Vous êtes sur la page 1sur 27

COURS DE DROIT FONCIER RURAL

Aline Aka Lamarche, Maître de conférences agrégée


Chargée de cours à l’UFR SJAG
Université Alassane Ouattara Bouaké (Côte d’Ivoire)

Introduction
Il importe avant tout de définir les notions clés du cours, d’en expliquer l’intérêt avant de
présenter les différentes parties qui le structureront.

Définition

1) Provenant du latin « fundus » qui signifie « fonds de terre », le terme foncier est utilisé
dans un sens propre pour désigner « ce qui est relatif à la terre » ou dans un sens
substantif pour définir selon le thesaurus du foncier 1999 « l’ensemble particulier des
rapports sociaux ayant pour support la terre ou l’espace territorial »1. Envisagée dans
l’un ou l’autre sens, la gestion foncière constitue sans aucun doute un enjeu d’envergure
pour la Côte d’Ivoire si l’on considère l’importance du « fundus » dans ses paramètres
économique, mais aussi social et politique.

2) La notion de rural fait quant à elle référence au milieu rural, c’est à dire l'ensemble des
zones situées en dehors des grands centres urbanisés. Le milieu rural constitue le lieu
de production d'une grande partie des denrées et des matières premières. Sa spécificité
se situe dans une diversité d'attitudes, de traditions socio-culturelles, de liens avec la
nature et de caractéristiques économiques et environnementales dont l'origine est
principalement basée sur l'agriculture et la sylviculture. Cette spécificité lui procure
son attractivité et doit donc être préservée, tout en assurant une réponse adéquate et
durable à nos besoins.

En somme, le cours de Droit foncier s’intéresse à la régulation du foncier dans les zones
rurales et urbaines en tenant compte aussi bien du dispositif légal en la matière que des

1
mécanismes coutumiers ou autres intervenant dans la gestion pratique du foncier. Une
telle appréhension du cours présente un intérêt certain.

Intérêt du cours

Véritable poudrière sociologique, l’importance de la gestion foncière n’est plus à démontrer


en Côte d’Ivoire. Enjeu majeur pour l’économie ivoirienne avec la culture du café, du cacao,
et de toutes les cultures d’exportation, mais aussi principal matériau de logement puisque sans
terre il n’y a point de construction, la gestion du foncier s’avère, pour les mêmes raisons, un
enjeu politique d’extrême importance. Trop souvent mis en avant à l’occasion de troubles
sociopolitiques, le foncier continue pourtant d’évoluer dans un total imbroglio juridique (entre
un dispositif légal et des pratiques issues selon les cas des traditions où d’inventions ad hoc).
Ce cours vise ici à décortiquer cet imbroglio juridique et permettre aux étudiants d’avoir à la
fois une bonne connaissance du dispositif légal en matière de foncier mais aussi de prendre
conscience du pluralisme juridique en action dans la gestion pratique de cette matière de plus
haute importance.

Plan du cours

Le cours se divisera donc en deux principales parties : le foncier rural qui fait l’objet d’une loi
spécifique et le foncier urbain qui se cherche une voix à travers une pléiade de textes.

Chapitre 1 : L’existence d’un Domaine foncier rural

Section1 : La composition du domaine foncier rural


Paragraphe1 : Une définition par la négative
Paragraphe 2 : Des composants à titre permanent ou transitoire
Section2 : La reconnaissance d’un domaine foncier coutumier
Paragraphe1 : L’existence de droits coutumiers préalables au droit objectif
Paragraphe 2 : L’évolution du foncier coutumier

Chapitre 2 : L’acquisition d’une terre du domaine foncier rural

Section 1 : L’acquisition d’une terre dans les domaines privés et dans le domaine
concédé
Paragraphe1 : L’acquisition dans les domaines privés des personnes publiques et des
personnes privées
Paragraphe 2 : L’acquisition dans le domaine concédé

Section 2 : L’acquisition d’une terre dans le domaine foncier coutumier

2
Paragraphe1 : La procédure de constat des droits coutumiers
Paragraphe 2 : Le certificat foncier et l’immatriculation

Introduction
A n’en point douter, le foncier rural constitue un enjeu extrêmement important en Côte d’Ivoire.
Outre l’intérêt économique qu’il représente dans un État dont l’économie repose
essentiellement sur l’agriculture, il est devenu, au fil des crises qui jalonnent la jeune histoire
de l’État ivoirien, le lieu de reconnaissance identitaire et l’enjeu de crispations
intercommunautaires. Sa gestion pratique obéit à des logiques propres à chaque société
autochtone, qui remettent en cause le principe même de l'autorité de l'État, et sa mission
générale de gestion du territoire, de la population et des ressources.
Pourtant, L'État a bien essayé de s'assurer le contrôle de la gestion foncière. Dès 1900 en effet,
l'administration coloniale entreprend d'appliquer le Droit français à la colonie ivoirienne. En
1960, l'État indépendant reconduit la réglementation coloniale en matière foncière. Cependant,
en 1998, il entreprend à travers une nouvelle loi, de revenir sur ses choix précédents. La loi n°
98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural2 a été adoptée à l’unanimité par
l’Assemblée nationale. Elle a pour objectif de mettre fin à la situation de pluralisme socio
juridique qui caractérise la gestion foncière rurale et prétend assurer la transition accélérée des
pratiques locales d’appropriation vers un régime unique de propriété privée foncière.
Néanmoins, le législateur ne procède pas à la remise en cause de son objectif principal qui
demeure l'instauration de la propriété privée et le règne du Droit objectif en lieu et place de la
coutume. Il circonscrit son action aux moyens de mise en œuvre de cet objectif.
Il va ainsi reconnaître un domaine foncier coutumier à travers l’identification d’un domaine
foncier rural (chapitre I) avant de fixer de nouvelles règles d’acquisition des terres sur lesquelles
s’exercent des droits coutumiers (chapitre II)

Chapitre 1 : L’existence d’un Domaine foncier rural


Ce chapitre 1 s’articule autour d’une des deux innovations clés de la loi de 1998 : la création
d’une nouvelle catégorie domaniale : le Domaine Foncier Rural abritant d’autres sous-

2
Loi n°98-750 du 23 décembre 1998 relative au Domaine Foncier Rural, modifiée par la loi
2004-412 du 14 août 2004, par la loi du 13 septembre 2013 et par la loi n° 2019-868 du 14
octobre 2019

3
catégories domaniales. Selon l’article premier, le domaine foncier rural est constitué par
l’ensemble des terres mises en valeur ou non, quelle que soit la nature de la mise en valeur. Il
constitue un patrimoine national auquel toute personne physique ou morale peut accéder.
Mettant en place de nouvelles institutions et modifiant les conditions d'obtention de la propriété
foncière, la loi paraît être « une combinaison de principes hétérogènes et un souci d’équité dont
l’issue demeure aléatoire » 3. Elle tente, en effet, à travers certaines dispositions de concilier les
pratiques locales d’appropriation avec le régime administratif d’immatriculation.
Le législateur procède pour cela, par la définition d’un domaine foncier rural spécifique tout en
faisant de la coutume une source de Droit.

Section1 : La composition du domaine foncier rural

Pescay distingue deux volets dans cette définition du domaine foncier rural : un premier volet
négatif qui exclut certaines catégories du domaine foncier rural, et un volet positif qui précise
les composantes du domaine. Ces composants le sont à titre permanent et non permanents.

Paragraphe1 : Les composants à titre permanent

A titre permanent, le domaine foncier rural se définit à la fois de manière négative et de façon
positive.
Le domaine foncier rural se situe donc :
- Hors du domaine public de l’État et des collectivités, car le domaine foncier est privé.
- Hors des périmètres urbains. (Cependant, il est assez difficile en zone rurale d’établir une
frontière nette entre les terres rattachées aux chefs-lieux de collectivités territoriales et celles
des villages environnants).
- Hors des zones d’aménagement différé officiellement constituées.
- Hors du domaine forestier classé. (Il faut signaler que par le passé, certaines forêts classées
ont été déclassées pour être ensuite introduites dans le domaine foncier rural).
- hors des aires protégées
- Hors des zones touristiques

Le domaine foncier rural se définit aussi par une liste exhaustive de catégories foncières.
Le domaine foncier rural est composé donc :
- des terres qui font partie des propriétés de l’État
- des terres appartenant aux collectivités publiques et à des particuliers
- des terres sans maître : Il s’agit des terres qui ont fait l’objet d’une succession ouverte depuis
trois ans et qui n’ont pas été réclamées. Ainsi que les terres du domaine coutumier dont les
droits coutumiers n’ont pas été constatées (par un certificat foncier), dix ans après la publication

3
CHAUVEAU J-P., La nouvelle loi sur le domaine foncier rural : formalisation des « droits coutumiers »
et contexte socio- politique en milieu rural ivoirien, IRD, Septembre 2000

4
de la loi, c'est-à-dire jusqu’en 2008. Sont considérée aussi comme « sans maître », les terres
concédées sur lesquelles, les droits des concessionnaires n’ont pu être consolidés trois ans après
le délai imparti pour réaliser la mise en valeur imposée par le contrat de cession.

D’autres composants ne le sont qu’à titre transitoires.

Paragraphe 2 : Les composants à titre transitoire

Le domaine foncier rural est composé à titre transitoire de deux éléments :


- Des terres du domaine concédé par l’État à des collectivités publiques et à des particuliers (car
elles ont vocation, soit à faire partie de la propriété de ces collectivités ou particuliers, soit à
retourner dans le domaine public).
- Des terres du domaine coutumier (car elles ont vocation à perdre leur statut coutumier).

Le caractère provisoire de la reconnaissance des acquis coutumiers est indiqué dès l’article 2, à
travers la distinction faite entre les composants « à titre permanent » et les composants « à titre
transitoire ».
Certes la coutume est source de droit, mais ce caractère s’inscrit dans un processus qui ne
s’achève qu’avec l’obtention d’un titre foncier. Les terres coutumières ont vocation en effet à
se transformer en propriétés privées, et la reconnaissance des droits coutumiers, n’est qu’une
transition vers la reconnaissance définitive de la propriété. Le certificat foncier qui consacre la
reconnaissance des acquis coutumier, ne constitue pas une preuve de propriété définitive, mais
uniquement une preuve de la transformation partielle des détentions coutumières en propriété,
ou encore une preuve de la volonté d’accéder à la propriété. En effet, si l’immatriculation n’est
pas amorcée dans un délai de trois ans à compter de la date d’acquisition du certificat foncier,
la terre est purgée des droits coutumiers et l’immatriculation est faite au nom de l’État.
Cependant, la reconnaissance de la coutume en tant que source de droit permet à une frange
importante de la population rurale d’accéder à la propriété privée. Cette reconnaissance va se
faire à travers l’identification d’un domaine foncier coutumier

Section2 : L’identification d’un domaine foncier coutumier

L’identification d’un domaine foncier coutumier va se faire à travers la reconnaissance de


l’existence préalable de droits coutumiers. Mais cette reconnaissance ne se fera que de
manière progressive jusqu’à aboutir à la loi de 1998.

Paragraphe 1 : L’existence de droits coutumiers préalables aux droits objectifs

Dans la pratique foncière, les coutumes ont largement survécu à leur mise à mort officielle. Des
coutumes locales qui accordent à la terre des caractéristiques qui contredisent la valeur

5
marchande du terrain "privé". Ces caractéristiques coutumières de la terre sont l’inaliénabilité
liée à la sacralité et l’imprescribtilité qui confère l’autorité.

I. L’inaliénabilité liée à la sacralité

La terre est sacrée4. Elle a une vie propre, autant que l'esprit qui l'habite. Et si dans sa générosité,
elle se prête aux besoins de l‘être humain, elle ne peut être vendue. Elle est mère en effet, mère
nourricière, et en tant que telle, ne peut être cédée comme un vulgaire objet marchand. Protégée
par des génies, tout manque de considération peut attirer le courroux de ces derniers.
Enfin, la terre est l’héritage communautaire, le symbole de l’unité ancestrale et de l’avenir
commun.
Preuve de l’identité autochtone, elle établit les droits des vivants et garantit ceux de la postérité.
Intégrée dans le patrimoine familial du premier occupant avec son accord propre, et celui des
génies, la terre reste libre et autonome. Les droits qu’elle a accordés à l’ancêtre doivent être
respectés par ses descendants. Ce sont des droits d’usage, certes renforcés et illimités dans le
temps, mais qui n'en sont pas pour autant, des droits de propriété. Ils ne peuvent être cédés
définitivement à un autre individu.
Le changement de la détention coutumière ne peut se faire que si les descendants du premier
occupant décident de rompre le pacte établi par leurs ancêtres en accomplissant les sacrifices
de rupture. Ils quitteront alors la terre pour s’établir ailleurs.
Un nouveau venu tentera alors de pactiser avec la terre et les génies protecteurs, et si le pacte
est accepté, le candidat deviendra le nouveau détenteur coutumier.
La détention de la terre dans la logique coutumière implique donc forcement l’accord des forces
spirituelles qui l’habitent.

II. L’imprescriptible des droits sur la terre, source d’autorité

Les droits coutumiers acquis le sont de manière définitive.


C’est un droit illimité dans le temps que le premier occupant a obtenu des Esprits en s’installant
sur la terre. De même, ses descendants, conservent la protection des génies et le droit exclusif
d’user de la terre tant qu’ils ne remettent pas en cause les termes du contrat originel.
Le principe d’hospitalité permet aux membres de la communauté d’accueillir des personnes
étrangères à la communauté. Ces personnes pourront alors bénéficier de parcelles leur
permettant de subvenir à leurs besoins alimentaires sous le regard scrutateur des ancêtres.
Habitant dans un monde parallèle à celui des vivants, les ancêtres participent en effet à la vie
du village et rappellent régulièrement à travers les porteurs de masque et autres « Komians » 5

4
COULIBALY S., Le paysan Sénoufo, Abidjan – Dakar, NOUVELLES ÉDITIONS AFRICAINES, 1978

5
Il s'agit de personnes à l'intérieur desquelles, se réincarne l'esprit d'un génie protecteur ou d'un
ancêtre. Cette réincarnation nécessite toutefois des conditions spéciales, et notamment le port d'un

6
les circonstances de la création du village et le pacte ancestral. Ainsi, les droits coutumiers des
autochtones sur la terre sont imprescriptibles, à cause de l’imprescriptibilité même de ceux qui
les leur ont accordés.
La communauté autochtone conserve donc ses droits et tant que les ancêtres et les génies en
témoigneront, aucun « papier de blanc » ne pourra leur démontrer le contraire.
L’imprescriptibilité des droits sur la terre confère par ailleurs de l’autorité à ceux qui en
bénéficient.
La terre consacre, en effet, le principe d’autochtonie et les droits qui lui sont rattachés. Elle
établit les prérogatives de la communauté et fait valoir les droits de ces membres face à toute
prétention « étrangère ». A l’intérieur du groupe, elle consacre l’autorité du chef de terre dont
la qualité de gestionnaire de terre en fait un gestionnaire d’hommes. Plus il a de terre à gérer,
plus il a d’hommes à gérer, et plus son autorité grandit.
Cependant, à l’instar de tous les détenteurs coutumiers, les droits acquis au nom de la
coutume traditionnelle n’ont pas toujours été reconnus par l’État et ont connu une très lente
évolution.

Paragraphe2 : L’évolution de la législation sur les droits coutumiers

En introduisant la procédure d’immatriculation et en décidant que les « terres vacantes et sans


maître » appartiennent à l’État, l’administrateur colonial pose pour la première fois, les bases
du monopole foncier de l’État en Côte d’Ivoire.
Il confirme sa politique foncière à travers le décret du 23 octobre 1904 et celui du 29 septembre
19286, applicables à l’ensemble du territoire colonial d’Afrique occidentale française.
Dans un décret du 15 Novembre 19357, il maintient les droits de l’État sur les terres inexploitées
et inoccupées pendant dix ans. Son objectif est d’aboutir à la propriété privée, en passant par
l’appropriation des terres au nom de l’État. En effet, « les concessions définitives ne peuvent
être accordées (par l’administration coloniale aux particuliers), qu’après incorporation
préalable du terrain dans le domaine, par l’immatriculation au livre foncier au nom de l’État »
8

Dans un décret du 20 Mai 1955, l’administrateur colonial vient préciser que c’est à l’État de
prouver que les terres sont vacantes et sans maître. Mais ce décret ne sera jamais appliqué, faute
de texte d’application, et par suite des mutations intervenues en 1956 (avec la loi cadre qui

masque. Lire HOLAS B., Les Sénoufo, Paris, Presses Universitaires De France, 1957, 183 pages

6
Décret du 29 Septembre 1928, portant réglementation du domaine public et des servitudes d’utilité
publique en A.O.F.
7
Décret du 15 novembre 1935 abrogeant le décret du 23 octobre 1904 sur le Domaine et portant
réglementation des terres domaniales en A.O.F.
8
LEY A., Le régime domanial et foncier et le développement économique de la Côte d’Ivoire, Librairie
générale de Droit et de jurisprudence, Paris, 1972, p.104

7
accorde l’autonomie interne au territoire colonial de Côte d’Ivoire), et avec l’indépendance en
1960.
En reconduisant la législation coloniale, le constituant de 1960 reconduit par la même occasion
la gestion du foncier rural en disposant à l’article 41 de la constitution que la loi fixe les règles
concernant la procédure selon laquelle les coutumes seront constatées et mises en harmonie
avec les principes fondamentaux de la constitution9. Le constituant confie alors au législateur
la mission d’abolir les droits coutumiers. Mais ce dernier connaît son premier échec avec la non
promulgation de la loi de 1963. Il abandonne ensuite un deuxième projet de loi qui abolit tous
les droits coutumiers sans aucune indemnité.
Renonçant à utiliser l’outil légal pour abolir les droits coutumiers, il utilise l’outil réglementaire
pour affirmer ses droits10.
Il s’accroche principalement au décret du 15 novembre 1935 qui frappe les terres coutumières
d’une expropriation administrative dans un intérêt économique.
Il fait intervenir une circulaire du 17 décembre 1968 du ministère de l’intérieur, qui réaffirme
la propriété de l’État sur les terres coutumières et l’abolition des droits coutumiers sur ces terres.
Un décret du 16 février 197111, vient, par ailleurs interdire la cession des droits d’usage
reconnus par les directives antérieures, obligeant les usagers coutumiers à se placer sous le
régime du Droit, avant de procéder à toute transmission définitive de la parcelle de terre.
Pourtant, malgré la volonté de l’État d’abolir les droits coutumiers, il adopte une attitude
conciliante, en permettant à ses représentants de tolérer dans la pratique, les acquis coutumiers.
Ainsi, les magistrats de Côte d’Ivoire, en se prononçant sur certains conflits fonciers, ont
souvent pris le parti d’ignorer une loi qu’ils trouvaient certainement insuffisante et inadaptée.
De nombreuses décisions juridiques se sont appuyées sur la coutume et sur les convictions
profondes du juge. Face, en effet, à plusieurs parties dont aucune ne détient une preuve légale
de propriété, le juge ne peut appliquer une loi qui elle, ne se prononce que sur la propriété légale,
de sorte que ses décisions sont motivées par la réalité foncière. Ainsi, le principe
d’indemnisation et celui de la non-rétroactivité des lois officielles sont devenus des indicateurs
de reconnaissance coutumière dans un contexte où les contrats fonciers oraux ou écrits sous-
seing privé constituent la quasi-totalité des transactions foncières ; alors que selon les décrets
du 15 novembre 1935 et du 16 février 1971 la loi, ces contrats sont interdits et frappés de nullité
absolue.
C’est donc dans une mosaïque d’indicateurs, légaux, coutumiers, auxquelles s’ajoutent des
pratiques fonctionnelles, que la gestion foncière évolue en Côte d’Ivoire jusqu’en 1998. La loi
opère une volte-face remarquable en reconnaissant, non seulement les droits coutumiers
individuels, mais aussi les droits coutumiers collectifs.

9
Constitution du 3 novembre 1960, loi n° 60356 modifiée du 11 janvier 1963, le 31 mai 1975, le 22
octobre 1975 et le 26 novembre 1980. Loi n°80-1231 du 26 novembre1980
10
BLAISE J-B, Lois et décrets de Côte d’Ivoire, Paris, LIBRAIRIES TECHNIQUES, 1970, 938 pages

11
Décret du 16 février 1971 relatif aux procédures domaniales : « Les droits portant sur l’usage du sol,
dits droits coutumiers, sont personnels à ceux qui les exercent et ne peuvent être cédés à quelque
titre que ce soit. Nul ne peut se porter cessionnaire de ces dits droits sur l’ensemble du territoire de la
République ».

8
Cette initiative révèle la prise de conscience du législateur face à l’erreur qu’il a commise de
nier totalement la coutume, au sortir des indépendances12. Il paraît évident en effet, que le
législateur essaie à travers cette reconnaissance, d’apaiser les autochtones ruraux qui réclament
à forces cris la terre de leurs ancêtres, cédés volontairement ou sur instigation de l’état, aux
agriculteurs non autochtones. La colonisation agraire entreprise dans la zone forestière, ayant
largement décimé l’important patrimoine forestier coutumier, l’État qui est largement incriminé
par les paysans, a besoin de se racheter auprès de ces derniers, qui constituent un électorat non
négligeable.
Il est vrai en effet que l’époque du président Houphouët a été marquée par le monopartisme et
par la candidature unique aux élections présidentielles. Dans un tel contexte, le mécontentement
des paysans pouvait certes causer quelques craintes pour le rendement agricole, mais
certainement pas pour l’avenir politique.
Aujourd’hui, le point de vue de la population paysanne ne peut être totalement ignoré, puisque
la frontière entre le monde citadin et le monde rural s’effrite progressivement. De plus en plus
de villageois sont lettrés, et ceux qui n’ont pas trouvé de travail en ville, décident de profiter
des terres familiales. Aussi, la reconnaissance des droits coutumiers apparaît comme un
excellent moyen pour l’État de se réconcilier avec eux13.
Sachant, en effet, que ce sont environ 98% des transactions foncières rurales actuelles, qui se
sont réalisées sur la base des droits coutumiers, il est tout à fait juste d’affirmer que le domaine
foncier coutumier constitue une part extrêmement importante du domaine foncier rural.
Cependant, la loi exige que les droits coutumiers soient conformes aux traditions. Il s’agit de
ne pas céder aux pratiques nées des influences extérieures, et de se prévaloir uniquement des
droits coutumiers reconnus et admis comme tels par les gardiens de la tradition dans le cadre
d’une procédure14 encadrée par l’État.

Chapitre 2 : L’acquisition d’une terre du domaine


foncier rural
Ce chapitre aborde la deuxième grande innovation de la loi de 1998 : la consécration des
droits coutumiers en tant que base des droits des droits positifs.

12
CHAUVEAU J-P., La nouvelle loi sur le domaine foncier rural : formalisation des « droits
coutumiers » et contexte socio- politique en milieu rural ivoirien, IRD, Septembre 2000, Montpellier
13
GALY M., « La crise ivoirienne et la question foncière » in Dossier Valorisation des terres, Marchés
tropicaux, 6 Août 2004
14
Cette procédure est étudiée dans une prochaine section II-2-1

9
Pour l’ensemble du domaine foncier rural, la loi soumet l’acquisition des terres à un certain
nombre de conditions. Il faut signaler que la notion d’acquisition va être abordée ici d’un
point de vue de l’achat ou de location, même si un paragraphe entier est dédié au domaine
concédé. Les conditions d’acquisition varient selon le domaine dans lequel la terre est située.
L’acquisition d’une terre peut se réaliser d’une part dans les domaines privés et dans le
domaine concédé (Section 1) ou dans l’acquisition d’une terre dans le domaine foncier
coutumier (Section 2).

Section 1 : L’acquisition d’une terre dans les domaines privés et


dans le domaine concédé

L’acquisition d’une terre est différente selon qu’on se trouve dans les domaines privés
(Paragraphe 1) ou dans le domaine concédé (paragraphe 2).

Paragraphe1 : L’acquisition dans les domaines privés des personnes publiques et des
personnes privées

La notion de domaine privé en droit foncier implique la propriété foncière c’est-à-dire les
droits d’usus, de fructus et d’abusus sur la terre. Ceci suppose que la terre qui va faire l’objet
d’un transfert de la propriété (cession15) ou d’un transfert du droit d’usage (location ou
concession16) a été immatriculée au nom du cédant ou du concédant (le propriétaire).

A l’intérieur du domaine privé, il faut faire la différence entre le domaine privé des personnes
publiques (A) et le domaine privé des personnes privées (B).

15
En droit des biens, la cession est le transfert ou la transmission entre vifs d’un droit personnel ou réel (La
transmission par un de cujus est la succession). :;
On parle de cession définitive pour envisager la transmission définitive d’un droit personnel ou réel, c’est-à-
dire la vente ou la donation d’un bien ou d’un service. La cession provisoire correspond à la transmission d’un
droit réel provisoire comme le gage, la location, l’hypothèque etc.
Le mot cession, utilisé seul, ramène à la cession définitive dans laquelle on implique bien souvent la succession.

16
En droit des biens comme en droit administratif, la concession comporte une variété de sens qui ont trait de
façon générale à la transmission d’un avantage dans les domaines commercial et immobilier. Ainsi, la
concession ramène à la transmission d’une partie ou pour un certain temps, d’un droit réel ou personnel sur
un service commercial ou sur un bien immobilier.
La notion de concession implique donc la location immobilière (et donc la location foncière), mais nous
rajoutons quand même la notion de location pour les « concessions de courte durée » (0 à 17 ans) car, la
concession immobilière est souvent envisagée dans le cadre d’un bail emphytéotique et donc pour une durée
allant de 18 à 99 ans.

10
I. L’acquisition dans le domaine privé des personnes publiques

L’acquisition d’une terre dans le domaine privé des personnes publiques met en présence un
propriétaire qui est une personne publique, notamment l’État et les collectivités
territoriales et un acquéreur qui, lorsqu’il s’agit d’une acquisition définitive est un
particulier, et, lorsqu’il s’agit d’une location, peut être une personne morale de droit privé. Ici
donc, comme cela a déjà été signalé, le droit de propriété (par le biais de l’immatriculation au
livre foncier) existe déjà sur la parcelle qui est partie inhérente d’un domaine privé. Il s’agit
de transférer ce droit de propriété du domaine privé de la personne publique au domaine privé
d’une personne privée ou d’en transférer le droit d’usage par le biais d’un bail.

Pour comprendre le processus, il faut définir la composition, le processus de constitution et


les modes de gestion du domaine privé des personnes publiques avant d’aborder le
contentieux.

Composition et définition : Le domaine privé des personnes publiques est composé des biens
d’une personne publique qui ne sont pas affectés à l’usage direct du public ou du service
public. Non défini de façon positive et exhaustive, le domaine privé des personnes publiques
est constitué, selon Bonnard, des « Propriétés administratives, qui, n’étant pas à l’usage de
tous, ne sont, par ailleurs, pas affectées à un service public déterminé pour être utilisées ou
consommées par ce service »17.

Par ailleurs, si l’on se réfère au droit français dont le droit ivoirien est issu, font également
partie du domaine privé, par détermination de la loi : les immeubles à usage de bureaux, à
l’exclusion de ceux formant un ensemble indivisible avec des biens immobiliers appartenant
au domaine public18; les réserves foncières19; les chemins ruraux20; les bois et forêts relevant
du régime forestier21.

Constitution : la constitution du domaine privé se fait comme pour le domaine privé d’une
personne privée, c’est-à-dire par achat, échange, donations ou legs. Les acquisitions à
l’amiable d’immeubles ou de meubles à titre onéreux font l’objet de contrats d’achat public,
qui sont l’équivalent du contrat de vente des articles 1582 et suivants du code civil22. Les
contrats par lesquels les collectivités publiques acquièrent à l’amiable des biens immeubles
sont de droit privé et se voient donc appliquer l’ensemble des règles du droit civil.

Selon le droit français23, l’État peut, en outre, constituer son domaine privé, en procédant à la
nationalisation ; à l’expropriation ; ou encore à l’exercice d’un droit de préemption.

17
BONNARD R., Précis élémentaire de droit administratif, Paris, Sirey, 4e éd., 1943, 787 p.
18
Article L. 2211-1 du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques (CG3P)
19
Idem
20
Art. L. 2212-1 du CG3P
21
Idem
22
Code civil ivoirien mis à jour des modifications de 2019 relatives au droit de la famille.
23
CG3P op cit.

11
Par ailleurs, par le biais du déclassement et de la désaffectation, un bien du domaine public
peut tomber dans le domaine privé. Concernant les biens sans maître, les successions tombées
en déshérence et les libéralités, le droit français permet que ces biens soient intégrés dans le
domaine privé des personnes publiques, mais en droit ivoirien, l’article 539 du code civil
n’envisage leur intégration que dans le Domaine Public.

Les règles de gestion du Domaine privé de l’État : Le domaine privé, en tant que propriété
d’une personne publique, est soumis à l’insaisissabilité des biens, même s’il est aliénable. En
tant que tel, il est aussi soumis à l’interdiction de cession à vil prix, bien que relevant du code
civil. Toutefois, le domaine privé n’est pas entièrement soumis au Code civil et certaines
règles lui sont propres, comme le fait que la cession ou la concession d’un bien du domaine
privé obéit à plusieurs conditions, notamment, l’évaluation du bien. En droit ivoirien,
l’Administration gère librement les terres du Domaine Foncier Rural immatriculées en son
nom (art. 21 de la loi de 1998), dans le cadre de contrats conclus directement entre
l’Administration et les personnes concernées (art. 22).

Les procédures varient selon qu’il s’agit d’une cession ou d’un bail.

• La cession des biens relevant du domaine privé d'une personne publique : La cession
des biens et droits mobiliers du domaine privé de l’État qui ne sont plus utilisés est
autorisée. Cette cession est soumise aux exigences de publicité́ et de mise en
concurrence et réalisée soit par adjudication publique, soit par voie de marchés
d’enlèvement. La cession amiable reste possible notamment pour un motif d’intérêt
général. Des régimes spéciaux sont applicables aux biens meubles de caractère
historique, artistique, ou scientifique ainsi qu’aux cessions de terrains de l’État.
Contrairement à l’État, les collectivités territoriales ne sont pas soumises à des
obligations de publicité́ et de mise en concurrence avant toute cession de leurs biens
immobiliers, sauf lorsque la collectivité́ décide elle-même de s’y soumettre ou lorsque
les contrats de vente immobilière des collectivités territoriales sont couplés avec des
contrats de commande publique.

L’acte par lequel une personne publique cède un bien de son domaine privé est un acte
administratif créateur de Droit. En droit foncier rural ivoirien, cet acte est un Acte de
Concession Définitive (ACD), similaire à celui qui est pratiqué dans le droit foncier
urbain. En effet, en l’absence d’acte spécifique au foncier rural, l’administration est
contrainte de délivrer un ACD pour toutes les cessions de terres du domaine privé de
l’État24.

24
Ceci est une aberration en soi car l’article premier de l’ordonnance N°2013-481du 2 juillet 2013 fixant les
règles d’acquisition de la propriété des terrains urbains, limite l’espace d’émission des ACD au périmètre
urbain, et, en ce qui concerne les autres domaines, les terrains réservés pour l’industrie et pour la promotion
touristique.

12
• Les baux sur les biens relevant du domaine privé d’une personne publique : Les
personnes publiques ont la possibilité́ de conclure avec un opérateur des contrats de
location. Ces contrats sont à durée déterminée et comportent obligatoirement des
clauses de mise en valeur. Par ailleurs, la location des terres du Domaine Foncier
Rural de l’État est consentie moyennant paiement d’un loyer dont les bases
d’estimation sont fixées par la loi de Finances (article 19 de la loi de 2019 modifiant la
loi de 1998). Il peut s’agir de baux simples ou des baux emphytéotiques. Les baux
simples couvrent une large gamme : bail commercial, bail professionnel, bail à
construction, bail à réhabilitation, bail rural. Le bail emphytéotique se distingue par sa
longue durée.

L’acte par lequel une personne publique accorde une concession (provisoire) sur un
bien de son domaine privé est un acte administratif créateur de Droit. Il s’agit bien
souvent d’un Bail Emphytéotique conclu pour une durée comprise entre 18 et 99 ans.
Si l’on s’en tient aux règles du Bail Emphytéotique Administratif (conclu sur le
domaine Public), il peut être reconduit dans la limite de cette durée totale de 99 ans,
mais pas de façon tacite25.

Quoiqu’il en soit, la cession de terres ou la location d’une terre du domaine privé d’une
personne publique est conditionnée par une décision de son organe délibérant. Cette décision
doit être portée à la connaissance des administrés intéressés par l'effet d'une publicité́ adaptée,
qui conditionne le caractère exécutoire de l'acte pris par la personne publique.

Concernant le contentieux de la transaction sur les biens du domaine privé d’une


personne publique :

L’article 22 de la loi de 1998 relative au Domaine foncier Rural prévoit qu’en cas de non-
respect des clauses du contrat de bail, le contrat est purement et simplement résilié́ ou ramené́
à la superficie effectivement mise en valeur. Par ailleurs, précise l’article 23 de la loi de 2019
modifiant la loi de 1998, en cas de non-paiement du loyer les impenses réalisées par le locataire
constituent le gage de l’état dont les créances sont privilégiées même en cas d’hypothèque prise
par des tiers ; et cela, outre les poursuites judiciaires qui peuvent être menées contre lui.

Concernant ces poursuites judiciaires, le principe est que le contentieux de la gestion du


domaine privé appartient au juge judiciaire26.

Toutefois, en ce qui concerne les biens immobiliers (dont fait partie le foncier), le Tribunal
des conflits en France a précisé que les litiges relatifs aux contrats de vente de biens
immobiliers appartenant au domaine privé de l’État relèvent de la compétence du juge

25
Idem
26
Conseil d’État du 17 décembre 1954 Grosy, Tribunal des conflits du 24 octobre 1994 (Duperray)

13
administratif27. De même, c’est le juge administratif qui est compétent, lorsque le litige
survient à propos de la délibération qui autorise la conclusion d’un bail emphytéotique28.

Par ailleurs, c’est le juge administratif qui s’avère compétent lorsque le contrat portant
occupation du domaine privé contient des clauses exorbitantes de droit commun29. Tout
comme, il demeure compétent pour l’annulation de tous les actes administratifs relatifs à cette
occupation du domaine privé30.

II. L’acquisition dans le domaine privé (ou patrimoine) des personnes


privées

L’acquisition d’une terre dans le domaine privé des personnes privées met en présence un
propriétaire qui est une personne privée, et un acquéreur qui, lorsqu’il s’agit d’une
acquisition définitive est un particulier, et, lorsqu’il s’agit d’une location, peut être une
personne morale de droit privé. Ici donc (comme dans le paragraphe précédent), le droit de
propriété existe déjà sur la parcelle qui a été immatriculée au nom du cédant ou du concédant
et qui constitue, avec les autres biens de ce dernier, son domaine privé. Il s’agit maintenant de
transférer ce droit de propriété du domaine de ce propriétaire au domaine d’une autre
personne privée ou d’en transférer le droit d’usage par le biais d’un contrat de bail.

Pour comprendre le processus, il faut définir la composition, le processus de constitution et


les modes de gestion du domaine privé des personnes publiques avant d’aborder le
contentieux.

Composition et définition : Le domaine privé d’une personne privée physique ou morale est
son patrimoine, c’est à dire l'ensemble des biens et des obligations appréciables en argent et
dans lequel entrent les actifs (valeurs et créances) ainsi que les passifs (dettes et
engagements).
Le patrimoine, envisagé dans sa généralité, implique donc les propriétés financières,
foncières, meubles et immeubles (intellectuelles aussi, quand il y en a) de la personne.

Constitution : la constitution du domaine privé d’une personne privée physique ou morale se


fait par achat, échange, donations ou legs, ou à la suite d’une décision de justice. Les
acquisitions d’immeubles ou de meubles à titre onéreux font l’objet d’un contrat de vente des

27
Arrêt du 6 juin 2011, Tribunal des conflits (Société Participations Premières)
28
Arrêt du Conseil d’Etat du 6 avril 1998 (Communauté urbaine de Lyon) ;
29
Arrêt du Conseil d’Etat du 17 décembre 1954 (Grosy)
30
Article 48 de la Loi n°2018-978 déterminant les attributions, la composition, l'organisation et le
fonctionnement du Conseil d'État.

14
articles 1582 et suivants du code civil31. L’augmentation du patrimoine d’une personne privée
obéit aux mêmes règles que celles qui président à leur réduction.

Les règles de gestion du patrimoine d’une personne privée : Les biens du patrimoine d’une
personne privée sont divisibles en trois catégories : droits réels32, droits personnels33, droits
intellectuels34.
Les droits fonciers font partie des droits réels. Le droit de propriété foncière permet à son
titulaire de retirer toutes les utilités économiques de la terre en usant de trois prérogatives :
l’usus ou le fait d’utiliser la chose ; le fructus ou le droit d’en retirer les fruits ; et enfin l’abusus,
c’est-à-dire le droit d’en faire ce qu’il veut. Les biens fonciers sont donc saisissables par voie
judiciaire, transmissibles après la mort et cessibles du vivant de son propriétaire.

• Concernant la mise en location d’une parcelle de terre, il faut savoir que le processus
est régi par les articles 1714 et suivants du code civil ivoirien qui traitent des règles
communes aux baux des maisons et des biens ruraux. Parmi ces règles, on peut citer
entre autres la nature du bail qui peut se faire verbalement ou par écrit (art.1714). On
peut citer aussi les obligations principales des parties : le bailleur a l’obligation de livrer
le bien foncier, d’entretenir le bien en état de servir (souvent dans le cas des biens
immobiliers), et enfin d’en garantir la jouissance paisible au preneur pendant toute la
durée du bail (art. 1719) ; tandis que le preneur a l’obligation d’une part, de payer le
prix du bail aux termes convenus et d’autre part, de traiter le bien en « bon père de
famille » en respectant la destination prévue par le bail (art. 1728).

En cas de contestation sur le prix des baux oraux, la foi du propriétaire l’emporte sur celle du
locataire, à moins que celui-ci demande l’intervention d’un expert (art. 1716). Les formes de
de location de parcelles et de biens ruraux sont diverses et se déclinent sous des formes adaptées
de fermage ou de métayage, en passant par les « planter-partager » issus de la pratique africaine.

• Pour ce qui concerne la vente des biens fonciers, il faut prendre en compte les articles
1582 et suivants du code civil ivoirien. La vente y est définie comme une convention
entre au moins deux parties par laquelle l’une s’oblige à livrer une chose et l’autre à la
payer. La vente peut-être authentique (c’est-à-dire devant un officier public35) ou sous-

31
Code civil ivoirien mis à jour des modifications de 2019 relatives au droit de la famille.
32
Le droit réel est une relation juridique existant entre une chose (matérielle) et un titulaire (sujet de droit). Ce
droit est opposable à tous. Dans bien des cas, il faudra publier le droit réel pour que tout le monde le connaisse.
33
Le droit personnel est une relation juridique entre 2 personnes juridiques. Le titulaire du droit personnel
(créancier) peut exiger d’une autre personne (débiteur) qu’elle exécute son obligation (de donner, de faire, ou de
ne pas faire). Le droit personnel n’est pas opposable à tous.
34
Le droit intellectuel est un droit né de la création intellectuelle et portant sur des choses matérielles. Il s’agit des
droits de propriétés industriels et artistiques (brevet, projet ou encore droit d’auteur) ou commercial (droits de
clientèle). Ces droits qui confèrent un monopole à leur titulaire sont opposables à tous.
35
Les officiers publics sont des personnes délégataires de la puissance publique de l’État au nom duquel elles
confèrent l’authenticité aux actes relevant de leurs compétences. Ce sont les officiers d’état civil, les greffiers,
les conservateurs des hypothèques, les huissiers de justice, les notaires, les avocats au Conseil d'État et à la Cour
de cassation, etc.

15
seing privée (hors officier public)36. La vente étant dite parfaite et la propriété acquise
par l’acquéreur dès que les parties conviennent d’un prix et de sa contrepartie (art.
1583), théoriquement, la vente d’un bien immobilier, selon le code civil ivoirien, peut
être considérée comme parfaite, même réalisée sous-seing privé. Toutefois, en raison
des articles 1319 à 1323, il ressort que le contrat sous-seing privé est opposable aux
parties et à leurs ayant-droits à condition de ne pas être désavoué par les signataires,
alors que le contrat authentique est opposable à tous, du moment qu’il n’est pas prouvé
qu’il s’agit d’un faux. Par ailleurs, le notaire, entre autres charges, procède à la
publication de la vente auprès du service de publicité foncière compétent, ce qui
accentue l’opposabilité aux tiers.

Mais spécifiquement, pour la vente des biens fonciers ruraux, il faut s’en tenir à
l’annexe fiscale à la loi de finance pour l’exercice 197037, en son article 8 qui précise
que « Tous actes à publier au livre foncier y compris ceux portant sur les
transactions relatives à des plantations doivent être dressés par devant
notaire. »38. Les textes ultérieurs, notamment la loi de 1998, n’ayant pas remis en
question cette loi de 197039 et ne s’étant pas prononcés expressément sur les
conditions de cession d’une propriété foncière rurale, cette loi vaut toujours pour les
terres du Domaine foncier rural tenues en pleine propriété. D’ailleurs, l’exigence de la
procédure notariale est reprise dans l’article 35 du décret d’application de
l’ordonnance de 2013 traitant du foncier urbain qui précise que « l’arrêté de
concession définitive (ACD) ne peut être transféré à un tiers que par acte
authentique »40.

L’acquisition dans le domaine concédé obéit à une procédure spécifique.

Paragraphe 2 : L’acquisition dans le domaine concédé et « Les terres sans maître »

36
La vente sous-seing privée est directement réalisée par les parties, en l’absence d’un officier public compétent
pour authentifier l’acte.
37
Loi n°70-209 du 20 mars 1970 portant loi de finances pour la gestion 1970
38
L’article va plus loin en précisant que « Tous faits, conventions ou sentences ayant pour objet de constituer,
transmettre, déclarer, modifier ou éteindre un droit réel immobilier, d’en changer le titulaire ou les conditions
d’existence, tous baux d’immeuble excédant trois années, toutes quittances ou cessions d’une somme équivalant
à plus d’une année de loyer ou fermage non échu doivent, en vue de leur inscription, être constatés par actes
authentiques sous peine de nullité absolue. ».
39
Sachant qu’un décret ne peut abroger une loi en vertu de la hiérarchie des normes, il faut savoir que la loi de
1998 relative au domaine foncier rural a abrogé une seule loi, soit la loi n°71-338 du 12 juillet 1971 relative à
l’exploitation rationnelle des terrains ruraux détenus en pleine propriété́ ; tandis que l’ordonnance de 2013
relative au foncier urbain a abrogé l'article 36 de l'annexe fiscale de la loi n° 2002-156 du 15 mars 2002 portant
loi de Finances de l'année 2002 qui avait institué une procédure simplifiée de délivrance du titre foncier.
40
Décret N°2013-482 du 2 juillet 2013 portant modalités d’application de l’ordonnance fixant les règles
d’acquisition de la propriété des terrains urbains.

16
Le domaine concédé, en tant que catégorie du domaine foncier rural, est prévu par l’article 2
de la loi de 1998. Ce domaine est constitué des terres concédées par l’État à titre provisoire
antérieurement à la date de publication de la loi (art.3). Il s’agit donc de l’ensemble des terres
que l’État a attribué à des personnes par le biais d’actes administratifs41 de « lettres
d’attribution », de « Concessions provisoires » ou encore de « permis d’occupation » etc. sans
avoir procédé à une immatriculation préalable de ces terres en son propre nom ; ce qui est une
aberration en soit. Cela signifie, en effet, que l’État a accordé des concessions sur des
parcelles dont il n’était pas propriétaire. Toute la procédure de consolidation des droits sur le
domaine concédé vise donc à réparer cette aberration.

Nous faisons le choix de rapprocher cette catégorie domaniale de celle des « Terres sans
maître », en raison, notamment du sort réservé à celle-ci par la loi de 2019. Selon l’article 6
nouveau, en effet, les terres qui n'ont pas de maître appartiennent à l'État qui les gère
librement. Ces terres sans maître sont les terres objet d'une succession ouverte depuis plus de
trois ans, non réclamées ; les terres du domaine coutumier sur lesquelles des droits coutumiers
exercés de façon paisible et continue n'ont pas été constatés dans un délai non encore défini ;
ainsi que les terres concédées sur lesquelles les droits du concessionnaire n'ont pu être
consolidés dans un délai non encore défini. Le défaut de maître doit être constaté par décret
pris en Conseil des Ministres.

En cas de demande d’accès faite par une personne sur ces terres sans maître, les conditions
d’accessibilité s’avèrent très proches de celles prévues pour le domaine concédé. Ainsi, outre
le fait que ces terres sont immatriculées au nom de l’État qui les vendra ou les donnera à bail
selon le statut du demandeur, celui-ci doit supporter les frais d’immatriculation.

Aussi, en l’absence du décret d’application prévu pour les Terres sans Maîtres, nous nous en
tiendrons à la procédure définie par le décret d’application pour les Terres du Domaine
concédé pour se faire une idée de celle qui prévaut actuellement pour les terres sans maître.

En effet, si la loi de 1998 pose dans ses articles 12, 13 et 14 le principe de la nécessité
d’immatriculer les terres pour en avoir la pleine propriété, c’est le décret n°2019-265 du 27
mars 2019 qui fixe, dans les détails, la procédure de consolidation des droits des
concessionnaires provisoires de terres du Domaine Foncier Rural.

La procédure suit les étapes suivantes :

- Un dossier de demande d’immatriculation au Livre Foncier est remis par le


concessionnaire au Directeur Général de l’Agence Foncière Rurale (AFOR). Le dossier
comprend :

41
Il s’agit d’arrêtés de concession provisoire, d’autorisations d'occuper, de permis d’occuper, de lettres de mise à
disposition, de contrats d'occupation précaire, de lettres d'attribution et de titres fonciers indigènes (art. 13).

17
• Une requête rédigée sur papier libre demandant une immatriculation de la terre
au nom de l’État avec réattribution (sous forme de vente ou de concession) au
demandeur (article 14 de la loi de 1998).
• La copie certifiée conforme de l’acte de concession,
• une fiche de renseignements sur l’identité du demandeur,
• le dossier technique d’immatriculation élaboré par un géomètre-expert agréé
dont les spécifications sont précisées par arrêté conjoint du Ministre chargé de
l’Agriculture et du Ministre chargé du Budget.
• le fichier numérique du plan du bien foncier.

- Le dossier de demande d’immatriculation est transmis, par le Directeur de l'Agence


Foncière Rurale, pour appréciation, au Conservateur de la Propriété Foncière et des
Hypothèques qui, après acceptation, en publie l’avis au Journal Officiel, ainsi que par
affichage dans des endroits clés de la localité abritant la parcelle concernée. Les affiches
sont maintenues pendant une durée de 3 mois.

- Un procès-verbal de clôture de publicité constate l’existence ou l’absence


d’oppositions. En cas de contestation ou de réclamation, le Sous-préfet qui entreprend
des négociations entre les parties en litige. A défaut d’accord amiable, le litige est
soumis à la décision d’une Commission spéciale présidée par le préfet de
Département.

- En cas de non-opposition ou après règlement des litiges le Directeur Général de


l’AFOR transmet les certificats d’affichage, les procès-verbaux de clôture de publicité
et les actes de règlement des litiges au Conservateur de la Propriété Foncière et des
Hypothèques pour immatriculation du bien foncier au nom de l’État.

- Les terres immatriculées au nom de l’État sont données à bail ou vendues à l’ancien
concessionnaire s’il remplit les conditions d’acquisition de la propriété.

L’article 14 de la loi de 1998 fait obligation au requerant de l’immatriculation de demander


une réattribution (sous forme de vente ou de concession). Lorsque cette demande est faite, le
requérant bénéficie alors d’une sorte de droit de préemption sur la réattribution de la parcelle
immatriculée au nom de l’État. Évidemment, celui-ci conserve ses prérogatives de puissance
publique, comme cela est précisé à l’article 21 de la loi de 199842.

Dans le domaine foncier coutumier, l’acquisition d’une terre obéit à une procédure bien plus
complexe.

42
« Aux conditions générales de la présente loi et des autres textes en vigueur et à celles qui seront fixées par
décret, l’Administration gère librement les terres du Domaine Foncier Rural immatriculées au nom de l’État. ».

18
Section 2 : L’acquisition d’une terre dans le domaine foncier
coutumier

Le Domaine Foncier Coutumier est constitué par l’ensemble des terres sur lesquelles
s’exercent des droits coutumiers conformes aux traditions et des droits coutumiers cédés à des
tiers. Il s’agit donc des terres sur lesquelles s’exercent des droits conformes aux coutumes
précoloniales ainsi que les terres sur lesquelles ces droits coutumiers ont été cédés sur la base
de contrats sous-seing privées à caractère définitif (lesquels contrats sont désormais interdits
par l’article 17 bis de la loi de 2019 modifiant la loi de 1998 relative au domaine Foncier
rural).

L’acquisition d’une terre dans le Domaine Foncier Coutumier implique une procédure de
constat de droits coutumiers (Paragraphe 1) donnant lieu à un certificat foncier puis à une
immatriculation au livre foncier (Paragraphe 2).

Paragraphe1 : La procédure de constat des droits coutumiers

Bien que la loi indique une procédure d’établissement des droits fonciers ruraux, ce sont les
décrets n°2019-264 du 27 mars 2019 portant organisation et attribution des comités sous-
préfectoraux de gestion foncière rurale et des comités villageois de gestion foncière rurale et
n°2019-266 du 27 mars 2019 fixant les modalités d’application du Domaine Foncier Rural
Coutumier de la loi n°98-750 du 23 décembre 1998, qui en donnent les détails.
La procédure connaît deux grandes étapes. Une première étape qui consiste à établir les droits
coutumiers, et une deuxième qui tend à les traduire en droits légaux afin d’en permettre la
transmission.

I. L’enquête de constat ou le début de la procédure

Le législateur prévoit le déroulement de l’enquête, ainsi que les structures habilitées à la mener.

a) Les structures habilitées à réaliser l’enquête

19
Selon l’article 7de la loi de 1998, les droits coutumiers sont réalisés après une enquête officielle
menée par les autorités administratives ou leurs délégués, et les conseils des villages concernés.
Les décrets d’application de mars 2019 viennent indiquer la création de deux comités de gestion
foncière rurale ; un à l’échelle de la sous-préfecture : le Comité Sous-Préfectoral de Gestion
Foncière Rurale (CSPGFR) et un deuxième à l’échelle villageoise : le Comité Villageois de
Gestion Foncière Rurale (CVGFR).

Concernant le comité sous-préfectoral (CSPGFR) : il est créé par arrêté du Préfet du


département. Présidé par le Sous-préfet, il comprend :
• avec voix délibérative :
- un représentant de l’Agence Foncière Rurale,
- un représentant du Ministère en charge de la Forêt,
- un représentant du Ministère en charge de l’Urbanisme,
- un représentant du Ministère en charge des Infrastructures Économiques,
- un représentant du service du Cadastre,
- six représentants des villages et des autorités coutumières désignés sur
proposition des populations pour une durée de trois ans renouvelable.

• avec voix consultative :


- les personnes concernées par les questions devant faire l’objet des délibérations
du Comité, notamment des représentants des comités villageois tels que prévus
à l’article 9 ci-après et des exploitants des terres rurales,
- toute personne utile à la bonne fin des travaux du Comité.

Le CSPGFR est compétent pour délibérer sous forme d’avis conformes sur :
- la validation des enquêtes officielles de constat de droits fonciers coutumiers,
- les oppositions ou réclamations survenant au cours des procédures
d’immatriculation des terres du Domaine Foncier Rural concédé,
- les conflits non résolus au cours des enquêtes foncières.
Il délibère aussi, sous forme d’avis simples sur les implications foncières des différents
projets de développement rural, projets d’urbanisation ou projets de reboisement, ainsi que sur
toute question relative au Domaine Foncier Rural.

Concernant le comité villageois (CVGFR) : il est créé par le sous-préfet et composé de onze
membres au moins et de seize membres au plus.

Parmi ses membres, le CVGFR comprend nécessairement :


- le chef du village ou son représentant,
- le chef de terre ou son représentant,
- les chefs de lignages ou les chefs des grandes familles,

20
- les représentants des communautés,
- un représentant de la jeunesse,
- une représentante des femmes,

Les autres membres sont ceux dont la présence est considérée comme utile à la bonne fin des
travaux du comité.

La vocation générale du CVGFR, est « l’étude de toutes questions relatives à la gestion du


foncier rural dans leur ressort territorial ». Son rôle est donc assez large, même si le décret
n°2019-264 du 27 mars 2019 précité, n’énumère que ses missions dans le cadre de la procédure
de constat des droits coutumiers pour laquelle il intervient à toutes les étapes, des enquêtes à la
transmission du dossier de constat d’existence continue et paisible des droits coutumiers objets
de la procédure. Le CVGFR tient par ailleurs, à jour, un registre foncier villageois pour
enregistrer toutes les informations foncières concernant le village.

Leur fonction essentielle est directement liée à la procédure d’établissement des droits fonciers
et leur rapport valide ou invalide les enquêtes officielles de constat des droits coutumiers. C’est
sur la base de ce rapport que les préfets de département prendront la décision finale de
reconnaissance ou non de la détention coutumière.

b) Le déroulement de l’enquête

Il est défini par Décret n°2019-266 du 27 mars 2019 fixant les modalités d’application du
Domaine Foncier Rural Coutumier de la loi n°98-750 du 23 décembre 1998.

Elle se déroule en Cinq étapes :

• L’intention expresse d’établir les droits fonciers (articles 1 et 2 :


- Soit par une demande individuelle ou collective (de la communauté villageoise),
adressée au sous-préfet.
- Soit par la mise en œuvre d’un programme public d’intervention

• La désignation d’un commissaire-enquêteur.


- Il est désigné par l’AFOR à partir de la liste nationale des Commissaires-enquêteurs
préétablie par l’AFOR).
- En cas d’opération groupée, le Commissaire-enquêteur est celui qui est proposé
par le titulaire du marché d’exécution de cette opération groupée, sous réserve de
figurer sur la liste nationale.
- L’ouverture de l’enquête est publiée et relayée de toute façon utile.
- Le commissaire-enquêteur constitue une équipe d’enquête qui comprend :
o un représentant du Conseil de village ou de la Notabilité,

21
o un représentant du Comité Villageois de Gestion Foncière Rurale,
o les voisins limitrophes,
o le demandeur
o toute personne utile à la bonne fin de l’enquête.
Article 1 : L’enquête aboutit à :
- la constitution d’un dossier de délimitation,

• L’enquête aboutit à :
- La réalisation d’un dossier de délimitation qui comprend deux documents :
o Un plan du bien foncier, qui est établi et signé par l’opérateur technique
agréé.
o Un constat des limites, qui est consigné dans un formulaire signé par
l’opérateur technique agréé et par les parties présentes.
- L’établissement d’un procès-verbal de recensement des droits coutumiers auquel est
annexé :
§ Une fiche démographique, visant à recenser les personnes concernées
par l’enquête.
§ Un dossier foncier comprenant un questionnaire et la déclaration du
demandeur
§ En cas de droits coutumiers collectifs, la liste exhaustive des détenteurs
de ces droits
§ Un dossier des litiges fonciers identifiés comprenant les déclarations des
parties en conflit signées par celles-ci.
§ Un état des droits de propriété ou des droits de concession ou
d’occupation accordés par l’Administration, ainsi que toute pièce utile à
l’enquête.
§ La liste des servitudes et droits d’usage, leur nature et le nom ou la
caractérisation des détenteurs de ces droits.
§ Les déclarations de toutes les personnes auditionnées au cours de
l’enquête.

• La validation des résultats


Elle vient clore les enquêtes de constat des droits coutumiers. Elle est prévue en trois étapes :
- Une phase préparatoire de publicité dans les villages concernés. La publicité est
effectuée par le commissaire enquêteur sous l’autorité du Comité Villageois de
Gestion Foncière Rurale sur une période d’un mois, avec une séance publique de
présentation des résultats, suivie par l’enregistrement d’éventuelles oppositions et
une séance publique de clôture.
- En l’absence de litige, un « procès-verbal de publicité » est dressé, à partir duquel
le comité villageois de gestion foncière établira le « constat d’existence continue et

22
paisible de droits coutumiers ». En cas de litige, un règlement amiable est tenté par
le CVGFR d’abord, puis par l’autorité villageoise en cas de désaccord persistant,
avant d’être porté devant le sous-préfet qui tranche en dernier recours.
- Le dossier complet est adressé au Comité Sous-préfectoral de Gestion Foncière
Rurale pour validation, notification au demandeur et transmission à l’Agence
Foncière Rurale pour exploitation.

L’enquête constatant l’existence « continue et paisible » des droits coutumiers, donne lieu à la
délivrance d’un certificat foncier.

Paragraphe 2 : Le certificat foncier et l’immatriculation

Le certificat foncier vient constater les droits coutumiers (A) avant qu’ils ne soient transformés
dans une dernière étape en droit de propriété privée par le biais de l’immatriculation (B).

I. Établissement du Certificat Foncier

Le Certificat Foncier est, sans aucun doute, l’une des innovations majeures de la loi de 1998.
Bien que sa nature et sa forme restent à ajuster (1), la procédure d’établissement elle, est plutôt
précise (2).

a) Une nature (surtout) et une forme à ajuster

A la vérité, c’est la nature qui mérite surtout d’être précisée, notamment depuis la loi
modificative de 2019.

Il est important d’insister, en effet sur le fait que cette loi a apporté un changement radical à la
loi de 1998 en modifiant la nature juridique du certificat foncier. Celui-ci n’est plus un droit
de propriété comme dans la version précédente. Désormais, le Certificat Foncier (CF) est le
constat des droits coutumiers.

En revanche, la loi ne se prononce pas plus que ça sur la nouvelle nature de ces droits
coutumiers, laissant ainsi un vide juridique. En effet, il va de soi de se demander quels droits
réels coutumiers le CF constate-t-il ? S’il ne s’agit plus de droit de propriété, s’agit-il désormais
de droits d’usufruits, de droits de détention, de droits de possession, de droits d’occupation, de
simples droits d’usage etc. ?

23
Il importe que cette question soit résolue pour ne pas en ajouter aux causes de confusion dans
l’application de la loi.

Pour la forme du certificat collectif, la nouvelle loi apporte quelque changement, notamment
pour ce qui concerne le certificat foncier collectif.

Il faut savoir, en effet, que le certificat foncier peut être individuel ou collectif.

Le CF est individuel lorsqu’il est établi au nom d’un seul individu.

Il devient collectif lorsqu’il est établi au nom d'entités publiques ou privées dotées de la
personnalité́ morale. Toutefois, c’est là l’étrangeté de cette loi modificative, ils peuvent être
établis au nom de groupements de personnes physiques dument identifiées et non dotées de la
personnalité́ morale. En effet, on se demande comment une entité non dotée d’une
personnalité juridique peut être détentrice de droits et les faire valoir. A moins, évidement,
que par cette formule, le législateur entend une sorte d’indivision où chaque membre serait
responsable juridiquement de sa quote-part.

Pour ce qui est de l’accessibilité, le certificat foncier est accessible à tous. Il est bon de
rappeler que c’est son accessibilité à tous, sans condition de nationalité ou de personne
physique (conditions de la propriété dans le domaine foncier rural émises par l’article 12 de la
constitution et l’article 1 de la loi de 1998) qui a justifié en grande partie la révision de la loi,
car, en tant que droit de propriété, le certificat foncier en devenait inconstitutionnel.

Désormais conforme à la constitution, même si sa nature reste à préciser, le certificat foncier


s’établit selon une procédure particulière.

b) La procédure d’établissement du Certificat Foncier

La procédure d’établissement du certificat foncier est régie par le décret n°2019-266 du 27 mars
2019 fixant les modalités d’application du Domaine Foncier Rural Coutumier de la loi n°98-
750 du 23 décembre 1998.

On a vu dans le paragraphe relatif aux enquêtes de constat des droits coutumiers, que le dossier
de validation de l’enquête officielle était transmis à l’Agence Foncière Rurale. Celle-ci se
charge alors, après contrôle, de préparer le Certificat Foncier qui est soumis à la signature du
Préfet de Département, en deux exemplaires originaux. On le voit, l’AFOR prépare le CF,
mais ne le signe pas. C’est le PRÉFET qui signe le CF.

Le certificat foncier peut être individuel ou collectif. Il est individuel lorsqu’il est établi au nom
d’une seule personne

24
Le certificat foncier est timbré aux frais du titulaire et enregistré par le Préfet qui en conserve
un exemplaire original. Le second original est remis :
- soit au titulaire lui-même ou à son représentant porteur d’un mandat spécial
légalisé par le sous-préfet, dans le cas d’un certificat individuel ;
- soit au représentant légal de la personne morale titulaire ;
- soit au gestionnaire du groupement informel désigné par les membres dudit
groupement dont la liste est jointe au Certificat.
Une copie du certificat foncier est conservée dans le système d’informations foncières tenu
par l’Agence Foncière Rurale.
En cas de perte d’un exemplaire original du certificat foncier, une copie conforme sera
délivrée par le Préfet ou par le Directeur Général de l’Agence Foncière Rurale ; mention en
sera portée dans le système d’information foncière.
Le plan du bien foncier est joint au Certificat Foncier.
Un cahier des charges signé par le titulaire et le Préfet du Département est annexé au Certificat
Foncier. Il précise s’il y en a:
- la liste des occupants de bonne foi non admis au bénéfice du certificat foncier
mais titulaires d’un bail,
- l’existence de servitudes particulières ou d’infrastructures réalisées par l’État
ou par des tiers et dont l’usage est réglementé ;
- Les conditions d’immatriculation au Livre Foncier

Le Certificat Foncier est ensuite publié au Journal Officiel par le Directeur Général de l’Agence
Foncière Rurale.

Concernant la Gestion du Certificat Foncier, elle est assez complexe. En effet, alors même que
la nature juridique du certificat foncier a changé et que celui-ci n’est plus un droit de propriété,
le titulaire du certificat foncier peut user de son certificat comme un propriétaire.
Ainsi, le certificat foncier confère à son titulaire la capacité d’ester en Justice et d’entreprendre
tous actes de gestion relatifs au bien foncier concerné.

De même, le certificat foncier est transmissible, cessible et morcelable ; plusieurs certificats


fonciers peuvent être aussi fusionnés.

Ces actes doivent être consacrés par un acte authentifié par l'autorité́ administrative.

Par ailleurs, dans tous ces cas ou le titulaire du certificat et/ou les dimensions de la parcelle
certifiée changent, de nouveaux certificats fonciers sont établis avec le nom des nouveaux
titulaires et/ou les nouvelles dimensions.

Dans le cas spécifique du certificat foncier collectif, ce morcellement ne peut se faire qu’au
profit des membres du groupement. Le bien foncier objet d’un Certificat foncier peut, par
ailleurs, faire l’objet d’un contrat de location.

25
II. L’immatriculation au livre foncier

C’est l’ultime étape de la procédure d’appropriation d’une terre du domaine foncier


coutumier. En effet, une fois sa parcelle certifiée, le titulaire du certificat foncier est tenu de
requérir (dans un délai qui sera défini par décret). Alors seulement il pourra se prévaloir de la
propriété sur cette parcelle.

La procédure d'immatriculation des terres objet de Certificats Fonciers sera définie par un
décret actuellement en préparation.

En attendant, quiconque, titulaire d’un certificat foncier doit avant tout s’assurer qu’il respecte
les conditions de la propriété soit la nationalité ivoirienne d’une part et d’autre part, le fait
d’être une personne physique ou une personne morale de droit public, soit l’État ou une
collectivité territoriale. Rappelons que cette double exigence est posée, à la fois par l’article 1
de la loi de 1998 modifiée par la loi de 2019, et par l’article 12 de la constitution ivoirienne de
2016 modifiée par la loi constitutionnelle de 2020.

En l’absence de décret d’immatriculation, il faut considérer que tout demandeur


d’immatriculation dans le Domaine foncier rural se verra soumis à la procédure fixée par le
décret de 1932 :

- Le dossier de demande d’immatriculation est transmis au Conservateur de la Propriété


Foncière et des Hypothèques qui, après approbation du service du cadastre, en publie l’avis
au Journal Officiel ou dans un journal d’annonce légale.

- L’avis d’immatriculation fait l’objet d’une publicité par affichage pendant une période de
3 mois au cours desquels les contestations et réclamations sont reçues, sous forme
d’opposition, au service du cadastre et de la conservation foncière.

- Un procès-verbal de clôture de publicité constate l’existence ou l’absence d’oppositions.

- En l’absence ou à l’épuisement de toute opposition, le géomètre assermenté du cadastre


réalise un contrôle du rapport technique du certificat foncier par un contrôle du système
de mesure ou, si cela s’avère nécessaire, par un bornage contradictoire.

- Le géomètre assermenté produit un rapport technique un procès-verbal de


confirmation ou d’infirmation du dossier technique du certificat foncier.

- En cas de confirmation du dossier technique du certificat foncier, le conservateur


inscrit la parcelle dans le livre foncier.

- En cas d’infirmation du dossier technique du certificat foncier, le rapport technique du


cadastre s’impose sur celui du certificat foncier.
26
- L’immatriculation est réalisée au nom du titulaire du certificat foncier s’il remplit les
conditions d’accès à la propriété prévues à l’article 1 de la loi relative au Domaine foncier
rural.

- L’immatriculation est réalisée au nom de l’État si le titulaire du certificat foncier ne remplit


pas les conditions d’accès à la propriété prévues à l’article 1 de la loi relative au Domaine
foncier rural.

Dans ce cas, les terres immatriculées au nom de l’État sont données à bail au titulaire du
certificat foncier, dans le respect des dispositions en vigueur.

- Le conservateur transmet un état foncier de la parcelle immatriculée au Directeur Général


de l’Agence Foncière Rurale pour établissement de l’acte de propriété foncière.

- Les dossiers suspendus pour cause d’oppositions jugées sérieuses par le conservateur sont
renvoyés devant le juge du tribunal compétent.

Ainsi s’achève le cours de Droit foncier Rural !

27

Vous aimerez peut-être aussi