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Résumé
L'exploitation illégale des bois d'œuvre est un phénomène qui n'est pas nouveau, mais dont l'échelle a
changé du fait de transformations dans les conditions légales et socio-économiques qui prévalent
dans le secteur forestier dans les pays tropicaux. Si, dans les débats internationaux, on insiste
volontiers sur la corruption et la "mauvaise gouvernance", les analyses sur les causes sous-jacentes
de l'essor de ce phénomène restent parfois insuffisantes. Or, trois dynamiques majeures
s'entrecroisent:
Si les analyses ne prennent pas en compte les changements structurels qui affectent le secteur
forestier dans les pays tropicaux, il est peu probable qu'elles soient en mesure de proposer des
solutions à la hauteur des défis présents.
Sanctionner l'exploitation illégale est certainement nécessaire. Encore faut-il être en mesure de
caractériser et de placer dans leurs contextes les pratiques illégales, tout ne pouvant être mis sur le
même plan. Un essai de typologie de différentes infractions forestières, dans lequel on s'est efforcé
d'évaluer chacune de ces infractions selon quatre critères, est présenté dans ce papier. En fait,
s'attaquer aux causes sous-jacentes de cet accroissement massif de l'illégalité reste la première des
mesures à prendre. Il s'agit d'abord d'un problème de sous-développement et de mal-développement.
La notion "d'exploitation illégale" est plus difficile à cerner qu'on ne peut le croire. Les lois et
règlements en vigueur dans les pays sont très hétérogènes. Les infractions sont disparates et n'ont
pas le même degré de gravité, tant vis-à-vis des lois du pays que de la gestion de la ressource. On
risque de pénaliser des pays qui font des efforts pour améliorer leurs systèmes réglementaires.
Quand Friends of the Earth (2001) avance que 70 % du bois est coupé illégalement au Gabon, en
s'appuyant sur le fait que seule une partie de la profession s'est lancée dans la réalisation des plans
d'aménagement devenus obligatoires, il donne une image erronée de l'évolution du contexte forestier
et des conditions de gestion. Les perspectives de l'aménagement sont plutôt meilleures au Gabon
qu'ailleurs, et la ressource est moins menacée qu'en Guinée Équatoriale voisine par exemple.
Il reste que la surexploitation des forêts tropicales est une réalité qu'il serait assez vain de nier. Il faut
en comprendre les causes. La corruption et la "mauvaise gouvernance" sont mis en avant, ainsi que la
"mauvaise définition des droits de propriété" sur la forêt (Contreras-Hermosilla, 2001). Ceci est
incontestable, mais à s'en tenir là on risque de passer à côté de dynamiques essentielles.
L'exploitation illégale découle d'une évolution d'ensemble des contextes forestiers nationaux, lesquels
sont soumis à la dynamique du commerce international des bois et aux changements techniques qui
affectent le domaine de la transformation. Certaines de ces évolutions sont, paradoxalement,
positives, et ce sont les défaillances des politiques sectorielles qu'il convient de cibler pour que des
réponses adaptées soient mises en œuvre. D'autres évolutions sont, en revanche, très inquiétantes,
et les réponses en termes de politique sectorielle sont peu opérantes.
Rappelons que plus un système de gestion est régulé, plus le périmètre d'infractions potentielles est
étendu. Le risque de se retrouver en dehors des règles est d'autant plus important que celles-ci sont
d'introduction récentes, car les entreprises font montre d'inertie et ont des capacités plus ou moins
importantes d'adaptation à de nouveaux contextes réglementaires. Symétriquement, une faible
régulation des activités forestières n'ouvre que peu d'occasion d'exploitation illégale, mais l'absence
de règles de gestion peut poser un problème sérieux pour le renouvellement de la ressource.
Les codes forestiers de nombre de pays tropicaux se sont enrichis de nouvelles dispositions. En
Afrique centrale, l'obligation d'aménagement implique le découpage de la concession en assiettes de
coupe, et introduit une contrainte spatiale inédite alors qu'auparavant les chantiers se déplaçaient
librement dans les permis, revenant sur les parcelles exploitées pour prélever des essences laissées
sur pied. Avec l'aménagement, les exploitants peuvent couper illégalement du bois dans leurs propres
concessions s'ils sont en avance sur le plan de d'exploitation ou s'ils reviennent sur des parcelles
fermées après la période légale de coupe.
Les pays qui ont introduit des règles sylvicoles contraignantes ont toutes les chances d'avoir les
pourcentages d'exploitation illégale les plus élevés. Il en va de même pour les changements des
règles d'attribution. Le Cameroun n'a pas renouvelé, à partir de 1995, ses licences pour préparer
l'introduction d'un mécanisme concurrentiel d'attribution des permis. La résistance à l'introduction de
cette innovation a retardé l'attribution des surfaces aux opérateurs lesquels ont réagi en recourrant à
l'exploitation illégale. Le Cameroun dispose maintenant d'un système d'attribution basé sur des
critères techniques et financiers, flanqué d'un observateur indépendant qui favorise la transparence
des opérations. Mais l'exploitation illégale s'est "mécaniquement" accrue durant la période de
transition. A l'heure actuelle, une bonne part de l'exploitation illégale serait imputable aux opérations
"hors limite". Parfois en dehors du permis, mais aussi en son sein, au delà des assiettes de coupe
annuelles de 2500 ha accordées durant les conventions provisoires (3 ans) "d'aménagement et
exploitation". Au Gabon, la réglementation n'a pas prévu des contraintes comparables, mais les
observateurs relèvent que les surfaces parcourues durant les conventions provisoires sont bien plus
importantes que ne l'impliquerait une rotation de 30 ans. Mais en l'absence de texte réglementaire
spécifique on ne peut parler d'exploitation illégale.
Dans les grands bassins d'exploitation de l'Asie du Sud-Est et d'Afrique, on arrive au bout du
phénomène de "transition forestière" qui se traduit par le rétrécissement des franges de forêt non
exploitées et une secondarisation de la plupart des massifs. L'exploitation sélective laissant un
important volume sur pied, de nouveaux cycles sont possibles. Ils s'appuient également sur le progrès
des techniques de transformation, qui autorisent la coupe d'arbres de petit diamètre. Les nouvelles
générations de dérouleuses permettent d'usiner des arbres de diamètre nettement inférieur aux 55 et
60 cm de DME en vigueur en Indonésie. En Afrique, les DME (diamètre minimum d'exploitation) sont
plus élevés, entre 70 et 90 cm. Avec la raréfaction de certaines essences, ils sont rehaussés, ce qui
accroît la "tension" entre la contrainte écologique et les possibilités ouvertes par les évolutions de la
technique et des marchés.
Ainsi, les "garde-fous" écologiques que constituent les DME, dont les opérateurs s'accommodaient
sans mal au moment du premier cycle de coupe, deviennent des "obstacles économiques" que
nombre d'entre eux vont tenter de contourner. Le progrès technique et le changement de structure de
la forêt incitent à l'exploitation illégale.
Plusieurs États sont entrés dans des phases de crise, de perte de légitimité voire d'éclatement. En
Asie, c'est le Cambodge ou l'Indonésie. En Afrique, plusieurs pays ont été affectés par des crises
politiques aiguës ou des conflits armés (RDC, RCA, Congo...), les autres ont vu leurs moyens
financiers et leur légitimé politique s'effriter. Dans de tel contexte, ce sont toutes les activités illégales
qui s'accroissent. Dans le secteur forestier, on assiste à une absence totale de réinvestissement dans
l'entretien et le renouvellement de la ressource. Là, la lutte contre l'exploitation illégale ne peut être
détachée d'une action plus ample pour la reconstruction et la re-légitimation de l'État.
Les politiques de développement ont changé. Les anciennes politiques de substitution aux importation
ont cédé la place à des stratégies fondées sur les exportations. En Asie du Sud-Est, composée de
pays émergents, les secteurs d'exportation sont nombreux, mais en Afrique, composée de pays sous-
développés, ils sont rares. Les ajustements monétaires à la baisse renchérissent le coût des
importations, et favorisent indirectement le développement d'un secteur informel. En Afrique, les prix
relatifs conduisent le secteur "formel" à travailler quasi-exclusivement pour l'exportation, tandis que
l'ensemble des besoins domestiques, notamment la construction, sont couverts par le secteur informel
de l'exploitation et de la transformation. Ce phénomène est en plein développement dans certains
pays d'Afrique, comme le Cameroun et le Ghana.
Dans de telles situations de décalage aigu entre demande et offre durable de bois, les régulations
environnementales sont, bien sûr, indispensables, mais elles n'ont quasiment aucun effet si des
données fondamentales de l'économie du secteur engendrent une autre dynamique, diamétralement
opposée, qui pousse les acteurs à une exploitation illégale massive.
Bien sûr, l'exploitation illégale et la surexploitation forestière existent aussi dans des pays qui n'ont
pas d'industrie de transformation du bois en situation de surcapacités, voire pratiquement pas
d'industrie.
Ces pays ont des caractéristiques communes: soit le caractère mafieux de l'État (Liberia), soit sa
quasi-absence (zones contrôlées par la guérilla en RDC), soit un mélange de très faibles capacités et
de grande corruption (Guinée Équatoriale, Cambodge). Dans les pays plus structurés, où l'État est
plus en mesure de faire appliquer des règles, ce type de situation peut rapidement se modifier. L'arrêt
d'un certain nombre de chantiers d'exploitation n'a pas la même portée, en termes d'emploi, que la
fermeture d'industries.
Ces traits fondamentaux sont trop souvent occultés par des discours généraux sur la corruption, la
"mauvaise gouvernance" et les comportements prédateurs des compagnies. Certes, ces travers sont
bien réels, et ils jouent un rôle incontestable dans l'extension des phénomènes de coupe illégale. Mais
ils ne sont pas nouveaux, et si les analyse ne prennent pas en compte les changements structurels
qui affectent le secteur forestier dans les pays tropicaux, il est peu probable qu'elles soient en mesure
de proposer des solutions à la hauteur des défis présents. Et celles-ci ne résident pas simplement
dans de nouveaux arrangements institutionnels dans l'ordre de la décentralisation de la gestion des
forêts ou de la "foresterie communautaire". Le processus de décentralisation de cette gestion, en
cours en Indonésie, semble d'abord se traduire par une extension des sphères sociales impliquées
dans la corruption pour l'attribution des permis, et l'expérience des "forêts communautaires" du
Cameroun, si elle se traduit par une répartition plus équitable des bénéfices de l'exploitation, n'indique
pas de rupture à grande échelle des pratiques de (non)gestion. Là encore, les processus
d'apprentissage seront longs et certainement difficiles, et les dynamiques socio-économiques en
cours dans les pays en développement ne sont pas forcément favorables à des choix collectifs fondés
sur l'intérêt général et le long terme.
Sanctionner l'exploitation illégale est certainement nécessaire. Encore faut-il être en mesure de
caractériser et placer dans leurs contextes les pratiques illégales, tout ne pouvant être mis sur le
même plan. Mais s'attaquer aux causes sous-jacentes de cet accroissement massif de l'illégalité reste
la première des mesures à prendre. En un mot, il s'agit d'abord d'un problème de sous-développement
et de mal-développement, qui ne saurait être résolu par des actions de police.
Références:
Barr M. C., 2000. Profits on Paper: Fiber, Finance, and Debt in Indonesia's Pulp and Paper Industry,
in Banking on Sustainability: A Critical assessment of Structural Adjustment in Indonesia's Forest and
Estate Crop, CIFOR and WWF-International.
Forestry Commission, 2001. Ghana Wood Industry & Log Export Ban Study (Final Report). Draft.
Accra, Ghana.
Friends of the Earth, 2001. Briefing - European league table of imports of illegal tropical timber (by Ed
Matthew). London.
Scotland N., Fraser A., Jewell N., 1999, Roundwood Supply and Demand in the Forest Sector in
Indonesia. ITFMP report no. PFM/EC/99/08. Jakarta, Indonesia.
CIRAD-Forêt
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