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Un peuple sans une histoire

C'est un arbre sans racine.


Un peuple sans chef
C'est un corps sans tête.
Un peuple sans langue
C'est un peuple muet.

Il ne faut pas simplement parler


Il faut faire.
Il ne faut pas simplement faire
Il faut persévérer.
Il ne faut pas simplement persévérer
Il faut réussir.

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ÉDITORIAL

Qu'est-ce qui peut bien se passer au ciel ?


Les dieux ont-ils abandonné l'Afrique ?
Pourtant les textes sont unanimes : C'est bien dans la
terre africaine qu'est née la première notion de Dieu.

C'est dans les langues africaines que les premières


louanges furent adressées aux dieux ; mais « Ra » n'a
pas voulu prendre partie dans ce nouveau drame qui
a remorcelé le corps de l'Afrique et amené une
partie de l'autre côté de la mer.

D'autres dieux se sont installés et la mémoire


collective a oublié, il n'y a plus eu d'héritiers, les
temples se sont vidés et les enfants n'ont plus connu
l'Histoire de leurs ancêtres.

C'est à travers des cartons ethnographiques qu'une


nouvelle histoire est créée : celle des hommes sans

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passé, celle des cueillettes, des chasses, des arcs et
des flèches.

Il fallait une rupture. C'est cette rupture


épistémologique qu'opéra Cheikh Anta Diop et son
école pour que les enfants de la terre africaine
retrouvent le lien qui les unissait à leurs ancêtres.

La barque de Nomade va donc naviguer dans les


sources des religions révélées pour y voir plus clair,
interroger le passé, relire et interpréter les stèles de
Kemit(ta) à travers la philosophie africaine de
Théophile Obenga, l'endocentrisme de Kotto Essome,
le mécanisme de l'esprit de Pfouma, l'afrocentrisme
des Africains-Américains, etc.

A partir de là il faudra sûrement plus d'un numéro à


Nomade pour couvrir tous ces événements.
D.K.

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SOMMAIRE
Origine Africaine des principales
religions révélées, Simon Bolivar
Njami-Nwandi

LES DIEUX Les Dieux et l'Afrique, Esso


Gome

Quel Dieu pour l'Afrique, Doumbi


Fakoly

Les Mandings en Crète, Clyde


Ahmed Winters

Étude de la cosmogonie du temple


d'Esna, Esso Gome

Les cérémonies post mortem dans la


-

religion négro-égyptienne, Saliou


Kandji

Problématique initiatique négropha-


raonique, Oscar Pfouma

Hymne de l'ANC

RAGGA Mémoire au Peuple Noir, Pablo


Master
MUFFIN
Kemetic Pledge

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Colloque International, Théophile
Obenga PHILOSOPHIE
Recherches sur les mécanismes de
• a•e 134 l'esprit, Oscar Pfouma

Le concept de civilisation avec Kotto


• a•e 152 Essomè, Wogbe Agblevon

L'Afrique et le concept des frontiè-


•a•e 156 res, Kotto Essomè

Les réalités des sociétés africaines,


COURRIERS
Matungulu Kaba LIVRES

© L'Harmattan, 1993
ISBN : 2-7384-2101-6

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DISOUMBA
Le harpiste est solitaire telle une liane qui ne croît qu'isolée.
Au pied de l'arbre de la vie j'ai vu la lumière du soleil, de la lune et des
étoiles.
Le Pygmée Boussingué était parti en forêt pour y cueillir des fruits sauvages
et il grimpa sur un arbre qui pousse dans les endroits humides. Il fit une chute,
ses pieds restèrent accrochés dans une branche fourchue, ses intestins se
répandirent jusqu'au sol pénétrant dans la terre. C'est là l'origine de Midouwa,
ces racines aériennes dont on fait les cordes de la harpe rituelle ; elles des-
cendent du ciel et pénètrent au plus profond de la terre où elles enlassent
les maxiliaires des cadavres.
O harpe en bas tu es la mort car tout ce qui naît doit mourir en haut tu es
aussi la mort car c'est par la bouche que s'échappe le souffle mais ta vibra-
tion est celle de l'arc ton géniteur qui l'a fait tressaillir dans ton sein car le
plus grand des Bwété c'est le vieil ancêtre qui demeure à l'amont c'est l'être
qui tressaille entre les dents comme un oiseau bavard qui s'agite sans cesse
d'une branche à l'autre et qui articule la parole.
Scène de la vie initiatique de la confrérie Bwété.
Aux origines une corde est descendue du ciel de chez notre père Zambé. La
terre reçut les bénédictions rituelles des pluies qui font danser le sol.
Disoumba - Disoumba.
Tu es le début et la fin tu es le pieu fiché en terre le poteau qui soutient l'édi-
fice et la pirogue de la vie.
Harpe tu pleures la souche et le tronc emputés l'un à l'autre la souche et le
tronc de l'arbre qui t'a engendrée. Ils pourrissent à présent au sol et s'enfon-
cent dans la terre où ils rejoignent les maxillaires des cadavres.
O Père Zambé j'ai peur de l'initiation car le corps du nouvel initié est plein
d'amertume et celui de l'ancien plein de vision de l'au-delà.
Derrière le joueur de harpe nul ne peut passer si ce n'est le vieil ancêtre qui
lui a donné la parole.
(Suite p. 100.)

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LES DIEUX
O RIGINE
AFRICAINE
DES PRINCIPALES
RELIGIONS REVELEES
par Simon Bolivar NJAMI-NWANDI

Introduction
Li on a souvent qualifié l'Afrique de mystérieuse, en rele-
vant par là la propension de notre continent à se ren-
fermer sur ses multiples réalités spirituelles et morales.
Celles-ci sont généralement imprégnées de connaissances ou
des faits religieux. D'aucuns vont jusqu'à penser qu'en Afrique,
tout est à base religieuse. Qu'est-ce en fait que la religion, si
ce n'est simplement la relation de l'homme avec la divinité
entendue comme source et auteur de tout ce qui existe ?
En cela, personne ne saurait échapper à la religion dont tou-
tes les manifestations n'intéressent exclusivement que l'homme.
C'est pourquoi on soupçonne généralement en tout Africain un
religieux. Cette thèse défendue par Placide Tempels dans La
philosophie bantoue', sera par la suite partagée par bien
d'autres savants. Mais même ici, au lieu de reconnaître la pri-
mauté de l'Afrique en matière religieuse, on la rabaissera à de
simples considérations anthropologiques d'ethnologues classi-
ques.

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Le terme aussi vague qu'ambigu d'animisme a été inventé
pour être appliqué à ce qu'on a fini par appeler « les religions
traditionnelles » d'Afrique en lesquelles on n'a souvent relevé
que de grossières pratiques sauvages de sorciers ! Le noble
terme de religion est alors confisqué et appliqué aux seuls
« peuples civilisés ». Pour plus de précision, on ajoutera au con-
cept religion le qualificatif de « révélée » pour insinuer une pré-
tention d'authenticité liée à l'acceptation d'un Dieu unique se
faisant connaître aux hommes à travers des messages commu-
niqués à des élus appelés « prophètes ». Le Judaïsme et le Chris-
tianisme sont, dans ce sens, présentés comme des religions par
excellence auxquelles s'ajoutera l'Islam toléré comme leur
succédané.
L'article qui suit va démontrer que même dans ce domaine
réservé de ces « religions révélées », l'Afrique en est le ber-
ceau. Peut-il en être autrement dès lors que la vérité histori-
que et scientifique fait de notre continent le berceau de l'huma-
nité ? Quel fait humain échapperait-il à la source de l'humanité ?
Nous avons dit plus haut que la religion était une réalité
humaine à laquelle personne ne saurait échapper. Avant d'être
une construction théologique, la religion est en effet une sensi-
bilité humaine qu'on aurait dû normalement classer parmi les
sciences humaines. Car la religion, c'est l'homme, c'est la popu-
lation, c'est la parole, c'est le geste, c'est le langage, c'est l'his-
toire, le tout étant enveloppé dans un certain comportement.
La maxime latine : « Cujus regio, ejus religio » (telle la reli-
gion du prince, telle celle du pays) indiquant que l'homme est
généralement de la religion qui domine dans son pays, illustre
parfaitement notre propos. L'Indien est bouddhiste, l'Israélien
juif, l'Européen chrétien et l'Arabe musulman. C'est un constat
historique indéniable.
Notre article s'intéresse notamment aux trois principales
grandes religions révélées que sont le judaïsme, le christianisme
et l'islam dont il dégage l'origine africaine. La Bible est la
source dont il se sert pour le démontrer.

Le judaïsme

Le judaïsme est l'antique religion d'Israël, peuple élu de Yahvé,


son Dieu révélé. Israël est le nom que Yahvé donne à Jacob,
le fils cadet d'Isaac, de retour de son exil et à la veille de sa
rencontre avec son frère aîné Esaü dont il avait usurpé la béné-
diction auprès de son père, avec la complicité de sa mère
Rebecca (Genèse 27 ; 6-29). Cet homme intrépide et comblé

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Pasteur en train de prêcher :
assemblée au Désert (Musée du Désert)

lutte âprement avec un inconnu qui lui déboîte la hanche. Il sol-


licite et obtient de lui une nouvelle bénédiction. A la demande
de son nom, il répond : Jacob. Et c'est alors qu'il se fait dire
« Ton nom ne sera plus Jacob, mais tu seras appelé Israël ; car
tu as lutté avec Dieu et avec des hommes, et tu as été vain-
queur » (Gen. 32 : 28). En fait la religion dont nous parlons
devrait mieux s'appeler « Israélisme ». Mais Juda, le quatrième
fils de Jacob, obtient de son père la bénédiction de détenir le
sceptre de la royauté d'Israël dont David sera le premier sou-
verain et Jésus, l'ultime héritier (Gen. 49 : 8-12). C'est donc ce
Juda qui finit par prêter son nom au peuple et à la religion
d'Israël. Le patriarche fondateur de ce peuple élu est un Sémite
nomade du nom d'Abraham que Yahvé appelle des abords
d'Ur en Chaldée. Il répond positivement à cet appel devant
l'amener à Canaan où, à peine arrivé par Sichém, il ira d'abord

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s'initier en Égypte avant de regagner le pays qui lui est pro-
mis en héritage avec une nombreuse descendance (Gen. 12
1-20 ; 17 : 1-8). Ce séjour africain d'Abraham établit avant la let-
tre la relation de subordination d'Israël à l'Égypte d'où sortira
l'essence du judaïsme.
Mais le vrai fondateur de la religion juive est le patriarche
Moïse l'Africain, l'une des plus grandes figures historiques
d'Israël. Or ce Moïse que nous qualifions d'Africain l'est bel
et bien. Échappé du massacre des garçons hébreux lors de la
persécution des Israélites, il est retiré des eaux du Nil où sa
mère l'a déposé pour être récupéré par la propre fille du pha-
raon. Introduit dans la cour du roi, il y sera élevé, éduqué et
initié comme prince (Exode 2 : 1-10). Après cette haute initia-
tive qui fait des princes africains d'éminents chefs religieux,
Moïse se rattache à son peuple contre sa famille d'adoption.

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Il a vocation de libérer les siens et de les conduire vers la terre
promise à leurs ancêtres Abraham, Isaac et Jacob. Israël dont
il prend ainsi la direction est alors un pur peuple africain vieux
de quatre cents ans !
Grand initié possédant toute la science et tous les mystères
de la religion égyptienne, le guide Moïse va soumettre son peu-
ple à une formation étendue sur quarante années ! Il s'en déga-
gera une religion monothéiste faisant de la nation sainte un État
théocratique. L'impressionnante oeuvre de Moïse compilée dans
le pentateuque constitue la vénérable et sacrée Torah juive qui
contient les statuts, règlements et ordonnances du judaïsme. En
cela, cet illustre auteur doit être considéré comme le plus grand
écrivain africain de l'antiquité. N'ayant vécu qu'en Afrique pour
n'avoir jamais mis pied en Israël, la langue hébraïque dont il
se sert dans la rédaction de ses livres ne peut être elle-même
que d'origine africaine. C'est pourquoi la civilisation et la cul-
ture hébraïques de l'Ancien Testament sont tout proches de la
mentalité africaine dont elles sont issues. Le Nouveau Testament
s'en distingue fondamentalement par la langue liée à la pen-
sée occidentale.
Les coutumes africaines que Moïse introduit dans le Judaïsme
sont : la circoncision obligatoire dans presque tous nos peuples ;
le tribalisme originel ; Israël est divisé en douze tribus à la
manière africaine ; la solidarité clanique ; la cohésion familiale ;
le respect des aînés dans la vénération des patriarches compa-
rés aux ancêtres africains ; le sens du sacré et le goût de la reli-
gion ; la nécessité d'une descendance mâle ; l'exaltation nataliste ;
le rôle primordial de la femme dans la vie interne de la famille
et son effacement dans la vie publique ; la pratique domestique
de l'esclavage ; le sens élevé de l'hospitalité ; le respect de
l'étranger ; le caractère sacré de la vie et le bonheur de la con-
server le plus longtemps possible ; l'importance du mariage ; la
préférence de l'endogamie ; la pratique de la polygamie ; l'obli-
gation du lévirat ; le respect de la parenté et la répulsion de
l'inceste ; la fidélité au terroir et la considération de l'homme non
pas uniquement à cause de sa naissance ou de son rang social,
mais en raison de sa valeur intrinsèque (Gen. 41 : 39-44). Toutes
ces interférences africaines dans la culture hébraïque de l'Ancien
Testament prouvent l'origine africaine de la religion juive.

Le christianisme

Cet autre grande religion révélée est purement et simplement


issue de la précédente. De même que le judaïsme se repose
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sur les écrits de l'Ancien Testament, de même le Christianisme
est tout exposé dans le Nouveau Testament. Mais alors que la
religion de Moïse est directement d'origine africaine, le Chris-
tianisme prend sa source en Palestine et se développe en
Europe à partir du ministère prodigieux de l'apôtre Paul. Tou-
tefois, son champ d'expansion est le bassin méditerranéen
auquel participe l'Afrique. L'apport de notre continent dans la
naissance et le développement du Christianisme est de deux
sources :
— influence et prédominance de l'Ancien Testament, donc du
judaïsme,
— source africaine directe.
a) Influence de l'Ancien Testament
Jésus-Christ, le fondateur du Christianisme ainsi que ses
douze disciples sont juifs de naissance et de religion. Leur mes-
sage a pour référence l'Ancien Testament dont nous connais-
sons déjà l'apport africain fondamental. Par ce biais, tout ce que
nous avons dit du judaïsme vaut pour le christianisme. Les évan-
giles qui ont pour cadre de référence la doctrine et la pensée
du judaïsme, restent accessibles à la mentalité africaine. Tou-
tefois, l'environnement culturel du Nouveau Testament est enri-
chi par la fine culture gréco-latine qui est à la base de la civi-
lisation occidentale.
b) Source africaine directe
Jésus est le grand Moïse du christianisme dont il est le fon-
dateur. Né à Bethléhem en Judée, il sera tôt évacué en Afri-
que sur ordre de Dieu ; pour échapper au massacre des
nouveau-nés garçons ordonné par le roi Hérode (Mat ; 3 : 7-15).
L'enfant Jésus fera ses premiers pas en Égypte où il pronon-
cera ses premiers mots. Si nous croyons les psychologues qui
disent que les cinq premières années de l'existence sont déter-
minantes pour la vie future d'un homme, nous pouvons compren-
dre l'importance particulière du séjour africain de Jésus dans
la constitution et le développement de sa personnalité. A notre
connaissance, aucun théologien n'a jusqu'ici fait une étude sur
l'impact de la fuite en Égypte de la sainte famille sur la vie
de Jésus-Christ.
Sans prétendre relever ce défi ici pour tenter de combler
une telle lacune, nous nous permettons de souligner que l'ori-
gine du Christianisme remonte en Égypte dans l'enfance de son
divin fondateur. A quel âge serait-il rentré en Palestine ? L'évan-
géliste Matthieu se contente de nous dire simplement ceci :
« Quand Hérode fut mort, voici, un ange du Seigneur apparut
en songe à Joseph, en Égypte, et dit : Lève-toi, prend le petit
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Méditation (Dawn Taylor).

enfant et sa mère, et va dans le pays d'Israël, car ceux qui


en voulaient à la vie du petit enfant sont morts. Joseph se leva,
prit le petit enfant et sa mère, et alla dans le pays d'Israël »
(Mat. 2 : 19-21). Mais selon la version de Luc, l'évangile de
l'enfance se clôt sur Jésus à l'âge de douze ans (Luc 2 ; 41-52).
Cet épisode ne se situerait-il pas peu de temps après le retour
de la famille d'Égypte ? Quoi qu'il en soit, ce qui importe pour
nous est de savoir que le Sauveur du monde a foulé le sol afri-
cain dans son enfance, et que ce fait n'a pas manqué d'influen-
cer sa vie future.
Si l'Afrique intègre ainsi le Christianisme depuis sa genèse
par l'enfant Jésus, elle gardera toujours au départ cette pri-
mauté. Car dès la création de l'Église, elle y marquera sa pré-
sence avant tout autre continent à partir du baptême de l'euni-
que éthiopien comme en atteste Actes 8 : 26-40. Devenu chré-
tien, ce personnage important ramènera le christianisme en Afri-

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que. De cette évangélisation de première heure naîtra l'anti-
que Église chrétienne copte d'Éthiopie. Ce fait marquant pré-
cède même la conversion spectaculaire de Saul de Tarse en
saint Paul, le dynamique apôtre des gentils.
Parmi les Pères de l'Église primitive figurent des Africains
célèbres de la renommée universelle de Tertullien de Carthage,
ou de saint Augustin de Tagaste, évêque d'Hippone, près de
l'actuelle ville algérienne de Bône. L'injustice et l'ingratitude
envers l'Afrique veulent toujours qu'on tente de lui enlever son
prestige : la brillante civilisation de l'Égypte antique n'appar-
tient pas à notre continent qui l'a pourtant bel et bien créée
et développée à souhait. Quand le jeune esclave Joseph est
libéré et anobli, le roi d'Égypte en fait son Premier ministre sans
le moindre complexe raciste. Aux frères du même Joseph invi-
tés à amener leur vieux père pour s'installer définitivement dans
le pays, Pharaon fait cette extraordinaire promesse ,: « Je vous

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donnerai ce qu'il y a de meilleur au pays d'Égypte, et vous
mangerez la graisse du pays » (Gen. 45 : 18).
Le roi tiendra sa parole d'honneur : les Hébreux seront
reçus, installés et protégés au point de croître en nombre et
de prospérer en richesses. Ils bénéficieront de ce régime de
la nation la plus favorisée durant quatre siècles ! Mais quand
ils sortiront d'Égypte, ils oublieront tous ces bienfaits pour ne
parler que de « leur délivrance de la maison de servitude » !
Tout le souvenir du long séjour égyptien où Israël aura tout reçu
ne deviendra qu'insulte, ingratitude et malédiction contre la
nation tutrice. Durant quarante ans de pérégrination pédagogi-
que dans le désert, Moïse le libérateur comme plus tard le Mes-
sie lui-même en terre sainte, connaîtront de la part de « ce peu-
ple rebelle au cou raide », le même traitement sauvage don-
nant ainsi raison à Plutarque qui dira : « L'ingratitude envers les
grands hommes est la marque des peuples forts. » Toutefois,
Moïse vieillissant prescrira à la faveur de l'Égypte, l'ordonnance
suivante à son peuple : « Tu n'auras point en abomination l'Égyp-
tien car tu as été étranger dans son pays. » (Deut. 23 : 7).

L'islam

Le rôle primordial que l'Afrique a joué dans la création et le


développement du Judaïsme et du Christianisme se poursuit
dans l'implantation de l'islam, autre grande religion révélée
dans notre continent. Pour monter cette troisième grande famille
spirituelle, le prophète Mahomet s'inspire du judaïsme et du
christianisme dont le Coran, son livre saint, est l'émanation.
Après l'Arabie où il est né, l'islam envahira tout le nord de
l'Afrique où prospérait alors le christianisme dont nous avons
déjà cité quelques figures marquantes. Aujourd'hui encore,
l'islam est la plus grande religion de notre continent où il a su
s'adapter et où il n'arrête pas de faire de nouvelles conquê-
tes. Berceau de l'humanité, l'Afrique s'affirme également comme
berceau de la spiritualité à travers les trois grandes religions
qu'elle a vu naître et se développer.

Conclusion

Ayant été à l'origine de la civilisation par l'Égypte, berceau de


son peuplement, l'Afrique en a été exclue pendant des millé-

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naires. Elle chez qui est née la lumière dont le monde s'est
éclairé pour soutenir le progrès de l'humanité, est retombée
dans l'obscurité de l'ignorance et de l'inculture. Dominée et
humiliée, on en a fait une terre maudite, barbare et païenne.
La plupart de ses malheurs et de ses humiliations lui sont
venues notamment de l'Occident chrétien, qu'elle a pourtant vu
naître pour l'avoir précédé dans la foi en Jésus-Christ. Lorsqu'au
xixe siècle les Européens viendront la coloniser et l'évangéli-
ser, ils feront comme s'ils étaient les inventeurs du christianisme
dont ils n'oseront pas avouer que l'Afrique hébergea le Christ
depuis le berceau.
Ce n'est qu'à partir de 1954, avec la publication de Nations
nègres et culture, que le savant africain Cheikh Anta Diop relan-
cera le réveil culturel du continent en reconstituant la vérité
historique sur la base des vestiges scientifiques rendant justice
à la primauté de l'Afrique dans plusieurs domaines où personne
ne soupçonnait sa moindre participation.
Aujourd'hui, l'islam envahit l'Afrique qu'on dit devenir au siè-
cle prochain l'un des plus grands bastions du christianisme. Il
appartient aux théologiens modernes de la rassurer à travers
des recherches qui prouvent que cette évolution n'est pas un
effet du hasard, et qu'elle n'est qu'un retour aux sources d'une
authenticité indéniable. Qu'aucun Africain chrétien ou musulman
ne se donne plus le complexe d'embrasser une religion étran-
gère. Car l'Afrique n'est pas qu'animiste : elle est tout aussi bien
chrétienne et musulmane. Ce modeste article doit avoir contri-
bué à aiguiser une telle conscience.

(1) Placide Tempels, La philosophie bantoue (Paris, Présence Africaine, 1948).

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L es Dieux et l'Afrique
La scène se passe au ciel devant la Grande Ennéade (assemblée des Dieux). Le
par Esso Gome

mythe d'Osiris et d'Isis se déroule encore avec Seth. Sur le plateau le drame de
l'Afrique : la séparation du corps d'Osiris se confond avec le morcellement de
l'Afrique. L'Afrique est devenue veuve de ses Dieux ; ils ne sont plus adorés. Les
temples sont fermés, d'autres dieux étrangers fleurissent.
Mais pour le grand Râ, Grand Démiurge, chaque culte lui est dédié. Va-t-il pren-
dre parti pour les Dieux africains ? Horus va-t-il de nouveau venger son père et
restaurer le règne de millions d'années ?
Esso Gome nous ramène à cette tragédie qui opposait Seth à son frère et qui
accompagna le peuple de la vallée du Nil tout au long de son existence et cette
déduction à la réalité actuelle nous semble justifiée, la réalité dépassant le mythe.

Acte premier des grecques. Je n'ose pas le Horus. Mon Divin Oncle, n'ajou-
croire ; Moi Horus, qui ai tou- tez pas davantage à mon cha-
jours régné en Afrique depuis grin ; mon trône, mon trône, vous
Scène I — Horus (visiblement il les origines, je perds le Conti- vous souvenez, ce trône pour
revient d'un voyage) nent ; des Usurpateurs s'y instal- lequel nous avoir combattu l'un
lent et je suis impuissant ; ah contre l'autre, et que les Dieux
Horus. Horreur, horreur, hor- Dieux, quel cruel destin que le m'ont accordé à l'issue du juge-
reur ; je n'ose pas le croire, ce mien ; pourquoi, pourquoi, pour- ment que vous savez, eh bien, ce
n'est pas possible. Que m'arrive- quoi ? Mais qui vois-je. Mon trône, je l'ai perdu en Afrique.
t-il, que se passe-t-il, tout oncle Seth. J'ai perdu l'Afrique, et je n'y
s'écroule autour de moi ; je
règne plus.
m'écroule ; on usurpe mon trône,
l'Afrique m'ignore ; avant j'incar- Scène H — Horus, Seth Seth. Cela m'attriste beaucoup
nais le respect de l'ordre et des pour vous. Certes, j'avais de par
lois. Tous les grands guides de Seth. Ah cher Horus, quelle joie le passé nourri l'espoir d'occu-
mon peuple d'Afrique ainsi que de te revoir ; je vois que tu per ce trône, ce qui avait été à
les bâtisseurs d'Empire étaient reviens d'Afrique, mais, que se l'origine de la terrible guerre qui
mes incarnations ; et aujourd'hui, passe-t-il, tu as l'air désemparé, nous a opposés. L'affaire avait
l'Afrique me rejette, elle mal en point, qu'est-ce qui ne va été jugée par les Dieux qui t'ont
m'oublie, me relègue aux Calen- pas ? donné gain de cause, et tu le

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sais, je me suis incliné devant Seth (paternel). On voit mon très papa, où est-il ; pourquoi
cette décision qui pour moi est cher enfant que vous êtes pleurez-vous ?
juste. Vois-tu, mon rôle cosmique encore très jeune et manquez
Isis. Horus ? Mais que fais-tu
consiste à éprouver les créatu- d'expérience ; les temps ont
ici ?
res, afin de voir si elles sont changé, les méthodes aussi. De
aptes à occuper les fonctions plus les étrangers n'ont pas une Horus. Mère, je vous en supplie
qu'on pourrait leur confier. Je assez grande liberté de manoeu- parlez, vous dites que mon père
n'engage jamais une guerre vre puisque nous les contrôlons. a été assassiné et mutilé, com-
pour gagner ! Mieux — me vain- C'est nous qui définirons les ment le savez-vous, l'avez-vous
cre signifie que l'on présente tâches que nous entendons leur vu, qui a osé faire une chose
des aptitudes certaines, tel est confier. Je vous rassure encore pareille, qui a osé commettre ce
mon destin cosmique, tel est mon une fois mon cher neveu, nous crime ?
rôle. Je puis donc vous assurer maîtriserons la situation.
que je ne suis pour rien dans le Seth. Je pense que l'on s'affole
malheur qui vous arrive ; en fait, Horus. Je suis très heureux de trop vite, il n'y a aucune raison
je compatis et vous donne l'assu- vous sentir à mes côtés et de de s'alarmer, Osiris n'est pas
rance que je ferai tout ce qui est voir que vous prenez fait et bien loin, et il reviendra très
en mon pouvoir pour que vous cause pour moi. Mais (des cris bientôt, j'en suis persuadé.
puissiez récupérer ce trône. de douleur se font entendre) Viens, Horus, que nous allions
Vous pouvez compter sur moi. d'où proviennent ces lamenta- élaborer le plan dont nous avons
tions. (Entre Isis.) parlé, et que nous essayions de
Horus. Ah mon oncle, qu'il est contacter nos alliés comme
réconfortant d'entendre les paro- Scène III — Isis, Horus, Seth convenu.
les que vous prononcez. J'avais (Isis ne les voit pas)
éprouvé des inquiétudes quant à Horus (ne l'écoute pas). Mère je
votre rôle dans ce malheur qui t'en supplie, dis quelque chose.
Isis (elle se lamente). Ô Dieux,
m'arrive, et je suis heureux que pourquoi faut-il que ce destin Isis (se calme). Mais enfin
vous me rassuriez, tout comme il cruel se répète : Ô Amon, Neith, Horus, vous n'étiez pas sensé
m'est agréable de constater que Ô Mes Pères, Mères et Créa- vous trouver ici, vous savez que
je peux compter sur vous. teurs Suprêmes, qu'ai-je fait pour votre rôle en Afrique est vital et
Seth. Absolument mon neveu, je mériter une épreuve aussi dou- exige de vous une disponibilité
pense d'ailleurs que nous pou- loureuse. A Osiris, Osiris, Mon permanente. Vous deviez rester
vons étudier l'élaboration d'une cher Époux, on l'a à nouveau sur Terre, afin de vous incarner
stratégie qui nous permettrait de assassiné ; encore une fois son dans les principaux grands diri-
combattre les forces qui vous ont corps a été démembré et dis- geants et bâtisseurs d'Empire
ravi votre trône. Je dispose d'ail- persé sur la Terre entière. Ô d'Afrique afin d'assurer la gran-
leurs d'amis qui seraient heureux quel sort cruel ; voilà que je dois deur et la puissance de notre
de nous aider dans cette tâche et à nouveau rechercher les lam- Peuple Terrestre. Vous nous
qui sont très puissants. Nul doute beaux et le ressusciter. Mais où avez envoyé des nouvelles alar-
qu'avec leur aide, nous n'aurons commencer, que faire, vers qui mantes sur l'Égypte. Néanmoins,
aucune peine à régner. dois-je me tourner pour implorer dans votre correspondance,
de l'aide. Ô non, Ô Dieux, la vous nous assuriez que vous
Horus. Ces amis sont-ils dignes destinée que vous me réservez feriez tout pour conserver la
de confiance et assez sûrs ; vous est cruelle, cruelle, cruelle, situation bien en main. Par la
n'ignorez pas mon cher oncle qu'ai-je fait pour la mériter. création, je pressens que si vous
combien je répugne à mêler les êtes ici, c'est parce que sur
étrangers à nos affaires. En effet, Horus (affolé). Quoi, Mère, que
Terre, le Peuple d'Afrique
ils ne défendent que leurs inté- dites-vous ? Mon Père, que lui
éprouve des difficultés.
rêts alors que nous, nous défen- est-il arrivé ? Je vous en prie par-
dons l'Afrique. lez, que s'est-il passé, où est Horus (il s'agenouille en signe

19
attendre davantage, dites-moi
tout, et n'omettez aucun détail.
Horus (il se relève). Oh, Mère,
c'est l'horreur ; par où dois-je
commencer ; Mère, l'Afrique
était jadis la Terre des dieux et
des hommes illustres ; nous des-
cendions dans les temples gran-
dioses que l'on construisait pour
nous, d'après les plans élaborés
jadis par nous-mêmes. Cette
Terre, nous l'avions sanctifiée ;
nos créateurs Amon-re, Neith,
Mout et d'autres Dieux encore,
descendaient sur Terre pour y
être honorés, puis remontaient
dans nos sphères cosmiques ; le
Saint Père Osiris et toi-même, Oh
Sainte Mère, n'avez-vous pas
enseigné vos grands mystères
aux hommes pour qu'ils conser-
vent cette conscience historique
et divine sans laquelle on ne
peut bâtir une civilisation solide.
Isis. Ces mystères, que
deviennent-ils aujourd'hui ?
Horus. Oh, Mère, ces mystères
ont disparu ; certes dans les vil-
lages les plus reculés, les hom-
mes essaient de conserver les
quelques bribes d'enseigne-
ments que vous livrâtes jadis à
l'humanité ; malheureusement,
ces derniers prêtres sont margi-
nalisés et depuis toujours com-
battus. Mère, il m'est pénible de
Déesse Isis (Aset) vous révéler aujourd'hui que
(musée du Caire). l'Afrique ne nous appartient plus
et que notre peuple s'est
de salut). Pardonnez-moi, Oh sens que vous non plus vous détourné de nous.
très Sainte et Divine Mère, que n'avez pas de bonnes nouvelles
Isis. Comment est-ce arrivé.
les tristes événements qui nous à m'apprendre. Néanmoins je
assaillent ne m'aient pas permis suis résolue à tout écouter ; nous Horus. Le processus fut très
de vous rendre les hommages avons eu à traverser bien des long. Tout commença avec la
qui vous sont dus. épreuves dans le passé, et nous conquête de l'Égypte par les
avons vaincu les obstacles qui se Perses qui furent les premiers à
Isis. Relevez-vous, mon très saint sont dressés sur notre chemin. Je violer nos sanctuaires et à profa-
fils, et racontez-moi tout ; car je vous en prie, ne me faites pas ner nos trônes. Ils allumèrent le

20
feu dans nos Temples, tuèrent un vit ; le peuple néanmoins, aidé encore possible, car nous
de nos taureaux sacrés consacré de la diaspora, posa le problème n'avons même pas les lambeaux
au Très Saint Osiris ; Cambyse, de l'indépendance ; celle-ci fut entre nos mains.
Roi des Perses, voulut pénétrer accordée, mais sous une forme
dans le sanctuaire de mon Saint piégée qui eut pour consé- Scène III. — Horus, Isis, Seth,
Père pour le voir — comme si un quence de balkaniser le conti- Thot (entre Thot, revenant lui
homme pouvait voir un Dieu ; il nent noir, divisant ainsi nos aussi d'un voyage)
en ressortit fou. Ses successeurs enfants et les mettant pratique-
osèrent même transporter nos ment dans l'impossibilité de Thot (s'inclinant légèrement). Je
statues chez eux, massacrèrent s'émanciper. Quand je vis le salue la divine assemblée réunie
nos prêtres, pillèrent nos tem- peuple noir démembré, divisé, ici. Ah, Horus, je t'attendais, car
ples, puis furent chassés par balkanisé, dispersé, réduit à je savais que tu viendrais. Tu
Alexandre le Macédonien qui se l'impuissance et ainsi toujours aurais même dû venir plus tôt,
soumit à nos lois ; mais avec lui, assujetti malgré les indépendan- car nous avons un problème très
commença une politique visant à ces, quand je vis notre peuple urgent à résoudre, et qui engage
helléniser le pays. A la suite des regroupé dans de micro-États notre propre survie.
Grecs, les Romains assujettirent non viables, je compris qu'Osiris (s'adressant à Isis) Grande
le peuple qui régressa alors sur était mort, était démembré, et Déesse Très Sainte, je suis très
tous les plans. L'Égypte ne con- ses lambeaux de chair dispersés heureux de te rencontrer toi
nut plus jamais l'indépendance ; dans le monde entier. Voilà aussi, car tu devras faire appel
beaucoup de princes et de pourquoi je suis revenu, car ce à toute ta science, aux plus gran-
dignitaires s'enfuirent alors vers problème est d'ordre cosmique. des ressources de ton art.
l'intérieur du Continent où ils (se tournant vers Seth) Quant à
Seth. Vous dramatisez beau- toi, Seth, nous aimerions que tu
s'allièrent à leurs frères de l'inté-
coup, mon neveu ; votre pessi- nous clarifies ta position car elle
rieur pour fonder de nouveaux
misme me semble exagéré, le est ambiguë : d'un côté, on
Empires, me dressant ainsi des
peuple africain ne vous a jamais t'entend affirmer que tu es avec
trônes. Ce fut le cas de Koush,
dit qu'il souffrait, regardez l'Afri- nous, que tu es notre allié, et que
Ghana, Mali, Songhaï, Congo,
cain danser, et vous verrez qu'il ta place est près de nous ; et
Monomotapa, Zoulou et autres
est très heureux. d'un autre côté, on se rend
encore. Entre temps, l'esclavage
avait commencé ; il fut pratiqué Isis. Par Amon-Ra, quel mal- compte que tes actes ne sont pas
par les Romains, puis par les heur ; en effet, Mon Divin époux conformes à tes paroles.
Arabes ; notre peuple, si glo- est à l'image de l'Afrique, de (à tous) Je vous informe qu'un
rieux et si fier autrefois, n'était notre peuple, et il suffit d'obser- grand conseil doit se tenir et que
plus constitué que d'hommes et ver ce peuple, pour comprendre toutes les grandes divinités doi-
de femmes réduits à l'état d'ani- vent y participer ; il sera présidé
dans quel état se trouve le Très
par le demiurge Ra lui-même,
maux et que l'on vendait comme Saint Osiris. Ses lambeaux de
du bétail. Les Européens annon- assisté de sa très divine Mère
chair, à l'image du Peuple
Neith. Sur la table, un dossier
cèrent le tournant décisif dès le d'Afrique, sont dans un état de
brûlant ; l'Afrique, le Peuple
xvIe siècle, et pratiquèrent putréfaction très avancée. Et
Noir et sa destinée. Nous en pro-
l'esclavage pendant quatre siè- c'est à cette pourriture cepen-
fiterons pour cerner notre pro-
cles, vidant l'Afrique de près de dant qu'il faut redonner vie. Il
pre destinée.
200 millions de ses enfants ; la faut reconstituer un corps dont
grande majorité mourut dans les les lambeaux sont en état de Seth. Notre destinée ? Mais
océans lors de la traversée pour décomposition très, très avancé, pourquoi ? En quoi les problè-
l'Amérique, et les survivants se un corps dans un état d'une mes du peuple terrestre nous
retrouvèrent aux Amériques, aux indescriptible horreur ; et la concernent-ils, et pourquoi notre
Antilles et dans d'autres lieux question qui se pose est de destinée dépendrait-elle de la
encore. La colonisation s'ensui- savoir si la résurrection est leur.

21
Thot. Voyons, Seth, une divinité ment, Moi, Seth, j'aurais fomenté losophiques, avaient essentielle-
a toujours besoin d'être vénérée un complot contre mon propre ment pour but d'aliéner mentale-
sur Terre. C'est grâce à cela frère, le Très Saint Osiris ? Vous ment le peuple afin de le rendre
qu'elle peut fournir à son peuple savez bien que non, nul ne peut inapte à défendre ses intérêts
suffisamment de force psychique sérieusement croire que je peux vitaux. Toutes ces nouvelles pen-
pour faire face aux difficultés de avoir fait une chose pareille. sées devaient occuper l'espace
l'Existence. De plus, cette véné- mental africain, en nous éva-
ration lui permet d'être présente
Horus. Permettez-moi de vous
rappeler, mon Divin Oncle, que cuant, nous, les principaux
sur Terre. Tu n'ignores pas ce garants de sa liberté, supports
vous l'aviez déjà trahi dans le
qui s'y passe actuellement ; que véritables de sa conscience his-
passé, le frappant d'ailleurs à
deviendrait Jésus-Christ si les torique. C'est à ce niveau que tu
mort ; dispersant son corps en
chrétiens renonçaient tous au nous as trahis : tu as facilité
putréfaction sur toute la surface
christianisme ? Il disparaîtrait. l'entrée des dieux étrangers et
de la Terre.
Que deviendrait le nom d'Allah des idées nouvelles négatives
si tous les musulmans renon- Seth. C'est du passé tout ça, ta qui avaient pour mission de nous
çaient à leur religion d'islam ? mère l'avait ressuscité, l'affaire combattre, devenant du même
Ce nom aussi disparaîtrait de la avait été jugée par la Grande et coup leur esclave et les servant
surface du globe. Aujourd'hui, Sainte Assemblée des Dieux ; avec une docilité humiliante.
nous ne sommes plus présents Saint Horus, vous aviez obtenu C'est ainsi que le corps d'Osiris
au sein de notre peuple. Certes, gain de cause, et aviez occupé devint la cible des attaques exté-
certaines maisons entretiennent le Trône de votre Père, mon rieures. Les attaques furent
encore le feu de notre présence Bien Aimé Frère le Saint Osiris ; physiques et mentales, surtout
en nous invoquant, mais jusqu'à et jamais, jamais, jamais je n'ai mentales. Plus tard, les attaques
quand ? contesté cela, bien au contraire, physiques cessèrent, il y eut
je me suis effacé après votre vic- même des autonomies accor-
Isis. Oh Thot, je voudrais savoir, toire.
je voudrais comprendre : qu'est- dées à des états diminués, mais
ce qui s'est passé exactement Thot. En effet, c'est moi-même les attaques mentales persistè-
dans le Monde souterrain des Thot, qui ai proclamé la victoire rent et aboutirent à la désagré-
Ancêtres, où régnait mon Époux d'Horus sur tous les grands tri- gation du Dieu ; Isis conservait
Bien-Aimé ? Qui est le responsa- bunaux de l'Égypte. Mais Seth, encore l'espoir de retrouver son
ble véritable de sa mort, com- je me rends à présent compte époux, sans se rendre compte
ment a-t-il pu être assassiné, combien tu es perfide et fourbe. que le mal était d'une incroyable
pourquoi l'a-t-il été ? Que lui Comment, tu oses nier un fait profondeur et que Osiris était
voulait-on ? Qu'a-t-il bien pu faire aujourd'hui connu de tous les dans un état de putréfaction très
pour connaître un destin aussi Grands Dieux et du Monde sou- avancée ; quant à toi, tu n'eus
tragique. terrain. Tu es le responsable de aucune peine à démembrer le
la mort du Très Saint Osiris, et corps pourri, avec l'aide de tes
Thot. Ce n'est pas à moi qu'il puisque tu as la mémoire courte, alliés, et en jeter les différentes
faudrait poser la question, mais parties partout dans le monde.
je vais te rappeler comment tu
à ton frère, qui est d'ailleurs ici, Partout où il y avait une résis-
as procédé. Si ton plan a été
avec nous, devant Toi. Qu'il te tance mentale, la violence physi-
remarquablement sournois et
dise ce qui s'est passé, il est
subtil, il n'en reste pas moins que s'avérait indescriptible dans
mieux placé que moi pour
vrai qu'il est tout simplement dia- son horreur. En fait il y a eu un
répondre à la question, ayant été
bolique. Tu n'ignorais pas que la véritable viol du peuple, et cela
lui-même l'un des acteurs du
Terre d'Afrique, vu ses riches- n'aurait pu avoir lieu s'il n'y avait
drame.
ses, était un gâteau très convoité. des complicités, à savoir tes pro-
Seth. Oh, mensonge, calomnies ; Tu ne pouvais pas ne pas savoir pres adeptes, à l'intérieur de
ne l'écoutez pas, chère soeur, il que les idéologies étrangères, l'édifice social. C'est toi qui,
raconte n'importe quoi. Com- qu'elles soient religieuses ou phi- comme eux, a ouvert les portes

22
du sanctuaire à l'étranger, c'est de voir l'humanité se comporter l'idée d'aller planter en climat
ta main qui a découpé le Divin d'une manière qui ne m'honore tropical une plante originaire de
corps d'Osiris, car un Africain pas ; elle me bafoue, elle se la zone tempérée du globe ter-
meurt toujours de la main d'un détourne de moi, elle m'oublie, restre. Le sol terrestre et la
autre Africain. C'est toi qui, à et je me retrouve, ô ironie du diversité de son climat doivent
nouveau, a fait d'Horus un sort, dans des manuels de biblio- modeler les hommes selon ma
orphelin, plongeant à nouveau sa thèque comme un objet de volonté et ce, en vue de mon
Mère Très Sainte dans une nou- musée. grand Dessein qui est aussi le
velle quête des lambeaux du leur. Les êtres humains sont mes
Thot. Qu'il me soit permis,
corps de son époux. Tu es plantes, et leurs cultures ne sau-
Majesté, de vous rappeler que
démasqué, Seth, et nous savons raient être que différentes. Ainsi
vous êtes Universel en tant que
à quoi nous en tenir. pourront-ils enrichir leurs expé-
verbe créateur, et que sous ce
riences grâce au contact que les
Horus. Ah, traître, votre perfidie nom, vous continuez à être adoré
uns auront établis avec les
encore une fois, éclate au grand dans les églises des religions
autres. Et ceci ne peut être pos-
jour ; je demanderai justice actuelles.
sible que si chacun conserve
devant l'Assemblée Divine. Rê. Certes, Thot, mon universa- intact sa culture propre. Et voilà
lité et mon éternité ne font pas que j'assiste à une véritable ten-
Acte II de doute. Mais vois-tu, si j'ai fait tative d'uniformisation ; chaque
les hommes différents, c'est pour religion se veut universelle
Scène I — Thot et Rê mon plus grand épanouissement, aujourd'hui ; on prend la religion
et en vue de leur bonheur, car chrétienne originaire du Moyen-
Rê. Ah, mon cher Thot, tu ne l'humanité est une partie de moi- Orient et s'étant développée en
peux savoir combien je souffre même. Tout de même, qui aurait Égypte et en Europe pour la
Jésus en croix (Palais des Papes).
déverser en Afrique, en Améri-
que, en Asie et en Extrême-
Orient, pendant que l'islam
quitte lui aussi son Moyen-Orient
natal pour se répandre en Asie
et en Afrique ; et au même
moment, les religions asiatiques,
hindoues et autres, et leurs
méthodes mystiques envahissent
l'Europe, l'Amérique et l'Afri-
que ; ne parlons pas de sectes
qui naissent de part et d'autre et
qui se veulent universelles elles
aussi.
Thot. Tous ces regroupements
vénèrent le Verbe Créateur
qu'incarne votre Majesté qui,
sous des appellations diverses,
s'impose à toutes les créatures
comme étant l'un, l'unique.
Rê. C'est exact, mais l'ennui
dans tout cela vient du fait que
le peuple africain perd sa cul-
ture qui était supportée par le
culte original voué à Mon
Auguste personne. Or, cette ori-
ginalité aussi m'est indispensa-
ble, et pourtant elle a été com-
battue et ce depuis l'Égypte Pha-
raonique : mes temples sont
devenus des ruines et des
musées, et mon peuple, depuis
l'Égypte jusqu'en Afrique noire,
est victime de l'aliénation men-
tale la plus terrifiante qui soit.
N'oublie jamais, mon cher Thot
que le peuple noir m'est très
cher, car c'est lui que j'ai
d'abord créé ; toutes les autres Isis allaitant Horus. vt< ou v< siècle av. J.-C.
races dérivent de lui par muta- (Leyde. Rigks Museum Van Oudheden).
tion biologique — c'est le cas de
la race blanche qui a été quali- sortir de la barbarie et l'orienter que mesurer une ingratitude
fiée de race aryenne — et par vers la civilisation. Et quand je impardonnable et j'en arrive à
métissage des deux races, ce vois le drame que vit mon peu- me demander si je n'aurais pas
qui a donné la race sémite et la ple si cher à travers les agres- mieux fait d'empêcher l'émer-
race jaune. Et c'est aux Noirs sions dont il est victime de la gence de toutes ces races pos-
que j'ai confié la redoutable part de ceux qui sont ses enfants térieures ; tout de même si on ne
tâche d'initier l'humanité pour la et furent ses élèves, je ne peux respecte pas ses parents, com-

24
ment peut-on prétendre respec- Scène II fectionner, pour te parfaire. Dès
ter le Créateur Suprême ! La lors, tous tes tâtonnements, tes
vénération du Verbe Créateur Rê (seul). Ô cruel destin que erreurs, tes craintes, tes doutes,
passe par le respect des subit un peuple au passé si glo- tes échecs, tes réussites, se
parents, lequel respect figure rieux ; où va ma création ; quel répercuteront donc sur ton orga-
parmi les commandements des est ce vent de folie qui souffle nisme qui intègre tes créatures.
ouvrages théologiques de sur la planète Terre et qui met Sache cependant qu'à l'échelle
l'humanité. en péril les êtres vivants qui humaine, un Dieu ne saurait être
l'habitent ? Ô cette course aux que parfait.
Thot. Votre Majesté n'ignore pas
armements et ces guerres fratri-
que l'apparition des autres races Ré. Si j'en arrive à douter de
cides, la famine, l'extrême pros-
humaines postérieures entre moi, oh Mère, c'est parce que
périté du Nord face aux déshé-
dans le cadre des desseins cos- mon Fils Osiris a été victime d'un
rités du Sud qui sont exploités
miques qui ont été tracés depuis second assassinat encore plus
par les pays dits riches ! Ah oui,
les origines mêmes de la horrible que le premier. L'acte
l'Humanité, mon humanité est
création. assise sur un baril de poudre ; et odieux a été conçu de l'extérieur
Rê. Oui, Thot, oui, c'est exact ; qu'arrivera-t-il si cette dynamite et perpétré par Seth qui s'est
j'estime cependant que le peu- explosait ? et le peuple d'Afri- allié aux forces de destruction
ple noir doit sortir du chaos dans que, que deviendra-t-il ? La du peuple. La recherche des
lequel il est plongé ; il est temps Terre est à l'image du Ciel, et je lambeaux du corps s'avère
qu'il joue son rôle de père, car suis le créateur du monde ; les d'autant plus difficile qu'ils sont
il y a trop d'agitation dans cette hommes ne sont pas parfaits, soigneusement dissimulés par
maison humaine qu'est la Terre : donc la Terre n'est pas parfaite ; des forces qui travaillent cons-
nul ne saurait oublier les deux la Création, ma Création n'est ciemment pour la destruction
grandes guerres mondiales qui pas parfaite. Dois-je conclure d' Osiris et qui font preuve à cet
sont le comble de l'absurde, que le Verbe Créateur n'est pas égard d'une redoutable détermi-
ainsi que la course aux arme- parfait ? (Entre Neith.) nation. Le travail de sape orches-
ments qui menace toutes mes tré par ces forces sur l'Espace
créatures. Quand mon peuple Scène III (Rê effectue une mental africain a rendu le peu-
dirigeait le monde, on n'a jamais génuflexion) ple noir amnésique, tant et si
assisté à une pareille cruauté. Il bien que pendant des siècles, ce
faut sauver ce peuple, il le faut, Rê. Que ma véritable Mère dernier a complètement ignoré
et c'est urgent. En attendant Sacrée, support de tout l'Univers son passé, sa culture, ses cultes
qu'un sauveur puisse lui être visible et invisible, veuille rece- et ses Divinités tutélaires que
envoyé, j'aimerais que des voir les hommages de son hum- nous sommes. Nos temples ont
mesures préparatoires soient pri- ble fils et dévoué serviteur. disparu. Il a fallu l'intervention
ses : contacte Isis ; tous ensem- d'hommes parfaits comme
Neith. Mon cher Enfant, j'ai Ch. A. Diop pour que la cons-
ble nous ferons subir à Horus
entendu ton monologue. Tu as cience historique soit retrouvée,
des initiations spéciales ; il faut
l'air de raisonner comme si Ta du moins au niveau de la Très
qu'il se prépare à retourner sur
création et Toi étiez deux entités haute élite. Or, malgré cela, nos
Terre pour sauver le peuple en
distinctes. Il n'en est rien comme Temples ne sont pour autant pas
tant qu'Avatar. Auparavant, nous
tu le sais. C'est Toi qui insuffle la restaurés ou ré-ouverts ; il se
devons nous préparer pour la
vie à l'humanité qui fait partie de pose aujourd'hui le problème de
réunion.
toi comme les cellules font par- notre survie sur la Terre Sacrée
Thot. Que la volonté de Votre tie d'un corps vivant. C'est ton d'Afrique.
Majesté soit faite sur la Terre principe de vie qui, se subdivi-
comme au Ciel. (Il sort.) sant en ces multiples vies, les Neith. Tu sais, Mon Très Cher
anime. Or ton expérience dans Enfant, que les circonstances
la matière a pour but de te per- nous obligent quelquefois à

25
sélectionner les esprits que nous transforment en hommes d'affai- Rê. Ô, Ma Mère Bien Aimée, tes
devons envoyer en incarnation res, lorsque leurs intelligences propos sont très durs ; tu sais
sur Terre en vue d'un travail ne sont pas perverties par que ce peuple a souffert dans le
précis donné ; malheureuse- l'appât d'un gain plus ou moins passé ; l'esclavage, la colonisa-
ment, beaucoup se laissent cor- louche. L'Afrique compte beau- tion, la crise qui secoue le
rompre et trahissent nos espoirs ; coup d'universitaires spécialisés monde, l'aliénation mentale qui
aussi sommes nous très heureux dans les grandes branches du s'est traduite par l'absence de
lorsque l'un d'entre eux savoir que sont les mathémati- conscience historique, le mépris
s'acquitte de sa mission avec ques, la physique, l'économie, dont il est l'objet et que sais-je
bravoure et courage. Oui, beau- les lettres, les sciences juridi- encore, les agressions mentales
coup manquent de courage, et ques et autres. Malheureuse- et physiques de toutes sortes.
donc de force intérieure néces- ment, au lieu que ces cher- Neith. Certes, Mon Fils ; seule-
saire pour l'accomplissement de cheurs s'unissent pour essayer ment lorsqu'on a souffert, on doit
leur tâche. Ils sombrent alors de créer une École autonome pouvoir tirer des leçons pour
dans la médiocrité et la complai- spécialisée dans une discipline plus tard connaître le bonheur ;
sance. C'est en cela que l'Afri- donnée et dans laquelle les c'est en cela que la souffrance à
que est aussi responsable des anciens pourraient et devraient travers les épreuves qu'elle
malheurs qui s'abattent sur elle encadrer la jeunesse, on assiste impose, cultive l'endurance et la
aujourd'hui. Nous avons envoyé plutôt hélas à une démission qui sagesse, et par-dessus tout le
des esprits suffisamment brillants se traduit par une rivalité entre courage et le sens de l'honneur
pour que ce continent dispose chercheurs, à cause des postes et de la dignité ; pas une dignité
de docteurs en toutes spéciali- de responsabilités. Beaucoup qui se crie dans les discours,
tés, d'ingénieurs, de médecins, affirment que les conditions ne mais celle qui se vit chaque jour
en un mot, de cadres de très sont pas propices pour la recher- et impose que chaque homme et
haut niveau. Qu'attendent-ils che, en oubliant que c'est à eux femme soient animés d'un esprit
pour relever leur Continent, qu'il appartient de créer lesdites de volonté et de sacrifice pour
beaucoup se plaignent des gou- conditions, et ils se servent de les idéaux les plus élevés possi-
vernements qu'ils accusent de cette excuse pour ne rien faire. bles. Les Dieux et les Déesses
tout ; certes, on peut déplorer les Quoi de plus étonnant alors à ce incarnent ces idéaux. Le peuple
attitudes de certains gouverne- que après plus de trente ans africain ayant souffert se doit
ments, cependant, il ne faut pas d'indépendance, presque tout d'acquérir toutes ces qualités, ce
oublier que les membres desdits reste à faire. Il est cependant qui est loin d'être le cas en ce
gouvernements sont choisis heureux qu'une minorité joue moment. Si les attaques idéologi-
parmi ces cadres-là ; de plus ces son rôle ; c'est le cas de ques ont eu pour but de le cou-
critiques ne sont souvent pas sin- Ch. A. Diop et de ses disciples. per de Nous, c'est bien parce
cères et masquent une attitude Malheureusement, de tels cher- que les idéologues craignaient
négative pour ne pas dire une cheurs sont si peu nombreux. Je que ce peuple ne puisse acqué-
démission face aux responsabili- comprends ton désir de sauver rir les qualités que nous person-
tés historiques du peuple noir. une race qui a rendu de très nifions. Aujourd'hui, grâce à un
Jugeons-en : beaucoup d'intel- grands services dans le passé. travail scientifique remarquable,
lectuels noirs jouissent de leurs Ce désir, je le partage du fond ce contact est renoué. Parmi la
états de conditions matérielles du coeur et je bénis le projet haute élite, seule une minorité
appréciables, mais ils ne s'orga- qu'on pourra mettre en place. infime recherche ce contact
niseront jamais en écoles de Cependant, le peuple africain étroit avec Nous. Or, ce contact
pensée où ils mettraient en doit nous aider dans cette tâche est fondamental, je dirais même
oeuvre des moyens privés pour en adoptant un comportement vital pour ce peuple dans la
se lancer dans la recherche plus responsable, je dirais même mesure où chaque Divinité
théorique pure avec abnéga- plus adulte, en essayant de ne incarne et personnifie une qua-
tion ; bien au contraire, ils se plus se laisser infantiliser. lité donnée ; et l'édification

26
l'infantilisation de l'Africain. Cer- climatiques et géologiques qui
tains adeptes d'organisations règnent dans la zone équatoriale
ésotériques sur Terre, qui sou- et tropicale où le climat est
tiennent la théorie de l'incarna- chaud et humide. Les animaux et
tion des âmes, affirment que les les plantes aussi subissent cette
âmes africaines sont très en loi d'adaptation. Le phénotype
retard sur le plan révolution- du Blanc lui permet aussi de
naire, car le nombre d'incarna- s'adapter au mieux dans la zone
tions est moindre comparé à tempérée. D'ailleurs la race
celui des ressortissants des blanche dérive de la race noire
autres races, l'aryenne par pour une mutation biologique en
exemple. D'autres encore préci- climat froid pour des raisons
sent que les Africains dans leur d'adaptation, tu le sais. Sur le
majorité sont des enfants de par plan du génotype, toutes les
le manque de maturité de leur races humaines se valent ; c'est
âme ; il y en a même qui esti- pourquoi une quelconque infé-
ment que les Africains descen- riorité ou supériorité d'une race
Marie et l'enfant Jésus. dent d'une race appelée à dis- sur une autre n'a jamais pu être
Église copte (A. Esso). paraître contrairement aux juifs prouvée sur le plan scientifique.
qui ne verraient la solution de Et voilà qu'aujourd'hui on se sert
d'une grande civilisation ou leur survie que dans le métis- des théories relatives aux âmes
d'une nation puissante repose sage avec les autres races pour tenter de justifier une supé-
sur un certain nombre de gran- aryennes. Ces thèses sont riorité raciale de certains êtres
des qualités. La recherche est à d'autant plus redoutables sur d'autres. Tu suis ces événe-
cet égard fondamentale car elle qu'elles sont émises par les plus ments terrestres autant que moi-
seule permettra à l'Africain de grosses confréries ésotériques. même, tu n'ignores donc pas ce
nous connaître, ce qui nous per- Or, quand on cerne la profon- que renferment les écrits relatifs
mettra d'être les grands sup- deur de l'impact que ces grou- à ces thèses qui affirment que
ports du glorieux destin que pes ont sur les masses et les trois époques caractérisent l'évo-
l'Afrique entend se forger. Dès consciences, on ne peut pas ne lution de l'humanité : l'Époque
lors, la démission actuelle d'une pas être préoccupé. lémurienne, suivie de l'Époque
partie de l'intelligentsia africaine atlantéenne, puis de l'époque
Neith. Oui, Mon cher Fils Bien
de la recherche n'est plus aryenne : les Noirs seraient les
Aimé, tu as raison de te poser
acceptable : le grand plongeon résidus de l'Époque lémurienne
des questions quant aux consé-
doit être fait car le défi, c'est tout qui aujourd'hui a disparu ; aussi
quences qui résulteraient de
simplement la survie même de seraient-ils appelés à disparaître
l'émission de ces thèses, et ceci
ce Continent. Si l'Africain ne fait car telle serait la loi de l'évolu-
d'autant plus qu'une certaine
rien, il disparaîtra de la Terre tion ; les derniers Atlantes
élite africaine et non des moin-
d'Afrique et, partant, nous aussi seraient les grands fondateurs
dres adhère à ces confréries. Tu
nous disparaîtrons à jamais de de l'Empire pharaonique et des
n'ignores pas que les âmes
l'Afrique, de cette Afrique qui a grandes civilisations précolom-
humaines émanent de nous,
su dans le passé nous sublimer
n'est-ce pas toi qui les mènes à biennes ; leurs descendants sont
et-fonder ainsi la Nation pharao-
l'existence ; quant aux races aussi appelés à disparaître ;
nique dont la grandeur est le
humaines, elles résultent tout notons qu'ici l'Égypte n'était pas
souvenir le plus doux que j'ai
simplement des conditions clima- encore perçue comme un peu-
gardé en Moi.
tiques qui règnent sur Terre. Le ple de Noirs, et on falsifiait les
Rê. Ô Vénérable Mère, phénotype du Noir a pour but de documents qui penchaient pour
permets-moi de revenir sur un permettre à ce dernier de vivre cette vérité lorsqu'on ne les fai-
point que tu as abordé, relatif à et de s'adapter aux conditions sait pas disparaître purement et

27
Pendentif du collier de Toutankhamon, représentant Isis et Nephtis (A. Esso).
simplement de la vue du pro- ciples qui se garderont bien l'y maintenir de force, et se ser-
fane ; quant à la race aryenne, d'indiquer les méthodes ésotéri- vir de ce qu'il se débat pour
on l'identifie sans peine dans la ques et mystiques permettant de affirmer qu'il ne sait pas nager
race blanche, sémite et jaune. Il démontrer ces curieuses vérités. relève de la mauvaise foi.
n'y a pas si longtemps encore, La race aryenne se caractérise- D'autre part, si le peuple africain
les Jaunes étaient considérés rait par un développement men- adopte le caractère enfantin que
comme inférieurs aux Blancs, tal très poussé alors que la race nous percevons aujourd'hui, et
mais depuis qu'ils ont fait leurs atlantéenne serait beaucoup plus que nous déplorons, c'est parce
preuves sur le plan scientifique, émotive ; la race lémurienne qu'il ne s'est pas remis de ses
le racisme envers eux s'est serait, elle, beaucoup plus physi- épreuves passées. En effet, tout
éteint pour se bipolariser : les que. Pour pouvoir soutenir de gaillard, si solide soit-il, mais
Noirs sont aujourd'hui les princi- telles thèses, il a fallu : nier la qu'on aura mutilé, saigné à
pales victimes de ce fléau. Tu réalité d'une Égypte pharaoni- blanc, roué de coups et affaibli,
n'auras d'ailleurs pas manqué que noire en falsifiant les docu- n'aura plus la capacité de se suf-
de noter le caractère raciste des ments et l'histoire, balkaniser le fir à lui-même ; il sera comme un
thèses qui se cachent derrière continent noir et l'empêcher ainsi enfant, il faudra le nourrir,
cette théorie évolutionniste qu'on de réaliser l'unité grâce à l'habiller, s'occuper de lui, et ce
ne peut scientifiquement pas laquelle les Noirs auraient pu jusqu'au moment où il commen-
prouver, mais qui ésotérique- prouver que leur race était aussi cera à jouir d'une relative auto-
ment serait vraie comme l'assu- mentale que les autres. Plonger nomie. L'Afrique aujourd'hui
rent les fondateurs et leurs dis- la tête de quelqu'un sous l'eau et jouit d'une certaine liberté, et est

28
relativement autonome ; l'histoire vers Seth et l'a accusé publique- actuellement les lieux ; ils sont
du peuple noir doit être à jamais ment du meurtre de son Père adorés en Afrique et nous ont
gravée dans sa conscience, afin Osiris, exigeant une réparation. supplantés ; certes, le Verbe
de lui servir d'enseignement en Seth a tout nié en bloc, a déploré Créateur demeure reconnu uni-
vue de son futur épanouisse- l'offense dont il était l'objet, pre- versellement, mais se retrouve
ment. L'Afrique dispose de suf- nant les Divinités présentes à vénéré dans de nouvaux rituels
fisamment de ressources humai- témoin, et s'est néanmoins étrangers à la culture africaine
nes et mentales pour se libérer déclaré prêt à oublier l'affront, à authentique. L'Afrique s'aliène.
de ses chaînes. Les exemples cause de la jeunesse d'Horus et
Rê. Mère, ce problème ne
fournis par le Japon et la Chine, de son manque d'expérience
relèverait-il pas de la Genèse
et aujourd'hui par les autres des réalités de la vie et de la
même de la création dans sa
pays d'Extrême-Orient tels que création. Les divinités présentes
conception la plus profonde ; la
les deux Corées, montrent que sont très perplexes, et beaucoup solution ne se trouverait-elle pas
l'on peut quitter le bas de penchent pour Seth, estimant dans l'essence même de mon
l'échelle et atteindre le sommet que les accusations d'Horus ne Père Amon.
dans le monde actuel. Nous sont pas fondées car le fait que
autres, Divinités, ne pouvons Osiris ait disparu ne signifie pas Neith. Non mon Fils Chéri, il
qu'imprimer aux humains les forcément qu'il ait été mutilé. Il relève de la création manifestée
qualités et les aptitudes ; à eux s'en est suivi une vive discussion et doit se résoudre sur ce plan ;
de savoir s'en servir. Pour ce qui entre les Dieux et Déesses en les desseins d'Amon Ton Père et
est de la division de l'évolution présence, discussion qui se Mon Époux sont parfaits à notre
humaine en ces trois époques, poursuit et dont les échos nous niveau ; sache aussi que Ton
nous ne pouvons empêcher nos parviennent en ce moment. J'ai Père est un mystère qui est inac-
créatures d'opérer des subdivi- essayé de m'interposer entre cessible, même à Moi ; je suis
sions données ; cependant, il eux, mais il n'y a rien à faire, les vierge et cependant je t'ai conçu
convient de souligner qu'à cha- esprits sont surchauffés et au et tu personnifies la première
que époque, les conditions cli- moment où je vous parle, deux image que je peux me faire de
matiques et géologiques sont les camps se sont dessinés. Celui lui qui est resté caché, dissimulé,
seules responsables des phé- des partisans d'Horus et celui hors de notre atteinte. Rendons-
notypes des êtres vivants... Quel des partisans de Seth. Il y a eu nous à la salle de réunion.
est ce vacarme. (Entre Thot.) quelques affrontements, mais les
gens de Seth ont eu un net avan- Acte HI (dans la salle de
Scène IV — Thot, Neith, Rê tage car ils ont été renforcés au réunion)
dernier instant par d'autres Divi-
Thot (s'inclinant). Que la Mère nités venues on ne sait d'où. J'ai Scène I — Neith, Rê, Thot, une
Suprême de la Création daigne pour ma part repéré certains assemblée de Dieux
recevoir les humbles salutations adorés par les peuples originai-
Rê. Je ne vois ni Horus, ni Seth ;
de son humble créature et res du Nord, du Moyen et
modeste serviteur. Extrême-Orient. On aurait même de plus, beaucoup de Divinités
manquent à l'appel.
dit que ces nouveaux venus
Neith. Mon brave Thot, quelle
étaient à l'affût et attendaient Thot. Comme je l'ai dit à votre
est la cause de ce bruit ?
l'occasion de se manifester. Majesté, les choses se sont enve-
Thot. C'est Horus qui a défié son nimées, et nous sommes en ce
Neith. Que devient Horus ?
oncle Seth, Vénérable Mère. Ils moment au stade d'un affronte-
se sont croisés au moment où Thot. Il s'est enfui, Majesté ; je ment direct.
nous nous rendions dans la vous l'ai dit, les partisans de Seth
Rê. Où est Isis, je ne vois pas
grande salle de réunion du Tem- sont beaucoup trop puissants ; je
Nephtys non plus.
ple de Votre Grandeur ; c'est n'ai rien pu faire ; ce sont ces
alors que Horus s'est avancé nouveaux venus qui organisent Thot. Isis a rejoint son fils et

29
Nephtys est allée à leur recher- Scène HI — Neith, Rê, Thot,
che ; nul doute qu'elle les a assemblée des Dieux, Seth et
retrouvés. Néanmoins, je pense ses partisans. Isis, Nephtys,
qu'Horus et Seth viendront à la Horus et les siens
réunion car nul ne peut désobéir
aux ordres de Votre Grandeur Horus. Que les Dieux pardon-
et de sa bienheureuse Mère. nent l'accoutrement militaire de
Rê. Vénérée Mère, faut-il ajour- mes hommes ; j'accuse ici mon
ner cette réunion ? oncle Seth d'avoir assassiné mon
Père Osiris, d'avoir découpé son
Neith. Non, elle aura lieu, et Tu corps en décomposition, d'avoir
la présideras comme convenu. dispersé les lambeaux sur toute
(un murmure : entrée de Seth et la Terre ; et j'affirme ici que ces
de ses partisans en vêtements lambeaux sont soigneusement
de guerre, armés) dissimulés par les alliés de ce
vieil individu afin que ma Divine
Scène II — Neith, Rê, Thot, Mère Isis et moi-même ne puis-
Assemblée des Dieux, Seth et sions les retrouver pour recons-
ses partisans tituer le corps sacré de mon
Père et les ressusciter ensuite.
Seth. Que nos créateurs reçoi-
vent les hommages de leurs Seth. Petit insolent, tu mérites
humbles serviteurs. une leçon ; Tu accuses, où sont
les preuves ? sur quels faits
Rê. Bienvenue, Sath ; mais
t'appuies-tu ? Des êtres aussi vils
essaye de nous expliquer pour-
quoi tes compagnons et Toi êtes que Toi doivent être balayés de
tout en armes ; cette réunion, me la surface de l'Afrique où ils doi-
semble-t-il, ne revêt nullement vent être remplacés par un
un caractère militaire. Ordre Nouveau. Si tu es si fort,
alors je te lance un défi ; où et
Seth. Que sa Majesté daigne quand tu voudras, je suis prêt à
exercer le port de nos armes ; te rencontrer, et nous livrerons
loin de nous l'idée d'agresser un combat ; chacun de nous ali-
qui que ce soit en cette auguste gnera ses guerriers et ses alliés,
assemblée. Simplement je et le vainqueur prendra
demande justice à notre Créa- l' Afrique.
teur Suprême car j'ai été injuste-
ment accusé par Horus d'avoir Horus. Pourquoi pas un combat
assassiné son Père, de l'avoir singulier entre nous deux, seul à
ensuite mutilé et dispersé les seul, sans partisan extérieur.
membres en décomposition sur Seth. Je refuse le combat singu-
toute la surface de la Terre. Ces lier, chacun a le droit de cher-
affirmations ne reposent pas sur cher ses alliés où bon lui semble.
des faits dûment établis, aussi Ancêtre Dogon
j'exige que Horus, vu son inso- Horus. Plutôt que de parler de (Zurich, Musée Rietberg).
lence, reçoive un châtiment tes alliés, tu devrais plutôt les
exemplaire. appeler tes patrons ; ce sont eux
(au même moment entrent Horus qui te fournissent tes armes, c'est
et ses partisans, eux aussi armés d'eux que tu reçois tes instruc-
et en tenue de guerre.) tions et tu le sais ; ce sont eux qui

30
élaborent tes stratégies ; quant à toutes ces données nouvelles. elle est basée et ce, très souvent
l'ordre nouveau dont tu parles, il Seulement il appartient aux Afri- au détriment du territoire où elle
s'agit tout simplement d'assujet- cains eux-mêmes d'opérer le tri, s'exerce. Vu comme cela, les
tir l'Afrique aux forces étrangè- de faire les choix et ce en fonc- rapports que mon Frère Seth
res qui la suceront comme des tion de leur conscience histori- entretient avec les Divinités
sangsues, comme c'est déjà que, de leurs aspirations et de étrangères à l'Afrique et qui
actuellement le cas grâce à ta leurs idéaux. L'Afrique a l'entourent, ne sont pas sains
trahison et à ta soumission. Tu embrassé les religions étrangè- dans la mesure où le prix à
n'as plus d'autonomie de pensée, res, ainsi que des idéologies et payer est lourd et se traduit par
tu ne peux rien décider par toi- systèmes de pensée qui sont nés une sorte d'assujettissement du
même ; toutes tes soi-disant déci- et se sont développés hors de peuple d'Afrique. D'un autre
sions sont dictées par d'autres son sol. Toutes ces idées nouvel- côté, si mon Fils Horus, ici pré-
Divinités qui t'ont si bien plié à les sont venues se déverser sent, bénéficie d'une conscience
leurs ordres que tu courbes dans l'espace mental du peuple. historique et donc d'une expé-
l'échine à leur présence ; et tu Il en est résulté une aliénation rience agréable ou douloureuse,
n'es pas dupe, tu le sais, tu en as culturelle qui a rendu les Afri- il n'empêche qu'il doit impérati-
honte et tu n'oses pas te l'avouer. cains amnésiques, avec une vement tenir compte des don-
perte de leur conscience histori- nées nouvelles dont j'ai parlé
Seth. Assez, ô Dieux, je
que. Le continent noir stagne et tout à l'heure et qu'il doit pouvoir
demande qu'un châtiment exem-
même régresse. Il y a sur cette intégrer dans sa conscience ;
plaire soit pris à l'encontre de
Terre Sacrée des peuples qui se c'est de là, à mon avis, que pour-
cette incarnation de la déché-
sont alignés sur le Camp Occi- ront sortir des propositions con-
ance. dental, et qui sont sous- crètes permettant de dénouer
Isis. Ô Vénérables Divinités développés et se retrouvent ainsi cette crise qui me peine beau-
Créatrices, je devrais verser des sur le même plan que ceux qui coup et me fend le coeur.
larmes, et cependant je ne le se sont alignés sur le Camp
Rê. Chère Isis, ton intervention
ferai pas, car cela ne servirait à Occidental, et qui sont sous-
me touche beaucoup. Nous
rien. Vous savez vous-mêmes développés et se retrouvent ainsi
autres, Divinités, apparaissons
que ce duel qui oppose sur le sur le même plan que ceux qui
sous plusieurs formes sur le plan
plan divin mon Frère Seth et se sont alignés sur le camp de
terrestre et pouvons de ce fait
mon Fils Horus, se traduit sur l'Est ou qui se veulent islami-
être vénérées par des peuples
Terre, en Afrique, par l'affronte- ques. Certains objecteront que
différents ; et ces différents cul-
ment de deux Afriques, l'une qui les pays africains alliés aux occi-
tes nous sont nécessaires et nous
pense que le salut du peuple dentaux sont plus avancés que
avons besoin que chaque peuple
noir se trouve à l'étranger et ceux alliés au Bloc de l'Est ; soit,
conserve son originalité. L'Afri-
l'autre qui souhaite que l'Africain mais un fait demeure, les pays
que doit être profondément afri-
cherche en lui-même la voie qui africains se trouvent tous à la
caine dans sa pensée, dans sa
le mènera au bonheur. Seth sou- queue du peloton des Nations et
conscience, et dans son expres-
tient l'établissement sur la Terre le premier parmi eux n'est que
sion. Telle est sa voie si elle veut
d'Afrique d'un ordre nouveau. le premier des derniers. Le mal
progresser. L'aliéner, l'assujettir
Bien sûr, il est hors de question ici vient de ce que ce sont des
reviendrait à la travestir et la
de revenir aux rites et aux rituels consciences extérieures qui
perdre. Comme tu l'as dit toi-
et même aux cultes et à la men- mènent les destinées de l'Afri-
même, nous nous sommes réunis
talité d'un passé révolu, car que, compromettant ainsi son
ici afin de tenter de dénouer la
beaucoup de choses se sont pas- épanouissement pour des siècles
crise africaine qui vient de pren-
sées depuis : la pensée a évolué, si la situation continue à perdu-
dre de douloureuses propor-
la technologie aussi ; les hommes rer, dans la mesure où une cons-
tions.
ont reçu de nouvelles expérien- cience donnée ne peut que
ces et l'on doit tenir compte de défendre les intérêts du lieu où Seth. Que Votre Majesté tienne

31
compte de ce que je suis injus- Horus. Quelle paix, la nôtre, ou beaux du corps de mon Père,
tement accusé de meurtre et celle de tes patrons ? Je ne nous devons travailler avec
qu'elle demande à Horus de veux pas d'une paix qui se tra- acharnement si nous voulons
retirer ses absurdes allégations. duit par la soumission aux Divi- espérer en un avenir meilleur.
nités et idéaux venant de Nous devons planter, si nous
Horus. Je les maintiens, ô Créa-
l'Étranger. voulons récolter. (A son tour il
teurs Suprêmes, et j'exige
sort avec ses armées.)
réparation. Seth. Puisque je te propose la
paix et que tu la refuses, eh Scène V — Rê, Neith, Isis, Thot,
Rê. Seth, tu sais toi-même que
bien je n'ai plus rien à faire Nephtys
Horus dit la vérité, et aucune
vérité ne saurait nous être dans cette réunion ; tu n'es
qu'un fauteur de troubles, un Thot. L'affrontement est d'ores
cachée. L'assassinat d'Osiris a
été conçu à l'extérieur mais, pour subversif dangereux, et je et déjà inévitable, le destin de
l'exécution de ce funeste projet, demande aux Dieux de te sanc- l'Afrique est ainsi en train de se
il fallait des hommes de mains à tionner et de te faire enfermer jouer.
l'intérieur même de l'Afrique, et pour que tes agissements incon-
trôlables ne puissent nuire et Rê. Oui, cependant un fait est
tu t'es porté volontaire. Le corps
entraver l'oeuvre de paix et inéluctable : l'Afrique est afri-
a ensuite été démembré comme
d'harmonie que je souhaite caine ou alors disparaîtra de la
on le sait et les membres se
réaliser. surface des nations en tant
retrouvèrent dissimulés avec soin
qu'entité originale. Or, le peu-
dans le monde par des êtres qui Thot. Voyons Seth, sur Terre, ple noir doit survivre ; je le
ne souhaitent pas le bien du peu- un homme qualifié de subversif veux ; aussi je te demande à Toi
ple d'Osiris. Nous aurions sou- se serait retrouvé en prison, Thot, ainsi qu'à Toi Isis, d'initier
haité que tu arrêtes tes agisse- mais ici, nous sommes au Ciel, Horus. N'empêchez surtout pas
ments ; hélas le problème, c'est entre Divinités, donc libres dans cette première confrontation. Il
que tu ne disposes plus d'aucune nos actions et nos expressions. est temps que certains Dieux
marge de manoeuvre. Tu es
Seth. Alors je vais réduire ce s'incarnent sur Terre pour pour-
obligé de servir tes patrons et de
petit insolent par la force ; ah, suivre la lutte là-bas, et la mort
travailler pour eux et ils te tien-
Horus, je vois que tu ignores ma de ces Dieux guerriers entraî-
nent à un degré tels que tu ne
puissance ; quant à vous, ô nera leur incarnation en Afri-
peux les laisser tomber, du moins
Dieux, redoutez Seth car sa que. Le corps d'Osiris sera
pour l'instant. Tel est le drame.
colère sera terrible. (Il sort avec retrouvé, il ne peut en être
Tu es leur otage.
ses compagnons.) autrement ; cette quête peut
Seth. Puisqu'il en est ainsi, je ne être longue, mais elle aura un
peux que m'incliner. Je plaide Scène IV — Rê, Neith, Horus et terme car tel est le destin. L'uni-
coupable et demande à Horus ses partisans, Isis, Nephtys, vers ayant été fondé sur le prin-
que nous fassions la paix ; Thot, les Divinités cipe d'équilibre, toute injustice
comme vous le voyez, mes amis est nécessairement corrigée au
sont très puissants, mais com- Rê. Les forces du chaos et des bout d'un temps plus ou moins
prennent nos problèmes, ils ténèbres se sont réveillées à long. Seth gagnera cette pre-
assurent que le corps d'Osiris nouveau ; elles étaient déjà à mière bataille, mais cette vic-
n'est pas entre leurs mains, l'oeuvre, mais actuellement, toire contiendra en germe toutes
mais sont prêts à nous aider à elles opèrent ouvertement. ses futures défaites. Vous ensei-
le rechercher. Je demande sim- gnerez à Horus l'art de vaincre
plement que Horus désarme ses Horus. Nous n'avons plus le après une très longue période
hommes afin de se joindre à choix, il faut arrêter Seth dans de souffrances et d'épreuves, et
nous pour que nous puissions son expansion et en même une fois Osiris retrouvé et res-
ensemble créer un monde de temps commencer les recher- suscité, Isis lui enseignera,
paix et d'harmonie. ches afin de retrouver les lam- après cette longue épreuve

32
d'endurance, les grands Mystè- la mort d'Osiris, néanmoins nous ris, le Nouvel Osiris, ressuscité
res sans lesquels on ne peut avions retrouvé les lambeaux d'entre les morts et élève à nou-
recouvrer un Trône. J'ai dit. de son corps dispersés, et vous veau l'Afrique au rang des
l'aviez reconstitué et ressuscité. grandes nations. Certes, les obs-
Acte IV Le même problème se repose tacles sont énormes, beaucoup
aujourd'hui et nul doute que reste à faire, les forces du
Scène I — Isis et Nephtys vous arriverez à le résoudre. chaos et de la dissolution travail-
Voyez, vos cris ont atteint la lent pour contrecarrer ces
Isis. Tu vois, Ma Chère Terre ; déjà de part et d'autre voeux ; tout est fait pour détour-
Nephtys, le drame que je vis ; les consciences s'éveillent, et à ner les élites africaines de leur
ce drame est celui de tout un votre suite s'engagent dans la Devoir historique ; néanmoins
peuple ; le peuple noir, divisé quête du Saint Osiris ; des quelques unes accomplissent
aussi bien sur le plan physique regroupements se forment ; à leur tâche avec bravoure, hon-
que sur le plan mental, le peu- nouveau le nom sacré d'Isis est neur et abnégation et souvent
ple noir enfermé dans des ghet- prononcé ; l'unité de l'Afrique même meurent dans le combat.
tos physiques et mentaux ; un s'impose aux consciences Le nom de Cheik Anta Diop et
peuple aliéné mentalement, qui comme une nécessité et une de son école est prononcé sur
ne se retrouve plus, ne se priorité ; les Noirs de la dias- toutes les lèvres, il est devenu
reconnaît plus ; un peuple qui, pora font des pèlerinages en une référence. Ô Chère Soeur
ayant perdu ses valeurs morales Égypte afin de renouer les con- Très Vénérée, le monde noir
et spirituelles, se retrouve sans tacts avec leurs lieux saints ; bouge ; la quête d'Osiris est
idéaux. Ô Nephtys, qu'est-ce enclenchée, partout dans le
beaucoup de jeunes Africains
qu'un peuple sans Dieux, hélas monde vous rencontrerez un de
du Continent ou de la diaspora
l'Afrique ne nous connaît plus et vos adeptes qui recherche un
ne rêvent plus que d'unité ; ils
qu'est-ce qu'un Dieu sans peu- lambeau si minime soit-il.
prient et se battent avec de
ple ; voilà que l'Afrique nous
bien modestes moyens, il est Isis. Ton optimisme me récon-
ignore ; elle a fait siennes des
vrai, pour que ce rêve devienne forte, ma chère Nephtys,
valeurs étrangères, tant et si
bien que l'Africain est prêt à enfin une réalité, pour que Osi- n'empêche que le drame se
résoudre les problèmes des Cérémonie du Ngondo Douala (A. Esso).
autres, sans se préoccuper des
siens propres. L'Afrique enrichit
les contrées étrangères pendant
que ses enfants meurent de
faim. Ah, Osiris, dans quel état
te trouves-tu, c'est ce corps sec-
tionné, cette pourriture, qu'il
faut reconstituer et à laquelle il
faut redonner vie, ce corps dont
les membres déversés de part
et d'autre paraissent à jamais
perdus. Ô créateurs suprêmes,
le Destin que vous m'imposez
est terriblement cruel.
Nephtys. Ô Très Sainte Soeur,
je vous en prie, ne vous lamen-
tez pas, dans le passé, vous
vous êtes trouvée confrontée à
un problème analogue, à savoir

33
joue en ce moment même, sous défaite, en fait il y a longtemps que sur lui-même s'il veut espé-
nos yeux. A l'heure où nous qu'elle paie déjà un tribut si rer survivre dans cette jungle
parlons, les armées de mon fils lourd, qui s'alourdit encore où seules ne peuvent évoluer
Horus sont en train d'affronter davantage et qui se traduit par que des nations fortes, organi-
celles de Seth, son oncle qui, sa misérable dernière place sées et dans une certaine
comme tu le sais est soutenu dans le concert des nations. mesure, suffisamment féroces
par de très puissantes forces L'Africain est perçu par les dans la défense de leurs inté-
étrangères. L'enjeu de cette autres habitants de la Terre rêts vitaux. Il y a même un cer-
lutte, c'est la survie même du comme un paresseux, un sou- tain type de littérature très
monde noir en tant que nation, mis, un incapable qui n'a jamais répandu et qui enseigne (par la
en tant que peuple uni ; et rien créé et qui paraît né pour bouche de certains ténors) qu'il
comme une nation ne saurait être l'esclave des autres, qui ne y a un Dieu au Ciel qui résou-
exister sans territoire, c'est le sait que danser, s'amuser ; c'est dra tous les problèmes à condi-
sort de la Terre d'Afrique qui donc quelqu'un qu'on méprise, tion que l'on prie ; on enseigne
est en train de se jouer. Je sais qui ne jouit d'aucune considéra- aux adeptes de ne pas s'occu-
que mon Fils sera vaincu dans tion, d'aucune dignité, c'est un per des choses terrestres mais,
cette bataille, et que les dégâts sous-homme. Ô Nephtys, quand au contraire de les dédaigner
cosmiques seront énormes. donc comprendra-t-il qu'il est pour se préoccuper essentielle-
L'Afrique paiera très cher cette l'artisan de son propre destin et ment des choses célestes ; on
qu'il est de son devoir de cher- garantit ainsi une vie heureuse
cher en lui-même toutes les for- dans un paradis céleste après
ces nécessaires pour bâtir sa la mort. Il est temps que l'on
nation ; pourquoi faut-il que comprenne que nous autres
l'Africain passe son temps à se Divinités, n'intervenons que sur
lamenter sur son propre sort et le plan mental et psychique par
pleurnicher, demandant la com- le biais des idées et des intui-
passion et la compréhension des tions et qu'il est illusoire de
autres ; combien de fois croire qu'à force de nous invo-
n'entend-on pas les Africains quer, nous pourrons nourrir des
dire qu'ils ont aidé certains peu- êtres humains incarnés dans la
ples lors de certaines grandes chair : seul un être de chair
guerres, croyant ainsi disposer peut en nourrir un autre ; nous
d'un argument leur permettant autres, Divinités, sommes des
de jouir des efforts des peuples esprits et ne travaillons que sur
en question, demandant ainsi en ce plan. Tout individu sur terre
quelque sorte, de l'aumône, de qui ne plante pas, qui ne sème
la charité ; il est temps qu'ils pas, ne récoltera pas et mourra
comprennent que le monde ter- de faim même s'il prie des mil-
restre est dur et cruel et que liers de fois par jour. De plus,
les hommes sont des loups les nous avons toujours enseigné
uns pour les autres, qui se que l'homme a été envoyé sur
transforment en bêtes féroces terre pour qu'il y exerce sa
pour défendre leurs intérêts. A divinité en exploitant au maxi-
l'échelle des nations l'aumône et mum tout ce dont il peut dispo-
la charité ne sauraient exister, ser comme ressource ; à ce
et l'Africain doit apprendre à titre, il doit exploiter ses riches-
travailler dur et à ne compter ses et en user pour son plus
Vili, Kongo (Cabinda). Statuette commémorative « Phemba ». Tradition égyptienne
(Isis et Horus). La mère et l'enfant.

34
La déesse
Sekhemet.
British
Museum. (D.K.)

Cérémonie
du Ngondo
Douala Danse
(A. Esso).

35
nier a atteint. L'homme doit pou-
voir dire : « Je suis Dieu dans
mon plan de manifestation ; je
suis un créateur, je crée, et mes
oeuvres témoignent de Moi.
L'Éternité de Dieu se voit à tra-
vers ses oeuvres ; mon éternité
se verra à travers les miennes. »
Ô Nephtys, l'Africain a oublié
que la création de l'homme fait
partie de la création tout court,
et comme telle s'intègre dans
un Dessein divin.
Nephtys. L'espoir est réel,
Sainte Isis ; certes, Horus sera
vaincu ; mais il sortira renforcé
de cette défaite ; il aura perdu
une bataille, mais la guerre con-
Mimi Réincarnation de la Princesse Yennega ? Burkina Faso (D.K.). tinue ; sa cause est juste, et cela
est reconnu par les Dieux ; la
grand épanouissement ; il doit création, donc une totale sou- guerre durera, mais la victoire
accéder à l'immortalité par mission. On oublie très vite que totale d'Horus est inéluctable.
l'éternité de ses oeuvres ; la nature, la création est une Aujourd'hui, le désir de créer
l'homme doit donc être un bâtis- école où l'homme doit s'inscrire germe dans les cerveaux d'une
seur, un constructeur, un con- afin d'étudier et accéder à la certaine jeunesse africaine ; les
cepteur, un créateur à l'image connaissance. La soumission exi- courants de pensée dont vous
du Créateur Suprême. Dès lors, gée à l'homme par la divinité venez de parler demeurent
dédaigner et mépriser les cho- est semblable à celle qu'un puissants, cependant, beaucoup
ses terrestres revient à admet- enseignant exige d'un élève à d'Africains réalisent qu'il leur
tre l'idée qu'une génération ne savoir à l'observation d'une dis- manque quelque chose et sou-
doit pas laisser d'héritage pour cipline d'acier qui puisse per- haitent entendre un autre type
ses descendants, ce qui est un mettre la meilleure acquisition de discours qui soit plus con-
acte criminel, l'expérience des des connaissances et du savoir. forme à leurs aspirations et à
parents devant servir aux Si la nature était parfaite, leur désir d'émancipation.
enfants. Une telle mentalité l'homme, en tant que créature, L'Africain n'a pas encore
encourage la médiocrité, or la le serait aussi ; or, ce n'est pas réveillé le surhomme, la Divinité
divinité relève de la perfection le cas. Il appartient à l'homme qui sommeille en Lui. Espérons
qui elle-même est le fruit mûr de corriger ce qui peut lui que la quête d'Osiris qui est
d'une très longue et très riche apparaître à son niveau de actuellement entreprise lui per-
expérience. Le travail, le travail, conscience comme une imper- mettra de prendre conscience
le travail, encore le travail, tou- fection dans la nature, car son de son Moi le plus profond.
jours le travail, rien que le tra- but, c'est d'être un Dieu dans Lorsqu'on regarde tous ces
vail. La divinité ne s'exprime toute l'acception du terme et esprits de bonne volonté qui
pas sur terre par des prières, cela ne peut être cerné que par essaient de conscientiser le peu-
mais bien par le travail qu'elle la manière dont il transforme les ple, essayant de lui ouvrir les
effectue à travers sa création. matières, donc par sa création. yeux sur sa destinée et son
Certains courants de pensée Une créature doit être sembla- devoir, et ce malgré les difficul-
exigent de l'homme une con- ble à son créateur et révéler tés énormes, le désespoir n'est
templation du Divin à travers sa l'état de perfection que ce der- plus permis. Au contraire, l'Afri-

36
que vivra et se bâtira ; et c'est duire avant l'arrivée des trou- Thot. Rassurez-vous, je connais
cet événement capital qui mar- pes de Seth. une voie dissimulée, et une sor-
quera l'ouverture d'une nou- tie secrète. Suivez-moi.
Isis. Ma chère Nephtys, ma
velle ère dans l'Évolution de (Ils sortent, quelque temps
place se trouve auprès de mon
l'Humanité, à savoir l'ère du après on enfonce la porte.
Saint Fils Bien Aimé. Le fait
Verseau. Entrent Seth et ses hommes, les
qu'Horus soit libre signifie que
armes à la main, en tenue mili-
l'Afrique peut conserver intact
Scène II — Thot, Isis, Nephtys taire, revenant du combat.)
son espoir ; cependant, sans la
Thot. Ah, Très Saintes Déesses, reconstitution du corps de mon
Scène IV — Seth et ses
les nouvelles ne sont pas agréa- mari et sa résurrection, Horus
confédérés
bles ; cependant, en tant que ne pourra jamais reconquérir
Seigneur de la parole de Dieu, son Trône. Du temps où mon Seth. Ah les traîtresses, Isis,
il est normal que je vous époux régnait, je pouvais circu- Nephtys, elles sont allées rejoin-
informe ; les troupes d'Horus ont ler librement avec tous mes dre ce renégat d'Horus et se
été mises en déroute par la coa- attributs. Aujourd'hui avec l'avè- dressent ainsi contre moi.
lition menée par Seth. L'affron- nement de Seth, je ne suis rien
de plus qu'une Épouse endeuil- Le premier général allié. Ce
tement a été d'une terrible
lée à la quête du corps de son n'est pas un problème, vous
cruauté ; et je n'ose pas vous
défunt mari. Je m'en vais rejoin- contrôlez totalement la situation,
décrire les atrocités commises
dre Horus. Tu as la possibilité et avec notre aide, vous n'aurez
sur les hommes d'Horus par les
de rester avec Seth si tu le aucune peine à asseoir votre
alliés étrangers de Seth ; il y
désires. autorité. Vous disposez du pou-
avait chez ces derniers un désir
voir (que nous vous avons
d'exterminer jusqu'à la racine
Nephtys. Ô Très Sainte et donné). On vous a même offert
tout suivant d'Horus tant soit peu
Divine Soeur, dans le passé, des conseillers et des assistants
désireux de rendre à l'Afrique
lorsque nous connûmes des techniques, dont vous n'avez
sa dignité et son intégrité. Cela
épreuves tout aussi redoutables, absolument rien à craindre.
nous permet hélas d'entrevoir le
avons-nous jamais été séparées ; Votre victoire est éclatante (vous
cruel destin de tout Africain
je vous en supplie laissez-moi l'avez obtenue grâce à nous) ;
désireux de continuer à libérer
vous aider dans cette quête, votre autorité est incontestée
son continent et toute oppression
accordez-moi cet honneur d'être (grâce à notre soutien) ; une
extérieure. Face à une telle
avec vous. Quelles que soient nouvelle ère s'ouvre pour l'Afri-
haine et à un tel désir de des-
les épreuves, je voudrais les que ; au fait nous disposons d'un
truction des coalisés dé Seth,
endurer auprès de vous. certain nombre d'accords que
Horus a préféré battre en
retraite avec les meilleurs hom- nous souhaiterions que vous
Isis. Je suis très touchée par ta
signiez ; on en reparlera tout à
mes qui lui restaient. Il est resté loyauté ; tu sais combien ta pré-
l'heure. Oubliez Isis, Nephtys et
introuvable jusqu'ici, et les trou- sence m'est utile, et dans cer-
pes de Seth sont toujours à sa cette armée en déroute, et orga-
tains cas indispensable. Alors,
nisons le pays (de la manière
poursuite. viens avec moi. Thot, s'il vous
dont nous l'entendons).
plaît, veuillez nous conduire
Isis. Savez-vous où il s'est
auprès de mon fils. (Des bruits Le deuxième général allié. Tant
réfugié ?
se font entendre à la porte.) qu'Horus, Isis et Nephtys seront
Thot. Absolument, et je peux vivants ils pourraient être dan-
vous assurer que le lieu où il se Scène III — Thot, Isis, Nephtys, gereux ; Seth a peut-être raison
trouve est un repaire très sécu- une voix d'être inquiet ; avec ces trois là,
risant, et il sera difficile, j'ose nous ne sommes pas à l'abri
même dire impossible, de l'y Une voix. Ouvrez au nom de la d'une résistance qui, à terme,
trouver. J'y ai été, je l'ai vu et loi, ou nous enfonçons cette pourrait ébranler notre pouvoir
je suis venu ici pour vous y con- porte, dépêchez-vous, ouvrez. — euh, pardon le pouvoir de

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Seth (que nous contrôlons) et préoccupation doit être la quête velle épouse qui a remplacé
donc mettre en péril nos inté- des lambeaux du corps de cette traîtresse de Nephtys.
rêts. Au fait, où peuvent-ils se votre Père, et votre propre
Le Vizir. Justement Majesté, ce
cacher ? sécurité, car vous symbolisez
sont ces Dieux et Déesses étran-
l'Espoir. Une fois que notre
Seth. Ils sont dans le Territoire gers qui ont pratiquement
quête sera achevée et que nous
des Dieux où règnent la grande assumé la Création telle qu'elle
aurons intégré en nous toutes
Déesse Neith et son Fils Rê et les expériences, y compris celle apparaît en ce moment dans
ce lieu, qui se situe dans un l'Univers. En réalité, notre
que nous vivons aujourd'hui,
champ de conscience, nous est alors, je vous promets de vous champ d'action se limite juste
inaccessible... oui, inaccessible. donner la victoire lors de la pro- en Afrique ; nous n'agissons que
(Ils se dirigent vers la sortie.) chaine bataille qui sera le com- sur les Divinités tutélaires de ce
bat final. continent, et encore faut-il cons-
Le premier général. Bien, alors
tater que ce sont surtout les ava-
du moment qu'ils ne menacent Thot (sa voix forte au départ se tars étrangers qui sont vénérés
pas nos intérêts dans l'immédiat, fait de plus en plus basse). sur ce continent qui nous ignore
nous pouvons penser à nos Approchez-vous, que nous puis- totalement. Je pense à Gilga-
accords de coopération ; donc, sions élaborer une stratégie. mesh, Ishtar, Enki.
à propos du pétrole, nous pou-
Sachez que les défaites
vons vous aider à l'exploiter, Seth. Que voulez-vous dire ?
d'aujourd'hui doivent contenir
d'autant plus que nous avons les germes des victoires de Le Vizir. Majesté, beaucoup de
des raffineries chez nous, pour demain. L'Afrique doit vivre et choses sont à revoir dans le
ce qui est des autres matières
elle vivra. Pour cela, voici com- cadre de la coopération avec
premières telles que le fer, le ment nous devrons procéder... nos Divins partenaires. Ce sont
chrome, l'or et les diamants,
eux qui établissent les cultes et
notre aide est comme vous le Acte V ce à leur avantage ; ils monopo-
savez, indispensable et... (Ils
lisent la quasi-totalité des gran-
sortent.) Scène I — Seth, le vizir Sobecr des formes institutionnelles, tant
Scène V — Isis, Horus, Thot et si bien que nous ne recevons
Seth. Mon Cher Premier minis- que des miettes. Sous leur
tre, où en est notre politique, influence, notre peuple s'appau-
Horus. Ô, ma Divine Mère, je
voilà des décennies que nous vrit dans des conditions inac-
souffre de devoir vous imposer l'appliquons dans le cosmos ceptables ; l'argent se fait rare
l'image d'un fils proscrit et hors depuis ma victoire sur Horus. en Afrique à cause des devises
la loi ; il m'est de plus insoute-
nable de constater que vous Le Vizir. Majesté, nous avons qui sont littéralement aspirées
m'avez suivi dans ma fuite, appliqué cette politique avec vers les pays étrangers, ceux-là
acceptant de partager avec moi rigueur et détermination comme mêmes qui adorèrent et même,
dans une certaine mesure, ado-
une épreuve et une défaite dont l'a recommandé votre verbe
je devais seul endosser la res- sacré. rent encore nos partenaires.
L'Afrique est surexploitée, et les
ponsabilité. En effet, je n'ai pas
Seth (flatté). Oui, c'est en effet prix horriblement bas de ses
su mener mes armées à la
mon souffle divin qui vivifie matières premières sur le mar-
victoire.
l'univers et assure l'ordre ; je ché mondial sont très loin de
Isis. Il n'y a pas de honte à per- m'en réjouis. L'occasion m'est compenser les prix anormale-
dre une bataille, mon Fils ; et la d'ailleurs donnée de rendre ment élevés des produits manu-
guerre n'est pas terminée, elle hommage aux Divinités étrangè- facturés qui proviennent de
se poursuit, et je suis résolue à res qui m'ont assisté jusqu'ici, à l'étranger et qui sont pourtant
vous la faire gagner. Sachez savoir Zeus, Ahou, Baal, Héra- fabriqués avec ces matières
que seule l'unité assure la vic- clès, Moloc, Ea, Mitra, sans premières précisément. Ces
toire, aussi notre plus grande oublier Anat, ma tendre nou- pays étrangers qui sont beau-

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coup plus puissants que les
pays africains fixent les règles
du jeu à leur avantage sur le
marché international ; aussi
s'enrichissent-ils de plus en plus
en appauvrissant de plus en
plus les Africains. De plus, la
balkanisation de l'Afrique, avec
comme conséquence la création
de micro-États non viables face
aux puissantes entités que sont :
les États Européens qui, dans
les faits constituent à l'ouest un
bloc unique d'États plus que
fédérés ; les États-Unis d'Améri-
que ; le bloc de l'Est avec au
centre la toute puissante Union
des Républiques Socialistes
Soviétiques (C.E.I.) ; la Chine ; le
Japon ; la balkanisation de l'Afri-
que, dis-je, met ce continent
dans l'incapacité totale de chan-
ger quoi que ce soit dans cette
tourmente économique. La réa-
lité mondiale est telle que les
fruits de tout effort produit sur le
sol africain sont littéralement
aspirés par les pays riches qui
en jouissent au détriment des
Africains eux-mêmes. L'Afrique
ne maîtrisant plus rien, et
n'ayant plus aucune possibilité
d'influencer quoi que ce soit sur
les événements mondiaux, se Survivance de la tradition de la barbe tissée égyptienne en Afrique. Liberia (1800).
trouve donc en crise. Oui
Majesté, c'est la crise en Afri-
que ; c'est la crise, et dans ces
conditions, nous ne pouvons
plus recevoir de culte digne de
nous, pis encore, nos divins par-
tenaires occupent purement et de notre glorieux combat contre rés, votre illustre et innommable
simplement notre place et nous Horus ; et sans elle, nous ne Nom est totalement inconnu, et
relèguent aux oubliettes ; on serions jamais les maîtres ce sont comme je l'ai dit, les
vénère Astarté, Héraclès, Baal, aujourd'hui en Afrique, nous ne divinités étrangères qui sont
Gilgamesh et autres comme je serions pas les Dieux dont l'Afri- vénérées.
l'ai dit. que a besoin pour son épanouis-
Seth. Oui, cependant, il s'agit là
sement spirituel.
Seth. Mon cher Premier minis- d'une étape. N'oubliez pas que
tre, nous avons besoin de l'aide Le Vizir. Majesté, en Afrique c'est Horus qui était vénéré en
étrangère ; elle a été vitale lors aujourd'hui, nous sommes igno- Égypte pharaonique alors que

39
moi, j'étais banni. Les étrangers Seth ne pose absolument aucun créer une Civilisation Univer-
constituent donc une transition problème dans la mesure où selle, la contribution de l'Afri-
nécessaire, ils seront vénérés à cela revient à adorer la divinité que sera consistante et l'Africain
leur tour dans les édifices reli- qui est une. Aussi est-il néces- ne sera plus considéré comme
gieux construits par eux, et saire que nous aidions nos par- l'éternel consommateur qu'il
ensuite petit à petit, je les sup- tenaires dans leur tâche que sur est : il sera un producteur. Or,
planterai pour devenir l'unique Terre règne enfin la civilisation les Dieux étrangers, très avisés,
Dieu adoré en Afrique. Seth de l'Universel dans laquelle se nous ont ôté toute possibilité de
sera alors la seule divinité auto- confondront tous les humains. nous exprimer en Afrique et
risée et mon culte seul sera cette position, Majesté, est
Le Vizir. Majesté, qu'il me soit
toléré dans les sanctuaires. extrêmement fâcheuse pour
permis de vous faire remarquer
nous. (Entre un agent.)
Le Vizir. Majesté, j'ai bien que nos partenaires ne ména-
peur, vu l'évolution actuelle des gent aucun effort pour s'imposer Scène II — L'agent, Seth, le
choses, que cela soit impossible. à notre peuple d'Afrique : ils
Vizir
En effet, les Dieux étrangers mettent en oeuvre les puissants
contrôlent totalement tous les moyens pour leur propagande. L'agent. Majesté, vos amis, les
secteurs clés ici, au Ciel : notre De plus, il règne actuellement
deux généraux souhaitent vous
système divin de défense est entre eux une véritable guerre voir et attendent dans
entièrement entre leurs mains, dans la mesure où chaque Dieu l'anti-chambre.
ce qui nous met dans l'incapa- veut s'imposer devant son vis-à-
cité de nous défendre si nous vis. Baal n'entend pas s'effacer Seth. Qu'ils entrent, qu'ils
étions agressés par des divinités devant Héraclès au nom de entrent ; il ne faut jamais les
hostiles ou ennemies. Ils mono- l'universalité que vous prônez ; faire attendre, je vous ai déjà dit
polisent complètement et totale- et réciproquement, Héraclès de les faire entrer aussitôt qu'ils
ment la ligne fondamentale de n'entend pas s'effacer devant s'annoncent et ce sans perdre
correspondance avec le peuple Baal. Donc si les deux divinités une seule minute. (Les deux
d'Afrique qui ne reconnaît pour avaient votre vision en ce qui généraux alliés font leur entrée.)
seules divinités qu'eux. Baal et concerne l'universalité, l'une
Héraclès sont si bien vénérés s'effacerait devant l'autre nom Scène III — Les deux généraux,
en Afrique que leurs temples de la divinité qui est une. Or, Seth, le Vizir
sont pleins à craquer. Et nous comme vous le voyez, il n'en est
rien. D'autre part, créer une Seth. Ah mes amis, que je suis
n'avons aucun moyen d'influen-
civilisation de l'Universel sur le heureux de vous voir ; je vous
cer ce monopole. Il est même
plan terrestre présuppose que en prie entrez, entrez.
totalement exclu que nous son-
gions le leur retirer par la force chaque peuple offre un apport Le premier général. Bonjour,
car leur domination est telle que culturel spécifique ; en effet si Majesté ; nous sommes venus
s'ils décident de nous retirer le des personnes décident ensem- vous voir pour que vous signiez
pouvoir, nous ne pourrons rien ble de construire un édifice, les documents dont nous avons
faire, absolument rien. chacun devra fournir un effort et parlé l'autre jour, vous vous
apporter une contribution, et nul souvenez ?
Seth. Je vous rassure tout de ne doit songer jouir de l'édifice
suite, mon cher Premier minis- sans qu'il n'ait donné son Seth. Mais bien sûr que je m'en
tre, nos amis sont très compré- apport. Aussi est-il indispensa- souviens ; apportez-les, je vais
hensifs. Vous semblez ignorer ble que votre Majesté puisse les signer tout de suite.
que l'universalité s'impose aussi être vénérée dans des Temples
Le premier général. Les voilà...
bien sur le plan divin que sur le en Afrique, et ce, suivant un
Voilà, vous signez là, au bas de
plan terrestre. Les Dieux sont culte spécifique relatif à la cul- la page.
universels ; dès lors adorer ture africaine. Si les habitants
Héraclès ou Baal en ignorant de la planète Terre souhaitent Le second général (s'adressant

40
au premier général). Mais, il
faut qu'il les lise surtout qu'il y
a des clauses que nous avons
modifiées ou remplacées ; il
serait bon qu'il soit informé,
nous étions convenus qu'on lui
en parlerait, surtout que nous
avons décidé d'imposer nos
divinités à nous sur le sol afri-
cain et ce, de la manière la plus
exclusive : seuls Héraclès, Baal
et d'autres de nos Dieux
auraient le droit d'élever des
Temples et recevraient un culte
public. Or il se peut qu'il y ait
des Divinités locales dont Seth
souhaiterait la survie en Afrique.
Seth. Heu — Hein... Quoi, il y a
un problème ?
Le premier général (visible-
ment contrarié). Non, c'est peu
de chose ; nous avons dû revoir
certains petits éléments sans
importance ; bon on peut passer
à la signature.
Le second général. Mais non ;
est-ce qu'il accepte les modifi-
cations, après tout, sa majesté
Seth est une Divinité qui a elle
aussi le droit d'être vénérée en
Afrique, or, s'il signe ce docu-
ment, cela voudra dire qu'il
accepte de ne jamais se voir
adoré. Ce serait sa mort sur ce Saints de l'Église copte. Le Caire (A. Esso).
continent. Or, aucun Dieu ne
saurait exister sans culte, et la autres divinités peuvent évoluer vu et revu dans ses moindres
position de Seth sur son propre sur mon continent comme il leur détails ; il ne reste plus que les
continent africain de nos jours signatures ; on dirait que vous
plaît.
est déjà précaire. n'avez plus confiance en nous.
Le premier général (il répond
Seth (d'une voix pleurni- Seth. Heu, pardonnez ma ques-
charde). Est-ce qu'on ne pour- en regardant le second avec
colère). Mais non voyons, ce tion je vous prie, mais, dans ce
rait pas faire de moi l'unique
n'est pas nécessaire, le docu- cas, est-ce que je ne pourrais
Divinité d'origine africaine à
ment a été étudié en tenant pas me contenter d'un tout petit
être vénérée en Afrique à
compte de nos intérêts cosmi- temple dans un endroit que
l'exclusion de toutes les autres ; vous aurez déterminé ?
puisque vous savez vous-mêmes ques communs qui sont intégra-
que Héraclès, Baal et toutes vos lement sauvegardés. Tout a été Le premier général. Mais enfin,

41
voyons Seth. Après tout ce que vous retrouve, je savais que
nous avons fait pour toi, tu ne vous comprendriez et que vous
nous fais pas confiance ; je t'ai deviendriez raisonnable. Très
Obélisque. assuré que nous avions pris en bien, très bien. Voilà, je vous
Hommage des pharaons aux dieux. compte tous les intérêts possi- remets un exemplaire du docu-
(A. Esso).
bles de nos sphères cosmiques ment. Ceci dit, permettez-nous
respectives (il le tutoie). Tu ne de prendre congé ; vous savez,
peux raisonnablement pas nous les occupations cosmiques ;
demander, après tant d'efforts nous devons nous rendre en
fournis, de recommencer les Extrême-Orient où nous avons
études à zéro, non tu ne peux des négociations très serrées
pas nous demander cela. Mais avec le Bouddha. Au revoir et
enfin, ça devient de l'ingratitude excusez-nous. (Ils sortent.)
ou quoi. On ne te comprend
plus ; nous avons travaillé nuit et Scène IV — Seth, Le Vizir
jour — et je parle ici des nuits
et des jours cosmiques — pour Seth. Et voilà, mon cher Premier
rédiger un document céleste ministre ; l'orientation universa-
qui sauvegarde nos intérêts liste de la Terre est inéluctable,
divins et c'est ainsi que tu nous et grâce à moi, l'Afrique aura sa
récompenses. place dans le concert des
Seth. Non, loin de moi l'idée nations sur le plan spirituel.
d'offenser mes alliés en qui j'ai L'Histoire cosmique retiendra ce
tellement confiance. haut fait qu'a marqué mon illus-
tre signature sur ce document.
Le premier général. D'autre
part, vous n'ignorez pas (il le Le Vizir. Non Majesté, car votre
vouvoie) que nous tendons vers nom ne sera jamais mentionné
la création d'une civilisation ter- sur Terre ; par ce document,
restre universelle. Et on dirait vous avez renoncé à ce qu'on
que vous vous écartez de cette vous y établisse un Temple ;
ligne politique à l'échelle cosmi- vous avez renoncé à recevoir
que que résume ce document. un culte public. Vous avez
renoncé à la création sur Terre
Seth. Ah d'accord, votre expli- d'un collège de prêtres attachés
cation est beaucoup plus claire ; à votre auguste personne ; vous
effectivement l'Universalité sur ne recevrez plus jamais
le plan terrestre a toujours été d'offrandes ; au nom de ce
une des préoccupations majeu- document, tous ceux qui vous
res de mon céleste gouverne- auront servi en Afrique seront
ment. Où sont ces documents ? pourchassés et exterminés et ce
Ha ! Les voilà et bien je vais les à cause de votre propre signa-
signer sur l'heure. (Il signe...) ture. Votre nom sera à jamais
Voilà c'est fait. Je suis heureux banni. Majesté, vous avez perdu
de participer à une si grande la seule chance qui vous était
oeuvre. Ah oui, je suis vraiment offerte d'être un Dieu vénéré
heureux. (Alors que le second sur Terre. On éteindra votre
général est médusé, le premier nom ; et comme ce qui est en
jubile.) bas est comme ce qui est en
Le premier général. Enfin je haut, ce sera la désagrégation

42
Osiris (Louvre).

de la structure cosmique que d'Afrique pour leur annoncer la quelle impression ça vous fait
vous avez mise en place ici au bonne nouvelle. J'ai dit. d'être ma secrétaire particu-
Ciel. lière ?
Le Vizir. Bien Majesté. (Il sort.)
Seth. Monsieur le Premier (Seth appuie sur un bouton, Selkit. Je suis très honorée,
ministre, je ne demande pas entre Selkit,) Majesté.
votre avis sur ce document ; je
vous somme, en revanche, de Scène V — Seth, Selkit Seth. Très bien ; alors sachez
me rédiger un discours que que ce jour cosmique est un
j'adresserai à toutes les divinités Seth. Ah, ma chère Selkit, grand jour qui consacre l'Uni-

43
désirons nous réapproprier la
liberté de faire bâtir en Afrique
une grandiose civilisation
comme ce fut le cas jadis. Seth
ayant signé notre arrêt de mort,
je te propose de rejoindre
Horus, Isis, et Thot. Notre rallie-
ment est notre seule chance de
survie.
Selkit. Je suis heureuse de ta
décision ; elle me remplit de
fierté. Nous représentons cette
masse de divinités ayant suivi
Seth sans savoir qu'il nous
menait tout droit vers l'anéantis-
sement, ce qui est inacceptable.
J'ai appris qu'Isis a réussi, avec
l'aide de Nephtys, d'Horus et
Burkina Faso sculpture (D.K.).
de Thot, à retrouver et à récu-
versalisme sur la planète Terre. cours à cet effet. Je souhaiterais pérer tous les lambeaux du
J'ai signé à cet effet le docu- informer moi-même les Dieux corps d'Osiris qui étaient dissi-
ment que voici aujourd'hui d'Afrique. mulés partout dans le monde.
même. En ce moment, elle est en train
Sentit. Bien Majesté. de procéder à la résurrection
Selkit. J'en suis heureuse, (Elle sort.) du Grand Dieu.
Majesté, surtout que maintenant,
il n'y aura plus sur Terre qu'un Scène VI — Le Vizir, Selkit Le Vizir. C'est exact, Horus a
seul Dieu vénéré dans tous les pour sa part reçu des initiations
Temples, et que ce Dieu ce Le Vizir. Je vis le jour le plus spéciales, et a mûri ; c'est un
sera vous. Vous m'en voyez sombre de mon existence Horus plus sage, plus aguerri
ravie pour vous, Majesté. depuis ma création du Noun. que nous aurons désormais à
J'ai de la peine à croire que notre tête. Je dispose en ce
Seth. Heu, ce n'est pas tout à nous avons perdu tout espoir moment de la quasi-totalité des
fait cela ; non, en fait, on suppri- d'être vénéré sur Terre, en documents fondamentaux, sup-
mera la culture africaine déca- Afrique ; certes, nous sommes ports du gouvernement cosmi-
dente, et je m'identifierai à Baal, universels, cependant les cultes que de Seth et de ses Divinités
Héraclès, Astar et à toutes les africains nous sont nécessaires, alliées que sont Baal, Héraclès,
autres grandes Divinités ; celles- sinon c'est notre disparition Astarte et autres. J'entends les
là même qui sont nos alliées. totale sur cette terre et donc, en remettre à Horus. Il faut isoler
Selkit. Toutes ces Divinités por- quelque sorte notre mort puis- Seth.
teront votre nom Majesté ? que nous serons dilués ailleurs. Seth. Et le discours qu'il a
Selkit, je ne puis croire que
Seth. Heu non, c'est moi qui demandé ?
nous, Divinités Tutélaires d'Afri-
adopterai les leurs. que, qui avons bâti la grandiose Le Vizir. Il faut le lui donner ;
Égypte pharaonique, puissions les Dieux et Déesses, une fois
Selkit (déçue et désorientée).
Ah! mourir sur cette Terre que nous qu'ils l'auront écouté, nul doute
avons sanctifiée. Nous sommes qu'ils rejoindront Horus ; quoi
Seth. Allez voir le Premier d'abord et avant tout des Dieux qu'il en soit ce sera le cas pour
ministre et préparez-moi un dis- braves, fiers et libres, et nous les plus conscients d'entre eux.

44
Scène VII — Seth, le premier Seth. Ainsi donc toutes les Divi- sur Seth sera éclatante, et les
général allié nités qui étaient avec Osiris Dieux d'Afrique survivront dans
(Seth est seul, entre le premier avant la grande guerre cosmi- leurs Temples restaurés ; la cul-
général allié avec précipitation.) que l'ont rejoint à nouveau. Je ture africaine sera revalorisée,
suppose même qu'Isis l'a déjà réhabilitée et constituera l'une
Le premier général. Seth, je ressuscité. des préoccupations essentielles
viens d'apprendre que ton Pre- du peuple d'Afrique. Seth est
Le premier général (terrorisé). totalement isolé et sera tout sim-
mier ministre et ta secrétaire Quoi, Osiris est à nouveau res-
particulière, ainsi qu'une bonne plement écrasé en combat sin-
suscité ? Oh non pas ça. gulier. Mais, quel est ce trop
partie de tes suivants ont rejoint
l'ennemi. Qu'est-ce qui se Seth. Mon Général, cette fois, le plein d'énergie ?
passe ? péril est réel ; voulez-vous sou- Thot. Par Rê, l'atmosphère est
tenir mes armées je vous prie. si chargée.
Seth. Quoi ? C'est impossible, ils
me sont tous dévoués, j'ai un Le premier général (très Isis. C'est le Grand Osiris qui
total contrôle sur eux, ça ne effrayé, terrorisé). Nous ne vient bénir son Fils ; il est res-
peut pas être vrai. (Entre un pouvons pas nous ingérer dans suscité. (Tous s'agenouillent et
officier.) les affaires divines intérieures à ils entendent la voix d'Osiris.)
vos sphères cosmiques ;
Scène VIII j'espère que vous me compre- Scène II — Horus, Thot, Isis, la
nez. Ce problème est le vôtre et voix d'Osiris
L'officier. Majesté, c'est vous devez le résoudre tout
incroyable ; le Premier ministre seul. Nous, ici au Ciel, respec- La voix d'Osiris.
et votre secrétaire particulière tons toujours l'indépendance et
l'intégrité des sphères divines. Horus, mon Saint Fils,
ont rejoint l'ennemi, en empor-
comme l'Afrique j'ai été attaqué
tant des documents fondamen- Seth. Ainsi donc l'Histoire cos- comme l'Afrique j'ai été
taux ; ils ont été suivis par cer- mique se répète ; la victoire démembré
tains de nos officiers cosmiques. d'Horus est inéluctable. Cepen- comme l'Afrique mes membres
Seth. Pourquoi, pourquoi, dant, moi, Seth, je suis immortel, ont été dispersés sur la Terre
pourquoi ? et dans quelques millénaires, entière
j'aurai ma revanche. comme l'Afrique on a réunifié
L'officier. Ils disent que le mon corps et je suis ressuscité.
document que vous avez signé Acte VI Les difficultés ont été apla-
n'est ni plus ni moins qu'un nies, ton adversaire Seth est
arrêt de mort des Dieux sur la Scène I — Horus, Thot, Isis isolé, affaibli et n'est plus
Terre africaine ; ils vous accu- qu'une ombre que tu balaieras
sent d'être responsable de Isis. Mon Divin Fils, l'heure est d'un revers de la main. Tu es
l'arrêt des cultes et de la des- venue pour le combat final, la désormais apte à me venger et
truction des Temples en victoire t'est désormais acquise ; à régner : va prendre posses-
Afrique. tu as mûri ; tu es désormais apte sion de mon Trône, puisque tu
à régner. en es digne ; règne et gou-
Seth. Ce n'est pas possible !
verne.
Appelez-moi Anoupou, Anoukit, Thot. Horus, pense à l'Égypte
Bastet, Ched, Bes, Ha, Sekhmet, pharaonique, et à sa grandiose
Hapy, Harsarphes, Heka, Heket, civilisation, et prépare toi à rele-
Nefertoum, Oupouaout ainsi ver l'Afrique afin de porter ce
que... continent vers une glorieuse
destinée.
L'officier. Ils ont tous rejoint
Osiris. Horus. Cette fois, ma victoire

45
Q uel Dieu
pour l'Afrique
par Doumbi Fakoly

F fiction ou réalité, Dieu


reste la cause primor-
diale des civilisations.
que, historique et climatique ;
surtout les critères raciaux. Pour
cette raison, aucun d'entre eux
au service exclusif du peuple
auquel il s'identifie. Pratiquer un
Dieu étranger c'est renoncer à
C'est l'idée qu'en ont les peu- ne s'est égaré dans sa quête sa dimension humaine et s'auto-
ples, qui les particularise et spirituelle au point de s'être détruire par absence d'actions
détermine leur comportement découvert un Dieu étranger. intelligentes.
d'ensemble ; c'est-à-dire la tota- Aussi, l'affirmation selon L'Afrique — une certaine
lité des valeurs spirituelles et laquelle Dieu est à la fois uni- Afrique — commet encore
culturelles, matérielles et techni- que et aux sensibilités d'un seul l'erreur de vouloir gérer le
ques autour desquelles s'organi- peuple, d'une seule race, est- monde tout en cessant de le
sent et s'articulent les sociétés elle une mystification. comprendre par elle-même. Elle
qu'ils ont créées... Dieu et civilisation sont les est donc contrainte de faire
Si l'humanité est une somme deux faces de la vie. Le pre- siennes les visions du monde
de civilisations différentes, c'est mier est l'Intelligence qui crée conçues par ses semblables
parce que Dieu lui-même est l'idée ; le second est la Volonté dans des circonstances particu-
pluriel dans son unité. Les qui nourrit l'idée et la matéria- lières. Ses capitales spirituelles,
aspects et les langages par les- lise. Voilà pourquoi pratiquer économiques et politiques sont
quels il se révèle sont aussi son Dieu c'est se donner les situées hors de ses frontières.
divers que les races, les peu- moyens de penser le monde, Elles ont pour noms Jérusalem,
ples de notre planète. Chaque d'agir sur lui en harmonie avec La Mecque, Rome ; elles ont
peuple a mis en place des bali- les lois de la création. Pratiquer pour noms Paris, Londres, Was-
ses incontournables qui délimi- un Dieu venu d'ailleurs équivaut hington, Bonn. Lisbonne, etc.
tent les cadres de ses manifes- à s'interdire toute réflexion Cette Afrique-là s'est résolu-
tations : les contextes géographi- dynamique, à bander sa volonté ment placée dans la position

46
L'effacement de la con-
science historique de
l'Afrique

L a mémoire du passé est


vitale pour les peuples.
Tant il est vrai qu'un peu-
ple qui ignore qui il est ne peut
savoir où il va. Amnésique, il est
alors à la merci de ses sembla-
bles prêts à exploiter sa crédu-
lité sans vergogne.
Pour prévenir ce suicide col-
lectif, chaque peuple a jalonné
sa longue route des trois repè-
res que voici : le nom, la lan-
gue, les moeurs et coutumes.
L'empreinte indélébile des civi-
lisations qu'ils portent en eux,
leur vaut d'être les principaux
instruments au moyen desquels
la conscience historique est
entretenue. Tout peuple qui les
égare ou leur en substitue
d'autres s'écarte de la route
qu'il s'était tracée.

Le nom
Si, de nos jours, l'attribution
du nom est affaire de mode,
hier elle n'était jamais le fait du
hasard. Elle faisait appel à tou-
tes les catégories de perception
des peuples dans leurs rapports
avec l'environnement palpable
et impalpable.
D'une manière générale,
« l'ethnonyme » ou nom collectif,
fixe l'origine géographique, pro-
fessionnelle ou un aspect signi-
ficatif de l'histoire d'un
groupe (1), tandis que le nom
individuel, ou prénom, joue un
triple rôle religieux, philosophi-
d'une éternelle apprenante. Le volets l'effacement de sa cons- que, éducatif (2). Mais l'un peut
programme de sa décivilisation, cience historique et l'étouffe- empiéter sur les domaines de
en d'autres termes de son inca- ment de la confiance qu'elle l'autre. Ainsi_ l'anthroponyme
pabilisation, comporte deux avait en elle-même. KOFFI, qui signifie Samedi, joue

47
un rôle éducatif, et le nom indi- Mais l'Africain au nom étran- tions en rapport avec ces sensi-
viduel MUSSOKOUTA (Nouvelle ger ne se contente pas de falsi- bilités, et de tenir en éveil la
femme) rappelle l'événement fier l'histoire de son peuple. Il mémoire du passé. « La langue
historique de la naissance long- s'enracine dans une zone de est un miroir de la vie et de la
temps attendue d'une fille. perturbation énergétique dom- civilisation des peuples (5). »
Dans la civilisation africaine, mageable à sa propre existence. Tout individu qui désigne une
les responsables de l'attribution D'un point de vue ésotéri- réalité dans une langue donnée
du nom demeurent encore, pour que, le nom est l'essence de la et dans un contexte défini,
l'Afrique profonde, les gardiens personne qui le porte. En tant adopte d'emblée l'ensemble
et les gardiennes de la tradition que véhicule du principe vital, des attitudes évoquées par cette
dont Alphonse Tiérou résume si il résume la formule énergéti- réalité. En effet, le langage et la
bien la démarche constante que qui le compose. Pour cette pensée sont interdépendants.
« ... Le petit noyau d'initiés raison, son prononcé a pour C'est la raison pour laquelle,
ou d'éducateurs chargés de conséquence immédiate de lorsque l'Africain franchit le
contribuer activement à la crois- dynamiser les liens cosmiques seuil du lieu de culte étranger,
sance du patrimoine culturel et qui l'unissent à toute la chaîne ou se situe, en quelque endroit
d'assurer sa perpétuation, s'est de ses ascendants, jusqu'à que ce soit, dans une configura-
efforcé de résoudre le pro- l'ancêtre primordial. tion religieuse, son coeur et son
blème du classement des con- L'adoption d'un nom étran- esprit se ferment automatique-
naissances par un procédé con- ger a donc deux résultats : ment aux réminiscences de ses
forme aux exigences mêmes de — elle coupe le fil énergéti- origines. En cette circonstance
la civilisation orale. Ce procédé que conducteur qui reliait la vic- précise, la mutation psychologi-
est le nom (3). » time à ses ancêtres ; que qui s'opère en lui atteint
L'invasion massive de l'an- — elle renforce la vitalité de son point culminant. Le soir de
throponymie africaine par les ses ancêtres d'emprunt, sans
Noël, par exemple, les termes
noms étrangers devient, par qu'elle-même en tire un profit génériques arbre, eau, veillée
quelconque. Ainsi Marcel
conséquent, un réel danger cessent d'évoquer le manguier,
Laperruque a-t-il raison de dire
pour notre patrimoine culturel. le marigot, les contes autour du
« ... Changer le nom de
En vibrant au rythme de ses feu de bois. Ils imposent le
quelqu'un, c'est changer sa
noms d'emprunt, l'Africain se sapin, l'eau bénite, le feu de
nature et détruire son nom, c'est
dépouille tous les jours d'un pan bois de minuit ; accessoires
l'empêcher de vivre (4). »
de son identité originelle. Cha- nécessaires à la célébration de
que fois que son nom est pro- Cette évidence, de tous la nativité de Jésus.
noncé, sa vision intérieure est temps, a inspiré le génocide cul- L'effondrement de l'univers
éblouie par des flashes trom- turel des peuples. Jéhovah exprimé par la culture africaine
peurs. Moïse (Moussa pour les n'ordonnait-il pas au peuple est d'autant plus à craindre que
musulmans) Pierre, Khadidia, hébreu prêt à fondre sur l'Africain spectateur des croyan-
par exemple, le connectent Canaan, la terre promise « ... et ces importées a introduit dans
immanquablement à une patrie vous ferez disparaître leurs noms ses habitudes langagières des
extra-africaine et le conduisent à de ces lieux » (12 Deut 13) ? mots véhiculant des concepts
accréditer des récits souvent qui, non seulement sont étran-
mensongers et méprisants pour La langue gers à l'Afrique, mais s'inscri-
son propre peuple. Tel l'exode La langue est le moyen vent en faux contre son
imaginaire du peuple hébreu d'expression par excellence, le enseignement.
prétendûment persécuté par ses reflet de l'âme et de la cons- La Rédemption et le Juge-
ancêtres d'Égypte ; telle encore cience du groupe qui la parle. ment dernier, pour ne citer que
l'impossible supériorité du thau- Chaque mot est conçu dans le ceux-là, ne peuvent avec la
maturge Moïse face aux Grands but triple d'exprimer des sensi- Réincarnation « se réchauffer au
Initiés d'Égypte. bilités, de provoquer des réac- coin du même feu de bois (6). »

48
Dieu comprenant tous les autres Dieux. Monothéisme-Polythéisme.

Isis (Aset)

Nephtis

49
Minoen-Noir. Knosso, 1550-1500 BC.

50
Les premiers font du péché à lui-même, à la fois mâle et d'aberrations qu'il convient de
originel et de sa liquidation, les femelle, donc de sexe indiffé- corriger au plus vite :
bases de la vie dans ses dimen- rencié. Les cérémonies de la — hier, situation anormale
sions terrestre et céleste ; ils puberté marquent l'entrée de pour tout individu, le célibat doit
individualisent l'existence l'être humain dans l'âge de tous aujourd'hui être obligatoire pour
humaine à l'image de celle du les possibles ; c'est l'instant à certains ;
Dieu ternaire (7), synonyme partir duquel le Noun se dédou- — l'égalité absolue entre
d'inaccessibilité, d'omnipotence. bla en principe actif et passif : l'Africaine et l'Africain doit être
Pour la seconde, le péché origi- il est toujours mâle et femelle, déséquilibrée en faveur du
nel n'existe pas et Dieu, simple mais de sexe déjà différencié. second ;
principe vital, réside pour l'éter- Les cérémonies du mariage sur- — la primauté de la commu-
nité en chaque élément de la lignent l'indispensable complé- nauté sur l'individu est perçue
création ; il est donné à l'initié mentarité des contraires pour le comme une dictature du groupe
vrai d'en faire ce qu'il veut. renouvellement de la création ; contre ses membres. Il préfère
c'est le moment où le Noun, de la dictature de l'individu contre
son mouvement spiralant, provo- le groupe ;
Les moeurs et coutumes qua le choc harmonique de ses etc.
Si le nom confère l'exis- Dans cette terrible logique
deux principes opposés et pro-
tence, la langue le moyen de contre nature, l'Afrique du pou-
céda à la création en inondant
l'exprimer, les moeurs et coutu- voir a réussi l'impensable. La
l'univers de sa propre vibration.
mes, pour ce qui les concerne, longue série des cérémonies
La mort marque le retour du
en fixent les règles des manifes- culturelles et cultuelles officiel-
principe vital au repos néces-
tations essentielles. Chaque les qui rythment annuellement la
saire à une nouvelle action
geste, chaque fait s'insère dans vie de notre société ne com-
une vision globale du monde et créatrice. C'est l'instant où le
Noun se repose de son « effort » porte aucun moment d'hom-
tire sa justification de la néces- mage à l'Afrique. D'un Noël à
sité de préserver, d'accroître et au soir de l'achèvement de sa
grande oeuvre. un autre, d'une Tabaski (9) à la
de transmettre l'héritage cultu- prochaine, d'une fête de la
rel et spirituel ancestral. Hier, dans toute l'Afrique,
musique à une année de la
L'Afrique vraie a défini qua- cet enseignement élémentaire
femme, ou de l'enfance, tout est
tre étapes fondamentales dans était dispensé à chaque mem-
importé.
la vie de l'être humain : la nais- bre de la communauté par le
sance, la puberté, le mariage, la biais des rites de passage. Il
mort. Chacune de ces étapes était à la base de tous les rap-
renouvelle un événement cosmi- ports : rapports de l'individu à
que et conforte l'être humain lui-même, rapports de l'individu L'étouffement de la con-
dans sa position de grand à la communauté des vivants et fiance de l'Afrique en
ordonnateur du monde physi- des morts, rapports de l'individu elle-même
que ; émanation de Dieu, il en a à son environnement, rapports
toutes les compétences ; il peut de l'individu à l'étranger de
agir à sa guise sur l'univers, passage, etc.

S
pourvu qu'il apprenne à connaî- En reprenant, à l'endroit de eule la connaissance de
tre et à respecter les lois har- l'Afrique, le jugement truqué et lui-même, de son envi-
moniques de la création. négatif prononcé par le colonia- ronnement et de ses
Les cérémonies de la nais- lisme spirituel, l'Africain extra- semblables permet à un peuple
sance rappellent l'éternité de la verti accélère le processus de de prendre conscience de son
vie, le retour d'un ancêtre à destruction des caractéristiques rôle d'organisateur de l'univers.
identifier, la création à l'aube de la civilisation africaine. A ses Or, l'Afrique des décideurs ne
de sa manifestation. C'est le nouveaux yeux d'emprunt, toute se connaît plus ; elle a égaré sa
moment où le Noun (8) se révéla sa société est une somme mémoire du passé, tourné le

51
dos aux expériences pragmati- pendance, que l'Afrique est s'est dressée contre lui et n'a eu
ques léguées par ses ancêtres encore sur la ligne de départ de cesse qu'elle n'ait étouffé sa
et fini par croire qu'elle est de la Grande Marche des peu- voix. La longue liste de ces voix
tombé de la dernière pluie, ples vers le Progrès. Convain- étouffées a été inaugurée par
juste avant-hier, au soir de la cue de ne pouvoir partir seule, Lumumba ; pour l'heure elle est
malédiction de son ancêtre l'Afrique des décideurs attend, fermée par Sankara.
biblique, CHAM. Elle ignore toujours, que ses semblables la Aussi est-il juste d'affirmer
son environnement dont elle a prennent par la main afin de la que le pire ennemi de l'homme
confié l'étude, l'exploitation et la guider sur ce chemin comme noir est, de nos jours, son pro-
gestion à ses semblables. Elle sur celui de leur Dieu : « ... Vou- pre frère de race. Partout où il
méconnaît ses semblables qui loir partir ne permet pas de souffre, la responsabilité de ce
se sont érigés en ambassadeurs partir, c'est pouvoir partir qui dernier est impliquée ; l'excrois-
plénipotentiaires de l'égocentri- permet de partir » rappelait sance — inévitable — de
que Dieu ternaire. Celui-là Senghor, après les indépendan- l'absence de confiance d'une
même qui a décidé son exclu- ces. race en elle-même, est
sion de l'exercice collectif de Les longs délais d'attente l'absence de conscience de
l'intelligence créative. n'effraient pas l'Afrique du pou- race.
Cette triple ignorance a con- voir. Elle est armée d'une
duit l'Africain à souscrire tout patience à toute épreuve, une
naturellement aux faux postu- patience devenue en fin de Il faut inverser le cours
lats : compte l'instrument de contrôle des événements
— homme noir : incapacité de sa soumission, l'arme des
originelle, irréversible ; représailles contre toute velléité
— Afrique : pauvreté natu- d'initiative. Chaque fois qu'un acte « boire », « man-
relle et éternelle ; décideur s'est souvenu qu'il ger », « aller et venir »,
— civilisation africaine : appartient à un grand peuple, s'accoupler ne con-
moeurs et coutumes sauvages. inspiré, capable de tous les fère pas l'existence au sens
Il n'est pas étonnant, par miracles comme ses sembla- plein du terme. Le fou est capa-
conséquent, de constater, après bles, chaque fois qu'il est sorti ble de toutes ces performan-
plus d'un quart de siècle d'indé- du rang, l'Afrique de ses pairs ces ; pourtant son champ

Fleurs africaines. Adenopus breviflows.

52
Cléopâtre et le dieu Api (A. Esso).
Égyptien naviguant sur le Nil (A. Esso).

d'action mental se situe dans pantes, il est clair que le cours Dieu de ses ancêtres, c'est-à-
une autre dimension. Comme il des événements doit être dire sa civilisation, inférieur à
n'en a pas le contrôle, il subit inversé. celui des autres peuples, elle
les influences extérieures. Pour ce faire, il est indispen- continuera de justifier le mépris
Sans vouloir pousser la com- sable d'ouvrir à cette vérité pre- dont l'homme noir est l'objet sur
paraison aussi loin, nous devons mière le champ d'action mental toute la surface de la terre.
observer que l'Afrique des de la jeunesse africaine, avenir Parmi les dispositions qui
décideurs n'a pas — elle non de notre peuple. Tout doit être pourraient être prises pour
plus — l'usage conscient de ses entrepris afin qu'elle ne reste éveiller la conscience de notre
facultés spirituelles et intellec- pas un édifice fragile de voca- jeunesse et replacer l'Afrique
tuelles. Les manifestations de tions contrariées, une somme dans son rôle véritable de pro-
celles-ci font toujours écho à d'énergies fécondes mal affec- ductrice de valeurs de civilisa-
celles d'autres peuples. tées. Tout doit être entrepris tion et non de consommatrice
Parce que l'acte « exister » afin qu'elle s'écarte de sa nour- de valeurs de civilisations étran-
se conjugue au seul temps de la riture spirituelle du moment qui gères, nous suggérons celles-ci :
Réflexion et de l'Action autono- est en train de l'endormir par — l'obligation de porter un
mes, volontaires, déterminées, indigestion inconsciente. Aussi nom africain pour tout nouveau-
constructives, évolutives, partici- longtemps qu'elle jugera le né africain quelle que soit la

54
lisme, la torture, l'arrestation n'oublie le plus grand crime
arbitraire ; perpétré contre l'humanité pour
— l'instauration de fêtes offi- la seule et unique raison que sa
cielles commémoratives d'évé- frange qui en a été victime a la
nements majeurs vécus par peau noire ;
notre peuple, depuis l'Égypte
jusqu'à nos jours ; avec une — organisation de débats
mention spéciale pour l'escla- publics sur la religion africaine
vage, afin que, jamais, nul et les religions importées.

(1) M'boka : le village ; Nzonzi : maître de la Parole ; Ouedraogo : étalon, en sou-


venir du cheval qui, en s'égarant, permit la rencontre d'une princesse mossi et
d'un maître-chasseur, son futur époux.
(2) Akenaton : disciple d'Aton ; Jésus : Dieu sauve ; Aziz : élevé ; Yatundé : mère
est revenue (c'est-à-dire s'est réincarnée) ; Hélène : la lune ; Anne : année ; Mignan :
la durée.

Représentation du tête noir Minoen. (3) A. Tierou, Le nom africain ou langage des traditions, éd. G.P. Maisonneuve
Larose, Paris, 1977, p. 100-101,
(4) M. Laperruque, De l'Égypte ancienne à la Bible, éd. Lauzeray International,
confession religieuse de ses Paris, 1977, p. 98.
parents ;
(5) Pathé Diagne et Joseph Ki-Z rbo, Histoire Générale de l'Afrique, 1 Méthodolo-
— le choix et la pratique gie et préhistoire africaine éd. Abrégée Présence Africaine/Edicef/Unesco, Paris,
d'une langue continentale qui se 1986, chapitre 10, p. 134.
substituera, à terme, aux lan- (6) Parole de la Sagesse Africaine.
gues étrangères. Toutes les lan-
(7) Jéhovah, Dieu le Père, Allah.
gues africaines appartenant à la
même famille linguistique, (8) Symbole de Dieu avant sa différenciation dans les éléments de la création.
l'apprentissage de ce nouvel (9) L.S. Senghor, Liberté 1, Négritude et Humanisme, éd. du Seuil Paris 1964 p. 12.
outil d'expression sera, de toute
façon, plus aisé que celui des
langues importées ;
— la dynamisation de nos
valeurs fondamentales :
a) valeurs d'égalité : égalité
totale entre l'homme et la
femme, et entre tous les mem-
bres de la communauté ;
b) valeurs d'altruisme
développement du sens du
sacrifice utile au profit de la
communauté en dehors de
laquelle aucune existence indi-
viduelle n'a de sens ;
c) valeurs de justice :
l'appartenance de l'individu à
une communauté est sa garantie
inaliénable contre la faim, la
soif, le vagabondage, la mendi-
cité, l'avilissement par la prosti-
tution, l'homosexualité, l'alcoo- Le Morho-Naba du Mossi.

55
1 ..Aes Mandingues
en Crète
par Clyde Ahmed Winters

Minoen. D ans le chapitre 3 de Civilisation ou Barbarie, Cheikh Anta


Diop situe le mythe de l'Atlantide en Crète et parle de
l'influence de la XVIIIe Dynastie égyptienne (Kemit) sur la civi-
lisation crétoise. Il démontre également que le linéaire A est issu de
l'égyptien ancien. Le minoen ancien ou étéocrétois serait ainsi une
famille de la langue mandingue de l'Afrique de l'Ouest. Il semble en
effet que l'immigration mandingue soit parvenue jusqu'en Crète
libyenne.
La civilisation minoenne est divisée en trois périodes : le minoen
ancien (3000-2200 av. J.-C.), le minoen moyen (2200-1550 av. J.-C.), le
minoen récent (1500-1180 av. J.-C.). La civilisation étéocrétoise fut
détruite par l'éruption volcanique de l'île de Santorin, dans les Cycla-
des, en 1420 av. J.-C.
Le nom biblique de la Crète est « Caphtor » ; les Égyptiens, quant
à eux, appelaient la Crète minoenne « Keftiou », d'où semble dériver
Caphtor. Cela semble démontrer l'influence de la religion égyptienne
en Crète, ainsi qu'une origine africaine des étéocrétois. Les cérami-
ques minoennes importées en Égypte durant le règne de Thoutmes
III attestent que les Égyptiens de Kemit et les habitants de Keftiou
avaient établi des relations économiques. Selon Cheikh Anta Diop,
« les fresques étaient fréquentes qui représentaient des Crétois en cos-
tume minoen apportant leur tribut (vases, dons variés.,.) à l'Égypte.
Ces fresques apparaissent pour la dernière fois, en même temps que
la céramique du minoen récent (1), dans le tombeau de Rekhmire,
grand vizir de Haute-Égypte, qui a été fermé vers 1450 av. J.-C. Il
est remarquable que la XVIIIe Dynastie est la seule période où le nom
de Keftiou apparaisse dans les documents originaux égyptiens » (2).
On appelait la population mandingue en Crète les « Garamante » (3)
et ils étaient considérés comme des Noirs. Dans Ptolémée 1,85, un
esclave garamante est ainsi décrit noir comme un geai.
Robert Graves affirme que les Garamantes qui habitaient le Faz-
zan, en Libye, présentent une communauté culturelle avec les Man-
dingues du Haut-Niger (54). Selon lui, le nom « garamante » provient
de gara (homme), man (peuple), te (État). Par ailleurs, Des dieux du
Garamante étaient également Amon et Neith.
Il y a des ressemblances étonnantes entre les deux noms « gara-
mante » et « mandingue » : mande/maninka/malinke. Dans le Manding
(Bambara-Malinke), le terme ga signifie « foyer, maison de famille »,
ra est le suffixe locatif, et mante (ou mande) veut dire Manding. On
peut donc interpréter le terme « Garamante » par « foyer des Mandin-
gues ». De plus, le terme minos est proche de mansa du Manding ;
les deux termes possèdent une même filiation consonnantique : M-N-S.
Si les Keftiou viennent effectivement de la Libye, ils pourraient
alors avoir la même langue d'origine, avant la désertification (4). Arthur
Evans suggère que la civilisation minoenne n'a décollé qu'avec l'arri-
vée des réfugiés libyens en Crète (5). Cette hypothèse repose sur les
affinités qui existent entre Crétois et Libyens. Leurs écritures par
exemple — crétoise libyco-berbère — se ressemblent beaucoup (6) ;
les deux peuples portent la crosse en pierre (7) et laissent pendre

La Pierre de Rosette qui a permis de déchiffrer les hiéroglyphes (British Museum D.K.).

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devant les oreilles des boucles de cheveux, associées chez les Cré-
tois aux initiations rituelles consacrées à la déesse libyenne Nieth
Athéna. —alias
Pendlebury établit qu'une migration libyenne s'est produite dans
le sud de la Crète pendant l'ère de Messara (3000-2200 av. J.-C.) (8) ;
Hammond, quant à lui, affirme que les Libyens habitaient la plaine
de Phaestos entre 1900 et 1700 (9), et Alain Anselin estime que bien
des études attestent la présence de Libyens noirs en Crète, les
mélanogéens (10).
La première inscription en langue mandé se trouve à Oued Mer-
toutek. Elle date, selon le docteur Wulsin, de 3000 ans av. J.-C. Le
proto-mandé disposerait de 200 à 300 signes et de 40 formes diffé-
rentes (11) ; il s'agit de graphèmes syllabiques. Le graphème de Oued
Mertoutek est plus ancien que l'écriture phénicienne. Chez les Man-
dingues, l'écriture est employée dans les sociétés secrètes (12).
Les origines libyennes du Garamante suggèrent donc que l'étéo-
crétois est une langue mandingue. Cette hypothèse apparaît lorsque
l'on compare le graphisme linéaire A/minoen et les signes mandin-
gues trouvés dans l'ouest du Sahara (13). La preuve en est appor-
Hiéroglyphe (A. Esso).

58
Sarcophage peint (404), trouvé dans les sépultures de Hag-
hia Triada et orné de scènes d'inspiration religieuse. On voit
les porteurs d'offrandes (barque et jeunes taureaux) se diri-
ger vers une tombe devant laquelle se tient le défunt. Sur
la gauche sont deux femmes dont le visage est en blanc par
contraste avec la teinte bistre réservée aux hommes ; l'une
d'elles effectue une libation entre deux piliers surmontés de
doubles haches et d'oiseaux. Derrière elles, un homme joue
de la lyre.

Crétois-Thèbes, tombe de Nebamon.

59
tée (14) par la comparaison des mots manding et keftiou, ce dernier
désignant un homme : c'est ce qu'on a découvert sur une stèle de
la XVIIIe Dynastie qui, selon Peet, se trouverait au British Museum et
porterait sur « comment sont faits les noms de Keftiou ».
Le rapprochement entre ces deux mots provient du fait que kef-
tiou vient du clan ké-be du Manding et qu'il est formé de la racine
kef- et des suffixes -i (affirmation), -t (nationalité ou nom), -u (pluriel).
Ainsi peut-on traduire ce mot par « le pays de Kef ». Les Égyptiens
prononçaient probablement le f « b ». Les Minoens s'appelaient eux-
mêmes Kébe-w, ce qui est l'ancien nom de la Crète Kébeta, et les
rois portaient le nom de Mansa (ou Minos).
Sur la stèle égyptienne BM5647 sont inscrits huit noms keftiou, que
l'on peut comparer à des noms mandingues

Ni po-tu i fé yu-i i-gyo


« L'Ame essence/est en ordre/(sa) vie/l'esprit vital/(il est) tu es
dans la compagnie du culte de la divinité (la grande) Mia. »
(Inscription Touktos) (15).

Ba ta ita pa nia
« (Tu) existe avec Nia dans un état unique »
(Carratelli, figure n° 12) (16)

.1 1
I Nia ita-pa
« Dans la compagnie de Nia, tu existes dans un état unique. »
(Voir Carratelli, figure n° 7) (17).

Quatre de ces noms présentent donc une correspondance totale


et un, une correspondance partielle. Dans le linéaire A comparé au
signe mandingue (vaî), nous obtenons la valeur phonétique du linéaire
A que l'on lit dans les graphèmes du linéaire A de la langue man-
dingue (Bambara-Malinke).
La Crète possédait ses sites mortuaires ou des sanctuaires pour
les morts (18). Georg Wunderlich écrit ainsi que « les Minoens cons-
truisirent d'authentiques tombes pour la préservation et le soin des
morts » (19). Les anciens Minoens pratiquaient l'enterrement dans des
sanctuaires communs. Les premières tombes claniques furent édifiées
au cours du Néolithique à Chrysolak-kas, à Haghia Triada, et les sites
comme loutkos possèdent tous un sanctuaire commun consacré à la
déesse Neith, dont la mission était de protéger la dépouille mortelle
dans son cercueil.
Il existe un mythe en Grèce selon lequel c'est elle qui planta le
premier olivier en Crète après l'invasion de la Libye par le désert.
Le premier Dieu pré-islamique des Mandingues était Ni-va ou Nia,
également la Neith des Grecs. Le docteur Bernal a démontré l'ori-
gine africaine de Neith (20). Cette dernière est fréquemment mention-

60
CARACTÈRES CANANÉEN PHÉNICIEN FORMES GRECQUES
HIÉROGLYPHES PROTO-SINAITIQUES ARCHAIQUE CANANÉEN ALPHABET
ÉGYPTIENS ARCHAIQUE ARCHAIQUES
1600.1400 AV. J.C. 1400.1300 AV. I.C. VERS 1200 AV. I.C. 100-200 AVANT J.C. 850-700 AVANT J.C. LATIN

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Influence de l'alphabet africain (égyptien).
, el el VI N N

« Fresque du bijou » (fragment) : pendentifs en Spécimen d'écriture cunéiforme provenant de l'escalier ouest
forme de têtes de Noirs portant des boucles du Petit Palais de Persépolis en Iran.
d'oreilles. Prov. Cnossos. Vers 1600 av. J.-C.
Herakleion, Musée Archéologique.

Le commerce en Crète. A gauche, cartouche de Thoutmosis III (1484-1430 avant Jésus-Christ) figurant sur un vase d'albâ-
tre égyptien trouvé sur le site de Katsambas, port de Cnossos. A droite, lingot de cuivre en forme de dépouille de taureau
provenant de Haghia Triada ; il porte gravé le signe crétois du trident (vers 1500 avant Jésus-Christ).

61
née dans les tablettes crétoises sous le nom de Nia. Une comparai-
son avec le Vaî indique que le graphème Ke de Nia est h-I Ce .

signe est formé des deux symboles H na et — i. L'ancien mandin-


gue parle de Nia comme la déesse mère qui protège la nature, l'âme,
le principe vital et personnel des vivants, des divinités, ainsi que
l'esprit divinisé (d'un ancêtre, de la terre...).
En Libye comme en Crète, les enfants portaient l'uraeus ou
serpent-boucle, selon Cook, dès avant 500 av. J.-C. (21).
Sur une tablette funéraire écrite en linéaire A, il est indiqué que
ce sont les hauts dignitaires qui, du fait de l'éthique, étaient enterrés
dans ces centres mortuaires. Les documents linéaires parlent du mort
« qui devenait un objet consacré à la divinité, une amulette agissant
par sa vertu ». Cheikh Anta Diop, dans Civilisation ou Barbarie, mon-
tre d'importants dignitaires crétois au cours d'une scène représentant
le sarcophage de Haghia Triada, preuve que le peuple visitait les tom-
bes et effectuait des sacrifices afin de recevoir en retour la bénédic-
tion des morts.
Le déchiffrement du linéaire A, les inscriptions sur les tablettes
et les vases de libation attestent qu'il s'agit bien d'une langue sacrée,
dont l'usage sacré est rendu évident par les nombreux motifs et ins-
criptions sur les objets en pierre des sanctuaires minoens tels que
le site de loutkos (22).
Chaque linéaire A est monosyllabique et les signes sont des grou-
pes consonne/voyelle. Il se lit de droite à gauche et la clef de son
déchiffrement réside dans :
— l'évidence de la migration mandingue en Libye crétoise il y a
5 000 ans ;
— la répétition de certaines figures crétoises sur les vases de liba-
tion trouvés dans les régions minoennes ;
— la régularité des inscriptions, qui laisse supposer que les motifs
découverts dans les sanctuaires représentent des supplications.

(1) C.A. Diop, Civilisation ou Barbarie, (Paris, 1981), p. 104.


(2) Ibid., p. 104.
(3) C.A. Winters, « Les Fondateurs de la Grèce venaient d'Afrique en passant par
la Crète », Afrique Histoire, n° 8, pp. 13-18.
(4) Robert Graves, The Greek Myths, New York, 1982.
(5) Winters, pp. 13-14.
(6) A. Evans, The Palace of Minos, London, 1921.
(7) M. Bernal, « Black Athena : The African and Levantine roots of Greece », Journal
of African Civilisation, 7, n° 2, pp. 66-82.
(8) A.B. Cook, Zeus-A study in ancient Religion, vol. 1, Cambridge, 1914.

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(9) J. Brunson, « The African presence in the ancient Mediterranean Isles and main-
land Greece », Jour. of Af. Civilisation, 7, n° 2, pp. 36-64.
(10) N.G.L. Hammond, A History of Greece, (Clarendon Press, 1967), p. 36.
(11) A. Anselin, Le Mythe d'Europe, Paris, 1982 ; et « Zeus Ethiopien Minos Tamoul »,
Carbet Revue Martinique de Sciences Humaines, n° 2, pp. 31-50.
(12) F.R. Wulsin, The Prehistoric archaeology of Northwest Africa, Harvard University,
1941.

(13) C.A. Winters, « The ancient Manding script. » In Blacks un Science ancient and
modem, (éd.) by Ivan van Sertima, London, 1983.
(14) C.A. Winters, « The Indus Valley writing and related scripts of the 3rd millennium
BC », India Past and Present 2, n° 1 (1985), pp. 13-19.
(15) T.E. Peet, « The Egyptian writing board BM5647 bearing Keftiu mames ». In Essays
in Agean Archaeology presented to Sir Arthur Evans, (éd.) by S. Casson, (London 1922),
pp. 90-99.
(16) 0. Spengler, Zur Wellgeschichte des Zweiten Vochristlechen Jahrtausends, Munich,
1935.
(17) H.G. Wunderlich, The. Secret of Crete, New York, 1974.
(18) Bernai, pp. 79-80.
(19) Cook, p. 347.
(20) W.C. Brice, « Notes on Linear A », Kadmos 22, n° 2, pp. 51-106.
(21) Karetsou A.L., Godart et J.P. Oliver, « Inscription en linéaire A du sanctuaire de
Sommet Minoen du mont Iouktos », Kadmos 24, n° 2, pp. 89-147.
(22) G.P. Carratelli, Le Epigrafi di Haghia Triada in Lineare A, Universidad de Sala-
manca, 1963.

63
E
tude de la
du temple d'Esna
par Esso GOME

Lr Égypte Ancienne est le pays des Dieux


et des Déesses ; c'est le pays des
d'hui peut-il vivre l'Égypte, comment peut-il la
sentir, afin de pouvoir vibrer avec elle.
Grands Temples par excellence. Nous proposons donc, dans cette modeste
En effet, nous avons : les temples d'Edfou où était étude, de montrer que, derrière ce polythéisme
adoré le Dieu Horus, Dendera où était vénérée apparent, se cache un monothéisme réel et total,
la Grande Déesse Hathor, identifiée à Isis d'Esna et que les textes égyptiens nous permettent de
avec le Dieu Khnoum et la Grande Déesse Neith, dégager la cohérence des gestes de la vie de
les Temples de Karnak, avec Amon-Ré, Roi des tous les jours dans nos villages. Nous pourrons
Dieux, Mout, Konsou, Montou, MM, etc. Nous ainsi mieux comprendre les comportements de
avons aussi des Temples funéraires et des nos mères, de nos pères, de nos ancêtres qui
Tombes. vivent en marge dans une Afrique elle-même
On pourrait croire, face à cette multitude de marginalisée. Nous nous appuierons donc pour
noms, que l'Égypte était polythéiste. En effet, quel cela sur la Grande Cosmogonie du Grand Tem-
rapport pouvait exister par exemple entre Amon, ple d'Esna, traduite en français par S. Sauneron,
Grand Dieu de Karnak, Ré, dieu d'Héliopolis, et égyptologue français. Nous nous servirons aussi
Ptha, Dieu de Memphis ? Qui peut bien être d'autres textes du Livre des Morts et des Hymnes
Khnoum, quel est le lien avec Isis, Osiris, Mon- et Prières de l'Égypte Ancienne (Collection du
tou, etc. Cerf) pour bien montrer la cohérence des textes.
Une autre question vient à l'esprit : quel lien Nous commencerons donc par exposer le
y a-t-il entre cette Égypte qui apparaît polythéiste, texte cosmogonique. La bibliographie est consti-
et l'Afrique d'aujourd'hui. Certes, Cheikh Anta tuée par le Livre des Morts des Anciens égyp-
Diop et Théophile Obenga ont montré que tiens de Paul Barguet, Éditions du Cerf, Hymnes
l'Égypte pharaonique appartenait au Monde et Prières de l'Égypte Ancienne de François Dau-
Nègre. Mais alors, comment l'Africain d'aujour- mas, mêmes éditions, et le tome 5 du Temple

64
cosmogonie

d'Esna. On peut aussi consulter : The Gods of the — L'installation des dieux sur la terre émergée
Egyptians, tomes 1 et 2 de Wallis Budge. — Le dialogue des dieux avec la déesse Neith.
Nous suivons ici la chronologie de Serge Sau-
neron, et ces 9 premières périodes pourraient
bien former une première partie, intitulé : avant
Commentaire suivant le grand temple la naissance de Rê.
Ensuite nous avons :
d'Esna — L'annonce de Rê
— L'Ogdoade
— Naissance de Ré
— Mère et fils : naissance des Humains

0 n distingue dans ce récit plusieurs pha-


ses, qui se suivent d'après une chrono-
logie précise. Notons tout d'abord que le
personnage central, le Demiurge qui va générer
la création, c'est Nieth, qui se trouve au sein des
— Les Dieux Antérieurs et le Soleil.

Ceci constitue une deuxième partie que nous


pourrions intituler : naissance de Ré et des
hommes.
eaux initiales, de l'océan primordial plus connu Puis viennent les parties suivantes :
sous le nom de Noun. Nous distinguons ainsi les — Naissance d'Apopi, l'Esprit de la Révolte
périodes suivantes : — Naissance de Thot
Avant la création, naissance de Neith. — Départ pour Esna Saïs
Ses premières métamorphoses — Les sept propos de Methyer
La lumière — Le voyage de Methyer
La butte primitive — Saïs
La création de « Khem-t », l'Égypte — Instauration de la fête du B 13 Epiphi.
La création des 32 dieux Cette 3e partie pourrait s'intituler : Ré et Apo-

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M. Pillet : « Les scènes de naissance et de circoncision dans le temple nord-est de Mout, à Karnak », in Annales du Service
des Antiquités de l'Égypte, n° 52, 1952, pp. 77-104 + 6 planches. Le chirurgien est désigné par le terme de hm-k3 et la
circoncision par celui de §b.t.

phis. Soulignons que cette subdivision est abso- ténèbres, que nulle terre n'avait encore parue,
lument arbitraire. que nulle plante ne poussait.

IL Ses premières métamorphoses


Elle se donna l'aspect d'une vache, qu'(aucun)
La genèse suivant le grand temple d'Esna être divin, où que ce soit, ne pouvait encore con-
naître. Puis, elle se mua en poisson-lates et se mit
I. Avant la création : naissance de Neith en chemin.
Le Père des Pères, la Mère des Mères, l'être
divin qui commença d'être au commencement se III. La lumière
trouvait au sein des eaux initiales, apparue d'elle- Elle rendit lumineux les regards de ses yeux,
même tandis que la terre était encore dans les et la clarté fut.

66
IV. La butte primitive VI. Création des trente dieux
Elle dit alors : « que ce lieu (où je suis) Elle créa les trente dieux, en prononçant leurs
devienne pour moi une plate-forme de terre (pla- noms, un à un, et l'allégresse la saisit après
cée) au sein des eaux initiales, pour que je puisse qu'elle les eût vus.
prendre appui sur elle ». Elles dirent : « Salut à toi, Maîtresse des êtres
Et ce lieu (où Neith était) devint une plate-forme divins, notre Mère, qui nous a donné l'existence !
au sein des eaux initiales, comme elle avait dit. Et Tu as fait nos noms, alors que nous n'avions pas
ce fut « la terre des eaux » (= ESNA) qui est aussi encore conscience. Tu as dissocié pour nous la
Saïs. Neith prit son vol au-dessus de cette émer- blanche aurore de la nuit ; tu as fait pour nous
gence, et Pi-Neter fut, qui est aussi Bouto. un sol sur lequel nous puissions prendre appui ;
Elle dit : « je me sens bien sur cette émer- tu as séparé pour nous la nuit du jour...
gence » ; c'est ainsi que fut Dep, et c'est ainsi que Quelle efficacité, quelle efficacité dans tout ce
« Terre-de-bien-être » devint le nom de Saïs. qui sort de ton coeur, ô toi l'unique venue à l'exis-
tence au commencement : la durée éternelle des
V. Création de l'Égypte temps passe devant ton visage. »
Cependant, tout ce que conservait son coeur
se réalisait aussi. Ainsi, elle conçut du bien-être VII. Les dieux s'installent sur la terre émergée
sur cette émergence, et l'Égypte fut, dans Elle dit alors à ses enfants : « Allons, élevons-
l'allégresse. nous sur ce lieu, puisque c'est un sol sur lequel

Extrait du Livre des Morts. Le dieu Anubis procède à la pesée des âmes. British Museum, Londres.

67
lèvres, et (de la sorte) nous connaîtrons tout cela
aujourd'hui-même. »
Ils firent tout ce qu'elle avait dit, et la huitième
heure survint en l'espace d'un instant.
IX. L'annonce du soleil (Ré)
La vache-Ahet se mit donc à méditer sur ce
qui allait se produire et elle dit : « Un dieu sacro-
saint va naître aujourd'hui. Quand il ouvrira son
oeil, la lumière sera ; quand il le fermera, ce
seront les ténèbres. Les hommes naîtront des lar-
mes de son oeil, et les Dieux de la salive de ses
lèvres. Je le fortifierai de ma force, je le rendrai
efficace par mon efficacité ; je le rendrai vigou-
reux par ma vigueur.
Ses enfants se rebelleront contre lui, mais ils
seront abattus en son nom, ils seront frappés en
son nom ; car c'est mon fils issu de mes chairs,
et il sera roi de ce pays, à jamais. Je le protége-
rai entre mes bras, et nul mal ne pourra l'attein-
dre. Je vais vous dire son nom, qui sera Khepra
au matin, Atoum le soir, et il sera le dieu rayon-
nant à tout jamais, en ce sien nom de Rê, cha-
que jour. »
X. L'ogdoade
Alors, ces dieux dirent : « Tu évoques là des
choses que nous ignorons, dans ce que nous
entendons. » Ainsi « Khemenou » devint-il le nom
de ces dieux, et devint-il également celui de cette
cité.
La déesse Sekhemet (Budge).
XI. Naissance du soleil
nous pouvons prendre appui, afin de chasser Alors, ce dieu naquit d'excressions sorties des
(notre) lassitude, rendons-nous, à travers les eaux, chairs de Neith et qu'elle avait placées dans le
en cet endroit, Esna et Saïs cette terre au sein de corps de cet oeuf ; quand il creva l'eau initiale,
l'eau initiale, cette émergence du bien-être sur ce fut l'origine de la montée des eaux en un point
laquelle nous nous installerons ! » Et elle posa une unique ; de la semence tomba sur l'oeuf lorsqu'il
plate-forme de terre au sein de l'eau initiale, à brisa cette coquille qui se trouvait autour de ce
laquelle elle donna le nom de « Haute Terre ». dieu sacro-saint : c'était Rê, qui s'était ainsi dissi-
mulé au sein des eaux initiales en ce sien nom
VIII. Les dieux s'inquiètent de l'avenir d'Amon-l'Ancien, et qui devait former dieux et
Ils dirent alors à la Grande et Puissante : « Ô déesses par ses rayons, en ce sien nom de
toi qui (nous) a enfantés, ô toi de qui nous som- Khnoum.
mes issus, révèle-nous ce qui n'a pas encore pris
naissance ; car, vois, il n'y a encore que cela, et XII. Mère et fils
nous ignorons ce qui va prendre naissance. » Sa mère, la déesse-Vache, appela à grands
Neith dit alors : « Je vais vous informer de ce éclats de voix : « Viens, viens toi que j'ai créé !
qui va naître. Inventorions (encore) quatre (4) pro- Viens, viens, toi que j'ai mis au monde ! Viens,
pos générateurs-d'être, donnons forme à ce qui viens, toi que j'ai amené à la vie : je suis ta mère,
emplit nos ventres, formulons ce qui vient sur nos la vache-Ahet ! »

68
Ce dieu vint alors, tout souriant, les bras ouverts,
vers cette déesse ; et il se jeta à son cou — car c'est
bien là ce que fait un fils quand il voit sa mère. Et
ce jour devint ainsi le beau jour au début de l'an.
Puis il pleura dans l'eau (initiale), quand il ne
vit plus sa mère la vache-Ahet, et les humains
naquirent des larmes de son oeil, et il salua quand
il la revit, et les dieux naquirent de la salive de
ses lèvres.
XIII. Les dieux antérieurs et le soleil
Ces dieux antérieurs reposent (maintenant) en
leurs naos ; ils avaient été exprimés au fur et à
mesure que cette déesse les concevait en son
esprit. Ils protègent (maintenant) Rê à l'intérieur
de la cabine, et ils acclament ce dieu, disant :
« Bienvenue, bienvenue à toi, rejeton de Neith,
ouvrage de ses mains, création de son coeur ! Tu
es le roi de ce pays, à jamais, comme l'avait pré-
dit ta mère ! »
XIV. Naissance d'Apopi, l'esprit de la révolte
Cependant ils (les dieux antérieurs) repoussè-
rent un crachat de la bouche qu'elle avait pro-
duit au sein de l'eau initiale, il se transforma en
un serpent de 120 coudées, qui fut nommé
« Apopi ». Son coeur conçut la révolte contre Rê,
avec ses associés issus de son oeil.
XV. Naissance de Thot
Thot sortit de son coeur (le coeur de Rê) en
un moment d'amertume ce qui lui valut son nom
de Thot. Il parla avec son père, qui l'envoya con-
tre la révolte, en son nom de Seigneur de la
Parole du Dieu. Et ce fut l'origine de Thot, sei-
Sekami vêtu de peau de léopard. gneur d'Hermopolis, en ce lieu, ainsi que celle
des Huit Dieux du premier collège antérieur.
XVI. Départ pour Esna-Saïs
Neith dit alors à son fils : « Viens avec moi vers
Esna (c'est-à-dire Saïs), ce socle de Terre (posé) au
sein des eaux initiales (primordiales). Je prononce-
rai ton nom à ta ville, et il n'y aura plus de cesse
à l'audition de ton nom, chaque jour. Je t'allaiterai,
pour que ta force soit considérable pour accroître
ta crainte afin que tu puisses massacrer ceux qui
trameraient des complots contre toi. »
XVII. Les sept propos de Methyer
Or, sept propos étaient ainsi sortis (successi-
vement) de sa bouche, ils devinrent sept Êtres
Divins. Car ce qu'elle avait prononcé avait donné

69
La mère et l'enfant. Militante politique (A. Esso). nom aux propos, avait donné nom à la Parole du
U.P.C. (Cameroun). Dieu, et avait aussi donné nom à Saïs. Ainsi
étaient nés les Sept Propos (devenus) dieux de
Methyer qui assurèrent la protection de Methyer,
en tout lieu où elle allait.
Elle se transforma alors en vache-Ahet, elle
plaça Rê entre ses cornes et elle nagea en le por-
tant. Aussi les dieux dirent-ils : « Voici la grande
Nageuse avec son fils. » Ce fut là l'origine du nom
Methyer.
XVIII. Le voyage de Methyer
Et voici qu'elle passa un temps de quatre mois
dans les cités du pays du Sud (qu'on appelle « la
pointe du pays », Khmet-to), occupée à abattre les
ennemis surgis par haine de sa Majesté. Une
flamme brillait devant elle en Haute et Basse
Égypte.
XIX. Saïs
Quand elle parvint à Saïs, au soir du 13 epi-
phi, ce fut une belle et grande fête dans le Ciel,
sur la Terre et en Tous pays. Elle prit alors la
forme de la déesse Oureret ; elle saisit son arc
dans sa main sa flèche dans son point, et elle se
fixa au château de Neith avec son fils Rê.
XX. Instauration de la fête du 13 Epiphi
Rê dit alors aux dieux qui étaient avec lui :
« Accueillez Neith en ce jour ; venez vous réjouir
à son propos en ce beau jour, car elle m'a amené
(jusqu'ici) sain et sauf. Enflammez des torches
devant elle ! Faites Fête en sa présence jusqu'à
l'aube ! »

a Two serpents enclose the Cosmic Form (the potential inert form occupying the whole Universe bounded by the serpents of Earth and
Sky). From the second shrine of Tutankhamun.
b « Symbole de Nue Pet Tu, le Serpent bamun », C. Merlo & P. Vidaud, art. cité, p. 319.
hem, « art schlange » (Wb.II.207.8).
ncw-wr « als heilige schlange von Diospolis parva ; als Schutzgott des Osiris » (Wb.11.207.12-13).
cpj.t/izb.t.t « Schlangengottin » (Wb.I.180.1 ; 1.31.11).
* hc.t cpj.t-wr.t —> Nue Pet... Tu.
c Nue Pet Tu, le serpent à deux têtes bamoun.
« Le serpent, en Afrique, est symbole de la force royale... il est gémelléité universelle : corps et esprit, monde des vivants et monde
des morts, force vitale et forces occultes », cf. E. Mveng : L'Art d'Afrique noire, Yaoundé, éd. CLE, 1974, p. 58.
d La peau-linceul, t3 hpr (« lieu de la métamorphose »). Papyrus Anhaï.
e Caducée. Égypte (période gerzéenne).
V. Gordon Childe : L'Orient préhistorique, Paris, Payot, 1953, p. 109, fig. 39.
f « Le sem se drape dans le linceul et se couche » : tombe de Menni.
Remarquer, à gauche, le personnage aux gourdins.
A. Moret : Mystères égyptiens, p. 51, fig. 16.
g L'ensevelissement dans la peau de boeuf (?).
Gizeh, tombeau de Nebmuhut (IV' dynastie) (Lepsius : DENKM., 11.14).
A. Moret : Mystères égyptiens, p. 60, fig. 20.
h Le rite de la peau niez.
La peau gonflée était désignée par le terme de hn.t (wb. 111.367).
A. Moret : Mystères égyptiens, p. 49, fig. 15.

70
F:I,

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✓rat)
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6u
L es cérémonies
posteortem
dans la religion
négro-égyptienne
par Saliou Kandji

Me

A l'instar de la religion
négro-pharaonique,
toutes les cultures
négro-africaines qui en descen-
dent, directement ou indirecte-
« sont pas morts » les cérémo-
nies ou prières post-mortem
sont, sans conteste, l'une des
preuves les plus éclatantes de
la croyance profonde du Négro-
humain à sa communauté ont
commencé à se tisser bien long-
temps avant sa naissance, et
continueront bien après son pas-
sage terrestre.
ment, pratiquent ce que les Africain en l'immortalité, c'est-à- Pour entretenir les liens de
autres appellent, avec une dire en la permanence de la vie tous ordres qui rattachent les
pointe_ péjorative_ inspirée par le dans ses différentes modalités. esprits désincarnés_ aux esprits
mépris ou l'ignorance : le culte Et c'est l'une des raisons pour incarnés des vivants, et les ren-
des « ancêtres » ou des « morts ». lesquelles le peuple négro- dre réciproquement bénéfiques,
Cérémonie du souvenir, africain comprend, d'abord, les les Négro-Africains sont parve-
d'évocation, de communion spi- « devanciers » (les trépassés) nus — aussi bien par la révéla-
rituelle de la communauté des puis les « en voie de partir » (les tion primordiale reçue par les
vivants avec celle des « devan vivants). aînés 26 000 ans avant Jésus-
ciers » — ces « morts » qui ne Les liens qui unissent l'être Christ que par la voie de

73
Toutankhamon.
Musée du Caire
(A. Esso).

Peinture murale. Égypte (A. Esso). Course de pirogue. Douala (A. Esso).

74
Chevaux de la Cavalerie du Moro Naba. Burkina Faso (D.K.).

Toutankhamon. Toutankhamon.
Musée du Caire Musée du Caire
(A. Esso). (A. Esso).

Orchestre des Fameuses Amazones (Dahomey).

75
Le 42e jour

D e ces cinq dates, celle


du 42e jour est, sans
conteste, la plus impor-
tante parce que, selon la théo-
logie négro-africaine :
1° Le 42e jour symbolise les
42 esprits supérieurs (anges ?)
qui ont présidé à la Genèse
primordiale.
2° Le 42e jour, ce sont aussi
et surtout les 6 phases (4 + 2 =
Représentation d'un ange en Égypte pharaonique, ramené par Bonaparte. 6) de la création qui, multipliées
par les 7 errantes (les 7 premiè-
res planètes connues de notre
système solaire), donnent le
fameux nombre 42 qui traduit,
l'expérience spirituelle indivi- par aucune manifestation. Cette par ailleurs, les 42 actes à ne
duelle réalisée par les grands date me semble liée à la prati- pas commettre sous peine de
maîtres de la voie initiatique que de la momification, dont compromettre et l'harmonie uni-
royale — à établir les moments elle marquait effectivement la verselle et le salut de l'âme. Et
cosmiquement favorables pour fin et avec qui elle aurait ce n'est pas hasard si la somme
l'accomplissement des cérémo- disparu ; de : 1 + 3 + 7 + 35 = 88 qui
nies essentielles du souvenir — le jour de la troisième lui-même = 16 = 7 est la valeur
réciproque et des prières séparation de l'âme d'avec son pondérale de l'ensemble des
mutuellement bénéfiques aux environnement terrestre, donc dates. 7 est aussi le nombre
morts et aux vivants. le jour de son ascension, de sa magique qui rythmait la vie de
C'est ainsi que la tradition félicité, ou de sa chute, pour un l'Africain de la Tradition
primordiale a établi quatre temps dont la durée varie en primordiale :
moments qui sont attestés fonction de la qualité de la vie — 7e jour de la naissance :
comme essentiels et qui sont, immédiatement précédente de baptême ;
par ordre décroissant d'impor- chacun. — 7e année : phase d'appli-
tance, les suivants : Cette Quinte-Essence des cation et d'orientation dynami-
— le jour de la première moments, ce jour de l'ascension, que de l'éducation-initiation ;
séparation de l'âme d'avec son ou de la chute, c'est ce fameux — 7 x 2 = 14 ans, 7 x 3 =
enveloppe corporelle (décès) ; 42e jour du décès aujourd'hui 21 ans : achèvement de la
— le jour du premier retour communément marqué au phase supérieure élémentaire
de l'âme au lieu de sépulture 40e jour, par suite d'une dévia- de l'éducation-initiation ;
ou/et à la maison mortuaire tion qui remonte à près de — 7 x 6 = 42 ans : âge de
(3e jour du décès) ; 2 000 ans. Rappelons seulement maturité spirituelle, d'équilibre
— le jour de la deuxième que la fête chrétienne de et de sagesse.
séparation (éloignement) de l'Ascension, qui commémore la 3° Le 42e jour est essentiel
l'âme d'avec le lieu de sépul- Résurrection, correspond en parce qu'il marque l'aboutisse-
ture et des habitations (7e jour réalité au 42e jour de la Cruci- ment (des deux voies initiales
du décès) ; fixion, la Résurrection s'étant entre lesquelles l'être a eu à
— le jour du deuxième produite le dimanche, 3e jour choisir : celle du bien et celle
retour de l'âme (35e jour) qui après le décès, lequel eut lieu du mal) au carrefour ultime : le
n'est pratiquement plus célébré le vendredi. tribunal du Jugement Dernier.

76
Ramsès III enfumant le Dieu Pta.

4° C'est aussi le jour de la jit — le Vaisseau du salut de sympathie réciproque qui


publication de l'arrêt rendu par éternel. sert de courroie de transmission
les 42 assesseurs du tribunal du Les prières qui sont dites à entre les esprits des défunts et
Jugement Dernier, qui exami- chacune de ces dates essentiel- ceux des survivants. Plus l'esprit
nent à tour de rôle les 42 com- les sus-indiquées sont aussi du défunt est comblé de félicité,
mandements énoncés dans le importantes les unes que les plus grand est son rayonnement
chapitre 17 du Livre des Lumiè- autres. Aucune n'en remplace sur les êtres qui entretiennent
res (Livre des Morts des une autre. Et le défaut de l'une avec lui le contact spirituel par
Négro-Pharaoniques). d'entre elle est douloureuse- la prière et le souvenir pieux.
5° Enfin, le 42e jour est celui ment ressenti par le défunt, Au su de cela, il est aisé de
où le défunt, ayant observé que même, dit-on, s'il n'en a pas comprendre pourquoi les littéra-
son cceur, au moment de la besoin pour son propre salut. listes et autres anti-spiritualistes
pesée des actions a été, grâce Car cela participe également à d'Orient ou d'Occident, ne par-
à sa pureté spirituelle, aussi le maintenir en harmonie avec viennent pas encore à nous
léger que la plume d'autruche les êtres chers qu'il vient de faire abandonner l'entretien des
avec laquelle on l'avait contre- quitter et avec lesquels il sépultures des nôtres et les visi-
balancé, va s'engager avec joie désire, par-dessus tout, rester tes d'inspiration ou d'actions de
sur le Pont de la droitiira pour en état de sympathie perma- grâce que nous y effectuons. En
enfin s'embarquer sur le Mend- nent. Et c'est cet état permanent effet, le Négro-Africain, héritier

77
d'une tradition spiritualiste plu-
sieurs fois millénaire, connais-
sant par révélation, intuition ful-
gurante, les rapports qui ratta-
chent l'Être à l'Essence, ce
Négro-Africain-là prêche le res-
pect scrupuleux de l'intégrité
du corps humain et s'attache à
lui assigner un lieu d'inhumation
auprès des siens pour pouvoir
continuer à entretenir avec lui
les liens d'échange réciproque
direct.

Les offrandes

M ais, dans la tradition,


il n'y a pas de prière
sans offrande. En
effet, pour être efficaces, les
gestes à accomplir et les paro-
les à énoncer doivent être
appuyées, concomitamment, par
la distribution d'offrandes, dont
le respect de la nature et de la
quantité spécifiées contribue à
accroître l'efficience de la
prière.
En cette matière, les offran-
des sont habituellement consti-
tuées de boules de céréales
non fermentées et non cuites
pour le jour du décès, le 7e et
le 42e jours. Elles seront seule-
ment fermentées, pendant six
heures au moins, pour le 3e et
le 35e jours. Les quantités sont
les suivantes : 111 boules de
céréales le jour du décès : 330
Exemple de répression féroce à la suite d'un soulèvement contre les Hollandais le 3e jour, 777 le 7e jour, 350 le
au Surinam (Guyane hollandaise), en 1730. 35e jour et 420 le 42e jour. Seu-
les ces offrandes, et les gestes
et voeux qui les accompagnent,
sont obligatoires, parce que pro-
fitables, au premier chef, à
l'esprit du défunt.

78
Toutefois, les réjouissances lement sur le « pourquoi » de ce cas, j'ai conscience de les avoir
subséquentes, lorsqu'elles sont 42e jour » alors que « tout le formulées un peu trop rapide-
possibles, sont vivement recom- monde pratique le 40e ». Consta- ment. Un peu trop suggestive-
mandées, parce qu'il n'y a pas tant que des explications don- ment. Et peut-être même, au gré
de cérémonie familiale sans nées souvent rapidement et ver- de certains, l'aurais-je fait mala-
communion et que celle-ci com- balement sont rarement rete- droitement ? La raison en serait
mande la préparation d'ali- nues, j'ai choisi de les formuler celle-ci : les informations qui
ments, si peu que ce soit, à par- par écrit pour les fixer. précèdent sont tirées, sans com-
tager fraternellement. Elles s'adressent aussi à mentaire, de la théologie négro-
ceux qui ont la connaissance, ou africaine écrite et orale, énon-
la foi, pour conforter leurs pra- cée dans un langage sacré que
Conclusion tiques. Elles ne sont donc pas la langue profane que j'utilise ici
pour ceux qui nient parce qu'ils ne peut pas rendre avec suffi-
ne savent pas, ou ceux qui dou- samment de précision.

C es informations s'adres-
sent, en premier lieu, à
ceux de mes amis qui ne
cessent de m'interpeller amica-
tent, c'est-à-dire ceux qui en
sont seulement au niveau du
croire.
Pour ceux qui savent, en tout
Il s'y ajoute que, dans le
domaine de la spiritualité, l'indi-
cible l'emporte souvent sur
l'objectivable, le communicable.

79
P
oblématique
négro-pharaonique*
par Oscar Pfouma

« Les recherches d'Anta Diop sur l'histoire culturelle de l'Afrique appartiennent


au monde de la justice et de la liberté. » (Th. Obenga)

« Les faits culturels africains ne retrouveront leur sens profond et leur cohérence
que par référence à l'Égypte. » (C.A. Diop)

N ous faisons ici une manière de commen-


taire du chapitre XVII de Civilisation ou
barbarie (1). Notre travail est centré sur
la question de l'initiation rituelle. Nous soulignons
le rapport de parenté infrangible des univers
une cérémonie correspondant au « renouvellement
du monde » (4). Le rite osirien (5) et le sigui/sigi
dogon sont isomorphes.
Cela permet d'administrer la preuve que la
découverte de la « grande année » des Grecs
égyptien, pharaonique et négro-africain moderne, n'est pas due à CEnopide (Civilisation ou barba-
cela au moyen de faits linguistiques qui sont ici rie, p. 394).
analysés. La parenté culturelle de l'Égypte pharaonique
et de l'Afrique noire actuelle est une donnée
irréfutable
.Afrique noire — Égypte pharaonique : Dogon Égypte
intimité Gonno (période hn (période de 60 ans)
de 60 ans) Budge)
Sigui sch (6)

L e signe dogon : 9 = gono ou gonono, exé-


cuté à la fin de la période du sigui (soixante
ans), représente Dieu après qu'il eut créé
le monde (2). Les Égyptiens antiques célébraient
eux aussi, à intervalles de soixante ans, hn (em) (3),
Naporo = Osiris
Ama « Dieu »
Npr = Osiris (7)
'Im3w.t « der sehr
beliebte », surnom
d' Amon
(Wb .I. 80. 12).

80
ment Hermopolis, en Moyenne-Égypte, dont les
spécialistes nous disent que sa cosmogonie faisait
intervenir certains éléments... bien proches de
ceux que nous venons d'avoir la surprise de ren-
contrer chez les Fali. Un oeuf primordial un "oeuf-
mère". Deux eaux préexistant à toutes choses,
"étendue d'eau absolue contenant les germes des
créations en attente... seul trait absolument com-
mun à toutes les cosmogonies égyptiennes"...

initiatique Existence de deux terres, et quatre fleuves. Inter-


vention d'uiie "ogdoade" dont les membres, orga-
nisateurs du monde qui ont "travaillé à une mise
en place plus ou moins complète du monde
actuel, formaient une seule divinité mais repré-
sentaient quatre entités et se répartissaient fina-
lement en quatre couples... chaque paire repré-
sentant les aspects masculin et féminin d'une des
quatre entités... l'imagerie classique figure les
Huit comme d'étranges personnages anthropo-
morphes... hommes à tête de grenouille, femmes
à tête de serpent. Si l'on en juge par leur identi-
fication à des bêtes rampantes, hôtes des eaux
boueuses... on découvre aussitôt les aspects
mystérieux d'un milieu chaotique"... Il n'est pas
jusqu'au singe noir dont nous parle Lebeuf qui ne
puisse évoquer Thot, le dieu-cynocéphale
d'Hermopolis (9)... »
Le nom de Thot (grec) a été conservé :
Zukta (10), Jukta (Jukun du Nigeria) < Dhw.tj (Wb.
V.606,3). On trouve même Igira <1kr = Thot
Le terme égyptien ntr s'applique aussi bien à (Wb. 1.138).
Dieu qu'au pharaon -(R.O. Faulkner). On le Nous allons maintenant établir le lexique des
retrouve dans les langues négro-africaines sous initiations négro-égyptiennes. Elles sont réparties
les formes suivantes : en trois grandes catégories : les initiations de
puberté, les sociétés secrètes, les initiations
Copte : Noyte, Nute
supérieures.
Gurma : uNteru « Dieu » (8)
Massaï : Naiteru « Dieu »
Akaii : Ntoro « âme »
Peul : Ntori (A.H.Bâ)
Les initiations de puberté
Bantu : Nzambi = Ntr.w nb « panthéon »
Nzamba = Ntr nfr « good god » Introduction
Dam = t3 ntr t mrj it.s « Die Gbttin die
ihren Vater liebt » (Wb.II.362).

E
Les faits de religion pharaoniques et négro- n Afrique noire, les initiations de puberté
africains sont absolument identiques ; le système s'accompagnent généralement de mutila-
cosmogonique hermopolitain est conservé intact tions sexuelles : circoncision ou excision.
par les populations du Nord-Cameroun : « Il est Ces rites et ceux pratiqués en Égypte dynas-
impossible (...), même à-un profane, de ne pas tique présentent un rapport de parenté irréfraga-
évoquer (...) l'Égypte ancienne, et plus exacte- ble.

81
nefire (équivalent senufo de àéF = nfr
« recruit » (13) et le rite sanglant (circoncision ou
excision) qui l'accompagne habituellement. Ainsi
les Mossi emploient l'expression kese baongo
pour dire « être circoncis/être initié », kese signi-
fiant « faire entrer » et baongo « circoncision ». Le
mot égyptien t3m « prépuce » a pour représentant
en langue gbeya dom « prépuce, pénis », en lan-
gue nandi tum « circumcision ceremony », en lan-
gue suk tum « circumcision dance », en langue
daju dim « circoncire », etc.
Pour dire « circoncire », les Dogon utilisent les
euphémismes du genre « boire de la bouillie » ou
« sortir en brousse » (14). C'est sans doute le
même souci d'élégance langagière qui a déter-
miné ces atténuations et favorisé des évolutions
sémantiques — l'idée s'éloigne de son point
d'application — du genre :
prépuce -> circoncision -' initiation.
Ce phénomène s'observe dans les faits égyp-
tiens : « Un mot sndt "Vorhaut" ("prépuce") est de
la même racine que sndwt/sndjt signifiant "pagne
de cérémonie" (Papyrus Ebers 11.10.12). La raison
en est que les deux termes sont en relation — en
« Le terme infibulation désigne à proprement relation cérémonielle, si l'on peut dire — et qu'à
parler une coutume romaine qui consistait à pas- l'ablation du premier, l'autre était conféré, en tant
ser, chez le garçon, une "fibula" à travers le pré- que succédané, au jeune initié qui entrait au ser-
puce, devant le gland, pour empêcher les rap- vice du roi (15). »
ports sexuels. Une technique semblable consistait Mais les exigences de précision de la langue
à passer un anneau à travers le prépuce. Chez sont indéfectibles ; de telle sorte que « circoncire »
la femme, on le passait à travers les lèvres. On se dit aussi ogo guzu kezu « couper la peau du
comprend qu'on ait étendu l'expression "infibu- sexe » (16) et fh t3m « débarrasser du prépuce » (17).
lation" à la technique rituelle aboutissant, chez les t3m « Vorhaut » (Wb. V.354.20)
filles, à la création d'une cicatrice vulvaire sub- Pour expliquer ce mot, le Wôrterbuch emploie
occlusive, rendant, elle aussi, tout rapport sexuel les termes de « Knabe » et « abbsen ». « Dans une
impossible (11). » C'est en fonction d'une idéolo- inscription autobiographique, Knoumhotep, prince
gie falsificatrice que l'origine de l'infibulation est du XVIe nome (Beni-Hasan), se flatte d'avoir pris
attribuée aux « peuplades sauvages », entendez en main le gouvernement de sa ville étant tout
les Négro-Africains et autres « primitifs » (12). jeune, quand il n'avait pas encore été débarrassé
C'est ici le lieu pour nous de prendre position (fh) du prépuce (t3m) (Urk.VII.34.1) : hr imy'h m
sur le problème de l'excision — qui, précisons-le nhnw n fh.t (w).f m t3m (18). »
est une pratique limitée à une petite minorité de Il ne faut pas confondre t3m « prépuce » avec
populations. L'excision est un rite détestable ; elle dm3 « couper » (19) et d_m « génération/classe
doit être bannie par les Africains, comme l'infi- d'âge » (20).
bulation l'a été par les Européens.
t3m
Intérêt porté à la sexualité du néophyte Gbeya : dom « prépuce »
L'enquête linguistique que nous avons menée Tchad : -dzami (wan-dzami = « circonciseur »)
montre qu'une expression peut désigner à la fois Daju : dim « circoncire »
la cérémonie d'admission dans la classe d'âge Nandi : tum « circumcision ceremony »

82
Suk : tum « circumcision dance » sndt = sndwt = sndjt « pagne de cérémonie,
Songay : dum- « circoncire » prépuce, circoncision » (23)
Dogon : damo « pubis... » (?) (cf. G. Calame- Les langues négro-africaines modernes conti-
Griaule) nuent à faire usage de ce terme :
Fang : etum « jeune enfant de 2 à 5 ans » = Kwasio : sanda « pagne de cérémonie »
« incirconcis » (?) Duala : sanja « pagne »
Afrique cent. : tomi « sperme ». Voute sanja « pagne » (24)
(3 = a/ô : t3m > tôm > tôm > dom/tum) Ewondo : sandie « pagne de cérémonie »
Le terme (t3m.t = Wb. V.355.1) s'appli- Nord-Cam. : zane/zani « pagne » (25).
que au dieu Min. On le retrouve en : Scb « circoncire, châtrer, découper » (26)/isp
Pende : thondo « membre viril, verge incircon-
= 9 ô « couper »
cise, personne incirconcise » (B. Gusi-
Ce mot est représenté dans les langues négro-
mana) thondo > t3m.t (-mt-<-nd-)
africaines par :
Kurumbàono « prépuce » (t3m.t > tonno < tono : Copte CEBI, CBBE, COYBE « circoncire »
nt > n) Ki-Kongo : zabu- « circoncire » (27)
dm3 « couper » Pende : sabu « être gravement coupé »
Dogon : tomo « découper » (B. Gusimana)
Duala : doma « couper, opérer » Tunen : seb « couper » (28) = isp
Kwasio tuma « blesser gravement » Fang : sep « couper »
Swahili : tema (21)
Nama : tsmai « couper » (22). hnt « to castrate » (E.W.A. Budge : Hieroglyphic
bict., vol. 1, p. 472)
dm Tunen : vendi « circoncis » -and « circoncision »
Copte : AcoM Duala : -énda « circoncire » bwendi « circoncision »
Malinké : diamu Dogon : kene-ne « circoncision »
Bambara : diamy « classe d'âge, nom de famille
totémique » `Al-,997 = hn (Wb. V.61.3.4)
Dogon : -tomo « classe d'âge » Acholi kun/cun « Pénis »
Le dieu Thot Djehutimes (Budge).

83
h3p « caché, secret » (32)
Songay : kufya « cacher »
Tonga : i-kup- « cacher »
Nandi : kup « caché ».
Kap/Kep « initiation de puberté » (Des préjugés
inavouables ont empêché les égyptologues qui
ont étudié la société kep d'établir le rapport faci-
lement repérable qui existe entre cette société et
les sociétés initiatiques de l'Afrique noire
actuelle.)
Basa : kobi « être initié ».
cl< ib « Eingeweihte » (Wb. I. 231)
Mandingue : kiba « introduire, initier ».
Quelques autres termes
Krnt « Vorhaut » (Wb. V.60.15), « prépuces »
(E.A.W. Budge). Ce mot a donné khôron « pré-
puce » en manianka (33).
hms « to castrate » (E.A.W. Budge). Certaines lan-
gues négro-africaines (sango, banda...) présentent
une forme ganza « circoncision, excision », qui est
à rapprocher de ce mot.
h"nb « phallus » (Wb. 111.39.8) ; le sango pratique
Ce mot sous la forme kenge « pénis ».
113.t-ntr, hs « le rituel » ; nt-cw « rites ». Il nous faut
retrouver les représentants de ces mots dans les
langues modernes.

Les sociétés secrètes


Mosquée du Caire (A. Esso).

Kurumbàiôïne « verge »
Fang : -kôna « membre viril »
En attendant des analyses plus approfondies,
nous proposons les rapprochements suivants (les
I 1 ne nous est pas possible de faire ici le
relevé systématique des termes servant à
désigner les initiations octroyées au sein des
sociétés secrètes négro-africaines. Nous nous bor-
nerons à donner les quelques indications
architectures phoniques des formes modernes suivantes (34) :
sont très voisines). ,1;e:. = bs « introduce, initiate, secret » (R.O. Faulk-
ihb « danse rituelle » / « circoncision » (29) ner, op. cit., p. 84 (35).
hbi « to reduce » (30) Les Fang utilisent le terme besi ou bise pour
Susu : gubo « circoncis » désigner les sociétés secrètes en général ; bise-
More : kibe « couper » me est le nom de la société féminine meke (bise-
Hottentot : kuyb « sacrifice » me pl. bi-bise-me) « société secrète de danse pour
hb.t « le rituel » les femmes meke : les hommes ne doivent pas
hrj-hb « officiant, prêtre » voir » (S. Galley) ; besi tout court, la société mas-
Mbuba : u-kba « magic » culine. De cette dernière H. Webster dit qu'elle
Xhosa : kuba « practice » (31) est une « classe formée de personnes éminentes
Mandingue : gbesi « forces surnaturelles » et douées telles que dépisteurs de sorciers, chefs

84
de culte, chefs, artistes, chanteurs ». On retrouve Les initiations supérieures
le même mot, avec de petites variations morpho-
logiques et sémantiques, dans la plupart des

L
autres langues négro-africaines : es Fang emploient le mot akhu pour dire
Azande basa « loge » « initié » (43). Ce mot s'apparente au hotten-
Ekoi basi « association » tot kui « lif » (44) et au kwasio yaku « astre
Sara besi « certaines forces spécifiques lumineux ». L'assimilation de l'initié à un astre bril-
à la mort » lant peut s'expliquer par le fait que l'initié (l'ini-
besi ndo « force de l'enclos » tié supérieur s'entend) est l'être éminent, en posi-
(= ndo) » (R. Jaulin) tion d'exercer un ascendant sur la totalité du
Duala basi « association secrète » monde profane.
Basaa base « religion... » L'initié supérieur égyptien était désigné par le
Sango boso « association » terme 3hw (45) (« a transfigured one, glorified, spi-
Malinké basi « fétiche en général » ritualized », S.A.B. Mercer).
Bambara basi « fétiche » Il y a identité absolue entre /3hw/ et les mots
Bambara basi « pagne des excisées » (*) suivants des langues négro-africaines modernes :
Égypte b§3.w « a short tunic, waistcloth, loin Fang : akhu « initié »
band » (E.A.W. Budge) Djukun : akwa « désignant soit une personnifi-
Lusese o-busa-ho « magic » (H. Johnston, cation des ancêtres soit une
1902, t. 2, p. 973) divinité » (46)
Mandingue : basi « fétiche ». Dogon : ogo « s'applique au prêtre du Lebe... »
(S. de Ganay)
bj3j.wt : Initiation royale Peul : aga « initié » (H. Bâ, cité par
Le mot bj3j.wt signifie « miracles ». L'étude de A. Anselin).
G. Posener De la divinité du pharaon (36) apporte
des éléments de compréhension de cette forme Les personnages rituels
d'initiation. Le bwiti fang est la forme moderne
(dégradée) du complexe rituel pharaonique. Con- Considérons les listes suivantes :
sulter : C. Dadet, La Mémoire du fleuve. L'Afri- (I) Biem -gamwe- « sorcier, nécromancien »
que aventureuse de Jean Michonet, Paris, 1984. (ngamwem)
Voir particulièrement le chapitre VII. A. Raponda- Ewondo -gang (ngengang)
Walker et S. Sillans, Rites et croyances des peu- (II) Biem -gwem « possesseur du fétiche '» :
ples du Gabon, Paris, Présence Africaine, 1983, -gwem (ngangwem)
(2 ° éd.). Ewondo -gam (ngengam)
Kongo -gum- « devin, visionnaire, oracle,
hrj st3 « prophète », « celui qui veille sur les astronome » (ngumbo)
mystères » (C.A. Diop, op. cit., p. 391) Dobon kum- (kumbo)
Ce mot a été conservé sous la forme keriot Duala -gam- (ngambi)
< hrj â§t3 (Nandi), avec le sens de « physic, (III) La plupart des langues négro-africaines :
medecine » (37). Le nom Christ est un emprunt ganga « médecin, psychanalyste, prêtre
aux langues nègres (38). nganga des esprits » mais aussi « physicien,
ât3/ât3 (bs t3) signifie « secret, mystère ». ngang chimiste »...
Cette racine se_présente dans leq langues__ngro- (IV) Nord -Camer un •
africaines modernes sous diverses formes : sitho gome « médicament ».
(Xhosa), si- (Fang), sut-, so-, sose- (Môre), ese, esi- Les mots de la liste (I) renvoient à l'égyptien
tha (Zulu), sut- (Bambura), etc. hmw.t (-mt) « ensorcellement, envoûtement » (Wb.
III.85.1) : hmw.t > -gang- (ewondo, kwasio, etc.).
rh-ih.t « Le savant, le sorcier » (39) Les mots de la liste (II) semblent dériver
Nandi : Orkoiyot « chief mede_cine man » (40) de 1? ; r = hmw.t-s3 « maléfice » (Wb.
Masai : Orgoiyot « magic » (41) « prophète » (42). 111.85.3).

85
Nekheba. La Maîtresse du Ciel (A. Esso).

Musée copte (A. Esso).

(s3 signifie « protection magique » et s3.w Ewondo : -gam


« enchanteurs » (S. Sauneron) = zwi « magicien » Duala : -gam-
chez les Toma (Afrique de l'Ouest). Kondo : -gum < « Kunst » (Wb. 111.84)
On a Biem : -gwem < hmw.t (p) « fétiche ». Le Dogon : -kum-.
radical -gam (Ewondo), -gum- (Kongo), -kum- La forme /-ganga/ de la liste (III) serait issue
(Dogon)... aurait un rapport étymologique avec de l'égyptien a) = hm-k3 (à ne pas confondre
.1t,t « Kunst » (« art, savoir, science ») : avec hm <4 esclave »). Le hm-k3 « prêtre du ka »,
Égyptien : = hmw.t était un prêtre-médecin « qui, à côté d'attributions
Biem : -gwem « fétiche » sacerdotales, pratiquait la circoncision » (47) :

86
kanga Babali : isuma (P.-E. Joset)
ganga Bambara : sema
hm-k3 —> gang m>n Malinke : seme
n-ganga devant g (< k) Toma : zoma- « guide, surveillant ».
n-gang...
(Le terme nga-Ka/n-Ga/n-Ge signifie « connais- Les nains
seur de la puissance » = la puissance immaté- Les nains et les pygmées assument des rôles
rielle Ka). importants dans les récits mythologiques négro-
La racine Il = hm, apparaît dans : égyptiens. Ils portent différents noms :
Égyptien : hm-ntr « prêtre de Dieu » Dogon : andumbulu « nain »
Copte : < hm-ntr « pagan priest » (48) -dumb- = d_nb « Zwerg » (Wb. V.
Bamileke : kamsi hm-ntr) « prêtre de Dieu . 576.3)
Pour (IV) on peut poser : Voute : dzang « pygmée » dng « Zwerg »
Égyptien : hmm « ein arstliches (Wb. V.470.5)
instrument » (Wb. 111.95.11) Khasonke : nomo « nain » = nmw « Zwerg » (Wb.
s3-hmm « Arzt » 11.267)
Nord-Cam. : goure « médicament » Ewondo : -kwe « pygmée » hwe « Zwerg »
Kwasi o : gyuma « soigner » (Wb. 111.52).
Egbele : ikumi « médecine ».
Le médecin Cosmogonie
Le sinw ou swnw « guérisseur » (Wb. 111.427.7)
La naissance du monde

L
passait pour un magicien. Le terme sinw/swnw
est représenté :
en Gulmance par : swan- « sorcier » a terre est ronde et plate. Elle est entou-
en Zulu par : -sanu- rée d'une grande étendue d'eau, nên di
en Duala par : -san- (nusanusane « être « (...), en forme de couronne. Cette mer
maladif ») elle-même est encerclée par un immense serpent,
en Soso par : sena « gris-gris » yuguru na, qui maintient l'ensemble en se mor-
en Gbandi par : salé « gris-gris ». dant la queue. S'il venait à lâcher prise, tout
L'évolution sémantique de sinw/swnw s'est s'effondrerait », disent les Dogon. Pour eux le
faite de la manière suivante, selon A.P. Leca (49) : monde est issu — suivant la traduction de
être malade /souffrir —> médecin/guérisseur. C.A. Diop — d'« un amas spiralé » (51).
Sorcier/Sorcellerie La pensée dogon est une continuation de la
Les Shilluk emploient le terme ajwogo « sorce- pensée négro-égyptienne antique : selon les
rer » (50). Dans toute l'Afrique occidentale ce Égyptiens, « les germes de tout être et de toute
terme apparaît sous la forme juju. Ces formes chose gisaient à l'état inerte (nen), confondus dans
représentent l'égyptien tik3w « sorcier/sorcelle- le sein d'un abîme qu'on appelait nun » (52). « Les
rie », que nous retrouvons encore : Égyptiens ont représenté les âmes des dieux sor-
Copte : wko tant des serpents : âme de Atum, âme de Sekhet,
Teke : -koko âme de Râ, âme de déesses, etc. L'un de ces ser-
Aluru : jok pents, nous le savons, avait un nom fort expres-
--Lang° : -wok sif, Nuter-aa, "le Dieu grand" : il est représenté
Ekoi : ojje. enfermé dans l'ellipsoïde garni de sable, qui
figure le domaine de Sokaris (53). »
Guide/Officiant/Chef de culte Le symbolisme est le même chez les Égyp-
Le rôle du sem ou sema dans le déroulement tiens et les Dogon. Yuguru est une figure du
des rituels négro-africains est considérable. En temps et renvoie à l'ouroboros égyptien àd m r3,
écriture hiéroglyphique le mot s'écrit : P = symbole des « transformations », symbole de l'ini-
sem. On le retrouve en : tiation.

87
Juif égyptien. Le Caire (A. Esso).

Les dieux L'idée d'ogdoade chez les Dogon est liée à


G. Maspero (54) a publié en 1901 un document celle du groupe des Nommo.
de Petamon expliquant la « progression numéri- Amon-Ra de Thèbes, « chef suprême » a rang
que de l'Ennéade héliopolitaine ». Le contenu de 9. Or « le lebe (dogon) procédant du septième et
ce document éclaire d'un jour nouveau certains du huitième, a le rang 9. C'est le rang de la
aspects de la mythologie dogon. Donnons la chefferie » (56).
teneur du document : Ce lebe neuvième n'est autre qu'Amma (le
« Je suis UN qui devient DEUX, je suis DEUX qui dieu suprême des Dogon) = 'Im3w.t = Amon.
devient QUATRE, je Suis QUATRE qui devient HUIT, Nous pouvons légitimement établir les corres-
je suis UN après celui-là, je suis KHOPRI dans HAIT- pondances suivantes :
BERBORU, je suis OSIRIS dans KHONIT, je suis HAPI Dogon Égypte
de PHTAH, je suis ce créateur RA, père de SHU... » Amma = Amon 'Im3w.t = Amon
Maspero commente ainsi le texte : Amba = Amma (57)
« Un qui devient deux, c'est Ra qui a tiré de Naporo = Osiris Npr = Osiris
lui-même, par le procédé qu'on sait (55) le cou- Atamu Atum
ple shu-tefnuit. Deux qui devient quatre, c'est la associé à (58) associé à (59)
production des quatre dieux mâles qui soutien- Mere Meru
nent le monde, heh, nau, kaku, amonu, et qui sont
engendrés par la séparation de sibu et de nuit Nommo = Num Num = Knhum (60)
au moment où shu sépare le ciel et la terre qui Khnm « Potier, Architecture »
sont la résultante de sibu et de nuit. Quatre qui « dieu d'eau
devient huit, c'est le dédoublement de ces qua- (61)
tre personnages en couples, hehu-hehit, nau-nauit,
kaku-kakuit, amon-amaunit. Enfin, un qui vient (Nous pensons que le terme khnm a disparu
après lui, c'est-à-dire après quatre qui est huit, du vocabulaire religieux parce qu'il s'est trop net-
c'est le chef surpême celui qui, s'ajoutant à tement spécialisé dans le sens de « potier » : khnm
l'ogdoade, la transforme en ennéade, c'est-à-dire = koloma « potier » en Buduma : 1 < n.)
le Dieu Amon-Ra de Thèbes, en qui se résument « Le Nommo Septième a été tué par les hom-
tous les dieux énumérés par la suite, Khopri, Osi- mes sous sa forme de serpent et sa tête enter-
ris, Hapi, Ra le Bélier d'Amon et d'Osiris. » rée. Mais on peut dire aussi qu'il était le gre-

88
nier (*) descendu des cieux, qu'il a été brisé et per, « dieu des transformations ». La racine hpr
divisé, que la terre des parois a été répandue trouve ses représentants partout en Afrique
dans le champ primordial, mélangée à celle des noire :
habitations, que les graines de son ventre, au Égypte : hpr/hpr « changer, transformer, muer,
moment des semailles, ont été enfouies dans le devenir... » tiprr « le dieu des
sol. On peut dire que le Septième a été tué et transformations »
détruit et inhumé comme Serpent, comme gre- Copte : oiri
nier, comme graines. » (M. Griaule : Dieu d'eau. Banda : Huvru « Dieu » (62)
Entretiens avec Ogotemmêli, p. 43.) Ce discours Yoruba : ikparo « changer » (63)
peut être résumé par la formule attribuée à Swahili : copôa « muer » (64)
Plaon : « être initié, c'est mourir ». Les Égyptiens Idoma : /'pjeyi/ « retourner, changer » (65)
parlaient de whm rnjwt « renouveler les Wolof : sopi (<ffl:ipr) « transformer » (66)
naissances ». Français : al-gèbre vient de hpr (67).

Transformation Hommage

L a notion de hprw a joué un rôle fondamen-


tal dans l'évolution tout à la fois de la pen-
sée religieuse, philosophique et scientifique
de l'Égypte nègre (voir W. Federn : « The Trans-
formations in the Coffin Texts : A New Approach »
I 1 est des savants occidentaux que le coeur
des Africains chérit avec ferveur. C'est le
cas de J.-F. Champollion, A.E.W. Budge,
E. Amélineau, E. Naville, L. Frobenius, L. Hombur-
ger, M. Griaule, G. Dieterlen, S. de Ganay,
dans JNES, vol. XIX, n° 4, oct. 1960, pp. 241-257). R.O. Faulkner, R.J. Gillings, L.S.B. Leakey,
L'initiation implique une transformation (hprw) C.F. Volney, E. Meyerowitz, S. Sauneron,
radicale du statut ontologique et religieux du J. Roumeguère-Eberhardt...
néophyte. La notion de transformation est au cen- Il ne leur a pas suffi d'être des génies : leur
tre de la problématique initiatique ; les nègres de courage rare et leur probité intellectuelle sans
l'Antiquité l'ont symbolisée par le scarabée Khe- faille en font des démiurges, au même titre que

Cérémonie du Ngondo (A. Esso).

89
les C.A. Diop, Th. Obenga, A. Diop, A. Anselin, refusé à entériner la « logique » des thuriféraires
A. Kagame... Gloire à vous, éternellement ! Votre du colonialisme culturel : il passe sans autre
mémoire nous restera sacrée jusqu'à la fin des forme de procès pour un hérétique, voué au sar-
temps. casme : « La volonté de réhabiliter le monde noir,
Nous avons parlé de courage, car il en fallait articulé à un contre-transfert très positif et non
et beaucoup, aux temps des Volney et des Améli- contrôlé envers Ogotemmêli et à travers lui la
neau, pour affirmer que « les anciens Égyptiens pensée dogon, a pu nuire au statut scientifique de
étaient de vrais nègres de l'espèce de tous les ses (Griaule) conclusions », assure gravement
naturels d'Afrique » (C.E. Volney). Lisons ces lignes François Michel-Jones (69).
émouvantes de E. Amélineau : « Ce que je lui (le Le mensonge fait partie de la panoplie de
lecteur) demande avant tout, c'est de juger mon l'héroïque défenseur de la Cause. Le professeur
livre comme il a été fait, c'est-à-dire de bonne foi. J. Leclant en use sans talent : « Cette thèse (celle
Je serais dès lors assuré, s'il le lit ainsi, qu'il ne de Volney, citée ci-dessus) suscita de vives oppo-
donnera ou refusera son acquiescement à mes sitions, de Champollion en particulier (70). »
théories, qu'avec une parfaite conscience ; ainsi Cela est faux, radicalement faux. C'est le con-
que je l'ai dit en écrivant ce volume, je ne cher- traire qu'a affirmé Champollion : « Les premières
che qu'à faire progresser la science, je ne crains tribus, écrivait-il en novembre 1829, qui peuplè-
pas les objections et je serai le premier à en profi- rent l'Égypte, c'est-à-dire la vallée du Nil, entre
ter quand je les aurai reconnues justes ; ce que la cataracte d'Assouan et la mer, venaient de
j'appréhende, c'est un jugement superficiel, qui l'Abyssinie ou du Sennâar. Mais il est impossible
glisse et passe à côté des parties nouvelles de mon de fixer l'époque de cette migration, excessive-
oeuvre, sans même les mentionner, qui s'en prenne ment antique. Les anciens Égyptiens apparte-
aux défauts de l'apparence et qui proclame alors naient à une race d'hommes tout à fait sembla-
que le livre est mal fait. D'ailleurs, je commence ble aux Kennous ou Barabras, habitants actuels
à m'habituer à l'oubli ou à la vivacité de la criti- de la Nubie. On ne retrouve dans les Coptes
que ; si j'y suis sensible en mon for intérieur, je d'Égypte aucun des traits caractéristiques de
tiens à déclarer que rien ne me fera dévier de la l'ancienne population égyptienne. Les Coptes sont
ligne que je me suis tracée, je ne veux connaître le résultat du mélange confus de toutes les
ni la lassitude, ni le découragement (68). » nations qui, successivement, ont dominé l'Égypte.
La volonté de ravaler la civilisation pharaoni- On a tort de vouloir retrouver chez eux les traits
que s'est exercée de manière constante dans la principaux de la vieille race (71). » Autrement dit,
grande majorité des textes philosophiques d'Occi- les anciens Égyptiens étaient d'authentiques
dent. E. Hornung remarque : « On s'attendait à nègres (*).
trouver des écrits philosophiques de l'époque Notons que l'idéologie n'épargne pas la civi-
pharaonique, pour ainsi dire un « platonisme pha- lisation occidentale elle-même. Bertrand Russell a
raonique », mais ce ne fut pas le cas ; dans les tort d'écrire : « La philosophie et la science telles
écrits de l'important égyptologue Adolf Erman, et que nous les connaissons maintenant sont des
de ses contemporains, il ne subsiste pratiquement inventions grecques. » V. Goldschmidt fustige
rien de ce que fut autrefois le prestige des prê- cette tendance généralisée à falsifier l'histoire de
tres égyptiens, qui furent alors considérés comme la philosophie : « Et comme il est entendu que
les représentants d'une pensée irrationnelle et l'éthique a été créée ex nihilo par l'école
prélogique avec laquelle on ne savait par où socratico-platonicienne, on suggère, au sujet de
commencer... » telle maxime de Démocratie, qu'elle "rend un son
Marcel Griaule voulait (...), tout en réhabilitant platonicien", en rejetant l'hypothèse beaucoup
les cultures africaines, trop peu connues ou même plus vraisemblable, que c'est tel texte du Gorgias
méprisées, rendre hommage au vieil homme qui qui "rend un son démocritéen" (72). » On n'oublie
avait eu le premier le courage de révéler au pas que c'est dans les universités pharaoniques
monde blanc « une cosmogonie aussi riche que que Démocrite et Platon reçurent leur formation
celle d'Hésiode » et, de surcroît, vivante... Il s'est intellectuelle.

90
Relevons encore l'étonnante assertion des La seconde méthode est plus circonspecte,
physiciens J.-P. Baton et G. Cohen-Tannoudji : plus modeste et plus sûre (...). Elle renonce pro-
« Empédocle, le premier, affirme au ve siècle visoirement aux résultats définitifs et se contente
avant Jésus-Christ que l'eau, la terre, le feu et l'air de tracer, de l'image du monde, les seuls traits
sont les quatre éléments et les seuls dont la com- qui lui paraissent établis avec certitude, laissant
binaison crée toute chose (73). » aux recherches futures le soin de compléter le
La volonté de déni de l'antériorité de la phi- tableau (77).
losophie égyptienne oblige I... Nous nous posons La première méthode, qui est l'induction, a été
la question : le débat stérile qui, depuis des vigoureusement combattue par le philosophe
années, agite les milieux intellectuels européens K.R. Popper (78), qui a pu démontrer que l'induc-
sur le point de savoir si oui ou non Platon avait tion, en tant que méthode d'analyse scientifique,
posé trois éléments au lieu de quatre, si « Aris- était aléatoire et ménageait presque toujours des
tote (avait) fait subir à la doctrine de Platon une erreurs. De toute façon l'exemple de Thalès,
distorsion » (74), cette discussion navrante, aurait- choisi par M. Planck, n'est pas approprié ; Tha-
elle eu lieu si la dette vis-à-vis des anciens Égyp- lès fut élève des prêtres égyptiens (79) : ses thè-
tiens avait été reconnue clairement, assumée cou- ses s'avouent être des bribes, des sous-produits
rageusement ? On sait que les nombres 3 et 4 ont des théories pharaoniques.
joué un rôle considérable dans la cosmogonie des La seconde méthode, déductive, est celle à
anciens Égyptiens : il est quasi certain que laquelle ont recours les orgoiyots évoqués ci-
l'embrouillamini vient d'une interprétation défec- dessus. Elle a, seule, suffisamment de vitalité pour
tueuse des doctrines antérieures à Platon et susciter des projets scientifiques sérieux et une
Aristote... réflexion théorique pertinente. On mesure la
La théorie des 4 éléments (Dogon : kize nay) vanité des « spécialistes » qui, incapables de for-
remonte à l'Égypte pharaonique. Cela n'est pas muler une critique judicieuse des oeuvres de ces
une vue de l'esprit : Sénèque l'a affirmé et les savants, sortent de leurs gonds, s'abîment dans
égyptologues J. Dümichen (75) et E.A.W. l'invective et le tutoiement servile (80).
Budge (76) sont parvenus à cette conclusion au
terme de recherches minutieuses.
*
Parlant des rites du tano et du nyailo ou rite
On l'a vu, les protocoles heuristiques adoptés de la renaissance par la peau, composantes du
dans notre étude indiquent clairement, pour ainsi grand ensemble Domba, Jacqueline Roumeguère-
dire, le camp où nous nous situons. Eberhardt remarque qu'« il serait important (...) de
Les savants dont nous avons cité les noms au pouvoir établir la nature de cette peau »...
début de ce chapitre sont démarqués par rapport « L'informateur de Van Warmelo parle d'une peau
aux « africanistes » moyennant une dichotomie sim- de boeuf, et d'autres informateurs d'une peau
ple. Max Planck considère que la science n'a que d'antilope (81)... » Le rite bantu de la peau renvoie
deux méthodes pour explorer la nature : « La pre- aux pratiques initiatiques de l'Égypte antique.
mière méthode (...) consiste en une généralisation C'est ce que nous allons montrer dans les pages
rapide de quelques données expérimentales, elle qui suivent.
se lance hardiment dans les théories les plus Nous tenons les équivalences suivantes, qui
générales, applicables à tout l'ensemble des phé- découlent d'une longue recherche, comme très
nomènes et elle met au centre de ses conceptions plausibles :
une notion, un postulat unique, auquel elle essaye, Venda
avec plus ou moins de succès, de soumettre la Domba = Toum — Ra (Ra en tant que Serpent) :
nature entière et tout ce qui s'y manifeste. Ainsi, Tm-R° -> *Dombera -> Domba (*).
l'eau pour Thalès de Milet, l'énergie pour Wil- Tano = tn.w « names of a festival » (E.A.W. Budge,
helm Ostwald sont le pivot central de leur con- R.O. Faulkner).
ception de l'univers. -Kanda « peau » = hn.t « peau » (Wb. 111.367.12).

91
Thondo « école masculine... » = t3-nt-cw (t3 « mas-
culin », ntcw « rites »).
Nyailo = Noun (Nnw > nyailo) (88).
J. Roumeguère-Eberhardt s'exprime ainsi : « Le
python est lié directement à la fertilité des fem-
mes... Pour les Venda — qui, avant de se marier,
sont tous obligatoirement passés par l'école ini-
tiatique du Domba —, ce lien n'est nullement éton-
nant. En effet, le Domba est un rite de fertilité,
renouvelant le royaume, installant le roi, assurant
la fertilité des femmes et des champs. »
« Domba dzi Mudzimu » — « le Domba c'est
dieu », c'est l'origine (op. cit., p. 17).
Domba est Toum-Ra : « Je suis Atoum, dit le
chapitre XVII du Livre des Morts, quand je suis
seul dans le Noun (mais) je suis Rê quand il appa-
raît, au moment où il commence de gouverner ce
qu'il a créé (83). » Domba réactualise les événe-
ments des temps primordiaux. « O ces huit (...)
qu'Aoun a faits des humeurs sorties de ses chairs,
dont Atoum a fait les noms, lorsque fut créé
l'échange de propos entre Noun et Atoum, en ce
jour où Rê conversa avec Noun (84)... »
Le rite du tano, qui implique une « union
sexuelle rituellement accomplie » fait référence à
l'union (accouplement rituel ?) des s3.tj Tm « les
deux enfants de Toum » (Pyr. § 147-148-149), Shou
et Tefnout. J. Roumègue-Eberhardt écrit : (Le
Domba) consiste en une participation grâce à
laquelle les novices vivent toutes les notions rela-
tives aux origines, accompagnées d'une instruc-
tion concernant l'union des sexes car, disent (les
Venda), « il faut montrer aux novices d'où vien- Mosquée construite dans les restes d'un temple pharaonique
nent les gens ». En effet le tano instruction initia- (A. Esso).
tique le plus important du Domba est le nyailo
—uniosexulritelmntacompliedvantles Atum seems to have been a manifestation of Nun
novices sous une peau de chèvre ; soit par des as the first god (87)...
personnes jeunes rituellement désignées pour Le domba est un rite de fertilité et de renais-
cela, soit, symboliquement, par un couple de vieil- sance. Les aspects fertilité et renaissance s'accor-
les personnes ; au moment de l'Union, l'Instruc- dent, respectivement et spécifiquement, à la
teur verse un mélange de farine de graines — séquence du mythe d'Atoum-Râ se masturbant et
eleusine caracana — et d'eau, première étape au « mystère de la peau » égyptiens.
dans la fabrication de la bière, sur de l'ocre A. Moret a reconnu l'importance, chez les
rouge, et dit : « Voici la semence que donne Égyptiens, de ce rite de « renaissance par la
l'homme et que reçoit la femme ; la bière c'est peau » qui, selon lui, serait d'une ancienneté
la semence, l'ocre c'est la femme — c'est le sang excessivement antique : « On peut affirmer que
menstruel (85). » Or Nyailo c'est « le dieu du l'idée de la renaissance par la peau est aussi
Domba » (86) (« In the Pyramid Texts Nun usually ancienne que les plus anciens monuments con-
appears, as a god, under the form of Atum... nus (88). »

92
Cimetière musulman (Caire) (A. Esso).

Toutankhamon devant Hauser (Oseris)

« A côté du shedshed, les Pyramides révèlent (MI) pour mourir rituellement et renaître en roi
l'existence d'autres peaux-berceaux, meska, comme Osiris. Pour les morts, les lieux de renais-
meskhent, kenent, out, shedt, dont les noms ser- sance sont des cités mystiques dont les noms se
vent à désigner autant de "pays ou de cités de rapportent aux diverses peaux : villes de Out,
la peau". L'existence de ces diverses localités Meska, Kenemt, Shedt (90). »
mystiques indique peut-être autant de méthodes C'est le dieu Anubis qui est l'inventeur du rite
locales ou différentes pour l'exécution d'un rite de la peau-berceau et c'est lui qui doit toujours
commun, la renaissance par la peau. Les rédac- présider les cérémonies :
teurs des Textes des Pyramides ont très proba- « C'est Anubis qui avait révélé aux dieux et
blement amalgamé des traditions déjà anciennes aux hommes ce moyen de renaître que les rituels
à cette époque et provenant de villes définissent en ces termes : "Il est passé pur sur
multiples (89). » la peau-berceau" (91). »
Le savant écrit encore : « Lors de la fête du Passer par la peau, c'est passer par la peau
jubilé royal, les rites s'exécutent dans des pavil- de Seth, pour renaître un Osiris, pur et immortel.
lons, munis d'un lit, sur lequel le roi "se couche" Mais « celui qui passe par la peau est aussi Horus

93
pour Osiris, c'est-à-dire le fils pour son père ». En ce qui ne me paraît pas justifié. Ma traduction se
effet, dans la Stèle de Metternich, Osiris dit à rapproche de celle proposée par Virey ; elle attri-
Horus : « C'est toi, mon fils (qui passes) dans le bue à dsr le même sens que ce mot a comme
Mesqt (lieu de la peau), sorti du Noun, tu ne épithète de la nécropole t3 dsr "terre consacrée"
meurs point. » Conclusion : « Passer par la peau, (Pyr. de Téti, 1.175) ou du sanctuaire des temples
c'est donc la même chose que sortir du Noun, le et tombeaux bw dsr "lieu consacré". Anubis est
chaos primordial ; le rite recommence la création souvent qualifié de "maître de t3-dsr", ce qui
et assure l'immortalité (92). » s'explique puisque ce dieu préside à la consécra-
On peut encore signaler le texte de la stèle tion dsr par la peau (96). »
C3 du Louvre, qui, à propos de certains dieux, Il ne nous semble pas abusif d'établir une cor-
dit qu'ils ont été « créés au début des temps (sur) rélation entre « l'ocre rouge » dont parle
les peaux-berceaux (msknt) primordiales d'Aby- J. Roumeguère-Eberhardt et le t3-dsr égyptien.
dos ; ils sont sortis de la bouche de Râ lui-même Le tekenu et le sem sont les personnages
lors du (rite) de la consécration dsr d'Aby- rituels les plus fréquemment nommés dans les
dos » (93). commentaires de A. Moret. Le savant décrit ainsi
Le rite de la peau-linceul s'exécutait à l'occa- la scène de consécration dsr : « Le sem (l'instruc-
sion d'une multitude de fêtes — fête Choiak, teur) "se couche" revêtu d'un linceul. Ce rite est
jubile royal Sed, fête de la circoncision, etc. C'est bien une imitation ou une simplification de ceux
ce qui explique la variété des peaux utilisées : joués par le tekenou : costume et décor, tout est
peaux de vaches, de taureaux, de chiens, d'anti- pareil. Toutefois, le sem ne prend plus la position
lopes, de panthères, de gazelles, de porcs, incommode du foetus ; il se contente de "se
d'oies... et peut-être peaux humaines. coucher" (97)... »
On sacrifiait encore des tekenou en Guinée,
au début du siècle (98). L'« Instructeur » dont parle
J. Roumeguère-Eberhardt est le même que le sem
Nous avons émis l'hypothèse que le Dom égyptien et le simo guinéen. Lors de son initia-
Venda coïncidait avec le Toum égyptien. Or des tion, relate M. Famechon, « le jeune simo doit, en
vignettes du livre des Morts (éd. E. Naville, marchant sur les pieds et les mains, et nu, défi-
chap. CLXVIII) relatives au rite de la peau ont été ler deux fois entre une double haie de tous les
détaillées par A. Moret : « Paraissent d'abord, habitants du village, armés d'un solide bâton dont
deux adolescents portés sur les épaules des offi- chacun lui assène un fort coup sur le dos sans
ciants — peut-être deux tekenou (victimes humai- qu'il doive laisser échapper une plainte » (99). Une
nes) (94) ; deux pleureuses couchées à terre ; un scène presque identique est représentée dans
taureau sur pavois, qui rappelle la victime ani- une tombe égyptienne, celle de Menni.
male ; un sphinx androcéphale, dont le rôle dans Le mot sem est attesté dans un grand nombre
une scène de renaissance s'explique (...) parce de langues négro-africaines modernes :
qu'il représente Toum le démiurge. E. Naville a seme/sema (malinké), sem (bantou) (100), etc.
démontré que le sphinx était souvent identifié à En égyptien sm est synonyme de stm (Bifao,
Toum... Dans le protocole royal, le sphinx peut 19, p. 176). Ce dernier terme correspond au ban-
signifier "image vivante de Toum" (cf. K. Sethe : tou Ëitome « grand prêtre » (101).
Urk. IV.600) (95). »
Une séquence du rite de renouvellement par
la peau s'appelle dsr m h.t nb « la consécration Appendice
dans la salle d'or ». A. Moret commente ainsi Les pygmées et l'Égypte
l'expression : « Cette phrase dsr m h.t nb "con-
sécration dans la salle d'or" (sanctuaiie du temps
ou du tombeau) est une rubrique spécialisée aux
rites de la renaissance et n'est employée qu'à
cette occasion. Maspero (...) y voit une indication
de mise en scène : "dispositif dans la salle d'or",
C e dernier chapitre a pour but d'attirer
l'attention des chercheurs sur certains élé-
ments culturels des Pygmées d'Afrique
centrale, homologues, nous n'en doutons nulle-

94
Le Dieu Api et une cartouche de Ptolemé (A. Esso).

ment, à ceux des anciens Égyptiens. Ils peuvent


constituer un puissant éclairage jeté sur le gigan-
tesque puzzle dont les savants s'acharnent à
ordonner les pièces.
Un livre entier est à écrire sur « les Pygmées
et l'Égypte »... Nous nous limitons ici à présenter
un certain nombre de noms divins communs aux
Égyptiens et aux Pygmées :
EGYPTE PYGMÉES
Toum = Dom « Dieu créateur » (102).
Khnmw = Dieu d'Éléphantine = Khmbum
= Dieu
créateur des Pygmées. Il a
« façonné » les hommes.
Horus = « Khnmw en la forme d'Ho-
rus » (103) = Gôr : « L'éléphant
sous la figure duquel Khmvum
se présente aux hommes, porte
(le) nom spécial de Gor tandis
que d'une manière générale
(les Pygmées) désignent l'élé-
phant sous le nom de Ya (104). »
Thot = « Dieu de la pluie, du vent et
du tonnerre » (E.A.W. Budge).
Tox « esprit qui fait naître les
ouragans et souffle les torna-
des » (« Nous autres, les Akwa,
nous autres, nous sommes
petits, petits, nous sommes
petits entre les petits. Mais nous
sommes les « Hommes », les
maîtres du temps, les maîtres
de la terre, les maîtres de tout.
Ceux qui ne veulent pas le
croire, que Tox les écrase et
leur ferme les portes de
Dan (105). »)
T3-wr.t
(Thouëris) = Tore « génie » (106)
Bal/Seth = Bâli = « Quand Dieu eut fini de
tout créer, par une parole, il
s'assit sur les bords du ruis-
seau, près du grand village des
animaux, et le nom de
Khmvum, c'était Bâli (107) ! »

Fête du Ngondo. Chaise et pagne de tradition égyptienne (A. Esso).

95
Marcel Griaule [10] reconnaît en Domfe [13] A. MORET, Mystères..., pp. 59, 63-64.
[14] Ibid., p. 97.
(Kurumba), un esprit de l'eau et de la végétation [15] Ibid., p. 47.
— comme Naporo/Laporo/Daforo = Npr/Osi- [16] Ibid., p. 51.
ris —, donc un dieu de régénération. La forme [17] Ibid., pp. 63-64 ; stèle C3, 1.16.
[18] Ibid., pp. 43-44.
habituelle de Domfe est celle d'un serpent. [19] A. MORET, op. cit., p. 56.
Égypte : Tm.w/Itm [20] A. MORET, op. cit., p. 52.
if.w-Tm.w = incarnation d'Atum [21] A. MORET, op. cit., p. 52.
[22] A. ARCIN, La Guinée française, races, religions, coutu-
In Tm.w = « so sagte Atum/Atum ist mes, production commerciale, éd. Challamel, Paris, 1907,
es, der dié Gôtterneuheit gebar » [11] pp. 434-435.
[23] Cité par A. ARCIN, pp. 462-463.
Afrique : Tumba (Bantu) *Tm.w [24] A. MORET, op. cit., p. 51, fig. 16.
Domba (Venda) [25] M. CANNEY, « The skin of re-birth » in Man, nos 90-91, july
Adomfe (Kurumba) *itm.w 1939, pp. 105-106.
Adomi *itm
-fundamo « Python » (Zulu) *if.u(n)
Tm.w
imfundamo *in if.w(n) Tm.w
mboma « python sacré » (Bantu) *in
if.w-Tmw
mbomba *in if.w-Tm.w
Il est utile de noter que les déesses-serpents
égyptiennes T -wr.t (Thberis-serpent), S -t et Wd.t
sont appelées « serpent sacré », Woot « dieu » [12].
Le serpent et la peau sont tous deux symboles de
renaissance...

Bibliographie
[I] J. ROUMEGUÈRE-EBERHARDT, Pensée et société africaines.
Essai sur une dialectique de complémentarité antagoniste
chez les Bantu du Sud-Est, éd. Publisud, Paris, 1986, p. 17.
[2] R.O. FAULKNER, A Concise Dictionnary of Middle Egyp-
tian, Oxford, 1981, p. 305.
[3] A. ERMAN und H. GRAPOW, Weirterbuch der Aegyptischen
Sprache, vol. III, 367, 12.
[4] J. ROUMEGUÈRE-EBERHARDT, op. Cit., p. 17.
[5] S. SAUNERON/J. YOYOTTE, « Égypte : la naissance du
monde » in : La Naissance du Monde, éd. du Seuil, Paris,
coll. « Sources Orientales », n° 1, 1959.
[6] Les « deux femmes de Domba » auraient un rapport avec
les déesses égyptiennes Isis et Nephtys.
[7] J. ROUMEGUERE-EBERHARDT, op. cit., p. 17.
[8] S.A.B. MERCER, The pyramid Texts, IV (Excursuses), New
York, London, Toronto, Longmans, Green and Co., 1952,
pp. 60-61.
[9] A. MORET, Mystères égyptiens, éd. A. Colin, Paris, 1923,
p. 59.
[10] M. Griaule, « Le Domfe des Kurumba », in : Journal de la
Société des Africanistes, t. XI, 1941, pp. 7-20.
[11] K. SETHE, Dramatische Texte Zu Altaegyptischen Myste-
rienspielen, Leipzig, 1928, pp. 23-24.
[12] L. DE HEUSCH, Rois nés d'un Coeur de Vache, Gallimard,
Paris, 1982. Fulani

96
(*) Paru sous le titre L'héritage pharaonique Hommage à (17) G. Lefèbvre, Essai sur la médecine égyptienne, Paris,
C.A. Diop, dans Présence africaine, nos 149-150, 1990 (« Hom- PUF, 1956, p. 175.
mage à Cheikh Anta Diop »), pp. 267-282.
(18) M. Stracmans, art. cit., p. 9.
(1) Édité par Présence Africaine, Paris, 1981.
(19) E.A.W. Budge, An Egyptian Hieroglyphic Dictionary,
(2) M. Griaule et G. Dieterlen, Les signes graphiques sou- vol. II, p. 386.
danais, Hermann, Paris, 1951, p. 22.
(20) W. Erichsen, Demotisches Glossar, Kopenhagen, 1954,
(3) E.A.W. Budge, The Gods of the Egyptians, New York, p. 678.
1969, vol. 1, p. 298.
(21) C. Sacleux, Dictionnaire swahili-français, t. 2, p. 880 :
(4) En égyptien nfr ou hn in ,nh (Wb. 111.103). « terme archaïque : tailler, faire une incision ».

(5) Voir A. Moret, « La légende d'Osiris », dans Bifao XXX, (22) 0. Olpp Nama-deutsches Wérterbuch, Elberfeld, 1888,
1931, pp. 725-750. p. 111.

(23) M. Stracmans, art. cit.


(6) E. Naville, La litanie du Soleil. Inscriptions recueillies
dans les tombeaux des rois à Thèbes, Lepzig, 1875,
pp. 102-103: « Sahu (...) cette épithète est une désignation d'Osi- (24) G. Guarisma, Études voute, Paris, 1978, p. 117.
ris. Cette momie devient deux dieux ; il y a là une transfor-
mation... » Voir aussi E.A.W. Budge, op. cit., p. 302 : Osiris est (25) J. Mouchet, op. cit., p. 45.
présenté comme un dieu primordial qui, au terme d'une dou-
ble hn (60 x 2 = 120 ans), se fractionne pour créer Su et (26) M. Stracmans, « Un texte relatif à la circoncision égyp-
Tefnui tienne » dans Annuaire de l'Instit. de philologie et l'histoire
orientales et slaves, t. XIII, 1953, p. 634. Voir aussi Wb. IV.81.
(7) H. Bonnet, Reallixikon der Agyptischen Religionschichte,
(27) P. Swartenbroeckx, Dict. kikongo et kituba, Bandundu,
Berlin, 1952, pp. 517-518. Firmici Materni, Liber de errore pro-
1973, p. 777.
fanarum religionum, II, § 6. Eusèbe de Césarée, La Prépara-
tion évangélique, III, 11, pp. 50-51. (28) I. Dugast, Lexique de la langue tunen, Paris, 1967, p. 211.
(8) M. Maubert, « Coutumes du Gurma » dans Bulletin du (29) M. Stracmans, « Les Fêtes de la circoncision chez les
Comité d'Études historiques et scientifiques, XI, 4, 1928, p. 686. anciens Égyptiens » dans Chronique d'Égypte, vol. LX, fasc.
119-120, 1985, p. 294.
(9) B. Lembezat, Les populations païennes du Nord-
Cameroun et de l'Adamaoua, PUF, Paris, 1961, pp. 172-173. (30) R.O. Faulkner, op. cit., p. 187.
Voir aussi J.-P. Lebeuf, L'habitation des Fali montagnards du
Cameroun septentrional, Hachette, Paris, 1961 et G. Posener, (31) J. McLaren, A New Concise Xhosa-English Dictionary,
S. Sauneron et J. Yoyote, Dictionnaire de la civilisation égyp- London, 1963, p. 75.
tienne, F. Hazan, 1970, p. 196 (article « ogdoade »).
(32) Wb. 111.30.6.
(10) J. Mouchet : Vocabulaires comparatifs de quinze parlers
du Nord-Cameroun dans Etudes camerounaises, t. III, (33) B. Holas, Les Senoufo, Paris, 1966, p. 113.
nos 29-30, p. 55.
(34) Signalons l'urgence qu'il y a là à analyser le terme égyp-
(11) Dr F. Jonckheere, « Subincision et excision : mutilations tien knbt en rapport avec les langues négro-africaines
sexuelles pharaoniques », dans Histoire de la médecine, vol. 1, modernes.
n° 10, 1951, p. 5.
(35) Voir aussi C.J. Bleeker, « Initiation in Ancient Egypt »,
(12) M. Garnier et V. Delemare, Dictionnaire des termes dans Studies in the Hist. of Religions, suppl. to Numen, X, Lei-
techniques de médecine, Paris, 1965 (18e éd.), p. 527. den, 1965, pp. 49-58.

(13) R.O. Faulkner, A Concise Dictionary of Middle-Egyptian, (*) « Un autre usage spécial aux Égyptiens, et l'un de ceux
Oxford, 1981, p. 132. Nfr signifie, selon l'égyptologue J. Ver- auquel ils tiennent le plus, consiste à élever scrupuleusement
coutter « nom de classe d'âge ». Voir encore M.J. Vendeix, tous les enfants qui leur naissent et à pratiquer la circonci-
« Nouvel essai de monographie du pays senoufo », dans Bull. sion sur les garçons et l'excision sur les filles. Il est vrai que
du Comité d'Études historiques et scientifiques de l'Afrique cette double coutume se retrouve aussi chez les Juifs » (Stra-
occidentale française, XVIII, 1934, p. 578 sq. bon, Géographie, Livre XVII).
Par quel terme les Égyptiens désignaient-ils l'excision ? Le
(14) M. Griaule et G. Dieterlem, Le Renard pâle, Paris, 1965, Wb (11.444.7) a enregistré l'expression sftw nw t3w : « Als
p. 246. krankheitserscheinung auf (hr) der vulva : entzündungsstiche ».
Le mot sft signifie « tuer, abattre, découper », et sft « knife »
(15) M. Stracmans, « Encore un texte peu connu relatif à la (R.O. Faulkner) ; nous traduisons : « réduction du clitoris ».
circoncision des anciens Égyptiens », dans Arch. intern. di
etnographia è preistoria, n° 2, 1959, pp. 7-15. (36) Cahiers de la société asiatique, n° XV, 1960 (Paris).

(16) M. Griaule et G. Dieterlen, op. cit., p. 246. (37) A.C. Hollis, The Nandi, Oxford, 1909, pp. 274-275.

97
(38) Christ = hrj âât3 : Christ n'est ni une racine sémitique Note : Possible confusion entre Nommo-Khnum et Nommo-
ni une racine indo-européenne. Forgeron/Sacrificateur (chap. XVII du Livre des Morts).

(39) F. Jonckheere, Les Médecins de l'Égypte pharaonique, (61) G. Maspero, Études de Mythologie et d'Archéologie
Bruxelles, 1958, p. 134. Voir aussi Wb. 11.443. égyptiennes, Paris, 1893, t. II, p. 334: « Khnumu reste un dieu
des eaux, »
(40) A.C. Hollis, op. cit.
(*) Npr : Osiris, dieu du Grain = Dogon Naporo « Dieu ».
(41) H. Hinde, The Masai Language, Cambridge, 1901, p. 61.
(62) A. Chevalier, L'Afrique centrale française. Récit du
(42) E.E. Evans-Pritchard, La femme dans les sociétés pri- voyage de la Mission (Mission Chari-Lac Tchad 1902-1904),
mitives et autres essais d'anthropologie sociale, Paris, PUF, Paris, 1907, p. 102.
1971, p. 55.
(63) J.B. Rambaud, « Des rapports de la langue yoruba avec
(43) Rév. P. Lejeune, Dict. français-fang, Paris, 1892, p. 221. les langues de la famille mandé » dans Bull. de la Soc. de
Ling. de Paris, t. IX, 1894-1896, p. Ixij.
(44) D.M. Beach, The Phonetics of the Hottentot Language,
Cambridge, 1938, p. 292. (64) C. Sacleux, op. cit., t. 1, p. 439.

(45) W. Czermak, « Zur Gliederung des 1 kap. des âgyptis- (65) Idoma, famille kwa, Bénoué : information communiquée
chen Totenbuches », dans Zeitschrift für âgyptische Sprache par M.O. Amen, étudiant à l'Université de Grenoble III
und Altertumskunde, bd. 76, pp. 9-24. (16-5-1986).

(46) M. Leiris, La langue secrète des Dogons de Sanga, Paris, (66) C.A. Diop, op. cit., p. 450.
1948, pp. 335-336.
(67) Le préfixe al- est d'origine arabe, comme dans al-
chimie : kemi = hm- (Wb. 111.82.12).
(47) A.P. Leca, La Médecine égyptienne au temps des Pha-
raons, Paris, R. Dacosta, 1983, p. 117. Le Wôrterbuch (I.110) présente la forme mj mj hpr « rech-
nen » = « calculer ». Le terme (al)gèbre est donc bien - d'origine
négro-africaine.
(48) W.E. Crum, A Coptic Dictionary, Oxford, 1939, p. 691.
(68) E. Amélineau : Prolégomène à l'étude de la religion
(49) A.P. Leca, op. cit., p. 104. égyptienne, Paris, E. Leroux, 1916, vol. II, p. 432.
(50) D. Westermann, The Shilluk People, London, 1912, (69) F. Michel-Jones, Retour aux Dogons, Paris, Éd. Le Syco-
p. XLIV. more, 1978, pp. 22-23.
(51) C.A. Diop, Civilisation ou barbarie, op. cit., pp. 396-397. (70) Lexikon der Agyptologie, bd I, 1, 1972, p. 86.
(52) A. Moret, Mystères égyptiens, Paris, A. Colin, 1923, (71) J.-F. Champollion, Lettres et journaux de Champollion,
p. 109. recueillis et annotés par H. Hertleben ; publiés sous la direc-
tion de G. Maspero, dans la Bibliothèque Egyptologique,
(53) E. Amélineau, « Du rôle des serpents dans les croyan- t. XXI, 1909, vol. II, p. 427 et suiv. « Notice sommaire sur l'his-
ces religieuses de l'Égypte » dans Revue de l'Histoire des Reli- toire d'Égypte, rédigée à Alexandrie pour le vice-roi, et
gions, t. 51, 1905, pp. 335-360 ; t. 52, 1905, pp. 1-32. remise à son Altesse le 29 novembre 1829. »
(54) G. Maspero, « Notes » dans Recueil de travaux relatifs (72) V. Goldschmidt : Le système stoïcien et l'idée de temps,
à la philologie et à l'archéologie égyptienne, assyrienne et Paris, J. Vrin, 1953, p. 51.
copte, vol. 23, 1901, pp. 196-197.
(*) C'est J.-J. Champollion-Figeac qui a parlé de « fausse
(55) La masturbation. idée » et J.-J. Champollion-Figeac n'est pas J.-F. Champollion !
L'équivoque sert ici à obscurcir le débat.
(56) M. Griaule, Dieu d'eau, éd. Fayard, pp. 57-58.
(73) J.-P. Baton & G. Cohen-Tannoudji, L'horizon des parti-
(57) Deux possibilités : cules. Complexité et élémentarité dans l'univers quantique,
a) im3w > amba (-w- > -bh > -b-) Paris, Gallimard, 1989, p. 156.
b) amon-ra > ammra > ambra > amba.
(74) P. Aubanque, « Aristote et les divisions platoniciennes »,
(58) M. Griaule, Masques Dogons, p. 56. in Etudes classiques, II, Annales de la Faculté des Lettres et
Sciences humaines d'Aix, t. XLIII, 1967, pp. 65-105.
(59) P. Barguet, Les textes des sarcophages égyptiens du
Moyen-Empire, Paris, 1986, p. 530. (75) J. Dümichen, « Uber die Gôtter der 4 Elemente », in
Zeitschrift für Agyptische Sprache, janvier 1869, pp. 6-7.
(60) E. Naville, Les litanies du Soleil, op. cit., pp. 27-28. Voir
aussi P. Pierret, Le Panthéon égyptien, Paris, 1881, pp. 9-10 : (76) E.A.W. Budge, The Gods of the Egyptians, vol. I, p. 288.
« Le dieu Num ou Khnum (...) est représenté avec une tête de
bélier (...). Le dieu primordial se fractionne parfois en quatre (77) M. Planck, Initiation à la physique, Paris, Éd. Flamma-
couples d'un mâle et d'une femelle, auteurs de la création. » rion, 1989 (trad. J. du Plessis de Grenédan), pp. 7-8.

98
(78) K.R. Popper, La logique de la découverte scientifique, (93) Ibid., pp. 63-64, stèle C3, 1.16.
Paris, Payot, 1982 (trad. N. Thyssen-Rutten & P. Devaux).
(94) « D'ordinaire, le passage par la peau est confié à des
(79) « Selon Pamphile, il apprit des Égyptiens la géométrie » officiants et nécessite des victimes humaines ou animales. Cet
(Diogène Laêrce). épisode offre plusieurs variantes. Le thème original semble
avoir été celui-ci : un ou plusieurs hommes sont égorgés, pour
(80) Voir par ex. P. Alexandre, C.R. in Bull. de la Soc. de que leur vie sacrifiée rachète le défunt de la mort. Au début,
Ling. de Paris, t. LXXVII, 1982, fasc. 2, pp. 340-341. C.A. Diop et peut-être jusqu'assez tard dans la période historique, on
et L. Frobenius sont gratifiés de l'épithète de « touche-à-tout » immolait réellement des victimes humaines, qui figuraient Seth,
des touche-à-tout qui « avaient concocté des mélanges l'ennemi de tout être osirien. Dans la suite, on sacrifia le plus
aléatoires ». souvent des étrangers, probablement des prisonniers de
guerre...» A. Moret, op. cit., pp. 43-44.
(81) J. Romeguère-Eberhardt, Pensée et société africaine.
Essai sur une dialectique de complémentarité antagoniste chez
(95) A Moret, op. cit., p. 56.
.
les Bantu du Sud-Est, Paris, Éd. Publisud, 1986, p. 17.
(*) Mampa Itom « idole » ; Udso Tama-Ra « Dieu ». (96) A Moret, op. cit., p. 52.
.

(82) La traduction de Nnw par « eau » est très approximative. (97) A Moret, op. cit., p. 52.
.

Ce mot doit être compris au sens figuré. Nous ne reconnais-


sons pas le commentaire du professeur Th. Obenga : « Les (98) Cf. A. Arcin, pp. 462-463.
Égyptiens ont eu la faiblesse d'imaginer cette matière abys-
sale "liquide"... », op. cit., p. 32.
(99) Cité par A. Arcin, pp. 462-463.
(83) S. Sauneron & J. Yoyotte, « La naissance du monde
(Egypte) in La Naissance du monde (« Sources orientales 1 »), (100) A ne pas confondre avec sam (circoncision) (Kwasio)
Paris, éd. du Seuil, 1959. àm = signe du phallus (Égypte).

(84) Idem. (101) H. Gaidoz, « Deux parallèles : Rome et Congo », in Revue


de l'Histoire des Religions, t. VII, 1883, pp. 5-16, cf. p. 15.
(85) On a, à un moment donné, rapproché Nyailo de encr.t
« blutgerinnsel » (Wb. 1.191.17). (102) Rév. P. Trilles, L'Anie du pygmée d'Afrique, Paris, éd.
du Cerf, 1945, p. 75.
(86) J. Roumeguère-Eberhardt, op. cit., p. 17.
(103) R. Weill, « Bélier du Fayoum et 21e Nome de la Haute-
(87) S.A.B. Mercer, The Pyramid Texts, IV (Excursuses), New Egypte », in Bulletin de l'Institut Français d'Archéologie Orien-
York, London, Toronto, Longmans, Green and Co, 1952, tale, t. XXXVI, 1936-1937, pp. 129-143, voir p. 137.
pp. 60-61.
(104) Rév. P. Trilles, Les pygmées de la forêt équatoriale,
(88) A. Moret, Mystères égyptiens, Paris, éd. A. Colin, 1923, Paris, Lib. Bould & Gay, 1931, p. 83. Aucun document connu
p. 59. ne fait mention d'un culte rendu à un dieu-éléphant à
Éléphantine.
(89) Ibid., pp. 59, 63-64.
(105) Ibid., p. 27.
(90) Ibid., p. 97.
(106) Rév. P. Trilles, L'Aine du pygmée d'Afrique, p. 74.
(91) Ibid., p. 47.
(107) Rév. P. Trilles, Les pygmées de la forêt équatoriale,
(92) Ibid., p. 51. p. 70.

99
Chant initiatique.

Au début était Zambé Wanna l'ancêtre fondateur du premier village. Son ven-
tre a gonflé gonflé et il a ressenti une vive douleur.
Arc musical vieux mâle solitaire.

L'ancêtre des Bambitzi a tendu la corde unique sur une branche courbée
comme la colonne vertébrale comme la trajectoire du soleil. Lorsque l'initié
a absorbé la racine amère qui fait voir les choses de l'au-delà, il se trouve
subitement dans la rivière Mobongo il entend alors une grande vibration au
plus profond de la rivière pareille au tressaillement de la vie dans le sein
maternel il voit alors le crabe qui fait raisonner la harpe avec ses doigts
crevassés.
Harpe vibre.
Voici la harpe elle vibre comme tressaille le crabe ou la tortue qui foule le
sable du trou au profond de la rivière.
Harpe voici ton géniteur c'est l'arc à corde unique l'arc qui a transmis sa
vibration à tes cordes multiples.
Initiés descendez au plus profond de la rivière descendez dans les viscères c'est
là que pénètre le vieux mâle du sanglier c'est l'arc à la corde unique tendu vers
le ciel.
Vous qui voulez entendre, comprenez bien la signification de cet arc des ori-
gines et de ce qui se dit à l'endroit confidentiel où se réunissent les initiés
c'est là que tressaille la harpe à l'aval là-bas — Disoumba-Disoumba.
Début et fin de toute chose.
La vie se dessine au travers du tâtonnement de la forme musicale.

Nous allons nous envoler comme des oiseaux lumineux vers les villages de
l'au-delà.

Sortillèges sortilèges sachons ne pas nous égarer au carrefour dangereux.

Les revenants apparaissent pour se mêler aux visions des initiés.

Le lendemain matin les rites nocturnes s'achèvent et se muent en divertisse-


ments carnavalesques auxquels le village entier est convié.

Nos anciens ennemis qui nous ont précédés dans ce pays n'ont jamais rien
compris à nos rites.
(Suite p. 106.)

100
RAGGA
MUFFIN
QUE DIEU BÉNISSE
L'AFRIQUE
Hymne de I'ANC (0)

Nkosi Sikelel' Afrika


Que Dieu bénisse l'Afrique
Malupakam' upondo Iwayo
Élève son esprit
Yiva imitandazo yetu
Écoute nos prières
Usi-sikelele
Et nous bénisse

Sikelel' amadol' asizwe


Bénis soient nos dirigeants
Sikelela kwa nomlisela
Et bénie aussi la jeunesse
Ulitwal' ilizwe ngomonde
Qu'ils soutiennent le pays avec patience
Uwusikelele
Que vous puissiez les bénir tous

Sikelel' amalinga etu


Bénis soient nos efforts
Awonanyana nokuzaka
Pour nous unir et nous élever
Awernfundo nemvisiswano
En apprenant et en comprenant
Uwasikelele
Et qu'ils soient bénis

Yihla Moya Yihla Moya


Esprit, descends ! Esprit, descends !
Yihla Moya Oyingewele
Saint-Esprit, descends !

(1) African National Congress (Congrès national africain).

102
MÉMOIRE AU PEUPLE NOIR
par Pablo Master
Mémoire au peuple noir, Mémoire au peuple noir
Mémoire à tous les grands hommes qui ont fait notre histoire
Mémoire au peuple noir, Hommage au peuple noir, Hommage à tous les grands hommes
Mémoire hommage à tous les grands hommes de notre histoire

Les Français gardent la culture française intégrée


Autant les Britanniques préservent les cultures britanniques
Les Asiatiques protègent les cultures asiatiques
Jeunes nègres ici et là promouvons les cultures nègres
Légalisez la connaissance — l'enseignement pour nos peuples noirs
1887 Marcus Garvey vient de Jamaïque
En anglais ça se dit Jamaïca
Fondateur créateur de la black star liner
Parce qu'il disait révéler la réalité à haute voix
De leur destin il voulait que leurs noirs fassent leur propre
A maintes reprises pour des raisons
Comme un terroriste ou un tueur
Et puis finalement le système blanc le supprima
Je sais que le pasteur Martin Luther King vient d'Amérique
Comme Ghandi la non-violence il adopta
Militant pacifiste il se battait pour l'égalité des droits
Autrefois la Côte d'Or maintenant appelée Ghana
C'est d'où viennent J.J. Rawlings et le Docteur N'Krumah
Du panafricanisme, Kwamé N'Krumah était un des papas
Pour l'indépendance des États africains il se dévoua
Au Sénégal vient le professeur Savant Cheikh Anta
Le passé glorieux des nègres il ressuscita
Arguments neufs à l'appui il mena ardamment le combat
Comment l'histoire de l'Afrique le blanc falsifia
Combien de peintures magnifiques il gribouilla
Dans les recherches intenses alors le prof se plongea
Remuant cherchant recherchant soulevant dans plein d'endroits
Petit à petit le fruit de ses recherches prenait du poids
La civilisation égyptienne est due à des nègres il prouva
Rares sont les manuels où ce savant tu liras
Manuels parlant d'Égypte ou bien scolaires figurera
Pourtant une oeuvre gigantesque à l'humanité entière il léguera
86 dans les plus hautes mémoires la planète il se grava
S'il était blanc ils me disent ça ne serait pas du tout comme ça
A son travail Oui jeune homme vas-y intéresse-toi
Beaucoup d'enseignements de forces d'inspiration tu y puiseras
Développez la culture pour tous écoutez ce jeune rasta
Refrain

103
Kemetic pledge

Being african
we will walk proudly
on the straight path
leading to the genius that gave birth
to civilization

Being african
I will live confidently, understanding, and mirroring
the glorious past my ancestors left me

Being african
I will study hard
the history that was robbed from me
to bring it back again

Being african
I will love my people as I love myself
for I am the beginning and
in me is the blood of queens and kings

I was — I am — I will, hotep !

104
Statue en bois peint du pharaon Pépi Ier . Époque de la VIe dynastie.

105
Voici le yamango.
Quel bouffon grotesque et libidineux.

L'homme qui est passé sous terre rappelle les mystères des rites nocturnes.

Initiation de 2 jeunes hommes à la confrérie initiatique du Bwété.


Mossosso — Premier rite de passage — la descente de la rivière mythique.
Les talismans de protection sont dans les cloches rituelles.

Soleil, lune vous êtes la lumière de la torche qui précède la procession.

Le Bwété est pur comme l'enfant dans le ventre de sa mère. N'ayez crainte il
n'y a pas de malédiction.

Ne refusez pas la lumière vous allez voir bientôt le Bwété vous êtes sur la bonne
pente ne trébuchez pas le moment est venu où il faucha descendre la rivière la
torche est allumée devant vous les instruments de musique sont derrière à l'amont
derrière vous il y a la source le pays en pente à l'aval il y a le repère des crabes
il s'agit de la tortue le sein où tressaille l'enfant.

Que les visions arrivent vite. Ne craignez rien. Les talismans de protection sont
à l'abri dans les cloches rituelles et les arbres sacrés.

Toi Pirogue de la vie tu as été taillée par le grand pagayeur de la rivière Mobongo
va jusqu'à l'ouest au pays des richesses de la fécondité de l'autre côté de l'océan
au pays des morts et des blancs là où le soleil rejoint les ténèbres. Vous êtes sur
la bonne pente celle de l'eau pure et courante. Mais vous verrez par vous-mêmes
et raconterez ce que vous aurez vu. O serpent arc-en-ciel. O étoile O lune O soleil
montrez leur la lumière. Nous avons levé les interdits de la terre. N'ayez crainte,
c'est la bonne route — Salut Salut. C'est le cri de terreur qui vous vient de l'ancien
village où s'est redressé pour la première fois l'arbre rouge du premier sacri-
fice. Les initiés s'enfonceront bientôt dans le repère du caïman dans le sein de
la terre. Prisonnier des lianes qui s'enroulent l'arbuste le nouvel initié remer-
ciera le plantoir de l'avoir déraciné car l'outil qui sert à planter sert également
à creuser la tombe. O mère de tous les arbres, c'est au pied de l'arbre de vie
que vibrera l'enfant qui va renaître. L'initié comprendra comment bientôt il devra
ramper sur les traces du python.
(Suite et fin p. 184.)

106
PHILOSOPHIE
C ONFÉRENCE

D ÉDICACE
Du professeur Théophile OBENGA,
Hotel Sully, Paris

Monsieur le professeur Paris est venue pour vous témoi- pour vous entendre. Depuis la
Théophile Obenga, gner la participation au mouve- mort de Cheikh Anta Diop dont
Mesdames et Messieurs, ment que vous avez lancé, vous elle est devenue veuve, elle
et Cheikh Anta Diop. attendait ce moment avec
impatience.
Avec la philosophie africaine
C'est ici que feu Cheikh de l'époque pharaonique vous Mais nous voudrions que
Anta Diop a vécu et écrit venez encore une fois de cimen- vous sachiez qu'à partir de
Nations Nègres et Culture. ter les liens unissant les Afri- maintenant, les jeunes Africains
Nations Nègres et Culture est cains à leurs ancêtres. On ne et les Africains qui ont compris
devenu le monument de l'his- saurait assez vous remercier ont fait « acte » de cette
toire africaine ; désormais on ne pour ce travail que vous avez connaissance-là. Il n'y aura plus
pourra plus parler d'une histoire fait, vous et Cheikh Anta Diop. d'histoire africaine sans nos
africaine sans citer Cheikh Anta ancêtres qui sont, on le sait
Diop. Je ne prendrai pas long- maintenant, les pharaons.
Ces dames. ces messieurs..., temps la parole parce que la
cette communauté africaine de communauté ici présente est là Nous vous remercions.

108
connaît par l'intermédiaire guistique africaine tourne en
d'autrui, c'est qu'on ne se con- rond. Même chose pour l'his-
naît pas réellement. toire, la philosophie, etc. Les
L'Europe se « connaît » africanistes ne travaillent que
depuis la Grèce ; il n'y a pas un par curiosité ou (rarement) par
seul mathématicien, un seul sympathie, mais cela n'est pas
physicien, un seul astrophysi- suffisant. C'est comme si on
cien, un seul biologiste au déléguait le droit de se connaî-
xxe siècle européen qui ne con- tre à d'autres. Ce sont les
naisse ou n'ait entendu parler enfants qui délèguent ce droit à
de Platon ou d'Aristote. Ça leurs parents ; ils leur deman-
n'existe pas. Même s'il pratique dent comment s'appellent leurs
la mathématique la plus com- mamans, leurs papas, leurs
plexe, il se connaît lui-même, il ancêtres. Les Africains délè-
connaît son histoire, il a une guent le droit élémentaire de se
mémoire, il a une généalogie connaître que tous les autres
Culturelle et historique. peuples et communautés vivan-
Partout ailleurs, en Asie, en tes exercent. C'est pourquoi on
Chine, au Japon, en Extrême- aboutit à des études africanistes
Orient, tout en essayant de vivre qui jamais ne connaîtront de
Théophile Obenga. Dédicace (A. Esso). dans le monde d'aujourd'hui, on l'intérieur la culture et la civili-
ne néglige pas sa mémoire col- sation africaines.
lective. La même chose pour le C'est pourquoi Cheikh Anta
Mesdames et Messieurs, monde arabe, qui ne néglige Diop écartait systématiquement
Chers Collègues, pas l'héritage reçu depuis les les africanistes de son chemin.
ancêtres. Qu'on le veuille ou non, ils (les
Je serai bref, l'essentiel étant Mais il arrive que certains autres) fonctionnent nécessaire-
les questions. J'aurais deux ou peuples disparaissent, par ment avec leur éducation, leur
trois remarques à faire. Nous exemple les « Maya » : ils culture, leurs préjugés, leur
sommes à l'époque des droits. deviennent alors l'objet de fouil- vision du monde, leurs préoccu-
Les droits pour les peuples à les archéologiques. Dans le cas pations et surtout leurs intérêts.
revendiquer leurs libertés, de l'Afrique, depuis longtemps Il fallait s'attendre à une rup-
l'auto-détermination, le droit de on constate qu'elle n'a pas eu la ture. C'est la rupture épistémo-
choisir la manière de s'organi- possibilité de se connaître, sauf logique de Cheikh Anta Diop
ser socialement, le droit des à travers des cartons ethnogra- qu'on ne souligne pas suffisam-
femmes, des immigrés, le droit phiques et de soi-disant études. ment. Ce fut vraiment l'oeuvre
de la démocratie en Afrique Certaines écoles ont été positi- de Cheikh Anta Diop Nations
après trente ans de systèmes ves, notamment à Paris : celle Nègres et Culture qui opéra la
de parti unique. Nous sommes de Marcel Griaule, mais dans rupture entre la délégation de
donc vraiment dans l'ère des l'ensemble ces études mènent à la connaissance de soi et la
droits humains, notamment avec des impasses absolues. Les afri- prise en charge de soi-même.
la célébration, ici à Paris, du canistes linguistes n'ont pas fait On pourrait dire : il y a eu la
bicentenaire de la Révolution de la linguistique comparée afri- connaissance de l'Afrique avant
française. caine, parce qu'elle n'est ensei- Cheikh Anta Diop, comme on
Mais l'un des droits les plus gnée nulle part, mais de la des- pourrait parler de la vision du
importants est le droit de « con- cription standard. monde avant et après Copernic.
naître », et la première connais- C'est un exercice qui peut Tant qu'on n'a pas cons-
sance, depuis Socrate, c'est se se faire en quelques mois. Vous cience de cette rupture épisté-
« connaître soi-même ». Si on se y passez des années et la lin- mologique, on ne fera qu'une

109
Vallée des Rois. Entrée de la tombe de Toutankhamon (A. Esso).

histoire anecdotique, une lin- raonique dans son ensemble fait physicien, nous a permis d'avoir
guistique de thèmes répétitifs et partie du monde négro-africain, une impression des hiérogly-
vous n'arriverez pas à « connaî- par des arguments linguistiques, phes comparable aux fontes de
tre » vraiment. Et finalement la anthropologiques, culturels, etc., l'Institut français d'archéologie
rupture épistémologique opérée nous n'avons pas voulu repren- orientale du Caire. J'ai pris la
par Cheikh Anta Diop aura été dre cette discussion, mais plutôt précaution de translitérer les
vaine. On dirait que nous conti- donner des matériaux pour que textes égyptiens et je les ai tra-
nuons à sommeiller (à la chaque chercheur africain ou duits, j'ai ajouté aussi quelques
manière du sommeil de Kant autre, qu'il soit physicien, anth- textes complémentaires traduits
avant sa rencontre avec la phi- ropologue, juriste, étudiant les par des grands égyptologues
losophie anglaise). religions, musicien, puisse avoir comme Jean Leclant, professeur
Voilà pourquoi la philosophie accès à la documentation au Collège de France. Je le cite
africaine de l'époque pharaoni- égyptienne. parce qu'il est dans la salle,
que rejoint la problématique his- Nous avons donc réuni et qu'il est en sympathie avec nos
torique de Cheikh Anta Diop. présenté un certain nombre de travaux et qu'il a connu Cheikh
Pour ne pas se répéter, puis- textes en langue égyptienne ; le Anta Diop. Ses travaux ont
que Cheikh Anta Diop avait logiciel de Cheikh Mbacké Diop élargi l'égyptologie vers le
déjà prouvé que le monde pha- (fils de Cheikh Anta Diop), monde négro-africain, mais les

110
Le zodiaque de Dendara.
Africains doivent eux-mêmes au sens actuel qui la réduit à la la philosophie englobait toutes
précipiter ce mouvement. Nous métaphysique, la morale, les connaissances. C'était la
avons donc réuni un certain l'esthétique, le politique, vidée connaissance qui conférait la
nombre de textes qui portent de son contenu scientifique, tan- sagesse.
sur la philosophie d'alors, et non dis que dans la Grèce ancienne Nous avons rassemblé des

111
textes ayant trait à l'immortalité des modèles de planeurs. Dans exemple il est dit que le vert
de l'âme, à la façon dont les les textes relatifs à la médecine des plantes est dû au soleil (la
Égyptiens concevaient la créa- égyptienne, il y a des référen- chlorophylle) ou bien que les
tion du monde. Nous avons fait ces à la prise du pouls en tant rayons du soleil pénètrent
état de ce qui nous paraissait que pratique généralisée. Le jusqu'aux fonds océaniques. Ce
important dans la mathématique premier traité de cardiologie est sont là des intuitions scientifi-
égyptienne, quelle est la con- égyptien. Des textes existent qui ques extraordinaires.
ception des mathématiques, font état de la relation entre la Nous avons ajouté d'autres
quel est l'idéal mathématique, à périphérie et le système ner- textes complémentaires. Mais
quoi ça sert. veux central. Ils avaient une pour l'ensemble de ces textes,
Les Égyptiens faisaient des parfaite connaissance de l'apha- l'essentiel est qu'il y a des
calculs complexes, comme trou- sie de Broca bien avant la matériaux à la portée de la
ver le volume d'un tronc de médecine hypocratique. recherche africaine. Des maté-
pyramide à base carrée mais ils Il y a des textes sur l'orien- riaux bien identifiés, localisés,
avaient, en plus de cela, une tation astronomique des édifices critiqués, traduits. Ce qui est
conception de ce qu'on peut sacrés. Des textes révèlent que également fondamental, c'est de
appeler l'idéal mathématique et les Égyptiens avaient une idée percevoir le lien entre toutes les
je peux vous assurer que cet nette de quelques phénomènes périodes de l'histoire africaine
idéal n'a pas changé depuis célestes importants et dans cer- de l'Antiquité à nos jours. Ce
jusqu'à nos jours en passant par tains cas ils faisaient des travail en direction du passé
Pythagore, Platon, Descartes. approximations quantifiées. Pre- n'est pas une fin en soi, tout au
Les mathématiques doivent nons, par exemple le Grand contraire il doit déboucher
investir la connaissance du réel. Hymne au Soleil d'Akhenaton. nécessairement sur les problè-
Dans le domaine de l'aéro- Dans ce texte il y a beaucoup mes de l'Afrique contempo-
nautique, les Égyptiens avaient de choses extraordinaires : par raine : écoles, santé, communi-

Époque d'Akhenaton.

112
OLLOQUE
DROIT DE
C
POUR QUEL IDÉAL
Introduction
Par Théophile

Caire (A. Esso).


cation, démocratie... Autant qu'on brade à Anvers, ni la futur présentement qui importe
d'intégrations africaines et de fameuse dette, mais encore le le plus. Le monde aujourd'hui
défis. manque d'idéal. On ne peut se construit autour de quelques
A mon avis, le mal africain aller loin sans idéal. Si nous pôles de travail et d'excellence.
n'est pas seulement la corrup- continuons à vivre sans pers- J'ai voulu insister sur le droit
tion, mais l'absence d'idéal. pective, sans discours d'avenir, de se connaître car si on
Nous n'avons pas d'idéal collec- c'est se compromettre dange- néglige le droit de se connaître
tif, genre utopie mobilisatrice. reusement pour demain pendant soi-même par soi-même on ne
Le Président Kwamé N'Kru- que les autres avancent en pourrait que difficilement exer-
mah avait un idéal. Cet idéal de sciences, en technologie, en cer les autres droits. Il faut assu-
panafricanisme avait 'mobilisé géopolitique, en stratégie et en rer ce droit, l'exercer en com-
toute la jeunesse africaine du économies communautaires. munauté avec les autres nations
nord au sud du continent, Nous voudrions souligner du monde.
d'Alger au Cap de Bonne- encore une fois que les études Notre culture fait partie de la
Espérance. Quand Cheikh Anta entreprises par Cheikh Anta « civilisation de l'universel ».
Diop était encore à Paris, les Diop et son école ont pour C'est un droit et un devoir que
étudiants du RDA étaient mobi- ambition de faire prendre au d'être éveillé à une idée dyna-
lisés autour* d'un idéal, mais peuple africain la conscience de mique du futur.
aujourd'hui le mal africain n'est tout son patrimoine culturel, et Je vous remercie.
pas seulement le café ou bien le d'avoir en conséquence face à
cacao qu'on n'achète pas, le l'avenir une attitude d'engage- Notes prises lors
cuivre qui baisse, le diamant ment car c'est la construction du de la conférence par D.K.

113
INTERNATIONAL
SE CONNAITRE
générale
OBENGA

Hôtel Sully lieu où


le professeur Cheikh Anta Diop
a vécu et écrit Nation nègre et
culture, (conférence Dédicace) Esso.
N ous voudrions, ici, présenter une brève introduc-
tion au thème général de cet important colloque
international, que voudraient organiser huit associa-
tions africaines oeuvrant en France.

Il n'y a que deux manières possibles de « se connaître »,


c'est-à-dire de connaître son passé, son histoire, sa culture, son
identité. De manière « molle », passive, apathique. Ou bien alors
de manière « active », « dynamique », « consciente ».
La manière « molle » peut s'entourer de toutes les précau-
tions « techniques » requises (tutelle académique, appareil cri-
tique, documentation soignée, etc.), mais cette manière « molle »
de connaître (se connaître/connaître l'Autre) a une logique cons-
tante pour le cas de l'Afrique. Cette logique obéit à des caté-
gories de pensée bien précises, à travers des termes et des
thématiques également bien spécifiques : « peuples sauvages,
primitifs », « mentalité pré-logique », « arts nègres », « peuples
nus », « langues chamito-sémitiques », « Afrique ambiguë », « Afri-
que fantôme », « Siècles obscurs de l'Afrique », etc. Ces termes
et ces thématiques bien spécifiques engendrent le doute, l'hési-
tation, voire le dénigrement pur et simple.
Tous les cartons ethnographiques, élaborés par les « Africa-
Akhénaton en famille
nistes » (chercheurs étrangers), appartiennent, sans grande adorant Aton.
exception, à cette façon « molle » de connaître l'Afrique et les
Africains. Le but principal visé par les « Africanistes » est l'obten-
tion d'une thèse de doctorat : toute autre intention (sentiment natio-
nal, patriotisme, liens avec une communauté africaine, etc.) est
purement et simplement évacuée. Les hommes et les choses sont
constamment vus et étudiés de l'extérieur. L'anthropologie sociale
et culturelle africaniste s'est réfugiée en conséquence dans des
querelles d'école : fonctionnalisme, diffusionnisme, structuralisme,
primitivisme, évolutionnisme, etc. Parfois, des « thèses » abstrai-
tes apparaissent, et le Professeur Cheikh Anta Diop a justement
critiqué la « thèse » du « matriarcat universel », comme étape pri-
mitive de l'évolution sociale de l'humanité.
Il est à souligner clairement qu'aucun peuple vivant et maî-
tre de son destin, dans l'Antiquité comme de nos jours, ne s'est
jamais contenté de se connaître exclusivement à travers la con-
naissance qu'a de lui Autrui. Il n'y a pas de délégation satis-
faisante en la matière, puisqu'il s'agit de vie. Connaître sa pro-
pre vie sociale, historique, culturelle, artistique, spirituelle, par
délégation (scientifique ou autre) n'est pas vraiment se connaî-
tre, à moins d'estimer que la façon « molle » qui tient de la
paresse convient.
116
L'histoire, par exemple, est un art. Un art de dire, de réveil-
ler la vie, comme le voulait Michelet. Comment un historien
« africaniste » peut-il introduire la vie dans son discours histori-
que lorsqu'il entreprend de réveiller la vie des Africains du
passé, puisque sa vie à lui, ses passions, ses inquiétudes, ses
espérances, ses jouissances — tout ce qui fait de l'histoire un
art de dire — sont « étrangères » à ce qu'il entreprend de faire
« scientifiquement », « académiquement », « universitairement »,
etc. ? Voilà pourquoi tous les cartons africanistes relatifs à l'his-
toire africaine sont sans vie, c'est-à-dire inintéressants au plus
haut point.
Cheikh Anta Diop a posé, le premier, de façon radicale, le
droit pour les Africains de se connaître eux-mêmes par eux-
mêmes, sans délégation facile, de façon « active », « dynamique »,
« vitalisante ».
Le débat — tant il fût célèbre et durable — de Diop avec
l'Occident pensant fut en effet celui-là. Arracher un droit, une
liberté, c'est toujours et nécessairement une polémique (au sens
étymologique), une lutte, un combat. Parfois sans merci (ni
grâce, ni pitié). Le droit de se connaître est par conséquent une
exigence humaine, un devoir historique. Un tel droit fait partie
intégrante du droit à la liberté et à la dignité humaine. Sa por-
tée est de ce fait universelle.
En réalité, la condition humaine s'est toujours exercée
comme l'expression de ce droit de se connaître, avec ces ques-
tions primordiales : qui suis-je ? d'où viens-je ? que fais-je ? où
vais-je ? L'existence humaine ne peut se concevoir sans ces
questions de fond.
Les avantages de la manière « active » de se connaître sont
immenses et nombreux :
— la redécouverte de son propre univers culturel, de sa
propre évolution sociale, la prise de conscience globale d'une
telle situation, l'élimination de la « conscience malheureuse »
(Hegel) propre à la condition d'esclave et de colonisé, la res-
tauration de la plénitude culturelle : un réel problème de
psychologie historique et culturelle ;
— la conviction qu'un destin (le destin africain, qui est le plus
grand de tous les défis) doit être réalisé par toute une commu-
nauté, en tant que l'une des manifestations singulières de la vie
universelle : un réel problème de politique globale, avec des
actions à long terme.
La façon « molle » (ethnographique) de se connaître ne com-
porte pas de telles perspectives. Ce qui n'est pas justement le
cas avec la manière « active » (directe) de se connaître.
Aujourd'hui, donc, après quatre siècles de traite négrière,
117
Riverains du Zambèze, représentation des
Africains, par les premiers Européens visi-
tant l'Afrique.

un siècle de colonisation et de dépersonnalisation, trente ans


d'indépendance politique, l'Afrique est toujours exsangue, ayant
beaucoup perdu de son énergie historique.
Se connaître, c'est aussi redonner à l'Afrique son énergie
historique, sa capacité à vivre, à se développer, à contribuer
aux progrès sociaux, culturels, économiques, scientifiques, spi-
rituels du monde contemporain.
Or, à ce jour, la logique du développement africain ne con-
sidère le développement que sous l'angle de l'économie,
oubliant toutes les autres dimensions du développement. D'où
la multiplication, presque volontaire, des impasses actuelles que
l'on appelle par ailleurs « défis » africains.
Ces impasses multiples sont d'ordre démographique, éco-
118
logique, économique, sanitaire, scolaire, éducationnel, culturel,
linguistique, communicationnel, scientifique, militaire, technolo-
gique, etc. Ces nombreuses impasses africaines d'aujourd'hui
ont engendré le chômage, la famine, le désespoir persistant,
de monstrueuses inégalités sociales, la dette africaine, à quoi
il faut ajouter tant de cruelles calamités naturelles.
Le Plan d'Action de Lagos, il y a une dizaine d'années, a
tenté de proposer des solutions. Il existe près de
100 organisations africaines (Communautés, Unions, Conseils,
Ententes, Centres, Instituts, Banques, etc.), régionales et sous-
régionales, dans presque tous les domaines. L'intégration du
continent africain est de nouveau un thème très à la mode. Ce
n'est pas l'aide internationale qui manque à l'Afrique. Cepen-
dant les impasses et la misère augmentent sans cesse, d'année
en année, de décennie en décennie. L'Afrique est fragile et
demeure toujours divisée, balkanisée selon l'ordre colonial (Ber-
lin, 1885).
L'impression est que toutes ces actions (plans, aides, assis-
tances, projets et associations communautaires, etc.) ne semblent
tenir d'aucun idéal affirmé. En effet, quel est, aujourd'hui, l'idéal
affirmé des politiques nationales africaines, l'idéal affirmé de
la coopération internationale des États africains, l'idéal affirmé
de la Jeunesse Africaine, etc. ?
L'Égypte pharaonique avait un idéal affirmé : la réalisation
de l'ordre de la Maât (loi cosmique), ici et maintenant. Cet ordre
de la Maât est l'ordre osirien même, c'est-à-dire l'ordre de la
Perfection, de la Prospérité, de l'Excellence, de la Compétence,
de la Justice, du Droit, de la Dignité, de la Créativité, bref
l'ordre de l'Intelligence, par opposition à l'ordre séthien qui
relève du Chaos, de la Violence, de l'Injustice, de l'Intolérance,
de l'Arbitraire, bref du Sous-Développement mental et écono-
mique. Ce que Cheikh Anta Diop a résumé en disant : « Civili-
sation ou Barbarie », c'est-à-dire « L'Ordre osirien ou l'Ordre
séthien », « le Bonheur pour l'Afrique et le Monde ou le Sous-
Développement chronique et l'Élimination partout dans le monde
de la Liberté et de la Justice ». Ainsi, l'idéal pharaonique n'a
jamais séparé le « profane » du « sacré », l'« immanent » du
« transcendant », la « politique » de la « culture », « l'économie »
de tous les antres secteurs de la vie sociale, psychologique,
culturelle, spirituelle. Dans l'Égypte ancienne, il n'y a pas d'un
côté l'« âme », de l'autre le « corps » : l'être humain est plutôt
un être « solaire » (divin), corps et âmes (au pluriel) globalement.
L'idéal grec, aux temps classiques, a donné à toute l'Europe
l'amour de la Sophia, la sagesse (Thalès, le premier philoso-
phe de l'Occident, est aussi le premier des sept sages primor-

119
14
Pesage et enregistrement. Égypte pharaonique.
Kourouha.

Toutankhamon dans sa barque solaire escortant les Dieux.

Arc et costume égyptien Burkina Faso. Moto fabriquée par les enfants de la rue (D.K.).

120
diaux de la Grèce), c'est-à-dire l'effort intellectuel, critique et
ordonné, toujours questionnant, face au réel. La science et la
technologie occidentales, encore aujourd'hui, sont inséparables
de cet idéal, de cet effort philosophique de l'Europe, depuis
la Grèce ancienne. Même le contraire de la sagesse, en Occi-
dent, bénéficie encore des fruits de cet effort de la raison
(logos) critique et chercheuse : la violence des guerres, les cri-
ses de la société, la colonisation, les aliénations de toutes sortes.
L'idéal de la Renaissance, partagé par les Cours et les hom-
mes cultivés de l'Europe entière, a engendré l'« humanisme »
et l'« humaniste ». Nouveau sage qui va préparer l'Occident à
la découverte de-la Terre, en élargissant la vision du monde
occidentale de l'époque, par l'astronomie, la cartographie, les
techniques de navigations, etc.
Le « Siècle des Lumières » est dominé par un idéal gran-
diose : l'adhésion sans faille de l'élite à l'idée de progrès, la
critique du pouvoir qui doit être séparé, l'appréciation « sympa-
thique » d'autres moeurs et coutumes des variétés humaines loin-
taines. Ce grand « moment » (Hegel) des « Lumières » a donné
des hommes et des femmes qui appartiennent à l'histoire de
l'Europe entière et de l'Humanité elle-même.
L'idéal galiléen et l'idéal cartésien sont le tronc commun de
toute la modernité. Et nous en sommes aujourd'hui à l'explora-
tion et à la conquête de l'Espace lointain. Aujourd'hui aussi, face
à tout ce qu'a inventé la raison droite, et face au malheur
humain, l'Occident tente d'associer les sciences et les
humanités.
Dans le cas de l'Afrique, répondre techniquement et politi-
quement à tel ou tel défi n'est pas un idéal en soi. La démo
cratie n'est pas non plus une fin en soi. La construction de
l'Unité Africaine non plus. L'intégration africaine en effet n'est
pas l'ultime raison, l'ultime finalité de la vie des Africains dans
la longue histoire (passée et future) de l'humanité. Le dévelop-
pement ne sera jamais atteint au point de l'arrêter en signe de
satisfaction totale. L'homme progresse depuis les temps préhis-
toriques, et il continuera de le faire. Se connaître pour le plai-
sir de se connaître, purement et simplement, aboutit, au mieux,
au narcissisme, au pire à la mort historique.
Il faut donc un idéal affirmé et partagé pour toutes les géné-
rations actuelles de l'Afrique.
Le tourbillon de la vie monte toujours. Ce qui descend est
ce qui est déjà mort. Le continent africain n'est pas une galaxie
qui va tomber et s'arrêter pour avoir épuisé son énergie, sa
force, son destin.
C'est donc l'Espoir qui doit conduire les Africains à connaî-
121
tre (ce que les cartons ethnographiques sont dans l'impossibi-
lité d'indiquer). L'Espoir d'être, de continuer de penser, d'agir,
de faire, de vivre, même au sein de la turbulence qu'est le
sous-développement actuel. L'Espoir de savoir tirer les « leçons »
de l'histoire : les guerres nourries par l'Occident, la décoloni-
sation, la montée des économies occidentales, la construction
de l'Europe après au moins cent ans de convulsions guerriè-
res, la balkanisation de l'Afrique, l'émiettement des efforts de
développement, la montée en puissance des idées de démo-
cratie et de liberté en Afrique, le renouveau de l'idée de l'inté-
gration politique, économique, monétaire, culturelle, scientifique,
militaire, diplomatique, du continent africain. L'Espoir doit être
plus fort au milieu de la Crise (qui doit être en fait le lieu de
décision).
D'où la force de vivre, de se connaître, c'est-à-dire de
s'assumer, de s'organiser, de travailler, de savoir prendre
patience.
Se connaître a ainsi au moins une triple fonction qui est la
traduction concrète de l'idéal qui devrait être celui de l'Afri-
que contemporaine.
a) Une fonction thérapeutique : guérir les Africains de leur
amnésie historique, leur redonner leur longue mémoire collec-
tive, après tant de siècles d'oppression et de « dépossession »
(Jacques Berque). Les connaissances acquises peuvent servir
à élaborer de nouveaux outils pédagogiques (manuels, films
documentaires, vidéocassettes, émissions radio-télévisées, audio-
thèques rurales, etc.).
b) Une fonction novatrice déployer une intense créativité
pour réussir la Renaissance Africaine comme un moment gigan-
tesque de vie et d'épanouissement. Ainsi, la démocratie, la
liberté, la créativité, la dignité, l'éclatement de toutes les éner-
gies sociales, artistiques, culturelles, intellectuelles, scientifiques,
politiques, spirituelles, sont absolument requis pour construire,
aujourd'hui, l'Afrique de demain. De nouvelles solidarités, nées
de l'intérieur de l'Afrique elle-même, pourront permettre des
avancées spectaculaires et décisives dans la construction de
l'Afrique contemporaine. On pourrait réduire le nombre des uni-
versités africaines, dans cet esprit de véritable solidarité histo-
rique : les universités retenues ou créées par sous-région béné-
ficieraient ainsi de toutes les logistiques financières, scientifiques
et intellectuelles de façon plus ample pour accomplir les mis-
sions assignées. Il faut donner à l'Université Africaine une véri-
table envergure continentale et mondiale, nécessairement. On
pourrait aussi spécialiser des pays et des régions dans l'accueil
et le déroulement de certains grands événements à l'échelle

122
Horus d'Edfou (A. Esso).

continentale (comme c'est déjà le cas pour les sports) : bien-


nales des arts et des lettres, biennales des musiques et dan-
ses, festivals du cinéma, du film, etc. Les industriels et hom-
mes d'affaires africains constituent un atout majeur dans cette
fonction novatrice de la culture africaine.
c) Une fonction ultime mais à rendre déjà omniprésente
l'idéal de bonheur qui fera qu'il y aura un esprit de culture
123
nouveau en Afrique, engendrant par le fait même une nouvelle
vision du développement africain. La justice sociale, l'État de
droit, la liberté, la différence constructive, l'alternance néces-
saire et utile, le travail en vue du développement, les réfor-
mes de toutes sortes et dans presque tous les domaines de la
vie publique, l'émergence de la société civile, le souci des
générations montantes pour leur donner des certitudes et des
espérances toujours nouvelles, feront que le « génie africain »,
si vieux et si jeune, en éveil depuis l'apparition de l'Homme
en Afrique, pourra enfin mettre à profit, pour les Africains et
le monde, les immenses richesses naturelles et humaines du
continent.
Les Américains d'origine africaine et la Diaspora mondiale
ne peuvent pas se tenir longtemps à l'écart de cette construc-
tion dynamique et contemporaine de l'Afrique-mère.
L'idéal de bonheur obligera tout le monde à risquer pour
le bien de la communauté africaine et du monde : les politiques,
les cadres, les artistes, les universitaires, les industriels, les ban-
quiers, les éducateurs, les intellectuels, les écrivains, les tra-
vailleurs de toutes catégories, etc.
Nous savons tous le « rêve » de Martin Luther King, le
dévouement total de Malcolm X, l'ambition panafricaine réelle
(politique) de Kwame N'Krumah, de Patrice Lumumba et de Bar-
thélémy Boganda, la dignité de Frantz Fanon, la vie scientifi-
que exceptionnelle de Cheikh Anta Diop..., autant d'hommes
d'idéal qui nous montrent le chemin.
Comprendre l'histoire indique l'avenir. L'urgence de se con-
naître et de comprendre nous demande donc de réviser notre
philosophie de développement, notre morale politique, notre art
de vivre, et de fabriquer une Afrique unie et solidaire, digne
de nos ambitions pour le bonheur, dans l'infinie totalité de la vie.

Annexe
On pourrait constituer les commissions suivantes pour appro-
fondir la réflexion et aboutir à des propositions et recomman-
dations concrètes :
Commission I : Évaluation critique
— Évaluation critique des présupposés et tendances des
divers courants et écoles africanistes dans la connaissance de
l'Afrique, de ses civilisations, de ses langues, de son passé, de
ses potentialités.
— Possibilité de nouvelles méthodologies interdisciplinaires
plus dynamiques.

124
— Promotion et diffusion des résultats de la recherche afri-
caine rénovée : éditions, circuits commerciaux, etc.
Commission II : Défis africains et mondiaux
— Démographie, écologie, politique, économie, santé, dro-
gue, famine, éducation, langues, communications, sciences et
technologies, dette africaine, etc.
— Dialogue Nord-Sud : un cadre réflexif inexistant (un mythe
de plus).
— Nouvelles propositions africaines.
— Rôle actuel de la Jeunesse Africaine en tant qu'investis-
sement humain et intellectuel pour demain.
Commission III : Unité et intégration africaines
— Impasses actuelles de l'unité et l'intégration africaines.
Persistance des barrières, balkanisations et zones d'influences
coloniales.
— Divers projets communautaires régionaux : échecs e!
réussites.
— Actions et perspectives : conscience historique et solida-
rité africaine, communauté de destin ; émergence d'une Afri-
que démocratique, attachée aux valeurs universelles ; idéal de
bonheur ; tâches nécessaires à moyen et long termes ; nouvel-
les dynamiques de la coopération internationale africaine.

125
BIBLIOGRAPHIE
Théophile OBENGA
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[35] M.aM. Ngal, Notes de lecture à propos de la
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[36] M.aM. Ngal, Notes de lecture à propos de « Sur
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[37] M.aM. Ngal, Notes de lecture à propos de « Les
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«Notre Librairie », n° 92-93, mars-mai 1988,
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[38] Jean-Michel Delobeau, CR Théophile Obenga.
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[39] Jean-Luc Aka-Evy, CR. « Les Bantu. Langues-
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[40] Paulin Joachim, « Astres si longtemps » de
Théophile Obenga, in « Bingo » (Paris), août 1998,
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[41] Max Liniger-Goumaz, Théophile Obenga. Les
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1985, pp. 135-136.
[42] Chris Gray, Conceptions of History : Cheikh
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[43] Y.B. (Sylvain Bemba), Obenga ou la mémoire
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[44] Jacques Habib SY, Théophile Obenga : at the
Forefront of Egypto-Nubian and Black African
Renaissance in Philosophy, pp. 277-285, dans
l'ouvrage collectif édité par Ivan Van Sertima,
Egypt revisited, Journal of African Civilizations,
Maternité africaine. New Brunswick et Londres, Transaction Publis-
hers, 1989.

Exploitation coloniale en Guinée française.


lEecherches
de l'esprit
par Oscar Pfouma

A
vec la parution du monu- pharaonique » (1987), résolu un
mental ouvrage sur la problème crucial : celui des Statuette commémorative « Phemba »
« classes nominales ». Le présent représentant une femme agenouillée avec
Philosophie africaine de deux personnages et trois serpents.
l'époque pharaonique de Théo- exposé a pour but d'explorer
phile Obenga (1), égyptologue plus en profondeur la notion de
émérite, brillant continuateur de khepérien, qui fut esquissée au
l'incommensurable orgoiyot C. cours des investigations entre-
Anta Diop, une réflexion théori- prises pour la rédaction de cet
que endogène, reconnue dans article. Le *a khepérien peut
son bon droit (2), peut désormais être considéré comme élément
s'enraciner et s'épanouir libre- constitutif de ce que nous nom-
ment au sein des communautés mons ici — peut-être provisoire-
négro-africaines — communautés ment — la pensée, à la manière
restées jusqu'ici inhibées par des dont l'atome, par exemple, est
blocages idéologiques : cet essai appelé élément constitutif de la
remarquable indique fondamen- matière.
talement, que les préjugés invé- L'une des hypothèses majeu-
térés et les idéologies erronées res que nous avions à examiner
ourdis contre l'Afrique noire en 1987 était que tout substantif
dominée, ont tous volé en éclats. devait, à tout instant, exprimer
une valeur de pluriel ou de col-
lectif. Nous la considérâmes
comme plausible. Nous fûmes
L'un et le multiple alors conduits à postuler l'exis-
tence d'un élément abstrait *a,
Nous pensons avoir, dans un muni de deux valeurs asso-
article intitulé « le Négro- ciées : « être » et « faire », et

134
ces propos furent émis à une épo-
que où l'oeuvre fondatrice de
C.A. Diop avait déjà largement
dépassé le stade de la gestation :
a) « Avec la renaissance des
États africains, une tradition glo-
rieuse a été cherchée du côté du
Nil antique... La plupart des rap-
prochements demeurent facti-

sur les mécanismes


ces (4)... »
b) « On définira bon gré mal
gré la pensée de l'Égypte
ancienne comme préphilosophie,
dans la mesure où les concep-
tions élaborées par ses prêtres
concernant l'univers visible et le
divin et les normes morales rai-
sonnées prêchées par ses sages
lettrés ne paraissent pas avoir été
l'objet de sciences spéculatives,
indépendantes des rites et prati-
ques quotidiennes (5). »
d'une qualité spéciale : la polyva- 1. En 1864 déjà, F. Chabas Les prêtres égyptiens ont
lence, c'est-à-dire la capacité de déplorait l'effondrement de la identifié le problème de l'Un et
successivement sinon simultané- civilisation pharaonique : « Il ne du Multiple et l'ont traité, plutôt
ment, assumer la fonction de tous nous est pas encore donné, avec justesse. Or, « le problème
les préfixes et suffixes nominaux. écrivait-il, d'apprécier toute de l'Un et du Multiple peut être
C'est en cherchant à établir l'étendue des pertes que la civi- considéré comme le problème
un rapport analogique entre les lisation a faites dans le grand nau- philosophique par excellence,
faits linguistiques et ceux de la frage de la science égyptienne », car il enveloppe (...) tous les
physique des particules élémen- et il ajoutait : « Mais de temps à autres » (6). Il n'est pas imagina-
taires que nous fûmes amenés à autre, nous en retrouvons de pré- ble que le problème de l'Un et
faire assujettir au khepérien tout cieuses épaves (3). » Son juge- du Multiple ait échappé aux
mot, et non plus seulement les ment est exact, sauf què ces frag- inventeurs des notions nommées
substantifs. Il n'est pas question ments ne sont pas des données aujourd'hui en Occident
de reproduire ici l'étude initiale mortes... « mélange intime » (Zénon,
sur les « classes » et le khepé- Sans l'hypothèse décisive Chrysippe), « apeiron » (Anaxi-
rien : nous référons le lecteur à d'une filiation en ligne directe mandre de Milet), « alpha et
notre article cité ci-dessus. Dans entre l'égyptien ancien et les lan- omega » (7), « le Même et
son état actuel, la théorie peut gues négro-africaines modernes, l'Autre » (Platon), « Être et Deve-
être schématisée de la manière la découverte du khepérien nir » (Mélissos de Samos) (8), etc.
suivante (avec à = radical, p = n'aurait peut-être pas été possi- Les Égyptiens qui considéraient
préfixe, s = suffixe, 0 = ensem- ble ! On mesure le mal fait à la que tout mot était une chose ou un
ble vide, cl) et NI' = suffixes) : science par les savants dogmati- être, n'avaient sans doute pas
(a) s (p/p' --> opposition ques d'Occident, voués à la manqué de construire des théo-
casuelle) besogne crapuleuse d'annexion ries linguistiques tenant compte
du patrimoine intellectuel des de cette conception. On exhibe-
Noirs. Nous citons ci-dessous les rait des éléments indiquant que
(b) à-*a —> propos de deux éminents égyp- les scribes égyptiens avaient
tologues ; on en goûtera le fiel : creusé le problème de l'Un et du

135
Danseuses Nouba de Kho. Danseuses. Tombe de Nabamun. Thèbes, XVIIIe dynasty
(British Museum).

Multiple, et la vanité des con- lorsqu'un mot a une valeur col- homme, méchant garçon, dit un
tempteurs éclaterait en plein lective, lorsqu'il désigne une scribe à l'un de ses disciples, et
jour ! classe d'êtres, une profession, dans cette phrase le mot
Justement, un texte de etc. C'est ainsi que l'on trouve homme est au pluriel.
F. Chabas établit de manière affecté du signe du pluriel les
« Au Papyrus Judiciaire de
formelle que les scribes pharao- mots le cultivateur, le pêcheur,
Turin, un titre de section est
niques considéraient la symétrie le cordonnier, le blanchisseur,
conçu en ces termes : "Homme
Un/Multiple(*) comme règle de etc. Toutefois, il était également
ayant été avec eux ; on s'était
grammaire impérative, une loi loisible de les employer sans
querellé avec lui en termes abo-
scientifique : cette marque de pluriel. Mais le
minables", etc.
« L'usage, en apparence mot rt.w, qui signifie l'homme et
abusif, d'appliquer les signes du les hommes, et se dit de Comme toujours, le mot
pluriel à des mots qui sont au l'espèce humaine toute entière, homme est au pluriel, mais le
singulier est d'occurrence fré- est très rarement mis au singu- pronom un annonce bien que le
quente dans les textes. C'est lier, même lorsqu'il est précédé texte ne parle que d'un seul
une bizarrerie qu'on s'explique du mot un. individu, et en effet cet unique
dans certains cas, notamment « Je veux faire de toi un individu est nommé après : "Le

136
grand scélérat Hora, qui était Ramsès II (A. Esso).
porte-enseigne des ouvriers."
« Mais les quasi-collectifs ne
sont pas seuls dans le même
cas ; on voit de même, affectés
de la marque du pluriel des
mots tels que : amour, peur, ter-
reur, paix, vent, serviteur, etc.,
bien qu'ils soient employés avec
l'article singulier et représentés
dans les mêmes phrases par
des pronoms singuliers. Il sem-
blerait que la notation plurielle
caractérisât l'idée abstraite, le
nom.
« Toutefois, si telle était réel-
lement l'intention des scribes, ils
ne se sont guère renfermés
dans les limites de leur règle ;
car, non moins que les substan-
tifs, les verbes apparaissent fré-
quemment marqués du signe
pluriel, lors même qu'ils sont au
singulier et que le texte
n'emporte aucune idée de col-
lectivité, ni de pluralité, ni de
généralité. »
« Ces singularités sont
d'occurence trop fréquentes
pour qu'il soit possible de les
attribuer toutes à des erreurs. Il
est plus probable que l'ortho-
graphe égyptienne les admet-
tait, comme il est bien avéré
qu'elle admettait les suppres-
sions de la marque plurielle
dans des mots réellement plu-
riels, comme elle admettait aussi
l'association d'un substantif mar-
qué du signe pluriel avec un
adjectif privé de ce signe, et
réciproquement d'un adjectif
avec la note du pluriel suivi
d'un substantif écrit au
singulier (9). »
Les Égyptiens écrivaient
p3t20 « die 20 Brote » (« le pain
20 »), p3 hsb 11 « die 11 arbei-
Église copte.
ter » (10), in trois rt.w « -with two Le Caire (A. Esso).
other men » (11) (un/multiple) ; le retient, s'écrit Jean Kepler, de l'étude des équations de Max-
bantu : moto < mrt.w « un m'abandonner à un transport well... ou inventer d'autres
homme » (m = together sacré et d'affronter les mortels méthodes fondées elles-mêmes
with » (11) ; umotho < wcm rt.w en confessant que j'ai dérobé sur des connaissances de physi-
« un homme » (Zulu), (wcm = les vases d'or des Égyptiens que encore plus récentes et
« un parmi plusieurs ») ; bato = pour en faire un autel à mon complexes. Ni la philosophie
p3 rt.w « les hommes » (« le + Dieu, si loin des frontières de indienne, ni la négritude, ni
êtres humains ») (un/multiple). l'Égypte ! »... Le travail d'exé- l'islam — toutes valeurs, pour-
Incontestablement le passé gèse de Pierre Gassendi a eu tant essentielles ! — ne peuvent,
éclaire le présent. Les anciens une influence déterminante sur en cela, servir de substrat (ne
Égyptiens n'étaient pas de sim- Galilée, Leibniz, Newton, Des- peut pas même aider, notons-le
ples empiristes comme le pré- cartes... Au moment où la lin- en passant, la « globalité » chère
tendent les idéologues ! « Les guistique en vient à s'intéresser aux penseurs de l'Inde
hommes (= les anciens Égyp- à l'atomisme, l'oeuvre de Gas- ancienne : la non-séparabilité
tiens) qui ont inventé et perfec- sendi mérite un réexamen atten- que nous retrouvons aujourd'hui
tionné l'écriture, ont été de tif. Tous les philosophes atomis- ne concerne pas, en effet,
grands linguistes et ce sont eux tes grecs d'importance ont tra- l'opérationnel !) (15).
qui ont créé la linguistique » versé la mer pour aller s'abreu- Henri Bergson posa la ques-
(A. Meillet (12)). ver à la source égyptienne... tion « Pourquoi rit-on du
Nous terminerons ce chapi- Discréditer la recherche histori- nègre (16) ? » Le texte de
tre en disant notre désaccord que c'est aussi condamner à B. d'Espagnat prête à autant
avec les physiciens théoriciens l'oubli ces érudits qui ont rendu d'extrapolations dangereuses
Michel Crozon et Bernard des services inestimables à la que cette interrogation de philis-
d'Espagnat. Le premier s'ex- science et qui sont loin de le tin. D'Espagnat est Lévy-
prime ainsi : « C'est (...) une tra- mériter. bruhléen et tient à le rester !
dition un peu vaine que de Bernard d'Espagnat écrit, « Dans cette mentalité, la
remonter, pour raconter une dans un ouvrage au demeurant mémoire tient tout naturellement
discipline scientifique dans son sans grande originalité (14) le premier rôle, et elle supplée
incertaine préhistoire, d'y repé- « Regrettant (à bon droit) que en quelque mesure aux fonc-
rer des antécédants aux décou- sur le plan scientifico-technique tions logiques : mémoire des-
vertes ou aux idées, et de recu- son pays soit « à la remorque » criptive, décalque minutieux des
ler ainsi jusqu'à une mythique de l'Occident, une personnalité choses, mais vues à travers le
première théorie qui, potentiel- du tiers monde exprimait voici prisme de la participation mysti-
lement, impliquerait toutes cel- quelque temps à la radio que. Les langues sont aussi
les qui l'ont suivie (13). » De tels l'espoir suivant : Selon elle, les riches que la mémoire, pareille-
propos paraîtraient fantaisistes à pays en voie de développement ment descriptives des impres-
Karl Popper... Tous les génies pourraient « grâce à leurs pro- sions sensibles jusque dans
qui ont révolutionné les sciences pres paradigmes particuliers » leurs menus détails, et dénuées
— A. Einstein, E. SchrOdinger, édifier des substituts à la de termes abstraits. Des hom-
W. Heisenberg, N. Bohr, science dite occidentale et en mes pourvus de ces mémoires
N. Chomsky, etc. — avaient pri- déduiraient des techniques riva- prodigieuses sont incapables de
vilégié une attitude différente lisant avec celles que nous pra- compter jusqu'à quatre, et ces
de celle préconisée par M. Cro- tiquons. Il faut, je crois, dissiper langues au vocabulaire surabon-
zon... La connaissance historique de tels vains espoirs : si une dant, d'une extrême complexité
peut, dans une certaine mesure, société quelle qu'elle soit se grammaticale, ne savent pas
jouer le rôle de moteur de la propose de produire des instru- marquer le temps de l'action.
recherche scientifique, d'aiguil- ments permettant — disons — la Défaut d'abstraction logique. La
lon de l'ambition légitime du télévision, elle devra, à l'instar généralisation abstraite n'est pas
savant : « Plus rien ne me de la japonaise, en passer par totalement absente ; elle ne se

138
Façade de la première chambre du Temple ouest d'Osiris. Temple de Dendara.

fonde pas sur l'homogénéité de pensée de ce « tiers monde » logos, cosmos, et même philoso-
logique des concepts, mais sur doivent être mis dans le même phie... loin de l'ethnocentrisme !
la relation mystique des choses ; sac : philosophie indienne, (1) jh.t « das feld » (« champ,
il en résulte des synthèses abso- négritude, islam... La science, la nature ») (Wb.IV.229.8)
lument déconcertantes pour vraie, reste l'apanage de l'Occi- « die Feldettin. Herrin
notre esprit, où les objets de la dent ! B. d'Espagnat prend ses der - Blumen, der Fisch un
nature, par exemple, sont répar- lecteurs pour d'indécrottables Vogelfangs »
tis dans les mêmes classes que bougres. Les amalgames dont il ph3.t « art ackerland »
les membres des sociétés
use sont indignes d'un savant (Wb.I.544.1) ; ph3 « kind of
humaines (17). »
de sa qualité. Les mots suivants grain » (R.O. Faulkner)
D'Espagnat oppose Occident dont se servent à longueur de *p1:13.t-4.t -> physis /
et tiers monde. Le « tiers journées les philosophes « occi- *p3-§h.t
monde » est représenté par dentaux » ne sont pas d'origine (Copte : cw e, w i)
« une personnalité s'exprimant) « oacidentale_» physique, chi- (2) hm,ww « expert »
à la radio » ! Et tous les modes mie, algèbre, algorithme, zéro, (R.O. Faulkner, p. 170)

139
hm.w-nbe « Goldarbeiter » est d'origine nègre. Voici ce temps et de l'espace (23). » Les
que dit Diogène Laêrce du fon- Égyptiens utilisaient le terme de
hm.w (forgeron, orfèvre, dateur du Stoïcisme, Zénon de hnty, qui signifie « Zeitraum » =
chimiste) Cittium : « Il était maigre, grand « Espace-Temps » (Wb.III.106.
*hm -4 chimie et noir de peau, d'où vient qu'il 11) : cette racine est présente,
(3) irj mj hpr « folgendermas- fut surnommé palmier avec les mêmes valeurs séman-
sen rechnen » (Wb.I.110.25) d'Égypte. » Zénon d'Élée était tiques, dans toutes les langues
hpr (transformer) ; ir hpr.w noir. De ses « arguments » négro-africaines modernes.
« faire des transformations » B. Russel (prix Nobel) dit qu'ils Chez les Bambara, l'espace
*hpr -» -gèbre (al-gèbre) « nous ont fourni, sous une forme est désigné par le terme kene ;
ou une autre, les bases de pres- kene comporte trois « sections » :
(4) w3h « addieren » que toutes les théories de (a) kene mana « mue de
(Wb.I.254. i 1) l'espace, du temps et de l'infini l'espace »
w3h « legen, dauern, las- qui ont vu le jour depuis son (b) kene fi « espace noir »
sen » ; w3hmw « wasserspen- époque jusqu'à la nôtre » (20). (c) kene ble « espace rou-
der » (Wb.I .1.51.14) A. Aymard et J. Auboyer ge ».
w3h tp m 5r gmt 15 « d.h. reprennent la phrase de Dio-
dividire 15 durch 5 » (Wb.I.254) G. Dieterlen note, à propos
gène Laêrce « Zénon était mai- de kene mana : « le mot mue
ir... w3h tp « multipliziren » gre, grand et noir de peau... »
(Wb.I.110.22) désigne, dans l'esprit des Bam-
en ces termes : « Zénon... issu bara, à la fois le double imma-
*w3h ir tp m --> -gorithme d'un milieu très sémitique »
(al-gorithme) tériel de l'objet qu'il justifie et
(sic) (21). préexistant à lui et le moment
(bweke « étendre à plat », en
duala) créateur de son objet » (24).
Cet énoncé peut être mis en
(5) (a) « to be restraint » L'espace et le temps parallèle avec celui-ci, de
(E.A.W. Budge) C. Vandersleyen définissant le
Kwasio : n-zul « zéro » Le *a khepérien exprime les
terme égyptien hnty : « Le mot
Kanuri : sul « vide, zéro » deux valeurs de temps ,(*a =
hnty est un duel . désignant les
*jr.w -> zéro « to grow ») et d'espace '(*a =
deux extrémités, les deux bor-
nfr « zéro ». A. Gardiner) « place, région ») (E.A.W.
nes ; ce sens concret est surtout
(b) fd.w « papyrus (mathé- Budge). Il est légitime, à la
employé pour les bornes du
matique) » (Wb.IV.461) lumière de ces données, de trai-
ciel. Généralement, le mot
fd.w -> chiffre (fd > fr) ter ici des notions de temps et
exprime l'espace ou le temps
d'espace.
(6) rhw.t/rh.t « knowledge » compris entre ces limites, de là
S. Hawking écrit : « Nous
(R.O. Faulkner) -> logos la distance ou la durée, l'espace
devons accepter que le temps
(7) h.t-°hm.w « Himmel » de temps, la période. Ces der-
ne soit pas complètement
(Wb.I.226.9) -> Cosmos (« Ciel niers sens paraissent s'adapter
séparé de l'espace ni indépen-
lointain ») à tous les exemples concernant
dant de lui, mais qu'il se com-
le temps (25). » Nous devons tou-
(8) pr.t-s .w « the produce of bine à lui pour former un objet
tefois préciser que le bambara
the scribe » (E.A.W. Budge) appelé « espace-temps » (22).
kene « aire, espace vide »
.w -> philosophie (18). Les faits linguistiques pharaoni-
représente, non pas hnty, mais
Bernard d'Espagnat cite ques et négro-africains moder-
knt (kn.tjw = « boundaries »). La
constamment Platon : qu'il sache nes révèlent une conception
racine kn a le sens de « to com-
aussi que Platon a passé 13 ans identique à celle-là, issue de la
plete, accomplish ; first
de sa vie en Égypte comme théorie de la relativité
quality » (26) :
élève des prêtres noirs de la restreinte.
Vallée du Nil (19), que Zénon de « Les Égyptiens, nous dit
Cittium et Zénon d'Élée étaient G. Posener, n'ont jamais distin- Égypte : kn, knt, kntjw « bor-
des Nègres. Le nom de Zénon gué nettement les notions du nes, limites-temps/espace »

140
La face sud du reposoir de la barque de granit.

Bambara : kene « espace- hnty « limites » (H.A. Gardi- du Sigi » (Dogon) (30) = hnnw.tj
temps » ner, C. Vandersleyen) (K.H. Brugsch)
Bambara : kene « en pleine hnty « Zukunft » (Wb.11.106) - !Xanse « time » (Bushman, cf.
forme » « futur, avenir ». D.F. Bleek)
Mande : kena « espace- Afrique noire : -keny : kwe-keny « ever »
temps » kunta « la durée » (Bambara) (Nandi)**
Tombo : ganda « espace » hundi « temps de vie » akut-keny « for ever ».
Dogon : gana, ganu « monde, (Songhai)
espace » Le professeur J. Leclant
hwenu « temps » (Dahomey) constate judicieusement : « Dans
Songhaï : ganda « espace » hwenu e dja « le futur »
Zulu : -kwenzi.we « espace- l'emploi du verbe, l'ancien
(Dahomey) = hnty d.t (d.t = égyptien ignore notre notion de
temps » < *kntjw « futur » (29)
Kikongo : kunda « hauteur », temps : passé, présent, futur ; il
kondi « depuis longtemps » ne note que les aspects : le per-
« au loin, très ou trop loin ; haut, (Baka)
profond » (27). fectif et l'imperfectif. Le perfec-
kona « in that place, at that tif correspond à l'aspect de
(Zerma : jindi « distance » time » (Xhosa)
dndn « traverse a place or l'accompli ; il représente l'action
kona « adv. of place, of en elle-même quel que soit le
way », R.O. Faulkner ; Bambara : time » (Zulu)
jan « long, loin » = wdn « weit », moment de la durée (présent,
-kon « lieu, espace » (Bozo) passé, futur), auquel on la con-
Wb.I.409.13). gom « temps » (Bafia) =
Le radical hn a connu divers sidère. L'imperfectif correspond
*hnty-m 3 .t (m3.t = « temps ». à l'inaccompli ; il décrit une
développements : hnnty, S. Morenz)
hnnwty, hntt (28) : coutume, un acte qui se pro-
kendi-el « au temps très longe, un fait qui se
ancien » (Buma) = hnty-r répète (31). » On décèle là une
Égypte : (C. Vandersleyen) double conception du monde :
hnty « espace temps » kinto-mba «zénith » (Kikongo) celle selon laquelle « un présent
(Wb.II.106.3) = hnty(n) wp.t (wp.t = « zénith », cosmique embrasse l'univers
hnty « The hen period Wb.I.297.21) entier »*, solidaire de celle
60 y.ears » (E.A.W. Budge) kinta-ma « une certaine dis- selon laquelle « qui a la partie a
hnty « durée » (C. Vanders- tance ; bout de chemin ; de le tout » (Boubou Hama). Or,
leyen) temps en temps » (Kikongo) c'est aux Grecs que traditionnel-
hnty « lebenszeit » (Wb.III. gonono « signe exécuté à la lement on attribue la paternité
1065 = « durée de vie » fin de la période soixantenaire de ces idées ! Il doit être admis

141
définitivement que les Grecs l'atteste positivement : « Une
n'ont fait qu'absorber le corps peinture du cercueil de la
de concepts élaboré par les XXIe dynastie a représenté le
savants noirs de la Vallée du sujet Être et Non-Être par une
Nil. Il doit également être admis formule imagée extrêmement
que les anciens Égyptiens inhabituelle. (...) Cette image
n'étaient pas de purs empiristes montre un lièvre, signe de
et qu'ils avaient greffé aux élé- l'écriture égyptienne pour
ments théologiques et philoso- "être", entouré de toute part de
phiques ou ésotériques une l'Ouroboros, serpent replié sur
réflexion théorique et critique lui-même, la queue dans la
efficiente (32). gueule. L'ambivalence du Non-
Il ressort des écrits du distin- Être se manifeste par ce
gué analyste Boubou Hama symbole : enveloppant la créa-
qu'au surplus les conceptions tion de toute part, il est en
antiques ont été préservées par même temps menace et protec-
les sociétés négro-africaines tion ; en outre le corps du ser-
Coiffure totémique. modernes, et notamment celle pent est le lieu où s'accomplit la
Burkina Faso (D.K.). relative à l'espace-temps perpé- régénération de l'Être. Déjà au
tuel. Boubou Hama écrit : « le début du Nouvel Empire (vers
temps est marqué par l'espace, 1500 avant J.-C.), on trouve la
par l'environnement, par les représentation d'un serpent
Ville dynastie.
(Londres, University collège). faits et les phénomènes qui con- entourant le monde... Le serpent
ditionnent la vie de l'homme ou est représenté sous la simple
le comportement de son esprit forme de l'Ouroboros "classi-
(...). Il y a une philosophie (du que" qui persiste dans la gnose,
Noir) qui allie le passé et le pré- l'alchimie, et la mystique
sent dans un objet permanent comme symbole marquant et
qui défie le temps différé sans qui, à côté de la pyramide, de
cesse en direction de l'avenir l'obélisque et du sphinx, fait
(...) Temps immuable... L'univers partie des formes durables que
paraît figé sur son origine (...) l'humanité doit à l'Égypte... »
Tout y est lié en un. Dans l'uni- Les Égyptiens avaient une
vers assurément il n'y a pas de conscience claire de la notion
vide... La sagesse (négro- de « temps cyclique » (réversi-
africaine) situe l'être total dans ble), liée à celle de « renouvel-
le destin du monde où s'inscrit lement du monde » (de la vie)
celui de l'espèce fait de la hn m °nh ou nfr). E. Hornung
somme des efforts continus des Observe :
générations qui se succèdent « Le rajeunissement n'est
dans le temps perpétuel que rendu possible que par renver-
nous appelons le passé, le pré- sement de l'axe temporel. (...)
sent et le futur » (33). Ce sont les La figure du serpent sert
doctrines gnostiques, en particu- d'incarnation au temps ; son
lier, qui ont véhiculé en Occi- corps formant plusieurs circon-
dent les idées et les symboles volutions permet de s'imaginer
du temps immuable. L'ourobo- les réserves sans fin du temps,
ros est un emprunt à la civilisa- les « millions d'années », qui sont
tion pharaonique ; E. Hornung accordées à la création. Des

142
quanta de durée mesurables (...) Africains actuels. Les Dogon Les anciens Égyptiens utili-
émergent de ce réservoir et affirment : « La terre est ronde... saient deux expressions pour
quand elles sont écoulées, elles Elle est entourée d'une grande désigner de manière précise le
sont à nouveau englouties... Le étendue d'eau en forme de cou- serpent-queue-en-gueule :
temps est créé par le mouve- ronne. Cette mer elle-même est (1) sd m r3 « serpent queue-
ment et son immobilité qu'Apo- encerclée par un immense ser- en-gueule » (Wb.IV.364.5)
phis tente de provoquer serait pent, yuguru na, qui maintient (2) jd tp r3 « serpent queue-
la fin du temps. Dans l'Au-delà en-gueule » (Wb.IV.364.4)
l'ensemble en se mordant la
où l'espace est également tor- Le serpent « autotophage »
queue. » Il ne nous semble pas
tueux, où les chemins forment yoruba est désigné par le nom
aberrant de lier étymologique- de oumare et le python daho-
des zigzags, le temps devient
ment yuguru na avec ikr.w méen par les expressions de
réversible et permet de la sorte
une régénération de ce qui est, « eine schlange » (Wb.I.138.3) et ayido-hwedo et de dan-gbe :
ressentie comme compensation cnn « s'enrouler » (R.O. Faulkner (1) oumare = sd m r3
de la mort et de la ruine (34). » traduit : « turn/bringback ») (Wb.IV.364.4).
ikr.w + crin -> Yuguru na (2) ayido-hwedo =
1° Le khepérien intègre (Égypte) (Dogon) (Pyr. § 15032).
l'objet espace-temps. Divers
problèmes se posent, qui n'ont Menes, le premier roi de la Terre.
pas encore trouvé la moindre
amorce de solution — problème
de l'orientation et de l'ordre des
points cardinaux (35), problème
lié aux notions de droite et de
gauche, problème concernant
les stratégies d'appréhension
des « dimensions » de l'espace-
temps, etc. Aussi nous conten-
tons-nous du schéma suivant,
qui ne peut être qu'extrême-
ment sommaire, du khepérien :
Est-Gauche
Nord *a -> hnty (Sud) §w3.t
(Passé) -> Futur ->
Présent
Ouest-Droite
« On insiste (...) sur la façon
dont le futur se développe à
partir du passé... Lorsque
l'Égyptien s'arrête sur cette
ligne idéale du temps, c'est vers
le passé qu'il fait face... le futur
est ce qui est derrière »
Leclant)*.
2° Le serpent queue-en-
gueule (ouroboros) est un élé-
ment appartenant à un fonds
mythologique commun aux
anciens Égyptiens et aux Négro-

143
c= « pair » (R.O. Faulkner).
c= « place, région » (R.O.
Faulkner).
c= « condition, state » (R.O.
Faulkner).
c= « portion » (R. Lambert) =
« item, piece ».
c= « main »/« hand » (R.O.
Faulkner).
c= « the prominent . part of a
thing » (E.A.W. Budge).
= « warrant, certicate,
record, register » (R.O. Faulk-
ner).
c= « dyke » (R.O. Faulkner).
c= « wooden rod » (R.O.
Faulkner).
c= « bocal » (R.O. Faulkner)
cf. « Quantum », « a mesure »
Obélisque de Karnak (A. Esso). (E.A.W. Budge).
= « a plant » (E.A.W.
Budge).
(3) dangbe = Rnn-wt.t (Pyr § gande = « en face de »
= « handle » (E.A.W.
302 b, 454). (Zerma)
kunda = « se diriger vers » Budge).
3° Les Égyptiens considé- (Bambara) = « means » (« moyens »)
raient le « Sud », hnty, comme le khanda = « the upper part of (E.A.W. Budge).
berceau de leur civilisation : head » (Xhosa). c= « Will » (« volonté »)
« L'Égyptien, écrit E. Naville, (E.A.W. Budge).
s'oriente en regardant le Sud ; 4° Nous allons maintenant = « Authority » (E.A.W.
l'Occident est la droite et essayer d'élucider la structure Budge).
l'Orient la gauche. Je ne puis du *a. Nous postulons l'exis- c= « Estate (of the Gods) »
croire que par là il veuille dire tence d'un composé espace- (E.A.W. Budge).
qu'il marche vers le Sud. Au temps-esprit, auquel on peut c= « to recite, to speak »
appliquer une loi de quantifica- (E.A.W. Budge).
contraire, il se tourne vers son
tion ; le *a khepérien est consi- c= « to grow » (E.A.W.
pays d'origine, il regarde à la
déré comme quantité discrète Budge).
direction d'où il est venu et d'où
de ce complexe, un quantum. c= « used with verbs of
il peut attendre du secours (36). »
Le sens de « portion » que motion » (E.A.W. Budge).
Égypte : révèle *a (38) peut être Il apparaît évident que, pour
hn.t = « Sud » (37) d'emblée ajusté en « quantum ». que ce tableau ait un sens, *a
hn.t = « sommet » doit être non identique à *a :
hn.t = « aller en avant, voya-
ger vers le Sud » (G. Posener)
hn.t = « in front of » Le khepérien* *a = *a
(R.d. Faulkner).
Afrique noire : Les différents sens recensés C'est à partir de ce para-
ganu = « Sud » (Gulmance) de *a sont les suivants : doxe que s'élabore la notion de
kend, kien, kwend = c= « one » (R.O. Faulkner, khepérien, « atome » de la
« voyage, voyager » (Bantu) p. 36). pensée.

144
De fait, zéro n'est plus le potentialité de potentialités — *a nous nous refusons à admettre
« seul et unique objet à tomber est expression de la complexité, ces deux positions :
sous le concept non identique à que fonde le principe des a) « On commence par un »
soi », à l'encontre de l'opinion « associations-oppositions ». (Dedekind).
de G. Frege (39). Le fait qu'un De même « zéro est sans b) « L'extension du concept
seul et même élément, *a en matière, sans forme (...) Zéro identique à zéro est un » (Frege).
l'occurence, exprime des sens n'est ni positif, ni négatif (ni neu-
contradictoires, « one » et « pair » tre)... Zéro n'est nullement le Nous nous expliquons :
par exemple, marque la simili- plus petit nombre. Il est plus
tude que nous établissons entre grand que tout nombre négatif a) Pour nous, un n'est pas
les faits linguistiques et ceux de et les nombres négatifs consti- l'élément de base de la série
la physique quantique. tuent à l'évidence un domaine des nombres. L'un numérique
En effet, d'une part, l'inéga- sans bords, inconsistants. Entre ou l'unité procède du Multiple.
lité *a = *a exprime la discon- les nombres négatifs et les nom- Euclide déclare la même chose,
bres positifs, zéro est au centre s'inspirant visiblement de la phi-
tinuité, et les phénomènes quan-
losophie égyptienne nègre :
tiques se révèlent essentielle- de ce qui n'a nulle périphé-
« L'unité est ce à partir de quoi
ment discontinus — découverte rie » (42).
s'énonce l'un pour chacun des
qui rendit •M. Planck célèbre ; Frege estime que « l'un vient
étants (45). » L'« étant » est une
d'autre part l'inégalité *a = *a (...) en seconde position (de
« pluralité en puissance » (Zénon,
(*a = « pair » « one ») évoque zéro) comme ce qui tombe sous
Simplicius).
le phénomène déconcertant le concept identique à zéro... En
Les faits linguistiques égyp-
observé en physique des parti- effet, le seul et unique objet qui
tiens permettent d'illustrer l'idée
cules, qui fait que le noyau tombe sous ce concept étant que l'un procède du multiple.
assemblé est toujours plus léger zéro lui-même, on est fondé à Nos études antérieures sur
que la somme des masses de poser que l'extension de ce les « Classes nominales », dans
ses constituants (40). concept est un » (43). les langues négro-africaines
A l'évidence l'un absolu A. Badiou précise : « Il y a modernes nous ont révélé que
reste, en linguistique comme en eu en revanche chez Dedekind le monde perçu par nous, le
physique, pratiquement inattei- le maintien de l'idée qu'on monde surgi à la pensée et la
gnable. "commence" par un ; "l'élément pensée à elle-même, avait onze
Voici ce que dit A. Badiou de base un est dit le nombre de dimensions — y compris celles
du zéro : « son fondement onto- base de la série des nombres de l'espace et du temps — arti-
logique est l'ensemble vide, N". Et corrélativement, Dede- culées autour des onze opposi-
suture de tout texte où l'être en kind n'hésite pas à recourir à tions casuelles qui, dans ces
tant qu'être, advient au pensa- l'idée d'un Tout absolu de la langues, permettent d'exprimer
ble... Le zéro est l'être en tant pensée, idée que le formalisme l'opposition de nombre.
qu'être pensée comme nombre, de Frege ne peut laisser appa- Tout élément de cet ensem-
de l'intérieur de l'ontolo- raître comme telle : "Le ble d'ensembles qu'est le
gie » (41). Ces indications peu- domaine de mes pensées, c'est- monde à zone dimensions com-
vent parfaitement s'appliquer au à-dire de l'ensemble S de tou- porte un certain nombre de
*a khepérien — encore qu'il tes les choses qui peuvent être caractéristiques, de variables
faille—parler, no-n -pas du serti objets de ma pensée, est infini." complexes. En particulier, le
Être, mais de l'être intimement Tant il est vrai qu'à garder trace khépérien manifeste un double
associé au Faire (l'Être ne peut des droits de l'un, on suppose aspect, fondamental : Être et
être statique). le Tout, car le Tout est ce qui, Faire, indissociables, double
Il n'y a pas de frontières, de nécessairement, procède de aspect qui lui confère un pou-
définition précise à attribuer au l'Un, dès lors que l'Un est (44). » voir d'attraction infini. Tout en
khépérien, porteur à la fois de Identifiant le khépérien au restant liés, les deux aspects
positivité et de négativité : Tout ou le Tout au khépérien, demeurent convertibles l'un en

145
l'autre ; suivant quoi, en der-
nière instance, il est impossible
d'analyser avec précision et
simultanément les deux aspects.
Si l'on veut étudier avec préci-
sion l'Être, l'aspect Faire
s'estompe inexorablement et
vice-versa.
La question du réel se pose.
Existe-t-il ? Nous répondons ce
qui suit : « L'effet Zénon quanti-
que » explique le fait, en physi-
que des particules, que l'obser-
vation bloque l'évolution d'un
phénomène — par exemple la
désintégration d'atomes radioac-
tifs : le monde ne s'évanouit pas
parce que nous l'observons (et
qu'il nous observe !). Le monde
existe parce que nous sommes
là...
Maçon. Fabrication des briques en terre.

Burkina-Faso. Femme en moto (D.K.)

146
L'expression Sp tpj (la pre- pouvons dire du *a khépérien le khepérien est susceptible
mière fois) qu'employaient les ce que disent les Dogons de la d'intégrer, en plus de celle
anciens Égyptiens pour dési- parole : elle « découpe le d'Être, de Faire, de Temps et
gner le processus de la création monde, tant matériel que con- d'Espace, sont celles des
est, pour nous, mieux appro- ceptuel, l'organise, le rend symétries :
priée que celle de big bang au accessible ». Nous répudions le être — ordre
magistère actuellement sans couple saussurien signi- faire — désordre
partage. fiant/signifié, inapte à rendre temps — espace
« Le véritable problème du compte de la nature véritable temps — nombre
processus de création est déjà des mécanismes psychiques. La espace — forme
pour les Égyptiens l'apparition dualité décisivement opératoire etc.
de l'Être résultant du Non-Être. est celle qui place d'un côté [L'espace et le temps sont
Cela est seulement possible l'Être (Tm), l'Univers « réel », de « pures intuitions », suivant
dans le cas où l'Un non divisé lieu d'application du concept l'expression de Kant.]
du commencement devient une non identique à soi (*a = *a), et Ces notions sont convertibles
pluralité différenciée. (...) On de l'autre le Non-Être, l'anti- les unes dans les autres. Exem-
parle du Dieu créateur comme univers, lieu d'application du ple (cf. E.A.W. Budge) :
de "l'unique qui s'est fait mil- concept identique à soi (*a =
lions". Puisqu'il est d'abord Un, «a nui-nber »
*a) : ah.w clac w
le "maître unique", il remonte Tm-Wnn Tm « lime » € place »
par ses origines au monde non Anti-matière *a Matière clac w
existant d'avant la création dans *a = *a Multiple Un « cdndition,
lequel, selon une définition des Temps imaginaire *a = *a state »
Textes des Sarcophages, "il Les principales notions que L'hypothèse khépérienne
n'existait pas encore de dua-
lité". L'ancien nom du dieu uni-
que au commencement, Atoum,
réunit les sens de "ne pas être"
et "être complet", on pourrait
également le rendre par "l'indif-
férencié". C'est de lui que doit
être né, nécessairement de
façon asexuée, le premier cou-
ple de dieux, Shou et
Tefnout (46). »
L'un numérique procède du
Multiple ; c'est en conformité
avec cette conception que les
anciens Égyptiens écrivaient :
yen' rt.w « un homme » (wcrn
« un parmi plusieurs »)
m (trois rt.w « with two men
(P.S. Smither)
wbn.jri « ils jaillissent » (snf
« le sang ») (Pap. médical Ches-
ter Beatty).
b) L'extension du concept
identique à *a (ou zéro) est un
objet négatif (tm wnn). Nous Pendentif de Toutankhamon (A. Esso).

147
conduit à penser que tous les On a aujourd'hui admis défi- mènes d'emprunts linguistiques
phonèmes peuvent être dérivés nitivement la thèse de l'origine multilatéraux, etc.
du *a : monogénique de l'humanité. Elle
La fragmentation des langues
*a -> phonèmes implique celle de l'origine com-
s'expliquerait par le jeu des
*a --> a, b, c... z mune de toutes les langues du
synonymes. On postule un stock
*a -> mots... monde. Comment s'est fait la dif-
primitif X (Xl, X2, X3, X4...) et une
Les phénomènes « bizarres » férenciation des langues ? « Les
population Y, propre à générer
de mutation consonantique tels langues suivent les courants
A, B, C... Chaque groupe humain
que ceux-ci : migratoires, les destins particu-
issu de Y (A ou B ou C...), en se
1 -> w (polonais) liers des peuples, et la fragmen-
détachant de Y, emporte avec lui
w g (allemand) tation est de règle jusqu'à ce
une « copie du stock entier des
doivent, dans l'avenir, être exa- qu'un effort officiel, une volonté
synonymes :
minés avec une plus vive politique essaie d'étendre une
X::11 ou X7, X2, ;«,
attention... expression au détriment
etc.
L'hypothèse khépérienne d'autres (47). » Cela est exact. Ce
Le stock emporté par A : (X 1 ,
incite aussi à considérer tout pho- qui nous intéresse ici c'est de b c
X2, X3, X`zil), par exemple, est
nème comme doué de propriétés montrer que les différentes famil-
appelé à se modifier en fonction
particulières* : les linguistiques restent liées
de différents facteurs — géogra-
t -> • marque du genre féminin entre elles par des sortes de
phiques, climatiques, etc.
• force attractive : tt « ras- ponts invisibles. Ces rapports
-> Changement de
sembler » (G. Lefebvre), peuvent s'observer parallèle-
catégorie grammaticale
t(w)t (entier) (G. Lefebvre, ment à ceux, d'ordre biologique,
X1) -> Changement de
§ 353) qu'on décèle entre tous les hom-
sens
• pair mes de la terre.
A -> )( -> )( (aucune dérive)
• marque du genre mas-
X4 —> Changement de
culin
Le Noir, l'Européen et le Chi- morphologie
w -> • marque du pluriel
nois incontestablement entretien- -> 0
• force répulsive : wcwc
nent entre eux des liens biologi- Considérons les faits suivants.
« annihiler », « abattre »
ques originaux — possibilité On pose un stock de départ cons-
(Wb.I.280.9)
exclusive d'échange d'organes titué des quatre synonymes :
• impair.
vitaux, possibilité de métissages, dm3 , sni, isp, et *trnk « couper »
La théorie khépérienne est etc., mais aussi d'ordre linguisti- et des deux segments dm et hn
susceptible d'intégrer avanta- que constant, quoique fort relâ- « lignée, famille ». Cela permet
geusement toutes les notions reje- chés — mots de la protolangue d'illustrer encore notre thèse sur
tées ou au contraire utilisées, utilisés en communs (48), phéno- la synonymie :
mais à mauvais escient, par les
(I) (II) (III) (IV)
savants mécanistes — physiciens, Proto—langue Égyptien ancien L. Negro af. Indo-européen
mathématiciens, informaticiens, modernes
philosophes, psychologues, lin- (1) *trnk 0 PJ Trancher
guistes, anthropologues, etc. - et dm3 « couper » doma « couper » -tomi-e (suffixe)
qu'on nomme : esprit, croyance, (Duala)
volonté, sentiment, mémoire, sni « couper » senje « couper » ID
conscience, connaissance, intel- (Duala)
isp « couper » sep « couper » 0
ligence, moi, destin... histoire, (Fang)
etc. Ce n'est pas ici le lieu de (2) • dm « génération » dom *dem « famille »
mettre en oeuvre le projet d'inté- « génération » (grec)
gration évoqué. Nous traiterons hn « lignée » gen « lignée » geno
cependant — brièvement — de la (II) Coïncide totalement avec (III).
dernière notion citée : histoire. (IV) Ne coïncide ni avec (II) ni avec (III).

148
* A. Martinet : Des Steppes aux océans. L'indo-européen et les « Indo-européens »,
Paris, Éd. Payot, 1986, p. 9.

(1) Th. Obenga : La philosophie africaine de l'époque pharaonique, 2780-330 avant


notre ère, Paris, Éd. L'Harmattan, 1990.
(2) Le chercheur doit prendre des risques ; « Il faut donc aller de l'avant selon le
principe qu'il vaut mieux s'exposer à l'erreur que de se condamner au silence par
excès de précautions » (*). La philosophie négro-africaine moderne n'est pas encore
née. Elle naîtra le jour où paraîtra le premier texte entendu, même d'une seule page,
écrit en langue négro-africaine.

(3) F. Chabas : « Sur un texte égyptien relatif au mouvement de la terre » in Zeitsch-


rift für Agyptische Sprache und Alterthumskunde, déc. 1864, pp. 97-103. Cf. p. 103.

(4) J. Leclant article « Afrika », in Lexikon der Agyptologie, bd I/1, 1972, pp. 86-94.

(5) J. Yoyotte : « La pensée préphilosophique en Égypte », in Histoire de la philoso-


phie, Paris, Gallimard, Coll. « Encyclopédie de la Pléiade », vol. 1, 1969, pp. 1-23.
(6) J. Jalabert : L'Un et le Multiple. De la critique à l'ontologie, Paris, Presses Uni-
versitaires de France, 1955, p. 5.

(7) Les Fali du Cameroun parlent de « mêler le commencement et la fin de tout »


Q.P. Lebeuf). Les philosophes africains doivent méditer le sens, redoutable ! de telles
expressions...

(8) Il serait intéressant de comparer le contenu du Papyrus Bremmer Rhind avec celui
des textes de Mélissos de Samos.

* Le dualisme constitu[e] une tendance fondamentale de la conception proprement


égyptienne... Le dualisme [est] une des formes d'appréhension du monde dans sa tota-
lité » (J. Leclant). « Ce dualisme... s'étendait à l'univers entier, divisé jusque dans ses
moindres éléments en deux parties égales... la réunion de ces deux parties compose
l'élément lui-même » (M. de Rochemonteix).

(9) F. Chabas : Le Calendrier des jours fastes et néfastes, Paris, 1870, pp. 17-19.

(10) K. Sethe : Von Zahlen und Zahlworten bei den Alten Agyptern und was für andere
Wilker und Sprachen daraus zu lernen ist, Strassburg, K.J. Trübner, 1916, p. 50.
(11) P.S. Smither : « A New Use of the preposition m » in Journal of Egyptian Archaeo-
logy, 25, pp. 166-169, cf p. 167.

(12) Cité par G. Mounin : Histoire de la linguistique. Des origines au xxe siècle, Paris,
Presses Universitaires de France, 1974, p. 40.

(13) M. Crozon : La matière première. La recherche des particules fondamentales et


de leurs interactions, Paris, Éd. du Seuil, 1987, p. 16.
(14) B. d'Espagnat : Un Atome de sagesse. Propos d'un physicien sur le réel voilé,
Paris, Éd. du Seuil, 1982, p. 190.

(15) Ibidem.
(16) H. Bergson : Le Rire. Essai sur la signification du comique, Paris, Presses Univer-
sitaires de France, 1978, p. 31.

(17) A. Loisy : C.R. de Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, in Revue
Critique d'Histoire et de Littérature, n° 13-14, 31 mars-7 avril 1910, p. 243.

(18) L'affirmation de Jamblique selon laquelle l'invention du terme « philosophie » est


due à Pythagore reste sujette à caution. Nous pensons aussi que c'est abusivement
qu'on attribue à ce même Pythagore la parternité de la formule « toutes choses sont
nombre ».

(19) La philosophie occidentale n'est qu'« une série de notes aux dialogues de Pla-
ton » (Heidegger).

149
(20) Cité par T. Dantzig : Le Nombre, langage de la science, Paris, Éd. A. Blanchard,
1974, p. 125.

(21) A. Aymard et J. Auboyer : L'Orient et la Grèce antique, Paris, Presses Universi-


taires de France, 1984, p. 502.
Un Zénon « fonctionnaire égyptien » nous est connu grâce aux archives qu'il a laissées.
Cf. C. Préau : Les Grecs en Egypte d'après les archives de Zénon, Bruxelles, 1947.

(22) S. Hawking : Une brève histoire du temps. Du big bang aux trous noirs, Paris,
Ed. Flammarion, 1989, p. 44 (trad. I. Naddeo-Souriau).

(23) G. Posener : « Sur l'orientation et l'ordre des points cardinaux chez les Égyptiens »
in Nachrichten der Akademie der Wissenschaften in Gtittingen, 1, Philogisch — Histo-
riche Klasse, 10, 1965, pp. 69-78, voir p. 76.

(24) G. Dieterlen « Signes des Keita du Mandé, in M. Griaule & G. Dieterlen : Signes
graphiques soudanais, Paris, Hermann & Cie, 1951, pp. 43-86. Voir pp. 60-61.

(25) C. Vandersleyen : « Une tempête sous le règle d'Amosis », in Revue d'Égyptolo-


gie, tome 19, 1967, pp. 123-159. Cf p. 137.

(26) R.O. Faulkner : A Concise Dictionary of Middle Egyptian, Oxford, Griffith Insti-
tute, Ashmolean Museum, 1981. Remarque : De tous les mots (kn, tm, km, Skm) ayant
le sens de « parfait/complet/compléter », on peut dériver ceux .« tout » et d'« univers ».

(27) Nous préparons un lexique des mots servant à désigner le temps et l'espace, des
termes relatifs aux saisons, au calendrier et à l'astronomie...

(28) K.H. Brugsch : « Thesaurus Inscriptionum Aegptiacarum — Altàgyptische Inscrif-


ten, Graz, Akademische Druck — u, Verlagsansfalt, 1968, I. /II. Abteilung, S. 205.

(29) E. Iversen : « Horapollon and the Egyptian Conception of Eternity », in Revista degli
Studi Orientali, vol. XXXVIII, fasc. I, 1963, pp. 177-186.

(30) M. Griaule, « Système grapique des Dogon e, in M. Griaule & G. Dieterlen, op.
cit., pp. 7-30, cf p. 22.

(31) J. Leclant : « Espace et temps, ordre et chaos dans l'Égypte pharaonique », in :


Revue de Synthèse, tome XC, 3e série, n° 55-56, juillet-décembre, 1969, pp. 217-239,
cf p. 239.

(32) Cf. H. Te Velde : « The God Heka in Egyptien Theology », in : Jaarbericht van het
Vooraziatisch-Egyptisch Genootschap, Ex Oriente Lux, n° 21, 1969-1970, pp. 175-186.

* ink sf rh.kwi dw3 (chap. XVIII du Livre des Morts). Cette expression peut être
condensée ên m nhh dj.t « toujours et partout » (J. Leclant).

** Nandi : para « espace » = Beti : afola « espace-temps ».

(33) Boubou Hama : « Le divin, temps et histoire dans la pensée animiste de l'Afrique
noire », in Unesco : Le temps et les philosophies, Paris, Ed. Payot, 1978, pp. 171-192.

(34) E. Hornung : « L'Égypte, la philosophie avant les Grecs », in : Les Études philoso-
phiques, janvier-mars 1987, pp. 113-125. Voir pp. 119-120 et p. 121 : « Le titre égyptien
d'un de ces textes (ceux relatifs au Non-Être), Le livre de ce qu'il y a dans l'Hades,
correspond mot à mot au titre d'une oeuvre perdue de Démocrite. » Démocrite passa
5 ans en Égypte, Pythagore 20, Platon 13, etc.
Pour L'ouroboros, consulter aussi B.H. Stricker : De Grote Zeeslang. Mededelingen
en Verhandelingen van het Vooraziatisch Genootschap, Leyde 1953 ; cf. C.R. in Chro-
nique d'Égypte XXIX, 1954, pp. 270-274.

(35) Voir C. Posener art. cité. ; E. Naville « L'origine africaine de la civilisation égyp-
tienne », in : Revue Archéologique n° 22, 1913, pp. 47-65 ; C. de Witt : « Les génies des
quatre Vents au Temple d'Opet », in Chronique d'Égypte XXXII, 1957, pp. 35-39 ;
S. Morenz : « Rechets und Links im Totengericht » in : Zeitschrift für Agyptische Spra-
che, 1957, pp. 62-71, etc.

150
* « Une civilisation ne peut guère se définir de façon plus nette comme étrangère
à tout progrès. » Ce commentaire est incongru. Les faits le démentent catégoriquement.

(36) Voir E. Naville, « L'origine africaine de la civilisation égyptienne », in : Revue


Archéologique n° 22, 1913, pp. 47-65.
(37) Ne pas confondre avec hn, « to go ». D'autres termes pour « to go » : sbi,
h3, pri, wd3, swd3, etc.

(38) R. Lambert : Lexique hiéroglyphique, Paris, 1925, p. 25.


* La singularité du « a » a été subodorée par les linguistes allemands : « On sait que
Saussure a créé la sémantique à partir d'un travail qui visait à démentir la théorie des
Allemands montrant la primauté du A dans la préhistoire des langues indo-
européennes » cf. O. Beigbeder, Le Symbolisme, PUF, 1981, p. 7.

(39) G. Frege : Les fondements de l'arithmétique, Paris, Éd. du Seuil, 1969, p. 201.

(40) P. Davies : Les Forces de la Nature, Paris, A. Colin, 1989,. p. 77.

(41) A. Badiou : Le nombre et les nombres, Paris, Éd. du Seuil, 1990, p. 196.

(42) Ibid., p. 196.


(43) Ibid., p. 197.
(44) Ibid., p. 25.
(45) Cité par A. Badiou.

(46) E. Hornung, article cité, pp. 115-116.


* c « main »/dr.ta main » —> masculin (impair)/féminin (pair), cf. philosophie dogon.

(47) C.A. Diop : Civilisation ou barbarie, Paris, Présence Africaine, 1981, p. 275.

(48) Leur nombre restant très limité.

151
L E CONCEPT DE
AVEC KOTTO ESSOMÉ
Par Wogbe Agblevon
président de l'Ake
Introduction
La communauté africaine a
été encore une fois frappée de
plein fouet par la disparition de
l'un de ses brillants profes-
seurs : Kotto Essomé, agrégé
d'université, maître de confé-
rence, professeur d'université
et professeur à l'université
Paris-VII (Département d'eth-
nologie).
On se souviendra surtout
des amphithéâtres pleins lors
de ses cours magistraux et d
son passage au collège de pl,
losophie à Paris, mais encor
de ses articles publiés dans
Science & Vie.
La nouvelle a fait l'effet
d'une bombe et malgré ses très
nombreuses conférences et
articles publiés, on regrettera
toujours qu'il n'ait pas laissé
assez d'écrits à sa dimension
Kotto Essomé. Savant africain (Bill).
d'homme hors du commun.
Cependant, Nomade a réussi à
retrouver les traces de deux de
ses manuscrits. Nous avons
demandé à l'association AKE
et à ses amis de nous donner
un bref aperçu de sa pensée

CIVILISATION
épistémologique. Nous y
reviendrons largement dans
nos prochains numéros.

La pensée négro-africaine
s'offre à l'analyse sémantico-
formelle selon une coloration
endocentrique dès son premier
moment d'élucidation. Isomor-
phe aux canons collectifs du
dire et du vouloir-dire, cette
pensée s'identifie comme
coexistensive à une civilisation,
(Association Kotto Essomé) comme une ouverture représen-
tative d'une civilisation sur elle-
même. C'est tout au moins
l'enseignement qui ressort de
l'approche philosophique du
concept de civilisation que le
regretté professeur Kotto
Cartouche de Ptolémée (A. Esso). Essomé a effectuée dans son

153
oeuvre essentielle intitulée : pro- extérieur : entre eux s'installe elle apparaît justiciable d'une
légomènes formels à l'analyti- une rupture pure. Parce qu'elle sémantique de la vérité cosmi-
que de la représentation : analy- se cerne éidétiquement comme que ; et l'illustration la plus par-
tique à la pensée africaine, possession du monde en tant faite en est fournie par les con-
Bibliothèque de l'université de qu'extériorité spatiale au point figurations sociales incarnant la
Paris-VII, 1986. de le disséquer au moyen d'un Tradition.
Au rebours des stéréotypes discours précisément analyti- Eu égard à ces arrière-fonds
normatifs, discriminatoires, idéo- que ; une relation est dite exo- éidétiques, où ranger l'illusion
logiques, qui portent à imaginer centrique c'est-à-dire au-dehors. normative du « progrès » ? Pour
« LA » civilisation, à la fixer sans Conjonction — et non alter- en éluder les équivoques évolu-
pertinence comme un seuil native — de ces deux dimen- tionnistes, il y a intérêt à penser
d'« évolution », de « progrès », en sions, telle se définit toute civi- les transformations culturelles
référence auquel certains peu- lisation. La première, exocentri- en langage de procès — lequel
ples sont tenus pour « civilisés » que, s'identifie avec le savoir- enveloppe comme suggestion
et d'autres pour « sauvages », un faire, les rapports de produc- étymologique l'idée descriptive
cheminement descriptif, relativi- tion, le machinisme, les idéolo- de progression, celle ordonné à
sant, plural, pose LES civilisa- gies : elle relève du matéria- une ligne plus ou moins définie.
tions en tant que radicale diver- lisme historique, de la psycha- D'un côté, ce sont alors des pro-
sité et engage à entendre par nalyse collective ; et l'illustration cès par cumulation que connaît
civilisation, un ensemble trans- la plus parfaite en est fournie la relation exocentrique : en
missible, collectivement assigné, par le mirage de la cité techni- l'espèce, cumulation des modes
de savoirs, de savoir-faire, traits cienne. L'autre, endocentrique, de production, des savoirs et
esthétiques, éthico-culturels, livre sa nature à l'état pur dans idéologies coexistensifs à l'orga-
c'est-à-dire, en bref, une les cultes initiatiques, cependant nisation sociale du travail, étant
réponse globale aux interpella- que ses modalités exocentriques bien entendu que la cité techni-
s'expriment dans les esthéti- cienne construit, par totalisations
tions d'un environnement. Ce
ques, les religions, les morales : pragmatiques, des vérités tout à
qui induit une relation originaire
entre une subjectivité sociale et
son Umwelt, entre l'homme et le
monde, telle que l'homme soit
homogène au monde ou qu'il lui
soit hétérogène.
Dans l'hypothèse de l'homo-
généité coïncide avec l'intimité
du monde pris au titre de pôle
référentiel. Parce qu'elle se
cerne éidétiquement comme
aptitude à saisir le monde de
l'intérieur au point de coïncider
avec ses pulsations infinitésima-
les par la vertu du silence, du
retour sur soi, de la participation
au déploiement de l'énergie
cosmique, cette relation est dite
endocentrique c'est-à-dire
au-dedans.
Dans l'hypothèse de l'hétéro-
généité, l'homme se pose en
s'opposant au monde, estimé Sanctuaire. Porte et linteau intérieur. Temple de Dendera.

154
fait relatives, issues de égard, pour peu que soient pri- Agencement aussi suivant la
l'analyse, de la décomposition, ses en compte les contraintes classe de la terre, réceptacle
de la dissection, de la dichoto- manifestement cultuelles, sous- des germinations mystérieuses,
mie. De l'autre côté, ce sont des jacentes à l'implacable rigueur nourricière des vivants, géni-
procès par perpétuation que du système nominal ainsi que la trice des minerais, divinités
connaît la relation endocentri- crypticité d'une classification réclamant des immolations
que : en l'espèce, perpétuation privilégiant la relation mythique rituelles.
de la parole primordiale, posée de l'homme à la terre. Sans la Ce n'est là qu'un aperçu de la
à l'aube des temps, propre à se primauté de la dimension endo- qualité des travaux de recherche
découvrir graduellement dans centrique, restée intacte malgré que nous a laissés le professeur
la temporalité humaine à ceux- la désagrégation de l'élément Essomé dont nous pensons que la
là seuls qui ont prouvé leur apti- exocentrique par le commerce disparition prématurée constitue
tude éthique et métaphysique à triangulaire, l'exploitation de une très grande perte pour le
en entrevoir la luMière, étant l'homme par l'homme, le carcan monde noir et de manière géné-
bien entendu que la Tradition, de l'« aide », comment compren- rale pour le monde scientifique.
expression éternitaire de cette dre les complications syntaxi- Pour ces raisons, l'AKE (Associa-
parole, livre de la vérité cosmi- ques, grammaticales, morpholo- tion Kotto Essomé) s'assigne
que non plus en terme de cons- giques, l'impératif d'un manie- comme mission de : 1°) rassem-
truction pragmatique, mais de ment délicat de la langue, la bler tout ceux qui partagent la
dévoilement : dévoilement lent, pesanteur de la proposition, même conviction en vue de pour-
précaire, qui requiert la autant de servitudes qui décou- suivre la réflexion dans tous les
patience initiatique. vrent la fonction éminemment domaines susceptibles d'aider
Étant donné cette double rituelle des langues subsaha- l'homme à mieux s'identifier dans
tonalité endocentrique et exo- riennes ? Sans cette primauté de l'univers ; 2°) diffuser largement
centrique du concept de civili- l'endocentrique, comment com- ses oeuvres. L'AKE regroupe
sation, il importe de vérifier prendre l'agencement de entre autres, les amis, les collè-
laquelle des deux se répercute syntagmes nominaux suivant la gues et les anciens élèves de
selon l'écho le plus amplifié classe des humains transmet- Kotto Essomé. Néanmoins, l'AKE
dans l'univers néotique dont la teurs de la vie reçue de Dieu, est ouverte à toute personne
famille linguistique subsaha- des dieux, des génies, des ayant les mêmes préoccupations.
rienne fixe les configurations. ancêtres, des patriarches, des AKE, BP 09 94251 Gentilly
Or, nulle ambiguïté à cet chefs d'espaces familiaux ? (France).

155
1F _J Afrique et le concept
25. - la Guinée espagnole, 26. -
par Kotto Essomé
ganyika, le Cameroun britanni-

I mage étrangère à l'objet


réfléchi, miroir en discor-
dance avec son propre
champ, tel s'offre aujourd'hui le
tableau des frontières de
la Guinée française, 27. - la Gui-
née portugaise, - 28. - la Haute
Volta, 29. - le Kenya, 30. - le
Libéria, 31. - la Libye, 32. -
que pour moitié au Nigeria et
pour moitié au Cameroun
français.
Il se trouve que, loin de reflé-
Madagascar, 33. - Madère, 34. ter la genèse des environne-
l'Afrique. - le Maroc, 35. - l'île Maurice, ments, loin de dessiner les confi-
Ce découpage en 64 portions 36. - la Mauritanie, 37. - Meli- gurations socio-culturelles d'une
officielles reste une performance lia, 38. - le Mozambique, 39. - historicité méconnue, cette carte
inégalée, sur tous les autres pays des frontières de 58 États pré-
le Niger, 40. - le Nigeria, 41. -
de la planète. Et la légère réduc- sente l'originalité d'exprimer les
le Nyassaland, 42. - l'Oubangui-
tion dans les années 60, de ces charcutages les plus artificiels de
Chari, 43. - Principe, 44. - la
soixante-quatre territoires à tous les temps et opérés par
Réunion, 45. - la Rhodésie du
cinquante-huit n'a amoindri en des... non africains.
nord, 46. - la Réunion, 47. - le
rien cette performance. Rien, en effet, d'aussi incom-
Rwanda, 48. - le Sahara espa-
Jugez-en. Avant les années 60, patible avec l'Afrique que le fige-
l'Afrique comptait : 1. - le terri- gnol, 49. - Sao Thomé, 50. - le
Sénégal, 51. - le Sierra Léone, ment des frontières.
toire français des Afars et des Aussi bien une déconstruction
Issas, 2. - l'Afrique du sud, 3. - 52. - la Somalie britannique, 53.
épistémologique du concept de
l'Algérie, 4. - l'Angola, 5. - le - la Somalie italienne, 54. - le
frontière se révèle-t-elle impéra-
Basutoland, 6. - le Beshunaland, Soudan anglo-égyptien, 55. - le
tive, ainsi que la mise en évi-
7. - le Buganda, 8. - le Burundi, Soudan français, 56. - le Sud-
dence des incohérences qui, uni-
9. - le Cameroun britannique, ouest africain, 57. - le Swaziland, ques dans l'histoire, sanglantes
10. - le Cameroun français, 11. 58. - le Tanganyika, 59. - le dans leurs effets, ont présidé à la
- les îles Canaries, - 12. - les Tchad, 60. - le Togo britannique, fixation de ces frontières.
îles du Cap Vert, 13. - Ceuta, 14. 61. - le Togo français, 62. - le
- les îles Comores, 15. - le Transkei, 63. - la Tunisie, 64. -
Congo belge, 16. - le Congo Zanzibar. D'abord front militaire
français, 17. - la Côte-d'Ivoire, Depuis 1960, Ceuta et Mililia

F
18. - le Dahomey, 19. - ont été incorporés au Maroc, orce est, en un moment
l'Égypte, 20. - l'Érythrée, 21. - l'Érythrée à l'Éthiopie, la Somalie liminaire, d'interroger le
l'Éthiopie, 22. - le Gabon, 23. - britannique à la Somalie ita- concept même de la
la Gambie, 24. - la Gold Coast, lienne, l'île de Zanzibar au Tan- frontière.

156
des scientifiques relatives aux
espaces concernés, engagent
aux tâtonnements empiriques,
cette maladie infantile des étu-
des africaines qui tient à l'igno-
rance délibérée des globalités
culturelles. L'épistémologie com-
mande d'articuler l'empiricité
des disparités ponctuelles sur

des frontières l'organicité des ensembles inté-


gratifs. Encore faut-il que le
tracé des frontières ne constitue
pas un tel obstacle à la restitu-
tion de ces ensembles intégra-
tifs que, précisément, représen-
tent les aires culturelles. Mel-
ville J. Herskovits l'a bien com-
Après avoir connoté au avantageux... La fondation d'une pris, qui explique : « la notion
Moyen Age l'idée de front mili- colonie c'est la création d'un d'aire culturelle permet un gain
taire, après s'être infléchi dès le débouché » et qui en 1890, l'inci- de temps considérable : ses élé-
xve siècle vers la notion de tèrent à préciser : « La politique ments de base fournissent une
limite entre deux territoires, coloniale est fille de la politique suite d'appellations concises qui
deux États, le vocable de fron- industrielle. » permet de regrouper un grand
tière en est resté à ce gauchis- Cette obnubilation, par le nombre de peuplades en fonc-
sement sémantique post- profit, de la consience des tota- tion de leurs orientations
médiéval. S'associent, en effet lités empêche de discerner que fondamentales.
pour le définir, la suggestion le tracé d'une frontière ne reçoit Ainsi quand on connaît les
d'un drapeau, celles d'un garde de garantie de stabilité et caractéristiques de chaque aire,
frontière, d'une vérification n'apparaît formellement valide il suffit de nommer celle à
d'identité (passeport, laisser- que s'il prend en compte la laquelle appartient un groupe
passer), et même celle, remon- volonté de vivre ensemble, de pour indiquer les caractères
tant à 1531, de borne entre pro- construire ensemble qui, définis- généraux de culture et les
priétés frontières à l'instar des sant au moins potentiellement modes de conduite traditionnels
« limes » latins, fortificateurs les nations, se moule relative- qu'on peut s'attendre à y trou-
entre deux provinces. ment à ces supports objectifs ver. Ainsi dire qu'un homme a
Ainsi entendue, la notion de que constituent l'aire culturelle, une culture du type côte de
frontière, procédant d'une la région naturelle, la configura- Guinée indique tout de suite
volonté politique ou d'un acte tion socio-linguistique, le degré que l'élevage ne joue aucun
administratif n'offre un caractère d'implantation d'un ensemble rôle dans son économie. (L'Afri-
de nationalité que si son actua- populationnel, même si de tels que et les Africains entre hier et
lisation exprime la conscience supports se révèlent contin- aujourd'hui, p. 42, Paris, Payot).
de—la—cohésion objective de gents, matériels, par rapport à Hors d'une telle méthodologie, il
l'ensemble à délimiter, et non la volonté de vivre ensemble n'est ni découpage rationnel ni
l'arbitraire, le caprice aveugle qui reste la référence perma- description objective de l'Afri-
de ces intérêts financiers et éco- nente, formelle, de la nation. que. Il y a simplement lieu de
nomiques qui, en 1885, portè- De fait, des frontières qui regretter que Herskivits ait pré-
rent Jules Ferry à déclarer : méconnaissent les aires culturel- conisé pour un tel découpage le
« Les colonies sont pour les pays les, outre qu'elles faussent la critère géographique comme
riches un placement des plus délimitation du champ, des étu- critère exclusif. Certes, il y

157
aurait autant d'absurdité à resti- singularisations. Il advient même deux territoires assortie de
tuer une aire culturelle sans que l'histoire des peuplements l'impératif de contrôle frontalier.
milieu géographique qu'à décrip- excédant les limites d'une région
ter un texte sans contexte ou à naturelle, étende au-delà de
revivre une vie sans cadre de celle-ci la famille linguistique s'y Ignorance des limitations
vie ; et sans nul doute les con- limitant. Ainsi la famille Kongo- frontalières
tours d'une aire culturelle Kordofanienne, initialement bor-

I
tendent-ils à coïncider avec ceux née par l'aire soudanienne s'est- 1 se trouve, en effet, que
d'une région naturelle, celle-ci se elle par la suite, avec le passage l'Afrique, avant que son par-
définissant comme un territoire des Yoruba du Kanen dans la tage contre nature ne la
étendu, présentant des caractè- forêt, étendue à l'aire guinéenne quadrillât dès 1885, ignorait les
res géologiques, biogéographi- et, avec le surgissement des frontières ainsi entendues.
ques, géographiques et humains Bantu, à l'aire équato-australe. Et ce pour trois séries de
— c'est-à-dire, précisément cultu- Allant ainsi du cap Vert aux motifs : géographique, popula-
rel — qui la circonscrivent Grands Lacs. tionnelle et migratoire.
comme une unité distincte des C'est le mépris politico- En premier lieu, en effet, ce
unités voisines au sein d'un économique de toutes ces pres- ne sont pas des bornes frontaliè-
ensemble qui les englobe : criptions scientifiques qui a ins- res, ce sont des limites purement
s'agissant de cet ensemble que piré le partage de l'Afrique et l'a géographiques — relief, cours
constitue l'Afrique, les régions transformée en une poudrière où d'eau, végétation — qui servaient
soudanienne, guinéenne, équato- la poussée des particularismes de cadres aux agrégats commu-
riale, orientale et australe offrent régionaux entre en rupture avec nautaires.
les exemples significatifs de ces le tracé des frontières. Ainsi l'unification politique du
régions naturelles dont les limites L'Afrique récuse donc le fige- Soudan, depuis les souverains de
se confondent avec celles d'aires ment de ces frontières de 1885. Kumbi jusqu'à Usman dans Fodio
culturelles. Il reste, n'en déplaise Celles-mêmes dont la notion a et El Hadj Omar Tall en passant
à Herskovits, que le critère géo- évolué de l'idée médiévale de par les Mansa de Miani et les
graphique doit s'intégrer à l'élé- front militaire à celle, post- Askia de Gao, s'est-elle toujours
ment historique parce que cultu- médiévale, de borne fixe entre effectuée relativement au grand
rel : un environnement naturel ne
définit un pays qu'eu égard à une
genèse, à un amoncellement
d'acquisitions qui, en le dé-
naturalisant, l'humanisent.
A la vérité, un tracé de fron-
tières qui prendrait en compte la
pesanteur des contours d'une
aire culturelle doit ne pas perdre
de vue que celle-ci résulte de
brassages, d'osmoses culturelles
rendues possibles non seulement
par l'histoire d'un peuplement,
par un cadre géographique natu-
rel mais aussi par la tendance
pour toutes ces pesanteurs à
asseoir au fil des siècles et des
millénaires une famille linguisti-
que dont les différents parlers Kotto Essomé entouré des artistes africains. A droite Manu Dibango, au centre
n'apparaissent que comme des Bofix (Bill).

158
massif précambrien situé entre que le Kanem-Bornu se compo- les théocraties du Soudan : au
l'Atlantique et le Niger, entre sait de Zaghawa (branche des Bornu dont il rencontre l'homme
l'actuelle Guinée-Konakry et Teda du Tibesti), de Bulala, de fort, El Kanemi ; à Sokoto chez
l'actuel État du Niger. Et aussi Kannri, de Tubu et, à partir Mohammed Bello dont il épouse
relativement aux paysages her- d'Idriss Aloama (1581-1617), de la fille et qui l'héberge pendant
bacés de la savane et de la Mandara, de Musgu, de Kotoko... douze ans ; dans le Masina chez
steppe. Ainsi qu'au fleuve Niger Enfin, une troisième série de Sheiku Amadsu ; à Segu chez le
et au lac Tchad. motifs vient renforcer l'ignorance roi Bambara ; au Futa Djallon
Ainsi l'histoire de la zone gui- africaine des frontières à l'euro- chez les Keita. Encore toutes ces
néenne se réfère-t-elle aux pay- péenne : l'extrême mobilité des périgrinations qui ont précédé sa
sages forestiers du Golfe de Gui- individus et des collectivités qui guerre sainte contre le Masina et
née, à son humidité. Et ce depuis tenait, entre autres causes, à le royaume Bambara, relevaient-
les sociétés acéphales. Ibo l'absence de tout contrôle d'émi- elles des moeurs séculaires des
jusqu'aux Akan regroupés autour immigration et, de ce fait, à une Soudaniens. Le second, Rabbah,
de Kumasi par Osei Tutu, en pas- très haute fréquence de déplace- né à Sennar au Soudan oriental,
sant par les Oni d'Ile Ife, les Ala- ments d'un bout à l'autre du sur les bords du Nil, s'est
fing d'Oyo, les Oba de Bénin, les continent. déplacé jusqu'au Soudan central
princes de Ketu, de Popo, de Quelques exemples collectifs où il s'est taillé dès 1886 un
Sabe et d'Owu. frappants en sont offerts par les royaume s'arrêtant au Bornu :
Ainsi l'intégration politique de Peuls (et les Tukuleurs) qui sillon- « Qu'il ait réussi à s'imposer à
l'Afrique équatoriale par le Mani naient tout le Soudan du cap Vert 2 200 km à vol d'oiseau de son
Kongo a-t-elle regroupé Nsundu, à Khartum. Et par les Hawsa, ori- pays d'origine, prouve qu'il
Mbamba, Sonio, Mpangu, Mbata, ginellement localisés au Soudan existe un substrat psychique et
par rapport au Zaïre inférieur aux Central mais qui se sont répan- historique commun à tous les élé-
fleuves Kwanza et Kwango, bref, dus à l'ouest vers le Tekrwr et le ments islamisés du Soudan »,
par rapport à la côte Atlantique Djolof. Également les Touareg, croit devoir expliquer Robert
de Bengela. les Tubu qui, aujourd'hui encore, Cornevin. En fait, c'est plutôt la
En second lieu les détermina- défient les frontières depuis preuve de l'ignorance des limita-
tions populationnelles viennent l'Ennedi jusqu'à l'Air. tions frontalières telles qu'elles
préciser cette ignorance préco- Enfin par les Bantu dont les se pratiquent depuis 1885.
loniale des frontières entendues migrations, amorcées dès le I er Si bien que ces dernières, en
au sens actuel. milénare,spouvt apparaissant avec les notions de
Ce ne sont pas des bornes jusqu'au xixe siècle vers le Sud et drapeau, de laisser-passer, de
frontalières en effet, c'est la com- vers l'Est. C'est au demeurant, passeport, de migration contrô-
position des communautés inté- selon tous ces déplacements faci- lée, entraîneront trois conséquen-
grées par les États, qui permet- lités, rendus possibles par ces décisives.
taient de distinguer ceux-ci. l'absence de frontières que se La première consistera à éta-
Impossible, par exemple, vers sont constituées les quatre aires blir des frontières sans rapport
1520, de fixer la démarcation spa- culturelles : soudanienne, gui- avec les régions naturelles qui,
tiale entre le Songhay de Moham- néenne, équato-australe, orien- jusqu'alors, avaient servi de
med Turc (1493-1528) et le tale. cadres à la formation des États
Kanem-Bornu d'Idriss Katagar- Quelques exemples indivi- précoloniaux. C'est ainsi que,
mabe (1504-1526). En revanche il duels peuvent aussi être invo- pour la première fois de son exis-
n'y a nulle peine à vérifier que le qués, offerts par El Hadj Omar tence militaire, l'Afrique connaî-
Songhay englobait, outre les Tall et Rabbah. Le premier, né en tra des États à cheval sur le Sou-
Songhay eux-mêmes, des Peuls, 1797 à Aloar en amont de Podor dan herbacé et la Guinée fores-
des Tukuleurs, des Berbères, sur le fleuve Sénégal, élargit son tière : Guinée-Konakry, Côte-
des Malinkes, des Soninkes„ des éducation en pays maure à d'Ivoire, Gold Coast, Togo, Daho-
Hawsas, des Gurmantshe..., et Walata ; il séjourne dans toutes mey, Nigeria, Cameroun.

159
C'est ainsi, également, que que frontière tracée sur l'Afri- portugaise, de la Côte-d'Ivoire
le tracé de la Somalie italienne que ressemble à un coup de et de la Sierra Leone. Dans la
l'amputera (en raison de mar- couteau de chasse » ? Toute la famille voltaïque, les Senufo ont
chandages avec les Britanni- famille mandingue a été éparpil- été répartis entre la Côte-
ques) de cette partie méridio- lée par les frontières du Séné- d'Ivoire et le Soudan français.
nale et orientale de l'Éthiopie gal, du Soudan français, de la Dans la famille guinéenne, les
qui relève de la zone paléo- Guinée française, de la Guinée Evhes ont été dispersés entre le
géographique que les géolo-
gues appellent précisément Jouga. Création Ly Dumas (Khepra production).
Somalie. C'est ainsi, enfin, que
les membres du Club diploma-
tique de Berlin ravauderont les
frontières du Cameroun et de
l'Oubangui-Chari, découperont
deux Congo, traceront à la
règle les frontières de l'Angola
avec la Rhodésie du Nord et du
Congo Belge, ciselleront dans le
Congo français un morceau
appelé Gabon, dessineront un
rectangle baptisé Guinée espa-
gnole, forgeront de toutes piè-
ces une Rhodésie du Nord dont
la double conséquence sera de
dissocier, au désespoir des Por-
tugais, l'Angola et le Mozambi-
que et d'assurer selon le voeu
de Cecil Rhodes, la continuité
de l'empire britannique « du
Caire au Cap ». Que penser de
ces frontières tracées à
l'équerre et à la règle dont cel-
les du Sahara espagnol, de
l'Algérie, de la Libye, de
l'Égypte, du Tchad, de l'Angola,
du Sud-Ouest africain et du
Cameroun méridional ? La
nature, avec ses sols, ses cli-
mats, ses végétations, ses
hydrologies revêtirait-elle sou-
dain cette perfection géométri-
que appelant des coupes
rectilignes.
La deuxième conséquence
consistera en l'éclatement des
compositions populationnelles
celles-ci seront scindées en plu-
sieurs morceaux. Ce qui porte
Ki-Zerbo à constater que « cha-

160
La dernière conséquence gré eux dans quatre États décla-
consistera en la fixation territo- rés différents, ne se résignent
riale de collectivités qui, pas à se laisser phagocyter. Ces
jusqu'alors, connaissaient une deux attitudes qui, conjointement,
extrême mobilité que rien n'avait trahissent l'incompatibilité des
encore freinée. Les Fangs et les dépeçages de 1885 avec les
Basas, par exemple, n'occupent pesanteurs et les réalités de
leurs territoires respectifs actuels l'Afrique, peuvent dérouter
que depuis 1884, année de parce que contradictoires. A la
l'implantation allemande sur vérité, la scène africaine n'offre
l'espace baptisé « Cameroun », pas tant le spectacle de la contra-
alors que, depuis des siècles, ils diction que celui de la dialecti-
cheminaient vers le Sud et l'Est. que, illustrant la solidarité sinon
Il y a lieu de s'exclamer l'identité de deux traits analyti-
(Amina) Aminata-niang. quement inconciliables : l'homo-
devant le spectacle de frontières
qui, faisant fi à la fois de l'envi- généité et la multiformité, le rap-
Togo et la Gold Coast, les Urubas prochement et la confrontation, la
ronnement, des distributions
entre le Nigeria, le Dahomey et similitude et la singularité, l'Afri-
populationnelles, de la mobilité
le Togo. Dans la famille saha- que et les Africains. Mais la tâche
spatiale, aura réalisé le charcu-
rienne, les Tubus se sont retrou- des sciences vise non point à
tage le plus artificiel de tous les
vés à la fois au Niger, au Tchad décrire n'importe quelle unité.
temps. Toutefois, derrière tant
et en Libye. Dans la famille kus- n'importe quelle diversité, mais
d'absurdité, se profile une impla-
hitique, les Somaliens ont été dis- à fixer les recoupements globaux
tribués entre la Somalie italienne, cable logique : celle d'un conti-
nent se projetant sur un autre et et les configurations différentiel-
le territoire français des Affars et les dont la méconnaissance porte
des Issas, le Kenya et l'Éthiopie. lui ôtant toute identité.
La terre d'Afrique aura ainsi l'étincelle des crises.
Dans la famille bantu, les Fangs
ont été écartelés entre le Gabon, été transformée comme le fut Femme peuhl
le Cameroun et la Guinée espa- l'Amérique : comme un sol tenu
gnole ; les Kongo entre l'Angola, pour vierge ou rendu tel.
le Congo français, le Gabon et le Or, cette virginité se révèle
Congo belge ; les Luanda entre aujourd'hui n'avoir jamais été
le Congo belge, l'Angola et la qu'une illusion. Il s'en faut que
Rhodésie du Nord ; les Nguni les quelques décennies posté-
entre l'Afrique du Sud, le Swazi- rieures à 1885 soient parvenues
land, la Rhodésie du Sud, la Rho- à estomper ou même à occulter
désie du Nord et le Mozambi- des dizaines de siècles d'histoire.
que : les Shona entre la Rhodésie Et, à la surface de la carte offi-
du Sud et le Mozambique ; les cielle, affleurent de plus en plus
Sosho entre le Basutoland, l'Afri- les vraies distributions socio-
que du Sud et le Beshnanaland ; culturelles de l'Afrique de tous
les Swahili entre le Tanganyika les temps, soit qu'elles se
allemand, Zanzibar, le Zenya, la déploient dans les tensions d'une
Somalie italienne et les Comores. diversité débridée. Ainsi, d'un
Tout le monde s'accorde à côté, l'itinéraire panafricaniste à
dénoncer ce « mur de la honte » la Kwamé N'Krumah, approprié
qu'est le mur de Berlin. Or, rela- au vecteur cap Vert de Bonne
tivement aux frontières de l'Afri- Espérance et, de l'autre, l'explo-
que officielle, que de murs de sion récente de populations qui,
Berlin ! que de murs de la honte ! tels les Somaliens dispersés mal-

161
L ES RÉALITÉS DES
Hommage à Kotto Essomé,
par Matungulu KABA,

L'Afrique est-elle tribaliste ? Monsieur, de quelle tribu Pourtant, l'histoire nous


êtes-vous ? apprend que les populations
européennes se différencient
Le discours ethnologique a En Europe, le terme « eth- aussi bien qu'en Afrique. Le
imposé l'image d'une Afrique nie » signifie « population minori- seul tort de l'Afrique consisterait
tribaliste, morcelée en petites taire » alors qu'en Afrique, il alors à avoir préservé les raci-
ethnies farouchement repliées devient synonyme de « peupla- nes sociales, culturelles et lin-
sur elles-mêmes. Ce discours des hétérogènes regroupées guistiques de ses populations ?
mystificateur n'a en fait rien à par l'administration coloniale ». Les populations européennes se
voir avec la réalité de l'Afrique. J'avoue mal comprendre un tel sont affrontées et s'affrontent
La littérature africaniste a double usage pour le même dans des guerres, elles se sont
décidé une fois pour toutes que terme dans la langue de Vol- divisées en différentes confes-
l'Afrique était une masse de taire, qui passe pourtant pour sions religieuses : catholiques,
« tribus ». une langue de clarté et de protestants, orthodoxes, etc. Le
Dans L'Afrique noire, peu- précision. protestantisme notamment est
ples et coutumes du monde De même, dans les cercles connu pour son pouvoir multipli-
entier, G. Pubben et C. Gloude- afro-européens, le bon sens veut cateur de mouvements sectai-
mans en dénombrent de façon que l'Européen demande à res. Et, encore, aujourd'hui, au
artificielle au moins 750. Et, l'Africain : « Monsieur, de quelle nom de la religion, on se bat en
avant eux, Murdock en énumé- tribu êtes-vous ? Et la réponse ne Irlande. Les populations euro-
rait déjà des milliers, selon ses se fait pas attendre. Mais quand péennes ont toutes des particu-
propres critères ! En revanche, l'initiative revient à l'Africain, la larités linguistiques, culturelles,
dans L'Europe, Méditerranée, question est jugée déplacée. Ou des traditions locales et histori-
Balkans d'Herman Wanters, le alors, on est troublé, on réfléchit ques indéniables.
terme « tribu » disparaît totale- et on conclut par une périphrase De même, il existe une
ment, on ne sait par quel coup subtile : « Je suis de l'Ile-de- énorme variété de langues par-
de baguette magique, remplacé France, d'Alsace-Lorraine, de la lées dans la zone allant de la
par le terme « population »(*). Provence, etc. » Bretagne à la Mer Noire à l'inté-

162
S OCIÉTÉS AFRICAINES
Historien-Anthropologue.
Secrétaire général ACIVA-CERVA

rieur même des groupes linguis- portée à la Conférence de Ber- se ramène à un ensemble de
tiques reconnus, latin, slave et lin (1885) qui a décidé le partage « structures égalitaires » (la
germanique. de l'Afrique. horde, le village, le lignage seg-
Pourquoi nie-t-on une telle Les ethnologues ont ainsi mentaire et le clan. C'est tou-
relation entre les populations classé les peuples africains selon jours le modèle tribal qui se
africaines connues uniquement deux typologies économique et transformerait en « structures
pour leur prétendue « hétérogé- politique. plus complexe » : les États. Ainsi,
néité linguistique et culturelle » ? La typologie économique J. Vansina affirme qu'une bonne
Elles n'auraient rien en commun. répartit l'Afrique en « chasseurs partie de l'Afrique occidentale
C'est bien cela qu'écrit E. Dam- récolteurs, pêcheurs, pasteurs, notamment a bien connu « l'idée
man dans Les religions de nomades, agriculteurs, citadins du gouvernement étatique » (sic).
l'Afrique : « En Afrique la popu- et marchands ». C'est ce genre Cette idée serait restée long-
lation n'a pas d'unité... Ces peu- de dissection que reprend temps en gestation pour ne se
ples diffèrent autant par la reli- J. Maquet dans Civilisations noi- concrétiser qu'au Moyen-Age.
gion que par le type de langue. » res : de l'arc, des clairières, des Et « l'originalité de ces struc-
greniers, de la lance et des tures étatiques ou égalitaires »
Une caution à la conférence de cités. Nul reproche ne peut être que certains qualifient de « féo-
Berlin adressé à cette description sinon dales » se dit « l'organisation
En fait ces approches ethno- celui d'une réduction. segmentaire ».
logiques purement empiriques Réduction de l'ensemble Ce jugement sans appel est
mutilent la réalité africaine. De holistique à l'élément économi- contredit par Basil Davidson. Cet
toutes pièces ont été inventées que, selon une logique écono- africaniste britannique souligne
« les Afriques tribales peuplées miste dont l'Afrique a précisé- en particulier l'existence
de différentes races », de « com- ment tellement souffert. d'« anciennes inégalités sévè-
munautés de petites tailles », aux L'organisation socio-politique res » en Afrique, inégalités pré-
structures essentiellement « cla- ensuite. Aux yeux des africanis- sentes dans l'organisation sociale
niques » et « lignagères ». Ce tes imbus de pragmatisme, la à conscience communautaire.
« modèle tribal » est une caution diversité des formations sociales Dans le processus des forma-

163
tions politiques, B. Davidson
remarque que « des États sont
nés dans le Soudan oriental et
dans le delta du Nil très tôt, dès
3 000 ans avant Jésus-Christ au
moins ».
En Afrique tropicale selon le
même historien, « on pense que
les États commencèrent à pren-
dre tournure pendant la pre-
mière moitié du premier millé-
naire avant Jésus-Christ ». Et il
ajoute : « Les États simples, for-
més d'une seule communauté,
devinrent plus complexes, com-
posés souvent de nombreux
groupes. »
Comment expliquer dès lors
cette opinion tenace que les Afri-
cains seraient « incapables
d'entente et de construction
d'une nation composée de nom-
breux groupes » ?
Et comment expliquer le vide
socio-historique entre le qua-
trième millénaire avant Jésus-
Christ, où apparaîtraient des for-
mations étatiques en Afrique et
le Moyen Age, période généra-
lement retenue par la littérature
africaniste, pour l'apparition des
États ?
Une telle bavure saute aux
yeux. La vérité finit toujours par
triompher. Rien ne peut être
caché qui, un jour, ne soit
dévoilé.
A cet effet, une tentative, ô
combien heureuse, bien
qu'encore modeste, de rétablir
la vérité, est à noter avec la
publication récente (1981), sous La triade de Menkaouré (A. Esso).
les auspices de l'Unesco, de
l'Histoire Générale de l'Afrique.
« un ensemble de petites com- royaumes et empires du ville au
Un discours mystificateur munautés incapables d'organiser xixe siècle après Jésus-Christ. On
Il importe maintenant de l'espace et de se doter d'une met même en doute leurs raci-
s'interroger sur l'opinion aussi nation ». nes plusieurs fois millénaires éta-
inerte que tenace « d'une Afri- Il est de règle de ne retenir blissant une relation de conti-
que tribale », entendue comme que la tradition continentale des nuité avec l'Égypte pharaonique.

16 4
.
Pourquoi les africanistes savez, les Douala et les Bamileke
s'abstiennent-ils d'analyser en sont tribalistes, les Baluba sont
profondeur cette relation que tribalistes, les Baule sont tribalis-
confirment l'anthropologie cultu- tes, les Diola sont tribalistes,
relle et linguistique, la littérature etc. » Et ils ajoutent, avec convic-
orale et l'histoire des populations tion : « L'Afrique est un amal-
africaines ? Le travail titanesque game de dialectes. Il est impos-
du Père de l'Histoire Africaine, sible de s'étendre, de se com-
le savant Cheikh Anta Diop, est prendre et de former une nation
la meilleure illustration de cette moderne avec autant de particu-
unité. larités et de langues. »
En revanche, le discours De telles affirmations sont le
auquel on nous habitue ne produit d'une acculturation systé-
décrit, sous le prisme déformant matique, celle-là même qui a
des clichés, que les « différences appris aux Africains à s'ignorer
tribales » : celles des hommes, et à se sous-estimer. On oublie
de la pensée, des langues, des que les « direct » et « indirect
coutumes, des modes de pro- rules » ont créé des entités artifi-
duction économique et de cielles destinées à l'atomisation
l'histoire. de l'Afrique. Cette atomisation
En fait, il s'agit d'une mystifi- avait pour objet de favoriser les
cation assumée sans esprit criti- conflits afin de tuer l'esprit de
que par le discours politique, qui solidarité. Et ces conflits d'ordre
emprunte à l'ethnologie ses socio-linguistique sont qualifiés
de « tribaux ».
paradigmes essentiels : « seg-
ment », « lignage », « clan »,
« tribu », « ethnie », « race », « Être bantu, c'est être
« nationalisme ethnique », « hom- solidaire »
mes tribaux », « dialectes tri- Dans quelle société humaine
baux », « gens évolués », « société n'observe-t-on pas des différen-
civilisée », etc. ces ? En cela, l'Afrique n'est pas
Cette « tribalisation » et cette différente d'autres continents.
« ethnisation » forcenées qui font Depuis le principe des « indiscer-
de l'Afrique le haut lieu du « tri- nables de Leibniz », on est censé
balisme », créent des antagonis- savoir qu'il n'existe pas deux
mes qui n'ont rien de pré- entités parfaitement semblables
colonial. dans notre condition humaine.
Les prétendues inimitiés Pourquoi dès lors les différences
ancestrales, longtemps refoulées observées en Afrique seraient-
dans l'inconscient populaire — Seule l'exploitation d'une stra- elles nécessairement « tribales »
sous l'administration coloniale — tégie qui a pour nom le « triba- et donc créatrices d'antago-
feraient subtilement irruption lisme » est capable de justifier nisme ?
dans la conscience de l'Africain une telle allégation. Le conflit religieux en Irlande
« décolonisé ». Et cette fausse Les Africains eux-mêmes : n'est jamais considéré comme
peur renaît des cendres entrete- dirigeants des États, intellectuels « tribal ». En revanche, celui
nues par les partis uniques que (enseignants, étudiants et fonc- entre musulmans et chrétiens au
la mode du multipartisme vient tionnaires) ont pris à leur compte Tchad et au Soudan, l'est. En Bel-
de nouveau d'éveiller en 1990 les a-priori de la « tribalisation ». gique, le conflit Wallons-
comme dans les années soixante. On les entend affirmer : « Vous Flamands est appelé « querelle

165
Reine de Saba. Ly Dumas (Khepra Production). Ly Dumas (Khepra Production).

Thèbes, tombe de Rekhmirâ.


Ly Dumas (Khepra Production). Chasse et pêche, détail:
fille du chasseur (Thèbes, tombe de Menna).

Ly Dumas (Khepra Production). 167


linguistique ». Mais la mésentente mobile indéniable du déclenche- souvent qu'aux étiquettes corres-
Hutu-Tutsi est qualifiée « d'iden- ment des hostilités. pondait du réel. » Par exemple,
tité tribale ». A la vérité, on sait en Uganda, le Kabaka du
que les membres de la société Un pragmatisme colonial Buganda fut aidé par l'adminis-
rwandaise ou burundaise, gran- tration britannique. Il prit de
dirent sous le régime colonial Le « tribalisme » avec ses l'ascendant et acquit de la préé-
avec le sentiment d'appartenir à implications de haine, de déchi- minence sur le Bunyoro, l'Ankole
deux « races différentes » de rements et de tensions conflic- et le Toro afin de tuer l'esprit
manière à cacher le sort commun tuelles ne saurait être pré- communautaire, la solidarité,
qu'on leur réservait. Et il fallait colonial. l'entente et la coopération entre
rompre leur cohésion pré- Le « tribalisme » est d'abord colonisés.
et avant tout un pragmatisme Dans le même sens, la police
coloniale. Une sentence rwan-
colonial en vue de la balkanisa- de la Couronne Impériale ou de
daise ne dit-elle pas : « Être
tion de l'Afrique pour les intérêts l'armée fut recrutée spéciale-
Bantu, c'est être solidaire ? »
de tous genres : économiques, ment dans la région nordique,
(« Ha Bantu Mugilirane »).
politiques et culturels. Il jouit de chez les Nilo-Nubiens. Elle fut
En 1959, selon la stratégie de
la caution ethnologique. Ce prag- entraînée à défendre les intérêts
« tribalisation », l'ensemble global
matisme fait l'objet d'une série britanniques, à étouffer toute
Luba au Kasaï (Zaïre) se vit impli-
étonnante d'aveux. J. Vansina, revendication légitime, à obliger
qué dans un drame sanglant sans
ethnographe, spécialiste des « tri- la population à se plier aux
précédent dans son histoire bus », note que les peuples
locale. On ne se rendit même pas règles d'une administration
décrits par l'ethnologie « ont été envahissante.
compte qu'il s'agissait d'une inventés par les ethnologues »
manoeuvre de séparation orches- (sic).
trée par l'administration coloniale Les différentes étiquettes L'époque de l'indépendance
belge en la personne du commis- locales et régionales attribuées Entre les années 1950 et 1959,
saire de district, un certain aux populations africaines ne partout sur le continent, dans
A. Dequenne. Les partis politi- sont dès lors qu'une invention de l'engouement général de la prise
ques séparatistes, MNC-K (mou- l'esprit. D'ailleurs notre auteur de conscience du colonisé
vement national congolais- affirme : « L'Afrique des clans est d'après guerre, les mécanismes
kalonji) et U.C. (union congolaise) plus rare qu'on ne le croirait. » du partage des bénéfices des
mirent le feu aux poudres, uni- Cette constatation aide à com- indépendances surgirent.
quement pour prendre le pou- prendre ce que fut la volonté du Ils eurent pour effet immédiat,
voir que les Belges allaient aban- régime colonial. la création des « partis politi-
donner et tirer ainsi avantage des « Il a immobilisé une situation ques » se réclamant la plupart du
aléas de la colonisation. essentiellement fluide... On a temps des intérêts régionaux ou
En 1966, la guerre dite du graduellement mis tout en cartes. crus tels. Les tendances fédéra-
« Biafra » qui fit tant de victimes Et dès avant 1945, tout est figé. listes furent nombreuses et les
innocentes, opposa Ibo et Yoruba Dans ce sens, les Européens ont unitaristes, favorables à une
d'un côté et Hausa de l'autre. On créé le tribalisme. » J. Vansina conscience panafricaine, n'ayant
la présenta sous forme de guerre fait observer que « les revendica- vécu que l'espace d'un matin,
de religion : les chrétiens contre tions qui se retrouvent partout furent combattus avec férocité et
les musulmans. Par la suite, à la dans le monde, se sont cristalli- tenacité.
proclamation de la « République sées en Afrique entre tels X Au Congo belge, l'ABAKO
du Biafra » elle prit la tonalité de opposés à tels Y ». Sans ambi- (Association des Bakongo), de
« nationalisme ethnique ». Quoi guïté aucune, l'ethnologue belge tendance régionale, n'avait de
de plus légitime dans une Afri- conclut : « Mais en réalité X ou Y commun avec le royaume du
que incapable d'unité ! Cepen- n'est qu'une étiquette pour défi- Kongo que le nom. Parce que
dant l'on sait maintenant que les nir des intérêts. Malheureuse- disloqué au xvie siècle à l'épo-
intérêts pétroliers en jeu furent le ment, les habitants ont cru, trop que de la traite des esclaves, ce

168
royaume fut réparti au me siècle tisme colonial pour bien jouir des
entre le Congo belge, le Congo bénéfices de l'économie de mar-
français, l'Angola et le Cabinda ché. Le « tribalisme » devient dès
portugais. L'ABAKO donc, misant lors un état d'esprit. Il est une
sur les aléas de la situation éco- prise en charge par les Africains
nomique et géographique du en vue de l'atomisation (émiette-
Bas-Congo (région agricole avec ment des anciennes et nouvelles
accès à la mer), cultiva un sépa- solidarités) des sociétés globales.
ratisme et un vif particularisme à Il se poursuit avec le favoritisme,
l'aube de la « décolonisation le renforcement des antagonistes
belge ». sociaux. Cela entraîne la désu-
Il en allait de même de la nion, la désorganisation de
CONAKAT (Confédération des l'espace socio-culturel. Le vide
Associations du Katanga). Le est ainsi créé.
Katanga montra un vif sentiment Finalement, le « tribalisme »
séparatiste sous l'impulsion de s'achève dans un processus
l'UMHK (Union minière du Haut interne destiné à faire éclater les
Katanga), désireuse de maintenir affinités présentes où qu'elles
sur place dans cette province émergent. D'où son pouvoir de
riche en minerais et peu peu- créer la misère, la pauvreté et le
plée, la population européenne sous-emploi. Les vraies richesses
avec tous ses avantages socio- sont de cette façon détruites du
économiques. Le Katanga fut dedans. Toutes les énergies, tant
totalement administré sur le matérielles qu'humaines, sont
modèle de l'apartheid en Afrique uniquement au service d'une
minorité dirigeante. Ce « triba-
du Sud. D'où la sécession du
lisme » est centralisateur. Il
Katanga et l'apparition desdits
prend en charge le système colo-
« gendarmes katangais ».
nial pour mieux assurer les béné-
Le « tribalisme » ensuite est lié Ancêtre africain.
fices des indépendances et de
aux mécanismes des États en
l'économie de marché.
Afrique. Il s'inscrit dans la ges-
tion et le partage du bien public. rie des économiquement forts.
Dans toutes ses manifestations, le L'Afrique est-elle pauvre ? Or, il n'y a pas que les commer-
fameux « tribalisme » demeure Pour s'en convaincre, une çants qui dirigent l'Afrique
une stratégie du nouveau pou- brève référence aux résultats actuelle. C'est que le pouvoir en
voir. En 1990, le retour du « mul- socio-économiques de la politi- Afrique crée de nouveaux
tipartisme » a-t-il tiré la leçon de que des États africains l'atteste. riches. Car la gestion de la
trente ans de vie politique en En effet, tous les États afri- richesse nationale s'opère sur le
Afrique ? Les États africains, cains connaissent un déficit chro- modèle mandarinal. Quelques
bâtis sur des frontières artificiel- nique. L'Afrique est-elle vraiment suzerains choisis avec soin, non
les, n'ont d'essence que celle de pauvre ? Loin de là ! Si elle l'était, pour leur compétence mais pour
la négation. Négation des com- les chefs d'État et les dirigeants leur allégeance, détournent les
munautés globales, négation de africains le seraient. Pourtant on fonds publics en toute impunité.
la réalité sociale, négation des les classe parmi les hommes très Temporairement écartés, on les
données historico-linguistique riches. Comment s'explique alors retrouve dans une nouvelle
que décrivent les grandes aires cette richesse quand on sait qu'à équipe gouvernementale.
culturelles. l'aube des indépendances, seuls La politique économique se
Les pouvoirs actuels_ perpé- les commerçants africains pou- résume en deux mots : débâcle
tuent et entretiennent le pragma- vaient se réclamer de la catégo- économique. Le peuple en porte

169
marchandises. Pour figurer sur
une liste de voyageurs par avion
ou par train, il faut corrompre,
etc.
Et qui corrompt ? L'économi-
quement fort, le commerçant et
le gestionnaire de fonds publics.
Tel est le fléau de l'Afrique.
C'est un paradoxe ! D'où la
population se voit partagée en
deux blocs : d'un côté la masse
luttant pour survivre et de
l'autre, une minorité représen-
tante du pouvoir.
En Uganda, sous le régime
d'Idi Amin, cette minorité
s'appelait les « seides ». C'est
elle qui détenait le pouvoir éco-
nomique, l'argent, les planta-
tions, le transport public, les ali-
mentations, les champs de café
et de thé, le coton et les produits
destinés à l'exportation.
En règle générale, la masse
populaire (98 %) ne dispose que
de ses tubercules (manioc, pom-
mes de terre), de ses fruits et
légumes ainsi que des céréales
(maïs, millet, sorgho, blé). Mais
à quel prix ces produits agrico-
les sont-ils vendus ? Au taux le
plus bas.
Pour se protéger contre les
revendications populaires, le
pouvoir a recourt à la stratégie
du « tribalisme ». Entendez par
là : « Volonté délibérée de divi-
ser les communautés et de favo-
riser certaines dont les diri-
Femme arabe. geants sont originaires au
dépens des autres, abandon-
nées à leur pauvreté. » C'est une
la marque. Il a faim. Il est mal tiaire surtout est totalement stratégie consistant à diviser
payé. Son pouvoir d'achat est paralysé et corrompu. Une fiche pour bien régner. Elle divise et
nul. Une conséquence inévitable d'état civil n'est acquise meurtrit l'Afrique.
de cet état économique, c'est la qu'après corruption. Un passe- Les racines du « tribalisme »
corruption présente dans tous port coûte 1 000 FF (cas du sont donc dans la gestion du
les secteurs d'activités sociales Zaïre). A la douane, on corrompt bien public et dans l'égoïsme du
et industrielles. Le secteur ter- pour importer et exporter les pouvoir.

170
Deux défis lancés à l'Afrique inclut dans un ensemble total où Déconstruction des fictions
Il est étonnant que ce « triba- la relation d'ordre est valorisée. ethnologiques :
lisme » soit mis au compte de « lignage », « clan »,
l'Afrique pré-coloniale. Celle-ci Toute représentation afri- « tribu » et « ethnie »
jouissait de communautés coopé- caine, sous quelque forme
ratives, fraternelles et solidaires. qu'elle puisse être perçue, Interrogeons maintenant les
Si les conflits apparaissaient — assume l'individu total dans la notions de l'ethnologie. Qu'est-
quelle société humaine peut s'en cohérence de ses composantes ce donc un « lignage », un
passer ? — ils étaient vite jugu- en relation à une société « clan », une « tribu », une « eth-
lés par des pactes de réconcilia- globale. nie » et une « race » ?
tion. Tel n'est plus le cas Selon E.E. Evans-Pritchard
actuellement. La compréhension de l'Afri- (anthropologue britannique) spé-
que est dans cette voie. Elle cialiste du modèle segmentaire,
Devant ce drame, deux défis n'est pas dans les choix partiels un « lignage » — de l'anglais
sont lancés à l'Afrique. Suivre le et partisans. Elle ne peut, en ligneage — est un segment
cercle vicieux que tracent les aucun cas, se prévaloir de la généalogique d'un clan (dans
mécanismes du centre et de la « tribalisation » et de l'« ethnisa- Les Nuer, Gallimard, 1966).
périphérie pour la croissance de tion » et d'un « multipartisme En revanche, Georges Thi-
son économie dans la « tribula- aliénateur ». nes et Agnès Lempereur décri-
tion » de ses masses. Il faut en
vent le « lignage » comme « le
profiter pour tirer la leçon de Après des siècles de dépos- segment d'une lignée constituée
30 ans des « indépendances ». session, d'acculturation et par les membres vivant dans un
Ou bien s'acheminer vers la d'ignorance de soi, l'Afrique est contexte archaïque » (dans Dic-
repossession de soi et la déco- en droit de s'interroger sur les tionnaire général des Sciences
lonisation mentale dans la « glo-
fondements de son historicité, Humaines, éd. Universitaires,
balisation » de ses populations. de sa société, de son africanité 1977). Et toujours selon ces
Alors c'est l'espoir pour la cons- et de ses institutions politiques auteurs ; « la définition du
truction du futur. Pour relever actuelles. lignage varie selon les circons-
ces défis, le choix s'inscrit dans
tances et les intérêts en jeu ».
la sagesse : vertu indéniable de
Comme toute personne sin- Autrement dit, les ethnologues
l'Afrique millénaire.
cère, à la recherche de son ne savent pas de quoi ils parlent
Cette sagesse impose une authenticité et du sens de son quand ils évoquent la notion de
logique harmonisant l'antériorité histoire, désireuse de construire « lignage ». Parce que personne
et la postériorité, l'unité et la dif- un monde de paix sur la base n'en a une idée claire, chaque
férence, la hiérarchie et la fra- des valeurs africaines, animée ethnologue a la sienne propre.
ternité, la conscience commu- par le respect des droits de Et quelle définition donne-t-
nautaire et la conscience indivi- l'homme, l'amour de la vérité et on au « clan » ? D'après L.V. Tho-
duelle, la stabilité et le mouve- des idées constructives, l'Afri- mas, le « clan serait un groupe
ment, la coordination et la subor- cain doit, en ces temps difficiles, constitué unilinéairement (par
dination, le corporel et le s'interroger et proposer des opposition à l'ethnie qui obéirait
psychique, le sacré. solutions fondées sur la connais- — paraît-il — à une descen-
sance de soi : celle de sa cul- dance bilatérale — homme et
A tous les niveaux de la réa- ture, de son histoire de l'organi- femme —) d'un ancêtre totémi-
lité, l'entendement africain a tou- sation de son tissu socio- que commun et possédant un
jours posé la relation de con- économique et de sa vision du même patronyme ».
jonction en écartant la disjonc- monde. Mère de l'humanité, Mais selon G. Thines et
tion, admet la différence mais l'Afrique profonde a des leçons A. Lempereur, le « clan » serait
bannit le sectarisme, assigne les à donner à ses fils et filles. « un groupe constitué selon un
racines des populations mais les Mettons-nous à son écoute. système de parenté donné et se

171
vient même pas à en saisir le
sens ni l'intelligibilité sociologi-
quement vécue. Il est totalement
illogique et inconséquent qu'un
terme d'une discipline préten-
due scientifique soit le support
de deux définitions incongrues.
Et la notion de « tribu » peut-
elle être facilement assignée ?
Loin de là ! Veut-on connaître sa
signification, les ouvrages spé-
cialisés renvoient régulièrement
le lecteur au « clan », son équiva-
lent. D'après le Dictionnaire
général des sciences humaines
déjà évoqué, la fameuse « tribu »
désignerait « une réalité aux
contours assez indécis ». « Ce
serait la plus grande unité après
le clan et le lignage. » Une telle
définition défie le bon sens et la
cohérence parce qu'éminem-
ment floue, vague et vide de
contenu. Elle n'a de cohérence
Shepses-Kaf (vers 2560 avant Jésus-Christ).
qu'idéologique. Toutefois, en
remontant aux sources de l'his-
toire de la pensée ethnologique,
on s'aperçoit en effet que c'est
réclamant d'un ancêtre généalo- entendue comme « discours L.H. Morgan (Ancient Society)
giquement déterminé mais néan- mystificateur », celui qui justifie qui en a définitivement fixé la
moins mythique ». des comportements socio- notion. « C'est une société com-
Cette description du économiques d'une société. Si plètement organisée qui illustre
« lignage » et du « clan » est liée on demande à n'importe quel la condition de l'humanité dans
à deux critères : « la segmenta- physicien la signification de l'état de barbarie », c'est-à-dire
tion/linéarité » et la généalogie. l'énergie, de l'entropie, etc., il la précise Morgan, « une humanité
C'est que les deux notions se donnera ; il en est de même du qui n'a pas encore atteint la civi-
confondent pour ne rien signi- mathématicien pour les concepts lisation, la société politique,
fier. De ce fait, elles sont ambi- de groupe, ensemble, nombre, l'État ». Nous saurons ce qu'il en
guës. La science, ce faisceau de segment, etc. Mais il en va tout est de l'État. Et donc, si l'Afrique
lumière projetée sur la réalité, autrement de l'ethnologue. est déclarée composée de « tri-
opère à l'aide du concept. Le A la vérité, les ethnologues bus » — c'est qu'elle est « sau-
concept scientifique se veut uni- décrivent des partitions sociales vage » et non « civilisée ». On est
voque. C'est là son pouvoir dans (isolats) étrangères à la réalité définitivement fixé. Les Africains
l'analyse et la synthèse. Si l'eth- communautaire de l'Afrique. sont des « sauvages »
nologie s'avère incapable du Ces notions, d'ailleurs intraduisi- Si on prétend les étudier
concept univoque, s'agissant de bles dans les langues africaines, « scientifiquement », une telle
ses paradigmes essentiels, elle sont désignées de façon entière- étude n'est justiciable que de
n'est pas une science. C'est tout ment différente et disparate d'un l'ethnologie ou de l'entomologie.
simplement une idéologie, auteur à un autre. On ne par- La notion d'« ethnie » nous

172
aidera peut-être à sortir de parallélisme malheureux est éta- phénotypiques innombrables.
1 ' impasse . bli par les ethnologues entre Toutefois, il n'est pas permis
L'« ethnie » serait « le terme « race » et « ethnie ». Celle-ci d'oublier les 46 chromosomes
général désignant une popula- devient, selon L.V. Thomas, « la (en nombre toujours constant de
tion souvent hétérogène mais plus grande unité traditionnelle 23 paires chez les individus
regroupée par les chercheurs de conscience d'espèce, au normaux).
sous une même dénomination en point de rencontre du biologi- Ce sont plutôt les génotypes
fonction de certains traits socio- que et de l'humain. Commu- (caractères de génomes) qui
culturels. Beaucoup d'eth- nauté linguistique, relative unité peuvent servir de base à la
nymes sont ainsi ignorés des territoriale, tradition mythico- variation humaine. Mais cette
intéressés eux-mêmes. Une fois historique, type commun d'orga- variation est continue pour tous
pour toutes, sachez que les Afri- nisation de l'espace, sentiment les caractères qu'ils soient métri-
cains ignorent même qu'ils ont plus ou moins clair d'apparente- ques ou qualitatifs. D'où aucune
une « ethnie », mais la colonisa- ment suffisent pour la qualifier ». coupure naturelle nette entre les
tion mentale leur fait croire Il est intéressant de savoir que populations humaines ne peut
qu'ils en ont une. ce sont les mêmes critères qui être observée. Dès lors, « toute
Quand on parle d'une « eth- président à la définition de la coupure du continuum », remar-
nie », on est en présence d'une « tribu ». que Nicole Petit-Maire, pour
illusion. C'est un terme fourre- A la vérité, de telles défini- classer l'espèce humaine dans
tout, d'autant plus que les ethno- tions sont purement obscurantis- des populations entières biologi-
logues établissent une relation tes. Car, la biologie et la géné- quement formées des préten-
d'équivalence entre « l'ethnie » tique condamnent leur contenu dues « races » est totalement
et « la race ». En effet, selon mystificateur qui cautionne artificielle.
L. Vincent Thomas, « le concept l'apartheid et le racisme. Les En admettant l'évidence de
de race ou de sous-race ne sau- différentes définitions ainsi dé- la variation géographique due
rait toutefois suffire pour com- construites ne font que justifier au milieu et donc à un certain
prendre l'exacte distribution des des attitudes socio-économiques équilibre génétique, conduisant
populations africaines. Il importe et psychologiques des sociétés à une uniformité morphologique
— à ses yeux — de lui adjoindre dominantes à l'égard des donnée, cela n'engage qu'à par-
la notion d'ethnie. dominées. ler des types populationnels. Ce
Il y aurait ainsi une distribu- Les ethnologues créent de qui n'implique nullement l'adop-
tion des populations africaines fausses images, celles qui assi- tion, pour l'espèce humaine —
allant de la « race » à l'« ethnie », milent une société globale don- une et indivisible — et a fortiori
de l'« ethnie » à la « tribu », de la née à une « race ». Ils suivent en pour les populations africaines
« tribu » au « clan », du « clan » au cela l'exemple donné par — des sous-espèces appelées
« lignage ». A cet effet, l'auteur H. Baummann et Westermann « races ». Parce que, l'ubiquité
retient la définition de V. Vallois dans leur livre : Les peuples et de l'espèce humaine empêche
qui circonscrit « les races » les civilisations d'Afrique, où l'on la fermeture génétique de
comme « groupements naturels répertorie une multitude de manière absolue. Il faut plutôt
d'hommes présentant un ensem- « races ». Pendant la période admettre que les hommes là où
ble de caractères physiques coloniale chaque groupement ils se rencontrent et se marient,
héréditaires communs : stature, africain était une « race ». Celle- sont interféconds. Ils engendrent
forme de la tête, du visage, du ci devait figurer sur la fiche ainsi des individus de la même
nez, des yeux, des cheveux, d'état civil du colonisé. espèce.
couleur de la peau, proportion Parler d'une « conscience Quand bien même on retien-
des groupes sanguins, caracté- d'espèce », c'est-à-dire, classer drait certaines variables de
ristiques du métabolisme basal, des groupements humains en l'organisme humain, par exem-
résistance aux maladies taxons, revient uniquement à ne ple, les caractères hématologi-
Partant de cette définition, un reconnaître que des variations ques (anti-gènes) dont on connaît

173
une vingtaine de « marqueurs » ; Qu'est-ce qu'il faut entendre abusive, incorrecte et imbue de
en dernière analyse, c'est par « race » ? préjugés. Elle est certainement
l'hérédité, elle-même détermi- L'opinion de Monsieur et le reflet des clichés « racistes »,
née par le milieu abiotique et Madame tout le monde a l'habi- sinon « équivoques ».
biotique (milieu géologique, géo- tude de retenir d'emblée « la Voyons maintenant ce que
graphique, climatique, faune et couleur de la peau » pour parler peut signifier une « race ».
flore) qui permet des taxons. de « race ». Ainsi le langage cou- Dans son livre intitulé : De la
Or en Afrique, de tels taxons rant a-t-il consacré l'expression : Biologie à la Culture, Jacques
(types) ne correspondent ni aux « les hommes de couleur » pour Ruffié, biologiste belge, écrit :
« lignages », aux « clans », aux désigner des populations qui ne « Si la définition de l'espèce
fameuses « tribus », ni aux pré- sont pas d'origine européenne. apparaît comme relativement
tendues « ethnies » et non plus Or, à la vérité, parmi les cou- facile, celle de la race l'est
aux « races » des ethnologues leurs courantes, on cite : « le beaucoup moins. » Il continue en
africanistes. Dès cet instant, on blanc, le noir, le bleu, le rouge ces termes :
est en présence des fictions en et le jaune ». En parlant donc « L'espèce en effet, est tou-
inadéquation totale avec les d'« hommes de couleur », veut- jours génétiquement polymor-
grandes formations socio- on entendre par là qu'il en phe. En général, on considère
historiques, les grandes familles existe qui seraient incolores » ? qu'au sein d'une même espèce,
linguistiques, les régions clima- Sinon une telle expression est les individus présentant un
tiques et géomorphologiques de
l'Afrique.
Donc, lesdites « tribus » et Statue en basalte du roi. Musée du Caire. Koufou (Koffi).
« ethnies » africaines, dans la
mesure où elles s'adjoignent à la
notion pseudo-scientifique de
« race », sont arbitraires et artifi-
cielles. Elles répondent à une
pratique aliénatrice et ethnoci-
daire, celle qui a décidé le par-
tage de l'Afrique.

La notion de « race »
et le sens du « racisme »
Pour comprendre la significa-
tion du « racisme » et son acuité
historique d'il y a cinq siècles
lors de la traite des esclaves en
Afrique et de l'extermination des
Juifs sous le régime nazi, il
importe de le circonscrire dans
le cadre de la biologie d'abord,
dans le domaine socio-écono-
mique ensuite.
A cet effet, il est hautement
important de connaître le sens
de la notion de « race » avant
d'analyser le « racisme ».

174
même morphe appartiennent à que retiennent deux conditions Hormis les jumeaux monozy-
la même espèce. » essentielles : gotes, tous les individus humains
Le même biologiste précise sont différents les uns des
son idée : 1) L'isolement sexuel com- autres.
« Cette définition n'est claire plet : c'est-à-dire impossibilité Tout en admettant que les
qu'en apparence. En réalité, la des échanges génétiques per- Chinois, les Africains, les Ara-
notion de "race" apparaît manents, tendant à l'isolement bes, les Européens, etc. se dis-
aujourd'hui comme beaucoup génétique total. (Ce qui est diffi- tinguent facilement à l'oeil nu,
plus complexe. » cile à réaliser dans le temps et les uns des autres ; on doit évi-
En effet, il existe des grou- l'espace, compte tenu des fré- ter de tomber dans le piège qui
pes différents génétiquement quentes migrations enregistrées consiste à introduire la notion de
mais présentant une même mor- par l'histoire de l'humanité dont valeur dans la différenciation de
phologie. Toujours est-il que le berceau se situe en Afrique.) ces groupes humains. Les jour-
cela concerne les populations 2) Un stock génétique diffé- nalistes et le commun des mor-
naturellement identiques mais rent (qui est appelé dérive géni- tels en parlent avec facilité. Ils
manifestant un isolement repro- que ; ou une sélection naturelle). sont dans l'erreur. Leurs consi-
ductif. En d'autres termes, ces Cette seconde exigence peut dérations sont loin d'être
populations sont devenues être perçue dans les populations scientifiques.
interstériles. De la sorte, elles à faible effectif sexuellement iso- A la vérité, la notion de
constituent ce qu'on appelle : la lées et multipliant les effets de « race » telle qu'elle est appli-
dérive génique. Toutefois ce cas différence. quée aux groupes humains est
demeure très rare chez les souvent inexacte et donc norma-
populations humaines, sinon Or, ces deux conditions ne tive : appréciative ou déprécia-
impossible. peuvent être réalisées de tive. C'est une notion « aliéna-
En revanche, on connaît des manière plus ou moins stricte trice » et « obscurantiste ». Elle
groupes humains formés d'indi- que chez les espèces animales. l'est davantage quand forcément
vidus à morphotype variable et Là surtout, on fait intervenir on y associe abusivement des
cependant interféconds au sein l'action de l'homme. Par exem- caractères socio-culturels : lin-
desquels se rencontrent toutes ple, chez les animaux domesti- guistiques, économiques, politi-
les transitions morphotypes ques (chien, chat, cheval, etc.). ques, philosophiques, religieux,
extrêmes. Exemple : type bas- S'agissant du genre humain, idéologiques, techniques, etc.
que, type corse, type latin, type la biologie condamne l'usage Dans le livre intitulé Le
anglo-saxon, etc. pour l'Europe ; arbitraire des caractères coutu- racisme devant la science, écrit
Batu Amani (type soudanien), miers retenus : stature, forme de sous l'égide de l'Unesco
Batu-Ngol (centre équatorial), cheveux, de la tête, du nez, de (éd. Unesco, Gallimard, 1973), il
type Batu Kwa, type guinéen en visages, des yeux ; couleur de y est écrit :
Afrique... type hindou, type dra- la peau, etc. Ces traits n'expli- « Le mot — race — peut dési-
vidien, type vietnamien, type quent pas la notion de « race », gner un groupe de population
japonais pour l'Asie, type tro- mais celle du phénotype/mor- caractérisé par certaines con-
briandais pour l'Océanie, type photype. Ils indiquent seulement centrations, relatives quant à la
Eskimo, type amérindien, type les différences morphologiques fréquence et la distribution des
latin en Amérique, etc. des individus. gènes...
Ils constituent tous de Si l'on se fondait sur ces Au cours des temps, certains
l'Europe à l'Asie, de l'Afrique à fameux traits phénotypiques visi- gènes apparaissent, varient et
l'Océanie ou l'Amérique, une bles et palpables, chaque indi- même disparaissent sous
même espèce parce qu'inter- vidu humain constituerait en lui- l'influence du milieu ou de
féconds. même une « race ». Un homme l'environnement. »
Pour qu'il y ait véritablement serait une « race ». Une femme Les auteurs du livre font en
« race », la biologie et la généti- serait une autre. outre remarquer : « Malheureu-

175
sement même défini de cette
façon, le terme race n'est pas
employé correctement et il n'a
de précision que limitée à des
cas rares. « En effet, c'est vrai,
parce que l'isolement absolu au
niveau des gènes reste une
pure vision de l'esprit.
On doit donc dénoncer éner-
giquement l'emploi arbitraire
massivement diffusé par la
presse et le langage courant
quand il faut parler des collecti-
vités nationales, religieuses, géo-
graphiques ou culturelles. Les
Américains ne constituent pas
une race, pas plus d'ailleurs que
les Arabes, les Israéliens, les
Français, les Anglais, les Afri-
cains, les Chinois, les Vietna-
miens et les Japonais.
De la même façon, les catho-
liques, les protestants ne repré-
sentent pas une « race » ; il en va
de même des musulmans, des
juifs, des boudhistes, etc. Le cas
des juifs est même éloquent,
d'autant que l'on sait désormais
que les « Falasha » (Africains)
sont juifs !
Toutes ces considérations
sont à la fois d'ordre national,
religieux, idéologique, géogra- férences qui se manifestent sidérer l'idée que l'on se fait de
phique, etc. Ce sont donc des entre les cultures, les oeuvres la notion de « race ».
critères essentiellement socio- de différentes civilisations que Car il existe en effet au
culturels. Ils ne peuvent pas vivent divers peuples. moins une vingtaine de mar-
définir la notion de « race ». En réalité, il faut distinguer queurs sanguins dont certains
Aussi faut-il observer que ni la entre la « race », le fait généti- sont courants : A, B, O, AB, Rh + ,
personnalité, ni les caractères que biologique du fait culturel, Rh - , Kelly positif, Kelly négatif,
acquis ne relèvent de la race. celui du « mythe de la race ». etc. Leur fréquence est continue
Seuls les caractères innés En règle générale, quand les chez les populations les plus
feraient partie de cette notion. gens évoquent la notion de diverses allant des Maya aux
Même alors, les données scien- « race », ils expriment souvent Eskimos, des Japonais aux
tifiques dont on dispose interdi- implicitement, des fois hypocri- Batwa, des Zulu aux Corses, des
sent de reconduire l'idée selon tement, le « mythe de la race ». Bretons aux Khoï-San, des Gal-
laquelle les différences généti- A la vérité, la récente décou- lois aux Papous, des Mongols
ques héréditaires constitueraient verte de l'« identification hémoty- aux Basques, etc. Ce qui inter-
un facteur d'importance primor- pologique » et immunologique dit, contrairement aux idées
diale parmi les causes des dif- chez l'homme, conduit à recon- reçues et aux préjugés raciaux,

176
de parler de la « race blanche », de personne d'écarter quel- brièvement la représentation
« race noire », « jaune », « rouge ». qu'un d'une table de bridge que s'en font ses adeptes.
Il est plutôt permis de parler de (ajoutons : d'une équipe de foot- Le « racisme », écrit encore
« population de type mende- ball, de basquet-ball ou de J. Ruffié, « est donc une théorie
léen ». rugby) parce qu'il est Rhésus qui, non seulement affirme
En définitive, le problème du négatif ou Kell positif. » l'existence de — races humaines
« racisme » n'a rien à faire avec Or, en Afrique du Sud, le — mais leur confère une hiérar-
la biologie et non plus avec la système d'Apartheid, celui de la chie. Les racistes divisent
génétique humaine. L'explica- discrimination fondée sur la cou- l'humanité en — races supérieu-
tion qui le justifie par la socio- leur de la peau opprime les res — et — races inférieures ».
biologie est pseudo-scientifique. Africains, lesquels sont majoritai- Partant de cette conception,
Le racisme est tout simplement res et originaires de l'Afrique les racistes interdisent les unions
le produit d'un système domi- australe. entre les sujets et veulent instau-
nant : celui qui engendre des Dans ces conditions qu'est-ce rer l'isolement sexuel. C'est le
attitudes idéologiques déprécia- qu'il faut entendre par cas du régime de l'apartheid en
tives à l'égard des dominés. « racisme » ? Afrique du Sud.
Ainsi les dominations politique, A la vérité, le « racisme » Or, en réalité, les « races bio-
économique, culturelle, etc. n'est rien d'autre que le « mythe logiques » chez les humains sont
Ainsi les cloisonnements matri- de la race ». Ce mythe a fait un une invention de l'esprit. Les
moniaux ! Ainsi la ségrégation mal immense, des ravages « races pures », cela n'existe pas
entre les groupes humains. Ainsi incomparables tant au plan his- chez les hommes. Et à supposer
l'oppression et le génocide des torique, social que moral. qu'on les rencontre, c'est quel-
peuples ! Ainsi enfin l'accultura- Il est à l'origine des vies que chose de totalement fragile
tion planifiée à l'échelle mon- humaines déportées dans la et de faible valeur biologique. Et
diale et donc l'ethnocide et le traite des esclaves de l'Afrique donc, génétiquement, biologi-
génocide... vers l'Amérique. Il a entraîné la quement et culturellement, il n'y
Dans cet ordre d'idées, il est colonisation et l'impérialisme. Il a pas de groupe humain supé-
aisé de comprendre l'observa- a détruit les économies et les rieur ou inférieur.
tion pertinente de J. Ruffié : « Le cultures non occidentales. Il a On a tendance, de façon
fait d'avoir la peau noire, peut engendré le nazisme qui n'est implicite, à situer le monde occi-
aujourd'hui encore, interdire rien d'autre que le racisme hit- dental au haut du piédestal pour
l'entrée de certains clubs ou de lérien appliqué à l'encontre des en faire le modèle de l'huma-
certains salons, empêcher cer- Juifs et des Européens. Si le nité. Une telle vision est à la fois
tains mariages (...). » Nous y nazisme est aujourd'hui désap- ethnocentriste et « raciste ».
ajoutons pour notre part : empê- prouvé en Europe, c'est parce L'Europe n'est pas le point
cher telle embauche ou la par- que Hitler y a appliqué des oméga de l'humanité, pas plus
ticipation à une équipe de méthodes racistes et esclavagis- que l'Égypte ne l'était avant la
recherche scientifique alors tes jusque là réservées aux colo- Grèce. Les origines de la
qu'on est spécialiste et aussi nies et aux populations africai- richesse et de la connaissance
qualifié que ceux qui en font nes. C'est cela qui ne lui sera technique actuelle de l'Occident
partie ! La peau noire peut inter- jamais pardonné. C'est cela ont une histoire. Toutefois, il faut
dire d'accéder à tel dossier, elle qu'on ne peut admettre chez les noter qu'il existe chez tous les
peut entraîner d'être mal payé néo-nazis. Mais on tolère l'apar- humains un sentiment de préser-
comme infirmier diplômé alors theid et le régime politique sud- vation de soi, d'affirmation de sa
qu'on est médecin !, de toucher africain. On entretient toutes sor- spécificité, de son identité et de
le traitement d'un technicien tes des relations avec ce régime sa personnalité.
alors qu'on est ingénieur, etc. ! d'essence naziste (*). Mais s'en servir pour faire
Jacques Ruffié poursuit : Afin de préciser les consé- une campagne qui exacerbe le
« Mais il ne viendrait à l'idée quences du « racisme », voyons « racisme », ce n'est pas jouer

177
avec le feu, mais c'est évoquer fondé sur des préjugés qui veu- bonne foi démontre sans
les démons de la guerre et lent que « moi je sois homme » et ambages.
appeler les anges déchus de la l'autre soit « non-homme ». C'est L'Occident s'étant emparé
mort. C'est restaurer les fours de cette façon que naquit le du christianisme a converti les
crématoires. C'est louer les mépris des Grecs envers les gens appelés avec mépris
génies plutonniens des bateaux Romains, de ceux-ci envers les « païens », parce que considérés
négriers. Car, c'est au nom du Gaulois et les Germains dési- comme situés à mi-chemin entre
« racisme » que les Africains et gnés comme « Barbares ». De la l'animalité et l'humanité. Il est
les Amérindiens ont été considé- même façon' la pensée ethnolo- même arrivé que les philoso-
rés comme dépourvus d'âmes. gique, en étudiant les popula- phes s'en mêlent et le justifient.
Cette conception a entraîné, tions non euro-américaines les Et Voltaire écrit dans sa lettre
sans aucun scrupule, le géno- qualifie de « primitifs », « archaï- d'Annabed : « C'est une grande
cide indien et la traite des escla- ques », « sauvages », etc. question parmi eux (les Afri-
ves ou le commerce triangu- En ce temps de crise écono- cains), s'ils sont descendus des
laire : Europe, Afrique, Améri- mique, planétaire, il y a un singes ou si les singes sont
que. Au nom du christianisme transfert malheureux du venus d'eux. Nos sages ont dit
en réalité, au nom du « racisme » aux difficultés écono- que l'homme est à l'image de
« racisme », les Espagnols dits miques. Celles-ci sont illustrées Dieu ; voilà une plaisante image
conquistadores, massacrèrent par le chômage imputé à l'effec- de l'Être éternel qu'un nez noir
les Amérindiens (appelés Peaux tif élevé des ouvriers immigrés épaté avec peu ou point
Rouges). Ceux-ci furent dépos- en France ou en Europe. Ce qui d'intelligence ! »
sédés de leurs terres. Par la est en jeu, en réalité, c'est le On croyait que ce sentiment
suite, on baptisa ceux qui sont partage des richesses, lequel est aujourd'hui disparu. Non !
restés parce qu'on leur prêta est freiné par les égoïsmes des On lui a substitué celui de la
une ombre d'âme et ainsi furent- classes sociales et des Nations. supériorité technique de l'Occi-
ils parqués dans des réserves Il faut noter, à la suite de dent et que personne ne peut
dites : « les réserves indiennes ». J. Ruffié, que « l'Occident est, nier ! Mais on oublie que la
Aujourd'hui, le racisme puise depuis des millénaires sous technique et ses racines scienti-
son efficacité à la fois dans l'into- l'influence des religions mono- fiques tirent leurs origines bien
lérance religieuse quand on théistes abramiques, nées dans loin. L'Occident est héritier de la
évoque les diverses formes le Proche-Orient. Le christia- Grèce et la Grèce doit son
d'« intégrisme », surtout musul- nisme et l'islam sont les derniers savoir et sa philosophie à
man. Les chrétiens sont opposés avatars du judaïsme ». Ainsi l'Égypte des Pharaons. Platon a
aux musulmans et les musul- faudra-t-il savoir que le judaïsme été formé en Égypte. Pythagore,
mans aux Juifs, au nom d'un seul lui-même est le produit des nous assurent les historiogra-
Dieu et du vrai Dieu ! On se sanctuaires de l'Égypte des Pha- phes, a vécu 22 ans en Égypte.
croirait à la période des Croisa- raons du temps de Moïse. Ce Et son fameux théorème doit son
des et du Djihad. En réalité, ce grand guide et fondateur du existence à la géométrie des
qui est en jeu c'est le « racisme » judaïsme a été formé auprès du pyramides. Et quand Saint Paul
feutré qui emprunte le biais de Pharaon Amenophis IV ou Akhe- dit : « Ne savez-vous pas que
la défense des intérêts géopoli- naton de la 19e dynastie. Or vous êtes le Temple de Dieu »,
tiques et économiques. Akhenaton avait pour mère une (Cor. 111.16) ou « Ne savez-vous
Il apparaît dès lors et en der- princesse nubienne du nom de pas que votre corps est le Tem-
nière analyse, que tout ce qui Tiyi. Et par conséquent, ce pha- ple du Saint-Esprit qui est en
n'appartient pas à sa culture est raon célèbre était africain. En vous ? » (Cor. VI, 19) ; cette spi-
sinon « étrange », mais « étran- définitive, l'Afrique est la mère ritualité est totalement dans la
ger », « exotique », voire « sous- à la fois du judaïsme, du chris- filiation de l'idée de l'identité du
humain » ou « non-humain ». tianisme et de l'islam. C'est cela Temple et de l'Homme inscrite
Il existe un sentiment malsain que l'histoire faite en toute au Musée du Caire et provenant

178
d'un Temple érigé sous l'illustre
Pharaon Ramsès II : « Ce temple
est comme le ciel dans toutes
ses proportions. »

C'est surtout à partir de la


Renaissance, écrit J. Ruffié, que
l'Occident va s'affirmer et les
grandes découvertes s'accen-
tuer pendant les xvnie et xixe siè-
cles, à l'époque de la révolution
Dahwn Taylor.
industrielle et des grands empi-
res coloniaux. Mais avant cette
période, on passe facilement s'expliquent. L'économiste alle-
sous silence l'apport du monde
Le sens du tissu social
mand Werner Lombart, cité par africain
musulman dans les domaines le Pr Kotto Essomé, l'a le mieux
scientifiques, notamment en phi- résumé :
losophie, en mathématiques, et Une question de méthode
« Nous sommes devenus
en médecine. Alors, on doit le
riches, écrit-il, parce que des Jusqu'où l'Afrique des con-
savoir. Si la supériorité de
races entières sont mortes pour voitises extérieures et intérieu-
l'Europe date de la Renaissance,
nous : c'est pour nous que des res continuera-t-elle à congédier
il n'en a pas été toujours ainsi
continents ont été dépeuplés. » l'Afrique des profondeurs ?
depuis des millénaires.
C'est que pour s'enrichir, Jusqu'à quand l'Afrique des
Et la richesse de l'Occident l'Occident appauvrit. Ce qui est États coloniaux hérités du par-
dont on se sert pour mépriser enlevé à l'un, on le donne à tage de l'Afrique par des non-
les autres peuples considérés l' autre ! africains à la conférence de Ber-
comme « pauvres » ; quelle est Les firmes multinationales et lin (1885) masquera-t-elle l'Afri-
sa vraie origine historique ? les seigneurs du marché mon- que de grands ensembles
dial qui n'ont de loi que celle du historico-culturels du cycle Ka-
En effet, à l'époque de la profit égoïste perpétuent cette Mutef (le python qui se déroule)
révolution industrielle, le monde mort et la paupérisation des et des cycles antérieurs ?
euro-américain s'est doté de régions entières, en légitimant Jusqu'à quel point l'Afrique
moyens appropriés à une pro- leur action grâce à la mystique des idéologies s'aliénera-t-elle
duction matérielle intense et du « progrès » dont la finalité n'a l'Afrique de la découverte
sans précédent. Il est cependant jamais été fixée. Ils sont au ser- scientifique ?
honnête de reconnaître que cela vice d'un système économique La découverte scientifique
a été rendu possible compte dominant et totalement injuste, de l'Afrique suppose le dépas-
tenu d'un processus cumulatif, celui qui honore « le mythe sement d'une représentation
lequel passe par l'exploitation et racial » et vénère les régimes naïve, celle de l'opinion et des
l'aliénation d'autres groupes qui pratiquent le racisme, notam- illusions du sens commun. Elle
humains dont les cultures ont été ment l'Afrique du sud, pourvu en appelle à une césure con-
ethnocidées et dont le mode de que les intérêts commerciaux, ceptuelle. Elle commande une
production a été condamné. miniers et militaires soient coupure épistémologique. Elle
Cela a engendré la faim, la garantis. requiert la rigueur et donc une
misère et la paupérisation des Le « racisme » est un produit explication systématique.
masses africaines, asiatiques et d'un système dominant, d'exploi- La perception et l'assignation
latino-américaines. La déposses- tation et d'alinéation de l'homme du tissu social africain, de la cul-
sion des autres et l'acquisition par l'homme. Tel est son sens. ture africaine, bref, de l'univers
de la richesse de l'Occident Telle est sa vraie nature. africain, engagent à repenser le

179
ficiels. Et il est grand temps que
l'Afrique des multipartismes
politiques le comprenne.
Il reste dès lors à préciser le
sens de ces notions. C'est l'objet
de la présente étude.
Auparavant, une mise au
point s'impose. Elle est une illus-
tration d'idéologies dont l'Afri-
que doit se débarrasser, en res-
tant vigilante.
« Connais-toi, toi-même », con-
seille le sage, et « tu connaîtras
les dieux ».
Dans le contexte de l'accul-
turation planifiée que subissent
les sociétés africaines, compte
tenu des impératifs de l'écono-
mie de marché totalement extra-
vertie qui aliène l'Afrique, et
dans la mouvance du vent que
Naissance du Dieu. souffle la mode du multipar-
tisme, le « connais-toi, toi-même »
est vraiment significatif. Il
discours africaniste, celui-là mes interrogés : « l'Afrique est- s'impose comme une nécessité
même qui a contribué et contri- elle tribale » (1) ? historique et socio-politique.
bue à des clichés galvaudés sur La réponse à cette interroga- Réflexion faite, le mal par
l'Afrique. Il urge en consé- tion pouvant être double : nous excellence dont souffre l'Afrique
quence, de transgresser deux avons répondu par la négative. n'est point en dernière analyse
choix méthodologiques coutu- Cette réponse passe en premier le mal économique, celui de
miers : la description atomisante temps par l'analyse du « triba- l'ordre de l'avoir. Le mal écono-
et positiviste des contingences lisme ». Celui-ci est apparu mique est grave, cela s'entend.
mais aussi la modélisation socio- comme une « stratégie », résul- La dépossession économique est
centriste. Le premier choix est tante du pragmatisme colonial entretenue.
incapable d'analyser la sub- d'une part et d'autre part Sans vouloir nier ses inciden-
stance. Il est partiel et inapte à comme une « idéologie » ; en tant ces scandaleuses, inhumaines et
la signification des sociétés glo- que tel, « il est une volonté déli- les conséquences sociales trau-
bales. Le second est partial, bérée de diviser les communau- matisantes, cette dépossession
parce que normatif et axiologi- tés et de favoriser certaines peut être stoppée. Les solutions
que. Il reconduit l'évolutionisme d'entre elles dont les dirigeants pour y parvenir tiennent à la
unilatéral inadéquat par rapport africains sont originaires, aux volonté politique et au change-
à la connaissance des grands dépens des autres abandonnées ment des rapports de force en
cycles de l'histoire de l'Afrique. à leur pauvreté ». présence. En revanche, la
Il importe d'emprunter une Le tribalisme ainsi entendu « dépossession de soi », com-
troisième voie, celle des inves- n'a rien de précolonial, d'autant prise comme « alinéation des
tissements sémantiques, de que les vocables de « tribu », esprits », et donc « l'aliénation
césure conceptuelle et de cou- « clans », « lignages », « ethnies » mentale » est le « péché » capital
pure épistémologique. Fidèle à et autres « États ethniques » sont dont souffre l'Afrique. Ce mal
cette méthode, nous nous som- pseudo-scientifiques et donc arti- est d'autant suicidaire qu'il

180
aliène le sujet africain, son être scientifique, il aurait fallu assi- tés humaines est le résultat de la
tout entier. gner le sens de la notion de fréquence de communications
Il importe dès lors de suivre « tribu ». Qu'est-ce donc une entre communautés globales
le conseil de Cheik Anta Diop. tribu ? L'auteur n'a pas essayé dans leur rapport au milieu, le
L'auteur des Nations Nègres et de définir ce terme. « sitz in Leben ». Dès cet instant,
Culture s'interroge : On peut admettre qu'il il n'y a point de synomyie entre
« Quel doit être le comporte- reconduit la notion que retient « différence/diversité » et
ment d'un Africain conscient ? » l'ethnologie. Nous estimons que « tribu ».
Il répond : « Il doit se dégager cette notion est hautement Le cas basque par exemple,
de tout préjugé ethnique et pseudo-scientifique. C'est une en France et en Espagne, n'a
acquérir une nouvelle forme de fiction. Car, jusqu'à preuve du jamais été présenté comme une
fierté : la vanité d'être Valaf, contraire, elle est uniquement « question tribale », ni du point
Toucouleur, Bambara, etc. doit appliquée aux populations non de vue politique ni du point de
faire place à la fierté d'être Afri- euro-américaines. Si on aborde vue sociologique. On parle plu-
cain, tant il est vrai que ces cloi- un Breton, un Corse, un Basque, tôt de « l'autonomie basque »,
sons ethniques n'existent que un Wallon ou un Flamand pour mieux autonomie de la popula-
par notre ignorance (2). » demander à chacun d'eux : tion/peuple basque. Le choix
Le comportement d'igno- « Monsieur, à quelle tribu délibéré des vocables « autono-
rance à éviter est illustré par « la appartenez-vous ? », on consta- mie » et « population » n'est pas
question tribale, un enjeu struc- tera d'emblée l'embarras que fortuit. C'est que le terme
turel, un mode de sélection cause une telle question. En « tribu » est péjoratif sinon nor-
sociale » (3). C.K. Lumuna Sando, outre, « la coexistence de com- matif. En URSS, dans les pays
son auteur, pose avec courage munautés divérses ou différen- de l'Est de l'Europe, les boule-
le problème quand il le situe au tes au sein d'un État », n'impli- versements dus à la « Peres-
niveau des structures actuelles que pas nécessairement une troika » gorbatchevienne'l'attes-
des États africains. A ce plan, en notion tribale. Il semble que la tent. Les commentateurs politi-
effet, la sélection sociale, la pro- réalité de la différence soit faci- ques parlent à la rigueur des
motion politique s'opèrent en lement confondue à celle de la affrontements « ethniques » et de
tenant compte des prétendues « tribalisation ». On peut déplorer l'indépendance des peuples :
« cloisons ethniques ». cette confusion. Baltes, Lettons, Croates, etc.
Toutefois, affirmer qu'il existe La différence est une évi- Par ailleurs, en abordant le
« une question tribale » qui, selon dence inscrite dans la nature, concept de l'« État » en Afrique,
les propres termes de l'auteur, car dans notre condition sub- il est prudent de ne pas affirmer
est « liée à l'existence de com- lunaire, il n'existe pas deux enti- que : « L'État est d'origine exo-
munautés (appelées ethnies, tés parfaitement semblables. gène, colonial. » S'il s'agit des
minorités, micronations, etc.) Même les jumeaux monozygotes États actuels, c'est bien vrai.
amenées d'une façon ou d'une s'affirment grâce à leur diffé- Mais s'il faut se référer à l'His-
autre à une coexistence au sein rence de personnalité. La diffé- toire générale de l'Afrique, il n'y
d'un État ! », c'est reconduire rence impliquant la diversité a aucun doute, l'Afrique a connu
des notions péjoratives et invali- n'est donc pas une tare. C'est des États précoloniaux. La défi-
des. Au plan épistémologique, une loi naturelle. Elle est une nition du concept de l'État, rele-
l'analyse prête à caution. richesse dans la condition vant de la sociologie politique,
L'exemple que l'auteur donne humaine et extra-humaine. En en témoigne. Elle s'applique à
est celui « des Bretons, des Bas- revanche, la fiction tribale est l'Afrique millénaire. En outre, la
ques ou des Corses en France » éminemment artificielle parce prudence commande de ne pas
comme celui des « Flamands et que résultante de l'intervention se contenter de poser sans
Wallons » en Belgique. de l'esprit ethnologique. démonstration que « la question
A la vérité, pour que « la Dans le cadre socio-culturel, tribale serait liée à la naissance
question tribale » ait un statut la différence entre les collectivi- de l'État-nation et à la transition

181
au mode de production capita- Une esquisse de définition leurs membres respectifs : Con-
liste, ce qui en ferait une question est retenue quand C.K.L. Sando grès, manifestations publiques
universelle ». Il vaut mieux éviter écrit : « Ce lieu d'intégration de non unitaires le l er mai (par
cette affirmation d'ordre idéolo- tribus associées... est reconnais- exemple), mots d'ordre de
gique plutôt que sociologique. sable par son territoire commun, grève à des heures et périodes
On peut reconnaître à la sa langue commune, son organi- différentes dans les entreprises,
suite de l'auteur que la « ques- sation politique cohérente, son divergences de point de vue
tion tribale est en effet préoccu- histoire spécifique. » sur la Pologne ou l'Irak, diminu-
pante ». Elle l'est à notre avis, A la vérité, une telle défini- tion du pouvoir d'achat accepta-
parce que liée à des raisons tion porte un vice. Si elle est ble mutatis mutandis par la
stratégiques, à des artifices et à maintenue, elle équivaudrait à CFDT ou refusée avec réserve
l'invention de l'esprit, bref à dire : le Royaume-Uni, la par la CGT, la première a plus
l'opinion, celle de Monsieur et France, l'Allemagne Fédérale, d'affinité avec le parti socialiste
Madame tout le monde. Elle ne les États-Unis d'Amérique, pour et la seconde avec le parti com-
peut se prévaloir d'une recher- ne citer qu'eux sont des muniste, etc. Les deux centrales
che scientifique, en l'espèce, de « nations tribales ». En effet, syndicales ont des communau-
la science sociologique. Car viendra-t-il à l'esprit du commun tés dispersées sur toute l'éten-
l'objet de cette dernière est des mortels de nier aux États due du territoire français ! Con-
avant tout un univers social, précités : un territoire commun, clusion ? La CFDT et la CGT
celui qu'assignent les ensem- une langue commune, une orga- pratiquent le « national triba-
bles sociaux/systèmes vécus ou nisation politique cohérente et lisme » !
représentations collectives en une histoire spécifique ? Ils Aussi les Parisiens, les
interaction. Or, nous savons que constitueraient donc tous des Bruxellois, les Kinois ou les
la fameuse « tribu » est une fic- « nations tribales » ? Dakarois sont censés former
tion ou une invention de l'esprit Parlant du concept de « tri- une communauté qui les lie à
africaniste ! Dans ce sens, une balisme », deux réalités ont été leurs régions respectives : la
analyse démonstrative et systé- retenues par notre auteur : région parisienne/île de France,
matique devrait la dénoncer et d'une part, « le national triba- la ville de Bruxelles, la ville de
éviter de reconduire les illu- lisme » comme ensemble de Kinshasa ou la région de Cap
sions du sens commun. pratiques sociales qui renforcent Vert. Et donc, les Parisiens, les
Dans le même ordre la solidarité discriminatoire Bruxellois, les Kinois, ou les
d'idées, il est mal venu de rete- entre les individus membres Dakarois affichent un comporte-
nir l'expression : nos concepts d'une communauté dispersée, ment dit « national tribal » !
propres (4). Aussi inviterions- d'autre part le nationalisme tri- On en conviendrait, de
nous l'auteur à revoir l'idée sui- bal qui lie une communauté à sa pareils énoncés sont ambigus. Il
vante : « Nous appellerons les région (exemple, le Ntanda des vaut mieux les abandonner. Il
communautés tribus, ethnies, Luba-Shaba) vécue comme une serait donc malencontreux que
peuples, les nations tribales. » propriété commune.(5) ». la « question tribale » assume un
C'est une affirmation simple. Ces définitions véhiculent tel raisonnement. Nous compre-
Elle n'est pas démonstrative. une équivoque. Elles exigent nons les préoccupations loua-
C'est une tautologie. Celle-ci est une illustration pour être mieux bles de l'auteur de La question
aussi attestée dans l'énoncé sui- comprises. Prenons l'exemple tribale. Sa bonne volonté et sa
vant : « La nation tribale repré- des syndicats français : la CFDT bonne foi ne sont pas mises en
sente le lieu d'intégration des et la CGT. doute. Le reproche qu'on peut
tribus associées ou d'une seule Ces deux centrales syndica- lui faire n'est pas lié aux problè-
tribu. » Il est important de noter les ont bel et bien, l'une et mes évoqués et qui sont
que quand on circonscrit un l'autre un ensemble de prati- d'actualité. Dans son texte, le
terme, il faut éviter de le recon- ques sociales qui renforcent la concept est évanescent, pres-
'duire dans la définition. solidarité discriminatoire entre que absent. Son épistème a le

182
désavantage de trahir la réalité (*) La Guerre civile tant redoutée en Yougoslavaquie sur quoi repose-t-elle ?
africaine séculaire, parce que le
pouvoir du concept et de l'expé- (*) Ce régime vient d'être aboli officiellement en juin 1991. Toutefois l'apartheid n'est
pas fini, car il est un État mental ?
rience des sociétés globales en
Afrique ne sont pas conciliés (6). (1) Cf. L'Africain : Carnaval 1982, 20e année, p. 3 à 11.
Il importe dès lors de s'inter-
roger. Qu'est-ce donc « un (2) C.A. Diop, Nations nègres et culture, t. 2, Prés. Africaine, 1979, p. 504.
lignage », « un clan », « une tribu »,
« une ethnie », « un État », « une (3) In L'Africain, Pentecôte 1982.
Nation », « un pays ».
Déconstruire ces termes et (4) Consulter C. Anta Diop qui fait une distinction heureuse entre « concept univer-
indiquer leur adéquation ou ina- sel » (objet de la science) et « concept spécifique » (objet de la littérature naïve), voir
Civilisation ou Barbarie, Présence Africaine, 1981.
déquation à la réalité socio-
politique de l'Afrique séculaire et (5) Nous souhaiterons que Lumana Sando traduisît littéralement le terme « Ntanda »,
proposer des concepts adéquats celui-ci est évocateur.
parce que définissant le tissu
social africain, est l'unique voie (6) L'exemple que nous avons retenu pour illustrer ce chapitre sur « la question de
méthode », sert à illustrer la prudence et la vigilance que les chercheurs africains doi-
salutaire. vent afficher pour parvenir à « la connaissance de soi ».
C'est en définitive poser le
vrai problème ; le seul qui mérite
une explication systématique,
scientifique.

Jeune danseuse.

183
Mutombi — deuxième rite de passage séjour dans les limbes et renaissance au
pied de l'arbre de vie.

La harpe a été sculptée avec la machette qui est façonnée par l'herminette. Elle
est arrivée au village pour vivre longtemps et se perpétuer jusqu'au village des
étoiles. Camélion lézard rouge notre procession est pareille à vos taches de cou-
leur. Mère Mwaké tu bondis comme une balle de caoutchouc vers le ciel. Nous
pleurons Mbindi, mais voyez ses mouvements de gaieté.

O chimpanzé monstre aux sourcils avancés.

Voici l'arrivée du soleil au débarcadère du monde, au périple caché du soleil.


Disoumba Disoumba.
Porte de la naissance. En rampant dans l'obscurité entre les jambes des anciens
l'initié se glisse dans la trace souterraine du python. Il entendra la voix surrè-
gue du spectre de la jeune fille morte et saura sa renaissance prochaine à la clarté
aveugle de l'arbre de vie.

Moutombi — l'arbre de vie.

Au début était le talisman de fécondité, c'est le ventre qui a mis au monde


Disoumba début et fin de tout chose. Aujourd'hui c'est la remontée vers l'amont,
vers l'être qui s'agite tel un reptile ou tel l'oiseau bavard qui saute de branche
en branche. C'est le vieil ancêtre qui dispense les conseils, c'est la langue qui
saute entre les dents et qui ramasse les choses de la rivière profonde. Voici le
soleil qui apparaît à l'est amorçant sa courbe pareille à celle du plantoir forgé,
pareille au dos voûté des vieilles personnes et de l'enfant prêt à naître. Disoumba
que l'on descende ou que l'on remonte la rivière, l'homme ne change pas de
forme. Aussi petit qu'une aiguille il remonte le cours de la rivière et commence
à bouger dans le pays des nombreuses racines. C'est alors qu'il reçoit l'ensei-
gnement dans l'enceinte secrète puis il arrive au pied de l'arbre rouge et com-
mence à sortir la tête, le corps et les membres que l'on dénombre comme les
cordes de la harpe et il aperçoit la lumière jaune du soleil, la lumière blanche
de la lune, la boule rouge de la vie la boule rouge des ténèbres et le grand dan-
seur qui terrifie.

Mobongo.

Le harpiste est solitaire telle une liane qui ne croît qu'isolée.

184
COURRIERS
LIVRES
ET L'AFRIQUE ENFANTA L'HOMME
A PROPOS DU LIVRE DE JOSEPH REICHHOLF :
L'ÉMERGENCE DE L'HOMME,
Paris, Flammarion, 1991 par Emboussi NYANO

Le propos n'est pas nou- digme nouveau auquel recourt dépendant aussi peu d'énergie
veau : retracer les voies par les- Joseph Reichholf. Jusqu'ici, que possible, de son alimenta-
quelles l'humanité est parvenue l'évolution des espèces s'expli- tion, en l'occurrence la chair
à l'existence ; certes, nombre quait par la théorie de la com- des animaux morts dans la
de recherches ont été effec- pétition entre prédateur et savane. La nécessité de se
tuées, mais il n'en demeure pas proie. Notre auteur en souli- refroidir imposait pour sa part la
moins que bien des doutes res- gnera les limites au travers perte des poils, dont l'effet pro-
tent à dissiper. Joseph Reichholf d'exemples tels celui des ongu- tecteur par rapport aux rayons
nous livre le résultat de ses ligrades dont l'évolution, si elle ultraviolets du soleil sera com-
investigations à travers un était expliquée par cette théorie pensé par le brunissement de la
ouvrage dont nous devons à devrait supposer un déséquili- peau : nos ancêtres étaient
Jeanne Etore la traduction. bre inacceptable entre préda- noirs.
Certaines conclusions sem- teurs et proies. On retiendra Une multitude d'aspects de
blent aujourd'hui très probantes que la pression des premiers l'évolution de l'homme sont,
s'agissant de l'origine de notre est toujours trop faible, ils se grâce à ce paradigme, explici-
espèce, notamment celle-ci : contentent des sujets les moins tés ; on ne peut que regretter
l'homme est né en Afrique. Les vigoureux (vieux, malades, trop que l'auteur achoppe sur cer-
apports indépendants de la jeunes), laissant échapper le tains points, qui sont loin d'être
génétique et de la paléontologie gros des proies. Tout ceci ne des détails : il n'arrive pas à
se rejoignent à ce sujet : d'une peut véritablement stimuler une rendre compte du pourquoi de
part, l'exploration du patrimoine évolution. l'abaissement de la glotte, res-
génétique humain, par le biais L'homme pour sa part aurait ponsable du langage ; le carac-
des mitochondries nous mènent vu sa survie compromise dans tère omnivore de l'alimentation
à cette conclusion ; d'autre part, la savane ; être sans griffes ni humaine n'apparaît pas claire-
les fouilles archéologiques crocs, et par-dessus tout trop ment, l'homme n'y est saisi que
menées jusqu'ici ne nous ont lent, il aurait constitué une proie comme mangeur de charognes.
mis en présence de maillons facile pour les carnivores. S'ils L'hominisation explicitée, on
intermédiaires entre l'animal et ne l'ont pas attaqué, c'est que le comprend mieux pourquoi
l'homme que sur le continent gain en matières nutritives l'Afrique orientale en a été le
noir. Ailleurs, Java, Pékin, Néan- n'aurait jamais compensé la terrain. Elle fournissait le meil-
derthal, etc. on a trouvé de perte énergétique. leur milieu écologique pour la
« véritables hommes » et non ses Ces raisons, et bien d'autres naissance de l'homme, le seul
ancêtres. conduisent Joseph Reichholf à d'ailleurs, puisque pour des rai-
Arrivent alors les questions l'idée que l'évolution est com- sons géologiques et climatiques,
qui font la trame de ce livre : mandée par la nécessité de ce processus s'avérait dans le
pourquoi en Afrique ? Pourquoi subvenir, avec une dépense même temps impossible ailleurs.
pas ailleurs ? Questions ayant à minimale d'énergie, à ses Il faudra des modifications cli-
leur amont celle de l'hominisa- besoins, essentiellement alimen- matiques (fin des glaciations)
tion, c'est-à-dire des raisons du taires. C'est ce paradigme qui d'une part, et l'action ravageuse
passage de l'animalité à l'huma- lui permet de retracer « les che- de la mouche tsé-tsé d'autre
nité, et débouchant sur celles mins de l'hominisation », depuis part, pour fournir aux humains
relatives à l'exode du continent la station debout, jusqu'au les raisons et les conditions de
africain. langage. l'exode vers les autres
L'instrument principal de Ainsi, l'érection de l'homme continents.
cette exploration sera le para- permet de s'approvisionner, en Écrit avec beaucoup de sim-

186
plicité, le livre de Joseph Reich- femmes et des enfants dans le suspectes d' européocentrisme.
holf est d'une lecture agréable. processus d'évolution. On y apprend que l'Afrique est
Mais si la construction est rigou- source de toutes les maladies,
reuse au départ, on observe, à Le livre alterne le bon et le pendant que Joseph Reichholf
partir du 15e chapitre, un essouf- moins bon ; les propositions fait semblant d'oublier que le
flement de l'auteur, dû sans rigoureusement exposées font dépeuplement du continent est
doute à sa volonté de vulgari- parfois place à un roman de dû pour une grande part à la
ser. On notera pour l'applaudir, l'homme, surtout quand l'auteur traite négrière. Mais nous avons
la tentative, pas très réussie il se livre à des spéculations dou- pris plaisir à le lire, nous le
est vrai, de tenir compte des teuses sur le paradis perdu, très conseillons.

LA PHILOSOPHIE AFRICAINE
DE LA PÉRIODE PHARAONIQUE
2730-330 AVANT NOTRE ÈRE
De Théophile OBENGA, L'Harmattan, Paris, 1990.
Par Emmanuel Malolo DISSAKE

La question de savoir s'il existe ou non une philosophie africaine


serait à la fois banale et superficielle si les enjeux d'une quelconque
réponse n'avaient pas des implications plus grandes et plus profon-
des qu'il n'y paraît de prime abord. Certes n'y a-t-il pas que du faux
dans la conception qui soutient que c'est une fausse question, que se
la poser c'est rester au seuil du philosopher, et que si l'Afrique vou-
lait se mettre en position de revendiquer une philosophie, il lui fau-
drait écrire la Critique de la raison pure.
Nombreux sont ceux qui ont critiqué « la philosophie africaine ».
Quelle idée d'unifier et d'harmoniser ainsi tout un continent alors que
la philosophie est « une aventure individuelle » dans laquelle on ne
saurait s'embarquer collectivement. Nous ne reviendrons pas à tous
les arguments alors utilisés, mais remémorons-nous quelques-uns : cer-
tains, dont l'élève d'Althusser P. Hountonji (et la précision a ici son
importance), ont fait valoir que partout la philosophie est allée de pair
avec la science, et que comme il n'y avait pas de science africaine,
il n'aurait pas pu y avoir de philosophie africaine. Cette position fut
qualifiée en son temps d'épistémologisme, parce qu'on y vit un can-
tonnement de la philosophie à son aspect d'examen ou de réflexion
sur la science. D'autres soutinrent que ce qui était présenté sous le
label de philosophie africaine n'était rien d'autre que des philosophies

187
« Les paroles sensées sont plus cachées que les pierres vertes ; on en trouve pour-
tant chez les broyeuses de grains. »

particulières dont les auteurs étaient ceux qui les présentaient.


D'autres encore comme M. Towa déclaraient que déterrer une phi-
losophie ce n'était pas encore philosopher, alors qu'E. Njoh-Mouelle
lançait sa formule incisive : il n'y a pas de philosophie dans les pro-
verbes. Il y en eut même pour soutenir que la philosophie supposait
l'écrit, et qu'à ce titre ceux qui venaient d'une civilisation de l'oralité
étaient mal placés pour la revendiquer. Tout le monde sembla s'enten-
dre pour dire — d'une part que le matériau sur lequel s'exerçaient
les investigations philosophiques de nos bons esprits (mythes, contes,
proverbes, cosmogonies) n'était pas en soi philosophique, mais que
la réflexion qui prenait ce matériau pour point de départ et le sou-
mettait à des méthodes spéciales d'analyse, elle, l'était ; — d'autre
part, que l'ethnophilosophie dont l'exemple type passe pour être la
philosophie bantoue rwandaise de l'Être d'A. Kagame n'était pas de
la philosophie. (Il fallait alors être aussi entêté que le Père M. Hebga
pour trouver le courage d'écrire une Éloge de l'ethnophilosophie.)
Que nous reste-t-il de toute cette effervescence des années 1970 ?
A dire vrai, pas grand chose : beaucoup de vide, et surtout le senti-
ment que les arguments étaient fragiles, que précipitation, suivisme
et triomphalisme l'emportèrent sur le sérieux. Le dernier livre de T.
Obenga apporte des pièces de première importance au dossier et
renouvelle complètement la question de la philosophie africaine. Non
seulement il nous dit qu'elle existe, mais il en décline la généalogie ;
elle se diviserait ainsi en cinq grandes périodes : la pharaonique dès
l'ancien Empire (2780-2260 av. J.-C.), puis celle des philosophes et pen-
seurs d'Alexandrie, de Cyrène, de Carthage et d'Hippone, celle de
la philosophie maghrébine ensuite, que suit celle des écoles philoso-
phiques médiévales de Tombouctou, Gao et Djéné, et enfin celle de
la philosophie négro-africaine moderne et contemporaine qui, s'éten-

188
dant jusqu'à nos jours, commence avec A.W. Amo au xville siècle et
E.W. Blyden un siècle plus tard.
Les études égyptiennes ont montré que l'argument « épistémolo-
giste » est tout simplement niais, puisque les Africains non seulement
connaissaient la science, mais en plus l'ont enseigné à ceux que cet
argument utilise comme référence en parlant des conditions de nais-
sance de la philosophie. Quant à l'argument de l'écriture, reconnais-
sons qu'il est, du point de vue historique, doublement faux : d'abord
certains philosophes n'ont pas écrit, pourtant personne ne songe à dis-
cuter leur titre de philosophie ; l'exemple de Socrate est éclairant à
cet égard. Ensuite, l'Afrique connaissait plutôt bien l'écriture, et on
peut à ce sujet citer deux exemplifications que l'histoire et la géo-
graphie distinguent franchement : l'Égypte ancienne et le sultanat
Bamoun.
De toutes manières, les philosophies sont en général avides de tex-
tes ; T. Obenga ne les en prive pas. Son livre est un recueil d'un peu
plus d'une cinquantaine de perles rares, reproduites en écriture hié-
roglyphique, puis traduites en français avec une insistance particu-
lière sur la nature et l'esprit des concepts utilisés, et suivies chacune
d'un commentaire qui contextualise le texte, le rapproche d'autres
écrits connus, ou lui fait prendre place dans l'histoire des idées. Le
tout est complété d'une importante bibliographie, d'un index nominal
et d'une chronologie sélective des faits culturels et scientifiques et de
25 planches hors-texte. On peut émettre des réserves sur les com-
mentaires, déplorer parfois leur sobriété, demeurent les textes qui
constituent l'essentiel. Mais si les textes montrent et révèlent, il faut
encore savoir de quel côté regarder, chercher : les commentaires
d'Obenga sont particulièrement précieux à ce sujet ; ils livrent des
éléments complémentaires et mettent un point d'honneur à rendre ces
textes solidaires, à des points divers, de la pensée négro-africaine
telle qu'elle s'exprime chez les Dogons, les Bantou ou d'autres grou-
pes africains, ce qui montre bien une ligne de pensée continue (bien
que comportant diverses bifurcations) entre les Égyptiens anciens et
les Africains noirs habitant le continent.
L'argument de Towa ne peut s'appliquer à une recherche de ce
genre, car elle ne s'occupe pas d'exhumer quoi que ce soit et de
s'y tenir paresseusement ; il s'agit au contraire de mettre à la dispo-
sition des uns et des autres des éléments d'une tradition à étudier,
à exploiter, ce qui, en fournissant des bases, supprime la prétention
de procéder comme si le champ était une tabula rasa et qu'il faille
construire ex nihilo. Il s'agit effectivement de philosophie, au sens
riche, ancien et originel du terme, au sens d'une pensée de la tota-
lité, qui part de la question des questions, celle précisément de l'Être,
et englobe toutes sortes d'interrogations relatives aux dieux, au rap-
port à l'absolu, aux hommes, à l'avenir, au savoir de diverses scien-
ces, à l'origine de l'univers et à la constitution du cosmos, au temps
et à la mort, aux valeurs, à l'éthique et à la vie intellectuelle, au ciel
et à l'immortalité, etc.
Selon la chronologie que nous tenons de l'auteur, La Philosophie
Africaine de la Période Pharaonique restitue les archives les plus loin-
taines de la philosophie africaine ; il s'agit, dit le préfacier Tshiama-
lenga Ntumba, d'« une authentique histoire de la philosophie africaine
commençant vraiment par le commencement ». Pourtant l'inquiétude
d'Eboussi-Boulaga, exprimée en son temps dans La Crise du Muntu,

189
HIER

NIER
PHARAON

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ael lesstsé Mens renom.. •••••••••• UMM. Saiseeem et am* II•efetta eef
imagea atm/ . sels. «dem le amer tie M eteeemete M Thbelreb.e.
elo./de, e.reee 01 Nee.e.nbe cree.we cet nem, er1s. ' egnere paractaietwatea 3 Se Penche, Pie /lsearto
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est toujours d'actualité : et si le pourquoi d'une telle recherche était


une attitude de l'ancien esclave ou colonisé qui, pour se sentir libre
doit rivaliser d'adresse avec son ancien maître, et retrouver pour cela
en lui les marques de reconnaissance de ce dernier ! et si la reven-
dication de la philosophie correspondait à la légitimation du préjugé
que celle-ci est en quelque sorte un des critères de reconnaissance
de l'humanité ! Il n'est pas sûr que le brillant Obenga qui s'évertue
à citer interminablement ses maîtres-professeurs-censeurs ne donne
parfois l'impression que la référence est encore ailleurs.
Fort heureusement, même si de telles inquiétudes s'avéraient jus-
tifiées, la valeur de ce livre dépasserait encore de loin tout cela. Ce
premier pan d'histoire de la philosophie africaine apporte un résultat
important, assez justement énoncé depuis 1952 par Frédéric Tomlin :
« L'Egypte fut le berceau de la spéculation philosophique telle que

190
nous la connaissons. » En dévoilant les sources africaines de la philo-
sophie grecque — et donc occidentale —, le livre de T. Obenga bat
en brêche les dogmatiques thèses occidentalo-centristes à la Heideg-
ger, autant que les assertions racistes sur le prélogisme de certains
humains. Avec la modestie d'un banal recueil de textes et la richesse
d'une encyclopédie du savoir pharaonique entre 2780 et 330 avant
notre ère, Obenga nous livre un chef-d'oeuvre, une véritable bible
intarissable de curiosités en tous genres que tout intellectuel lucide
et sincère doit lire et méditer. Il nous apprend plus que n'importe
quel autre sur notre conception moderne de la connaissance, sur l'his-
toire tronquée et les origines insoupçonnées de certains éléments que
nous manipulons quotidiennement.

LECTURES D'AILLEURS

LE DIEU DE NOS MAÎTRES : SUR A CONTRETEMPS, L'ENJEU DE


DIEU EN AFRIQUE
de Fabien EBOUSSI-BOULAGA Paris, Karthala, 1991

par Emmanuel MALOLO DISSAKE

Qu'elle se nourisse aux sour- du christianisme missionnaire » indissolublement lié au crachat,


ces de l'ignorance ou qu'elle qui est, selon l'admirable for- à l'insulte, à l'esclavage, à la
procède du ressentiment, on ne mule de la présentation d'Eloi colonisation, bref à une certaine
peut s'empêcher de reconnaître Messi Metogo une véritable image du nègre et de l'Africain
qu'il existe quelque chose « cure d'amaigrissement des — et qui paradoxalement est
comme une tradition de l'anti- certitudes ». toujours le nôtre. Ici renonce-
cléricalisme chez les auteurs Être chrétien et être soi, ces ment se dit reconstruction. Il
africains, et on citerait volontiers deux appels sont-ils conciliables faut penser le principe d'un
des pans entiers de notre litté- pour l'Africain ? Telle est la christianisme qui soit authenti-
rature qui y trouvent leur prin- question principale que veut quement nôtre parce qu'il cor-
cipal sujet. Mais jamais une cri- examiner ce livre. Triptyque respond à notre expérience
tique de l'Église, de ses prati- thématique pour structure ter- toute particulière de Dieu.
ques, de son message et de ce naire, les trois parties du dis- Autour de la problématique
qui en sourd comme tout natu- cours, confesse le philosophe, de Dieu en Afrique, ce livre
rellement n'était allé aussi loin. « disent toutes la même chose. pose tout un ensemble de ques-
La réflexion organique que Chacune exige une parole chré- tions essentielles : celle de la
mène le philosophe de Yaoundé tienne ou de Dieu qui soit en misérable condition de l'intellec-
interroge de l'intérieur, et, même temps prise de responsa- tuel africain, condamné à errer
recourant à l'analyse génétique, bilité de soi de l'Africain ». Mais sur les terres des autres en
découvre sous des pratiques la simple formulation de cette guise de reconnaissance, à faire
une lecture, et sous la lecture, exigence bipolaire sonne le glas fructifier un héritage qui lui
des institutions et une idéologie de ce qui, précisément, rend sa échappe parce qu'il n'est pas le
plus que contestables. Le tout réalisation impossible, à savoir sien — celle de notre christia-
donne une « mise en question le christianisme missionnaire — nisme qui, pour prétendre sor-

191
tir de sa crise actuelle, doit être
complètement repensé — celle
de l'État postcolonial qui n'est
finalement si bien de conni-
vence avec l'Église que parce
qu'il lui emprunte ses méthodes
que sont l'annihilation, l'abrutis-
sement, la multiplication de la
dépendance et l'ensemble des
ruses de la violence. Nous pou-
vons désormais égrener le cha-
pelet de nos fragiles certitudes ;
aucune n'échappe au sévère
réquisitoire d'Eboussi-Boulaga
de la vérité, il est dit qu'elle
n'est ni une « idole », ni une
« propriété privée » ; chacun doit
en faire l'expérience, personnel-
lement, et le sens ne se trouve
univoquement déposé nulle
part, surtout pas chez le clerc
dont l'exégèse assure le succès
de « l'hégémonie intellectuelle »
occidentale tout en sauvegar-
dant sa place de privilégié. La
vérité est à chercher, elle est à
faire au jour le jour, c'est une
investigation qui se féconde de
nos expériences et par laquelle
nous accouchons de nous-
mêmes. Les déterminations reli-
gieuses sont montrées comme
arbitraires ; une lecture witt-
gensteinienne de l'enseigne-
ment de la foi conclut à son
absurdité ; l'Europe est mise au
défi de s'évangéliser elle-même
en premier si elle veut faire la
preuve de l'opportunité de la
mission et de l'universalité de
son message ; on relève le
recours à Dieu lui-même comme
à une force offensive ou défen-
sive selon les besoins de la
cause, ce qui donne lieu à des
jeux de puissance et à la
confrontation.
Le titre peut paraître trom-
Personnage agenouillé sous un palmier qui se rafraîchit à un cours d'eau. peur. Eboussi-Boulaga ne s'ins-

192
talle pas dans la perspective Les sept textes, ici rassem- compte. Mais peu importe ; res-
appauvrissante qui réduit Dieu à blés, ont été écrits à contre- tera ce programme qui déborde
son seul nom, et aux attributs temps, et témoignent de la fidé- la question du christianisme et
qui y sont liés dans certains lité d'une pensée qui, courageu- montre le chemin : exister, c'est-
systèmes de relation. Si comme sement, navigue à contre- à-dire être par soi et pour soi,
dit l'auteur parlant de Dieu, courant de l'immobilisme, du se prendre en charge et ne pas
« son référentiel propre est le suivisme ou de l'hypocrisie du se contenter de laisser l'autre
tout », on entrevoit combien peut statu quo, sans pour autant me constituer et m'enfermer
être vaste le champ d'intérêt et « sacrifier aux idoles de la dans ses étroites catégories ;
l'importance de la question. La vanité et de l'autojustification ». penser, c'est-à-dire développer
question de Dieu, c'est celle Aux réactions violentes qui ont sa propre vision, scruter et
des hommes, de leur sort, du
suivi certains articles dès 1974, interpréter librement le monde,
rapport qu'ils entretiennent avec
succéderont celles d'aujour- de façon à en donner une lec-
l'absolu, de ce qu'il peut répon-
d'hui, car avec Eboussi-Boulaga, ture qui concorde pour chacun
dre à la veuve et à l'orphelin,
du type de message qui, de par chacun en prend pour son avec son histoire, sa culture, sa
les positions historiques spécifi-
ques peut ou non être reçu ;
c'est aussi celle des responsa-
bles de l'Église plutôt occupés
à s'enrichir personnellement,
celle de la crise de l'institution
au sein de laquelle tolérance,
laxisme, anarchie et opportu-
nisme se confondent, celle des
pseudo-conversions et des pra-
tiques de façade. Ce livre sur le
christianisme traite de part en
part de politique : les conditions
de possibilité d'être à la fois
chrétien et Africain renvoient en
effet en amont à celles d'être
Africain chez soi en Afrique,
non pas seulement objet de con-
voitise, de torture, d'exploitation,
d'expérimentation ou d'asservis-
sement aux idéologies venues
d'ailleurs et grossièrement pla-
quées sur une réalité têtue,
indocile, mais sujet créateur de
sa propre histoire. Ce que
prône le philosophe, c'est une
réappropriation de nous-mêmes,
une réconciliation avec l'histoire
que nous faisons, et dans
laquelle tout acte prend sens
pour nous. Les luttes actuelles
qui embrasent le continent n'ont
à terme pas d'autre objet. Manuscrit arabe du 1v. siècle.

193
différence, ses appels d'ici et de ser des mots aux choses, résou- de toutes sortes, démissionnaires,
maintenant, et non pas seulement dre les problèmes réels, tout sim- ou simplement conformistes
répéter, réciter les a priori des plement vivre. Dans cette Afrique parce qu'égoïstes, on peut être
autres en les croyant siens ; Agir, d'intellectuels corrompus et irres- fier de trouver encore quelques
c'est-à-dire faire le monde, pas- ponsables, prisonniers de sectes esprits comme notre philosophe.

INTERACTION ENTRE PHOTONS


ET GRAVITONS
INCOMPLÉTUDE DES ÉQUATIONS
DE L'ÉLECTRODYNAMIQUE
ET DE LA GRAVITATION
Jean-Paul MBELEK.
Nous pensons que le redshift d'une constante cosmologique mologique. De plus nous envisa-
cosmologique est une loi géné- non nulle dans les équations du geons la détection des ondes
rale de la physique liée à un champ de gravitation. Les équa- gravitationnelles par des systè-
couplage entre la gravitation et tions de l'électrodynamique sont mes électromagnétiques. La
l'électromagnétisme. Nous pos- incomplètes, car elles ne tien- théorie ainsi développée se
tulons l'existence de gravitons nent pas compte du couplage prête bien aux vérifications
scalaires. Ces gravitons scalai- entre gravitons et photons (défi- expérimentales et est prédicti-
res peuvent être échangés nis comme des particules ponc- ble.
entre différentes particules indé- tuelles). La nouvelle approche
pendamment de leur nature pour formuler les équations de Des phénomènes en appa-
propre, en particulier entre pho- l'électrodynamique met l'accent rence très différents comme le
tons, entre gravitons ou entre un sur la notion, pour nous très redshift cosmologique, l'élargis-
photon et lui-même (self- physique, de corps d'épreuve sement naturel des raies spec-
interaction) provoquant ainsi des ainsi que sur les conditions ini- trales ou le bruit de scintillation
interactions entre ces différentes tiales. Nous aboutissons ainsi à impliquent tous une relation de
particules, tel que l'élargisse- une généralisation de la force dépendance en fonction de la
ment naturel des raies spectra- de Lorentz, à une interprétation fréquence des photons.
les. Dans certaines conditions, du redshift cosmologique, à une Pourquoi n'y verrait-on pas
cette interaction propagée par meilleure compréhension de différentes manifestations d'un
le graviton scalaire peut appa- l'origine physique du bruit de unique phénomène plus fonda-
raître supralumineuse. Le gravi- scintillation et de la « cinquième mental ? Mais il est générale-
ton scalaire devient massif dans force ». Nous estimons la valeur ment admis que le redshift est
de très petits domaines de actuelle de la constante de Hub- du ressort de la cosmologie fon-
l'espace-temps ; c'est cette pro- ble et la température du rayon- dée sur la relativité générale et
priété qui justifie l'apparition nement électromagnétique cos- que l'élargissement naturel des

194
raies spectrales est du ressort apparaît dans cette métrique, approche unitaire et globale.
de la théorie quantique (rela- n'est pas explicitée et que son Les deux postulats de départ
tions d'indétermination de Hei- sens de variation (il est néces- sont : l'existence de gravitons
senberg). Quant au bruit de saire que R(t) soit une fonction scalaires et l'interaction entre
scintillation, il est resté jusqu'à croissante pour pouvoir parler photons et gravitons. Admettant
présent incompris. de redshift), en se fondant uni- la réalité physique d'une inter-
Cependant si l'on regarde quement sur la théorie, est indé- action entre photons et gravitons
de plus près, on se rend terminé. De plus les équations par échange de gravitons (sca-
compte que la relativité géné- d'Einstein sont habituellement laires ou tensoriels), nous avons
rale, lorsqu'elle intègre le prin- écrites avec une constante cos- été amené à reformuler les
cipe cosmologique, ne donne mologique nulle. Or nous savons équations de l'électrodynami-
pas une explication satisfaisante que les conditions essentielles que. Nous retrouvons les équa-
du redshift cosmologique. En imposées à ces équations sont, tions de Maxwell et, à un terme
effet la formule du redshift cos- en toute généralité, compatibles additif près faisant apparaître la
mologique, déduite de la métri- avec une constante cosmologi- constante de Hubble, l'expres-
que de Robertson-Walker, est que non nulle. sion de la force de Lorentz. A
incomplète puisque la fonction Nous avons tenté de surmon- partir de cette conception
(facteur d'échelle) R = R(t) qui ter ces problèmes à partir d'une microscopique de l'inter-

Hiéroglyphe (A. Esso).

195
action entre les gravitons et la précisons sa différence par rap- tion entre photons et gravitons.
matière ou le rayonnement, nous port au graviton tensoriel et don- Nous appliquons cette nouvelle
proposons et étudions expéri- nons une interprétation du red- équation proposée à la résolution
mentalement la détection des shift cosmologique, liée à l'émis- des problèmes suivants : le red-
ondes gravitationnelles par des sion spontanée de gravitons sca- shift cosmologique, le bruit de
systèmes électromagnétiques. laires par les photons. Puis, pre- scintillation, la « cinquième
nant en considération les postu- force », le rayonnement cosmolo-
Ce travail comporte deux lats admis, nous reformulons les gique, la détection des ondes
parties. En premier lieu, nous équations de l'électrodynamique gravitationnelles, les phénomè-
définissons le graviton scalaire, afin de tenir compte de l'interac- nes « supralumineux »...

LECTURES D'AILLEURS
LE BANTU RADIOSCOPÉ, OU ESSAI D'ETHNOGRAPHIE RÉNOVÉ DES
PEUPLES ET CULTURES D'AFRIQUE NOIRE :
PRÉSENTATION DES DATES DU COLLOQUE SUR LES PEUPLES BANTU,
MIGRATIONS, EXPANSION ET IDENTITÉ CULTURELLE

par André NDOBO

2 tomes, Paris, L'Harmattan, 1985

Tantôt paternaliste, tantôt caractérisé la dénonciation de de redynamiser l'homme noir,


déformée par le conditionne- ces excès a, malheureusement, de le mettre en phase avec son
ment culturel des chercheurs occulté la pertinence du dessein histoire passée et présente, assu-
africanistes, l'ethnographie a d'auto-affirmation culturelle qui mée globalement et non pas seu-
trop souvent desservi les cultu- lui était sous-jacent. Certains lement hypostasiée (divinisée), et
res et les peuples africains. clercs africains, déstabilisés par d'exorciser ce complexe d'infé-
Selon les cas, les études et les l'extrémisme des critiques, pour riorité qui le maintient dans la
analyses aboutissaient, soit à un éviter l'imputation de « pleureu- passivité, en en faisant un récep-
plaidoyer favorable, non dénué ses perpétuelles », se confinent tacle des modèles élaborés par
d'émerveillement exotique et de dans une prudence accommo- d'autres. C'est dans cette opti-
sentiment de culpabilité histori- dante et consensuelle. Et cette que que nous apparaît le projet
que, soit à la dévalorisation au attitude paralysante a laissé le général du CICIBA (Centre
nom d'une conception classifica- champ libre et, par conséquent, International des Civilisations
toire des cultures humaines. Les le monopole des recherches, Bantu), maître d'ceuvre du 4e col-
mouvements de la Négritude et aux africanistes dont certains se loque sur les peuples Bantu,
de l'Authenticité étaient porteurs sont livrés à des élucubrations leurs migrations, leur expansion
d'un projet visant à rénover le les plus impertinentes et les plus et leur identité culturelle. Ce col-
regard sur les peuples noirs et insensées. loque qui se tient au Gabon est
à lui restituer une dimension A l'évidence, l'ethnographie doublement symbolique. D'une
d'objectivité convenable. Cette des peuples africains reste à part, il consacre la maturité du
revendication essentielle a eu faire. La condition d'objectivité CICIBA en tant qu'institution
ses excès, notamment à travers et de comparabilité est un anti- scientifique renommée, oeuvrant
son incarnation dans le discours dote aux jugements de valeur. à la connaissance et à la recon-
politicien, démagogique et popu- Elle permet d'apprécier les cul- naissance des Bantu, compo-
liste. Mais la perfidie qui a tures africaines. Sa téléologie est sante importante des peuples

196
d'Afrique noire ; d'autre part, il
constitue un hommage pour le
pays qui n'a pas ménagé ses
moyens en vue de cet objectif.
La maturité de l'institution va
de pair avec la diversification
des domaines de recherches.
Ainsi, les assises de Libreville
permettent de constater, à tra-
vers la variété des communica-
tions et des thèmes explorés,
que la question Bantu est un pôle
scientifique qui cristallise de plus
en plus l'intérêt des scientifiques
et concerne davantage de disci-
plines des sciences sociales. La
focalisation originelle sur la lin-
guistique est devenue étroite.
Elle est complétée par une.
approche pluridisciplinaire et
exhaustive, qui s'appuie sur une
analyse détaillée des faits « pro-
vince culturelle par province cul-
turelle ». C'est la condition, selon
Théophile Obenga, de « l'émer-
gence de la conscience Bantu Danxome (Musée Dapper).
dans le monde contemporain ».
En somme, Obenga invite oppor-
tunément à dépasser le procès faits ne sont nullement le fruit miaulements de chat ; sa pein-
de la linguistique pour « faire le d'un apport extérieur, bien qu'ils ture du sirop de sucre. Il répète
point de nos savoirs sur les aient pu s'enrichir au contact des que sa musique est vulgaire et
oeuvres dues à l'imagination autres cultures. Ce sont des faits sa peinture écoeurante ».
créatrice des peuples Bantu ». qui ne peuvent être comparés Mais, ce type de spécialisa-
Que les linguistes, les philoso- qu'à eux-mêmes. Ils sont fonc- tion sur une aire culturelle pré-
phes, les historiens, les ethnolo- tionnels, laïques ou sacrés, con- cise peut inquiéter les partisans
gues, etc., apportent leur pierre voyeurs d'une philosophie ou de l'unification ; ils peuvent
à cet édifice, tel est le message. d'un mode de conceptualisation même y voir des formes liminai-
Le projet tient ici de l'ency- précis, ils renseignent sur les res d'un nationalisme conqué-
clopédie. Dès lors, l'affirmation caractéristiques propres et rant. On connaît bien les dérives
d'une pluridisciplinarité irréver- l'identité des Bantu. On est bien du romantisme allemand, cons-
sible dans la connaissance loin de la glose méprisante qui a truit autout du peuple (« Volk ») et
exhaustive du monde Bantu été souvent appliquée aux de l'identité allemande. Le
relève d'un banal truisme. oeuvres africaines, au point d'en projet-programmatique du
Les recherches exposées convaincre les africains eux- CICIBA peut alors apparaître
sont multiples, complexes et mêmes. Albert Memmi (Portrait comme une théorie du nationa-
cohérentes. Elles présentent des du Colonisé, Payot, 1973) le lisme bantu. On peut ainsi s'éton-
faits coextensifs au peuplement résume très bien en ces termes : ner de ce narcissisme du clo-
et aux exigences d'adaptation « on a déclaré au colonisé (afri- cher qui se regarde, au détri-
géographique des Bantu. Ces cain) que sa musique, c'est des ment de l'« empire » africain,

197
alors même que le continent en trouve ici, paradoxalement, un regroupement, à la solidarité et
déréliction aurait plutôt besoin sens. Les recherches Bantu ne non au partage ou au chagrin ».
de structures politiques et écono- miment pas la frilosité et la sclé- L'approche générale du col-
miques recomposées et unies. rose ethnocentrique. L'efficacité loque n'est pas paralysée par
En réalité, il faut feindre une méthodologique impose actuelle- des oeillères idéologiques et
ignorance coupable pour ne pas ment de se centrer sur les peu- scientifiques. La tonalité est ici à
tenir compte de la représentati- ples Bantu. Il va de soi qu'un la fraternisation et au dialogue à
vité du groupe Bantu. Il s'agit de objectif à long terme concerne la grande échelle. Les enjeux con-
150 millions d'hommes et de fem- comparaison des convergences cernant la survie économique et
mes, parlant environ 450 langues et des divergences avec les culturelle des millions d'Afri-
et répartis dans 20 États. Il est autres peuples africains. c'est cains réduits à un état de paupé-
plausible de considérer le con- ainsi que le colloque a été défini risation outrancière. Une condi-
cept de Bantu comme un attribut comme « une chaîne d'amitié et tion nécessaire pour les Bantu
globalisant de l'Afrique. C'est de fraternité » à l'intérieur et à c'est d'effectuer un effort de
alors un mot générique, et la l'extérieur de la maison Bantu. Et jugement et d'évaluation sur eux,
métaphore céleste de la vulgate l'effort du CICIBA est considéré sur ce qu'ils sont. C'est l'impéra-
raciste qui désigne tout Noir par comme celui de tout le monde, tif scientifique du « connais-toi
le terme péjoratif de Bantu comme un hymne à « l'unité, au toi-même ».

Amon. Musée du Louvre (Bill).

198
Le quatrième colloque du autres contribuent à cet inven- Les assises gabonaises cons-
CICIBA consacre un mariage taire urgent des potentialités et tituent un tremplin vers la recon-
heureux. Cela est rare pour être du génie créateur et conceptuel quête du patrimoine africain nié
souligné, la fonction du politique des peuples Bantu et, a fortiori, et bafoué. Cette reconquête se
en Afrique ayant trop souvent été de tous les peuples d'Afrique fera, en éliminant les monogra-
d'excommunier les hommes de noire. C'est un ouvrage indénia- phies réductrices, sommaires et
sciences et de les contraindre à blement et inlassablement « mili- partisanes des premiers ethno-
l'exil — du politique et de l'intel- tant », d'autant que, dans certains graphes, ou ne se fera pas. C'est
lectuel, des ressources matériel- cercles, le clairon de l'incapacité une oeuvre qui, traversant les
les et des compétences scientifi- atavique des Noirs à la création générations, doit toujours davan-
ques. L'autonomie, provisoire- culturelle et à la complexité tage s'enrichir et témoigner de la
ment disqualifiée, les uns et les scientifique sonne toujours. vitalité de chaque fils Bantu.

199
EAST-WEST CULTURAL
DIFFERENCES

BLACK PEOPLE
East
We live in time
We are always at rest
We are passive
We like to contemplate
We accept the world as it is

We live in peace with nature


Religion is our first love
We delight to think about the meaning of life
We believe in freedom of silence
We lapse into meditation WHITE PEOPLE
We marry first, then we love West
Our marriage is the beginning of a love affair You live in space
It is an indissoluble bond You are always on the move
Our love is mute You are aggressive
We try to conceal it from the world You like to act
Self-abnegation is the secret of our survival You try to change it according to your
We are taught from the cradle to want less blueprint
and less You try to impose your will on her
We glorify austerity and renunciation Science is your passion
Poverty is to us a badge of spiritual elevation You delight in physics
You believe in freedom of speech
You strive for articulation
You love first, them marry
Your marriage is the happy end of a romance
It is a contract
Your love is vocal
You delight in showing it to others
Self-assertiveness is the key of your success
You are urged everyday to want more and
more
You emphasize gracious living and enjoyment
It is to you a sign of degradation

201
RECTIFICATIF
NOMADE N° 3
DIRECTEUR DE PUBLICATION :
Dou KAYA
RÉDACTEUR EN CHEF:
Dou KAYA
REWRITING, SECRÉTARIAT DE
RÉDACTION :
Michèle MAUBLANC
Sabine MERLE DES ILES
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Aristide ESSO
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Aude DOUARINOU

ÉPIGRAPHIE AFRICAINE. COURS DE HIÉROGLYPHES


30 jours de cours intensifs (2 heures par jour)
Programme
— Niveau 1 : maîtrise des signes, grammaire, approche africaine (vocalisation).
— Niveau 2 : approche africaine (vocalisation), étude de textes.
« L'Égypte jouera dans la culture africaine repensée et rénovée le même rôle que les antiquités
gréco-latines dans la culture occidentale. » Cheikh Anta Diop, Civilisation et Barbarie (Paris. Pré-
sence Africaine, 1981 — p. 12).
Écrire à Nomade, 15, rue Michell-Chasles — 75012 Paris (France). Contribution : 500 FF par séminaire.
203
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Mariétou DIONG (Sénégal)
Patrick APLOGANG (Bénin-Togo)
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Gachimi BETAYENÉ (Cameroun)
BULLETIN D'ABONNEMENT Fadhima THIAM (USA)
ÉDITEUR :
JOM L'Harmattan, 7, rue de l'École-
Polytechnique, 75006 Paris
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