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Actualité des Eglises

Le Vatican soufflerait-il alternativement le chaud et le froid ? C’est le


sentiment de plusieurs. La Déclaration d’Augsbourg les avait
enthousiasmés ; Dominus Iesus leur fait l’effet d’une douche froide ;
Mais pourquoi ? Il faut y regarder de plus près, sobrement.

C’est ce que fait pour nous le pasteur Hubert Goudineau.


M. Goudineau, après des études de théologie à Vaux-sur-Seine et
Strasbourg, couronnées par un doctorat dans cette dernière faculté,
se consacre actuellement à mettre en place
l’enseignement à distance de la FLTE.

A propos de la Déclaration
de l’Eglise catholique
« Dominus Iesus »
par Hubert Goudineau

Le mardi 5 septembre 2000 le cardinal relayées et amplifiées par les médias (les-
Joseph Ratzinger, Préfet de la quels sont passés maîtres en la matière).
Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Ainsi, le Conseil Œcuménique des Egli-
présentait publiquement à Rome la ses, dans une première réaction, a
déclaration « Dominus Iesus » sur l’unicité déploré la teneur de cette déclaration qui
et l’universalité salvifique de Jésus-Christ « obscurcit » le témoignage chrétien
et de l’Eglise. Cette déclaration émanant « face à un monde meurtri ». Pour sa
de ladite Congrégation a été approuvée le part, le primat de l’Eglise d’Angleterre,
16 juin 2000 par Jean-Paul II, « avec
science certaine et son autorité
1. Cette déclaration a été publiée, dans sa
apostolique », précise le texte dans sa version française, aux éditions Centurion/
conclusion (§ 23). Par la suite le pape en Cerf/Fleurus-Mame, avec une introduction
a ordonné la publication1. du Cardinal Pierre Eyt, archevêque de Bor-
deaux et président de la Commission doc-
trinale des évêques de France. On peut
Dès la teneur du texte connue, de également trouver l’intégralité du texte dans
nombreuses réactions critiques se sont La Documentation catholique n°2233, 1er
octobre 2000, p. 812-22 et sur le site inter-
fait entendre. Elles ont été, bien entendu, net du Vatican : www.vatican.va.

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George Carey a déclaré ne pas reconnaî- intensité très relative) qui les a relayées.
tre dans cette déclaration « trente Avant d’émettre un avis sur ce texte, il
années » de « compréhension la plus convient d’apporter des réponses aux
profonde » avec les catholiques. Quant à questions suivantes : quel est le contenu
la Fédération Protestante de France, par exact de cette déclaration ? Se situe-t-elle
un communiqué signé de la main de son dans un rapport de continuité ou de rup-
président Jean-Arnold de Clermont, elle a ture avec les autres prises de position de
fait part de la « surprise attristée » des l’Eglise catholique romaine ? Et quelle est
protestants français et de son son degré d’autorité ?
interrogation : « Peut-on tirer un trait sur
quarante années d’engagement œcumé-
nique en donnant une lecture figée des Quel est le contenu exact de cette
textes de Vatican II ?1 » déclaration ? Se situe-t-elle dans
un rapport de continuité ou de
Du côté des représentants des reli- rupture avec les autres prises de
gions non-chrétiennes, les réactions n’ont position de l’Eglise catholique
pas non plus manqué. On peut tout parti- romaine ? Et quelle est son degré
culièrement relever celle émanant des d’autorité ?
autorités du judaïsme qui, en guise de
protestation, ont annulé la rencontre pré-
vue à Rome avec l’Eglise catholique dans
le cadre des cérémonies du Jubilé.
I. La teneur de « Dominus
Iesus »
Les nombreuses réactions de
croyants engagés (catholiques compris) Comme la deuxième partie de l’intitulé
allaient, pour la plupart également dans le de la déclaration l’indique, ce texte a pour
sens de la désapprobation. L’accueil fait à thème principal la problématique fonda-
cette déclaration a donc été, pour le mentale du salut des hommes et du
moins, peu chaleureux. Les effets pro- moyen d’y accéder. Il a pour objet
duits apparaissent, à première vue, dom- d’« exposer une nouvelle fois la doctrine
mageables en matière de dialogue de la foi catholique » concernant
œcuménique et (sans doute plus encore) « l’unicité et… l’universalité salvifique du
en matière de dialogue interreligieux. mystère de Jésus-Christ et de l’Eglise »
(§ 3). Face aux défis de la culture contem-
Cependant, la prudence et l’honnêteté poraine et tout particulièrement du plura-
intellectuelle invitent à prendre un peu de lisme religieux, comment faut-il
recul par rapport à ces vives réactions et comprendre, à la lumière de la révélation
au battage médiatique (certes d’une chrétienne, le rôle salvifique particulier du
Seigneur Jésus et le ministère de son
Eglise ? La déclaration, dans son intro-
1. Source : le journal La Croix du 6 septembre
2000, p. 4. duction, souligne « l’attention particulière

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Actualité des Eglises

du Magistère à encourager et à soutenir la d’expériences et de réflexions, trésors


mission évangélisatrice de l’Eglise, vis-à- humains de sagesse et de religiosité, que
vis surtout des traditions religieuses du l’homme dans sa recherche de la vérité a
monde » (§ 2), et fait part de son souci pensé et vécu » (§ 7), mais auquel on ne
concernant la pérennité de l’annonce mis- peut attribuer le même degré de véracité).
sionnaire de l’Eglise, parce que celle-ci
est « aujourd’hui mise en péril par des Section II : s’opposant à toute relativi-
théories relativistes, qui entendent justi- sation du rôle joué par Jésus de Nazareth
fier le pluralisme religieux » (§ 4). Ces dans l’économie du salut et à une quel-
théories considèrent comme dépassées conque séparation entre lui et le Verbe
des vérités traditionnelles telles que « le éternel (vieille hérésie !), le texte affirme
caractère définitif et complet de la révéla- que Jésus-Christ, le Fils et le Verbe du
tion de Jésus-Christ, la nature de la foi Père, « est le médiateur et rédempteur
chrétienne vis-à-vis des autres reli- universel » (§ 11). De même, rejetant
gions…l’unité personnelle entre le Verbe « l’hypothèse d’une économie de l’Esprit
éternel et Jésus de Nazareth, l’unicité et Saint au caractère plus universel que
l’universalité salvifique du mystère de celle du Verbe incarné, crucifié et
Jésus-Christ… » (§ 4). Dans les six sec- ressuscité », la déclaration affirme l’uni-
tions qui constituent le corps de la décla- que économie salvifique du Dieu un et
ration, la Congrégation pour la Doctrine Trine, par Jésus-Christ « avec et par son
de la Foi s’attache à défendre (arguments Esprit ». Celle-ci, précise le texte,
bibliques et théologiques à l’appui) les « s’étend à toute l’humanité, au-delà des
positions traditionnelles de l’Eglise catho- frontières visibles de l’Eglise » (§ 12).
lique concernant ces importantes ques-
tions. On peut relever les prises de Section III : de la prise de position
position suivantes : précédente découle l’affirmation – très
clairement exprimée et justifiée à l’aide de
Section I : rejetant la thèse qui sou- nombreuses citations bibliques – de la
tient le caractère incomplet et imparfait de manifestation et de l’accomplissement
la révélation de Jésus-Christ et la « une fois pour toutes » de la volonté sal-
« mentalité relativiste toujours plus vifique de Dieu « dans le mystère de
répandue » (§ 5), la déclaration réaffirme l’incarnation, de mort et de résurrection
le caractère définitif et complet de cette du Fils de Dieu ». S’interrogant sur la
révélation : l’Evangile est « plénitude de signification d’autres expériences reli-
la vérité », les textes bibliques ont été ins- gieuses en rapport avec le plan divin de
pirés par le Saint-Esprit. Elle souligne la salut, la déclaration, à la suite de Vatican
nette distinction qu’il convient de faire II et de l’encyclique Redemptoris missio
entre « la foi théologale » (la foi chré- (1990), n’exclut pas qu’elles puissent
tienne comme accueil de la vérité révé- jouer un rôle, tout en précisant que ce ne
lée) et « la croyance dans les autres peut être, certes d’une façon mystérieuse,
religions » (qui est « cet ensemble qu’en lien avec « l’unique médiation du

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Christ ». En aucun cas, ces expériences l’Eglise catholique « dans les Eglises et
religieuses « ne peuvent être considérées Communautés ecclésiales qui ne sont
comme parallèles ou complémentaires » pas encore en pleine communion avec
(§ 14) à la médiation christique. l’Eglise catholique » (§ 16), et que celles-
ci « ne sont nullement dépourvues de
signification et de valeur dans le mystère
Découle l’affirmation – très claire- du salut » (§ 17). Mais le texte prend soin
ment exprimée et justifiée à l’aide de préciser (reprenant une affirmation du
de nombreuses citations bibli- décret sur l’œcuménisme de Vatican II,
ques – de la manifestation et de Unitatis redintegratio,) que « leur force
l’accomplissement « une fois dérive de la plénitude de grâce et de
pour toutes » de la volonté salvifi- vérité qui a été confiée à l’Eglise
que de Dieu « dans le mystère de catholique » (§ 16). De plus, le texte éta-
l’incarnation, de mort et de résur- blit une distinction entre les réalités ecclé-
rection du Fils de Dieu ». siales non-catholiques méritant le titre
d’« Eglises » et celle qui ne reçoivent que
l’appellation de « Communautés ecclé-
Section IV : de l’unicité et de l’univer- siales ». Les premières sont celles qui
salité salvifique de Jésus-Christ, le texte sont au bénéfice de la succession aposto-
en vient à l’unicité et à l’unité de l’Eglise. lique et qui ont une Eucharistie valide
Une ecclésiologie typiquement catholique (sans les nommer la déclaration a en vue
romaine est développée : en raison de la les Eglises d’Orient) ; les secondes sont
continuité historique (fondée sur la suc- celles « qui n’ont pas conservé l’épisco-
cession apostolique) entre l’Eglise insti- pat valide et la substance authentique et
tuée par le Christ et l’Eglise catholique, intégrale du mystère eucharistique » (la
aujourd’hui l’unique Eglise du Christ se déclaration a en vue les Eglises protes-
trouve dans1 l’Eglise catholique romaine, tantes).
gouvernée par le successeur de Pierre et
les évêques qui sont en communion avec Section V : cette section a trait aux
lui. « Malgré les divisions entre chrétiens, rapports entre le Royaume de Dieu, le
l’Eglise du Christ continue à exister en Royaume du Christ et l’Eglise. Le texte
plénitude dans la seule Eglise affirme à la fois la distinction et le lien
catholique ». Le texte reconnaît cepen- étroit existant entre ces trois réalités, sou-
dant, – dans le sillage du texte de Vatican lignant notamment la mission et rôle de
II et de l’encyclique Ut unum sint – que l’Eglise dans le salut. Cependant, la
« des éléments nombreux de sanctifica- déclaration précise (en reprenant une
tion et de vérité subsistent » hors de affirmation de l’encyclique Redemptoris
missio) qu’« on ne doit pas oublier
“l’action du Christ et de l’Esprit Saint hors
1. A la suite de Vatican II, le texte latin de la des limites visibles de l’Eglise” » (§ 19).
déclaration utilise la tournure « subsistit
in ».

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Section VI : cette dernière section,


particulièrement dense, s’appuyant sur « Sacrement universel de salut »,
les affirmations précédemment énon- l’Eglise – à qui a été confiée la vé-
cées, aborde la question du rapport de rité de l’Evangile et les sacre-
l’Eglise et des religions eu égard au salut. ments – ne peut donc pas être
Rappelant une fois encore le rôle salvifi- considérée « comme un chemin
que unique du Christ, elle affirme la de salut parmi d’autres ».
nécessité de l’Eglise, Corps du Christ,
pour le salut. En effet, « de manière mys-
térieuse et subordonnée, toujours unie à
Jésus-Christ sauveur, sa Tête, elle a dans
II. Dominus Iesus et les autres
le dessein de Dieu un lien irremplaçable textes du Magistère
avec le salut de tout homme » (§ 20).
« Sacrement universel de salut », l’Eglise Cette déclaration se situe-t-elle dans
– à qui a été confiée la vérité de l’Evangile un rapport de continuité ou de rupture
et les sacrements – ne peut donc pas être avec les autres prises de position de
considérée « comme un chemin de salut l’Eglise catholique romaine ? Tout dépend
parmi d’autres », mise sur le même plan des textes pris en compte ! Schématique-
que les religions non-chrétiennes. Cepen- ment on peut dire que sur le fond elle se
dant, la déclaration n’en affirme pas situe dans une grande continuité avec les
moins, à la suite de Redemptoris missio, textes majeurs du Magistère (ceux qui
« la possibilité réelle de salut pour tous les sont revêtus de la plus haute autorité) :
hommes » (§ 20), la possibilité pour les tout particulièrement les affirmations de
adeptes d’autres religions de recevoir la Vatican II sur cette problématique1 et
grâce divine (ces religions contenant des l’encyclique papale Redemptoris missio.
éléments de religiosité procédant de Dieu Ces deux textes sont d’ailleurs abondam-
et pouvant jouer un rôle de préparation ment cités.
évangélique). Quant à la modalité de
transmission aux non-chrétiens de la Il faut cependant relever deux diffé-
grâce salvifique de Dieu, elle est de rences. La première concerne le
l’ordre du mystère. De plus, cette grâce judaïsme. Alors que Nostra aetate lui
salvifique octroyée aux non-chrétiens est accordait une place de choix parmi les
(mystérieusement) liée à l’Eglise. En rai- religions non-chrétiennes, confessant « le
son de cela, l’Eglise est tenue d’annoncer lien qui relie spirituellement le peuple du
sans cesse le Christ. Elle doit s’investir Nouveau Testament avec la lignée
dans le dialogue interreligieux, mais celui- d’Abraham » (§ 4), Dominus Iesus n’a pas
ci, « tout en faisant partie de la mission cet égard (précisions qu’aucune religion
évangélisatrice, n’est qu’une des actions
de l’Eglise dans sa mission ad gentes » 1. Cf. surtout le décret sur l’œcuménisme,
(§ 22). Unitatis redintegratio, et la déclaration sur
les relations de l’Eglise avec les religions
non chrétiennes, Nostra aetate.

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Actualité des Eglises

particulière n’est citée par la déclaration). sentiment de beaucoup d’un véritable


Un tel oubli (d’autant moins compris après retour en arrière.
le voyage apprécié du pape en Terre
sainte) explique la vive réaction des auto- III.Le degré d’autorité de la
rités du judaïsme. L’autre différence con- déclaration
cerne le ton utilisé par la déclaration. Le
lecteur un tant soit peu attentif ne peut
pas ne pas remarquer son caractère auto- La déclaration Dominus Iesus n’a bien
ritaire1. Tout au long du texte, en effet, entendu pas le même degré d’autorité
sont employées des formules telles que : qu’une encyclique papale ou qu’un texte
« on doit en effet croire fermement », conciliaire. Elle jouit cependant d’un auto-
« est donc contraire à la foi de l’Eglise », rité certaine. D’une part, parce qu’elle
« on doit donc tenir fermement », « les émane d’une instance haut placée dans
fidèles sont tenus de professer »2. la hiérarchie vaticane : la Congrégation
L’usage d’un tel ton, bien moins irénique pour la Doctrine de la Foi, instance char-
que celui des déclarations de Vatican II et gée de veiller à l’intégrité de la foi
des dernières encycliques papales sur le catholique ; et d’autre part, en raison de la
sujet, n’a certainement pas aidé à une formulation d’approbation par le pape
lecture objective et bienveillante de la (citée plus haut), formule qui semble par-
déclaration3. ticulièrement appuyée. Ce que Mgr Tarci-
sio Bertone, secrétaire de la
Ces deux différences mises à part, on Congrégation pour la doctrine de la foi, a
ne peut nier la grande continuité dont fait souligné lors de la conférence de presse
preuve Dominus Iesus avec les grands du 5 septembre. Cependant parmi les
textes du Magistère. Par contre, comparé théologiens catholiques les avis sont par-
à d’autres textes (notamment des décla- tagés pour savoir si cette formule d’appro-
rations émanant de dialogues bilatéraux), bation constitue une forme commune (in
la teneur de la déclaration paraît plus forma communi) ou une formule spéciale
intransigeante, moins « généreuse » à (in forma specifica). Sans doute peut-on
l’égard des autres Eglises et des autres considérer que Jean-Paul II a tranché la
religions. Ce qui explique en partie la question en déclarant, le 1er octobre, au
levée de boucliers qui l’a accueillie, et le terme de la messe dominicale, avoir
approuvé « moi-même de manière
spéciale » la déclaration Dominus Iesus,
1. D’où ce propos qu’on peut lire dans l’édition « déclaration qui me tient à cœur, après
du 6 septembre 2000 de La Croix : « La
déclaration “Dominus Iesus” renoue avec tant d’interprétations erronées »4.
un genre littéraire que l’on croyait oublié »
(p. 5).
2. Les italiques appartiennent au texte.
3. Le ton de l’encyclique de Jean-Paul II, Ut
unum sint (1995) est tout différent, et le dia-
logue œcuménique est pensé en terme de
« dialogue de conversion » (§ 35, 82). 4. La Croix du 2 octobre 2000, p. 21.

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protestants évangéliques). Même abordé


Jean-Paul II a tranché la question avec les meilleures dispositions et dans
en déclarant avoir approuvé un esprit d’authentique humilité (et il en
« moi-même de manière spéciale » faut vu les propos tenus !), le texte de
la déclaration Dominus Iesus, cette section ne peut donner lieu qu’à
« déclaration qui me tient à cœur, cette réaction : Non possumus !
après tant d’interprétations
erronées ». Il serait trop long d’évoquer ici tous les
points de divergences. Je me contente
d’en relever deux : d’abord le caractère
IV. Quel verdict porter sur
très contestable des critères retenus pour
Dominus Iesus ? discerner « l’unique Eglise du Christ » : la
succession apostolique, le ministère
Cette nécessaire prise de recul effec- pétrinien et l’Eucharistie valide. Le pre-
tuée, que penser d’une telle déclaration ? mier est invérifiable d’un point de vue his-
Indéniablement elle contient de nombreux torique, le second est très contestable
éléments positifs. Dans une optique pro- (historiquement et théologiquement) ;
testante évangélique, on ne peut que se quant au troisième, on attend toujours un
réjouir de la courageuse prise de position plaidoyer exégétique convaincant. Le
à l’encontre de la mentalité et de la pen- choix de ces critères met bien en évi-
sée relativistes, à l’encontre du nivelle- dence l’étendue des divergences qui
ment des différences et de la remise en sépare, en matière d’ecclésiologie, catho-
cause de la spécificité de la révélation liques romains et protestants (évangéli-
chrétienne. La ferme affirmation de l’uni- ques ou non).
cité et de l’universalité salvifique de
Jésus-Christ et d’autres vérités fonda- Le deuxième point concerne la con-
mentales de la foi chrétienne est à saluer ception catholique de l’efficience de la
à sa juste mesure. Il me semble que con- grâce divine dans les « Eglises » ou
cernant les propos tenus dans les trois « Communautés ecclésiales ». Non seu-
premières sections, catholiques (du lement celles-ci doivent accepter d’être
moins ceux qui suivent ici le Magistère) et considérées comme des Eglises de
évangéliques sont à l’unisson. Ce qui est second ordre (ou plutôt, concernant les
réjouissant. protestants, comme des « Communautés
ecclésiales »), mais encore doivent-elles
Hélas ! les choses se gâtent à partir s’entendre dire que l’efficience de la grâce
de la section IV… parce que sont abor- divine en leur sein dérive de l’Eglise
dées des questions d’ecclésiologie. Le catholique ! Il est bien entendu impossible
raisonnement tenu et les affirmations d’adhérer à une telle vision ecclésiocentri-
avancées font alors percevoir le véritable que hypertrophiée et (osons le dire) quel-
fossé qui persiste sur ce point entre que peu orgueilleuse.
catholiques et protestants (et notamment

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Actualité des Eglises

Cette même compréhension critiqua- questions fondamentales des positions


ble du rôle médiateur de l’Eglise catholi- également défendues par les protestants
que romaine se retrouve dans les évangéliques. Le consensus est important
affirmations de la dernière section relati- et, à n’en pas douter, il pèsera d’un poids
ves à l’accès au salut des non-chrétiens. certain dans l’évolution des relations œcu-
Cet élément mis à part, on peut acquies- méniques. Il existe cependant des
cer aux propos tenus sur les autres reli- divergences : elles sont clairement d’ordre
gions et sur la nécessité tant du dialogue ecclésiologique. Le constat n’est pas éton-
interreligieux que de la tâche mission- nant tant sur ce point les visions de l’Eglise
naire de l’Eglise. Ces propos, en effet, font catholique romaine (faudrait-il plutôt parler
preuve d’une part de fermeté théologique de « Communauté ecclésiale » ?) et des
et de courage (étant donné le contexte protestants évangéliques divergent.
actuel), en affirmant clairement le carac-
tère incontournable et unique de l’œuvre Je ferai une dernière remarque : aux
salvifique de Jésus-Christ ainsi que la yeux du grand public (et notamment de la
légitimité et la nécessité de l’œuvre mis- masse des fidèles catholiques) la publica-
sionnaire de l’Eglise auprès des adeptes tion de cette déclaration a semé une cer-
des autres religions (désavouant ainsi les taine confusion (les médias y
prises de position plus relativistes d’un contribuant). Car elle semble aller à
certain nombre de théologiens catholi- l’encontre d’autres prises de position et
ques)1. D’autre part, ces propos affirment d’autres actes récents de l’Eglise : l’hum-
la foi de l’Eglise en l’œuvre du Christ et de ble démarche de repentance, le voyage
l’Esprit qui dépasse les frontières de l’acti- en Terre sainte et le rapprochement avec
vité missionnaire chrétienne et qui laisse le judaïsme, « l’esprit d’Assise », etc. Ce
espérer le salut d’hommes et de femmes que souligne la déclaration de la Fédéra-
jamais atteints par le message de l’Evan- tion Protestante de France qui s’interroge
gile. sur le « contraste » entre cette déclara-
tion et « les invitations à l’humilité et à
Concluons. La déclaration Dominus l’ouverture » du Jubilé2. On peut estimer à
Iesus, qui se situe clairement dans le la suite de la théologienne Alice Gombault
sillage des grands textes du Magistère que l’Eglise catholique est engagée dans
catholique de cette deuxième moitié du « un processus de communication
20e siècle relatifs à l’œcuménisme et aux paradoxale », délivrant simultanément
religions non-chrétiennes, défend sur des deux messages perçus comme contrai-
res. Le danger est que ce que dit l’Eglise
ne soit plus écouté et que la parole qu’elle
1. La déclaration a le courage d’affirmer que si adresse tant aux fidèles qu’à la société
certains rites des religions non-chrétiennes
« peuvent assumer un rôle de préparation « bascule dans l’insignifiant »3. Une telle
évangélique », d’autres part contre
« naissent de superstitions ou d’erreurs…
et constituent plutôt un obstacle au salut » 2. La Croix du 6 septembre 2000, p. 4.
(§ 21). 3. La Croix du 6 octobre 2000, p. 23.

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Actualité des Eglises

courants existant au sein de l’Eglise


On peut estimer que l’Eglise ca- catholique, et bien illustrés par la double
tholique est engagée dans « un béatification de Pie IX et de Jean XXIII.
processus de communication Assurément, l’Eglise catholique romaine
paradoxale », délivrant simultané- doit tenter, autant qu’elle le peut, de faire
ment deux messages perçus com- preuve de cohérence et d’homogénéité
me contraires. dans ses diverses prises de position, si
elle veut rester crédible aux yeux du
monde, des adeptes d’autres religions, de
communication paradoxale n’est bien ses propres fidèles… et de ses « frères
entendu pas sans rapport avec les divers séparés ».
H.G.

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