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A Madagascar, les titres de propriétés et les cadastres restent des documents fonciers marginaux, surtout dans

les zones rurales. Même dans certaines zones où des opérations cadastrales ont été enclenchées par le passé,
ou bien des zones spécifiques (terres d’anciens colons, zones irriguées aménagées par l’Etat…) dont les terres
sont titrées, les titres fonciers éventuels n’ont jamais fait l’objet de procédures de mutation à ceux qui les
exploitent actuellement. Ainsi la plupart des agriculteurs malgaches n’ont aucun droit reconnu sur les terres
qu’ils exploitant, parfois depuis plusieurs générations. Par ailleurs, les pratiques de métayage et fermage sont
légalement interdites par des lois datant des années 1960/70.

Dans les années 2000, le constat a été fait que le système de reconnaissance de la propriété (le titre foncier)
était particulièrement inadapté et inefficace. Seul 7 % des parcelles était titré, au prix de longues (5 ans en
moyenne) et couteuses procédures (500 $ par titre), en relation avec des bureaux de l’administration domaniale
beaucoup trop éloignés des parcelles agricoles.

En 2005, un projet de politique de réforme foncière a été adopté. Il visait :


- d’une part à instaurer un système de formalisation massive des droits non – écrits, dans des délais courts
et avec des coûts adaptés au pouvoir d’achat des ménages (essentiellement ruraux)
- d’autre part à concilier le légal et le légitime, par la reconnaissance des occupations coutumières de faits
comme une présomption de propriété. L’annulation du principe de présomption de domanialité et la
création d’un nouveau statut, la propriété privée non-titrée (PPNT), assimilée auparavant au domaine
privé de l’Etat, constitue la pierre angulaire de cette réforme. La présomption de propriété privée non-
titrée porte sur les terrains qui ne sont ni titrés ni cadastrés, mais qui font l’objet d’occupation et de
mise en valeur depuis de nombreuses années. Tel est le cas des terrains d’habitation, de culture, de
reboisement, qui ont été tenus de façon coutumière.
Ainsi, à travers la décentralisation de la gestion foncière au niveau communal par la création de guichets fonciers
et le transfert de compétences des services déconcentrés de l’Etat (domaine et topo) aux communes, la PPNT
peut être formellement validée par la délivrance d’un document légal de propriété, le certificat foncier, signé
par le maire. Témoignage de Tantely, jeune agricultrice de la région Analamanga :
https://www.youtube.com/watch?v=CyZJ2l18_Xw

Malgré ces grandes innovations juridiques et institutionnelles apportées par la réforme de 2005 pour la
formalisation des droits, plusieurs autres dimensions restent non abordées ou non impactées par la réforme,
entre autres l’accès à la terre pour les sans-terre, l’occupation des terrains titrés aux noms d’anciens colons, les
dotations de terres pour les jeunes et la légalisation et la sécurisation des pratiques de faire-valoir indirect.

De nouveau en 2015, sous l’action et la pression de la société civile, plusieurs réformes doivent être mises en
œuvre dans la Lettre de Politique Foncière (LPF) 2015 – 2030, dont la première orientation prévoit la Sécurisation
des droits dans leur diversité et notamment d’accompagner la sécurisation des transactions et de favoriser
l’inscription des mutations :
− Toutes les interdictions liées à la pratique des modes de faire-valoir indirect seront levées.
− Des outils d’accompagnement (modèles d’acte et registre, informations, etc.) seront mis à disposition
au niveau des communes (voire des fokontany) pour améliorer la sécurisation des transactions, dans le
cas de transfert temporaire de droits (métayage, location, prêt) comme dans le cas de transferts
définitifs (vente, donation ou succession).
Actuellement des propositions de révisions des textes législatifs, notamment pour reconnaitre les modes de
faire-valoir indirect, sont en cours.

Afdi Madagascar, Rakotovao Anten’Aina, avril 2021


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Bien qu’officiellement interdit, le mode de faire-valoir indirect, métayage et fermage, qui recouvre une
multitude d’arrangements entre les propriétaires et les fermiers/métayers, devient de plus en plus répandu. Le
recensement agricole en 2004-2005 a détecté 13.6% de terrains cédés en métayage ou en fermage contre 8%
en 2001. Mises à part les régions avec de grands périmètres irrigués et des terres de plus grandes valeurs
(rizières) où il y a de fortes pratiques de location et de métayage, dans la plupart des régions, les modes de faire-
valoir indirects sont surtout pratiqués par les jeunes (en nombre croissant chaque année) et les migrants,
souvent dans des situations financières précaires.
Le Réseau SOA fédère 26 Organisations paysannes de statuts divers (coopératives, plateformes, associations,
etc.), et compte environ 30 000 paysans au total dans 12 des 22 régions de Madagascar. Sa mission consiste à
promouvoir l’organisation paysanne comme partenaire pour l’élaboration des politiques de développement à
Madagascar et comme acteur économique capable de peser dans les filières. Depuis 2014, avec des
financements de l’Union Européenne, le Fida, l’Ambassade de France, l’AFD et Fanainga, SOA anime un dispositif
d’accompagnement des jeunes agriculteurs avec ses OP membres et a pu observer concrètement la difficulté
des jeunes à accéder au foncier.

L’accès des jeunes à la terre se fait surtout par héritage (les femmes sont souvent encore lésées par rapport aux
hommes), l’achat de parcelles est difficile du fait du prix du foncier, de la rareté des opportunités et de la
difficulté d’accès aux informations sur les ventes, les possibilités de défriches sont limitées car les terres sont
dans certaines zones déjà appropriées dans leur totalité ou bien trop éloignées des réseaux (pistes, centre de
santé, marché…). Les modes de faire-valoir indirect sont des alternatives intéressantes pour les jeunes mais le
renouvellement des accords n’est pas assuré faute de légalisation et de sécurisation de ces formes de faire-
valoir ce qui peut parfois remettre en cause une installation durable des jeunes : témoignage de Patrice, jeune
agriculteur de la région de Diana : https://www.youtube.com/watch?v=IiUEcCd4bMI; Témoignage de Lucio,
jeune agriculteur de la région Bongolava : https://www.youtube.com/watch?v=Rcer_AmgqvY
Par ailleurs, la pratique du mode de faire-valoir indirect (fermage, métayage) est perçue comme un moyen pour
une certaine catégorie de ménages propriétaires de résoudre des contraintes de liquidités, d’incapacité, en
raison généralement de l’éloignement, à gérer des salariés agricoles ou tout simplement pour sécuriser leurs
droits en l’absence de titre ou certificat foncier, la location ou le métayage permettant d’une certaine manière,
une reconnaissance informelle de leur propriété.

Le Réseau Soa, avec la plateforme Solidarité des intervenants sur le foncier (SIF), souhaite travailler sur les
problématiques de défense et d’accès à la terre des agriculteurs malgaches, et parmi les nombreux chantiers à
suivre (migrations des paysans, aménagement du territoire et zones de développement local/zones
économiques spéciales ou zone d’investissements agricoles réservée à des investisseurs, programme…), la
relance de la reconnaissance légale de ces modes de faire-valoir indirect est prioritaire.
En effet, alors que depuis 2005, le processus de formalisation simplifiée, accessible et légale des droits de
propriétés via des certificats fonciers délivrés par des guichets fonciers dans les communes rurales se développe
et permet de sécuriser plus massivement les propriétaires, il conviendrait en parallèle de sécuriser les modes de
faire-valoir indirect.
Deux entrées sont identifiées :
- la reconnaissance des modes de faire valoir indirect par des modalités contractuelles, dans des
situations où propriétaire et locataires sont bien identifiés,
- une réflexion pour sécuriser, même pour une période courte mais définie, les agriculteurs exploitant
des terres aux statuts obsolètes ou spécifiques (terres titrées d’anciens colons, terres titrées au nom de
sociétés mais non exploitées, terres d’aires protégées…) : se pose la question de savoir s‘il existe ailleurs
dans le monde, des cadres légaux permettant de reconnaitre des droits aux exploitants le temps que le
statut de ces terres s’éclaircissent (ex. en France d’activité agricole sur des friches en attente
d’aménagement industriel ?).

Afdi Madagascar, Rakotovao Anten’Aina, avril 2021


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Afin d’accompagner SOA dans ses réflexions, des informations sont recherchées sur :
- Les formes de légalisation des modes de faire-valoir indirect et autres modalités/formes de « sécurisation »
de mise en valeur de terres ayant des statuts particuliers : modèles d’actes et de registre, éléments
constitutifs du contrat, mesures de sécurisation pour le locataire et le propriétaire, choix des preneurs, prise
en compte de déterminants locaux/réglementation non uniforme, etc.
- Les avantages et inconvénients des différentes modes de faire valoir indirect
o sur le fonctionnement des exploitations
o sur l'évolution des exploitations agricoles (apports en investissements, etc.)
- L’implication de la profession agricole dans la gouvernance du foncier rural de façon générale et notamment
le suivi des transactions foncières – cet aspect servirait à d’autres réflexions sur d’autres sujets fonciers,
comme les zones d’investissements agricoles…

Afdi Madagascar, Rakotovao Anten’Aina, avril 2021


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