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UNIVERSITÉ ALASSANE OUATTARA

UFR : Sciences Juridiques Administrative et de Gestion

Mémoire en vue de l’obtention de Master recherche


Option : Histoire du Droit, des Institutions et des Idées Politiques

SUJET: LA TERRE ET LE JUGE EN AFRIQUE NOIRE


TRADITIONNELLE : CAS DU PEUPLE ABRON EN CÔTE
D’IVOIRE.

SOUS LA DIRECTION DE :

Monsieur NÉNÉBi Boti Séraphin


PRESENTÉ PAR :
Professeur titulaire
ADOU Kouassi Serge Fernandèze

SOUS L’ENCADREMENT DE

Monsieur KOUADIO Kouassi Louis


Docteur en histoire du droit

ANNÉE ACADÉMIQUE 2020-2021


AVERTISSEMENT

L’Université Alassane Ouattara de Bouaké n’entend donner aucune approbation, ni


improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Elles doivent être considérées comme
Propres à son auteur.

I
REMERCIEMENTS

Au terme de ce travail, nous voulons témoigner notre reconnaissance au Professeur


Séraphin NÉNÉ BI, de nous avoir retenu dans ce Master, également pour la motivation qu’il
nous a toujours insufflée par sa personne et par ses connaissances qu’il a bien accepté de nous
transmettre.

Nous exprimons notre reconnaissance aux enseignants de l’UFR SJAG de


l’Université Alassane OUATTARA, sous la conduite du doyen, le Professeur SILUÉ Nanga.
Aussi, au Docteur KOUADIO Kouassi Louis, qui en dépit de ses charges, a accepté de nous
accompagner jusqu’au terme de ce travail. Il s’est consacré à nous tout entier. MERCI cher
Docteur.

Nos remerciements à l’endroit de Nanan KOSSONOU APINM, chef de la province


Akidom, pour la promptitude avec laquelle il nous a accueilli, répondu et orienté vers
Nanan KRA Yao Ferdinand et KOUADIO Fodjo, ses conseillers juridiques, et notables qui se
sont rendus entièrement disponibles pour nous. Nos remerciements vont à l’endroit de tous
ceux qui nous ont soutenu financièrement et moralement, sans oublier nos condisciples.

II
DÉDICACE

C’est une grâce divine que d’être né avec des femmes alors ;

À celles qui m’ont porté après Maman : mes sœurs.

Particulièrement à toi qui avais tant souhaité voir l’achèvement de mon œuvre, repose en paix
ADOU Ange Mireille.

III
SOMMAIRE
AVERTISSEMENT ................................................................................................................................ I
REMERCIEMENTS............................................................................................................................... II
DÉDICACE .......................................................................................................................................... III
SOMMAIRE ........................................................................................................................................IV
RÉSUMÉ ............................................................................................................................................... V

INTRODUCTION ................................................................................................................................. 7
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE : GÉNÉRALITÉ SUR LA SOCIÉTÉ ABRON ....................... 16
SECTION 1 : LE ROYAUME ABRON ........................................................................................ 16
PARTIE 1 : LA TERRE ET LE JUGE, UN MARIAGE DIFFICILE ........................................... 26
CHAPITRE 1 : UNE COMPLEXITÉ TENANT A LA NATURE DE LA TERRE .................. 27
SECTION 1 : LA TERRE UN PHÉNOMÈNE SACRÉ ................................................................... 28
SECTION 2 : LE JUGE TRADITIONNEL, FOSSOYEUR DES TERRES ..................................... 34
CHAPITRE 2 : UNE COMPLEXITÉ LIÉE AUX MÉCANISMES FONCIERS
TRADITIONNELS EXISTANTS .................................................................................................. 40
SECTION 1 : DES MÉCANISMES NORMATIFS LIMITÉS ......................................................... 40
SECTION 2 : DES INSTITUTIONS TRADITIONNELLES LACUNAIRES ................................. 46
PARTIE 2 : LA TERRE ET LE JUGE UN COUPLE INSÉPARABLE ........................................ 51
CHAPITRE 1 : UN LIEN AFFIRMÉ PAR LA PROTECTION ET LA GESTION
TRADITIONNELLES DES TERRES PAR LE JUGE ................................................................ 52
SECTION 1 : UNE PROTECTION TRADITIONNELLE DES TERRES ....................................... 52
SECTION 2 : UNE GESTION TRADITIONNELLE DES TERRES À GÉOMÉTRIE
VARIABLE ....................................................................................................................................... 56
CHAPITRE 2 : UN LIEN CONSOLIDÉ PAR LES SANCTIONS PRONONCÉES PAR LE
JUGE TRADITIONNEL ................................................................................................................ 61
SECTION 1 : LES SANCTIONS EN CAS DE CONFLITS DE TYPE DIRECT ............................ 61
SECTION 2 : LES SANCTIONS DU JUGE EN CAS DE CONFLITS FONCIERS DU GENRE
INDIRECT ......................................................................................................................................... 68
CONCLUSION .................................................................................................................................... 73

ANNEXES ............................................................................................................................................ 75
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................... 79
INDEX .................................................................................................................................................. 84
TABLE DES MATIÈRES………………………………………………………………...…………88

IV
RÉSUMÉ

Le royaume Abron est l’une des sociétés traditionnelles qui se caractérise par ses
institutions et son organisation. Avec pour population autochtone les Abron, qui fait partie du
grand groupe akan, cette société traditionnelle nous donne d’observer un phénomène juridique
qui mine toutes les sociétés : le foncier. Ainsi, l’analyse prend en compte la terre mais aussi
l’organisation judiciaire de la société en présence par l’entremise du juge. Il faut commencer
par dire que la notion de terre et de juge diffère selon les deux droits en présence, le droit
traditionnel africain et le droit moderne. Le droit traditionnel africain appréhende la première
notion comme étant un élément sacré à cheval entre le monde réel et le spirituel ; mais aussi
déclare une impossibilité d’aliénation au sens du droit positif. Quant à la seconde notion Au
sens traditionnel du terme le juge en pays Abron est multiple et variable selon les circonstances
mais également selon la nature de l’affaire. Ainsi, partant du patriarche de la famille au roi en
passant par le chef du village et la notabilité, tous parfois sont vu comme étant juges car pouvant
statuer sur des questions foncières si le temps et les circonstances le requiert. À l’analyse de ses
fonctions et des situations, il faut convenir que le juge de la terre est aussi bien une institution
publique que politique ; dont la défaillance parfois observée peut être une source d’instabilité
socio-politique. Toutefois l’accomplissement de son rôle premier, celui d’incarner la vérité,
surtout en matière foncière, reste également un gage de stabilité socio-politique.

Mots clés : société traditionnelle – Abron – terre – juge – foncier

ABSTRACT
The Abron kingdom is one of the traditional societies that is characterized by its institutions
and organization. With the Abron as an indigenous population, which is part of the large Akan
group, this traditional society allows us to observe a legal phenomenon that undermines all
societies: land. Thus the analysis takes into account the land but also the judicial organization
of the society in presence through the judge. We must begin by saying that the notion of land
and judge differs according to the two laws involved, traditional African law and modern law.
Traditional African law understands the first notion as a sacred element straddling the real world
and the spiritual; but also declares an impossibility of alienation within the meaning of positive
law. As for the second concept In the traditional sense of the term, the judge in Abron country

V
is multiple and variable according to the circumstances but also according to the nature of the
case. Thus starting from the patriarch of the family to the king passing by the chief of the village
and the notability all sometimes his seen as being judge because being able to rule on land
questions if the time and the circumstances require it. When analyzing his functions and
situations, it must be agreed that the land judge is both a public and a political institution; whose
failure sometimes observed can be a source of socio-political instability. However, the
fulfillment of its primary role of embodying the truth, especially in land matters, also remains
a guarantee of socio-political stability.

Keywords: traditional society – Abron – land – judge

VI
INTRODUCTION

7
i 1
S (E + J + A) P
L’équation foncière : F = n
T
l

F = foncier, S = rapport social, E = économique, J = juridique,

A = aménagement (techniques d’), P = politique aux échelles

i = internationale, n = nationale, 1 = locale, T = terre ou territoire

« Cette formule peut donc se lire ainsi : le foncier est l’ensemble particulier de rapports
sociaux ayant pour support la terre ou l’espace territorial. Ces rapports sociaux sont
principalement déterminés par les facteurs économiques (accumulation primitive de capital et
extraction de rente), juridiques (normes d’appropriation et modalités de règlement des
conflits) puis par les techniques d’aménagement pouvant matérialiser et caractériser ces
rapports sociaux en autant de régimes distincts »2.

Le casse-tête foncier fait partie intégrante du quotidien des hommes. De la première


révolution foncière, celle du néolithique, qui part de la domestication des animaux et la
découverte de l’agriculture. La seconde concerne la modernité avec l’intervention de l’État et
la conception de propriété ou encore la colonisation et la rencontre des cultures Européennes
avec celles d’Afrique noire. Quoi qu’il en soit, « qui terre a, guerre a »3. Or l’Afrique noire
dispose de terre à profusion. Par conséquent, les conflits en rapport avec le foncier sont
consubstantiels à ces sociétés en majorité situées en zone rurale.

Aujourd’hui, les sociétés africaines dans la course chevronnée vers le développement et


la modernité sont en face d’un pluralisme juridique en matière foncière qui constamment crée
des tractations entre droits coutumiers et droit moderne. A cet effet, face à la coexistence ou
au chevauchement de cette pluralité de normes ou de règles aussi bien étatiques que

1
Le Bris Emile (ed.), Le Roy Etienne (ed.), Mathieu P. (ed.), L'appropriation de la terre en Afrique noire:
manuel d'analyse de décision et de gestion foncières. Paris : Karthala (1991), p.14
2
Idem
3
Jean Paul COFFI, le droit foncier ivoirien CNDJ, Abidjan, juin 2016 p.9

8
coutumières, face au pluralisme institutionnelle, et suite à de nombreuses situations
conflictuelles4, il est indéniable que les problèmes liés à la terre sont légions.

Aussi, la particularité des sociétés rurales encrées dans leurs traditions réside-t-elle dans la
façon de concevoir cette chose qui est la base, le support voire le socle de toute activité ; c’est-
à-dire : la terre. On imagine donc aisément combien les coutumes juridiques en matière
foncière sont variées, tant dans leur aspect ancien avant l’arrivée des ‘’blancs’’, que dans
leur expression actuelle5. Cette juxtaposition des normes est aussi patente dans le monde foncier
ivoirien dans la mesure où le pays compte plus de soixante-trois (63) groupes ethniques repartis
sur ses 322.462 Km². Entre autochtones et allogènes, les risques de conflit ou même les conflits
liés à la terre sont innombrables.

Cela dit, il est donc impérieux de porter un regard sur l’évolution des choses afin d’y
voir plus clair. Comment régler le conflit de terre dans ces sociétés sérieusement rattachées aux
traditions ? Ces peuples disposent-ils de mécanismes de règlement de conflits foncier ? Vers
qui se tourner en cas de conflit sur la terre ? À l’ère du modernisme, n’existait-il pas de
méthodes de gestion propre dans ces sociétés africaines concernées ?

Toutes ces interrogations motivent le sujet, objet de la présente étude qui se formule comme
suite : la terre et le juge en Afrique noire traditionnelle : cas du peuple Abron en Côte
d’Ivoire. Autrement dit par qui et comment les conflits fonciers se règlent en droit traditionnel
chez le peuple Abron ?

Dans un souci de clarté et de logique, il nous semble opportun de procéder à un exercice


préliminaire de précision terminologique. Ce préalable de précision terminologique des notions
est mis en exergue par le père de la sociologie moderne Emile DURKHEIM en ces termes : « le
sachant doit d’abord définir les choses dont il traite afin que l’on sache et qu’il sache bien, de
quoi il est question ».6

Dans le cadre de la présente étude, les termes dont la clarification est essentielle à une
meilleure compréhension du sujet sont : la terre variable primaire sur laquelle pourrait influer
la seconde variable, le juge. Enfin, l’Afrique noire comme espace d’étude.

4
BONI Sosthène, comprendre l’esprit de la loi n°98-750 du 23 Décembre 1998 portant code foncier rural
en côte d’ivoire, p.3
5
Jacques BINET, droit foncier coutumier au Cameroun, Extrait du Monde Chrétien N°18, paris 1951
6
DURKHEIM Emile, La science sociale, Paris, PUF, 1970, p.23

9
« L’Afrique est immense, l’Afrique est plurielle. Elle est traditionnelle ; elle est moderne »7.

C’est sous cette multiplicité et cette pluralité de l’Afrique que se dessinent ses règles sociales
politiques mais aussi juridiques. La plus grande difficulté mais aussi la particularité de ce
continent ou les coutumes et mœurs varient selon la zone, le peuple et l’ethnie concerné. Pour
notre part, la circonscription en ce qui concerne le peuple Abron se justifie au travers de ce désir
de ne pas extrapoler la présente analyse.

De façon commune, en « Afrique noire traditionnelle, la terre ne peut être l’objet de


propriété: elle est seulement l’objet d’usufruit mais d’usufruit collectif. La “propriété
usufruitière’’ collective entraîne naturellement le travail collectif sur le champ familial dont
les produits sont également l’objet de propriété collective »8. Pour ces peuples, la majorité des
terres était régie pas le droit coutumier, droit portant sur l’usage du sol, incessible9.
L’analyse de la terre dans la conception africaine tourne autour de trois pôles essentiels : « le
caractère sacral ou divin de la Terre qui la rendrait non susceptible d’appropriation ; le fait
que les droits sur la terre seraient inaliénables ; la dimension toujours collective de ces droits.
Cette interprétation, qui doit être considérée comme « classique », prend sa forme définitive
et devient prédominante vers la fin du XIXe siècle ou au début du XXe »10. Cela ne sort pas
de l’entendement du professeur NÉNÉ BI Séraphin quand il écrit « la terre, pour ces groupes,
est le réceptacle des activités de la campagne, de la vie paysanne, cynégétique et revêt chez ces
peuples des caractères ontologiques. D’ailleurs, dans toutes les civilisations de la planète, la
terre a toujours fonctionné dans les mentalités collectives à la fois comme le connecteur du
sacré, si ce n’est le sacré lui-même et la sève nourricière des vivants et des choses avec
lesquelles le matériel et l’immatériel ont des relations d’existence »11.

Toutefois, étymologiquement la terre nous vient du latin "terra", issue du grec, de la


racine Sanskrit et Avestique "ters". Issue de cette racine "ters", au sens étymologique, la terre
est un endroit sec, par opposition à la mer12. La terre et le foncier ont une intimité indéniable

7
Séraphin NÉNÉ BI, histoire du droit et des institutions méditerranéennes et africaines des origines à la fin du
moyen-âge européen, 3ème Edition 2019, p.26
8
Le Bris Emile (ed.), Le Roy Etienne (ed.), Mathieu P. (ed.), L'appropriation de la terre en Afrique noire: manuel
d'analyse de décision et de gestion foncières. Paris : Karthala (1991) p.29
9
Op. cit.4 p.2
10
Testart, Alain. « Propriété et non-propriété de la Terre. L'illusion de la propriété collective archaïque (1re
partie) », Études rurales, vol. 165-166, no. 1, 2003, pp. 209-242.
11
Séraphin NÉNÉ BI, histoire du droit et des institutions méditerranéennes et africaines des origines à la fin du
moyen-âge européen, 3ème Edition 2019, p.136
12
The Nostratic Macrofamily. A study in distant Linguistic relationship. Gruyter Berlin 1994. La racine proto
nostratique "th" p.283

10
même si ce ne sont des synonymes. Le vocable foncier provenant aussi du latin « fundus » qui
signifie « fonds de terre », le terme foncier est utilisé dans un sens propre pour désigner « ce
qui est relatif à la terre » ou dans un sens substantif pour définir selon le thesaurus du
foncier 1999 « l’ensemble particulier des rapports sociaux ayant pour support la terre
ou l’espace territorial »13. Envisagée dans l’un ou l’autre sens, la gestion foncière constitue
sans aucun doute un enjeu d’envergure pour la Côte d’Ivoire si l’on considère
l’importance du « fundus » dans ses paramètres économiques, mais aussi social et politique.

Aux vus de ces appréhensions de la terre aussi différentes soient-elles, la terre en tant que terme
peut être appréhendé sous plusieurs angles. Cependant, dans cette étude la terre est le sol, le
support matériel de toutes activés humaines. Surface ou territoire sur lequel chaque peuple
s’identifie.

En pays Abron, la terre ou ‘’Assiê’’, de façon générale, est le sol. Pour tout ce qui se
rapporte aux activés agricoles, principale activité dudit peuple, on parlera de ’’ N’vouom’’ pour
désigner les champs ou les activités champêtres.

En ce qui concerne le vocable juge, il est important de s’y intéresser. D’autant plus que
la notion est importée dans le contexte africain. Et surtout que dans le cadre de la présente
analyse, il s’agit du juge capable de se prononcer sur les questions foncières. Qui est donc le
juge foncier? Quel vocable le désigne-t-il en pays Abron ?

Le juge est quelqu'un qui remplit une fonction de jugement dans le domaine juridique.
Il est donc chargé de trancher les litiges opposant des parties, ou plaideurs, qui peuvent être des
collectivités revêtues par la loi, de la personnalité juridique, dite « personnalité morale », dans
le cadre d'une procédure dont la mise en œuvre constitue le procès. Il existe plusieurs catégories
de juges. Comme susmentionné, c’est le juge foncier qui sera ici notre centre d’intérêt.

Le juge foncier serait donc de la catégorie de ceux qui sont habilités à intervenir sur les litiges,
les conflits concernant la terre. Chez le peuple Abron la terminologie « juge ou juge foncier »
n’est pas consacré « expressis verbis ». Au sens traditionnel du terme, le juge en pays Abron
est multiple et variable selon les circonstances mais également selon la nature de l’affaire. Ainsi,
partant du patriarche de la famille au roi, en passant par le chef du village et la notabilité, tous

13
Aline Aka Lamarche, « L’accès à la terre en Côte d’Ivoire : diversité et variabilité des pluralismes », La
Revue des droits de l’homme n°16, 2019 p.21

11
parfois sont vus comme étant juges, car pouvant statuer sur des questions foncières si le temps
et les circonstances le requièrent.

Quant à la conjonction de coordination ‘’et’’, elle sert à relier deux groupes de mots. Dans le
cadre de la présente analyse : la terre (et) le juge. « Et » les met donc en rapport, car l’espace
géographique (le domaine, le sol, le lieu où vivent les hommes) ne peut s’étudier
indépendamment des systèmes de relations en vigueur dans la société, dont la projection au sol
contribue à la structuration du milieu »14. Aussi, le ``Et’’ nous amène-t-il à rechercher
et à appréhender les relations Hommes/Espaces, en mettant l’accent sur la projection au sol
des formations sociales15. Dans le sens juridique, faisant intervenir le régulateur, celui à qui on
se réfère en cas de soucis ou simplement dans la gestion de la terre. Cette dernière elle-même,
sève nourricière de l’homme qui l’occupe.

Les raisons qui ont motivé le choix de ce sujet tiennent essentiellement à son actualité
mais également à sa faisabilité ainsi qu’aux enjeux qu’il y a à résoudre le problème, c’est-à-dire
le mode de résolution des litiges et de gestion du foncier par le juge traditionnel en pays Akan
particulièrement chez les Abrons. Plusieurs auteurs à l’image de Monsieur DAGROU, de toute
évidence, appartiennent à la catégorie des juristes que le droit foncier intéresse, stimule ou
même provoque. Il a déjà produit des opuscules de vulgarisation y relatifs16. Toutefois, divers
appréhensions viennent consolider le cadre théorique du sujet. Loin d’être anodine, la
problématique foncière, est l’un des sujets les plus réguliers au sein de la justice étatique
ivoirienne. Certains priorisent la justice moderne par exemple, laissant à la traine la capacité du
juge traditionnel à résoudre ce type de problème.

Le problème sous une grand-voile présente une connotation économique sociale et même
politique. Il suffit de connaître le poids de l’agriculture dans l’activité économique17
pour comprendre l’enjeu que le foncier représente sur le plan macroéconomique. Au niveau
microéconomique, le foncier est, non seulement, l’accès à la ressource financière, mais aussi
l’accès à la ressource alimentaire et à l’habitation, trois éléments fondamentaux pour la survie

14
KOBY (T.A.), « Notes méthodologiques pour l’approche des espaces ruraux traditionnels par l’analyse des
systèmes », in Kasa Bya Kasa, n° 10, Abidjan, Université d’ Abidjan, 1988, p 78
15
NENE Bi Séraphin, « La terre et les institutions traditionnelles africaines : le cas des Gouro de Côte
d’Ivoire », Thèse unique pour le Doctorat en Droit présentée et soutenue publiquement Le 15 avril 2005, p.9
16
Théodore DAGROU les juges et les problèmes de terre, CNDJ, Abidjan 200, p.6
17
L’agriculture représente environ 22% du PIB, emploie environ 48% de la population active selon les chiffres
de La Chambre de Commerce et d'Industrie France Côte d'Ivoire (CCIFCI) consultable sur le site
http://www.ccifci.org/approcher-la-cote-divoire/leconomie-ivoirienne-
en-bref-et-les-principaux-secteurs-dactivites/

12
de l’individu18. Au plan social, le foncier n’est ni plus ni moins que « la terre des ancêtres »
c’est-à-dire un critère d’identité dont la légitimité semble, dans cette société encore fortement
ancrée dans les traditions, bien plus forte que celle que confère un « simple papier19» de
nationalité. C’est la légitimité de l’appartenance autochtone construite autour de la
parenté, par opposition à l’invention récente d’une légitimité nationale construite autour d’un
lien national virtuel20. La Côte d’Ivoire prise dans le tourbillon du pluralisme juridique se trouve
dans le cas de la coexistence du droit étatique et de celui dit traditionnel. Cela s’observe
notamment en matière de gestion foncière, et ce, qu’elle soit envisagée en zone rurale comme
en zone urbaine21.

En effet, l’existence de fait de sources normatives concurrentes (principalement les coutumes


locales) et l’application, par les populations de ces coutumes, remet très vraisemblablement en
cause la toute-puissance du principe de légalité22.

En tout état de cause, si les mécanismes de règlement de conflits en Afrique traditionnelle ont
subi le courroux de la colonisation, il n’en demeure pas moins qu’ils ont résisté et continuent
d’exister. Alors autant redescendre dans ces sociétés qui jusque-là restent distants face à la
justice moderne pour s’imprégner de ses méthodes de base de résolution de conflits. Ainsi, la
question foncière au centre de plusieurs conflits en Afrique noire serait un domaine à observer
de près pour détecter les acteurs intervenant dans la procédure de gestion de résolution des
litiges fonciers.

De là, il semble nécessaire d’acquiescer que le présent revêt un intérêt certain. L’on le
perçoit sur le plan historique, théorique, pratique et même sociologique.

L’histoire a donné de constater comme nous l’apprend Raymond VERDIER « le juriste


dogmatique occidental est tenté, soit de soumettre les valeurs et principes, qui sont à la base
des systèmes juridiques négro-africains, à ses propres normes et concepts et alors dénature
23
et trahit leur sens original et profond ». Tout comme dans le sens de la colonisation, les
normes actuelles bien existantes se trouvent en confrontation avec celles dites traditionnelles.

18
Aline Aka Lamarche Op. Cit. p.6
19
Aline Aka Lamarche., « L’héritage colonial de l’état civil en Côte d’Ivoire: les chroniques d’une défaillance
annoncée », Revue Africaine de Sciences Politique et Sociales (RASPOS), n° 4, 2015, pp 7-66.
20
Idem
21
Aline Aka Lamarche, « L’accès à la terre en Côte d’Ivoire : diversité et variabilité des pluralismes », La
Revue des droits de l’homme n°16, 2019 p.2
22
Aline Aka Lamarche Op. Cit.19
23
Verdier R. Ethnologie et droits africains. In: Journal de la Société des Africanistes, 1963, tome 33, fascicule 1.
pp. 105-128

13
Incompris ou dénaturer c’est le lieu de redescendre dans cette Afrique ancestrale pour en
ressortir le mode le plus limpide de gestion de conflits en matière foncière au travers du rôle du
juge traditionnel. En même temps un lien sociologique s’arrime avec son histoire pour traiter
des crises sociales en Afrique noire. En théorie, il faut reconnaître, jusqu’au milieu du XXe
siècle que notre savoir en matière de droits africains est actuellement encore très insuffisant,
si l'on veut se montrer exigeant et critique, opérer le va-et-vient des idées aux faits et des faits
aux idées et tenter de rendre compte de la conceptualisation de la pensée juridique
traditionnelle24. Mais la théorie s’en nourrie et s’en enrichie pour ne pas tarir. Pour preuve, les
penseurs dans le cadre de l’africanisation de notre pensée juridique sont assez chevronnés dans
la production doctrinale. Enfin, la pratique voudrait montrer que bien que relayer en second
plan du fait de la colonisation, les pratiques traditionnelles sont aussi efficaces dans le cadre de
la résolution des conflits et de la gestion foncière.

Subséquemment, l’objectif est de mettre en lumière le mode opératoire du juge traditionnel


dans le règlement des conflits en rapport avec la terre. Aussi, pourrons-nous nous intéresser à
la possibilité de prise en compte de cette institution traditionnelle dans la gestion et la résolution
des conflits fonciers. Enfin, nous pourrons peut être mettre à nues les difficultés que rencontre
le juge traditionnel à son niveau afin de le rendre plus efficace.

Dès lors l’on peut d’emblée poser la question de savoir quel rapport existe-t-il entre le
juge et la terre en pays Abron ? Dans la perspective des choses, l’évidence est qu’il existe
plusieurs relations selon qu’on tienne compte des circonstances ou du degré de l’affaire. La
collégialité imposée au juge foncier Abron peut aussi expliquer la pléiade de juges fonciers en
pays Abron. Dans ce cas, quel rôle du juge traditionnel en période pacifique ou conflictuel dans
le cadre du foncier ? Au surplus, comment la terre est-elle appréhender par le juge traditionnel
dans le règlement des litiges fonciers ?

En guise de réponse préliminaire à notre interrogation centrale il faut envisager que la


terre est un élément central de vie communautaire chez les africains en général et en particulier
chez les ivoiriens, plus spécifiquement chez le peuple Abron. Socle et veine nourricière des
ancêtres et de leur descendance, le divin intervient parfois rendant cet élément très souvent
comme étant une réalité transcendant toutes les réalités. Ainsi, ce peuple conscient, épousant
naturellement la conception homogène de la pensée juridique africaine, celle de la sacralité de
la terre, dispose d’institutions de gestion et de règlement de conflits en matière foncière. Ceux-

24
Idem

14
ci s’entremêlant parfois, le mariage entre la terre et le juge, le juge vu comme une institution
traditionnelle semble difficile (Partie I). Aussi, la Côte d’Ivoire bien qu’étant un pays qui vise
et sculpte son développement, reste un pays foncièrement traditionnaliste. Ancré dans la culture
ivoirienne, les autorités traditionnelles se sentent aussi dans le cadre des affaires concernant la
terre de protéger ce bien dont la sacralité ne souffre d’aucun doute de sorte à ce que les
institutions traditionnelles en place se trouvent dans une obligation d’adaptation et de
collaboration. Dans ce sens, la terre et le juge deviennent un couple inséparable (Partie II).

15
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE : GÉNÉRALITÉ SUR LA SOCIÉTÉ ABRON

Il est utile, voire nécessaire de présenter la société étudiée en vue de partir sur des repères
communs et faciliter ainsi la compréhension de la présente analyse. La société que nous
étudions fait partie du groupe Akan, qui occupe le Centre, l’Est, le Nord-Est et le Sud-Est de la
Côte-d’Ivoire avec en partage la linguistique, la culture25 . Ce groupe, les Abrons, est un peuple
d'Afrique de l'Ouest, vivant principalement au Ghana d'où ils sont originaires, ainsi que dans
l'Est plus précisément au Nord-Est de la Côte d'Ivoire, dans le département de Tanda, Transua
et le reste du Zanzan actuel Gontougo. Organisé autour d’un roi, donc du système politique
monarchique, et du système matrilinéaire n’est pas seulement présent qu’en Côte-d’Ivoire. L’on
trouve des membres de ce groupe dans l’actuel Ghana duquel ont migré les Agnis, les Baoulés,
les Abrons… L’origine du nom Akan varie selon les interprétations entre ‘’a-kan’’ pour dire
‘’il a parlé’’ ou encore ‘’ainsi dit-il’’, ‘’kaen’’ ou ‘’akaenfo’’. Ici, le peuple Akan serait l’élu
pour conduire les autres ou un peuple ancien, les premiers hommes, et ‘’akwa’’ pour désigner
un peuple guerrier26. Si les akans sont partitionnés en plusieurs groupes et disperser un peu
partout dans le pays, les Abrons, objet de cette étude, comportent des sous-groupes en
occurrence les : Ahinninfié, Pinango, Akydom, Foumassa et Angobia. Il conviendra donc au
lecteur d’observer dans ce chapitre préliminaire d’avoir une vue panoramique sur le royaume
Abron.

SECTION 1 : LE ROYAUME ABRON

À ce stade de notre travail, il est impérieux de faire une rétrospective de la société Abron.
Il faudra d’emblée ressortir le processus de formation de ce royaume (paragraphe 1) et d’autre
part, faire ressortir la morphologie interne de ce royaume (paragraphe 2). Il faut toutefois
rappeler qu’avant leur installation sur les terres actuelles que nous leur connaissons à ce jour,
ce peuple a été désigné par plusieurs vocables selon les sources et le contexte. Il s’agit
notamment de : Doma, Dom, Tchaman, Gyaman Bono, Boron, Brong, Bron, Abrong, Abrons.
En effet, l'espace d'influence de ce peuple est ce que d'aucuns ont appelé le royaume Abron ou
plus précisément le pays « bron27 ». Nonobstant les divisions administratives modernes, cet

25
Jean Noel LOUCOU, Histoire de la Côte-d’Ivoire. La formation des peuples, CEDA, Tome I, Abidjan, 1984,
p.153.
26
Réné ALLOU Kouamé, Histoire des peuples de civilisation Akan. Des origines à 1874, 1999-2000, Thèse,
Université Felix Houphouet Boigny, p. 26.
27
Bron : Selon Terray (1987), Binger fut le premier à introduire dans les écrits le terme Abron

16
espace d’influence « bron » subsiste toujours avec ses spécificités géographiques,
sociologiques, culturelles et économiques qu'il est intéressant de faire connaître. Mais à côté de
cet espace d'influence, il y a l'espace proprement habité par les Bron ou Abron (par déformation
par le colonisateur français)28.

PARAGRAPHE 1 : LA FORMATION DU ROYAUME

Entre le XVIIème et le XVIIIème siècle, la Côte-d’Ivoire a connu d’importants


mouvements migratoires. C’est donc au cours de cette période que la plus grande partie des
peuples qui forment le groupe Akan effectua sa migration sur les terres ivoiriennes. Il
faut donc se demander si les terres ivoiriennes étaient inoccupées, de sorte que l’installation
des migrants se soit faite de façon paisible ; ou si les nouveaux arrivants ont dû chasser un
peuple pour occuper ses terres, ou cohabiter avec lui. Pour mieux comprendre la formation du
royaume (voir ANNEXE 1), nous verrons comment s’est effectuée la migration du peuple (A)
puis son installation et son élan de conquête (B).

A- La migration

La migration est un déplacement massif d'hommes, de populations qui passent d'un pays
à un autre pour s'y établir29. Ainsi, qui dit migration fait référence à un point de départ et un
point de chute qu’est le pays d’accueil. D’où viennent donc les Abrons ?

Tous les Akans en général sont réputés venir du Ghana voisin. C’est là la thèse la plus
répandue et la plus probable. Cependant, elle ne rencontre pas l’assentiment de tous les
chercheurs ou du moins des historiens. À l’instar de nombreuses populations d’Afrique noire,
on trouve, chez les Akans, des traditions faisant remonter leurs origines à l’Egypte ancienne.
En effet, l’historien Cheikh Anta Diop, se prononçant sur l’origine du peuple noir, a démontré
que l’égyptien antique était noir30. D’autres les font remonter au Moyen-Orient, au Maghreb ou
aux empires du Ghana ou du Mali. Mis à part l’autodétermination, les critères aujourd’hui
communs aux peuples akans sont les suivants : la pratique de la succession matrilinéaire, c’est-
à-dire l’héritage du pouvoir se faisant à travers le neveu maternel ; l’usage d’un système
particulier de prénoms masculins et féminins basé sur le calendrier associé à un prénom issu du
clan du père ; la monarchie où le roi est un homme possédant un siège, un sabre royal et des

28
BRENOUM Kouakou David, Le pays Bron : espaces et sociétés, thèse soutenue à l’Université Felix Houphouët
Boigny, Abidjan Novembre 2012 p.10
29
Le Grand Robert de la langue française, version électronique
30
Cheikh Anta DIOP, Nations nègres et culture, Paris, Présence africaine, 4è Edition, p. 391-392.

17
poids à peser l’or ; il est secondé par une puissante reine-mère ; des pratiques religieuses comme
la fête de l’igname31. Ainsi, l’on distingue dans ce groupe, les Adansi, Ahanta, Asante, Atchan,
Fante, Akwapem, Akyem, Nzima, Baoulé, Anyi, Abouré, Abbey, Ahafo, Akwamu, Alladian,
Avikam, Attié, Eotilé, Atchan, Adioukrou, Mbatto, Aowin, Egura, Sefwi, Kwahu, Wassa et
surtout le peuple qui nous intéresse les Abrons. Dans d’autres lectures ils sont confondus aux
akwamu désignant ainsi leur lieu de provenance. Nous pouvons accorder du crédit à ses
réflexions dans la mesure où nous savons que l’Égypte ancienne en tant que berceau de la
civilisation ancienne regroupait d’innombrables peuples. Aussi, ce rapport entre les Abrons
et l’Égypte ancienne a été mis en évidence par le professeur ALLOU Kouamé Réné32.

Pour nous, ces arguments ne sauraient se contredire si l’on se base sur la logique de la
migration des peuples africains, du fait que la migration se fait du Nord vers l’Est, puis du Sud
vers l’Ouest33. Nous pouvons valablement concevoir que le peuple Abron, sinon le groupe
Akan, parti de l’Égypte à l’époque antique, aurait poursuivi sa migration jusqu’à l’actuel Ghana
avant qu’une partie ne se retrouve en terre ivoirienne entre le XVème et le XVIIIème. La thèse
d’une origine ghanéenne étant la plus répandue et récente, autant nous pencher sur la migration
à partir du Ghana.

Ainsi donc, les Abrons seraient originaires de l’ancien Ghana. La migration des Abrons
commence environ du XVème siècle à la suite des guerres de succession au trône, ils vont partir
de l'ancien Ghana précisément d’Akwamu, région située non loin d’Accra. Ainsi, ils vont
migrer en passant par des zones comme Kumasi avant d'arriver dans le zanzan en Côte d’Ivoire
où ils vont livrer une autre guerre pour le contrôle du nouveau territoire34. Même si la datation
reste imprécise Hubert TÉKI décline trois exodes des Abrons avant leur arrivée en Côte
d’Ivoire. Selon la légende, c'est vers le milieu du XVIème siècle que le peuple d'Akwamou, parti
d’Assamankesse, va se positionner progressivement sur la route commerciale le long de la
rivière Pra. Installé successivement à Nyanoasse puis à Amanprede-Assi, le peuple se fixe entre
les Wassa et les Dengyera en assiégeant le peuple Ayoko. La région conquise ainsi couvrait
toute la bande côtière depuis la Volta jusqu'à l'Est du Ghana actuel 35. La seconde commence
avec les Ayoko qui attaquèrent le successeur de Kossopre détruisant tout sur leur passage.

31
https://www.nofi.media/2014/10/les-origines-des-akans-du-ghana/2601 consulté le 03/12/2021 à 09h28
32
Réné Kouamé ALLOU, « culture akan et culture de l’Égypte antique » in Revue Ivoirienne de Philosophie et de
culture, LE KORE, n° 40-2008, EDUCI, Abidjan, p. 5-20.
33
Henri MOUEZY, Assinie et le royaume de Krindjabo. Histoire et Coutumes, LAROSE, 2è Edition, PARIS,
1953, p. 42.
34
Hubert Teki, Le fondement du Royaume Bron (Gyaman), Abidjan, EDUCOM, 1997, p8.
35
ibidem

18
Fatigués de ces guerres incessantes, les Akwamu durent quitter leur base en direction du coucher
du soleil. Ils s'installèrent près du fleuve Tano (Tanoso). Enfin la capture du génie protecteur
du fleuve Tano par le devin Anotchi au profit des Ayoko fut le prétexte d'une troisième rude
bataille opposant Ies Kwaman-Ayoko habitant de Nsuta Mampong et les Akwamu. Vaincus une
fois de plus, les Akwamou durent se disperser en direction du nord, du nord-est et du sud-est,
Sous la conduite de Taki-Abiam, certains se fixèrent à Bekyem-Nkwanta et Abinsim. Les autres
allèrent s'installer à Suyani, Wanky, Wamfie-Doma, puis Krebio-Dom à Yakasse.36

À la faveur de l'accalmie relative qui suivra cette période, les différentes composantes
d'akwamou et d'un peuple de Takyiman considérablement affaibli vont converger vers le nord-
est et jeter les bases du royaume Bron ou le Gyaman pour les Asante qui, en effet, même après
l’arrivée des Abrons dans la région de Bondoukou continuaient de leurs réclamer de lourds
tributs.

Par ailleurs, si plusieurs sous-groupes constituaient le grand groupe des Akwamu, l’un
d’entre eux a marqué la légende et sut jeter les base du royaume bron dans le processus de
migration : les Takiman. Le hasard fit découvrir une autre facette des Takiman quand un
chasseur d'Ayoko vit un jour un groupe d'hommes sortant d'une caverne servant de gite
souterraine, la nouvelle prit rapidement une ampleur telle que les Ayoko eurent peur et se
gardèrent d'attaquer une seconde fois ce peuple mystérieux appelé dorénavant Bonomfouo
(habitants de galeries) qui deviendra Bono et Bron.
Le peuple Abron trouvera Bondoukou occupé par les Koulangos. Immédiatement, les Abrons,
qui sont de vrais guerriers, s'imposeront aux autres, établiront le royaume de Bondoukou, puis
régneront sur toute la région. Koulangos domine Bouna, tandis que Brons ou Abrons occupent
Bondoukou et ses environs, Tanda et ses environs, etc.

Les peuples de Bron ou d'Abron se sont battus pour délimiter leur nouveau territoire et établir
leur hégémonie. Ils ont combattu Agny Andohs et bien d'autres. Avec le légendaire roi Adou
Bini. La nomenclature des pays de Bron ou d'Abron n'est pas fortuite. Par conséquent, Adjiman
ou Adjoumani, qui signifie conquérant d'un pays ou d'une nation, fait référence à un guerrier
fort et courageux. Dès lors, ce genre de guerriers ne resteront pas passifs et partiront à la
conquête du nouveau monde après leur installation.

36
ibidem

19
 Carte de l’itinéraire approximatif des Abron inspirée par Emmanuel TERRAY37

37
Emmanuel TERRAY, Une histoire du royaume abron du Gyaman : des origines à la conquête coloniale,
Paris, Karthala ,1995

20
B- L’installation et la conquête

Le premier royaume à apparaître, d’importance significative chez les Akans, était le


royaume Abron de Bono, près de l'actuel Brong-Ahafo (Ghana). Probablement fondé à la fin
du XIVème ou au début du XVème siècle, l'État doit son expansion en grande partie au commerce
avec les Mandingues du nord, qui avaient grand besoin de l'or et du cola que Bono pouvait leur
fournir. En retour, les Mandingues ont eu une influence majeure sur la culture Bono, et le peuple
Bono utilisait des chevaux, des coussins au lieu de sièges, ou une pratique de l'Islam, bien que
relative, qui affichait une identité culturelle inconnue d’autres Akans. Bono tombera au début
du XVIIIème siècle sous les coups de l'Union Asante dans laquelle il s'intégrera.

Le royaume a été envahi par Samori et ses Sofa38 au printemps 1895 et occupé par les Français
à l'ouest et les Britanniques à l'est à la fin de l’année 1897. Les premiers visiteurs européens
sont arrivés dans les années 1880, où ils ont rencontré une population ethniquement mixte :
Gyaman était en fait une communauté politiquement ordonnée qui réunissait des éléments
d'origines, de langues et de cultures très différentes, dont l’Abron ne représentait qu'une petite
partie.

Comme nous l'avons mentionné dans l'introduction, le peuple Abron qui s'est installé
dans la région de Bondoukou était originaire d'Akwamu (au sud-est du Ghana, près de la rivière
Volta) ; un conflit de succession au trône fut la cause de leur migration vers l'ouest. Dans ce
processus, ils se sont d'abord réfugiés à Kumasi avant de progresser vers le Zanzan. Leur chef,
Tan-Date, et le chef de Nafana, Akomi, se jurent amitié sans belligérance ; c'est à cette époque
qu'ils reçoivent le surnom de Gyaman qui signifie ceux qui ont quitté leur pays.

Minoritaires et arrivés tardivement, les Abron ont progressivement établi leur


domination par une politique d'habile combinaison de diplomatie et de force. Dans le pays qu'ils
fondèrent, ils se réservèrent le monopole du pouvoir politique ; les institutions de ce pays se
sont formées au XVe siècle, et étaient généralement similaires à celles des autres royaumes
Akan de la même période. Installés dans le Zanzan, leur premier village de la Côte d'Ivoire, les
guerriers Abron ont mené une série de guerres de conquête. Ils ont soumis les Nafana, les
Koulango de Nassian et Bouna. De cette façon, les Abron ont construit un royaume fort, bien
organisé et prospère.

38
Samory Touré, (né vers 1830-1900) est un résistant luttant militairement contre la pénétration française et
britannique en Afrique occidentale pendant près de vingt ans. Il était à la tête d’une armée d’environ 38000
hommes. Ses guerriers sont appelés sofa

21
PARAGRAPHE 2 : L’ORGANISATION DU ROYAUME

Comme toute société, il existe dans l’organisation des peuples un aspect socio-culturel
(A) et un autre volet politico-juridique (B).

A- La structure socio-culturelle

La culture Abron est très riche et est considérée comme l'une des mieux organisées en
Côte d'Ivoire. La principale caractéristique de la culture Bron est la fête des ignames, qui
marque le début de la nouvelle année. Lors de cette fête, le chef de famille fait des sacrifices
aux esprits, ancêtres, dieux pour les protéger, leur donner santé, abondance, richesse, etc. Ils
offrent les prémices de l'igname nouvelle, des boissons « gin », et des sacrifices d'animaux
comme le poulet, le mouton ou le bœuf selon la situation financière de la famille. Après la
cérémonie, les anciens peuvent manger les nouveaux tubercules.

En dehors de la fête des ignames, la tenue vestimentaire consiste au port du pagne aussi bien
par les hommes que par les femmes, sans débardeur ni chemise sous le pagne, contrairement
aux autres Akans qui portent des habits sous le pagne et des parures ou chaines en or.

La danse Abron représente la Côte d'Ivoire sur la scène internationale et est très
expressive. Pas facile à comprendre pour tout le monde, ça se joue en fonction du son du
tambour et cela donne la direction à suivre. Chez les Abron, tout le monde ne danse pas en
public, mais seulement les initiés, ceux qui maîtrisent cet art. Si on venait à danser en public et
qu'on dansait mal, on couperait la tête au danseur.

Au pays Bron, le tam-tam est le meilleur moyen de communiquer. Lorsqu'une personne décède,
c’est le tambour qui délivre le message : Pendant les prochaines heures, les personnes âgées
reviendront immédiatement des champs pour s'occuper du défunt.

La société Abron se démarque par son aspect socio-culturel. Comme les autres akans ils sont
ancrés et guidés par le régime matriarcal ; qui représente aussi bien une facette politique que
juridique.

22
B- La structure juridico-politique

L’aspect juridique et politique généralement est primordial dans l’organisation d’une


société. La société Abron ne s’écarte pas de cette règle sociale quasi universelle. Chez les
Abron, l’adage ‘’Vi Veri veniversum vivus vici39’’ dont le sens serait par le pouvoir de la vérité,
j’aide mon vivant conquit l’univers trouve tout sens dans l’arène juridico-politique des Abron.
En effet, la vérité et sa perpétuelle recherche est le vecteur directeur chez les Abron.

Dans un premier aspect, le droit de cette société, comme dans la plupart des conceptions
juridique d’Afrique noire plus précisément ouest africain, la source la plus importante d'autorité
légale traditionnelle est constituée par les croyances religieuses et les rituels de la communauté.

Un aspect du système de croyance qui mérite une mention spéciale est qu'un groupe ou une
communauté est une succession infinie de générations, une personne morale qui comprend les
vivants et les morts. Ainsi, les droits de la communauté sont conçus et acceptés comme
possession et héritage pour des générations infinies. Il bénéficie du support moral, non
seulement de ses contemporains, mais de l'objet de la vigilance jalouse de ses ancêtres décédés.
L'intérêt de ces derniers à obéir à l'état de droit à tout moment, et l'adhésion ferme et stricte à
ces doctrines est considéré comme des obligations des survivants, et est une partie absolument
nécessaire de l'intégration des mythes avec lesquels tous les membres adultes entrent en contact
au cours de la socialisation40. Voici là le substrat de la pensée juridique des sociétés d’Afrique
noire en général, des akans dans un aspect régional et en resserrant cet étau juridique plus
particulièrement des Abron. Cela va rejaillir sur le foncier dans sa régulation ; en ce sens que
la terre appartient à la communauté, elle n’est pas vénale et surtout les ancêtres, premiers
pactisants avec les génies des lieux ont toujours leur mot à dire. C’est donc cette foi que l’esprit
des ancêtres est incarné dans le droit est un facteur précieux et puissant duquel dérive un "intérêt
interne" ressenti par chaque membre de façon individuelle et qui influence son comportement
envers les mœurs et les usages de sa communauté.

Enfin la politique en pays Bron transparait et se dessine en certaines personnes, en


occurrence le roi, la reine mère, les chefs de villages et la notabilité. Le roi dispose d’un pouvoir
absolu et est considéré comme une personne sacrée qui a le droit de vie et de mort sur ces sujets.
Ces décisions sont irrévocables néanmoins son pouvoir comporte des limites. Le souverain doit

39
Expression latine venant de Faust, le titre de deux pièces de théâtre de Johann Wolfgang von Goethe de 1808
et 1832.
40
Geneviève Chrétien-Vernicos, Cours d’histoire du Droit de, DEUG Première année - Université Paris 8
Vincennes-Saint Denis - 2001-2002

23
respecter la tradition. Par exemple, il ne peut prendre les terres de ses sujets. Il doit assurer la
paix, la sécurité et le bien-être de son peuple. Le roi peut être un homme ou une femme; dans
le premier cas, les coutumes autorisent parfois de placer à côté du souverain, chef suprême, un
roi-femme (mère, tante, cousine ou sœur du monarque régnant) ; ce personnage administre
effectivement une principauté du royaume. Un royaume peut être fondé par un homme ou par
une femme. L’Ahemma est celle qu’on appelle généralement la reine mère, elle est toujours
présente au côté du roi, à la droite duquel elle est assise au cours des cérémonies ou aux
occasions officielles et peut être considérées comme le second personnage dans la hiérarchie
politique et sociale. Elle est un membre du matriclan royal et non la femme du roi, elle est
souvent une tante, une cousine et participe directement au pouvoir. C’est la mémoire du
royaume et connaît toutes les différentes successions au trône. Elle sait aussi tout sur la vie du
présumé roi et symbolise la paix. À la mort d’une reine mère, la succession se fait à sa nièce
ou à sa fille.

Si, la société Abron fait partie des sociétés à pouvoir politique institutionnalisé, elle reste
encore plus l’une des sociétés la mieux organisée en Côte d’Ivoire. Son droit traditionnel, sa
politique à l’image de bon nombre des peuples Akan restent quand même un peu méconnue.
Par ailleurs, cette étude doit pouvoir nous permettre de mettre en évidence un tant soit peu la
coutume foncière en pays Abron.

24
25
PARTIE 1 : LA TERRE ET LE JUGE, UN MARIAGE
DIFFICILE

26
CHAPITRE 1 : UNE COMPLEXITÉ TENANT A LA NATURE DE LA TERRE

Le foncier est l’« ensemble des rapports entre les hommes impliqués par l’organisation
de l’espace ». De cette acception large du « foncier » on peut induire que tout espace, dans la
mesure où il fait l’objet d’une appropriation par un groupe, relève de l’analyse du « foncier ».
Dans les communautés africaines, le développement d’un modèle exogène de l’organisation de
l’espace, relayé principalement par l’administration coloniale puis l’appareil d’État des pays
africains indépendants, amène des bouleversements de fond dans le rapport des sociétés
africaines à leur espace41. Ainsi, l’équation agraire en Afrique noire reste d’une complexité
harassante. La conception Abron de la terre, considère la terre comme possédant une âme42.
Dans ce conteste tout ce qui concerne la terre, est sacré. D’où les rites en ce qui concerne la
terre. La dimension mystique43 est très prégnante chez le Bron. La terre étant sacrée, le chef de
famille et/ou « le chef de terre »,44 qui fait donc office de juge, est l’intermédiaire entre les
génies avec qui il doit communiquer, et les hommes composant la communauté. En sa
qualité de représentant du premier occupant qui a passé un pacte avec les génies de la terre, le
chef de terre doit veiller au respect scrupuleux de ce pacte. Dans cette confusion entre le
monde physique et le monde spirituel, la complexité du foncier africain transparait. Toutefois,
admettons que c’est ce qui fait son charme et la différencie de la notion de celle de l’occident
où le droit de propriété l’emporte sur toute autre conception. Quoi qu’il en soit la terre chez les
Abron reste un phénomène sacré (section 1) qui nécessite une protection de la part du juge
traditionnel (section 2).

41
Gruénais Marc-Éric, « 17. Territoires autochtones et mise en valeur des terres », dans : Bernard Crousse éd.,
Espaces disputés en Afrique noire. Pratiques foncières locales. Paris, Karthala, « Hommes et sociétés », 1986, p.
283-298.
42
KOUADIO Kouassi Louis, « la famille et la terre en Côte d’Ivoire : le cas des Baoulé », Thèse unique pour le
Doctorat en Droit présentée et soutenue publiquement Le 13 Septembre 2017, p.171
43
KOUASSIGAN Guy-Adjété l’homme et la terre, op. cit. p. 16.
44
FAO, Libérer les forêts des conflits, 2001.

27
SECTION 1 : LA TERRE UN PHÉNOMÈNE SACRÉ

La plupart des hommes ont, depuis la préhistoire, entretenu une relation dynamique avec
la Terre, perçue comme un être vivant et nourricier et comme une source sacrée de vitalité dont
les représentations et éléments ont donné un sens à l'existence humaine45. Depuis les origines
donc, la terre est considérée comme une source d'énergie spirituelle et de force intérieure. Elle
répond aux questions fondamentales et existentielles des êtres humains 46. Pour les peuples
africains noirs et singulièrement le peuple, cas de la présente étude, la terre est comme
susmentionnée dotée d’une âme. Elle n’est point aliénable et ce du simple fait de sa nature
intrinsèque (paragraphe 1) mais par le fait que la pratique du peuple Bron donne lieu à une
protection par le juge traditionnel de ce trésor ancestral (paragraphe 2).

PARAGRAPHE 1 : LA TERRE UN OBJET SACRÉ PAR NATURE

Comme la terre est vivante, représentant la sève nourricière, le socle ; celui qui maintient
et supporte tout, il faut des règles et mesures spécifiques pour la régir. La terre étant de la
sphère du sacré, le chef de famille est d’office le « chef de la terre »47 agissant comme le juge,
c’est un intermédiaire avec l'esprit avec qui il doit communiquer et la communauté. En sa
qualité de représentant du premier occupant qui a pactisé avec le génie de la terre, le juge doit
veiller au strict respect de la convention. Il doit donc l'entretenir, le faire vivre sous peine de
déchaîner la colère des dieux, passez régulièrement les sacrifices et offrandes à la terre, arbres,
montagnes, collines, cailloux ou encore forêts (selon le cas). À la veille de la saison des pluies,
le propriétaire doit faire des sacrifices en son nom afin que les génies soient indulgents pour les
saisons à venir.

La terre dans toute sa spiritualité semble aussi avoir plusieurs échelons hiérarchiques.
D’abord, les dieux en tête de liste, ensuite les génies, les ancêtres puis les hommes. Le sacré,
c’est ce qui est précieux, ce qui ne se dilapide pas, ce qui ne se rompt pas et ne doit pas se
dégrader. Dans leur rapport avec la terre, les populations rurales tiennent compte des

45
Brian Leigh Molyneaux, la terre et le sacré, Albin Michel, 1995 p.6
46
Idem p.7
47
La notion de chef de terre n’existe pas chez les Abron contrairement aux sénoufo de côte d’ivoire par exemple.
La collectivité l’emporte toujours. À Gouméré, Pinda et Kouafo-Akidom nous avons pu observer cela. Cependant,
le chef de famille est considéré comme le maitrisard des terres qui lui sont attribuées et fait office de juge de
première instance avant le chef du village ou plus le roi.

28
générations futures. On l’a dit, la terre est empruntée pour les générations futures. Dans ce
contexte, sa gestion est minutieuse, car elle a été empruntée. Pour les Abron, il existe des génies
de la terre et de la forêt. La terre étant de la sphère du sacré, le chef de famille est d’office le
« chef de la terre »48 agissant comme le juge, c’est un intermédiaire entre l'esprit (avec lequel il
doit communiquer) et la communauté. En sa qualité de représentant du premier occupant qui a
pactisé avec le génie de la terre, le juge doit veiller au strict respect de la convention. Il doit
donc l'entretenir, le faire vivre sous peine de déchaîner la colère des dieux, passer régulièrement
sacrifices et offrandes à la terre, arbres, montagnes, collines, cailloux ou encore forêts (selon le
cas). À la veille de la saison des pluies, le propriétaire doit faire des sacrifices en son nom afin
que les génies soient indulgents pour les saisons à venir. Du moins que ces derniers puissent
transmettre un message de clémence auprès des dieux. Comme le dit Nanan KOUADIO Fodjo
notable à la cours du roi nanan KOSSONOU APINM « il est vrai que les génies ne sont pas
créateur de la terre mais c’est leur clémence auprès du bon dieu qui nous assure les bonnes
récoltes chaque année ». Dès lors, voyons l’aspect divin même de la terre (A). Mais dans une
hiérarchisation de la cosmogonie de la terre en pays Abron ; si les dieux ou dieu se trouve au-
dessus de tout ; les ancêtres (B), pactisants et premiers occupants méritent une attention
particulière.

A- Une dimension divine de la terre

L'utilisation de la religion pour expliquer la spécificité du foncier en Afrique est l'une


des tentations les plus courantes de l'anthropologie sociale, du moins en France, même si elle
s'est également rencontrée dans l'anthropologie britannique, mais moins souvent. Il se présente
sous deux formes. Certaines personnes disent que la terre est un dieu. Une autre est de dire qu'il
appartient à une communauté entière de tous les hommes d'une lignée ou d'un clan, d'abord et
avant tout, aux ancêtres décédés. Il ne fait aucun doute que la terre est un dieu dans certaines
parties de l'Afrique, ou du moins un dieu dans le sol. Il s’agit plutôt de savoir si cette donnée
religieuse permet d’expliquer quoi que ce soit du régime foncier.

Les déesses des cultures néolithiques et des premières civilisations du Proche-Orient, de l'Iran
et de l'Inde étaient avant tout des dieux de la fertilité associés à la terre, aux eaux et à la
végétation. Leurs statues et portraits illustrent leur homogénéité avec la végétation, notamment

48
La notion de chef de terre n’existe pas chez les Abron contrairement au sénoufo de côte d’ivoire par exemple.
La collectivité l’emporte toujours. A Gouméré, pinda et Kouafo-Akidom nous avons pu observer cela. Cependant
le chef de famille est considéré comme le maitrisard des terres qui lui son attribué et fait office de juge de première
instance avant le chef du village ou plus le roi.

29
l'agriculture. En fin de compte, ils expriment la fertilité inépuisable de la terre. Cette pensée
semble déteindre sur l’Afrique noire traditionnelle qui elle aussi associe des dieux à la terre
pour la fertilité car étant essentiellement agriculteur. Dans la conception Abron, la terre est la
base de tout. De leur nom Gyaman qui veut dire ceux qui ont abandonné leur pays, l’on peut
déduire l’importance pour ce peuple, d’accorder son attachement ultime à la nouvelle terre
conquise. S’il ressort que des mains des Koulango, le peuple Bron a reçu ses terres, il faut noter
une certaine continuité dans le culte aux dieux de ladite terre. À titre d’exemple, comme
l’expliquait Nanan Kouadio Fodjo : « c’est vrai qu’on a réussi à prendre leurs terres, mais les
dieux de ces terres n’ont pas changé. Les sacrifices ici requièrent généralement un cabri alors
que normalement pour un Bron ça devrait être un mouton ».

En plus de la dimension divine que revêt la terre, certains esprits entretiennent la


médiation entre les dieux et les hommes. Ainsi, voyons la dimension ancestrale de la terre en
pays Abron.

B- Une dimension ancestrale de la terre

Le culte des ancêtres, élément-clé de la pensée religieuse africaine traditionnelle, n'est


pas simplement un culte des morts, consistant à honorer les défunts, il « suppose que les morts
exercent une véritable emprise sur les vivants »49. Le monde des ancêtres est peuplé par les
esprits des morts, mais on ne rejoint le monde des ancêtres que dans certaines conditions
particulières, notamment de qualités morales et d'âge50 ; tous les morts ne deviennent pas des
ancêtres, « la mort ne suffit […] pas à transformer automatiquement un défunt en ancêtre. Cette
transformation est le résultat d’un processus d’« ancestralisation » auquel participent au premier
chef les rites funéraires51. » Il existe partout l'idée qu'une mort « infamante », par exemple se
suicider52 ou mourir de la lèpre, ne permet pas d'accéder au statut d'ancêtre ; de même lorsqu'on
meurt jeune ou que la vie du défunt n'a pas été morale au sens social du terme53. En réalité peu
d'entre eux sont invoqués par leurs descendants54. Les rites qui permettent au défunt de devenir

49
Julien Bonhomme. Les morts ne sont pas morts. M. Cros & J. Bonhomme (éds.). Déjouer la morten Afrique.
Or, orphelins, fantômes, trophées et fétiches, L’Harmattan, 2008, p.4 159-168
50
Dominique Zahan, Religion, spiritualité et pensée africaines, Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2019
(réimpr. numérique, FeniXX) (1re éd. 1979)
51
Julien Bonhomme, op. cit. p.4-5
52
Philippe Jespers, « Parler aux morts, parler aux ancêtres (Minyanka, Mali) », Systèmes de pensée en Afrique
noire, no 11, 1991
53
Julien Bonhomme, op. cit. p.80
54
Julien Bonhomme, idem p.82

30
un esprit ancêtre sont parfois complexes et s'étendent souvent sur une longue durée55, un an au
moins dans le culte des crânes des Bamiléké du Cameroun par exemple56. Le deuil et
« l'ancestralisation » sont avant tout des rites sociaux, auxquels participe la communauté57. Le
processus d'ancestralisation permet d'ancrer l'Homme dans son clan ou son lignage, parfois en
remontant jusqu'au Dieu primordial58. Cette façon de concevoir les ancêtres transparait dans la
pensée juridique Abron dans la mesure où l’ancêtre est celui qui est à la base du pacte avec les
génies de la terre. Parfois ils sont consultés en qualité de juge suprême de la terre car seul ceux-
ci détiennent la vérité sur la terre et maitrisent parfaitement les limites des terres.

À l’aune de l’importance concédée à la terre, il faut bien trouver un moyen de le protéger


de certaines atteintes.

PARAGRAPHE 2 : LA TERRE PHÉNOMÈNE SACRÉ OBJET DE PROTECTION


PAR LE JUGE TRADITIONNEL

Le juge de la terre chez les Abron étant multiple, la protection, qu’il a pour mission
d’assurer en ce qui concerne la terre se situe à plusieurs niveaux. La toute première chose
concerne la protection axée sur les limites des terres. Plus loin, le juge doit avoir un regard sur
les actions de l’homme sur la terre. Car il n’est pas que certains changements d’ordre climatique
soient liés aux actions de l’Homme. En réalité, tout discours sur la climatologie ne survient
qu’à la suite d’un décalage important, sinon d’une catastrophe qui laisse une empreinte
dans la mémoire collective59. Dans ces conditions nous axerons nos propos essentiellement
sur les faits marquants d’ordre climatique. En effet, cette climatologie est très souvent l’œuvre
d’un mauvais comportement des hommes et peut être considérée comme un châtiment des
dieux. La protection effectuée donc par le juge est non seulement physique (A) mais également
spirituelle (B).

55
Emmanuelle Kadya Tall, « L'ancestralité revisitée », Civilisations, 63, 2014, p.14 pp.11-24.
56
Roger Kuipou, « Le culte des crânes chez les Bamiléké de l’ouest du Cameroun », Communications, no 97,
2015, p. 93-105
57
Charles-Henry Pradelles De Latour, « Les morts et leurs rites en Afrique », L'Homme, t. 36, no 138, 1996, p. 137-
142 (p. 141)
58
Léopold Sédar Senghor, « La culture africaine » (Communication à l'Académie des sciences morales et
politiques), Revue des sciences morales et politiques, Académie française, 26 septembre 1983, consulté le 28
Janvier 2022 à 14h48).
59
SIE Koffi, IBO Guéhi Jonas, histoire écologique du pays abron-kulango, Février 1990 p.7

31
A- Une protection physique

La société traditionnelle Abron a su mettre au point, par l’entremise du juge traditionnel,


des moyens de protections de la terre en vue d’en perpétuer l’existence. Comme le signifie
Alain Rochegude, « L'utilisation des terrains identifiés comme actifs incorporels est, l'objet
d'attributs, et non le sol lui-même, qui en Afrique joue souvent le rôle de Un héritage partagé
par une lignée, un clan ou une communauté d'habitants (…) Formes d'inaliénabilité,
d'incessibilité et d'imprescriptibilité des statuts 60».

Aussi, faut-il souligner que cette protection inclue le contrôle du juge dans les limites de la
terre. La terre, peu importe son étendue, appartient toujours à une communauté, une famille. La
notion de terres vacantes semble donc utopique en pays Bron. C’est au patriarche de la famille,
le juge de premier degré d’en assurer la protection. Il veille à ce que personne ne puisse empiéter
sur ses parcelles. Il en est le premier garant. Pour ce faire, il met tout en œuvre pour les membres
de sa concession et ne manque(nt) pas aux interdits de la terre.

Les sociétés traditionnelles n’ont pas seulement eu une connaissance et une plus ou
moins grande maîtrise de l’environnement physique, elles ont aussi et surtout pu élaborer un
système très complexe de rapports qui a donné naissance à des types spécifiques de micro-
écosystèmes61. Les micro-écosystèmes que nous nous proposons d’examiner ici sont très
significatifs en matière, non seulement d’histoire de peuplement, mais aussi et surtout,
d’histoire économique. Il ont eux-mêmes, une histoire très instructive, parce que répondant
à des préoccupations historiques ; ils ont des conséquences écologiques très importantes
de nos jours. Par les communautés rurales Abron et Koulango, nous avons pu constater
que tous les villages avaient des lieux sacrés62. Ces villages sont sous la protection du juge
traditionnel (patriarches, chef de village et roi) qui en assure la perpétuité. Ce sont entre autre
les silures sacrés de Sapia, les caïmans sacrés de Gbanhui ou encore les singes sacrés de Soko
et cela sans compter les forêts sacrées de chaque village. Tous les villages cités ne sont pas tous
typiquement Bron mais le juge traditionnel s’en inspire comme reflet dans la conservation de
la faune et de la flore. L’on pourrait sans retenue dire que le juge adopte même un comportement
écologique dans sa mission de protection de la terre.

60
BARRIÈRE (O.), introduction de la première partie « l’enjeu de la qualification du droit sur le sol et les
ressources naturelles renouvelables », Foncier et environnement en Afrique. Des acteurs aux droits, Laboratoire
d’anthropologie juridique de Paris, Karthala, 2008, p.29
61
SIÉ Koffi, IBO Guéhi Jonas, op. cit p.51
62
Idem

32
Quoi qu’il en soit, la protection physique de la terre n’est effective qu’en complément du
spirituel. Par ailleurs, le juge traditionnel effectue aussi les sacrifices et veille à ce que les
offrandes annuelles soient respectées. Alors dans ce sens, sa mission ne se limite pas qu’à
l’aspect physique de la terre mais aussi prend en compte le volet spirituel.

B- Une protection spirituelle

La terre est un être divin. Aussi, les liens qui l’unissent à l’homme sont-ils de l’ordre du
sacré. Les relations entre l’homme et la terre sont des relations entre deux êtres et non entre une
personne et une chose. C’est donc une alliance au sens premier du terme, qui unit l’homme et
la terre. Entre dieux, génies et ancêtres, il est clair que quelque chose transcende l’entendement
réel ; le spirituel est donc omniprésent dans la protection de la terre par le juge traditionnel. La
détention de la terre, dans la logique coutumière implique donc forcément l’accord des forces
spirituelles qui l’habitent63.

Une chose est sûre ; les actions du monde physique peuvent influer sur le spirituel et vice versa,
d’où la nécessité du juge pour veiller sur la terre et éviter de telles catastrophes. C’est au juge
de la terre, du patriarche au roi en passant par le chef de village d’effectuer les rituels annuels
pour remercier et apaiser les dieux, les génies ainsi que les ancêtres.

Toutefois, d’une manière générale, la perception environnementale d’une communauté


rurale donnée est très limitée et correspond strictement à l’étendue de son action anthropique.
Aussi, est-il donné de croire que la perception de l’environnement physique des Abron et des
Koulango reflète le mode et surtout le degré d’anthropisation du milieu naturel64.

 Les faits environnementaux qui ont été solidement fixés par la mémoire collective
depuis plusieurs générations semblent être ceux qui ont eu des conséquences sociales
négatives (famine, épidémies, instabilité politique etc...).
 L’évolution des éléments de l’environnement physique est bien perçue mais elle
demeure inexplicable pour les communautés rurales. II est fort probable que l’existence
des génies dans la nature découle de cette insuffisance.

Si le juge est le premier défenseur de la terre dans le pays Abron, il n’est cependant pas rare
dans la pratique de voir dans certaines situations où il semble que c’est ce dernier qui soit la

63
Aline Aka Lamarche, « L’accès à la terre en Côte d’Ivoire : diversité et variabilité des pluralismes, op. cit p.14
64
SIÉ Koffi, IBO Guéhi Jonas, op. cit p.64

33
cause de bien de problème. Nanan KOSSONOU APINM de GOUMÉRÉ le soulignait tantôt en
ces termes : « de nos jours c’est parfois nos propres frères qui sont à la base des conflits et des
violations sur la terre. Ceux qui devraient être les premiers remparts de protection ». Comme
quoi le juge traditionnel s’érige en fossoyeur des terres.

SECTION 2 : LE JUGE TRADITIONNEL, FOSSOYEUR DES TERRES

Les conflits fonciers, l'accès à la terre et aux ressources naturelles sont souvent
récurrents en Afrique de l'Ouest ; les rivaux prennent la forme de conflits potentiels ou ouverts,
alors que par exemple, les contestations sur la définition de l'espace agro-pastoral. Dans le
« contexte de pluralisme juridique, de prolifération institutionnelle et de politisation du foncier
»65, il est important de le souligner. Dans ce type de conflit, il faut distinguer un conflit entre
acteurs, le même système d'exploitation (entre agriculteurs, pêcheurs, éleveurs ou sédentaires)
et un conflit entre les joueurs de deux systèmes d'exploitation concurrents (par exemple, entre
agriculteurs et éleveurs ou entre pêcheurs et éleveurs).

La réalité est patente ; les conflits et violations sont inhérents au pays Abron comme un
peu partout en Afrique. Le conflit est le lieu où l’on sonde comment le lien social se désagrège.
Non seulement le lieu mais est aussi en jeu la faculté de juger. Lier, délier et juger nous
renvoient à la position du Tiers. Dans celle-ci, il est question soit d’indemniser celui qui a subi
le tort soit de réparer le lien66. Dans le cas des affaires foncières devant le juge traditionnel, l’on
n’obtient pas toujours gain de cause. Cela se comprend au travers de la fréquence des erreurs
dans le jugement rendu (paragraphe 1) ou encore se perçoit dans la crédibilité parfois douteuse
du juge lui-même (paragraphe 2)

PARAGRAPHE 1 : LA FRÉQUENCE DES ERREURS DE JUGEMENT

La notion de qualité n'est apparue que dans le domaine judiciaire à la fin des années
199067. En droit traditionnel surtout dans le Gontougo avec les Abron, la notion semble avoir
existée tout le temps vu le fait que la vérité devant les ancêtres est l’un des fils directeurs de la

65
CHAUVEAU, Jean-Pierre, Modes d’accès à la terre, marchés fonciers, gouvernance et politiques foncières en
Afrique de l’Ouest : résultats du projet de recherche CLAIMS, Londres, IIED, 2006, p.42
66
BIDIMA Jean-Godefroy, « Rationalités et procédures juridiques en Afrique », Diogène, 2003/2 (n° 202), p.92
p. 81-97
67
Antoine VAUCHEZ, « Les jauges du juge. La justice aux prises avec la construction de sa légitimité », in Pascal
MBONGO (dir.), La qualité des décisions de justice, Strasbourg : Éditions du Conseil de l’Europe, 2007, p. 60.

34
justice qui y règne. Le terme qualité peut être défini comme l’« ensemble des caractères, des
propriétés qui font que quelque chose correspond bien ou mal à sa nature, à ce qu’on en attend
»68. Le mot qualité est parfois associé à la justice, parfois il est lié aux décisions rendues. Le
concept de qualité de justice est difficile à saisir. C'est une "synthèse complexe de nombreux
facteurs, liés de niveaux différents et ne peuvent pas tous être maîtrisés avec les mêmes outils
»69. Les décisions de justice ont une portée plus limitée. Elles constituent « une composante,
facteurs clés de la qualité de la justice »70. Nous avons choisi d'axer nos recherches à ce niveau
sur l'analyse des décisions de justice qui est comprise comme le résultat d'un processus quand
le juge prononce la loi.

Cependant, au-delà de tout ceci, la remarque est que dans bien des cas la qualité de la
justice ou même les erreurs commises par le juge traditionnel sont inspirées par son manque de
maitrise du terrain (A) à proprement dit. Aussi, faut-il souligner l’immixtion des rois, chefs et
autres personnes pouvant avoir la qualité de juge en pays Bron dans les sphères politique et
économique du pays. Ces facteurs extérieurs (B) peuvent éclairer aussi la fréquence des erreurs
dans le jugement.

A- Le manque de maitrise du terrain

Disposant d’une grande autonomie, la chefferie de village reconnaît qu’elle constitue


l’autorité de base de l’État comme chez les Akan, ce qui n’implique pas forcément son
indépendance totale à l’égard des autres autorités supérieures, notamment la chefferie de
canton. A la tête de la chefferie de village se trouve le chef qui est l’âme et le porte-parole du
village. La fonction de chef est en général héréditaire. Dans le village, il est d’abord le gardien
des biens et le dépositaire de la coutume. Veiller rigoureusement sur le respect de la coutume
est l’une de ses responsabilités essentielles car l’un des rôles importants du chef de village est
de faire observer les prescriptions de la coutume. L’aspect aussi sacré de son pouvoir fait du
chef un personnage qui représente la puissance aux yeux de ses sujets. Il est juge et à ce titre, il
arbitre les personnes en conflit71.

68
Définition du dictionnaire Larousse.
69
Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ), Check-list pour la promotion de la
qualité de la justice et de ses tribunaux, juillet 2008.
70
Conseil consultatif des juges européens (CCJE), avis n° 11 (2008), à l’attention du Comité des ministres du
Conseil de l’Europe sur la qualité des décisions de justice.
71
N’dri KOUADIO, Recherche sur l’Exercice du Pouvoir Local en Côte d’Ivoire, C.A.F.R.A.D, Maroc-2001 p.5

35
Dans le cadre des conflits fonciers il arrive que le chef ou encore le roi ne soit pas un maniaque
du terrain. En effet, cela peut sembler absurde mais avec l’avènement de certains chefs et rois
intellectuels ne maitrisant donc pas les limites des terres, cela est parfois difficile. Cela associé
au manque d’expérience les décisions rendues par ce dernier peuvent être erronées. L’argument
de l’assistance ou de la collégialité chez les Bron devrait pouvoir régler le problème ; pourtant
la voix du chef ou du roi reste prépondérante. Tout comme l’ultime conviction du juge en droit
positif, elle mais peut ne pas être juste. À titre illustratif, le notable KRA Yao Ferdinand et
conseiller du chef du village de KOUAFO-AKIDOM nous signifiait le cas suivant :

‘’Le chef du village de WOLOBIDI dans ses débuts était méconnaissant des limites de la terre
à telle enseigne que les villages de SAPLI et SOROBANGO ont failli phagocyter des hectares
dudit village’’

Si l’on s’en tient à ces propos, le chef ou le juge traditionnel en présence par non maitrise
peut être l’instigateur d’erreurs. Seulement qu’avec l’évolution des choses, la politique moderne
avec son vent capitaliste, certaines autorités se trouvent mêlées à cette nouvelle façon de diriger.

B- L’interférence de facteurs extérieurs

La Côte d’Ivoire ayant subi la colonisation a vu son organisation administrative locale


ou plutôt sa structure du pouvoir local se confondre à celle du colonisateur. L’organisation du
pouvoir local colonial repose sur les cercles qui sont eux-mêmes fractionnés en subdivisions.
Le cercle constitue une circonscription administrative à laquelle l’administration coloniale a
voulu faire reconnaître sa souveraineté. La destruction ou la neutralisation des structures
traditionnelles a été la condition nécessaire à l’affirmation du pouvoir colonial. La colonisation,
note Bernard Asso, a eu pour effet principal de compromettre l’autorité du chef traditionnel72
et ce surtout sur le plan politique.

En effet, La décentralisation territoriale intervenue au cours de ces dernières années a entraîné


des transferts de compétences vers les collectivités décentralisées, ce qui a amené l’État à
réorganiser sa politique de déconcentration. Mais force est de constater que cette
décentralisation ne semble pas avoir réalisée une meilleure répartition des tâches et un
règlement plus rapide des affaires au plan local. L’administration centrale reste toujours
l’échelon compétent pour régler les problèmes de la vie locale73.

72
Bernard ASSO, le chef de l’État Africain, éd. Albatros, Paris, 1976, p.45
73
N’dri KOUADIO, op. cit. p.7

36
L’État nouvellement indépendant s’est renforcé par le développement progressif de
l’administration. La création des communes a vu apparaître les élus locaux (maires et députés),
qui sont choisis par les populations et ont en charge la défense des intérêts de leurs mandants.
À ces élus locaux s’ajoutent les représentants de l’administration. Face à cette multiplication
des centres de pouvoir au niveau local, il apparaît sans ambages que le pouvoir du chef
traditionnel s’est fortement réduit. En plus de la perte de plusieurs prérogatives au profit de
l’administration moderne, les chefs traditionnels fonctionnent non comme des décideurs
politiques, mais plutôt comme des exécutants, des auxiliaires, des subordonnés de cette
nouvelle administration74.

En plus de cet aspect, la junte politique se sert des autorités locales (chefs et notables
parfois même rois) pour véhiculer leurs idéologies politiques. Dans cette perspective, la vérité
peut être mise à mal surtout dans les délicates affaires foncières au détriment des ambitions
politiques.

Dès lors la crédibilité du juge traditionnel s’en trouve compromise.

PARAGRAPHE 2 : LA CRÉDIBILITÉ PARFOIS DOUTEUSE DU JUGE


TRADITIONNEL

La question des autorités traditionnelles est essentielle dans le contexte africain actuel
dans la mesure où elle condense les enjeux qui sont communément dénoncés comme étant «les
problèmes» de l’Afrique : difficulté à énoncer et à appliquer le droit, politisation des identités75.
L'intégration des chefferies traditionnelles dans l'organisation de l'État africain pose un
problème aigu. Considérées, il y a peu encore, comme une survivance archaïque ou comme le
résultat d'une manipulation coloniale que l'État postcolonial ne voulait pas reconnaître, ces
chefferies deviennent aujourd'hui des autorités incontournables pour enraciner l'État
démocratique au niveau local. Dans ce contexte déjà complexe, il est plus qu’impérieux que ces
autorités traditionnelles soient crédibles pour défendre les intérêts de leur peuple. Or la
politisation et l’intérêt personnel laisse planer un doute sur la légitimité même du juge
traditionnel (A) mais également laisse transparaitre clairement à certains égards l’intérêt, voire
le gain personnel (B) de ce dernier.

74
Wohi Innocent Flan, Kaphalo Ségorbah Silwé et Joseph KONÉ, Chefferie traditionnelle en Côte d’Ivoire: Quel
bilan après l’institutionnalisation ?, Afrobarometer No. 75, Août 2021 p.
75
Vincent BERTOUT, «La gestion des autorités traditionnelles par l’État namibien: le cas des Herero», Cadernos
de Estudos Africanos, 5/6, 2004, p.117 pp.117-131.

37
A- La légitimité parfois douteuse du juge

La légitimité est la capacité d'une personne ou d'un groupe à affirmer sa domination,


son autorité sur les membres d'une communauté ou d'une société. Max Weber a étudié
l'économie et la société, dans Le Savant et le Politique, la question de la légitimité du pouvoir.
Même le sujet de discussion, les « les trois types purs de domination légitime » définis par Max
Weber, fondés sur l'orientation et la structure sociologique de différentes sources, reste une
référence dans le domaine.

La domination peut être de nature rationnelle légale. Dans ce cas, la légitimité vient du
respect de la loi et repose sur la croyance en la légalité des règlements arrêtés et du droit de
donner des directives76. La domination peut également être de nature traditionnelle. La
légitimité vient alors de l’existence et de la régularité de coutumes et des traditions qui donnent
au détenteur de l’autorité un pouvoir que lui confèrent l’histoire, la culture de l’organisation et
de ses membres. On lui obéit parce qu’il incarne les valeurs fondatrices de l’organisation et
qu’il est le seul à avoir une vue générale77. C’est cette dernière qui nous intéresse. La
désignation de chef de famille (patriarche), chef de village ou du roi obéit aux règles
coutumières. Or, force est de constater que ces pratiques de nos jours sont souvent écorchées
par des personnes qui ont juste soif de pouvoir de s’accaparer et jouir des avantages de cette
position. En témoigne la crise de succession au trône depuis le décès de Nanan KOFFI
YÉBOUA de HÉRÉBO en 1992. Chacun voulait s’installer ou installer un proche (voir
ANNEXE 2). Comme l’écrit Halpougdou, « Tout pouvoir (traditionnel) est dénué de sens et de
réalité sans l’investiture des ancêtres 78».

La terre se trouve ainsi entre le marteau et l’enclume ; entre le jeu politique des autorités
traditionnelles locales, eux-mêmes potentiels juges et la vérité tant prônée par la justice Bron.
Ainsi, le premier constat est l’interférence des éléments primordiaux de la justice Abron et avec
les intérêts du juge traditionnel de la terre.

B- L’interférence avec les intérêts du juge

Selon les contextes politiques, législatifs et institutionnels locaux, la stratégie adoptée


par les chefs traditionnels, pour faire face au contexte nouveau résultant de la décentralisation,

76
Max WEBER, Le savant et le politique, Plon, 1995.
77
Idem
78
HALPOUGOUDOU M. "Chefferie traditionnelle et pouvoir républicain : une alliance contre-nature ?", Espace
scientifique, n° 002, 2004, 7-9.

38
est variable. Au Burkina par exemple, les chefs coutumiers sont passés de l’ancienne stratégie
de neutralisation des institutions villageoises modernes à une stratégie plus agressive
d’investissement direct de la scène politique à la faveur de la nouvelle alliance entre la chefferie
traditionnelle et l’État79. Dans de nombreux cas, ils se sont fait élire comme maires de leur
commune, bravant les scrupules de certains membres de leur entourage, pour qui le chef
coutumier doit être au-dessus de la mêlée80. Cette situation socio-politique risque de se
reproduire en Côte d’Ivoire avec la constitutionnalisation de la chefferie.

Dans cette optique le point saillant est que le juge de la terre peut être illégitime mais aussi peut
prioriser ces intérêts par rapport de ceux de ses concitoyens. Les faveurs du pouvoir central
mais la possibilité pour ces derniers de prendre possession de certaines terres. De façon
récurrente un litige à opposer les deux chefs de province Akidom et Pinango.

La carence de l’administration locale ou traditionnelle trouve sa source dans


l’administration centrale, qui la veut d’ailleurs ainsi, le fait de refuser aux responsables des
services administratifs locaux des attributions qui pourraient leur permettre de décider sur place.
La population locale est en droit d’attendre que le dossier qui l’intéresse soit traité sur place
sans avoir besoin de recourir constamment à l’administration centrale. Mais aussi en elle-même,
les institutions traditionnelles, surtout celles qui intéressent la justice sont des fois quelque peu
défaillantes.

79
OUEDRAOGO Hubert M. G, « Décentralisation et pouvoirs traditionnels : le paradoxe des légitimités locales»,
Mondes en développement, 2006/1 (no 133), p.22 p. 9-29
80
Idem

39
CHAPITRE 2 : UNE COMPLEXITÉ LIÉE AUX MÉCANISMES FONCIERS
TRADITIONNELS EXISTANTS

Les « mécanismes », au sens étymologique, ils constituent une « combinaison d’organes


ou de pièces disposés de façon à obtenir un résultat déterminé ». La gestion, du latin gestio,
gestionis, de gerere, c’est-à-dire accomplir, faire, est l’action ou la manière de gérer,
d’administrer, de diriger ou d’organiser quelque chose. La gestion du conflit consiste donc non
seulement dans la prévention de son aggravation, mais aussi dans sa résolution et sa cessation.

Dans cette partie, quand on parle de « mécanismes de gestion et de prévention des


conflits limités », nous entendons désigner une combinaison d'institutions disposées depuis le
IXème siècle, pour empêcher les conflits de s'aggraver ou résoudre les conflits en Afrique de
l’Ouest. Ces mécanismes ne disposent que d'un ensemble d’outils traditionnels ou locaux (droits
coutumiers) pour arriver à gérer et à prévenir les conflits violents. Il faut dire qu’avant
l’évènement colonial, ces mécanismes ont tenu leurs promesses. Mais aujourd’hui avec le
pluralisme juridique et d’autres éléments et phénomènes sociaux et juridiques, l’on note des
limites à ces mécanismes normatifs de nos sociétés traditionnelles (section 1). Des fois, au vu
des manquements, l’on peut même conclure à des institutions foncières traditionnelles
lacunaires (Section 2).

SECTION 1 : DES MÉCANISMES NORMATIFS LIMITÉS

Les problèmes relatifs à la possession et à l’exploitation de la terre sont très courants en


Afrique, mais en particulier en Côte d’Ivoire. Plusieurs facteurs peuvent y contribuer ; la non
disponibilité de documents officiels et les migrations massives liées aux guerres qu’ont connu
les différentes régions proches des côtes ivoiriennes et même au sein du territoire de la Côte
d’Ivoire. Les difficultés dues à la pauvreté de certains sols à l’image du Burkina Faso. Pays
duquel arrive une multitude d’aventuriers dans le but ou dans l’espoir de se procurer une portion
de terre pour la mise en œuvre des cultures saisonnières. La destination de ces aventuriers bien
que connue, il importe tout de même que le choix d’horizons divers serait notablement constaté.
Ainsi, à l’instar de la zone forestière, ceux-ci sont tentés de regagner le sud-est, Bondoukou
serait la destination privilégiée. Une fois sur les lieux, le paysage d’acquisition de territoire
d’implantation pause problème, car les autochtones eux-mêmes rencontrent des soucis de
répartitions des terres héritées de générations en générations par leurs ancêtres. La raison se

40
trouve dans le fait qu’il existe une multitude de normes traditionnelles desquelles découlent des
imprécisions.

Sur la base de l’étude de cas ethnographiques, nous proposerons dans cette partie de
notre travail, l’analyse des limites dues à la profusion normative traditionnelle (paragraphe 1).
Nous concentrerons notre réflexion sur la « pluralité normative », c’est-à-dire l’étude des
diverses normes traditionnelles, limite du droit d’action et soutenir conséquemment les
imprécisions qui ressortent de ces normes multiformes (paragraphe 2).

PARAGRAPHE 1 : UNE LIMITE DU FAIT PROFUSION NORMATIVE


TRADITIONNELLE

Il ressort de certains rapports qu’à plus de 90% des terres rurales en Côte d’Ivoire ne
bénéficient d’aucuns titres fonciers et sont par conséquent et comme toujours régis par le droit
coutumier et par les savoirs locaux, mais il ne faudrait occulter le fait que l’histoire a mis à mal
ce système traditionnel de normes et a été à la base ou le nids de certains conflits fonciers
ruraux.

Ainsi, les modes d’occupation, de vente ou d’appropriation de terres, jugés illégaux ou iniques,
sont à l’origine de conflits qui ont fortement contribué à la grave crise sociopolitique qu’a
connue certains peuples81 il y a quelques années. Ainsi, le peuple Abron a pu bénéficier de
certaines portions de terres acquises allègrement et pour le plus grand bonheur de son peuple,
au détriment du peuple Koulango. Ce dernier pourtant propriétaire terrien d’une surface
presqu’abandonnée, pour avoir été le premier occupant de son espace, est aujourd’hui réduit à
l’usage souvent conflictuel avec le peuple Abron82. Cet état de fait a fait naître deux normes
d’administration et de gestions foncières distinctes à l’effet d’éviter les querelles incessantes.

Il sera donc admis les normes des propriétaires originels des terres selon les coutumes
Koulango (A) et inversement les normes du peuple conquérant, celles du peuple Abron (B).

81
Aline Aka LAMARCHE, « L’accès à la terre en Côte d’Ivoire : diversité et variabilité des pluralismes », La
Revue des droits de l’homme (en ligne), 2019, sur https://journals.openedition.org/revdh/7150#tocto1n, consulté
le 28 janvier 2022.
82
Georges SAVONNET, La colonisation du pays koutango (Haute Côte-d'Ivoire) par les Lobi de Haute-Volta,
Cahiers d'outre-mer N° 57 - 15e année, Janvier-mars 1962, pp 25-46.

41
A- Les normes des propriétaires originels : les coutumes Koulango

Dans la partie sud forestière de la Côte d’Ivoire, incluse dans les limites d'étude, les
villages Abron se mêlent aux villages des sous-groupes Agni (Bini et Bona) déjà mentionnés,
ainsi qu'aux villages des Koulango83. L'ethnie Koulango occupe principalement les zones de
savane de Bouna et Bondoukou, mais s'est également installée en forêt au sud. Premiers
occupants84, les Koulango se lient à la civilisation négro-africaine la plus ancienne, dite «
paléonigritique85 », civilisation de paysans, très attachés à la terre.

Ce peuple hérite d’une richesse culturelle86 normative et donc n’a rien à envier à la coutume de
son voisin Abron. Cette force culturelle lui vient de sa lignée. En effet, les intentions en ce qui
concerne les biens reçus du seul lignage originel, témoignent de la force des normes
coutumières chez le peuple Koulango; les héritiers qui sont uniques traditionnels, sont les frères
ou neveux. Le système traditionnel d'héritage87 subsiste donc presqu'intégral, mais pour une
partie des biens seulement, en l'occurrence les seules parcelles en production héritées du
lignage. En effet, les portions de forêt non défrichées, même héritées du lignage, deviennent
biens propres de l'individu qui effectue le dur travail de défrichement et qui dès lors en dispose
librement et peut les transmettre au fils qui l'a aidé à les mettre en valeur. Cela laisse
transparaitre la force vive de la volonté qui prend le pas sur la question de l’héritage. C’est une
situation moins dominante puisque la part des biens encore entièrement soumise au système
traditionnel de dévolution, ne représente qu'une faible part des superficies cultivées cultivables.

L’une des forces culturelles de ce peuple réside dans la mise en œuvre d’un protocole affiché
et suivi à la lettre par le chef de terre à l’occasion de l’installation des étrangers ou hôtes. En
effet, un des membres de la famille des futurs hôtes, le plus habile, accompagné d’un de ses
jeunes frères, est envoyé en pays koulango pour préparer la future et nouvelle installation88. Ce
délégué choisit généralement comme lieu de prospection une région déjà exploitée par un

83
Michel PESCAY, Région du Sud-Est Etude socio-économique, LA SOCIOLOGIE
https://ireda.ceped.org/inventaire/ressources/civ-1961-1968-onc-sde-o2_sociologie.pdf, Consulté le 28/01/2022.
84
Idem
85
Jean-Claude FROELICH, Les problèmes posés par les refoulés montagnards de culture paléonigritique, Centre
de Hautes Études sur l'Afrique et l'Asie Modernes, Paris, 1960, pp 383-399.
86
Idem
87
L'Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, Base de données Genre et le Droit à la
Terre, sur https://www.fao.org/gender-landrights-database/country-
profiles/listcountries/customarylaw/customarynormsreligiousbeliefsandsocialpracticesthatinfluencegenderdiffere
ntiatedlandrights/fr/?country_iso3=CIV, consulté le 29/01/2022.
88
Georges SAVONNET, « La colonisation du pays koulango, (haute Côte d'Ivoire)», Cahiers d'outre-mer, 1962,
pp.25-46.

42
groupe lobi allié par exemple ou connu de la famille et chez qui il peut s’installer et se
renseigner continuellement. Après un si long parcours, le lieu propice à l’établissement de la
ferme est en vue : sur le revers d’un coteau proche de la rivière, ou encore à proximité d’une
brousse épaisse au sol léger mais profond et facile à travailler. Accompagné du représentant du
chef de terre koulango, il détermine les limites à l’intérieur desquelles lui et sa famille pourront
établir leurs cultures. Ce préalable une fois accepté de part et d’autre, le plus jeune frère est
dépêché auprès du père demeuré au pays pour le tenir au courant des recherches et pour l’inviter
à venir s’accorder définitivement avec le chef de terre koulango. Cette démarche même
s’apparente au consensualisme, puisque cet acte nait de la volonté des parties, sans vices ni
contraintes.

Chez les Koulango, comme dans toutes les ethnies paléonigritiques, la dualité est
traditionnelle et liée à la prédominance des cultes chtoniens, rendus à la Terre, dans les
croyances et pratiques religieuses de ces sociétés paysannes89. Prêtre spécialisé dans un secteur
jugé vital, le chef de terre exerçait la totalité des pouvoirs religieux (sacrifices et rites), attribués
ailleurs au chef de village, en tant qu'intermédiaire qualifié pour toute demande des hommes à
la terre nourricière. Il partageait avec le chef de village les pouvoirs sur la terre d'ordre politique
: concession de terres à un « étranger » et judiciaire : règlement des litiges fonciers.
Corrélativement, les cadeaux traditionnels et prélèvements sur les « récoltes », cueillettes ou
extractions, en brousse, étaient partagés entre chef de terre et chef de village. La chefferie de la
terre se transmettait héréditairement suivant les mêmes normes que la chefferie de village, mais
dans un autre lignage. Autonome sur le plan religieux et rituel, le chef de terre était néanmoins
politiquement subordonné au chef de village.

Toutefois, la subordination politique des Koulango tendait à limiter ce respect aux


aspects rituels et religieux du rôle de chef de terre. Néanmoins, la consultation rituelle, comme
le partage des cadeaux et prélèvements sur les produits de la brousse (dont l'or), furent, semble-
t-il, toujours respectée. Dans les zones de forêts vierges où aucune présence Koulango
antérieure ne pouvait être invoquée, cas de plus en plus fréquent en allant vers le Sud, les chefs
de village Abron, Bini ou Bona, détenaient la totalité des pouvoirs, conformément au modèle
traditionnel précédemment tracé.

89
Jean BOUTILLIER, le temps et la gestion du temps chez les koulango de nassian, 1968, p. 46

43
C’est cette subordination à la présence du peuple Abron qui ouvre la voie à la possibilité
d’envisager des normes attribuées au conquérant Abron.

B- Les normes du peuple conquérant : les coutumes Abron

Les Abron avaient politiquement constitué une base solide, en soumettant ses voisins
locaux, sous une autorité unique. C’est cette position qui a permis au peuple Abron s’établir en
imposant les normes selon ses coutumes. En effet, les Abron s'assurèrent le contrôle du pouvoir
politique, mais respectèrent l'autorité coutumière et religieuse des chefs anciens, notamment en
tant que maîtres de la terre.

Généralement, les chefs des diverses unités sociales cumulaient toutes les fonctions religieuses
et politiques, militaires et judiciaires. Leur autorité s'étendait à la fois aux personnes, constituant
le groupe, et au patrimoine foncier, propre au groupe. Héritier du premier chef ayant dirigé les
premiers occupants, le chef de groupe était en principe seul qualifié pour effectuer les rites et
sacrifices dus aux ancêtres et à la Terre. Dans certaines sociétés cependant, existait l'institution
du « Chef de Terre » ou « Maitre de la Terre », détenue par une personne distincte du chef
politique; ceci notamment au niveau du village. Tous ces pouvoirs s’exerçaient effectivement
sur tous les sujets ; Autochtones comme Allochtones étaient sous dominations.

La multiplicité de normes culturelles divergentes limite l’application des normes de


conduites foncières ou empêche la pleine disposition des droits reconnus sur une parcelle. Cette
limite est donc due à l’imprécision des règles traditionnelles établies.

PARAGRAPHE 2 : UNE LIMITE LIÉE A L’IMPRECISION DES RÈGLES


TRADITIONNELLES

Toutes les normes sont impératives en raison du caractère général, impersonnel


permanent qu’elles revêtent. Ces caractères sont reconnus aux normes en raison de la précision
des lois qu’elles prévoient dans les limites du temps sur la base des textes précis qui
sanctionnent leur non-exécution. C’est pourquoi, un individu qui aura une attitude de nature à
ignorer ce que la loi prohibe sera sanctionné en vertu d’une disposition légale existante. Par
exemple, se prévaloir d’un héritage alors qu’on n’en est pas digne ou titulaire serait antisocial.

De plus, serait contre-productive, toute action même légalement protégée qui n’est pas
mise en mouvement dans le délai prévu par la loi, même si ce délai peut être. Mais tout compte

44
fait ce sont toujours les textes de loi qui en prévoient la portée. C’est pourquoi, à l’inverse, les
règles traditionnelles, quoique revêtues du caractère normatif, restent imprécises en raison de
la non admission des délais d’action (A) et ses sanctions sont inspirées du sacré qui relève
purement de la morale (B).

A- Imprécision tenant au délai

L'organisation des personnes dans des espaces et des ressources s'exprime dans des
normes, des règles, des processus et des institutions90. Globalement, la polyvalence de l'espace
doit refléter un système juridique permettant d'assurer la gestion de situations complexes
caractérisées par la diversité des réalités culturelles. En Côte d’Ivoire particulièrement,
pourtant, il existe des logiques endogènes et exogènes qui coexistent et s'opposent. Peut-on à
cet effet parler de logique mixte ou complexe ? En réalité, les normes traditionnelles ne
s’inféodent pas dans les normes au plan national, puisqu’elles sont d'inspiration occidentale,
certes mais établissent (les normes) une base juridique stable et incontestable.

On assiste ainsi à un véritable traitement des réalités juridiques nationales inspirées du modèle
occidental, impliquant une fusion impossible entre droits traditionnels et droit étatique,
aboutissant, in fine, à un droit des pratiques renvoyant aux règles traditionnelles et/ou à la
législation étatique, ou ni l'un ni l'autre. Le droit positif, en réalité évolue, à l’inverse, le droit
traditionnel n’est pas limitatif ; des abus peuvent, pour ainsi dire, naitre d’un tel droit. En effet,
le droit traditionnel, avec ses orientations qui naissent du spirituel n’a pas du tout envie
d’évoluer, de limiter des règles de conduite qui pour des questions d’adaptation à
l’environnement de la société. Son temps n’est ni passé, ni futur, il est actuel et peut violer
continuellement les droits de propriété d’un individu qui est sensé en bénéficier.

Ainsi, dans un sens plus restreint, les droits de propriété à la terre du peuple koulango seront de
la pure fiction si les limites aux délais d’utilisation ou d’appropriation des portions du terroir
dudit peuple, tenu en infériorité, ne sont reconnues et protégées selon une disposition
particulière qui limiterait l’usage du terrain accordé dans le cadre d’une culture saisonnière par
exemple, au peuple Abron.

Nous constatons malheureusement des sanctions liées parfois au spirituel et qui donne
plein pouvoir selon la tradition, au plus fort d’imposer ses subjectivités aux plus faibles.

90
https://www.fao.org/3/w3723f/w3723f05.htm, consulté le 29/01/2022.

45
B- Des sanctions liées parfois au spirituel

Le droit traditionnel évolue dans le temps et ne peut être considéré comme immuable.
Notons qu'un «système juridique ne peut demeurer en vigueur que si les conditions sociales qui
l'ont fait naître se maintiennent»91. C'est pourquoi les droits fonciers traditionnels évoluent
inéluctablement.

La norme sociale fonde des conduites régulières qui ne se transforment pas toutes en droit,
quoique la notion de "droit social" développée par Léon Duguit définisse « le rapport existant
entre l'individu et le groupement social dont il fait partie »92. La société globalise cet ensemble
de comportements, d'usages locaux, parmi lesquels certains sont juridicisés en fonction de leur
importance pour la cohérence du groupe et sa reproduction. Les normes sociales ne deviennent
également juridiques que lorsque « la masse des consciences individuelles est arrivée à
comprendre que la sanction matérielle de cette norme peut être socialement organisée ».

Les manières de faire constitutives de la coutume sont des usages spontanés, prolongés ou
répétitifs. Elles forment le modèle de comportement social obligatoire, une norme à suivre sous
peine de sanctions d'ordre juridique, social ou surnaturel. La coutume serait ainsi « la preuve
d'une pratique générale acceptée comme étant le droit »93. Le droit foncier des Abron, lui reste
attaché à ses coutumes de sorte à ce qu’au-delà de ce qu’on pourrait infliger comme sanctions
physiques, il y ait la possibilité de laisser les ancêtres trancher le litige juste en les invoquant.
Alors dans une imprécision, l’on s’attend à ce que l’une des parties subisse leur courroux pour
déterminer la partie qui avait tort ou raison.

SECTION 2 : DES INSTITUTIONS TRADITIONNELLES LACUNAIRES

Au lendemain des indépendances, dans les années 1960, les nouvelles « élites »
africaines voyaient dans les rois et les chefs les reliques d’un passé qu’il leur appartenait
d’abolir. Les nationalistes qui assurèrent le passage de la domination coloniale à l’indépendance
étaient passés par le système scolaire, et l’avènement de la modernité les enthousiasmait. Ils
s’étaient donné pour objectif un changement radical de leurs sociétés. Pour cette génération, la

91
Marcel CALVEZ, Incertitude, risque et handicap Jalons d’analyse culturelle, 2004, sur https://tel.archives-
ouvertes.fr/halshs-00005903/document, consulté le 29/01/2022.
92
Léon DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, Fontemoing-Boccard, 1927, p.73.
93
Article 38-l(b) des statuts de la Cour Internationale de Justice (1945).

46
chefferie, auxiliaire et instrument d’un colonialisme abhorré, n’offrait plus qu’une caricature
de ce qu’étaient les royautés avant la colonisation. Cette façon d’opposer radicalement une «
modernité » incarnée par l’État à une « tradition » symbolisée par les chefs n’a d’ailleurs pas
tout à fait disparu : il en subsiste aujourd’hui quelques traces ici ou là, dans les écrits ou dans
les esprits94. Cependant, il est évident que dans ces traditions, même si la volonté de bien faire
subsiste, ce n’est pas toujours aussi efficace qu’on le souhaite. Surtout en matière foncière,
certaines procédures traditionnelles restent encore à améliorer du fait d’un manque de
coordination parfois (paragraphe 1) mais aussi du fait du dysfonctionnement institutionnel
souvent constaté entre les autorités locales (paragraphe 2).

PARAGRAPHE 1 : UNE ABSENCE DE COORDINATION PARFOIS OBSERVÉE


DANS LES PROCÉDURES TRADITIONNELLES

Dans une acception judiciaire : Le chef de terre tranchait les litiges apparaissant sur
le territoire qu'il contrôlait ; on faisait appel au chef du niveau hiérarchiquement supérieur
lorsque les membres de deux groupes différents entraient en conflit. La procédure judiciaire
obéit à une hiérarchie. D’abord, le premier degré qui commence les patriarches et sages du
village. Puis le chef du village avec sa notabilité. Enfin, le haut niveau qui est représenté par le
chef de province. Mais par défaut, il arrive qu’il y ait des règlements de conflits qui fassent
entorse à la procédure normale. Ces procédures, par dérogation, ne sont pas conformes aux
traditions, et par conséquent, représentent des lacunes. Lesdites lacunes sont relatives à la
compétence (A) mais aussi sont intimement liées à l’inexécution des décisions du juge
traditionnel (B).

A- Des lacunes tenant à la compétence


La colonisation et la rencontre des cultures à accoucher du pluralisme juridique ;
donnant lieu ainsi à la rencontre de plusieurs sortes de justice, notamment : celle dite
traditionnelle et l’autre moderne. La compétence d’une juridiction traditionnelle est
subordonnée à l’acceptation des autres parties (les défendeurs) en cause. De là, on peut
conclure que leur compétence est contractuelle en ce qu’elle résulte d’un accord de
volonté des parties. Si le défendeur ou l’un des défendeurs décline la compétence d’une
juridiction de droit traditionnel, la juridiction de droit écrit devient automatiquement
compétente s’il décide d’y soumettre l’affaire. Ainsi, la volonté unilatérale d'une des parties

94
PERROT Claude-Hélène, « Chefs traditionnels : le cas du sud-est de la Côte d'Ivoire », Afrique
contemporaine, 2006/1 (n° 217), p.173 p. 173-184.

47
suffit pour soustraire un litige quelconque des juridictions traditionnelles et le déférer aux
juridictions de droit moderne. Cette condition a pour effet de réduire la compétence des
juridictions traditionnelles au profit de celle des juridictions de droit écrit.

La compétence sur laquelle nous voulons nous appesantir chez les Abron est celle dite
territoriale. En effet, chaque province comprenant un nombre bien déterminé de villages, le chef
d’une autre province ne doit s’octroyer le droit de connaitre d’une affaire ne relevant de son
territoire. Comme susmentionné ce genre de cas à déjà été constaté entre la province Pinango
et Akidom. La terre, le territoire devient donc le théâtre d’une discorde entre les juges locaux.
De plus, dans le cas où des décisions sont rendues par le juge traditionnel, l’exécution reste
lente.

B- Des lacunes liées à l’exécution des décisions


Exécuter c’est, selon Littré, « mettre à effet, mener à accomplissement ». En présence
d’une décision de justice, il s’agit de faire passer dans la réalité ce en quoi elle consiste et
qu’énonce son dispositif. Quand la décision est d’ordre civil (foncier dans notre cas) et concerne
donc des intérêts privés auparavant antagonistes, cette démarche peut s’entendre de deux
façons, du moins quand l’ordre public n’est pas en cause : Une conception stricte considère que
la disposition prise, avantageant l’un aux dépens de l’autre, doit absolument s’appliquer,
comme elle est énoncée. Une conception qui serait souple considère que la même disposition
est un élément parmi d’autres, dans un rapport de forces économique, social, ou simplement
humain qui la dépasse et à la résultante de laquelle elle contribue plus ou moins fortement.
« Vous êtes condamnés, payez-moi » ou « vous êtes condamnés, vous devez me payer à moins
que je vous bénéficiez d’une dispense, discutons de cela ». Dans les deux cas, la décision porte
ses effets, et parce qu’elle est civile, elle les porte souvent dans la mesure où le décide la partie
gagnante. Même si le droit traditionnel chez le peuple que nous étudions ne tranche pas
toujours, il n’est quand même pas rare de voir certaines décisions du juge être boycottées au
profit du droit positif qui s’affiche comme un moyen de recours pour le justiciable.

Dans cette logique plutôt affaiblissante pour le juge de la terre, il est important de mettre
en exergue le dysfonctionnement institutionnel notable qui existe entre les dignitaires du
royaume.

48
PARAGRAPHE 2 : UN DYSFONCTIONNEMENT INSTITUTIONNEL SOUVENT
CONSTATÉ ENTRE DIGNITAIRES TRADITIONNELS

Les maux qui gangrènent les juridictions traditionnelles sont nombreux et tiennent
pour l‘essentiel à l‘absence des moyens tant humains que matériels, même si l’on ne
doit pas écarter l‘incompétence de certains juges qui n‘arrivent pas à maîtriser certaines
affaires, à laquelle s‘ajoutent le défaut de diligence et les manœuvres dilatoires de certains
conseils des parties. Enfin, on peut noter le défaut de conditions matérielles minima pour les
des juges traditionnels et les autres membres du personnel qui anime la vie judiciaire
traditionnelle.

A- Des lacunes tenant aux discordes internes

La question des accaparements fonciers a réactivé l’image du grenier de l’Afrique,


quand l’histoire contemporaine a surtout souligné sa faim endémique. Il n’y a d’ailleurs rien
d’incompatible entre ces deux réalités. La riche actualité des accaparements dans cette région
du monde ne saurait faire oublier son histoire marquée par la dépossession de ses terres et de
ses hommes95.

L’Afrique a en effet subi les assauts du colonialisme. Elle a représenté un réservoir de main-
d’œuvre destinée au continent américain au moment de la traite des Noirs. Elle a aussi « offert
» un réservoir de terres pour les Européens. Les diverses régions du continent noir ont joué
différemment dans ces deux catégories. Évidemment, c’est dans les espaces qui furent
considérés comme des réserves de terres que les empreintes foncières sont restées les plus
prégnantes. La géographie de cette empreinte fait ainsi apparaître deux pôles distincts :
l’Afrique australe et l’Afrique du Nord. Sur le reste du continent, si la colonisation a eu des
effets sur les paysanneries et sur les spécialisations agricoles, son dépôt laissé dans le paysage
foncier est demeuré moins marqué. L’opposition entre colonies de peuplement dans le premier
cas et l’exploitation dans le second est donc pleinement opérante – mais est-ce étonnant ? – en
termes fonciers.

Redescendons dans la société Abron, à l’abri des accusations d’accaparement occidentale des
terres. En chef de province Akidom et Pinango la situation est déjà tendue relativement à une
affaire de territoire et de pouvoir. Un dysfonctionnement du système traditionnel de gestion des

95
BLANC Pierre, « L’Afrique : passé et présent d’un « réservoir » de terres », dans, Terres, pouvoirs et conflits.
Une agro-histoire du monde, sous la direction de Blanc Pierre. Paris, Presses de Sciences Po, « Hors collection »,
2018, p. 283-364.

49
terres semble donc inévitable dans la mesure où ceux qui sont censés faire respecter les lois
ancestrales sont dans un quiproquo. Dès lors, en cas de conflit, n’est-il pas possible pour le juge
de prendre parti ?

B- La partialité dans les enquêtes diligentées

L'impartialité du juge est un principe procédural qui assure au justiciable le droit à ce


que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial. Le juge traditionnel Abron
dans sa procédure accorde le temps des écoutes où chaque partie prend la parole pour relater
les faits et ainsi essayer de prouver sa bonne raison. Il doit ainsi s'abstenir de tout favoritisme,
il ne doit avantager aucun des plaideurs et ne doit jamais statuer au profit de l'un d'eux pour
d'autres raisons que celles qui tiennent au bien-fondé de ses prétentions. Autrement dit, un juge
impartial est un juge qui fait preuve d'objectivité, de neutralité, gage de sa crédibilité. Il doit, à
ce titre, examiner avec la même attention les éléments favorables ou défavorables à chacune
des parties. Dans le cas contraire, la décision du juge est perçue comme arbitraire.

Aussi dans cette atmosphère socio politique délicate souvent les juges de la terre ou simplement
les autorités traditionnelles veulent se faire une place au soleil. Le juge peut donc verser dans
la corruption en se politisant. Cette politisation est, de manière générale, dissimulée dans
des notions juridiques, toutes importées par ailleurs, telles l'intérêt général, l'atteinte à la
sûreté des terres. Très souvent dans ces cas de figure les justiciables préfèrent se retourner vers
la justice moderne pour contourner le juge traditionnelle.

50
PARTIE 2 : LA TERRE ET LE JUGE UN COUPLE
INSÉPARABLE

51
CHAPITRE 1 : UN LIEN AFFIRMÉ PAR LA PROTECTION ET LA GESTION
TRADITIONNELLES DES TERRES PAR LE JUGE

L’instauration de la notion de propriété privée individuelle est en contradiction avec le


principe de l’inaliénabilité qui fonde le régime foncier traditionnel. Cette évolution a créé un
marché foncier96. En effet, les pratiques foncières coutumières, bien que considérablement en
régression aujourd’hui, n’ont pas manqué de laisser des empreintes dont certaines sont
directement observables à travers le paysage97. Cette caractérisation du paysage par le sacré, en
particulier du fait de la présence d’habitation de divinités, Les règles coutumières existent et
continuent de s’appliquer encore aujourd’hui. Il résulte de là, une véritable épreuve de force
entre les deux ordres juridiques.

Devant la force de la réglementation étatique, les traditions opposent le caractère


multiséculaire du droit coutumier sur la terre et les autres ressources. En pays Abron, le
protecteur de cette terre et des droits coutumiers est le juge traditionnel. Il assure une protection
traditionnelle des terres (section 1) mais également une gestion traditionnelle des terres (section
2).

SECTION 1 : UNE PROTECTION TRADITIONNELLE DES TERRES

En Côte d’Ivoire, la terre est au centre d’une problématique aux enjeux multiples dont
la complexité et le caractère récurrents font penser à un nœud gordien.
Ainsi, il ne se passe pas un seul jour sans que les instances de régulation que sont les autorités
coutumières administratives et judiciaires ne soient saisies de conflits fonciers opposant
différents acteurs dont les intérêts, les stratégies et les logiques d’occupation ou d’appropriation
sont divergentes, voire antagoniques.
Multiformes de par la diversité, des protagonistes (autochtones, allochtones, allogènes,
administration forestière ou foncière, agriculteurs, éleveurs, villages limitrophes, etc.), et des
secteurs concernés (foncier urbain, foncier agricole, foncier forestier, foncier pastoral, etc.), ces
conflits qui sont quelques fois violents et meurtriers constituent aujourd’hui, au-delà de
l’insécurité foncière qu’ils traduisent, une menace pour la paix et la cohésion sociale.

96
Adéothy Adegbinni, « Les terres sacrées, nouveaux fronts d’urbanisation au Bénin », Les Cahiers d’Outre-Mer,
278, 2018, p353 pp.353-372
97
Adéothy Adegbinni, idem p.355

52
Dans cette dynamique, le juge traditionnel est mis en avant et sa protection du socle de vie
qu’est la terre semble prioritaire (A). Cependant, dans ce pluralisme juridique et ethnique les
incompréhensions sont légions. Ainsi, le droit positif n’est pas à écarter et est très souvent usité
par les justiciables (B).

PARAGRAPHE 1 : UNE PROTECTION PRIORISANT L’INTERVENTION DU JUGE


TRADITIONNEL

Étant donné que la terre est inaliénable dans les systèmes fonciers africains traditionnels,
nous touchons à l'un des points clés et à l'un des préjugés les plus ancrés sur la question. Ici par
exemple, l'opinion dominante en la matière est que « La vente est généralement interdite, et doit
en fait être considérée comme impensable »98. Pour ce faire, la procédure judiciaire
traditionnelle, en matière foncière, priorise les autorités traditionnelles. En pays Abron, la
procédure commence avec les patriarches et le chef du village (A). Ceux-ci représentent la
première instance de juridiction avant de progresser vers le chef de province puis le roi (B).

A- Les patriarches ou le chef de village

La terre est une « divinité génitrice dont la mission est de pourvoir aux besoins des
hommes »99. Sa protection obéit donc à la volonté des dieux. Les patriarches et les chefs de
village sont des personnes spécifiques, choisies par les dieux pour protéger la terre. On peut
donc distinguer deux principales interventions : l’une considérée comme restreinte (le
patriarche) et l’autre large (le chef de village). Ces autorités susmentionnées sont les juges
naturels, au sens traditionnel du terme, de cette société. Ainsi, en cas de litiges foncier en pays
Abron, le chef de famille et celui du village ont pleine compétence pour connaitre de l’affaire.
En effet, cette pratique est le reflet de l’importance cardinale de la terre dans cette société. Elle
est « source de vie »100 ; elle « se prête mais ne se soumet pas aux hommes ». Elle a donc ses
exigences qu’il faut respecter. Le chef de terre y joue également un grand rôle. En effet, les
droits et les obligations du chef de terre sont différents suivant qu’ils s’attachent au domaine
public ou au domaine privé. Le chef de terre a un droit de jouissance sur l’ensemble des terres

98
Le Bris Emile (ed.), Le Roy Etienne (ed.), Mathieu P. (ed.), L'appropriation de la terre en Afrique noire:
manuel d'analyse de décision et de gestion foncières. Paris : Karthala (1991),
99
Paul OURLIAC (pref.), in Guy-Adjété KOUASSIGAN, L’homme et la terre : droits fonciers coutumiers et droit
de propriété en Afrique occidentale, Paris, Berger-Levrault, 8 ème éd., 1996, p. 2.
100
Idem

53
du domaine public. I1 procède à la distribution des terres du domaine de culture et d’habitation,
compte tenu des besoins des familles et des individus. I1 peut procéder à des désaffectations,
notamment en cas de départ définitif ou de non-respect des obligations inhérentes à l’exercice
du droit de culture. I1 administre les terres. Il veille à la conservation du patrimoine foncier,
procède aux bornages utiles. On comprend donc que les terres de la collectivité n’ont d’ailleurs
pas toutes le même statut. I1 y a celles qui sont susceptibles d’être affectées à l’usage des
particuliers pour la satisfaction de leurs besoins propres : ce sont les terres à usage de culture et
d’habitation ; et celles qui sont laissées à la disposition de la communauté toute entière : les
biens publics101.

Il faut surtout savoir que la chefferie est déterminée partout par le besoin de protection.
Le faible cherche un patron assez fort pour le défendre. En Afrique, la chefferie parait avoir
surtout son origine dans la famille étendue formée des gens de même lignage, vivant autour
d'un patriarche et travaillant des champs indivis. Ainsi, il s’agit de chefs responsables,
représentants de notre autorité, qui ont été placés à la tête de chaque communauté et de chaque
campement102.

B- La cour royale

Les sociétés africaines sont organisées à tout point de vue. Dans cette structure, la cour
royale prend une place de choix. Lorsqu’il y a notamment des conflits fonciers, elle intervient
pour rétablir la paix et l’harmonie. La connaissance du conflit dépend des circonstances qui
l’ont engendré et surtout de l’identité sociale des parties. « C’est cette identité sociale qui est
mise en scène et dont se saisit le rituel judiciaire dominé par la palabre en tant que cadre
d’organisation de débats contradictoires, d’expression d’avis, de conseils, de déploiement de
mécanismes divers de persuasion et d’arbitrage »103.

PARAGRAPHE 2 : UNE ALTERNATIVE DE RECOURS AU DROIT POSITIF

Le droit est par-dessus tout un phénomène social. Il est conçu pour les besoins propres
à une société donnée. Pour cela, il est loin d’être un objet statique. Il se laisse saisir, manipuler,
modifier, adapter au rythme de l’évolution de la société. Ainsi, certaines pratiques coutumières,

101
Lire en ce sens Kéba M'BAYE, « L e régime des terres au Sénégal » pp 131-159, in Le droit de la terre en
Afrique (au sud du Sahara), Etudes préparées à la requête de l'Unesco, éditions G-PM. Maisonneuve et Larose,
Paris, 1971, 175 p.39.
102
JOSEPH (G), La Cote d’Ivoire, le pays, les habitants, Paris, Emile la Rose, Librairie, édition 1917, p. 153-154
103
Séraphin NENE BI BOTI, la terre et les institutions traditionnelles africaines : le cas des Gouro de Côte
d’Ivoire, Thèse unique de doctorat, 15 avril 2005, p. 243.

54
suffisamment sages, inspirent constamment le législateur dans l’édiction des textes de lois. Par
l’effet de la décentralisation, la gestion traditionnelle et villageoise de la terre est le fruit d’un
mixage : droit positif et pratiques traditionnelles.

On assiste ainsi à un pluralisme juridique. Ce qui permet au juge traditionnel, jugeant


en principe au regard du droit coutumier, de recourir à titre alternatif au droit positif en vigueur.
Ce recours est la résultante de deux situations : il peut être dû à l’insatisfaction du justiciable
(A) ou demandé par le justiciable en terme de préférence (B).

A- L’Insatisfaction d’un justiciable

Les décisions des juridictions traditionnelles n’échappent pas à l’obligation du


respect du principe du double degré de juridictions. Ce principe signifie que les parties à un
procès ont la possibilité de faire réexaminer le litige par une juridiction de rang supérieur
différente de celle ayant préalablement statué. Il s’agit là d’une exigence du procès équitable104.

Le législateur camerounais du D 69/DF/544 a consacré le titre V de notre texte aux « voies de


recours contre les jugements des juridictions traditionnelles ». Ceux-ci peuvent, aux termes
des dispositions de ce texte, faire l’objet d’opposition, d’appel, de la tierce-opposition et de
requête civile105. Au-delà du cas Camerounais, qui semble être apparenté à celui de la Côte
d’Ivoire, l’on peut remarquer que chez les Abron il n’y a pas de codification apparente.
Cependant, la même logique subsiste. En effet, un justiciable peut ne pas avoir gain de cause
devant le juge de la terre. Dans ce cas, il progresse vers les juridictions traditionnelles
supérieures. C’est-à-dire le chef du village, le chef de province, et enfin le roi en dernier ressort.

Toutefois, n’écartons pas la voie du droit positif qui reste l’une des options efficaces
pour certains justiciables dans le règlement significatif des conflits liés à la terre.

B- Le justiciable priorisant le droit positif

« Le contenu de toute règle de droit est fourni par l'expérience, et sans cesse remanié,
autant que possible par la recherche d'un certain idéal. Mais cet idéal n'est qu'un cadre abstrait
qui doit correspondre à un ordre concret »106. Il en ressort que tout système juridique se

104
Joseph Emmanuel ONGOLO FOE, les juridictions de droit traditionnel : compétence, saisine et recours. mai
2016 p.6
105
Joseph Emmanuel ONGOLO FOE, idem
106
Guy-Adjété KOUASSIGAN, L’homme et la terre : droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique
occidentale, Paris, Berger-Levrault, 8 ème éd., 1996, p.

55
caractérise par l'adaptation de l'idéal de justice à un ordre concret, à un ordre social donné.
Ainsi, dans les sociétés où l'on considère que c'est l'individu qui est pour le droit la fin suprême,
les règles de droit ne peuvent être établies qu'en fonction de l'individu lui-même, même s'il n'est
pas considéré isolément, mais dans ses relations avec autrui. L'intérêt individuel se trouve être
la préoccupation majeure des règles de droit107. Cependant, cela ne porte pas atteinte à l’intérêt
collectif qui pourrait atteint si l’on fait la somme des intérêts individuels.

Le justiciable peut donc avoir un impact sur la règle applicable. De fait, lorsqu’il a le
choix entre deux ou plusieurs règles de droit, ce dernier choisira la règle qui lui semble
juridiquement et socialement rationnelle. Ainsi, en fonction de leurs convictions diverses,
certains justiciables, à défaut de saisir les tribunaux, souhaitent se voir appliquer le règles
étatiques : le droit positif en vigueur.

SECTION 2 : UNE GESTION TRADITIONNELLE DES TERRES À GÉOMÉTRIE


VARIABLE

Le juge traditionnel est dans une logique normalement de satisfaction de sa population.


Pour ce faire, il est disposé à l’écoute des parties. « La sagesse et la vérité doivent guider celui
qui juge » disait Nanan KOSSONOU APINM. De plus, la collégialité est un atout pour le juge
Abron, il peut compter sur ses compères pour trouver la voie juste. Le juge est celui ici qui
s’adapte, il cherche, des solutions réparatrices et conciliatrices. Il ne tranche pas directement ;
il le fait que lorsque c’est le seul recours. Par son tact il effectue un bon management des terres
(paragraphe 1). Avec l’avènement de nouveaux peuples et la cohabitation inévitable, parfois le
juge traditionnel adopte de nouvelles techniques de gestion de la terre (paragraphe 2).

PARAGRAPHE 1 : GESTION TRADITIONNELLE DES TERRES PAR LE JUGE

Garantir les droits fonciers permet aux agriculteurs de bénéficier de la valeur ajoutée sur
les terres en question et les encourage à adopter une perspective à long terme. Les Directives
volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux
pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, récemment adoptées
par le juge dans le but d'éliminer la faim et la pauvreté, de soutenir le développement durable
et d'améliorer la gestion de l'environnement. Il partage les terres entre les populations (A) et en
cas de cession (B) il veille au bon déroulement du passage de la terre d’une main à l’autre.

107
Ch. BEUDANT, Le droit individuel et l'État ; M. WALINE, L'individualisme et le droit.

56
A- Le partage des terres

La terre est insusceptible d’appropriation. Les lois de la cosmogonie africaine


n’admettent cette appropriation pour aucun des éléments (ciel, air et mers) qui ont servi à la
création de l’univers et le soutiennent. La terre étant à Dieu, aux dieux ou aux ancêtres, aucun
être humain ne peut s’en approprier, car ce serait commettre un acte réservé à la seule divinité.
Ce serait donc commettre le crime de sacrilège.

En ce sens le professeur Kéba M’BAYE s’interroge de la façon suivante : Comment d’ailleurs


s’approprier ce qui est affecté à tous pour leur subsistance ? Comment accepter que l’abri des
ancêtres devienne la chose d’un seul homme ?108 Il en conclut que la terre ne peut donc être
appropriée. Toutefois, l’on y exerce certains droits. La terre en pays Abron est partagée par les
autorités coutumières compétentes afin d’y exercer des droits. La terre est mise au service de la
communauté. Or, celle-ci comprend non seulement les personnes vivant sur le terroir, mais
aussi celles qui y naîtront et celles qui y sont enterrées. Aucun homme, aucune génération, ne
peut disposer de ces biens.

B- La cession des terres

Les éléments du droit de tenure109 peuvent passer d’une tête à une autre, moyennant le
versement d’un prix. Ainsi, le chef de terre peut céder son droit à un autre membre de la
collectivité. Cette cession, en pays Abron, peut se faire à l’amiable moyennant un prix fixé par
les parties, ou aux enchères publiques. Hormis le chef, les individus peuvent également faire
des transactions de cession entre eux. Même si le chef a procédé préalablement à la répartition
du terrain, il s'agit d'un rapport de culture, de travail, et non de propriété au sens romain du
terme. On utilisera donc de préférence à l'expression « propriété de la terre», celle de «
jouissance de la terre» (en anglais tenure par opposition à landship). Il apparait clairement à
travers ces lignes que même si la terre est caractérisée par son inaliénabilité, elle peut être cédée
suivant des formes et/ou méthodes variées. De fait, On en a inféré à tort qu'elle ne circulait pas
assez : c'est un abus de langage. Car si la terre n'est ni appropriable, ni appropriée, l'exploitation
de la terre, elle, circule de deux façons au moins :

108
Kéba M'BAYE, « Le régime des terres au Sénégal » p. 137, in e droit de la terre en Afrique (au sud du Sahara),
Etudes préparées à la requête de l'Unesco, éditions G-PM. Maisonneuve et Larose, Paris, 1971
109
Cette notion renvoie à la terre concédée à une personne non noble par un seigneur, en retenant la propriété pour
n’accorder que la jouissance précaire au concessionnaire. C’est donc un mode de possession d’une terre qui existe
aussi chez les Akans, plus particulièrement chez les Abrons.

57
 sous la forme ancienne, classique, et bien connue de l'agriculture itinérante, par
l'ouverture permanente de terres nouvelles résultant de l'abandon des anciennes, en
raison de l'exigence de jachères longues favorables au déboisement et aux
défrichements;
 une forme plus négligée mais néanmoins fondamentale est la pratique de la « mise en
gage li (en anglais: p1edge ou pawn), aspect qui paraît à peu près ignorée du colonisateur
français ; les juristes britanniques ont eu plus ou moins tendance à la rapprocher du
concept occidental d'hypothèque (mort-gage)110; les Français, quant à eux, ont parlé de
« bail emphytéotique» à l’anglaise111, ou plus simplement de « dette infinie »112 . Or, il
s'agit bel et bien d'une forme de transfert de droits sur la terre, à mettre directement en
rapport avec les relations de dépendances interpersonnelles et inter-lignagères.

PARAGRAPHE 2 : GESTION NOUVELLE DES TERRES PAR LE JUGE

Tout ce qui est susceptible de fournir des informations sur le passé des hommes
est perçu avec intérêt par l’historien dont le rôle est de présenter les éléments de ce passé
qui permettent de comprendre le présent. Jusque-là, les sources d’information privilégiées sont
les écrits, les vestiges exhumés par les archéologues113. Plus loin nous nous fondons sur les
traditions orales. Dans notre cas, ces dernières montrent que le juge dans sa gestion des terres
à géométrie variable, a adopté un nouveau comportement en réaction à la rencontre d’autres
cultures (A). Aussi, le juge toujours dans sa même dynamique d’adaptation est du genre
écologique dans sa gestion des terres (B).

A- Le revirement du comportement du juge face aux attitudes des autres ethnies

En Afrique, les questions foncières font actuellement l'objet d'acquisitions de terres à


grande échelle, mais la place des autorités traditionnelles dans cette dynamique n’est pas
toujours évoquée. L’acquisition foncière en Côte d'Ivoire existait depuis la colonisation mais à
grande échelle cela est un peu plus récente. Cela montre que l'approvisionnement des cultures
d’exportations est dominant dans les zones concernées. Cette pratique concerne toute la côte
d’ivoire sans épargner le Gontougo récemment beaucoup touché par des activités minières.

110
(C.K) MEEK, Land, Law and Customs in the Colonies, Oxford University Press, Londres, 1949, rééd. Frank
Cass, 1968.
111
(A.) KOBBEN, Le planteur noir, Abidjan, l.F.A.N., 1956, 219 p. (Agni et Bété).
112
(D.) PAULME, Une société de Côte-d'Ivoire d'hier et d'aujourd'hui: les Bété, Paris, Mouton et Cie, 205 p.
113
SIE Koffi, IBO Guéhi Jonas, histoire écologique du pays abron-kulango, Février 1990 p.3

58
Dans cette perspective, le juge de la terre toujours dans son élan de protection refuse
l’exploitation de la terre car dégradante. Les zones d’orpaillage ou encore d’exploitation de
Manganèse tel que SEREOUDE, POUGOUVAGNI, KOUASSI N’DAWA sont en pleine
dégradation de leur sol et des champs entiers détruits. En réponse, l’autorité traditionnelle de
KOUAFO-AKIDOM refuse d’accueillir des étrangers dans le sens d’une quelconque
exploitation minière.
Aussi, si l’Akan, en particulier l’Abron, est accueillant et hospitalier, il n’en demeure pas moins
qu’il soit vigilant, nous disait Nanan KRA Yao Ferdinand. En effet, la pratique à donner de
constater que certains peuples ont toujours eu des différends sur la terre quand on leur prête des
espaces cultivables. Les lobi vaillant peuple agriculteur sont presque sans limite quand il s’agit
de labourer la terre. Alors, le juge prend soin de bien délimiter la parcelle avant de la lui prêter.
Par-dessus tout lui signifier que cette terre n’est à lui mais la communauté du village. Quand le
juge connait les antécédents du demandeur de terre il préfère ne pas lui en donner tout
simplement. Voici là un comportement nouveau du juge qui dans le temps était plus souple
dans le partage, voire la cession de terres. Maintenant en plus de sa rigidité il devient efficient
dans l’utilisation des terres.

B- La notion de gestion efficiente et durable chez le juge traditionnel en pays Bron

La terre est la vraie richesse de l’Afrique subsaharienne. Ce continent est caractérisé par
une très grande diversité d’écosystèmes naturels, qui hébergent des ressources telles que les
sols, la végétation, l’eau et la diversité génétique. Ces éléments constituent la principale richesse
naturelle de la région. Ils doivent être pérennisés afin que les populations africaines – qui en
tirent leur nourriture, l’eau, le bois, les fibres, les produits industriels et les fonctions et services
des écosystèmes – puissent continuer à y vivre. Dans le même temps, la terre fournit
directement les moyens d’existence à 60 pour cent des personnes, au travers de l’agriculture,
de la pêche en eau douce, de la foresterie et d’autres ressources naturelles114.

Mais la surexploitation menace sérieusement les ressources en terre et en eau dans quelques
régions, bien que la disponibilité de ces ressources y soit l’une des plus élevée sur terre. C’est
la conséquence directe des besoins croissants d’une population en pleine expansion, conjuguée
à des pratiques inappropriées de gestion des terres115. Ici, le juge traditionnel Bron démontre

114
Hanspeter Liniger, Rima Mekdaschi Studer, Christine Hauert, Mats Gurtner, La pratique de la gestion
durable des terres, Sous coordination de FAO, 2011, p.7

115
Idem

59
toute son attention à protéger la terre. Il préconise une alternance de cultures, la jachère afin
d’optimiser la fertilité du sol. La bonne santé et la fertilité des sols sont les fondements de la
productivité des terres. Les plantes obtiennent leurs nutriments par deux sources naturelles : la
matière organique et les minéraux. Etant pratiquant d’une agriculture pluviale il effectue en tant
que prêtre foncier des libations des sacrifices d’animaux afin que le ciel et les génies de la terre
soient cléments et qu’ils offrent un climat adapté aux cultures.

60
CHAPITRE 2 : UN LIEN CONSOLIDÉ PAR LES SANCTIONS PRONONCÉES PAR
LE JUGE TRADITIONNEL

La terre en Afrique et chez les Bron, nous l’avons souligné, est revêtue de sacralité.
Cette sacralité enveloppe les rapports entretenus sur la terre et prend en compte les sanctions.
Elles visent le plus souvent la consolidation des liens et prennent diverses formes selon qu’il
s’agisse de sanctions en cas de conflits de type direct (section 1) ou de sanctions en cas de
conflits fonciers du genre indirect (section 2).

SECTION 1 : LES SANCTIONS EN CAS DE CONFLITS DE TYPE DIRECT

Par le vocable conflit de type direct, nous voudrions désigner les conflits opposants des
acteurs physiques relativement à l’expression de leur prétention sur une terre. Ces
confrontations peuvent naitre entre les membres d’une famille et ou envers des alliés
(paragraphe 1) ou entre autochtones et allogènes (Paragraphe 2).

PARAGRAPHE 1 : LA CONFRONTATION EN FAMILLE ET LES ALLIÉS

La terre, bien suprême d’où l’Africain tire l’essentiel de ses moyens de subsistances 116ne
manque pas de faire l’objet de tension même entre membres d’une famille(A) ainsi qu’envers
les alliés(B).

A- La famille

La propriété de la terre en Afrique est indissociable du groupe. Ainsi, « la propriété


territoriale est restée, en Côte d'Ivoire, collective, soit dans la famille, soit dans le village ou la
tribu »117. La collectivité de la propriété foncière trouve plusieurs justifications. L’Afrique est
un continent où le communautarisme occupe une place prépondérante dans les rapports sociaux.
Ce communautarisme va rejaillir sur les rapports à la terre. Laquelle ne saurait en aucun cas
faire l’objet d’une appropriation individuelle. N’étant pas susceptible d'appropriation privée
individuelle, la terre est essentiellement le bien d'une collectivité donnée et les membres de
celle-ci y exercent des droits égaux. Il en résulte que les relations juridiques naissant de son
exploitation ne mettent pas en présence des individus isolés, mais des groupes.118 Cette nature
des rapports sera décrite par certains auteurs par l’expression communautarisme agraire119.Ce

116
KOUASSIGAN Guy-Adjété l’homme et la terre, Paris, éd ORTM, 1966, p.7.
117
J. L. BOUTILLIER, Bongouanou, Côte d'ivoire, Paris, Berger-Levrault, 1960
118
KOUASSIGAN Guy-Adjété l’homme et la terre, idem p.53.
119
KOUASSIGAN Guy-Adjété l’homme et la terre, ibidem.

61
communautarisme fait de la terre un bien inaliénable car elle doit être cédée aux autres
générations telle que reçue par les aïeux. La terre est donc un bien appartenant à la fois aux
membres actuels et futurs du groupe. Dans ces conditions elle ne peut être transmise par les
membres actuels au risque de piétiner sur les droits légitimes des membres à venir. Notons
cependant que d’autres explications sont données à l’inaliénabilité de la terre. En effet, en
Afrique, la terre est considérée comme un être et mieux un être sacré. Elle est mère. À ce titre,
elle nourrit et prend soin des siens en leur accordant les éléments nutritifs nécessaires à la
conservation de la vie et à l’entretien du corps. Elle est une divinité qui veille au bien-être des
siens. Enfin, la terre n'est pas un bien ordinaire. Elle occupe dans bien des panthéons locaux
une place spéciale. Elle n'est pas considérée dans sa simple matérialité, car pour beaucoup de
sociétés ouest africaines, elle est moins ce qu'elle représente que ce qu'elle suggère aux
hommes. Avant d'être source de richesses, elle est source de vie. Cette place particulière de la
terre dans les croyances traditionnelles est attestée par l'importance des rites agraires. Elle se
prête, mais ne se soumet pas aux hommes. Ceux-ci sollicitent d'elle plus qu'ils ne lui arrachent
l'essentiel de leur subsistance120. La terre est donc un bien particulier excluant toute prétention
de propriété individuelle. Elle appartient presque toujours à un groupe, lequel peut avoir une
étendue plus ou moins étendue à savoir une famille, un village ou une tribu. Étudiant la terre
sous l’angle familial, celle-ci met à la prise les membres d’un même groupe ayant des liens plus
ou moins étroits. Relevons que la famille dans le contexte africain est loin d’être celle de type
occidental121. Les efforts d’analyse de la notion de famille en Afrique n’aboutissent toujours
pas aux mêmes conclusions. En effet, les auteurs sont partagés quant au contenu à donner à la
notion de famille. Selon Bourjol il existerait deux types de famille en Afrique noire : la famille
du type gentilice décadent et la famille du type féodal. Dans le premier cas la structure interne
de la famille rappellerait celle de la gens de l'ancien droit romain. Dominés par la forte
personnalité du pater gentis ou du pater familias, les autres membres de la famille ne peuvent
prétendre à une autonomie. Tout ce qui concerne la famille passerait par l'autorité du pater
familias. Dans le deuxième cas, selon cet auteur, la famille se restreindrait au ménage, les
pouvoirs du chef de famille élargie passeraient en grande partie au père autour duquel
graviteraient les enfants, les femmes, parfois les enfants mariés, les serviteurs. Dans ce même
type de famille, la propriété privée serait la règle et la propriété collective l'exception, le champ

120
KOUASSIGAN Guy-Adjété l’homme et la terre, idem p. 11.
121
KOUASSIGAN Guy-Adjété l’homme et la terre, idem p. 59.

62
de la propriété privée s'élargissant122. Une telle conception n’est cependant pas partagée par
tous les auteurs. Pour KOUASSIGNAN, Cette dichotomie ne semble pas donner une idée
exacte de la famille en Afrique noire et est plutôt de nature à en cacher la profonde unité123.
Quoi qu’il en soit la notion de famille en Afrique couvre une réalité plus large que la conception
que l’occident a de la famille. R. Lowie définit la famille comme « l'unité sociale fondée sur le
mariage »124. Cette définition, déjà trop étroite pour s'appliquer à la famille du type européen,
l'est encore davantage quand il s'agit de la famille africaine. Pour mieux caractériser celle-ci,
nous dirons que, d'une manière générale, se reconnaissent comme étant membres d'une même
famille les individus liés entre eux par des liens de parenté impliquant des obligations de
solidarité sanctionnées par le droit. Ceci nous amène à une analyse préalable de la notion de
parenté elle-même. D'une manière générale, la notion de parenté implique celle de
consanguinité, en ce sens qu'elle suppose un certain lien physiologique. Sans nier l'importance
de celui-ci, une observation plus poussée des faits oblige à reconnaître, d’après Durkheim que
la consanguinité n'est pas un élément fondamental de la parenté125. En effet, en Afrique noire,
sont considérés comme membres d'une famille donnée, des individus qui n'ont aucun lien
physiologique avec l'ancêtre fondateur du groupement familial considéré. C'est le cas des
serviteurs, clients, esclaves affranchis, et même des travailleurs étrangers participant aux
activités communes126. Outre ce dernier cas où la famille s'agrandit par l'incorporation de gens
qui lui ont rendu des services particuliers127, il existe d'autres procédés d'établissement de liens
de parenté en Afrique noire. C'est d'abord la parenté classificatoire de Morgan que l'on retrouve
dans certaines régions d'Afrique noire. Il s'agit d'une parenté où un même nom désigne non pas
un individu, mais tout un groupe de personnes entre lesquelles il n'y a pas nécessairement un
lien de parenté physique128. Cette situation est parfaitement décrite par H. Labouret qui estime
que « ce système basé sur une nomenclature qui donne le même nom à certaines personnes,
pouvant n'avoir entre elles aucun lien de parenté physique, illustre la séparation du groupe
familial d'abord, de la société ensuite, en un certain nombre de générations, étagées... En
principe tous les membres de la même génération sont égaux, pourtant les plus âgés de chaque
catégorie jouissent de certains privilèges et exercent l'autorité... Cette parenté caractéristique a
une influence remarquable sur la dévolution du patrimoine dans la famille étendue. À la mort

122
M. BOURJOL, Théorie générale des coutumes africaines, thèse, Toulouse, 1952
123
KOUASSIGAN Guy-Adjété l’homme et la terre, idem p. 59.
124
R LOWIE, cité par KOUASSIGAN Guy-Adjété l’homme et la terre, idem p.60.
125
DURKHEIM, L'année sociologique, 1903, tome 1;
126
H. LABOURET, Paysans d'Afrique occidentale, Paris, Gallimard 1941, p. 138
127
CLAVIER, Coutumier coniagui, in Bulletin de l'IFAN, XIV, janv. 1952.
128
Lewis H. MORGAN, System of consanguinity and affinity of the human family, Washington, 1871;

63
du patriarche, il sera transmis au plus âgé de la plus ancienne génération »129. Il existe en dehors
de cette forme de famille, une autre forme de famille en Afrique dite parenté par plaisanterie.
Elle s'analyse en une sorte d'alliance entre clans ou fractions de clans et implique un devoir
d'assistance mutuelle et la faculté de s'insulter sans que cela puisse donner lieu à des disputes.
Comme le fait remarquer H. Labouret, le fait le plus important dans ce phénomène est moins
l'alliance que les obligations réciproques entraînées par elle. Il ressort que la notion de parenté
en Afrique noire n'implique pas nécessairement des liens physiques, et que c'est plutôt un
ensemble de rapports humains bien déterminés. Selon le mot de Claude Lévi-Strauss, « chaque
relation familiale définit un ensemble de droits et de devoirs »130. La famille africaine n’exclut
pas ces droits et devoirs nés de la relation familiale. Ceux-ci portent en grande partie sur la terre
en raison de la place particulière qu’occupe la terre en Afrique. Chaque membre de la famille a
le droit d’exploiter la terre et de bénéficier des fruits de la terre. Cette exploitation peut se faire
de façon collégiale. Dans ce cas, les cultures produites par la terre appartiennent à la collégialité.
Le chef de famille accompagné des chefs de foyer procède à la répartition des cultures récoltées
en tenant compte des besoins de chaque famille. L’exploitation de la terre peut aussi se faire de
façon individuelle. « Chaque ménage, entendu comme le groupe formé par les conjoints et leurs
enfants, dispose d'une certaine étendue du domaine collectif, dont l'exploitation lui fournit les
moyens de satisfaire les besoins laissés à sa charge. Dès lors, il jouit à l'intérieur de la grande
communauté familiale d'une autonomie et d'une liberté d'action dont on ne se rend pas toujours
compte, car à première vue il semble s'y fondre entièrement »131. Dans ce cas, les cultures
engrangées reviennent exclusivement à l’exploitant après s’être acquitté de la part qui revient
au chef de famille.

L’exploitation de la terre familiale par les membres de la famille ne se fait pas toujours
encore moins totalement à l’abri des litiges. La terre peut parfois se transformer en support et
ou cause de conflits entre familles. Les litiges portant sur la terre et opposant les membres d’une
même famille résultent de diverses situations. Il peut s’agir d’un désaccord sur les limites d’un
terrain, l’exploitation par un membre d’une parcelle appartenant à un autre membre, les
problèmes successoraux entre autres. Les litiges entre membres d’une même famille sont
résolus par le chef de famille assisté des chefs de foyer. Ce qui importe n’est guère de trouver
la partie qui a raison et celle qui a tort pour ensuite la sanctionner mais plutôt la dissipation d’un
malentendu qui n’affectera point les rapports familiaux. La préservation de ces rapports se

129
H. LABOURET, Paysans d'Afrique occidentale, Paris, Gallimard 1941, p. 140.
130
Levi STRAUSS, Les structures élémentaires de la parenté, PUF, 1949.
131
KOUASSIGAN Guy-Adjété l’homme et la terre, idem p. 70.

64
présente comme l’objectif principal du juge. C’est pourquoi, il est devenu populaire de dire
qu’en Afrique le juge ne tranche pas les litiges mais les dénoue. Cette idéologie qui guide le
juge va se répercuter sur les sanctions, lesquelles visent également la consolidation des liens
familiaux. Ainsi, à l’issue des échanges, la partie qui semble s’être écarté des coutumes ou
règles de la famille se voit imposé la sanction qui convient à sa faute. La sanction peut consister
en la délivrance de certains biens en nature notamment des produits vivriers, le paiement de
boissons consommées généralement sur le champ par toutes les parties. Il peut arriver que la
sanction consiste à faire amende honorable publiquement c’est-à-dire à présenter ses excuses
publiquement. La sanction peut aussi consister à payer une amende dans certains cas. Il s’agit
des cas où la victime aurait subi des dommages non réparables en nature. Elle vise à réparer le
dommage que l’une des parties aurait subi. Retenons que la sanction dans les litiges opposants
les membres d’une famille vise le rapprochement des parties en vue de garder intact les liens
de famille. Mais les litiges ne naissent pas qu’entre membres d’une famille. Ils peuvent survenir
à l’égard des alliés.

B- Les alliés

Comme relevé précédemment, la famille africaine s’analyse sous un angle élargie en ce


sens qu’elle prend en considération plusieurs réalités outre le lien de sang. A l’instar du sang,
les alliances constituent un socle à la formation de la famille. C’est qu’il existe des familles par
alliance. Celles-ci naissent du mariage. Contrairement à la conception occidentale, le mariage
en Afrique et chez les brons en particulier, s’analyse comme une union non pas entre deux
personnes mais comme l’union de deux familles. De cette union nait donc un lien d’alliance
entre chacun des membres des deux familles. En vertu de ce lien d’alliance, des portions de
terre sont accordées aux alliés devenus des membres de la famille. L’exploitation de la terre par
l’allié accouche parfois de certains litiges dont la résolution appellera l’intervention du juge.
Celui-ci sera amené à écouter les prétentions, arguments et explications des parties en vue de
résoudre le démêlé. Ici encore, la préservation du lien d’alliance sert de fil au juge. Il faut en
effet éviter toute rupture entre les membres des deux familles. Les sanctions visent donc le
rapprochement des parties litigantes et l’aplanissement de la tension et non à amplifier les
crises.

Outre l’alliance par le mariage, il existe en Afrique ce qu’on appelle l’alliance par plaisanterie.
Il s’agit de liens artificiellement créés entre deux peuples qui décident de vivre en toute
symbioses et impliquant la faculté de s’insulter mutuellement sans courir de risque. Les
alliances de ce type naissent généralement d’un sacrifice soit d’homme dans ce cas l’alliance

65
est dite chaude ou forte soit d’animal, l’alliance est dite simple. Le parent par plaisanterie peut
bénéficier de terre à cultiver. Les droits et obligations qui naitront peuvent dès lors engendrer
des litiges. Leur résolution fera intervenir le juge qui, comme c’est le cas généralement en
Afrique, reste guidé par la préservation des liens. Ainsi, les sanctions vont-elles viser la
réconciliation des parties.

PARAGRAPHE 2 : LA CONFRONTATION AVEC LES ALLOGÈNES

Une distinction est faite selon le type d’étranger qu’on reçoit chez soi. Il peut dans la
logique de la parenté à plaisanterie être un allié(A) ou un simple étranger (B).

A- L’étranger allié
Le communautarisme ambiant dans lequel vivent les peuples africain fait d’eux des
peuples fortement accueillants et hospitaliers. L’étranger est toujours le bienvenu et est traité
en toute dignité. Mieux lorsqu’il adhère au culte et rite de famille l’étranger peut se voit intégrer
dans la famille. Ainsi, au nom du principe d’hospitalité, les autochtones concèdent des terres
aux étrangers. L’étranger désireux de posséder une terre doit d'abord s'adresser au chef de la
famille à laquelle appartiennent les terres sur lesquelles ils veulent s'établir. Généralement
l'autorisation est accordée, car d'après les Mina, on n'est jamais trop nombreux. Selon Vieillard
le vrai capital, c'était l'homme132: faire partie d'une famille nombreuse et vigoureuse était le
souci constant de l'Africain, le prestige se mesurant au nombre des gens que l'on a autour de
soi. Dans les régions où les terres relèvent d'une autorité et les hommes d'une autre, l'installation
de l'étranger ne sera effective qu'après accord du chef politique. Dans tous les cas, l'autorisation
est gratuite, et la redevance que certaines coutumes exigent de l'étranger est plutôt symbolique
et s'interprète comme la reconnaissance de la souveraineté de la communauté qui l'accueille sur
ses terres. Il peut s'intégrer à la communauté qui lui offre l'hospitalité, souvent à condition qu'il
accepte le culte familial et en observe les interdits. Ceci arrive surtout chez les peuples dont
l'organisation sociale est fondée sur les liens de parenté. C'est ainsi que, chez les Kissi de la
Guinée ou les Lobi de la Haute Volta, l'étranger s'incorpore à la famille et en devient un membre
au même titre que les autres dès lors qu'il a accepté de vivre selon les règles d'inspiration
religieuse, communément observées. Chez d'autres peuples, l'étranger ne peut être incorporé à
la famille que si certains liens se créent entre lui et celle-ci. Ainsi chez les Ewé, l'étranger qui a
rendu service à un membre de la famille a l'aptitude à être considéré comme un membre de

132
VIEILLARD, Coutumiers juridiques de l'AOF, tome III, p. 144.

66
celle-ci. Quoi qu'il en soit, l'étranger, selon les coutumes ouest-africaines, c'est celui qui par lui-
même n'a aucun droit et ne peut bénéficier que des mesures de faveur. Une fois qu'il est admis
dans le village, on ne peut lui refuser la terre dont il a besoin pour lui-même et pour les siens.
Il bénéficie d'un droit d'usage à lui concédé à titre essentiellement précaire et révocable. Il n'est
cependant pas troublé dans l'exercice des droits qui lui sont accordés. Ainsi, on le laissera
cultiver les mêmes terres, sur lesquelles il peut revenir après la jachère, sans avoir à faire
d'autres démarches auprès du chef du village ou du maître de la terre. Cette constance dans
l'utilisation du sol va être à l'origine des prétentions des étrangers. Ceux-ci finissent par oublier
qu'ils n'ont qu'un simple droit d'usage et invoquent en quelque sorte l'usucapion pour se déclarer
propriétaires des terres133. Ces prétentions ne manquent pas de créer des désaccords qui obligent
le juge à s’impliquer pour rétablir les droits des parties. L’étranger qui viole les us et coutumes
du village et qui porte atteinte à ses obligations sur la terre s’expose à des sanctions allant des
moins sévères aux sanctions sévères prévues.

B- L’étranger simple

Ici, le juge est moins porté sur le relâchement des liens qui à la vérité n’ont pas de
fondement juridique. D’ailleurs, la résolution des litiges à l’égard des allogènes se présente
comme une occasion pour raviver les liens familiaux des autochtones. Si donc les droits de
l’étranger sur la terre sont protégés, il n’en demeure pas moins qu’il reste soumis à toute la
rigueur des coutumes dans le procès. Il peut donc se voir infliger les peines les plus sévères y
compris l’exclusion des terres. Il ressort que l’étranger peut bénéficier de certaines terres dont
l’exploitation peut conduire à des conflits. C’est pourquoi les concessions qui lui sont faites,
sont très souvent prévues à titre précaire et révocable134. Certains peuples vont jusqu’à interdire
certaines cultures notamment les cultures parraines susceptibles d’entrainer une exploitation à
longue durée de la terre. D’autres interdisent la concession de terre à certains étrangers
d’origines belliqueuses. C’est pourquoi chez les Bron, il est fortement interdit de concéder des
terres aux Lobi car jugés violents et agressifs mais surtout possessifs.

Les conflits ne sont, par ailleurs, pas toujours de type direct mais indirectement pratiqués
ou provoqués.

133
KOUASSIGAN Guy-Adjété l’homme et la terre, idem p. 148.
134
KOUASSIGAN Guy-Adjété l’homme et la terre, idem.

67
SECTION 2 : LES SANCTIONS DU JUGE EN CAS DE CONFLITS FONCIERS DU
GENRE INDIRECT

Les cas d’atteinte à la terre sont diverses et entrainent des réactions hétérogènes chez les
peuples Bron. Sacrée, la terre bénéficie d’une protection qui fait que certains comportements
sont défendus c’est-à-dire interdits sur les sols Bron. Il existe donc un certain nombre d’interdits
dont la violation implique des sanctions (paragraphe 1). De même, le non respects des cultes de
la terre entraine-t-il des sanctions que nous nous appliquerons à préciser (paragraphe 2).

PARAGRAPHE 1 : LES PROBLÈMES DE TERRE LIÉS AU NON-RESPECT DES


INTERDITS

Il est connu que la terre en Afrique est un bien sacré, un être vénérable et vénéré pour
lequel des interdits sont formulés. Ainsi, chez les brons, interdiction formelle est faite d’avoir
des ébats sexuels dans les champs (A) et d’y commettre des crimes de sang (B).

A- Les ébats sexuels au champ

De façon générale, les relations sexuelles constituent des actes sacrés, des sujets tabous
rarement abordés en Afrique. Les relations sexuelles sont donc strictement encadrées par la
coutume. Celle-ci condamne les relations à caractère sexuel entre certaines personnes. Ce qui
constitue le socle de l’interdiction de l’inceste en Afrique. Les relations sexuelles ne peuvent
également se dérouler à certains endroits notamment dans les champs. Cette interdiction trouve
sa justification dans la valeur particulière de la terre en Afrique. Nous l’avons précisé, celle-ci
est un être sacré sur lequel on doit se garder d’accomplir des actes reprouvés par la morale
africaine. Étant eux-mêmes sacrés, les ébats sexuels doivent avoir lieu dans une certaine
intimité peu importe la nature des rapports entre les parties. Ce qui signifie que même les
personnes mariés n’en sont pas exemptées. Elles ne peuvent assouvir à leurs devoirs conjugaux
à tous endroits notamment dans les champs. Les accomplir, serait une profanation de la terre et
entraine des sanctions. Celles-ci sont soient spontanées soit prononcées par le juge humain. Les
sanctions spontanées sont celles qui mettent à nu l’acte interdit lorsque les tourtereaux n’ont
pas été surpris lors de l’accomplissement de l’acte réprouvé. Ces sanctions spontanées sont
généralement des maladies incurables et étranges qui frappent les auteurs de l’acte sexuel. Il
s’agit entre de boutons d’une grosseur particulière, de dartres ou de plaies recouvrant tout le
corps et qui plongent le malade dans une grande détresse. Très souvent, les maladies résultant

68
des interdits sont connus des populations. Ainsi, lorsqu’elles se manifestent chez une personne,
elle est soumise à un interrogatoire par lequel le malade finit par avouer son acte.

Les sanctions ne frappent pas toujours que les auteurs et peuvent porter sur
l’environnement. En effet, lorsqu’un ébat sexuel est commis sur la terre, la sanction peut
consister en la cessation de toute pluie, l’avènement d’une grande sécheresse suivie de famine.
Lorsque ces évènements se produisent et pour avoir le cœur net, les anciens n’hésitent pas à
consulter les prêtres qui finissent par relever les causes et préciser si ces évènements sont la
résultante d’un interdit ou pas. Lorsque les preuves de la commission de l’ébat sexuel sont
rapportés suite à la manifestation de la colère de la terre, des rites doivent être accomplis pour
calmer la colère de celle-ci. Ces rites consistent en le sacrifice d’un animal dont le sang est
offert à la terre suivi de paroles d’apaisement du cœur de l’esprit de la terre. Lorsque les rites
sont accomplis, les auteurs passent en jugement. Ils doivent avouer publiquement leur acte et
présenter leur excuse à la terre et aux villageois. Ils sont, après quoi, voués à la vindicte
populaire qui les hue jusqu’à épuisement. Ils sont par la suite convoqués et amenés à jurer de
ne plus commettre le même acte. Généralement, les coupables retrouvent leur santé après
l’accomplissement des rites expiatoires de leur interdit.

Les ébats sexuels ne sont pas les seuls actes qui suscitent la colère de la terre, les crimes
en font partie.

B- Le crime de sang sur la terre

Le besoin de sécurisation des biens, personnes et services a fait naitre dans toutes les
sociétés des règles destinées à régir les rapports sociaux. Ces règles forment ce qu’il est convenu
d’appeler le Droit. Elles prévoient de nombreux interdits dont la violation entraine des
sanctions. Le crime occupe au nombre de ces interdits une bonne et importe place en ce sens
qu’il est interdit par la plupart des sociétés et cause un trouble grave au fonctionnement normal
et régulier de la société. Chez les brons, le crime est formellement interdit. Il se définit comme
un acte d’une gravité poussée et particulière. C’est pourquoi généralement le crime est
appréhendé sous un double aspect. Le premier spirituel avant de se réaliser matériellement sous
l’aspect physique. C’est que l’acte est tel qu’il dépasse la limite des fautes que pourraient
normalement commettre un être propriétaire de tout son être. Le criminel n’a pu commettre son
acte que parce qu’il a été poussé par un esprit malfaiteur. En dehors du caractère fortement
réprouvé du crime par la société Bron, le crime commis se présente comme une forte atteinte à
la terre. Là encore, la sacralité de la terre sert de justificatif. En effet, si la terre est un être, il est

69
aussi et surtout un être plein de douceurs, gage de la paix entre les aïeux et les contemporains.
Cette douceur de la terre se doit d’être préservée et tout acte de nature à la perturber est interdit.
Or le crime se présente comme un acte extrêmement violent et méchant qui s’oppose au
paradigme prôné autour de la terre. C’est pourquoi sa commission se présente comme une
atteinte à la terre qui se doit d’être extirpée. Plusieurs actes sont considérés comme étant des
crimes. Il s’agit entre autre, du meurtre, de l’assassinat, du viol et de l’empoisonnement. Ainsi,
lorsque l’une de ces interdictions est violée dans les champs, la terre se trouve souillée. Par voie
de conséquence, elle doit être épurée et apaisée de sa colère. L’apurement se fait en deux phases.
Une première à travers des offrandes faite à la terre en vue de demander sa clémence à l’égard
du coupable et d’apaiser son exaspération dont les conséquences peuvent mettre en mal les
conditions de vie du peuple. Il s’agit d’offrir à la terre un sacrifice destiné à couvrir le mal
commis. Le sacrifice peut être accepté ou refusé ou même partiellement accepté. Dans tous les
cas des signes précis servent d’indices d’interprétation du sort du sacrifice. Lorsque le sacrifice
est accepté, il a pour avantage de mettre fin ou d’éviter les sanctions que la terre prononcera.
Son refus entraine la manifestation de ses sanctions qui en ce cas précis relève de sa seule
volonté et ne sont donc pas, de ce fait, connus. Dans ce cas, un autre sacrifice est fait. Il se
différencie du premier par la renégociation des termes juratoires en revoyant à la baisse les
faveurs demandées. Il s’agit de promettre des sanctions précises et sévères à l’égard du criminel.
Le nouveau sacrifice peut être entièrement accepté ou partiellement. Dans le dernier cas, la terre
se propose d’accéder à certaines demandes et d’en refuser d’autres en se chargeant elle-même
d’infliger certaines sanctions.

La deuxième phase a lieu lors du procès du criminel. Il est généralement représenté par un
membre de la famille, un porte-parole, généralement un ancien qui lui sert de défenseur à sa
cause. Lorsque le criminel est un étranger, il se représente lui-même. Le tribunal du village
s’assure que les conditions du procès sont réunies, les parties sont entendues et les témoins sont
par la suite appelés à donner leur témoignage lorsque le criminel n’avoue pas son acte. Il peut
à la suite du procès être reconnu coupable ou non coupable. S’il est reconnu non coupable, il
ne se voit guère infligé de sanctions. De même, l’accusateur est amené à lui présenter ses
excuses dans la vue de préserver les liens et d’anticiper sur l’expression de tout sentiment de
haine entre les parties. Si au contraire, il est reconnu coupable, des sanctions lui sont appliquées.
Ces sanctions sont entre autre l’amende, les huées publiques, parfois des coups de fouets et
enfin l’exclusion de la communauté. Une fois ces sanctions prononcées, la terre peut retrouver

70
sa quiétude et renoue avec la communauté. Laquelle peut être perturbée en cas de non respects
des cultes à elles dédiées.

PARAGRAPHE 1 : LE NON-RESPECT DES CULTES DE LA TERRE

Les religions de la Terre sont un ensemble de religions et de croyances incluant la


vénération de la Terre ou de la Nature en tant que principe supérieur ou divinité, tels que le
bouddhisme, fétichisme ou le polythéisme. Généralement, ces religions sont de nature
panthéiste135, c’est-à-dire que la divinité suprême y est considérée comme étant immanente à
l'Univers : elle est toute création, et se retrouve donc en toute chose existante, y compris les
êtres vivants et les humains. Chaque lieu, chaque créature, chaque pensée est considérée comme
étant une parcelle du divin, et possède par conséquent un caractère sacré. Cependant, il est
courant que certains lieux ou certaines créatures soient considérés comme relevant plus du sacré
que d'autres. La place spéciale que la terre occupe dans les religions traditionnelles ouest-
africaines explique les cultes qui lui sont rendus et la signification ontologique de son
exploitation136. Dans les cultes agraires, le maître de la terre, en sa qualité d'intermédiaire entre
les hommes qui exploitent la terre et les esprits qui habitent celle-ci joue en quelque sorte le
rôle de « prêtre foncier »137. C’est lui qui va accomplir certains cultes telles que les offrandes
annuelles (A) aux génies ou dieux de la terre ou encore les tributs reversés à ces derniers en cas
de violation des interdits de la terre (B).

A- Les offrandes annuelles

Les paysans ouest-africains divisent l'année en plusieurs périodes, dont chacune est
consacrée à des activités déterminées. Ils emploient surtout le calendrier naturel déterminé par
la position du soleil et l'apparition de certaines étoiles ou constellations qui permettent la
prévision des manifestations de divers phénomènes naturels jouant un rôle déterminant dans
l'agriculture. Certains annoncent le commencement de la saison des pluies, d'autres l'arrivée de
la saison favorable à l'ensemencement des champs, d'autres encore l'approche de la période des
grandes chaleurs, donc des moissons. Chaque phénomène naturel, jouant un rôle dans
l'agriculture est classé et symbolisé138.

135
Le panthéisme est une doctrine philosophique selon laquelle « Dieu est tout ». Elle se distingue du monothéisme
en considérant que Dieu n'est pas un être personnel distinct du monde, mais qu'il est l'intégralité du monde ; cette
conception est appelée l'immanence par opposition au principe de transcendance du Dieu créateur monothéiste.
136
KOUASSIGAN Guy-Adjété, l’homme et la terre, op. cit. p.128
137
KOUASSIGAN Guy-Adjété, l’homme et la terre, idem
138
Idem

71
En effet, chez les Abron pour que l’année soit abondante, le culte à la terre se fait en début
d’année par le chef du village. Lors de cette fête, les chefs de familles offrent des sacrifices aux
mânes, aux ancêtres, aux dieux (des eaux, des cultures, etc.), de les avoir protégés, de leur avoir
donné la santé, l'abondance (dans la culture), la richesse, etc. Ils offrent les prémices de la
nouvelle igname, de la boisson ("gin"), ainsi que l'immolation des animaux comme poulets,
moutons ou bœuf, en fonction des moyens de la famille. Après cette cérémonie, les anciens sont
autorisés à consommer ce nouveau tubercule d’igname.

Cette fête n’est pas seulement de la réjouissance mais aussi porte des idées politiques. En effet,
c’est le lieu de réajuster toute l’organisation du royaume. Chacun doit connaitre sa place. De
plus, c’est le lieu de renouer le lien avec les ancêtres. Qu’ils sachent que leur héritage qu’est la
terre subsiste. Par exemple, le chef du village de Kouafo-Akidom doit envoyer un émissaire
remettre des nouveaux tubercules issus de sa terre sans quoi le chef de la province Akidom ne
peut consommer des ignames.

Comme l’on ne peut être parfait en tout temps et en tout lieu il arrive des fois où des
violations soient commises ; alors il faudra payer un tribut aux ancêtres en vue de les apaiser.

B- les tributs en cas de violations

La terre est un bien sacré, et ce caractère se traduit par la nature particulière des liens
qui l'unissent aux hommes qui en prennent possession. D'autre part les rites qui, le plus souvent,
accompagnent sa mise en valeur manifestent encore davantage ce caractère sacré139.

Ainsi, l'ordre que défendent les ancêtres proches est tout d'abord celui qui a été établi par leurs
aïeux mythiques et les fondatrices ou fondateurs. La violation de devoirs suscite toujours une
réaction des ancêtres, celle-ci pouvant être immédiate ou survenir à long terme. Cette réaction
peut revêtir des formes très diverses : intempéries, sécheresses, inondations, mort de bétail,
maladies, décès140. Dans le sillage d’une pensée pareille à celle-ci, les Abron savent que la terre
est sacrée ; par conséquent le juge de la terre, en cas de violation, sait qu’il faut des offrandes
sacrificielles pour renouer avec les génies pour ne pas que tous subissent leur courroux. Les cas
les plus récurrents sont la violation de certains interdits comme le non-respect des jours de repos
ou encore les ébats sexuels au champ. Dans ces cas, l’on demande l’immolation d’animaux tels
qu’un poulet, un cabri, un mouton, souvent même un bœuf.

KOUASSIGAN Guy-Adjété, l’homme et la terre, idem p.111


139
140
Séraphin NÉNÉ BI, histoire du droit et des institutions méditerranéennes et africaines des origines à la fin du
moyen-âge européen, Op. Cit. p.98

72
CONCLUSION

La présente étude, axée sur la problématique de la terre et du juge dans les sociétés
traditionnelles africaines, a cherché à présenter la relation qui puisse exister entre les deux
entités chez le peuple Abron. La terre en tant que socle de toute chose et le juge en tant que
personnalité ; présentés simplement, est un risque d’incompréhension ou pourrait prêter à
confusion. Pour rendre compte de la réalité traditionnelle africaine, il faut porter un autre
regard dans l’analyse des institutions traditionnelles africaines. Celui de l’idéologie, de la
contextualisation de ces institutions. Car, comme le signifie le professeur Séraphin NÉNÉ BI,
dans cette ancienne Afrique, il est quasi impossible de distinguer institution privé et institution
politique141.

Ainsi il ressort, d’une part que les deux concepts terre et juge, sont dans une liaison
quelque peu complexe. Étant à cheval entre le matériel et l’immatériel et surtout dans le
contexte traditionnel africain il est difficile de les enfermer dans des définitions claires encore
moins quand il s’agit de la société traditionnelle Abron. Le cas Abron n’est pas isolé. Il
s’apparente avec d’autres Akan tel que les baoulé ou encore Agni. Au-delà de nos frontières, la
conception de la terre trouve certains points communs en Afrique noire. Ainsi, le professeur
NÉNÉ BI Séraphin pense que cette dualité de la terre qui explique que sa surface et sa
profondeur sont considérées comme des lieux où se rencontrent à la fois le sacré et la réalité
matérielle142. D’autre part, la terre et le juge se présentent comme un couple indissociable. Dans
la mesure du possible, le second se doit de protéger le premier et de veiller au respect du pacte
originel avec les génies de la terre.

Une certaine complémentarité doit subsister. C’est ce que nous apprend KOUASSIGAN
Guy-Adjété au travers des divers rites agraires qui révèlent la nature particulière des liens qui
unissent les hommes à la terre. Celle-ci avant tout est une divinité, pour la plupart des peuples
ouest-africains, et sa prise de possession ne peut être analysée comme un simple acte
d'occupation. Elle comprend celle-ci et la dépasse, ce qui explique la mission particulière du
maître de la terre dans la collectivité villageoise143. Le rapport Afrobarometer 2021 confirme
le rôle important des chefs traditionnels (juge traditionnel) au sein de la société ivoirienne. Les

141
Séraphin NÉNÉ BI, Histoire du droit et des institutions méditerranéennes et africaines, les éditions ABC,
Abidjan, 2016, p. 10.
142
Séraphin NENE BI, Idem p.136
143
KOUASSIGAN Guy-Adjété l’homme et la terre, op. cit p.131

73
autorités traditionnelles jouissent d’une confiance stable auprès de leurs concitoyens, d’une
grande influence dans la résolution des conflits et de l’augmentation des contacts avec la
population. Cependant, malgré la reconnaissance de l’effort d’écoute et de l’influence de ces
derniers sur le vote des membres de leurs communautés, très peu d’Ivoiriens souhaitent les voir
donner des consignes de vote. Nous convenons ainsi avec le professeur Séraphin NÉNÉ BI
quand il soutient qu’il y a un partage « entre le droit moderne et le droit traditionnel : les
institutions concernant l’État, l’Administration, l’économie de type industrielle relève du
premier - ces institutions semblent loin de la population, tandis que les règles traditionnelles
continuent à s’imposer pour la parenté, le mariage, les successions, le régime des terres »144.
Il demeure cependant vrai que certains Abron, trop plongés dans le modernisme, préfèrent s’en
tenir à la justice dans sa conception moderne, mais ils sont généralement rattrapés très vite par
les réalités sociales. C’est pourquoi le professeur ne se trompe pas en soutenant que «
l’Africain, même détribalisé, individualisé, reste fortement imprégné de mentalité collective
et solidement attachée à la solidarité familiale. Plus d’un siècle de présence de l’État
moderne […] n’empêche pas l’ensemble de la population de vivre sous le régime de la
coutume. Même les citadins, demeurent fidèles, du moins en leur cœur, à la loi de leurs
ancêtres »145 .

Encore une fois, le déphasage entre le droit se trouve en inadéquation avec les réalités
de ceux à qui il doit s’appliquer, il y a une sorte d’insatisfaction qui obliige l’Abron à s’en
remettre tout entier à la coutume, la loi devient ainsi vide de sens pour lui et l’État s’affaiblit
par la même occasion. Rappelons que le droit ne se conçoit pas hors de la société mais dans la
société. Alors, « bien qu’affaiblit, le droit traditionnel, risque de continuer à se « perpétuer »
dans la mesure où le droit moderne qui lui est opposé ne correspond pas en général,
aux aspirations, à la satisfaction des besoins juridiques et sociaux, au vécu, de la majorité
de la population »146. En ce qui concerne le foncier, il reste difficile d’effacer du revers de la
main les us et coutumes de nos parents et ancêtres. Et malgré l’État de droit, « un bras de fer »
continue entre État et Autochtones. Il est alors pressant que les lois des États africains soient le
reflet des réalités sociales et valorisent les institutions traditionnelles qui, nous pensons ont
encore un rôle primordial à jouer.

144
Séraphin NÉNÉ BI, La terre et les institutions traditionnelles africaines : le cas des Gouro de Côte d’Ivoire,
thèse unique pour l’obtention du doctorat en droit option histoire des institutions, université de Cocody, 5 avril
2005, p 507.
145
Séraphin NÉNÉ BI, idem p.509
146
Séraphin NÉNÉ BI, ibidem.

74
ANNEXES

75
ANNEXE 1

76
ANNEXE 2

77
Questionnaire
Pour mener à bien nos recherches, nous sommes convenus de mener des entretiens
auprès de personnes ressources pour être mieux renseigné sur notre sujet. À cette fin, il a été
élaboré le questionnaire dont la teneur suit. Il sera laissé à l’enquêté de se prononcer librement
selon sa motivation. Les entretiens se dérouleront exclusivement dans le royaume Bron.

1- Bonjour (nanan, monsieur), pouvez-vous vous présenter ?


2- Pouvez-vous nous présenter le royaume Bron son organisation et son fonctionnement
3- Qu’est-ce que la terre pour le Bron ?
4- Qui est le juge traditionnel en pays Bron ?
5- Quelle nature attribuez-vous aux deux entités ?
6- Comment le Bron accède-t-il à la terre ?
7- Comment la cède-t-il à une autre personne ?
8- Dans une dimension spirituelle, n’y a-t-il pas des choses qui échappent au contrôle du juge
en ce qui concerne la terre ?
9- Dans une dimension spirituelle, comment est-ce que le chef résout les problèmes de terre ?
10- De façon physique comment procède-t-il ?
11- Y’a-t-il une pratique connue et applicable à tous ?
12- Des détails sur la procédure de résolution des conflits fonciers
 Selon un membre du même groupe
 Selon un allié
 Selon un étranger
13- Existe une punition en cas violation des règles foncières chez les Bron ?
14- Quelle ampleur pour :
 Un membre du groupe ?
 Un allié ?
 Un étranger ?
15- Des cas pertinents de règlement de conflits en pays Bron
16- Les possibles causes de conflits fonciers en pays Bron
17- Quelle part des ancêtres dans la résolution des problèmes liés à la terre
18- Arrive-t-il que le juge puisse se tromper ?
19- Avez-vous connaissance de l’existence d’un juge corrompu ?
20- Que faire dans les deux cas précédant ?
21- Qui peut révoquer le juge ?

78
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

Sources

- Nanan KOUADIO FODJO

Notable et conseiller juridique du roi KOSSONOU APINM, entretien réalisé le

20/11/2020 ; entretien téléphonique réalisé le 27/11/2020

Contact : +225 09426780

- Nanan KRA Yao Ferdinand

Notable du chef de village de KOUAFO AKIDOM, entretien réalisé le 22/11/2020 ;

Contact : +225 0759778924

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Thèses

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 BRENOUM Kouakou David, Le pays Bron : espaces et sociétés, thèse soutenue à l’Université
Felix Houphouët Boigny, Abidjan Novembre 2012 549 pages
 KOUADIO Kouassi Louis, « la famille et la terre en Côte d’Ivoire : le cas des Baoulé », Thèse
unique pour le Doctorat en Droit présentée et soutenue publiquement Le 13 Septembre 2017,
437 pages

83
INDEX

84
INDEX DES NOTIONS ET EXPRESSIONS

conflits · 8, 9, 11, 13, 14, 27, 34, 36, 40, 41,


A 47, 49, 52, 54, 55, 61, 64, 67, 74, 78, 81
confrontation · 13
Abron · V, VI, 9, 10, 11, 14, 16, 18, 19, 20,
coutume · 24, 35, 42, 46, 68, 74
21, 22, 23, 24, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33,
croyances · 23, 43, 62, 71
34, 38, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 48, 49, 50,
culte · 30, 31, 66, 72, 82
52, 53, 55, 56, 57, 59, 72, 73, 74, 88
cultures · 8, 21, 29, 40, 43, 47, 58, 60, 64,
acquisitions · 58
67, 72
Administration · 74
Afrique · 8, 9, 10, 13, 16, 17, 21, 23, 27, 29,
30, 31, 32, 34, 37, 40, 42, 47, 49, 53, 54, D
55, 57, 58, 59, 61, 63, 64, 65, 68, 73, 79,
dieu · 29
80, 81, 82
dieux · 22, 28, 29, 30, 31, 33, 53, 57, 71, 72
Akan · V, 12, 15, 16, 17, 18, 21, 24, 35, 59,
différends · 59
73, 83
droit · V, 8, 9, 10, 12, 13, 23, 24, 27, 32, 34,
amende · 65, 70
36, 37, 38, 39, 41, 45, 46, 47, 48, 50, 52,
ancêtres · 12, 14, 22, 23, 28, 29, 30, 33, 34,
53, 54, 55, 56, 57, 62, 67, 72, 73, 74, 79,
38, 40, 44, 46, 57, 72, 74, 78
80, 81, 82, 89
appropriation · 8, 10, 27, 41, 45, 52, 53, 57,
droit coutumier · 10, 41, 52, 55
61, 80
droit des pratiques · 45
autonomie · 35, 62
droit positif · V, 36, 45, 48, 53, 55, 56, 89
droit traditionnel · V, 9, 24, 34, 45, 46, 48,
B 55, 74
bien · II, V, 8, 9, 12, 13, 14, 19, 21, 22, 23,
31, 33, 34, 35, 40, 47, 48, 50, 52, 58, 59, E
61, 68, 72, 74, 78
environnement · 32, 33, 45, 56, 69
erreurs · 34, 35, 36
C esprits · 22, 30, 47, 71
État · 8, 20, 27, 35, 36, 37, 39, 47, 56, 74,
cession · 56, 57, 59, 89
83
chef de village · 32, 33, 35, 38, 43, 53, 79
chef du village · V, 11, 28, 29, 36, 47, 53,
55, 67, 72, 89 F
chefferie · 35, 39, 43, 47, 54
famille · V, 11, 22, 27, 28, 29, 32, 38, 42,
colonisation · 8, 13, 36, 41, 42, 47, 49, 58,
53, 54, 61, 64, 65, 66, 70, 72, 83, 89
79, 81, 82
foncier · V, 8, 9, 10, 11, 12, 14, 23, 27, 29,
communauté · 21, 23, 27, 28, 29, 31, 32, 33,
34, 44, 46, 48, 49, 52, 53, 60, 71, 74, 79,
38, 54, 57, 59, 64, 66, 70
80, 82
condamnés · 48

85
fonciers · 9, 13, 14, 34, 36, 41, 43, 46, 49, L
52, 53, 54, 55, 56, 61, 78, 79, 80, 81, 82
forêts · 27, 28, 29, 32, 43, 56 libations · 60
limites · 23, 31, 32, 36, 40, 41, 42, 43, 44,
45, 64
G
litiges · 11, 12, 13, 14, 43, 47, 53, 64, 65,
gestion · 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 29, 37, 40, 66, 67
43, 45, 49, 52, 53, 55, 56, 58, 59, 83, 89
gestion des terres · 50, 58, 59 M

mariage · 14, 63, 65, 74


H
mode · 12, 13, 14, 33, 57
homme · 11, 12, 13, 17, 23, 27, 31, 33, 41, moderne · V, 8, 9, 12, 13, 36, 37, 47, 50, 74
53, 55, 57, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 71,
72, 73, 79, 81 N
hommes · 8, 11, 16, 17, 19, 21, 22, 27, 28,
29, 30, 31, 43, 49, 53, 58, 62, 66, 71, 72, nature · V, VI, 11, 28, 33, 35, 38, 44, 61, 65,
73 68, 70, 71, 72, 73, 78, 82
notable · 29, 36, 48
I
O
indépendance · 35, 46
instabilité · V, 33 offrandes · 28, 29, 33, 70, 71, 72, 89
institutions · V, 9, 10, 12, 14, 21, 39, 40, 45,
54, 72, 73, 74, 80, 83 P
intermédiaire · 27, 28, 29, 43, 71
partage · 16, 43, 56, 57, 59, 74, 89
peuple · 9, 10, 11, 14, 16, 17, 18, 19, 21, 23,
J
28, 30, 37, 41, 42, 44, 45, 48, 59, 70, 73,
juge · V, 9, 11, 12, 13, 14, 27, 28, 29, 31, 88
32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 47, 48, 50, politique · V, 8, 11, 12, 16, 21, 22, 23, 24,
52, 53, 55, 56, 58, 59, 65, 66, 67, 68, 72, 33, 35, 36, 37, 38, 39, 43, 44, 50, 66, 73,
73, 78, 88, 89 80, 88
jugement · 11, 34, 35, 69 pouvoirs · 39, 43, 44, 49, 62, 81, 82
justice · 12, 13, 34, 35, 38, 39, 47, 48, 50, pratique · 13, 14, 17, 21, 28, 33, 46, 53, 58,
56, 74, 81 59, 78
justiciable · 48, 50, 55, 56, 89 problème · 12, 34, 36, 37, 40
profanation · 68
propriétaire · 28, 29, 41, 69
K
propriété · 8, 10, 27, 45, 52, 53, 55, 57, 61,
koulango · 42, 43, 45, 81 79, 82

86
Q T

qualité · 27, 28, 29, 31, 34, 35, 71 terre · V, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 18, 23, 27,
28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 36, 38, 39, 40,
R 41, 42, 43, 44, 45, 47, 48, 50, 52, 53, 54,
55, 56, 57, 58, 59, 61, 62, 63, 64, 65, 66,
régime · 22, 29, 52, 54, 57, 74, 82 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 78, 79, 80,
religions · 71 81, 82, 83, 88, 89
richesse · 22, 42, 59, 72 traditionnel · V, 11, 12, 13, 14, 27, 28, 32,
rites · 27, 30, 31, 43, 44, 62, 69, 72, 73, 81 33, 34, 35, 36, 37, 38, 41, 42, 43, 45, 47,
rites expiatoires · 69 48, 49, 50, 52, 53, 55, 56, 59, 73, 78, 89
rituels · 23, 33, 43 tribunal · 50, 70

S U

sacré · V, 10, 27, 28, 33, 35, 45, 52, 62, 68, union · 65
71, 72, 73, 79 univers · 23, 57
sacrifices · 22, 28, 29, 30, 33, 43, 44, 60, 72
sanctions · 45, 46, 61, 65, 66, 67, 68, 69, 70, V
88
sang · 65, 68, 69, 89 vénération · 71
société traditionnelle · V, 32, 73 village · VI, 21, 32, 35, 36, 43, 44, 47, 53,
sociologie · 9, 42 59, 61, 67, 70
sol · 10, 11, 29, 32, 43, 59, 60, 67 volonté · 42, 43, 47, 53, 70
solidarité · 63, 74
source · V, VI, 23, 28, 39, 53, 62 Z
spirituel · V, 27, 33, 45, 46, 69, 88
surnaturel · 46 zone · 8, 10, 13, 40
système · 16, 17, 23, 32, 34, 41, 42, 45, 46,
49, 55, 63

87
TABLE DES MATIÈRES

AVERTISSEMENT ................................................................................................................................. I

REMERCIEMENTS ............................................................................................................................... II

DÉDICACE.......................................................................................................................................... III

SOMMAIRE ........................................................................................................................................ IV

RÉSUMÉ ............................................................................................................................................... V

INTRODUCTION ................................................................................................................................. 7

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE : GÉNÉRALITÉ SUR LA SOCIÉTÉ ABRON ....................... 16

SECTION 1 : LE ROYAUME ABRON ........................................................................................ 16

PARAGRAPHE 1 : LA FORMATION DU ROYAUME ............................................................ 17

A- La migration ...................................................................................................................... 17

B- L’installation et la conquête ............................................................................................. 21

PARAGRAPHE 2 : L’ORGANISATION DU ROYAUME ........................................................ 22

A- La structure socio-culturelle .............................................................................................. 22

B- La structure juridico-politique ........................................................................................... 23

PARTIE 1 : LA TERRE ET LE JUGE, UN MARIAGE DIFFICILE ........................................... 26

CHAPITRE 1 : UNE COMPLEXITÉ TENANT A LA NATURE DE LA TERRE ................. 27

SECTION 1 : LA TERRE UN PHÉNOMÈNE SACRÉ .............................................................. 28

PARAGRAPHE 1 : LA TERRE UN OBJET SACRÉ PAR NATURE ........................................ 28

A- Une dimension divine de la terre ....................................................................................... 29

B- Une dimension ancestrale de la terre ................................................................................. 30

PARAGRAPHE 2 : LA TERRE PHÉNOMÈNE SACRÉ OBJET DE PROTECTION PAR LE


JUGE TRADITIONNEL ............................................................................................................... 31

A- Une protection physique .................................................................................................... 32

B- Une protection spirituelle .................................................................................................. 33

SECTION 2 : LE JUGE TRADITIONNEL, FOSSOYEUR DES TERRES ............................. 34

PARAGRAPHE 1 : LA FRÉQUENCE DES ERREURS DE JUGEMENT ................................. 34

A- Le manque de maitrise du terrain ...................................................................................... 35

B- L’interférence de facteurs extérieurs ................................................................................. 36

88
PARAGRAPHE 2 : LA CRÉDIBILITÉ PARFOIS DOUTEUSE DU JUGE TRADITIONNEL 37

A- La légitimité parfois douteuse du juge .............................................................................. 38

B- L’interférence avec les intérêts du juge ............................................................................. 38

CHAPITRE 2 : UNE COMPLEXITÉ LIÉE AUX MÉCANISMES FONCIERS


TRADITIONNELS EXISTANTS .................................................................................................. 40

SECTION 1 : DES MÉCANISMES NORMATIFS LIMITÉS ................................................... 40

PARAGRAPHE 1 : UNE LIMITE DU FAIT PROFUSION NORMATIVE TRADITIONNELLE


....................................................................................................................................................... 41

A- Les normes des propriétaires originels : les coutumes Koulango...................................... 42

B- Les normes du peuple conquérant : les coutumes Abron ................................................. 44

PARAGRAPHE 2 : UNE LIMITE LIÉE A L’IMPRECISION DES RÈGLES


TRADITIONNELLES .................................................................................................................. 44

A- Imprécision tenant au délai ................................................................................................ 45

B- Des sanctions liées parfois au spirituel .............................................................................. 46

SECTION 2 : DES INSTITUTIONS TRADITIONNELLES LACUNAIRES .......................... 46

PARAGRAPHE 1 : UNE ABSENCE DE COORDINATION PARFOIS OBSERVÉE DANS


LES PROCÉDURES TRADITIONNELLES ............................................................................... 47

A- Des lacunes tenant à la compétence .................................................................................. 47

B- Des lacunes liées à l’exécution des décisions .................................................................... 48

PARAGRAPHE 2 : UN DYSFONCTIONNEMENT INSTITUTIONNEL SOUVENT


CONSTATÉ ENTRE DIGNITAIRES TRADITIONNELS ......................................................... 49

A- Des lacunes tenant aux discordes internes ......................................................................... 49

B- La partialité dans les enquêtes diligentées ......................................................................... 50

PARTIE 2 : LA TERRE ET LE JUGE UN COUPLE INSÉPARABLE ....................................... 51

CHAPITRE 1 : UN LIEN AFFIRMÉ PAR LA PROTECTION ET LA GESTION


TRADITIONNELLES DES TERRES PAR LE JUGE ............................................................... 52

SECTION 1 : UNE PROTECTION TRADITIONNELLE DES TERRES ............................... 52

PARAGRAPHE 1 : UNE PROTECTION PRIORISANT L’INTERVENTION DU JUGE


TRADITIONNEL ......................................................................................................................... 53

A- Les patriarches ou le chef de village ................................................................................. 53

B- La cour royale .................................................................................................................... 54

89
PARAGRAPHE 2 : UNE ALTERNATIVE DE RECOURS AU DROIT POSITIF .................... 54

A- L’Insatisfaction d’un justiciable ........................................................................................ 55

B- Le justiciable priorisant le droit positif.............................................................................. 55

SECTION 2 : UNE GESTION TRADITIONNELLE DES TERRES À GÉOMÉTRIE


VARIABLE ...................................................................................................................................... 56

PARAGRAPHE 1 : GESTION TRADITIONNELLE DES TERRES PAR LE JUGE ................ 56

A- Le partage des terres .......................................................................................................... 57

B- La cession des terres .......................................................................................................... 57

PARAGRAPHE 2 : GESTION NOUVELLE DES TERRES PAR LE JUGE ............................. 58

A- Le revirement du comportement du juge face aux attitudes des autres ethnies ................. 58

B- La notion de gestion efficiente et durable chez le juge traditionnel en pays Bron ............ 59

CHAPITRE 2 : UN LIEN CONSOLIDÉ PAR LES SANCTIONS PRONONCÉES PAR LE


JUGE TRADITIONNEL ................................................................................................................ 61

SECTION 1 : LES SANCTIONS EN CAS DE CONFLITS DE TYPE DIRECT ..................... 61

PARAGRAPHE 1 : LA CONFRONTATION EN FAMILLE ET LES ALLIÉS ....................... 61

A- La famille .......................................................................................................................... 61

B- Les alliés ............................................................................................................................ 65

PARAGRAPHE 2 : LA CONFRONTATION AVEC LES ALLOGÈNES .................................. 66

A- L’étranger allié .................................................................................................................. 66

B- L’étranger simple............................................................................................................... 67

SECTION 2 : LES SANCTIONS DU JUGE EN CAS DE CONFLITS FONCIERS DU


GENRE INDIRECT ........................................................................................................................ 68

PARAGRAPHE 1 : LES PROBLÈMES DE TERRE LIÉS AU NON-RESPECT DES


INTERDITS .................................................................................................................................. 68

A- Les ébats sexuels au champ ............................................................................................... 68

B- Le crime de sang sur la terre.............................................................................................. 69

PARAGRAPHE 1 : LE NON-RESPECT DES CULTES DE LA TERRE................................... 71

A- Les offrandes annuelles ..................................................................................................... 71

B- les tributs en cas de violations ........................................................................................... 72

CONCLUSION .................................................................................................................................... 73

90
ANNEXES ............................................................................................................................................ 75

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................... 79

INDEX .................................................................................................................................................. 84

TABLE DES MATIÈRES .................................................................................................................. 88

91

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