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Anabases

Traditions et réceptions de l’Antiquité


33 | 2021
Varia

Marco Buonocore (éd.), Corpus inscriptionum


Latinarum. Inscriptiones Calabriae Apuliae Samnii
Sabinorum Piceni Latinae. Supplementum. Regio Italiae
quarta. vol. IX. Suppl. Pars 1. Fasc. 1 et Fasc. 2
Federico Santangelo

Electronic version
URL: https://journals.openedition.org/anabases/12218
DOI: 10.4000/anabases.12218
ISSN: 2256-9421

Publisher
E.R.A.S.M.E.

Printed version
Date of publication: 10 April 2021
Number of pages: 277-279
ISSN: 1774-4296

Electronic reference
Federico Santangelo, “Marco Buonocore (éd.), Corpus inscriptionum Latinarum. Inscriptiones Calabriae
Apuliae Samnii Sabinorum Piceni Latinae. Supplementum. Regio Italiae quarta. vol. IX. Suppl. Pars 1. Fasc. 1
et Fasc. 2”, Anabases [Online], 33 | 2021, Online since 10 April 2021, connection on 05 May 2023. URL:
http://journals.openedition.org/anabases/12218 ; DOI: https://doi.org/10.4000/anabases.12218

Creative Commons - Attribution-NonCommercial-NoDerivatives 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0


https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/
o
ANABASES
Traditions et Réceptions de l’Antiquité

No 33
2021

La tragédie grecque entre théâtre et cinéma


Sénèque le tragique en Europe, de la fin
de l’âge classique au romantisme Les liens
scientifico-mondains de Bernard Roy Les
Phéniciens d’après Giorgio Levi Della Vida
ANABASES
Traditions et Réceptions de l’Antiquité
Revue de l’équipe de recherche E.R.A.S.M.E.
Université Toulouse-Jean Jaurès (UT2J)

Anabases dispose d’un Comité de lecture international. Chaque article envoyé à la rédaction est soumis,
une fois anonymisé, à l’expertise de deux spécialistes qui rendent un rapport écrit. Les deux rapports
anonymisés sont transmis à l’auteur qui tient compte des observations en vue de la publication.

Comité scientifique
Germaine Aujac (université Toulouse-Jean Jaurès : histoire de la géographie et des sciences antiques)
Florence Bouchet (université Toulouse-Jean Jaurès : littérature médiévale)
Hinnerk Bruhns (cnrs : histoire économique et sociale ancienne et contemporaine)
Paulo Butti de Lima (université de Bari : historiographie et réception de l’Antiquité)
Luciano Canfora (université de Bari : littérature et histoire anciennes, historiographie)
Giovanna Ceserani (Stanford University : histoire intellectuelle et historiographie de la tradition classique)
Temístocles Cezar (université de Porto Alegre : historiographie moderne)
Serafina Cuomo (University of London, Birkbeck College : histoire des mathématiques et des sciences)
Paul Demont (université de Paris Sorbonne : philologie grecque et héritage classique)
Marie-Laurence Desclos (université de Grenoble II : philosophie de l’Antiquité)
Olivier Devillers (université de Bordeaux 3 – Michel-de-Montaigne : littérature et historiographie latines)
Andrea Giardina (Istituto italiano di scienze umane : histoire du monde romain et de ses réceptions)
Ève Gran-Aymerich (aibl : histoire de l’archéologie et des transferts culturels)
François Hartog (ehess : historiographie ancienne et moderne)
Geneviève Hoffmann (université de Picardie : histoire des mondes grecs)
Christian Jacob (cnrs/ehess : histoire comparée et épistémologie des savoirs)
Suzanne Marchand (Louisiana State University : histoire du classicisme et de l’orientalisme)
Wilfried Nippel (Humboldt Universität Berlin : histoire et historiographie de l’Antiquité)
Sylvie Pittia (université de Paris I-Panthéon Sorbonne : histoire et historiographie du monde romain)
Stéphane Ratti (université de Franche-Comté – Besançon : philologie et héritage latin)

Comité de Rédaction
Clément Bertau-Courbières, Corinne Bonnet, Laurent bricault, Clément Bur, Adeline Grand-Clément,
Anne-Hélène Klinger-Dollé, Véronique Krings, Thibaud Lanfranchi, Pascal Payen, Grégory Reimond,
Sarah Rey, Catherine Valenti, Noémie Villacèque

Éditeur responsable
Clément Bur
Éditrice adjointe
Catherine Valenti

Sites web
http://plh.univ-tlse2.fr
Revues.org : http://anabases.revues.org

Abonnement et vente au numéro


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ANABASES
Traditions et Réceptions de l’Antiquité

N o 33
2 021

E.R.A.S.M.E.
Université Toulouse - Jean Jaurès
Sommaire

N° 33 - 2021

Traditions du patrimoine antique


Philippe Brunet
Scène et hors-scène : la tragédie grecque entre théâtre et cinéma ................ 11
Dossier Sénèque coordonné par Sylvie Humbert-Mougin
Sénèque le tragique en Europe, de la fin de l’âge classique au romantisme ....... 25
Sylvie Humbert-Mougin
Introduction. En haine de Sénèque le tragique : formes, enjeux et limites
d’un discrédit, de la fin de l’âge classique au romantisme ............................ 27
Florence de Caigny
Les tragédies de Sénèque à la fin du xviie siècle :
métamorphose d’un modèle théâtral ................................................................ 41
Pascale Paré-Rey
L’œuvre tragique de Sénèque au xviiie siècle :
lectures, relectures et controverses ................................................................. 55
Zoé Schweitzer
La traduction comme réflexion critique sur l’art dramatique ?
Jeux et enjeux des tragédies complètes de Sénèque en français
au tournant des xviiie et xixe siècles (Coupé, 1795 et Levée-Duval, 1822) .......... 77
Sylvie Le Moël
Le modèle de Sénèque et la dramaturgie de la fureur
dans le théâtre allemand des Lumières : Gotter et Klinger ............................ 97
6

Vincenza Perdichizzi
Alfieri, Sénèque le tragique et le défi de Mérope . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115

Archéologie des savoirs


Houcine Jaïdi
Les liens scientifico-mondains de Bernard Roy avec les sociétés
savantes de Bourgogne, d’Algérie et de Tunisie aux xixe-xxe siècles . . . . . . . . 133

Actualités et débats
Perikles Christodoulou
Évocations de l’Antiquité dans la Maison de l’Histoire européenne :
sujets, objets, muséographie, muséologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183

Lire, relire la bibliothèque des sciences de l’Antiquité


Maria Giulia Amadasi Guzzo
Les Phéniciens d’après Giorgio Levi Della Vida . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
Giorgio Levi della Vida
« Fenici », dans Enciclopedia Italiana di Scienze Lettere
e Arti, tome XIV, 1932, p. 997-1002 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
Gustavo A. Vivas García
El trabajo de Syme sobre Cornelio Galo publicado en 1938 :
algunas consideraciones . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237

Ateliers
Atelier « Laboratoires du politique » (5) (coord. P. Butti di Lima)

Maria das Gracias De Moraes Augusto


Politeia tropicale. La presenza del pensiero greco
nella formazione politica del Brasile ottocentesco . . . . . . . . . . . . . . . 251

Atelier « L’Antiquité au musée » (10) (coord. A. Grand-Clément)

Dimitri Tilloi d’Ambrosi


« Pompéi » au Grand Palais. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
Atelier des doctorants (18) (coord. A. Grand-Clément)
Aurore Dericq Facchinetti
L’Antiquité au kaléidoscope de la traduction : les multiples vies
des Vies de Suétone, de la Renaissance aux Lumières. . . . . . . . . . . . . 262
7

Comptes rendus
Marlène Albert-Llorca et Pierre Rouillard
La Dame d’Elche, un destin singulier.
Essai sur les réceptions d’une statue ibérique (Grégory Reimond). . . . . . . . . . . 271

Antón Alvar Nuño


Historiografía de la esclavitud (Élodie Guillon) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273

Federica Bessone et Marco Fucecchi (éds.)


The Literary Genres in the Flavian Age. Canons,
Transformations, Reception (Amedeo Alessandro Raschieri) . . . . . . . . . . . . . 275

Marco Buonocore (éd.)


Corpus inscriptionum Latinarum. Inscriptiones Calabriae
Apuliae Samnii Sabinorum Piceni Latinae. Supplementum.
Regio Italiae quarta. Vol IX. Suppl. Pars 1. Fasc. 1

Corpus inscriptionum Latinarum. Inscriptiones Calabriae


Apuliae Samnii Sabinorum Piceni Latinae. Supplementum.
Regio Italiae quarta. Vol IX. Suppl. Pars 1. Fasc. 2, (Federico Santangelo) . . . 277

Marco Cavalieri, Olivier Latteur (dir.)


Antiquitates et Lumières. Étude et réception de l’Antiquité romaine
au Siècle des Lumières (Arnaud Saura-Ziegelmeyer) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 279

Jean-Michel David, Frédéric Hurlet et Martin Jehne (dir.)


« La culture politique de la République romaine. Die politische
Kultur der römischen Republik », dans Trivium, 31, 2020
(Clément Bur) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281

Stephen L. Dyson
Archaeology, ideology and urbanism in Rome
from the grand tour to Berlusconi (Filippo Carlà-Uhink) . . . . . . . . . . . . . . . . . 283

Alexandra Eckert et Alexander Thein (éds.)


Sulla. Politics and Reception (Cyrielle Landrea) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286

Lisa Maurice
Screening divinity (Mathieu Scapin). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287

Friedrich Meins
Paradigmatische Geschichte: Wahrheit, Theorie und Methode
in den Antiquitates Romanae des Dionysios
von Halikarnassos (Yehudah Gershon) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289
8

Pier Giuseppe Michelotto


Da Pietroburgo a New Haven. Sei saggi su M.I. Rostovtzeff
(Corinne Bonnet) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 290

Astrid Möller (éd.)


Historiographie und Vergangenheitsvorstellungen
in der Antike (Louis Autin) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 292

Helmut Pfeiffer, Irene Fantappiè, Tobias Roth (éds.)


Renaissance Rewritings (Séverine Tarantino) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 294

Charlayn von Solms


A Homeric Catalogue of Shapes.
The Iliad and Odyssey Seen Differently (Clarisse Evrard) . . . . . . . . . . . . . . . . 295

Trinidad Tortosa (éd.)


Patrimonio arqueológico español en Roma.
« Le Mostre Internazionali di Archeologia » de 1911 y 1937
como instrumentos de memoria histórica (Grégory Reimond). . . . . . . . . . . . . . 297

Résumés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301

Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 307
Comptes rendus de lecture
Anabases 33 (2021), p. 271-300.

Marlène Albert-Llorca et exceptionnelle. Quelques jours plus tard,


Pierre Rouillard, La Dame d’Elche, l’archéologue bordelais Pierre Paris arrive
un destin singulier. Essai sur les dans la ville et engage des négociations
réceptions d’une statue ibérique, Madrid, pour que le musée du Louvre puisse en faire
Casa de Velázquez, 2020, 179 p., 19 € / l’acquisition. Rondement menée, l’affaire
ISBN 9788490963203. est conclue dans les semaines qui suivent.
L’œuvre, qui est alors une pièce unique,
Il est des objets hérités du passé qui, en bien que non isolée, suscite d’emblée le
raison de leur signification historique ou débat : quelle inscription chronologique
de l’imaginaire collectif qu’ils contribuent doit-on lui donner ? Quelle est l’identité du
à nourrir, sont revêtus d’une forme de sculpteur qui la façonna ? Qui représente-
sacralité. La Dame d’Elche en fait partie. t-elle ? Quelle était sa forme première :
L’enquête de Marlène Albert-Llorca et un buste ? une statue en pied ? trônante ?
de Pierre Rouillard consiste précisément Quelle était sa fonction ? Pourquoi fut-elle
à étudier les multiples discours auxquels enfouie à un moment indéterminé ? Le
ce chef-d’œuvre de l’art des Ibères a livre, sans chercher à clore le débat, revient
donné lieu : discours savants, celui des sur sa signification en tant que « pièce
archéologues et des érudits, discours de majeure de l’archéologie des sociétés de
valorisation identitaire, usages sociaux et la Méditerranée antique » (p. 6). Mais il
politiques dont elle fut – et est toujours – s’intéresse surtout à sa trajectoire tout
l’objet. Signalons au passage que les à fait originale lors de sa deuxième vie,
premiers résultats de ce travail avaient celle qui débute en 1897. C’est le « destin
donné lieu à la publication d’un article : singulier » qu’évoque explicitement le titre
Marlène Albert Llorca, Jesús Moratalla et du livre. Singulier, en effet, d’abord parce
Pierre Rouillard, « Le singulier destin d’une que cette Dame de pierre aima les voyages.
sculpture ibérique : la Dame d’Elche », Découverte dans le Pays valencien, exposée
Images Re-vues. Histoire, anthropologie et au Louvre jusqu’en 1940, elle regagna alors
théorie de l’art, 15, 2018 [en ligne]. l’Espagne dans le cadre d’un échange entre
Rappelons d’abord quelques faits. Le les gouvernements de Pétain et de Franco.
buste en pierre d’une femme richement Entre 1941 et 1972, elle fut exposée au Prado
parée est découvert par des ouvriers avant de rejoindre le Museo Arqueológico
agricoles à La Alcudia, près d’Elche, le Nacional où elle se trouve toujours. Elle se
4 août 1897. Pedro Ibarra, un érudit local rendit à deux reprises à Elche dans le cadre
membre de la famille du docteur Manuel d’expositions temporaires et, aujourd’hui
Campello auquel appartient le terrain encore, sa ville natale ne cesse de demander
sur lequel on a découvert la sculpture, sa restitution.
est le premier lettré à pouvoir l’admirer Ces pérégrinations ont contribué à en
et à comprendre qu’il s’agit d’une œuvre faire une icône identitaire. Dès 1897, la Dame
272 Comptes rendus

d’Elche donne lieu à de multiples discours orientalisantes). L’histoire des moulages de


et représentations, parfois contradictoires, l’œuvre est aussi considérée, en particulier
et qui coexistent les uns avec les les tirages faits à partir de la copie du buste
autres. Le livre propose ainsi, dans une réalisée par Ignacio Pinazo à la demande
perspective qui est à la fois archéologique, de l’archéologue espagnol José Ramón
historiographique et anthropologique, Mélida. Le sculpteur espagnol prolonge
une histoire de la réception de l’œuvre cette expérience jusque dans l’entre-
à l’époque contemporaine à partir d’une deux-guerres en trouvant dans la Dame
approche théorique qui s’inspire du une source d’inspiration pour plusieurs
cadre hérité de l’École de Constance. Les de ses créations. Ces premiers chapitres,
auteurs ont toutefois privilégié l’étude tout à fait intéressants, présentent l’intérêt
des discours érudits qui ont été produits de rassembler de façon commode des
(« les modes de réception de la statue par informations par ailleurs connues.
les lettrés », p. 7) dans la mesure où ce sont De notre point de vue, les deux derniers
eux qui construisent « l’efficacité sociale » chapitres sont les plus stimulants. Le
(agency) de la statue. De là les multiples chapitre 4 analyse la récupération de la
sources, de nature très variée, que cette Dame d’Elche, à partir des années 1920,
étude mobilise : écrits savants, journaux, comme symbole identitaire valencien.
textes d’érudits, entretiens, iconographie Celui-ci est au service d’un discours qui
(sculptures, moulages, peintures, affiches, postule l’idée d’une continuité entre les
photographies), sans oublier les fêtes et Ibères d’hier et les Valenciens – et les
les commémorations qui mettent en scène Catalans dans une moindre mesure –
la Dame. Les lectures de trois catégories d’aujourd’hui. Dans ce schéma essentialiste,
d’acteurs sont privilégiées : celles des la Dame d’Elche incarne le type idéal de
archéologues du tournant des xixe et xxe la femme ibère, lequel préfigure celui de
siècles, celles des artistes que la Dame a la Valencienne et, au-delà, de l’Espagnole
inspirés, celles des idéologues régionalistes moderne. Nous signalerons en particulier
et nationalistes qui se sont emparés de ce les pages consacrées à la comparaison des
symbole. usages symboliques de la Dame d’Elche et
Le chapitre 1 revient sur la découverte en de la Vénus d’Arles dans la construction
fournissant des éléments qui permettent de des discours régionalistes provençal et
situer l’œuvre dans son contexte culturel, valencien (p. 90-112). De la Festo Vierginenco
celui de la Protohistoire de la péninsule provençale à la Dama viviente d’Elche,
Ibérique, et dans le contexte archéologique en passant par les Fallas valenciennes,
dans lequel elle fut trouvée. Le chapitre 2 les auteurs mettent en lumière la place
étudie les débats que la Dame a suscités capitale que tient une certaine image de la
chez les archéologues du début du xxe féminité au sein de deux imaginaires qui
siècle, tout en rappelant les apports les se répondent à travers des « configurations
plus récents de la recherche (confirmation symboliques et rituelles » proches (p. 104).
de sa fonction funéraire à un moment Quant au chapitre 5, il privilégie l’étude
de son histoire, de l’origine du calcaire de la récupération symbolique de la Dame
gréseux – provenant des carrières d’El dans la construction de l’identité nationale
Ferriol – qui a servi à sa réalisation). Avec le espagnole, en particulier sous la dictature de
chapitre 3, on quitte le terrain strictement Franco, et ses avatars depuis la restauration
archéologique. Les auteurs reviennent sur de la démocratie. Le rétablissement de la
la réception de l’œuvre par des artistes tels liberté d’expression et la mise en place d’un
que David Dellepiane ou Georges-Antoine État très décentralisé dans le cadre des
Rochegrosse (lectures hellénisantes et communautés autonomes a en effet favorisé
Comptes rendus 273

la récupération de la Dame comme symbole sculpture qui restait (reste ?) une image
local puissant pour la ville d’Elche / Elx. païenne (p. 136-147).
Mentionnons en particulier les pages Le contenu de cette belle étude, on
relatives à la réélaboration du récit de la l’aura compris, est pour nous d’un vif
découverte du buste à l’époque du premier intérêt. Celui-ci est double. D’une part,
franquisme par Alejandro Ramos Folqués elle offre, en langue française, ce qui est à
et l’ouvrier qui aurait découvert la Dame, souligner, une synthèse concise et précise
Manuel Campello – qui ne doit pas être sur les réceptions de la Dame d’Elche.
confondu avec le docteur Manuel Campello, Mais cet essai accorde aussi une place
propriétaire de La Alcudia en 1897 (p. 117- importante à des aspects moins connus
136). Il entre en contradiction, sur plusieurs de cette histoire. À ce titre, ce petit livre
points, avec d’autres témoignages plus est bien plus qu’un simple état de l’art.
anciens, en particulier ceux de Pedro Ibarra Le propos est par ailleurs servi par deux
qui, s’il n’assista pas à la découverte, fut l’un belles plumes : le discours est clair, très
agréable à lire. L’illustration, très riche, est
des premiers à voir l’œuvre et à examiner
au service du texte. De ce point de vue, il est
le lieu où elle fut trouvée. Le sujet n’a rien
regrettable que la qualité de l’impression
d’anecdotique puisque privilégier telle ou
laisse à désirer. Le rejet des notes en fin
telle version du contexte de découverte
d’ouvrage, dont nous comprenons l’usage,
oriente l’interprétation ultérieure
n’en reste pas moins tout à fait incommode
relative aux raisons qui purent conduire pour le lecteur, d’autant plus que nous ne
à l’enfouissement de la Dame à l’époque disposons pas d’une bibliographie finale.
ibérique et à la signification qu’elle pouvait Celle-ci aurait pourtant été utile.
revêtir pour les Ibères d’Elche. Ce dossier Quoi qu’il en soit, les auteurs nous offrent
a récemment fait l’objet d’une relecture une enquête passionnante qui est à la fois
par Sonia Gutiérrez Lloret et, de façon plus accessible et précise, ramassée et dense,
approfondie, par Ana M.a Ronda Femenia. toujours stimulante. L’essai de Marlène
Ces travaux ont enrichi notre connaissance Albert-Llorca et Pierre Rouillard offre
des sources relatives à cette question, ainsi un complément utile à une autre
mais les conclusions d’Ana M.a Ronda, en étude récente que nous recommandons
particulier, restaient prudentes. Marlène aux lecteurs d’Anabases, celle de Carmen
Albert-Llorca et Pierre Rouillard adoptent, Aranegui Gascó (La Dama de Elche. Dónde,
de façon très convaincante, une position cuándo y por qué, Madrid, Marcial Pons,
plus ferme face à ce récit tardif qui entre 2018).
en résonnance avec les légendes mariales.
Devenu récit officiel, il est imprégné des Grégory Reimond
valeurs et d’un imaginaire qui sont ceux Casa de Velázquez, Université Toulouse –
du national-catholicisme. Les auteurs Jean Jaurès
l’affirment avec force : il faut le « récuser gregoryreimond1984@gmail.com
formellement » (p. 123). On lira ainsi des
pages tout à fait stimulantes sur « les
effets sociaux » (p. 135) de ce récit, sur ses
conséquences « sur la valeur symbolique Antón Alvar Nuño, Historiografía de la
conférée à la Dame » (p. 136), ou encore sur esclavitud, Madrid, Universidad Carlos
le processus de « transfert de sacralité » III, 2019, 500 p., 33 € / ISBN 9788413244594.
entre la Dame d’Elche et la Vierge, sans
que l’on puisse toutefois parler d’une Antón Alvar Nuño nous propose Historio-
identification entre la mère de Dieu et une grafía de la esclavitud, un ouvrage copieux
274 Comptes rendus

de 500 pages sur le thème de la condition celle de la condition servile en Grèce


servile et de ses traitements historio- (Fernández Prieto ; Valdés Guía sur Sparte
graphiques. Cette thématique a été soumise et Fornis sur Athènes). Enfin, la dernière
par le GIREA (Groupe International de partie concerne l’historiographie de
Recherches sur l’Esclavage dans l’Antiquité) l’esclavage en péninsule Ibérique pendant
pour une série de raisons explicitées dans la protohistoire et l’époque romaine. Elle
l’introduction, comme la généralisation du traite d’auteurs en particulier comme Pline
relativisme culturel ou l’engouement pour le Jeune (Gonzales), de lieux comme les
les libertés individuelles, par exemple, alors mines (Zubiaurre Ibáñez et Beltrán Ortega),
même que le contexte voit se multiplier d’événements comme les révoltes serviles
des formes d’exploitation et augmenter le (Desideri ; Arrayás Morales et Heredia
nombre de travailleurs pauvres. Après cette Chimeno) ou d’historiens en particulier
introduction convaincante sur la nécessité qui ont marqué leur époque et l’analyse
de réviser la thématique de l’ouvrage – bien de la condition servile antique (Caliri ;
qu’elle manque peut-être de quelques Cortadella Morral et Sierra Martin ; Alvar
définitions de base, notamment sur ce Nuño). Le reste de la partie est consacré
qu’englobe dans l’ouvrage la notion d’escla- plus particulièrement à l’historiographie
vage – trois grandes parties se succèdent, de l’esclavage en péninsule Ibérique
comprenant respectivement huit, cinq et (Hidalgo de la Vega ; Crespo Mas ; Sastre,
neuf communications en espagnol, français Rodríguez Fernández et Currás Rejofos).
et italien. L’organisation globale du volume fait
La première partie est consacrée à sens, même si plusieurs articles auraient
l’esclavage antique et la pensée politique pu trouver leur place dans l’une ou l’autre
moderne. Elle comprend des contributions des trois parties. On regrette enfin les
générales sur le couple de notions domi- problèmes formels qui perturbent parfois
nation/servitude, sur des aspects théoriques la lecture, en particulier dans les articles en
ou la représentation globale d’une Antiquité français, ainsi que la présence d’un index,
esclavagiste (Serghidou ; Montoya Rubio ; en particulier pour les noms d’auteurs ou
Plácido), ainsi que deux contributions les notions transversales, qui aurait sans
portant plus particulièrement sur les doute permis une consultation plus efficace
États-Unis et les parallèles établis entre du volume.
leur système esclavagiste et les sociétés L’ouvrage présente cependant des qua-
antiques (Huguet ; Martínez Maza), un lités certaines, notamment sur le traite-
point épistémologique (Annequin sur les ment de la thématique de l’esclavage
méthodologies de la comparaison ; Prieto moderne aux États-Unis, de son traitement
Arciniega sur les travaux précurseurs de historiographique et de sa comparaison à
F. Garrido) et, enfin, une incursion dans les l’Antiquité. Il en va de même du traitement
représentations picturales liées à l’esclavage espagnol de l’esclavage antique en pénin-
antique de l’Espagne du xixe siècle (Duplá sule Ibérique, à plusieurs reprises. Dans
Ansuategui). La deuxième partie, dédiée ces deux cas, les articles se complètent et
à l’historiographie de l’esclavage au se répondent pour donner au lecteur une
Proche-Orient et en Grèce antiques, est vison substantielle et bien renseignée de
plus resserrée thématiquement. Les deux l’état actuel des connaissances. Concernant
premières contributions concernent l’Antiquité plus particulièrement, le lecteur
l’historiographie de l’esclavage au Proche- voit au fil des contributions que la question
Orient (Vidal pour la Mésopotamie ; de la condition servile est encore totalement
Antela-Bernárdez et Zaragozà Serrano ouverte, y compris dans des zones où
pour l’Empire perse) et les trois suivantes la documentation est plus abondante,
Comptes rendus 275

comme Athènes ou la péninsule italique. generi letterari nell’età dei Flavi. L’opera si
Beaucoup de débats portent effectivement compone di sedici studi in lingua inglese
sur la précision des types de dépendance suddivisi in sette parti. La prima sezione è
ou des modes d’exploitation. L’ouvrage dedicata ai generi e alla storia letteraria e,
entier concourt à montrer que le terme in particolare, all’opera di Quintiliano. La
d’esclavage est souvent trop englobant et seconda sezione tratta di enciclopedismo
qu’il masque les subtilités de situations e oratoria con un’attenzione particolare
bien plus complexes. Par ailleurs, le lecteur per Plinio il Vecchio e Plinio il Giovane.
pourra aussi apprécier la diversité des La terza sezione si concentra sulla poesia
perspectives adoptées : par le truchement epigrammatica di Marziale e sul suo
d’un auteur, la mise à jour des données, les rapporto con Catullo. Nella quarta sezione
écoles (soviétique, japonaise, espagnole, l’attenzione è focalizzata sulla relazione
marxiste, postprocessuelle…). tra poesia d’occasione e generi letterari.
Si dans sa présentation du volume A. La quinta sezione, sui modelli e sulle
Alvar Nuño avertit le lecteur de la grande trasformazioni della poesia epica, tratta
diversité des contributions proposées, il est di Valerio Flacco e del suo rapporto con
vrai qu’on ne peut que remarquer, à l’issue la tradizione letteraria latina e greca. La
de la lecture, le côté foisonnant de l’ouvrage. sesta sezione passa al tema della guerra
Les réflexions théoriques alternent avec e alla tensione fra generi letterari. La
des études de cas bien spécifiques, sur des settima sezione riguarda la relazione tra
notions comme la pauvreté ou des auteurs poesia epica e altri generi letterari. Dei tre
anciens ou modernes, qu’il est parfois peu aspetti ricordati nel sottotitolo del volume,
aisé de saisir dans toute leur complexité oltre al tema del canone letterario, il filone
quand on ne dispose pas d’avance des della ricezione si declina in due sensi: la
références discutées. Cependant, la ricezione in età flavia di autori precedenti e
plupart des contributions font le choix la ricezione di opere dell’età flavia in autori
d’une contextualisation de leur sujet, fort successivi. Il tema della tensione, invece,
utile aux néophytes. C’est donc un volume si trova sia all’interno dello stesso genere
riche que nous livrent A. Alvar Nuño et ses letterario sia tra generi diversi.
collaborateurs où chacun pourra trouver Nella prima sezione, Citroni avverte che
à n’en pas douter de quoi satisfaire sa Quintiliano non fu un classicista e non
curiosité ou étayer ses connaissances sur le vedeva in Cicerone il modello ideale. Egli
thème. riconosceva un progresso nell’oratoria e
apprezzava alcuni aspetti sia dei veteres
Élodie Guillon sia dei novi. Baier individua il principio
Université Toulouse – Jean Jaurès dell’imitazione, derivante dall’utilità, come
elodie.guillon@univ-tlse2.fr il motore dello sviluppo per la cultura e la
letteratura latina in un rapporto dinamico
tra imitazione e innovazione in cui è
fondamentale l’elemento della ricezione.
Federica Bessone et Marco Fucecchi (éds.), Nella seconda sezione Citroni Marchetti
The Literary Genres in the Flavian Age. analizza il concetto di cura nell’opera
Canons, Transformations, Reception, di Plinio il Vecchio e distingue il senso
Berlin et Boston, De Gruyter, 2017, 361 p., della cura dall’etica della cura con una
109,95 € / ISBN 9783110533224. contrapposizione tra l’etica materna e
quella guerresca. Balbo studia il legame
Il volume deriva da un convegno tra gli oratori di età flavia e il potere con
internazionale svoltosi a Torino nel 2013 sui due esempi tratti da Plinio il Giovane. Lo
276 Comptes rendus

studioso mette in evidenza la necessità di Stazio la guerra assume un tono oscuro per
equilibrio e prudenza in campo politico, ma l’influenza di Lucano. Littlewood analizza la
anche le posizioni antitiranniche e il tema sezione centrale dei Punica di Silio Italico e
della libertas. sottolinea l’instabilità del genere letterario,
Nella terza sezione, Canobbio studia la a cavallo tra elegia erotica e mondo tragico.
gerarchia dei generi letterari in Marziale Lo studioso si concentra sul tema del
che, con la ripresa del tema della recusatio, fato degli uomini che è manipolato dagli
si oppone ai generi maggiori. In Stazio, dei, su quello del conflitto interno e sulla
invece, si riscontra una contaminazione costruzione del personaggio di Annibale.
tra diverse forme poetiche in cui sono Marks approfondisce il ritratto di Grosfo
importanti il tema della varietas e – alleato dei Romani ad Agrigento – in
l’influenza del pubblico. Morelli studia i Silio Italico e mostra come il poeta abbia
legami intertestuali tra Marziale e il carme proceduto all’epicizzazione di Callimaco,
23 di Catullo e sottolinea immagini, termini Orazio e Ovidio. Emerge anche una
e suggestioni che il poeta flavio deriva relazione mimetica tra la poesia epica di
dal poeta neoterico. Nella quarta sezione, Silio e l’azione militare di Roma. Il saggio
Merli approfondisce il concetto di festinatio si distingue per la raffinatezza nell’uso
nella poesia romana. Questo termine è degli strumenti intertestuali, la chiarezza
caratteristico della poesia professionale espositiva e l’efficacia argomentativa.
e non si pone in contrasto al labor limae. Keith chiude la sezione con il programma
Bonadeo studia la costruzione di un canone poetico e la rappresentazione di Achille
letterario minore tra Stazio e Marziale che nell’Achilleide di Stazio. L’eroe si presenta
è modellato su quello degli autori maggiori come cantore e maestro della lirica e con la
(Omero e Virgilio). Newlands si occupa della figura dell’eroe il poeta allude alla propria
ricezione delle Silvae di Stazio in Sidonio contemporanea produzione poetica delle
Apollinare e, in particolare, analizza il Silvae.
carme 22 di Sidonio. Nel poeta tardoantico si Nella settima sezione Augoustakis studia
ritrova la volontà di conservare la tradizione i riti funebri in Silio Italico e la relazione tra
culturale e l’intenzione di innovare il genere il poeta e le sue fonti. Il rito funebre acquista
letterario. una dimensione simbolica a cui si accosta
Nella quinta sezione, Fabre-Serris si una rappresentazione in chiaroscuro
occupa dell’interpretazione del mito di Annibale: emerge così l’umanità del
argonautico in Valerio Flacco ed evidenzia cartaginese ed è prefigurata la sua sconfitta
le differenze rispetto a Catullo, Seneca finale. Nell’ultimo studio Reitz presenta la
e Apollonio. Valerio Flacco rinuncia figura di Capaneo nella Tebaide di Stazio
all’interpretazione moralistica del mito; il come un eroe epicureo che viene punito
viaggio degli Argonauti rappresenta così secondo le dottrine della poesia didascalica;
l’inizio della storia per l’umanità. Zissos emerge così la superiorità dell’epica sulla
sottolinea le differenze di Valerio Flacco tragedia e sull’epica didascalica.
rispetto ad Apollonio Rodio in relazione Il merito principale del volume è il fatto
alla figura di Ipsipile e al mantello da lei di offrire uno sguardo ampio e approfondito
donato a Giasone. Questo episodio diventa sulla letteratura dell’età dei flavi anche
un esempio di pietà filiale e di progetto se ciò comporta qualche squilibrio tra
matrimoniale in cui è forte l’influenza del le varie sezioni. L’elemento unificante è
modello virgiliano. costituito dalla riflessione sul tema dei
Nella sesta sezione Lovatt tratta il generi letterari che tuttavia non si ritrova
tema della guerra in Stazio attraverso il in modo omogeneo in tutti gli studi.
confronto gli autori precedenti e coevi. In Proprio la fluidità e le tensioni tra generi,
Comptes rendus 277

caratteristiche dell’epoca analizzata, in itself to bring meaning and distinction


costituiscono un ottimo banco di prova per to a lifetime’s work: nearly 1,000 pages, 814
verificare la tenuta concettuale e l’utilità new inscriptions from 27 communities,
critica della nozione di genere letterario. and new readings and notes for hundreds
of texts already included in CIL IX. Yet this
Amedeo Alessandro Raschieri is very much the crowning achievement of
Università degli Studi di Milano a scholarly career in which B. has set new
amedeo.raschieri@gmail.com standards to the study of Roman Italy with
a major set of contributions to the ancient
history and epigraphy of Central Italy
(mostly collected in L’Abruzzo e il Molise in
Marco Buonocore (éd.), Corpus età romana tra storia ed epigrafia, L’Aquila
inscriptionum Latinarum. Inscriptiones 2002), has led to successful completion a
Calabriae Apuliae Samnii Sabinorum major project on the letters of Theodor
Piceni Latinae. Supplementum. Regio Mommsen to his Italian correspondents
Italiae quarta. Vol. IX. Suppl. Pars 1. (reviewed in Anabases 28, 2018, p. 301-306),
Fasc. 1, Berlin, De Gruyter, 2018, 418 p., and has of course had a distinguished term
239 € / ISBN 9783110627961. of service as Scriptor Latinus and Director
of the Archives of the Vatican Library. It is
hard to escape a sense of deep admiration
Marco Buonocore (éd.), Corpus and gratitude for a contribution to the
inscriptionum Latinarum. Inscriptiones understanding of ancient Italy that has few
Calabriae Apuliae Samnii Sabinorum equals in the last century.
Piceni Latinae. Supplementum. Regio A detailed assessment of such a rich
Italiae quarta. Vol. IX. Suppl. Pars 1. and complex work would easily exceed
Fasc. 2, Berlin, De Gruyter, 2019, 446 p., the confines of a book review, and would
239 € / ISBN 9783110671643. probably be pointless. Like all great
reference collections, this is first and
Marco Buonocore (henceforth B.) recounts foremost a working tool, which must be
the story of this project in the preface to the put to the test of frequent and extensive
first volume of his Supplementum to CIL consultation, and will be a springboard
IX. He first came up with the idea during for future research in ways that are now
a train journey (LXXIII: cum pulcherrimas largely impossible to predict. Moreover,
regionis Aprotinae plagas… e hamaxostichi this is not a work that provides any synthetic
fenestra contemplatus essem) from Chieti overview. Unlike the two major corpora
to Rome on 12 September 1979: having in whose tradition it belongs – the CIL
worked for some time on the inscriptions and the Supplementa Italica – it does not
from Teate Marrucinorum, he realised provide any general introduction to the
the need for a systematic reconsideration history, topography, and epigraphy of the
of the epigraphy of the Augustan regio IV. communities whose material it discusses,
Four decades on, the first two instalments but takes its readers in medias res. For each
of the five-volume project have been community there is a list of addenda et
published under the auspices of the corrigenda to the entries in CIL IX, followed
Berlin-Brandenburgische Akademie der by the edition of new inscriptions (tituli
Wissenschaften, where the CIL has been novi); there are plenty of cross-references,
based since its inception; the whole series but no summative discussions. That does
should be published by 2022. What has not remove the fact that each entry rests on
appeared so far would already be enough and reflects a comprehensive knowledge of
278 Comptes rendus

the wider picture; it is, however, an outcome real possibility of being surprised every
of the rules of engagement that B. has set step of the way. At any rate, no serious work
himself, and readers will do well to bear it in on Central and Southern Italy will now be
mind as they approach this work. possible without making systematic use of
What may be more usefully be done this edition.
here is a discussion of the main aspects The first section of the work is devoted
of what this edition has to offer. For each to the Samnite communities of the regio
new text included in the discussion B. IV. We are presented with a splendid set
provides three crucial sets of information: of material from Telesia (p. 849-903), which
an account of the archaeological context; provides essential foundations for the
an edition; and a strikingly comprehensive history of the city’s magistracies (especially
bibliography. For the texts that are already its praetores duouiri) and for its position
included in CIL IX a full new edition is in the late Republican period: B. does
given only in a minority of cases, and the not provide a firm view on Mommsen’s
main problems that require attention are theory that regarded it as a Sullan colony,
discussed in the commentary. Onomastics but provides all the necessary tools for
receives especially careful consideration a reconsideration of the problem. The
throughout, and the notes helpfully refer edition of the evidence from Allifae (p. 903-
to the contributions on individual names. 950) required extensive use of epigraphic
We are not looking at a new Schulze, but manuscripts; a craft in which B. is an
the significance of the information gathered established master. Some of the inscriptions
by B. marks a considerable step beyond included in this Supplement are classic
anything we had at our disposal to date. A pièces de résistance of the epigraphy of
similar approach applies to epigraphical Roman Italy, and B. provides wonderfully
formulae: readers are consistently directed thorough summaries of the scholarship
to one or more scholarly treatments, which on documents of major importance like
will in turn provide further comparanda and the Saepinum edict on transhumance (CIL
contextual information. 9.2438) and the law on the temple of Jupiter
Whenever he has been able to locate an Liber from Furfo (9.3513); in those instances,
inscription, B. has inspected it, and has and in a few carefully selected others, he
given measurements and paleographic also provides a working Italian translation,
information, which is so often crucial to briefly deflecting from his main linguistic
a tentative dating; he has also printed a choice. Some of the material from Fagifulae
considerable number of images. The whole (e.g. 2573, 2623) is claimed back from the
work is in Latin: B. writes in an elegant neighbouring territories of Bovianum
and precise fashion, and stays clear of Undecimanorum and Terventum to reflect
polemics; errores sprevi is probably the the advancements in our understanding
harshest criticism he will have in store for of the boundaries of those communities
his predecessors, and only with the specific – a front of investigation that remains
intention of justifying his own editorial especially fruitful for this part of Italy.
choices. We are presented with a resource The second part is devoted to the
that surely only B. would have been able Frentani: Iuvanum has yielded mostly
to produce, and one can tell the gusto with funerary material, but there are interesting
which he has been working on this material; dedications by the local seuiri and some
yet his editorial voice never stands in the honorary inscriptions. The third one, on
way of the efficient use of this work. Its the Marrucini, is opened by Teate, where
offerings are incredibly generous, and users B.’s interest in the epigraphy os this region
of this collection should be prepared to the was first kindled (the funerary dedication to
Comptes rendus 279

L. Poditius by his mother Aufidia Minata, As even this most cursory and inadequate
no. 7017, is a piece of arresting beauty; and survey shows, we are looking at a body
those who look for an illustration of B.’s of material and scholarship that will
working method in this edition will find a significantly change the way we go about
crisp and very effective example here). The studying and teaching Roman Italy. It is a
fourth section is devoted to the Paeligni. The work in two large volumes, written in Latin,
edition of no. 7086, a long and remarkable published in hard copy only, and for which
funerary inscription found at Torre dei no bespoke external funding was ever
Passeri, is especially rewarding. The most secured: it is candidly unzeitgemäß. And yet
substantial dossiers, at least in quantitative it is hard to think of a more timely, inspiring,
terms, are those of Sulmo and Corfinium, and lasting contribution to our knowledge
where the evidence for the priestesses of and debate.
Ceres receives a valuable reconsideration
that historians of Italic religion will Federico Santangelo
consult with profit. Superaequum presents Newcastle University
a sizeable set of documents from the federico.santangelo@ncl.ac.uk
Christian cemetery, to which B. devotes
especially close attention, building on the
work of Father Antonio Ferrua.
The fifth section, on the Vestini, focuses Marco Cavalieri, Olivier Latteur
the attention on smaller communities, in (dir.), Antiquitates et Lumières. Étude
which the pagus structures play a more et réception de l’Antiquité romaine au
prominent role: Aternum, Angulus, Pinna Siècle des Lumières, Louvain, Presses
(with the remarkable offer to Iupiter universitaires de Louvain, 2019, 342 p.,
Victor from four magistri fani, no. 7454: 29,50 € / ISBN 9782875588241.
a document that would deserve a free-
standing study; and the two funerary Après une courte préface de G. Montègre
monuments set up by families of freedmen, portant sur la place de l’Antiquité dans les
with their proud portraits, no. 7476 and 7481), débats et réflexions du Siècle des Lumières,
Furfo, Pagus Fificulanus. An inscription M. Cavalieri et O. Latteur introduisent
from neighbouring Aufinum is known cet ouvrage qui fait suite au colloque
thanks to the testimony of Ranuccio Bianchi de Louvain-la-Neuve du 6 octobre 2017.
Bandinelli, who wrote about it in a letter to L’objectif est d’illustrer les différentes
Valerio Cianfarani: B. publishes the drawing tendances intellectuelles visibles chez les
he located in the Bianchi Bandinelli Archive antiquaires des Lumières en interrogeant
in Siena (no. 7515). The ample deployment leur interprétation et réappropriation de
of illustrations enables readers to weigh l’Antiquité romaine et plus globalement
up the significance of the many funerary leur rapport au passé comme à leur époque.
inscriptions presented here: in the large set L’ouvrage est construit suivant cinq axes.
of material from Peltuinum, for instance, Le premier porte sur la relecture et l’édi-
the monument for the slave Onesimus (no. tion des sources anciennes au Siècle des
7566) deserves special attention, and not Lumières. I. G. Mastrorosa s’intéresse à
just for the carmen that is inscribed on la méthode de Louis de Beaufort, un des
it. The inscriptions of Aveia include both premiers érudits à pointer le manque de
attestations of the time-honoured cult of fiabilité de l’histoire romaine. L’auteure
Feronia, who had her own collegium there montre que l’historiographe questionne
(3602, 7624), and of the presence of the cult la tradition littéraire par l’analyse d’invrai-
of Mithras (3608, 7622). semblances et omissions, conjecturant que
280 Comptes rendus

ces écrits servent en partie les propagandes une étude des productions de Francisco
familiales. E. Famerie présente ensuite dif- Ximenez portant sur l’épigraphie latine
férents traducteurs français des Lumières d’Afrique. Il relève chez l’antiquaire des
et interroge leurs motivations à traduire caractéristiques et méthodes spécifiques,
Végèce et son abrégé d’art militaire. Il iden- notamment l’esprit de collaboration et le
tifie d’abord le désir de mieux comprendre souci d’exhaustivité, à l’écart des cercles de
l’art militaire romain, puis celui de mettre l’époque. V. Beirnaert-Mary présente enfin
en pratique ses enseignements. le cas de Jean-Baptiste Lambiez autour
La deuxième partie traite du rapport de Bagacum Nerviorum. Revenant sur sa
entre le pouvoir officiel et les réseaux formation et ses méthodes, elle présente
intellectuels d’académies et d’antiquaires. notamment ses publications et ses fouilles,
Ch. Grell revient ainsi sur les conséquences et notamment son ambition de protection
des découvertes vésuviennes sur les et de conservation vis-à-vis des antiquités
intellectuels européens. Elle identifie ainsi qu’il rencontre.
trois périodes allant des premières fouilles Un quatrième axe aborde la réception
très protégées aux premières publications spécifique des cultes isiaques à travers deux
et controverses autour des vestiges articles. Le premier, offert par A. Guédon,
archéologiques, et jusqu’à l’arrivée du analyse la présence des trouvailles isiaques
Vésuve et de ses éruptions comme nouveau impériales dans le Recueil d’Antiquités du
sujet de préoccupation. M. Cavalieri met comte de Caylus. L’intérêt de l’antiquaire
en évidence le même intérêt du Duché de pour la plasticité de la religion romaine
Parme pour les découvertes, notamment de transparaît à travers l’analyse de la gens
Veleia, mais montre qu’au-delà des enjeux isiaca. La démarche du comte apparaît
culturels et esthétiques, ces dernières sont comme novatrice : les identifications sont
avant tout utilisées par l’État pour mettre issues d’une comparaison de différents
en valeur son prestige. L’excellence de la types de sources et le lien entre culte et
recherche, la stratégie de publication et les pouvoir est évoqué malgré une vision
fondations institutionnelles servent surtout essentialiste et morale de la civilisation
les intérêts de la monarchie. O. Latteur romaine. C. Trouchaud, à partir d’un
concentre son étude sur l’ouvrage de Pierre- article de 1957 et après avoir présenté la
Joseph Heylen à propos des monuments terminologie ancienne, remonte la piste
archéologiques romains de Belgique. À historiographique du terme d’horus lock
travers une analyse structurelle de cette et identifie l’origine de ce terme dans la
dissertatio, il révèle le contexte intellectuel relation entre les antiquaires Charles
de l’époque et le fonctionnement des Townley et le Baron d’Hancarville qui, grâce
réseaux intellectuels et institutionnels. à leur influence et leur autorité, ont permis
Un troisième volet offre différents la diffusion de ce néologisme à travers leurs
exemples de travaux d’antiquaires locaux. écrits.
V. Krings et B. Pilot abordent cette La dernière partie s’intéresse aux
thématique sous l’angle de la correspon- collections d’antiquités et à leur mise
dance autour de Jean-François Séguier et en scène. Ce sont d’abord les monnaies
Anne-Marie d’Aignan d’Orbessan. Après qui sont abordées avec la contribution
avoir dressé leurs biographies respectives, de Fr. de Callataÿ. L’auteur questionne
ils interrogent l’origine et les mécanismes les causes du déclin de la numismatique
liés à leur intérêt pour l’Antiquité qui diffère, au xviiie siècle à travers une vaste étude
sur le plan du référencement des antiquités des correspondances et des réseaux. Il
comme dans leurs relations aux réseaux identifie ainsi des facteurs intellectuels,
de l’époque. H. González Bordas propose esthétiques mais aussi économiques.
Comptes rendus 281

S. Andrès aborde ensuite les portraits Jean-Michel David, Frédéric Hurlet et


à l’intérieur du salon du connaisseur, Martin Jehne (dir.), « La culture politique
imitation du salon aristocratique. Souvent de la République romaine. Die politische
décontextualisés, l’identification de ces Kultur der römischen Republik », dans
portraits repose sur la lecture des sources Trivium, 31, 2020 (revue en ligne : https://
littéraires et dans une moindre mesure doi.org/10.4000/trivium.6971).
sur la comparaison : sont recherchés avant
tout la rareté, l’exhaustivité et le goût pour C’est un fait bien connu que le pluri-
l’Antique. K. Michini analyse la présence linguisme en vigueur en histoire ancienne
de l’Antiquité dans les jardins à l’anglaise constitue une richesse, mais aussi un
en Italie et leur influence intellectuelle. frein à la connaissance des travaux de
Grâce à l’exemple des jardins des frères l’historiographie étrangère. C’est parti-
Picenardi à Crémone, elle montre les culièrement vrai des travaux publiés dans
enjeux de la construction, de mise en la langue de Goethe. C’est cet obstacle que
valeur des vestiges antiques et notamment s’efforce de lever ce numéro de la revue
des collections lapidaires ainsi que leur Trivium, revue en ligne franco-allemande
portée dans les réseaux européens. publiant des traductions d’articles de
O. Parsis-Barubé conclut le volume par sciences humaines, consacré à la culture
une réflexion méthodologique, rappelant politique de la République romaine.
le tiraillement de l’histoire des antiquaires Naturellement un tel dossier se place sous
entre pratique savante et prédation des les auspices de C. Nicolet et de C. Meier
vestiges. Le xviiie siècle montre une triple qui furent les pionniers de ces études
évolution : le rapprochement de la figure en France et en Allemagne. Or ces deux
de l’érudit de celle de l’historien, le déve- « pères-fondateurs » ne collaborèrent pas
loppement d’un intérêt pour les vestiges ensemble et si C. Nicolet s’est intéressé aux
locaux et nationaux en même temps qu’une travaux de C. Meier, la réciproque n’est pas
recherche géographiquement variée, et vraie. Ce sont leurs héritiers, au premier
un intérêt accru pour l’objet et non plus rang desquels J.-M. David, M. Jehne et
seulement pour la littérature. L’ensemble H. Bruhns, qui, depuis une trentaine
de l’étude contribue aux réflexions sur la d’années, s’efforcent de favoriser le dialogue
théorie de la réception en interrogeant tout entre les historiens français et allemands.
autant les schémas de pensées, les modali- Cette entreprise est une nouvelle occasion
tés que les usages liés à l’Antiquité. d’y encourager en proposant un bilan de
L’ouvrage atteint son objectif : sur un plus d’un demi-siècle de recherches et en
sujet qui pourrait sembler convenu, il faisant (re)découvrir des textes essentiels
démontre, par la richesse des approches, ayant renouvelé notre conception du
sa pertinence. L’étude de la réception de politique à Rome.
l’Antiquité met en lumière des mécanismes Le dossier s’ouvre sur une présentation
propres au Siècle des Lumières, rejoignant par J.-M. David des deux modèles
ainsi les préoccupations de l’histoire interprétatifs de la République romaine,
intellectuelle et esthétique, de l’histoire des allemand et français, nés dans les années
réseaux comme de l’histoire économique et 1960 sous la plume de C. Meier et de
politique. Loin d’épuiser la thématique, il la C. Nicolet. Bien que les deux suivissent
renouvelle et ouvre la voie à d’autres études. une démarche structurale, ils divergeaient
quant à leur approche : C. Meier s’attachait
Arnaud Saura-Ziegelmeyer à la crise de l’aristocratie romaine à l’origine
Université Toulouse – Jean Jaurès de l’effondrement de la République à
a.sauraziegelmeyer@gmail.com travers les mutations de la grammaire
282 Comptes rendus

politique, tandis que C. Nicolet examinait la rupture opérée par son opus magnum et
le « métier de citoyen ». L’un restait dans par son concept de « crise sans alternative ».
la tradition allemande d’histoire juridique Contrairement à C. Nicolet, C. Meier ne fit
et politique s’appuyant sur la sociologie pas école mais eut néanmoins des élèves
et l’autre s’inscrivait dans la filiation des qui prolongèrent ses travaux dans des
Annales en conservant un intérêt pour domaines variés : sur la crise (H. Bruhns
les questions sociales et économiques. et K. Raaflaub), l’ordre public (W. Nippel),
Ces deux modèles, qui s’ignorèrent tout les élections (R. Rilinger), ou l’émergence
d’abord, eurent une grande postérité, et ce de la nobilitas (K.-J. Hölkeskamp). Sont
sont donc leurs élèves qui font le bilan de ensuite abordés l’essor de l’anthropologie
plusieurs décennies de recherche. historique, les changements de l’histoire
J.-M. David et F. Hurlet offrent un tour économique et sociale, l’histoire du
d’horizon exhaustif de l’historiographie droit où se distingua J. Bleicken, et la
française de la République romaine depuis réception des ouvrages de C. Nicolet et de
1960. Naturellement la figure de C. Nicolet P. Veyne en Allemagne. Ce sont en réalité
y occupe une place centrale parce que les travaux de F. Millar sur la nature du
nombreux furent ses élèves et ceux qui régime républicain qui rassemblèrent les
suivirent son exemple. Toutefois l’article historiens allemands dans une opposition
commence par souligner la diversité des à l’idée d’une démocratie à Rome. Ce débat
recherches en rappelant les progrès de favorisa la poursuite des travaux sur la
l’histoire économique avec J. Andreau, le culture politique, comme ceux d’E. Flaig
renouveau de l’histoire religieuse influencée autour du consensus ou d’H. Mouritsen sur
par l’école de Paris avec J. Scheid, ou la les contiones.
portée des travaux de romanistes comme De tels panoramas, nécessairement
A. Magdelain, M. Humbert et Y. Thomas. allusifs, ont toutefois le double mérite de
Vient seulement ensuite la présentation signaler les travaux de la rive du Rhin dont
du « moment Nicolet » puis de « l’École on est le moins familier et de les mettre
fondée par Nicolet » qui offre une synthèse en perspective. Ils visent ainsi avant tout
des travaux de la majorité des historiens à favoriser le dialogue en éliminant la
français de la République romaine depuis barrière de la langue et en faisant connaître
une cinquantaine d’années, signe de les avancées marquantes. C’est le même
l’influence profonde qu’exerça C. Nicolet. objectif que suit le reste du dossier composé
Le renouvellement générationnel et de traductions en français d’articles de
thématique est enfin abordé pour souligner M. Jehne, de K.-J. Hölkeskamp, d’U. Walter
la pertinence toujours actuelle du concept puis de celle en allemand d’articles de
de culture politique qui va de pair avec la J.-M. David, de F. Hurlet, de M. Bonnefond-
continuité du recours aux sciences sociales. Coudry et de J.P. Guilhembet. Les deux
Une remarque intéressante porte sur la figures tutélaires, C. Meier et C. Nicolet,
particularité française de l’association de inaugurent chaque section avec la tra-
l’histoire et de la géographie dans les cursus duction de la préface de leur livre classique :
universitaires dont découle la sensibilité Res publica amissa et Le métier de citoyen.
aux questions spatiales. S’il n’est pas nécessaire de revenir sur
M. Jehne répond par une présentation ces travaux bien connus, nous pouvons
de l’historiographie allemande sur la dire un mot de leur choix. Tous mobilisent
République romaine, citant moins d’auteurs bien sûr le concept de culture politique : en
mais détaillant davantage leurs travaux. le présentant pour s’opposer aux théories
Cette fois, c’est bien sûr C. Meier qui occupe de F. Millar (K.-J. Hölkeskamp) ; pour
le devant de la scène, plus particulièrement explorer l’inscription des manifestations
Comptes rendus 283

de violence collective (J.-M. David) ou Marbles to American Shores. Classical


des appels au passé (U. Walter) dans la Archaeology in the United States (1998) and
grammaire politique ; pour montrer la of In Pursuit of Ancient Pasts: A History of
continuité de la concurrence, typique Classical Archaeology in the Nineteenth and
de la République, sous le Principat Twentieth Centuries (2006). Dyson has also
(F. Hurlet). Ils sont aussi représentatifs published in 2003 a volume on the studies
des différentes écoles historiques. Ainsi on the Roman countryside (The Roman
les articles de M. Bonnefond-Coudry et de Countryside) which seems to represent a
J.-P. Guilhembet illustrent l’attention aux sort of mirror to this new book on the city
questions topographiques caractéristique of Rome.
de l’école française tandis que celui de The history of Italian archaeology,
M. Jehne témoigne de l’intérêt porté aux and of Italian Classics in general, has
formes de communications entre les élites been thoroughly studied in the country,
et le peuple par l’historiographie allemande. with a very critical eye, starting with
Ce numéro de Trivium constitue donc the collective volume Matrici culturali
un nouvel appel bienvenu au dialogue del fascismo (1977, absent in Dyson’s
entre historiens français et allemands et bibliography). In this sense, the author
une initiative salutaire pour préserver le of this monograph makes through this
multilinguisme, essentiel pour la finesse volume many most important results of
et la diversité de la réflexion. L’intérêt such Italian research available for a wider
d’une telle démarche ne peut que sauter readership who may not be able to gain
aux yeux à la lecture du dossier que nous direct access the Italian-language works of
recommandons à tous les historiens de scholars such as Marcello Barbanera (as for
Rome. example his seminal L’archeologia degli
italiani, 1998) or Daniele Manacorda.
Clément Bur Yet it is particularly surprising that the
Institut National Universitaire contributions to the topic by Mariella
Champollion (Albi) Cagnetta, in the mentioned collective
clement.bur@univ-jfc.fr volume of 1977 and elsewhere, are missing
from the bibliography.
The present study proceeds chrono-
logically through its eleven chapters:
Stephen L. Dyson, Archaeology, ideology after a short introduction, the author
and urbanism in Rome from the grand begins with the Enlightenment, and more
tour to Berlusconi, Cambridge et New precisely with “Rome in the Eighteenth
York, Cambridge University Press, 2019, Century” (p. 8-32), to investigate then
327 p., $ 105 / ISBN 9780521874595. the revolutionary period and Napoleonic
domination (p. 33-56), the last decades
Research in the history of archaeology, of the Papal States (p. 81-100). The book
its connections with political authority then follows the new ideological and
and its role in shaping identities and practical challenges set to Rome and its
cultural memory has been blossoming archaeological heritage by the new role as
for more than two decades now; yet the capital of the Kingdom of Italy (p. 101-128),
possible topics and angles for further with a special focus on museums, displays
research are far from being exhausted. and the antiquities market, dealt with in
The author of this monograph is not new a separate chapter (p. 129-153). The next
to this kind of studies, as he is the author, two chapters are dedicated to the Fascist
among other publications, of Ancient period, “Archaeology and Urbanism in
284 Comptes rendus

Fascist Rome” (p. 154-179) and “Mostras the structure of the book extremely hard
and Museums in Fascist Rome” (p. 180- to follow. The decision to follow a strictly
202). The final section of the book looks at chronological structure seems at many
the second half of the 20th century and the points to be unfortunate, as it compels
very beginning of the 21st: after dealing with the author to numerous repetitions, to
the 1950s and 1960s and their challenges anticipate often something that will be
(p. 203-235), the author focuses on the ‘new’ explained later, and break down complex
approach to archaeology starting in the histories, dealt with in different chapters.
1970s, which he pinpoints to the biography The general reader will therefore find
of individual archaeologists as Adriano almost no orientation in Roman topography,
La Regina, Eugenio La Rocca or Andrea as interventions in different parts of the city
Carandini (p. 236-258). The final chapter are juxtaposed following chronology (not to
(p. 259-286) is dedicated to the preparations mention the fact that even the chronological
for the Jubilee of 2000 and the debates that structure is sometimes lacking a clear order,
surrounded (and still surround) the new Ara see e.g. p. 92-94). Another example is that of
Pacis museum, inaugurated 2006. the Collezione Torlonia, which reappears
The author seems to have stopped at different stages (p. 136-137; 239-240; 286),
research for this volume in 2013 – this is while a systematic treatment of its history
the year of the most recent publications in would have been easier to follow and much
the bibliography, with the sole exception more meaningful. Students of Classics (and
of Posner’s God’s Bankers (2015). For a maybe occasionally a scholar, too) will also
book published in 2019, this is a long be at a loss, as the historical frame of the 18th
gap – and indeed the author would have to 21st century is barely explained – the year
profited much from reading, among others, 1861 and the proclamation of the Kingdom
Antonino De Francesco’s The Antiquity of of Italy, for instance, are not mentioned
the Italian Nation (2013), Aristotile Kallis’ anywhere, and it is expected that the reader
The Third Rome, 1922-1943: The Making already has a basic knowledge in the history
of the Fascist Capital (2014; actually, none of modern Italy.
of Kallis’ publications are present in the This lack of contextualization expands
bibliography – even if the author has been into a relevant weakness: the author
working for many years on the cult of does not deem necessary to consider the
the ‘Romanità’ in fascist Italy), Marcello entanglement of archaeological research
Barbanera’s Storia dell’archeologia classica with education and higher education.
in Italia (2015), many contributions in Helen Beyond the anecdotic reference to one or the
Roche’s and Kyriakos Demetriou’s Brill’s other protagonist being a professor, there is
Companion to the Classics, Fascist Italy and little reflection on structures and the ways
Nazi Germany (2017), further journal articles they condition archaeological research.
that have appeared in the past six years. In the end, the entire book relies more
On a general level, the volume begs on narrative than analysis. It is a pity, for
the question, who is the ideal reader, for instance, that the stories about the creation
whom it has been written. Specialists and of the various Roman museums are never
scholars of Classics, Classical archaeology put into their historical context – the birth
and Classical receptions may find it a useful of the national museums, their function for
summary and a possible work of reference purposes of nation building, the birth and
for specific personalities and initiatives; development of nations and nationalisms,
but scholars of modern and contemporary etc. The role of diplomacy, of embassies and
history will not find much new. On the other delegations in the development of interest
hand, a broader interested public will find in Classical Antiquity and in the birth of
Comptes rendus 285

the foreign archaeological schools in Rome in Italian archaeological scholarship.


are also insufficiently dealt with – the lack Margherita Guarducci is mentioned only
of attention given to a protagonist of this once (p. 205), in reference to the Vatican
scene is exemplified in the description excavations; she is curiously portrayed as “a
of Christian von Bunsen as merely “der highly respected scholar, but also a devout
gelehrte Diplomat” (on Bunsen, see
Roman Catholic”, without any reference to
F. Carlà-Uhink – S. Giorcelli Bersani,
her tenure as the chair of Greek Epigraphy
Monsieur le Professeur… Correspondances
italiennes, 1853-1888. Theodor Mommsen, and Antiquities from 1931 to 1973, or to
Carlo, Domenico, Vincenzo Promis, Paris her other institutional roles; Clementina
2018, p. 70-80). Panella is never mentioned: her excavations
Yet, on the other side, political institutions at the Arch of Constantine, which led to
are presented and discussed in their the discovery of the Meta Sudans, are
‘interferences’ with archaeology. While the anonymized as “provocative” excavations
author argues that the inauguration of the (p. 252).
new Ara Pacis museum is a good episode The lack of attention and care for
to close the volume (what happened later institutions and structures generates
is mentioned briefly, but it does indeed
sometimes glaring mistakes: for example,
probably represent a too recent history
when the author does not seem to
to be correctly assessed), the reader gets a
strong impression that the author wanted to distinguish between regions and provinces,
close on a pessimistic note, revealing strong two very different administrative units in
doubts and fears about the future of Roman Republican Italy (p. 275). In general, the
archaeology (the Ara Pacis is thus “the last book shows a surprising lack of care – also
creation of a dynamic archaeological era and especially of editorial care. Typos and
which was about to pass”, p. 286). This tone mistakes abound throughout the volume.
comes across strongly throughout the book, Some of them are particularly jarring, and
except for a few moments when the author most notably the fact that throughout the
discusses archaeological figures whom entire book Antonio Muñoz has become
he finds congenial. Despite the frequent
Antonio Mũnoz. Almost every sentence
assertions that Rome was no different
quoted in Italian is wrong, sometimes in ways
from other European or American cities,
and that the challenges posed by the Urbs beyond comprehension (the name Vittorio
are incomparable to those posed by other Emanuele, for instance, in English Victor
modern metropoles, the volume develops Emmanuel, becomes Victor Emmanuele,
throughout a sort of ‘paternalistic’ stance or even Vittore Emmanuele!). For an
that seems to imply that Italian states and author who stresses, among the strengths
governments could never have been able of the archaeologists he particularly likes,
to take care of their cultural heritage were such as La Regina or Carandini, that they
it not for a few ‘illuminated’ colleagues, know English, adding that this is ‘unusual’
whose merits and achievements are among their colleagues, this complete lack
frequently represented in the book as a
of attention for the Italian language smells
sort of one-man-campaign against the
again of anglophone ‘paternalism’.
institutions. The “One-man-campaign”
narrative foregrounds a pronounced gender
bias of the book – women are conspicuously Filippo Carlà-Uhink
absent, even in the last chapters, dealing Universität Potsdam
with a time in which many were active filippo.carla-uhink@uni-potsdam.de
286 Comptes rendus

Alexandra Eckert et Alexander Thein les conséquences de la première guerre


(éds.), Sulla. Politics and Reception, Berlin mithridatique considérées comme un
et Boston, De Gruyter, 2019, 207 p., 79,95 € revitalising shock (p. 52). C’est une rupture
/ ISBN 9783110618099. pour les poleis qui doivent s’adapter à des
formes plus dures de l’impérialisme romain,
Tyran sanguinaire, fossoyeur de la économiquement et socialement (pillages
République, réformateur… Sylla fait des métaux, confiscations de terres…).
partie de ces personnages ambivalents à la Pourtant, l’épisode syllanien semble avoir
postérité contrastée. L’ouvrage propose de mis fin à une période de stagnation, en
revenir sur l’homme et ses actes dans une ouvrant une phase de transition.
perspective diachronique. Ainsi une place Les trois contributions suivantes
est-elle faite à l’époque de Sylla, mais aussi à abordent les limites des pouvoirs sylla-
l’héritage du dictateur dans la vie politique, niens. C. Rosillo-López (« Can a Dictator
puisque son ombre continue de planer reform an Electoral System? A Reassess-
pendant des décennies, et plus largement ment of Sulla’s Power over Institutions »)
à la construction mémorielle dans les s’intéresse aux relations entretenues par
sources gréco-latines. Sulla. Politics and Sylla avec le peuple et aux conséquences
Reception est la publication des actes d’une des réformes sur les mécanismes et pra-
rencontre scientifique ayant eu lieu du tiques électorales, comme le choix de ne pas
22 au 25 juin 2016 à l’University College de abolir le vote secret. L’influence syllanienne
Dublin. Neuf études de cas sont réparties est aussi minimisée, puisque ses partisans
dans deux parties, l’une plutôt consacrée n’étaient pas forcément élus. La mise en
à l’approche politique et contemporaine, lumière des difficultés syllaniennes permet
tandis que l’autre s’intéresse à la réception. de conclure qu’il ne fut pas a new Servius
L’introduction d’A. Eckert et A. Thein Tullius (p. 67). Ensuite, A. Thein (« Dola-
s’attache d’abord à retracer les grandes bella’s Naval Command ») s’intéresse à la
caractéristiques de la vie et de la carrière volonté de Sylla d’ôter un commandement
de Sylla avant de s’intéresser à sa réception à Cn. Cornelius Dolabella, soit le consul ou
ancienne et moderne, en la replaçant le préteur homonyme de 81 (Plut., Comp.
dans une perspective historiographique. Lys. Sull., 2, 4). Au-delà de l’incertitude
Quelques aspects sont privilégiés, comme prosopographique, l’étude de cas montre
la felicitas et l’exemplum négatif. l’hétérogénéité des syllaniens et les limites
La première partie « Politics » débute des pouvoirs dictatoriaux, puisque Sylla
avec la contribution de C. Steel (« Sulla the échoua dans son entreprise. Enfin, en dépit
Orator ») qui analyse chronologiquement de la rapidité de la colonisation syllanienne
l’éloquence du patricien. Son art oratoire et du respect des procédures, A. Keaveney
s’inscrit d’abord dans un contexte militaire (« Paludes et Silvae : the Ruin of the Vete-
(la guerre contre Jugurtha) avant de ran ») en pointe les problèmes : confusion,
valoriser ses réformes et montrer comment fraude, octroi de terres ingrates pour cer-
la res publica devait fonctionner. Absent tains vétérans et réservation des meilleures
du Brutus de Cicéron, Sylla n’aurait pas terres à d’autres. La portée et la réussite de
utilisé l’éloquence comme un atout de cette colonisation sont relativisées.
persuasion dans un contexte électoral. F. Santangelo (« Sulla in the Bellum
Si les sources littéraires étaient au cœur Jugurthinum ») inaugure la deuxième partie
du premier article, celui de S. Zoumbaki consacrée à la réception avec une holistic
(« Sulla’s Relations with the Poleis of and discursive exploration (p. 107) du por-
Central and Southern Greece in a Period of trait dressé par Salluste. Plusieurs thèmes
Transitions ») met plutôt l’accent sur l’épi- sont privilégiés comme l’éloquence, ses
graphie et la numismatique pour illustrer capacités de commandement, tout en met-
Comptes rendus 287

tant l’accent sur les techniques narratives Lisa Maurice, Screening divinity,
utilisées par l’auteur pour mettre en scène Edinburgh, Edinburgh University Press,
le jeune Sylla au cœur du conflit. Cette 2019, 228 p., £ 75.00 / ISBN 9781474425735.
approche littéraire est poursuivie dans une
perspective intertextuelle et comparatiste La très prolifique série de publications
par J. A. Rosenblitt (« Sulla’s Long Shadow : « Screening Antiquity », publiée chez
Sallust in Tacitus and Tacitus in Sallust »). Edinburgh University Press, a accueilli en
Les Histoires de Salluste explorent les juin 2019 la monographie de Lisa Maurice,
conséquences de l’action syllanienne sur professeure et spécialiste de la réception de
la res publica comme les Annales de Tacite l’Antiquité de l’Université Bar-Ilan (Israël),
montrent celles du pouvoir augustéen sur Screening Divinity. Il s’agit d’un ouvrage
le Principat. Les deux dernières contribu- s’intéressant à la représentation du divin
tions soulignent l’image négative de Sylla. à l’écran, que ce soit dans les traditions
Le patricien est considéré comme un exem- gréco-romaine ou judéo-chrétienne. Cette
plum de la cruauté, de la violence et de la démarche est plutôt novatrice car elle a été
tyrannie. L’historiographie grecque est
peu abordée dans son ensemble, à la faveur
au cœur de l’article de I. N. I. Kuin (« Sulla
d’articles publiés de manière hétérogènes
and the Philosophers : the Cultural History
sur tel film ou tel sujet historique ou
of the Sack of Athens »). Les relations de
mythologique.
Sylla avec la paideia, la littérature, la phi-
losophie et le monde grecs constituent une L’ouvrage de 200 pages est divisé
part conséquente de la construction mémo- en huit parties mais, de manière assez
rielle du personnage. Le philhellénisme dommageable, ne propose que 16 images,
romain est présenté comme une stratégie certaines d’assez mauvaise qualité en noir
culturelle et la destruction du patrimoine et blanc. La première partie, introductive,
culturel perdure à travers les siècles comme pose le débat historiographique, la problé-
une marque de barbarie. Enfin, A. Eckert matique et la méthodologie de l’auteure et
(« Reconsidering the Sulla Myth ») revient les limites de l’étude : absence des films
sur l’affirmation considérant que la vision muets et sur l’Islam et une concentration sur
d’un Sylla cruel et tyrannique ne serait les productions américaines et anglaises.
apparue que dans les années 40 pour U. Laffi La deuxième partie s’intéresse au concept
ou sous Auguste pour F. Hinard. Or l’image d’anthropomorphisme à l’écran, presque
négative existait déjà dès son vivant et elle obligatoire pour un art visuel, bien que les
ne saurait être un mythe. A. Eckert reprend entités divines puissent prendre d’autres
le dossier, en s’appuyant surtout sur le formes. Qu’elle soit celle des monothéistes
corpus cicéronien, sur le topos contem- ou des polythéistes, la puissance divine est
porain de la crudelitas, puis sur le large toujours représentée de la même façon,
consensus populaire existant pour abroger selon des canons littéraires et artistiques
les réformes syllaniennes. antérieurs à la production envisagée. Divers
Pour conclure, ces études de cas éléments sont pris en compte dont celui du
apportent des éclairages précis contribuant personnage de Jésus, souvent représenté
au renouveau des études syllaniennes à à l’occidentale (blond, yeux bleus) ou la
l’œuvre depuis plusieurs années. D’ail- nature patriarcale d’un Zeus ou Dieu vieux,
leurs, la bibliographie à jour intègre des tra- à la barbe blanche.
vaux collectifs récents sur le dictateur. Les chapitres 3 et 4 abordent justement
les caractéristiques physiques du Divin,
Cyrielle Landrea Zeus et Hadès d’abord et leurs « référents ».
Université Bretagne Sud Dans leur représentation au cinéma, il existe
cyrielle.landrea@univ-ubs.fr donc un fossé entre Dieu/Zeus et Hadès/
288 Comptes rendus

Satan, avec çà-et-là les choix ambitieux des Le dernier chapitre s’articule autour de
scénaristes comme dans le film Bruce Tout deux façons de brouiller les pistes entre
Puissant ou dans la série Troy: Fall of a City, les mortels et les dieux, l’Apothéose et le
ayant irrité les puritains : en effet, dans ces déicide, depuis Hercule jusqu’à Jésus.
deux cas, la divinité n’est plus représentée D’une certaine façon, il est presque
par la sacro-sainte carnation blanche. Une question ici pour L. Maurice de démontrer
étude par dieu grec est ensuite développée, que les scénaristes (donc inconsciemment
souvent issue du même échantillonnage les spectateurs) cherchent à faire prévaloir
de films (Clash of Titans, son remake et sa l’humain/le mortel sur le divin/l’immortel,
suite ; Immortals, Percy Jackson…). Sans bien que le premier soit destiné à mourir
surprise, Zeus et son frère des Enfers et renaître alors que le second semble
exceptés, les autres Olympiens intéressent immortel par nature mais peut finalement
peu et lorsqu’ils sont présents à l’écran, ils mourir par la main de l’Être Humain.
sont standardisés. On regrettera que ces La conclusion de l’ouvrage aurait mérité
chapitres ne soient qu’une succession de d’être présentée en introduction tant elle
descriptions, et que l’analyse conclusive revient sur la production des péplums dans
soit peu développée.
le temps. L’ouverture faite sur la série The
Les chapitres 5 et 6 suivent la logique Handmaid’s Tale permet de réactualiser
des deux précédents en présentant les la question de la religion à l’écran et les
représentations féminines. Du côté grec rapports qu’entretiennent mortels et
et romain, les déesses les plus présentes
divinité.
à l’écran (Athéna, Héra, Aphrodite et
Des films qui ne sont pas des péplums
dans une moindre mesure Artémis) sont
sont convoqués tout au long de l’ouvrage,
créées à l’image des actrices, souvent
ce qui est fort agréable. On pourra regretter
iconiques, qui les incarnent. L. Maurice
quelques oublis ou approximations, qui
démontre parfaitement que, à l’écran,
n'enlèvent rien à la qualité de la réflexion,
les mouvements féministes et les prises
de conscience en matière de gender roles mais qui auraient pu contribuer à enrichir
ne suffisent pas encore pour présenter l'analyse. Dans une recension récente de
la déesse antique autrement. Du côté son ouvrage, il était reproché à L. Maurice
judéo-chrétien, l’auteure fait appel à la de ne pas parler d’Arès dans Wrath of the
Vierge Marie et à Marie-Madeleine. S’il est Titans (2012), qui a vu dans ce film son plus
possible d’associer la première au monde grand rôle ; il aurait été aussi intéressant de
divin, il semble plus difficile de le faire pour l’envisager, par exemple, dans l’adaptation
la seconde. Malgré tout, c’est par ces deux cinématographique de Wonder Woman
personnages que l’on constate le mieux un (Pattty Jenkins) en 2017, dans laquelle ce
changement du rôle de la femme dans notre dieu est interprété par David Thewlis, le
société, grâce à une relecture plus moderne Remus Lupin des films Harry Potter. La
de la femme que ce n’est le cas pour les lecture de l’ouvrage de L. Maurice est donc
divinités polythéistes. à recommander comme point de départ
Le chapitre 7 présente les différentes à de nouveaux développements sur la
formes de communication à l’œuvre entre le représentation du divin à l’écran.
divin et les mortels : miracles, théophanies,
épiphanies, prophéties, prières et divi- Mathieu Scapin
nations. Elles définissent, par essence, le Musée Saint-Raymond,
degré de « visibilité » des divinités à l’écran Musée d’archéologie de Toulouse
mais aussi entre les personnages. mathieu.scapin@gmail.com
Comptes rendus 289

Friedrich Meins, Paradigmatische The second chapter concerns plausibility


Geschichte: Wahrheit, Theorie und and appropriateness as criteria for truth in
Methode in den Antiquitates Romanae des historiography. Here the focus is on μίμησις
Dionysios von Halikarnassos, Stuttgart, and τὸ πρέπον. The section on μίμησις is
Franz Steiner Verlag, 2019, 169 p., 44 € / underdeveloped given its noted prominence
ISBN 9783515122504. since at least Tim Whitmarsh’s essential
(and uncited) 2001 ‘Greek Literature and
Meins’s monograph on compositional the Roman Empire’. However τὸ πρέπον
theory and methodology in Dionysius of is engaging. In chapter three M. looks to
Halicarnassus’ Antiquitates Romanae fills understanding idealised history and ideals
a gap in German scholarship, introducing in D.’s narrative, initially using Matthew
the concepts underlining the rhetorical Fox’s scholarship to spark his own thoughts
framework of D.’s history of Rome. As and he delves into κάλλος and ζῆλος.
a first work based on a PhD thesis it is In this – and throughout the book – M.
sound: the prose is taut and the text is cites Goudriaan’s 1989 ‘Over Classicisme’ as
generally well constructed; it zips by as a pathfinder, but finds himself stuck in his
M. introduces readers to developments in predecessor’s footsteps. Indeed Goudriaan
Dionysian studies. But for those familiar traces the same terms and ground as M.,
with D.’s works and secondary literature it before an analysis of the Antiquitates. As a
is frustrating. result, an unfortunate atmosphere of deja vu
There are four chapters, as well as an pervades, as M. broadly follows Goudriaan’s
introduction and a useful conclusion. template for the scripta rhetorica. Τὸ πρέπον
There is neither a Stellenregister nor an aside, Goudriaan’s readings are the more
index, evidence (amongst more) of a rush to sensitive.
press. URLs and works unconnected to M.’s
In chapter 4 we finally get to the issue of
argument litter the bibliography.
paradeigmata and exemplarity, a necessary
M.’s first chapter broadly surveys D.’s
area of research, as trail-blazed by Matthew
scripta rhetorica and the Antiquitates,
Roller and Rebecca Langlands, especially
placing D. within Greek historiography
in Roller’s 2004 ‘Exemplarity in Roman
and identifying his notion of truth, and
Culture’. Neither output is known to M.
considers whether rhetoric is a structuring
principle in his work. Practically, this It is here that M.’s unpreparedness is in
means quoting D’s explicit statements, evidence. No fragment from books 12-20 is
usually in De Thucydide and the Epistula ad cited, full of relevant moral material collated
Pompeium. M. also reiterates key concepts: by Byzantine excerpters and epitomisers.
ἦθος, ἠθοποιία, ἀκρίβεια, οἰκονομία and τάξις Much else goes unmentioned. M. lacks
as well as τεκμήρια, μαρτυρία and σημεῖα. for discussions of Cloelia, Cincinnatus, K.
The chapter ends with a short discussion Quinctius, Romilius, Laetorius Mergus,
of D.’s rejection of mythology limited to Postumius’ embassy to Tarentum,
book 1, the first sign that M. is not wholly in Siccius Dentatus, or Fabricius on Roman
control of the historical material. There is exemplarity. Each would have assisted
no indication that M. will discuss a similar M.’s theme. The discussion of Menenius
topic in his third chapter, which contains Agrippa is welcome but curt given the vast
the material needed earlier, particularly bibliography on his metaphorical speeches.
D.’s statements at the start of book 2. The The words of L. Valerius in book 11 likewise
absence of a necessary discussion of the should not have been reduced to an oblique
theophany of the Dioscuri in the Forum at footnote given their importance to M.’s
6.13 is perplexing. topic.
290 Comptes rendus

This is a shame as in this chapter M. writes – M. ploughs on. It is an attitude that


with vim and breaks new ground. Here characterises the text throughout.
there is the kernel of an excellent article. Simply put, M. does not supply the
This is all to say that while M.’s discussion of evidence to ground his arguments more
φρόνησις and σοφία (practical sensibility in firmly, despite his strengths. In this slim
politics) is a sound contribution, this means volume there is little for readers to be
little if he does not connect more dots and swayed to M.’s perspective. M.’s D. is mostly
provide evidence of that sensibility in action contextless, both historically and critically;
in the Antiquitates. the comparandum of Livy is barely present,
On the other hand M.’s approach to the and his knowledge of many aspects of
Isocratean influence on D. is encouraging. importance is spotty. The Antiquitates are
To date most scholars have, in noting D.’s mostly absent.
debt to Isocrates, simply suggested that
Isocrates’ concept of πολιτικοὶ λόγοι was Yehudah Gershon
essential to D.’s own practical notion of University of Roehampton /
rhetorical historiography. M. applies these Universität Potsdam
ideas to D.’s depiction of constitutional yehudah.gershon@roehampton.ac.uk
change. He surveys Romulus’ constitutional
debate at Rome’s foundation, the expulsion
of the Tarquins, the constitutional speech
of Manius Valerius (7.54-6), and ignores the Pier Giuseppe Michelotto, Da
consular tribunate. Pietroburgo a New Haven. Sei saggi su
Finally M. considers the applicability M.I. Rostovtzeff, Milan et Turin, Bruno
of speech as a didactic function in the Mondadori, 2019, 369 p., 22 € /
Antiquitates honing in on an episode in the ISBN 9788867742264.
first secessio plebis.
M.’s work is based on his 2014 thesis Les lecteurs d’Anabases connaissent
Rhetorische Theorie, literarische Kritik bien et M. I. Rostovtzeff et P. G. Michelotto.
und historische Methode bei Dionysios von Le premier est un immense savant qui a
Halikarnassos, a more accurate reflection laissé une trace majeure dans les sciences
of this monograph. The new title is a nod to de l’Antiquité de la première moitié du xxe
its fourth chapter, a tacit acknowledgement siècle ; le second est un collègue émérite
that this is where readers will find most de l’université de Milan qui a consacré
material of note. However by naming the une grande partie de ses travaux à analyser
Antiquitates the problem is thrown into l’œuvre du premier et qui en est un des
sharp relief: it becomes plain through interprètes les plus avisés et les plus fins.
this book that the Antiquitates are not Les six essais ici publiés, qui sont pour
a text that M. is familiar with. Their certains quasiment une monographie, sont
associated literature is foreign to him. le fruit de cette rencontre ; ils s’avèrent
This is also true of related fields, especially passionnants à lire ou relire. Car il s’agit
rhetoric in historiography. This issue is bien de six travaux déjà publiés, entre 1999
unwittingly signalled in M.’s introduction et 2018, vingt ans passés à scruter les facettes
as he demands an “unbiased discussion” principales d’une œuvre tentaculaire et
(unvoreingenommene Diskussion) that puissante, qui a fait l’objet d’une véritable
does not assume an apriori relationship redécouverte dans les dernières décennies
between rhetoric and historiography du xxe et au début du xxie siècle.
(p.15-16). Without Luce, Moles, Woodman Parmi les six essais reproposés figure
or Wiseman – the field’s cornerstones l’analyse de Mystic Italy qui a paru, en 2005,
Comptes rendus 291

précisément dans Anabases, mais dont il traite ensuite de Mystic Italy, paru en 1928
une version longue, publiée en 2001, est et abordé comme une œuvre « anormale »
ici rééditée. Dans sa brève présentation (p. 105-138) ; vient alors l’analyse de six
initiale (p. viii-x), P. G. Michelotto précise lettres envoyées par Rostovtzeff au
bien que ses travaux n’ont pas fait l’objet magazine Zveno, en 1923, d’Italie, qui
d’une révision ; seuls quelques ajouts éclairent les avancées des connaissances
bibliographiques sont signalés entre sur le monde ancien, mais qui jettent aussi
crochets. Là n’est évidemment pas l’intérêt une lumière intéressante sur le contexte
de cette monographie ; ce qui la rend italien contemporain, notamment sur le
précieuse, c’est l’ampleur des thématiques, fascisme (p. 139-212) ; le quatrième essai
des aires et des périodes touchées par tourne autour de deux lettres inédites de
Rostovtzeff, et le tableau général de Rostovtzeff à Arthur S. Hunt, datant de
l’Antiquité qui en émerge, nourri par une 1929, et relatives aux trouvailles de Doura-
érudition sans pareil et une authentique Europos, en particulier un parchemin
vision des dynamiques politiques, sociales, (p. 213-237), ce qui permet de suivre le travail
économiques, culturelles et religieuses de déchiffrement au plus près du texte ;
qui ont animé la Méditerranée antique, de c’est en revanche le travail d’édition et de
l’époque hellénistique à l’époque romaine. réédition de la Social and Economic History
Pour rendre compte de ces transformations of the Roman Empire qui se trouve au centre
complexes dans la longue durée, Rostovtzeff du cinquième essai (p. 239-277), abordé
a produit des synthèses d’une rare acuité, sous l’angle de la « démolition d’un chef
servies par une narration séduisante, sous- d’œuvre » ; enfin Rostovtzeff et Auguste, et
tendues par une armature conceptuelle plus largement la monographie intitulée La
précise, nourries par le spectacle du présent, naissance de l’Empire romain, consacrée en
celui de la révolution russe, des avancées de 1918 aux guerres civiles romaines et à leurs
l’économie capitaliste, des migrations et des conséquences politiques, sont au cœur du
colonialismes. La pensée de Rostovtzeff est sixième et dernier essai (p. 279-295).
moderne, ce qu’on a pu lui reprocher, dans Le volume se termine par une riche
le sens où il ne craint pas l’anachronisme, bibliographie (p. 299-369). On peut regret-
l’analogie, les rapprochements audacieux, ter l’absence d’un index dans la mesure
voire discutables. Habité par des où le volume, bien que centré sur une
convictions fortes, il a produit une œuvre œuvre, est extrêmement foisonnant.
originale, qui ne laisse personne indifférent Il se lit de bout en bout avec un intérêt
et qu’il faut lire et relire. sans cesse renouvelé. Historiens de
Comprendre aujourd’hui cette œuvre, l’Antiquité, spécialistes d’archéologie ou
contextualiser la pensée de Rostovtzeff, de papyrologie, historiens des religions
en comprendre les ressorts, cerner les et des représentations, spécialistes des
influences qu’il a reçues et celle qu’il a lui- processus économiques et des évolutions
même exercée, retracer les débats, parfois sociales, mais aussi historiens du début du
âpres, que ses publications ont suscités xxe siècle, spécialistes des réseaux savants
demande un guide expert. P. G. Michelotto et de l’archéologie des savoirs trouveront
l’est plus que quiconque, de sorte qu’on se dans ces 369 pages des analyses d’une
réjouit de voir ici réunis six apports majeurs rare profondeur, fruit de la fréquentation
à l’historiographie rostovtzeffienne. Dans assidue de la pensée fascinante du grand
l’ordre, il approche d’abord la réflexion Rostovtzeff, au demeurant ami fidèle de
du savant russe en matière d’histoire l’aussi grand Franz Cumont, avec lequel il
économique, en examinant le cas de entretint un dialogue fécond, notamment
l’Égypte hellénistique et romaine (p. 1-104) ; autour des fouilles conjointes de Doura-
292 Comptes rendus

Europos, comme en témoigne leur cor- cela à Hérodote et Thucydide (même si


respondance publiée en 2007 (volume la question de la circulation des modèles
qu’il aurait sans doute été utile d’ajouter n’est pas directement abordée), l’œuvre de
à la bibliographie finale). On ne peut que l’annaliste chinois Sima Qian, le Shi Ji, est
souhaiter que P. G. Michelotto poursuive ainsi présentée et discutée. Selon l’auteur,
ses enquêtes sur le savant russe. cette histoire critique naît, en Grèce, de
l’émulation entre les historiens et les autres
Corinne Bonnet experts du savoir (sophistes, philosophes,
Université Toulouse – Jean Jaurès médecins), tandis qu’en Chine, elle est le
Corinne.bonnet@univ-tlse2.fr produit d’un rapport dialectique à l’histoire
monarchique traditionnelle.
La première section est consacrée
aux récits héroïques, et travaille de
Astrid Möller (éd.), Historiographie façon remarquable la notion d’histoire
und Vergangenheitsvorstellungen in der intentionnelle. M. Węcowski aborde
Antike, Stuttgart, Franz Steiner, 2019, les récits fictifs inventés par Ulysse ou
183 p., 44 € / ISBN 9783515122696. Athéna dans l’Odyssée et montre qu’ils
peuvent se lire comme des projections
Rassemblant les communications d’un de la société contemporaine d’Homère
colloque donné en 2015 en l’honneur à l’intérieur du monde héroïque. Dans
du 70e anniversaire de Hans-Joachim cette forme de « distanciation de l’effet
Gehrke, l’ouvrage place en son cœur de distanciation » épique (p. 29), l’auteur
le concept d’« histoire intentionnelle » décèle un « présent intentionnel » inséré
(intentionale Geschichte) forgé par le savant dans le passé mythique et participant de
allemand, entendu comme une forme de la reconnaissance d’une identité partagée
représentation sociale du passé participant par le public d’Homère. M. Nafissi étudie
à la constitution de l’identité collective, ensuite les scènes représentées sur le trône
comme le rappelle A. Möller dans son d’Apollon à Amyclées, dont l’iconographie
introduction. témoigne de l’ancienneté de l’austérité
Dans sa conférence inaugurale, K. A. spartiate, fondamentale dans l’identité
Raaflaub développe une approche com- lacédémonienne, et forme bien un exemple
paratiste de l’écriture de l’histoire dans « d’histoire picturale intentionnelle ».
plusieurs sociétés antiques (Grèce, Toutefois, la façon dont l’auteur justifie
Mésopotamie, Égypte, Chine et Anatolie la présence de personnages a priori peu
hittite). À l’heure de l’histoire globale, cette pertinents pour l’histoire et la culture
méthode est particulièrement bienvenue laconiennes au centre de la frise (Thésée
dans le champ de l’historiographie ancienne. ou Démodocos), dont la représentation
L’auteur s’interroge sur l’existence d’une suggèrerait un contraste critique avec les
histoire critique au-delà du seul monde grec. valeurs spartiates, paraît peut-être un peu
Face au modèle monarchique traditionnel, trop systématique.
dans lequel l’autorité de l’historien Riche de quatre contributions, la section
s’efface derrière la vision politique du sur Hérodote et son héritage s’ouvre avec
souverain, deux traditions parallèles, l’article de M. Giangiulio, qui réévalue
en Grèce et en Chine, font émerger un l’importance des récits oraux traditionnels
rapport différent à l’histoire, marqué par au sein des Histoires et défend leur historicité
l’extrême indépendance de l’historien, la générale, par opposition à leur factualité de
perspective personnelle et la discussion détail. N. Luraghi étudie ensuite l’arrière-
méthodique des sources. Comparable en plan historique des révoltes égyptiennes
Comptes rendus 293

contre les Perses. Les interventions latine, interroge la façon dont les
athéniennes en faveur des Égyptiens au historiens et biographes du Haut Empire
milieu du ve siècle expliquent la familiarité intégrèrent l’oubli à leur projet littéraire.
d’Hérodote avec ces épisodes, visible Cette démarche l’amène à distinguer de
dans plusieurs allusions bien relevées par façon intéressante, mais peut-être un peu
le chercheur. Plusieurs pistes, quoique attendue, différentes stratégies des auteurs
spéculatives, sont de premier intérêt, pour « faire oublier », selon qu’ils pratiquent
à l’instar de l’hypothèse selon laquelle l’histoire annalistique ou la biographie.
Hérodote aurait eu le projet de poursuivre Cependant, la définition sémiotique très
l’histoire de l’Égypte achéménide jusqu’au large de l’oubli adoptée ne paraît pas
milieu du ve siècle, avant d’intégrer ses toujours opérante : qu’est-ce qui, en effet,
recherches au sein du logos égyptien. distingue in fine l’effacement, par Tacite ou
La thèse défendue dans la contribution Suétone, de l’image positive de Néron ou de
suivante, due à J. C. Bernhardt, fait Domitien des pratiques de manipulation du
d’Hérodote l’une des sources du deuxième lecteur ou d’insinuation, aujourd’hui bien
livre des Maccabées. Après une remarquable connues des philologues, en particulier
revue de la littérature consacrée à ce livre, tacitéens ?
J. C. Bernhardt juxtapose plusieurs points L’ouvrage se termine par un « épilogue »
de comparaison indiquant la façon dont dans lequel F. K. Maier défend le rôle de la
l’auteur du livre a remodelé le schéma littérature pour aider le lecteur à ressentir
actanciel des Histoires : les héros sont la « nature profonde » (Wesenhaftigkeit)
désormais les Juifs, tandis que les Grecs de l’histoire, un sentiment que l’histoire
séleucides sont comparés aux barbares académique échouerait à transmettre.
perses d’Hérodote. Enfin, l’article d’A. Free La contribution fournit des pistes de
paraît un peu plus isolé dans la section ; il réflexion passionnantes, et donne ainsi
y est question des Longues Vies du pseudo- une excellente conclusion d’ordre général
Lucien, utilisées, dans une périodisation à l’ouvrage. On regrettera peut-être une
chronologique très large allant jusqu’à bibliographie qui ignore les progrès récents
l’Antiquité tardive, pour dresser une de l’histoire contrefactuelle, ou les travaux
typologie des pratiques de lecture savante importants de Ricœur dans Temps et récit.
et de sociabilité aristocratique à l’époque 3. Le temps raconté, sur les liens profonds
impériale. entre « fictionnalisation de l’histoire » et
« historicisation de la fiction ».
La dernière section aborde les problé-
En somme, quoique bref, l’ouvrage édité
matiques plus générales de la philosophie
par A. Möller propose, en trois sections
de l’histoire et de la mémoire. L’ambitieux
dotées d’une forte cohérence interne,
article de K. Wojciech réfléchit à l’adap-
un vaste panorama chronologique et
tation des trois types d’oubli distingués
thématique et plusieurs perspectives
par Ricœur (mémoire obligée, mémoire
stimulantes sur le statut de l’histoire et de
empêchée, mémoire manipulée) à la société
la mémoire dans les mondes anciens.
athénienne classique et au corpus des
orateurs attiques. La chercheuse montre
Louis Autin
l’importance de certains événements (la fin
Sorbonne-Université
de la guerre du Péloponnèse, la révolution
ls.autin@gmail.com
oligarchique de 404-403) dans ces formes
d’oubli collectif, que les orateurs pouvaient
encourager ou, au contraire, remettre en
question. Enfin, l’article de V. Schulz, le
seul à se pencher sur l’historiographie
294 Comptes rendus

Helmut Pfeiffer, Irene Fantappiè, Tobias les différents auteurs (ne pouvant les citer
Roth (éds.), Renaissance Rewritings, tous ici, je renvoie à la table des matières
Berlin et Boston, De Gruyter, 2017, de l’ouvrage que l’on trouve sur le site de
79,95 € / ISBN 9783110522303. l’éditeur : https://www.degruyter.com/
view/title/524805) : par-delà leur diver-
Cet ouvrage réunissant quatorze contri- sité, l’ouvrage pourra ainsi profiter égale-
butions en anglais a eu pour base trois ment à de jeunes chercheurs·ses ou à des
événements scientif iques organisés chercheurs·ses qui se seraient récemment
entre 2014 et 2015 dans le cadre d’un orienté·es vers la littérature de la
projet collaboratif soutenu par le Centre Renaissance.
de recherche 644 « Transformations de Mais venons-en à la notion centrale – la
l’Antiquité » de l’Université Humboldt de réécriture – et aux apports importants de
Berlin. Le projet avait pour titre complet : l’ouvrage en matière d’intertextualité.
« Transformations of Antiquity in Italian Dans son ensemble, et en particulier grâce
and French Early Modern Literature à des textes qui alimentent directement
(1450-1590) ». Irene Fantappiè, qui signe ce questionnement, l’ouvrage propose
l’introduction du livre, assigne à celui-ci plusieurs sortes d’avancées : la première,
deux buts : une réévaluation de la notion sur laquelle Irene Fantappiè ouvre son
de « réécriture » (rewriting), dont l’éditrice Introduction et qu’elle associe à la notion
remarque qu’elle est vague et qu’elle n’est de « transformation » qui était au cœur du
plus problématisée ; proposer de nouvelles projet, consiste dans la bi-directionnalité
interprétations de quelques textes (et à apprécier dans les phénomènes de
contextes) cruciaux de la littérature de réécriture. L’œuvre « cible » réécrivant une
la Renaissance française et italienne. Ce œuvre « source » est évidemment modifiée
deuxième objectif assure à l’ouvrage une (enrichie, complexifiée…) par elle mais
unité de principe. Mais comme la réflexion elle la modifie également : la contribution
sur la réécriture domine, cette unité est un de Nina Mindt dédiée à l’Eroticon de Tito
peu affaiblie par des articles qui l’affrontent Vespasiano Strozzi et à sa relecture – sinon
moins directement. La division en deux réécriture – de toute l’histoire de la tradition
parties, une qui serait plus théorique et de l’élégie latine (en particulier de l’élégie
intitulée seulement Rewriting et l’autre, antique) se situe le plus explicitement dans
faite de cas d’étude, Rewritings in Early cette perspective. Et c’est une perspective
Modern Literature ne paraît pas absolument vraiment stimulante ; en tant qu’étude
indispensable, ne serait-ce que parce de l’« histoire littéraire immanente » ou
que des textes à teneur assez théorique réflexion sur la façon que les textes (sinon
se trouvent dans la deuxième partie. les auteurs) ont de constituer leur tradition
L’ensemble de l’ouvrage ne fournit pas « pertinente », elle n’est pas exactement
moins une lecture de grand intérêt, et une nouvelle, et on peut peut-être regretter que
autre sorte d’unité est acquise d’un point la dimension proprement bi-directionnelle
de vue formel par la structuration explicite des rapports entre les textes n’ait pas été
et, peut-être, la limitation en longueur des davantage illustrée ou re-discutée. L’article
articles ; cela assure à une grande majorité qu’Irene Fantappiè consacre à Pietro
d’entre eux une clarté et une efficacité Aretino et où elle étudie en particulier,
remarquables. Le deuxième objectif défini sous l’angle de la réécriture, l’ouverture de
par Irene Fantappiè est ainsi d’autant la seconde journée du dialogue érotique
mieux atteint que des présentations et Dialogo (1536) pose quant à lui les bases d’un
des mises au point précises sont fournies type d’approche que rejoignent quelques
pour chacune des œuvres abordées par autres contributeurs et qui ouvre des pistes
Comptes rendus 295

vraiment intéressantes ; elles pourraient la relation entre les œuvres que cela permet
être transférées à d’autres auteurs, d’autres visiblement.
époques (à commencer par les Anciens
eux-mêmes), même si l’on comprend aussi Séverine Tarantino
que la spécificité de la Renaissance soit Université de Lille
ici considérable – en l’occurrence et en severine.tarantino@univ-lille.fr
définitive, cela a à voir avec la façon dont
Pietro Aretino se constitue en auteur, et en
auteur d’un nouveau genre. Ce que propose
Irene Fantappiè est de se placer au-delà ou à Charlayn von Solms, A Homeric
côté des phénomènes d’intertextualité pour Catalogue of Shapes. The Iliad and
observer plutôt des dynamiques d’inter- Odyssey Seen Differently, Londres,
auctorialité. En ce qui concerne Aretino Bloomsbury Academic, 2019, 306 p.,
et son Dialogo, elle s’emploie à démontrer £85 (hardback), £28,99 (paperback) /
comment dans cette œuvre « Aretino », dont ISBN 9781350039582 (hardback),
la propre figure auctoriale même apparaît 9781350194571 (paperback).
comme une création au second degré,
s’approprie en l’adaptant la figure auctoriale Ce quatrième opus de la collection
d’un auteur de l’Antiquité dont il ne reprend Imagines - Classical Receptions in the
pas les mots et qu’il ne mentionne même que Visual and Performing Arts, qui aborde
rarement : Lucien, et le Lucien de l’édition le monde antique au prisme d’approches
de N. Zoppino de 1525 (c’est-à-dire apte à contemporaines, est consacré à la
devenir un représentant du serio ludere) démarche réflexive de Charlayn von Solms,
et, plus spécifiquement encore, le Lucien artiste sud-africaine, qui a réalisé une série
de l’Histoire Vraie. Au cours de son étude, d’assemblages dédiée à l’Iliade et l’Odyssée,
Irene Fantappiè a des observations très A Catalogue of Shapes. La plasticienne
stimulantes et son invitation 1) à creuser ces se définit comme constructiviste dans la
dynamiques inter-auctoriales 2) à analyser « Préface ». Elle y présente sa méthode :
les phénomènes de ce qu’elle appelle l’assemblage d’objets du quotidien pour
refiguring demande sans doute à être suivie. composer des artefacts signifiants, soit
La contribution de Clément Godbarge sur une démarche imbriquant une dimension
Ippolito de Medici et son appropriation de conceptuelle et une approche technique.
la figure d’Hippocrate témoigne ainsi, à sa Elle l’utilise pour appréhender l’oralité
manière, de l’intérêt de ce type d’enquête. de la poésie homérique et son style
Enfin, parmi les différentes formes de formulaire, tels qu’analysés par G. Nagy
réécriture illustrées dans les contributions, et L. Muellner notamment. En effet, les
une autre qui donne lieu à des analyses aèdes s’appuient sur des techniques et
particulièrement saisissantes concerne la formules préétablies pour créer une œuvre
réécriture de ses propres écrits (favorisée nouvelle, comme l’artiste choisit des objets
par l’époque, est-il souligné à plusieurs selon des caractéristiques matérielles
reprises) : la réflexion menée par Manuele et visuelles, équivalents plastiques de
Gragnolati sur le cas particulier de la reprise l’épithète homérique ou de la composition
par Dante de ses poèmes lyriques dans le poétique. Cette comparaison justifie ce
recueil de la Vita Nuova en est, de mon point projet éditorial original, qui comprend une
de vue, le plus bel exemple, étant donné réflexion esthétique sur l’art homérique,
les outils conceptuels que le chercheur le catalogue des douze sculptures et
reprend et s’approprie lui-même dans cette une invitation à lire ces assemblages à la
étude et le renouvellement de l’approche de manière d’un rhapsode. L’introduction
296 Comptes rendus

approfondit ce parallèle entre la méthode Cela lui permet d’expliciter son usage d’ob-
de composition de l’épopée, à partir de la jets pour signifier un trait de caractère. Les
combinaison de personnages récurrents, œuvres d’art ainsi créées impliquent des
de formules et de motifs types et celle de interactions entre forme et fond, artefact et
la plasticienne, à partir de l’assemblage spectateur, afin d’en décrypter le sujet, la
de formes, de matières et de couleurs. composition et l’iconographie. Ces prolé-
L’articulation entre la technique utilisée gomènes contextuels et méthodologiques
et la signification finale est fondamentale : aboutissent à la définition du Catalogue of
la réception de l’épopée homérique Shapes comme this understanding of sculp-
évolue dans le temps, selon des critères tural assemblage was combined with the
anthropologiques, socio-culturels et géo- notion of the ‘composite object portrait’ to
graphiques, ce qui amène à la nécessité create a series of sculptures based on twelve
d’une traduction rendant compte en même dramatic personae whose attributes and
temps de sa compréhension. functions in the plot to elucidate Homer’s
C’est le projet de von Solms qui en éla- principal heroes and their epics (p. 54). La
bore une traduction dans un autre medium, série est alors replacée dans la tradition ico-
la sculpture, par la composition d’une nographique homérique : un panorama est
galerie de portraits de personnages de dressé distinguant les représentations para-
l’épopée. C’est pourquoi elle invite son digmatiques d’Homère, depuis la période
lecteur à « voir différemment » et à consi- hellénistique à l’Apothéose d’Homère de
dérer A Catalogue of Shapes comme une Paolini, de celles des épisodes et person-
étude homérique à part entière. L’analyse nages, de la période archaïque à Twombly,
des descriptions poétiques amène à celle comme autant de transpositions visuelles
du régime de visualité du monde épique des spécificités narratives et des modes de
et conduit à une réflexion plus globale composition de l’épopée. La série d’assem-
sur l’évolution du rapport des artistes à la blages relève dès lors de cette tradition tout
représentation et sur la diversité spatio- en rendant compte de l’esthétique et de la
temporelle des modes de figuration et des composition du texte. La mise en abîme
traditions. L’artiste revient sur l’appréhen- du travail poétique dans le « catalogue of
sion de l’objet homérique, en évoquant la Ships » du chant II de l’Iliade devient le
référence à l’antique dans l’art contempo- modèle du « catalogue of Shapes » : les com-
rain médiatisée par une vision moderne de paraisons, parataxes, allusions et énuméra-
l’esthétique grecque qui valorise générale- tions caractéristiques du texte homérique
ment les sujets figuratifs des ve et ive s. avant deviennent des associations de formes, de
J.-C. plutôt que les motifs géométriques positions, de couleurs et de matières dans
archaïques. Cela conduit à questionner ce les sculptures. La série se fait ainsi un cata-
que l’objet d’art peut dire de l’epos, ce qui logue épique en deux catégories, figures
introduit l’idée de correspondances entre de l’Odyssée et celles de l’Iliade, et quatre
formes visuelles abstraites et personnages sous-catégories, les guerriers (Ulysse et
homériques au cœur du projet de la plas- Télémaque, Achille et Hector), les épouses
ticienne et à la notion de composite object (Pénélope et Hélène), les divinités (Calypso
portrait comme traduction visuelle de la et Circé, Éris et Até) et les rois (Nestor et
description homérique. Von Solms rappelle Ménélas), dans un réseau d’interrelations
l’histoire artistique de cette notion depuis créant des effets de complémentarité et
les célèbres portraits symboliques d’Arcim- de contraste. Cette démarche réflexive de
boldo à ceux de Picabia et s’inscrit dans la l’artiste sur son œuvre et sur son rapport à
tradition de l’assemblage, tel que pratiqué la tradition permet au lecteur d’apprécier
par Picasso, Man Ray ou Damian Ortega. pleinement le catalogue des douze sculp-
Comptes rendus 297

tures (disponible en ligne : https://char- Trinidad Tortosa (éd.), Patrimonio


laynvonsolms.com/the-layout-of-a-cata- arqueológico español en Roma. « Le
logue-of-shapes). Ainsi, le jaune prédomine Mostre Internazionali di Archeologia » de
le groupe iliadique en référence aux che- 1911 y 1937 como instrumentos de memoria
veux d’or d’Achille et l’orange celle d’Ulysse histórica, Rome, L’Erma di Bretschneider,
par allusion à la peau tannée par les voyages, 2019, 640 p., 255 € / ISBN 9788891318510.
tandis qu’un même mode de composition
en deux registres est utilisé pour traduire la Depuis la fin des années 1980, les publi-
métrique poétique. L’assemblage Odysseus cations relatives à l’histoire de l’archéologie
ΜΗΤΙΣ, par exemple, est composé d’objets en Espagne n’ont cessé de se multiplier.
évoquant son nostos (bouée, glissière de Les travaux qui interrogent le devenir de
parapluie, gouvernail, arc) et sa ruse par leur la discipline en dehors de ses frontières
imbrication : les attributs plastiques choisis nationales sont en revanche peu nombreux.
Ce déséquilibre reflète, en fin de compte,
génèrent l’image du marin expérimenté
la plus faible projection extérieure de
et épuisé qui rentre chez lui. Ce catalogue
l’archéologie espagnole aux xixe et xxe siècles
conduit à une synthèse sur ces « portraits-
si on la compare à celle d’autres grandes
objets », dont la matérialité structurelle, for-
puissances comme l’Allemagne, la Grande-
melle et chromatique équivaut aux procé-
Bretagne, ou la France. Il existe pourtant
dés poétiques. Ce n’est pas seulement une des pistes à explorer. Ce sont les résultats
traduction, mais aussi une interprétation d’une enquête de ce genre que nous offre
sélectionnant les attributs pour susciter les l’ouvrage collectif dont il est ici question
images mentales liées à ces personnages et et dans lequel est étudiée la participation
à leurs aventures : comme dans l’Iliade et espagnole aux expositions archéologiques
l’Odyssée, le spectateur doit reconstruire organisées à Rome en 1911 et 1937 : la
le réseau de significations, narratif, rela- Mostra Internazionale di Archeologia, qui
tionnel et thématique, de chaque élément se tint dans le cadre des célébrations du
du catalogue, les uns par rapport aux autres cinquantenaire de l’unité italienne – et qui
et dans leur ensemble. Enfin, la conclusion visa donc, du moins en partie, à produire
résume la démarche de l’artiste et insiste un discours destiné à légitimer l’existence
sur l’expressivité et la dimension hermé- du jeune État – et la Mostra Augustea della
neutique de toute traduction. Romanità, qui se déroula dans un contexte
C’est donc un ouvrage qui expose une politique bien différent, celui du régime
démarche originale, entre essai et cata- fasciste de Benito Mussolini.
logue, et passionnante par la transposition Ce volume est le résultat d’une vaste
de l’art homérique en langage plastique enquête dirigée par Trinidad Tortosa,
contemporain et la réflexivité de l’artiste sur chercheuse au Consejo Superior de
Investigaciones Científicas (CSIC). C’est à ce
le processus de création de ses sculptures,
titre qu’elle revient sur l’histoire, la méthode
replacées dans leur contexte épistémolo-
et l’esprit qui ont présidé à la réalisation
gique, culturel et artistique et dans leur
d’un projet international ayant reposé sur
ancrage à la tradition homérique, renouant
une collaboration entre l’Espagne et l’Italie
in fine avec l’étymologie polysémique de la
(p. 19-26). À bien des égards, cette entreprise
ποίησις. prolonge et complète le livre publié il y a
dix ans sur l’Escuela Española de Historia
Clarisse Evrard y Arqueología en Roma (Ricardo Olmos,
École du Louvre Trinidad Tortosa et Juan Pedro Bellón
clarisse.evrard@wanadoo.fr Ruiz [éd.], Repensar la Escuela del CSIC en
298 Comptes rendus

Roma. Cien años de memoria, Madrid, CSIC, tous les pays impliqués dans la Mostra de
2010), une École fondée en 1910 et dont l’une 1911, l’Espagne fut, avec la Grèce, le seul
des premières missions fut précisément pays à intégrer le passé préromain à son
d’organiser la participation de l’Espagne à discours muséographique et identitaire.
l’exposition de 1911. Trinidad Tortosa rappelle ainsi que les
Tant pour la Mostra Internazionale di organisateurs avaient une idée très nette
Archeologia que pour la Mostra Augustea du discours qu’ils souhaitaient promouvoir
della Romanità, la contribution de l’Espagne à l’étranger. Intégrés à l’exposition, les
se matérialisa par des envois conséquents. Ibères, dont la culture était alors en voie
Il s’agit avant tout de moulages en plâtre, de définition, devinrent un symbole de la
mais aussi de photographies et de dessins fuerza y el interés de un mundo prerromano
auxquels s’ajoutèrent, en 1937, des plans et que se presentaba en Roma como base étnica
des maquettes. Offerts à l’Italie, certains del país (p. 22). Le discours était aussi
de ces objets ont été retrouvés ; il s’agit politique. Il témoignait des efforts faits par
d’une cinquantaine de pièces conservées au les partisans du regeneracionismo et du
Museo della Civiltà Romana. Naturellement, noucentisme (en Catalogne) pour donner
les envois firent la part belle à l’Hispanie de la visibilité aux avancées scientifiques
romaine. Les copies d’objets provenant des du pays, à sa récente modernisation et à sa
anciennes provinces de Tarraconaise et de capacité à tourner la page de la crise de 1898.
Bétique furent les plus nombreuses, mais Les résultats de cette enquête sont offerts
les œuvres exhumées peu avant la tenue de au lecteur sous la forme d’un épais volume
l’exposition de 1911 par José Ramón Mélida de plus de six cents pages rassemblant
et Maximiliano Macías dans la fouille vingt-sept études. Soulignons d’emblée
d’Emerita Augusta (Lusitanie) ne furent une limite importante : son prix. Il faut
pas oubliées. Elles permirent de souligner débourser 255 € pour en faire l’acquisition.
le dynamisme et la richesse de l’actualité Ce genre de publication spécialisée n’a
archéologique espagnole d’alors. certes pas vocation à devenir un succès de
L’un des objectifs de l’enquête était de librairie, mais un prix de vente aussi élevé
parvenir à identifier le matériel envoyé ne peut que limiter davantage sa diffusion
en croisant les sources : archives insti- en ne permettant guère qu’aux seules
tutionnelles, correspondances, coupures institutions d’en faire l’achat. Pour le reste,
de presse, fonds photographiques, etc. Il la richesse du contenu et des illustrations,
s’agissait donc de retrouver l’organisation l’organisation du discours, les textes-bilans
d’ensemble des salles espagnoles pour de présentation (prologue et introduction)
comprendre les choix qui motivèrent les et de conclusion (c’est bien la fonction des
envois, ce qui en dit beaucoup sur la façon deux articles de la partie IV), sont parmi les
dont le pays percevait sa propre identité et points forts de ce beau volume.
tentait de la diffuser. De ce point de vue, il Précisons que le titre du livre est quelque
est significatif que le royaume ibérique ne se peu trompeur. La part réservée aux deux
contentât pas d’envoyer à Rome des objets expositions est inégale. C’est bien la
relatifs à l’archéologie et à l’art de l’Hispanie Mostra de 1911 qui est au centre du propos,
romaine. Les organisateurs jugèrent l’exposition de 1937 apparaissant comme
nécessaire de joindre des témoignages du une sorte de prolongement de la précédente
passé protohistorique péninsulaire, et en expérience. A priori, le rapprochement entre
leur réservant une place d’honneur : en 1911, deux événements qui s’inscrivirent dans
un moulage de la Grande Dame offrante du des contextes radicalement différents et
Cerro de los Santos fut placé au centre de leur traitement très déséquilibré pourraient
la salle des provinces hispaniques. Parmi faire perdre au livre un peu de son unité.
Comptes rendus 299

On comprend toutefois les raisons qui ont décortiquée à travers une série d’études
conduit à faire ce choix. En 1911, la collection complémentaires qui analysent le rôle tenu
de moulages envoyée par l’Espagne ne par les différentes institutions engagées
fut pas prêtée mais offerte à l’État italien, dans cette aventure (Institut d’Estudis
de sorte que ces objets rejoignirent le Catalans, Museo Arqueológico Nacional,
Museo del Imperio Romano – inauguré en musées archéologiques de Mérida et de
1929 – et furent en partie réutilisés pour Séville). Elles permettent d’identifier les
la Mostra Augustea della Romanità. Or objets envoyés dans la capitale italienne,
au-delà de l’étude de ces deux évènements que l’analyse prenne pour point de départ
politiques et culturels, l’identification des l’étude de l’institution à l’origine de
moulages et la récupération de ce patri- l’envoi (textes de T. Tortosa et X. Aquilué,
moine archéologique (copie d’antiques et M. Moreno Conde et Á. Castellanos,
maquettes) étaient deux des principaux J. M. Álvarez Martínez et T. Nogales
objectifs de ce projet de recherche. Autre- Basarrate, M. Camacho Moreno et A. D.
ment dit, au-delà des expositions en Navarro Ortega), la région d’où proviennent
elle-même, le véritable objet d’étude de les originaux (B. Gamo Parras, C. J. Morán
ce livre est bien la collection offerte par Sánchez, J. Beltrán Fortes) ou la spécificité
l’Espagne à l’Italie. C’est elle qui est le du support d’origine des objets reproduits,
véritable protagoniste du volume édité par comme l’épigraphie (L. Benedetti).
Trinidad Tortosa et lui donne son unité et sa Enfin, trois biographies intellectuelles
cohérence d’ensemble. (T. Tortosa, A. Pizzo) complètent cette
Nous ne saurions revenir en détail première partie en offrant au lecteur
sur chaque article. Il nous a semblé plus la possibilité de mieux connaître trois
pertinent d’en proposer une vue d’ensemble des quatre principaux acteurs de la
susceptible d’indiquer au lecteur ce qu’il participation espagnole à la Mostra de 1911 :
peut espérer trouver à l’intérieur (une Josep Pijoan, Josep Puig i Cadafalch et José
précision : notre commentaire ne suit pas Ramón Mélida (l’étude prévue sur Manuel
toujours le plan de l’ouvrage, téléchargeable Gómez Moreno n’a finalement pas pu être
sur le site de l’éditeur). intégrée).
La partie I (divisée en six sous-parties qui Bien plus courte (une introduction et deux
rassemblent dix-sept des vingt-sept études textes), la partie II complète la précédente
que comporte l’ouvrage) concerne la Mostra en revenant sur les liens Espagne-Italie
Internazionale di Archeologia de 1911. Six dans le cadre de la Mostra Augustea della
contributions reviennent sur les contextes Romanità de 1937 (T. Tortosa, M. Martín
scientifiques, politiques, institutionnels, Camino, A. Duplá). Organisée dans le cadre
culturels (y compris artistiques puisqu’un des célébrations du bimillénaire de la
texte concerne l’implication de l’Espagne naissance d’Auguste, elle se déroula dans
dans l’exposition internationale d’art un contexte bien différent, celui de l’Italie
de Rome, organisée elle aussi dans le fasciste et du basculement progressif de
cadre des fêtes du cinquantenaire) et l’Espagne – alors en pleine guerre civile –
muséographiques (le réaménagement dans la dictature franquiste. Que ce soit du
des thermes de Dioclétien pour accueillir côté italien ou espagnol, le discours produit
l’exposition) dans lesquels s’inscrivit la en 1937 fut donc très différent : recentré sur
participation espagnole (textes de G. Mora, l’Empire romain (la Protohistoire ibérique
A. Balcells, J. M. Lanzarote, C. Caruso, fut laissée de côté), destiné à souligner le
I. Pietroletti, J. Sendra Mestre). rôle civilisateur et pacificateur de Rome, et
L’organisation de la salle consacrée présentant Franco et Mussolini comme de
aux provinces hispaniques est ensuite nouveaux Auguste.
300 Comptes rendus

Si les deux premières parties présentent dernière, elle concerne les coupures de
les résultats d’une enquête dont la finalité presse exhumées des hémérothèques
principale était de reconstituer le contenu espagnoles et italiennes. On y trouvera
de la salle Hispaniae lors des expositions également des ressources graphiques,
de 1911 et 1937, la partie III se penche quant à la bibliographie citée dans les bases de
elle sur le discours archéologique produit à données et les instructions d’utilisation au
travers deux supports très caractéristiques format Pdf. Ce sont là des compléments
de la période et qui jouèrent un rôle majeur éminemment utiles, à condition toutefois
dans les deux évènements célébrés dans la
de disposer de Microsoft Access. À l’heure
capitale italienne : le moulage en plâtre et
des humanités numériques et du libre
la presse. Trois contributions (J. M. Luzón
accès à l’édition scientifique, alors que les
Nogué, A. Campano Lorenzo, L. Ungaro)
reviennent sur les collections de moulages supports – humains et techniques – offerts
de la Real Academia de Bellas Artes de aux chercheurs en sciences humaines
San Fernando (Madrid), de l’ancien Museo se multiplient (pensons à la TGIR [très
Nacional de Reproducciones Artísticas grande infrastructure de recherche] Huma-
(transféré en 2011 au Museo Nacional de Num [https://www.huma-num.fr/]), il y a
Escultura de Valladolid) et du Museo là, nous semble-t-il, un choix regrettable.
della Civiltà Romana. L’étude de ces deux Dans leurs propos de conclusion, Trinidad
derniers cas permet non seulement de Tortosa et Lucrezia Ungaro évoquent les
réfléchir sur l’histoire et la fonction de ces prolongements possibles de ce projet de
collections de copies, mais aussi sur leur recherche, en particulier l’organisation
avenir. Enfin, deux articles (A. Comino et d’une exposition itinérante. La mise en
R. Liceras-Garrido, T. Tortosa) se penchent ligne des trois bases de données pourrait en
sur la couverture médiatique des deux être un autre.
expositions dans la presse écrite, aussi
Les quelques limites que nous avons
bien du côté espagnol (pour celle de 1911)
soulignées n’enlèvent rien à la qualité et à
qu’italien (1911 et 1937).
l’intérêt d’un beau volume issu d’un projet
Ajoutons pour terminer que le livre est
accompagné d’une clé USB qui fournit qui, nous l’espérons, permettra à terme
des informations et des compléments de redécouvrir et de mettre en valeur
utiles. Il s’agit de trois bases de données le patrimoine archéologique espagnol
qui rassemblent et mettent en relation conservé à Rome.
l’information récoltée : l’une sur les
objets envoyés par l’Espagne aux deux Grégory Reimond
expositions italiennes ; la deuxième sur Casa de Velázquez,
les archives émanant des différentes Université Toulouse – Jean Jaurès
institutions organisatrices ; quant à la gregoryreimond1984@gmail.com

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