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Curatores seriei
XVIII
ROMANIAN ACADEMY
INSTITUTE OF ARCHAEOLOGY OF IAŞI
MATEI CAZACU
Édité par
Emanuel Constantin ANTOCHE et Lidia COTOVANU
Bucureşti – Brăila
2015
Copyright ©2015, Editura Academiei Române, Editura Istros a Muzeului Brăilei „Carol I”
All rights reserved
94(100)
Les moments le plus difficiles de notre existence sont ceux dans lesquels
nous sommes censés prendre des décisions radicales qui coupent les ponts avec
le passé en nous projetant vers un avenir inconnu et incertain. Il n’y a pas de
choix plus courageux et plus douloureux, en même temps, que d’être contraint
de quitter ta patrie pour en choisir une autre, afin d’échapper à la misère morale,
aux persécutions et aux injustices de toutes sortes. En Roumanie, durant
l’époque communiste, beaucoup d’intellectuels ont été forcés de prendre le
chemin de l’exil, délivrance suprême entourée d’un bannissement irrévocable de
la part du pouvoir oppressif.
Lorsque nous faisons référence aux intellectuels, n’ignorons pas une
catégorie particulière : les historiens !
« Depuis toujours, l’historien a été considéré par les gouvernants comme un
personnage dangereux. L’accès aux sources de connaissance du passé lui conférait en
effet une aura sulfureuse car il pouvait discerner, au-delà du discours officiel, les
souvenirs et les permanences de l’histoire au nom de laquelle il a réclamé plus d’une
fois le redressement des injustices du présent. C’est pourquoi le pouvoir étatique et
surtout les régimes autoritaires notamment communistes ont essayé d’attirer les
historiens, de les manipuler ou de les neutraliser, les poussant à l’exil et les ont punis
allant jusqu’à la peine capitale ».
Ces lignes ont été écrites par Matei Cazacu, en 1993, en guise
d’introduction à un article qui demeure encore inédit par la thématique abordée :
« Istoricii români în rezistenţa anti-comunistă » (« Historiens roumains dans la
resistance anti-communiste ») (supplément aux Études Roumaines et
Aroumaines II, Paris 1993, p. 5-18).
L’auteur connaît mieux que personne ce sujet, étant lui-même réfugié
politique en France depuis janvier 19731. Il rejoint, de son plein gré, la poignée
d’intellectuels parisiens qui tenaient tête au régime de Bucarest sur les ondes de
Free Europe, de la BBC et de Voice of America : Virgil Ierunca, Monica
Lovinescu, Sanda Stolojan, Dan Culcer, Mihai Korne et bien d’autres. Ses
chroniques hebdomadaires consacrées à l’histoire de la Roumanie irritent de
plus en plus la police politique qui s’acharne sur sa famille ayant demeuré au
1
Matei Cazacu raconte lui-même les conditions dans lesquelles il s’était refugié à Paris :
https://www.youtube.com/watch?v=4L0fkCgMaaU et
https://www.youtube.com/watch?v=lV5eefMvb2o (consultés le 15.07.2015).
CONSTANTIN E. ANTOCHE
2
Voir http://www.rumänische-bibliothek.de/index.php (consulté le 15.07.2015).
3
« La date de la lettre de Neacşu de Câmpulung (1521) », RÉSEE VI (1968), p. 525-528 ;
« Precizări privind cronologia domnilor munteni din deceniul 5 al secolului al XV-lea », SRI
XXIII/3 (1970), p. 607-608 ; « La Valachie et la bataille de Kossovo (1448) », RÉSEE IX/1
(1971), p. 131-152 ; « L’Impact ottoman sur les pays roumains et ses incidences monétaires
(1452-1504) », RRH XII/1 (1973), p. 159-192.
4
Établissement d’enseignement supérieur destiné à former des chercheurs de très haut
niveau, fondé par décret impérial, le 31 juillet 1868, à l’initiative de V. Duruy, où avaient
également étudié quelques personnalités proéminentes de l’historiographie roumaine : O. Tafrali,
V. Vaschide, N. Iorga, G. I. Brătianu, N. Beldiceanu ; voir H. Coutau-Bégarie, Le phénomène
« Nouvelle Histoire ». Grandeur et décadence de l’École des Annales, Paris 19892 : Economica, p.
331-343.
12
MATEI CAZACU
5
Voir www.tallandier.com ; http://www.enc.sorbonne.fr/content/gilles-de-rais (consulté le
15.07.2015).
6
Voir www.tallandier.com (consulté le 15.07.2015).
7
Voir http://cetobac.ehess.fr/index.php?1126 (consulté le 15.07.2015), avec une liste
presque complète de ses publications.
13
CONSTANTIN E. ANTOCHE
impressions sur un empire en perdition : Des femmes sur les routes de l’Orient.
Le voyage à Constantinople aux XVIIIe – XIXe siècles (Genève 1999 : Georg
Éditeur, 205 p.).
Ses préoccupations en tant que slaviste et archiviste paléographe ont
conduit, en collaboration avec André Berelowitch, Pierre Gonneau et Vladimir
Vodoff, à la publication d’une Histoire des Slaves Orientaux. Bibliographie des
sources historiques traduites en langues occidentales, Xe siècle – 1689 (Paris
1998 : CNRS – Institut d’Études Slaves, 256 p.). Quant à l’expansion de la
Russie impériale dans le Caucase, au XIXe siècle, où elle se heurte à la
résistance de l’Imam Chamil (1797-1871), cette histoire est ravivée dans le
contexte des guerres tchéchènes (1994-1995, 1999-2000) qui suivent à
l’implosion de l’Empire soviétique : Au Caucase. Russes et Tchétchènes, récits
d’une guerre sans fin (1785-1996) (Genève 1998 : Georg Éditeur, 302 p.). Cette
situation géopolitique ambiguë, avec des multiples imbrications ethniques et
identitaires, est présente aussi sur la façade occidentale de la Russie, des pays
baltes, en passant par l’Ukraine jusqu’en Moldavie : La Moldavie ex-soviétique.
Histoire et débats en cours, en collaboration avec Nicolas Trifon (Paris 1993 :
Akratie, 177 p.), et Un État à la recherche d’une nation : la République de
Moldavie, en collaboration avec Nicolas Trifon (Paris 2010 : Non Lieu, 448 p.).
Moldavie, Russie, Union Soviétique, communisme, des mots, des pays, des
empires et des idéologies avec une forte résonance dans l’historiographie de
l’exil roumain à Paris ou ailleurs. Un autre projet de recherche entrepris par
Matei Cazacu a été l’édition de l’archive de George Ciorănescu, travail qui s’est
matérialisé par la publication de trois ouvrages :
- George Ciorănescu, Basarabia, pământ românesc disputat între Est şi
Vest, édition et traduction de l’anglais par Matei Cazacu, I-II, Bucarest 2001 :
Fundaţia Culturală Română, 750 p.
- George Ciorănescu, Războiul de independenţă al României : documente
diplomatice franceze (1877), éd. Matei Cazacu, Bucarest 2004 : Fundaţia
Culturală Română, 327 p.
- George Ciorănescu şi Exilul românesc. Documente din arhivele fundaţiei
regale univesitare Carol I, Bucarest 2007 : Institutul Cultural Român, 526 p.
L’histoire de la Roumanie, qu’il avait enseignée durant plusieurs décennies
à l’INALCO et l’Université de Paris IV – Sorbonne, représente le sujet de
plusieurs autres ouvrages écrits par Matei Cazacu. La thématique est variée, en
allant de l’histoire religieuse – Minuni, vedenii şi vise premonitorii în trecutul
românesc (Bucarest 2003 : Sigma, 216 p.) – à la reconstitution de l’histoire de
grandes familles nobiliaires de Valachie à travers les siècles – Dracula’s
Bloodline : A Florescu Family Saga, en collaboration avec Radu R. Florescu
(New York – Toronto – Plymouth : Hamilton Books, Lanham, Bopulder, 2013,
IX + 269 p.). Un livre écrit récemment, en collaboration avec Dan Ioan
Mureşan, donne la réplique aux théories coumanes véhiculées par Neagu
Djuvara, concernant les origines de la Valachie : Ioan Basarab (c.1310-1352),
14
MATEI CAZACU
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NOTE SUR L’ÉDITION
Le présent recueil comprend les travaux publiés en français, parus dans des
revues scientifiques et des ouvrages collectifs. Par conséquent, nous avons suivi
les normes de rédaction de la langue française, en respectant le spécifique de sa
ponctuation.
Les 23 articles repris ici, dans leur version originale, ont été groupés en
cinq unités thématiques, tout en reflétant par là les domaines de recherche
sondés par l’auteur sa carrière durant.
Afin d’imprimer au volume un caractère unitaire du point de vue de sa
mise en forme, nous avons procédé à l’homogénéisation des normes de
rédaction, avec les notes en bas de page et, pour certains articles, avec la liste
bibliographique à la fin du texte. Les notes et la bibliographie citée ont été
rédigées selon les normes suivies par les revues scientifiques françaises, ayant
pris pour repère les Annales. ESC de l’ÉHÉSS (Paris). Pour cette même raison,
et pour l’économie du texte, nous n’avons pas gardé la traduction française des
titres en langues slaves (russe, polonais, serbe, bulgare) ou arménien ; seule leur
translittération en caractères latins à été reprise, conformément à l’édition
d’origine.
Par endroit, nous avons jugé opportun de corriger ou de compléter les
données des sources citées (numéros de revues ou de documents, pagination,
lieux d’édition, etc.), dans la mesure de leur accessibilité. L’auteur lui-même à
apporté des corrections de langue ou de chronologie à l’ensemble des articles.
Nous nous sommes limité à la publication des articles qui couvrent
chronologiquement la période médiévale et moderne de l’histoire des Pays
roumains et de l’Europe du Sud-Est plus généralement.
Nous remercions à notre collègue et ami Dan Ioan Mureşan (Université de
Rouen) d’avoir converti les fichiers PDF en fichiers Word, afin de faciliter notre
travail de la mise en page.
Lidia COTOVANU
ABRÉVIATIONS
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ABRÉVIATIONS
21
ABRÉVIATIONS
22
I.
*
La présente étude correspond à deux communications présentées conjointement par Matei
Cazacu et Ana Dumitrescu. Pour respecter le déroulement du colloque, nous publions ces deux
communications telles qu’elles furent exposées : une introduction historique par M. Cazacu,
l’analyse iconographique par A. Dumitrescu et, enfin, le bilan de M. Cazacu.
MATEI CAZACU
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LA ROYAUTÉ SACRÉE DANS LA SERBI MÉDIÉVALE
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MATEI CAZACU
6. Uroš IV, tsar serbe de 1355 à 1371, fils du tsar Dušan. D’abord roi des
Serbes en 1346, sous le règne de son père, puis tsar. Mort jeune et sans
descendants à l’âge de trente-cinq ans, Uroš se révéla durant son règne
incapable d’assumer l’héritage politique de son père qui avait fait d’importantes
conquêtes territoriales et s’était proclamé tsar (empereur) « des Serbes et des
Grecs ». Cette ascension allait être suivie de la proclamation du Patriarcat serbe
avec son siège à Peć.
Son culte se développa seulement au XVIIe siècle, lorsque sa Vita écrite
par le patriarche Pajsje (1642) servit de matière à sa canonisation : Uroš y est
présenté comme roi martyr entouré de mauvais conseillers. Son culte avait, en
fait, commencé dès 1583-1584 avec l’invention de ses reliques qui furent
transportées en Vojvodine puis, en 1942, à Belgrade.
Fête : le 4 décembre.
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LA ROYAUTÉ SACRÉE DANS LA SERBI MÉDIÉVALE
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MATEI CAZACU
Les images médiévales représentant les rois serbes ont éveillé l’intérêt de
nombreux chercheurs1. Les hasards de la conservation font que ces images sont
beaucoup plus nombreuses que celles représentant d’autres souverains de la
région (Byzance, États balkaniques) à la fin du Moyen-Âge. Ceci explique, en
partie, le grand nombre d’études consacrées à ce sujet. Pourtant, à cause du
manque de comparaisons satisfaisantes, certaines conclusions ont dû être
formulées trop rapidement.
Plusieurs observations des spécialistes ont été unanimement acceptées. En
ce qui concerne les tableaux votifs, on a constaté une rupture iconographique à
l’extrême fin du XIIIe siècle, à partir de laquelle l’image des rois serbes devient
impériale. Ceci a été interprété comme une preuve irréfutable du caractère
impérialiste de la royauté serbe. Le grand nombre d’images « dynastiques »,
images à caractère presque votif où le fondateur est associé à certains de ses
ancêtres, a été interprété comme une particularité serbe, preuve de l’existence
d’un fort culte dynastique dans le royaume médiéval serbe. Un type particulier
de ces images dynastiques, l’Arbre généalogique des Némanides, a été compris
dans le même sens. Les scènes dites « historiques », qui représentent le plus
souvent des moments de la vie de différents membres de la famille régnante,
1
V. Djurić, « Novi Isus navin », Zograf 14 (1983), p. 5-16 ; S. Mandić, Portraits from the
Frescoes, Belgrade 1966 ; S. Radojčić, Portreti srbskih vladara u srednjem veku, Skopje 1934 ;
T. Velmans, La peinture murale byzantine à la fin du Moyen Âge, Paris 1977 (surtout le chapitre
« Un témoignage sur la société : les images des contemporains », p. 60-97). De nombreuses
informations se trouvent dans des monographies et des ouvrages généraux sur la peinture
médiévale serbe : La peinture du Moyen Âge en Yougoslavie, I-IV, éds. G. Millet, A. Frolow, T.
Velmans, Paris 1954, 1957, 1962, 1969 ; V. Petković, La peinture serbe du Moyen Âge, I-II,
Belgrade 1930, 1931.
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LA ROYAUTÉ SACRÉE DANS LA SERBI MÉDIÉVALE
sont passées pour des preuves d’une certaine audace redevable au sentiment des
Némanides d’appartenir au domaine sacré.
À la recherche d’une éventuelle royauté sacrée dans la Serbie médiévale,
nous tâcherons de reprendre les trois types d’images mentionnées plus haut et
d’en proposer notre propre analyse, qui pourra être légèrement différente des
conclusions communément admises. Pourtant, nous ne nous proposons pas de
résoudre le problème du caractère sacral de la royauté serbe. Ceci d’autant plus
que l’analyse iconographique ne peut révéler qu’une petite partie des
informations nécessaires à l’étude de cet aspect. En effet, il ne s’agit que du
reflet dans l’art d’une réalité qui doit être cherchée aussi dans d’autres
domaines. D’autre part, pour savoir si la royauté serbe a réellement eu un
caractère sacral, il faudrait étudier les deux composantes essentielles de la
civilisation serbe : la tradition slave et l’empreinte byzantine.
L’analyse artistique ne concerne que cette dernière, car – malgré
d’indiscutables caractéristiques nationales – l’art médiéval serbe est
éminemment un art byzantin. Par conséquent, nos conclusions ne seront qu’un
simple élément à prendre en compte dans l’étude de la royauté sacrée serbe.
Avant la fin du XIIIe siècle, on avait adopté pour les tableaux votifs des
souverains serbes une formule plutôt humble, réservée à Byzance aux personnes
n’appartenant pas à la famille régnante. Habillé en costume de dignitaire, sans
porter les insignes royaux, le fondateur présentait la maquette de son église au
Christ trônant, grâce à l’intercession de la Vierge. Celle-ci, figurée entre le
fondateur et le Christ, présentait – en quelque sorte – le fondateur à son céleste
Fils. L’humilité des représentations votives serbes réside, d’une part, dans ce
besoin de faire appel à un intercesseur et, d’autre part, dans la discrétion de la
tenue vestimentaire des rois, ainsi que dans l’absence des attributs du pouvoir.
En 1296, dans la peinture murale de l’église d’Arilje2 se produit un
changement capital : la formule iconographique du tableau votif est celle qui
servait pour représenter les empereurs byzantins. Les personnages historiques,
en l’occurrence le roi Uroš II, dit Dragutin, sa femme ainsi que son frère et
successeur Milutin, sont représentés habillés en costumes impériaux d’apparat,
bénis par une petite figure du Christ apparaissant dans un segment de ciel. À
partir de ce moment, cette formule sera la seule utilisée pour les tableaux votifs
des Némanides.
L’abandon de l’ancienne formule a été expliqué par un changement dans la
mentalité des rois serbes. Ainsi, Uroš III Milutin, conquérant d’importants
territoires byzantins de Macédoine, serait le premier Némanide ayant désiré
2
N. L. Okunev, « Arilj », Seminar um Kondakovianum VIII (1936), p. 221-254 ; S.
Petković, Arilje, Belgrade 1965, p. 3-4, fig. 2.
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MATEI CAZACU
devenir empereur de Byzance. Il est vrai que Milutin avait occupé (1282) la cité
de Skopje ainsi que d’autres places fortes de Macédoine3, avait épousé en
quatrièmes noces une fille de l’empereur byzantin (1299)4 et qu’il s’était mêlé
de nombreuses intrigues dynastiques5 de la cour des Paléologues. Mais tout
ceci, loin d’être une nouvelle attitude politique des Némanides, descend en
droite ligne des pratiques de la famille.
Tous les Némanides ont essayé d’agrandir leur territoire au détriment de
l’Empire, ont consolidé leur position par rapport à Constantinople en épousant
(comme tant d’autres seigneurs médiévaux) des princesses byzantines ou filles
de souverains opposés à l’Empire et, enfin, ont jonglé avec tous ces éléments
pour parfaire leur lutte diplomatique en vue de mieux asseoir leur pouvoir par
rapport à Constantinople.
En ce qui nous concerne, nous pensons que la vraie explication de la
rupture iconographique mentionnée est beaucoup plus simple. En occupant une
partie de la Macédoine, Milutin ouvre la voie à des artistes byzantins qui avaient
travaillé pour les Paléologues et qui viennent dans le royaume serbe avec le
vocabulaire plastique de l’art impérial. L’image majestueuse des Paléologues
est tout de suite adoptée, car elle correspond aux désirs « impérialistes » et
« impériaux » des Némanides. Pour notre étude, il est intéressant de retenir que
dès la fin du XIIIe siècle, les Némanides sont représentés comme des souverains
byzantins. Le roi encore vivant, ses ancêtres, les souverains byzantins canonisés
(Constantin) ou pas (les empereurs figurés dans les compositions avec les
Conciles œcuméniques), ainsi que toute personne royale de l’histoire sainte,
sont représentés selon un modèle idéal : l’empereur byzantin de l’époque des
Paléologues.
À Gračanica6 (1321-1322) apparaît un autre détail emprunté à
l’iconographie impériale byzantine : les anges qui couronnent les fondateurs7
(en l’occurrence Milutin et sa jeune épouse constantinopolitaine, Simonida
Paléologue) (fig. 1). L’introduction de ce dernier élément iconographique
accroît l’aspect impérial des Némanides. À ce propos, il serait intéressant de
savoir si le cérémonial du couronnement avait été modifié à l’époque de
Milutin. Il est probable que la présence de cet élément iconographique dans la
peinture murale de Gračanica ne correspond à aucun changement du
cérémonial.
Profondément ancrée dans la tradition antique, l’habitude de représenter le
couronnement des souverains par des puissances célestes a été adoptée tant en
3
G. Ostrogorsky, History of the Byzantine State, Oxford 1980, p. 464.
4
Ibidem, p. 489.
5
Ibidem, p. 497.
6
Cette scène se trouve sur l’arc qui sépare le narthex du naos de l’église : R. Hamann-Mac
Lean, H. Hallensleben, Die Monumentalmalerei in Serbien und Makedonien vom 11. bis zum
frühen 14. Jahrhundert, Giessen 1963, p. 36-37.
7
A. Grabar, L’Empereur dans l’art byzantin. Recherches sur l’art officiel de l’Empire
d’Orient, Paris 1936, p. 112-122.
32
LA ROYAUTÉ SACRÉE DANS LA SERBI MÉDIÉVALE
Étienne Nemanja (Siméon en religion), ainsi que son fils Rastko (Sava),
organisateur de l’Église serbe, sont devenus après leur mort les saints patrons de
la Serbie10. Le catholikon du monastère de Mileševa11 a été édifié par la volonté
du roi Vladislav pour abriter la dépouille de son oncle Sava. Il aurait été naturel
que dans la peinture murale de cette église-mausolée soit célébrée la gloire de
Sava. En réalité, le mérite du grand-père (Siméon) et de l’oncle (Sava) du
fondateur semble rejaillir sur l’ensemble de la famille (fig. 2). En effet, dans le
narthex de l’église, Sava et tous les ancêtres du fondateur ayant régné (depuis
Nemanja jusqu’au frère aîné de Vladislav) sont représentés en pied, formant un
ensemble majestueux sur un registre où habituellement sont figurés des saints en
pied. Cette image dynastique est la plus ancienne conservée d’une longue série,
où le fondateur se faisait représenter en compagnie de certains de ses ancêtres.
Comme toutes les autres (fig. 3), elle témoigne d’un indéniable culte
dynastique, mais aussi du caractère sacral de la famille royale.
En effet, Vladislav et ses ancêtres sont représentés dans une église à un
endroit réservé habituellement à de saints personnages. Plus encore, à
Sopočani12, la composition dynastique (fig. 4) représente Étienne (Siméon)
Nemanja donnant la main à son fils Étienne « le Premier Couronné », qui donne
– à son tour – la main au fondateur de l’église Uroš Ier, suivi de ses deux fils
8
C. Walter, « The Iconographical Sources for the Coronation of Milutin and Simonida at
Gračanica », dans L’art byzantin au début du XIVe siècle, Belgrade 1978.
9
V. J. Djurić, Sopočani, Leipzig 1967, p. 74, schéma p. 232.
10
En ce qui concerne la canonisation de Siméon et de Sava, voir la contribution de M.
Cazacu, supra.
11
S. Radojčić, Mileševa, Belgrade 1963.
12
V. J. Djurić, op. cit., p. 50, schéma p. 230.
33
MATEI CAZACU
13
A. Ducellier, Les Byzantins. Histoire et culture, Paris 1988, p. 84-88.
14
G. Ostrogorsky, op. cit., p. 516-523.
15
V. Petković, « Portreti iz Psače », Narodna starina (1929), p. 202-203.
16
Cette composition se trouve dans le narthex de l’église, face à une majestueuse image du
Jugement dernier. Dans la même partie de l’église se trouvent les habituels portraits en pied des
Némanides.
34
LA ROYAUTÉ SACRÉE DANS LA SERBI MÉDIÉVALE
Nemanja), encadré par deux de ces fils (dont le saint Sava), écarte les bras d’où
sortent deux branches dont les ramifications forment « l’arbre ». Donc, ce type
d’image figure en premier lieu la descendance d’un saint local, père d’un autre
saint local. Plus encore, d’autres personnes de sa descendance ont été
canonisées après leur mort17. Il s’agit donc d’une image religieuse à caractère
local inspirée de la composition connue de l’ensemble du monde chrétien
figurant l’arbre généalogique de Jésus. Les autres représentations médiévales de
l’arbre généalogique des Némanides ont été conservées dans les narthex des
églises du monastère de Dečani18 et du Patriarcat de Peć19. Toutes deux datent
de la première moitié du XVe siècle.
Quelle peut être la signification laïque de ce type de représentation ?
L’Arbre de Jessé, le modèle de ces compositions montre que le Fils de Dieu
descendait par sa mère d’une longue lignée royale. Sorte de légitimation de son
destin de régner sur l’Univers. Il nous semble évident que l’image généalogique
des Némanides était appelée à légitimer la dynastie des Némanides, formée par
les descendants d’un saint roi.
Depuis le début du XIIIe siècle, on voit dans la peinture murale serbe des
scènes isolées et des cycles entiers qui racontent l’histoire personnelle de tel ou
tel membre de la famille royale. Le plus souvent, il s’agit de personnages
canonisés comme Étienne/Siméon Nemanja20 (fig. 7). Ce genre d’images
trouvent tout naturellement leur place sur les murs d’une église serbe, car quoi
de plus habituel que de représenter la vie d’un saint local dans une église ?
Parfois, il semblerait que les peintres se soient servis de cycles bibliques pour
raconter d’une manière métaphorique les moments importants de la vie des
Némanides21. Cette façon détournée de narrer l’histoire de la famille du
souverain ou d’une certaine personne de cette famille correspond à une habitude
courante dans le monde byzantin.
Plus rarement, il y a aussi des représentations de scènes de la vie de
personnes royales jamais canonisées, comme celle figurant la Mort de la reine
17
En ce qui concerne la canonisation des différents rois de la dynastie des Némanides, voir
la contribution de M. Cazacu : supra. D’autres membres de la famille royale ont été canonisés
après leur mort, tel Urošić, un des fils de Dragutin, mort en bas âge, enterré à Arilje, où il fut
vénéré comme saint : S. Petković, Arilje, Belgrade 1965, p. 4.
18
V. Petković, Dj. Bošković, Manastir Đelani, Belgrade 1941, est la meilleure
monographie parue à ce jour et donne une description minutieuse du programme iconographique.
19
S. Petković, Le Patriarchat de Peć, Belgrade 1982, p. 29-30.
20
Par exemple, le cycle de la vie de Siméon/Étienne Nemanja de l’église de la Vierge de
Studenica (vers 1235) : Studenica Monastery, éds. S. Čirković, V. Korać, G. Babić, Belgrade
1986, p. 82-85.
21
R. Ljubinković, « Sur le symbolisme de l’histoire de Joseph du narthex de Sopočani »,
dans L’art byzantin du XIIIe siècle, Belgrade 1967, p. 207-237.
35
MATEI CAZACU
Anne Dandolo dans le narthex de l’église de Sopočani22. Cela non plus ne doit
pas étonner, car, d’une part, il s’agit d’un événement en relation directe avec
l’histoire de l’église en question, et, d’autre part, la représentation de scènes de
la vie du souverain et des autres membres marquants de sa famille était connue
à Byzance.
Malgré le fait que ces scènes historiques ont beaucoup intéressé les
spécialistes, qui y ont vu, parfois, une preuve du caractère sacral de la famille
régnante serbe, nous croyons que du simple point de vue iconographique leur
intérêt est minime, tout au moins pour l’aspect qui nous préoccupe ici.
Conclusions
Notre rapide survol des images médiévales des rois serbes montre
clairement que les peintres traitaient la personne royale comme un saint
personnage (fig. 8). Ce phénomène apparaît très tôt, pratiquement dès le début
de l’existence de l’État serbe, dans les premières fondations des Némanides. Ce
n’est pas l’iconographie impériale byzantine qui permet d’introduire l’aspect
sacral, car dès le début du XIIIe siècle (à Mileševa et, surtout, à Sopočani) et
malgré un schéma iconographique encore humble, les Némanides apparaissent
dans toute leur splendeur de saints rois.
Est-ce que cette image des rois serbes est particulière dans l’aire
géoculturelle byzantine ? A priori, dans le monde byzantin il n’est pas du tout
surprenant que le souverain soit représenté comme un saint personnage.
Pourtant, bien que le vocabulaire iconographique soit byzantin, la
signification des images représentant les rois serbes nous paraît différer de celle
des images impériales byzantines. Comme nous l’avons déjà mentionné plus
haut, à Byzance l’empereur était considéré comme un saint, selon une ancienne
tradition qui remonte à l’Antiquité. Ce n’était pas l’homme, mais la fonction qui
impliquait la sainteté du personnage.
En revanche, dans la peinture médiévale serbe, le caractère sacral des
Némanides ne semble nullement découler de leur statut royal. Bien au contraire,
leur statut royal est justifié par leur appartenance à une sainte lignée. Autrement
dit, un empereur byzantin était saint par sa fonction, tandis qu’un Némanide
détenait sa fonction parce qu’il était saint.
Il faudrait savoir si ce type de caractère sacral de la dynastie qui apparaît
dans la peinture médiévale correspond à la réalité historique. Dans l’affirmative,
ne s’agissant pas d’une tradition byzantine, il faudrait chercher ses origines dans
les coutumes slaves.
22
V. J. Djurić, op. cit., p. 74, schéma p. 233.
36
LA ROYAUTÉ SACRÉE DANS LA SERBI MÉDIÉVALE
Bilan
Bibliographie
Arnakis G., « The Role of Religion in the Development of Balkan Nationalism », dans The
Balkans in Transition, éds. Ch. et B. Jelavich, Berkeley – Los Angeles 1963, p. 115-144
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1974-1981 (« Südosteuropäische Arbeiten », 75/I-IV)
Burian M. L., « Die Krönung des Stephan Prvovenčani und die Beziehungen Serbiens zum
römischen Stuhl », Archiv für Kulturgeschichte 23 (1933), p. 141-151
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MATEI CAZACU
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LA ROYAUTÉ SACRÉE DANS LA SERBI MÉDIÉVALE
LES NÉMANIDES
Étienne Nemanja
(Siméon en religion)
(1166-1196, mort 1200)
∞ Anne
Dušan
(1331-1355)
∞ Hélène de Bulgarie
Uroš IV
(1355-1371)
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MATEI CAZACU
LES BRANKOVIĆ
Branko Mladenović
Sevastocrator d’Ochrid
Vuk
Seigneur de Priština,
de Prizren et du Kosovo
∞ Mara Hrebeljanović
Georges Jean
(Maxime) (1496-1502)
(1486-1496) despote
despote et métropolite ∞ 1. ?
2. Hélène Iakšić
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LA ROYAUTÉ SACRÉE DANS LA SERBI MÉDIÉVALE
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LA ROYAUTÉ SACRÉE DANS LA SERBI MÉDIÉVALE
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LA VALACHIE MÉDIÉVALE ET MODERNE :
ESQUISSE HISTORIQUE
premiers sont, sans doute, des noms officiels, de chancellerie, car on connaît les
noms de quelques départements disparus de cette région : Jaleş, Pădureţ, Balta
et Gilort, dérivés soit du nom des rivières, soit des formes du relief.
À son tour, la région centrale était divisée en sept départements (et même
huit, si on y ajoute celui de Săcuieni – « Szeklers », population hongroise venue
de Transylvanie –, supprimé en 1845) : soit d’après le nom des rivières (Olt,
Argeş, Dâmboviţa, Prahova), des collines (Muscel), soit indiquant une vieille
population roumaine (Vlaşca, littéralement « Romania »), soit une vaste forêt
(Teleorman, nom donné par les Coumans, tout comme Deli-Orman, au Sud du
Danube).
certains sont devenus vassaux des Mongols, en les accompagnants même dans
leurs expéditions, d’autres, comme un Bezeremban (Basarab, ou bien le ban de
Severin ?) ont tenté de résister les armes à la main.
L’invasion mongole sonnait le glas d’un demi-siècle d’efforts hongrois
pour soumettre les populations de la Valachie et de la Coumanie. Ces efforts
avaient repris après 1204, lors de la conquête de Constantinople par les Croisés
partis pour la IVe Croisade. Entre la Hongrie et l’Empire latin de Constantinople
s’étendait une vaste masse bulgare, roumaine et coumane, en ébullition depuis
1185-1186 contre les abus du fisc byzantin. L’accession de la dynastie roumaine
(valaque) des Assan au trône de Tărnovo, capitale du deuxième Tsarat roumano-
bulgare, et la défaite infligée par ses troupes à l’empereur Baudouin, en 1205,
avaient marqué l’apparition d’une nouvelle force politique et militaire dans les
Balkans. Le pape Innocent III entretenait une importante correspondance avec
Ioniţă (Caloian) Assan, auquel il avait envoyé une couronne royale et un
archevêque pour le gagner au Catholicisme. Les successeurs de Ioniţă eurent à
leur tour à affronter la menace hongroise au nord et la menace latine au Sud et
furent obligés de composer avec leurs voisins. Parallèlement, au Nord du
Danube se déployait l’action des chevaliers Teutoniques, relayée par la
prédication des Dominicains qui fondèrent l’Évêché des Coumans à Milcovia,
en 1228. Pris en tenaille, les princes roumains de Valachie auraient subi le sort
de leurs congénères de Transylvanie, convertis au Catholicisme sous peine de
déchoir, n’eût été l’invasion mongole qui refoula les Hongrois et affaiblit leur
royaume pour plus d’un demi-siècle.
Un nouvel essai d’installation en 1247 des Chevaliers de l’Ordre de Saint-
Jean ou Hospitaliers à Severin échoua lui aussi. La charte de privilèges que le
roi hongrois Bela IV accorda aux chevaliers permet cependant de connaître les
noms de plusieurs princes valaques et leur situation par rapport à la couronne
hongroise. Ainsi, deux cnèzats (kenazatus), donc des principautés, dépendaient
directement de Severin : ils sont appelés d’après les noms de leurs princes, Jean
(Ioan) et Farcaş, et s’étendaient jusqu’à la rivière de l’Olt. Dans la même région
se trouvait une troisième principauté, « le cnézat du voïévode Litovoi », qui
chevauchait les Carpates, vu que la région du Haţeg, au Nord, s’y trouvait en
continuité territoriale ou en faisait partie.
À l’Est de l’Olt se trouvait le pays de Seneslau (terra Szeneslay), le
voïévode des Roumains (woiavoda Olachorum), vraisemblablement le prince
d’Argeş, et, plus à l’Est, la Coumanie Noire, c’est-à-dire la région de plaine de
la Valachie jusqu’au Danube.
On peut également constater que ces territoires avaient trois statuts
différents : dépendance directe de Severin (les cnèzes Ioan et Farcaş) ; vassalité
hongroise (c’est le cas de Litovoi et de Seneslau, appelés tous deux voïévodes),
et, enfin, une région à reconquérir, la Coumanie. Le diplôme ne faisait, en fait,
qu’enregistrer une situation antérieure à l’invasion mongole, qui s’était terminée
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MATEI CAZACU
en 1242 par le retrait précipité des chefs militaires, appelés à élire un nouveau
khan à Karakoroum.
Dorénavant, l’espace carpato-danubien allait être le théâtre de la rivalité
entre la Hongrie et la Horde d’Or, qui ayant pour capitale Saray, sur la Volga,
constituait la formation occidentale issue de l’empire des steppes et dominait
également la Russie et la Coumanie des steppes du Nord de la mer Noire.
Le long et pénible rétablissement de la Hongrie après le choc de l’invasion
mongole a été mis à profit par le prince Litovoi pour étendre sa domination sur
toute l’Olténie : ceci se passait vers 1272-1277, mais une expédition hongroise
dirigée par le magister Georges, fils de Simon, y mit fin. Litovoi fut tué au
combat et son frère Barbat, fait prisonnier, dut payer une forte rançon pour
recouvrir la liberté.
Mais l’initiative d’unification de toute la Valachie est venue, comme nous
l’avons dit, des princes d’Argeş. Des fouilles archéologiques y ont mis à jour les
fondations en pierre de l’ancienne Cour princière et de l’église de style byzantin
datées du XIIe – XIIIe siècles. Autour de cette principauté se sont regroupées,
par conquête, par fédération ou par des alliances matrimoniales, les autres
formations politiques du centre de la Valachie (Muntenia) jusqu’au Danube.
Nous ignorons le nom du prince promoteur de cette action : Radu Negru (le
Prince Noir), Tihomir (ou Tatomir, ou bien Toktamir, selon certains historiens)
ou bien le fils de ce dernier, Basarab, mentionné pour la première fois en 1324,
mais dont le règne avait débuté vers 1310. Ce(s) prince(s), mettant à profit les
difficultés que rencontrait la Hongrie entre l’extinction de la dynastie des Arpad
et l’avènement des Anjou de Naples (1291-1308), avai(en)t étendu son (leur)
autorité sur les princes d’Olténie, les successeurs de Litovoi et de son frère
Barbat. La chronique officielle du XVIIe siècle mentionne l’acte d’allégeance
que les clans nobiliaires d’Olténie ont prêté au Prince Noir, figure dans laquelle
se sont fondues les actions de plusieurs princes successifs de Muntenia.
Maître de la Munténie et de l’Olténie, Basarab a poussé sa domination vers
l’Est, vers la Coumanie Noire, territoire mal peuplé au Sud, mais qui contrôlait
le dernier tronçon du Bas-Danube et notamment les villes et les comptoirs
byzantins et italiens (génois et vénitiens) proches de l’embouchure du fleuve
dans la mer Noire. Le souvenir de cette domination s’est conservé dans le nom
de Basarabia donné au territoire sis au Nord des bouches du Danube, territoire
contrôlé et ensuite contesté par les Tatars de la Horde d’Or et des principautés
territoriales issues de celle-ci.
Un des problèmes les plus épineux pour la nouvelle principauté a été
l’occupation et la conservation de la forteresse et du Banat hongrois de Severin
dont la valeur stratégique et économique résidait dans sa position de verrou sur
la route commerciale reliant les Balkans occidentaux à la Transylvanie et à la
Hongrie. Occupé par les princes de Munténie dès la fin du XIIIe siècle, Severin
fut contesté à Basarab par Charles Robert d’Anjou, le premier roi hongrois issu
de cette dynastie française installée jadis en Sicile et à Naples. Sommé de rendre
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LA VALACHIE MÉDIÉVALE ET MODERNE
la forteresse, Basarab offrit de payer au roi les impôts recueillis sur son territoire
mais refusa de la rendre. En 1330, Charles Robert entreprit une campagne
militaire en Valachie qui fut victorieuse au début : Curtea-de-Argeş fut brûlée et
Basarab accepta de négocier le paiement d’une forte amende de 7000 marcs
d’argent, l’équivalent de 21.000 ducats d’or ou d’une tonne et demi d’argent, et
de rendre Severin. Mais, sur la route du retour vers le Banat, il attaqua l’armée
hongroise et lui infligea une sévère défaite dans un défilé des Carpates localisé
avec beaucoup de probabilité dans la zone de Timiş-Cerna. Le roi se trouva
plusieurs fois en danger de mort et un grand nombre de seigneurs et soldats
périrent lors du combat qui dura trois jours (9-12 novembre 1330).
Après cette victoire, Basarab conserva Severin (avec une interruption en
1335-1336) et sa position politique ne cessa de s’affermir par des alliances
matrimoniales avec les souverains serbes et bulgares. Le vieux prince porta
dorénavant le titre de « grand voïévode », alors que son fils Alexandre, qui fut
associé au trône, fut appelé seulement « voïévode », car il avait
vraisemblablement hérité d’une partie du pouvoir.
La mort de Basarab, en 1352, survint alors que sur le trône hongrois se
trouvait Louis d’Anjou (1342-1382), fils de Charles Robert. Ce grand roi avait
entrepris, dès 1344-1345, une série de campagnes militaires destinées à
repousser la domination mongole de l’Est des Carpates orientales, depuis la
Galicie, au Nord, jusqu’aux bouches du Danube, au Sud. Le prince Alexandre
dut prêter serment de fidélité au roi de Hongrie qui essaya d’imposer le
Catholicisme à tous ses vassaux orthodoxes, dont la Valachie. La démarche du
prince valaque, qui tentait de limiter au maximum sa dépendance envers le roi
de Hongrie, consista dorénavant à obtenir pour son pays la création d’une
Métropole ecclésiastique de rang archiépiscopal soumise directement au pape,
ce qui aurait placé ipso facto Alexandre au rang de prince souverain. Or, les
efforts de Louis d’Anjou tendaient à soumettre l’Évêché de Valachie à l’autorité
de l’archevêque primat de Hongrie (avec son siège à Strigonium, Esztergom),
en ramenant donc le voïévode valaque au rang de simple vassal de la couronne
hongroise. Dans l’impossibilité d’obtenir du pape la consécration indirecte de sa
souveraineté, lequel pape avait dû s’incliner devant l’opposition de Louis
d’Anjou, Alexandre se tourna alors vers Constantinople, l’autre grand centre de
légitimité religieuse du monde chrétien médiéval. En mai 1359, le patriarche
Kallistos Ier et le synode constantinopolitain accédaient aux (nombreuses)
démarches d’Alexandre et reconnaissaient le transfert à Argeş du métropolite
Jacinthe (Iachint) de Vicina, dans le Bas-Danube, occupée par les Tatars, sur le
trône de la métropole d’Hongrovalachie nouvellement créée et soumise au
Patriarcat de Constantinople. Du coup, le prince valaque voyait reconnus son
titre de souverain et son statut de grand prince et d’avthentes, que ses
successeurs traduiront par « autocrate » (samoderžec, samoderžavnyj gospodar).
Fort de sa nouvelle légitimité, Alexandre, qui adopta dorénavant le nom
double de Nicolae-Alexandru, bâtit à Argeş (à l’emplacement de l’ancienne
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MATEI CAZACU
bâtisse) une église métropolitaine dédiée à saint Nicolas et qui sera peinte (ou
repeinte) au tout début du siècle suivant par son petit-fils, Mircea dit l’Ancien
(Mircea cel Bătrân, 1386-1418). Cette orientation religieuse allait marquer toute
l’histoire du pays, donner l’exemple à la Moldavie voisine et entraîner la
Valachie dans l’aire de civilisation de Byzance, de la chrétienté orientale. De la
sorte, la rupture avec le monde catholique incarné par la Hongrie était
consommée et suivait quelques décennies de louvoiements et d’hésitations, qui
nous sont connues également pour le règne de Basarab, entre l’obédience à
Rome ou à Constantinople. Cette obédience envers l’un ou l’autre centre
religieux était de toute façon formelle, vu que la langue du culte de l’Église
valaque était le slavon, adopté également par les Roumains de Transylvanie et
par ceux de Moldavie aux Xe – XIe siècles. De culte à culture, le passage était
évident et les Roumains adoptèrent également le slavon comme langue de
chancellerie, langue mentionnée pour la première fois sous le règne de ce même
Nicolae-Alexandru.
Un dernier mot enfin sur la signification du terme Hongrovalachie utilisé
par Constantinople pour désigner la nouvelle Métropole ecclésiastique d’Argeş.
Certains historiens y ont vu l’expression de la dépendance politique envers la
Hongrie de cette Valachie dont le nom était également porté par la Grande et la
Petite Valachie de Thessalie et de l’Étolie-Acarnanie. D’autres – et ils sont la
majorité – ont cru déceler une simple précision géographique désignant la
Valachie voisine de la Hongrie, tout comme le diocèse moldave portera le nom
de Rousovalachie, donc la Valachie voisine de la Russie (Halitch).
Le revirement de 1359 – année qui coïncide avec la révolte des Roumains
de Moldavie, sous le prince Bogdan Ier, contre ce même Louis d’Anjou – suivait
une période de confrontation avec le souverain hongrois qui n’entendait pas
abandonner sa position de suzerain face à la Valachie et à son prince. Le 28 juin
1358, le roi de Hongrie accordait aux bourgeois de Braşov (Kronstadt, Brasso),
en Transylvanie, un privilège commercial leur permettant de circuler librement
dans le territoire délimité par les rivières Buzău et Prahova, plus précisément
depuis l’embouchure du Siret jusqu’à celle de la rivière Ialomiţa. Ces deux
dernières rivières, qui se versent dans le Danube, délimitaient ainsi la Coumanie
Noire, qui figurait aussi dans la titulature du roi de Hongrie depuis le règne
d’André II (1205-1235) et qu’avait occupée Basarab et son successeur au trône.
À l’embouchure de la Ialomiţa se trouvait Târgul-de-Floci (« la ville de la
laine », appelée aussi Linocastro), et à celle du Siret, plus au Nord, Brăila, le
plus grand port valaque du XIVe et XVe siècles. La liberté de commerce
accordée aux marchands transylvains sur le territoire contesté de la Coumanie,
outre qu’elle privait le prince valaque d’une importante source de revenus,
marquait très clairement les prétentions du roi de Hongrie à imposer sa volonté
à son vassal. Par ailleurs, le renouvellement de ce privilège en 1368, donc dix
ans plus tard, s’inscrit dans le même processus à une époque de conflits armés
entre les deux pays.
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LA VALACHIE MÉDIÉVALE ET MODERNE
57
MATEI CAZACU
roumains qui feront bien des essais par la suite pour les récupérer. Au XVIIe
siècle, Constantin Brâncoveanu, prince de Valachie de 1688 à 1714, possédera
le domaine de Sâmbata dans le Făgăraş, où il construira un monastère.
L’importance du Făgăraş pour l’histoire de la Valachie n’est plus à
souligner. Peuplé par une majorité de Roumains – nobles et paysans –, le duché
avait à sa tête un voïévode valaque mentionné en 1308 lorsque le voïévode de
Transylvanie, Ladislas Kan, lui confia la garde d’un prétendant au trône de
Hongrie, Otto de Bavière. Sa continuité territoriale avec la Munténie était
renforcée par le mouvement transhumant des bergers valaques du Făgăraş qui
faisaient paître leurs moutons au Sud des Carpates jusqu’au XIXe siècle.
Le prix à payer par Vladislav-Vlaicu et ses successeurs pour les deux fiefs
du Nord des Carpates fut l’ouverture de la Valachie à la propagande catholique
assurée par les Franciscains de Bosnie au Sud et par les Dominicains de Galicie
(Halitch) au Nord et qui aboutit à la création de deux Évêchés catholiques en
Valachie : Severin (en 1376-1377) et Argeş (en 1381). Ces deux Évêchés ont
toutefois joué un rôle bien moindre que ceux de Siret et de Baia en Moldavie et
leur activité missionnaire a été très modeste.
Beaucoup plus importante est, en revanche, la création, en 1370, de la
Métropole ecclésiastique de Severin par le Patriarcat de Constantinople. Cette
nouvelle Métropole avait comme province l’Olténie, alors que le métropolite
d’Argeş gardait sous son obédience le reste de la Valachie, le Făgăraş et
l’Amlaş. Cette décision patriarcale a provoqué l’étonnement des historiens qui y
ont notamment vu le résultat d’un conflit entre le prince Vladislav-Vlaicu et son
métropolite, Iachint, anciennement de Vicina. Il nous semble qu’il s’agit, en fait,
d’une initiative princière répondant aux manifestations d’autonomie de l’Olténie
à l’intérieur de l’État valaque à une époque où le Patriarcat œcuménique était
très avare dans la création de nouveaux diocèses : le cas de Halitch, intégré dans
le Royaume de Pologne à la même époque, et pour lequel le roi Casimir
demandait à Byzance la formation d’un Évêché orthodoxe, est très significatif
de la réticence du Synode constantinopolitain à diviser les anciennes provinces
ecclésiastiques. Le fait que le patriarche et le Synode aient accepté, à peine onze
ans après la création de la Métropole d’Hongrovalachie, d’en créer une autre,
sur un territoire somme toute assez restreint, prouve que l’Olténie était loin de
constituer une province bien intégrée à la Valachie.
Cette situation spéciale de l’Olténie s’est traduite, sur le plan politique, par
le maintien, à la tête de l’Olténie, d’un dignitaire spécial nommé ban, du nom de
l’ancien gouverneur hongrois du temps où l’Olténie jouissait d’un statut
semblable à celui de la Munténie. Dans un premier temps, Vladislav-Vlaicu
confia le gouvernement de l’Olténie à son frère Radu, prince associé au trône
vers 1370-1371 ; c’est dire toute l’importance que revêtait cette province pour
les princes d’Argeş. Deux décennies plus tard, lorsque les chartes valaques
commencent à inclure la liste des membres du Conseil princier, on voit le ban
apparaître en tête de ce Conseil. Sa résidence était à Severin puis, après
59
MATEI CAZACU
En effet, Vlad réside en Olténie, alors que Mircea contrôle l’Est du pays ;
Vlad est l’allié des Turcs, des Moldaves et des Polonais, alors que Mircea
conclut un traité avec Sigismond de Luxembourg. Par ailleurs, Vlad se
manifeste uniquement en Olténie et seulement en 1396 il occupe le centre de la
Valachie et s’installe à Argeş. Finalement, blessé dans un combat singulier avec
le voïévode de Transylvanie, Vlad est obligé de se rendre et est expédié, avec sa
famille, en Hongrie (début 1397).
Cet épisode doit être compris comme un essai des boyards d’Olténie de
mettre fin à l’état de guerre avec les Ottomans qui pillaient leurs domaines en
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LA VALACHIE MÉDIÉVALE ET MODERNE
Craiovescu, les fils du župan Neagoe ; Barbu (issu d’un premier mariage),
Pârvul, Radu et Danciu occupent les premières dignités à la Cour des princes
Basarab III Ţepeluş (1477-1481), Vlad IV le Moine (1482-1495) et Radu IV le
Grand (1495-1508). Forts de leurs alliances matrimoniales (notamment avec des
nobles serbes mais aussi autochtones) et de l’étendue considérable de leurs
domaines, les frères Craiovescu et leurs nombreux alliés et vassaux
constituaient, sans aucun doute, le principal clan nobiliaire de Valachie. La
situation de leurs propriétés, qui s’étendaient des Carpates au Danube, leur
permettait d’entretenir de fructueuses relations commerciales avec les villes de
Transylvanie, notamment Braşov (Kronstadt) et Sibiu (Hermannstadt), mais
aussi avec l’Empire ottoman qui avait atteint la ligne du grand fleuve à la fin du
XIVe et au début du XVe siècles.
Face aux Craiovescu, les seuls clans d’une puissance comparable étaient
ceux des boyards de Mărgineni et leurs alliés, dans le centre de la Valachie, et
les Braga de Buzău, en Coumanie Noire, dont nous reparlerons plus loin, et qui
seront les grands rivaux des Craiovescu au XVIe siècle.
S’étant assuré la domination incontestée de l’Olténie, les Craiovescu
nourrissaient l’ambition de ceindre la couronne princière valaque. En effet, la
dynastie des Basarab donnait des signes de faiblesse, tant physique que
politique : le règne de Radu IV le Grand avait été le témoin de la longue maladie
du prince, paralysé par la goutte et, selon les historiens de la médecine, par la
syphilis. À sa mort, en 1508, le nombre des prétendants au trône était très
restreint : Radu ne laissait pas de fils légitime. Les quatre princes ultérieurs qui
ont revendiqué sa paternité étaient tous illégitimes : Radu de la Afumaţi, Radu
Bădica, Radu Paisie et Mircea Ciobanul étaient trop jeunes à ce moment et pour
certains cette filiation n’est même pas sûre.
C’est pourquoi le trône fut occupé, à la suite d’un coup de force avec l’aide
des Ottomans, par Mihnea Ier, fils de Vlad III l’Empaleur, dit aussi Dracula
(†1476). Mihnea avait passé le plus clair de son existence – il était fils
illégitime, né avant 1462 – à Istanbul comme otage, puis s’était enfui à Bude, en
Hongrie. Fort du soutien du sultan, il commença son règne par des mesures très
sévères à l’encontre des grands seigneurs et notamment des Craiovescu, qu’il
soupçonnait, et à juste titre, de vouloir lui imposer leur autorité.
Finalement, le conflit dégénéra en lutte ouverte et les frères Craiovescu
durent se réfugier, qui en Hongrie, qui dans l’Empire ottoman, d’où ils revinrent
avec l’aide de Mehmed Mihaloglu, bey de Nicopolis sur le Danube, avec lequel
ils s’apparentaient : Mihnea et son fils Mircea, associé au trône depuis 1509,
furent chassés du pays et durent se réfugier à leur tour en Transylvanie, où
Mihnea allait trouver la mort peu de temps après (1510).
Les Craiovescu installèrent alors sur le trône de Valachie un jeune homme
d’à peine 16 ans, Vlad V, fils de Vlad IV le Moine, qui était mort, nous l’avons
vu, en 1495 : c’était là, la meilleure preuve que les fils de Radu le Grand étaient
trop jeunes pour régner, plus jeunes en tout cas que Vlad V. Mais, très vite, le
62
LA VALACHIE MÉDIÉVALE ET MODERNE
jeune prince entra lui aussi en conflit avec les tout-puissants boyards olténiens
qui eurent, une fois de plus, recours à leur parent et allié Mehmed Mihaloglu
pour les débarrasser de leur créature, dorénavant encombrante. Les troupes de
Vlad V furent défaites et le jeune prince décapité par Mehmed bey sous les
fenêtres du palais princier de Bucarest. À sa place, les Craiovescu installèrent
comme prince un des leurs, Neagoe, fils de Pârvu, le deuxième frère
Craiovescu.
Ce faisant, le clan olténien mettait fin au monopole de la dynastie des
Basarab, déchirée par des luttes fratricides tout au long du XVe siècle, luttes qui
avaient permis aux Ottomans d’imposer le paiement d’un tribut (dès 1417, au
plus tard), de soutenir et de confirmer les princes élus ou non par les boyards,
d’occuper des places fortes sur le Danube (Giurgiu et surtout Turnu, à
l’embouchure de l’Olt, transformées en rayas, territoire ottoman) et d’intervenir
constamment dans les affaires intérieures de la Valachie. Aux yeux des
Ottomans, le pays avait perdu le droit à une politique externe indépendante et se
voyait soumis à un condominium hungaro-turc exprimé par toute une série de
traités signés entre les deux puissances en 1428, 1444, 1451, 1483 et 1503. La
fidélité à toute épreuve envers les Ottomans avait remplacé, depuis 1482, la
politique de résistance de Mircea l’Ancien (1386-1418), de Dan II (1422-1431),
de Vlad II dit le Diable (1436-1447), de Vladislav II (1447-1456) et, enfin, de
Vlad III l’Empaleur, dit aussi Dracula ( 1448, 1456-1462,1476) . À la suite
d’une campagne de Mahomet II en Valachie en 1462, suivie de la fuite de
Dracula et de l’installation de son frère Radu le Beau, l’homme des Turcs, les
sultans ottomans considéraient la Valachie un pays conquis par l’épée, qui
n’avait plus le droit de frapper monnaie, ni de conclure des traités avec les
puissances étrangères, et auquel il convenait de nommer et de confirmer des
princes issus de la dynastie des Basarab. La mise au pas de la Moldavie voisine
entre 1473 et 1487, la résistance de la Hongrie et les guerres en Asie Mineure
contre Uzun Hassan et les Perses, avaient pourtant retardé la mainmise ottomane
sur la Valachie. L’installation, à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, du
clan des Mihaloglu comme défenseurs de la frontière du Danube face aux
Hongrois, marquait l’intérêt de la Porte pour le Bas-Danube qu’il contrôlait
jusqu’à son embouchure après la conquête, en 1484, des forteresses moldaves
de Kilia et de Cetatea Albă (Moncastro).
L’intérêt stratégique de la Valachie (et de la Moldavie) se doublait, aux
yeux des Ottomans, d’un intérêt économique. En effet, les deux pays
contribuaient de manière considérable à l’approvisionnement de Constantinople
en bétail, miel, cire, bois de construction, fourrures et autres produits. Les
princes de Valachie étaient obligés, depuis le XVe siècle, d’apporter le kharatch
en personne à la Porte, à la Saint Démètre (26 octobre), de fournir des aliments
et une aide logistique aux Ottomans en cas de campagne, d’envoyer des troupes
lors des guerres de ces derniers même en Asie Mineure, de faire face à des
demandes impératives de fournitures de toutes sortes, comme chevaux, faucons
63
MATEI CAZACU
toponymie. Dans la région des collines domine une population très dense de
moşneni (libres alleutiers) et une petite noblesse remuante et guerrière qui voit
d’un mauvais œil les Olténiens et les boyards du centre du pays occuper des
dignités à la Cour et s’emparer de nombreux villages. En 1462, après sa
campagne contre Vlad III l’Empaleur (Dracula), Mahomed II rentra à
Constantinople mais laissa à Brăila Radu le Beau, le propre frère de Vlad, pour
tenter d’attirer à soi la noblesse de Valachie. Très vite, Radu réussit à s’assurer
le concours des Saxons de Transylvanie et des Szeklers, de même que celui de
la noblesse valaque de la région de Brăila et des alentours. C’était la première
fois que cette région soutenait ouvertement un prétendant au trône de Valachie,
prouvant de la sorte son poids dans l’ensemble du pays. Ce poids n’avait cessé
de croître depuis 1417, lorsque Mahomed Ier avait occupé le Nord de la
Dobroudja, privant de la sorte les princes de Valachie de territoires riches et
bien pourvus en ports et villes commerciales. Ceci explique la mention répétée
de Brăila et de la frontière de la mer Noire dans les actes de Dan II (1422-1431)
et d’Alexandre Aldea (1433).
La Coumanie Noire allait de nouveau être appelée à jouer un rôle
important dans l’histoire de la Valachie en 1481, lorsqu’au mois de mars, le
prince de Moldavie Étienne le Grand (1457-1504) essaya d’imposer à la
Valachie un nouveau prince à la place de Basarab IV Ţepeluş. Avant d’entrer en
campagne en Valachie, Étienne entreprit de s’attirer le concours de la noblesse,
des libres alleutiers (qu’il appelle cnèzes) et du reste de la population des trois
départements de la région – Brăila, Buzău et Râmnicul Sărat, auxquels il envoya
des lettres circulaires dans ce sens. La réponse des boyards des trois
départements est identique et a été écrite par le même secrétaire, sur le dos des
deux lettres du prince : une pour Brăila et une pour les deux autres
départements ; elle signifie au prince moldave, en des termes d’une rare
violence et empreints d’une ironie mordante, un refus très net de coopérer à son
entreprise de déstabilisation du prince valaque. Au-delà de l’aspect anecdotique,
il faut remarquer la solidarité des nobles et des libres alleutiers des trois
départements et le caractère commun de leur décision, qui avait dû être prise
lors de véritables assemblées régionales. Nous ne connaissons pas de documents
de ce type dans l’histoire médiévale roumaine, mais nous ne pouvons nous
empêcher de penser que ces trois départements continuaient de former une
entité non seulement géographique, mais aussi politique et religieuse autour de
la Métropole de Braila.
Sous les règnes des princes suivants, on rencontre peu de grands boyards
originaires de cette région comme membres du Conseil princier et nous savons
que bon nombre d’entre eux avaient fait cause commune avec certains seigneurs
d’Olténie pour s’opposer à Neagoe Basarab : une partie avait trouvé refuge en
Moldavie et d’autres se trouvaient vraisemblablement à Istanbul, d’où ils
adressaient au sultan des plaintes contre la tyrannie de Neagoe.
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MATEI CAZACU
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LA VALACHIE MÉDIÉVALE ET MODERNE
fonctions à la Cour, que lors de son règne : un peu moins de 200 villages, entiers
ou en partie, regroupés surtout en Olténie du Sud, mais aussi dans le centre du
pays et dans la région de Buzau. C’était là, à n’en pas douter, une imitation de
l’exemple des Craiovescu qui avaient dû à leurs importantes propriétés le
prestige et la force nécessaires pour s’emparer du trône de Valachie.
Après la chute et la mort de Michel en 1601, les boyards valaques élirent
comme prince l’échanson Şerban de Coiani, qui dut affronter la rivalité de Radu
Mihnea, apparenté aux boyards de Buzău, et de Siméon Movilă, venu de
Moldavie. Le nouveau voïévode adopta le nom princier de Radu (Şerban) et
s’intitula « petit-fils de feu Basarab voïévode », c’est-à-dire de Neagoe Basarab.
Même si la réalité était un peu différente, car Radu Şerban descendait d’une
cousine de Neagoe, sa légitimité se trouvait ainsi clairement affirmée : c’était en
tant que descendant du clan des Craiovescu et du prince Neagoe en personne
que Radu Şerban entendait asseoir ses prétentions au trône. Par ailleurs, le
mariage de sa sœur avec Nicolae Pătraşcu, mort jeune, lui permettait de s’ériger
en continuateur de l’œuvre de Michel le Brave.
Mais il y avait plus. Par son mariage avec Elina (Hélène) de Mărgineni,
Radu Şerban était entré en possession des biens d’un très important clan
nobiliaire, celui des boyards de Mărgineni, originaires de Munténie, plus
précisément du département de Prahova. Par suite des alliances avec d’autres
clans, les boyards de Mărgineni disposaient d’un grand domaine éparpillé dans
plusieurs départements du centre du pays, mais aussi de biens provenant des
boyards de Buzău de la ligne de Vlad Vintilă. Si l’on y ajoute les biens des
Craiovescu qui revenaient à Radu Şerban par l’héritage de sa mère, et dont la
liste est comprise dans un acte de partage de 1589, on constate que ce dernier se
trouvait à la tête d’un formidable domaine de pas moins de 148 villages.
La légitimité du nouveau prince partisan, comme Michel le Brave, d’une
alliance avec les Habsbourg, est très clairement exprimée dans la chronique
officielle de Valachie composée au XVIIe siècle par un lettré favorable à ses
descendants par les femmes, les Cantacuzène, dont il sera question plus loin.
Cette chronique, appelée Les Annales des Cantacuzène (Letopiseţul
cantacuzinesc) par ses éditeurs, nous dit que les Basarab (en fait les Craiovescu)
avaient dirigé l’Olténie bien avant la fondation de la Valachie par le Prince Noir
en 1290. Lors de son installation comme voïévode du pays, les Basarab-
Craiovescu et toute la noblesse d’Olténie étaient venus lui prêter serment
d’allégeance. Par la suite, Dieu combla de ses faveurs ce clan qui donna
naissance à Neagoe, devenu prince comme le roi David avant lui, après la mort
des héritiers légitimes – Jonathan et Saul, qui avait sombré dans la folie. Neagoe
est comparé à Moïse et à l’empereur Théodose II (pour avoir apporté les
reliques de saint Niphon, tout comme l’empereur byzantin avait procédé avec
les restes de saint Jean Chrysostome) et après sa mort le pays alla de mal en pis.
L’élection de Michel le Brave, après une longue période de décadence, est due
en grande partie à un sursaut des boyards Buzescu d’Olténie, qui combattirent
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LA VALACHIE MÉDIÉVALE ET MODERNE
aux côtés du prince et lui sauvèrent même la vie. Même s’ils le quittèrent à la
fin de son règne, ce sont toujours les Buzescu qui rassemblèrent des troupes
d’Olténie pour défendre le pays et chasser les ennemis qui l’avaient envahi.
Après la victoire, les nobles valaques avec les Buzescu à leur tête tinrent conseil
pour élire un successeur à Michel le Brave :
« Et, selon un ordre divin, tous d’un cœur pur élirent un des boyards présents, qui était
descendant de la famille princière des Basarab, à savoir Şerban, petit-fils de feu Basarab
voiévode... Ce prince a été sage, bon, généreux et brave. Et il aimait tous les étrangers [allusion
aux Cantacuzène] et gouverna bien son pays. Et il conclut la paix avec le sultan turc lui payant le
tribut pour qu’il n’y ait plus de désordres dans le pays. Pareillement, il fit la paix avec les rois et
les princes voisins de la Valachie, car il n’aimait ni la dispute, ni la colère, mais désirait vivre en
bons termes avec tout le monde. Et ainsi prirent fin les guerres et les armées d’occupation et Dieu
fit descendre grande joie et bonheur en Valachie. Et les gens éparpillés un peu partout rentrèrent
chacun chez soi remerciant Dieu pour la paix qu’il leur avait donnée ».
Cette même illustre origine allait jouer dans le cas du prince Matei Basarab
(1632-1654) qui descendait de Marga, la fille de Pârvu Craiovescu, donc sœur
de Neagoe Basarab. À plusieurs occasions et notamment dans les préfaces des
livres imprimés sous son règne, les lettrés du temps parlent de cette origine
princière en la rattachant directement à Neagoe Basarab. Lui-même déclarait,
d’ailleurs, que Dieu lui avait confié le règne sur « l’héritage foncier (moşia) des
ancêtres de Ma Seigneurie ». Dans l’inscription mise en 1636 sur la façade de
l’église princière de Câmpulung, la nécropole de Basarab Ier et de son fils
Nicolae-Alexandru, on fait l’historique de cette fondation attribuée au prince
Radu le Noir (Radu Negru), « venu de Hongrie », fondation qui était par la suite
tombée en ruines : « et ensuite, Dieu ayant consacré ce prince bon et
miséricordieux chrétien Matei Basarab et son épouse, Elina, avec la couronne de
la Valachie, son héritage (moşia), étant par ailleurs Sa Seigneurie parent et issu
de cette famille (ou dynastie : en roumain neam) ». Ou bien dans l’inscription de
l’église de l’évêché de Buzău, où Matei avait démoli « l’ancienne église,
construite par ses ancêtres, qui avait été brûlée et abîmée par les invasions
barbares ».
L’élection de Matei Basarab par la noblesse valaque suivait, dans le pays,
plus de deux décennies de troubles et d’agitations liés au problème de
l’occupation des charges et des dignités auliques par des « étrangers »,
notamment des Grecs (en fait Aroumains, Albanais et Grecs). Les boyards
autochtones craignaient pour leur monopole dans la nomination à ces fonctions
– qui apportaient à leurs titulaires des revenus considérables et une autorité
incontestable – et imputaient ces dérogations à la coutume aux princes nommés
directement par les Turcs et qui, élevés dans le milieu constantinopolitain,
venaient dans les Pays roumains entourés de créditeurs, d’amis et d’alliés. Il
s’agissait, en fait, souvent de Levantins qui épousaient des femmes autochtones
et devenaient Roumains par naturalisation, comme ce fut le cas pour les
Cantacuzène, les Alexeanu, les Brătăşanu, les Pârşcoveanu, les Popescu et bien
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MATEI CAZACU
d’autres. Très souvent, les enfants de ces gens étaient parmi les plus virulents à
dénoncer « l’invasion des étrangers », tels les chroniqueurs Radu Popescu
(Caridi par son père) ou Ion Neculce, de Moldavie, Grec par sa mère.
Durant son long règne, Matei Basarab a construit pas moins de 30 églises,
monastères et palais princiers (dont sept en Olténie) et en a réparé ou refait huit
autres, dont quatre en Olténie : parmi eux se trouvent les églises et les palais
princiers de Câmpulung (dont il a été question plus haut), de Curtea-de-Argeş et
de Târgovişte, les premières capitales du pays, marquées déjà par les travaux et
la présence de Neagoe Basarab.
Par ailleurs, tout comme Michel le Brave et Radu Şerban avant lui, Matei
Basarab s’est constitué, par héritage et/ou par achat, un important domaine
foncier, surtout durant son long règne. Une première partie provenait du
domaine des Craiovescu divisé, comme nous l’avons vu, en 1589 : de son père,
Danciul de Brâncoveni, Matei recevait la part d’une sœur de Neagoe Basarab,
Marga, à savoir 16 villages. En fin de compte et en y ajoutant les biens de son
épouse, Elina Năsturel (15 villages entiers ou en partie), le domaine de Matei
Basarab couvrait environ 170 villages, dont il octroya une bonne partie à ses
fondations religieuses, se réservant pour son bénéfice – mais seulement à la fin
de son règne – un nombre de 37 villages. Mort sans enfants, et ayant perdu un
fils adoptif, appelé lui aussi Matei, le prince laissa tous ses biens à son neveu,
Preda Brâncoveanu, dont il sera question plus loin.
Radu Șerban et Matei Basarab sont les descendants de deux des quatre
frères Craiovescu du XVe et du début du XVIe siècle : le premier avait comme
ancêtre (arrière-arrière-grand-père) Radu le chambellan (postelnic), mort en
1507 ; le second, se trouvant au même niveau, pouvait lui aussi faire remonter
ses ancêtres sur quatre générations à Pârvu Ier, mort en 1512, père de Neagoe
Basarab. Tous deux descendaient des Craiovescu par les femmes, car du côté de
son père, Radu Şerban appartenait au clan des boyards de Coiani (aujourd’hui
Mironeşti), au Sud de Bucarest, ancienne propriété des Craiovescu. Quant à
Matei, il appartenait par son père au clan des boyards de Brâncoveni, village sis
sur la rive droite de l’Olt, au Sud de Slatina. Leurs descendants en ligne
masculine et féminine, de même que leurs collatéraux, allaient contracter des
alliances matrimoniales entre eux, occuper le trône de la Valachie à plusieurs
reprises au XVIIe siècle et donner naissance aux deux branches principales
d’une nouvelle dynastie princière valaque : les Brâncoveanu et les Cantacuzène.
Ces dénominations ne doivent pas étonner : déjà au XIVe – XVe siècles, la
dynastie des Basarab s’était scindée en deux branches rivales et ennemies, les
Dăneşti (successeurs de Dan Ier, (1383-1386) et les Drăculeşti (successeurs de
Mircea l’Ancien et de son fils, Vlad le Diable (Dracul), ainsi nommé à cause de
son appartenance à l’ordre du Dragon).
La branche des Dăneşti s’éteignit dans la première moitié du XVIe siècle,
avec Vladislav III (1523-1525, avec des interruptions) et Moïse (1529-1530).
Celle des Drăculeşti s’était scindée en deux parties : lès descendants de Vlad
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LA VALACHIE MÉDIÉVALE ET MODERNE
l’Empaleur (dit Dracula), et ceux de son demi-frère, Vlad le Moine, dont nous
avons déjà parlé. La lignée de Vlad l’Empaleur s’éteignit avec Alexandre
l’Enfant (Alexandru Coconul), mort en 1632 ; celle de Vlad le Moine bien plus
tôt, au milieu du XVIe siècle (en 1568, au plus tard). Plusieurs princes de la fin
du XVIe siècle, bien que se prévalant d’une ascendance illustre, semblent avoir
été de simples boyards ou des imposteurs ; deux princes valaques ayant précédé
Michel le Brave étaient issus de la dynastie des Bogdan de Moldavie. De la
sorte, l’accès au trône d’hommes comme Radu Şerban ou Matei Basarab ne
faisait que reconstituer et continuer la dynastie des Craiovescu rebaptisée, pour
la circonstance, Basarab.
Le successeur au trône de Matei Basarab est Constantin Şerban (1654-
1658), fils illégitime de Radu Şerban. La Chronique des Cantacuzène précise
que « Constantin voïévode, fils de Şerban Basarab voïévode », était connu
comme descendant d’une « grande famille princière, un homme bon, sage et
doux ». Constantin était fils illégitime de Radu Şerban et il dut son trône à
l’armée qui l’appréciait (car il avait été commandant militaire) et l’imposa au
détriment du candidat des boyards, Preda Brâncoveanu, neveu et héritier de
Matei Basarab. L’acte le plus important de son règne fut la construction de
l’église de la Métropole de Bucarest, consacrée par son successeur au trône et
achevée seulement en 1668.
L’explication de cet acte réside dans le déplacement de la capitale du pays
de Târgovişte à Bucarest. Une première fois, cette décision avait été prise au
printemps de l’année 1625 par le prince Alexandre l’Enfant (Alexandru
Coconul). Entre mai 1625 et la fin de l’année 1639, les princes valaques émirent
plus de 900 chartes à Bucarest, contre seulement trente à Târgovişte. Le geste
était conçu pour inspirer confiance aux Turcs craignant qu’un prince résidant à
Târgovişte – à plus de 90 km de Giurgiu, sur le Danube, la forteresse ottomane
la plus avancée de Valachie – pût plus facilement se réfugier en Transylvanie en
cas de révolte, que s’il établissait sa capitale à Bucarest, située à seulement 60
km du Danube. En 1640, Matei Basarab, menacé par une attaque ottomane,
avait transféré la capitale du pays à Târgovişte, où il avait restauré la Cour et
l’église princières.
Élu prince avec l’assentiment des Turcs et originaire lui-même des
environs de la ville, Constantin Șerban revint résider à Bucarest et décida
également du transfert du siège métropolitain dans la nouvelle capitale. Le
voïévode entreprit donc la construction d’une église et d’un palais métropolitain
dans le voisinage de la cour princière, sur une des collines de la ville. Un témoin
oculaire, le diacre syrien Paul d’Alep, nous dit que l’église « ressemblait à
l’intérieur à celle d’Argeş », bâtie, comme nous l’avons vu, par Neagoe
Basarab. À l’intérieur, elle avait douze colonnes de pierre symbolisant les douze
apôtres et était recouverte de plaques de plomb pesant environ quarante tonnes
au total.
71
MATEI CAZACU
Il est intéressant de rappeler que sur cette colline s’élevait à cette époque
une église plus ancienne fondée par un certain Oprea iuzbaşa (commandant
militaire de cent soldats) à une date comprise entre 1625 (le transfert de la
capitale à Bucarest) et 1627, lorsque ce personnage avança en grade et devint
capitaine. Notons qu’en 1632, Oprea deviendra aga, c’est-à-dire commandant
de l’armée valaque, en récompense de ses faits d’armes au service de Matei
Basarab.
Nous connaissons, toujours grâce à Paul d’Alep, le faste avec lequel a été
consacrée cette église. Le prince avait même l’intention de lui offrir les reliques
de saint Grégoire le Décapolite, conservées à Bistriţa, en Olténie, la fondation
des frères Craiovescu de 1490-1491. Selon une tradition locale, le saint en
personne avait refusé ce transfert, en soulevant une tempête sur la rivière Olt
lors du passage du cercueil contenant les reliques. Il n’en reste pas moins, à la
lecture de ce témoignage tardif, que le prince avait essayé de doter son église
métropolitaine des plus prestigieuses reliques que possédât la Valachie à
l’époque et qui venaient, fait capital, de ses ancêtres les Craiovescu. C’était là, à
n’en pas douter, un pas de plus vers l’identification du nouveau prince avec la
dynastie des Craiovescu-Basarab dont un autre membre, Neagoe, avait construit
en son temps l’église métropolitaine de Târgovişte.
Le règne de Constantin Şerban finit en 1658, lorsque le prince fut destitué
par les Turcs et obligé de se réfugier en Transylvanie. Mais la nouvelle dynastie
allait se perpétuer par les femmes. En effet, une de ses sœurs, Hélène (Elina)
avait épousé le principal conseiller en politique étrangère de Matei Basarab, le
chambellan (postelnic) Constantin Cantacuzène (1598-1663), fils d’Andronic, le
banquier de Michel le Brave, et descendant de la célèbre famille impériale
byzantine. Dans un article sur les stratégies politiques et matrimoniales des
Cantacuzène post-byzantins aux XVe – XVIe siècles, nous avons émis
l’hypothèse d’un second mariage de Michel Cantacuzène, le grand-père de
Constantin, avec une sœur des princes Alexandru Mircea de Valachie (1568-
1577) et de Pierre le Boiteux (Petru Şchiopul), prince de Moldavie (1574-1581,
1583-1591), descendants de la branche des Drăculeşti de la dynastie princière
valaque. Cette alliance expliquerait l’intérêt des Cantacuzène pour les affaires
des deux Pays roumains dans la seconde moitié du XVIe siècle et leur
installation à demeure en Valachie sous le règne de Michel le Brave.
Au milieu du XVIIe siècle, les Cantacuzène forment un clan familial très
nombreux et puissant qui n’est pas sans rappeler celui des Craiovescu : le
chambellan Constantin eut avec son épouse Elina pas moins de neuf enfants,
dont six fils et trois filles. Les six fils – Drăghici, Şerban, Constantin, Mihai,
Matei et Iordache (Georges) –, leurs beaux-frères – Panǎ Filipescu, Radu
Creţulescu (les deux époux de Marica), Papa Brâncoveanu (mari de Stanca),
Ianache Catargi et Stoian Florescu (les deux maris de Ancuţa) –, leurs parents et
alliés sont les animateurs et les chefs du parti politique dit des Cantacuzène,
opposés à celui du clan des Bǎleanu, accusé de représenter les intérêts des
72
LA VALACHIE MÉDIÉVALE ET MODERNE
Habsbourg. Dans le cas de Matei Basarab, les projets de campagne dans les
Balkans aux côtés de Venise et des puissances chrétiennes ne manquaient pas
non plus. Şerban avait aussi, semble-t-il, des visées sur Constantinople et
entretenait des contacts avec la Cour de Vienne pour la conclusion d’un traité
d’alliance contre les Turcs qui devait assurer à sa famille le trône de Valachie à
titre héréditaire. Ceci se passait dans les nouvelles conditions créées par l’échec
du siège de Vienne par les Ottomans (1683) et par la guerre menée par l’Empire
et la Pologne qui allait s’achever par la paix de Carlowitz (1699).
Nommé prince du Saint-Empire, grand protecteur des Lieux Saints et des
chrétiens de l’Empire ottoman, Şerban mourut subitement à 54 ans et le bruit
courut qu’il avait été empoisonné par son propre frère, le sénéchal (stolnic)
Constantin, le plus grand lettré valaque de son temps. Ce dernier – avec
d’autres grands seigneurs – s’opposait à un tournant politique trop radical qui
menaçait l’existence même du pays et éliminait de la succession au trône les
représentants des autres branches de la famille. En effet, les Impériaux avaient
occupé la Transylvanie en 1686 et ne cachaient pas leur intention de réclamer
l’héritage de la Hongrie médiévale, c’est-à-dire les deux autres Pays roumains –
la Valachie et la Moldavie –, pays convoités également par la Pologne. Bien
que battus, les Turcs n’étaient pas anéantis et leurs alliés les Tatars constituaient
une terrible menace pour les Pays roumains. Constantin Cantacuzène était
hostile à un brusque changement d’alliances qui risquait de faire perdre à la
Valachie son autonomie interne, que ce fût par une occupation autrichienne
(comme cela arriva en Transylvanie), ou bien par des représailles ottomanes et
tatares.
Enfin, le nom de Şerban Cantacuzène est également associé à la traduction
de la Bible en roumain (1688) et à la fondation, à Bucarest, d’une Académie
grecque destinée à former les futures élites roumaines et balkaniques dans le
culte de l’Antiquité classique et l’exaltation de Byzance.
À la mort de Şerban, sa veuve essaya d’imposer sur le trône son fils,
Georges (Iordache), âgé seulement de sept ans, mais le clan des Cantacuzène,
dorénavant dirigé par le sénéchal Constantin imposa un neveu, Constantin
Brâncoveanu (1653-1714), fils de Stanca, la sœur des six frères Cantacuzène.
Âgé de 35 ans, le nouveau prince était resté orphelin de père alors qu’il avait à
peine un an et avait été élevé par son oncle maternel, le sénéchal Constantin.
Son grand-père paternel, Preda Brâncoveanu, était le neveu et l’héritier de la
fortune de Matei Basarab, mort sans enfants en 1654. À cette époque, Preda
Brâncoveanu était le plus riche boyard de Valachie : un contemporain qui lui a
rendu visite sur ses domaines en 1655, le diacre syrien Paul d’Alep, raconte que
la fortune de Preda s’élevait à 200 villages où il élevait pour la vente 30.000
brebis, 12.000 juments, 4000 bœufs, 1000 buffles et 4000 cochons. Preda allait
mourir de mort violente, tué par le prince Mihnea III (Radu Mircea) en 1659 et
ses deux fils étaient décédés très jeunes, laissant tous ses biens à son petit-fils,
Constantin Brâncoveanu. Ce dernier se retrouvait donc à la tête d’une énorme
74
LA VALACHIE MÉDIÉVALE ET MODERNE
78
LA VALACHIE MÉDIÉVALE ET MODERNE
plus haut, associa au trône son frère Radu, alors qu’Alexandre le Bon de
Moldavie (1400-1432) y associa son frère Bogdan.
Le deuxième privilège des boyards roumains était le monopole qu’ils
entendaient exercer sur les fonctions et les dignités auliques, depuis le Conseil
princier et jusqu’aux offices dans les provinces liés toujours à celles de la Cour.
Ce monopole remplaçait le compagnonnage des deux premiers siècles, lorsque
les grands seigneurs de Valachie et de Moldavie entouraient le prince dans
toutes ses actions et apparaissaient comme témoins obligés de ses actes de
gouvernement. Ceci est particulièrement clair dans le cas des chartes princières
qui mentionnent les noms de ces hauts personnages qui, au début, ne
remplissaient pas de fonctions à la Cour. Leur présence dans la liste des
témoins, de même que leurs sceaux appendus sur les traités internationaux ou
sur les chartes solennelles, indiquaient simplement leur participation au
gouvernement en qualité de vassaux obligés de fournir le consilium à leur
prince. Le seul officier de ces chartes était le chancelier qui faisait, au début,
office de secrétaire princier.
À partir du XVe siècle, on observe la multiplication du nombre d’officiers
princiers dans la liste des témoins – les membres du Conseil princier – et,
parallèlement, la réduction du nombre des grands seigneurs sans charges cités
uniquement par leur prénom, éventuellement suivi du nom de leur domaine
principal. La place de ces derniers est progressivement prise par les dignitaires
remplissant des fonctions à la Cour : le comte palatin (vornic), le chambellan ou
maréchal du palais (postelnic), le grand sénéchal (stolnic), le grand échanson
(paharnic), le porteur de l’épée princière (spătar), etc. Ces dignitaires
deviennent majoritaires dans le Conseil princier au milieu du XVe siècle et
finissent par écarter complètement les grands sans charges, à la fin du siècle. Le
phénomène est commun aux deux Pays roumains et traduit, ici comme ailleurs
en Europe, le renforcement du pouvoir princier au détriment de la noblesse
traditionnelle. Aux siècles suivants, l’occupation d’une charge à la Cour devient
le critère décisif de la noblesse, évolution qui va dans le sens des vues des
princes de contrôler l’aristocratie, de la « domestiquer », en la faisant venir à la
Cour. Dorénavant, les dignités auliques sont des sources de revenus, d’autorité
et de prestige. Mais ceci ne signifie pas pour autant que les princes pouvaient
(ou voulaient) se passer de l’ancienne aristocratie, qu’ils avaient l’intention de la
remplacer par des hommes totalement nouveaux. Un prince comme Vlad III
l’Empaleur (dit aussi Dracula) est crédité par Laonikos Chalkokondylès d’une
véritable « révolution » pour avoir massacré et écarté du pouvoir l’ancienne
noblesse du pays et en avoir créé une nouvelle de toutes pièces. La liste des
membres du Conseil princier figurant dans ses chartes apporte, en effet, la
preuve que le prince s’était entouré de ses créatures, hommes nouveaux et
inconnus auparavant, qui forment jusqu’à la totalité de ses officiers de la Cour.
Mais cet exemple est extrême, même si les massacres de boyards, pour trahison
ou simplement pour opposition, sont monnaie courante au XVe et surtout au
79
MATEI CAZACU
XVIe siècles. Par ailleurs, tous ces hommes nouveaux disparaissent avec leur
prince et leur place est reprise par les membres de la noblesse ancienne (1462).
Certains autres princes ont préféré la méthode qui consistait à élever au
rang de la noblesse les soldats qui s’étaient fait remarquer pendant les guerres.
Étienne le Grand de Moldavie avait l’habitude de créer des viteji, des chevaliers,
ses meilleurs soldats lors de cérémonies solennelles sur le champ de bataille.
Viteji (singulier viteaz) était le titre porté par certains membres de l’entourage
des princes moldaves au XIVe siècle et N. Iorga voyait en eux les descendants
des compagnons d’armes des premiers princes de Moldavie, venus avec eux du
Maramureş lors de la « fondation » (descălecat) du pays.
En Valachie, où apparaît, au milieu du XVe siècle, le titre de vlastelin
donné aux nobles proches du prince, on a vu un processus similaire qui
consistait à élever certains nobles et à leur confier des charges auliques. Les
Craiovescu affirment ainsi que le prince Vladislav II (1447-1456) les avait faits
vlastelini ; cette phrase se trouve sur la pierre tombale qu’ils firent poser pour
leur protecteur dans l’église de Dealu, près de Târgovişte, à une époque
ultérieure à son décès (après 1501).
Les chroniqueurs, surtout ceux de Moldavie, ont, par ailleurs, pris soin
d’enregistrer la propension de certains princes à « élever » des familles nobles
de province (neamuri), des libres alleutiers riches ou des petits officiers
princiers en leur conférant des charges et des dignités à la Cour.
Un autre phénomène, visible à partir du moment où les membres du
Conseil princier remplissent tous des fonctions auliques, c’est la prédominance
parmi eux des parents, directs ou par alliance, du prince. Un des premiers cas
connus et étudiés en Valachie est justement celui de Neagoe Basarab qui
gouverne entouré de huit membres de son clan ou alliés sur un total de douze
membres du Conseil. Cette pratique continue au XVIe siècle pour atteindre le
nombre de neuf parents du prince sous le règne de Michel le Brave (1593-1601).
Au siècle suivant, elle devient la règle et on voit ainsi Matei Basarab entouré de
pas moins de quinze parents et alliés membres du Conseil, alors que Şerban
Cantacuzène en compte lui aussi douze. Mais tous les records sont battus par
Constantin Brâncoveanu qui élève aux dignités auliques vingt quatre membres
de sa famille ou seigneurs ayant des relations de parenté avec sa femme.
Le gouvernement de la Valachie est donc totalement dominé, aux XVIe et
XVIIe siècles, par des clans nobiliaires en majorité issus des Craiovescu, de leur
nombreuse descendance et de leurs alliances. Le pays est presque considéré
comme un bien patrimonial exploité en indivision, même s’il garde son unité
politique et administrative. Ce système allait être battu en brèche par les
Phanariotes qui introduisirent – au moins certains d’entre eux – les idées du
despotisme éclairé et du service de l’État qui ne sera plus perçu comme un bien
patrimonial, taillable et corvéable à merci, mais comme la chose publique par
excellence. Une indication intéressante pour cette nouvelle conception nous est
80
LA VALACHIE MÉDIÉVALE ET MODERNE
81
MATEI CAZACU
douze grands boyards montrant ainsi qu’il connaissait l’histoire du pays et ses
mécanismes de gouvernement.
Les révolutionnaires valaques de 1848 ne s’y trompèrent pas non plus,
lorsqu’ils commencèrent leur mouvement par l’autodafé symbolique du
Règlement organique sur la place publique. Dix ans plus tard, dans les
conditions créées par la défaite de la Russie dans la guerre de Crimée et par
l’imposition de la protection collective des Puissances européennes sur les
Principautés danubiennes, les parlements élus pour connaître les doléances des
Roumains (Divans ad-hoc) supprimaient les titres et les privilèges nobiliaires. Il
a fallu pourtant attendre juin 1862 pour voir un premier ministre roumain issu
des rangs de la bourgeoisie (Apostol Arsache, seulement deux semaines), puis
1896 et enfin 1912 (Titu Maiorescu, marié à une aristocrate, Ana Rosetti).
Dépossédée de ses titres et de ses privilèges en 1858, puis de sa fortune
foncière par les mutations du XIXe siècle, ensuite par la réforme agraire de
1921, le plus important transfert de propriété de l’histoire roumaine,
l’aristocratie perdait aussi le monopole politique à la suite de l’introduction du
suffrage universel en 1919. Certes, le personnel politique et les leaders des
partis traditionnels restaient toujours des aristocrates qui dominaient également
la diplomatie et les rangs de l’armée, mais des membres de la bourgeoisie et
même des groupes sociaux comme la paysannerie faisaient une percée réelle,
renforcée par l’arrivée des Transylvains dont la province s’était unie à la
Roumanie en 1918. Les bolcheviques russes n’avaient pas entièrement tort
lorsqu’ils définissaient la Roumanie de l’entre-deux-guerres comme un État de
« boyards » ; ce caractère allait changer à partir de 1940 avec la dictature de
droite puis, après 1945, avec la dictature communiste.
excellence, et aux princes qu’elle s’était donnés, qui ont su manier les armes de
la diplomatie et/ou de la guerre selon les circonstances, plier sans casser face à
la force, rebondir toujours alors qu’on les croyait tombés. Ceci prouve que leur
philosophie et pratique politiques avaient certaines qualités que nous nous
sommes efforcés de surprendre dans cette étude sous l’angle des formules
dynastiques, d’une part, et de la domination des boyards d’une province sur
l’ensemble du pays, d’autre part. On constate donc qu’à la domination de la
dynastie des Basarab, originaire du centre de la Valachie, a succédé, avec des
interruptions, une nouvelle dynastie issue du clan olténien des Craiovescu et de
leurs descendants. Tout comme ce fut le cas avec les Basarab, la nouvelle
dynastie dut se soumettre au même principe de succession héréditaire-électif, ce
qui explique, entre autres, l’existence des deux branches, les Brâncoveanu et les
Cantacuzène : les premiers descendant de Matei Basarab, les autres de Radu
Şerban. Les membres de la première branche ont régné 47 ans en tout, ceux de
la seconde, 25 ans. La légitimité des membres de cette dynastie résidait dans
leur descendance, réelle ou supposée, de Neagoe Basarab, le premier prince
valaque à avoir brisé le monopole de l’ancienne dynastie.
Ceci pour la partie héréditaire. Pour ce qui est du caractère électif, il a été
respecté en raison de la pression de la noblesse qui refusait de se laisser
déposséder de ce droit, celui d’élire le prince à l’intérieur de la dynastie. Ainsi
s’explique le fait qu’aucun des princes de la nouvelle dynastie n’ait réussi à
imposer un fils comme successeur au trône, même si telle était sa volonté. Ceci
explique aussi pourquoi ils ont cherché satisfaction auprès des puissances
étrangères, appelées à devenir suzeraines, comme l’avaient fait les princes de la
nouvelle dynastie moldave des Movilǎ (1596-1633) qui s’étaient assuré la
succession au trône par droit de primogéniture sous la garantie conjointe des
Turcs et des Polonais ; cette clause sera demandée par Șerban Cantacuzène aux
Habsbourg, lors des négociations secrètes de 1688 et par Démètre Cantemir aux
Russes en 1711.
Une dernière série d’observations doit être faite au sujet des modalités
d’expression de la légitimité des princes de la nouvelle dynastie. Une première
démarche sera l’adoption d’un prénom princier – Basarab, dans le cas de
Neagoe, Radu dans le cas de Şerban, devenu Radu Serban. La tradition était
toutefois en voie de disparition : Michel le Brave connaissait-il l’existence d’un
prince portant ce nom au début du XVe siècle, le fils et successeur au trône de
Mircea l’Ancien ? Il est permis d’en douter, bien que la chronique du pays,
compilée au XVIIe siècle, enregistre un Mihail voïévode au XIVe siècle à une
date aberrante. De même, Matei Basarab, Constantin Şerban, Șerban
Cantacuzène et Constantin Brâncoveanu portent des prénoms inexistants dans la
dynastie des Basarab. Ainsi font-ils ajouter le prénom Basarab à leur nom, le
premier en date étant Matei de Brâncoveni (nommé Brâncovanul en 1632).
Ainsi apparaît le nom composite de Matei Basarab, adaptation au goût du jour
de celui de Neagoe Basarab. Cet ajout créait en fait une terrible confusion,
83
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89
À PROPOS DE IAŢCO DE SUCEAVA :
ENTRE LE MYTHE ET LA RÉALITÉ*
Il est dit là-dedans que ce pays est formé de deux nations, Roumains et
Russes, chose véridique car le pays est habité encore aujourd’hui moitié par des
Russes et moitié par des Roumains. Ce récit n’est pas enregistré par le vornic
[comte palatin] Ureche, mais moi je n’ai pas voulu 1’ignorer car, de même que
j’ai noté d’autres informations, j’ai cru bon de noter aussi celle-ci.
Dans la préface des Annales moldaves il est écrit que, après que les
chasseurs [de Dragoş] eurent tué l’auroch, sur le chemin du retour ils virent des
endroits agréables et, tout en marchant à travers champs, ils sont arrivés à
l’endroit où se trouve aujourd’hui la ville de Suceava. Et là ils ont senti une
odeur de fumée et, comme l’endroit se trouvait près de la rivière et recouvert
d’une forêt très dense, ils ont suivi l’odeur de la fumée jusqu’au lieu où se
trouve actuellement le monastère de Eţcani. À cet endroit ils ont découvert un
rucher (prisacă) et un vieillard qui gardait les ruches : ce vieillard était un Russe
et son nom était Eţco. Les chasseurs lui demandèrent quel était son état et son
origine, et lui il leur répondit qu’il était Russe, originaire de Pologne. De même,
ils le questionnèrent sur le lieu et sur son propriétaire. Eţco leur dit que le lieu
était désert et sans maître, que ses maîtres étaient les bêtes sauvages et les
4
Ş. Papacostea, « Aux débuts de l’État moldave. Considérations en marge d’une nouvelle
source », RRH XII (1973), p. 139-158 ; N. Grigoraş, Ţara Românească a Moldovei pînă la Ştefan
cel Mare (1359-1457), Iaşi 1978.
5
D. Gh. Teodor, « Un cnezat românesc la est de Carpaţi în veacurile IX – XI », AIIAI XX
(1983), p. 81-87.
6
R. Möhlenkamp, « Contribuţii la istoria oraşului Iaşi în secolele XIV – XV », AIIAI XXI
(1984), p. 68-71. Le cnézat de Bîrlad était connu depuis longtemps et a donné naissance à une
importante littérature, tout comme c’est le cas pour les Brodnici et les Bolohoveni.
7
Voir la massive synthèse éd. par M. Hellmann, Handbuch der Geschichte Russlands, I.
Bis 1613. Von der Kiever Reichsbildung bis zum Moskauer Zartum, Stuttgart 1981, et
spécialement la contribution de P. Nitsche, Die Mongolenzeit und der Aufstieg Moskaus (1240-
1538), p. 534-715.
92
À PROPOS DE IAŢCO DE SUCEAVA
oiseaux, qu’il s’étendait vers le sud jusqu’au Danube et vers le nord jusqu’au
Dniestr, à la frontière avec la Pologne, et que c’était un endroit très favorable à
la subsistance. En entendant ceci, les chasseurs se sont hâtés de rentrer au
Maramureş, ont fait venir leurs gens ici et ont conseillé à d’autres d’y venir, se
sont installés (descălecat) d’abord dans les régions des collines et ensuite ils se
sont étendus le long de la vallée de la Moldova.
Et Eţco l’apiculteur, ayant compris que les gens de Maramureş allaient
occuper le pays, se rendit en Pologne et emmena beaucoup de Russes et les
installa en amont de la rivière Suceava et sur le Siret vers Botoşani et, de la
sorte, les Roumains se sont étendus vers le Sud et les Russes vere le Nord"8.
Miron Costin a enregistré lui aussi ce récit dans son Poème polonais
(Istorie în versuri polone despre Moldova şi Ţara Românească), d’où il est
passé également chez son fils, Nicolae.
Selon Miron Costin, Iaţco était originaire de Sniatyn, ville de Pokoutie,
d’où il fit venir des colons russes dans les circonstances décrites par Simion
Dascălul et par les Annales moldaves. Et Miron Costin d’ajouter que le souvenir
de Iaţco se conservait dans le nom du village d’Iţcani, le second plus ancien de
Moldavie après Boureni, fondé par Dragoş :
« Le sort n’a pas voulu que la ville [Suceava] portât son nom [de Iaţco], qui était le plus
ancien. Quelques fourreurs [roum. cojocari ; fourreur en hongrois se dit soci] vinrent de Hongrie
et s’y installèrent et de la sorte la ville et la rivière s’appelèrent Suceava. Cependant, le nom
Iaţcani ne périt pas, car il est porté par une partie de la ville »9.
8
Letopiseţul Ţării Moldovei pînă la Aron Vodă (1359-1595) întocmit după Grigorie
Ureche vornicul, Istratie logofătul şi alţii de Simion Dascălul, éd. C. Giurescu, Bucarest 1916, p.
14-15, éd. P. P. Panaitescu, Bucarest 1955, p. 64-65.
9
Miron Costin, Opere, éd. P. P. Panaitescu, Bucarest, 1958, p. 232-233 ; Nicolae Costin,
Cartea pentru descălecatul dintîi a Ţării Moldovei şi a neamului moldovenesc, dans Cronicele
României, I, éd. M. Kogălniceanu, Bucarest 1872, p. 84.
10
I. Iordan, Toponimie românească, Bucarest 1963, p. 24-26 ; Gh. Bolocan et alii,
Dicţionarul elementelor româneşti din documentele slavo-române 1374-1600, Bucarest 1981, p.
194. Pour l’état de la recherche dans le domaine des « Wüstungen » médiévales (lieux déserts,
villages abandonnés), cf. A. Gerlich, Geschichtliche Landeskunde des Mittelalters. Genese und
Probleme, Darmstadt 1986, p. 205-215.
93
MATEI CAZACU
celui du monastère d'Iţcani qui tire son nom du ktitor Iaţco, un Russe habitant
ici depuis longtemps.
Cette affirmation nous permet de 1’identifier à un personnage bien réel qui
a vécu à la fin du XIVe siècle et au début du siècle suivant et dont l’existence
présente un intérêt certain pour 1’histoire de la Moldavie. Iaţco de
Mavrovalachie (la Valachie Noire, donc septentrionale) apparaît pour la
première fois dans les documents en mai 1395 dans une notice du registre
d’actes du Patriarcat de Constantinople qui sonne ainsi dans la traduction
révisée et corrigée par Petre Ş. Năsturel :
« Au mois de mai de la troisième indiction [1395], Iaskos de Mavrovalachie a écrit à notre
Tout Très Grand Seigneur au sujet des petits couvents lui appartenant en Mavrovalachie, celui de
la Panagia et celui de Saint-Démétrius. Et il a prié Sa Grande Sainteté de les accepter en qualité de
fondateur. Et Lui, acceptant sa demande, y a consenti. Et il lui a été délivrée Son honorée lettre à
ce propos, pour que, d’une part, la fondation des petits couvents soit patriarcale et que, d’une
autre, celui qui dans le temps se trouvera évêque en ait kanonikon et commémoraison
conformément à la coutume. Aussi et pour confirmation cela a-t-il été consigné ici »11 .
11
P. Ş. Năsturel, « D’un document byzantin de 1395 et de quelques monastères roumains »,
TM (Hommage à M. Paul Lemerle) 8 (1981), p. 346.
12
Ibidem, p. 349-350.
94
À PROPOS DE IAŢCO DE SUCEAVA
à côté de celui de leur suzerain (telle était alors la coutume) et qu’ils auront chargé à leur tour
Pierre d’assurer de leur soumission le patriarche auquel ils auront également adressé par la même
occasion l’hommage de leurs propres présents. Et celui de Iaţco – qui en tant que logothète aura
rédigé de sa plume la lettre princière – fut certainement le don des deux petits couvents qu’il
possédait. L’acceptation de ce présent par le patriarche, ainsi que l’atteste le registre de Vienne,
était en quelque sorte la garantie morale qu’il accordait aux Roumains des bonnes intentions qui
l’animaient, lorsqu’il promettait de leur donner un jour pour métropolite le protopapas Pierre,
pourvu qu’ils renonçassent à Joseph et à Mélèce »13.
Pour notre part, nous pensons que les choses ont été tout à fait différentes.
Tout d’abord, il n’est pas du tout sûr que Iaţco se soit rendu à Constantinople,
car la notice du registre patriarcal nous dit seulement qu’il avait écrit au
patriarche, et non pas qu’il se fut déplacé personnellement, comme ce fut le cas,
par exemple, avec Dragoş de Maramureş en 1391, lorsque celui-ci fit don au
patriarche du monastère Saint-Michel de Peri14.
Par ailleurs, l’ambassade du protopope Pierre a été un échec pour le prince
de Moldavie, Étienne Ier : le patriarche refusa de reconnaître les « pseudo-
évêques » Joseph et Mélèce, qu’il couvrait par la suite de termes injurieux :
« voleurs, adultères et bandits »15. Plus intéressants sont les détails que donnait
le patriarche sur les circonstances de la nomination du protopope Pierre comme
exarque de la métropole de Moldavie : celui-ci ayant refusé à plusieurs reprises
ce redoutable honneur, le patriarche avait eu recours à la menace de lui enlever
la prêtrise pour le convaincre d’accepter l’exarchat. Et l’éditeur du texte (Tudor
Teoteoi) de préciser : « le but de ce passage était d’épargner au protopope Pierre
d’éventuelles représailles une fois rentré en Moldavie »16.
À notre avis, il ressort clairement de cette correspondance que le patriarche
avait essayé une formule de compromis en nommant le protopope Pierre comme
exarque de la Métropole de Moldavie, formule qui avait le but d’écarter « en
douceur » Joseph et Mélèce sans pour autant imposer le candidat du patriarche
au trône métropolitain de Suceava. Mais le protopope savait très bien que le
prince Étienne et les boyards n’allaient pas agréer cette formule, d’où son
extrême réticence à accepter la nomination patriarcale. Que la proposition
patriarcale n’a pas été acceptée par le prince moldave, il ressort aussi du fait que
le conflit a été résolu seulement en 1401, après la mort d'Antoine IV et du
métropolite Jérémie, par la reconnaissance de Joseph comme métropolite de
Moldavie17.
13
Ibidem, p. 348-349.
14
FHDR, IV, Bucarest 1982, p. 230-231. L’hypothèse de la présence de Iaţco dans la
délégation moldave à Constantinople a été émise d’abord par L. Şimanschi – G. Ignat,
« Constituirea cancelariei statului feudal moldovenesc (II) », AIIAI X (1973), p. 133, n. 73.
15
FHDR, IV, p. 242-3 et n. 80, p. 246-247.
16
Ibidem, n. 84.
17
Ibidem, p. 268-277 ; cf. Şt. Gorovei, « Aux débuts des rapports moldo-byzantins », RRH
XXIV (1985), p. 183-208.
95
MATEI CAZACU
Dans ces conditions, on peut penser que l’acte de Iaţco a été ressenti par le
métropolite Joseph et par Étienne Ier comme une démarche hostile, comme la
rupture de l’unité du pays face au Patriarcat de Constantinople et comme une
expression de méfiance vis à vis du métropolite qui perdait le contrôle sur les
deux monastères devenus stavropégies. On connaît, en effet, le mécontentement
des évêques face à cette pratique depuis le IXe siècle et il est vraisemblable que
tel fut le cas également en Moldavie en 139518.
Mais il y a plus encore. Şerban Papacostea a récemment soumis à une
analyse pénétrante la création de la stavropégie de Peri en 1391 et son
acceptation par le roi Sigismond de Luxembourg :
« Sous la pression des nécessités politiques et militaires, le roi se vit contraint à faire des
concessions importantes, à la fois aux Roumains de son royaume et à la confession orthodoxe. En
effet, le privilège octroyé en 1391 par le Patriarcat de Constantinople au monastère de Peri déclaré
“stauropigie”, dont l’hégoumène était investi de là qualité d’exarque patriarcal, a consacré une
autonomie territoriale roumaine dans les frontières du royaume hongrois. C’était une concession
majeure de la part du roi, qui éludait l’interdiction de la présence d’une hiérarchie orthodoxe
supérieure, sans annuler de droit le monolithisme confessionnel officiel du royaume, innovation
qui fraya la voie à d’autres accords similaires. En 1391, à la suite du premier accord entre Mircea
et Sigismond, le Pays de Făgăraş (“Terra Fogaras”) dans le Sud de la Transylvanie revint sous
l’autorité du prince de Valachie ; le premier acte octroyé par le prince dans ce territoire signale la
présence, à l’intérieur de cette entité politique et territoriale roumaine intracarpathique, du clergé
abbatial orthodoxe. Ainsi donc, un second pays roumain à l’intérieur du royaume regagnait son
autonomie politique et confessionnelle, celle-ci en rapport avec l’État roumain situé au Sud des
Carpates »19.
18
Là-dessus, outre la bibliographie citée par P. Ş. Năsturel, op. cit., on consultera avec
profit H. G. Beck, Kirche und theologische Literatur im byzantischen Reich, Munich 1959, p.
129-130 (« Byzantinisches Handbuch », II/l) ; Al. Elian, « Legăturile Mitropoliei Ungrovlahiei cu
Patriarhia de Constantinopole şi cu celelalte Biserici ortodoxe. De la întemeiere pînă la 1800 »,
BOR LXXVII (1959), p. 914-915. Voir aussi E. Birdaş, « Stavropighia în dreptul românesc », GB
3-4 (1955), p. 186-198 (qui nous a été inaccessible) ; P. Strihan, « Stavropighie », dans O.
Sachelarie – N. Stoicescu (éds.), Instituţii feudale din Ţările române, Bucarest 1988, p. 454.
19
Ş. Papacostea, « Byzance et la croisade au Bas-Danube à la fin du XIVe siècle », RRH
XXX (1991), p. 16-17. Voir aussi R. Popa, Ţara Maramureşului în veacul al XIV-lea, Bucarest
1970, p. 218-221, 251-253 ; idem, « Zur kirchlichen Organisation der Rumänen in
Nordsiebenbürgen im Lichte des patriarchalischen Privilegiums von 1391 », Ostkirchliche Studien
XXIV (1975), p. 309-317.
96
À PROPOS DE IAŢCO DE SUCEAVA
97
MATEI CAZACU
Ce récit a été enregistré par écrit devant témoins à Siret en 1402 par le
notaire impérial Conrad fils d’Otto de Weysmeyn, du diocèse de Bamberg, et
nous avons toutes les raisons de croire à sa véracité. Le chancelier russe
(« quidam Ruthenicus cancellarius ») du prince Étienne ne peut être, à notre
avis, que Iaţco de Suceava. Le terme latin cancellarius désignait, au Moyen-
Âge, le chef de la chancellerie, aussi bien impériale que papale27. En Moldavie,
le grand logothète est nommé kanciler en slavon, en 1436, et cancel(l)arius
dans des actes latins internes de 1459 et 146828. Aux débuts de l’organisation de
24
Ş. Papacostea, op. cit., p. 11-12.
25
R. Möhlenkamp, « Ex Czeretensi civitate : Randnotizen zu einem in Vergessenheit
geratenen Dokument », AIIAI XIX (1982), p. 105-130. L’acte en question a été découvert et
publié pour la première fois par Al. Czolowski, « Sprawy woloskie w Polsce do r. 1412 »,
Kwartalnik historyczny V (1891), p. 594-598.
26
R. Möhlenkamp, op. cit., p. 129.
27
J. F. Miermeyer, Mediae latinitatis lexicon minus, Leiden 1954-1958, p. 125.
28
N. Stoicescu, Sfatul domnesc şi marii dregători din Ţara Românească şi Moldova (sec.
XIV – XVII), Bucarest 1968, p. 177.
98
À PROPOS DE IAŢCO DE SUCEAVA
29
DRH, A, I, no 9B, p. 13. Le 1er août 1404, il apparaît dans le Conseil princier comme
« pan Iaţco pisari » à la onzième position. L’acte a été « écrit par pan Iaţco et Bratei », mais
l’écriture est celle de Bratei. Iaţco est donc chancelier. Cf. M. Costăchescu, Documentele
moldoveneşti înainte de Ştefan cel Mare, II, Iaşi 1932, no 173, p. 625-627.
30
M. Costăchescu, op. cit., II, no 167, p.611-615 ; L. Şimanschi – G. Ignat, op. cit. (I), p.
119, 122, n. 36, (II), p. 131, 139 ; R. Möhlenkamp, « Ex Czeretensi civitate », p. 112-113. Il s’agit
du dernier acte écrit en slavon russe de la Chancellerie moldave des XIVe – XVe siècles.
31
Şt. Andreescu, « Mihai Viteazul, Cantacuzinii şi marea bănie de Craiova », AIIAI XXV/2
(1988), p. 187-198.
32
Radu Popescu, Istoriile domnilor Ţării Româneşti, éd. C. Grecescu, Bucarest 1963, p. 69-
70.
33
N. Stoicescu, Repertoriul bibliografic al monumentelor feudale din Bucureşti, Bucarest
1961, p. 230 ; Al. Elian, op. cit., p. 914-915. Grammata du patriarche Jérémie dans Hurmuzaki,
Documente, XIV/1, no 162, p. 90-93.
99
MATEI CAZACU
Il existe, pourtant, un autre récit sur ce qui s’est passé à Bucarest en juin
1593. Il nous a été transmis par le transylvain Ştefan Szamosközy (c. l565 – c.
1612) et nous dit que Michel fut condamné à mort par le prince Alexandre. Une
fois monté sur l’échafaud, le bourreau, impressionné par sa prestance (ou bien
ivre) aurait laissé tomber sa hache et se serait enfui34.
La ressemblance entre les deux exécutions manquées – celle de Iaţco et
celle de Michel le Brave – à deux siècles d’intervalle et dans les deux Pays
roumains est trop grande pour ne pas être tenté d’y voir autre chose qu’un
miracle. Il s’agit, dans les deux cas, de deux grands seigneurs qui représentent –
ou dirigent – une province : l’Olténie, dans le cas de Michel le Brave, la région
de Suceava, dans celui de Iaţco. Tous les deux construisent des couvents qu’ils
offrent comme stavropégies au Patriarcat de Constantinople ; enfin tous les deux
sont condamnés à être décapités et ont la vie sauve in extremis, sur l’échafaud.
On peut donc se demander s’il n’y a pas lieu d’interpréter ces deux exécutions
manquées comme un « rituel symbolique, un simulacre de mise à mort qui
débouchait sur le pardon », comme l’écrit André Berelowitch à propos de cas
similaires enregistrés en Russie. Il s’agissait, dans ces derniers cas, d’une
pratique judiciaire appelée « reddition par la tête » (vydača golovoj) qui se
traduisait par « livrer à la merci de quelqu’un » un seigneur coupable de
calomnie ou impliqué dans une querelle de préséance35 . Le Code de lois russe
de 1649 (Sobornoe Uloženie) prévoyait cette cérémonie dans le cas du manque
de respect envers le patriarche de Moscou, détail important sur lequel nous
reviendrons plus loin36.
Selon l’historien russe, Aleksej Fedorović Malinovskij, qui publia en 1817
une monographie du prince Požarskij, le rituel se déroulait de la façon suivante :
« L’offensé, non sans grandiloquence, énumérait ses griefs à l’intention de l’offenseur
prostré à ses pieds, lui reprochant l’insulte faite à son lignage ; et après que l’autre eut entendu
34
I. Crăciun, Cronicarul Szamoskozy şi însemnările lui privitoare la Români, 1566-1608,
Cluj 1928, p. 99. Je n’ai pas pu consulter cet ouvrage à Paris, ainsi je reproduis le résumé qu’en a
donné N. Iorga, Istoria lui Mihai Viteazul, I, Bucarest 1935, p. 89-90 : « Cu un prilej oarecare,
Domnul se întărâta asupra lui Mihai, şi Iani-şi chema atunci ocrotitul pentru a-l răsplăti prin
domnie de ofensa suferită de la un Domn. Mihai ascultă, dar e prins pe cale, dus la Bucureşti,
unde ştim că stătea de obiceiu Alexandru-Vodă şi osândit la moarte. Dar călăul nu cuteza să dea
lovitura, oprit fiind, nu numai de starea de beţie în care se afla, ci şi de căutătura stăpânitoare a
mândrului boier : “căci, precum odinioară Marius-şi spăimântase ucigaşul prin măreţia chipului,
astfel el şi spăimântă călăul”. El fugi, zvârlind sabia, pe care nimeni nu se încumeta s-o ridice.
Boierii impuseră atunci Domnului iertarea – o întâmplare ca aceasta fiind vădirea voinţii luii
Dumnezeu într-o minune ». N. Iorga renvoie à Török – Magyarkori Emlékek, Okmánytar, III, p.
24-25. Pour Szamoskozy, voir aussi I. Crăciun – A. Ilieş, Repertoriul manuscriselor de cronici
interne din sec. XV – XVIII privind istoria României, Bucarest 1963, p. 233-235.
35
A. Berelowich, « Plaidoyer pour la noblesse moscovite. À propos des affaires d’honneur
au XVIIe siècle », CMRS XXIV (1993), p. 130-131 ; voir aussi N. S. Kollmann, « Ritual and
Social Drama at the Muscovite Court », Slavic Review XLV (1986), p. 486-502 ; eadem, « Honor
and Dishonor in early modern Russia » », FOG XLVI (1992), p. 131-146.
36
A. Berelowich, op. cit., p. 131.
100
À PROPOS DE IAŢCO DE SUCEAVA
docilement toutes ces accusations, il disait : “le glaive ne tranche pas une tête pénitente”, et lui
tendait la main pour l’aider à se relever »37.
37
A. F. Malinovskij, Biograficeskie svedenija o knjaze Dimitrij Mihajlovice Pozarskom,
Moscou 1817, p. 91-93, n. 9 ; A. Berelowich, op. cit., p. 131, n. 116.
38
A. I. Marisevic, O mestnicestve. Izsledovanie, I, Kiev 1879, p. 94 ; A. Berelowich, op.
cit., p. 131 et n. 117.
39
I. Neculce, Letopiseţul Ţării Moldovei, éd. G. Ştrempel, Bucarest 1982, p. 381. D’autres
mentions – dont Cantemir – du proverbe, chez I. A. Zanne, Proverbele Românilor, II, Bucarest
1897, no 2861, p. 38-40, no 2862, p. 40. Le renvoi aux Évangiles que fait Zanne nous semble
improbable. L’origine du proverbe serait à chercher plutôt dans la tradition romaine depuis
l’épisode des Fourches Caudines, la meilleure illustration que nous connaissions de ce dicton.
40
A. Berelowich, op. cit., p. 131.
41
On peut se demander si l’exécution de Vasile Stroici par Ştefan Tomşa après la bataille
de Cornul-lui-Sas n’était pas, à l’origine, une cérémonie similaire. Cf. Miron Costin, Opere, p. 60.
Le simulacre d’exécution était connu aussi dans l’Empire ottoman où, en 1540, Pierre Rareş eut à
le subir de la part de Soliman le Magnifique qui avait juré sa mort : C. Rezachevici, « Pribegia lui
Petru Rareş », dans L. Şimanschi (éd.), Petru Rareş, Bucarest 1978, p. 197 et n. 150. Un second
cas, encore plus ressemblant à celui de Iaţco, s’est passé vers 1634 et a eu comme héros le fameux
Abaza Mehmet pacha : « Şeihzade efendi, numit pentru fetvale, povesteşte că în timp ce Abaza
[paşa] era serdar în partea Ţării Româneşti, se făcuseră plângeri din cauza tiraniei sale. Atunci
padişahul [Mourad IV] se gândise să-l omoare. Acesta arătând însă credinţă şi luându-şi
angajamente, îi fusese zgâriată numai ceafa de însuşi mâna sultanului, pentru ca jurământul să fie
101
MATEI CAZACU
îndeplinit. Vindecându-i-se rana, el îşi făcu mulţi prieteni la Adrianopole » ; Mustafa Naima
(1654/55-1716), Naima tarihi, dans Cronici turceşti privind Ţările române. Extrase, III, éd. M. A.
Mehmed, Bucarest 1980, p. 78.
42
V. A. Costăchel, « Golovnicestvo v rumynskom obycnom prave », NÉH IV (1970), p.
71-81 ; A. Constantinescu, « La composition dans l’ancien droit pénal roumain », RRH XV
(1976), p. 753-757.
43
T. Holban, « Bogdan Vodă Lăpuşneanu », Viaţa Basarabiei XI (1942), p. 809-814, nous
a été inaccessible ; voir N. Iorga, « Pretendenţi domneşti în secolul al XVI-lea », AARMSI, IIe
série, XIX (1898), p. 246-247 ; G. Bezviconi, Contribuţii la istoria relaţiilor româno-ruse,
Bucarest 1962, p. 56, affirme que Bogdan est mort sans enfants, en 1577. Il faudrait donc revoir
l’ascendance d’Alexandre le Mauvais. Par ailleurs, son prédécesseur au trône valaque, Étienne le
Sourd (Ştefan Surdul) (1591-1592) était lui aussi moldave, fils de Jean le Terrible (Ion Vodă cel
Cumplit).
44
Les cérémonies détaillées chez N. S. Kollmann, Ritual and Social Drama, p. 496, n. 36.
Pour revenir en Valachie, le métropolite Michel II, installé à l’automne par Alexandre le Méchant,
sera écarté par Michel le Brave au plus tard à l’automne 1594 : cf. M. Păcurariu, Istoria Bisericii
Ortodoxe Române, I, Bucarest 1991, p. 454.
45
M. D. Matei, op. cit., p. 57-58.
102
À PROPOS DE IAŢCO DE SUCEAVA
46
M. D. Matei – Al. Rădulescu – Al. Artimon, « Bisericile de piatră de la Sf. Dumitru din
Suceava », SCIV XX (1969), p. 545-565.
47
M. D. Matei, op. cit., p. 59-60 ; N. Grigoraş – I. Caproşu, Biserici şi mănăstiri vechi din
Moldova pînă la mijlocul sec. al XV-lea, Bucarest 1971, p. 60.
48
M. D. Matei, op. cit., p. 60.
49
N. Stoicescu, Repertoriul bibliografic al localităţilor şi monumentelor medievale din
Moldova, Bucarest 1974, p. 47-48.
50
DRH, A, I, no 27, p. 40.
51
DRH, A, I, no 9-12, p. 11-18. L. Şimanschi et G. Ignat croient qu'il s’est rendu à
Constantinople en 1401 dans l’ambassade qui a mis fin au conflit avec le patriarcat de
Constantinople, ce qui expliquerait son absence dans l’acte du 29 juin 1401 scellé par Tamaş, cf.
op. cit. (II), p. 133, n. 72.
52
Idem, op. cit. (II), p. 132, n. 69.
53
DRH, D, I, no 102, p. 169-170. Le premier à avoir attiré l’attention en Roumanie sur cet
acte est V. Motogna, « Ceva nou privitor la Ştefan I (II ?) domnul Moldovei (c. 1394-1400) », RI
VIII (1922), p. 193-194 ; idem, Articole şi documente. Contribuţii la istoria Românilor din
veacurile XIII-XVI, Cluj 1923, p. 47-48. Costea, le père de Jean, pourrait être Costea viteazul,
présent dans le Conseil princier jusqu’en 1399, personnage qui utilisait un sceau avec une
inscription grecque et a été identifié par L. Șimanschi comme un dignitaire de Cetatea-Albă
(1386) : cf. L. Șimanschi, « Cele mai vechi sigilii domneşti şi boiereşti din Moldova (1387-
1421) », AIIAI XVII (1980), p. 151 et 156, fig. 18. Voir aussi infra, n. 130.
103
MATEI CAZACU
54
I. Iordan, op. cit., p. 351 ; N. A. Constantinescu, Dicţionar onomastic românesc, Bucarest
1963, p. 301-302, croit qu’il s’agit de Iaş, nom ukrainien.
55
L. Dezsö, Ocerki po istorii Zakarpatskih govorov, Budapest 1967, p. 35 ; I. Kniezsa,
Kelet-magyarország helyuevei, J. Deer et L. Galdi, Magyarok és románok, I, Budapest 1943 ; P.
P. Cucka, « Antroponimija Zakarpatlja i mihracija naselennja v Ukrajinslcych Karpatach », dans
Proci XII Respublikans’koji dialektolohicnoji narady, Kiev 1971, p. 369, n. 4 ; I. Lobiuc, « O
problemă controversată : toponimele dacoromâne cu radicalul RUS (II) », AIIAI XXV (1988), p.
418 : « L. Dezsö declară că nu se poate şti etnia populaţiei din aşezările conţinînd, în denumirile
lor, etnicul toth pentru veacurile XIV – XV, întrucît abia în secolul al XVII-lea acest nume slav
comun capătă semnificaţia de “slovac”, în maghiara veche el denumindu-i pe “slavi” (în genere),
adăugând însă că aceasta nu înseamnă că acolo nu puteau locui şi ucrainieni, maghiari, etc., cu
aceleaşi drepturi ca şi slovacii ».
56
DRH, A, I, no 99, p. 146-147 ; l’acte du 3 janvier 1459 dans DRH, A, II, no 81, p. 116-
117 : « pan Tăutul ».
57
Lettre du 16 avril 1994. Nous ne connaissons pas le texte de la communication de I.
Murariu, « Un vechi arbore genealogic ai familiei Tăutu », présenté au IIIe Symposion
« Genealogie şi istorie », Iaşi, 25-26 juin 1992, cf. AIIAI XXIX (1992), p. 491.
58
Entre 1403 et 1408, Iaţco est mentionné dans le Conseil princier ensemble avec « ses
enfants » : DRH, A, I, no 18, 22, 23, p. 25-27, 30-32, 32-34. Le 18 avril 1409 et le 18 novembre
1409, les enfants ne sont plus mentionnés pour aucun des témoins du Conseil princier : ibidem, no
25 et 27, p. 36-7, 38-40.
59
N. A. Constantinescu, op. cit., p. 250.
60
Fr. Miklosich, Lexicon palaeoslovenico-graeco-latinum, Vienne 1862-1965, p. 307 ;
idem, Etymologisches Wörterbuch der slavischen Sprachen, Vienne 1886, p. 134. Kosula vient du
latin casula qui a donné « chasuble », l’équivalent de « phélonion » : cf. L. Clugnet, Dictionnaire
grec-français des noms liturgiques en usage dans l’Église grecque, Paris 1895, p. 161 ; M. Roty,
Dictionnaire russe-français des termes en usage dans l’Église russe, Paris 1980, p. 129. Le
correspondant pour les habits épiscopaux est le sakkos (polistaurion).
104
À PROPOS DE IAŢCO DE SUCEAVA
trésorier Mateiaş, de même que par les villages Coşuleni du même département
de Botoşani.
Le secrétaire Tăutul de 1430 et 1459 est, sans aucun doute, le père du
chancelier moldave Ion Tăutul, qui commence sa carrière comme secrétaire
princier (il écrit sept actes entre 1464 et 1472) pour occuper, à partir de 1475 et
pour 35 ans sans interruption, la fonction de chancelier sous les règnes
d’Étienne le Grand et de son fils Bogdan III61.
Une fille de Ion Tăutul, Marie, épousa Dragotă Săcuianu, grand échanson
de 1513 à 1523. Leur fils, Dragotă Tăutulovici (« al lui Tăutul ») écrit des actes
princiers en 1497. Le fils de ce dernier, « Toader al lui Dragotă », est nommé
pisar (secrétaire) sur une pierre tombale de Bălineşti62. Une autre fille d’Ion
Tăutul, Nastasia, épousa Toader Bubuiog, secrétaire princier en 1495, deuxième
logothète entre 1502 et 1505, enfin chancelier de 1525 à 153763.
Aux siècles suivants, d’autres membres de la famille, descendants du frère
d’Ion Tăutul, Dragomir, occuperont des fonctions à la chancellerie princière.
Ainsi, Ion Tăutulovici est mentionné comme diac en 153963bis. Drăgan Tăutul
est deuxième logothète, puis biv (ex) logothète en 1562 et chancelier en 157064.
Un autre Drăgan, peut-être le fils du premier, est actif comme secrétaire princier
entre 1595 et 1620 ; en 1626-1627 il est uricar et des actes de 1636 et de 1646
l’appellent biv vel (ex-grand) logothète65.
Un autre Tăutul, Zaharia, a comme gendre le diac Popa mentionné en
161866 ; Mihai Tăutul est deuxième logothète en 1621 et ancien logothète en
1642 et en 164567 ; un Ion Tăutul ancien grand logothète est mentionné en 1601
61
N. Stoicescu, Dicţionar al marilor dregători din Ţara Românească şi Moldova, sec. XIV
– XVII, Bucarest 1971, p. 287-288 ; Şt. Gorovei, « Activitatea diplomatică a marelui logofăt Ioan
Tăutu », SAMJ 5 (1978), p. 237-251.
62
N. Iorga, « Contribuţii la istoria Bisericii noastre », AARMSI, IIe série, XXXIV (1912), p.
483 ; N. Stoicescu, op. cit., p. 287-288, 324.
63
N. Stoicescu, op. cit., p. 330-331 ; Şt. Gorovei, « Toader Bubuiog şi Toader Băloş »,
AIIAI XVI (1979), p. 537-548. Deux fils de Ion Tăutul, Thodore et Pierre, sont morts en 1493
(une épidémie ?) et sont enterrés à Bălineşti : cf. N. Iorga, op. cit., p. 482. Ils seront suivis par une
fille, Vasilca, morte en 1494.
63bis
N. Iorga, Studii şi documente, XVI, Bucarest 1909, no 166, p. 84 ; peut-être le même
que le pisar Ion de 1546 : cf. C. Grămadă, « Cancelaria domnească în Moldova pînă la domnia lui
Constantin Mavrocordat », CC IX (1935), p. 208.
64
C. Grămadă, op. cit., p. 194 ; N. Stoicescu, Dicţionar, p. 303.
65
C. Grămadă, op. cit., p. 217. En 1617 il met une pierre tombale à Bǎlineşti, où est
enterrée son épouse Anghelina : cf. N. Iorga, op. cit., p. 483. D’autres actes sur lui chez T. Bǎlan,
Documente bucovinene, II, Cernăuţi 1934, p. 41, 103, 122-123. Pour les uricari : voir D.
Simonescu, Literatura românească de ceremonial. Condica lui Gheorgachi, 1762, Bucarest
1939 ; C. Grămadă, op. cit., p. 177-178.
66
CDM, I, Bucarest 1975, no 344, p. 135.
67
T. Bǎlan, op. cit., II, p. 116-118 ; C. Grămadă, op. cit., p. 196, 220. Le 15 octobre 1645,
Vasile Lupu lui confirmait 1/5 de Bălineşti et des parts dans Baloşani : cf. CDM Bucarest, II,
Bucarest 1959, no 1816, p. 359. En 1673 apparaît le biv logofăt Mihai Tăutul : cf. C. Grămadă, op.
cit., p. 197. J’ignore si c’est la même personne que Mihai Tăutul, gouverneur de Hotin en 1623 :
105
MATEI CAZACU
et pourrait être le personnage qui, avec sa femme Anne, faisait une coupe en
argent en 1600 68 ; un autre (?) Ion Tăutul, lui aussi ancien grand logothète, avait
comme épouse Tofana, la fille de Bilie, vornicel de Putna en 163869. Enfin, au
début du XIXe siècle, Vasile Tăutul est connu comme traducteur 70, alors que le
comis Ionică Tăutul (1795-1830) est bien connu pour son activité littéraire et
politique71.
Ainsi, 14 ou 15 personnes de cette famille ou alliées à elle exercent des
métiers de secrétaire princier et/ou occupent la charge de chancelier de la
Moldavie, ont des préoccupations littéraires et écrivent des œuvres politiques.
Nous sommes donc en présence d’une véritable dynastie d’intellectuels
moldaves, la plus importante si on la compare aux autres que nous avons pu
identifier dans les documents.
Un premier exemple est celui du logothète Bratei qui succède à Iaţco dans
cette dignité entre 1401 et 1413. Son fils, Ivaşco Brateevici remplit la même
fonction entre 1419 et 143072.
Un deuxième exemple est celui du secrétaire Gârdea qui écrit un acte de
1407. Son fils Isaie est chancelier de 1409 à 1424, puis membre du Conseil
princier. Trois de ses fils occuperont eux aussi des dignités à la Cour dans les
décennies suivantes et sous le règne d’Étienne le Grand73.
Deux ecclésiastiques de haut rang, les protopopes Ioil et Iuga, auront eux
aussi des fils employés dans la Chancellerie princière de Moldavie. Ainsi
Giurgiu grămătic, fils de Ioil, lui-même pisar, sera actif entre 1454-1456 et
recevra des donations de la part du prince74, alors que Mihu, le fils du protopope
Iuga, commencera sa longue carrière comme secrétaire princier (entre 1422 et
1443) pour devenir ensuite chancelier de Moldavie (1443-1456). Un de ses
frères, Tador (Théodore), sera lui aussi secrétaire princier75.
Même situation pour le secrétaire Dobrul, actif entre 1448 et 1456,
lorsqu’il écrit pas moins de 15 actes, qui devient chancelier de 1457 à 1468. Son
fils, « Ion al lui Dobrul » (Dobrulovici) est mentionné comme diac en 1514. Un
de ses cousins, Şuşman, a un fils Isaie, lui aussi secrétaire princier entre 1458 et
147276.
CDM, II, no 145, p. 45 ; N. Stoicescu, « Lista marilor dregători moldoveni (1384-1711) », AIIAI
VIII (1971), p. 409, le croit identique à Drăgăn Tăutul.
68
C. Moisil, « O veche cupă moldovenească de argint », RI 2 (1916), p. 1-7.
69
MEF, III, Chişinău 1982, p. 368-369.
70
N. Iorga, Istoria literaturii române în secolul al XVIII-lea (1688-1821), II, Bucarest
19692 , p. 354.
71
E. Vîrtosu, Ionică Tăutu, Scrieri social-politice, Bucarest 1974 ; V. Georgescu, Istoria
ideilor politice româneşti (1369-1878), Munich 1987, p. 376-377 et passim.
72
N. Stoicescu, Dicţionar, p. 263, 277.
73
Ibidem, p. 276.
74
M. Costăchescu, op. cit., I, no 125, p. 575. Voir aussi DRH, A, II, p. 56-57, 91-93.
75
N. Stoicescu, op. cit., p. 279 ; DRH, A, II, p. 44-47.
76
N. Stoicescu, op. cit., p. 268 ; DRH, A, II, p. 251-253.
106
À PROPOS DE IAŢCO DE SUCEAVA
77
N. Stoicescu, Dicţionar, p. 305 ; cf. notre article, « Petru Movilă et la Roumanie : essai
historique et bibliographique », HUS VIII/1-2 (1984), p. 199-201.
78
M. Cazacu, op. cit., p. 201.
79
N. Stoicescu, op. cit., p. 329-330.
80
Ibidem, p. 448-449.
81
Nous nous permettons de renvoyer à notre étude « Les chancelleries princières de
Valachie et de Moldavie (XIVe – XVIIIe siècles) », Archiv fur Diplomatik (1995), sous presse.
82
I. Neculce, Letopiseţul, p. 167-169.
83
I. Corfus, « Încă un “cuvînt” de-al lui Neculce se dovedeşte a nu fi legendă », SRI XVII
(1964), p. 597-598 ; Şt. Gorovei, « Activitatea diplomatică a marelui logofăt Ioan Tăutul », loc.
cit. ; idem, « Autour de la paix moldo-turque de 1489 », RRH XIII/3 (1974), p. 535-544. À ajouter
aussi T. Bǎlan, « Hotarul de la Ceremuş », CC IX (1935), p. 273-282.
84
I. Șiadbei, Cercetări asupra cronicilor moldovene, l. Eustratie logofătul, Grigore
Ureche, Simion Dascălul, Ion Neculce, Jassy 1939, p. 1-10 ; I. Neculce, Letopiseţul, p. 105.
85
P. P. Panaitescu, « Contribution à l’histoire de la littérature de chancellerie dans le Sud-
Est de l’Europe », RÉSEE V (1967), p. 21-40.
86
Şt. Gorovei, « Activitatea diplomatică », p. 238. À ajouter, au manuscrit copié peut-être
par Tăutul (une comparaison de l’écriture avec celle de ses actes s’impose), deux autres qu’il a
offert à des monastères : E. Turdeanu, « Manuscrise slave din timpul lui Ştefan cel Mare », CL V
(1943), p. 161-163, 179-181 ; à voir aussi idem, « L’activité littéraire en Moldavie à l’époque
107
MATEI CAZACU
d’Étienne le Grand (1457-1504) », RÉR 5-6 (1960), nos XXV, XXXIV, p. 55, 57. Rappelons aussi
que le chancelier Teodosie Rudeanu a présidé à la composition de la chronique de Michel le
Brave, en 1597, et à sa traduction en polonais, d’où Balthasar Walter a tiré sa version latine.
86bis
Dans l’identification et le placement sur le terrain de ces toponymes nous nous sommes
servis de Ghidul drumurilor din România, éd. I. Cămărăşescu, Bucarest 1928 : Automobil – Club
Regal Român ; A. I. Gonţa, Indicele numelor de locuri, dans DIR, A, I, éd. I. Caproşu, Bucarest
1990.
87
Voir un acte du 3 juin 1629 qui parle de « satul Bălileşti, ce este pe Siret, unde au fost
curtea bătrînului, marelui logofăt Tăutului » : CDM, II, no 495, p. 113-114. Voir aussi M.
Costăchescu, Arderea tîrgului Floci şi a Ialomiţei în 1470, Jassy 1935, p. 59-67. D’autres actes
sur Bălineşti chez N. Iorga, Studii şi documente, V, Bucarest 1903, no 114, p. 245-246 et 399-400.
Pour la bibliographie, voir N. Stoicescu, Repertoriu – Moldova, s.v. L’expression de l’acte de
1629 a été reprise à un acte du 18 juin 1601 : cf. DIR, A, XVII/1, no 20, p. 14-15.
88
« În hotar cu moşia târgului Siret » (1765) : CDM, V, no 5, p. 4 (acte de 1701) ; d’autres
actes de 1718, 1727 et 1765 chez N. Iorga, Studii şi documente, V, nos 72, 80, 136, p. 229, 232,
253.
89
Voir une confirmation de la moitié du village faite le 18 juin 1742 au grand trésorier
Toader Palade « pentru care ne-au spus că este driaptă a dumisale, de pe neamul dunmale,
Tăutuleşti » : Condica lui Constantin Mavrocordat, éd. C. Istrati, Jassy 1986, no 672. On peut se
demander s’il ne s’agit là d’un village de colonisation parti de Zamoştea, près de Cernăuţi,
accordé à Ion Tăutul par le roi de Pologne en 1499 : voir infra.
90
Le 8 mars 1572, Ion Vodă confirme et retourne à dame (cneaghina) Marica,
vraisemblablement la femme de Drăgan Tăutul, les villages de Tăuteni, Dumeni et Călugăsenii
sur la Jijia : CDM, I, Bucarest 1989, no 955, p. 368.
91
Voir un acte de 1672 : CDM, III, no 2175, p. 455 ; actes de 1748 et 1779, chez N. Iorga,
op. cit., V, no 114, p. 245-246, no 146, p. 257.
92
Voir documente de 1701, 1740 et 1757 dans CDM, V, no 5, p. 4 ; N. Iorga, op. cit., V, no
91, p. 237, no 128, p. 251.
93
Constantin Tăutul possédait Rudeşti et Dubova en 1740 : N. Iorga, op. cit., V, no 91, p.
237.
94
Actes de 1754 et 1776 chez N. Iorga, op. cit., V, no 122, p. 249, no 145, p. 256-7, 415.
108
À PROPOS DE IAŢCO DE SUCEAVA
95
Actes de 1609, MEF, III, no 25, p. 63-64 ; 1619-1620, confirmé en 1634, CDM, II, no
987, p. 210-211 ; 1665, CDM, Supliment 1, no 820, p. 264 ; 1669, N. Iorga, Studii şi documente,
XXII, p. 235 ; 1694, CDM, Supliment 1, no 1027, p. 321.
96
Vasile Tăutu possédait un tiers en 1710 : T. Balan, op. cit., II, no 12, p. 42.
97
Actes de 1572 dans CDM, no 368, p. 368 ; 1608, quand Tăutul ot Vascănţi est
propriétaire à Dumeni : N. Iorga, Studii şi documente, XIX, p. 21 ; 1646, juillet 6, CDM, II, no
1891, p. 371.
98
Actes de 1643, 1644 et 1657, CDM, II, no 1678, p. 338, no 1707, p. 342 ; CDM, III, no
239, p. 72 ; 1694, CDM, Supliment 1, no 1027, p. 321.
99
Actes de 1616, DIR, A, XVII/4, no 23, p. 16 ; 1644, CDM, II, no 1707, p. 342 ; 1657,
CDM, III, no 239, p. 72.
100
Actes de 1561/2 et 1572, CDM, I, no 874, p. 341, no 955, p. 368.
101
Acte de 1686, CDM, IV, no 1037, p. 235.
102
Ştefan Tăutul, propriétaire en 1759 : N. Iorga, Documente privitoare la familia
Callimachi, II, Bucarest 1903, no 14, p. 176 ; l’église a été construite en 1772 par Simion Tăutu
vomic : N. Stoicescu, Repertoriu – Moldova, p. 203.
103
Acte de 1657, CDM, III, no 239, p. 72 ; 1694, CDM, Supliment 1, no 1027, p. 321.
104
Vasile et Sandu Tăutu en 1710 : CDM, V, no 949, p. 256.
105
C. Istrati, Condica, II, no 641 et 645 (actes de 1742). Drăgşeni pourrait être Drăguşeni,
confirmé à Mihai Tăutul en 1623, CDM, II, no 145, p. 45. Le village était « mai sus de tîrgui
Siret ». Les autres propriétés de Mihai Tăutul étaient des achats : Dimideni, qui faisait partie de
1’ocol de Dorohoi, Călineşti sur la Molniţa, avec un moulin sur le Siret, Molniţa, achetée à
Ionaşco Stroici, des parts de Rugăşăşti, la moitié de Cuciurul Mic, près de Cernăuţi. Une partie
des achats étaient faits à des parents. À ces villages il faudra ajouter également Baloşani pe
Bodeasa, département (« ţinut ») de Dorohoi, qu’Isaac Tăutul avait offert à son neveu Pătrăşcan,
fils du logothète Tăutul, avant 1645 : CDM, II, no 1816, p. 359 ; de même Balinţi (Baliţa), dans le
même ţinut, mentionné en 1561-1562 : CDM, I, no 874 et 875, p. 341-2 ; Volcineţ (Soroca) et la
moitié de Slobedca hérités par Toader Palade en 1742 : C. Istrati, Condica, II, nos 643, 644.
106
Plusieurs membres de la famille Tăutul possédaient un tiers du village en 1720 : CDM,
V, no 1700, p. 466.
107
Confirmé en 1638 à 1’ex-grand logothète Ion Tăutu et à son épouse Tofana ; pour ce
village « are şi Tăutul uric de danii de la bàlrùiul Ştefan voevod dată moşului său » : MEF, III, no
176, p. 368-369. Voir aussi CDM, V, no 5, p. 4 (acte de 1701).
108
Un Miron Tăutu y habitait en 1723 : N. Iorga, Studii şi documente, V, p. 409.
109
Voir un acte de 1657 : CDM, III, no 239, p. 72.
110
Appelée Crasnolivna (peut-être mauvaise lecture ?) en 1720 : CDM, V, no 1700, p. 466.
111
En 1638, confirmé à 1’ex-grand logothète Ion Tăutul, « pi cari sălişti are şi Tăutul uric
de danii de la bătrânul Ştefan voevod dat moşului său : MEF, III, no 176, p. 368-369.
109
MATEI CAZACU
112
Appelé aussi Subranic en 1701 : CDM, V, no 5, p. 4. Voir aussi un acte de 1643, par
lequel Vasile Lupu confirme le village à Lupu Stroescu, apparenté aux Tăutu : CDM, Supliment
1, no 628, p. 208.
113
Ou Revne, voir actes de 1638 et 1657 : CDM, II, no 1314, p. 273 ; CDM, III, no 2273, p.
79.
114
Gheorghe Tăutul postelnic a un procès en 1765 pour ces trois villages : N. Iorga, Studii
şi documente, V, p. 428. Pour Onutul de Sus,voir un acte de 1665 : CDM, Supliment 1, no 820, p.
264.
115
Voir actes de 1657 et 1694 : CDM, III, no 239, p. 72 ; CDM, Supliment 1, no 1027, p.
321.
115bis
Acte de 1665 : CDM, Supliment 1, no 820, p. 264.
116
Acte de 1695 : CDM, Supliment 1, no 1035, p. 326.
117
Actes de 1657 et 1694 : CDM, III, no 239, p. 72 ; CDM, Supliment 1, no 1027, p. 321.
118
Actes de 1657, 1694, 1714 : CDM, III, n° 239, p. 72 ; CDM, Supliment 1, no 1027, p.
321 ; CDM, V, no 1229, p. 336.
118bis
Acte de 1665 : CDM, Supliment 1, no 820, p. 264.
119
I. Neculce, Letopiseţul, p. 167 ; I. Corfus, op. cit., p. 597 ; Şt. Gorovei, « Activitatea
diplomatică », p. 245-248. Comme pour les autres villages, cette partie du domaine de Ion Tăutul
a été divisée entre sa nombreuse descendance (directe et indirecte) qui compte, jusqu’à nos jours,
environ 500 personnes, comme nous le communique M. Mihail D. Sturdza dans une lettre du 16
avril 1994. Les 11 villages ont été confirmés par Étienne le Grand (acte perdu ; cf. un acte de
1619 : DIR, A, XVII/4, no 447, p. 351-352).
120
Gr. Ureche, Letopiseţul, p. 131 ; Şt. Gorovei, « Mănăstirea Trestiana », MMS (1968), p.
562-568 ; N. Stoicescu, Repertoriu – Moldova, p. 871. Voir un acte de 7099 (1590/1) par lequel
les Huhulea, descendants de Ion Tăutul et de Toader logothète, partagent les villages hérités de
leur ancêtre : DIR, A, XVI/3, no 570, p. 464-5. À noter qu’il existe une autre Trestiana, dans la
région de Cernăuţi, près de Dumbrava-Roşie. Trestiana reviendra à Toader Palade en 1742 : C.
Istrati, Condica, II, no 642.
121
Voir un acte de confirmation pour Ion Tăutul de 1483 : DRH, A, II no 251, p. 382-384.
Un autre de 1495, où on voit apparaître des cousins de Ion Tăutul, porte sur « satul Tăuţii, la
Horince, şi Rujenii, tij pe Horince, şi la Chigiiaci giumătate, de la Leuşteni, iară ceîalaltă
giumătate de sat ca să fie a seminţii lor, dumnalui Tăutul vel logofăt » : DRH, A, III, no 166, p.
304.
110
À PROPOS DE IAŢCO DE SUCEAVA
122
Voir supra, n. 107 et 111, aussi 119.
123
Un acte de Gheorghe Ştefan du 9 mars 1657 parle d’un partage à l’époque de Vasile
Lupu antre Gligorie Tăutul et ses frères : CDM, III, no 239, p. 72, voir aussi no 273. Un acte de
Constantin Duca, du 28 février 1694, rappelle m détail quatre parts qui ont été faites à cette
occasion entre Gligorie, Neculai, Tudosie, Antelina, Anastasia et Ciogolea : CDM, Supliment 1,
no 1027, p. 321.
124
DRH, A, II, no 28, p. 38-40.
125
DIR, A, XVI/4, no 239, p. 179-181.
126
T. Balan, Documente bucovinene, II, no 27, p. 73-74.
127
Şt. Olteanu, « Inscripţia de pe piatra de mormânt de la mănăstirea lui Iaţco din
Suceava », SMIM I (1956), p. 367-370. Voir le compte rendu de P. Ş. Năsturel, dans
Romanoslavica V (1962), p. 200-201. Pour la composition ethnique de Suceava, voir aussi C.C.
Giurescu, Târguri sau oraşe şi cetăţi moldovene din secolul al X-lea pînă la mijlocul secolului al
XVI-lea, Bucarest 1967, p. 79-96, 277-286. À noter aussi, dans les environs de Suceava, le nom de
la forteresse de Şcheia, du village Ruşcior (devenu Hueţeani dit aussi Unguraşi), englobé dans
Dragomirna, puis Ruşii Mănăstioarei, Lipoveni, Dărmăneşti, « unde au fost Grecii » : A. Gonţa,
op. cit., p. 79.
111
MATEI CAZACU
dans la ville de Suceava tout en gardant son statut de ville franche (slobozie)128.
De la sorte, le souvenir de la domination de Iaţco à Suceava avant l’installation
de la capitale moldave ici s’est mélangée avec la réalité ethnique et
socioprofessionnelle de la bourgade d’Iţcani, dont l’église, très vétuste, avait été
reconstruite en 1639 129. On aurait alors à faire à une légende de chancellerie,
une de plus, mais basée sur des éléments anciens et divers.
Revenant à la personne de Iaţco de Suceava, nous allons essayer de
résumer les données éparses que nous avons rassemblées dans notre étude. Iaţco
est un des grands seigneurs moldaves d’origine russe occidentale de la fin du
XIVe siècle, un de ces majores terrae, un « grand » donc, qui fait partie, avec
des interruptions, du Conseil princier pendant quinze ans, en qualité de pan et
chancelier. Son domaine englobait les alentours et peut-être même la ville de
Suceava, domaine sur lequel il construisit les monastères d’Iţcani et de Saint-
Démétrius. On peut donc se demander sil n’était un descendant des voïévodes
de Suceava, donc un « prince médiatisé » comme ce fut le cas notamment pour
son contemporain Stoian Procelnic. L’identité entre les termes de logothète et
procelnic mérite elle aussi réflexion, bien que la documentation dont nous
disposons nous interdise de tirer des conclusions sur le rang éventuel que les
« princes » médiatisés pouvaient se voir conférer dans les structures de l’État
moldave à ses débuts.
L’essai de Iaţco de ménager une certaine autonomie pour ses fondations
religieuses par leur transformation en stavropégies a dû être à l’origine du
conflit qui a opposé le ktitor au prince Étienne Ier et au métropolite Joseph.
Condamné à la « reddition à merci » (ou « reddition par la tête »), une coutume
juridique connue en Russie et existant peut-être aussi en Moldavie (sinon en
Valachie), Iaţco a embrassé le catholicisme à Siret sans pour autant quitter la vie
publique et ce jusqu’en 1409. La normalisation, en 1401, des rapports de la
Moldavie avec le Patriarcat de Constantinople a mis fin au conflit sur le plan
religieux, mais Suceava et son territoire sont définitivement entrés dans les
structures politiques de la Moldavie. Ceci était l’aboutissement d’un processus
commencé sous Pierre Ier par la construction de la forteresse de Şcheia, ensuite
de Suceava, l’érection de l’église métropolitaine de Mirăuţi et, finalement, de la
Cour princière, au début du règne d’Alexandre le Bon129bis.
128
Voir les actes du 20 et du 27 octobre 1627 : DRH, A, XIX, no 247, p. 330-331 ; G.
Ungureanu, « Date inedite cu privire la modul de redactare a actelor în cancelaria lui Miron
Barnovschi », RA VIII/2 (1965), p. 83-88. Un autre acte dans ce sens, du 14 février 1755, chez
Suceava. File de istorie. Documente privitoare la istoria oraşului, 1388-1918, I, éds. V.Gh. Miron
et alii, Bucarest 1989, no 248, p. 397-398.
129
N. Stoicescu, Repertoriu – Moldova, p. 797-798. Nous n’avons pas pu consulter
l’obituaire du monastère, conservé à la Bibliothèque de l’Académie Roumaine, ms. rom. 2981, f.
2-10, mentionné par N. Stoicescu. Voir aussi la liste de ses chartes dans Uricariul, XX, p. 133-
138.
129bis
N. Grigoraş, op. cit., p. 52, et M. D. Matei, op. cit., p. 67-79, ont bien présenté le
processus de mainmise graduelle de Suceava par les princes moldaves, depuis Pierre Ier Muşat
112
À PROPOS DE IAŢCO DE SUCEAVA
jusqu’Alexandre le Bon. On sait que Pierre Ier a résidé d’abord à Siret où l’on a trouvé la matrice
de son sceau. Ce même prince commence par construire la forteresse de Şcheia, puis une tour
servant d’habitation et autres constructions annexes dans la ville même ; la construction de la
forteresse principale, à l’est de la ville, vient seulement ensuite. Quant à l’église Saint-Georges de
Mirăuţi, qui servait de cathédrale métropolitaine après 1386 : M. D. Matei, op. cit., p. 67, n. 43,
pense qu’à l’origine elle avait été construite par le seigneur du village respectif. Le plan, d’origine
polono-baltique, de la seconde forteresse princière (comme celui de Neamţ, également l’œuvre de
Pierre Ier) et l’apparition d’une céramique d’origine étrangère dans le quartier des artisans (Şipot)
indiquent l’évidence une colonisation avec des artisans venus du Nord – polonais et/ou russes : cf.
M. D. Matei, op. cit., p. 64-66.
130
D. Cantemir, Descrierea Moldovei, éds. G. Guţu et alii, Bucarest 1973, p. 198-201.
131
Par N. Stoicescu, Sfatul domnesc şi marii dregători din Ţara Românească şi Moldova
(sec. XIV – XVII), Bucarest 1968, p. 182.
132
N. Iorga, Studii istorice asupra Chiliei şi Cetăţii Albe, Bucarest 1899, p. 93, croit que le
gouverneur était un moine. Quant à nous, nous croyons qu’l s’agit de Mihul : la décision du Sénat
de Venise dit que « pater illius qui dominatur Maurocastro, qui caloierus est fuit ad eum Pe baile
Marino Zanej in secreto » à Constantinople. Cf. M. Cazacu, « À propos de l’expansion polono-
lituanienne au nord de la mer Noire aux XIVe – XVe siècles », dans Passé turco-tatar. Présent
soviétique. Études offertes à Alexandre Bennigsen, Louvain – Paris 1986, p. 113-114, n. 50. Il
nous semble que l’incidente « qui caloierus est » s’applique au père du gouverneur, et non au
gouverneur lui-même. Pour l’identité du gouverneur de 1435 avec Mihul, voir aussi N. Bănescu,
« Maurocastrum – Mo(n)castro – Cetatea Albă », AARMSI, IIIe série, XXII (1939-1940), p. 175-
177 ; C. C. Giurescu, Târguri sau oraşe, p. 205 et n. 2. Pour les monnaies frappées à Cetatea
Albă, voir P. Nicorescu, Monete moldoveneşti bătute la Cetatea Albă, Bucarest 1937.
133
N. Stoicescu, « Lista dregătorilor moldoveni », p. 407.
134
N. Stoicescu, Sfatul domnesc, p. 182 et n. 212.
113
MATEI CAZACU
114
SAINT JEAN LE NOUVEAU, SON MARTYRE,
SES RELIQUES ET LEUR TRANSLATION
À SUCEAVA (1415)
Cette solution paraît la plus judicieuse, en dépit de l’existence, sur une des
berges rocheuses du liman du Dniestr, d’une chapelle construite selon la
tradition « à l’endroit où saint Jean le Nouveau de Suceava a été martyrisé par
les Turcs » (sic !). D’après la description de Zamfir Arbore,
« Dans la chapelle brûlent sans interruption plusieurs lampes à huile, offrande des
paroissiens. À l’intérieur de la chapelle, dans le sol, est fixée une grande dalle funéraire qui, nous
1
Pour les éditions de la Passion et de la Translation on consultera Melchisedec
[Ştefănescu], « Mitropolitul Grigorie Ţamblac. Viaţa si operile sale », RIAF II/1 (1884), p. 1-64
(introduction), 163-174 (texte slavon d’après le ms. slave 164, copie de Gabriel Uric de 1439, et
traduction roumaine) ; P. Rusev – A. Davidov, Grigorij Camblak v Rumynii i v starata rumynska
literatura, Sofia 1966, texte slavon et traduction bulgare aux p. 90-109 ; fac-similé du texte de
Gabriel Uric, ibidem, p. 110-122.
2
P. Ş. Năsturel, « Une prétendue œuvre de Grégoire Tsamblak : “le Martyre de Saint Jean
le Nouveau” », Actes du Ier Congrès International des études balkaniques et sud-est européennes,
Sofia, 1966, VII, Sofia 1971, p. 345-351.
MATEI CAZACU
dit-on, a été installée sur la tombe du martyr ; sur cette dalle sont sculptées deux branches de
palmiers avec l’inscription suivante en slavon d’église : “Le saint martyr Jean le Nouveau de
Trébizonde ; martyrisé à Akkerman en 1492, le 2 juin. Ses reliques se trouvent aujourd’hui à
Suceava” »3.
3
Z. Arbore, Basarabia în secolul XIX, Bucarest 1898, p. 275.
4
Notamment par I. Theocharides – D. Loules, « The Neomartyrs in Greek History (1453-
1821) », ÉB XXV/3 (1988), p. 83.
5
N. Iorga, Studii istorice asupra Chiliei şi Cetăţii Albe, Bucarest 1899, p. 36-37.
6
La vita e sito de’Zichi, chiamati Ciarcassi : historia notabile, Venise, Alde Manuce 1502,
repris par Giovanni Baptista Ramusio, Navigazioni e viaggi, IV, éd. M. Milanesi, Turin 1983, p.
29. En 1397 et 1398, Vitold entreprit deux campagnes en Crimée, où il bâtit, selon Johann von
Posilge, « eyn hus auf den Nepper das flys », appelée « Sente Johannesburg », « Chronik des
Landes Preussen », éds. Th. Hirsch, M. Töppen, E. Strehlke, Scriptores rerum Prussicarum, III,
Leipzig 1866, p. 222. Pour d’autres traces de la présence de Vitold dans la région, voir M.
Cazacu, « À propos de l’expansion polono-lithuanienne au nord de la mer Noire aux XIVe – XVe
siècles », dans Passé turco-tatar, Présent soviétique. Études offertes à Alexandre Bennigsen, Paris
1986, p. 109-110 et n. 37. Pour l’ensemble du problème, voir B. Spuler, « Mittelalterliche
Grenzen in Osteuropa, I. Die Grenze des Grossfürstentums Litauen im Südosten gegen Türken
und Tataren », dans JGO VI (1941), p. 152-170.
7
Cf. aussi C. Zaharia, Iosif I Muşat, Roman 1987, p. 140-141.
116
SAINT JEAN LE NOUVEAU
disposé d’y installer une grande pierre (plaque) qui le représentait se penchant pour accueillir la
sainte relique »8.
En combinant cette date, 1414, avec celle de 6923 (mentionnée par Axinte
Uricariul et par Nicolae Costin), Al.V. Diţă est arrivé à la conclusion ingénieuse
qu’il s’agissait des mois septembre - décembre 1415, qui correspondent, dans le
comput moldave, à 6923 de l’ère byzantine, vu que l’année commençait dans le
calendrier moldave au 1er janvier. Et M. Diţă de conclure :
« Par conséquent, nous pouvons affirmer avec certitude que les reliques de saint Jean le
Nouveau ont été apportées en Moldavie en 1415, plus précisément durant la période septembre -
décembre »9.
8
Al. V. Diţă, « În legătură cu paternitatea primei scrieri în proză a literaturii române »,
Luceafărul, 5 novembre 1983.
9
Ibidem.
10
D. Zamfirescu, « Intâiul scriitor român », Luceafărul, 14 mai 1983; idem, « Precizări
necesare », Luceafărul, 3 septembre 1983 ; idem, « Alte precizări necesare », Luceafărul, 24
septembre 1983 ; idem, « Din nou despre întâiul scriitor român », Luceafărul, 26 octobre 1983.
117
MATEI CAZACU
copiste qui a écrit le texte11. Toutes ces précisions nous obligent donc à revenir à
Grégoire Tsamblak et à ses rapports avec la Moldavie, mais aussi aux
circonstances de la translation des reliques et de la composition de la Passion de
Jean le Nouveau.
La vie de Grégoire Tsamblak a été minutieusement reconstituée ces
dernières années, notamment par Mme Muriel Heppell12, et son activité littéraire
a intéressé plusieurs auteurs dont les Roumains Emil Turdeanu13 et Radu
Constantinescu14. On sait donc qu’il se rendit pour la première fois en Moldavie
en 1401, envoyé par le patriarche Matthieu afin de faire parvenir au métropolite
Joseph la confirmation de sa dignité. Il revint par la suite en Moldavie entre
1402 et une date indéterminée – antérieure, en tout cas, à 1406 –, lorsqu’il fut
élevée à la dignité d’higoumène du monastère de Dečani, en Serbie. Cette même
année il fut appelé en Russie par son oncle, le métropolite Cyprien ; Tsamblak
s’y rendit par la Moldavie et la Lituanie, où régnait le grand prince Vitold, mais
lorsqu’il traversait le Niemen il apprit la nouvelle de la mort de Cyprien. À la
suite de cet événement, Vitold et Basile Ier de Moscou demandèrent, chacun de
son côté, un métropolite au patriarche de Constantinople, car il s’agissait du
siège de Kiev. Or, Kiev se trouvait depuis trois décennies sous domination
lituanienne, et les métropolites de Russie avaient choisi, depuis le XIVe siècle,
de résider à Vladimir dans la principauté de Moscou, au grand dam des
Lituaniens. Le patriarche sacra un autre grec, Photius, qui s’installa lui aussi à
Moscou, ce qui privait Kiev et les Orthodoxes ukrainiens d’un hiérarque
orthodoxe15.
Entre 1406 et la fin de sa vie, en 1419, Tsamblak résida à Kiev et peut-être
aussi en Moldavie, et réussit à gagner l’estime du grand prince Vitold qui, bien
que catholique, s’intéressait beaucoup à ses sujets orthodoxes. Finalement, après
plusieurs tentatives infructueuses de convaincre le patriarche de sacrer un
métropolite pour le seul diocèse de Kiev, différent de celui de Moscou, Vitold
décida de passer outre les décisions de Constantinople et de faire élire un
métropolite par les seuls évêques de sa Principauté qui englobait, outre
l’Ukraine, aussi la Volhynie et la Podolie (1413, Union de Horodlo avec la
11
Ju. K. Begunov, « “Mučenie Ioanna Novogo” Grigorija Camblaka v sbornike pervoj treti
XV v. iz sobranija N. P. Likhačeva », Sovetskoe slavjanovedenie (1977), no 4, p. 48-56, avec fac-
similé de l’incipit du texte, p. 54.
12
M. Heppell, The ecclesiastical career of Gregory Camblak, Londres 1979 ; plus
récemment, F. J. Thomson, « Gregory Tsamblak. The man and the myths », numéro spécial de
Slavica Gandensia 25/2 (1998).
13
E. Turdeanu, « Grégoire Camblak : faux arguments d’une biographie », RÉS XXII
(1946), p. 46-81, critique du livre de A. I. Jacimirskij, Grigorij Camblak : očerk ego žizni,
administrativnoj i knižnoj dejatel’nosti, St-Petersburg 1904.
14
R. Constantinescu, « Un sermon anonyme et l’activité littéraire de Grégoire Camblak en
Moldavie », Études balkaniques 2 (1976), p. 103-113.
15
Cf. l’exposé clair et érudit de J. Meyendorff, Byzantium and the rise of Russia. A Study of
Byzantine-Russian relations in the fourteenth century, Cambridge 1981.
118
SAINT JEAN LE NOUVEAU
16
Cité par M. Heppell, op. cit., p. 58.
119
MATEI CAZACU
au patriarche. Que le monde ne dise donc pas : le prince Vitovt est d’une autre religion et il ne
s’occupe point de l’Église de Kiev, mère des églises russes, de même que Kiev est celle de toutes
les villes russes. De temps immémorial, les évêques ont eu le droit de nommer les métropolitains,
et sous le règne du grand prince Iziaslav, ils ont sacré Clément. Les Bulgares, plus anciens que
nous dans la religion chrétienne, ont un pontife particulier ; il en est de même des Serbes dont le
pays, sous le rapport de l’étendue et de la population, ne saurait être comparé aux États
d’Alexandre Vitovt. Mais à quoi bon parler des Bulgares et des Serbes ? Nous avons suivi le
règlement des Apôtres ; ils nous ont transmis comme à leurs disciples et successeurs, la puissance
du Saint-Esprit qui agit également sur tous les évêques. Toutes les fois qu’ils se rassemblent au
nom du Seigneur, les évêques peuvent, en tous lieux, élire un digne pasteur, choisi par Dieu Lui-
Même. Que des imprudents ne disent pas : séparons-nous d’eux, puisqu’ils se séparent de l’Église
grecque. Non ; nous conservons au contraire la tradition des Saints Pères, ennemis de toute
hérésie : nous respectons le patriarche de Constantinople et les autres, nos frères en religion ; mais
nous ne saurions admettre l’autorité illégitime que les empereurs grecs s’arrogent dans les affaires
ecclésiastiques ; car ce n’est pas le patriarche, c’est l’empereur qui nomme les métropolitains et
qui trafique ainsi de la dignité du souverain pontife ; c’est Manuel / Paléologue / qui, beaucoup
moins jaloux de la gloire de l’Église que de grossir ses trésors, nous a envoyé trois métropolitains
à la fois, Cyprien, Pimen et Denis. C’est dans de tels abus qu’il faut chercher la cause de tant de
dommages, de troubles, de meurtres même, et plus malheureusement encore la cause du
déshonneur de notre Métropole. C’est après avoir bien réfléchi qu’il ne convient pas à un
empereur laïc de vendre le rang de métropolitain que nous avons élu ce digne pasteur. Le 15
novembre 1415 »17.
17
Russkaja istoričeskaja biblioteka, VI, St-Pétersburg 1908, p. 310-314 ; nous avons
reproduit la version française de M. Karamzin, Histoire de l’Empire de Russie, V, trad. MM. St-
Thomas et Jauffret, Paris 1820, p. 274-278.
18
Voir le rituel de l’élection et de l’ordination des évêques russes de 1423 chez M.
Garzaniti, « La politica ecclesiastica della chiesa russa fra il XV o e il XVIo secoli. Commento al
ʹRito di elezione ed ordinazione dei vescovi’ », Studi e ricerche sull’Oriente Christiano X/1
(1987), p. 3-18, et notamment p. 9-10. À noter également les circonstances de l’élection du
métropolite Macaire de Kiev en 1495/6, chez N. M. Popescu, « Nifon II patriarhul
Constantinopolului », AARMSI, IIe série, XXXVI (1914), p. 777 et n. 5.
19
Russkaja istoričeskaja biblioteka, VI, no 39, p. 315-356, ici p. 322.
120
SAINT JEAN LE NOUVEAU
À la lumière de ce qui vient d’être dit, il nous paraît évident que parmi les
endroits où s’est rendu Tsamblak figurait aussi la Moldavie, ne fût-ce qu’en
raison de son voisinage avec la Lituanie et des bons rapports que Tsamblak
entretenait avec le vieux métropolite Joseph. Et on peut imaginer que c’est à
cette occasion qu’a eu lieu la translation des reliques de saint Jean de Vospro à
Suceava. Le scénario serait donc, à notre avis, le suivant : à une date
indéterminée, mais antérieure à juin 1414, Grégoire Tsamblak découvre
l’existence du martyre de Jean et vraisemblablement une Passion écrite
sûrement en grec, comme le fait remarquer Petre Ş. Năsturel. En effet, le littoral
de la mer Noire et la Crimée représentaient à l’époque une zone d’influence
polono-lituanienne ; les chefs tatars de Saray, comme Gelal-ed-Din en 1412,
Kibak khan en 1413, « Jeremferden » en 1417 et Ulug Mehmed en 1419 avaient
conclu des traités d’alliance avec Vitold20, et leurs possessions étaient incluses,
à partir toujours de 1412, dans le tronçon central de la route de commerce
intercontinental qui devait relier Vienne avec la Perse et la Chine21. Selon les
dires de l’historien polonais Jean Dlugosz, en cette même année 1415, lorsque
Grégoire Tsamblak se trouvait à Constantinople, l’empereur Manuel II
Paléologue et le patriarche Euthyme de Constantinople demandèrent au roi de
Pologne une aide frumentaire que ce dernier leur fit parvenir sur des bateaux
chargés dans le port de Očeakov (« in portu suo regio Kaczubyeiow »), près de
l’actuelle Odessa22.
La Crimée était donc une région accessible aux Lituaniens depuis 1405,
année de la mort de Timur Lenk, et par conséquent aussi à leurs alliés moldaves.
La question qui se pose maintenant est celle des motivations de la
translation des reliques de saint Jean. Ciprian Zaharia insiste avec raison sur
l’aspect de l’affirmation de l’indépendance de l’Église moldave vis-à-vis de
Constantinople par la canonisation de fait de Jean le Nouveau23 . Cette
hypothèse nous paraît correcte mais incomplète, car elle ne prend pas en compte
une dimension fondamentale, à savoir le rôle des reliques de prestige dans le
sacre des métropolites.
Pour cela, il faut revenir à la lettre, déjà citée, des évêques de Lituanie du
15 novembre 1415 :
20
B. Spuler, Die Goldene Horde. Die Mongolen in Russland 1223-1502, Wiesbaden 19652,
p. 148-154 ; idem, « Mittelalterliche Grenzen in Osteuropa », p. 158-159; R. Bächtold,
Südwestrussland im Spätmittelalter (Territoriale, wirtschaftliche und soziale Verhältnisse), Bâle
1951 ; M. Cazacu, « À propos de l’expansion polono-lituanienne », p. 105 et suiv.
21
Pour le cadre général, voir E. Malyusz, Kaiser Sigismund in Ungarn 1387-1437,
Budapest 1990, p. 116-117 ; voir aussi les contributions citées infra, n. 51.
22
M. Cazacu, op. cit., p. 107-8 et n. 32. Le 19 juillet 1415, on vendait pourtant à Catania du
blé de Russie : D. Ventura, « Grano russo nelle Sicilia del Quattrocento », Archivio storico
italiano 148 (1990), p. 793-806.
23
C. Zaharia, op. cit., p. 140-142.
121
MATEI CAZACU
24
Ipatievskaja letopis’ (1111-1305), éd. A. A. Sakhmatov, dans PSRL, II, St-Pétersburg
2
1908 , sub anno ; E. Golubinskij, Istorija russkoy Cerkvi, I/1, Moscou 1901, p. 305 ; ibidem, I/2,
Moscou 1904, p. 418.
25
B. de Khitrovo, Itinéraires russes en Orient, Genève 1889, p. 88 ; cf. P. Riant, Exuviae
sacrae Constantinopolitanae, II, Genève 1878, p. 218-230 ; M. Ehrhard, « Le Livre du pèlerin
d’Antoine de Novgorod », Romania 53 (1932), p. 44-65. Selon G. Podskalskij, Christentum und
theologische Literatur in der Kiever Rus’ (988-1237), Munich 1982, p. 48, « der genaue Sinn
dieses Rituals bleibt offen ».
26
PSRL, I/1, p. 121-122 ; PSRL, II, p. 101, Léningrad 19262. Pour les éditions et les
traductions en langues occidentales de la PVL, voir A. Berelowitch – M. Cazacu – P. Gonneau,
Histoire des Slaves orientaux des origines à 1689. Bibliographie des sources traduites en langues
occidentales, Paris 1998, p. 25-26.
27
P. Franchi de Cavalieri, La Legenda di S. Clemente papa e martire. Note agiografiche,
Rome 1915 (« Studi e testi », 27) ; Fr. Dvornik, Les Légendes de Constantin et de Méthode vues
de Byzance, Prague 1933, p. 190-197 ; P. Duthilleul, L’Evangélisation des Slaves. Cyrille et
Méthode, Tournai 1963, p. 44-51.
28
Cf. P. Boussel, Des reliques et de leur bon usage, Paris 1971, p. 142-144 (« Le
Précurseur »).
122
SAINT JEAN LE NOUVEAU
29
L. Bréhier, « L’Investiture des patriarches de Constantinople au Moyen Âge », dans
Miscellanea Giovanni Mercati, III, Vatican 1946, p. 368-372 ; V. Laurent, « Le rituel de
l’investiture du patriarche byzantin au début du XVe siècle », BSHAR XXVIII (1947), p. 218-
232 ; L. Bréhier, Les Institutions de l’Empire byzantin, Paris 1949 (« L’Evolution de l’humanité »,
XXXII bis), p. 479-482 ; H.-G. Beck, Kirche und theologische Literatur im Byzantinischen Reich,
Munich 1959, p. 60-62.
30
RIB, VI, p. 438-464 ; M. Garzaniti, « La politica ecclesiastica », p. 3-18.
31
Liber Diurnus Romanorum pontificum (ou Recueil des formules usitées par la
chancellerie pontificale du Ve au XIe siècle), éd. E. Rozière, Paris 1869, no LXXV, p. 157 ;
Dictionnaire de théologie catholique, XIII/1, sub voce, ici p. 690.
32
Migne, PL, 89, p. 585.
33
Mgr. A. Andrieu, Le Pontifical romain au Moyen Âge, I, Vatican 1941, p. 42, 47, 290 ;
ibidem, III, p. 379.
34
M. Garzaniti, « La politica ecclesiastica », p. 7-8.
123
MATEI CAZACU
impérial35, était emportée par les Croisés en 1204, ou bien cachée, car on la
retrouve au début du XVe siècle ; le corps du saint patriarche Germain Ier était
lui aussi emporté et la ville de Bort, en Corrèze, prétendait le posséder36.
Pourtant, ce qui compte vraiment dans cette circonstance n’est pas tant la
réalité des reliques citées, mais ce que croyaient savoir les évêques russes,
notamment qu’une relique prestigieuse pouvait suppléer le patriarche
œcuménique lors de l’investiture des métropolites. En 1415, la tête de saint
Clément (transférée par Iziaslav II Mstislavič de l’église de la Dîme à Sainte-
Sophie de Kiev) avait disparu, mais Grégoire Tsamblak devait connaître cet
épisode en lisant la chronique hypathienne. On est donc en droit de se demander
si, en procédant à la translation des reliques de saint Jean le Nouveau à Suceava,
Tsamblak ne préparait pas sa propre accession au trône métropolitain de la
Moldavie en prévision du décès du vieux métropolite Joseph. Mais, comme ce
décès n’intervint que pendant l’hiver de l’année 1415-1416, Tsamblak réussit à
se faire élire à Kiev, le 15 novembre 1415. En tout état de cause, on ne peut
s’empêcher de penser que l’installation des reliques à Suceava, en 1414-1415,
était une action destinée à assurer une plus large marge de manœuvre à l’Église
de Moldavie dans le choix de ses métropolites, hypothèse qui va dans le même
sens que celle de Ciprian Zaharia mentionnée plus haut.
En tout état de cause, l’acceptation par Alexandre le Bon du métropolite
nommé par l’empereur Manuel en 1416 – même si celui-là ne fut pas au début
reconnu par le patriarche Euthyme – cette acceptation d’un hiérarque nommé
par Constantinople prouve que l’essai de Tsamblak – si essai il y a eu – ne
s’appliquait qu’à sa personne. Son exemple ne fut pas suivi par le prince du
pays, afin d’éviter une répétition des troubles liés au choix du métropolite des
années 1395-1401 qui avaient marqué l’Église et la société moldaves dans leur
ensemble37.
35
K. N. Cigaar, « Une description de Constantinople traduite par un pèlerin anglais », RÉB
XXXIV (1976), p. 211 et suiv., p. 245 et suiv.
36
J. Ebersolt, Orient et Occident. Recherches sur les influences byzantines et orientales en
France pendant les croisades, II, Paris – Bruxelles 1929, p. 33 ; P. Riant, Exuviae sacrae
Constantinopolitanae, I, p. CXXIII ; ibidem, II, p. 65, 291 ; idem, « Des dépouilles religieuses
enlevées à Constantinople au XIIIe siècle », dans Mémoires de la Société nationale des
antiquaires de France, IVe série, VI (1875), p. 145.
37
Cf. V. Laurent, « Contributions à l’histoire des relations de l’Église byzantine avec
l’Église roumaine au début du XVe siècle », BSHAR XXVI/2 (1945), p. 165-184 ; idem, « Aux
origines de l’Église de Moldavie. Le métropolite Jérémie et l’évêque Joseph », RÉB V (1947), p.
158-170 ; idem, « Le trisépiscopat du patriarche Matthieu Ier (1397-1410) », RÉB XXX (1972), p.
5-166 ; E. Popescu, « Compléments et rectifications à l’histoire de l’Église de Moldavie à la
première moitié du XVe siècle », dans idem, Christianitas Dacoromana. Florilegium studiorum,
Bucarest 1994, p. 455-477.
124
SAINT JEAN LE NOUVEAU
38
Pour la doctrine proclamée à Pise (1409), à Constance (1414-1418), et à Bâle (1431-
1449), cf. A. Landi, Il papa deposto (Pisa 1409). L’idea conciliare nel Grande Scisma, Turin
1985 ; idem, Concilio e papato nel Rinascimento (1449-1516). Un problema irrisolto, Turin 1997.
39
Cf. I. Ševčenko, « Intellectual Repercussions of the Council of Florence », Church
History XXIV (1955), p. 291-323 ; P. Ş. Năsturel, « Quelques observations sur l’union de
Florence et la Moldavie », SOF XVIII (1959), p. 84-89 ; P. Chihaia, « In legătură cu absenţa
delegaţiei Ţării Româneşti la conciliul de la Ferrara-Florenţa (1438-1439) », GB XXXVII (1979),
p. 155-165 ; M. Păcurariu, Istoria Bisericii Ortodoxe Române, I, Bucarest 19912, p. 337-361.
40
M. Păcurariu, op. cit., p. 354-359 ; E. Popescu, op. cit.
41
A. Dumitrescu, « Une nouvelle datation des peintures murales de Curtea de Argeş.
Origine de leur iconographie », Cahiers archéologiques 37 (Paris 1989), p. 135-162.
42
R. J. Loenertz, La Société des frères Pérégrinants, I, Rome 1937, p. 125-130 ; J. Richard,
La papauté et les missions d’Orient au Moyen Âge (XIIIe – XVe siècles), Rome 1977, p. 231-233.
125
MATEI CAZACU
en toute propriété, tout comme les Génois à Caffa, avec comme seule obligation
de payer à ses représentants ou à ceux du khan Ouzbek une taxe de 3% sur la
valeur de leurs marchandises43.
Bien évidemment, Venise accepta ce somptueux cadeau, preuve
supplémentaire de l’existence d’une communauté vénitienne dans la ville. Des
travaux de fortification et d’embellissement de la cité ont dû être entrepris, car
le professeur Pallas déclarait, à la fin du XVIIIe siècle, que l’on voyait autrefois
un lion de saint Marc sur le fronton44.
Nous avons vu que Trébizonde, la patrie de Jean le Nouveau, faisait partie
de la nouvelle province ecclésiastique de Vospro telle que l’avait organisée Jean
XXII en 1333. Les liaisons commerciales entre les deux villes devaient être très
fortes, tout comme celle de Trébizonde avec Tana, l’autre colonie vénitienne de
la mer d’Azov, car les Vénitiens disposaient à Trébizonde depuis le XIIIe siècle
d’un puissant comptoir45. En effet, Trébizonde était devenue, depuis la fin du
XIVe siècle, le point de départ d’une route de caravanes reliant la mer Noire à
Tabriz, la nouvelle capitale des Ilkhans de Perse.
43
Voir l’acte du 13 mars 1341 : « Consiglio dei nobili uomini Andreolo Morosini, Colucio
Barbari ed Antonio Lorenzo deputati sopra il negozio del Vosporo e sopra la via a tenersi dagli
Ambasciatori che debbansi recare ad Usbek imperatore de’ Tartar ».
« Vedute le lettere destinate alla Signoria Veneta di Tolectamur, per le quali questi si offre
dare per dimora de’Veneti mercanti quel lido edificato nelle sue parti o da edificarsi, tenuti ed
avuti sopra di cio consiglio e deliberazioni solenni, considerato il comodo, e l’utile che il Comune
per ragione de’grani, e di mercanti per lo loro mercanzie ne ricavano continuamente, e possano in
avvenire ricavarne, e pel contrario riguardando ai danii ed ingiurie, che i Veneti dimoranti alla
Tana ricevano e risentirebbero contro ogni debito di ragione : laonde per evitare tali ingiurie e
pericoli qualunque siensi, detti sapienti concordemente sono di parere che per buona ventura si
accetti l’offerta pel detto Tolectamur fatta, e al nome di Cristo si accetti tutta la città e terra del
Bosforo, con ogni suo porto, e fuori lungo la strada di detta città, quanto a’detti ambasciatori parrà
conveniente, di guisa che detta terra e porto vengano in potestà, e governo di Venezia liberamente,
ed assolutamente siccome i Genovesi hanno e posseggono la terra di Caffa, e con quelli patti e
condizioni e giurisdizioni colle quali i Genovesi medesimi ritengono questa, laonde per ogni
introito ed uscita delle mercanzie, e di quelle altre cose che si rendessero, debbano i Veneziani,
pagare nel Vosporo per tutto il distretto di Tolectamur ai deputati dello stesso, o dell’imperatore
Usbech il solo tre per cento, nè altro comunque... » : M. C. Canale, Commentari storici della
Crimea, del suo commercio e dei suoi dominatori dalle origini fine ai di nostri, II, Gênes 1855, p.
447-448. Rappelons que le khan Ouzbek (Özbeg) avait permis aux Vénitiens en 1333 l’ouverture
d’un comptoir à Tana, voir M. Berindei – G. Veinstein, « La Tana-Azaq de la présence italienne à
l’emprise ottomane », Turcica VIII/2 (1976), p. 110-201.
44
W. Heyd, Histoire du commerce du Levant au Moyen Âge, II, Leipzig 1886, p. 184-185
(reprint A. M. Hakkert, Amsterdam 1967). Voir aussi, en plus des témoignages cités par Heyd,
celui de 1800 de E. D. Clarke, Voyages en Russie, en Tartarie et en Turquie, II, Paris 1812, p. 24-
34 (église grecque avec une inscription de l’an 757, icônes anciennes, manuscrits, inscriptions
antiques, lion de Venise ou de Gênes) et de J. Reuilly, Voyage en Crimée et sur les bords de la
mer Noire pendant l’année 1803, Paris 1806, p. 141.
45
W. Heyd, op. cit., II, p. 92-107 ; D. A. Zakythinos, Le chrysobulle d’Alexis III Comnène,
empereur de Trébizonde, en faveur des Vénitiens, Paris 1932 ; Fr. Thiriet, La Romanie vénitienne
au Moyen Âge, Paris 1975, p. 155, 162 ; S. P. Karpov, L’Impero di Trebisonda, Venezia, Genova
e Roma 1204-1461. Rapporti politici, diplomatici e commerciali, Rome 1986, p. 71-140.
126
SAINT JEAN LE NOUVEAU
46
S. P. Karpov, op. cit., p. 75-76.
47
W. Heyd, op. cit., p. 104, 187-198. Pour la guerre qui mit aux prises les Vénitiens et les
Génois unis contre le khan Djanibek (Ganibeg), entre 1343 et 1346, voir aussi Ş. Papacostea,
« “Quod non iretur ad Tanam”. Un aspect fondamental de la politique génoise dans la mer Noire
au XIVe siècle », RÉSEE XVII (1979), p. 201-218. Pour la reprise de la navigation des Génois,
voir M. L. Balletto, « Navi sul Mar Nero (1289-1290, 1343/4, 1361) », dans Genova,
Mediterraneo, Mar Nero (sec. XIII – XV), Gênes 1976, p. 125-157 ; pour celle des Vénitiens, voir
Fr. Thiriet, « Les Vénitiens en mer Noire. Navigation et trafics (XIIIe – XVe siècles) », dans
Arheion Pontou XXXV (1979), p. 38-53.
48
Pour le cadre général, voir O. Cristea, « Relansarea politicii veneţiene în spaţiul egeano-
pontic (1310-1332) », SMIM XVIII (2000), p. 27-44 ; G. I. Brătianu, Les Vénitiens dans la mer
Noire au XIVe siècle. La politique du Sénat en 1332-33 et la notion de latinité, Bucarest 1939
(« Études et recherches », XI).
49
C’est aussi la conclusion de A. Bryer – D. Winfield, Byzantine Monuments and
Topography of the Pontos, I, Washington 1985, p. 349 : « St. John the New of Trebizond...was
martyred by Mongols in about 1340 at the Cimmerian Bosphoros (Kertch)... which undoubtedly
lay in Trapezuntine Alania... ».
127
MATEI CAZACU
50
Ph. Bruun, Notices historiques et topographiques concernant les colonies génoises en
Gazarie, St-Pétersburg 1866, p. 41, 53 (« Mémoires de la Société impériale des Sciences de St-
Pétersburg », VIIe série, X, no 9) ; B. Spuler, op. cit., p. 314-315.
51
Ş. Papacostea, « Kilia et la politique orientale de Sigismond de Luxembourg », RRH XV
(1976), p. 425 ; idem, « Din nou cu privire la politica orientală a lui Sigismund de Luxemburg
(1412 », dans Ştefan Meteş la 85 de ani, Cluj 1977, p. 243-246, avec la bibliographie plus
ancienne.
52
Ş. Papacostea, « Kilia», p. 427-8. Sur les relations de la Moldavie avec la Pologne et la
Lituanie, voir C. Racoviţă, « Începuturile suzeranităţii polone asupra Moldovei (1387-1432) »,
RIR X (1940), p. 237-332 ; Fl. Constantiniu – Ş. Papacostea, « Tratatul de la Lublau (15 martie
1412) și situaţia internaţională a Moldovei la începutul veacului al XV-lea », SRI XVII (1964), p.
1129-1140. Les bonnes relations de Vitold avec Alexandre le Bon ressortent aussi d’une notice du
22 juin 1420 de l’évêque Gerasim de Vladimir en Volynie, publiée par A. Sobolevskij, « Zapis
načala XV veka », dans Čtenija v istoričeskom obščestve Nestora letopisca, IX, 1895, p. 219-222.
128
SAINT JEAN LE NOUVEAU
53
Voir aussi récemment Şt. Andreescu, « Note despre Cetatea Albă », SMIM XVIII (2000),
p. 57-77, sur l’ancienneté du comptoir génois de Moncastro et sur le privilège de commerce que le
prince Alexandre le Bon accorda aux Génois de Caffa, en 1409.
129
PRINCE, ÉTAT ET ÉGLISE EN VALACHIE
ET EN MOLDAVIE AUX XV e – XVIe SIÈCLES
132
PRINCE, ÉTAT ET ÉGLISE EN VALACHIE ET EN MOLDAVIE
VALACHIE
1
Nous nous sommes occupés de ces récits dans notre thèse de doctorat soutenue en 1979 à
l’Université de Paris I.
133
MATEI CAZACU
finalité différente : alors que dans les récits occidentaux (en allemand et en
latin) le prince valaque apparaît comme un tyran assoiffé de sang, dans l’aire
orthodoxe gréco-slave il est perçu comme un souverain cruel mais juste.
Ainsi, pour Laonikos Chalkokondyles (vers 1423 - vers 1470),
l’extermination de l’ancienne aristocratie valaque par Dracula obéissait à un
projet précis, « de sorte », écrit-il, « qu’en un rien de temps, la situation de la
Dacie (Valachie) en arriva à un grand degré de changement et les affaires
publiques connurent une révolution du fait de cet homme ». Cette révolution
devait être le prélude de la révolte contre la domination ottomane. En effet,
depuis 1417, la Valachie était tributaire de la Porte, qui s’était assurée le
contrôle du pays par l’occupation des principales forteresses roumaines de la
rive gauche du Danube. Les princes valaques avaient été vassaux des rois de
Hongrie depuis le début du XIVe siècle, une relation souvent houleuse que
devait renforcer le mariage de Dracula avec une parente du roi Matthias Corvin
(1458-1490).
Le récit russe sur Dracula (Skazanie o Drakule voevode), dû à la plume du
secrétaire princier Fedor Kuricyn (vers 1485), représente pourtant l’entreprise la
plus poussée pour restituer une vision cohérente des actions du prince valaque.
Une première idée qui se dégage de ce texte est l’égalité de tous les sujets
du prince devant la loi, idée qui constituait, aux dires de Kuricyn, le principe
suprême de gouvernement de Vlad :
« (Dracula) haïssait tant le mal dans son pays, que quiconque commettait un méfait, fût-ce
vol, brigandage, mensonge ou injustice, n’avait aucune chance de rester en vie. Nul, fût-il grand
boyard, prêtre, moine ou homme du commun, eût-il de grandes richesses, ne pouvait racheter sa
vie ».
134
PRINCE, ÉTAT ET ÉGLISE EN VALACHIE ET EN MOLDAVIE
l’épisode des moines catholiques mendiants. Interrogé par Dracula qui lui
demande s’il a bien fait d’empaler ses ennemis, le premier moine lui répond :
« Non, Seigneur, tu as mal agi, car tu punis sans merci. Il convient à un maître de se
montrer miséricordieux, et tous ceux que tu as empalés sont des martyrs ».
Le même souci de la majesté monarchique est visible dans les épisodes nos
1, 11 et notamment 12 que nous citons en entier :
« Dracula avait l’habitude suivante : si un ambassadeur venait chez lui, envoyé par
l’empereur (Mehmet II) ou par le roi (de Hongrie), et s’il n'était pas vêtu avec distinction, s’il ne
savait pas répondre à ses questions tortueuses, il l’empalait en lui disant : “Ce n’est pas moi le
responsable de ta mort, mais ton maître ou toi-même. Ne dis point de mal de moi. Si ton maître,
sachant que tu es un homme peu sensé et que tu es sans savoir, t’a envoyé chez moi, qui suis un
souverain très sage, alors c’est ton seigneur qui t’a tué ; mais si tu as osé y venir de toi-même,
sans t’être instruit, alors tu t’es tué toi-même”. Pour un tel apocrisiaire (ambassadeur) il faisait
planter un pal plus haut et entièrement doré, et il le fichait dessus. Et au souverain de cet
ambassadeur il écrivait entre autres choses ces paroles : “Ne plus envoyer en ambassade à un
souverain sage un homme à l’esprit faible et ignorant” ».
Dans l’épisode no 11, Vlad III, après avoir mis à l’épreuve un ambassadeur
du roi de Hongrie, reçoit la réponse suivante qui allait dans le sens des vues du
prince de Valachie :
« Sire, si j’ai commis un crime qui mérite la mort, fais ce que bon te semble, car tu es un
juge impartial et ce n’est point toi qui serais coupable de ma mort, mais moi seul ».
L’épisode des deux moines mendiants pose aussi le problème des rapports
du prince avec l’Église, problème présent également dans un autre épisode
relatant la combustion des pauvres et des infirmes. On se souvient que le
premier moine avait condamné la cruauté du prince envers ses adversaires et
avait déclaré que ceux-ci seraient des martyrs. La réponse du prince à ce propos
est cinglante :
« Pourquoi as-tu quitté ton monastère et ta cellule et vas-tu par les Cours des grands
souverains, étant un ignorant ? Tu viens de me dire que ces gens étaient des martyrs ? Je veux
également faire de toi un martyr afin que tu sois martyr à leurs côtés ».
135
MATEI CAZACU
« Sachez (dit-il à sa suite) que j’ai fait cela d’abord pour qu’ils ne soient plus un fardeau
pour les autres, et que personne ne soit plus pauvre dans mon pays, et pour que tous soient riches.
Deuxièmement, je les ai délivrés afin qu’aucun d’entre eux ne souffre plus en ce monde de
pauvreté ou de n’importe quelle infirmité ».
136
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MATEI CAZACU
MOLDAVIE
138
PRINCE, ÉTAT ET ÉGLISE EN VALACHIE ET EN MOLDAVIE
139
MATEI CAZACU
1475 et en 1476. Vingt ans après cette dernière bataille, perdue par les
Moldaves, Étienne construisit sur le site une église dédiée à l’archange (archi-
stratège, généralissime) Michel, église qui servait d’ossuaire pour les morts.
L’inscription apposée sur la façade est une véritable page d’histoire, tout comme
ce fut le cas pour l’église de Milişăuţi dédiée à Saint-Procope, un autre saint
militaire, en 1487.
Après la mort d’Étienne en 1504, son fils et successeur au trône Bogdan III
(1504-1517) envoya à Moscou un récit intitulé Histoire des frères Roman et
Vlakhata, ajouté à la fin d’une chronique brève de la Moldavie intégrée par la
suite dans les Annales du monastère de la Résurrection (Voskresenskaja
letopis) qui date des années 1542-1544, et dans d’autres recueils russes de
généalogies et de chronographes diverses. L’intérêt principal de ce texte, qui
retrace l’origine romaine des Moldaves et des Roumains en général, consiste
dans l’effort entrepris par l’auteur anonyme pour expliquer l’Orthodoxie des
Roumains, seul peuple latin à ne pas avoir embrassé le Catholicisme. Chassés de
Rome par les « nouveaux Romains » (catholiques), les « anciens Romains »,
descendants de Roman et Vlachata, sont colonisés dans le Maramureş, où ils
reçoivent des privilèges de la part des saints rois de Hongrie et notamment de
Vladislav qui était « le neveu du frère de l’archevêque Sabbas des Serbes et fut
baptisé par celui-ci, et il gardait la foi du Christ dans le secret de son cœur,
quoique d’après sa langue et la dignité royale il fût catholique ». Quelques
années plus tard, « un homme sage et vaillant issu d’entre eux », le voïévode
Dragoş, passa les montagnes du Maramureş en Moldavie et y fonda l’État
médiéval et la dynastie princière.
Ce mythe étiologique (à comparer à celui de Rome même chez Tite Live, I,
1) qui souligne l’origine latine des Roumains, et leur ténacité dans la défense de
la foi orthodoxe, a été sans doute rédigé vers 1513-1514, à une époque de
confrontation de la Moldavie avec ses voisins catholiques, la Pologne et la
Hongrie. Le récit s’inscrit aussi dans toute une série d’ouvrages de la fin du XVe
siècle et du début du siècle suivant, destinés à prouver l’origine romaine du roi
Mathias Corvin de Hongrie, des grands princes lituaniens, des Prussiens, de
l’empereur Maximilien de Habsbourg et, enfin, des grands princes de Moscou
de la dynastie des Rurikides. L’origine romaine constituait un élément
fondamental de la construction de la légitimité de ces monarques, à une époque
où l’empire des Habsbourg s’affirmait comme la plus grande puissance
européenne.
Une autre personnalité dont nous aurons à nous occuper en cette première
moitié du XVIe siècle moldave est le prince Pierre (Petru) Rareş (1527-1538,
1541-1546). Fils naturel d’Étienne le Grand, élevé dans un milieu bourgeois de
la ville de Hârlău, Pierre gagnait sa vie comme marchand entre la Moldavie,
l’Empire ottoman et la Transylvanie, lorsque la mort sans héritiers de son neveu,
Ştefan IV (Ştefăniţă) lui ouvrit la voie du trône princier. Lors de ses deux règnes
qui couvrent ensemble une période de seize ans, Pierre Rareş s’est manifesté
140
PRINCE, ÉTAT ET ÉGLISE EN VALACHIE ET EN MOLDAVIE
141
MATEI CAZACU
la guerre et la règle de vie de l’empereur, celui-là doit prendre (le récit de) La Prise de
Constantinople et la lire jusqu’au bout et il y trouvera toute l’aide de Dieu (tout ce que Dieu peut
lui fournir pour l’aider) ».
142
PRINCE, ÉTAT ET ÉGLISE EN VALACHIE ET EN MOLDAVIE
Bibliographie
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143
LA FAMILLE ET LE STATUT DE LA FEMME
EN MOLDAVIE (XIV e – XIXe SIÈCLES)*
Présentation, histoire
146
LA FAMILLE ET LE STATUT DE LA FEMME EN MOLDAVIE
Le cadre juridique
147
MATEI CAZACU
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LA FAMILLE ET LE STATUT DE LA FEMME EN MOLDAVIE
Le mariage
« Ensuite – écrit-il – ils appellent le prêtre, ou, si celui-ci est pris par d’autres obligations,
quelques vieillards du voisinage, devant lesquels les fiancés échangent les anneaux. Après cette
cérémonie, les parents cachent la fille et s’assoient pour un repas préparé d’avance d’où ils ne se
lèvent pas avant d’avoir décidé le jour du mariage ».
149
MATEI CAZACU
XIVe – XVe siècles, sur 75 personnes, tous ont une seule épouse ; au XVIe
siècle, sur 100 cas, deux seulement ont fait deux mariages, le reste ont eu une
seule épouse. Enfin, au XVIIe siècle, sur un total de 169 dignitaires, 29 ont eu
deux épouses et 7 ont contracté trois mariages, ce qui signifie que 89% ont eu
une seule femme.
La situation est tout aussi claire dans le cas des princes de ce pays, 45 en
tout, ayant régné entre 1347 et 1711 : on y rencontre 11 cas de remariage (deux
épouses), deux se sont mariés trois fois, et deux ont eu quatre épouses. Ceci
donne un pourcentage de 70% de mariages uniques, mais n’exclut pas les
concubines (ţiitoare) pour lesquelles nous sommes moins bien renseignés.
Les cas de quatre mariages datent un du début du XVe siècle (Alexandre le
Bon, 1400-1432) et le second de la fin du XVIIe (Constantin Cantemir, 1685-
1693) : ils ne semblent pas avoir rencontré une résistance notable de la part de
l’Église, beaucoup moins combative en Moldavie qu’à Byzance, par exemple.
Pour revenir à l’âge des époux, il est usuel qu’il soit à peu près égal : les
grandes différences d’âge rencontrées en Italie médiévale ou ailleurs sont
rarissimes en Moldavie avant le XVIIIe siècle.
Cent ans après Démètre Cantemir, le diplomate anglais William
Wilkinson, ancien consul de son pays à Bucarest, en Valachie, constate tout le
contraire dans son Tableau historique, géographique et politique de la Moldavie
et de la Valachie (Paris 18242) :
« Quand une fille a atteint l’âge de treize à quatorze ans, ses parents commencent à
s’occuper de lui trouver un mari. Ils n’attendent pas qu’on leur en fasse la demande, mais ce sont
eux qui offrent sa main, souvent à deux ou trois hommes à la fois, en faisant connaître le montant
et la nature de la dot qu’ils sont disposés à donner. La demande d’une dot plus considérable
devient l’objet d’une véritable négociation : on s’arrange enfin définitivement avec celui qui
paraît le moins exigeant.
On ne consulte jamais dans ces occasions les inclinations de la fille ; une trop grande
disproportion d’âge ou les défauts personnels du futur mari ne paraissent pas de nature à donner
lieu à la moindre objection... La fiancée n’a souvent jamais vu l’homme que ses parents ont
choisi ; et incapable à son âge d’avoir aucun jugement formé sur l’état de mariage, elle se soumet
à leur volonté avec indifférence » (p. 130-131).
150
LA FAMILLE ET LE STATUT DE LA FEMME EN MOLDAVIE
« Le caractère du beau sexe dans ces deux provinces (Valachie et Moldavie) est la douceur
même. Esclaves de leurs parents, de leurs maris, de leurs amants même, les femmes moldaves et
valaques ne reconnaissent d’autre loi, d’autre volonté suprême, que celle des hommes. Quoique
libres, elles ne sortent que fort rarement et jamais seules ; la paresse et l’ignorance profonde où
elles vivent sont vraisemblablement les causes de leur fidélité et de leur soumission...
Je ne crois pas qu'aucune femme, pas même les princesses régnantes aujourd’hui en
Moldavie et Valachie, sachent lire et écrire : les Grecs prétendent à cet égard que les femmes ne
doivent rien savoir que ce que leur mari veut leur enseigner. Les jeunes filles sont cachées aux
regards de tous les hommes jusqu’au moment où finit la cérémonie de leur mariage, et où elles
entrent dans le lit nuptial. Avant ce temps, elles n’ont d’autre occupation que celle de soupirer
après le mari qu’il plaira à la divine providence de leur envoyer : jusqu’à ce moment, elles ne
jouissent qu’en spéculation des plaisirs de l’amour et du délire de la volupté » (Jean-Louis Carra,
Histoire de la Moldavie et de la Valachie, Neuchatel 17812, p. 192-3).
« Les Valaques et les Moldaves épousent leurs femmes très jeunes ; ce sont les mères qui
les choisissent, attendu que les demoiselles sont cachées aux regards des hommes. Les mères ont
un très grand soin de la pudeur de leurs filles, et se croiraient déshonorées si les maris, ne les
trouvant plus vierges, venaient à les leur renvoyer ; elles sont très attentives de faire voir, après la
première nuit des noces, les signes de leur virginité ; mais après cette formalité, les mères et les
filles sont, en général, fort peu fidèles à leurs maris...
Les dames, qui aiment la vie oisive et à passer toute la journée en visite, permettent qu’on
leur fasse la cour ; mais au surplus il n’y a pas de pays où l’on se plaigne moins que dans ceux-ci,
et il faut que le scandale soit trop grand pour qu’on en parle. Dans le vulgaire il y a beaucoup de
libertinage et de débauche. Toutes les tavernes sont des lieux de prostitution » (I. Raicevich,
Voyage en Valachie et en Moldavie (1788), éd. fr., Paris 1821, p. 143, 147-8).
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MATEI CAZACU
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LA FAMILLE ET LE STATUT DE LA FEMME EN MOLDAVIE
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MATEI CAZACU
La dot
« Les parents ne marient jamais leurs filles, à quelque classe qu’elles appartiennent, sans
leur assigner une dot hors de proportion avec leurs propres moyens, et au grand détriment de leurs
enfants mâles, qui se trouvant eux-mêmes sans fortune assurée, considèrent le mariage comme un
moyen d’en acquérir une, et en font conséquemment un objet de spéculation. On ne s’occupe ni de
l’attachement, ni de l’estime que peut inspirer une épouse, mais uniquement de l’argent qu’elle
doit apporter » (W. Wilkinson, p. 130-131).
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LA FAMILLE ET LE STATUT DE LA FEMME EN MOLDAVIE
(rencontrée dès le début du XVIIIe siècle) – était égale aux parts d’héritage
reçues par les autres enfants. Cette égalité des filles avec les garçons face au
patrimoine commun rapproche les Moldaves des situations rencontrées avant
1100 en terre germanique et surtout celtique (R. Fossier). Qui plus est, la fille
mariée a un droit égal à celui de ses frères et soeurs célibataires, sur l’héritage
du couple parental, et ceci contrairement au cas de l’Europe occidentale après
1150. Ceci est très clair dans un cas moldave de 1458, lorsque dame Maruşca,
épouse de Andrieş Slujăscul, partage l’héritage parental avec ses frères et
soeurs.
Par la suite, ces partages, qui sont en même temps une forme de sortie de
l’indivision, se font plus fréquents au fur et à mesure que la documentation
écrite est plus abondante, et à chaque fois les femmes mariées (donc déjà
dotées) reçoivent des parts égales à celles de leurs frères et soeurs célibataires
ou non. Cette situation, sur laquelle nous allons revenir plus loin, s’explique par
l’existence de « la part de l’âme » (partea sufletului) que les parents gardent
pour eux jusqu’à leur mort, et qui est égale aux parts des enfants. Après la mort
des parents, cette part d’héritage est divisée à parts égales entre les héritiers.
Cette pratique entrait en concurrence avec une autre, rencontrée également en
Valachie, qui réservait la « part de l’âme » au cadet, seul héritier après la mort
des parents. En Moldavie on la rencontre au XVIIe siècle avec la précision qu’il
pouvait s’agir aussi bien d’une fille que d’un garçon, alors qu’en Valachie seuls
les fils héritaient des terres (avec quelques exceptions sur lesquelles nous ne
pouvons nous pencher ici).
Contrairement à la régle générale en Europe, la dot des filles nobles
moldaves était formée aussi bien de terres et immeubles, que d’argent, de bijoux
et d’autres valeurs. La dot était insaisissable, mais aliénable : ainsi, en 1473,
dame Ilca, la fille du sieur (pan) Petru Ponici, accepte de payer une composition
due par son père pour la mort d’un certain Andrica. Le fils de la victime accepte
un village comme prix de la composition, ceci alors que les deux pères étaient
décédés.
Selon le premier code de lois imprimé en Moldavie (Carte românească,
1646, chapitre 16), la dot de l’épouse revenait au mari en cas de séparation
causée par la femme, par sa mort naturelle, ou violente en cas de flagrant délit
d'adultère. Si le père de la mariée était encore en vie, la dot lui revenait.
Les actes et les autres sources indiquent en Moldavie une égalité totale
entre les époux. Les donations princières, et ce dès 1411, mentionnent souvent
les deux époux comme bénéficiaires : ainsi, le 22 septembre 1411, le prince
Alexandre le Bon donne à Şoldan Petru et à sa femme, « la fille du sieur (pan)
Giulea », à leurs enfants et au frère du mari, un village ; un deuxième village est
155
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LA FAMILLE ET LE STATUT DE LA FEMME EN MOLDAVIE
157
MATEI CAZACU
siècle. Au début, le phénomène est encore timide : 23 cas entre 1457 et 1504 ;
ensuite, il connaît une chute complète sous le règne de Bogdan III (1504-1517) :
0 cas, reprend entre 1517-1527 (15 cas) et enregistre une véritable explosion à
l’époque de Pierre Rareş et de ses deux fils et successeurs au trône : 72 cas entre
1527 et 1552. Par la suite, il reprend le rythme du début du XVIe siècle : 11 cas
entre 1552 et 1568, années qui correspondent (moins 1561-1563) au règne
d’Alexandre Lăpuşneanu.
Un autre aspect de la mémoire collective des relations de parenté, et qui
prouve également l’importance de l’ascendance féminine en Moldavie, est la
légitimité que tirent les princes des nouvelles dynasties (XVe – XVIIe siècles) de
leurs ancêtres féminins membres de la dynastie fondatrice de l’État au XIVe
siècle. Ainsi, Alexandre Lăpuşneanu (baptisé Petrea, donc Pierre) prend le nom
princier d’Alexandre et épouse la fille de Pierre Rareş qui aurait été, s’il était
vraiment descendant de Bogdan III comme il l’affirmait, sa propre cousine,
chose impossible même à l’intérieur de la famille princière. D’autre part, les
princes Movilă (Ieremia et son frère Simion) étaient les fils de la princesse
Marie, une autre fille de Pierre Rareş, ce qui légitimait leurs prétentions
princières. Au début du XVIIIe siècle, Nicolae Mavrocordat, un prince grec du
Phanar, commande une généalogie qui souligne le rattachement de sa mère à la
descendance d’Alexandre Lăpuşneanu, dont il a été question plus haut. Dans ce
dernier cas, la légitimité venait uniquement sur la ligne féminine, Lăpuşneanu
n’étant pas de toute évidence un bâtard princier, mais un simple boyard
ambitieux soutenu par un puissant parti régional.
Une situation similaire se rencontre au XVIIe siècle aussi en Valachie, où
plusieurs princes exhibent fièrement leur ascendance féminine par laquelle ils se
rattachaient à la dynastie des Basarab.
Les droits de la femme à l’intérieur de la famille sont respectés également
dans le domaine de la foi. Dans le cas des princes, nous constatons
qu’Alexandre le Bon (1400-1432) a eu deux épouses catholiques qui ont gardé
leur foi, tout comme ce fut le cas avec son fils Iliaş, dont l’épouse était la sœur
de la reine de Pologne. En sens inverse, on voit le prince Laţcu (†1375) se
convertir au Catholicisme, alors que son épouse et sa fille restent orthodoxes.
De même, Muşata (Margareta), la mère du prince Pierre Ier (1375-1391) se
convertit au Catholicisme, alors que les filles de Ieremia Movilă (1595-1606) et
de Vasile Lupu, mariées à des seigneurs polonais catholiques ou protestants,
gardent toujours leur foi orthodoxe.
Une fois mariées, les femmes quittent leur famille et entrent dans celle du
mari auquel elles sont dorénavant associées pour créer une nouvelle famille.
Ceci est visible notamment dans le cas des sépultures : bien que nos
informations dans ce domaine soient assez pauvres et tardives, on constate que
les épouses des princes et des grands dignitaires moldaves des XVe – XVIIe
siècles sont enterrées aux côtés de leurs maris dans la nécropole familiale qu’ils
construisent ou dont ils héritent en ligne masculine. C’est notamment le cas de
158
LA FAMILLE ET LE STATUT DE LA FEMME EN MOLDAVIE
Le divorce
159
MATEI CAZACU
Les enfants
L’étude du groupe des grands dignitaires des XIVe – XVIIe siècles que
nous avons déjà entreprise pour connaître la nuptialité des Moldaves, nous
permet également de connaître le nombre de leurs enfants. Ainsi, sur 75
dignitaires des XIVe – XVe siècles ayant eu des enfants, 38, donc 50%, ont un
seul enfant; 1,4 (un peu moins de 19%) en ont deux ; 12 ont eu trois enfants ; 4
ont eu 4 enfants ; 2 seulement ont eu 5 enfants ; un seul couple a eu,
respectivement, 6, 7, 8 et 11 enfants. En tout 160 enfants, ce qui donne une
moyenne de 2,1 enfants par couple dans une estimation haute qui ne prend en
compte que nos connaissances, bien lacunaires en l’occurrence, et exclut les
dignitaires sans enfants dont il sera question plus loin lors de l’essai d’une
estimation basse.
Pour le XVIe siècle, un peu mieux connu, le groupe en question compte
100 personnes ayant eu des enfants, qui ont donné naissance au total à 220
enfants, soit une moyenne de 2,2 enfants par couple dans une estimation haute.
37 ont eu un seul enfant ; 11 ont eu 2 ; 14 couples ont eu 3 enfants ; 8 ont donné
naissance à 4 enfants ; 6 ont eu 5 enfants ; 5 couples ont eu 6 enfants chacun ;
enfin, un seul couple a eu, respectivement, 7, 8 et 12 enfants.
Au XVIIe siècle, 169 dignitaires ont donné naissance à un total de 504
enfants, donc une moyenne de 3 enfants par père : 20 couples ont eu un seul
enfant ; 22 couples en ont eu 2 ; 36 couples ont eu 3 enfants ; 19 ont donné
naissance chacun à 4 enfants ; 14 en ont eu 5 ; et 8 couples ont eu 6 enfants :
119 dignitaires ont eu ainsi de 1 à 6 enfants, alors que 50 ont donné naissance à
7 jusqu’à 12 enfants comme suit : 8 ont eu 7 enfants ; 5 ont eu 8 enfants ; un
seul a eu 9 enfants ; 4 en ont eu 10, 2 couples ont eu 11 enfants et un seul a eu
12 enfants.
Enfin, 46 princes ont donné naissance entre 1347 et 1711 à 167 enfants
connus, ce qui donne une moyenne de 3,6 enfants par prince. Les maxima sont:
14 enfants pour Alexandre Lăpuşneanu avec une seule épouse ; 11 enfants pour
Alexandre le Bon avec quatre épouses légitimes et une concubine ; 10 enfants
pour Bogdan III (1504-1517), issus de deux épouses légitimes et de deux
concubines, et Démètre Cantemir, avec deux épouses ; 9 enfants pour Étienne le
Grand (1457-1504), avec trois épouses et une concubine ; 8 pour Ieremia
Movilă avec une seule épouse. Cinq princes n’ont pas eu d’enfants.
160
LA FAMILLE ET LE STATUT DE LA FEMME EN MOLDAVIE
161
MATEI CAZACU
Le groupe familial élargi qui exerçait son droit de propriété sur les terres et
les villages asservis était composé, comme nous l’avons vu, d’hommes et de
femmes qui se partageaient à égalité, selon leur degré de parenté, les revenus de
ces biens. Alors qu’en Valachie les chefs de ces groupes étaient généralement
des hommes, on constate, en Moldavie, que les familles étaient souvent régies
par des veuves, fréquemment associées en « consorteries » féminines avec leurs
soeurs célibataires, phénomène rencontré également dans la Francia au IXe
siècle (Y. Bessmertny, cité par P. Toubert).
Tel semble être le cas présent dans les documents suivants :
- en 1469, une confirmation princière pour un partage de biens entre sire
(pan) Toader Zvâştală et ses trois sœurs : le frère reçoit le village de l’ancêtre,
où se trouvait également sa maison, alors que les trois soeurs reçoivent
ensemble un village voisin, sis sur la même rivière. Il s’agissait donc d’un bien
patrimonial composé de deux villages voisins dont l’exploitation est séparée par
cette sortie d’indivision partielle qui crée un groupe familial formé de trois
soeurs (célibataires ? veuves ?) ;
- le 11 août 1479, le prince confirme la propriété totale de deux villages à
deux soeurs, Anuşca et Maria, les filles de Camarin, le premier propriétaire ;
- lors du partage, le 12 mars 1532, de deux villages entre trois groupes
d’héritiers, nous constatons que deux groupes sont formés uniquement par des
femmes qui reçoivent des parts égales : une femme seule d’une part, deux
soeurs d’autre part ;
162
LA FAMILLE ET LE STATUT DE LA FEMME EN MOLDAVIE
Bibliographie
Les chartes internes de la Moldavie ont été éditées dans deux importantes collections : DIR, A,
Moldova (1384-1625), 11 vol., Bucarest 1951-1957 ; DRH, A, Moldova (1384-1504), 3 vol.,
Bucarest 1975-1980 ; ibidem (1626-1636), 4 vol., Bucarest 1969-1996.
Cantemir D., Descrierea Moldovei, éd. Gh. Guţu et alii, Bucarest 1973.
Fotino G., Contribution à l’étude des origines de l’ancien droit coutumier roumain, Paris 1926.
Fotino G., Contribuţiuni la studiul regimului succesoral în vechiul drept, Craiova 1927.
Gonţa A. I., « Femeia şi drepturile ei la moştenire în Moldova, după “obiceiul pământului” »,
AIIAI XVII (1980), p. 597-602.
Gonţa A. I., Satul în Moldova medievală, Bucarest 1986.
Iorga N., Anciens documents de droit roumain, I-II, Paris – Bucarest 1930.
Mototolescu D., Privilegiul masculinităţii, Cluj 1915.
Mototolescu D., Darurile dinaintea nunţii în vechiul drept românesc comparat cu cel romano-
bizantin şi slav, Bucarest 1921.
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Negulescu P. P., « Divorţul în vechiul drept român », Revista de drept şi sociologie I (1898), p.
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Popescu Α., « Instituţia căsătoriei şi condiţia juridică a femeii din Ţara Românească şi Moldova în
sec. XVII », SRI XXIII (1970), p. 55-80.
Popovici G., « Ordinea de succesiune în moşiile donative moldovene în secolul XIV », dans
Omagiu lui D. A. Sturdza, Bucarest 1903, p. 355-372.
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Săvoiu E., Contribuţiuni la studiul succesiunii testamentare în vechiul drept românesc, Craiova
1942.
163
MATEI CAZACU
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XVII, Bucarest 1971.
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Tarnoviceanu I., « Adopţiunea în vechiul nostru drept », Arhiva XXV (1914), p. 231-256.
Pour les autres auteurs cités (H. Brésc, E. Patlagean, P. Toubert, etc.), consulter :
Burguière A. et alii (éds.), Histoire de la famille, Paris 1986 : Armand Colin (réédition en 3
volumes, collection « Références », 1995).
164
LA MORT INFÂME
DÉCAPITATION ET EXPOSITION
DES TÊTES À ISTANBUL (XV e – XIXe SIÈCLES)
La mise à mort
La mise à mort, publique ou à huis clos, d’un sujet du sultan ottoman est,
par définition, une mort infamante, comme le notait en 1747 le juriste Jean-
Antoine Guer :
« Les Grands de la Porte, les officiers du Grand Seigneur ou de l’Empire sont ordinairement
poignardés ; quelquefois on les étrangle avec un cordon de soie ou avec la corde d’un arc ;
souvent on coupe la tête ou on l’étrangle indifféremment. Avoir la tête tranchée est une mort
infâme, mais la plus commune ; elle n’est en usage que pour les gens de néant et les esclaves
[c’est nous qui soulignons – MC]. Les différents crimes sont punis en Turquie par des supplices
différents. Le vol conduit à la potence... On empale les assassins et ceux qui se font coupables de
crimes plus énormes. Un criminel doit être empalé et est conduit sur un chariot à une des places
de Constantinople ; là on le met sur une espèce de pieu pointu... »1.
Quelque trois siècles plus tôt, vers 1475, le Génois Iacopo de Promontorio
de Campis énumérait toute une série de modes de punition usités par Mehmed II
en insistant sur la prédilection que le sultan avait pour l’empalement. À la
lecture de ce texte, on peut tirer la conclusion qu’il n’y avait pas, au moins au
XVe siècle, de peine spécifique pour un délit donné ou de différence de peine
selon la position sociale du coupable. Le seul critère d’application des peines –
du moins aux yeux d’un Occidental – restait le bon vouloir du sultan2 .
Nous nous proposons de traiter de cette mise à mort « infâme » mais
commune qu’est la décapitation, en abordant en outre cet élément
supplémentaire que fut l’exposition des têtes devant la porte du palais impérial
d’Istanbul.
1
J.-A. Guer, Mœurs et usages des Turcs, leur religion, leur gouvernement civil, militaire et
politique, II, Paris 1747, p. 160-161 ; P.-H. Stahl, Histoire de la décapitation, Paris 1986, p. 69.
2
F. Babinger, Die Aufzeichnungen des Genuesen Iacopo Promontorio de Campis über den
Osmanenstaat um 1475, Munich 1957, p. 89-92 (« Bayerische Akademie der Wissenschaften,
Philosophisch-historische Klasse, Sitzungsberichte, Jhg. 1957 », Heft 8). Voir aussi, à la même
époque, l’énumération des peines infligées par le prince de Valachie Vlad III dit l’Empaleur (ou
Dracula) chez M. Cazacu, L’histoire du prince Dracula en Europe centrale et orientale au XVe
siècle, Genève 1988.
MATEI CAZACU
Mais une autre conclusion se dégage de l’étude des cas de décapitation, qui
va nous préoccuper également dans la présente étude, à savoir leur possible
caractère rituel. Voici ce qu’écrit P.-H. Stahl à ce sujet :
« Les sacrifices humains étaient disparus de l’Europe depuis longtemps. Chez les Turcs,
même si on ne peut point parler d’un sacrifice humain caractérisé, certaines décapitations le
rappellent étrangement. Ainsi, la mise à mort solennelle des prisonniers après un combat, devant
la tente du sultan ; ou encore, les têtes envoyées au centre politique et religieux du pays, qui ont
un caractère évident d’offrande ».
Après avoir attiré l’attention sur le fait que ces offrandes concernent
uniquement les têtes d’hommes, jamais celles de femmes ou d’enfants, P.-H.
Stahl s’interroge sur la place que joue la religion de la victime dans ces rituels,
et conclut :
« Phénomènes politiques en même temps que rituels, la décapitation et les pratiques en
rapport avec le crâne peuvent rarement être interprétées exclusivement comme politiques ou
comme rituelles, car dans la grande majorité des cas il s’agit de motivations complexes ; une
même tête est coupée pour se défendre d’un ennemi, pour accomplir un acte de justice, pour
éliminer un adversaire politique, pour effrayer l’ennemi, mais dans le cadre d’un rituel, à chaque
fois que cela est possible, et finit comme offrande auprès du centre spirituel de l’empire ou du
pays. Des aspects en rapport avec la mort et son rituel viennent s’y ajouter et il est bien souvent
malaisé de démêler dans cet ensemble l'interprétation la plus proche de la vérité » (p. 188-189).
Dans les pages qui suivent nous allons étudier les cas de décapitation et
d’envoi à Istanbul de têtes de princes roumains de Valachie et de Moldavie,
mais aussi de personnalités ottomanes, et d’exposition publique de ces têtes. Le
caractère mixte, politique et rituel, de cette cérémonie ressort très clairement des
soins prodigués à la conservation et au transport de la tête, de son identification
par le sultan (quand il s’agit d’un prince roumain), de la place qui lui est
assignée pour être exposée devant le palais impérial, de la durée de cette
166
LA MORT INFÂME
C’est une grave menace qui pèse sur un condamné à mort que d’avoir son
corps jeté dans la mer, comme ce fut le cas aussi bien en 15904 que, plus tard,
aux XVIIIe et XIXe siècles, quand les cadavres de hauts personnages décapités
devant la porte du palais impérial connurent ce sort. Lors de la mise à mort
d’Ali, pacha de Jannina, en 1822, un des pachas turcs venu lui annoncer la
décision du sultan, lui dit : « Eh bien [...], soumettez-vous au destin ; faites vos
ablutions, votre prière à Dieu et au Prophète ; votre tête est demandée »5.
La prière est obligatoire même dans le cas d’un brigand décapité à Istanbul
en 1672, et elle fait partie du rituel de la mort au même titre que la coiffure des
musulmans qui se rasent le crâne à l’exception d’une mèche de cheveux afin
d’éviter que le bourreau ne souille la tête coupée en mettant ses doigts dans la
bouche du mort pour transporter ou exposer sa tête6.
Dans les préparatifs pour la décapitation, il est nécessaire, si l’on veut
suivre le rituel, de déshabiller le condamné qui reste en caleçon ; P.-H. Stahl
pense qu’il s’agit d’une nécessité pratique, les vêtements pouvant gêner la
décapitation, comme en Occident, où les condamnés voyaient leur col de
chemise coupé et les cheveux rasés sur la nuque7.
Pour les hauts personnages musulmans, la strangulation précède la
décapitation ; « la loy », écrit Jean-Baptiste Tavernier, « ne voulant pas que hors
la guerre on répande le sang d’un musulman »8. La vieille tradition de ne pas
verser le sang d’un prince de la dynastie des Gengiskhanides est présente
également chez les Mongols et on la rencontre souvent chez les Ottomans, d’où
3
P.-H. Stahl, op. cit., p. 51.
4
Hurmuzaki, Documente, III/l, no 117, p. 133, no 118, p. 134. Voir aussi, plus loin, le cas de
Pierre Boucle d’Oreille et P.-H. Stahl, op. cit., p. 49-51.
5
A. de Beauchamp, Vie d’Ali pacha, visir de Jannina, Paris 1822, p. 345.
6
P.-H. Stahl, op. cit., p. 56-57.
7
Ibidem, p. 54.
8
Ibidem, p. 53-55, 69-70.
167
MATEI CAZACU
Cette observation est confirmée par les mises à mort des princes roumains
Grégoire Alexandre Ghica de Moldavie, en 1777, et Constantin Hangerli de
9
Lettres du baron de Busbec, I, par M. l’abbé de Foy, Paris 1748, p. 227 ; cf. aussi p. 89-
90, 250-251 (lettre du 14 juillet 1556).
10
J. von Hammer, Histoire de l’Empire ottoman, VIII, trad. J.-J. Hellert, Paris 1837, p. 28-
29 ; voir aussi C. D. Rouillard, The Turk in French History, Thought and Literature (1520-1660),
Paris 1940, p. 253 et n. 1, p. 263.
11
S. Schweiger, Neue herausgegebene Reissbeschreibung nach Constantinopel und
Jerusalem, Nuremberg 1665, p. 88.
12
E. Abesci, État actuel de l’Empire ottoman, II, Paris 1792, p. 75-76.
168
LA MORT INFÂME
Valachie, en 1799, dont il sera question plus loin. On peut donc constater qu’il
n’y a pas de changement dans la manière de concevoir la mort infamante au
XVIIIe siècle : pourtant, la strangulation, suivie ou non de décapitation, est
pratiquée plus souvent que la simple décapitation suivie de l’exposition
publique des têtes. Ainsi, le kethüda Osman, l’« âme de la politique ottoman »,
selon Hammer, est victime, en août 1737, de la mise à mort traditionnelle :
« Il fut étranglé, (ensuite décapité), puis la peau de son visage fut arrachée et envoyée à
Constantinople, où ce masque sanglant demeura plusieurs jours exposé sur des crocs à l’entrée du
Sérail »13.
13
A. Vandal, Une ambassade française en Orient sous Louis XV. La mission du marquis de
Villeneuve, 1728-1741, Paris 1887, p. 296-297.
14
J. Porter, Observations sur la religion, les lois, le gouvernement et les mœurs des Turcs,
Londres 1769, p. 100-112.
15
P.-H. Stahl, op. cit., p. 97.
16
F.-C.-H.-L. Pouqueville, Histoire de la régénération de la Grèce, II, Paris 1824, p. 12 ;
P.-H. Stahl, op. cit., p. 218, frag. 174.
169
MATEI CAZACU
1714 avec ses quatre fils et son conseiller ; il en alla de même du corps du grand
drogman Alexandre Ghica, mort en 1741, et de celui du prince moldave
Grégoire Callimaky, exécuté en 1769. Le corps du prince valaque Constantin
Hangerli, décapité à Bucarest en 1799, reste nu, vêtu d’un seul caleçon, exposé
dans la cour princière ; le kapıdjı qui avait organisé la décapitation obtient, sous
la menace de brûler le cadavre, une grosse somme d’argent de la part de la
veuve du défunt qui peut être enfin enterré17.
Un dernier mot sur les yafta, ces écriteaux apposés près des têtes dont nous
avons connaissance à partir de 1757. Nous avons pu recueillir le texte de treize
yafta que nous publions en annexe de cette étude et qui s’échelonnent entre
1757 et 1822. Leur contenu n’a pas fait, à notre connaissance, l’objet d’une
recherche systématique. D’autre part, il est peu probable que de tels textes aient
été conservés dans les archives ottomanes, car en règle générale ils étaient jetés
en même temps que les têtes au bout de quelques jours d’exposition. Le cas de
celui accompagnant la tête d’Ali Pacha de Jannina (no 10) est exceptionnel et
nous devons à la curiosité de Robert Walsh d’en avoir une reproduction en
facsimilé et une traduction. Leur contenu devra être comparé à celui des fetwa
(consultations juridiques), là où celles-ci ont existé. Le style est impersonnel, les
accusations varient – tantôt précises, tantôt vagues – mais il y est fait toujours
allusion à la générosité du sultan et aux multiples méfaits du condamné, maintes
fois pardonné mais toujours relaps et récalcitrant. Il est indubitable que les yafta
représentent un effort de justification des décisions du sultan afin d’écarter tout
soupçon d’arbitraire. Comme tels, ils occupent une place à part dans la
littérature juridique ottomane des XVIIIe – XIXe siècles et devront être étudiés
plus en détail par les spécialistes du droit, notamment par les pénalistes.
On peut dater la fin des pratiques de décapitation et d’exposition des têtes à
Istanbul en 1828, lors de la guerre russo-turque. La décision appartient au sultan
Mahmud II (1808-1839) et elle a été décrite en termes pittoresques par un
voyageur anglais, Charles MacFarlane :
« Dans les premiers jours des hostilités, un poste avancé des Russes, au nombre de trente
hommes, fut surpris par un corps nombreux de beslis (beşli), ou cavalerie légère. Les Turcs les
massacrèrent sans pitié et leur coupèrent les oreilles pour les envoyer à Constantinople. Les
oreilles chez les Turcs, comme les chevelures chez les Indiens, étaient autrefois d’illustres
trophées ; mais ces présents n’étaient point du goût de Mahmoud : il reprouva cet usage dans les
termes les plus exprès, et ordonna sous peine de mort aux Musulmans de traiter les prisonniers
17
Voir infra. Parfois les têtes ont leur propre sépulture, séparée de celle du corps. C’est le
cas, notamment, de la tête du prince de Valachie, Michel le Brave (Mihai Viteazul, 1593-1601),
assassiné en Transylvanie sur ordre du général impérial Georges Basta. Un fidèle lui coupe la tête
et la fait enterrer au monastère valaque de Dealu, près de Târgovişte, sous une pierre avec
inscription : cf. N. Iorga, Inscripţii din bisericile României, I, Bucarest, 1905, no 196, p. 99.
D’autres cas au XIXe siècle chez J.-L. Bacqué-Grammont – H.-P. Laqueur – N. Vatin, « Stelae
turcicae (I) », Istanbuler Mitteilungen 34 (1984), no D 14 (3 avril 1824) ; H.-P. Lacqueur,
Osmanische Friedhöfe und Grabsteine in Istanbul, Tübingen 1993, p. 82, 95-104 (« Istanbuler
Mitteilungen », 38).
170
LA MORT INFÂME
russes comme les Russes traiteraient les leurs ; il ne voulait qu’on coupât ni oreilles, ni têtes, mais
qu’on envoyât les captifs à Constantinople [c’est nous qui soulignons – MC]. Cette conduite, qui
fait honneur au sultan, justifie l’éloge qu’il se donna une fois en disant qu’il avait pris place au
nombre des souverains des pays civilisés d’Europe, et qu’il saurait s’y maintenir. Mais les anciens
usages d’une nation ne tombent point tout à coup devant le décret d’un roi ni même d’un despote.
Lorsque les Turcs, reprenant courage, eurent des victoires à raconter ou à inventer à
Constantinople, ils accompagnèrent toujours la nouvelle d’un cortège de preuves sanglantes, et les
oreilles coupées reprirent faveur. Un matin, mon ami le chibookji (çubukçu), cet homme qui
devait égorger sa femme et ses enfants si les Russes venaient à s’approcher de Stambool, nous dit
très sérieusement qu’on avait gagné une grande bataille, et qu’un Tartare était arrivé pendant la
nuit avec un sac plein d’oreilles, et il y avait un si grand nombre que le chibookji n’osait en parler,
de peur de faire suspecter sa véracité. Malheureusement pour les Russes, il n’y avait pas que les
nouvellistes de Stambool qui leur coupassent les oreilles. En dépit des ordres des pachas et des
bimbashis (binbaşı), un grand nombre de leurs sauvages soldats ne résistaient point à la tentation
d’égorger et de dépouiller les blessés lorsqu’ils n’étaient point observés ; et quoique la Capitale ne
fît plus de demandes d’oreilles, ils les coupaient par habitude et pour leur satisfaction particulière.
À une époque plus avancée de la saison, je vis un malheureux prisonnier à qui on avait coupé une
oreille sans le tuer. Un grand nombre de Turcs, et entre autres mon chibookji, prétendaient que
c’était un péché que de prendre sous sa protection de viles giaours qui envahissaient sans
provocations l’empire musulman.
– Fort bien, disait un jour le vieux marchand de pipes, qui se trouvait avec deux ou trois
Osmanlis chez M. Z., fort bien ! nous ne pourrons plus couper la tête des pezavenks (pezevenk)
quand nous en trouverons l’occasion ; nous ne pourrons plus les réduire en esclavage, quoique le
saint Prophète nous ait autorisés à le faire, et qu’il ait déclaré que les captifs du sabre étaient la
propriété de celui qui les prenait.
– Non, ajouta un de ses compagnons : auriez-vous vu un impure Moscovite tuer votre fils
ou votre frère dans la bataille, si vous le faites prisonnier ensuite, il faudra remettre le yatagan à
votre ceinture et le prier poliment de passer son chemin. Ne demandez point le sang pour le sang ;
ne parlez point des liens d’amitié ou de famille. Vous ne pouvez pas même couper les oreilles du
karata. Bosh ! bosh !
– Et lorsqu’ils viendront à Stambool, reprit le caustique chibookji, j’ai entendu dire que,
comme le bagne n’est pas une demeure digne d’eux, le sultan les logera dans le sérail et les
nourrira de pilaff et de kibaubs (kebâb). Ils finirent par décider, à l’unanimité, que depuis les
nouveaux règlements il n’y avait plus de plaisir à aller à la guerre, et ils résolurent, pour leur part,
de les violer la première fois que l'occasion s’en présenterait. Quoi qu’il en soit, je n’imagine pas
qu’il y eût un seul d’entre eux qui fût prédestiné à être un grand coupeur d’oreilles »18 .
18
Charles MacFarlane, Constantinople et la Turquie en 1828, II, Paris 1829, p. 95-98.
19
Voir les cas cités par P.-H. Stahl, op. cit., passim.
171
MATEI CAZACU
20
Ibidem, p. 191, frag. 3. Pour une discussion détaillée des sources, voir D. M. Nicol, The
Immortal Emperor. The Life and Legend of Constantine Palaiologos, Last Emperor of the
Romans, Cambridge 1992, p. 76-94.
21
Jacob Unrest, Österreichische Chronik, éd. K. Grossman, Weimar 1957, p. 68
(« Monumenta Germaniae Historica, Sériés Scriptorum », n.s., XI).
172
LA MORT INFÂME
2. Lors des luttes pour le trône de Valachie, le clan des puissants boyards
Craiovescu renverse le prince Vladislav III installé par Mehmet Bey Mihaloğlu
de Nicopolis (Niğbolu), et le remplace, en octobre 1523, par Radu Bădica, un
prince issu de leur famille. En janvier 1524 (entre le 19 et le 24), Soliman le
Magnifique lui envoie l’étendard et les insignes princiers, apparemment
convaincu de la légitimité du nouveau prince par une délégation de boyards
venus plaider sa cause à la Porte. Lorsque Radu Bădica rencontre la délégation
ottomane, il est décapité. Une lettre de son successeur au trône adressée au
conseil municipal de Braşov [Kronstadt, en Transylvanie] précise ce qui suit :
« J’informe vos Seigneuries sur les affaires de Bădica et croyez-moi que c’est la vérité :
lorsque les Turcs sont arrivés avec l’étendard, Bădica est sorti à leur rencontre et devant
l’étendard ; alors les Turcs l’ont décapité lui et tous les boyards qui se trouvaient avec lui. Et les
Turcs ont pris ensuite la tête de Bădica et les têtes des autres boyards, mais j’ignore à qui
appartenaient ces têtes ; et les boyards Giura, le gouverneur (de la forteresse de Poienari) et
Oancea de Batiu, qui s’étaient rendus à la Porte, et le logothète [chancelier] Radu, fils de Maţil,
ont eux pris peur et se sont enfuis... et ont envoyé un homme à Ma Seigneurie me disant qu’ils
ignoraient tout du projet [de décapitation] ; et lorsqu’ils sont partis de la Porte avec l’étendard, ils
l’ont apporté au nom de Bădica et ont appris la nouvelle seulement après les événements.
Et les Turcs, après avoir décapité Bădica et les boyards, sont retournés à Giurgiu et ont
envoyé la tête de Bădica et deux autres têtes à la Porte : et j’ai pris moi-même le corps de Bădica
et suis allé au monastère de Dealu et je l’ai enterré là-bas »23.
22
Antonio Bonfini, Rerum Hungaricarum decades, III, éds. I. Fogel, B. Ivanyi, L. Juhasz,
Leipzig 1936, 1. III, 291, p. 243. La discussion des sources chez M. Cazacu, op. cit., p. 17 et n.
68, 69. La sépulture du prince se trouve à Snagov, près de Bucarest et a été fouillée dans les
années 30 de ce siècle : cf. D. V. Rosetti, Săpăturile arheologice de la Snagov, Bucarest 1935. La
tombe du prince se trouvait au centre de l’église et non pas devant les portes impériales, comme
l’affirmait une vieille tradition enregistrée au siècle dernier par Alexandre Odobescu.
23
I. Bogdan, Documente şi regeste privitoare la relaţiile Ţării Româneşti cu Braşovul şi
Ungaria în secolul XV şi XVI, Bucarest 1902, no 168, p. 171-172.
24
Cité par N. Stoicescu, Radu de la Afumaţi, Bucarest 1983, p. 141-142. L’inscription de la
pierre tombale chez T. Palade, Radu de la Afumaţi, Bucarest 1939, p. 65. Une reproduction photo
173
MATEI CAZACU
de la pierre qui représente le prince à cheval, une masse d’armes à la main, une grande croix au-
dessus de lui, et une longue inscription énumérant ses batailles contre les Turcs, véritable page
d'histoire, chez V. Brătulescu, Frescele din biserica lui Neagoe de la Argeş, Bucarest 1942, p. 10,
fig. 5, et p. 15.
25
L’inscription de la pierre tombale porte la date du 4 janvier 1529, qui est celle
d’enterrement.
26
Johannes Sommer, Vita Jacobi Despotae Moldavorum reguli, Deux vies de Jacques
Basilicos, chez É. Legrand, Paris 1889, p. 268 ; P.-H. Stahl, op. cit., p. 193, frag. 10. Une
chronologie historique contemporaine précise que « Despote est tué par un Tatare, on lui coupe
les mains et les pieds, sa tête, scalpée, est envoyée à la Porte » : Al. Lapedatu, dans AIINC II
(1924), p. 371 ; idem, dans RI XI (1925), p. 124. Voir aussi V. Motogna, Relaţiunile dintre
Moldova şi Ardeal în secolul al XVI-lea, Dej 1928, p. 111 ; RI XIV (1928), p. 212.
27
D. C. Giurescu, Ion Vodă cel Viteaz, Bucarest 1966, p. 172.
28
Hurmuzaki, Documente, VIII, no 267, p. 183, d’après la Kronika Polska..., Königsberg
1582. Sur Stryjkowski, voir Călători străini despre Ţările române, II, éd. M. Holban et alii,
Bucarest 1970, p. 448-449.
174
LA MORT INFÂME
ottomane, ayant été expédiée à la Porte. C’est d’ailleurs ce qui se passa avec le
baron autrichien von Auersperg tué par les Turcs en 1575. Lorsque sa femme
demanda le corps et la tête pour les enterrer, Ferhad Bey lui répondit :
« la tête vous sera également donnée : mais auparavant il faut qu’on l’écorche pour en
empailler la peau qui servira de trophée à mon entrée triomphale à Constantinople »29.
29
J. von Hammer, op. cit., VII, p. 29. L’information est donnée en premier par Stefan
Gerlach, Tagebuch, Francfort-sur-le-Main 1674, p. 132-133.
30
N. Iorga, « Nichifor dascălul exarh patriarhal şi legăturile cu ţările noastre, 1580-1599 »,
AARMSI, IIe série, XXVII (1905) ; idem, Istoria lui Mihai Viteazul, Bucarest 19682 (19351), p. 39,
n. 85.
31
Hurmuzaki, Documente, XII, no 350, p. 237.
32
Miron Costin, Opere, éd. P. P. Panaitescu, Bucarest 1958, p. 46.
175
MATEI CAZACU
33
Cronici turceşti privind Ţările române. Extrase, I, éds. M. Guboglu, M. A. Mehmed,
Bucarest 1966, p. 375-377; P.-H. Stahl, op. cit., p. 205, frag. 87 (incomplet). Cf. Hurmuzaki,
Documente, XII/1, p. 214; P. P. Panaitescu, Mihai Viteazul, Bucarest 1936, p. 139 et n. 6.
34
J. von Hammer, op. cit., VIII, p. 256-260.
35
N. Iorga, Studii şi documente, IV, Bucarest 1902, p. 180 ; P.-H. Stahl, op. cit., p. 15.
36
N. Iorga, op. cit., IV, no 32, p. 183.
37
M. Costin, op. cit., p. 103 ; P.-H. Stahl, op. cit., p. 208-209, frag. 111. La date correcte,
22 juin/2 juillet 1633, chez Hurmuzaki, Documente, XV/1, p. 991-992.
38
N. Stoicescu, Dicţionar al marilor dregători din Ţara Românească şi Moldova. Sec. XIV-
XVII, Bucarest 1971, p. 385-386.
39
DRH, A, XXI, Bucarest 1971, p. 424-427.
176
LA MORT INFÂME
ce pays [la Moldavie], mais même Istanbul en est pleine jusqu’à nos jours »,
écrit Miron Costin, qui précise :
« Car un cheval du prince Barnovschi qu’on amenait aux écuries impériales le jour même
de sa mort, est tombé par terre et est mort sur le champ. Et le lendemain, la nuit, dans Istanbul ont
brûlé quelques milliers de maisons »40.
40
M. Costin, op. cit., p. 103.
41
Ion Neculce, Letopiseţul Ţării Moldovei şi O samă de cuvinte, éd. G. Ştrempel, Bucarest
1982, no 25, p. 177.
42
Paul Ricaut, Histoire des trois empereurs des Turcs depuis 1623 jusqu'en 1677, I, Paris
1683, p. 86-87 ; J. von Hammer, op. cit., IX, p. 207-210.
43
Arrêté le 24 mars/4 avril 1714, le voïévode valaque arrive à Istanbul le 29 avril nouveau
style : cf. Documente şi regeste privitoare la Constantin Brâncoveanu, éds. C. Giurescu, N.
Dobrescu, Bucarest 1907, p. 266-269.
177
MATEI CAZACU
On voit dans ce lieu détestable des instruments de torture de toutes les espèces ; les uns
servent à la question légère, les autres à la question exterminatrice. Les tourments qu’on fait
souffrir aux malheureux qu’on transporte dans ce Ténare sont tellement horribles, que ma plume
se refuse à les décrire. [...] Et à qui pense-t-on que sont réservés ces instruments de torture ? À des
banquiers, à des intendants, à des trésoriers, aux riches propriétaires, et particulièrement aux
favoris des grands personnages, surtout à ceux des pachas décapités ou morts naturellement. C’est
toujours pour obtenir d’eux des révélations sur les trésors qu’on suppose être à leur puissance,
qu’on leur applique les questions légères ou exterminatrices. Et ce qui révolte encore l’esprit, c’est
qu’on peut être conduit dans ce lieu sans ordre souverain, que les ministres mêmes ignorent
souvent que tel ou tel individu souffre le martyre au four du Bostangi-Bachi »44.
Après avoir obtenu des aveux et récupéré plus d’un demi-million de thalers
du prince, ce dernier fut décapité, avec ses quatre fils et son conseiller, Ianache
Văcărescu, le 15/26 août 1714 en face de Yalı-Köşkü, près de la mer de
Marmara. Selon l’ambassadeur français Des Alleurs,
« après l’audience que le Grand Vizir (Damad Ali Pacha) donna à l’envoyé de Suède, ce
prince (le sultan Ahmed III) vint s’embarquer dans des caïks pour aller dans un des sérails qu’il a
vers le canal de la mer Noire. On lui donna sur le bord de la mer le spectacle de voir couper la tête
à quatre fils et à un parent du prince de Valaquie, en la présence de ce malheureux prince qui
souffrit ensuite le même supplice... On les exposa tous après l’exécution à la Porte du Sérail »45.
44
Marc-Philippe Zallony, Traité sur les princes de la Valachie et de la Moldavie sortis de
Constantinople, connus sous le nom Fanariotes [...], Paris 1830, p. 85-87.
45
Hurmuzaki, Documente, Supliment I/1, no 632, p. 430-431. Pour cette porte, voir le
témoignage de La Croix : « La seconde porte du Sérail s’appelle vulgairement Orta Capi, porte
d’entre-deux, les Turcs l’illustrent de grands noms et de beaux titres ; de passage de la Justice, à
cause qu’elle conduit au Divan ; et du Seuil de l’obéissance et du martyre, d’autant que c’est dans
cette seconde cour que l’on fait mourir les personnes distinguées. Elle est flanquée de deux tours,
celle qui est à droite sert de prison où l’on enferme ces victimes de la puissance ottomane, qui
n’en sortent qu’en perdant la vie ou les biens, et est gardée par trente bourreaux, et l’autre est le
corps de garde des portiers » (État général de l’Empire ottoman depuis sa fondation jusqu'à
présent... par un Solitaire turc, I, Paris 1695, p. 363-364). Cent ans plus tard, voici ce qu’écrivait
Elias Abesci : « Le sérail a neuf entrées, dont deux seulement sont magnifiques. La première où
l’on arrive de la place de Sainte Sophie, est vraiment imposante. [...] C’est d’elle que la cour
ottomane prend le nom de la Porte et de Sublime Porte, dans tous les actes écrits et documents
publics. C’est sur un des côtés qu’on voit les pyramides de têtes coupées, avec des écriteaux
attachés sur le crâne portant l’énonciation des crimes de ceux à qui elles appartenaient » (ibidem,
p. 159).
46
Documente şi regeste privitoare la Constantin Brâncoveanu, p. 270.
178
LA MORT INFÂME
« terminata la tragedia, il Gran-Signore parti. Le teste furono portate per la città sopra
lunghe aste. Concorse gran moltitudine di gente nel luoco dov’erano i cadaveri. Il Gran-Visir,
timendo qualche sollevazione (giacchè i Turci medesimi detestavano publicamente la sua
ingiustizia), comando che fussero gettati in mare, di dove occultamente ricuperati da alcuni
christiani, furono sepolti in un monastero chiamato Calchi, non lungi da Constantinopoli »47.
Six ans plus tard, le corps du prince Constantin Brâncoveanu était enterré
dans l’église Saint-Georges-le-Nouveau de Bucarest sous une lampe à huile en
argent ouvragé commandée par sa femme, la princesse Marica. Le texte de
l’inscription, découverte à la veille de la Première Guerre mondiale, porte la
date 12 juillet 172050. On ne connaît rien sur le sort des têtes du prince et de ses
compagnons d’infortune.
11. Le 7/18 juin 1716 l’ancien prince de Valachie, Étienne (Ștefan)
Cantacuzène (1714-1715) était étranglé en compagnie de son père, le stolnic
(sénéchal) Constantin (âgé de plus de 75 ans), puis décapité. Selon le récit de
l’historien de la famille, Michel Cantacuzène (1723-1793), le sultan Ahmed
« a ordonné d’enfermer Étienne et son père [...] à Bostangi-Basa, au Furnus, et là, le 7 juin,
après avoir été étranglés, on leur a coupé la tête : une fois la peau enlevée, elles ont été remplies
de coton et envoyées à Andrinople à l’armée du vizir. Là on amène le spathaire Michel
Cantacuzène [l’oncle du prince] et Radu Dudescu, son beau-frère. Le vizir ordonne d’étrangler
47
Istoria delle moderne revoluzioni della Valachia, éd. N. Iorga, Bucarest 19142 (Venise
17181 ), p. 182 ; R. Walsh, op. cit., p. 210-211.
48
Istoria Ţării Româneşti de la octombrie 1688 pînă la martie 1717, éd. C. Grecescu,
Bucarest 1959, p. 119-120 ; Silahdar Fîndîklîlî Mehmed Ağa, Nusretname, éd. Ismet
Parmaksızoğlu, II, Istanbul 1969, p. 322; traduction dans Cronici turceşti privind Ţările române.
Extrase, II, éds. M. Guboglu, M. A. Mehmed, Bucarest 1974, p. 529.
49
Voyages du Sieur Aubry de la Motraye en Europe, Asie et Afrique, II, La Haye 1727, p.
212-213. Voir aussi la description très détaillée d’un autre témoin oculaire de la décapitation, le
Polonais François Gosciecki, membre de l’ambassade conduite par Stanislaw Chometowski en
Turquie de 1712 à 1714, chez P. P. Panaitescu, Călători poloni în Ţările române, Bucarest 1930,
p. 144-145 : Academia Română (« Studii şi cercetări », 17).
50
Inscripţiile medievale ale României, I. Oraşul Bucureşti 1395-1800, éds. Al. Elian et alii,
no 386, Bucarest 1965, p. 381. Il s’agit, d’après l’inscription, du corps, et non pas de la tête du
prince, comme le pense P.-H. Stahl, op. cit., p. 19. Précisons qu’il aura fallu trois années à la
princesse, rentrée d’exil seulement en mai 1717, pour ramener à Bucarest le corps de son mari. Cf.
Documente şi regeste privitoare la Constantin Brâncoveanu, p. 287, 290, 306. L’événement (la
décapitation du prince) a donné naissance à un récit en vers conservé en neuf copies manuscrites
et publié par Cronici şi povestiri româneşti versificate (sec. XVII – XVIII), éd. D. Simonescu,
Bucarest 1967, p. 55-68.
179
MATEI CAZACU
ces deux seigneurs, puis il leur coupe la tête et les met, toutes les quatre, dans des piques (le 9/20
juin) »51.
Le dénuement de la famille, dont les biens avaient été confisqués, n’a pas
permis la récupération des têtes ou des corps, jetés à la mer pour mieux marquer
le caractère infamant de la mort des Cantacuzène.
12. Bien qu’il n’ait pas régné dans les Pays Roumains, le cas du grand
drogman de là Porte, Alexandre Ghica, frère et père de plusieurs princes de
Valachie et de Moldavie, doit être mentionné ici. Arrêté le 5 février 1741, il
passa seize jours en prison sous l’accusation d’avoir cédé aux Autrichiens
quelques villages turcs de Bosnie lors de la conclusion de la paix de Belgrade de
1739. D’autres chefs d’accusation s’ajouteront par la suite et le drogman fut
condamné à être décapité le 21 février, « sur une petite place entre l’entrée du
vecirat et le Sérail, sous les fenêtres à jalousies d’un kiochk ou balcon vitré,
d’où le Grand-Seigneur fut, dit-on, lui-même spectateur »52.
L’ambassadeur de Venise, Nicolo Erizzo, précise qu’il s’agissait d’un
endroit nommé « la Porta Ferrea, luogo in vicinanza del quale sogliono gli
ambasciatori fermarsi il giorno dell’audienza in attenzione del passagio del
Primo Visir ». Selon Nicolo Erizzo, le bourreau frappa trois coups avant de
séparer la tête du corps : la tête fut emportée par le bourreau
« et son cadavre resta là exposé en spectacle jusqu’à la nuit du jeudi suivant, 23 [février],
qu’il fut racheté du bourreau pour 500 piastres et inhumé secrètement avant jour dans le tombeau
de sa famille »53.
51
Genealogia Cantacuzinilor de banul Mihai Cantacuzino, éd. N. Iorga, Bucarest 1902, p.
317-318 ; d’autres sources chez J. M. Cantacuzène, Mille ans dans les Balkans. Chronique des
Cantacuzène dans la tourmente des siècles, Paris 1992, p. 206-207 ; voir aussi Anton Maria del
Chiaro, op. cit., p. 191. Le consul hollandais de Smyrne, dans un rapport du 24 juin 1716, précise
que l’on a décapité sept autres membres de la famille et que leurs corps ont été jetés à la mer : cf.
N. Iorga dans Genealogia Cantacuzinilor, p. XXIX-XXX ; P.-H. Stahl, op. cit., p. 207, frag. 100.
52
Documentele familiei Callimachi, II, éd. N. Iorga, Bucarest 1903, no 2, p. 387-388, cf. no
1 et 2, p. 616. Une source contemporaine, la Chronique de la famille Ghica, l’appelle « alai-
chiosc » : Cronica Ghiculeştilor. Istoria Moldovei între anii 1696-1754, éds. N. Camariano, A.
Camariano-Cioran, Bucarest 1965, p. 510-513.
53
Hurmuzaki, Documente, IX/1, no 792, 793, p. 677-680 ; voir aussi Hurmuzaki,
Documente, Supliment I/1, no 814 et 815, p. 562 ; J. von Hammer, op. cit., XV, p. 28-29 ; A.
Vandal, op. cit., p. 403 sq. ; M. D. Sturdza, Dictionnaire historique et généalogique des grandes
familles de Grèce, d’Albanie et de Constantinople, Paris 1983, p. 298. La Chronique de la famille
Ghica précise que « le lendemain, les kapukehayas du prince Grégoire [Ghica, le fils du grand
drogman et prince de Moldavie] ont pris son corps, accompagné par les kapudgis impériaux qui le
gardaient, et l’ont amené à Haschioi et l’ont enterré dans l’église Sainte-Parascève, et toute sa
fortune, meuble et immeuble, est entrée dans le mîrî (trésor impérial) » : Cronica Ghiculeştilor, p.
510-513. Voir aussi Storia dell’anno 1741, libro quarto, p. 278-279, reproduite par V. Mihordea,
« Contribuţie la istoria păcii de la Belgrad 1739 », AO XIV/79-82 (1935), p. 205-253.
180
LA MORT INFÂME
que sa tête fut apportée à Istanbul pour être exposée devant la porte du palais
impérial (cf. infra, no 14).
13. Le 29 août/8 septembre 1769, le prince de Moldavie Grégoire
Callimachi (1761-1764,1767-1769), fils de l’ancien drogman et prince de
Moldavie Jean-Théodore (Ioan Teodor) Callimachi, fut étranglé54 puis décapité
et sa tête exposée à la Bâb-i Hümâyûn, c’est-à-dire à la porte extérieure du
palais impérial, avec un yafta précisant ses crimes. Notons que le prince eut la
tête coupée à l’intérieur du sérail, alors que le drogman Nicolo (Chiriţă) Draco
Rosetti, exécuté en même temps, fut décapité « dehors, à la porte [du sérail] »55
(infra, yafta no 3).
14. Dans la nuit du 1er au 2 octobre /12-13 octobre 1777, le prince de
Moldavie Grégoire Alexandre Ghica, fils du grand drogman Alexandre, exécuté
en 1741, fut étranglé et eut la tête coupée à Jassy (Iaşi), capitale du pays. Les
raisons de sa déposition et de son exécution ont été mises dans leur véritable
lumière par Nicolas Iorga : il s’agissait de l’hostilité d’une partie de la noblesse
moldave contre un prince imposé sur le trône par les pressions de la Russie56. Le
porteur de l’ordre impérial était le kapıdjı Ahmed Bey Kara Hissarlı qui eut
recours à la ruse pour surprendre le prince au milieu de sa cour et de ses troupes.
La relation la plus complète de cette exécution qui frappa vivement les
imaginations est due à un anonyme qui l’a expédiée à l’envoyé russe
d’Istanbul :
« Le capigi-bachi Achmed-Bey étant arrivé à Jassy, fit semblant d’être malade et descendit
immédiatement au quartier qu’on lui avait préparé ; il envoya un firman au prince Ghika dans
lequel on lui ordonnait d’amasser des provisions. Le prince, ayant lu le firman, le fit complimenter
par un de ses officiers et lui fit dire qu’il viendrait en personne le voir. Le capigi le fit remercier
de cette honnêteté, ajoutant qu’il n’était pas nécessaire que le prince se donnât cette peine. Cette
réponse ayant rassuré le prince, il monta immédiatement à cheval et se rendit, accompagné d’une
trentaine d’Albanais, chez le capigi-bachi. Il entra dans son appartement, laissant les Albanais
dans la cour de la maison. Après un quart d’heure de conversation, le capigi-bachi, prétextant que
54
L’ambassadeur de France, M. de Saint-Priest, est le seul contemporain qui enregistre
l’étranglement avant la décapitation : cf. Hurmuzaki, Documente, Supliment, I/1, no 1127, p. 788-
789. Le corps du prince a été enterré dans la même église Sainte-Parascève de Has-Köy, voir le
témoignage de Jacob Jonas Bjoernstahl, Briefe auf seinen auslaendischen Reisen an den
koeniglichen Bibliothekar C.C. Gjoerwellin Stockholm, VI, Leipzig – Rostock 1783, p. 97 ; cf.
I.C. Caragea, « Un călător despre noi-Jacob Jonas Bjoernstahl“, RI VI (1920), p. 56-57.
55
Pseudo-Enache Kogalniceanu, Letopiseţul Ţării Moldovei... 1733-1774, éds. A. Ilieş, I.
Zmeu, Bucarest 1987, p. 148 ; cf. M. D. Sturdza, op. cit., p. 418-419. À propos de la porte
impériale (Bâb-i Hümâyûn), voir les dires du Dr. A. Brayer : « C’est à côté de cette porte qu’on
exécute les criminels d’État pris dans la capitale, et qu’on expose leurs corps et leurs têtes pendant
trois jours consécutifs aux regards du public. On y apporte aussi les têtes des pachas rebelles
exécutés dans les provinces et les oreilles coupées aux ennemis sur le champ de bataille » (Neuf
années à Constantinople (1815-1824), I, Paris 1836, p. 68).
56
Les raisons de cette exécution chez N. Iorga, « Din originile politicianismului român : o
acţiune de opoziţie pe vremea Fanarioţilor », AARMSI, IIIe série, VIII (1928), p. 361-374 ; idem,
Istoria Românilor, VII, Reformatorii, Bucarest 1938, p. 335-342.
181
MATEI CAZACU
le froid qu’il faisait dans ce grand appartement augmentait son mal, pria le prince d’entrer dans
une chambre plus petite et moins exposée à l’air (la porte de cette dernière donnait dans la grande
salle). Là, le capigi-bachi, après avoir conversé pendant quelque temps avec le prince, frappa des
mains, sur quoi on vit immédiatement entrer un schatir57 avec trois autres personnes : le premier
ayant une corde sous l’habit, la passa à l’improviste au cou du prince qui, n’ayant eu le temps que
de jeter un seul cri, qui ne fut point entendu, fut aussitôt étranglé.
Sur ces entrefaites, le capigi-bachi fit appeler le ci-devant hetman, nommé Rusoli [Rosetti],
et, l’ayant revêtu du caftan, il le nomma kaïmakan (kaymakam). Celui-ci, escorté par les Albanais
et par ses gens, partit pour publier la déposition du prince et sa nomination à la charge de
kaïmakan.
L’épouse du prince s’étant après cela transportée dans la maison du capigi-bachi, il lui fit
savoir que son mari était déposé et qu’elle se préparât pour le suivre à Constantinople. Tout cela
arriva le jour de dimanche 11 octobre (en fait, la nuit de samedi à dimanche) ; la nuit d’après, on
lui coupa la tête qu’on envoya à Constantinople »58.
57
Il s’agit d’un soldat armé d’un satyre, coutelas de bourreau, donc d’un satyras : cf. L.
Şăineanu, Influenţa orientală asupra limbei şi culturii române, II/l, Vocabularul. Vorbe populare,
Bucarest 1900, p. 316.
58
N. Iorga, Acte şi fragmente cu privire la istoria Românilor, II, Bucarest 1896, p. 139-140.
D’autres sources, notamment des journaux, chez L. Baidaff, « Uciderea lui Grigore Ghica
(octombrie 1777). Ecouri din presa contemporană », RI XIV (1928), p. 96-130 ; idem, « Opinions
contemporaines sur la fin de Grégoire Ghica, prince de Moldavie (1777) », RHSSE VI (1929), p.
34-51. Nous allons citer d’après l’édition roumaine : S. Zotta, « Când şi cum a fost asasinat
Grigorie Ghica Voevod », RA II/4-5 (1927-1929), p. 227-229 ; N. Cortese, dans Europa Orientale
II/3 (1922), p. 176-178.
59
Hurmuzaki, Documente, XIII/2, p. 72-83.
60
Al. Ciorănescu, Documente privitoare la istoria Românilor culese din arhivele din
Simancas, Bucarest 1940, p. 319-322 : Academia Română (« Studii şi cercetări », 43). Dans un
rapport de Lebas pour le Ministère des Affaires Étrangères français, il est dit que la tête a été
182
LA MORT INFÂME
tête a été exposée toute seule, mais que les deux jours suivants on y a apposé un
yafta61.
Une correspondance de Varsovie du 12 novembre, publiée dans la Gazetta
di Parma du 9 décembre, affirme que les boyards moldaves avaient racheté le
corps du prince pour 4 000 piastres (8 000 lires, selon un autre calcul) et l’ont
enterré « dans l’église avec la cérémonie funèbre »62. L’église en question est
Saint-Spiridon de Jassy et la tombe se trouvait dans l’exonarthex et portait une
inscription grecque63 (infra, yafta no 5).
15. Dans les premiers jours de septembre 1790, le prince de Valachie
Nicolas Mavroyéni (Mavrogheni, 1786-1790) fut décapité dans le village de
Bela à 30 km au Sud de Vidin sur ordre du sultan Selim III. Un contemporain, le
prôtosyncelle Naum Râmniceanu, auteur d’une Chronique de la Valachie allant
de 1768 à 1810, raconte :
« la même année (1790), au mois d’août, après le retour des boyards des armées
[ottomanes], Mavroyéni a été aussi appelé de Vidin pour se présenter au Quartier général. Après
son arrivée dans un village bulgare nommé Bela, le vizir [Yûsuf Pacha] a envoyé des troupes à sa
rencontre avec son frère, Tchelebi Ağa, et le sultan Varpitzas (Bakht Giray) et d’autres, et ils l’ont
décapité là-bas ; par la suite, ses hommes l’ont enterré sur les bords de la rivière, tout nu, le
malheureux »64.
exposée « à la seconde porte du Sérail » : cf. Hurmuzaki, Documente, Supliment I/1, no 1367, p.
962.
61
Emmanuel Tassara à Kaunitz, de Péra, le 4 novembre 1777 : cf. Hurmuzaki, Documente,
VII, no 170, p. 306.
62
L. Baidaff, art. cit., p. 120.
63
N. Iorga, Inscripţii din bisericile României, II, Bucarest 1907, p. 156-157. Notons aussi la
circulation – en 28 copies manuscrites connues – d’un poème anonyme en vers sur la mort de ce
prince, édité par D. Simonescu dans Cronici şi povestiri româneşti versificate, p. 165-196 ; aussi
de la première pièce de théâtre en roumain intitulée Occisio Gregorii in Moldavie vodae tragedice
expressa : cf. A. Ciorănescu, « Occisio Gregorii Vodae. Cea mai veche piesă de teatru în
româneşte », RFR IV (1937), p. 423-438 ; D. Simonescu, op. cit., p. 195-196.
64
Éditée par C. Erbiceanu, Cronicarii greci cari au scris despre Români în epoca fanariotă,
Bucarest 1888, p. 262. Voir aussi N. Docan, « O povestire în versuri încă necunoscută despre
domnia lui Mavrogheni », AARMSL, IIe série, XXXVIII (1910-1911), p. 448-450, fait un résumé
critique des données connues sur la mort de ce prince.
183
MATEI CAZACU
avant qu’il lui obéît, il le chargea de dire au grand vizir que s’il perdait injustement sa tête en ce
jour, lui-même ne tarderait pas à perdre justement la sienne. Cette scène tragique m’a été racontée
plusieurs fois, non seulement par Rhigas lui-même, mais aussi par un des secrétaires de ce prince
qui avait assisté à sa décapitation »65.
Dans une note ajoutée au texte, Thomas Hope précise que « suivant les
préjugés des musulmans, la faveur du cordon envoyé par le Grand-Seigneur
assure dans l’autre monde toutes les récompenses du martyre ». L’historien doit
choisir entre les deux versions de la mort de Nicolas Mavroyéni que nous avons
présentées plus haut : il semble pourtant que la conversion à l’islam à l’article
de la mort soit réelle, car elle est confirmée par un rapport du consul autrichien à
Bucarest, Michael Merkelius en date du 2 octobre nouveau style (21 septembre
ancien style)67.
La question se pose, d’autre part, de savoir si la tête a été exposée ou non à
Istanbul. Une notice des Éphémérides de Constantin Karadja, dont il a été
question plus haut, et qui se trouvait à l’époque à Istanbul indique :
« Lundi, 23 septembre [4 octobre, nouveau style], sont arrivés deux Tatars apportant la tête
de Mavroyéni : les dirigeants ne lui ont même pas fait l’honneur de l’exposer à bab-i-Humaium,
65
Th. Blancard, Les Mavroyéni, Paris, s. d., p. 299-300.
66
Anastase, ou Mémoires d’un Grec, II, Londres 1819, p. 157-159.
67
Hurmuzaki, Documente, XIX/1, no 470, p. 575.
184
LA MORT INFÂME
mais, selon un ordre, elle fut jetée à la mer, tout comme son corps avait été jeté dans le Danube,
au village de Belena, près de Nicopolis, où il avait été décapité. Ses maisons ont été mis sous
scellés »68.
Précisons que le corps du prince a été déterré en 1822 sur ordre de sa fille
Euphrosyne, l’épouse du kaymakam de Valachie Constantin Negri, et réinhumé
dans l’église des Saints-Apôtres de Bursa. La veuve du prince, Marioara
Scanavi, y fut également enterrée en 1829 aux côtés de son mari. Elle et sa fille
firent de riches présents à cette église, parmi lesquels on admirait, avant la
Première Guerre mondiale, un épitaphios de velours rouge brodé au fil d’or
portant une inscription en grec à la mémoire de Nicolas Mavroyéni70.
16. Le 18 février/1er mars 1799 était décapité à Bucarest le prince de
Valachie Constantin Handjéry (Hangerli, 1797-1799), accusé d’avoir ruiné ses
sujets par des taxes et des impôts exorbitants et notamment l’impôt sur les
bovins (văcărit) qui avait la particularité de toucher non seulement les paysans,
mais aussi – et surtout – la noblesse et les couvents, grands propriétaires de
troupeaux. S’y ajoutaient les intrigues des Grecs d’Istanbul qui regardaient
Handjéry comme un intrus dans le cercle très fermé des familles phanariotes
habilitées à donner des princes aux Pays Roumains71.
La mise à mort de ce prince nous est connue en détail grâce au récit d’un
contemporain, le cérémoniaire (ou prêtre sacristain) Denis (Dionisie eclesiarhul,
de Pietrari) qui exerçait ses fonctions en Olténie et, à partir de 1804, à Bucarest.
Auteur d’une Chronique de Valachie couvrant les années 1764-1815, Denis y a
inséré l’histoire de la décapitation de Constantin Handjéry comme un chapitre à
part qui mérite d’être analysé et reproduit, au moins en partie, pour son
68
P. P. Panaitescu, « Un manuscript al Efimeridelor lui Constantin Caragea Banul », BCIR
III (1924), p. 143. À noter aussi la précision du baile vénitien Niccolò Foscarini, en date du 8
octobre : « Martedi furono per ordine del sultano confiscate le case e li beni del principe
Mavrojeni, la di cui testa vene qui spedita da Jusuf pascià unitamente all’altra del ribello
Kevergik-Ali-Aga, le quali non furono esposte secondo il solito, essendo gettate in mare »
(Hurmuzaki, Documente, IX/2, no 245, p. 184).
69
Th. Blancard, op. cit., p. 303 ; Hurmuzaki, Documente, Supliment I/2, no 138, p. 77.
70
C. I. Karadja, « Mormântul lui Mavrogheni-Vodă la Brusa », RI I (1923), p. 91-92 ; voir
aussi M.D. Sturdza, op. cit., p. 339-340.
71
N. Iorga, « Două pagini din istoria Fanarioţilor », AARMSI, IIIe série, XXII (1939-1940),
p. 423-426.
185
MATEI CAZACU
exactitude, ses qualités littéraires et pour son pittoresque dans l’évocation des
situations qu’il tenait, sans aucun doute, de témoins oculaires.
Selon Denis, la pression fiscale du prince et les intrigues des Grecs
d’Istanbul finissent par emporter la décision de Selim III qui ordonne sa
décapitation après seulement deux années de règne. Le grand vizir, Yûsuf Ziya
pacha, dépêche dans ce but à Bucarest un kapıdjı « habile et passé maître dans
l’art de décapiter les grands avec bonne contenance ». Le kapıdjı fit ses
préparatifs et emmena avec lui « un Noir (Arap) d’aspect terrifiant, intrépide à
tuer et lippu ». Arrivé à Bucarest, le kapıdjı annonce son intention de continuer
le voyage à Vidin, chez le kapudan pacha, et à Ostrov, où il devait porter des
ordres impériaux. Selon un autre témoignage, celui de l’Allemand Friedrich
Murhardt, le kapıdjı aurait contacté le métropolite de Valachie, Dosithée
(Dositei) Filitti qui devait organiser la régence dans l’attente d’un nouveau
prince72.
Au bout de trois jours, le kapıdjı se rendit à la cour où il demanda à être
reçu par Handjéry auquel il devait communiquer un message verbal de la part de
son kapukahya à Istanbul. En dépit de la résistance du chambellan qui
appréhendait une ruse, surtout après avoir vu le grand Noir qui accompagnait le
kapıdjı, le prince se décida à recevoir ce dernier,
« et l’invita à s’asseoir sur le sofa près de lui, alors que le Noir prit place sur un banc ou une
chaise. Il offrit au kapıdjı du café et le narguilé, mais le Noir refusa. Tout en parlant, le prince
demanda ce qu’il y avait de nouveau à Istanbul, et le kapıdjı lui dit ce qu’il savait. Pourtant, le
prince, effrayé par la vue du Noir, fit un signe au chambellan et, lui parlant en français, lui dit de
faire venir des serviteurs (tchukadar) dans la pièce.
Lorsque le chambellan fut sorti, le Noir bondit dans le dos du prince et l’étrangla avec un
nœud coulant, alors que le kapıdjı lui déchargea deux pistolets dans le ventre. Le Noir l’étrangla
avec son lacet et le tira en bas du sofa, mais le prince était fort et se débattait. Alors le kapıdjı lui
enfonça le handjer dans le dos, le vidant de son sang. Le Noir, monté sur son dos, lui brisait la
nuque, lorsque le tchubuktchu et le pechkirdji73 (qui venaient d’entrer) commencèrent à crier à
l’aide. Lorsqu’ils entendirent les pistolets, les tchukadar et le chambellan arrivèrent, mais le
kapıdjı cria : “Dur, bre, ferman74 !” Et tous sont restés comme paralysés et n’osèrent rien faire
contre l’ordre impérial.
Le Noir coupa ensuite la tête du prince qui était encore vivant et se débattait dans son sang,
et, lui attachant les pieds, il traîna son corps sur les escaliers dans la cour. Là, il le déshabilla, lui
prit l’argent, la montre et les bagues des doigts, et laissa le corps nu dans la cour, alors que la
princesse et ses demoiselles d’honneur et ses enfants criaient et sautaient par les fenêtres dehors,
de crainte d’être tuées elles aussi avec ses enfants ».
72
N. Iorga, op. cit., p. 425-426, d’après Fr. Murhardt, Taferecelhen van Konstantinopool
door Friedrich Murhard, naarde nieuwe verbeterde uitgave, uit heat hoogduitsch vertaald door J.
W. Bussingh, Amsterdam 1810. Murhardt tenait ses informations d’un jeune Grec qui avait
occupé la fonction de drogman et de secrétaire auprès du prince Handjéry (ibidem, p. 56).
73
Le tchubukçu préparait les pipes, et le pechkirdji servait le café.
74
« Arrêtez ! C’est un ordre impérial ! ».
186
LA MORT INFÂME
« Laissant le corps là, selon les ordres, le Noir dit : “Voici le chien qui a dévoré la province
de l’empereur” ; et, quoiqu’il gisât là-bas jusqu’au lendemain, personne n’osa demander quoi que
ce soit. Le Noir écorcha ensuite la tête du prince et, après avoir lavé la peau ensanglantée, il la
remplit avec du coton ».
Après avoir rassuré la princesse et sa suite qui retournèrent dans leurs appartements,
« Le Noir mit le crâne du prince sur un plateau, l’apporta chez la princesse et, le posant sur
une table bien en vue, lui dit : “Voici la tête de ton mari !”, ceci pour causer une douleur encore
plus grande à la princesse et aux enfants, afin qu’ils offrent de l’argent pour qu’il l’enlève de là,
en se lamentant à grands cris avec ses enfants et ses demoiselles d’honneur ».
75
Dionisie Eclesiarhul, Hronograf (1764-1815), éds. D. Bălaşa, N. Stoicescu, Bucarest
1987, p. 74-77 ; P.-H. Stahl, op. cit., p. 57-61.
187
MATEI CAZACU
Il appert donc que l’on avait enterré le cadavre et le crâne, alors que la
peau de la tête seule avait été portée à Istanbul. Cette inhumation à la hâte, peut-
être de nuit78 , explique pourquoi le crâne de Handjéry était encore recouvert de
sang : on ne lui avait pas fait la toilette mortuaire habituelle, comme on l’avait
fait pour Scarlat Ghica. À moins qu’il ne se soit agi d’un geste délibéré, pour
mieux marquer sa mort infamante.
La mort de Constantin Handjéry a fortement impressionné les
contemporains qui y ont vu une punition divine : pas moins de 29 copies
manuscrites d’un poème en vers relatant son assassinat ont été identifiées à ce
jour 79.
17. Le 13/25 janvier 1807 était décapité à Istanbul Alexandre Ypsilanti, un
vieillard de plus de 70 ans, qui avait régné à trois reprises dans les Principautés
Roumaines : une fois en Valachie (1774-1782) et deux fois en Moldavie (1787-
1788,1796-1797). Son crime était d’être le père de Constantin Ypsilanti qui,
76
Hurmuzaki, Documente, Supliment I/3, no 179, p. 566 (8 mars). Le 3/14 mars 1799,
Mouradja d’Ohsson écrivait au ministère suédois que « depuis avant-hier sa tête est exposée
devant la première porte du sérail » : Documente Callimachi, II, no 51, p. 656.
77
Hurmuzaki, Documente, X, p. 102.
78
Dionisie Eclesiarhul, op. cit., n. 173, p. 147-148.
79
Cronici şi povestiri româneşti versificate, p. 303-328. À ajouter les notices
contemporaines sur cet événement chez Dionisie Eclesiarhul, op. cit., n. 173, p. 148 (N.
Stoicescu). Pour la famille Handjéry, voir M. D. Sturdza, op. cit., p. 300-302.
188
LA MORT INFÂME
après trois règnes dans les deux Principautés, s’était réfugié en Russie au début
de la guerre russo-turque de 1806-1812, plus précisément le 14 août 180680.
Arrêté le 22 décembre nouveau style, le malheureux fut torturé pendant 34
jours pour révéler sa fortune cachée. Nous possédons plusieurs récits sur la
détention, les tortures et la mise à mort d’Alexandre Ypsilanti, récits qui se
complètent entre eux. Le premier appartient au comte de Langeron, un noble
français émigré en Russie et devenu général dans l’armée du tsar :
« Si [Constantin] Ypsilanti fut victime de son ambition et des fautes des généraux russes,
son malheureux père le fut bien plus cruellement encore de l’ambition de son fils. Voici ce qui,
dans le temps, passa pour constant sur la fin malheureuse de ce vieillard âgé de près de 70 ans. On
a vu qu’en 1789 il était prince de Moldavie, qu’il avait été enlevé à Jassy par les Autrichiens et
avait longtemps vécu à Brünn, en Moravie. À la paix, il était revenu à Constantinople où il vivait
modestement et aussi tranquillement qu’on le peut dans un pays si horriblement despotique, où
aucun frein de morale ou de justice n’arrête un ministre barbare, exécuteur dévoué des cruautés ou
des caprices d’un souverain imbécile ou trompé. Ypsilanti jouait la pauvreté et passait pour riche,
crime impardonnable en Turquie. Lorsque son fils se fut déclaré si ouvertement contre les Turcs,
on engagea le vieillard à se sauver à Odessa. Il s’y refusa. Bientôt, sous prétexte de découvrir les
intrigues de son fils à Constantinople, mais dans le fait pour extorquer ses richesses, on l’arrêta et
les ministres de Selim le livrèrent aux bourreaux. Il souffrit pendant 29 jours des tortures
affreuses, ainsi que son gendre, [Alexandre] Mano – et il n’y a pas un peuple plus ingénieux dans
ces atrocités que les Turcs – sans rien avouer. Mais il fut trahi par un de ses secrétaires qui ne put
résister aux tourments qu’on lui faisait aussi endurer et qui désigna la place où son maître avait
caché 300 000 piastres. On prit cet argent et l’on continua à tourmenter le prince et Mano. Celui-
ci résista à la question et fut ensuite relâché. Il mourut quelque temps après des suites de ses
horribles souffrances81, mais on ne peut concevoir comment un vieillard, affaibli par l’âge et les
maladies, ne succomba pas à tant de supplices qui se renouvelaient tous les matins pendant quatre
heures.
On prétend qu’à la fin, ne pouvant plus les supporter, il vomit de telles imprécations contre
le Mahomet, contre le sultan et contre ses bourreaux, qu’il paraissait avoir le dessein de les
engager, en les irritant, à terminer ses jours. Mais il n’eût pas été encore à la fin de ses affreux
tourments, si l’ambassadeur d’Angleterre, Arbuthnott, n’eût demandé une conférence au Grand-
Vizir : le sultan crut que l’objet en était de solliciter la grâce d’Ypsilanti, et lui fit couper la tête
sur le champ pour n’être pas obligé de le laisser vivre »82 .
À son tour, Constantin Karadja notait dans son journal (les Éphémérides) :
« L’infortuné prince Alexandre Ypsilanti, après avoir été torturé sans pitié dans le Four de
Bostangi-basa, a été transféré, dans un état lamentable, à la prison de Zintani et le 13 janvier on
lui a coupé la tête. Par la suite, les bourreaux ont porté son cadavre à Curu-Cesme afin de le
vendre à l’un de ses parents, mais ils n’ont trouvé personne [disposé à le faire].
80
C. C. Giurescu, « Un remarquable prince phanariote : Alexandre Ypsilanti, voïévode de
Valachie et de Moldavie », dans Symposium l’Époque phanariote, Thessalonique 21-25 octobre
1970, Thessalonique 1974 : Institute for Balkan Studies , p. 61-69 ; L. Maier, « Ipsilanti,
Alexander », dans Biographisches Lexikon zur Geschichte Südosteuropas, II, éds. M. Bernath, F.
von Schroeder, Munich 1976, p. 231-232 ; M. D. Sturdza, op. cit., p. 468-471.
81
Il meurt, en fait, en 1813 : cf. C. G. Mano, Documente din secolele al XVI-lea – XIX-lea
privitoare la familia Mano, Bucarest 1907, p. XXVI-XXVII (texte roumain et français).
82
Hurmuzaki, Documente, Supliment I/3, p. 135-136.
189
MATEI CAZACU
« Ensuite, un ou deux habitants ont raconté la chose à sa Sainteté, le vieux kir Athanase de
Nicomédie qui, touché par amour pour l’humanité, leur a donné 150 talers et a acheté le corps aux
bourreaux et l'enterra en cachette près de l’église Saint-Démétrius »83.
Nous possédons, enfin, un récit dû à Scarlat Byzantios qui tenait les détails
du secrétaire du prince, Adam d’Anchialos, retiré en 1810 au monastère de la
Vierge à Chalki :
« J’avais treize ans lorsque, vers 1810, j’ai entendu le secrétaire intime et le camarade de
souffrance de ce prince, Adam d’Anchialos, en train de philosopher dans le monastère de la
Vierge à Chalki en énumérant les horribles tortures auxquelles fut soumis ce vieillard d’éternelle
mémoire, étant, entre autres, exposé tout nu à l’air libre au mois de janvier. Mais ni ceci, ni la
désarticulation des bras, ni le fait d’avoir la tête serrée par des cordes, ne comptaient (disait
Adam, qui avait partagé lui aussi toutes ces tortures), en comparaison avec l’épreuve du manque
de sommeil. Les bourreaux l’avaient maintenu dans cet état malheureux une semaine entière en le
plongeant dans un état de somnambulisme dans lequel il répondait, sans se rendre compte, à
toutes leurs questions. Et pourtant, le défunt a résisté à toutes ces épreuves pendant 35 jours et
autant de nuits, glorifiant Dieu et Le remerciant comme Job, jusqu’à ce qu’il fût décapité le 13
janvier 1807.
Sa tête fut exposée, comme c’est la coutume, à la porte Bab-i-Humaium (hümayun), alors
que son corps, emporté par le bourreau dans une barque, fut promené devant les maisons de ses
parents afin que ceux-ci le rachètent pour l’enterrer, pour qu’il ne soit pas jeté à la mer. Mais
personne n’a osé acheter une telle marchandise de peur qu’il ne s’agisse d’une ruse pour découvrir
des fortunes cachées, jusqu’à ce qu’un Juif de Curu-Cesme ne la rachète, en cachette, pour 500
piastres offerts en cachette par un parent, et le fasse enterrer au-dessus de l’église Saint-
Démétrius »85.
83
P. P. Panaitescu, « Un manuscript al Efimeridelor », p. 152-153.
84
Dionisie Eclesiarhul, op. cit., p. 109-110. Ce témoignage est confirmé par celui du baron
Prévost qui dit qu’« on lui enfonça des chevilles de bois entre chaque doigt, enfin il fut
décapité » : dans « Constantinople en 1806 et 1807 », Revue contemporaine XIV (Paris, 30 juin
1854), p. 170 ; M. D. Sturdza, op. cit., p. 470.
85
Scarlat Byzantios, E Constantinoupolis, I, Athènes 1851, p. 536-537; N. Iorga, « Sfârşitul
lui Alexandru-Voda Ipsilanti », RI XX (1934), p. 305-307.
190
LA MORT INFÂME
86
On peut se demander si Mehmed Bey Mihaloğlu, qui préside à la décapitation du prince
Vlad le Jeune (Vlăduţ) de Valachie le 23 janvier 1512, à Bucarest, a envoyé sa tête à Istanbul ou
pas, vu qu’il était partisan de Selim, réfugié en Crimée et à Akkerman (Cetatea Albă), étant en
conflit avec son père, Bayezid II, malade et mourant (il décède le 25 avril suivant). Le corps du
prince a été enterré dans la nécropole de Dealu, la plus importante nécropole princière valaque du
XVIe siècle. De même, un prétendant au trône valaque, Danciu Gogoaşă, sera pendu à Istanbul en
1531, sans que l’on sache s’il y a eu exposition de la tête ou non. Pour d’autres prétendants au
trône exécutés à Istanbul au XVIe siècle, voir N. Iorga, « Pretendenţi domneşti în secolul al XVI-
le », AARMSI, IIe série, XIX (1898), p. 193-275.
87
Un problème à part mais néanmoins lié à notre thème est celui des princes moldaves
exécutés en Pologne au XVIe siècle à la demande des Ottomans, notamment Étienne (Ştefan)
Tomşa, décapité en même temps que trois boyards en mai 1564, Nicoară Potcoavă (décapité en
juin 1578) et Iancul Sasul (septembre 1582), tous à Lvov.
88
Notamment le prince de Valachie Michel le Brave, en 1601.
191
MATEI CAZACU
Les yafta
Édition : J. von Hammer, op. cit., XVI, p. 14-16, qui précise que la tête était fichée dans
une pique.
89
Voir la discussion chez H. Dj. Siruni, Domnii români la Poarta otomană..., Bucarest
1941, p. 80-81 : Academia Română (« Studii şi cercetări », 55).
192
LA MORT INFÂME
prolongation du siège et de tout ce qu’ont souffert les musulmans assiégés dans cette place ; et
qui, ayant enfin osé agir en tout ceci contre le consentement et la volonté de Sa Majesté Impériale
a, conformément au Fetva Chérif ou sentence sacrée, subi la peine qui lui était due ».
Édition : Hurmuzaki, Documente, Supliment I/1, no 1127, p. 788 (même rapport que supra,
no 2). Une variante abrégée chez J, von Hammer, op. cit., XVI, p. 228, qui parle de cent bourses
(voir aussi P.-H. Stahl, op. cit., p. 96). Un rapport suédois parle, lui, de 4000 bourses détournées :
cf. N. Iorga, Documente Callimachi, II, p. 654. La tête était « placée auprès de son cadavre et
entre ses deux pieds ».
b) « Ceci est la vile charogne de l’interprète et raya Nicolas Draco, qui a été décapité pour
trahison et intelligences secrètes avec le voïévode de Moldavie ».
Édition : J. von Hammer, op. cit., XVI, p. 228 ; P.-H. Stahl, op. cit., p. 96. Saint-Priest
précise que « l’interprète eut la tête tranchée au bab-humayoum même », alors que Hammer
ajoute qu’elle était « placée en arrière de son cadavre ».
193
MATEI CAZACU
temerità di esprimersi anche con eccedenti ed enormi termini, repugnanti alla dignità e decoro
della fulgida Porta, e cagionanti la di lui annihilazione, hà fatto duopo la di lui morte ; sicche il
castigo di quei malvaggj che non si sottomettono alli supremi ordini délia fulgida Porta, è
questo ».
b) « Voici le chef impur du vaïvode Ghika, lequel, quoique coupable de malversations dès
le commencement de la dernière guerre, avait obtenu grâce de ses méfaits envers l’Empire, mais
pour avoir été relaps et gouverné avec tyrannie, il a enfin succombé au glaive de justice ».
c) « L’inscription qu’on y a mis au-dessus portait que malgré les malversations dont Gika
avait été accusé dans la dernière guerre, ses fautes lui avaient été pardonnées ; qu’ayant été placé
au gouvernement de Moldavie, il avait perçu les deux premières années le tribut des sujets, que
par là il avait agi contre les ordres et l’intention du grand Seigneur ; qu’il avait négligé de fournir
les vivres qu’on lui avait prescrit, et avait continué de vexer les sujets, dont les plaintes étaient
parvenues aux pieds du trône ; que sa déposition était devenue par là nécessaire, mais qu’ayant
désobéi au Grand Seigneur, et refusé même, avec des termes impropres, de se rendre à
Constantinople, il avait subi la peine méritée. On lui impute aussi d’avoir vendu des chevaux aux
Russes, d’avoir été en correspondance avec la Cour de Russie et de Prusse, et d’avoir fait passer
trois millions de sequins à Pétersbourg ».
Édition : N. Iorga, Acte şi fragmente, p. 489. Voir aussi Fl. Marinescu, Étude généalogique
sur la famille Mourouzi, Athènes 1987 : Centre de Recherches Néohelléniques (« Tetradia
ergasias », 12), p. 62-69 (pour Démètre Mourouzi) et p. 72-75. Une version abrégée due au comte
Andréossy dans Hurmuzaki, Documente, Supliment I/2, no 912, p. 700.
194
LA MORT INFÂME
eux, tendant à induire en erreur les tranquilles sujets de l’empire, ayant été saisis par la police, le
traître Aleco Hekim-Oglou, égaré par leurs insinuations, ayant manifesté et constaté son accord et
complicité avec les rebelles, a été pris, et, pour servir d’exemple aux autres, a subi la peine
méritée : c’est son vil cadavre qui est ici exposé ».
Édition : N. Iorga, Acte şi fragmente, II, p. 573 (annexe à un rapport de l’ambassadeur Von
Miltitz au roi de Prusse, envoyé d’Istanbul le 31 mars 1821) ; Todorachi Riso logothète, « …figlio
del medico Fotino », trad. italienne, dépêche de Jean-Baptiste Nanoni, chez A. Oţetea,
Contributions à la question d’Orient, Bucarest 1930, p. 334-335.
Édition : N.. Iorga, Acte şi fragmente, II, p. 578 ; Fl. Marinescu, op. cit., p. 77-81.
b) Décapité en présence du sultan sa tête fut mise sur un pal « avec un écriteau qui le
déclarait puni comme chef de la grande Synomotie ».
195
MATEI CAZACU
convaincus qu’il est le promoteur de la destruction générale que les rayas égarés auront à subir par
le secours divin. Comme tout nous est garant de sa trahison, aussi bien au détriment de la Sublime
Porte, que pour la perte de sa propre nation, il faut que cet homme disparaisse de la face de la terre
et soit pendu pour servir d’exemple aux autres. Donné le 10 du mois de redjeb, 1230 (= 1237) ».
196
LA MORT INFÂME
Après avoir été exposée quelques jours, la tête d’Ali reçut un traitement
honorable bien qu’inattendu. Voici ce que nous en dit Robert Walsh :
« Ali-Pacha avait occupé l’attention de toute l’Europe, et surtout celle d’Angleterre ; un
marchand de Constantinople crut faire une bonne spéculation en achetant sa tête et le bassin dans
lequel on l’avait montrée, et en envoyant l’un et l’autre à Londres pour les exposer à la curiosité
publique. Il me dit qu’il en avait offert une somme considérable ; mais telle n’était pas la destinée
des restes d’Ali-pacha. Soliman-Derviche, un de ses anciens collègues, qui lui avait servi d’agent
confidentiel dans plusieurs négociations importantes, conçut un projet plus noble, bien que ce
brave musulman eût eu à se plaindre du pacha de Jannina. Des querelles d’opinion s’étant élevées
entre eux, il fut obligé de se séparer d’Ali, et se retira dans un couvent où il se fit derviche. À la
nouvelle de la mort de son vieil ami, Soliman éprouva le plus vif chagrin et acheta de l’exécuteur
public chargé de la faire exposer, la tête d’Ali, pour laquelle il donna un prix beaucoup plus élevé
que celui qu’offrait le marchand. Il obtint ensuite celles des trois fils et du petit-fils du pacha de
Jannina, qui furent décapités après lui sous divers prétextes ; il les déposa vis-à-vis de la porte de
Selyvria (Silivri), et les recouvrit de pierres tumulaires. Les voyageurs qui entrent dans
Constantinople par cette porte peuvent voir ces monuments et apprendre quelle fut la destinée de
ceux qu’ils renferment » (p. 45-46).
Une lecture un peu différente de la même inscription nous est donnée par
un autre voyageur, Charles White, que nous citons dans sa traduction
allemande :
197
MATEI CAZACU
« Er allein (Allah) ist ewig. Der Verwalter der Provinz Janina, der seine Unabhängigkeit
mehr als dreisig Jahre behauptete, der berühmte Ali-Pascha. Hier ruht sein Haupt. 5 Dschemasi-
ul-ewel 1227 ». (Charles White, Drei Jahre in Konstantinopel, III, Stuttgart 1846, p. 319 ; N.
Iorga, Geschichte des osmanischen Reiches, V, Gotha 1913, p. 269).
198
LA MORT INFÂME
Négri, qui se trouve à cette heure en Morée, à la tête des rebelles, il a été exécuté pour servir
d’exemple aux autres, et c’est là le vil cadavre de Constantin Négri ».
Édition : N. Iorga, Acte şi fragmente, II, p. 663. Annexe d’un rapport de l’ambassadeur
prussien Von Miltitz, en date du 9 novembre 1822, qui précise que la décapitation a eu lieu au
quartier du Phanar (ibidem, p. 662). Robert Walsh, op. cit., p. 223, donne seulement le début du
yafta (« Voici l’odieux cadavre de Constantin Négri, caïmacan de Valachie ») et précise : « Il a
été le dernier Grec exécuté à Constantinople ». Sa femme, Euphrosyne (1778-1850) était la fille
du prince Nicolas Mavroyéni, lui-aussi décapité en 1790 et dont il a été question plus haut. Cf. M.
D. Sturdza, Dictionnaire historique et généalogique, p. 340, 363.
199
MATEI CAZACU
Halet fit bannir d’Istanbul Hadji Bektash, un derviche qui avait beaucoup
d’ascendant sur les janissaires : ceux-ci demandent et obtiennent la démission
du gouvernement et l’exil des ministres en Asie Mineure.
« On publia qu’Halet-Effendi, le plus détesté de tous, avait été étranglé sur-le-champ, pour
calmer le ressentiment des janissaires. Mais c’était un faux bruit : il devait fournir un nouvel
exemple de la mauvaise foi des Turcs dans leurs transactions. Le sultan, qui était personnellement
attaché à Halet, l’assura de sa protection lorsqu’il fut obligé de le renvoyer du ministère ; et, pour
confirmer sa parole, il lui donna un sauf-conduit écrit de sa propre main. Il lui promit, en outre, de
le rappeler aussitôt que l’effervescence serait apaisée, et il lui ordonna de se rendre à Brousse,
comme le lieu d’exil le plus agréable. Halet partit, plein de confiance, escorté de quarante
cavaliers qu’on lui avait donnés comme garde d’honneur, et portant son sauf-conduit dans son
sein. Pendant la route, il reçut l’ordre de se diriger sur Konia, et ce changement lui parut une
nouvelle preuve de la bienveillance du sultan. Pour rentrer en grâce auprès des janissaires, il se fit
membre d’un collège de derviches. Il y en avait un considérable à Konia, et c’est parmi eux qu’il
avait l’intention de se retirer pour vivre dans une parfaite sécurité, protégé par leur renom de
sainteté. Il marchait à petites journées et recevait, comme au temps de sa grandeur, les marques de
respect que lui prodiguaient les autorités des villes qu’il traversait. Près d’arriver à Bola-Vashee,
village où il voulut s’arrêter, il vit passer avec rapidité un chouash à la tête de vingt cavaliers.
C’était vers Halet lui-même qu’il était dépêché, et il était porteur d’un firman du sultan qui lui
ordonnait de trancher la tête de son ancien ministre. Il instruisit le muzzellim, ou gouverneur, de
Bola-Vashee de l’objet de sa mission et lui apprit que sa victime le suivait de près. Ils convinrent
que l’ordre serait exécuté sur-le-champ, et qu’on ne permettrait pas à Halet de continuer sa
marche jusqu’à Konia, de peur que les derviches ne s’opposassent à l’accomplissement de l’ordre
du sultan. Tout étant prévu, le muzzellim, accompagné de sa suite, alla recevoir Halet à la porte de
la ville avec toutes les démonstrations de respect d’usage, le fit entrer dans sa maison et, après
avoir pris le café, ils se placèrent sur un divan, fumant leurs pipes et conversant amicalement ;
l’un sans défiance et l’autre s’étudiant à ne rien laisser échapper qui pût éveiller les soupçons
d’Halet.
L’exécuteur entra alors dans la chambre et montra le firman du sultan qui ordonnait la mort
d’Halet. Celui-ci, pour toute réponse, présenta froidement le sauf-conduit qu’il portait. Mais le
muzzellim, les ayant examinés tous les deux, déclara que la date de l’arrêt de mort était la plus
récente. Halet proposa alors de continuer sa route jusqu’à Konia et d’adresser au sultan une lettre
pour le prier de rectifier ce qu’il assurait être une erreur ; mais l’exécuteur ne voulut consentir à
aucun délai et, pour mettre fin à toute discussion, il étrangla le malheureux Halet sur le divan où il
était couché. Il lui trancha la tête et la rapporta à Constantinople avec autant de célérité qu’il en
avait mis à le chercher. Elle fut exposée, comme c’était l’usage, dans la cour du Sérail, sur le
même pilier qui avait reçu, peu de mois auparavant, celle de son ennemi Ali-Pacha. Elle ne fut pas
traitée avec le même respect par ceux qui furent chargés de l’embaumer, car ils la défigurèrent
effroyablement. Un grand concours de peuple se rendit au Sérail pour la voir ; et, si l’on considère
l’apathie ordinaire aux Turcs, on trouvera dans cette affluence une preuve irrécusable de
l’impopularité d’Halet-Effendi. [...] Parmi les actes de la munificence d’Halet, on remarque le
projet que lui avaient inspiré les idées qu’il avait adoptées pendant son séjour en France. Il fit
construire une superbe bibliothèque au collège des derviches dansants à Kioutoupkane, dans le
faubourg de Péra ; et, imitant l’exemple de Rachûb (Ragıb), vizir d’Osman III, il fit élever, dans
une des cours de cet édifice, un magnifique mausolée où son corps devait être déposé après sa
mort. Sa femme, avec qui il n’avait pas vécu en bonne intelligence, conçut une si grande joie à la
nouvelle de l’exécution de son mari, qu’elle sacrifia deux moutons et qu’elle vint voir exposer sa
tête. Cependant, elle fut épouvantée à cet horrible aspect et, revenant à des sentiments moins
cruels, elle l’acheta 2 000 piastres et la déposa dans un superbe tombeau. La mort d’Halet ne suffit
pas pour apaiser la fureur des janissaires. Ils demandèrent que sa tête fût jetée à la mer et, malgré
200
LA MORT INFÂME
ceux qui s’opposèrent à ce projet, elle fut exhumée, portée à la pointe du sérail et précipitée dans
le Bosphore ».
201
II.
1
Cf. V. Molin, « Venise, berceau de l’imprimerie glagolitique et cyrillique », SVe 8 (1966),
p. 347-445 ; W. Schmitz, Slavischer Buchdruck in Venedia (16.-18. Jh.) Untersuchungen und
Bibliographie, Glessen 1977 (« Osteuropastudien der Hochschule des Landes Hessen, Reihe », II,
« Marburger Abhandlungen für Geschichte und Kultur Osteuropas », 15).
2
É. Picot, Coup d’oeil sur l’histoire de la typographie dans les Pays roumains au XVIe
siècle, Paris 1895 (extrait du Centenaire de l’École vivantes) ; I. Bianu, N. Hodoş, D. Simonescu,
Bibliografia românească veche 1508-1830, I-IV, Bucarest 1903-1944 (abrégé : BRV).
3
F. Hervav, « L’imprimerie cyrillique de Transylvanie au XVIe siècle », Magyar
Könyvszemle XXXI (1965), p. 201-216 ; L. Demény, Ouvrages imprimés en caractères
cyrilliques en Transylvanie au XVIe siècle et conservé dans les bibliothèques de Moscou et de
Leningrad, Armarium. Studia ex historia scripturae, librorum et ephemeridum, I, Budapest 1976 ;
I. Gheţie – Al. Mareţ, Originile scrisului în limba română, Bucarest 1985 ; L. Demény – L. A.
Demény, Carte, tipar şi societate la Români în secolul al XVI-lea, Bucarest 1986.
4
Cf. la correspondance publiée par I. Kostrenčić, Urkundliche Beiträge zur Geschichte der
protestantischen Literatur der Südslaven in den Jahren 1559-1565, Vienne 1874 ; E. Benz,
Wittenberg und Byzanz. Zur Begegnung aus Auseinandersetzung der Reformation und der östlich-
orthodoxe Kirche, Munich 1971 (« Forum Slavicum », 6).
MATEI CAZACU
5
BRV, I, no 6, p. 23-29. Pour l’équivalence Molitvenik – livre de prières, cf. A. Salaville,
Liturgies orientales, I, Paris 1932, p. 182 ; voir aussi L. Clugnet, Dictionnaire français des noms
liturgiques en usage dans l’Église grecque, Paris 1895 ; M. Roty, Dictionnaire russe-français des
termes en usage dans l’Église russe, Paris 1900 (« Lexiques de l’Institut d’études slaves », 4)
6
D. Medaković, Grafika srpskikh štampanikh knig XV – XVII veka, Belgrade 1958, p. 45,
174-175 ; J. Badalić, Jugoslavica usque ad annum MDC Bibliographie der sudslawischen
Frühdrucke, Baden-Baden 1966 (« Bibliotheca bibliographica Aureliana », II), no 39, p. 26. Cf.
aussi ibidem, no 39, p. 47 (Trebnik = Horologion) de 1531 imprimé par le hiéromoine Théodore
Ljubavić. L’épilogue du Psautier sonne ainsi : « poveleniem’ Božidarom’ Goraždaninom’ trudise
se monakh i svjaščenno ino Theodor » ; celui du Trebnik : « poveleniem’ Božidara Goraždanina
jeromonakh Teodor Ljubavić pri pomošči diacona Radoja ».
7
J. Badalić, op. cit., no 32, p. 41. L’épilogue du livre dit : « V Bnecikh’, v leto 1527 [recte :
1519], poveleniem Božidara Vuković, pod prizreniem Gjura Ljubaviča, trudiže se kalugjer. i
svjaščenik Teodor ».
8
Voir pour lui, à part les travaux cités, plus haut, notes 1 et 6 ; Dj. Sp. Radojičić, Stari
srpski književnici (XIV – XVII veka). Rasprave i članci, Belgrade 1942 ; idem, Karakter i glavni
momenti iz prošlosti starikh srpskikh štamparija XV – XVII veke, Cetine 1950 (tiré à part des
Istoriski zapisi 6) ; J. Tadić, « Testamenti Božidara Vukovića srpskog štampara XVI veka »,
ZFFB 7 (1963), p. 337-360. Pour son activité diplomatique, voir les actes publiés par Al.
Ciorănescu, Documente privitoare la istoria Românilor culese din arhivele din Simancas,
Bucarest 1940 ; idem, « Petru Rareş şi politica orientală a lui Carol Quintul », AARMSI, IIIe série,
XVII (1935-1936), p. 243-256. Plus récemment, A. Pippidi, Hommes et idées du Sud-Est
européen à l’aube de l’âge moderne, Bucarest – Paris 1980, p. 260-261 ; M. Cazacu, « Projets et
intrigues serbes à la Cour de Soliman (1530-1540) », dans G. Veinstein (éd.), Soliman le
Magnifique et son temps, Paris 1992, p. 511-528.
206
DIMITRIJE LJUBAVIĆ (c. 1519—1564)
1519. C’est à peu près le moment où naquit Dimitrije qui disait, en 1561, avoir
environ 40 ans9.
La mort inattendue de Georges pourrait expliquer le départ de Venise de
son frère Théodore qui continua néanmoins d’imprimer des livres dans le
couvent de Goražde pour le compte de Božidar Vuković, notamment un Trebnik
(Euchologe, rituel) en 1531.
Après la mort de son père, Dimitrije s’est rendu, vraisemblablement
ensemble avec sa mère, en Crète, colonie vénitienne, où il suivit les cours de
Hermodore Lestarchos. Parmi ses compagnons d’études se trouvait un Grec du
nom de Jacques, plus connu sous le nom de Jacques Héraclide Basilicos,
prétendant au titre de despote de Samos et Paros et prince de Moldavie de 1561
à 156310. On sait pourtant que l’Académie de Hermodore Lestarchos se trouvait
à Chios, ce qui n’exclut pas pour autant un séjour de Dimitrije à Crète11.
Dans ce milieu cosmopolite, Dimitrije a appris le grec et l’italien et s’est
initié dans les questions théologiques. Nous perdons ensuite sa trace11bis pour la
retrouver en Valachie en 1544, lorsqu’il est le propriétaire de 1’ancienne
imprimerie de Goražde et porte le titre de « logofăt », ce qui veut dire secrétaire.
On peut supposer qu’après la mort de son oncle Théodore, et surtout celle de
Božidar Vuković (en 1539-1540), l’imprimerie de Goražde avait cessé toute
activité. Le fils de Božidar, Vincent, allait continuer d’imprimer des livres
slaves et italiens à Venise pendant une trentaine d’années (de 1546 à 1570),
mais il n’avait ni l’envergure, ni les ambitions de son père.
La venue de Dimitrije en Valachie demande quelques explications. Ce
Pays Roumain situé entre le Bas-Danube et les Carpates méridionales était
tributaire des Turcs qui lui garantissaient une large autonomie intérieure contre
le paiement du kharatch. Les princes de Valachie – tout comme ceux de la
Moldavie voisine – avaient accueilli chez eux beaucoup de Slaves du Sud
réfugiés ici dans le courant du XVe et du XVIe siècles, après l’occupation de
leurs pays par les Ottomans. Cette diaspora serbe – présente également en
9
I. Kostrenčić, op. cit., p. 42-43. L’épilogue publié par L. Stojanović, Stari srpski zapisi i
natpisi, I, Belgrade 19822 (19021), p. 147. E. Picot, op. cit., p. 17, donne la date erronée de 8 mars
1527 pour la mort de Georges.
10
M. Crusius, Turcograeciae libri octo, Bâles 1584, p. 249. L’information a été discutée
par E. Benz, op. cit., p. 73 et n. 32, p. 261. Pour Hermodore Lestarchos, voir E. Legrand,
Bibliographie hellénique ou description raisonnée des ouvrages publiés en grec par des Grecs
aux XVe et XVIe siècles, I, Paris 1885, p. 253-258.
11
S. Runciman, The Great Church in Captivity, Cambridge 1968, p. 218-219, 242.
Dimitrije connaissait Chios car il racontait à Melanchton, en 1559, qu’il y avait encore beaucoup
d’églises grecques dans les îles et notamment à Chios, possession génoise, il y avait une
importante école théologique. Cf. E. Benz, op. cit., p. 62-63 : N. Iorga, Byzance après Byzance,
Bucarest 19351, p. 43, 88, 98, 101.
11bis
On peut se demander si ce n’est pas lui le « serviteur du Christ Dimitrie », qui édite en
7047 (1538-1539) un Octoèque au monastère de Gračanica, dépendant de la métropole de Novo-
Brdo : L. Stojanović, Stari srpski zapisi i natpisi, I, Belgrade 1902, no 496, p. 163 ; D. Medaković,
op. cit., p. 157-161, 222-223.
207
MATEI CAZACU
12
P. P. Panaitescu, « Der Oktoich des Makarij (1510) und der Ursprung der Buchdruckerei
in der Walachei », SOF V (1940) ; idem, « Contribuţii la începuturile tipografiei slave în Ţara
Românească », SCB I (1955), p. 233-238 ; idem, Liturghierul lui Macarie, 1508, Bucarest 1961 ;
V. Molin, D. Simonescu, « Tipăriturile ieromonahului Macarie pentru Ţara Românească », BOR
LXXVI (1958), p. 1005-1034 ; L. Demény, « L’imprimerie cyrillique de Macarios de Valachie »,
RRH VIII (1969), p. 549-574 ; idem, « La tradition de l’imprimerie de Macarios de Valachie dans
l’imprimerie sud-slave du XVIe siècle », BAIÉSEE VIII (1970), p. 87-97 ; D. Simionescu,
« Tipografi sârbi în slujba vechiului tipar românesc », ASLR 3-4 (1973), p. 533-569.
13
Certains personnages que l’on considère Albanais étaient, en fait, Slaves ou apparentés à
des Slaves. Un cas parmi d’autres est le grand vizir Aias pacha (1536-1538), apparenté à Božidar
Vuković. Cf. une lettre de ce dernier, de 1536, publiée par Al. Ciorănescu, op. cit., no 7, p. 15-16.
14
M. Maxim, « Les relations des Pays roumains avec l’Archevêché d’Ochrid à la lumière
de documents turcs inédits », RÉSEE XIX (1981), p. 653-871.
208
DIMITRIJE LJUBAVIĆ (c. 1519—1564)
15
I. R. Mircea, « Relations culturelles roumano-serbes au XVIe siècle », RÉSEE I (1963),
395 et n. 78 et 79. Pour la venue de Mircea au trône, voir M. Berindei – G. Veinstein, L’Empire
ottoman et les Pays roumains, 1544-1545. Étude et documents, Paris – Cambridge 1987
(« Documents et recherches sur le monde byzantin, néohellénique et balkanique », 14).
16
Cf. N. Şerbănescu, « Mitropolitul Anania », GB IX/9-10 (1950), p. 33-46 ; idem,
« Mitropoliţii Ungrovlahiei », BOR LXXVII (1959), p. 756-759. Pour d’autres membres de la
famille de la princesse Milica Despina, installés en Valachie, voir un acte du 13 janvier 1613 :
DIR, B, XVII/2, Bucarest 1951, p. 136-137 ; un autre du 28 juin 1629 : DRH, B, XXII, Bucarest
1969, p. 602-603. Un neveu de la princesse porte justement ce nom, Anania.
17
Le prince Radu Païsie avait eu des rencontres secrètes à Constantinople, en 1536, avec
Božidar Vuković en vue de la conclusion d’un traité d’alliance de la Valachie avec Charles Quint.
Voir le rapport de Domingo de Gaztelù, chez Al. Ciorănescu, op. cit., no 7, p. 15-16. Le traité était
signé le 7 janvier 1543, cf. Hurmuzaki, Documente, II/1, no 210, p. 240-242 ; C. C. Giurescu,
« Documente răzleţe din arhivele Vienei (1535-1720) », BCIR I (1915), no 8 et 9, p. 286-288.
18
BRV, I, no 6, 7, 8. Cf. L. Bacâru, « Valoarea documentară a filigranelor cu privire
specială a cărţilor româneşti în secolul al XVI-lea », SCDB VII (1965), p. 273-283 ; L. Demény,
« Tipăriturile târgoviştene din secolul al XVI-lea în bibliotecile şi muzeele din Moscova şi Lenin-
grad », SVa (Târgovişte 1970), p. 143-163.
19
W. Schmitz, op. cit., no 24, p. 34-35 (Octoèque, 1536-1537) et no 25 (Sbornik Minej =
Ménées, 1536-1538).
20
Pour l’activité de Coresi, voir récemment I. Gheţie – Al. Mareş, op. cit. (riche
bibliographie).
21
Cf. supra, n. 8. À noter l’épilogue de l’Apostol (Épistolier) de 1547 où Dimitrije déclare
avoir écrit « avec sa main pécheresse et mortelle, une âme désespérée, malheureuse et
pécheresse ». BRV, I, no 7, p. 29-30 ; cf. I. N. Bembea – N. Bembea, « Apostolul tipărit în 1547 la
Târgovişte de Dimitrie Liubavici », BOR LXXVIII (1960), p. 510-536.
209
MATEI CAZACU
22
Al. Mareş, « În legătură cu o nouă explicaţie a monogramei Boj din tipăriturile sârbeşti
şi româneşti », Limba Română XXI (1972), p. 463-469. Ce monogramme apparaît déjà dans les
livres imprimés par Božidar Vuković, cf. D. Simonescu, « Un Octoih al lui Vucovici la noi şi
legăturile acestuia cu tipografia românească », RIR III (1933), p. 226-233 ; L. Demény,
« Tipărituri chirilice veneţiene şi sud-slave din secolul al XVI-lea în Biblioteca Academiei
R.S.R. », SCB XII (1972), p. 51-74. Étude reprise dans le volume cité supra, Carte, tipar şi
societate…, p. 211-225.
23
D. Medaković, Grafika srpskikh štampanikh knjiga XV – XVII veka, Belgrade 1958, p.
44-45.
24
« Ist vill jar des walachische wayda secretari gewesen », écrivait, le 24 juin 1561, de
Vienne, Ambros Frölich à Hans Ungnad : cf. L. Kostrenčić, op. cit., p. 43. On peut supposer que
c’est lui le scribe de l’acte princier du 1er juillet 1547 qui signe « Dimitrie », forme inusitée en
Roumanie. L’acte dans DRH, B, IV, Bucarest 1981, no 237, p. 284-285. La forme usuelle chez les
Roumains est « Dumitru » : cf. N. A. Constantinescu, Dicţionar onomastic românesc, Bucarest
1963, p. 42.
25
Dans le monde de la chrétienté orientale, les imprimeurs étaient, au moins au XVIe siècle,
moines ou clercs séculiers (diacres pour la plupart). Ceci s’explique par la méfiance de l’Église
orthodoxe envers la nouvelle invention et par la nécessité d’y employer des hommes connaissant
les matières théologiques, à même de corriger d’éventuelles erreurs dans les textes qu’ils
imprimaient. Pour la Serbie, la situation est très nette : Macaire de Monténégro, Théodore
Ljubavić, Moïse ; en Vàjaçhie : le même Macaire de 1508 à 1512, puis le diacre Coresi, le moine
Laurent, etc.
26
Cf. la lettre que Martin Gerstmann expédiait de Venise le 7 mars 1561 à Ulrich Fugger –
« Nam Constantinopoli docuit christianae religionis iuvenes quamplurimos » : P. Lehmann,
« Briefe an Ulrich Fugger », BZ XLIV (1951), p. 387-388. À comparer avec une lettre du 29 mai
1559 adressée par Sigismond Gelous Torday à Melanchton – « Demetrius, qui attulit eam,
triennio fuit diaconus in Ecclesia Byzantii, ut narrat » : E. Benz, op. cit., p. 61 et n. 9. En 1561,
Ambros Frölich écrivait à Hans von Ungnad que Dimitrije « Ist vill jar des walachischen Wayda
210
DIMITRIJE LJUBAVIĆ (c. 1519—1564)
monastère serbe de Chilandar27. Durant ces cinq ou six ans, il servit sans doute
le patriarche Denis (1546-1555), dont il affirmait avoir été « levit » et
« nottari ».
En 1552, Dimitrije était de retour en Valachie. Durant son absence,
l’imprimerie avait cessé de fonctionner et elle ne reprendra son activité que
quelques années plus tard sous la direction de Coresi qui travailla au début – à
partir de 1556-1557 – aussi bien à Braşov (Kronstadt), en Transylvanie, qu’à
Târgovişte (1557-1558), pour s’installer définitivement à Braşov en 155928.
Son séjour en Valachie n’allait pas être de longue durée. En effet, il semble
que le prince Mircea III lui portait une grande affection et, vraisemblablement,
de l’admiration pour ses qualités. S’y ajoutait un détail qui à peut-être son
intérêt : le prince s’appelait lui aussi Dimitrie et avait pris le nom de Mircea
comme nom princier29. Il y avait peut-être aussi une certaine parenté entre les
deux hommes, car, ne l’oublions pas, la mère du prince, Catalina, était une
princesse Crnojević, originaire du Monténégro, tout comme Božidar Vuković.
Quoi qu’il en soit, la bienveillance de Mircea III envers Dimitrije s’est
traduite par son envoi, en 1552, à Braşov auprès de l’humaniste saxon Valentin
Wagner qui devait lui apprendre le latin. Nous savons cela par une lettre que
Wagner envoya au prince le 21 août 1552 et dans laquelle il vantait « la
singulière érudition » (singularem eruditionem) de son nouvel élève30.
Braşov (Kronstadt) était à l’époque une des villes les plus florissantes du
Sud-Est de l’Europe31. Elle était peuplée par des Saxons, sujets du prince de
Transylvanie, Principauté autonome mais tributaire dès Turcs au même titre que
secretari gewesen und 6 jar lang der patriarchen zu Constan- tinopl in der griechischen khirchen
oder religion nottari und leuit » : I. Kostrenčić, op. cit., p. 43.
27
« et in monte Atho, quem nostra aetate quatuor miliia monachorum incolunc, fere
biennium vixit et quidquid bonorum authorum habent, diligenter perlustravit » : P. Lehmann, op.
cit., p. 387-388.
28
L. Demény, « A dus oare Coresi tiparniţa de la Târgovişte la Braşov ? », LL XIX (1968),
p. 77-90, et dans eadem, op. cit., p. 83-93.
29
I.-R. Mircea, « Relations culturelles roumano-serbes au XVIe siècle », RÉSEE I (1963), p.
395, n. 78.
30
Republié d’après J. Duck (Geschichte des Kronstädter Gymnasiums, Braşov 1845) par E.
Benz, op. cit., p. 261-262, n. 35 : « Ut primum hunc dominum Demetrium vidimus, valde gavisi
sumus. Jam enim antea eius nomen ob singularem eruditionem apud nos innotuerat. Sed postquam
intelleximus, ipsum a M.D.V.-ra discendae latinae linguae gratia ad nos transmissurn esse, maiori
multo amore et benevolentia prosequi coepimus... Quod autem ad hunc dominum Demetrium
attinet, etsi unumquemque satis sua virtus, praecipue apud bonos commendare solet, tamen et vos
testimonium ipsius apud nos honestissime vixisse, ac praesertim latinis sedulam operam dedisse...
Consilium nostrum est, ut adhuc aliquamdiu apud nos vivat, latinamque linguam sie pereipiat, ut
proprie et ornate quaecunque opus foret, cum loqui tum scribere queat. Nos sicuti hactenus
amanter ipsum tractavimus, ita in posterum quoque promittimus nos praecipue ob M.V.D. ipsum
favo- ranter et amicissime tracturos esse… ».
31
R. Manolescu, « Le rôle commercial de la ville de Braşov dans le Sud-Est de l’Europe au
XVIe siècle », NÉH II (Bucarest 1960), p. 207-220 ; idem, Comerţul Tării Româneşti şi Moldovei
cu Braşovul (secolele XIV – XVI), Bucarest 1905.
211
MATEI CAZACU
32
M. Cazacu, « L’impact ottoman sur les Pays roumains et ses incidences monétaires
(1452-1504) », RRH XII (1973), p. 159-192 ; Ş. Papacostea, « Începuturile politicii comerciale a
Ţării Româneşti şi Moldovei (secolele XIV – XVI). Drum şi Stat », SMIM X (1983), p. 9-56.
33
A. Rosetti, « Les Catéchismes roumains du XVIe siècle », Romania XLVII (1922), no
191, p. 322-334 ; Z. Jako, « Die Hermannstädter Druckerei im 16. Jahrhundert und ihre
Bedeutung für die rumänische Kulturgeschichte », Forschungen zur Volks- und Landeskunde IX/1
(1966), p. 31-58 ; F. Hervay, « Die erste kyrillische Buchdruckerei zu Hermannstadt (1544-
1547) », Bibliothek und Wissenschaft III (1966), p. 145-155 ; L. Demény, « Où en est-on dans la
recherche concernant les débuts de l’imprimerie en langue roumaine ? », RÉSEE VIII (1970), p.
241-268 ; idem, « La typographie cyrillique de Sibiu au milieu du XVIe siècle », Rumanian
Studies II (1972), p. 30-47 ; I. Gheţie – Al. Mareş, op. cit., p. 95-99 et passim. Pour la Réforme en
Transylvanie, voir E. Roth, Die Reformation in Siebenbürgen. Ihr Verhältnis zu Wittenberg und
der Schweiz, I-II, Cologne – Vienne 1962, 1964 (« Siebenburgisches Archiv, Dritte Folge », 2, 4).
34
Voir l’étude fondamentale de Ş. Papacostea, « Moldova în epoca Reformei. Contribuţie
la istoria societăţii moldoveneşti în veacul al XVI-lea », SRI XI/4 (1958), p. 55-78 ; idem,
« Nochmals Wittenberg und Byzanz : die Moldau im Zeitalter der Reformation », Archiv für
212
DIMITRIJE LJUBAVIĆ (c. 1519—1564)
Reformationsgeschichte LXI (1970), p. 248-262. Pour les persécutions contre les Juifs – qui datent
des années 1546-1550, voir un acte mis en valeur par Ch.J. Halperin, « Judaizers and the Image of
the Jew in Medieval Russia : A Polemic Revisited and a Question Posed », CASS IX/2 (1975), p.
153-154.
35
Pour l’ensemble de la question, en dehors de la bibliographie déjà citée, voir Fr. Pall,
« Fragen der Renaissance und der Reformation in der Geschichte Rumäniens », Forschungen zur
Volks-und Landeskunde IX/2 (1966), p. 5-26 ; I. Gheţie, Începuturile scrisului în limbă română.
Contribuţii filologice şi lingvistice, Bucarest 1974, p. 172-181 (« Coresi şi Reforma »). Toujours
suggestives les pages de N. Iorga, « Le protestantisme roumain », RHSEE VII (1930), p. 65-78 ;
L. Binder, Grundlagen und Formen der Toleranz in Siebenburgen bis zur Mitte des 17,
Jahrhunderts, Cologne – Vienne 1976 (« Siebenbürgisches Archiv », 11) ; K. Zach, Orthodoxe
Kirche und rumänisches Volksbewusstsein im 15. bis 18. Jahrhundert, Wiesbaden 1977
(« Schriften zur Geistesgeschichte des östlichen Europa », 11).
36
Voir aussi P. P. Panaitescu, « Fundaţiuni religioase româneşti în Galiţia », BCMI XXII
(1929), p. 1-19 ; N. C. Bejenaru, Politica externă a lui Alexandru Lăpuşneanu, Jassy 1935.
37
Voir un exemple moldave de ces années chez P. Ş. Năsturel, « Le pope Sava, “boursier”
en Macédoine du prince de Moldavie Alexandru Lăpuşneanu, puis évêque de Transilvanie », BBR
14 (18) (1987-1988), p. 139-152.
38
B. Holl, « Die erste Ausgabe der Katechesis Valentin Wagners (Kronstadt, 1544) »,
Magyar Könyvszemle LXXVIII (1962).
213
MATEI CAZACU
39
Voir leur liste chez J. Benkö, Transsilvania sive magnus Transsylvaniae principatus..., II,
Vienne 1778, p. 598-599.
40
BRV, 4, 4.
41
R. Theodorescu, « Personalitatea diaconului Coresi », BOR LXXVII (1959), p. 302 ; P. P.
Panaitescu, Începuturile şi biruinţa scrisului în limba română, Bucarest 1965.
42
A. Huttmann, « Venirea diaconului Coresi la Braşov », Cumidava II (1968), p. 103-
108 (notice du 1er mai 1556 sut l’arrivée à Braşov d’un prêtre roumain de Valachie, identifié avec
Coresi) ; L. Demény, « A dus oare Coresi tiparniţa de la Târgovişte la Braşov », Limbă şi
Literatură XIX (1968), p. 77-90, réimprimé dans le eadem, Carte, tipar şi societate, p. 83-93 ; A.
Hutţmann, « Date vechi şi noi privind viaţa şi activitatea diaconului Coresi », SCB XII (1972), p.
41-49.
43
G. Gündisch, « O contribuţie la biografia umanistului braşovean Valentin Wagner (1510-
1557) », SRI XI/2 (1958), p. 115-122.
44
E. Benz, op. cit., p. 61 et n. 8.
45
La discussion de ce texte chez A. Rosetti, « Les Catéchismes roumains du XVIe siècle »,
Romania XLVIII (1922), p. 321-334 ; I. Gheţie – Al. Mareş, op. cit., p. 86-89.
214
DIMITRIJE LJUBAVIĆ (c. 1519—1564)
46
Voir la discussion de cet épisode chez G. Z. Petrescu, În jurul unei presupuse otrăviri a
lui Alexandru Lăpuşneanu. Un medic reformator aventurier, Bucarest 1928. Le médecin de
Lăpuşneanu s’appelait Giorgio Biandrata, né en 1515 à Saluzzo.
47
Son inscription date du 29 avril 1548 : cf. N. Iorga, « Înscrierea ca student a lui Despot-
Vodă », RI XVII (1931), p. 23-25.
48
Voir les notes de Charles de l’Ecluse à l’Histoire universelle de Jacques Auguste de
Thou, éd. La Haye 1740, reproduites par T. Bulat, « Încă ceva asupra lui Iacob Heraclide
Despotul », RI II (1916), p. 45-51 ; G. Marinescu, « Jacques Basilicos “le Despote”, prince de
Moldavie (1561-1563), écrivain militaire », Mélanges d’histoire générale, II, Bucarest 1938, p.
319-380 ; Şt. Olteanu, « Un manuscris necunoscut al lucrării lui Despot Vodă “De arte militari” »,
SRI XXIII (1970), p. 955-963. En outre, il a publié en 1555 à Anvers un récit du siège de
Thérouanne et de Hesdin qu’il signe, en latin, « Jacobus Basilicus Marchetus, despota Sami » : cf.
E. Legrand, Deux vies de Jacques Basilicos..., Paris 1889, p. XXXVIII-XLI.
49
Publiée par A. Veress, Documente privitoare, la istoria Ardealului, Moldovei şi Ţării
Româneşti, I, Bucarest 1929, p. 152 sq. Voir la discussion chez E. Legrand, op. cit., p. XXIV sq. ;
215
MATEI CAZACU
Basilicos Despota, il se rendit aux cours des princes allemands et danois, noua
des relations avec Melanchton et avec le prince Albert de Prusse qui le
recommandèrent aux chefs protestants pour l’aider à récupérer la Principauté de
Samos et de Paros50.
En octobre 1557 il était en Pologne, où il fit la connaissance des grands
seigneurs protestants du pays – notamment de Jean Laski51 – qui s’efforçaient
d’organiser une Église nationale protestante52 . C’est ici qu’il commença à
s’intéresser à la Moldavie voisine où il se rendit en 1558 muni de lettres de
recommandation du roi de Pologne et du palatin Nicolas Radziwill. Son
intelligence et son allure firent grande impression sur la princesse Ruxandra
(dont la mère était une Branković serbe) et que le prince Alexandre Lăpuşneanu
avait épousé de force après avoir assassiné sa mère et son premier mari53.
L’entreprise d’empoisonner le prince moldave échoua et Jacques fut obligé
de se réfugier en Transylvanie, à Braşov, dans la seconde moitié de l’année
155854. Ici, il fit imprimer en latin sa généalogie dans l’imprimerie de la ville et
à cette occasion il rencontra Dimitrije Ljubàvić55.
Dans cette curieuse pièce, qui rattache Jacques Basilicos aux Branković de
Serbie et à Hercule, il y a un ajout intéressant pour notre propos :
« Heraclides Demetrius. Hic ab Heraclida Jacobo, qui Basilicus Despota nuncupatur,
propter suam insignam virtutem adoptatur et arrogatur, ac loco fratris potitur, autoritateque
imperiali armis Heraclidarum ornatur, anno Dni. 1558 ».
N. Iorga, « Iarăşi ştiri nouă despre Despot », RI II (1916), p. 125-136 ; T. Gostynski, « Despot
Vodă şi Ciprian Bazylik », RIR XV (1945), p. 90-93.
50
N. Iorga, Nouveaux matériaux pour servir à l’histoire de Jacques Basilicos, Bucarest
1900 ; H. Petri, « Relaţiunile lui Jakobus Basilikus Heraclides zis Despot Vodă cu capii
reformaţiunii atât în Germania cât şi în Polonia precum şi propria sa activitate reformatoare în
principatul Moldovei », AARMSI, IIIe série, VIII (1927-1928), p. 1-62 ; N. Iorga, « Un
“Heraclide” à Montpellier et un courtisan valaque de Henri IIIe », BSHAR XVII (1930), p. 23-48,
E. Benz, op. cit., p. 34-58.
51
M. Kàsterska Sergescu, « Albert Laski et ses relations avec les Roumains », RHSEE VIII
(1931), p. 253-276.
52
Th. Wotschke, Geschichte der Reformation Polen, Leipzig 1911 (« Studien zur Kultur
Und Geschichte der Reformation », 16) ; G. Schramm, Der polnische Adel und die Reformation
1548-1607, Wiesbaden 1965 ; A. Jobert, De Luther à Mohila. La Pologne dans la crise de la
chrétienté, 1516-1648, Paris 1974.
53
C. C. Giurescu – D. C. Giurescu, Istoria Românilor, II, Bucarest 1976, p. 286-287.
54
E. Benz, op. cit., p. 46-47.
55
Généalogie publiée par E. Legrand, op. cit., p. 60-62 et par E. Benz, op. cit., p. 254. Cette
pièce est inconnue aux chercheurs qui se sont occupés de l’histoire de l’imprimerie de Braşov.
56
Sur les circonstances de sa fuite précipitée de Braşov, voir ce qu’en dit Jacques Héraclide
lui-même dans une lettre adressée le 6 juin 1560 aux autorités de cette ville : « A tyranno regni
216
DIMITRIJE LJUBAVIĆ (c. 1519—1564)
Après 1558, les routes des deux personnages se séparent à nouveau pour
quelque temps : alors que Dimitrije se rend à Wittenberg après un crochet par
Eperjes, Jacques s’enfuit à Vienne57 puis en Hongrie, où il travailla à rassembler
des troupes pour occuper militairement la Moldavie. Il n’est pas toutefois
impossible que Jacques ait parlé à Dimitrije de Melanchton, le chef indiscutable
et le grand sage de la Réforme après la mort de Luther.
Le séjour de Dimitrije à Wittenberg à été profitable aussi bien au visiteur
qu’à ses hôtes. En effet, Melanchton ne tarit pas d’éloges sûr l’homme qui lui
parlait avec force détails des Églises orthodoxes d’Europe et d’Asie, et lui
proposait de servir d’intermédiaire entre Wittenberg et Constantinople58. Pour sa
part, Dimitrije, qui connaissait les Réformés saxons dé Transylvanie, a pu
étudier à loisir l’activité fébrile de Melanchton et de ses amis et disciples qui
avaient tant impressionné Jacques Basilicos quelques années plus tôt. Mais,
alors que ce dernier avait embrassé la nouvelle religion, Dimitrije, tout en
admirant le dynamisme des Protestants, resta fidèle à l’Orthodoxie. Lors de ce
séjour, Dimitrije s’est vu confier par Melanchton une traduction en grec de la
Confession d’Augsbourg, destinée au patriarche Joasaph de Constantinople59.
En octobre 1559, Dimitrije quitta Wittenberg. Muni de lettres de
recommandation de Melanchton, il visita Joachimstal, Regensburg et
Nuremberg60. De là, il retourna à Braşov où il avait sa bibliothèque et où ses
anciens compagnons continuaient d’imprimer des livres en slavon et en
roumain. Il fit aussi un bref séjour en Valachie où, après la mort de Mircea III,
régnait maintenant son fils mineur Pierre (Petru) (1559-1568) sous la régence de
sa mère, Chiajna-Anne, qui n’était autre que la sœur de la princesse Ruxandra
de Moldavie. À Târgovişte, l’atmosphère avait changé depuis le départ de
Dimitrije et la mort du prince Mircea ; l’imprimerie slavo-roumaine de Braşov
était perçue comme une officine de propagande protestante, le pays connaissait
nostri Moldaviae, quod nullo iure possidét, quum extra omnem nostrum meritum iniuste
persequeremur, quanta nobis a vobis illata iniuria sit, non ignoratis. Ita quod et nocte clam
despoliatus et depraedatus a vobis fugere me oportuit, Quanta postea contra famam nostram
latrata sunt, nos non ignoramus. Tamen pietate chiristiana et magnanimitate principia vobis
ignoscimus, nec huius iniurie memores esse cupimus. Tantum volumus ut praesentium exhibitori,
generoso Stamatio Condostaulachi, ex Grecorum nobili familia orto, sincere nobis dilecto, ea quae
apud vos vestes, argentum et aurum reliquimus tradere fideliter velitis, et, siquidem quasi pignore
pro quinquaginta florems tenetis, tamen a vobis damni in centuplo magis contra officium
bonorum virorum passi sumus. Volumus igitur omnino ut praedictas res praedicto Stamatio
tradatis, quandoquidem et ipsa iusticia postulat. Si autem, de nostris rebus penitus desperantes,
vendidistis, praetium praedicto dare non recusetis ; si autem, aliter facietis, nostrum erit postea
cogitare : nos omnino decrevimus nulla ratione velle ferre ut vos nostra teneatis », Hurmuzaki,
Documente, XV/1, Bucarest 1911, no 1031, p. 560.
57
E. Legrand, op. cit., p. 165 ; E. Benz, op. cit., p. 47-48.
58
E. Benz, op. cit., p. 59 et suiv.
59
Ibidem, p. 67-69.
60
Voir la lettre qu’il écrivit à ce sujet à Melanchton le 15 octobre 1559, chez E. Benz, op.
cit., p. 69-70.
217
MATEI CAZACU
61
Voir plus haut, note 42, et l’ouvrage général de Şt. Andreescu, Restitutio Daciae.
Relaţiile politice dintre Ţara Românească, Moldova şi Transilvania în răstimpul 1526-1593,
Bucarest 1980.
62
Cf. I. Kostrenčić, op. cit., p. 43 : « Und wie er wieder in die Walâchey khumen, da dan
greyliche missbreich und superstitiones sein und khein raine lehr, ist er fur einen lutherischen und
khetzer verdacht worden. Hatt- derhalben weg muessen, sonst wer er verbrings verpent » (lettre
du 24 juin 1561).
63
Cf. la lettre d’Ambros Frölich déjà citée : « Er ist vor einem Jahr auch allhie [à Vienne]
gewesen und bei der khun. mt. [l’empereur Ferdinand] in khundtschaft kumen, die ime auch ein
zerung verordnett und ietz abermals. Und war willens in Mosskhoviam zu ziehen, daselbst ein
schvel und rechte khirch anzurichten und die rechte ler zu phianzen, aber gleichwoll mit
gefärlikheit und sorgen, unangesehen das er in denen landen wol bekliandt und einen grossen
namen hatt ». Pour la Réforme en Russie, voir E. Amburger, Geschichte des Protestantismus in
Russland, Stuttgart 1961 ; R. Stuperich, « Einflüsse der Reformation auf russischen Boden im
Verlauf des 16. Jahrhundert », Kirche im Osten XVIII (1975), p. 34-45.
64
Voir pour lui P. Lehmann, Eine Geschichte der alten Fuggerbibliotheken, I-II, Tübingen
1956 et 1960. Pour sa collection de manuscrits grecs, cf. idem, « Zur Geschichte der griechischen
Handschriften der Palatina”, Zentralblatt für Bibliothekswesen XXXVI (1919), p. 3-34, 49-66,
218
DIMITRIJE LJUBAVIĆ (c. 1519—1564)
65
Lettre de Martin Gerstmann du 7 mars 1561, de Venise, à Ulrich Fugger, découverte et
publiée par P. Lehmann, « Zur Geschichte ».
66
Dans une lettre qu’il nous a adressée de Bucarest, le professeur Dan Simonescu se
demandait si l’on ne devrait pas comprendre des « incunables ». Cette explication ingénieuse n’est
malheureusement pas confirmée par d’autres sources contemporaines : au milieu du XVIe siècle,
les incunables n’étaient pas encore recherchés. Le terme lui-même n’apparaît que bien plus tard,
en 1802, selon le Littré.
67
Pour le luxe des femmes grecques de Constantinople à cette époque voir, d’après Gerlach
et Crusius, N. Iorga, Byzance après Byzance, p. 124-125.
68
P. Lehmann, « Zur Geschichte », p. 381-385. On y parle également de Petrus Pomarus et
de son frère, Léonard, riche marchand à Constantinople, chez qui ils pourront loger. On peut se
demander s’il s’agit de parents de l’humaniste transylvain Christian Pomarius-Baumgarten, pour
lequel voir R. Schuller, « Christian Pomarius. Ein Humanist und Reformator in Siebenbürger
Sachsenlande », AVSL, nouvelle série, XXXIX (1913), p. 185-246 ; P. Binder, « Christian
Pomarius - Kartögraph. Beiträge zum Projekt der ersten Karte der Beschreibung der rumänischen
Länder », RRH VIII (1969), p. 171-175.
219
MATEI CAZACU
69
Discussion chez E. Benz, op. cit., p. 77 sq.
70
Voir la notice sur un manuscrit slavo-roumain conservé à Kiev et publiée par I. Bogdan,
Vechile cronici moldoveneşti până la Ureche, Bucarest 1891, republiée dans l’édition de G.
Mihăilă : I. Bogdan, Scrieri alese, Bucarest 1968, p. 281. Discussion chez N. M. Popescu,
Patriarhii Ţarigradului prin Ţările româneşti. Veacul XVI, Bucarest 1914, p. 37-38.
71
Voir les exemples cités par N. M. Popescu, op. cit., passim.
72
G. Hering, Oekumenisches Patriarchat und europaische Politik, 1620-1638, Wiesbaden
1968, avec la bibliographie des contacts antérieurs.
73
M. Crusius, Turcograecia, p. 248 ; traduction allemande chez E. Benz, op. cit., p. 88-89,
qui corrige la date de la lettre en 1564 et la met en liaison avec 1a mort de Despot.
74
Ainsi s’expliquerait plus facilement la mention des contacts de Dimitrije avec le
métropolite Theonas de Paronaxie qui se trouvait en 1559-1560 à Venise : cf. E. Benz, op. cit., p.
90.
220
DIMITRIJE LJUBAVIĆ (c. 1519—1564)
75
B. Hans, « Hans Ungnad, Freiherr von Sonneck, ale Forderer reformatorischer
Bestrebungen bei den Südslawen », SOF II (1937), p. 36-58 ; B. Benz, « Hans von Ungnad und
die Reformation unter der Südslawen », Zeitschrift für Kirchengeschichte LVIII (1939), p. 387-
475, repris dans Wittenberg und Byzanz, p. 141-308 ; M. Rupel, Primus Truber, Munich 1965.
76
I. Kostrenčić, op. cit., p. 39. Voir aussi Ş. Papacostea, « Diaconul sârb Dimitrie şi
penetraţia Reformei în Moldova », Rsl XV (1967), p. 211-218.
77
I. Kostrenčić, op. cit., p. 43.
78
Ibidem, p. 44 ; E. Benz, op. cit., p. 80-81.
221
MATEI CAZACU
79
I. Kostrenčić, op. cit., p. 39, 44 ; E. Benz, op. cit., p. 82.
80
E. Benz, op. cit., p. 82, qui semble ignorer le fait que Sigismond Torday était gagné à la
cause de Jacques Héraclide depuis février – mars 1560 : cf. Hurmuzaki, Documente, II/1, no 345-
347, p. 370-372.
81
M. Kasterska-Sergescu, « Albert Laski et ses relations avec les Roumains », RHSEE VIII
(1931), p. 253-276 ; N. Iorga, Nouveaux matériaux.
82
Le 19 janvier 1561, l’empereur Ferdinand promet son aide à Jacques Héraclide : cf.
Hurmuzaki, Documente, II/5, no 208, p. 476-478 ; voir aussi les lettres dans le même volume, no
478-499, p. 368 sq.
83
Voir E. Legrand, op. cit. ; E. Benz, op. cit., p. 48-49 ; Şt. Bârsănescu, Şcoala latină de la
Cotnati. Biblioteca de curte şi proiectul de academie a lui Despot Vodă, Bucarest 1957.
222
DIMITRIJE LJUBAVIĆ (c. 1519—1564)
Certains ne vinrent pas, mais d’autres s’y rendirent, de même qu’un grand
nombre de mercenaires hongrois, allemands et même français.
Peu de temps après son installation, Despot accueillit son frère adoptif
Dimitrije. Ce dernier avait décidé de lier son sort au sien et avait donc rompu les
négociations avec le cercle d’Urach. Dans sa lettre du 10 janvier 1562 à Hans
Ungnad, dans laquelle il fait état de cette décision, Frölich parle des relations de
Dimitrije avec Despot et précise que Ljubavić jouissait de l’estime du prince qui
avait fait appel à lui pour réformer l’Église de Moldavie84 .
C’est vraisemblablement dans ce but que Dimitrije partit au printemps de
l’année 1562 en ambassade en Pologne et en Russie85 . La mission ne réussit pas
à améliorer les relations de Despot avec le roi de Pologne, relations qui restèrent
tendues durant tout son règne.
Pendant l’absence de Dimitrije, Despot reçut une ambassade valaque et le
30 avril 1562 procéda à une cérémonie solennelle d’alliance et d’affrèrement
avec le jeune prince Pierre, le fils de Mircea III, qui régnait, comme nous
l’avons vu, sous l’autorité de sa mère Anne-Chiajna86.
À son retour de Pologne, Dimitrije apprit cette nouvelle avec un déplaisir
évident, car, selon les dires d’un témoin oculaire, Jean Sommer, il caressait
l’espoir d’occuper un jour le trône de Valachie87. Pourtant, en octobre 1562, les
relations de Despot avec la Valachie se sont détériorées au point que les armées
moldaves ont dû repousser une attaque de leurs voisins. Selon le rapport de
l’émissaire impérial en Moldavie, Despot aurait même imposé au prince valaque
un tribut de 5000 florins d’or, en signe de dédommagement 88.
Derrière cette agression se profilait une coalition entre le prince déchu,
Alexandre Lăpuşneanu, et Pierre de Valachie. On peut supposer que Dimitrije
84
Le 10 janvier 1562, Ambros Frölich pouvait annoncer à ses amis de Tübingen la décision
de Dimitrije de se rendre en Moldavie où il « wolle dort das Volk bilden », ce qui pourrait traduire
l’espoir d’un siège épiscopal : cf. I. Kostrenčić, op. cit., p. 68. Un résumé et des extraits chez E.
Benz, op. cit., p. 84-85, Une photocopie de la lettre nous a été gracieusement fournie par les
Archives de l’Université de Tübingen, où elle porte la cote 8/3, f. 94-95v.
85
Hurmuzaki, Documente, II/1, p. 407 : « Ad regem Poloniae et Moschum nuncium missit
Dernetrium Graecum, aulae suae familiarum, multis apud Maiestis vestras notum, praesertim
Tordae [Sigismond Torday ». Lettre du commissaire impérial en Moldavie à Ferdinand de
Habsbourg. Voir aussi A. Veress, op. cit., I, p. 222.
86
Voir le rapport du commissaire impérial Jean Belsius (le même que dans la note
précédente) en date du 4 mai 1562 : « de Transalpinis ultimo die Aprilis inter horam 8 et 9, habita
omnium boiaronum congregatione, ad latus Despotae introjit teatrum postremurn ille, orator
vayvodae Transalpini, brevique admodum facta oratione, produxit litteris iuramenti patentes quas
nomine Petri vayuodae Transalpini Despotae tradidit, is scribae publice legendas porrexit, quibus
ad horam uscque mediam perlectis, assurrexit deinde et Despotes cum boiaris suis cancellario
praecedente, subsequentibus reliquis, iuramento praelato (de more) cruce aurea et evangelijs
sacris simili seses non ad vicinitatis solum et amicitiae adjuncţis et liberis, verum ad fraternitatis
quoque sacratissimum vinculum unanimiter obstrinxerunt », Hurmuzaki, Documente, II/1, p. 410.
87
« Demetrii tamen illius, cui transalpinae Valachiae principatum destinarat Despota » : cf.
E. Legrand, op. cit., p. 34.
88
Hurmusaki, Documente, II/1, p. 457-458.
223
MATEI CAZACU
Ljubavić a été mécontent de l’arrêt dés hostilités, vu que cet incident lui
fournissait un prétexte idéal pour attaquer la Valachie et, éventuellement,
s’emparer du trône princier. Mais Despot, en butte à l’hostilité du roi de
Hongrie et de son ancien ami Jean Laski, avait d’autres priorités qui lui
interdisaient une entreprise militaire en Valachie.
En décembre de la même année 1562, un nouvel incident créa un malaise
entre les deux hommes : un émissaire de Hans Ungnad, Wolf Schreiber, arriva
en Moldavie porteur d’un projet d’imprimerie protestante en langues slaves et
roumaine. Soupçonnant une provocation, Despot le livra aux Turcs, où le
malheureux passa de longs mois en prison89.
C’est pourquoi en août 1563, alors qu’il commandait l’artillerie de Despot
Dimitrije. Ljubavić passa, bon gré mal gré, du côte du prétendant Ştefan Tomşa,
l’ancien hatman (commandant de l’armée), qui assiégea Despot dans sa
capitale, Suceava90. Obligé de se rendre, ce dernier sortit sur un cheval blanc,
affublé des insignes de la royauté, dans l’espoir d’impressionner ses adversaires.
Mais, il fut mis a mort, de même qu’une partie de ses mercenaires, le 6
novembre91.
Le règne de Ştefan Tomşa dura jusqu’au mois de mars 1564. Au début, le
nouveau prince traita Dimitrije avec mansuétude et même fit un serment
solennel lui promettant la vie sauve92. Toutefois, quelques jours plus tard,
Tomşa commença à nourrir des doutes sur la loyauté de son sujet et ordonna au
bourreau de lui couper la narine droite. Cette mutilation était appliquée, dans les
Pays Roumains, aux prétendants au trône princier et était censée les empêcher
de régner, vu que, selon la coutume locale, les princes devaient être exempts de
tares physiques93.
89
M. Knebel, « Wolf Schreibers Mission im Europäischen Südosten in der Mitte des XVI.
Jahrhunderts », Südost-deutsches Archiv II (1959), p. 18-42 ; M. Holban, « En marge de la
croisade protestante du groupe de Urach pour la diffusion de l’évangile dans les langues
nationales du Sud-Est européen – l’épisode Wolff Schreiber », RÉSEE II (1964), p. 127-152.
90
Voir la biographie de Despot éciite par Alexandre Guagnini et publiée par C. Marinescu,
« À propos d’une biographie de Jacques Basilicos l’Héraclide, récemment découverte », Mélanges
d’histoire générale, II, Bucarest 1938, p. 405-406.
91
A. Armbruster, « O relatare inedită a morţii lui Despot Vodă », SMIM VII (1974), p. 321-
328, récit de Thomas Frölich, pasteur protestant de Kassau, peut-être parent d’Ambros Frölich.
92
Voir le récit de Jean Sommer : « Is [Dimitrije] circumductus aliquandiu captivus tandem
in arctissimam Stephani familiaritatem admissus est, hospitalique mensae adhibitus, bolum panis
in crucis formam compositum aque Principe oblatum (quod sanctissimum apud illos foedus
existimatur) edere et de benignitate ipsius omnia semper jussus est », E. Legrand, op. cit., p. 55-
56.
93
« At, paucis interjectis diebus, comprehendi rursus eum naremque dextrahi excidi a
carnifice Stephanus jussit. Ita etiam notari apud illos soient, quibus e principum familia natis spes
imperii occupandi imputatur. Nemo enim qui mutilate sit corpore ad honores eos gerendos
admittitur. Ferebat tamen illud metu gravioris mali Demetrius, abunde secum bene agi existimans,
si vita relinqueretur » : Jean Sommer chez E. Legrand, op. cit., p. 56. Pour la coutume de mutiler
les candidats malchanceux au trône du pays et la nécessité pour les princes d’être exempts de tares
224
DIMITRIJE LJUBAVIĆ (c. 1519—1564)
physiques, voir les données recuieillies par N. Iorga, « Pretendenţi domneşti în secolul al XVI-
lea », AARMSI, IIe série, XIX (1897-1898), p. 195-197.
94
« Stephanus dissimulato metu cum tormentorum majorum custodiam nobili cuidam
Valacho ad Demetrio commisisset, omnibus insciis, quam potuit celerrima fuga se imminenti
malo in praesens eripuit. Alexandro desertis castris propinquo occurrit nobilis is qui tormentis
aeneis praesse jussus erat, vinctumque infelicissimum Demetrium obtulit, eum esse dictitans qui
consiliorum omnium conscius fuerit Despotae ; non minus in illo vindicari opportere ipsius
exilium quam in Despota si viveret ; sibi dari veniam aequum esse, quod clausis undique ipsum in
Turciam sequi, intereaque liberam ullam pro existimatione vocem mittere non potuerit ; nec se
perfide fecisse videri debere qui hostem ipsius per fraudem in potestatem redegerit, ipsius id
datum esse honori, cujus felici auspicio redeuntis in provinciam benevolentiam isto velut
autoramento sibi confirmare cuperet. Asservari Demetrium Alexander jussit et proditorem
magnifice donatum secure dimisit. Abeunti vero e vestigio submisit carnifices qui perfidum
nebulonem, ut meritus erat, trucidarent. Ita sceleris poenas statim exsolvit, memorabili exemplo
eorum qui, gratiae captandae causa, jura omnia confondere pro lusu habent » : E. Legrand, op.
cit., p. 56-57, récit de Jean Sommer.
95
« Demetrium Transalpino principi Mirzae [Pierre, fils de Mircea III] dono misit, apud
quem inter summas verborum contumelias, perstrepente luxu ac laetitia universa aula, misere
trucidatus interiit. Capiti etiam inter pocula a matre Mirzae, crudeli et immani foemina, turpiter
illusum est, dum nunc aemulum imperii, nunc Transalpinae principem petulante ac procaci lingua
ipsum salutaret » : récit de Jean Sommer chez E. Legrand, op. cit., 57. Cf. aussi l’élégie du même
dédiée Ad Demetrium, chez E. Legrand, op. cit., p. 83-91.
225
MATEI CAZACU
226
MOINES SAVANTS ET POPES IGNORANTS
DANS LE MONDE ORTHODOXE POST-BYZANTIN
Popes et moines
1
Voir E. Turczynski, « The Role of the Orthodox Church in adapting and transforming the
Western Enlightment in Söutheastern Europe », EEQ 9 (1975), p. 418-419. Pour les chiffres, cf. R.
Janin, Églises orientales et rites orientaux, Paris 19554. Pour la Russie, voir aussi R. Conquest, La
Grande Terreur. Les purges staliniennes des années 1930, Paris 19952, p. 217.
228
MOINES SAVANTS ET POPES IGNORANTS
Ouest, aux XVe – XVIe siècles, 25 % du total des biens fonciers en Roumanie,
en 1863, pour les seuls monastères.
À l’instar de Byzance, qui a servi de modèle pour toute l’Orthodoxie, le
statut du clergé régulier est supérieur à celui du clergé séculier tant pour la
formation des cadres que pour les possibilités de carrière qu’il ouvre ; en effet,
la hiérarchie supérieure de l’Église orthodoxe est formée exclusivement de
moines, qui seuls peuvent accéder aux dignités d’évêque, d’archevêque, de
métropolite et de patriarche, sans compter le personnel qui leur est attaché et les
supérieurs des monastères (higoumènes ou abbés). Le cas du prêtre séculier
Basile, qui fut élu, en 1182, abbé du monastère des Grottes de Kiev, est une
exception explicable seulement par l’incertitude qui régnait à l’époque dans
l’Église russe. Les moines forment également le personnel des tribunaux
ecclésiastiques orthodoxes dans l’Empire ottoman, et ils ont de surcroît la
charge des hôpitaux (xenodochion).
En revanche, le cas des archiprêtres (« protopopes de Cour », en Serbie),
prêtres des églises épiscopales et chargés des affaires financières des diocèses,
rappelle par certains côtés le cas russe mentionné plus haut. En Moldavie, entre
1395 et le milieu du siècle suivant, des protopopes sont chargés de l’administra-
tion de la Métropole du pays en l’absence du titulaire – un évêque grec, nommé
par l’empereur byzantin en vertu du Traité de Stoudion de 1382, et résidant à
Constantinople. Mais il s’agit là, répétons-le, d’exceptions en cas de crise ou de
situation exceptionnelle.
229
MATEI CAZACU
fabrique. Certaines paroisses importantes ne reçoivent que d’anciens élèves des séminaires. On a
même parfois recours à des moyens tout à fait modernes pour s’assurer un curé. N’a-t-on pas vu
en Bulgarie des fidèles privés de pasteur mettre des annonces dans les journaux pour demander
des offres qu’ils sollicitaient en vantant la salubrité du climat et la douceur des habitants ! »2
2
R. Janin, Églises orientales, p. 90.
3
Traduction de L. Leger, La Bulgarie, Paris 1885, p. 90-91.
230
MOINES SAVANTS ET POPES IGNORANTS
aide pour les dépenses de sa prêtrise, à savoir cent lei et deux jours de rente en travail calculées à
30 paras la journée de fenaison et 20 paras la journée de binage. Et nous nous sommes engagés à
lui construire la maison sur notre terre, là où il faut, près de l’église, et le terrain de la maison et
toutes ses annexes seront à toujours la propriété du prêtre et aux fils et aux petits-fils de Sa
Sainteté, autant que Dieu Lui donnera. Et lorsque nous avons fait ce contrat, il a été écrit avec
l’accord de tous les fidèles. Et pour plus de foi, nous avons signé mettant nos noms et nos doigts.
Écrit par le diacre ».
4
H. H. Stahl, Contribuţii la studiul satelor devălmaşe româneşti, II, Structura internă a
satelor devălmaşe libere, Bucarest 1959, Bucarest 1959, p. 50-51. Pour une vue d’ensemble, voir
idem, Les Anciennes Communautés villageoises roumaines. Asservissement et pénétration
capitaliste, Bucarest – Paris 1969.
5
Au XVIIIe siècle, époque pendant laquelle les provinces roumaines sont gouvernées par
les membres de grandes familles grecques ou hellénisées provenant généralement du quartier du
Phanar à Istanbul.
6
S. Runciman, The Great Church in Captivity, Cambridge 1968 ; H. Inalcik, « The Status
of the Greek Orthodox Patriarch under the Ottomans », Turcica 21-22 (1991), p. 407-436. Pour la
Roumanie, voir N. Stoicescu, « Regimul fiscal al preoţilor din Ţara Românească şi Moldova până
la Regulamentul Organic (1832) », BOR LXXXIX (Ì971), p. 335-354 ; M. Păcurariu, Istoria Bise-
ricii Ortodoxe Române, I-III, Bucarest 1994. Pour la Serbie, voir L. Hadrovis, Le Peuple serbe et
son Église sous la domination turque, Paris 1947 ; M. Mirković, Pravni položaj i karakter srpske
crkve pod turskom vlaşcu (1459-1766), Belgrade 1965. Pour la Bulgarie, T. Haardt, Die Lage der
bulgarischen Kirche im Osmanischen Reich bis zur Zeit der Tanzimat, Thèse de doctorat, Vienne
1949.
7
Conseils et mémoires de Synadinos, prêtre de Serrès en Macédoine (XVIIe siècle), éd. P.
Odorico, Paris 1996 : Association « Pierre Belon »
231
MATEI CAZACU
8
Ibidem, p. 79.
9
G. L. Freeze, The Russian Levites. Parish Clergy in the Eighteenth Century, Cambridge
(Mass.) 1977.
232
MOINES SAVANTS ET POPES IGNORANTS
10
I. De Marariaga, La Russie au temps de la Grande Catherine, Paris 1987, p. 130-141.
11
P. Pascal, La Vie de l’archiprêtre Avvakum écrite par lui-même, Paris 1938.
12
Édité par V. Radu, Voyage du patriarche Macaire d’Antioche, Paris 1930-1949
(« Patrologia Orientalis », 22, 24/5, 26/5) ; idem, Voyage du patriarche Macaire. Étude
préliminaire, Paris 1927.
13
C. M. Muslea, O dinastie de preoţi şi protopopi Radu Tempea. Şase generapreoţii de
preoţi şi protopopi din aceeaşi familie, Braşov 1939.
233
MATEI CAZACU
234
MOINES SAVANTS ET POPES IGNORANTS
Saint-Michel (bâti en 1108 par Sviatopolk, son frère), avec une magnifique
abbatiale dite « Au toit d’or » ; Berestovo, entre la citadelle de Kiev et l’abbaye
des Grottes ; Vydoubitch, au Sud de ces mêmes Grottes (1070), dédié à saint
Michel par le prince Vsevolod ; Saint-André, couvent de femmes (dû au même
Vsevolod, en 1086) ; Saint-Cyrille de Dorogojitch (1140). En revanche, le
célèbre monastère des Grottes est la création d’un ermite, Antoine, proclamé
saint, et qui avait passé un certain temps au Mont-Athos, avant 1051.
Le même scénario se retrouve en Valachie où le fondateur du monachisme,
saint Nicodème de Tismana, était entré dans les ordres au Mont-Athos puis avait
fondé des monastères en Serbie du Nord et, à partir de 1370, dans les Carpates
du Sud, en Valachie occidentale (Olténie). À partir de ce moment, Nicodème et
ses disciples construisirent plusieurs couvents dont les frais furent assurés par
les princes de Valachie. On voit ainsi apparaître les monastères-nécropoles
princières que chaque prince (ou presque) construit en vue de s’assurer une
demeure fastueuse dans l’attente du Jugement Dernier. Le cas est connu depuis
la Bulgarie et la Russie, et on le retrouve aussi en Serbie et en Moldavie.
Parallèlement, les princes géorgiens, bulgares, serbes et roumains, plus tard
russes, offrent des donations et font des travaux aux monastères du Mont-Athos,
où chaque « nation orthodoxe » possède son monastère : ainsi, Iviron est le
monastère des Géorgiens ; Zographou sera la laure bulgare ; Chilandar, la laure
serbe ; Kutlumus, la laure valaque ; Saint-Pantélimon (Rossikon), le monastère
russe (au XIXe siècle). Après la disparition des États bulgare et serbe, les
princes de Valachie et de Moldavie deviennent les protecteurs du Mont-Athos15
et les traces de leur générosité sont visibles encore à ce jour, comme le prouvent
aussi les archives de la république des moines qui abritent pas moins de 30.000
chartes et documents divers valaques et moldaves16 .
L’exemple des princes sera suivi par les grands seigneurs, puis par les
paysans et les bourgeois. Un cas intéressant est celui cité plus haut de la
« république » paysanne de Vrancea, dans le Sud de la Moldavie ; il s’agit d’un
groupe de villages de libres alleutiers pratiquement autonomes face à
l’administration de l’État et qui construisent une église par village et un
monastère pour l’ensemble de la région17.
Aux côtés des monastères, les églises paroissiales avec des prêtres
séculiers représentent l’élément fondamental de cohésion du groupe social, à
telle enseigne que les quartiers des villes prennent souvent le nom de l’église ou
15
P. Ş. Năsturel, Le Mont Athos et les Roumains. Recherches sur leurs relations du milieu
du XIVe siècle à 1654, Rome 1986 (« Orientalia Christiana Analecta », 227), p. 329-334 ; A.
Pippidi, Tradiţia politică bizantină în Ţările române în secolele XVI – XVIII, Bucarest 1983, p.
166-171.
16
M. Cazacu, « La Chancellerie des Principautés valaque et moldave (XIVe – XVIIIe
siècle)», dans C. Hannick (éd.), Kanzleiwesen und Kanzleisprachen im östlichen Europa, Cologne
– Weimar – Vienne 1999, p. 93 ; communication de Fl. Marinescu, Centre d’Études Néo-
Helléniques, Athènes, éditeur de plusieurs volumes de documents roumains de l’Athos.
17
H. H. Stahl, Studii de sociologie istorică, Bucarest 1972, p. 163-166.
235
MATEI CAZACU
de son saint patron, parfois de son pope. On a donc affaire à trois types d’églises
paroissiales : les églises villageoises ou urbaines appartenant à la communauté ;
les églises des villages asservis qui sont la propriété du seigneur ; enfin, les
églises que construisent les aristocrates propriétaires du village et qui servent de
nécropole de famille.
Dans le cas des monastères, il faut distinguer ceux des communautés
villageoises ; les monastères seigneuriaux, qui restent la propriété de la famille
ou du clan nobiliaire ; les monastères princiers, les plus grands et les plus riches.
Parfois, afin d’éviter l’immixtion des autorités ecclésiastiques locales, les
grands seigneurs et les princes « dédient » ces fondations aux monastères du
Mont-Athos, aux Patriarcats de Constantinople, d’Alexandrie, d’Antioche et de
Jérusalem, ou à d’autres monastères du monde grec post-byzantin. D’autres sont
des « stavropégies », monastères échappant complètement au contrôle des
autorités ecclésiastiques et civiles du pays et qui dépendent en général du
Patriarcat de Constantinople. Dans tous ces cas, le monastère titulaire prend soin
de la filiale, nomme l’higoumène (abbé) et encaisse la plus grande partie de ses
revenus. Ce phénomène atteint une telle ampleur dans les Principautés
Roumaines que les biens des couvents dédiés représentent environ 13% du total
des terres, vignes, boutiques et autres biens en Roumanie, en 1863, au moment
de la sécularisation18.
L’importance de ces fondations religieuses est déterminante, car, dans le
monde orthodoxe, la transmission de la foi se fait essentiellement dans et autour
de l’église, pendant les messes dominicales et lors des fêtes. L’essence de
l’Orthodoxie étant le caractère révélé, non descriptible (apophatique) de la foi,
les sermons y jouent un rôle très restreint, tout comme le catéchisme. L’énorme
majorité des textes copiés et imprimés dans le monde orthodoxe sont des
recueils de textes sacrés (Psautiers, Évangéliaires, Typika, Recueils de prières),
de chants, de textes ascétiques. Le fidèle ne participe que faiblement aux
mystères de la foi, mais il porte un grand intérêt aux textes apocryphes de
l’Ancien et du Nouveau Testament, aux ouvrages sur la vie de la Vierge, des
patriarches et des apôtres, sur la création du monde, les diverses manifestations
du Diable sur terre, aux romans populaires, etc.
La formation des moines et le contrôle strict exercé sur leurs lectures et sur
l’activité de leurs scriptoria mettent les monastères en dehors du circuit de
diffusion de ce genre d’écrits figurant à l’Index des livres interdits, répandus par
le circuit des popes de villes et de villages, plus proches de leurs ouailles et plus
ouverts aux nouveautés, plus adaptables aussi aux réalités de la vie courante. Ils
étaient d’ailleurs tenus en piètre estime par les autorités ecclésiastiques. Par
exemple, dans les décisions du Synode de Moscou de 1551, le Stoglav, on lit à
propos des coutumes des popes :
18
C. C. Giurescu, « Suprafaţa moşiilor mănăstireşti secularizate la 1863 », SRI 12 (1959), p.
149- 157.
236
MOINES SAVANTS ET POPES IGNORANTS
« Le jeudi de la semaine de la Passion, de grand matin, on fait des feux de paille, on appelle
les morts. Ce même jour, des popes ignorants déposent du sel sous l’autel : ils l’y gardent
jusqu’au septième jeudi qui suit Pâques, et le donnent pour la guérison des gens et du bétail »19.
19
E. Duchesne, Le Stoglav ou les Cent chapitres, Paris 1920, chap. 41, p. 125.
20
Gh. I. Moisescu – Șt. Lupşa – Al. Filipaşcu, Istoria Bisericii Române, I, Bucarest 1957, p.
422.
21
D. Obolesky, The Bogomils. A Study in Balkan Neo-Manicheism, Cambridge 19481
2
(1972 ) ; J. Ivanov, Livres et légendes bogomiles (Aux sources du catharisme), Paris 1976.
237
MATEI CAZACU
La mémoire nationale
L’implication des prêtres et des moines dans la vie politique est importante
en Roumanie (lors de la révolution de 1848, dans les mouvements d’extrême
droite entre les deux guerres mondiales), en Bulgarie (dans le mouvement de
libération nationale au XIXe siècle, puis dans le mouvement communiste après
1918), en Serbie (véritable théocratie après la disparition de l’État médiéval, en
1459, et en exil en Hongrie au XVIIIe siècle), en Russie (révolution de 1905), en
Grèce lors de la Guerre d’Indépendance de 1821. Certains sont célèbres pour
avoir combattu les Ottomans, ainsi Stoica de Fărcaşele, en Valachie, qui
occupera à la fin du XVIe siècle la charge de grand chancelier, mais qui est
mieux connu par les chants populaires décrivant ses faits d’armes ; ou Siméon
(Sava) Branković, archiprêtre d’origine serbe en Transylvanie, au XVIIe siècle
(plus tard métropolite de Alba Iulia), dont un pacha turc écrivait qu’il était « de
jour prêtre et la nuit ennemi armé et violateur de la paix »24.
Mais la mémoire nationale est du ressort du clergé régulier : alors que les
popes de villages concevaient le passé comme une nébuleuse aux contours
fantasmagoriques, c’est aux moines du monastère des Grottes de Kiev qu’échut
l’honneur d’écrire la chronique officielle de la Russie au début du XIIe siècle,
continuée dans l’entourage des métropolites de Kiev, de Novgorod et d’autres
diocèses, tout comme l’histoire universelle sous la forme des chronographes
depuis la création du monde25. On retrouve la même situation en Serbie, où la
Vie de Siméon Nemanja, le fondateur de l’État médiéval (1166-1196), a été
écrite par l’archevêque Sava (Sabbas) Ier et celle de saint Sava de Teodosije par
22
Hérésie apparue à Novgorod à la fin du XVe siècle : un édit d’Ivan III interdit la présence
des Juifs en Russie : voir C. G. De Michelis, La Valdesia di Novgorod. « Giudaizzanti » e prima
riforma, Turin 1993.
23
Th. M. Seebohm, Ratio und Charisma. Absätze und Ausbildung eines philosophischen
und wissenschaftlichen Weltverständnisses im Moskauer Russland, Bonn 1977, p. 538-539.
24
C. Bobulescu, Feţe bisericeşti în războaie, răzvrătiri şi revoluţi, Chişinau 1930 ; M.
Păcurariu, Istoria Bisericii Ortodoxe Române, II, Bucarest 1994, p. 242 s.
25
Voir l’exposé synthétique de G. Podskalsky, Christentum und theologische Literatur in
der Kiever Rus’ (988-1237), Munich 1982, p. 202-232.
238
MOINES SAVANTS ET POPES IGNORANTS
le moine athonite Domentijan, au milieu du XIIIe siècle ; les Vies des rois et
archevêques serbes sont l’œuvre de l’archevêque Danilo II (1324-1337), enfin
le cycle du prince Lazar (mort à Kosovo en 1389, canonisé en 1390/1) a été
réalisé au monastère de Ravanica26. Les Annales officielles moldaves du XVe
siècle furent écrites, au moins en partie, et conservées dans les grands
monastères du pays, Putna, Neamţu et Bistriţa ; pour le XVIe siècle, les
commandes princières s’adressèrent à un évêque (Macaire de Roman) ou à des
moines savants (Euthyme, Azarie) décrivant la vie et les actions de leurs princes
selon les modèles byzantins, et notamment Constantin Manassès (XIVe siècle)27.
Une certaine décadence des études en milieu monastique orthodoxe est
pourtant enregistrée dès le XVIe siècle, et ce même au Mont-Athos, comme le
note Pierre Belon, en 1553 :
« Ces monastères ont des saintes reliques en leurs églises, et ont de beaux pèlerinages. Les
églises sont fort bien fournies et bien bâties, où les caloyers vont tous les jours chanter le service.
Tout ce qu’ils disent est en langage grec. L’on trouvait anciennement des bons livres grecs écrits à
la main en ladite montagne, car les Grecs des susdits monastères étaient le temps passé beaucoup
plus doctes qu’ils ne sont pour l’heure présente. Maintenant il n’y en a plus nuls qui sachent rien,
et il serait impossible qu’en tout le Mont-Athos l’on trouvât en chaque monastère plus d’un seul
caloyer savant. [...] On trouve peu de caloyers qui soient prêtres et qui disent messe. Et encore
qu’ils soient prêtres au monastère, ils ne sont pour cela exempts de travailler en œuvres
manuelles, comme tous les autres pères, et faut que chacun mette la main à la pâte. De là vient
qu’ils ne s’amusent ni à étudier ni à écrire, et ne savent pas seulement apprendre à lire en leur
langage, ainsi sont en merveilleux règne d’ignorance »28.
26
G. Podskalsky, Theologische Literatur des Mittelalters in Bulgarien und Serbien, 865-
1459, Munich 2000 ; B. I. Bojović, L’idéologie monarchique dans les hagio-biographies
dynastiques du Moyen Âge serbe, Rome 1995 (« Orientalia Christiana Analecta », 248).
27
M. Cazacu, « La littérature slavo-roumaine au Moyen Âge (XVe – XVIIIe siècles) »,
Études balkaniques. Cahiers Pierre Belon IV (Paris 1997), p. 83-109.
28
Voyage au Levant. Les observations de Pierre Belon du Mans de plusieurs singularités et
choses mémorables, trouvées en Grèce, Turquie, Judée, Égypte, Arabie et autres pays étranges
(1553), éd. A. Merle, Paris 2001, p. 139-140. La suite du passage mérite d’être reproduite : « Entre
tous les 6000 caloyers qui sont par la montagne, en si grande multitude, à peine pourrait-on
trouver deux ou trois de chaque monastère qui sachent lire et écrire, car les prélats de l’Église
grecque et les patriarches, ennemis de la philosophie, excommunièrent tous les prêtres et religieux
qui tiendraient livres et en écriraient ou liraient autres qu’en théologie ; et donnaient à entendre
aux autres hommes qu’il n'était licite aux Chrétiens d’étudier en poésie et philosophie » (p. 140).
Voir aussi les précisions de G. Podskalsky, Griechische Theologie in der Zeit der
Türkenherrschaft 1453-1821, Munich 1988, p. 46 sq.
239
MATEI CAZACU
Cette reprise en main des fidèles orthodoxes par l’Église a commencé avec
le Synode constantinopolitain de 1593 et se poursuivit durant les siècles sui-
vants avec des fortunes inégales. Elle s’est manifestée également en Valachie et
en Moldavie et finalement en Russie, où elle échoua (raskol et schisme de 1666-
1672, puis suppression du Patriarcat par Pierre le Grand et mise sous tutelle de
29
M. Cazacu, « Dimitrije Ljubavić (c. 1519-1564) et l’imprimerie slave dans l’Europe du
Sud-Est au XVIe siècle. Nouvelles contributions », AIIAI XXXII (1995), p. 187-207 ; G.
Podskalsky, Griechische Theologie, p. 46-66.
30
Docteur John Cavell, Voyages en Turquie 1675-1677, éd. J.-P. Grelois, Taris 1998, p.
112-113.
240
MOINES SAVANTS ET POPES IGNORANTS
l’Église par l’État). Une de ces manifestations les plus spectaculaires fut
l’importance grandissante des tribunaux ecclésiastiques qui faisaient appel, pour
obtenir des aveux ou des témoignages véridiques, à des sanctions spirituelles
plutôt que matérielles. L’excommunication et la menace de la damnation
éternelle ou temporaire étaient les armes les plus puissantes de leur arsenal. Les
intéressés étaient ainsi menacés, entre autres, de la non-séparation de l’âme et
du corps après la mort, ce qui devait rendre l’âme errante jusqu’à la levée de la
peine. Cette perspective eschatologique se greffa sur les croyances plus
anciennes, tel le vampirisme, répandues dans les Balkans et en Grèce, dans
l’espace roumain, mais aussi en Ukraine. Elle est à l’origine de la coutume
slave, et plus généralement orthodoxe, de déterrer les cadavres après un, trois ou
sept ans après l’inhumation et de procéder à leur réenterrement dans le cadre
d’une cérémonie religieuse célébrée par un prêtre.
P. Pascal, qui a écrit des pages très profondes sur la religion du peuple
russe, livre quelques observations sur les rapports des fidèles avec les prêtres
qui sont valables aussi pour les autres peuples orthodoxes :
« [...] les pasteurs sont trop proches des ouailles : il manque l'éloignement nécessaire au
respect. Il manque aussi la supériorité intellectuelle ou morale : ce serait le lieu de parler de
l’ivrognerie et des marchandages à propos des sacrements. D’où les dictons, les contes, les
expressions injurieuses qui pourraient faire croire à un anticléricalisme foncier : c’est un mauvais
présage que de rencontrer un prêtre en sortant de chez soi ; doigts crochus, yeux avides : voilà le
pope ; il faut tâcher de se bien conduire ici- bas, pour ne pas avoir à côtoyer les popes en enfer ; le
carême de la Saint Pierre a été inventé par les popes et les femmes (par celles-ci pour garder leur
beurre, par ceux-là pour alimenter leur collecte). Il ne faudrait pas prêter à ces remarques ou
locutions caustiques plus d'importance que ne leur en accorde le paysan. Il aime plaisanter, et puis
tous les peuples sont à juste titre exigeants pour ceux dont ils attendent le bon exemple »31.
31
P. Pascal, La Religion du peuple russe, Lausanne 1973, p. 30.
32
A. Camariano-Cioran, Les Académies princières de Bucarest et de Yassi et leurs
professeurs, Thessalonique 1974.
241
MATEI CAZACU
33
D. Petkanova-Toteva, Damaskinite vŭ bŭlgarskata literatura, Sofia 1965 ; C. Hannick,
« Die Entstehung der neubulgarischen Schriftsprache als Ausdruck des nationalen
Befreiungskampfes : Hellenismus und slavische Tradition in Bulgarien », dans Sprachen und
Nationen im Balkanraum, éd. C. Hannick, Cologne – Vienne 1987, p. 101-124 (« Slavistische
Forschungen », 56).
34
V. Velčev, Paisij Chilendarski – Epocha, ličnost, delo, Sofia 1981, et la bibliographie
dans C. Hannick (éd.), Sprachen und Nationen, p. 111-113.
242
MOINES SAVANTS ET POPES IGNORANTS
35
E. Turczynski, Konfession und Nation. Zur Frühgeschichte der serbischen und
rumänischen Nationsbildung, Düsseldorf 1976 (« Geschichte und Gesellschaft, Bochumer Histo-
rische Studien », 11).
36
P. Nikov, Vuzrŭžda ne na Bŭlgarskia narod. Cŭrkovno-nacionalni borbi i postiženija,
Sofia 19291 (19712) ; J. Mousset, La Serbie et son Église (1830-1904), Paris 1938 ; Ch. A. Frazee,
The Orthodox Church and Independent Greece 1821-1852, Cambridge 1969 ; C. Rogel, « The
Wandering Monk and the Balkan National Awakenin », ÉB 12 (1976), p. 114-127 ; M. Cazacu,
« L’Église orthodoxe entre le renouveau et la tradition : Phanariotes et Anti-Phanariotes », dans C.
Hannick (éd.), Sprachen und Nationen, p. 43-64.
243
LA TOLÉRANCE RELIGIEUSE EN VALACHIE
ET EN MOLDAVIE DEPUIS LE XIVe SIÈCLE
246
LA TOLÉRANCE RELIGIEUSE EN VALACHIE ET EN MOLDAVIE
247
MATEI CAZACU
même si l’effet de mode pouvait aussi jouer. Pourtant, lorsque les noms
hongrois apparaissent sur deux ou trois générations, force est de conclure qu’il
s’agissait bien de Hongrois installés en Moldavie.
Le cas des Hongrois et des Polonais est important car ils sont les seuls à
fournir des dignitaires à la cour princière : on y retrouve ainsi des Buciatki
(Buczacki) et des Ciortoriiski (Czartoryski) qui se prénomment Vitold ou
Andreico, et ce notamment au XVe siècle.
Le problème des Juifs est plus complexe. Une vieille chronique moldave
dont nous avons déjà parlé a enregistré l’accueil en Moldavie des Juifs expulsés
de Hongrie par Louis d’Anjou après 1360. Leur présence est documentée pour
les villes bulgares du Danube et à Lvov aux XIIIe – XIVe siècles, mais les
informations directes concernant la Moldavie datent seulement du début du
XVIe siècle. En 1550, le tsar Ivan IV rappelait au roi de Pologne la récente
expulsion et mise à mort des Juifs de Moldavie, accusés d’avoir importé des
« herbes vénéneuses » et d’avoir commis des « mauvaises actions ». Cette
persécution ponctuelle n’est pas mentionnée par d’autres sources et elle a pu
frapper des marchands juifs sujets du sultan ottoman ou du roi de Pologne.
Néanmoins, elle allait donner, à partir de 1551, le signal pour un changement
dramatique de la politique de tolérance des princes de Moldavie. Ce changement
des mentalités s’inscrit dans la grande offensive du Protestantisme en Europe
Centrale et Orientale, d’une part, et dans les nouvelles circonstances créées par
l’effondrement de la Hongrie sous les coups de Soliman le Magnifique, d’autre
part.
La nouvelle doctrine avait touché la Moldavie avant 1532, date à laquelle
un « docteur » de ce pays se rendait à Wittenberg à l’appel de Luther en vue de
l’édition du Nouveau Testament en trois langues : roumain, polonais et
allemand. À son tour, la population allemande de Transylvanie adoptait dès
1542-1545 la foi luthérienne. En 1568, la diète transylvaine proclamait quatre
confessions acceptées (catholique, luthérienne, calviniste et unitarienne ou
antitrinitarienne) et une « tolérée », l’Orthodoxe, qui était la foi de la majorité de
la population roumaine de la Principauté. Cinq ans plus tard, la confédération de
Varsovie proclamait la liberté confessionnelle des Protestants en Pologne.
Les Roumains de Transylvanie ont subi eux aussi les effets de la
propagande protestante exercée par les autorités allemandes du territoire saxon
(Sud et Nord du pays) et des autorités hongroises dans le reste de la province.
Cette action de prosélytisme correspondait au principe cuius regio eius religio,
avalisé par la paix confessionnelle d’Augsbourg de 1555, mais appliqué bien
plus tôt en Allemagne. Elle se substituait à la politique des rois catholiques de
Hongrie qui, dès le milieu du XIVe siècle, avaient essayé de convertir les élites
et la paysannerie roumaines de Transylvanie. Très active sous Louis Ier Anjou
(1342-1382), la pression confessionnelle sur les Roumains laissa la place à la
tolérance dans les premières décennies du règne de Sigismond de Luxembourg
(1387-1437). Le roi, couronné empereur en 1410, avait besoin du concours des
248
LA TOLÉRANCE RELIGIEUSE EN VALACHIE ET EN MOLDAVIE
249
MATEI CAZACU
250
LA TOLÉRANCE RELIGIEUSE EN VALACHIE ET EN MOLDAVIE
251
MATEI CAZACU
Les Arméniens sont considérés comme des sujets (subditi), tout comme les bourgeois et les
marchands des autres villes et bourgs de la Moldavie, et paient au prince la même taille qu’eux ;
pourtant, tout comme les fidèles de rite romano-catholique, ils possèdent eux aussi des lieux de
culte tout aussi grands et beaux que les églises des Orthodoxes, jouissant de la libre pratique de
leur foi.
Les Juifs sont pareillement considérés comme sujets et sont obligés de payer un impôt
annuel différent, plus élevé que celui habituel ; ils ne pratiquent aucun métier à l’exception de
ceux de commerçant et de cabaretier, et peuvent avoir partout des synagogues en bois mais non en
pierre.
Les Russes et les Hongrois ont toujours eu en Moldavie le statut de serfs.
Les Tziganes sont répandus dans tout le pays : il n’existe presque pas de boyard qui n’en
possède plusieurs familles. D’où et quand ce peuple est arrivé en Moldavie, nous ne le savons pas,
et nos chroniques n’en parlent pas non plus [...].
À Iaşi et dans les autres villes habitent, s’occupant du commerce, un nombre assez grand de
Turcs, mais il leur est interdit d’acheter des terres, de construire des maisons dans les villes ou à la
campagne, et encore moins des lieux de culte, ou de faire leurs prières au vu de tous selon leur
hérésie. La Porte ottomane n’a jamais insisté [...] pour que les princes moldaves leur accordent
cette permission ».
252
LA TOLÉRANCE RELIGIEUSE EN VALACHIE ET EN MOLDAVIE
chartes de privilèges accordées par les princes moldaves. Leur centre religieux
se trouvait à Fântâna-Albă (Belaja-Krinica), dans le Nord de la Moldavie,
région occupée par l’Autriche en 1775 et rebaptisée Bukovine. Le métropolite
de Fântâna-Albă tenait sous sa juridiction tous les Vieux-Croyants de Moldavie,
de Valachie et de l’Empire ottoman, diocèses pour lesquels il avait consacré
quatre évêques. D’autres Vieux-Croyants russes se sont réfugiés en Roumanie
après 1917 ; en 1930, leur nombre atteignait 50.000 individus.
Une autre secte russe qui a trouvé asile en Moldavie et en Valachie est
celle des Skoptsi, dont le nombre avoisinait 1500 personnes en 1936.
Spécialisés dans les transports de luxe (ils possédaient les meilleurs attelages du
pays), les Skoptsi pratiquaient la castration rituelle des hommes et des femmes
après un court mariage durant lequel ils engendraient des enfants. Les
persécutions qu’ils avaient subies les avaient rendus circonspects et ils ont su
entourer d’un épais secret leurs sanglants rituels.
Mais l’immigration la plus importante au XIXe siècle dans les Pays
Roumains a été sans contredit celle des Juifs. Partant de 15.000 personnes en
1803, la Valachie et la Moldavie (réunies en 1859 pour donner naissance à la
Roumanie) comptaient, en 1899, une population juive de 269.015 personnes,
soit 4,5% du total de la population. Cette minorité allait atteindre, en 1930, le
chiffre de 720.000 personnes, vivant dans toutes les provinces de la Grande-
Roumanie constituée en 1918 par l’union de la Transylvanie, du Banat et de la
Moldavie orientale (ou Bessarabie) et septentrionale (Bukovine) à la « mère-
patrie ». À cette époque, les minorités représentaient 28,5% du total de la
population en Roumanie. En 1919, par la signature du traité des minorités à
Paris, la Roumanie accordait à tous ses habitants la citoyenneté et mettait fin au
régime de la tolérance remplacé dorénavant par celui de la liberté religieuse.
Avant 1866, l’organisation des minorités en Moldavie et en Valachie
relevait du système médiéval des corporations (en roumain bresle). Leurs
caractères fondamentaux étaient d’ordre fiscal et ethnique/religieux, et
permettaient aux princes d’avoir des interlocuteurs privilégiés pour toutes les
affaires concernant les communautés respectives. Les corporations des
Arméniens et des Juifs sont mentionnées dès le XVIIe siècle (les Juifs en 1666),
même si pour les premiers on suppose une ancienneté plus grande, remontant
jusqu’au XVe siècle. En revanche, les Allemands, les Hongrois et les Polonais
étaient admis sur un pied d’égalité dans les corporations strictement
professionnelles dominées par les Roumains de souche. Notons aussi que les
immigrants de date récente avaient, au XVIIIe siècle, leur corporation propre :
breasla străinilor, la corporation des étrangers.
Ce système d’organisation et la tolérance religieuse correspondaient au
système ottoman du « millet ». La corporation était une unité fiscale et
juridique ; elle payait de manière solidaire les taxes et les impôts réclamés par
l’État ; elle portait également la responsabilité de la construction des édifices du
culte, des écoles, de la gestion des boucheries kasher, des sociétés d’entraide
253
MATEI CAZACU
mutuelle (Hevra Kadosha chez les Juifs) qui assuraient l’aide aux nécessiteux et
l’enterrement selon les rites respectifs.
On peut donc observer que les Arméniens, les Juifs et les « étrangers »
étaient regroupés en corporations, alors que les Catholiques bénéficiaient de la
protection du roi de Pologne, et plus tard, au XIXe siècle, de l’Allemagne. Pour
les nouveaux immigrants, une autre possibilité s’ouvrit après 1783 : l’obtention
de la protection des consuls étrangers installés dans les Pays Roumains. De la
sorte, 6164 familles en Moldavie (en majorité juives, grecques et arméniennes)
avaient opté, en 1859, pour la sujétion autrichienne, française, russe ou anglaise.
Après la création de l’État roumain, en 1859, et la proclamation de
l’indépendance de 1877, toutes ces formes d’organisation médiévale
disparaissent et laissent place au système moderne qui ne reconnaît que le
citoyen (ou l’individu), et non plus le groupe ethnique ou religieux en tant que
sujet de droit.
Pour ce qui est de la législation dans ce domaine, nous sommes réduits,
avant 1832, à la coutume orale qui est invoquée dans telle ou telle décision
princière, sans être portée par écrit de façon précise. Cette situation change avec
la promulgation des premières Constitutions des deux Principautés, les
Règlements Organiques, en 1832. Rédigés par des commissions de juristes
roumains et russes, approuvés par le tsar (qui représentait la puissance
protectrice des Pays Roumains) et par le sultan (la puissance suzeraine), ces
règlements interprétaient la coutume et l’adaptaient aux intérêts du groupe des
grands boyards, le principal interlocuteur de la Russie qui avait occupé la
Moldavie et la Valachie de 1828 à 1834. En ce qui concerne les étrangers de rite
chrétien, il était prévu un stage de dix ans dans le pays (réduit à sept s’ils étaient
mariés à des nobles indigènes), et une requête adressée au prince qui délibérait
avec l’Assemblée générale ordinaire et lui délivrait un brevet dit de grande
naturalisation, ce qui signifiait la jouissance de l’ensemble des droits civils et
politiques. Seuls les Chrétiens du rite orthodoxe ou ceux qui l’avaient embrassé
pouvaient obtenir les droits politiques. Les quelques exceptions à cette règle
concernaient les soldats de la milice nationale et les laboureurs étrangers, qui
après sept ans d’établissement dans le pays étaient mis au rang des autres
contribuables et reconnus comme laboureurs indigènes.
Les commerçants et les artisans étrangers qui payaient les droits annuels de
patente et les autres dépenses communales pouvaient obtenir la petite
naturalisation, une sorte de denization, comme on disait dans le droit anglais,
qui leur conférait l’exercice des droits civils, « droits échus aux négociants et
aux artisans de la terre », c’est-à-dire aux laboureurs, selon l’expression du
Règlement Organique. Cela signifiait que les étrangers bénéficiant de la petite
naturalisation pouvaient acquérir uniquement des immeubles urbains, des
maisons de rapport et des magasins.
On voit donc que la religion chrétienne restait le facteur déterminant pour
l’obtention de la grande naturalisation dans les Pays Roumains, mesure qui
254
LA TOLÉRANCE RELIGIEUSE EN VALACHIE ET EN MOLDAVIE
avait pour but l’exclusion des Musulmans, et plus tard des Juifs, de la propriété
terrienne. Si cette restriction était justifiée au Moyen-Âge par la crainte de voir
les Pays Roumains transformés en provinces ottomanes, au XIXe siècle elle
visait essentiellement la bourgeoisie juive, que les boyards ressentaient comme
une menace pour leurs domaines hypothéqués et mis en vente aux enchères. La
Constitution de 1866 prévoyait, dans son article 7, la même restriction : la
nationalité roumaine était réservée aux seuls étrangers de rite chrétien. Des
aménagements ultérieurs, entrepris sous la pression des grandes puissances lors
du congrès de Berlin (1878), permirent la naturalisation des Juifs au cas par cas,
mais seulement à la suite de décisions du Sénat et de la Chambre des députés et
après des formalités compliquées.
On aperçoit ici très clairement les limites de la tolérance religieuse et le
passage, en un siècle, à la liberté religieuse. La résistance des autorités
roumaines à la naturalisation des non-chrétiens s’explique aussi par un autre
facteur, trop peu pris en considération jusqu’ici, et qui relève de la même
mentalité médiévale basée sur la coutume orale. Il s’agit d’un des traits
fondamentaux du droit coutumier roumain ; celui-ci en appelait essentiellement
à des co-jureurs, sommés de dire la vérité sous serment dans tous les procès
civils et criminels. Ce serment se prêtait sur les Evangiles et sur la croix et
excluait, ipso facto, les non-chrétiens. En dépit de la formulation d’un serment
more judaico, les instances judiciaires roumaines restaient très réticentes à
accepter ce type de témoignage dont la dimension eschatologique (damnation
éternelle en cas de faux) n’était pas intégrée par les autres religions non
chrétiennes. Il faut rappeler, par exemple, que le serment sur la Bible resta
obligatoire pour les ministres jusqu’en 1945, lorsque seuls les ministres
communistes le refusèrent en préférant jurer sur leur honneur fidélité au roi (ce
qui ne les empêcha pas de se parjurer cinq mois plus tard et encore en 1947,
lorsque Michel Ier fut contraint d’abdiquer).
La tolérance religieuse a connu, au long des siècles, une exception
importante dans les Pays Roumains ; il s’agit du statut de la minorité rom, les
Tsiganes, 5% environ, qui tombèrent dans l’esclavage jusqu’à leur
affranchissement définitif et total en 1855-1856. On a ici l’exemple de l’échec
des deux stratégies possibles qui se présentaient à ce groupe ethnique : le
maintien du statut de millet (bresle) comme ce fut le cas des autres minorités, ou
bien l’assimilation dans la population roumaine. Contre le premier terme de
l’alternative jouait l’indifférence religieuse (réelle ou présumée) des Roms, qui
pratiquaient les rites de la foi orthodoxe mais étaient perçus comme de mauvais
chrétiens, affublés de préjugés d’impureté comme la consommation de la chair
des animaux morts essentiellement, et l’exercice du métier de bourreau. Quant à
l’assimilation, elle échoua pour les Roms dans leur ensemble ; même s’il y eut
des exceptions, même si les mariages mixtes ne manquaient pas, le mode de vie
nomade ou semi-nomade d’une bonne partie d'entre eux empêchait leur
intégration totale dans la société roumaine. Leur sédentarisation partielle,
255
MATEI CAZACU
Bibliographie
256
LA CONVERSION A L’ISLAM
DU PRINCE ILIAŞ RAREŞ DE MOLDAVIE (1551) :
UN NOUVEAU TEMOIGNAGE
Voici presque un siècle que les historiens roumains s’interrogent sur les
motivations et les circonstances de la conversion, le 30 mai 1551, du premier
prince roumain à avoir officiellement abandonné la foi chrétienne pour devenir
« Turc »1. Un document publié voici 30 ans mais qui semble n’avoir pas attiré
l’attention des spécialistes, nous permet d’apporter quelques éclaircissements à
cet événement et à ses conséquences immédiates pour l’histoire de la Moldavie.
Il s’agit d'une lettre de Bernard Pretwicz, staroste de Bar2 , adressée au duc
Albert de Prusse à une date inconnue, mais qui doit être placée fin juillet – août
15513 . L’importance de cette source tient au fait qu’elle est basée sur le récit
d’un membre de la suite du prince Iliaş et qui semble avoir été témoin oculaire
des événements qu’il raconte. En effet, le récit est clair et empreint de
dramatisme, car il présente la conversion du prince comme le résultat des
pressions considérables et du véritable chantage auquel avait été soumis ce
jeune homme d’à peine vingt ans4.
Voici donc le déroulement des faits selon ce témoignage : Iliaş est
convoqué par le sultan Soliman à Constantinople et il s’y rend avec une suite
d’environ 300 hommes (100 chevaux disent d’autres sources) dont les membres
du Conseil princier au nombre de 12 (« heren des wallachischen lantzrat, der
1
Voir la bibliographie de la question chez G. Ignat – D. Agache, « Cu privire la politica
urmaşilor lui Petru Rareş (1546-1552) », AIIAI XV (1982), p. 149-161 ; C. Rezachevici,
Cronologia domnilor din Țara Româneascǎ și Moldova a. 1324-1881, I, sec. XIV – XVI, Bucarest
2001, p. 590-604.
2
Pour sa biographie, cf. M. Berindei – G. Veinstein, L’Empire ottoman et les Pays
roumains 1544-1545, Paris – Cambridge Mass 1987, p. 102 et suiv.
3
C. Lanckoronska, Elementa ad fontium editiones, 50, Documenta ex archivio
regiomontano ad Poloniam spectantia, XX Pars HB A, Β 4, 1549-1568, Rome 1980, no 547, p. 38-
42. L’éditrice a daté la lettre, qui ne porte aucune mention de lieu et de date, post VII. 1550, ce
qui est une erreur pour 1551. Curieusement, elle a échappé à l’attention de N. Iorga, qui en a
publié d’autres du même fonds dans Studii istorice asupra Chiliei şi Cetăţii Albe, Bucarest 1899,
p. 328 et suiv., et, idem, Studii şi documente, XXIII, Bucarest 1913, p. 57-61. Sur le verso de la
lettre de Nicolas Sieniawski en date du 24 août 1551 et qui est légèrement postérieure à celle de
Pretwicz, on y lit la notice suivante : « bei Pretwicz Diener wider beantwort » (Ν. Iorga, op. cit.,
p. 61). Ceci signifie que la lettre de Pretwicz était déjà arrivée.
4
Selon Şt. Gorovei, « Familia lui Petru Rareş », dans L. Şimanschi (éd.), Petru Rareş,
Bucarest 1978, p. 268.
MATEI CAZACU
seint ain oder 12 man bey in gewessen »)5. Le troisième jour de son arrivée (ou
quatrième selon un autre témoin), le sultan, nommé « le Turc » (« der
Dierckh ») lui ordonne de se convertir, lui, les membres du conseil et toute sa
suite, sous peine de l’exil au-delà des mers d’où il ne reviendrait plus jamais
dans son pays. En revanche, s’il accepte la conversion, il sera élevé à un rang
beaucoup plus élevé, tel qu’il ne l’avait jamais été. Le sultan adresse cet
ultimatum également aux conseillers (« ratten »), leur promettant l’exemption
complète d’impôts sur les biens leur vie durant, et l’élévation au rang de « frey
heren » dans « le pays » (« in dem lant, donc la Moldavie ou bien l’Empire
ottoman »). Le prince demande un délai de réflexion de trois jours, mais le
sultan lui transmet par Rüstem pacha qu’il ne lui accorde qu’un seul jour. Ainsi,
le lendemain Iliaş déclare vouloir se convertir et le jour d’après il se soumet au
rituel. Le sultan lui offre alors la moitié de la Moldavie (« so hat im der Dirckh
das halb wallachisch lant eingeben ») et sept châteaux6.
Laissons un moment ce document pour introduire un autre texte, dû lui
aussi à un témoin oculaire qui se trouvait à Istanbul le jour où fut fêtée la
circoncision d’Iliaş. Il s’agit de Pierre Gilles (Petrus Gilliis, 1489-1555), auteur
d’une description de Constantinople parue à Lyon en 1561 sous le titre De
Topographia Constantinopoleos et de illius antiquitatibus libri quatuor et
rééditée à plusieurs reprises jusqu’au XVIIIe siècle. Dans le deuxième livre de
son ouvrage, Pierre Gilles décrit le Colosse de maçonnerie jadis recouvert de
plaques de bronze érigé par Constantin le Grand au milieu de l’Hippodrome où
se déroulèrent certaines des festivités de ce jour de 30 mai 1551 :
« Ce Colosse est plus élevé que l’Obélisque. C’est sur sa cime qu’un jour de fête où l'on
célébrait la circoncision du prince de Moldavie, j’ai vu un bateleur expérimenté monter et en
descendre indemne. Lui ayant succédé, un second, moins habile, monta de même à la cime. Mais
la hauteur lui brouilla tant la vue que, désespérant de descendre pour autant qu’il banda ses forces,
il se jeta loin en avant du Colosse, pour ne pas tomber sur la base. C’est ainsi qu’on le vit tomber
droit, les pieds profondément fichés en terre, mort sur le coup »7.
5
Le sens obscur de la fin de la phrase, « ain oder 12 man » se corrige de lui-même dans les
paragraphes suivants lorsqu’on parle de la décapitation de quatre d’entre eux et des huit qui
rentrent vivants au pays.
6
Voir les détails dans la lettre de Nicolas Sieniawski chez N. Iorga, Studii şi documente,
XXIII, p. 59-60 : en tout 15 « arces et oppida » nommément désignées.
7
Pierre Gilles, Itinéraires byzantins, éd. J.-P. Grélois, Paris 2007 : Collège de France –
CNRS, Centre de recherche d’histoire et civilisation de Byzance (« Monographies », 28), p. 333.
258
LA CONVERSION A L’ISLAM DU PRINCE ILIAŞ RAREŞ
« Ainsi ils ont fait dire au Turc qu’ils préfèrent donner leur vie plutôt que d’abandonner la
foi chrétienne» (« So haben sie dem Tirckhen lassen sagen, e das sie zu Dyrckhen weren wellen,
ee wellen sie das leben geben, e das sie den cristischen gelauben abtretten wolten »).
Face à leur détermination, le sultan ordonna alors de les jeter en prison où,
neuf jours durant, ils subirent des tortures telles, qu’ils auraient préféré la mort
(« Was man mit inen gethan hat in den 9 tagen, sie hetten vyl lyeber den tot
gelitten »). Au bout de ce long calvaire, voyant qu’il n’y avait rien à faire, les
Turcs les remirent en liberté, leur confisquèrent tous leurs biens et les
renvoyèrent en Moldavie. Seuls les huit membres du conseil (« herren ») ont eu
droit aux chevaux, les autres sont revenus à pied.
Arrivés à Suceava, le prince Ştefan leur demanda ce qui leur était arrivé.
Ici le récit devient personnel, la reproduction du discours des participants :
« Ainsi, ils lui ont rapporté que le frère de notre seigneur le voïévode s’est fait Turc et les
autres conseillers ont été décapités, et nous sommes rentrés tels que tu nous vois » (« So habens in
perycht, das den prueter unsser her der weywote schon einTirckh waren ist, und die anndteren
heren sein gekhepft, und wir seint herausskhumen, wie du uns siechst »).
259
III.
2
Letopisnyj sbornik, imenuemyi Patriaršeju ili Nikonovskoju letopisju, dans PSRL, IX-
XIII, St-Pétersbourg 1862-1906 (réimpression : Moscou 1965).
3
A. N. Nasonov, Novgorodskaja pervaja letopis' staršego i mladšego izvodov, Moscou –
Léningrad 1950.
4
Slovo kratko, présentation, traduction et commentaires de G. Giraudo, Brescia 1978
(Annali della Facoltà dì lingue e letterature straniere di Ca' Foscari XV/4, 1976).
5
PSRL, XXV, Moscou – Léningrad 1949.
6
G. Gidaudo, op. cit., p. 29 et note 152.
264
L’IDÉE DE ROME CHEZ LES RUSSES
quanto la città di Roma e tutte le terre italiane e d’Occidente, e i villaggi, le città, le isole che
circondano l’Italia [...] sotto la giurisdizione della Chiesa di Roma) ».
C) Le type de texte peut être, lui aussi, déterminant pour la façon de citer
Rome ou ses habitants. Ainsi, la description de Rome en 1439/1440 faite par un
membre de la délégation russe au Concile de Florence8 très sobre et concise, n’a
rien en commun avec 1’« Epître sur la foi des Varègues » (XIIe siècle) qui, dans
une version remaniée du XVe siècle parle de Pierre le Bègue (Gugnivyj), un
Vandale d’origine latine qui, élu pape après le VIIe Concile œcuménique, aurait
obligé les Romains à se raser la barbe tous les samedis, permis des mariages
sans prêtre et introduit l’habitude d’utiliser pour les repas les récipients
employés auparavant pour laver le linge des nouveaux-nés et de leurs mères...9.
265
MATEI CAZACU
II
266
L’IDÉE DE ROME CHEZ LES RUSSES
13
L. Müller, Dés Metropoliten Ilarion Lobrede auf Vladimir den Heiligen und
Glaubensbekenntnis, Wiesbaden 1962 (« Slavistische Studienbücher », 2).
14
A. I. Sobolevskij, « Čudo sv. Klimenta papy rimskogo. Drevnerusskoe “slovo”
(domongol’skogo perioda) », Izvestija ORJaS 6 (1901), p. 3-8 ; Ju. K. Begunov, « Russkoe slovo
o čude Klimenta Rimskogo i kirillo-mefod'evskaja tradicija », Slavia 43 (1974), p. 24-46.
15
V. Vostokov, Ostromirovo evangelie 1056-1057 g., St-Pétersbourg 1843.
16
V. M. Istrin, Chronika Georgija Amartola v drevnem slavjanorusskom perevode, I-II,
Petrograd 1920-1922.
267
MATEI CAZACU
ville a été partout « normalisé » en Rimŭ – 39 mentions –, tel n’a pas été le cas
de ses dérivés. Nous rencontrons les Rimljane pas moins de 18 fois, mais aussi
les Romĕjane (ou Romĕi) : douze occurrences, dont neuf se réfèrent aux
Occidentaux (parfois sur la même page et même dans la même phrase que les
Rimljane) et trois aux Orientaux. Nous lisons aussi le romĕjskoe cĕsarstvo à
propos de Jules César, d’Octavien Auguste et de leurs successeurs (quatre
mentions), mais aussi, une fois, le rimskij narodŭ (traduisant δῆμος Ῥωμαίων),
qui s’oppose au romĕjskij jazykŭ qui reproduit, lui, le Ῥωμαίων έθνος (une seule
mention). Rappelons également : Rimskij Kapetolij, Rimskoe vĕče (une mention
chacun) et, last but not least, les noms des fils de la Louve : Romŭ et Rimŭ avec,
respectivement, cinq et quatre mentions.
La traduction de la Chronique de Georges le Moine est l’exemple type du
travail sans suite et sans influence sur un point précis de la terminologie vieux
russe : alors qu’il donnait, pour la première fois, la forme correcte de la ville
éternelle et de son fondateur, ce texte est resté isolé de ce point de vue (avec de
rares exceptions comme les Homélies de saint Grégoire le Grand sur les
Evangiles, XIIIe siècle) jusqu’au XVIe siècle. Les Russes ont adopté la forme
Rimŭ qui, indépendamment de son origine, revenait à accepter la paternité de
Rémus (Rimŭ, du grec Ῥῆμος) et non pas de Romulus, sur la cité impériale. Il en
allait de même avec le nom des Romains orientaux, que les Russes ont préféré
transformer en Grecs.
17
A. N. Popov, Istoriko-literaturnyj obzor drevnerusskich polemièeskich somnenij protiv
Latinjan (XI – XV v.), Moscou 1875 ; A. S. Pavlov, Kriticeskie opyty po istorii drevnejsej greko-
russkoj polemiki protiv Latinjan, St-Pétersbourg 1878.
268
L’IDÉE DE ROME CHEZ LES RUSSES
18
N. Kostomarov, « Skazanie o žitii prepodobnogo i bogonosnogo otca našego Antonija
rimljanina », dans Pamjatniki starinnoj russkoj literatury, I, St-Pétersbourg 1860, p. 263-270.
19
N. P. Lichatchev, Inoka Fomy slovo pochval'noe o blagovernom velikom knjaze Borise
Aleksattdroviče, St-Pétersbourg 1908 (« PDPI », 168).
269
MATEI CAZACU
L’année suivante, Ivan III parle des relations étroites (byli v prijatelǐstve i v
ljubvi) de sa dynastie « depuis le début », avec « les césars romains qui
donnèrent Rome au pape et régnèrent même à Constantinople ». Quelques
années plus tard, en 1497, l’aigle bicéphale d’origine occidentale, impériale,
scellait une charte d’Ivan III écrite par le même Kuricyn22 : on a ainsi tous les
éléments de 1’Histoire des princes de Vladimir (Skazanie o knjazijach
vladimirskich)23. Rappelons qu’à la même époque commencèrent à circuler en
Europe Orientale et Centrale les généalogies « romaines » de Mathias Corvin,
roi de Hongrie (1458-1490) ; des grands princes lituaniens qui affirmaient
descendre de Palémon, un parent de l’empereur Néron, qui aurait quitté Rome
en même temps que les représentants des plus importantes familles de l’Empire
pour s’installer en Lituanie ; des Prussiens qui se vantaient d’avoir fondé la ville
de Romowe, en souvenir de Rome ; et, enfin, des Roumains, descendants des
frères Roman et Vlachata24.
Ces généalogies se basaient sur des étymologies plus ou moins fantai-
sistes : la famille Corvina pour Mathias Corvin, la ville de Romowe pour les
Prussiens, le nom des Roumains (Valaques pour les étrangers) et de la ville de
Roman (de Romulus) ou Vieille Rome, restée orthodoxe, contrairement à Rim
passée au Catholicisme sous le pape Formose. Les grands princes de Moscou
eurent droit à une généalogie qui faisait descendre les Rurikides de Prusse, dont
le fondateur Prus était apparenté à Octavien Auguste. Cette généalogie fut
composée d’abord par Spiridon-Savva, ancien métropolite de Kiev, et remaniée
ensuite vers 1527 pour devenir le Skazanie o knjazǐjach Vladimirskich (étudié et
édité par R. P. Dmitrieva). On voit ainsi apparaître l’image de la Rome laïque
plus apte à servir les buts politiques de l’autocratie moscovite. Rome devient
ainsi une source de la légitimité impériale, aussi bien pour le passé de la
20
Cf. N. A. Kazakova, Zapadnaja Evropa, p. 70 sq.
21
Voir la discussion dans notre article « Aux sources de l’autocratie russe. Les influences
roumaines et hongroises, XVe – XVIe siècles », CMRS 24 (1983), p. 15.
22
L. V. Cerepnin, Duchovnye i dogovornye gramoty russkich gosudarej, Moscou –
Léningrad 1950, p. 341-344.
23
R. P. Dimitrieva, Skazanie o knjaz’jach vladimirskich, Moscou – Leningrad 1955.
24
Cf. notre article cité supra, note 21.
270
L’IDÉE DE ROME CHEZ LES RUSSES
dynastie rurikide que pour les temps présents. Si on ajoute que les écrits des
judaïsants et de Fedor Kuricyn (notamment le Skazanie o Drakule voevode,
1486) représentaient une tentative pour bâtir une nouvelle idéologie de l’État
autocratique (D. Treadgold), idéologie laïque et en dehors de toute ingérence de
l’Église russe, on comprendra mieux la réaction de la « nouvelle Orthodoxie »,
des « joséphiens » ou des « possédants » à l’intérieur de cette Église25. Leur
réaction prit la forme de la théorie de Moscou Troisième Rome, très clairement
exposée dans 1’Histoire du klobuk blanc de Novgorod (Skazanie o
novgorodskom belom klobuke) et dans le Slovo kratko rédigés dans le cercle du
métropolite de Novgorod Gennadij (1486-1504), dans les épîtres du moine
Philothée de Pskov26 et, enfin, dans les grandes entreprises littéraires et
idéologiques des métropolites Daniel et Macaire (1542-1563)27.
25
D. W. Treadgold, The West in Russia and China. Religious and Secular Thought in
Modem Times, I, Russia, 1472-1917, Cambridge 1973, p. 11.
26
À l’immense bibliographie de la question évoquée dans les Actes du Ier Séminaire « Da
Roma alla Terza Roma » (Roma, Costantinopoli, Mosca [Da Roma alla Terza Roma, Studi I],
Napoli 1983), on ajoutera la récente étude de feu A. L. Gol’dberg, « Ideja “Moskva Tretij Rim” v
cikle sočinenij pervoj poloviny XVI v. », TODRL 37 (1983), p. 139-149.
27
Cf. D. B. Miller, « The Velikie Minei Chetii and the Stepennaia Kniga of Metropolitan
Makarii and the Origins of Russian National Consciousness », FOG 26 (1979), p. 263-382.
271
ROME DANS LA VISION DES RUSSES
AU MOYEN-ÂGE.
LE TOURNANT DU CONCILE
DE FLORENCE (1439-1440)
1
B. Leib, Rome, Kiev et Byzance à la fin du XIe siècle, Paris 1924 ; A. W. Ziegler, « Gregor
VII. und der Kiewer Grossfürst Izjaslav », SG I (1947), p. 387-411 ; V. Meysztowicz, « L’Union
de Kiev avec Rome sous Grégoire VII. Avec notes sur les précédents et le rôle de la Pologne pour
cette union », SG V (1956), p.83-108 ; J. P. Arrignon, « À propos de la lettre du pape Grégoire
VII au prince de Kiev Izjaslav », Russia mediaevalis III (1977), p. 5-17.
MATEI CAZACU
2
N. P. Lichačev, Inoke Fomy Slovo pochval’noe o blagovernom velikom knjaze Borise
Aleksandroviče (« Pamjatniki drevnej pis’mennosti i iskusstva », 168), St.-Petersburg 1908, p. 3.
Cf. la traduction latine de J. Krajcar, Et propterea glorificatur nomen eius ab Oriente ad
Occidentem et usque ad ipsam urbem imperialem pervenit, id est usque ad Romam, Rome 1976
(« Acta slavica Concilii florentini. Concilium florentinum, Documenta et scriptores », 11), p. 109.
3
Povest’ vremennych let, éds. D. S. Lichačev, B. A. Romanov, V. P. Adrianova-Peretc,
Moscou – Léningrad 1950, p. 10-11.
4
G. Stökl, « Das Bild des Abendlandes in den altrussischen Chroniken », dans idem, Der
russische Staat im Mittelalter und früher Neuzeit. Ausgewählte Aufsätze, Wiesbaden 1981
(« Quellen und Studien zur Geschichte des östlichen Europa », 13), p. 230 et n. 47.
274
ROME DANS LA VISION DES RUSSES AU MOYEN ÂGE
Quant à Rome proprement dite, elle est considérée par Nestor, qui imitait
en cela les polémistes byzantins, comme égarée de la vraie foi. Cette affirmation
intervient dans le récit du baptême de Vladimir qui demande leur avis aux Grecs
de Kherson au sujet des Romains. Ceux-là lui affirment que Pierre le Bègue
« après le septième concile, vint à Rome avec d’autres, s’empara du siège de Rome
(prestol’) et corrompit la foi. Il se détacha des sièges de Jérusalem, d’Alexandrie, de
Constantinople et d’Antioche. Ils troublèrent toute l’Italie, répandant diverses doctrines »5.
5
PVL, I, p. 79-80. Cf. G. Podskalsky, Christentum und theologische Literatur im der
Kiever Rus’ (988-1237), Munich 1982, p. 183-184 et p. 20 et n. 88.
6
PVL, I, p. 11-12.
7
N. Ross, « L’image du monde physique en Russie à la fin du XIVe siècle », CMRS XV
(1974), p. 254.
275
MATEI CAZACU
8
Ibidem, p. 276.
276
ROME DANS LA VISION DES RUSSES AU MOYEN ÂGE
9
A. Ziegler, Die Union des Konzils von Florenz in der russischen Kirche, Würzburg 1938
(« Das östliche Christentum », 4/5) ; I. Sevčenko, « Intellectual repercussions of the Council of
Florence », Church History XIV (1955), p. 291-323 ; M. Cherniavsky, « The reception of the
Council of Florence in Moscow », Church History XIV (1955), p. 347-359 ; G. Alef, « Muscovy
and the Council of Florence », Slavic Review XX (1961), p. 389-401.
10
J. Meyendorff, Byzantium and the Rise of Russia. A study of Byzantino-Russian relations
in the Fourteenth century, Cambridge 1981.
11
J. Krajcar, Acta slavica Concilii florentini, p. 54 ; cf. aussi J. Gill, Le Concile de
Florence, Tournai 1964, p. 118, n. 1.
12
C’est ce que laisse entendre la mention du choix des trois « philosophes », en fait des
orateurs, par le pape : J. Krajcar, op. cit., p. 54-55.
277
MATEI CAZACU
13
G. Stökl, op. cit., p. 230, n. 47 ; idem, « Reisebericht einses unbekannten Russen (1437-
1440) », dans Europa im XV. Jahrhundert von Byzantinern gesehen, Graz 1965 (« Byzantinische
Geschichtsschreiber », 2), p. 149-189 ; J. Krajkar, op. cit., p. 3-44.
14
N. A. Kazakova, « Pervonačal’naja redakcia ‘Choždenija’ na Florentijskij sobor »,
TODRL XXV (1970), p. 60-72.
15
F. Gregorovius, Geschichte der Stadt Rom im Mittelalter, I-VIII, Stuttgart 19035 ; L.
Homo, Rome médiévale, Paris 1934 ; Storia di Roma, Rome 1938 ; P. Paschini, Roma nel
Rinascimento, 1377-1514, Bologne 1940.
278
ROME DANS LA VISION DES RUSSES AU MOYEN ÂGE
apaisement à entendre, aucun sentiment humain à percevoir : rien que la guerre et la haine et ce
qui évoque le mieux l’œuvre des démons » (Familiarum rerum, 11, 12, 5, 6 ; trad. Y. Renouard).
16
J. Delumeau, La civilisation de la Renaissance, Paris 1967, p. 113-114.
17
P. Pecchiai, Roma nel Cinquecento, Bologne 1948 ; J. Delumeau, La vie économique et
sociale de Rome dans la seconde moitié du XVIe siècle, I-II, Paris 1957-59 ; idem, La civilisation
de la Renaissance, p. 113-115, 309-310, 642-643.
18
Cf. S. Runciman, The Fall of Constantinople, 1453, Cambridge 1965.
279
MATEI CAZACU
19
P. Karge, « Kaiser Friedrichs III. und Maximilians I. ungarische Politik und ihre
Beziehungen zu Moskau 1486-1506 », DZG IX (1893), p. 259-287 ; H. Uebersberger, Osterreich
und Russland seit dem Ende des 15. Jahrhunderts, I : von 1488-1605, Vienne – Leipzig 1906 ; E.
Donnert, Russland an der Schwelle der Neuzeit. Der Moskauer Staat im 16. Jahrhundert, Berlin
1972, p. 284 et suiv.
20
M. Cazacu, « Aux sources de l’autocratie russe. Les influences roumaines et hongroises,
XVe – XVIe siècles », CMRS XXIV (1983), p. 7-41. À y ajouter A. Lhotsky, « Apis Colonna.
Fabeln und Theorien über die Abkunft der Hasburger » et « Dr. Jakob Mennel. Ein Vorarlberger
im Kreise Kaiser Maximiliam I. » ; « Neue Studien über Dr. Jakob Mennel », Aufsätze, II, Vienne
1971, p. 7-102, 289-322 ; M. Sturdza, Dictionnaire historique et généalogique des grandes
familles de Grèce, d’Albanie et de Constantinople, Paris 1983, p. 19, qui cite aussi d’autres
exemples.
280
AUX SOURCES DE L’AUTOCRATIE RUSSE.
LES INFLUENCES ROUMAINES ET HONGROISES
(XV e – XVIe SIÈCLES)
1
Voici quelques ouvrages fondamentaux à ce sujet : H. Schaeder, Moskau das dritte Rom.
Studien zur Geschichte der politischen Theorien in der slavischen Welt, Darmstadt 19672 ; G.
Olšr, « Gli ultimi Rurikidi e le basi ideologiche della sovranità dello stato russo », OCP XII
(1946), p. 322-373 ; Ja. S. Lur’e, Ideologičeskaja bor’ba v russkoj publicistike konca XV – načala
XVI veka, Moscou 1960 ; W. Philipp, « Die gedankliche Begründung der Moskauer Autokratie
bei ihrer Entstehung (1458-1522) », FOG XV (1970), p. 59-118 ; Fr.-X. Coquin, « La philosophie
de la fonction monarchique en Russie au XVIe siècle », CMRS XIV/3 (1973), p. 253-280.
2
De la riche bibliographie consacrée à ce sujet, on notera quelques ouvrages intéressant
spécialement la Russie et le monde orthodoxe : J. Gill, The Council of Florence, Cambridge
1959 ; trad. fr. Le Concile de Florence, Tournai – New York – Rome 1964 (« Bibliothèque de
théologie », IV, « Histoire de la théologie », 6), reste la meilleure synthèse ; A. Ziegler, Die Union
des Konzils von Florenz in der Russischen Kirche, Wurtzbourg 1939 ; I. Ševčenko, « Intellectual
repercussions of the Council of Florence », Church History XXIV (1955), p. 291-323 ; M.
Cherniavsky, « The reception of the Council of Florence in Moscow », ibidem, p. 347-359 ; G.
Alef, « Muscovy and the Council of Florence », Slavic Review XX (1961), p. 389-401.
3
Voir l’article récent de I. Sevčenko, « Byzantium and the Eastern Slavs after 1453 », HUS
II (1978), p. 5-25.
4
V. D. Nazarov, « Konec zolotoordynskogo iga », Voprosy istorii 10 (1980), p. 104- 120,
avec toute la bibliographie de la question.
MATEI CAZACU
vide du pouvoir que les princes moscovites Basile II (1425-1462), Ivan III
(1462-1505) et Basile III (1505-1533) mirent à profit pour affirmer leur autorité
sans partage, d’abord sur leurs sujets et, dans un second temps, sur les autres
Principautés russes. Ce faisant, les grands-princes de Moscou entendaient
assumer à leur profit le prestigieux héritage politique de Kiev ; cela en
attendant, comme le fit Ivan IV le Terrible (1547-1584), de se substituer
également aux souverains mongols de Kazan’ et d’Astrakhan’.
Dans leurs efforts pour légitimer la nouvelle situation politique, Ivan III,
Basile III et Ivan IV bénéficièrent de l’appui de deux catégories différentes et
même opposées de la société russe : d’une part, l’aile militante de l’Église (ou
« la nouvelle Orthodoxie », selon l’expression d’Élie Dénisoff)5, d’autre part,
fait nouveau, un groupe hérétique, composé surtout de laïcs, plus connu sous le
nom de judaïsants.
Le rôle de la « nouvelle Orthodoxie » dans la définition du pouvoir et de
l’autorité des grands-princes de Moscou et de leurs rapports avec l’Église est,
aujourd’hui, bien connu, grâce aux travaux sur l’abbé Joseph Sanin de
Volokolamsk (Iosif Volojskij) (1439-1515) et ses disciples6. Parmi ces derniers,
les plus célèbres furent le moine Philothée (Filofej) de Pskov, qui énonça la
doctrine de Moscou-Troisième Rome7, les métropolites Daniel (1522-1539) et,
surtout, Macaire (1542-1563)8. Leur doctrine pourrait se résumer dans
l’élévation de l’Église au rôle de premier collaborateur et conseiller du grand-
prince, dans sa présence à ses côtés à tous les moments importants de la vie
politique du pays. Cette Église, solidement ancrée dans l’actualité politique et
sociale du pays, avait besoin, pour affermir son autorité, d’un riche temporel,
résultat des donations princières et privées. Ces prétentions de la « nouvelle
Orthodoxie » supposaient, par conséquent, une politique active d’acquisition de
terres comme – celles défrichées dans le Nord du pays par les monastères aux
5
E. Dénissoff, « Aux origines de l’Église russe autocéphale », RÉS XXIII (1947), p. 66-88.
6
H.-D. Döpmann, Der Einfluss der Kirche auf die moskowitische Staatsidee. Staats und
Gesellschaftsdenken bei Josif Volockij, Nil Sorskij und Vassian Patrikeev, Berlin 1967 (« Quellen
und Untersuchungen zur Konfessionskunde der Orthodoxie »). Voir aussi les ouvrages cités dans
la note 1 ; on y ajoutera Th. Seebohm, Ratio und Charisma. Ansätze und Ausbildung eines
philosophischen und wissenschaftlichen Weltverständnisses im Moskauer Russland, Bonn 1977
(« Mainzer philosophische Forschungen », 17).
7
H. Schaeder, op. cit. ; V. I. Malinin, Starec Eleazarova monastyrja Filofej i ego poslanija,
Kiev 1901 (réimprimé, Londres 1971 : Gregg) ; F. Kämpfer, « Beobachtungen zu den
Sendschreiben Filofejs », JGO XVII (1970), p. 1-46 ; A. L. Gol’dberg, « Tri “poslanija Filofeja”.
Opyt tekstologičeskogo analiza », TODRL XXIX (1974), p. 68-97 ; contra, F. Kämpfer,
« “Sendschreiben Filofej” oder “Filofej-Zyklus” ? Argumente gegen die Ergebnisse Alexander
Goldbergs », CASS XIII/1-2 (1979), p. 126-138.
8
Pour Daniel, voir V. Žmakin, „Mitropolit Daniii i ego sočinenija » [Le métropolite Daniel
et ses œuvres], dans Čtenija v Obščestve istorii i drevnostej rossijskih pri Moskovskom
Universitete, I-II, Moscou, 1881. Pour le métropolite Macaire, voir 1’ouvrage récent de D. B.
Miller, « The Velikie Minei Chetii and the Stepénnaia kniga of Metropolitan Makarii and the
origins of Russian national consciousness », FOG XXVI (1979), p. 263-382.
282
AUX SOURCES DE L’AUTOCRATIE RUSSE
XIVe et XVe siècles, mais aussi la confirmation de ces propriétés par les grands-
princes et par les princes territoriaux.
Sur le plan externe, les tenants de ce mouvement affirmaient
l’effondrement (izrušenie) de la foi grecque et du Patriarcat de Constantinople,
tombé aux mains des « Infidèles », et proclamaient la mission spéciale de
Moscou – Troisième Rome – parmi les peuples chrétiens. Cela signifiait, à long
terme, une croisade anti-ottomane et une politique active d’intervention dans les
affaires de 1’Europe du Sud-Est.
Or, une partie de l’Église russe, fidèle aux idéaux ascétiques de
l’hésychasme byzantin, ne partageait pas ces vues ambitieuses. Le chef de file
de ce courant, animé par les moines d’Outre-Volga (zavolžskie starcy), fut Nil
de la Sora (Sorskij) (1433-1508)9. L’« ancienne Orthodoxie » refusait à l’Église
russe le caractère d’Église autocéphale et entendait continuer de se soumettre à
1’autorité du Patriarcat œcuménique. Sur le plan intérieur, Nil Sorskij et ses
disciples – dont le plus important fut Bassien (Vassian) Patrikeev10 – prônaient
la séparation du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel, la pauvreté
évangélique des communautés religieuses, l’ascèse et la méditation
individuelles, l’interdiction faite aux moines de se mêler des affaires du siècle.
Leur refus d’acquérir et de posséder des biens leur a valu dans l’historiographie
le nom de non acquéreurs (ou non possédants), opposé aux acquéreurs (ou
possédants) (stjažateli) qui s’applique aux partisans de Joseph de Volokolamsk
(nommés aussi joséphiens).
Entre ces deux courants, les grands-princes de Moscou n’ont jamais pris
position de manière résolue. En effet, le programme des joséphiens leur
convenait tant sur le plan intérieur (dans la mesure où il justifiait l’absolutisme
princier) que sur le plan de la politique étrangère, principalement dans leurs
rapports avec les autres Principautés russes et surtout avec la Pologne-Lituanie.
Toutefois, les souverains moscovites convoitaient les grandes richesses
foncières des monastères qu’ils auraient préféré distribuer à la nouvelle noblesse
de service. Sur ce dernier point, les thèses des non acquéreurs coïncidaient avec
la nécessité dans laquelle se trouvait le chef de l’État de s’assurer la fidélité de
la noblesse sur laquelle reposait sa puissance militaire.
C’est ici qu’intervient le deuxième facteur dont nous parlions plus haut, à
savoir le groupe à dominante laïque des judaïsants qui soutenait, sur le plan
politique, la non ingérence de l’Église dans la conduite de l’État et son retour à
la pauvreté évangélique. Point n’est besoin d’entrer ici dans les détails, peu
nombreux d’ailleurs, de l’histoire de ce groupe de libres penseurs à Novgorod, à
Kiev et à Moscou dans les trois dernières décennies du XVe siècle, histoire qui
9
F. von Lilienfeld, Nil Sorskij und seine Schriften. Die Krise der Tradition im Russland
Ivans III, Berlin 1963 (Collection « Quellen und Untersuchungen zur Konfessionskunde der
Orthodoxie »).
10
N. A. Kazakova, Vassian Patrikeev i ego sočinenija, Moscou – Leningrad 1960 ; H.-D.
Döpmann, op. cit., p. 118-133.
283
MATEI CAZACU
ne finit pas avec la condamnation au bûcher de leurs chefs en 1504. Disons tout
simplement que leur nom leur venait de l’amalgame fait par leurs ennemis –
l’archevêque Gennadij de Novgorod et Joseph de Volokolamsk en premier lieu
–, entre leur penchant pour la littérature arabe et hébraïque et leur opposition
aux dogmes de l’Église11.
Ce qui nous intéresse au premier chef est l’activité politique et littéraire
des judaïsants et principalement de leur chef et protecteur, le d’jak (secrétaire),
princier Fedor (Théodore) Kuricyn. Nous nous occuperons ensuite de deux
autres auteurs, toujours des laïcs, mais qui ne peuvent pas être considérés
comme des judaïsants : l’auteur du Récit sur les princes de Vladimir (Skazanie o
knjaz’jah Vladimirskih) et, enfin, Ivan Peresvetov. Dans les pages qui suivent,
nous nous proposons de relever la dette que ces auteurs ont contractée envers
leurs contemporains hongrois et roumains dans le domaine de l’idéologie
politique. Il y a là, croyons-nous, matière à réflexion sur les sources de
l’autocratie russe, sur la circulation des idées dans l’Europe Centrale et
Orientale à l’époque de Machiavel, d’Erasme et de Guillaume Budé, et, last but
not least, sur l’apport intellectuel des humanistes hongrois et roumains à la
définition de l’autorité princière.
11
Pour les judaïsants, voir principalement N. A. Kazakova – Ja. S. Lur’e, Antifeodal’nye
eretičeskie dviženija na Rusi XIV – načala XVI veka, Moscou – Leningrad 1955, p. 74-226, 256-
526 ; Ja. S. Lur’e, op. cit. ; E. Hösch, Orthodoxie und Häresie im alten Russland, Wiesbaden 1975
(« Schriften zur Geistesgeschichte des östlichen Europa », 7), ouvrage documentaire accompagné
d’une bibliographie complète de la question ; Th. Seebohm, op. cit., p. 90 sq. ; J. R. Howlett, The
heresy of the Judaisers and the problem of the Russian Reformation, Oxford 1979, Thèse de
doctorat.
12
F. Ilinskij, « D’jak Fedor Kuricyn », Russkij arhiv 1 (1895), p. 1-16 ; idem, « Mitropolit
Zosima i d’jak Fedor Vasilevič Kuricyn », Bogoslovskij vestnik 1905, p. 212-235 ; A. A. Zimin,
« D’jačeskij apparat v Rossii vtoroj poloviny XV – pervoj treti XVI v. », Istoričeskie zapiski 87
(1971), p. 247-248 ; F. von Lilienfeld, « Ueber einige Züge des Frühhumanismus und der
Renaissance in Russland und Deutschland – Johannes Trithemius und Fjodor Kuricyn », JFL
XXXVI (1976), p. 23-35 ; eadem, « Die “Häresie” des Fedor Kuricyn », FOG XXIV (1978), p.
39-64.
13
P. Karge, « Die ungarisch-russische Allianz von 1482-1490 », DZG VII (1892), p. 326-
333.
284
AUX SOURCES DE L’AUTOCRATIE RUSSE
14
E. Amburger, Die Anwerbung ausländischer Fachkräfte für die Wirtschaft Russlands
vom 15. bis 19. Jahrhundert, Wiesbaden 1968 (« Osteuropastudien des Landes Hessen », I,
« Giessener Abhandlungen zur Agrar- und Wirtsehafts- forschung des europäischen Ostens », 42).
15
M. Cazacu, « À propos du récit russe Skazanie o Drakule voevode », CMRS XV/3-4
(1974), p. 279-296 ; idem, « “Geschichte Dracole Waide”. Un incunable imprimé à Vienne en
1463 », Bibliothèque de 1’École des Chartes CXXXIX (1981), p. 209-243
16
Nous citerons d’après la traduction que nous avons donnée du texte dans notre thèse de
doctorat, Le thème de Dracula (XVe – XVIIIe siècles). Présentation, édition critique, traduction et
commentaire, Université de Paris I (Panthéon – Sorbonne), 1979, p. 473.
17
L. V. Čerepnin, Russkie feodal’nye arhivy, II, Moscou 1951, p. 310-314.
285
MATEI CAZACU
18
M. Szeftel, « Le justicier (Sudebnik) du tsar Ivan III (1497) », Revue historique du Droit
français et étranger (1956), p. 531-568 ; H. W. Dewey, « The 1497 Sudebnik, Muscovite Russia’s
first national law code », ASEER XV (1956), p. 325-338 ; plus récemment, D. H. Kaiser, The
growth of the law in Medieval Russia, Princeton UP 1980, p. 77, 87, 90-93.
19
I. Barta et alii (éds.), Histoire de la Hongrie des origines à nos jours, Roanne – Budapest
1974, p. 132 (contribution de L. Makkai).
286
AUX SOURCES DE L’AUTOCRATIE RUSSE
20
Lettre du 6 septembre 1456 chez I. Bogdan, Relaţiile Țării Româneşti cu Braşovul şi cu
Ţara Ungurească, Bucarest 1905, no 257, p. 316-317.
21
Lettre du 11 février 1462 adressée à Mathias Corvin, dans I. Bogdan, Vlad Ţepeş şi
naraţiunile germane şi ruseşti asupra lui, Bucarest 1896, p. 76 ; M. Cazacu, op. cit., p. 251.
22
D. P. Bogdan, « Diplomatica slavo-română », dans DIR, Introducere, II, Bucarest 1956,
p. 77-84 ; E. Vîrtosu, Titulatura domnilor şi asocierea la domnie în Ţara Românească şi Moldova
până în secolul al XVI-lea, Bucarest 1960, p. 197-215.
23
G. Stökl, « Die Begriffe Reich, Herrschaft und Staat bei den Orthodoxen Slawen »,
Saeculum V (1954), p. 115-116, repris dans Der Russische Staat im Mittelalter und früher
Neuzeit. Ausgewählte Aufsätze aus Anlass seines 65. Geburtstages..., Wiesbaden 1981, p. 85-86
(« Quellen und Studien zur Geschichte des östlichen Europa », XIII) ; J. Raba, « The authority of
the Muscovite ruler at the dawn of the modern era », JGO XXIV (1976), p. 321-344.
24
E. Vîrtosu, op. cit., p. 197-215.
25
M. Cazacu, « À propos du récit russe Skazanie o Drakule voevode », p. 294-295.
26
Voir la traduction allemande procurée par F. Kämpfer, Historie vom Zartum Kasan
(Kasaner. Chronist). Uebérsetzt, eingeleitet und erklärt von..., Graz – Vienne – Cologne 1969.
Voir aussi 1’étude de J. Pelensky, Russia and Kazan, Conquest and imperial ideology (1438-
1560’s), La Haye – Paris 1974.
27
B. Spuler, Die Goldene Horde. Die Mongolen in Russland, 1223-1502, Wiesbaden 19652 ,
p. 179 ; M. Cazacu, « À propos du récit russe Skazanie o Drakule voevode », p. 294-295.
287
MATEI CAZACU
Ivan le Terrible, de gommer du passé russe les épisodes peu glorieux liés aux
relations avec les anciens maîtres déchus. Il est probable que le Récit sur le
voïévode Dracula a influencé directement cette chronique, tout comme il a
donné naissance à une autre tradition qui attribuait, en plein XVIIe siècle, cette
action au tsar Ivan le Terrible ; la victime étant, selon les versions, soit un
envoyé italien, soit un ambassadeur français28.
Ces essais de « réinterprétation » de l’histoire russe sont d’autant plus
explicables que le cérémonial d’accueil des ambassadeurs tatars à Moscou
durant les XIIIe – XVe siècles prescrivait l’adoption par le grand-prince et par
ses bojare d’une attitude fort humiliante : ils devaient écouter, debout, la lecture
de la lettre du khan, en mettant sous les pieds de l’ambassadeur une fourrure de
zibeline. Après cette lecture, le prince devait toucher la terre avec son front et se
mettre à genoux29.
Un autre épisode du Récit sur le voïévode Dracula – le no 5 – raconte
comment le prince roumain brûla vifs les mendiants et les infirmes qu’il avait
conviés à un festin. Alors que les récits allemands présentent une conclusion
assez simpliste, le récit russe, lui, contient une explication attribuée à Vlad
Ţepeş qui mérite d’être retenue :
« Sachez [dit-il à sa suite] que j’ai fait cela d’abord pour qu’ils ne soient plus un fardeau
pour les autres et que personne ne soit plus pauvre dans mon pays, et pour que tous soient riches.
Deuxièmement, je les ai délivrés afin qu’aucun d’entre eux ne souffre plus en ce monde de
pauvreté ou de n’importe quelle infirmité ».
28
Ja. S. Lur’e, Povest’ o Drakule [Le récit de Dracula], Moscou – Leningrad 1964, p. 66 ;
G. Giraudo, Drakula. Contributi alla storia delle idee politiche nell’Europa orientale alla svolta
del XV secolo, Venise 1972, p. 115-116 et n. 39 (p. 132-133). (« Collana Ca’Foscari. Facoltà di
lingue e letterature straniere, Venezia, Seminario di storia, Studi e ricerche », 4)
29
B. Spuler, op. cit., p. 360 ; M. Cazacu, art. cit., p. 294 et n. 62 (corriger le nom de
1’historien Dlugosz par celui de Maciej Stryjkowski (1547-1582), Kronika Polska, Litewska,
Zmôdska i wszystriéj Rusi, Königsberg 1582).
30
F. von Lilienfeld, « Dife “Häresie” », p. 57-58.
31
B. Nørretranders, The shaping of czardöm under Ivan Groznyj, Londres 1971, p. 44 sq.
288
AUX SOURCES DE L’AUTOCRATIE RUSSE
32
Voir les passages cités par E. Dénisoff, « Aux origines de l’Église russe autocéphale », p.
86 (d’après la Valaamskaja beseda) : « Ce n’est pas avec les religieux que le Seigneur a ordonné
aux grands princes de gouverner, mais avec ses princes apanagés et ses boïars » ; « Le prince qui
prend conseil des moines s’adresse à des morts » ; « Dieu refuse sa bénédiction aux affaires où les
moines détiennent l’autorité qui revient aux voïévodes du tsar. Quant aux religieux qui l’ont
usurpée, ils ne sont plus des amis de Dieu, mais bien plutôt des provocateurs de son courroux »
(Cf. G. N. Moiseeva, Valaamskaja beseda [La conversation du monastère de Valaam], Moscou –
Leningrad 1958, p. 162 sq.).
289
MATEI CAZACU
par Ivan le Terrible qui, dans sa correspondance avec le prince Kurbskij, refuse
aux ecclésiastiques toute ingérence dans la conduite des affaires de l’État 33.
On peut, en définitive, faire un parallèle entre la pensée de Kuricyn et celle
d’Ivan IV, dans la mesure où les deux auteurs considéraient le souverain seul
responsable de ses actions devant Dieu et ne laissaient à 1’Église que la
possibilité d’approuver leş décisions du prince34.
Si, jusqu’ici, nous avons enregistré en Russie au XVIe siècle une attitude
favorable envers les idées contenues dans le Récit sur le voïévode Dracula, on
ne peut pas passer sous silence un ouvrage qui semble les combattre de manière
très violente. Il s’agit de L’illuminateur (Prosvetitel’) de Joseph de
Volokolamsk, qui contient, dans son septième chapitre, écrit peu avant 1504, un
fragment concernant le mauvais prince :
« Le tsar est le serviteur de Dieu mis par lui pour punir et pardonner aux hommes. S’il se
présente un tsar qui règne sur des hommes, mais obéit lui-même à des passions mauvaises et au
péché, à la cupidité et à la colère, à la malice et à l’injustice, à l’orgueil et à la violence, ou, qui pis
est, à 1’incroyance et à l’impiété, alors un tel tsar n’est plus un serviteur de Dieu, mais du diable,
et il n’est plus un tsar mais un tyran (mučitel’, aussi bourreau) »35 [souligné par nous ].
On est frappé par les rapports entre ce texte (qui n’est pas, semble-t-il,
d’inspiration patristique) et le Récit russe sur Vlad Ţepeş, dont le sobriquet
Dracula permettait des jeux de mots sur le diable, et l’épithète mučitel’ (tyran,
bourreau) semblé rappeler l’épisode des moines catholiques. Les autres défauts
du mauvais prince s’appliquent, eux aussi, assez bien à Vlad Ţepeş, tel qu’il
apparaît à travers le Récit russe sur Dracula. C’était, peut-être, l’occasion pour
Joseph de Volokolamsk, adversaire acharné des judaïsants et de Fedor Kuricyn,
de faire une allusion précise à un ouvrage dû à la plume de ce dernier et que le
défenseur de la primauté du spirituel se devait de réprouver avec vigueur36.
Ces constatations nous amènent naturellement à une autre idée politique
contenue implicitement dans le Récit sur le voïévode Dracula, à savoir
1’autorité absolue que le prince roumain entendait exercer sur l’ensemble de ses
sujets. Cette autorité allait dans le sens de la monarchie absolue que le roi
Mathias Corvin (1458-1490) essayait, à la même époque, d’instaurer en
Hongrie. On retrouve cette tendance illustrée par tous les ouvrages écrits à la
33
Cf. B. Nørretranders, op. cit., p. 23-24.
34
W. Vodoff, « L’Église et le pouvoir monarchique en Russie de 1503 à 1568 », dans
Théorie et pratique politiques à la Renaissance, Paris 1977, p. 75-87 (« De Pétrarque à
Descartes », XXXIV).
35
Iosif Volockij, Prosvetitel’, Kazan 1896, p. 286-288 ; voir la discussion du passage chez
M. Raeff, « An early theoretist of absolutism : Joseph of Volokolamsk », ASEER VIII/2 (1949), p.
86 ; H.-D. Döpmann, op. cit., p. 73 sq. ; F.-X. Coquin, art. cit., p. 258, qui traduit « le méchant
tsar est un diable », alors qu’il faut corriger par « un serviteur du diable ».
36
Cf. B. Nørretranders, op. cit., p. 103. Pour des comparaisons avec la littérature grecque et
byzantine, voir B. Rubin, « Der Fürst der Dämonen. Ein Beitrag zur Interpretation von Prokops
Anekdota », BZ (Mélanges F. Dölger) XLIV (1951), p. 469-481 ; idem, « Zur Kaiserkritik
Ostroms », SBN VII (1953), p. 453-462.
290
AUX SOURCES DE L’AUTOCRATIE RUSSE
Or, ces paroles ont été prononcées par Fedor Kuricyn de la part de son
maître, et on peut penser qu’il n’était pas étranger à leur énonciation.
À la lumière de tout ce qui vient d’être dit au sujet des idées politiques
contenues dans le Récit sur le voïévode Dracula, on peut accepter, avec une
certaine réserve toutefois, la conclusion de D. W. Treadgold qui voyait dans ce
37
E. Várady, La letteratura italiana e la sua influenza in Ungheria, I-II, Rome 1933-1934 ;
T. Kárdos, « Zentralisierung und Humanismus in Ungarn », dans La Renaissance et la Réforme en
Hongrie et en Pologne, Budapest 1963, p. 397- 414 (« Studia historica », 53) ; idem, Studi e
ricerche umanistiche italo-ungheresi, Debrecen 1967 (« Studia romanica Universitatis
Debreceniensis », 3) ; J. Béranger, « Caractères originaux de l’humanisme hongrois », Journal
des Savants (octobre – décembre 1973), p. 257-288 ; I. N. Goleniščev-Kutuzov, Il Rinascimento
italiano e le letterature slave dei secoli XV e XVI. A cura di Sante Graciotti e Jitka Kfesalkovâ, I-
II, Milan 1973 (trad. ital. de l’éd. russe de 1963 avec d’importants ajouts bibliographiques).
38
De comparatione reipublicae et regni (1489-1490), ouvrage dédié à Laurent de Médicis,
cité par L. Makkai, Histoire de la Hongrie, Roanne – Budapest 1974, p. 131 ; voir aussi E. Mayer,
Un umanista italiano délia corte di Mattia Corvino : Aurelio Brandolini Lippo, Rome 1938.
39
Ja. S. Lur’e, Povest’ o Drakule, p. 49-50 ; G. Giraudo, op. cit., p. 62 sq. ; I. N.
Goleniščev-Kutuzov, op. cit., I, p. 181-182.
40
M. Cherniavsky, « Khan or Basileus : an aspect of Russian mediaeval political theory »,
Journal of the History of Ideas XX (1959), p. 459-476, repris dans The structure of Russian
history. Interpretive essays, éd. M. Cherniavsky, New York 1970.
41
Ibidem, p. 472-473, analyse de la lettre de 1’archevêque Vassian de Rostov à Ivan III, au
moment de la « bataille » sur l’Ugra.
42
Cité par W. Vodoff, « Naissance et essor du pouvoir des tsars de Moscou (1547-1649) »,
tiré à part de RHD (juillet – décembre 1975), p. 3 ; Fr.-X. Coquin, op. cit., p. 254.
291
MATEI CAZACU
texte un essai de Fedor Kuricyn (et du groupe des judaïsants) pour « bâtir une
nouvelle idéologie de 1’État autocratique »43.
Rappelons enfin que cette tendance se retrouve également dans un autre
ouvrage dû au même courant de pensée : il s’agit de la version russe du traité de
Pseudo-Aristote, Secretum secretorum (Tajnaja tajnyh, en russe), traduit de
l’hébreu en russe au sein du mouvement des judaïsants. Comme il a été prouvé
récemment, le traducteur a enrichi considérablement la version russe de parties
entièrement nouvelles qui insistent notamment sur le comportement du prince
envers ses sujets et envers les nobles, sur le traitement réservé aux
ambassadeurs, sur le rôle du secrétaire princier, etc.44. On peut donc supposer
que Fedor Kuricyn effectua (ou participa à) la traduction de 1’hébreu en russe,
pour offrir à Ivan III une oeuvre d’Aristote adressée à Alexandre sur l’art de
gouverner.
La caractéristique fondamentale, tant du Secretum secretorum que du Récit
sur le voïévode Dracula, est d’envisager l’art de gouverner hors de toute
influence de l’Église et même de toute considération d’ordre religieux.
Gouverner est une science laïque et le prince, dans la conception de nos auteurs,
peut se passer du concours de l’Église, en faisant appel à des collaborateurs
dévoués et expérimentés. Il y a là une conception totalement nouvelle dans la
littérature russe du Moyen-Âge, et il est permis d’attribuer cette conception au
secrétaire Fedor Kuricyn, chef de file et protecteur des judaïsants, dont l’activité
cessa brusquement après 1503, lorsque fut condamné le mouvement auquel il
appartenait.
43
D. W. Treadgold, The West in Russia and China. Religious and secular thought in
modem times. 1, Russia, 1472-1917, Cambridge 1973, p. 11 ; R. Zguta, « The “Aristotelevy vrata”
as a reflection of Judaizer political ideology », JGO XXVI (1978), p. 7-8.
44
M. Grignaschi, « L’origine et les métamorphoses du “Sirr-al-'asrâr” (Secretum
secretorum) », Archives d’Histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge XLIII (1976), p. 67-78,
qui résume les conclusions d’une communication inédite de W. Ryan (Londres). Notons enfin une
dernière coïncidence : le Secretum secretorum (sous le titre De regimine principorum) et le récit
sur Dracula (la version allemande) furent imprimés par le même imprimeur, Martin Landsberg, à
Leipzig, dans la dernière décennie du XVe siècle ; cf. Ja. S. Lur’e, Povest’ o Drakule, Annexe et
Gesamtkatalog der Wiegendrücke, II, 2490.
45
Édition et commentaire de R. P. Dmitrieva, Skazanie o knjaz’jah Vladimirskih, Mosćou –
Leningrad 1955 ; trad. anglaise par J. A.V. Haney, « Moscow – Second Constantinople, Third
Rome or Second Kiev (The taie of the princes of Vladimir) », Canadian slavic studies III/2
(1968), p. 354-367.
292
AUX SOURCES DE L’AUTOCRATIE RUSSE
46
Voir 1’énumération des hypothèses chez M. E. Byčkova, « Obščie tradicii rodoslovnyh
legend pravjaščih domov Vostočnoj Evropy », dans B. A. Rybakov (éd.), Kul’turnye svjazi
narodov Vostočnoj Evropy v XVI v., Moscou 1976, p. 292-303 ; pour le couronnement de 1498,
voir la thèse de G. Majeska, « The Moscow coronation of 1498 reconsidered », JGO XXVI
(1978), p. 353-361.
47
A. L. Gol’dberg, « Die Rezeption staatspolitischer Ideen des Moskauer Russland im
westeuropäischen Schrifttum des 16. und 17. Jahrhunderts », Zeitschrift für Slawistik XXI (1976),
p. 334-336.
293
MATEI CAZACU
48
Voir en dernier R. P. Dmitrieva, « O tekstologiceskoj zavisimosti meždu raznymi vidami
rasskaza o potoiikah Avgusta 1 o darah Monomaha », TODRL XXX (1976), p. 217-230, qui
défend le rôle primordial de l’évêque Spiridon-Savva dans l’élaboration de la légende de l’origine
romaine de la dynastie de Rurik.
49
A. Bonfini, Rerum Ungaricum decades, III, éds. I. Fogel, B. Iványi, L. Juhasz, Leipzig –
Budapest 1940, p. 206 ; voir la discussion chez A. Armbruster, La romanité des Roumains.
Histoire d’une idée, Bucarest 1977, p. 61-64.
50
Texte dans Polnoe sobranie russkih letopisej, XVII, Saint-Pétersbourg 1907, p. 227-244 ;
cf. R. P. Dmitrieva, op. cit., p. 179- 181, 201-205 ; M. E. Byčkova, « Otdel’nye momenty istorii
Litvy v interpretacii russkih genealogičeskih istočnikov », dans Pol’ša i Rus’. Certy obščnosti i
svoeobrazija v istoričeskom razvitii Rusi i Pol’ši v XII-XIV vv., Moscou 1974, p. 367-370 ; eadem,
Rodoslovnye knigi XVI-XVII vv., kak istoričeskij istočnik, Moscou 1975.
51
J. Dlugosz, Annales seu Cronicae incliti regni Poloniae, I, éds. J. Dabrowski, V.
Semkowicz-Zdremba, Varsovie 1964, p. 215-216.
52
Ibidem, p. 394 (commentaires). La référence est Nicolaus von Jeroschin, Kronike von
Pruzinlant, dans Scriptores rerum Prussicarum, Leipzig 1861, I, III, 5.
294
AUX SOURCES DE L’AUTOCRATIE RUSSE
pays de Moldavie en l’an 6867 (1359). Cette chronique a été intercalée dans la
Chronique du monastère de la Résurrection (Voskresenskaja letopis’) qui date
des années 1542-154453, mais aussi dans une copie de la Nikonovskaja letopis,
rédigée entre 1555 et 1559. Des recherches plus récentes ont permis de constater
que l’ouvrage figure également dans des recueils russes de généalogies et de
chronographes diverses54.
La chronique moldavo-russe est divisée en deux parties : la première
retrace l’origine latine des Roumains de Maramureş, descendants des colons
venus de Rome. La seconde partie est une compilation et un résumé faits
d’après la Chronique de Putna, mais très pauvre en informations (quatre en
tout) sur le règne d’Étienne le Grand. Le dernier événement consigné est la mort
d’Étienne (placée par erreur en 1502 !) et 1’avènement de son fils Bogdan III.
Que dit cette généalogie à propos des Roumains de Maramureş ?
« Deux frères, Roman et Vlachata, sont partis de Venise ; étant chrétiens, ils ont fui la
persécution des hérétiques à l’encontre des chrétiens et sont venus à la ville nommée Rome
ancienne et ont fondé un bourg (grad’), Roman, qui portait leur nom. Et ils y vécurent, eux et leur
race, jusqu’à ce que le pape Formose se fût séparé de l’Orthodoxie et eût embrassé la foi latine. Et
après la séparation d’avec la loi du Christ, les Latins ont fondé une ville nouvelle, la Nouvelle
Rome, et ont invité les descendants de Roman (Romanovci) à adhérer à la foi latine. Mais les
Romanovci ont refusé, ont mené de grandes guerres avec eux et n’ont pas abandonné la foi du
Christ. Dès lors ils furent sans cesse en guerre, jusqu’au règne du roi Vladislav de Hongrie. Le roi
Vladislav était le neveu du frère de l’archevêque Savva des Serbes et fut baptisé par celui-ci, et il
gardait la foi du Christ dans le secret de son coeur, quoique d’après sa langue et la dignité royale il
fût catholique ».
53
Dernières éditions : P. P. Panaitescu, Cronicile slavo-române din sec. XV – XVI publicate
de Ion Bogdan, éd, revue et complétée, Bucarest 1959, p. 152-161 ; F. A. Grekul, Slavjano-
moldavskie letopisi XV – XVI vv., Moscou 1976, p. 55-60. Pour la date de la Voskresenskaja
letopis’, voir S. A. Levina, « O vremeni sostavlenija i sostavitele Voskresenskoj letopisi XVI
veka », TODRL XI (1955), p. 375-379. La chronique moldavo-russe a été étudiée notamment par
I. Bogdan, Vechilé cronici moldoveneşti până la Ureche, Bucarest 1891 ; A.I. Jacimirskij,
« Skazanie v kratce o moldavskih gospodarjah v Voskresenskoj letopisi », dans Izvestija
otdelenija russkogo jazyka i slovesnosti Imperatorskoj Akademii Nauk, VI, 1903, p. 88-119 ; A.
V. Boldur, « Cronica slavo-moldovenească din cuprinsul letopisei ruse Voskresenski », SRI 5
(1963), p. 1105-1116.
54
F.A. Grekul, op. cit., p. 11-13 (liste complète des manuscrits).
55
Un passage de cette lettre a intrigué tous les spécialistes. Il s’agit de l’adresse qui sonne
ainsi : « Velikomu kralju Vladislavu zlatyj zatok rekše Ougor’skomu ». P.P. Panaitescu,
Cronicile, p. 159, traduit : « Marelui crai Vladislav, numit ţesatură de aur, al Ungariei ». A.I. Ja-
295
MATEI CAZACU
resteraient en vie, le roi était prié de les installer dans son pays afin que leurs
femmes et leurs enfants, restés sans défense à Rome, pussent être forcés
d’embrasser le Catholicisme.
La guerre contre les Tatars fut gagnée grâce au courage des anciens
Romains, et le roi Vladislav leur « accorda des privilèges... et les récompensa
généreusement pour leur bravoure ». Il leur montra également la lettre des
nouveaux Romains et réussit à les convaincre de rester dans son pays, alléguant
que leurs familles restées à Rome étaient passées au Catholicisme sous la
pression des nouveaux Romains :
« Et eux [les anciens Romains] ont prêté serment au roi Vladislav en le priant de ne pas les
obliger d’adopter la foi latine, de leur permettre de garder la foi grecque chrétienne et de leur
accorder des terres pour y vivre. Et le roi Vladislav les reçut de bonne grâce et leur accorda des
terres dans le Maramureş entre les rivières Mureş et Tisa, à l’endroit nommé Criş, et c’est ici que
les Romains se sont installés et rassemblés. Et ils ont vécu ici et ont pris des femmes hongroises
passées de la foi latine à leur foi chrétienne, et ce jusqu’à ce jour ».
cimirskij, « Skazanie v kratce », p. 100 et n. 23, croyait qu’il y avait là le souvenir des mines d’or
du pays et cite une cosmographie traduite en vieux russe « s rimskago jazyka », où on nous dit
que les rois de Hongrie s’intitulaient les « pères de l’or » (« zlatyja otocy ») « parce qu’on
exploite beaucoup de mines et les pièces d’or hongroises vont par tous les pays ». Enfin, I.
Bogdan, Vechile cronici, p. 63-64, pensait qu’il s’agissait, dans le cas de « zlatyj zatok », d’une
erreur du copiste pour « zlatyj začatok », donc que le titre du roi était écrit en lettres d’or. Pour
nous, cette expression reste toujours mystérieuse. Rappelons toutefois ce qu’en dit Simion
Dascalul, un des continuateurs de la chronique de Grigore Ureche, au même passage : « Laslău
craiul ungurescu, cari-i zic filosof » (Letopisetul Ţării Moldovei, éd. P.P. Panaitescu, Bucarest
1955, p. 62). Or, Simion Dascălul utilisait des « annales hongroises » (« leatopiseţul cel
ungurescu ») qui étaient apparentées à cette chronique moldavo-russe.
56
Voir D. Onciul, « Papa Formosus în tradiţia noastră istorică », dans Lui Titu Maiorescu
omagiu, XV februarie MCM, Bucarest 1900, p. 620- 631, réédité dans Scrieri istorice, II, éd. A.
Sacerdoţeanu, Bucarest 1968, p. 5-18 ; I. Dujčev, « Uno studio inedito di Mons. G. G. Ciampini
sul papa Formoso », Medioevo bizantino-slavo, I, Rome 1965, p. 149-181 ; idem, « Testimonianza
epigrafica délia missione di Formoso, vescovo di Porto, in Bulgaria (a. 866-867) », ibidem, p.
183-192.
296
AUX SOURCES DE L’AUTOCRATIE RUSSE
57
D. Onciul, « Dragoş şi Bogdan fundatorii principatului moldovenesc », Convorbiri
literare XVIII (1884), repris dans Scrieri istorice, I, p. 93.
58
Gh. I. Brătianu, Tradiţia istorică despre întemeierea statelor româneşti, Bucarest 1945,
p. 158 sq.; idem, « În jurul întemeierii statelor româneşti. II. Contribuţii la istoria întemeierii
statelor româneşti », Ethos III (Paris 1982), p. 64-65.
59
D. Onciul, « Dragoş », p. 115-116.
60
B. P. Haşdeu, Negru Vodă. Un secol şi jumătate din începuturile statului Ţerei Româneşti
(1230-1380), Bucarest 1898, p. CXXXIX-CXLII ; N. Iorga, Istoria literaturii româneşti în secolul
al XVIII-lea (1688-1821), II, Bucarest 1928, réédité par B. Theodorescu, Bucarest 1969, p. 455.
297
MATEI CAZACU
61
Voir notamment Ş. Papacostea, « La fondation de la Valachie et de la Moldavie et les
Roumains de Transylvanie : une nouvelle source », RRH XVII/3 (1978), p. 389-408 ; idem,
« Triumful luptei pentru neatârnare : întemeierea Moldovei pi consolidarea statelor feudale
româneşti », dans N. Stoicescu (éd.), Constituirea statelor feudale româneşti, Bucarest 1980, p.
165-194 ; M. Holban, Din cronica relaţiilor româno-ungare în secolele XIII – XIV, Bucarest
1981. Parmi les ouvrages plus anciens, citons G. Brătianu, « Les rois de Hongrie et les
Principautés roumaines au XIVe siècle », BSHAR XXVIII (1947), p. 67-105.
62
N. Iorga, Istoria Românilor, III, Ctitorii, Bucarest 1937, p. 214. Voir aussi l’ouvrage
fondamental de R. Popa, Ţara Maramureşului în veacul al XIV-lea, Bucarest 1970, p. 248-256 (le
domaine des Drăgoşeşti).
63
F. Miklosich – J. Müller, Acta Patriarchatus Constantinopolitani, II, Vienne 1862, no
CCCCXXVI, p. 156-157.
64
À corriger dans ce sens l’affirmation récente selon laquelle ils seraient des « Moldavian
Orthodox hospodars » : J. Meyendorff, Byzantium and the rise of Russia. A study of Byzantino-
Russian relations in the fourteenth Century, Cambridge 1981, p. 249. Pour la famille, voir T.
Gostynski, R. Ciocan, « La famille de Dragosh en Pologne », Balcania VIII (1945), p. 141-144.
65
F. Miklosich – J. Müller, op. cit., II, no CCCCXXVII, p. 157.
298
AUX SOURCES DE L’AUTOCRATIE RUSSE
région i autorité battue en brèche par le roi de Pologne qui venait d’occuper la
Galicie.
Dans la conception des voïévodes roumains, l’higoumène de Peri devait
remplacer les métropolites de Halitch qui se trouvaient en butte aux pressions
catholiques depuis un bon quart de siècle66. Ces pressions ne cessèrent pas après
l’occupation de la Galicie par les rois de Pologne en 1386, et entraînèrent une
grande instabilité de cette chaire métropolitaine (transférée ensuite à Lvov) qui
resta sans titulaire durant la plus grande partie du XVe siècle et jusqu’en 1535.
On peut même se demander si l’intention première des deux frères Balc et
Dragoş n’était pas de créer un évêché couvrant la totalité de leurs possessions,
évêché qui aurait pu prétendre exercer sa domination aussi sur la Moldavie
« rebelle ».
La décadence de la puissance des Drăgoşeşti au XVe siècle, conjuguée au
passage au Catholicisme de la branche dé Drag (magyarisée et devenue
Dragffy), priva la stavropégie de Peri de son principal soutien politique et
économique. L’Union de Florence de 1439 porta un nouveau coup à 1’autorité
de 1’higoumène de Peri, pris entre les évêques uniates de Halitch – nous
connaissons les noms de Matei (vers 1440-1457) et de Macaire de Serbie (1457
– vers 1475)67 –, et les prélats catholiques. Si on ajoute à cela l’existence de
deux métropolites de Moldavie gagnés à l’Union, Damien (1436-1447) et
Joachim (1447-1452), on comprendra la crise qui secoua l’Orthodoxie de
Maramureş dans ces années-là. En 1479, les prêtres de Maramureş dépendaient
d’un métropolite, par ailleurs inconnu, Ioannice de Belgrade (« Iowannychik
metropolitanus Nandoralbensis »), qui obtint de Mathias Corvin leur exemption
de toutes les taxes fiscales envers la couronne68. En suivant en cela N. Iorga,
nous inclinons à penser que ce métropolite avait accepté lui aussi 1’Union avec
Rome et que son intervention en faveur des prêtres de Maramureş n’était pas
complètement désintéressée69.
Enfin, la création, en 1491, d’un Évêché ruthène à Munkacs (Mukačevo),
non loin de Peri, vraisemblablement uniate lui aussi, a eu comme conséquence
un conflit d’autorité entre le nouvel évêque et 1’higoumène Hilaire (Ilarie) de
Peri. Le conflit dura de 1494 à 1498, date à laquelle le roi Vladislav de Hongrie
66
J. Pelesz, Geschichte der Union der ruthenischen Kirche mit Rom von den ersten Zeiten
bis in die Gegenwart, I, Vienne 1878, p. 471 sq. ; A. Bunea, « Episcopi de Haliciu în Transilvania
şi Ungaria », dans Prinos lui D. A. Sturdza la împlinirea celor şeptezeci de ani, Bucarest 1903, p.
131-145 ; C. Marinescu, « Înfiinţarea mitropoliilor în Tara Românească şi Moldova », AARMSI,
IIIe série, II (1924), p. 255-268 ; A. M. Amraann, Abriss der ostslawischen Kirchengeschichte,
Vienne 1950, p. 106-110, 195-197 ; P. P. Panaitescu, Începuturile şi biruinţa scrisului în limba
română, Bucarest 1965, p. 84 sq.
67
A. Bunea, « Episcopi de Haliciu », p. 137-144 ; O. Halecki, From Florence to Brest
(1439-1596), Rome 1958 (« Sacrum Poloniae Millenium », V), p. 84 sq.
68
Cf. P. P. Panaitescu, Începuturile scrisului, p. 87 ; voir aussi la discussion de l’acte chez
M. Păcurariu, Începuturile Mitropoliei Transilvaniei, Bucarest 1980, p. 67 sq.
69
N. Iorga, Scrisori şi inscripţii ardelene şi maramureşene, I, Bucarest 1906, p. XLIII.
299
MATEI CAZACU
70
Z. Pâclişanu, « Diploma din 14 mai 1494 a regelui ungar Vladislav II », RIR XIII (1943),
p. 101-105, publie l’original.
71
N. Iorga, Scrisori, p. XLIII-XLIV ; P. P. Panaitescu, Începuturile scrisului, p. 92 sq.
72
M. Păcurariu, Începuturile, qui donne la bibliographie de la question.
73
Voir les exemples ibidem, p. 57-58, 73 sq.
74
Ibidem, p. 82-88.
75
Cf. ibidem, p. 98, où l’auteur affirme que le terme de « métropolite » ne se trouve pas
dans les actes de la chancellerie médiévale, car « il était inconnu dans l’Église occidentale ». Cette
affirmation fait fi de tous les dictionnaires de la latinité médiévale – rappelons seulement Du
Gange, Niermeyer, Bartal... D’ailleurs, à la p. 67 de son propre livre, M. Păcurariu cite un acté
latin de 1479 où on parle de « Iowannych metropolitanus Nandoralbensis » !
76
Cf. D. Prodan, Supplex libellus Valachorum, Bucarest 1967, passim.
77
Voir à ce sujet le livre fondamental de A. Armbruster, La romanité des Roumains.
Histoire d’une idée, Bucarest 1977.
300
AUX SOURCES DE L’AUTOCRATIE RUSSE
78
I. Bogdan, Vechile cronici, loc. cit. ; P. P. Panaitescu, Cronicile, p. 153.
79
Ibidem.
80
I. Bogdan, Vechile cronici ; idem, Scrieri alese, éd. Gh. Mihăilă, Bucarest 1968, p. 317.
81
Voir rénumération chez M. E. Byčkova, « Obščie tradicii », p. 296.
82
P. P. Panaitescu, Cronicile, p. 153-154.
301
MATEI CAZACU
83
Grigore Ureche, Letopiseţul Tării Moldovei, p. 132 ; Gh. Bezviconi, Contribuţii la istoria
relaţiilor româno-ruse din cele mai vechi timpuri până la mijlocul secolului al XIX-lea, Bucarest
1962, p. 46.
84
M. E. Byčkova, « Obščie tradicii », p. 298 : « Il faut rappeler qu’au moment de la
composition de la légende généalogique russe, la chronique moldave était déjà arrivée à Moscou
et a pu exercer une influence sur les idées de la légende russe ».
85
Sočinenija I. Peresvetova, éd. A. A. Zimin, Moscou – Leningrad 1956.
86
V. Ržiga, « Ivan Peresvetov, publicist XVI veka », dans Čteriija v Obšcestve istorii i
drevnostej rossijskih pri Moskovskom Universitete 1 (1908), p. 1-84 ; idem, « I. S. Peresvetov i
zapadnaja kul’turno-istoričeskaja sreda », Izvestija otdelenija russkogo jazyka i slovesnosti
Akademii Nauk XVI (1911), p. 169-174.
87
W. Philipp, « Ivan Peresvetov und seine Pläne zu einer Erneuerung des Moskauer
Staates », ZOG VIII (1934), p. 465-507 ; idem, Ivan Peresvetov und seine Schriften zur
Erneuerung des Moskauer Reiches, Königsberg – Berlin 1935 (« Osteuropäische Forschungen »,
20).
88
P. P. Panaitescu, « Petre Rareş şi Moscova », tiré à part de In memoria lui Vasile Pârvan,
Bucarest 1934, p. 13-16.
89
St. Ciobanu, « Domnitorul Moldovei Petre Rareş în literatura rusă veche », RIR XIV
(1944), p. 316-353.
90
C. Backvis, « Les Slaves devant la “leçon” turque à l’aube des temps modernes », Revue
de l’Université de Bruxelles VII (1954-1955), p. 137 sq.
91
A. A. Zimin, I. S. Peresvetov i ego sovremenniki, Moscou 1958.
92
A. Dantl, « Ivan Peresvetov : osservazioni e proposte », Ricerche slavistiche XII (1964),
p. 3-64.
93
D. Matuszevski, Peresvetov : the Ottoman example and the Muscovite state, Thèse de
doctorat, Université de Washington, 1972.
302
AUX SOURCES DE L’AUTOCRATIE RUSSE
Parmi les textes écrits par ce vieux soldat, le plus important pour notre
propos est la Grande supplique (Bol’šaja Celobitnaja), rédigée en 1549 et
présentée à Ivan le Terrible. Dans cette oeuvre, Peresvetov reprend et
systématise les idées contenues dans ses autres écrits qui lui sont généralement
antérieurs95.
Le point de départ et le modèle de notre auteur est l’organisation de
l’Empire ottoman. Connaissant directement la force des Turcs et ayant réfléchi à
ce sujet, Peresvetov a compris que la supériorité de la puissance militaire des
Ottomans n’était que la conséquence logique de leur système politique. Ce
système avait fait ses preuves dans les guerres avec les Byzantins et avec les
Slaves méridionaux, il avait permis, à l’aube du XVIe siècle, la création d’un
vaste Empire situé à cheval sur trois continents. Fort de son expérience
militaire, Ivan Peresvetov entendait la faire connaître au tsar de Russie en vue
de la réalisation de grandes campagnes contre les Tatars de Kazan’ et
d’Astrakhan’.
L’importance exceptionnelle de l’oeuvre de Peresvetov vient de ce que
notre soldat présente la plupart de ses observations comme le fruit de ses
conversations avec le prince moldave Pierre Rareş. L’auteur précise, à plusieurs
reprises, que celles-ci avaient eu lieu en présence de « docteurs latins » et de
« sages philosophes grecs » qui entouraient en permanence le prince roumain96.
À la fin de son exposé, Peresvetov affirme que, au cours des cinq mois passés à
Suceava, il avait pu constater personnellement la « grande sagesse » de Pierre
Rareş :
« […] et ces paroles, il les a tirées de l’enseignement de la sagesse philosophique, parce
que, ô souverain, le prince Pierre lui-même était un philosophe et un sage docteur, et il était
entouré de nombreux sages, philosophes et docteurs »97.
Même s’il y a là quelque exagération, on ne peut, toutefois, écarter
totalement ce témoignage qui présente la Cour princière de Suceava en 1538
sous un jour si favorable. Si les « philosophes » peuvent être considérés comme
des théologiens ou des moines orthodoxes98, en revanche les « docteurs latins »
pourraient désigner des Allemands et des Hongrois de Moldavie sortis des
universités d’Europe Centrale99.
94
D. Svak, « K voprosu ob ocenke dejatel’nosti Ivana Peresvetova », SSASH XXIV (1978),
p. 55-80.
95
A. A. Zimin (éd.), Sočinenija, p. 170-184 ; trad. roumaine Şt. Ciobanu, « Domnitorul »,
p. 342-352 ; Călători străini despre Ţările române, I, éd. M. Holban, Bucarest 1968, p. 452-463.
96
Sočinenija, éd. A. A. Zimin, p. 171, 173, 177, 178, 183.
97
Ibidem, p. 183.
98
Fr. Dölger, « Zur Bedeutung von φιλόσοφος und φιλοσοφία in byzantinischer Zeit »,
dans Byzanz und die europäische Staatenwelt. Ausgewählte Vorträge und Aufsätze, Darmstadt
1976, p. 197-209.
99
R. Manolescu, « Cultura orăşeneasca în Moldova în a doua jumătate a secolului al XV-
lea », dans M. Berza (éd.), Cultura moldovenească în timpul lui Stefan cel Mare. Culegere de
studii îngrijită, Bucarest 1964, p. 79-81.
303
MATEI CAZACU
100
I. Nistor, Die moldauischen Ansprüche auf Pokutien, Vienne 1910, dans Archiv, für
österreichische Geschichte ; P.P. Panaitescu, « Petre Rareş şi Moscova » ; E. Völkl, Das
rumänische Fürstentum Moldau und die Ostslaven im 15. bis 17. Jahrhundert, Wiesbaden 1975
(« Veröffentlichungen des Osteuropa-Institutes München, Reihe : Geschichte », 42)
101
Sočinenija, éd. A.A. Zimin, p. 170.
102
Cl. Backvis, « Les Slaves devant la “leçon” turque », p. 140.
304
AUX SOURCES DE L’AUTOCRATIE RUSSE
réformant 1’économie et l’armée. Mehmet II présente ainsi tous les traits d’un
prince de la Renaissance, soucieux d’affirmer son autorité sans partage, de
récompenser ses soldats et de punir les ennemis, bref de faire preuve de virtù.
Cette virtù est donc la première qualité d’un prince « terrible et sage » (groznyj i
mudryj), épithètes qui sont comme une synthèse de la virtù et qui s’appliquaient
à Ivan IV103.
Si la justice qui règne dans un pays est le reflet de la groza inspirée par le
souverain, la préparation continuelle à la guerre et la force de son armée
découlent principalement de sa sagesse. Il faut souligner ici avec force que
Pierre Rareş, prince chrétien et désireux de secouer la domination ottomane,
avait la lucidité et le courage de reconnaître la supériorité des Turcs sur le plan
de l’organisation institutionnelle et économique du pays. Le parallèle entre la
situation de Byzance en 1453 et celle de la Russie des années ’30 du XVIe
siècle, qui préoccupait tant le prince moldave, atteste une nouvelle fois la
qualité de ses informations dans le domaine politique. En revanche, il est
intéressant de noter que Rareş ne cite pas le cas de la Pologne voisine qui
présentait les mêmes traits d’affaiblissement du pouvoir monarchique et de
montée de la toute-puissance des magnats : on peut supposer que la Pologne
catholique était considérée comme un ennemi susceptible d’être vaincu, tandis
que les Turcs semblaient, à l’époque de. Soliman le Magnifique, invincibles.
Leur force puisait ses racines, entre autres, dans l’unité de tous autour de leur
foi, ce qui était loin d’être le cas des Byzantins ou des Polonais.
Les conseils de Pierre Rareş à Ivan le Terrible représentent, en fait, le plus
clair du programme de réformes préconisé par Peresvetov pour la Russie. Le
tsar devrait lever une armée de 20.000 mercenaires, payés sur le Trésor public,
équipés d’armes à feu et prêts en permanence à défendre les frontières du pays,
notamment les marches face à la Crimée104 . Suivent des conseils ayant trait à
1’introduction de la justice dans le pays, pour la mise au pas de la grande
noblesse russe, accusée elle aussi de « paresse », d’« hérésie » et d’« infidélité »
envers son tsar et, enfin, le conseil d’occuper le Khanat tatar de Kazan’.
Plusieurs historiens se sont demandé si ces belles recommandations ne
seraient pas, en fait, une simple figure de rhétorique imaginée par Peresvetov
pour s’attirer la bienveillance d’Ivan IV et, donc, ne représenteraient en rien les
véritables idées de Pierre Rareş. Essayons d’examiner cette hypothèse en
envisageant trois aspects du récit qui n’ont pas attiré suffisamment l’attention
des spécialistes :
103
Cf. M. Szeftel, « The epithet groznyj in historical perspective », dans Festschrift G.
Florovski, The, religious world of Russian culture, II, La Haye 1975, p. 101-116. La conclusion
est que les termes « groznyj », « grozno » et « groza », « examined in historical context prior to
the reign of Ivan IV and outside of his personal characteristic, do not convey any meaning of
political terror or personal cruelty. What appears instead is a high idea of public authority veşted
in the ruler’s person » (p. 106). On traduira donc « groznyj » de préférence par « majestueux »,
« qui inspire de la révérence ».
104
Sočinenija, éd. A.A. Zimin, p. 175.
305
MATEI CAZACU
105
Ibidem, p. 179.
106
Ibidem, p. 180.
107
Ibidem, p. 176. Les remarques de Rareş sont confirmées par tout ce que nous savons sur
l’histoire économique du XVe et du début du XVIe siècle. Cf. N. Iorga, Points de vue sur
l’histoire du commerce de l’Orient à l’époque moderne, Paris 1925, p. 4-25 ; D. A. Zakythinos,
Crise monétaire et crise économique à Byzance du XIIIe au XVe siècle, Athènes 1948,
principalement p. 117-143 (la réaction des intellectuels). On notera les paroles du cardinal
Bessarion déplorant la « mollesse et l’inertie » des Péloponnésiens au milieu du XVe siècle. Les
termes employés sont μαλακία et βλακεία. H. Inalcik, The Ottoman Empire. The classical age
1300-1600, Londres 1975 ; N. Beldiceanu, Recherches sur la ville ottomane au XVe siècle, Paris
1973 ; E. Werner, Die Geburt einer Grossmacht – Die Osmanen (1300-1481). Ein Beitrag zur
Genesis des türkischen Feudalismus, Berlin 19783 (« Forschungen zur mittelalterlichen
Geschichte », 13), surtout p. 300- 328.
306
AUX SOURCES DE L’AUTOCRATIE RUSSE
Rareş qui, avant d’accéder au trône, avait été marchand de poisson en gros108.
On sait, par ailleurs, que le prince moldave montra toujours de l’intérêt pour les
affaires économiques et commerciales, ce qui ne peut qu’accréditer la thèse
qu’il est bien l’auteur des conseils prodigués à Ivan IV.
Le vœu émis par Pierre Rareş de voir les Russes délivrer la Chrétienté
108
Voir dernièrement L. Şimanschi (éd.), Petru Rareş, Bucarest 1978, p. 48-53
(contribution de I. Toderaşcu).
109
Sočinenija, éd. A. A. Zimin, p. 180.
110
K. Nevostrujev, « Tri hrisobulje u Hilandaru », Glasnik srpskog učenog društva XXV
(Belgrade 1869), p. 284-287 ; trad. roumaine dans DIR, A, I, Bucarest 1953, p. 357.
111
Sočinenija, éd. A. A. Zimin, p. 183 ; les autres exemples sont dans ibidem, p. 173, 176.
307
MATEI CAZACU
112
Hurmuzaki, Documente, Supliment II/1, p. 72 sq. ; N. Iorga, Scrisori de boieri. Scrisori
de domni, Vălenii-de-Munte 1931, no XXII, p. 193.
113
Original de 1’acte dans le volume MEF, I, Chişinău 1961, p. 53 ; une copie du XIXe
siècle est dans DIR, A, I, p. 609- 610. Voir L. Şimanschi, « Autenticitatea şi datarea unor acte
publicate în Documente privind istoria României », AIIAI I (1964), p. 92-93.
114
Sočinenija, éd. A. A. Zimin, p. 170. Cf. N. Iorga, « Une source négligée de la prise de
Constantinople », BSHAR XIII (1927) ; B. Unbegaun, « Les relations vieux-russes de la prise de
Constantinople », RÉS IX (1929), p. 13-38 ; réédité dans idem, Selected papers on Russian and
308
AUX SOURCES DE L’AUTOCRATIE RUSSE
dans le cadre de l’Hymne acathiste, est un des thèmes les plus répandus des
fresques extérieures des églises moldaves érigées – ou peintes – sous le règne de
Rareş, et probablement sous son influence : Probota (1532), Saint-Georges de
Suceava (1534), Humor (1535), Moldoviţa (1537), Arbore (1541), Voroneţ
(1547). Ces faits confirment, une fois de plus, l’authenticité du témoignage de
Peresvetov sur la personnalité de Pierre Rareş115.
Nous nous trouvons, par conséquent, en présence d’un véritable « Miroir
du prince », ouvrage destiné à initier un souverain dans l’art du gouvernement.
Son auteur est Pierre Rareş, qui prend de la sorte sa place à côté de Neagoe
Basarab (prince de Valachie de 1512 à 1521) comme penseur politique et auteur
d’ouvrages à caractère parénétique.
Slavonie philology, Oxford 1969, p. 1-26 (critique les thèses de Iorga) ; A. Pertusi (éd.), La
caduta di Constaniinopoli, I, Le testimonianze de i contemporanei, <s.1.> 1976, p. 261-298 ;
supra.
115
Voir là-dessus les considérations d’O. Tafrali, « Le siège de Constantinople dans les
fresques des églises de Bukovine », dans Mélanges offerts à Gustave Schlumberger..., Paris 1924,
p. 456-461 ; S. Ulea, « L’origine et la signification idéologique de la peinture extérieure moldave
(I) », RRH I/1 (1963), p. 29-71 ; idem, « Originea şi semnificaţia ideologică a picturii exterioare
moldoveneşti (II) », SCIA XIX/1 (1972), p. 37-53.
309
MATEI CAZACU
310
IV.
Croisade et commerce
À PROPOS DE L’EXPANSION
POLONO-LITUANIENNE AU NORD
DE LA MER NOIRE AUX XIV e – XVe SIÈCLES
CZARNIGRAD, LA « ClTÉ NOIRE » DE L’EMBOUCHURE DU DNIESTR
Cette constatation a été faite en 1941 par Bertold Spuler dans une étude
consacrée aux frontières de la Lituanie avec les Turcs et les Tatars1. Après plus
de quatre décennies, il est agréable de constater que, grâce aux efforts de
microfilmage et de publication des documents des archives ottomanes, déployés
par le professeur Alexandre Bennigsen et par son équipe, nous sommes bien
mieux armés aujourd’hui pour entreprendre des recherches dans ce domaine.
Notre article se veut, avant tout, une contribution à l’éclaircissement de la
toponymie de la région du Nord de la mer Noire, mais elle ne peut se limiter
uniquement à cela: elle débouche, en effet, sur la question de l’expansion
lituanienne vers le Sud, au temps du grand duc Vitold (1392-1430) et de ses
successeurs. À partir de la seconde moitié du XVe siècle, on assiste au
refoulement de l’État polono-lituanien de cette région et à son remplacement par
les avant-postes ottomans et tatars qui s’y sont maintenus jusqu’en 1812,
lorsque l’occupation de la région, sise à l’Ouest du Dniestr (la Bessarabie) par la
Russie après celle de la Crimée en 1783, mit fin à la présence ottomane au Nord
de la mer Noire2.
Dans le premier livre de son Histoire de Pologne, l’historien Jan Dlugosz
(1415-1480) a entrepris une description physique de son pays qui comprend,
entre autres, les sept fleuves principaux qui arrosent la Pologne médiévale. Le
1
B. Spuler, « Mittelalterliche Grenzen in Osteuropa. I. Die Grenze des Grossfürstentums
Litauen im Südosten gegen Türken und Tataren », JGO VI (1941), p. 152-170, ici, p. 152.
Malheureusement, cette étude n’a pas été suivie, à notre connaissance, de l’ouvrage que l’auteur
se proposait d’entreprendre et qui aurait dû englober toute la question des frontières dans cette
région.
2
Voir à ce sujet la lumineuse synthèse de G. I. Brătianu, La Bessarabie. Droits nationaux et
historiques, Bucarest 1943.
MATEI CAZACU
3
Ioannis Dlugossii, Annales seu Cronicae incliti regni Poloniae, Libri I-II, éds. I.
Dabrowski, V. Semkowicz-Zaremba et alii, Varsovie 1964, p. 75. Cf. la note 2 qui rappelle que la
carte de Nicolas de Cues (Cusanus) de 1450 enregistre Aqkerman et Czarnigrad à l’embouchure
du Dniestr. Cf. J. Bromberg, « Toponymical and historical miscellanies on medieval Dobrudja,
Bessarabia and Moldo-Wallachia », Byzantion XIII (1938), p. 55.
4
N. Iorga, Studii istorice asupra Chiliei şi Cetăţii Albe, Bucarest 1899 ; G. I. Brătianu,
Recherches sur Vicina et Cetatea Albă, Bucarest 1935 ; C. Marinescu, « Le Danube et le littoral
occidental et septentrional de la mer Noire dans le “Libro de Conoscimiento” », RHSEE III
(1926), p. 6 ; N. Bănescu, « Fantaisies et réalités historiques », Byzantion XIII (1938), p. 73-90 ;
idem, « Maurocastrum-Moncastro-Cetatea Albă », AARMSI, IIIe série, XXII (1939), p. 165- 178 ;
G. I. Brătianu, Vicina II. Nouvelles recherches sur l’histoire et la toponymie médiévales du
littoral roumain de la mer Noire, Bucarest 1940, p. 27-37.
5
G. I. Brătianu, Vicina II, p. 34.
6
Voir les ouvrages cités supra, n. 4.
314
À PROPOS DE L’EXPANSION POLONO-LITUANIENNE
« [...] castra nostra Caravul, super Dniestr fluvio, Czarnigrad, ubi Dniestr fluvius dictus
mare intrat [c’est nous qui soulignons – MC] et Caczibieiow, in littore maris sita [...] »7.
7
M. Hruševs’kyj, Materialy dlja istorii mestnogo upravlenija v svjazi s istorieju soslovnoj
organizacii. Akty Barskogo starostva XV – XVI v., Kiev 1893 (« Arhiv jugozapadnoj Rossii »,
VIII/1), p. 25-27, n. 3. Copie de 1564.
8
Cf. les ouvrages cités supra, n. 4, auxquels il faut ajouter Ş. Papacostea, « Aux débuts de
l’État moldave. Considérations en marge d’une nouvelle source », RRH XII (1973), p. 139-158 ;
V. Spinei, Moldova în secolele XI-XIV, Bucarest 1982, p. 277 sq. ; C. Cihodaru, « Formarea
hotarului dintre Moldova şi Ţara Românească în secolul al XV-lea », dans Stat. Societate.
Naţiune. Interpretări istorice, Mélanges David Prodan, Cluj 1982, p. 85 sq. ; je n’ai pas pu
consulter l’ouvrage de L. L. Polevoj, Očerki istoričeskoj geografii Moldavii XIII-XV vv., Chişinău
1979 ; I. Bogdan, « Inscripţiile delà Cetatea Albă şi stăpânirea Moldovei asupra ei », AARMSI, IIe
série, XXX (1908), p. 311-360.
9
Plus tard, M. Hruševs’kyj a changé d’avis en identifiant, correctement, Czarnigrad à la
forteresse construite par Vitold en 1421 sur la rive gauche du liman du Dniestr : cf. Istorija
Ukrajni-Rusi, VI, Kiev – Lvov 1907, p. 58-59, 608-609. L’opinion erronée a été retenue aussi par
Al. Jablonowski, Polska XVI wieku pod wzglçdem geograficzno - statystycznym, XI : Ziemie
ruskie, Ukraina (Kijôw-Braclaw), Varsovie 1897 (« Zrodla dziejowe », XXII), p. 725. B. Spuler,
« Mittelalterliche Grenzen in Osteuropa », semble ignorer cet acte. Cf. R. Bächtold,
Südwestrussland im Spätmittelalter (Territoriale, wirtschaftliche und soziale Verhältnisse), Bâle
1951 (Basler Beiträge zur Geschichtswissenschaft, 38), p. 37 : « Er (Vitold) baute einen 'Cernyj
Gorod' am Dnestrliman gegenüber dem genuesischen [?] Moncastro » (p. 23).
10
Voir les variantes chez V. Spinei, op. cit., p. 274 ; la discussion du texte aussi chez Ş.
Papacostea, op. cit., p. 152-155 ; B. Spuler, Die Goldene Horde. Die Mongolen in Russland 1223-
1502, Wiesbaden 19652, p. 116-117.
315
MATEI CAZACU
11
S. Sarnicki, Annalium Polonicarum liber VI, chez J. Dlugosz, Historiae Polonicae, II,
Leipzig 1712, c. 1134 ; le texte de Kemäl pasazâde chez I. Thury, Török Törtenetirok, I, Budapest
1893, p. 232. Une traduction roumaine chez Cronici turceşti privind ţările române. Extrase, I
(sec. XV – mijlocul sec. XVI), éds. M. Guboglu, M. Mehmet, Bucarest 1966, p. 217 ; discussion
chez V. Spinei, op. cit., p. 275.
12
G. I. Brătianu, « Demetrius princeps Tartarorum (ca. 1360-1380) », RÉR IX-X (1965), p.
39-46 ; Ş. Papacostea, op. cit., p. 154 ; V. Spinei, « Aspekte der politischen Verhältnisse des
Gebietes zwischen Donau und Schwarzen Meer zur Zeit der Mongolenherrschaft (XIII-XIV
Jahrhundert) », Dacoromania III (1975-1976), p. 33 ; M. Balard, « Notes sur les ports du Bas-
Danube au XIVe siècle », SOF XXXVIII (1979), p. 1-12 ; la publication des actes du notaire
génois Antonio di Ponzo qui instrumentait à Kilia entre 1360 et 1361 par G. Pistarino, Notai
genovesi in Oltre mare. Atti rogati a Chilia da Antonio di Ponzô (1360-1361), Bordighera 1971 ;
un autre lot d’actes par M. Balard, Gênes et l’Outre-Mer, II : Actes de Kilia du notaire Antonio di
Ponzô 1360, Paris – La Haye – New York 1980 : ÉHÉSS (« Documents et recherches », XIII)
avec une riche bibliographie de la question. À ajouter V. Eskenasy, « Les Génois en mer Noire : à
propos d’une nouvelle édition des documents de Kilia », RRH XXII (1983), p. 87-95.
13
F. Zimmermann, C. Werner, G. Müller, Urkundenbuch zur Geschichte der Deutschen in
Siebenbürgen, II (1342-1390), Sibiu 1897, p. 315 ; réédité par G. Brătianu, « Demetrius princeps
Tartarorum », p. 46.
14
V. Spinei, op. cit., p. 326-327 et n. 186-189, avec la bibliographie soviétique de la
question ; C. Cihodaru, op. cit., p. 82-85, qui interprète le nom Iavaria (donnée à cette région par
les Génois en 1360) comme Iberia, donc un souvenir d’une peuplade d’Alains (Ibères) colonisés
ici par Nogay à la fin du XIIIe siècle.
15
Ş. Papacostea, op. cit., p. 139-143 ; L. Şimanschi, « Cele mai vechi sigilii domneşti şi
boiereşti din Moldova (1387-1421) », AIIAI XVII (1980), p. 151-152, 156, figure 18, publie un
sceau avec une légende grecque d’un certain Kostyos et pense qu’il pourrait s’agir de l’ancien
prince Costea, « un représentant de l’aristocratie de Maurocastro ». C. Cihodaru, op. cit., p. 85 et
316
À PROPOS DE L’EXPANSION POLONO-LITUANIENNE
roi Casimir aux frères Korjatowicz, dont la présence est attestée à partir de
1370, et qui jouent pendant trois décennies un rôle considérable dans
l’organisation, la colonisation et la défense de la région16.
Aqkerman devient roumaine à la même époque. Un document génois de
1386 enregistre pour la première fois le fait : la cité de l’embouchure du Dniestr
appartenait, sans aucun doute, au prince Constantin qui devait, conjointement
avec Pierre Ier de Moldavie, participer aux côtés des Génois à la guerre contre
les Tatars de Crimée17.
Quelques années plus tard, nous rencontrons la première mention de
Czarnigrad dans la liste des villes, établie vers 1387-1392, peut-être par le
métropolite Cyprien de Kiev18. L’énumération des villes est la suivante : « De
ce côté-ci du Danube, à l’embouchure du Dniestr sur la mer : Belgorod, Čern’,
Iaşi sur le Prut [sic!], Roman, etc. » et finit par la précision : « celles-ci sont les
villes bulgares et roumaines ».
L’identification de ces villes ne pose aucun problème, à l’exception
notable de Cern’ ; alors que J. Bromberg, M. N. Tihomirov et F. Grekul
croyaient qu’il s’agissait de Czarna ou Czarnigrad19, les historiens roumains
l’ont localisé soit à Muncel-Vaslui, soit à Cernăuţi 20.
n. 25, croit qu’il s’agissait d’un frère de Pierre Ier de Moldavie qui aurait eu sa résidence à
Costeşti, entre Aqkerman et Kišinev.
16
J. Puzyna, « Korjat i Korjatowicze oraz sprawa podolska », Ateneum Wilenskie XI
(1936), p. 61-97 ; idem, « Pierwsze wystqpienie Korjatowiczôw na Rusi pohidniowej », Ateneum
Wilenskie XIII/2 (1938), p. 1-68 ; St. Krakowski, « Korjatowicze i sprawa Podolska w XIV wieku
w oswietleniu najnowszej historiografi Polskiej », ibidem, p. 250-274 ; G. Rhode, Die Ostgrenze
Polens. Politische Entwicklung, kulturelle Bedeutung und geistige Auswirkung, I, Im Mittelalter
bis zum Jahre 1401, Cologne – Graz 1955, p. 222 sq. ; B. Spuler, Die Goldene Horde, p. 117 sq. ;
P. Knoll, The rise of the Polish monarchy. Piast Poland in East Central Europe, 1320-1370,
Chicago – Londres 1972, p. 244-248. Un des frères Korjatowicz, Jurij, a, semble-t-il, régné un
temps sur une partie de la Moldavie, où il trouva la mort. Cf. A. V. Boldur, « Die Herrschaft des
litauischen Fürsten Jurij Korijat in der Moldau », SOF XXXII (1973), p. 9-32 ; A. Sacerdoţeanu,
« Lupta Moldovenilor cu Litvanii în 1377 », dans Fraţilor Alexandru şi Ion I. Lepădatu la
împlinirea vârstei de 60 de ani, Bucarest 1936, p. 773-778, met en liaison la guerre moldavo-
lituanienne de 1377 avec l’assassinat de Jurij par les Moldaves.
17
G. G. Musso, « Note d’archivio sulla “Massaria” di Caffa », Studi genuensi V (1964-
1965), p. 81 ; Ş. Papacostea, op. cit., p. 141-142, 156-157.
18
Novgorodskaja pervaja letopis’ staršego i mladšego izvodov, éd. A.N. Nasonov, Moscou
– Leningrad 1950, p. 475-477. Pour les autres chroniques et une discussion serrée de la liste, cf.
M. N. Tihomirov, « Spisok russkih dal’nyh i bližnih gorodov », Istoričeskie zapiski (Moscou) 40
(1950), p. 214-225 ; plus récemment I. B. Grekov, Vostočnaja Evropa i upadok Zolotoj Ordy (na
rubeže XIV – XV vvj, Moscou 1975, p. 341-380, qui penche pour l’année 1395-1396.
19
J. Bromberg, op. cit., p. 57 ; M. N. Tihomirov, op. cit., p. 228 ; F. Grekul, « Moldavskij
Gorod vtoroj poloviny XV veka », Voprosy istorii XI (1949), p. 122.
20
Al. Andronic, « Oraşe moldoveneşti în secolul al XIV-lea în lumina celor mai vechi
izvoare ruseşti », RSl XI (1965), p. 203-218 ; C. C. Giurescu, Târguri sau oraşe şi cetăţi
moldovene din secolul al X-lea până la mijlocul secolului al XVI-lea, Bucarest 1967, p. 70, 197-
199 ; C. Cihodaru et alii (éds.), Istoria oraşului Iaşi, I, Jassy 1980, p. 47-48, proposent aussi
Cernăuţi.
317
MATEI CAZACU
À notre avis, le Čern’ de la liste des villes russes pourrait être Czarnigrad.
Sa mention à côté d’Aqkerman parmi les villes roumaines nous suggère qu’il
s’agissait là d’un avant-poste moldave au point de passage du Dniestr. En tout
cas, Czarnigrad allait changer de maître dans les dernières années du XIVe
siècle pour passer sous la domination de Vitold, grand duc de Lituanie depuis
1392. Cela se produisit vraisemblablement en 1394 lors du conflit entre Vitold
et Teodor Korjatowicz, cnèze de Podolie et allié du prince Roman Ier de
Moldavie21. La défaite de Teodor Korjatowicz et de son allié et parent moldave
à Braclav sonna le glas de la tentative de la Podolie pour se dégager de la
domination polono-lituanienne. Teodor Korjatowicz se réfugia en Hongrie, à
Munkács, et le prince moldave disparut de la scène historique pendant l’été de
l’année 1394. À sa place Vitold installa un nouveau prince, Ştefan (Étienne) Ier
(1394-1399) qui fut un allié fidèle de la Pologne et du roi Wladislaw Jagello
avec lequel il était apparenté22.
Il nous semble raisonnable de croire que, pour prix de sa reconnaissance
comme prince de la Moldavie, Ştefan a cédé Czarnigrad à Vitold en 1394, car il
avait aussi renoncé à toute prétention sur la Pokutie en faveur du roi de
Pologne23.
La défaite infligée par le khan Temür Qutlug à la coalition dirigée par
Vitold sur la Worskla, en 1399, a eu pour conséquence un recul de la puissance
lituanienne sur les bords de la mer Noire24. Cela n’empêcha pas Swidrygiello, le
21
Cf. V. Spinei, op. cit., p. 330-331 et n. 213-215, qui commente aussi l’épisode de la fuite
de Vasilij, le fils de Dimitrij Donskoj, échappé aux Tatars « en Podolie, chez le voïévode Pierre ».
Voir, à ce sujet, P. F. Paraska, « Iz istorii rannih moldavsko-russkih svjazej (80 gg. XIV v.) »,
Buletinul Akademiei de Ştiinţe a RSS Moldoveneşti II (1979), p. 43-49, et le critique d’Al.
Andronic dans AIIAI XVII (1980), p. 728-730. Dès 1393, Vitold avait installé Skirgielo à Kiev
avec mission d’occuper Cerkassy et Zvenigorod : cf. J. Pfitzner, Grossfürst Witold von Litauen als
Staatsmann, Brunn – Prague – Leipzig – Vienne 1930 (« Schriften der philosophischen Fakultät
der deutschen Universität in Prag », 6), p. 150-151.
22
Şt. Gorovei, Muşatinii, Bucarest 1976, p. 36 ; C. Cihodaru, « Observaţii cu privire la
procesul de formare şi de consolidare a statului feudal Moldova în sec. XI-XIV (II) », AIIAI XVII
(1980), p. 135-136, pense que Margareta-Muşata, la mère des princes Pierre, Roman et Ştefan
(Étienne) était probablement la sœur des princes lituaniens Olgierd, Kejstut, Korjat (le père des
Korjatowicz) et Lubart. Ceci expliquerait la parenté des princes moldaves avec Wladislaw Jagello
et Vitold.
23
I. Nistor, Die moldauischen Ansprüche auf Pokutien, Vienne 1910 (tiré à part de
Oesterreichisches Archiv für Geschichte CI) ; I. Minea, Principatele române şi politica orientală
a împăratului Sigismund. Note istorice, Bucarest 1919, p. 48, 94-95 ; C. Racoviţă, « Începuturile
suzeranităţii polone asupra Moldovei (1387-1432) », RIR X (1940), p. 297-299 ; O. Iliescu, « Le
prêt accordé en 1388 par Pierre Musat à Ladislas Jagellon », RRH XII (1973), p. 123-138.
24
B. Spuler, « Mittelalterliche Grenzen in Osteuropa », p. 156-158 ; idem, Die Goldene
Horde, p. 138-140 ; S. Velidi-Togan, « Timurs Osteuropa-Politik », Zeitschrift der Deutschen
Morgenländischen Gesellschaft CVIII/2 (1958), p. 279-293 ; Ş. Papacostea, op. cit., p. 148-149 ;
G. I. Brătianu, La mer Noire. Des origines à la conquête ottomane, Munich 1969 : Societas
Academica Dacoromana (« Acta historica », IX), p. 291. Vitold garda néanmoins la plus grande
partie de ses possessions sur lesquelles le khan Tokhtamys lui avait reconnu, en 1396-1397, des
droits, par un jarlyk dont le texte a été repris en 1507 par Mengli Giray. Voir l’édition de ce texte
318
À PROPOS DE L’EXPANSION POLONO-LITUANIENNE
frère de Wladislaw Jagello, qui s’était révolté contre son cousin Vitold, de
maintenir les prétentions lituaniennes sur le littoral pontique. Au traité qu’il
conclut le 2 mars 1402 avec l’Ordre teutonique, Swidrygiello ajouta une liste
des villes et des forteresses de Podolie qu’il entendait revendiquer au nombre
desquelles figuraient « Czarnygrad, Kaczakenow, Mayak et Karawul »25.
La révolte de Swidrygiello fut sans lendemain, même si elle se répéta en
1407 : Vitold dominait trop fortement le pays pour en perdre définitivement le
contrôle. Bien au contraire, son alliance avec Wladislaw Jagello lui permit de
neutraliser ses adversaires et de s’immiscer de façon constante dans les affaires
de la Horde d’Or après la mort de Timur Lenk en 1405 : il imposa ou conclut
une alliance avec plusieurs prétendants au trône de Saraj, dont Ğelā ed-Dīn en
1412, Kibāk khan en 1413, « Jeremferden » en 1417, Ulug Mehmed en 141926.
Ce contrôle que Vitold exerçait sur les khans de la Horde d’Or dans la seconde
et la troisième décennie du XVe siècle supposait la domination par la Lituanie
du littoral septentrional de la mer Noire, depuis l’embouchure du Dniepr
jusqu’au Dniestr, donc aussi de Czarnigrad27.
C’est dans cette position de force que le roi de Pologne et le grand duc de
Lituanie signèrent, le 15 mars 1412, le traité de Lublau (Lubowla) avec
l’empereur Sigismond de Luxembourg, roi de Hongrie, traité qui prévoyait,
entre autres, le partage de la Moldavie au cas où le nouveau prince, Alexandre le
Bon (1400-1432), ne remplirait pas ses engagements militaires dans la lutte
anti-ottomane28 :
319
MATEI CAZACU
29
Ş. Papacostea, op. cit., p. 422-423. L’expression « La mer Noire, plaque tournante du
trafic international à la fin du Moyen Âge » appartient à G. I. Brătianu qui lui a consacré un
article portant ce titre dans RHSEE XXI (1944), p. 36-69.
30
G. I. Brătianu, La mer Noire, p. 296-297 ; W. von Stromer, « Die Schwarzmeer- und
Levante-Politik Sigismunds von Luxemburg », Bulletin de l’Institut Historique Belge de Rome
XLIV (1974), p. 601-610 (Miscellanea Charles Verlinden) ; Ş. Papacostea, « Kilia... », p. 421-
436, et la bibliographie, notamment p. 424, n. 9 ; idem, « Din nou cu privire la politica orientală a
lui Sigismund de Luxemburg (1412) », dans Ştefan Meteş la 85 de ani, Cluj 1977, p. 243-246 ;
idem, « Începuturile politicii comerciale a Ţării Româneşti şi Moldovei (secolele XIV-XVI).
Drum şi stat », SMIM X (1983), p. 9-56.
31
I. Nistor, Handel und Wandel in der Moldau bis zum Ende des XVI. Jahrhunderts,
Cernăuţi 1912, p. 7-23 ; N. Iorga, Points de vue sur l’histoire du commerce de l’Orient au Moyen
Âge, Paris 1924, p. 87-110 ; P. P. Panaitescu, « La route commerciale de Pologne à la mer Noire
au Moyen Âge », RIR III (1933), p. 172-193.
32
Ioan Dlugosz, op. cit., II, c. 367, décrit la prestation de l’hommage et ajoute : « Venerunt
insuper sub eo tempore ad Wladislaum Poloniae regem nuncii patriarchae et imperatoris
Graecorum, cum litteris et bullis plumbeis, quatenus dignaretur eis, a Turcis multifarie lacessitis
et oppressis, frumenti tantummodo largitione subvenire. Wladislaum autem Poloniae rex,
necessitati eorum satagens pia commiseratione succurrere, petitam frumenti quantitatem dat et
largitur, et in portu suo regio Kaczubyeiow, per eos recipiendam, consignat ». Pour le mariage
d’Alexandre, voir récemment C. Rezachevici, « Ringala-Ana. Un episod dinastic în relaţiile
moldo-polono-lituaniene în vremea lui Alexandru cel Bun », RdI XXXV (1982), p. 917-923. Le
mariage sera de courte durée et Ringala demande le divorce au pape en 1421 en alléguant, outre la
différence de confession, son degré de parenté avec Alexandre.
320
À PROPOS DE L’EXPANSION POLONO-LITUANIENNE
33
« De là [Braslaw] nous entrâmes dans la plaine tatare et suivîmes pendant cinquante
milles le chemin tatar qui se nomme “la grande vallée” (velikij dol, ou šljah) ; nous arrivâmes à
une grande rivière nommée Dniestr, près de Miterevye Kysina [= Nekinovka ou bien Kišinev].
C’est la frontière de la Valachie [= Moldavie] et l’on y passe de l’autre côté [du fleuve], où les
Valaques perçoivent un tribut (tamga) pour le passage ; de ce côté, [les gens] du grand duc Vitold
se font aussi payer un impôt et se le partagent. Il y a trois jours de là jusqu’à Belgorod par le
territoire de Valachie, et nous passâmes deux semaines à Belgorod. On compte neuf verstes [=19
km] de là à la mer. À l’embouchure du Dniestr se trouve une colonne (stolp) qu’on appelle Fanar
et là est la rade pour les navires (pristan’ korablenaja) ». B. de Khitrowo, Itinéraires russes en
Orient, Genève 1889, p. 200 ; voir aussi la nouvelle édition eţ la traduction commentée de ce texte
données par G. P. Majeska, Russian travellers to Constantinople in the fourteenth and fifteenth
centuries, Dumbarton Oaks 1984 (« Dumbarton Oaks Studies », XIX), p. 178-181.
34
N. Iorga, Studii istorice, p. 80-81 ; A. Ghiaţă, « Condiţiile instaurării dominaţiei otomane
în Dobrogea », dans Studii istorice sud-est europene, I, Bucarest 1974, p. 82-94.
35
A. Prochaska, Codex, no 887, p. 487, no 888, p. 488 ; Ş. Papacostea, « Kilia », p. 428-429.
36
Ch. Potvin, Œuvres de Ghillebert de Lannoy, voyageur, diplomate et moraliste...,
Louvain 1878, p. 59-60. Voir aussi les commentaires de E. Diaconescu, « Călători străini în Ţările
române : Guillebert de Lannoy », dans Lucrările Societăţii geografice D. Cantemir din Iaşi, III,
Jassy 1941, p. 221-235 ; A. Soloviev, « Le voyage de Messire de Lannoy dans Ies pays russes »,
dans Orbis pictus. Festschrift für O. Tschizevskîy, Munich 1966, p. 791-796 ; Călători străini
despre Ţările române, I, éd. M. Holban, Bucarest 1968, p. 45-61, qui précise (p. 61) que lez ne
signifie pas « bord », mais « marge, bout » ; E. A. Zachariadou, « Ottoman diplomacy and the
Danube frontier (1420-1424) », dans Okeanos. Essays presented to Ihor Ševčenko on his sixtieth
321
MATEI CAZACU
Le chef tatar fit faire bonne chère à l’ambassadeur français et lui fit passer
ensuite le Dniepr en barque d’où il continua sa route vers Caffa.
Ce témoignage prouve une fois de plus l’étendue de l’influence de Vitold
sur les steppes nord-pontiques, mais aussi ses limites qui étaient le résultat de la
faible densité de la population. Les forteresses lituaniennes dans cette région :
Karavul, Czarnigrad, Häggibeg Mayak, Tavan et Saint-Jean sur le Dniepr,
étaient isolées des villes importantes de la Lituanie et de la Podolie, au milieu de
steppes parcourues uniquement par les Tatars37.
birthday by his colleagues and students, Cambridge 1983 (« Harvard Ukrainian Studies », VII), p.
680- 690.
37
Pour l’extension de la Lituanie sous Vitold sur les bords de la mer Noire nous avons le
témoignage, tardif il est vrai, de l’historien Bernard Wapowski, Dzieje korony polskiej i Wielkiego
Ksiçstwa Litewskiego od roku 1380 do 1535, II, éd. M. Malinowski, Vilna 1848, p. 59 ; cf. B.
Spuler, « Mittelalterliche Grenzen », p. 159 et n. 29. En 1397 et 1398, Vitold entreprit deux
campagnes qui l’amenèrent jusqu’en Crimée et, à cette occasion, dit Johann von Posilge, il
« buwete eyn hus of den Nepper das flys, und die lant dorumb irgobin sich im. Das hus wart
gebuwet von leyme und steynen bynnen IIII wochen, und his die hus Sente Johannesburg » :
Chronik des Landes Preussen, éd. Th. Hirsch, M. Toppen, E. Strehlke, Scriptores rerum
Prussicarum, III, Leipzig 1866, p. 222 ; voir aussi p. 216, le récit de l’expédition de 1397 jusqu’à
Caffa, par Detmar de Lübeck, Chronik der Stadt Lübeck. La Gustynskaja letopis’ affirme qu’en
1415, Jagello envoya des céréales à Constantinople par un port de la mer Noire « ideze nyne est
“Očakov”, poneže v’ to vremja Očakov pod vlastiju Polskoju bĕ » : Polnoe sobranie russkih
letopisej, II, St-Pétersbourg 1843, p. 353 ; R. Bächtold, op. cit., p. 23 et n. 10. Cf. supra, n. 32.
Les traces de l’activité de fortification et de colonisation de la région par Vitold étaient encore
visibles au XVIe siècle lorsque des voyageurs parlent du « bain de Vitold » et du « gué de
Vitold ». Voir M. Hrusevs’kyj, Istorija Ukrajni-Rusi, IV, p. 315 ; J. Pfitzner, op. cit., p. 163 et n.
5 ; M. Ždan, « Stosunki litewsko-tatarskie za czasow Witolda, w.ks. Litwy », Ateneum Wilenskie
VII (1930), p. 529-601, ici p. 543 ; L. Kolankowski, Dzieje Wielkiego Ksiestwa Litewskiego za
Jagiellonow, I (1377-1499), Varsovie 1930, p. 70 sq. Les prétentions de la Pologne sur Očakov,
dont l’ancienneté remonte vraisemblablement au temps de Vitold, sont très clairement exprimées
par Wapowski dans le récit qu’il fait des incursions polonaises de 1528 et de 1529 contre cette
forteresse, « arx in Tauricanorum Tartarorum erat potestate, cum ante Polonorum regum quondam
322
À PROPOS DE L’EXPANSION POLONO-LITUANIENNE
fuisset » ; en 1529, un groupe de 1000 cavaliers polonais conduits par un membre de la famille
Buczack, Jazlowiec, décide de conquérir Očakov, afin que les Tatars de Crimée ne disposent plus
d’un « receptaculum » au passage du Dniepr. Malheureusement pour eux : « Magno accidit
infortunio, ut Oslam sultanus Tartarus, qui in campis Cercasiis, citra Boristenem Tauricani
Caesaris fratris patruelis insidios fugiens, Sigismundi regis permissu manere consueverat, tune
ante triduum ad Ociakoviam regii agminis adventus pacem cum hoste fratre composuerit, arxque
Ociakovia ex foedere ei cessent, eoque se cum suis Tartaris receperit » : B. Wapowski, Kroniki
Bernarda Wapowskiego z Rodochonec... (1480-1535), éd. J. Szujski, Cracovie 1874, p. 224-227.
Islam Girây réussit à battre les Polonais par ruse ; néanmoins, ceux-ci continuaient à considérer
Očakov comme une forteresse polono-lituanienne.
38
Ş. Papacostea, « Kilia », p. 429. Pour les frontières de la Lituanie à cette époque voir
aussi l’étude de F. Petrun’, « Sxidna meža velikogo knjazivstva Litovs’kogo v 30-ch rokah XV
st. », Zbirnik istorično-filologičnogo viddilu UAN LXXVI (1928), p. 165-168.
39
Polnoe sobranie russkih letopisej, XVII, St-Pétersbourg 1907, p. 543 (Spisok Byhovca).
Swidrygiello passa sept ans en Moldavie « à paître les moutons », précise la chronique. Cf. aussi
R. Bächtold, op. cit., p. 94.
40
Ioan Dlugosz, Annales, IV, éd. Przedziecki, Cracovie 1870, p. 462 ; cf. la discussion chez
I. Minea, op. cit., p. 209-212 ; idem, Informaţiile româneşti ale cronicii lui Jan Dlugosz, Jassy
1926, p. 19 ; C. Racoviţă, op. cit., p. 302-303.
41
Voir, pour eux, les articles de A. Dörflerówna, dans Polski slownik biograficzny, III/1,
Cracovie 1937, p. 84-86, avec une riche bibliographie à laquelle il faut cependant ajouter I.
Bogdan, « Contribuţii la istoria Moldovei între anii 1448-1458 », AARMSI, IIe série, XXIX (1906-
1907), p. 629-637 ; L. Şimanschi – R. Ciocan, « Acte slavone inedite din anii 1443-1447 privind
istoria Moldovei », AIIAI XI (1974), p. 174-185.
42
Par le traité de Luck de 1431, Wladislaw Jagello reconnaissait à Swidrygiello les cités de
Braclaw, Sokolec, Zwinigrod, Kazubinyow et Daszkow, cf. I. Danilowicz, op. cit., II, no 1562, p.
323
MATEI CAZACU
Le nouveau prince de Moldavie depuis janvier 1432 était Ilie (Élie), le fils
aîné d’Alexandre le Bon. Son mariage en 1425 avec Marinka, la fille du noble
polonais Andrzej Oligmondowicz, l’apparentait aussi au roi Wladislaw Jagello
qui avait épousé Sofia, la sœur de Marinka. En dépit de cette parenté, Ilie
continua, au début de son règne, la politique d’alliance avec Swidrygiello et
l’Ordre teutonique, mais la défaite de Kopostrzin (le 30 novembre 1432)
l’obligea à s’entendre avec le roi de Pologne. En juin 1433 le prince moldave
prêta serment de fidélité à Wladislaw Jagello43. Mais, très vite, il fut renversé
par son frère cadet Ştefan (Étienne) et obligé de se réfugier en Pologne. Ştefan
se hâta lui aussi de prêter serment de vassalité au roi Wladislaw, en décembre
1433, et, pour obtenir le pardon de son puissant voisin, le prince moldave,
déclara renoncer à toutes ses prétentions sur la Pokutie et se contenta de
Şepeniţ, Ţeţina et Hmielov44 .
Ce qui nous intéresse le plus dans cette affaire c’est le rôle d’intermédiaire
entre le roi de Pologne et son vassal moldave, rôle joué par Michal Buczacki,
châtelain et starosta de Halitch. C’est lui, en effet, qui fut chargé par Wladislaw
Jagello de conclure un traité avec Ştefan, fait expressément mentionné dans la
lettre que les magnats polonais adressèrent au prince moldave45. En 1426 déjà,
Michal Buczacki avait été envoyé en ambassade en Moldavie pour convaincre
le prince Alexandre de renoncer à ses relations avec les Valaques et les
Ottomans46. À partir de 1433, les frères Buczacki – d’abord Michal et, après sa
mort en 1438, Teodoryk (†1450) et Michal-Muzylo (†1470) ; à la seconde
génération David (†1485) et Jakub (†1501) – réussirent à occuper des fonctions
politiques et militaires de premier ordre en Podolie, bref à jouer un rôle très
semblable à celui joué par les Korjatowicz un siècle plus tôt.
Pour notre propos, c’est Teodoryk qui nous préoccupe en premier lieu.
Après la mort de Michal (1438) et jusqu’en 1450, Teodoryk Buczacki devint le
véritable arbitre de la situation politique en Moldavie. En effet, les princes
successifs ou associés, Ilie (1432-1433, 1435-1442), Ştefan (1433-1435, 1436-
1447), Petru II (1447, 1448-1449), Roman II (1447-1448) et Bogdan II (1449-
1451), conclurent avec lui des traités de vassalité, lui firent des donations de
villages, lui payèrent un véritable tribut consistant en argent, en vin de
Malvoisie et en tissus précieux47.
123-126. Pour l’identification de Sokolec, voir J. Bromberg, op. cit., p. 55, n. 4 : Sokoli Brod ou
Astangrad sur le Dniepr, brûlé par les Cosaques en 1576 et reconstruit par les Ottomans en 1627.
Pour la question de la Pokutie, voir supra, n. 23.
43
M. Costăchescu, Documentele moldoveneşti înainte de Ştefan cel Mare, II, Jassy 1932, no
181-183, p. 647-654.
44
Ibidem, p. 654-663.
45
Ibidem, p. 658-659.
46
A. Prochaska, op. cit., p. 724; C. Racoviţă, op. cit., p. 300.
47
En dehors des articles cités supra, n. 40, voir aussi les éditions des actes chez M.
Costăchescu, op. cit., II, p. 305-309, 746-749, 814-816 ; DRH, A, I, Bucarest 1975 ; W. Szelinska,
J. Tomaszewicz, Katalog dokumentôw pergaminoych Biblioteki Czartoryskich w Krakowie, I
324
À PROPOS DE L’EXPANSION POLONO-LITUANIENNE
(1148-1506), Cracovie 1975, no 533, 539, 583. Pour un procès entre Michal Buczacki et Ilie à
Lvov, en 1445, voir Akta grodzkie i ziemskie..., XV, p. 160, 169, 173. Cf. P.P. Panaitescu, op. cit.,
p. 176. Cf. Tr. Ionescu-Nişcov, « Un aspect al relaţiilor româno-polone la mijlocul secolului al
XV-lea », SRI XXVII (1974), p. 1747-1763, discute le montant du tribut payé par les princes
moldaves à Teodoryk Buczacki.
48
A. Huber, « Die Kriege zwischen Ungarn und die Türken, 1440-1443 », Archiv für
oesterreichische Geschichte LXVIII (1886), p. 159-207 ; N. Iorga, Geschichte des osmanischen
Reiches, I, Gotha 1908, p. 425-428 ; C. Jireček, Geschichte der Serben, II/1, Gotha 1918, p. 180-
181 ; I. Minea, « Vlad Dracul şi vremea sa », Cercetări istorice IV (1928), p. 180-193 ; G.
Gündisch, « Die Türkeneinfälle in Siebenbürgen bis zur Mitte des 15. Jahrhunderts », Jahrbücher
für Geschichte Osteuropas II (1937), p. 393-412 ; idem, « Siebenbürgen in der Türkenabwehr,
1395-1526 », RRH XIII (1974), p. 415-443 ; Fr. Pall, « Iancu de Hunedoara şi confirmarea
privilegiului pentru negoţul Braşovenilor şi Bârsenilor cu Ţara Românească în 1443 », AIINC IX
(1966), p. 63-84 ; idem, « Le condizioni e gli echi internazionali della lotta antiottomana del 1442-
1443, condotta da Giovanni di Hunedoara », RÉSEE III (1965), p. 433-463.
49
N. Iorga, Notes et extraits pour servir à l’histoire des croisades au XVe siècle, I, Paris
1899, p. 110, 177 ; ibidem, II, Paris 1900, p. 396-398 ; idem, Geschichte des osmanischen
Reiches, I, p. 429-430 ; G. Sphrantzes, Chronicon minus, éd. V. Grecu, Bucarest 1966, XXV, 1-6,
p. 64-66.
50
Cf. la chronique de Gr. Ureche, Letopiseţul Ţărăi Moldovei, éd. P. P. Panaitescu,
Bucarest 1955, p. 76 : le 28 novembre 1439 et le 12 décembre 1440 des hordes tatares attaquent,
respectivement, Botoşani, et Vaslui et Bârlad. Voir aussi B. Spuler, Die Goldene Horde, p. 160
sq. ; C. I. Andreescu, « Din legăturile moldo-tătare în mijlocul secolului al XV-lea », Arhiva XLI
(1934), p. 139-151 ; N. Iorga, Studii istorice, p. 98-100, publie les inscriptions mises à l’occasion
des grands travaux de fortification entrepris en 1440. Voir aussi I. Bogdan, « Inscripţiile de la
325
MATEI CAZACU
Cetatea Albă şi stăpânirea Moldovei asupra ei », AARMSI, IIe série, XXX (1908), p. 311-360, qui
republie, en corrigeant les erreurs, les inscriptions de 1440 (deux), 1450, 1476, 1479. Le
gouverneur moldave d’Aqkerman en 1440 devait être le grand logothète Mihul, le fils du pope
Juga. Ce dernier avait profité d’un voyage à Constantinople en 1433-1435, lié aux préparatifs du
Concile de Florence, pour demander aux Vénitiens d’inclure la ville moldave dans l’itinéraire du
viagium Romaniae. C’est ainsi qu’il faut interpréter la décision du Sénat vénitien du 27 avril 1435
qui parle du « pater illius qui dominatur Maurocastro, qui caloierus est » et qui « fuit ad eum [le
baile Marinus Zane] in secreto », à Constantinople. L’acte chez N. Iorga, « Noi descoperiri
privitoare la istoria Românilor », AARMSI, IIIe série, XIX (1937), p. 195 ; repris par Ş.;
Papacostea, « Venise et les pays roumains au Moyen Âge », dans Venezia e il Levante fino al
secolo XV, Florence 1973 (« Civiltà veneziana, Studi », 27), p. 601-602. L’acte publié d’abord par
N. Iorga, Notes et extraits, I, p. 573-574. Pour la présence du pope Juga à Constantinople, nous
croyons qu’il faut la mettre en relation avec la venue du légat du pape Cristoforo Garatoni, cf. J,
Gill, Le Concile de Florence, Tournai 1964, p. 55 sq.
51
M. Hruševs’kyj, Materialy, p. 25-27, n. 3 ; J. Bromberg, op. cit., p. 55-59 ; R. Bächtold,
op. cit., p. 37.
326
À PROPOS DE L’EXPANSION POLONO-LITUANIENNE
52
B. Spuler, Die Goldene Horde, p. 168 sq. ; voir aussi L. Kolankowski, « Problem Krymu
w dziejach jagiellonskich », Kwartalnik historyczny XL (1935), p. 279-300 ; A. Bennigsen, P. N.
Boratav, D. Desaive, Ch. Lemercier-Quelquejay, Le khanat de Crimée dans les Archives du
Musée du Palais de Topkapi, Paris – La Haye 1978 (« Documents concernant l’Empire ottoman et
l’Europe orientale »), p. 2 sq., 316-317.
53
B. Spuler, « Mittelalterliche Grenzen in Osteuropa », p. 161 ; idem, Die Goldene Horde,
p. 177 sq.
54
B. Spuler, Die Goldene Horde, p. 178, 345, avec la bibliographie polonaise de la
question. Voir aussi un acte du 29 septembre 1442 par lequel le roi Wladislaw rappelle les mérites
de Teodoryk dans la défense de la Russie et de la Podolie face aux Tatars et précise qu’il avait
accompli avec succès une mission « de pace perpetua ad Caesarem Tartarorum in partes
remotissimas », pour laquelle il reçoit des gratifications dont une partie destinée aux cadeaux pour
le khan, « amicitiae continuandae causa ». Le noble polonais était accompagné à Bude d’un
ambassadeur du khan, vraisemblablement Hāğği Girāy. Trois jours plus tard, le 2 octobre, le roi
annonce son intention d’envoyer une ambassade chez les Turcs et de l'argent destiné « pro donis
imperatori, quatuor ducibus supremis et nuntio Turcorum ac etiam pro expensis Paulo de
Nieczniecz eunti ad praefatum imperatorem Turcorum ». O. Halecki, « Z Jana Zamoyskiego
inwentarza archiwum Koronnego. Materyaly do dziejow Rusi i Litwy w XV wieku », Collectanea
ex Archivo Collegii historici XII/1 (1919), p. 163-164 ; idem, « La Pologne et l’Empire
byzantin », Byzantion VII (1932), p. 62-63 ; idem, The Crusade of Varna. A discussion of
controversial problems, New York 1943, p. 77.
55
Voir les précisions de L. Şimanschi, « Precizări cronologice privind istoria Moldovei
între 1432-1447 », AIIAI VII (1970), p. 59-82.
56
L. Şimanschi – R. Ciocan, « Acte slavone inedite », p. 178-181. Un autre traité avec
Pierre fut conclu en juillet 1446 : ibidem, p. 182-183.
327
MATEI CAZACU
57
M. A. Mehmed, Documente turceşti privind istoria României, I (1455-1774), Bucarest
1976, no 9, p. 10-11, avec la date de 1517-1527. Correction de la date chez N. Beldiceanu – J.-L.
Bacqué-Grammont – M. Cazacu, « Recherches sur les Ottomans et la Moldavie ponto-danubienne
entre 1484 et 1520 », Bulletin of the School of Oriental and African Studies XLV (1982), p. 53.
58
Ş. Papacostea, « La Moldavie, État tributaire de l’Empire ottoman au XVe siècle : le
cadre international des rapports établis en 1455-1456 », RRH XIII (1974), p. 445-461, surtout p.
448-451.
59
Fr. Pall, « Interventia lui Iancu de Hunedoara în Ţara Românească şi Moldova în 1447-
1448 », SRI XVI (1963), p. 1049-1072 ; idem, « Du nouveau sur l’intervention de Ianco de
Hunedoara en Valachie pendant l'année 1447 », RRH XV (1976), p. 447-463.
60
P. P. Panaitescu, « Legăturile moldo-polone în secolul XV şi problema Chiliei », RSl III
(1958), p. 95-115 ; Fr. Pall, « Stăpânirea lui Iancu de Hunedoara asupra Chiliei şi problema
328
À PROPOS DE L’EXPANSION POLONO-LITUANIENNE
ajutorării Bizanţului », SRI XVIII (1965), p. 619- 638 ; Ş. Papacostea, « La Moldavie, État
tributaire », p. 453, n. 23.
61
M. Cazacu – P. Ş. Năsturel, « Une démonstration navale des Turcs devant Constantinople
et la bataille de Kilia (1448) », Journal des Savants (juillet – septembre 1978), p. 197-210.
62
P. P. Panaitescu, « Legăturile moldo-polone », p. 104.
63
Fr. Pall, « Skanderbeg et Ianco de Hunedoara », RÉSEE VI (1968), p. 5-21 ; Şt.
Andreescu, « Une information négligée sur la participation de la Valachie à la bataille de Kossovo
(1448) », RÉSEE VI (1968), p. 85-92 ; M. Cazacu, « La Valachie et la bataille de Kossovo
(1448) », RÉSEE IX (1971), p. 131-139.
64
M. Costăchescu, op. cit., II, p. 733-735 ; P. P. Panaitescu, « Legăturile moldo-polone »,
p. 112-114 ; voir aussi, pour la question de Michal, fils de Sigismond Kejstutowicz, C. Andreescu,
op. cit., p. 142-143.
65
V. Pârvan, Alexăndrel Vodă şi Bogdan Vodă. Şepte ani din istoria Moldovei, 1449-1455,
Bucarest 1904. Voir aussi la description qu’en donne J. Bielski, Kronika Polska, Varsovie 1792,
p. 345.
329
MATEI CAZACU
l’instar d’un mur destiné à protéger le royaume des Ottomans66. C’est pourquoi
tous les princes moldaves ultérieurs, Petru Aron (1451-1452, 1454-1457, avec
des interruptions), Alexandre (1452-1455, avec des interruptions) et Étienne le
Grand (1457-1504), ont dû prêter hommage de vassalité à Casimir.
Une autre conséquence de la suzeraineté polonaise a été l’obligation de la
Moldavie de payer un tribut aux Ottomans à partir de 1453-145467. En effet, en
janvier 1454, la Pologne avait tourné ses regards vers la mer Baltique dont le
libre accès redevenait son objectif prioritaire. De la sorte, l’expansion vers la
mer Noire était stoppée un siècle après les campagnes d’Olgierd et de ses
successeurs, et l’essentiel de l’effort militaire du royaume était dirigé contre
l’Ordre teutonique dans une guerre qui allait se terminer seulement en 1466.
Pour mener à bien cette entreprise, Casimir avait besoin d’assurer la
sécurité de ses frontières méridionales contre les Tatars et les Ottomans. Du côté
des Tatars la situation paraissait brillante pour la Pologne : au début de l’année
1455, Hāğği Girāy infligea une sévère défaite aux Tatars de la Volga dirigés par
Seyyid Ahmed. Le khan dut chercher refuge à Kiev, d’où il fut envoyé en
captivité en Lituanie, alors que ses fils trouvaient refuge en Moldavie chez le
prince Alexandre. La horde de Seyyid Ahmed se morcela en plusieurs parties,
certaines tribus entrant au service des Lituaniens (les « Semenovskie ljudi »),
tandis que d’autres se soumettaient au khan de Crimée68 . À la suite de cette
victoire, Hāğği Girāy allait rester jusqu’à sa mort, en 1466, l’arbitre incontesté
des steppes nord-pontiques, et son alliance avec Casimir se trouva renforcée69.
Du côté des Ottomans, la neutralité allait être la règle pour de longues
années durant lesquelles Mehmed II concentra ses efforts sur la Péninsule
Balkanique.
Restait la Moldavie où le nouveau prince Petru Aron (1455-1457)
commença à payer le tribut aux Turcs de façon régulière en 1456. Son
successeur, Ştefan (Étienne le Grand), prêtait hommage à Casimir dès 1459,
ensuite en 1462. Cette même année, le prince de Moldavie assiégea sans succès
Kilia qu’il allait pourtant conquérir trois ans plus tard, en 1465, privant de la
sorte la Hongrie de son avant-poste pontique.
Les bonnes relations que la Pologne entretenait avec le khan de Crimée,
avec les Moldaves et avec les Ottomans, ont apporté un calme relatif aux
régions pontiques entre 1455 et 1472. Les fils de Teodoryk Buczacki
conservèrent la possession des forteresses que le roi Wladislaw avait accordées
à leur père en 1442, en y ajoutant même une nouvelle place forte. En effet, le 11
66
L’image chez I. Bielski, op. cit., p. 344.
67
C’est l’hypothèse que nous avons émise dans notre étude « L'impact ottoman sur les Pays
roumains et ses incidences monétaires (1452-1504) », RRH XII (1973), p. 180-181 ; contra, Ş.
Papacostea, « La Moldavie, État tributaire », p. 451, n. 18 ; notre réponse, avec de nouveaux
arguments : « Du nouveau sur le rôle international de la Moldavie dans la seconde moitié du XVe
siècle », RÉR XVI (1981), p. 36-39.
68
C. Andreescu, op. cit., p. 145-146 ; B. Spuler, Die Goldene Horde, p. 170-171.
69
B. Spuler, op. cit., p. 172-174.
330
À PROPOS DE L’EXPANSION POLONO-LITUANIENNE
Il ressort donc de cet acte que Teodoryk Buczacki (ou ses fils ?) avait
construit un nouveau château-fort, Balabky, qui se trouvait, semble-t-il, au Nord
d’Očakov71. En 1472, toutefois, nous constatons que Michal Buczacki-
Jazlowiecki avait pris à sa charge « Caczybyeyow » et « Karnygrod » et
s’engageait à payer à son frère la moitié des sommes engagées ou qu’il allait
recevoir de la part du roi en cas de retrait de la donation72.
La fondation de Balabky est une nouvelle preuve de la tranquillité et de la
prospérité des régions méridionales de la Pologne-Lituanie dans le troisième
quart du XVe siècle. La mention des villages, des douanes, des ports, des
pêcheries, dans ces documents, ne paraît pas une formule vide de sens, mais
bien une réalité économique et commerciale.
En même temps, l’extension du contrôle moldave sur le château de Lerici,
sur le Dniepr, en 1455, que Ştefan posséda au moins deux décennies73, les liens
étroits que le même prince entretint avec le prince Simeon Olelkovič de Kiev74,
et avec les seigneurs de Teodoro-Mangoup75, ses démêlés commerciaux avec
Caffa76, tous ces faits témoignent eux aussi de l’importance que revêtait la
70
Akta grodzkie i ziemskie, L’vov, XII, 1887 no 3428, p. 329-330 ; R. Bächtold, op. cit., p.
38.
71
Cf. C. Lanckoronska, Elementa ad fontium editiones, XXXVII : Documenta ex archivio
regiomontano ad Poloniam spectantia, VII, Rome 1976, p. 203-204, 216, no 1005, 1020, de
1547 : « Balayky », « Balagkly » (Balaklej).
72
Akta grodzkie i ziemskie, XII no 3586, p. 349.
73
W. Heyd, Histoire du commerce du Levant au Moyen Âge, II, Leipzig 1886, p. 397-398 ;
N. Iorga, Acte şi fragmente cu privire la istoria Românilor adunate din depozitele de manuscrise
ale Apusului, III, Bucarest 1897, p. 32-36 ; idem, Studii istorice, p. 116-119, 130, 173 (en 1496 on
croyait que le roi de Pologne avait reconquis Lerici occupé par les Turcs) ; E. Diaconescu,
Românii din Răsărit. Transnistria, Jassy 1942, p. 59-61 (occupé par les Turcs en 1475).
74
D. P. Bogdan, « Pomelnicul de la Bistriţa şi rudeniile de la Kiev şi de la Moscova ale lui
Ştefan cel Mare », AARMSI, IIIe série, XXII (1940), p. 633-657.
75
V. Vasiliu, « Sur la seigneurie de “Tedoro” en Crimée au XVe siècle à l’occasion d’un
nouveau document », Mélanges de l’École Roumaine en France (1929), p. 301-336 ; A. A.
Vasiliev, The Goths in the Crimea, Cambridge, Mass. 1936, N. Iorga, « Întinderea spre Răsărit a
Moldovei lui Ştefan cel Mare. Cu prilejul unei inscripţii », AARMSI, IIIe série, XX (1938), p. 315-
319. Repris dans N. Iorga, Studii asupra Evului Mediu românesc, Bucarest 1984, p. 306-309.
76
Ş. Papacostea, « Caffa et la Moldavie face à l’expansion ottomane (1453-1484) », dans
Colocviul româno-italian « Genovezii la Marea Neagră în secolele XIII-XIV », Bucarest, 1977, p.
331
MATEI CAZACU
région nord-pontique pour tous les États voisins. Ce fut là une des raisons
décisives de l’installation des Ottomans en Crimée en 1475 et de leur longs
conflits avec le prince de Moldavie, conflits qui ne cessèrent qu’après la
conquête de Kilia et d’Aqkerman en 1484.
Étienne le Grand s’adressa tout d’abord au roi Casimir pour obtenir l’aide
nécessaire à la reconquête des forteresses perdues et d’où les Ottomans et les
Tatars pouvaient entreprendre des expéditions contre la Moldavie et la Lituanie.
La condition posée par le roi pour entrer en campagne était la prestation de
l’hommage vassalique personnel, cérémonie que le prince moldave remplit le 15
septembre 1485 à Kolomyja77. Tout de suite après cette date, une armée
polonaise conduite par deux des fils du roi – dont son successeur au trône, Jean
Albert –, se mit en marche vers le Sud où elle obtint quelques succès face aux
Ottomans. En décembre, les Polonais étaient sur le Danube, mais les forces
polonaises étant insuffisantes pour arracher une victoire décisive, la guerre
continua aussi dans les années suivantes. Finalement, le roi Casimir fit la paix
avec Bāyezīd II en 1489 sans pour autant réussir à déloger les Turcs78.
Nous savons que, lors de ces escarmouches, les pillages et les destructions
de forteresses et de villages avaient été nombreux dans la région79. Czarnigrad a
dû subir ce sort, de même que Iurgheci-Kerman qui sera reconstruit par Bāyezīd
II si l’on en croit les dires de Evliyā Čelebi80. Ce dernier appelle la forteresse
Yanik Hisar (la cité brûlée, donc aussi noire) et précise qu’elle se trouvait au
premier gué du Dniestr après le liman ; c’était, ajoute-t-il, le point de passage
obligatoire pour aller à Očakov en partant d’Aqkerman.
Quant à Czarnigrad, il ne sera plus mentionné dans les actes de
délimitation de la frontière turco-polonaise du XVIe et du XVIIe siècle, bien que
le royaume des Jagello eût encore des prétentions sur la région du Dniestr
inférieur81. Sur les cartes du XVIIe siècle, Czarne apparaît avec le qualificatif de
« ruiné », vraisemblablement par les incursions des Cosaques.
131-153 ; Şt. Andreescu, « Autour de la dernière phase des rapports entre la Moldavie et Gênes »,
RRH XXI (1982), p. 257-282.
77
Ş. Papacostea, « De la Colomeea la Codrul Cosminului. Poziţia internaţională a Moldovei
la sfârşitul secolului al XV-lea », RSl XVII (1970), p. 525-553.
78
N. Iorga, Studii istorice, p. 168-171 ; N. Beldiceanu – J.-L. Bacqué-Grammont – M.
Cazacu, op. cit., p. 50-53. En 1487, les Tatars de Crimée, vraisemblablement incités par les
Ottomans passent le Dniepr à Tavan, « que vox traiectum lingua scythica significat », et mettent à
feu et à sang la Podolie. Jean Albert, le fils du roi Casimir, part en campagne contre eux et les
accroche à leur retour « apud Copesterinum vicum » : « locus hic est inter Tyram et Bogum
amnes, Axiaces hic olim dictus ». B. Wapowski, Kroniki... ( 1480-1535), éd. J. Szujski, p. 5-7.
D’après V. V. Latysev, Pontika, Saint-Pétersbourg 1909, p. 48, Axiaca (ou Axiaces) serait Özü-
Očakov. Cf. E. Diaconescu, op. cit., p. 62-63.
79
Ibidem, loc. cit.
80
Evliyā Čelebi, Seyahatname, V, p. 114-115 ; Călători străini despre Ţările române, VI,
éd. M. Mehmed, Bucarest 1976, p. 413-414, 436-437 ; Seyahatname, op. cit., p. 164, 168.
81
B. Spuler, « Mittelalterliche Grenzen in Osteuropa », p. 163 sq.
332
À PROPOS DE L’EXPANSION POLONO-LITUANIENNE
82
Moldaviae, quae olim Daciae pars Chorographia Georgio a Reicherstorffer Transylvano
autore, Vienne 1541. La carte annexée a été republiée à Cologne, en 1595. Pour Yanik Hisar et
Mayak, cf. Z. Veselá Prenosilova, « Tureckij traktat ob osmanskih krepostjah severnogo
pričeraomorja v načale XVIII v. », dans Fontes orientales ad historiam populorum Europae
meridie-orientalis atque centralis pertinentes, réd. A. S. Tveritinova, p. 100, 114 ; cf. M. Berindei
– G. Veinstein, « Règlements fiscaux et fiscalité de la province de Bender-Aqkerman, 1570 »,
CMRS XXII/2-3 (1981), p. 314, n. 9.
83
N. Iorga, Studii istorice, p. 254.
333
UNE DÉMONSTRATION NAVALE DES TURCS
DEVANT CONSTANTINOPLE
ET LA BATALLE DE KILIA (1448)
(en collaboration avec Petre Ş. Năsturel)
Les événements consignés dans cette notice, partie intégrante d’une brève
chronique anonyme, remontent au mois de juin 1448 (6956). Une lacune a
emporté l’indication du jour précis qui vit la flotte turque sous les remparts de
Constantinople. Cette attaque brusquée, qui aurait pu avoir raison alors de la
capitale de ce qui restait encore de l’Empire d’Orient, se produisit pendant le
Carême des Saints-Apôtres. M. Schreiner hésitait, il y a quelques années, à
admettre la réalité de cet événement : aucune chronique byzantine signée n’en
1
« Ἐν τῷ ςϡνς΄, ἰνδικτιῶνος ιαϘ, μηνὶ ἰουνίῳ, ἡμέρᾳ <.> τῆς τῶν ἁγίων ἀποστόλων νησ-
τείας, ἦλθαν οἱ Μουρσουμάνοι μὲ πλοῖα ξε΄ καὶ ἐπέκεινα ἀρμάδα μὲ ἀρμάτων πολλῶν καὶ
δύναμιν καὶ κατασκευὰς εἰς τὴν Κωνσταντινούπολην, καὶ εὗραν ἀστοχίαν πᾶσαν καὶ ἐντροπὴν
καὶ τὸν Βλάνγκα κτισμένον καὶ πολλὰ ἀρματωμένον, ἔτι καὶ τὸ κάστρον, καὶ θαλάσσης καὶ
στερεᾶς τὰς δυνάμεις καὶ ἅλυσες ἐν τῇ θαλάσση. εἶτα ὡς εἶδαν, ὅτι ἐστόχησαν μὲ ἐντροπή,
ἐπῆγαν εἰς τὸ Κελλὶ καὶ ἀφανίσθησαν τελείως καὶ ἐγύρευσαν καταλυμένοι » : Ρ. Schreiner,
Studien zu den Βραχέα Χρονικά, Munich 1967, p. 206 (traduction et commentaire, p. 172-175) ;
idem, Die byzantinischen Kleinchroniken, I. Teil : Einleitung und Text, Vienne 1975, p. 99 (nο 51)
(texte) ; 2. Teil : Kommentar, Vienne 1977, p. 469-470. Cette chronique avait déjà été éditée,
d’après un manuscrit aujourd’hui perdu, par le patriarche de Jérusalem Dositheos, Ἱστορία περὶ
τῶν ἐν Ἱεροσολύμοις πατριαρχευσάντων, Bucarest 1715 (voir I. Bianu et N. Hodoş, Bibliografia
românească veche, 1508-1830, I, Bucarest 1903, p. 501-508), puis sur le manuscrit de Bologne,
réutilisé par Schreiner, par Sp. Lampros, Βραχέα Χρονικά, édition soignée par Κ. I. Amantos,
Athènes 1932, p. 80-82 (qui n’a pas remarqué la notice de 1448, dont la découverte est due à P.
Schreiner).
MATEI CAZACU
2
P. Schreiner, Studien, p. 172-175 et 206.
3
E. Zachariadou, compte rendu des Studien de P. Schreiner dans Ελληνικά 21 (1968), p.
422-423.
4
Voir par exemple J. W. Barker, Manuel II Palaeologus (1391-1425). A Study in late
Byzantine Statesmanship, New Brunswick 1968, p. 361-371 ; L. Bréhier, Vie et mort de Byzance,
Paris 1969, p. 395-396 ; G. Ostrogorsky, Histoire de l’État byzantin, Paris 1969, p. 581 ; D. M.
Nicol, The last Centuries of Byzantium 1261-1453, Londres 1972, p. 348-349.
5
« Τῷ αὐτῷ ἔτει » : cf. P. Schreiner, Die byz. Kleinchr., p. 99-100, no 51-52.
6
P. Schreiner, Studien, p. 11 et suiv. et p. 20.
7
N. Iorga, Studii istorice asupra Chiliei si Cetăţii Albe, Bucarest 1900 ; Al. Elian,
« Moldova şi Bizanţul în secolul al XV-lea », dans M. Berza (éd.), Cultura moldovenească în
timpul lui Ştefan cel Mare, Bucarest 1964, p. 126. Une attaque turque eut bien lieu contre Kilia,
mais seulement en 1420. Le 25 août 1420, l’empereur Sigismond de Luxembourg faisait part de la
nouvelle au Grand Maître de l’Ordre teutonique en ces termes : « ...also hat sich leyder die zyte
verkert das unser fursaez den wir durch gemeines nutzes willen gern gefurdert hatten nicht hat
336
UNE DÉMONSTRATION NAVALE
(Blanchus, on l’aura reconnu, est l’un des noms que ses contemporains
donnaient à Jean le Blaque, ou le Valaque, le chevalier « Blanc », Jean Hunyadi,
d’origine roumaine mais au service de la Hongrie, le Iancu de Hunedoara des
Roumains).
La confrontation de la chronique grecque et du texte ci-dessus dissipe toute
incertitude qui planerait encore quant à la véracité des dires du manuscrit de
Bologne. La notice éditée par Peter Schreiner se rapporte à un assaut avorté, ou
à une tentative de siège, demeurés inconnus jusqu’ici, dont Constantinople
constitua la cible, au mois de juin 1448. L’affaire fut immédiatement suivie
d’une descente à Kilia qui se solda par l’anéantissement quasi total de la flotte
ottomane par les soldats de Iancu de Hunedoara9.
L’événement ainsi reconstitué à sa juste valeur revêt des dimensions
nouvelles, pour peu qu’on le replace dans le cadre plus large de l’histoire uni-
verselle. On peut le considérer comme une tentative audacieuse de Mourad II
pour briser l’encerclement réalisé contre lui par les forces chrétiennes
regroupées par Iancu de Hunedoara. Le sultan essayait d’occuper une puissante
base d’approvisionnement de première importance, qui dominait le passage
d’Asie mineure en Europe et qui coupait ainsi en deux l’Empire ottoman.
furtgang haben und gehindert worden ist mit dem das der Turk Cristi [Feind] Kyla eingenommen
hat... » : voir Fl. Constantiniu – Ş. Papacostea, « Tratatul de la Lublau (15 martie 1412) și situația
internațională a Moldovei la începutul veacului al XV-lea », SRI XVII (1964), p. 1129-1140.
L’acte en question, p. 1139. Voir aussi Ş. Papacostea, « Kilia et la politique orientale de
Sigismond de Luxembourg », RRH XV (1976), p. 421-436.
8
Le lecteur trouvera en annexe de cet article le texte intégral de cette lettre du Grand Maître
Jean de Lastic.
9
La lettre de Jean de Lastic parle bien d’une armée et d’une flotte mises sur pied par le
sultan pour assiéger Constantinople, mais il n’y est fait aucune mention d’une mise à l’exécution
de cette intention, alors que l’attaque effective de Kilia et la dure défaite des assaillants sont
longuement mises en relief. Voir le texte latin, infra, Annexe.
337
MATEI CAZACU
10
Pour une reconstitution de toute la suite de ces actions, voir Fr. Pall, « Intervenţia lui
Iancu de Hunedoara în Tara Românească şi Moldova în anii 1447-1448 », SRI XVI (1963), p.
1049-1072.
11
Ce sont les termes mêmes de la chronique dite moldo-polonaise, chez P. P. Panaitescu,
Cronicile slavo-române din sec. XV – XVI publicate de Ion Bogdan, éd. revue et complétée,
Bucarest 1959, p. 168 et 177 ; voir aussi Fr. Pall, « Stăpînirea lui Iancu de Hunedoara asupra
Chiliei şi problema ajutorării Bizanţului », SRI XVIII (1965), p. 619-638.
12
L. Thalloczy – S. Barabas, Codex diplomaticus comitum de Frangepanibus, Budapest
1910, p. 350 (« Monumenta Hungariae Historica, Diplomataria », XXXV) ; voir aussi l’étude
338
UNE DÉMONSTRATION NAVALE
fondamentale de Fr. Cerone, La politica orientale di Alfonso di Aragona, dans Archivio storico
per le Provincie napoletane, XXVII, 1902, p. 3-93, 384-456, 555-634, 774-852 ; XXVIII, 1903, p.
154-212 ; N. Iorga, Geschichte des osmanischen Reiches. Nach den Quellen dargestellt, I, Gotha
1908, p. 450 et suiv. ; Fr. Kayser, Papst Nicolaus V. und das Vordringen der Türken, dans
Historisches Jahrbuch der Görres-Gesellschaft, VI, 1885, p. 208-231 ; voir également G. F.
Ryder, « La politica italiana di Alfonso d’Aragona (1442-1458) », Archivio storico per le
Provincie napoletane, nouvelle série, XXXVIII (1958), p. 43-106, XXXIX (1959), p. 235-294.
13
Laonici Chalcocandylae Historiarum demonstrationes, éd. F. Darkó, II/1, Budapest 1923,
p. 123-125 ; A. Bonfini, Rerum Hungaricarum decades, éd. I. Fogel, Β. Ivanyi et L. Juhasz, III,
Leipzig 1936, p. 160. Voir Fr. Paix, « Skanderbeg et Iancu de Hunedoara », RÉSEE VI/1 (1968),
p. 5-21.
14
Fr. Cerone, op. cit. ; C. Marinescu, « Alphonse V, roi d’Aragon et de Naples, et l’Albanie
de Skanderbeg », dans Mélanges de l’École Roumaine en France, Paris 1923, p. 23-26 ; A. Gegaj,
L’Albanie et l’invasion turque au XVe siècle, Paris 1937.
15
C. Jireček, Geschichte der Serben, II/1, Gotha 1918, p. 187 et suiv. ; V. Klaic, Geschichte
Bosniens von den ältesten Zeiten bis zum Verfalle des Königreiches, Leipzig 1885, p. 375-376.
16
D. A. Zakythinos, Le Despotat grec de Morée, I, Histoire politique, Paris 1932, p. 238-
239.
339
MATEI CAZACU
installe en Moldavie, nous l’avons déjà rappelé, un prince qui est son allié,
Pierre II : ce dernier est attesté sur le trône moldave pour la première fois le 23
février et c’est lui qui cède Kilia à la Hongrie pour qu’elle la transforme en une
base d’opérations contre les Ottomans17.
C’est à cette époque encore que Venise précise sa position à l’égard du
projet de croisade. Le 7 mars, son sénat, qui avait été sollicité par Iancu de lui
accorder son aide en vue de l’expédition, pose comme condition de son appui la
conclusion de la paix avec Skanderbeg et Branković18. La situation du royaume
apostolique s’en trouvait fortement aggravée, car depuis le mois de janvier des
tractations étaient en cours avec Frédéric III afin de normaliser les rapports entre
la Hongrie et le Saint Empire Germanique et de ramener sur le trône Ladislas le
Posthume encore mineur. Venise ne conclura la paix avec Skanderbeg qu’en
novembre, de sorte que le vaillant capitaine n’eut plus le temps de gagner
Kossovo, où la bataille s’était déjà livrée sans lui. Mais dès la fin du printemps,
les Turcs entreprennent de porter toute une série de coups audacieux afin de
briser le blocus qui les menaçait du fait de la politique d’alliances poursuivie par
Iancu. Le premier qu’ils assénèrent fut une campagne contre la Bosnie et la
Croatie, en mars. Dans les coulisses de cette action se trouvait le despote
Georges Branković qui y poussa les Turcs, auxquels il fournit même des
guides19.
Entre-temps, Venise entamait en secret des pourparlers avec le Grand Turc
qu’elle excita contre Skanderbeg ; elle mit à prix pour cent ducats la tête du
héros albanais20. En revanche, l’héritage de Milan (le dernier des Visconti, le
duc Philippe-Marie, était mort le 13 août 1447) déclenche les hostilités entre
François Sforza, qui commandait les forces du duché et Alphonse d’Aragon,
17
Le prince « Ciubăr », qui ne régna que deux mois de l’hiver 1448-1449, est visiblement le
Hongrois Csupor, à qui Iancu de Hunedoara confia le soin de gérer les affaires de la Principauté
moldave : N. Iorga, Histoire des Roumains et de la Romanité orientale, IV, Bucarest 1937, p. 111-
112.
18
S. Ljubić, Listine o odnasajih juznoga izmedju slavenstva i mletacke republike, IX,
Zagreb 1890, p. 267-268 (« Monumenta spectantia historiam Slavorum meridionalium », XXI) :
« Captum, quod respondeatur Nicolao decano Cracoviensi, ambasciatori regis Hungariae, redeunti
a Curia romana et a rege Aragoniae, qui ei promiserant solutionem pro 4000 equitum, et
ecclesiasticas décimas, quod republica a longo bellum gerit cum Turcas, cuius causa ad
paupertatem redacta est. Sed in casu quo fuerit pax, et statutum foret mense aprili ire contra
Turcas, reperiemus ad omnia prontissimi pro comodo Christi fidelium et eorum defensione et
potissime illius regni, cui valde sumus affecti ». Voir aussi Fr. Thiriet, Regestes des délibérations
du Sénat de Venise concernant la Romanie, III, Paris – La Haye 1961, p. 143, no 2766.
19
Lettres des 12 et 20 mars de Pierre Soranzo, comte de Curzola, au doge de Venise, chez
Fr. Radić, « Prilog za povjest slavenskoga juga god. 1448 », Starine XXVII (Zagreb 1895), p 227-
228 ; cf. un acte du 29 août mentionnant cette attaque, chez S. Ljubić, Listine, IX, p. 279.
20
S. Ljubić, Listine, IX, p. 268-269. Un trait caractéristique de la diplomatie vénitienne,
c’est que l’on menait de front des tractations avec Skanderbeg d’une part et avec les Turcs, d’une
autre, pour qu’ils l’attaquassent.
340
UNE DÉMONSTRATION NAVALE
C’est par conséquent entre ces deux dates – après le 20 juin (car rien
n’avait encore transpiré à Bude au sujet d’une quelconque action ottomane) et le
28 juin, terme ante quem indiqué par la chronique grecque – que fut déclenchée
l’offensive de la flotte turque contre Constantinople, puis contre Kilia.
L’objectif choisi fut le quartier de Vlanga, dans la partie méridionale de la ville
impériale. Son double port (le port d’Eleuthère et le port de Théodose) était
garni de murailles, tant du côté de la terre que le long de la mer. Or, au moment
de l’apparition des bateaux montés par les Turcs, ces fortifications se trouvaient
en bon état de défense. Le despote de Serbie, Georges Branković, venait tout
21
Voir G. F. Ryder, « Alfonso d’Aragona e l’avvento di Francesco Sforza al ducato ai
Milano », Archivio storico per le Provincie napoletane, n.s., XLI (1961), p. 9-46.
22
Fr. Radić, op. cit., p. 228 et suiv. ; C. Marinescu, op. cit., p. 27.
23
Fr. Radić, op. cit., p. 231, acte du 19 juin. Discussion de la date de l’entrée des Turcs en
Albanie, chez Fr. Pall, « Marino Barlezio. Uno storico umanista », dans Mélanges d’histoire
générale, éd. C. Marinescu, II, Cluj 1938, p. 207. Voir aussi les instructions du Sénat pour Andrea
Venier du 27 juin, chez S. Ljubić, Listine, IX, p. 269-273 ; résumé chez Fr. Thiriet, op. cit., III, p.
145, no 2779.
24
J.-G. Schwandtner, Scriptores rerum Hungaricarum veteres ac genuini, II, Vienne 1746,
p. 47 ; G. Fejer, Genus, incunabula et virtus Joannis Corvini de Hunyad, regni Hungariae
gubernatoris, argumentis criticis illustrata, Bude 1844, p. 114-115.
25
Fr. Radić, op. cit., p. 234. Concernant la date de l’affaire manquée de l’attaque navale de
la ville de Constantinople et celle de la bataille de Kilia, on peut légitimement les fixer vers le 20-
24 juin au plus tard, car pour que le Grand Maître des Hospitaliers de Rhodes ait eu le temps
d’apprendre ces derniers événements, un certain laps de temps s’était nécessairement écoulé. Par
ailleurs, le commandant des forces hongroises qui écrasèrent les Turcs sous les murs de Kilia ne
fut pas Jean Hunyadi, qui se trouvait à Bude le 24 juin (cf. note 24). Il semble donc raisonnable de
supposer qu’il s’agissait en l’occurrence du prince « Ciubăr » (Csupor). Voir aussi note 17.
341
MATEI CAZACU
juste d’aider pécuniairement le basileus Jean VIII Paléologue à refaire les murs
maritimes de la capitale26. Ce geste illustre une fois de plus l’ambiguïté de la
politique du despote serbe dans le conflit à mort qui mettait aux prises le Sud-
Est de l’Europe et les appétits de conquête du Grand Seigneur. Les navires
ennemis trouvèrent donc la Vlanga flambant neuve, des soldats sur les remparts
et des chaînes qui interdisaient l’approche des navires désireux de mouiller27.
Les causes profondes de cette tentative manquée sont faciles à saisir.
Constantinople constituait une base idéale d’opérations pour une flotte désireuse
de contrôler la navigation entre la mer Noire et la mer Méditerranée, et
inversement. En 1444, ce fut tout juste grâce à l’aide des Génois et à la violence
d’une tempête qui dispersa les vaisseaux chrétiens que les Turcs étaient
parvenus à passer d’Asie en Europe pour aller affronter les croisés et la victoire.
À cela s’ajoutaient, en 1448 tout comme quatre ans plus tôt, les affirmations
d’indépendance de l’émir de Caramanie qui était en passe d’amabilités avec les
26
R. Janin, Constantinople byzantine. Développement urbain et répertoire topographique,
Paris 19642, p. 299 et carte 1-7-8/D-E (sur la Vlanga, voir aussi p. 227- 230, 233, 260, 299-300,
325). L’inscription concernant les réparations exécutées par le prince serbe a d’abord été publiée
par A. D. Mordtmann, Belagerung und Eroberung Constantinopels durch die Türken im Jahre
1453, Stuttgart – Augsbourg 1858, p. 133, et reprise par Al. Van Millingen, Byzantine
Constantinople. The walls of the city and adjoining historical sites, Londres 1899, p. 187, lequel
commente, p. 193, en outre, un fragment d’inscription concernant la réfection de la courtine d’une
portion des murailles (ce texte mutilé semble avoir échappé au regretté Père Janin). Voir encore E.
Zachariadou, compte rendu cité, p. 427-428. Selon R. Janin, op. cit., p. 294, les murs le long du
littoral de la Propontide s’étendaient sur 8 km : c’étaient une simple muraille, de 12 à 15 m de
hauteur, flanquée de 188 tours. R. Guilland, « Études sur l’histoire administrative de l’Empire
byzantin. Le comte des murs », Byzantion XXXIV/1 (1964), p. 23, observe que le domestique des
murailles, dont la charge avait été maintenue sous les Paléologues – cf. J. Verpeaux, Pseudo-
Kodinos, Traité des Offices, Paris 1966, Index, p. 386, sub voce « domestikos tôn teichéon » –
n’est cité nulle part à l’occasion de réparations ou de restaurations des murs d’enceinte de la ville.
Mme Zachariadou, compte rendu cité, p. 427-428, rappelle qu’une première restauration des
remparts fut effectuée après 1427 et avant 1432/33.
27
On peut se demander si la démonstration navale turque devant Constantinople en juin
1448, n’aurait pas quelque lien avec certain complot fomenté dans la capitale byzantine, dont
parle la notice qui fait suite immédiatement à celle qui est commentée par nous : P. Schreiner, Die
byz. Kleinchron., p. 99/51 (voir la discussion de cette information par P. Schreiner, Studien, p.
175-177). Démétrius Paléologue avait déjà participé, du côté des forces ottomanes et de Mourad
II, à un siège de la ville impériale dans l’été 1442 : voir Sp. Lampros, Παλαιολόγεια και
Πελοποννησιακά, II, Athènes, 1912-1924, p. 52 et suiv. ; J. Voyatzidis, « Νέα πηγή βυζαντινής
ιστορίας », Νέος Έλληνομνήμων XVIII (1924), Ρ. 85 et suiv. ; D. Zakythinos, op. cit., p. 216. Sa
venue à Constantinople dans les mois suivants pourrait avoir quelque rapport avec le complot
(voir P. Schreiner, Studien, p. 178-179 et 206). En ce qui concerne la chaîne qui barrait la Corne
d’Or – et peut-être aussi d’autres chaînes interdisaient-elles l’accès aux divers ports de la ville –
Mme et M. N. Beldiceanu nous signalent l’existence au Musée militaire d’Istanbul d’un débris
que la tradition attribue à la conquête de 1453 ; mais d’autres traditions affirment que ce serait un
reste de la chaîne qui protégeait Rhodes. Là-dessus voir aussi A. A. Vasiliev, Histoire de l’Empire
byzantin, II, Paris 1932.
342
UNE DÉMONSTRATION NAVALE
28
J. Bosio, op. cit., II, p. 229-231. Sur Ibrahim bey de Caramanie, le « Grand Caraman »,
que F. Babinger qualifiait de « eine der seltsamsten Gestalten des spätmittelalterlichen Islam »,
voir les remarques du même orientaliste dans « Von Amurath zu Amurath. Vorund Nachspiel der
Schlacht bei Varna (1444) », Oriens III/2 (1950), p. 229-265 (repris dans idem, Aufsätze und
Abhandlungen zur Geschichte Südosteuropas und der Levante, I, Munich, 1962, p. 130 et la note
4).
29
F. Babinger, « Mehemed’s II. Heirat mit Sitt-Chatun (1449) », Der Islam XXXI/2 (1949),
p. 217-235 (repris dans idem, Aufsätze und Abhandlungen..., I, p. 227).
30
Déjà Mme Zachariadou, op. cit., p. 426 et note 2, voyait dans l’événement de 1448 une
attaque de petite importance. Il faut retenir que le silence des chroniqueurs byzantins à son sujet
est impressionnant. En effet, alors qu’il se trouvait à la cour de Trébizonde en ambassade,
Georges Sphrantzès apprit de la bouche même de l’empereur tout joyeux, la mort de Mourad II, et
l’avènement au trône de Mahomet II, et l’ambassadeur de l’empereur de Constantinople ne put
faire autrement que de marquer sa douleur : c’est, lui rétorqua-t-il, que Mourad était vieux et que,
après l’échec de son attaque contre Constantinople il s’en tenait à des relations pacifiques et
amicales avec Byzance, tandis que maintenant le nouveau sultan, ennemi des chrétiens depuis son
enfance, représentait pour eux un péril bien plus grand. Nous voyons dans ces paroles la preuve
qu’en réalité les Constantinopolitains ne se sentirent guère menacés par la démonstration de la
flotte turque. Le texte en question de Sphrantzès (éd. V. Grecu, Bucarest 1966, p. 76). À tort selon
nous, V. Grecu, op. cit., n. 3, croit comprendre que Mahomet avait envoyé des présents à
Constantin Paléologue. En réalité, il en avait fait porter au souverain de Trébizonde, Jean IV, qui
précisément pour cette raison manifestait si naïvement sa joie à Sphrantzès. Que le représentant
du dernier basileus jugeait sagement la portée de ce changement de règne, les événements allaient
le prouver sans tarder.
31
Fr. Pall, « Stăpânirea lui Iancu de Hunedoara asupra Chiliei », p. 620-621. Pour
l’emplacement de Kilia, voir maintenant O. Iliescu, « Localizarea vechiului Licostomo », SRI
XXV/3 (1972), p. 445-462 ; P. Ş. Năsturel, « Le littoral roumain de la mer Noire d’après le
portulan grec de Leyde », RÉR XIII-XIV (1974), p. 125-127. La localisation de Kilia comme place
distincte de Lycostomo est définitivement prouvée par des documents publiés par G. Pistarino,
Notai genovesi in Oltremare. Atti rogati a Chilia da Antonio di Ponzò (1360-1361), Gênes 1971,
et G. Airaldi, « I Genovesi a Licostomo nel sec. XIV », dans Studi medievali a cura del Centro
italiano di studi sull’alto medioevo, IIIe série, XIII/2, Spolète 1972, ρ 967- 981, mis en oeuvre
dans l’article d’O. Iliescu, « Nouvelle édition d’actes notariés instrumentés au XIVe siècle dans les
343
MATEI CAZACU
assaut que parle la lettre du Grand Maître des Hospitaliers au roi de France. Il y
est fait mention tout d’abord d’une bataille navale qui permit à la flottille
chrétienne, encore qu’elle fût inférieure numériquement aux bâtiments
ottomans, de détruire ces derniers, en incendiant la plupart ; après quoi, les
forces terrestres achevèrent la déconfiture des éléments ennemis qui avaient pris
pied sous les remparts de la cité danubienne32.
Même si ses intentions contre Constantinople avaient avorté et en dépit
aussi de la sanglante défaite de ses armes devant Kilia, Mourad II avait donné
une fois de plus la mesure de son génie militaire. Le succès de cette audacieuse
manœuvre lui aurait assuré la maîtrise de la mer Noire et des bouches du
Danube. Kilia représentait pour la Hongrie non seulement le point stratégique
d’où l’on pouvait dominer les Principautés roumaines de Valachie et de
Moldavie, mais elle constituait encore une base d’approvisionnement nécessaire
à une flotte susceptible de venir à tout moment au secours de Constantinople33.
La conquête de ces deux villes-clefs allait faire désormais partie intégrante du
programme politique de ses successeurs. Son fils, Mehmet II, s’emparera de
Constantinople en 145334 et son petit-fils, Bajazet II, reportera les frontières de
l’Empire ottoman en 1484 jusqu’à Kilia, sur le Danube, et à Cetatea Albă
(Maurokastro, Asprokastro, Aqkerman) à l’embouchure du Dniester35.
En résumé, Constantinople échappa à sa conquête par mer en juin 1448 et
Kilia, attaquée quelques jours plus tard par la même flotte turque, résista
victorieusement aux Ottomans. Une grande victoire cependant allait dédom-
colonies génoises des bouches du Danube. Actes de Kilia et de Licostomo », RÉSEE XV/1 (1977),
p. 113-119.
32
À cette bataille participèrent certainement aussi les soldats des princes de Valachie et de
Moldavie, lesquels fourniront du reste des contingents qui seront présents à. la conclusion
tragique de la bataille de Kossovo. Voir là-dessus M. Cazacu, « La Valachie et la bataille de
Kossovo (1448) », RÉSEE IX/1 (1971), p. 131-139.
33
Le « janissaire serbe », Constantin d’Ostrovitsa, reproduit dans ses Mémoires les paroles
prononcées par Mahomet II après la campagne de 1462 en Valachie : « Aussi longtemps que les
Roumains détiendront et posséderont Kilia et Cetatea Albă et les Hongrois le Belgrad serbe, nous,
nous ne pourrons remporter aucune victoire ». (Memoiren eines Jantischaren oder Türkische
Chronik, éd. Renate Lachmann, Graz – Vienne – Cologne 1975, p. 135). Voir aussi l’édition
anglaise de la version tchèque due à B. Stolz, Memoirs of a Janissary, Ann Arbor, The University
of Michigan 1975. Quand il s’adressa au sénat de Venise, en 1476, le prince de Moldavie Étienne
le Grand déclara, par la bouche de son représentant, au sujet de l’importance stratégique de Kilia
et de Cetatea Albă pour la Moldavie : « Et la Excellentia Vostra puoi considerar che queste terre
sono tutte la Valachia [entendez ici la Moldavie], et la Valachia con queste do terre sono un muro
del Hungaria et Pollona. Oltra de zo io dico più, che se questi castelli se conserveranno, i Turchi
poranno perder e Gaffa et Chieronesso. Et sara facil cossa... » (chez I. Bogdan, Documentele lui
Ştefan cel Mare, II, Bucarest 1913, ρ. 346).
34
On se souvient aussi que dès 1452 Mehmet II mit au point l’encerclement de la ville qu’il
convoitait et qu’au mois d’août ses janissaires eurent un accrochage avec la population de la
banlieue : L. Brehier, op. cit., p. 419-420.
35
N. Beldiceanu, « La campagne ottomane de 1484 : ses préparatifs militaires et sa
chronologie », RÉR V-VI (1960), p. 67-77.
344
UNE DÉMONSTRATION NAVALE
Annexe
36
Sur dom Luc d’Achery voir son nécrologe dans le Journal des Savants, lundi 26
novembre 1685, p. 393-394, où le défunt est placé « entre ceux qui ont le plus enrichi les
bibliothèques par l’édition de ces anciens monuments » ; J. Fohlen, « Dom Luc d’Achery (1609-
1685) et les débuts de l’érudition mauriste », Revue Mabillon LV (1965), p. 149-175 ; LVI
(1966), p. 1-30 et 73-98. Le document que nous analysons fut communiqué à d’Achery par
Antoine Vyon, sieur d’Hérouval (†1689), collaborateur également de Baluze. Il fit don à Saint-
Germain-des-Prés de plusieurs manuscrits. Voir L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits de la
Bibliothèque Nationale, II, Paris 1974, p. 45. On trouvera d’intéressantes informations sur l’aide
qu’il accorda à l’élaboration par d’Achery du tome VII cité ci-dessus dans le ms. fr. 17685, ff.
117-118, I74r-v et 201 de la Bibliothèque Nationale de Paris (lettres de 1662, 1664 et 1665).
37
Sur la flotte turque de l’époque, voir A. C. Hess, « The evolution of the Ottoman sea-
borne empire in the age of the oceanic discoveries (1453-1525) », AHR LXXV/7 (1970), p. 1892-
1919. On trouvera aussi certaines données dans Ν. Beldiceanu, Les actes des premiers sultans
conservés dans les manuscrits turcs de la Bibliothèque Nationale à Paris, I, Paris – La Haye I960,
passim (voir Index, sub voce « bateaux »). Des miniatures permettant de mieux se représenter les
types des navires ottomans dans l’ouvrage (que veut bien nous signaler M. N. Beldiceanu) de H.
G. Yurdaydin, Matrahci Nasûl, Ankara 1963, p. 98-103. On appréciera mieux la vitesse des
bateaux (et donc le temps nécessaire à la flotte turque pour gagner de Constantinople les bouches
du Danube, et à la nouvelle de la bataille pour parvenir à Chio et à Rhodes) à la lumière des
informations réunies par Mme C. Villain-Gandossi, « La mer et la navigation maritime à travers
quelques textes de la littérature française du XIIe au XIVe siècle », RHÉS XLVII (1969), p. 180-
181.
38
Sur Jean Hunyadi (Iancu de Hunedoara) appelé ainsi, voir C. Marinescu, « Du nouveau
sur “Tirant lo Blanch” », dans Estudis romanics, publiés par R. Aramon i Serra, IV, Barcelone
345
MATEI CAZACU
infidelium totam classem combussit. Illi vero qui terram petierant a Bianchi
gentibus trucidati sunt. Hoc infortunio et clade Teucris data, et imperatoria ipsa
civitas et omnes insulae iEgaei pelagi a formidine magna, Deo victoriam
Christianis dante, liberati sunt.
Insuper Presbyter Johannes, Indorum imperator39, ut quidam sacerdotes
indiani huc Rhodum devecti, per veros interprétés dixerunt, magnam stragem et
occisionem Saracenis suis finitimis et his maxime qui ex stirpe Machometi se
ortos praedicant, intulit, ut vix credatur : nam per trium dierum iter passim
cadavera occisorum conspiciebantur. Destinavit praeterea oratorem is Indorum
rex Soldano Babyloniae cum muneribus, sicut mos Orientalium est, ei
denuntians nisi ab affligendo Christianos desierit, se bellum pestiferum civitati
Mechae, ubi sepulchrum Machometi esse dicitur, /Egypto, Arabiae, et Syriae,
quae ditioni ipsius Soldani subjectae sunt, illaturum : flumenque Nili totum, qui
/Egyptum irrigat et sine quo nullus illic vivere posset, surrepturum, et iter aliud
illi daturum simili pacto militans. Orator ipse primo bene admissus et visus fuit:
dataque ei copia ut sanctum sepulcrum Domini nostri viseret ; qui cum reversus
ad Cayrum fuisset, ab ipso Soldano carceri traditus est, hac intentione illum
non relaxaturum, nisi orator suus ad Indiam missus et detentus non redierit.
Haec pauca sunt memoratu digna et Serenitati vestrae dignissima, quam semper
valere optamus.
Datum Rhodi in nostro conventu, die tertia Julii anno Domini millesimo
quadringentesimo quadragesimo octavo.
Serenitatis vestrae, Magister Hospitalis Jerusalem40.
1953-54, p. 137-203 (À la page 164, C. Marinescu cite en passant la lettre de Jean de Lastic au roi
de France).
39
Sur le célèbre et mythique « Prêtre Jean » – l’empereur d’Éthiopie – voir, par exemple :
Fr. Zarncke, « Der Priester Johannes », dans Abhandlungen der königlichen sächsischen
Gesellschaft, XVII et XIX (« Philosophisch-historische Klasse », VII et VIII), 1879 et 1880 ; C.
Marinescu, « Le prêtre Jean. Son pays. Explication de son nom », BSHAR X (1923), p. 73-112, et
idem, « Encore une fois le problème du Prêtre Jean », BSHAR XXVI (1945), p. 202-222 ; J.
Richard, « L’Extrême Orient légendaire au Moyen Âge : roi David et Prêtre Jean », Annales
d’Éthiopie II (1957), p. 225-242 (repris dans idem, Orient et Occident au Moyen Âge : contacts et
relations (XIIe – XVe siècles), Variorum Reprints, Londres, 1976) ; R. A. Vitale, « Edition and
study of the Letter of Prester John to the Emperor Manuel of Constantinople : the Anglo-Norman
rhymed version », dans Dissertation Abstracts International, A. The Humanities and Social
Sciences 37/2 (1976), p. 960-961.
40
Edm. Giscard d’Estaing, « Jean de Lastic, Grand Maître des chevaliers de Saint-Jean de
Jérusalem, 1437-1454 », dans Annales de l’Ordre Souverain Militaire de Malte XXII/4 (1964), p.
117-123. Vois aussi C. Marinescu, « L’île de Rhodes au XVe siècle et l’Ordre de Saint-Jean de
Jérusalem d’après des documents inédits », dans Miscellanea G. Mercati, V, Cité du Vatican
1946, p. 382-401 (« Studi e Testi », CXXV).
346
LA VALACHIE ET LA BATAILLE
DE KOSSOVO (1448)*
Des recherches plus ou moins anciennes ont pleinement fait la lumière sur
la question de la participation d’un important contingent de Roumains à la
bataille de Kossovo (Kossovopolije, Campus Merularum, Rigomezöje, Câmpul
Mierlei, Câmpul Rigăi) des 17, 18 et 19 octobre 1448, réédition de celle de
13891 . Mais on n’a pas pu déterminer jusqu’ici avec précision le nom du
voïévode qui conduisit les troupes de Valachie au cours de la lutte. Se fondant
sur le témoignage d’une seule source, la chronique de l’Athénien Laonikos
Chalcokondyle, les historiens roumains ont considéré qu’il se serait appelé Dan.
Mais comme il n’y a aucun prince ou prétendant au trône de Valachie portant ce
nom à cette époque, cette identification a soulevé les interprétations les plus
diverses. C’est ainsi qu’on lui a attribué un règne commençant en 1446, puis en
1447, allant jusqu’au début de 1448 ; on l’a considéré comme le fils de
Vladislav II, le prince de Valachie de 1448 ; on est allé jusqu’à voir en lui le
père de ce Vladislav ; enfin, on a cru qu’il était un prétendant de toute dernière
heure, amené par Iancu de Hunedoara à la bataille de Kossovo. Pour expliquer
sa disparition ultérieure, on a estimé qu’il avait trouvé la mort dans la lutte (ce
que les sources ne mentionnent pas) ou bien on l’a identifié avec un autre Dan,
prrétendant à la couronne valaque sous le règne de Vlad l’Empaleur, qui le mit à
mort en 1460. Ces confusions ne sont pas seulement dues aux historiens
modernes, elles appartiennent déjà à ceux du XVe siècle. À eux, comme à nous,
se posaient trois problèmes principaux : qui a régné en Valachie entre décembre
1447 (année de la mort de Vlad le Diable tombé dans la lutte avec Iancu de
Hunedoara) et septembre 1448 ? La seconde question, qui dérive de la première,
se réfère à l’identification du mystérieux voïévode Dan. Une troisième enfin est
celle de la précision de l’appartenance du trône de Valachie pendant le mois
* La matière de cet article a constitué l’objet d’une conférence à l’Institut des Études Sud-
Est Européennes (Bucarest), le 27 novembre 1968.
1
Fr. Pall, « Intervenţia lui Iancu de Hunedoara în Ţara Românească şi Moldova în anii
1447-1448 », SRI XVI/5 (1963), p. 1049-1072 ; Şt. Andreescu, « Une information négligée sur la
participation de la Valachie à la bataille de Kossovo (1448) », RÉSEE VI/1 (1968), p. 85-92. À la
riche bibliographie de la question on peut ajouter N. Bălcescu, « Comentarii asupra bătăliei de la
Câmpii Rigăi sau Cosova (17, 18, 19 octombrie 1448) », paru en 1844 (repris dans idem, Opere, I,
Bucarest 1953, p. 45).
MATEI CAZACU
2
Fr. Pall, op. cit., p. 1057 ; on ne connaît pas le lieu de sa mort. Nous ne sommes pas
d’accord avec l’opinion de Pavel Chihaia, « Date noi despre începuturile mănăstirii Govora »,
SCIA, seria Artă Plastică, XIII/2 (1966), p. 252, que Vlad Dracul fut tué à Târgşor, localité où
Vladislav II finit ses jours. Il est plus probable que c’est Vlad Dracul auquel se réfère un
document du 3 avril 1534, qui affirme que « la mort a trouvé le grand voïévode Vlad l’Ancien à
Bălteni » : DIR, B, II, Bucarest 1951, p. 156.
3
Fr. Pall, op. cit., p. 1050.
4
Ibidem, p. 1052-1053.
5
Ibidem, p. 1067-1069, fig. 1 et 2.
6
Comme l’affirme aussi Dlugosz : apud Fr. Pall, op. cit., p. 1056.
7
Documents du 16, 23 et 26 décembre 1447 chez Fr. Pall, loc. cit.
8
Ibidem, p. 1050 et suiv.
9
Ibidem, p. 1053.
348
LA VALACHIE ET LA BATAILLE DE KOSSOVO
10
Ibidem, p. 1060 et n. 6.
11
M. Cazacu, « Rectificări la cronologia domnilor munteni din deceniul 5 al sec. al XV-
lea », SRI 5 (1970) ; Fr. Pall, « Le condizioni e gli echi internazionali della lotta antiottomana del
1442-1443 condotta da Giovanni di Hunedoara », RÉSEE III/3-4 (1965) ; idem, « Iancu de
Hunedoara şi confirmarea privilegiului pentru negoţul braşovenilor şi bârsenilor cu Ţara
Românească în 1443 », AIIAI IX (1966).
12
Hurmuzaki, Documente, XV/1, no LVIII, p. 34. Voir aussi N. Iorga, « Îndreptări şi
întregiri la istoria românilor după acte descoperite în arhivele săseşti. I. Braşovul », AARMSI, IIe
série, XXVIII (1905), p. 110.
13
N. Iorga, loc. cit.
349
MATEI CAZACU
II
14
Fr. Pall, « Intervenţia », p. 1060 et n. 6.
15
DRH, B, I, Bucarest 1966, no B, p. 505 ; P. Ş. Năsturel, « Aperçu critique des rapports de
la Valachie et du Mont Athos des origines au début du XVIIe siècle », RÉSEE II/1-2 (1964), p. 98
et n. 19.
16
Laonic Chalcokondyle, éd. V. Grecu, Bucarest 1958, p. 210.
17
Voir P. Ş. Năsturel, loc. cit.
18
Fr. Pall, « Intervenţia », p. 1060 et n. 6.
350
LA VALACHIE ET LA BATAILLE DE KOSSOVO
19
P. P. Panaitescu, « Legăturile moldo-polone în secolul XV şi problema Chiliei », RSl III
(1958), p. 104.
20
Voir un acte du 12 août de Mediaş, apud I. Minea, « Pierderea Amlaşului şi
Făgăraşului », Convorbiri literare XLVIII (1914), p. 278.
21
P. P. Panaitescu, op. cit., p. 105-106.
22
La cession de Kilia a eu lieu en juin – juillet 1448.
23
I. Bogdan, Documente privitoare la relaţiile Ţării Româneşti cu Braşovul şi cu Ţara
Ungurească în sec. XV şi XVI, I, Bucarest 1905, p. 85-87.
351
MATEI CAZACU
III
24
Şt. Andreescu, op. cit.
25
DRH, B, I, no 229, p. 367-368.
26
N. Iorga, Studii şi documente, III, Bucarest 1901, p. XXIX. La dernière chronologie des
princes de Valachie a éliminé Dan III: voir I. Ionaşcu dans DIR, Introducere, I, Bucarest 1956,
352
LA VALACHIE ET LA BATAILLE DE KOSSOVO
après la bataille. Or, il ressort clairement de cette lettre que le prince ne participa
pas à la lutte. Vu son importance hors pair, nous la reproduirons in-extenso :
« Providi et honesti viri, fratres et amici nobis sincere dilecti. Scire damus vobis quomodo
egregius vir Nicolaus de Vizakona scribit nobis ad eum accedere vellemus, donec magnificus
Johannes, regni Hungarie gubernator, veniret de bello. Hoc ideo facere non possumus, quia feria
tercia proxime preterita frater nayph de Nicopolio pervenit ad nos, certissime dixit, quomodo
Omrath, dominus Turcorum, in tres diebus sine omni intermissione contra ipsum dominum
Iohannem gubernatores pugna(m) habuisset, ultima die inter curros taboritatum incluisset,
pedester solus imperator inter yanicaros descendisset et omnes extra et intra currus taboritarum
percussissent et interfecissent. Si veniremus nunc ad eum, Turci statim nos et vos destruere
possent. Ideo petimus vos sedentes pacifice quatenus habeatis pacienciam, donec videmus
processus ipsius domini Iohannis. Dubium est de vita ipsius ; si autem evaserit de bello liber,
secum conveniemus, bonam pacem faciemus; si autem nunc nobis contrari fueritis si quid tantum
fiet, sint in detrimenta animarum vestrarum et periculum; coram Deo respondeatis. Datum in
Tergovistia, in Vigilia omnium sanctorum, anno Domini etc. XLVIIIo Wlad, parcium
Transalpinarum wayvoda, frater vester in omnibus »27.
Comme on le voit au premier coup d’œil, l’auteur de la lettre n’a pas pris
part à la bataille de Kossovo (17-19 octobre). Il venait d’apprendre des détails
sur la lutte trois jours plus tôt (28 octobre), de la bouche du naïp de Nicopolis,
qu’il appelle « frère » (ou bien s’agit-il du frère de ce dernier ?). D’où vient
donc cette familiarité entre le protégé de Iancu de Hunedoara et l’assistant du
cadi de Nicopolis ? Commentant le document, Nicolae Iorga remarquait avec
raison que « le ton de la lettre est celui d’un autocrate »28.
Son passage le plus curieux est celui qui concerne les relations avec Iancu
de Hunedoara. Le prince parle de la paix qu’il va conclure avec lui, si Iancu s’en
retrouve vivant. De quelle paix pouvait-il être question ? La lettre est munie de
signes de validité concluants et elle est conservée dans l’original ; il ne saurait
donc s’agir d’un faux. L’ayant analysé de plus près, nous avons abouti à la
conclusion que son auteur n’est pas Vladislav II et ne pouvait pas l’être, à la
lumière de ce qui précède. L’auteur, le voïévode Vlad, et non Vladislav, est le
futur prince Vlad l’Empaleur (1456-1462, 1476-1477), qui a donc occupé le
trône pour un court règne inconnu jusqu’ici des historiens. Et voici les preuves
que nous invoquerons :
1) Tout d’abord, la lettre est signée Vlad voïévode. Or Vladislav II signe
toujours de la forme entière de son nom, tandis que ses contemporains
l’appellent Vladislav eux aussi. En revanche, Vlad l’Empaleur signera tous ses
actes Vlad. Jamais, hormis quelques exceptions appartenant aux années 1475-
1476 (quand, d’ailleurs, il n’y avait plus de personnage portant ce nom sur le
27
I. Bogdan, Documente, I, p. 314-315.
28
N. Iorga, Studii şi documente, III, p. XXIX. Nicolas de Vizakona (Ocnele Mari, en
Transylvanie) était le vice-voïévode de Transylvanie. La crainte de Vlad l’Empaleur de ne pas
être chassé par les Turcs est tout à fait explicable ; à peine monté sur le trône à l’aide des Turcs, il
ne pouvait pas risquer un rapprochement des gens de Braşov.
353
MATEI CAZACU
29
I. Bogdan, Documente, I, p. 322-324 ; Hurmuzaki, Documente, XV/1, mais toujours avec
la spécification : « Wladislaus Draculia ».
30
E. Petrovici, « Numele de persoană « Laiotă » în toponimia românească », RSl III (1958),
p. 17-18.
31
Publiée par N. Iorga, « Les aventures “sarrazines” des Français de Bourgogne au XVe
siècle », dans Mélanges d’histoire générale, éd. C. Marinescu, I, Cluj 1927, p. 44-45.
354
LA VALACHIE ET LA BATAILLE DE KOSSOVO
32
C’est, d’ailleurs, l’opinion du prof. Fr. Pall, op. cit.
33
Ibidem, p. 1056 et n. 2.
34
Chalcokondyle décrit avec force détails les péripéties de Iancu après la bataille.
35
N. Iorga, Studii şi documente, III, p. XXIX.
36
Il était vivant le 7 août 1445 : cf. DRH, B, I, p. 173-175. Je me demande si le nom de
Stanciu que Dlugosz prête au prétendant tué ne serait une confusion avec les événements racontés
par Nicolaus Olahus, Hungaria, I, chap. XII, par. III.
37
Enchiennes chroniques d’Engleterre, par Jehan de Wavrin, seigneur du Forestel, choix
de chapitres inédits, annotés et publiés pour la Société de l’histoire de France par m-lle Dupont,
II, Paris 1859 ; republiée par William Hardy, dans les publications de Master of Rolls, « Recueil
des chroniques et anciennes istoiries de la Grant Bretaigne, à présent nommé Engleterre », V,
Londres 1891 ; chez nous N. Iorga, « Cronica lui Wavrin şi românii », BCIR VI (1927), p. 63.
Voir aussi les chroniques turques citées dans la traduction roumaine de Cronici turceşti privind
Ţările române. Extrase, I, éds. M. Guboglu, M. Mehmet, Bucarest 1966.
355
MATEI CAZACU
« L’année suivante [après Kossovo], étant à nouveau parti, il [i.e. le sultan Mourad] fit
construire la forteresse de Ierkökü [Giurgiu]. De là, il fit des incursions en Valachie et y mit
comme bey l’Empaleur, fils de Dracul, il lui donna un étendard et un hilat [cafetan], en lui
accordant toutes sortes de faveurs. Après quoi il l’envoya avec les akindjis qui s’en allèrent
l’installer bey à la place de son père »38 .
Un autre chroniqueur turc, Lütfi pacha, qui vécut au XVIe siècle mais a
utilisé des sources de première main aujourd’hui disparues, parle avec encore
plus de précision de l’installation de Vlad l’Empaleur sur le trône. Après
Kossovo, le sultan Mourad
« cette année-là n’alla plus en expédition ; il fit faire pour la seconde fois la forteresse de
Giurgiu. De là, il donna la permission de faire une incursion en Valachie et il mit comme prince
en Valachie l’Empaleur, fils de Dracul. Et s’en étant retourné, il s’établit à Andrinople l’an 853 de
l’Hégire »39.
38
Cronici turceşti, I, p. 185.
39
Ibidem, p. 243-244.
40
Ibidem, p. 58.
356
LA VALACHIE ET LA BATAILLE DE KOSSOVO
Pour réunir les conclusions de notre enquête, nous croyons avoir élucidé,
en premier lieu, l’énigme que posait le voïévode Dan III, personnage inexistant,
confondu par Chalcokondyle avec le prince de Valachie Vladislav II, fils de
Dan II. Vladislav a participé, à la tête d’une importante armée valaque, à la
bataille de Kossovo, aux côtés de Iancu de Hunedoara. Pendant son absence,
son trône fut occupé, avec l’appui des Turcs, par Vlad l’Empaleur, qui s’y
maintint pendant les mois d’octobre et de novembre 1448. Ce règne de Vlad
était totalement inconnu jusqu’ici. Il s’en est conservée la lettre qu’il adressa
aux gens de Braşov le 31 octobre 1448 ; ce document ne saurait plus, en effet,
être attribué à Vladislav II. Les resultats des recherches du prof. Pall et des
nôtres permettent de préciser comme suit la chronologie des princes de Valachie
en 1447-1448 : Vlad Dracul, 1436-1442, 1443-1447 (après le 23 nov. - avant le
4 déc.) ; Vladislav II, 1447 (après le 4 déc.) - 1448 (fin sept.) ; Vlad l’Empaleur,
1448 (commencement oct. - nov.) ; Vladislav II, 1448 ( nov.) - 1456.
41
Ibidem, p. 185 (les chroniques anonymes Tevarih-i al-i Osman) ; voir aussi Orudj bin
Adil et Lütfi pacha. Un acte de 1449, dans Hurmuzaki, Documente, I/2, p. 760-761.
42
C. C. Giurescu, « Rectificări şi precizări la cronologia domniilor fanariote », RIR X
(1940), p. 379. Des cas de célérité inhabituelle dans le même, Istoria Românilor, III/1, Bucarest
1946, p. 319, 323.
357
LES OTTOMANS SUR LE BAS-DANUBE
AU XVe SIÈCLE. QUELQUES PRÉCISIONS
1
Paru dans Südost-Europa Jahrbuch V (Munich 1961), p. 15-25 (repris dans idem, Aufsätze
und Abhandlungen zur Geschichte Osteuropas und der Levante, III, Munich 1976, p. 86-96).
2
Chestiunea Dunării (Istorie a Europei răsăritene în legătură cu această chestie). Lecţii
ţinute la Şcoala de Războiu, Vălenii de Munte 1913 (Studii şi documente cu privire la istoria
Românilor, XXVI).
3
Voir principalement A. D. Xenopol, « Lupta între Dăneşti şi Drăculeşti », AARMSI, IIe
série, XXX (1907), p. 183-272 ; N. Iorga, Geschichte des osmanischen Reiches nach den Quellen
dargestellt, I, Gotha 1908, p. 389-396 ; Al. A. Vasilescu, « Urmaşii lui Mircea cel Bătrân până la
Vlad Ţepeş, 1418-1456 », RIAF XV (1914), p. 138-158 ; I. Minea, Principatele române şi politica
orientală a împăratului Sigismund, Bucarest 1919, p. 171-202 ; G. Beckmann, Der Kampf Kaiser
Sigismunds gegen die werdende Weltmacht der Osmanen (1392-1437), Gotha 1902.
4
N. Iorga, Geschichte des osmanischen Reiches, II, Gotha 1909, passim ; Fr. Babinger,
Mahomet II le Conquérant et son temps (1432-1481). La grande peur du monde au tournant de
l’histoire, Paris 1954.
5
N. Iorga, Geschichte des osmanischen Reiches, II, passim ; T. Palade, Radu de la Afumaţi,
Bucarest 1939 ; St. A. Fischer-Galaţi, Ottoman Imperialism and German Protestantism 1521-
1555, New York 19722.
MATEI CAZACU
Une charte valaque en date du 2 mai 1639 contient une information restée
longtemps ignorée des historiens : on apprend ainsi que le prince Dan,
évidemment Dan II (1422-1431, avec des interruptions), avait octroyé à son
fidèle Bodin le village de Vlădeşti par une « charte [...] rédigée après la bataille
de Čegov »6 . Le règne – ou plutôt les règnes – de Dan II, allié et vassal du roi de
Hongrie Sigismond de Luxembourg, sont une bonne illustration de
l’acharnement dont fit preuve Mourad II aux débuts de son règne en vue
d’installer sur le trône du Pays roumain du Sud des Carpates un prince fidèle
aux Ottomans. Il s’agit, en l’occurrence, de Radu II dit Praznaglava (« Tête
vide », « le Simple »)7 qui réussit à s’imposer aux dépens de Dan II pendant
l’été de 1423 et de 1424 ; en mai 1426, et, enfin, dans les premiers mois de
14278 .
On connaît dans leurs grandes lignes les affrontements des Hongrois et de
leurs alliés valaques avec les Turcs durant ces années particulièrement confuses.
La bataille de Čegov, elle, n’est enregistrée par aucune autre source en dehors
de la charte de 1639 citée plus haut. La première chose à faire dans ce cas était,
évidemment, une correcte identification de la localité en question. M. Dan
Pleşia, qui découvrit cet acte, pensait à Cegani, village sis dans la plaine du
Danube dans la zone Sud-Est de Valachie, tout en ajoutant : « Mais, tout aussi
bien, la bataille de Čegov pourrait être localisée au Sud du Danube, entre
Golubac et Silistra. Il faudrait donc vérifier si le toponyme Čegov n’a pas par
hasard survécu jusqu’à nos jours dans cet espace géographique »9.
L’historien bucarestois avait bien ressenti la difficulté de placer cette
bataille dans la région orientale de la Valachie, alors que la plupart des
rencontres de Dan II avec les Turcs eurent lieu aux confins de l’Olténie, du
Banat et de la Transylvanie, donc à l’extrémité opposée du pays. D’autre part, le
village de Cegani n’apparaît dans les documents que bien plus tard, au milieu de
XVIe siècle10. Et, en tout état de cause, on ne saurait expliquer la transformation
6
Един xpиcoв Дан<a> вoeвoд(a) пиcан писан бьіʌ по бpан Ѡт Чeгoв. L’acte est
conservé à Bucarest : DANIC, Mitropolia Ţării Româneşti, XCVI/20. Signalé par D. Pleşia – Şt.
Andreescu, « Un épisode inconnu des campagnes du voïévode Dan II prince de Valachie », RRH
XIII (1974), p. 545-557. Le passage en question aux pages 554-555, avec des fautes d’impression.
7
Voir la précision chez K. Jireček, Geschichte der Serben, II/l (1371-1537), Gotha 1918, p.
160, n. 1, contre N. Iorga, Geschichte des osmanischen Reiches, I, p. 390, qui traduisait « le
Chauve ».
8
Voir la chronologie reconstituée par Al. A. Vasilescu, op. cit., p. 138-158.
9
D. Pleşia – Şt. Andreescu, op. cit., p. 556.
10
Dans une charte princière [de 1554, février 28 – 1557, décembre 26], publiée dans DIR,
B, XVI/3 (1551-1570), Bucarest 1952, no 21, p. 19.
360
LES OTTOMANS SUR LE BAS-DANUBE AU XVe SIÈCLE
du nom de Čegov en Cegani que par un artifice auquel s’opposeraient les lois de
la phonétique roumaine11.
Force nous est donc de chercher ailleurs, de préférence dans le Banat ou
dans son proche voisinage, la localité de Čegov. Or, un tel toponyme existe et il
nous semble devoir remplir les conditions permettant son identification avec
l’endroit où batailla Dan II : il s’agit de Ciacova, en hongrois Csákova, en
allemand Tschakowa, forteresse et bourg sis dans le Banat, entre les rivières de
Bârzava et de Timiş, à égale distance de Timişoara et de Vršac (Vârşeţ). Elle
tire son nom de la famille nobiliaire des Csák, auquel on a ajouté l’adjectif
possessif -ovŭ, tout comme ce fut le cas avec Lipova, Teregova, Bucov, Snagov,
etc. Elle apparaît dans les documents dès 1334 sous les formes Chaac, Chaak,
Chak, et Chag12. Nous croyons donc qu’il s’agissait bel et bien de Ciacova,
prononcée à la roumaine Ciagova, Cegova, peut-être aussi par confusion avec le
nom de poisson cega, « petit esturgeon », « sterlet », qui, lui, est bien à l’origine
du toponyme Cegani13.
On sait, d’autre part, que Ciacova fut assiégée par les Turcs en 1416, lors
d’une des deux campagnes ottomanes en Valachie et en Hongrie (Banat et
Transylvanie, notamment)14. Mais à cette date Dan II ne régnait pas encore : le
prince de Valachie était Mircea Ier (1386-1418). Il est difficile de croire que le
futur Dan II ait participé à cette campagne, car, selon l’historien byzantin
Doukas, il se trouvait à Constantinople d’où il allait se rendre dans son pays
pendant le siège que Mourad II mit devant la capitale byzantine (juin à
septembre 1422)15. En effet, la première mention de Dan comme prince de
11
Pour le sens de la désinence -ani, voir les importantes considérations de H. H. Stahl,
Contribuţii la studiul satelor devălmaşe româneşti, III, Procesul de aservire feudală a satelor
devălmaşe, Bucarest 1965, p. 44-54.
12
Voir là-dessus Bártfai Szabó László, A Körösszegi és Adorjáni gróf Csáky család
története. Oklevéltár, Budapest 1919, 1 volume en deux parties (1229-1818) ; D. Csánki,
Magyarország történeti földrajza a hunyadiak korában, II, Budapest 1894 ; ces ouvrages ne nous
ont pas été accessibles ; C. Suciu, Dicţionar istoric al localităţilor din Transilvania, I, A-N,
Bucarest 1967, p. 146 ; T. Trâpcea, « Despre unele cetăţi medievale din Banat », dans Studii de
istorie a Banatului, Timişoara 1969, p. 65-67 ; N. Secară, « Turnul medieval din Ciacova »,
Tibiscus I (1971), p. 157-172.
13
À noter aussi la présence d’un spathaire Cega dans le Conseil princier de Valachie en
1482 : DRH, B, I (1247-1500), éds. P. P. Panaitescu, D. Mioc, Bucarest 1966, no 181, p. 294 ; voir
C. C. Giurescu, Istoria pescuitului şi a pisciculturii în România, I, Din cele mai vechi timpuri
până la instituirea legii pescuitului (1896), Bucarest 1964, s. v.
14
Voir Th. Trâpcea, loc. cit. ; N. Secară, loc. cit., qui ne citent pas de sources mais datent
l’événement de 1417. Pour la date de 1416, voir I. A. Fessler – E. Klein, Geschichte von Ungarn,
II, Leipzig 1869, p. 343-344. La date de 1417 se réfère aux expéditions ottomanes de Valachie.
Voir la chronologie rétablie par P. P. Panaitescu, Mircea cel Bătrân, Bucarest 1944, p. 341-342.
15
Ducas, Istoria turco-bizantină (1341-1462), éd. V. Grecu, Bucarest 1958, XXIX, 7, p.
252-253. L’information de Chalkokondylès, attribuant à Dan II la conduite du corps d’armée
valaque qui soutenait le prétendant ottoman Musa en 1410, armée envoyée par le prince régnant
Mircea, nous paraît sujette à caution, bien qu’acceptée par P. P. Panaitescu, op. cit., p. 314-315.
Voir le passage en question chez Laonici Chalkokandylae, Historiarum demonstrationes, ad fidem
361
MATEI CAZACU
362
LES OTTOMANS SUR LE BAS-DANUBE AU XVe SIÈCLE
nostre celsitudini non modica servicia nobis placibilia studuit exhibere, sicque se ipsum nostre
maiestati adeo gratum reddidit et acceptum, ut in suis serviciis placidissimis animus noster regius
mitissime conquievit », DRH, D, I, no 149, p. 238. Voir aussi un autre diplôme royal en faveur de
Ladislas Forro, un serviteur de Nicolas Csáki, du 10 juillet 1424, où sont mentionnées deux autres
batailles avec les Turcs, l’une en Valachie et l’autre à Haţeg : DRH, D, I, no 140, p. 225.
21
M. Berindei – M. Kalus-Martin – G. Veinstein, « Actes de Murad III sur la région de
Vidin et remarques sur les qanūn ottomans », SOF XXXV (1976), p. 16. N. Iorga avait identifié
« Eristia » à Silistra.
22
N. Iorga, Acte şi fragmente, III, p. 80-81 ; idem, Notes et extraits pour servir à l’histoire
des croisades au XVe siècle, I, Paris 1899, p. 435 et n. 1 ; idem, Geschichte des osmanischen
Reiches, I, p. 391 ; idem, Histoire des Roumains, IV, Les Chevaliers, Bucarest 1936.
23
N. Iorga, Notes et extraits, I, p. 435, n. 1, p. 452, n. 3 ; idem, dans Convorbiri literare
XXXIV (1900), p. 427, et XXXV (1901), p. 383-354 ; idem, « Un prince portugais croisé en
Valachie au XVe siècle », RHSEE III (1926), p. 8-13.
24
I. Minea, op. cit., p. 293 et n. 1 ; N. Iorga, Notes et extraits, II, Paris 1899, p. 252-254 ;
idem, Histoire des Roumains, IV, p. 32-33.
25
J. Gelcich – L. Thallóczy, Diplomatarium, p. 357-358.
26
N. Iorga, Chilia şi Cetatea Albă, p. 85-87.
27
E. Joachim, « König Sigmund und der Deutsche Ritterorden in Ungarn, 1429-1432 »,
MIOG XXXIII (1912) ; I. Minea, op. cit., p. 189 sq.
28
N. Iorga, Chilia şi Cetatea Albă, p. 84-90 ; Ş. Papacostea, « Kilia et la politique orientale
de Sigismond de Luxembourg », RRH XV (1976), p. 421-436, avec la bibliographie allemande
plus récente.
363
MATEI CAZACU
l’information lapidaire que « en l’an 6940 est mort Dan voïévode en combattant
vaillamment les Ismaélites »29. C’était le deuxième prince roumain tombé sur le
champ de bataille contre les Turcs30 .
Ainsi prenait fin un règne agité de presque 10 ans, dont seul le premier
lustre (1422-1427) intéresse notre sujet. Comme nous l’avons déjà dit, nous
pensons que la bataille de Ciacova eut lieu lors de la campagne de 1425-1426,
lorsque le terrain choisi par l’adversaire fut principalement le Banat.
364
LES OTTOMANS SUR LE BAS-DANUBE AU XVe SIÈCLE
flotte ottomane en mer Noire en 1454, qui obligera Caffa et la Moldavie à payer
tribut33.
Un mois après le commencement du blocus de Belgrade, la Valachie
connaissait un nouveau changement de prince : Vladislav II (1447-1456, avec
des interruptions) était remplacé par Vlad Ţepeş (l’Empaleur), plus connu sous
le nom de Dracula 34. Bien que se trouvant en mauvais termes avec Vladislav à
cause des fiefs d’Amlaş et de Făgăraş, Jean Hunyadi, le protecteur de Dracula,
ne semble pas avoir voulu installer son remuant protégé sur le trône du pays.
C’est pourquoi, tandis qu’il cheminait vers Belgrade à la tête de ses troupes,
Hunyadi, après avoir demandé l’aide militaire des Saxons de Transylvanie et
s’être heurté à leurs hésitations, leur fit connaître, le 3 juillet 1456, qu’il les
laissait sous la protection de Vlad – le futur Dracula – pour les défendre dans le
cas d’une manœuvre de diversion turque à travers la Valachie35.
Monté sur le trône de Valachie en août 1456 à la suite d’un coup qu’il tenta
de sa propre initiative – comme il le déclara lui-même36 –, Vlad trouva un pays
divisé et affaibli. La noblesse était partagée entre deux courants politiques : le
parti pro-turc d’un côté, et les adeptes d’une alliance avec la Hongrie et les
puissances chrétiennes d’un autre. Une partie des fidèles de Vladislav II
médiévales : les mines d’or et d’argent », Annales. Civilisations, Economies, Sociétés, 1960, p.
248-258 ; N. Beldiceanu, Les Actes des premiers sultans conservés dans les manuscrits turcs de la
Bibliothèque Nationale à Paris, II, « Règlements miniers 1390-1512 », Paris – La Haye 1964 :
École Pratique des Hautes Etudes, VIe Section (« Documents et recherches sur l’économie des
pays byzantins, islamiques et slaves et leurs relations commerciales au Moyen-Âge », VII).
33
Un rapport de Caffa, en date du 11 septembre 1454, parle de cinquante-six navires
ottomans. Voir A. Vigna, Codice diplomatico delle colonie tauro-ligure, I, Gênes 1868, p. 102-
105 (« Atti délia società ligure di storia patria », VI). Sur les raisons possibles de ce raid, nous
nous permettons de renvoyer à notre article « L’impact ottoman sur les Pays roumains et ses
incidences monétaires (1452-1504) », RRH XII (1973), p. 180-181 ; contra Ş. Papacostea, « La
Moldavie État tributaire de l’Empire ottoman au XVe siècle : le cadre international des rapports
établis en 1455-1456 », RRH XIII (1974), p. 451, n. 18. Notre réplique dans « Du nouveau sur le
rôle international de la Moldavie dans la seconde moitié du XVe siècle », RÉR XVI (1981), p. 27-
29. En mars 1454, le commandant de la forteresse de Cetatea-Albă mettait une inscription
consignant la réparation d’une muraille et son armement avec des canons : voir le texte chez I.
Bogdan, « Inscripţiile de la Cetatea Albă şi stăpânirea Moldovei asupra ei », AARMSI, IIe série,
XXX (1908), p. 327.
34
Voir là-dessus R. Florescu – R. T. McNally, Dracula. A Biography of Vlad the Impaleur
1431—1476, New York 1973 ; N. Stoicescu, Vlad Ţepeş, Bucarest 1976 (il existe aussi une
édition anglaise) ; le livre de Şt. Andreescu, Vlad Ţepeş (Dracula). Între legendă şi adevăr istoric,
Bucarest 1976, est inégal, en dépit de sa valeur indiscutable.
35
Voir G. Gündisch, Urkundenbuch zur Geschichte der Deutschen in Siebenbürgen, V,
1438-1457, Bucarest 1975, no 3029, p. 536-537 ; voir aussi les nos 3026 et 3027, p. 535-536.
36
« [...] adiuvante Deo, regno nostro sine adiutorio alterius obtento ... » (lettre du 14 mars
1457, adressée aux bourgeois de Sibiu, chez G. Gündisch, Urkundenbuch, V, no 3070, p. 566-
567). C’est aussi l’avis de Pie II : « Fugit gubernatoris [Jean Hunyadi] manus alter Dragulae filius
nomine Joannes, qui paulo post exercitu comparato, interfecto Ladislao, paternae hereditatis
magnam partem vendicavit » (Commentarii rerum memorabilium que temporibus suis
contigerunt, Francfort 1614, p. 296).
365
MATEI CAZACU
37
Archives d’État de Braşov, Schnell, II, 14 ; chez G. Gündisch, Urkundenbuch, V, no
3038, p. 540-541. Une convention semblable a été conclue avec la ville de Sibiu, cf. G. Gündisch,
Urkundenbuch, V, no 3070, p. 566-567.
38
O. Iliescu, « Vlad l’Empaleur et le droit monétaire », RRH XVIII (1979), p. 107-131.
39
La discussion des sources chez M. Guboglu, « Le Tribut payé par les Principautés
roumaines à la Porte jusqu’au début du XVIe siècle, d’après les sources turques », RÉI I (1969), p.
62-63.
40
R. Manolescu, Comerţul Ţării Româneşti şi Moldovei cu Braşovul (secolele XIV – XVI),
Bucarest 1965 ; D. C. Giurescu, « Relaţiile economice ale Ţării Româneşti cu ţările peninsulei
balcanice din secolul al XIV-lea pînă la mijlocul secolului al XVI-lea », Rsl XI (1965), p. 167-
201 ; voir aussi M. Cazacu, « L’impact ottoman », p. 188 et suiv.
366
LES OTTOMANS SUR LE BAS-DANUBE AU XVe SIÈCLE
41
G. Gündisch, « Siebenbürgen in der Türkenabwehr, 1395-1526 », RRH XIII (1974), p.
431-432.
42
I. A. Fessler – E. Klein, Geschichte von Ungarn, III, Leipzig 1874, p. 7-10 ; W. Fraknói,
Matthias Corvinus, König von Ungarn. 1458-1490, Fribourg-in-Brisgau 1891.
43
Voir plus spécialement R. Eysser, « Papst Pius II. und der Kreuzzug gegen die Türken »,
dans Mélanges d’histoire générale, II, éd. C. Marinescu, Bucarest 1938, p. 1-133 ; G. Valentini,
« La crociata di Pio II dalla documentazione veneta d’archivio », AHP XIII (1975), p. 249-282 ;
K. M. Setton, The Papacy and the Levant (1204-1571), II, The Fifteenth Century, Philadelphia
1978, p. 196-270 (« Memoirs of the American Philosophical Society », II).
367
MATEI CAZACU
44
Voir C. Jireček, Staat und Gesellschaft im mittelalterlichen Serbien. Studien zur
Kulturgeschichte des 13.-15. Jahrhunderts, Vienne 1919 : Akademie der Wissenschaften in Wien
(« Philosophisch-historische Klasse, Denkschriften, 64. Band, 2. Abhandlung »), p. 35-36 ;
réimpression Leipzig 1974. Pour les parentés de Mahmoud pacha, nous nous permettons de
renvoyer à notre article « Les parentés byzantino-ottomanes de l’historien Laonikos
Chalkokondylès (c. 1423-c. 1470) », Turcica XIV (1982).
45
C. Jireček, Geschichte der Serben, II/l, p. 211-212 ; F. Babinger, Mahomet II, p. 188.
46
La reconstitution de la campagne chez C. Jireček, op. cit., p. 212-213.
47
N. Iorga, Geschichte des osmanischen Reiches, II, p. 107.
48
Cf. Fr. Babinger, Mahomet II, p. 190 : « II faudrait encore savoir à quelle date Mahmoud
pacha reprit le chemin de l’Est et pour quelle raison il s’abstint de prendre Sémendria ou dut y
renoncer ; ces points ne sont pas encore éclaircis ».
49
Biblioteca Nazionale Marciana di Venezia, It. VI. 277 (5806), ms. du XVe – XVIe siècles.
La chronique se trouve entre les ff. 128-154. Le récit va jusqu’en 1492. Voir Inventari dei
manoscritti delle biblioteche d’Italia, LXXVII, Venezia – Marciana. Mss. italiani - Classe VI, éd.
P. Zorzanello, Florence 1950, p. 101-103.
368
LES OTTOMANS SUR LE BAS-DANUBE AU XVe SIÈCLE
50
N. Iorga, Acte şi fragmente, III, p. 12-13. Plus récemment, Șt. Andreescu, Vlad Ţepeş
(Dracula), p. 91-93, met en doute la date des événements et les déplace en 1462. Outre le fait que
l’auteur du texte affirme avoir été présent à Istanbul en 1458, la valeur de son témoignage est
confirmée par tout ce que nous savons sur la présence de Mahmoud pacha sur le Danube lors de la
campagne de Grèce du sultan, et principalement par Laonici Chalkokandylae, Historiarum
demonstrationes, II/2, E. Darkó, Budapest 1927, p. 202 et 218, qui minimise l’importance de la
défaite ottomane.
51
Voir un privilège de juillet 1458 à Braşov : Archives d’État de Braşov, « Privilegii », no
170.
52
Archives d’État de Sibiu, U. III/170.
53
Voir un acte du 20 août 1458, par lequel Mathias Corvin, rappelant « […] universae
injuriae, dampna et nocumenta […] » souffertes par les Saxons, décide que personne ne pourra
plus leur causer des préjudices. : Arhivele Statului din Sibiu, U. II/188. Voir aussi les deux lettres
à contenu identique émises toujours le 20 août : Archives d’État de Sibiu, U. II/189 et 190.
369
MATEI CAZACU
54
Ulcéré par cette disgrâce, Szilágyi chercha un rapprochement avec les magnats hostiles
au roi et conclut même un pacte de défense mutuelle à vie avec Nicolas Ujláki, voïévode de
Transylvanie, et avec Ladislas Gárai, pacte dirigé contre n’importe quel ennemi, par conséquent,
contre le roi aussi. L’acte, en date du 26 juillet 1458, chez J. Teleki, A Hunyadiak korá
magyarországon, X, Pest 1853, p. 592.
55
Archives d’État de Braşov, « Privilegii », no 152 ; G. Gündisch, « Cu privire la relaţiile
lui Vlad Ţepeş cu Transilvania în anii 1456-1458 », SRI XVI (1963), p. 692.
56
N. Iorga, Geschichte des osmanischen Reiches, II, p. 107, affirme qu’il s’agissait de
Kossovo.
57
C. Jireček, Die Heerstraße von Belgrad nach Constantinopel und die Balkanpässe. Eine
historisch-geographische Studie, Prague 1877, p. 122-128. Réimpression, Amsterdam 1967.
58
Fr. Babinger, Mahomet II, p. 196-197 : « Le 23 octobre 1458, comme nous l’avons dit, le
sultan séjournait à Uskub, ville qu’il ne faut pas confondre avec la cité de Macédoine (Skoplié),
mais qu’il convient sans doute d’identifier avec la localité homonyme dans les monts du Strandja
dagh (à l’est de Kirk-Kilissé, actuellement Kirklaréli). Ce fait résulte clairement d’une missive
rédigée à cette date et adressée à Raguse pour accuser réception de l’annuité de 1.500 ducats.
L’automne, Mehmed II aimait de préférence jouir de l’air pur des altitudes balkaniques [...] ». Il
s’agit ici d’une étrange confusion, car l’acte dont il est question est daté précisément « à Skopje »
(u Skopiju) et non pas à Uskub, comme le croyait Babinger. Voir l’édition qu’en a donnée C.
Truhelka, « Tursko-slovjenski spomenici dubrovačke arhive », dans Glasnik zemaljskog muzeja u
Bosni i Hercegovini, 1911, no 11, p. 15. Voir aussi Chalkokondylès, op. cit., II/2, éd. Darkó, p.
218.
59
Critobul din Imbros, Din domnia lui Mahomed al II-lea. Anii 1451-1467, III, éd. V.
Grecu, Bucarest 1963, 24, 4, p. 265.
370
LES OTTOMANS SUR LE BAS-DANUBE AU XVe SIÈCLE
contre le roi de Hongrie60. Comme on espérait, à juste titre, qu’à la suite de cette
victoire le jeune roi allait poursuivre les opérations militaires en Serbie, la
neutralisation du meilleur capitaine du royaume et ardent partisan de la croisade
anti-ottomane sonna le glas de cette entreprise ; l’armée hongroise fit demi-tour,
sans même tenter de récupérer les places occupées par les Turcs. Ces derniers
n’eurent aucun mal, en juin 1459, à s’emparer de Smédérevo et de mettre fin, de
la sorte, à l’État serbe61.
La décision, apparemment injustifiée, de Mathias Corvin, de renoncer à
cueillir les fruits de son succès en Serbie, s’explique lorsqu’on se souvient que
le roi avait d’autres priorités en vue. La première était de récupérer la sainte
couronne de Hongrie qui se trouvait entre les mains de l’empereur Frédéric III
depuis la mort du précédent roi, Ladislas le Posthume. Car, sans couronne et,
par conséquent, sans couronnement, la légitimité du nouveau roi pouvait être
aisément réfutée et son autorité contestée62 . Mathias fit preuve dans cette affaire
d’une remarquable ténacité, qui lui valut de retrouver la couronne tant convoitée
en juillet 1463 63. Mais la poursuite de cet objectif coûta cher à la Hongrie, non
seulement en argent, mais également en prestige politique et militaire. Tour à
tour, la Serbie en 1459, la Valachie en 1462 et la Bosnie en 1463 eurent à subir
des campagnes ottomanes sans que les Hongrois puissent intervenir
efficacement. La Valachie seule échappa à la transformation en province
ottomane grâce, en bonne partie, à la témérité de son prince, Vlad Ţepeş, mais
aussi à sa situation géopolitique différente64.
En fin de compte, le succès chrétien de 1458 resta sans suites et Mahomet
II ne tarda pas à prouver aux contemporains son admirable sens politique et son
esprit de continuité dans la réalisation des buts poursuivis.
60
C. Jireček, Geschichte der Serben, II/1, p. 213.
61
Le roi Casimir de Pologne accusait, en cette même année 1458, Mathias Corvin d’avoir
fait un armistice avec les Turcs. Voir Mátyás Király korábol, 1458-1490, I, éds. I. Nagy, A.
Nyáry, Budapest 1875, p. 42. (« Monumenta Hungariae Historica, Acta extera », IV).
62
Voir là-dessus l’important ouvrage de K. Nehring, Mathias Corvinus, Kaiser Friedrich
III. und das Reich. Zum hunyadisch-habsburgischen Gegensatz im Donauraum, Munich 1975
(« Südosteuropäische Arbeiten », 72).
63
Voir le traité entre Mathias Corvin et Frédéric III chez K. Nehring, op. cit., p. 202-217.
Pour la discussion de tout le contexte, nous nous permettons de renvoyer à notre thèse de doctorat,
Le Thème de Dracula (XVe – XVIIIe siècles). Présentation, édition critique, traduction et
commentaire, Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) 1979.
64
À ce sujet, voir P. P. Panaitescu, « De ce n-au cucerit turcii Ţările române », RFR XI/5
(1944), p. 293-304 (repris dans idem, Interpretări româneşti. Studii de istorie economică şi
socială, Bucarest 1947).
371
L’IMPACT OTTOMAN SUR LES PAYS ROUMAINS
ET SES INCIDENCES MONÉTAIRES (1452-1504)
1
Dans Annales d’Histoire économique et sociale V (1933), p. 1.
2
V. I. Lenin, « Încă o dată despre sindicate, despre momentul actual şi despre greşelile tovarăşilor
Troţki şi Buharin », dans idem, Opere complete, XLII, Bucarest 19662 : Éd. Politiques, p. 290.
3
Bibliographie essentielle : St. Meteş, Relaţiile comerciale ale Ţării Româneşti cu Ardealul până în
veacul al XVIII-lea, Sighişoara 1921 ; N. Iorga, Istoria comerţului românesc, I, Bucarest 19252 ; P.
P. Panaitescu, « Relaţiile Ţării Româneşti şi ale Moldovei cu Raguza (secolele XV – XVIII) »,
SRI II (1949) ; D. C. Giurescu, « Relaţiile economice ale Ţării Româneşti cu ţările Peninsulei
Balcanice din secolul al XIV-lea până la mijlocul secolului al XVI-lea », RSl XI (1965), p. 67-
121 ; R. Manolescu, Comerţul Ţării Româneşti şi Moldovei cu Braşovul (secolele XIV – XVI),
Bucarest 1965. Pour les généralités : W. Heyd, Geschichte des Levantehandels im Mittelalter, I-II,
Leipzig 1885 ; N. Iorga, Points de vue sur l’histoire du commerce de l’Orient au Moyen Âge,
Conférences données à la Sorbonne, Paris 1924 ; G. I. Brătianu, La mer Noire. Des origines à la
conquête ottomane, Munich 1969.
4
N. Docan, « Studii privitoare la numismatica Ţării Româneşti, I. Bibliografie şi docu-
mente », AARMSI, IIe série, XXXII (1909-1910), p. 450-567 ; O. Iliescu, « Cu privire la problema
realizării unui “corpus” al monedelor feudale româneşti », SMIM I (1956), p. 285-323 ; idem,
MATEI CAZACU
ou presque que les groschen serbes et bulgares et les ducats byzantins, eux-
mêmes des imitations des groschen ou matapans vénitiens, frappés à partir de
12045 . Pour ce qui est des deniers et des bani ils étaient alignés sur les deniers et
respectivement sur les oboles hongrois du XIVe siècle6. Cette double orientation
cède la place, à partir de 1383-1386, à une politique monétaire à sens unique.
On ne frappe plus que des deniers qui prennent le nom de ducats (valaques) et
de bani dont le poids et le titre d’argent fin baissent progressivement, processus
parallèle à la dévalorisation de la monnaie hongroise sous les règnes de
Sigismond de Luxembourg (1387-1437), Albert de Habsbourg (1437-1439),
Vladislas Ier (1440-1444) et la régence de Jean Hunyadi (1446-1452)7. On
constate ainsi jusqu’en 1452, un alignement évident de la monnaie valaque sur
la monnaie hongroise, alignement qui n’a pas encore fait l’objet d’études
détaillées, faute d’instruments de travail adéquats, et en premier lieu de
catalogues systématiques comprenant le poids et le titre de toutes les émissions.
La Moldavie a frappé, à partir probablement de 1377, des groschen
(diamètre 18-20 mm, poids moyen 0,96 g), et, semble-t-il, des polgroschen
(demi-groschen), au diamètre de 14 à 16 mm, au poids de 0,30 à 0,60 g,
moyenne 0,40 g, monnaies alignées sur le système monétaire de Liov-Galicie,
englobée au Royaume de Pologne en 1386. Les voïévodes moldaves ont
également procédé à la dévaluation systématique de leur monnaie à l’exemple
de la Pologne, jusqu’à l’époque du troisième règne de Petru Aron (1455-1457)8.
La politique monétaire de la Valachie et de la Moldavie semble très naturelle si
« Emisiuni monetare ale Ţării Româneşti din secolele al XIV-lea şi al XV-lea », SCN II (1958), p.
303-342 ; idem, chap. III, par. 3 du vol. Costin G. Kiriţescu, Sistemul bănesc al leului şi
precursorii lui, I, Bucarest 1964, p. 83-84 et le tableau p. 367 ; idem, Moneda în România, 491-
1864, Bucarest 1970, p. 13 et suiv.
5
N. Papadopoli, Le monete di Venezia, I, Venise 1893. Pour les Serbes, voir S. Ljubić, Opis
jugoslavenskih novaca, Zagreb 1875, et plus récent, mais incomplet, R. Marié, Studije iz srpske
numismatike, Belgrad 1956. Pour les Bulgares, S. Lişev, Za pronikvaneto i roteata ria parite văv
feodalna Bălgariia, Sofia 1958. Pour le ducat byzantin, V. Laurent, « Le basilicon. Nouveau nom
de monnaie sous Andronic II Paléologue », BZ XLV (1952), p. 50-58. Voir aussi le tableau de
l’annexe II, p. 364 dans C. Kiriţescu, op. cit., et p. 83-84.
6
Voir Stephan Schoenvisner, Notitia Hungaricae rei nummariae ab origine ad praesens
tempus, Buda 1801 ; idem, Catalogus nummorum Hungaricae ac Transilvaniae Instituti
Nationalis Széchényiani, I, Pest 1807 ; L. Réthy – G. Probszt, Corpus nummorum Hungariae,
Graz 1958 ; E. Unger, Magyar éremhatdrozo. Közepkor, II, Budapest 1960 ; O. Iliescu dans C.
Kiriţescu, op. cit., annexe II b, p. 364-365.
7
Voir le tableau dressé par O. Iliescu et C. Kiriţescu, op. cit., p. 367-369. Pour les monnaies
hongroises des XIVe – XVe siècles, qui n’ont pas bénéficié d’une description détaillée jusqu’ici
(contenant le poids et le titre), ce sont toujours les ouvrages de Schoenvisner et les datations
d’Unger qui demeurent essentielles, lequel n’utilise toutefois pas toutes les données
documentaires connues.
8
E. Fischer, « Beitrag zur Münzkunde des Fürstentums Moldau », Jahrbuch des Bukowiner
Landes-Museum IX (1901), p. 3-83 ; I. Tabrea, « Influenţe externe asupra primelor monete
moldoveneşti », Cronica numismatică şi arheologică XVIII (1944), p, 263-277 ; O. Iliescu dans
C. Kiriţescu, op. cit., p. 84-85, et les tableaux des pages 365 et 369-371 ; M. Gumowski,
Handbuch der polnischen Numismatik, Graz 1960, p. 27-29 et les annexes.
374
L’IMPACT OTTOMAN SUR LES PAYS ROUMAINS
9
La ville de Braşov reçoit, en 1369, le droit d’étape et de dépôt pour les marchandises
apportées par les marchands allemands et polonais et, en 1395, pour toutes les marchandises à
destination de la Valachie : Zimmermann – Werner – Müller, Urkundenbuch zur Geschichte der
Deutschen in Siebenbürgen, II, Sibiu 1897, p. 212-213 et 336 ; cf. R. Manoleseu, op. cit., p. 24 et
suiv.
10
Pour le commerce de la Moldavie, en dehors des ouvrages cités à la note 3, supra, voir I.
Nistor, Die auswärtigen Handelsbeziehungen der Moldau im XIV., XV. und XVI. Jahrhundert
Nach Quellen dargestellt, Gotha 1911; idem, Handel und Wandel in der Moldau bis zum Ende des
16. Jahrhunderts, nach den Quellen dargestellt, Cernăuţi 1912 ; Lucje Charewiczowa, « Handel
Lwowa z Moldawja i Multanami w wiekach srednich », Kwartalnik Historyczny XXXVIII
(1924), facs. 1-2, p. 37-67 ; idem, Handel sredniowiecznego Lwowa, Lvov 1925. La ville de Lvov
reçoit le droit d’étape et de dépôt en 1380 : voir I. Nistor, op. cit., p. 3.
11
Voir d’utiles considérations économiques et géopolitiques chez I. Nistor, op. cit. ; P. P.
Panaitescu, « De ce au fost Ţara Românească şi Moldova ţări separate ? », RFR (1938), no 6, juin
(repris dans idem, Interpretări româneşti, Bucarest 1947, p. 131-148) ; idem, « La route
commerciale de Pologne à la mer Noire au Moyen Âge », RIR III (1933), p. 172-193.
375
MATEI CAZACU
12
Bibliographie essentielle utilisée : E. Babelon, « La théorie féodale de la monnaie »,
extrait des Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, XXXVIII/1, Paris 1908 ; A.
Luschin von Ebengreuth, Allgemeine Münzkunde und Geldgeschichte des Mittelalters und der
neueren Zeit, Munich – Berlin 1926 ; A. Despaux, Les dévaluations monétaires dans l’histoire,
Paris 1936 ; M. Bloch, Esquisse d’une histoire monétaire de l’Europe, Paris 1954 (« Cahiers des
Annales », 9).
13
M. Bloch, op. cit., p. 63. Les dévaluations monétaires des XIVe – XVe siècles sont en
réalité tout autant d’impôts indirects. Voir B. Guénée, L’Occident aux XIVe et XVe siècles. Les
états, Paris 1971 (« Nouvelle Clio », 22), p. 164-168.
14
M. Bloch, op. cit., p. 67. Exemples utiles chez W. Stanley Jeavons, La monnaie et le
mécanisme de l’échange, Paris 18813, p. 65-66, qui parle de « la tyrannie de l’habitude », qui
pousse les hommes à accepter des pièces connues mais dévalorisées et à refuser parfois des pièces
à contenu métallique élevé, mais inconnues.
15
La définition chez M. Bloch, op. cit., p. 62 ; W. Stanley Jevons, op. cit., p. 68-69.
376
L’IMPACT OTTOMAN SUR LES PAYS ROUMAINS
16
On constate une situation semblable à bien des égards dans le cas de la Flandre mé-
diévale, dont une partie se trouvait sous la domination de l’Empire Germanique, et une autre
entrait dans la sphère d’influence de la France. Philippe le Bel (1285-1314) tenta d’imposer à la
Flandre les dévaluations de la monnaie française. Le comte Louis de Male (1346-1384) manifesta,
au début de la Guerre de Cent Ans, son indépendance politique envers la France par l’adoption
d’un système monétaire différent du système français : voir H. v. Werveke, « The Low
Countries », The Cambridge Economic History of Europe III (1963), p. 356-358. Son successeur,
Philippe le Hardi, conclut, en 1384, une union monétaire avec la duchesse Jeanne de Brabant,
pour donner à leurs sujets une monnaie uniforme, ayant le même cours dans les deux pays. Mais
le comte de Flandre dévalue secrètement sa monnaie et draine les monnaies voisines en Flandre.
La duchesse tente la même chose, mais se voit forcée d’y renoncer à la suite des menaces de son
puissant voisin. Cette dépendance monétaire fut le prélude de l’annexion du Brabant à la Flandre :
H. Laurent, La loi de Gresham au Moyen Âge. Essai sur la circulation monétaire entre la Flandre
et le Brabant à la fin du XIVe siècle, Bruxelles 1933.
17
M. Bloch, op. cit., p. 68-69.
18
A. Despaux, op. cit., p. 52 et suiv.
377
MATEI CAZACU
paya aux mercenaires la somme de 32.000 florins et, en 1444, presque le double
– 63.000 florins19. Ce qui est presque certain, c’est le fait que le vaillant croisé
payait la solde de ses mercenaires en deniers d’argent, le florin représentant la
monnaie de compte. Dans ces conditions, par la dévaluation secrète de la
monnaie d’argent, le paiement d’une somme fixée en monnaie d’or, stable, dans
la nouvelle monnaie, d’argent dévaluée, procurait des avantages appréciables au
débiteur. À la suite de cette politique, la monnaie d’argent hongroise – le denier
et l’obole – fut dévalorisée à l’extrême, arrivant à être une monnaie « noire »,
donc de cuivre, couverte d’une mince couche d’argent. Cette monnaie étant
imposée dans les échanges avec les Pays Roumains, ceux-ci subissaient des
pertes importantes, conformément à la Loi de Gresham. Il nous faut relever le
fait que l’obligation pour les Roumains d’accepter la monnaie dévaluée
hongroise ou polonaise était une des conséquences de la domination politique
(partant économique) exercée par les deux royaumes Centre- et Est-Européens
dans l’espace carpato-danubien aux XIVe – XVe siècles. Le processus
continuera dans les siècles suivants (XVIe – XIXe) par le remplacement des
deux Royaumes par l’Empire ottoman, en tant que puissance suzeraine de la
Valachie et de la Moldavie. Le phénomène n’est ni nouveau ni unique, car il
caractérise les rapports de domination politique d’un État par un autre, depuis
l’Antiquité jusqu’à nos jours.
Quelle fut la réaction des voïévodes valaques et moldaves en présence des
dévaluations successives des monnaies hongroise et polonaise ? Outre la
dévaluation de leur propre monnaie, ils commencèrent dès la première décennie
du XVe siècle à prendre des mesures restrictives concernant l’exportation des
métaux précieux et plus tard des monnaies mêmes, mesures qui tendaient en
dernière analyse à la protection croissante des marchands roumains et des
marchandises roumaines contre la concurrence étrangère, donc une politique de
« nationalisme économique » ou de mercantilisme commerçant19bis. La politique
protectionniste des voïévodes roumains a eu lieu au cours du XVe siècle en deux
étapes : a) dans la première, les voïévodes ont eu soin de se munir d’une réserve
métallique nécessaire aux émissions monétaires propres, par la prohibition
totale ou partielle de l’exportation de l’or, de l’argent et du cuivre20. Mais
19
L. Elekes, « Armiia Guniadi », Acta Historica Academiae Scientiarum Hungaricae I/1
(1951) ; M. Dan, « Armata şi arta militară a lui Iancu de Hunedoara (pe baza cronicilor
contemporane) », SCI VIII (1957), p. 73.
19bis
Cf. Guénée, op. cit., p. 223 ; I. Nistor, op. cit. ; B. Cîmpina, Dezvoltarea economiei
feudale şi începuturile luptei pentru centralizarea statului în a doua jumătate a secolului al XV-
lea în Moldova şi Ţara Românească, Bucarest 1950 ; idem, « Despre rolul genovezilor la gurile
Dunării în secolele XIII – XV », SRI VI/1 (1953), p. 191-236, ibidem VI/3 (1953), p. 79-119.
Nous n’avons pas pu étudier l’article d’A. Girard, « Un phénomène économique : la guerre
monétaire (XIVe – XVe siècles) », Annales d’Histoire Sociale (1940), p. 207-218.
20
En 1409, Mircea l’Ancien interdisait aux marchands de Lvov de sortir l’argent du pays :
voir le privilège chez P. P. Panaitescu, Mircea cel Bătrân, p. 353. En 1431, Dan II permettait le
commerce de l’or et de l’argent : I. Bogdan, Documente privitoare la relaţiile Ţării Româneşti cu
378
L’IMPACT OTTOMAN SUR LES PAYS ROUMAINS
l’efficacité de cette mesure était sensiblement limitée par le fait que les
marchands saxons ou ceux de Lvov, forts des privilèges obtenus des voïévodes
roumains, circulaient sans entraves en Valachie et respectivement en Moldavie,
et déployaient librement leur activité commerciale, en introduisant des mon-
naies dévaluées et en faisant sortir les monnaies de valeur supérieure. Les
marchands étrangers pouvaient également employer la bonne monnaie
autochtone à l’achat d’autres marchandises qu’ils revendaient dans leurs villes
d’origine à des prix supérieurs, obtenant de cette manière des gains
considérables. Le même résultat était produit par les droits de dépôt et d’étape
des villes de Braşov, et de Sibiu, respectivement de Lvov, où les marchands
roumains étaient forcés de vendre leurs marchandises aux prix établis par les
autorités locales et d’accepter la monnaie hongroise ou polonaise, au cours fixé
par celles-ci, lesquelles pouvaient également imposer à la monnaie valaque ou
moldave des cours défavorables. À cela s’ajoutaient les chicanes et les
contraintes de toutes sortes auxquelles étaient en butte les marchands des Pays
Roumains, abus dont la correspondance des voïévodes roumains avec les
susdites villes abonde et qui, fait digne d’intérêt, se multiplient à mesure que
s’intensifiait la protection accordée à ces marchands par les voïévodes de
Moldavie et de Valachie. La raison de ces abus était d’ordre politique, les
Saxons et les marchands de Lvov étant soutenus par leurs souverains, qui
imposaient leur point de vue aux voïévodes roumains. Ce ne furent que
l’affaiblissement de la suzeraineté hongroise sur la Valachie (auquel il faut
ajouter la situation trouble des années 1457-1464 et les conflits entre Mathias
Corvin et les Saxons), celui de la suzeraineté polonaise sur la Moldavie (la
guerre de 13 ans, de 1454-1466, avec les Chevaliers Teutoniques laquelle
retenait la plus grande partie des forces du royaume voisin loin de Moldavie) et
l’offensive sur tous les fronts de l’Empire ottoman sous Mehmet II le
Conquérant, qui permirent aux voïévodes roumains – le premier étant Vlad
l’Empaleur – de passer à une seconde étape de leur politique mercantiliste, à
savoir : b) l’octroi du droit de dépôt et d’étape (Stapelrecht) à des villes
valaques – Tîrgovişte, Târgşor, Câmpulung et Buzău, semble-t-il –, les
Braşovul şi cu Ţara Ungurească în sec. XV şi XVI, Bucureşti 1905, p. 38-39. Vlad Dracul, en exil
à Sighişoara, où il dirigeait l’atelier monétaire, se plaignait aux marchands de Braşov de ce qu’ils
vendaient du cuivre en Valachie, dans les années 1433-1436 : ibidem, p. 57-58, 67, 75-76. Pour la
Moldavie, les informations sont plus nombreuses et plus claires ; le privilège du 6 octobre 1408
octroyé aux marchands de Lvov par Alexandre le Bon contient la clause suivante : « Et les
marchands de Lvov apporteront eux-mêmes de Hongrie de l’argent brûlé (= purifié) et de cet
argent nous achéterons pour nous-mêmes autant qu’il nous en faudra, et l’argent qui leur restera,
ils seront libres d’en disposer » (M. Costăchescu, Documentele moldoveneşti înainte de Ştefan cel
Mare, II, Jassy 1932, p. 633-636). À la sortie du pays « que les chariots ne soient pas contrôlés et
que le marchand donne sa parole qu’il ne possède pas de marchandise interdite dans son chariot,
des martres, de l’argent, de la cire et de bons chevaux du pays : ibidem. La clause est répétée dans
les privilèges accordés aux marchands de Lvov par Étienne II le 18 mars 1434 (ibidem, p. 669,
673), par Petru Aron, le 29 juin 1456 (ibidem, p. 788-795) et par Étienne le Grand, le 13 juillet
1460 (I. Bogdan, Documentele lui Ştefan cel Mare, II, Bucarest 1913, p. 271-282).
379
MATEI CAZACU
21
L’analyse la plus complète de la politique commerciale des voïévodes valaques à l’égard
des marchands de Braşov (et par suite de tous les marchands saxons) se trouve chez R.
Manolescu, op. cit., pour les XVe – XVIe siècles, p. 53 et suiv. Dans le tableau annexé à la fin,
l’auteur présente des chiffres suggestifs pour cet état de choses : en 1503 les Valaques
participaient avec 51,1% du total du commerce de Braşov (importations, exportations, transit),
tandis que les Transylvains y participaient avec 41,3% et les Moldaves avec 7,6% ; en 1542, les
Valaques atteignent 75,8% et en 1544, année de pointe, 98,9%, tandis que la proportion des
Transylvains, donc y compris les marchands de Braşov eux-mêmes, baisse à 22,2% en 1542 et à
0,9 en 1544. Pour Sibiu, voir idem, « Relaţiile comerciale ale Ţării Româneşti cu Sibiul la
începutul veacului al XVI-lea », Analele Universităţii C. I. Parhon. Seria Ştiinţe sociale (Istorie)
5 (1956), p. 207-260, où se trouve analysé le registre douanier de 1500. Pour la Moldavie, voir B.
Cîmpina, « Cercetări cu privire la baza socială a puterii lui Ştefan cel Mare », extrait de Studii cu
privire la Ştefan cel Mare, Bucarest 1956, p. 37-66 ; idem, Despre rolul genovezilor ; voir aussi
l’étude bien documentée d’Al. Gonţa, « Unele aspecte ale politicii interne ale lui Ştefan cel
Mare », SRI X/4 (1957), p. 91-103.
22
Nous ne nous occuperons pas non plus des mesures monétaires de Dan II, pour lesquelles
voir O. Iliescu, dans G. Kiriţescu, op. cit., p. 94.
380
L’IMPACT OTTOMAN SUR LES PAYS ROUMAINS
1437, dont n’a été conservée que de la monnaie de billon de 0,30 g23. Les
émissions parallèles des ateliers royaux de Braşov, Sibiu et Sighişoara, pour ne
mentionner que les ateliers les plus proches de la frontière de la Valachie, furent
pour le prince valaque la source de graves conflits. Nous en avons connaissance
par un acte du 16 octobre 1441 de Nicolas Ujláky et de Jean Hunyadi,
voïévodes de Transylvanie24, lesquels servirent d’intermédiaires à un accord
entre la municipalité de Braşov et le prince valaque, que ce dernier rendit public
le 3 juillet 144225.
Le document reflète fidèlement les préoccupations d’ordre monétaire du
voïévode valaque. Les marchands de Braşov apportaient et laissaient dans le
pays des deniers hongrois dévalués, en échange desquels ils emportaient chez
eux les marchandises achetées ou les florins d’or qu’ils changeaient au cours
probable d’un denier hongrois contre un ducat valaque. Ils réalisaient ainsi un
important bénéfice monétaire, les marchandises ou florins introduits au royaume
valant ici plus de deniers hongrois qu’en Valachie et cela en dépit de la balance
des prix, qui diminuait la différence. Il en résultait un flux d’or et de bonne
monnaie vers la Hongrie et l’introduction en Valachie de pièces presque
complètement dénuées de valeur intrinsèque (métallique), mais qui bénéficiaient
du fait qu’elles étaient connues par la population et par suite acceptées par celle-
ci26. Ces pièces n’étant reçues que dans leur ville d’émission et les environs, les
marchands transylvains, de même que les marchands valaques, ne pouvaient
s’en servir dans leur commerce du Sud du Danube, où circulait l’aspre turc, au
titre élevé, et où l’état de guerre existant entre la Hongrie et l’Empire ottoman
excluait la circulation des monnaies hongroises27. L’accord entre Vlad Dracul et
la municipalité de Braşov ne fut pas de longue durée, le règne du voïévode
valaque s’achevant tragiquement par sa mise à mort par Jean Hunyadi et son
remplacement par Vladislav II en novembre - décembre 1447.
23
Ibidem, tableau, p. 368.
24
Archives d’État de Braşov, Fronius I, no 15, dans Hurmuzaki, Documente, XV/1 (1358-
1600), p. 27-28.
25
I. Bogdan, Documente, p. 75-77. Sibiu frappait de la monnaie pour la reine Élisabeth,
veuve d’Albrecht de Habsbourg, émettant dés dinars dévalorisés. Le 16 mai 1441, la reine
émettait à Pojon des dinars au cours officiel de 220 pour un florin or (Schoenvisner, Notitia, p.
325), et le 3 juillet de la même année, elle établit le cours du nouveau dinar qui devait être frappé
à Kremnitz au taux de 300 dinars le florin (Schoenvisner, Catalogus, III, p. 314-316).
26
Voir les judicieuses observations de W. Stanley Jevons dans le chapitre « La force de
l’habitude dans la circulation monétaire », p. 65-66.
27
La dévalorisation de la monnaie d’argent hongroise aux 4e et 5e décennies du XVe siècle
avait suivi un cours vertigineux : si en 1436 un florin or valait 100 dinars (cours officiel fixé par la
réforme de Sigismond de Luxembourg, qui aboutit à l’insurrection de Bobâlna), en 1441, année
des conflits de Vlad Dracul avec les marchands de Braşov, le florin était officiellement changé
contre 220 et même 300 dinars. Voir la description des monnaies hongroises de ce temps chez
Schoenvisner, op. cit., le seul qui donne le poids des pièces en « grains » (un grain pesait 0,0648
g). Les ouvrages plus récents de L. Réthy, G. Probszt et E. Unger ne contiennent rien à ce sujet.
381
MATEI CAZACU
Le voïévode valaque qui prit des mesures radicales sur le plan monétaire
fut Vladislav II (1447-1450, avec une interruption en octobre - novembre 1448).
À la différence de ses prédécesseurs, Vladislav II frappe des ducats (on en
connaît jusqu’ici plus de cent pièces, en trois séries), au poids moyen de 0,60 g
et des « bani » de 0,38 g d’argent au titre très élevé (environ 800 0/00), lesquels
diffèrent de toutes les monnaies valaques d’après Mircea l’Ancien, de même
28
Fr. Pall, « Intervenţia lui Iancu de Hunedoara în Ţara Românească şi Moldova în anii
1447-1448 », SRI XVI (1963), p. 1049 -1072.
29
Fr. Pall, op. cit., p. 1055.
30
Archives d’État de Braşov, Fronius I, no 20, dans Hurmuzaki, Documente, XV/1, p. 34-
35, avec date erronée. Redaté par G. Gündisch, Urkunden zur Geschichte der Deutschen in
Siebenbürgen, V (ms), no 2632 ; cf. Fr. Pall, op. cit., p. 1060 et note 2.
382
L’IMPACT OTTOMAN SUR LES PAYS ROUMAINS
que des monnaies hongroises en circulation31. Bien que connu depuis plusieurs
décennies et considéré comme un « revirement », ce phénomène n’a pas retenu
jusqu’ici l’attention des numismates ou des économistes. Essayant de saisir les
causes de cette mesure monétaire (laquelle connaîtra également, comme on le
verra ci-dessous, une réplique en Moldavie à partir de 1455-1456), nous devons
répondre à la question essentielle qui se pose en premier lieu : dans quel
système monétaire peuvent être intégrées les émissions de Vladislav II, étant
donné qu’au Moyen-Âge toute émission métallique d’un pays fait partie d’un
système international (tel par exemple celui du denier), qui permet la circulation
des pièces en dehors des frontières du pays respectif. Comme nous l’avons
montré plus haut, les voïévodes de Valachie frappèrent au XIVe siècle des
monnaies s’intégrant dans le système des deniers hongrois et des groschen
vénéto-balkaniques, en abandonnant toutefois l’émission des pièces appartenant
à ce dernier système, à la suite de la décadence des États bulgare et serbe et du
remplacement graduel de leur monnaies par les aspres turcs32. La Moldavie émit
de la monnaie appartenant au système polonais en vigueur en Galicie, appelé
système des groschen, jusqu’à l’époque de Petru Aron. Étant donné que la
nouvelle monnaie valaque frappée par Vladislav II n’appartient ni au système
des deniers hongrois, ni à celui des groschen polonais, la seule solution
consiste à chercher son origine dans l’alignement sur le système de l’aspre turc,
la monnaie d’argent forte du temps, laquelle avait commencé à circuler
intensément depuis quelques décennies dans nos pays aussi33.
La monnaie d’argent turque, l’aspre (akçe) fut, au cours du XVe siècle,
l’une des monnaies fortes d’Europe, ayant le poids moyen suivant (au titre, au
début, de 900 0/00) : sous le sultan Mehmet Ier (1413-1421), 1,121 g, sous
Mourad II (1421-1451), 1,098 g, sous Mehmet II (1451-1481), 0,865 g, et sous
Bajazet II (1481-1512) 0,737 g34. Lors de l’avèneinent au trône de Mehmet II en
l’an de l’Hégire 855 (février 1451), comme le commencement de l’année hicrî
coïncidait avec le commencement du mois dé janvier, le jeune sultan augmente
31
O. Iliescu, « Emisiuni monetare », p. 332-335 ; idem, dans C. Kiriţescu, op. cit., p. 90 et
annexe, p. 68. Voir la description des trois séries de ducats, idem, « Cu privire la problema », p.
308, no XIV.
32
Voir dans ce sens les considérations d’Emil Condurachi, « Începuturile penetraţiei eco-
nomice otomane în Balcani », BSNR XXXVII (1943), p. 63-70.
33
O. Iliescu, « Un trésor d’aspres turcs du XVe siècle, trouvé probablement en Moldavie »,
SAO V-VI (1967), p. 277-285, mentionne toutes les découvertes des monnaies turques dans les
Pays Roumains du XVe siècle, ainsi que les informations documentaires.
34
’Āli, « Le prime monete ed i primi aspri del’Impero ottomano », RIN XXXIX (1921), p.
77-93 ; J. Østrup, Catalogue des monnaies arabes et turques, Copenhague 1938, p. 290-292 ; Ch.
Edhem, Meskūkāt-i’ osmānije, I, Constantinople 1915 ; N. Beldiceanu, « La crise monétaire
ottomane au XVle siècle et son influence sur les Principautés roumaines », SOF XVI (1957), p.
73-74 ; idem, Actes de Mehmed II et de Bayazed II du ms. Fonds Turc ancien 39 (Les actes des
premiers sultans conservés dans les manuscrits turcs de la Bibliothèque Nationale à Paris), École
Pratique des Hautes Études, VIe Section, I, Paris – La Haye 1960, p. 173 ; H. Sahillioglu, « Année
sivis et crises monétaires dans l’Empire ottoman », Annales ÉSC 24 (1969), p. 1070-1091.
383
MATEI CAZACU
35
Fr. Babinger, Mahomet II le Conquérant et son temps (1432-1481). La grande peur du
monde au tournant de l’histoire, Paris 1954, p. 94-95 ; H. Sahillioglu, op. cit., p. 1080.
36
N. Beldiceanu, Actes de Mehmed, I, p. 173.
384
L’IMPACT OTTOMAN SUR LES PAYS ROUMAINS
facteur extérieur nouveau, l’Empire ottoman. C’est ce qui arriva dans les années
1448-1456.
Après la campagne terminée par la défaite de Kossovo (17-19 octobre
1448), à laquelle participa à la tête d’un important contingent de troupes le
voïévode de Valachie Vladislav II37, la Hongrie traverse une crise politique
aiguë, marquée par la rivalité entre Jean Hunyadi et la faction adverse de la
ligue des barons dirigée par les familles Cilli, Gara et Branković38. Au mois de
mai 1449, Ladislas Gara, palatin de Hongrie, et Nicolas Ujláki, voïévode de
Transylvanie, chargent le vieux despote de Serbie, Georges Branković, de
mener des pourparlers de paix avec la Turquie dans des conditions modestes
pour la Hongrie et à l’insu de Jean Hunyadi, la Valachie, la Serbie et la Bosnie
devant, au pire des cas, payer tout le tribut à l’Empire ottoman, comme lors des
paix turco-hongroises de 1429 et de 1444 39, ce qui signifiait le retour à la
suzeraineté turque parallèlement à la suzeraineté hongroise40. Les pourparlers
continuèrent au cours des années suivantes, le voïévode de Valachie y ayant un
rôle important. Pendant ce temps, Jean Hunyadi était engagé dans de durs
combats à la frontière occidentale avec les Habsbourg et Jan Jiskra, ensuite avec
le comte Cilli et Georges Branković. Après la paix de compromis conclue avec
Frédéric III de Habsbourg, le 22 octobre 1450, Hunyadi fait également la paix
avec la ligue Cilli – Branković, le 7 août 1451, mais échoue dans une campagne
contre Jiskra41. Un événement essentiel dans le contexte général fut la paix de
trois ans conclue entre la Hongrie et l’Empire ottoman, le 20 novembre 1451, le
premier acte important de politique étrangère du nouveau sultan Mehmet II42.
Par ce traité, la Valachie était placée sous une double dépendance envers les
deux grandes puissances. Le statut juridique international de la Valachie, tel
qu’il résulte des traités de paix turco-hongrois des XVe – XVIe siècles, n’a pas
fait jusqu’ici l’objet d’une étude approfondie, le plus grand historien roumain
37
Voir plus récemment M. Cazacu, « La Valachie et la bataille de Kossovo (1448) »,
RÉSEE VII (1969), p. 131-139.
38
I. A. Fessler, Geschichte von Ungarn, II, Leipzig 1869 ; C. Mureşan, Iancu de Hune-
doara, Bucarest 19682, p. 169 et suiv. ; I. Minea, « Din trecutul stăpânirei româneşti asupra
Ardealului. Pierderea Amlaşului şi Făgăraşului », extrait de Convorbiri Literare XLVIII (1914),
p. 30 et suiv.
39
Sur la paix de 1429, dont le texte n’a pas été conservé, voir la lettre de l’empereur
Sigismond, chez N. Iorga, Notes et extraits pour servir à l’histoire des croisades au XVe siècles,
II, Paris 1899, p. 252-254. La situation de la Valachie dans le cadre de la paix de Szeged, le 1444,
est connue par les écrits de Ciriaco Pizzicoli d’Ancône, sur lequel voir Fr. Pall, « Ciriaca
d’Ancona e la crociata contra i turchi », BSHAR XX (1938), p. 64 et commentaires à la p. 33.
40
Le texte de l’acte chez J. Telekij, A Hunydiak-kora Magyrországon, X, Pest 1853, p. 243-
244 ; Hurmuzaki, Documente, I/2, p. 760-761.
41
I. A. Fessler, op. cit., II ; C. Mureşan, op. cit., p. 172-176.
42
Le texte du traité découvert par N. Iorga à Munich, Stadtsbibliothek, ms. lat. 19542, f,
260 et suiv., a été conservé dans une copie du 13 avril 1452 due à Ulrich Spannagel et a été publié
par N. Iorga, Acte şi fragmente cu privire la istoria românilor adunate din depozitele de
manuscrise ale Apusului, III, Bucarest 1897, p. 23-27 ; idem, « Privilegiul lui Mohamed al II-lea
pentru Pera (1 iunie 1453) », AARMSI, IIe série, XXXVI (1913), p. 89-90.
385
MATEI CAZACU
43
N. Iorga, Histoire des Roumains et de la romanité orientale, IV, Les chevaliers, Bucarest
1937, p. 126-127.
44
Idem, Acte şi fragmente, III, p. 25-26.
45
Voir aussi Fr. Pall, « Stăptnirea lui Iancu de Hunedoara asupra Chiliei şi problema
ajutorării Bizanţului », SRI XVIII (1965), p. 619-638.
46
Marchands, de forum – marché. Cf. N. Iorga, Acte şi fragmente, III, p. 26, note 9.
47
J. Teleki, op. cit., X, p. 243-244.
48
La lettre de Jean Hunyadi aux habitants de Braşov, du 6 février 1452, dans Hurmuzaki,
Documente, XV/1, p. 37. Voir une autre lettre du même, du 30 mars, chez J. Teleki, op. cit., X, p.
333 ; cf. I. Minea, op. cit., p. 32.
386
L’IMPACT OTTOMAN SUR LES PAYS ROUMAINS
sur le trône de Hongrie du roi mineur Ladislas le Posthume – ce qui arrivera aux
premiers jours de l’année 145349.
La Valachie ne se trouvait pas moins, pour reprendre l’expression d’Ilie
Minea « entre le marteau et l’enclume »50, les deux grandes puissances dans la
sphère d’influence desquelles elle se trouvait, pouvant intervenir dans ses
affaires intérieures si le voïévode ne respectait pas les obligations qui lui
incombaient en vertu du traité de paix de 1451. Dans ces conditions, ayant son
règne assuré pour la durée de la paix, nous croyons que Vladislav II donna une
nouvelle orientation à sa politique économique et réalisa une réforme monétaire
par laquelle il alignait la monnaie valaque sur l’aspre turc. Le corollaire naturel
de cette mesure était le retour à la situation créée par Vlad Dracul en 1447,
lorsque la monnaie dépréciée hongroise n’était plus reçue dans le pays, et qui
fut l’une des causes principales de la campagne de Jean Hunyadi qui aboutit au
meurtre et au remplacement du voïévode valaque et à l’installation sur le trône
de Vladislav II. On peut se rendre compte ici de la force des réalités
économiques qui prévalent sur tous autres liens ou considérations (parenté,
nécessité de la lutte commune contre les Turcs, etc.), qui poussèrent Vladislav II
à reprendre, à une échelle supérieure, la politique d’émancipation de Vlad
Dracul à l’égard de la Hongrie, dont il fut la victime. Les premiers frappés par
cette mesure étaient les marchands saxons et une lettre de Vladislav adressée
aux habitants de Braşov le 24 septembre 1452 fait état de certaines actions
hostiles de ceux-ci, malgré l’état de paix qui régnait alors51.
La guerre monétaire est déclenchée au mois d’octobre de la même année,
lorsque Jean Hunyadi adresse aux habitants de Braşov et à tous ceux du Pays de
Bârsa, une lettre mentionnant les préjudices subis par le royaume du fait des
guerres, ainsi que des altérations réitérées de la monnaie52, et leur faisant savoir
la frappe prochaine à Bude d’une nouvelle monnaie, dont le cours serait
uniforme pour tout le royaume. Il leur demandait par conséquent de ne plus
accepter aucune autre monnaie, « à savoir ni aspres, ni la monnaie du voïévode
des régions transalpines ou toute autre monnaie ancienne » (« et nullam aliam
videlicet nec asperas, neque monetam waywode transalpinarum aut aliam
antiquam monetam »)53. La mise sur le même plan de la monnaie turque et des
ducats valaques constitue une preuve précise de la présence en circulation à
49
Le texte de la paix et des commentaires chez J. Szitnay, « A Körmöczbányai békekötés
1452-ben », Történelmi Tár (1884), p. 593-612.
50
I. Minea, op. cit., p. 33-34.
51
Hurmuzaki, Documente, XV/1, p. 38.
52
Au XIVe siècle, Nicole d’Oresme, conseiller du roi de France Charles V, mettait
l’altération des monnaies sur le même plan que la peste ou l’invasion étrangère : voir Babelon, op.
cit. ; voir les considérations semblables de Nicolas Copernic, Monete cudende ratio, 1526, éd. L.
Wolowski, Paris 1864, p. 60 et suiv.
53
Archives de la ville de Braşov, éditions : J. Teleki, op. cit., X, p. 341-342 ; E. Jakab,
Okleuéltár Kolozsvár története eisö kötetéhez, I. Bude 1870, p. 184-185 ; Hurmuzaki, Documente,
XI/2, p. 15-16.
387
MATEI CAZACU
54
Voir l’acte du 7 juillet 1453 du roi Ladislas le Posthume, qui constate que le nouveau
denier est changé à un cours très inférieur au taux légal – 250 deniers pour un florin et même
plus : cf. Sclioenvisner, Catalogus, III, p. 327-329.
55
Les actes de Ladislas le Posthume du 12 mai 1453 (5) chez Schoenvisner, Catalogus, III,
p. 316-327 ; un autre chez J. Chmel, « Urkunden, Briefe und Actenstticke zur Geschichte der
Habsburgischen Fürsten König Ladislaus Posthumus, Erzherzog Albrechi VI. und Hersdg
Siegmund von Österreich aus den Jahren 1443-1473 », dans Fontes Rerum Austriacarum, II. Abt.,
Diplomataria et Acta, II, Vienne 1850, p. 39-40. La description de la monnaie chez Schoenvisner,
Catalogus, I, p. 85, no 2 ; reproduite par le même dans Notitia, pl. IV, no 133.
56
Voir les récentes considérations dans ce sens d’Arthur Pohl, « Die Münzkammer
Siebenbürgens (1325-1526) », Südostdeutsches Archiv XIII (1970), p. 24-43 (spécialement p. 28-
31).
57
L’original est à Sibiu, II, 141, cité par H. Gooss, Die Siebenbürger Sachsen in der
Plannung deutscher Südostpolitik. Von der Einwanderung bis zum Ende des Thronstreites zwi-
schen König Ferdinand I. und König Johann Zäpolya (1588), Vienne 1940, p. 38. Au mois de
mai, ils sont mis en possession de ces châteaux. Voir Gierend, Notitia castellanatus Talmács,
Sibiu 1832, p. 32-34 (nous n’avons pas pu l’étudier) ; résumé chez Hurmuzaki, Documente, II/2,
p. 41. Voir aussi I. Minea, op. cit., p. 37-38 ; I. Moga, « Marginea », ducatul Amlaşului şi scaunul
Săliştei, Bucarest 1942, p. 14 et note 1 (extrait du vol. Omagiu profesorului Ion Lupaş).
58
I. Minea, op. cit., p. 44-46. De cette époque date une très importante lettre de protestation
de Vladislav II aux habitants de Braşov : I. Bogdan, op. cit., p. 85-87.
388
L’IMPACT OTTOMAN SUR LES PAYS ROUMAINS
59
Ces ateliers royaux étaient une calamité pour les villes dans lesquelles ils se trouvaient.
Voir un cas suggestif du XIVe siècle dans C. Moisil, « O revoltă din motive monetare în veacul al
XIV-lea », Cronica numismatică (1925), p. 50-52.
60
Hurmuzaki, Documente, XV/1, p. 170-172 ; cf. O. Iliescu, dans C. Kiriţescu, op. cit., p.
95.
389
MATEI CAZACU
habitants étaient obligés de présenter chaque année aux ateliers pour les faire
fondre61. À cela s’ajoutait le manque de confiance dans la monnaie du pays,
phénomène très grave qui ne pouvait être combattu que par son renforcement et
surtout par la stabilisation de sa valeur métallique et par suite de son cours62.
Il est hors de doute que pour la Hongrie la réforme monétaire valaque a
signifié un rapprochement des Turcs de Vladislav II. Nous trouvons un écho de
cette opinion chez l’évêque Enea Silvio Piccolomini, le futur pape Pie II, qui
écrivait le 12 juillet au pape Nicolas V que la Valachie est sous le pouvoir des
Turcs, d’où ceux-ci pénétreront en Hongrie et en Allemagne63. L’événement
d’histoire générale qui a marqué un nouveau tournant pour la politique de la
Valachie fut la chute de Constantinople, le 29 mai 1453.
Devenu maître des détroits et de Constantinople, Mehmet II dut reprendre,
de même d’ailleurs que ses successeurs, la vieille tradition byzantine de
domination politique et économique des côtes de la mer Noire, afin d’assurer
l’approvisionnement de la ville impériale, véritable « pieuvre » qui engloutissait
de grandes quantités de blé et d’autres produits64. Outre la continuation et
l’intensification des échanges commerciaux avec nos régions, attestées par une
61
Sur l’importance de ce droit régalien, voir E. Babelon, op. cit., p. 32 et suiv. ; R.
Gonnard, Histoire des doctrines monétaires dans ses rapports avec l’histoire dés monnaies, I,
Paris 1935, p. 85 ; A. Despaux, Les dévaluations monétaires dans l’histoire, Paris 1936, p. 42 et
suiv. ; M. Bloch, Esquisse . p. 58.
62
Sur la théorie de la valeur de la monnaie (intrinsèque, extrinsèque, de cours et
d’échange), voir Luschin von Ebengreuth, Allgemeine Münzkunde und Geldgeschichte des
Mittelalters und der neueren Zeit, Munich – Berlin, 1926, p. 223 et suiv. Ce processus prouve que
la loi de Gresham n’est pas absolue (sur le plan international) et présente une similitude marquée
avec le cas de la Flandre, où la bonne monnaie anglaise arrivant en grande quantité pendant la
guerre de 100 ans remplaça complètement la monnaie indigène : cf. Marc Bloch, op. cit., p. 63.
63
« [...] in Asia et in aliena possessione nostri veteres urbes amisere, nos in Europa in
nostro solo, inter Christianos potentissimam urbem, orientalis imperii caput, Grecie columen,
litterarum domicilium ab hostili manu sinimus expugnari. Jam régnat inter Maumethus. Jam
nostris cervicibus Turchus imminet, jam nobis clausus est Eusinus et Tanais inaccessibile factus,
jam Valachis Turcho parere necessum est. Inde ad Hungaros, inde ad Germanos Turchorum
gladius penetrabit et nos interim domesticis quatimur odiis [...] » : Der Briefwechsel des Eneas
Silvius Piccolomini, éd. Rudolf Wolkan, dans Fontes Rerum Austriacarum, II Abt., Diplomataria
et Acta, vol. LXVIII (de la correspondance III-1), Vienne 1918, p. 201.
64
Outre les généralités de W. Heyd, Geschichte des Levantehandels im Mittelalter, I-II,
Leipzig 1885, voir les études spéciales de G. I. Brătianu, « L’approvisionnement de Constanti-
nople à l’époque byzantine et ottomane », Byzantion V (1930), et « Nouvelles contributions à
l’étude de l’approvisionnement de Constantinople sous les Paléologues et les empereurs
ottomans », Byzantion VI (1931), reprises sous le titre « Études sur l’approvisionnement de
Constantinople et le monopole du blé à l’époque byzantine et ottomane », dans idem, Études
byzantines d’histoire économique et sociale, Paris 1938, p. 127-181. Pour l’importance des Pays
Roumains dans ce courant, voir aussi O. Iliescu, « Notes sur l’apport roumain au ravitaillement de
Byzance d’après une source inédite du XIVe siècle », dans Nouvelles études d’histoire publiées à
l’occasion du XIIe Congrès des Sciences Historiques, Vienne 1965, Bucarest 1965, p. 105-116 ;
G. I. Brătianu, La Mer Noire. Des origines à la conquête ottomane, Munich 1969 ; G. G. Muso,
« Nuove ricerche d’archivio su Genova e l’Europa centro-orientale nell’ultimo medio evo »,
Rivista storica italiana LXXXIII/1 (1971), p. 130-143.
390
L’IMPACT OTTOMAN SUR LES PAYS ROUMAINS
65
C. Iliescu, « Un trésor d’aspres » ; et pas « depuis les premières années du XVIe siècle »,
comme l’affirme B. Câmpina, « Despre rolul genovezilor », p. 228.
66
G. Jirecek, Geschichte der Serben, II/l, Gotha 1918 ; C. Marinescu, « Le pape Calixte III
(1455-1458), Alphonse V d’Aragon, roi de Naples, et l’offensive contre les Turcs», BSHAR XIX
(1935) ; Fr. Babinger, « Beginn der Türkensteur in den Donaufürstentümern », Südostforschungen
VIII (1943), p. 1-38 ; Al. Grecu (P. P. Panaitescu), « Pe marginea folosirii izvoarelor cu privire la
supunerea Moldovei la tributul turcesc (Vaslui 1456) », SRI V/3 (1952), p. 187-198 ; Fr.
Babinger, Mahomet II le Conquérant, p. 133 et suiv. ; M. Malowist, Kaffa kolonia genuenska na
Krymie i problem wschodni w latach 1453-1475, Varsovie 1947 ; G. I. Brătianu, La mer Noire, p.
314-315.
67
Voir la lettre reproduite à la note 63, supra.
68
J. Dlugosz, Historiae Polonicae libri XIII, Leipzig 1711, II, XIII, p. 116.
69
Voir la lettre du cardinal Zbignew Olésnicki adressée à Enea Silvio Piccolomini, évêque
de Sienne, de Cracovie, le 10 septembre 1453 : « jam magnam partem Europe, jam Grecie
Imperium Turchus occupavit, jam et a vaivoda Moldavie feodali regni nostri Polonie ceterisque
principibus gravia tributa requirit » : Eneas Silvius Briefwechsel, III/l, p. 253. Comme suite,
Alexăndrel écrivait le 23 septembre au roi Casimir qu’il avait reçu la mission polonaise et qu’il
était prêt à présenter l’hommage féodal, le roi devant le défendre contre les ennemis. Le texte chez
M. Costăchescu, op. cit., II, p. 765-769 ; pour la situation de la Moldavie, voir V. Pârvan,
Alexăndrel Vodă şi Bogdan Vodă. Şapte ani din istoria Moldovei 1449-1456, Bucarest 1904, p.
72-73. Le chroniqueur Martin Cromer parle également des pressions turques sur la Moldavie dans
son ouvrage De origine et rebus gestis Polonorum libri XXX, Bâle 1555, p. 519 : « Nam is
(Mehmet II), post subactum Constantinopolitanum imperium vehementer vexabat Valachiam ; et
distinebantur tunc Poloni bello Prussico, ne sociis et clientibus opera ferre possent ».
391
MATEI CAZACU
illi annuum praestatur »)70. Ces deux informations, les deux de source polonaise,
donc présentant toutes les garanties d’authenticité, sont des preuves
catégoriques du fait que la Moldavie a payé tribut aux Turcs avant 1456, date de
la réunion de Vaslui. C’est une conclusion de première importance pour notre
histoire, de nature à modifier l’image traditionnelle que notre historiographie
s’était formée de la position internationale de la Moldavie dans les années
antérieures à l’avènement au trône d’Étienne le Grand. Le renversement
d’Alexăndrel, avant le 25 août 1454, et son remplacement par Petru Aron
remettront en discussion pour un an le problème du tribut demandé à la
Moldavie par les Turcs.
Devant cette situation, Jean Hunyadi, à qui incombait le gouvernement de
la Hongrie71, et dont la politique hésitante de soutien de Byzance présente
encore quelques points obscurs72, passa immédiatement à des mesures de
défense contre le danger turc. L’instauration de la domination turque directe sur
la Valachie eût constitué une véritable catastrophe pour la Hongrie et surtout
pour la Transylvanie, exposée aux incursions des troupes turques qui auraient
pu franchir librement les Carpates, de sorte qu’au cours de l’été et de l’automne
de l’année 1453, Jean Hunyadi passa à une contre-offensive contre Vladislav II.
Il semble qu’un conflit armé aurait éclaté vers le mois d’août, car le 3
septembre, de Graz, Enea Silvio Piccolomini écrivait à Piero da Noceto :
« Valachi quoque contra gubernatorom arma moverunt, quem dominari sibi egre
ferebant »73. Une paix de compromis aurait suivi, Hunyadi ayant fait des
concessions au voïévode valaque, qui se maintenait sur le trône du pays, pour
garantir la sécurité de la frontière méridionale de la Transylvanie, mais sans
avoir obtenu la rétrocession de l’Amlaş. La situation de la Hongrie était
défavorable au vaillant croisé d’origine roumaine, les magnats qui lui étaient
hostiles, Gara, Ujláki et autres, ayant à leur tête l’archevêque de Gran, ayant
formé le 13 septembre une nouvelle ligue, manifestement dirigée contre lui, par
laquelle ils s’engageaient à défendre le roi et le comte Cilli contre toute action
hostile, émanée de quiconque74. En tout cas, la paix avec Vladislav II était
70
« Jam Valachiam Moldaviamque terras regni Poloniae Turcus iuris sui fecit. Jam vectigal
illi annuum praestatur et capite censos omnes illarum regionum accolas constituit. Nullum iam
freto, ut ante, inter nos et illos est discrimen. Nullae gentes mediae » : A. Sokolovski – J. Szujski,
Codex epistolaris seculi XV, Cracovie 1876, II, p. 150-1 (« Monumenta medii aevii h istorica res
gestas Poloniae illustrantia ») ; Hurmuzaki, Documente, II/2, p. 52.
71
Cf. la lettre d’Enea Silvio Piccolomini du 16 octobre 1453 au cardinal Juan Carvajal,
dans laquelle il lui communique le partage en trois parties du royaume de Hongrie par le roi
Ladislas : « regna et dominia regis ad triumviratum deducta esse, Johanni Hungariam, Georgiconi
(Podiebrad) Bohemiam, Austriam comiti (Cilli) cessisse : Briefwechsel, III/l, p. 304.
72
Voir Fr. Pall, op. cit.
73
« Valachi quoque contra gubernatorem arma moverunt, quem dominari sibi egre ferebant.
Est etiam, quod de Turchis in eo conventu cogite (Ladislas le Posthume), quos proximos habet, et
jam nova elatos victori plurimum timet » : Briefwechsel, III/l, p. 243.
74
Le texte chez J. Chmel, op. cit., p. 30-33. La ligue fut renouvelée le 7 avril 1455 : cf.
Teleki, op. cit., X, p. 437-438). Jean Hunyadi fera lui aussi, la 27 octobre 1453, une ligue avec
392
L’IMPACT OTTOMAN SUR LES PAYS ROUMAINS
Georges Podiebrad Joan Vitéz, évêque d’Oradea et chancelier du royaume et autres, pour 6 ans :
J. Chmel, op. cit., p. 31. Pour les événements de Hongrie, voir Fessler, op. cit., II, p. 537-538 ; le
18 septembre, Enea Silvio écrit à Giovanni Campisiò ce qui suit : « Johannes vaivoda
Transilvanorum imperium, quod sibi Ladislaus dederat, assequi minime potest. Cupiunt enim illi
corone magis quam Johanni subesse » : Briefwechsel, III/l, p. 261. Le 22 octobre, le même faisait
savoir que des bruits circulaient sur une alliance turco-tartare : Briefwechsel, III/l, p. 315.
75
Hurmuzaki, Documente, XV/1, p. 39 : « Bonam et optimam cum Wayvoda parcium
transalpinarum fecimus pacem : sic securi et liberi manere poteritis et ad nos maneatis tuti. Et
mittatis unum hominem vestrum ad ipsum Wayvodam, simul cum illis suis ambasiatoribus, ut
ipse vobis de illis damnis que sunt illata, satisfaccionem et iusticiam impendat ».
76
Le 3 octobre 1453, Enea Silvio écrivait au cardinal Nicolaus de Cusa (Cusanus) sulla
situation en Hongrie : « De Valachis ceterisque vicinis Costantinopoli nihil in presentiarum
audimus. Nec mihi vero simile est, illos arma sumere contra exteros, qui hostes domi habent »
(Briefwechsel, III/l, p. 294-295 ; et le relèvement de Jean Hunyadi de la dignité de gouverneur de
la Hongrie et son remplacement par Nicolas Ujláki, son adversaire). Le 24 novembre, Enea Silvio
écrivait de Wiener Neustadt au cardinal Juan Carvajal : « Fama fuit non tamen certa, Turcos
ingressos esse Valachiam, sed non continuatur rumor. Brevi certitudinem rei habebimus »
(Briefwechsel, III/l, p. 365). Mérite d’être signalée, en tant qu’indice du conflit entre Jean
Hnnyadi et Vladislav II, la nouvelle apparition de Vlad l’Empaleur dans la suite du premier à la
fin de l’année 1453, lorsque Hunyadi le présente au roi Ladislas le Posthume. Voir Thurócz,
Chronica Hungarorum, éd. J. Schwandter, Scriptores rerum hungaricarum, I, Vienne 1766, p.
336-337 ; l’information figure aussi chez Bonfini, Historia Pannonica, Cologne 1690, p. 350.
77
Pour la fortification des murailles de Sibiu et de Braşov, voir les actes des 13 avril, 19 et
27 novembre 1454 dans Hurmuzaki, Documente, XV/1, p. 40-41, et Teleki, op. cit., X, p. 431-
432. Le 1er janvier 1454, des bruits circulaient que les Turcs auraient dévasté la Croatie, alliés aux
Bosniaques : Briefwechsel, III/l, p. 339-400. Pour les décisions des diètes, voir N. Iorga, Notes et
extraits pour servir à l’histoire des croisades au XVe siècle, IV, Bucarest 1915, p. 84-85 (Bude),
90-98 (Regensburg), 101-103 (Francfort).
78
A. Sokolovski – J. Szujski, op. cit., p. 150-151. Le 12 avril 1454, Enea Silvio écrivait à
Goro Lolli : « [...] ob has causas Johannes Huniat heri cum de Turcho ad legatos cesaris verba
faceret – est enim nobis proximus – diceretque illum in Adrianopoli et in civitate Sophie, que est
vicina Valachis, maximum belli apparatum facere, inter cetera hoc quoque profatus est : Turchi
potentia inextimabilis est ; nam et Tartari cum eo sentiunt » (Briefwechsel, III/l, p. 467). L’été de
la même année, après la diète de Regensburg, le même humaniste écrivait à l’évêque Jean Vitéz
393
MATEI CAZACU
d’Oradea : « […] assurgat enim totis viribus, quando suo potissimum interest, dum Turchi, bello
premuntur, in Grecia prelium cum Tartaris, in Muldavia sive in Valachia miscere, ne alteri auxilio
esse possint. Sic enim disjuncte due validissime gentes facilius opprimentur » (Briefwechsel, III/l,
p. 562).
79
C. Jirecek, Die Handelsstrassen und Bergwerke von Serbien und Bosnien während des
Mittelalters. Historisch-geographische Studien, Prague 1879 (« Abhandlungen der königlichen-
böhmischen Gesellschaft der Wissenschaften, VI. Folge, 10. Band, Classe für Philosophie,
Geschichte und Philologie », 2) ; M. Dinić, Za istoriju rudarstva u srednjevekovnoj Srbiji i Bosni,
I-II, Belgrade 1955 ; D. Kovacević, « En Serbie et Bosnie médiévales : les mines d’or et
d’argent », Annales. Civilisations. Économies. Sociétés 2 (1960), p. 248-258.
80
Voir N. Iorga, Chilia şi Cetatea Albă, Bucarest 1900, p. 107 et suiv. ; P. P. Panaitescu,
«Pe marginea », p. 189. Un rapport de Caffa du 11 septembre 1454 relate que les Turcs ont
envoyé une flotte de 56 navires de guerre qui ont débarqué d’abord en Moldavie, mais trouvant
les endroits bien défendus, se dirigèrent vers le Nord, dévastant Mangop, occupant Sébastopol et
assiégeant Caffa : A. Vigna, « Codice diplomatico delle colonie tauroligure (I) », dans Atti della
società ligure di storia patria, VI, Genova, 1868, p. 102-105.
81
M. Costăchescu, op. cit., II, p. 773-777.
82
Ibidem, p. 801.
83
P. P. Panaitescu, « Legăturile moldo-polone în secolul XV şi problema Chiliei », RSl III
(1958), p. 95-115.
394
L’IMPACT OTTOMAN SUR LES PAYS ROUMAINS
84
Compte rendu de l’ouvrage de Fr. Babinger, « Cel dintâi bir al Moldovei către Sultan »,
RIR VII (1937), p. 415.
84bis
Le 14 septembre, Hunyadi écrivait de Hunedoara à Jean de Capistrano, annonçant son
départ pour le 17 septembre : « ad partes Brassouie cum nostris gentibus dietim continuare
inhovabimus (= inchoabimus ou innovabimus) tandeque forte a Brassouija ad ulteriora adibimus,
puta Moldwauiam, vel partes Transalpinas, sicuti voluntas dei affuerit » (P. Belá, « Kapisztran
János levelezése a Magyarokkal », Történelmi Tár (1901), no XXVIII, p. 182-183).
85
Hurmuzaki, Documente, XV/1, p. 41. Le 20 novembre, les Ragusains apprenaient « li
progressi del governatore, perche quà è fama, che e sia andato in Vlachia cum lo exercito et che li
Turci siano congregati in li luoghi li vicini » : J. Gelcich, Diplomatarium relationum, Reipublicae
Ragusanae cum Regno Hungariae, Budapest 1887, p. 584. Le même jour ils écrivaient à Hunyadi
une lettre de félicitations : « Videat excellencia vestra, quanto nobis usui sit : que dum ad Vlachie
tutelam contra Turcos castra movit, non solum illorum locorum saluti consuluit, sed et discrimen,
quod rebus nostris imminebat, avertit » : ibidem, p. 585.
86
Le lettre de Hunyadi aux habitants de Braşov dans Hurmuzaki, Documente, XV/1, p. 42 ;
Ladislas le Posthume aux Saxons le 6 avril 1456 : ibidem, p. 42-43 ; Hunyadi aux Saxons de
Braşov : ibidem, p. 43.
395
MATEI CAZACU
87
O. Iliescu, dans C. Kiriţescu, op. cit., p. 92 et tableau, p. 371 ; idem, « Emisiunile mone-
tare ale Moldovei în timpul domniei lui Ştefan cel Mare », dans M. Beza (éd.), Cultura
moldovenească în timpul lui Ştefan cel Mare, Bucarest 1964, p. 189 et suiv.
88
Fait relevé par. O. Iliescu, « Emisiunile monetare ale Moldovei », p. 188-191, qui insiste
sur l’importance de la stabilisation de la monnaie, vœu général au Moyen-Âge (aujourd’hui aussi
d’ailleurs). Sous Étienne le Grand, on a réalisé une monnaie d’argent d’une stabilité rarement
rencontrée au Moyen-Âge, monnaie qui contenait également une grande quantité de métal
précieux.
89
L’acte de la réunion de Vaslui, daté de mars - mai 1456, chez P. P. Panaitescu, « Pe
marginea », p. 188-189.
90
N. Iorga, « Actul lui Mohamed al II-lea pentru negustorii din Cetatea Albă (1456) », RI X
(1921), p. 105. Voir la récente analyse de M. A. Mehmet, « Din raporturile Moldovei cu Imperiul
otoman în a doua jumătate a veacului al XV-lea », SRI XIII/5 (1960), p. 165-177. L’octroi du
privilège de commerce aux marchands moldaves, comme suite de la conclusion de la paix et du
paiement du tribut, n’est pas un fait isolé. En effet, l’acceptation par un État du tribut imposé par
les Turcs, signifiait également le rachat du droit de faire du commerce accordé aux marchands de
ce pays. C’est un aspect des relations internationales au Moyen-Âge qui n’a pas encore été étudié
dans le cas de nos pays, bien qu’il fût également valable pour d’autres puissances, comme Venise,
laquelle par la Paix de 1479 avec les Turcs, payait à la Porte 10.000 sequins par an et s’assurait
ainsi la liberté du commerce dans l’Empire ottoman : cf. Fr. Babinger, « Le vicende veneziane
nella lotta contro i Turchi durante il sècolo XV », dans La civilità veneziana del Quattrocento,
Florence 1957, p. 70-71. Dans ces conditions, le paiement du tribut aux Turcs par les Pays
Roumains ne peut plus être considéré seulement comme « une tache honteuse » pour notre
histoire médiévale : cf. I. Nistor, op. cit., p. 41 et suiv, 206 et suiv., B. Câmpina, op. cit., I, p. 211-
213.
396
L’IMPACT OTTOMAN SUR LES PAYS ROUMAINS
91
Cf. la lettre du 6 avril 1456 du roi Ladislas le Posthume sur les attaques de Vladislav II
contre les duchés d’Amlaş et de Făgăraş, dans Hurmuzaki, Documente, XV/1, p. 42-43, et la lettre
de Hunyadi dans la même question du 7 avril : ibidem, p. 43.
92
Lettre de Cuvin (Kewe) du 26 juin 1456 : Hurmuzaki, Documente, XV/1, p. 43-44.
93
Hurmuzaki, Documente, XV/1, p. 44.
94
I. Bogdan, Documente, p. 149-151. La pierre tombale de Vladislav est datée du 22 août :
N. Iorga, Inscripţii din bisericile României, I/1, Bucarest 1905, p. 100, no XLVI/198.
397
MATEI CAZACU
95
Voir B. Câmpina, « Dezvoltarea economiei feudale şi începuturile luptei pentru centrali-
zarea statului în a doua jumătate a secolului al XV-lea în Moldova şi Ţara Românească », dans
Academia R.P.R. Lucrările sesiunii generale ştiinţifice din 2-12 iunie 1950, p. 1602-1638 ; G.
Gündisch, « Cu privire la relaţiile lui Vlad Ţepeş cu Transilvania în anii 1456-1458 », SRI (1963),
p. 681-696 ; R. Manolescu, op. cit., p. 54-56.
96
Voir les nouveaux documents, mis récemment en valeur par G. Gündisch, « Vlad Ţepeş
und die sächsischen Selbstverwaltungsgebiete Siebenbürgens », RRH VIII (1969), p. 981-992.
97
R. Manolescu, op. cit., p. 57-58.
98
O. Iliescu, dans C. Kiriţescu, op. cit., tableau, p. 369.
99
N. Beldiceanu, Actes de Mehmed II, I, p. 173.
100
I. Bogdan, Documente, p. 113-114 ; au mois de juillet il renouvelle ce privilège aux
marchands de Braşov : ibidem, p. 118-119 ; R. Manolescu, op. cit., p. 58.
101
O. Iliescu, dans C. Kiriţescu, op. cit., tableau, p. 368, où la monnaie est attribuée à
Basarab II. Pour l’attribution de la monnaie à Basarab Laiotă, voir l’ouvrage plus récent du même,
Moneda in România, p. 22.
398
L’IMPACT OTTOMAN SUR LES PAYS ROUMAINS
102
O. Iliescu, « Emisiunile monetare ale lui Ştefan cel Mare », p. 191-192.
103
N. Beldiceanu, Actes de Mehmed II, I, p. 173.
104
Idem, La crise monétaire ottomane, p. 73-74.
105
Ş. Papacostea, « Un épisode de la rivalité polono-hongroise au XVe siècle : la campagne
de Mathias Corvin en Moldavie (1467), à la lumière d’une source inédite », RRH VIII (1969), p.
967-979 ; idem, « De la Colomeea la Codrul Cosminului (Poziţia internaţională a Moldovei la
sfîrşitul secolului al XV-lea) », RSl XVII (1970), p. 525-553 ; idem, « La guerre ajournée : les
relations polono-moldaves en 1478. Réflexions en marge d’un texte de Filippo Buonaccorsi-
Callimachus », RRH XI (1972), p. 3-21.
106
Voir les études citées aux notes 10, 11 et 21 ; B. Cîmpina, Despre rolul, passim.
399
MATEI CAZACU
Les constatations faites par les numismates sur les origines des premières
monnaies roumaines du XIVe siècle, ainsi que sur les monnaies moldaves de
deux siècles plus récents, trouvent, croyons-nous, un complément bien venu
dans l’analyse entreprise ci-dessus par nous pour la seconde moitié du XVe
siècle dans les deux Pays Roumains. Nous avons ainsi l’image d’une politique
monétaire, corollaire de l’orientation générale de l’économie des Pays
Roumains, menée par des voïévodes comme Vladislav II et Petru Aron. Ils se
présentent à nous comme les continuateurs, à un degré supérieur, de la politique
mercantiliste commençante pratiquée également par leurs prédécesseurs au
trône et adoptée par Étienne le Grand lui-même. L’essence de cette politique,
générale dans les États européens centralisés de l’époque, consistait dans le
107
O. Iliescu, dans C. Kiriţescu, op. cit., p. 97-98 et tableau, p. 371. Est passée inaperçue
l’information contenue dans un très important document du 2 octobre 1532 comprenant les
instructions du roi Sigismond de Pologne à son émissaire à la Porte, Pierre Opaleniczki, contenant
également certaines accusations contre Petru Rareş et ses prédécesseurs sur le trône de Moldavie,
dont celle d’avoir émis de la monnaie utilisant les signes monétaires polonais : Acta Tomiciana,
XIV, éd. Vl. Pociecha, Poznan 1952, p. 693. Cf. le compte rendu de Ş. Papacostea dans Studii şi
cercetări de numismatică III (1960), p. 592. M. Octavian Iliescu me communique la découverte à
Piatra Neamţ d’un trésor contenant des imitations de monnaies lituaniennes du temps de Ştefăniţă
et de Petru Rareş, analysé dans l’étude de C. Mătasă – O. Iliescu – V. Mihailescu-Bîrliba, « Date
noi cu privire la circulaţia monetară In Moldova (sec. al XVI-lea) », Arheologia Moldovei VII
(1972), p. 369-376.
108
O. Iliescu, dans C. Kiriţescu, op. cit., p. 98 et tableau, p. 372-373. L’opinion opposée
selon laquelle la monnaie moldave aurait été alignée sur l’aspre turc, fut soutenue par N.
Beldiceanu, « La crise monétaire ottomane au XVIe siècle et son influence sur les Principautés
roumaines », SOF XVI (1957), p. 76.
109
O. Iliescu, dans C. Kiriţescu, op. cit., p. 98 et tableau p. 372-373.
110
Ibidem, p. 98-99 ; N. Beldiceanu, La crise monétaire.
111
Ibidem, p. 99 et tableau p. 372.
400
L’IMPACT OTTOMAN SUR LES PAYS ROUMAINS
112
R. Manolescu, op. cit., tableau annexé.
401
MATEI CAZACU
113
Sur le moment et les formes de la domination ottomane en Moldavie et en Valachie, au
XVIe siècle, voir les contributions de M. Berza – D. Mioc, dans Istoria României, II, Bucarest
1962, p. 776-799 ; plus récemment, I. Matei, « Quelques problèmes concernant le régime de la
domination ottomane dans les Pays roumains (concernant particulièrement la Valachie) », RÉSEE
X (1972), p. 65-81.
402
PROJETS ET INTRIGUES SERBES
À LA COUR DE SOLIMAN (1530-1540)
1
Hedda Reindl, Männer um Bāyezīd. Eine prosopographische Studie über die Epoche
Sultan Bāyezīds II. (1481-1512), Berlin 1983, (« Islamkundliche Untersuchungen », 75).
2
Voir quelques indications chez N. Iorga, Byzance après Byzance, Bucarest 1935 ; H. J.
Kissling, « Das Renegatentum in der Glanzzeit des Osmanischen Reiches », Scientia 55 (1961), p.
18-26.
3
M. Guboglu, « Sultani şi mari dregători otomani », Hrisovul 7 (1947), p. 72 (repris dans
idem, Diplomatica şi paleografia turco-osmană. Studii şi album, Bucarest 1958. Pour les
biographies individuelles, voir L’Encyclopédie de l’Islam, s.v.
MATEI CAZACU
404
PROJETS ET INTRIGUES SERBES À LA COUR DE SOLIMAN
Istanbul, dans le corps des janissaires d’où furent issus plusieurs vizirs et grands
dignitaires ottomans8.
Ceci a été remarqué à l’époque par plusieurs observateurs attentifs des
réalités ottomanes : Paolo Giovo (†1562), écrit dans l’Histoire de son temps
(livre 28) qu’à la Cour de Soliman, le serbe (« lingua illyrica ») est compris par
un grand nombre de gens (« lingua illyrica omnibus fere in aula [ottomanica]
esset familiaris »). De même, dans un rapport adressé au Doge et au Sénat de
Venise en 1562, le vice-baile Andrea Dandolo explique son envoi auprès du
baile par le fait qu’il était, nous dit-il, « intelligente della lingua schiava, la
quale è quella che al presente, doppo la turchesca, si usa in quella corte... »9.
Malheureusement, nous connaissons très mal ce milieu à cheval sur les
deux mondes – chrétien et ottoman – mais une série de documents en partie
inédits des archives espagnoles de Simancas nous ont permis de reconstituer
quelques projets de restauration de l’État et de l’Église autocéphale serbes dans
la quatrième décennie du XVIe siècle.
Après la chute du Despotat serbe, en 1459, le Patriarcat de Peć a représenté
la dernière institution encore vivante de cet État10. Le Patriarcat avait été créé en
1220 comme Métropole de l’État des Nemanja et fut érigé au rang de Patriarcat
autocéphale par Étienne Dušan en 1346, lors de la proclamation de l’Empire des
Serbes et des Bulgares. Le Patriarcat de Constantinople avait fini par le
reconnaître, mais seulement comme Archevêché, en 137511, or la disparition de
l’État serbe sous les coups de Mehmet II avait mis en péril le statut et
l’existence même de cette institution, englobée en 1528-1529 dans le Patriarcat
405
MATEI CAZACU
d’Ochrid, Patriarcat des Bulgares, des Grecs et des Serbes, sous le règne de
l’énergique patriarche Prochor (1524-1550)12.
Cette opération, réalisée grâce aux intrigues et aux pots-de-vin offerts aux
dignitaires ottomans, avait créé un profond mécontentement parmi les
ecclésiastiques et les laïcs serbes de la région qui y voyaient, avec raison, une
étape supplémentaire vers la disparition des derniers vestiges de l’entité
politique serbe. Les documents publiés par Petar Kostić13 ont mis en lumière les
tentatives de ce groupe pour reconstituer le Patriarcat de Peć, entreprises qui se
sont heurtées à l’opposition du patriarche Prochor et de plusieurs métropolites et
évêques. Ces essais répétés entre 1528 et 1535 ont suscité une vigoureuse
réaction de Prochor, qui n’hésita pas à recourir à tout un arsenal de mesures
pour mettre fin à la « rébellion » (raskol) ; dons aux dignitaires ottomans et au
patriarche d’Alexandrie, faux tendant à prouver que le patriarcat d’Ochrid était
le successeur du siège de Justiniana Prima (créé en 535 par Justinien),
prétentions à la domination des Métropoles de Valachie et de Moldavie, de
même que sur les Évêchés roumains de Transylvanie, etc.14.
La plupart des ecclésiastiques serbes et sud-slaves se rallièrent à Prochor
d’Ochrid en qui ils voyaient, à n’en pas douter, le meilleur soutien contre les
tendances hégémoniques du Patriarcat grec de Constantinople. En fait, il
s’agissait d’un conflit entre deux visions de l’Orthodoxie : l’une nationale serbe
(et, en général, slave), et l’autre, supranationale, tendant à la création d’une
« nationalité orthodoxe » (selon l’expression de C. Andreescu) ou
« Konfessionsnationalität » (E. Turczynski)15.
À partir de 1532-1533, le combat à l’intérieur de l’Église orthodoxe se
complique à la suite de l’apparition d’un facteur nouveau, de caractère
12
M. J. Trifonov, « Sŭedinenieto na Ipekskata patriaršija sŭ Ohridskata arhiepiskopija vŭ
XV v. », Spisanie na Bŭlgarskata Akademija na naukite 3 (1912), p. 11-42 ; L. Stojanović,
« Srpska crkva u mežduvremenu od patriarha Arsenija II do Makarija (oko 1459-1463 do 1557
g.) », Glas srpske kraljevske Akademije 106 (1923), p. 113-131 ; I. Snegarov, Istorija na
Ohridskata arhiepiskopija-patriaršija ot padanaeto i pod turcite do nejnoto uniščoženie (1439-
1767), Sofia 1932.
13
P. Kostić, « Dokumenti o buni Smederevskog episkopa Pavia protiv potčijevanjia Pečke
patriaršije arhiepiskopiji Ohridskoj », Spomenik srpske kraljevske Akademije 56 (1922), p. 32-39.
14
Dj. Sp. Radojičić, « O knijie Ptolomeja. Dva stara srpska geografska Tikovanija »,
Istoriski časopis 6 (1956), p. 55-62 ; T. Simedrea, « Unde şi cînd a luat fiinţă legenda despre
atîrnarea canonică a scaunelor mitropolitane din Ţara Românească şi Moldova de arhiepiscopia de
Ohrida », BOR 85 (1967), p. 975-1003 ; M. Maxim, « Les relations des pays roumains avec
l’Archevêché d’Ohrid à la lumière de documents turcs inédits », RÉSEE XIX (1981), p. 653-672.
On peut se demander si tel épisode de janvier 1534 n’est pas lié aux disputes entre Constantinople
et Ochrid pour se soumettre la métropole de Valachie : cf. D. R. Reinsch, « Die Macht des
Gesetzbuches. Eine Mission des Megas Rhetor Antonios Karmalikes in der Walachei »,
Rechtshistorisches Journal 6 (1987), p. 307-323, où il faut corriger l’identité du prince de
Valachie qui est Vlad Vintilă de Slatina, et non Vlad dit le Noyé.
15
C. Andreescu, « Despre o naţionalitate ortodoxă », BOR 52 (1934), p. 588-625 ; E.
Turczynski, Konfession und Nation. Zur Frühgeschichte der serbischen und rumänischen
Nationsbildung, Düsseldorf 1976.
406
PROJETS ET INTRIGUES SERBES À LA COUR DE SOLIMAN
16
Il le déclare lui-même dans la préface de son Octoèque de 1537, où il précise qu’il avait
70 ans, mais se sentait âgé de 80. Texte publié par L. Stojanović, Stari srpski zapisi i natpisi, I,
Belgrade 1902, p. 155. Voir aussi les considérations de D. Simonescu, « Un Octoih al lui Bojidar
Vucovici la noi şi legăturile acestuia cu tipografia românească », RIR 3 (1933), p. 227-233.
17
S. Pulaha, Defteri i regjistrimit të sanxhakut të Shkodrës i vitit 1485, Tirana 1974. Pour
d’autres kanunname de Scutari de 1529-1536 et 1570, voir Monumenta turcica ad historiam
Slavorum meridionalium illustrantia, 1, s. I : Zakonski spomenici, I, Sarajevo, 1957, p. 178-180.
Cf. les recherches de C. Jireček, « Skutari und sein Gebiet im Mittelalter », Illyrisch-albanische
Forschungen, I, Munich-Leipzig 1916.
18
En 1479, le Sénat de Venise ordonnait d’assurer une situation sociale à trente nobles de la
région de Scutari réfugiés à Venise : cf. I. Zamputi, Documenta të shek XV për historinë e
Shqipërisë, Tirana 1967, no 21 ; C. Jireček, Geschichte der Serben, II, p. 238. En 1486, Nikola
Kosier « copie un Livre d’heures sur ordre du logothète Božidar le Grec (Grěk) dans la maison du
prince Ivan Crnojević de Zeta » : L. Stojanović, Stari srpski zapisi, I, no 355. Serait-ce notre
homme ?
19
V. Jagić, Die erste zetinjer Kirchendruck vom Jahre 1494, Vienne 1894 (« Denkschriften
der kaiserlichen Akademie der Wissenschaften, phil.-hist. Classe », 43) ; Dj. Sp. Radojičić, « Die
ersten serbischen Druckereien », Gutenberg-Jahrbuch, 1940, p. 248-254 ; idem, « O štampariji
Crnojevića », Glasnik Skopskog naučnog društva 19 (1938), p. 133-172.
20
V. Molin, « Venise, berceau de l’imprimerie glagolitique et cyrillique », Studi veneziani 8
(1966), p. 347-445 ; J. Badalić, Jugoslavica usque ad annum MDC. Bibliographie der
südslawischen Frühdrucke, Baden-Baden 19662 (« Bibliotheca bibliographica Aureliana », 2) ;
407
MATEI CAZACU
Être patron d’une telle entreprise supposait une fortune solide que Božidar
avait réalisée par le commerce des épices et des pierres précieuses et aussi par
son mariage avec une Vénitienne, Apollonia della Vecchia21. Sa position sociale
lui permit, en 1536, de figurer parmi les protecteurs (gastaldo) de la colonie
grecque de Venise, honneur réservé aux notables orthodoxes de la cité des
doges22.
De 1519 à 1538, Božidar imprime une dizaine de livres religieux en slavon
et ouvre des imprimeries dans plusieurs couvents serbes afin de garantir
l’Orthodoxie du contenu de ses publications aux yeux du clergé balkanique et
roumain. Ses deux testaments, découverts par Jorje Tadić à Venise, et qui datent
de 1533 et 1539, nous permettent de constater qu’il entretenait des relations
commerciales avec Scutari, Raguse et Istanbul et qu’il pratiquait son commerce
d’épices et de pierres précieuses soit seul, soit en association avec ses beaux-
frères et neveux23. Mais ces testaments nous fournissent également la clé d’un
aspect encore ignoré de la vie de Božidar Vuković : notre homme se fait appeler
Dionisio della Vecchia, d’après le nom de famille de sa femme ; pour ce qui est
du prénom, on peut voir dans Dionisio la traduction de Božidar, littéralement
« don de Dieu », équivalent de Théodore, Bogdan ou Dieudonné (Diodato, en
italien).
408
PROJETS ET INTRIGUES SERBES À LA COUR DE SOLIMAN
Or, cette dénomination nous a mené sur la piste des intrigues et projets du
personnage qui, de 1532 à 1539, n’a cessé de comploter pour le rétablissement
du despotat serbe à la tête duquel il se voyait investi par la grâce de Charles
Quint et avec l’accord – ou la complicité – du lobby serbe d’Istanbul.
Les archives de Simancas conservent la correspondance des ambassadeurs
espagnols à Venise et notamment celle de don Lope de Soria auquel Dionisio
della Vecchia – appelons-le dorénavant par ce nom – s’est adressé dès 1532
pour lui exposer ses plans. Une autre partie de cette correspondance est
conservée dans les archives personnelles de don Lope de Soria qui se trouvent
aujourd’hui à la Real Academia de la Historia à Madrid, et qui permet de
brosser un tableau assez complet des efforts de della Vecchia pour recréer un
État, serbe dans un premier temps, plus vaste ensuite, ayant comme autorité
ecclésiastique le Patriarcat d’Ochrid.
Dionisio della Vecchia avait vu Charles Quint lors de son couronnement à
Bologne, en 153024. À partir de ce moment, il n’a eu de cesse de le bombarder
de mémoires secrets dans lesquels il lui exposait ses plans. L’idée générale en
était la suivante : une flotte espagnole devait s’emparer par une attaque surprise
de Scutari que Dionisio connaissait bien car il avait là un dépôt de marchandises
et de nombreux alliés et connaissances, dont le sancaḳbeg appelé Holoman (ou
Oleman), nouvellement installé en 153625. Une fois cette opération réussie, les
chrétiens des Balkans – notamment les Serbes et les Bulgares – allaient se
révolter sous la bannière de Božidar et fonder un despotat ayant à sa tête notre
Monténégrin. Grâce à ses agents dans la région, à Istanbul et même au Nord du
Danube, en Valachie et en Moldavie, della Vecchia se faisait fort d’obtenir
l’adhésion d’un nombre impressionnant de Chrétiens qu’il n’hésitait pas à
chiffrer en millions26 !
24
Lettre de don Lope de Soria à Charles Quint du 11 mai 1536 : « El dicho Dionisio delà
Vecha es uno que fue a Bologna y beso los manos a Vostra Magestà » (Archivo general de
Simancas [cité infra AGS], Estado Venecia, 1312, f. 121). Pour le couronnement et son contexte
politique, voir G. de Boom, Voyage et couronnement de Charles Quint à Bologne, Bruxelles
1936 ; V. de Cadenas y Vicent, Doble coronacion de Carlos V en Bolonia, 22-24/11/1530,
Madrid 1985 : Instituto Salazar y Castro ; G. de Leva, Storia documentata di Carlo V in
correlazione all’Italia, I-V, Venise – Padoue – Bologne 1863-1894 ; P. Rassow, Die Kaiser-Idee
Karls V. dargestellt aus der Politik der Jahren 1528-1540, Berlin 1932.
25
Voir la lettre de Domingo de Gaztelù au commandeur de Leon, en date du 26 novembre
1536 : « el dicho Dionis yra tambien a Scutari por tomar amicitia con el baxa Holomanbey che
nuevamente acci es venido, desqual (por ser del consejo del Turco) entendera algo de los
desegnos del dicho Turco... » (AGS, Estado Venecia, 1313, no 36 ; cf. aussi, dans le même fonds,
1312, no 161 ; 1313, nos 29, 36, 79-82, 86).
26
AGS, Estado Venecia, 1314, no 58 (des 1-10 août 1538). Il est intéressant aussi de suivre
l’évolution des propositions de Della Vecchia concernant le nombre de soldats espagnols
nécessaires à cette entreprise : en septembre 1537, il parlait de 4.000 (1313, no 112) ; en août
1538, de 2 à 3.000 (1314, no 58) ; enfin, le 8 novembre 1538, le chiffre n’est plus que de 2.000
(1314, no 221-2).
409
MATEI CAZACU
Parmi ses alliés les plus importants figuraient sans doute le patriarche
Prochor d’Ochrid, qui réclamait la reconnaissance et confirmation de tous les
privilèges de son siège27 ; le prince Petru Rareş de Moldavie (1527-1538, 1541-
1546), qui entra en correspondance avec Charles Quint et avec son frère
Ferdinand d’Autriche28 ; et, enfin, le prince de Valachie, Radu Paisie (1535-
1545)29. Les messagers étaient des marchands et des ecclésiastiques, comme
27
Voir la lettre de Dionisio à don Lope de Soria du (ler -10 août) 1538 : « Anchora prega la
Signoria Vostra che sia contento de ricordar a Sua Maestà che quella sia contenta de confirmar
(como altre volte li e stato suplicato) li privilegij del Patriarchato delà Servja cioe nela forma et
modo che per li Imperadori et signori passadi li e stato confirmato, et questo e molto ne(s)
cessario acio che la impresa habbia bon effetto » (AGS, Estado Venecia, 1314, no 58).
28
I. Ursu, Die auswärtige Politik des Peter Rareş, Fürst von Moldau, Vienne 1908 ; R.
Ciocan, Politica Habsburgilor faţă de Transilvania în timpul lui Carol Quintul (1526-1550),
Bucarest 1945 ; Al. Ciorănescu, « Petru Rareş şi politica orientală a lui Carol Quintul », AARMSI,
IIIe série, 17 (1935-1936), p. 241-256 ; idem, Documente privitoare la istoria Românilor culese
din arhivele din Simancas, Bucarest 1940, p. 17 sq. ; R. Constantinescu, Moldova şi Transilvania
în vremea lui Petru Rareş. Relaţii politice şi militare (1527-1546), Bucarest 1978 ; L. Şimanschi
(éd.), Petru Rareş, Bucarest 1978. D’autres éditions de documents : A. von Gevay, Urkunden und
Aktenstücke zur Geschichte der Verhältnisse zwischen Österreich, Ungarn und die Pforte im 16.
und 17. Jahrhundert, I-IX, Vienne 1840-1842 ; C. Giurescu, « Documente răzleţe din arhivele
Vienei (1535-1720) », BCIR 1 (1915), p. 280-305. Dans les archives de Simancas, on trouve une
lettre de Petru Rareş à Charles Quint, en date du 14 septembre 1537 (AGS, Estado Venecia, 1315 ;
chez Al. Ciorănescu, Documente, p. 17-18, et son interprétation par della Vecchia, p. 18-19) et la
mention d’autres messages reçus ou envoyés par Dionisio della Vecchia et autres personnes : le
10 avril 1538 (1315, nos 67-70), 10 mai 1538 (1315, no 48), 11 juin 1538 (1315, nos 15-17), 29 juin
1538 (1315, nos 11-13), 12 juillet 1538 (1314, no 63). Le prince moldave continua d’envoyer des
messagers à Charles Quint depuis son exil transylvain, suite à la campagne entreprise par Soliman
dans l’été 1538. Ainsi, le 10 février 1539, l’ambassadeur espagnol à Raguse, Janno de Zamagni,
écrivait à l’empereur : « El Signor Pietro voevoda de Carabogdania per quanto altro giorno
abiamo inteso da Jacomo de Novijpasaro, servitor de deto voevoda, a recuperato tuto el suo paese
et caciato quelo che Signor de Turchi aveva lasato in governo de deto paese. El quale, avendo
bona cognicione che lo sia servitor de Sua Majestà mi referi come dui mesi fà che aver mandato
letere de deto voevoda a un certo Dionisio dela Vechia abitante a Venecia, el quale per mezo de
signor dum Lope de Soria le doven inviare ala Sua Maestà, ale quale non aveva avuto alcuna
risposta. Et per tal causa me a rechiesto che io dovese dare a noticia de Sua Maestà lo avisso de
detto voevoda Pietro prontissimo ad ogni servizio de quelo et che molto desiderava de seguitare
ogni ordene quai Sua Maestà li daria » (1314, no 133).
29
M. Berindei – G. Veinstein, L’Empire ottoman et les Pays roumains 1544-1545. Étude et
documents, Paris – Cambridge 1987, p. 47-88 : ÉHÉSS (« Documents et recherches sur le monde
byzantin, néohellénique et balkanique », 14). Cf. le rapport de Domingo de Gaztelù à Charles
Quint sur la rencontre entre Dionisio et Radu Paisie : « Que en Constantinópoli halló el Bayvoda
o Rey de la Valachia, et qual es christiano y gran Seor, y el dicho Bayvoda lo llamó a su casa, y
encerrados en una cámara se descubrieron el uno all ótro, haviendo primero hecho los dos
sacramento solemne de guardar en secreto lo que ell uno all ótro descubriría ; y allí el dicho
deposante [Dionisia] dixo como era embiado de Vuestra Magestad en aquella ciudad, y que
pensava en breve bolver a quella, si mandava alguna cosa ; el dicho Vayvoda respondìó que no
osava allí descubrirse, ni darle cartas para Vuestra Magestad, por temor de las muchas guardias y
ezpias, pero que le daria una patente que traxesse consigo, para darla a la persona que Vuestra
Magestad embiaría en aquellas partes, que entrando en su senoría, sus vasallos le acompanasen
hasta llevarle en su presencia ; y que la dicha persona llevasse una letra de crehencia en Vuestra
410
PROJETS ET INTRIGUES SERBES À LA COUR DE SOLIMAN
Magestad, que haría quanto aquella le mandasse, porque muchos anos ha que dessea hallar
camino para tractar con Vuestra Magestad, por dar forma para libertar su reyno y persona, y las
ánimas de sus fieles christianos, que biven en continua servidumbre ; y ansí el dicho deposante ha
traido la dicha patente, firmada y sellada de su proprio mano y sello « (Al. Ciorănescu,
Documente, p. 16).
30
Cf., la même lettre, en date de (septembre - novembre) 1536, que supra, note 29 : « Dize
[Dionisio della Vecchia] que partío de Venecia a VI de Junio, y arrivó en Constantinopoli a XV
de Julio, adonde fué alojar en casa de Ayas Baxá, que es su pariente y al presente primer
consejero del Turco, por entender mejor los andamientos de la corte del dicho Turco, y lo demás
que convenía para hazer particular relación a Vuestra Magestad ; y los mayordomo y secretario
del dicho Ayas Baxá también dize que son sus parientes, de los quales ha entendido lo
infrascripto, demás que él lo ha visto ocularmente y tocado con mano... » (AGS, Estado Venecia,
1312, no 161 ; édition partielle chez Al. Ciorănescu, Documente, p. 15). Sur l’origine d’Ayas
pacha, voir le témoignage d’A. Geuffroy dans Jacques Chesneau, Le voyage de Monsieur
d’Aramon, éd. Ch. Scheffer, Paris 1887, appendice XI, p. 238.
31
Cf. la lettre citée supra, note 30. Al. Ciorănescu, Petru Rareş, p. 249-250, pense que
Dionisio a rencontré aussi, lors de ce voyage, le prince de Moldavie (Caraboldan = Kara-Bogdan).
La chose est possible, car les princes roumains devaient se rendre régulièrement à Istanbul pour
apporter le tribut dû aux Ottomans. Le 8 juillet 1537, Dionisio annonçait à l’Empereur que le
prince de Valachie avait donné son accord pour la coalition contre les Ottomans: « Ancora per
messo mandato aposta da parte del nostro reverendissimo Patriarcha al Signor della Valachia per
condurlo in devotione et servitio di Sua Maestà, tenemo eisposta per boccha del dito messo in
nostra grandissima satisfaction monstrandosi il prefato Signor promptissimo quanto nessu’altro de
servir aquella ad ogni tempo et occasion che intravenir potesse, insieme con tutti altri delle nostre
provincie et lingua » (AGS, Estado Venecia, 1313, no 142; éd. partielle chez Al. Ciorănescu,
Documente, p. 17).
32
Al. Ciorănescu, Documente, p. 17-18, et supra, note 28.
33
C. Giurescu, op. cit., p. 286-288 (10 janvier 1543).
411
MATEI CAZACU
voïévodes qui avaient autorité sur dix mille maisons et qui demandaient à leur
tour l’aide de Charles Quint contre les Ottomans34.
Quelle a été la réaction de Charles Quint à ces projets ? Comment
s’intégraient-ils dans les plans de croisade anti-ottomane échafaudés depuis
1532 ?
Nous sommes en fait mal renseignés sur la politique orientale de
l’Empereur faute d’un ouvrage équivalant à celui de Ion Ursu sur la politique
orientale de François Ier35 . Disons d’emblée que l’Empereur était enclin à la
prudence, et ce, pour plusieurs raisons. La première était le souvenir de l’échec
de la tentative similaire faite en Morée en 1532-1534 qui avait coûté cher en
hommes et en argent et n’avait eu aucun effet d’entraînement sur les populations
chrétiennes de la région36.
34
Cf. la lettre de Janno Zamagni du 10 février 1539, citée supra, note 28 : le comte Nicolo
de Pliescha (= Pliske ?), le comte « Nicolo Malesevaz con sui compagnia de Rudin », le
« voevoda Miladisano con suo seguachi chiamati Drobgnari », le « voevoda Pietro e conte
Giorgio con loro seguaci chiamati Dragnasi », le « voevoda Radoe con sui chiamati Chrabrieni »,
le « conte Giorgi con li sui chiamati Vuranessi », et, enfin, le « voevoda Radivoj de Tribine ».
Pour l’identification des catuns, voir S. Dragomir, Vlahii din nordul Peninsulei Balcanice în evul
mediu, Bucarest 1959, p. 43-47.
35
Voir pourtant L. von Ranke, L’Espagne sous Charles Quint, Philippe II et Philippe III,
ou Les Osmanlis et la monarchie espagnole pendant les XVIe et XVIIe siècles, Paris 1845 ; S. A.
Fischer-Galaţi, Ottoman Imperialism and German Protestantism 1521-1555, Cambridge 1959 ; H.
Hantsch, « Zum ungrischen-türkischen Problem in der allgemeinen Politik Karls V. », dans
Festschrift für K. Eder, Innsbruck 1959, p. 59-70 ; H. Kellenbenz, « Zur Problematik der
Ostpolitik Karls V. », dans Karl V. der Kaiser und seine Zeit, Cologne – Graz 1960, p. 118-137 ;
C. Ibanez de Ibero – Marques de Mulhacen, Carlo V y su politica mediterranea, Madrid 1962 ; H.
Hantsch, Le problème de la lutte contre l’invasion turque dans l’idée politique générale de
Charles Quint, Paris 1972.
36
F. de Laiglesia, « Un Establecimiento espanol en Morea en 1523 », dans Estudios
historicos (1515- 1555), I-III, Madrid 1918-1919 ; dans les AGS, Guerra y Marina, Legajo 6, fo
159, se trouve une liste des mercenaires grecs dans l’armée espagnole de Morée, en 1533-1534.
En voici les noms : Stamate Alemano de Coron, Capitan Fachimisio, Capitan Paulo Capuiso
(aussi Capursio), Emanuel, Juan, Gallo Premerdino de Patras, Capitan Dima Grapsa de Coron,
Andres Josques, Vincentio Calarcopulo, Andrea Sirula, Jorge Josques, Jacobo Minaya, Capitan
Guini Mavromati, Capitan Leo Chaicali de Andrussa, Capitan Michel Marramal, Capitan Pedro
Satropolo, Capitan Pallologo Stratigo, Demite Savro escayde, Antonio Stratigo, Georgio
Romaniti, Polo Diplovatiri, Capitan Manoli Cavachi de Coron, Capitan Joan Yuzi, Capitan Nicolo
Yuzi, Capitan Nicolo Parigori, Capitan Paulo Barsi, Capitan Laçaro Ria, Capitan Priote [preot =
prêtre ?] Menaya [= Mina ?], Capitan Stefano Cavalari, Capitan Francesco Yezi, Capitan Nicolae
Litardo, Capitan Teofilato Spignari, Ghini Manese, Nicolae Chrechocia, Domitri Gatha, Jeorgio
Stagnila [= Stanila ?], Domenera Boscaya, Sotta Limusachi, Petro Yrizi, Michael Yuzi, Ygrin
Musachi, Dimitri de Grilla, Apostolo Zerba, Petruzo Andagna, Theodoro i Michael, Antonio y
Palhologo Estratigos, frères, Paulo Barte, Juan Maino, Dimitri Grarasa, Mirchia Grarasa, Elia
Aicaha, Polo Cagnani, Nicolo Romano, Capitan Andrea Crapiglia et Capitan Augustin Berbati [=
Barbat].
412
PROJETS ET INTRIGUES SERBES À LA COUR DE SOLIMAN
D’autre part, l’alliance de François Ier avec Soliman (réalisée d’abord avec
Barberousse) décida Charles Quint à agir contre ce dernier37. Le problème
essentiel était celui de la flotte impériale qui se trouvait sous les ordres de
l’amiral génois Andrea Doria : Dionisio della Vecchia avait été invité par
l’Empereur à s’adresser à l’amiral en vue du débarquement à Scutari et s’était
heurté à un refus catégorique de ce dernier38. Finalement, ce fut l’expédition
contre Tunis et La Goulette, en 1535, qui bénéficia de l’attention de Charles
Quint, plus désireux de combattre les Infidèles que de devenir le protecteur des
« schismatiques » serbes. Car il ne faut pas négliger cet aspect qui rend Charles
si différent de son contemporain et adversaire François Ier ; en effet, l’Empereur
n’a jamais pu se décider à aider les Orthodoxes, fût-ce contre les Turcs, alors
qu’il avait fort à faire contre les protestants en Allemagne.
37
E. Charrière, Négociations de la France dans le Levant, I, Paris 1848, p. 184-196 ; V.L.
Bourilly, « L’ambassade de La Foret et de Marillac à Constantinople », Revue historique 76
(1901), p. 297-328 ; L. Cardauns, « Zur Geschichte Karls V. in den Jahren 1536-1538 », Quellen
und Forschungen aus italienischen Archiven und Bibliotheken 12 (1909), p. 189-211, 321-367 ;
G. Zeller, « Une légende qui a la vie dure : les capitulations de 153 », RHMC 2 (1955), p. 127-
132 ; C. Göllner, Turcica, p. 108-110. Pour l’expédition contre Tunis, voir G. Voigt, « Die
Geschichtsschreibung über den Zug Karls V. gegen Tunis », dans Abhandlungen der sächsischen
Gesellschaft der Wissenschaften, 1874, p. 162-243.
38
Cf. la lettre de Dionisio à Charles Quint en date du 4 octobre 1538: « Havendo mi leto il
Signor orator Don Lope quel capitulo che Vostra Majesta ali otto de septembrio scrive sopra le
cose mie, parendo a quella per più conveniente resolution che jo debbia recorrer et consultar il
negotio con en principe Doria, qual sera da Vostra Majesta instrutto di quello accade, jo non posso
se non laudar grandemente tal prudente et bona déliberation, non solamente per esser ditto
principe de summa virtù et prudentia, ma anche per esser molto opportuno con sue forze di meter
la cosa a bon effecto. Et cusi per consiglio del senior orator Don Lope, ho deliberato de mandar el
mio nepote Joane allo illustrissime principe per intender l’ordine che sua Signoria potra metter
sopra tali negotij. Ma se per caso el ditto principe se alontanasse per tal distantia che non potesse
suplir al fatto, in tal occasion mi e parso de amonir Vostra Majesta che seria neccessario de
cometer questo carigo al vicere de Napoli como piu propinquo al logo... » (AGS, Estado, Legajos
1314, no 20). Trois mois plus tard, l’optimisme de Dionisio se transforme en désespoir. Voici ce
qu’il écrit à l’Empereur le 2 janvier 1539 : « Juxta l’ordine et comandamento di Vostra Maestà
che jo dovessi recorrer al Signor Principe Doria per tractar li mei negotij, subito mandai Joane
mio nepote da su Signoria a Corphu dove alhora si ritrovava, ma daspoi pervenuto a Castelnovo li
dette mie lettere et a bocca li significò apieno il mio concepto. La cosa parse al primo molto grata
a su Signoria desiderando che in persona jo fusse stato li presente per haver dato mari ali mei
desegnj. Ma dappoi il principe ha proceduto si fredamente in questo negotio chel me pare mutato
de opinione monstrando di far poca stima di questa impresa non solamente per la tardança de su
risposta (es)sendo state sue lettere circa 50 giorni a comparir, ma anche per non haver mai dato
niuno aviso al Signor Ambassador Don Lope circa le cose mie. Il Principe me scrisse che io me
dovessi transferir a Brandizo o dove fusse, ma sendo incerto in qual logo jo debba ricorrer... »
(AGS, Estado Venecia, 1314, no 167). Pour Andrea Doria, voir la monographie de É. Petit, André
Doria. Un amiral condottière du XVIe siècle, 1466-1560, Paris 1887 ; José Maria del Moral, El
Virrey de Napoles Don Pedro de Toledo y la guerra contra el Turco, Madrid 1966.
413
MATEI CAZACU
39
L. Cardauns, Von Nizza bis Crépy. Europäische Politik in den Jahren 1534 bis 1544,
Rome 1923, p. 24-47 (« Bibliothek des preussischen historischen Instituts in Rom », 15) ; C.
Göllner, Turcica, p. 113-114.
40
Dionisio della Vecchia à Charles Quint (1-10 août) 1538 : « Il caso e che havendo jo
questi giornj passatj dato noticia al prefatto reverendissimo nostro patriarcha dela venuta de Sua
Majestà a Niza et de la tregua segujta tra sua Maiestà et il Re di Franza, me scrive per una sua, de
quanto comforto et alegreza li sia stato a tutti loro la ditta nova persuadendosi che essendo pace in
queste bande, la impresa si fara più gagliardamente, et che le cose di Christianj prosperavano con
lo aiuto divino » (AGS, Estado Venecia, 1314, no 58).
41
N. Iorga, Geschichte des osmanischen Reiches, II, Gotha 1909, p. 424-426 ; M.
Guboglu, « L’inscription turque de Bender relative à l’expédition de Soliman le Magnifique en
Moldavie (1538/945) », SAO 1 (1958), p. 175-187.
42
L. Bonelli, « Il trattato turco-veneto del 1540 », dans Centenario della nascità di Michele
Amari, II, Palerme 1910, p. 332-363 ; A. Bombacci, « Ancora sul trattato turco-veneto del 2
ottobre 1540 », Rivista degli studi orientali (1943), p. 373-381 ; C. Villain-Gandossi,
« Contribution à l’étude des relations diplomatiques et commerciales entre Venise et la Porte
ottomane au XVIe siècle », SOF 26 (1967), p. 22-45 ; ibidem 28 (1969), p. 13-47 ; ibidem 29
(1970), p. 290-301 ; C. Göllner, Turcica, p. 115-117 ; T. Gökbilgin, « Le relazioni veneto-turche
nell’età di Solimano il Magnifico », Il Veltro 23 (1979), p. 277-291 ; K. Benda, « La diplomatie
de Venise et la monarchie des Habsbourgs au XVIe siècle », dans Atti del convegno di studi italo-
ungheresi, Florence 1973, p. 157- 165.
43
Le second testament de Dionisio, daté du 6 novembre 1539, est la dernière mention que
nous connaissions de lui. On y lit, notamment, que notre homme était « sano per la gratia de dio
dela mente e del inteletto, ma ben amalado del corpo » (J. Tadić, op. cit., p. 356). Six mois plus
tôt, don Lope de Soria quittait Venise et la place d’ambassadeur d’Espagne revenait à Diego
Hurtado de Mendoza, nommé le 15 avril : AGS, Patronato Real, 3823. Le 17 septembre de la
même année, le nouvel ambassadeur rapportait à Charles Quint que Martin de Zornoza « aqui me
ha hablado de un cierto Dionisio de la Vecha sobre lo de Escutari... » : AGS, Estado Venecia,
Legajo 1497, libro E. 67, fo 20. C’est surtout le refus d’Andrea Doria d’envisager le débarquement
à Scutari qui a chagriné Dionisio. Cela ressort de la lettre qu’il adresse à Charles Quint le 2
janvier 1539, et dont on a déjà cité un extrait supra, note 38 : « Et anche, vedendo il tempo tanto
scorso, ho deliberato d’expectar la venuta de Vostra Maestà in Italia (qual spero sara di breve), per
deliberar et expedir finalmente il mio negotio, benche asai me duole dil tempo perso et de le tante
promesse fatte ali mei inteligenti et principali del paese insieme con il Patriarcha, quali sono tutti
in grandissima expectatione che io venga nel paese con il favor di Vostra Maestà, como gia ho
designato, non pensando ne di, ne nocte, in altro excepto di condur queste mie pratiche in honor et
414
PROJETS ET INTRIGUES SERBES À LA COUR DE SOLIMAN
Il faut dire, à la décharge de Charles Quint, que des doutes sur la fiabilité
de Juan Serafin, le neveu de Dionisio, considéré à tort ou à raison comme espion
turc, avaient freiné l’enthousiasme de l’Empereur pour les plans de l’oncle44.
Charles fut toutefois généreux avec Dionisio : en 1536, après le retour
d’Istanbul de ce dernier, l’Empereur lui offrit mille écus d’or et lui conféra le
titre de comte palatin et un blason représentant, dans la partie supérieure, un
oiseau aux ailes déployées, et dans le champ inférieur un animal qui pourrait
être un loup. La légende était « Dionisius a Vechia comes palatinus » et notre
imprimeur fit graver son blason sur un livre de 1537 et le fit peindre sur une
icône lui appartenant45. Evidemment, dans le cas du livre, il omit prudemment la
légende qui aurait trahi, aux yeux des Vénitiens mais aussi des Turcs, ses
relations secrètes (pratiche ou platicas, en espagnol) avec Charles Quint. Qui
plus est, il se confectionna une bannière avec ses armoiries, qu’il légua par
testament au monastère serbe de Mileševo46.
Par ce même testament, en date du 6 novembre 1539, il demandait à être
enterré dans l’église de Starčeva Gorica, sur une île du lac de Scutari, où sa
tombe a été ouverte à la fin du siècle dernier47. En l’absence de toute inscription
ou pierre tombale, la date précise de la mort de Dionisio della Vecchia –
Božidar Vuković nous est inconnue.
beneficio di quella ety certamente da 7 anni in qua mai ho cessato de animo, di fede, de diligentia
et di meter la vita ad ogni extremo pericolo con damno di tempo et della robba per far servitio a
Vostra Maestà et tirar in suo favor tutta la nostra natione, qual in uno momento quando sara
l’ocasion, alzera l’aquila victrice per tutto il paese con animì et forze non mediocri » (AGS, Estado
Venecia, 1314, no 167).
44
Voir les lettres du 10 mai et du 2 juin 1537 : AGS, Estado Venecia, 1313, nos 27-29, 160.
45
Pour les mille ducats, voir la lettre de Charles Quint à don Lope de Soria du 2 juin 1537 :
Madrid, Real Academia de Historia, 9/9/7, no 106, et la lettre de Dionisio à l’Empereur du 14
septembre : AGS, Estado Venecia, 1313, no 112. Pour l’Qctoèque de 1537, cf. J. Badalić, op. cit.,
no 43 ; W. Schmitz, op. cit., no 24 ; M. Harisijadis, Obojene grafike u Oktoichu petoglasniku
Božidara Vukovića Patrijaršijske Biblioteke u Beogradu, Belgrade 1967. Pour l’icône de
Dionisio-Božidar, voir L. Mirković, « Ikona sa zapisom Božidara Vukovića », Starinar III/7
(1932), p. 127 ; D. Medaković, Grafika srpskih štampanih knjiga XV-XVII veka, Belgrade 1958,
p. 47-49, 128 ; V.J. Djurić, Icônes de Yougoslavie, Belgrade 1961, no 54, p. 117. À noter la
représentation, dans l’angle supérieur gauche, des armoiries avec l’inscription : « † Belěg’
Voev(o)de Božidara † IMP. CAES.CAROLUS.V. ». Le peintre de l’icône, auteur d’une longue
inscription mentionnant qu’elle avait été offerte au couvent de Saint-François de Venise, est le
moine et prêtre (hiéromoine) Pacôme du couvent de l’île de Scutari. La date de l’icône est le 7
mars 7029, qui correspond au millésime 1521. Ceci montre que les armoiries ont été peintes plus
tard, après 1537, lorsque Dionisio-Božidar fut nommé comte palatin par Charles Quint.
46
Cf. le testament du 6 novembre 1539: « Item lasso la mia bandiera che xe indorada ali
caloieri de Miliseo » (J. Tadić, op. cit., p. 356). Mileševo recevra également d’autres dons de
Dionisio-Božidar.
47
P. Rovinski, « Obodska štamparija i njen značaj », Proslavna spomenica
četiristogodišnjice obodske štamparije, Cetinje 1895, p. 52-53 ; I. Ruvarac, sur Starčeva Gorica,
dans l’île Vranjina, sur le lac de Scutari, dans Prosvjeta II (1894), p. 421-425, 475-479, 530-540,
645-657.
415
MATEI CAZACU
Son œuvre porta des fruits notamment sur le plan de l’imprimerie. Avant
de mourir, Dionisio avait offert une imprimerie à un parent éloigné (il ne figure
pas dans ses testaments), Dimitrije Ljubavić, qui lui servait vraisemblablement
d’agent de liaison avec les Serbes d’Istanbul et de Grèce. Après la mort de son
oncle, Dimitrije Ljubavić se rendit en Valachie où il installa l’imprimerie qui
commença à fonctionner en 154448. Cette année marque le véritable
commencement de l’imprimerie dans ce pays, si l’on met de côté une entreprise
éphémère entre 1507 et 1512, due à un moine originaire lui aussi du
Monténégro49. Dans l’imprimerie de Dimitrije Ljubavić, transportée par la suite
à Braşov (Kronstadt), en Transylvanie, se sont formés la plupart des
typographes roumains du XVIe siècle et notamment le diacre Coresi, le plus
important de tous50.
À Venise même, le fils de Dionisio, Vincenzo, hérita de l’imprimerie
paternelle où il publia des livres slaves de 1546 à 1561, livres qu’il exportait
jusqu’en Hongrie par l’intermédiaire de son oncle Gaspar Vuković et du libraire
sicilien Ambrogio Corso. Mais, les affaires marchant mal, il ferma l’entreprise
et vendit les presses et les matrices à un imprimeur originaire de Macédoine,
Iakov, qui publia en 1566 un livre d’heures en cyrillique bosniaque51. Enfin, en
1574, « réduit à la misère », selon ses propres termes, Vincenzo, qui se disait
« descendant des despotes de Serbie », proposait au pape Grégoire XIII
d’ouvrir, à Rome ou à Ancône, une imprimerie pour les catholiques serbes.
Devant les réticences du souverain pontife, Vincenzo abandonna le projet,
déclarant qu’il se mettrait au service de l’Empereur. Après cette date, nous
perdons toute trace de lui52.
En fin de compte, cette activité typographique est tout ce qui reste de
tangible après Božidar Vuković. Le vieil homme ne se vantait pas lorsqu’il
écrivait à Charles Quint qu’à la seule mention de son nom, les Serbes allaient se
48
Nous nous permettons de renvoyer à notre étude « Dimitrije Ljubavić (c. 1519-1564) et
l’imprimerie slave dans l’Europe du Sud-Est au XVIe siècle. Nouvelles contributions », dans Le
livre en Méditerranée (XVe – XVIIIe siècles), Klincksieck – Paris 1991.
49
É. Picot, Coup d’œil sur l’histoire de la typographie dans les pays roumains au XVIe
siècle, Paris 1895 (extrait du Centenaire de l’Ecole des Langues orientales vivantes) ; P. P.
Panaitescu, « Der Oktoich des Makarij (1510) und der Ursprung der Buchdruckerei in der
Walachei », SOF 5 (1940) ; V. Molin – D. Simonescu, « Tipăriturile ieromonahului Macarie
pentru Ţara Românească », BOR LXXVI (1958), p. 1005-1034 ; L. Demény, « L’imprimerie
cyrillique de Macarios de Valachie », RRH 8 (1969), p. 549-574.
50
I. Gheţie – Al. Mareş, Originile scrisului în limba română, Bucarest 1895 ; M. Cazacu,
op. cit., notes 41 et 42.
51
M. Roques, « Deux livres d’heures du XVIe siècle en cyrillique bosniaque », RÉS 12
(1932), p. 49-69.
52
M. Rešetar – C. Giannelli, Dva dubrovačka jezična spomenika iz XVI vijeka, Belgrade
1938, LXI, no 1 (« Posebna izdanja, Srpska kraljevska Akademija », 122) ; A. Tinto, « Per una
storia della tipografia orientale a Roma nell’età della Controriforma. Contributi », Accademie e
biblioteche d’Italia 41 (1972), p. 287-288, 299-301, notes ; C. Marciani, op. cit., p. 346-348, 355-
359.
416
PROJETS ET INTRIGUES SERBES À LA COUR DE SOLIMAN
53
Dans une annexe à la lettre qu’il adresse à Charles Quint le 4 octobre 1538, Dionisio
della Vecchia écrit : « † Io adi mando a sua mayesta che me fatia una patentte et comisyone
generale de bona e santa vita in bona forma che cometta a tuti tanto in la provincia del duchado de
Servia, quantto in el sanzachado de Schutary quali paesi tuti quali paesi tuti quali populi xe sono
ala dévotion de nostro patriarcho de la Servia et stano a la sua hobedientia et alj sui veschovy. Et
che ditta mia patente e comisyon sia et comanda a tuti lj altri capy et soldatti che ne stavano che
tuti quasi debiano star al mio comandamentto et che jo possa metere per tutti li lochi che sara de
besognio persone che tengo casa et justitia et per costodio et per el governo secundo li lochii dar
el caricho a persone che meryta sufitientti in la lingua et chustodir et armar li popullj et che tutty
me siano hobedienttj sotto la pena et de la disgracia de la sua Majesta et che ditta comessyon se
facie solene con tute lle altre cosse che se rechiede et conveniente a tale inprese et prese dichundo
il mio nome Dionisio delà Vechia ditto Bosydar » (AGS, Estado Venecia, 1314, no 21). Dans des
lettres antérieures, Dionisio précisait qu’il demandait à l’Empereur « di farmi Despoto della
Servia, fu solum per tirar le cose designate a bon effetto et dar bon animo a tutti del paese, che
dapoi exequiti i desegni, Sua Maestà mi potrà rimunerar sechondo li parerà per sua bontà et
prudentia » (Al. Ciorănescu, Documente, 20) ; en novembre 1538, il demandait la patente pour
être « dominus dominantium » (AGS, Estado Venecia, 1314, no 22). Son fils, Vicenzo, se disait
« figlio di Dionisio de dispoti della Servia » (A. Tinto, op. cit., p. 300, note 79). Dans ses livres
imprimés, Dionisio utilisait le monogramme Bož, abréviation de son nom serbe, Božidar, qui
signifie également « Dieu ». Ce monogramme était devenu très connu dans l’Europe orientale et
fut imité plus tard par d’autres imprimeurs. Cf. A. Mareş, « În legătură cu o nouă explicaţie a
monogramei Bož din tipăriturile sârbeşti şi româneşti », Limba română 21 (1972), p. 463-469.
54
La meilleure preuve que Dionisio della Vecchia était mort fin 1539 ou début 1540 nous
semble être la lettre de l’ambassadeur don Diego Hurtado à Charles Quint, en date du 23 mai
1540, lui annonçant l’arrivée d’un moine vraisemblablement envoyé par le patriarche Prochor. Le
fait qu’il ne mentionne pas Dionisio, qui aurait dû normalement être informé de ce message, nous
fait croire que ce dernier était mort avant cette date. Voici le passage en question : « Escrita esta
es llegado un fray ce que truxo las cartas a con el passado despachos embie a Vostra Magesta dize
que los de Escutari que tan firmes en su proposito y que el alcay de siempre que fuere gente de
Vestra Magesta dara el castello. Yo le hedado cartas para che en un monasterio de Fiume lo
entretengan hasta haver la respuesta de Vostra Magesta » (AGS, Estado Venecia, Legajo 1497,
Libro E. 67, fo 82vo).
417
MATEI CAZACU
Annexe
418
PROJETS ET INTRIGUES SERBES À LA COUR DE SOLIMAN
scrivesi a quelli per persona aposta, tutti se solevariono con bun numero di
gente, la qual andaria dovunque fia ordinato a loro de Vostra Maestà, per la
quale potria fare molti boni effecti in servitio di quella, et esser causa di
recuperar la Ungaria. Et se renda per certo Vostra Maestà che anchor a questi
Signori venetiani vegendo seguito un tanto effecto per esser il luogo
importantissimo, subito cercariano di confederarsi con Vostra Maestà contra il
Turco, per che e certo che chi e signor di quel luogo et maximamente con tale
forze quale sono quelle de la Maestà Vostra medessimamente sarebe padrone
de tutte quelle provintie che li sono al intorno, li quali subito che intendessino
che quella fortezza fuse in mani de Vostra Maestà, se rivelarian contra el
Turco. Et non volendo pur Vostra Maestà che ditto exercito o populi al presente
si congregasino (nonobstante che per mia opinione ne sarebe molto utile), al
mancho si pigli quel luogo per che con quello solo si potrebe rompere molti
disegni che il Turco potria tenere, o tiene gia facti. Et dicto luogo metendovi
bonba guardia si sarebe per difendere per mille anni da tutta la potentia del
Turco, oltra che io spero che si trovera benissimo provisto di monitioni et di
tutte quelle cose che fano di mestiero a tenersi, et quando pur munitioni o
victuaglie manchasino, presto se ne potria fornire di luoghi vicini, per esser
paese fertile et abondante, essendo solamente necessario proveder gli di
polvore.
Hora la Maestà Vostra debe considerar bene che in questa impresa si
aventura poco o niente in modo tengo tramada la cosa et l’utile che fara sara
grandissima in servitio de Dio et di Vostra Maestà. Et se dice che tuttavia
persevera el Turco en armare et far galere in mar Magiore et altri suoi luoghi
et pero se puoi tener per certo che l’anno che viene vorra far nova impresa, se
non per altro, per recuperar la reputatione la quale ha perso questo anno, et
essendo questo cusi como e, sara grandemente aproposito rechar a effecto
questa cosa, la quale me persuado che non sara mancho utile a rompere tutti
desegni del Turco che quanta armada di mare se li potese far contro, per che e
certo che’l Turco per terra non potra dar noia ale cose de Italia, et non potendo
venir per terra, e poco quello che sua armata puoi far per aqua. Per la qual
cosa havendo Vostra Maestà in animo di rechare a effecto questa cosa me lo
fara intendere a tempo che anchora io possa meter in ordine i cosi mei et
avisare li amici et che la cosa possa esser effectuada per tutto zener mentra li
nocti son longhi, etc.
Dapoi di haver scripto fin qui ho inteso como questi signori veneziani son
confederati con la Maestà Vostra et pontifice contra el Turco est cosa
certamente da me longamente dessiderata per molti rispetti et precipue per
questa nostra impresa che spero sara molto facilitar. Et ala causa anchora che
prima haveva cumunicado questa materia con don Lope de Soria suo oratore,
afin che anchora lui facesse intender a Vostra Maestà. Adeso havendo inteso
questa nuova et parendomi esser per effectuar questa impresa al presente il
419
MATEI CAZACU
tempo piu oportuno che al mio parer posa esser, et che per scriptura non posso,
cusi a pieno, monstrar il mio concepto, me ha penso di mandar persona espresa
per dimonstrar di nuovo a Vostra Maestà il animo mio et disegni circa le cose
atenenti a questa impresa et como a persona di qualità, et che nui benissimo ci
possiamo fidar essendo di intrega et aprobata fede et afictionatissimo servitor
de Vostra Maestà ho eletto a Domenigo de Gaztelù lator de la presente (el qual
gia do volte ha stado da Vostra Maestà con il mio nepote). Per tanto supplico
humilmente a Vostra Maestà che si degnir dar al ditto Gaztelù grata audientia
et indubitata fide a quanto de mia parte per lui sara referita. De la partida del
quale per certi mei boni rispetti como del ditto Gaztelù potra aboca intendere
non ho vogliuto dar parte al presento Don Lope suo Ambaxadore. Et havendo
de mandar ali personagii che sa Vostra Maestà alguna persona con lettere di
credenza, el ditto Gaztelù me persuado potria servir in tal viagio in compagnia
di alguni nostri per che oltra a che esso, e ben instructo in tale afare e
fidelissimo et custodira molto bene tutto quello che li sara comesso.
Dato Venetiis XIIIIo septembre 1537.
AGS, Estado Venecia, 1313, no 110. Le passage entre crochets est écrit en
chiffre et déchiffré en marge du texte.
420
PROJETS ET INTRIGUES SERBES À LA COUR DE SOLIMAN
[...] Dionisio dela Vecha me ha dicho che en este dia es arrivado aqui un
mensagero del baxan de la Bosnia con leteras de Abrayn baxa para esta
reppublica y al rey de Francia y al vayuoda de Hungria, pero no se sabe lo che
contienen... Mas me ha dicho el dicho Dionisio che en el mes passado passando
per la Bosina nunchos dineros che embiava el vayuoda al Turcho de tributo de
Hungria de dos annos y che el Turco ha scripto al baxan dela Bosina che haga
buscar todos los maestros de hazer...
Signor Ambassator,
Il messo rev. xe fo qui da mi ier sera da parte de Vostra Signoria del quale
ho inteso il tutto, ret.vi rispondo circha queste nuove che sono venute da quatro
zorni in qua, delli cavalli 14 mille turchi esser venuti sopra Zara a uno luogho
nominato Chiecovo, e par che questa città sie piena de tale nove, digando
voleno passar per il Frioll e molte altre zanze. Io vi dico per non e certe che
oramai sono dui mesi che io le so che quatro sanjachi volevano meterse in
ordine per venir à Clisa e più oltre fino a Segna a far le sue solite correrie
como hanno fatto per li tempi passati. De che Vostra Signoria non dubite che
sia cosa de’momento, per che questi cavalli si risolverano in 5 mille al più et
non passarano avanti delli ditti luoghi de Clisa et Segna et circumvezini et per
zornata trovarete la verità.
E vi circa le cose de Constantinopoli per le ultime de 23 de mazo, l’armata
dovea usir fuora del stretto per tutto zugno, seranno 60 over 70 velle infra foste
e gallie, le quale sono tanto bene in ordine che non serano sufficienti per 4 o
altre velle et trattarano per toccar in Pullia, Calabria et Secilia et farano opere
de ladri, non chose Regie. Et queste zanze che Vostra Signoria ha inteso in
Venetia non credatti niente perche sono tutte fatte et ditte a qualche suo designo
per disturbar la empresa de la Cesarea Majestad et volendo Vostra Signoria
scriver a soa Majesta queste mie poche parolle, le avisarite de mia parte perche
questa e la veritta et che non dubita per questo anno delle cose turchesche che
possanno far’ cosa de importantia...
3. 1537, 8 juillet. Venise. Dionisio della Vecchia à Charles Quint sur son
voyage et sur les mouvements des Turcs.
421
MATEI CAZACU
AGS, Estado Venecia, 1313, no 142. Édition partielle par Al. Ciorănescu,
Documente, op. cit., p. 17.
422
V.
Prosopographie et généalogie
LES PARENTÉS BYZANTINES ET OTTOMANES
DE L’HISTORIEN LAONIKOS CHALKOKONDYLE
(c. 1423 - c. 1470)*
* La présente étude s’inscrit dans le cadre des travaux de l’Équipe de Recherche Associée
(ERA) no 111 du Centre National de la Recherche Scientifique, à Paris.
1
Laonici Chalkokondylae Historiarum demonstrationes, ad fidem codicum recensuit,
emendavit annοtation ibusque criticis instruxit Eugenius Darkó, 2 tomes en 3 parties, Budapest
1922, 1923, 1927. Vasile Grecu a publié une traduction roumaine de cette chronique sous le titre
Laonic Chalcocondil, Expuneri istorice, Bucarest 1958 (« Scriptores Byzantini », II).
2
Voir la bibliographie de la question chez G. Moravcsik, Byzantinoturcica, I, Die
byzantinischen Quellen der Geschichte der Türkvölker, Berlin 1958, p. 391-397.
3
W. Miller, « The last Athenian historian : Laonikos Chalkokondylès », JHS XLII (1922),
p. 36-49 ; F. Pall, « Ciriaco d'Ancona e la crociata contro i Turchi », Bulletin Historique de
l’Académie Roumaine XX (1938), p. 52.
4
Ε. Darkó, « Zum Leben des Laonikos Chalkondyles », BZ XXIV (1923-1924), p. 29-39.
5
K. Güterbock, « Laonikos Chalkondyles », Zeitschrift für Volkerrecht und Bundes-
staatsrecht IV (1909), p. 72-102.
6
Chalkokondyle, éd. Darkó, II/1, p. 189 : « και πρώς βασιλέα Ρωμαίων Άλβερτον
επολέμει, μεγάλα αποδεικνύμενος εργα, και Βράγαν τε και Βοέμους υπηγάγετο, ώστε οι αμφω
τάς ηγεμονίας υπηκόους γένεσθαι ».
MATEI CAZACU
426
LES PARENTÉS BYZANTINES ET OTTOMANES
15
A. Ducellier, « La France et les îles Britanniques vues par un Byzantin du XVe siècle :
Laonikos Chalkokondylis », dans Mélanges E. Perroy. Économies et sociétés au Moyen Âge,
Paris 1973, p. 439-445.
16
H. Ditten, « Bemerkungen zu Laonikos Chalkokondyles’ Deutschland-Exkurs »,
Byzantinische Forschungen I (1966), p. 49-75.
17
H. Ditten, Der Russland-Exkurs des Laonikos Chalkokondyles, interpretiert und mit
Erläuterungen versehen, Berlin 1968 (« Berliner Byzantinische Arbeiten », 39).
18
H. Ditten, « Laonikos Chalkokondyles und die Sprache der Rumänen », dans Aus der
byzantinistischen Arbeit der D.D.R., I, Berlin 1957, p. 93-105 ; V. Grecu, op. cit., Introduction, p.
19-22.
19
H. Ditten, « Bemerkungen zu Laonikos Chalkokondyles’ Nachrichten über die Länder
und Völker an den europäischen Küsten des Schwarzen Meers », Klio XLIII- XLV (1965), p.
185-246.
20
Voir aussi ce qu’en disait Ν. Iorga, « Médaillons d’histoire littéraire byzantine »,
Byzantion II (1925), p. 298, note : « Laonikos Chalkokondylas sort de notre cadré : il appartient,
comme esprit politique, à l’Empire ottoman et, comme conception littéraire, à la Renaissance ».
21
Chalkokondyle, éd. Darkó, II/2, p. 230 : « επυθόμην δέ μετά ταΰτα των περιοίκων
γενέσθαι τα σώματα αμφΐ τα εξακισχίλια, υποζύγια δέ πολλαπλάσια ».
22
Démètre a pu fournir à notre historien certaines informations concernant les Roumains et
les Tatars. On sait qu’il se réfugia en Italie vers 1449, d’abord à Pérouse, puis à Rome, où se
trouvait un de ses parents, le célèbre patriarche unioniste de Constantinople Grégoire III Mammas
(1445-1451), de la famille des Mélissènes : voir Georgios Sphrantzès, éd. V. Grecu, Bucarest
1966, p. 342-343, qui donne son nom de famille ; V. Laurent, « Le vrai surnom du patriarche de
Constantinople Grégoire III (†1459) », RÉB XIV (1956), p. 201-205. À une date non déterminée,
mais très vraisemblablement vers 1456-1458, Démètre fut envoyé en ambassade par le pape
Calixte III in Sauromatas Scythas, mission qui est à rapprocher de celles du Frère mineur
Lodovico de Bologne à Trébizonde, en Ibérie, en Crimée, en Russie, en Georgie et chez Ouzoun
Hassan, en vue de recruter des alliés pour combattre les Ottomans : voir M. Landwehr von
Pragenau, « Ludwig von Bologna, Patriarch von Antiochien », Mitteilungen des Instituts fur
österreichische Geschichtsforschung XXII (1901), p. 288-296 ; A. Bryer, « Ludovico da Bologna
and the Georgian and Anatolian Embassy of 1460-1461 », Bedi Kartlisa, n.s., XIX-XX (1965), p.
178-198 ; G. Valentini, « La crociata da Eugenio IV a Callisto III (dai documenti d’archivio di
Venezia) », AHP XII (1974), p. 91-123 ; A. Barghelesi Severi, « Nuovi documenti su fr. Ludovico
da Bologna, al secolo Lodovico Severi, nunzio apostolico in Oriente (1455-1457) », AFH LXIX
(1976), p. 3-22 ; J. Richard, La papauté et les missions d’Orient au Moyen Âge (XIIIe - XVe
siècles), Rome 1977, p. 274-279 (« Collection de l’École française de Rome », 33). Lors de cette
ambassade, il passa aussi par Târgovişte, la capitale de la Valachie, dont il parla à ses élèves de
427
MATEI CAZACU
Padoue, où il enseigna à partir de 1463. L’un d’entre eux, Andrea Brenta, allait s’en souvenir en
ces termes, dans son discours intitulé In disciplinas et bonas artes oratio Romae initio gymnasii
habita (1480) : « Nam de ceteris quid mirabilius est, sed a praeceptore meo Demetrio Atheniensi
puer audivi, qui legatus in Sauromatas Scythas profectus est, esse civitatem illic longe
nobilissimam et potentissimam, in qua adhuc ita verba nostratia sonant, ut nihil suavius sit quam
illos antiquo more romano loquentes audire ? » ; voir K. Müller, Reden und Briefe italienischer
Humanisten, Vienne 1899, p. 73. L’identification de la cité avec la capitale de Valachie est due à
R. Sabbadini, « Quando fu riconosciuta la latinità del rumeno », Atene e Roma XVIII (1915), p.
83-85 ; voir aussi O. Densuşianu, Histoire de la langue roumaine, I, Paris 1901, p. 214. Le même
Démètre a pu recueillir des informations à Rome de la bouche des ambassadeurs orientaux ayant
traversé la Valachie en 1460 et venus en Italie négocier une alliance contre les Ottomans : G.
Müller, Documenti sulle relazioni delle città toscane col' Oriente christiano e coi Turchi fino
all’anno MDXXXI. Raccolti ed annotati da..., Florence 1879, p. 488.
23
Voir E. Brayer – P. Lemerle – V. Laurent, « Le Vaticanus Latinus 4789 : Histoire et
alliances des Cantacuzènes aux XIVe – XV e siècles », RÉB IX (1951-1952), p. 90 et suiv. ; Fr.
Babinger, Die Aufzeichnungen des Genuesen Iacopo Promontorio de Campis über den
Osmanenstaat um 1475, Munich 1957, p. 14-15 (« Bayerische Akademie der Wissenschaften,
Philosophisch-historische Klasse, Sitzungsberichte, Jahrgang 1956 », Heft 8) ; idem, Johannes
Darius (1414-1494), Sachwalter Venedigs im Morgenland, und sein griechischer Umkreis,
Munich 1961, p. 62 et note 2 (même collection, 1951, Heft 5).
24
Pour les éditions de l’ouvrage voir Fr. Babinger, « Sultan Mehmed II. und ein heiliger
Rock », Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft CVIII (1958), p. 266 et note
(repris dans idem, Aufsätze und Abhandlungen zur Geschichte Südosteuropas und der Levante, I,
Munich 1962, p. 214).
25
Nous avons utilisé l’édition italienne, Lucques 1550, publiée par C. Sathas, Documents
inédits relatifs à l’histoire de la Grèce au Moyen Âge, IX, Paris 1890, p. 261.
26
G. Miskolczi, « Adatok Laonikos Chalkondyles életrajzához », Történelmi Szemle II
(1913), p. 198-214 ; Ş. Baştav, Die türkischen Quellen des Laonikos Chalkondylas, p. 37 : « Ja es
drängt sich sogar die Überzeugung auf, dass er mit hervorragenden Persönlichkeiten des
öffentlichen Lebens in engen Beziehungen stand, da er Kenntnis von den Ratgebern des Sultans
und den intimsten Dingen verrät ». Pour Omer bey, voir A. Nimet, op. cit., p. 62-64.
428
LES PARENTÉS BYZANTINES ET OTTOMANES
beg avec Athènes, est restée sans écho. Pour notre part, nous serions tenté de
prendre en considération un autre personnage de premier plan, à savoir
Mahmoud pacha, grand vizir de 1453 à 1467, puis de 1472 à 1473, beglerbeg de
Roumélie, étranglé sur ordre de Mehmet II en 147427.
Une lecture attentive de l’ouvrage de Chalkokondyle permet en effet de
constater que, après le sultan Mehmet II, Mahmoud pacha est le personnage le
plus souvent cité par notre auteur28. Certes, cela pourrait s’expliquer par le rôle
éminent que celui-ci joua dans la vie de l’Empire, mais l’analyse de certains
passages concernant les actions du grand vizir ne manque pas d’intriguer.
Sa biographie d’abord : Chalkokondyle affirme que Mahmoud était né
d’un père grec, nommé Michel, et d’une mère serbe. Encore enfant, il fut
capturé par les Ottomans alors qu’il voyageait avec sa mère de Novo Brdo à
Sémendria29. Il fut élevé dans le palais impérial et, ayant embrassé l’Islam, il
épousa la fille du grand vizir Zaganos pacha et devint lui aussi vizir par la suite.
Son influence et son pouvoir personnel dépassaient tout ce qu’aucun autre vizir
turc avait jamais connu. Ceci lui permit d’entretenir en propre une clientèle
militaire et d’avoir de très nombreux serviteurs qui se haussèrent par la suite à
des fonctions considérables30. D’autres détails importants sur les faits d’armes
du grand vizir dénoteraient que Chalkokondyle possédait des intelligences dans
l’entourage immédiat de Mahmoud pacha.
Ces renseignements recoupés avec ceux des autres sources contem-
poraines, ottomanes ou grecques, force est de déduire que notre historien a dû
connaître personnellement le renégat grec. Notre hypothèse se trouve renforcée
par la comparaison des autres données le concernant. Nous savons par Critobule
d’Imbros que le grand-père paternel de Mahmoud était un Philanthropène31, à
savoir Alexis Ange Philanthropène, César de la Grande Valachie en 1381,
gouverneur de la Thessalie au nom du roi serbe Jean Uroš et dépossédé par les
Turcs de sa dignité en 139332. Ainsi, par son père, Mahmoud pacha descendait
27
Pour sa biographie, voir Fr. Babinger, Mahomet II le Conquérant et son temps (1432-
1471). La grande peur du monde au tournant de l’Histoire, Paris 1954, passim ; M. C.
Şehâbeddin Tekindag, « Mahmud Paşa », dans Islâm Ansiklopedisi, VII, Istanbul 1957, p. 183-
188.
28
Le relevé exact chez A. Nimet, op. cit., p. 57-59.
29
Chalkokondyle, éd. Darkó, II/2, p. 196 : « και παΐδα ετι όντα, σύν τη μητρί ιόντα από
Νοβοπύργου εξ Σπενδερόβην, οί ιππορόμοι του βασιλέως καταλαβόντες εν τη όδφ ... ηγουμένου
απήγαγου πανοικί τούτους παρά βασιλέα ».
30
Voir Fr. Babinger, Mahomet II, p. 397-398 ; idem, Die Geschichtsschreiber der Osmanen
und ihre Werke, Leipzig 1927, passim. Voir plus bas, notes 72-76.
31
Critobuli Imbriotae De rebus per annos 1451-1467 a Machemete II gestis, éd. V. Grecu,
Bucarest 1963, I, 77,2. Chalkokondyle donne la forme Φιλανινός corrigée en Φιλανθρωπηνός par
S. Lampros : Νέος Έλληνομνήμων VIII (1909), p. 329-330.
32
C. Hopf, Chroniques gréco-romanes inédites ou peu connues, publiées avec notes et
tables généalogiques, Berlin 1873, p. 530 ; C. Jirecek, Geschichte der Serben, II/1, Gotha 1918, p.
130. Pour la généalogie de la famille, voir l’étude de Mgr. Athénagoras, « Συμβολαί εις την
ιστορίαν του βυζαντιακού οίκου των Φιλανθρωπινών », Δελτίον της Ιστορικής και Εθνολογικής
429
MATEI CAZACU
également des Anges, qui étaient apparentés aux plus grandes familles
byzantines33. Une cousine de son père, Anne Philanthropène, épousa l’empereur
Manuel III Comnène de Trébizonde (1391-1417)34.
Du côté maternel, l’ascendance byzantine du grand vizir n’était pas moins
brillante. Le chroniqueur Sphrantzès, très bien informé sur les questions de
généalogie, affirme que la mère de Mahmoud avait comme cousin germain
(πρωτεξάδελφος) Georges Paléologue, personnage de premier plan dans
l’histoire byzantine et post-byzantine35. En ce qui concerne son identification,
nous sommes enclin à suivre N. Iorga36 et A. Papadopoulos37 qui voyaient en lui
le même personnage que Georges Paléologue Cantacuzène38. Cette parenté fut
Εταιρείας (1929) ; et le compte-rendu critique de V. Laurent, dans Échos d’Orient XXVIII (1930),
p. 495-497 ; idem, « Un agent efficace de l’unité de l’Église à Florence. Georges
Philanthropène », RÉB XVII (1959), p. 190-195.
33
N. Bees, « Sur les tables généalogiques des despotes et dynastes médiévaux d’Épire et de
Thessalie », ZOG III (1913), p. 209-215 ; L. Stiernon, « Notes de prosopographie et de titulature
byzantines », RÉB XIX (1961), p. 373-381 ; G. Ostrogorsky, « Der Aufstieg des Geschlechts der
Angeloi », dans Zur byzantinischen Geschichte. Ausgewählte kleine Schriften, Darmstadt 1973, p.
166-182 ; E. Trapp – R. Walther – H.-V. Beyer, Prosopographisches Lexikon der Palaiologenzeit
(Computervorabdruck), I, Ααρών - Αψαράς, Vienne 1976, sub voce.
34
W. Miller, Trebizond, the Last Greek Empire, Londres – New York – Toronto 1926, p.
71-78.
35
Sphrantzès, éd. V. Grecu, XL, 7-8.
36
N. Iorga, Notes et extraits pour servir à l’histoire des Croisades en Occident au XVe
siècle, II, Paris 1899, p. 292, note 6.
37
A. Papadopoulos, Versuch einer Genealogie der Palaiologen (1259-1453), Munich 1938,
o
n 186 (réimpression Amsterdam 1962).
38
E. Brayer – P. Lemerle – V. Laurent, op. cit., p. 79-80 ; D. Nicol, The byzantine family of
Kantakouzenos (Cantacuzenus), ca 1100-1460. A genealogical and prosopographical study,
Washington 1968, no 67 (« Dumbarton Oaks Studies », 11). Ces auteurs croient qu’il s’agirait de
deux personnages distincts, Georges Paléologue Cantacuzène et Georges Paléologue, ce dernier
étant le cousin de la mère de Mahmoud pacha : voir principalement la contribution du Père V.
Laurent dans l’article cité supra, écrit en collaboration avec E. Brayer et P. Lemerle. Plusieurs
arguments, cependant, nous paraissent plaider en faveur de notre hypothèse, en premier lieu la
connaissance que nous avons aujourd’hui, trente ans après la parution de l’étude du Père Laurent,
de l’étendue et des ramifications de l’arbre généalogique des Paléologues et des Cantacuzène.
Pour les premiers, citons seulement l’existence de la branche des Jagaris ou Gagarin, originaires
du Caucase : voir l’étude de R. A. Klostermann citée dans la note 41 et aussi celle de A. Bryer,
Trebizond and Serbia. D’autre part, notre image des Cantacuzènes s’est modifiée depuis que G.
Schirô a publié et commenté le passage de la Chronique des Tocco, où il est dit que l’empereur
Manuel II Paléologue couronna Carlo Tocco despote de Janina et qu’à cette occasion, le nouveau
despote et son frère Leonardo furent élevés à la dignité de Cantacuzène, comme s’ils étaient
parents par le sang avec l’empereur (« Εις τούτο εδιώρθωσεν ο βασιλεύς ευθέως / τον μέγαν τον
κουτόσταβλον και αρχονταν συγγενήν του / γυήσιους εκ του αίματος τους κατακουζηνάτους ») :
G. Schiró, « Manuele II Paleologo incorona Carlo Tocco despota di Gianina », Byzantion XXIX-
XXX (1960), p. 227-228 ; idem, Cronaca dei Tocco di Cefalonia di Anonimo. Prolegomeni, testo
critico e traduzione a cura di..., Rome 1975, p. 382, ν. 2172-2174 (« Corpus Fontium Historiae
Byzantinae », X). Ce passage m’a été signalé par M. Mihai D. Sturdza, Dictionnaire historique et
généalogique des grandes familles de Grèce, d’Albanie et de Constantinople, Paris 1983, p. 553-
555.
430
LES PARENTÉS BYZANTINES ET OTTOMANES
39
M. Crusius, Turcograeciae libri octo, Bâle 1584, p. 21 ; História patriarchica, éd. I.
Bekker, Bonn 1849, p. 97 ; E. Legrand, Bibliographie hellénique des XVe et XVIe siècles, III, Paris
1903, p. 195-204 ; A. Bryer, « Trebizond and Serbia », Αρχείον Πόντου XXVII (1965), p. 28-40,
et Tableau II. Amiroutzès est nommé mesazon : J. Verpeaux, « Contribution à l’étude de
l’administration byzantine : ό μέσαζων », BSl XVI (1955), p. 270-296, et ibidem XVII (1956), p.
387-389.
40
C. Jirecek, Staat und Gesellschaft im mittelalterlichen Serbien. Studien zur Kultur-
geschichte des 13.-15. Jahrhunderts, IV, Vienne 1919, p. 35-36 (« Akademie der Wissenschaften
in Wien, Philosophisch-historische Klasse, Denkschriften », vol. 64, no 2), Reprint Leipzig 1974.
41
Chalkokondyle, éd. Darkó, II/2, p. 196, affirme qu’elle était Serbe, mais cela peut
signifier aussi que sa famille était installée en Serbie, étant apparentée aux Cantacuzène et aux
Paléologues : voir J. Papadrianos, dans Mélanges Georges Ostrogorsky, II, Belgrade 1964, p. 311-
315 (ZRVI VIII/2) ; A. Papadopoulos, op. cit., no 184 ; Manuel Paléologue Iagaris, dont
Sphrantzès, éd. V. Grecu, XXXI, 10, nous dit qu’il fut envoyé comme ambassadeur en Serbie en
1451, en soulignant qu’il était le cousin d’une dame Cantacuzène, l’épouse du protostrator ; A.
Papadopoulos, op. cit., no 185 : Marc Paléologue Iagaris, mentionné entre 1430 et 1438. À ajouter
un Andronic Iagaris, par l’intermédiaire duquel l’empereur Constantin XI conclut un traité de paix
avec Murád II, en 1449 : D. Zakythinos, Le Despotat grec de Morée, I, Athènes 1932, p. 245. Il
s’agit, sans doute, de la même famille, Iagros (comme pour Amiroutzès) ou Iagaris : voir, à ce
sujet, R. A. Klostermann, « Iagaris oder Gagarin ? Zur Deutung eines griechischen und russischen
Familiennamens », OCP 204 (1977), p. 221-237.
42
Ecthesis Chronica and Chronicon Athenarum, éd. Sp. Lampros, Londres 1902, p. 6, 16-
22, p. 7, 7-8 ; cf. D. Nicol, op. cit., no 61 et 62, p. 168-172 ; A. Bryer, op. cit., passim et Tableau I,
p. 36.
43
A. Bryer, op. cit., p. 36.
44
D. Nicol, op. cit., no 62, p. 171-172.
431
MATEI CAZACU
(frère de Marie Cantacuzène Comnène) et, par voie de conséquence, aux frères
du premier, Constantin XI Dragasès, dernier empereur de Byzance (1449-1453),
Thomas et Démètre, despotes respectivement de Morée et de Mitra. À cela
s’ajoutaient la maison des despotes serbes Branković45 et celle des rois de
Géorgie46.
La mère de Mahmoud pacha vécut assez âgée : en mars 1463, Mehmed II
lui faisait don du couvent de Prodromos-Petras à Istanbul47. Dans l’église de ce
couvent avait été enterrée quelques années plus tôt Marie Lascaris Leontari,
mère du despote Démètre Paléologue et parente éloignée des Cantacuzènes48. Il
est permis de croire que la mère de Mahmoud pacha trouva elle aussi le repos
éternel à Prodromos-Petras. Le palais attenant au couvent avait appartenu à la
famille Raoul dont la parenté avec les Paléologues et les Cantacuzène sera
discutée plus loin. Notons pour l’instant que, après être devenu au siècle suivant
la propriété de Michel Cantacuzène Șeitanoglou (« le fils du Diable »), le palais
Raoul passera entre les mains des princes de Moldavie, d’où son nom de
Bogdansaray49 .
Si la mère de Mahmoud pacha put finir ses jours tranquillement, tel ne fut
pas le cas de son parent Jean (Janja) Cantacuzène de Novo Brdo. En effet, il
périt exécuté en 1477 sur ordre de Mehmet II, en même temps que plusieurs de
ses frères, fils et petit-fils, et fut enterré par les soins d’un Paléologue à Galata50.
Avec lui s’éteignit la branche des Cantacuzène de Serbie, car son frère Démétre,
poète et écrivain de langue serbe, n’eut pas de descendants connus51.
Il n’est pas sans intérêt de rappeler que les Cantacuzène de Novo Brdo ne
furent pas touchés par la déportation en masse de la population de cette ville
ordonnée par Mehmet II en 1467. Dans les actes de Raguse, Jean (Janja)
Cantacuzène porte le titre de seigneur de Novo Brdo, alors que la ville avait été
occupée par les Turcs en 1455. Jean réussit même à conserver son office de
gabelotto, ce qui indique qu’il avait affermé des impôts indirects (bāğ ?) à Novo
Brdo. On peut voir en lui un des premiers banquiers chrétiens de la Turcocratie,
tout comme ceux qui, selon Chalkokondyle, affermèrent le passage du Danube
45
Irène, sœur de Georges Paléologue-Cantacuzène, avait épousé le despote Georges
Branković en 1414, tandis qu’Hélène, fille du despote Thomas, devint en 1446 la femme du
despote Lazare (†1458) : voir D. Nicol, op. cit., no 71.
46
D. Nicol, op. cit., no 73.
47
Le texte de l’acte dans Ορθοδοξία XX (1945), p. 145-147. Voir R. Janin, La géographie
ecclésiastique de l'Empire byzantin, Ière partie, Le siège de Constantinople et le Patriarcat
œcuménique, III, Les églises et les monastères, Paris 1953, p. 435-443.
48
R. Janin, op. cit., p. 440.
49
R. Janin, loc. cit. ; C. C. Giurescu, Istoria Românilor, III/2, Bucarest 1947, p. 464- 466.
50
D. Nicol, op. cit., no 97, 98, 99. Pour la fonction de gabelotto de Jean, voir N. Iorga,
Notes et extraits, II, p. 410 ; C. Jirecek, Staat und Gesellschaft, IV, p. 34.
51
D. Trifunovic, Dimitrije Kantacuzin, Belgrade, 1963 ; I. Dujcev, « Démétrius Canta-
cuzène, écrivain byzantino-slave du XVe siècle », RHE LXI (1966), p. 811-819 (repris dans idem,
Medioevo bizantino-slavo, III, Al tri saggi di storia politica e letteraria, Rome 1971, p. 311-322
(« Storia e letteratura, Raccolta di studi e testi », 119).
432
LES PARENTÉS BYZANTINES ET OTTOMANES
pour les Turcs en 1462 52. Sa mise à mort, de concert avec celle de sa nombreuse
famille, en 1477, peut être rattachée à l’exécution, trois ans auparavant, de son
cousin Mahmoud pacha.
Toutes ces alliances du grand vizir étaient rares dans les premiers temps de
l’Empire ottoman et elles revêtent d’autant plus d’importance quand on se
souvient que Mahmoud pacha avait épousé la deuxième fille de Zaganos pacha.
Or, Zaganos était lui aussi un renégat d’origine « illyrienne »,
vraisemblablement un noble serbe ou albanais53.
Tous ces détails pourraient paraître fastidieux et superfétatoires s’ils
n’aboutissaient, en fin de compte, à la conclusion que Laonikos Chalkokondyle
était, lui aussi, apparenté, fût-ce d’assez loin, au grand vizir de Mehmed II ! Ce
lien, qui a échappé jusqu’ici aux historiens, peut fournir une explication de la
carrière de notre chroniqueur après la chute du Péloponnèse sous les coups des
Ottomans et projeter ainsi quelques lumières sur ses sources d’information.
Quelles étaient les liens de parenté entre les deux hommes ? Au VIe livre
de son ouvrage, Chalkokondyle affirme que son père était apparenté à la femme
d’Antonio Acciajuoli, duc d’Athènes et de Thèbes († l435)54. À la mort de son
époux, Marie Mélissène – tel était son nom – essaya vainement d’obtenir pour
elle-même et pour Georges Chalkokondyle la reconnaissance par Murad II de
ses droits au trône ducal. Peu après, un complot des autres membres de la
famille fit monter Nero II Acciajuoli sur la trône d’Athènes. Marie Mélissène et
les Chalkokondyle furent obligés de s’exiler à Mistra, où Cyriaque d’Ancône
rencontra Laonikos en 144755. Nous ne possédons pas de détails
supplémentaires sur le degré de parenté existant entre Marie Mélissène et les
Chalkokondyle, mais elle ne saurait être mise en doute56.
Par le biais des Mélissènes, Laonikos Chalkokondyle se trouvait apparenté
à bon nombre de familles byzantines. À part les Acciajuoli italiens, c’est par le
52
Chalkokondyle, éd. Darkó, II/2, p. 255 ; voir aussi N. Oikonomidès, Hommes d’affaires
grecs et latins à Constantinople (XIIIe - XVe siècles), Montréal – Paris, 1979 (Conférence Albert-
le-Grand 1977).
53
F. Babinger, Mahomet II, p. 64 ; A. Bryer, op. cit., p. 36.
54
Chalkokondyle, éd. Darkó, II/1, p. 92-93. Pour des relations entre Démètre
Chalkokondyle et Jean Acciaiuoli, voir E. Legrand, op. cit., I, p. XCIV-XCIX. Une traduction
latine du IV e livre de l’Histoire de Chalkokondyle avait appartenu à Donato di Roberto
Acciaiuoli, chevalier de Rhodes : voir P. O. Kristeller, Iter italicum, I, Agrigento to Novara –
Londres – Leyden 1963, p. 388.
55
W. Miller, The last Athenian historian ; Fr. Pali, « Ciriaco d’Ancona e la crociata contro i
Turchi », BSHAR XX (1938), p. 52.
56
Marie Mélissène doit être considérée comme la seconde femme d’Antonio Acciaiuoli, car
la première était la fille d’un prêtre de Thèbes : voir Chalkokondyle, éd. Darkó, I, p. 202. C. Hopf,
op. cit., p. 476, II/4, confond la première épouse (qu’il nomme Hélène Chalkokandylès) avec
Marie Mélissène. Mais le témoignage du chroniqueur est formel ; c'est la veuve d’Antonio, qui
était apparentée avec les Chalkokondyle, et cette veuve est Marie Mélissène : éd Darkó, II/1, p.
92-93: « [...] η τε γυνή αυτού επεμπεν ες βασιλέα την αρχήν επιτραπήναι αύτη τε και τω της
πόλεως αμείνονι, εαυτής δέ προσήκοντι, πατρί δε ήμετέρω ».
433
MATEI CAZACU
57
Le tableau généalogique de la famille Mélissène dressé par G. Hopf, op. cit., p. 536,
XII/3, doit être complété et corrigé à l’aide de E. Rizo-Rangabè, Livre d’or de la noblesse
ionienne, II, Athènes 1926, p. 423-426. Pour Nicéphore, voir les précisions de R. Guilland,
« Études de titulature et de prosopographie byzantines. Le protostrator », RÉB VII/1 (1949), p.
173-174. Déjà George Scholarios avait écrit, sur l’ordre de l’empereur Jean VIII Paléologue, une
histoire de cette famille : voir K. Krumbacher, Geschichte der byzantinischen Litteratur von
Justinian bis zum Ende des Oströmischen Reiches (527-1453), Munich 1897, p. 780.
58
Pour la famille Raoul (ou Ralles, Ralli), voir A. Chatzès, Οι Ραούλ, Ράλ, Ράλαι (1080-
1800) : Ιστορική μονογραφία, Kirchhain 1909 ; S. Fassoulakis, The byzantine family of Raoul-
Ral(l)es, Athènes 1973. Un Manuel Raoul fit partie de l’entourage de la princesse serbe Hélène
qui vécut à Serrés après la mort de son mari, le cnèze Lazare (†l458) : voir A. E. Tachiaos,
« Nouvelles considérations sur l’œuvre littéraire de Démétrius Cantacuzène »,
Cyrillomethodianum I (1971), p. 139 et suiv.
59
G. Ostrogorsky, « Gospodin Konstantin Dragas », ZFFUB VII (1963), p. 287-294 (repris
dans idem, Bizantija i Sloveni. Sabrana delà Georgia Ostrogorskog, IV, Belgrade 1970, p. 271-
280) ; idem, « La prise de Serrés par les Turcs », Byzantion XXXV (1965), p. 302-319 ; J. W.
Barker, Manuel II Palaeologus (1391-1425). A Study in Late Byzantine Statesmanship, New
Brunswick 1969, p. 99-103.
60
Les Acciajuoli étaient directement apparentés aux Paléologues à la suite du mariage, en
1388, de Théodore Ier, despote de Morée et frère de l’empereur Manuel II, avec Bartoiommea
degli Acciajuoli, sœur du duc Antonio Ier, époux de Marie Mélissène : voir C. Hopf, op. cit., p.
476, ¼ ; P. Schreiner, « Chronologische Untersuchungen zur Familie Kaiser Manuels II », BZ
LXIII/2 (1970), p. 285-299 (second mariage de Théodore en 1403).
61
S. Fassoulakis, op. cit. ; voir aussi plus haut, note 47.
62
Sphrantzès, éd. V. Grecu, p. 120-121 ; W. Miller, The Latins in the Levant. A History of
frankish Greece, 1204-1566, Londres – New York 1908, p. 448 et suiv. Pour les Bochalis, voir Fr.
434
LES PARENTÉS BYZANTINES ET OTTOMANES
Babinger, Das Ende der Arianiten, Munich 1960, p. 66-67 (« Bayerische Akademie der
Wissenschaften, Philosophisch-historische Klasse, Sitzungsberichte, Jhrg. 1960 », Heft 1).
63
S. Fassoulakis, op. cit., no 68, p. 83-85.
64
T. I. Uspenskij, « Bolgarskie Asenevici na vizantijskoj sluzbe ν XIII – XV vv. »,
Izvestija russkago arkheologiceskago Instituta ν Konstantinopole XIII (1908), p. 1-16 ; B. Krekić,
« Contribution à l’étude des Asanès à Byzance », TM V (1973), p. 347-355 ; E. Trapp – R.
Walther – H.-V. Beyer, Prosopographisches Lexikon der Palaiologenzeit, I, Vienne 1976, sub
voce ; E. Trapp, « Beiträge zur Genealogie der Asanen in Byzanz », JOB XXV (1976), p. 163-
177.
65
Voir aussi N. Iorga, Byzance après Byzance, Bucarest 1935, p. 16.
66
C. Hopf, op. cit., p. 476; S. Runciman, The Great Church in Captivity. A Study of the
Patriarchate of Constantinople from the eve of the turkish Conquest to the Greek War of
índependence, Cambridge 1968, p. 193-195.
67
Pour la carrière de Georges et sa descendance voir V. Laurent, « Un agent efficace de
l’unité de l’Église à Florence : Georges Philanthropène », RÉB XVII (1959), p. 190-195.
68
En effet, la sœur d’Isaac, Anna Asanina Paléologue, était la tante (θεία) de l’empereur
Manuel II : voir A. Papadopoulos, op. cit., no 149 ; I. Dujcev, « Una poesia di Manuele File
dedicata a Irene Paleologa Asenina », dans Mélanges Ostrogorsky, II, p. 91-99 (repris dans idem,
Medievo bizantinoslavo, II, Rome 1968, p. 263-274).
69
Voir la discussion chez V. Laurent, « Les origines princières du patriarche de
Constantinople Joseph II (†l439) », RÉB XII (1955), p. 131-134 ; I. Dujčev, « À propos de la
biographie de Joseph II, Patriarche de Constantinople », RÉB XIX (1961), p. 333-339 (repris dans
idem, Medioevo bizantino-slavo, I, Rome 1965, p. 447-454).
70
A. Papadopoulos, op. cit., no 96.
435
MATEI CAZACU
71
C. Hopf, op. cit., p. 502, IX/I ; A. Papadopoulos, op. cit., no 98.
72
H. J. Kissling, « Das Renegatentum in der Glanzzeit des Osmanischen Reiches »,
Scientia 55 (1961), p. 18-26.
73
N. Iorga, Byzance après Byzance, Bucarest 19722 (19351).
74
Fr. Babinger, Die Geschichtsschreiber der Osmanen und ihre Werke, Leipzig 1927, p.
24-26 ; idem, « Die Chronik des Qaramânî Mehmed Pascha, eine neuerschlossene osmanische
Geschichtsquelle », Aufsätze und Abhandlungen zur Geschichte Südosteuropas und der Levante,
II, Munich 1966, p. 1-5.
75
Fr. Babinger, Die Geschichtsschreiber der Osmanen, p. 33-34.
76
J. Hammer, Geschichte des osmanischen Reiches, IX, Pest 1834, p. 177 ; Fr. Babinger,
op. cit., p. 19.
77
Fr. Babinger, op. cit., p. 410-415.
78
Pour les fondations religieuses de Mahmoud pacha, voir M. C. Şehâbeddin Tekindağ, op.
cit., p. 186-188.
436
LES PARENTÉS BYZANTINES ET OTTOMANES
conservée jusqu’à nos jours près du grand bazar d’Istanbul. Il s’est également créé un monument
impérissable dans la mémoire du peuple turc par ses poèmes rédigés en langues persane et turque
et publiés sous le pseudonyme d’Adénî. [...] Sa grande franchise était universellement connue et
redoutée : on savait qu’il ne craignait pas d’en faire usage même en présence de son sultan. [...] Il
est évident qu’une telle franchise, une telle popularité, devaient constamment alimenter la jalousie
et la méfiance de Mehmet II et finalement conduire le grand vizir à sa perte »79.
437
MATEI CAZACU
mort, en 1476, ne sont pas mentionnés dans sa chronique84 – nous font supposer
que Chalkokondyle est mort ou a déposé la plume aux alentours de 1470.
84
Chalkokondyle consacre plus de 5% du total de son ouvrage (éd. Darkó, II/2, p. 250-267)
à l’histoire de Vlad Ţepeş (l’Empaleur) – Dracula, prince de Valachie (1448, 1456-1462, 1476) et
à la campagne que Mehmed II entreprit contre lui en 1462. À cette occasion, l’historien athénien
souligne le rôle important que joua Mahmoud pacha dans le déroulement des hostilités, en y
ajoutant des renseignements qui ne se retrouvent nulle part ailleurs. Une comparaison du texte de
Chalkokondyle avec le récit du moine Jacques, franciscain de Târgovişte réfugié à « Gorrion »
(Gornij Grad, Oberburg, en Slovénie, près Ljubljana), récit enregistré par Michel Beheim en
1462-1463 (dernière édition parue de H. Gille – I. Spriewald, Die Gedichte des Michel Beheim, I,
Einleitung, Gedichte no 1-147, Berlin 1968, p. 285-31 ; nous avons préparé une nouvelle édition,
avec traduction française, dans notre thèse de doctorat de 3e cycle, Le Thème de Dracula.
Présentation, édition critique, traduction et commentaire, soutenue en Sorbonne (Université de
Paris I) en 1979) ; avec les Mémoires du janissaire serbe Constantin Mihailović d’Ostrovica
(Memoiren eines Janitscharen oder türkische Chronik, éd. R. Lachmann, Graz – Vienne –
Cologne 1975, p. 132-134 (« Slavische Geschichtsschreiber », VIII ; voir aussi l’édition anglaise
ayant comme base le texte tchèque et due à S. Soucek – B. Stolz, Konstantin Mihailović, Memoirs
of a Janissary, Ann Arbor 1975) ; et, enfin, avec le chroniqueur turc Tursun beg, participant à la
campagne de 1462 (The History of Mehmed the Conqueror. Text published in Facsimile with
English Translation by H. inalcik and Rhoads Murphey, Minneapolis – Chicago, 1978,
« Bibliotheca Islamica », p. 47-49), une comparaison de tous ces textes, donc, permet de supposer
l’existence d’un ensemble de traditions orales sur Vlad Ţepeş-Dracula, traditions circulant entre
les deux rives du Bas-Danube. (Il convient toutefois de nuancer les affirmations trop catégoriques
à ce sujet de Şt. Andreescu, « Premières formes de la littérature historique roumaine en
Transylvanie, Autour de la version slave des récits sur le voïévode Dracula », RÉSEE XIII (1975),
p. 511-524. Précisons que l’hypothèse de l’origine roumaine du récit slave sur Dracula avancée
par cet auteur est infirmée par tout ce que nous savons à son sujet ; G. Ene, « Romanian Folklore
about Vlad Ţepeş», RÉSEE XIV (1976), p. 581-590, croit avoir trouvé vingt-cinq légendes
historique sur Dracula dans le seul village d’Arefu, où se trouve son château. En fait, treize
légendes ont trait à celui-ci – connu aussi sous le nom de château de Poienari – et les autres sont
d’origine littéraire, tardive. Il y a cependant un fait raconté uniquement par Chalkokondyle (éd.
Darkó, II/2, p. 261-262), à savoir l’épisode du soldat de Vlad fait prisonnier et interrogé par
Mahmoud pacha et qui, par peur de son prince, refuse de trahir. Cet épisode se retrouve, avec
quelques légères modifications, dans la Chronologia rerum Hungarico-Transsilvanicarum ab
anno 9 usque ad annum 1500, due à un historien anonyme du XVIe siècle, Saxon de Transylvanie
(manuscrit conservé en Roumanie, à Cluj, B.A.R., Joseph Kemény Collectio minor mss.
historicorum, IX, 1, p. 159-161 ; signalé par A. Armbruster, Dacoromano-Saxonica. Cronicari
români despre saşi. Românii în cronica săsească, Bucarest 1980, p. 184-185). Écrit au début du
XVIe siècle, ce texte a emprunté des éléments aux récits allemands sur Dracula, à l’historien
Bonfini, tout en fournissant des détails qui lui sont propres. Dans le cas de l’épisode en question,
il s’agit d’un emprunt fait à Chalkokondyle (qui circulait encore en manuscrit : Bâle 15561.
Traductions latines antérieures, cf. K. Krumbacher, op. cit., p. 304, 2). Grâce à une photographie
du texte obtenue par l’amabilité de Son Excellence le Métropolite Nicolae Corneanu de Banat,
nous sommes en mesure de reproduire ici ce fragment : « Turci noctu quendam comprehensum de
Bladi seu Vladi Dracule, qui in castra impetum fecerat, militibus, deduxerunt ad Mahometem II
Impcratorem Turcarum, qui eum interrogavit : quis, nam, et cujus sit, et unde veniat ? qui ubi ad
singula respondit, tandem estjussus dicere, si soir et, ubinam Vladus Daciae Pr inceps moraretur ?
is respondit : se quidem, quae scire capectent, exacte nosse, verum nun quam ici enunciaturum,
adeo se metuere virum illum. Mortem interminantibus, ingeminavk non audere se quicquam
eorum proferre. Mahometes admiratus viri constantiam, eum continua necavit, dicens : Si vir ille
exercitum haberet memorabilem, non dubito quin brevi ad magnant claritatem sua disciplina
438
LES PARENTÉS BYZANTINES ET OTTOMANES
evaderet ». Nous avons laissé pour la fin la question que pose le rapport entre le récit de
Chalkokondyle et celui de son contemporain Enveri, un des protégés de Mahmoud pacha, auquel
il dédia d’ailleurs son ouvrage principal, Düstūrnāme (Le livre du vizir). Lors de la présentation
de la campagne de Valachie de 1462 (très riche en détails de toutes sortes), Enveri cite un ouvrage
spécialement consacré à cette guerre, Teferrüğ-näme (La chronique des expéditions) : voir
Mükrimin Halil, Düstūrnāme-i Enveri, Istanbul 1928, p. 100 (« Türk Tarih Engümeni Külliyat »,
15) ; cité et traduit en roumain par Cronici turceşti privind Ţările române. Extrase, I, Sec. XV –
mijlocul sec. XVII, éds. M. Guboglu, M. Mehmet, Bucarest 1966, p. 35, 43. M. le professeur
Guboglu a eu l’amabilité de me communiquer qu’à sa connaissance, un manuscrit du Teferrüğ-
näme existerait dans une collection privée d’Istanbul. Il nous reste à exprimer notre espoir de le
voir publié au plus vite.
439
MATEI CAZACU
I – PARENTÉS DES CHALKOKONDYLE AVEC LES MÉLISSÈNES, LES RAOULS, LES PALÉOLOGUES,
LES CANTACUZÈNE ET LES BOCHALIS
N Léon Constantin
Chalkokondyle Mélissène Dragaš
1370 despote de Serres († 1395)
440
LES PARENTÉS BYZANTINES ET OTTOMANES
441
STRATÉGIES MATRIMONIALES ET POLITIQUES
DES CANTACUZÈNE DE LA TURCOCRATIE
(XV e – XVIe SIÈCLES)
1
G. D. Florescu – D. Pleşia, « Mihai Viteazul – urmaş al împăraţilor bizantini », Valachica
4 (1973), p. 131-161 ; A. Pippidi, Tradiţia politică bizantină în Ţările române în secolele XV1 –
XVIII, Bucarest 1983, notamment p. l70, 176, 181-189 ; Şt. Andreescu, « Mihai Viteazul,
Cantacuzinii şi marea bănie de Craiova », AIIAI XXV/2 (1988), p.187-198 ; J. M. Cantacuzène,
Mille ans dans les Balkans. Chronique des Cantacuzène dans la tourmente des siècles, Paris
1993.
2
Sipahioglan, ou « fils de spahi », était un membre de la garde à cheval du sultan, recrutée
parmi les fils des dignitaires ottomans, donc des pages ou des « fils de boyards » (deti bojarskie)
en Russie. Ils portaient des cornettes rouges et jouissaient de la réputation d’un corp d’élite : cf. P.
Ricaut, Histoire de l’estat présent de l’Empire ottoman, II, Cologne 1676, p. 33-34.
3
Une sorte de spahis plus considérés que les autres ; au nombre de 4 ou 500, ils ont une
paie de 40 aspres par jour. « Leur principale fonction est de suivre et de servir le Grand-Seigneur
dans ses promenades qu’il fait pour son divertissement de village en village » : P. Ricaut, op. cit.,
II, p. 44. Selon Salomon Schweiger, un voyageur allemand dans l’Empire ottoman, contemporain
de Michel Cantacuzène Şaitanoglu, les « müteferrika » étaient au nombre d’environ une centaine,
« mehrteils der grossen Herren Söhn und seyn Freyherren dann sie seyn aller Dienst und
Beschwerden befreyet und nicht mit Aemptern beladen, sondern reiten allein Ansehens halb zu
Hoff wanns ihnen geliebt haben doch stattliche Dienstgelt und Lehen, halten Diener so viel ihnen
MATEI CAZACU
unus, comitatus Michaële Catacusino, ipsorum cognato [c’est nous qui soulignons – MC], 16.k.l7.
in divano publico apud Mehemetem passam grauissimam hac de re querelam adversus interpretem
[Joannes Baptista Bederus] instituit »4 .
Cette information capitale est passée inaperçue jusqu’ici et elle nous ouvre
des perspectives nouvelles pour la compréhension de l’histoire roumaine du
XVIe siècle. Mais elle n’est, en fait, que l’aboutissement d’un processus de
rapprochements et d’alliances matrimoniales commencé bien plus tôt, aux XIVe
– XVe siècles, et qui concerne les princes de Valachie et de Moldavie, d’une
part, et les dynastes serbes et grecs de l’époque de la Turcocratie, la seule qui
nous intéressera ici5.
Ainsi, Radu le Bel, prince de Valachie de 1462 à 1474 (avec des
interruptions), a épousé, durant sa longue captivité chez les Ottomans (de 1443 à
1462) une fille de despote, Marie Despina, morte en 1500 en Moldavie, et qui
lui avait donné une fille, Marie Voïkitza6. L’obituaire du monastère moldave de
Bistriţa a enregistré les prénoms de ses parents — Manuel et Anne – que M.
Andrei Pippidi a identifié, avec raison croyons-nous, au magnat byzantin
Manuel Bochalis, seigneur de Gardhiki et Leondari dans le Péloponnèse, dont
l’épouse était cousine de Mahmoud pacha, le grand vizir de Mehmet II7. Anne
Bochalis était la fille de Georges Paléologue Cantacuzène, frère d’Irène,
444
STRATÉGIES MATRIMONIALES ET POLITIQUES
À une date inconnue, mais en tout cas avant 1487, Vlad IV le Moine,
prince de Valachie de 1482 à 1495, fut adopté par la sultane Mara Branković, la
veuve de Mourad II, et par sa sœur, Catherine de Cilly dite « Katacuzina »,
toutes les deux filles du despote serbe Georges Branković et de son épouse,
Irène Cantacuzène Paléologue, la fille du protostrator Cantacuzène et d’une
Paléologue Jagaris de Serbie. Cette adoption figurait dans le testament de Mara,
aujourd’hui perdu, mais dont nous connaissons la teneur grâce à un chrysobulle
de Vlad le Moine en date de novembre 1492 (7001) en faveur du monastère
athonite de Hilandar10. Cette adoption a eu comme résultat immédiat le transfert
du droit de patronage de Chilandar des mains des despotes serbes entre celles
des princes de Valachie, à partir de 1486-148711. Qui plus est, le prince Vlad IV
et ses descendants se sont trouvés apparentés à la famille des despotes serbes
Branković dont plusieurs membres trouveront asile en Valachie dans les années
suivantes, sous le règne de Radu le Grand (1495-1508), le fils de Vlad IV12.
8
M. Cazacu, « Les parentés byzantines et ottomanes de l’historien Laonikos
Chalkokondyle (c. 1423 - c. 1470) », Turcica 16 (1984), p. 94-114, ici p. 109 et l’arbre
généalogique de la p. 104-105.
9
Sa deuxième épouse, Marie de Mangoup, meurt le 19 décembre 1477 et le fils d’Étienne,
Bogdan-Vlad, issu de ce troisième mariage, naît le 16 juin 1479 : Şt. S. Gorovei, « Note istorice şi
genealogice cu privire la urmaşii lui Ştefan cel Mare », SMIM VIII (1975), p. 185-200.
10
P. Ş. Năsturel, « Sultana Mara, Vlad Călugărul şi începuturile legăturilor Ţării Româneşti
cu mănăstirea Hilandar în 1492 », GB XIX (1960), p. 498-502 ; I.-R. Mircea, art. cit. ; P. Ş.
Năsturel, Le Mont Athos et les Roumains, Rome 1986, p. 125-127 (« Orientalia Christiana
Analecta », 227). Pour Mara, voir les articles de Fr. Babinger, « Ein Freibrief Mehmeds II, des
Eroberers, für das Kloster Hagia Sophia zu Saloniki, Eigentum des Sultanin Mara (1459) », BZ.
Mélanges F. Dölger XLIV (1951), p. 11-20 (repris dans Aufsätze und Abhandlungen, I, Munich
1962, p. 97-106) ; idem, « Witwensitz und Sterbeplatz der Sultanin Mara », ibidem, p. 340-343.
11
En 1531, le prince de Valachie Vlad le Noyé, en renouvelant les dons à Chilandar, utilise
la formule « nos prédécesseurs très pieux, princes, tsars et ancêtres et parents de Ma Seigneurie »,
qui dans leur temps ont aidé le monastère « des grands tsars serbes » : I.-R. Mircea, op. cit., p.
384. Il était le petit-fils de Vlad le Moine.
12
« Si Mara n’était plus vivante, une de ses parentes deviendra princesse de Valachie et
sous son influence, des relations seront établies entre ces trois fragments de Byzance qui étaient :
le siège de Constantinople, la dynastie serbe et la Domnia, la “monarchie” valaque » : N. Iorga,
445
MATEI CAZACU
Byzance après Byzance, Bucarest 19351, p. 84 ; A. Pippidi, op. cit., p. 53-55 ; Şt. Andreescu,
« Alianţe dinastice », p. 680-682.
13
T. Gemil, « Quelques observations concernant la conclusion de la paix entre la Moldavie
et l’Empire ottoman (1486) et la délimitation de leur frontière », RRH XXII (1983), p. 225-238.
14
Şt. S. Gorovei, « Autour de la paix moldo-turque de 1489 », RRH XIII (1974), p. 535-
544, ici p. 537-540 ; idem, « Note istorice şi genealogice ». Aux témoignages sur ce mariage il
faut ajouter la lettre du grand prince de Moscou, Ivan III, au roi Cazimir IV de Pologne en date du
18 février 1490 : « Ne-a trimis Ştefan voievodul Moldovei pe solul său, aducându-ne la cunoştinţă
bucuria sa că vrea să-1 însoare pe fiul său Alexandru ». Ivan III envoyait des cadeaux avec le fils
de boyard Prokofij Zinoviev : Ja. S. Grosul – A. Oţetea et alii (éds.), Relaţiile istorice dintre
popoarele URSS şi România în veacurile XV - începutul celui de-al XVIII-lea, I (1408-1632),
Moscou 1965, no 11, p. 65-66.
15
Şt. S. Gorovei, Note istorice şi genealogice, p. 190.
16
Ibidem, loc. cit. ; A. Pippidi, op. cit., p. 150. Pour les travaux d’Étienne à Grégoriou, voir
P. Ş. Năsturel, Le Mont Athos, p. 269-270.
17
Pour sa biographie, voir E. Benz, Die Ostkirche im Lichte der protestantischen
Geschichtsschreibung von der Reformation bis zur Gegenwart, Freiburg – Munich 1952, p. 24-29.
Gerlach était né en 1546 et est venu à Constantinople eu 1573 dans la suite de l’envoyé David
Ungnad ; il y resta cinq ans, jusqu’en 1578.
18
Voir pour lui récemment G. Podskalsky, Griechische Theologie in der Zeit der
Türkenherrschaft (1453-1821), Munich 1988, p. 105.
446
STRATÉGIES MATRIMONIALES ET POLITIQUES
« ein altes Haus eines vornehmen Griechen Ραώλ. Raul genannt, so vor 60 Jahren mit allem
seinem Vermögen in Russland gezogen und darinnen gestorben, dessen nachgelassener Sohn
solches dem Michael [Cantacuzène] verkauft, dieser aber es dem Weywoda in der Moldau
verehrt. Darinnen itzunder dessen Diener, so sich hier Auffhalten wohnen »19.
Cette notice a été connue par les spécialistes roumains20, qui ont tous placé
le départ de ce Raoul en Russie en 1518, donc 60 ans avant la date à laquelle
Gerlach visitait le palais de Bogdan Saraï. Or, Théodore Zygomalas se trompait
sur la date exacte de ce départ21 qui a eu lieu, en réalité, en 1484-1485 (6993),
selon les dires d’une chronique russe22.
Jean (Ivan) Ralli (Raoul) Paléologue venait à Moscou accompagné de son
épouse et de ses deux fils, Démètre et Manuel. Ceux-ci étaient déjà adultes à
cette date, car Ivan III les utilise comme ambassadeurs dès 1487 pour une
mission en Italie, mission qui allait durer trois ans. Démètre partira trois ans
plus tard – en 1493 – au Danemark et son frère Manuel retournera en Italie entre
1500 et 1504, après quoi ils disparaissent des sources russes : ceci est la preuve
qu’ils étaient déjà avancés en âge pour l’époque et que, très vraisemblablement,
ils sont morts dans les premières décennies du XVIe siècle. Leur activité était la
continuation de l’exemple d’autres membres de la famille Ralli, comme Nicolas,
qui se trouvait au service de la Russie dès 1461, et Démètre qui accompagna
Zoe Sophie Paléologue à Moscou en 1472, où elle épousa le grand prince Ivan
III23.
19
Stephan Gerlach, op. cit., p. 456.
20
G. Balş, « Bogdan-serai », BCMI (1916), p. 10-18 ; M. Romanescu, « Monumente
româneşti la Stambul », Boabe de grâu 6 (1932), p. 226-238 ; N. Iorga, Byzance après Byzance, p.
115.
21
Une autre erreur qu’il fit, ou qui est due à Gerlach, op. cit., p. 223, 453-454 ; voir J. M.
Cantacuzène, op. cit., p. 123-124, qui attribue la nomination de Michel Cantacuzène comme
marchand de la Cour impériale à l’année 1576, après son arrestation temporaire aux Sept Tours.
En fait, Șeitanoglou remplissait cette fonction depuis au moins deux ans : en effet, en février
(entre le 2 et le 12) 1574, le sultan Selim II écrivait au khan de Crimée, Devlet Giray et au tsar
Ivan IV la lettre suivante : « Mikhal, l’un des marchands de notre Cour impériale, porteur d’un
ordre souverain et majestueux, le modèle des notables de la nation chrétienne, chargé d’acheter
des fourrures de zibeline et autres marchandises destinées à notre Cour impériale, est envoyé au
pays de Moscovie », et demandait de lui assurer la sécurité ; voir A. Bennigsen – Ch. Lemercier-
Quelquejay, « Les marchands de la Cour ottomane et le commerce des fourrures moscovites dans
la seconde moitié du XVIe siècle », CMRS 11 (1970), p. 384, 389 (annexe I).
22
« Sokraščennyj letopisnyj svod 1493 g. », PSRL 27 (1962), p. 287 : « 6993 [1484-1485].
Togo že leta priide iz Carjagrada k velikomu knjazjmu služiti Ivan Ral’ Paleolog i s ženojm i z
detmi ». Cf. E. C. Skržinskaja, « Kto byli Ralevy, posly Ivana III. v Italiju (K istorii italo-russkich
svjazej v XV veke) », dans Problemy istorii meždunarodnych otnošenij (Mélanges E.V. Tarle),
Leningrad 1972, p. 267.
23
P. Pierling, La Russie et le Saint-Siège. Etudes diplomatiques, I, Paris 1896 ; G. Barbieri,
Milano e Mosca nelle politica del Rinascimento. Storia delle relazioni diplomatiche tra la Russia
e il Ducato di Milano nell’epoca sforzesca, Bari 1957, p. 79-81. Pour les Grecs au service de la
Russie à l’époque d‘Ivan III, voir M. N. Tichomirov, « Greki iz Morei v srednevekovoj Rossii »,
Srednie veka XXV (1964), p. 166-175 ; E. I. Indova, « Russkaja posol’skaja služba v konce XV –
pervoj polovine XVI veka », dans Feodal’naja Rossija vo vsemirno-istoričeskom processe.
447
MATEI CAZACU
Sbornik statej, posvjaščennyj L’vu Vladimiroviču Čerepninu, Moscou 1972, p. 294-311 ; G. Alef,
« Diaspora Greeks in Moscow », Byzantine Studies (1979), p. 26-34 ; B. Florja, « Greki-
emigranty v russkom gosudarstve vtoroj poloviny XV – načala XVI v. Političeskaja i kul’turnaja
dejatel’nost’ », dans Russko-balkanskie kul’turnye svjazi v epochu srednevekovija, Sofia 1982, p.
123-143.
24
Cf. A. A. Zimin, Rossija na rubeže XV – XVI stoletij (Očerki social‘no-političeskoj
istorii), Moscou 1982, p. 74 ; M. D. Sturdza, Dictionnaire historique et généalogique des grandes
familles de Grèce, d’Albanie et de Constantinople, Paris 1983, p. 383-384.
25
S. Fassoulakis, The Byzantine Family of Raoul-Ral(l)es, Athènes 1973, p. 69, n. 57 ; D.
Zakythinos, Le despotat grec de Morée, I, Londres 1975, p. 235-267 ; M. D. Sturdza, op. cit., p.
383. À corriger aussi la confusion de Fr. Babinger, qui identifie Jean Ralli à un Jean Paléologue :
cf. « Ein weiteres Sultansbild von Gentile Bellini aus russischem Besitz », dans Aufsätze und
Abhandlungen, III, Munich 1976, p. 141 et n. 48.
26
J. M. Cantacuzène, op. cit., p. 110. En 1489-1490, il y avait à Constantinople deux Ralli
en relations d’affaires avec un Alexandre Cantacuzène, Alexandre et Théodore : cf. N. Iorga,
Despre Cantacuzini, Bucarest 1902, p. 3-4. Pour Michel Cantacuzène, mort en 1522, voir l’article
448
STRATÉGIES MATRIMONIALES ET POLITIQUES
449
MATEI CAZACU
31
P. Ş. Năsturel, Le Mont Athos, passim.
32
R. Creţeanu, « Traditions de famille dans les donations roumaines au Mont Athos »,
ÉBPB I (1979), p. 135-152.
33
P. Ş. Năsturel, Le Mont Athos, p. 166-168 ; voir aussi C. Lefort et alii, Les actes de
Pantokrator, Paris 1990 ; D. Barbu, « Un episod necunoscut al relaţiilor româno-athonite »,
Verbum I/7-12 (1990), p. 117-120.
34
St. Nicolaescu, Din daniile lui Ştefan cel Mare făcute mânăstirei Zografu de la Sfântul
Munte Athos, Bucarest 1938 ; P. Ş. Năsturel, Le Mont Athos, p. 99-100, 249-250.
35
Şt. Andreescu, « Ştefan cel Mare ca protector al Muntelui Athos », AIIAI XIX (1982), p.
653.
36
P. Ş. Năsturel, Le Mont Athos, p. 329-334 ; A. Pippidi, op. cit., p. 166-171.
37
Şt. Andreescu, « Alianţe dinastice”, p. 680-681; I.-R. Mircea, art. cit., p. 385.
38
Lorsqu’il monte sur le trône de Valachie, en 1482, Vlad le Moine avait eu au moins
quatre enfants de Rada, la soeur de Gherghina : voir St. Nicolaescu, Documente slavo-romane cu
privire la relaţiile Ţârii Româneşti şi Moldovei cu Ardealul în sec. XV şi XVI, Bucarest 1904, p. 4-
5. Devenu prince, il répudia Rada, qui prit le voile sous le nom de Samonida : DRH, B, I, no 258,
263, 268 – actes de 1495-1496, et épousa Dame Marie, la veuve de Basarab Ţepeluş, comme le
dit l’Histoire du prince Dracula, la version russe : « Ce [...] Vlad fut dans sa jeunesse moine, puis
prêtre et par la suite abbé dans un monastère. Ensuite il se défroqua, fut fait prince et se maria. Il
épousa la veuve d’un voïévode qui avait régné peu après Dracula et qu’avait tué Étienne le
Valaque. Ayant donc pris la femme de ce voïévode, Vlad règne maintenant sur le Pays de
Muntenie, lui qui avait été moine et abbé » ; M. Cazacu, L’Histoire du prince Dracula en Europe
centrale et orientale (XVe siècle), Genève 1988, p. 210-211. De ce second mariage il eut Vlad le
Jeune (Vlăduţ), né en 1495-1496 et décapité en 1512 devant la Cour princière de Bucarest. Nous
avons supposé naguère que ce fut sa mère, devenue la nonne Eupraxia, qui construisit l’église dite
« a doamnei Maria şi Stana » sur le lieu même de l’exécution : voir « Cea mai veche biserică din
Bucureşti : biserica Doamnei Maria », GB XXV (1966), p. 845-853. À corriger la généalogie du
prince telle qu’on la trouve chez C. C. Giurescu – D. C. Giurescu, Istoria românilor, II, Bucarest
1976, p. 200-201, aussi à la lumière des précisions de D. Pleşia, « Mânăstirea Dealu – necropolă
domnească şi ceva despre frământările interne din Ţara Românească în veacul al XVI-lea »,
Valachica III (1972), p. 141-153.
450
STRATÉGIES MATRIMONIALES ET POLITIQUES
Le petit-fils de Vlad IV, Pârvu, épousa en 1504 une demoiselle de la famille des
Jakšic40, alors que Neagoe Craiovescu, futur prince de 1512 à 1521, prenait
femme dans la famille des Branković. Son épouse, Milica Despina, est
considérée la fille d’un premier mariage du despote Jean (Jovan) Branković et
de dame Donka41. La demi-sœur de Milica, Hélène Catherine Branković (dite
« Despotovna ») épousa le prince Pierre Rareş, un fils naturel d’Étienne le
Grand, qui régna en Moldavie de 1527 à 1538 et de 1541 à 154642.
39
G. Balş, « O biserică a lui Radu cel Mare în Serbia, la Lopuşnija », BCMI IV (1911), p.
194-199. Pour d’autres réparations dues à ce prince à Vratna et à Manastirica, cf. I.-R. Mircea,
art. cit., p. 386 (aussi dans l’obituaire de Pcinja).
40
I.-R. Mircea, art. cit., p. 385. Pour les Jakšić, voir C. Jireček, Geschichte der Serben, II/1,
Gotha 1918, p. 242-243 et n. 1 ; St. Nicolaescu, op. cit., p. 245-246.
41
I.-R. Mircea, art. cit., p. 385 ; D. Pleşia, « Neagoe Basarab. Originea, familia şi o scurtă
privire asupra politicii Ţării Româneşti la începutul veacului al XVI-lea », Valachica I (1969), p.
45-60 ; ibidem II (1970), p. 113-141.
42
Şt. S. Gorovei, « Familia lui Petru Rareş », dans L. Şimanschi (éd.), Petru Rareş,
Bucarest 1978, p. 266-268.
43
Şt. S. Gorovei, « Note istorice şi genealogice », p. 190.
44
Ştefana Simionescu, « Noi date despre situaţia internă şi externă a Moldovei în anul
1538, într-un izvor inedit », SRI XXV (1972), p. 234 ; Şt. S. Gorovei, art. cit., p. 188.
45
Şt. S. Gorovei, loc. cit.
46
J. L. I. Fennell, « The Dynastic Crisis 1497-1502 », SEER XXXIX/92 (1960), p. 1-23
(repris dans idem, Ivan the Great of Moscow, Londres 1961, p. 315-361; J. A. Fine, « The
Muscovite Dynastic Crisis of 1497-1502 », Canadian Slavonic Paper VIII (1966), p. 198-215 ; H.
451
MATEI CAZACU
On peut donc conclure que Marie Asan Paléologue et son (ou ses) fils,
dont Étienne Lăcustă, ont continué d’habiter le palais Ralli jusqu’en 1538,
lorsque Soliman le Magnifique installa Étienne sur le trône de Moldavie à la
suite du renversement de Pierre Rareş47. À cette date, le nouveau prince avait
41-42 ans et avait été élevé à la Cour des sultans qui avaient essayé de l’imposer
sur le trône moldave en 1504 et en 152748. Lorsqu’il arriva en Moldavie,
Étienne était marié avec une certaine Chiajna et avait deux fils, Alexandre et
Étienne. Le nom de son épouse renvoie au même monde sud-slave, Chiajna
étant synonyme de Despina et, comme tel, porté aussi par Anne, la fille de
Pierre Rareş et d’Hélène Catherine Branković, qui deviendra l’épouse du prince
Mircea le Pâtre de Valachie (1545-1554, 1558-1559). Comme aucun document
moldave ne parle de la famille de Chiajna, force nous est donc de conclure
qu’elle provenait du milieu balkanique sud-slave très présent à Constantinople
au XVIe siècle49.
Nous ignorons quel fut le sort du palais Ralli de Constantinople tout de
suite après 1538 et a plus forte raison après 1540, lorsque Étienne fut assassiné
par les boyards moldaves. En aucun cas il ne pouvait être considéré comme
résidence des princes de Moldavie et la meilleure illustration est le fait que
lorsque Pierre Rareş vint ici pour demander le pardon du sultan en 1540, il
résida à Galata, sur l’autre rive de la Corne d’Or, et non pas au palais d’Étienne
Lăcustă50. C’est seulement plus tard, vers 1574-1579, que le prince de
Moldavie, Pierre le Boiteux (1574-1581, 1583-1591) acheta ce palais (ou un
autre) vraisemblablement aux fils d’Étienne, et en fit don au Patriarcat de
Rüss, Adel und Adelsoppositionen im Moskauer Staat, Wiesbaden 1975, p. 86-94 ; G. P. Majeska,
« The Moscow Coronation of 1498 Reconsidered », JGO XXVI (1978), p. 353-361.
47
À cette date, sa mère, Marie Asan Paléologue devait être morte, car les sources ne la
mentionnent plus.
48
Şt. S. Gorovei, « Ştefan Lăcustă », dans Petru Rareş, p. 163.
49
L’envoyé polonais Jérôme Laski parlait en serbe, en 1527, avec le grand vizir Ibrahim
pacha : cf. Hurmuzaki, Documente, II/1, p. 38-4l ; I.-R. Mircea, art. cit., p. 398 ; notre article avec
A. Dumitrescu, « Culte dynastique » ; aussi notre article, « Projets et intrigues serbes à la Cour de
Soliman (1530-1540) », dans G. Veinstein (éd.), Soliman le Magnifique et son temps, Paris 1992,
p. 511-512.
50
C. Rezachevici, « Pribegia lui Petru Rareş », dans Petru Rareş, p. 199-200. La source
principale est Paolo Giovio, Historia sui temporis ab anno 1497 ad annum 1547, Paris 1553,
reproduite par B. P. Haşdeu, Archiva istorică a României, II, Bucarest 1865, p. 39 : « Itaque
Moldavus in Peram Lygurum coloniam est relegatus ». À corriger dans ce sens les affirmations de
A. Golimaş, Un domnitor, o epocă. Vremea lui Miron Barnovschi Moghilă, voievod al Moldovei,
Bucarest 1980, p. 189. Par ailleurs, cet auteur a supposé, avec raison, que Bogdan-seraï a été
acquis du temps d’Étienne le Grand et que c’est là qu’a dû habiter Alexandre et son épouse,
ibidem, p. 188-189. À noter que le palais des ambassadeurs de Transylvanie (Erdel-seraï) se
trouvait, à cette époque, également dans le quartier mentionné, près de la porte Balata: cf. P.
Cernovodeanu, « Călătoria lui Pierre Lescalopier în Ţara Românească şi Transilvania la 1574 »,
SMIM IV (1960), p. 440 et n. 1.
452
STRATÉGIES MATRIMONIALES ET POLITIQUES
51
Hurmuzaki, Documente, XV/1, no 117, p. 47-49 ; d’autres dons au patriarcat, ibidem, no
121, p. 49-50.
52
Nous nous permettons de renvoyer à notre thèse, L’Histoire du prince Dracula, déjà
citée, avec la bibliographie du sujet.
53
Ibidem, p. 210-211 : « Le troisième fils, l’aîné, prénommé Michel, je l’ai vu ici, à Bude.
Il s’était enfui de chez l’empereur turc auprès du Roi [de Hongrie], Dracula l’avait eu d’une jeune
fille alors qu’il n’était pas encore marié ».
54
Al. Lapedatu, « Miloş fiul lui Mihnea cel Rău. Mărturii mai puţin cunoscute », CL L
(1916), p. 72-76.
55
Al. Lapedatu, « Moartea lui Mihnea cel Rău », CL L (1916), p. 314-325.
56
N. Iorga, « Pretendenţi domneşti in secolul al XVI-lea », AARMSI, IIe série, XIX (1898),
p. 208-209 ; Al. Lapedatu, « Miloş », p. 75-76. Voir aussi le rapport de l’ambassadeur Lorenzo
Orio au doge de Venise, en date du 10 novembre 1521 : Mehmed beg entre en Valachie avec
8.000 Turcs « et cum parte de Valachi proprii di Transalpina » (les partisans de Mircea) pour
installer comme prince à la place de Théodose « uno nominato Marchia [Mircea] vayvoda, quai fo
fiol dil quondam Michna Vayvoda già schaziato dal padre dil ditto Theodosio ; et questo perchè
expulso ditto Vayvoda, suo fiol, che al presente è riposto in signoria, se ne fuzi in Turchia et si
aparentò cum el prefato Mehemeth, quai li ha fatto diclo effeto », Hurmuzaki, Documente, VIII,
no 64, p. 51. Mehmed était un Basarab par sa mère : cf. la Chronique de Macaire sous l’année
1521 et l’alliance que Mircea fit avec lui ressemble fort à un mariage avec sa fille : un premier
mariage de Mircea, donc, suivi en 1528 d’un second pour lequel voir la note suivante.
453
MATEI CAZACU
Marie Despina, qui lui donna pas moins de douze enfants, à moins qu’une partie
ne soient nés d’un premier mariage dont nous ignorons tout57.
D’autre part, l’apparition de noms typiquement serbes de Miloş et Roxanda
dans la descendance de Mihnea le Mauvais est l’indice d’une autre alliance sud-
slave que rien, jusqu’ici, ne permet de préciser58. On peut toutefois inférer que
Marie Despina, la femme de son fils Mircea, était issue de la famille des
despotes serbes. En effet, leur fils Alexandre, qui occupa le trône de Valachie en
1568, était issu, selon plusieurs témoignages contemporains, « du sang des
Despotes » (« ex sanguine Despotarum oriundo ») ou « de la lignée des
Despotes » (« ex Despotarum prosapia genitus, ex progeniae Despotae »)59.
La question qui se pose est donc qui était cette Marie Despina ? Nous
inclinons à croire qu’il s’agissait d’une fille du despote serbe Ivaniš Berislav qui
avait épousé en 1502 Hélène Jakšić, la veuve du despote Jean (Jovan)
Branković. De son premier mariage avec Jean Branković, Hélène avait eu une
fille, Hélène Catherine, qui épousa en 1530 Pierre Rareş, le prince de Moldavie.
De son second mariage avec Ivaniš Berislav, elle eut deux fils et deux filles. Ces
dernières étaient encore célibataires en 152760. Après cette date, une des filles a
épousé Nicolas Gusić, un noble serbe, et l’autre doit être Marie Despina, la
femme de Mircea.
57
Le nom de Marie est conservé dans l’obituaire du monastère moldave de Bistriţa : cf. D.
P. Bogdan, Pomelnicul mânăstirei Bistriţa, Bucarest 1941, p. 51, 87. Le titre Despina apparaît
dans l’obituaire d’Alexandre Mircea envoyé au monastère Sainte Catherine du Sinaï en 1570-
1574, « Mircea voevod şi doamna Despina » : DRH, B, VI, no 235, p. 288-290. La même
information dans l’obituaire de Pierre le Boiteux envoyé à Saint-Jean de Patmos en 1584,
« Mircea voevod şi Despina » : DIR, A, XVI/3, no 315, p. 260-262.
58
C’est aussi l’opinion de N. Iorga, Istoria românilor, IV, Cavalerii (la version française),
Bucarest 1937, p. 329, 346, 510. I.-R. Mircea, art. cit., p. 386. Parmi les enfants on trouve les
noms de Miloş, Despina, Hélène, Roxanda, Erina (Irène). Pour Miloş, le frère d’Alexandre et de
Pierre le Boiteux, voir Gerlach, Tagebuch, p. 107, 236, 315, 353, 369 ; Hurmuzaki, Documente,
XIV/1, p. 86, n. 1 ; N. Iorga, « Contribuţiuni la istoria Munteniei în a doua jumătate a secolului
XVI-lea », AARMSI, IIe série, XVIII (1896), p. 3. Un autre indice pour une alliance serbe serait la
présence de Mihnea le Méchant dans l’obituaire du monastère de Pčinja et des noms des princes
Mihnea et Pierre dans celui de Krušedol : cf. E. Turdeanu, « Din vechile schimburi culturale
dintre români şi iugoslavi », CL III (1939), p. 154, 164.
59
Hurmuzaki, Documente, II/1, no 560, p. 582, no 564, p. 585, no 566, p. 586-587 ; N. Iorga,
« Contribuţiuni la istoria Munteniei », p. 6 et n. 1.
60
M. Romanescu, « Neamurile doamnei lui Neagoe Vodă », AO XIX (1940), p. 13 et n. 83.
Nous doutons de la véracité des informations d’une Généalogie (Rodoslovie) serbe, connue
seulement dans une copie de 1712-1725, et qui daterait du règne d’Ivan le Terrible (1533-1589),
publiée par L. Stojanović, Stari srpski rodoslovi i letopisi, Belgrad 1927, p. 56 ; cf. I.C. Filliti,
« Despina, princesse de Valachie, fille présumée de Jean Brankovitch », RIR I (1931), p. 245-246.
En fait, il paraît évident que dans le cas de la famille Wiszniewiecki, la parenté sud-danubienne
est le résultat du mariage de Théodore avec Maria-Cneajna, la fille d’Etienne le Grand, morte le
18 mars 1518 et enterrée à Putna : cf. Şt. S. Gorovei, « Note istorice şi genealogice », p. 193, et
l’arbre généalogique de la p. 200.
454
STRATÉGIES MATRIMONIALES ET POLITIQUES
61
Cronicile slavo-romàne din sec. XV – XVI, éd. P. P. Panaitescu, Bucarest 1959, p. 195.
62
Pour les Berislav, voir N. Iorga, Geschichte des Osmanischen Reiches, II, Gotha 1909, p.
409 ; C. Jireček, Geschichte der Serben, II/1, Gotha 1918, p. 256-264 ; I.-R. Mircea, op. cit., p.
394, n. 72.
63
Hurmuzaki, Documente, XI, p. 451. Lors de sa naissance, sa mère eut un rêve
prémonitoire reproduit par le patriarche Jérémie, cf. Hurmuzaki, Documente XIV/1, p. 84-85.
64
C. Jireček, op. cit., p. 256.
65
Ibidem, p. 262.
66
Ibidem, p. 263-264.
67
Cette maison n’était pas Vlah-saraï, car le prince Radu Paisie avait, en 1536, sa propre
maison à Istanbul : M. Cazacu, « Projets et intrigues serbes », p. 520-521, n. 29. Le grand vizir
Aias pacha avait des parentes serbes : idem, p. 521, n. 30.
68
Voir la Chronique de Bucovăţ chez P. P. Panaitescu, op. cit., p. 195, l’inscription sur une
fontaine que Alexandre Mircea mettait, en 1571, à Ocnele-Mari, chez Inscripţiile medievale ale
României, I, Oraşul Bucureşti, éds. A. Elian et alii, Bucarest 1965, no 578, p. 479-480.
L’amélioration de leur situation sous le règne de Pătraşcu pourrait être mise en relation avec la
présence de Jean (Iane) Cantacuzène, le frère de Seitanoglou, dans le conseil princier de ce prince
455
MATEI CAZACU
qui a pu avoir une relation avec la sœur de ces derniers, Théodore : G. D. Florescu – D. Pleşia, op.
cit., p. 141-144 ; Şt. Andreescu, « Mihai Viteazul », p. 195-196 ; infra.
69
Leur fils, Mihnea, est né entre 1560 et 1566 selon les sources contemporaines qui lui
donnent de 11 à 13 ans en 1577, ou bien de 18 à 20, et même 25 ans en 1585 : N. Iorga,
« Contribuţiuni », p. 23 ; Hurmuzaki, Documente, IV/2, no 8, p. 98, et no 60, p. 130 ; Hurmuzaki,
Documente, XI, p. 192. À la même époque, c’était, semble-t-il, le tour d’Alexandre Lăpuşneanu
de Moldavie d’être exilé à Alep, alors que sa belle-sœur (« cognata »), avec deux fils et deux
filles, vivait à Istanbul « détenue dans la maison qu’ils ont dans cette ville » : voir Hurmuzaki,
Documente, II/1, p. 423-424 ; Călători străini, II, p. 169-170 (rapport de Jean Belsius de Iaşi, en
date du 6 juin 1562).
70
M. Guboglu, « Sultani şi mari dregători otomani », Hrisovul VII (1947), p. 72 : avant
eux, le grand vizir Ibrahim pacha (1523-1536) parlait le serbe, étant originaire de Parga, une zone
très mélangée de l’Épire ; Aias pacha (1536-1538) était Albanais, mais parent de Božidar
Vukovič: supra, n. 66 ; enfin, Rustem pacha (1544-1553, 1555-1561) était Croate.
71
Hurmuzaki, Documente, II/1, no 587, p. 607 ; supra, p. 1 et n. 2, 3 et 4. Pour « cognato »,
qui vient du latin « cognatus », voir J. F. Niermeyer, Mediae latinitatis lexicon minus, Leiden
1954-1958, p. 196 ; en grec, le terme correspondant est « kouniados » : Du Cange, Glossarium
mediae el infimae graecitatis, Paris 1688, c. 732 (réimpression 1943) ; le frère de la sœur est
« genaikadelfos » : ibidem, c. 268.
72
J. M. Cantacuzène, op. cit., p. 117.
73
Notre hypothèse se base sur le fait que ce prénom, qui est celui d’une des filles du
chambellan Constantin Cantacuzène, se retrouve aussi dans l’ascendance de son épouse, Hélène,
la fille de Radu Şerban. La présence de Marie dans l’obituaire que Pierre le Boiteux, son frère,
envoyait à Patmos en 1584, pourrait s’expliquer par le fait qu’elle était veuve (depuis 1578) et
vivait donc sous la protection de son frère. En effet, une autre sœur de Pierre, Alexandra, mariée à
Georges cămăraş en Moldavie à la même époque n’est pas mentionnée dans cet obituaire : elle
faisait partie, dorénavant, d’une autre famille. Notons que N. Iorga avait deja soupçonné
l’existence de deux épouses de Michel Cantacuzène : Despre Cantacuzini, Bucarest 1902, p.
XXVIII-XXIX.
456
STRATÉGIES MATRIMONIALES ET POLITIQUES
74
St. Gerlach, Tagebuch, p. 233 ; M. Crusius, Turcograeciae libri octo, Bâle 1584, p. 274 ;
É. Legrand, Recueil de fables ésopiques, Paris 1896 ; N. Iorga, Despre Cantacuzini, p. XXVIII ;
M. A. Mehmet, Documente turceşti privind istoria României, I, Bucarest, 1976, no 60, p. 60 ; voir
aussi le récit chez J. M. Cantacuzène, op. cit., p. 115-117.
75
Th. Holban, « Documente româneşti din arhivele polone şi franceze », AIIAI XIII (1976),
o
n 92, p. 318-319.
76
Şt. S. Gorovei, « Familia lui Petru Rareş », p. 267-268.
77
DIR, A, XVI/3, no 63, p. 47-49. Dans l’acte il y a une seconde erreur : Ruxanda est
nommée « femme » au lieu de « mère » de Bogdan Lăpuşneanu.
78
Şt. S. Gorovei, « Familia lui Petru Rareş », p. 267-268, croit que Chiajna ne pouvait pas
être née après 1530, car elle aurait été trop jeune pour se marier en 1546. On ne peut que rappeler
le cas de la fille de cette même Chiajna, qui à 15 ans refuse d’épouser Jean Cantacuzène mais
prend comme mari le neveu du patriarche de Constantinople. Par ailleurs, selon Şt. S. Gorovei,
op. cit., p. 268, Roxanda était née en 1537-1538 ; or, elle va épouser Joldea en 1552, à 14-15 ans.
79
« Mehemet Bassa, des Cantacuzens Stuetzen », dit Gerlach, op. cit., p. 454, et le baile
vénitien : « costui [Șeitanoglou] ha fama di esser stato causa col mezo del Bassà [Mehmed
Sokolli] del quale è stato sempre favorito grandemente », Hurmuzaki, Documente, IX/2, no 3, p.
95.
80
On n’a pas assez attiré l’attention sur Miloş, le frère d’Alexandre Mircea et de Pierre le
Boiteux : supra, n. 58. Nouveau fondateur du monastère de Néa Monè de Chios (en 1573), il
457
MATEI CAZACU
prenait place aussitôt après le patriarche œcuménique et avant les métropolites dans l’église
patriarcale. Lui seul était admis à s’asseoir pendant les repas solennels à côté du patriarche qui
trônait. Lorsqu’il meurt, le 20 février 1577, laissant un fils, Vlad, et une fille, Irène, mariée avec
Albu Golescu, en Valachie, Gerlach rappelle qu’il avait été un temps exilé à Caffa, puis appelé à
Constantinople, alors que ses frères se trouvaient à Rhodes et à Alexandrie : Gerlach, op.cit., p.
315. Paul Lemerle a déjà attiré l’attention sur les notices slavonnes du ms. Coraï 1598 (Chios), qui
contient une copie du XVIe siècle du Typikon de Grégoire Pakourianos pour le monastère de
Petritzos à Philipopolis (1083) : P. Gautier, « Le typicon, du sévaste Grégoire Pakourianos », RÉB
XLII (1984), p. 5-146. Grâce à l’amabilité de Monsieur Florin Marinescu (Athènes), nous avons
obtenu une photocopie du f. 147 (p. 299) qui contient les notes suivantes : « † Scrişu eu Milosu
dascal snă Alixandru voda ot Vlaşcoe zemle ot grad Bucureşti. † Milostiiu bojiiu Io Alixandru
voivoda. † Čistnomu i naročinagomu ot Boga dolgodanomu ». Il ressort donc que Miloş était
professeur (dascăl), vraisemblablement à l’École patriarcale de Constantinople, tout comme
Dimitrije Ljubavić, en 1551-1556. Ceci, ensemble avec les riches dons de ses frères, princes de
Valachie et de Moldavie, expliquerait sa position éminente dans la hiérarchie grecque
constantinopolitaine dont nous parle Gerlach.
81
N. Iorga, Pretendenţi domneşti în secolul XIV, passim ; idem, « Contribuţii la istoria
Munteniei », p. 10, 19-20.
82
Idem, Istoria Românilor, V, p. 159-160.
458
STRATÉGIES MATRIMONIALES ET POLITIQUES
83
N. Stoicescu, Dicţionar al marilor dregători din Ţara Românească şi Moldova (sec. XIV
– XVII), Bucarest 1971, p. 64-65 ; Şt. Andreescu, « Mihai Viteazul », p. 187-190 ; M. Maxim,
« New Turkish Documents Concerning Michael the Brave and His Time », RRH XXXII (1993),
p. 185-202.
84
Şt. Andreescu, Restitutio Daciae (Relaţiile politice dintre Ţara Românească, Moldova şi
Transilvania în răstimpul 1526 -1593), Bucarest 1980, p. 162-185 ; voir aussi N. Iorga, « Un pact
de familie şi o nuntă domnească în 1587 », AARMSI, IIIe série, XII (1931), p. 27-33. Voir aussi
idem, Istoria Românilor, V, p, 160 : « Stăpânirea frăţească peste amândouă ţările, un fel de unire
dinastică, pregătită încă din zilele când Ilie cel vechi şi Vlad Dracul erau cumnaţi, când Ştefan cel
Mare lua pe Maria lui Radu, Bogdan pe fata lui Mircea [en fait Mihnea] şi a Voicăi şi Ştefan cel
Tânăr pe Stana lui Neagoe, fară a mai pomeni încercarea de încuscrire pe aceeaşi linie a lui
Despot însuşi, se dovedea fără mare folos ».
85
La justification profonde de la mise à mort de Michel Cantacuzène est donnée par le baile
Nicolo Barbarigo dans un rapport au doge du 18 mars 1578. Après avoir énuméré les différents
griefs du sultan envers Șeitanoglou et Pierre le Boiteux (lui aussi voué à la mort dans un premier
temps), le diplomate vénitien ajoutait : « la causa principale veramente del ordine della morte
del’uno et dell’ altro [...] si tienne da quelli che penetrano un poco più avanti che sia stato il
desiderio di acquietare i popoli di quel paese [la Moldavie] gia sollevati, dubitandosi di una total
ribelione, essendo favorite queste lor solevationi dal Duca di Moscovia » : Hurmuzaki,
Documente, IV/2, no 18, p. 103-104. Cette information a été en général prise sous bénéfice
d’inventaire, car on connaît les démêlés de Michel Cantacuzène avec les Vénitiens qui ne le
portaient vraiment pas dans leur cœur, preuve les procès qu’il avait eus avec des Vénitiens en
1568 et en 1569 : A. Veress, Documente privitoare la istoria Ardealului, Moldovei şi Ţării
Româneşti, I (1527-1572), Bucarest 1929, no 331, p. 274-276, 332 et no 340, p. 286-287.
L’accusation d’avoir fomenté la révolte des Moldaves soutenus par le tsar russe – les incursions
de Nicoară Potcoavă avec les Cosaques en février - mars 1578 – devait se baser sur les intrigues –
réelles ou supposées – que Șeitanoglou avait pu nouer à Moscou lors de son dernier voyage là-bas
en décembre 1577. Voir à ce sujet la lettre de Mourat III au roi de Pologne, Etienne Báthory, du
21 novembre - 1er décembre 1577, recommandant son marchand de la Cour : « L’un des
marchands attachés à notre Maison, Mikhal, le modèle des notables du pays chrétien, détiendra ce
décret impérial, universellement obéi. Il est envoyé dans la province de Moscou, muni de fonds de
notre Trésor, afin d’acquérir et de rapporter des zibelines et autres marchandises d’une insigne
qualité et du choix le plus rare, dignes de servir notre personne », A. Bennigsen – Ch. Lemercier-
Quelquejay, « Les marchands », p. 390. Par ailleurs, l’agent de Cantacuzène, André Missir, était
resté en Pologne avec les marchandises, que le sultan réclamait en juillet 1578 : Hurmuzaki,
Documente, XI, nos 49-51, p. 619-621. Le retour précipité de Michel Cantacuzène à
Constantinople reste encore un mystère. En tout cas, si la supposition du sultan à propos de la
révolte – confirmée par les dénonciations du chan de Crimée et du neveu de Șeitanoglou – était
459
MATEI CAZACU
vraie, alors on peut déduire que Michel Cantacuzène avait encouragé un mouvement du même
type que celui de Michel le Brave en 1594.
86
A. Decei, « Mihai Viteazul în documente turceşti », RA LII (1975), no 2, p. 145-146 ; M.
Maxim, New Turkish Documents, p. 193 et suiv.
87
Ibidem, p. 146-147.
88
Şt. Andreescu, « Mihai Viteazul », p. 187-188.
89
J. M. Cantacuzène, op. cit., p. 128, qui ne croit pas à l’origine Cantacuzène de Théodora ;
cf. G. D. Florescu – D. Pleşia, art. cit., p. 143 sq.
90
Şt. Andreescu, « Mihai Viteazul », p. 197 ; A. Pippidi, op. cit., p. 182-189. Au sujet de
l’action d’Andronic, il convient de préciser une fois pour toutes que l’hypothèse de N. Iorga, selon
lequel Andronic avait marié deux de ses filles aux princes Aron et Étienne le Sourd, est fausse et
repose sur une mauvaise traduction. En effet, dans une lettre du 14 novembre 1593, adressée à
Pierre le Boiteux, réfugié dans le Tyrol, Andronic écrivait qu’il avait fait princes « les enfants de
mes enfants » (« κοπελιον μου κοπελια »), dans la traduction de Iorga, dans Hurmuzaki,
Documente, XI, no 519, p. 373. Et plus loin : « à cause de la multitude des beaux-fils
(« gambrous »), je me suis trouvé la risée de tous dans ma vie et dans mon âme » : ibidem, p. 374.
Et N. Iorga d’ajouter dans la note 2 : « Nu-mi pot explica bine acest pasagiu care pare că se
460
STRATÉGIES MATRIMONIALES ET POLITIQUES
On peut donc affirmer, sans crainte d’être contredit, que Michel, Jean
(Iane) et Andronic Cantacuzène ont exercé un véritable contrôle sur la Valachie
et sur la Moldavie dans la période 1568-1594, contrôle au nom du sultan et de
l’Empire ottoman. C’est là le sens du titre que Gerlach confère à Șeitanoglou,
« Herr über Balachia und Bogdania »92, titre confirmé par un acte ottoman de
1593 qui précise que Jean (Iane) « le grand ban [...] a été autrefois voïévode de
Valachie »93. Même si Iane n’a pas régné effectivement, sa fonction de grand
ban et de capuchehaia des deux Pays roumains, charges héritées par Andronic
en 1592-1593, faisaient d’eux aussi les « protecteurs », ou mieux les proconsuls
des Principautés danubiennes aux yeux des Ottomans.
Par ailleurs, les spécialistes ont été frappés par le fait qu’Andronic est
nommé dans les actes ottomans de 1592-1593, – publiés par A. Decei, M.
Guboglu, M. Mehmed et M. Maxim –, « Mihaloglu derviş ». Ce dernier terme
raportă la domnii munteni dinaintea lui Mihai Viteazul şi poate şi la Aron. “Copiii copiilor” să fie
nepoţi de fii sau fiice ? E imposibil pentru vrâsta lui Andronic şi nici unul din cei trei domni nu
era în acest grad de înrudire cu el. Mai curând aş crede că şi aici, ca şi puţin mai departe, e vorba
de gineri ». N. Iorga a donc présenté Aron et Étienne le Sourd comme gendres d’Andronic, erreur
qui se retrouve dans Despre Cantacuzini, p. XL, et jusque dans Istoria Românilor, V, p. 250, d’où
elle est passée dans d’autres ouvrages plus récents. Or, D. Russo a clairement démontré qu’il
fallait traduire « copéli » par « serviteur » et « gambros » par « candidat » : D. Russo, Studii
istorice greco-române, I, Bucarest 1939, p. 38 -39 et n. 1.
91
N. Iorga, « Les grandes familles byzantines et l’idée byzantine en Roumanie », BSHAR
XVIII (1931), p. 14-15, cité par Şt. Andreescu, « Mihai Viteazul », p. 197.
92
S. Gerlach, op. cit., p. 200, sous la date 17 mai 1576. En juin 1576, les envoyés valaques
hostiles à Alexandre Mircea se sont « grausam über seine unerträgliche Thyranney geklaget,
sonderlich dass sie vor diesem (Michel Cantacuzène) nur dem Kayser und ihrem Fürsten
Alexander den Tribut reichen dörffen, nun aber muessen sie dem Cantacuzen auch so viel geben
dass es ihnen fortzutreiben unmueglich falle : sondern muessen Haus und Hoff stehen lassen und
davon gehen » : ibidem, p. 233. Un mois plus tard, lors de l’arrestation de Michel Cantacuzène et
de son fils Andronic, Gerlach note à son encontre : « Er sey auch ein gar ungerechter Mann uber
seine Unterthanen gewesen, dann er etlich 100 Dörffer unter ihm und ein prächtig Sarai oder
Schloss in Achilo (Anchialos), auch in der Walachey und Moldau zu gebieten gehabt dass
dieselbe Weywoden thun müssen was er gewolt sonsten er ihnen gleich gedrohet er wolle
verschaffen dass sie sollen abgesetzet werden », ibidem, p. 222-224.
93
M. Maxim, « New Turkish Documents », p. 198-201.
461
MATEI CAZACU
462
STRATÉGIES MATRIMONIALES ET POLITIQUES
100
Al. Ciorănescu, Documente privitoare la istoria românilor culese din arhivele din
Simancas, Bucarest 1940, p. 204 ; Şt. Andreescu, art. cit., p. 198.
101
Şt. Andreescu, « Familia lui Mihai Viteazul », p. 235, dans P. Cernovodeanu – C.
Rezachevici (éds.), Mihai Viteazul. Culegere de studii, Bucarest 1975. Nicolae Pătraşcu meurt en
1627 à Bratislava et ses restes seront réinhumés dans l’église du monastère de Comana, auprès de
son beau-père, Radu Şerban. Comana devient une propriété des Cantacuzène et il n’est pas très
étonnant d’y rencontrer un Badea Cantacuzino de Comana, témoin d’un acte du métropolite de
Valachie du 18 juin 1652. Voir A. Sacerdoţeanu, « Iarăşi despre mitropolitul Ignatie Sărbu »,
BOR LXXXII (1964), p. 1094. On y rencontre aussi Constantin le chambellan, mais sans nom de
famille. Badea est, par ailleurs, inconnu dans la généalogie des Cantacuzène valaques.
102
P. P. Panaitescu, Mihai Viteazul, Bucarest 1936, p. 50-52.
103
S. Golubev, Kievskij mitropolit Petr Mogila i ego spodvižniki, I, Moscou 1883, Annexes,
p. 179-181.
104
M. A. Mehmed, Documente turceşti privind istoria României, I, Bucarest 1976, no 132,
p. 126.
463
MATEI CAZACU
105
Les chaouches, au nombre d’environ 300 à l’époque, « seyn Adelmesige die werden in
Legation und Commisionsachen hin und wider verschickt. Ihr Amt ist sonst wann der Kayser zu
Feld zeucht oder sonsten über Land verreisst, dass sie vor dem Hauffen her reiten und mit ihren
Faustkolben oder Busigan (buzdugan) die Ordnung und den Weg machen » : S. Schweiger, op.
cit., p. 168. Ahmed Seitan-Oglou est mentionné comme chaouch en liaison avec les Pays
roumains à trois reprises en 1577 : voir M. A. Mehmed, op. cit., I, no 137,140 et 141, p. 129-132.
106
S. Gerlach, op. cit., p. 321-322. Pour sa mort, voir le rapport de Atilio Amalteo, en date
du 1er août 1592, dans Călători străini, III, éds. M. Holban, P. Cernovodeanu, Bucarest 1971, p.
341.
107
A. Veress, Documente privitoare la istoria Ardealului, Moldovei şi Ţării Româneşti, III
(1585-1592), Bucarest 1931, no 125, p. 194, 197. On l’appelait aussi Magyar Amhat, voir
Hurmuzaki, Documente, XI, Bucarest 1900, no 20, p. LVI, 591, 594-595, nos 23, 810, 813, 814,
817, 820, 824, 828, 835, 836, etc.
108
Ibrahim Pecevi, Tarih, dans Cronici turceşti privind Ţările Române, éds. M. Guboglu,
M. A. Mehmed, Bucureşti 1966, p. 377.
109
Antoine Geuffroy, Briesve description de la Court du Grant Turc..., Paris 1546, chez Y.
Bernard, L’Orient du XVIe siècle à travers les récits des voyageurs français: regards portés sur la
société musulmane, Paris 1988, p. 306. Toutefois, Gerlach parle seulement de trois defterdars
464
STRATÉGIES MATRIMONIALES ET POLITIQUES
465
GÉNÉALOGIE ET EMPIRE.
LES CANTACUZÈNE DE L’ÉPOQUE BYZANTINE
À L’ÉPOQUE OTTOMANE
(en collaboration avec Jean Michel Cantacuzène)
Une des pages les plus dramatiques de l’histoire de cette famille a été, sans
aucun doute, l’extinction quasi-totale de sa branche vivant en Serbie depuis
1414, date du mariage d’Irène Cantacuzène avec le despote Georges Branković.
Parmi les personnages les plus importants de cette famille actifs en Serbie
jusqu’à la chute du Despotat, en 1459, on peut citer les frères d’Irène, Georges
Cantacuzène Paléologue et Thomas1. Il y eut pourtant un autre Cantacuzène
dont nous ignorons le prénom et qui est appelé dans les actes de Raguse
simplement « Cathacusinus de Servia » ; il remplissait la fonction de gabelotto
(vraisemblablement fermier des revenus, donc l’équivalent du turc ottoman
amil) à Novo Brdo avant la première occupation de cette ville par les Ottomans,
le 27 juin 1441. Les actes de Raguse indiquent qu’il conserva cette charge très
lucrative durant l’intermède ottoman (1441-1444) et aussi après le
rétablissement de la domination serbe sur le centre minier (1444-1455)2. On
sait, en effet, que les mines d’argent d’ici rapportaient en 1439 pas moins de
200.000 ducats par an3.
On ignore ce qui est advenu de ce Cantacuzène lors de l’occupation de la
ville par Mehmed II en 1455 ; les mémoires du janissaire serbe Konstantin
Mihailović d’Ostrovica qui fut fait prisonnier à cette occasion, racontent que les
notables de la ville furent décapités et que les autres, vraisemblablement les
mineurs, eurent la vie sauve4. Quoi qu’il en fut, son fils, appelé dans ces mêmes
actes de Raguse « Jagno filius Catacusini de Novo Brdo » remplissait la même
1
Thomas était gouverneur de Smederovo en 1439 ; Georges le deviendra plus tard, en
1456. Cf. D. Nicol, The Byzantine Family of Kantakouzenos (Cantacuzenus) ca. 1100 - 1460,
Dumbarton Oaks 1968, no 67 et 70 et p. 178.
2
C. Jireček, Staat und Gesellschaft im Mittelalterlichen Serbien, IV, Vienne 1919, p. 34.
3
Idem, Die Handelsstrassen und Bergwerke von Serbien und Bosnien während des
Mittelalters, Prague 1916, p. 55-57 ; N. Beldiceanu, Les actes des premiers sultans conservés
dans les manuscrits turcs de la Bibliothèque nationale à Paris, I-II, Paris – La Haye 1960, 1964.
4
Memoiren eines Janitscharen oder Türkische Chronik, éds. R. Lachmann et alii, Graz –
Vienne – Cologne, 1975 (« Slavische Geschichtsschreiber », 8), p. 112-113.
MATEI CAZACU
5
C. Jireček, Die Handelsstrassen, loc. cit.
6
Fr. Babinger, Maometto il Conquistatore e il suo tempo, Turin 1957, p. 484-485.
7
N. Oikonomidès, Hommes d'affaires grecs et latins à Constantinople (XIIIe – XVe siècles),
Montréal – Paris 1979, p. 121 (Conférences Albert-le-Grand, 1977), qui cite Il libro dei conti di
Giacomo Badoer, éds. V. Dorini, T. Bertelè, Rome 1956 p. 74, 129.
8
D. Nicol, The Byzantine Family of Kantakouzenos (Cantacuzenus) ca. 1100 - 1460,
Dumbarton Oaks 1968, no 99, p. 227-228 ; I. M. Cantacuzino, O mie de ani în Balkani, Bucarest
1996 : Éd. Albatros, p. 99.
9
I. Božić, « Kolebanja Mahmud-pase Andjelovica », Prilozi za knjizevnost, jezik, istoriju i
folklor LXI/3-4 (Belgrade, 1975), p. 159-171.
10
M. Cazacu, « Les parentés byzantines et ottomanes de l’historien Laonikos
Chalkokondyle (c. 1423 - c. 1470) », Turcica XVI (1984), p. 95-114.
468
GÉNÉALOGIE ET EMPIRE
Anges, Angeloi) était la cousine germaine d’un Georges Paléologue, que nous
avons identifié comme étant Georges Paléologue Cantacuzène, le frère d’Irène
Branković dont il a été question plus haut. Ceci nous permettait de relier
Mahmud pacha à Jean (Iani) Cantacuzène, avec la précision que le futur grand
vizir vivait aussi à Novo Brdo et avait été fait prisonnier en 1439 lorsqu’il
fuyait, ensemble avec sa mère, à Smederovo (Sémendria). Et de conclure :
« On peut voir en lui [Jean Cantacuzène] un des premiers banquiers chrétiens de la
Turcocratie, tout comme ceux qui, selon Chalkokondyle, affermèrent le passage du Danube pour
les Turcs en 1462. Sa mise à mort, de concert avec celle de sa nombreuse famille, en 1477, peut
être rattachée à l’exécution, trois ans auparavant, de son cousin Mahmud pacha »11.
11
M. Cazacu, op. cit., p. 107.
12
Il s’agit d’Angelus Massarelus, « Dell’imperadori Constantinopolitani », Bibliothèque
vaticane, ms. lat. 12127, f. 349v°-353, transcription mise à notre disposition par M. Jean Michel
Cantacuzène.
13
M.C. Sehâbeddin Tekindag, « Mahmud Pasa », dans Islam Ansiklopedisi, VII, Istanbul
1957, p. 186. Nous devons la traduction de cet article au regretté Mihai Guboglu. Cf. la traduction
abrégée et corrigée de C.H. Imber, Encyclopédie de l’Islam, VI, Paris 1986, p. 67-70 ; A. Popović,
« La biographie de Grand Vizir Mahmûd Pasa Adnî, entre la “turcologie” et la “balkanologie” »,
dans Mélanges offerts à Louis Bazin par ses disciples, collègues et amis, Paris 1992, p. 227-229.
469
MATEI CAZACU
« tuti grandi favori e subsidii pecuniarii e per ogni altra via a nui possibille e far chel
summo artifice e la maiestad del re Ferdinando nostri confederati e i altri principi christiani farano
queste medesimo »14.
Les quatre lettres patentes se trouvent copiées dans les registres du Conseil
des Dix17. Celle en faveur de Mahmud pacha rappelle les prétentions de celui-ci
– la Morée et 40.000 ducats par an – mais ajoute un élément nouveau : dans le
cas où Mahmud attaquerait Constantinople et s’emparerait de la ville avec l’aide
de Venise, celle-ci se réservait pour elle la Morée, Négrepont (Eubée), Mitylène
(Lesbos) et toutes les îles en dehors du détroit des Dardanelles :
« Ma perche havemo consyderado le mutation de le condition del tempo et dele cosse
acoche la sua Illustrissima Signoria [= Mahmud pacha] perfectamente intenda l’animo et intention
nostra verso ley, la qual non poria esser meglior, ne piu benivola et amichi, dicemo et cum el
nostro Conseio di X cum la conta gli promettemo che aspirando la Excellentia sua a piu alta et
gloriosa imprexa et stato et assaltando la cita et l’imperio de Constantinopoli et dominio del
turcho de qua dal streto nuy saremo cum l’armata nostra et cum tutti nostri favori et presidii
14
Archivio di Stato di Venezia, Consiglio dei Dieci, Misti, XVII, f. 113v.
15
En 1469, un certain « Macumet bey, flambolarius Angelocastri » fils d’un certain
« Famianus » (Emin ?), « olim domini Salonichi », entrait en tractations avec Venise à laquelle il
demandait le sangiak de Morée et offrait Corinthe, Calavryta et Muchlion. Il semble qu’il
s’agissait d’un autre personnage que Mahmud pacha.
16
Archivio di Stato di Venezia, Consiglio dei Dieci, Misti, XVII, f. 180v-181v.
17
Archivio di Stato di Venezia, Consiglio dei Dieci, Misti, XVIII, f. 5-6.
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GÉNÉALOGIE ET EMPIRE
pecuniarii et tuti altri in suo adiuto a mantenerlo et conservarlo in esso stato. Remanendo ala
Signoria nostra la Amorea, Negroponte, Metelino et tute l’isole fuori del streto. Et occupando la
Illustrissima Signoria Sua i castelli del Dardanello si che l’armata nostra possi passar suxo subito
que la manderemo in suo favor et adiuto fino dove sara bisogno ».
On voit donc que les projets de 1472-3 dépassaient de loin ceux de 1469-
1470, une escalade en rapport avec le retour en grâce de Mahmud pacha qui
avait été admis au divan impérial depuis le 27 août 1472. Il s’agissait
maintenant ni plus ni moins que de la domination de Constantinople et de
l’Empire ottoman d’Europe et d’Asie mineure à l’exception de la Morée et des
îles de la Méditerranée orientale.
Les trois intermédiaires – Jean Cantacuzène, Alessio Span et Marin le
Hongrois – n’étaient pas oubliés non plus : Venise leur promettait un revenu
annuel de respectivement 4000, 1000 et deux cents ducats. On voit que c’est
Jean Cantacuzène qui avait pris la conduite des opérations, vu que sa pension
était la plus élevée des toutes. S’y ajoutaient des somptueux cadeaux. Par
l’intermédiaire de Marin le Hongrois, le doge et le Conseil des Dix envoyaient à
Leonardo Boldù, le provéditeur de l’Albanie,
« brachia XXXII damaschini cremesini divisi in duo capicia. Item brachia XII scarlati rosati
divisi similiter in duo capicia que donari volumus suprascripto Iane Catacusino et Magnifico
domino Alexio Spano, videlicet unicuique eorum brachia XVI damaschini et brachia sex
scarlati ».
18
Voir Ş. Papacostea, « La politique externe de la Moldavie à l’époque d’Étienne le Grand :
points de repère », RRH XIV (1975), p. 423-440.
19
Voir les détails que donne Angiolello, Historia turchesca (1300-1514), éd. I. Ursu,
Bucarest 1909, p. 62-3 ; Fr. Babinger, op. cit., p. 352 et suiv.
471
MATEI CAZACU
20
Voir Du Cange, Familiae augustae byzantinae, Paris 1680, p. 351 ; C. Jireček, Staat und
Gesellschaft, IV, Vienne 1919, p. 45. En 1454, Alessio Span était voïévode du despote Georges
Branković à Novo Brdo, ce qui explique ses liens avec Jean Cantacuzène et, vraisemblablement,
aussi avec Mahmud pacha qui y avait habité avant 1439. Voir aussi Fr. Babinger, Das Ende der
Arianiten, Munich 1960, p. 88 ; idem, Johannes Darius (1414-1494), SachwalterVenedigs in
Morgenland, und sein griechischer Umkreis, Munich 1961, p. 58-70.
21
Laonikos Chalkokondyle, Historiarum demonstrationes..., éd. E. Darko, I, Budapest
1922, p. 2.
472
GÉNÉALOGIE ET EMPIRE
Annexe
1473, 13 avril – Lettres patentes du doge de Venise en faveur de
Jean (Jana) Cantacuzène.
Patentes
Nicolaus Tronus Dei gratia dux Venetiarum, etc. Universis et singulis ad
quos presentes advenerint. Notum esse volumus che havendo effecto la materia
che per mecanita et interposition de lo Egregio Jana Catacusino se tracta et
practicha fra la nostra Signoria et lo Illustrissimo Signor Maumuth Bassa per
ruina et exterminio del stado del turcho havemo facto promettere al prefato
Jana per el nobel homo Lunardo Boldù, Conte et Capitanio nostro de Scutari et
provededor de l'Albania. et cusi per tenor de le presente cum el nostro Conseio
di X cum la conta gli promettemo dar ducati IIII millia de provision al anno, o
tante possession che li rendi i dicti ducati IIII m. per luy, suo figliuoli et heredi
in perpetuus havendo execution la materia come e sopradito. In quorum fidem,
robur et evidentiam pleniorem praesentes nostras patentes litteras fieri iussimus
et bulla nostra plumbea pendente muniri.
Date in nostro ducali palati die XIII Aprilis, Indictione VI, MCCCCLXXIII.
22
P. Schreiner, Die byzantinischen Kleinchroniken, Verlag der österreichischen Akademie
der Wissenschaft, vol. I, Vienne 1975, p.670 ; vol. II, Vienne 1977, p. 562.
23
Stefan Gerlach dess Aeltern , Tage-Buch, Frankfurt-sur-Main 1674, p. 46.
24
J.M. Cantacuzène, Mille ans dans les Balkans, Chronique des Cantacuzène dans la
tourmente des siècles, Paris 1992 : Éd. Christian, chap. V, p. 106-110.
25
Ibidem.
26
Philippus Cyprius, Magnae Ecclesiae Constantinopolitanae chronicon, Leipzig &
Francfurt Joh. Christian Wohlfart 1684, p. 394.
473
MATEI CAZACU
« le Grand Seigneur se rendit à un de ses kioskes sur le bord de la mer ; et s’étant fait
amener le Prince de Valaquie avec ses deux fils, son Gendre et son Maître d’Hotel, détenus en
prison depuis deux mois pour les accusations que j’ai marquées ailleurs, il ordonna qu’ils fussent
decapitez sur une petite place qui règne devant le kioske : ce qui fut exécuté sous ses yeux en la
manière suivante et en moins d’un demi quart d’heure »33.
Or ceci est erroné car Brancovan a été exécuté avec ses quatre fils et son
Trésorier (ce qui fait en tout 6 personnes décapitées et non pas 5 comme indiqué
par La Motraye !). Rappelons qu’en outre un bébé (petit fils) caché en a
27
J.M. Cantacuzène, Mille ans dans les Balkans, loc. cit.
28
I.M. Cantacuzino, O mie de ani în Balkani, Bucarest 1996 : Éd. Albatros, chap. V, p. 108.
29
P. Schreiner, Die byzantinischen Kleinchroniken, loc. cit.
30
M. D. Sturdza, Grandes familles de Grèce, d’Albanie et de Constantinople, Dictionnaire
historique et généalogique, Paris 1983 : Chez l’Auteur, entrée « Cantacuzène ».
31
Th. Ganchou, « Sur quelques erreurs relatives aux derniers défenseurs de
Constantinopl », Θησαυρίσματα 25 (1995), p. 61-82.
32
J. M. Cantacuzène, Mille Ans dans les Balkans, loc. cit.
33
Voyages du Sieur Aubry de La Motraye en Europe..., II, La Haye 1727 : Éd. T. Johnson
& Van Duren, p. 212.
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GÉNÉALOGIE ET EMPIRE
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Théodora, Maria ». Michel peut par contre très bien être un fils d’Andronic,
réchappé du massacre de 1453, même avec ces nouvelles données.
Ce qui frappe dans la généalogie donnée par Massarelus, c’est qu’il n’y est
question d’aucun Cantacuzène vivant à Constantinople sous les Ottomans,
comme par exemple Antoine (†1575) et son fils Georges, « ornements » du
Patriarcat43, dont tous les contemporains admettaient aussi la noble ascendance
byzantine. La rupture de 1453 a été tres nette, les informations n’ont plus circulé
pendant des décennies entre ceux qui avaient émigré et ceux qui étaient restés
sous les Ottomans. Ce phénomène s’est produit récemment, entre ceux restés au
delà et en deçà du « rideau de fer » : les informations généalogiques (décès,
naissances mariages) n’ont pas circulé pendant 50 ans et ont donné lieu a de
singulières surprises à partir de 1990, telle l’existence d’une dame Marina
Cantacuzène, née à Leningrad en 1924, vivant aujourd’hui à Moscou (sous son
nom de femme mariée), et dont l’existence même était ignorée, et pour cause :
son père Georges né en 1890 était marqué « disparu en 1918 » dans toutes les
généalogies de cette famille44 , alors qu’il a été arrêté en 1924, relâché puis arrêté
de nouveau lors de l’affaire Kirov et déporté en Sibérie en 1938, où il est mort
au goulag en 1943.
Pour toutes ces raisons, nous considérons comme a présent établi avec une
grande vraisemblance, le fait que Michel « Șeitanoglou » (†1578) est l’arrière-
petit-fils du Grand Domestique Andronic (†1453), motif pour lequel il a donné
ce nom à son propre fils Andronic (1553-1601).
43
Stefan Gerlach dess Aeltern, Tage-Buch, Frankfurt-sur-Main 1674 , p. 46.
44
J. M. Cantacuzène, Mille ans dans les Balkans, p. 446 : Tab. généal. VIII, 25ème gén. ;
Georges né en 1890 est indiqué comme étant mort en 1918, ce qui est faux et n’a été révélé qu’en
1999 !
476