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LITURGIE ET HAGIOGRAPHIE. La liturgie, fabrique des saints

Article · March 2022

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Adéchina Samson Takpé


Vinzenz Pallotti University
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Adéchina Samson Takpé

LITURGIE ET HAGIOGRAPHIE : La liturgie, fabrique des saints

Table des matières

Introduction ................................................................................................................ 2
1. Notions de liturgie et d’hagiographie ..................................................................... 2
1.1. Des avancées de la notion de liturgie ? ............................................................ 2
1.2. Une nouvelle définition de la liturgie............................................................... 3
1.3. L’hagiographie au fil des siècles ...................................................................... 3
2. Rapport entre liturgie et hagiographie .................................................................... 4
2.1. Le sanctoral ou propre des saints .................................................................... 4
2.2. La liturgie, fabrique des saints ......................................................................... 4
2.3. L’hagiographie, miroir des « produits finis » de la liturgie ................................ 5
3. Quand liturgie et hagiographie s’écrivent mutuellement sous nos yeux ................... 6
3.1. Les messes du Padre Pio et du curé d’Ars ........................................................ 6
3.2. La confession chez Padre Pio, Jean-Marie Vianney et Léopold Mandic ........... 7
3.3. Les miracles liturgiques dans la vie des saints .................................................. 7
Conclusion .................................................................................................................. 8
Bibliographie ............................................................................................................... 9

1
Introduction
Je fais des recherches en liturgie et en hagiographie. Le lien profond entre ces deux
disciplines peut ne pas être perçu dans toute son ampleur. Mais plus j’avance dans mes
recherches, plus ce lien devient évident et s’amplifie dans mon esprit. Le présent article se
donne pour objectif de montrer la relation vivante et dynamique entre célébration
liturgique et sainteté puis entre liturgie et hagiographie comme disciplines académiques,
afin de faire partager aux lecteurs ma perspective. En un premier temps, je clarifierai les
notions de liturgie et d’hagiographie. En un deuxième temps, j’aborderai les différents
rapports qui les lient. Je finirai, en un troisième temps, par ce qui à mes yeux incarnerait
l’idéal vivant de ce rapport.

1. Notions de liturgie et d’hagiographie

1.1. Des avancées de la notion de liturgie ?


Dans un article paru au journal La Croix du Bénin en mars 2022, j’ai fait une analyse des
avancées qu’a connues la notion de liturgie depuis Vatican II. J’ai mis « depuis » et non
« après », parce que lesdites avancées étaient déjà contenues, de façon parsemée, dans les
documents postconciliaires. C’est juste que l’assertion de SC 7, en laquelle l’on voit
généralement la définition officielle de la liturgie, n’en fait pas mention. Les trois avancées
mentionnées étaient : le rôle de l’Esprit Saint dans la liturgie, l’option préférentielle pour
la notion de symbole (plutôt que celle de signe), l’insistance sur la rencontre salvifique
personnelle et collective1. Ces trois points figurent dans le Catéchisme de l’Eglise
Catholique qui parle de la liturgie sacramentelle, constituée de paroles et de symboles, où l’Esprit
Saint nous met en communion avec le Christ (n° 688). Les numéros 1091-1109 vont plus
loin : Dans la liturgie, l’Esprit Saint est le pédagogue de notre foi et « l’artisan des ‘chefs-
d’œuvre de Dieu’ que sont les sacrements de la Nouvelle Alliance » (n° 1091). Par la
réponse de foi que l’Esprit Saint suscite en nous, la liturgie devient l’œuvre commune de
l’Esprit Saint et de l’assemblée célébrante, l’œuvre commune de l’Esprit Saint et de toute
l’Eglise (n° 1091, 1098, 1099). « Dans la liturgie se réalise la coopération la plus intime de
l’Esprit Saint et de l’Eglise. » (n° 1108). L’effusion et la force transformante de l’Esprit
Saint rend présent et actualise le mystère du Christ (cf. n° 1092, 1104, 1107, 1111) : « Le
mystère pascal du Christ est célébré, il n’est pas répété ; ce sont les célébrations qui se
répètent ; en chacune d’elle[s] survient l’effusion de l’Esprit Saint qui actualise l’unique
mystère. (…) La puissance transformante de l’Esprit Saint dans la liturgie hâte la venue
du Royaume et la consommation du mystère du salut. » (n° 1104 et 1107). En conclusion
de ces développements, le Catéchisme de l’Eglise Catholique résume ainsi le rôle de
l’Esprit Saint dans la liturgie : « La mission de l’Esprit Saint dans la liturgie de l’Eglise est
de préparer l’assemblée à rencontrer le Christ ; de rappeler et de manifester le Christ à la
foi de l’assemblée ; de rendre présente et d’actualiser l’œuvre salvifique du Christ par sa
puissance transformante et de faire fructifier le don de la communion dans l’Eglise. » (n°

1
Cf. Samson Takpé, Vers une nouvelle définition de l'art de célébrer, dans: La Croix du Bénin, N° 1648 du 04
mars 2022, p. 10.

2
1112). La liturgie est en définitive l’œuvre commune de la Sainte Trinité et de l’Eglise,
ayant le Père comme source et fin, le Fils comme sujet-objet, l’Esprit Saint comme
puissance transformante et l’Eglise comme sujet-instrument. Le CEC fait également
mention des « symboles » sacramentels. Le n° 1101 évoque les paroles, actions et symboles qui
forment la trame de la célébration liturgique. La rencontre salvifique personnelle et collective
n’est pas non plus absente (cf. n° 1097-1098, 1101). Eu égard à ces remarques, j’ai proposé
une nouvelle définition de la liturgie.

1.2. Une nouvelle définition de la liturgie


Ma proposition était la suivante : « La liturgie est l’exercice de la fonction sacerdotale de
Jésus Christ par l’ensemble de son Corps mystique dans la puissance de l’Esprit Saint,
exercice dans lequel Dieu est glorifié et la sanctification de l’homme signifiée par des
symboles et des signes sensibles, et réalisée d’une manière propre à chacun d’eux afin que
les croyants rencontrent Dieu et expérimentent la puissance de son salut2. » La question
s’est posée de savoir pourquoi maintenir ensemble « symboles » et « signes sensibles » dans
cette nouvelle approche si déjà le symbole contient le signe. La réponse est que tout n’est
pas symbole. Lorsque pour l’orate fratres3 par exemple, le prêtre étend les mains pour inviter
le peuple à s’unir dans la prière, ce geste n’est pas un symbole mais un signe d’invitation.
Enfin, en parlant d’expérience du salut dans la définition, je veux dire qu’une liturgie bien
vécue a le pouvoir de changer des vies et de sauver tout l’homme. C’est une vérité attestée
dans l’hagiographie, des premiers siècles jusqu’à nos jours.

1.3. L’hagiographie au fil des siècles


L’hagiographie est l’écriture de la vie des saints4. Comme biographie apologétique devant
servir à l'instruction spirituelle et à l'édification religieuse, l’hagiographie est un genre
littéraire qui veut mettre en avant la sainteté d’une personne. C’est pourquoi elle lit les
informations historiques à la lumière de l’Esprit Saint en montrant l’œuvre de la grâce de
Dieu dans la vie de la personne. Mais contrairement aux textes hagiographiques des
premiers siècles et de l’époque médiévale trop mêlés de légendes et de récits inspirés5,
l’hagiographie moderne porte davantage le souci de la vérité historique et insiste plus sur

2
Ibid.
3
La traduction selon la Nouvelle Traduction du Missel Romain dit : « Priez, frères et sœurs : que mon sacrifice,
et le vôtre, soit agréable à Dieu le Père tout-puissant. »
4
S’il faut souligner une différence entre hagiographie et hagiologie, celle-ci serait la science qui étudie la vie
et les œuvres des saints.
5
Je pense ici à la légende dorée, à la fleur des saints et aux fioretti. La Légende dorée (Legenda aurea en latin) est
un ouvrage hagiographique rédigé en latin entre 1261 et 1266 par le bienheureux Jacques de Voragine (1228-
1298), dominicain et archevêque de Gênes. Il raconte la vie d'environ 150 saints ou groupes de saints et,
suivant les dates de l'année liturgique, certains événements de la vie du Christ et de la Très Sainte Vierge. La
Fleur des saints est un livre de piété offrant au lecteur une vie de saint pour chaque jour de l'année. La plus
populaire à l’époque contemporaine est celle d’Omer Englebert écrite en 1946. Ajoutant au Martyrologe
romain quelques dizaines de bienheureux particulièrement honorés dans les autres Eglises, elle se présente
comme une Légende dorée moderne. Les Fioretti ou « petites fleurs » sont de petits textes hagiographiques
contenant des anecdotes, miracles et histoires légendaires témoignant de l’intervention de Dieu dans la vie
d’un saint.

3
la profondeur spirituelle, l'audace missionnaire ou caritative d’un serviteur ou d’une
servante de Dieu. Néanmoins, avec l’avènement du renouveau charismatique depuis le
début du XXème siècle, où l’exercice des charismes est compris non plus comme exception
mais comme norme de vie chrétienne, les textes hagiographiques intègrent de plus en plus
l’exercice des charismes par les saints. Toutefois, la nouvelle approche n’est plus
légendaire mais descriptive et critique. L’hagiographe contemporain est à la fois un
historien et un théologien. Il est aussi un évangélisateur. Les évangélistes sont d’ailleurs
les premiers hagiographes en tant qu’écrivains de la vie et des œuvres du Saint par
excellence. Si Jésus et ses Apôtres ont évangélisé leur génération, les évangélistes et autres
écrivains sacrés du Nouveau Testament co-évangélisent avec eux les générations suivantes
jusqu’au retour du Christ en gloire.

2. Rapport entre liturgie et hagiographie

Les deux disciplines, liturgie et hagiographie, sont très liées. Le premier lien est fourni par
le sanctoral.

2.1. Le sanctoral ou propre des saints


Le sanctoral ou propre des saints6 est l’ensemble des jours consacrés à la célébration des
saints aux dates fixées par/dans le calendrier liturgique. Le sanctoral est l’ensemble des
fêtes des saints du calendrier liturgique célébrées par l’Eglise universelle ou une Eglise
particulière. Pour ce faire, la liturgie fournit un bref aperçu de la vie et de l’activité du saint
puis propose des oraisons qui s’y réfèrent et l’expriment. Célébrer les saints, c’est glorifier
Dieu, comme le stipule la première préface des saints : « tu es glorifié dans l’assemblée des
saints : lorsque tu couronnes leurs mérites, tu couronnes tes propres dons. » En résumé ici,
on pourrait dire que l’hagiographie fait partie de la liturgie. Mais la liturgie ne nous donne
pas seulement de contempler les saints, elle fait les saints.

2.2. La liturgie, fabrique des saints


La liturgie est la fabrique des saints, la liturgie fait les saints7. En effet, par la liturgie, nous
sommes sanctifiés et divinisés. La constitution conciliaire sur la Sainte Liturgie,
Sacrosanctum concilium, parle de la liturgie comme de « cette grande œuvre par laquelle
Dieu est parfaitement glorifié et les hommes sanctifiés » (SC 7). Elle parle de la liturgie
comme de l’exercice dans lequel la sanctification de l’homme est signifiée et réalisée (SC 7). « C’est
donc de la liturgie, et principalement de l’Eucharistie, comme d’une source, que la grâce
découle en nous et qu’on obtient avec le maximum d’efficacité cette sanctification des
hommes » (SC 10). L’Église remplit sa fonction de sanctification d’une manière
particulière par la sainte liturgie, et les fidèles ont leur part propre à la fonction de

6
L'année liturgique comprend le cycle temporal qui célèbre les mystères du Christ (incarnation et
rédemption) et le sanctoral qui célèbre les saints. La préséance des célébrations entre le temporal et le
sanctoral est indiquée dans les Normes Universelles de l’Année Liturgique n° 56-61.
7
Cette assertion ne veut pas dire que Dieu ne sanctifie pas en dehors de la liturgie. D’ailleurs, la liturgie
déborde en un certain sens l’Eglise, parce que les fruits de la rédemption qui en découlent rejaillissent sur
toute la création.

4
sanctification, en participant activement, selon leur manière propre, aux célébrations
liturgiques et surtout à la célébration eucharistique (cf. CIC 834-835). La liturgie est
l’échange admirable qui nous rend « participants de la nature divine » (2 P 1, 4). L’ars
celebrandi consiste donc à mettre tout en œuvre pour que les célébrations liturgiques
concourent à former un peuple de saints. L’actuosa participatio vise une pleine participation
à la vie divine.

2.3. L’hagiographie, exposition des « produits finis » de la liturgie


L’hagiographie nous donne de contempler les « produits finis » de la liturgie, même en
dehors du cadre de la célébration liturgique. Rachetés d’entre les hommes comme
prémices pour Dieu et son Christ, ils ont vaincu l’accusateur par le Sang de l’agneau (Ap
12, 11). En les contemplant, nous admirons ce que les grâces liturgiques opèrent en chacun
de nous, nous sommes motivés à y participer plus intensément et à nous laisser transformer
par la grâce de Dieu. Ce disant, je pense à Saint Ignace de Loyola qui s’est converti en
lisant la vie des saints8. Je pense aux deux courtisans de l’empereur romain qui
rencontrèrent et lurent par occasion la vie de saint Antoine le Grand, dans un ermitage
auprès de Trêves, où ils étaient allés se promener, et qui en furent tellement émus qu’ils
renoncèrent aux charmes de la cour et aux avantages que la fortune leur faisait espérer,
pour embrasser, à l’exemple de ce grand Saint, une vie pénitente et solitaire9. Un grand

8
On lui donna une Vie du Christ et un livre sur la vie des saints. En lisant ces ouvrages, il s’attachait quelque
peu à ce qui s’y trouvait écrit. Mais les laissant de côté, il s’arrêtait parfois pour penser aux choses qu’il avait
lues et, d’autres fois, aux choses du monde auxquelles il avait l’habitude auparavant de penser. Cependant
Notre Seigneur le secourait, faisant en sorte que ces pensées fussent suivies d’autres qui naissaient des choses
qu’il lisait. Ainsi, lisant la vie de Notre Seigneur et des saints, il s’arrêtait à réfléchir en raisonnant avec soi-
même : « Que serait-ce si je faisais ce que fit saint François et ce que fit saint Dominique ? » Et ainsi il
méditait sur beaucoup de choses qu’il trouvait bonnes, se proposant toujours des choses difficiles et dures,
et, quand il se les proposait, il lui semblait qu’il trouvait, au fond de soi, de la facilité pour les mettre en
œuvre. Le plus souvent, son propos intérieur consistait à se dire : « Saint Dominique a fait ceci, eh bien, moi
aussi, il faut que je le fasse. » Aller à Jérusalem nu-pieds, ne plus manger que des herbes, se livrer à toutes
les austérités auxquelles il voyait que les saints s’étaient livrés, non seulement il éprouvait de grands élans
intérieurs quand il méditait sur des pensées de ce genre mais même après les avoir quittées, il restait satisfait
et allègre. Et alors se proposait à lui le désir d’imiter les saints, non qu’il considérât les circonstances de leur
vie, mais il se promettait plutôt de faire, avec la grâce de Dieu, comme ils avaient fait. Et alors, quand il se
souvenait d’avoir à faire quelque pénitence qu’avaient faite les saints, il faisait l’effort d’y mettre son cœur.
Et, au cœur de ces pensées, il trouvait toute sa consolation non en considérant ce qu’est l’humilité, la charité,
la patience, ni la discrétion propre à régler et modérer ces vertus, mais toute son intention était d’accomplir
de ces grandes œuvres extérieures parce que les saints en avaient accompli de pareilles pour la gloire de Dieu
et il ne considérait aucune des circonstances particulières propres à ces œuvres des saints. Cf. Autobiographie
de Saint Ignace de Loyola, ch. I.
9
A Trèves, l’empereur passant l’après-midi aux spectacles du cirque, trois de ses compagnons et lui allèrent
se promener dans les jardins attenant aux murs de la ville. Comme ils marchaient deux à deux, l’un avec lui,
les deux autres ensemble, ils se séparèrent. Ceux-ci, chemin faisant, entrèrent dans une cabane où vivaient
des serviteurs de Dieu, et ils trouvèrent un manuscrit de la vie d’Antoine. L’un d’eux se met à lire ; il admire,
son cœur brûle, et tout en lisant, il songe à embrasser une telle vie, à quitter le monde pour servir Dieu : ils
étaient l’un et l’autre agents des affaires de l’empereur. Rempli soudain d’un divin amour et d’une sainte
honte, il s’irrite contre lui-même, et jetant les yeux sur son ami : « Dis-moi, je te prie, où donc tendent tous
nos travaux? Que cherchons-nous? pour qui portons-nous les armes? Quel peut être notre plus grand espoir
au palais que d’être amis de l’empereur? Et dans cette fortune, quelle fragilité! que de périls! Et combien de
périls pour arriver au plus grand péril? Et puis, quand cela sera-t-il? Mais, ami de Dieu, si je veux l’être, je le
suis, et sur l’heure. » Il parlait ainsi, dans la crise de l’enfantement de sa nouvelle vie; et puis, ses yeux
reprenant leur course dans ces saintes pages, il lisait, et il changeait au-dedans, et son esprit se dépouillait du

5
nombre d’autres saints et saintes ont été attirés à la piété par cette voie : saint Augustin,
sainte Marie l’Egyptienne, saint Prote et saint Hyacinthe, saint Honorat, évêque d’Arles,
saint Elzéar, saint Jean Colombini, etc. En résumé, les fidèles trouvent dans la vie des
saints un flambeau qui leur montre le véritable sentier du salut, un aiguillon qui les excite
à y entrer au plus tôt, et un gage assuré de la récompense qui leur est promise s’ils
persévèrent : « Dans leur vie, tu nous procures un modèle, dans la communion avec eux,
une famille, et dans leur intercession, un appui ; afin que, soutenus par cette foule immense
de témoins, nous courions jusqu’au bout l’épreuve qui nous est proposée et recevions avec
eux l’impérissable couronne de gloire » (Première préface des saints).

3. Quand liturgie et hagiographie s’écrivent mutuellement sous nos yeux

Après que le rapport dynamique des deux disciplines a été élucidé, nous voulons
contempler la compénétration vivante et vivifiante qui se produit entre elles quand les
acteurs liturgiques incarnent véritablement ce qu’ils célèbrent.

3.1. Les messes du Padre Pio et du curé d’Ars


Lorsque saint Padre Pio ou Saint Jean-Marie Vianney célébrait la liturgie, le ciel semblait
descendre de façon palpable sur la terre et celle-ci de toute évidence transportée dans les
sphères célestes. Alors liturgie et hagiographie deviennent vivantes et s’écrivent
mutuellement. Maria Winowska témoigne : A peine Padre Pio se trouve au pied de l’autel
que son visage se transfigure. Il se meut dans un monde qui, pour nous, demeure opaque.
Dès le premier instant, nous voici irrésistiblement plongés en plein mystère. Le temps
semble arrêté, ou plutôt, ne compte plus. Ce prêtre qui prend tout son temps à l’autel nous
entraîne tous dans une nouvelle dimension où la durée change de sens. Tout d’un coup de
grosses larmes jaillissent de ses yeux et ses épaules, secouées de sanglots, semblent ployer
sous un poids écrasant. Après cette douloureuse extase, la messe continue. A partir de
l’offertoire, le rythme du drame sacré s’intensifie. En levant la patène d’un geste suppliant,
les yeux perdus dans une lumière invisible, Padre Pio découvre les plaies de ses mains,
rouges et sanguinolentes. On dirait qu’il ramasse le monde entier dans cet acte d’offrande.
Les minutes coulent comme des gouttes de sang. Au memento des vivants, nouvel arrêt,
nouvelle extase. Des présences invisibles l’enveloppent, le secondent10….

Si ceux qui suivaient la messe de Padre Pio en sortaient transformés, il a suffi à d’autres
de voir un saint ou une sainte participer à l’eucharistie pour en être édifiés. C’est ainsi que
ceux qui voyaient Sainte Hildegarde de Bingen participer à la messe avaient l’impression

monde, comme on vit bientôt après. Et il lisait, et les flots de son âme roulaient frémissants; il vit et prit la
meilleure part, puis dit à son ami : « C’en est fait, je romps avec tout notre espoir; je veux servir Dieu, et à
cette heure, en ce lieu, je me mets à l’œuvre. Si tu n’es pas prêt pour me suivre, ne me détourne pas. » L’autre
répond qu’il veut aussi conquérir sa part de gloire et de butin. Et tous deux bâtirent la tour qui s’élève avec
ce que l’on perd pour suivre Jésus Christ (Lc 14, 25-33). Cf. Les Confessions de Saint Augustin, Lv VIII, ch. 6.
10
Cf. Maria Winowska, Le vrai visage du Padre Pio. Vie et survie, Paris, Fayard, 2004, p. 18-24.

6
d’un mariage entre le ciel et la terre. C’est d’ailleurs le titre d’un des albums qui lui furent
dédiés11. La sainte avait souvent des extases pendant la messe.

3.2. La confession chez Padre Pio, Jean-Marie Vianney et Léopold Mandic


Les confessions chez Padre Pio de Pietrelcina, Saint Jean-Marie Vianney et Saint Léopold
Mandic étaient l’occasion d’un vrai renouveau spirituel. Parlant de la confession chez
Padre Pio – c’est aussi la liturgie, même si on n’est que deux ! – Maria Winowska
témoigne : L’on a beau venir avec un programme tout fait et une ‘liste de péchés’ bien
alignés, le Padre bouscule tout d’un mot pour aller à la racine du mal. En un clin d’œil,
l’âme est mise à nu. Elle se voit et se sait vue. Les plaies cachées ou oubliées s’étalent
soudain dans toute leur horreur. Des blindages savants sont réduits en miettes, les masques
tombent. Une lumière pénétrante comme une épée fouille inexorablement les plus secrets
replis de la conscience. Quel étalage d’iniquités, quel hideux chaos ! Lorsque l’âme,
surnaturellement illuminée, se découvre fange et ordure face à la pureté souveraine de
Dieu, des torrents de larmes purificatrices jaillissent. Broyée de contrition, elle accueille
avidement ces deux mots enfin chargés de leur vrai sens : ‘acte de contrition’, dit Padre
Pio et il lève la main pour donner l’absolution. Les pénitents ont chaque fois l’impression,
voire la conviction de plonger dans le sang du Christ. L’âme en sort alors toute régénérée
et transfigurée, comme remise à neuf12, c’est un miracle. Et des miracles liturgiques,
l’histoire de l’Eglise en regorge.

3.3. Les miracles liturgiques dans la vie des saints


La liturgie est en elle-même le plus grand des miracles. Miracle des miracles, elle l’est à
chacune de ses étapes, dans chacun de ses éléments et dans son ensemble. Néanmoins,
Dieu donne parfois des signes visibles de ce qui se produit invisiblement dans la liturgie,
notamment dans la Sainte Eucharistie. Avant d’en évoquer quelques-uns, faisons
remarquer avec le père Nicolas Buttet que la Parole du Christ est la seule preuve certaine
et absolue de sa Présence réelle, car IL ne dit pas des mensonges13.

Saint Laurent Giustiniani, premier patriarche de Venise, eut, juste après la consécration,
la vision de l’Enfant-Jésus dans l’Hostie, alors qu’il célébrait la messe de la Nativité dans
la cathédrale Saint-Pierre à Castello. A sainte Angèle de Foligno, Jésus apparut dans
l’Hostie sous l’apparence d’un adolescent14. Saint Bonaventure, alors qu’il n’était pas
encore prêtre et hésitait à aller communier, reçut d’un ange la communion. Sainte
Véronique de Binasco reçut également sur son lit de mort la communion de la part d’un
ange. Les jansénistes refusaient de donner la communion à la bienheureuse Benoîte
Rencurel dans le sanctuaire de Notre-Dame du Laus. Un ange vint alors, ouvrit le
tabernacle et lui donna le Corps du Christ15.

11
Cf. Catherine Braslavsky & Joseph Rowe, Le mariage du ciel et de la terre.
12
Maria Winowska, op. cit., p. 30.
13
Nicolas Buttet, L’Eucharistie à l’école des saints, Paris, Editions de l’Emmanuel, p. 98.
14
Nicolas Buttet, op. cit., p. 101.
15
Nicolas Buttet, op. cit., p. 342.

7
Saint Grégoire célébrait un jour le saint sacrifice de la messe. La femme qui avait offert le
pain à consacrer s’approcha pour communier. Mais lorsque notre saint lui présenta le
Corps du Christ avec les paroles liturgiques prévues, la dame se mit à sourire. Le Saint la
priva de la communion, reporta le Saint Sacrement à l’autel et acheva la messe. Après quoi
il demanda à la dame de dire devant tout le peuple pourquoi elle riait alors qu’elle était sur
le point de recevoir le Corps du Christ. Elle répondit : « C’est parce que vous aviez dit que
ce pain était le Corps de Jésus Christ ; or, c’est moi qui l’ai pétri de mes mains. » Le Saint,
entendant cela, se mit à genoux au pied de l’autel et commença des prières avec le peuple,
conjurant le Père des lumières d’éclairer l’âme de cette pauvre femme incrédule. Et
aussitôt, les saintes espèces se changèrent en chair. Grégoire le fit voir à toute l’assistance
puis à la femme incroyante qui se convertit. Et le Saint, ayant fait une seconde oraison,
l’Hostie reprit sa première figure16.

Conclusion

Liturgie et hagiographie entretiennent une relation dynamique de fécondité réciproque.


Lorsque liturgie et hagiographie s’écrivent simultanément sous nos yeux, alors nous
comprenons mieux cette déclaration de la constitution conciliaire : « Dans la liturgie
terrestre, nous participons par un avant-goût à cette liturgie céleste qui se célèbre dans la
sainte cité de Jérusalem à laquelle nous tendons comme des voyageurs, où le Christ siège
à la droite de Dieu, comme ministre du sanctuaire et du vrai tabernacle ; avec toute l’armée
de la milice céleste, nous chantons au Seigneur l’hymne de gloire ; en vénérant la mémoire
des saints, nous espérons partager leur communauté ; nous attendons comme Sauveur
notre Seigneur Jésus Christ, jusqu’à ce que lui-même se manifeste, lui qui est notre vie, et
alors nous serons manifestés avec lui dans la gloire » (SC 8).

Joseph Hoppenot, La messe dans l'histoire et dans l'art, dans l'âme des saints et dans notre vie, Lille, Société Saint
16

Augustin, 1906, p. 195-196.

8
Bibliographie

Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, Normes universelles de


l’année liturgique.
Joseph Hoppenot, La messe dans l'histoire et dans l'art, dans l'âme des saints et dans notre vie,
Lille, Société Saint Augustin, 1906.
Maria Winowska, Le vrai visage du Padre Pio. Vie et survie, Paris, Fayard, 2004.
Nicolas Buttet, L’Eucharistie à l’école des saints, Paris, Editions de l’Emmanuel, p. 98.
Saint Augustin, Les Confessions.
Saint Ignace de Loyola, Autobiographie.
Samson Takpé, Vers une nouvelle définition de l'art de célébrer, dans: La Croix du Bénin, N°
1648 du 04 mars 2022, p. 10.

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