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~4I

dans la liturgie
Conférences Saint-Serge
XVIIe Semaine
d Etudes Liturgiques
W

ROMA
BIBLIOTHECA «EPHEMERIDES LITURGICAE.
«SUBSIDIA»

COLLECTIO CURA A. PISTOIA, C.M., ET A.M. TRIACCA, S.D.B. REeT/\

25----

DE LrCENTIA SUPERIORUM
L'ÉCONOMIE DU SALUT
DANS LA LITURGIE
CONFÉRENCES SAINT-SERGE
XVII' SEMAINE D'ÉTUDES LITURGIQUES

éditées par A.M. TRIACCA et A. PISTOIA

ANDRONIKOF C. . ARRANZ M.. BOTTE B .. DE WATTEVILLE J .. DUBARLE


A.M. - KOVALEVSKY P. - Mf:LIA E .. NEUNHEUSER B .. PALACHKOVSKY V.
RENOUX CH. . RORDORF W. . SÜSS TH. . TABET J. . WEBB D.

C.L.V. - EDIZIONI LITURGICHE - 00192 ROMA


Via Pompeo Magna, 21
1982
TABLE DES MATIÈRES

Page

Présentation (A. PISTOIA - A.M. TRIACCA) . 6

ANDRONIKOF C., L'économie du salut dans le rite du baptême


d'après le Trebnik 11

ARRANZ M., L'économie du salut dans la prière du ({ Post·Sanc-


tus » des anaphores de type antiochéen 29

BOTTE B., Oikonomia . 59

DE WATTEVILLE J., Aperçu de la théologie des mystères et de


l'anamnèse chez Luther, Calvin et leurs successeurs im-
médiats 73

DUBARLE A.M., Economie du salut et sens spirituel de l'Ecriture 105

KOVALEVSKY P., L'économie du salut dans les textes liturgiques


de la Sainte Rencontre 117

MÉLIA E" Anan1nèse, actualisation et anticipation comme lieux


de la catéchèse liturgique 129

NEUNHEUSER B., La théologie des mystères de Dom Casel dans la


tradition catholique 143

PALACHKOVSKY V" L'économie du salut dans l'Office divin by-


zantin 157

RENOUX Ch., Le Triduum Pascal dans le rite arménien et les hym-


nes de la Grande Semaine 169

RORDORF W., Liturgie et eschatologie 219

Süss Th., L'histoire du salut dans la théologie et la liturgie de


Luther 231

TABET J., L'eschatologie dans l'Office commun maronite 243

WEBB D., L'économie du salut dans le nouveau Calendrier de


l'Eglise d'Angleterre 267
PRÉSENTATION

Parmi les faits très significatifs qu'on peut porter au crédit de


la théologie de notre siècle, il y a sans doute la redécouverte du
salut de Dieu comme (f économie». Une tout autre profondeur et un
tout autre souffle, en effet, viennent enrichir la réflexion théologique
dès que, poussée par le mouvement biblique surtout, elle accepte de
réinsérer ses objets dans la perspective d'une économie du salut
solidement enracinée dans le binôme histoire-mystère. Cela vaut pour
toutes les grandes confessions chrétiennes, au sein desquelles l'Esprit
a inauguré et fait m.ûrir toujours davantage une commune reconver-
sion de 1'« intelligentia fidei}) à la perception de l'agir divin dans
l'histoire, à partir précisément de la ligne biblique.
Une constatation presque identique s'impose à propos de la
liturgie. Celle-ci en effet a pu tirer profit non seulement de la longue
préparation représentée par le mouvement liturgique et, parallèle-
ment, par les mouvements historique, biblique et patristique, mais
aussi du fait de posséder en elle-même l'objet en question, c'est-à-dire
l'histoire du salut actualisée par les paroles et les gestes sacramen-
tels. Il serait sans doute de très grand intérêt de pouvoir parcourir
le chemin pa,. lequel les diverses Eglises ont été amenées à rédé-
couvrir la liturgie comme célébration actualisant l'histoire du salut
et, en conséquence, à en récupérer l'intelligibilité dans le contexte
d'une {{ économie}) de la Révélation liée à l'histoire. Mais, en at-
tendant qu'on puisse un jour, pas trop lointain, disposer de telles
recherches, on peut, semble-t-il, convenir de reconnaître une commune
convergence à revaloriser le patrimoine des riches témoignages que
fournit la tradition liturgique la plus authentique. Or, ces témoigna-
ges parlent en faveur d'une vision {{ sapientielle ~~ - relevant typique-
ment de l'Ecriture sainte - du salut conçu comme une révélation
et une actualisation progressives, au sein de l'histoire, d'un plan
divin (<< oikonomia 11) qui prévoit une préparation, une plénitude, un
déployement, une consommation. C'est à cette vision - qui d'une
façon encore plus appropriée peut être définie « expérience}) mysté-
rique - que doit se greffer une lecture refléchie de type «scientifi-
que », c'est-à-dire une élaboration théologique proprement dite.
PRÉSENTATION 7

Il s'agit là d'une tâche qui n'en est qu'à ses débuts. Il faut tenIr
compte que, surtout de nos jours, l'étude du rapport entre liturgie
et économie du salut est activée tantôt par le progrès de ['herméneu-
tique biblique et de la recherche théologique, tantôt par les problè-
mes qui ressortent des relations entre histoire du salut et histoire
empirique: coïncidence ou divergence? coordination ou subordina-
tion? en quel sens, de quelle manière et à quel degré possède-t-on
l'une et ['autre? etc. Pour ce qui concerne la liturgie, on sait qu'elle
se constitue comme médiation sacramentelle-rituelle entre ['une et
l'autre histoires; on ne pourra pas nier alors que la théologie litur-
gique soit poussée par tout cela à approfondir la nature de ce rôle
propre à la liturgie et à contribuer ainsi d'une façon originale à une
meilleure intelligence du thème de l'économie du salut. On sait,
d'un côté, qu'il n'y a pas d'authentique théologie liturgique si l'on
ignore la dimension qui est propre à la liturgie et qui consiste dans
le fait qu'elle est (( action célébrative ». On aura alors à chercher
avant tout ce que la liturgie dit de l'histoire du salut et comment
elle le dit, étant donné que l'action liturgique, pendant qu'elle réa-
lise une telle histoire par voie symbolique-sacramentelle, en donne
par là même une certaine interprétation. C'est, partant, en vue de
cela qu'il est de très grande importance de questionner les témoigna-
ges fournis par la tradition liturgique tout au long des siècles.

***

D'où la raison du présent volume. Celui-ci, en effet, est offert


comme un service concret dans le sens qui vient d'être indiqué. Et
il s'agit d'un sel-vice typiquement œcuménique, comme il est normal
dans la tradition des Semaines de St-Serge. On trouvera alors dans
ces pages la plupart des communications de la XVII' Semaine (1970),
restées jusqu'ici inédites. Quant à l'opportunité de les publier malgré
leur distance par rapport à nos jours, ont joué tantôt la nécessité
de continuer la série des Actes des Conférences de St-Serge et, par
là, de repondre aux désirs des amis de ces rencontres œcuméniques,
tantôt, et principalement, la validité persistante des apports alors
fournis. Les lecteurs pourront ainsi non seulement apprécier les
résultats atteints lors de cette lointaine session d'études, mais aussi
valoriser la méthodologie qui les a engendrés et dont la valeur de-
meure.
8 A. PISTOIA - A.M. TRIACCA

***

Comme de coutume, les rapports ici présentés suivent l'ordre


alphabétique par Auteurs, tout comme dans les listes officielles des
communications à St-Serge. Néanmoins, dans le but d'aider le lec-
teur, on propose ici deux pistes de lecture, sous l'entière responsa-
bilité des Editeurs seuls.

A. Parcours historique
Une lecture très linéaire est représentée par la succession des
points de vue touchant d'abord le sens de l'objet à examiner (une
espèce de {{ status quaestionis »), ensuite les témoignages des diver-
ses traditions liturgiques et, enfin, la réflexion théologique et pasto-
rale. En détail:
1. Qu'est-ce que 1'« économie du salut»: ce qui doit être entendu
sous le mot «oikol1omia» par rapport au domaine révélé et spécifique-
ment liturgique, nous est éclairé par B. BOTTE, qui met en lumière
l'évolution toujours plus riche du vocabulaire «économique »: le
sens primitif et générique d'après la Septante subit une transforma-
tion substantielle dans le NT; cette nouveauté reprise et approfondie
par les Pères, est exprimée au plus haut degré par la liturgie moyen-
nant l'anamnèse eucharistique.
En reprenant la perspective biblique, A. M. DUBARLE situe l'éco-
nomie du salut à l'intérieur de la typologie, c'est-à-dire dans l'ana-
logie qui régit d'une façon cohérente les diverses étapes de l'œuvre
de Dieu et qui permet soit d'en percevoir la présence là même où
elles sauraient échapper à la connaissance directe, soit de préciser
leur articulation avec le mystère du Christ.
2. La voix des traditions liturgiques: il s'agit de voir non seule-
ment la donnée de la présence dans la liturgie d'une conception
« économique» du salut, mais aussi et surtout le comment de cette
présence, ce qui d'ailleurs comprend diverses aspects: les «lieux li-
turgiques» - très significatifs en eux-mêmes - où telle présence
s'exprime; et après: la fonnulation, le langage, les images, les sym-
boles, etc. Ce seront plusieurs Auteurs qui nous piloteront dans ce
voyage à travers un panorama très varié et florissant: C. ANDRO-
NIKOF s'occupe de l'économie du salut dans le rite baptismal d'après
PRÉSENTATION 9

le Trebnik; M. ARRANZ fait de même par rapport à la prière du


«Post Sanctus» des anaphores de type antiochéen. CH. RENOUX,
P. KOVALEVSKY et D. WEBB entrent dans le domaine des fêtes
liturgiques en nous donnant l'entrelacement de l'économie du salut
avec, respectivement, le Triduwn Pascal dans le rite arménien et
les hymnes de la Grande Semaine; les textes liturgiques de la Sainte
Rencontre; le nouveau Calendrier de l'Egiise d'Angleterre. V. PA-
LACHKOVSKY et J. TABET nous renseignent sur le rapport entre
économie du salut et Office divin: office byzantin d'abord, office
maronite ensuite (celui-ci soulignant spécialement la dimension escha-
tologique).
Pour ce qui concerne ['expérience protestante, on a les études de:
TH. sass, sur l'histoire du salut dans la théologie et la liturgie de
Luther; J. DE WATTEVILLE, sur la théologie des mystères et l'anam·
nèse chez Luther, Calvin et leurs successeurs.
Du côté catholique, ne pouvait manquer une place fort spé-
ciale faite à la théologie des mystères de Dom Casel: à B. NEUNHEU-
SER revient la tâche d'e11cadrer cette théologie dans l'ensemble
de la tradition catholique.
3. Réflexion théologique et pastorale: étant donné que c'est
de l'eschatologie que l'économie du salut tire son sens plénier, voilà
W. RORDORF qui ItOUS présente la liturgie comme le lieu vital où
l'Eglise a gardé sans cesse le sens de l'attente eschatologique, et cela
par rapport tantôt au second avènement du Christ, tantôt au ras-
semblement définitif du peuple de Dieu.
Dans tout l'ensemble des perspectives jusqu'ici considérées, un
regard s'imposait du côté pastoral et précisément catéchétique. Et
c'est ce que nous propose - et que nous présentons ici comme con-
clusion - E. MÉLIA par son apport, où les trois dimensions de
l'action liturgique dans lesquelles l'économie du salut s'exprime - à
savoir: l'anamnèse, l'actualisation et l'anticipation - sont présentées
comme lieux et sources de la catéchèse.

B. Comparaison de diverses témoignages liturgiques

Une deuxième piste de lecture pourrait bien consister en une


comparaison des manières dont les diverses Eglises ont perçu et
exprimé dans leurs liturgies propres et dans leur compréhension de
foi la donnée révélée de l'économie du salut. On distingue alors, sur
ID A. PISTOIA - A.M. TRIACCA

la base des matériaux, ici disponibles, les Eglises d'Orient, l'Eglise


Catholique Romaine et les Eglises de la Réforme.
La précédence reconnue, par raison de méthode, aux analyses
préliminaires de B. BOTTE et de A. M. DUBARLE (voir A 1), aux-
quelles il faut ajouter ici celle de W. RORDORF sur l'aspect escha-
tologique (voir A 3), on abordera e/1Suite l'abondante série de té-
moignages provenant des Eglises d'Orient, à savoir: ARRANZ (Post
Sanctus antiochéen), ANDRONIKOF (Trebnik), RENOUX (Tridu"m
pascal et hymnes de la Grande Semaine), KOVALEVSKY (Sainte
Rencontre), PALACHKOVSKY (Office divin byzantin), TABET (Of-
fice divin maronite).
Suivra, du côté catholique romain, l'étude de NEUNHEUSER sur
la théologie des mystères de Dom CaseZ.
Les points de vue des Eglises de la Réforme ressortiront des
apports de SVSS (Luther), DE WATTEVILLE (Luther, Calvin et suc-
cesseurs) et W EJ3B (Calendrier a11.glicain).
L'apport d'E. MÉLIA peut rester, à juste titre, comme conclu-
sion ouvrant directement sur l'aspect catéchétique.

***

Quelle que soit l'approche concrète de l'intelligence de l'écono-


mie du salut, il demeure toujours vrai que la liturgie en représente le
moment ultime, c'est-à-dire la récapitulation et la consommation sur
le plan sacramentel. C'est pourquoi nous pouvons tous, avec le « Vere
dignum}) de l'une des Messes de Noël du Sacramentarium Vero-
nense, confesser et prier:

« Quidquid christianae professionis devotione celebratur,


de hac sumit solemnitate principium
et in huius muneris mysterio continuatur. ..
In quo (= mysterio), dum manifestissime comprobantur
quae fuerant praedicta compleri,
rationabiliter credimus et prudenter
quae promittuntur esse ventura}).

Rome, Nativité de Notre Seigneur 1981

A. PISTOIA - A. M. TRIACCA
A

L'ÉCONOMIE DU SALUT DANS LE RITE DU BAPTEME


D'APRèS LE TREBNIK

Si l'économie du salut, sous l'angle du chrétien qui s'y intègre,


peut être définie comme l'ensemble des moyens qui permettent
l'accès au Royaume, le baptême en représente certes le sacrement
le plus complet et le plus complexe: il est initial en même temps qu'il
la résume toute. On le constate dès qu'on le considère dans la suc-
cession de ses rites liturgiques, ainsi que des prières et des actes
qui le préparent et qui le complètent, et aussi en liaison avec son
achèvement qui est l'eucharistie. Une analyse des éléments conte-
nus dans ce sacrement, pour en déterminer le sens particulier et
voir comment chacun prend place dans le tout, conduit à la même
conclusion: le baptême présente in actl.l ou en germe toute l'économie
du salut. Le texte même nous démontre pourtant que ce sacrement
n'est pas suffisant pour assurer le salut ad vitam œternam.
Notre méthode simple consistera à prendre le Rituel orthodoxe
tel qu'il est en pratique de nos jours et à en dégager les différents
thèmes qui constituent autant d'étapes ({ économiques}). Le texte
slavon original de Cyrille et Méthode fut révisé par le grec Théo-
gnoste sous le Grand-Prince de Moscou Jean Kalita (1328) et corrigé
sous le patriarche Nikon (1655). Il n'a pas bougé depuis. Il repro-
duit d'ailleurs mot à mot et mot pour mot l'Euchologe grec. La
méthode inverse, qui consiste à définir les sens économiques que
l'Eglise donne au baptême, puis à en retrouver la réflexion dans le
rite, présenterait certes l'avantage d'aboutir à la synthèse doctrinale
du Rituel et d'en apprécier le caractère plus ou moins complet _au
regard de la tradition, au lieu de partir, pour ainsi dire, du cc pro-
duit fini ». Or, ce travail a été en grande partie fait par des auteurs
comme Corblet 1, Duchesne 2, Hamman 3, chez qui l'on trouve les don-

1 J. CORDLET, Histoire dogmatique, liturgique et archéologiqlle du sacrement de

baptême, Paris-Bruxelles 1881-1882, 2 vol.


2 L. DUCHESNE, Origines du cllite chrétien, Se éd., Paris 1920.

~ A. HAMMl,N, Baptême et Confirmation, Dcsc1ée et Cie, Paris 1969.


12 COSTANTIN ANDRONIKOF

nées historiques et archéologiques, et par Jean Daniélou des points


de vue typologique et patristique 4, et par Almazov 5, Et puis, comme
le dit excellemment S. Cyprien (Lettre XIX, trad. Papillon, p. 66):
{( Dans le sacrement du salut, la nécessité poussant et Dieu se mon-
trant indulgent, des raccourcis divins accordent tout au croyant)}.
L'ensemble des prières et des rites du baptême (qu'il convient
de ne pas séparer - répétons-le - de la préparation et de l'achève-
ment de celui-ci) vise le nouveau-né naturel (physique) pour en
faire un nouveau-né spirituel. Ils le prennent à sa naissance et
le conduisent jusqu'à la communion avec le Corps et le Sang du
Sauveur. Cet acheminement procède par étapes, c'est un processus
dynamique: les textes les définissent sans le développer, mais à cha-
que fois ils en indiquent la finalité, à savoir: la filiation, l'adoption,
l'héritage du Royaun1e; c.à.d. le salut, dont ces étapes constituent
l'économie, grâce aux moyens sacramentaux qui y sont offerts par
Dieu à la collaboration de l'homme.
Le point de départ de cette démarche, c'est la délivrance de
l'emprise de Satan, l'évacuation de la présence et des forces de
celui-ci. Son aboutissement est l'accès au Royaume. Départ et abou-
tissement sont tous deux donnés en puissance, non absolument.
Autrement dit, et encore que ce sacrement soit unique dans la vie
du chrétien, ni l'exorcisme ni l'entrée dans l'héritage ne sont des
opérations d'une efficacité définitive et constante. L'œuvre du sa-
lut est ouverte et proposée aux efforts du baptisé soutenu par la
grâce, et maintes prières demandent que celle-ci, aujourd'hui dé-
versée sur le baptisé, demeure en lui et qu'il en garde les vertus.
« Sans doute, la grâce Spirituelle est reçue au baptême par tous
les croyants, mais elle augmente ou diminue suivant notre vie et
notre conduite" (Cyprien, Lettre LXIX).
Ainsi, l'économie du salut est présentée dans le Rituel orthodoxe
sous deux aspects: le plan de Dieu quant à l'homme, appelé à deve-
nir fils; l'organisation du combat que l'homme doit désormais livrer,
avec l'aide du Sauveur et de l'Esprit, pour maintenir son intégrité
en tant que membre de l'Eglise et co-héritier du Royaume.
Que le baptême soit nécessaire dans l'économie du salut, cela
est signifié, outre ce que comporte le rite lui-même, par le soin

4 J. DANIÉLOU, Bible et Liturgie (Lex orandi, 11), Du Cerf. Paris 1951.


3ALMAzov, Histoire des riles du baptême et de la chrismation, Kazan 1884.
DANS LE RITE BAPTISMAL D'APRÈS LE TREBNIK 13

qu'a toujours mis l'Eglise à ce qu'il fût administré quelles qu'eussent


été les circonstances: aux convertis adultes et aux enfants, aux bien-
portants et aux malades, aux cliniques, aux conscients et aux incon-
scients, etc.; et aussi par le fait que le ministre, en cas de nécessité,
peut être n'importe qui, à condition d'être chrétien. Il est témoigné
dès le II~ siècle que les laïcs peuvent et doivent baptiser quand
besoin est (Tertullien: De baptismo, 17; le pape Victor dans le Liber
Pontificalis, 198). Voici la pratique de l'Eglise russe: dans le cas
normal, le prêtre de la paroisse, entouré du diacre et des clercs
locaux; en son absence, le prêtre d'une paroisse voisine; à défaut,
le diacre; sinon, un clerc mineur; en cas d'urgence, un paroissien
laïc; enfin, dans l'impossibilité, une femme. Les directives aux prêtres
leur faisaient devoir d'instruire à cette fin notamment les sages-
femmes (elles ajoutaient que le baptême administré par un accou-
cheur juif n'était pas valide). La chrismation, par contre, jadis apa-
nage de l'évêque seul, lui reste réservée ainsi qu'au prêtre. Ainsi, le
baptême administré par un clerc ou un laïc ne comporte pas la
chrismation et doit donc être complété par celle-ci de la main d'un
prêtre. Cette onction sacrée, hagion chrisma, est prescrite dès le
concile de Laodicée (2~ moitié du Ive s.) avec, pour but exprès, de
participer à la royauté du Christ. La notion de « confirmation»
n'apparaît nulle part en Orient, sinon sous la forme de bebaiôsis
dans Const. Apost. III, XVII (même les Pères latins, jusqu'au V'
siècle, ne parlent que de sacramentum chrismatis: S. Augustin;
sigl1.aculum dominicum: Cyprien; chrisma salutis ou signaculum vitœ
œternœ: Léon le Grand, Serm. de Nativ. IV, 6). Et c'est ce sacrement
d'onction qui donne leur nom aux chrétiens (Théophile d'Antioche,
Ad Autol. l, 12). Rappelons que la III' Catéchèse mystagogique de
Cyrille s'intitule Peri chrismatos.
L'Eglise achemine vers le salut ceux qui sont censés devenir
ses membres et le rester en leur conférant dès leur naissance le
sacrement du baptême. Il est précédé de prières spécifiques, à des
dates fixes: à la naissance même, à l'imposition du nom, à l'intro-
duction au temple, au catéchuménat. Elles visent toutes les deux
aspects du salut, que le sacrement fera constamment ressortir:
l'aspect négatif, ou la délivrance des forces du mal; l'aspect positif,
ou l'agrégation au Royaume par une naissance nouvelle et Pneumatos
hagiou parousia(i) tés autou theotètos el1ergètikon (Cyrille, IIr
Mystag.).
14 COSTANTIN ANORONIKOF

Par exemple, les prières au Christ prononcées par le prêtre le


jour de la naissance, tout en ayant principalement pour objet la
mère délivrée, demandent que son enfant soit « gardé») et qu'il soit
({ préservé de tout poison (iad) , de toute attaque (lutast'), de toute
tempête de l'ennemi, et des mauvais esprits diurnes et nocturnes »;
le but de cette sotériologie étant de rendre digne l'enfant nouveau-
né « d'adorer le temple qui est sur terre et que Tu as préparé pour
que ton saint Nom soit glorifié)} (ce temple, c'est l'Eglise,. au sens
éloigné, mais aussi le corps, au sens proche).
Cela est encore plus net, lors de l'imposition du nom, devant
les portes de l'Eglise, dans une prière au Père, d'allure nettement
liturgique (elle commence par: ({ Béni soit notre Dieu ... )} et se
termine par le congé, les verbes d'invocation étant tous au pluriel):
« Nous te demandons, Seigneur, que la lumière de ta face soit mar-
quée sur ton serviteur}) (alors qu'il s'agit ici de l'image du Père,
l'on pense aussi au signe de l'Agneau sur le front des fidèles sauvés
dans l'Apocalypse et à d'autres prières liturgiques où l'illumination
est le signe même du salut), « que la croix de ton Fils monogène
soit signifiée dans son cœur et dans ses pensées afin qu'il fuie la
vanité du monde ... et qu'il reçoive la béatitude des élus dans ton
Royaume ». Ainsi, dès cette introduction au mystère du baptême,
le propos final de celui-ci est clairement énoncé: l'économie consiste
à impartir le sceau lumineux et à ouvrir l'accès à la Jérusalem Cé-
leste. Mais il s'agit de « la béatitude des élus)}, au pluriel: un en-
semble de personnes est suggéré, auquel il convient que le nouveau-
né s'agrège.
Cette idée apparaît avec plus de netteté encore lors du rite de
l'introduction au temple, avec une référence expresse à Siméon le
Juste (qui vit le salut) et à Isaïe (qui prophétisa la naissance du
Sauveur): « que l'enfant soit jugé digne de la lumière spirituelle ...
et qu'il soit incorporé à ton saint troupeau » et « qu'il reçoive la part
des élus de ton Royaume}) (le congé est précédé du cantique de
Siméon),
Les prières pour les catéchumènes reprennent les mêmes thè-
mes: « Donne-lui de marcher dans tes con1mandements ... car si
l'homme les accomplit, il sera vivant par eux. Inscris-le dans ton livre
de vie, unis-le au troupeau de ton héritage». Un autre élément ap-
paraît ici pour la première fois: l'éthique. L'inscription dans le
livre de vie" c'est aussi la marche, la progression selon les préceptes
divins, c.à.d. que la volonté du futur baptisé doit répondre à la
DANS LE RITE BAPTISl\ilAL n'APRÈs LE TREBNIK 15

promesse du Royaume. « Voici venir le temps des vrais combats


Dès ce moment, apprenons à vaincre le malin esprit, car une fois
baptisés, il faudra descendre dans l'arène, lutter avec lui, le com-
battre à outrance» (Chrysostome, 1ère Instruction aux catéchumènes).
Les deux exorcismes qui suivent s'adressent nommément à celui
« qui a le pouvoir de la mort »: {( Sors et éloigne-toi du soldat du
Christ marqué du sceau et nouvellement élu .,. de celui qui se
prépare à la sainte illumination». Il est donc supposé, même dans
le cas d'un nouveau-né, que le catéchumène est possédé. L'Eglise
semble admettre ainsi que tout homme commence sa vie terrestre,
dès le premier instant, en cOlnpagnie du diable, dont il convient par
conséquent de le délivrer d'abord. L'un des premiers actes liturgi-
ques et sacramentels de l'Eglise à l'égard du nouveau-né est donc
un exorcisme. L'application de l'économie du salut commence par
une dissociation entre la créature de Dieu qui apparaît dans ce
monde et le prince de ce monde, l'antithèse de la vie, le destructeur.
Il faut garantir l'œuvre du Créateur contre « la contagion de la Inort
antique, contractée par la première naissance» (Cyprien de Car-
thage, Ad Fidum, Epist. LIX, 5). C'est cette considération qui rend
nécessaire le baptême des enfants (dont la pratique constante fut
attestée dès Irénée, Tertullien, Cyprien, Origène; en Orient comme
en Occident, les enfants sont oints et communient, ainsi que le rap-
porte par exemple Augustin: Sermo CLXXIV, 6,7, et al.): toute créa-
ture participe du péché originel. La conséquence première de celui-ci
est l'entrée de Satan dans la vie de l'homme. Il ressort de ces
exorcismes que l'Eglise considère logiquement que la posses-
sion est un état naturel qui accompagne la naissance naturelle. Si
le Christ, Dieu créateur et maintenant sauveur, offre à sa créa-
ture une naissance nouvelle, supérieure ou, en ces sens, surnatu-
relle, par l'incorporation à son Eglise, c.à.d. à son Corps, par le
moyen d'abord du baptême, il s'agit de délivrer l'impétrant de son
bagage diabolique: ({ Sors et éloigne-toi de cette créature avec toute
ta puissance et tes anges».
Le 3e exorcisme invoque le Seigneur Sabbaoth: {{ Ecarte de lui
toute action du diable ... purifie l'œuvre de tes mains et donne-lui
la victoire sur Satan et sur ses esprits impurs ». La créature naît
impure et soumise à l'action des forces ténébreuses. Cela n'a pas
de rapport avec le péché personnel. C'est l'héritage du mal, reçu
en partage par toute créature humaine et répercuté par elle sur
tout l'univers. Cet héritage est assumé du fait même de la naissance
16 COSTANTIN ANDRONIKOF

par la voie naturelle, consécutive au péché originel. Et c'est dès ce


moment que l'économie du salut vient se superposer à l'économie du
mal afin, si possible, de la remplacer.
La prière suivante contient un 4e exorcisme et elle est adressée
au Créateur. Une forte portion des prières de l'initiation chré-
tienne sont d'ailleurs adressées au Père ou à Dieu en tant que Tri-
nité, alors que partout ailleurs, le Christ prévaut; S. Augustin appe-
lait le baptême «le sacrement de la Trinité» (Sermo CCLXIX, 2).
Cette prière détaille les étapes salvifiques et définit les qualités du
fidèle sauvé: création à l'image et à la ressemblance, attribution
de la capacité de salut, miséricorde pour le pécheur, Incarnation
qui procure le salut du monde, délivrance de l'asservissement à
l'ennemi; les effets de ces œuvres positives de Dieu s'étendent à
l'ensemble de l'urnanité et de l'univers. Et le prêtre prie Dieu pour
le catéchumène en cause: qu'il le reçoive dans le Royaume, qu'il
ouvre son son regard spirituel à l'intelligence de l'Evangile, qu'il
adjoigne à sa vie un ange pour lui éviter les attaques du démon.
L'exorcisme énumère les esprits diaboliques qu'il est demandé à
Dieu d'évacuer, afin que le Créateur accorde les fruits du salut,
c.à.d. les qualités de brebis illuminée par le Logos, de membre de
l'Eglise, de fils de la lumière (ce terme est omis, on ne sait pourquoi,
par le Trebnik à cet endroit; il apparaîtra plus tard), d'héritier du
Royaume.
Ensuite, sous forme de dialogue avec le prêtre, le catéchumène
(ou le parrain en son nom) renonce à Satan et adhère au Christ.
L'économie du salut, pour la part de l'homme, dépend de l'acte
libre de sa volonté (d'où tous les problèmes que l'on sait quant à
la profession de foi des enfants: peut-on être sauvé inconsciemment
ou malgré soi? La version la plus récente d'une économie du salut
automatique, répondant à ses propres lois inhérentes et fatales, mais
optimistes, c'est l'utopie évolutionniste du modèle teilhardien). Mais
la volonté de l'homme est elle-aussi à l'image de Dieu. L'ecphonèse le
rapelle donc: {{ Béni soit Dieu qui veut que tous les hommes soient
sauvés et qu'ils parviennent à la connaissance de la vérité ».
C'est ce que la prière finale au Père précise: la grâce du bap-
tême, si le baptisé s'en montre digne (nouveau rappel de la liberté
et de la volonté), aménera la regénérescence par la force de l'Esprit
dans l'union avec le Christ et la filiation au Royaume du Père. Voilà
exposée toute la finalité de l'économie du salut.
DANS LE RITE BAPTISJ'vV\L D'APRÈS LE TREBNIK 17
._ _ _--'cc

BAPT:ËME

Le rite du baptême proprement dit commence comme la litur-


gie eucharistique: {( Béni soit le Royaume ... ». C'est le seul sacre-
ment qui s'ouvre ainsi, véritable solennité pascale qui récapitule,
comme la messe, toute l'économie du salut.
Les demandes de la collecte sont d'abord à peu près les mêmes
que celles du rite de la bénédiction des eaux à la Théophanie, puis
elles visent spécifiquement le catéchumène: qu'il devienne digne du
royaume, qu'il soit sauvé, proclamé fils de la lumière et héritier des
biens éternels, greffé sur le Christ, et qu'il participe à sa mort et à
sa résurrection, qu'il garde pour le jour terrible du Christ sa robe
de baptême immaculée et ses fiançailles avec l'Esprit, pures; que l'eau
baptismale soit un bain de regénération. Enfin, le catéchumène est
associé aux assistants dans l'avant-dernière demande: {( que le Sei-
gneur nous délivre, lui et nous ... ». Il fait désormais partie de l'Eglise
orante.
La secrète personnelle du prêtre, avant la bénédiction des fonts,
contient trois éléments de la plus grande importance pour la théo-
logie du salut. Ils ne seront guère développés par la suite. S'adres-
sant au Dieu Trine (et plutôt au Père, encore une fois, et non pas
au Sauveur, malgré les épithètes: « bon et ami de l'homme », car
il y a: « Ton Christ »), l'officiant le prie de le sanctifier et de le
fortifier en vue du ({ sacrement céleste» qu'il va accomplir, pour
qu'il ne reste pas lui-même {( asservi au péché )), alors qu'il prèche
{( aux autres la liberté et la leur accordant par la foi parfaite )}. Il
est ainsi indiqué que le sacren1ent du salut conféré par l'Eglise
s'accompagne naturellement de la liberté de celui qui le reçoit; le
salut est proposé, il n'est pas donné une fois pour toutes, il n'a pas
de force contraignante, il n'est qu'en puissance. Nous avons vu, lors
des exorcismes, que la décision volontaire et libre du catéchumène
était requise pour renoncer à Satan et s'agréger au Christ. L'acte
libre et la continuité de l'effort personnel sont égalen1ent nécessaires
pour maintenir la vertu du baptême jusqu'au ({ jour terrible du
Christ )}. D'ailleurs, le prêtre vient de la redemander pour lui-même:
le baptême est une création continue.
Il est vrai qu'une autre lecture du terme «( liberté )} est possible:
celle de libération. Il s'agirait non plus alors de l'action que doit
accomplir ou de la disposition dans laquelle doit se trouver le bap-
tisé, mais de l'opération du sacrement accompli sur lui qui est
- ------ --
\--
--~r-" ---o-~--

baptisé) comme une plante de vérité dans ton Eglise sainte, catholi~ (Dise. XXXIX, 17).
que et apostolique ... afin que s'il prospère dans la piété, ton saint En l'occurrence" dan~
nom par là aussi soit glorifié ... )}. C'est la notion paulinienne de l'édi- baptismale est la même
fication de l'Eglise par la croissance de ses membres. Le salut, ou~ Christ pour le sanctifier
vert par le baptême, passe par l'Eglise et il est dans l'Eglise. Saint Esprit, lequel est ph
Et c'est aussi le thème eschatologique. La nouvelle naissance épiclétiques. Pour l'œuvr,
du baptisé est «un symbole de cette naissance qui aura lieu à la est demandée. Ce sera pr
fin des temps; et sa conduite dans la vie, un symbole de la façon Néanmoins, et contrai
de vivre qui sera celle du royaume du ciel)} (NarsaÏ, Romél. 21; à la Théophanie mentionr:
trad. Gignoux, in L'Initiation chrétienne, Paris 1963, p. 202). Le salut déluge, la Mer Rouge, le
est donc commencé, l'économie est engagée: {( Par ce signe, dit baptême, l'Eglise, tout oc
l'Aréopagite, le catéchumène est reçu dans la communion de ceux entièrement plongée dan:
qui ont mérité la déification et qui constituent l'assemblée des saints» Testament, semble ne pa:
(Hier. Eccles.). lues de la réalité actuelle.
la suite des rites. Dans CI
duite au minimum.
BÉNÉDICTION DES FONTS L'exorcisme qui suit (
son signe écrase toutes 1
Jusqu'à la formule: ({ Fais que (cette eau) soit inaccessible aux n'est pas définitif. Que l',
forces ennemies et remplie de la puissance angélique», la prière de qui va être baptisé)} dans
la sanctification des fonts est la même que les trois quarts de la et des hérétiques (manichi
deuxième partie de la prière de Sophrone, patriarche de Jérusalem le baptême parce qu'elle
(1 er tiers du VII' s.), à la fête du Baptême (la Théophanie). Les mal, la matière mauvaise
fonts sont assimilés au Jourdain. «L'eau est le commencement du est pour l'Aréopagite hè r
cosmos et le Jourdain est le commencement de l'Evangile», dit S. sim); pour Augustin, vult
Cyrille (lIr Catéchèse, n. 5). Il nous faudra revenir sur le parallèle d'Alexandrie, mètra huda
entre la Genèse et la palingénésie. Est-il besoin de rappeler ici tout la Didachè, Hudôr zôn (\
18 COSTANTIN ANDRONIKOF DANS LE RITE

délivré par celui~ci (de toute attaque, etc., de l'ennen1i). Il semble le sens de l'eau dont il
que svoboda, eleutheria, permettent les deux interprétations. La Pères, et dont Cyprien di
première est plus intéressante du point de vue théologique. Elle cor- saintes il est question d'c;:
respond à la connaissance de la vérité à laquelle il avait été fait n. 8), de l'eau qui est loutl
allusion avant le baptême. La seconde semble plus vraisemblable du IV, 25; il reprend le loutra
point de vue grammatical, dans le contexte. tra hudatos). Et l'on sait
Le deuxième élément que nous trouvons dans la secrète est la symbolisme scripturaire. 1
sphragis: le prêtre demande à Dieu: «Reproduis l'image de ton au bain est le symbole
Christ dans celui qui veut naître à nouveau, voobrazi Christa tvoef?.o, :lVP.r. réJérp.nce à l'huile
20 COSTANTI}! ANDRONIKOF

II s'agit toujours de délivrer le nouveau membre de l'Eglise du


démon qui l'habite naturellement et qui de ce fait, pourrait l'accom-
pagner jusque dans les eaux baptismales pour s'y loger. Le prêtre
prie que ces eaux, au contraire, deviennent source de délivrance et
de purification, de rémission des péchés (c'est la première fois que
l'expression apparaît dans l'initiation chrétienne; avec la naissance
nouvelle, la conscience du futur baptisé s'éveille). L'énumération,
déjà faite auparavant, des grâces baptismales continue: régénéra-
tion, adoption, etc. Mention est faite de la participation du Saint
Esprit.
Puis, par l'analogie rappelée du Baptême du Seigneur lui-même,
une véritable épiphanie lui est demandée: epiphanêthi, iavisia, Gospo·
di! C'est sa présence dans les fonts qui permet à l'homme de cc se
transformer », c.à.d. de se sauver: cc donne au baptisé dans cette
eau de se transformer, metapoiêthênai, pretvoritisia », à savoir: reje·
tant « le vieil homme }}, d'être « renouvelé selon l'image du Créateur ».
Il y a là un développement de la formule paulinienne: (c baptisés
dans le Christ ." ». Le baptême ({ greffe» le baptisé, par analogie,
sur la mort du Sauveur: ({ genomenos swnphutos tô(i) homoiômati
tou thanatou, byv sraslen podobiou smerti »; par là·même, il commu-
nie avec la Résurrection: cc koinonôs kai tês anastaseôs, obstchnik i
voskresenia}}. Faut·il raf'peler que l'immersion équivaut à l'enseve·
lissement et la remontée, à la résurrection, figures traditionnelles de-
puis S. Paul, Cyrille, Basile, Grégoire de Nysse, l'Aréopagite, Jérôme
et Augustin? C'est ainsi que par exemple pour le Chrysostome le
baptême est « sépulture mystique, taphè }} et aussi « stavros » (Catech.
ad llluminandos, 1). Que le baptisé conserve alors" le don de Ton
Saint Esprit» (nette indication de l'action dyadique dans le salut)
et qu'il soit « compté, sugkatarithmêthê(l), sopritchtetsia, avec les
premiers-nés inscrits dans le Seigneur» (cf. Rom. VIII, 29).

BÉNÉDICTION DE L'HUILE ET ONCTION

L'opération sacramentelle pour sanctifier l'huile est la même


que pour l'eau: souffler et signer trois fois: la vertu salvifique est
accordée au support de la matière selon le symbole du Dieu Trine
par l'énergie ou la présence de la Sainte Dyade du Fils et de l'Esprit.
Mais la prière sur l'huile et l'onction, contrairement à ce que
nous avions constaté pour l'eau, sont tout pénétrées d'images et
D_A_N__'s=--L_E_R_I_T_E_B_A_p_T_I_s_~_1_A_L_D_'_A_P~RÈ=S__=L=E'---'T=R-'-E_B__'N=I:::K=____ _ _ _ 2
______

d'expressions vétêra-testamentaires: le rameau d'olivier de la cc


Iombe de l'arche (dont la signification économique est aussitôt expl
quée: réconciliation et délivrance des eaux de perdition, préfigure:
tion du mystère de la grâce), onction pneumatique de «ceux q1J
étaient dans la Loi» (mais « perfectionnement» de ceux qui son
dans la grâce, soustchih v blagodati soverchaiaï, teleion »). Sain
Hilaire avait noté dans son Traité des Mystères (l, 14; trad. BrissoT
Paris 1947, p. 103): «Le troisième envoi (de la colombe par Noé
préfigure l'habitation du Saint Esprit chez le croyant, car une foi
envoyé, Il demeure éternellement dans l'âme des fidèles »,
Les vertus énumérées de l'huile sont semblables à celles de l'eau
la prière y ajoute que de s'en oindre ou d'y goûter, c'est {( pour 1
gloire de la Trinité, eis doxan, v slavou ». Le salut ne va pas san
la glorification du Sauveur.
L'onction avec l'huile d'allégresse, agalliaseôs, radovania, es
faite au nom de la Trinité. C'est déjà la formule baptismale, repris
de l'Evangile.
Voici celle du Trebnik: «Le serviteur de Dieu (un tel) est bapt
sé, baptiz.etai ho doulos tou Theou, krestchaietsia rab Bojfi, au nor.
du Père, du Fils et du Saint Esprit ». Cette tradition grecque (qt
est en général celle de l'Orient) est attestée au VI' siècle, par exempl
par Théodore le Lecteur (de Sainte·Sophie) dans l'Histoire tripa,
tite (jusqu'en 527) et par Jean Moschus dans son Pré spirituel (fi
du VI' s.). D'ailleurs, Narsaï affirme déjà (2' moitié du V' s.): "L
prêtre ... ne dit pas: "Je baptise", mais: "est baptisé", car ce n'e~
pas lui qui baptise, mais le pouvoir qui réside dans les Noms. Cem
ci, et non pas l'homme, ôtent l'iniquité et propagent une vie not
velle dans la créature mortelle» (Homélie 21, loc. cit., p. 201). CepeI
dant, la formule latine: « Je te baptise ... )) est rapportée par Gn
goire le Grand à la fin du VI' ou tout au début du VII' siècle. L
question de l'accent théologique mise à part, il est à noter qu'
n'y a pas eu de controverse marquante entre catholiques et orth(
doxes sur la « vraie» formule. Concluons pour l'instant avec B:
reille que, «dans l'état actuel de la sCÎence, il est impossible d
dire d'où provient la différence ... et de quand elle date» (Die
Théol. Cath., art. Baptême, col. 184). En tout cas, les conciles, locau
ou généraux, ne se sont prononcés que sur l'aspect trinitaire de ]
formule contre les gnostiques, montanistes, sabelliens, etc. (Ar le:
Nicée, Laodicée, Constantinople). Mais déjà saint Augustin D
pouvait-il pas dire qu'il était plus facile de trouver des hérétiqut::
22 CQSTANTIN ANDRONIKOF

qui ne baptisaient pas que des hérétiques qui baptisaient avec d'autres
noms (que ceux de la Trinité) (De bapt. contra Donat. IV, 25,47)?
L'onction est précédée d'une ecphonèse qui se réfère à ln. I, 9:
« Béni est Dieu qui illumine et sanctifie tout homme qui vient dans
le monde ». A première vue, une contradiction apparaît. J'y fais alIuM
sion en passant parce qu'elle a trait à la nécessité du baptême dans
l'économie du salut: si la Lumière touche tout homme qui naît, le
baptême serait-il surérogatoire dans cette économie? On sait le parti
qu'en ont tiré des hérétiques et la controverse célèbre qui suivit,
avec les caÏnÎtes, quintiliens, manichéens, archontiques, ascodrutes,
séleuciens, hermiens, messaIiens et pélagiens; il faut malheureuse-
ment y ajouter la valeur purement syn1bolique qu'y attribue, imma-
tériellement, abstraitement, une certaine tendance rationnelle parmi
des protestants. Récemment encore, un pasteur de la région pari-
sienne ne voyait dans le baptême qu'une péripétie sociologique. Or il
s'agit bien d'acquérir «la puissance de la sainteté, dunamin hagiotè-
tas », dont parle Cyrille (Ca.tech. III, 3, enzundatio spirit ua lis, novum
natale (Tertullien, De bapt. 4,20), l'initiation et l'illumination, ph6-
tiS1110S (Justin, Apol. I, 61; Aréopagite, Hier. Ecc/es. II, 1,2), par ce
sacrement qui est celui du salut éternel (Augustin, Contra Cresco-
niu111, II, 13,16; Cyprien, Epist. LXIX), la cause de l'obtention du
Royaume (Cyrille, Procatech. 16), le chrisme, chrisma, de la filiation
divine (Grégoire Naz., Disc. XL, 4).
Et c'est seulement après la chrismation que les baptisés de-
viennent proprement chrétiens: ({ con-corporels et consanguins au
Christ, participants de la nature divine, christophores, sussômoi kai
sunaimoi tau Christau, theias koinônoi phuseôs, christophoroi»
(Catech. XXI, XXI). Y aurait-il une autre fin à l'existence humaine,
voulue par le Créateur?
A cet égard, il y a peut-être lieu de rappeler aussi l'analogie
nécessaire entre l'ensemble du mystère de l'initiation chrétien-
ne et la Genèse. Celle-ci traite de la création, celui-là de la recréa-
tion. Si la créature était restée dans l'état originel, édénique et
n'avait pas connu la déchéance et la mort. il n'y aurait certes pas
eu besoin de la régénérer pour la sauver. Et la palingénésie bap-
tismale, c.à.d. le départ de l'économie du salut, reprend les étapes
mystérieuses de la Genèse: enfantement à partir des eaux par la
profération du Verbe et la descente de l'Esprit, imposition de la
marque de la Deuxième et de la Troisième Hypostases (là-bas, l'ima-
ge, la ressemblance et le souffle; ici, l'imlnersion, la Croix et l'onction
DANS LE RITE BAPTISMAL D'APRÈS LE TREBNIK 23

pneumatique de la splzragis). Depuis la chute et l'exil du Paradis, la


création n'est plus complète tant qu'il n'y a pas recréation et qu'elle
n'est pas achevée pour le retour, qui sera l'accès à la Jérusalem Cé-
leste. Notons aussi que le mouvement des énergies divines est pour
ainsi dire inyerse ici et là; ou plutôt, que sa finalité est en un cer-
tain sens inverse: ad extra, de Dieu vers l'autre être du monde à la
Genèse; ad infra, du monde vers Dieu, mais par Dieu encore, au
baptême.
En outre, la vie du Verbe incarné et Sauveur étant le type de
la biographie de tout homme, il est normal, {( économique », dirons-
nous, que celle-ci reproduise par analogie les étapes salvifiques de
celle-là, naissance, abandon et mort, résurrection. Les Pères l'avaient
abondamment indiqué. ({ Tu adores celui qui est mort pour toi?
Alors, accepte d'être enseveli avec lui par le baptême. Si tu ne t'iden-
tifies pas à lui dans la ressemblance de sa mort, comment serais-tu
associé à sa résurrection? », s'exclame par exemple S. Basile (Dise.
sur le baptême, PG XXXI, 426). Et NarsaÏ précise ainsi cet aspect,
entre tant d'autres: ({ Symbole de notre Sauveur, le baptisé est au
fond du baptistère, à la manière du Sauveur qui passa trois jours
à l'intérieur du tombeau ... Les trois fois où le prêtre s'incline sont
les trois jours ... et (le baptisé) revit vraiment, symbolisant la vie
éternelle» (Homél. 21, lac. cit.. p. 201). L'illumination dont il s'agit,
pour être une véritable sanctification, comme dit le texte de la prière,
consiste précisément en cette nouvelle naissance en vue de la vie
éternelle. Le Christ illumine tout homme au monde qui se tourne,
se convertit vers la lumière; mais celui qui reste (c dans les ténèbres »,
lesquelles « ne connaissent pas la vérité)}, celui-là n'est qu'en puis-
sance d'illumination. Il faut encore que l'homme dépouille les té-
nèbres et revête la lumière afin de rendre actif le potentiel. C'est
alors que commence réellement l'économie positive, ainsi que le rite
du baptême l'expose (cIos par l'Evangile, la fin de Matthieu).
Le baptême est le sacrement de la naissance nouvelle, mais il
doit être suivi de la vie nouvelle. Et cela, malgré la réalité actuelle
du salut baptismal: il est bien theogenesia, anagennèsis, huiothesia
et muèsis (Hier. Eccles. II, 1,2). sphragis paliggenesias (Cyrille, Calech.
l, 2; Grégoire Naz., Dise. XL, 4), le sceau de la foi (Basile, Contra Eunom.
III, 5), le sceau royal (Augustin, Lettres LXXXVII, 9), celui du soldat
du Christ (Chrysostome, In II Cor. III, 1), sôtèrias de oukh homoiâma,
alla alètheia (Cyrille, Calech. XX, 7), mais encore faut-il qu'il y ait
con1bat pour la conquête du Royaume. Pour indiquer que l'illumi-
24 COSTANTIN ANDRONIKOF

nation du baptême n'est pas mécanique, saint Cyrille rappelle le


cas de Simon le Mage dont l'âme ne ressuscite pas avec le Christ
(Procatech. 2,4, contre ceux qui voudraient se faire baptiser sans la
foi). Mais ({ la force de la sainteté est reçue de surcroît par la ré-
ception de l'eau à l'invocation de la Trinité» (Catech. III, 3).
Le sacrement de la chrismation prépare donc spécialement le
baptisé à cette vie nouvelle. Ensuite, la dernière étape, réelle et figu-
rative, de l'économie du salut qui se poursuivra jusqu'au jugement
pourra être franchie: l'union avec le Créateur par l'incorporation à
son Royaume; et c'est l'eucharistie.
Baptême, chrismation, eucharistie: ces actes liturgiques consti-
tuent donc l'ensemble de l'économie (Tertullien l'atteste déjà: De
Praescript. XL), en fait mais aussi en symbole, puisque la communion
intégrale et définitive de l'humanité avec le divin n'est pas achevée
avant {( le jour terrible}} et que celle-ci reste asservie à la mort- Il
faudrait y ajouter le sacrement de la pénitence (confession) qui sauve
des chutes partielles et successives, mais également sous condition
avant la Confession finale au Jugement; et aussi tous les sacrements
ou sacramentaux, toute la liturgie et les consécrations qui sancti-
fient, la vie entière du chrétien en instance d'héritage, dans l'Eglise.
Le baptême, nous l'avons vu, résume tout cela presque complè-
tement et suggère Je reste. de la naissance à la vie eternelle et glo-
rieuse, la pénitence et le combat, l'eucharistie, l'acquisition du Saint
Esprit, la justice, la vérité, qui mènent au salut et, ensemble, le
composent. C'est lui qui par l'adoption et le don d'immortalité (Clé-
ment d'Alex., Paedag. l, 6; Hilaire, In Matth. II, 6) nous fait enfants
de Dieu et co-héritiers du Christ (Athanase, Sur le décret de Nicée,
31; Contra Arian. l, 34; Cyrille de Jérusalem, Catech. l, 2; III, 14;
Chrysostome, Ad I/lumin., l, 3).
Pour en revenir au rite, après le baptême, le Ps. 31 chante la
délivrance des pécheurs, avant que le baptisé ne soit revêtu de
{( l'habit de justice, v rizou pravdy, chitôna dikaiosunès », encore
une fois eis to onoma du Père, du Fils et du Saint Esprit. Un tro-
paire du Be ton souligne que la vêture blanche de justice est «par
analogie, celle aussi du Christ qui se vêt de IUTIlière hôs himation n,
Nous avions revêtu la mort, nous revêtons la gloire, symboliquement,
étant en puissance de transfiguration. « Tant que tu ne posséderas
la réalité qu'en mystères et figures, ce vêtement te sera nécessaire, ..
alors qu'en temps fixé tu entreras dans la pleine possession .. ' de
DANS LE RITE BAPTISMAL D'APRÈS LE TREBNIK 25

la grâce tout entière qui te rendra immortel et incorruptible en


te faisant participer à la lumière merveilleuse» (Théodore de Mop-
sues te, Homél. sur le baptême III, trad. J. Couturier, in Initiation
chrétienne, op. cit., p. 140 sq.; Homé/. XIV, éd. Tonneau).

CHRISMATION

La prière initiale au Père dans la Trinité récapitule les dons


communiqués par le baptême, à nous-mêmes comme au néophyte,
maintenant agrégé à l'Eglise une; parmi ces dons, il y a expressé-
ment « la rémission des péchés volontaires et involontaires ». Jusqu'ici,
il n'était question, implicitement, que du péché originel, générique.
Désormais, il s'agit aussi du péché personnel. Il y a une sorte d'impec-
cabilité avant le baptême, c'est-à-dire avant que la liberté des en-
fants de Dieu ne soit conférée à l'homme. Une fois baptisé, tous les
mouvements de celui-ci pèsent sur les balances de la justice et de
la foi. L'on sait pourtant que certains, avec la logique extrême, ou
plutôt excessive, de l'hérésie, crurent que le péché après le baptême
n'avait pas d'importance; ils rompaient ainsi l'économie, « terrible»
pour nous aussi. Déjà Hermas (Sim il. IX), Irénée (Contra Haer. l,
6,3) doivent les contredire. Jérôme, Ambroise, Augustin durent ré-
futer la doctrine de lovinien sur l'impeccabilité post-baptismale. Et
l'Eglise condamna, a contrario, l'exigence de l'ascétisme absolu des
encratites. C'est pour maintenir la capacité baptismale du salut
qu'elle institua le sacrement du repentir, de la conversion ou de la
pénitence.
Mais pour que la baptisé soit guéri des péchés comme de la
lèpre (Cyrille d'Alexandrie, Glaphyres sur le Pentateuque) et pour
qu'il devienne réellement «fils et héritier», pour qu'il goûte au sa-
lut en fait, il lui faut encore recevoir deux choses: « le sceau, sphra-
gis, du don du Saint Esprit» et « la communion, petchat l , prit1hast-
chenie, metalepsis, du saint corps et du vénérable sang du Christ )}.
La prière de la chrismation reprend le thème de l'illumination:
« soleil de justice}) (expression, parmi d'autres, reprise du tropaire
de Noël), « Toi qui as fait luire la lumière du salut, par l'épiphanie
de Ton Fils et notre Dieu, sur ceux qui étaient dans les ténèbres)}
(c'est la réponse à la question que nous nous posions tout à l'heure
au sujet de l'ecphonèse avant l'onction). Elle enchaîne sur le thème
du salut par la nouvelle naissance et la rémission des péchés: «Toi
qui nous as donné, à nous indignes, la purification bienheureuse
26 CQSTANTIN ANDRONIKOF

(tèn makarial'l katharsin, blage11110ie otclzistchenie) par la sainte eau


baptismale et la sanctification divine (tOll theion hagiasmos, bogest-
vennoie osviastche1'1ie), par la chrismation vivifiante [en tô(i) zôo-
poiô(i) chrismati, v jivotvoriastchem pomazanii] , Toi qui as bien
voulu maintenant aussi faire renaître (anagennèsai, paki roditi) ton
serviteur néophyte (ou, plus exactement, nouvellement illuminé, neo-
phôtiston, novoprosvestchennago) par l'eau et par l'esprit ... donne-
lui aussi le sceau du don de l'Esprit et la communion du Corps
et du Sang ».
Après quoi (il faut citer presque intégralement cette prière car
elle contient tous les éléments de l'économie): « Garde-le dans ta
sanctification, confirme-le dans la foi orthodoxe, délivre-le du ma-
lin ... conserve son âme dans la pureté et la justice par ta crainte
salutaire (la piété); afin que te servant bien (euareslôn, blagoougoj-
daiaï) par toute action et toute parole» (encore l'éthique volontaire:
rappelons que saint Cyrille avait netten1ent indiqué que le charisme
de l'Esprit est fonction de la foi du baptisé [Calech. l, 5]), «il de-
vienne fils et héritier (klèronomos) de Ton Royaume Céleste ».
Le sceau du don du Saint Esprit (et non pas du Saint Esprit
lui-même, hypostase inconnaissable, dont nous n'avons même pas
l'image, comme dans le cas du Père), ce sceau est imposé avec le
chrême" le muron, et suivant le signe de la Croix (encore la Dyade)
sur les différentes parties du corps comme dans l'onction pré-bap-
tismale (car tout est sauvé ... ). Que celle-ci n'ait pas été appliquée
sur les yeux, contrairement au chrême, ne semble pas avoir de signi-
fication en soi. C'est peut-être un oubli du texte que l'on n'a pas
voulu corriger par la suite (pas plus que n'importe le fait que le
Trebnik ne suive pas exactement l'ordre de l'Euchologe: lors de
l'onction baptismale, les mains y étaient ointes avant les pieds;
les deux rituels ne portent-ils pas l'indication suivante: (( et ayant
oint tout le corps, le prêtre le baptise ... »?).
Ni le vêtement christique ni le sceau pneumatique ne peuvent
être enlevés: le baptême et la chrismation sont donnés une fois pour
toutes, quelle que soit la fortune ultérieure du chrétien. De même
que la circoncision était un fait unique dans la vie de l'homme de
l'Ancienne Alliance, la collation du baptême n'est opérée qu'une seule
fois dans la Nouvelle, étant une agrégation suffisante et définitive
au Christ et à l'Eglise (Justin, Chrysostome). Ce n'est pas le lieu ici
d'analyser les hypothèses théologiques faites ou à faire sur ce qui
se passe dans la vie du baptisé et ce qu'il advient de la vertu bap-
DANS LE RITE BAPTIS1vt:AL n'APRÈs LE TREBNIK 27
----=
tismale quand il se produit une ségrégation, une séparation entre le
chrétien et le Christ ou l'Eglise, prononcées par le jugement de Dieu
au Dernier Jour ou par l'anathème de celle-ci dans l'histoire.
Ce caractère indélébile du baptême (l'expression est déjà dans
la Procatéchèse de Cyrille) est marqué notamment par le fait qu'une
fois oint avec le muron, le néophyte accomplit trois fois une pro-
cession autour des fonts, schèma 1cuklou, krouga obraz; une telle
pérambulation autour du support physique et symbolique du sacre-
ment a lieu lors de tous les engagements solennels avec l'Eglise, à
l'intérieur du temple: au mariage, c'est autour du pupitre où sont
disposés l'Evangile, la croix et l'icône; à l'ordination, c'est autour
de l'autel même dans le sanctuaire. Le cercle ainsi accompli conclut
pour ainsi dire l'incorporation du nouveau membre de l'Eglise et sa
mission ecclésiale. Il symbolise l'éternité close sur elle-même et
ouverte infiniment. Trois fois répété, il est l'image de l'introduction
dans la Jérusalem Céleste, où le Dieu Trine lui-même est le temple,
but ultime de l'économie.
Le tropaire chanté à ce moment-là est une citation adaptée de
Rom. VI, 3-11, dont la lecture va suivre. Ce texte expose en effet
toute cette économie: « ••• Si nous sommes devenus un avec (le
Christ) par une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi
par la résurrection ... ». L'Evangile est la conclusion de Matthieu:
les uns adorent, les autres doutent (la lumière peut ne pas être
reçue). Mais {( tout pouvoir m'a été donné ... allez, enseignez toutes
les nations, en les baptisant ».
Le parallèle avec la Genèse ressort encore du fait que l'Eglise
avait prévu le Sc jour après le baptême et la chrismation le rite de
l'ablution. Lavant les parties du corps du néophyte où les deux
onctions avaient été appliquées, le prêtre énumère de nouveau les
énergies du sacrement, mais en mettant les verbes au passé: elles
ont été accomplies: «Tu as été justifié, tu as été illuminé, tu as
été sanctifié ... ». Et l'admirable Narsaï, maître syriaque d'Edesse,
n'avait pas hésité à comparer majestueusement au Créateur lui-même
le prêtre qui célèbre le baptême: cc Il apprend de lui comment pro-
duire une nouvelle création. Il imite, lui aussi, le comportement
de celui qui fit exister le monde et il fait entendre sa voix comme
celui qui s'exclama au commencement sur la terre. Comme le Créa-
teur, il commande lui aussi à l'eau ordinaire ... et se manifeste en
elle le pouvoir de la vie. La voix du Créateur créa de rien les lumi-
naires, et le prêtre, à partir de quelque chose, crée une autre chose
28 CQSTANTIN ANDRONIKOF

par la puissance du Créateur ... Cet ordre que Dieu exprima, et les
créatures raisonnables et sensibles existèrent, il le donne à nouveau
et l'homme devient un être nouveau» (loc. cil., p. 199·200).
Les deux prières pour la tonsure qui conclut l'ensemble du rite
font ressortir un nouvel élément qui s'inscrit dans l'économie: la glori-
fication de Dieu par le corps euprepos, blagolepnoie, serviteur de
l'âme raisonnable, logikè, slovesnaia. C'est aussi la consécration à
Dieu, en remplacement de la figure révolue de la circoncision: le
sacerdoce n'est plus sanglant, il est spirituel (comme l'indique 1 Pier.).
La deuxième prière fait d'ailleurs directement allusion à la bénédic-
tion du roi David par le prophète SmTIuel. Les cheveux coupés sont
présentés comme ({ les prémices, aparchèn, natchatok» du nouveau
serviteur sur la voie du salut. La finalité de l'acte est nettement
eschatologique: cc afin que le néophyte voie les biens de Jérusalem
tous les jours de sa vie ». Ainsi que Narsaï le commente: «Symboli-
quement .. , la voix des prêtres est comme le son de la trompette
qu'on entendra à la fin des temps» (ib., p. 201).
Dans ce dernier rite, il est aussi intéressant de noter que le
parrain est associé au nouveau chrétien dans la demande de béné-
diction. La filiation spirituelle est inscrite dans l'économie du salut
au sein de l'Eglise, Royaume de prêtres, communauté des saints sau-
vés. L'initiation chrétienne est aussi l'introduction à la société ec-
clésiale.
C'est ainsi que l'ensemble des rites du sacrement baptismal tel
que le formulent aujourd'hui l"Euchologe grec et le Trebnik slave
récapitule et résume (<< télescope» même, dirions-nous familièrement)
cette initiation chrétienne qui, alors que l'Eglise dite primitive pre-
nait le temps de son impatience eschatologique, se déroulait pen-
dant des mois ou des annés, depuis la naissance de l'enfant ou l'élec-
tion du candidat, pour le conduire par l'humble catéchuménat jus-
qu'au triomphe de la nuit pascale où i1 intégrait l'Eglise en deve-
nant vraiment lui-même, car celle-ci «est à l'image et à la ressem-
blance de l 'homme créé à l'image et à la ressemblance de Dieu»
(Maxime le Confesseur, Mystagogie, PG XCI, 660); et la fin du bap-
tême est aussi « que nous ne soyons tous qu'Un seul corps, que
nous soyons tous frères» en Jésus Christ (Jean Chrysostome, In
Joan. Hamel. XXV).

Costantin ANDRONIKOF
L'ÉCONOMIE DU SALUT
DANS LA PRIÈRE DU « POST-SANCTUS ..
DES ANAPHORES DE TYPE ANTIOCHÉEN

Les anaphores antiochéennes forment dans la pratique euchasti~


que de l'Eglise universelle le groupe sans doute le plus important
d'anaphores, sinon par leur nombre qui arrive tout de même à la
centaine, au moins par l'extension géographique de leur usage et
par la richesse théologique qu'elles véhiculent comme nous allons
essayer de le présenter dans cet aperçu.
Au groupe d'anaphores antiochéennes appartiennent:
a) tout d'abord les trois liturgies (anaphores et prières précé-
dentes et suivantes: le tout appelé « anaphore» par les Syriens) de
Saint Jean Chrysostome, de Saint Basile et, pour ce qu'elle est en
usage, celle de Saint Jacques chez les Byzantins;
b) 80 anaphores dispersées dans les différents manuscrits ou
missels édités, chez les Syriens d'Antioche;
c) 15 anaphores chez les Maronites, dont trois particulières
à eux et les autres empruntées au fond commun des Syro· Antio·
chéens;
d) 11 anaphores, dont une seule en usage chez les Arméniens;
e) 2 anaphores antiochéennes chez les Coptes et Ethiopiens, qui
pourtant, eux, ont une tradition anaphorique;
f) une finalement chez les Romains, si, néanmoins, après les
remaniements subis, on puisse dire qu'elle ait conservé son carac·
tère antiochéen;
g) il serait juste de rattacher à ce type d'anaphores antiochéen·
nes la frondaison d'anaphores mozarabes. Malheureusement, nous
n'avons pas le temps de le faire.
Dans les listes d'anaphores des différentes Eglises, nous .trou·
vons souvent des anaphores communes à plusieurs Eglises: parfois
il s'agit de la même anaphore; le plus souvent, chaque tradition litur·
gique a réélaboré un texte même selon son génie propre; quelquefois
28 COSTANTIN A~DRONIKOF

par la puissance du Créateur ... Cet ordre que Dieu exprima, et les
créatures raisonnables et sensibles existèrent, il le donne à nouveau
et l'homme devient un être nouveau» (Zoe. cit., p. 199-200).
Les deux prières pour la tonsure qui conclut l'ensemble du rite
font ressortir un nouvel élément qui s'inscrit dans l'économie: la glori-
fication de Dieu par le corps euprepos, blagolepnoie, serviteur de
l'âme raisonnable, logikè, slovesnaia. C'est aussi la consécration à
Dieu, en remplacement de la figure révolue de la circoncision: le
sacerdoce n'est plus sanglant, il est spirituel (comme l'indique 1 Pier.).
La deuxième prière fait d'ailleurs directement allusion à la bénédic-
tion du roi David par le prophète Samuel. Les cheveux coupés sont
présentés comme ({ les prémices, aparchèn, natchatok» du nouveau
serviteur sur la voie du salut. La finalité de l'acte est nettement
eschatologique: « afin que le néophyte voie les biens de Jérusalem
tous les jours de sa vie ». Ainsi que NarsaÏ le commente: « Symboli-
quement ... la voix des prêtres est comme le son de la trompette
qu'on entendra à la fin des temps» (ib., p. 201).
Dans ce dernier rite, il est aussi intéressant de noter que le
parrain est associé au nouveau chrétien dans la demande de béné-
diction. La filiation spirituelle est inscrite dans l'économie du salut
au sein de l'Eglise, Royaume de prêtres, communauté des saints sau-
vés. L'initiation chrétienne est aussi l'introduction à la société ec-
clésiale.
C'est ainsi que l'ensemble des rites du sacrement baptismal tel
que le formulent aujourd'hui l'Euchologe grec et le Trebnik slave
récapitule et résume «{ télescope » même, dirions-nous familièrement)
cette initiation chrétienne qui, alors que l'Eglise dite primitive .pre-
nait le temps de son impatience eschatologique, se déroulait pen-
dant des mois ou des annés, depuis la naissance de l'enfant ou l'élec-
tion du candidat, pour le conduire par l'humble catéchuménat jus-
qu'au triomphe de la nuit pascale où il intégrait l'Eglise en deve-
nant vraiment lui-même, car celle-ci « est à l'image et à la ressem-
blance de l'homme créé à l'image et à la ressemblance de Dieu)
(Maxime le Confesseur, Mystagogie, PG XCI, 660); et la fin du bap-
tême est aussi ({ que nous ne soyons tous qu'un seul corps, que
nous soyons tous frères) en Jésus Christ (Jean Chrysostome, In
Joan. H ornel. XXV).

Costantin ANDRONIKOF
L'ÉCONOMIE DU SALUT
DANS LA PRIÈRE DU « POST·SANCTUS "
DES ANAPHORES DE TYPE ANTIOCHÉEN

Les anaphores antiochéennes forment dans la pratique euchasti-


que de l'Eglise universelle le groupe sans doute le plus important
d'anaphores, sinon par leur llOlnbre qui arrive tout de même à la
centaine, au moins par l'extension géographique de leur usage et
par la richesse théologique qu'elles véhiculent comme nous allons
essayer de le présenter dans cet aperçu.
Au groupe d'anaphores antiochéennes appartiennent:
a) tout d'abord les trois liturgies (anaphores et prières prece-
dentes et suivantes: le tout appelé « anaphore» par les Syriens) de
Saint Jean Chrysostome, de Saint Basile et, pour ce qu'elle est en
usage, celle de Saint Jacques chez les Byzantins;
b) 80 anaphores dispersées dans les différents manuscrits ou
missels édités, chez les Syriens d'Antioche;
c) 15 anaphores chez les Maronites, dont trois particulières
à eux et les autres empruntées au fond commun des Syro - Antio-
chéens;
d) 11 anaphores, dont une seule en usage chez les Arméniens;
e) 2 anaphores antiochéennes chez les Coptes et Ethiopiens, qui
pourtant, eux, ont une tradition anaphorique;
f) une finalement chez les Romains, si, néanmoins, après les
remaniements subis, on puisse dire qu'elle ait conservé son carac-
tère antiochéen;
g) il serait juste de rattacher à ce type d'anaphores antiochéen-
nes la frondaison d'anaphores mozarabes. Malheureusement, nous
n'avons pas le temps de le faire.
Dans les listes d'anaphores des différentes Eglises, no~s trou-
vons souvent des anaphores communes à plusieurs Eglises: parfois
il s'agit de la même anaphore; le plus souvent, chaque tradition litur-
gique a réélaboré un texte même selon son génie propre; quelquefois
30 MIGUEL ARRANZ

aussi sous le nom du même auteur, on trouve des choses qui n'ont
rien de commun.

Ce qu'il faut entendre par anaphores antiochéennes, d'autres


l'ont déjà dit. Dans la remarquable collection d'anaphores contenue
dans l'ouvrage de A. HANGGI-I, PAHL, Prex Eucharistica, A. Raes char-
gé du chapitre des anaphores orientales fait précéder d'une petite
note 1 très claire les 27 anaphores de ce type qu'il présente. Une
explication plus ample se trouve dans un livre parmi les plus intéres-
sants sur la matière, que j'ai vu traduit en russe et dactylographié à
l'Académie Ecclésiastique de Moscou: l'Eucharistie de L. BOUYER;
deux chapitres, l'Ville et le IXc, sont consacrés à ce sujet.

Reprenons quelques idées.


Les premières anaphores antiochéennes, malgré leur attribution
à des personnages apostoliques, datent du Ive siècle: elles sont le
fruit d'une époque théologique donnée, celle des grands cappado-
ciens; elles sont tributaires aussi d'une culture hellénique qui est
à son apogée justement à Antioche au Ive siècle. Elles son écrites
en grec; seulement plus tard elles seront traduites en syriaque, et
aussi seront composées en cette langue tout le long du moyen âge
et jusqu'au XVIIe siècle. Mais si ces anaphores sont le produit d'une
pensée théologique et d'une rhétorique de leur temps, elles sont
surtout le résultat d'un travail liturgique de première qualité. Les
compositeurs des anaphores antiochéennes ont su réélaborer tous
les éléments traditionnels de l'eucharistie chrétienne primitive, for-
tement d'ailleurs influencée par le milieu où elle avait pris origine,
le milieu religieux juif. Les anaphores autres que antiochéerines et
antérieures à celle·ci: chaldéenne, alexandrine, romaine, contiennent
les mêmes éléments judéo-chrétiens, et c'est encore le P. Bouyer qui
nous guide dans ce merveilleux voyage à travers la formation, quasi
par sédimentation, des eucharisties non·antiochéennes; ces éléments
sont dans un désordre apparent, car on a superposé deux offices
d'action de grâces assez senlblables: celui de la table et celui de
l'office publique, soudés depuis que les chrétiens avaient cessé de
fréquenter la synagogue. Les liturgistes du Ive siècle réélaborent de
nouveau l'anaphore chrétienne.
Le triptique de l'action de gràces de la table des premiers temps
réapparaît donc au Ive siècle dans les trois prières principales de

1 D.c., p. 204.
DANS LE « POST-SANCTUS» DE TYPE ANTIOCHÉEN 31

nos anaphores; enrichies les deux premières de l'apport respectif des


deux bénédictions de la Qedusha séparées par le SANCTUS; à la
troisième prière de la table, notre partie épiclétique, est jointe
l'intercession venant elle aussi de la série de demandes appelées les
7 bénédictions ou les 18, plus tard.
On trouve comme constante des anaphores antiochéennes cette
triple prière: la première, une action de grâces pour la création, la
deuxième une action de grâces aussi, pour le salut à travers le Fils
de Dieu (en disant action de grâces, il faut comprendre aussi bien
la louange que le remerciement); la troisième sera une prière de
demande, fixée plutôt dans le présent et le futur de l'action de Dieu
en nous. Cette troisième partie sera celle du Saint Esprit. Non qu'il
faille couper au couteau et attribuer chacune des trois prières à
l'action d'une des trois personnes, comme fait l'anaphore de Saint
Jacques, sans grand succès d'ailleurs: il arrive même à parler de
la création, dans la première prière, sans nommer le Verbe de Dieu,
chose d'autant plus étrange qu'il parle de la création de l'Eglise
aussi.
La seconde prière de l'anaphore, celle que nous avons appelée
POST-SANCTUS, en empruntant cette terminologie aux mozarabes, et
la seule que nous intéresse pour le moment, est constamment, com-
me nous allons avoir l'occasion de le voir, orientée sur l'action sal-
vifique du Fils de Dieu. Chez les Juifs la 2ème bénédiction de la
table était consacrée à l'action de grâces pour la terre don de
Dieu, d'où vient la nourriture, mais aussi pour la terre {( promise»
comme garantie du pacte de Dieu, et comme but après la libération
de l'esclavage: cette prière on la faisait remonter à Josué. Dans la
seconde prière de la Qedusha, parallèle à celle de la table, l'action de
grâces se faisait sur la révélation de la Torah, comme pacte de Dieu
et signe d'amour de Dieu pour son peuple: « D'un grand amour tu
nous ain1as» ont dit les Juifs de tous les temps au début de cette
prière. Il est évident que pour les chrétiens la libération du péché
et de la mort que Jésus (préfiguré par Josué) apportait à l'homme,
l'économie du salut, ne pouvait trouver meilleur cadre liturgique que
celui-ci.
Cette prière du POST-SANCTUS est aujourd'hui suivie par le récit
de l'institution et par une prière d'anamnèse dans lesquels on ma-
nifeste le désir explicite d'accomplir le mémorial du Seigneur par
cette eucharistie. Cette anamnèse est plus ou moins la suite de la
prière du POST-SANCTUS, mais parfois elle s'appuie plutôt sur la troi-
32 MIGUEL ARRANZ

sième prière, celle de l'épiclèse. Cette question, traitée aussi d'ailleurs


par Bouyer, ne peut pas nous occuper. En tout cas le POST-SANCTUS
se referme sur soi-même et souvent semble ne pas supposer l'anam-
nèse qui le suit.

Nous occupant donc de cette seconde prière de l'anaphore, nous


avons essayé de classer la trentaine d'anaphores étudiées, selon un
critère de contenu textuel, étant donné que la classification par
rites nous semblait trop artificielle, et que celle des titres que les
manuscrits donnent à chaque anaphore n'est pas toujours à prendre
à la lettre,

Trois grands groupes d'anaphores, à en juger par leur seule


prière POST-SANCTUS, nous ont semblé élnerger de notre travail de
comparaison, chacun d'eux construisant son POST-SANCTUS autour d'un
noyau biblique ou même d'une thème général:
a) thème de la mission du Fils de Dieu fait homme, représenté
par Gal 4,4 et autres textes sur la mission, p.e. Jo 3,17 et tout l'évan-
gile de Saint Jean en général;
b) thème de l'amour de Dieu allant jusqu'à donner son Fils,
et c'est Jo 3,16;
c) thème de la révélation de Dieu à travers son Fils, et c'est
le prologue de l'épître aux Hébreux,
Ces trois idées fondamentales (non uniques, car d'autres textes
du N.T. vont se joindre parfois pour nuancer quelque aspect parti-
culier) des anaphores citées dans notre étude, environ une trentaine,
vont nous aider à mieux suivre les différents textes des anaphores
dans la recherche de la théologie de l'économie contenue en 'elles.

1
ANAPHORES INSPIRÉES PAR GAL 4, 4-5 ET AUTRES TEXTES
(P,E, JO 3,17) PARLANT DE LA MISSION DU FILS FAIT HOMME

Texte de Saint Paul:


«( Lorsqu'est venue la plénitude des temps,

Dieu a envoyé son Fils formé d'une femme,


né sous la loi pour affranchir ceux: qui sont sous la loi,
afin de nous conférer l'adoption ».
DANS LE « POST-SANCTUS)} DE TYPE ANTIOCHÉEN 33

A) Quelque anaphore réduit toute la prière POST-SANCTUS à cette


seule citation, et encore bien incomplète. Par exemple" l'anaphore dite
de Saint Pierre, que nous prenons d'une édition cyclostylée Liturgie
Syrienne, « Traduction des deux missels syriens catholiques)} (qui
sont probablement celui édité à Rome en 1843 et celui de Rahmani
de 1922) '.
Voici le texte:
({ Vous êtes saint et grande est votre miséricorde,
vous qui par compassion envers les hommes
avez envoyé votre Fils,
qui s'est incarné de la Vierge Marie pour notre salut ».

Suit l'institution.

B) Deux autres anaphores amplifient un peu Gal et introduisent


le mot technique d'économie, en syriaque MDABRONUTO: d'abord celle
dite Deuxième de Saint Basile, mais qui en fait est du IX" siècle
et a été composée par un évêque de Bagdad appelé Lazar Sabbat.
Le texte est celui de la Traduction des 2 Missels 3:
«Vous êtes saint et digne de louange, Seigneur,
qui avez envoyé votre fils dans le monde;
il s'est incarné de la Vierge Marie,
accomplit son économIe et sauva sa créature qui s'était éloignée ».
Suit l'institution.

{( Accomplir l'économie» (oikonomian plîrôsas de l'anaphore de


Saint Jean Chrysostome) est un concept qui revient souvent dans les
anaphores que nous étudions.
Une anaphore semblable est celle dite Deuxième des Douze Apô-
tres, dont le texte nous est présenté par A. Raes dans la collection
romaine Anaphorae Syriacae 4 en syriaque et en latin, aussi bien
que par Hayek dans sa Liturgie Maronite ':
«Saint Seigneur ... » [et suit une amplification sur les trois personnes]
« ... tu es saint et donneur de biens; c'est pour notre salut
que ton Fils unique s'est incarné de la Vierge Marie,
et par son économie divine il nous sauva
et nous délivra de l'esclavage ».

'P. 135.
l D.c., p. 147.
4 Anaphorae Syriace, Pont. lnst. Oriental, Rome 1939, \'01, l, p. 243.
5 M. HAYEK, Liturgie Maronite, Tours 1964, p. 336.
34 MIGUEL ARRANZ

On passe à l'institution en répétant cette même idée de salut:


« Lui qui pour nous s'est fait homme,
tout en restant sans changement,
vint à la croix salvifique
ct, avant sa passion vivifiante, il prit du pain ... Il,

Il faut remarquer dans ce POST-SANCTUS la liaison entre « éco-


nomie Il et libération de l'esclavage.
Le passage de la prière POST-SANCTUS à l'institution se fera sou-
vent par une reprise des idées déjà exprimées mais où la notion
de la croix sera introduite.

Cl Cependant, le modèle de ces anaphores, dont le POST-SANCTUS


est constitué par Gal 4, nous pouvons le trouver dans l'anaphore
de Saint Jacques Frère du Seigl1eur, célébrée un peu partout en
Orient: en grec, en syriaque, en géorgien, en arménien, en éthiopien,
en paléoslave et en arabe, avec toutes les adaptations nécessaires,
il est vrai, pour chaque tradition liturgique (ainsi par exemple l'anam-
nèse qui chez les Byzantins est adressée au Père" chez les Syriens
elle le sera au Fils), mais substantiellement la même, surtout pour
ce qui est du POST-SANCTUS. Le texte de Gal 4 est précédé par un
résumé de la préhistoire du Christ: création, paradis, péché, loi,
prophètes (cf. Hebr 1); Gal 4 même est amplifié et couronné par
un « ôkonomîse». La mention de la mort du Christ est reléguée
au début de l'institution, donc hors de la prière POST-SANCTUS elle-
même. Le texte grec, ainsi que la traduction latine des textes sy-
riaque et arménien nous sont donnés par A. Raes dans Prex Eucha-
ristica 6, le texte syriaque lui-même se trouve dans Anaphorae Sy-
riacae 7, Nous nous servons de la traduction de A. Hmman 8, en
remarquant que la traduction de L. Bouyer dans Eucharistie 9, basée
sur l'édition critique de B.Ch. Mercier 10 et qui élimine la mention
du Saint Esprit au début de la prière.

« Saint es-tu Roi des siècles ... saint est ton Fils unique NSJC
par qui tout a été fait. Saint aussi cst ton Esprit

• A. HANGGY-J. PAHL, Prex Eucharistica, Fribourg 1968, pp. 246, 270, 342.
7 D.c., vol. II, p. 143.

~ Prières Euc11aristiques, A. HM\'ll\lA~, Paris 1969, p. 77.


9 Eucharistie, L. BOüYER, Tournai 1966, p. 264.

10 La Liturgie de Saint Jacques, édition critique ... , B. Ch. MERcIER (= Patrol.

Orient. t. 26), p. 198.


DANS LE « POST-SANCTUS» DE TYPE ANTIOCHÉEN 35

Tu as pris en grande pitié ta création,


tu as façonné l'homme avec de la terre
à ton image et ressemblance,
tu lui as donné la jouissance du paradis;
après qu'il eut transgressé ton commandement
et fut tombé,
tu ne l'as pas méprisé, tu ne l'as pas délaissé, Dieu de bonté;
tu l'as corrigé comme un Père compatissant,
tu l'as appelé par la Loi, tu l'as conduit par les prophètes.
Finalement tu as envoyé dans le monde
ton propre Fils unique NSJC,
afin qu'il vienne restaurer et ranimer ton image.
Il est descendu des cieux,
a pris chair de l'Esprit Saint et de Sainte Marie,
toujours vierge et Mère de Dieu;
il a vecu avec les hommes
et disposé (ôkonomÎse) toutes choses pour le salut du monde.
Acceptant la mort libre et vivifiante de la croix pour nous ...
Dans la nuit où il fut livré ... ».

Semblable à cette anaphore est celle dite Première de Dioscore


d'Alexandrie et qui n'a jamais été éditée dans les missels. Le texte
nous et donné par Renaudot 11 en latin, en syriaque et en latin par
W. de Vries dans AnapJzorae Syriacae 12:

« Saint Dieu Père ... Fils .. , Esprit,.,


Toi voyant le genre humain perdu et opprimé par la bête
tu as envoyé pour nous rédimer ton Fils unique,
lequel par œuvre de l'Esprit Saint, , ,
a pris chair '" et est né de la Vierge ."
est devenu homme parfait tout en restant Dieu inchangé,
et a tout disposé et accompli pour notre rédemption »,

Dans cette prière le seul verbe principal est justement celui de


Gal 4: « tu as envoyé )}, naturellement à la deuxième personne com-
me toujours, Le mot technique de « économie» n'apparaît par contre
que comme début du récit de l'institution, ensemble avec la no-
tion de la passion et un curieux rappel à la cène:

Lui, acceptant l'économie du salut, avant sa passion


(1

ayant joui de l'agneau mosaïque avec ses disciples,


prit le pain de la vie '" >l,

1\ Liturgiarum Orienlalium colleclio, E. RENAUDOT, 2


e
édition, Londres 1847,
vol. II, p. 286.
\1 a.c., vol. l, p. 277.
36 MIGUEL ARRANZ

Dans la même ligne mais plus près de l'anaphore de Saint Jacques


se trouve celle dite Anaphora Syriaca Minor Sancti Jacobi et qui,
en effet, semble une réduction de celle de Saint Jacques. Le texte
latin en Renaudot 13, et dans Anaphorae Syriacae 14 en syriaque et
en latin:
« Tu as créé l'homme de la terre et tu l'as mis dans le paradis,
et lorsqu'il a transgressé ton commandement
tu ne l'as pas laissé dans son égarement,
mais tu l'as dirigé par les prophètes,
et finalement tu as aussi envoyé ton Fils dans le monde,
qui prenant chair du Saint Esprit ... et de la vierge ...
a renouvelé ton image qui était corrompue ».

Et voici une anaphore de la Traduction des 2 missels syriens 15


dite de Saint Matthieu, composée par l'évêque de ce nom de la ville
de Hasa, mort en 903. Il est remarquable que malgré la date tar-
dive de composition, et malgré aussi le langage un peu enflé, le
schéma reste toujours simple et d'une sobriété qui était devenue
habituelle:
cc Seigneur, vous êtes une unique essence en trois personnes,
vous qui avez disposé que le salut de notre race
se ferait par le Verbe de votre intelligence;
vous qui l'avez donc envoyé au monde
sans qu'il déchoie de ses propriétés,
par l'Esprit Saint et le sang d'une vierge
il se revêtit de chair,
se forma une image
et fit habiter le salut parmi ceux
qui périssaient dans le péché ».

Une anaphore syriaque dite de Saint Grégoire de Nazianze mais


n'ayant Tien de commun avec l'anaphore alexandrine du même nom,
éditée par Assemani 16 et par 1. Hausherr dans Anaphorae Syria-
cae 17, n'ajoute rien de nouveau à celle de Saint Jacques sinon une
amplification théologique marquant la divinité du Fils, sa consubstan-
tialité avec le Père, etc. Le mot {( économie» ici aussi est renvoyé à
l'institution: «La nuit où son économie pour nous fut accomplie ... ».

Il D.c., vol. II, p. 126.


14 a.c., vol. II, p. 195.
!S D.c., p. 130.
16 Codex Liturgicus, J.A. ASSEMANI, vol. VII, p. 185.

17 a.c., voL l, p. 111.


DANS LE « POST-SANCTUS» DE TYPE ANTIOCHÉEN 37

D) Certaines anaphores ne se sont pas contentées de la simpli-


cité de Gal 4 et avec ce texte, nous trouvons le thème de Phil 2 sur
l'anéantissement de Jésus-Christ, celui de Rom 8 sur notre frater-
nité et notre droit à l'héritage, celui de Jean 3 sur la nouvelle nais-
sance et d'autres encore.
Voici l'anaphore syriaque de Jean Saba, évêque du xe siècle, à
croire Assemani, ou même du VIP ou vnp; le texte nous est fourni
par A. Raes dans Anaphorae Syriacae 16:

« Toi saint, nous t'acclamons, saint,


ainsi que ton Fils et ton Esprit Saint,
car tu as envoyé ton Fils ... pour notre rédemption,
lequel pour nous pécheurs ... s'est anéanti selon son vouloir
et est devenu homme parfait ».

L'amplification selon Phil 2 a amené cependant un raccourcisse-


ment de Gal 4: la mention de la naissance d'une femme, de la vierge
comme préfèrent dire les anaphores, a disparu. Elle est restée avec
un apport très libre de Phil 2 et de Rom 5 dans l'anaphore syriaque
de Grégoire Jean, évêque du XIve siècle et dont le texte se trouve
encore dans Anaphorae Syriacae 19:
« Saint es tu avec ton Fils et ton Esprit Saint,
par amour envers les hommes avec miséricorde
tu as envoyé ton Fils dans le monde,
et lui-même s'est pris un corps
et s'est formé du sang de la vierge
pour libérer ses semblables à lui,
et a racheté l'image royale jusqu'alors corrompue,
détruite et consommée par le péché
de désobéissance au commandement ...
et tout ceci, il l'acquit pour notre salut ».

La mention de la mort ne se trouve que dans l'introduction à


l'institution.
Plus complexes sont les deux anaphores syriaques, « première»
et {( seconde» de Jacques de Saruga. Assez semblables pour ce qui
est du POST-SANCTUS, éditées dans Anaphorae Syriacae 20; la pre-
mière se trouve aussi en Renaudot 21. Il faut remarquer que l'ana-
phore éthiopienne du même nom n'a rien de commun avec les nôtres.

n D.c., vol. II, p. 95.


19 a.c., vol. II, p. 219.
10 a.c., vol. II, pp. 17 et 47.
21 a.c., vol. II, p. 356.
38 MIGUEL ARRANZ

« , •• Toi. mon Seigneur, tu as envoyé


notre sauveur et protecteur
ton Fils unique bien-aimé, lequel a resplendi de toi
à la vierge comme un clair rayon de lumière,
il a pris la ressemblance d'esclave dans le sein maternel,
celui qui était en vérité la ressemblance de ta majesté,
il s'est fait homme selon sa volonté,
pour nous diviniser;
selon son bon plaisir
il est né d'un sein de chair
pour nous faire renaître du sein de l'Esprit,
il s'cst fait notre frère pour faire de nous tes enfants,
il nous a fait monter de notre humble condition d'esclaves
et nous a donné de posséder l'honneur d'ètre des héritiers,
il nous a affranchis du service de mercenaires
pour nous établir dans la situation d'enfants ... ,
il a chassé de nous l'esprit de servitude
pour que nous ne retournions plus à la peur des prisonniers
et nous a donné un esprit d'adoption
pour que comme des enfants nous t'invoquions
comme notre Père avec confiance ».

Suit l'institution:

«( Lorsqu'il se préparait à subir la passion


il nous laissa un mémorial.
Le soir où s'accomplissaient tous les mystères ct symboles,
la nuit où il a été trahi pour la vie et le salut du monde,
il prit du pain ... )J.

Dans cette anaphore, le mot « économie» se trouvera seulement


dans l'anamnèse après la mention de l'anéantissement, de la nais-
sance et de la passion.

E) Une anaphore qui porte chez les Syriens le nom de Saint Jean
Chrysostome, en usage chez les Maronites et se trouvant dans leur
missel de 1716, avait été éditée par Renaudot 22; elle se trouve aussi
dans Al'laphorae S.vriacae 23; elle constitue un vrai recueil de tex-
tes du NT.
Elle suit presqu'au pied de la lettre les anaphores dites de
Jacques de Saruga en ajoutant à la fin Hebr 1,3 et 1 Petr. 1,2:
« Il vint ... ton Fils unique lui-même
et il fit la purification de nos péchés
par son sang, répandu pour nous ».

II a.c., vol. II, 242.


2J a.c., vol. l, p. 165.
-------
DANS LE ({ POST-SANCTUS» DE TYPE ANTIOCHÉEN 39

Cette mention du sang et de la passion, nous l'avions toujours vue


manquer dans la prière POST-SANCTUS, la réservant pour l'institution
elle-même, soit pour marquer que l'économie du salut avait lieu de
façon primordiale par l'incarnation du Verbe, soit plus simplement
pour donner un ordre plus ou moins chronologique à la suite des
événements de la vie du Christ: incarnation dans la prière POST-
SANCTUS, acceptation de la passion dans l'institution, mort-résurrec-
tion-ascension-deuxième avènement dans l'anamnèse. L'étude des ana-
phores suivantes va peut-être apporter quelque lumière.

F) Quatre anaphores très courtes, de type Gal 4, admettent dans


le POST-SANCTUS la notion de la croix ou de la mort comme cause
de salut: L'anaphore de Saint Marc, n'ayant rien de commun bien
sûr avec l'homonyme alexandrine, nous est donnée par la Traduc-
tion des 2 Missels 24:

«Vous êtes sain t


alors que nous étions perdus pour avoir transgressé vutre comman·
[dement,
vous avez envuyé à notre secours vutre Fils unique,
qui par sa passion salvatrice nous a rendu l'antique héritage,
et par son sang divin nous a donné la vie ».

La notion de passion reviendra encore dans l'introduction à


l'institution.
L'anaphore dite de Saint Jules pape de Rome et que nous don-
nent Renaudot L et A. Raes dans Prex Eucharistica 26, est encore plus
courte et Gal 4 y est réduit au minimum, manquant le verbe le plus
caractéristique: ({ tu as envoyé». La voici:

« Saint Dieu Père ...


Ta grandeur est d'avoir voulu que ton Fils unique,
sans aucun changement, prenne chair de la vierge sainte
et d'avoir accompli parfaitement toutes ses œuvres
et de nous avoir libéré par ses saintes souffrances
nous qui avons cru en Lui.
Le dernier soir ... ».

Dans le même style la premlere anaphore de Saint Eustathe ou


Eustache, comme dit la Traduction des 2 missels qui nous don-

2( a.c., p. 112.
a.c.,
2.'i vol. II, p. 227.
26 a.c., p. 304.
40 MIGUEL ARRANZ

nent cette petite anaphore 27, Renaudot 28 et A. Raes 29 dans Prex Eu-
charistica nous donnent le texte latin:
« Alors que nous n'étions pas dignes,
vous avez envoyé votre Fils en ce monde,
il est apparu d'une femme,
et à nous, dans notre condition de mortels,
par sa mort il a donné la vie ».

II
ANAPHORES INSPIRÉES PAR JO 3,16 ET FONDÉES
SUR LA NOTION DE L'AMOUR DU PÈRE POUR L'HUMANITÉ

Texte évangélique:
{( En effet, Dieu a tellement aimé le monde
qu'il a donné son Fils unique,
afin que quiconque croit en lui ne périsse point,
mais ait la vie éternelle».

Ce texte si spécifiquement johannique ne peut pas cependant


nous faire oublier le début de la prière POST-SANCTUS tiré précisément
de la Qedusha de l'office synagogal, prière parallèle de la deuxième
bénédiction de grâces après le repas juif. Elles se correspondent et
par la place qu'elles occupent, et par leur contenu: louange pour
la libération reçue dans la c( Terre» promise et dans la révélation
de la Torah. Le texte de ces prières juives dans les différentes rédac-
tions nous est donné par L. Ligier dans Prex Eucharistica 30 et par
L. Bouyer dans Eucharistie 31. Celui-ci développe tout au long de son
livre le rapport possible entre ces prières juives et l'eucharistie chré-
tienne.
Voici le début de ce texte:
« D'un amour grand tu nous as aimé Seigneur notre Dieu,
... tu as eu pitié de nous ... tu nous as élu de tous les
peuples ... et tu nous as faits proches de ton grand Nom ... ».

27 D.c., p. 119.
25 a.c., vol. II, p. 235.
29 a.c., p. 306.
J{lD.c., pp. 10, 27, 37.
~1 D.c., p. 67.
DANS LE {( POST-SANCTUS» DE TYPE ANTIOCHÉEN 41

Dans les anaphores du groupe que nous voulons traiter, la réfé-


rence est Saint Jean et non la prière synagogale, néanmoins elle est
à la seconde personne comme dans la Qedusha et non à la troisième:
la même chose cependant arrivait dans les anaphores inspirées à
Gal 4.
La plus connue de ces anaphores dont le POST-SANCTUS s'inspire
de Jo 3 est, sans aucun doute, celle dite de Saint Jean Chrysostome
et sa variante syrienne des Douze Apôtres; elles sont identiques
d'ailleurs pour le POST-SANCTUS. Voir les textes grec et latin pour
la première et le latin pour la deuxième dans Prex Eucharistica 32,
ainsi que le texte syriaque de la deuxième dans Anaphorae Syriacae S3.
Voici le texte des deux anaphores dans la traduction de L.
Bouyer:
« Tu es saint et tout saint dans la majesté de ta gloire.
Tu as aimé le monde au point de donner ton Fils unique,
afin que quiconque croit en Lui ne périsse point
mais ait la vie éternelle }}.

L'institution qui suit est si logiquement attachée à cette pre-


mière partie qu'elle semble ne devoir en être détachée. Ainsi Bouyer
ne les sépare même pas par un point:
« Lui qui est venu et qui, ayant accompli toute l'économie
instituée pour nous,
dans la nuit où il fut livré, prit du pain ... ».

« Pâson tîn hyper hÎmôn oikonomian plîrôsas )}: le participe


{( instituée )} ne se trouve pas dans le grec ni dans le syriaque, mais
semble justifié par la force du {( tÎn hyper hîmôn» emphatique et
difficilement traduisible.
Le thème de Jo 3 cependant n'a pas inspiré autant d'anaphores
que celui de Gal 4. bien qu'il soit vrai que la popularité et le large
usage des anaphores des Douze Apôtres et de Saint Jean Chrysosto-
me 34 compense bien la rareté des textes.
Une anaphore dite de Saint Clément Romain, éditée par Re-
naudot 35 et dans Prex Eucharistica 36, développe le thème de Jean 3

12 a.c., pp. 224 et 266.


II a.c., vol. l, p. 216.
:loi a.c., p. 275 et 278.
15 a.c., vol. II, p. 187.
l6 a.c., p. 299.
42 MIGUEL ARRANZ

en le faisant précéder des idées de la création, du péché et des


conséquences de celui-ci: sentence de mort et exil. L'anaphore con-
tinue:
( Mais toi, son créateur bon et misericordieux,
tu n'as pas abandonné le soin que de lui tu avais,
mais as institué toute chose pour son salut,
jusqu'à envoyer dans le monde ton Fils éternel et unique
lequel accomplit sa dispensation (économie) salvatrice pour lui ~).

Ici le but de la mission du Fils n'est plus le salut de l'homme,


mais l'accomplissement de l'économie.
L'anaphore dite de Saint Ignace d'Antioche, dans Renaudot 37 et
dans Prex Eucharistica 311, est un mélange de Jo 3 et de Gal 4 mais
avec un certain développement théologique. La notion de souffrance
entre vers la fin de la prière, davantage pour prouver l'humanité
réelle du Christ que comme élément de l'économie. Voici le texte:

« Saint es tu ...
qui par amour pour les hommes
nous as faits semblables aux étres du ciel,
et tu nous as aimés
au point d'envoy(!r ton Fils unique pour notre salut,
il s'est incarné ...
et s'est fait homme comme il l'a voulu et su,
et a pris tout ce qui nous appartenait, à part le péché.
Lui aussi a accompli toute la dispensation salvatrice pour nous
et a démontré par ses souffrances
la vérité de sa venue dans la chair.
La nuit de la Pâque ... ».

III

ANAPHORES SANS DÉPENDANCE DIRECTE


DE TEXTES BIBLIQUES

Un groupe d'anaphores en fait ne se réfère pas textuellement à


l'Ecriture, quoiqu'il ne serait pas difficile d'y trouver leur source
d'inspiration. Une théologie synthétique cependant reprend l'idée
centrale exprimée par Gal 4 ou par Jo 3.

37 a.c., vol. II, p. 215.


la a.c., p. 289.
DANS LE « POST-SANCTUS» DE TYPE ANTIOCHÉEN 43

Voici quelques exemples toujours pour le POST-SANCTUS:


a) L'anaphore de Saint Sixte, en usage chez les Maronites et
que nous prenons du livre de Hayek 311, n'est pas due au Pape de
ce nom mais bien à un auteur syrien, Syxte Aaron. Voici le texte:

(( Tu es saint Dieu Père, saint est ton Fils unique,


saint est aussi ton Esprit très saint,
toi qui par l'humanisation (dispel1sationem, traduit Renaudot)
de ton Fils
as sauvé et libéré (liberasti seulement Renaudot) le monde
de l'égarement du péché ».

Suit l'institution précédée de la mention de la mort salutaire.


Ne possédant pas le texte critique syriaque de cette anaphore,
nous devons nous cOntenter de faire remarquer la divergence entre
l'humanisation (il dit inhumanisation) de Hayek 40 et la dispensation
de Renaudot 41, qu'il traduit d'un missel catholique aussi. Incarna-
tion a, à cet endroit, la Traduction des 2 Missels que nous avons
parfois citée ~2. Quoiqu'il en soit, dans cette anaphore le sens de la
concision et de la précision théologique est remarquable; cette pré-
cision théologique est d'autant plus digne d'attention qu'elle n'a
pas le soutien du texte biblique.
Cette idée maîtresse de la prière POST-SANCTUS avec mention déjà
de la mort pour le salut, nous la trouvons un peu plus développée
dans l'anaphore dite de Saint Cyrille d'Alexandrie ou de Jérusalem
selon les manuscrits, et probablement ni de l'un ni de l'autre, quoique
sa théologie pourrait aussi bien être de l'un que de l'autre. Le texte
syriaque est dans Anaphorae Syriacae ~3, présenté par A. Raes, qui
le propose de nouveau dans Prex Eucharistica 44 en latin, comme
déjà Renaudot ~5 l'avait fait. Nous donnons le texte français de la
Traduction des 2 Missels 46:
{( Saint ... Dieu ... nous confessons votre unicité,
Père qui avez engendré le saint sans être engendré
Fils ... Esprit Saint ... sanctifiez-nous,

39 D.c., p. 369.

oro D.c., vol. II, p. 135.


41 D.c., p. 311.

4l D.c., p. 124.

4J D.c., vol. l, p. 339.

oU D.c., p. 286.

45 D.c., vol. II, p. 275.


ole D.c., p. 94.
44 MIGUEL ARRANZ

que nous soyons préparés ... et invités à ce festin de noces


du Fils unique NSJC ... et que nous soyons associés
à ses mystères ».

Intéressante cette espèce de pré-épiclèse, qui est assimilée néan-


moins dans le courant de la prière POST-SANTUS; celle-ci continue:

«Il devint homme volontairement,


se développa d'une façon humaine
sans déchoir de sa gloire ni anéantir sa divinité
et incarné en étant verbe,
sagesse et force de Dieu le Père
en nature et en essence,
il choisit même la mort d'esclave pour notre salut et notre vie ».

Suit l'institution:
«Avant de subir sa passion salvatrice, il prit du pain ... ».

Dans la ligne de cette anaphore est celle dite de Saint Grégoire


de Nazianze chez les Arméniens, dont le texte nous est fourni par
Prex Eucharistica 47. Nous n'étudions pas ici cette anaphore, car son
épiclèse plus ou moins consécratoire, au beau milieu de la prière
POST-SANCTUS ne nous semble plus rentrer dans le schéma d'ana-
phore de type antiochéen, tel que nous avons voulu l'établir au
début de notre leçon. Elle ajoute cependant une nouvelle note à
l'humanisation du Christ le disant: cc baptisé par la nature divine)}
et « ayant rayonné en éclairant le monde». Un autre anaphore armé-
nienne dite de Saint Cyrille Alexandrin, dont le texte se trouve dans
Prex Eucharistica 46, mérite une présentation car, dans le POST-SANC-
TUS, elle joint à l'efficacité de l'incarnation et de la mort pour le
salut celle aussi de la vie et doctrine du Christ. La révélation qui
jusqu'à maintenant était considérée comme l'œuvre du Père dans
le Christ, apparaît ici aussi comme l'œuvre active du Christ. Voici
le texte de la seconde partie de la prière POST-SANCTUS, en en nous
omettant la préhistoire du Christ, assez prolixe d'ailleurs sur les sui-
tes du péché:
« .•• à la fin des temps est né le soleil de justice
de la vierge sans tache, chassant les ténèbres du péché
et illuminant la créature selon ton image
Fils et Verbe ...

•, D.c.• p. 327.
U D.c., p. 338.
DANS LE « POST-SANCTUS» DE TYPE ANTIOCHÉEN 45

il a supporté toutes les conséquences (passio11.es) de la vie humaine ...


manifestant à tous la force de sa divinité,
faisant des miracles de guérison, ayant autorité dans sa doctrine,
venant tout à fait librement à sa passion salutaire
et à sa mort vivifiante
par le désir de la croix,
voulant le soir de la plénitude des temps
faire cesser l'Ancien Testament,
et inaugurant le Nouveau ... D.

On est passé du POST-SANCTUS à l'institution sans interruption


comme cela avait été le cas dans les anaphores des Douze Apôtres et
de Saint Jean Chrysostome.
Assez semblable à cette anaphore est celle dite de Saint Atha-
nase d'Alexandrie chez les Arméniens. Elle est d'ailleurs la seule
en usage aujourd'hui. Son texte latin est toujours dans Prex Eucha-
ristica 49, mais nous donnons la traduction de A. Hamman 50:
« ••• qui pourrait prétendre d'exprimer par des paroles
les tendres effusions de ton infinie bonté pour nous,
toi, qui dès le commencement, relevant en tant de manières
l'homme déchu,
l'as consolé par les prophètes, par le don de la loi,
par un sacerdoce où les victimes qu'on immolait étaient figuratives;
mais qui sur la fin des jours,
déchirant entièrement la cédule de nos dettes,
nous as donné ton Fils unique pour payer pour nous,
et être lui-même notre rançon,
pour être l'hostie, l'oint, l'agneau, le paill céleste,
le grand prêtre et le sacrifice,
qui quoique toujours distribué parmi nous, ne peut être consumé,
parce que s'étant vraiment fait homme
et ayant pris une chair par une union sans confusion
dans la sainte vierge ...
il a passé dans les jours de sa chair
par toutes les humiliations de la vie humaine
... et pour sauver le monde
et opérer notre salut,
il s'est livré volontairement à la croix D.

Quelques anaphores vont encore insister sur ce caractère sacri-


ficiel de notre salut. Voici celle dite de Saint Jean Maron que nous
empruntons à Hayek 51, où, après un vrai POST-SANCTUS trè~ court,

49 D.c., p. 321.
50 D.c., p. 106.
51 D.c., p. 376.
46 MIGUEL ARRANZ

d'inspiration classique, un long et polémique prélude à l'institution


insiste sur les symboles du culte ancien:
Gloire à toi qui dans l'abondance de tes miséricordes
(f

nous as envoyé ton Fils bien-aimé pour notre salut».

Et voici l'institution:

«Nous adorons et louons ton économie


et faisons mémoire ô Dieu devant tOI
de NSJC ton Fils bien-aimé
qui en cette nuit olt il a voulu se livrer lui-même
et où il lui a plu d'endurer la passion et les clous,
sauver l'Eglise par son sang,
dissoudre la Synagogue par sa croix,
ériger l'autel, extirper les holocaustes,
élire les prêtres et rejeter les pontifes
prit du pain dans ses mains pures ...
en dot pour l'épouse et renvoi de la répudiée ... »).

Cette anaphore est remarquable par ce {{ faisons mémoire de-


vant toi de NSJC »: ce que nous avons appelé prélude à l'institution,
c'est bien une anamnèse venant tout droit du bircat ha-mazon de la
table juive, puisque le fameux zikkaron-mémorial juif 5.2 est un sou-
venir qu'on présente à Dieu pour qu'il veuille l'agréer plutôt qu'une
commémoraison de notre part.
D'autres anaphores pourraient être rapportées ici où l'élément
sacrificiel est exaspéré au point d'être le seul exprimé, comme par
exemple dans l'anaphore de Dioscore d'Alexandrie éditée dans Ana-
phorae Syriacae ~3, où, après une introduction trinitaire, déprécative
d'ailleurs, on passe ex abrupto à l'institution:

« Toi qui l'as amené a la passion salutaire


cette nuit où il devait se présenter au tribunal ... n.

Plus curieuse encore une anaphore du nom de Saint Evangé-


liste en usage chez les Maronites et que j'emprunte à Hayek 54:
« Tu es Saint Seigneur ... avec ton Fils ... et ton Esprit ...
Essence unique ...
Père qui a envoyé son Fils pour notre salut,
Fils qui s'incarna, souffrit
et fut crucifié pour son image qui s'était corrompue,
Esprit vivant et qui consacre les sacrifices divins.
51 Voir L. BOUYER, Eucharistie, p. 107.
51 a.c., vol. l, p. 309.
S4 a.c., p. 353.
DANS LE « POST-SANCTUS» DE TYPE ANTIOCHÉEN 47

Comme il était venu volontairement vers la passion salvifique


et pour endurer la croix sainte pour notre salut,
il prit du pain ... ».

Le POST-SANCTUS traditionnellement adressé au Père, ici s'adresse


aux trois personnes, à chacune selon le rôle que la théologie leur
donne.
Pour finir avec ce chapitre des anaphores libres, en voici une
où le POST-SANCTUS semble bien un expédient pour passer à l'insti-
tution aussitôt après le SANCTUS: c'est celle d'un évêque d'Abunée et
de Haran au XIP siècle, appelé Jean ce qui a permis à son ana-
phore de passer pour celle de Saint Jean Chrysostome. Le texte nous
l'empruntons à la Traduction des 2 Missels 55:
« Vous êtes vraiment saint Dieu le Père
et votre Esprit saint est en vérité
tout de sainteté
avec votre Fils saint NSJC »,

et on passe à l'institution.

IV
ANAPHORES DONT LE POST-SANCTUS,
S'INSPIRANT DE HÉBR. 1, ENGLOBE TOUT LE MYSTÈRE
DU CHRIST COMME RÉVÉLATION DU PÈRE

Une série d'anaphores, dont les chefs de file sont celle du VIII'
livre des Constitutions des Apôtres ou {( Messe Clémentine» et celle
surtout de Saint Basile dans ses deux rédactions alexandrine et an-
tiochéenne, vont nous faire parcourir dans la prière POST-SANCTUS
tout le mystère du salut. Si nous prenons comme point de départ
l'anaphore de Saint Basile dans sa rédaction alexandrine, nous cons-
tatons que tout le POST-SANCTUS est bâti sur les premiers versets de
l'épître aux Hébreux:
EpUre aux Hébreux:
« Après avoir à plusieurs reprises et en diven:.es manières,
parlé autrefois à nos pères par les prophètes,

~'D.c., p. 141.
48 MIGUEL ARRANZ

Dieu dans ces derniers temps, nous a parlé par le Fils,


qu'il a établi héritier de toutes choses
et par lequel aussi il a créé le monde.
Ce fils qui est le rayonnement de sa gloire,
l'empreinte de sa substance,
et qui soutient toute chose par sa puissante parole,
après nous avoir purifiés de nos péchés,
s'est assis à la droite de la majesté divine
au plus haut des cieux ... ».

Et voici le POST-SANCTUS de Basile dans la rédaction alexandrine


encore en usage chez les coptes_ Le texte grec et latin a été publié
par Renaudot 56 et par A. Raes dans Prex Eucharistica SI, La version
française est de L. Bouyer":
« Comben saint et tout saint es tu.
Ayant fait l'homme en effet, tu l'avais placé dans le paradis de
[délices,
mais quand il t'eut désobéi
et qu'il eut été séduit par la tromperie du serpent
et qu'il fut mort, chassé du paradis en ce monde,
tu n'as pas rejeté ton œuvre à jamais,
tu nous as parlé par la bouche de tes serviteurs les prophètes
nous annonçant à l'avance le salut à venir.
Mais lorsqu'est venue la plénitude des temps
tu nous as parlé par ton Fils luiMmême,
ayant pris chair d'une vierge sainte,
donnant les ordonnances du salut,
nous ayant acquis pour luiMmême
comme un peuple qui soit le sien
par l'eau et par l'Esprit saint,
il s'est donné luiMmême en échange à la mort
dans laquelle nous étions retenus, vendus par le péché,
est descendu aux enfers par la croix,
ressuscité le troisième jour,
monté aux cieux,
il s'est assis à la droite de ta majesté dans les hauts lieux,
lui, qui viendra rendre à chacun selon ses œuvres ».

Puisque notre anaphore voulait parler du retour du Fils à la


droite du Père, pour avoir ainsi toute l'œuvre du Christ rassemblée,
il fallait bien introduire l'idée de la mort, suggérée d'ailleurs par
Hebr 1 avec le texte de 1 Petr 2,9 sur le peuple acquis_ L'idée de la

56 D.c., vol. l, p. 63.


~ D.c., p. 348.
51 D.c., p. 284.
DANS LE « POST~SANCTlJS » DE TYPE ANTIOCIIÉEN 49

résurrection était inévitable puisqu'il fallait parler de la session à la


droite. Nous ne pouvons pas appeler cela un récit de la vie du Christ
dans le sens anecdotique, mais bien une synthèse théologique inspi~
rée par Hebr 1.
Si maintenant nous prenons la rédaction byzantine de la même
anaphore, nous aurons l'impression de ne plus pouvoir affirmer la
même chose, et cependant si nous les superposons comme L. Bouyer
fait dans son Eucharistie ~9, nous voyons que la rédaction byzantine
n'est rien d'autre que celle d'Alexandrie magistralement complétée
par Basile en personne, en mettant à la bonne place une quantité
impressionnante d'autres textes: Phil 2,5 - Gal 4,4 - Rom 5,12 n'étant
que les principaux; pour d'autres textes voir Bouyer 60.
Après ce POST~SANCTUS clos en lui~même, il n'était pas aisé, comme
c'était le cas dans les anaphores précédentes, de faire le passage à
l'institution. Basile fait entrer l'institution dans l'anamnèse tout
carrément et celle-ci tâche de se raccrocher au POST-SANCTUS:

« Il nous a laissé ce grand mystère de piété:


allant être consigné à la mort ... »

dit la rédaction alexandrine;


la byzantine dit:
« Il nous laissé comme mémorial de sa passion salutaire
ce que nuus t'avons présenté selon ses propres ordonnances,
car lorsqu'il s'en allait à sa mort ... ».

L'anamnèse qui va suivre sera très brève et tout à fait syn-


thétique; la voici:
« Faisant donc mémoire, Maître, nous aussi
de ses souffrances salutaires,
de sa résurrec tion des morts,
de son retour aux cieux,
de sa session à ta droite Dieu et Père,
et de son avènement glorieux et redoutable,
t'offrant ce qui est à toi ... ».

Il y a quelque chose de maladroit dans la répétition des mêmes


choses dans le POST-SANCTUS et dans l'anamnèse, même si elles sont
dites dans un sens différent: dans le POST-SANCTUS elles sont i'énu~

5' a.c., p. 284.


60 a.c., p. 287.
50 MIGUEL ARRANZ

mération des merveilles de J'économie, dans l'anamnèse c'est l'exécu-


tion de la volonté du Christ de faire son mémorial. Nous ne voulons
pas insister sur cet aspect des anaphores de type basilien, car cela
dépasse notre thème, mais on serait tenté de voir dans l'anamnèse
basilienne un apport plus tardif, quelque chose de plus. Nous pen-
sons à l'embolisme festif de Hanukah et de Pourim introduit chez
les juifs précisément entre la seconde et la troisième bénédiction
du rite de la table. Nous renvoyons volontiers à notre cher maître
L. Ligier 81 auquel nous devons maintes idées de notre travail.
L'anaphore du VIII~ livre des Constitutions des Apôtres mérite
une étude à part. L. Bouyer le fait de façon plus que satisfaisante
dans son Eucharistie 62. Il n'est pas sûr que cette anaphore soit un
texte mort et qu'elle n'ait jamais servi. Elle est dans la ligne, si
elle n'est aussi le modèle, de l'anaphore de Basile et d'autres ana-
phores que nous allons voir dans ce chapitre. Elle n'est pas compo-
sée comme celle de Basile en partant de textes bibliques précis,
mais d'un développement théologique des mêmes idées, allant de la
création comme œuvre conjointe du Père et du Fils, en passant par
la préhistoire du salut sans presque parler du péché, par la récon-
ciliation de l'humanité comme suite de l'incarnation du Christ, par
la vie, doctrine et miracles du Christ comme révélation du Père,
finissant par la mort, résurrection et ascension non tant comme
événements efficaces pour le salut mais plutôt comme heureuse
conclusion de l'économie. Voici le texte du POST-SANCTUS d'après A.
Hamman 63. Les textes grec et latin dans Prex Eucharistica 64.
« Saint es tu le très-saint, le très-haut, exalté éternellement!
Saint est aussi ton fils unique NS et Dieu Je
qui t'as secondé toi son Dieu et Père en toutes choses
das la création et conduite du monde.
Il n'a pas méprisé le genre humain qui sc perdait,
mais après la loi naturelle, J'exhortation de la Loi,
les blâmes des prophètes, les miss,ions des anges
(lorsque les hommes violèrent la loi naturelle comme la loi écrite)
et oublièrent le déluge, la conflagration de Sodome,
les plaies d'Egypte et les défaites essuyées par les Palestiniens,
sur ton avis il choisit. lui le créateur de l'homme
de devenir homme, '

61 L. LIGIER, De la Cène de Jésu.s à l'anaphore de l'Eglise, dans: La Maison-


Dieu 87 (1966). pp. 30·32.
6l a.c., p. 245.

6.1 a.c., p. 70.

64 a.c., p. 90.
DANS LE « POST-SANCTUS» DE TYPE ANTIOCHÉEN 51

le législateur, de se soumettre à la loi,


le pontife, de devenir victime, le pasteur, brebis.
Il t'apaisa toi son Dieu et Père, te réconcilia avec le monde
et délivra tous les hommes de la colère qui les menaçait.
Né d'une vierge, le Dieu Verbe s'est fait chair,
le Fils bien-aimé est devenu le premier né de toute créature.
Selon ses propres prophéties qui le concernaient,
il est issu de la race de David et d'Abraham, de la tribu de Juda.
Il est né du sein d'une vierge,
lui l'auteur de tout ce qui naît;
il a pris chair, l'ui l'incorporel,
il est né dans le temps, lui qui est engendré de toute éternité.
Il vécut dans la sainteté et enseigna avec autorité;
il délivra les hommes de toute maladie et de toute infirmité;
Î'l fit dans le peuple beaucoup de miracles et de prodiges;
il prit nourriture, boisson et du sommeil;
il rassasia tout vivant à plaisir;
il manifesta ton nom à ceux qui ne le connaissaient pas;
il mit en fuite l'ignorance, suscita la piété,
accomplit ta volonté,
acheva l'œuvre que tu lui as donnée à faire.
Quand il eut réalisé toutes ces actions,
il fut trahi par celui qui était tenaillé par la malice;
il tomba entre les mains des impies,
injustement appelés prètres et pontifes,
et de la populace inique;
il subit maints sévices, souffrit toutes sortes d'ignominies,
avec ta permission;
il fut livré au procureur Pilate;
le Juge fut jugé, le Sauveur condamné,
cloué à la croix, lui qui ne pouvait souffrir;
il mourut, lui dont la nature était immortelle;
l'auteur de la vie fut enseveli pour délivrer de la souffrance
et arracher à la mort ceux pour qui il était venu,
pour rompre les chaînes du diable
et libérer les hommes de sa méchanceté.
Il ressuscita des morts le troisième jour,
et demeura avec ses disciples pendant quarante jours,
puis fut enlevé au ciel
et s'en alla siéger à ta droite, son Dieu et Père».

Dans cette merveilleuse abondance on ne peut pas parler de


prolixité: tout est bâti sur un schéma rigoureux et même concis,
nous rappelant de près celui de Basile, c'est à dire de Hebr 1. Il
faut remarquer cependant que l'apaisement du Père, sa réconciliation
avec le monde et la délivrance des hommes de la colère dans cette
anaphore sont faites dès avant l'incarnation du Fils, elles dépendent
52 MIGUEL ARRANZ

du choix du Fils de devenir homme. Encore une fois on parlera


d'accomplissement de la volonté du Père et achèvement de l'œuvre
donnée à faire par celui-ci à l'occasion de la révélation que le Christ
fait au nom du Père. Seule la sépulture, parmi les événements fi-
naux, semble être la cause de la victoire sur la souffrance, sur la
morte et sur le diable.
Après cette prière POST-SANCTUS, commence l'anamnèse:

«Nous souvenant de ce qu'il a souffert pour nous,


nous te rendons grâces ... )),

l'institution étant absorbée dans cette anamnèse, qui cependant


s'ouvre par une nouvelle action de grâces, qui pourrait n'être que
la conclusion de la prière POST-SANCTUS; il est dans la tradition
juive de finir les prières par une doxologie qui résume le tout.
Trois anaphores antiochéennes, mais de provenance plus ou
moins alexandrine, justement comme la rédaction plus courte de
Basile et comme aussi une arménienne, vont suivre le schéma du
POST-SANCTUS inspiré par Hebr 1.
L'anaphore alexandrine de Grégoire de Nazianze en usage chez
les coptes et dont le texte grec et latin se trouve dans Renaudot 65
et dans Prex Eucharistica 66, dans la prière avant le SANCTUS emploie
la première personne du pluriel, mais dans le POST-SANCTUS passe à la
première du singulier:
« Tu m'as fait homme ... tu m'as produit ...
Tu as tout mis sous mes pieds ...
Tu m'as formé et tu as mis la main sur moi
Tu as dessiné en moi l'image de ton pouvoir ...
Tu m'as donné le don de raison
Tu as ouvert le paradis ...
as donné l'enseignement de ta connaissance,
Tu m'as montré l'arbre de la vie ...
Tu m'avais dit, de lui seul, de ne pas manger
et j'en ai mangé ...
j'ai volé la sentence de mort.
Mais toi ô Seigneur as changé ma pumtIon,
Tu as couru comme un bon berger derrière l'égaré,
Tu as compati comme un bon père,
me donnant tous les remèdes pour ne pas mourir.
Tu m'as envoyé les prophètes
et pour moi malade, tu as donné la loi en aide ...

M D.c.) vol. I, p. 92.


66 D.c., p. 360.
DANS LE « POST~SANCTVS » DE TYPE ANTIOCHÉEN 53

Tu t'es levé lumière pour les égarés .. .


Tu es venu dans le sein d'une vierge .. .
Etant Dieu infini, tu n'as pas tenu avidement ton égalité avec Dieu ...
Tu t'es anéanti ...
Tu as béni ma nature en toi, tu as accompli la loi à cause de moi,
Tu m'as suggéré comment me relever de la chute.
Tu as donné la délivrance à ceux que l'enfer retenait,
Tu as enlevé la malédiction de la loi,
Tu as détruit dans ta chair le péché,
Tu m'as démontré l'autorité de ton pouvoir.
Tu as restitué la vue aux aveugles,
Tu as ressuscité les morts des tombeaux,
Tu as soulevé la nature par ta seule parole,
Tu m'as ouvert la dispensation (oikonomian) de ta clémence,
Tu as supporté la violence des méchants,
Tu as donné ton dos aux fouets,
Tu n'as pas écarté ta face des coups
ni à cause de moi ton visage des crachats.
Tu es venu à l'immolation comme une brebis,
Tu as pris soin de moi jusqu'à la croix,
Tu as mortifié mon péché avec la sépulture,
Tu as élevé au ciel le principe de moi~même,
Tu m'as fait connaître la parousie de ton arrivée,
lorsque tu viendras juger les vivants et les morts
et donner à chacun selon ses œuvres.
De cette liberté (libération) à moi accordée,
Je te présente les symboles
et en parole je fixe tes actions.
Tu m'as donné cette participation mystérieuse
à ta chair dans le pain, à ton sang dans le vin.
La nuit où tu te donnas ... ».

On pourra trouver long, ce texte réthorique; cette façon de par~


1er à la première personne finit par agacer, il s'agit bien sûr de
l'humanité s'adressant directement au Christ, et en cela on peut
justifier l'originalité de la trouvaille. Il reste cependant que son
contenu théologique est valablè et tout à fait dans la ligne de vouloir
tout dire avec le moins de paroles. Rien n'est de trop. L'économie
ici est explicitée au début de la passion, partie déjà trop développée.
L'anaphore syrienne attribuée à Saint Timothée patriarche d'Ale~
xandrie, dont le manuscrit du VIIP siècle est édité par Rücker
dans Anaphorae Syriacae 67 et que nous pouvons trouver aussi en Latin
dans Renaudot 60 et dans Prex Euc1'laristica 69, suit le même schéma

61 D.c., vol. l, p. 17.


611 D.c., vol. II, p. 321.
69 D.c., p. 277.
54 MIGUEL ARRANZ

des précédentes anaphores, mais elle s'arrête moins aux épisodes de


la vie du Christ pour insister davantage sur le développement théo-
logique. On trouve des réminiscences bibliques de Gal 4 et Phil 2;
on redonne aussi à la mort une efficacité mise un peu en sourdine
dans les anaphores précédentes:

{( . .. C'est toi qui as eu pitié de notre genre (humain)


et nous as envoyé ton Fils unique NSJC,
sauveur, illuminateuT, bienfaiteur, libérateur de nos âmes
et de nos corps,
qui dès les temps anciens avait annoncé par les prophètes
qu'il habiterait parmi nous.
Il vint à la fin des jours et prit notre humanité sur lui,
étant Verbe, il se fit chair sans changements ...
mais du Saint Esprit et de la Vierge ". il fut conçu
avec un corps qui avait une âme ...
en tout assimilé à nous
sauf pour le péché .. , (même chose)
(quelques lignes à but didactique)
Dieu Verbe incarné nous apparut, habita parmi les hommes,
établit la terre et la sanctifia, dompta les vagues de la mer,
se fit reconnaître par ses œuvres,
se manifesta dans la puissance,
vainquint les passions des hommes, dissolva la transgression des lois,
fit voir l'homme qui, d'abord avait été vaincu,
invincible à la fin,
détruisit par son corps mortel celle qui avait triomphé,
par sa mort il restitua la gloire à l'homme
qui en avait été privé.
Lui, qui bien qu'il fût dans la condition de Dieu,
n'a pas retenu avidement son égalité avec Dieu,
mais s'est anéanti lui-même en prenant la condition d'esclave:
Il mourut volontairement, étant cette mort pour tous les hommes,
mais il ressuscita comme Fils unique et véritable
à cause de la gloire qu'il avait depuis l'éternité
auprès de toi Dieu le Père.
Lequel la nuit où il était trahi ... }).

Une anaphore arménienne, celle dite de Isaac ou du Catholicos


Sahag et que nous présente A. Raes dans Prex Eucharistica 70, re-
prend le schéma complet de Basile, c'est à dire, celui qui commence
par la création de l'homme. La vie du Christ est réduite à une ampli-
fication de la théologie de la parfaite divinité-humanité du Christ
comme base de l'économie; la résurrection et la vie immortelle ne

70 D.c., p. 333.
DANS LE ({ POST-SANCTUS» DE TYPE ANTIOCHÉEN 55

sont que la conséquence de la parfaite union entre les deux natures.


On omet toute allusion à la révélation faite par le Christ et à ses
miracles.
«Saint ... qui as fait l'homme pour l'incorruptibilité ...
le chassant du paradis à cause de sa désobéissance ...
de nouveau tu l'as reçu ...
par les entrailles de ta miséricorde ...
le dirigeant par la promulgation de la loi ...
tu cs apparu aux hommes de manière invisible
à mesure qu'augmentait la prévarication
tu multipliais ta bonté de toujours:
tu as sanctifié les justes ...
tu as donné des lois ...
tu as envoyé des anges ... des prophètes ...
par lesquels tu préannonçais ce que serait le salut du monde.
Quand la plénitude des temps est arrivée ."
(suit une description du péché du monde)
tu as envoyé ton Fils pour renouveler la créature en la visitant,
lequel ". pour le salut de l'univers
prit le commencement de l'économie de la vierge
prenant de par sa volonté
et faisant sienne la chair reçue d'elle '"
le Verbe du ciel se fit horrune
en tout semblable à nous ... hors le péché,
pour pouvoir vivifier intégralement
le corps avec l'âme et l'intelligence
du pécheur en le recréant.
Car comme le premier Adam s'était rendu étranger
de la grâce de Dieu en tout,
ainsi le second, uni au Verbe de Dieu,
se montra en tout avec son Père,
et avec son corps il a tout expérimenté pour nous:
la faim, la soif, la mort,
la résurrection, la vie et l'immortalité,
qu'il a données au genre humain.
Car il a brisé la violence de l'enfer
et à tous les croyants
et à tous ceux qui connaissent la vérité
il a procuré des armes pour le soumettre sans peur,
donnant cet invincible présent mystère.
Car la nuit '" ».

Ici l'anamnèse est suggeree par le POST-SANCTUS lui-même en éli-


minant le hyatus entre POST-SANCTUS et institution-anamnèse p"ropre
aux anaphores de type basilien. La théologie de l'Homme-Dieu, pro-
lixe en apparence, est largement justifiée, puisqu'on prétend expli-
quer par elle le pourquoi et le comment de l'économie. Ce qui est
56 MIGUEL ARRANZ

plus, l'économie réalisée par le Christ par son incarnation, est mise
dans les mains des croyants par l'eucharistie, qui devient l'instru-
ment de lutte, l'arme, dans notre combat avec l'enfer.
Voici finalement une anaphore syra-égyptienne comme celle de
Timothée d'Alexandrie, mais où les idées se concentrent davantage
autour du noyau de Hebr. 1; elle est attribuée soit à Sévère d'Antioche
soit au même Timothée d'Alexandrie. Le texte syriaque est dans
Anaphorae Syriacae 71 au début du 1er volume, après l'autre de Ti-
mothée; il est aussi en latin dans Renaudot 72 et dans Prex Eu-
charistica 73:
« ..• Qui pourrait contempler la profondeur
de ton amour pour les hommes?
lorsque nous étions coupables
de la transgression de ton commandement,
il te plut que le Verbe de Dieu,
Fils unique et splendeur de la gloire,
fût le dispensateur de notre salut.
Par ton bon plaisir et par son propre conseil
entreprenant pour nous l'économie (rndabronuto)
il s'est incarné de la ... vierge .. ,
sanctifié par la descente du Saint Esprit,
conçu, âme, intelligence, assimilé à tout Adam.
Lequel, ayant accompli J'économie,
comme prémices il a fait pour nous son ascension au ciel »,

Et on passe à l'anamnèse:

«( Lequel nous laissant en mémorial sa passion et sa croix salutaire

lui, le médecin de nos maux, s'offrit soi-même


en oblation à toi Dieu et Père,
il prit le pain ... ».

Le POST-SANCTUS finit par l'ascension, celle du Christ probable-


ment (quoique ne soit pas exclue complètement d'après le syriaque
l'élévation de la nature humaine), et cependant la mention de la
passion a été renvoyée à l'institution. Nulle mention de la résurrec-
tion ni dans les paroles « Chaque fois que vous mangez ... » ni dans
l'anamnèse proprement dite. Seule la parousie est rappelée dans
celle-ci. Comme dans les anaphores de Gal 4 et de Jo 3 l'économie
semble se po1ariser sur l'incarnation.

71 a.c., vol. l, p. 65.


n a.c., vol. II, p. 321.
?l a.c.. p. 282.
DANS LE « POST-SANCTUS» DE TYPE ANTIOCHÉEN 57

CONCLUSION

Notre travail ne prétendait pas arriver à une conclusion. Notre


but était de faire une description plus ou moins approfondie des
quelques 30 anaphores parmi la centaine de celles que nous pou-
vons classer comme «anaphores de type antiochéen »: celles qui
précisément nous étaient les plus accessibles.
Le mot {( économie» ou « dispensation », traduit du grec oikono-
mia et du syrien mdabronuto, revenait comme un leit-motiv de cette
partie de l'anaphore comprise entre le SANCTUS et l'institution-anam-
nèse, étant repris parfois d'ailleurs par ces deux parties dépendantes
de la première. Il nous semble que cette économie peut se résumer
en trois textes du NT:
a) Dieu envoie son Fils formé d'une femme de Gal 4,4;
b) Dieu aime le monde au point de lui donner son Fils de
Jo 3,16;
c) Dieu parle par son Fils, qui nous purifie et s'assied de
nouveau à sa droite de Hebr 1.
Nous pensons d'ailleurs pouvoir affirmer que chacun de ces thè-
mes a inspiré une des trois grandes anaphores les plus célèbres en
Orient: celle de Jacques, 12 Apôtres ou Chrysostome et Basile respec-
tivement; Galates en Jacques, Jean en Chrysostome, Hébreux en
Basile. Autour de ces trois grandes anaphores, sans parti pris d'avance,
mais après analyse, nous voyons se regrouper plus ou moins fidéle-
ment toutes les autres anaphores.
Si nous osons faire un pas en avant, nous pouvons voir une
certaine corrélation entre le thème de Hebr et les anaphores d'ori-
gine ou de dénomination égyptiennes. Etant admis que Jacques est
une anaphore hiérosolymitaine, et 12 Apôtres-Chrysostome une sy-
rienne, pourrions-nous attribuer une géographie aux trois différen-
tes traditions et suggérer Jérusalem pour le thème de l'épître aux
Galates, Antioche pour celui de l'évangile de Jean et Alexandrie p'our
ce1ui de l'épître aux HébrelL"'{? Je n'apporte pas assez de preuves
pour risquer une telle affirmation et je m'abstiens de la faire.

Miguel ARRANZ
OIKONOMIA

Le mot « économie» nous est aujourd'hui familier, car les problè-


mes économiques sont à l'ordre du jour, à l'Est comme à l'Ouest:
c'est l'économie qui comn1ande la politique. Le mot prend même
parfois un sens un peu sordide: quand on parle de «faire des éco-
nomies », on évoque l'image d'une vie de restrictions et de gêne qui
n'est pas loin de la pauvreté. Comment un mot aussi terre-à-terre
peut-il être associé au mystère du salut? C'est la condition de notre
langage humain, qui est fait d'images empruntées au monde matériel
dans lequel nous vivons. Le fait n'a donc rien d'étonnant en lui-même;
mais ce qu'on peut se demander, c'est comment ce mot a pénétré
dans la langue religieuse et quel sens il y a pris. Tel est le problème
que je voudrais aborder rapidement pour introduire cette session 1.
Le mot otXOIJOI-lOç n'appartient pas au plus ancien fonds de la
langue grecque. Il apparaît pour la première fois chez Eschyle (Aga-
mennon, 155) dans un sens figuré: la colère (Il'ij'l'Ç) y est présentée
comme «une économe rusée qui a bonne mémoire »; le mot n'est
évidemment pas une création d'Eschyle. Cependant le terme ne de-
vient courant qu'avec Platon et Xénophon. Il en est de même du
verbe dénominatif obtov0l-léCù et du nom o~XOVOI-l((X. Xénophon a con-
sacré un traité à l'art de l'économie. C'est un dialogue entre Socrate
et un certain Aristobule. Ce dernier le définit: « l'art de bien admi-
nistrer sa maison ». Et Socrate ajoute: « et celle d'autrui ». Car l'éco-
nome peut être distinct du maître de la maison. De par son étymo-
logie, le mot et ses dérivés se rattachent à l'administration d'un do-
maine familial; mais ils seront appliqués plus tard à des institutions
plus importantes, et on trouve dans les inscriptions le titre d'éco-
nome donné à certains fonctionnaires. On reste cependant dans le
domaine de l'administration et de la finance. Ce n'est que tardive-
ment que le mot O~XOIJOfJ.((X est appliqué par les rhéteurs à la bonne
disposition d'une œuvre littéraire.

Dans la Septante il est souvent question d'économes, le terme


désignant certains fonctionnaires, tels Somna (Shebna), économe

IOn trouvera une bibliographie du sujet dans R. BRI\UN, Deus Christianorum.


Recherches sur le vocabulaire théologique de Tertullien, Paris 1962, p. 160.
60 BERNARD BOTTE

du Temple (Isaïe 22, 19-21) qui est menacé de perdre sa charge d'éco-
nome (o~xov0tLl<X.). Quant au verbe obw'JOflfw, il vient dans le Ps 112,
5, dans un passage assez obscur: « le juste disposera (otxO'JO[J.1j(J!;:~)
ses paroles (j,oroue;) avec jugement». Le latin a suivi littéralement:
disponet sernzones suas in iudicio. Mais s'agit-il bien de paroles?
L'hébreu emploie dabar qui a un sens assez vague de « chose» et
ÀOyoC; signifie aussi ({ compte» en grec. On pourrait donc comprendre:
<: il règlera ses comptes avec justice Qu'il y ait ou non contresens
)J.

en ce passage, on peut dire d'une manière générale que la Septante


n'a aucun emploi qui sorte de la langue commune.

Il n'en est plus de même dans le Nouveau Testament, où nous


trouvons cependant encore le sens primitif. Ainsi dans la parabole
de l'économe injuste (Luc 16, 1-8). Il s'agit bien de l'intendant
(OLXO\lOfl.Oç) d'une propriété rurale, qui doit rendre compte de sa
gestion (dxo'Jofl.[(X) et qui désormais ne pourra plus gérer (o~xo\lofl.dv)
l'exploitation. C'est une histoire banale, dont il faut tirer une leçon
morale qui a fait le tourment de bien des prédicateurs. Peut-être
y a-t-il à l'arrière plan l'idée que l'homme n'est pas le propriétaire,
mais le gérant des biens que Dieu lui a donnés, et qu'il doit en faire
bon usage. Cependant on reste dans le don1aine économique, car la
conclusion est une invitation à faire bon usage des biens matériels
par l'aumône.
Il n'en est pas de même dans Luc 12, 41-46. Dans les versets qui
précèdent, il y a la parabole des serviteurs qui attendent leur maître
sans savoir à quelle heure il viendra (12, 35-38), puis celle du maître
de maison qui veille dans l'attente du voleur (12, 39-40). Alors Pierre
demande à Jésus: ({ Maître, est-ce pour nous que tu dis cela ou pour
tous?». Et Jésus répond: ({ Qui est l'économe fidèle, intelligent, que
le maître établira sur toute sa domesticité pour donner à temps la
ration de blé? Heureux ce serviteur que le maître, à son arrivée, trou-
vera agissant ainsi. En vérité je vous le dis, il l'établira sur tous ses
biens. Mais si le serviteur dit en son cœur: Mon maître tarde à venir,
et qu'il se mette à frapper les serviteurs et les servantes, à manger,
à boire et à s'enivrer, le maître de ce serviteur viendra un jour où il
ne l'attend pas et à une heure qu'il ignore, il le frappera et lui fera
partager le sort des infidèles ». On est passé ici du sens littéral à un
sens figuré, de la parabole à l'allégorie. Jésus répond ici à la question
de saint Pierre. Il est évident que la nouvelle parabole ne s'adresse
plus à tout le monde, mais à des hommes qui ont une responsabilité.
D'autre part, il ne s'agit p]us de biens matériels, mais de la foi dans
le retour du Maître. L'allégorie est accentuée par l'opposition entre
les deux adjectifs du début et de la fin: fidèle (mrr't'6ç) et infidèle
(&.7nO'Toç). Il ne s'agit plus de l'honnêteté dans la gestion des biens,
OIKONOMIA 61

mais de l'attachement personnel au Maître. Tout le contexte indique


que l'avertissement s'adresse aux apôtres, qui devront maintenir dans
la communauté l'ordre ct la vigilance dans l'attente du Maître qui
tarde à venir.
Que l'apôtre soit un (c économe », c'est aussi l'idée de saint Paul
dans l Cor. 4, 1, à propos des dissensions dans la communauté. Se
diviser en partisans de Paul, d'Apallas ou de Cephas n'a aucun sens,
car tous appartiennent au Christ. « Ainsi, continue saint Paul, qu'on
nous considère comme des serviteurs et des "économes" des mystè-
res de Dieu. Ainsi donc, ce qu'on recherche chez les économes, c'est
d'être trouvés fidèles». Et plus loin, défendant l'authenticité de son
apostolat, il déclare que c'est pour lui une nécessité de prêcher la
bonne nouvelle. « Car, dit-il, si je le fais de ma propre volonté, j'ai
ma récompense; mais si je le fais malgré lTIoi, c'est que l'économie
m'a été confiée 1) (1 Cor. 9, 7). Tout le contexte indique que cette
économie est la transmission de la bonne nouvelle. Plus tard (Tite
1, 17), saint Paul écrira que l'évêque doit être irréprochable en tant
qu'économe de Dieu.
Dans l Pierre 4, 10, la métaphore est appliquée à tous les cha-
rismatiques: ({ Que chacun, suivant le charisme qu'il a reçu, le mette
au service les uns des autres, comme de bons économes de la grâce
variée de Dieu».
Nous avons donc là un premier sens figuré, avec une valeur reli-
gieuse: l'homme (apôtre, évêque, charismatique) n'est qu'un économe
des biens spirituels que Dieu a disposés pour le bénefice de tous.
Mais voici un sens nouveau, qui apparaît dans les épîtres aux
Ephésiens et aux Colossiens. Ces textes devraient être longuement
commentés, mais je dois me borner à l'essentiel. Dans la grande doxo-
logie de Eph. 1, 3-4, l'apôtre bénit Dieu pour la grâce qu'il nous a
faite en nous prédestinant dès la fondation du monde, et il explique
le but que Dieu a voulu atteindre: ({ Afin de nous faire connaître le
mystère de sa volonté, suivant le bon plaisir qu'il s'est proposé en
lui, en vue de l'économie de la plénitude des temps, de récapituler
toutes choses dans le Christ, celles qui sont au ciel et celles qui sont
sur terre ». Il y revient plus loin (3, 2-10), en ouvrant une parenthèse
qu'il négligera de fermer: {{ Si du moins vous avez entendu l'écono-
mie de Dieu, qui m'a été donnée pour vous. Car, par révélation, il
m'a été donné de connaître le mystère, comme je l'ai déjà écrit en
peu de mots. A cela vous pouvez comprendre, en lisant, mon intelli-
gence dans le mystère du Christ, lequel (mystère), en d'autres géné-
rations, n'a pas été donné à connaître aux fils des hommes, comme
maintenant il a été révélé aux apôtres et prophètes: que les nations
participent à l'héritage et au corps et à la promesse ». Et après avoir
62 BERNARD BOTTE

rappelé que cela s'est fait par l'évangile dont il est le serviteur, il
ajoute: « A moi il a été donné cette grâce d'annoncer aux nations la
bonne nouvelle des richesses insondables du Christ, et de mettre en
lumière quelle est l'économie du mystère caché depuis des siècles en
Dieu qui a créé toutes choses, afin de faire connaître maintenant
aux principautés et aux puissances, par le moyen de l'Eglise, la mul-
tiple sagesse de Dieu »).
Je ne puis faire ici un commentaire détaillé de ces textes, et il
faut me borner à quelques remarques essentielles. Tout d'abord, l'éco-
nomie n'est plus la fonction d'un serviteur. Elle a été révélée à l'apô-
tre, mais c'est une disposition de Dieu lui-même. Ensuite, il y a un
rapport étroit entre l'économie et le mystère. Ils concernent tous
deux la même réalité, mais sous deux aspects différents. Le mystère
n'appartient pas au temps, mais à l'éternité: il est caché en Dieu
depuis les siècles. Nous avons la confirmation dans un passage paral-
lèle de Col. 1, 26: « Le mystère qui est caché depuis les siècles et les
générations ). L'économie, au contraire, apparaît dans le temps: c'est
l'économie de la plénitude des temps. On pense au résumé de la pré-
dication de Jésus dans Marc (l, 15): «Le temps est accompli et le
royaume de Dieu est proche ». De même dans Gal. 4, 4: ({ Quand
est venue la plenitude des temps, Dieu a envoyé son Fils »). Cependant,
si elle commence dans le temps, l'économie est orientée vers l'avenir.
Elle a pour fin la réconciliation de toutes choses dans le Christ.
Elle se continue dans l'Eglise et elle a une portée cosmique: ({ afin
de faire connaître aux principautés et aux puissances, par l'Eglise, la
multiple sagesse de Dieu ). En résumé on peut dire que l'économie
est la réalisation dans le temps du plan éternel de Dieu de tout
récapituler dans le Christ. C'est toute l'œuvre du Fils de Dieu incarné.
Comme nous aurons affaire dans la suite à des textes latins et
syriaques, il n'est pas inutile de signaler ici les traductions des
versions bibliques du groupe OLXOVOtLOç. En latin, ce groupe n'a pas
été latinisé, comme c'est souvent le cas chez les chrétiens. Dans le
sens littéral, par ex. Rom. 16, 23, le personnage nommé Eraste porte
le titre de arcarius [civitatis]; et dans la parabole de Luc 16, on
trouve le groupe villicus, villicare, villicatio. Mais dans Luc 12, 42-47
(au sens figuré), c'est le groupe dispensare, dispensator, dispensatio.
Cependant cc dernier mot est parfois remplacé par dispositio. En
syriaque, OLXOVOtLOç est régulièrement traduit par rabbaythâ et en
Luc 16, 2 oI:xo\lo(1.([.( est rendu par rabbaytuthâ; mais partout ailleurs
c'est mdabrânutâ, dérivé de la racine DER qui évoque l'idée de di-
rection.
Abordons maintenant l'emploi du vocabulaire économique chez
les anciens Pères.
OIKONOMIA 63

Si l'on met à part deux passages de l'Epître à Diognète (4, 5 et


7, 1), où O~XOVO/-Ltc( a un sens assez vague, saint Ignace est le seul
des Pères apostoliques qui fasse usage du mot. Il vient quatre fois
dans ses lettres. Deux fois pour désigner le ministère. Ainsi Eph. 6,
1: {( Tout homme que le maître de la maison envoie pour sa propre
"économie", il faut le recevoir ainsi », Il s'agit dans le contexte de
l'obéissance à l'évêque. De même Pol. 6, 1: « Les évêques, prêtres et
diacres doivent être considérés comme des "économes" de Dieu »,
Mais dans les deux autres passages, l'éconOlnie désigne la réalisation
du plan de Dieu. Ainsi dans Eph. 18, 2: «Notre Dieu Jésus-Christ a
été porté dans le sein de Marie suivant l'économie de Dieu ». De
même Eph. 20, 2, où saint Ignace promet d'écrire un livre: ({ Je
montrerai l'économie que nous avons commencée en vue de l'homme
nouveau, Jésus-Christ, dans sa foi et son amour, dans sa Passion et
sa résurrection ». Malheureusement, nous n'avons aucune trace de ce
traité et nous ignorons même s'il a jamais été écrit. Notons seule-
ment que l'économie est mise en rapport avec la naissance, la mort
et la résurrection de Jésus.
Dans le Dialogue avec Tryphol'l de saint Justin, l'économie appa-
raît en onze passages différents. En 87, 5, il parle de l'économie du
Verbe qui s'est faite parmi les hommes. Dans trois autres cas (45,
4; 103, 3; 120, 1), le terme est mis en relation avec la naissance du
Christ, et dans quatre autres (30, 3; 31, 1; 67, 6; 103, 3), il s'agit
de la croix ou de la Passion. Cependant, dans les trois passages qui
restent, le mot est prononcé à l'occasion d'un fait de l'Ancien Testa-
ment: l'histoire de Jonas (107, 3), le mariage de Jacob (134, 2) et
l'épisode d'Urie (141, 4). De plus, en 134, 2, Justin énonce le principe
qu'il appliquera ensuite au mariage de Jacob: «Comme je l'ai déjà
dit, certaines "économies" de grands mystères s'accomplissaient en
de telles actions. Car dans les noces de Jacob s'accomplissait une
économie et une prédiction )). Il y a donc là un élargissement du
sens à l'Ancien Testament mais on remarquera aussi qu'ils ne sont
signalés que pour leur valeur prophétique. Notons enfin l'emploi du
pluriel: {< des économies », que nous rencontrerons encore plus loin.

C'est avec saint Irénée que l'idée de l'économie acquiert son


plein développement. On a compté quelques 120 emplois dans l'Adver-
sus haereses 2. Il faut noter cependant qu'un tiers provient de textes

2 Pour les citations de saint Irénée, je donne les références aux chapitres de
l'édition de Massuet, reproduite dans P.G. 7 et, entre parenthèses, l'indication
du tome et de la page dans celle de Harvey. Sur l'emploi d'économie chez saint
Irénée, voir A. BENOîT, Saint Irénée, introduction à l'étude de sa théologie, Paris
1960, p. 219·227.
64 BERNARD BOTTE

qui exposent des doctrines gnostiques 3, D'autre part, il ya une diffi-


culté tcc1mique à préciser le nombre d'emplois, parce qu'une grande
partie de l'œuvre n'est conservée que dans une version latine. Or le
traducteur use de deux mots: dispensatio et dispositio. Mais ce der-
nier mot ne répond pas toujours à ob<.tNo!J.La; il sert parfois à traduire
7tp(XY!1-&"n:~:x ou a~cx-3-~x."I), qui paraissent être des quasi-synonymes pour
Irénée.
Il faut évidemlTICnt mettre à part les textes qui exposent les
doctrines des gnostiques. Ceux-ci emploient parfois le terme d'éco-
nomie à propos de la constitution du plérôme. Cela n'a pas de sens
pour saint Irénée. Pour lui, il n'y a qu'un seul Dieu, créateur de
toutes choses, qui a décidé de tout récapituler dans le Christ. On
peut dire que les deux pôles de sa théologie sont l'économie et la
récapitulation. Voici un témoignage caractéristique, en Adv. haer. III,
16,6 (II, 87), qui veut résumer la tradition de l'Eglise: "Unus Christus
dominus noster, veniens per universam dispositionem, omnia in se-
metipsum recapitulans». L'allusion claire à Eph. 1, 10 (recapi-
tulans = 4,'1IXXEqJCI},ix.LW'I) garantit que dispositio répond bien ici a
olxo'lo!-'-ta.
Et voici un autre passage, conservé à la fois en grec et en latin.
C'est aussi un développement du symbole de foi. On est arrivé à la
troisième partie, qui concerne l'Esprit-Saint: ({ ... et en l'Esprit-Saint,
qui a proclamé par les prophètes les économies, les venues, la nais-
sance de la Vierge, la Passion, la résurrection d'entre les morts,
l'ascension au ciel du bien-aimé notre Seigneur dans la chair, et sa
venue du ciel dans la gloire du Père pour récapituler toutes choses
et ressusciter toute chair». Le latin donne deux variantes: disposi-
liones Dei, ce complément étant omis dans le grec; et, au lieu du
pluriel ÈÀEUO"ELÇ", il a le singulier adventun1. Le pluriel est la leçon la
plus difficile et il convient de la garder, mais on n'en voit pas très
bien le sens. On a proposé d'y voir les deux venues du Christ, l'une
par l'incarnation, l'autre par la parousie; mais je ne sais pas si cela
convient très bien au contexte. Quoi qu'il en soit de ce détail, le
reste du texte est clair. Le terme d'économie est rattaché à toute
l'action du Verbe incarné, depuis sa venue sur terre jusqu'à sa
parousie. On remarque ici l'emploi du pluriel (les économies), attesté
aussi bien par le grec que par le latin. On retrouve ailleurs ce
flottement entre le singulier et le pluriel chez Irénée. Il n'y a pour-
tant aucune différence de sens. Si l'on compare les deux textes que
nous avons cités, il est clair que l'universa dispositio de l'un et les
dispensationes de l'autre recouvrent exactement les mêmes réalités .

.3 Sur l'économie dans la gnose valentinienne, voir le lexique donné par F.M.
SAGNARD, La gnose valentinienne, Paris 1947, p. 649.
OIKONOMIA 65

Notons encore que, comme Justin, Irénée attribue aussi à l'écono-


mie certains faits de l'Ancien Testament, en leur donnant une va-
leur prophétique. Ainsi IV, 31, 1 (II, 252) pour le mariage de Lot
(Gen. 19, 14), qui symbolise j'unité d'origine des deux « synagogues ».

Avec Tertullien, on voit apparaître un sens nouveau, qui n'aura


d'ailleurs qu'une existence très courte. Jusqu'à présent, du moins
dans la grande Eglise, l'économie ne s'appliquait qu'à des disposi-
tions divines qui concernaient le salut des hommes. Or voilà que
chez Tertullien on voit apparaître œconomia appliqué au mystère
de la Trinité, c'est à dire au problème de l'origine des personnes
divines 4. Le seul antécédent connu est Tatien (Adv. Grœcos 5,1): pour
expliquer la distinction entre le Père et le Fils, il note la différence
entre une distinction par coupure (&7tOX.01t"~) et une distinction par
partage (!-LEPLcrI-L0Ç), cette dernière étant une distinction d'économie
(oLxovo!-LLocç ÔLocLpe:()"LÇ). Peut-être aussi Tertullien a-t-il été influencé
par les gnostiques qui faisaient intervenir l'économie dans la consti-
tution du plérôme. Quoi qu'il en soit, il a voulu introduire le terme
d'économie dans la théologie trinitaire: l'économie « unÏtatem in tri-
nitate disponit ». Tertullien n'est cependant pas un isolé. Son con-
temporain Hippolyte, dans son Contra Noetum, fait le même usage
de l'économie. Il y a donc eu, au UP siècle, un courant théologique
qui voulut introduire la notion d'économie dans la théologie trinitaire.
C'est ce qu'on a appelé le monothéisme organique 5. Mais ce courant
s'arrêta là. Après Tertullien et Hyppolite, le terme d'économie ne
fut plus employé dans la théologie trinitaire. Ce n'est donc là qu'un
accident de parcours dans l'histoire du mot.

A partir du Ive siècle, l'emploi de o~XOVO!-Ltoc devient de plus en


plus fréquent, en des sens d'ailleurs divers: profanes, philosophiques
ou religieux. Je n'ai pas à faire ici un article de dictionnaire. Je
voudrais m'arrêter à un sens qui est devenu technique dans l'usage
des chrétiens de langue grecque. Suicerus, dans son Thesaurus, le
définit: « Ipsa Christi Èvoc'l-S-p6:l7tl')mç sive naturre humanre assum-
tio, utilissime ob(,OVO!-LLOC vocatur» 6. Il donne alors deux longues co-
lonnes de citations, en signalant les épithètes qui accompagnent sou-
vent cet emploi: e:vcrocpxoç, XOC'TOC crapxoc, etc. Mais à la colonne sui-
vante, il ajoute un nouveau sens: « Tandem O~XOVOfÛOC non tantum

4 Sur cette question, voir R. BRAUN, cité dans la note 1.


5 L'expression est de G.L. PRESTIGE, Dieu dans la pensée patristique, Paris
1955, p. 98·108.
6 J.C.S. SUICERUS, Thesaurus ecclesiasticus e patribus Grœcis, Amsterdam
1738, t. II, c. 458.
66 BERNARD BOTTE

incarnationern, sed etiam totius rederntionis mysterium et passionis


Christi sacramentum denotat ».
Cette présentation répond-el1e à la réalité des faits? C'est une
question de point de vue. Suicerus s'adapte au point de vue de théo-
logiens. Le l11ystère de l'incarnation et celui de la rédemption sont
deux mystères différents. Le premier pose le problème de la manière
dont une personne divine peut se faire homme; le second pose le
problème de la réconciliation de l'homme avec Dieu. De là la tendance
des théologiens à classer les textes d'après l'usage qu'ils en font.
Ainsi la naissance du Christ relève du mystère de l'incarnation, tandis
que sa mort relève du 111ystère de la rédemption. Mais c'est là une
vue de l'esprit, et on ne peut en conclure que la même expression
{( économie selon la chair» signifie tantôt l'incarnation et tantôt la
rédemption. Elle désigne une même réalité concrète: toute l'action du
Fils de Dieu fait hon1me qui, par sa vie et sa mort, a réconcilié
l'homme avec Dieu. La meilleure définition nous est donnée par
saint Athanase dans son cOlnmentaire du Psaume 67, 25. Il com-
mente le mot 7tOpELaç (gressus, étapes): ({ Ces étapes, dit-il, ce sont
toutes les actions faites dans l'économie ('TcX.ç Èv O~XOVO!ûq: 7tpcX.~ElC;
YEvol-lbaç)l. Et il énumère ensuite la naissance du Christ, ses miracles,
sa mort, sa résurrection, son ascension. De même saint Basile (dans
sa lettre 83) explique que Jésus n'a pas voulu être appelé Christ
avant sa mort: (( Son intention était que, ayant accompli l'économie,
après sa résurrection des morts et son ascension au ciel, il leur
(aux apôtres) ordonnerait de prêcher que Jésus est le Christ» 8. On
ne peut s'empêcher de rapprocher ces paroles «ayant accompli
l'économie» (Tf,v oixo'Jol-l(.:Xv 'TEÀE~(0craç) de celles de Jésus dans sa
prière sacerdotale (Jean 17, 4): {( Je t'ai glorifié sur terre, ayant
accompli ('Tû,€:~walXç) l'œuvre que tu m'as donné à faire )). C'est bien
cela l'économie: l'œuvre que le Verbe incarné a accomplie suivant
le plan établi par le Père.

Voyons maintenant quels sont les rapports entre l'économie


ainsi entendue et la liturgie chrétienne. Prenons pour point de dé-
part un passage d'une des plus anciennes anaphores orientales, celle
des apôtres Addaï et Mari, dans le rite syrien oriental. ({ Et nous
aussi, Seigneur, tes serviteurs fragiles, faibles et infirmes, qui som-
mes réunis en ton nom et nous tenons devant toi, nous avons reçu
aussi suivant la tradition l'exemple qui vient de toi, nous réjouissant,
glorifiant, exaltant, commémorant et célébrant ce mystère grand,

'P.G. 27, 360 .


• P.G. 32, 252.
OIKONOMIA 67

redoutable, saint, vivifiant et divin, de la Passion, la mort, la sépul-


ture et la résurrection de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ...
. . . Et pour toute cette économie, grande ct admirable envers nous,
nous te louons et glorifions sans cesse» 9.
Cette anaphore a été composée en syriaque, suivant toute proba-
bilité, et elle ne semble pas avoir eu de modèle grec. Mais l'équi-
valence des deux termes qui nous intéressent: mystère et économie,
est certaine. Il importe de remarquer ce parallélisme, que nous trou-
vons déjà dans saint Paul. La pièce que nous citons a tous les carac-
tères d'une anamnèse. Le début se rattache, au moins logiquement,
à un récit de l'institution propre aux Syriens, qui se terminait par
les mots: «Vous ferez cela chaque fois que vous serez réunis en mon
nom». L'intention du rédacteur est évidemment de donner le sens
de l'assemblée eucharistique. Elle est présentée comme la célébra-
tion du mystère de la Passion, de la mort, de la sépulture et de la
résurrection du Christ. Mais dans la dernière phrase, il est question
de l'économie. J'ai omis l'épic1èse, qui est hors de sa place dans le
texte actuel, comme l'a montré le Professeur Ratc1iff 10. La grande
économie ne peut se rapporter qu'aux événements salvifiques énu-
mérés plus haut: ils font partie de l'économie.
Puisque nous sommes en présence d'une anamnèse, c'est dans
l'histoire de cette pièce que nous avons chance de trouver des
précisions sur le rapport entre la liturgie et l'économie 11.
L'anamnèse eucharistique apparaît comme un développement du
récit de l'institution, spécialement du récit paulinien. Elle se présente
sous deux formes. La première se rattache aux paroles de Jésus:
« Faites ceci en mémoire de moi» (1 Cor. 11, 24-25), par un mot de
même racine que &.vocfLv"1Jme:; tels !.I.EfLvEfLévo~, memores. C'est la tradition
syrienne et romaine. La deuxième forme fait la liaison avec le verbe
« annoncer» (oc'Ja.yyéÀÀCù) de 1 Cor. 11, 26. C'est la tradition alp--
xandrine. La ({ mémoire» des paroles du Seigneur a pour objet la
personne du Seigneur, sans détermination: cc en mémoire de moi)}
(de:; TIJ'J l:!.I.·~v OCVcX.fLV1JCHV). L'annonce dont parle saint Paul est celle de
la mort du Seigneur. Le premier développement des textes liturgi-
ques vis à vis des textes bibliques est l'addition de la résurrection.
Toutes les anciennes anaphores, depuis celle d'Hyppolyte, font mé-

9 Je reproduis la traduction que j'ai donnée dans Problèmes de l'anaplwre


des apôtres Addaï et Mari, «Orient Syrien» 10 (1965), p. 92-93.
10 E.C. RATCLIFF, The original form of t1œ anaphora uf Adda'i and Mari,
dans «Journal of Theological Studies» 30 (1929), p. 23-32.
11 J'ai abordé le problème dans la communication que j'ai faite à la pre-
mière Semaine de Saint Serge en 1953 ct qui a été publiée sous le titre Problè-
mes de l'anamnèse, dans «Journal of Ecclesiastical History» 5 (1954), p. 16-24.
68 BERNARD BOTTE
~------------~== ~~-------------

moire de la mort (ou de la Passion) et de la résurrection. La mort


et la résurrection sont inséparables dans la prédication chrétienne.
La mort sur la croix marque Je point culminant de l'économie, mais
ce n'est pas le point final. Ce serait d'ailleurs fausser la pensée de
saint Paul et mutiler son texte que de ne voiT dans son eucharistie
autre chose que l'évocation de la mort du Christ. Il ne dit pas:
« Annoncez la mort du Seigneur », mais: {( Annoncez la mort du
Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne ». C'est la mémoire du Christ qui,
par sa Passion, est entré dans la gloire et dont la venue est l'espé-
rance des chrétiens.
Une seconde étape du développement sera le détail de ce qui
sépare la mort du Christ de la parousie. Elle se fera progressivement.
Dans le Canon cité par saint Ambroise (De sacramentis IV, 6, 27),
on voit apparaltre l'ascension. Dans l'anaphore d'Addaï et Mari que
nous avons citée, la sépulture et la résurrection. Enfin est venue
s'ajouter la session à la droite du Père. Ceci est caractéristique des
anaphores orientales.
Une troisième phase du développement, plus tardive et moins
générale, concerne ce qui a précédé la mort de Jésus. Certains ma-
nuscrits du Canon ronlain intercalent une mention de la nativité:
(( Vnde et memores ... tam (venerandœ nativitatis quam) beatre pas-
sionis » 12. De même l'anaphore de Timothée d'Alexandrie. Celle de
Grégoire de Nazianze parle de toute l'économie, de la conception,
de la nativité.
Peut-on expliquer l'origine et le sens de ces développements?
On a parlé de l'influence de l'année liturgique. Il y a là un certain
parallélisme - nous y reviendrons - mais ce n'est pas une expli-
cation. La session à la droite du Père et la parousie n'ont jamais
fait l'objet d'une fête liturgique. Ce qui, au contraire, saute aux
yeux, c'est le parallélislne avec la partie christologique des symboles
de foi. Chaque article de cette partie du symbole a son équivalent
dans les anamnèses. Cela explique le comment, mais non le pourquoi.
Les rédacteurs des anaphores se sont inspirés des formules du Credo.
Mais pourquoi ont-ils éprouvé le besoin d'insérer à cet endroit pré-
cis une profession de foi christologique? N'est-ce pas parce qu'ils
ont pris conscience que la célébration eucharistique est celle de toute
l'économie? La mort sur la croix est au centre de cette économie.
C'est à la fois un point d'arrivée et un point de départ. C'est un
point d'arrivée, parce que ce n'est pas un événement imprévu. C'est
pour cela que le Christ est venu. C'est le suprême témoignage de

12 Cf. B. BOTIE, Le canon de la messe romaine, Louvain 1935, p.4O (dans l'appa-
rat) et 63.
OIKONOMIA 69

son obéissance: {c Il s'est fait obéissant jusqu'à la mort, et à la


mort de la croix ». Mais son obéissance a commencé avec l'incarna-
tion. D'autre part, c'est un point de départ, parce que c'est le prin-
cipe de sa gloire: « C'est pourquoi Dieu l'a élevé, et lui a donné
un nom qui est au dessus de tout nom ». La croix est le centre d'une
économie unique. On peut, par la pensée, en distinguer les moments
divers; on ne peut les séparer. Ce sont les étapes d'un seul et même
itinéraire; et en célébrant la mort du Christ, c'est toute l'économie
que l'on célèbre, c'est le mystère du Christ dans sa totalité.
Nous avons fait allusion tantôt au développement de l'année litur-
gique. Je ne crois pas, comme je l'ai dit, que ce développement ait
eu une influence sur celui de l'anamnèse. Il faut reconnaître cepen-
dant qu'il y a une analogie. L'année liturgique a mis progressivement
en lumière les différents aspects de l'économie. A l'origine, il n'y a
eu que la célébration de la nuit pascale. Puis, on a étalé les événements
de Pâques sur trois jours, et on a fêté le jour de l'ascension au qua-
rantième jour après Pâques. D'autre part, on a éprouvé le besoin de
célébrer l'apparition du Sauveur sous différents forn1es: naissance
du Christ, baptêlllc, miracle de Cana. Ainsi, année par année, on a
voulu rappeler les étapes de l'économie dans des fêtes particulières.
L'année liturgique est donc, elle aussi, dans un autre sens, une célé-
bration de l'économie.

On peut se demander ici quelle est la part de l'Ancien Testament


dans ces célébrations. Les anciennes liturgies ont fait large part aux
lectures et aux chants de l'Ancien Testament. Mais il est bien évident
aussi que l'objet propre de la liturgie chrétienne, c'est l'économie
de la plénitude des temps, qui commence avec l'incarnation du Fils
de Dieu. L'histoire de l'Ancien Testament a préparé cette venue et,
dans un certain sens, on peut parler d'une économie de l'Ancien
Testament. Mais elle n'est pas célébrée pour elle-même. La liturgie
chrétienne ne célèbre pas la sortie d'Egypte ni le passage de la Mer
rouge. Ces faits n'ont de valeur que dans la mesure où ils sont la
figure des réalités à venir. Ils apparaissent, si l'on peut dire, en
transparence à travers les réalités chrétiennes. Ou ils sont cités
comme prologue à la venue du Christ, comme c'est le cas dans cer-
taines anaphores orientales, telles les deux qui portent le nom de
saint Basile; mais ils ne sont pas célébrés de la même manière que
l'économie du Nouveau Testament.

Je n'ai pas eu d'autre intention que de situer cette notion d'éco-


nomie, qui n'a pas - ou qui n'avait pas - d'équivalent dans la théo-
logie occidentale, et de montrer la lumière qu'elle peut jeter pour
notre intelligence de la liturgie et même pour notre conception du
70 ----
BERNARD BOTTE

christianisn1e. Je n'ai pas à tirer de conclusions proprement dites.


Qu'on me permette seulement d'ajouter quelques réflexions person-
nelles, qui sont peut-être discutables et que je soumets à votre ju-
gement.
II me semble que la liturgie, en tant que célébration de l'écono-
mie, a utilen1ent servi de contrepoids - j'aillais dire de contre poi-
son - à la théologie.
En quittant le monde sémitique où il est né, le christianisme
est entré en contact avec l'hellénisme. Les premiers apologistes ont
cru trouver une préparation dans la philosophie grecque, et ils ont
adopté son langage. Cela n'a pas eu d'influence profonde sur la
liturgie. Les anciennes prières liturgiques ne sont pas des prières
de philosophes, mais de croyants nourris de l'Ecriture. Il n'en a pas
été de même dans la théologie. Pour résoudre les problèmes qui se
posaient, on eut recours à des concepts philosophiques et à la ri-
gueur de l'esprit hellénique. On considère d'assez haut aujourd'hui
toutes ces discussions autour du concile de Nicée, et on serait tenté
d'y voir un verbiage de savants sans intérêt pour le peuple chrétien.
N'allons pas trop vite. Il s'agissait d'une problème qui intéressait
au plus haut point le peuple chrétien. La question était de savoir si
le Christ n'était qu'un homme admirable qu'il fallait imiter, ou aussi
le Fils de Dieu fait homme qu'on devait adorer. Les réactions de la
piété populaire contre la théologie savante des ariens ont d'ailleurs
largement contribué à la victoire de Nicée. Il n'est donc pas question
de mettre en cause l'emploi d'une méthode philosophique dans la
discussion théologique. Il n'en est pas moins vrai que cela présente
un certain danger: on risque de présenter le christianisme comme un
système, parmi d'autres, de vérités abstraites qui s'enchaînent logi-
quement. Et à mesure que la théologie progresse et qu'on est d'accord
sur l'essentiel, la discussion se porte sur des disputes d'école, de plus
en plus subtiles, qui intéressent de moins en moins de monde. On
arrive ainsi à une théologie qui n'est plus « prédicable» et qui ne peut
plus être accessible au peuple chrétien. Telle m'apparut la théolo-
gie au moment où j'en abordai l'étude, il y a un demi-siècle. Un
prêtre, qui avait pâli pendant quatre ans sur des manuels rédigés
par des hommes compétents, se trouvait complètement démuni quand
il montait en chaire. Quant à l'Ecriture, elle était transformée en un
arsenal d'arguments contre ou pour une thèse. Aussi, il y a quelques
années, des théologiens catholiques se sont demandé s'il ne fallait
pas ren1placer, ou du moins doubler, la théologie traditionnelle par
une théologie kérygmatique basée sur l'Ecriture et la doctrine des
Pères. Je n'ai pas à prendre position sur ce problème; mais je me
demande si, par le passé, la liturgie n'a pas joué ce rôle de correctif
vis à vis de la théologie spéculative. Elle a gardé au christianisme
OIKONOMIA 71
~----------------~

son réalisme vis à vis de l'idéalisme hérité de l'esprit grec. C'est la


liturgie qui a maintenu la cohésion dans le christianisme, même par
delà les divisions confessionnelles. Parce que les diverses liturgies
s'alimentent aux mêmes sources bibliques, parce que toutes, avec des
formules peut-être discutables, elles poursuivent le même but essen-
tiel: nous faire communier à l'économie réalisée par le Christ, qui
est venu rassembler un peuple nouveau, et cela par des signes qu'il
a lui-même institués: le baptême et l'eucharistie. La liturgie est par
elle-même un appel à l'union.

***

Nous rejOIgnons ainsi la pensée du fondateur de ces Semaines,


le regretté Père Cyprien Kern. Je me rappel1e le jour où il m'exposa
son idée dans sa chambre de Saint-Serge, devant une tasse de café
turc qu'il m'avait préparée lui-même. Il n'aimait guère fréquenter les
réunions œcuméniques de l'époque. On achoppait toujours aux mê-
mes problèmes et on avait l'impression de tourner en rond. Sans
nier l'utilité de telles réunions, il se demandait s'il n'y avait pas une
autre manière d'aborder le problème: au lieu de partir de ce qui
divise, partir de ce qui rapproche, et la liturgie lui paraissait un
terrain propice. Un retour aux sources serait profitable à tout le
monde. Chacun pouvait approfondir sa propre tradition et prendre
une meilleure connaissance des autres traditions. Ce serait pour tous
un enrichissement. Je crois que son attente n'a pas été déçue et ceux
qui ont pris part à ces sessions depuis 1953 ne me contrediront pas.
Souhaitons que la présente session soit un nouvel enrichissement
et nous donne une meilleure intelligence de ce qu'est la liturgie
chrétienne, de ce qu'elle a été et de ce qu'elle doit être. Pour
qu'elle soit un facteur d'union, il faut qu'elle reste fidèle à l'essentiel
de la tradition. Depuis le concile de Vatican II, on pourrait croire
que le Saint Esprit, trop longtemps contenu comme Eole dans son
outre, s'est mis tout à coup à souffler en tempête et qu'il va tout
renverser. Souvenons-nous cependant de l'expérience du prophète
Elie (dans III Rois 19,11): non in commotione Dominus, le Seigneur
n'était pas dans le tremblement de terre. La réforme liturgique dans
le rite romain a suscité des mouvement divers. On peut la critiquer
et personne ne nous oblige à la trouver parfaite. Malheureuselnent
on ne s'arrête pas là, et nous avons assisté à l'efflorescence de nou-
velles liturgies, chacun se livrant à son inspiration personnelle et à
sa propre théologie. Tel curé, qui n'a de sa vie fait un sermon
convenable, sc sent un charisme pour composer des anaphores et
inflige à son auditoire son insupportable bavardage. On risque de
72 BERNARD BOTTE

voir la liturgie s'appauvrir, se vider de sa substance, et perdre tout


contact avec la tradition. On s'achemine vers la Tour de Babel plutôt
que vers la Jérusalem céleste. Quels que soient les défauts de la ré·
forme romaine, elle a le mérite d'avoir été entreprise avec le souci
pastoral d'adaptation, mais aussi avec le sens de la tradition authen·
tique. Il y a des richesses qu'on ne peut pas laisser se perdre. Avant
tout, son inspiration biblique, mais aussi certaines orientations fon-
danlentales qui nous rapprochent. Le sujet qui a été choisi pour
cette session d'études nous permettra de mieux comprendre ces
orientations, parce qu'avec l'économie du salut, nous sommes au
cœur de la liturgie chrétienne.

Bernard BOTTE
APERÇU DE LA THÉOLOGIE DES MYSTÈRES ET DE L'ANAMNÈSE
CHEZ LUTHER, CALVIN ET LEURS SUCCESSEURS IMMÉDIATS

REMARQUES PRÉLIMINAIRES

MUcrTI)pLO\l: Chez Saint Paul ce tenue signifie, pour reprendre l'ex-


pression de Claude Tremontant 1, « ce qui est tellement riche de con-
tenu intelligible, tellement inépuisable pour la délectation de l'esprit,
que la contemplation n'en atteindra jamais le fond, qu'elle en jouira
éternellement» 2, De son côté Karl Barth dans le tome de sa dog-
matique consacré au baptême donne la définition suivante: ({ un
fait d'histoire qui devient événement au sein du monde spatial et
temporel, en ce sens que, parce que seul Dieu en est directement
l'auteur. .. ». En règle générale, (qLU(JT~pLOV indique une forme de la vo-
lonté positive de Dieu ... Le Nouveau Testament parle de "mystère"
exclusivement à propos de l'action et de la révélation de Dieu dans
l'histoire)} 3.
JAvafJ.V1)O"Lç: 'az·kariih 4. Ces termes bibliques que nous traduisons
par mémorial, désignent un élément essentiel du culte de l'Ancien
Testament COmme de celui du Nouveau. Pour les Israélites le mé-
morial est une ({ réactuation» du passé, une réactualisation. Ce n'est
pas seulement un exercice de mémoire, ni surtout un aide-mémoire
ou un vague souvenir: en lui présent et passé se confondent, le
passé est ({ re-présenté» ou rendu présent, ou mieux le croyant de-
vient contemporain de l'événement commémoré.
Cette notion de détemporalisation, de transtemporel ou supra-
temporel est devenue au cours du Moyen Age regrettablement étran-
gère à notre mentalité occidentale. Cela explique bon nombre des

1 Essai sur la pensée hébraïque, Paris 1953, p. 135.


2 Dans les LXX lJ,v(J"",llQ,.~\I rend les tennes de sôd: secret, confidence; razah:
secret (sans sens cultuel). Dans les textes de Qurnrân sôd et razah signifient
0: révélation, puissance, sagesse, gloire de Dieu» (sans sens cultuel).

J rV,4, Genève 1969, p. lBs.

4 Le terme anamnesis et ses dérivés traduisent dans les LXX les termes de
la famille zkr.
74 JEAN DE VIlA TTEVILLE

controverses qui déchirèrent l'Eglise à l'époque de la Réforme, car


comme nous allons le voir les théologiens du XVIème siècle eurent
beaucoup de peine à ne pas confondre répétition, réitération et re-
présentation, en particulier lorsqu'ils se sont penchés sur la doctrine
eucharistique.

***

Nous examinerons tout d'abord la doctrine de Luther puis celle


de Calvin, pour aborder dans une troisième partie, après avoir dit
quelques mots des successeurs de Luther 5, un certain nombre de
textes de théologiens calviniens trop peu connus.

THÉOLOGIE DES MYSTÈRES ET DE L'ANAMNÈSE CHEZ LUTHER

1. QU'EST-CE QUE LE MYSTÈRE POUR LUTHER

Dans son commentaire à l'Epitre du Troisième dimanche de


l'Avent 6, Luther parlant des administrateurs des mystères de Dieu:
o~xo'J6!-Louc;; !-LucrTI')p[(ù'J 0EOU, déclare que mystère signifie: secretum,
eyn geheymniss. Il ajoute:
« Quels sont les mysteria de Dieu? Rien d'autre que le Christ lui-
même, c'est à dire la foi et l'Evangile émanés du Christ... les vérités
contenues dans le symbole ... les biens qui sont prêchés par Christ
dans l'Evangile, ct que seule la foi saisit et conserve ... tous ces biens
que l'on doit prêcher comme venant du Christ... C'est dans les
mystères de Dieu, poursuit-il, que résident la paix ct le Salut» '.

Dans son traité De la captivité babylonienne de l'Eglise 8, Luther


cite le même texte à propos du mariage et souligne que:
« L'Ecriture tout entière ignore la signification que confère notre
usage au terme de sacrement: elle lui donne une signification
opposée. Partout, en effet, elle désigne par là non le signe d'une
chose sainte mais la chose sainte, secrète et cachée elle-même.
Ainsi Paul - Il Corinthiens III! - "Que chacun nous considère

\ Nous citerons Luther principalement d'après Martin Lutller Oeuvres (MLO),


Genève 1957 55.
6 MLO X, p. 135.

1 lb., p. 13855.

S MLO II, p. 2325.


CHEZ LUTHER, CALVIN ET LEURS SUCCESSEURS 75

comme les ministres de Christ et les dispensateurs des mystères


de Dieu" c'est à dire des sacrements. Car là où nous avons sacreM
ment, l'on se sert en grec, du terme de mystère )).

Plus loin Luther relève que Saint Paul dans l Timothée 3,16 9
appelle le Christ luiMmême sacrement, puisque par {( sacrement et
mystère, Paul entend la sagesse mystérieuse de l'Esprit elleMmême,
comme il le dit dans 1 Corinthiens II. Christ est cette sagesse».
{( C'est pourquoi, ajoute Luther 10, le sacrement est un mystère et
une chose secrète qui est annoncée par des paroles mais qui est
saisie par la foi du cœur». {( Ainsi, ditMil encore 11, Christ et l'Eglise
sont un mystère ».
En résumé nous pouvons dire que pour Luther tout sacrement
est un mystère, mais que tout mystère n'est pas un sacrement. Pour
qu'un mystère soit un sacrement il faut: « l'institution et la pro-
messe divine qui font l'intégrité du sacrement» 12. Reprenant dans
son Grand Catéchisme 13, à propos du baptême, la formule de Saint
Augustin, Luther déclare: {( accedat verbwn ad eZementum et fit
sacramentum 14, c'est à dire: que la parole se joigne à l'élément ou
substance naturelle, et celà fait un sacrement, autrement dit, une
chose et un signe saints et divins ». Dans le même ouvrage au chaM
pitre consacré au sacrement de J'autel 15, il cite le même texte de
Saint Augustin en soulignant que c'est en effet: «la Parole qui fait
ce sacrement et qui le distingue, de telle sorte qu'il n'est pas simple M
ment et qu'il n'est pas appelé simplement du pain et du vin, mais
le corps et le sang du Christ ».
En bref, nous pouvons dire que pour Luther le mystère par
excellence c'est le Christ, puisqu'Il est l'accomplissement et la révé M
lation du grand dessein rédempteur de Dieu; nos sacrements sont
les signes qui par l'action de la Parole nous transmettent ce mystère,
ils sont les occasions de célébrer le mystère du Christ.
Ceci dit, voyons quelques textes qui précisent bien ce qu'est la
théologie eucharistique de Luther; nous les grouperons sous six

• MLO II, p. 2335.


10 lb., p. 234.

Il lb., p. 234.
11 lb., p. 234.

Il MLO VII, p. 125.

1\ Ev. 1ul1. Tr. 84.3; MIGNE, PL XXXV, col. 1840.

15 MLO VII, p. 135.


76 JEAN DE WATTEVILLE

rubriques: présence réelle, éfficacité, préparation à l'eucharistie, les


questions de dignité, l'anamnèse et le sacrifice eucharistique.

II. ASPECTS PARTICULIERS

1) La Présence réelle

La foi de Luther en la présence réelle ne fait aucun doute, comme


le montre par exemple l'anecdote du Colloque de Marbourg. A cette
réunion organisée par le prince de Hesse en 1529 pour essayer d'établir
un front commun entre les différents réformateurs, Martin Luther
afin d'être sûr de résister aux sollicitations des Zwingliens avait
écrit devant lui: Hoc est corpus meum. Un an plus tôt dans son
Traité de la Cène du Christ 16 écrit pour attaquer les doctrines de
ceux qu'il appelle les visionnaires, spécialement Zwingli qu'il nomme
« satan », Luther avait déjà proclamé avec force sa foi en la pré-
sence réelle et déclaré que le Christ n'ayant dit des mensonges
« même l'esprit visionnaire doit reconnaître que le Christ a donné
son corps dans la Sainte Cène ».
En ce qui concerne le mode de présence, rejetant la transsub-
stantiation, Luther soutient la théorie de l'impanation, sous l'influence,
semble-t-il, de Pierre d'Ailly, cardinal de Cambrai. Dans sa Captivité
babylonienne de l'Eglise il exprime clairement sa pensée:

« Je crois fermement, non seulement que le corps de Christ est


dans le pain, mais que le pain est corps de Christ... pour que le vrai
corps et le vrai sang se trouvent dans le sacrement, il n'est pas
nécessaire que le pain et le vin soient transsubstanciés, à telle
enseigne que Christ soit contenu sous les accidents. Mais le pain
et le vin demeurent et c'est en toute vérité qu'il est dit: ce pain
est mon corps, ce vin est mon sang et inversement» 17.

Le Grand Catéchisme déclare de son côté:


{( C'est dans et sous le pain et le vin, le vrai corps et le vrai
sang du Seigneur Christ, que la parole du Christ nOliS ordonne, à
nous chrétiens, de manger et de boire» 18.

16MLO VI, p. 13,29.


17MLO II, p. 181.
Il MLO VII, p. 136. Cf. aussi l'article X de la Confession d'Augsbourg:
(( Quant à la Sainte Cène du Seigneur, nous enseignons que le vrai corps et le
vrai sang du Christ sont véritablement présents, distribués et reçus dans la
Cène sous les espèces du pain et du vin". Traduction, Editions Luthériennes
Paris-Strasbourg, Lib. Oberlin, 1948, p. 27.
CHEZ LUTHER, CALVIN ET LEURS SUCCESSEURS 77

C'est peut-être l'article 6 de la troisième partie des Articles de


Smalkalde qui expose le mieux la doctrine luthérienne de la con-
substantiation 19:

«Quant à la transsubstantiation, nous ne tenons aucun compte


des subtilités des sophistes qui enseignent que le pain et le vin
quittent ou perdent leur substance naturelle et qu'il ne subsiste
que la forme et la couleur du pain, et non du vrai pain. Car ce qui
s'accorde le mieux avec l'Ecriture, c'est de dire que le pain est et
demeure présent, ainsi que Saint Paul lui-même le désigne: "Le pain
que nous rompons" ~).

En somme Luther veut simplement maintenir et souligner la


tension que présente le texte biblique en appuyant sur le fait que
d'après les paroles du Christ, il y a dans l'Eucharistie à la fois le
corps et le sang du Seigneur et du pain et du vin.

2) Efficacité de l'Eucharistie

Un texte du Grand Catéchisme 20 suffira à montrer à quel point


l'Eucharistie est utile aux yeux de Luther:

«Nous nous rendons au Sacrement afin d'y recevoir ce trésor


par lequel et dans lequel nous obtenons la rémission des péchés ...
si le Chdst m'enjoint de manger et de boire, c'est pour que ce
trésor soit mien et me soit utile comme un gage et un signe certains,
bien plus, comme le bien même qui a été donné, pour moi, contre
mon péché, la mort et tous les malheurs)}.

Plus loin 21, s'élevant contre les erreurs de ses adversaires, Luther
ajoute:

«C'est pourquoi ce sont aussi de vaines paroles, quand ils


disent que ce n'est pas dans la sainte cène que le corps et le sang
du Christ ont été donnés et répandus pour nous, et que, pour cette
raison, on ne peut avoir, dans le Sacrement, la rémission des
péchés ».

En un mot pour Luther comme pour Saint Ignace d'Antioche,


l'Eucharistie est un pharmacon.

19 MLO VII, p. 250.


20 lb., p. 137.
li lb., p. 138.
78 JEAN DE WATTEVILLE

3) Préparation à l'Eucharistie
Pour bénificier de ces fruits de la Cène il faut une préparation.
Comme le montre la suite du Grand Catéchisme 22, celui qui croit
aux paroles sacramentelles obtient ce qu'elles expriment: la rémission
des péchés qui est offerte et pronlise ne peut être reçue que par la
foi. Cette foi,

« le Christ lui même J'exige dans cette parole, en disant "donné


pour vous" et "répandu pour vous", comme s'il disait: "Je donne
cela et vous enjojns de manger et de boire, afin que VOliS vous
l'appropriiez et que vous le goûtiez". Celui qui fait bon accueil à
ces paroles et qui croit qu'elles sont vraies possède cc qu'elles
expriment ... C'est là toute la préparation chrétienne, pour recevoir
dignement ce sacrement ».

Toutefois Luther relève également que « jeûner et prier, etc.,


celà peut, sans doute, être une préparation extérieure ... )} qui peut
être utile pour préparer notre corps à recevoir avec respect, comme
il convient, le corps et le sang du Christ.

4) Les questions de dignité


Il ressort logiquement de ce que nous venons de voir que nul
croyant ne peut s'abstenir de la Communion. Le Grand Catéchisme,
s'élevant contre les erreurs des anabaptistes, tence vertement ceux
qui ont tendance à se tenir à l'écart de l'autel. Citant Saint Hilaire:
« si un homme n'a pas péché de telle sorte qu'il mérite d'être exclu
de l'Eglise et regardé comme lm païen, il ne doit pas se priver du
Sacrement» Luther ajoute 23:

« Notre Sacrement n'est pas fondé sur notre dignité. En effet,


nous ne nous faisons pas baptiser en tant que nous sommes dignes
et saints, nous n'allons pas non plus nous confesser comme si nous
étions purs et sans péché, mais, tout au contraire, en tant qu'hommes
pauvres, misérables, et précisément parce que nous sommes in·
dignes )).

Aussi celui qui désire obtenir la grâce et le pardon doit venir


« de lui·même » prendre part à la Sainte Cène. Mais cela est difficile
à faire, reconnaît Luther, et il conclut par cette magnifique formule:

IIlb., p. 139, 145ss.


"lb., p. 143.
CHEZ LUTHER, CALVIN ET LEURS SUCCESSEURS 79

« que nous regardons plus à


l'obstacle qui nous arrête, c'est le fait
nous-mêmes qu'à la Parole et à l'ordre du Christ ».
Si l'indignité du communiant, pourvu que ce dernier croit, n'est
pas un obstacle, l'indignité du célébrant n'en est pas un non plus
comme l'indique le traité De la Cène du Christ 24.:

« Je considère et confesse de la même façon le sacrement de


l'autel dans lequel le corps ct le sang sont véritablement mangés
et bus de bouche dans le pain et dans le vin, même si les prêtres
qui les offrent et ceux qui les reçoivent ne croyaient pas ou en
mésusaient d'une autre façon ).

5) La théologie de l'anamnèse
Si Calvin s'est particulièrement intéressé aux liens unissant la
Cène et le Sacrifice de la Croix, au point de consacrer à ce sujet
une part importante de son catéchisme, il semble par contre que
Luther ne se soit guère préoccupé de la question. Non seulement
son Petit Catéchisme ne s'y arrête pas mais également ce livre du
maître que constitue le Grand Catéchisme. Cela mérite d'être relevé.
Luther aborde pourtant le sujet dans son traité De l'abus de la Messe:

« Le Christ s'est offert lui même une fois, il ne veut plus être
offert par aucun autre, il veut qu'on fasse mémoire de Son sacrifice.
Comment êtes vous donc assez téméraires pour faire de la mémoire
un sacrifice? ... Puisque vous faites ainsi de la mémoire de Son
sacrifice un sacrifice et que vous l'immolez encore une fois, pourquoi
ne faites vous donc pas de la mémoire de Sa naissance une autre
naissance, de sorte qu'Il naisse encore une fois? .. Renouvelez donc
toutes les œuvres du Christ en en faisant mémoire ».

Ce texte est significatif et montre que Luther n'a guère compris


toute la portée du terme &\laf.Lv1jmç que comporte le récit de l'insti-
tution de la Cène. Pour lui le faire mémoire loin de recouvrir l'idée
vétérotestamentaire d"azekiiriih n'évoque, semble-t-il, que l'idée de sou-
venir, d'exercice de mémoire, ou pour le moins une notion passive
du mémorial 2s •

24MLQ VI, p. 181.


2SCf. aussi Exhortation au sacremenl du corps et du sang du Christ, 1530,
Edition de Weimar (W) 30, II. 612,655 .. Traduction Th. SUss dans: L'aspect sacrifi-
ciel de la Sainte Cène à la lumière de la tradition luthérienne (Lex Orandi 46),
p. 164.
80 JEAN DE WATTEVILLE

6) Le Sacrifice eucharistique
La notion de sacrifice eucharistique est étroitement liée à celle
d'anamnèse puisqu'elle relève essentiellement des rapports unissant
la Cène et la Croix. On répète volontiers que les réformateurs ont
radicalement rejeté l'idée que l'Eucharistie pouvait être un rite sacri-
ficiel; malgré le peu de place que tient la notion d'anamnèse dans
la théologie de Luther, cette affirmation est pour le moins un peu
rapide en ce qui concerne notre auteur 26.
Dans les Articles de Smalkalde, par exemple, texte où résumant sa
pensée il parle abondamment de la messe 27, Luther attaque les hono-
raires de messe et les trafiques qu'elles entraînent; il dénonce dans
la messe une œuvre à prétention de mérité; il rejette son caractère
expiatoire; il s'élève contre la célébration de la messe à l'intention
de vivants ou de morts, contre les messes sans communion; mais,
comme dans ses Catéchismes, il ne traite ni de l'anamnèse, ni des
rapports unissant la Cène et le Sacrifice de la Croix.
Pour autant Luther ne dénie pas tout caractère sacrificiel à la
Sainte Cène. Voilà par exemple ce qu'il dit au cours de l'été 1520
dans son Sermon sur le Nouveau Testament, c'est-à-dire, sur la Sainte
Messe 28:
«Nous devons employer le mot sacrifice avec prudence et ne
pas nous imaginer que dans le sacrement nous donnons quelque
chose à Dieu, alors que c'est lui qui nous y donne toutes choses.
Qu'est-ce que nous devons sacrifier? nous-mêmes et tout ce que
nous avons ... en plus nous devons Lui offrir en sacrifice, louanges
et action de grâces ... Ces prières, louanges, actions de grâces, et ce
sacrifice par lequel nous nous sacrifions nous·mêmes, nous ne
devons pas les porter par nous·mêmes devant les yeux de Dieu, mais
les poser sur le Christ et les faire offrir par Lui ... ».

Et Luther poursuit:
« Ce n'est pas nous qui offrons le Christ, mais c'est le Christ
qui nous offre. Et dans ce sens on peut accepter, il est même utile
de nommer la messe un sacrifice, non à cause d'elle-même mais
parce que nous nous offrons en sacrifice avec Christ... Il nous porte
nous-mêmes, notre prière et notre louange devant Dieu... Il se
donne aussi Lui-même pour nous dans le Ciel. Si on appelait la
messe un sacrifice de cette manière là et si on l'entendait dans ce

26 Cf. p.e. Th. Stiss, op. cit., p. 15155.


21 MLO VII, p. 19255.
U W. 6,368,155. Traduction Th. SUss, op. dt., p. 1595.
CHEZ LUTHER, CALVIN ET LEURS SUCCESSEURS 81

sens, ce serait certainement bien; non pour dire que nous offrons
le sacrement, mais que, par notre louange, notre prière, notre sacri-
fice nous incitons et déterminons le Christ à se donner Lui-même
pour nous en sacrifice dans le cie] et nous avec Lui» 29.

Cette dernière formule mérite d'être soulignée. Ainsi en 1520,


l'Eucharistie nous est présentée, au travers de ce sermon, comme
étant agissante, incitant et même déterminant le Christ à se sacri-
fier pour et avec nous.

7) En résumé, nous avons vu que Luther nous présente l'Eucharistie


comme étant

le sacrement qui permet de célébrer le Mystère du Christ;


la présence réelle du corps et du sang du Christ par consub-
stantion;
une force active, un pharmacon;
une acte sacrificiel, pour le moins dans une certaine mesure.
Il est seulement regrettable que Luther n'ait pas eu l'occasion
de se pencher davantage sur la question de l'anamnèse; il aurait
alors évité de confondre réitération et répétition et n'aurait pas fait
une distinction aussi rigoureuse entre sacrement et sacrifice.

THÉOLOGIE DES MYSTÈRES ET DE L'ANAMNÈSE CHEZ CALVIN

1. QU'EST-CE QUE LE MYSTÈRE POUR CALVIN

Calvin parlant de la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie


déclare 30:
« Ce mystère est céleste ... c'est un secret trop haut pour le
comprendre en mon esprit ou pour l'expliquer de paroles. Et pour
en dire brièvement ce qui en est, j'en sens plus par expérience que
je n'en puis entendre :11. Pourtant sans laire plus longue dispute,
j'acquiesce à la promesse de Jésus Christ... Il me commande en sa

29 Cf. aussi Exhortation au sacrement du corps et du sang du Christ, W. 30,


II, 612ss.
JO Institution de la Religion Cl1rétienne (IRC) 4.17.31.

li Cette formule est à rapprocher de celle de Saint Cyrille de Jérusalem à

propos du baptême: «sachant qu'on sc fie bien plus sûrement aux yeux qu'aux
oreilles l> (Cat. Myst. 1.1).
82 JEAN DE WATTEVILLE

sainte Cène de prendre, manger et boire son corps ct son sang


sous les signes du pain et du vin: je ne doute pas qu'il ne me
donne ce qu'il promet, et que je ne le reçoive ).

Au chapitre XIV du même livre 32, Calvin relève que mystère et


sacrement désignent ( le secret des choses sacrées et divines ... et sont
deux mots d'une mêm.e signification ». Plus loin 3.'l il souligne que
« Sacrement n'est jamais sans que la paroUe de Dieu precede» et
comme Luther il se réfère à Saint Augustin « Que la Parolle soit
conjointe au signe terrien, et il sera fait Sacrement» 34.
Dans son Traité de la Sainte Cène 35 il dira de même, parlant du
baptême du Christ et de l'apparition de la colombe:

«( Cette vision n'était pas une vaine figure, mais un signe certain

de la présence du Saint Esprit... ainsi en est-il de la communication


que nous avons au corps et au sang du Seigneur Jésus ... C'est un
mystère spirituel, lequel ne peut se voir à l'œil, ni comprendre en
l'entendement humain. Il nous est donc figuré par signes visibles,
selon que notre infirmité requiert, tellement néanmoins que ce
n'est pas une figure nue, mais conjointe avec sa vérité et sa substance.
C'est donc à bondroit que le pain est nommé corps, puisque non
seulement il le nous représente, mais aussi nous le présente ».

Relevons que dans ce passage Calvin nous dépeint l'Eucharistie


comme un signe certain de la présence du Christ, qui nous commu-
nique, rend présent son corps. Notons aussi que le terme « spirituel»
dans l'expression « mystère spirituel» signifie dans la langue du
seizième siècle « ce qui à trait ou qui vient du Saint Esprit ».
En résumé nous pouvons dire que Calvin entend par mystères:
les secrets, le dessin éternel de la providence divine que Dieu s'~st
réservé de révéler en Christ 36. Les mystères dépassent donc les possi-
bilités de compréhension des hommes. C'est pourquoi Calvin peut
dire: « Les mystères ne sont compris que de ceux auxquels cela
est donné» :)7. Les sacrements pour leur part sont des mystères liés à
une promesse divine et à l'action de la Parole. En cela l'Eucharistie
est un « saint mystère» 80.

J2 IRC 4.14.2.
)J IRC 4.14.3.
J.I 1Re 4.14.4; In Ev. loh. Tr. 80,3; MIGNE, PL XXXV, col. 1840.

J~ Traité de la Sainte Cène (TSC), Ed. «Je sers », Paris 1934, p. 111.
~ Corn. 1 Cor 2,7; IRC 2.11.6.
J7IRC 1.7.5; cf. aussi 32.34.
lB Corn. à Mat 26,26.
CHEZ LUTHER, CALVIN ET LEURS SUCCESSEURS 83

Comme pour Luther nous examinerons maintenant quelques


textes qui résument ce qu'est la théologie eucharistique de Calvin.
Nous les grouperons également sous six rubriques: présence réelle,
éfficacité de l'Eucharistie, la préparation à l'Eucharistie, les questions
de dignité, l'anamnèse et le sacrifice eucharistique.

II. ASPECTS PARTICULIERS

1) La Présence réelle

Dans son Catéchisme 39 Calvin déclare:

« Jésus Christ étant la vérité même, il ne faut pas douter que


les promesses qu'il fait dans la Cène n'y soient accomplies et que ce
qu'il y figure ne s'y effectue véritablement. Ainsi suivant qu'il nous
le promet et nous le représente, je ne doute pas qu'il ne nous rende
participants de sa propre substance pour nous unir à lui dans une
même vie ».

Il convient de préciser que Calvin n'emploie pas le terme de


substance dans son sens philosophique mais comme traduction des
termes bibliques, substantia, un6U":ocmç, pour désigner la réalité pro-
fonde d'un être ou d'une chose.
Par la communion nous participons donc à la substance du Sei-
gneur. Comme le dit l'Institution Chrétienne 40: «la chair du Christ
entre jusqu'à nous pour nous servir d'aliment)}, ou pour citer le
commentaire aux Corinthiens 41: « nous sommes par manière de dire
incorporéz 42 avec lui en une même vie et substance ». En somme Cal-
vin développe ici les mêmes thèses que Saint Cyrille de Jérusalem
et pourrait dire, avec la Catéchèse Mystagogique IV, que par l'Eucha-
ristie nous devenons corporels et consaguins du Christ 4:1. L'Eucha-
ristie est en fait pour Calvin une incarnation, ou une transfusion
pour employer le terme dont se sert Oda Casel 44 ; c'est par elle que
l'Eglise est le Corps du Christ ",

3~ Catéchisme de Calvin {CC), Sect. 53. Question 353; cf. aussi TSC, p. 112,141;
IRC 4.17.10; Confession de La Rochelle, art. 37.
4°IRC 4.17.24; Corn. 1 Cor 11,24.
41 Corn. 1 Cor 11,24.

~l Corn. 1 Cor 10,16 emploie le terme de «conjonction ".


43 CYRILLE DE JÉR.) Cat. Myst 4.3.
+4 O. CASEL, Le Mystère de l'Eglise, p. 347.
45 1Re 4.17.9.
84 JEAN DE W ATTEVILLE

La présence réelle du Christ dans les espèces, précise Calvin,


n'est pas le fruit d'un acte magique mais:
c, de la vertu secrète et miraculeuse de Dieu ... l'Esprit de Dieu est le
lien de cette participation, pour laquelle cause elle est appelée
spirituelle» 46,

Ou encore comme l'indique la section 53 du Catéchisme:


({ Cela se fait par la vertu incompréhensible de Son Esprit,
laquelle peut bien joindre les choses séparées par la distance des
lieux» 47,

C'est donc par l'action du Saint Esprit que se produit le mi-


racle de la présence réelle. Comme l'a relevé J,-J. von Allmen 48,
l'importante du rôle joué par l'épiclèse fait de l'Eglise essentielle-
ment une orante plutôt qu'une régnante.

2) Efficacité de l'Eucharistie
La présence du Christ dans l'Eucharistie relève donc du miM
racle de la présence réelle. Comme l'a relevé J.MJ. von Allmen 48,
étant grandement efficace. Dans son Traité de la Sainte Cène il énuM
mère trois fruits principaux de la communion:
- Nous pouvons dire que Jésus nous y est offert afin que nous
le possédions et en Lui toute la plénitude des grâces que nous pOUM
vons désirer."
- La Cène nous retire d'ingratitude et ne permet pas que nous
oublions le bien que nous a fait le Seigneur Jésus en mourant pour
nous, mais nous induit à lui rendre action de grâces et quasi par
confession publique protester combien nous sommes attachés à lui.
- La troisième utilité git en ce que nous y avons une véhémente
exhortation à vivre saintement 49.
Calvin considère aussi la Sainte Cène comme un pharmacon:
{{ une médecine pour les pauvres malades 50; un remède que Dieu
nous a donné pour subvenir à notre faiblesse, fortifier notre foi,

TSC, p. 141.
46
CC S 53 Q 354; cf. aussi IRC 4.17.10.
47

~s J.-J. von ALLMEN: Essai sur le. !'epas du Seigneur, Neuchâtel 1966, p. 32.
4~ TSC, p. lBs.
50 La Forme des prière.s et chantz ecclésiastiques, 1542, p. 34 (FPC); cf. aussi

IRC 4.14.1.
CHEZ LUTHER, CALVIN ET LEURS SUCCESSEURS 85

augmenter notre charité, nous avancer en touLe sainteté de vie,


d'autant plus en devons user, que nous sentOns que la maladie nous
presse II 51.

C'est aussi un gage que nous donne le Christ pour nous certifier
« que la vertu de sa mort et passion nous est imputée à justice tout
ainsi que si nous l'avions souffert en nos propres personnes 52. Elle
nous rend certains et assurés de l'immortalité de notre chair laquelle
déjà vient à être vivifiée par la chair de Jésus Christ immortelle 53
qui par la Cène vit en nous» 54.

3) Préparation à l'Eucharistie

Un sacrement si efficace nécessite pour être reçu légitimement


et avec fruit, une préparation. Celle-ci doit être, aux yeux de Calvin,
essentiellement spirituelle:
« Il faut avoir faim et soif de Christ 55; éprouver si nous avons
vraie repentance en nous-mêmes et vraie foi en Notre Seigneur
Jésus Christ; si nous aspirons à la justice de Dieu».

La communion et cette préparation qui l'accompagne constitue


en somme la base de toute vie chrétienne; aussi Calvin insiste sur
la nécessité de fréquentes communions:
« Il serait bien à désirer que la communication de la Sainte Cène
de Jésus Christ fût tous les dimanches pour le moins en usage,
quand l'Eglise est assemblée en multitude, vu la grande consolation
que les fidèles en reçoivent et le fruict qui en procède )l ~.

4) Les questions de dignité

La position de Calvin, à propos de ce délicat problème, est des


plus claires; il fait la guerre aux scrupules:
« Chacun ... se doit préparer à recevoir (la communion) toutes
les fois qu'elle est administrée 57. L'imperfection ne doit pas nous

51 TSC, p. 1195.
52 FPC, p. 35.
"1Re, 4.17.32.
54 FPe, p. 11; CC S 53, Q 353. Calvin aime à parler de la vie chrétienne comme

d'une vie en Christ, à relever que Christ vit en nous par le Sacrement.
55 TSC, p. 116; cf. aussi CC S. 54.

~ 1er Article sur le régime de l'Eglise: Opera Calvini X.7ss.


57 TSC, p. 121.
86 JEAN DE WATTEVILLE

empêcher d'en approcher. Au contraire, le sacrement nous serait


inutile si nous étions parfaits; car il est une aide et un soulagement
à notre faiblesse 58, Celui qui se veut exempter de recevoir la Cène,
comme indigne, se bannit de prier Dieu 59, Toute la dignité que
Notre Seigneur requiert de nous, c'est de nOliS bien reconnaître
pour nous déplaire en nos vices et avoir tout notre plaisir, joie
et contentement en Luy seul» 50,

5) La théologie de l'anamnèse

Au livre IV de son Institution, Calvin déclare:


« Il y a bien similitude entre les sacrifices de la loi mosaïque
ct le sacrement de l'Eucharistie: en ce qu'iceux ont représenté
l'efficace de la mort de Christ comme elle est aujourd'hui exibée
en l'Eucharistie (Levit. 1,5), Mais il y a diversité quand à la manière
de représenter» 61.

Ce texte et en particulier son terme de « représenter}) campe


bien le problème de l'anamnèse, des liens unissant l'Eucharitie au
sacrifice de la Croix, question qui a spécialement retenu l'attention
de Calvin, comme le montre bon nombre de ses développements.
Ainsi dans son Traité de la Sainte Cène il écrit:
« La Cène nous est donnée comme un miroir auquel nous puis-
sions contempler Jésus Christ crucifié... Deux choses nous sont
présentées en la Cène: à savoir Jésus Christ comme source et
matière de tout bien, puis après le fruit et efficace de sa mort
et passion}) 62.

L'Eucharistie est donnée «comme un miroir »; cette image est


des plus suggestives, peut-être que de nos jours Calvin dirait que
la Cène est « comme un rétroviseur}) pour souligner qu'elle a pour
but de rendre présent, hic et nunc, un événement éloigné. En fait
elle nous est présentée comme opérant telle une machine à remon-
ter le temps, en rendant réellement présente la Croix, l'actualisant
ainsi que ses fruits, nous introduisant en quelque sorte dans la
contemporanéité du sacrifice du Christ. Aussi quand dans l'Institution
4.17 Calvin dit: «où tend le but du sacrement: c'est assavoir nous

~ cc
S. 54.
59 TSC, p. 121.
60 FPC, p. 34.

61 IRC 4.18.12.

61 TSC, p. 108s.; cf. aussi IRC 4.17.4; 4.17.37; CC S. 52, Q. 349; Com. 1 Cor 11,24.
CHEZ LUTHER, CALVIN ET LEURS SUCCE?C_S"E::.,\j.:c'.cR:::S'-_ _ _--:8:..:7

exercer en la mémoire de la Croix de Jésus Christ» 63, il convient


de prendre le terme ({ mémoire» au sens fort, comme l'équivalent de
1'<i"<i>'"1'J<TL, de la Bible.
C'est bien ce qui ressort également d'affirmations comme celle
que présente la question 343 du Catéchisme de Genève:

«Sur la Croix Christ ... s'est donné à nous, mais cela ne suffit
pas si de notre part nous ne le recevons, pour sentir en nous-mêmes
le fruit et la vertu de sa mort» 64.

Ou encore ce passage de l'Institution:

{( Le moyen par le quel le sacrifice de la Croix de Notre Seigneur


Jésus nous est appliqué: c'est quand il se communique à nous et
nous le recevons en vraye foy» 65.

Ce réalisme de la réactuation est encore plus marqués dans le


Commentaire à la Première EpUre aux Corinthiens:
« Le Corps du Christ nous est offert... nous sommes faits parti-
cipants de la rédemption ... le bénéfice du sacrifice nous est appliqué.
Parquoy la Cène nous est un miroir qui nous représente Christ
crucifié... La Cène donc est un mémorial ordonné pour soulager
notre infirmité» 66.

Et plus loin:
« L'alliance qui a une fois été ratifiée par l'immolation du corps:
et est encore aujourd'hui ratifiée en mangeant: asçavoir quand les
fidèles sont nourris de ce sacrifice» 67.

C'est peut-être dans son traité de La Forme des Prières que


Calvin emploie l'expression la plus forte:

«Recevons ce sacrement comme un gage, que la vertu de sa


mort et passion, nous est imputée à justice, tout ainsi, que si nous
l'avions souffert en nos propres personnes» 68.

A la lecture de tels textes on comprend que la pensée calvi-


nienne se fondant sur une foi totale en la présence réelle et sur une

63IRC 4.17.37: cf. aussi Conf. Belgica, art. 35 .


• CC g. 52, Q, 343.
65 IRC 4.18.3; cf. aussi Corn. 1 Cor 11,25.

66 Corn. 1 Cor 11,24: cf. aussi CC S. 52, Q. 347.

67 Corn. 1 Cor 11,25.


~ FPC, p. 35.
88 JEAN DE WATTEVILLE

conception aussi forte du mémorial, a eu une vision des plus dyna-


miques de l'efficace de la communion:
« La matière ou la substance (de la Cène sont) Jésus Christ avec
sa mort et sa croix. L'cffet (en est) la rédemption, justice, sanctifi-
cation, la vic éternelle et tous les bénéfices que Jésus Christ nous
apporte» 69,

({ Le corps du Seigneur Jésus, en cc qu'il a été offert une fois


en sacrifice pour nous réconcilier avec Dieu, nous y cst donné
pour nous certifier que nous avons part à cette réconciliation 70 •••
(dans la Cène nous avons) comme une arrhe de la résurrection de
nos corps, en ce qu'ils sont faits participants du pain et du vin,
qui sont des signes de la vic» 71,

6) Le sacrifice eucharistique

Si Calvin a bien perçu l'importance revêtue par l'aspect mé-


morial de la Cène, il n'a pas pour autant saisi tout ce qu'implique
son caractère trans-temporeL et n'a pas fait de distinction suffisante
entre ré-actualiser et réitérer. En cela il est bien de son temps, car
ses contradicteurs tant catholiques que luthériens ou zwingliens ont
commis les mêmes erreurs d'appréciation. C'est ce qui explique nom-
bre de controverses eucharistiques du seixième siècle et entre autre
les violentes attaques de Calvin contre la messe romaine. En effet,
dans sa crainte de voir menacée l'unicité du sacrifice de la Croix par
les théologiens catholiques, soucieux eux de souligner l'aspect sacri-
ficiel de l'Eucharistie, il s'élève avec virulence contre les théories
immolationistes:
«En dressant un autel on me.t bas la Croix de Jésus Christ. Le
sacrifice du Christ seul a esté une fois offert, il ne se doit plus
réitérer» 72.
« Jésus ne s'est pas offert à telle condition que son sacrifice
fut journellement ratifié par oblation nouvelle, mais afin que le
fruict nous en soit communiqué par la prédication de l'Evangile
et l'usage de la Cène 13. Ceste manière de sacrifice n'appartient rien
à apaiser l'ire de Dieu» 74.

~9 1Re 4.17.11; cf. aussi Conf. Belgica. art. 35; TST, p. 108s: ce. S. 52, O. 349.
'" CC S. 52, Q. 347.
71 ce S. 53, Q. 356.

72 1Re 4.18.3; cf. aussi 1Re 4.19.28.

13 1Re 4.18.3.
74 IRC 4.18.16.
CHEZ LUTHER, CALVIN ET LEURS SUCCESSEURS 89

cc La Cène n'est donc pas instituée pour faire une oblation du


corps de Jésus à Dieu son Père? Non; car il n'y a que lui seul à
qui cet office appartienne, en tant qu'il est sacrificateur éternel.
Il nous commande seulement de recevoir son corps ct non de
l'offrir}) '/5.

Mais pour autant Calvin ne dénie pas tout caractère sacrificiel


à l'Eucharistie. Parlant, dans l'Institution, du sacrifice d'Action de
Grâce, il déclare:
cc Tel sacrifice est si nécessaire à l'Eglise qu'il n'en peut être
hors '/6. Il ne se peut faire que ceste espece de sacrifice ne soit en
la Cene de nostre Seigneur: en laquelle quand nous annonçons et
rememorons sa mort, et rendons actions de graccs, nous ne faisons
rien qu'offrir sacrifice de louange. A cause de cet office de sacrifier,
nous tous Chrestiens sommes appellez Royale Prestrise (1 Pierre 2,9):
par ce que par Jésus Christ nous offrons sacrifice de louange à
Dieu, c'est à dire, le fruit des levres confessantes son Nom, comme
nous avons ouy de l'Apostre. Car nous ne pourrions avec nos dons
et prescns apparaistre devant Dieu sans intercesseur. Et ce médiateur
est Jésus Christ intercedant pour nous: par lequel nous offrons nous
et tout ce qui est nostre, au Père. Il est nostre Pontife ... Il est
nostre Autel...» 77.

7) En conclusion, nous pouvons, pour résumer l'enseignement de


Calvin sur notre propos, reprendre la définition du mystère que
donne O. Casel 78 en appliquant celle-ci au sacrement. En effet nous
pouvons dire que pour Calvin le sacrement est « une action sacrée
et cultuelle, dans laquelle l'œuvre rédemptrice du passé est rendue
présente sous un rite déterminé; la communauté cultuelle, en ac-
complissant ce rite sacré, entre en participation du fait rédempteur ...
et acquiert ainsi son propre salut ».
Ajoutons que les textes que nous venons d'examiner nous pré-
sentent l'Eucharistie comme étant entre autre:
- un saint mystère qui par J'action du Saint nous présente le
Corps et le sang du Christ (TSC p. 111; Corn. Mt 26,26);
- la présence réelle du Christ (CC S. 53, Q. 353 ...);
- une force active, une médecine, un pharmacon, un gage d'im-
mortalité (FPC 34; IRC 4.17.32; TSC, p. 113 ... );
un mémorial~ un miroir qui rend présent le sacrifice du Christ
et ses fruits (TSC p. 108; Corn. 1 Cor 11,24 ... );

"CC S. 52, Q. 350.


76 1Re 4.18.16.
TI 1Re 4.18.17; cf. aussi 4.18.16; 4.19.28.
73 O. CASEL, Le mystère du culte richesse du mystère du Christ, p. 97.
90 JEAN DE WATTEVILLE

- un acte sacrificiel en tant que sacrifice d'action de grâces, de


louange (IRC 4.18.16,17); mais non un sacrifice de propitiation (4.18.16)
si ce n'est par appropriation, communication des fruits de la Croix
(TSC, p. 108).
A la lumière de tels textes on comprend qu'un théologien aussi
réformé que Pierre du Moulin ait pu dire: « La Cène peut être
appelée sacrifice puisqu'elle représente le sacrifice de la mort du
Seigneur}) 79.

LES SUCCESSEURS IMMÉDIATS DE LUTHER ET DE CALVIN

Pour saisir toute la portée des doctrines eucharistiques de Calvin


et Luther, il convient de relever d'une part qu'elles ont évolué sur
plusieurs points au cours de leurs ministères et d'autre part que
cette évolution s'est poursuivie après eux.

1. En effet si, portés par leur souci de réformer l'Eglise, Luther


et Calvin se sont élevés contre les doctrines scholastiques, un cer-
tain nombre d'erreurs du Moyen Age finissant, ils ont été amenés
également à réagir contre les théories extrémistes et les prises de
position radicales de zwingliens et des anabaptistes.
Même sans entrer dans un examen détaillé des textes eucha-
ristiques de Luther, on peut aisément les classer grosso modo en
trois groupes: ceux écrits jusqu'en 1520, ceux qui le furent de 1520
à la crise anabaptiste, enfin ceux parus après 1528.
Dans son Sermon sur le très vénérabl e sacrement du saint et
véritable corps du Christ et sur les confréries, de 1519 80 , traité pasto-
ral qui plaide entre autre en faveur de la communion sous les deux
espèces, Luther s'élève contre l'opus operatum qu'il oppose à l'opus
operantis, mais il le fait tout en demeurant encore dans la ligne tra-
ditionnelle de l'Eglise.
Si son Sermon sur le Nouveau Testament 81, paru en été 1520,
laisse deviner déjà une inspiration différente, son Traité de la Cap-
tivité de Babylone d'octobre 1520 est lui bien plus radical et ma-

79Bouclier de la foi, Genève 1635; Paris 1835, p. 482.


80MLO IX, p. 1555.
SI Sermon sur le Nouveau Testament, c'est à dire sur la Sainte Messe, W 6,

368,1ss.
CHEZ LUTHER, CALVIN ET LEURS SUCCESSEURS 91

nifeste une rupture. La polémique contre les scholastiques y pré~


domine. Appuyant avec force sur le rôle de la foi Luther va jusqu'à
déclarer en parlant des sacrements: c'est la foi elle~même qui consti~
tue toute leur efficacité 02.
A partir de 1522-1523, devant l'expansion des idées anabaptistes
Luther est amené à nuancer de plus en plus sa pensée, à revenir
même sur certaines de ses thèses. Contre ces nouveaux adversaires
qui proclament la dépendance des sacrements par rapport à la foi,
il affirme que c'est la Parole qui fait le sacrement, que le sacrement
n'est pas établi sur la foi ou l'incrédulité des hommes mais sur la
parole et l'ordonnance de Dieu M.
Si nombre de théologiens luthériens, peut~être sous l'influence
des zwingliens, s'attachèrent particulièrement aux doctrines profes~
sées par leur maître dans ses ouvrages antischolastiques, d'autres par
contre prolongèrent et accentuèrent celles des traités antianabap-
tistes, comme Mélanchton par exemple 84. Mais nous ne nous arrê~
terons pas davantage sur l'évolution de la pensée luthérienne pré-
férant consacrer notre étude à celle de la pensée calvinienne.

II. Les écrits de Calvin de leur côté nous montrent que la doc-
trine eucharistique de ce dernier est des plus nuancées, qu'elle a
connu également une évolution ou pour le moins des changements
de tonalité. Par exemple Calvin signa la Confession d'Augsbourg de
1530, mais il signa aussi en 1549 le Consensus Tigurinus 05 et, quoique
ces deux traités diffèrent sur plus d'un point, il écrivit pourtant en
1557: je ne répudie pas la Confession d'Augsbourg à laquelle j'ai
souscrit volontiers et de plein gré, comme S011 auteur l'a interprété 86.

~l MLO II, p. 207.


3JGrand Catéchisme, 1529, MLO VII, p. 135: De la Cène du Christ, 1528, MLO
VI. p. 182.
S4 Mélanchthon contre les anabaptistes déclare que ce n'est pas la foi qui

réalise le sacrement mais le sacrement Qui engendre la foi: la foi est conçue et
confirmée par l'absolutiol1, ['audition de l'Evangile, l'usage des sacrements. Mé-
lanchton distingue deux espèces de sacrifice: le sacrifice propitiatoire apaisant
la colère de Dieu, offert seulement sur la croix, et le sacrifice eucharistique
pour rendre grâce à Dieu de ses bienfaits, offert par les fidèles (Apol. Conf. Aug.,
art. 12, 13, 24 ... ). De même Jacques Andreae et ses corédacteurs inscrivent dans la
Formule de Concorde (1580) que le corps et le sang de Jésus sont véritablement
et substantiellement présents, réeliement distribués et reçus avec le pain el le
vin . de bouche ... d'une façon surnaturelle ". même par ceux qui en sont
indignes.
as OC VIII, 689-748. Texte français de 1551: «Calvin homme d'Eglise », Ge-
nève 1936, p. 131-142 .
• OC XVI, 430.
92 JEAN DE WATTEVILLE

De même, si nous comparons d'une part le Traité de la Sainte Cène


écrit en 1541 pour obtenir l'assentiment des Zurichois et par exemple,
d'autre part, le Commentaire à la Première Epître aux Corinthiens de
1546 ou le Sermon VII sur la même épître de 1558 87 , nous consta-
tons qu'entre ces textes il y a de notables divergences d'accent. Dans
son Traité de la Sainte Cène, Calvin déclare que le Christ nous a donné
la Cène,
«pour nous testifier qu'en communiquant à son corps nous avons
part au Sacrifice qu'il a offert en la croix à Dieu son Père pour
l'expiation et satisfaction de nos péchés »;
«les hommes ont inventé au contraire que c'est un Sacrifice par
lequel nous acquérons la rémission de nos péchés devant Dieu.
Cela est un sacrilège ... )) 88.

II ne s'agit pas, poursuit-il,


« que nous offrions ou immolions, mais que neus prenions et
mangeons ce qui a été offert et immolé 89 ••• quant est de nous
appliquer le mérite de sa mort, afin que nous en sentions le fruit,
cela se fait non pas en la manère qu'on a estimé en l'Eglise papale,
mais quand nous recevons le message de l'Evangile, ainsi qu'il
nous est testifié par la prédication des ministres ... et scellé par
les sacrements)) 90.

Par contre, dans plusieurs autres écrits plus pastoraux Calvin


souligne avec force l'unité qu'il y a entre la Cène et la Croix. Dans
son Commentaire à la Première EpUre aux Corinthiens il dira,
en 1546:

« Le corps du Christ nous est offert ... nous sommes faits parti-
cipants de la rédemption ... le bénéfice du sacrifice nous est ap-
pliqué» 91.

En son sermon de 1558, à propos de la consécration de la coupe,


il ajoute:

{{ la coupe est dédiée pour nous certifier que Notre Seigneur Jésus
Christ se donne à nous et que le sang qu'il a une fois épandu pour
notre rédemption est fait notre lavement et que nos macules en

" OC XLIX, 657.{,70.


5S TSC, p. 124.
s~TSC, p. 125 .
• TSC, p. 126.
9T Com. 1 Cor 11,24; cf. aussi CC S. 52, Q. 347.
CHEZ LUTHER, CALVIN ET LEURS SUCCESSEURS 93

sont purgées devant Dieu ... 92 cc sacrifice là par lequel nous sommes
reconciliés à Dieu, aujourd'hui nous est imputé et attribué comme
si nous l'avions offert nous mêmes en nos propres personnes» 93.

Notons que déjà dans son catéchisme de 1537, Calvin enseignait


que le Christ s'est donné à nous, mais cela ne suffit pas si de notre
part nous ne le recevons pour sentir en nous mêmes le fruit et la
vertu de sa mort.
III. On conçoit aisément devant les différentes tonalités présen-
tées par ces textes, que les successeurs de Calvin, tout en se récla-
mant du même maître, ne nous offrent pas un ensemble doctrinal
homogène. Ils se divisent en fait en deux groupes: ce que nous
pouvons appeler le courant libéral, influencé surtout par la théolo-
gie zurichoise, et d'autre part le courant orthodoxe répandu parti-
culièrement en France. A la longue ce fut le courant zurichois qui
prit le plus d'extension et prédomina en particulier en Suisse, en
Allemagne, aux Pays-Bas, puis finalement en France.
Ce courant est caractérisé entre autre par le Catéchisme de Hei-
delberg de 1563. Influencé par Bullinger il présente de nettes diffé-
rences avec le catéchisme de Calvin; par exemple, ce dernier au
sujet, de la présence réelle disait:
« Jésus Christ étant la vérité même, il ne faut pas douter que
les promesses qu'il fait dans la Cène, n'y soient accomplies, et que
ce qu'il y figure, ne s'y effectue véritablement. Ainsi ... je ne doute
pas qu'il ne nous rende participants de sa propre substance) 94.

Par contre, le Catéchisme de Heidelberg déclare que


{( le pain sacré ne devient pas le corps du Christ lui-même ... il est
seulement un signe divin» 95.

Dans le paragraphe consacré à la question que signifie manger


le corps du Christ, il ne parle ni de mémorial, ni de mémoire, mais
dit seulement:
{( accepter d'un cœur croyant toute la passion et la mort du Christ,
et recevoir par là la rémission des péchés et la vie éternelle ... être
de plus en plus unis au corps sacré du Christ par le Saint Esprit qui
habite en lui et en nous» 96.

92 OC XLIX, 664.

9lOC XLIX, 665; cf. aussi FPC, OC VI, 199; CC S. 52, Q. 343.
"CC S. 53. Q. 353.
95 Q. 78.

96 Q. 76.
94 JEAN DE WATTEVILLE

Un autre exemple de ce gauchissen1ent de la pensée calvinienne


nous est donné par l'édition de 1724 de La manière de célébrer la
Cène, texte rédigé en 1542 et paru dans La forme des prières et
chantz ecclésiastiques 97. Parlant de l'efficacité de la communion, Cal~
vin avait dit: cc ce sacrement est une médecine pour les pauvres ma-
lades }}; l'édition de 1724 supprime le passage tout comme celui qui
précisait les questions de dignité:

« Toute la dignité que notre Seigneur requiert de nous, c'est de


nous bien reconnaître pour nous déplaire de nos vices et avoir tout
notre plaisir et contentement en lui seul».

De même lorsqu'elle aborde le texte traitant du réalisme eucha-


ristique, l'édition de 1724 altère également d'une façon considérable
la pensée de Calvin. Celui-ci avait dit:

« Jésus-Christ, nous veut vraiment faire participants de son


corps ct de son sang, afin que nous le possédions entièrement: en
telle sorte qu'il vive en nous ct nous en lui...)J.

La réédition porte:

« Jésus Christ s'y donne lui-même à nous comme le vrai pain


céleste pour nourrir nos âmes, pour nous remplir de consolation
et de joie» 98.

Relevons encore que Calvin avrait fortement souligné l'impor-


tance des fruits de la communion,

« gage que la vertu de sa mort et passion nous est imputée à justice,


tout ainsi que si nous l'avions soufferte en nos propres personnes ... ».

En 1724 ce beau texte est remplacé par la simple affirmation


que la Cène

« renfenne tout ce qu'il y a de plus sacré et de plus consolant dans


la religion ... nous y recevons les assurances de l'amour de Dieu,
les sceaux de son pardon et les gages de ses promesses ».

OC VI.
rn
Par la suite, dans l'édition de 1743, ce passage sera encore plus affaibli
91

et portera: «Jésus nous y est représenté comme le véritable agneau qui a été
immolé pour nous &.
CHEZ LUTHER, CALVIN ET LEURS SUCCESSEURS 95

Heureusement que de nombreux textes ont une résonance plus


fidèle. Examinons par exemple quelques écrits de théologiens fran-
çais représentants du courant que l'on appelle communément ({ l'or-
thodoxie réformée ».

1) La présence réelle

Théodore de Bèze dans la Déclaration de Goppingen qu'il rédigea


le 14 mai 1557 99 , dans le but de créer une base d'accord entre les
Eglises françaises suisses et allemandes, soutient des thèses bien plus
orthodoxes que celles du Catéchisme de Heidelberg ou du Consensus
Tigurinus. Il affirme sans ambiguïté:

« Art. 3 - Nous reconnaissons donc que dans la Cène du Seigneur


non seulement tous les autres bienfaits de Christ, mais aussi la
substance du Fils de l'homme lui-même, c'est à dire .sa vraie chair
elle-même, celle que le Verbe éternel a assumée dans une unité
perpétuelle de la personne, celle dans laquelle il est né, dans laquelle
il a souffert pour nous, dans laquelle il est ressuscité et monté aux
cieux, et son vrai sang, qu'il a répandu pour nous, ne sont pas
seulement signifiés ou proposés par des symboles, typiquement ou
figurément, comme le souvenir d'un absent, mais qu'ils sont vrai-
ment et certainement représentés, montrés et offerts pour qu'on
se les approprie. Ce ne sont pas des symboles vides ajoutés à la
réalité (res) elle-même, mais, parce qu'ils appartiennent à Dieu qui
promet et qui offre, ils contiennent toujours véritablement et
certainement la réalité (res) elle-même, et les proposent soit aux
fidèles soit aux infidèles ».
{{ Art. 4 - Quant à la manière dont la réalité (res) elle-même,
c'est à diTe, le vrai corps et le vrai sang du Seigneur, est jointe
aux symboles, nous disons qu'elle est symbolique ou sacramentelle.
Nous disons que cette manière est sacramentelle, non que le sacre-
ment soit figuratif, mais parce que vraiment et certainement il
représente sous l'apparence (sub specie) des choses visibles ce que
Dieu montre et offre avec les symboles... De sorte qu'il est clair
que nous retenons et défendons la présence dans la Cène de la
substance du corps et du sang de Christ ... ».

On ne peut guère être plus clair et affirmatif, aussi cette décla-


ration suscita de vives réactions dans les rangs zwingliens, en parti-
culier de la part de Bullinger 100. C'est peut-être à cause de ces

" OC XVI, 470-472.


100 OC XVI, 538.
96 JEAN DE WATTEVILLE

oppositions que lors du Colloque de Poissy en 1561, Bèze tout en


reconnaissant que dans la Cène intervient une mutation céleste et
supernaturelle, ajouta cependant: non en la substance des signes,
mais en l'usage et en la tin pour laquelle ils sont ordonnés.
Au même colloque Pierre Martyr fit en privé une déclaration
qui elle aussi n'était pas sans ambiguïté. Elle manifeste qu'il n'avait
pas clairement saisi les rappors unissant la Croix et la Cène. Il
proclame avec raison:

« Vu que les promesses du Nouveau Testament ne sont point


vaines ... il faut nécessairement croire et confesser la présence du
Corps de Jésus-Christ en la Sainte Cène, dans laquelle la substance
de sa chair et de son sang nous est véritablement promise, offerte
et donnée ... »,

Mais il réduit dangereusement l'intervention du Saint Esprit en


la limitant à une action sur les seuls communiants en ajoutant:

«la sainte promesse ne regarde pas au pain mais aux fidèles ... ce
n'est ni le pain ni le vin qui se transforment, mais bien plutôt les
fidèles y sont unis, convertis et transformés en Christ par la sainte
manducation» 101.

Par contre, nous trouvons par la suite, par exemple sous la


plume de Jean Daillé 102, des affirmations beaucoup plus positives qui
ne laissent aucun doute sur la réalité de la présence du Christ dans
les espèces:

« Ce corps que le Seigneur veut nous communiquer dans la sainte


Cène, n'est pas seulement un corps très saint et très précieux ...
l'arche et le temple de sa souveraine et adorable divinité, où elle
habite non en ombre ou en figure, mais en corps et vérité; c'est
encore outre tout cela, un corps immolé pour le salut du genre
humain, la victime expiatoire de tous nos crimes ... ».

Daniel de Superville souligne avec plus de force encore la réa-


lité de la présence. Ayant souligné que dans la nature il n'y a pas
d'union plus intime et plus indissoluble que celle qui se fait entre

101 Brève instruction de M. Pierre Martyr sur le faict et intelligence de la

Sainte Cène ... durant ['Assemblée de Poissy 1561, dans: Mémoires de Condé,
Londres et Paris 1743, t. II, p. 513s.
10l Jean DAILLÉ (1594-1670), Sermoll sur 1 Cor 10,16, dans: La Saine Doctrine
tirée des écrits des plus célèbres docteurs de l'Eglise Réfonnée, 2e ed., Neuchâ-
tel 1804, p. 387.
CHEZ LUTHER, CALVIN ET LEURS SUCCESSEURS 97

un corps et les aliments dont il se nourrit, Superville ajoute que


c'est là
« une belle image de l'union réelle, qui se produit entre Jésus-
Christ et nous dans une bonne et sainte communion. Alors nous lui
pouvons dire: "Tu es à moi, tu es en moi; tu fais ma santé, ma
force, ma vie"» 103.

Citons encore l'admirable passage de La Communion Sainte de


Jacques Basnage, où celui-ci faisant allusion aux paroles de Saint
Irénée, déclare, après avoir dit:
« L'Eucharistie est un repas où la viande que nous recevons,
c'est Dieu ... 104; le pain ... n'est plus du pain ordinaire mais devient
l'Eucharistie étant composé de deux choses, l'une terrestre et l'autre
céleste» 105.

Ici sans aucune ambiguïté le réalisme de la présence du Christ


est affirmé avec toutes ses conséquences et c'est pourquoi l'impor-
tance des fruits de la communion est particulièrement mise en
évidence.

2) Efficacité de l'Eucharistie
Dans sa Communion Sainte loti Basnage a une expression qui
mériterait d'être plus connue et de retenir l'attention de tous les
communiants chaque fois qu'ils s'approchent du sacrement:
« Il ne faut pas nier l'efficace des sacrements parce que nous
ignorons la manière dont ils opèrent ».
Ces fruits, comme il l'explique dans son Histoire de l'Eglise, sont:
l'apaisement de Dieu, la rémission des péchés, les fruits du véritable
sacrifice qui est celui de la Croix 107,

C'est ce que soutiennent égaIement et avec force des hommes


comme Pierre du Moulin qui dit que dans la Cène le sacrifice de la
Croix du Seigneur nous y est appliqué pour être participants de ce

101 D. de SUPERVILLE (1657-1728), Vraie comun., p. 76; Saine Doctr., 388.


HM J. BASNo\GE (1653-1723), La Communion sainte, au traité sur la nécessité et
les moyens de communier dignement, 6r. éd., Rotterdam 1702, p. 36.
HIS lb., p. 76.

IGil lb., p. 65.

101 J. BASNAGE, Histoire de l'Eglise depuis Jésus-Christ jusqu'à présent, Rot-

terdam 1699, p. 955.


98 JEAN DE WATTEVILLE

bénéfice 100. De même pour Daniel de SuperviIle, par exemple, dans


l'Eucharistie-parallèle des sacrifices de l'Ancien Testament:
« Il nous est commandé de manger la chair de cette victime
expiatoire (le Christ), de boire son sang ... prends et mange et tu
sentiras la vertu de ce divin sacrifice par des effets de salut et de
vie» !Q9,

Cette efficacité de l'Eucharistie étroitement liée à la présence


réelle du Christ ne fait pas problème pour nos auteurs, car pour
eux la Cène loin d'être un simple repas-souvenir, un exercise de mé-
moire, est vraiment une &:v&:I-J.v'Ylcnç, un ll1émoriaI efficace.

3) L'Eucharistie mémorial 110

II ressort des passages de la Déclaration de Goppingen que nous


avons déjà cités, que Théodore de Bèze a considéré l'Eucharistie com-
me un mémorial efficace de la Croix. C'est ce qu'il affirme également
lors du Colloque de Poissy:
« Nous ne disons point qu'en la Sainte Cène il n'y ait qu'une
simple commémoration de la mort de Notre Seigneur Jésus Christ ...
mais que le pain ... est la communication du vrai corps de Jésus
Christ qui a été livré pour nous» lll.

Philippe du Plessis-Mornay présente cette idée de commémo-


ration avec plus de réalisme encore:
« Nous n'offrons pas, selon Saint Cyprien, Jésus Christ même,
mais nous offrons sa passion, nous l'offrons déjà immolé en la croix;
nous commémorons sa mort, nous la représentons à Dieu en ré-
mission de nos péchés» 112.

WS Pierre du MOULIX (1568-1658), Bouclier de la foi, Genève 1635; Paris 1835,


p. 489.
109 D. de SUPERVILLE, Vraie commum., p. 76s.; Saine Doctr., p. 389s. Cf. aussi
Jean DAILΠ(1594-1670), Sermon sur 1 Cor 10,16; Saine Doctr., p. 387; Sermon
sur 1 Jean 5,12; Saine Doctr., p. 393; BASN..\GE, Commun. sainte, p. 76,311...
l1D Pour ce qui concerne les questions de préparation à la communion, c'est

à dire de dignité, nous renvoyons aux nombreuses citations que donne l'ouvrage
La Saine Ductrine, p. 3945S.
III Nous retrouvons la même expression sous la plume de Jean Daillé qui

dit dans sor. sermon sur 1 Cor 10,16, Saine Ductr., p. 387, que la Cène est 1!OIl
seulement la commémoration mais aussi la communication du sacrifice du Christ.
112 De l'institution, usage et doctrine du saint sacrement de l'Eucharistie, en

l'Eglise ancienne, La Rochelle 1598, L. III, ch. l, p. 353ss.


CHEZ LUTHER, CALVIN ET LEliRS SUCCESSEURS 99

Pierre du Moulin dans son Bouclier de la Foi 113 déclare même:


{( La Sainte Cène peut être appelée sacrifice, puisqu'elle repré-
sente le sacrifice de la mort du Scigneur. .. la Sainte Cène est un
sacrifice propitiatoire en Sacrement et commémoration ».

Matthieu de la Rocque, de son côté, citant l'E-pître 63 de Saint


Cyprien: le sacrifice que nous offrons, c'est la Passion de Notre
Seigneur, relève que l'Eucharistie est sacrifice comme

« mémorial du sacrifice de la Croix... sacrifice eucharistique, de


louange, action de grâces et de remcrcîmcnts ... pour l'admirable
bienfait de sa mort» 114.

Dans son beau traité consacré à la communion Daniel de Super-


ville souligne que la Sainte Cène mémorial du sacrifice que le Christ
a subit par amour pour nous

« est le mémorial de cette charité ineffable ct incompréhensible ...


Comment ne nous serait-elle pas une occasion, un motif, un moyen
pour aimer ceux que Jésus Christ a aimé, ceux qui viennent cher-
cher avec nous les fruits de sa mort? Quelle espérance aurions-
nous au sang de Christ, si ce sang n'était pas capable de nous
attendrir pour nos frères?» 115.

Relevons encore la très intéressante analyse du caractère de mé-


morial de l'eucharistie que donne Jacques Basnage. Pour lui loin
d'être un vague repas souvenir, la Cène rend vraiment présent le
Christ: {( nous avons vu et mangé le Seigneur », dit-il avec beaucoup
de réalisme 116. Cette présence très réelle est aussi de plus dynami-
que: nous seulement elle évoque mais commémore le sacrifice de la
Croix, le réactualise, le rendant actuel pour les fidèles comme pour
Dieu lui même:

{( Dans l'Eucharistie non seulement le prêtre ct le ccmmuniant


se souviennent des souffrances de Jésus, que la vue du pain rompu
et du sang répandu rappellent, mais on offre à Dieu ce pain et ce
vin afin qu'Il se souvienne des mêmes souffrances de son Fils, et
que touché par le sacrifice de la croix, il soit apaisé et il accorde
la rémission des péchés. Il ne se fait pas de nouveau sacrifice, mais

11) Bouclier de la Foi, Genève 1635; Paris 1835, p. 482-483.


114 Histoire de l'Eucharistie, Amsterdam 1669, p. 94.
115 Vraie Commun., Saine Doctr., p. 397.

116 Communion Sainte, p. 73.


100 JEAN DE \VATTEVILLE

une commémoration du sacrifice du Fils de Dieu qui... l'oblige à


se laisser toucher et à nous accorder les fruits du véritable sacrifice
qui est celui de la croix» 117,

Pour Basnage la Cène est donc semblable au zikkârôn de j'An-


cien Testament qui amène Dieu et les croyants à se souvenir, qui a
une action sur Dieu, le touchant, l'apaisant pour qu'II accorde la
rémission des péchés. Basnage dit même que cette commémoration
oblige Dieu à se laisser toucher. Nous sommes ici bien loin des va-
gues définitions d'un Zwingli, nous sommes aussi assez éloignés des
explications sommes toutes peu claires de Calvin. D'où cela vient-il?
Basnage est-il encore fidèle au réformateur de Genève, dont il se
réclame, ou donne-t-il raison à ses adversaires scholastiques qui pré-
sentaient l'Eucharistie comme une réitération du sacrifice de la croix?
La réponse ne fait pas de doute, Basnage ne considère absolument
pas la Cène comme une réitération du sacrifice du Christ: celui-ci,
dit-il, est le véritable sacrifice; l'Eucharistie, n'est qu'une commé-
moration, mais une commémoration qui rend présent, réellement
présent et actuel l'acte salutaire.

4) Le sacrifice eucharistique

Plusieurs des textes que nous venons de voir prouvent que nom-
breux sont les successeurs de Calvin qui ont considéré l'Eucharistie
comme un sacrifice. Nous avons cité, entre autre, un passage de
l'Institution de du Plessis-Mornay 118 qui déclare explicitement que
dans la Cène on offre la Passion du Christ. Plus loin dans le même
ouvrage, l'auteur résume sa pensée sur ce point en une phrase qu~il
convient de relever:

« La Sainte Cène de Notre Seigneur, instituée pour Sacrement


de la nouvelle Alliance, en tant que c'est la commémoration réelle
du corps et du sang de Christ ... sacrifice en tant que c'est la com-
mémoration de ce Sacrifice propitiatoire de Notre Seigneur en la
Croix... Sacrifice de louange et d'action de grâces, que l'Eglise a
appelé eucharistie ... nous amène à nous sacrifier à Luy ».

Du Plessis a, en ces quelques mots, fort bien résumé les trois


dominantes du caractère sacrificiel de l'Eucharistie: commémora-
tion du sacrifice propitiatoire de la Croix; sacrifice de louange et

117 Histoire de l'Eglise depuis Jésus-Christ jusqu'à présent, Rotterdam 1699,


p_ 955_
LI! De l'institution, usage ... , p. 3535S.
CHEZ LUTHER, CALVIN ET LEURS SUCCESSEURS 101

d'action de grâces; offrande des croyants eux-mêmes qui sont ame-


nés à se sacrifier, se consacrer à leur Seigneur.
Nous retrouvons ces trois aspects dans les exposés de la plus
part des auteurs que nous avons déjà cité. Tout d'abord, comme
nous l'avons déjà relevé en parlant du mémorial, la Sainte Cène est
considérée comme pouvant être appelée sacrifice puisqu'elle repré-
sente le Sacrifice de la mort du Seigneur 119. Certes il ne s'agit pas
d'un nouveau sacrifice qui ajouterait quoique ce soit à l'acte salva-
teur du Christ, mais une commémoration de ce Sacrifice qui nous
actualise les fruits de la Croix 120.
La Sainte Cène est aussi considérée par ces théologiens comme
un Sacrifice de Louange. Elle est - dit P. du Moulin - :

« un sacrifice d'Eucharistie, c'est à dire d'action de grâces pour les


bénéfices de Dieu et principalement pour le bénéfice de notre
rédemption par Jésus Christ» 121.

M. de la Rocque reprend pour ainsi dire les mêmes expressions


en présentant la Cène comme ({ sacrifice eucharistique, de louange,
d'action de grâces et de remerGÎments ... pour l'admirable bienfait
de sa mort ».
L'Eucharistie est également considérée comme un sacrifice car
elle est offrande de nous-mêmes. C'est ce que déclare par exemple
du Moulin dans son Bouclier de la Foi 122:

« La Cène peut être appelée sacrifice ... en tant qu'offrande spiri-


tuelle que nous faisons à Dieu de nos vies pour Son service et pour
Sa gloire, et pour le service de nos frères, ce qui est de notre part
le culte raisonnable ».

Dans son Histoire de l'Eucharistie, de la Rocque développe la


même idée:
« la sainte eucharistie ... comprend ... l'oblation de nos biens et de
nos personnes ... toutes les saintes et divines dispositions que nous
devons apporter à la table sainte» U3.

119 lb., p. 4835.


lIa Cr. du MOlJU:-.i, Bouclier de la Foi, p. 482-483; de la ROCOuE, Hist. de l'Euch.,
p. 94: J. MASNAGE, Hist. de l'Eglise, p. 955.
121 Bouclier de la Foi, p. 482 et 629.

122 lb., p. 482 et 483.

III Rist. de l'Euch., p. 99.


102 JEAN DE WATTEVILLE

Ailleurs il est plus explicite encore: le pain eucharistique


«signe du corps naturel du Christ l'est aussi de son corps mystique,
je veux dire, de son Eglise et des fidèles qui la composent; saint
Augustin, compatriote d'Opta t, nous l'enseigne clairement: "Vous
êtes, dit-il aux fidèles, le corps et les membres de Christ; votre
mystère ou votre Sacrement a été mis sur la Table du Seigneur".
N'est-ce pas là la véritable interprétation de ces paroles d'Optat,
"les membres de Christ sont portés sur l'autel", c'est-à-dire, le
mystère des fidèles qui sont les membres de Christ. est mis sur
l'Autel... »12"*,

L'Eucharistie est en cela « co-oblation» du Christ et de l'Eglise.


Cette dernière s'y offre en sacrifice vivant et saint dans un grand
mouvement de reconnaissance. Comment du reste pourrait-elle faire
autrement, comme le montre Jacques Basnage:
«Vois mon âme, cc que Dieu a fait pour toi. Arrête-toi encore
un moment à considérer ce corps rompu et ce sang répandu pour
ta rédemption; ce corps, que tu as mangé, ce sang, qui a coulé dans
tes veines 125 ••• Jésus se donne tout entier à nous ... il faut, que tu te
donnes tout entier à Dieu, comme il se donne à toi sans réserve» 126.

Il convient de relever également que nous trouvons chez ces


successeurs de Calvin des développements consacrés à d'autres
aspects encore du caractère sacrificiel de l'Eucharistie; par exemple
à son rôle de parallèle des sacrifices de l'Ancien Testament 127, à son
action propitiatoire 128; pendant des sacrifices de l'ancienne loi, la
Cène est aussi conçue comme un sacrifice de supplication qui implore
la grâce, l'application des fruits du Sacrifice expiatoire du Christ.
Devant ces textes si riches, cette réflexion théologique si dense,
nous ne pouvons que constater que des hommes comme du Moulin,

ll4 Réponse à un livre intitulé fi l'Office du saint Sacrement ou tradition de

l'Eglise touchant l'Eucharistie, recueillie des Saints Pères et autres Auteurs


ecclésiastiques et divisé en cinquante-deux Offices », Paris 1665, IX, off., p. 218.
Ils Comm. Ste, p. 333. Il est intéressant de constater que Basnage emploie en

quelque sorte le même vocabulaire que le Synode du Latran de 1059 dans son
jugement de Bérenger: «scilicet panem et vinum, quae in altari ponuntur, post
consecrationcm non solum sacramcntum, sed etiam verum corpus et sanguinem
Domini nostri Jesu Christi esse, et sensualiter non solum sacramento, sed in
veritate manibus sacerdotum tractari, frangi et fidelium dentibus atteri». Cf.
HÉFÉLÉ, Hist. des Conciles, Paris 1871, VI, p. 384.
116 Comm. Ste, p. 318s.

127 Par exemple: M. de la ROCOUE, Hist. de l'Euch., p. 96s; D. de SUPERVIUE,


Vraie Comm., p. 76s.; Saine IJ,Jctrine, p. 389s.; Jacques SAUlUN, Sermons,
Tome V, p. 460-508.
III Du MOULIN, Bouclier de la Foi, p. 482-483.
CHEZ LUTHER, CALVIN ET LEURS SUCCESSEURS 103

de la Rocque, Basnage ... ont eu une vision bien plus exacte des liens
unissant la Cène et la Croix, que leurs prédécesseurs du temps de
la Réforme. Ces derniers, comme d'une manière général leurs con-
temporains, s'étaient achoppés à l'opposition trop célèbre {( repré-
sentation-réitération ~~. Par contre il senlble bien que pour les géné-
rations suivantes, celles d'un du Moulin, d'un Basnage, le problème
ne s'est plus posé ou du moins sans la nlême acuité. En effet les
nombreux textes que nous venons de voir laissent bien entendre que
leurs auteurs percevant toute la portée du terme anamnèse qu'em-
ploie le récit évangélique, ont saisi ce qu'est le mystère de ré-actua-
tion, réactualisation que comporte le mémorial eucharistique. Pour
eux comme pour les Pères de l'Eglise ancienne 129, l'Eucharistie est
incontestablement un mystère de l'action de Dieu, le lieu d'un méta-
bolisme miraculeux qui fait du sacrement un rite plein de puissance,
plein de la Puissance salvatrice du Christ. Pour eux par la commu-
nion le fidèle ne peut être que transformé, transfiguré même, et
de fait être transporté de reconnaissance, reconnaissance qu'il exprime
pas ses louanges, ses actions de grâces, en s'offrant lui-même en sa-
crifice vivant à son Seigneur .

•••
En résumé nous pouvons dire que non seulement les doctrines
luthériennes et calviniennes ont évolué au cours des ministères des
deux grands réformateurs, par suite surtout des combats qu'ils du-
rent mener, mais aussi que cette évolution s'est poursuivie après eux
et cela, en grande ligne, dans deux directions divergentes.
Nous pouvons en effet constater, en particulier dans le calvi-
nisme, qu'à côté du courant dit libéral d'influence zwinglienne, un
courant orthodoxe s'est développé avec vigueur affirmant:

129 Cette similitude n'est pas étrange. En effet, afin de prouver qu'ils étaient

dans la vraie tradition de l'Eglise et pour se défendre du reproche de nou,


veauté (c'est·à·dire d'erreur) que leur faisaient leurs adversaires, les théologiens
protestants se sont appliqués à étudier d'une manière très approfondie les
Pères parallèlement à leur étude des textes bibliques seule norme de vérité pour
eux comme pour tous ceux qui se réclament de la Réfonne.
C'est sans doute cette double étude qui leur a permis de saisir bien mieux
que les générations précédentes toute la richesse du rite eucharistique, en leur
ùonnant de retrouver le témoignage des premières générations chrétiennes.
104 JEAN DE WATTEVILLE

- la présence réelle et le métabolisme eucharistique;


- !'éfficacité miraculeuse de la communion;
- le caractère de mémorial ré-actualisation de la Sainte Cène,
parallèle des zikkârôn de l'Ancien Testament.
Malheureusement, par la suite, spécialement dans les Eglises ré-
formées, la réflexion théologique s'éloigna considérablement de ces
positions. Ce n'est que récemment sous l'influence en particulier des
travaux de Dom Casel et des recherches de patristique que se ma-
nifeste un renouveau d'intérêt pour ces questions. Souhaitons que
ces études permettent aux chrétiens de retrouver toujours plus le
sens véritable de la Cène afin qu'ils soient toujours plus {( un en
Christ, pour que le monde croie».

Jean DE W ATTEVILLE
ÉCONOMIE DU SALUT ET SENS SPIRITUEL DE L'ÉCRITURE

Introduction

Avant d'aborder le sujet lui~même, il est utile de définir les deux


éléments mentionnés dans le titre.
L'économie du salut sera entendue dans sa plus large extension:
tout le plan providentiel pour acheminer la création à l'épanouisse-
ment final que Dieu lui destine. Il s'agit donc non pas exclusivement
de la réparation d'un dommage causé par le péché, mais aussi d'une
maturation l, Il arrive qu'on emploie ce terme de salut dans l'accep-
tion restreinte de délivrance d'une servitude entraînée par la faute
de la créature. Mais l'Ecriture nous invite à une vue plus large.
L'homme, vivant actuellement dans un état de faiblesse, d'assujettisse-
ment à des contraintes pénibles, de privation de gloire, est appelé à
une condition meilleure. Mais tout dans ses limites douloureuses
n'est pas nécessairement une conséquence du péché; ce peut être une
étape provisoire dans un développement voulu par Dieu (cf. Gal 4, 1-7).
Sans nier que le salut comporte une large part de réparation du
péché et de ses suites, je voudrais sous le nom d'économie du salut
envisager tout le dessein du Créateur, tel qu'il nous est révélé dans
la Bible.
L'action divine comporte plusieurs étapes de la création à l'épa-
nouissement ultime. Pour la foi chrétienne, le Christ est l'étape cen-
trale et essentielle. Cependant je ne m'y arrêterai pas. Il s'agit d'un
thème plus connu. Dans la nécessité de faire un choix imposé par le
temps alloué à un conférencier, je m'attacherai à d'autres parties du
plan divin: la création, d'une part, et la Jérusalem céleste, lieu de
la paix définitive, d'autre part. Ces réalités, qui échappent à notre
expérience directe, nous sont connues à partir du salut déjà accordé

1 Pour cette définition très compréhensive du salut, on peut voir J.P. JOSSUA,
« L'enjeu de la recherche théologique actuelle sur le salut ll, dans Rev. Sc. ph. th.
54 (1970) 24-45, qui renvoie lui-même à Y. CONGAR, Vaste monde, ma paroisse,
1959, en particulier pp. 44-75.
106 ANDRÉ-MARIE DUBAR::LE=_ _ _ _ _ _ _ _ __

à Israël. Les écrivains inspirés de l'Ancien et du Nouveau Testament


en ont parlé grâce à des procédés typologiques, dont nous étudierons
quelques exemples. Il reste donc à définir brièvelnent ce qu'est la typo~
Iogie, ou sens spirituel de l'Ecriture, deuxième élément dans le titre
de cette conférence 2.
Le sens spirituel est fondé sur une analogie entre des étapes
successives de l'œuvre de Dieu. Dans la suite d'actes divins coor~
donnés en vue de l'épanouissement de l'univers créé et de sa restau-
ration dans le cas d'une détérioration, il y a simultanément conti-
nuité et gratuité. Les interventions nouvelles de Dieu ne sont pas
déterminées nécessairement par le passé. Mais elles ne sont pas non
plus sans rapport intrinsèque avec lui. Elles se ressemblent et l'une
peut permettre de connaître l'autre, quand elle présente, plus immé-
diatement visibles, des traits plus cachés dans l'autre. Mais elles ne
sont pas absolument identiques ou interchangeables ou situées au
même niveau.
Par deux fois saint Paul exprime le rapport du terme final au temps
présent par l'image d'un développement dans la vie. La vision face
à face de Dieu est le stade adulte de la vision partielle, caractéristique
d'un âge enfantin (1 Cor 13, 10-12). Le corps ressuscité est la germi-
nation glorieuse de la semence jetée en terre avec le corps mortel
(1 Cor 15,42-44). La vie biologique ou psychologique s'accroît, passe
par diverses formes avant d'atteindre la forme parfaite.
Mais cette comparaison impose des limites à la typologie. L'obser-
vation d'une graine ne permet pas de prévoir ce que sera la plante
qui en sortira. C'est l'expérience qui nous fait connaître le lien entre
l'état de graine et l'état de plante adulte. Dans le cas d'une expé-
rience préalable nous pouvons prévoir ce que donnera telle graine.
Faute d'une telle expérience, nous ne pouvons prévoir que de ma-
nière lointaine ce qui sortira d'une graine encore inconnue. Ainsi,
faute d'avoir encore joui de la vision de Dieu, nous ne trouvons
dans le texte de 1 Cor 13, 10-12 qu'une révélation très obscure.

2 Cf. A.M. DUBARI.E, «Le sens spirituel de l'Ecriture », dans Rev. Sc. ph. th.

31 {1947) 41-72. Dans cet article j'ai précisé ce que peut être un usage légitime
du sens spirituel d'après les exemples que l'Ecriture elle-même nous en donne.
G. von RAD, Theologie des Alten Testaments, t. II, 1960, pp. 329-424, a montré
longuement la présence d'une typologie dans l'Ancien Testament lui-même, ce
qui justifie en principe la lecture typologique chrétienne, qui en sera faite ulté-
rieurement.
EN RAPPORT AVEC LA TYPOLOGIE BIBI .IOUE 107

Ceci correspond à la gratuité qu'on ne peut éliminer des initiati-


ves de Dieu au cours de l'histoire du salut. Si l'on considère l'ensemble
de l'aventure humaine, l'élection d'Israël est un don gratuit que
rien n'exigeait, même si bien des faits le préparaient et le rendaient
possible. Dans la destinée d'Israël chaque grande personnalité, cha-
que époque a un caractère imprévisible. Le Christ est le cas le plus
saillant de cette irruption inattendue de la grâce. Malgré l'élan pro-
phétique soulevant l'Ancien Testament, rien ne donnait à penser que
toutes les promesses de Dieu trouveraient en un seul envoyé le
« oui)} de leur accomplissement total (cf. 2 Cor 1, 20), qu'un même
sauveur serait à la fois messie, fils de l'homme, serviteur de Dieu,
prophète, prêtre, etc.
Dans la vie religieuse du peuple de Dieu avant comme après la
venue du Christ, on ne peut éliminer la place du don gratuit. Si
l'homme est créé à l'image de Dieu, destiné à le rencontrer et à le
voir, il ne peut se procurer par lui-même une telle fin. C'est au
terme d'une épreuve qu'il y est conduit. Dans l'étape de sa vie ter-
restre, c'est par un don gratuit qu'il approche plus ou moins de ce
but ultime, ce n'est pas en vertu d'un nlérite ou d'une activité effi-
cace. La notion d'épreuve de la liberté permet à la fois d'affirmer
la cohérence entre le début et la fin, entre la création et la con-
sommation, et de maintenir la gratuité d'une possession partielle et
anticipée de la fin au cours de l'épreuve, telle qu'elle est donnée aux
chrétiens.
Le sens spirituel de l'Ecriture est cette aptitude qu'ont les évé-
nements, les personnages, les institutions visés par le texte biblique
à représenter d'autres événements, d'autres personnages, d'autres
institutions. Ainsi les infidélités commises par le peuple d'Israël
après la sortie d'Egypte peuvent-elles préfigurer les infidélités qui
menacent les membres de la communauté chrétienne. Paul voit dans
les premières avec le châtiment qui les avait frappées un exemple
instructif, typos, pour ses correspondants de Corinthe 3. Malgré l'adhé-
sion à l'économie officielle et collective du salut, le fidèle n'est pas
prémuni contre une chute dans le péché. Il y a là une loi qui vaut
aussi bien pour les Hébreux dans le désert que pour les baptisés.

J 1 Cor 10, 1-13. L'emploi du mot typos dans ce passage a donné occasion

de former le terme plus abstrait de «typologie» et l'exemple donné par Paul


a favorisé le développement de cette méthode d'interprétation.
108 ANDRÉ-MARIE DUBARLE

Sans la formuler abstraitement, on peut tirer du sort des premiers


un avertissement pour les seconds, comme le fait Paul.
Ce sens spirituel de l'Ecriture a été fréquemment exploité par
les auteurs du Nouveau Testament, puis par les Pères de l'Eglise.
Mais avant d'opérer sur des textes déjà fixés et revêtus du prestige
de l'inspiration divine, plusieurs écrivains de l'Ancien Testament ont
utilisé leur connaissance concrète d'une étape du salut pour en
décrire une autre. Ils ont ainsi manifesté le sens spirituel des réalités
religieuses dont ils vivaient, sans passer par le détour d'un écrit.
Mais pour le fond le procédé mental est le même et on peut utiliser
le témoignage des uns et des autres sans avoir à séparer ceux qui
s'appuient sur un livre antérieur et ceux qui ne le font pas.
Cet usage du sens spirituel s'est opéré dans deux directions,
vers le passé ou vers l'avenir. A partir du salut présent les auteurs
inspirés ont découvert ce qu'une expérience directe ne leur mani-
festait pas: la création ou la vie éternelle. Ce seront les deux parties
de cet exposé.

LA CRËATION À LA LUMIÈRE DU SENS SPIRITUEL

Les écrivains de l'Ancien Testament sont guidés par un principe


qu'ils ne formulent pas toujours expressément, mais qui domine leur
pensée. Iahweh est le Dieu fidèle dont l'action accomplit les promes-
ses du passé. Au buisson ardent il s'est nommé le Dieu d'Abraham,
d'Isaac et de Jacob, celui qui vient tenir le serment qu'il leur a fait
de leur donner une terre féconde et de multiplier leur descendance
(Ex 2, 24; 3,6.16; 6,4.8). A partir de là on découvrait que cette pro-
messe faite aux patriarches accomplissait elle-même ou relayait une
promesse plus ancienne faite à l'homme lors de sa création 4.
Dieu avait fait l'humanité mâle et femelle et lui avait accordé
sa bénédiction: cc Soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre
et soumettez-la; dominez ... » (Gen 2, 27-28). La création est une

4 Sur les rapports entre la foi au Dieu Sauveur et la foi au Dieu Créateur
dans l'Ancien Testament, voir E. BEAUC.<\MP, La Bible et le sens religieux de l'uni-
vers (Lectio divina, n. 25) 1959. Cette étude, qui montre comment la première
foi a donné naissance à la seconde, complète heureusement G. von RAo, « Das
theologische Problem des alttestamentlichen Schopfungsglaubens» (1936), repris
dans Gesammelte Studien zum A. T., 1958.
EN RAPPORT AVEC LA TYPOLOGIE BIBLIQUE 109

première étape dans le déroulement d'un plan divin, dont la Genèse,


l'Exode, les Nombres, Josué nous montrent l'exécution graduelle. A
l'humanité entière est accordé dès le début un bien dont Israël
doit jouir après en avoir éprouvé la privation dans la stérilité de
Sara, de Rébecca, de Rachel et dans l'errance des pasteurs nomades,
qui ne sont jamais chex eux, mais toujours des hôtes de passage.
Israël déjà s'était multiplié en Egypte. En le délivrant des cor·
vées de la maison de servitude, Dieu rendait possible à son peuple
d'aller occuper cette terre excellente qu'il lui avait promis, de l'exploi-
ter pour son avantage. Cette expérience de salut révélait l'intention
initiale de Dieu: faire de l'homme non un esclave, mais un homme
libre. En signe de la liberté recouvrée Dieu institua la loi du sabbat.
Grâce au chômage obligatoire du septième jour, le travail ne serait
plus la tâche harassante qu'il avait été en Egypte (Deut 5, 12-15).
Et ce jour de repos serait aussi un jour consacré à Iahweh et mar-
qué par des rites religieux (Lev 23, 3; Nb 28, 9-10). Un prophète vou-
drait qu'il soit un jour de joie sainte, où Iahweh ferait les délices
de son fidèle (Is 58, 13-14).
La Genèse montre donc l'institution du septième jour dès la
création (Gen 2, 3). Ce n'est pas une loi de chômage rigoureux, avec
toute la raideur que comporte une loi, son inadaptation à des situa-
tions exceptionnelles. Le septième jour est le jour béni et sanctifié,
celui où l'on trouvera son bonheur en Dieu. C'est le moyen naïf et
profond à la fois de dire que l'homme n'a pas pour unique fin
d'exploiter le monde matériel pour subvenir à ses besoins, qu'il est
fait pour Dieu, qu'il trouve dans l'approche religieuse de Dieu un
bonheur plus grand que dans la simple jouissance des fruits de son
travail.
Ce même récit de la création, qui s'inspire des bénédictions ac-
cordées aux patriarches et au peuple libéré d'Egypte pour décrire la
destination de l'homme, contient une expression caractéristique pour
définir la relation de l'homme à son Auteur: Dieu créa l'homme à
son image (Gen 1, 27). Ici encore on peut discerner le lien entre
l'expérience présente du salut et le regard jeté vers les origines.
Les écrivains bibliques sont persuadés qu'une ressemblance s'établit
entre l'adorateur et la divinité qu'il vénère. C'est une constatation
amère dans les prophètes et les historiens. Israël est allé après la
vanité (les faux dieux) et il est devenu vain (2 Rois 17, 15; Jer 2, 5).
Il s'est voué à Baal et il est devenu abominable comme l'objet de
son amour (Os 9, ID). Les fabricants et les fidèles des idoles de-
110 ANDRÉ-MARIE DUBARLE

viendront comme elles insensibles et impuissants (Ps 115, 8; 135, 18;


Is 42, 17-20; 44, 9.17-20; Jer 5, 19-21; Ez 12,2).
A l'inverse Iahweh donne l'ordre à Israël de l'imiter. «Soyez
saints parce que je suis saint" (Lev 11, 44; 19, 2; 20, 26; cité par 1 Pi
1, 16). Il impose d'être bon pour le débiteur dans la gêne: "s'il crie
vers moi, je l'écouterai, car je suis compatisssant, moi}) (Ex 22, 26).
Pour être nl0ins explicitement formulé, le devoir d'imiter Dieu n'est
pas moins clair.
Cette imitation est le développement d'un don déjà reçu. Dieu
donne et, en conséquence, il ordonne. Dieu a mis son peuple à part
de tous les peuples de la terre. II l'a rendu saint (Ex 19, 6; Lev 20,
8.24.26; 21, 8.15.23; 22, 9.16.32). A cause de cela il lui impose de
rester saint en s'abstenant des souillures des autres peuples et d'ac-
croître sa sainteté en absen'ant ses lois. L'image imprimée en Israël
lors de sa libération est une réalité dynamique et non pas simple-
ment un sceau que l'on imprime sur une matière inerte. Aussi a-t-on
pu concevoir que déjà elle avait été conférée à l'homme lors de sa
création et la récente initiative salutaire de Dieu ne faisait que
réactiver un don antérieur. Paul sera bien dans la ligne de ces
réflexions, quand il montrera le lien entre l'image de Dieu et la
croissance de la vie chrétienne (2 Cor 3, 18; Col 3, 10). Avant lui
Jésus a déjà tracé un programme d'une ampleur infinie quand il a
dit: « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait» (Mat 5,
48). « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux)}
(Luc 6, 36).
Outre le récit des six jours, divers textes poétiques envisagent
la création à partir de l'expérience du salut. Reprenant le langage
d'anciens mythes païens, ils rapprochent la lutte du dieu créateur
ou ordonnateur contre le chaos et le triomphe de Iahweh sur ses
adversaires lors de l'Exode. Le prophète de la consolation d'Israël
pendant l'exil évoque les interventions puissantes de Iahweh au cours
de la traversée de la Mer Rouge dans une même perspective avec le
combat contre les monstres du chaos primordial (ls 51, 9-10; cf. Ps
74, 12-17; 89, 10-11). C'est la même puissance irrésistible qui s'est
déployée pour fonder les cieux et la terre, poser une limite à la mer
impétueuse et pour dessécher les eaux du grand abîme afin d'y faire
une route où passerait le peuple des rachetés. Le Dieu Sauveur, qui
avait à son service les forces matérielles de l'univers pour libérer
les siens, est celui qui les a établies dès l'origine.
EN RAPPORT AVEC LA TYPOLOGIE BIBLIQUE 111

Cette manière de considérer la création peut nous surprendre,


nOUs choquer presque. Une création ex nihilo ne peut comporter une
lutte contre des adversaires, ni même un effort pour surmonter des
résistances. Mais ce langage encore proche des mythes païens a l'avan-
tage de nous rappeler l'activité propre conférée par Dieu à ses œuvres
et de mettre en lumière la continuité homogène entre la création ini-
tiale et l'action salutaire au cours du temps 5.

LE FUTUR À LA LUMIÈRE DU SENS SPIRITUEL

La connaissance des actes salutaires de Iahweh ne permet pas


seulement de remonter vers Je passé; elle dévoile aussi l'avenir. Les
écrivains de l'Ancien Testament ont ainsi présagé de nouvelles étapes
dans la vie du peuple de Dieu, sans qu'on voie toujours clairement
s'ils pensent à un destin terrestre ou à la consommation finale cé-
leste. Mais c'est ordinairenlent de cette dernière que s'occupent les
livres du Nouveau Testament, s'appuyant sur les prophètes.
L'exode hors d'Egypte, qui a été la manifestation par excellence
de Iahweh, devient le modèle d'après lequel on espère la délivrance
de Babylone. Le prophète anonyme de l'exil multiplie les variations
sur ce thème du nouvel exode. Comme dans la première pérégrina-
tion au désert, des sources jailliront pour abreuver le peuple, bien
plus pour transformer la steppe aride en une forêt luxuriante (Is 41,
17-20; 43, 20; 44, 3; 48, 21; 49, 10; 51, 3; 55, 12-13). Comme lors de la
traversée de la Mer des roseaux, Iahweh reçoit le nom d'homme de
guerre (Ex 15,3; Is 42, 13). Il terrasse ses ennemis et fait briller de-
vant la caravane des exilés une lumière qui rappelle la colonne de feu
marchant devant Israël dans le désert (Ex 13, 21-22; 40, 38; Is 42,
16). Au lieu d'un itinéraire pénible, qui lassait la patience du peuple
échappé d'Egypte (Nb 21, 4), le retour de Babylone se fera par une
route droite et unie, pour laquelle les montagnes seront abaissées et
les vallées comblées (Is 40, 3-5; 49, 9-12). En un mot le nouvel exode
fera oublier le premier (ls 43, 16-20).

SN. LOI-IFINK a montré comment le récit de la création et du premier péché


dans Gen 2-3 était construit selon un plan tiré de la foi au salut historique
d'Israël. Ce point n'a pu être abordé dans la présente conférence. Voir Das Sie-
geslied am Schilfmeer, 1964, ch. 3 (trad. franç.: L'Ancien Testament, Bible du.
chrétien au.jourd'hui, 1969), et Bibelauslegung im Wandel, 1967, ch. 4 (trad. franç.:
Sciences bibliques en marche, 1969).
112 ANDRÉ-MARIE DUBARLE

Après sa délivrance, Iahweh avait conduit Israël au Sinaï, pour


y conclure une alliance avec lui. Ce fait a servi également de modèle
pour décrire l'avenir religieux du peuple élu. Jérémie annonce une
nouvelle alliance, dont il fait ressortir la supériorité. Dans la jeunes-
se du prophète le roi Josias avait renouvelé l'alliance entre Iahweh
et son peuple, à l'occasion de la découverte d'un livre de la Loi dans
le temple. On avait donc promulgué à nouveau les obligations in-
combant à Israël, que Dieu avait choisi pour sien (2 Rois 22-23). Mais
un tel renouvellement était resté infructueux. Le cœur n'avait pas été
changé, ce cœur rusé que Iahweh seul pouvait sonder (J er 17, 9),
sur lequel était gravé le péché de Juda (Jer 17, 1).
Aussi, après cette expérience décevante, le prophète annonce-t-il
une nouvelle alliance. Le but final reste le même: « Je serai leur Dieu
et ils seront mon peuple" (Jer 31, 33). Mais la loi, inséparable du
pacte, sera écrite directement sur le cœur de tous. Elle ne passera
pas par l'intermédiaire d'une autorité humaine, chargée de la promul-
guer. Elle ne sera plus sujette à des altérations, comme les scribes
s'en étaient déjà rendus coupables (Jer 8, 6). Elle ne sera plus im-
posée par la crainte des châtiments; chacun se portera spon-
tanément à l'accomplir; chacun connaîtra directement Iahweh (Jer
31, 33-34).
Jérémie décrit donc un régime nouveau de l'alliance, non pas
en s'appuyant sur un texte écrit, mais s'inspirant de la connaissance
familière qu'il avait de l'alliance mosaïque par son expérience de
la vie religieuse en Juda et par le spectacle vivant de la réforme de
Josias et du renouvellement des engagements qui liaient Dieu et son
peuple. La nouveauté qu'annoncent les prophètes n'est pas une rup-
ture radicale avec le passé, du moins quand il s'agit des actes de
Dieu. C'est une reprise plus parfaite, plus efficace de ce qui avait
déjà commencé de s'accomplir.
Aussi Iahweh promet-il de faire du nouveau (ls 43, 19; 48, 6): un
cœur nouveau, sensible à ses préceptes (Ez 36, 26), une Jérusalem
nouvelle, dotée d'un nom nouveau (ls 62, 2) et brillant d'une gloire
incomparable, de nouveaux cieux et une nouvelle terre (ls 65, 17),
un serviteur qui sera un nouveau Moïse (ls 42, 1-6; 49, 1-6).
Dans le Nouveau Testament ce n'est plus seulement la connais-
sance directe d'une œuvre de Dieu qui sert de base à la découverte
du passé ou de l'avenir, à l'interprétation du présent; c'est un texte
doué d'une autorité divine: l'Ecriture, lue dans la synagogue chaque
sabbat, dans laquelle Dieu lui-même parle à son peuple. Le mouve-
EN RAPPORT AVEC LA TYPOLOGIE BIBLIQUE 113

ment de la pensée reste le même. Il nous devient simplement plus


perceptible, car le texte ancien est cité expressément ou reproduit
dans ses tern1es facilement reconnaissables. L'Apocalypse, en parti-
culier, pour décrire la vie éternelle, reprend les images dont avaient
usé les prophètes. Elle les entremêle artistiquement, pour nous faire
entrevoir ce que l'œil n'a pas vu, l'oreille n'a pas entendu, qui n'est
pas monté au cœur de l'homme (cf. 1 Cor 2, 9).
Après l'exil Jérusalem avait été dépeinte comme une ville de
paix, dont les portes pouvaient rester ouvertes jour et nuit, où con-
vergeraient les caravanes apportant les richesses de toutes les na-
tions pour entretenir le culte du temple. Elle était en même temps
une jeune épousée, qui s'est faite belle pour le jour de ses noces (ls
60-62). Saint Jean reprend ces expressions. Mais il précise qu'il n'y
a pas de temple dans la ville, car Dieu et l'Agneau en tiennent lieu
(Ap 21, 22): la présence divine n'est pas limitée à une place déter-
minée. Et il n'y aura pas de nuit (Ap 21, 25), modification apportée
à Is 60, 11; 62, 6 et inspirée de Zac 14,7.
Ezéchiel avait décrit une Jérusalem restaurée après l'exil, mais
encore terrestre. Toute la terre sainte était divisée au cordeau et à
l'équerre, comme s'il n'y avait plus de vallée ou de colline qui s'oppose
à la libre exploitation du sol par l'homme. On ne tenait plus compte
de l'implantation géographique ancienne des tribus. Chacune rece-
vait une bande d'égale largeur, allant de la mer au Jourdain, qui ser-
vait de frontière. La ville de Jérusalem avec ses banlieues, ses quar-
tiers d'habitation, son territoire sacré pour le temple, était divisée
en carrés et bandes rectangulaires (Ez 48). Un torrent s'échappait du
temple et descendait assainir la Mer Morte, pour que le poisson pût
y vivre (Ez 47, 1-12).
Jean reprend cette description. La Jérusalem céleste est une
ville quadrangulaire, une pyramide, semble-t-il, dont la hauteur est
égale à la largeur. Elle a douze portes, trois vers chacun des points
cardinaux; les portes ont le nom des douze tribus (Ap 21, 10-22). Jean
suit Ezéchiel, qui lui-même s'inspire de la disposition du campement,
pendant l'exode (cf. Nb 2, 1-34).
Zacharie avait lui aussi décrit une Jérusalem non plus seule-
ment restaurée après l'exil, mais délivrée après un assaut des na-
tions contre elle. La terre est transformée en plaine. La ville est
surélevée. Des eaux vives en sortent été comme hiver. Mais il n'y a
plus ni gel, ni nuit; il n'y a plus d'anathème (Zac 14, 6-11). Toutes
les nations viennent à Jérusalem pour y célébrer chaque année la
114 ANDRÉ-MARIE' DUBARLE

fête des Tentes (Zac 14, 16). Jean reprend littéralement ces divers
traits, en les insérant délicatement dans la trame formée par les
descriptions d'Isaïe et d'Ezéchiel. Il ne parle pas du pèlerinage de la
fête des Tentes, mais précéden1ment il a montré une grande foule
se tenant devant le trône de Dieu et devant l'Agneau: tous sont en
costume de fête et portent des palmes à la main, comme il était
prescrit pour la fête des Tentes (Lev 23, 40; Ap 7, 9).
Ainsi des réalités concrètes, la ville de Jérusalem, le temple, une
solennité liturgique ont servi aux prophètes de l'Ancien Testament
pour exprimer l'œuvre future de Dieu dans une restauration qui
comporterait encore bien des éléments terrestres. Et ces descriptions,
déjà épurées et spiritualisées, ont été synthétisées par l'Apocalypse
et portées à un plus haut degré de pureté spirituelle. Ce qui est lié
de trop près à une territoire géographique, à un rituel, à un calen-
drier disparaît finalement, pour laisser place à l'évocation d'une réa-
lité ineffable. Tout ce qui est transitoire, tout ce qui finit par la
mort, tout ce qui comporte la douleur s'efface devant la vie et l'allé-
gresse sans fin.
Dans cette béatitude les élus de Dieu « le servent et voient son
visage» CAp 22, 4) 6. Ce qui est promis ici, après plusieurs textes du
Nouveau Testament (Mat 5, 8; 18, la; 1 Cor 13, 12; 2 Cor 5, 7; Heb 12,
14; 1 ln 3, 2), c'est la réalisation avec une densité nouvelle de ce qui
s'ébauchait ou se souhaitait dans les célébrations liturgiques de
l'ancienne alliance. « Voir la face de Dieu », c'est se présenter de-
vant lui dans un sanctuaire, le rencontrer à l'occasion d'un pèlerinage
de fête, venir consulter un interprète de sa volonté 7, On vient voir
cette face avec des présents (Gen 33, la; Ex 23, 15; Sir 35, 4). Dans
les psaumes chercher la face de Dieu (Ps 24, 6; 27, 8; 105, 4) est le
devoir du fidèle; la voir est le bonheur des hommes pieux (Ps 11, 7;
16, 11; 17, 15; 42, 3; cf. Job 33,26; Is 38, 11).

6 Sur la vue de Dieu scIon la Bible on peut consulter W. MICHAELIS, art.


6pa.w, dans Tl1eolagisclles Worterbuch zU/n N. T., t. V, 1954, pp. 315·381.
7 Gell 33, 10; Deut 31, 11; 1538, 11; Ps 17, 15; Job 33, 26. Outre ces cas incon-

testables, il y en un plus grand nombre où la formule passive du texte masso-


rétique actuel «être vu (se présenter) à la face de Dieu» est, d'après un bon
nombre d'exégèles modernes, une légère correction des scribes, motivée par un
scrupule théologique: on ne peut voir la face de Dieu; Ex 23, 17; 34, 23-24; Delit
16, 16; 1 Sam 1, 22; 15 1, 12; Ps 42, 3; Sir 35, 4. La traduction des Septante,
à une ou deux exceptions près, est conforme au texte massorétique.
EN RAPPORT AVEC LA TYPOLOGIE BIBLIQUE 115

Par ailleurs, voir la face de Dieu apparaît comme impossible à


l'homme charnel. Un texte le dit expressément (Ex 33, 20-23). Beau-
coup d'autres laissent entendre qu'il y a là un danger de mort presque
certaine (Cen 32, 31; Ex 3, 6; 19, 21; Lev 16, 2; lug 6, 22; 13, 22; 1
Rois 19, 13; Is 6, 5). Même la vue des objets sacrés du culte ou l'audi-
tion de la voix divine feraient courir un risque semblable (Nb 4, 20;
Deut 4,12.33; 5,24-26). Moïse, qui a demandé à voir la gloire de Iahweh,
n'est exaucé qu'à demi. Il ne pourra apercevoir Iahweh que de dos
après son passage (Ex 33, 23) et pourtant il est un privilégié, à qui
Dieu parle bouche à bouche et qui voit la forme de Iahweh (Nb 12,
8), à qui Dieu parle comme à un ami, face à face (Ex 33, 11; Deut 34,
10). Cette conscience d'une incapacité foncière de l'homme à voir
Dieu s'affermit de plus en plus et la correction textuelle signalée plus
haut (note 7) en témoigne. Le Nouveau Testament la réaffirmera
(ln 1, 18; 6, 40; Coll, 15; 1 Tim 6, 16; 1 ln 4, 12.20).
Et cependant il ne désavoue pas jusqu'au bout la naïve audace
des anciens fidèles qui espéraient ou pensaient voir la face de Dieu
dans son sanctuaire. Seulement cette rencontre ne se produira pas
sur cette terre, en cette vie mortelle. Ce sera la récompense accordée
au juste dans la vie éternelle. Cette promesse concilie les deux aspects
affirmés tour à tour dans une tension non surmontée. Une expérience
religieuse modeste faite dans le culte forme le point d'appui d'une
espérance à la richesse infinie. La continuité entre ces vues de l'An-
cien et du Nouveau Testament ressort encore du fait que l'accès à
cette vue céleste de Dieu est conditionnée par une purification
(d'ordre spirituel évidemment: Mat 5, 8; Heb 12, 14; 1 ln 3, 3), tout
comme la rencontre cultuelle de Dieu dans le sanctuaire de l'ancienne
alliance devait être précédée par des purifications rituelles (Ex 19,
10.15; Lev 12, 4; 15, 31; Nb 19, 13.20)_ Par cette vue de Dieu sera
accomplie parfaitement la ressemblance que le Créateur avait im-
primée sur son image (1 ln 3, 3; cf. Cen 1, 26).

CONCLUSION

Grâce aux quelques exemples relevés ici on peut se rendre compte


de l'importance du sens spirituel des textes bibliques et des réalités
signifiées par eux pour la découverte du plan divin de salut dans
l'histoire. Le sens spirituel n'est pas une fioriture un peu gratuite
que l'on rajouterait après coup pour donner une valeur édifiante à
116 ANDRÉ-MARIE DUBARLE

une histoire qui en manquerait autrement. II est l'instrument grâce


auquel ont été connues les périodes qui échappaient à la connaissance
directe et a été précisée leur articulation avec les révélations centrales
de l'exode et du Christ. Ces temps forts de l'expérience du salut ont
éclairé les périodes plus obscures. Nous avons tendance à ne voir du
sens spirituel qu'à propos de l'explication d'un écrit. Il importe de
comprendre que toute connaissance, de quelque manière qu'elle soit
acquise, avec ou sans l'intermédiaire d'un livre, est susceptible d'irra-
dier sa lumière sur d'autres portions de notre savoir. Cela est par-
ticulièrement vrai et fécond dans le plan cohérent établi par Dieu
pour le salut de hommes.

André-Marie DUBARLE
L'ÉCONOMIE DU SALUT DANS LES TEXTES LITURGIQUES
DE LA SAINTE RENCONTRE

C'est surtout dans les textes liturgiques que l'on trouve en Orient
les exposés théologiques des grands problèmes qui se rapportent à
l'Economie du Salut.
L'Orient Chrétien a été de tous temps nourri de théologie litur~
gique qui formait le centre de sa vie spirituelle. C'est dans les
textes récités ou chantés à l'Eglise, vraie Bible auditive, tout comme
en Occident il y avait une Bible visuelle dans les scènes en pierre
des cathédrales, que se trouve le développement des problèmes soté-
riologiques. Cela s'explique en partie par le fait que le pourcentage
des illettrés était très élevé et que le peuple apprenait l'histoire
sainte par l'intermédiaire du canonarche: un chantre proposé à
cet effet se mettait au milieu de l'Eglise et annonçait phrase par
phrase le texte des chants du jour que le peuple répétait à sa suite.
Dans les textes des grandes fêtes telle que la Sainte Rencontre,
est donnée non seulement l'histoire de l'événement biblique, mais
également son implication dans la vie de l'Eglise et des croyants.
Dans l'exposé que nous présentons on verra que la fête du 2 Février
a pris en Occident une signification différente de celle qu'elle avait
primitivement et que l'Orient, lui, avait gardée.
Dans le cycle des 12 Grandes Fêtes de l'Eglise Orthodoxe qui
portent le nom générique de {( Les douze Fêtes », la {( Sainte Ren-
contre », célébrée le 2 Février tant en Occident qu'en Orient, est peut-
être celle qui montre avec le plus de relief et une netteté extraordi-
naire le passage entre l'Ancien et le Nouveau Testament dans l'Eco-
nomie du Salut.
C'est vraiment la festivité du changement, de la fin de l~ pré-
paration et du début de l'Accon1plissement, de l'achèvement de la
Loi et de l'Avènement de la Grâce.
C'est dans les textes liturgiques orthodoxes du 2 Février, de son
Octave et de la fête des Sts Siméon et Anne, que nous voyons s'épa-
118 PIERRE KOVALEVSKY

nouir ce que les prophtes et les justes ont attendu et ce qui a ouvert
la voie pour la vie nouvelle.
Notre exposé comporte une étude sur l'origine de la fête tant en
Orient qu'en Occident, son sens liturgique et sa place dans l'Eco-
nomie du Salut et, enfin, une présentation de textes liturgiques
occidentaux et orientaux qui expliquent et glorifient cette étape im-
portante dans l'édification du royaume de Dieu.
La date du 2 Février, tant en Occident qu'en Orient, fut choisie
parce qu'elle correspond au quarantième jour après la naissance du
Sauveur, si l'on place cette dernière le 25 Décembre. La loi mosaïque
enjoignait aux parents d'apporter leur premier-né au Temple le 40 e
jour après sa naissance, si c'était un garçon, et le 80" jour, sÏ c'était
une fille (Lévitique XII, 2 à 8).
L'origine de la fête ou plutôt sa célébration solennelle à Jéru-
salem remonte très probablement au 3e siècle. Dans le Pèlerinage
d'Ethérie qui date du 4 e siècle, « la Sainte Rencontre» est men-
tionnée comme une fête instituée déjà depuis longtemps.
Originaire de Jérusalem elle fut adoptée par les autres Eglises
d'Orient entre le 5" et le 6~ siècles. A Constantinople elle fut solen-
nellement célébrée depuis l'année 542. Une épidémie de peste d'une
très grande violence s'était déclarée dans la capitale en 541. Elle
emportait chaque jour des milliers de victimes et fut suivie d'une
tremblement de terre très fort qui coïncida avec la fête du 2 Février.
Un {( Te Deum» qui rassembla une grande foule fut célébré alors
pour implorer la fin des fléaux et ceux-ci cessèrent. L'Empereur
Justinien institua alors des offices d'action de grâce le 2 Fé~rier
avec des cérémonies sur les places publiques, ce qui contribua à
rehausser la solennité de la fête déjà existante.
En Occident on attribue ordinairement l'institution de la fête
au Pape Gélase (492-496) ou à saint Grégoire le Grand (590-604).
Le premier problème qui se pose à propos de la fête du 2
Février se rapporte à son appellation. Tandis qu'en Occident son nom
officiel est « la purification de la Bienheureuse Vierge Marie », l'Orient
l'a toujours nommée « la Rencontre », en grec « l'Hypapante », parce
que la Vierge Marie n'avait pas besoin d'ète purifiée à cause de sa
conception virginale et que la fête avait pour elle un tout autre
sens.
Quoique fêtée à Rome au vrr siècle presqu'autant que l'Assomp-
tion, elle- n'est plus maintenant qu'une fête de deuxième classe et
DANS LES TEXTES DE LA SAINTE RENCONTRE 119

quand elle tOfl1be un dimanche, on l'ajourne au lundi suivant. Dans


les nouveaux textes qui vont être publiés, on doit restaurer la so~
lennité de la fête du 2 Février qui pourra être commémorée égale~
ment le dimanche.
En Orient, c'est une fête mariale, mais en même temps domi~
nicale. Elle n'est déplacée vers le dimanche précédent que si elle
tombe le lundi de la première semaine du carême qui est un jour
aliturgique.
Du point de vue des cérémonies, la fête de «la Rencontre»
ne comporte pas en Orient de purification ou de glorification de la
Lumière celeste qui forment le fond de la liturgie catholique ro-
maine. Celle~ci dans les textes des vêpres et de la messe parle de
l'enfant Jésus apporté par sa mère au Temple, mais les accompagne
de la bénédiction des cierges et de la procession qui n'ont jamais
existé en Orient. D'après certains auteurs cette procession dérive
d'une procession lustrale de l'ancienne Rome, ({ l'Amburbale» et ce
n'est que fortuitement qu'elle a été rattachée à l'office du 2 Février.
Selon la définition de l'El1cyclopédie Catholique: "La Chande-
leur est une fête en honneur de la purification de la Vierge », ce
qui a fait dire tout récemment encore à une revue protestante que
« La Chandeleur était une fête illogique. N'est~il pas étrange que tout

en enseignant que Marie était sans péché quand elle enfanta Jésus,
l'Eglise réserve un jour pour rappeler un acte qui prouverait qu'elle
n'était pas pure, mais imparfaite, comme tous les descendants
d'Adam ».
On peut donc affirmer que la fête du 2 Février en Occident a
un double sens: celui de la purification et celui de la glorification
de la lumière que le Christ apporte dans le monde.
Le Missel explique ainsi les cérémonies de la fête:
«La procession de la Chandeleur rappelle le voyage de Marie
et de Joseph montant au Tcmple pour y présenter l'Angc de l'Alliance,
comme l'avait prédit Malachie. La cire des cierges signifie la chair
virginale du divin enfant ».

Le Missel d'avant la dernière réforme comprenait des textes litur~


giques de la fête de la Purification, ainsi que la bénédiction des
cierges et la procession. Le nouveau Missel introduit l'appellation
de « Présentation ».
120 PIERRE KQVALEVSKY

Aux premières vêpres les antiennes et les psaumes étaient celles


de la circoncision. Il n'y avait qu'une antienne du Magnificat à la fête:
« Le vieillard portait l'enfant, mais l'enfant dirigeait le vieillard.
Marie vierge en enfantant son fils resta vierge après sa maternité.
Elle adora celui qui vint au monde ».

Pour la bénédiction des cierges il y a plusieurs oraisons dont


la première se lit ainsi:
«Seigneur Saint, Père tout-puissant, Dieu éternel, qui de rien
avez créé toute chose ct qui par le travail des abeilles avez voulu
transformer cette substance en cire et qui en ce jour avez accompli
la demande du juste Siméon, nous vous en prions humblement, par
l'invocation de votre saint nom et par l'intercession de la bienheu-
reuse Marie, toujours vierge, dont nous célébrons aujourd'hui la fête,
avec dévotion et par les prières de tous vos saints, daignez bénir
et sanctifier ces cierges pour l'usage des hommes, pour la santé des
corps et des âmes, sur terre comme sur mer. Exaucez de votre
sanctuaire céleste et du trône de votre majesté la voix de votre
peuple qui désire les porter avec honneur dans ses mains et vous
louer par ses chants. Soyez propice à tous ceux qui crient vers
vous et que vous avez rachetés par le précieux sang de votre Fils
qui est avec vous ».

La deuxième oraison traite à peu près le même thème:

« Dieu tout·puissant et éternel, qui avez présenté aujourd'hui


votre Fils unique dans votre saint Temple pour qu'il fût reçu dans
les bras de saint Siméon, nous supplions constamment votre clé·
mence de daigner bénir, sanctifier et par la lumière de votre
souveraine bénédiction allumer ces cierges que nous, vos serviteurs,
recevons et désirons porter allumés après les avoir reçus pour la
gloire de vôtre nom, afin qu'en vous les offrant, ô Seigneur notre
Dieu, rendus dignes et embrasés du feu sacré de votre très douce
charité, nous méritions d'être présentés dans le Temple saint de
votre gloire».

La troisième oraison commence par ces mots: {( Seigneur Jésus


Christ, vraie Lumière qui illuminez tout homme venant en ce mon~
de ... ». Suivent encore deux oraisons, puis le prêtre asperge les cierges
d'eau bénite et les distribue aux fidèles.
Pendant la procession on chante l'antienne qui se trouve dans la
liturgie orientale orthodoxe (stichère du 7 e ton de Côme aux vêpres de
la fête du 2 Février):
« Décores ta chambre, ô Sion, et reçois le Christ Roi. Accueille
avec amour Marie, qui est la Porte du Ciel, car elle est semblable au
trône des chérubins. Elle porte le Roi de Gloire, la Lumière
DANS LES TEXTES DE LA SAINTE RENCONTRE 121

Nouvelle. La Vierge s'arrête présentant son fils engendré avant


l'aurore. Siméon le recevant dans ses bras annonce au peuple qu'il
est le Maître de la vie et de la mort et le Seigneur du monde ».

L'introït se lit aÏnsi:

« Nous avons reçu de Dieu votre miséricorde au milieu de votre


Temple. Comme votre nom, ainsi votre louange ira jusqu'aux
extrémités de la terre. Votre droite est pleine de justice. Le Seigneur
est grand et digne de toute louange dans la cité de notre Dieu, sur
la montagne sainte».

La dernière oraison parle également de la présentation:

({ Dieu tout-puissant et éternel, nous supplions humhlement votre


majesté de faire que, comme votre Fils unique en la substance de
notre chair a été aujourd'hui présenté dans le Temple, ainsi nous
vous soyons présentés avec des cœurs purifiés».

Les lectures des Epîtres et de l'Evangile diffèrent sensiblement.


Dans le rite romain on lit la prophétie de Malachie (3,1-4). Le pro-
phète parle du Dominateur et de l'Ange de l'Alliance qui sera comme
le feu qui fond les métaux et comme l'herbe des foulons, et du
sacrifice que les fils de Sion offriront au Seigneur.
La liturgie orthodoxe au contraire comporte une lecture de l'Epî-
tre de St Paul aux Hébreux (7,7-17) qui se termine ainsi:
« Si la perfection était acquise avec le sacerdoce lévitique sur
qui de fait repose la Loi, donnée au peuple, quel bcsoin y avait-il
encore d'instituer un autre prêtre selon l'ordre de Melchisédech, au
lieu de dire pour lui selon d'ordre d'Aaron? Mais le sacerdoce
changé, c'est nécessairement un changement de la Loi qui se produit.
En effet celui à qui s'appliquent ces mots appartient à une autre
tribu, dont aucun membre n'a été attaché au service de l'autel. Il
est notoire que notre Seigneur est issu de Juda, une tribu dont
Moïse n'a rien dit en parlant des prêtres. L'évidence croît encore,
si c'est à la ressemblance de Melchisédech qu'est institué un autre
prêtre, devenu tel non d'après la prescription de la loi de la chair,
mais selon la puissance d'une vie indestructible. C'est bien ce qui
est attesté: "Tu es prêtre à jamais selon l'ordre de Melchisédech" ».

On voit donc que dans la lecture de l'Epître l'Eglise Orthodoxe


met en avant pour la fête du 2 Février la rencontre des deux Testa-
ments, de la Loi avec des prêtres selon l'ordre d'Aaron et de la prêtrise
éternelle du Christ selon l'ordre de Melchisédech.
La lecture de l'Evangile diffère en ce sens que la messe romaine
termine la péricope après la prière de saint Siméon et omet les
122 PIERRE KOVALEVSKY

parole adressées à la Sainte Vierge et la mention de la prophétesse


Anne, tandis que la liturgie orthodoxe offre aux croyants l'ensemble
du récit qui a une grande importance pour la compréhension du
changement intervenu dans la vie du monde et dans l'Economie
du Salut.
Aux deuxièmes vêpres selon le rite romain il y a 5 antiennes
très courtes:
1) Siméon juste et craignant Dieu attendait la Rédemption
d'Israël et l'Esprit Saint était en lui.
2) Siméon avait reçu de l'Esprit Saint la révélation qu'il ne
verrait pas la mort avant d'avoir vu le Seigneur.
3) Siméon, recevant l'enfant dans ses bras, rendit grâce et
bénit le Seigneur.
4) Lumière qui éclairera les nations et gloire d'Israël votre
peuple.
S) Ils offrirent pour Lui au Seigneur une paire de tourterelles
et deux petites colombes.
Le 3 Février n'est pas consacré en Occident, comme c'est le cas
en Orient, aux saints Siméon et Anne, mais on fait mention de saint
Blaise évêque et martyr à Sébaste en Arménie en 317.
Nous avons vu que les textes occidentaux catholiques parlent
surtout de la lumière et glorifient le Christ-Lumière du monde, cepen-
dant la source des textes liturgiques du 2 Février remonte au récit
de saint Luc qui ne mentionne qu'une fois la lumière du Christ et
insiste surtout sur la rencontre entre les deux Testaments et l'accom-
plissement de la Loi.
Voici le texte évangélique (Le 2,22-39):

«Quand furent les jours de leur purification, d'après la Loi de


Moïse, ils Le portèrent à Jérusalem afin de Le présenter au Seigneur,
conformément à ce qui est écrit dans la Loi du Seigneur: tout
premier-né sera regardé comme consacré au Seigneur (Lév. 12,4
et 6-8 et Ex. 13,2) et pour offrir le sacrifice prescrit par la Loi du
Seigneur: un couple de tourterelles ou deux jeunes colombes.
Or il y avait à Jérusalem un homme nommé Siméon et cet homme
qui était juste et pieux attendait la consolation d'Israël. L'Esprit
Saint était sur lui et il lui avait été révélé par le Saint Esprit qu'il
ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Christ du Seigneur 1 •

1 Dans le texte de Crampon et dans le Missel: l'Oint du Seigneur; dans le


texte grec: Um Christon Kyriou.
DANS LES TEXTES DE LA SAINTE RENCONTRE 123

Il vint au Temple poussé par l'Esprit Saint et comme les parents


apportaient l'enfant Jésus pour accomplir à son égard les prescrip-
tions légales, il Le reçut dans se bras, bénit Dieu et dit: Maintenant,
Seigneur, Tu peux laisser ton serviteur s'en aller en paix selon Ta
parole, car mes yeux on vu le Salut que Tu as préparé en faveur
de tous les peuples, lumière qui se révdera aux nations et gloire
de Ton peuple d'Israël.
Joseph 2 et sa mère furent tout étonnés de ce qu'on disait de
Lui. Siméon le bénit et il dit à Marie sa mère: Cet enfant en amènera
beaucoup en Israël à tomber ou à se redresser et il sera un signe
de contradiction et pour Toi, Tu auras l'âme transpercée d'un glaive
afin que se manifestent les pensées de bien des cœurs.
Il y avait aussi Lille prophetesse Anne, fille de Phanuel de la
tribu d'Azer. Elle était fort avancée en âge. Elle avait vécu sept
ans depuis sa virginité avec son mari, puis dalls le veuvage jusqu'à
84 ans. Elle ne quittait pas le Temple, servant Dieu nuit et jour dans
le jeûne et la prière. Survenant à ce moment elle se mit à louer
Dieu et à parler de l'enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance
de Jérusalem.
Quand ils eurent accompli tout ce que prescrivait la Loi du
Seigneur, ils s'en retournèrent en Galilée dans leur ville de Na·
zareth ».

Les deux idées principales sur lesquelles insiste l'évangéliste sont


d'un côté l'exécution de la Loi et de l'autre son accomplissement dans
l'enfant qui est présenté au Temple. Il faut également noter l'insis-
tance de Luc sur l'action du Saint Esprit. Il répète plusieurs fois
que tout a été fait sous l'inspiration de l'Esprit et que les trois Per-
sonnes divines y ont pris part.
Ce récit ne figure que dans Luc et il est naturel de se poser
la question, si l'auteur de l'Evangile était un rapporteur exact de
tout ce que comporte cette longue péricope et quelle était sa source
dans l'établissement de ce texte. La plupart des exégètes sont d'accord
pour admettre qu'il puisait dans les souvenirs de la Mère de Jésus
qui gardait fidèlement dans sa mémoire toutes les paroles qui con-
cernaient son divin fils. Elle seule pouvait donner à l'évangéliste
ces détails et lui repéter les paroles du vieux Siméon et d'Anne.
Qu'il me soit permis, malgré que je ne soit qu'un historien de
l'Eglise et non un exégète, d'émettre ici quelques suggestions-réfle-
xions sur saint Luc qui vont étayer notre exposé liturgique.
Dans mes conversations avec des théologiens tant catholiques
que protestants j'étais toujours très étonné de l'insistance qu'on fai-

l Et non "son père», comme disent certains textes.


124 PIERRE KOVALEVSKY

sait en affirmant que saint Luc n'était pas un élève direct du Seigneur
et~ par conséquent, n'était pas témoin de la résurrection du Christ.
Trois textes semblent prouver le contraire. Le premier est dans
le préambule de l'Evangile. Luc y parle d'un ({ récit des événements
tels que nous les ont transmis ceux qui en ont été dès l'origine les
témoins oculaires et sont devenus les ministres de la Parole », L'évan-
géliste souligne que ce sont ceux qui étaient dès le début avec Jésus,
ce qui ne veut nullement dire qu'il ne fut un disciple de la dernière
période.
Le deuxième texte est celui des disciples d'Emmaüs. La liturgie
orthodoxe est formelle et dit: «Toi, qui a accompagné Luc et Cléopas
à Emmaüs» (prière pour les voyageurs). Qui hormis Luc pouvait
faire le récit de cette rencontre? Ce n'est pas lui seul, qui, en par~
lant de soi~même, dit cc et un autre élève». Saint Jean le fait cou~
ramment. Saint Luc avec son soin de noter tous les noms, aurait
certainement nommé le second disciple, si ce n'était pas lui.
Le troisième texte est celui du retour d'Emmaüs. Seul Luc parle
de la présence avec les onze apôtres d'autres disciples dont lui et
Cléopas faisaient partie: cc Ils trouvèrent réunis les onze et leurs
compagnons» (et d'autres disciples, d'après une autre traduction).
Luc est à notre avis un témoin des derniers moments de la vie du
Seigneur et de sa résurrection, tout en n'étant pas de ceux qui
ont suivi le Maître dès le début de sa prédication.
On pourrait même suggérer que saint Paul l'a adjoint non seu~
lement comme compagnon de ses voyages missionnaires, mais aussi
comme témoin de la résurrection dont il faisait le centre et la
condition de la foi chrétienne.

Venons maintenant aux textes de la liturgie orthodoxe qui rem~


plissent les offices de la fête du 2 Février, de son octave ainsi que
de la fête des saints Siméon et Anne, célébrée le 3 Février. Nous n'en
pouvons citer que les principaux.
Voici la deuxième stichère (chant) des Grandes Vêpres de la
veille du 2 Février (dans le rite orthodoxe oriental les vêpres sont
célébrées la veille des grandes fêtes):

"Reçois Siméon celui que Moïse a vu dans la nuée lors de


l'établissement de la Loi au Sinaï, un enfant qui obéit à la Loi.
C'est Lui qui a parlé par la Loi, c'est Lui qui a parlé par les pro-
phètes, incarné pour nous et qui a sauvé l'homme. Vénérons~Le».
DANS LES TEXTES DE LA SAINTE RENCONTRE 125

Et une autre stichère du patriarche Germain:

cc Venons recevoir par des chants divins ct acceptons celui qui


a donné à Siméon de voir le Salut. C'est Lui que David a annoncé,
celui qui a parlé par les prophètes, incarné pour nous et ayant parlé
par la Loi, adorons-Le ».

Les trois lectures de l'Ancien Testament aux vêpres sont les sui-
vantes:
1) Ex. 13,1-16 et Lév. 12 qui parlent de la consécration à Dieu
des premiers nés.
2) Is. 6,1-12 où le prophète donne la vision de Dieu sur son
trône entouré des puissances célestes.
3) Is. 19,1-21: Dieu siégeant sur une nuée légère.
Dans la deuxième partie des vêpres, lors de la {( Litie» (proces-
sion vers les portes de l'église) on chante la stichère suivante
d'Anatole:
« Vieux par son âge, lui qui a donné jadis la Loi à Moïse sur
le Sinaï, l'enfant est visible et selon la Loi, comme auteur de la Loi,
observant la Loi est apporté au Temple et est remis au vieillard.
L'ayant accepté, Siméon le Juste en voyant l'accomplissement des
promesses s'écrie avec joie: Mes yeux ont vu le mystère caché
depuis des siècles et apparu à la fin de ces temps, lumière qui
détruit les ténèbres des peuples infidèles et gloire pour Israël le
nouvellement élu. libère Ton serviteur des liens de cette chair vers
la vie qui ne vieillit pas, qui n'a pas de fin ct est merveilleuse, en
accordant au monde une grande miséricorde ».

Une autre stichère est du moine Jean:

cc Aujourd'hui celui qui a donné au Sinaï la Loi à Moïse obéit


à la Loi, ayant pris notre nature par miséricorde. Maintenant Dieu
qui est pur en tant qu'enfant, et qui a été engendré en pureté, est
apporté à lui-même comme à Dieu libérant de la malédiction et
éclairant nos âmes ».

Voilà encore une autre stichère d'Anatole ou d'André de Jéru-


salem:

cc Aujourd'hui le vieillard Siméon entre dans le Temple en se


réjouissant dans son esprit pour prendre dans ses mains celui qui a
donné la Loi à Moïse. Celui-là a été digne de voir Dieu à travers la
nuée et a entendu sa voix non révélée et le visage couvert et a
convaincu les juifs infidèles. Celui-ci porta la Parole du Père éternel,
incarnée, et proclama aux peuples la lumière, la croix et la résur-
126 PIERRE KQVALEVSKY

rection. Anne, la prophétesse, vint en professant le Sauveur d'Israël.


Disons au Christ notre Dieu, grâce à Ta mère (Théotokos) sauve-
nous»,

Un autre chant composé par saint André de Crète dit:


({ Examinez les Ecritures, comme le proclame dans les Evangiles
le Christ notre Dieu. Nous le trouvons naissant, enveloppé de langes,
nourri de lait, mis dans la crêche, circoncis et porté par Siméon.
Apparu vraiment aux hommes et non comme Wl fantôme, invo-
quons-Le, Dieu éternel, gloire à Toi».

La première stichère de la dernière partie des vêpres est celle


qui est chantée en Occident pendant la procession de la Chandeleur
et que nous avons déjà cité.
La dernière stichère de cette partie de l'office est également de
saint André de Crète:

«Porté par les chérubins et glorifié par les séraphins Il est


apporté dans la maison sainte selon la Loi et repose dans les bras
du vieillard comme sur un tràne. Par Joseph Il reçoit les dons,
une paire de tourtereaux, qui sont l'Eglise sans souillure et le peuple
des hommes nouvellement élus. Il reçoit deux jeunes pigeons comme
chef de l'Ancien et du Nouveau. Siméon accepte ce qui lui a été
promis en bénissant la Vierge Marie, mère de Dieu, en lui montrant
les figures de la Passion et en demandant au Christ sa libération.
Donne-moi congé Seigneur, comme lu me l'as annoncé auparavant,
parce que je t'ai vu en tant que lumière prééternelle et Sauveur des
hommes glorieux en Christ ».

Pendant les Matines qui suivent les vêpres et après la lecture


du psaume 51 est chantée la stichère suivante:

«Que la porte du ciel s'ouvre aujourd'hui parce que le Verbe


du Père sans commencement a reçu un commencement dans le
temps, n'ayant pas quitté sa divinité Il est apporté librement, en
tant qu'enfant âgé de quarante jours, au Temple par la Vierge, et
le vieillard Le prend dans ses bras en proclamant: Libère-moi, ton
serviteur, Seigneur, parce que mes yeux ont vu Ton salut. Gloire à
Toi, Seigneur, qui es venu au monde pour sauver le genre humain ».

Aux Laudes nous notons cette stichère:

«Accomplissant la Loi de l'Ecriture, l'Ami des hommes (Philan-


tropos) est apporté aujourd'hui à l'Eglise et il est reC;u dans les
bras du vieillard qui proclame: Tu me libères aujourd'hui pour
que je m'en aille vers la béatitude. Je t'ai vu aujourd'hui revêtu
du corps de la mort, celui qui est le Seigneur de la Vie et qui règne
sur la mort )).
DANS LES TEXTES DE LA SAINTE RENCONTRE 127

Enfin voici deux chants de l'office du 3 Février, consacré à saint


Siméon et à sainte Anne:
« Anne inspirée et Siméon le très riche, éclairés par la prophétie
et apparaissant impeccables selon la Loi, ayant vu l'enfant qui a
donné la Loi et qui nous est apparu, le vénérèrent. En fêtant joyeuse-
ment leur fête nous glorifions Jésus, Ami des hommes (Philan-
tropon) ».

Et une autre stichère:

«Nous fêtons aujourd'hui la grâce salvatrice de l'Epiphanie.


Christ Dieu étant l'enfant de la Vierge, est apporté par Sa mère et
le vieillard l'ayant accepté l'entoure de ses bras ».

Il nous reste à tirer les conclusions qui découlent des textes


liturgiques que je vous ai présenté et qui contiennent une théologie
de l'Economie du Salut, basée d'une part sur la rencontre de la Loi
et de la Grâce et d'autre part de leur opposition dans l'ordre de
l'universalité. Après ce fait, le deuxième fait illustré par les chants
de la Sainte Rencontre est la continuité de l'œuvre de Dieu par la
comparaison de Moïse et de Siméon et l'identité de celui qui a donné
la Loi et qui s'est incarné pour notre Salut.
Les paroles du vieillard Siméon qui mettent les nations, c'est
à dire les peuples païens, avant Israël est une chose inouïe pour un
juif de ce temps, une vraie révolution spirituelle de toute la con-
ception de l'Ancien Testament. Il me semble qu'on a trop peu
insisté sur cette parole inspirée par le Saint Esprit.
Le deuxième problème dont parlent les textes est la rencontre
et l'accomplissement dans le Christ de l'Economie Divine basée sur
un dessein prééternel de Dieu.
Le troisième est l'appel constant à l'Ancien Testament qui forme
le premier chaînon de l'Economie du Salut: rencontre de ce qui est
arrivé à maturité (l'attente du Messie) et de ce qui est nouveau.
« Moi je fais toute chose nouvelle».
La Loi ne doit pas être abolie, mais perfectionnée (Mt 5,21-48)_
Les textes liturgiques du 2 Février tracent deux parallèles remar-
quables:
1) entre Moïse et Siméon: l'un a révélé au Peuple de Dieu la
Loi et l'autre proclame aux Nations et au peuple juif la venue du
Sauveur qui s'est accomplie.
128 PIERRE KOVALEVSKY

2) L'autre parallèle met ensemble le Mont Sinaï et le Temple


de Jérusalem. Le nouveau peuple élu est désormais tout le peuple
chrétien, le Nouvel Israël.
Nous terminons notre exposé par le texte de Saint Paul aux
Romains qui caractérise le mieux ce que les textes liturgiques ortho..
doxes du 2 et 3 Février veulent présenter:
« Nous savons tout ce que dit la Loi. C'est à ceux qui sont sous
la Loi qu'elle s'adresse de façon que toute bouche soit fermée et que
le monde entier soit justifiable de Dieu. Ce que nul être ne pourra
être justifié devant Lui par l'accomplissement des préceptes de la
Loi car par la Loi vient seulement la connaissance du péché. Mais
maintenant, en dehors de la Loi, s'est manifestée la Justice de
Dieu par la foi en Jésus Christ pour tous ceux qui croient et sans
aucune distinction, tous en effet ont péché et sont privés de la
Gloire de Dieu et tous sont justifiés gratuitement par la Grâce en
vertu de la Rédemption qui est dans le Christ Jésus)} (Rm 3,19-24).

Pierre KOVALEVSKY
ANAMNÈSE, ACTUALISATION ET ANTICIPATION
COMME LIEUX DE LA CATHÉCHÈSE LITURGIQUE

Je voudrais poser le problème du sens global de la liturgie en


fonction de l'Economie du Salut, en partant du point de vue de la
théologie pastorale et plus particulièrement de la cathéchèse.
Je m'en autorise pour, entre autre, ne pas m'en tenir au sens
technique du mot anamnèse, considérant que toute la liturgie est
anamnèse, comme elle est toute entière actualisation et toute entière
anticipation. D'autre part, je ne prétends pas procéder à une anaR
lyse philosophique du problème du temps. Cependant la reflexion
théologique ne peut éluder le problème du temps. Nous sommes
tous tributaires des études d'herméneutes, d'historiens du christia-
nisme primitif et de liturgistes, tels que Dodd, Culmann, dom Casel,
Gr. Dix et d'autres encore et il semble qu'on puisse faire état ici
d'un certain consensus œcuménique. Mais je me réfère surtout à la
tradition de la spiritualité orthodoxe qui a dégagé la notion et l'expé-
rience d'une réalité eschatologique (vie éternelle et vision de Dieu)
vécue par anticipation: c'est toute la thématique de la déification
comme couronnement de la vie spirituelle et sacramentelle, en réfé~
rence à la transfiguration du Christ sur la montagne (thème de la
lumière Thaborique reçue par les trois apôtres), événement qui inau~
gure dans les évangiles la prédication du Seigneur sur sa Passion et
sa Résurrection.

CONNAISSANCE DE DIEU,
RÉVÉLATION ET ÉCONOMIE DU SALUT

L'évangile selon S. Jean enseigne sans équivoque que le Salut


ou fin ultime de la destinée hUlTlaine est le don gratuit de la vie
éternelle ou divine, laquelle consiste pour l'homme en la connais~
sance de Dieu le Père, du Fils unique que le Père envoie dans le
130 ÉLIE MÉLIA

monde et de l'Esprit qui procède du Père et que le Fils envoie


d'auprès du Père aux disciples afin de leur rappeler et de leur faire
comprendre et assimiler pleinement au long des âges son enseigne-
ment et son œuvre, et sa personne même. Il s'agit d'une connais-
sance active, créatrice, capable de transformer l'homme et d'établir
etre lui et Dieu une réelle communion.
Cependant, la connaissance de Dieu est un don gratuit, elle n'est
possible que si Dieu lui-même se révèle et cela non en des oracles
et énigmes, ni par un code de morale ou un système d'informations
conceptuelles, mais par le mouvement même de la communication
débouchant sur une communion. C'est pourquoi la Sainte Ecriture,
transcription authentifiée de la Révélation, est charpentée par des
manifestations de l'intervention de Dieu dans l'Histoire et cette dyna-
mique culmine dans l'incarnation: «Et le Verbe s'est fait chair »,
La suite homogène de ces magl1alia Dei forme l'Histoire du Salut
ou, selon la terminologie patristique, l'Economie du Salut. Il s'agit
du déroulement historique de la volonté salvifique de Dieu, telle
qu'il lui a plu de la manifester à travers des événements concrète-
ment délimités dans le temps comme dans l'espace. Le Fils de Dieu
a été « crucifié pour nous sous Ponce Pilate ». Sans cet impact histo-
rique, irréversible et non cyclique, on tomberait au niveau des reli-
gions à mystères de l'Orient hellénistique. L'Histoire du Salut, c'est
même l'Histoire par excellence, le paradigme de l'Histoire, marquant
toute sa profondeur et son orientation essentielle.
D'autre part" l'action divine n'est pas pour autant prisonnière
du temps historique, elle le déborde et le dépasse, tout en le « con-
cernant)) intimement. C'est pourquoi les Pères de l'Eglise affection-
nent l'appellation Economie du Salut qui marque une insistance
sur la finalité de l'Histoire.

ÉCONOMIE DU SALUT ET CATÉCHÈSE LITURGIQUE

L'Economie du Salut nous a été transmise par le canon des livres


de la Sainte Ecriture et son prolongement homogène et vivant qu'est
la catéchèse. L'unité de l'Economie du Salut et de la prédication
a été très heureusen1ent formulée par Karl Barth: prœdicatio Verbi
Dei est ipsum Verbum Dei. Ceci implique une vision sacramentelle de
la prédication qu'on appelle la catéchèse et qui a de tout temps
DANS LA PERSPECTIVE DE LA CATÉCHÈSE LITURGIQUE 131

constitué un élément essentiel du culte chrétien comme en témoi~


gnent toute la Tradition depuis S. Justin et la Didaché et déjà les
Actes des Apôtres.
Catéchèse et liturgie ne sont pas des éléments juxtaposés pou-
vant être épisodiquement unis. D'une part, en effet, la catéchèse
n'est évidemment pas un enseignement scolastique; d'autre part, la
liturgie et tous les sacrements n'ont pas pour fin de reproduire figu-
rativement l'Histoire du Salut, les magnalia Dei; ils veulent nous
en rendre bénéficiaires, moyennant la foi, par un surcroît d'être, en
révélant et communiquant une dimension nouvelle, celle de la vie
éternelle communiquée par la grâce du Saint Esprit.
La catéchèse proprement liturgique ou mystagogie qu'on peut
dégager comme un genre littéraire non seulement dans des ouvrages
spécialisés de Pères de l'Eglise, mais aussi dans les textes liturgi-
ques et sacramentaux, se situe dans le prolongement de la catéchèse
baptismale, comme un complément intégré dans le programme caté-
chétique de l'Eglise ancienne.
On a conjecturé la structure du symbole baptismal primitif:
était-il binaire, c.à.d. profession de la foi en le Père et le Fils seule-
ment (I Tim 6.13; Act 8,37; l Cor 15,3·4) ou trinitaire comme en Mt
28,19? Presque tous les specimens post-apostoliques que nous pos-
sédons portent la marque d'une systén1atisation dont le symbole de
Nicée-Constantinople présente le type le plus évolué. Le Symbole
dit des Apôtres, qui est plus populaire en Occident, quoique plus
archaïque, a la même construction littéraire. L'Epistola Apostolorum,
qui est la formule élaborée la plus ancienne qui nous soit parvenue
(2 e moitié du ne s.), donne une profession de foi trinitaire; elle
paraît rigoureusement fonctionnelle pour le baptême: « Je crois au
Père tout-puissant, et en Jésus-Christ, notre Sauveur, et au Saint-
Esprit, le Paraclet, et à la Sainte Eglise, et à la rémission des pé-
chés ». La mention de l'Eglise et de la rémission des péchés marque
le souci de l'actualisation ou de l'efficacité de la confession de foi.
On peut voir un témoin particulièrement in1portant, dans le sens
archaïque de la structure du symbole baptismal vers la fin du Ir s.,
dans l'Adversus hœreses de S. Irénée, livre l, chap. 10,1. Or ce sym-
bole intègre expressément l'Economie du Salut à la suite de la con-
fession trinitaire. Nous avons là, en premier lieu, la formule bap-
tismale proprement dite où sont mentionnées, sans discontinuité,
les trois Personnes: « L'Eglise, disséminée partout dans le monde
jusqu'aux extrémités de la terre, a reçu des Apôtres et de leurs
132 ÉLIE MÉLIA

disciples cette foi en un seul Dieu, Père tout-puissant, qui a fait


le ciel, la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent, et en un seul
Jésus-Christ, Fils de Dieu, incarné pour notre salut, et en l'Esprit
Saint qui a annoncé par les prophètes les dispositions de Dieu ». A
la suite, S. Irénée donne une courte catéchèse christologique, y com-
pris la Parousie ({ pour la récapitulation universelle et la résurrec-
tion de toute chair de tout le genre humain». Ce développement
christologique, qui s'insère avant la confession du Saint-Esprit dans
les symboles ultérieurs, constitue le cœur de l'Economie du Salut.
Enfin, en troisième lieu, vient une parénèse ou exhortation morale,
selon la doctrine judéo-chrétienne des deux voies, sous forme d'aver-
tissement solennel.
La liturgie et tous les Offices contiennent dans les prières et
dans l'abondante hymnographie de nombreux éléments catéchéti-
ques, c.à.d. explicatifs et initiatiques: ce sont de véritables icônes
verbales, imagées et riches de la substance doctrinale poétiquement
exprimée. Cet aspect catéchétique ne concerne pas seulement l'expres-
sion verbale de la liturgie. Comme le dit Nicolas CabasiIas, ce laic
byzantin du XIV' S., dans son Explication de la divine liturgie (trad.
Salaville, Coll. Sources Chrétiennes, 2' éd. 1967):
« Les chants et les prières adressées à Dieu dans ce cadre par
le peuple et par le prêtre seront aussi à considérer dans la mesure
où cela requiert examen et considération. Mais avant tout et en
tout, l'économie de l'œuvre du Sauveur (variante constante dans
cet ouvrage de "Economie du Salut"), représentée à travers l'ensem-
ble des rites: dia pasès tès teletès ».

L'auteur applique ce principe à l'usage de la Bible dans la li-


turgie:
« Parce que les divines Ecritures renferment des formules
inspirées et des louanges à Dieu et qu'elles exhortent à la vertu,
elles sanctifient ceux qui les lisent ou les chantent. Mais par le choix
qui en a été fait et l'ordre dans lequel elles ont été déposées, elles
ont encore une autre efficacité et servent à signifier la venue du
Christ et sa vie ».

Ainsi, les rites constituent la charpente de la liturgie et ont une


valeur catéchétique.
II en faut dire autant de l'héortologie et de tout le calendier
liturgique, Ce sacrement du temps de l'Eglise: à la fois anamnèse
et annonce eschatologique. Le calendrier ecclésiastique est, pour peu
qu'on y prête attention, une vivante catéchèse de l'Economie du
DANS LA PERSPECTIVE DE LA CATÉCHÈSE LITURGIQUE 133

Salut. L'iconographie, elle aussi, incarne l'Economie du Salut et en


présente une catéchèse picturale ou gravée. L'art est mis au service
de la catéchèse liturgique également dans l'architecture ecclésiasti-
que, dans les dispositions aussi bien extérieures de la construction
qu'intérieures: distribution de l'espace intérieur en fonction de la
congrégation et de la con1munion des saints.
L'objet propre de la catéchèse est de commenter ces rites et
ces expressions diversifiées afin de les lier dans la conscience de
chacun et de toute la communauté, et de les situer dans l'ensemble
cohérent de la théologie, d'une théologie vécue, en action, la théo-
logie liturgique.

SENS FONDAMENTALEMENT ESCHATOLOGIQUE


DE LA LITURGIE ET DE SA CATÉCHÈSE

La signification chrétienne du temps est commandée par son


orientation vers l'accomplissement eschatologique de l'existence. Je
voudrais d'autant plus y insister qu'on a valorisé unilatéralement la
dimension communautaire. Dans l'Orthodoxie le mouvement a dû
s'accélérer sous le poids de l'ecc1ésiologie Khon1iakovienne de la col-
légialité. Il a fallu Je coup de barre du retour aux sources patristi-
ques et à leur vision sacramentelle préconisé par le P. Georges Flo-
rovsky et celui de l'ecclésiologie eucharistique du P. Nicolas Afa-
nassiev pour que le sens sacramentel et eschatologique reprennent
leur droit dans l'enseignement théologique orthodoxe actuel.
Au lieu de la vision antique du gouffre sans fond où chaque
instant de l'existence tombe sans retour, l'intervention décisive de
Dieu par sa Révélation concrétisée par l'Incarnation et la Rédemp-
tion, a fait effectuer au sens de l'écoulement du temps un renver-
sement radical en lui imprimant une orientation vivifiante vers
l'accomplissement ultime de la volonté divine, par la palingenèse
sacramentelle. Ansi, à la loi du temps de corruption et de mort, s'est
substituée la foi d'un temps « racheté» qui à chaque instant annonce
et communique la vie éternelle: au sentiment de fatalité et à la dés-
illusion se sont substituées l'espérance et la foi.
Le sens fondamentalement eschatologique du christianisme est
attesté notamment par l'exclamation liturgique ancienne: maranatha:
l Cor 16,22; Apoc 22,20; la Didachè explicite cette prière elthetô
charis, kai parelthetô 11,0 kosmos houtôs ... maranatha (X,6). Encore
au ur s. il a fallu beaucoup de luttes avant que s'imposât le point
134 ÉLIE MÉLIA

de vue pastoral, qui est aussi celui de la préoccupation historique,


défendu alors par l'Eglise de Rome, sur J'attitude rigoriste dans le
sens de Hébr 6,4-6; 10,26-30.
On ne peut que le reconnaître, la notion d'eschatologie en tant
que principe général et philosophie de l'histoire de l'Eglise est mo-
derne, surtout dans ce qu'elle aurait d'unilatéral en insistant sur
une dégradation essentielle et continue. Le sens de l'histoire de
l'Eglise est plutôt la recherche d'un équilibre difficile dans la ten-
sion originelle entre la double responsabilité historique et eschato~
logique. Nous en faisons une théorie, une thèse liturgique, mais les
anciens chrétiens faisaient de l'eschatologie, qu'ils appelaient le don
de la vie éternelle, expression chère à S. Jean, comme un certain
Monsieur Jourdain faisait de la prose, sans s'en rendre compte.
Seulement, tout leur comportement était eschatologique en fait,
sans que soit nié pour autant le temps historique qu'ils avaient
tendance simplement d'écourter. C'est pourquoi, sans qu'on y trouve
de doctrine formulée, la liturgie est fortement imprégnée de l'esprit
eschatologique, notamment de par son orientation pascale qui est
celle de la victoire sur la mort.
Certes, la finalité immédiate de la liturgie est la communion
avec Jésus-Christ, Fils de Dieu incarné, mort sous Ponce Pilate et
ressuscité dans la gloire du Père, mais outre que ceci-même impli-
que la dimension eschatologique, il est évident qu'on n'accède pas
à la communion avec le Christ par la simple pratique du rassemble-
ment d'une communauté, fût-elle très homogène dans sa conscience
collective.
D'autres que les chrétiens et, dans la chrétienté, d'autres insti-
tutions, peuvent sen,ir le monde et créer des valeurs communau-
taires tout aussi efficacement que les partisans de certaines ten-
dances en vogue, chez qui, de surcroît, on obsenre une propension
à refuser, par esprit de solidarité avec le monde, toute espèce de
spécificité chrétienne. Si, au contraire, on reconnaît la singularité
du fait chrétien, on conviendra que ce qui est propre à la commu-
nauté chrétienne est sa spécificité sacramentelle et précisément dans
la dimension eschatologique. Il s'agit de la semence, du germe de la
vie éternelle qui est annoncée non pas théoriquement et verbale-
ment, mais dans la réalité de la vie elle-même, par l'expérience d'une
plénitude surabondante qui déborde de ce côté·ci du temps: (( Celui
qui croit en Moi, dit le Seigneur, comme le dit l'Ecriture, des fleu-
ves d'eau vive couleront de son sein)} (ln 7,38).
DANS LA PERSPECTIVE DE LA CATÉCHÈSE LITlJRGIQUE 135

Il serait vain de chercher dans la liturgie la formulation d'une


doctrine élaborée. Celle-ci est l'affaire de la catéchèse qui a sa place
fonctionnelle dans le déroulement de la liturgie, comme dans la cé-
lébration de tous les sacrements. La liturgie par elle-même est une
action sanctificatrice de Dieu parmi les croyants rassemblés, dans
la foi et l'espérance, pour sa louange et, en retour, action de grâces
des croyants envers le Bienfaiteur ami de l'homme. L'orientation
contemporaine vers le service à rendre au monde constitue, cepen-
dant, un avertissement car il est possible de mésuser de tout, même
du sentiment de la transcendance divine et de l'eschatologie. Le dan-
ger, pour certains, est de voir dans la liturgie et dans l'affirmation
eschatologique un refuge, une fuite hors du monde et hors du temps,
pour une illusoire exploration dans l'éternité, en escamotant sinon
le temps, qui est suffisamment contraignant de lui-même, du moins
la responsabilité temporelle.
Il faut récuser résolument toute espèce de dichotomie: le temps
et l'éternité sont ici-bas intimement liés dans l'Eglise. Le sens escha-
tologique ne doit en aucun cas escamoter le temps ou le remplacer;
celui-ci est affecté simplement d'une nouvelle dimension laquelle, loin
de le détruire, l'enrichit. Il arrive bien que, sous cet impact, la réa-
lité de ce monde éclate, mais cela est au-delà de nos efforts hun1ains,
dans des cas comme les miracles, ces interventions extraordinaires
de la souveraineté absolue du Créateur manifestant sa mansuetude
infinie. Ainsi à chaque instant de la vie terrestre il se produit une
confrontation créatrice du temporel, c.à.d. du provisoire et du par-
tiel, avec la réalité ultime, révélée par Jésus-Christ, annoncée par la
catéchèse et les sacrements, contemplée et vécue par les croyants en
des ascensions incessantes, selon l'infinie diversité des charismes
du Saint-Esprit.

SIGNIFICATION SACRAMENTELLE DE L'ANAMNÈSE LITURGI-


QUE EN TANT QU'ACTUALISATION DE L'ÉCONOMIE DU SALUT
ET ANTICIPATION DE LA GLOIRE ESCHATOLOGIQUE

L'anamnèse litur.gique reprend le développement de l'Economie


du Salut sous forme d'action de grâces: toute l'action liturgique, de-
puis la proscomidia, est construite autour de cet axe.
136 ÉLIE MÉLIA

Refusant toute dichotomie, il faut réaffirmer que l'Economie du


Salut est à la fois Histoire et 711ysterion: elle n'est réductible ni à
l'un ni à l'autre séparément; telle est la condition sine qua non du
principe sacramentel. Le sacren1ent se réalise ici dans un triple cadre:
anamnèse des événements historiques du Salut, actualisation dans
et pour la communauté et, à travers elle, pour toute l'humanité, et,
enfin~ orientation vers l'accOlnplissement eschatologique et son expé-
rience anticipée. Ces trois éléments sont intimement liés, ils sont inter-
dépendants et se complètent mutuellement. Sans l'appropriation hic
et nunc de l'Economie du Salut, l'anamnèse n'a pas de sens et si
elle n'anticipait pas avec une certaine réalité la gloire éternelle,
son symbolisme serait pauvre et nous-mêmes serions enchaînés à
une réalité plate et aliénante. L'anamnèse commence, si on accepte
le mot dans son sens le plus large, dès la proscomidia, par la triple
affirmation du prêtre, au moment où il découpe l'Agneau eucha-
ristique de la prosphore: cc En mémoire de notre Seigneur et Dieu
Jésus-Christ», affirmation répondant de toute évidence à l'ordre du
Seigneur: «Faites ceci en mémoire de Moi» (Luc 22,19; l Cor II, 24
et 25).
L'anamnèse est une grâce du Saint-Esprit à qui le Christ a
transmis cette mission, en l'envoyant d'auprès du Père: ln 16,13-15.
Cette mémoire du Christ et de son œuvre est constitutive de l'Eglise,
Corps mystique du Verbe de Dieu incarné, Christ continué et rendu
présent par l'Esprit, vie en Christô tô Pneumati. L'action du Saint-
Esprit confère à la catéchèse, comme à toute action d'Eglise, son
caractère prophétique: spontané, créateur et ouvert sur l'espérance.
Rejoignant la Révélation divine et la présentant, l'Economie du Sa-
lut inclut la création du monde, la chute des premiers parents, suivie
de la longue pédagogie de l'Ancien Testament; elle est centrée sur
la geste du Fils de Dieu incarné et elle s'achève sur la double conclu-
sion de l'Ecriture Sainte: celle des Actes des Apôtres où la mission
chrétienne ayant arraché l'Eglise du particularisme de l'Israël selon
la chair, la situe dans la Rome impériale, capitale politique du monde,
et celle de l'Apocalypse avec la vision de la Jérusalem céleste et la
prière finale: maranatha. L'anaphore de S. Jean Chrysostome con-
tient dans la prière c{ II est digne et juste» le rappel de la création,
de la rédemption et du don du Royaume à venir, mais d'une manière
sucCÎnte. Tandis que l'anaphore de S. Basile présente l'Economie du
Salut dans toute son ampleur, en introduction du récit de la Cène.
Dans les deux, liturgies, l'anamnèse liturgique proprement dite située
DANS LA PERSPECTIVE DE LA CATÉCHÈSE LITURGIQUE 137

entre le récit de la Cène et l'épiclèse, reprend l'Economie du Salut


à partir de la Croix, dans una formulation pratiquement identique.
II faut noter la mention répétée du second et glorieux Avènement,
comme conclusion des diverses formulations de l'anamnèse: ceIIe-ci
débouche ainsi sur l'espérance, qui par la grâce du Saint-Esprit nous
introduit dans la réalité ultime: «Le Seigneur a inauguré son règne
et il s'est revêtu de splendeur)) (Ps 117, antienne des Matines). S. Paul
recommande aux Colossiens de remercier le Père qui les a rendus
capables de partager le sort des Saints dans la lumière, qui les a
arrachés à l'empire des ténèbres et transférés dans le royaume de
son Fils bien-aimé en qui nous avons la Rédemption, la rémission
des péchés (Col 1,13-14).
S. Paul exprime bien l'idée de l'eschatologie anticipée en com-
parant la vie dans la foi aux douleurs de l'enfantement: Rm 8,22-
23; camp. ln 16,20-22.
Le moment eschatologique, dans ce sens, est mis en relief dans
ce qui fait Je cœur de la Révélation divine et de l'Economie du
Salut, à savoir le mystère pascal de la Croix et de la Résurrection,
unique action marquant la victoire remportée sur l'ennemi ultime
qu'est la mort, sanction du péché. S. Paul développe avec une par-
ticulière insistance l'idée de la participation à la mort et à la résurrec-
tion du Christ par le moyen du baptême (Rm 6) et de l'eucharistie
(I Cor 11), comme de toute la vie chrétienne (Rm 8), dans une perspec-
tive de plénitude pour chacun (v. 11) et pour le cosmos entier (vv.
19-22). L'apôtre des Gentils décrit le temps de l'Eglise en opposant
à la loi du péché et de la mort, celle de l'esprit de vie (Rm 8,2; camp.
6, 2 sq.). De l'assujettissement à la loi de mort où la mort apparaît
comme une nécessité aveugle, nous passons par la foi, sceIIée dans
le baptême et toute la vie sacramenteIIe, à une loi de vie où la
mort physique est intégrée dans un processus de vie vivifiante et
où nous devenons capables d'acquérir vis à vis d'elle une attitude
libérée.
Le mystère pascal inclut la descente du Sauveur ressuscité aux
enfers: l Pi 3,18. L'anaphore de S. Basile développe cette doctrine
au bénéfice des croyants trépassés:
«Descendu par la Croix au séjour des morts, afin de parfaire
en lui toutes choses, il a dissipé les angoisses de la mort. Ressuscité
le troisième jour, il a frayé à toute chair la voie de la résurrection
d'entre les morts, car il n'était pas possible que l'auteur de la vie
fût soumis à la corruption. Il cst devenu prémices de ceux qui se
sont endormis, premier-né d'entre les morts, afin d'être en tout le
138 ÉLIE MÉLIA
~------------------
premier de tout. Et monté aux cieux, il s'est assis à la droite de ta
grandeur, au plus haut des cieux, lui qui viendra rendre à chacun
selon ses œuvres ».

Membres de l'Eglise par le sceau indélébile du bap tême et le


viatique eucharistique, les trépassés ont part à l'offrande liturgique:
« Nous offrons encore ce culte raisonnable pour ceux qui ont
trouvé le repos dans la foi: les Ancêtres, les Pères, les Patriarches,
les Prophètes, les Apôtres ... et pour tout esprit juste décédé dans
la foi ».

Le point culminant de la liturgie est la communion eucharisti-


que" signe d'une communion générale et en plénitude, corps et âme.
La communion au Sacrifice unique du Sauveur, aux mêmes mystères
du Corps et du Sang de l'unique Seigneur est certes créatrice d'Eglise:
{( Là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis là
au milieu d'eux)) (Mt 18,20, mais la signification de l'eucharistie ne
se réduit pas à un élan de collégialité; elle est aussi un signe efficace
de plénitude eschatologique dès ici-bas et à jamais; la collégialité
elle-même est affectée de la dimension eschatologique.
Comme le dit Nicolas Cabasilas au chap. XXXVIII de son Expli-
cation de la divine liturgie:
«L'Eglise est signifiée dans les saints mystères non comme
en des symboles, mais bien comme dans le cœur sont signifiés les
membres, comme en la racine d'un arbre sont ses branches et, selon
l'expression du Seigneur, comme en la vigne sont les sarments. Car
il n'y a pas seulement ici communauté de nom ou similitude d'ana-
logie, mais identité de réalité. En effet, les saints mystères sont
le corps et le sang du Christ, qui pour l'Eglise du Christ sont véri-
table nourriture et véritable breuvage. En y participant, ce· n'est
pas elle qui les transforme au corps humain, comme nous le faisons
pour les ali-ments ordinaires, mais c'est elle-même qui est transfor-
mée en eux, les éléments supérieurs ayant la suprématie. Etant
donné que le fer, mis en contact avec le feu, devient feu lui-même
et ne fait pas devenir fer le feu, de même que le fer incandescent
n'apparaît pas à nos regards du fer, mais simplement du feu, les
propriétés du fer ayant complètement di,sparu sous l'action du feu:
de même, si l'on pouvait voir l'Eglise du Christ en tant qu'elle lui
est unie et qu'elle participe à son corps charnel, on ne verrait rien
d'autre que le corps du Seigneur. C'est pour cette raison que Paul
écrit: "Vous êtes le corps du Christ et ses membres chacun pour
sa part". S'il l'a appelé Tête, et nous corps, ce n'est pas pour montrer
la sollicitude du Christ à notre égard, ni son rôle d'éducateur et de
censeur, ainsi que notre sujetion à son endroit, tout comme nous
dirions par hyperbole de certaines personnes qu'elles sont membres
de leurs parents ou de leurs amis. Non, il a voulu signifier cela
DANS LA PERSPECTIVE DE LA CATÉCHÈSE LITURGIQUE 139

même qu'il disait, à savoir les fidèles vivant dès maintenant, par
ce sang, la vic dans le Christ, dépendant réellement de cette Tête,
et étant revêtus de ce corps, il n'est donc pas hors de propos de
voir là l'Eglise signifiée par les divins mystères ».

Nicolas Cabasilas affirme que dans le Royaume la nature de la


félicité ne sera pas différente de notre union eucharistique au Christ,
comme s'il n'y avait là qu'une différence d'intensité dans la plénitude:
cc Ce qui procure à ceux de l'au-delà toute joie et toute félicité
- que vous donniez à cet au-delà le nom de paradis, ou de sein
d'Abraham, ou de lieux exempts de toute douleur et de tristesse, ou
de régions lumineuses, verdoyantes et rafraîchissantes, soit même
que vous l'appeliez le Royaume proprement dit - ce n'est rien
d'autre que cette coupe et ce pain}} (XLIII, 6).
Et un peu plus loin:
{( Tout repos des âmes, toute récompense de la vertu. quelle
que soit leur mesure, ne sont rien d'autre que ce pain et cette
coupe reçus en partage selon le mode adapté à chaque catégorie,
je veux dire à celle des vivants et à celle des morts. Car voici
pourquoi le Seigneur lui-même a désigné sous Je nom de banquet
le bonheur des justes: il voulait montrer que clans l'au-delà il n'y
avait rien d'autre que cette table )}.

Dans cette conception eschatologique de la vie spirituelle et de


la liturgie le temps ni aucune réalité de ce monde ne sont supprimés,
on l'a dit. L'eschatologie appartient bien à l'ordre de la Promesse
divine, mais celle-ci loin d'escamoter l'effort humain le couronne
comme une récompense à chaque fois qu'il est fourni. S. Irénée lie
l'Economie du Salut avec le synergisme de la grâce déifiante dans
un développement de son Adversus hœreses, livre IV, chap. XXVII,
2-39. Notons en passant que S. Irénée est un des premiers témoins
de la dimension déifiante de la grâce (IV,XX,5).
Sous peine de tomber dans le pélagianisme, il faut affirmer que
le synergisme de la grâce n'est pas univoque. La participation réelle
et libre de l'homme au salut est un don gratuit de Dieu à chaque
instant de l'existence. Cette action anôthen, toute d'amour, d'ailleurs,
et pour le bien même de l'homme, ne cessera jamais: même dans
le Royaume, la participation et la communion s'exprimeront, selon
la vision eschatologique de l'Apocalypse, dans la louange et l'action
de grâces pour les bienfaits reçus dont la source unique ne tarira
jamais.
Certes, l'eschatologie reste toujours un projet, mais il ne faut
pas considérer le projet uniquement par le bout final; il faut le
140 ÉLIE MÉLIA

considérer aussi comme une ouverture en avant, comme des avan-


cées créatrices de la vie spirituelle. A rejeter l'eschatologie unilaté-
ralement dans le futur, on risque de la faire paraître aliénante. Le
Paradis ne remplace pas la vie terrestre par une sorte de magie.
Quand l'Apocalypse promet que {( toute larme sera effacée », ce n'est
pas d'un coup d'éponge qu'il s'agit, mais de l'accomplissement de la
vérité et de la justice; c'est une consolation de forts et non de faibles,
c'est une libération et un achèvement et non une défaite magique-
ment transformée.

L'ENVIRONNEMENT DE LA LITURGIE ET SA CATÉCHÈSE

Le sens eschatologique de la liturgie eucharistique ne sépare


pas celle-ci des autres offices du culte chrétien, qu'on rangerait, par
opposition, dans la catégorie de la sanctification du temps. L'eucha-
ristie est le couronnement de tout le culte ou, mieux, elle en est
le cœur et imprime ainsi à l'ensemble coordonné de l'Office divin
sa propre vertu eschatologique, et non seulement au culte dans ses
rites ct son hymnographie, mais à tout son environnement et, en fin
de compte, à toute la vie chrétienne.
Le culte s'insère dans le temps selon le triple cycle héortologi-
que de la journée qui culmine à la messe, de la semaine qui culmine
au dimanche et de l'année qui culmine à Pâques, avec son carême
préparatoire et la sainte cinquantaine qui la suit. Dans ce triple
cycle qu'on est en droit d'appeler pascal, tout est centré sur le
couple, inséparable dans la liturgie comme dans l'Ecriture et d'ai~leurs
dans la vie chrétienne, de la Croix et de la Résurrection: tout y
proclame la victoire sur la mort et le péché, l'acquisition, par grâce,
de la vie éternelle.
Nous avons ensuite, dans le calendrier vivant de l'Eglise, le té-
moignage du sanctoral. La confrontation œcuménique a amené une
plus juste appréciation du culte des Saints. Le Saints ne doivent pas
tant être considérés comme des intermédiaires entre Dieu et nous,
car la grâce divine touche chacun directement ainsi que la commu-
nauté des croyants. Le culte des Saints est plutôt l'extension de la
collégialité et de l'unité de l'Eglise par-delà. la mort, l'union établie
par la Résurrection du Christ entre les vivants et les morts. Il n'y
a aucune raison d'arrêter à la mort vaincue l'intercession mutuelle
de tous les croyants et, d'autre part, les uns comme les autres sont
DANS LA PERSPECTIVE DE LA CATÉCHÈSE LITURGIQUE 141

dans l'attente de la Parousie et de la résurrection générale. C'est


dire la signification eschatologique du culte des Saints et du sancto-
raI. Dans les Saints, par le moyen, de nature sacramentel, du culte
que nous leur rendons, nous vénérons la grâce divine efficace
dIe-même.
D'autre part, nous contemplons dans les Saints l'image de l'hom-
me que nous devons devenir: l'homme conforme à l'image de Dieu,
le disciple de Jésus-Christ dans la lumière éternelle promise à ceux
qui persévéreront jusqu'à la fin. Le Saint, c'est l'homme dans sa
pleine réalisation, dans sa dimension eschatologique dont le carac-
tère anticipé perdure par-delà la mort, peut-on dire, puisque pour
les trépassés aussi subsiste l'attente de la Parousie: pour eux cepen-
dant le temps de l'épreuve probatoire est terminé ce qui donne à
leur intercession une qualité particulière. Le culte des Saints té-
moigne, enfin, du combat de l'Eglise universelle, en chacun de nous,
pour former l'homme de justice, confornle à la volonté divine, l'hom-
me dans sa vérité, tel qu'il apparaîtra comme une révélation au
Jugement général dont Mt 25,31-46 nous donne la parabole.

De l'héortologie et du sanctoral, l'iconographie est comme un


prisme. L'iconographie est un élément essentiel du culte orthodoxe.
On peut d'abord y voir, en un certain sens, un répondant du Temple
de Yahwe dans l'économie du Nouveau Testament. En effet, le lieu
sacré, concrétisant la théophanie au milieu du peuple de Dieu c'est,
dans le Nouveau Testament, tout endroit dans le monde et tout le
Cosmos. L'icône est un signe de la consécration liturgique du cosmos,
un témoignage du monde réconcilié avec Dieu par-delà la mort vain-
cue, du monde dans sa beauté restaurée, du monde transfiguré, in
actu, par l'Incarnation du Verbe de Dieu et par la puissance vic-
torieuse de sa Résurrection. L'icône est ainsi un signe eschatologique.
La disposition des icônes sur le chancel et sur les murs d'une
église témoigne de la cohérence de l'Economie du Salut qu'elles
figurent sur le bois ou sur la pierre et, d'autre part, de la commu-
nion des saints dans une vision eschatologique de l'Eglise universelle.
Comme la vision eschatologique ne nous est qu'entr'ouverte dans
la foi et que nous ne possédons que le germe de la réalité ultime,
la représentation picturale de la gloire eschatologique n'est possible
que synlboliquement, grâce à des signes conventionnels, confirmés
par la tradition ecclésiastique. Certains seraient tentés de n'y voir
que des procédés tout extérieurs, presque des chevilles ou des ficelles.
142 ÉLIE MÉLIA
~~--------------

Mais cela ne vaut-il pas la peine qu'on accepte les conventions tra-
ditionnelles pour autant qu'elles sont la condition d'un témoignage
eschatologique? En fait, les icônes sont particulièrement aptes à
réaliser la formule de la catéchèse liturgique: le ciel sur la terre.
Grande est la valeur catéchétique de l'icône: elle enseigne au peuple
tout entier, aux gens les moins instruits, grâce à l'intuition esthé-
tique ou, à son défaut, à la puissance de l'image, non seulement les
événements de l'Economie du Salut qu'elle représente, mais aussi leur
dimension et leur valeur à la fois actuelles et eschatologiques. L'icône
initie le peuple orthodoxe au sens transfigurant et eschatologique de
la foi chrétienne, de l'engagement personnel de chacun et de la desti-
née éternelle commune à tous.

VALEUR APOLOGÉTIQUE DE LA CATÉCHÉSE LITURGIQUE


ET ESCHATOLOGIQUE

Quand on parle de la Parousie comme du Retour glorieux du


Seigneur ou comme du second Avènement, on ne doit pas donner
l'impression d'évoquer une quelconque répétition. Plutôt même que
d'insister sur l'altérité de la vie éternelle par rapport au monde, il
vaut mieux faire fond sur la nouveauté qu'elle implique et sur son
pouvoir de renouvellement et de transformation radicale, condition
de tout effort créateur.
Maintenir parmi les hommes et au plus profond de chacun cette
disponibilité, cet élan vers l'ultime (plutôt que vers le futur), n'est-
ce pas un service appréciable que la foi chrétienne peut fourt:ir au
monde~ en tout cas aux hommes de bonne volonté? C'est la mission
de la liturgie et de sa catéchèse que d'appeler les croyants à rendre
ce service au monde et, pour cela, de leur révéler la dimension
eschatologique de leur engagement, d'éduquer en eux le sens escha-
tologique en vue d'une vraie connaissance du Dieu transcendant et
d'une pleine communion avec lui, par la grâce qu'il ne refuse jamais
jusqu'à nous rendre « participants à la nature divine».
La condition nécessaire pour que la catéchèse liturgique atteigne
ce but est sa fidélité à l'esprit de la liturgie, à son sens fondamen-
talement eschatologique et à sa conformité à la Révélation divine.
selon la logique de l'Economie du Salut.

Elie MÉLIA
LA THÉOLOGIE DES MYSTÈRES DE DOM CASEL
DANS LA TRADITION CATHOLIQUE

Le thème de cette conférence ne vient pas de moi: il m'a été


proposé. De ma part, je n'aurais pas eu le courage de le formuler de
cette manière.
Je prends la parole devant des connaisseurs. Bien sûr, la vision,
la synthèse théologique de Dom Casel vous est déjà familière. Vous êtes
aussi au courant de la grande controverse qui s'est développée depuis
l'année 1925. Néanmoins, j'ai accepté bien volontiers l'invitation à
traiter ce sujet. J'oserais donc vous présenter le résumé qui
va suivre et qui ne veut être qu'une petite contribution au thème
général de cette XVII" Semaine d'Etudes Liturgiques de S. Serge:
L'économie du salut dans la liturgie. Tout en demeurant bref, se
limitant à l'essentiel, ce résumé veut néanmoins décrire une vision
théologique qui m'est personnellement très chère et que j'estime
être d'une grande importance.

Théologie des mystères de Dom Casel: de quoi s'agit-il?


Moine bénédictin de l'abbaye de Maria Laach (5. Maria ad La-
cum), dans la région rhénane, près de Coblence, mort d'une mort
vraiment digne d'envie, à l'aube de Pâques 1948, après avoir annoncé
le Lumen Christi, comme si c'était sa dernière parole, à la commu-
nauté des moniales d'Herstelle, dont il avait été l'aumônier pendant
26 ans, Odo Casel a essayé de présenter l'œuvre du salut de Dieu,
manifestée dans l'histoire du salut, comme le grand et unique mystère
du Christ, voulu dès l'éternité par Dieu le Père, préparé dans l'histoire
de l'Ancien Testament, réalisé dans le Christ, surtout dans sa mort et
sa résurrection, afin qu'il soit à présent approprié par les fidèles,
moyennant l'Eglise, dans les mystère du culte de celle-ci, grâce à un
mémorial tout à fait plein de réalité.
Casel, lui, aurait été le dernier qui aurait appelé cette vision comme
sa propre théologie. Toujours, à maintes reprises, il a souligné
144 BURKHARD NEUNHEUSER

n'avoir pas voulu autre chose que rendre fidèlelnent la doctrine de


toute la tradition - surtout la plus ancienne - , de la Sainte Ecri~
ture, des Pères, des grands théologiens du Moyen-Age, de la liturgie.
Mais c'est précisément à ce point que s'est attachée la con-
troverse. On a, en effet, énergiquelnent contesté que Casel ait rendu
correctement la tradition catholique. Et c'est par là que nous nous
trouvons face à la problén1atique qui fait l'objet de mon exposé.
Je donnerai d'abord quelques remarques bibliographiques.
Son opinion Cas el l'a exposée avant tout dans les œuvres sui-
vantes:

- Das Gedachtnis des H errn in der altchristlichen Liturgie (Ecc1esia


Orans 2, 11918), traduit en français: Le mémorial du Seigneur dans
la liturgie de ['antiquité chrétienne (Lex Orandi 2, 1945);
- Die Liturgie als Mysterienfeier (Ecclesia Orans 9, 11922);
- Les grands travaux du {{ Jahrbuch für Liturgiewisssenschaft )), spé·
cialement: 6 (1926), 8 (1928), 13 (1935), 14 (1938), 15 (1941) et de
1'« Archiv rur Liturgiewissenschaft» 1 (1950)). Les études parues
dans lLw 6 (1926) et JLw 14 (1938) on été traduites en français, à
savoir: Faites ceci en mémoire de moi (Lex Orandi 34, 1962) et:
La fête de Pâques dans l'Eglise des Pères (Lex Orandi 37, 1963).

Il y a ensui te la trilogie:

- Das christliche Kultmysterium, Regensburg 11932, 41960; traduit en


français: Le Mystère du culte (Lex Orandi 6, 11946; Lex Orandi 38,
21964);
- Das christliclœ Festmysleriwll. Paderborn 1941;
- Das christliche Opfennysterium, Graz 1968.

Et voici d'autres œuvres, publiées après sa mort:

- Mysterium des Kommenden, Paderborn 1952;


- Mysterium des Kreuzes, Paderborn 1954;
- Mysterium der Ekklesia, Mainz 1961;
- Vom wahren Menschenbild, Regensburg 1953; traduit en français:
La véritable image de l'homme, Bruges 1954.

Pour la totalité de son œuvre, on consultera avec profit la biblio-


graphie très étendue de O. D. SANTAGADA, Dom O. Casel. Contributo
monografico per ttna bibliografia generale delle sue opere, degli studi
sulla sua dottrina e della sua influenza nella teologia contemporanea,
dans: "Archiv f. Lit. wiss." 10/1 (1967) 7-77, et A. GOZIER, Dom Casel
(Coll. « Théogiens et Spirituels contemporains ))), Fleurus, Paris 1968.
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LA THÉOLOGIE DES l\IYSTÈRES DE DOI\..r .C

•••
L'œuvre de Casel veut être comprise comme une contribution à
l'exégèse de ce qu'est la liturgie. Il en a donné cette définition:

« La réalisation et l'accomplissement du Mystère du Christ tel


qu'il s'est révélé dans le Nouveau Testament ct, à travers les siècles,
dans l'Eglise pour la sanctifier et pour la surnaturaliser» 1.

La liturgie, ainsi comprise, c'est-à-dire en tant que célébration


des saints mystères, est

« l'activité centrale et vitale de la religion chrétienne» li.

Le point essentiel de cette interprétation est l'accent mis sur la


présence de l'œuvre rédemptrice communiquée par l'action liturgique:
la célébration liturgique, et avant tout la célébration de l'Eucharistie,

« est une action sacrée et cultuelle, dans laquelle une œuvre rédemp-
trice du passé est rendue présente sous un rite déterminé; la
communauté cultuelle, en accomplissant ce rite sacré, entre en par-
ticipation du fait rédempteur évoqué et acquiert ainsi son propre
salut» 3.

Cette dernière définition est de 1932 (ou déjà de 1926) et montre


déjà clairement en quelle mesure le point de départ a été, pour Case!,
le parallélisme, à l'intérieur de l'histoire des religions, entre les mystè-
res chrétiens et les mystères païens. Il a toujours considéré ce pa-
rallélisme uniquement au niveau de l'analogie; celle-ci, d'ailleurs, lui
était déjà familière grâce aux Pères. C'est précisément leur doctrine
qu'il a voulu exposer.
Sans aucun doute, quoi qu'on en pense, c'est le mérite de cette
vision de Casel - à savoir la liturgie considérée comme action sa-
crée commémorative qui nous rend présente l'œuvre rédemptrice du
Christ - d'avoir donné au mouvement liturgique rénovateur alle-
mand des suggestions très riches. Et, si je ne me trompe, c'est
elle encore qui a fourni des suggestions semblables au mouve-
ment liturgique français lors de la rencontre créatrice entre lui, Ca-

1 Das christliche Kultmysterium 4 , 46; Le Mystère du culte2, 49.


2 Ibid.
3 L.c., 79; éd. franç., 97.
146 BURKHARD NEUNHEUSER

sel, et les milieux du Centre de Pastorale Liturgique, déjà pendant


la seconde guerre mondiale. Les publications de la Lex Grandi et de
La Maison-Dieu en témoignent clairement.
Néanmoins, la perspective de CaseI a fait aussi éclater une COll-
troverse aussi violente que longue 4. On a contesté soit l'idée d'une
réactualisation de l'œuvre du salut passée, soit le parallélisme avec
les mystères hellénistiques, soit enfin la justification de cette idée
par la doctrine scripturaire et patristique.
Dans notre brève relation nous pouvons éliminer de l'ensemble
de la controverse catholique toute la problématique des parallélismes
de l'histoire des religions. Selon notre avis, l'hypothèse de Casel con-
tient néanmoins, à cet endroit, un noyau de vérité qui, surtout après
les positions prises par le Ir Concile de Vatican envers les religions
non-chrétiennes, mériterait d'être regardé avec une très grande at-
tention. Peut-être Casel n'a pas toujours présenté sa thèse avec toute
la précaution méthodologique nécessaire. La situation globale du
problème est beaucoup plus complexe. Il s'est uniquement limité
aux cuItes hellénistiques, qui, dans le cadre de l'histoire des reli-
gions, ne sont qu'un phénomène assez tardif et déjà dégénéré 5. Mais
dans tout cela s'agit d'un problème tout à fait accidentel, marginal;
il n'appartient pas au problème de base que nous voulons traiter
ici, à savoir: la présence de l'œuvre du salut dans la liturgie chré-
tienne.
Il en est de même des questions concernant une philologie litur·
gique du couple {( mysterium-sacramentum » dans son histoire et son
interprétation, Ces questions reviennent, bien sûr, aux thèmes pré-
férés de Casel, spécialement dans les premières années de ses re-
cherches, et comme dans son dernier grand travail, paru' dans
le premier volume de la nouvelle série de l' (( Archiv für Liturgiewissen-
schaft" 1 (1950) 1-64: Zur Kultsprache des hl. Paulus (= A propos
de la langue ctt/tueUe de S. Paul). Mais ces questions (quand même

4 Pour s'orienter dans ce domaine, il n'y a de mieux, aujourd'hui encore, que


l'œuvre de Th. FILTIIAUT, Die Kontroverse über die Mysterienlehre, Warendorf
1947 (trad. fr.: La théologie des mystères. Exposé de la controverse, Paris 1954).
J'ai essayé de la compléter dans mes relations en "Archiv f. Lit. wiss.» 3/1
(1953) 104-122: 4/2 (1956) 316-324: 5/2 (1958) 333·353. Cf .. en outre. V. WARNACH. I.e .•
8/2 (1964) 457-467, et son introduction à la théologie de Casel dans le volume de
celui-ci (édité par le même Warnach), Das christliche Opfennysterium, Graz 1968,
p. XVII-LV.
S A ce propos, cf. surtout: C. v. KORVIN·KRASINSKI, MikrokosnlOs und Ma-
krokosmos in religionsgeschichtlicher Sicht, Düsseldorf 1960.
LA THÉOLOGIE DES MYSTÈRES DE DOM CASEL 147

enrichies, dès lors, par maintes recherches: voir, par exemple, celles
de Mme. Ch. Mohrmann) restent en marge et ne peuvent pas trouver
place dans ce bref exposé.
Quelle que soit la réponse donnée à ces problèmes, la perspective
théologico-liturgique telle que Casel l'a développée spécialement dans
ses réponses aux critiques à lui adressées, n'est pas touchée dans
l'essentiel.
Cette perspective peut être décrite de la manière suivante:
La liturgie, dans ses différentes manifestations - c'est-à-dire:
bain baptismal, onction, imposition des mains, proclamation de la
Parole de Dieu et, surtout, l'Eucharistie - , est une action sacrée.
Elle est, de manière toujours différente, action anamnétique, à sa-
voir action exercée en mémoire de la mort et de la résurrection du
Christ, ( anamnesis» d'une telle surabondance que l'œuvre du salut
commémorée, l'action salutaire ({ agie », est réactualisée, rendue pré-
sente, afin que nous puissions y participer. Tout cela doit être dit
d'une manière spéciale de l'Eucharistie, du sacrifice de la Messe.
Celui-ci est, dans son essence sacramentelle, la grande prière eucha-
ristique dite en mémoire - eis tèn anàmnesin - du mystère pascal
du Christ, de son passage de la mort à la vie, prononcée sur les
éléments d'un repas. En tant que mémorial réel, cette prière nous
rend présent l'acte sacrificiel unique du Christ, acte qui reste dans son
unicité historique, de sorte que tous ceux qui participent à cette
action ou célébration (c'est-à-dire la communauté agissante, l'ekkle-
s1a) participent aussi à l'action sacrificielle du Christ, se l'approprient
et passent ainsi, en et avec le Christ, au Père, en commémorant le
passé, mais également en l'accomplissant dans le présent, dans l'espé-
rance d'un dernier accomplissement eschatologique. Le sommet sacra-
mentel de cette action mémoriale se concrétise dans le repas qui a été
préparé au cours de la prière eucharistique; dans ce repas on mange
les aliments sacrificiels, le Corps et le Sang du Christ, vraie commu-
nion de repas par laquelle l'Eglise s'édifie toujours de nouveau.
Ce qu'on fête ainsi dans le mystère du culte, s'étend donc dans
le temps, dans les actions festives, dans la célébration du jour du
Seigneur, qui est, dans la semaine, le signe sacramentel global de la
présence de l'œuvre du salut du Christ: célébration hebdomadaire,
tout comme la célébration annuelle de Pâques en est le signe sacra-
mentel dans l'année. L'année liturgique tout entière, aussi bien dans
les célébrations des fêtes du Seigneur que dans les commémorations
des martyrs et des autres saints, ne se propose que de célébrer ou -
148 BURKHARD NEUNHEUSER

c'est la même chose - de rendre présent le mystère unique du


Christ tel qu'il se reflète dans les différents contenus (c< mystères »)
des fêtes et dans les actions des membres de son Corps.
Le but, le centre, la réalité dernière de toute cette action liturgi~
que, des mystères du culte, des mystères des fêtes dans leur multipli~
cité, n'est rien d'autre que la proclamation incessante, l'actualisation,
voire la ré-actualisation, 1'« action» même du mystère unique du
Christ, dont l'apogée est le mystère pascal, le passage du Christ de
ce monde au Père.
Le mystère pascal, lui, est la récapitulation, la concentration de
toute la vie du Christ, Fils de Dieu incarné, tout comme cette vie -
c'est-à-dire l'événement salutaire global qui se nomme cc Christ-
Jésus» - est la réalisation de la volonté divine dans laquelle notre
salut a été prévu dès l'éternité (cf. «le mystérion de sa volonté, se-
lon sa bienveillance »: Eph 1,9); réalisation effectuée d'abord dans
les événements salutaires de l'Ancien Testament, surtout dans l'histoi-
re de l'Exodos, de Pâques, du passage de l'Egypte vers la terre pro-
mise.
En raison de tout cela, les mystères du culte de l'Eglise sont la
célébration (concentrée) de l'histoire du salut dans sa totalité, la
récapitulation de cette histoire. C'est la célébration, en effet, qui rend
présente cette totalité du salut, par le moyen de son mémorial, dans
l'espérance de l'accomplissement eschatologique.

***

Or Casel affirme clairement: Tout cela n'est que la doctrine de la


tradition. La Ste Ecriture elle· même l'énonce. A cet effet, Casel s'appuie
avant tout sur Rom 6, Col 2 et 3, Eph 1 - 3 et, finalement, sur toute
la théologie paulinienne et sur celle de la 1 Petr. Les Pères aussi l'affir-
ment; d'abord: Justin, Cyprien, les Alexandrins Clément et Origène;
mais aussi les grands Antiochéens: Jean Chrysostome, Théodore de
Mopsueste, Grégoire de Nysse. Et encore: Augustin, Léon le Grand,
même Grégoire le Grand. Casel constate d'ailleurs que les témoigna-
ges de cette théologie des mystères deviennent moins clairs dans les
siècles suivants. Néanmoins, il est donné de les trouver encore chez
Paschasc Radbert, Florus de Lyon et même chez les Lombards et
plus encore chez Thomas d'Aquin et quelques-uns de ses élèves, tel,
par exemple, Cajétan. Même le Concile de Trente, Casel a cru pou-
LA THÉOLOGIE DES MYSTÈRES DE DOM CASEL 149

voir l'interpréter dans ce sens. C'est seulement dans les siècles après
Trente que cette théologie a pâli de plus en plus, tandis qu'on peut
parler de nos jours d'un «retour au mystère}) 6.
Or, contre la majorité de ces positions on a dressé des protesta-
tions, sans pourtant que Casel ait jamais admis d'être battu.
C'est contre l'interprétation de la doctrine paulinienne que R,
SCHNACKENBURG a écrit, fournissant une argumentation considérable,
son livre Das HeiZsgeschehen bei der Taufe nach dem AposteZ Pau-
lus 7, A son avis, l'interprétation casélienne est une exagération hyper-
réaliste (<< eine überspitzung }}) de la pensée de l'Apôtre; tout au plus,
on la trouverait dans les siècles postérieurs, par exemple chez les
Alexandrins. La réponse à Schnackenburg a été donnée par notre cher
confrère V. WARNACH dans deux travaux remarquables 8. Au cours de
leur dialogue les deux théologiens se sont quelque peu rapprochés,
sans aboutir néammoins à un accord complet. C'est pour cela qu'un
critique a pu très bien dire: l'insuccès de ce dialogue fait justement
soupçonner que la doctrine de l'Apôtre est encore très réservée; elle
ne se prononce pas encore avec une clarté parfaite, permettant ainsi
une évolution ultérieure dans l'une ou l'autre direction 9.
A notre avis, il nous semble que de toute cette controverse on
peut dégager la position suivante: les formulations de Casel, c'est
vrai, nous offrent une interprétation un peu accentuée (même exa-
gérée: «überspitzt }}) qui, con1me telle, n'est pas si clairement pro-
posée dans le texte; mais eIIe en donne une version qui, tout en dé-
passant la lettre et en l'explicitant ultérieurement, en rend parfai-
tement l'intention la plus intime.
Cela vaut, par exemple, contre la critique de la doctrine eucha-
ristique casélienne récemment avancée par N. NEUENZEIT: Das Rer-
renmaJû. Studien zur palllinische Eucharistieauffassung 10. Cet auteur
souligne fortement, et en polémique contre Casel, la relation avec
le judaïsme contemporain. Mais c'est précisément ici qu'il trouve

6 Cf. Das christliche Kultmysterium4 , 17-24: Le Mystère du culte 2, 9-19.


7 (= L'événement salutaire dans le baptême selon l'apôtre S. Paul), Mün-
chen 1950.
8 Taule und Christusgeschehen nach Rom. 6, dans «Archiv f. Lit. wiss.» 3/2
(1954) 284-366, et: Die Tauflehre des Romerbriefes in der neueren theologischen
Diskussion, I.e., 5/2 (1958) 274-332.
{I Cf., p.e., la récension de J. GROTZ dans: Geist und Leben 28 (1955) 385.

10 (= Le repas du Seigneur. Etudes sur la conception paulinienne de l'Eucha-


ristie), München 1960.
150 BURKHARD NEUNHEU$ER

un c( mémorial cultuel juif »: « La réponse - dit-il - à l'œuvre salu-


taire de Dieu est un mén10rial efficace, réel, dans une répétition cul-
tuelle du fait accompli jadis dans l'histoire» 11, Or, on se demande
si ce n'est pas là précisément ce qu'au fond Casei entend lorsqu'il
explique le mémorial du repas du Seigneur selon 1 Cor comme une
ré-actualisation de l'œuvre du Christ? Les questions ultérieures con-
cernant le quomodo (le « comment? ») de cette « ré-actualisation cul-
tuelle » ne permettent pas une réponse univoque ni par les textes de
l'Ancien Testament, ni par ceux de S. Paul, comme V. Warnach l'a
bien démontré dans sa critique du livre de Neuenzeit 12,
Quant à l'interprétation des grands Alexandrins et Cappadociens,
c'est plutôt à Casel que la critique semble donner raison. Nous nous
bornerons à citer les auteurs suivants: K.H. SCHELKLE, de Tubingue,
et J. DANIÉLOU, tous les deux dans le volume commémoratif de Casel:
Vom christlichen Mysterium 13.
Mais tout particulièrement, c'est à l'interprétation de la doc-
trine eucharistique et du mystère en général chez Jean Chrysostome
que s'est passionnément opposé G. FITTKAU dans son Der Begriff des
Mysteriums bei Johannes Chrysostomus. Nous en avons donné une
recension critique dans ({ Archiv f. Lit. wiss.» 4/214. Nous avons cru
pouvoir concentrer nos oppositions sur l'interprétation de Of.Lo(w1-L:'l.
en Rom 6,5 et de .s-ucr(a dans le commentaire de Chrysostome sur
Heb 9, 24 - la, 9. Pour l'hom6iôma, les travaux récents de Schelkle,
Schnackenburg et Warnach semblent justifier plutôt l'exégèse de Ca-
sel 15. Pour l'exégèse de thysia, Fittkau n'y voit rien d'autre qu'une
chose offerte, tandis que nous croyons que le contexte demande clai-
rement la traduction: thysia = l'acte (action) de l'offrande. Car cc Nous
ne faisons pas - dit Chrysostome - une "thysia" toujours nouvelle
comme le grand-prêtre le faisait de son temps, mais toujours la
même; ou plutôt: nous faisons un mémorial de la "thysia" ». Le
contexte, en effet, parle toujours du mémorial de {{ ce qui a été fait

11 L.c., 144.
12 Cf. ({ Archiv. f. Lit. wiss. 8/2 (1964) 463.
J)

13 Vom christlichen Mysterium (édd. A. MAYER - B. NEUNHEUSER - J. QUASTEN),


Düsseldorf 1951: SCIIELKLE, Zllr AtfSlegullg von Rom. 6, 1-11, p. 9-21; DANIÉLOU, Le
mystère du culte dans les sermons de S. Grégoire de Nysse, p. 76-93.
14 ALw 4/2 (1956) 406412.
15 Cf. WARNACH, ALw 5/2 (1958) 299-306, où il expliquc le mot homoiôma ainsi:
ff kultisches Gleichbild scines Todes; dessen sakramentale "Gestalt", unter wel-
cher der historisch vergangene Heilstod des Herrn uns gegenwartig "erscheint",
bzw. zuganglich wird». On pourrait traduire: «la similitude cultuelle, la "for-
me" sacramentelle».
LA THÉOLOGIE DES J\-IYSTÈRES DE DOM CASEL 151

alors, du mémorial de la mort », c'est-à-dire du mémorial non d'une


chose, mais d'un acte, d'une offrande 16.
Mais ici on court le risque de se perdre dans des finesses et des
subtilités que le texte lui-mên1e ne peut plus solutionner. On se
trouve dans une position semblable à celle concernant l'interpréta-
tion de Thomas d'Aquin 17 et des textes conciliaires de Trente. C'est
que les textes, en effet, sont plutôt ambigüs se prêtant à des explica-
tions ambivalentes.
Beaucoup plus favorable est la situation de Casel au sujet de
l'interprétation d'Augustin et de Léon le Grand. Pour Léon, il suffit
de citer les études de Dom De Soos 18 et de Y. DUVAL 19.
De même, les prières eucharistiques (avec les formes différen-
ciées de l'anamnèse), citées par Casel, jouent en sa faveur 20.

***

De tout ce que nous venons de citer, on peut dégager la ,conclu-


sion suivante. Avec E. DEKKERs 21, on doit dire que la critique des
argumentations de Casel tirées de la tradition a démontré claire-
ment que le quod d'une présence du mystère de l'œuvre rédemptrice
du Christ dans les actions du culte de l'Eglise peut être regardé
comme définitivement établi en tant que doctrine de la tradition 22. Au
contraire, le quomodo ne peut pas être expliqué suffisamment par
la seule tradition. Bien que celle-ci semble avoir perçu le problème,
dans une certaine mesure au moins, nous n'y trouvons pas une solution
explicite, ni même une formulation expresse de ce problème23 • C'est
le mérite de Casel de l'avoir présenté avec tant de vigueur. Il a

16 Cf. l.c. (à la note 14), p. 411. Cf., en outre, notre communication d'Oxford:
Mysteriellgegenwart. Das Anliegen Casels und die neueste Forschung, dans « Stu-
dia Patristica» 2 (1957) 54-63 (Texte und Untersuchungen, Band 64), spéciale-
ment 55-60.
17 Cf. B. POSCHMANN, «Mysteriengegenwart" im Licht des hl. Thomas, dans
«Theo!. Ouartalschr.» 116 (1935) 53-116; cf. aussi JLw 15 (1941) 221-231.
18 Le m)'stère liturgique d'après saint Léon le Grand (LOF 24), 1958.
19 Sacramentum et mysterium chez S. Léon le Grand, Lille 1959: cf. aussi
ma récension dans ALw 7/2 (1962) 559-564.
20 Cf. O. CASEL, Das Mysteriengeddchtnis der Messliturgie im Licht der Tradi-
tiOl1, dans lLw 6 (1926) 113-204: traduit en fr.: Faites ceci en mémoire de moi,
Lex Orandi 34, Paris 1962.
21 La liturgie, mystère chrétien, dans «La Maison-Dieu» 14 (1948) 30-64.
2.2 L.c., 43-47.
2.3 L.c., 47-57.
152 BURKHARD NEUNI-IEUSER

peut-être exagere dans la formulation, mais au fond il explicite


fort bien ce que la tradition dit plus implicitement: ce qui a été
d'ailleurs son intention fondamentale. Il s'agit là d'une valeur qui
a été exprimée par Cas el mieux que par la critique polémiste par
laquelle ses adversaires ont entendu dévaloriser le témoignage de
beaucoup de textes de la tradition. L'évolution récente de la théo-
logie sacramentaire catholique a bien justifié la conception casé-
Henne, tout en en corrigeant quelques formulations exagérées. De
plus, cette évolution a trouvé son dernier couronnement dans beau-
coup d'idées fondamentales de la Constitution de Vatican II sur la
liturgie 24.
Le noyau central de la théologie sacramentaire catholique était,
jusqu'à présent, l'Eucharistie dans la perspective de la présence réelle
et du repas sacré. Cette vision était dictée surtout par la polémique
des Réformateurs du 16 èrnc siècle et par la réponse catholique. Les
Réformateurs, de leur côté, étaient encore sous l'influence des gran-
des lignes de l'évolution de la théologie médiévale, où tout l'accent
fut mis sur l'aspect de repas (c'est-à-dire de la sainte Communion)
et, encore plus, sur la problématique de la présence réelle (c'est-à-
dire de la transsubstantiation). Mais, en réalité, le sacrifice de la
Messe a gardé une place importante dans j'Eglise du Moyen-Age
tardif. Les Réformateurs se disaient d'accord avec l'Eglise primitive
dans l'accentuation du repas et - au moins dans un certain sens -
de la problématique concernant la présence réelle. Mais c'était avec
une violence extraordinaire qu'ils luttaient contre la doctrine tra-
ditionnelle du sacrifice de la Messe. Ils ne pouvaient voir dans
ce sacrifice qu'une œuvre d'homme (c'est-à-dire l'œuvre de l'hom-
me qui offre son sacrifice à Dieu tandis que le sacrifice du Christ ali-
rait aboli - à leur avis - tout autre sacrifice, et que l'Eucharistie
elle-même n'aurait été qu'un don de Dieu aux hommes). La doctrine
catholique contredit, selon les Réformateurs, la suffisance absolue,
l'unicité et l'({ ephâpax » du sacrifice de la croix.
Cependant, c'est le mérite de cette polémique d'avoir proposé
la question à la théologie avec une clarté plus explicite que jamais
auparavant, à savoir: Comment peut-on concilier l'unicité du sacri-
fice du Christ avec la répétition fréquente du sacrifice de la Messe?
C'est E. ISERLoH qui, dans plusieurs de ses travaux, a excellement

24 Cf. mon article: Mysterium Paschale. Das osterliche Mysterium in der Kon-
zilskonstitution « Uber die Liturgie », dans" Liturgie und Monchtum» 36 (1965)
12-33.
LA THÉOLOGIE DES MYSTÈRES DE DOM CASEL 153

souligné ce point de la polémique du 16 ème siècle 25. De plus, il a pu


montrer que les controversistes catholiques d'avant Trente ne fu~
rent pas à même de donner des réponses satisfaisantes. C'est seule~
ment au frandscain K. Schatzgeyer que revient le mérite d'avoir
trouvé la dimension tout à fait correcte du problème lorsqu'il parlait
d'une « présence sacramentelle du sacrifice de la croix » et qu'il prou~
vait que « le don, le prêtre et l'acte du sacrifice à la croix et dans
la Messe sont identiques» 26. Plus encore, Iserloh, dans son livre
sur le Dr. Eck, soutient qu'on peut dire, sans tomber dans l'anachro-
nisme, c'est~à~dire sans projeter, contre toute bonne méthode, des
questions modernes dans le 16 ème siècle, « que la doctrine des mystè~
res enseignée de nos jours nous donne la direction dans laquelle
nous pouvons chercher la réponse désirée depuis longtemps aux
questions soulevées par la Réforme» 27_
Il est bien vrai que le Concile de Trente avait déjà donné une
telle réponse; mais, en raison des difficultés relevant de sa situa~
tion historique et théologique, il a dû se contenter de ce qui s'impo-
sait con1me absolument nécessaire, c'est~à~dire de répéter d'une fa~
çon très claire, mais aussi fort abrégée, la doctrine de la tradi~
tian sur la présence réelle et sur le sacrifice de la Messe sous l'aspect
spécifique mis à jour par la polémique des Réformateurs. Il laissait
ainsi aux temps postérieurs la tâche proprement théologique d'une
synthèse .de toute la doctrine eucharistique, c'est~à~dire d'une syn~
thèse où la présence réelle, le repas de Communion et le sacrifice
pouvaient être considérés dans l'ensemble d'un point de vue supé~
rieur. Certes, les siècles après Trente ont fidèlement reçu la doctrine
du Concile, mais cela tout en gardant l'isolement, historiquement con~
tingent, dans lequel les différents points de vue demeuraient; il a
manqué la capacité d'opérer une synthèse za.
Ce n'est pas notre tâche ici de montrer les diverses phases par
lesquelles la théologie post-tridentine est passée, dans l'effort de don-
ner une solution au problème. Toute tentative n'a jamais atteint un
succès convaincant, sans pourtant qu'on ait abouti par là à une
fausse route; tout au moins, on a pu préparer le chemin à une
solution future. On pourrait citer ici l'Ecole Française du 17 ème siècle

25 Surtout dans: Die Eucharistie in der Darstellung des Joh. Eck, Münster
LW. 1950; Der Kampf wn die Messe in den ersten Jahren der Auseinandersetzung
mit Luther, Münster LW. 1952.
26 ISERLOH, Der Kampf ... , p. 59.
27 IDEM, Die Eucharistie ... , p. 345.
UI Cf. J. BETZ, s.v. Eucharistie, dans LThK.2 3 (1959) 1150 s.
154 BURKHARD NEUNHEUSER

de même que quelques théologiens du 19 ème , qui ont bien souligné


l'acte sacrificiel du Christ. Pour les premières années de notre
siècle, nous aurions à citer M. de La TAILLE 29, E. MASURE 3(1, A. Vo-
NIER 31, F. DIEKAMP 32, etc.

Au cours de toutes ces discussions on a pu consolider peu à peu


les positions suivantes: L'Eucharistie est un sacrifice tout à fait
spécial, un sacrifice commémoratif, réprésentatif, sacramentel, qui,
précisément en conséquence de son caractère sacramentel (c'est-à-dire
parce qu'il est du genre du signe, et du signe efficace, réel), ne me-
nace pas l'unicité et la non-répétibilité du sacrifice de la croix, mais,
au contraire, il la montre plus clairement 33.

Bien qu'on ne saurait dire que Cas el fût influencé directe~


ment par ces auteurs, il est vrai en tout cas qu'il se trouve de fait
dans le courant de cette évolution. Il est parvenu presque aux mêmes
conclusions par ses études sur l'histoire des religions de même que
par ses études patristiques et liturgiques. Au cours de la controverse,
Casel s'est appuyé aussi, en bien de points, sur les travaux de ces
réprésentants d'une théologie systématique (cela vaut spécialement
pour quelques idées - mais pas les plus décisives - de M. de La
Taille; beaucoup plus, par contre, pour les idées de Vonier et de
quelques bons travaux de l'école thomiste). C'est ce voisinage de
deux points de vue assez différents, du moins dans un premier mo~
ment, qui a permis à beaucoup de théologiens thomistes de recon~
naître la valeur des perspectives de Casel (citons surtout F. DIEKAMP
avec sa Dogmatique 34, et le beau livre de Ch. JOURNET, La Messe 35, de
même que l'étude de P. WEGENAER sur la Heilsgegenwart 36). Mais le
mérite spécifique de Casel nous semble celui d'avoir {( méprisé .» (ou
au~moins abandonné) toutes les subtilités d'un langage purement sco~

211 Mysterium fidei, Paris 21924; 31931. L'œuvre, très remarquable et bien
acceptable dans plusieurs points, néanmoins est, dans sa thèse centrale, tout à
fait différente de celle de Case!.
30 Le sacrifice du Chef, Paris 1932.
31 A Key ta the Dùctrine of the Eucharist, London 1925.
32 Kathalische Dagmatik nach den Grundsiitzen des hl. Thomas, vol. III,
Münster i.W., 61932, § 36, p. 195-208.
33 Cf. B. NEUNHEUSER (éd.), Opfer Christi und Opfer der Kirche. Die Lehre
corn Messopler aIs Mysteriengediichtnis in der Theologie der Gegenwart, Düssel-
dorf 1960, passim.
34 Cf. Kathalische Dogmatik, citée à la note 32.
3.> La Messe. Présence du sacrifice de la croix, Paris 1957.
36 Heilsgegenwart. Das Heilswerk Christi Ulld die «virtus divina» in den
Sakramenten (LQF 33), Münster i.W. 1958.
LA THÉOLOGIE DES MYSTÈRES DE DOM CASEL 155

laire scolastique et d'avoir puisé de nouveau directement aux richesses


des Pères et de la Liturgie. C'est ainsi qu'il a pu montrer d'une ma-
nière plus pénétrante la présence de l'œuvre rédemptrice du Christ
dans l'action sacramentelle, surtout dans la Messe considérée comme
action sacrée du mystère, et que tout cela il a su le montrer dans une
synthèse très vaste du mystère du Christ. Partant du couple mysté-
rion/mysterium - sacramentum, il a montré la totalité de l'œuvre du
salut, conçue d'abord en Dieu éternel, réalisée ensuite dans l'histoire
de l'Ancien et du Nouveau Testament, pour être enfin actualisée dans
les actions de l'Eglise jusqu'au retour du Seigneur.

Il est vrai que l'on aurait à corriger ou compléter certains dé.tails


de cette théologie; mais celle-ci, considérée dans l'ensemble d'une doc-
trine empruntée à la tradition, a été reçue par la théologie actuelle
jusque dans des formulations, certes très discrètes, de Vatican II.
Voyons-en quelques-unes.
« Liturgia enim, per quam, maxime in divino Euclwristiae sacri-
fido, opus nostrœ redemptionis exercetur, summe eo contert, ut
fideles vivendo exprimant ... mysterium Ch.risti ... » :37.
Dans le nO 5 de la même Constitution l'économie, le plan et la
réalisation de cette œuvre de salut sont ainsi décrits: « Hoc opus . ..
adimplevit Christus Dominus prœcipue per paschale mysterium ».
Le numéro suivant, le 6, montre que l'Eglise introduit les hommes
dans le mystère du Christ non seulement par la parole, mais aussi
par l'Eucharistie et les sacrements, en célébrant le mystère pascal
du Seigneur.
Dans le nO 7 on dit explicitement que le Christ est présent en
maintes manières, c'est-à-dire non seulement - bien que d'une ma-
nière suprême - sous les espèces eucharistiques, mais aussi dans
les actions sacrées de la Liturgie, dans Je sacrifice de la Messe (par
le moyen de l'action sacramentelle, liturgique, et du ministère sacer-
dotal), dans les actions sacramentelles, dans la proclamation de la
Parole de Dieu.
C'est dans cette perspective de l'action liturgique que le Concile
peut caractériser la très haute dignité de la Liturgie en l'appelant

37 No 2 de la Constitution Sacrosal1ctum Concilium. Naturellement, n'est pas


du tout mon intention de réserver (<< beschlagnahmen }}), pour ainsi dire, le
Concile en faveur explicite de Casel. Comme tous le Conciles, Vatican II
n'entre pas dans les questions encore débattues par les théologiens. Cf.
aussi mon article cité à la note 24.
156 BURKHARD NEUNHEUSER

« culmen et fons)) de toute l'activité ecclésiale. Et c'est encore par


là qu'il peut esquisser une image intégrale et totale de la vie spiri-
tuelle (cf. nn. 10-13) comme développenlent dynamique de 1'« être en
Christ-Jésus» jusqu'à la consommation de tous en « munus .eter-
num» (n' 12). En tout cela, l'ensemble de l'activité liturgique de l'Egli-
se est et reste toujours la source et la norme suprême (cf., par exem-
ple, le n' 13).
De même, c'est dans cette perspective qu'on a denlandé une ré·
forme de la Liturgie et qu'on a souligné le caractère communau-
taire de l'action liturgique en tant qu'action du peuple de Dieu tout
entier, uni sous ses évêques (cf. n° 26 et passim). En effet, c'est dans
ces actions du peuple de Dieu que l'Eglise est édifiée et rendue visible
(cf. n' 41 et s.).
A leur tour, les autres doculnents du Concile et plus encore l'évo-
lution théologique post-conciliaire ont richement développé ces idées:
tous les chrétiens sont appelés à s'insérer comme unité, en tant que
peuple de Dieu, dans le mystère pascal du Christ, dans sa mort et sa
résurrection, par la participation active à la célébration des mystères
du Christ, pour faire entrer ensuite ce même mystère pascal dans la
vie tout entière.

***

Dans l'ensemble de tout ce qui a contribué à préparer cette syn-


thèse théologique, Casel n'a joué qu'un rôle de petit architecte. Ses
suggestions ont été finalement reçues, développées et même enrichies.
Mais, sans doute, son mérite spécifique est et restera toujours d'avoir
vu d'une manière tout à fait nouvelle les motifs essentiels de la tra-
dition et de les avoir fortement soulignés. Premièrement, d'avoir
réaffirmé que le fondement de toute notre activité, dans le monde
et pour le monde, est la célébration des mystères du culte, dans la-
quelle nous trouvons présente l'œuvre rédemptrice du Christ, pour
nous y insérer activement afin que nous soyons ainsi conformés
au Christ Crucifié et Ressuscité, au sens précis de Eph 2,5-6: con-
vivifiés, con-ressuscités, con-assis (consedentes) avec le Christ, et de
Gal 2,19-20: ( Je suis crucifié avec le Christ; et si je vis, ce n'est
plus moi, mais le Christ qui vit en moi)}.

Burkhard NEUNHEUSER
L'ÉCONOMIE DU SALUT DANS L'OFFICE DIVIN BYZANTN

L'économie du salut du genre humain, c'est-à-dire l'action de la


Providence divine à cet effet, eut son début par la promesse que la
descendance de la femme aurait écrasé la tête au serpent (Genèse
3,15). Elle a continué par l'élection d'Abraham d'abord, du peuple
juif ensuite dans la personne de Jacob, puis par l'octroi de la loi
à Moïse et par l'action des prophètes, dont beaucoup ont prédit la
venue du Christ et sa passion. Enfin, avec la venue du Fils de l'homme,
sa prédication, sa passion salutaire, sa résurrection, la descente du
Saint-Esprit et la prédication apostolique, cette économie accomplit
vraiment le salut du genre humain. La Sainte Ecriture elle-même
en témoigne. L'office byzantin aussi, pour sa part - et peut-être plus
que d'autres offices - , témoigne de cette économie par le choix des
leçons scripturaires, ainsi que par l'abondance de tropaires dont il
est rempli, surtout ses cycles diurnes et annuels, de même que par
les actions liturgiques, telles les processions, les entrées, les sor-
ties, etc.

• ••
Commençons notre étude par le cycle diurne.
Ayant considéré comme début de l'économie divine du salut la
promesse messianique de Genèse 3,15, nous allons laisser de côté ce
qui dans ce cycle a trait à la création, commémorée par le chant ou
la lecture du Psaume 103 au début des vêpres. Nous nous arrêterons
en revanche sur ce qui est lié au mémorial de l'Incarnation.
Comme nous le voyons dans la Tradition apostolique, un diacre
apportait une lampe à la réunion cathédrale du soir. C'est après l'intro-
duction de cette lampe qui, croyons-nous, symbolisait le Christ-Lu-
mière du monde (Jean 8,12), que l'évêque commençait l'action de
grâce pour la révélation de la Lumière incorruptible, qui est évidem-
ment le Christ lui-même. Cette présentation de la lumière se fait
actuellement pendant la liturgie byzantine des Présanctifiés avec
l'exclamation du prêtre: {( La lumière du Christ illumine tous ». Par
suite de l'influence de la liturgie du Saint-Sépulcre conditionné par
158 VSÉVOLOD PALAClIKOVSKY

l'architecture de celui-ci, elle se fait à partir de l'autel, comme pour


le feu céleste de la nuit pascale dans le rite grec. Ce mémorial de la
venue du Christ est rendu, à la fin des Vêpres, par la procession au
narthex du clergé pour y dire la Iitie et par le choix des cantiques
Nunc dimittis et Théotokè parthénè. Elle est encore plus soulignée
pendant les Vêpres du Carême par l'adjonction de deux apolytikia -
un à S. Jean Baptiste, l'autre aux saints apôtres - et d'un théotokion.
Cet office, qui porte le nom de Lucernaire et qu'on pourrait appeler
<c Office de la Lumière joyeuse)} (phôs hilar6n), se termine, comme

celui de la liturgie eucharistique, par le Psaume 33 et la bénédiction,


ce qui indique son importance.
Aux Matines on revient sur le thème de l'Incarnation par le
chant ou la lecture du cantique des anges: «Gloire à Dieu au plus
haut des cieux ... », ainsi que par les versets du Psaume 117 et, cro-
yons-nous, anciennement par ce psaume-ci en entier. Ces chants sont
accompagnés les jours de fêtes par la descente processionnelle dans
la nef du clergé portant l'icône de la fête. Pendant ce temps-là, les
chœurs chantent le polyéléos. Cette icône, comme d'ailleurs toute
icône, est liée à l'Incarnation puisque c'est seulement grâce à celle-ci
que la vénération des icônes a été rendue possible. Par conséquent,
l'icône peut être considérée comme étant le signe visible de la venue
du Christ dans ce monde, c'est-à-dire de la Nativité de Celui qui est
la lumière du monde. Pour exprimer cette réalité tous les luminaires
sont allumés. Vraiment Dieu est avec nous (ls 8,10). Aux Matines du
dimanche cette procession solennelle n'a pas lieu, à moins qu'il y
ait un office pontifical ou bien l'occurrence d'une fête. En effet, la
liturgie dominicale a subi l'influence de la liturgie du Saint-Sépulcre.
Par suite de cela, l'office a lieu dans la profondeur du sanctuaire:
l'évangile est lu sur l'autel, qui symbolise le tombeau du Christ, et
ce n'est qu'ensuite qu'un prêtre seul le présente à la vénération des
fidèles.
La lecture de l'évangile est bientôt suivie, si on se tenait stricte-
ment à l'ordo du Typicon, d'odes bibliques qui récapitulent les hauts·
faits de l'Ancienne et de la Nouvelle Alliance. Ce sont:

1) Première ode de Moïse: Exode 15, 1-19.


2) Deuxième ode de Moïse: Deutéronome, 32, 144 (éliminée au
XP siècle, en même temps qu'a eu lieu la réduction des
kontakia).
3) Cantique d'Anne, mère de Samuel: 1 Rois 2, 1-11.
4) Prière d'Habacuc: Habacuc 3. l-ll.
DANS L'OFFICE DIVIN BYZANTIN 159

5) Prière d'Isaïe: Isaïe 26, 9-20.


6) Prière de Jonas: Jonas 2, 3-11.
7) «Benedictus es >~: Daniel 3, 22-56.
8) « Benedicite »: Daniel 3, 57-88.
9) « Magnificat »: Luc 2, 46-55.
10) (ou 9 bis) « Benedictus »: Luc 1, 68-79.

Nous retrouvons toutes ces odes dans le Codex Alexandrinus,


avec deux odes en plus qui n'ont pas été retenues par la liturgie
byzantine, à savoir celles d'Isaïe 12 et d'Isaïe 38, 10-20. Nous retrou-
vons les nIèmes odes dans l'Antiphonaire Ambrosien. Nous avons là
une fresque qui va de l'exode du peuple élu à la naissance du Pré-
curseur. Seul l'Antiphonaire Ambrosien pour les dimanches d'hiver
peut rivaliser avec ce recueil d'odes. Ce qui est intéressant, c'est que
là aussi la deuxième ode est inemployée. Cette partie des Matines
correspond à ce que S. Isidore de Séville appelle la Missa canticorum
des vigiles, mais celle-ci se limite chez lui à deux ou trois cantiques.
Dans la dernière partie des Matines certains partisans du sym-
bolisme des offices veuillent voir le mémorial de la Résurrection avec
l'ouverture des portes sacrées au « Gloria in excelsis ». Il nous sem-
ble difficile d'accepter cette interprétation de l'ouverture des portes
sacrées. En effet nous avons dans la première partie des Matines
deux possibilités: le polyéléos pour les fêtes du Seigneur et des saints
(Psaumes 134-135) et celui pour les fêtes mariales (Psaumes 134-
144). Les slaves n'ont pas le polyéléos marial, mais en revanche ils
ont les jours de fètes un troisième psaume: le {( psaume choisi »,
qui est en réalité un composé de versets psalmiques avec des ré-
pons, et dont l'auteur est Nicéphore Blemmidas, patriarche de
Constantinople de 1255 à 1272. Le clergé, sorti du sanctuaire en por-
tant l'icône de la fête, l'installe sur un lutrin. Ainsi la Nativité, an-
noncée par le cantique des anges et le versets du Psaume 117, est
figurée d'une façon sensible par l'ensemble des rites qui constituent
le polyéléos dans le sens large de ce terme.
Le dimanche, la même partie des Matines est officiée entière-
ment au sanctuaire. Chez les grecs pendant toute l'année, chez les
slaves pendant la majeure partie de l'année, c'est la Psaume 118 - ce·
lui de Zôè en taphô - qui est chanté à la place du Polyéléos, suivi,
comme le Salnedi-Saint, par les tropaires de la Résurrection ou, plus
exactement, de l'une des onze péricopes relatant les apparitions du
Christ après la Résurrection. Cette lecture a lieu sur l'autel, afin
que ce soit du tombeau que vienne la nouvelle joyeuse de la Résur·
160 VSÉVOLOD PALACHKOVSKY

rection. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'anciennement tout l'offi-


ce pascal avait lieu au sanctuaire, la lecture de l'épître y compris, ce
qui a provoqué l'ouverture des portes à Pâques. Nous avons par
conséquent dans cette partie des Matines soit le seul mémorial de la
Nativité, les jours de fêtes, conjoinctement avec celui de la fête,
soit, le dimanche, celui de la Nativité suivi par celui de la Résurrection.
En revanche, il est difficile de voir dans l'ouverture des portes
au «Gloria» une allusion à la Résurrection. D'abord, elle n'est pas
prescrite par le Typicon et n'a lieu que dans l'Eglise russe; ensuite, le
Gloria est absent de l'ordo cathédral et de l'ordo studite .

• **

Passons maintenant aux Petites Heures.


Les prières finales de Prime et son mésorion semblent prolonger
le thème du Christ-Lumière véritable que nous avons déjà trouvé
dans l'office des Vêpres. En effet nous trouvons au mésorion deux
prières demandant au Soleil de justice de faire luire sur nous la
lumière de sa bonté. Ainsi aux deux extrémités de la journée nous
retrouvons le même thème, avec cette différence cependant, qu'aux
Vêpres il est lié à celui de la Nativité.
L'office de Tierce est consacré au mémorial de la descente du
Saint-Esprit qui a eu lieu à cette heure. Nous y trouvons le Psaume 50
avec ses trois allusions à l'Esprit Saint d'après la Septante, le tro-
paire employé dans la liturgie eucharistique slave avant l'épiclèse,
l'apolytikion et l'ic05 de la Pentecôte. Ce thème est repris dans le
mésorion par la prière de S. Basile. Quant aux trop aires, il~ font
plutôt allusion aux fruits de l'Esprit. Ce mésorion complète Tierce,
comme la Toussaint complète la Pentecôte.
Sexte représente le mémorial de la Passion du Christ, à laquelle
font allusion les tropaires, aussi bien le premier de ceux qui sont
placés après l'oraison dominicale, ainsi que la prière finale. L'apoly-
tikion de la Croix, lu au mésorion, complète ce mémorial.
None, c'est le mémorial de la mort du Saveur, comme le témoi-
gnent les tropaires et la prière finale. Notons que le deuxième tro-
paire après l'oraison dominicale semble avoir influencé l'iconogra-
phie russe de la Croix, dont le suppedanewn apparaît comme un fléau
de la balance de justice. Le mésorion semble revenir sur le thème
de la crucifixion en empruntant notamment au Vendredi Saint le
kontakion qui prend place après l'oraison dominicale.
DANS L'OFFICE DIVIN BYZANTIN 161

Par l'abondance et le choix des tropaires et des kontakia, Com~


plies semblent reprendre le thème de la Toussaint que nous avons
déjà rencontré au mésorion de Tierce, auquel elles ajoutent la mé~
moire des morts.
Quant au mésonyctikon férial, dans sa première partie il anticipe
la Parousie par ses tropaires, et dans sa seconde partie, c'est un
office des morts. Le mésonyctikon du dimanche est un office con~
sacré à la Sainte Trinité, aussi bien par ses canons et trop aires
triadiques que par sa prière finale.

Ainsi, nous pouvons dire - me semble~t~il - que le cycle diurne


représente toute l'économie de notre salut, à partir de la Nativité
jusqu'à son achèvement dans l'Eglise. A Vêpres et Prime, nous avons
l'apparition du Christ, Lumière du monde, par son Incarnation; aux
Matines, la Nativité; à Sexte, la Passion; à None, sa Mort; aux Mati~
nes du dimanche, sa Résurrection; à Tierce, la descente du Saint~
Esprit; au mésorion de Tierce et aux Complies, les fruits de cette
descente: les saints; au mésonyctikon du dimanche, la révélation
de la Sainte Trinité, et à celui des féries l'anticipation du Jugement
dernier.

***

Passons maintenant à l'examen du cycle annuel. Nous en avons


deux: le cycle mobile et le cycle fixe.
Dans le cycle mobile nous avons, d'après les anciens Kontacaires,
une série des Pères de l'Ancien Testament que, afin de ne pas nous
arrêter trop longtemps sur les divergences des manuscrits, noUS al~
Ions donner d'après le Patmiacus 213 du xr siècle. Cette série se
compose d'Adam et d'Eve le dimanche de la Tyrophagie; de Caïn et
Abel le premier dimanche du Carême; de Noé le troisième; du sacri-
fice d'Abraham le quatrième; de la bénédiction de Jacob par Isaac
le cinquième; enfin, de Joseph le Lundi Saint. Vous aurez pu re-
marquer l'absence des deuxième et sixtième dimanches. En effet ils
n'appartiennent pas à cette série, le deuxième dimanche ayant été
celui de l'Enfant prodigue, et le sixtième celui des Rameaux. Etant
donné que l'introduction du mémorial de l'Enfant prodigue doit être
plus tardive, initialement au deuxième dimanche du Carême on devait
avoir la mémoire d'un Père de l'Ancien Testament, dont le nom nous
162 VSÉVOLOD PALACHKOVSKY

échappe. Notons que de ce cycle il ne nous est resté que deux mé-
moires: celle d'Adam, ou plutôt de son exil, et celle de S. Joseph.
Si la liturgie byzantine a perdu cette série des saints de l'Ancien
Testament, elle a pourtant actuellement deux dimanches avant la
Nativité dédiés aux saints de l'Ancien Testament. Quant au Carême,
il s'est enrichi de leçons scripturaires de l'Ancien Testament: Isaïe à
Sexte, Genèse et Proverbes aux Vêpres. La lecture de Proverbes fai-
sant suite aux Présanctifiés à l'exclamation du prêtre: « La lumière
du Christ illumine tous », celle-ci peut servir d'introduction au chant
de la Sagesse, qui occupe les neuf premiers chapitres de Proverbes.
N'oublions pas que l'ordo studite avait la célébration des Présancti-
fiés à toutes les féries du Carême et non pas uniquement les mercredis
et les vendredis, comme cela a lieu dans l'ordo sabaïte_
La Semaine Sainte ces leçons sont remplacées par celles du pro-
phète Ezéchiel, de l'Exode et de Job. Cependant elles sont fort écour-
tées par suite du peu de jours qui leur sont attribués. En effet, les
leçons d'Ezéchiel s'arrêtent au Mercredi Saint et les autres au Ven-
dredi Saint.
Les leçons évangéliques des Matines et des Vêpres de la Semaine
Sainte nous permettent de suivre le Christ dans son cheminement
douloureux depuis son entrée à Jérusalem jusqu'à sa Passion, cela
surtout d'après Matthieu, qui est lu presque sans interruption du
chap_ 21,1 au chap. 27,4. En outre, aux Heures des trois premiers
jours on lit tout le tétraévangile, sauf l'évangile de Jean, qui n'est
lu que jusqu'au chap. 13,32. Aux Matines du Jeudi Saint la Sagesse-
Christ nous invite, par la bouche de S. Cosme ]'Agiopolite, au ban-
quet qu'elle a préparé. En effet son canon est inspiré par PrO'yerbes
8,22 - 9,11.
Enfin, une double lecture de la Passion - par péricopes aux
Matines anticipées du Vendredi Saint et par évangélistes aux Gran-
des Heures du même jour - nous permettent d'assister à la Passion
salutaire de notre Rédempteur, rendue visible par la sortie de la
Croix à la 15 ème antiphone. Nous trouvons déjà l'ébauche de ces deux
offices dans le Lectionnaire Arn1énien de 464468, dans cette veillée
processionnelle qui avait lieu à Jérusalem le Jeudi Saint au soir, et
dans un autre office le Vendredi Saint au matin. Leur développement
ultérieur est attesté par le Canonarion des Ibères du VIre siècle,
édité par Kékélidze. Enfin, dans l'acolouthia tôn pathôn de 1122 ils
acquièrent presque leurs formes actuelles. Le premier de ces offices,
qui a gardé encore sa forme processionnelle avec Iities aUX différen-
-----~.::::...':~.
DANS L'OFFICE DIVIN BYZANTIN 163

tes stations, diffère de l'ordo actuel par la présence de versets psal-


miques, qui encadrent les antiphones, et par le nombre des évangi-
les: onze au lieu de douze. Le caractère supplémentaire du dernier
évangile est souligné chez les grecs par le fait qu'il est lu par le diacre
et non pas par un prêtre comme les autres évangiles de la Passion.

La Veille Pascale comprend 15 leçons de l'Ancien Testament. Ce


sont:

1) Genèse l, 1-13: la Création (ou plutôt les trois premiers jours


de celle-ci).
2) Isaïe 60, 1-16: la gloire future de Jérusalem.
3) Exode 12, 1-1l: la pâque.
4) Jonas (en entier): la préfiguration de la Résurrection.
5) Josué (Jésus, fils de Navé): la pâque après l'entrée des hé-
breux dans la terre promise.
6) Exode 13,20 - 15,16: l'exode.
7) Sophonie 3, 8-15: la rédemption future de Jérusalem.
8) 3' Livre des Rois 17, 8-24: Elie.
9) Isaïe 61,10 - 62,15: le bonheur futur de Sion.
10) Genèse 22, 1-18: l'holocauste d'Abraham.
!I) Isaïe 61, 1-10a: la bonne nouvelle.
12) 4' Livre des Rois 4, 8-27: Elisée.
13) Isaïe 63,11 - 64,5 (le choix de ce texte ne nous est pas clair).
14) Jérémie 31, 31-34: la Nouvelle Alliance.
15) Daniel 3, 1-88: les Trois Enfants dans la fournaise: 1-25;
avec le « Benedictus es »: 26-56; et le « Benedicite ~~: 57-88,
suivi de deux versets.

Ces leçons constituent une fresque de l'économie du salut dans


l'Ancien Testament, à partir de la Création et jusqu'aux prophéties
sur les temps messianiques.
Nous avons passé sous silence les autres leçons de ce Triduum
paschale, pourtant enes ne manquent pas. En effet, à partir du Jeudi
Saint à Vêpres tous les évangiles, sauf ceux des Matines du Ven-
dredi Saint, sont accompagnés d'une leçon de l'Ancien Testament à
caractère phophétique, comme, par exemple, Isaïe 52,13 - 54,1 ou bien
Ezéchiel 37, 1-14, et d'une épître.
Aux Grandes Heures du Vendredi Saint les psaumes (deux sur
trois) sont choisis en fonction de leur caractère prophétique.
La fête de Pâques fait éclater les cadres habituels de l'office par
cette joie débordante qui témoigne de la réalité de la Résurrection
164 VSÉVOLOD PALACI-IKQVSKY

du Christ. Le dimanche suivant, celui de l'Antépâques, nous révèle le


sens de cette ogdoade, comme étant le signe de l'éternité, c'est-à-dire
du jour à venir qui est le huitième. Nous anticipons ce jour-là; par
conséquent, celui de notre propre résurrection.
La fête de la Mi-Pentecôte, comme le dimanche qui la suit (celui
de la Samaritaine), nous annoncent les flots vivifiants de la grâce du
Saint-Esprit que nous allons recevoir le jour de la Pentecôte. Cette
anticipation est concrétisée par la petite bénédiction des eaux.
La fête de la Mi-Pentecôte et son complément, la Toussaint, ter-
minent cette série.

***

Passons maintenant au cycle des fêtes fixes.


Si nous laissons de côté le fête de l'Exaltation de la Sainte Croix,
ce cycle commence par de fêtes de la Sainte Vierge: Nativité et
Présentation au temple. Après ce raccourci de sa vie d'avant l'Annon-
ciation - qui, elle, est fêtée le 25 mars et qui doit être plutôt con-
sidérée comme une fête du Seigneur, raison pour laquelle elle est
pleinement fêtée même le Vendredi Saint et à Pâques -, nous entrons
dans l'Avent, avec jeûne et abstinence à partir du 15 novembre et
chant de la catabase de la Nativité à partir du 21 novembre. Ce chant
n'a rien de particulier, puisque presque toutes les grandes fêtes sont
anticipées par leurs catabases, et même par des stichères d'avant-
fête. Celles de l'avant-fête de la Nativité apparaissent dès le 26 no-
vembre, à la place des théotokia.
A partir du 1er décembre, nous avons des mémoires des prophè-
tes: le 1er, Nahum; le 2, Habacuc; le 3, Sophonie; le 16, Aggée; le 17,
Daniel et les Trois Enfants. Enfin, les deux dimanches qui précèdent
la Nativité: les saints de l'Ancien Testament, et le dimanche aussi qui
précède Noël une nouvelle mémoire de Daniel et des Trois Enfants.
Le jour de la Paramonie (veille) de la Nativité il y a les Grandes
Heures, con1me le Vendredi Saint, avec lecture de psaumes, prophé-
ties, épîtres et évangiles appropriés. Aux Vêpres qui les suivent
on lit 8 leçons de l'Ancien Testament, l'épître et l'évangile. Voici les
leçons paléotestamentaires de ces Vêpres:

1) Genèse 1, 1-13: le même passage que le Samedi Saint.


2) Nombres 24, 5·9.17: prophétie de Ba1aam.
DANS L'OFFICE DIVIN BYZANTIN 165

3) Michée 4,6 - 5,3: la prophétie bien connue, grâce à l'évangile


de S. Matthieu et qui malheureusement y est citée d'une
façon incomplète.

Après ces 3 leçons on chante un tropaire intercalé parmi les ver-


sets du Psaume 86. Suivent ensuite:

4) Isaïe 11, 1-10: «Un rameau sortira du tronc de Jessé ... ).


5) Jérémie (en réalité Baruch 3,35 - 4,4): {{ C'est lui notre Dieu
et nul autre ne lui est comparable ... Il est apparu sur la
terre et a conversé parmi les hommes ... )).
6) Daniel 6, 31-36.44-45: explication du songe de Nabuchodonosor.

Après cette deuxième série de 3 leçons on chante de nouveau un


tropaire avec les versets du psaume triomphal 92, suivi de 2 leçons
d'Isaïe:

7) Isaïe 8, 3-6 {{ Un Fils est né pour nous, petit enfant ... ».


8) Isaïe 7,10 - 8,4.9-10: la prophétie citée par Matthieu: {{ Voici
que la Vierge a conçu ... ».

Par suite de l'importance de ces Vêpres, elles sont SUIVIes, com-


me le Samedi Saint, de la liturgie eucharistique, qui est la première
de la Nativité.
La Nativité, elle, est complétée par la synaxe en l'honneur de la
Saint Vierge le deuxième jour, et par les mémoires de S. Joseph,
du roi David et de S. Jacques, le frère du Seigneur, le dimanche
dans l'octave.
L'office de l'Epiphanie est calqué sur celui de la Nativité. Dans
l'ancien ordo de la Grande Eglise, il n'y avait pas de Paramonie sem-
blable à celle de la Nativité, l'Epiphanie étant le dernier jour d'une
fête continue à partir du 25 décembre.
Nous avons donc, la veille, une Paramonie avec Grandes Heures,
Premières Vêpres, suivies de la liturgie eucharistique et de la consé-
cration des eaux. La quantité des leçons est plus grande qu'aux Pre-
mières Vêpres de la Nativité: treize au lieu de huit, mais moindre que
le Samedi Saint, lorsqu'on en a quinze.
La première leçon est la même que la première de la Paramonie
de la Nativité et que celle du Samedi Saint. Les autres leçons sont
liées au thème de l'eau: la traversée de la Mer Rouge, les eaux de
166 VSÉVOLOD PALACI-IKOVSKY

Mara, la traversée du Jourdain, la guérison de Néeman, l'ordre de se


purifier dans Isaïe 1, 16-20: « Lavez-vous, purifiez-vous », le puit du
serment de Jacob, la toison de Gédéon, l'holocauste d'Elie, l'aissainis·
sement des eau..~ par Elisée, etc. Parfois quelques mots dictent le
choix: par exemple, la cruche d'eau donnée par l'ange à Elie; ou
bien: «Ils n'auront pas soif" dans Isaïe 49, 8·15. Seule la leçon sur le
Buisson ardent n'appartient pas à cette catégorie, et elle a dû être
choisie comme relatant une théophanie.

Toutes les autre fêtes ont, mais peut-être d'une façon moins
riche, les mêmes éléments, c'est-à-dire des leçons de l'Ancien Testa-
ment soit de nature prophétique, soit de nature typologique en tant
que préfigurations des événements ou des personnes qui sont fêtés.
Des leçons néo testamentaires - épître et évangile - les accom-
pagnent.

***

Jusqu'à présent nous nous sommes arrêtés à étudier les élé-


ments scripturaires de l'office comme témoignant l'économie divine
du salut. Mais notre étude serait incomplète si nous passions entiè-
rement sous silence l'élément poétique de la liturgie byzantine, qui
en fait sa richesse: les tropaires d'abord, les kontakia ensuite, enfin
les stichères et les canons. Dans beaucoup de ces œuvres l'économie
du salut est exprimée: d'abord la Passion salutaire, à laquelle sont
consacrés tous les stavrosima de l'année, c'est-à-dire les stichères
et les canons des mercredis et vendredis. Même les dimanches nous
avons un canon consacré à la Croix en même temps qu'à la Résur-
rection. Au milieu du Carême la vénération de la Croix, avec tous
les chants liturgiques appropriés, nous fait déjà entrevoir la Passion
salutaire, commémorée le Vendredi Saint. Le thème de la Croix est
souvent présent même dans les anastasima, comme en témoigne ce
stichère du deuxième ton:

« Le Christ notre Sauveur a cloué à la Croix la sentence écrite


contre nous et il a anéanti la puissance de la mort. Vénérons sa
résurrection du troisième jour» (deuxième stichère du lucernaire).
DANS L'OFFICE DIVIN BYZANTIN 167

En effet, la Passion est inséparable de la Résurrection, comme


nous le voyons dans le tropaire qui est chanté aux Matines au mo-
ment de la présentation de l'évangile au peuple:

« , •. Nous vénérons ta Croix, ô Christ, et nous chantons et


glorifions ta sainte résurrection ... Venez tous, les croyants, véné-
rons la sainte résurrection du Christ. Voici que par la Croix la joie
est venue dans tout le monde».

Chaque dimanche, dans la liturgie byzantine, n'est pas seule-


ment le jour du Seigneur, mais aussi et surtout celui de sa Résurrec-
tion. C'est pourquoi en russe le dimanche s'appelle «résurrection)L
Dans le nouvel ordo de Jérusalem, cette idée est accentuée par le
fait que c'est l'office pascal qui est chanté le dimanche. Cet ordo
a été introduit par le patriarche de Moscou Nicon au monastère de
la Nouvelle Jérusalem dont le catholicon était dédié à la Résurrec-
tion. Lors de la Révolution de 1917, certaines églises dédiées soit à la
Résurrection, soit à la fête de la Dédicace, avaient adopté cet ordo
qui, faisant tache d'huile, avait débordé ce cadre. Le mouvement des
Rénovateurs et surtout 1'« Eglise vivante)) ont provoqué, par leurs
abus, la réaction qui a mis fin à cette tendance. Cependant elle n'a
pas complètement disparue, puisque le jour de la Dédicace de la
Basilique constantinienne de Jérusalem, le 13 septembre, les églises
placées sous ce vocable peuvent chanter l'office pascal.
Mais même si l'office pascal n'est pas chanté, dans l'office domi-
nical de l'octoèque quantité d'anastasima continuent parmi les stichè-
res et parmi les tropaires du canon des Matines. J'en ai compté cin-
quante et un pour un office dominicale, en laissant de côté les
stauroanastasùna et les théotokia.

Le rôle du Saint-Esprit dans notre salut est décrit dans le pneu-


matiea des graduels.
Si nous voulons maintenant nous arrêter sur celui de la Sainte
Vierge, nous n'avons qu'à étudier les dix-sept dogmatiques qui ex-
priment la doctrine mariale de l'Eglise orthodoxe. Ce sont les neuf
dogmatiques des Petites Vêpres (huit du lucernaire et un des aposti-
ches) et les huit dogmatiques des Grandes Vêpres. A ceux-ci nous
pouvons ajouter les théotokia et les staurothéotokia.
Ainsi, c'est toute l'économie du salut qui nous est révélée par
l'office byzantin.
168 VSÉVOLOD PALACHKOVSKY

Cependant, pour être complet, nous devons reconnaître que cette


dogmatique du salut est moins bien exprimée par les hypacoès, les
exapostiches et les éothina, que par les autres compositions poéti·
ques de la liturgie byzantine: apolitikia, kontakia, stichères, tropai-
res des canons et cathismes.
Pour terminer, nous allons donner quelques exemples de ces
œuvres.

Stichère anastasimon du premier ton (deuxième du lucernaire du


samedi):

« Peuples, entourez Sion, faites-en le tour et rendez gloire à


Celui qui est ressuscité des morts, car Il est notre Dieu, Lui qui nous
a délivrés de nos iniquités ».

Apolytikion dominical du premier ton:

«La pierre ayant été scellée par les Juifs et les soldats gardant
ton corps immaculé, Tl.! es ressuscité le troisième jour, ô Sauveur,
en donnant la vie au monde, C'est pourquoi les puissances célestes
te crient à Toi qui donnes la vie: "Gloire à ta résurrection, ô Christ,
gloire à ta royauté, gloire à ta providence, seul Ami de l'homme!" ».

Grand dogmatique du premier ton (auteur: S. Jean Damascène):

« Chantons la Vierge Marie, gloire universelle, fille des hommes


et Mère du Seigneur, Porte du Ciel, Chant des Incorporels, Parure
des croyants. Elle apparut, en effet, comme le ciel et le Temple de
la Divinité. C'est elle qui détruisit le mur de l'iniquité, instaura la
paix et ouvrit le Royaume. En elle nous possédons l'ancre de la foi
et comme protecteur le Seigneur qui est né d'elle. Aie donc con-
fiance, peuple de Dieu, car c'est Lui qui combattra les ennemis,
étant Tout-Puissant».

Kontakion du premier ton:

« Tu es ressuscité du tombeau dans la gloire en tant que Dieu


et, avec Toi, Tu as ressuscité le monde. La nature humaine Te
chante comme Dieu et la mort a disparu. Adam exulte, ô Maître, et
Eve maintenant délivrée de tout lien se réjouit en criant: Tu es
ce:uj, ô Christ, qui donne à tous la résurrection ».

Vsévolod PALACHKOVSKY
LE TRIDUUM PASCAL DANS LE RITE ARMÉNIEN
ET LES HYMNES DE LA GRANDE SEMAINE

La célébration de la mort et de la résurrection du Seigneur est.


dans l'année liturgique arménienne comme pour les autres liturgies
d'Orient et d'Occident, une période d'une richesse inhabituelle. Le
contenu des rites et des textes des trois jours saints, lieux théolo-
giques importants, mérite d'être examiné si l'on veut mieux connaître
la christologie de cette Eglise non-chaIcédonnienne l,

r. - LES RITES DU TRIDUUM PASCAL

Malgré les nombreuses influences qu'a subies au cours des siècles


le rite arménien - influences byzantines, syriennes et latines - il
est encore aisé de retrouver la trace de ses origines. C'est à la liturgie
de Jérusalem, celle du début du V' siècle, qu'il faut aller, si l'on
veut connaître l'histoire de ce rite. Ceci est particulièrement sensible,
nous allons le voir, pour les rites des trois jours saints.

Le jeudi saint
Après un rite d'absolution des pénitents, puis la liturgie commé-
morative de la Cène du Seigneur et le lavement des pieds, le triduum
pascal proprement dit commence avec la vigile de la nuit du jeudi
au vendredi saint.
Ce long office, qui s'ouvre par une hymne rappelant la trahison
de Judas et l'arrestation du Christ 2, est caractérisé par la répétition,
six fois, d'un même ensemble de textes:
1. Ps. II, III, IV; antienne, Ps. II, 2.
Hymne de Nersès Snorhali: Aujourd'hui
Evangile, Jean XIII, 16 ·XIV, 1.
Prière avec agenouillement 4.

ILe Tonac'oy' édité à Jérusalem en 1915 a été pris pour base de cette étude;
les hymnes sont celles de l'Hymnaire édité à Venise en 1907.
2 Voir p. 193 ss.

3 Voir pp. 198-210.


4 Deux cierges sont éteints, comme dans le rite romain, après chaque ensem-
ble, l'un du côté droit du candélabre et l'autre du côté gauche.
170 CHARLES RENOUX

2. Ps. XL, XLI, XLII; antienne, Ps. II, 2.


Hymne de Nersès Snorhali: Il acco1nolit
Evangile, Luc XXII, 1-65.
Prière avec agenouillement.
3. Ps. LVIII, LIX, LX; antienne, Ps. LVIII, 2.
Hymne de Nersès Snorhali: Dans un souci d'amour . .. 6.
Evangile, Marc XIV, 27·72.
Prière avec agenouHkment.
4. Ps. LXXVIII, LXXIX, LXXX; antienne, Ps. LXXXVII, 6b et
LXVIII 13 '.
Hymne de Nersès Snorhali: Eclat de la gloire . .. 8,
Evangile, Matthieu XXVI, 31-56.
Prière avec agenouillement.
5. Ps. CVIII, CIX, CX; antienne, Ps. CVIII 2b-3a.
Hymne de Nersès snorhali: Toi qui dénoues ... 9,
Evangile, Matthieu XXVI, 57-75.
Prière avec agenouillement.
6. Ps. CXVII; antienne, Ps. CXVII, 1.
Hymne de Ncrsès Snorhali: [.es mains 10

Evangile, Jean XVIII, 2·27.


Prière.
Ps. CXVIII, 161-170.
Orhnut'iwl1: Egaré par son avarice . .. lObis

L'origine de cet office et des pièces qui le composent nous est


parfaitement connue. Dans le but de conserver intégralement ce
qu'elle avait reçu de Jérusalem, l'Eglise arménienne a élaboré une
vigile de structure tout à fait inhabituelle. Deux offices hiérosoly-
mitains ont été bloqués en un: au.x psaumes, antiennes et prières
de la vigile qui se tenait à l'Eléona 11, le compositeur a ajouté les
évangiles qui étaient lus dans chacune des six stations faites ensuite
dans les lieux où était passé le Christ durant la nuit 12. Le sens de

5 Voir p. 199 s.
6 Voir p. 201 s.
7 Selon la LXX.
8 Voir p. 202 s.
9 Voir p. 204 s.

10 Voir p. 205 ss.


IObis Voir p. 195.
11 RENOUX, Le codex arménien Jérusalem 121, II Edition Comparée (Patrologia
Orientalis, Paris 1971), nO XXXIXter, p. 130-135.
12 Ibid. nOS XL-XLII, p. 134-143. La sixième partie de la vigile (voir p. 205 s.) a été

ajoutée en Arménie, à la vigile hiérosolymitaine afin de conserver le Psaume.


CXVII et l'évangile ln XVIII, 2-27, avec lesquels se terminait l'office stationnaI
hiérosolymitain.
DANS LE TRIDUUM PASCAL DU RITE ARMÉNIEN 171

cet office du rite arménien apparaît donc clairement: c'est une Ion·
gue méditation, à travers les psaumes et les évangiles, sur les der·
niers instants de la vie du Seigneur, de la trahison de Judas au
procès devant le grand prêtre. Les hymnes de Nersès Snorhali, sur
lesquelles nous reviendrons, commentent chacun de ces événements.

Le vendredi saint

La même dépendance vis à vis de Jérusalem se remarque dans


les rites du vendredi saint. Après l'office du matin 13, le typicon ar-
ménien règle le déroulement d'une longue cérémonie qu'il appelle
l'ordo de la crucifixion. Cette célébration n'est autre que celle de la
sixième heure du rite hiérosolymitain 14: un office composé de huit
parties, chaque ensemble comprenant une lecture des prophètes,
Amos, Isaïe, Jérémie ou Zacharie, puis une lecture de l'Apôtre, auxquel-
les s'ajoute, dans les quatre dernières sections, le récit évangélique des
derniers instants de la vie de Jésus. Les liturgies syriennes, byzan-
tine et copte ont aussi ces mên1Cs péricopes, mais les ont distribuées
entre les diverses Heures de la journée 15:

1. Ps. XXXIV; antienne, Ps. XXXIV, 11.


Zacharie XI, 11-14.
Ga/ates VI, 14-18.
Prière.
2. Ps. XXXVII; antienne, Ps. XXXVII, 18.
Isaïe III, 9-15.
Philippiens II, 5-11.
Prière.

13 Cet office comprend, après les hymnes (Hare', Mecac'usG"e, Olonnea, Ter
Yerknic(, Mankunk', voir pp. 195·197), le chant du Ps. CVIII et la lecture de ln.
XVIII, 28 - XIX, 16 qui, à Jérusalem. au Ve siècle, constituaient le dernier temps
du très long ordo processionnel ùe la nuit du jeudi au vendredi (RENOUX, ibid.,
nO XLII. p. 140-143). A la fin de l'office du matin a lieu l'adoration de la croix, ainsi
que le prévoient l'Itinerarium Egeriae, c. XXXVIII (éd. FRANCESCHINI-WEBER, p. 80-
81) et les lectionnaires arméniens conservant les rites hagiopolites du début du
v e siècle (RENOUX, ibid., nO XLIIII, p. 142s.).
14 RENOUX, ibid., p. 142-155.
Hi On notera que la série des douze idiomèles des Heures du grand vendredi,
au rite byzantin, textes que la tradition syro-jacobite attribue à Cyrille de Jéru-
salem (A. BAUMSTARK, Liturgie comparée, 3e édition, Chèvetogne. 1935, p. 105) ne
se trouve ni dans le rite arménien, ni dans les typica hiérosolymitains. Les
hymnes des sections 5, 6, 7, 8 de l'office de la Crucifixion sont de Nersès Snor-
hali (l102-!173).
172 CHARLES RENOUX

3. Ps. XL; antienne, Ps. XL. 7.


Isaïe L, 4-9.
Romains V, 6-11.
Prière.
4. Ps. XXI; antienne, Ps. XXI, 19.
Amos VIII, 9-12.
1 Corinthiens l, 18-31.
Prière.
5. Ps XXX; antienne, Ps. XXX, 6.
Isaïe LII, 13 - LIlI, 12.
Hébreux II, 11-18.
Hymne: Toi qui as renové ['univers ... 16,
Evangile, Matthieu XXVII, 1-56.
Prière.
6. Ps. LXVIII; antienne, Ps. LXVIII, 22.
Isaïe LXIII, 1-6.
Hébreux IX, 11-28.
17
Hymne: Ils te donnèrent à boire du fiel
Evangile, Marc XV, 1-41.
Prière.
7. Ps. CI; antienne, Ps. LXXXVII, Sb 18,

Jérémie, XI, 18 - XII, 8.


Hébreux X, 19-31.
Hymne: Alors qu'il criait 19

Evangile, Luc XXII, 66 - XXIII, 49.


Prière.
8. Ps. CXLII; antienne, Ps. CI, 220,
Zacharie XIV, 6-11.
1 Timothée VI, 13-16.
Hymne: En sources pures
Evangile, Jean XIX, 17·37.
"
Prière.

Le but de cet ensemble de lectures, entourées d'hymnes com-


posées par Nersès Snorhali, est clair: il s'agit de montrer que les
prédictions vétéro-testamentaires se sont réalisées dans la passion
du Christ. Nous reviendrons sur le contenu de ces lectures.

18 Voir p. 207 S.
Voir p. 208.
17

18 Cette antienne accompagne le Ps. LXXXVII, et non le Ps. CI, dans les lec-
tionnaires arméniens de Jérusalem (RENOUX, ibid., nO XLVIII, p. 151), ct dans le
Tonac'oyc' des Pères Mékhitaristes de Venise et de Vienne.
19 Voir p. 209.
2Q Le Ps. CLXII n'est pas employé dans l'office hagiopolite.
21 Voir p. 210.
DANS LE TRIDUL'M PASCAL DU RITE ARMÉNIEN 173

Dans la soirée du vendredi saint, le rite arménien a donné,


vraisemblablement à l'imitation de Ja liturgie byzantine, le nom
d'ensevelissement du Christ Dieu à ce T,..:.i, dans la Jérusalem du IV'"
et du v e siècle, était tout simplement l'cHiee du soir. Aux le~tures de
cet office:

Jérémie XI, 18 - XII, 8.


Isaïe LII, 13 - LIlI, 12.
Ps. XXI.
Evangile, Matthieu XXVII, 57-61

ont été ajoutées, très tardivement, d'a'.ltre~ lectures sur le thème


de la sépulture du Christ:

Ps. XV; antienne. Ps. XV, 10.


Proverbes II, 1-22.
Zacharie XII, 8-14.
1 Pierre III, 17-20.

Le samedi saint
La vigile de la nuit du vendredi au samedi saint et l'office du
matin retrouvent leur structure habituelle 2.2.
C'est dans la soirée du samedi, à la neuvième heure, prévoit le
typicon arménien, aux environs de trois heures de l'après-midi par
conséquent, qu'a été avancée la solennelle vigile pascale, le cragluc(i,
l'office des lumières. Les textes de cet office sont les mêmes que
ceux de la liturgie de Jérusalem au Ive et au Ve siècle:1.3, seules les
hymnes du canon de Pâques ayant été ajoutées 24.

Le dimanche de Pâques

La vigile pascale ancienne ayant été reportée au samedi soir, une


nouvelle vigile, que l'on voit apparaître dans les lectionnaires, à
partir du XIII' siècle ", en a pris la place. Elle est essentiellement

22 La lecture de Matthieu XXVII, 62-66, lecture faite à l'aube, dans la Sainte·


Anastasis, selon l'ordo hagiopolite du début du V" siècle (RENOUX, ibid., nO XLIV.
p. 157) a été insérée dans l'office du matin.
23 RENOUX, ibid., nO XLlVbis, p. 156-169.
24 L'Orhnut'iwn: Aujourd'hui, l'immortel et céleste Epoux... (voir p. 215).
25 Vg., le ms. 454 du Couvent Saint-Jacques de Jérusalem copié en 1299.
174 CHARLES RENOUX

composée de la lecture des récits de la résurrection et des apparitions


en Jean et Marc, puis des évangiles des myrophores:

Hymne: Aujourd'hui, l'immortel et céleste Epoux ... 26.


Aujourd'hui une gran.de nouvelle ... 27,
Evangile, Jean XX, 1-18.
Procession: Aujourd'hui une grande nouvelle 28

Ps. LXIV.
Actes I, 1-8.
Alleluia, Ps. eXI.
Evangile, Marc XVI, 2-8.

Lecture des quatre évangiles aux quatre points cardinaux:


A l'est: Hymne: A ['aube du premier jour ... 29,
Evangile, Jean XIX, 38-42.
A l'ouest: Hymne: Tu as été envoyé par le Père 30

Evangile, Luc XXIII, 50-56.


Au sud: Hymne: Dans ton tombeau
Evangile, Marc XV, 42 - XVI,!.
Au nord: Hymne: Pour ta résurrection ... 32,
Evangile, Matthieu XXVII, 57-66.

Retour au sanctuaire:
Hymne: Christ, Dieu, toi qui as étendu sur la croix . .. 33,
Ps. IV, antienne, Ps. IV, 7.
Evangile, Jean XIX, 16-22.

Pour terminer cet examen des offices du triduum pascal. armé-


nien où nous pouvons étudier la façon dont sont présentées la mort
et la résurrection du Seigneur, il faut enfin mentionner l'office du
jour de Pâques et celui du soir, offices hérités eux aussi des rites
de la Jérusalem du V' siècle.

28 Voir .p. 215 s.


27 Voir p. 216 s.
28 Ibid.
29 Sixième strophe de l'Orhnut'iwn de Pâques (voir p. 215).
30 Orhnut'iwn du lundi de Pâques.
310rhnut'iwn du mardi de Pâques.
32 Orhnut'iwn du mercredi de Pâques.
33 Orhnut'iwn du canon de la fête de la Croix (voir RENOUX, La croix dans le
rite arménien, dans Mello. RerchelThes Orientales, 5 [1969], p. 148).
DANS LE TRIDUUM PASCAL DU RITE ARl\1ÉNIEN 175

A la messe:
Introït: Le Christ est ressuscité des morts; par la mort il a foulé
aux pieds la mort, et par la résurrection il nous a donné
, la vie. A lui, gloire à jamais.
Hymne: Le Christ est ressuscité des morts ... 84.
Psaumes l, II, III 35.
Actes l, 15-26.
Alleluia, Ps. CXLIX.
Evangile, Marc XVI, 2-8.

Le soir:
Ps. LXIV.
Actes l, 1-8.
Alleluia: Ressuscité, tu auras compassion de Sion; elle
est venue l'heure de sa compassion.
Evangile, Luc XXIV, 13·36.
Procession:
Hymne: Aujourd'hui, c'est notre Pâque se
Evangile, ln XX, 1-18.
Hymne: Toi qui t'es humilié ...
Psaume CXXIX.
Evangile, ln V, 24-30.
Hymne à la croix.
Psaume IV.
Evangile, ln XIX, 31-37.
Psaume de renvoi: Ps. CXLVII.
Evangile, ln XX, 19-25.

Tel est l'ensemble des rites du triduum pascal dans l'Eglise ar-
ménienne. De nombreuses transformations ont été effectuées dans ce
qui fut reçu de Jérusalem au début du V· siècle, mais sous ces
développements le rite arménien conserve encore vivantes les struc-
tures liturgiques avec lesquelles étaient célébrées, à l'époque de Cy·
rille de Jérusalem, la mort et la résurrection du Seigneur.

II. - MORT ET RÉSURRECTION DU CHRIST DANS LES PSAUMES


ET LES LECTURES

Le choix des lectures et des psaumes de la liturgie du triduum


pascal dans le rite arménien - fidèle miroir de la liturgie hiéroso-

84 Voir p. 214.
35 Début d'une lecture continue du psautier.
36 Voir p. 215.
176 CHARLES RENOUX

lymitaine au IV~ et au V" siècle - résulte du désir de montrer,


réalisées dans le Christ, les allusions ou les prophéties concernant
la passion et la résurrection. Cela est particulièrement sensible dans
les trois grands offices du triduum: la vigile de la nuit du jeudi
au vendredi saint, le long office de la crucifixion, le vendredi saint,
et enfin la vigile pascale.

La vigile du vendredi saint


La vigile de la nuit du jeudi au vendredi saint est originellement,
nous l'avons dit, une vigile composée uniquement de psaumes, quinze
psaumes répartis en cinq groupes de trois psaumes chacun 37. Ce·
pendant, seul le premier psaume de chacun de ces groupes doit nous
arrêter, semble-t-il, car lui seul a été réellement choisi, les deux
autres suivant toujours le premier, selon l'ordre numérique 3B. Les
psaumes II, XL, LVIII et CVIII qui viennent en tête des diverses
sections de l'office ont donc été choisis en raison de leur aptitude
à faire entrer les fidèles dans les sentiments qui étaient ceux du
Seigneur la nuit où il fut livré.
Le psaume II est bien choisi pour ouvrir la vigile. La persécution
est déchaînée par les autorités juives qui complotent contre le Christ
dans le but de le supprimer:

Pourquoi les nations ont·elles frémi,


et pourquoi les peuples ont·ils formé de vains projets?
Les rois de la terre se sont soulevés
et les princes se sont assemblés ensemble
au sujet du Seigneur et de son Oint.

Que telle ait été l'intelligence que la communauté de Jérusalem


avait de ce psaume, au début de cette vigile, le choix du refrain le
montre bien: le verset 2 qui va être repris tout au cours du psaume
proclame:

Les princes du peuple se sont assemblés ensemble


au sujet du Seigneur et au sujet de son Oint.

37 Nous laissons de côté la sixième section de cet office ajoutée plus tard
(voir p. 170).
38 La description de cette vigile dans les lectionnaires arméniens amène à
penser qu'à Jérusalem, au V" siècle, le psautier était divisé en sections. Le gobala
dont parlent les Iectionnaires arméniens conservant les rites de la Ville Sainte
(RENaux, Le codex arménien Jérusalem 121. II Edition cûmparée, n. XXXIXter,
DANS LE TRIDUUM PASCAL DU RITE ARMÉNIEN 177

On notera la variante de ce verset utilisé comme antienne: les


princes du peuple 39. Hésychius de Jérusalem, dans ses gloses sur le
psautier 40, voit dans ce verset le roi Hérode, Ponce Pilate, Anne et
Caïphe n.

L'évocation de la scène du complot contre Jésus progresse avec


le deuxième psaume de la vigile, le psaume XL. Ce qui, dans ce texte,
a retenu l'attention des compositeurs de l'office, c'est le rappel des
accusations lancées contre Jésus qu'évoquait ce psaume lu dans les
Septante 42:

Tous mes ennemis murmuraient contre mOl,


ils formaient de mauvais desseù1s.
Ils ont placé une parole injuste contre moi.
L'homme de ma paix, en qui j'espérais, qui mangeait mes pains,
a levé le talon contre moi.

« Les Juifs disaient cela entre eux, se concertant pour le tuer;


c'est de Judas qu'il parle )), commente Hésychius de Jérusalem 43.

Le troisième psaume destiné à rappeler aux fidèles les événe-


ments de la dernière nuit de Jésus est le psaume LVIII, dans lequel
Cyrille de Jérusalem voyait, nous allons le dire, une prophétie des
circonstances de l'arrestation du Christ. C'est lui, traqué par ses
ennemis, que l'on entend dans les appels du psalmiste repris comme
antienne:

Dieu, délivre-moi de mes ennemis


et sauve-moi de mes persécuteurs.

Dans sa treizième catéchèse, où il veut montrer à ses catéchu-


mènes que tous les événements de la passion ont été annoncés dans
l'Ecriture, Cyrille de Jérusalem explique ainsi le psaume LVIII:

p. 133), est une unité psalmique qui comprend trois psaumes. Les lectionnaires
plus tardifs et le Tonac'oyc' de 1915 dont nous nous servons ici donnent les
premiers mots de chacun des trois psaumes.
39 La variante est citée dans la Bible de Zohrab.
40 PG 27, col. 649-1344.
41 Ibid., col. 653.
42 La deuxième partie de l'antienne utilisée pour ce psaume: «Ils ont placé
une parole injuste contre moi, Seig1leur, Seigneur ne m'abwldonne pas », est em-
pruntée au Ps. XXXVII, 22 (dans les LXX). La liturgie byzantine et la liturgie armé-
nienne ont conservé ce procédé de centonisation en usage à Jérusalem au
début du V" siècle.
43 PG 27, col. 809.
178 CHARLES RENOUX

« La présence de certains émissaires des grands prêtres, les liens de~


vant la porte de la ville, tu as entendu raconter cela précédemment
pour peu que tu te rappelles l'explicati011 du temps et du lieu fournie
par le psaume: "Ils s'en retournèrent vers le soir, affamés comme
des chiens, et firent le tour de la ville" }}44, Le psaume LVIII, troi-
sième de la vigile, faisait donc progresser dans l'évocation des péri-
péties de cette nuit: après le complot, après les fausses accusations,
on en vient à l'arrestation de Jésus.
Avec les deux derniers psaumes de l'office, les Ps. LXXVIII et
CVIII, c'est encore un nouveau pas dans le rappel des événements
de la passion que le compositeur de l'office propose à la méditation
des fidèles. Au Ps. LXXVIII, psaume de lamentation à propos de la
profanation du Temple et de la ruine de Jérusalem, on a donné
curieusement comme antienne le texte suivant, fait de deux psaumes
différents: «Eux ont été repoussés de ta main, nous, nous sommes
ton peuple ». Le rédacteur voyait-il dans la première partie de cette
antienne, empruntée au Ps. LXXXVII, l'annonce de la stupeur et du
recul, nous dit saint Jean 45, provoqués par la réponse de Jésus à
ceux qui venaient l'arrêter? cc Eux ont été repoussés de ta main ».
Mais, ni Cyrille ni Hésychius ne donnent cette interprétation à ce
verset. Elle n'a rien d'invraisemblable cependant, en raison des pro-
phéties que l'on avait vues, dans les psaumes précédents, au sujet
des événements de cette nuit.
Dans le psaume CVIII enfin, dernier psaume de la vigile origi-
nellement, on voyait une prophétie du dernier épisode de cette nuit
de l'arrestation: la comparution de Jésus devant l'assemblée des An-
ciens et les mauvais traitements qu'on lui infligea chez Caïphe:

Ils ont parlé de moi avec une langue trompeuse,


et de paroles haineuses ils m'ont environné.

Cyrille de Jérusalem, dans sa treizième catéchèse, expliquera ce


psaume Comme d'une prophétie concernant Jésus bafoué et cou-
ronné d'épines: « Cependant les soldats l'ont entouré et ils se mo-
quent de lui. Le Seigneur devient pour eux un jouet et le Maître est
l'objet de leur moquerie. Ils m'ont vu et ils ont branlé la tête» 46.

44 PG 33, col. 785, traduction BOUVET, Saint Cyrille de Jérusalem (Les Ecrits
des Saints), Namur, 1962, p. 268.
45 Jean XVIII, 6.
46 PG 33, col. 793, traduction BOUVET, loc. cit., p. 274.
DANS LE TRIDUUM PASC:\L DU RITE ARMÉNIEN 179

Le souci de reconstituer, pas à pas, au."{ moments précis où ils


avaient eu lieu, les événements de 1a nuit du jeudi au vendredi saint,
préside donc au choix des psaulnes de la vigile conservée dans le rite
arménien. Il y a là, continuellement, une lecture chrétienne du psautier,
dont l'Eglise de Jérusalem, si attentive à montrer la réalisation des
prophéties de l'Ancienne Alliance dans la Nouvelle, ne pouvait man-
quer de tirer parti, ainsi qu'en témoigne la treizième catéchèse de
Cyrille que nous avons citée 47.

L'office de la crucifixion
Ce que le rite arménien appelle l'office de la crucifixion est un
long office composé de psaumes, de lectures et de prières qui, à
Jérusalem au IV~ et au v~ siècle 48, avait lieu de la sixième à la neu-
vième heure, les trois heures durant lesquelles le Christ fut sur la
croix. Ce sont ces ultimes moments du Crucifié et les souffrances
qui les accompagnèrent que l'on a voulu faire revivre aux fidèles
en composant cet office. Le rite arménien l'a conservé tel quel, n'y
ajoutant que des hymnes; les liturgies byzantine et copte ont aussi
les lectures de cet office hiérosolymitain, mais les ont distribuées
entre les diverses Heures de la journée, fragmentant ainsi l'admi-
rable fresque que constitue l'ensemble de ces seize péricopes.
Comment l'Eglise de Jérusalem et l'Eglise arménienne présen-
tent-elles les souffrances du Christ à leurs fidèles? La division de
cet office en huit parties, composées chacune d'un psaume et de
deux ou trois lectures, permettait là aussi d'évoquer les divers
temps de la passion, dans un but et selon une méthode chers à
Cyrille de Jérusalem d'après sa treizième catéchèse: fortifier dans la
foi, en montrant que les prophéties de l'Ancienne Alliance concer-
nant la passion se réalisent dans la Nouvelle. Aussi à chaque péricope
de l'Ancien Testament fait suite dans cet office un texte de l'Apôtre 49.

4'1 On remarquera que cette catéchèse, particulièrement riche en citations


bibliques, fait appel à presque tous les textes utilisés dans la liturgie de Jéru-
salem, la nuit et le jour du vendredi saint. Cyrille devait se les rappeler quand
il préparait ou faisait sa prédication.
48Itinerarium Egeriae, c. XXXVII, 4-7, éd. FRANCESCHINI-WEBER, p. 80-81; RE-
NOUX, Le codex arménien Jérusalem 121. II Edition comparée, n° XLIII, p. 142-155.
49 Voir plus haut p. 171s. Les quatre pélicopes évangéliqucs des Quatre der-

nières sections de cet office ne paraissent pas s'enchaîner aux deux lectures
précédentes {voir plus haut p. 172). Dans les trois lectionnaires arméniens anciens
(RENOUX, ibid.), ces lectures ne sont pas comptées: vg. de la dixième lecture (Hébr.
II, 11-18) on passe à la onûème (Isaïe LXIII, 1-6), sans tenir compte de Matthieu
180 CHARLES RENOUX

Comme à la vigile de la nuit précédente, c'est avec la figure de


Judas que commence la méditation de la passion: à la honte de
l'apôtre infidèle évoquée par le texte de Zacharie XI, 11-14:

et je pris les trente pièces d'argent et je les jetai dans la maison


du Seigneur ... 50

répond le passage de saint Paul qui proclame sa fierté de la croix à


laquelle Judas a conduit le Seigneur:

Pour moi que jamais je ne me glorifie sinon dans la croix de


notre Seigneur Jésus Christ ... 51,

C'est aux prophètes Isaïe, Amos, Jérémie et en dernier lieu au pro-


phète Zacharie que revient ensuite d'exprimer les souffrances du
Seigneur. Ce sont d'abord les griefs du Christ contre son peuple que
présente Isaïe:

o mon peuple, tes dirigeants t'égarent


el ruinent la route que tu suis.
Le Seigneur se lève à son tribunal,
Il est debout pour intenter un procès à son peuple.
Le Seigneur traduit en jugement
les anciens et les princes de son peuple 52,

griefs auxquels répond un texte de la Lettre aux Philippiens (II, 5-11)


dans lequel saint Paul dévoile les sentin1ents de l'âme du Christ:

Lui, de condition divine,


ne retint pas jalousement
le rang qui l'égalait à Dieu.

Il s'humilia plus encore,


obéissant jusqu'à la mort,
et à la mort sur une croix.

XXVII, 1·56 qui fait suite à Hébreux. Il ne faudrait pas en conclure cependant
que ces lectures évangéliques ne faisaient pas partie de l'office primitivement:
l'ltinerarium Egeriae (c. XXXVII, 5--6, éd. FRANCESCHINI-WEBER, p. 81) y fait allusion
de façon explicite.
50 Cyrille de Jérusalem cite ce texte dans sa treizième catéchèse, (PG 33,
col. 788), afin de montrer la réalisation, en Judas, de ce qu'avait dit le prophète,
51 Pour Cyrille aussi, la fierté des fiertés, c'est la croix (PG 33, col. 772).
52 Isaïe III, 9-15.
DANS LE TRIDUUM PASCAL DU RITE ARMÉNIEN 181

Le rite arménien continue cette méditation de la passion tout


au long des lectures prophétiques suivantes: les souffrances de l'hom-
me des douleurs, objet de mépris et de rebut de l'humanité (Isaïe L,
4-9; LII, 13 - LIlI, 12), Agneau qu'on mène à l'abattoir (Jérémie XI,
18-20). la tristesse de ce jour (Amos VIII, 9-12; Zacharie XIV, 5-11). Et
à chacune des lectures, l'Apôtre répondra, en montrant le vrai sens
de ces souffrances: le langage de la croix est certes folie (1 Corin-
thiens l, 18-31), mais le sang du Christ nous donne accès pour toujours
au sanctuaire (Hébreux IX, 11-28 et X, 19-31).

Il est inutile de passer en revue chacun de ces textes; toutes les


liturgies les ont repris. Il n'y a pas dans leur organisation une systé-
matisation, une suite logique, comme au cours de la vigile précé-
dente, mais une accumulation de textes destinés à meubler les trois
heures de l'office au cours desquelles l'Eglise de Jérusalem et le rite
arménien actuel s'unissent au Christ en croix. Un dessein pastoral
très simple apparaît dans cet ensemble: manifester la continuité
entre l'Ancien et le Nouveau Testament. Ce que les prophètes ont
annoncé, l'Apôtre s'en fait le héraut, d'une part en nous dévoilant
les sentiments qui furent ceux du Christ au milieu de ses souffran-
ces, et d'autre part en montrant que la passion du Seigneur est la
source du salut pour l'homme.

La résurrection dans la liturgie pascale


Dans le rite arménien actuel, la vigile pascale ancienne est célé-
brée, non dans la matinée du samedi comme le fait le rite byzantin,
mais dans la soirée. Un nouvel office de vigiles a été composé pour
la nuit de Pâques 53, à l'imitation vraisemblablement de la liturgie
byzantine. Le chant des hymnes du canon de Pâques qui accompa-
gnent la proclamation de la résurrection en Jean, au début de la
cérémonie, y tient en effet une place importante. Après une nouvelle
proclamation de la résurrection en Marc, une procession du clergé

53 On voit cette transformation s'opérer dans des lectionnaires copiés au


XIIIe siècle. Le VaticaHus Borgianus 61 de 1268, et le Erévan 979 de 1286 n'ont
encore que l'ancienne vigile pascale, mais le Jérusalem 454 (Couvent Saint-Jacques)
de 1299 possède la nouvelle vigile pascale. A quelle époque a été introduit cet
office qui apparaît dans ces manuscrits copiés au XIIIe? Plusieurs typica armé-
niens plus anciens et de type hiérosolymitain, mais organisés en fonction d'une
liturgie célébrée en Arménie, ne connaissent encore que l'ancienne vigile pascale.
L'Orhllut'iwn de Pâques (voir p. 215), pièce importante de la nouvelle vigile, a
été composée par le Catholicos Nersès Lambronatsi (1153-1198).
182 CHARLES RENOUX

se déroule à l'intérieur de l'église, aux quatre points cardinaux où,


après le chant d'une strophe du canon, on lit l'un des évangiles des
myrophores 54, Ces matines pascales n'ont ainsi d'autre thème que
celui de la résurrection du Seigneur, la préparation des aromates et
la visite des saintes femmes au tombeau étant l'une des expressions
familières aux liturgies d'Orient pour proclamer la résurrection dont
les évangiles ne disent rien.

La vigile pascale primitive, célébrée actuellement le samedi soir,


est entièrement celle de la liturgie hagiopolite du début du V' siècle:
un ensemble de douze lectures et d'oraisons suivi de la liturgie
eucharistique. Des douze péricopes de cet office 55, les neuf que con-
naissent les autres liturgies d'Orient ou d'Occident 56 proposent à la
méditation des fidèles les textes de l'Ancien Testament où apparais-
sent les types classiques de la résurrection (lectures de Genèse XXII,
d'Exode XII, de Jonas), du baptême (Exode XIV, 24) et de la nou-
velle création (Genèse I-III, Isaïe, Job, Jérémie, Josué, Ezéchiel et
Daniel). Des trois lectures propres au rite arménien 57, deux se rap-
portent au thème de la nouvelle création, Job XXXVIII, 2-28 et Josué
l, 1-9 50 , mais la troisième, 4 Rois II, 1-22, paraît avoir une significa-
tion polyvalente qui amène, nous semble-t-il, à une constatation inté-
ressant l'histoire de la fête de Pâques à Jérusalem aux origines_ La
péricope de 4 Rois II, 1-22 est composée de deux parties: l'enlève-
ment d'Elie emporté dans les airs sur un char de feu (4 Rois II,
1-19). et le début du ministère d'Elisée qui accomplit son premier
miracle en assainissant les eaux de Jéricho (4 Rois II, 19-22). On
pourrait penser que l'allusion des versets 21 et 22 a poussé au choix
de toute la péricope: ({ J'assainis ces eaux, il n'en proviendra ni
mort ni stérilité ... ». Cette allusion baptismale ne justifie pas cepen-
dant la lecture des versets précédents relatant l'enlèvement d'Elie.

54 Voir plus haut p. 174.


55 Voir plus haut p. 173.
56 B. BOTIE, Le choix des lectures de la veillée pascale, dans Questions litur-
giques et paroissiales 33 (1952), p. 65-70.
57 Job XXXVIII, 2-28: 4 Rois II, 1-22 et Josué l, 1-9. Les autres lectures non
mentionnées dans la liste de l'article cité ci-dessus (note 56) se trouvent soit
dans le vieux lcctionnaire syriaque (F.-C. BURKITT, The early syriac Lectionary
System, dans Pl'Oceedùzgs of the British Academy 10 [1921-1923), p. 301-338), soit
dans la liturgie byzantine (MERCEN.IER, La Prière des Eglises Byzantines. II/2
Les Fêtes, Chèvetogne, 1948, p. 260-261).
56 Job, (la puissance cosmique du Seigneur) et Josué, (l'annonce de la Terre
Promise).
DANS LE TRIDUUM PASCAL DU RITE ARMÉNIB0;: 183

Cet épisode de l'Ancien Testament peut, à coup sûr, être regardé


eomme un gage de la résurrection et de l'immortalité à laquelle nous
sommes promis grâce à la résurrection du Christ. On ne peut exclure
en effet que l'Eglise de Jérusalem ait choisi ce texte pour illustrer
ce que saint Paul dit de la résurrection dans la Première Epître aux
Thessaloniciens: cc ...après quoi, nous les vivants ... nous serons em-
portés sur des nuées pour rencontrer le Seigneur dans les airs» 59.
Faut-il voir autre chose dans la lecture de l'enlèvement d'Elie
au cours de la vigile pascale? Cyrille de Jérusalem, qui est un com-
plément indispensable dans l'étude des textes liturgiques de la Ville
Sainte, fait allusion à cet épisode de l'Ancien Testament dans sa
quatorzième catéchèse, consacrée à la résurrection et à l'ascension:
cc Souviens-toi: Enoch a été trarlsporté, mais Jésus est monté. Sou-
viens-toi de ce qu'on dit hier au sujet d'Elie: Elie fut enlevé dans
un char de feu, tandis que le char du Christ c'était les myriades de
milliers d'anges qui chantaient sa gloire. Elie fut enlevé vers l'est
du JourdaÙ1, tmtdis que le Christ monta vers l'est du torrent du
Cédron. Elie alla comme vers le ciel, Jésus au ciel» Elo. L'enlèvement
d'Elie est donc nettement situé dans le contexte de l'ascension du
Seigneur; pour Cyrille, il en est une approche et une figure, impar-
faite sans doute. Ce qui ne permet pas de douter de cette typologie,
c'est ce que Cyrille dit à ses catéchumènes au début de ce passage:
c( Souviens-toi de ce qu'on dit hier au sujet d'Elie: Elie fut enlevé
dans un char de feu ... )}. Et le prédicateur nous dit lui-même dans
la même catéchèse ce qui avait eu lieu le jour précédent auquel il
fait allusion: « Le déroulement de la didascalie (l'enseignement) de
la foi invitait à parler aussi de l'Ascension, mais la grâce de Dieu
a voulu que très complètement tu en aies entendu parler, à la me-
sure de notre faiblesse, hier dimanche. Par une disposition de la
grâce divine, la suite des lectures faites à la synaxe comportait ce
qui regarde la montée aux cieux de notre Sauveur ... )} 61. L'identité
de ce dimanche importe peu pour notre propos 62, mais nous souli-

59 1 Thess. IV, 17.


ElO PG 33, col. 857; traduction BOUVET, op. cit., p. 321.
61 PG 33, col. 856: traduction BOUVET, op. cU., p. 319-320.
62 Pour F. CABRaL, Les Eglises de Jérusalem. La discipline et la liturgie au
IV· siècle, Paris, 1895, p. 158, ce serait le deuxième dimanche, avant Pâques. Même
opinion de H. LECLERCQ dans DACL, Catechèse, col. 2563. Pour G. KRETSCILM:AR,
Die frühe Geschichte der Jerusalemer Liturgie, dans Jahbruch für Liturgik und
Hymnologie 2 (1956), p. 23, ce serait le dimanche des Palmes. Il paraît difficile
de prendre position en raison de l'incertitude où nous sommes au sujet de l'année
184 CHARLES RENOlJX

gnerons que les lectures faites à la synaxe de ce jour avaient trait


à l'Ascension du Seigneur et que, parmi elles, se trouvait la péricope
4 Rois II, 1-22. L'enlèvement d'Elie dans les airs était regardé par
Cyrille et par l'Eglise de la Ville Sainte comme une figure de la
montée du Christ au ciel 63.
Au IV"-V' siècle, la célébration du mystère pascal à Jérusalem
n'est pas encore polarisée en effet sur le seul événement de la résur-
rection. La mort du Seigneur y était évoquée explicitement dans les
lectures évangéliques du dimanche et du lundi de Pâques 64. Le rap-
pel de la montée du Christ au ciel intervenait aussi non seulement
avec le texte de 4 Rois, concernant l'enlèvement d'Elie, mais aussi
avec la lecture d'Actes I, 1-14, le récit de l'Ascension, proclamé à
la messe du jour même de Pâques 65. Le rite arménien, avec ces deux
lectures, a conservé le souvenir d'une célébration plus globale du
mystère pascal.

III - LES HYMNES DU TRIDUUM PASCAL

Nous avons vu jusqu'ici tout ce qu'a reçu de Jérusalem la litur-


gie arménienne du triduum pascal. Il y a cependant un apport pro-
prement arménien dans le domaine des textes, et spécialement dans
celui des hymnes. Ce sont ces compositions hymnodiques que l'on
voudrait examiner en terminant.
Les hymnes de la grande semaine, les canons dont les diverses
pièces sont chantées au cours des offices du triduum, constituent
comme le reste de l'hymnaire un ensemble composite 66. Selon une

ou des années, durant lesquelles fut prêché le corpus cyriIlien. Les trois vieux
lectionnaires arméniens, témoins de la liturgie de Jérusalem, ne prévoient pas
la péricope de 4 Rois pour le dimanche des Palmes. La présence, ce jour-là, du
texte d'Ephésiens l, 3-10, n'aUlorise pas à dire que Cyrille a prêché sur l'Ascen-
sion à partir de ce texte.
113 Dans sa cinquième Homélie de l'Ascensiûn, saint Jean Chrysostome op-
pose l'ascension du Christ à celle d'Elie (PG 50, col. 450).
64 RENOUX, Le codex arménien Jérusalem 121. II, nos 44-46, p. 175-177.
65 Cette péricopc d'Actes a été ramenéc à Actes l, 1-8, déjà dans la version
géorgienne du lectionnaire hagiopolite (M. TARCHNISVILI, Le grand lectionnaire
de l'Eglise de Jérusalem (VU_VIlle s.), CSCO, 189, n. 748, p. 115). Le typicon armé-
nien actuel prévoit aussi la lecture d'Actes l, 1-8 seulement. L'année liturgique se
développant et se précisant, on nc pouvait plus garder ce récit de l'Ascension à
Pâques.
61l RENOUX, L'Hymne de l'Office nocturne du rite arménien durant la grande
semaine, dans Bulletin de Littérature Ecclésiastique, 1968, p. 115-126.
DANS LE TRIDUUM PASCAL DU RITE ARMÉNIE:-.l 185
--'---=-=
tradition constamment reprise, les textes de la grande semaine au-
raient été composés au V'" siècle par le catholicos Sahak le Grand
(t 438) ". Au XII" siècle, le catholicos Nersès ;;norhali (1102-1173) y
ajouta de nombreuses hymnes de sa composition, complétant ainsi
un hymnaire antérieur beaucoup plus simple 68.
Qu'ils soient de Sahak le Grand ou de Nersès ;;norhaIi, ces
textes chantés au cours de la liturgie s'accordent aux thèmes et
aux faits rappelés dans les autres textes de l'office. Ainsi le jeudi
saint, l'institution de l'eucharistie et le lavement des pieds sont
commentés dans chacune des pièces du canon, tant les plus ancien-
nes que les plus récentes 69. Le vendredi saint au contraire, alors que
les hymnes plus anciennes (Harc l , Olormea, Tër Yerknic', Mankunk',
Hambarji), envisagent l'enselnble des événements du vendredi saint
(arrestation-jugement-insuItes-crucifixion, etc ... ,) 70, Nersès Snorhali,
dans les nombreuses hymnes qu'il a composées pour ce jour, a souci
de rappeler les seuls épisodes qui correspondent à l'heure de l'of-
fice ou au texte biblique qui vient d'être lu ou que l'on va lire 71.
Le samedi saint, tous les textes évoquent la demande faite à Pilate
par Joseph d'Arimathie et l'ensevelissement dans le tombeau creusé
dans le roc. Le jour de Pâques, les hymnes sont aussi discrètes que
les évangiles sur le fait de la résurrection; ce sont ses effets pour
l'humanité qu'elles chantent: naissance de l'Eglise, illumination
baptismale, délivrance des captifs, rejet des ténèbres du péché 72.
Prolongeant les thèmes évoqués dans les lectures bibliques, ces
textes hymnodiques sont composés de façon très simple. Fréquem-
ment, surtout dans les textes anciens, ce sont de simples gloses,
sans éclat, des versets bibliques 73; les hymnes composées par Nersès
SnorhaIi possèdent au contraire une note lyrique plus prononcée 74.

67 G. AVEDICHIAN, Bac'atrut'iwn sarakanoe', Venise, 1814, p. 207 et ss.; TER·


MIKAËLIAN, Das armenisehe Hynmarium. Studien zu seiner gesehiehtliehen Ent-
wicklung, Leipzig, 1905, p. 71, 72, 80; H.-S. A:-..-\sn.N, Haykakan Matenagitut'ywn,
V-XVIII dd .. Hatar !, Erévan 1959, p. LXVII-LXX.
6D TER-MILAËLIAN, op. eit., p. 43: S. Cm.·rtEMEAN, Jeragir saraknoe'nere ew
anone' kanonere, dans Pazmaveb 127 (1969), p. 193·209. L'Orfmut'iwn du jour de
Pâques doit être attribuée cependant à Nersès Lamhronatsi (1153-1198).
69 Voir par exemple le Hare' du jeudi saint, p. 191.
70 Voir le Harc', p. 195 s.
71 Voir par exemple le premier hymne du canon pour l'office de la nuit du
jeudi au vendredi, p. 193 s.
72 Voir le Hare' de Pâques, p. 216 S.
71 Voir par exemple les strophes 2, 3, de l'Orhnutliwn du jeudi, p. 189; le

Mankunk' du même jour, p. 193.


74 Voir pp. 198-210.
186 CHARLES RENOUX

La méditation sur la passion poursuivie dans ces textes se développe


surtout par l'évocation des contrastes: grandeur de Dieu et abais-
sement, puissance ct faiblesse, beauté et défiguration, etc. ... Le
jeudi saint, au geste d'humilité de laver les pieds des disciples et de
ceindre un linge, le poète oppose constamment la gloire du Verbe
revêtu de lumière 75, Le samedi saint, il développera l'opposition
entre celui qui contient tout et celui que l'on enferme, entre celui
de qui vient tout don et celui que Joseph d'Arimathie demande en
don à Pilate 76. Ce procédé n'a rien d'original; on le retrouve dans
les textes byzantins des mêmes jours, et ce sont souvent d'ailleurs
les images de ceux-ci que reprennent les hymnes arméniennes.

Il Y a plus d'intérêt à examiner comment une Eglise non-chalcé-


donienne exprime sa foi dans l'économie de la rédemption. Ce qui
apparaît immédiatement à la lecture des hymnes, c'est l'indistinction
entre les diverses attributions de la deuxième personne divine. Voici
par exemple trois strophes de l'Orhnut!iwn du vendredi saint com-
posées par le catholicos Nersès Snorhali:

Aujourd'hui, Verbe de Dieu, toi que vénèrent avec crainte les


anges du ciel, une bande de juifs enténébrés vinrent, dans la nuit,
avec des torches et des glaives, te saisir, toi l'Insaisissable, la Lu-
mière invisible. C'est pourquoi nous t'adorons dans ton indicible
humilité.
Aujourd'hui, celui devant qui les Séraphins se voilent la face par
crainte de la gloire divine, Judas, le fils de perdition, l'aborde par
un baiser, signal de trahison et cause de mort pour l'Immortel.
C'est pourquoi nous t'adorons dans ton indicible humilité.
Aujourd'hui, devant ton extrême abaissement, Fils de Dieu, la
multitude des anges du ciel fut frappée d'étonnement, à la vue de
l'Invisible se livrant volontairement aux mains des pécheurs. C'est
pourquoi nous t'adorons dans ton indicible humilité.

La même indistinction se retrouve dans des textes plus anciens,


dans le Rare! du même jour, par exemple:

Tu descendis des cieux, Fils éternel; de la condition terrestre


des hommes tu as accepté les souffrances. Nous te bénissons, toi
qui es avant tous les siècles.

75 Voir le Olormea, p. 192.


76 Voir le Ter-Yerknic', p.213.
DANS LE TRIDUUM PASCAL DU RITE ARMÉXIEN 187

Toi qui par (ta) parole as dit d'exister à toute terre, sur la
terre les créatures (te) virent traduit au tribunal.
Toi devant qui tremblent les anges du ciel, aujourd'hui tu es
venu volontairement à la croix, tu as été percé par la lance.

La même unification est opérée le samedi saint dans tous les


textes. Voici le OlormeCl, hymne ancienne du canon du samedi:

Toi qui distribues et donnes (tes) bienfaits à tes créatures, tu


as accepté d'être demandé en don à Pilate, afin de nous faire la
grâce à nous aussi, des dons de ta miséricorde.
Toi qui t'es vêtu, comme d'un manteau, de l'indescriptible lu-
mière de gloire, aujourd'hui, avec une indicible humilité tu as été
enfermé par Joseph dans un tombeau que l'on surveille, afin de
transformer en vie immortelle la vétusté de nos péchés.

Ces strophes et bien d'autres ne peuvent être taxées de mono-


physisme. Leurs auteurs ont l'œil fixé sur la personne du Verbe et
expriment tout en fonction de cette personne sans oublier cepen-
J

dant la nature humaine prise par le Verbe. En voici quelque preu-


ve: dans l'Orhnut'iwn du jeudi:

Vrai homme et agneau immaculé, toi qui dans ton corps as


condamné le péché, aujourd'hui tu t'es abaissé à laver les pieds
des disciples.
Parole du Père et grand prêtre véritable, toi qui as distribué
aux apôtres ton corps ct ton sang qui sauvent le monde, aujourd'hui
les hommes communient à ton divin mystère: Fils de Dieu, aie pitié.

Ou encore dans l'Orhnufliwn du vendredi:

Aujourd'hui, Verbe (de Dieu), toi qui es constamment loué et


adoré par les armées fulgurantes des cieux, en (ton) corps tu adressais
pour moi au Père des supplications que tu recevais avec lui. Aussi,
ressentant volontairement la peur, tu étais réconforté par les anges,
toi qui réconfortes les créatures du ciel et de la terre.

On ne peut donc pas parler de monophysisme, mais d'un mo-


nophysisme purement verbal, dans lequel tout danger de théopa-
schitisme est évité par des distinctions très nettes, comme le montre
cette strophe de l'Orhnut'iwn du samedi saint:

Aujourd'hui, le Christ, dispensateur de l'immortalité. descend au


tombeau de la mort, et lui qui habite dans la lumière inaccessible
est enseveli, en son corps, au cccur de la terre.
188 CHARLES RENOUX

Il Y a une hésitation évidente, semble-t-il, à appliquer au Christ


le terme bl1.ul'iwn, l'analogue du cpumç grec. On ne le rencontre que
rarement dans les hymnes des trois derniers jours de la grande
semaine. Les textes anciens où ce terme apparaît 77 montrent qu'un
arménien ne pouvait l'employer qu'avec difficulté pour désigner la
nature humaine du Christ:

Tu descendis des cieux, Fils éternel; de la condition (bnut'iwn)


terrestre des hommes tu as accepté les souffrances.

Il est difficile de trouver ici un mot adéquat, mais il ne peut


s'agir d'une nature terrestre des hommes: cette traduction ferait
croire en effet que l'auteur suppose une autre nature dans l'homme.
C'est à une humanité souffrante, à une nature qui est en même temps
une personne, que pense le poète et, par conséquent, le terme
bnutriwn ne pouvait être choisi pour décrire les souffrances que le
Christ subit en son corps: il y aurait en lui deux êtres subsistants.
Un autre exemple de l'emploi du mot bnutriwn dans les hymnes
anciennes montre aussi qu'on ne pouvait l'utiliser pour parler d'une
nature humaine dans le Christ:

Dieu, que l'être (bnut'iwn) des créatures ne pouvait contenir,


est enfermé dans la mort et déposé dans un tombeau neuf ...

L'emploi de ces formules différentes, les précisions apportées


à des expressions moins nettes montrent qu l'Eglise arménienne ne
peut être taxée de monophysisme. L'incompréhension qu'elle mani-
festera vis à vis de la définition de Chalcédoine tient, pour une bon-
ne part, à des questions de vocabulaire.

***

Pour compléter notre étude, nous allons donner ici tout de suite,
et en entier, les textes qui ont fait l'objet de notre exposé.

TI Par exemple, le Barc' du vendredi saint (p. 195 s.), le Hard du samedi saint
(p. 212).
CANON DU GRAND JEUDI'

ORNHUT(IWN

Le Fils du Père Eternel qui déploie les cieux 2, opère en ma


(nature 3) un miracle inexprimable: il prend la forme d'esclave, sans
dépouiller la divinité.
II lave avec l'eau les pieds de ceux que la Parole avait puri-
fiés 4, afin de graver en eux l'humilité et d'en faire des demeures
de la Trinité 5.
Il distribue, en signe de la nouvelle alliance et en mémorial 6
de sa mort volontaire, son corps et son sang à celL'"{ qui s'approchent
de lui avec pureté.
Source de lumière et rayon lumineux inextinguible, toi qui as
accepté de laver les pieds des disciples, éloigne de nous l'obscurité
du mystère des ténèbres et illumine-nous.
Toi qui as manifesté le pardon des péchés par ton corps et ton
sang que, pour nous, tu sacrifies sans cesse sans les détruire, éloigne
de nous l'obscurité du mystère des ténèbres et illumine-nous.
Toi qui, en propitiation pour ceux que la manducation du pre-
mier père avait fait mourir 7, as fait connaître cette nouvelle alliance
après la première, éloigne de nous l'obscurité du mystère des ténè-
bres et illumine-nous.
Toi qui es aux cieux et qui, sur terre, aujourd'hui, as voulu laver
les pieds des disciples, Christ, lave-moi, moi aussi, de mes péchés.

1 Le canon est attribué au catholicos Sahak, mais l'Orhnut'iwn est une com-
position du catholicos Nersès Snorhali.
, Ps. CIl!, 2.
3 C'est le mot que supplée le Pète AVEDICHIAN, Bac'atrut'iwn Sarakanoc',
Venise, 1814, p. 217. Il semble que cc soit tout à fait légitime ici, l'hymne ayant
été composée par Nersès Snorhali qui emploie fréquemment dans ce sens le
mot bnut'iwn.
4 Jean XV, 3.
5 Jean XIV, 23.
6 Le XXII. 19.20.
7 Romains V, 12 5S.
190 CHARLES RENOUX

Toi qui cs loué par les êtres spirituels, tu as voulu l'immolation


de (ton) corps; rends-moi digne, moi aussi, de ce don divin.
Toi dont le trône repose sur les chérubins 8, tu t'es assis dans
la chambre haute, tu nous as sauvés avec la coupe de vie; sauve-
moi, moi aussi, du feu éternel.
Christ Dieu, toi qui pour nous as consenti à souffrir volontaire-
ment, tu as lavé les pieds des disciples aujourd'hui dans la sainte
chambre haute 9, Nous te supplions, Sauveur, aie pitié.
Toi qui as préparé la table du mystère et qui as fait boire tes
saints apôtres à la coupe immortelle, aujourd'hui, dans la sainte
chambre haute, purifie nos esprits et nos pensées afin que, nous aussi,
nous puissions communier avec pureté comme tes saints apôtres,
aujourd'hui, dans la sainte chambre haute.
Toi qui pour nous es apparu sur terre, tu as tout accompli
selon la Loi. Aujourd'hui, les fêtes préfiguratives 10 reçoivent leur
plénitude. Fils de Dieu, aie pitié.
Vrai homme et agneau immaculé 11, toi qui, dans la chair as
condamné le péché 12, aujourd'hui tu t'es abaissé à laver les pieds
des disciples. Fils de Dieu, aie pitié.
Parole du Père et grand prêtre véritable, toi qui as distribué
aux apôtres ton corps et ton sang qui sauvent le monde, aujourd'hui
les hommes communient à ton divin mystère. Fils de Dieu, aie pitié.
Le Verbe éternel que les séraphins, remplis de frayeur, n'osent
regarder, agit à la façon d'un esclave 13. BénissezMle par un cantique
spirituel.
Celui qui, aujourd'hui, a accompli en toute vérité les (~tes)
préfiguratifs 14, purifiant les pieds des discip1es des séductions de
l'Adversaire, bénissezMle par un cantique spirituel.
Aujourd'hui nous sommes guéris de la malédiction du premier
père en communiant au corps et au sang du Fils de Dieu. Bénissez-le
par un cantique spirituel.

8 Ps. LXXIX, 2.
9 Marc XIV, 15; Luc XXII, 12.
10 Les sacrifices de la Loi ancienne.
11 IPierre I, 19.
12 ROI11.ains VIII, 3.
13 Philippiens II, 7.
14 Le rite du lavement des pieds, rite d'hospitalité dans la Loi ancienne. Mais
on peut aussi comprendre que le Christ est le vrai sacrifice et qu'il y prépare
ses disciples en les purifiant.
DANS LE TRIDUU1\:1 PASCAL DU RITE ARMÉNIEN 191

RARe r

Lumière jaillissant du sein du Père 15 pour chasser les ténèbres


du péché, aujourd'hui tu as révélé le mystère de vie à tes disciples
choisis. Béni celui qui est venu pour notre salut, Dieu de nos pères.
Toi que bénissent les chœurs des anges 16, tu as lavé les pieds
fatigués; tu t'es ceint du vêtement de l'esclave, nous débarrassant
du vêtement de malédiction 17. Béni soit celui qui est venu pour
notre salut, Dieu de nos pères.
Source d'immortalité, tu as distribué ton corps vivifiant qui res-
suscite de leurs fautes ceux que la séduction de l'Adversaire a fait
mourir. Béni soit celui qui est venu pour notre salut, Dieu de
nos pères.
Rayon de la gloire du Père et image de sa bonté 18 gui
aujourd'hui a revêtu le vêtement de la condition d'esclave; louez-le.
vous tous peuples, par un cantique spirituel.
Lui qui, lavant les pieds des disciples, dans un geste d'une indi-
cible humilité, a dirigé vers les cieux les pas de la race humaine,
louez-le, VallS tous peuples, par un cantique spirituel.
Celui qui, par le don du mystère de vie (et) la manducation
qui ne le détruit pas, nous a invités au royaume des cieux, louez-le,
vous tous peuples, par un cantique spirituel.

MECAC'USC'E 19

Père, les chœurs des êtres spirituels 20 te louent éternellement,


ils proclament et s'écrient à voix forte dans leur chant: « Dieu des
dieux et Seigneur des seigneurs, toi qui es (notre) Sauveur».
Tu as envoyé ton Monogène prendre chair de la Sainte Vierge
et naître immaculé de son sein très pur, afin de supprimer notre

15 Jean l, 18.
16 Litt.: les chœurs lumineux.
17 Psaume CVJII, 18.
18 Hébreux J, 3; Colossiens l, 15; Sagesse VII, 26.
19 Ce mecac'usc'e et ceux du vendredi saint et du samedi saint ne font pas
allusion au mystère du jour. Ils sont absents du canon de nombreux manuscrits
anciens (vg. Paris, Bibliothèque Nationale, nos 65 à 78 et 82 à 85) et paraissent
avoir été composés pour d'autres circonstances.
20 Litt.: les chœurs des anges spirituels.
192 CHARLES RENOUX

détresse; Dieu des dieux et Seigneur des seigneurs, toi, qui es


(notre) Sauveur.
La grâce bienfaisante s'est manifestée 21 aux gentils à Jérusalem,
car le créateur des siècles, devenu enfant, (les) appelle à l'adoption
(qui donne) la vie; Dieu des dieux et Seigneur des seigneurs, toi
qui es (notre) Sauveur.

OLORMEA

Toi qui es vêtu de lumière comme d'un manteau 22, aujourd'hui,


en un geste d'une indicible humilité, tu as accepté de te ceindre du
vêtement de l'esclave dans la chambre haute du mystère: nous te
bénissons toi qui es venu volontairement à la passion.
Toi qu'adorent les chœurs des anges, tu t'es abaissé à laver les
pieds des hommes, pour guérir en eux le talon 23 du premier homme.
Guéris l'infirmité de mon âme.
Toi qui, pour (confier) à l'Eglise les mystères du salut, as distri-
bué aux disciples ton corps qui fait renaître ceux que la manduca-
tion avait fait mourir, accepte que nous participions à ce mystère,
ô toi le seul ami des hommes.

TER YERKNIC'

Dieu, toi dont l'essence est éternelle, aujourd'hui tu as revêtu


le vêtement d'un esclave de cette terre, voilant la nudité du premier
père 24. Béni soit celui qui est venu pour le salut du genre h~main.
Toi qui es exalté par les chérubins (à la couleur) de feu,
aujourd'hui tu es venu volontairement dans la chambre haute du
mystère; tu as purifié les disciples, en exemple pour nous 25. Béni
soit celui qui est venu pour le salut du genre humain.
Toi qui, avec le Père, es assis sur le trône de gloire 25bis ,
aujourd'hui, tu as accepté de t'asseoir avec les disciples, distribuant

21 Tite II.l1.
22 Ps. CIII, 2.
23 Genèse III, 15.
24 Genèse III, 21.
25 Jean XIII, 15.
25bis Apocalypse XIX, 4.
DANS LE TRIDUUM PASCAL DU RITE ARMÉNIEN 193

ton corps et ton sang immaculés. Béni soit celui est venu pour le
salut du genre humain.

MANKUNK'

Aujourd'hui a été établie la piscine baptismale pour la rémission


de nos péchés".
Aujourd'hui notre Seigneur lava les pieds des disciples et (leur)
enjoignit de faire cela 21.
L'un de vous, frères, va me livrer 28 à la mort et s'est séparé
des disciples.
Pierre entendant cela fit signe à Jean de demander qui c'était ~.
La parole de Jésus attrista ses disciples et tous furent troublés 30.

CANON DU GRAND VENDREDI

P HYMNE 31
Aujourd'hui, à la fin du banquet divin de ta nouvelle (et) véri·
table alliance , Judas se sépara du petit troupeau 32 dans la chambre
haute du mystère, d'où toi aussi, Agneau de Dieu sa, tu partis volon-
tairement à la mort de la croix afin d'enlever les péchés du monde.
C'est pourquoi, ô Christ, aie pitié de nous, en raison de tes souf-
frances volontaires.
Aujourd'hui, Verbe (de Dieu), toi qui es constamment loué et
adoré par les armées fulgurantes des cieux, en (ton) corps tu adres-
sais au Père pour moi des supplications 34 que tu recevais avec Lui.
Cependant, connaissant volontairement la peur, tu étais réconforté
par les anges 35, toi qui réconfortes les créatures du ciel et de la

26 Le lavement des pieds est présenté ici comme une préfiguration du rite du
baptême (voir DTC, Lavement des pieds, t. 9/1, col. 16-36).
27 Jean XIII, 14-17.
28 Jean XIII, 21.
%9 Jean XIII, 24.
30 Matthieu XXVI, 22; Marc XIV, 19.
31 De Nersès SnorhaIi.
32 Lu.c XII, 32.
sa Jean l, 29.
34 Hébreux V, 7.
35 Luc XXII, 43.
194 CHARLES RENQUX

terre. C'est pourquoi, ô Christ, aie pitié de nous, en raison de tes


souffrances volontaires.
Aujourd'hui, ton oracle annoncé à l'avance se réalisa dans le
groupe des disciples, car le bon pasteur frappé, le troupeau fut
dispersé selon (la parole) du prophète ". Et toi que l'on ne peut
enchaîner, tu as été enchaîné par Anne et Caïphe après avoir été
condamné, tu as été souffleté par un esclave et tu as reçu les cra-
chats avec les injures, toi l'effigie du Père 37, C'est pourquoi, ô Christ,
aie pitié de nous, en raison de tes souffrances volontaires.
Aujourd'hui, l'assaut trompeur du tentateur ébranla le Roc de
la foi 38, avec ta permission, dans le but de montrer la faiblesse
humaine, et dans l'espoir d'une conversion des pécheurs. Lui (Pierre),
pleurant amèrement 39, reçut de toi, dans la triple interrogation sur
l'amour 4<), la guérison des trois reniements. Avec lui, guéris-nous, ô
Christ, et accorde·nous les larmes de la pénitence.
Aujourd'hui, Verbe de Dieu, toi que vénèrent avec crainte les
anges du ciel, une bande de juifs enténébrés vinrent dans la nuit,
avec des torches et des glaives 41, te saisir, toi l'Insaisissable, la Lu-
mière invisible. C'est pourquoi nous t'adorons dans ton indicible
humilité.
Aujourd'hui, celui devant qui les Séraphins se voilent la face
par crainte de la gloire divine 42, Judas, le fils de perdition 43, l'aborda
par un baiser 44, signal de trahison et cause de mort pour l'immortel.
C'est pourquoi nous t'adorons dans ton indicible humilité.
Aujourd'hui, devant ton extrême abaissement, Fils de Dieu, la
multitude des anges du ciel 45 fut frappée d'étonnement, à la vue de
l'Invisible se livrant volontairement aux mains des pécheurs. C'est
pourquoi nous t'adorons dans ton indicible humilité.
Aujourd'hui, tes amis et tes proches s'écartent de toi 46, Ô Christ;
tes frères s'éloignent aussi. Et des taureaux gras (envoyés) par les

36 Zacharie XIII. 7, repris par Matthieu XXVI, 3L


37 Hébreux l, 3.
38 Matthieu XVI, 18.
39 Matthieu XXVI, 75.
40 Jean XXI, 15-17.
41 Jean XVIII, 13.
42 Isaïe VI, 2.
43 Jean XVII, 12.
44 Matthieu XXVI, 49.
45 Luc II, 13.
~ Psaume LXXXVII, 19.
DANS LE TRIDUUM PASCAL DU RITE ARMÉNIEN 195

scribes et les pharisiens t'ont assiégé 47, des chiens nombreux, sol-
dats de Pilate et d'Hérode, t'ont environné 48. C'est pourquoi nous
fadorons dans ton indicible humilité.

ORHNUT'IWN

Egaré par son avarice, Judas livra aux juifs son maître incom-
parable pour trente pièces d'argent 49.
Celui auquel je donnerai un baiser 50, dit-il, saisissez-le. 0 baiser
de trahison, signal et cause de mort!
Il s'est dévêtu lui-même du divin Esprit Saint et il a revêtu Sa-
tan, comme d'un vêtement il s'en est habillé.
La nuit où notre Sauveur se livra 51 à la mort de la croix 52, il
monta à la montagne des Oliviers 53; dans sa prière il disait ces
paroles: « Père, éloigne de moi cette coupe» 54.
Tandis que le disciple impie renonçait à la tendresse de son
amour, se hâtait vers les prêtres et (leur) disait: «Que voulez-vous
me donner pour que je livre le Maître? » 55,
Les Juifs assemblés pesèrent une grande quantité d'argent. L'ayant
pris, ils le menèrent chez Pilate 50 à qui ils dirent: «En croix, cru-
cifie-le, car il est blasphémateur de la Loi}) 57.

RARe'

Tu descendis des cieux, Fils éternel; de la condition terrestre 58


des hommes tu as accepté les souffrances. Nous te bénissons toi
qui es avant tous les siècles.

47 Psaume XXI, 13.


4B Psaume XXI, 17.
49 Matthieu XXVI, 15.
50 Matthieu XXVI, 48.
51 Galates II, 20; Ephésiens V, 2.
52 Philippiens II, 8.
53 Marc XIV, 26.
54 Marc XlV, 36.
55 Matthieu XXVI, 15.
'" Luc XXIII, 1.
51 Jean XVIII,6; Matthieu XXVI, 65; Jean XIX, 7.
58 i holelen i bnut'ene. Le mot b1wt'iwn ne peut avoir ici le sens de nature
(cpoo,ç): cette traduction ferait supposer qu'il existe une autre nature, non ter-
restre, en l'homme. Bnut'iwn désigne à la fois l'essence et l'existence de l'homme.
On comprend qu'on ait eu de la difficulté à appliquer ee terme à la réalité humaine
du Christ, pour désigner sa nature humaine.
196 CHARLES RENOUX

Toi qui, par (ta) parole, as dit d'exister à toute terre 59, sur la
terre les créatures (te) virent traduit au tribunal. Nous te bénissons.
Toi devant qui tremblent les anges 60 du ciel, aujourd'hui tu es
venu volontairement à la croix, tu as été percé par la lance 61, Nous te
bénissons.
Bénissez le Seigneur. Exaltez-le éternellement.
De là jaillit une source de vie 62, elle lava du péché l'univers.
Exaltez-le éternellement.

MECAC'USC'E 63

Lumière, mère de la Lumière et demeure du Verbe de vie, toutes


les races et les générations te disent bienheureuse M,
Mère de celui qui a créé et restauré l'antique condition (humaine),
toutes les races et les générations te disent bienheureuse.
De toi s'est levée la Lumière pour nous qui étions assis dans les
ténèbres 85. Toutes les races et les générations te disent bienheureuse.

OLORMEA

Venu pour le salut de la race humaine, il a accepté d'être traduit


en jugement par un familier. Souffrant pour nOus rendre la vie.
Il a été livré à Pilate comme méritant la mort, condamné par
Anne et Caïphe. Souffrant pour nous rendre la vie.
Le deuxième Adam a été traduit au tribunal en rançon de la
dette 66 du premier Adam. Souffrant pour nous rendre la vie.

TER YERKNIC'

o surprenant et affroyable spectacle. nous avons vu aujourd'hui en


croix le créateur du ciel et de la terre.

59 Psaume XXXII, 9.
60 Litt.: les veilleurs.
61 Jean XIX, 34.
62 Jean VII, 38.
as Voir plus haut, 'p. 191, note 19.
Golo Luc l, 48.
65lsaïe IX, 1; Luc l, 79.
ee Colossiens II, 14.
DANS LE TRIDUUM PASCAL DU RITE ARMÉNIEN 197

A la vue du Seigneur en croix, le soleil s'obscurcit et le voile du


temple se déchira de haut en bas 67.
Le Seigneur a été crucifié ignominieusement, au milieu de scélé-
rats, afin que soit accomplie l'Ecriture qui dit: « il a été mis au
rang des scélérats 68 ».

MANKUNK'

Toi qui es le Roi des rois, Christ, tu as été condamné comme un


esclave, souffrant pour nous. Gloire à toi, Seigneur plein de pa-
tience 69.
Toi qui, par ta croix vénérable, Christ, et l'effusion de ton sang
immaculé, as voulu nous rendre la vie, Seigneur plein de patience.
Toi qui pour tous as tant souffert avec douceur, et dans la mort
as foulé aux pieds la nlort, Seigneur plein de patience.

HAMBARJI

Venez, fidèles, adorons la Sainte Trinité; la Lumière qui, dans


son être, est toujours avec le Père 70, a été condamnée par les prêtres,
elle est venue pour être crucifiée. Le Roi immortel.
Celui que les cieux ne pouvaient porter a soulevé sur son épaule
le bois du supplice et vint au lieu du crâne n pour être crucifié.
Le Roi immortel.
Les Puissances de cieux s'étonnèrent devant l'ensevelissement du
Seigneur dans le tombeau neuf 72, car lui, dont l'être est immortel,
il a goûté la mort 73 pour le salut des créatures. Le Roi immortel.

(17Luc XXIII, 4445.


68 Isaïe LIlI, 12; Luc XXII, 37.
69 Psaume CIl, 8.
70 Jean 1, 18; VIII, 29.
n Jean XIX, 17.
72 Jean XIX, 4l.
73 Hébreux II, 9.
198 CHARLES IŒNOUX

HYMNES DE SAINT NERSÈS, CATHOLICOS D'ARMÉNIE

POUR LES ÉVANGILES DE LA NUIT DU GRAND VENDREDI 74

Aujourd'hui, la splendeur de l'ineffable lumière,


Pour l'accomplissement de notre salut,
S'est humiliée dans la chambre haute,
Portant à leur plénitude les fêtes préfiguratives.
Avant la Cène mystique,
Il se ceignit d'un linge, lui qui est vêtu de lumière,
Et avec de l'eau, comme un esclave,
II lavait les pieds des disciples.

A la Parole du Père, Lumière de gloire,


Pierre ne permettait pas de s'approcher de ses pieds.
A lui dont les mains firent
Les cieux et la terre J

A lui qui ouvrit les yeux des aveugles,


Délia les sourds et les muets,
A lui qui, se dressant au-dessus de la mer,
Imposa le silence aux flots et ils se turent.

Au chef choisi pour le petit troupeau,


Il menaçait de ne pas faire connaître le mystère.
C'est pourquoi (Pierre) se ravisait et se soumettait,
Et le suppliait de purifier ses pieds et sa tête.
Pour cette tête, dit-il, point n'est besoin
D'une ablution d'eau, car eIIe a été lavée;
Vos pieds ont besoin d'une purification,
Pour que vous soyez unis à la tête dans la sainteté.

Au groupe de ses disciples,


Qu'il enseigna d'abord par sa parole,
Aujourd'hui, en acte, au plus haut degré,
II montre en lui-même (son) humilité:

74 Ces hymnes tirées d'un long poème de Nersès Snorhali, le Yisus Ordi
(Jésus Fils .. .), abrégé de l'histoire de l'Ancien et du Nouveau Testament, sont
chantées avant chacun des évangiles de la nuit du jeudi au vendredi saint (voir
p. 169 s.). Les vers de ces strophes sont octosyllabiques. Nous n'indiquons pas les
références bibliques de ces textes qui renvoyent constamment au Nouveau Testa-
ment.
DANS LE TRIDUUM PASCAL DU RITE ARMÉNIEN
~~~~-~-"'--'-
199

Il se fait serviteur des hommes,


Lui qui est invisible aux anges,
Il sert des serviteurs,
Lui que servent les séraphins.

Si moi, dit-il, le Seigneur des créatures


Et le Maître de l'univers,
Aux disciples et aux serviteurs
J'ai lavé les pieds des souillures du vieil (homme).
Les uns aux autres, vous aussi, qui êtes de même nature,
Manifestez-vous la même humilité.
Qui s'élève (va) à sa perte,
Qui s'abaisse (va) à son élèvement.

Toi qui, dans le bassin, as purifié


Leurs pieds de tes mains très pures,
Et leur as enseigné, par l'humilité,
A vaincre la malice du Superbe;
Lave-moi, moi aussi, de la boue du péché,
Grâce à la prière du saint collège (des apôtres),
Et guide la marche de mes pieds
Vers les cieux, par les chemins de l'humilité.

Debout: Evangile selon Jean (ln. XIII, 16 - XVIII, 1)

Il accomplit la loi de Moïse


Auquel il avait parlé au Sinaï,
Il mangea l'agneau figuratif
Et les azymes avec les herbes amères.
Changeant l'ancienne Alliance en la Nouvelle,
Transformant les ombres en lumière,
Au lieu de l'agneau, c'est lui~même,
L'Agneau de Dieu, qui est offert.

Au lieu des azymes, (c'est) le pain azyme


Qu'il donna, son corps venu du ciel,
Né de la vierge, sans semence,
Sans souillure, demeure de l'Esprit;
Au lieu du sang de l'agneau de l'Alliance,
200 CHARLES RENOUX

Il nous donna son propre sang pour deuxième Alliance,


Et au lieu des herbes amères, la vie divine.

Le roi des créatures


Donna le pain de vie aux affamés,
Et la coupe qui réjouit
A ceux qui étaient tristes depuis Adanl.
Cette nouvelle Alliance est en mon sang,
A la place des sacrifices sanglants de l'ancienne Alliance;
Vous ferez cela en mémoire de moi,
Jusqu'à ce que je revienne.

Assemblés, nous te supplions


Avec l'assemblée des onze;
Ton corps qui rend la vie
Tu le leur as partagé ct le leur as donné avec la coupe;
Seigneur, avec eux, accorde-nous, à nous aussi,
D'avoir part à ta cène,
Au Pain de vie que nous désirons,
Et au Vin dont nous avons soif.

De tes disciples choisis,


Des saints agneaux, Judas se sépara.
L'Agneau de Dieu, qui enlève le péché,
Il (le) livra à la mort pour de l'argent.
Au cours de la cène mystique,
L'insolent, le traître s'approche:
Mangeant avec le Maître,
Il redouble de fourberie.

La Lumière, suppliante, parlait


A la ténèbre, en vue de sa conversion:
L'un de vous, frères, dit-il,
Va me livrer à la mort.
Pierre entendant ces paroles se troubla,
Et il fit signe à Jean
De demander quel était celui
Qui allait trahir le Maître.

Debout: Evangile selon Luc (Le. XXII,


DANS LE TRIDUUM PASCAL DU RITE ARMÉNIEN 201
-'-----~=-:

Dans un souci d'amour pour ses bien-aimés,


Il dissipa leur tristesse;
Trempant une bouchée, il la donna à Judas,
Dévoilant le voleur, le traître.
Lui la reçut et se dépouilla
De la grâce du divin Esprit,
Il se livra à Satan
En livrant le Maître.

Privé de la Lumière sublime,


L'ami des ténèbres sortit dehors.
Lumière des créatures, le Seigneur dévoila
Le scandale, dans la nuit.
Pierre parlait avec présomption
Et se voyait rappeler le chant du coq.
Il parlait de son départ de ce monde,
Il annonçait la venue de l'Esprit.

Au-delà de la vallée du Cédron,


Il alla, sortant de la chambre haute du mystère.
Il entra au jardin, figure du jardin
Où il fit entrer Adam, au paradis terrestre.
Seigneur, tu nous feras entrer, nous aussi, en ce jardin
D'où tu chassas auparavant le premier homme,
Pour nous faire hériter de la patrie,
Nous rendre dignes du ciel.

Tu pensais avec tristesse aux souffrances,


Lorsque tu t'écartas avec les trois.
Pour sauver le monde, l'esprit (est) prompt,
Mais la nature du corps (est) faible ".
Il n'y (avait) pas quelqu'un de fort et de puissant,
Quelqu'un de faible (et) de menacé,
Mais un seul et même être
Qui endurait volontiers les souffrances.

A voix haute, il suppliait, dans sa prière,


Son Père éternel, pour moi.

'15 Nersès Snorhali qui emploie ici le mot bnut'iwn (= nature) au sens de
nature concrète, existant dans le Christ, adopte la terminologie de Chalcédoine.
202 CHARLES RENOUX

Humblement il fléchissait les genoux,


Lui devant qui tout genou fléchit:
S'il est possible de sauver les hommes,
Sans ma mort annoncée dans les Ecritures,
Que la coupe de cette mort s'éloigne de moi;
Que ce soit, non selon ma volonté, mais selon la tienne.

Il se cacha, pris de peur, la sueur s'écoulant


Dans un écoulement de goutes rondes.
Pour le réconforter un ange s'approcha,
Accomplissant ce qui est écrit dans la Loi 7El.
C'est une nature parfaite 77 que prit en effet
Dieu le Verbe, celle de l'humanité.
Il devait, peur et tristesse,
Porter en son Incarnation.

Debout: Evangile selon Marc (Mc. XIV, 27-72)

Eclat de la gloire divine,


Toi qui selon ta nature humaine
Fus angoissé dans la nuit,
Tu adressais ta prière au Père du ciel.
Fais lever sur nous la lumière céleste
Et dissipe la crainte du Mauvais.
Que les puissances de notre âme et de notre corps
Soient fixées en ta sainte crainte.

Judas, qui allait le livrer, s'approcha


Avec la troupe des Pharisiens;
Ils furent renversés, semblables à ceux qui furent rejetés,
Eux qui ne se sont jamais relevés.
Judas le baisa insidieusement,
Le négociateur de la mort avait donné ce signe.

76 Deutéronome XXXII, 43.


77 Dans cette strophe, comme dans la suivante, Nersès Snorhali adopte la
théologie des deux natures dans le Christ.
DANS LE TRIDUUM PASCAL DU RITE ARMÉNIEN

Au lieu de l'amour, il le livrait.


Faisant le mal avec le bien.

Alors Pierre, dans l'ardeur de son amour,


Au serviteur nommé Malchus,
Trancha l'oreille droite avec son épée,
Lui qui n'avait pas compris son Seigneur.
Mais notre Seigneur, promptement,
Toucha l'oreille comme un médecin,
Il la guérit comme Dieu,
Lui dont on n'avait pas vu les signes en faveur des aveugles.

Le petit troupeau encore jeune fut dispersé,


Car on frappa le bon Pasteur.
Pierre seul le suivit,
Par une servante le Roc fut ébranlé.
Le coq, donné comme signe, chanta,
Le Seigneur fit signe à Pierre.
Lui, se rappelant la parole, pleura amèrement.
Puis se releva de sa chute.

La Roc de l'Eglise fut pardonné,


Tu le préservas de la fuite
Et tu le relevas de la chute,
En raison des larmes de son cœur.
Avec lui, relève-moi, moi aussi, Seigneur,
De la chute causée par le Séducteur,
En donnant à mes yeux des larmes abondantes
Et de l'eau comme en haute mer.

Oh! avec son consentement, lui qu'on ne saurait lier,


On lui lia les mains, lui qui (nous) délie.
Ils le conduisirent au palais
D'Anne et de Caïphe.
Un serviteur souffleta ce visage
Devant lequel le séraphin se voile de ses ailes;
Un crachat fut lancé par une bouche impure
Sur celui dont la salive fit naître la lumière en l'aveugle.

Debout: Evangile selon Matthieu (Mt. XXVI, 31·56:


204 CHARLES RENOUX

Toi qui dénoues les liens pervers des hommes.


Tu as été enchaîné pour celui qui était enchaîné.
Dégage-moi, moi qui me suis lié moi-même.
Des liens sataniques du péché,
Toi qui, à la place du coupable,
Te tenais innocent au tribunal.
Lorsque tu viendras dans la gloire du Père,
Ne me condamne pas à cause d'eux.

En raison de la honte de (notre) ancêtre Adam 78,


Tu as été, pour lui, tourné en ridicule;
Efface la confusion dont les péchés impudiques
Ont couvert mon visage.
Toi qui as pardonné au serviteur méchant
D'avoir porté la main sur toi pour un soufflet,
Frappe violemment la face du malin,
Avec la violence dont il m'a frappé moi-même.

Le flambeau lumineux, au matin


Du vendredi de l'ancienne Pâque,
Se tenait devant le juge;
Le serviteur était assis au tribunal.
Aux interrogations de Pilate
Le Seigneur ne répondit pas,
Pour que soit accomplie l'Ecriture qui annonça:
« Je suis un homme qui ne parle pas» 79,

Une vile troupe de soldats


Lançant des lazzis lui enleva ses habits,
Lui dont le vêtement est la lumière de gloire
Qui le drape comme d'un manteau 79bis,
Ils se moquaient de lui en fléchissant le genou,
Ils le frappaient à la tête avec un roseau,
Ils tressaient une couronne d'épines
Pour celui qui enlève l'épine du péché 80,

78 Genèse III, 7, 10,


79 Psaume XXXVII, 14-15.
79bis Psaume CIlI, 2.
80 GRÉGOIRE DE NAREK, Le Livre de Prières (éd. KECHICHIAN, Sources
vol. 78, Paris 1961, p. 79), utilise cette expression d'épine du péché.
DANS LE TRIDUUM P.'\SCAL DU RITE ARMÉNIEN 205

Chose horrible pour les chérubins:


II portait luiMmême le bois de la croix,
Jusqu'au lieu du Golgotha
Où le premier homme fut enseveli BI.
On lui donna à boire du vin trempé de myrrhe
Et une nourriture mélangée de fiel,
A lui, grâce à qui le goût amer du fruit
Devint pour nous doux et exquis.

Les anges épouvantés


Virent le Seigneur dépouillé,
Ses vêtements partagés,
Et sur la robe le sort jeté!
On (lui) perça les mains et les pieds BIbis,
Selon la parole explicite de David.
Sur le bois de la croix ils clouèrent
L'acte d'accusation écrit sur une tablette.

Debout: Evangile selon Matthieu (Mt. XXVI, 57-75)

Les mains furent tendues à la place des mains,


Les pieds à la place des pieds qui marchèrent 82.
Le bois fut mis à la place du bois au fruit amer,
La vie à la place de la mort.
Entre deux hors-la-loi
Se tenait, mis à nu, le dispensateur de la Loi,
Lui que ne reconnut pas un peuple aveugle
A l'exception de l'un des brigands.

(Privant) la terre du soleil,


Il fit le jour semblable à la nuit;

BI Tradition conservée dans l'apocryphe arménien Histoire de la pénitence


d'Adam et d'Eve (5. YOVSEP'EANC', Ankanon Girk' Hin Ktakaranac', Venise, 1896,
p. 330).
BIbisPsaume XXI, 17.
A la place des mains et des pieds d'Eve tendues et marchant vers le fruit
8.2
de l'arbre.
206 CHARLES RENOUX

Il jeta un voile de ténèbres sur sa nudité


Pour que ne le vit pas un œil indigne.
Au milieu du jour survint l'obscurité,
A l'heure où Adam mourut par le péché ";
A la neuvième heure la lumière revint,
A l'heure où la mort fut détruite par la mort.

Elle versait des larmes dans sa douleur,


Debout près de la croix, la mère du Seigneur,
Quand elle entendit le «j'ai soif»
De son Monogène poussant un cri.
On lui donna du vinaigre mêlé de fiel,
A lui qui fit couler les fleuves dans l'Eden,
Et qui du roc (fit jaillir) un ruisseau agréable
Dont il désaltéra le peuple coupable.

A la troisième heure, le serpent séduisit


L'esprit d'Eve, la première mère;
A la sixième heure, le premier homme tomba,
A la parole persuasive de celle-ci 84.
A la même heure, le Seigneur (fut mis) en croix
Pour expier leur péché,
Et à l'heure où l'ancêtre Adam fut expulsé,
Il fit entrer le larron au paradis 85,

A ma place, une voix suppliante


Criait vers le Père: {( Eli, EH »;
Au Père il ren1ettait volontairement son esprit,
(Et) lui présentait aussi les esprits des hommes.
La terre dans ses fondements fut ébranlée,
Et le voile se déchira par le milieu;
Les pierres se fendirent d'elles-mêmes,
Et les sépulcres de la mort s'ouvrirent.

Ces prodiges proclament


Que Dieu, corporellement, pour moi, fut crucifié;

83 L'apocryphe signalé plus haut (note 81) fait mourir Adam un venl
à la troisième heure.
84 Allusions à l'apocryphe annénien Histoire de la création et de la
d'Adam {YOVSEP'EANC' op. cit., p. 307-311).
Ils Allusion à l'Evangile de Nicodème.
DANS LE TRIDUUM PASCAL DU RITE ARMÉNIEN 207

Il meurt en notre nature 86.


Dieu est proclamé immortel.
Des deux ruisseaux (coulant) de son côté,
Il affermit son Eglise;
Elle est purifiée avec l'eau, elle boit le sang,
Elle glorifie le Fils avec le Père.

Debout: Evangile selon Jean «ln. XVIII, 2-27)

HYMNES POUR LE SOIR DU GRAND VENDREDI 07

Toi qui as rénové l'univers


(Et) nous a revêtus de la lumière de gloire,
Tu as été vêtu par les soldats
D'une chlamyde rouge, au milieu des injures.
Dépouille-moi du sac du péché,
Teint d'un sang lugubre,
Et revêts~moi du vêtement de joie,
Ma première tunique.

De toi, Roi du ciel,


Ils se jouaient en s'agenouillant;
Te voilant la tête, ils te frappaient du poing,
Et avec un roseau ils te flagellaient.
Et moi qui ai baissé la tête jusqu'en terre
Pour obéir à la volonté du Malin,
Ne me laisse pas être son jouet,
Mais relève~moi encore une fois.

Ton corps tout entier,


Après la sentence du juge,
Reçut de violents coups de fouet,
Pour les coups de fouet (mérités) par le premier homme.
Moi qui, des pieds à la tête,

86 De nouveau, Nersès Snorhali fait appel ici au terme bnut'iwn, pour désigner
la nature humaine.
B7 Ces hymnes pour l'office du soir (voir p. 208) ont été composées par Ner-

sès Snorhali.
208 CHARLES RENOUX

Suis accablé de douleurs insupportables,


Rends-moi la santé encore une fois,
Comme (tu le fis), par la grâce, dans la piscine.

Au lieu des ornements somptueux


Dont tu revêtis Aaron,
Ils t'imposèrent une couronne d'épines,
Les ouvriers de la vigne d'Israël.
Enlève-moi l'épine du péché
Qu'en moi mon ennemi a enfoncée;
Et guéris-moi de la piqûre de la blessure,
En extirpant les échardes du péché.

Debout: Evangile selon Matthieu (Mt. XXVII, 1-5

Ils te donnèrent à boire du fiel,


Et, dans ta soif, du vinaigre;
Tu bus volontairement pour que devienne doux
Le goût du fruit amer.
L'amertume du (fruit) vénéneux
Qu'ils répandirent dans les facultés de l'âme,
Rejette-la au loin avec Satan,
Et que ton amour devienne doux à mon âme.

Au lieu de l'arbre mortifère qui germa,


Qui grandit au milieu du jardin,
Tu as élevé le bois de la croix,
Tu l'as dressé au lieu du Golgotha.
Mon âme, tombée dans le péché
Et porteuse d'un lourd fardeau,
Elève-la dans ton attente, comme celle de l'Agneau;
Fais-la monter vers les cieux, le lieu de la promesse.

Le vendredi, à la troisième heure,


Tu fus cloué à la croix, Seigneur;
Tu as dénoué les liens du premier homme
Et tu as lié l'Adversaire.
Affermis-moi sous la protection
De ton emblème qui rend la vie,
Et au lever du soleil,
Illumine-moi de sa lumière.
DANS LE TRIVUUM PASCAL DU RITE ARMÉNIEN 21

Au larron bienheureux
Tu as ouvert la porte du jardin de l'Eden;
Selon la croyance de son cœur,
Tu as accompli sa demande.
Donne-moi aussi, comme à lui, Seigneur,
D'entendre la même réponse:
« Aujourd'hui, tu seras avec moi au paradis,
Dans ta première patrie».

Debout: Evangile selon Marc (Mc. XV, 1-41)

Alors qu'il criait: {{ Eli, Eli »,


Les fondenlents de la terre furent ébranlés,
Et le voile de l'Ancienne Loi,
De haut en bas, fut déchiré.
Maintenant, au lieu des pierres qui se murent,
Meus en vue du bien les cœurs inamovibles.
Au lieu de déchirer le voile,
Déchire le livre de ma dette.

La lumière du soleil s'assombrit,


Elle s'obscurcit en plein midi,
Et les tombeaux s'ouvrirent,
Les corps des saints ressuscitèrent.
Au lieu des ténèbres des astres,
Débarrasse-moi de l'œuvre des ténèbres;
Au lieu des morts qui ressuscitèrent,
Relève mon âme morte par le péché.

Du commandement nouveau de l'amour,


Du précepte, tu fus vraiment l'exécuteur,
Lorsque tu demandas au Père des cieux,
Sur la croix, de remettre les péchés.
A moi qui, l'esprit pénétré de foi,
T'adore, ô Monogène,
Remets la désobéissance à (ton) commandement;
Que mes péchés précédents ne soient pas rappelés.

Les enfers tremblèrent,


Quand tu remis ton esprit au Père.
210 CHARLES RENOUX

Tu descendis dans les profondeurs des enfers,


Dans la prison de la mort et des ténèbres;
Enchaînant le prince de la mort,
Tu fis sortir les âmes qui étaient en prison.
Fais-moi sortir avec elles, moi aussi, Seigneur,
De la prison ténébreuse du péché.
Debout: Evangile selon Luc (Le. XXII, 66 - XXIII, 43)

En sources pures,
Après la mort qui (nous) donna l'immortalité,
Un double ruisseau jaillit de Toi
Pour régénérer celle qui naquit de la côte.
Ouvre ma bouche, pour que je boive
Ton sang qui donne la vie;
lave-moi de nouveau dans la piscine,
Sinon dans celle de la grâce, du moins dans celle des larmes 811,

Par la mort de l'Immortel,


Rends à la vie mon âme morte.
Par la sépulture dans le tombeau neuf,
Relève ceux qui sont ensevelis dans le péché.
Par la descente dans la fosse profonde,
Retire-moi de la fosse du péché.
Par ton séjour à l'ombre de la mort,
Illumine-moi, moi aussi, dans mon esprit.

Mon cœur crie vers toi,


Verbe qui, dès le conlmencement, es avec le Père;
Toi qui, pour les hommes, volontairement,
As souffert tout cela.
Fais-moi entendre la voix
M'invitant en ton royaume,
Où avec l'assemblée des premiers-nés,
Je te louerai toujours et à jamais.

Debout: Evangile selon Jean (ln. XIX, 17-37)

88 La piscine baptismale et le sacremen t de la pénitence.


DANS LE TRIDUUM PASCAL DU RITE ARMÉNIEN 211

CANON DU GRAND SAMEDI DE LA SÉPULTURE DU SEIGNEUR

ORHNUT'rWN 89

Aujourd'hui, le dispensateur de toutes choses est demandé com-


me un cadeau à Pilate 90, et celui qui se revêt de la lumière comme
d'un manteau 91 se laisse envelopper par Joseph 92.
Aujourd'hui, celui qui vivifie toutes choses est déposé dans un
tombeau neuf 93 et le trésor d'immortalité est scellé avec le sceau
des prêtres 94.
Aujourd'hui, le Christ, salut des créatures, a été déposé dans le
roc nouvelIement creusé 94 bi s ; lui que les armées célestes louent en
chantant est gardé par les soldats 95.
Aujourd'hui, le Christ, celui qui vit éternelIement, est comme
un mort demandé à Pilate, et il se laisse envelopper par Joseph du
vêtement (couvrant) la nudité d'Adam 96.
Aujourd'hui, le Christ, dispensateur de l'immortalité, descend
au tombeau de la mort, et lui qui habite dans la lumière inaccessible
est enseveli, en son corps, au cœur de la terre.
Aujourd'hui, le soleil de justice 97, le Christ, a été déposé dans
une caverne obscure, et le rayon de la gloire du Père a été caché
par le roc à l'intérieur de la terre.
Aujourd'hui, en son corps né de la Vierge, le Christ est déposé
dans un tombeau vierge, et lui qui délie des peines de l'enfer est
scelIé avec le sceau des prêtres.
Aujourd'hui, le créateur de toutes choses, dont l'être est toujours
en éveil, dort parmi les morts; lui qui veille sur Israël 98 avec vigi-
lance est surveillé par les soldats.

89 L'Orhnut'iwn est attribuée à Nersès Snorhali.


90 Jean XIX, 38.
91 Psaume CIII, 2.
92 Jean XIX, 40.
93 Jean XIX, 41.
94 Matthieu XXVII, 66.
94bis Luc XXIII, 53.
95 Matthieu XXVII, 66.
96 Genèse III, 7.
97 Malachie IV, 2.
98 Psaume CXX, 4.
212 CHARLES RENOUX

Aujourd'hui, le Christ, allégresse des créatures, est pleuré corn·


me un mort par (ses amis) attristés, et il est embaumé, par les sages
myrophores, des aromates d'immortalité 99.

HARC'

Nous te louons, Roi des siècles, Immortel, Dieu de nos pères.


Dieu que l'être 100 des créatures ne pouvait contenir est enfermé
dans la mort, et déposé dans un tombeau neuf pour me faire homme
nouveau lOI, Nous te louons, Seigneur, Dieu de nos pères.
Celui qui (est) le Décret (de Dieu), consigné sur un livre toujours
ouvert 102 , est scellé par un sceau qui nous conserve, indestructible,
la foi à la Trinité 103. Nous te louons, Seigneur, Dieu de nos pères.
Bénissez le Seigneur et exaltez-le éternellement.
Bénissez le Christ, le Roi honoré avec crainte par les armées
invisibles. Et exaltez~le.
Que soit béni l'Invincible, le Roi que gardent les soldats, trésor
d'immortalité. Et exaltez·le.

MECAc'uSC'E 104

Mère de Dieu, porte du ciel, d'une voix insplree de Dieu l'ange


t'annonça: «Réjouis~toi, pleine de joie, le Seigneur (est) avec toi» 105.
Celui qui, avec le Père, est assis sur les chérubins 106, s'est plu
à habiter, sans corruption, dans ton sein. Réjouis~toi, pleine de joie,
le Seigneur (est) avec toi.
Celui que les séraphins, au glaive fulgurant 107, gardent en l'en~
tourant, s'est n1anifesté aujourd'hui parmi les hommes dans le sein
d'une creature. Réjouis~toi, pleine de joie, le Seigneur (est) avec toi.

99 Jean XIX, 40.


100 Dans cette hymne ancienne, attribuée au catholicos Sahak le Grand, l'au-
teur emploie ici le mot bnut'iwn dans un sens qui vise plus que la nature humaine.
101 Ephésiens IV, 24.
102 Apocalypse X, 8.
lOS Le sceau des grands prêtres est présenté comme un symbole du sceau
baptismal.
104 Voir p. 191, note 19.
105 Luc II, 28.
106 Psaume XCIII, 1.
107 Genèse III, 24.
DANS LE TRIDUUM PASCAL DU RITE ARMÉ:\lIEN 213

OLORMEA

Toi qui es le dispensateur des bienfaits et le rémunérateur de tes


créatures, tu t'es plu aujourd'hui à être demandé en don 108 à Pilate,
afin de nous faire la grâce, à nous aussi, des dons de ta miséricorde.
Toi qui t'es vêtu, comme d'un manteau, de l'indicible lumière
de gloire 109, aujourd'hui, avec une indicible humilité, tu as été en-
fermé par Joseph dans un tombeau surveillé 110, afin de transformer
en vie immortelle la vétusté de nos péchés.
Verbe infini, toi qui dans ta divinité es avec le Père, aujourd'hui
tu t'es laissé enfermer par le sceau des prêtres, trésor inviolable,
afin de nous sauver de la faute de notre péché.

TER YERKNIC'

Joseph, vrai et juste 111, demandait à Pilate le Rémunérateur


universel qui nous a donné le trésor inviolable.
Il entoura de bandelettes neuves le corps du Seigneur qui se
revêt de la lumière comme d'un manteau, et qui nous a revêtus du
vêtement inviolable.
Il le déposa dans le roc nouvellement creusé et il fut scellé avec
un sceau, lui qui donna la vie au premier homme et qui affranchit
le genre humain des liens de Ja mort.

MANKUNK'

Joseph, ton fidèle, sollicita Pilate de lui accorder le corps du


Seigneur.
Il entoura de bandelettes neuves le corps divin, incorTIlptible,
et le déposa dans le tombeau.
Toi qui es le créateur des créatures, qui reposes parmi les ché-
rubins, tu as été, sur terre, enfermé dans le roc scellé.

108 Jean XIX, 38.


109 Psaume CIII, 2.
110 Matthieu XXVII, 60 et 66.
111 Luc XXIII, 50.
214 CHARLES RENOUX

HYMNES DU CASU AU TEMPS PASCAL 112

Le Christ est ressuscité des morts, alleluia. Venez, fidèles, chan-


tez au Seigneur, alleluia. A celui qui est ressuscité des morts, alle-
luia, lui qui a illuminé le monde, alleluia.
Chantez un cantique nouveau, à celui qui est ressuscité des
morts, alleluia. Lui qui a renouvelé l'univers, chantons-lui un canti-
que nouveau; à celui qui est ressuscité des morts, alleluia. Venez,
peuple nouveau, chantons un cantique nouveau à celui qui est res-
suscité des morts, alleluia.
C'est de plein gré qu'il accepta le supplice de la croix et qu'il
souffrit. Il a été enseveli au cœur de la terre durant trois jours,
alleluia, et il ressuscita par la force de Dieu, al1eluia. Adorons celui
qui est ressuscité des morts, alleluia, lui qui a sauvé l'univers, alleluia.
Louez le Seigneur Dieu ressuscité des morts. II a fait captifs les
enfers par sa mort, et il a enchaîné le Fort; louez le Seigneur Dieu,
ressuscité des morts. Le Seigneur, fort par sa puissance, le Seigneur
puissant au combat 112bis. Louez le Seigneur Dieu, ressuscité des morts.
Au Christ Dieu, ressuscité des morts, chantons avec les anges
l'hymne de louange: alleluia, alleluia. A celui qui a sauvé l'univers
par sa résurrection vivifiante chantons avec les anges l'hymne de
louange: alleluia, alleluia.
Toi qui es ressuscité des morts, dispensateur de vie, Christ, roi
immortel, avec les anges du ciel nous te chantons un cantique nou-
veau, alleluia. Toi qui par la mort as détruit la mort 113, par ta vivi-
fiante résurrection tu nous as accordé l'immortalité; avec les anges
du ciel nous te chantons un cantique nouveau, alleluia. Toi qui es
monté aux. cieux et t'es assis à la droite du Père sur le trône de
gloire, Verbe divin, avec les anges du ciel nous te chantons un can-
tique nouveau, alleluia.

112 Hymnes pour le début de la liturgie eucharistique; elles sont attribuées à


Nersès Snorhali.
112bis Psaume XXIII, 8.
113 2 Timothée l, la.
DANS LE TRIDUUM PASCAL DU RITE ARMÉNIEN 215

CANON DE LA SAINTE PAQUE

ORHNUT' IWN 114

Aujourd'hui, l'immortel et céleste époux est ressuscité des morts;


que cette bonne nouvelle te réjouisse; l'épouse, l'Eglise (sort) de
terre. Sion, bénis ton Dieu avec des cris d'allégresse.
Aujourd'hui, la lumière ineffable, sortie de la lumière 115, illumine
tes enfants, Jérusalem resplendis 116: le Christ, ta lumière, est ressus-
cité. Sion, bénis ton Dieu avec des cris d'allégresse.
Aujourd'hui, les ténèbres de l'ignorance sont dissipées par la
triple lumière 117, et sur toi s'est levée la lumière de la connaissance,
le Christ ressuscité des morts. Sion, bénis ton Dieu avec des cris
d'allégresse.
Aujourd'hui, c'est notre Pâque, grâce à l'immolation du Christ.
Célébrons la fête avec allégresse 118, restaurés de la vétusté du péché
disons: cc Le Christ est ressuscité des morts )).
Aujourd'hui, l'ange resplendissant descendu des cieux frappa de
terreur les gardiens, et proclama ces paroles aux saintes femmes:
c( Le Christ est ressuscité des morts» 119.

A l'aube du premier jour, les femmes se hâtèrent vers le tom-


beau, pour embaumer le corps incorruptible. Mais elles trouvèrent
la pierre enlevée de la porte du tombeau, et entendirent la parole
de l'ange: « Le Christ est ressuscité et il a détruit la mort ». Venu à la
rencontre des apôtres, Seigneur, et leur ayant donné ton salut vivi-
fiant, tu les envoyas pour le salut du monde 120.
Gloire à ta résurrection, Seigneur.
Par la séduction du premier homme nous avions été dépouillés
de la lumière, mais par ta résurrection, ô Monogène, nous avons
revêtu l'immortalité 121. Gloire à ta résurrection Seigneur. Par le

114 Composée par l'évêque Nersès de Lampron (1153-1198).


115 Expression du symbole de Nicée reprise aussi dans le credo annénien.
116 Isaïe LX, qui inspire les trois premières strophes de cette hymne.
117 Allusion à l'allumage des trois lampes au début de la vigile pascale cé-
lébrée dans la soirée du samedi.
118
1 Corinthiens V, 7-8.
119 Luc XXIV, 4.
120 L'apparition aux saintes femmes, le matin de Pâques, et aux apôtres,
le soir.
121 1 Corinthiens XV, 53-54.
216 CHARLES RENOUX

piège de l'arbre nous avions goûté la mort, mais par l'arbre de vie 122
nOUs avons tous été rendus à la vie. Gloire à ta résurrection, Seigneur.
Avec les myrophores nous venons de bonne heure près de toi,
ô Christ, éternellement vivant; reçois nos louanges à la place des
parfums. Au lieu de l'ange, saint messager de la bonne nouvelle,
que ta compassion vienne à notre rencontre en attendant de te con-
naître, afin de consoler et d'illuminer nus âmes. Avec la bonne nou-
velle qu'il leur annonça, proclamons aussi tes merveilles sans égales,
Roi tout-puissant et immortel, toi qui es ressuscité des morts.
Toi qui dans ton être ineffable es l'égal en gloire du Père, tu
as accepté pour nous de souffrir dans ton corps; en une louange
éternelle, Seigneur, tu es béni par les anges. Toi qui es consubstan-
tiel au Père et au Saint-Esprit, tu as été crucifié et enseveli pour
nous selon la volonté du Père; en une louange éternelle, Seigneur,
tu es béni par les anges. Toi qui reviendras dans la gloire du Père,
pour faire à l'univers le don divin de la résurrection, par toutes les
créatures, Seigneur, tu es béni éternellement.
Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit.
Celui qui est mort pour avoir goûté l'arbre du péché, tu l'as
ressuscité par l'arbre de vie; protège par lui notre vie
Maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.
Aujourd'hui, appelés dans le Christ nouvel Israël, délivrés par
le sang de l'Agneau 123 de Dieu, dansons avec les anges en disant:
«Le Christ est ressuscité des morts».

RARe'

Aujourd'hui, une grande nouvelle est annoncée à Adam, le pre·


mier homme: «Eveille-toi, toi qui dors, le Christ ressuscité t'a illu·
miné» 124, Dieu de nos pères.
Aujourd'hui, l'écho d'une bonne nouvelle parvient à Eve, les
myrophores lui crient ces paroles: «Nous avons vu ta résurrection,
Christ ressuscité». Dieu de nos pères.

122 Apocalypse II, 7; XXII, 14.


123 Apocalypse VII, 14.
124 Ephésiens V, 14.
DANS LE TRIDUUM PASCAL DU RITE AR.."\.1:ÉNIEN 217

Aujourd'hui, les anges descendus des cieux annoncent aux hom-


mes cette bonne nouvelle: « Le crucifié est ressuscité 125 et vous a
ressuscités avec lui» 126. Dieu de nos pères.
Bénissez-le et exaltez-le éternellement.
Aujourd'hui, notre Seigneur est ressuscité, venez, dansons avec
les anges; bénissez-le avec un chant de victoire.
Aujourd'hui, la colonne de lumière s'est levée; bénissez le Christ
ressuscité des morts pour la sainte Eglise.

MECAC'USC'E

Mère de Dieu, temple de la Lumière, toi qui, d'une manière


inexprimable, as mis au monde le Verbe de Dieu qui s'est incarné 127,
nous te louons et t'exaltons.
Mère et Vierge, réjouis-toi et tressaille d'allégresse, car celui qui
est né de toi, ô Vierge, renaît aujourd'hui du tombeau vierge par
sa résurrection 128; nous te louons et nous t'exaltons.
Epouse (venue) de la terre aux cieux, exulte de joie et réjouis-toi,
car aujourd'hui les anges descendus des cieux t'apportèrent la bonne
nouvelle de la résurrection du Monogène, ton Fils; nous te louons
et t'exaltons 129.

OLORMEA

Aujourd'hui, tu as transformé la pâque douloureuse de l'exode


d'Israël, en Pâques sainte pour le salut des âmes, par ta résur-
rection, ô Christ.
Aujourd'hui, au lieu du sang figuratif des sacrifices d'agneaux
sans raison, tu nous as fait don, Agneau de Dieu, de ton sang
rédempteur.

125 Matthieu XXVIII, 5·6.


126 Ephésiens II, 6.
127 Litt.: revêtu d'un corps.
128 La résurrection est présentée comme une nouvelle naissance, ainsi que le
font les Actes des Apôtres XIII, 33-34.
129 Les mégalynaires de Pâques dans la liturgie byzantine mentionnent aussi
cette apparition à la Vierge (E. MERCENIER, La prière des Eglises de rite byzantin.
II/2 Les Fêtes, Chèvetogne, 1948, p. 276).
218 CHARLES RENOUX

Aujourd'hui, délivrant les premiers-nés. tu as délivré les captifs,


prémices de la vie pour ceux qui se sont endormis 130 et premier-né
d'entre les morts.

TER YERKNIC'

Aujourd'hui, les anges dans les cieux se réjouissent avec les


hommes; descendus des cieux ils annoncent au monde une bonne
nouvelle: « Tressaillez de joie, aujourd'hui le Christ est ressuscité
des morts».
Aujourd'hui, J'ange (assis) sur la pierre 131, aux saintes femmes
porteuses de parfums demanda d'une voix joyeuse de rapporter ces
paroles aux apôtres: « Tressaillez de joie, aujourd'hui le Christ est
ressuscité des morts}).
Aujourd'hui, le Roc de la foi et Jean le bien-aimé rivalisèrent
à la course vers le tombeau du Ressuscité 132; ce qu'ils virent, ils
l'annoncèrent: «Le Christ est ressuscité des morts ».
Aujourd'hui, joyeux nous aussi, soyons radieux en ce jour de
fête; dans la paix de Dieu embrassons-nous tendrement les uns les
autres, et proclamons ensemble: « Le Christ est ressuscité des morts».

CHARLES RENOUX

130 1 Corinthiens XV, 20.


131 Matthieu XXVIII, 2.
132 Jean XX, 4.
LITURGIE ET ESCHATOLOGIE

L'eschatologie 1 est l'étape finale de l'économie du salut. L'incarna·


tion du Fils de Dieu a, certes, inauguré les « derniers temps », mais
l'Eglise attend le retour en gloire de son maître, elle attend c( la
résurrection des morts et la vie éternelle », comme le dit sa confes-
sion de foi.
Dès les premiers temps, la liturgie a été le lieu privilégié où
l'espérance eschatologique de l'Eglise se manifestait. Prenons com-
me exemple la très ancienne prière araméenne maranatha: « Notre
Seigneur, viens», qui appelle la parousie du Christ 2, Cependant - pour-
rait-on objecter -, n'est-ce pas significatif que la prière maranatha
disparut bientôt des liturgies de l'Eglise? Ce fait ne montre-t-il pas
que la ferveur de l'attente eschatologique des premiers chrétiens dimi-
nuait peu à peu et faisait place à une vue des choses moins apo-
calyptique, mais plus «réaliste », qui commençait à compter avec
une longue durée de ce monde? C'est la fameuse thèse de la Paru-
sieverzogerzmg, du « retarden1cnt de la parousie)} qu'Albert Schweit-
zer a avancée et qui, depuis lors, comme une bombe à retardement,
fait encore ses ravages aujourd'hui.
Je crois que Oscar Cullmann a mis les choses au point, dans
ce domaine 3. Je résume brièvement son opinion: Il est vrai que
Jésus attendait une irruption imminente du Royaume de Dieu (cf.
Marc 9,1 par.), mais il est aussi vrai qu'il comptait avec une période,
du moins de courte durée, après sa mort où les disciples pourraient

1 Je prends ici le tenne dans son sens traditionnel.


2 Cette interprétation est probablement la bonne, à la lumière de textes
comme 1 Cor. 11,26; Apc. 20,20 et Didaché 10,6; cf. l'exposé très complet de la
question, par Dom B. BOTTE: "Maranatha », in: Noël, Epiphanie, Retour du
Christ (Lex orandi 40), Paris 1967, p. 25-42. Pour la bibliographie, voir G. KLEIN,
in: Religion in Geschichte und Gegemvart, 3~ éd., IV, col. 732s.
J Voir en particulier son dernier livre: Le salut dans l'histoire, Neuchâtel/Pa-

ns, 1966.
220 WILLY RORDORF

prêcher l'évangile (cf. Matth. 10,23). Il s'est avéré que le laps de


temps entre la résurrection et le retour du Christ était beaucoup
plus long que Jésus ne l'avait pensé. Mais cette dilatation du temps
intermédiaire, qui est le temps de l'Eglise, n'a en rien changé l'inten-
sité de l'attente eschatologique; au contraire, la conscience que les
« derniers temps» étaient « déjà» inaugurés, mais que la plénitude
de l'accomplissement des promesses n'était «pas encore)} réalisée
a renforcé le désir de l'ecclesia peregrinans d'atteindre sa patrie
céleste.
C'est précisément la liturgie de l'Eglise qui confirme - malgré
l'objection mentionnée - que l'attente eschatologique, loin de dispa-
raître après les premiers temps de la N aherwartung, est restée consti M

tutive non seulement de la pensée, mais aussi de la vie des chrétiens;


et il est connu que ce qui s'inscrit dans le vécu est beaucoup plus
réel que la plus belle théorie.
Au lieu de citer des textes liturgiques qui expriment l'attente
eschatologique - ils seraient nombreux -, prenons comme illustra M

tion la prière faite en direction de l'est qui a profondément marqué


toute la tradition liturgique jusqu'à nos jours.
Peu importe, dans notre contexte, la question de savoir si la
coutume chrétienne de prier en direction de l'Orient est d'origine
païenne et a été (( baptisée» par l'Eglise 4. Dès qu'elle est attestée
expressis verbis chez les auteurs chrétiens, au début du III" siècle,
elle est presque aussitôt mise en rapport avec l'attente eschatologi M

que: le Christ, le «soleil de justice" (Mal. 3,20), reviendra de l'est


lors de sa parousie. Origène exprime cela ainsi (Lev., homo IX,IO):

« La rédemption te vient de l'Orient; de là, en effet, est l'homme dont


le nom est "Orient" (Zach. 6, 12 LXX) ... Par là, tu es donc invité de
regarder toujours vers l'Orient, d'où le "soleil de justice se lève" pour toi,
d'où la lumière te naît; pour que tu ne marches jamais dans les ténèbres
et pour que le dernier jour ne te surprenne pas dans les ténèbres» 5.

4 Dans un sens affirmatif: F.-J. DOLGER, Sol salutis, Münster, 2" éd. 1925:
w. RORDORF, Der Sonntag, Zürich 1962, p. 256s.; 284s. {arrière-fond juif). Par con·
tre, E. PETERSON, «Die geschichtliche Bcdeutung der jüdischen Gebetsrichtung»,
in: FrüTlkirche, Judentum und Gnosis, RomjFreiburg/Wien 1959, p. 1-14, estime
qu'il s'agit d'une innovation par opposition aux Juifs.
~ La citation de Matth. 24,27 (texte qui est la base néotestamentaire de cette
attente) se trouve déjà dans le texte éthiopien de l'Apocalypse de Pierre, chap. 1
(assez semblable d'ailleurs à l'Epistula a]XJstalarum 16). Il y a la même perspec-
tive eschatologique chez CYPRIEN, De oratiane dam. 35.
LITURGIE ET ESCHATOLOGIE 221

Encore au début du lIr siècle, on attendait donc avec ferveur


le retour du Christ 6. Cela va à l'encontre de la théorie qui verrait
volontiers un affaiblissement progressif de l'attente eschatologique
dans l'Eglise des premiers siècles. l\tlais il y a d'autres faits en rap-
port avec la prière versus Orientem qui montrent que cette théorie
n'est pas vraiment fondée:

1. En effet, les Pères des siècles suivants continuent à fonder la


prière faite en direction de l'est par l'attente eschatologique, et leur
interprétation de l'habitude très ancienne des chrétiens de prier de-
bout, le jour du dimanche, va dans le même sens. Ecoutons S. Basile:

({ Nous regardons tous vers l'Orient pour prier, mais il y en a peu


qui savent que nous sommes ft la recherche de l'antique patrie, ce paradis
que Dieu planta en Eden, du côté de l'Orient. C'est debout que nous
faisons nos prières, au premier jour de la semaine, mais nous n'en savons
pas tous la raison. Car ce n'est pas seulement parce que, ressuscités
avec le Christ et devant chercher les choses d'en-haut, nous rappelons à
notre souvenir, en ce jour consacré à la Résurrection, en nous tenant
debout lorsque nous prions, la grâce qui nous fut donnée, mais parce
que cc jour-là parait en quelque sorte l'image du siècle à venir. C'est donc
par nécessité que l'Eglise éduque ses petits à faire debout leurs prières
en ce jour-là, afin que, par le rappel continuel de la vie qui ne finira
pas, nous ne négligions point de faire provision en vue de ce voyage-là» 7.

2. A partir du Ive siècle, nous avons des témoignages qui nous


disent que la renonciation à Satan lors du baptême se faisait en
direction de l'Occident, région des ténèbres, tandis que le serment
de fidélité au Christ, c'est-à-dire la profession de foi, se faisait en
direction de l'Orient, symbole du paradis promis 8.

3. Or, la confirmation la plus solide de l'importance de l'attente


eschatologique dans la prière versus Orientem nous vient de l'archéo-
logie et de l'iconographie chrétiennes.
a) La plus ancienne description d'un lieu de culte chrétien,
contenue dans la Didascalie syriaque (chap. 12; éd. FUNK, II, 57, 355.),

6 On le faisait, bien entendu, aussi dans des milieux sectaires: chez les mon-

tanistes, mais aussi dans d'autres groupuscules (cf. HIPPOLYTE, Comm. in Dan..
IV,18-19).
7 On pourrait mentionner également PIERRE d'ALEXANDRIE, ean. 15; AUGUSTIN,

Epistula 55,28; ISIDORE DE SÉVILLE, De ecc1. off. 1,24, et d'autres; voir la documen-
tation dans DOLGER, op. cil. (note 4), p. 198-220.
S CYRILI.E DE JÉRUSALEM, Cal. mysl. 1,9: AMBROISE, Myst. 7
222 WILLY RORDORF

parle déjà de l'exigence que les prcsbytres et l'évêque s'asseyent


du côté est de la salle, de façon que l'asselnblée, sans se tourner,
puisse faire sa prière vers l'Orient; « car », dit le texte, « il est indispen~
sable que vous fassiez votre prière tournés vers l'est, puisque vous
connaissez la parole de l'Ecriture: "Glorifiez Dieu, chevauchenr des
cieux, vers l'Orient"» (Psaume 67,34 LXX). Or, ce qui reste de la plus
ancienne église-maison connue, celle de Doura-Europos, qui date de
la même époque que la Didascalie syriaque, montre qu'on a tenu
compte, dans la mesure du possible, de l'exigence de la Didascalie 9.
A partir du IV" siècle, quand on pouvait librement construire de
nouvelles églises, les exceptions confirment la règle générale et pra-
tiquement universelle qui veut que les églises se trouvent orientées
selon l'axe est-ouest 10. Cette règle, vous le savez bien, est restée
traditionnelle jusqu'à nos jours.

b) Cependant, ce qui est méconnu de la plupart de nos con-


temporains, à savoir la signification eschatologique de l'orientation
de nos églises, était beaucoup plus présente à l'esprit des généra-
tions chrétiennes d'autrefois: car la décoration de la partie orientale
de l'église, donc en règle générale de l'abside ou du chœur, rap-
pelait constamment l'attente eschatologique aux fidèles. Je peux être
bref, car les faits sont connus depuis les études de E. Peterson, E.
Dinkler et C. Vogel ". Dès la fin du II" siècle, les chrétiens sont
connus comme {( vénérateurs de la croix» 12 parce qu'ils avaient une
croix en bois ou une croix peinte sur la paroi orientale de leur lieu
de culte privé ou public, indiquant la direction géographique de leur
prière. Or, cette croix n'est pas la croix de Golgotha, mais la croix
eschatologique, signe triomphal du Fils de l'homme qui apparaîtra au
ciel à l'Orient lors de sa parousie, d'après Matth. 24,27-30 " .. Qu'il

9 Cf. W. ROROORF, «Que savons-nous des lieux de culte chrétiens de l'époque

préconstantinienne?)l, dans L'Orient Syrien 9, 1964, p. 39-60.


10 Cf. C. VOGEL, «L'orientation vers l'est du célébrant et des fidèles pendant

la célébration eucharistique)l, dans L'Orient Syrien 9, 1964, p. 3-37.


Il E. PETERSON, cl Das Kreuz und das Gebet nach Osten)l, in: Frühkirche, lu·

dentum und GrlOsis, 1959, p. 15-35; E. DINKLER, Das Apsismosaik von S. Apollinare
in Classe, 1964, p. 77ss.: C. VOGEL, «La croix eschatologique ll, in: Noël, Epipha-
nie, retour du Christ (Lex orandi 40), Paris 1967, p. 85-108.
12 TERTULLIE!\, Ad nationes 1,13; Apùlageticum 16,9s. Ce n'est pas un hasard

que Tertullien parle de la prière vers l'est dans la suite immédiate de ces deu."{
textes.
Il Cf. les textes cités plus haut, en note 5, et TERTULLIEN, De aratiane 29;

Oracula Syb. IV,26-28. C'est probablement la même croix dans l'Evangile de


Pierre 10 (3942).
LITURGIE ET ESCHATOLOGIE 223

s'agit bien de la croix eschatologique est révélé par la forme des


croix absidiales dans les églises paléochrétiennes: elles sont lumi-
neuses (souvent en or) et ont les bras élargis au bout. Elles appa-
raissent souvent sur un fond de ciel bleu étoilé. Et les symboles qui
entourent ces croix soulignent le contexte eschatologique de l'ensemble
de la composition: parfois c'est le paradis qui y est représenté, par-
fois c'est le Jugement dernier.
Le seul exemple de la prière faite en direction de l'est, avec
tout ce qu'elle implique, montre donc - nous l'avons maintenant
vu - à quel point la tradition liturgique de l'Eglise est imprégnée
de l'attente eschatologique. Il est heureux que les Iiturgistes d'au-
jourd'hui redécouvrent cette dimension si importante de la tradition.
Les nouvelles prières eucharistiques de l'Eglise catholique-romaine
qui soulignent à plusieurs endroits cette dimension, en sont une
illustration 14.

Cependant, il demeure le fait que l'attente eschatologique n'est


pas très vivante chez nous aujourd'hui; elle est même problématique
pour bon nombre de croyants. Citons une phrase caractéristique de
R. Bultmann, tirée de son célèbre article ({ Neues Testament und My-
thologie » 15: ({ Un simple fait suffit à condamner l'eschatologie
mythique: elle perd toute valeur parce que la parousie de Jésus-
Christ, déjouant l'attente du Nouveau Testament, n'a pas eu lieu
aussitôt et que l'histoire universelle a continué et continuera comme
tout homme sensé en est persuadé ». On sait les conséquences que
Bultmann tire de cette affinnation et de quelle manière il ({ dé-
mythise» l'eschatologie futuriste 16.
Il ne suffit pas de regretter que Bultmann - et beaucoup d'autres
avec lui - aient tiré cette conséquence radicale, et de s'opposer à
lui au nom du Nouveau Testament et de la tradition de l'Eglise. Le
malaise à l'égard de l'eschatologie futuriste existe qu'on le veuil1e
ou non. Même la réintroduction dans nos textes liturgiques de
l'attente eschatologique ne suffira pas à surmonter le malaise. Il
subsistera inévitablement.

14 Cf. le commentaire de ces prières par l'abbé P. JOUNEL, dans Maison-Dieu


94, 1968, p. 38-76.
In: Kerygma und My th os l, Hamburg, 4e éd., 1960, p. 18.
15

Cf. W. RORDORF, Cl The Theology of Rudolf Bultmann and Second-Century


16

Gnosi5 », dans New Testament Studies 13, 1966-1967, p. 35955.


224 \"!ILL Y RORDORF

Comment sortir de l'impasse? N'y a-t-il vraiment pas d'autre choix


que celui entre l'abolition radicale de l'eschatologie traditionnelle,
d'une part, et le maintien, un peu articifiel, de cette tradition, d'autre
part? Je crois que pour pouvoir trouver une solution il faut tout
d'abord étudier attentivement la question de savoir pourquoi l'Eglise
ancienne a nourri une espérance eschatologique si fervente. Nous
avons déjà vu qu'elle n'était pas seulenlent caractéristique des tout
premiers tenlpS, tant que les chrétiens attendaient l'arrivée immi-
nente du Royaume des cieux. La théorie d'une ({ déception» à cause
du retardement de la parousie qui aurait entraîné un changement
d'optique est une construction 17. Mais comment expliquer alors cette
persévérance impressionnante dans l'attente qui n'était pas lettre
morte, mais une réalité existentiellement vécue?
Là encore, il me semble que O. Cullmann ouvre le chemin à une
compréhension correcte des faits 18. Si les chrétiens des premiers
siècles attendaient tellement ce qui n'était « pas encore» réalisé, c'est
qu'ils faisaient l'expérience de ce qui était « déjà» réalisé ou en
train de se réaliser. En effet, le Christ était « déjà» venu, et l'Esprit
était « déjà» en action dans l'Eglise; cette expérience faisait gran-
dir l'espérance d'une nouvelle présence visible du Seigneur, d'une
terre et d'un ciel renouvelés par l'Esprit. En d'autres termes: l'expé-
rience d'un progrès de l'histoire du salut dans le temps présent
était la source de la conviction profonde que le salut allait vers sa
plénitude, c'est-à-dire vers le moment où Dieu sera tout en tous.
C'est de nouveau la liturgie de l'Eglise qui reflète fidèlement
cet état de fait: d'une part, on a conscience d'une anticipation par-
tielle des biens eschatologiques, dans le culte; d'autre part, et pré-
cisément parce qu'on a cette conscience, on attend avec ferveur la
pleine réalisation des promesses. La meilleure illustration de ce que
je viens de dire serait l'eucharistie chrétienne: en effet, sa spécifi-
cité s'explique par le fait qu'elle se situe dans le cadre de la ten-
sion entre le « déjà» et le {( pas encore» 19.

!7 Cf. l'ouvrage de M. WERNER, Die Entstehung des christlichen Dogmas, Bem,

1941. . Le plus que l'on puisse dire c'est que l'ère de la « paix de l'Eglise» a
amené la tentation pour l'Eglise de s'installer dans ce monde, tentation à
laqueUe elle a pourtant résisté, en règle générale.
I! Cf. son ouvrage cité en note 3. en particulier p. 167ss.

!~ Mentionnons ici le livre du Père P. LEBEAU, Le vin nouveau du Rayaume,


Louvain, 1966, qui montre, à propos de l'exégèse patristique de la parole escha-
tologique de Jésus à la Cène, ce double aspect de la tradition chrétienne; il est
pourtant vrai que le P. Lebeau insiste. à mon avis un peu trop, sur l'aspect
de la présence du Royaume.
LITURGIE ET ESCHATOLOGIE 225

Cependant, pour ne pas me perdre dans des généralités, j'aimerais


me limiter, dans la suite de mon exposé, à un seul problème: celui
de la prière pour l'unité de l'Eglise. Je le fais non seulement parce
que cette prière répond à notre actualité œcuménique, mais je le
fais principalement parce qu'il me semble que cette prière pourrait
réveiller en nous une nouvelle attente eschatologique authentique.

Partons de nouveau de l'Eglise ancienne, et plus précisénlent de


la prière pour le rassemblement de l'Eglise contenue à deux endroits
de la Didaché (chap. 9,4 et 10,5) 20. Ces textes sont bien connus:

({ De même que ce pain rompu, d'abord semé sur les collines, une
fois recueilli est devenu un, qu'ainsi ton Eglise soit rassemblée des
extrémités de la terre dans ton Royaume» (9,4).
«Souviens-toi, Seigneur, de ton Eglise, pour la délivrer de tout mal
et la parfaire dans ton amour. Rassemble-la des quatre vents, cette Eglise
sanctifiée 21, dans ton Royaume que tu lui as préparé ~~ (l0,5).

Les deux fois, l'idée centrale de la prière est le rassemblement


eschatologique de l'Eglise, dispersée sur la terre, dans le Royaume
de Dieu. Dans la première prière, le pain eucharistique, fait d'une
multitude de grains, devient une image de ce rassemblement 22.
L'image a une signification profonde: dans le pain eucharistique,
l'unité de l'Eglise est déjà réalisée! Chaque fois qu'une Eglise locale
prend part à ce pain eucharistique unique, elle représente l'unité
de l'Eglise faite d'une multitude de membres. Or, c'est l'expérience
de son unité eucharistique qui rend l'Eglise locale attentive au fait
qu'elle n'est qu'un klasma, qu'eUe n'est qu'une partie de l'Eglise
universelle, et au moment même où elle vit son unité dans l'eucha-
ristie, elle prie avec ferveur pour le rassemblement de toute l'Eglise,
dans le Royaume. Le «déjà» de son unité locale la fait sentir dou-
loureusement le ({ pas encore)} de l'unité universelle.
La prière pour l'unité de l'Eglise de la Didaché a fait son chemin
dans d'autres textes liturgiques. Ne citons qu'un exemple d'une telle

~o Cf. la monographie de L. CI.ERrcr, Einsammlung der ZerstrCtlten (Litur-


giegeschichtliche Quellen und Forschungen 44), Münster, 1966. Je renvoie à cet
ouvrage pour tous les détails.
II « Sanctifiée» manque dans le texte copte.

22 Ce symbolisme se rattache à 1 Cor 10,17; cf. pour l'interprétation de ce

dernier passage, P. NEUENZEIT, Das Herrel'lmahl. Studien zur paulinischen Eu-


charistieauffassullg {Studien zum Alten und Neuen Testament 1), München. 1960,
en particulier p. 54ss.
226 WILLY RORDQRF

reprise 23. Sérapion de Thmuis, dans son Euchologe, a la prière sui-


vante (3,13):

« Et de même que ce pain, d'abord semé sur les collines, une fois
recueilli est devenu un, ainsi rassemble également ta sainte Eglise de
chaque peuple, de chaque pays, de chaque ville, village et maison, et
fais d'elle une seule Eglise vivante et catholique» 24.

A première vue, il semble que dans ce texte du Ive siècle, l'aspect


eschatologique de la prière de la Didaché ait disparu. Mais dès qu'on
y regarde de plus près, on constate que l'aspect eschatologique n'est
pas complètement absent; il est seulement adapté à la nouvelle situa-
tion que connaît l'Eglise au IV· siècle:
1. D'une part, il a pris une dimension missionnaire. Le Ive siè-
cle, c'est la période du plus grand mouvement d'extension du christia-
nisme. Puisque les empereurs sont devenus chrétiens, les masses com-
mencent à entrer dans l'Eglise. On fait l'expérience que effectivement,
(( chaque peuple. chaque pays, chaque ville, village et maison» se
convertissent à la foi. Mais cette expérience de la réalité du ({ déjà»
stimule les chrétiens de prier pour la réalisation de ce qui n'est « pas
encore »: à savoir l'entrée de la totalité des païens dans le bercail
du Christ. Cette perspective est profondément eschatologique, si
nous pensons à des textes comme Rom. 11,25ss. ou Matth. 24,14:
({ Cette Bonne Nouvelle du Royaume sera proclamée dans le monde
entier ... Et alors viendra la fin» 25.
2. D'autre part, l'aspect eschatologique a pris, dans la prière de
Sérapion, une dimension œcuménique. On prie pour que l'Eglise soit
« une, vivante, catholique ». Pensons à l'arianisme qui a déchiré l'Eglise
du Ive siècle! Lorsqu'on célèbre l'eucharistie, sacrement de l'unité,
on ne peut pas ne pas se souvenir de cette situation anormale, cho-
quante. Alors, puisqu'on est (( déjà» uni dans la célébration de l'eucha-
ristie, on prie pour que ce qui n'est" pas encore» devienne une réa-
lité: à savoir l'unité de toute la chrétienté en une Eglise unique, vi-
vante, catholique. Cette perspective est également eschatologique.
Ne pensons qu'à Jean 17, 22.24: «Je leur ai donné la gloire que tu
m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous sommes un. Père,

Cf. pour les autres exemples, l'ouvrage de L. CLERICI, cité en note 20, p. l04ss.
21

Le Papyrus de Dêr-Balizeh donne une version très semblable.


24
25 Cf. pour ce problème, O. CULLMANN, « Eschatologie und Mission im Ncucn
Testament,., in: Vortrage U/1d Aufsatze 1925-1962, Tübingen, 1966, p. 348-360.
LITURGIE ET ESCHATOLOGIE 227

ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis, ils soient aussi
avec moi, pour qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée ... » 26.
La prière de SérapÏon, loin d'abandonner la perspective escha-
tologique, l'inscrit donc simplement dans une nouvelle situation de
l'Eglise, dans un nouveau kairos de l'histoire du salut, de cette histoire
qui ne s'arrête pas, mais qui, d'une manière dynamique, sous l'action
du S. Esprit, va toujours du {( déjà» de la grâce vers le ({ pas en-
core» de sa plénitude. Nous pourrions mentionner d'autres exemples
de l'Eglise ancienne qui témoignent de cette optique 27. Mais venons-
en directement à l'application concrète, dans notre situation actuelle,
de ce que nous avons constaté.
Ne vivons-nous pas dans un nouveau kairos de l'histoire du sa-
lut? Dans toutes les Eglises, il y a un tel mouvement œcuménique,
un tel désir de l'unité de tous les chrétiens, qu'il est impossible de
ne pas y reconnaître l'action du S. Esprit qui nous pousse, tous
ensemble, à retrouver enfin l'intégrité du Corps unique du Christ.
Or, ce mouvement, ce désir devraient se refléter dans toutes nos
liturgies. Dans nos prières actuelles pour l'unité de l'Eglise, nous
devons, certes, rendre grâce pour ce qui est « déjà}) une réalité en
Christ, mais ce ({ déjà)) devrait augmenter notre désir de voir s'ac-
complir ce qui n'est « pas encore ») une réalité: à savoir l'unité complè-
te, dans la foi et dans la charité, de tous ceux qui invoquent le
même Seigneur.
On me dira peut-être qu'on a toujours prié pour l'Eglise, dans
nos liturgies. Oui, certainement. Mais on le faisait dans une perspec-
tive rétrécie: on priait surtout pour sa propre Eglise et ses membres.
Et si on priait pour l'unité de l'Eglise universelle, il s'agissait là d'une
prière plutôt marginale 28. Aujourd'hui, on devrait prendre conscience

26 Le double emploi du mot synagein, dans l'Eglise ancienne, pour désigner,

à la fois, la synaxe cultuelle des chrétiens et le rassemblement de l'Eglise à la


fin des temps, montre également le caractère eschatologique du « rassemble-
ment» des chrétiens; cf. L. CLERICI, op. cit., p. 79ss.
27 Un exemple très caractéristique serait Augustin: voir, à ce propos, le livre
de W. GESSEL, Eucharistische Gemeinschaft bei Augustin (Cassiciacum 21), Würz-
burg, 1966.
21 Prenons comme exemples le Canon de la messe romaine (l'idée de la
[co-]adunatio de l'Eglise n'apparaît que dans un seul mot au début du Canon
et avant la communion) et la Divine Liturgie: après la communion, le prêtre dit
très brièvement: « Donne la paix au monde, à tes Eglises, aux prêtres et à tout
ton peuple ». - Ne parlons pas des liturgies protestantes où l'individualisme
était naguère si prépondérant qu'on ne priait souvent pas même pour sa propre
Eglise!
228 \VILLY RORDORF

que cette pnere marginale pour l'unité de l'Eglise universelle du


Christ ne suffit plus, qu'elle ne correspond tout simplement plus
à la situation œcuménique actuelle. Nos liturgies doivent suivre le
mouvement! 29
Il me semble qu'il faudrait donner plus de place, dans nos litur-
gies, à la prière pour l'unité de l'Eglise universelle, et cela pour deux
raisons:
1. Si la prière pour l'unité des chrétiens n'était pas limitée à
l'une ou l'autre phrase dans nos liturgies, ou aux 8 jours de la Se-
maine de prière pour l'unité des chrétiens, au mois de janvier de
chaque année, mais si cette prière avait sa place dans chacun de
nos cultes, les laïcs seraient peut-être moins tentés, dans leur désir
d'unité, de brûler les étapes, et de procéder à l'une ou l'autre forme
d'intercommunion, en anticipant impatiemment ce qui serait plutôt
l'expression de l'unité complète réalisée 30.
2. Et cela me ramène à mon propos « Liturgie et eschatologie »:
Une prière plus ardente, plus constante aussi, pour l'unité de l'Eglise
universelle pourrait renouveler une attente eschatologique authenti·
que. Dom Botte a écrit ces phrases remarquables 31: « Toute la litur·
gie se situe entre ces deux venues (sc. du Christ), ces deux épipha·
nies, ces deux parousies, qui sont aussi essentielles l'une que l'autre.
L'une appartient au passé, l'autre à l'avenir. La liturgie fait revivre
celle du passé et elle prépare la seconde en célébrant l'eucharistie
"jusqu'à ce qu'il revienne" )). C'est surtout le mot de «préparer»
qui m'a frappé dans ce passage; je crois qu'il exprime une vérité
très profonde. En effet, la liturgie ne rappelle pas seulement l'attente
eschatologique, elle prépare la seconde venue du Christ. Elle la pré-
pare dans la mesure où elle reflète la tension entre le (( déjà» et le
«pas encore) d'une manière authentique, c'est·à-dire d'une manière
qui correspond au kairos de chaque époque de l'histoire du salut.

29 A cet égard, les nouvelles prières eucharistiques catholique-romaines - à


d'autres égards si belles! - sont un peu décevantes: il y a juste une petite
phrase, dans la 3~ prière, qui dit: « Ramène à toi, Père très saint, tous tes
enfants dispersés ». Dans ce domaine, les nouvelles liturgies protestantes, aussi
bien luthériennes que réformées, sont plus courageuses: presque toutes ont repris
l'ancienne prière pour l'unité de l'Eglise de la Didaché. - La Communauté de
Taizé a évidemment le plus grand souci de l'unité de l'Eglise universelle: ce
souci est sensible d'un bout à l'autre de sa liturgie.
JO Cf. la mise au point œcuménique de P. LEBEAU, B. BOBRINSKOY, J.J. HEITZ,

lmercommunion. Des chrétiel1S s'interrogent, Tours, 1969.


31 Dans l'article cité en note 2, p. 41.
LITURGIE ET ESCHATOLOGIE 229

Or, le mouvement œcunlénique cst aujourd'hui l'un de ces kairoi; qui


pourrait le nier? Par conséquent, la liturgie prépare aujourd'hui la
seconde venue du Christ d'une manière authentique, si elle se fait
porte-parole de cette attente eschatologique concrète, {( attendant et
hâtant le jour de Dieu, par les prières », comme dit 2 Pierre 3,11.

«( Liturgie et eschatologie»: Je disais au début qu'il est heu-


reux que l'attente eschatologique réapparaisse dans nos liturgies.
J'ajouterai maintenant que cela ne suffit pas. Il faut que la liturgie
soit aussi le lieu où ce qu'on attend est préparé, aujourd'hui donc
en particulier l'unité de l'Eglise du Christ. Nos prières pour l'unité
ne sont pas vaines; elles seront exaucées. En priant pour la réalisa-
tion eschatologique de l'unité, nous la préparons efficacement, car
nous prions pour que la volonté du Seigneur soit faite sur la terre
comme au ciel.

Willy RORDORF
L'HISTOIRE DU SALUT DANS LA THÉOLOGIE
ET LA LITURGIE DE LUTHER

Nous pouvons nous rendre compte du rôle important et fonda-


mental que joue l'histoire du salut dans la théologie de Luther, en
parcourant les quarante propositions de la Disputatio de homine,
de 1536 1 • Après avoir montré que, par la raison ou la philosophie,
«nous ne savons presque rien de l'homme », Luther continue ainsi:
( Mais la théologie, avec la plénitude de sa sagesse, définit l'hom_
me total et parfait. A savoir que l'homme est une créature de Dieu,
composée de chair et d'une âme qui respire, faite à l'origine à
l'image de Dieu sans péché, destinée à engendrer, à dominer sur les
choses et à ne mourir jamais. Après la chute d'Adam, cette créature
a été soumise au pouvoir du diable, au péché et à la mort, des
maux dont chacun est éternel et tel qu'il ne peut pas être sunnonté
par les forces de la créature. Elle n'en peut être libérée, et douée de
vie éternelle, que par le Fils de Dieu, Jésus-Christ, si elle croit en
lui... Paul, dans Rom. 3,28, en disant: "Nous estimons que l'homme
est justifié par la foi sans les œuvres", exprime brièvement la défi-
nition de l'homme, en disant que l'homme est justifié par la foi».

La philosophie échoue donc, déclare Luther, dans toute tenta-


tive d'exprimer ce qu'est l'homme; seule la théologie peut donner
de lui une définition complète. Elle le fait sans recours aux res-
sources de la philosophie ou de la méthode spéculative de la méta-
physique, et en se servant exclusivement des moyens d'expression
de l'histoire du salut, par l'emploi de notions telles que création,
chute d'Adam, rédemption par Jésus-Christ, justification par la foi.
En parlant de l'homme, et pour en donner une définition, la théo-
logie de Luther est ainsi amenée à donner une esquisse brève mais
substantielle de toute l'histoire du salut. II serait facile de montrer
la même chose pour d'autres notions; par exemple, Dieu aussi ne

1 Edition de Weimar, tome 39 I, pp. 174 ss; en traduction française, dans


notre «Luther» paru dans la collection «Philosophes» de Presses Universitaires
de France, 1%9, pp. 100-104.
232 THÉOBALD SÜSS

peut être décrit ou défini adéquatement, en théologie, que par les


moyens de l'histoire du salut. Et, en un mot, toute la théologie a
nécessairement, pour Luther, une structure d'histoire du salut.
Il en résulte que l'histoire du salut doit aussi jouer un rôle
dans la liturgie telle que Luther la conçoit. Nous nous en rendons
compte en parcourant rapidement un des plus importants traités de
liturgie de Luther, La messe en langue allemande, de 1526', Le réfor-
mateur insiste d'abord sur la nécessité d'avoir, dans le culte allemand,
« un catéchisme rudimentaire, simple et facile» (p. 212). Il doit être
conçu tel qu'il l'a été « depuis le début de la chrétienté et tel qu'il
est resté jusqu'à présent», comprenant ces trois parties: les dix
commandements, le symbole apostolique, le Notre Père. Nous consta-
tons in1médiatement qu'avec le Symbole apostolique, l'histoire du
salut y tient une place d'honneur. L'enseignement de ce catéchisme
sera en forme de questions et réponses, et Luther en donne des
exemples:
« Que veut dire: Croire en Jésus-Christ? Réponse: Cela veut
dire que le cœur croit que nous serions tous perdus éternellement,
si le Christ n'était mort pour nous» (p. 213).

Au début du chapitre « Du service divin », donc de la partie


proprement liturgique, Luther fait une déclaration de principe:
« Le point le plus élevé de tout service divin, c'est de prêcher et
d'enseigner la parole de Dieu) (p. 215).

C'est pourquoi, continue-t-il,


« nous procédons de manière suivante avec la prédication et la
lecture. Le saint jour du dimanche, nous laissons subsister les
épîtres et les évangiles habituels ).

Luther maintient donc le système traditionnel des péricopes et,


avec lui. son cadre, l'année ecclésiastique, avec quelques légères mo-
difications sur lesquelles je n'insiste pas. Ces réalités liturgiques fon-
damentales resteront par la suite, et jusqu'aujourd'hui, une des
marques caractéristiques du culte luthérien, à la différence du cuIte
réformé qui y a renoncé. Les prescriptions particulières que Luther
fait à ce sujet, soulignent de nouveau l'importance extraordinaire

2 Deutsche Messe, édition de Weimar, Tome XIX, pp. 44 ss; en traduction fran-

çaise, dans les Oeuvres de Martin Luther, édition Labor et Fides, Genève, tome
VI, pp. 205 ss. Nous citons cette traduction.
DANS LA THÉOLOGIE ET LA LrrURGIE DE LUTHER 233

qu'il attribue à cette présence de l'histoire du salut dans le culte


de la communauté.
« Chaque dimanche)l, déclare-t-il, « nous avons trois sermons: le
matin, à 5 ou 6 heures, on chante quelques psaumes comme à
matines. Ensuite on prêche sur l'épître du jour, principalement à
cause des domestiques, de façon qu'on s'occupe d'eux aussi et
qu'ils entendent la parole de Dieu, s'ils ne peuvent pas assister à
d'autres sermons .. ' A la messe, à 8 ou 9 heures, on prêche sur
l'évangile pendant toute l'année. Après-midi, aux vêpres, on prêche
sur l'Ancien Testament d'une façon ordonnée et suivie)J.

Cette formule: {( d'une façon ordonnée et SUIVIe », semble indi-


quer que Luther pense à des séries de prédications sur les livres en-
tiers ou de parties de livres, d'une manière semblable à ces com-
mentaires brefs, denses, riches en substance spirituelle, rédigés en
langue vernacule, comme il en a publiés plusieurs: sur des psaumes,
sur Jonas, sur Habaquq, etc.
Sur la question des pérkopes, Luther donne l'explication sui-
vante:

{( En ce qui concerne le fait que nous avons conscnré les épîtres


et les évangiles répartis suivant les époques de l'année, ainsi que ce
fut l'habitude jusqu'ici, en voici la raison: nous ne voyons rien de
particulier à reprocher à cette manière de faire. Si l'on a agi de la
sorte à Wittenberg en ce moment, c'est qu'il y a ici beaucoup
d'étudiants, qui doivent apprendre à prêcher en des endroits où
cette division des épîtres et des évangiles existe enco"e et, peut-être,
subsistera. Or puisque, de cette façon, on peut leur être utile et leur
rendre senrÎ'ce, sans préjudice pour nous, nous laissons faire. Mais
nous ne voulons pas, en cela, blâmer ceux qui prennent les livres
entiers des évangélistes ».

Le maintien du système traditionnel des péricopes, avec l'année


ecclésiastique et l'histoire du salut qui en sont le cadre nécessaire,
dans la Réforme luthérienne est donc, dans une certaine mesure,
dû à un hasard: Luther prenait des égards pour les étudiants qui
faisaient leurs études à Wittenberg. Mais cela implique aussi une
certaine position de principe. Si Luther avait eu des raisons pour
s'écarter davantage de la tradition, il n'aurait pas, dans une si grande
mesure, tenu compte des besoins de ces étudiants; inversement, s'il
avait cru devoir maintenir absolument, pour des raisons essentielles,
les coutumes établies, il n'aurait pas parlé d'égards pour les étu-
diants. S'il a agi comme il l'a fait, c'était manifestement parce que,
234 THÉOBALD SÜSS

d'une part, il estimait qu'il fallait absolument maintenir la référence


du culte à l'histoire du salut et que, d'autre part, la forme de cette
référence ne lui importait pas absolument; que ce soient les péri-
capes traditionnelles, ou que ce soit la lecture, «d'une façon or-
donnée et suivie », de livres bibliques entiers, c'était une question
qu'on pouvait abandonner à la liberté des ministres et des Eglises;
c'était, pour Luther, un adiaphoron. Mais, avec les péricopes, l'année
ecclésiastique est restée vivante dans l'Eglise, la vie et la pensée
luthériennes; et, avec l'année ecclésiastique, l'histoire du salut y est
présente d'une manière beaucoup plus intense que cela n'aurait été
le cas sans cela.
Par cette manière de célébrer le dimanche, continue le Réfor-
mateur, le laïque a suffisamment de prédications et d'enseignement.
Celui qui en désire davantage, en trouvera assez les autres jours. En
effet, le lundi et le mardi matin, on fait une lecture en allemand
sur les dix commandements, la foi, le Notre Père, le baptême et
la sainte cène, de sorte que ces deux jours entretiennent la connais-
sance du catéchisme et en renforcent la juste compréhension. C'est
donc le lundi et le mardi matin que prennent place les prédications
catéchétiques auxquelles Luther a tellement tenu et dont il a plu-
sieurs fois donné des modèles. Le mercredi matin, il y a une leçon
en allemand, pour laquelle l'évangéliste Matthieu est prescrit en en-
tier; car c'est un excellent évangéliste pour instruire la commu-
nauté, en particulier il donne le sermon parfait du Christ sur la
montagne, et il insiste beaucoup sur la pratique de l'amour et sur les
bonnes œuvres. L'évangéliste Jean, qui enseigne la foi avec puis-
sance, a aussi son jour propre, le samedi après-midi aux yêpres.
Enfin les jeudi et vendredi matins les leçons quotidiennes de la
semaine portent sur les épîtres, et sur ce qu'il y a encore dans le
Nouveau Testament. « Il y a donc suffisamment de leçons et de
prédications pour maintenir la parole de Dieu en pratique », conclut
Luther en terminant cette partie de son exposé (p. 216).
Enfin, nous devons encore mentionner le culte eucharistique. Il
contient, après une paraphrase du Notre Père, assez développée, une
exhortation eucharistique ainsi conçue:

« Je vous exhorte dans le Christ à observer avec une foi authen-


tique le testament du Christ et, avant tout, à saisir fermement dans
votre cœur les mots par lesquels le Christ vous donne son corps
et son sang pour le pardon. Que vous vous souveniez avec actions
de grâce de l'amour sans fond qu'il nous a témoigné lorsqu'il nous
DANS LA THÉOLOGTE ET LA LITURGIE DE LUTHER 235

a sauvés, par son sang, de la colère de Dieu, du péché, de la mort et


de l'enfer; enfin, comme garantie et comme gage, prenez extérieure-
ment le pain et le vin, c'est-à-dire son corps et son sang» (p. 219).

La Messe en langue alleman.de contient donc l'histoire du salut


sous la forme d'un enseignement biblique très développé, et en par-
ticulier, dans l'exhortation eucharistique, sous la forme d'une réfé-
rence au sacrifice rédempteur du Christ. L'histoire du salut y tient
une place d'honneur. Mais est-ce vraiment une théologie de l'histoire
du salut? Elle ne l'est pas dans le sens de O. Cullmann. Pour ce
théologien, la notion de l'histoire du salut contient la réponse au
grave problème de l'unité de l'Ecr:ture, de l'unité et du centre uni-
ficateur du message scripturaire; pour Luther, par contre, ce centre
unifiant c'est la doctrine de la justification par la foi sans les œuvres,
conception que O. Cullmann rejette expressément. La pensée luthé-
rienne n'est pas non plus une thénJogie de l'histoire du salut au
sens des nombreux systèmes théologiques du XIxe siècle qui ont
mis l'histoire du salut au centre de leur élaboration doctrinale, par
exemple les conceptions des professeurs Beck, de Tübingen, et Hof-
mann, d'Erlangen. Pour ces docteurs, la préoccupation essentielle
était d'adapter la structure systématique de l'enseignement dogma-
tique aux notions fondamentales de la pensé historique moderne;
ce qui ne pouvait naturellement pas encore être un souci de Luther 3 •
Même la théologie dite fédérale. ou théologie des alliances, du XVII"
siècle, représentée par Jean Cocceïus de Leyde et d'autres théolo-
giens réformés de son temps, ne peut pas entrer en ligne de compte
pour nous servir de mesure dans notre tâche d'interpréter la théo-
logie de Luther; ces docteurs mettaient à la base de leurs systèmes
les différentes alliances que Dieu a concIues avec les hommes d'après
l'Ecriture: l'alliance de la nature ou des œuvres, avant la chute;
l'alliance de la grâce après la chute, sous trois formes: avant la loi,
sous la loi, après la loi. Luther par contre insistait sur l'unité de
l'alliance, l'unité de la foi, l'unité de l'objet de la foi, le Christ,
l'unité du salut, aux différentes époques de l'histoire du salut. Pour
nous rendre compte de la conception particulière de l'histoire du
salut chez Luther, et de sa problématique, il nous faut examiner en
détail comment, dans l'exégèse des textes bibliques qu'il donne dans

l Pour la connaissance de ces système théologiques fondés sur l'histoire du

salut, voir Gustav WETH, Die Heilsgeschichte. Ihr universeller und ihr indivi-
dueller Sinn Ù1 der offenbarungsgeschichtlichen Theologie des 19. lahrhunderts.
Kaiser, Munich 1931.
236 THÉOBALD SÜSS

ses nombreux sermons, en particulier des textes empruntés aux


quatre évangiles, il met en valeur l'histoire du salut. L'étude de
Gerhard Ebeling sur les prédications évangéliques de Luther nous
servira ici de guide 4.
Un seul exemple nous suffira: les nombreux sermons de Luther
sur Matth. 20,1-16, la parabole des ouvriers loués à différentes heures,
l'évangile du dimanche de septuagésime. Luther, ici, rencontre une
tradition qui applique les différents groupes d'ouvriers à différen-
tes étapes de l'histoire du salut; tradition exégétique qui remonte
à Augustin et qu'on retrouve par exemple dans la Glossa ordinaria
et chez Lyra: « Les premiers justes, comme Abel et Noé, déclare
cette tradition, pour ainsi dire en tant que les ouvriers appelés à la
première heure, recevront avec nous la résurrection bienheureuse.
D'autres justes, après ceux-ci, Abraham, Isaac et Jacob et tous ceux
qui étaient de leur siècle, sont conlme les ouvriers appelés à la
troisième heure. D'autres justes encore, Moïse, Aaron et tous ceux
qui étaient avec eux, sont comme les ouvriers appelés à la sixième
heure. Après eux viennent les saints prophètes en tant qu'appelés à
la neuvième heure. A la fin du monde c'est le tour des chrétiens,
qui sont pour ainsi dire les ouvriers appelés à la onzième heure».
En voilà une théologie de l'histoire du salut! Or, Luther n'en est pas
satisfait, et il la rejette. Il est important pour nous de voir quelles
sont ses raisons.
Il y fait allusion dans une prédication, faite entre 1537 et 1540,
en déc1aran t:
« Les Pères de l'Eglise, surtout Grégoire, ont interprété cette
parole de la manière suivante. Les premiers qui ont été envoyés dans
le vignoble, c'étaient Adam et les enfants d'Adam jusqu'à Ncié, au
temps du déluge; les autres de Noé jusqu'à Abraham; les troisièmes,
d'Abraham jusqu'à Moïse et Aaron; les Quatrièmes, de Moïse
jusqu'au Christ; les cinquièmes, qui n'ont été dans le vignoble que
pendant une heure, ce sont ceux qui sont venus peu avant le Christ
et au temps du Christ, et qui ont reç_u la félicité ensemble avec
tous les autres. Je ne conteste pas cette opinion; que, de ma part,
chacun qui veut la partage. Mais moi je suis l'Ecriture, qui appelle
le peuple juif un vignoble, partout dans les prophètes, par exemple
dans Esaïe et dans les autres. Les juifs en avaient l'habitude, c'est
pourquoi il est dit dans l'Evangile, dans une autre parabole du
vignoble, que les pharisiens comprenaient bien que c'était dit à leur
propos. Dans Jean 15 le Seigneur Christ se désigne lui-même comme

4 Gerhard EBELING, Evangelische Evangelienat/slegtmg. Eine Unterst/chung zu


Luthers Hermenet/tik. Lempp (Kaiser), Munich 1942.
DA~S LA THÉOLOGIE ET LA LITURGIE DE LUTHER 237

un cep et ses chrétiens comme les sarments. C'est pourquoi nous


ne voulons pas interpréter le vignoble d'une manière si vaste, mais
l'appliquer seulement au peuple que Dieu a élu d'une manière parti-
culière; c'est là le vignoble dans lequel il a envoyé ses ouvriers,
c'est-à-dire ses prophètes, toujours à nouveau; par eux il a redressé
une fois après l'autre la vraie parole et le vrai service de Dieu. Ainsi,
après Moïse et Aaron, la parole est tombée en oubli, après elle a été
redressée par les juges; ensuite elle s'est de nouveau éteinte jusqu'à
David, après elle a sombré encore une fois jusqu'au temps d'Esaïe le
prophète, puis c'est Jérémie qui est venu, enfin Aggée et Zacharie
qui ont été les derniers avant le Christ, jusqu'à ce que, en dernier
lieu, c'est le Christ lui-même qui vient, qui envoie ses apôtres et
fait planter son vignoble à plus grande distance, aussi vaste qu'est
le monde, et fait faire des juifs et des chrétiens un sew vignoble.
En ce qui concerne maintenant la doctrine de cette parabole,
voici sa somme: Nous devons en apprendre que Dieu ne veut pas
traiter avec nous d'après le travail et notre mérite; mais par grâce,
il veut donner à chacun, au même moment, qu'il ait travaillé
beaucoup ou peu, le denier promis, c'est-à-dire son Fils Jésus-
Christ, le pardon des péchés, le rachat de la mort et de toute souf-
france; il nous donne en plus son Saint-Esprit et enfin la vie
éternelle. Cette denière, il l'a promise par grâce à tous ceux qui
sont dans son vignoble, afin que, dans sa chrétienté, un chacun
fasse son travail avec zèle et fidèlement. Mais, pour son travail, il
ne recevra ni plus ni moins, tous auront au mème moment ce denier.
Mais si Dieu veut te donner quelque chose de particulier pour le
travaH que tu fournis au-delà de ce que font les autres, il saura
certainement t'en récompenser; cependant, pour le denier qui est
promis, le Christ et le pardon des péchés, il nous sera accordé à
tous en même temps, là il n'y aura pas de différence.
Or, notre chair et notre sang ont cc souci et cette peine qui nous
sont innés: nous voulons, ou bien que notre travail et notre vie
honnête dans la chrétienté soient récompensés, ou nous disons
que nous ne vowons rien faire du tout. Nous faisons une mine
envieuse et irritée quand nous voyons qu'un autre, qui a participé à
peine pendant un an ou une demie-année au travail de la chrétienté,
doit recevoir autant, de la part du Christ et de la vie éternelle,
que quelqu'un qui pendant toute sa vie a eu beaucoup de travail
et de peine. Ainsi, en ce temps, depuis que Dieu nous a de nouveau
fait luire sa chère parole, j'en ai vu beaucoup, par la grâce de Dieu,
qui ont été chrétiens pendant une demie-aimée ou une année entière,
et puis sont morts joyeusement dans la foi de leur Seigneur Christ;
ceux-là sont certainement dans la félicité. Quant à moi, j'ai eu
beaucoup de travail et de souffrances, pendant vingt ou trente ans,
par les prédications, les écoles et beaucoup d'autres soucis; pour
cela, je reçois juste autant que ceux qui ont eu une mort précoce
et n'ont été dans le vignoble que pendant une heure. Je pourrais, moi
aussi, jeter des regards jaloux et murmurer; pourquoi Dieu me
traÎne-t-il ainsi, pourquoi me fait-il travailler pendant si longtemps
238 THÉOBALD SÜSS

et me cause-t-il tant de sueurs, alors que, pour tout cela, je ne


recevrai pas plus qu'un enfant qui vit pendant un jour ou deux après
son baptême. En effet, si des regards jaloux et des murmures
peuvent nous aider, je pourrais m'en tirer facilement. Mais je dois
accepter que Dieu est tellement juste et miséricordieux qu'il donne
autant, à celui qui a peu travaillé, qu'à celui qui a beaucoup travaillé.
S'il m'impose plus de travail qu'à un autre, il saura certainement
me récompenser. Maintenant, c'est le temps de travailler; mais pour
cela je n'aurai pas plus en Christ, et un autre n'aura pas moins ... »
(Edition de Weimar, tome 47, pp. 370-372).

Ce sermon appartient à une série de prédications sur Matth. 18-


24, qui a été prêchée par Luther entre 1537-1540. Il est du 12 dé-
cembre 1537. Luther tire ici, de cette parabole, un enseignement
concernant l'existence actuelle de la foi. L'histoire du salut reste à
l'arrière-plan sans s'effacer entièrement. Dans de nombreuses pré-
dications du dimanche de septuagésime, dès le début de sa carrière,
nous voyons sa pensée nouvelle surgir et se préciser peu à peu.
En 1517, nous l'entendons déclarer:
« Cet évangile contient des mystères considérables. Les cinq
groupes d'ouvriers représentent cinq manières dont l'homme se
comporte dans les questions de la confiance en Dieu, de la convoitise,
de la disponibilité pour le service de Dieu. Ces cinq degrés, il faut
croire qu'ils se trouvent toujours dans l'Eglise ... Mais abandonnons
ces abîmes profonds de l'interprétation et mettons en lumière une
seule doctrine, à savoir que l'humilité seule, qui nous est recom-
mandée partout ailleurs, l'est aussi par cet évangile ... » (Edition de
Weimar, tome L pp. 132-134).

Il n'y a donc pas cinq significations, comme dans l'exégèse tra-


ditionnelle, mais c'est un seul point qui importe. Luther cherche
une unité de sens; c'est là un principe manifeste de son exégèse.
En 1521, il exprime un scepticisme radical. Il déclare:

« De cet évangile, je ne sais rien du tout. Il est si haut et si


obscur que je ne sais pas comment l'aborder. Nous voyons seule-
ment que l'idée fondamentale et toute la pensée en est que les
derniers seront les premiers. Comment les vocations s'accordent
entre elles, je ne peux en juger- Mais nous voulons chercher à en
tirer autant que nous pourrons )).

Le prédicateur s'applique alors à suivre le schéma traditionnel


tiré de l'histoire du salut. Néanmoins, nous avons été frappé par
la force avec laquelle, dans l'introduction, il exprime l'embarras que
ce schéma lui cause. (Edition de Weimar, tome 9, pp. 562-565).
DANS LA THÉOLOGIE ET LA LITURGIE DE LUTHER 239

Deux ans plus tard, il dira: Les exégèses de cet évangile par
les Pères d'Eglise,
« je ne les vante ni ne les repousse. Néanmoins, que quelques-uns
murmurent, cela n'a pas lieu dans le royaume des cieux. Quant à
moi, je resterai dans le sens simple. Cette parabole a été composée
de telle manière par le Seigneur qu'H n'est pas nécessaire de l'in-
terpréter dans un sens spirituel; mais, pour le dire d'un mot: quoi
que Dieu fasse aux hommes, c'est juste; mais dans les yeux des
hommes, cela ne paraît pas juste, mais contraire à la justice ».

De nouveau, ici, le Réformateur affirme l'unité de sens de cette


parabole. Pour trouver ce sens, il met à contribution les données du
texte. Celui-ci concerne le royaume des cieux; or, ceux qui sont de ce
royaume, ne murmurent pas contre Dieu. Ces murmures ne font
donc pas partie de ce que le Christ veut enseigner par cette parabole;
alors que le Christ affirme que ce que Dieu fait est toujours juste,
les murmures de certains ouvriers illustrent la manière dont beau-
coup d'hommes réagissent envers l'action de Dieu et sa façon de
gouverner son royaume, en estimant que Dieu n'est pas juste dans
ses œuvres (Edition de Weimar, tome Il, pp. 12-14).
En 1524, notre prédicateur est parvenu à critiquer ouvertement
la tradition patristique.

«Les Pères d'Eglise, dit-il, ont interprété cette parabole en


ce sens que les ouvriers envoyés dans le vignoble aux quatre heures
signifient quatre groupes de prédicateurs qui sont envoyés depuis la
création du monde jusqu'à la fin. Ces exégètes, nous voulons les
renvoyer. Quant à moi, j'ai dit que nous devons comprendre les
paroles du Christ de la manière la plus simple. Le royaume des cieux
est mentionné dans les Ecritures à partir du moment où l'Evangile
commence, à savoir lorsque Christ fut baptisé. C'est le règne du
Christ et de Dieu, qui subsiste jusqu'à la fin ... Néanmoins, nous
ne nions pas que les Patriarches ont été dans ce règne et qu'ils ont
eu la même foi. Mais le règne n'était pas, alors, à tel point révélé,
il était tenu en réserve jusqu'à la venue du Christ, qui devait prêcher
le règne publiquement avec les apôtres. C'est pourquoi nous ne
pouvons faire porter cette parabole plus loin que ne l'a fait le
Christ, à partir du temps où l'Evangile a commencé. Nous com-
prendrons par ces heures tous ceux qui ont été appelés par l'Evangile.
Cette parabole a été composée au sujet du christianisme, pour nous
faire voir dans quelle mesure le monde est disposé favorablement
envers luil... » (Edition de Weimar, tome 15, pp. 421-425).

Dans ces commentaires, la pensée de Luther se clarifie peu à


peu. Il y parvient en insistant de plus en plus sur les détails du
240 THÉOBALD SÜSS

texte. Cette parabole, dit-il, est une parabole du royaume des cieux;
elle concerne donc ce royaume tel qu'il a été révélé ouvertement par
Jésus-Christ, à partir du moment où commence le ministère public
de Jésus. Elle concerne le christianisme, depuis Jésus et les apôtres
jusqu'à la fin du monde; mais elle ne dit rien sur les époques anté-
rieures de l'histoire du salut. Cependant, parfois, Luther la fait por-
ter également sur l'histoire juive, depuis Abraham ou Moïse. Elle
ne se rapporte donc pas à l'histoire du salut d'une manière absolue,
en ce sens que tout ce qui est histoire du salut devrait aussi être
objet de ce texte évangélique. Et pourtant, pour Luther, elle con·
cerne l'histoire du salut, à savoir la partie principale de celle-ci,
Jésus·Christ et l'Eglise. Ce qui importe à Luther, ce n'est donc pas
le fait de l'histoire du salut, mais sa nature, son essence, son con~
tenu. Ce n'est pas son « que }), mais son {( quoi ». L'histoire du salut,
pour Luther, c'est Jésus·Christ et ce qu'est Jésus-Christ. C'est la
justification par la foi. C'est la parole de Dieu comme puissance qui
tue et ressuscite, qui damne et justifie, qui abaisse et exalte, qui
plonge dans le désespoir et remplit d'une consolation éternelle. Dans
l'histoire du salut ainsi entendue, la réalité des faits de cette histoire
n'est pas indifférente; c'en est un aspect indispensable et inaliénable.
Mais les faits comme tels ne sont rien sans la parole de Dieu qui
met en lumière leur signification éternelle.
Dans son Sermon de la méditation de la sainte passion du Christ,
de 1519, Luther écrit:

{{ Le bénéfice de la passion du Christ consiste entièrement en cecl


que l'homme arrive à la compréhension de lui-même, qu'il soit saisi
d'effroi en sc découvrant lui-même et qu'il soit brisé. Si l'homme
n'arrive pas à cela, la passion du Christ n'est pas encore devenue
vraiment secourable pour lui. Car l'œuvre propre et naturelle de
la passion du Christ, c'est de rendre les hommes conformes à elle;
de sorte que, comme Christ a été martyrisé misérablement par nos
péchés dans son corps et son âme, de même nous aussi devons, à
son image, être ainsi martyrisés dans la conscience par nos péchés.
Il ne s'agit pas non plus de [aire beaucoup de paroles, mais de nous
plonger dans des pensées profondes et de prendre très au sérieux
nos péchés. Faisons une comparaison. Si un malfaiteur est jugé pour
avoir égorgé l'enfant d'un prince ou d'un roi, et que tu te sentes en
sécurité, que tu puisses chanter et jouer, comme si tu étais tout
à fait innocent, jusqu'à ce qu'on te mette en cause d'une façon
effrayante et qu'on te convainque d'avoir déterminé le malfaiteur à
perpétrer son crime, alors tu sentirais le monde se rétrécir autour
de toi au point de t'étouffer, surtout si, en plus de cela, ta conscience
DANS LA THÉOLOGIE ET LA LITURGIE DE LUTHER 241

t'abandonnait. De manière semblable, tu te sentiras encore beaucoup


plus à l'étroit, lorsque tu médites la passion du Christ. Car les
malfaiteurs, les juifs, bien que Dieu les ait jugés et chassés de leur
pays, n'ont été que les serviteurs de ton péché, et tu es véritablement
celui qui as égorgé et crucifié le Fils de Dieu par ton péché » (Edition
de Weimar, tome II, p. 138, 16-32).

L'œuvre propre que le Christ a accomplie par sa passion sur


la croix, n'est donc pas suffisamment décrite par l'étude du fait
historique de la crucifixion et de ses circonstances psychologiques,
géographiques, sociologiques et autres; elle n'est pas non plus suf-
fisamment décrite si, à cela, j'ajoute l'étude de sa signification théo-
logique, comme sacrifice expiatoire pour les péchés du monde et
comme victoire remportée sur les puissances du mal et des ténèbres.
Ce sont là, certes, des parties ou aspects inaliénables de la passion
du Christ; mais la véritable œuvre de cette passion, c'est qu'avec toute
cette réalité historique et psychologique et avec toute cette signifi-
cation théologique de sa croix, le Christ vienne lui-même entrer en
moi pour accomplir en moi sa véritable œuvre rédemptrice en me
rendant confonne à lui-même.
Le fait de la mort rédemptrice du Christ, en tant que fait de
l'histoire du salut, a donc cette particularité de ne pas être enfenné
dans les catégories de l'espace et du temps, comme la raison conçoit
par ailleurs les faits de l'histoire. La croix sort de son cadre histori-
que et temporel. Elle accompagne l'Eglise chrétienne tout au long
de son histoire. Elle vient rencontrer le croyant d'aujourd'hui dans
son lieu et son temps à lui. Et la puissance spirituelle qui réalise ce
miracle de la contemporanéité, c'est la parole de Dieu. L'histoire du
salut, c'est alors la série des faits qui la composent, plus la parole
de Dieu qui interprète la signification théologique de ces faits, et
qui, en outre, les porte jusque dans le cœur même de l'auditeur
moderne, jusque dans son existence même, dans son monde à lui,
dans son espace et son temps à lui. L'histoire du salut,. d'après Luther,
c'est l'histoire en tant que, par la parole de Dieu, elle a ce pouvoir
de sortir de son cadre historique et temporel propre pour se rendre
présente en tout lieu, en tout temps, dans toute existence, tout
cœur et toute conscience.
Nous terminons ces réflexions par un témoignage tiré du pre-
mier écrit théologique que le Réformateur a publié. En 1517, vers
le temps de carême, il rédige et fait paraître un traité d'édification
populaire, Les sept psaumes de la pénitence. Là, dans l'explication
242 THÉOBALD SÜSS

de Ps. 51,10: « Annonce-moi l'allégresse et la joie, et les os que tu as


brisés se réjouiront », il écrit:
« Aucun trafic de la justice extérieure n'est en mesure de récon-
forter ma conscience ct d'ôter le péché. Par delà toute action ct toutes
bonnes œuvres ma conscience demeure craintive, faible et effrayée,
jusqu'à ce que tu m'asperges avec ta grâce, que tu me laves et
qu'ainsi tu me fasses une bonne conscience, de sorte que je t'entende
chuchoter en secret: Tes péchés te sont pardonnés» (Oeuvres de
Martin Luther, LabaT et Fides, tome l, p. 53).

Qu'est-ce à dire? S'agit-il d'une expérience mystique de Luther,


en dehors de tout commerce avec l'Ecriture et la Parole de Dieu?
On l'a parfois interprété dans ce sens. Néanmoins, ces mots que
Luther entend chuchoter en secret, ce sont les paroles que Jésus dit
au paralytique dans Matth. 9,2: « Tes péchés sont pardonnés ». Ce
verbum Îl'lternum n'est rien d'autre qu'un verbum externum de l'Ecri-
ture, provenant d'un récit biblique, d'un événement lointain de
l'histoire du salut. La parole historique et extérieure est intériorisée
par l'action du Saint Esprit. L'histoire du paralytique se prolonge
dans le temps jusqu'à l'époque de Luther et se répète dans sa
conscience tounnentée~ en lui apportant joie et réconfort. C'est ainsi
que l'histoire du salut s'achève et accomplit son sens dans la vie
du croyant, tout au long de l'histoire de l'Eglise, et jusqu'à l'aurore
de l'éternité.

Théobald Süss
L'ESCHATOLOGIE DANS L'OFFICE COMMUN MARONITE

L'Office syra-maronite est un domaine non encore exploré. A peine


commence-t-on à entrevoir l'incomparable intérêt qu'il offre à la re-
cherche liturgique. Les raisons de ce retard sont multiples. La plus
déterminante est le caractère relativement récent de la tradition ma-
nuscrite de cet office (XnO-XIUo siècle), qui rend difficiles l'interpré-
tation des structures initiales et la situation originelle des textes. Tou-
tefois, nous restons convaincus que l'office maronite s'origine dans
la grande Tradition d'Antioche, héritière directe de Jérusalem. II
s'apparente, pour une part, au rite syrien jacobite et contient, d'autre
part, d'innombrables éléments de la tradition chaldéenne. Cette ori-
gine antiochienne explique pourquoi la théologie qui se dégage de
ses textes est marquée par une saveur judéo - chrétienne caracté-
ristique.
Le titre de cette étude: «l'Eschatologie dans l'office commun ma-
ronite» limite notre recherche à l'office Commun ou Ordinaire, appelé
Sl).imt6, cc La Simple» 1, qui inclut, selon une tradition assez archaï-
que, l'office du dimanche '. II serait cependant d'un inépuisable inté-
rêt de scruter aussi l'office des morts et l'office propre de l'année
liturgique au sujet de l'eschatologie, et de les comparer aux autres
traditions orientales et spécialement syriennes. Cette investigation
mérite une étude à part.
La méthode la plus appropnee pour nous mettre en contact
direct avec l'esprit de l'office est de laisser parIer les textes eux-
mêmes.

1 Nous citerons l'édition faite à Beyrouth en 1890 et la désignerons par S.


l J. MAnos, Quelques problèmes de l'Orthros byzantin, dans Proche-Orient
Chrétien, t. XI (1961), p_ 20.
244 JEAN TABET

I. PRÉLIMINAIRES
Avant de passer en revue les différentes étapes de l'eschatologie
telles qu'elles se dégagent de l'office, nous voudrions attirer l'atten-
tion du lecteur sur le fait suivant:
La tension vers le Royaun1e céleste et le désir impatient de son
avènement sont deux notes dominantes de l'office commun maro-
nite. La simple lecture des textes nous laisse deviner combien l'assem-
blée liturgique maronite se sent fortement orientée vers la Jérusalem
céleste et attirée par la communauté rassemblée autour de l'Agneau
dans une éternelle liturgie de glorification. Cette conscience escha-
tologique de l'assemblée liturgique s'exprime clairement dans les
nombreux textes qui mettent en relation les deux communautés
céleste et terrestre:

Mêle, Seigneur, nos chants de louanges et nos hymnes d'allélui'as,


en ce matin, à ceux des chœurs célestes dans l'Eglise de la Jérusalem
(céleste), afin qu'en ce matin-là, spirituel et sans soir, nous rendions
avec eux pure gloire à toi... 3.
Voici que les Vigilants du ciel écoutent le service liturgique
(tdn1dlo) des terrestres; ils disent: combien est doux le chant des
fils d'Adam terrestre, qui font retentir, sur des cithares spirituelles,
gloire et action de grâce à leur Seigneur 4.
Il est digne et juste que nous venions te louer, ô notre Sauveur,
et faire retentir, de concert avec les anges, le chant du Trisagion;
gloire à toi, ô Dieu 5.

Le thème de la vigilance et de l'attente est particulièrement ap-


parent dans l'Invitatoire du nocturne appelé m'zrono (litt. celui qui
réveille). Ce dernier constitue la première partie du lilyo (ou Office
de la nuit); il est composé du ps. 133 «Bénissez le Seigneur, vous
tous, les serviteurs du Seigneur », avec sa prière et des strophes
intercalaires; les textes se réfèrent fréquemment à la Parabole des
Dix Vierges (Mt 25, 1-13):

Dispose-nous et prépare-nous avec toi, Epoux céleste, à ton


banquet spirituel et au thalame orné de ta lumière glorieuse, Christ,
Lumière véritable; et rends-nous dignes de faire luire, devant toi,
avec les âmes vierges ct sages, nos lampes allumées et resplendis-
santes, et de cheminer avec toi, vers les demeures bénies de la

3 S,Safr6 (= Office du matin) du mercredi, p. 367.


4 Id., Suttor6 (= Complies) du mardi, p. 271.
5 Id., Lilyo du vendredi, p. 475.
DANS L'OFFICE COMMUN MARONITE 245

maison du Père, afin qu'ainsi, nous rendions ensemble gloire et


action de grâces à toi, à ton Père béni et bienheureux, ct à ton
Esprit vivant et saint, maintenant. .. 6.
Dispose-nous et prépare-nous par ta force, Seigneur Tout-
Puissant, pour que nous allons avec nos œuvres illuminées et
exemptes de toute l'obscurité du péché, à la rencontre de ta seconde
venue du ciel, (portant) des lampes allumées qui ne s'éteignent
point, et habillés de beaux vêtements qui ne s'usent point, afin que,
enlevés à ta rencontre avec les élus, nous soyons ainsi en tout
temps avec toi et nous te rendions gloire 7 (1 Th 4, 17) ...
Venez, frères, sortons du sommeil et invoquons le Seigneur
avec gémissement; soyons diligents nuit et jour tant que nous
sommes en vie, avant que le temps ne passe et qu'il n'y ait plus
de place pour la pénitence. Veillons à la porte de l'Epoux, pour
entrer avec lui dans le thalame et hériter la vie éternelle B.

Dans notre étude, après avoir situé l'Eschatologie par rapport à


l'ensemble de l'Economie du salut et précisé le moment de la Pa-
rousie du Seigneur, nous aborderons le thème du Jugement. Ce der-
nier est inséparable de la grande Réalité eschatologique, la Résurrec-
tion intimement liée à l'Eucharistie et au Baptême. Deux paragra-
phes sur la Croix et sur la Vierge terminent notre étude.

II. L'EsCHATOLOGIE, PARTIE INTÉGRANTE DE L'EcONOMIE DU SALUT

L'Eschatologie se présente d'abord comme le couronnement et


la consommation de l'Economie du salut, appelée en syriaque mda-
bronüto; tout tend vers cette fin ultime:

Seigneur Jésus-Christ (. .. ) Nous commémorons tout ce que tu


as accompli et fait pour nous: ta naissance, ton baptême, ta sépul-
ture, ta résurrection, ton ascension, ta session à la droite du Père et
ta redoutable venue qui fait trembler, quand tu paraîtras dans la
gloire de ton Père (. .. ) et que tu jugeras les vivants et les morts 9.

Cette dernière phase de l'Economie du salut commence par la


Seconde Venue du Seigneur, sa Parousie dite gelyono (littéralement
monstration) ou den~1o (littéralement manifestation). Cette venue aux.

6 S, Lily6 du dimanche, pp. 47-48.


7 Id., Lily6 du mardi, pp. 274-5.
8 Id., Lily6 du lundi, p. 212.

9 S, $afr5 du vendredi, p. 523.


246 JEAN TABET

dimensions cosmiques est exprimée dans le langage biblique et apo-


calyptique:
Voici venir le Seigneur sur les nuées du ciel pour la rémunéra-
tion (Mt 24, 29-31) (... ) Devancé par le cortège des milliers de milliers
d'anges et des myriades de myriades de séraphins; les uns sonnent
du cor, les autres jouent de la trompette; quelques-uns louent, cla-
ment et disent: bénie soit ta venue, Roi sublime. Il pose son char
sur les ailes des chérubins (... ) Alors, les cieux s'ébranleront, le
soleil levant s'obscurcira, la lumière de la lune s'enténèbrera, toutes
les montagnes, fondues, s'aplaniront, les hauteurs nivelées s'aplati-
ront et l'océan verra se dessécher ses flots et périr les poissons qui
y vivent 10.

Une fois paru ({ un char de feu, au mont jébuséen qui est J éru-
salem », le Roi céleste enverra ses forces rassembler, en un clin d'œil,
de tous les coins du monde, la poussière d'Adam; il viendra pour le
jugement, l'épreuve, le compte et la punition 11.

III. LA PAROUSIE AURA LIEU UN DIMANCHE, AU MATIN

Plusieurs textes puisés surtout au ~afrô précisent le moment de


cette Parousie du Seigneur; celle-ci aura lieu un dimanche, au matin.

a) Un dimanche

Grand entre tous, est le jour de Dimanche! - C'est un dimanche


que le mont Sinaï fut orné d'un Tabernacle pour Israël; c'est un
dimanche que le Seigneur ressuscita du tombeau avec force et gloire
infinie; c'est un dimanche qu'il est venu pour nous laisser son Corps;
c'est un dimanche qu'il viendra pour nous ressusciter; c'est t:Ln di-
manche que les martyrs bénis recevront leurs couronnes de la
Justice 12.

Ce texte établit une relation intime entre notre propre résurrec-


tion et celle du Christ appelé le Premier-Né, boukhri513. Dieu a res-
suscité des morts le Christ. Il l'a exalté et lui a donné le nom qui est
au-dessus de tout nom (Ph 2, 9). Mais cette résurrection et glori-
fication s'appliquent aussi à l'homme sous forme de promesse: Dieu
ressuscitera notre existence mortelle et corporelle pour une nouvelle

Id., .safre du samedi, pp. 592 (492) - 593 (493).


la
Id., .safre du dimanche, p. 145.
11

12 S, Suttore du dimanche, p. 34.

U Id., SuHare du dimanche, p. 45.


DANS L'OPFICE COMIvIUN MARONITE 247

vie, par l'Esprit qui habite en nous (Rm 8, 11); nous serons rendus
conformes au corps de gloire du Christ (Ph 3, 21).
L'évènement de la résurrection de Jésus signifie donc pour le
monde entier un tournant dans le temps, embryon de quelque chose
d'entièrement nouve:lU et définitif. La situation fondamentale du mon-
de a changé, la vie humaine apparaît comme métamorphosée: la ré-
surrection de Jésus est le commencement de la résurrection générale
des morts; elle est le début du règne de la vie. « De même, dit Saint
Paul, que tous meurent en Adam, tous aussi revivront dans le Christ»
(1 Cor 15, 22). Le Christ est le "prince de la vie (Act 3, 15), " le Pre-
mier-Né d'entre les Inorts}} (Coll, 12). Jésus est mort pour tous et à
la place de tous; sa résurrection aussi a eu lieu pour tous et anti-
cipe celle de tous.
Dans cette strophe, le dimanche de la résurrection du Christ est
précurseur du dimanche eschatologique, jour de notre propre résur-
rection. De là naît, en plus de la connexion intime entre les deux
dimanches, une véritable tension vers le second.
D'autres textes font allusion au dimanche eschatologique:

Gloire au Père qui a créé la lumière le jour du dimanche,


Adoration au Fils qui ressuscita du tombeau le jour du dimanche,
Action de grâces à l'Esprit qui, le jour du dimanche, renouvellera
la terre,
Unique Puissance à tous les Trois; gloire à Elle 14.
Viens en paix, saint pour du dimanche, frère bien-aimé et pre-
mier-né de tes frères; car tu es le jour où le Créateur a commencé
de créer le monde; en toi a brillé la lumière qui chassa les ténèbres;
en toi fut établi le Tabernacle dans le désert; en toi Notre Seigneur
est ressuscité du sépulcre en sa toute-puissance et cn toi Il viendra
en gloire, avec lui viendront les anges, et les justes qui ont observé ses
commandements sortiront à sa rencontre, alléluia et alléluia 15.
Le dimanche, eut lieu le salut des hommes par le Fils adorable,
splendeur éternelle venue du Père; le dimanche, eut lieu la bonne
espérance pour les morts gisant dans les abîmes du shéol; et le
dimanche aussi, Il viendra sur les nuées lumineuses pour donner le
salaire et la récompense aux diligents qui l'ont aimé; bénissez-Le 16.
Le dimanche, Moïse orna pour Israël le Tabernacle en vue d'y
offrir des sacrifices au Seigneur; le dimanche, la Sainte Eglise fut
fiancée et devint l'Epouse glorieuse du Fils du Très-Haut; et le

14 Id., Safr6 du dimanche, p. 168.


lS S, Lily6 du dimanche, p. 49.
16 Id., $afr6 du dimanche, p. 133.
248 JEAN TABET

dimanche aussi, Il viendra sur les nuées lumineuses pour accomplir


la résurrection, et donner le salaire et la récompense aux diligents
qui ont peiné avec lui en toute pureté 17.
Le jour du dimanche, Notre Seigneur viendra ressusciter les
créatures, et la Jérusalem spirituelle se prépare à venir d'en·haut,
alors que les trompettes joueront de belles mélodies, et le Fils
adorable sera glorifié avec son Père; bénissez-Le lB,
Au jour du dimanche, Notre Seigneur viendra des demeures
élevées de son Père; il ressuscitera les fils d'Adam, et récompensera
chacun selon ses actions 19,

b) Le matin

En outre, la seconde venue ou Parousie du Seigneur aura lieu un


matin:

Seigneur, le matin où aura lieu ta venue, quand se dressera le


bêma de ta majesté et qu'entreront les justes portant dans leurs
mains leurs présents, ornés de leurs vêtements, le visage rayonnant,
la bouche chantant gloire, fais que nous soyons mêlés à eux, que
nous entrions dans ton thalame glorieux et qu'avec eux, nous
t'élevions (la gloire) ... 20.

Ce matin, qualifié parfois de Grand 21, est mis en relation avec


l'exaltation eschatologique de l'Eglise, avec le bonheur éternel des
justes et avec la résurrection des morts:

La Sainte Eglise et tous ses fils te rendent grâce, Seigneur, car


tu les as libérés de la servitude du démon; au Grand Matin, quand
tu viendras, ô Lumière nouvelle, qu'avec toi, elle se réjouisse dans le
royaume; gloire à toi 2.2.
(... ) Que par ta grâce nous parvenions au Matin Grand et
Glorieux, dans lequel se réjouiront les bons et les justes et exulteront
les enfants de lumière; et que, dans les lieux de la vie, de concert
avec tous tes saints, nous élevions à ta grâce des chants purs, (à Toi)
Lumière véritable et incomparable, à ton Père Eternel, Transcendant
et Inaccessible et à ton Esprit glorieux ... 23.

17 Id., Safre du dimanche, pp. 169.70.


U Id., Lilye du dimanche, p. 74.
!g Id., .safre du dimanche, p. 166.

20 Id., .safre du dimanche, p. 100.


2! S, Safre du dimanche, p. 107.
2l Id., .safre du mercredi, p. 378.

:!J Id., Safre du mercredi, p. 376.


DANS L'OFFICE COMMUN MARONITE 249

(première strophe):
Lors de ton Grand Matin, quand tu viendras, Seigneur, viendront
avec toi les Vigilants du ciel et seront séparés les justes des pécheurs;
puissions~nous alors voir la tendresse?
~- -

(deuxième strophe):

Viendront avec toi Gabriel et ses compagnons et les chœurs


ardents de Michel et de ses compagnons, et seront séparés les justes
des pécheurs; puissions-nous alors voir ta tendresse?

(troisième strophe):
Voici arriver le matin de Notre Seigneur; allumez, mes frères,
vos lampes, afin que, lorsque les justes seront recompensés pour
leur travail, vous entriez avec eux dans le thalame de lumière 24.
Le matin resplendit et apporte l~s vêtements à ceux qui vont les
porter; en lui est préfigurée la résurrection des morts dans une
grande stupeur.
Sache que ce que le soir t'arrache, le matin te le rendra pour
que tu le portes sur tes membres 25.

C'est aussi en ce Grand Matin eschatologique que nous verrons


le Christ:
Nous allons de grand matin à la prière comme Abraham à l'autel,
afin qu'au Grand Matin qui va venir nous voyions le Christ qui nous
dira: « Venez en paix, senrÏteurs bons et diligents, venez, entrez et
héritez le royaume et la vie qui ne passe point» 26.

Le thème du matin eschatologique prend une telle ampleur que


ce dernier est parfois identifié avec Dieu lui-même; ceci apparaît,
par exemple, dans la prière initiale du ~afr6 du samedi, qui remonte
au X~-XP siècle:
Sois pour nous, Seigneur Dieu, le Matin qui ne passe pas, la
Lumière qui ne s'obscurcit pas, le Jour qui n'a pas de fin ... 27.
Sois pour nous, Seigneur, le Jour que n'atteint pas ce crépuscule
éphémère (d'aujourd'hui); et que ta croix soit le rempart pour nouS
garder du mauvais et de ses forces, alléluia, qui nous combattent 28.

24 Id., Safrô du mercredi, pp. 377-8.


15 Id., Ramsô (=0 Vêpres) du dimanche, p. 27.
26 S, Safro du dimanche, pp. 106-7.
li Id .. Sarro du samedi, p. 581 (481) .
.!II Id., Ramso du lundi, p. 199.
250 JEAN TABET

(. .. ) Sois pour nous, ô Dieu, le grand Jour qui n'est pas soumis
aux vicissÎ,tudes, et dans le soir obscur, fais briller ta lumière dans
nos cœurs 29.

Le thème du matin eschatologique étroitement lié au matin ac-


30
tue1 , suppose le développement du thème de la lumière matinale.
Plusieurs textes expriment cette idée, en mettant la lumière en rap-
port avec la première venue du Christ qui nous a tirés des ténèbres
de l'idôlatrie, et avec la seconde venue qui achèvera notre rédemption.
S'appuyant sur ces vérités, ils exhortent à une vie chrétienne parfaite.
L'hymne de la lumière (Nuhrô) de Saint Ephrem, dont les initia-
les de strophes forment l'acrostiche Hô' MsjJ:zo (Jésus-Christ) illustre
cette idée. Cette pièce fixe du ~afrô maronite se retrouve, à la même
Heure, chez les Chaldéens; les Jacobites ne la connaissent pas. En
voici les passages les plus expressifs:

Yod: Jésus, Notre Seigneur, le Christ


nous est apparu du sein de son Père:
il est venu, nous a tirés des ténèbres,
et nous réjouit par sa glorieuse lumière.
'E: Il a réalisé le salut et nous a donné la vie
et il a été élevé vers son Père dans les hauteurs.
Puis il viendra dans sa grande gloire,
et il éclairera les yeux de tous ceux qui l'auront attendu.
M1.m: Notre Roi vient dans sa grande gloire:
allumons nos lampes et sortons à sa rencontre!
Réjouissons-nous en lui, comme il s'est réjoui en nous
et nous réjouit par sa glorieuse lumière.
Olaph: Mes frères, levez-vous, préparez-vous,
pour rendre grâces à notre Roi et Sauveur
qui viendra dans sa gloire et nous réjouira
de sa joyeuse lumière dans le royaume Ji.

Cette lumière constituera le vêtement eschatologique des justes:


Les bons et les justes se revêtiront d'une lumière plus éclatante
que le soleil, d'un habit plus beau que la lune; ils se réjouiront et
exulteront au grand Jour de la résurrection, quand ils entendront
la voix du Fils 32.

29 Id., Ramso du dimanche, p. 28.


30 Id., ~afr6 du mercredi, p. 369.
JI S, Rubriques initiales, p. Gamal.

.u Id., $afr6 du samedi, p. 587 (487).


DANS L'OFFICE COMMUN MARONITE 251

Par ta lumière nous voyions la lumière (Ps. 36/35, 10), ô Christ


Lumière véritable, comme l'a écrit David fils de Jessé; par ta lumière
splendide, éclaire-nous, et rends droits nos sentiers; alors nous
cheminerons sans crainte selon tes préceptes de vérité. Eclaire nos
cœurs par ta lumière éternelle; et quand tu paraîtras en gloire
pour revêtir les justes de lumière, que nous nous réjouissions dans
ton thalame avec les fils de lumière 33.

Citons encore un texte du Suttarô du mardi où le soir symbolise


la fin, la mort, et le matin, la résurrection:
Le soir ressemble à la fin durant laquelle se reposent ceux qui
sont fatigués; et le matin à la résurrection durant laquelle les défunts
ressusciteront et les diligents hériteront du thalame, du paradis,
de la vie et du royaume 34.

Ce symbolisme du soir et du matin se rencontre fréquemment


chez les Pères de l'Eglise qui l'appliquent au RamSô et au ~afrô.

IV. LE JUGEMENT

a) Parousie et Jugement

La venue du Christ est intimement liée à l'idée du jugement


des vivants et des morts. Ce jour du jugement est « Le Jour du
Seigneur », Yawmeh d-Moryi5; il ne tardera pas à venir:
Le jour du Seigneur est sur le point d'arriver; il nous stupéfie;
appliquons-nous à la pénitence avant que la porte ne se ferme;
demandons à Dieu de nous délivrer de l'enfer et de laisser nos
dettes et nos péchés 35.

Parfois même, il est appelé simplement yanmi5 rabbo, le Grand


Jour:
En ce Grand Jour, quand le ciel ct la terre seront dissous, et
quand le Juge siégera sur le bèma, quand les justes entreront pour
recevoir leurs récompenses, aie pitié des pécheurs comme moi,
alléluia, et ne te souviens pas de mes fautes, car je me suis protégé
par ta croix 36.

13 Id., Safro du dimanche, p. 169.


:u Id., p. 27l.
lS S, Lilyo du mercredi, p. 360.

lIi Id., Suttoro du mercredi, p. 332.


252 JEAN TABET

L'expression « Jour de Yahvé» ou ( Jour du Seigneur» est la


forme la plus classique chez les prophètes pour désigner le thème
du jugement de Dieu 31. Dans le N.T., J~sus utilise pour présenter
le jugement les thèmes que lui fournit la tradition de l'A.T. et du
judaïsme: la résurrection, la venue du Fils de l'homme, le tri des
justes et des méchants, le feu de la géhenne, la vie éternelle dans
le royaume de Dieu. Le point le plus nouveau de son message reste
l'affirmation que le jugement s'accomplit en sa personne de Fils de
l'homme.
Presque tous les textes évoquent le jugement lors de la Parousie,
au matin du monde nouveau:

Le jour où paraîtra, en gloire, le Fils du Roi (... ), le bêma sera


dressé et le juge siégera pour séparer les bons et les mauvais; les
mauvais pour le feu et les bons pour le royaume ... 38.
Seigneur, Juge grand et droit qui siégeras au ma6n de l'univers
nouveau pour juger, soumettre chacun à un examen rigoureux et le
rémunérer selon ce qu'il mérite, délivre-nous alors de la condamna-
tion et de la honte, et invite-nous à la joie et à l'allégresse avec tes
élus qui habitent la lumière ineffable, Père ... m.

Nous terminons cette série de textes en traduisant la bofüto


(= supplication) finale du lilyo du samedi 40:

1) Quand trembleront les armées à cause de la Justice,


et que terrifiées, elles se tiendront devant elle à découvert,
aie pitié de moi, ô mon Juge, en cet instant-là, car je t'ai loué.
2) Quand sera tue la bouche des sages,
violent et effrayant sera le sceptre du Juge;
alors, sois pour moi, Seigneur, une bouche, car je t'ai confessé.
3) Quand il n'y aura ni bien-aimé ni ami pour sauver,
et que chacun entrera publiquement pour être puni;
alors, sois pour moi, Seigneur, un compagnon, car je t'ai attendu.

J7 Voir à ce sujet: Augustin GEORGE, Le Jugement de Dieu, Essai d'interpréta-

tion d'lm thème eschatologique, dans Concilium, 41 (1969), pp. 13-23.


JI S, Lilya du dimanche, pp. 86-7.

:\9 S, Safra du vendredi, p. 510.

~o Id., pp. 575 (475) - 576 (476); quelques strophes de cette bo'uta se retrouvent
dans l'Add. 17.130 {a. D. 877) qui contient des offices funèbres jacobites, aux
ff. 36 v-37 r (cf. W. WRIGHT, Catalogue of Syriac manuscripts in the British Mu-
seum, part l, London 1870, pp. 392-3).
DANS L'OFFICE COMMUN MARONITE 253

4) Quand rugira le feu, que trembleront les générations,


et que sera brûlé dans la flamme tout ce qui n'est pas d'or 41 (Mal
3,3, 19; Za 13, 9; Is 55, 1; IP 1,7; Ap 3, 18),
répands sur moi la rosée de ta misericorde, de peur que je ne sois
brûlé.
5) Quand les mauvais comme moi seront saISIS de peur,
et que le feu, par sa véhémence, dévoilera les pécheurs;
alors, sois pour moi, Seigneur, un compagnon et sauve-moi.
6) Quand sonnera la trompette, que trembleront les générations,
et que chacun entrera et recevra selon son action;
alors sois pour moi, Seigneur, un défenseur, car je me suis réfugié
en toi.
7) Quand rugira la mer de feu pour l'épreuve,
et que celui qui ne répare pas son navire le fera noyer dans les flots;
qu'avec les diligents je me repose, Seigneur, dans ton port.
8) Quand, là-bas, seront séparés à gauche les boucs,
et à droite les agneaux pour paître dans le paradis,
rends-moi digne d'entrer dans ton bercail avec tes agneaux.

Le tri opéré entre les bénis et les maudits est un thème fonda-
mental du jugement eschatologique. Jésus l'a repris plusieurs fois,
dans les paraboles de l'ivraie et du filet (Mt 13, 24-30, 47, 50), des
vierges et des talents (Mt 25, 1-30), dans l'annonce de la venue des
gentils au festin du Royaume (Mt 8, 11-12), dans ses instructions aux
missionnaires (Lc 10, 9, 11), dans ses exhortations à lui rendre té-
moignage (Mt 10, 32-33).

bl La peur du jugement
Le chrétien syrien en évoquant la perspective du jugement éprouve
tout d'abord la terreur de l'enfer provoquée par la conscience de
sa culpabilité:
Seigneur! J'ai peur de mes péchés qui risquent d'être un obstacle
qui m'empêcherait d'entrer au paradis des délices préparé pour tous
les saints. Délivrez-moi de l'enfer, Seigneur, et mets-moi là où tu
voudras 42.

La peur n'empêche pas de croire à la miséricorde et à la grâce,


même si nos péchés nous devancent au tribunal:
Mes péchés me devancent au tribunal (1 Tim 5, 24) et ferment
devant moi la porte du royaume; qui implorera pour moi les misé-

41 Voir un texte parallèle traitant de la pmification eschatologique semblable

à celle de l'or, ~afro du samedi, p. 589.


~2 S, Ramso du mercredi, p. 326.
254 JEAN TABET

ricordes en cette heure redoutable? Que ta grâce nOliS soutienne


quand seront séparés les bons et les mauvais 43,
Avant que mes péchés me devancent au tribunal (1 Tim 5, 24) et
me retiennent, confus, devant le Juge; aie pitié de moi, Seigneur, car
tu es plein de miséricorde 44.
Seigneur, que nos fautes et nos péchés ne nous accusent pas
devant ton bêma, Christ-Roi, mais qu'ils soient pardonnés par la
mer abondante de ta tendresse, ô Philantrope 45,

Evoquant cette perspective du jugement, quelques textes lancent


un appel à la conversion et à l'espérance. C'est aujourd'hui qu'il faut
se tourner vers Dieu, et le langage apocalyptique de l'eschatologie
vise d'abord à Inarquer l'urgence de cette démarche décisive, car
le jugement est imminent:

Le bienheureux Paul écrit une épître à la Sainte Eglise: « Déjà


la nuit a passé; le jour s'approche; il arrive» (Rm 13, 12). Passe ce
monde et vienne l'autre, celui qui ne passe point; les secrets y seront
révélés, les livres redoutables ouverts; le Juge siégera et séparera
les bons et les mauvais; aux bons il donnera le royaume en héritage
et il rejettera les impies dans les ténèbres extérieures 46.
En notre temps fut accomplie cette parole: cc La fin du monde
est venue jusqu'à nous» (l Jn 2,18); délivre-moi, par tes miséricordes,
du voleur qui a troublé et bouleversé la mer et la terre (2P 3, 10;
Ap 3, 3) ".
Proche est le moment de la dissolution du monde (2P 3, 12) et
de la disparition de sa beauté et de ses possessions; mes bien-aimés!
Venez, préparons le bon Viatique pour ce festin-là 48.
Considère, selon ta coutume, Seigneur, notre situation, et ne nous
abandonne pas; car voici se dresser peuple contre peuple (Lc 21, 10)
et s'accomplir tout ce qui a été écrit. Fais habiter ta paix et ta sécu-
rité, alléluia, dans l'Eglise et ses fils 49.

V. LA RÉSURRECTION

Bien que ce thème du Jugement soit constant dans les textes


eschatologiques, ce Jugement ne constitue, pour ainsi dire, que la

4J Id., RamsQ du mercredi, p. 325.


44 Id., RamsQ du lundi, p. 197.
45 Id., Ramso du mardi, p. 265.

46 S, RamsQ du dimanche, pp. 3-4.

41 Id., Lily5 du samedi, p. 569 (469).

4! Id., $a[r6 du vendredi, p. 526.

4~ Id., RamsQ du samedi, p. 543.


DANS L'OFFICE COMMUN MARONITE 255

face négative de cette étape finale de l'Economie du salut. La grande


réalité eschatologique positive est la Résurrection:

Bénissez Celui qui est venu pour notre salut et qui viendra
pour notre résurrection; il appellera les morts et les ressuscitera,
incorruptibles, de leurs tombeaux ... 50.
Gloire au Père par l'ordre de qui les morts ressusciteront,
Adoration au Fils qui, au son de la trompette, ressuscitera ceux
qui sont dans les tombes (1 Thes 4, 16),
Action de grâce à l'Esprit qui répandra sur eux la rosée de miséri·
corde, et les revêtira du manteau de gloire au jour de la résurrection
(Ap 3, 5) 51.
Que la mort ne se glorifie pas au sujet des bons et des justes
emprisonnés dans les tombeaux, car voici venir la résurrection, périr
la mort et ressusciter les morts 52.

L'attente de cette résurrection anime ceux qui sont morts dans


le Seigneur:

Les justes se sont endormis avec foi, dans l'espoir de la résur-


rection; ils attendent le Christ qui viendra distribuer leur salaire:
Ce que l'œil n'a pas vu, l'oreiHe de la chair n'a pas entendu, ce qui
n'est pas monté au cœur de l'homme (1 Co 2, 9; Is 64,3); bienheureux
ceux qui le méritent 53.

a) Noms de Dieu

L'évocation de la résurrection finale est l'occasion d'énumérer


différents Noms de Dieu. Un prooemion du lily6 du samedi les
rassemble:

Que nous soyons dignes de rendre gloire (...) à Celui qui ressu-
scite les morts et renouvelle les endormis de la poussière; à Celui qui
est la bonne Espérance, la Résurrection de justice, la Vie, le Gage
réjouissant, le sûr Espoir qui ne trompe point; la Résurrection bénie
d'entre les morts de ceux qui, dans la vraie foi, dorment et dormiront
dans l'espoir de sa Divinité; à Celui qui est le Bonheur Eternel, la
Joie véritable et spirituelle ... 51.

'0 Id., Lily5 du mardi, p. 290.


SI S, Lilyô du lundi, p. 225.

52 Id., Lily6 du dimanche, p. 71.


S] Id., Rams6 du samedi, p. 547 (447).
S~ Id., Lily6 du samedi, pp. 564 (464) - 565 (465); texte parallèle au Lily6 du
dimanche, p. 70.
256 JEAN TABET

b) Figures et types de notre résurrection

L'office commun nous présente les prototypes de notre résurrec-


tion. Si la résurrection du Christ constitue, comme nous l'avons sou-
ligné, les arrhes et le gage de notre propre résurrection, l'A.T. e le
N.T. en contenaient déjà les figures.
Le ~afr6 du samedi, un texte reprend la vision d'Ezéchiel (37,
1-14) sur les «Ossements desséchés »:
Le Seigneur conduisit Ezéchiel et le déposa dans la vallée; là, il
le rendit témoin d'un miracle et le prophète fut stupéfait; à l'éton-
nement du prophète, les ossements commencèrent à se mouvoir;
l'esprit entra dans les massacrés qui ressuscitèrent et chantèrent
gloire 55.

La vision de Joël 4, 1-2 complétant ce tableau se trouve au ~afr6


du vendredi; elle situe la résurrection finale dans la vallée de Josaphat:
Dans la vallée de Josaphat, j'ai marché et là, j'ai entendu monter
de la terre, le cri de lamentation. Sur les ossements des morts se
posait un nuage noir, de leurs yeux fut arrachée la lumière et de leur
visage toute beauté; et tous chantent sur la cithare d'Isaïe et
disent: «Que tes morts vivent, Adonaï, que leurs cadavres ressu-
scitent» (Is 26, 19); alors, ils te rendront gloire, car tu es Celui qui les
ressuscite 56.

Une strophe du lily5 du mercredi mentionne les morts que Jésus


avait ressuscités de son vivant; la relation entre leur résurrection
et la nôtre est clairement indiquée:

La Fils de Dieu préfigura, par l'exemple des morts qu'il ressu-


scita, la résurrection nouvelle et la résurrection de justice: il a
délivré de la puissance de la mort la fille de Jaïre (Lt 9, 18-25) et le
jeune homme, fils de la veuve, qu'on portait en terre (Lc 7, 11-17);
il a appelé Lazare (Jn 11, 1-43) qui était décomposé; le mort sortit,
les pieds et les mains liés. Ainsi (le Fils de Dieu), nous montra-t-il
qu'au Grand Jour de la résurrection, il appellera et ressuscitera tous
les défunts S7.

c) L'Eucharistie

Mais les différentes figures de la résurrection restent, pour ainsi


dire, extérieures à l'homme. Une longue série de textes mentionne

55S, $afrB du samedi, p. 594 (494).


56Id., SafrB du vendredi, p. 529.
~ Id., p.352.
DANS L'OFFICE COMMUN MARONITE 257
un principe dynamique à partir duquel la résurrection s'explique
d'une façon ontologique et organique: il s'agit de l'Eucharistie. Cette
réalité est indiscutablement une caractéristique de la théologie sy-
rienne.

1. Le fondement évangélique

Le point de départ est la parole même du Christ au chapitre 6


de Saint Jean:
Toi, Seigneur, tu as promis et dit: « Celui qui mange mon corps
ne connaît jamais la mort» 5!!; que les défunts qui ont cru en toi,
qui ont mangé ton corps et bu ton sang se réjouissent dans ton
thalame 59.

Dès le début, l'Eucharistie est présentée comme Gage et Arrhes


(Rahbouno) d'immortalité, en même temps que viatique pour le che-
min de l'éternité:

Ton corps et ton sang sont enfouis dans les membres des défunts
comme les Arrhes de la vie 60.

Un autre texte contenant la parole du Christ citée plus haut in-


siste aussi sur le fait que l'Eucharistie est le Gage de la vie éternelle:

Seigneur, accomplis ta promesse: « celui qui mange mon corps


ne meurt point », avec tous les défunts qui ont mangé ton saint corps
et bu ton sang purificateur en gage de la vie nouvelle, pour le jour
où tu viendras en gloire les ressusciter de la terre; mêle-les à tes
brebis et donne-Ieur ton royaume en héritage 61.

A la lumière de ce qui précède, nous pouvons lire les textes qui


demandent à Dieu, avec insistance, de conserver en noUS ces arrhes
de vie:

Garde en nous, Seigneur, les arrhes déposées: ton corps et


ton sang; renouvelle les âmes et les corps des défunts. Que le feu
s'éteigne quand, à partir de tes serviteurs, s'exhalera le parfum
de ton corps et de ton sang 62.

sa Allusion à rn 6, 51.
59 S, Safro du mercredi, p. 368.

60 Id., Ramso du samedi, p. 546 (446); texte parallèle au Safro du lundi, p. 245.
61 Id., Safro du dimanche, p. 104.

6.2 Id., Lilyo du dimanche, pp. 72-3.


258 JEAN TABET

2. Les fruits eschatologiques de l'Eucharistie

Les défunts que nous commémorons ou pour qui nous deman-


dons de siéger à la droite du Fils, le jour de sa venue, sont souvent
ceux qui « ont mangé le corps du Seigneur et bu son sang»:

Commémore, ô notre Sauveur, dans la Jérusalem céleste, les


défunts qui ont pris ton corps et ont communié à ton sang vivant.
Et quand tu siégeras sur ton béma, et quand les hons seront séparés
des mauvais, qu'ils se tiennent, Seigneur, à ta droite, le visage
découvert 63.
Place à la droite de ta Divinité, avec le chœur glorieux de
Simon Pierre et de Jean, les morts qui se sont séparés de nous dans
la foi, et en qui sont cachés ton corps et ton sang débordant de vie 64.

Cette référence constante à l'Eucharistie est, à elle seule, signi-


ficative. D'ailleurs, l'accent est souvent mis sur la communion prise
aux autels:

o Vivant Immortel! Fais mémoire aux défunts qui t'ont pris aux
autels; ressuscite dans la gloire leurs corps de la poussière, au grand
Jour de ta venue, alléluia, et ils entreront avec toi dans le thalame,
et t'élèveront des chants de gloire 6J.

L'espérance de la miséricorde au jour du Jugement s'appuie sur


la présence, en nous, du corps et du sang du Christ:

Juge des juges, n'incline pas ma tête au jugement à cause de mes


péchés qui t'ont irrité; et même si je ne suis pas digne du pardon,
aie pitié de moi à cause de ton corps et de ton sang enfouis en moi;
je t'ai aimé, j'ai adoré ta croix et je me suis réjoui de ton corps et
de ton sang; par eux, complais-toi en moi et pardonne mes dettes
et mes péchés 66.

Parfois même, pour obtenir cette tendresse finale, l'office prie le


Seigneur avec beaucoup de confiance, de cc se rappeler de son corps
et de son sang vivant dont il nous a abreuvé» 67.

6J Id., Safrô du dimanche, p. 14.


64 S, Lilyô du dimanche, p. 93; textes parallèles au Lily5 du lundi, p. 224,
et au Ramso du mercredi, p. 324.
~s Id., Suttorô du mercredi, p. 333.
66 Id., Safro du dimanche, p. 117.

61 Id., Safro du dimanche, p. 139; textes parallèles au Lilyo du lundi, p. 214.


DANS L'OFFICE COMMUN MARONITE 259

Le pardon des péchés au Grand Matin nous préserve du feu éter.


nel grâce à l'Eucharistie:

(... ) Seigneur, puisque j'ai mangé ton corps et bu ton sang, ne


permets pas que le feu me mange 60.

Et si l'on demande à Dieu de nous délivrer des supplices, c'est


parce que, littéralement, nous sommes mêlés à son corps et à son
sang:

(... ) Seigneur, ne nous éloigne pas de toi, et ne nous livre pas


aux supplices amers, nous qui avons été mêlés à ton Corps et à ton
Sang ... 89,

Quelques strophes présentent le corps et le sang du Christ


comme un chemin et un pont 70 qui nous font traverser la mer de
flammes:

Voici que l'océan des flammes me fait peur (Ap 19, 20; 20, 10, 14,
15; 21, 8) (...) Que ton corps enfoui en moi et ton sang caché dans
mes membres me soient une voie et un pont, alléluia, par eux je tra·
serai le lieu de la peur, et je m'écrierai: gloire à toi Seigneur 71.

Plus encore, l'Eucharistie cachée en nous contient une puissance


telle que le feu éternel devient inefficace en décelant sa présence:

Seigneur, le feu menace mes membres et en moi, ô mon Sauveur,


est enfoui ton saint sang; l'enfer se prépare à me tourmentcr mais
ton corps vivifiant est mêlé à moi. Je porterai les vêtements de
l'Esprit de peur d'être brûlé; et quand le fleuve de feu rugira pour
la vengeance, que le feu s'éteigne devant moi, lorsque se répandra le
parfum de ton corps et de ton sang 72.

L'espérance de la vie éternelle est liée inséparablement à l'Eucha·


ristie:

Accorde par ta miséricorde, ô Roi céleste, une vic iI!c:nTuptible et


un bonheur infini aux fidèles défunts qui ont mangé ton saint corps,
qui ont bu ton sang et se sont endormis dans ton espérance 73.

MId., Suttorô du lundi, pp. 2()6...7; te.xte parallèle à Sexte du mardi, p. 317.
69 Id., Safro du jeudi, p. 447.
70 S, Lilyô du dimanche, p. 95; Lilyo du lundi, p. 224; Safro du mardi, p. 303.

71 Id., Suttor5 du mercredi, p. 332; texte parallèle au Lilyo du dimanche, p. 97.

nId., Lilyo du dimanche, pp. 96·7.


1l Id., Ramso du dimanche, p. 14.
260 JEAN TABET

Une allusion à la parole du Christ: «Je suis la vie)} ajoute à ce


qui précède une lumière particulière; dans cette perspective, la vie
se confond avec l'Image; et toute corruption de l'une entraîne la
corruption de l'autre:
Seigneur! Que notre image ne soit pas corrompue, à petit feu, au
shéol, parce qu'en elle, sont enfouis, comme des arrhes, ton corps
et ton sang; toi-même, dans ton évangile, tu t'es écrié et tu as roya-
lement proclamé: «Je suis vraiment la Vie nouvelle» 74,

Cette vie n'est autre que la résurrection réservée à ceux qui


participent à la Table Sainte:
(... ) 0 Fils de Dieu! Que les morts qui ont mangé ton corps et
(bu) ton sang ressuscitent par toi et se réjouissent avec toi, le jour
de ta Parousie 75,

3. La récompense
La récompense future est souvent mise en relation, non seule-
Inent avec les bonnes œuvres, mais aussi avec la vie liturgique or-
donnée autour de l'Eucharistie 76.
Dans cette perspective, il faudrait situer les textes qui parlent
de la rémunération des prêtres dont le service sacerdotal est centré
sur l'autel. Ainsi s'exprime, par exemple, une bo'utô du lilyô du mer-
credi attribuée à Saint Jacques de Sarüg:

1) 0 Fils de Dieu qui t'es choisi des prêtres pour te servir,


aie pitié des prêtres qui sont partis et se sont endormis dans ton
espérance.
Que les mains des prêtres qui ont offert les sacrifices pour les
pécheurs applaudissent avec les chœurs de ceux qui te louent.
2) Que les doigts qui ont rompu ton corps et distribué ton sang vivant
tiennent les rameaux de gloire (Ap 7, 9) 77 et sortent à ta rencontre;
que leurs bouches pures qui t'ont acclamé par les psaumes de
louange chantent gloire dans le paradis avec tes saints.
3) Que leur douce voix qui t'a acclamé: Saint, Saint
loue ton Nom au jour de la résurrection avec les Spirituels;
que leurs lèvres qui ont été des parfums pour te plaire
chantent gloire, au paradis, avec les VigÎ'lants 78.

74 Id., Tierce du samedi, pp. 601-2.


75 S, Lily5 du dimanche, p. 72.
,(, Id., Rumso du mercredi, pp. 327·8; Lily6 du mercredi, p. 290.
n Allusion à la fête des Tabernacles, la plus eschatologique des fêtes juives.
75 S, Lily5 du mercredi, p. 353; textes parallèles, Ibidem, pp. 349-50, 351-2.
DANS L'OFFICE COMMUN MARONITE 261

4. La résurrection du corps

Partout où dans le N.T. il est question de résurrection et de


glorification, il s'agit d'une résurrection et d'une glorification cor-
porelles. Le Christ est parvenu corporellement à une vie nouvelle
et il continue à vivre corporellement dans les siens. Il a été glorifié
dans son corps et vit comme {( corps de gloire) (Ph 3, 21). Les hom-
mes peuvent s'attendre aussi à une résurrection corporelle et leur
corporéité sera définitivement transformée par la puissance de vie
de Dieu (ICa 15. 44); ils participeront au "Corps de gloire" du
Christ. Le terme Corps, Faghro, désigne ici l'homme tout entier, tel
qu'il a été formé par son créateur.
Dans l'office commun maronite, nous avons déjà relevé, à plu-
sieurs reprises, des expressions comme {( Corps et sang enfouis, tmIr,
dans notre corps ), «mêlés dans nos membres» 79, hozpaghrok wad-
mok 111a111zag bhadoman, {( tu t'es mêlé à nous, nous à toi ) 80, dvan
'ethmazaght tva~'man bok, {( ton corps et ton sang sont mêlés aux
membres des défunts) B1, 'ethmazagh paghrok wadmok.
Toutes ces formules prennent leur sens plénier par référence
aux textes de l'office traitant de la résurrection des corps. Nous
comprenons mieux alors le thème des arrhes. L'Eucharistie est en-
fouie en nous comme le feu sous les cendres; elle est l'Espérance
et la Vie de l'homme tout entier; et elle anticipe la glorification
du corps:

D'entre les morts, Seigneur, ressuscite, incorruptibles, les corps


des défunts fidèles qui ont mangé ton saint corps et bu ton sang,
coupe du salut; revêts-les du vêtement de gloire 82.

Si l'incorruptibilité finale de nos corps nous est assurée par


l'Eucharistie, c'est pour conserver en nous l'Image de Dieu:

o Immortel qui t'es revêtu de notre corps, et par amour pour


notre race mortelle, es monté sur la croix et es descendu parmi les
morts; ne permets pas, Seigneur, que ton image et ta ressemblance
périssent dans la corruption du shéol et reviennent à la poussière
dont elles furent composées, car tu as dit: {{ Quiconque croit en moi,

79 S, Lilyo du dimanche, p. 95.


~o Id., Ramso du jeudi, p. 393.
~I Id., Lilyo du mardi, p. 277.
~2 Id., Lilyo du mardi, p. 287.
262 JEAN TABET

mange mon corps et boit mon sang, demeure en moi et je le


ressusciterai». Rends par ta tendresse tes serviteurs qui ont mangé
ton corps et bu ton sang dignes de la résurrection de la Vie 83.

Terminons ce paragraphe sur les rapports étroits entre l'Eucha-


ristie et la résurrection par un texte du suttoro du dimanche; toute
la splendeur eschatologique de l'Eglise lui vient du Feu présent
dans le Pain et de l'Esprit présent dans le Vin eucharistique:
Bienheureuse, Eglise sainte et croyante! L'Epoux qui t'a fiancée
à lui t'a préparé une nourriture abondante; et dans tes noces, il a
mêlé une boisson qui désaltère à jamais la soif de ceux qui en
boivent. Avance! Mange le Feu dans le Pain! Bois aussi l'Esprit dans
le Vin! Car c'est par le Feu et par l'Esprit que tu acquiers la beauté
et que tu entres avec ton Epoux dans le thalame 84 •

VI. LE BAPT~ME

Dans nos textes, l'Eucharistie est souvent mentionnée avec le


Baptême. Tous les deux contiennent les germes de la résurrection
finale:
Que ceux qui sont scellés par le sceau de la croix, dans l'eau et
l'Esprit, qui ont mangé Son saint Corps et bu Son Sang précieux,
ressuscitent par eux de la terre, soient délivrés de la poussière et
revêtus de gloi:re 85.

Parfois même, le Baptême et l'Eucharistie intercèdent pour nous


au jour du Jugement avec l'Eglise et les Ossements des martyrs:
Ton jugement est redoutable et sévère ton châtiment, Seigneur
de toutes les créatures; qui pourrait tenir quant tu siégeras sur ton
bêma, quand, en haut, sonnera le cor et retentira la voix redoutable
de la trompette? En ce jour-là, supplieront avec nous le ciel, la terre
et tout ce qui est en eux; et ton Corps que tu nous as donné à
manger, et le Baptême dont tu nous as revêtus, se tiendront devant
nous au tribunal et nous délivreront du supplice de l'enfer 86.
Je t'ai revêtu, ô mon Sauveur, de l'eau, et tu m'as habillé et orné
des vêtements de gloire. Que je ne porte pas, Seigneur, les vête-
ments de la moquerie, au lieu des vêtements de gloire que j'ai portés
dans le baptême 87.

~J Id., Lily6 du dimanche, p. 89.


uS, Suttoro du dimanche, pp. 33-4.
A5 Id., Sexte du mardi, p. 317.
86 Id., Ramso du dimanche, pp. 2.3.

81 Id., Safro du mercredi, p. 373.


DANS L'OFFICE COMMUN MARONITE 263

Que la Sainte Eglise, le Baptême et les Ossements des martyrs se


tiennent devant nous au tribunal; qu'ils implorent le Roi des rois
afin qu'Il fasse miséricorde aux pécheurs qui l'implorent aB.

Deux grandes vérités concernant le Baptême sont soulignées, en


outre, dans l'Office:
Le Baptême est un Signe de vie, rusmo d1:zaye, que nous portons
depuis l'eau:

Bienheureux, ô vOUS les endormis, qui êtes partis dans la foi, car
vous vous êtes revêtus de signe de la vie, à partir de l'eau; bienheu-
reux êtes-vous, car le corps et le sang que vous avez pris ressuscite-
ront de la poussière vos membres E9.

Les baptisés sont des hommes signés. Ils sont séparés. Ce signe
est parfois appelé {{ Empreinte du myron », ta'vo dmurün 90, « Sceau
du baptême », rllsmo dma'muditho 91. La notion d'arrhes appliquée
plus haut à l'Eucharistie reparaît ici:
Fais, Seigneur, bonne mémoire (... ) de tous les défunts fidèles
qui sont partis avec le gage du saint baptême, afin qu'ils arrivent à la
résurrection de la vie qui ne passe point 92.

D'autres appellations, à teneur eschatologique, se dégagent des


textes: le Baptême est un refuge, un frère 93, un navire 114, un port,
un compagnon 9~ et une source d'eau vive se.
Le Baptême est un habit que nous portons; cet habit s'identifie
avec le Christ lui-même: «Vous avez revêtu le Christ» (Ga 3, 27).
L'habit eschatologique est toujours considéré par référence à ce vête-
ment baptismal. Une certaine causalité relie, en effet, les deux vesti-
tians:
o Fils de Dieu, revêts de gloire tous les esprits qui se sont
revêtus de toi dans l'eau. Que toutes les bouches qui ont mangé
ton corps et bu ton sang voient ta tendresse, au tribunal, quand tu
paraîtras 97.

81 Ibidem.
~9 S, Lilye du dimanche, p. 9l.
90 Id., Lilye du mardi, p. 287.

~l Id., Lilye du lundi, p. 230.


92 Id., Safre du dimanche, p. 157.

9] Id., Lilye du dimanche, pp. 95·6.


'>4 Id., Suttore du jeudi, p. 403.

9l Id., Lily6 du mardi, p. 297.


96 Id., Suttare du mardi, p. 274.

97 Id., Lily6 du lundi, p. 225.


264 JEAN TABET

Enfin, on demande à Dieu de faire bonne mémoire dans la Jé-


rusalem céleste des défunts baptisés:

Seigneur. fais mémoire dans la Jérusalem céleste et dans la


Sainte Eglise de tes serviteurs défunts qui se sont revêtus de toi
dans l'eau pour le pardon de leurs péchés 98,

Ainsi, ils seront pour toujours inscrits dans le Livre de Vie,


sephro dl:zayë ".
Note: Le Livre de Vie 100

L'expression "Livre de Vie» est d'origine biblique (Ex 32, 32;


Ps 69, 69) et semble avoir désigné d'abord la vie terrestre: être effacé
du livre de la vie signifie mourir.
A l'époque judéo·chrétienne, elle se réfère à la vie éternelle: être
inscrit sur le livre de vie signifie, dans l'apocalyptique juive, être
compté parmi les élus (Jubilés XXX, 22 et XXXVI, 10; Ap 20, 12; 20,
15; 13, 8; 17, 8; Ph 4, 3).
Le Livre de Vie est une expression courante dans l'office commun
maronite. Elle doit être comprise dans cette perspective judéo-chré-
tienne. Nous lisons au suttoro du mardi:

Moïse inscrivit les noms des tribus d'Israël sur des tablettes en
pierre. Le Christ inscrivit la mémoire de ses adorateurs dans le
Livre de Vie; et quand aura lieu la résurrection, il les placera à sa
droite 101.

Parfois même, ce n'est pas seulement la mémoire qui est men-


tionnée, mais les Noms soit des martyrs 102, soit de nos Pères et
Frères 103, soit enfin de nos défunts en général 104.

93 S, Lilyo du vendredi, p. 504.


!/9Id., Lily6 du jeudi, pp. 418-9.
100 Voir J. DANII1LOU, Théologie du Judéo-Christianisme, Tournai (Belgique),
1958, pp. 151·164.
101 S, p. 272.

102 Id., Lilyo du vendredi, p. 482.


IOl Id., ~afr5 du mercredi, p. 374; Ramso du lundi, p. 200; Rarnso du samedi,
p. 545 (445).
ION Id., Ramso du jeudi, p. 393; ces commémoraisons sont à rapprocher de

celles qu'on fait dans les dyptiques de la Messe maronite. Ces dyptiques étaient,
en effet, des tablettes doubles sur lesquelles on inscrivait, pour être lus par
le diacre, les noms des vivants et des morts.
DANS L'OFFICE COMMUN MARONITE 265

Les textes font parfois allusion à un second livre qui, quoiqu'il


ne porte pas de titre, peut être appelé: cc Le Livre des Oeuvres ». Les
actions des hommes, bonnes ou mauvaises, sont inscrites sur des
livres célestes qui seront présentés au Jour du Jugement. Pour cela,
ce livre, employé parfois au pluriel, est qualifié de cc Livre qui fait
peur» lOS, cc Grand Livre du Juge» 106:

Voici que mes œuvres, sans oublier même une parole, sont
inscrites pour la justice; mes actions et mes péchés sont inscrits dans
le Grand Livre du Juge ... 1{17.

VII. LA CROIX

Outre l'Eucharistie et le Baptême, l'eschatologie syrienne insiste


sur l'importance de la Croix. Celle-ci n'est considérée ni comme instru-
ment de supplice, ni comme signe cultuel, mais comme réalité théo-
logique et eschatologique. C'est la Croix de gloire, appelée parfois
c( Croix de lumière », ~tiv murho. Cette expression « Croix de lumiè-

re », empruntée au langage judéo-chrétien où elle s'identifie parfois


au Christ lui-même 100, est courante dans l'office commun maronite,
surtout le vendredi 109.
Au jour de la Parousie, la Croix nous protègera de l'enfer 110 et
servira de pont pour notre passage à la vie 111 et au thalame de lu-
mière plein de délices 112, là où l'homme se rassasie de la splendeur
divine 113. Enfin, les défunts fidèles ressusciteront par la croix qui est
ici personnifiée et avec qui l'on dialogue:

Par toi, Croix, leurs esprits reposeront dans l'autre jour de la


Fin; ils se protègeront sous tes ailes glorieuses; et, avec toi, ils
chemineront à la demeure de la vie et chanteront gloire au Christ-
Verbe qui fut crucifié sur toi, à son Père et à son Esprit 114.

IO~ S, $afro du samedi, p. 586 (486).


1116 Id., Lily6 du dimanche, pp. 94-95.
107 Ibidem.

!!la DANIJ::LOU, op. cU., pp. 291-2.

109 S, Sexte du vendredi, pp. 537-8.

110 Id., Sexte du vendredi, p. 534.

Il! Id., Lilyo du dimanche, p. 97.

112 Id., Lilyo du mercredi, pp. 335-6.


III Ibidem.

!!4 S, Sexte du vendredi, p. 536.


266 JEAN TABET

VIII. LA VIERGE

Terminons sur une question: quelle idée eschatologique l'office


comnlun maronite se fait·il de la Vierge? Les textes sont très peu
nombreux; en voici le contenu:
La glorification de Marie est en relation avec la Parousie du Fils:
Comme est belle la fille de David, au Grand Jour où paraîtra le
Premier·Né! Lui s'assiéra sur le trône du jugement et elle se tiendra
à sa droite, splendide comme le soleil aux jours de Nisan 115 (Ap
12, 1) dont l'éclat brille sur les vivants et les morts ... 116.

Ce texte laisse entendre le rôle d'intercession de la Vierge au


jour du jugement. Le même thème est explicité par une autre strophe
au ramso du dimanche:
o Vierge qui fus le char qui porta, dans son enfance, l'Eternel
(... ) Intercède pour l'Eglise qui honore ta fête (... ) Et quand la
Justice nous jugera, que nous soyons amicalement protégés sous
tes ailes 117.

Jean TABET

Ils Pâque ayant lieu le 14 Nisan, ce soleil qui brille «sur les morts» est le
Christ lui-même dont la Vierge est la parfaite Image.
116 S, Tierce du jeudi, p. 452.
111 Id., Ramso du dimanche, p. S.
L'ÉCONOMIE DU SALUT DANS LE NOUVEAU CALENDRIER
DE L'ÉGLISE D'ANGLETERRE

({ Nous commémorons aussi, ô Seigneur des armées, Dieu le


Père, le commandement que tu nous a donné pour notre salut et
toutes les choses qui ont été faites pour nous.
Avant toutes choses nous croyons en toi et nous te confessons,
ô Dieu, Père de la vérité et vérité éternelle de la divinité de ton Fils
unique et de sa consubstantialité avec toi.
Nous nous souvenons aussi de la merveilleuse dispcnsation
qui nous est venue de lui et qui s'est accomplie par notre humanité,
dans la Croix, la Passion, la Mort, l'Ensevelissement, la Résurrection
au troisième jour et l'Ascension dans le ciel de Notre-Seigneur
Jésus-Christ qui siège à ta droite, et le glorieux retour vers nous
de Celui en qui tu jugeras les morts et les vivants, rétribuant tout
homme selon ses œuvres.
Nous confessons aussi le Saint Esprit, l'Esprit de vérité qui
partage également la glorieuse substance de ta divinité, qui procède
de toi, ô Père, et qui avec toi et ton Fils unique est adoré, glorifié et
honoré de tous» 1.

Ce texte est l'anamnèse contenue dans l'anaphore syrienne orien-


tale de Nestorius. A noter en passant la forme trinitaire de cette
anamnèse. Mais ce qui nous intéresse particulièrement, c'est la se-
conde partie, ({ la merveilleuse dispensation qui nous est préparée »,
car nous y voyons esquissées les grandes lignes de « l'économie du
salut », les actes de salut de Notre-Seigneur par quoi s'est accomplie
notre Rédemption.
L'anamnèse que nous venons de lire n'est pas primitive; elle
englobe donc davantage d'éléments que certains textes plus anciens.
Il en est d'autres, cependant, qui allongent la liste des actes du salut,
en citant ceux qui ont précédé la Passion. Ainsi l'anaphore de Ti-
mothée d'Alexandrie évoque la naissance de Notre-Seigneur 2, celle

! Liturgia Sanctorum Apostolorum Adaei et Maris, S.P .e.K., London 1893, p. 53.
2 Anaphorae Synacae, t. I, p. 20·21.
268 DOUGLAS WEBB

de St. Grégoire de Nazianze mentionne aussi la conception de Jésus 3,


et l'anaphore syrienne de St. Marc énumère la conception, la nati-
vité et le baptême du Christ 4. Tous ces événements peuvent se ré-
sumer en une phrase: {( pour toute ta grande et merveilleuse dispen-
sation envers nous».
Le propos de cette communication sera de démontrer comment
ces principes sont exprimés et mis en valeur dans le Calendrier de
l'Eglise d'Angleterre et en particulier dans le calendrier révisé, lequel
a fait l'objet d'un rapport de la Commission liturgique anglaise 5.

L'année ecclésiastique, telle que l'Eglise d'Angleterre a fini par


la célébrer en la publiant dans le calendrier du Book of Common
Prayer a été présentée comme une « réforme de l'année chrétienne
effectuée au 16' siècle, telle que la connut l'Occident latin à la fin
de la période médiévale }). Le rapport de la Commission liturgique
sur le Calendrier fit ensuite subir à ces matériaux une révision radi~
cale et y introduisit un certain nombre d'éléments nouveaux. Une
bonne partie de ce travail repose sur ce postulat que l'Eucharistie
prend à l'heure actuelle une place plus importante dans le cuIte de
l'Eglise d'Angleterre, et que les offices du matin et du soir sont
maintenant moins bien fréquentés le dimanche que par le passé.
Dans ces offices, les lectures bibliques formaient l'élément domi~
nant, et le récent courant dans les habitudes liturgiques des commu~
nautés indiquerait qu'à moins d'une nouvelle initiative, on entendra
moins de lectures bibliques que précédemment. Afin de remédier à
cette situation, le rapport fait deux suggestions.
1'. Il prévoit une leçon de l'Ancien Testament pour l'Office Eucha-
ristique, et là où elle sera lue (pour le moment l'usage n'est que
facultatif) elle garantira aux fidèles ne participant qu'à la seule
Eucharistie une certaine part de lecture de l'Ancien Testament.
II y aura donc chaque dimanche un texte de l'Ancien Testament,
un texte des Epîtres ou des Actes, et un texte des Evangiles. Si on
ne lit que deux leçons, c'est l'Ancien Testament qui doit avoir la
préférence sur l'Epître au temps précédant Noël, et l'inverse au
temps de la Pontecôte. En outre, il a été choisi pour chaque dimanche

'Ibid., p. 117·118 .
• J.A. ASSEMANI, Codex litllrgicus Ecclesiae universae, t. VII, p. 96-97, Ro-
mae 1754.
S The Calendar and Lessons for the Church's Year. A Report of the Church

of England Liturgical Commission, s.p.e.K., London 1969.


DANS LE CALENDRIER RÉVISÉ DE L'ÉGLISE D'ANGLETERRE 269

{( un texte dominant}) qui contient l'idée principale de ce jour et qui


déterminera autant que possible le choix des deux autres textes,
puisqu'on s'est efforcé d'assurer une certaine cohérence entre les
trois. Quant à la mise en pratique, nous en traiterons dans la suite
de cette communication.
2°, Les textes bibliques sont répartis sur un cycle de deux ans,
innovation qui permet de faire lire une plus grande partie de la
Bible. Les Offices ne sont pas négligés, et là aussi on propose un
cycle de deux ans. Mais on a abandonné le principe d'une lecture
continue des livres saints. Autrement dit, on reconnaît que les fidèles
n'assistent pas nécessairement à plus d'un office le dimanche, et
même qu'ils ne viennent pas toujours régulièrement chaque semaine.
Avant d'examiner en détail les éléments de ce rapport, il aurait
lieu de résumer brièvement les principes qui sont à la base de tout
calendrier chrétien. Il est probable qu'il y a des calendriers de ce
genre depuis la 2e moitié du 4e siècle, où fut établi un cc guide)) ou
{( calendrier») pour le cycle annuel de la liturgie chrétienne. Préoc-
cupée de consacrer à Dieu la vie entière, la chrétienté s'efforçait de
mettre l'accent sur la sanctification du temps et selon l'idéal chré-
tien, l'année entière devait être consacrée à commémorer l'œuvre
rédemptrice du Christ sur terre. Ces grandes lignes une fois posées,
on procéda à la sanctification de toutes les saisons de l'année en
sorte que même la nature et la vie sociale qui repose sur la nature
étaient délimitées par des idées chrétiennes et revêtaient un sens
chrétien.
Nous avons de fortes raisons de croire qu'au temps de l'Eglise
primitive le culte était axé sur ce qu'on nomme {( la semaine liturgi-
que », et que c'est la diffusion du christianisme au-delà de la Terre-
Sainte qui a favorisé l'evolution de l'année chrétienne. Dans cette
« semaine », «le premier jour»), le dimanche, était réservé par les
chrétiens à un culte collectif et le ({ Jour du Seigneur») était en un
sens la continuation hebdomadaire de la solennité pascale, le kérygme
du mystère de la Résurrection du Seigneur d'entre les morts ou
encore du mystère de notre Rédemption considéré dans un ensemble.
Mais on ne l'envisageait pas tant comme la commémoration d'un
événement passé, que comme la manifestation dans le temps de
l'acte éternel de la Rédemption dans le Christ.
Néanmoins l'idée d'une commémoration annuelle ne devait pas
être une nouveauté pour ceux que j'appellerai {( l'aile juive» de l'Eglise
Chrétienne: puisque les Juifs eux-mêmes avaient observé trois grands
270 DOUGLAS WEBB

festivals annuels: la Pâque, célébrée la nuit de la pleine lune la


plus proche de l'équinoxe de printemps (plus tard le 14 Nisan) et
associée traditionellement à la sortie d'Egypte; la Pentecôte, qui
marque la fin de la récolte du blé, et la fête des Tabernacles qui
clôturait l'année agricole par la récolte du vin et des olives.
Les témoignages que nous possédons semblent démontrer que
pendant un certain temps, ce sont la rencontre hebdomadaire des
chrétiens le dimanche et les deux fêtes annuelles de la Pâque et de
la Pentecôte qui constituaient tout le calendrier chrétien. Ce n'est
pas tant le manque de textes liturgiques appropriés pour constituer
ce calendrier, que l'intelligence eschatologique primitive de la liturgie
qui excluait les commémorations purement historiques. En tout
cas, les trois rites mentionnés ci-dessus semblent avoir constitué
tout le calendrier au temps d'Hippolyte à Rome, de Tertullien en
Afrique du Nord, et un peu plus tard d'Origène en Egypte. Remarquons
cependant que Tertullien et Origène commencèrent à instituer des
dates fixes pour le jeûne et les commémoraisons de martyrs.
Autre évolution à noter: la Pâque comme la Pentecôte étaient
des adaptations chrétiennes de fêtes juives auxquelles s'associaient
des évocations spécifiquement chrétiennes. Mais si dans le judaïsme
ces fêtes n'étaient pas rattachées à un jour précis de la semaine, par
contre dans l'Eglise Chrétienne elles se sont trouvées définitivement
fixées au dimanche 6.
D'après le rapport de la Commission liturgique, « le centre de
l'année chrétienne est naturellement la solennité de Pâques, précédé
d'un temps de préparation à partir de la Septuagésime et suivie d'une
période subséquente durant le temps de Pâques jusqu'à la Pente-
côte, laquelle forme elle aussi un sommet et un nouveau point de
départ '.
Voyons d'abord comment l'Eglise elle-même considérait la fête
de Pâques_ Le nom de la fête, Pascha, est la forme grecque Il&crZCl
de l'hébreu PesaJ:l et du syriaque Pasl:ul ou Pe~J:zii. Le terme hébreu
se traduit d'ordinaire par ({ Passage )); il rappelle l'épisode de l'histoire
d'Israël où l'ange du Seigneur ({ passa devant) le seuil des maisons
marquées du sang sacrifié de l'Agneau Pascal. La fête chrétienne,
de même que son prototype juif, était une fête nocturne; la vigile
se célébrait du samedi soir à l'aube du dimanche.

fLe terme « définitivement» permet de conclure à l'usage du quatorzième jour.


7The. Cale.l1.dar and Lessol1.s for the Church's Year. A Report of the Church
of England Liturgical Commission, S.P .C.K., London 1969.
DANS LE CALENDRIER RÉVISÉ DE L'ÉGLISE D'ANGLETERRE 271

Après la bénédiction préliminaire d'une ou de plusieurs lampes


par le diacre, on lisait une série de leçons, suivies des chants habi-
tuels de la synaxe. A Rome, vers l'an 200 de notre ère, il semble
que ces leçons comprenaient Osée VI et Exode XII. D'après l'homélie
sur la Passion de Méliton de Sardes, vers l'an 190, cette dernière
leçon était aussi en usage en Asie Mineure B, Les lectures étaient
suivies d'un sermon, du baptême solennel et de la confirmation des
néophytes, qui prenaient ensuite pour la première fois part à la
liturgie des fidèles.
De ce point de vue par conséquent, la Pâque chrétienne primitive
avait un peu le caractère d'une liturgie de la Rédemption. Elle corn·
mémorait la délivrance de la captivité, celle du péché et de la mort
pour entrer dans la glorieuse liberté des enfants de Dieu; délivrance
opérée par la vie, la mort et la résurrection de Jésus·Christ, interpré-
tation renforcée par l'habitude de conférer à cette occasion le bapt·
tême et la confirmation. Car ce sont les sacrements par lesquels
l'œuvre de la Rédemption et ses effets sont appliqués à chaque chré·
tien individuellement. Le baptême incorpore le sujet à la mort et à
la résurrection du Christ, la confirmation renforce l'effet du baptême
par l'habitation du Saint-Esprit dans chaque fidèle. On pourrait
donc conclure que dans l'Eglise primitive la fête de Pâques n'était
pas d'abord la commémoration d'un fait historique, la Résurrection
de Notre·Seigneur dans le temps, mais plutôt la liturgie de la Réd·
emption. Il n'y avait pas à l'origine de commémoration spéciale de
la dernière Cène, ni de la crucifixion, vues séparément de la Ré·
surrection et de l'Ascension. Le mystère tout entier de notre Réd-
emption était énglobé dans la célébration de la Pâque chrétienne.
Un mot en passant de la date de Pâques: on sait qu'au 2e siècle
une controverse virulente opposait l'Eglise de Rome et celles d'Asie
Mineure au sujet du jour de cette commémoration. Les détails de
la controverse ne nous concernent pas ici. Le seul point intéressant
qui paraît ressortir de cette discussion confuse, c'est qu'avant une
certaine date, à situer entre les pontificats d'Anicet et de Victor,
l'Eglise Romaine n'observait pas la Pâque du tout. En tout cas,
Victor déclare formellement que le mystère de la Résurrection du
Seigneur ne devait se célébrer qu'un dimanche, et cette opinion

8 The Homily on the Passion by Melito Bishop of Sardis, and sorne Frag·
ments of the Apocryphal Ezechiel. (Studies and Documents edited by K. LAKE
and S. LAKE, XII) London·Philadelphia 1940. Voir aussi: Une homélie inspÎrée
du traité sur la Pâque d'Hippolyte (Sources Chrétiennes, 27), Paris 1950.
272 DOUGLAS WEBB

finit pas l'emporter à travers toute la chrétienté. Remarquons ce-


pendant qu'il s'est produit un changement d'accent: désormais on
attachera plus d'importance à la commémoration historique de la
Résurrection qu'au fait global de la Rédemption 9.
Une fois le principe historique généralement admis, la voie était
ouverte à de plus amples développen1ents, dont l'un eut pour centre
Jérusalem. Les circonstances particulières y suggéraient une com-
mémoration locale des événements des derniers jours de la vie de
Notre-Seigneur dans les lieux véritables ou supposés où ils se sont
déroulés. Dans le pèlerinage d'Ethérie on lit la description d'une série
de célébrations pleinement développées et à dessein historiques,
auxquelles l'Eglise tout entière prenait part. Elles commençaient la
veille du dimanche des Rameaux et se terminaient par la messe de
minuit de Pâques qui clôturait la Vigile pascale du samedi suivant.
Elles comprenaient une procession de palmes le dimanche des Ra-
meaux, la vénération de reliques de la Croix et une veillée de trois
heures le Vendredi Saint, avec une visite au Sépulcre dans la soi-
rée. Il ne semble pas qu'il y eût de célébration de l'Eucharistie, ni
le Vendredi, ni le Samedi Saint. L'auteur de ce cycle était peut-être
Cyrille de Jérusalem, car, si le fait n'est pas mentionné dans les lec-
tures catéchétiques attribuées à cet auteur et qui datent de l'an
348 10, il ressort des termes d'Ethérie qu'à son époque ces célébra-
tions n'étaient nullement considérées comme une innovation récente
aux yeux des fidèles de Jérusalem. A partir de Jérusalem ces célébra-
tions se sont répandues rapidement dans d'autres parties de la chré-
tienté.
Disons un mot de l'observance du Carême: il est indiscutable
qu'il y avait dans l'Eglise primitive un jeûne en préparation à' la
Pâque. Mais au début ce jeûne ne devait pas être très long et ne
durait certainement pas quarante jours, comme l'habitude s'en est
créée par la suite. D'après Dom Gregory Dix, l'évolution plus complète
du jeûne prépascal vient d'une discipline spéciale imposée aux caté-
chumènes en préparation au baptême dans la 2ème moitié du 2nd

9 Pour une étude complète de la controverse quartodécimane, cf. M. RICHARD,

La question pascale au ze siècle, dans L'Orient Syriell, vol. IV, 1961. Cet article
a été lu le 6 juillet 1960, à la 7e Semaine d'Etudes Liturgiques de l'Institut de
Théologie Orthodoxe de Paris.
10 Quelques critiques modernes ont suggéré que ces leçons ne sont pas en

réalité l'œuvre de CY1'ille, mais plutôt celle de son successeur Jean, qui devint
évêque en l'an 386. Cf. SWAANS, L'authenticité ... , dans Muséon LV, Louvain
1942, p. 1-13.
DANS LE CALENDRIER RÉVISÉ DE L'ÉGLISE D'ANGLETERRE 273

siècle. Il est certain qu'en comparant les écrits de St. Justin et de


St. Hippolyte de Rome, on observe un important développement
dans l'organisation du catéchuménat au cours des cinquante années
qui séparent ces deux personnages 11, Au 4e siècle, sous l'influence du
mouvement ascético-monastique, les fidèles avaient pris l'habitude de
de partager le jeûne pré·baptismal des catéchumènes qui fut porté
à six semaines vers le 2ème quart de ce siècle. A l'étape suivante, on
identifie ce jeûne avec celui des 40 jours de Notre-Seigneur au dé-
sert, avant la tentation. Evolution assez naturelle, étant donné l'accent
de plus en plus fort mis sur l'aspect historique de la liturgie. On
obtient le nombre de 40, en ouvrant le Carême avant le 6e dimanche
précédant Pâques, mais l'époque et la manière de cette transforma-
tion ont varié d'après les Eglises 12, A Rome, c'est au 7e siècle qu'a
été institué, semble·t·il, le Mercredi des Cendres, avec trois jours de
plus pour obtenir 40 jours (les dimanches exceptés).

Dans le rapport de la Commission liturgique, « le cycle de la


Rédemption» commence par les neuf dimanches qui précèdent ha-
bituellement Pâques et se poursuit pendant les six dimanches du
temps Pascal jusqu'à la Pentecôte.
Le thème du dimanche de Pâques est, bien entendu, la Résur-
rection du Christ. La Collecte du Prayer Book de 1662 qui figurait
dans un certain nombre de paroissiens du Moyen-Age a été remplacée
par une autre qui figurait dans le Prayer Book révisé de 1928, à
titre de collecte supplémentaire. Elle vient du Sacramentaire Grégo·
rien par le Processional de Sarum. La voici:
«0 Dieu, qui pour notre Rédemption as offert ton Fils unique
à la mort de la Croix et, par sa glorieuse résurrection, nous as
délivrés du pouvoir de l'ennemi; accorde-nous de mourir chaque
jour au péché afin que nous vivions à jamais avec lui dans la joie
de sa résurrection; par le même Jésus-Christ, Notre-Seigneur n.

II Sur l'organisation et le développement du Catéchuménat à Rome au 2-

siècle, cf. B. CAPELLE, L'introduction du Catéchuménat à Rome, dans Recherches


de théologie ancienne et médiévale, Louvain 1943.
12 L'autorité classique pour ces variations, c'est le passage de Socrates dé-

crivant les différences qui régnaient à son époque vers 400. «Les jeûnes précé-
dant Pâques se trouvent observés de façon dIfférente selon les peup]cs. Ceux
de Rome jeûnent trois semaines successives avant Pâques, sauf les samedis et
les dimanches. En Illyrie et dans toute la Grèce et à Alexandrie on observe un
jeûne de six semaines, qu'on appelle le jeûne de la Quarantaine. D'autres com-
mencent leur jeûne la 7ème semaine avant Pâques, ne jeûnant que trois ou
cinq jours et à certains intervalles. Cependant ils appellent ce temps le jeûne
des 40 jourS»: SOCRATES, Hist. Eccl .• v. 22.
274 DOUGLAS WEBB

La leçon de J'Ancien Testament, Isaïe XII, 1-6, est une hymne


d'action de grâces. la ll1ême pour les deux années du cycle. L'épître
de la 1ère année est le texte de l'Apoe. I, 12-18, avec son verset:
« C'est moi le Vivant, j'ai été mort, et me voici vivant pour les
siècles des siècles, Amen, et je détiens les clés de l'enfer et de la
mort». Celle de la 2ème année - 1 Cor. V, 7-8 (comme dans le Mis-
sel Romain) - contient le rappel de la Pâque chrétienne. Les évan-
giles pour les deux années sont les textes de St. Marc XVI, 1-8, son
récit du tombeau vide (comme dans le Missel Romain) et celui de
Matth. XXVIII, 1·10, relatant le même événement. On a prévu en
outre trois textes facultatifs pour chacune des deux années; ce sont:
le récit de la traversée de la Mer Rouge dans Ex. XIV, 15-22, le pas-
sage sur la Résurrection dans l Cor. XV, 12-20, et le récit de la Ré-
surrection dans Jean XX, 1-18. Ce dernier texte figurait au Prayer
Book de 1662, mais il était plus long.
La Résurrection étant le centre de ce calendrier, revenons en ar-
rière pour examiner la préparation liturgique et le développement
du thème de la Résurrection au-delà de la fête.
Pour revenir en arrière, la nouvelle séquence des dimanches
commence par le 9ème dimanche avant Pâques; en d'autres termes,
les anciens noms de Septuagésime, de Sexagésime, et de Quinqua-
sésime sont abandonnés. Et avec les noms, tout le sens de la liturgie
de ces dimanches est également modifié. Ils servaient en réalité de
de préparation à une préparation et dans cette mesure ils étaient
superflus. Il est intéressant cependant de noter qu'avec les anciens
noms on a aussi disposés des thèmes qui étaient traditionnels de
ces dimanches dans la liturgie anglicane. En ce qui concerne les
deux premiers, les thèmes de la création et de l'entrée du péché
dans le monde, étaient en dépendance des textes bibliques de l'Office
quotidien plutôt que des épîtres et des évangiles liturgiques. Désor-
mais l'attention se porterait en ces deux dimanches sur les thèmes
du Christ, docteur et guérisseur, tandis que le thème du Christ
thaumaturge remplace celui, traditionnel, de l' &y&.1t1) au dimanche
de Quinquagésime 13.
Le Mercredi des Cendres qui ouvrait traditionnellement le Carême,
le Prayer Book de 1662 avait pour épître Joél II, 12-17, qui est

Il Les épîtres et les évangiles de ces dimanches dans le Prayer Book de 1662

étaient: pour la Septuagésime, l Cor. IX, 24-27, Matth XX, 1-16: pour la Sexa-
gésime, II Cor. XI, 19-31, Luc VIII, 4-15; pour la Quinquagésime, l Cor XIII,
1-13, Lue XVIII, 31-43. Ces textes proviennent des missels du Moyen-Age, mais
les épîtres de la Septuagésime et de la Sexagésime ont été abrégées.
DANS LE CALENDRIER RÉVISÉ DE L'ÉGLISE D'ANGLETERRE 275

replacé dans l'Office. Les textes de l'Ancien Testament pour la cé-


lébration de l'Eucharistie sont Is. LVIII, 1·8 et Amos V, 6·15. Pour
l'épître: l Cor. IX, 24-27, la formation de l'athlète chrétien, et Jacques
IV, 1-8a. Les évangiles sont les textes de Matth. VI, 16-22 (l'évangile
de 1662) et de Luc XVIII, 9-14.
D'après ces choix, il semblerait que leurs auteurs avaient à
l'esprit, d'une part la nature du jeûne véritable, et de l'autre la
prière considérée comme la véritable pratique du jeûne chrétien.
Les dimanches du Carême jusqu'au temps de la Passion auront
pour thèmes le « Roi » et le {{ Royaume» sous différents aspects: la
tentation, le conflit, la souffrance, la transfiguration, la victoire de
la Croix.
Un mot en passant de la Transfiguration au 4ème dimanche du
Carême. Le rapport indique que cette commémoration n'empêche
pas celle du 6 Août dont la célébration ne devint générale qu'en 1457,
en action de grâces pour une victoire sur les Turcs. La Commission
fut d'avis que spirituellement et théologiquement, cette fête est à
sa vraie place au temps de Carême comme préfiguration de la Pas-
sion. Remarquons que l'Eglise Romaine fait usage de l'Evangile de
la Transfiguration - Matth. XVII, 1-13 - le 2'rne dimanche du Ca-
rême. Les évangiles de la Semaine Sainte, du lundi au Jeudi Saint
sont les récits de la Passion.
Le Vendredi Saint, il y a un Propre de Communion, mais dans
beaucoup d'églises l'office ne sera pas célébré en entier. Il existe en
effet une tradition d'après laquelle on ne célèbre pas la Commu·
nion ce jour-là. On se limite à la première partie de la liturgie.
L'Ancien Propre avait trois collectes qu'on vient de réduire à une
seule. La voici:
{( Dieu tout·puissant, nous te supplions de daigner .ieter un
regard sur ta famille pour qui Notre·Seigneur J ésus·Christ accepta
d'être trahi et livré aux mains des méchants et de souffrir la mort
sur la Croix: lui qui aujourd'hui vit et règne avec toi et l'Esprit
Saint, un seul Dieu dans les siècles des siècles».

Les deux autres collectes usitées jadis étaient « pour toutes les
conditions des hommes dans l'Eglise» et {( pour la conversion des
non-chrétiens». Cette dernière collecte contenait la prière suivante:
({ Aie pitié de tous les Juifs, des Turcs, des infidèles et des
hérétiques ... et ramène-les, ô Dieu béni, vcrs ton troupeau, afin
qu'ils soient sauvés avec le reste des vrais Israélites et qu'ils devien-
nent un sem troupeau sous un seul pasteur».
276 DOUGLAS WEBB

Ce passage a été modifié et atténué dans la révision du Prayer


Book de 1928. Une seule série de textes bibliques: l'Agneau Pascal,
Ex. XII, 1-8; l'entrée dans le Saint des Saints par le sang de Jésus,
Hébr. X,1l-25; et la Passion selon St. Jean, XVIII-XIX, 37, ou seu-
lement XIX, 1-37.
Tel est le schéma proposé pour les dimanches précédant Pâ-
ques. Quant à ceux qui suivent la fête, les quatres premiers auront
des liturgies différentes selon les années.
Pour la première année, les évangiles seront les récits des ap-
paritions de la Résurrection, à la Chambre Haute, sur la route d'Em-
maus, au bord du lac, et la nomination de Pierre (Jean XXI, 15-22).
Les épîtres seront la consummation triomphante, eschatologique, de
la victoire du Christ ressuscité. Pour la 2èrne année, une série de textes
« Je suis) de St. Jean, qui montrent le Christ éternel et sa réalité
persistante pour le chrétien et pour l'Eglise, offrent les thèmes du
dimanche et les évangiles de ce jour.
On a également procédé à une révision totale des collectes de
ces dimanches pour les mettre en harmonie avec les thèmes du
jour. Certaines de ces collectes ne sont pas peut-être pas connues,
il sera donc intéressant de les citer.
Pour le 1er dimanche de Pâques, le thème est {( le Pain de Vie»
avec la collecte que voici:

«Dieu Tout-Puissant, qui nous as donné le vrai pain descendu


du ciel, ton fils, Jésus-Christ: daigne nous accorder d'être noums
par Lui, qui donne la vie au monde, afin que nous demeurions en
lui et lui en nous, lui qui vit et règne avec toi et Je Saint-Esprit,
un seul Dieu à jamais ».

Le 2ème dimanche de Pâques a pour thème «le bon Pasteur»


(le texte de l'évangile de 1662 un peu plus long). Voici la collecte:

«Sois toi-même, ô Seigneur, nous t'en prions, le pasteur de


ton peuple, afin que nous qui sommes protégés par tes soins, nous
soyons fortifiés par ta présence de ressuscité, pour l'amour de
ton Nom )).

Le texte «Je suis la Résurrection et la Vie)} fournit le thème


du 3ème dimanche de Pâques, dont voici la collecte:

«Dieu miséricordieux, qui as voulu que ton Fils Jésus-Christ


soit la résurrection et la vic de tous les fidèles: daigne nous
ressusciter, nous t'en prions, de la mort du péché à la vie de la
DANS LE CALENDRIER RÉVISÉ DE L'ÉGLISE D'ANGLETERRE 277

justice, afin que nous recherchions les choses qui sont d'en haut, où
il vit et règne avec toi et le Saint-Esprit, un seul Dieu dans les
siècles des siècles ».

Le 4èmc dimanche a pour thème le texte « Je suis le Chemin, la


Vérité et la Vie ». Voici la collecte:
« Dieu Tout-Puissant, puisque la vie éternelle est de te connaître:
accorde-nous de connaître si parfaitement que ton Fils Jésus-Christ
est la voie, la vérité et la vie, que marchant sur les pas de tous tes
saints apôtres nous puissions suivre avec persévérance le chemin
qui mène à la vie éternelle; par ce même Fils Jésus-Christ, notre
Seigneur» 14.

Ces collectes. tout en s'harmonisant parfaitement avec les évan-


giles de la 2ème année, conviendront moins aux textes de la première.
Mieux vaudrait une nouvelle série de collectes pour celle-ci.
Au Sème dimanche de Pâques, a été attribuée le thème {( Aller au
Père}), qui prépare la fête de l'Ascension, avec des textes bibliques
évidemment choisis dans ce but. Le Book of Common Prayer ajoute
à son titre que ce dimanche {( s'appelle communément le dimanche
des Rogations}). Et, bien que ce soit le nouveau thème qui domine
pour le choix des textes bibliques, il est curieux de constater que
la nouvelle collecte semble convenir davantage à l'esprit d'intercession
des Rogations 15. Il est possible que la Commission ait voulu sous·
entendre qu'il s'agissait {( d'aller au Père}) dans la prière, ce qui
donne un sens différent à cette phrase.
Pour l'Ascension on a conservé la collecte traditionnelle. Les
textes de l'Ecriture se rapportent tous à l'Ascension de Notre-Seigneur.
La même idée est maintenue pour le dimanche suivant, qui s'appelle
désormais le 16 ème de Pâques. La collecte prévue pour ce jour est
nouvelle dans le Book of Common Prayer. Elle vient du Prayer Book
écossais. La voici:
{( Dieu Tout-Puissant, dont le Fils, Notre-Seigneur Jésus-Christ
est monté au dessus de tous les cieux afin d'accomplir toutes choses:

14 Les sources de ces collectes (dont quelques-unes ne sont pas rédigées

dans la forme classique d'une collecte) sont les suivantes: 1er dimanche de
Pâques, McNurr, The Prayer Manual, 398 (corrigé): 2ème dimanche de Pâques,
COLQUHOUN, Parish Prayers, 324 (corrigé); 3ème dimanche de Pâques, Series Il,
Proposed BuriaI Office (corrigé): 4ème dimanche de Pâques, Book of Common
Pmyer, St. Philip et St. James (corrigé).
15 BOùk of Common Prayer, Collecte de Trmity XII.
278 DOUGLAS WEBB

accorde à ton Eglise sur terre d'être remplie de sa présence et


qu'il demeure toujours avec nous et jusqu'à la fin du monde, par le
même Jésus-Christ, Notre-Seigneur».

Ce texte rappelle l'Ascension tout en orientant vers la Pentecôte.

Tels sont les projets concernant le cycle de la Rédemption.


Dans son rapport, la Commission fait observer que « l'autre partie
de l'année chrétienne qui a été organisée est le cycle de l'Incarnation,
centré sur Noël et l'Epiphanie. Ce cycle commence au temps de
l'Avent et s'étend sur les semaines de l'Epiphanie (dont le nombre
varie) jusqu'au début du cycle de la Rédemption, le 9ème dimanche
avant Pâques (Septuagésime) ».
Nous n'avons pas à nous préoccuper des problèmes que soulève
la structure d'un cycle qui dépend à la fois d'une fête mobile et
d'une fête fixe. Il est possible qu'un jour les Eglises tomberont
d'accord sur une Pâque à date fixe, ce qui résoudra les difficultés.
Ce qui nous intéresse d'abord, c'est la manière dont la Commission
a profité de cette période liturgique pour traduire au mieux l'éco-
nomie du salut.
La fête de Noël n'est entrée dans le calendrier chrétien en Occi-
dent qu'à une date assez tardive. Elle est mentionnée pour la pre-
mière fois à Rome dans le Martyrologe Philocalian de 354, mais elle
était généralement célébrée avant cette date dans tout l'Occident. En
Orient, d'après une homélie de St. Jean Chrysostome, prononcée en
386, la fête était célébrée environ dix ans plus tôt qu'à Antioche 16.
A Constantinople il semblerait qu'elle le fut pour la première fois
vers 369-370. D'après l'oraison funèbre de Basile le Grand, prononcée
par son frère Grégoire de Nysse, il est à supposer qu'elle fut intro-
duite vers la même époque en Cappadoce 17. Il est possible que l'Eglise
de Jérusalem ait suivi cet exemple un peu plus tard, mais si on croit
une réflexion du voyageur infatigable qu'était Cosmas Indicopleustes,

16 CHRYSOSTOME, Sermo in Diem Natal. 1.


17 GRÉGOIRE DE NYSSE, ln Laudem fratris Basilii. «Convenit igitur ordo so-
lernniurn conventuurn et celebritaturn curn apostolica hac ordinatione. Sed pri·
marn celebritatern una curn aliis non numero. Nam quae prapter divinam uni·
geniti Filii apparitianem, per partum Virginis a munda festivitas instituta est,
ea non simpliciter sancta celebritas celeblitatum. 19itur eas quae haec conse-
quuntur, numeremus. Primum nabis apastoli et prophetae spiritualis coetus ini·
tium fecerunt. Utraque enim prorsus circa eosdem sunt dona, et apostolicus
spiritus et spiritus prophetiae. Sunt autem hi, Stephanus, Petrus, Jacobus, Joan·
nes, Paulus; deinde post has conservato ordine suo pastor et magister prae-
sentern nobis celebritatem auspicatur».
DANS LE CALENDRIER RÉVISÉ DE L'ÉGLISE D'ANGLETERRE 279

la fête n'aurait pas été en vigueur dans cette cité avant le milieu
du 6 ème siècle 18.
Certaines Eglises d'Orient instituèrent le 6 Janvier une fête de
la Naissance de Notre-Seigneur, qu'elles appelèrent sa cc manifesta-
tion », Il est très probable que l'usage en remonte à la fin du 2ème
siècle, et qu'il passa rapidement dans les Eglises d'Occident, pro-
bablement par la Gaule méridionale, car c'est à propos de cette
région qu'on en trouve la première référence 19.
A l'époque de St. Augustin, la fête de l'Epiphanie était célébrée
par l'Eglise Orthodoxe d'Afrique, mais non par les Donatistes, dont
St. Augustin fait remarquer qu'ils ne l'observaient pas cc parce qu'ils
n'aiment pas l'unité, et qu'ils ne communiquent pas avec l'Eglise
d'Orient )). En ce qui concerne l'Eglise de Rome, la fête de Noël
était apparemment déjà instituée à l'époque du Pape St. Léon, dont
huit sermons sur l'Epiphanie nous ont été transmis.
Mais en parvenant en Occident, la fête changea d'accent. En
Orient, l'idée dominante avait été la manifestation de la divinité du
Christ dans son baptêlne. En Occident, l'accent principal allait porter
sur la Visite des Mages. La fête était souvent désignée sous le nom
de «fête des trois Rois n.
Le rapport de la Commission liturgique indique que la 2nde moi-
tié de l'année chrétienne est autrement construite que la première
laquelle est déjà entièrement organisée. Les épîtres et les évangiles du
Prayer Book pour cette seconde période sont tirés d'un fonds com-
mun de sélections qu'on trouva appropriées, et qui avaient été ratta-
chées arbitrairement à certains dimanches au 7ème siècle. Cette sé-
lection particulière existe sous deux formes dont l'une était courante
en Europe Septentrionale; elle est aujourd'hui représentée dans les
« Ordines )) modernes comme dans ceux du Moyen-Age. L'autre forme
se retrouve dans le Missel Romain. II n'y a, en aucun cas, de véritable
coordination entre l'épître et l'évangile, ni aucun enchaînement d'un
dimanche à l'autre.
La réorganisation de la période qui précède Noël s'accomplira
donc sans aucune difficulté. Le Calendrier est aujourd'hui construit

1~ Cosmas rapporte que les fidèles de Jérusalem, se basant sur Luc UI, 23
(où, d'après lui, il est dit que Jésus commençait à avoir 30 ans à son baptême),
célébraient la nativité en même temps que le baptême, le 6 Janvier. CoSMAS
INDICOPLEVSTES, Christian Topography, V. 194: MIGNE, P.G. 88, 197.
[9 Ammianus Marcellinus rapportant une visite de l'Empereur Julien à une

église chrétienne de Vienne relate qu'elle eut lieu le jour du mois du janvier
que les chrétiens nomment «l'Epiphanie» (Rist. XXI, 2).
280 DOUGLAS WEBB

de manière à ouvrir ce cycle le 9ème dimanche avant Noël, ce qui


permet une nouvelle répartition de thèmes: le récit de la création et
du plan de Dieu pour le Salut de l'homme déchu se déploiera peu
à peu. Ansi, le thème de la création qui, nous l'avons noté, se trou-
vait jadis lié à la Septuagésime et en harmonie avec les leçons du
bréviaire plutôt qu'avec le Propre 2<l, est désormais transféré au
9ème dimanche avant Noël. Une nouvelle collecte a été tirée de la
liturgie de l'Eglise de l'Inde du Sud. La voici:

(I Dieu Tout-Puissant, qui as créé les cieux et la terre et qui as


fait l'homme à ton image: accorde-nous de reconnaître ta main dans
toutes tes œuvres et de toujours te louer pour ta sagesse et ton
amour; par Jésus-Christ, Notre-Seigneur» 21.

La leçon de l'Ancien Testament est tirée du premier chapitre


de la Genèse; l'épître, de Col. l, 15-20; l'évangile, de Jean l, 1-14.
Pour la seconde année on aura Gen. II, Apoc. VI, 1-11, et Jean III,
I-S. Ces deux derniers textes étaient autrefois lus le dimanche de
la Trinité.
C'est le thème de la chute qui domine la liturgie du 8ème dimanche
avant Noël, thème jadis lié à la Sexagésime. La collecte prévue est
une forme corrigée da la collecte du 6ème dimanche de l'Epiphanie
dans le Prayer Book. Les textes de l'Ecriture s'y adaptent bien. Pour
la première année: Gen. III, 1-15, Rom. VII, 7-12, Jean III, 12·21.
Pour la 2ème année, Gen. IV, 1-10, le meurtre d'Abel, 1 Jean III, 9-18,
et Marc VII, 14·23.
Le thème du 7ème dimanche avant Noël nommé «L'alliance de
la préservation », se rapporte au Deluge et à la préservation de Noé.
Les textes bibliques ne présentent aucune difficulté, mais la recherche
d'une collecte appropriée semble avoir donné du souci à la Commis-
sion. Tout ce qu'elle a pu suggérer, c'est la collecte du 2ème dimanche
de l'Epiphanie. La voici:

«Dieu Tout-Puissant, qui gouverne toutes choses au ciel et sur


la terre: écoute avec miséricorde les supplications de ton peuple et
accorde-nous ta paix tous les jours de notre vie, par Jésus-Christ,
Notre-Seigneur » •

•0Le Propre de la Septuagésime a été tiré du fonds commun des Propres.


liBien que cette prière soit censée venir de l'Eglise de l'Inde du Sud (où
selon toute apparence elle sert pour la Septuagésime), jen ai vu une forme très
semblable, mais plus longue dans une petit livre de prières, «Seed-Time and
Harvest n. par F.C. HA.i\1LYN, publié en 1945.
DANS LE CALENDRIER RÉVISÉ DE L'ÉGLISE D'ANGLETERRE 281

Tout ce qu'on peut dire, c'est que ce texte ne manque pas


d'à-propos, mais il n'est guère inspiré.
Au 6ème dimanche avant Noël, le thème est « L'Election du Peuple
de Dieu; Abraham ». La collecte, qui est nouvelle dans l'Eglise d'Angle-
terre, vient également de l'Inde du Sud. La voici:
« 0 Dieu, qui avez promis au fidèle Abraham qu'en lui toutes
les familles de la terre seraient bénies: accorde-nous une foi ferme,
afin que tes promesses s'accomplissent en nous par Jésus-Christ
Notre-Seigneur ».

Les leçons pour la première année seront la vocation d'Abraham


à quitter Haran pour se rendre en Terre Promise, Gen. XII, 1-9; pour
la 2ème année le sacrifice d'Isaac, Gen. XXII, 1-18. Les épîtres sont,
respectivement, la promesse faite à Abraham, Rom. IV, 13-25, et
les enfants selon la chair et les enfants selon la promesse, Rom. IX,
1-8. Les évangiles sont Jean VIII, 51-58 avec la référence à Abraham,
et Luc XX, 9-16, la parabole des mauvais vignerons.
Le Sème dimanche avant Noël, l'accent est mis sur Moïse et la
promesse de la Rédemption pour son peuple. La collecte, très appro-
priée, est encore une fois choisie dans la liturgie de l'Inde du Sud.
La voici:
«0 Dieu notre Rédempteur, qui as envoyé ton serviteur Moïse
pour conduire ton peuple hors de l'esclavage et de l'affliction:
sauve-nous de l'esclavage du péché et conduis-nous au pays que tu
nous as préparé; par Jésus-Christ, Notre-Seigneur ».

Les différents textes de l'Ecriture conviennent également à ce


thème".
Tout cela sert d'introduction au 4 ème dimanche avant Noël, jadis
nommé le 1er de l'Avent. Le thème, c'est l'espérance de l'Avent, une
nette orientation vers la venue du Christ par sa naissance à Bethléem.
La collecte, qui vient du premier Prayer Book anglais de 1549, a été
composée en harmonie avec l'épître du même Prayer Book qu'on a
conservée. La voici:
{( Dieu Tout-Puissant, accorde-nous la grâce de rejeter les œuvres
des ténèbres et de revêtir l'armure de lumière, en cette vie mortelle
où ton fils Jésus-Christ est venu nous visiter en sa grande humilité;
afin que le dernier jour, quand il reviendra en gloire et en majesté,

Pour la première année, Ex. III, 1-15, Hébr. III, 1-6, Jean VI, 27-35.
22

Pour la 2ème année, Ex. VI, 2-8, Hébr. XI, 17-29, Marc XIII, 5-13.
282 DOUGLAS WEBB

pour juger les vivants et les morts, nous puissions ressusciter à la


vie immortelle; par Celui qui vit ct règne avec toi et le Saint-Esprit,
maintenant et toujours ».

Les textes de l'Ancien Testament sont ls. LII, 1-10 et Is. LI, 4-11.
Ceux de l'épître sont nouveaux et très appropriés. La 1ère année 1
Thess. V, 1-11, et la 2èm" le texte traditionnel de l'Avent, Rom. XIII,
8-14, le même que dans la liturgie romaine. L'évangile traditionnel
est le passage apocalyptique de Luc XXI, 25-33, pour la 1ère année,
et Matth. XV, 31-46, sur le jugement dernier pour la 2èm,.
Dans l'Eglise d'Angleterre, le 2èm, dimanche de l'Avent s'appelle
désormais ( le dimanche de la Bible )), car c'est le thème de la col-
lecte et de l'épître. La collecte, qui date de 1549, est directement
basée sur l'épître, tirée de Rom. XV, 4-13. Selon les nouvelles dispo-
sitions pour ce dimanche, désormais nommé le 3ème avant Noël,
l'accent continue à porter sur le témoignage de l'Ecriture à la venue
de Notre-Seigneur. Le thème est « la Parole de Dieu dans l'Ancien
Testament». L'ancienne collecte a été conservée:
« Seigneur, qui as fait rédiger les anciennes Ecritures pour
notre instruction: accorde-nous de les entendre, lire, saisir, appren-
dre et assimiler intérieurement, de telle manière que, par la patience
et le réconfort de ta sainte parole, nous puissions embrasser et
maintenir fortement l'espérance bienheureuse de la vie éternelle.
que tu as donnée par notre Sauveur Jésus-Christ».

Les leçons de l'Ancien Testament viennent d'ls. LV, 1-11 et ls.


LXIV, 1-5 (ce dernier texte se serait davantage harmonisé avec l'ancien
évangile de ce dimanche). L'épître est, selon les années, soit Rom.
XV, 4-13, soit 2 Tim. III, 14 - IV, 5. Ce texte est d'usage dans. la
cérémonie de l'installation d'un curé dans sa paroisse. Les textes de
l'Evangile, nouveaux pour les deux années, sont respectivement Jean
V, 36- 47, et Luc IV, 14-21.
Pour le 2i:'mc dimanche avant Noël (jadis le 3èmc de l'Avent) on a
conservé l'ancien thème du ministère. La collecte, celle du Prayer
Book, fait allusion au ministère de Jean-Baptiste et poursuit ainsi:
« Que les ministères et les intendants de tes mystères puissent de
même préparer et frayer tes voies afin que, lors de ta deuxième
venue pour juger le monde, nous soyons trouvés un peuple agréable
à tes yeux ».

L'ancienne épître, I Cor. IV, 1-5, est conservée pour la première


année, avec un nouvel évangile, Jean l, 19-27. L'ancien évangile, Matt.
DANS LE CALENDRIER RÉVISÉ DE L'ÉGLISE D'ANGLETERRE 283

XI, 2~10, servira la 2ème année avec, comme épître, Phil. IV, 4~9. C'est
l'épître du rite romain pour le 3èrne dimanche de l'Avent et dans le
Prayer Book, pour le 4èrnc . Les textes de l'Ancien Testament sont Is.
XL, 1-11, et Mal. III, 1-5.
La Commission a donc reporté les textes scripturaires du 4ème
dimanche de l'Avent au dimanche précédent. Le nouveau Propre
qui en résulte, portant sur le thème du ministère, est apparemment
destiné à introduire aux Quatre Temps de Noël. A propos de ce choix
pour les 2ème et 3ème dimanches avant Noël, on pourrait mentionner
que l'Eglise étant eschatologique dans sa conception, et qu'ayant elle
pour tâche de préparer les voies à la venue du Royaume, la Bible
et le ministère y ont leur rôle à jouer.
A la suite de ce transfert de l'ancien Propre à l'avant-dernier-
dimanche avant Noël, la voie était libre pour l'introduction au der-
nier dimanche d'un thème entièrement nouveau, et la Commission
s'est proposé d'orienter nos pensées vers l'Annonciation. Soulignons
de nouveau que cette innovation ne met aucunement obstacle à la
fête de l'Annonciation à sa date traditionnelle du 25 mars, pour la-
quelle il a été prévu un Propre. « Historiquement et théologiquement »,
dit la Commission, ({ ce thème convient, bien entendu, à une date
proche de Noël ». La nouvelle collecte est empruntée au fonds de
prières modernes. La voici:

«0 Dieu, qui as choisi la bienheureuse Vierge Marie pour


devenir la mère de notre Sauveur: accorde·nous de nouS souvenir
de sa grande foi et de son immense amour, afin de chercher en
toutes choses à faire ta volonté et de nous réjouir à jamais de ton
salut, par Jésus-Christ Notre.Seigneur)} 23.

Il a été prévu un ensemble de nouveaux textes scripturaires 24,


et le Propre tout entier est destiné à introduire la fête de Noël.
Pour le Jour de Noël, on a conservé l'ancienne collecte, légè-
rement corrigée, avec une collecte supplémentaire facultative, prise
dans le Missel Romain. C'est la collecte de la 1ère messe de minuit
cc nouvellement traduite », lit-on dans le Calendrier, traduction qui

2J COLQUI-IOUN, Parish Prayers, 556 (corrigé).


2~ 1ère année: Is XI, 1·9: 1 Cor. !, 26·28; 2ème année: Zach. Il, 10·13, Apoc. XXI,
1-7, Matth. J, 18-23.
284 DOUGLAS WEBB

est en progrès, en ce qui concerne la langue, sur le texte du St. Pe-


ter's Sunday Missa1 25 • La voici:
«0 Dieu qui, en cette nuit très sainte, as fait briller l'éclat de
ton unique et vraie lumière: accorde-nous qu'après avoir connu la
révélation de sa lumière sur terre, nous puissions atteindre la pléni-
tude de sa joie au ciel: par Jésus-Christ Notre-Seigneur».

On a procédé à une révision des leçons. II n'y a qu'une seule


série, bien qu'on offre un choix de textes facultatifs. Le change-
ment qui peut surprendre le plus, c'est le déplacement de l'évangile
traditionnel, Jean l, 1-14, qui expose la doctrine de l'Incarnation, et
qui se trouve parmi les textes facultatifs, changement que beaucoup
regretteront. On n'en comprend pas les raisons.
Pour la période qui suit Noël jusqu'au 9ème dimanche avant Pâ-
ques, un certain nombre de modifications ont eu lieu. La Commission
a considéré qu'il serait plus simple de désigner tous ces dimanches
comme dimanches après Noël, d'autant que leur non1bre est toujours
irrégulier. On a considéré également que les dates rapprochées des
deux fêtes de l'Incarnation présentent quelques difficultés, d'autant
qu'en Occident le 6 janvier est surtout lié à la Visite des Mages à
l'Enfant Jésus, les thèmes du baptême et du premier miracle étant
relégués à des rôles mineurs. La Commission a donc proposé qu'en
accord avec son but, qui est de donner aux assemblées dominicales
la possibilité de célébrer les principaux événements de la vie de
Notre-Seigneur, la venue des Mages et le baptême du Christ soient
célébrés un dimanche, ce qui ailleurs n'empêche d'aucune façon l'ob-
servance de l'Epiphanie le 6 janvier avec un Propre prévu pour
cette date.
Le 1er dimanche après Noël, le thème prévu sera ({ les trois Ma-
ges». Une nouvelle collecte:
«0 Dieu qui, par les rayons de l'étoile, as conduit les sages à
l'adoration de ton Fils, daigne guider par ta lumière les nations
de la terre afin que le monde soit rempli de ta gloire, par Jésus-
Christ Notre Seigneur».26.

Quant aux lectures, le même évangile, Matth. II, 1-12, pour les
deux années 27.

'2..' Les droits d'auteur appartiennent à la Commission Liturgique Nationale

d'Angleterre et du Pays de Galles.


26 Liturgie de l'Eglise de l'Inde du Sud (corrigé).

27 1ère année: Is. LX, 1-6, Hébr. l, 1-14; 2ème année: Is. XLIX, 7-13, Ephés.
II, 1-6.
DANS LE CALENDRIER RÉVISÉ DE L'ÉGLISE D'ANGLETERRE 285

Pour le 2èrnc dimanche après Noël, on suggère deux thèmes:


la Présentation au Temple et le voyage à Jérusalem. Les textes choisis
conviennent à ces thèmes et la nouvelle collecte également. La voici:
cc 0 Dieu, dont le Fils béni est venu au monde pour faire ta
volonté: accorde-nous d'avoir toujours devant les yeux le modèle
de sa sainte vie et de trouver notre joie à faire ta volonté et
achever ton œuvre; par le même Jésus-Christ Notre-Seigneur» 28.

Pour le 3 ème dimanche, le baptême de Jésus est le thème unique,


sans doute pour en accentuer l'importance. La collecte est nouvelle:
«0 Seigneur Jésus-Christ, qui t'es humilié jusqu'à accepter le
baptême des hommes coupables et qui en cette occasion fus pro-
clamé Fils de Dieu; à nous qui avons été baptisés en toi accorde
de nous réjouir d'être les fils de Dieu et les serviteurs de tous, pour
l'amour de ton Nom, toi qui avec le Père et le Saint-Esprit, es un
seul Dieu dans les siècles des siècles» 29.

La leçon de l'Ancien Testament pour la 1ère année est le récit de


l'élection et de l'onction de David en 1 Sam. XLI, 1·13, et pour la 2'me
année, Is. XLII, 1·7. Les épîtres sont respectivement Actes X, 3445,
et Ephés. II, 1·10; les évangiles, le récit du baptême de Jésus, Matth.
III, 13-17, et le texte de Jean l, 29·34 qui insiste sur la descente du
Saint-Esprit sur Notre-Seigneur.
Un seul thème aussi au 4ème dimanche après Noël, « Les pre-
miers disciples ». La collecte provient des Occasional Prayer du Prayer
Book de 1928; elle est tirée du Sacramentaire Léonin, dans la tra-
duction bien connue de J. Armitage Robinson. La voici:
« Souviens-toi, ô Seigneur, de ce que tu as accompli en nous
et non de ce que nous méritons; et puisque tu nous a appelés à ton
service, rends-nous dignes de notre vocation, par Jésus-Christ Notre-
Seigneur ».
Les textes de l'Ancien Testament relatent la vocation de Jérémie
et de l'enfant Samuel; les épîtres, la conversion de St. Paul d'après
son discours au roi Agrippa et son récit de ses relations avec les
chefs de l'Eglise après sa conversion, dans l'Epître aux Galates. Les
évangiles sont ceux de la vocation des premiers disciples 30.

COLQUHOL'N, Paris Prayers, 321


2.1 (corrigé).
Liturgie de l'Eglise de l'Inde
29 du Sud, 4èmc dimanche de Noël (corrigé).
~ 1ère année: Jér. l, 4-10, Actes XXVI, 1.9-18, Marc 1, 14-20; 2ème année: 1
Sam. III, 3-10, Gal. 1, 11-24, Jean 1, 35-51.
286 DOUGLAS WEBB

Pour le Sème dimanche après Noël, deux thèmes, sous le titre


({ Les premiers signes »: les Noces de Cana, et le nouveau Temple.
La collecte nouvelle, empruntée à la liturgie de l'Inde du Sud, con-
vient à l'un et à l'autre thème. La voici:
« Dieu Tout-Puissant, qui as fait toutes choses nouvelles dans
le Christ: transforme la pauvreté de notre nature en la richesse de
ta grâce, afin que, par le renouvellement de nos vies, soit révélée
ta gloire par Jésus-Christ Notre Seigneur».

Les textes de l'Ecriture sont appropriés à ces thèmes 31.

Le 6èrne
dimanche après Noël a aussi deux thèmes: « L'Ami des
pécheurs» et {( La Vie pour le monde », l'un et l'autre des thèmes
d'Epiphanie, bien appropriés. La collecte et les textes de l'Ecriture
s'y harmonisent 32.
Pour les deux derniers dimanches de ce cycle, aucun thème par-
ticulier n'est proposé, sans doute parce que ces dimanches ne se-
ront pas souvent célébrés. On ne peut donc que regretter que deux
belles collectes du Prayer Book leur aient été attribuées, de sorte
qu'on ne les entendra que rarement.
A juger de l'organisation générale de ces matériaux pour les di-
manches qui suivent Noël, il semblerait que la Commission, guidée
par des considérations historiques, ait réalisé une esquisse rapide des
principaux événements de la vie de Notre-Seigneur, avant d'entrer
dans le cycle de la Rédemption, le 9èm, dimanche avant Pâques. De
la sorte, elle établit un lien avec ce cycle qui est à la fois historique
et théologique.
Ici s'achève notre étude sur l'Economie du Salut, telle qu'elle
est présentée dans le Calendrier révisé de l'Eglise d'Angleterre. Il
convient de laisser le dernier mot à la Commission, qui résume le
but qu'elle s'est proposé en ces termes: {( On verra que nous n'avons
rien projeté de révolutionnaire, mais nous espérons avoir fourni une
présentation plus rationnelle de l'année chrétienne, dans l'intérêt
pastoral des fidèles» 33.
Douglas WEBB

ll1b, année, Ex. XXXIII, 12-23, l Jean l, 14, Jean II, 1-11; 2ème année: l
Rois VIII, 22·33, 1 Cor. III, 10.17, Jean II, 13·22.
II «Accorde, nous t'en supplions, ô Dieu miséricordieux, à ton peuple fidèle

le pardon et la paix, afin qu'il soit purifié de toutes ses fautes et qu'il te serve
sans inquiétude »: B.e.p., TrinitY XXI. - 1ère année: Os XlV, 1-7, Philém. 1-16,
Marc II, 13-17; 2ème année: l Rois X, 1-13, Ephés III, 8-19, Jean IV, 7-14.
3.J The CaZendar and Lessons ... , p. 7.

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