche du Grand Conseil, l'assemblée qui,
une mort soudaine. Les trois-quarts de la
en cette veille de Pâques, devait gracier les
VOUK VOUTCHO, écrivain yougoslave, a étu¬ population de la ville partagèrent ce destin.
condamnés. Dans la chapelle du palais, en
dié la mise en scène de théâtre, cinéma, radio et Sur l'île voisine de Lopud, frappée elle aussi
présence du Prince et des grands dignitai¬
télévision à l'Académie de Belgrade. Auteur de par le séisme, quatre cents seulement des
res, la cérémonie religieuse s'achevait. Les
poèmes, nouvelles, essais et critiques, notam¬ quatorze mille habitants survécurent.
ment sur les arts du spectacle. A publié en derniers mots de l'évêque furent de recon¬
France aux Editions du Seuil "Les voleurs de naissance pour la prospérité et la paix qui Un malheur n'arrive jamais seul. Après le
feu". Actuellement rédacteur en chef de régneraient longtemps encore sur la petite tremblement de terre, l'incendie et le raz-
DANAS, revue des Yougoslaves en France. République. de-marée, survinrent les pillards. Des
43
, semaines durant, ils dépouillèrent les cada¬
vres et les ruines. Tous les ennemis de
Dubrovnik, qui jusqu'alors n'avaient pas
osé toucher à la puissante forteresse, se
trouvèrent soudain à ses frontières pour la
curée, sur le continent comme à l'entrée
des ports.
44
jusqu'à l'insurrection et à la libération de la
ville, aucun enfant ne naquit dans la
noblesse dubrovnikoise...
45
A l'origine était la forêt. Les hommes vivaient en symbiose avec
elle. C'est le bois qui fournit les maisons, les ustensiles, les
meubles, chauffe le poêle et alimente les saunas. Les provinces
des pays slaves connaissent des villes en bois. Le monastère de
Nikolo-Karelskl, bâti au 16* siècle à l'emplacement de l'actuelle
Severodvinsk, dans le golfe d'Arkhangel au bord de la Mer
Blanche, fut transformé en forteresse en 1692. Une tour
octogonale fut ajoutée (photo ci-contre), une palissade et des
tours de guet, le tout construit en bois. Il s'agit là d'un rare
exemple de fortification médiévale russe. Aussi cet ensemble fut-
il transféré au Musée de Kolomenskoe dans les environs de
Moscou. A gauche, un soleil en bois. Ce soleil, au 18* siècle,
ornait le mât des bateaux russes qui parcouraient les fleuves. A
droite, une femme-oiseau, la "slrine", génie tutélaire de la
maison, ailes déployées pour mieux protéger, nichait au-dessus
des fenêtres des anciennes isbas russes. L'Unesco, en
collaboration avec l'Association internationale pour l'Etude et la
Diffusion des Cultures slaves, prépare un album consacré à
l'histoire de l'architecture et de la sculpture slaves en bois, sous
la direction du professeur polonais Andrej Ryszkiewicz, avec la
participation de spécialistes du bois de Biélorussie, Bulgarie,
Pologne, Russie, Tchécoslovaquie, Ukraine et Yougoslavie.
Le bois
vivant
ARMI les différents objets qu'utilisait la paysannerie tradi¬
p tionnelle dans sa vie quotidienne, le rouet occupe une place
de choix et ce n'est pas là un hasard.
Non seulement sa forme, mais aussi les scènes qui y sont pein¬
tes permettent de déterminer l'origine d'un rouet. Par exemple les
artisans de la région de Vologda préféraient pour ornementation de
grandes figures géométriques : cercles, triangles, lignes brisées.
48
On considérait à l'origine que c'étaient là des animaux sacrés,
des divinités bienveillantes. Mais de longs siècles ont donné à ces
idoles anciennes une forme si achevée que les habitants, oublieux
de la symbolique première, en firent à la fois un élément indispen¬
sable d'une structure de bois complexe, et l'ornement obligé de
toute maison. Jusqu'à nos jours, dans les contrées lointaines du
Nord, les villages ont conservé de telles isbas. Dans certains
endroits, même actuellement, on prend les "Okhloupén" de vieux
bâtiments pour les placer sur les isbas neuves.
L'isba paysanne était également décorée de l'oiseau de paradis
"Sirin" qui perpétue à travers les siècles l'écho des anciennes
croyances païennes. Un autre personnage fantastique est le lion
qui tient dans sa gueule ouverte le bout de sa longue queue. Sa
tête évoque plutôt celle d'un chien : les artistes des campagnes ne
connaissaient les animaux exotiques que par ouï-dire et les repré¬
sentaient d'après l'idée qu'ils s'en faisaient. Le tendance à "habil¬
ler" l'isba de sculptures sur bois apparaissait aussi dans la décora¬
tion des chambranles de fenêtres. Elle rappelle les anciennes ser¬
viettes brodées aux bords en dentelle, dont on décorait, selon la
coutume russe, les icônes ou les portraits.
49
Photo © APN, Moscou
50
Détail de la façade d'une isba de Vologda,
distante de 300 km de Moscou : dentelles
ajourées semblables à celles qui ornent les
linges qu'on suspend en draperie au-dessus
des icônes dans les maisons.
Moguilev, en Biélorussie.
51
Pour accueillir
les abeilles
Joyeuses ou sévères, réalistes ou
caricaturales, les ruches du monde slave
proposent aux abeilles des parcours
singuliers : elles entrent dans le nombril
d'un ours en Russie, sortent par les yeux
d'une femme en Biélorussie, leur miel est
recueilli sous la calotte d'un ermite en
Pologne. Ailleurs, des ruchers, tantôt vont
par couple comme en Pologne, en
Tchécoslovaquie, tantôt sont des figures
solitaires, tel ce personnage enturbanné
de Yougoslavie.
Pologne Pologne
Russie
Biélorussie Tchécoslovaquie
Yougoslavie
52
Trois sculptures religieuses, trois pays slaves, trois styles
différents. En haut à droite, le roi David, prophète, poète et
musicien : d'un artiste anonyme de Smolensk, en Russie
(18" siècle). Ci-dessus, Pierre, premier apôtre du Christ, tel que l'a
imaginé, au 19", un artiste du village de Gorodiché, dans la région
de Brest-Litovsk, en Biélorussie. Ci-contre, à droite. Saint Jean
Népomucene, prélat tchèque du 14* siècle, confesseur de la Reine
Jeanne, femme de l'empereur Venceslas IV, vu par un artiste
polonais de la région de Limanova, au 19" siècle.
53
Jean Hus, réformateur religieux
tchèque (1369-1415) fut considéré
en Bohème comme un grand
résistant et un défenseur des
droits de l'homme, admiré pour
avoir eu le courage de ses
convictions, pour avoir refusé de
se rétracter malgré les pressions
des prélats et des princes. Lucas
Cranach, peintre allemand du 16*
siècle, le place dans sa gravure en
symétrie parfaite aux côtés de
Martin Luther, réformateur
protestant allemand (1483-1546).
Cet anachronisme s'explique par
le fait que dans l'esprit de
l'artiste, ces deux hommes ont
toujours cherché à défendre la
vérité.
"L'AME SLAVE"
De la Baltique à la Mer Noire, une vaste communauté culturelle
(ière indispensable pour que s'affirme une vivent en démocratie et pour cette raison
L^IDÉE que les slaves formaient un
tout s'est répandue fort tôt dans le conscience unificatrice sur l'immense examinent toujours en commun les affaires
I monde non slave, dès les huit espace étendu de la rive occidentale de agréables et difficiles... Ils n'ont nulle
l'Elbe à la Volga, de Rujana (Rügen) au méchanceté ou malice, mais sont
premiers siècles de notre ère. On avait
Péloponnèse, de l'Italie du Nord à la Syrie. sincères..."
conscience de la relative unité que mon¬
traient la langue, la culture populaire, les En même temps, on parlait du caractère
Le nom générique des Slaves, Slovène,
caractéristiques sociales et ethniques des belliqueux et de la bravoure des Slaves.
est indubitablement ancien et slave de for¬
Slaves. De nombreuses descriptions en ont Leurs adversaires, à l'époque du haut
mation. Mais, là encore, ce sont avant tout
été faites, justement à l'époque de la puis¬ moyen âge, les appelaient cruels dès que
les historiens grecs et latins, puis germani¬
sante expansion territoriale des Slaves. A les Slaves employaient à leur tour les
ques, à commencer par Pseudocaesarien
cette époque, ce groupe de tribus indo¬ moyens coutumiers dans la partie déjà
de Nazianze, Procope et Jordanes, qui en
européennes n'avait encore ni écriture, ni ont fait une dénomination commune. Ces
"civilisée", c'est-à-dire romanisée de
les autres outils de communication régu- l'Europe.
écrivains, et à leur suite, les voyageurs ara¬
bes, s'accordent dans la description physi¬ Ainsi, dès les temps les plus anciens se
que des Slaves au seuil de l'ère historique : formait la notion d'une "unité slave", d'un
SLAVOMIR WOLLMAN, spécialiste tchécos¬ ce sont des hommes élancés, de haute "caractère slave" et même d'une "âme
lovaque de littérature slave comparée. Sous- taille, aux cheveux blonds. On a aussi slave". Cette notion, mêlant les faits et les
directeur de la Revue "Slavia" (revue de philolo¬ produits de l'imagination, était passable¬
essayé d'en saisir le "caractère national". :
gie slave). Membre du Comité international des ment incohérente. Plus d'une fois, elle
"Ces peuples, Slaves et Antes, écrivait
Slavistes. Vice-président de l'Association inter¬
Procope, historien de l'empereur Justinien, tourna au mirage ou se trouva intégrée à
nationale pour l'Etude et la Diffusion des Cultu¬
res slaves. En 1968-69 fut professeur à l'Univer¬ ne sont point soumis au pouvoir d'un seul divers mythes sur le thème de l'opposition
homme, mais depuis les anciens temps Ouest/ Est.
sité de Californie, Los Angeles, USA.
54
Les Slaves adoptaient d'ailleurs quelque¬ que deux des innombrables exemples de autres comédiens ambulants issus du peu¬
fois les caractéristiques que les étrangers double appartenance qui caractérisent les ple. Bien avant l'émancipation des actuel¬
leur donnaient et qui prenaient place à côté relations culturelles polono-tchèques les nations slaves, bien avant Safarik, ils
de leurs propres représentations, s'inté- depuis le haut moyen âge jusqu'à la Renais¬ contribuèrent à ce qu'un ami de celui-ci
grant à leur propre expérience. La cons¬ sance et même au-delà. Au 17* siècle, cette Jan Kollar (1793-1852), l'un des représen¬
cience d'une communauté d'origine, d'une tradition est reprise par Komenski (Come¬ tants de la double appartenance aux littéra¬
parenté linguistique, et l'expérience tou¬ nius). Komenski dirigeait la puissante colo¬ tures tchèques et slovaque, a appelé la
jours accrue d'une commune destinée his¬ nie protestante de l'Union des Frères Mora¬ "mutualité slave".
torique ont marqué les plus anciens monu¬ ves chassés de leur patrie par la Contre-
ments littéraires slaves. Elles se retrouvent Réforme. Cette colonie s'était établie dans Il est caractéristique également que
sous des formes variables tout au long de la ville polonaise de Leszno. Comme exem¬ I' "Histoire" de Safarik ait été publiée dans
l'histoire. ple d'appartenance serbo-ukrainienne, on
la capitale hongroise qui était un centre
important de la renaissance nationale non
peut citer Emanuil Kasacinski, ancien élève
Mais en même temps, et cela dès le haut
du Grand Séminaire de Kiev, qui fut le fon¬ seulement pour les Hongrois, mais aussi
moyen âge, se déroule un processus de for¬ pour les autres Slaves. En dehors de Buda,
mation, de transformation et de cristallisa¬ dateur du théâtre slavo-serbe dans la pre¬
mière moitié du 18* siècle. il y eut de semblables centres culturels
tion de peuples slaves distincts. Ce proces¬
interslaves à Vienne, Leipzig, Dresde, Cluj,
sus est la prémisse indispensable au déve¬ Outre les personnages de ce type, il faut Venise et, par la suite, à Istanbul et Paris.
loppement de relations culturelles, politi¬
évoquer, bien entendu, une masse d'inter¬ De la sorte, les relations culturelles entre
ques et autres entre Slaves. Cette dialecti¬ médiaires dont le nom ne s'est pas con¬ peuples slaves acquéraient d'emblée
que de l'intégration et de la différenciation servé. Vivant entre les cultures slaves, ils l'échelle européenne, s'intégraient
aux
est essentielle pour comprendre les liens
tiraient parti de la parenté des langues et échanges culturels européens et mondiaux.
qui s'établissent entre les peuples slaves à des conditions d'assimilation relativement Safarik, poète et connaisseur hors pair de
partir du 9* siècle, et jusqu'au 19* siècle où
favorables dans un autre pays slave : y sa langue, a écrit intentionnellement son
ils deviennent objet d'étude scientifique.
compris le flot continu de baladins, de jon¬ "Histoire" en allemand pour qu'elle serve
gleurs, de chanteurs, de joueurs de gusli et mieux à l'instruction non seulement des
En 1826, Pavel Jozef Safarik fit paraître à
Buda son "Histoire de la langue et de la lit¬
térature slaves dans tous les dialectes".
C'était la première tentative sérieuse pour
montrer le développement de la culture
slave dans son ensemble, avec ses ressem¬
blances et ses divergences. Le sujet et la
Comenius, nom latinisé de
conception de l'ouvrage, sa langue, le lieu
et la date d'édition eux-mêmes et enfin la l'humaniste tchèque Jan
Amos Komenski (Moravie
personnalité de l'auteur sont tout à fait
1592-Amsterdam 1670).
significatifs.
Fuyant le régime de
L'auteur était slovaque d'origine. Poète persécution instauré par
dans sa jeunesse, il enseigna ensuite dans l'empereur catholique
Ferdinand II, il se réfugia à
un lycée serbe à Novi Sad dans une pro¬
Lezno en Pologne en 1628.
vince serbe placée sous la domination des
Précurseur de la pensée
Habsbourg. Par sa biographie, Safarik est moderne dans le domaine
un savant tchèque et il prend position con¬ de la pédagogie, sa
tre l'usage d'une langue littéraire slovaque renommée dépassa les
distincte du. tchèque. Or l'apparition de frontières à la suite de la
55
Fondé par Jean de Rila, orientale, avaient inscrit sur leurs drapeaux
au 10* siècle, au cuur des "La liberté ou la mort", devise qui est
monts Rhodope dominant comme une préfiguration de la Révolution
la plaine de Sofia en française.
Bulgarie, le monastère de
Rila fut plusieurs fois Pour avoir participé à des cercles d'étu¬
détruit et reconstruit. La diants clandestins à Wilno, le jeune poète
tour du Prince Hreljo (14* polonais Adam Mickiewicz fut expulsé en
siècle) qui fut le donjon Russie. Les autorités tsaristes espéraient
du monastère fortifié de
ainsi paralyser l'activité d'un des militants
Rila, est le bâtiment le du mouvement de libération polonais et le
plus ancien de l'ensemble ramener à la raison. Mais l'imprévoyante
architectural. La plupart
tyrannie suscita par là-même le rapproche¬
des structures existantes
ment de Mickiewicz avec les Décembristes
datent des 18*-19* siècles,
époque de la Renaissance
et ceux qui les soutenaient. Elle créa les
nationale bulgare (1762) conditions d'un rapprochement amical et
où l'essor économique d'une collaboration créatrice entre les deux
des bourgeoisies locales, plus grands poètes slaves de ce temps, le
la relative indépendance Polonais Mickiewicz et le Russe Pouchkine.
des villes, les contacts Il ne fait pas de doute que tous deux se
avec l'Europe occidentale confortèrent mutuellement dans leurs idées
ont contribué à libérer les
sur l'importance de la création poétique
arts et la culture.
pour la littérature nouvelle, authentique-
Fresques, icônes,
iconostases sculptées, ment nationale, qu'ils forgeaient. Cela s'est
une bibliothèque de 16.000 manifesté clairement dans les "Chants des
volumes d'incunables Slaves du Sud" de Pouchkine, dans les
rares sont la richesse de "Dziady" et dans "Pan Tadeusz" de Mic¬
ce monastère. Il resta kiewicz.
tout au long de
l'occupation turque un
L'intérêt manifesté pour le folklore, sa
haut lieu de la culture ¡ collecte et sa mise en forme littéraire (sou¬
cercles cultivés slaves, mais aussi des chère liberté ("omnem miseriam carae
milieux non slaves et tout particulièrement libertatis posteponendes").
des jeunes. En outre, Safarik voulait com¬ Cette tendance permanente s'est affir¬
pléter les connaissances, élargir l'horizon mée avec une force nouvelle au moment
littéraire proposé à l'époque au public de précis où Herder attribuait aux Slaves un
langue allemande. caractère angélique... Même Kollar qui, au
Les traductions et adaptations de son temps douloureux de la Sainte-Alliance,
livre en Europe occidentale et en Amérique appelait la communauté culturelle slave
confirment toute l'actualité de son travail. "une douce brebis dans la vie des
Les thèses sur la littérature mondiale pro¬ peuples", ne partageait sans doute pas
posées un an plus tard par Goethe visaient cette opinion de Herder : le programme de
Page de droite
le même objectif : inclure l'iuvre d'un la "mutualité slave" était avant tout un pro¬
gramme de lutte, pour une libération qui En Pologne, à Cracovie, le château de Wavel,
peuple dans le contexte culturel mondial au
médiéval à l'origine, devient, aux 14*, 15* et
moment où le monde, après la Révolution était en cours et qui, dans les insurrections
16* siècles, résidence ducale et royale. Les
française et avec la formation des nations paysannes du 18* siècle, possédait déjà ce
architectes consacrent leurs soins à embellir
caractère interslave.
modernes en tant que sujets souverains de les châteaux. A Wavel, l'iuvre qui en résulte
l'histoire, était entré dans une nouvelle voie On peut citer la participation de Polonais est un amalgame des styles de l'architecture
de développement. italienne avec des solutions proposées par
à la révolte populaire dirigée par Pougat-
des artisans locaux. Dans les années 1516-
Le mouvement d'émancipation des chev. Pouchkine l'a rappelée fort à propos
1517, Wavel s'enrichit de la chapelle
nations slaves visait à leur constitution, leur après la défaite du soulèvement des
Sigismond, lieu de culte destiné à servir de
autodétermination ou à leur renaissance, Décembristes en 1825, après celle de mausolée au roi, proclamant sa grandeur et
autrement dit à leur libération des "prisons l'insurrection polonaise de 1830-1831, les sa puissance. L'esprit d'humour irrespectueux
des peuples" qu'étaient l'Empire ottoman, deux plus importante actions entreprises ne manqua pas de s'y manifester, en logeant
celui des tsars et celui des Habsbourg. Il contre la tyrannie tsariste. Les paroles de dans les caissons supérieurs, invisibles aux
Pouchkine contiennent une allusion aux fidèles, des figures grotesques peu décentes.
visait aussi à leur entraide mutuelle. Ce
associations secrètes de Russie, d'Ukraine En haut à droite, une mitre dorée offerte par
mouvement trouvait certes un point les tsars Jean et Pierre et la Tsarine Sophie
d'appui dans les idées de Johann Gottfried et de Pologne qui avaient pour programme
au Métropolite de Kiev, Guédène Sviatopolk.
l'affranchissement des Slaves. L'une de
Herder, écrivain allemand du 18* siècle, qui Cette mitre a été exécutée d'urgence par des
ces associations s'était d'ailleurs baptisée
avait prédit aux Slaves un brillant avenir. joailliers moscovites à partir d'éléments de
"Société des Slaves unis".
Mais le sentiment de la parenté slave, de la provenances diverses : franges dorées de'
vêtements sacerdotaux, châssis
communauté des peuples slaves, celui de la Ainsi, fes idées et l'exemple de la Révolu¬
d'Evangéliaire... Ci-contre : peinture naïve
valeur de leur langue et de leur culture, y tion française avaient conservé leur valeur,
anonyme du 19* siècle. Un cosaque joue de la
compris la culture populaire, s'appuyait sur même à l'époque où triomphaient les
bandoura, instrument à cordes employé
une expérience millénaire ; de même, l'idée "anciens régimes". Il faut ajouter que ces
encore en Orient et dans certains pays slaves.
d'une coopération culturelle et de sa néces¬ idées de libération étaient tombées dans les
Près de lui son indispensable cheval ; autour
sité dans la lutte pour la liberté nationale et pays slaves sur un terrain favorable, pré¬ de lui les objets qui serviront pour la route à
sociale. L'historien saxon Widukind notait paré par les générations antérieures. En ce cosaque ukrainien qui partage le sort de
déjà en 967 que les Slaves oubliaient toute 1775 déjà, sept mille paysans armés, qui beaucoup sur cette terre russe où l'appel de
espèce de souffrances au nom de leur s'étaient soulevés en Tchécoslovaquie l'espace a existé de tout temps.
56
tum
. [rtoîiBfttiscnugaar.fimt mit
CiUMiuiaotnmeutûtoiin cm
'f^s^^^Sê^^^^^
ENTRE LES SLAVES ET L'OCCIDENT
Le dialogue
des artistes
et des savants
par Igor Belza LES liens entre l'Occident et les pays
slaves se sont tout naturellement
multipliés et renforcés au cours des
siècles. Certains de ces liens sont notoires,
comme le sont nombre d'apports du
IGOR BELZA, savant soviétique, pédagogue, monde slave à l'Occident. D'autres restent
historien de la musique, spécialiste des cultures trop ignorés.
slaves. Membre de l'Institut des Etudes slaves et
balkaniques auprès de l'Académie des Sciences On connaît bien, par exemple, la Polo¬
de l'URSS. Rédacteur en chef de la Revue "Lec¬ naise Maria Sklodowska, qui a décquvert,
tures de Dante". Auteur de nombreux articles avec son futur mari Pierre Curie, le phéno- w
sur les cultures slaves. mène de la radioactivité produite par la*
Les Sorabes, Slaves de Lusace, que les Allemands appelaient Wendes, sont les
descendants d'un peuple slave établi au 9* siècle dans le bassin de l'Elbe, entre les villes
de Dresde et de Cottbus, dans l'actuelle République démocratique d'Allemagne. Ils ne
sont plus que 100 000 environ. La Lusace jouit de l'autonomie culturelle : des écrivains, des
poètes, des musiciens, maintiennent en vie la culture des Sorabes. Ci-dessous, jeunes
femmes sorabes en costume traditionnel.
Page de gauche
59
"Un phénomène extraordinaire et une
manifestation peut-être unique de l'âme
russe" dit Gogol, "le commencement des
commencements" notera Dostoïevski à
propos d'Alexandre Pouchkine. Novatrice,
son luvre unit pour la première fois la
culture littéraire et la prosodie aux
traditions de la langue et de l'esprit
populaires. Son existence brève mais
tumultueuse le conduisit à la pure
tragédie. Il épousa Natalya Goncharova en
1831. "Je suis obligé de fréquenter le
monde, ma femme est très à la mode,
tout cela nécessite de l'argent, mais de
l'argent je ne peux m'en procurer que par
le travail et le travail veut la solitude..."
disait-il. C'est en défendant l'honneur de
Mickiewicz
par Pouchkine
Photo V. Zamaraev © Photokhronika Tass
Un écrivain romantique russe rencontre un
écrivain romantique polonais en 1826.
Tous les deux proclament une foi
pathétique dans le destin de leurs nations,
et puisent au cLur du folklore, les vérités
vivantes de la culture populaire.
Pouchkine
par Pouchkine
L'un des autoportraits du célèbre écrivain
russe où il s'est plu à Imaginer sa
vieillesse. Il mourait à l'âge de 38 ans.
60
k désagrégation de la matière. Mais on sait dais du 17* siècle, (en particulier sur son de Chopin-, il nota dans son jour¬
' peut-être moins que Lomonossov (écrivain "Ethique") ainsi que sur John Locke (philo¬ nal : "Rien de banal, une composition par¬
et savant russe, 1711-1765) et Lavoisier sophe anglais, 1632-1704), dont l'guvre à faite. Il est difficile de trouver quelque
(chimiste français, 1743-1794) découvrirent son tour Contribua au développement de la chose d'aussi achevé... Comme chez
indépendamment l'un de l'autre la loi de pensée matérialiste en France. Mozart, il y a là des airs qui semblent surgir
conservation de la masse. d'eux-mêmes, comme si on les entendait
Il faut rappeler ici également le nom de
déjà à l'avance". Plus tard, il fit un parallèle
On connaît bien René Descartes, père du "l'instituteur du peuple", l'auteur de la
entre Chopin et Dante.
rationalisme philosophique. On ne sait pas "Grande Didactique" qui a connu une dif¬
fusion tant en Occident que dans les pays C'est sous l'aspect du "plus grand des
toujours que Descartes eut pour contem¬
slaves : le pédagogue tchèque Jan Amos poètes" ("altissima poeta") que Delacroix
porains les "frères polonais" dont les cen¬
Komenski, dit Comenius, contemporain représenta Chopin, aussi bien sur le "pla¬
taines d'ouvrages (en particulier ceux de
des "frères polonais". Comenius considé¬ fond d'Homère" dans la bibliothèque du
Szymon Budny et de Wolcogen) furent
rait que les principes de l'humanisme Sénat à Paris, que sur un dessin fait proba¬
publiés en 1656 à Amsterdam sous le titre
devaient être assimilés dès le plus jeune âge blement peu de temps après la mort du
général de "Bibliotheca Fratum Polono-
rum". Or ils exercèrent une sérieuse et avait mis au point un système harmo¬ musicien, dessin qui porte l'inscription
nieux d'éducation scolaire. Il n'est pas diffi¬ "Cher Chopin".
influence sur Spinoza, philosophe hollan-
cile de trouver l'écho de ses conceptions On peut légitimement parler d'une com¬
dans les uvres du Suisse Pestalozzi. munauté de vues et d'aspiration des deux
maîtres. Delacroix a peint "La barque de
A mesure qu'on étudie l'histoire cultu¬
Mickiewicz relle des peuples slaves, des figures remar¬
Dante", "Les massacres de Scio", "La
liberté guidant le peuple", "La Grèce expi¬
quables sortent peu à peu de l'ombre. C'est
par Delacroix rant à Missolonghi"... Ses allient
ainsi qu'on a appris beaucoup en étudiant
La peinture romantique du deuxième quart une perception romantique de la nature à
l'activité de Franciszek Skorina, premier
du 19* siècle se forma en partie sous une dénonciation véhémente de l'injustice.
l'influence de Géricault et de Delacroix.
imprimeur de Biélorussie, qui avait reçu en
Mickiewicz, lui, occupa la chaire de Occident une éducation très poussée ; ou Dans les sonates de Chopin, dans ses
littérature slave au Collège de France à encore celle du "philosophe vagabond" Ballades, saFantaisie et même dans de
Paris.
Chopin
par Delacroix
Delacroix, tout au long de
son Journal exprime son
admiration pour Chopin.
Ainsi Chopin, couronné
de lauriers comme Dante,
qui reprenait à son
compte la couronne de
Virgile, tel le dessina
Delacroix en ajoutant ces
simples mots : "Cher
Chopin".
61
_ LI tACmC *V M'VW'i
> de Faust au point que l'on a pu dire de cette "Comédie humaine'.' de Balzac hantent les
qu'elle était un anti-Faust. uuvres de Gogol et de Tourgueniev, de
Dostoïevski et de Tchékhov. En dépit de
L'association des noms de Tourgueniev
leurs particularités nationales très mar¬
et de Flaubert peut être, à bien des égards,
quées, les émotions, les sentiments et les
considérée comme un symbole. Stendhal a
drames de ces personnages sont devenus
noté que, pour bien traduire les duvres
le bien commun de l'humanité. De même
d'un écrivain, il fallait avant tout l'aimer. On
pour la protestation contre l'injustice
en a un admirable exemple avec la traduc¬
sociale et, souvent, sa dénonciation satiri¬
tion que fit Tourgueniev de "La légende de
que, portées à une force extrême dans
Saint Julien l'Hospitalier" de Flaubert,
les "Ames mortes" et le "Révizor" de
Des centaines de personnages de la Gogol.
62
ves dans les pays slaves. Ce n'est pas seu¬
lement la puissance des images, mais la
langue même des peuples slaves qui a attiré
l'attention des maîtres de la littérature occi¬
dentale : Mérimée, célébrant Pouchkine, a
pu dire qu'aucune langue européenne, à
l'exception du latin, n'était à même de ren¬
dre la beauté et la concision des vers russes
dans le poème "Antchar". Et l'écrivain
français en traduisit à titre d'exemple un
passage dans la langue de Virgile...
63
Ces deux sphères côte à côte évoquent
en quelque sorte la conquête de l'espace
depuis l'astrolabe arabe du 11* siècle (ci-
contre) qu'utilisait l'étudiant Copernic
pour ses observations et calculs
astronomiques à l'Université Jagellone à
Cracovia, jusqu'à la jonction des
vaisseaux cosmiques de la cabine
soviétique Soyuz-19 et du vaisseau
spatial américain Apollo, le 17 juillet
1975. Cette maquette figurant cet
événement est exposée de façon
permanente au Pavillon du Cosmos (à
droite) à l'Exposition des Réalisations de
l'Economie nationale de l'URSS.
DE COPERNIC A KOROLEV
La saga
de F aventure
spatiale
64
Photo I. Gavrilov © APN, Moscou
LJT HOMME et l'espace. Aujourd'hui, Au moyen-âge et à la Renaissance, des la Terre comme le centre fixe de l'Univers, il
ces mots évoquent pour nous un Polonais ont frayé la voie. Au 13* siècle, réfuta aussi nombre de théories fondées
cosmonaute qui fait le tour de la Vitello élabora une théorie philosophique et sur la perception sensible, selon lesquelles
Terre dans son vaisseau spatial et, parfois, scientifique qui englobait la structure de ce n'était pas la Terre qui tournait, mais le
quittant ce refuge à la fois fragile et sûr, se l'existence, les principes du raisonnement Soleil.
65
peut être que partielle, paraissait alors pour
le moins hardie. Sa justesse ne fut confir¬
mée que dans les siècles suivants.
>wicz constituaient à cette époque un les mondes lointains, il eut recours à une
ensemble unique de recherches. idée originale : il attacha tout autour de lui
L'évêque John Wilkins, auteur des des récipients pleins de rosée en supposant
"Mathematical magies" (1648) et l'un des que, sous l'action des rayons du soleil,
fondateurs de la Royal Society britannique, cette rosée se transformerait en vapeur. Ce
fut l'un des divulgateurs de la théorie de procédé lui permettrait de monter dans les
Copernic à l'étranger et en Pologne. Wil¬ hautes couches de l'atmosphère.
kins tira des idées de Copernic des conclu¬
Bien que cette partie du roman, comme
sions qui débordaient de loin le cadre de
d'ailleurs beaucoup d'autres, contienne des
l'astronomie. Il posa un problème nou¬
hypothèses fantaisistes, cela ne diminue en
veau : celui des vols interplanétaires.
rien la portée du livre. Pardonnons ses
Wilkins écrivait que des ailes d'une struc¬
erreurs à Cyrano de Bergerac, car, après
ture appropriée permettraient peut-être
tout, il vivait à une époque où la théorie de
d'effectuer des vols dans l'espace lointain.
l'attraction était encore embryonnaire.
Cependant, il exprimait lui-même sa préfé¬
L'important est que, en
reconnaissant
rence pour une autre solution : la construc¬
l'existence d'une multitude de mondes,
tion d'un "char volant". Ce faisant, l'auteur
fondait ses calculs sur le traité de mécani¬
Cyrano de Bergerac porta un coup à la pen¬
sée conservatrice.
que de Galilée.
Le poète français Cyrano de Bergerac se Dans le domaine purement scientifique,
présentait lui-même comme un continua¬ un autre pas fut accompli par les pays sla¬
teur convaincu de Copernic. Cyrano de ves au 18* siècle. A cette époque, dans la
Bergerac est en particulier l'auteur d'un partie occidentale de l'Europe, les sciences
roman fantastique qui parut après sa mort de la nature se développaient par l'applica¬
en 1655. Son titre, "l'Histoire comique des tion des méthodes empiriques et rationalis¬
Etats et Empires du Soleil", est lourd de tes à certains domaines sélectionnés. Chez
signification. L'auteur y raconte comment les Slaves on utilisait ces méthodes non
un jour, après une conversation scientifi¬ seulement dans des recherches partielles,
que qu'il avait eue avec des amis, il était mais aussi pour tenter d'effectuer déjà I
revenu chez lui, incapable de se contenter une synthèse interdisciplinaire capable
de traités scientifiques trop secs. d'expliquer l'Univers en tant qu'entité
Empli du désir de vérifier dans les faits si dynamique. Cette vision d'ensemble du
la Terre tournait et s'il existait une vie dans monde, dont la démonstration exacte ne
66
Ssi
Un peu plus tard intervient Tsiolkovski, Il fut pour les Russes, dit
un Russe d'origine polonaise, le premier Pouchkine, la "première
université" : Mikhail Lomonossov,
constructeur de fusées spatiales. Il publia
H«* i écrivain et savant russe, passant
en 1903 un ouvrage intitulé "L'étude de
de travaux théoriques sur la
l'espace cosmique à l'aide d'appareils à
foudre à la réforme de la poésie
réaction", dans lequel était exposée la pre¬ russe, du vers syllabo-tonique à la
mière théorie du mouvement des fusées constitution de la matière. Sur
dans les espaces gravitationnels et non gra¬ son initiative fut fondée, en 1755,
, fl
vitationnels. Cet ouvrage permit d'utiliser l'université de Moscou. A gauche,
les fusées dans les vols spatiaux. En 1929, portrait de Lomonossov par un
Tsiolkovski publia un second ouvrage tout peintre anonyme.
Bogdan Suchodolski
67
L'ART
POPULAIRE
EN
BIELO¬
RUSSIE
68
"Mets-moi dans la boue et je serai
prince" dit le grain de seigle dans un
proverbe biélorusse. En effet, on
sème lorsque la neige disparaît et que
la terre est encore toute mouillée. Ce
69
y faisait des pots, des acuelles, des tionnels. De nouvelles voies de développe¬
"zbanki" (cruches), des "sparichi" (vases ment furent recherchées pour l'art popu¬
jumelés), des "sloiTci" (bocaux)... Dans cer¬ laire.
70
La dernière guerre mondiale laissa des
cicatrices profondes dans le monde slave.
Une image expressive de cette douleur
profonde est due au pinceau de l'artiste
soviétique Boris Prorokov. Cette encre de
Chine fait partie d'une série intitulée "Ceci
ne doit plus se répéter". Un grand nombre
d'artistes et d'écrivains slaves perdirent
leur vie dans la lutte contre la barbarie
hitlérienne. Prorokov, lui, eut les deux
jambes coupées.
71
> coup d'autres. La Yougoslavie, à elle seule, se souvienne de tels sacrifices. Durant ce biélorusse. C'est à lui qu'est revenu l'écri¬
a perdu plus de 75 écrivains ; bien des jeu¬ "temps des loups" de l'histoire européenne vain croate Miroslav Krleza (2), tandis que
nes poètes y ont trouvé la mort, au front ou et mondiale, ces peuples ont alors recons¬ les romans du monténégrin Mihailo Lalic
dans les rangs des partisans. truit leur vie sur des bases nouvelles. Ce illustrent une approche nouvelle des événe¬
sang a été "la nuit et les ténèbres (1)" des ments du temps de guerre. Maintes sculp¬
La deuxième guerre mondiale a laissé des années quarante de notre siècle. Les thè¬ tures et ensembles architecturaux natio¬
traces indélébiles dans la culture de tous les
mes et l'esprit du temps de guerre s'enten¬ naux sont inspirés par des thèmes tels que
pays d'Europe. Mais cette époque de des¬ dent encore dans la littérature polonaise l'oppression de l'homme, sa résistance à
tructions massives, de massacres sans pré¬ contemporaine, depuis "La Semaine toutes les formes de contrainte et de ter¬
cédent a été aussi une époque de renouvel¬ Sainte" d'Andrzejewski, qui décrit la tragé¬ reur, sa libération de la peur et des mena¬
lement. On a vu naître de nouvelles valeurs
die du ghetto de Varsovie, jusqu'aux toutes ces de guerre.
littéraires et artistiques ; les fondements dernières Buvres en prose réaliste de Miron
d'une vie vraiment humaine ont été eux-
Ces idées, ces principes se sont donc
Bialoszewski.
intégrés au paysage d'innombrables villes
mêmes appréciés de façon différente ; de
C'est ce même esprit qui a rendu possi¬ et villages polonais, yougoslaves, russes,
nouvelles perspectives se sont dessinées
ble le renouveau du film polonais, de Kawa- ukrainiens ou biélorusses. Les batailles et
dans les relations entre les hommes, les
lerowitcz à Wajda, et celui du film yougos¬ les souffrances semblent déjà anciennes,
peuples, les Etats. En ce "temps des loups"
lave avec Veljko Bulajic. Le thème de la mais elles demeurent inoubliables. Elles ont
ont pu fleurir une littérature et un art voués
guerre imprègne encore le roman soviéti¬ été celles de peuples entiers, et, en fin de
au combat pour "la lumière" du monde à
que toutes les de Konstantin compte, de toute l'humanité.
venir, à la résistance contre "la nuit" de la
barbarie civilisée moderne. Simonov ou de Jurij Bondarev. Il inspire Alexandre Raker
aussi Olés Goncar dans la littérature ukrai¬
Si la culture est "la mémoire du genre nienne et Vasyl Bykau dans la littérature
(2) Dans une série d'ouvrages consacrés à d'éminentes
humain" (selon l'expression de l'écrivain
personnalités de la culture slave, l'Unesco a publié
soviétique Léonov), il est parfaitement (1) Selon l'expression d'Ivan Goran-Kovacic (¿a fosse Miroslav Krleza par Marijan Matkovic, Unesco, Paris
compréhensible que la culture des peuples commune). 1977.
"L'AME SLAVE"
Suite de la page 56
sortent tout droit Pouchkine, Mickiewicz, Aujourd'hui, on peut voir ce processus à L'idée du rapprochement des Slaves,
Kollar le Tchèque et Stur, le créateur l' chez certains peuples slaves qui contenue à l'époque dans les de si
de la langue littéraire slovaque, et Vuk achèvent leur formation culturelle nationale nombreux écrivains, était étroitement liée à
Karadzic, le créateur de la langue littéraire propre : chez les Slovaques par exemple. l'idée de la lutte pour la vérité, pour la
commune aux Serbes et aux Croates, et le liberté de tous, pour le bien général. A la
Le sentiment d'appartenance à une
poète ukrainien Chevtchenko, et bien veille de la révolution de 1848, Taras Chevt¬
même famille était naturel à des gens qui se
d'autres grandes figures de la culture slave chenko célébrait dans un même poème
comprenaient sans traduction et savaient la
au 19* siècle. Safarik et Jean Hus, le père spirituel de la
grande similitude des destinées historiques
Ce recours aux traditions slaves est aussi grande révolution nationale et antiféodale.
de leurs pays. C'est la raison pour laquelle
la source du mouvement qui vise à créer ce sentiment, tout en subissant diverses
En 1848 même, l'année des tempêtes, le
une nouvelle musique nationale. Dans une transformations sociales, historiques et spi¬
poète slovaque Karol Kuzmany chante
première étape, cette musique s'exprime rituelles, est toujours revenu à la surface, ceux "qui ont pris feu et flamme pour la
vérité et sont prêts à lui faire le sacrifice
par la composition de "chants populaires" du 9" au 19" siècle. Ce sentiment accompa¬
qui souvent naissent d'une création com¬ gnait le constant développement des thè¬ suprême, ceux qui consacrent leur vie à la
lutte pour les droits de l'homme". Son vers
mune interslave : ainsi en Russie, à la fron¬ mes et formes de la création artistique, tout
célèbre sur la "chère liberté" était directe¬
tière du 18* et du 19* siècles, avec la partici¬ particulièrement dans le peuple, avec
pation de musiciens tchèques. l'intervention de larges couches de la popu¬ ment associé dans les esprits contempo¬
rains au "liberté chérie" des Parisiens de
lation ; il s'est manifesté lors de l'adoption
L'@uvre de Tchaïkovski, ses contacts 1848.
du christianisme et lorqu'ont été créées les
vivants avec les autres Slaves, en particu¬ bases d'une écriture et d'une littérature. Il a
lier les Tchèques, les "Danses slaves" de favorisé la diffusion des courants héréti¬
C'est là quelque chose de parfaitement
Dvorak, la longue activité de Suk comme naturel. Il n'existait pas de "monde slave"
ques : bogomiles, hussites, ariens et "frè¬
compositeur et chef d'orchestre en Russie, isolé et replié sur lui-même : les meilleurs
res moraves". Il a concouru à l'expansion
ne sont que quelques exemples. C'est dans représentants de la culture slave avaient
et à une transformation originale de la cul¬
ce courant d'assimilation et de réélabora¬ déjà conscience que la coopération cultu¬
ture aux temps de l'humanisme, de la
tion des traditions qu'apparaissent les relle entre Slaves n'avait de sens que
Renaissance et du baroque. Il s'est imposé
de compositeurs de réputation lorsqu'elle servait des fins humaines univer¬
avec une nouvelle puissance lorsque furent
mondiale : depuis les opéras de Smetana, selles, "l'amélioration générale des choses
assimilées idées et formes du romantisme.
de Glinka et de Moniusko jusqu'au humaines" fondée sur la liberté et l'égalité
"Pétrouchka" de Stravinski. Le fondateur de la poésie tchèque de tous, comme l'avait proclamé deux
moderne, Karel Hynek Macha, contempo¬ cents ans plus tôt Jan Amos Komenski. En
L' du compositeur tchèque Leos rain de Mickiewicz et de Pouchkine, pour¬ effet, Comenius, le réformateur de l'école,
Janacek est un bon exemple de communi¬ rait ressembler, vu de loin, à un byroniste le fondateur de la science pédagogique, est
cation culturelle interslave. Sa cantate achevé. Or, étudié de plus près, il apparaît aussi l'auteur profondément humaniste de
"Tarass Boulba" est écrite d'après un avant tout comme un continuateur du pré- la doctrine de la Pansophie : la paix et la
poème ukrainien de Chevtchenko, son romantisme et du romantisme polonais. Et justice universelle seront obtenues par la
opéra "Katia Kabanova" est composé sur ce n'est là qu'un des nombreux exemples connaissance mutuelle des peuples, par
le texte du dramaturge russe Ostrovski, le analogues de participation slave à un mou¬ leur coopération culturelle et scientifique,
titre d'un autre opéra, "De la maison des vement qui concerne le monde entier, anti¬ grâce à l'instruction générale de tous sans
morts", indique assez que le sujet en a été cipant sur lui ou venant à sa suite. L'esprit considération de race, de religion, de natio¬
inspiré par l' de Dostoïevski ; enfin, de "mutualité" anime ainsi la participation nalité, de sexe ou d'origine sociale.
sa "Messe glagolithique" a pour fonde¬ massive des acteurs, chanteurs et metteurs
ment la littérature slavonne et la musique en scène tchèques a la fondation de thé⬠La noble pensée du "professeur de paix"
russe ancienne. En même temps, toutes tres nationaux chez les Slaves du Sud, peut toujours servir d'étalon lorsqu'on
ces prennent appui sur la tradition chez les Slovènes et les Croates ; grâce a entreprend de définir la valeur des relations
vivante de la musique populaire slave que quoi ces théâtres acquirent précisément un interculturelles, où que ce soit.
Janacek étudiait avec soin. caractère européen. Slavomlr Wollman
72
l'article sur le Parthenon, intitulé "Une anti¬
écrivent
pas encore été utilisées. Selon les données
fournies par l'Institut international de recher'
che sur la Paix de Stockholm (SIPRI), l'éner¬
gie nucléaire accumulée est 1 million de fois
supérieure à celle de la bombe d'Hiroshima.
Tous les chiffres publiés, même récem¬ Dans le numéro de juillet 1978, un article
ment, concernant les quantités d'eau exis¬ est consacré à Elena Lucretia Cornaro Pîsco-
tant sur la Terre sont très approximatifs. pia, première femme au monde ayant obtenu
Mais on estime en général que la quantité un doctorat, il y a 300 ans, à l'Université de
totale est environ 1 500 millions Km3, dont Padoue. Mais elle n'a pas été la première.
2,7 % (environ 40 millions Km3) en eau Une autre femme l'a devancée, il s'agit
douce. On estime également que le volume d'Hypatie, philosophe et mathématicienne
total de l'eau douce sous forme de glace est grecque, professeur à Alexandrie au 5* siècle
de l'ordre de 30 millions km3 (90 % l'Antarc¬ après J.-C. Fille d'un mathématicien, elle fut
tique, 9 % le Groenland, 1 % les glaciers de célèbre par son savoir en mathématiques,
montagne). Il reste donc sous forme d'eau astronomie et philosophie, et par son élo¬
douce liquide, environ 10 millions Km3. quence. Elle écrivit divers ouvrages, dont un
Le rapport eau douce glace/eau douce commentaire sur les sections coniques
liquide est donc de l'ordre de 70 % sous d'Apollonios de Perga.
forme de glace et 30 % sous forme liquide. Elle ouvrit une école où elle acquit une
J'ai été très intrigué et curieux de trouver
Cette eau (liquide) se répartit en : eaux de une signification à cette scène de quatre per¬ grande réputation de professeur. Elle fut
surface (cours d'eau, lacs, marécages, sonnages superposés qui semblent être cou¬ tuée par des chrétiens fanatiques en 415 - Un
etc.) ; eaux souterraines (nappes phréati¬ chés devant une rangée d'éléphants en mar¬ sermon avait été prononcé par l'Archevêque
ques, nappes profondes, etc.); eaux diffuses che. Après avoir examiné les autres illustra¬ d'Alexandrie contre les "femmes péche¬
(dans le sol, dans les roches et le sable, dans tions de l'article, je crois avoir trouvé la solu¬ resses", où allusion était faite à Hypatie qui
les plantes, etc.) ; eaux atmosphériques (en tion. avait l'audace de faire la leçon aux hommes,
suspension, nuages, brouillard, etc.). excita les moines qui la poursuivirent et la
Les quatre personnages ne sont pas en massacrèrent.
Les quantités estimées pour ces différen¬ train de faire une marche militaire, comme il
Otto Ottesen
tes "réserves" d'eau, ou pour les différentes semblerait. En fait, ils ouvrent une porte
fo'rmes d'eau en mouvement, sont encore pour permettre aux éléphants et aux chas¬ Sandefjord - Norvège
très variables d'une publication à l'autre, très seurs d'entrer dans la zone de chasse royale
approximatives, et très incertaines. qui, comme on le voit, était entièrement fer¬
mée. Dans le coin inférieur gauche, on peut IL Y A EXIL ET EXIL
L'un des chiffres les plus précis est, dans
apercevoir la silhouette d'un petit chien.
l'état actuel de nos connaissances, le volume
Je suis arrivé à cette conclusion en com¬
J'ai lu avec intérêt, et non sans sympathie,
de la calotte glaciaire du Groenland (mesuré
l'appel de M. Amadou-Mahtar M'Bow pour
avec précision essentiellement par les Expé¬ parant ce bas-relief à celui figurant en page
le retour des nuvres d'art dans leur pays
ditions Polaires Françaises) ; vient ensuite 35 (photo 1).
d'origine (Courrier de l'Unesco, juillet 1978).
celui de la calotte glaciaire de l'Antarctique Félicitations pour l'excellent choix des arti¬ Il faut toutefois faire une distinction entre les
(mesuré par un certain nombre d'expéditions
cles. J'aimerais lire un jour un article sur objets acquis de manière illégitime et ceux
depuis l'Année géophysique internationale, Alexandre le Grand et un sur la récente
que l'on a sauvés, réparés, puis exposés
c'est-à-dire depuis 1957). découverte de la tombe de son père, Philippe avec le soin le plus extrême et qui auraient
Paul Emile Victor
de Macédoine, à Vergina, en Grèce. été autrement perdus à jamais.
Paris
Walter Marques Il y a quelques années, j'ai visité, à New-
Rio de Janeiro - Brésil
York, le musée des Cloîtres de Fort Tryon.
CHASSES ROYALES N.D.L.R. Non seulement nous avons Jusque là, je pensais que les Américains
répondu à votre v en publiant en page 2 étaient du genre à "rafler des babioles sans
Je viens de relire un article paru dans le de notre numéro de juillet 1978 la photo du
valeur", mais, après avoir' vu les tapisseries
numéro d'octobre 1971 du Courrier de portrait présumé de Philippe <fe Macédoine, qu'ils ont rassemblées une par une, net¬
toyées et remontées pour faire un ensemble,
l'Unesco, intitulé "Les grandes chasses du mais vous trouverez d'autre part dans le pré¬
roi sassanide". Le bas-relief du 5e siècle sent numéro, en page 30, le portrait de son je n'ai pu m'empêcher de me dire "S'ils en
prennent soin ainsi, alors bravo I"
après J.-C, représenté en page 38 (photo 2) fus Alexandre le Grand. Tous deux provien¬
est décrit ; cependant, dites-vous, l'inten¬ nent des campagnes de fouilles dirigées par D.M. Skippings
tion du sculpteur n'a pas été éclaircie. le professeur Manolis Andronicos, auteur de Yarmouth, Norfolk - Royaume-Uni
73
c-pncrxi c~] L J
m
LDL
a
ses membres associés, ainsi que par les organi¬
Pour mieux connaître
sations intergouvernementales ou non gouver¬
nementales ayant avec l'Unesco des relations de
Lectures Les Nations Unies
consultation ou de coopération. Le jury interna¬
Un Répertoire des Systèmes et Services tional comprendra un représentant du Directeur
Publications Unesco
d'informatique des Nations Unies vient d'être général de l'Unesco, une personnalité nommée
publié par le Bureau interorganisation pour les par le gouvernement vénézuélien et cinq autres
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d'avant garde dans cette "tête de paysan" (huile de 1910 conservée au musée russe de Leningrad). Cette oeuvre montre la
conviction du peintre que l'art recèle une force morale qui plonge ses racines dans les peintures d'icônes.
-4
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