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ouverte sur le monde

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Photo © Musée Archéologique de Sofia, Bulgarie
TRESORS
DE L'ART L'art animal de l'ancienne Thrace
MONDIAL Détail d'une plaque d'argent réalisée par un artisan thrace à la fin du 4» siècle avant notre ère. On y
voit un lion accroupi sur sa proie, un cerf. Les orfèvres thraces de l'Antiquité ont su représenter des
scènes de chasses miniatures remarquables, tout comme des scènes rituelles et des combats
^ d'animaux. Ces montrent une grande habileté dans l'expression du mouvement et
l'expression dramatique, résultat obtenu grâce à une parfaite maîtrise de la stylisation. Aujourd'hui
au musée archéologique de Sofia, cette plaque (longue de 8,7 cm) est l'un des nombreux
Bulgarie chefs-d'Juvre de l'art thrace découverts en Bulgarie.
pages

Le Courrier* ^e ^ unesc° LES SLAVES, CULTURE ET HISTOIRE

AOUT SEPTEMBRE 1978 31* ANNÉE par Dimitri Markov

AU SEUIL D'UN GRAND DESTIN

PUBLIE EN 19 LANGUES par Vladimir Koroliouk

13 LES NOCES DE LA TERRE ET DES HOMMES


Français Italien Turc
par Alexandre Gura, Olga Ternovskaya et Nikita Tolstoï
Anglais Hindi Ourdou
18
Espagnol Tamoul Catalan ETONNANTES DECOUVERTES DES RESTAURATEURS RUSSES
Photos
Russe Persan Malaysien
Allemand Hébreu Coréen 22 LES GRANDS COURANTS SPIRITUELS ENTRE BYZANCE ,
Arabe Néerlandais ET LE MONDE SLAVE
par Dimitr Anguelov et Gennady Litavrine
Japonais Portugais
26 IL Y A 1000 ANS. UN VOYAGE SUR LA VOLGA
par Ibn-Fadlan
Mensuel publié par l'UNESCO
Organisation des Nations Unies
28 LES SLAVES ET L'ORIENT
pour l'Éducation,
la Science et la Culture Un réseau millénaire d'échanges culturels et commerciaux
par Oljas Suleimenov
Ventes et distributions :
Unesco, place de Fontenoy, 75700 Paris 32 KIEV
Belgique : Jean de Lannoy, gardienne des anciennes traditions de la culture slave
202, avenue du Roi, Bruxelles 6 par louri Asseev

ABONNEMENT - 1 an : 35 francs français ; deux


41 L'ART DE LA MORAVA
ans : 58 francs français. Payement par choque
bancaire, mandat postal, CCP Paris 12598-48, Une école de sensibilité et de grâce dans la Serbie du 15a siècle
à l'ordre de : Librairie de l'Unesco, Place de par Svetozar Radojcic
Fontenoy - 75700 Paris.
43 DUBROVNIK
Reliure pour une année : 24 francs.
Porte ouverte sur le monde latin
Les articles et photos non copyright peuvent être reproduits à
par Vouk Voutcho
condition d'etre accompagnés du nom de l'auteur et de la
mention « Reproduits du Courrier de l'Unesco », en préci-
' sant la date du numéro. Trois justificatifs devront être envoyés 46 LE BOIS VIVANT
à la direction du Courrier. Les photos non copyright seront Photos
fournies aux publications qui en feront la demande. Les
manuscrits non sollicités par la Rédaction ne sont renvoyés
que s'ils sont accompagnes d'un coupon-réponse internatio¬ 54 "L'AME SLAVE"
nal. Les articles paraissant dans le Courrier de l'Unesco
De la Baltique à la Mer Noire, une vaste communauté culturelle
expriment l'opinion de leurs auteurs et non pas nécessaire¬
ment celle de l'Unesco ou de la Rédaction. Les titres des arti¬ par Slavomir Wollman
cles et les légendes des photos sont de la rédaction.
59 Entre les Slaves et l'Occident
Bureau de la Rédaction : LE DIALOGUE DES ARTISTES ET DES SAVANTS
Unesco, place de Fontenoy, 75700 Paris, France par Igor Belza
Rédacteur en chef :
René Caloz 64 De Copernic à Korolev
LA SAGA DE L'AVENTURE SPATIALE
Rédacteur en chef adjoint :
par Bogdan Suchodo/ski
Olga Rodel
Secrétaire de rédaction : Gillian Whitcomb 68 L'ART POPULAIRE EN BIELORUSSIE

Rédacteurs : par Evgueni/ Sakhouta

Edition française :
Edition anglaise : Howard Brabyn (Paris) 71 LES CICATRICES DE LA GUERRE

Edition espagnole : Francisco Fernandez-Santos (Paris) par Alexandre Flaker


Edition russe : Victor Goliachkov (Paris)
Edition allemande : Werner Merkli (Berne) 73 NOS LECTEURS NOUS ECRIVENT
Edition arabe : Abdel Moneim El Sawi (Le Caire)
Edition japonais/9 : Kazuo Akao (Tokyo) 74 LATITUDES ET LONGITUDES
Edition italienne : Maria Remiddi (Rome)
Edition hindie : H.L. Sharma (Delhi) 2 TRESORS DE L'ART MONDIAL
Edition tamoule : M. Mohammed Mustafa (Madras) BULGARIE : Art animalier de l'ancienne Thrace
Edition hébraïque : Alexander Broïdo (Tel-Aviv)
Edition persane : Fereydoun Ardalan (Téhéran)
Edition néerlandaise : Paul Morren (Anvers)
Edition portugaise : Benedicto Silva (Rio de Janeiro)
Edition turque : Mefr'a Arkin (Istanbul)
Edition ourdoue : Hakim Mohammed Saïd (Karachi)
Edition catalane : Cristian Rahola (Barcelone)
Notre couverture
Edition malaisiennö' : Azizah Hamzah (Kuala Lumpur)
Edition coréenne : Lim Moon-Young (Séoul)
Ces cavaliers, rois mages qui vont, guidés par
Rédacteurs adjoints : une étoile, s'incliner devant Jésus à
Edition française : Bethléem, forment un détail d'une Icône
Edition anglaise : Roy Malkin russe de la Nativité du Christ (école de Pskov,
Edition espagnole : Jorge Enrique Adoum 15* siècle). Ils nous conduisent avec lyrisme
et simplicité vers des sommets de l'art slave :
Documentation í Christiane Boucher
Introduction à ce numéro du Courrier de
Illustration : Ariane Bailey
l'Unesco entièrement consacré à l'histoire des
Maquettes : Robert Jacquemin cultures du monde slave, contribution au
Toute la correspondance concernant fa Rédaction doit programme de l'Unesco pour l'étude des,
être adressée au Rédacteur en Chef. cultures.
Photo © Ed. Aurora, Leningrad
Très célèbre pour les Innombrables
hauts-reliefs personnages saints ou

LES SLAVES laïques, bestiaire fantastique qui


couvrent ses murs, l'église Saint-
Georges située à 200 km au Nord/Est
de Moscou, à Yuriev Polsky, est un
lieu de pèlerinage pour les historiens
de l'art religieux. Achevée en 1234, à
l'une des plus belles époques de l'art

culture
religieux en Russie, sa construction a
été entreprise sous la direction du
Prince Sviatoslav Vsevolodovich. CI-
contre, ce masque à barbe pointue, qui
se trouve au portail nord de l'Eglise,
pourrait être le portrait de ce prince.

et histoire

par Dimitri Markov

LES peuples slaves sont, avec les peu¬ accrocher son bouclier aux portes de Cons¬ téraires, picturales ou autres, ont procuré
ples latins et germains, un des grou¬ tantinople en souvenir de ses victoires), un plaisir esthétique indéniable à des géné¬
mais aussi à cause de leur culture originale, rations successives de Slaves et de non
pes ethniques principaux du conti¬
diversifiée et hautement développée. Slaves.
nent européen. On peut entendre parler
des langues slaves sur les bords de la Mer Un de ces Etats, la Grande Moravie, fait Ecrit en un langage concis et pittores¬
Blanche comme de l'Adriatique, dans les inévitablement penser à la grande aventure que, dans une forme poétique admirable, le
vastes étendues qui vont de ta mer Baltique de Cyrille et Méthode les civilisateurs, "Dit de la campagne du Prince Igor" égale
à l'Oural et, plus loin, jusqu'en Sibérie et en les créateurs de l'alphabet slave. Les deux par ses qualités artistiques et spirituelles
Extrême Orient.
frères, originaires de Salonique, poursuivi¬ des comme les chansons des Nibe¬

Le chroniqueur gothique Jordan (11* siè¬ rent plus de vingt ans une activité qui com¬ lungen et la Chanson de Roland. L'
cle) raconte que les "Antes" (branche mença en 863, lorsqu'ils arrivèrent en fait parvenir jusqu'à nous le bruissement
Moravie à la demande du Prince Rostislav des herbes de la steppe où, en 1185, le
orientale des Slaves) avaient un dieu du
tonnerre, Peroun, qu'ils lui offraient en pour y enseigner aux habitants la foi chré¬ Prince Igor de Novgorod-Séverski s'élança
sacrifice des taureaux, croyaient aux sirè¬ tienne dans la langue du pays. contre les Polovéts, le cliquetis des glaives
nes et adoraient les fleuves et les arbres. Une vie des Saints fort ancienne rap¬ et la respiration haletante des chevaliers qui
s'affrontaient en un combat mortel... Le
porte qu'après avoir entendu l'Empereur
Au Moyen-âge, les historiens byzantins byzantin lui souhaiter bon voyage, Cyrille "Dit du Prince Igor" est le témoin éloquent
sont unanimes à noter le courage et le sen¬ dit : "Apprendre sans alphabet et sans des temps lointains, des sentiments et des
timent de l'honneur qu'on trouve chez les livres, c'est exactement comme si l'on pensées des hommes qui habitaient la Rus¬
sie médiévale.
tribus slaves, ainsi que leur hospitalité et notait une conversation sur l'eau". Aussi,
surtout leur amour de la liberté. A la diffé¬ avant de partir, mit-il au point l'alphabet De Dubrovnik, nous rappellerons le rôle
rence du reste de l'Europe ancienne, ces slave avec l'aide de Méthode. L'activité de
que cette ville a joué dans le développe¬
tribus n'ont pratiquement pas connu le Cyrille et Méthode eut un vaste retentisse¬ ment de l'humanisme européen. Cette ville-
règne de l'esclavage. ment en Moravie, en Pannonie et dans République a conservé durant plusieurs siè¬
d'autres territoires des Slaves occidentaux.
cles et malgré des guerres constantes, mal¬
En Europe, à la fin de l'Antiquité et au
Bien que leur entreprise se soit heurtée à gré les remaniements successifs de ses
début du Moyen-âge, les sociétés esclava¬
l'hostilité farouche de l'Eglise catholique, frontières, toute son indépendance. Elle fut
gistes font place à des sociétés de type féo¬ rivale de Venise en matière d'économie et
elle'se développa bientôt en Bulgarie où se
dal et à un autre type d'organisation de
concentra leur activité. La propagation de de culture. Rien d'étonnant à ce que le
l'Etat. Les Slaves participent à ce proces¬
l'écriture slave fut un événement historique Sénat vénitien ait émis un décret spécial
sus qui concerne toute l'Europe : il suffit de
considérable pour tous les peuples slaves. déclarant : "Chaque vendredi, étudier le
rappeler la. formation d'Etats slaves tels que
Elle fait par conséquent époque dans l'his¬ moyen d'anéantir Dubrovnik".
la Principauté de Moravie, la Russie de
toire de la culture mondiale.
Kiev, la République de Dubrovnik. C'est là que des mathématiciens, des
On ne peut parler de la Russie de Kiev poètes, des historiens et des philosophes
Ces Etats slaves avaient un grand poids sans évoquer l'extraordinaire essor des vil¬ éminents ont conçu leur C'est ici
politique auprès des pays voisins, non seu¬ les, des métiers artisanaux, du commerce, que, du 15" au 17« siècle, le travail et le
lement par leur puissance économique et le développement des contacts politiques talent d'architectes et d'ingénieurs, de tail¬
militaire (en 911, le Prince de Kiev, Oleg, fit internationaux. La culture artistique atteint leurs de pierre anonymes donnèrent nais¬
alors un très haut niveau. sance à un ensemble architectural d'une
Il est impossible d'avoir une vue com¬ harmonie unique en son genre et qui, au
DIMITRI MARKOV, Académicien, Directeur
plète de la culture mondiale si l'on n'a pas sein d'une nature somptueuse, apparaît
de l'Institut des Etudes slaves et balkaniques
présentes à l'esprit les réalisées comme une huitième merveille du monde.
auprès de l'Académie des Sciences de l'URSS,
est président de l'Association internationale dans le monde slave à cette époque. Ces "Celui qui cherche le paradis sur terre doit w
pour l'étude et la diffusion des cultures slaves. qu'elles soient architecturales, lit aller à Dubrovnik", disait Bernard Shaw, f
> La Forteresse de Dubrovnik et la Cour au
Prince démontrent l'originalité de la civilisa¬
tion dalmate, originalité due en particulier à
ses liens étroits avec la riche culture popu¬
laire et avec le mode de vie si particulier des
Slaves du sud.

L'apport intellectuel des Slaves n'est pas


moins riche et divers dans le domaine des

conceptions idéologiques. Des mouve¬


ments européens anticléricaux et antiféo¬
daux, qui ont suscité de vastes mouve¬
ments des masses populaires, ont leur
source chez les Slaves. Tel fut par exemple
le mouvement des Bogomiles, en Bulgarie,
dont l'héritage fut repris par les doctrines
dualistes d'Occident, celle des Cathares en
particulier. Il est significatif de constater à
ce propos que, dans les dialectes français
du Moyen-âge, le mot "Bougre", c'est-à-
dire Bulgare, est utilisé pour désigner les
hérétiques.

On peut citer encore la doctrine de Jean


Hus qui fut brûlé vif à Constance en 1415
sur décision des autorités religieuses. Mais
le bûcher de Jean Hus devait allumer la
flamme purificatrice de la Réforme dans
toute l'Europe : Martin Luther lui-même se

Le
Kremlin

travers

les

âges

disait hussite I La doctrine de Hus fut à la surent prendre une part active à ce grand 1500 ans. Sa théorie héliocentrique permit
base de l'idéologie révolutionnaire des bur¬ mouvement de l'esprit. par la suite à Giordano Bruno de repousser
gers et de la paysannerie. Plusieurs générations d'hommes de la les frontières de l'univers encore plus loin,
Au Moyen-âge, les peuples slaves eurent Renaissance ont élaboré une nouvelle en supposant l'existence de systèmes solai¬
res innombrables semblables au nôtre.
à subir le joug étranger. La Pologne et la vision du monde, une nouvelle conception
Russie soutinrent les attaques incessantes de l'homme. Ces idées se sont incarnées
De nombreux faits témoignent de
des voisins orientaux de l'Europe. Cela ne dans des chefs-d' artistiques, elles
l'importance accordée par ses contempo¬
fut pas sans marquer leur développement ont engendré des progrès scientifiques. On rains aux travaux de Copernic. Le jeune
culturel. peut relever plusieurs noms slaves parmi Comenius, notamment, était tombé en
ces penseurs et ces créateurs. 1614 à Heidelberg, sur le manuscrit "De la
Néanmoins, lorsque le courant de la
Renaissance européenne rénova la culture Citons en premier lieu Copernic (1473- révolution des corps célestes". Sans hési¬
du Moyen-âge, les Slaves, dans les condi¬ 1544) : il réfuta le modèle du monde consa¬ ter, il l'acheta avec ses dernières écono¬
tions historiques qui leur étaient propres. cré par l'Eglise et qui faisait autorité depuis mies. Après quoi, il dut faire à pied les cent
kilomètres qui le séparaient de son domicile r 9* ^.

en Moravie. rtfftr im* r ^

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Jan Amos Komenski ou Comenius


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(1592-1670), est lui-même un savant slave
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dont l'apport à la culture des temps nou¬
veaux est tout à fait exceptionnel. Ayant -r £y I J... J I1 <«{# 4^
B»'"*

compris l'importance de l'éducation pour la V' i [\[ }^mL


transformation de la société, il élabora
toute une doctrine pédagogique. C'est
ainsi qu'il fut avec trois siècles d'avance le
créateur de la méthode active pour l'ensei¬
gnement des langues I Comenius se situe
aux frontières'de deux grandes époques de I I I I
la culture européenne : la Renaissance et le
Siècle des Lumières.

Les Lumières, affirmant la puissance illi¬


I I
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mitée de la raison, ont définitivement
détrôné la scolastique comme moyen uni- >
i

Photo © APN, Pans

Le kremlin ou "forteresse", formait l'enceinte fortifiée des grandes villes russes du


Moyen Age. Pskov, Novgorod, Smolensk et Rostov ont été bâties autour de kremlins
qui renfermaient nombre d'églises, les palais des princes et des gens d'église, les
bâtiments de l'Etat et l'arsenal. Le Kremlin de Moscou, le plus Important de tous, était à
l'origine, vers 1156, une construction de bois mais il a été remanié maintes fois au cours
des siècles.

Photos (1) : Vue de Moscou à travers les souvenirs d'un voyageur allemand du 16* siècle,
Aaan Olearius. (2) Le premier plan de Moscou, connu a ce jour, publié en 1566 par un
ambassadeur autrichien Slgismund Guerberstein, précieuse source Iconographique pour
l'étude du plan urbain de l'ancienne Moscou. (3) Place centrale du Kremlin au 17* siècle.
(4) Gravure du 16* siècle de tailleurs de pierre moscovites ; l'inscription signale que "cet
été là (1367), le Grand-Duc Dimitri construisit Moscou en pierre et qu'à partir de ce
temps là Moscou ne fut plus construit qu'en pierre". (5) Le Kremlin au 18* siècle, vu de
la rive droite de la Moskova : gravure de Mikhaïl Makhaev.

Photo © APN, Moscou


versel de connaissance et d'interprétation des Tchèques pour la construction d'un Le développement de l'art théâtral dans
du monde. Théâtre national à Prague, qui s'est dérou¬ les pays slaves est lui aussi marqué par de
Dans le domaine des sciences au 18* siè¬
lée en suivant le mot d'ordre "Offert par le grandes réalisations : ainsi le Théâtre d'Art
peuple au peuple", est l'expression du de Moscou, créé en 1898 par les grands
cle, la figure slave la plus remarquable est
mouvement national dans ce pays. Les metteurs en scène Stanislavski et
évidemment celle de Mikhaïl Lomonossov
écrivains bulgares Christo Botev (2) et Némirovitch-Dantchenko.
(1711-1765). Grand savant russe, encyclo¬
Luben Karavelov participèrent directement Les grands mouvements sociaux et révo¬
pédiste, Lomonossov possédait à la fois les
à la lutte armée pour la liberté et l'indépen¬ lutionnaires du 20* siècle, inspirés par la
talents du physicien et du chimiste, ceux
dance nationale.
du géologue et du géographe, ceux de Révolution d'octobre en Russie, ont exercé
l'historien et du philologue, de l'homme La Culture fut un facteur important dans une influence considérable sur la culture du

d'Etat et du poète... Il partage avec le la formation politique des masses populai¬ monde actuel, et sur celle des peuples sla¬
grand Lavoisier la découverte de la loi de res. Ainsi pour la comédie musicale de celui ves tout particulièrement.
conservation de la masse. qu'on appelle le père du théâtre polonais, Les idées'dont ces cultures se nourris¬

C'est en Pologne que fut créé pour la


W. Boguslavski, "Le miracle imaginaire, ou sent ont donné la preuve de leur vitalité
Cracoviens et montagnards". Créée en dans la lutte des peuples slaves ou non sla¬
première fois en Europe (en 1773) un minis¬
mars 1794, elle fut pour les combattants de ves contre le fascisme, lequel apportait non
tère laïque de l'Instruction : la commission
d'Education. la révolte de Kostiuszko ce que fut le seulement la mort mais aussi la destruction
"Mariage de Figaro" de Beaumarchais absurde de monuments millénaires.
L'époque de la formation des nations est
pour les hommes de la Révolution fran¬
un chapitre d'une extrême importance dans Le programme de l'Unesco pour l'étude
çaise.
l'histoire de la culture slave. Durant cette des cultures est une importante contribu¬
Chaque décennie du 19* siècle voit gran¬
période, qui se situe entre la deuxième moi¬ dir le rôle des cultures slaves dans l'évolu¬ tion à l'efficacité des échanges culturels. Il
tié du 18* siècle et la première moitié du comporte un projet slave qui répond à
tion culturelle de l'Europe et du Monde.
19*, et que l'on nomme à juste titre l'épo¬ l'intérêt croissant de larges cercles de l'opi¬
L'exemple le plus évident est fourni par les
que de la Renaissance nationale, le rôle de nion publique mondiale pour la culture
littératures, et plus spécialement la littéra¬
la culture dans la vie sociale a pris une slave ancienne ainsi que pour les succès
ture russe. L. Tolstoï, F. Dostoïevski, I.
importance considérable. La littérature, remportés par les gouvernements slaves
Tourgueniev eurent une grande influence
l'art et les sciences sont devenus le miroir dans leur activité culturelle et économique
sur le développement de la culture mon¬
de la nation, sa carte de visite pour les diale. A. Mickiewicz et Juliusz Slowaski actuelle.
autres peuples et Etats.
furent les éminents représentants de la cul¬ A la réalisation du projet de l'Unesco sur
L'essor des cultures slaves fut en grande ture polonaise, Tarass Chevtchenko celui l'étude des cultures slaves prirent part des
partie déterminé soit par les mouvements de la culture ukrainienne... chercheurs, créateurs et travailleurs des
de libération nationale, soit, comme en La création musicale atteint elle aussi les mass-media et des institutions culturelles à
Russie, par les mouvements socio- la fois en Europe, en Amérique et en Asie.
plus hauts
sommets : Glinka, Chopin,
politiques d'avant-garde. Ainsi la poésie La nécessité se fit tout naturellement sentir
Tchaïkovski, Moussorgski, Smetana et
d'Alexandre Pouchkine a-t-elle exprimé de constituer une association internatio¬
d'autres compositeurs slaves sont des gloi¬
l'idéologie des Déc'embristes (1). La lutte res non seulement nationales mais univer¬ nale. Cette association doit coordonner

selles. l'étude interdisciplinaire des cultures slaves


et la diffusion des connaissances sur les
(1) En Russie, le soulèvement "décembriste", ainsi (2) Dans une série d'ouvrages consacrés à d'éminentes
pays slaves, leur vie actuelle, leur apport à
nommé parce qu'il eut lieu le 18 décembre 1825, fut une personnalités de la culture slave, l'Unesco a publié :
la civilisation mondiale.
révolution de palais qui échoua contre l'autocratie Christo Botev par Vladimir Topentchakov, Unesco,
tsariste. On le regarde généralement comme le premier Paris, 1977. Signalons dans la même série : Miroslav
acte de la révolution russe. Krleza par Mirijan Matkovic, Unesco, Paris, 1977. D.F. Markov

Un art qui veut apprendre à tous "à se mettre à l'écoute" de la Révolution


d'octobre 1917. Reproduisant les paroles de l'Internationale, ce plat en céramique,
fait en 1919-1920 par Maria Lebedeva, décoratrice russe s'appelle "Chant d'octobre"

Photo © Editions Aurora, Leningrad

8
Les Sarmates, peuple
nomade qui parcourait les
steppes, de l'Oural à la mer
Caspienne aux 3*/4* siècles avant
J-C, fabriquaient de superbes spécimens
de joaillerie. Cette plaque de poitrail en or, Photo © Edition "Progrès", Moscou
pour cheval, trouvée dans une sépulture d'un
noble sarmate, provient sans doute d'un atelier
grec ; les figures centrales représentent
Dionysos et Athéna.

Au seuil

d'un grand destin


par Vladimir Koroliouk

LORSQUE l'empire romain fut anéanti au-devant de la nouvelle structure féodale Avars... Dans tous les documents écrits
sous la poussée des Barbares, l'Eu¬ européenne. En Europe de l'Est, où les Sla¬ anciens, les nombreuses campagnes des
rope féodale s'établit sur ses ruines ves étaient établis de longue date, tout nomades sont éloquemment décrites : ce
et sur ses cendres. Le rôle joué par les tri¬ comme dans l'Europe du centre et du sud- sont des remparts romains qui s'effon¬
bus slaves dans cette grande migration de est où les Slaves s'étaient solidement ins¬ drent, des villes assiégées, la population
peuples fut notable. tallés après les grandes invasions, les tribus des provinces de l'Empire romain qui fuit
Byzance, l'ancien Empire Romain slaves s'engagèrent sur la voie de la féodali- ou tombe sous la coupe des conquérants.
d'Orient, fit une cure de jeunesse en allant sjation. On constate l'apparition de gouver¬ Et il est surtout question de l'Europe du
nements et de nationalités slaves. sud-est. D'après les récits dès témoins, les
hordes de nomades ravagèrent les provin¬
La vie économique des Slaves a rejoint le
VLADIMIR KOROLIOUK, historien soviétique, ces romaines, transformèrent tout en pâtu¬
niveau de celle des autres Européens en
chef du Département d'histoire ancienne et rages et prirent une partie des habitants
d'histoire médiévale à l'Institut des Etudes slaves premier lieu dans les domaines de la pro¬
comme esclaves.
et balkaniques de l'Académie des Sciences de duction agricole, de l'artisanat et du com¬
l'URSS. Auteur de nombreuses études sur la merce urbains.
Or le système économique des nomades
formation des Etats slaves, les origines des peu¬
Au premier abord, on pourrait penser ne pouvait subsister sans l'agriculture.
ples de l'Europe orientale et les relations entre
Europe centrale et orientale aux 16'-18 siècles. Il que ce sont les nomades qui ont joué le rôle Lorsque les Avars se fixèrent, au 6* siècle,
participa à la rédaction de l'ouvrage "Les Slaves essentiel dans ces grandes migrations de ils se tournèrent vers l'agriculture. Le travail
de l'Orient" publié par l'Unesco en 1965. peuples : les Sarmates, les Huns, les de la population slave agricole et le sang
des Sarmates qui passent toute leur vie en taureaux, et on accomplit d'autres rites
chariot et à cheval". sacrés" (Procope de Césarée).

Ces hésitations tiennent visiblement au


Malheureusement les documents ne per¬
fait que les Slaves habitaient une région à
mettent pas de reconstituer le système des
part, à la jonction de la Germanie et de la
croyances mythologiques. La hiérarchie
Sarmatie, où convergeaient les influences
des dieux, incarnations de la nature, est
culturelles des peuples occidentaux et
conservée dans la description de la réforme
orientaux. Dans cette région, la zone boi¬
réalisée par le grand Prince Vladimir (10*
sée et steppique d'Europe orientale et des
siècle). Péroun, le dieu du tonnerre et de la
contreforts des Carpathes, les Slaves coha¬
foudre, est porteur de la pluie vivifiante
bitaient avec les Baltes, ancêtres des Let¬
pour la nature et les semailles (le dieu Stri-
tons et des Lituaniens actuels, ce
bog est similaire à Péroun). C'est le dieu le
qu'atteste en partie la proche parenté des
langues slave et balte.
i versé par les guerriers slaves incorporés à la
Les informations données par les histo¬
horde guerrière jouèrent un rôle décisif
riens du 6* siècle délimitent l'aire des Slaves
dans la naissance de cette puissance
de façon encore plus précise. C'est un
redoutable que fut le Kaganat Avar. Mais
immense territoire qui s'étend de la mer
les Etats d'origine nomade sont aussi éphé¬
Baltique aux Carpathes, au Dniepr, et
mères que puissants. La soumission des
Slaves par les Avars aboutit en 622-23, à la
même jusqu'au Don et à ces régions où le
Don se jette dans le "Lac Méotique" (la
puissante révolte des Slaves, qui avaieat à
mer d'Azov).
leur tête Samo. La lutte contre les Slaves et
les Francs entraîna la chute de l'Etat Avar.
Il.y a vingt ans furent découverts des ves¬
En 803, Charlemagne, l'Empereur des tiges de la vie agraire et des produits de
Francs, vainquit définitivement le Kaganat. l'artisanat des 5*-7* siècle avant J.C. On a
Les Avars cessèrent d'avoir une existence
pu établir un lien entre les centres slaves et
politique. les foyers d'artisanat. Les découvertes
Seuls les peuples d'agriculteurs tels d'archéologues ukrainiens et polonais per¬
qu'étaient les Slaves depuis les temps les mettent à présent de voir la culture maté¬
plus reculés (une petite partie d'entre eux rielle des Slaves se développer sur une lon¬
étaient des éleveurs), pouvaient participer à gue période, du début de notre ère
la création de l'Europe féodale. jusqu'aux 10* et 11* siècles. Sur cet
immense territoire, et sur une période aussi
Le destin de peuples nomades comme
étendue, on peut observer que la culture
les proto-bulgares et les Hongrois apparaît
matérielle revêt une homogénéité fonda¬
différent, tout en étant lié incontestable¬
mentale en dépit des variantes locales :
ment à l'évolution des Slaves. Les proto-
impossible de ne pas y voir une des mani¬
bulgares se sont fondus dans la société
festations de la communauté ethnique
agricole des Slaves ; l'ethnie hongroise, slave.
ayant absorbé les éléments slaves locaux
qui se livraient à l'agriculture et leur ayant L'unité des Slaves est évoquée aussi
emprunté leur expérience, fit son entrée dans des documents écrits. Les dénomina¬
dans l'histoire européenne en tant que peu¬ tions des Slaves y sont diverses. Les témoi¬
ple d'agriculteurs. gnages les plus détaillés datent du 6* siè¬
cle ; ils font état de deux dénominations
Les premières sources écrites qui per¬
principales : les Antes et les Esclavons. Ce
mettent de se représenter approximative¬
sont de grandes fédérations politico-
ment l'aire occupée par les Slaves dans les
militaires de Slaves avec une noblesse à
vastes étendues de l'Europe orientale et
leur tête et des chefs qui sont des chefs
une partie de l'Europe centrale datent des
d'armées (ou des princes).
premiers siècles de notre ère. A partir de
cette époque et jusqu'à celle des grandes
Antes et Esclavons, malgré quelques dif¬
migrations, on possède toute une série
férences (avant tout dans les types de céra¬
d'informations dont les plus intéressantes
mique et les caractères des cités fortifiées
sont contenues dans les de deux
du 6* siècle) étaient très proches les uns
historiens du 6* siècle : le Goth Jordan et le
des autres dans tous les domaines : forme
Byzantin Procope de Césarée.
de vie, aspect extérieur et langue.
D'après les luvres des auteurs antiques,
L'arrivée de Goths, de Huns et d'Avars
les territoires d'Europe centrale et d'Europe
orientale se subdivisaient en deux régions dans ces régions a détruit l'unité du peuple¬
géographiques : la Germanie et la Sarma- ment slave. Mais en dépit de cela, une lan¬

tie. Dans quelle région vivaient les Slaves ? gue commune et des m semblables se
sont conservées chez les Slaves. Et les
Un certain nombre d'auteurs antiques puis
d'auteurs byzantins rattachent les Slaves à bases de la vie économiques sont restées
la région de Sarmatie (ou Scythie) ; mais les mêmes. La communauté ethnique des
leurs contemporains mieux informés avan¬ Slaves a pour fondement leur continuum
cent des opinions différentes. de langue et de structures parentales.

Tacite, le grand historien romain du 1" Les auteurs antiques témoignent aussi
siècle de notre ère, distingue nettement les de l'unité existant dans les croyances
Slaves des habitants de la Sarmatie. Il se mythologiques des Slaves. Dans les
fonde pour cela sur des critères en partie mythes païens s'exprimait la conscience
économiques. "Cependant, écrit-il, on mythofogique d'une ethnie. "Pour tout le
peut les ranger (les Vendes, les Slaves) plu¬ reste, chez ces deux tribus barbares (les
tôt au nombre des Germains, car ils se Antes et les Esclavons), la vie et les lois
construisent des maisons, portent des bou¬ sont semblables. Ils pensent qu'un dieu,
cliers, se déplacent à pied et d'ailleurs avec créateur de la foudre, règne sur tous les
une grande rapidité ; tout cela les distingue autres : et on lui apporte en sacrifice des .

10
plus important. Khors et Dadjbog sont les nombreuses croyances : les Vilas, les Béré- A vrai dire, le christianisme a répris à son
dieux de l'aurore et du soleil. Volos (ou guines sont les esprits des bois, des monta¬ compte des cultes et des rituels païens. De
Veles) est le dieu des troupeaux, le dieu de gnes, des fleuves et des lacs (c'est-à-dire ce fait, certaines "couches sédimentaires"
l'élevage et du pâturage. Mokoch est la de l'eau). Larilo est une divinité qui apporte des anciennes conceptions religieuses sla¬
déesse de la fécondité, celle aussi du filage la fertilité : il est associé au printemps. ves ont été conservées au Moyen-Age,
et du tissage. D'après les chroniques lati¬ Koupala est selon toute apparence la divi¬ dans le cadre de l'idéologie chrétienne
nes et les fouilles entreprises sur certains nité du soleil. Des esprits comme "Lignée", dominante.
sites archéologiques des 11*-12* siècles, les "Parturiente", "Aïeux", "Tchours",
L'unité des croyances, la continuité de la
systèmes des dieux païens se présentaient "Dziady", "Domovoi" sont les ancêtres
langue et des rites du mariage, le caractère
de manière quelque peu différente mais sur défunts du clan patriarcal et, plus tard, de commun de la culture matérielle montrent
une base identique. la famille patriarcale slave. Mais la structure
objectivement l'existence d'une commu¬
des mythes slaves païens a été détruite par nauté slave.
Le folklore slave a conservé les traces de l'apparition du christianisme.
C'est la localisation des Slaves (Vendes)
dans les documents cartographiques anti¬
ques (les Tables de Peutinger) qui permet
de parler d'une migration des Slaves vers le
Sud-Ouest au 3* siècle. L'immense flot de
Slaves ne déferla en Europe centrale et en
Europe du Sud-est qu'aux 5"-7* siècles. Les
Slaves se fixèrent dans les Balkans, les
Alpes Dinariques, Carniques et Juliennes et
les Alpes du Sud, dans le bassin du
Danube, sur les territoires situés à l'est de
l'Elbe. C'est le conflit avec les Slaves aux
6*-7* siècles, lors des migrations en Europe
du Sud-Est, qui décida du destin de
l'Empire romain d'Orient. Cet empire anti¬
que et esclavagiste devient alors l'Empire
Byzantin, un état féodal du Moyen-Age.

Pour en revenir aux Antes et aux Escla¬


vons, il ressort des témoignages de Jordan
et de Procope de Césarée que ces deux
peuples eurent une importance égale dans
les migrations des Slaves et leur implanta¬
tion dans le Bassin du Danube et les Bal¬

kans. Ces deux fédérations de tribus, pro¬


ches par la langue et les m avaient
indubitablement une conscience ethnique
fort développée. Mais quand, à la dernière
étape de leur migration, les Slaves se fixè¬
rent en Europe du Sud-Est, le nom des
Esclavons se répandit sur tout le territoire
slave et celui des Antes disparut.

La cause de ces changements peut se


comprendre. En effet, les Slaves n'avaient
pas seulement à combattre les tribus ger¬
maniques, finnoises et nomades : il s'y
ajoutait la confrontation majeure avec
l'Empire Romain d'Orient. L'ethnie slave
resserra son unité, sa conscience ethnique
s'accrut.

Le brusque changement qui s'opéra dans


le développement de cette conscience eth¬
nique et s'exprima dans l'apparition d'une
dénomination commune à toutes les tribus
slaves, se produisit au 6* et au début du 7*
siècle.

Au sein de la communauté slave com¬


mence alors un processus complexe de for¬
mation de trois branches : celles de l'Est,
du Sud et de l'Ouest, qui se développent
dans des conditions historiques, géogra¬
phiques et économiques différentes. Dans
les diverses régions se déroule un proces¬
sus de fusion entre la population locale et
les Slaves. Dans la branche du Sud vien¬
nent se fondre des Thraces et une partie
Idoles de pierre des lllyriens, dans la branche de l'Est, une
partie des Baltes et des Finnois. A la même
- Aux divinités slaves furent dédiées des Idoles le plus souvent en bois époque commence la formation d'Etats et
elles ne se sont malheureusement pas conservées et, plus rarement, de peuples slaves. Les Slaves s'engagèrent
en pierre. A gauche, une idole de pierre du 10* siècle d'un Dieu à 4 résolument sur la voie du féodalisme.
visages, dont chacun est tourné vers l'une des 4 directions du monde.
Sur le piller de face, la déesse de la Terre et de la fertilité ; l'idole a été Ceux qui s'étaient, établis sur les territoi¬
retrouvée dans une rivière en Ukraine. Au-dessus, une statue de pierre res de l'Empire byzantin et la zone de con¬
connue sous le nom de "l'Idole de Chklov".
tact avec cet Empire se développèrent k
davantage que ceux qui étaient restés dans r

11
Détail montrant une arcature aveugle et des plaques de faïence ornant les murs de l'église
Saint-Georges-sur-la-Montée, bâtie à Pskov, au 15* siècle.

> leur région d'origine. C'est sur ces territoi¬ Les villes slaves, centres artisanaux et prisonniers-esclaves, des fourrures et des
res que se constituèrent les premiers Etats commerciaux, apparurent aux 8* et 9° siè¬ produits artisanaux.
d'Europe centrale et d'Europe du Sud-Est : cles. L'essor des villes bulgares se produisit
Les voies de transit vont, par la Volga, de
le premier Royaume bulgare et la Grande au 10* siècle. Au début du 11* siècle,
la mer Caspienne à Novgorod et à la mer
Moravie. Ce n'est qu'au 10* et au début du Byzance conquit la Bulgarie, de sorte que
Baltique. Les routes des "Varègues aux
1 1* siècles que l'ensemble des régions attei¬ le développement des villes se poursuivit
Grecs", celles de Kiev à Cracovie, Prague
gnit le même niveau de développement. ensuite surtout chez les Slaves de l'Ouest
et Ratisbonne, sont très animées. On
L'Etat slave le plus important fut la Russie et de l'Est. Les fortifications de,s villes com¬
de Kiev.
entend parler arabe, grec, allemand, nor¬
prennent remparts, fossés et tours. Les
mand, et bien sûr aussi la langue slave sur
portes sont particulièrement fortifiées.
Dans les Etats constitués pendant la pre¬ les marchés comme à la cour des princes et
mière phase du féodalisme, les princes, la La construction des fortifications était dans l'aristocratie de Kiev, de Novgorod et
haute noblesse, les chevaliers de la garde conduite par les Slaves. Parmi les métiers, de Smolensk. Les villes des Slaves du Sud
des princes et des boyards, vivaient tous du les métallurgistes, les forgerons, les serru¬ présentent à peu près les mêmes caracté¬
travail des paysans. Dans les régions fores¬ riers, les armuriers, les potiers, les verriers, ristiques. Dans les villes de Dalmatie, où la
tières, on était passé à l'agriculture de les maçons et même les savetiers et cor¬ population est romano-slave, les mar¬
labour ; des animaux de trait y étaient donniers constituaient des spécialités dis¬ chands italiens sont alors en nombre
employés. Au 13* siècle, on peut déjà dire tinctes. Le bois était l'affaire des tourneurs important.
que le labourage avait partout triomphé. sur bois, des tonneliers, des charrons. L'art
de la joaillerie était hautement développé. Dans les grandes villes slaves, on chan¬
L'horticulture et la culture maraîchère
Les produits artisanaux russes et particuliè¬ tait déjà des sagas et des chants célébrant
conservent leur importance dans l'écono¬
rement les dagues d'acier, les cotes de les princes et leurs exploits ; des bylines
mie. On connaissait la fève, les pois, les
mailles, les objets en or et les sculptures sur (épopées et rapsodies populaires) étaient
lentilles, les navets, \er pavot ; on faisait
os se répandirent sur les marchés d'Orient interprétées à la cour. Ces villes étaient évi¬
pousser la carotte, l'ail, le concombre, ainsi
et d'Occident où ils étaient très appréciés. demment des centres culturels et tout par¬
que le pommier et le poirier. La pêche et
ticulièrement des centres littéraires. Là se
l'apiculture complétaient la nourriture des
On peut dire que l'essentiel, pour les vil¬ développèrent aussi la peinture et l'archi¬
paysans, avec la cueillette largement
les, était le lien plus ou moins étroit qui les tecture.
répandue des baies, des champignons et
rattachait au marché régional capable
des racines. La création d'une écriture slave et d'une
d'absorber la production des artisans.
Le développement du labourage, avec L'apparition et la croissance des villes chez langue littéraire commune à tous les Slaves
son emploi des bêtes de trait, laisse suppo¬ les Slaves témoignent donc d'un processus (par Cyrille et Méthode, au 9* siècle) fut
une manifestation essentielle de la commu¬
ser l'importance de l'élevage. Les Slaves qui aboutit rapidement à séparer l'artisanat
employaient b et chevaux. L'élevage de l'agriculture, et qui avait commencé très , nauté culturelle slave à l'époque du Haut
des vaches et des porcs représentait une tôt. Les villes a forte population d'artisans Moyen-Age. Les circonstances historiques
branche importante de l'économie. Celui ont fait que cette écriture s'est surtout
et de commerçants, placées sur les trajets
des chèvres et des moutons était évidem¬ maintenue et développée chez les Slaves
des marchands étrangers, se transfor¬
de l'Est et du Sud. Les écrits sur écorce de
ment lié à l'agriculture, mais surtout dans maient en d'importants centres commer¬
les pâturages des Carpathes et des Bal¬ ciaux et diplomatiques. bouleau, découverts par les archéologues
kans. soviétiques, sont un indice fort important
A Prague et à Wolyn, à Kiev et à Novgo¬ du haut niveau culturel que la société de
Trois cycles : les rites et coutumes agrai¬ rod viennent alors s'installer des ambassa¬
l'ancienne Russie avait atteint, grâce en
res, ceux de l'élevage, ainsi que les rites des et des missionnaires. Des marchands
particulier à l'existence de cette écriture
concernant le mariage et la fécondité, se étrangers viennent vendre leurs produits. slave (voir la photo page 25).
rapportent directement au travail et au Ils échangent tissus, pierres précieuses,
mode de vie de la paysannerie slave. argent, bijoux et épices contre des Vladimir Korollouk

12
Les noces
de la terre
et des
hommes
par Alexandre A. Gura,
Olga A. Ternovskaya
et Nikita I. Tolstoï

LA vie des Slaves est depuis long¬


>1 temps liée à l'agriculture. C'est
pourquoi les rites magiques qui ac¬
compagnent les travaux agricoles jouent
dans leur culture un rôle notable.

L'un de ces rites s'est conservé jusqu'à


une époque récente. Cette fête de la mois¬
son revôt des formes différentes selon les

i
si
groupes ethniques. Elle représente donc
une source d'information importante pour
reconstituer la genèse des peuples slaves.

Cette fôte (les "dojinki") se présente


comme un ensemble de rituels hiérarchisés,
répartis dans le temps et l'espace. Elle est
constituée par les différentes combinaisons
de trois rituels fondamentaux. Chacun de
ces rituels se rattache à un objet particulier
que les moissonneuses confectionnaient à
l'aide d'épis, de paille, de branches, de
fleurs, de fils et de rubans. Ces objets pré- W
I ? sentent un grand nombre de variantes. r

ALEXANDRE A. GURA, OLGA A. TER¬


NOVSKAYA ET NIKITA I. TOLSTOI, appar¬
tiennent au Service de Recherche de l'Institut
des Etudes slaves et balkaniques auprès de
l'Académie des Sciences de l'URSS. Sous la
direction de Nikita Tolstoï, ils poursuivent des
recherches sur l'aspect ethnographique et lin¬
guistique des anciennes cultures slaves, y com¬
pris les anciens rituels de mariage et autres tradi¬
tions populaires.

13
y L'un d'eux, appelé couronne, est une
coiffe confectionnée à l'aide d'épis, de
fleurs, de branches, de rubans... Le rituel
fondé sur le tressage des couronnes con¬
tient toujours des éléments du rite nuptial :
la fête des moissons revêtait elle-même la
forme d'une noce. La plus belle et la meil¬
leure moissonneuse y tenait le rôle de la
fiancée, le personnage principal. Le rite
avait en particulier une signification magi¬
que ; dans la chanson biélorusse de la mois¬
son, on chante : "Maître, embrasse la maî¬
tresse plus souvent, le blé sera plus abon¬
dant".

Dans cette variante, les personnages La moisson terminée, les


avaient les mêmes noms que ceux du rite paysans de Sandomin et
nuptial. Aussi la terminologie du mariage se de Radom en Pologne
retrouve-t-elle dans les rites de la moisson. plaçaient une couronne
Le rituel de la couronne est bien connu en de blé sur la tête de la
Ukraine, dans le sud de la Biélorussie, en plus belle jeune fille qui,
Slovaquie et en Pologne. En Bulgarie, il suivie de tout le village et
n'est pas caractéristique. On ne le rencon¬ de la musique, la porte à
tre pas en Russie. l'église. Le prêtre ayant
Autre objet rituel : la dernière gerbe ou béni la couronne, la
bien le mannequin de paille, en forme de procession se rend à la
poupée, qui remplit des fonctions identi¬ mairie : le maire attache

ques. A la différence de la couronne, la au haut de la couronne un

gerbe n'est pas un attribut du personnage coq qui se met à picorer


principal : elle est elle-même le héros. Aussi les grains ; si le coq
les noms qu'on lui donne, à elle ou au man¬ chante, la récolte sera

nequin, sont-ils souvent anthropomor¬ abondante. Le cortège


phes : la bonne femme, le grand-père, la arrive enfin devant la

commère, la fiancée... Dans le Nord-Est de porte du maître de


la Russie, on traite la gerbe comme la maî¬ maison qui distribue alors
tresse de maison. des présents aux paysans
Le rituel fondé sur la confection de la qui se sont distingues par
leur assiduité.
gerbe est tout particulièrement répandu
En Moravle-
chez les Slaves de l'Ouest. On peut le trou¬
ver aussi chez certains Slaves du Sud. Il est Tchecoslovaqule
(à droite), la fin de
répandu encore dans le nord et l'ouest de la
Russie, et se rencontre également en Biélo¬ l'hiver est symbolisée par
russie. une figurine nommée
"smartka" (la mort) ; on
Mais le rituel le plus Important, qui la noie dans la rivière le
accompagne la fin de la moisson chez les dimanche des Rameaux.
Slaves, est lié au faisceau d'épis non mois¬
En Bulgarie (en bas à
sonnés. Les Slaves de l'Est et du Sud appel¬ gauche), la mort de l'hiver
lent "barbe" (du protoslave bordât cet objet
est mimée par un danseur
rituel. On donne aux épis une forme pré¬
masqué.
cise : par exemple on les tresse en natte, on
les incline,- on les brise à demi, on en fait
des torsades, on les lie... après quoi
s'accomplit une série d'actions magiques :
les femmes font des culbutes dans les
champs, les jeunes gens se glissent sous les
épis courbés, une jeune fille danse devant
eux, on les arrose de vodka ou d'eau, on y
dépose un morceau de toile, des pierres, du
pain et du sel...
Les Slaves du Sud coupent ou arrachent
la "barbe" une fois que les rituels ont été
accomplis. Les Slaves de l'Est, eux, laissent
la "barbe" non coupée.
Dans la Russie du Nord, on trouve des
. archaïsmes dont l'origine est antérieure à

14
Les fiançailles conclues, la situation de la
fiancée se modifie : elle a pour ainsi dire
cessé d'être une jeune fille, sans être encore
une femme mariée. Elle n'a plus ses anciens
liens de parenté et ne fréquente plus ses
anciennes relations, mais n'a rien qui les
remplace. Dans le peuple, on considère que
la fiancée est alors beaucoup plus exposée
à l'influence dangereuse des maléfices et
des forces Impures. C'est la raison pour
laquelle elle ne s'occupe pas des travaux
ménagers. Souvent, dans la crainte qu'on
lui jette un sort, elle ne sort même pas de la
maison. Cette période Intermédiaire est
marquée extérieurement par des détails
dans le vêtement, la coiffe et la coiffure.

Dans la Russie du Nord commençaient


alors les lamentations rituelles, obligatoi¬
res, de la fiancée. Certaines se frottaient
même les yeux avec de l'oignon pour faire
venir les larmes... Après le mariage à
l'église, les pleurs et les lamentations ces¬
saient.

Chez tous les Slaves apparaît plus ou


moins nettement une cérémonie particu¬
lière qui se déroule la veille du mariage. En
Russie, c'est entourée de ses amies que fa
fiancée fait ses adieux à son état de jeune
fille. Le bain rituel de la fiancée est connu
tant chez les Russes que chez les Slaves du
Sud. Chez les Russes, et particulièrement
chez les Biélorusses, les Polonais et les Bul¬
gares, on défait avant les noces la natte de
la fiancée. Les Slaves de l'Ouest et de l'Est
décorent un arbre nuptial. En Ukraine occi¬
dentale, en Pologne, en Tchécoslovaquie et
en Serbie, les jeunes filles tressent des cou¬
ronnes. Les Slaves du Sud et les Slovaques
confectionnent un drapeau nuptial. En Rus¬
sie (surtout dans le Sud), en Biélorussie, en
Ukraine et en Bulgarie, a lieu la préparation
rituelle du pain nuptial.
Ce pain nuptial est l'un des attributs
essentiels du mariage slave. On prépare la
pâte, on la décore, on cuit le pain qui sera
l'ère chrétienne : ainsi le rituel des mois¬ offert aux Invités de la noce. Cela s'accom¬
en-train qui amusait l'assistance par ses
sons, lié à celui de la chasse aux mouches et plaisanteries. pagne de nombreux rites et chansons dans
à l'introduction dans la maison d'un rameau lesquelles le pain est comparé au soleil et à
de bois vert. Le rite du mariage commence par l'arri¬ la lune. Les fiancés s'Inclinent en un pro¬
vée des marieurs dans la maison de la fian¬ fond salut devant lui, l'embrassent. Les
Quant au mariage slave traditionnel, il a
cée. Ils s'entretiennent avec les parents en parents en bénissent les jeunes mariées. Ils
un cérémonial fort complexe : Les actes
un language allégorique, se présentent viennent à leur rencontre avec du pain et du
rituels et les représentations mythologiques
comme des marchands, des chasseur» de sel à leur retour de l'église, comme pour
s'y mêlent étroitement à la poésie rituelle,
martres ou de renards. Ils se disent à la leur transmettre les traditions de l'hospita¬
aux chansons, à la musique et à la danse.
recherche d'une génisse qui s'est perdue, lité slave ; ils répandent sur eux des grains
Les parents, les amis, les proches du demandent si l'on n'a pas vu leur cane ou de blé, leur souhaitant ainsi bonheur et
fiancé et de la fiancée deviennent pour un leur oie, proposent d'acheter une brebis, du richesse.

temps les personnages d'une représenta¬ blé... En de rares occasions, lorsqu'il est Les chemins vers l'église et le trajet
tion dans laquelle une place est attribuée à prévu que le marié ira vivre chez sa femme, Jusqu'à la maison du fiancé étaient considé¬
chacun : chacun est à la fois acteur et spec¬ les marieurs s'en vont chez lui ; parfois rés comme dangereux. Ceux qui partici¬
tateur. Il n'était pas rare que l'on fasse venir c'est la fiancée qui vient elle-même offrir sa paient à la noce s'efforçaient donc de se
à la noce des musiciens professionnels, des main. La cérémonie de l'accord s'achève préserver contre les "mauvaises gens" sus¬
pleureuses, un ordonnateur principal, une par les fiançailles ; les futurs mariés ceptibles de leur jeter un mauvais sort.
guérisseuse qui protégeait les jeunes s'apprêtent pour la noce et réunissent les Chez les Slaves orientaux, par exemple, de L
mariés des maléfices, ou encore un boute- invités. nombreux récits racontent comment des"

15
Les cent
baisers

Les "Luboks", ou gravures


populaires apparues au 17* siècle
en Russie sont instructives,
humoristiques, souvent
féeriques. Elles étaientdiffusées
à travers tout le pays par des
marchands ambulants. A gauche
ce "lubok" décrit un mariage
paysan : oncle Démiane adjure
les fiancés de "rendre la vodka
moins amere" et les invités
scandent les cent baisers que les
fiancés doivent échanger ; les
enfants perchés sur le poêle
pensent que croquer des
noisettes est beaucoup plus
drôle. A droite, un gâteau de
mariage significatif : Adam et
Eve devant l'arbre de vie.

, sorciers ont transformó en loups des noces saute par-dessus, on frappe la terre de bran¬ enchanteresses et les démons. Ce jour-là,
entières... ches en feu, on s'ébat... Cette nuit-là, à d'après les anciennes croyances, la sorcière
Un des actes rituels fondamentaux dans l'aube, on ramasse des herbes et l'on se pouvaient venir et prendre le lait des
raconte la légende de la "fleur de fougère" vaches. Aussi les Poléchtchouks posaient-
le mariage est le changement de coiffure de
(les fougères n'ont pas de fleurs) dont la Ils des orties sur le rebord des fenêtres et
la fiancée : la jeune épousée reçoit sa coiffe
rencontre porterait bonheur... sur le seuil de la maison : ainsi la sorcière
de femme mariée.
s'y piquerait et s'en irait.
Le cortège menant les jeunes mariés au lit Les farces des jeunes villageois, qui se
nuptial se déroule habituellement dans la sont conservées jusqu'à nos jours, sont très Lea Slovaques apprécient (a vertu des
maison du fiancé. Mais cette nuit-là, les curieuses et strictement déterminées par le herbes ramassées la nuit de la Saint-Jean :

mariés la passent en général dans un local rite. Les jeunes bouchent par exemple la
non chauffé : un appentis, une grange ou cheminée pour que la fumée se répande
une étable I dans la maison lorsqu'on allume le poêle.
Ou bien ils enlèvent les battants d'un portail
Le jour suivant est consacré aux jeux et
et les jettent dans le potager voisin. Ou
au rire. On taquine les jeunes mariés, on
encore ils tirent un seau d'eau du puits,
inflige des punitions aux marieurs. Les gens
avec une chaîne, et tendent la chaîne en tra¬
de la noce parcourent le village déguisés vers de la route...
les hommes habillés en femmes et vice¬
versa. Ou bien l'on se déguise en tzigane... Tout comme les sauts par-dessus le feu
Parfois, par exemple dans la région du ou les branches brûlantes battant la terre,

Polzssié biélorusse, on joue une vaste paro¬ ces farces avaient autrefois une significa¬
die des moments principaux de la noce. tion rituelle (conjuration des démons, puri¬
fication, fertilisation). Par la suite, elles
La dernière partie du rite nuptial com¬ n'ont plus été qu'amusement. Tout le vil¬
porte enfin la toilette rituelle des jeunes lage est alors en fête et personne n'y dort.
mariés dans le bain après la nuit de noces,
En Pologne, sur le cours inférieur du Bug,
les épreuves rituelles de la jeune maîtresse
la veille de la Saint-Jean, les jeunes filles
de maison et les visites de tous les parents
posent sur l'eau des petites plaques de bois
les uns chez les autres, pour des repas.
rondes portant des bougies allumées et de
petites couronnes de fleurs ; elles y lisent
Encore aujourd'hui, dans la région du
l'avenir : si les ronds se mettent à tourner, il
Polzssié, on célèbre en été. le 7 juillet (du
nouveau calendrier), une ancienne fête y aura une noce l'année prochaine, sinon il
n'y en aura pas. En Ukraine et en Biélorus¬
slave la fête d'Ivan Koupala. Elle corres¬
sie, on lance des couronnes et on lit l'avenir
pond à la Saint-Jean du calendrier religieux.
dans le mouvement des couronnes.
Cette fête s'accompagne d'un rituel pitto¬
resque qui s'est conservé depuis l'époque En Slovaquie, ce même soir, les jeunes fil¬
païenne, bien que la hiérarchie ecclésiasti¬ les creusent un trou dans la terre, de leurs
que l'ait toujours combattu avec acharne¬ pieds nus, puis y mettent du sucre et du
ment.
pain. A l'aube, elles regardent ce qui s'est
La veille de la fête d'Ivan Koupala, à la produit : si le sucre et le pain sont intacts,
Au moment de Noël, un spectacle
tombée de la nuit, on allume de grands feux elles resteront vieilles filles ; s'ils ont dis¬
religieux très spécifique, appelé "Hérode",
sur la rive d'un fleuve ou sur les collines. Le paru, elles doivent se préparer à mourir. Si
est toujours au c des coutumes
plus souvent, on en allume trois. Aupara¬ l'on y trouve des fourmis, elles épouseront
populaires polonaises. Il se déroule autour
vant, les garçons et les filles ramassent des un brave jeune homme ; s'il s'y trouve un
de la naissance du Christ et de la venue
tas de bois morts et de la paille... Parfois, ils étourneau, ce sera un veuf.
des Rois mages. Les principaux rôles sont
font un mannequin de paille qu'ils brûlent Tout comme les Poléchtchouks (les habi¬ confiés à Hérode, à la Mort et au Diable.
ensuite ou qu'ils noient dans le fleuve. tants du Polzssié) et d'autres Slaves de Ici, ensemble de chant et de danse de
Le feu brûle jusqu'à minuit ou jusqu'au l'Est, les Slovaques se préservaient, le jour Kachoubie, dans le traditionnel spectacle
matin. Quand il est près de s'éteindre, on de la Saint-Jean, contre les sorcières, les de "Hérode".

16
ils disent que, ce Jour-là, les herbes crient
sans qu'on les entende : "Et moi aussi,
prends-moi I Et moi aussi, prends mol I".
Chez les Serbes, cette fête s'appelle la
"Saint-Jean Cueilleur d'herbes". Les Bulga¬
res, le "jour de Jean", ramassent des her¬
bes et protègent les vaches et les champs
contre les sorcières qui tentent de s'empa¬
rer du lait et des récoltes ; et les jeunes filles
interrogent alors l'avenir sur leur promis. Ce
jour-là, selon les Bulgare», Enio (Jean) a Jeté
une houppelande sur ses épaules car on va
vers la neige.

Le jour du solstice d'été. Croates et Slovè¬


nes allument eux aussi des feux. Ainsi cette
fête populaire réunit-elle les Slaves et les
autres peuples d'Europe. Au Moyen-âge, en
France, c'est le roi lui-même qui allumait un
feu la nuit de la Saint-Jean. Les feux Illumi¬
naient aussi la nuit de la Saint-Jean au
Danemark, en Italie, en Ecosse, en Angle¬
terre (à Londres, ils furent Interdits en
1539).

Là où s'accomplit encore le rite du bain,


les habitants Ignorent le sens et la destina¬
tion magiques que .ce rite avait à l'origine.
Mais ils se réjouissent de la lumière du
soleil, ils se réjouissent du feu, de l'été, de
la récolte, des fleurs et des herbes et regar¬
dent l'avenir avec espo.ir. Tout comme s'en
réjouissent leurs lointains ancêtres slaves
qui s'efforçaient d'avoir prise sur les forces
de la nature, sentant qu'ils étalent les
enfants de cette nature, les enfants des
bois, de l'eau, du soleil.
A. Gura

O. Temovskaya et N. Tobtol

17
Page de droite

Contraste saisissant entre ces deux expressions plastiques de la Fol en


S £
pays slave : d'un côté, un sentiment aigu de la distance qui sépare la
£ E
terre du ciel, donnant au sujet représenté un caractère métaphysique. De .a 3
3 C

l'autre, un art expressionniste, chargé de chaleur vivante. A gauche, le o a


£C a;
Sauveur, Icône hiératique exécutée entre le 11* et le 13* siècle. Repeinte à '£
"O ©
diverses époques, elle apparaît Ici, pour la première fols, dans sa version
originale. La découverte de cette icône, demeurée cachée pendant des < g>

siècles, est fondamentale : en effet. Il n'existe que deux ou trois icônes 1!


semblables en Russie. Elle a été restaurée par les soins du Musée 5 u
© iï
Roublev en 1976-77. A droite, détail d'un personnage du grand retable de
o o

l'église de Notre-Dame de Cracovie, en bois polychrome de Wit Stwosz, o S


-C £
oeuvre exécutée entre 1477 et 1489. a. a.

Etonnantes découvertes
des restaurateurs russes
Grâce aux patientes recherches des restaurateurs, on peut découvrir
aujourd'hui de véritables chefs-d'èuvre de la Russie ancienne. Plusieurs
fois repeinte, rénovée et mise au goût du Jour souvent très
grossièrement à diverses époques, une icône, couverte de suie et de
vernis, noircie, peut, une fois débarrassée des couches de peinture
surajoutées, redevenir un chef-d'tuvre. Les travaux de restauration des
icônes ont débuté à la fin du siècle dernier. Des méthodes scientifiques
sont certes utilisées, mais l'intuition et le talent du restaurateur
demeurent les garants du succès de l'entreprise, comme le souligne le
maître-restaurateur russe Savely Yamchikov. A titre d'exemple, les
photos 1, 2 et 3 nous montrent trois phases successives de la restauration
de l'Apûtre Paul, Icône du 16* siècle, restaurée en 1970-73 par I. Gromova
aujourd'hui au Musée de laroslav-Rostov.

SUITE PAGE 21

Photos S. Zimnokh © Editions d'Art figuratif, Moscou

18
SUITE DE LA PAGE 18

Autre métamorphose (à droite), due aux


restaurateurs : comment imaginer sous la
laideur de ce repeint, une Icône du 13*
siècle, consacrée à l'Assemblée de
l'Archange Michel, restaurée durant 7 ans
(1962-1969) par Mme Baranova. Cette Icône
se trouve maintenant au Musée russe

d'Etat de Leningrad. Magnifique exemple


de restauration également : le Sauveur
(voir page 19), Buvre magistralement
restaurée par M. Baroudzine.

Un grand moine artiste


Parmi les maîtres de l'Ecole de Moscou, ¡I faut nommer au ordinaires des hommes. Cette icône provient de l'Eglise de la
premier rang Andreï Roublev (1370-1430). Ses Icônes, et en Dormition de Zvenigorod, près de Moscou. Elle est aujourd'hui
particulier La Trinité et Le Sauveur son des chefs-d' de la conservée au Musée Trétiakov de Moscou. Ci-dessous, à gauche
peinture mondiale. Pureté morale, profonde poésie, perfection miniature* du 16* siècle montrant Roublev décorant les murs de
des rapports chromatiques, trouvent leur plein épanouissement l'Eglise du Sauveur au Monastère Saint-Andronikov où Roublev
chez Andréï Roublev. ¿'éloignant de la sévère contemplation vécut ses dernières années. Le Musée Andreï Roublev est installé

byzantine, l'icône du Sauveur (ci-dessous à droite) se définit par dans la collégiale de ce monastère.
un air de calme concentration capable de susciter les émotions

Page de gauche

Les frères Boris et Gleb

Icône du 14* siècle, conservée à la galerie Trétiakov de


Moscou. Ces noms, célèbres dans l'histoire de la Russie
ancienne, sont ceux de deux princes qui moururent
tragiquement en pleine jeunesse, de la main du prince
Sviatopolk, leur frère aîné. Leur culte fut très répandu dans
la Russie du 11* au 13* siècle. Nombre d'églises leur sont
consacrées et leurs visages sont peints sur beaucoup
d'icônes. Autour de Boris et Gleb, scènes de leur vie
et de leur mort.

Photo © APN, Paris


Les grands courants spirituels
entre Byzance et le monde slave
par Dimitr Anguelov
et Gennady Litavrine

ENTRE la civilisation byzantine et ses slave atteignit une certaine maturité, où se s'établir avec les Russes après l'an 860.
voisins, l'interaction culturelle a été constituèrent des Etats, que des liens soli¬
Dans l'arsenal des diplomates et des
intense jusqu'au 12* siècle. L'Empire des s'établirent avec Byzance.
hommes politiques byzantins, la christiani-
byzantin était alors en effet le pays le plus Les premiers contacts historiquement sation était un des procédés les plus effica¬
avancé d'Europe et du Proche-Orient, attestés datent de la fin du 5° siècle, vers la ces. Selon l'époque, le lieu et les circons¬
l'héritier de la culture antique et hellénisti¬ fin des grandes migrations, Iqrsque les tances, elle pouvait paraître comme une
que. Il constituait le noyau d'une vaste aire populations slaves se -répandirent en condition préalable à l'expansion ultérieure,
dans laquelle la religion orthodoxe était la Europe orientale, en Europe centrale et comme un moyen de s'assurer une neutra¬
forme dominante de la vie spirituelle. dans la péninsule balkanique. Au 7* siècle, lité amicale, d'affirmer une présence politi¬
L'aire du christianisme oriental se consti¬ les Slaves pénétrèrent dans le Nord de que, de se faire des alliés ou des vassaux...
cette péninsule et s'établirent de façon par¬ Avec les Slaves des Balkans, qui se trou¬
tua pour l'essentiel pendant les siècles
ticulièrement dense en Mésie, en Macé¬ vaient plus loin que les frontières des pre¬
entourant "l'an mil". Elle engloba alors les
doine, en lllyrie et en Thrace du Nord. Une miers Etats slaves, la christianisation fut un
vastes étendues de l'Europe balkanique et
partie des contingents slaves atteignit la moyen puissant de soumission et d'assimi¬
orientale, tout en perdant des territoires
Thessalie, la Grèce centrale, le Pélopon¬ lation. Les missionnaires précédaient
importants ailleurs, au Proche-orient et en
Afrique du Nord, à l'issue des conflits qui nèse et les îles de la mer Egée. . l'armée byzantine ; ils la suivaient aussi.
opposèrent Byzance au monde musulman La lutte acharnée de Byzance contre les
Les hommes d'Etat et d'Eglise de
(d'abord aux Arabes, ensuite aux Turcs). Slaves eut désormais pour but non de les
l'Empire avaient acquis une grande expé¬
Du côté de l'Occident latin et de la chasser, mais de les soumettre, d'en faire
rience de la domination sur les peuples
papauté, le schisme intervenu en 1054 fut des chrétiens, des sujets' obéissants de
vaincus. En répandant le christianisme
rendu manifeste par les croisades occiden¬ l'Empire. ,- - .
dans des pays et régions qui parlaient une
tales vers l'Est et vers Byzance. Progressi¬ Les contacts établis avec l'Empire, puis autre langue, ils accordaient aux néophy¬
vement, les traces de Byzance s'effacèrent la dissémination des populations slaves tes, contrairement à ce que fit l'Occident
sur les territoires perdus. Le temps et dans ces territoires, furent une sorte de latin, le droit de rendre les services religieux
d'autres civilisations les firent ensuite dis¬ catalyseur. Le développement social dans leur langue. Ils le faisaient en particu¬
paraître presque totalement. s'accéléra. Les Slaves occupaient des lier lorsque l'assimilation semblait politique¬
régions où l'on travaillait la terre depuis des ment impossible. ^ . {i,Í "''/'
Le destin du christianisme oriental dans
temps très anciens, où existaient une agri¬
les régions du Nord, où dominaient les Sla¬ La grande Moravie, qui avait devancé de
culture intensive et une vie citadine déve¬
ves, fut très différent. L'interaction cultu¬ deux ans la naissance du Royaume- Bul¬
loppée. La population locale ne fut pas par¬
relle entre Byzance et le monde Slave fut gare, fut en 863 la première à recevoir offi¬
tout, loin de là, repoussée vers le Sud.
particulièrement stable et constante. Elle a ciellement de Byzance le christianisme.
duré presque autant que l'histoire millé¬ L'implantation dans les Balkans eut aussi
de grandes conséquences sur le destin de C'est de cette période que date la. créa¬
naire de Byzance et a touché la grande
masse des Slaves. Seuls sont restés hors l'Empire lui-même. Les Slaves comblèrent tion de l'alphabet slave par les frères Cyrille
et Méthode. Ces derniers traduisirent aussi
de l'aire orthodoxe, suite aux événements le vide démographique qui s'était creusé
dans de nombreuses régions après les inva¬ en langue slave toute la littérature liturgi¬
des 9* et 10* siècles, les peuples slaves de
sions dévastatrices des Goths, des Huns, que et canonique nécessaire au fonctionne¬
l'Ouest (les Polonais, les Tchèques, les Slo¬
des Proto-Bulgares, des Avars et des Sla¬ ment normal de l'Eglise. Autour d'eux
vaques, les Polabes et les Baltes), ainsi que
ves eux-mêmes. s'agrandit peu à peu un cercle de disciples
les Croates et les Slovènes, tous intégrés à
et d'élèves slaves.
la sphère du christianisme occidental. Les colons slaves de la Mésie, région
protégée par le Danube, la mer Noire et la Ces événements jouèrent un rôle révolu¬
Le développement des relations entre les
ligne des Balkans, se trouvèrent placés tionnaire dans le développement ultérieur
Slaves et Byzance fut très complexe. L'ini¬
dans des conditions particulièrement favo¬ de la culture en Bulgarie, en Serbie et dans
tiative des contacts venait en général des
rables. Là, avec la participation active et l'ancienne Russie. L'expansion de l'écriture
Slaves. C'est au moment où la société
sous la prédominance politique provisoire créée par Cyrille et Méthode à travers tous
des Proto-Bulgares du khan Asparuh, les pays slaves s'affirma à la fin. du 9* et au

DIMITR ANGUELOV, eminent historien bul¬ numériquement peu importants mais bien 10* siècle. Ce fut surtout le royaume de
gare est, depuis 1949, professeur d'histoire de organisés sur le plan militaire, apparut pen¬ Bulgarie qui joua un rôle d'initiateur dans la
Byzance à l'Université de Sofia. Membre corres¬ dant le dernier quart du 7* siècle le premier diffusion de cette écriture et de la littérature

pondant de l'Académie des Sciences bulgare, il Etat slave sur le sol byzantin : la Bulgarie. en vieux slave à laquelle elle avait donné
est l'auteur de nombreuses études spécialisées Byzance. établit avec elle des contacts naissance.
sur l'histoire de la Bulgarie et de Byzance.
étroits et constants pacifiques ou hosti¬ Au moment où la Bulgarie fut christiani¬
les.
sée, Byzance adopta toutefois une position
GENNADY UTAVRINE, eminent spécialiste Avec les Slaves du groupe serbo-croate, différente de celle qu'elle avait eue lors de
soviétique en matière d'histoire des relations
des relations politiques s'établirent à peu la christianisation de la Grande Moravie. En
entre Byzance et la Russie, est l'auteur d'un
près au milieu du 9* siècle, au moment où 865, la Bulgarie adopta le christianisme,
ouvrage fondamental en trois volumes sur
"l'Histoire de Byzance". Il est membre de la les Etats indépendants se formèrent à mais on ne mit à sa disposition ni ecclésias¬
rédaction de la revue soviétique "Byzantsky Vre- l'Ouest et au Nord-Ouest de la péninsule. tiques de culture slave, ni traductions des
mennik" ("L'époque byzantine"). Des relations semblables commencèrent à livres d'Eglise en langue slave. Dans ce

22
pays slave, l'office devait être fait en grec.
Ici se dévoilait un projet bien précis des
hommes politiques de Byzance.

En 893 toutefois, la langue grecque, qui


était restée de longues années la langue
officielle, est proscrite. On introduit à
l'Eglise le service religieux en langue slave,
et les ecclésiastiques grecs sont écartés.
L'activité féconde des écoles, organisées
sous la direction de Clément et de Naoum

en Okhride et à Preslav, eut pour résultat


d'élargir considérablement le cercle de
l'instruction. Ainsi furent posées les bases
d'une culture autonome qui atteignit un
haut niveau pour l'époque. De Bulgarie,
elle se répandit dans les pays slaves voisins
et surtout en Serbie et en Russie.

La Bulgarie eut même son "Siècle d'or"


en littérature. A cette époque sont attachés
les noms d'écrivains de talent comme Jean

l'Exarque, le Moine Vaillant, l'évêque Cons¬


tantin et d'autres, dont le Tsar Siméon
(893-927) encourageait personnellement
l'activité. Le fait que la langue écrite fût
proche de la langue populaire eut une
importance non négligeable pour le déve¬
loppement culturel de la Bulgarie. L'archi¬
tecture, la peinture, la mosaïque, la cérami¬
que, la verrerie et les arts appliqués prirent
à cette époque un essor considérable. Ce
développement connut une nouvelle phase
à la fin du 12* siècle et au début du 13* par
le renforcement des contacts culturels avec
Byzance, la Serbie et la Russie. A cette
époque, on observe un processus analogue
dans le développement culturel des princi¬
pautés serbes: Les monuments remarqua¬
bles de la culture serbe, notamment dans le
domaine littéraire, commencent à apparaî¬
tre au 12* siècle.

L'essor de la culture serbe est d'abord lié


à l'arrivée au pouvoir de la dynastie des
Nemanya, plus particulièrement au gouver¬
nement de Stephan (1196-1228) et à l'acti¬
vité de son frère Sava. Celui-ci fonda sur le
Mont Athos un centre de culture serbe, le
monastère de Khilandar, et par la suite
l'archevêché de Serbie.

Les contacts de la Russie avec Byzance


ne commencèrent à se développer vrai¬
Les peintures de l'église de Boïana, au pied de ment qu'un peu plus. tard. La Russie était
la montagne de Vitocha, au sud de Sofia en suffisamment éloignée de l'Empire pour
Bulgarie, comptent parmi les chefs d'oeuvre de que tout danger d'agression directe de la
la peinture du 13* siècle. Les peintures datant part de Byzance fût exclu. A travers
de 1259 se distinguent délibérément de l'art ,
l'alliance avec les Petchénègues, la diplo¬
byzantin. L'artiste bulgare des 13* et 14* siècles
matie de Byzance tentait de contrecarrer
aime une peinture réaliste et a une prédilection
pour les visages au type national accentué, les entreprises gu'errières de la Russie. Elle
comme en témoigne l'image de Saint Ephrem, ne parvint toutefois pas à couper les Rus- i
moine et ascète au visage émacié par le jeûne. ses de la mer Noire, ni à leur fermer l'accès j

23
, aux marchés de l'Empire. Avant même sa raissent dans ces domaines à la fois une

formation en un Etat unique, la Russie avait école artistique originale, un language litté¬
noué des liens commerciaux avec les colo¬ raire et un style bien particuliers. Les Slaves
nies de Crimée qui appartenaient à l'Empire ont assimilé les traditions de l'art et de la

(Chersonese et Klimata). Puis des Russes, culture païenne antérieures à la christiani¬


mi-marchands, mi-guerriers, s'ouvrirent sation ; ils ont transformé de façon créa¬
l'accès aux centres commerciaux byzantins trice les modèles byzantins et les ont adap¬
situés sur la rive Sud de la mer Noire. En tés à leurs goûts et à leurs besoins.
860 une flotille avait jeté l'ancre sous les L'influence byzantine apparaît moins
murs même de Constantinople. Byzance sensible dans les genres non religieux de la
cédait peu à peu à la Russie dans les domai¬ littérature, en particulier dans les chroni¬
nes économique et politique, tout en exer¬ ques, les didactiques et les descrip¬
çant sur elle une influence culturelle tou¬ tions de voyages ; moins sensible égale¬
jours plus grande. ment dans la musique et le chant, dans les
Dès les années soixante du 9* siècle, une arts appliqués, les arts de l'ornement, les
partie des notables russes adopta le chris¬ rites de fêtes, le vêtement et la décoration
des intérieurs. Dans le domaine de la vie
tianisme. Au début du 10* siècle, Kiev, la
capitale de l'Ancienne Russie, possédait spirituelle, relativement éloigné de l'idéolo¬
son église chrétienne, celle de Saint-Elie. gie religieuse officielle, se manifestent avec dans l'aire du christianisme oriental, la for¬
Au milieu de ce siècle, la veuve du prince éclat des traditions locales qui remontent
mation de cultures originales présentait des
Igor, Olga, qui régnait sur la Russie, revint aux temps les plus anciens. Aujourd'hui par
caractères qui contribuèrent encore plus
chrétienne de Constantinople qu'elle avait exemple, si l'on ne connaît pas les tradi¬
fortement qu'en Occident à ce processus :
visitée. En 989, la Russie adopta le christia¬ tions vivantes de la culture païenne slave,
la dépendance religieuse vis-à-vis de Cons¬
nisme comme religion d'Etat. on ne peut comprendre ni le contenu des
tantinople était moins grande que celle des
chants épiques serbes, ni le rituel des fêtes
pays occidentaux vis-à-vis de Rome.
La culture et la littérature bulgares, d'une populaires bulgares, ni la poésie épique (les
D'autre part, la langue des textes écrits et
très grande richesse à cette époque, jouè¬ bylines) de l'Ancienne Russie.
de l'instruction n'était pas le grec mais le
rent le rôle de médiateurs et de partenaires.
En outre, l'attitude sélective de la société vieux slave, familier à l'ensemble de la
Le développement culturel de la Russie leur
slave envers la culture byzantine joua un population en Bulgarie, en Serbie et en
doit beaucoup.
rôle de frein dans le processus d'emprunt Russie.
Dès le début de la christianisation, Vladi-, culturel. Dans une certaine mesure, cette
Cinquante à cent ans après la christiani¬
mir, grand prince de Kiev, utilisa l'écriture attitude avait de part et d'autre une cause
sation, ces pays possédaient tous une cul¬
slave pour organiser et le service religieux politique. Les Byzantins ne mettaient pas à ture littéraire et artistique originale. Lors¬
et l'administration. Les premiers cadres ins¬ la disposition des Slaves ce qui leur parais¬
que Byzance parvint à reconquérir un pou¬
truits à ces fins furent certainement formés sait dangereux pour des néophytes, par voir sans partage dans les Balkans, à liqui¬
avec l'aide des Etats orthodoxes slaves du exemple les traités théologiques récents der le royaume de Bulgarie, à soumettre les
Sud. contenant de nombreuses et âpres contro¬ principautés serbes, la conquête n'entraîna
Moins d'un demi-siècle après l'adoption verses. De leur côté, les cercles dirigeants pas une assimilation culturelle des Serbes
du christianisme, la Russie de Kiev entame des pays nouvellement convertis n'accep¬
et des Bulgares, ni même une transforma¬
taient pas ce qui leur semblait étranger et tion sensible de leurs traditions culturelles.
son propre essor culturel, lequel atteint son
nuisible, par exemple le fait d'appeler des
plus haut point au 12* siècle. L'instruction A cette époque, la culture originale des Sla¬
eunuques à la direction des affaires de
élémentaire se répand largement, ce dont ves était déjà formée. Le souvenir histori¬
l'Etat, ou encore la passion pour les cour¬
témoignent les centaines de textes sur que qu'ils avaient d'un Etat indépendant,
ses de chevaux.
écorce de bouleau que les archéologues leur littérature et leur écriture, leurs coutu¬
soviétiques découvrent chaque année et mes et leurs normes de vie, leur conscience
qui ont trait à la vie quotidienne. On cons¬ ethnique enfin, tout devint le drapeau
truit des palais et des églises monumen¬ d'une lutte armée pour l'indépendance poli¬
taux. La peinture et les arts appliqués sont tique. Dans les années quatre-vingt du 12*
florissants. Avec sa porte d'Or et sa cathé- siècle, la Bulgarie et la Serbie acquirent à
trale Sainte-Sophie, Kiev, au 11* siècle, nouveau leur indépendance en' tant
rivalise d'éclat et de grandeur avec Cons¬ qu'Etats.
tantinople.
Les conflits les plus âpres à l'intérieur de
L'influence byzantine est manifeste dans I la civilisation byzan¬ l'aire orthodoxe se produisaient précisé¬
la littérature édifiante, à caractère religieux tine fut ainsi filtrée, ment là où l'Empire byzantin tentait avec le
et moral, dans l'architecture de pierre, les plus d'acharnement de transformer l'asso¬
c'était surtout parce
mosaïques et la verrerie d'art, la peinture que certains de ses aspects paraissaient ciation culturelle, qu'il avait lui-même orga¬
d'icônes, la peinture monumentale, l'illus¬ inadmissibles. Les divers recueils de droit nisée, en un système politique et adminis¬
tration des livres. Mais un siècle ou un siè¬ tratif fonctionnant sous sa domination.
laïque composés du 8* au 14* siècle, large¬
cle et demi après la christianisation, appa ment diffusés en Europe du Sud-Est, furent Ainsi l'individualité culturelle, ethnique et
soumis ici, dans leurs versions slaves, à des historique des Slaves de l'aire orthodoxe
coupures, à des ajouts et à des modifica¬ excluait-elle leur assimilation à l'Empire dès
tions substantielles. En Russie, l'influence les 10*-11* siècles. Mais la formation de
du droit laïque byzantin demeura pratique¬ cette individualité fut sans aucun doute
ment imperceptible. Ici c'est la "Rousskaïa accélérée par l'adoption du christianisme;
Pravda" qui faisait la loi, c'est-à-dire un byzantin par ces peuples.
code juridique dont bon nombre de disposi¬
Il n'est donc pas fortuit que la sympathie
tions dataient de l'époque païenne.
profonde, et réciproque, qui liait les Slaves
Dans l'Occident latin du 9* au 12* siècle, du Sud et de l'Est au peuple grec se soit
des cultures .-originales se développèrent conservée durant de nombreux siècles. Ce
dans tous jes Etats les plus importants mal¬ n'est pas non plus un hasard si, après la
gré l'action de nivellement qu'exerçait le réduction de l'aire orthodoxe européenne
centre idéologique et religieux commun à consécutive à la chute de Byzance et des
tous ¡a papauté et malgré la domina¬ pays slaves du Sud, les peuples vaincus par
tion dans la vie religieuse, les écrits admi¬ les Ottomans ont tourné vers la Russie les
nistratifs, les sciences et la culture, d'une plus clairs de leurs espoirs.
langue unique et incompréhensible pour les D. Anguolov
masses : le latin. Dans les pays slaves et et G. Utavrine

24
Naissance d'un alphabet
Cyrille avec son frère Méthode entreprit la conversion des
Slaves au christianisme. A cet effet, il Inventa l'alphabet dit
"cyrillique". Il traduisit la Bible et les textes liturgiques grecs
en langue slavonne. L'usage de cet alphabet se répand en
Russie à travers la Bulgarie au X* siècle. Modifié au 17*
siècle, sous Pierre le Grand, il est devenu l'alphabet russe.
Cet alphabet est utilisé mâme chez certains peuples non
slaves comme les lakoutes, les Kazakhs, les Oudmourtes et
les minorités de l'Extrême Nord et de l'Altaï. Un certain
nombre de textes écrits sur des écorces de bouleau,
découverts à Novgorod en 1951, prouvent que
l'alphabétisation n'était pas réservée à une élite mais qu'elle
avait atteint depuis longtemps les couches populaires.
Photos (1). Manuscrit du 14* siècle. St Cyrille et St Méthode,
apôtres des Slaves, transcrivant les Saintes Ecritures en
langue slavonne. (2) Détail d'une fresque d'une façade
d'église du 13-14* siècle à Berenda, en Bulgarie, montrant

Photo © Ed. l'Artiste Bulgare, Sofia

St Cyrille le Philosophe. (3) Sculpture en bois du 18* siècle


représentant St Clément d'Okhride, compagnon et disciple
de Cyrille et Méthode. (4) Une lettre d'un petit garçon de
sept ans nommé Onphime, écrite sur écorce de bouleau il y
a 750 ans à Novgorod. Dans la partie supérieure, l'alphabet
suivi de dessins d'Onphime et de ses amis. Au-dessous, un
autoportrait d'Onphime terrassant un ennemi.

Photo © Courrier de l'Unesco. édition russe Photo © Ed. Littérature oour enfants. Moscou

25
IL Y A 1000 ANS

Le voyage d'Ibn-Fadlan
sur la Volga

L'homme russe découvre-t-il dans


l'espace quasi infini qui l'entoure une
forme de liberté ? De tous temps les
Russes ont sillonné la Russie et

navigué sur ses fleuves. La Volga,


longue de 3690 km, le plus long des
fleuves de l'Europe, était jadis
appelée Ra, dénommée Ityl au
Moyen-Age, c'est à l'heure actuelle la
principale artère fluviale russe.
A droite, figure de proue en bois du
18* siècle ornant les bateaux qui
naviguaient sur la Volga.

26
Ibn-Fadlan faisait partie de l'ambassade envoyée par
le Califat arabe de Muktadir auprès du tsar des
Bulgares de la Kama et de la Volga en 921. Il visita
la capitale des Khazars, Ityl, et la capitale de cette
principauté appelée "Grande Bulgarie". Cette
capitale se trouvait près de l'endroit où la Kama se
jette dans la Volga et ses ruines se sont conservées
jusqu'à nos jours. Là comme à Ityl,. il vit des Slaves.
Le texte que l'on va lire est extrait du livre intitulé
"Le Voyage d'Ibn-Fadlan sur la Volga" (sous la
rédaction d'I. Ju. Kratchkovski, M.-L., 1939).

Jf Al vu les Russes lorsqu'ils vinrent s'installer avec leurs mar¬ Quand les bateaux accostent, tout le monde sort de chez soi
chandises sur les rives de l'Ityl, et jamais je n'ai rencontré avec du pain, de la viande, du lait, de l'oignon et une boisson
des individus aux membres aussi parfaits : ils font penser à- chaude, puis s'approche d'un grand poteau placé là, lequel a un
des palmiers ; ils sont roux, n'ont ni veste, ni chemise, mais les visage pareil à celui de l'homme ; tout autour, il y a de petites effi¬
hommes portent une tunique dont ils enveloppent l'un des côtés gies et, derrière ces effigies, de grands poteaux sont fichés dans la
de leur corps et sous laquelle passe l'un de leurs bras. Ils ont tous terre. L'homme s'approche alors de la grande effigie et lève les
avec eux un glaive, un couteau et une hache dont ils ne se sépa¬ yeux vers elle en disant : "O, Seigneur I Je viens de loin, j'ai avec
rent jamais ; leurs glaives sont larges et ondulés, les lames sont de moi... tant de têtes de bétail, de zibelines, tant de peaux", jusqu'à
fabrication franque. Depuis le bout de leurs ongles jusquà leur cou, ce qu'il ait énuméré tout ce qu'il a apporté comme marchandises.
on peut voir peints des arbres verts, des portraits et d'autres cho¬ Puis il dit : "Je viens f offrir ce présent" et dépose ce qu'il a
ses. Toutes les femmes portent fixée à la poitrine une petite boîte apporté devant le poteau en ajoutant : "Je souhaite que tu
'de fer ou de cuivre, d'argent ou d'or selon la condition et la m'envoies un marchand avec des dinars et des drachmes qui
richesse de leur mari ; et chacune de ces boîtes porte un anneau m'achètera tout ce que je veux vendre et ne contredira pas cha¬
auquel est attaché un couteau. Elles portent au cou des chaînes cune de mes paroles" ; et il s'en va. Si la vente est difficile et dure
d'or ou d'argent, car, lorsque le mari a 10 000 drachmes, il fait une trop longtemps, il revient alors avec un autre présent une
chaîne à sa femme ; quand il en a 20 000, il lui en fait deux ; et, de deuxième, une troisième fois ; et, si ses désirs tardent encore à se
la même façon, chaque fois qu'il a 10 000 drachmes de plus, il réaliser, il apporte un cadeau à l'une des petites effigies en lui
ajoute une nouvelle chaîne à sa femme, ce qui fait qu'on en voit demandant d'intercéder pour lui : "Ceci est pour la femme de
souvent avec de nombreuses chaînes au cou. Mais leur plus belle notre Seigneur et ses filles", et il ne laisse aucune des effigies sans
parure, ce sont des colliers verts en argile, faits de ces perles que lui avoir demandé et l'avoir priée d'intercéder en sa faveur... Mais
l'on remarque parfois sur les vaisseaux : les hommes s'efforcent de la vente est souvent aisée et, lorsqu'il vend, il dit : "Mon Seigneur
se les procurer par tous les moyens, achètent une perle pour une a exaucé mon v il faut l'en récompenser". Et il prend un certain .
drachme, et les enfilent aux colliers de leurs femmes. nombre de b et de moutons, les tue, distribue une partie de la
Ils arrivent de leur pays et jettent l'ancré dans l'Ityl, qui est un aux pauvres et apporte le reste qu'il jette devant le grand
fleuve immense, et construisent sur ses rives de grandes maisons poteau et les petits tout autour ; puis il suspend les têtes des
de bois ; ils se groupent à dix, ou à vingt, ou davantage, dans la b*ufs et des moutons aux poteaux fichés dans la terre et, la nuit
même habitation. Ils ont chacun leur banc sur lequel ils s'asseyent tombée, les chiens viennent tout manger ; alors, celui qui a fait
pour commercer... cela dit : "Mon Seigneur a daigné venir manger mon cadeau".

27
Les Slaves
par Oljas O. Suleimenov

et

l'Orient
Un réseau millénaire

d'échanges culturels
et commerciaux

Un cavalier mongol, d'après un


dessin du 17* siècle. Les Mongols
rapportèrent nombre de produits
nouveaux dans les pays slaves,
notamment le boulier, le thé et
des produits médicinaux comme
la corne de biche et le ginseng.
Photo tirée du livre "Les Slaves et l'Orient", © Unesco, Paris

NOS connaissances sur les relations plus tardives. C'est là que l'on trouve les chure de la Kama), les embarcations des
les plus anciennes entre les Slaves premières mentions des Slaves. Les autres marchands orientaux remontaient vers le

et l'Orient ont pour source le folk: arabes des 8* et 9* siècles appelaient déjà le nord. Ce qui les attirait, c'étaient les riches¬
lore, les données linguistiques et archéolo¬ Don "le fleuve slave" et la mer Noire "la ses fabuleuses des pays septentrionaux et,
giques, les témoignages fragmentaires mer russe". Certains géographes arabes du en premier lieu, les fourrures : renard
d'écrivains latins. Mais, à partir du 6* siècle, haut moyen-âge donnaient une telle exten¬ argenté, zibeline, martre, hermine,
nous disposons de témoignages écrits très sion à l'ethnonyme de Slave qu'ils y castor... Ces richesses étaient fort appré¬
importants, même s'ils sont, sur ces con¬ incluaient aussi des peuples d'origine ger¬ ciées à Bagdad et à Boukhara, au Khorezm
tacts quelque peu disparates et morcelés. manique. et au Caire. Les poètes les célébraient ; et
Ils portent sur la période où les Slaves com¬ les rois, émirs et princes s'efforçaient de se
Ce n'était pas une simple erreur des
mencent à être bien connus à Byzance et surpasser les uns les autres par l'opulence
autres musulmans ; pas non plus le fait du
où, par l'intermédiaire des Grecs, on apprit des cadeaux venus des lointains territoires
hasard. Cela s'expliquait par la très grande
en Orient le nom même de "Slaves". du nord. On importait aussi d'Europe orien¬
extension et l'intrication des voies mar¬
tale la cire, le miel, et des esclaves.
Les traditions de cette période, ainsi chandes connues des peuples slaves et
d'ailleurs que les annales préislamiques, orientaux. Cela s'expliquait aussi par le rôle De leur côté, les pays slaves voyaient
nous ont été conservées par les chroniques décisif des peuples slaves dans les relations affluer les objets orientaux. Ils recevaient
entre Orient et Occident. en particulier des monnaies d'argent. Aussi
trouve-t-on encore de nos jours, sur tout le
A partir du 8* siècle, les pays du Califat
vaste territoire des Slaves de l'Ouest et de
OUAS O. SULEIMENOV, grand écrivain et arabe commercent de plus en plus avec les
poète du Kazakhstan (URSS) écrit ses l'Est, de nombreux trésors de monnaies
pays de l'Europe orientale et du bord de la
tuvres en russe et en kazakh. Auteur de 10 orientales remontant aux 8" et 9* siècles :
Baltique. Depuis le début, la navigation sur
volumes de poésie et de nombreuses études sur ce sont les témoins muets de relations
la Volga y joue un rôle considérable. En
les cultures slave et turque, il fait partie du commerciales animées.
groupe international de rédacteurs de l'Unesco passant par les riches cités commerçantes
pour la préparation de l'Histoire des civilisations d'Ityl (dans la région de l'actuelle Astra¬ Le commerce ne se limitait pas aux voya¬
de l'Asie centrale. khan) et de Bulgar (au sud de l'embou ges des négociants orientaux dans les terri-

28
Photo tirée de "Histoire illustrée de l'URSS © APN, Moscou

Un ancôtre du rouble : la

"grivna". Pièce d'argent qui


servait tout à la fois de

monnaie, de poids et
d'ornement aux temps de la
Russie Kievienne du 9* siècle.

Sur la Place Rouge, à Moscou,


un des plus beaux monuments
de l'art orthodoxe : la basilique
de Basile-le-Bienheureux.
Voulant perpétuer dans le
souvenir de son peuple une
victoire décisive qui ouvrait à
la Russie la voie de l'Oural et
de la Sibérie, Ivan le Terrible
ordonna de bâtir un monument
« de liesse et de
louange à Dieu ». L'impression
d'allégresse est donnée par la
vive polychromie, le
foisonnement de
l'ornementation, la géométrie
saccadée des lignes et des
arcs. Cette abstraction
singulière n'est pas sans
rappeler certains monuments
d'architecture orientale.
Photo © APN, Moscou

toires slaves. Les marchands slaves étaient ques et annales russes, polonaises et tchè¬ quée, me semble-t-il, par le réexamen criti¬
eux mêmes nombreux et bien connus dans ques composées aux 11* et 12" siècles (par que des idées reçues sur le rôle des peuples
les différentes cités du Califat arabe. Leurs exemple la chronique polonaise de Gallus turcs. C'est par l'intermédiaire de ces peu¬
vaisseaux descendaient la Volga et le Don Anonymus et la chronique tchèque de ples que, pendant fort longtemps s'est éta¬
Côme de Prague) contenaient des informa¬ bli l'essentiel des contacts entre les Slaves
en direction de la mer Caspienne et de la
mer Noire. De là, les marchands slaves tions sur les civilisations de l'Orient anti¬ et cette immense aire culturelle si diverse

transportaient leurs marchandises à dos de que : l'Egypte, l'Assyrie, la Médie, la Perse. que l'on nomme l'Orient.
chameau vers Bagdad. La chronique russe du début du 12* siècle, Les Turcs nomades et sédentaires
connue sous le nom de "Chronique de Nes¬ étaient les voisins les plus proches des Sla¬
L'essor des relations commerciales entre
tor", fait état de la voie commerciale qui, ves du côté de l'Est. Si les relations des Sla¬
les pays du Califat et les territoires slaves
par la Volga, mène à la mer Caspienne, et ves avec les Arabes, la Perse et l'Extrême
aiguisait l'intérêt des savants arabes à au-delà au Khorezm. L'ouvrage historique Orient ne sortaient pour ainsi dire pas, au
l'égard de ces voisins du nord. On trouve d'un auteur polonais du 15* siècle, Jan Dlu- moyen-âge, des limites du négoce, par
déjà nombre de faits intéressants concer¬
gosz, mentionne à plusieurs reprises les contre les contacts entre Slaves et Turcs
nant les Slaves chez les auteurs des 8* au
peuples de l'Orient antique et médiéval. étaient plus étroits et plus durables : il est
10* siècles. Les euvres des géographes et
Les tribus nomades belliqueuses qui impossible d'étudier l'histoire des formes
historiens arabes de cette époque contien¬
vivaient au nord des terres slaves, les Pet- étatiques, de l'économie et de la culture
nent ainsi des renseignements sur l'origine
chez les Slaves sans tenir compte du "fac¬
des Slaves, leurs relations avec les autres chénègues d'abord, puis les Polovtses qui
teur turc" (1).
peuples, leurs temples et leur religion, la vie firent souvent figure d'ennemis politiques
et les m des différentes tribus, les pre¬ des Slaves, ne faisaient pas obstacle aux Mais jamais une complète harmonie n'a v
miers Etats slaves. contacts culturels. Ils laissaient franchir régné dans l'histoire des civilisations, de r
leur territoire aux marchands slaves et
De leur côté, les Slaves puisaient leurs
jouaient parfois le rôle d'intermédiaires. (1) Le nom de Turcs recouvre tout un ensemble de tri¬
connaissances sur l'Orient autant dans
bus et de peuples, d'origines diverses, qui ont fait leur
l'information orale contemporaine que Actuellement, l'étude des relations cultu¬ conjonction vers les 6*-8* siècles en Asie du centre et du
dans les ouvrages historiques. Les chroni relles entre les Slaves et l'Orient est mar nord-ouest.

29
, leur formation et de leur développement. tié du 17* siècle, lorsqu'il fut reconnu défi¬
Bien souvent, les représentants d'un pays nitivement impossible d'arriver en Chine de
se rendaient chez leurs voisins non pas ce côté, "en raison des grandes banquises,
avec une caravane de marchandises, mais froidure et obscurité".

bardés de fer, le glaive à la main. Les con¬ Les contacts toujours plus intenses entre
flits entre peuples tournaient parfois à la peuples slaves et peuples orientaux, l'inté¬
tragédie pour l'un d'eux. C'est ce qui est rêt mutuel que ces peuples se montraient
arrivé aux Slaves de l'Est lorsque dévalè¬ eurent pour conséquence l'établissement
rent sur leurs terres, au début du 13* siècle, et le développement d'échanges culturels,
les nomades de la steppe conduits par l'interaction des cultures. Pour les noma¬
Batu-Khan. La Russie de Kiev s'effondra,
des orientaux, le fait même de fréquenter
ainsi que de nombreuses principautés rus¬ les peuples slaves a joué ainsi un grand
ses. Les Slaves de l'Est, en luttant contre le rôle. Les nomades empruntaient graduelle¬
joug tataro-mongol, firent obstacle à la ment à leurs voisins le mode de vie séden¬
marche de la Horde vers l'Ouest, mais leur taire.
propre culture dut se développer sous une
Cependant l'influence culturelle se faisait
domination étrangère pendant près de trois
souvent aussi par l'intermédiaire d'autres
siècles. D'autre part le désir de libération
contribua à l'unification de la Russie, à la peuples, et à travers tout un processus de
sédimentation où s'accumulaient quantité
formation d'un Etat centralisé, à l'appari¬
d'éléments provenant de différentes cultu¬
tion et au développement de nouvelles for¬
res. Et il n'était nullement obligatoire
mes culturelles. Les contacts des Slaves
qu'une telle influence prenne la forme de
avec l'Orient se poursuivirent même sous le
l'emprunt direct à une culture étrangère :
joug tataro-móngol.
beaucoup plus courants étaient l'emprunt
Après l'adoption du christianisme en créateur et la réélaboration.
Russie, la visite de l'Orient par les voya¬
Les Slaves, qui pratiquaient le travail de
geurs s'est faite très souvent sous la forme
la terre depuis les temps les plus anciens,
de "pèlerinage en Terre Sainte". Des récits
manifestèrent le plus vif intérêt pour l'agri¬
de pèlerins sur Constantinople, l'Empire de
culture des peuples orientaux. Le riz parvint
Byzance et la Palestine sont introduits à
en Europe des lointaines contrées de
partir du 12* siècle dans les chroniques rus¬
l'Orient par l'intermédiaire de Byzance et
ses. Il existait depuis le 11* siècle un quar¬
des Arabes : en Russie, on l'appelait le "mil
tier russe à Constantinople, où habitaient
sarrasin". Au 17* siècle, le tsar Alexeï Mi-
les marchands venus de Russie ; dans les
khaïlovitch fit faire près de Moscou un jar¬
monastères, des colonies de moines russes
se formaient. Certains de ces moines tra¬
din où l'on essayait de faire pousser les
plantes rapportées d'Orient. Les ambassa¬
duisaient dans leur langue les ouvrages
deurs de Russie s'efforçaient toujours de
grecs ou recopiaient les écrits slaves du
rapporter des pays orientaux de nouveaux
Embellie par la fantaisie, l'histoire de Sud et les faisaient parvenir à Moscou. On
l'expédition indienne d'Alexandre de spécimens de flore. Ils se virent plus d'une
y trouve la première mention de l'arrivée
Macédoine était très connue dans le fois chargés de se procurer en Chine des
des Turcs au Moyen-Orient.
monde slave. Ci-dessus, une tète d'ivoire, "arbustes à thé".
tout récemment découverte dans le village Depuis longtemps, l'imagination des Sla¬
On ramenait aussi d'Orient des animaux
de Vergina, en Grèce, semblerait être le ves était captivée par l'Inde. L'histoire de la
portrait du jeune Alexandre. campagne d'Alexandre de Macédoine, rares : lions, tigres, chameaux, éléphants.
Dès le 10» siècle, des chameaux avaient été
embellie par l'imagination locale, était
répandue chez les Slaves de l'Ouest et de amenés en Pologne : le prince Miesko 1"
l'Est : il y était question de la conquête en expédia un comme cadeau à l'empereur
d'une contrée fabuleuse appelée "Alexan¬ germanique. Au 16" siècle, le Shah d'Iran
drie". Les informations sur le "pays des offrit à Ivan le Terrible plusieurs éléphants.
merveilles" arrivèrent d'abord chez les Sla¬ En 1741, il en arriva d'un coup quatorze à
ves indirectement, surtout par l'Asie cen¬ Saint-Pétersbourg. On fit construire spé¬
trale, la Transcaucasie et la Perse. Le pre¬ cialement pour ces animaux exotiques une
mier voyageur russe à avoir vu l'Inde de ses "cour elephantine" où les soins étaient
propres yeux fut un marchand de Tver donnés par des cornacs indiens. Dans les
nommé Afanassi Nikitine : il y séjourna de villes et villages, la venue de ces animaux
1466 à 1472. Il a décrit son expédition dans exotiques s'annonçait de bouche à oreille.
un livre intitulé "Voyage au-delà de trois Leur aspect, modifié par l'imagination
mers". A la différence de beaucoup de populaire, trouva place dans la sculpture
voyageurs, Nikitine a su se rapprocher des sur bois des paysans qui ornaient leurs
Indiens, a bien appris à connaître le pays et isbas des images sculptées d'animaux
ses coutumes.
inconnus (voir l'article consacré à ce sujet,
p. 46 de ce numéro).
Au 16* siècle, lorsque commence l'épo¬
que des grandes découvertes géographi¬ On importait dans les pays slaves la pro¬
duction de l'artisanat oriental, et, en
ques, l'Europe est bouleversée par ce
Orient, on estimait beaucoup celle des
qu'elle apprend sur les trésors fabuleux de
l'Inde et de la Chine. Les Slaves se trouvent maîtres-artisans slaves. Ce n'est pas un

être alors sans doute le maillon le plus hasard si d'habiles ouvriers d'origine slave
se trouvaient à la cour de nombreux poten¬
important dans les relations commerciales
tats orientaux. Au 13" siècle, à Karakorum,
et culturelles qui se multiplient entre
l'Europe occidentale et l'Orient. Au début alors capitale de la Mongolie, travaillait
toute une colonie d'artisans russes. L'un
du 16* siècle, Guérassimov, ambassadeur
de Moscovie à Rome, présenta un projet de d'entre eux, l'orfèvre Kosma, fit pour le
recherche d'une voie maritime septentrio¬ khan Gujuk un trône et grava le sceau de
nale vers la Chine. Le tsar Ivan le Terrible, l'Etat dont on a conservé l'empreinte sur
une lettre du khan au pape.
Créatures fabuleuses, ces hommes-bâtes qui montrait de l'intérêt pour l'Orient, pro¬
sont les héros d'un texte biélorusse du 16* mit une forte récompense à qui parviendrait Les relations culturelles avec les pays
siècle, contant les épisodes de la vie en Chine par les mers du Nord. Ces tentati¬ d'orient jouèrent également un grand rôle
d'Alexandre. ves ne cessèrent que dans la seconde moi dans le domaine de la vie quotidienne.

30
L'histoire de la diffusion du thé est intéres¬

sante à cet égard. Les Russes virent du thé


pour la première fois en Mongolie, au cours
d'une réception chez Altyn-Khan en 1616.
On y fit boire aux envoyés de la Russie du
lait et du beurre fondu, et il se trouvait
dedans "des feuilles inconnues". Les
envoyés refusèrent d'abord de prendre du
thé comme cadeau pour le tsar. Ils y con¬
sentirent ensuite, et c'est ainsi que cette
boisson fit son apparition en Russie bien
avant d'être connue en Hollande ou en

Angleterre. Depuis, le thé a été longtemps


le principal article d'exportation de Chine
en Russie.

L'habitude de boire du thé, en même


temps que le mot chinois "tchai", s'est
répandue au 18" siècle de Russie en Asie
centrale, en Perse, en Turquie, en Syrie et
en Egypte. La théière qui, dans son pays
d'origine, la Chine, servait à réchauffer les
boissons alcoolisées, fut adaptée à l'infu¬
sion du thé. Pour faire bouillir l'eau, on uti¬
lisa le samovar, inventé en Russie. De nom¬
breux peuples d'Orient le connurent alors à
leur tour, et le samovar devint un objet très
populaire en Asie Centrale, en Turquie, en
Perse et dans les pays arabes. Au Kashmir
et ailleurs, il a conservé sa dénomination
russe.

Les Européens, et parmi eux les Slaves,


ont reçu des peuples orientaux bon nombre

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t ^fl K
iM t *-

Des de .connaissances scientifiques, entre


autres en mathématiques. Les chiffres que
nous employons sont toujours appelés ara¬
éléphants bes, bien que leur patrie soit en réalité
l'Inde. Les Slaves, de leur côté, manifes¬
et des
taient une grande curiosité scientifique
pour l'Orient. Pierre le Grand a corrigé de
ambassadeurs
sa main une carte inexacte de la mer Cas¬
pienne et de l'Asie centrale. Au 17" siècle,
Deux documents qui montrent
le Croate Krizanic offrit son ouvrage l'His¬
l'intérêt réciproque qui s'établit
toire de la Sibérie à Jean Sobieski, roi de
entre les Slaves et l'Orient. A
gauche, une encre de chine d'un Pologne, ce qui ne contribua pas peu à la
connaissance de l'Extrême-Orient chez les
Japonais montrant un
ambassadeur russe, Nicolai Slaves de l'Ouest.
Rezanov, en poste au Japon en
Les Slaves tenaient en haute estime la
1804 et nommant
minutieusement tous les détails médecine populaire orientale telle qu'elle
de son costume. Des animaux s'était constituée au cours de nombreux

rares : lions, tigres, éléphants, siècles. Inversement, les Slaves ont joué un
furent envoyés par des rôle important dans l'introduction de la
potentats orientaux à de hauts médecine scientifique en Orient. Ce sont
dignitaires slaves. Des éléphants des médecins russes qui, au milieu du 19*
en provenance de Perse
siècle, fondèrent le premier hôpital du
arrivèrent à Moscou et cet
événement fut commémoré
Japon. Le premier médecin de Mongolie
fut un docteur russe, P. Chastine. Ses
dans une gravure populaire (ci-
dessus) méthodes de soins se répandirent si bien
que, dans la langue mongole, les mots
"médecin" et "Chastine" furent longtemps
des synonymes.
Les contacts séculaires avec l'Orient ont

laissé leur empreintes dans les langues sla¬


ves. Les Slaves appartiennent historique- k
ment et génétiquement au groupe indo- f

31
W européen. Leurs langues conservent donc
' certains traits qui les rapprochent des lan¬
gues indo-iraniennes. Mais, en outre, il
existe dans toutes les langues slaves de
nombreux éléments lexicaux et grammati¬
caux d'origine orientale (en particulier tur¬
que), tandis que toute une série de mots
slaves a pénétré en Orient.

Sur le territoire des Slaves de l'Ouest se


sont conservés des sites où ont vécu des
Bas-relief de pierre
peuples orientaux anciens, par exemple des
provenant du Monastère
Karaïms. Et un épisode curieux s'est pro¬
des Grottes de Kiev,
duit en plein vingtième siècle : un orienta¬ montrant la déesse Cybôle,
liste polonais vint voir les Karaïms dans leur mère de tous les dieux dans
pays. Dans une maison, il lut à haute voix la mythologie grecque, sur
un très ancien dictionnaire polovtse ; il eut un chariot traîné par des'1
la stupéfaction d'entendre la fille du maître lions. Dans la Russie
chrétienne de Kiev au 11*
de maison, âgée de sept ans, donner des
siècle, on utilisait très
explications sur le texte. De génération en
souvent, pour orner les
génération se transmettait dans cette
églises, des motifs
famille une langue qui avait existé bien des
mythologiques copiés sur
siècles auparavant. des bas-reliefs antiques du
1" siècle avant J-C.
L'architecture slave a subi une forte
influence de l'Orient. A l'époque où elle se
constitue, la tradition byzantine y joue un
grand rôle. Par la suite, les bâtiments des
Slaves du Sud sont marqués de l'influence
musulmane introduite par les Turcs.
L'influence orientale est moins sensible
dans les pays slaves de l'Ouest, en Pologne
et en Tchécoslovaquie. Toutefois, on peut
voir même là, à côté des vieilles églises
gothiques, de nombreux monuments de
type oriental. En Ukraine et en Pologne,
des édifices ont été bâtis par des architec¬
tes arméniens.

Les motifs orientaux se sont renforcés


dans l'art architectural russe après
l'annexion des Royaumes de Kazan et
d'Astrakhan. Bâtie sous le règne d'Ivan le
Terrible sur la place Rouge, à Moscou, la
célèbre cathédrale de Saint Basile qui est
construite dans le style national russe, a
également emprunté certains éléments
orientaux.

On découvre aussi des traces d'échanges


avec l'Orient dans le folklore russe ancien :
certaines bylines
populaires) font
épopées turques.
(épopées ou rapsodies
partiellement écho aux
Dans certaines d'entre
KIEV
elles, on trouve des héros portant des
noms turcs et les événements décrits reflè¬
tent l'histoire des relations entre les "Bon¬
nets Noirs" et les Petchénègues. gardienne
Cet échange de nombreux éléments cul¬
des anciennes traditions
turels entre peuples slaves et orientaux n'a
pas eu pour seul effet un enrichissement
mutuel ; il a été un acquis de la civilisation de la culture slave
mondiale. De même qu'aujourd'hui on ne
s'étonne pas de voir un Indien en turban
dans les rues de Prague ou un Européen à
cheveux blonds dans la foule bruyante d'un par louri Asseev
bazar oriental, de même semble normal et
courant le fait qu'un satellite artificiel indien
soit mis sur orbite par une fusée soviétique
ou que se pratiquent sur les bords de la Bal¬
tique les méthodes de l'antique médecine
tibétaine.

Toute grande culture est le fruit d'inter¬


action et de croisements avec de nombreu¬

ses autres, grandes et petites. Les tentati¬


ves d'isolement ont toujours fini par une
dégradation. L'histoire en garde des exem¬
ples. L'emprunt créateur est une condition IOURI ASSEEV, architecte soviétique, profes¬
nécessaire du développement culturel. seur d'histoire de l'architecture, est l'assistant
Ollas SuMmaoov du Recteur de l'Institut d'Art de Kiev.

32
LJT ÉTAT d'ancienne Russie s'étendait La conscience d'appartenir à un pays tes rivières et tes sources vénérables, tes
de la mer Blanche à la mer Noire et grand et illustre se retrouve dans l'ouvrage montagnes escarpées, tes hautes collines,
des Carpates aux steppes arrosées du métropolite de Kiev, Hilarión : "De la loi tes chênaies touffues, tes champs merveil¬
par la Volga. Son essor commença au 10" et de la grâce". A propos des princes rus¬ leux, tes bêtes de toute sorte et tes oiseaux
siècle, après l'unification des tribus slaves ses, l'auteur s'exclamait : "Ce n'était pas innombrables, tes grandes villes, tes
de l'Est autour de Kiev. Il se prolongea jus¬ une mauvaise terre obscure qu'ils gouver¬ bourgs admirables, tes cloîtres, tes égli¬
que vers 1130. Alors, le développement de naient, mais la Terre russe qui est célèbre ses I..."

la féodalité entraîna un processus de mor¬ aux quatre coins de l'Univers".


cellement. C'est à" cette époque de La construction de villes, de forteresses

l'ancienne Russie qu'ont été réalisées lés L'adoption du christianisme en 989 rap¬ et de châteaux avait beaucoup d'impor¬

ruvres les plus importantes de l'art et de procha la Russie des pays du monde chré¬ tance. Ainsi se perfectionnait, se dévelop¬
l'architecture. tien et surtout orthodoxe. Ce fut une étape pait le talent des architectes russes. La
décisive pour le développement de l'art Russie étant un pays de forêts, la plupart
Ce fut "l'âge d'or" de l'art russe ancien.
russe ancien. L'écriture fut introduite en des édifices des premières périodes furent
Il est chanté dans les bylines et les cuvres construits en bois.
Russie à cette époque et le christianisme se
littéraires du temps. Le cycle de bylines qui
trouva ainsi adopté dans la propre langue
ijacontent la vie des preux de la Russie kié- du pays. Ce fait stimula considérablement La ville russe ancienne était constituée
vienne (llya de Mourom, Dobrynia Nikitich d'un centre fortifié (le "diétinets"), où se
l'originalité de l'art féodal, et en particulier
et Aliocha Popovitch) est très caractéristi¬
l'art religieux. trouvaient les résidences du prince, des
que à ce point de vue. Ces bylines, conser¬ boïars et de leurs gardes, d'une "ville péri¬
vées depuis des siècles dans la mémoire L'esthétique russe ancienne est remar¬ phérique" où vivait, à l'abri des remparts, la
populaire, montrent les vifs sentiments de quable par son caractère patriotique, qui a majeure partie de la population, et de
fierté et d'admiration que l'on éprouvait à marqué en particulier la poésie lyrique. "bourgades" (ou "koldy"), peuplées de
l'époque pour la grandeur et la puissance L'amour pour la terre natale, pour la nature marchands et d'artisans. Les villes les plus
de l'Etat kiévien.
du pays, est un leitmotiv de l'art russe importantes de Russie (Kiev, Novgorod,
L'art russe a trois sources essentielles : le ancien, et surtout de l'épopée. Les chroni¬ Smolensk, Tchernigov, Vladimir-
riche héritage culturel des tribus slaves de ques russes en sont imprégnées. C'est Volynsk...) comptaient aux 11"-12" siècles
l'Est ; les problèmes posés par les condi-, l'essence du célèbre "Dit de la campagne plusieurs dizaines de milliers d'habitants.
tions de vie et les exigences de l'Etat en d'Igor". Et dans le "Chant du désastre de la Elles comptaient parmi les plus peuplées
ancienne Russie ; l'assimilation de l'expé¬ Terre russe", l'auteur célèbre ainsi sa terre d'Europe.
rience artistique et ¡technique des autres natale : "O, terre russe, comme tu es
pays, et surtout da Byzance, gardienne des belle I Toutes tes beautés nous enchan¬ Ces villes étaient embellies par les i
grandes traditions de la culture antique. tent : nous enchantent tes lacs nombreux. ensembles de bâtiments en bois que for- 1

33
> maient les palais des princes et des boïars,
ainsi que par un grand nombre d'églises et
de monastères en bois et en pierre. A l'épo¬
que de la foire s'y rassemblaient des mar¬
chands venus d'Allemagne et du Khorezm,
d'Italie et du Califat, de Scandinavie et de
Byzance. Les marchands de Kiev, de Nov¬
gorod et de Smolensk faisaient de longs
voyage en mer. Grâce à ces échanges, les
objets d'art de nombreux peuples arrivaient
en Russie. Leur influence se faisait sentir
dans la variété des thèmes et des techni¬
ques, dans le niveau professionnel des
artistes.

Au 10» siècle, le niveau de la production


artisanale russe s'éleva fortement. A Kiev,
on recensait soixante métiers artisanaux.
Les bijoux de cette ville étaient particulière¬
ment réputés : le poète byzantin Tstétsis
les chante et Théophile de Paderborn, écri¬
vain allemand de la seconde moitié du 10°
siècle, auteur d'un grand traité sur la tech¬
nique de la joaillerie, les place très haut.
"Nulle part, nous n'avons rencontré
pareille beauté" disaient les étrangers qui
venaient à Kiev. Pour un "kolt" petite
parure de femme un maître artisan mon¬
tait jusqu'à 5000 petits anneaux de 0,06 cm
de diamètre et sertissait dans chacun d'eux

une perle minuscule de 0,04 cm. Sur 8 cm2,


Miniature datant de 1056 illustrant l'Evangéliaire d'Ostromir, gouverneur
un joailler faisant 120 petites fleurs en or
des terres de Novgorod. Elle représente Saint-Marc et fut découverte par
montées sur de fines tiges dorées...
hasard au 18° siècle dans la garde-robe de Catherine la Grande. Elle est
En 945, on mentionne pour la première conservée à la Bibliothèque publique Saltikov Tchédrine de Leningrad.
fois l'édification d'un palais en pierre. Mais
ce sera seulement à la fin du 10" siècle que
la pierre se répandra. Cette architecture Dès le 11* siècle, les contemporains furent émerveillés par la majesté de
montre déjà les particularités des techni¬ la cathédrale Sainte Sophie de Kiev, rivale de Sainte Sophie de
ques de construction russes, différentes Constantinople, et frappés par la beauté de ses fresques et de ses

des byzantines, et des formes architectura¬ mosaïques disposées selon une ordonnance précise, raisonnée.
A droite, détail d'une fresque d'inspiration nettement byzantine, datant
les propres à l'école russe ancienne. La
du 11* siècle : visite de la Vierge Marie à sa cousine Elisabeth, mère de
forme des coupoles qui couronnent les Saint-Jean-Baptiste.
églises est ainsi inspirée, selon de nom¬
breux chercheurs, par les casques des
guerriers russes. Elle semble tout à fait spé¬
cifique.
l'origine une surface beaucoup plus impor¬ au milieu du 11* siècle. A cette époque,
Le trésor le plus précieux de la Russie de
tante. sous l'influence de la féodalité qui se déve¬
Kiev est la cathédrale Sainte-Sophie. Sa
Des mosaïques couvrent les piliers, les loppe, certaines régions russes deviennent
construction, si l'on en croit la chronique
russe la plus ancienne, le "Récit des années voûtes et les murs de la nef centrale inon¬ plus puissantes, leurs centres s'agrandis¬
dée de lumière par la partie orientale. Elles sent et se construisent. On observe, dans la
passées" commença en 1037 à l'endroit où,
produisent un effet particulièrement saisis¬ politique des princes établis dans ces
un an plus tôt, laroslav le Sage avait défini¬
régions, une tendance à s'isoler de Kiev.
tivement écrasé les Petchénègues. Sous sant. La composition en mosaïque qui
les ajouts postérieurs et les surélévations représente l'Eucharistie et les Pères de L'influence de l'Eglise va croissant, la cons¬
l'Eglise dans l'abside centrale est exécutée truction de monastères prend de l'ampleur.'
des 17"-18* siècles, la cathédrale a parfaite¬
ment conservé ses formes primitives. de main de maître. Certains des personna¬ Pourtant, Kiev reste comme auparavant
ges : Saint Laurent, Saint Grégoire Pala- la capitale de la Russie. C'est de là que les
Edifiée en souvenir de la victoire rempor¬
, mas et Saint Jean Chrysostome, sont con¬ influences culturelles et artistiques se diffu¬
tée sur les Petchénègues et devenue le
sidérés comme des chefs d' de cet sent dans toute les terres de l'ancienne
symbole de la nouvelle unification de la
art.
Russie sous le pouvoir du prince de Kiev, la Russie. A cette époque se forme, à la Laure
cathédrale Sainte-Sophie est remarquable Il s'est conservé à Sainte-Sophie environ de Kiev (le "monastère des grottes"), un
par son architecture grandiose et harmo¬ 650 m2 de mosaïques. De l'avis du spécia¬ centre culturel important fondé sur l'art et
nieuse, ses vives couleurs intérieures, l'élan liste soviétique Viktor N. Lazarev, huit maî¬ sur l'architecture.

de ses formes. tres au moins ont participé à leur exécu¬ Avec ses coupoles d'or, ses mosaïques
Les deux tours où se trouvent les esca¬ tion. La richesse de leur palette apparaît et ses fresques, la cathédrale Saint-Michel
liers menant aux tribunes sont décorées de vraiment étonnante. On a recensé 177
(1107-1113) constitue un magnifique
fresques très intéressantes. De nombreu¬ nuances de couleurs différentes, parmi les¬ ensemble d'art monumental. Comme à
ses scènes représentent les divertissements quelles la couleur verte compte à elle seule Sainte Sophie et à la Laure, il y avait dans
princiers : luttes, courses, chasses, fau¬ 34 nuances, la jaune 23 et même la grise l'abside principale une grande composition
9...
conniers, mais aussi danseurs et musiciens. représentant la communion des apôtres.
On voit représentée sous les tribunes la A Tchernigov, la cathédrale du Sauveur, L' "Eucharistie" de Saint-Michel se dis¬
famille de laroslav le Sage : Anne, devenue commencée dans les années 1035-1036
tinguait sensiblement de celle de Sainte-
reine de France, Elisabeth, reine de Nor¬ selon la chronique, est un autre monument
Sophie. On sent ici une plus grande liberté
vège, et Anastasie, reine de Hongrie. célèbre de la Russie de Kiev. Son plan en
dans le groupement des personnages. Une
On a découvert à Sainte-Sophie, sous longueur la distingue de la cathédrale
plus grande attention est accordée aux
des inscriptions plus tardives, environ Sainte Sophie.
traits évoquant la psychologie desapôtres ;
2000 m2 de fresques du 11* siècle qui ont Une nouvelle étape dans l'art et l'archi¬ la gamme de couleurs se fait intense et
été restaurées ; ces fresques couvraient à tecture de la Russie kiévienne est franchie vive ; la linéarité est renforcée. Ces particu-

34
larités, aussi bien que les inscriptions, per¬ sculpture se limite à des motifs ornemen¬ rod. Des pêcheurs de Novgorod attrapè¬
mettent de reconnaître dans les mosaïques taux. rent un tonneau plein d'objets précieux
de Saint-Michel le pinceau de maîtres qu'Antoine, en partant de Rome, avait jeté
Novgorod fut également un centre archi¬
locaux. Certains chercheurs tiennent pour à l'eau. C'est sur ces trésors que fut érigé le
tectural important. Ses églises et monastè¬
l'un des auteurs de ces mosaïques un grand monastère.
res du début du 12* siècle ont été bien con¬
peintre russe qui vécut autour de 1100, servées jusqu'à nos jours : la cathédrale Malgré son caractère typiquement
Alipi. Saint-Nicolas-Thaumaturge (1113), les médiéval, cette légende recèle un fond de
La vie et les travaux d'Alipi sont racontés monastères Saint-Antoine (1117) et Saint- vérité : les affaires d'Antoine qui sont par¬
en détail dans le "Paterik" de la Laure de Georges (1119). On y voit d'une part venues jusqu'à nous proviennent effective¬
Kiev, recueil de récits consacré à ce centre l'influence d'édifices comme la Laure de ment d'Europe occidentale ; de plus la
d'un point de vue aussi bien religieux que Kiev : ce sont des monuments dont les légende reflète les contacts très étroits
culturel. Alipi, d'après le Paterik, ne pei¬ coupoles terminées par une croix reposent qu'avait Novgorod avec l'Europe occiden¬
gnait pas d'icônes "pour s'enrichir". Il col¬ sur six piliers. Mais on y reconnaît d'autre tale, contacts que l'on connaît bien, tant
lectionnait avec soin les vieilles icônes exé¬ part la tradition de la cathédrale Sainte- par les sources écrites que par les données
cutées par d'autres maîtres, et les restau¬ Sophie de Novgorod : formes puissantes, de l'archéologie.
rait. Ses propres suvres étaient si belles plastique sévère des façades et des tours, La peinture de chevalet russe de la fin du
que les anciens Kiéviens les croyaient pein¬ couronnement de l'église par trois ou cinq 10* siècle et de la première moitié du 11*
tes avec l'aide des anges et prêtaient aux coupoles. L'architecture de la cathédrale siècle ne nous est pas parvenue. Il est
couleurs qu'utilisait Alipi des vertus curati¬ du monastère Saint-Georges est particuliè¬ cependant fait mention, dans les chroni¬
ves. rement majestueuse. ques, des icônes qui ornaient les premières
La sculpture païenne nous est connue Dans la cathédrale du monastère de églises. Au 1 1* siècle et même au début du
Saint-Antoine (1125), les fresques ont été 12*, des icônes furent apportées de
par de nombreuses découvertes archéolo¬
giques et par les sources littéraires. On peut partiellement préservées. Elles rappellent Byzance en Russie en grande quantité. A
sans doute expliquer par l'attachement par leur caractère la peinture romane, mais ces modèles d'icônes d'origine byzantine
anticipent par certaines de leurs particulari¬ se rattache la célèbre Vierge de Vladimir,
qu'on lui portait, l'installation sur la place
centrale de Kiev des statues antiques rap¬ tés (leur manière libre et énergique) sur plu¬ qui joua un grand rôle dans le développe¬
portées de Chersonese par le prince Vladi¬ sieurs traits qui caractérisent la peinture ment de la peinture russe ancienne.
mir. novgorodienne des époques suivantes. Des icônes russes se répandirent dans les
Le fondateur de ce monastère fut pays voisins. Elles y étaient très estimées.
C'est sans doute pour cette raison que
Tel fut le destin de l'icône de Czestochowa,
l'église byzantine désapprouvait la sculp¬ Antoine le Romain. La légende dit qu'il
si célèbre en Pologne. .
ture à thèmes : à Sainte-Sophie de Kiev, à quitta Rome, traversa la Méditerranée et la
la cathédrale de Sauveur de Tchernigov, la Baltique sur une meule et arriva à Novgo L'art du livre et de la miniature atteignit I

35
un très haut niveau dans la Russie de Kiev.
On aimait depuis longtemps les livres en
Russie, on les conservait, on les ornait
richement. Comme le dit un chroniqueur
du 11* siècle, les livres, "ce sont des fleu¬
ves qui abreuvent l'Univers, ce sont des
sources de sagesse, car il y a en eux une
profondeur insondable".

Le plus ancien des livres russes est


I' "Evangile d'Ostromir". Il fut écrit en
1056-1057, à Kiev, par le diacre Grigori pour
Ostromir, posadnik de Novgorod. Ce livre
est orné de nombreuses enluminures, fleu¬
rons et miniatures qui représentent les
Evangélistes.

On trouve des portraits intéressants de la


famille du prince laropolk Izfaslavovitch
dans le "Code de Gertrude" composé entre
1078 et 1087. Le "Code de Gertrude" ou
"psautier de Trêves" est aujourd'hui con¬ Pages couleur
servé en Italie (à Cividale, Lombardie). Il fut
Page de droite
écrit en latin à la demande d'Egbert, arche¬
vêque de Trêves, à la fin du 10* siècle. Cent Icône représentant l'entrée de Jésus à
Jérusalem : ruvre majeure de l'Ecole
ans plus tard, le manuscrit échut à Ger¬
de Novgorod, datant de la fin du 15*
trude, princesse de Pologne qui avait
début du 16* siècle. L'art de Novgorod
épousé le prince de Kiev, Iziaslav larosla- atteignit son apogée au 15* siècle à
vitch, fils de laroslav le Sage. La nouvelle Moscou. Cette icône allie la spiritualité
propriétaire du manuscrit y fit ajouter toute de l'école de Moscou au colorisme
une série de miniatures, parmi lesquelles éclatant et expressif de l'école de
nous trouvons les portraits du fils d'iziaslav Novgorod. Les tours et les murailles
et de Gertrude, laropolk, et de sa femme censées représenter Jérusalem sont
Irène. celles de Novgorod. Jésus rassembla
des disciples parmi lesquels il choisit
La période historique de l'ancienne Rus¬ 12 privilégiés qu'il nomma Apôtres et
sie qui commence dans les années 1 130 est qui furent les témoins de sa vie. Il
habituellement appelée période du morcel¬ monte vers Jérusalem où de grands
tourments l'attendent.
lement féodal. C'est à cette époque que se
formèrent, dans certaines principautés, des Photo Bob Saler © Rapho, Paris

centres d'art et de culture unis par une


même tradition russe et reflétant aussi bien
Pages centrales
les tendances et les goûts locaux que les
caractères généraux du mouvement artisti¬ Etre peintre d'icônes était un

que de ce temps. Comme le dit l'académi¬ sacerdoce. Aussi ces peintres étaient-
ils des moines. Les deux plus grands
cien Boris A. Rybakov, "la Russie du 12*
peintres d'icônes furent Théophane le
siècle fut un peu le co-auteur des diverses
Grec (seconde moitié du 14* siècle) et
La cathédrale Sainte Sophie de Kiev, formes du style roman..." Andreï Roublev (voir page 21). Un autre
placée sous la double invocation de la grand maître moscovite fut Maître
Vers les environs de 1130, on cesse de
Sainte Sagesse de Dieu et de la Vierge
construire, comme cela se faisait dans la Denis, appelé aussi Dionysios (1440-
Marie, a été élevée en 1037 par laroslav le
1508). Il peignit avec un sens aigu de la
Sage ; admirable travail d'architectes et de Russie de Kiev, en mélangeant les maté¬
magnificence et de la splendeur et le
milliers de bâtisseurs anonymes. Elle était riaux (brique et pierre). Les architectes,
souci de l'esthétique. Il se rattache
surmontée primitivement de treize dans chacune des régions où ils'travaillent,
cependant à Roublev par une
coupoles symbolisant le Christ et ses utilisent les matériaux locaux. En Dniéprie spiritualité perceptible dans le dessin
disciples. Les toitures et les coupoles ont et en Volynie, on construit en briques ; allongé des personnages. Cette icône
été refaites en style baroque au 17* siècle.
dans les régions de Galitch et de Vladimir- de Maître Denis provient de l'Eglise de
Les fresques des escaliers illustrent des la Dormition, au Kremlin, Moscou ;
Souzdal, on utilise la pierre locale, le mar¬
scènes de la vie à la cour princière aujourd'hui conservée à la Galerie
scènes de chasses, acrobates, histrions
bre, et on orne les façades des bâtiments
Trétiakov, elle représente le
seul exemple que l'on puisse voir en de sculptures en pierre blanche : une
Métropolite Alexis tenant l'Evangile de
Russie de peintures de maurs dans un grande force d'expression est atteinte dans
la main gauche. Les scènes
sanctuaire. Ici, jeux de cirque à l'Instar de des chefs-d'euvre comme l'église de hagiographiques'se lisent de gauche à
ceux qu'on offrait à Noël à l'Empereur l'Intercession de la Nerl (1165) et la cathé¬ droite et de haut en bas. Elle a été
Constantin. drale Saint-Dimitri de Vladimir (1194-1197). peinte vers 1483.
Photo Bob Saler © Rapho, Paris
Les icônes de Dimitri Solouski à Dimi-
trov, celles de la Vierge de la Laure, celles
de la Dormition'de Novgorod sont de mer¬
veilleux monuments de la peinture des 12*
et 13* siècles (elles sont toutes conservées
à la galerie Trétiakov de Moscou).

Mais il y a une grande communauté de


caractère dans l'art russe ancien de la
période du morcellement féodal. Tous ces
arts régionaux ont la même source : l'art de
la Russie de Kiev. Cette culture a donc une
grande importance pour le développement
artistique ultérieur des peuples russe, ukrai¬
nien et biélorusse qui se constituèrent plus"
tard à partir d'un seul peuple russe ancien.

louri Assaev
Photo © Académie d'Art de l'URSS, Leningrad

36
5
Hilft i
Photos © Miodrag Djordjevic, Bibliothèque publique Saltikov - Tchedrine, Leningrad

L'Ecole de la Morava, âge d'or de l'art serbe

L'art
de la fin du Moyen-Age, a laissé les
témoignages d'un langage pictural humain,
parfois entièrement coupé des dogmes de
l'école de Constantinople. Sur les fresques,
les ¡cônes, les miniatures, on peut reconnaître
des gens du peuple, des visages proches et
familiers. Tels ces quatre Evangelistas (en
haut des deux pages), miniature exécutée par
Maître Radoslav provenant d'un Evangéliaire
serbe datant de 1429, conservé à la
Bibliothèque publique Saltikov Tchédrine
de la Morava
de Leningrad. Les quatre Evangelistas
écoutent la parole de Dieu que leur dicte à
l'oreille l'esprit de la Sagesse divine.
L'iconographie traditionnelle leur attribue les
animaux de la vision d'Ezéchiel et de
Une école de sensibilité et de grâce
l'Apocalypse, de gauche à droite : un bBuf
accompagne Saint-Luc ; un lion, Saint-Marc ;
dans la Serbie du 15e siècle
un ange Saint-Mathieu ; un aigle, Saint-Jean.

par Svetozar Radojcic

A gauche, détail de fresque du 14* siècle, dite


des "Sarrazins", provenant de l'Eglise de 1459, quand les envahisseurs turcs occu¬
f ART ancien de la Serbie commence
Saint Archange à Lesnovo, en Yougoslavie,
dans la province de Macédoine. Les L à s'épanouir vers la fin du 12* siècle.
Il entre en décadence à partir de
pent Smederevo, capitale de la dernière
principauté serbe. Cet art national va survi¬
Sarrazins, nom donné parfois aux Mulsumans
en Occident, eurent des contacts avec les
vre sous le joug ottoman jusqu'aux premiè¬
res décennies du 18* siècle. Quand les
Slaves du Sud, contacts souvent très SVETOZAR RADOJCIC, eminent historien
conflictuels. ' d'art, professeur d'histoire de l'art à l'Université Turcs se retireront du bassin du Danube,
de Belgrade, est l'auteur de nombreuses études les artistes serbes de l'époque du baroque .
Photo © Centre culturel Yougoslave, Paris et recherches sur l'art médiéval en Serbie. tardif vont adopter l'art "européen". y

41
> Auparavant, l'art de la Serbie faisait par¬ qui savait bien qu'elle courait à sa perte, en moines, les évêques, les prêcheurs sont
tie intégrante de la culture byzantine chré¬ témoigne largement. Cette école porte, représentés comme des "hommes célestes
tienne. Il a connu à ce titre un sort singu¬ dans l'histoire de l'art serbe ancien, le nom et des anges terrestres", tout en beauté
lier. d'Ecole de la Morava. extérieure et en perfection intérieure. Il
s'agit là d'hommes et d'un univers qui ne
Après la débâcle de "la grande Serbie" A partir du 12* siècle, la recherche esthé¬
pouvaient exister qu'en peinture, en littéra¬
en 1371 et l'extinction de la dynastie de tique serbe s'exerce toujours sur deux
ture et en musique.
Stefan Nemanjia, les familles princières des plans : la beauté extérieure et la beauté
Lazarevic et des Brankovic essayent de se intérieure. Ces deux tendances à caractères Cet art reflète largement le mysticisme
maintenir dans l'étroit territoire qui s'étend opposés, et de valeur inégale, vont attein¬ du christianisme oriental. L'émerveillement

entre la Save et le Danube au nord et les dre l'une et l'autre leur expression la plus devant la Révélation donne à l'expression
deux Morava au sud. (Ces deux rivières, éclatante sous le despotat serbe. Leur con¬ artistique une qualité quasi dramatique. Le
traste est surtout prononcé dans l'architec¬ sanctuaire est caché derrière une cloison
qui finissent par se joindre pour se jeter
dans le Danube, ne doivent pas être con¬ ture. architecturale à laquelle sont accrochées
fondues avec le fleuve homonyme, qui les ¡cônes : cette iconostase, à l'instar de
Les églises aux espaces intérieurs parfai¬
coule dans la Tchécoslovaquie actuelle et l'antique "scenae frons" des théâtres, a
tement conçus et aux façades somptueu¬
d'après lequel on désigne la vaste région de ses convenaient bien aux offices liturgiques trois portes occultées par de riches tentu¬
la Moravie). res : à des moments rituels précis, ces ten¬
et au faste spectaculaire des cérémonies.
tures sont soulevées. Dans les grandes égli¬
Sur ce territoire des Morava méridiona¬ Ces espaces allongés s'y terminaient en
demi-cercle, surmontés, en haut, par les ses, il y avait toute une décoration de la
les, où se livraient le combat entre le chris¬
conques de leurs absides et par les calottes pierre, jadis polychrome : de larges bandes
tianisme européen et l'Islam envahissant, le
ornementales, des arcades, de grandes
"despotat" (ce terme, emprunté à la hiérar¬ de leurs nombreuses coupoles : l'ensemble
rosaces et des bas-reliefs plats, surtout
chie princière de Byzance, ne comporte était adapté aux besoins d'une représenta¬
autour des fenêtres. Les motifs décoratifs
aucune acception péjorative) n'aura qu'une tion liturgique complexe, avec ses protago¬
sont d'une grande variété : des rubans
durée courte : entre 1402 et 1459, il est la nistes, ses deux ch et ses cortèges
entrelacés, des anges, des animaux fabu¬
dernière oasis de la chrétienté libre dans les merveilleux, tels qu'on les voit dans les
leux, des figures énigmatiques et au
Balkans. C'est l'époque où la Serbie méri¬ fresques de l'époque. Les compartiments,
milieu de tout cela, comme au monastère
dionale devient l'asile de myriades d'émi- passages et cloisons de ces églises étaient
non seulement fonctionnels, mais offraient
de Kalenic par exemple, le centaure Chiron,
grants venus de Byzance, du Mont Athos,
maître de musique d'Achille.
de Macédoine, de Bulgarie et d'Albanie. aussi une parfaite acoustique.

C'est là que convergent de nombreux Toute récente est la découverte de la


princes ayant perdu leurs terres, des évo¬ musique vocale qui, à sa manière complé¬
ques sans évêchés, des moines sans tait la beauté des églises de la Morava :
monastères, des seigneurs sans fiefs et c'est en effet seulement après la deuxième
sans châteaux, et, avec eux, une suite guerre mondiale qu'on a déchiffré les
nombreuse d'écrivains, d'architectes, de manuscrits serbes de la fin du 14* et du
peintres, de musiciens et de chanteurs, début du 15» siècle, comportant des anno¬
toute une population d'artistes vivant tations musicales, et que l'on a transcrit ces
autour des puissants et des riches de ce notations dans notre système d'écriture ANCIENNE opposition
monde. moderne. Deux cortèges souvent illustrés entre beauté extérieure

par les peintures anciennes la "Grande J et beauté intérieure


entrée" et la "Communion des apôtres" reparaît constamment dans les @uvres de
s'accompagnent désormais, en plus des l'Ecole de la Morava : dans son architec¬

paroles connues, d'une ambiance musicale ture, ses fresques, ses icônes, sa riche bro¬
qui donne aux gestes des personnages derie, son orfèvrerie et surtout dans ses
peints un rythme étrange, qu'on dirait infini miniatures. Les ornements servaient tou¬

H
une musique qui n'est pas de ce monde jours à exprimer une beauté extérieure qui
et qui imprègne les fidèles d'une foi cons¬ cachait les valeurs plus hautes, profondé¬
tante. ment mystiques et à peine perceptibles, de
la beauté intérieure.
Les personnages singuliers des "maîtres
TEFAN Lazarevic, fils de chapelle", aux vêtements richement Cette grande vision d'un monde parfait,
^^^^^Ä I du prince Lazare ornés et aux étranges tricornes blancs, évoquée à l'heure du péril le plus extrême,
iH tombé en 1389 sur le nous sont déjà familiers par les fresques les exerçait un attrait extraordinaire sur le
champ de bataille de Kosovo où les Turcs plus anciennes, remontant au milieu du 14* monde chrétien byzantin survivant : aux
l'emportent définitivement sur les Serbes, siècle : à partir de ce siècle, leurs noms intellectuels spiritualises qui, au 15* siècle,
est un représentant typique de son épo¬ mêmes nous sont connus Stefan, Isaija, erraient entre l'Italie et les steppes lointai¬
que : despote de l'empire byzantin et che¬ Joakim ainsi que les morceaux qu'ils ont nes de la Russie, elle apportait une pro¬
valier ayant prêté serment au roi de Hon¬ composés. messe.

grie, vassal du Sultan et commandant en Dans cette petite Serbie du 15* siècle, un
Mais la beauté de l'espace sacré et empli
chef d'une armée, guerrier et au surplus art à la fois seigneurial et monacal, né du
de musique s'agrémente également d'une
poète lui-même, il ralliait autour de lui, à sa contraste entre luxe et ascèse, a su faire
peinture murale nouvelle. La délicatesse
cour de Belgrade, un grand nombre d'écri¬ coïncider les deux types de beauté. Les
subtile des modulations musicales se
vains, car il aimait la littérature. Pour le flat¬ chemins de l'art européen se diversifiaient
retrouve dans les fresques. On renonce aux
ter, ses contemporains l'appellent "le nou¬ donc : alors que l'Occident reniait la pen¬
traits de pinceau puissants et roides. La
veau Ptolémée". Il est à l'origine de l'école sée et l'art médiévaux, l'Orient s'y tenait
dite de Resava, d'après le nom du monas¬
figure humaine, stylisée, d'une plasticité
avec persévérance. Il se montrait sceptique
tère qui en était le siège et de la rivière
marquée et ressemblant presque à une
à l'égard de la matière, de la nature et de la
sculpture, perd ses particularités d'individu
auprès de laquelle se trouvait le monas¬ raison humaine, et aussi envers la spiritua¬
terrestre.
tère : école non de simples copistes, lité de la fin de l'Antiquité, à laquelle il
comme on le dit à la légère, mais de "tra¬ La peinture de la Morava s'éloigne désor¬ empruntait pourtant son art : cet art où
ducteurs", ainsi que la désignent ses con¬ mais de ce qui caractérisait les fresques seule la forme ressemble à la réalité et n'est
temporains. anciennes. Elle reprend les techniques les en fait que symbole, allégorie spirituelle.
Or en même temps, une école, encore plus subtiles de la peinture sur bois : les Les écrivains qu'étreignent les Muses, dans
plus considérable, se formait sous les mouvements sont vus et fixés d'une les miniatures de Maître Radoslav, sont
mêmes auspices. On a dit parfois que l'art manière saisissante, cependant que les peut-être les meilleurs exemples de cette
était un produit de temps paisibles et heu¬ gestes restent doux et harmonieux. Dans culture traditionaliste complexe qui a donc
reux : rien de plus faux, et cette naissance cette peinture du despotat serbe, on repré¬ trouvé dans la peinture son expression la
d'une école qui enseigne la sensibilité et. la sente de préférence des scènes de la vie plus achevée.
grâce au milieu d'un temps de malheur et terrestre du Christ : les saints guerriers, les Svetozar Radojclc

42
DUBROVNIK
Porte ouverte sur le monde latin

par Vouk Voutcho

Photos Nenad Gattin © Presses universitaires Liber, Zagreb

Depuis la période médiévale, Dubrovnik, ville de Yougoslavie (Croatie), dressée sur un rocher sur la côte
dalmate, assurait le contact entre l'orient et l'occident. La ville eut beaucoup à souffrir d'un tremblement
de terre en 1667, qui détruisit partiellement le port et les remparts qui entouraient la vieille ville (ci-dessus
à droite). Il reste encore des vestiges d'une magnifique enceinte (vue aérienne ci-dessus à gauche).

LA septième décennie du 17" siècle Citoyens pouvaient penser que la douceur A cet instant, sous ce ciel pur et au bord
n'a pas été heureuse pour l'Europe. de leur Adriatique les protégerait toujours. de cette mer paisible, la terre se mit sou¬
Au long de ces dix années, toutes Cette ville, l'une des plus belles de son siè¬ dain à trembler. Dans un vacarme

sortes de catastrophes et de fléaux s'abatti¬ cle, s'était donné le nom de Dubrovnik et effrayant, en quelques instants, la ville
rent en vagues successives de Londres portait brodée sur son drapeau l'inscription entière se transforma en un amas de ruines.

jusqu'en Asie Mineure et de la Sicile aux Libertas. Tout ce qui faisait la fierté des habitants,
pays Scandinaves. Les guerres s'ajoutèrent les palais, les monuments, les églises et les
Le mercredi 6 avril 1667, le Mercredi
aux épidémies. Les victimes se comptèrent murailles, tout ce que le savoir, l'amour et
par centaines de milliers. Saint, vit le jour se lever sous un ciel d'azur la fortune avaient érigé au long des siècles,
et sur une mer calme. A huit heures du
tout s'écroula comme un château de car¬
Il se trouvait pourtant, sur la carte de
matin, le ciel était encore transparent ; la tes.
l'Europe, une ville orgueilleuse qui jouissait
mer léchait doucement le pied des fortifica¬
des progrès de la fortune et de la paix. Ses Le prince souverain de la République,
tions de la ville. Les gentilshommes déam¬
toute sa suite et les plus hauts fonctionnai¬
bulaient devant le palais en attendant la
res de l'Etat trouvèrent sous les décombres
cloche du Grand Conseil, l'assemblée qui,
une mort soudaine. Les trois-quarts de la
en cette veille de Pâques, devait gracier les
VOUK VOUTCHO, écrivain yougoslave, a étu¬ population de la ville partagèrent ce destin.
condamnés. Dans la chapelle du palais, en
dié la mise en scène de théâtre, cinéma, radio et Sur l'île voisine de Lopud, frappée elle aussi
présence du Prince et des grands dignitai¬
télévision à l'Académie de Belgrade. Auteur de par le séisme, quatre cents seulement des
res, la cérémonie religieuse s'achevait. Les
poèmes, nouvelles, essais et critiques, notam¬ quatorze mille habitants survécurent.
ment sur les arts du spectacle. A publié en derniers mots de l'évêque furent de recon¬
France aux Editions du Seuil "Les voleurs de naissance pour la prospérité et la paix qui Un malheur n'arrive jamais seul. Après le
feu". Actuellement rédacteur en chef de régneraient longtemps encore sur la petite tremblement de terre, l'incendie et le raz-
DANAS, revue des Yougoslaves en France. République. de-marée, survinrent les pillards. Des

43
, semaines durant, ils dépouillèrent les cada¬
vres et les ruines. Tous les ennemis de
Dubrovnik, qui jusqu'alors n'avaient pas
osé toucher à la puissante forteresse, se
trouvèrent soudain à ses frontières pour la
curée, sur le continent comme à l'entrée
des ports.

La chronique de cette ville est celle de


perpétuelles renaissances. La catastrophe
qui venait de s'abattre sur Dubrovnik ne
constituait pas le premier de ses malheurs.
Deux siècles plus tôt à peine, la ville avait
déjà vécu et surmonté un tremblement de
terre meurtrier auquel s'était ajoutée une
épidémie de peste. Déjà sa population avait
été décimée. Mais les fureurs de la nature
et d'un destin contraire furent impuissants
à faire disparaître cette ville. Dubrovnik
resta une cité incomparable.

Nombreuses sont aujourd'hui les villes


du monde qui peuvent s'enorgueillir de leur
cosmopolitisme, de posséder un esprit qui
stimule l'interpénétration de cultures hété¬
rogènes. Il en existe pourtant très peu où
l'héritage culturel de l'Est et de l'Ouest ait
conduit à un tel enrichissement mutuel.
Cette ville n'est pas remarquable seulement
pour sa force vitale et sa résistance aux
épreuves. Elle fait penser à une sorte de
gemme polie pendant des siècles à la fois
par l'Orient et l'Occident.

Au moment de la grande invasion de la


Dalmatie par les Avaro-Slaves, vers 614
après J.C., le bourg d'Epidaurus qui porte
à présent le nom de Cavtat, non loin de la
Dubrovnik actuelle, fut rasé jusqu'au sol.
Les rescapés de ce massacre, si l'on en
croit la tradition, fondèrent alors sur la côte
rocheuse, à deux heures de marche à peine Mer Noire et, au nord, parvenaient tives pour déclencher une guerre ouverte
plus au nord, une nouvelle colonie qu'ils jusqu'en Angleterre d'où ils s'élançaient contre Dubrovnik avortèrent. De puissants
baptisèrent Ragusium. toujours plus loin sur l'Océan. Au début du protecteurs accouraient chaque fois au
Le nom est issu d'un mot latin désignant 13" siècle, la flotte avait grossi et la petite secours de la République, les tsars des Sla¬
République disputait efficacement à Venise ves comme les rois des Latins.
un escarpement. Au voisinage immédiat de
cet établissement latin se trouvait une colo¬ l'hégémonie des mers. Enfin, grâce à sa Enfin, après deux siècles d'alarmes, il se
diplomatie et à son habileté, Dubrovnik
nie spécifiquement slave appelée Dubrov¬ trouva un souverain serbe pour compren¬
était devenue au 14* siècle une capitale
nik, ce qui signifie la forêt. La lente fusion dre la grandeur de cette ville. Le tsar serbe
maritime.
de ces deux colonies en une ville unique fit Dusan, grand homme d'Etat et encore plus
disparaître graduellement l'antagonisme L'aridité naturelle de son arrière-pays grand envahisseur, choisit de remplacer
des deux populations, de sorte que la dou¬ poussait nécessairement la ville aux échan¬ l'épée brandie par la main tendue. Comme
ble cité de Ragusium-Dubrovnik se fondit ges marchands, ce qui explique que les autres souverains slaves, comme tous
au début du 13* siècle en une véritable Dubrovnik devint rapidement le principal les Slaves, Dusan était hanté par Dubrov¬
communauté ethnique. comptoir commercial de la péninsule balka¬ nik. Mais dans son esprit, paradoxalement,
nique, joua un rôle en Italie même, ainsi ce joyau était une relique. A peine cou¬
Sous l'expression de communauté ethni¬
que dans les autres pays de la Méditerra¬ ronné tsar, Dusan, en 1346, partait en
que, il faut entendre ici une coexistence
née. Le déplacement du trafic maritime de ambassade de paix vers Dubrovnik.
ethnique, culturelle et religieuse qui sub¬
cette mer vers l'Océan Atlantique ne porta
siste aujourd'hui encore. Ce fut un de ces moments comme l'His¬
pas un préjudice notable à l'activité com¬
Dubrovnik sut au cours de sa longue his¬ toire n'en offre que rarement. La rencontre
merciale et économique de la ville. C'est
du tsar Dusan et du patriciat de Dubrovnik
toire transformer ses handicaps en avanta¬ pendant le 16* siècle et la première moitié sous les lambris dorés de la salle du Grand
ges, faire de sa pauvreté native un trésor, du 17* qu'elle connut l'apogée de sa pros¬
Conseil marquait un tournant décisif dans
apaiser les belliqueux, réconcilier les diver¬ périté. l'évolution de l'Etat serbe et de tout le
ses religions comme les intérêts économi¬
Depuis toujours, Dubrovnik achetait très monde slave. Avec elle une voie nouvelle
ques opposés... en faisant le plus vaste
cher sa liberté aux Vénitiens, aux Byzan¬ s'ouvrait, artère précieuse qui allait échan¬
usage de l'antique proverbe local, "une
tins, aux Turcs et aux royaumes slaves du ger pendant des siècles le sang de deux tra¬
mauvaise dispute vaut toujours mieux
nord. Les royaumes serbes, en particulier, ditions fort différentes. Cette liaison fruc¬
qu'une bonne guerre".
convoitaient le petit état indépendant. tueuse avec la petite République, enfant de
Dès la fondation de la cité, la navigation Celui-ci ne les attirait pas seulement par ses la civilisation occidentale, ouvrait pour les
et le commerce constituèrent ses bases richesses venues des quatre coins du Slaves une porte sur la culture européenne.
matérielles. Les Dubrovnikois s'occupèrent monde, mais surtout par le débouché sur la
d'abord de pêche et d'agriculture puis, de mer qu'il constituait. Pourtant cette mer, Les anciennes chroniques rapportent
plus en plus, de commerce maritime. Au 9* comme un mirage, s'éloignait sans cesse que quelques dignitaires serbes poussèrent
siècle déjà, ils atteignaient les côtes de la devant les rois serbes dont toutes les tenta obstinément le tsar Dusan à entrer ", en

44
jusqu'à l'insurrection et à la libération de la
ville, aucun enfant ne naquit dans la
noblesse dubrovnikoise...

"Pendant sa longue histoire de 12 siè¬


cles, Dubrovnik n'a jamais tnarchandé le
prix de sa liberté. Cette passion d'indépen¬
dance était-elle l'effet d'une situation géo¬
graphique particulière, au carrefour des
influences du monde entier 7 Sans doute.
Mais pas seulement. Dubrovnik a su résis¬
ter si longtemps aux menaces et aux dan¬
gers de l'est et de l'ouest grâce à son inser¬
tion dans ce qui est devenu la Croatie
d'aujourd'hui, à son lien avec l'arrière-pays,
véritable cordon ombilical, linguistique et
culturel. A l'époque de la Renaissance sur¬
tout, la littérature croate a fleuri à Dubrov¬
nik et a laissé des monuments dans le
domaine du théâtre et de la poésie, aussi
importants que les chefs-d' architec¬
turaux de la ville. Ainsi, en se nourrissant
du génie artistique croate, Dubrovnik a fait
entrer la Croatie dans la grande famille de la
. Renaissance occidentale."

Les auteurs d'anciens récits de voyages


décrivent avec extase leur première rencon¬
tre avec la ville lorsqu'on y arrive de la mer :
"Sous vos yeux, écrit l'un d'eux, se déploie
un tableau enchanteur : les îles alignées
comme des bateaux jusqu'au port de
Dubrovnik... Le bateau rampe sur les eaux
calmes, contourne le phare et, dirait-on,
entre dans un pays de merveilles..."

Le sortilège n'a rien perdu de sa puis¬


sance avec les siècles. Le voyageur con¬
temporain pénètre comme dans une
machine à remonter le temps quand il ren¬
contre ces marbres et ces granits illuminés
par le soleil éternel.
Le Palais Sponza, dont la construction guerre avec Dubrovnik et à. conquérir cette
fut achevée en 1520, est l'édifice ville-trésor. Mais il s'y refusa chaque fois La ville est coupée en deux par le Stra-
profane le plus Impressionnant de catégoriquement. Plutôt que de brandir le dun, longue rue principale à l'emplacement
Dubrovnik. Destiné à l'origine à glaive, il confirma les franchises centenai¬ de laquelle se trouvait, il y huit siècles un
renfermer les douanes de la
res de la ville et combla de riches présents bras de mer séparant la colonie slave de
République, il abritait, aux étages
les églises et les monastères. Plutôt que de l'établissement latin. Il y a sept cents ans
supérieurs, des ateliers de monnaie et
fouler aux pieds l'oriflamme de Saint que ce canal a été comblé et transformé en
des entrepôts à grain. La galerie du
rez-de-chaussée, construite dans le Vlaho, protecteur de la cité, il envoya les une artère centrale, "condamnant" les
style Renaissance de Toscane, s'ouvre jeunes Slaves fréquenter les établissements Latins et les Slaves à vivre à jamais sous les
sur de larges arcades aux proportions et recevoir l'éducation du petit état. Trans¬ mêmes cieux. Les uns et les autres y virent
parfaites. Les' fenêtres de l'étage mises par les mémorialistes, les paroles de un arrêt du destin et y trouvèrent leur avan¬
supérieur présentent tous les traits du Dusan sont arrivées jusqu'à nous : "Je res¬ tage. Grâce à quoi leur ville est devenue
gothique vénitien. Au-dessus, dans une leur orgueil, grâce à quoi sur le Stradun
pecte le sénat de Dubrovnik pour ses vertus
niche, la statue de Saint Biaise, patron d'aujourd'hui, surtout durant les mois
insignes. Par son érudition latine, par sa
de la ville, ce même Saint Biaise qui,
richesse et son commerce, Dubrovnik d'été, le passant peut entendre parler en
dans une peinture du début du 16*
siècle, porte la ville de Dubrovnik entre mérite de constituer un exemple pour l'édi¬ trois douzaines de langues différentes.
ses bras : élément d'un tryptique de fication et la prospérité de mon règne, de Dubrovnik est restée ce qu'elle était
Nikola Bozidarevic se trouvant à sorte que cette admirable ville sera le autrefois avec ses palais ravissants, ses pla¬
l'église dominicaine de Dubrovnik. comptoir commercial de tous les territoires ces, fontaines et églises. Les Jeux théâ¬
qui forment mon royaume" traux et musicaux, qui y réunissent chaque
été les grands interprètes du monde entier,
Dès sa création, Dubrovnik paya cher sa
liberté. Lorsqu'en 1806 elle tomba sous la
témoignent de cet esprit cosmopolite tradi¬
tionnel. Cette porte sur la Méditerranée, les
domination de Napoléon et, en 1808, cessa
d'exister comme République libre, il se pro¬ Slaves et, à notre époque, les Yougosla¬
duisit dans cette ville indomptable quelque ves l'ont préservée comme une relique.
chose qui n'a pas d'autre exemple dans Le souvenir s'y perpétue de la rigueur des
l'histoire. En signe de protestation, et afin anciens fondateurs de la petite République.
que leurs descendants ne soient pas les Ici, au bord de cette Méditerranée qui fut
esclaves de l'étranger, les patriciens autrefois le berceau de plusieurs civilisa¬
dubrovnikois fomentèrent contre lés enva¬ tions, se déroule encore le plus précieux
hisseurs le plus étonnant complot de tous échange de traditions. Là où l'histoire du
les temps. Toutes les grandes familles de continent européen commença, là se per¬
Dubrovnik prirent 1a décision de cesser pétue son enrichissement.
d'engendrer. De ce moment jusqu'à 1813, VoukVoutcho

45
A l'origine était la forêt. Les hommes vivaient en symbiose avec
elle. C'est le bois qui fournit les maisons, les ustensiles, les
meubles, chauffe le poêle et alimente les saunas. Les provinces
des pays slaves connaissent des villes en bois. Le monastère de
Nikolo-Karelskl, bâti au 16* siècle à l'emplacement de l'actuelle
Severodvinsk, dans le golfe d'Arkhangel au bord de la Mer
Blanche, fut transformé en forteresse en 1692. Une tour
octogonale fut ajoutée (photo ci-contre), une palissade et des
tours de guet, le tout construit en bois. Il s'agit là d'un rare
exemple de fortification médiévale russe. Aussi cet ensemble fut-
il transféré au Musée de Kolomenskoe dans les environs de
Moscou. A gauche, un soleil en bois. Ce soleil, au 18* siècle,
ornait le mât des bateaux russes qui parcouraient les fleuves. A
droite, une femme-oiseau, la "slrine", génie tutélaire de la
maison, ailes déployées pour mieux protéger, nichait au-dessus
des fenêtres des anciennes isbas russes. L'Unesco, en
collaboration avec l'Association internationale pour l'Etude et la
Diffusion des Cultures slaves, prépare un album consacré à
l'histoire de l'architecture et de la sculpture slaves en bois, sous
la direction du professeur polonais Andrej Ryszkiewicz, avec la
participation de spécialistes du bois de Biélorussie, Bulgarie,
Pologne, Russie, Tchécoslovaquie, Ukraine et Yougoslavie.

Le bois
vivant
ARMI les différents objets qu'utilisait la paysannerie tradi¬
p tionnelle dans sa vie quotidienne, le rouet occupe une place
de choix et ce n'est pas là un hasard.

La femme de la campagne passait de longs mois assise à son


rouet. Les fiancés en offraient un à leur promise. C'est pourquoi les
rouets étaient souvent décorés de scènes se rapportant à la céré¬
monie du mariage : l'arrivée du fiancé chez la fiancée, l'entrevue
initiale, les rendez-vous, les promenades des jeunes gens. Un rouet
neuf distinguait la maîtresse de maison parmi ses amies lorsqu'elles
se réunissaient pour les veillées durant les longues soirées
d'automne et d'hiver. Les beaux rouets se transmettaient par héri- k
tage de mère à fille, de grand'mère à petite-fille. f
47
y Dans la région de Kaline (URSS), les archéologues ont décou¬
vert un rouet intact datant du second millénaire avant J.C. La
forme ressemble beaucoup à celle des rouets du 19* siècle...

Non seulement sa forme, mais aussi les scènes qui y sont pein¬
tes permettent de déterminer l'origine d'un rouet. Par exemple les
artisans de la région de Vologda préféraient pour ornementation de
grandes figures géométriques : cercles, triangles, lignes brisées.

Les peintres de Mezen dessinaient, d'un simple trait noir sur


fond brun, des troupes de chevaux et de rennes courant, des files
d'oiseaux en plein vol. Dans la région du lac Onega, on aimait tout
particulièrement représenter des fleurs et des bouquets luxuriants
sur un fond vivement contrasté. Certains rouets, décorés par des
peintres établis dans le bassin de la Dvina septentrionale, présen¬
tent des décorations très expressives et aux couleurs éclatantes.
Les sujets très variés représentent des animaux et des oiseaux fan¬
tastiques, des plantes extraordinaires.
On utilisait le bois non seulement pour construire les maisons et
les bâtiments qui les entouraient, mais aussi pour confectionner
des ¡mages saintes, bâtir des églises, construire des bateaux, pour
faire des meubles. Avec le bois, on fabriquait aussi des jouets et de
la vaisselle. On décorait d'objets en bois les maisons et les mâts
des navires.

L'une des figurations les plus intéressantes et les plus répandues


de la sculpture sur bois orne les maisons construites dans la région
de la Volga : c'est celle de la Béréguinia (la "Protectrice"). C'est en
quelque sorte l'ancêtre de la Protectrice que l'on sculptait sur les
L'esprit navires sous la forme d'une sirène (ce type d'ornement est aussi
du bois dénommé "sculpture navale"). Ce personnage est apparu à l'épo¬
que très reculée où l'on croyait en la puissance bénéfique d'une
divinité qui protégeait les hommes, durant leur navigation, des
mauvais esprits de la nature. Dans le Nord, l'équivalent de la Pro¬
tectrice est "l'Okhloupén", une grosse poutre de mélèze qui cou¬
ronne le faîte de l'isba, et à l'extrémité de laquelle on donne l'allure
à demi fantastique d'un cheval, d'une cane ou d'un renne.

En-haut, le "domovoï", du mot dorn, signifiant maison


en Russe. Il s'agit d'un esprit quelquefois très
familier de la maison. Figurine en bois, à l'extrémité
d'un poteau, cette sculpture de facture très moderne,
trouvée dans les fouilles de Novgorod. (URSS) date du
14* siècle. Ci-dessus, le "Péché originel", détail d'une
Iconostase de style baroque de l'Eglise Sainte-Marina à
Plovdiv, en Bulgarie. A droite, une sculpture d'un
artiste contemporain bulgare, Anton Doncev, évoquant
la fécondité sous toutes ses formes, humaine, animale
et végétale.

48
On considérait à l'origine que c'étaient là des animaux sacrés,
des divinités bienveillantes. Mais de longs siècles ont donné à ces
idoles anciennes une forme si achevée que les habitants, oublieux
de la symbolique première, en firent à la fois un élément indispen¬
sable d'une structure de bois complexe, et l'ornement obligé de
toute maison. Jusqu'à nos jours, dans les contrées lointaines du
Nord, les villages ont conservé de telles isbas. Dans certains
endroits, même actuellement, on prend les "Okhloupén" de vieux
bâtiments pour les placer sur les isbas neuves.
L'isba paysanne était également décorée de l'oiseau de paradis
"Sirin" qui perpétue à travers les siècles l'écho des anciennes
croyances païennes. Un autre personnage fantastique est le lion
qui tient dans sa gueule ouverte le bout de sa longue queue. Sa
tête évoque plutôt celle d'un chien : les artistes des campagnes ne
connaissaient les animaux exotiques que par ouï-dire et les repré¬
sentaient d'après l'idée qu'ils s'en faisaient. Le tendance à "habil¬
ler" l'isba de sculptures sur bois apparaissait aussi dans la décora¬
tion des chambranles de fenêtres. Elle rappelle les anciennes ser¬
viettes brodées aux bords en dentelle, dont on décorait, selon la
coutume russe, les icônes ou les portraits.

L'étrange fantaisie populaire trouvait encore son expression


dans les ruches. Les ruches étaient taillées dans des billots de bois
auxquels on donnait par exemple la forme d'un ours ; cet ours dis¬
simulait sous sa patte gauche une ouverture par où le miel était
extrait. Ou bien c'étaient des ruches décorées d'un relief représen¬
tant une femme ; la bouche et les yeux de cette femme servaient
de portes de sortie aux abeilles. Dans l'écorce, on creusait des réci¬
pients en forme de canard pour les boissons alcoolisées. On repré¬
sentait aussi l'oiseau de "bonté". Dans les villages du Nord, ces
oiseaux étaient placés sous le plafond, dans le "beau" coin de
l'isba, au-dessus d'une grande table et du bat-flanc le long des
murs. Sous l'effet de la vapeur du samovar, l'oiseau tournait en
rond d'un mouvement régulier et majestueux comme s'il cou¬
vrait du regard l'isba dans laquelle le bois inerte avait repris vie sous
la main de l'artiste paysan.

Le rouet est indissolublement lié à la maison et au


foyer. Les Slaves en firent de très riches en bois
sculpté, tourné, doré, incrusté, polychrome,
pyrogravé. Les plus grandes dames ne dédaignaient
pas de filer. Cadeau de noces, il était porteur de
messages symboliques. La double Image de cette
planche de rouet russe du siècle passé suggère la
fondation d'un foyer : l'arbre familial conjugue la
branche offerte par la femme au tronc apporté par
l'homme ; branche et tronc réunis portent des fruits
et évoquent l'accomplissement du mariage.

Cet ancêtre du fer à repasser sorte de calandre pour


lisser le linge provient de Biélorussie. L'artisan,
volontairement ou non, obtint en sculptant cet objet un
effet singulier : un ours sur ses 4 pattes (il sert d'anse)
contemple un paysage où les arbres et les animaux
sont couchés.

La Dobraïa, littéralement "celle-qul-est-bonne",


ou oiseau de bonté, né de l'imagination
créatrice de l'artisan slave, s'est acclimaté dans
pratiquement toutes les isbas du monde slave.
Suspendu au-dessus de la table, l'oiseau tourne
Indéfiniment.

49
Photo © APN, Moscou

Dans l'une des nombreuses îles du lac Onega


nie Kiji, en Carélie se trouve un enclos
paroissial avec deux remarquables églises en
bois du 18* siècle. On a aménagé là un musée
en plein air regroupant les bâtiments religieux
et profanes. La construction la plus singulière
est celle de l'église de la Transfiguration,
édifiée en 1714 par des charpentiers anonymes
qui n'utilisèrent pas un seul clou. L'église est
surmontée de 22 coupoles dont on voit un
détail sur la photo.

50
Détail de la façade d'une isba de Vologda,
distante de 300 km de Moscou : dentelles
ajourées semblables à celles qui ornent les
linges qu'on suspend en draperie au-dessus
des icônes dans les maisons.

Les églises peuvent n'être que de Ce moulin à vent tout en


'simples isbas surmontées d'une petite
bois de la région de
coupole et pourvues d'un campanile, Kharkov en Ukraine,
telle cette petite chapelle polonaise du construit au début de ce
19* siècle.
siècle, a été transporté au
Musée d'Architecture et
des traditions populaires de
L'Eglise de Sainte Parasceve, dans le
Kiev (URSS). Les moulins à
village d'Alexandrovka, en Ukraine
méridionale, fut construite au 18* siècle. vent, très séduisants pour
Sainte Parasceve (dont le nom est lié au l' abritent une

vendredi, jour de la préparation de la Pâque) machinerie à plusieurs

a pour but de rappeler le souvenir de la étages : deux ou trois


Passion du Sauveur, crucifié un Vendredi. rangées de broches
travaillent à des niveaux
différents. Photo de
l'intérieur d'un moulin de

Moguilev, en Biélorussie.

51
Pour accueillir
les abeilles
Joyeuses ou sévères, réalistes ou
caricaturales, les ruches du monde slave
proposent aux abeilles des parcours
singuliers : elles entrent dans le nombril
d'un ours en Russie, sortent par les yeux
d'une femme en Biélorussie, leur miel est
recueilli sous la calotte d'un ermite en
Pologne. Ailleurs, des ruchers, tantôt vont
par couple comme en Pologne, en
Tchécoslovaquie, tantôt sont des figures
solitaires, tel ce personnage enturbanné
de Yougoslavie.

Pologne Pologne

Russie

Biélorussie Tchécoslovaquie

Yougoslavie

52
Trois sculptures religieuses, trois pays slaves, trois styles
différents. En haut à droite, le roi David, prophète, poète et
musicien : d'un artiste anonyme de Smolensk, en Russie
(18" siècle). Ci-dessus, Pierre, premier apôtre du Christ, tel que l'a
imaginé, au 19", un artiste du village de Gorodiché, dans la région
de Brest-Litovsk, en Biélorussie. Ci-contre, à droite. Saint Jean
Népomucene, prélat tchèque du 14* siècle, confesseur de la Reine
Jeanne, femme de l'empereur Venceslas IV, vu par un artiste
polonais de la région de Limanova, au 19" siècle.

53
Jean Hus, réformateur religieux
tchèque (1369-1415) fut considéré
en Bohème comme un grand
résistant et un défenseur des
droits de l'homme, admiré pour
avoir eu le courage de ses
convictions, pour avoir refusé de
se rétracter malgré les pressions
des prélats et des princes. Lucas
Cranach, peintre allemand du 16*
siècle, le place dans sa gravure en
symétrie parfaite aux côtés de
Martin Luther, réformateur
protestant allemand (1483-1546).
Cet anachronisme s'explique par
le fait que dans l'esprit de
l'artiste, ces deux hommes ont
toujours cherché à défendre la
vérité.

"L'AME SLAVE"
De la Baltique à la Mer Noire, une vaste communauté culturelle

par Slavomir Wollman

(ière indispensable pour que s'affirme une vivent en démocratie et pour cette raison
L^IDÉE que les slaves formaient un
tout s'est répandue fort tôt dans le conscience unificatrice sur l'immense examinent toujours en commun les affaires
I monde non slave, dès les huit espace étendu de la rive occidentale de agréables et difficiles... Ils n'ont nulle
l'Elbe à la Volga, de Rujana (Rügen) au méchanceté ou malice, mais sont
premiers siècles de notre ère. On avait
Péloponnèse, de l'Italie du Nord à la Syrie. sincères..."
conscience de la relative unité que mon¬
traient la langue, la culture populaire, les En même temps, on parlait du caractère
Le nom générique des Slaves, Slovène,
caractéristiques sociales et ethniques des belliqueux et de la bravoure des Slaves.
est indubitablement ancien et slave de for¬
Slaves. De nombreuses descriptions en ont Leurs adversaires, à l'époque du haut
mation. Mais, là encore, ce sont avant tout
été faites, justement à l'époque de la puis¬ moyen âge, les appelaient cruels dès que
les historiens grecs et latins, puis germani¬
sante expansion territoriale des Slaves. A les Slaves employaient à leur tour les
ques, à commencer par Pseudocaesarien
cette époque, ce groupe de tribus indo¬ moyens coutumiers dans la partie déjà
de Nazianze, Procope et Jordanes, qui en
européennes n'avait encore ni écriture, ni ont fait une dénomination commune. Ces
"civilisée", c'est-à-dire romanisée de
les autres outils de communication régu- l'Europe.
écrivains, et à leur suite, les voyageurs ara¬
bes, s'accordent dans la description physi¬ Ainsi, dès les temps les plus anciens se
que des Slaves au seuil de l'ère historique : formait la notion d'une "unité slave", d'un
SLAVOMIR WOLLMAN, spécialiste tchécos¬ ce sont des hommes élancés, de haute "caractère slave" et même d'une "âme
lovaque de littérature slave comparée. Sous- taille, aux cheveux blonds. On a aussi slave". Cette notion, mêlant les faits et les
directeur de la Revue "Slavia" (revue de philolo¬ produits de l'imagination, était passable¬
essayé d'en saisir le "caractère national". :
gie slave). Membre du Comité international des ment incohérente. Plus d'une fois, elle
"Ces peuples, Slaves et Antes, écrivait
Slavistes. Vice-président de l'Association inter¬
Procope, historien de l'empereur Justinien, tourna au mirage ou se trouva intégrée à
nationale pour l'Etude et la Diffusion des Cultu¬
res slaves. En 1968-69 fut professeur à l'Univer¬ ne sont point soumis au pouvoir d'un seul divers mythes sur le thème de l'opposition
homme, mais depuis les anciens temps Ouest/ Est.
sité de Californie, Los Angeles, USA.

54
Les Slaves adoptaient d'ailleurs quelque¬ que deux des innombrables exemples de autres comédiens ambulants issus du peu¬
fois les caractéristiques que les étrangers double appartenance qui caractérisent les ple. Bien avant l'émancipation des actuel¬
leur donnaient et qui prenaient place à côté relations culturelles polono-tchèques les nations slaves, bien avant Safarik, ils
de leurs propres représentations, s'inté- depuis le haut moyen âge jusqu'à la Renais¬ contribuèrent à ce qu'un ami de celui-ci
grant à leur propre expérience. La cons¬ sance et même au-delà. Au 17* siècle, cette Jan Kollar (1793-1852), l'un des représen¬
cience d'une communauté d'origine, d'une tradition est reprise par Komenski (Come¬ tants de la double appartenance aux littéra¬
parenté linguistique, et l'expérience tou¬ nius). Komenski dirigeait la puissante colo¬ tures tchèques et slovaque, a appelé la
jours accrue d'une commune destinée his¬ nie protestante de l'Union des Frères Mora¬ "mutualité slave".
torique ont marqué les plus anciens monu¬ ves chassés de leur patrie par la Contre-
ments littéraires slaves. Elles se retrouvent Réforme. Cette colonie s'était établie dans Il est caractéristique également que

sous des formes variables tout au long de la ville polonaise de Leszno. Comme exem¬ I' "Histoire" de Safarik ait été publiée dans
l'histoire. ple d'appartenance serbo-ukrainienne, on
la capitale hongroise qui était un centre
important de la renaissance nationale non
peut citer Emanuil Kasacinski, ancien élève
Mais en même temps, et cela dès le haut
du Grand Séminaire de Kiev, qui fut le fon¬ seulement pour les Hongrois, mais aussi
moyen âge, se déroule un processus de for¬ pour les autres Slaves. En dehors de Buda,
mation, de transformation et de cristallisa¬ dateur du théâtre slavo-serbe dans la pre¬
mière moitié du 18* siècle. il y eut de semblables centres culturels
tion de peuples slaves distincts. Ce proces¬
interslaves à Vienne, Leipzig, Dresde, Cluj,
sus est la prémisse indispensable au déve¬ Outre les personnages de ce type, il faut Venise et, par la suite, à Istanbul et Paris.
loppement de relations culturelles, politi¬
évoquer, bien entendu, une masse d'inter¬ De la sorte, les relations culturelles entre
ques et autres entre Slaves. Cette dialecti¬ médiaires dont le nom ne s'est pas con¬ peuples slaves acquéraient d'emblée
que de l'intégration et de la différenciation servé. Vivant entre les cultures slaves, ils l'échelle européenne, s'intégraient
aux
est essentielle pour comprendre les liens
tiraient parti de la parenté des langues et échanges culturels européens et mondiaux.
qui s'établissent entre les peuples slaves à des conditions d'assimilation relativement Safarik, poète et connaisseur hors pair de
partir du 9* siècle, et jusqu'au 19* siècle où
favorables dans un autre pays slave : y sa langue, a écrit intentionnellement son
ils deviennent objet d'étude scientifique.
compris le flot continu de baladins, de jon¬ "Histoire" en allemand pour qu'elle serve
gleurs, de chanteurs, de joueurs de gusli et mieux à l'instruction non seulement des
En 1826, Pavel Jozef Safarik fit paraître à
Buda son "Histoire de la langue et de la lit¬
térature slaves dans tous les dialectes".
C'était la première tentative sérieuse pour
montrer le développement de la culture
slave dans son ensemble, avec ses ressem¬
blances et ses divergences. Le sujet et la
Comenius, nom latinisé de
conception de l'ouvrage, sa langue, le lieu
et la date d'édition eux-mêmes et enfin la l'humaniste tchèque Jan
Amos Komenski (Moravie
personnalité de l'auteur sont tout à fait
1592-Amsterdam 1670).
significatifs.
Fuyant le régime de
L'auteur était slovaque d'origine. Poète persécution instauré par
dans sa jeunesse, il enseigna ensuite dans l'empereur catholique
Ferdinand II, il se réfugia à
un lycée serbe à Novi Sad dans une pro¬
Lezno en Pologne en 1628.
vince serbe placée sous la domination des
Précurseur de la pensée
Habsbourg. Par sa biographie, Safarik est moderne dans le domaine
un savant tchèque et il prend position con¬ de la pédagogie, sa
tre l'usage d'une langue littéraire slovaque renommée dépassa les
distincte du. tchèque. Or l'apparition de frontières à la suite de la

cette langue reflète justement à cette épo¬ publication de ses traités


que le processus de formation d'une nation prônant l'école à temps
slovaque autonome, ce qui va avoir pour complet et proposant de
nouvelles méthodes
conséquence la rupture de l'ancienne unité
pédagogiques. Il fut invité à
linguistique tchécoslovaque.
exposer ses idées en
Angleterre, en Suède et en
Ainsi Safarik appartient-il de droit à l'his¬
Hongrie. Ayant perdu tous
toire de deux cultures et de deux littéra¬
ses biens lors de l'incendie
tures : la tchèque et la slovaque. Ce n'est de Lezno en 1652,
pas du tout une exception, ni pour l'épo¬ Comenius se réfugia à
que, ni pour l'histoire culturelle slave dans Amsterdam. Le Sénat

son ensemble. Les bilingues, les auteurs en d'Amsterdam assura la

deux langues, ou, en un sens plus large, les publication de ses


hommes de culture ¡nterslave ne sont pas Photo (1) Comenius,
gravure de David Loggan,
rares. Ils ont toujours joué un grand rôle
en page de titre d'une
dans les liaisons culturelles entre les Sla¬
anthologie de textes
ves.
pédagogiques intitulés
"Didáctica Opera Omnia".
Les frères Constantin (Cyrille et
Photo (2) Comenius
Méthode), Grecs de Salonique qui, selon la
envisage quatre degrés
Vie des Saints, "parlaient couramment le d'instruction : les écoles
slave" créent en Grande Moravie la pre¬ maternelles, l'école
mière langue littéraire slave (basée sur le nationale réunissant les

dialecte slave parlé dans leur ville natale). enfants de toutes

Ils créent aussi la littérature slave la plus conditions de 6 à 12 ans, le

ancienne, littérature que leurs disciples gymnase et l'université.


Photo (3) Gravure hors
moraves transmettront aux groupes du
texte d'"Orbis Sensualium
Sud. De là, des centaines d'écrivains,
Pictus" (le monde en
d'artistes et d'artisans vont, jusqu'au 16*
images), précurseur des
siècle, aller s'établir en Russie et participer manuels scolaires illustrés.
à l'essor culturel des Slaves de l'Est. L'évê-

que tchèque Vojtech, qui devient un des


saints patrons de la Pologne (sous le nom
de Saint Adalbert) et l'écrivain humaniste
Bartolomej Paprocki, un Polonais qui
s'intégra à la vie culturelle tchèque, ne sont

55
Fondé par Jean de Rila, orientale, avaient inscrit sur leurs drapeaux
au 10* siècle, au cuur des "La liberté ou la mort", devise qui est
monts Rhodope dominant comme une préfiguration de la Révolution
la plaine de Sofia en française.
Bulgarie, le monastère de
Rila fut plusieurs fois Pour avoir participé à des cercles d'étu¬
détruit et reconstruit. La diants clandestins à Wilno, le jeune poète
tour du Prince Hreljo (14* polonais Adam Mickiewicz fut expulsé en
siècle) qui fut le donjon Russie. Les autorités tsaristes espéraient
du monastère fortifié de
ainsi paralyser l'activité d'un des militants
Rila, est le bâtiment le du mouvement de libération polonais et le
plus ancien de l'ensemble ramener à la raison. Mais l'imprévoyante
architectural. La plupart
tyrannie suscita par là-même le rapproche¬
des structures existantes
ment de Mickiewicz avec les Décembristes
datent des 18*-19* siècles,
époque de la Renaissance
et ceux qui les soutenaient. Elle créa les
nationale bulgare (1762) conditions d'un rapprochement amical et
où l'essor économique d'une collaboration créatrice entre les deux
des bourgeoisies locales, plus grands poètes slaves de ce temps, le
la relative indépendance Polonais Mickiewicz et le Russe Pouchkine.
des villes, les contacts Il ne fait pas de doute que tous deux se
avec l'Europe occidentale confortèrent mutuellement dans leurs idées
ont contribué à libérer les
sur l'importance de la création poétique
arts et la culture.
pour la littérature nouvelle, authentique-
Fresques, icônes,
iconostases sculptées, ment nationale, qu'ils forgeaient. Cela s'est
une bibliothèque de 16.000 manifesté clairement dans les "Chants des
volumes d'incunables Slaves du Sud" de Pouchkine, dans les
rares sont la richesse de "Dziady" et dans "Pan Tadeusz" de Mic¬
ce monastère. Il resta kiewicz.
tout au long de
l'occupation turque un
L'intérêt manifesté pour le folklore, sa
haut lieu de la culture ¡ collecte et sa mise en forme littéraire (sou¬

bulgare. vent avec la conscience poétiquement


exprimée de la communauté slave) devient
un courant puissant et durable. Le mouve¬
ment, ici, a commencé avec Ivan Cesmicski
(Janus Pannonius) qui, dans la seconde
moitié du 15* siècle, a exprimé en vers
latins tout le pittoresque des chansons et
lamentations croates.

C'est de cette vieille tradition slave que


SUITE PAGE 72

cercles cultivés slaves, mais aussi des chère liberté ("omnem miseriam carae
milieux non slaves et tout particulièrement libertatis posteponendes").
des jeunes. En outre, Safarik voulait com¬ Cette tendance permanente s'est affir¬
pléter les connaissances, élargir l'horizon mée avec une force nouvelle au moment
littéraire proposé à l'époque au public de précis où Herder attribuait aux Slaves un
langue allemande. caractère angélique... Même Kollar qui, au
Les traductions et adaptations de son temps douloureux de la Sainte-Alliance,
livre en Europe occidentale et en Amérique appelait la communauté culturelle slave
confirment toute l'actualité de son travail. "une douce brebis dans la vie des

Les thèses sur la littérature mondiale pro¬ peuples", ne partageait sans doute pas
posées un an plus tard par Goethe visaient cette opinion de Herder : le programme de
Page de droite
le même objectif : inclure l'iuvre d'un la "mutualité slave" était avant tout un pro¬
gramme de lutte, pour une libération qui En Pologne, à Cracovie, le château de Wavel,
peuple dans le contexte culturel mondial au
médiéval à l'origine, devient, aux 14*, 15* et
moment où le monde, après la Révolution était en cours et qui, dans les insurrections
16* siècles, résidence ducale et royale. Les
française et avec la formation des nations paysannes du 18* siècle, possédait déjà ce
architectes consacrent leurs soins à embellir
caractère interslave.
modernes en tant que sujets souverains de les châteaux. A Wavel, l'iuvre qui en résulte
l'histoire, était entré dans une nouvelle voie On peut citer la participation de Polonais est un amalgame des styles de l'architecture
de développement. italienne avec des solutions proposées par
à la révolte populaire dirigée par Pougat-
des artisans locaux. Dans les années 1516-
Le mouvement d'émancipation des chev. Pouchkine l'a rappelée fort à propos
1517, Wavel s'enrichit de la chapelle
nations slaves visait à leur constitution, leur après la défaite du soulèvement des
Sigismond, lieu de culte destiné à servir de
autodétermination ou à leur renaissance, Décembristes en 1825, après celle de mausolée au roi, proclamant sa grandeur et
autrement dit à leur libération des "prisons l'insurrection polonaise de 1830-1831, les sa puissance. L'esprit d'humour irrespectueux
des peuples" qu'étaient l'Empire ottoman, deux plus importante actions entreprises ne manqua pas de s'y manifester, en logeant

celui des tsars et celui des Habsbourg. Il contre la tyrannie tsariste. Les paroles de dans les caissons supérieurs, invisibles aux
Pouchkine contiennent une allusion aux fidèles, des figures grotesques peu décentes.
visait aussi à leur entraide mutuelle. Ce
associations secrètes de Russie, d'Ukraine En haut à droite, une mitre dorée offerte par
mouvement trouvait certes un point les tsars Jean et Pierre et la Tsarine Sophie
d'appui dans les idées de Johann Gottfried et de Pologne qui avaient pour programme
au Métropolite de Kiev, Guédène Sviatopolk.
l'affranchissement des Slaves. L'une de
Herder, écrivain allemand du 18* siècle, qui Cette mitre a été exécutée d'urgence par des
ces associations s'était d'ailleurs baptisée
avait prédit aux Slaves un brillant avenir. joailliers moscovites à partir d'éléments de
"Société des Slaves unis".
Mais le sentiment de la parenté slave, de la provenances diverses : franges dorées de'
vêtements sacerdotaux, châssis
communauté des peuples slaves, celui de la Ainsi, fes idées et l'exemple de la Révolu¬
d'Evangéliaire... Ci-contre : peinture naïve
valeur de leur langue et de leur culture, y tion française avaient conservé leur valeur,
anonyme du 19* siècle. Un cosaque joue de la
compris la culture populaire, s'appuyait sur même à l'époque où triomphaient les
bandoura, instrument à cordes employé
une expérience millénaire ; de même, l'idée "anciens régimes". Il faut ajouter que ces
encore en Orient et dans certains pays slaves.
d'une coopération culturelle et de sa néces¬ idées de libération étaient tombées dans les
Près de lui son indispensable cheval ; autour
sité dans la lutte pour la liberté nationale et pays slaves sur un terrain favorable, pré¬ de lui les objets qui serviront pour la route à
sociale. L'historien saxon Widukind notait paré par les générations antérieures. En ce cosaque ukrainien qui partage le sort de
déjà en 967 que les Slaves oubliaient toute 1775 déjà, sept mille paysans armés, qui beaucoup sur cette terre russe où l'appel de
espèce de souffrances au nom de leur s'étaient soulevés en Tchécoslovaquie l'espace a existé de tout temps.

56
tum

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ENTRE LES SLAVES ET L'OCCIDENT

Le dialogue
des artistes
et des savants
par Igor Belza LES liens entre l'Occident et les pays
slaves se sont tout naturellement
multipliés et renforcés au cours des
siècles. Certains de ces liens sont notoires,
comme le sont nombre d'apports du
IGOR BELZA, savant soviétique, pédagogue, monde slave à l'Occident. D'autres restent
historien de la musique, spécialiste des cultures trop ignorés.
slaves. Membre de l'Institut des Etudes slaves et
balkaniques auprès de l'Académie des Sciences On connaît bien, par exemple, la Polo¬
de l'URSS. Rédacteur en chef de la Revue "Lec¬ naise Maria Sklodowska, qui a décquvert,
tures de Dante". Auteur de nombreux articles avec son futur mari Pierre Curie, le phéno- w
sur les cultures slaves. mène de la radioactivité produite par la*

Les Sorabes, Slaves de Lusace, que les Allemands appelaient Wendes, sont les
descendants d'un peuple slave établi au 9* siècle dans le bassin de l'Elbe, entre les villes
de Dresde et de Cottbus, dans l'actuelle République démocratique d'Allemagne. Ils ne
sont plus que 100 000 environ. La Lusace jouit de l'autonomie culturelle : des écrivains, des
poètes, des musiciens, maintiennent en vie la culture des Sorabes. Ci-dessous, jeunes
femmes sorabes en costume traditionnel.

Page de gauche

Parmi les manuscrits de l'époque


d'Ivan Alexandre (1331-1371) celui dit
des "Quatre Evangiles du Tsar Ivan-
Alexandre" (ou Evangéliaire de
Londres) est un des plus importants.
En 1356, à Tirnovo, en Bulgarie, le
moine Siméon, calligraphie consommé,
copia à l'intention de ce tsar un
evangéliaire enrichi d'enluminures. La
miniature représente le Jugement
dernier. Dans la partie inférieure à
gauche, l'artiste a peint Ivan Alexandre
aux côtés de la Vierge Marie. En-bas, à
droite, une enluminure d'un manuscrit
du 14* siècle "Liber Viaticus". Dans ce
manuscrit, les illustrations n'ont rien à
voir avec le texte, ce qui donne lieu à
une explosion d'imagination créatrice
comme en témoigne cette scène
quotidienne de la vie des bergers. En
bas, à gauche, Satan ayant revêtu un
habit de moine. Miniature extraite du
Codex de Jena de la fin du 15* siècle.
Le sujet, férocement satirique retrace
le pouvoir oppresseur des prélats qui
redoutaient un bouleversement social
provoqué par les doctrines de Jean
Hus.

59
"Un phénomène extraordinaire et une
manifestation peut-être unique de l'âme
russe" dit Gogol, "le commencement des
commencements" notera Dostoïevski à
propos d'Alexandre Pouchkine. Novatrice,
son luvre unit pour la première fois la
culture littéraire et la prosodie aux
traditions de la langue et de l'esprit
populaires. Son existence brève mais
tumultueuse le conduisit à la pure
tragédie. Il épousa Natalya Goncharova en
1831. "Je suis obligé de fréquenter le
monde, ma femme est très à la mode,
tout cela nécessite de l'argent, mais de
l'argent je ne peux m'en procurer que par
le travail et le travail veut la solitude..."
disait-il. C'est en défendant l'honneur de

sa femme qu'il fut mortellement blessé au


cours d'un duel en 1837.

Mickiewicz

par Pouchkine
Photo V. Zamaraev © Photokhronika Tass
Un écrivain romantique russe rencontre un
écrivain romantique polonais en 1826.
Tous les deux proclament une foi
pathétique dans le destin de leurs nations,
et puisent au cLur du folklore, les vérités
vivantes de la culture populaire.

Voltaire par Pouchkine


A l'exemple de Catherine II, Pouchkine fut
séduit par les encyclopédistes français, en
particulier par la prose critique et
philosophique de Voltaire.

Pouchkine

par Pouchkine
L'un des autoportraits du célèbre écrivain
russe où il s'est plu à Imaginer sa
vieillesse. Il mourait à l'âge de 38 ans.

60
k désagrégation de la matière. Mais on sait dais du 17* siècle, (en particulier sur son de Chopin-, il nota dans son jour¬
' peut-être moins que Lomonossov (écrivain "Ethique") ainsi que sur John Locke (philo¬ nal : "Rien de banal, une composition par¬
et savant russe, 1711-1765) et Lavoisier sophe anglais, 1632-1704), dont l'guvre à faite. Il est difficile de trouver quelque
(chimiste français, 1743-1794) découvrirent son tour Contribua au développement de la chose d'aussi achevé... Comme chez

indépendamment l'un de l'autre la loi de pensée matérialiste en France. Mozart, il y a là des airs qui semblent surgir
conservation de la masse. d'eux-mêmes, comme si on les entendait
Il faut rappeler ici également le nom de
déjà à l'avance". Plus tard, il fit un parallèle
On connaît bien René Descartes, père du "l'instituteur du peuple", l'auteur de la
entre Chopin et Dante.
rationalisme philosophique. On ne sait pas "Grande Didactique" qui a connu une dif¬
fusion tant en Occident que dans les pays C'est sous l'aspect du "plus grand des
toujours que Descartes eut pour contem¬
slaves : le pédagogue tchèque Jan Amos poètes" ("altissima poeta") que Delacroix
porains les "frères polonais" dont les cen¬
Komenski, dit Comenius, contemporain représenta Chopin, aussi bien sur le "pla¬
taines d'ouvrages (en particulier ceux de
des "frères polonais". Comenius considé¬ fond d'Homère" dans la bibliothèque du
Szymon Budny et de Wolcogen) furent
rait que les principes de l'humanisme Sénat à Paris, que sur un dessin fait proba¬
publiés en 1656 à Amsterdam sous le titre
devaient être assimilés dès le plus jeune âge blement peu de temps après la mort du
général de "Bibliotheca Fratum Polono-
rum". Or ils exercèrent une sérieuse et avait mis au point un système harmo¬ musicien, dessin qui porte l'inscription
nieux d'éducation scolaire. Il n'est pas diffi¬ "Cher Chopin".
influence sur Spinoza, philosophe hollan-
cile de trouver l'écho de ses conceptions On peut légitimement parler d'une com¬
dans les uvres du Suisse Pestalozzi. munauté de vues et d'aspiration des deux
maîtres. Delacroix a peint "La barque de
A mesure qu'on étudie l'histoire cultu¬
Mickiewicz relle des peuples slaves, des figures remar¬
Dante", "Les massacres de Scio", "La
liberté guidant le peuple", "La Grèce expi¬
quables sortent peu à peu de l'ombre. C'est
par Delacroix rant à Missolonghi"... Ses allient
ainsi qu'on a appris beaucoup en étudiant
La peinture romantique du deuxième quart une perception romantique de la nature à
l'activité de Franciszek Skorina, premier
du 19* siècle se forma en partie sous une dénonciation véhémente de l'injustice.
l'influence de Géricault et de Delacroix.
imprimeur de Biélorussie, qui avait reçu en

Mickiewicz, lui, occupa la chaire de Occident une éducation très poussée ; ou Dans les sonates de Chopin, dans ses
littérature slave au Collège de France à encore celle du "philosophe vagabond" Ballades, saFantaisie et même dans de
Paris.

Chopin
par Delacroix
Delacroix, tout au long de
son Journal exprime son
admiration pour Chopin.
Ainsi Chopin, couronné
de lauriers comme Dante,
qui reprenait à son
compte la couronne de
Virgile, tel le dessina
Delacroix en ajoutant ces
simples mots : "Cher
Chopin".

d'Ukraine Sv (comme il se nommait nombreux préludes et études, Delacroix


lui-même) : Grigori Skovoroda. Les noms n'entendait pas seulement des "exclama¬
de Sko'rina et de Skovoroda sont tion de colère" dantesques, mais aussi des
aujourd'hui intégrés à l'histoire de l'huma¬ appels implacables à la lutte.
nisme européen.
Les chefs d' de la littérature occi¬
L'exemple le plus éclatant est peut-être dentale ont vite exercé une grande
fourni par l'amitié de Delacroix et de Cho¬ influence sur les créateurs slaves. Pouch¬
pin. Comme on sait, le célèbre peintre fran¬ kine, parlant des cimes de la littérature
çais fréquentait de nombreux écrivains, mondiale, nommait Goethe à la suite de
peintres et compositeurs. Il était très lié Dante, de Shakespeare et de Milton. Le
avec certains d'entre eux. Mais, pour lui, le thème de Faust cette recherche éperdue
plus grand de tous était Chopin. Pendant de l'absolu sur terre a été repris parfois
les dernières années de la vie de Chopin, de manière originale dans la littérature
Delacroix rendait souvent visite au "grand slave. Un exemple curieux est le très beau
homme mourant". Peu de temps après la roman de Mikhaïl Boulgakov "Le Maître et i
mort de son ami, ayant écouté plusieurs Marguerite", où l'auteur inverse le thème I

61
_ LI tACmC *V M'VW'i

"Je vous envoie un nouveau chargement


de contrebande" écrivait le comte Fikel-
mon, ambassadeur d'Autriche, à Pouch¬
kine, en lui faisant parvenir un nouveau
roman de Balzac dont le tsar Nicolas 1er

St. Pétersbourg interdisait la diffusion en Russie. En 1850,


Vaclav Bendl écrivait dans la "Revue du
ou la porte Musée Tchèque" que "le nom de Pouch¬
largement kine était devenu le symbole de tous les
insoumis".
ouverte
Des spécialistes anglais du théâtre m'ont
sur l'Europe déclaré au cours d'un entretien que l'euvre
dramatique de Tchékhov représentait un
Saint-Pétersbourg est en
elle-même un décor de
grand événement dans l'histoire du théâtre.
théâtre. Cette ville devint Tchékhov, disaient-ils, a fondé le principe
au 19* siècle le haut lieu de du "non-vedettariat" en ne plaçant pas au
la danse et au théâtre Kirov centre de ses un personnage éclip¬
dansèrent la fameuse sant tous les autres : "Le choix judicieux de
Pavlova et Vatslav Nijinski. l'acteur (vedette) qui joue Hamlet assure le
A gauche, extraits d'une succès du spectacle... Ni dans la Cerisaie,
notation de la chorégraphie
ni dans Les Trois sours, ni même dans La
de Nijinski pour "Le Sacre
Mouette il n'y a de personnage central au
du Printemps", ballet créé
sens communément admis de ce terme :
par Serge Diaguilev pour
ses Ballets russes. Ces c'est un système de personnages liés entre
notations datées de 1913 eux qui se développe".
sont signées Valentine
Hugo peintre et décoratrice Il n'est pas besoin d'insister sur
de théâtre française. l'audience que se sont acquises en Occi¬
dent les nuvres des classiques de la littéra¬
ture polonaise ou russe, ou sur la diffusion
des grands écrivains italiens, français,
anglais, allemands, espagnols ou scandina-

> de Faust au point que l'on a pu dire de cette "Comédie humaine'.' de Balzac hantent les
qu'elle était un anti-Faust. uuvres de Gogol et de Tourgueniev, de
Dostoïevski et de Tchékhov. En dépit de
L'association des noms de Tourgueniev
leurs particularités nationales très mar¬
et de Flaubert peut être, à bien des égards,
quées, les émotions, les sentiments et les
considérée comme un symbole. Stendhal a
drames de ces personnages sont devenus
noté que, pour bien traduire les duvres
le bien commun de l'humanité. De même
d'un écrivain, il fallait avant tout l'aimer. On
pour la protestation contre l'injustice
en a un admirable exemple avec la traduc¬
sociale et, souvent, sa dénonciation satiri¬
tion que fit Tourgueniev de "La légende de
que, portées à une force extrême dans
Saint Julien l'Hospitalier" de Flaubert,
les "Ames mortes" et le "Révizor" de
Des centaines de personnages de la Gogol.

Ci-dessus, Olga Knipper Tchekova dans le


rôle de Pernelle du "Tartuffe" de Molière.
Elle faisait partie de la troupe du théâtre
d'art académique de Moscou. Elle épousa
le célèbre écrivain russe, Anton Tchékov,
en 1901 après avoir joué dans quelques
unes de ses pièces.

A gauche, Shakespeare vu à travers le


prisme d'un grand metteur en scène russe,
Georgel Tovstonogov au théâtre Gorki à
Leningrad dans "Henri IV" (première
partie).

62
ves dans les pays slaves. Ce n'est pas seu¬
lement la puissance des images, mais la
langue même des peuples slaves qui a attiré
l'attention des maîtres de la littérature occi¬
dentale : Mérimée, célébrant Pouchkine, a
pu dire qu'aucune langue européenne, à
l'exception du latin, n'était à même de ren¬
dre la beauté et la concision des vers russes
dans le poème "Antchar". Et l'écrivain
français en traduisit à titre d'exemple un
passage dans la langue de Virgile...

Dans le domaine musical, les relations


culturelles de l'Occident avec les Slaves ont
été depuis longtemps particulièrement pro¬
fondes et diverses.

La musique de Glinka, de Borodine, de


Moussorgski, de Tchaïkovski, de Rimski-
Korsakov, de Chopin, de Szymanowski, de
Un exemple de gravure
Smétana, de Dvorak, de Janacek est
populaire du 17' siècle où la
entrée dans le répertoire universel, mais satire s'exerce contre Pierre le Leningrad est la deuxième ville de l'URSS, située sur
Glinka et Rimski-Korsakov ont, par exem¬ Grand sous la forme d'un chat à le delta de la Neva. C'est la ville de Pierre le Grand,
ple, développé des thèmes espagnols ; cause du port des moustaches. de la Grande Catherine et de Lénine. Ville-héros,
Rimski-Korsakov a pris, pour l'une des scè¬ L'augmentation des impôts ville-musée par elle-même, il suffit de regarder
nes de son opéra "Sevilla", un sujet tiré de suscitait des révoltes dans tous l'enfilade des palais jaunes ou verts amande, les
la vie de l'ancienne Rome. Szymanowski a les pays. La protestation des canaux ombragés, les chevaux d'airain, les sphinx et
recréé des personnages du moyen âge sici¬ masses populaires se confondait son Cavalier de Bronze. Leningrad reste l'une des
avec la lutte de la "vieille- plus belles villes du monde. Ci-dessus le Canal
lien ; Dvorak a mis en musique, dans sa
croyance" dont les disciples, d'Hiver.
"Neuvième symphonie", des tableaux de
persécutés pour avoir refusé de
l'épopée indienne de Hayawata, d'après
réviser la liturgie, devinrent le
Longfellow ; Rakhmaninov et Miaskovski symbole de la lutte contre
ont puisé dans l'nuvre poétique d'Edgar l'asservissement, d'où l'humour
Poe. féroce de la gravure.

Il faut aussi évoquer les "slavismes" que


l'on trouve déjà chez Bach, mais davantage
encore chez les quatre grands classiques
viennois : Haydn, Mozart, Beethoven
et Schubert. Dans les "quatuors Razu-
movski" de Beethoven, écrits sur com¬
mande du mécène russe, se reconnaissent
des mélodies de chants populaires russes.
Haydn, qui était originaire du bourg croate
de Trstnik, rebaptisé par les autorités autri¬
chiennes Rohrau (selon certaines informa¬
tions, sa langue maternelle aurait été le
croate), et à sa suite Mozart et d'autres
compositeurs viennois encore, ont su
apprécier et utiliser la beauté et la richesse
émotives des airs tchèques, slovaques,
polonais, ukrainiens, que l'on pouvait
entendre sur le territoire de la "monarchie
en patchwork" des Habsbourg.

Lorsque Tchaikovski voulut, dans son


"intermède pastoral" de la "Dame de
Pique", écrire une musique dans l'esprit de
Mozart et de son époque, il prit un thème
dans un concerto pour piano de Mozart. Or Le Musée de l'Ermitage, l'un des 50
ce thème n'était autre que la tendre mélo¬ musées de Leningrad est l'un des plus
die de la chanson lyrique tchèque "Mela beaux musées du monde. Construit à la
demande de Catherine II, désireuse d'avoir
jsem holoubka" ("J'avais un tour¬
tereau")... un palais spécial pour ses collections, il
fut bâti entre 1764 et 1767 et ouvert au
Par la suite également, la musique slave public pour la première fois en 1852. C'est
n'a cessé d'attirer l'attention de l'Occident. à l'Ermitage que l'on voit des collections
On connaît la brillante orchestration des éblouissantes d'art oriental, notamment

"Tableaux d'une exposition" de Mous¬ en provenance des steppes de l'Asie


centrale, un ensemble somptueux de
sorgski réalisée par Ravel qui, de même que
son aîné Debussy, appréciait vivement la peintures européennes depuis l'époque du
Moyen Age, et des collections de pierres
musique du "groupe des Cinq" (Cui,
taillées et de joyaux Inestimables. Ci-
Rimski-Korsakov, Balakireff, Glazounov, dessus, l'entrée du Musée.
Borodine). L'estime n'était pas à sens uni¬
que : les complètes de Debussy et Les fonctionnaires russes sous Pierre le
de Ravel on été éditées récemment à Mos-, Grand se virent interdire le port de la
cou en de nombreux volumes. Les musico¬ barbe. Ils devaient également troquer la
robe orientale pour l'habit à l'européenne.
logues russes ont consacré bien des mono¬
En fin de compte, le port de la barbe fut
graphies à ces si typiquement occi¬
toléré moyennant une taxe spéciale qui ne
dentales.
frappait ni les prêtres ni les paysans. Sur
cettre gravure un barbier coupe la barbe
Igor Belia d'un vieux croyant.

63
Ces deux sphères côte à côte évoquent
en quelque sorte la conquête de l'espace
depuis l'astrolabe arabe du 11* siècle (ci-
contre) qu'utilisait l'étudiant Copernic
pour ses observations et calculs
astronomiques à l'Université Jagellone à
Cracovia, jusqu'à la jonction des
vaisseaux cosmiques de la cabine
soviétique Soyuz-19 et du vaisseau
spatial américain Apollo, le 17 juillet
1975. Cette maquette figurant cet
événement est exposée de façon
permanente au Pavillon du Cosmos (à
droite) à l'Exposition des Réalisations de
l'Economie nationale de l'URSS.

DE COPERNIC A KOROLEV

La saga
de F aventure

spatiale

par Bogdan Suchodolski

64
Photo I. Gavrilov © APN, Moscou

LJT HOMME et l'espace. Aujourd'hui, Au moyen-âge et à la Renaissance, des la Terre comme le centre fixe de l'Univers, il
ces mots évoquent pour nous un Polonais ont frayé la voie. Au 13* siècle, réfuta aussi nombre de théories fondées

cosmonaute qui fait le tour de la Vitello élabora une théorie philosophique et sur la perception sensible, selon lesquelles
Terre dans son vaisseau spatial et, parfois, scientifique qui englobait la structure de ce n'était pas la Terre qui tournait, mais le
quittant ce refuge à la fois fragile et sûr, se l'existence, les principes du raisonnement Soleil.

livre à une promenade à demi fantastique mathématique, l'analyse des phénomènes


La théorie de Copernic trouva de nom¬
sur un fond d'étoiles. Mais pour en arriver à naturels (surtout de la physiologie et de la
breux continuateurs, notamment en Polo¬
cette promenade, il a fallu parcourir un long psychologie de l'homme) et l'astronomie.
gne. Jan Hevelius (1611-1687), dans son
et difficile voyage : découvrir les lois qui De ce vaste ensemble n'est parvenu
laboratoire privé, menait des observations
régissent l'Univers et créer les moyens jusqu'à nous qu'un traité sur la perspective,
nombreuses et complexes. Il se rendit célè'
techniques qui permettent de bondir vers recopié à maintes reprises au moyen-âge et
bre en Europe par un ouvrage qui décrivait
les astres. réédité de nombreuses fois au 16* siècle.
la surface de la Lune ("Sélénographie",
Kepler utilisa ces travaux dans ses propres
Pour que l'homme puisse vaincre l'obsta¬ 1647) et qui était illustré de fort belles car¬
recherches. La conception de la lumière de
cle de l'attraction terrestre, il lui a fallu tes. C'était une novatrice. La longue
Vitello était à la fois métaphysique ("lumen
d'abord connaître le monde et multiplier nostalgie des hommes à l'égard du satellite
divinum", "lumière divine") et physique.
ses propres forces. Des savants de diffé¬ argenté de la Terre y trouvait une issue
La lumière devenait en quelque sorte une
rentes époques et de divers pays ont con¬ dans une description détaillée fondée sur
forme de l'existence de la nature et de
sacré leurs efforts à ces tâches où espoirs des recherches minutieuses et opiniâtres.
l'homme capable de la voir.
et rêves, fantaisies philosophiques et poéti¬
ques venaient se mêler aux calculs mathé¬ Nicolas Copernic réalisa le pas décisif, Dans le même temps où un astronome
mais son système héliocentrique est en fait théoricien travaillait à élucider les secrets
matiques les plus exacts.
aussi une audacieuse philosophie de la de la Lune, un autre homme, un ingénieur,
lumière de la lumière du soleil comme réfléchissait aux possibilités d'y parvenir.
source universelle de vie. On réduit parfois Ce technicien était Kazimekz Semenowicz,
à tort la théorie de Copernic à la thèse selon dont l' consacrée à la balistique
BOGDAN SUCHODOLSKI, philosophe polo¬ (1650) fut traduite en de nombreuses lan¬
laquelle la Terre tourne au sein de l'uni¬
nais, spécialiste de l'histoire des sciences, est
vers : or Copernic ne se borna pas à attri¬ gues. Semenowicz n'y exposait rien moins
membre du Praesidium de l'Académie des
buer un mouvement à la Terre mais, et qu'un projet de fusée à plusieurs étages I
Sciences de Pologne. Il est l'auteur de nom¬
breux ouvrages sur les aspects sociologiques de c'est le plus important, il fixa aussi le soleil I Les représentations astronomiques de la
la science, de la technologie et de l'art, et sur les Il ne s'insurgea donc pas seulement contre Lune élaborées par Hevelius et les décou- k
problèmes de pédagogie. la tradition philosophique qui représentait vertes techniques intuitives de Semeno- V

65
peut être que partielle, paraissait alors pour
le moins hardie. Sa justesse ne fut confir¬
mée que dans les siècles suivants.

Il faut ici mentionner deux personnages


remarquables : le premier, R. Boskovic
(1711-1787), était un savant croate dont les
travaux liaient étroitement la théorie de

Newton et la philosophie de Liebniz. Ils


contenaient même les germes de la future
théorie de la relativité et de la géométrie
non euclidienne, des tentatives pour élabo¬
rer un modèle mathématique de la matière,
conçu dans une perspective dynamique et
non pas mécaniste, enfin une esquisse de
philosophie de l'Univers différente de celle
qui était généralement admise...

L'autre personnalité est M. Lomonossov


(1711-1765), grand savant encyclopédiste
russe, membre de l'Académie des Sciences
de Saint-Pétersbourg et fondateur de l'Uni¬
versité de Moscou. Ses recherches en chi¬
mie et en physique ont ouvert la voie à la
théorie corpusculaire de la matière. Sa phi¬
losophie s'opposait aussi bien au rationa¬
lisme cartésien qu'à l'empirisme de Locke.
Elle visait au dépassement d'une concep¬
tion purement mécaniste du monde.

Au 19" siècle, des progrès important


furent accomplis dans cette voie. Le
mathématicien russe N. Lobatchevski

(1792-1856), que l'on appelle le "Copernic


de la géométrie", fut l'un des créateurs de
la géométrie non euclidienne. Son système
joua par la suite un rôle important dans le
développement de la science contempo¬
raine.

L'astronome polonais Nicolas Copernic (1473-1543) démontra que,


contrairement aux idées admises jusqu'alors, la terre n'occupe pas le
centre de l'univers. Du point de vue philosophique, la doctrine nouvelle
de Copernic favorisa l'émancipation de la cosmologie par rapport à la
théologie en ruinant la thèse géocentriste. Ci-dessus, portrait de
Deux hommes
Copernicus (nom qu'il avait adopté) par Edme de Boulonois, graveur
bruxellois du 17* siècle. parmi les étoiles

>wicz constituaient à cette époque un les mondes lointains, il eut recours à une
ensemble unique de recherches. idée originale : il attacha tout autour de lui
L'évêque John Wilkins, auteur des des récipients pleins de rosée en supposant
"Mathematical magies" (1648) et l'un des que, sous l'action des rayons du soleil,
fondateurs de la Royal Society britannique, cette rosée se transformerait en vapeur. Ce
fut l'un des divulgateurs de la théorie de procédé lui permettrait de monter dans les
Copernic à l'étranger et en Pologne. Wil¬ hautes couches de l'atmosphère.
kins tira des idées de Copernic des conclu¬
Bien que cette partie du roman, comme
sions qui débordaient de loin le cadre de
d'ailleurs beaucoup d'autres, contienne des
l'astronomie. Il posa un problème nou¬
hypothèses fantaisistes, cela ne diminue en
veau : celui des vols interplanétaires.
rien la portée du livre. Pardonnons ses
Wilkins écrivait que des ailes d'une struc¬
erreurs à Cyrano de Bergerac, car, après
ture appropriée permettraient peut-être
tout, il vivait à une époque où la théorie de
d'effectuer des vols dans l'espace lointain.
l'attraction était encore embryonnaire.
Cependant, il exprimait lui-même sa préfé¬
L'important est que, en
reconnaissant
rence pour une autre solution : la construc¬
l'existence d'une multitude de mondes,
tion d'un "char volant". Ce faisant, l'auteur
fondait ses calculs sur le traité de mécani¬
Cyrano de Bergerac porta un coup à la pen¬
sée conservatrice.
que de Galilée.
Le poète français Cyrano de Bergerac se Dans le domaine purement scientifique,
présentait lui-même comme un continua¬ un autre pas fut accompli par les pays sla¬
teur convaincu de Copernic. Cyrano de ves au 18* siècle. A cette époque, dans la
Bergerac est en particulier l'auteur d'un partie occidentale de l'Europe, les sciences
roman fantastique qui parut après sa mort de la nature se développaient par l'applica¬
en 1655. Son titre, "l'Histoire comique des tion des méthodes empiriques et rationalis¬
Etats et Empires du Soleil", est lourd de tes à certains domaines sélectionnés. Chez
signification. L'auteur y raconte comment les Slaves on utilisait ces méthodes non
un jour, après une conversation scientifi¬ seulement dans des recherches partielles,
que qu'il avait eue avec des amis, il était mais aussi pour tenter d'effectuer déjà I
revenu chez lui, incapable de se contenter une synthèse interdisciplinaire capable
de traités scientifiques trop secs. d'expliquer l'Univers en tant qu'entité
Empli du désir de vérifier dans les faits si dynamique. Cette vision d'ensemble du
la Terre tournait et s'il existait une vie dans monde, dont la démonstration exacte ne

66
Ssi
Un peu plus tard intervient Tsiolkovski, Il fut pour les Russes, dit
un Russe d'origine polonaise, le premier Pouchkine, la "première
université" : Mikhail Lomonossov,
constructeur de fusées spatiales. Il publia
H«* i écrivain et savant russe, passant
en 1903 un ouvrage intitulé "L'étude de
de travaux théoriques sur la
l'espace cosmique à l'aide d'appareils à
foudre à la réforme de la poésie
réaction", dans lequel était exposée la pre¬ russe, du vers syllabo-tonique à la
mière théorie du mouvement des fusées constitution de la matière. Sur
dans les espaces gravitationnels et non gra¬ son initiative fut fondée, en 1755,
, fl
vitationnels. Cet ouvrage permit d'utiliser l'université de Moscou. A gauche,
les fusées dans les vols spatiaux. En 1929, portrait de Lomonossov par un
Tsiolkovski publia un second ouvrage tout peintre anonyme.

aussi novateur, "Les vaisseaux1 spatiaux",


1
qui posait les fondements des vols interpla¬
nétaires.

L'activité de Tsiolkovski met en somme


un terme à la longue période pré-spatiale de
^^L >
mm mrm
l'histoire humaine. On peut dire qu'elle
inaugure une nouvelle ère : celle qui devait
voir se développer les expériences dans
5^ "Système astral de
l'espace. Un pas en avant décisif fut
accompli par la jeune génération de cher¬ Copernicus", thème du vitrail
décorant la "maison de la
cheurs, de techniciens et de pilotes. Un
Médecine" à Cracovie. suvre
mérite particulier revient en ce domaine au
de Stanislaw Wyspianski (1869-
Soviétique S. P. Korolev, qui fut le créateur 1907), artiste polonais, peintre,
des énormes fusées porteuses permettant graveur et auteur dramatique.
de lancer des satellites artificiels de la Lune Ci-dessous, détail du projet de
et du Soleil, d'accomplir des vols en direc¬ ce vitrail représentant Apollon,
tion de la Lune, de Vénus et de Mars, et symbole du soleil.
d'envoyer des cosmonautes dans l'espace.
L'activité de Korolev, la construction des
premiers spoutniks, les vols et les sorties
dans l'espace ont parachevé ce parcours de
cinq siècles : d'une conception intuitive et
théorique de l'Univers à son exploration
pratique.

Bogdan Suchodolski

Ci-dessous à gauche, planche de l'Histoire comique des Etats et


Empires du Soleil (1662). de Cyrano de Bergerac. La rosée mise en petits
récipients, attachés à la ceinture, devait sous l'action des rayons du
soleil, se transformer en vapeur et l'emporter vers les astres. D'une
conception intuitive fort discutable à une réalité concrète : 300 ans. Yurl
Gagarine devint le premier homme à voyager dans l'espace. Ci-dessous,
médaille frappée en URSS en souvenir de cet exploit mémorable.

Photo Stanislaw Lopatka © Musée national de Cracovie

67
L'ART
POPULAIRE
EN
BIELO¬
RUSSIE

MIHI C5-d£H . ¿ifi£ Q£fiP£H HÍ3IJ


WiioTGli luOuSTiTHrnTi 38l\Or\ME
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ÙZGAMMÏO MA* IKMOIJW KOrS KOTTH

La Première Bible en langue Biélorusse


L'histoire de la langue et de la culture biélorusses est liée à Franciszek Skorina.
Il naquit à Polotsk en 1490, obtint, à 16 ans, le diplôme de "bachelier dans les
sept arts libéraux". En 1512, il reçut le titre de Docteur en Médecine à
l'Université de Padoue. Il entreprit un périple de six ans à travers l'Europe qui lui
permit d'acquérir une culture solide d'humaniste. En 1517, il devint imprimeur.
Le premier ouvrage imprimé ne fut rien moins que la Bible, qu'il traduisit dans
sa langue maternelle le biélorusse, devançant, en ce genre d'entreprise, les
travaux de Jacques I* d'Angleterre et de Martin Luther en Allemagne. "Dieu
m'a mis au monde avec cette langue", écrivit-il, "elle doit devenir aussi celle
des livres". Il grava lui-même entre 1517 et 1519 les planches illustrées de cette
Bible. Selon les spécialistes, la Bible de Skorina, admirablement imprimée et
illustrée est parmi les plus beaux livres que l'on connaisse et peut soutenir la
comparaison avec les meilleures éditions allemandes du 16* siècle. Ci-dessus,
une des illustrations de la Bible représentant le combat de Samson contre le
lion ; ci-dessous, un épisode de "l'Exode" : où Yahvé demande à MoTse de lui
bâtir un sanctuaire : « Tu feras aussi un propitiatoire d'or pur, de deux coudées par Evguenii M. Sakhouta
et demie de large. Tu façonneras au marteau deux chérubins d'or aux deux
extrémités du propitiatoire. »

Photos © Gravures de Franciszek Skorina, Ed. Biélorusse, Minsk

LJT ART décoratif populaire est un do¬


maine remarquable de l'histoire de la
culture en Biélorussie. Bien que les
produits de cet artisanat populaire aient de
nombreux points communs avec ceux de
ses voisins immédiats (Russes, Ukrainiens,
Lituaniens, Polonais), les particularités du
développement sociopolitique et culturel,
ainsi que des conditions naturelles différen¬
tes ont donné à l'art populaire de Biélorus¬
sie une grande originalité.
En effet, cet art n'a pratiquement pas
revêtu le caractère de métier constitué. Il

EVGUENII M. SAKHOUTA, historien d'art,


est membre de l'Institut d'Art, d'Ethnographie et
de Traditions populaires auprès de l'Académie
des Sciences de la République socialiste soviéti¬
que de Biélorussie. Il est l'auteur de nombreuses
publications sur les arts populaires en Biélorus¬
sie.

68
"Mets-moi dans la boue et je serai
prince" dit le grain de seigle dans un
proverbe biélorusse. En effet, on
sème lorsque la neige disparaît et que
la terre est encore toute mouillée. Ce

premier grain semé est celui de


l'ultime gerbe cueillie à l'automne
dernier. La paille est prélevée et mise
en forme de croix sur le sol "afin que
le Christ ne se mouille pas les pieds
quand il viendra bénir la Terre". A
l'époque de la moisson, la toute
première poignée de seigle est nouée
en ceinture autour de la taille de celui
qui cultive la terre, (photo
ci-dessous). La moisson terminée, la
dernière poignée est rapportée au
foyer et le cycle recommence...
Mais les artisans biélorusses savent,
avec la paille du seigle, créer des
puvres incomparables. Les plus
prodigieuses sont, sans nul doute, les
iconostases de paille des églises de la
région de Pinsk. A gauche, un détail
d'une iconostase du 18* siècle. Dans

la pénombre de l'église, le fidèle


distingue-t-il la paille tressée de l'or
repoussé 7

est toujours resté de façon privilégiée au


stade de la production domestique. C'est
pourquoi il était demeuré profondément
traditionnel encore au début de notre siè¬
cle.

Dans les objets en bois, les plus répan¬


dus, les artisans obtenaient une expressi¬
vité artistique même avec les grands objets
taillés dans la masse : les mortiers, les
canots, les ruches, les tonneaux... Il n'était
pas rare que les formes données à la vais¬
selle taillée au burin présentent des motifs
zoomorphes. Les salières peuvent avoir la
forme d'un canard. Des têtes de cheval ou
d'oiseau, des queues ou des crêtes de coq
donnent leur forme à des anses de cruches.

Les rouets, les battoirs et aussi les


"tsourki" (bâtons de 30 à 40 cm servant à
attacher les gerbes) portaient eux-mêmes
des reliefs sculptés. La décoration des
outils du travail féminin était très répan¬
due : le rouet, dans la région de Brest-
Litovsk, les "tsourki" dans la région de
Polessié, portaient des gravures géométri¬
ques.

L'un des métiers artisanaux les plus


anciens est la poterie. Des centres de céra¬
mique existaient dans la région de Vitebsk,
près de Pinsk et aux environs de Minsk. On

69
y faisait des pots, des acuelles, des tionnels. De nouvelles voies de développe¬
"zbanki" (cruches), des "sparichi" (vases ment furent recherchées pour l'art popu¬
jumelés), des "sloiTci" (bocaux)... Dans cer¬ laire.

tains centres, on faisait de la vaisselle à ver¬ Un décret du gouvernement soviétique


nis noir qui avait l'apparence de la fonte. "Sur les mesures d'aide à la production
C'est là une curieuse survivance de la pré¬
artisanale" permet d'organiser, dès 1919,
histoire : ni la forme, ni le décor n'en ont des expositions d'artisans et d'artistes. Les
changé depuis l'âge du fer. problèmes de l'art populaire sont largement
débattus dans la presse. Les échantillons
D'autres potiers étaient connus pour leur
sont recueillis par les musées ethnographi¬
habileté à faire des récipients en forme
ques régionaux. La fondation de maisons
d'ours, de lion, de bélier. Ils modelaient
de l'art populaire a également contribué à la
aussi des figurines originales : "coqs",
préservation et au développement de ces
"canettes", "cavaliers", "brebis", "pou¬
activités.
pées".
En Biélorussie, comme dans toute
Avec le travail du bois et la poterie, le tis¬ l'Union Soviétique, l'art populaire est sur¬
sage est sans doute la forme d'art populaire tout représenté par les @uvres d'artisans
la plus répandue en Biélorussie. L'art du qui se groupent autour des centres de pro¬
tissage était pratiquement obligatoire pour duction artisanale, des maisons de l'art
les paysannes. Napperons, serviettes, populaire et des manufactures d'objets
"abrussy" (nappes) étaient tissés en motifs d'art. Leur production est aujourd'hui
géométriques de deux ou trois couleurs : essentiellement utilisée comme "objets
carreaux, losanges, hexagones... Ailleurs, d'arts" et souvenirs. Les changements les LES
on aimait les napperons dits "passiastyé" plus frappants se sont produits dans le tres¬
(à rayures) évoquant un arc-en-ciel (ils sont sage de la paille : ces objets décoratifs sont
très répandus en Pologne). Dans les orne¬
ments vestimentaires dominaient égale¬
désormais largement répandus, non seule¬
ment dans le pays mais aussi à l'étranger.
CICATRICES
ment les motifs géométriques réalisés dans
On voit renaître la céramique ancienne.
une gamme de blancs - noirs - rouges. Le tissage, le genre d'art populaire le plus
diffusé, connaît lui aussi une seconde nais¬
DELA
Il existe depuis toujours des ustensiles
sance. La gamme traditionnelle bicolore ou
tressés en paille, en écorce de bouleau,
osier ou racines. Les objets en paille sont
tricolore est devenue polychrome, les tis¬
seuses expertes font des compositions
GUERRE
particulièrement beaux. De grands ustensi¬
ornementales complexes qui utilisent large¬
les de ménage se distinguent par leur forme
ment les motifs végétaux.
sculpturale et l'alternance rythmique de
La plupart des sculpteurs sur bois font
raies brunes d'osier ou de coudrier sur le par Alexandre Flaker
fond doré de la paille. Les qualités artisti¬ aujourd'hui des objets de petite taille. Ils
ques de ce matériau simple et largement travaillent sur des thèmes folkloriques, his¬
répandu se sont particulièrement manifes¬ toriques ou quotidiens. Ils essaient de
tées dans les objets décoratifs. On tressait redonner vie aux ustensiles de ménage tra¬

en paille toutes sortes de jouets, on en fai¬ ditionnels. Quant à la sculpture architectu¬


sait des coffrets ornés de torsades, rale, elle est, elle aussi, très répandue.
DURANT la guerre, les cultures sla¬
d'incrustations en relief et en forme de L'art populaire et les métiers artisanaux ves ont subi des pertes énormes.
losanges. Le sommet de cet art est atteint sont donc actuellement l'objet d'une De magnifiques monuments archi¬
avec les portails d'autel de Vavoulitch et de grande attention. Si autrefois, dans le tecturaux ont disparu sous les bombarde¬
Léméchevitch (dans la région de Pinsk) qui milieu rural, le maintien des traditions et de ments : ainsi la Bibliothèque nationale de
datent du 18* siècle. Faits dans ce matériau l'originalité nationale étaient naturels et Belgrade où se trouvaient des incunables et
ordinaire, ils n'avaient pas moins belle spontanés, souvent dans le cadre familial, des manuscrits inestimables. Les nazis pil¬
allure, dans l'intérieur de la petite église de aujourd'hui, ce sont les artisans profession¬ laient systématiquement les musées,
village, qu'un traditionnel portail en bois nels, les historiens de l'art, les animateurs emportaient les archives. Et des villes entiè¬
doré. des maisons de l'art populaire et les travail¬ res ont été pratiquement rasées : Lenin¬
leurs de l'industrie d'art qui assument cette grad, Kiev, Minsk, Varsovie...
La peinture décorative s'est surtout dis¬ tâche. Un musée d'art populaire a été
tinguée dans l'ornementation des coffres. De dures persécutions ont atteint tous
ouvert à Raoubitchi, près de Minsk, et un
Dans la seconde moitié du 19" siècle, ceux- les intellectuels slaves. Parmi les écrivains
musée de l'artisanat ancien et des métiers
ci commencent à se répandre rapidement victimes de la terreur, on peut relever en
d'art populaire à Zaslavl : ils constituent en
et jouent alors un rôle important dans le 1942 le nom d'un représentant connu de
même temps des centres où se perfection¬
rituel de la noce. La demande, devenant nent les méthodes, en liaison avec les j'avant-garde littéraire tchèque, Vladislav
très grande, a provoqué la création d'ate¬ vancura et ceux de tout un groupe d'écri¬
ouvriers d'art locaux.
liers spécialisés. vains et de critiques littéraires croates fusil¬
E.M. Sakhouta
lés en 1941, dont August Cesarec ; le nom
Comme l'art populaire avait d'abord un d'Ivan Goran-Kovacic, sauvagement assas¬
caractère utilitaire, les changements socio- siné ; celui du poète bulgare Nikola Jonkov
économiques ne pouvaient manquer Vapcarov, fusillé en 1942, mais qui a réussi
d'exercer sur lui leur influence. Ainsi les avant de mourir à adresser un poignant
productions artisanales tombent-elles sou¬ appel à sa femme et à tout son peuple.
vent en décadence dans la seconde moitié Dans les rangs des armées de libération
du 19* siècle. Certaines, comme les tissus nationale ont trouvé la mort les poètes Slo¬
imprimés à la main, disparaissent complè¬ vènes Karel Destovnik-Kajuh et Miran Jare,
tement. le prosateur croate de Bosnie Hasan Kikic,
le critique littéraire serbe Milos Savkovic, le
A l'époque soviétique, la profonde muta¬
poète macédonien Koco Racin et beau-
tion de la vie rurale et l'élévation du niveau
de vie ont, pendant un certain temps, déva¬
lorisé les objets utilitaires traditionnels. On
ALEXANDRE FLAKER, professeur de littéra¬
n'avait plus à faire soi-même la vaisselle, les
ture russe à l'Université de Zagreb
meubles, les vêtements, les outils de tra¬ (Yougoslavie), est Vice-président de l'Associa¬
vail. Mais se posa alors le problème de la tion internationale pour l'Etude et la Diffusion
préservation des métiers artisanaux tradi des Cultures slaves.

70
La dernière guerre mondiale laissa des
cicatrices profondes dans le monde slave.
Une image expressive de cette douleur
profonde est due au pinceau de l'artiste
soviétique Boris Prorokov. Cette encre de
Chine fait partie d'une série intitulée "Ceci
ne doit plus se répéter". Un grand nombre
d'artistes et d'écrivains slaves perdirent
leur vie dans la lutte contre la barbarie
hitlérienne. Prorokov, lui, eut les deux
jambes coupées.

Cette fresque représentant la


Mère de Dieu provient de la
Collégiale Saint-Nicolas de
Novgorod. Elle a servi de cible aux
occupants pendant la deuxième
guerre mondiale. Image
symbolique de la' destruction des
nombreuses éuvres d'art au
moment de l'invasion hitlérienne.

71
> coup d'autres. La Yougoslavie, à elle seule, se souvienne de tels sacrifices. Durant ce biélorusse. C'est à lui qu'est revenu l'écri¬
a perdu plus de 75 écrivains ; bien des jeu¬ "temps des loups" de l'histoire européenne vain croate Miroslav Krleza (2), tandis que
nes poètes y ont trouvé la mort, au front ou et mondiale, ces peuples ont alors recons¬ les romans du monténégrin Mihailo Lalic
dans les rangs des partisans. truit leur vie sur des bases nouvelles. Ce illustrent une approche nouvelle des événe¬
sang a été "la nuit et les ténèbres (1)" des ments du temps de guerre. Maintes sculp¬
La deuxième guerre mondiale a laissé des années quarante de notre siècle. Les thè¬ tures et ensembles architecturaux natio¬
traces indélébiles dans la culture de tous les
mes et l'esprit du temps de guerre s'enten¬ naux sont inspirés par des thèmes tels que
pays d'Europe. Mais cette époque de des¬ dent encore dans la littérature polonaise l'oppression de l'homme, sa résistance à
tructions massives, de massacres sans pré¬ contemporaine, depuis "La Semaine toutes les formes de contrainte et de ter¬
cédent a été aussi une époque de renouvel¬ Sainte" d'Andrzejewski, qui décrit la tragé¬ reur, sa libération de la peur et des mena¬
lement. On a vu naître de nouvelles valeurs
die du ghetto de Varsovie, jusqu'aux toutes ces de guerre.
littéraires et artistiques ; les fondements dernières Buvres en prose réaliste de Miron
d'une vie vraiment humaine ont été eux-
Ces idées, ces principes se sont donc
Bialoszewski.
intégrés au paysage d'innombrables villes
mêmes appréciés de façon différente ; de
C'est ce même esprit qui a rendu possi¬ et villages polonais, yougoslaves, russes,
nouvelles perspectives se sont dessinées
ble le renouveau du film polonais, de Kawa- ukrainiens ou biélorusses. Les batailles et
dans les relations entre les hommes, les
lerowitcz à Wajda, et celui du film yougos¬ les souffrances semblent déjà anciennes,
peuples, les Etats. En ce "temps des loups"
lave avec Veljko Bulajic. Le thème de la mais elles demeurent inoubliables. Elles ont
ont pu fleurir une littérature et un art voués
guerre imprègne encore le roman soviéti¬ été celles de peuples entiers, et, en fin de
au combat pour "la lumière" du monde à
que toutes les de Konstantin compte, de toute l'humanité.
venir, à la résistance contre "la nuit" de la
barbarie civilisée moderne. Simonov ou de Jurij Bondarev. Il inspire Alexandre Raker
aussi Olés Goncar dans la littérature ukrai¬

Si la culture est "la mémoire du genre nienne et Vasyl Bykau dans la littérature
(2) Dans une série d'ouvrages consacrés à d'éminentes
humain" (selon l'expression de l'écrivain
personnalités de la culture slave, l'Unesco a publié
soviétique Léonov), il est parfaitement (1) Selon l'expression d'Ivan Goran-Kovacic (¿a fosse Miroslav Krleza par Marijan Matkovic, Unesco, Paris
compréhensible que la culture des peuples commune). 1977.

"L'AME SLAVE"
Suite de la page 56

sortent tout droit Pouchkine, Mickiewicz, Aujourd'hui, on peut voir ce processus à L'idée du rapprochement des Slaves,
Kollar le Tchèque et Stur, le créateur l' chez certains peuples slaves qui contenue à l'époque dans les de si
de la langue littéraire slovaque, et Vuk achèvent leur formation culturelle nationale nombreux écrivains, était étroitement liée à
Karadzic, le créateur de la langue littéraire propre : chez les Slovaques par exemple. l'idée de la lutte pour la vérité, pour la
commune aux Serbes et aux Croates, et le liberté de tous, pour le bien général. A la
Le sentiment d'appartenance à une
poète ukrainien Chevtchenko, et bien veille de la révolution de 1848, Taras Chevt¬
même famille était naturel à des gens qui se
d'autres grandes figures de la culture slave chenko célébrait dans un même poème
comprenaient sans traduction et savaient la
au 19* siècle. Safarik et Jean Hus, le père spirituel de la
grande similitude des destinées historiques
Ce recours aux traditions slaves est aussi grande révolution nationale et antiféodale.
de leurs pays. C'est la raison pour laquelle
la source du mouvement qui vise à créer ce sentiment, tout en subissant diverses
En 1848 même, l'année des tempêtes, le
une nouvelle musique nationale. Dans une transformations sociales, historiques et spi¬
poète slovaque Karol Kuzmany chante
première étape, cette musique s'exprime rituelles, est toujours revenu à la surface, ceux "qui ont pris feu et flamme pour la
vérité et sont prêts à lui faire le sacrifice
par la composition de "chants populaires" du 9" au 19" siècle. Ce sentiment accompa¬
qui souvent naissent d'une création com¬ gnait le constant développement des thè¬ suprême, ceux qui consacrent leur vie à la
lutte pour les droits de l'homme". Son vers
mune interslave : ainsi en Russie, à la fron¬ mes et formes de la création artistique, tout
célèbre sur la "chère liberté" était directe¬
tière du 18* et du 19* siècles, avec la partici¬ particulièrement dans le peuple, avec
pation de musiciens tchèques. l'intervention de larges couches de la popu¬ ment associé dans les esprits contempo¬
rains au "liberté chérie" des Parisiens de
lation ; il s'est manifesté lors de l'adoption
L'@uvre de Tchaïkovski, ses contacts 1848.
du christianisme et lorqu'ont été créées les
vivants avec les autres Slaves, en particu¬ bases d'une écriture et d'une littérature. Il a
lier les Tchèques, les "Danses slaves" de favorisé la diffusion des courants héréti¬
C'est là quelque chose de parfaitement
Dvorak, la longue activité de Suk comme naturel. Il n'existait pas de "monde slave"
ques : bogomiles, hussites, ariens et "frè¬
compositeur et chef d'orchestre en Russie, isolé et replié sur lui-même : les meilleurs
res moraves". Il a concouru à l'expansion
ne sont que quelques exemples. C'est dans représentants de la culture slave avaient
et à une transformation originale de la cul¬
ce courant d'assimilation et de réélabora¬ déjà conscience que la coopération cultu¬
ture aux temps de l'humanisme, de la
tion des traditions qu'apparaissent les relle entre Slaves n'avait de sens que
Renaissance et du baroque. Il s'est imposé
de compositeurs de réputation lorsqu'elle servait des fins humaines univer¬
avec une nouvelle puissance lorsque furent
mondiale : depuis les opéras de Smetana, selles, "l'amélioration générale des choses
assimilées idées et formes du romantisme.
de Glinka et de Moniusko jusqu'au humaines" fondée sur la liberté et l'égalité
"Pétrouchka" de Stravinski. Le fondateur de la poésie tchèque de tous, comme l'avait proclamé deux
moderne, Karel Hynek Macha, contempo¬ cents ans plus tôt Jan Amos Komenski. En
L' du compositeur tchèque Leos rain de Mickiewicz et de Pouchkine, pour¬ effet, Comenius, le réformateur de l'école,
Janacek est un bon exemple de communi¬ rait ressembler, vu de loin, à un byroniste le fondateur de la science pédagogique, est
cation culturelle interslave. Sa cantate achevé. Or, étudié de plus près, il apparaît aussi l'auteur profondément humaniste de
"Tarass Boulba" est écrite d'après un avant tout comme un continuateur du pré- la doctrine de la Pansophie : la paix et la
poème ukrainien de Chevtchenko, son romantisme et du romantisme polonais. Et justice universelle seront obtenues par la
opéra "Katia Kabanova" est composé sur ce n'est là qu'un des nombreux exemples connaissance mutuelle des peuples, par
le texte du dramaturge russe Ostrovski, le analogues de participation slave à un mou¬ leur coopération culturelle et scientifique,
titre d'un autre opéra, "De la maison des vement qui concerne le monde entier, anti¬ grâce à l'instruction générale de tous sans
morts", indique assez que le sujet en a été cipant sur lui ou venant à sa suite. L'esprit considération de race, de religion, de natio¬
inspiré par l' de Dostoïevski ; enfin, de "mutualité" anime ainsi la participation nalité, de sexe ou d'origine sociale.
sa "Messe glagolithique" a pour fonde¬ massive des acteurs, chanteurs et metteurs
ment la littérature slavonne et la musique en scène tchèques a la fondation de thé⬠La noble pensée du "professeur de paix"
russe ancienne. En même temps, toutes tres nationaux chez les Slaves du Sud, peut toujours servir d'étalon lorsqu'on
ces prennent appui sur la tradition chez les Slovènes et les Croates ; grâce a entreprend de définir la valeur des relations
vivante de la musique populaire slave que quoi ces théâtres acquirent précisément un interculturelles, où que ce soit.
Janacek étudiait avec soin. caractère européen. Slavomlr Wollman

72
l'article sur le Parthenon, intitulé "Une anti¬

Nos que démocratie inscrite dans le marbre", que


nous avons publié en octobre 1977.

L'ATOME POUR LA PAIX

lecteurs Félicitations pour votre numéro de juin


1978, "Energies pour demain", qui passe en'
revue les aspects les plus intéressants de ce
problème. Cependant, une question n'a pas
nous été traitée, celle des . quantités énormes
d'énergie nucléaire que l'on stocke pour les
armements et qui, fort heureusement, n'ont

écrivent
pas encore été utilisées. Selon les données
fournies par l'Institut international de recher'
che sur la Paix de Stockholm (SIPRI), l'éner¬
gie nucléaire accumulée est 1 million de fois
supérieure à celle de la bombe d'Hiroshima.

Si la voix de la sagesse se fait entendre, si


le monde finit par persuader les puissances
nucléaires de procéder au désarmement et
DU BON EMPLOI
de placer le plutonium sous la haute surveil¬
DES ICEBERGS lance de l'Agence des Nations Unies pour
l'Energie Atomique, alors l'humanité dispo¬
Dans le numéro de février du Courrier de sera d'une source incalculable d'énergie
l'Unesco, mon article "Du bon emploi des pour les années à venir.
icebergs" a dû être coupé dans sa longueur, A. Loeff
avec mon autorisation. Ce remaniement qui
Rotterdam - Pays-Bas
n'a pas pu m'être soumis, a provoqué la dis¬
parition de quelques précisions et de quel¬
ques chiffres, que je considère comme
DOCTEUR AU FEMININ
importants.

Tous les chiffres publiés, même récem¬ Dans le numéro de juillet 1978, un article
ment, concernant les quantités d'eau exis¬ est consacré à Elena Lucretia Cornaro Pîsco-
tant sur la Terre sont très approximatifs. pia, première femme au monde ayant obtenu
Mais on estime en général que la quantité un doctorat, il y a 300 ans, à l'Université de
totale est environ 1 500 millions Km3, dont Padoue. Mais elle n'a pas été la première.
2,7 % (environ 40 millions Km3) en eau Une autre femme l'a devancée, il s'agit
douce. On estime également que le volume d'Hypatie, philosophe et mathématicienne
total de l'eau douce sous forme de glace est grecque, professeur à Alexandrie au 5* siècle
de l'ordre de 30 millions km3 (90 % l'Antarc¬ après J.-C. Fille d'un mathématicien, elle fut
tique, 9 % le Groenland, 1 % les glaciers de célèbre par son savoir en mathématiques,
montagne). Il reste donc sous forme d'eau astronomie et philosophie, et par son élo¬
douce liquide, environ 10 millions Km3. quence. Elle écrivit divers ouvrages, dont un
Le rapport eau douce glace/eau douce commentaire sur les sections coniques
liquide est donc de l'ordre de 70 % sous d'Apollonios de Perga.
forme de glace et 30 % sous forme liquide. Elle ouvrit une école où elle acquit une
J'ai été très intrigué et curieux de trouver
Cette eau (liquide) se répartit en : eaux de une signification à cette scène de quatre per¬ grande réputation de professeur. Elle fut
surface (cours d'eau, lacs, marécages, sonnages superposés qui semblent être cou¬ tuée par des chrétiens fanatiques en 415 - Un
etc.) ; eaux souterraines (nappes phréati¬ chés devant une rangée d'éléphants en mar¬ sermon avait été prononcé par l'Archevêque
ques, nappes profondes, etc.); eaux diffuses che. Après avoir examiné les autres illustra¬ d'Alexandrie contre les "femmes péche¬
(dans le sol, dans les roches et le sable, dans tions de l'article, je crois avoir trouvé la solu¬ resses", où allusion était faite à Hypatie qui
les plantes, etc.) ; eaux atmosphériques (en tion. avait l'audace de faire la leçon aux hommes,
suspension, nuages, brouillard, etc.). excita les moines qui la poursuivirent et la
Les quatre personnages ne sont pas en massacrèrent.
Les quantités estimées pour ces différen¬ train de faire une marche militaire, comme il
Otto Ottesen
tes "réserves" d'eau, ou pour les différentes semblerait. En fait, ils ouvrent une porte
fo'rmes d'eau en mouvement, sont encore pour permettre aux éléphants et aux chas¬ Sandefjord - Norvège
très variables d'une publication à l'autre, très seurs d'entrer dans la zone de chasse royale
approximatives, et très incertaines. qui, comme on le voit, était entièrement fer¬
mée. Dans le coin inférieur gauche, on peut IL Y A EXIL ET EXIL
L'un des chiffres les plus précis est, dans
apercevoir la silhouette d'un petit chien.
l'état actuel de nos connaissances, le volume
Je suis arrivé à cette conclusion en com¬
J'ai lu avec intérêt, et non sans sympathie,
de la calotte glaciaire du Groenland (mesuré
l'appel de M. Amadou-Mahtar M'Bow pour
avec précision essentiellement par les Expé¬ parant ce bas-relief à celui figurant en page
le retour des nuvres d'art dans leur pays
ditions Polaires Françaises) ; vient ensuite 35 (photo 1).
d'origine (Courrier de l'Unesco, juillet 1978).
celui de la calotte glaciaire de l'Antarctique Félicitations pour l'excellent choix des arti¬ Il faut toutefois faire une distinction entre les
(mesuré par un certain nombre d'expéditions
cles. J'aimerais lire un jour un article sur objets acquis de manière illégitime et ceux
depuis l'Année géophysique internationale, Alexandre le Grand et un sur la récente
que l'on a sauvés, réparés, puis exposés
c'est-à-dire depuis 1957). découverte de la tombe de son père, Philippe avec le soin le plus extrême et qui auraient
Paul Emile Victor
de Macédoine, à Vergina, en Grèce. été autrement perdus à jamais.
Paris
Walter Marques Il y a quelques années, j'ai visité, à New-
Rio de Janeiro - Brésil
York, le musée des Cloîtres de Fort Tryon.
CHASSES ROYALES N.D.L.R. Non seulement nous avons Jusque là, je pensais que les Américains
répondu à votre v en publiant en page 2 étaient du genre à "rafler des babioles sans
Je viens de relire un article paru dans le de notre numéro de juillet 1978 la photo du
valeur", mais, après avoir' vu les tapisseries
numéro d'octobre 1971 du Courrier de portrait présumé de Philippe <fe Macédoine, qu'ils ont rassemblées une par une, net¬
toyées et remontées pour faire un ensemble,
l'Unesco, intitulé "Les grandes chasses du mais vous trouverez d'autre part dans le pré¬
roi sassanide". Le bas-relief du 5e siècle sent numéro, en page 30, le portrait de son je n'ai pu m'empêcher de me dire "S'ils en
prennent soin ainsi, alors bravo I"
après J.-C, représenté en page 38 (photo 2) fus Alexandre le Grand. Tous deux provien¬
est décrit ; cependant, dites-vous, l'inten¬ nent des campagnes de fouilles dirigées par D.M. Skippings
tion du sculpteur n'a pas été éclaircie. le professeur Manolis Andronicos, auteur de Yarmouth, Norfolk - Royaume-Uni

73
c-pncrxi c~] L J
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a
ses membres associés, ainsi que par les organi¬
Pour mieux connaître
sations intergouvernementales ou non gouver¬
nementales ayant avec l'Unesco des relations de
Lectures Les Nations Unies
consultation ou de coopération. Le jury interna¬
Un Répertoire des Systèmes et Services tional comprendra un représentant du Directeur
Publications Unesco
d'informatique des Nations Unies vient d'être général de l'Unesco, une personnalité nommée
publié par le Bureau interorganisation pour les par le gouvernement vénézuélien et cinq autres
Education systèmes d'information des Nations Unies représentants de différentes régions du monde
Réformes et innovations éducatives en (BIO). Cet ouvrage de 250 pages contient plus, désignés à titre personnel par le Directeur géné¬
Afrique 12 FF d'une centaine de rubriques consacrées aux ral.
Droits de l'homme, à l'industrie, à la science, à la
Une nouvelle approche de l'éducation de
base : Radio Santa Maria 15 FF
sociologie, etc. Publié en anglais (les éditions
française et espagnole paraîtront ' en fin
Terminologie : Education spéciale 42 FF d'année), ce répertoire est fourni gratuitement
aux organisations, universités et bibliothèques. Sauver les Moines
La planification du programme scolaire
S'adresser au Directeur, Secrétariat du BIO,
12 FF
Palais des Nations, CH-1211, Genève 10, Suisse. Un plan d'action pour sauver les moines (pho¬

Répertoire : Services de documentation


ques à ventre blanc) qui vivent en Méditerranée
et sont menacés par la pollution, la capture
et d'information pédagogiques 10 FF
extensive et la destruction de leur milieu, a été
Bibliographie : Rapports de la Confé¬ approuvé lors d'une réunion convoquée par le
rence internationale de l'éducation, 1975 Pour le développement gouvernement grec sous les auspices de la
10 FF Grèce, du Programme des Nations Unies pour
industriel dans le tiers l'Environnement (PNUE), de l'Union internatio¬
Systèmes et politique : la fonction de
nale pour la conservation de la nature et de ses
l'information dans l'amélioration des monde ressources (UICN) et de l'Université de Guelph
systèmes d'éducation 12 FF
(Canada). Ce plan sera associé aux projets de
Un don de 1 million en provenance de l'Arabie sauvetage des moines de Turquie et de la Médi¬
L'INCE et la formation technique et pro-
Saoudite, une promesse de plus d'un million du terranée occidentale.
fessiqnnelle au Venezuela 14 FF
Royaume-Uni, des contributions du Burundi et
L'éducation des travailleurs migrants et du Venezuela, portent à 9 millions et demi de
de leurs familles 8 FF dollars les disponibilités du Fonds des Nations
Unies pour le développement industriel. Créé par
Expériences d'éducation populaire au l'Assemblée générale des Nations Unies en
Portugal 1974-1976 8 FF 1976, le Fonds est alimenté par des contributions
volontaires. Les sommes ainsi recueillies sont
Sciences sociales
utilisées par l'Organisation des Nations Unies au
Manuel sur la communication sociale en profit du développement industriel dans les pays
matière de population et de développe¬ en voie de développement.
ment 18 FF

L'infrastructure des sciences sociales en


Asie, Il :

Afghanistan, Indonésie, Japon, Républi¬ Mise en commun


que de Corée, Népal 8 FF
des recherches
La perception de l'environnement :
lignes directrices méthodologiques pour technologiques
les études sur le terrain 24 FF
Neuf pays africains (Ghana, Kenya, Madagas¬
Quatre applications du modèle Unesco car, Nigeria, Ouganda, République Unie du
de simulation de l'éducation 10 FF
Cameroun, Sénégal, Soudan et Zaïre) ont cons¬
titué une Association d'organisations africaines
Sciences
de recherches technologiques et industrielles.
Effets de l'urbanisation ef de l'industriali¬
sation sur le régime hydrologique et sur
la qualité de l'eau 135 FF

Culture L'Unesco institue


Guide pour la sécurité des biens culturels
12 FF le prix international
Documentation Simon Bolivar Le Courrier de l'Unesco
Manuel des échanges internationaux de Le prix international Simon Bolivar a été insti¬ en coréen
publications 28 FF tué par l'Unesco avec l'apport financier du gou¬
Répertoire des services de documenta¬ vernement vénézuélien pour récompenser une
Nous avons le plaisir d'annoncer à nos lec¬
activité méritoire conforme aux idéaux de Boli¬
tion, de bibliothèque et d'archives d'Afri¬ teurs la naissance d'une nouvelle édition linguis¬
var (1783-1830) El Libertador (le libérateur) de<
que 60 FF tique de notre revue mensuelle. Le premier,
l'Amérique latine.
numéro du "Courrier de l'Unesco" en langue
Vocabulaire des conférences 15 FF
Ce prix honorera tous les deux ans une contri¬ coréenne vient en effet de paraître à Séoul. Il est
bution à la liberté, à l'indépendance et à la publié par les soins de la Commission nationale
Moyens d'information
dignité des peuples ainsi qu'au renforcement de coréenne pour l'Unesco, P.O. Box central 64,
Les émissions radiodiffusés vers l'étran¬
la solidarité entre les nations se traduisant par la Séoul, République de Corée. Le lancement en
ger et la compréhension internationale promotion de leur développement ou de l'avène¬ juin 1978 de cette nouvelle édition porte à 19 le
8 FF
ment d'un nouvel ordre économique, social et nombre des éditions linguistiques du "Courrier
Actes de la Conférence internationale culturel international. Le prix (pas moins de de l'Unesco" : français, anglais, espagnol,
30 000 dollars) sera décerné pour la première fois russe, allemand, arabe, japonais, italien, hindi,
d'Etats sur la distribution de signaux por¬
le 24 juillet 1983, date du bicentenaire de la nais¬ tamoul, hébreu, persan, néerlandais, portugais,
teurs de programmes transmis par satel¬
lite 70 FF sance de Simon Bolivar, à une ou plusieurs per¬ turc, ourdou, catalan, bahasa-malaisien et
sonnalités, sur la base des candidatures présen¬ coréen.' Lelancement d'une 20* édition fien kis-
tées par les Etats membres de l'Unesco ou par wahili) est encore envisagé pour cette année.

74
Vient de paraître aux Presses de /'Unesco

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ALGÉRIE. Institut pédagogique national, 11, rue Ali Haddad, Mahatma Gandhi Road, Bangalore-560001, 3-5-820 Hyderguda, aux périodiques : Rompresfilatelia calea Victonei 29, Bucarest.
Alger, Société nationale d'édition et diffusion (SNED), 3 bd Hyderabad-500001 . Publications Section, Ministry of Education - ROYAUME-UNI. H. M. Stationery Office P.O. Box 569,
Zirout Youcef, Alger. - RÉP. FED. D'ALLEMAGNE. Unesco and Social Welfare, 511, C-Wing, Shastri Bhavan, Nouvelle- Londres S.E. 1 SÉNÉGAL. La Maison du Livre, 13, av.
Kurier (Édition allemande seulement : Colmantstrasse, 22, 5300 Delhi-110001 ; Oxford Book and Stationery Co., 17 Park Street, Roume, B.P. 20-60, Dakar, Librairie Clalrafnque, B.P. 2005,
Bonn. Pour les cartes scientifiques seulement : Geo Center, Calcutta 700016; Scindia House, Nouvelle-Delhi 110001. - Dakar, Librairie « Le Sénégal » B.P. 1954, Dakar.
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Karger GmbH, Karger Buchhandlung, Angerhofstr. 9, Postfach Iranchahr Chomali N° 300 ; B.P. 1533, Téhéran, Kharazmie 131, Mahé. SUÉDE. Toutes les publications : A/B CE.
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nationale, B.P. 294. Porto Novo. - BRÉSIL. Fundación Getúlio Beyrouth. - LUXEMBOURG. Líbrame Paul Brück, 22, Grand- Publishers, Hurbanovo nam. 6, 893 31 Bratislava. TOGO.
Vargas, Editora-Divisao de Vendas, Caixa Postal 9.052-ZC-02, Rue, Luxembourg. MADAGASCAR1. Toutes les Librairie Évangélique, B.P. 1164, Lomé, Librairie du Bon Pasteur,
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Yaounde. - CANADA. Renouf Publishing Co. Ltd., 2182 St. avenue Mohammed-V, Rabat, C.C.P. 68-74. « Courrier de - TURQUIE. Librairie Hachette, 469 Istiklal Caddesi ; Beyoglu,
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(21). - RÉP. POP. DU CONGO. Librairie populaire B.P. 577 Mourabitine. Rabat (C.C.P. 324-45). - MARTINIQUE. Librairie Losada, Maldonado, 1092, Colonia 1340, Montevideo.
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Publications, N" 1, Talaat Harb Street, Tahrir Square, Le Caire. MONACO. British Library, 30, boulevard des Moulins, Monte- Commission nationale de la Rép. du Zaire pour l'Unesco,
- ESPAGNE. Ediciones Liber. Apartado 17, Ondárroa Carlo. MOZAMBIQUE. Instituto Nacional do livro e do Ministère de l'Éducation nationale, Kinshasa.
Créateur de la peinture non figurative, Casimir Malevitch (né à Kiev en 1878, mort à Leningrad en 1935)
entend considérer la peinture comme un objet et non comme une représentation du réel, décision qui le con¬
Une icône duit vers l'abstraction. Il est le chef de file de l'école suprématiste (nom donné à l'abstraction géométrique).
Rectangles, cercles et croix aboutissent à la conséquence la plus absolue : ce fameux tableau "le Carré
blanc sur fond blanc". L'utilisation des formes tubulaires pour interpréter le corps humain sont manifestes

d'avant garde dans cette "tête de paysan" (huile de 1910 conservée au musée russe de Leningrad). Cette oeuvre montre la
conviction du peintre que l'art recèle une force morale qui plonge ses racines dans les peintures d'icônes.

-4

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Photo Mus6e russe de Leningrad. URSS

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