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Ohadata D-04-10

L'égalité entre associés


( Acte Uniforme sur le droit des sociétés et du G.l.E. )

par Amadou FAYE


Maître-Assistant,
chargé d'enseignement à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar

L'égalité a du succès 1. Déjà, dans la constitution, une place de choix lui est réservée.
L'énoncé de l'article 7 montre avec force, l'attachement du constituant sénégalais à cette
notion, qui couvre normalement toutes les disciplines juridiques. En témoignent les
recherches consacrées à la matière en droit pénal2 et en procédure pénale3. À la vérité,
l'article 4 du code pénal indiquait clairement cette voie, l'application de la légalité entraîne
nécessairement le respect de l'égalité. D'autres matières du droit privé rappellent la règle
de l'égalité. Il en va ainsi pour le droit de la famille. Reprenant à son compte le principe
constitutionnel de l'égalité des sexes, le droit de la famille consacre l'égalité des époux4. En
cette matière, la référence à l'égalité est si forte qu'elle a conduit le législateur à rapprocher
les enfants naturels des enfants légitimes5.
Le droit social est également sensible à la règle de l'égalité. L'idée apparaît avec
force dans un arrêt de la Cour Suprême, en date du 23 avril 19806. Dans cette affaire, il était
demandé à la haute juridiction de se prononcer sur la légitimité d'un licenciement pour cause
de sénégalisation.
En se fondant sur la convention n° 111 de l'O.I.T. concernant la discrimination en matière
d'emploi et de profession, et sur l'article 20 de la constitution, qui dispose : « Nul ne peut être
lésé dans son travail, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances », la Cour
Suprême déclare non légitime le licenciement pour cause de sénégalisation. C'est dire que la
sénégalisation des emplois est une violation de l'égalité des travailleurs.
Le droit administratif s'intéresse aussi à l'égalité. On peut trouver une belle
illustration de cette question, dans la responsabilité sans faute de l'État. Pour le droit
sénégalais, il convient de se référer à l'arrêt Seybatou Ndiour7. Dans cette affaire, le
requérant, victime d'une détention préventive abusive, avait soulevé parmi les moyens

1
En 1996, le Conseil d'État français a présenté dans son rapport public, une réflexion sur le thème de l'égalité
: J.C.P. mars 1997, n° 12-13. Voir Actualités.
2
DANTI (Juan), L'égalité en droit pénal, thèse Poitiers, 1984.
3
DANTI (Juan), "L'égalité en procédure pénale", R.S.C 1985, p. 505.
4
POUGOUE (P. Gérard), Encyclopédie juridique de l'Afrique, V. 6, voir titre 11, chapitre XII.
5
En France, l'égalité existe : voir SERIAUX, "L'égalité des filiations depuis la loi du 3 janvier 1972", Mélanges
Colomer, 1993, p. 451. Au Sénégal, le statut de l'enfant naturel demeure un exemple très illustratif du
principe constitutionnel d'égalité : voir CISSE (Aminata), "Les infortunes du principe constitutionnel
d'égalité dans les rapports privés". Revue de l'Association Sénégalaise de Droit Pénal, 1996, janvier-déc., n°
3-4, p. 103.
6
Cour suprême, 2e section statuant en matière sociale, 23 avril 1980, affaire Abdoulaye BARRY c/ le
directeur de la Biscuiterie de Médina, Revue EDJA janvier-février-mars 1999, n° 40, p. 69.
7
C. Appel de Dakar, chambre civile et commerciale, 27 juillet 1979, Seybatou NDIOUR c/ État du Sénégal,
R.I.P.A.S. n° 2 oct-déc. 1981, note J. Mariel NZOUANKEU.
développés devant la Cour d'Appel de Dakar, le principe de l'égalité des citoyens devant les
charges publiques.
Avec ce tour d'horizon (sans doute très rapide), on pourrait penser que le droit des
sociétés ne peut constituer une exception. Sur cette question, il n'est pas cependant aisé
d'avancer une réponse péremptoire, car, à travers la société, les hommes poursuivent
plusieurs objectifs8. Selon que l'on penche en faveur de tel ou tel objectif, il va de soi que la
solution à apporter à la question posée ne sera pas la même.
Si l'on admet qu'en se mettant ensemble, les associés ont été motivés par le besoin de
sécurité, on peut valablement penser qu'en pareille circonstance, l'égalité devrait être de
rigueur.
Si maintenant, on met en avant la volonté des associés de rechercher le profit, le
problème se présente autrement : on ne peut plus se prononcer sans ambages en faveur de
l'existence d'une égalité stricte entre associés. En effet, plus le risque pris est grand, plus on a
tendance à exiger des prérogatives substantielles par rapport aux autres associés. Au regard de
ces quelques observations, on est en droit de soutenir que l'égalité ne rentre pas toujours dans
la préoccupation des hommes qui acceptent de s'unir dans le cadre d'une société. Ce sentiment
est-il partagé par la loi ?
À la lecture de l'Acte Uniforme sur le droit des sociétés commerciales et du groupement
d'intérêt économique, il ressort que la notion d'égalité n'est employée de façon expresse qu'à
propos de réduction du capital social (article 366 pour la S.A.R.L., article 628 pour la S.A.), et
de la mission du commissaire aux comptes dans la S.A. (article 714). Il faut préciser d'emblée
que dans ces textes, la loi parle de « l'égalité des associés ». Pour l'amortissement du capital,
on observe que cette formule n'est plus employée ; la loi montre sa préférence pour l'égalité
des actions. Dans d'autres textes (articles 54, 129, 334, 543, 751, 754), le terme « égalité »
n'apparaît plus ; il lui substitué les formules suivantes : « les droits et l'obligation de chaque
associé sont proportionnels au montant de ses apports », « les droits de vote [...] sont
proportionnels », « un droit au dividende proportionnel ».
Ces différentes formules laissent un sentiment de désarroi, et tout permet de croire que
l'égalité est une notion protéiforme. Cette manière de voir ne peut être occultée. Mais si on sait
que la loi se réfère, en maintes occasions, à la règle de la proportionnalité, on est en droit de
penser à une égalité des titres sociaux. Certes, dans certains cas, la personne des associés est
visée par là elle-même, mais l'égalité telle que nous la concevons reste le principe.
De tout ceci, il ressort un constat : le droit des sociétés a une manière particulière
d'envisager l'égalité (I). À coup sûr, c'est la prise en compte des intérêts des associés qui a
conduit la loi à opter pour cette solution. Il faut cependant observer qu'en cette matière, il
n'existe aucune rigidité : les associés peuvent décider du contenu qu'ils vont donner à la règle
de l'égalité. Le plus souvent, c'est la loi elle-même qui leur indique cette voie. Bien entendu,
une telle option trouve son fondement dans l'intérêt commun ou dans les prérogatives
consenties aux associés, et qui sont attachées à leur participation dans le capital. La
consultation des statuts donne une idée précise sur la manière dont les associés ont reçu le
principe de l'égalité.
Si les objectifs ainsi décrits ne sont point respectés, la loi pense que l'équilibre
contractuel est faussé. En toute pertinence, elle sait que si on en est arrivé là, c'est qu'il existe

8
Les hommes poursuivent plusieurs objectifs : la recherche de capitaux, le partage des bénéfices, RIPERT et
ROBLOT, par GERMAIN (M.) et VOGEL (L.), 1.1, LGDJ, 1998, p. 792. Les hommes peuvent aussi se
grouper, en vue de profiter de l'économie qui pourra résulter du groupement.
des abus dans les rapports entre associés. Ayant conscience qu'une telle situation peut
déboucher sur une crise, la loi a senti la nécessité de placer entre les mains du juge, les
instruments lui permettant de rétablir l'harmonie entre les associés, de sauvegarder l'égalité
entre eux (II).
En partant de ces quelques remarques, nous traiterons en première partie, l'égalité visée
et deuxième partie, l'égalité éprouvée.

I - L'égalité visée
L'égalité a un contenu particulier. On s'en rend compte si on s'intéresse aux titres sociaux
et aux droits des associés.

A - Les titres sociaux


II convient d'examiner la répartition des titres sociaux et la variation du capital social.

1) La répartition des titres sociaux


L'entrée en société exige, de la part de l'associé, le versement d'un apport. En l'absence
d'appors, il n'existe pas de société9. L'apport est donc indispensable, et avec juste raison, on a
pu écrire que c'est l'un des critères de distinction de l'associé et des personnes qui participent à
la société à un autre titre, notamment les prêteurs et les salariés10.
L'apport – limite de l'obligation11 – est entendu de façon large par la loi. Il peut être en
numéraire, en nature ou en industrie12. Variable dans son contenu, l'apport peut l'être
également d'un associé à l'autre13. On ne peut donc tirer argument de la disproportionnalité
des apports, pour demander l'inexistence de la société. Ce principe est bien inscrit dans
l'article 4 de l'Acte Uniforme sur les sociétés commerciales. Ce texte dispose : « la société
commerciale est créée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent, par contrat, d'affecter
à une activité des biens en numéraires, en nature... ». Admettre une solution contraire, c'est
oublier que la société est fondée sur la mise en commun des apports, quelle que soit leur
importance.
En retour, quelle que soit sa mise, l'associé reçoit des titres sociaux14. Certes, les titres
sociaux, comme l'énonce l'article 56 de l'Acte Uniforme, ont une valeur nominale égale, mais
ce constat signifie-t-il pour autant qu'il existe une véritable égalité entre associés ? La loi
répond à la question posée, en précisant que le nombre des titres sociaux détenus par un
associé dépend de la participation des associés dans le capital social.
Ainsi entendue, l'égalité entre associés présente une certaine particularité. Dans tous les
cas, si on admet l'existence d'une égalité, il convient de l'expliquer. Diverses explications
peuvent être tentées. À la suite du professeur Didier, on pourrait affirmer qu'une telle égalité
trouve son essence dans ce qu'il a pu appeler « la justice distributive »15. Selon cette forme de

9
GUYON, Droits des Affaires, Economica, 1.1,7e édition, 1992, p. 94.
10
GUYON,op.cif.,p.42.
11
GUYON, op. cit., p. 97. Voir article 37 de l'Acte Uniforme sur le droit des sociétés : "chaque associé est
débiteur envers la société de ce qu'il s'est obligé à lui d'apporter, en numéraire ou en nature".
12
L'article 40 de l'Acte Uniforme précise la nature des apports. Pour l'apport en industrie, ce texte considère
qu'il s'agit "d'un apport de main-d'œuvre".
13
Civ. 1, 28 février 1973, Rev. trim. droit com. 1974, 96, note CHAMPAUD.
14
Article 38 de l'Acte Uniforme sur le droit des sociétés commerciales.
15
DIDIER Paul, "L'égalité des actionnaires : mythe ou réalité ?", Cahiers de Droit de l'Entreprise, 1994/5, p.
18, spéc. p. 20-21.
justice qu'il oppose à la justice commutative, chacun reçoit ce qui lui est dû. Appliquée à
l'affaire sociale, l'égalité est alors une réalité entre associés car, eu égard à la participation de
chacun d'eux dans le capital, en retour, il leur est concédé un certain nombre de titres, et cela
va même avoir des conséquences sur leurs droite et obligations.
On a proposé une autre explication ; celle-ci consiste à affirmer que l'égalité existe, et
qu'elle a pour fondement l'intérêt social. Cette explication, fondée sur l'intérêt général de la
société, a-t-on fait savoir, conduit à donner à l'égalité des associés, un effet analogue à celle
envisagée par la loi16. Avec cette explication, la répartition des titres sociaux par les statuts ne
porte aucune atteinte à l'égalité des associés. Car, comme on l'a fait remarquer, « ceux-ci
demeurent égaux devant les statuts, aucun d'entre eux ne pouvant s'approprier le bien
commun qu'est la société, à ses fins propres »17. En nous appuyant sur le rapport du Conseil
d'État français sur le principe d'égalité, rapport public pour 19%, on peut retenir que le
principe d'égalité doit être un principe de non discrimination, et qu'il doit être appliqué avec
réalisme, en tenant compte des différences de situation18.
Les titres sociaux sont donc répartis entre associés, en tenant compte de leur mise dans
l'affaire sociale. Le principe d'égalité tel que dégagé par la constitution est donc respecté. Il
l'est encore, si l'on sait que l'objectif des associés est d'être ensemble, de faire équipe en vue
de permettre à la société d'atteindre les objectifs qui lui ont été assignés. Ces objectifs, ce sont
les avantages que les associés vont en tirer, aucune exclusion ne saurait alors être tolérée.
Même si la valeur nominale des titres peut être identique, le nombre de titres peut varier d'un
associé à l'autre. Tout ceci est logique, et malgré la convergence des intérêts des associés, il
faut bien admettre que certains d'entre eux sont plus égaux que les autres19. De tout ce qui
précède, il ressort que l'égalité a un contenu particulier. On peut partager ce sentiment,
lorsqu'on examine les variations du capital, leur impact sur les titres sociaux.

2) Les variations du capital


Deux situations méritent d'être envisagées : la réduction et l'augmentation du capital
social.

a) La réduction du capital social


Elle ne peut être décidée que par l'Assemblée générale des associés20. C'est à elle de se
prononcer en toute souveraineté, sur les causes et les conditions de la réduction. En général, la
réduction est motivée par des pertes, mais rien n'interdit d'y procéder en l'absence de pertes.
Cette hypothèse est sans doute rare, mais elle s'impose lorsque la société « flotte dans les
habits taillés par les fondateurs, parce que le capital social ne correspond plus aux besoins
réels de l'aventure sociale »21. Dans la société anonyme et dans la société à responsabilité

16
BISSARA P., "L'égalité des actionnaires : mythe ou réalité ?", Cahiers de droit de l'Entreprise 1994/5, p. 18.
Voir son introduction avant la présentation du rapport du professeur DIDIER.
17
BISSARA P., op. cit., p. 19.
18
Sur le principe d'égalité, "Considérations générales du Conseil d'État. Rapport Public 1996, J.C.P. 19 mars
1997.
19
PIROVANO A., "La "boussole" de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l'entreprise ? », D.
1977, p. 189. L'idée a été empruntée à cet auteur, lorsqu'il écrit « Si les hommes sont égaux, certains sont
plus égaux que d'autres ».
20
L'article 370 (S.A.R.L.) parle de l'Assemblée générale ; pour la S.A., l'article 628 vise l'Assemblée générale
des actionnaires.
21
COZIAN et VIANDER, op. cit., p. 314, n° 1010 ; cette distinction entre réduction motivée ou non motivée
par les pertes, est bien prévue par la loi, pour la S.A. (articles 627 à 650), pour la S.A.R.L. (articles 366 à
370).
limitée22, la loi prévoit la réduction du capital, et précise qu'elle peut être réalisée par
réduction du nominal des parts ou actions, ou par diminution du nombre des parts ou actions.
Quelles que soient les modalités de la réduction, la loi attire l'attention sur le respect de
l'égalité des associés. En clair, on ne peut réduire le nominal de certaines actions ou parts et
ne pas en faire de même pour les autres. Dans le même ordre d'idées, on ne peut procéder à la
diminution des actions ou parts, en créant une discrimination. La règle de l'égalité postule que
tout le monde subisse la réduction. Si dans la S.A.R.L., c'est de façon rigide que l'égalité des
associés est abordée, dans la S.A., à condition d'obtenir le consentement des actionnaires
intéressés, il est possible de leur conférer un traitement de défaveur par rapport aux autres.
Cela uniquement sur leurs actions.
Dans le cas où la réduction n'est pas motivée par des pertes et que la société a l'intention
d'acheter des actions, certains associés pourront en être bénéficiaires, des biens leur seront
attribués ; en retour, leurs titres seront annulés, mais il faut que cette offre d'achat soit
présentée à tous les actionnaires. Comme on le voit, c'est encore l'égalité des associés qui
explique cette solution ; on peut relever la même motivation dans l'augmentation du capital
social.

b) L'augmentation du capital social


Elle ne peut être décidée que par les associés. Elle peut se faire soit par incorporation de
bénéfices ou de réserves, soit par des apports en numéraires ou en nature23, soit par
compensation avec des créances certaines, liquides et exigibles sur la société. Pour
l'augmentation du capital par apports en numéraires, dans la S.A., la loi décide que les actions
comportent un droit préférentiel de souscription24. Le droit préférentiel a une fonction
égalitaire25. En effet, il donne un traitement identique aux actionnaires en place, dans la
mesure où, dans la souscription, aucun d'entre eux ne pourra être privilégié par rapport aux
autres. Il met également les actionnaires à l'abri de toute hégémonie des tiers, dans le cas où
ces derniers souhaiteraient entrer dans la société.
Pour bien montrer l'intérêt qu'elle attache au droit préférentiel, la loi dispose qu'il est
irréductible, et que toute clause contraire est réputée non écrite. Mais il faut signaler que les
bénéficiaires peuvent le céder et même y renoncer. En outre, il peut être supprimé par
l'Assemblée générale26. Toujours dans le but d'équilibrer les rapports dans la société, la loi lie
l'entrée des nouveaux actionnaires dans la société au versement d'une prime d'émission27.
En procédant ainsi, la loi attribue à la prime d'émission, une fonction égalitaire, et on a
donc bien raison d'écrire qu'elle est « la contrepartie de l'avantage conféré aux nouveaux
actionnaires, devenus co-propriétaires des réserves »28. Même dans le cas où l'augmentation
du capital résulte d'une incorporation de réserves, l'égalité est encore observée ; en effet, les
actions nouvelles qui sont créées sont attribuées gratuitement à tous les actionnaires29. On
peut en dire autant pour l'augmentation du capital par majoration du montant nominal des

22
Article 627 (S.A.), article 366 (S.A.R.L.).
23
Pour la S.A.R.L. (articles 360 à 365) ; pour la S.A. (article 562).
24
Article 573.
25
COZIAN et VIANDER, op. cit., p. 307, n° 994.
26
Pour la renonciation (articles 593 à 594), pour la cession (article 574), pour la suppression (article 586).
27
Pour la prime d'émission (articles 588 à 592)
28
HAMEL, JAUFFRET et LAGARDE, Droit commercial, 2e vol, Dalloz, 1980, p. 528 à 740.
29
S.A. (article 566).
actions et pour celle résultant d'apports en nature. Dans le premier cas, l'égalité des associés
est maintenue, puisque la loi exige leur consentement unanime30.
Dans le second cas, pour éviter toute fraude, la loi soumet les apports en nature à
l'évaluation d'un commissaire aux apports. L'Assemblée générale extraordinaire, qui statue
sur l'approbation d'un apport en nature, pourra trouver un éclairage dans le rapport du
commissaire aux apports31. Elle n'est pas cependant tenue de suivre le rapport ; et dans le cas
où elle déciderait de réduire l'évaluation, l'intérêt des apporteurs est pris en compte, en ce
sens qu'elle ne peut procéder à cette opération qu'avec leur approbation expresse.
L'équilibre des intérêts en présence, qui est ici recherché, montre à plus d'un titre la
volonté du législateur de faire respecter la règle de l'égalité Cette volonté est clairement
affichée dans la détermination des droits des associés

B - Les droits des associés


L'associé, personne physique ou morale, est citoyen de cette cité qu'est la société32, mais
il n'a pas toujours vocation à gérer l'affaire sociale ; un tiers peut bien le faire à sa place. La
remarque vaut pour toutes les formes de société, sauf à préciser que, pour la société en
commandite simple, la gérance est confiée à un ou plusieurs associés. On soulignera
également que l'associé peut être une personnes physique ou une personne morale.
Si l'on revient à la commandite simple, on ne manquera pas de remarquer que les
associés, membres de cette société, ne sont pas sur le même pied, du moins sur le plan de la
gestion. C'est donc une société inégalitaire, elle est gérée par les commandités ; les
commanditaires dont la situation s'apparente fortement à celle des associés dans les sociétés
de capitaux, ne « peuvent faire aucun acte de gestion externe, même en vertu d'une
procuration » (article 299).
Cette question que l'on appelle communément "défense d'immixtion des
commanditaires dans la gestion"33 a minutieusement été étudiée par la doctrine, et on admet
qu'elle a été forgée dans l'intention de protéger les tiers. Sous cette réserve, on admet que le
commandité a les mêmes droits que les associés de n'importe quelle forme de société34. Qu'ils
interviennent directement dans la gestion ou qu'ils confient les rênes du pouvoir à un tiers, les
associés restent toujours les maîtres de l'affaire. Et à ce titre, la loi leur reconnaît compétence
pour désigner les organes sociaux et décider de leur révocation. Bénéficiant également d'un
droit d'information, ils ont un droit de regard sur les comptes sociaux et un droit de critique à
l'égard de la gestion des dirigeants.
Pour l'exercice de l'ensemble de ces prérogatives, la loi confère aux associés, suivant les
dispositions de l'article 53 de l'Acte Uniforme, le droit de participer aux assemblées générales,
le droit de vote et les droits financiers Tous ces droits trouvent leur fondement, selon le
professeur Guyon dans l'affectio societatis35.
.

30
S.A. article 562 al. 3.
31
S.A. (articles 619 à 626) ; pour la S.A.R.L. (articles 363 à 365).
32
VIANDIER et COZIAN, Droit des Sociétés, LITEC, 1991, p. 114, N° 369.
33
VIANDIER et COZIAN, op. cit., p. 49, N° 1520.
34
PIC Paul, "La défense d'immixtion des commanditaires dans la gestion des sociétés et la crise actuelle",
D.H. 1934, p 21.
35
GUYON, op. cit., p. 125 et 126.
1) Le droit de participer aux assemblées générales
L'égalité est ici incontestable. L'associé a le droit de participer à toutes les assemblées
générales, peu importe le nombre de titres sociaux qu'il détient La participation aux
assemblées générales est d'ordre public, et tout acte de nature à priver l'associé de ce droit
fondamental doit être proscrit36. Pour montrer l'intérêt qu'elle porte à la question, la loi
précise que toute assemblée irrégulièrement convoquée peut être annulée37.
A ce principe qui prend en compte les intérêts de l'associé, quels qu'ils soient, la loi
apporte une dérogation, pour la société anonyme, dans l'article 548 al. 2 de l'Acte Uniforme.
Selon ce texte, « les statuts peuvent exiger un nombre minimum d'actions sans que celui-ci
puisse être supérieur à dix, pour ouvrir le droit de participer aux assemblées générales
ordinaires »38. La restriction qu'on peut trouver dans ce texte est compréhensible, car, a-t-on
fait observer, « dans les sociétés qui comportent des milliers d'actionnaires, la réunion de tous
les associés [est] une chose impossible »39. On a encore soutenu qu’« il n'est pas désirable que
l'acquisition d'une ou de deux actions permette à une personne de se faire entendre à
l'assemblée, alors que cette acquisition n'a été réalisée parfois que pour se procurer un droit
de critique »40.
Il faut enfin retenir que la solution ainsi envisagée par la loi ne porte nullement atteinte
au « droit d'intervention de l'associé dans les affaires sociales »41 ; celui-ci dispose toujours
du droit de voter dans les assemblées. Le dernier alinéa de l'article 548 de l'Acte Uniforme
confirme clairement ce point de vue, lorsqu'il décide : « Plusieurs actionnaires peuvent se
réunir pour atteindre le minimum prévu par les statuts et se faire représenter par l'un d'eux ».

2) Le droit de vote
Comme le droit de participer aux assemblées générales, le droit de vote est d'ordre
public Le droit de vote est une prérogative fondamentale. On l'a même qualifié de « vache
sacrée du droit des sociétés »42. La sacralisation du droit de vote n'est pas exagérée, c'est par
lui que l'associé participe directement à la vie sociale ; et il n'a pas à justifier de la manière
dont il l'exerce43. Pour bien montrer l'intérêt qu'il attache au droit de vote, l'article 55 de l'Acte
Uniforme rappelle en des termes très clairs qu'il ne peut être suspendu ou supprimé que par
des dispositions expresses.
Ce texte condamne-t-il les conventions de vote ? En principe, toute convention de vote
doit être bannie, la volonté de l'associé ne pouvant être bridée ; lui seul est en droit de décider

36
Annulation d'une assemblée générale, parce que certains actionnaires ont été éliminés par ruse ou par
fraude, Cass. Comm., 4 janv. 1994, J.C.P., édit. E, 1994,I, N° 363, p. 268, obs. VIANDIER et
CAUSSAIN. Exclusion de certains associés, ce qui entraîne la nullité de l'assemblée, Cass. Comm, 31 oct.
1956, J.C.P. 1957.11, N° 9889.
37
Articles 286, 303, 339, 519.
38
La dérogation ne concerne donc pas les assemblées générales extraordinaires.
39
RIPERT et ROBLOT, op. cit., p. 1147, N° 1565.
40
RIPERT et ROBLOT, ibid.
41
VIANDIER, La notion d'associé, LGDJ 1978.
42
VIANDIER A., "Observations sur les conventions de vote", J.C.P. édit. E, 1986.15405.
43
MESTRE J. et BLANCHARD-SEBASTIEN C., Lamy Sociétés Commerciales, 1996, N° 715. Sur la
"désacralisation du droit de vote", voir en droit français, MERLE, Droit commercial, Sociétés commerciales,
Dalloz, 4e édition, 1994, N° 306. On pense de plus en plus, en droit français, que le droit de vote n'est plus
un attribut essentiel de la qualité de l'associé, seul le droit de participer aux assemblées générales a ce
caractère ; voir DAIGRE J.J., "Le droit de vote est-il encore un attribut essentiel de l'associé ?", J.C.P.
édition Entreprise, 11 juillet 1996, p. 575.
s'il doit voter dans un sens ou dans un autre. Ainsi, on ne peut juger valable l'acte par lequel
l'associé s'engagerait à être privé de son droit de vote ou à perdre son indépendance lors de
l'exercice de celui-ci. La règle vaut tant pour les engagements dits individuels que pour les
syndicats de blocage44.
Dans le même ordre d'idées, doit être considérée comme nulle toute convention
supprimant ou restreignant le droit de vote. En revanche, doit être tenue comme valable, celle
qui ne prive pas l'associé de son droit de vote, mais qui restreint quand même son
indépendance, lorsqu'il est établi que pareille situation trouve son fondement dans l'intérêt
même du bon fonctionnement de la société45.
S'agissant maintenant de l'exercice du droit de vote par l'associé, il convient de retenir
que l'article 54 de l'Acte Uniforme écarte la règle "un homme, une voix" pour celle de la
proportionnalité des voix aux apports. Si l'on parle donc d'égalité, c'est du côté de la
participation dans le capital social qu'il faut l'apprécier : la règle de la proportionnalité conduit
à cette solution. Le nombre de voix dont peut disposer un associé dépend du nombre de titres
sociaux46.
L'article 543 de l'acte uniforme rappelle cette règle dans la société anonyme mais
précise dans son alinéa 2 que les statuts peuvent bien rétablir l'égalité entre associés en
limitant le nombre de voix dont chaque actionnaire dispose dans les assemblées, à condition
que cette limitation soit imposée à toutes les actions sans distinction de catégorie.
Toujours à propos de la société anonyme, l'article 544 apporte une dérogation à la règle
de la proportionnalité. Selon ce texte, les statuts ou une assemblée47 peuvent créer un droit de
vote double. Ce droit est conféré à toutes les actions entièrement libérées, à condition qu'elles
fassent l'objet d'une inscription nominative depuis deux ans au moins, au nom d'un
actionnaire. L'inégalité est donc évidente, du moins si on envisage la question par rapport aux
actions ordinaires. Mais pour toutes les actions nominatives, l'égalité ne fait aucun doute,
puisque chaque actionnaire, remplissant les conditions posées par l'article 544, est en droit
d'invoquer le bénéfice du vote double48. Ceci étant précisé, reste à savoir maintenant
comment la règle de l'égalité est appréhendée par la loi, dans les droits financiers de l'associé.

3) Les droits financiers de l'associé49


À travers cette expression, il faut entendre le droit sur les bénéfices et le droit sur les
actifs nets de la société, en cas de dissolution (article 53 de l'Acte Uniforme sur les
sociétés...).

a) Le droit sur les bénéfices

44
Cass. Comm., 10 juin 1960, Bull. civ.. III, N° 227, p. 210 ; CHARTIER Y., Droit des affaires, op. cit. p. 107.
45
Cass. Comm., 14 mars 1950, J.C.P. 1950.11.5694, note BASTIAN. Voir aussi la jurisprudence citée in Lamy
Sociétés Commerciales, 1996, op. cit., N° 717 et N° 718. A noter que la jurisprudence française est moins
sévère à l'égard des conventions qui limitent simplement l'exercice du droit de vote par l'associé ; sur cette
analyse, voir Lamy Sociétés Commerciales, op. cit., N° 718.
46
L'article 129 confirme la règle de la proportionnalité visée à l'article 54. Voir pour la S.A., l'article 751, pour
la S.A.R.L., l'article 334.
47
II s'agit de l'assemblée générale extraordinaire, voir l'article 752. Le texte reprend l'article 544.
48
On remarquera que dans la S.A.R.L., il n'est pas possible de fixer un nombre de parts pour qu'un associé
puisse accéder à une assemblée. On ne peut non plus créer des parts sociales auxquelles on attacherait un
droit de vote double. Voir l'article 334. Ce texte est d'ordre public. Et l'article 336 l'atteste clairement. Selon
ce texte, toute disposition contraire à l'article 334 est réputée non écrite.
49
L'expression est empruntée à COZIAN et VIANDIER, Droit des Sociétés, LITEC, 1991, p. 114, N° 369.
En convenant de mettre ensemble leurs apports, les associés ont pour objectif le partage
des bénéfices50. Le droit sur les bénéfices est attaché aux titres sociaux remis à l'associé ;
mais sa mise en œuvre n'est pas automatique. L'associé ne peut jouir pleinement de ce droit
qu'à la condition que la distribution des bénéfices ait été décidée51. C'est dire clairement que
le partage des bénéfices en cours de vie sociale n'est pas de l'essence du contrat de société52,
une mise en réserve des bénéfices est toujours possible. Ce droit ne lui est conféré que si,
après approbation des états financiers de synthèse et constatation des sommes distribuables,
l'assemblée générale détermine la part de bénéfices à distribuer. En pareil cas, pour
déterminer la part de chaque associé, il convient de se référer à l'article 54 de l'Acte
Uniforme. Selon ce texte, le partage est fait proportionnellement au montant des apports, sauf
clause contraire. La part de chaque associé est donc fonction de ce qu'il a apporté dans la
constitution du capital social. Nul n'est donc lésé, car chaque associé reçoit ce qui lui est dû.
La notion d'intérêt commun, si chère au professeur Schmidt, explique l'égalité entre as-
sociés53.
En ce qui concerne maintenant la forme d'égalité ainsi retenue, le professeur Didier
retient l'existence d'une égalité proportionnelle54 et explique le partage en faisant appel à la
notion de justice distributive. Cette explication est contestée par d'autres auteurs. Pour eux, le
partage ne trouve son fondement que dans la notion de justice commutative. Situant leur
analyse non dans une conception institutionnelle, mais plutôt dans le contrat, acte créateur de
la société, ces auteurs soulignent que "le partage tel que prévu par le pacte social fait appel à
la notion de justice commutative ou d'égalité arithmétique". Étayant leur point de vue, ils font
remarquer que l'égalité commutative s'entend "d'une égalité proportionnelle calculée de
manière arithmétique"55.
Cette analyse met sans doute l'accent sur l'aspect contractuel de la société, d'où son
intérêt, mais n'élude pas pour autant les idées développées par le professeur Didier. Même si
les définitions de la justice commutative et de la justice distributive sont différentes, en ce qui
concerne l'égalité, seule question qui nous préoccupe ici, le résultat est le même. D'ailleurs,
ces auteurs ne disent pas plus que ce que le professeur Didier a pu écrire, lorsqu'ils constatent
en fin d'analyse, que ce que chaque associé reçoit est fonction de ce qu'il a apporté. N'est-ce
pas là l'égalité proportionnelle ?
Sans insister sur cette question, on remarquera que la règle de la proportionnalité n'est
pas absolue ; les parties peuvent décider d'une autre égalité56. La loi leur permet également
dans les statuts, de procéder à une autre forme de répartition qui avantage certains associés
par rapport à d'autres. Les règles mises en place par la loi sont les avantages particuliers et la
création d'actions prioritaires. Ces règles, on ne les rencontre dans l'Acte Uniforme, qu'à
propos de la société anonyme, et elles méritent quelques précisions.
Les avantages particuliers sont soumis à un système de contrôle. Ils doivent être évalués
par un commissaire aux apports, et leur existence dépend du vote de l'assemblée générale
constitutive (articles 399 à 409 de l'Acte Uniforme sur le droit des sociétés) et ils sont

50
Article 4 de l'Acte Uniforme. Ce texte met sur le même pied, le partage et le fait de profiter des économies.
51
Article 142 de l'Acte Uniforme.
52
CHARTIER Y., Droit des Affaires, 2, Sociétés Commerciales, PUF 1985, p. 112.
53
SCHMIDT D., De l'intérêt commun des associés, JCP Édition E, 1994, N° 404.
54
DIDIER P., op. cit., p. 24.
55
GOUTAY P. et DANOS F., "De l'abus de la notion d'intérêt social", D. Affaires 1997, p. 882.
56
Rien ne leur interdit de retenir une égalité absolue.
attribués intuitu personae57. Les actions prioritaires sont créées lors de la constitution de la
société ou au cours de son existence. Elles ne sont pas liées à la personne, elles sont
attribuées intuitu rei58. L'idée apparaît clairement dans la loi, lorsqu'elle dispose : « il peut
être créé des actions de priorité jouissant d'avantages par rapport à toutes les autres
actions »59. Les avantages sont rattachés à l'action et se transmettent avec elle. Ils peuvent
être une part supérieure dans les bénéfices, un droit de priorité sur les bénéfices ou des
dividendes cumulatifs. Reste à savoir maintenant si les règles ainsi décrites pour la répartition
des bénéfices peuvent s'appliquer aux droits de l'associé sur les actifs nets de la société, en
cas de dissolution.

b) Les droits de l'associé sur les actifs nets de la société en cas de dissolution
Les associés peuvent décider de mettre fin à l'affaire sociale. D'autres causes de
dissolution sont encore envisagées par la loi60. Quelle que soit la cause de dissolution retenue,
celle-ci entraîne de plein droit la liquidation de la société. Le liquidateur nommé est investi
d'une double mission : recouvrer l'actif et payer le passif61. Une fois que les créanciers sont
intégralement payés, chaque associé reprend son apport. S'il y a un excédent (boni de
liquidation), cet actif net fera l'objet d'un partage, conformément aux dispositions de l'article
53 de l'Acte Uniforme sur les sociétés commerciales. Comme pour les bénéfices, le partage
sera fait en tenant compte de la contribution de chaque associé dans le capital social.
L'égalité telle que décrite pour les bénéfices apparaît encore ici : chaque associé reçoit
ce qui lui est dû. Le gain perçu est donc à la mesure du montant de la participation. Égalité
formelle ou égalité proportionnelle, que l'on emploie l'une ou l'autre de ces formules, le
résultat est le même : il y a toujours une égalité entre associés, même si le contenu du concept
est très particulier. De cette égalité prévue par la loi, les associés peuvent ne pas vouloir. En
ce cas, en raison même du caractère supplétif de l'article 53, ils peuvent, si les statuts le
prévoient, décider de régler, à leur convenance, leur propre égalité62, ce qui permet de penser
que rien n'interdit de passer à une égalité absolue entre associés.
La loi s'accommode de cette solution, et avec juste raison. Mais elle sort de sa "réserve",
lorsqu'elle sait que le jeu contractuel n'est plus respecté. Il faut cependant préciser que son
intervention n'est justifiée que parce que l'égalité est éprouvée, et qu'il faut parer au plus vite
avant qu'une telle situation soit de nature à entraîner une crise sociale.
II - L'égalité éprouvée
Si les droits conférés aux associés sont méconnus, parce que non identiques, l'équilibre
contractuel est ébranlé. En pareil cas, s'il est constaté l'existence d'un abus, l'égalité des
associés en sort éprouvée. Deux formes d'abus peuvent être relevées. Elles ont pour siège le
vote (A) et les droits financiers des associés (B).

57
POITRINAL F.D., "Clauses statutaires de répartition des bénéfices". Droit et Patrimoine n° 59, avril 1998, p.
37 ; DAIGRE J.J., Dialogues avec Michel JEANT1N, p. 216, sur les procédures applicables aux avantages
particuliers et aux actions prioritaires, l'analyse est intéressante.
58
POITRINAL F.D., op. cit., p. 37 ; DAIGRE J.J., op. cit., p. 216.
59
Article 755 de l'Acte Uniforme.
60
Article 200 de l'Acte Uniforme.
61
Peu importe que le liquidateur soit nommé par les associés ou par le juge.
62
"Sauf clauses contraires des statuts, les droits et l'obligation de chaque associé sont proportionnels au montant
de ses apports".
A - L'abus dans l'exercice du droit de vote
Le droit de vote est lié à la qualité de l'associé63 ; il est exercé de manière
discrétionnaire. Le pouvoir reconnu à l'associé ne signifie pas cependant qu'il doit l'exercer en
toute liberté. Le vote peut être exercé pleinement, mais à condition qu'il évite, lors de
l'exercice de ce droit, de commettre un abus64. L'abus peut épouser deux formes : il peut s'agir
d'un abus de majorité ou d'un abus de minorité.
Alors qu'en droit français, l'abus dans l'exercice du droit de vote est l'œuvre de la
jurisprudence, dans l'Acte Uniforme sur le droit des sociétés, l'abus de majorité et l'abus de
minorité sont définis dans les articles 130 et 131. "Il y a abus de majorité lorsque les associés
majoritaires ont voté une décision dans leur seul intérêt, contrairement aux intérêts des
associés minoritaires, et que cette décision ne puisse être justifiée par l'intérêt de la société"
(article 130). De son côté, l'article 131 dispose : « il y a abus de minorité lorsque, en exerçant
leur vote, les associés minoritaires s'opposent à ce que des décisions soient prises, alors
qu'elles sont nécessitées par l'intérêt de la société et qu'ils ne peuvent justifier d'un intérêt
légitime ».
Du point de vue de la rédaction, ces textes présentent une différence avec la
jurisprudence forgée au fil des temps, en droit français. L'abus de majorité est défini dans un
arrêt du 18 avril 1961, en ces termes : est abusive la décision prise « contrairement à l'intérêt
général et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité, au détriment de la
minorité »65. En ce qui concerne l'abus de minorité, la Cour de cassation affirme qu'il est
établi lorsque l'attitude des associés minoritaires est « contraire à l'intérêt général de la société
et a pour unique dessein de favoriser leurs propres intérêts, au détriment de l'ensemble des
autres associés »66. À la réflexion, à quelques nuances près, on n'est pas très loin du contenu
des articles 130 et 131 de l'Acte Uniforme sur le droit des sociétés.

1) Les conditions d'existence de l'abus de majorité et de l'abus de minorité


En droit civil, il existe deux acceptions de l'abus de droit. La première met l'accent sur
l'intention ; la seconde considère que l'abus est établi lorsque le droit est dévié de sa
fonction67. A quelle opinion faut-il rattacher la position du législateur de l'OHADA ? A la
lecture des articles 130 et 131 de l'Acte Uniforme sur le droit des sociétés, on est sûr et certain
qu'en l'absence d'une quelconque référence à l'intention, l'abus de majorité et l'abus de
minorité n'ont aucune coloration morale.
Est-ce à dire que le législateur s'est prononcé en faveur de la conception de l'abus qui
renvoie aux droits fonctions ? Il est difficile de consacrer cette thèse, car l'actionnaire peut

63
voir cependant en droit français, DAIGRE J.J., "Le droit de vote est-il encore un attribut essentiel de
l'associé ?", J.C.P. Edition E, 11 juillet 1996.1.575.
64
L'abus de majorité et de minorité se rapproche de l'abus de droit. Pour une application de l'abus de droit dans
le contrat de société, voir REINHARD Y., "L'abus de droit dans le contrat de société", J.C.P. Edition
Entreprise, 1998, n° 6, p. 8 à 11.
65
Com. 18 avril 1961, D. 1962, p. 661, solution reprise 21 janv. 1997, J.C.P. 1997, Edition E.II, 965, note J.J.
DAIGRE. A remarquer cependant que dans cet arrêt, l'accent est mis sur "l'intérêt social". Sur cette analyse,
PUTMAN E., note Com. 21 janvier 1997, Revue de Jurisprudence Commerciale 1998, p. 23 à 27.
66
voir les arrêts rendus en cette matière : arrêt Vitama : Com. 14 janvier 1992, D. 1992.337, note BOUSQUET,
J.C.P. Edition E, 1992 ; II, n° 302, p. 215, note VIANDIER ; arrêt SLY : Com. 15 juillet 1992, D.l992.279,
note LE DIASCOM, J.C.P. Edition G, 1992.11.21944, note BARBIERI ; J.C.P. Edition E, 1992.II.375, p.
285, note Y. GUYON ; arrêt FLANDIN : Com. 9 mars 1993.363, note Y. GUYON.
67
voir TERRE F., SIMLER P. et LEQUETTE Y., Droit civil, Les Obligations, Précis Dalloz, 7e édition, 1999,
p. 663. Voir article 122 du code des obligations civiles et commerciales.
bien exercer son droit de vote, en prenant en considération ses propres intérêts68. Si l'on admet
que le vote est un pouvoir mis à la disposition de l'actionnaire et qu'il ne peut constituer une
entrave au fonctionnement de la société, on est en droit d'affirmer que le législateur s'est
prononcé en faveur d'une solution de synthèse. Celle-ci consiste à rattacher l'abus de majorité
et l'abus de minorité aux droits pouvoirs et aux droits fonctions69.
D'ailleurs, cette solution est la seule qui s'impose. Les articles 130 et 131 de l'Acte
Uniforme sur le droit des sociétés illustrent parfaitement cette manière de voir, puisqu'ils
exigent pour leur application, deux conditions : poursuite d’un intérêt personnel lors du vote ;
une décision non justifiée par l'intérêt de la société.

a) La poursuite d'un intérêt personnel lors du vote


Le vote devient abusif lorsque les associés (majoritaires ou minoritaires) l'ont exercé
dans leur seul intérêt, contrairement aux intérêts des autres associés. L'intérêt personnel dont
parle la loi recoupe-t-il la formule classique retenue par la jurisprudence française : l'unique
dessein de favoriser les associés majoritaires ou minoritaires ? Le terme "dessein" renvoie à
la volonté, à l'intention, ou en tout cas à l'intention malicieuse70. Même si on ne peut
transposer cette analyse dans l'espace OHADA, rien n'interdit, au regard des textes, de voir
dans l'intérêt personnel poursuivi par les majoritaires ou minoritaires, un intérêt égoïste. Ce
parti pris est tout à fait justifié.
En effet, il faut bien convenir avec nous que la poursuite d'un intérêt personnel dénote
clairement l'existence d'une rupture de l'égalité entre associés. Les termes « leur seul intérêt »,
« contrairement aux intérêts des associés minoritaires » et l'absence « d'un intérêt légitime »
sont très suggestifs. L'intérêt commun, issu du rapport contractuel qu'est la société n'étant
plus respecté, alors que tout le monde est d'avis que c'est lui qui postule l'égalité des
associés71, on pourrait parfaitement penser que la poursuite d'un intérêt personnel (ou
illégitime) constitue l'élément essentiel de l'abus de majorité ou de minorité.
Sur cette question, le droit français a évolué. Si avant 1997, on pouvait se prononcer
dans ce sens, présentement, il en va autrement : la rupture de l'égalité entre associés, a-t-on
fait observer, ne peut plus être considérée comme le fondement de l'abus de majorité ou de
minorité72. Est-ce à dire que le deuxième élément, à savoir l'atteinte à l'intérêt social, élude le
premier, de sorte que lui seul constitue l'élément nécessaire et suffisant de l'abus de majorité
ou de minorité ?
L'arrêt de 1997 ne le dit pas ; il se contente de mettre l'accent sur l'atteinte à l'intérêt
social. Mais il n'ignore pas pour autant, l'élément tenant à l'atteinte aux intérêts des
minoritaires. On a donc bien raison d'écrire : « Jamais, à lui seul, l'intérêt social ne produit
des effets juridiques »73. Dans toutes les situations où le juge recourt à cette notion, il prend
également en considération d'autres éléments, avant de se prononcer74. C'est dire clairement
que, dans l'abus de majorité ou de minorité, il faut toujours la réunion de deux conditions
cumulatives : l'atteinte à l'intérêt des minoritaires ou majoritaires et l'atteinte à l'intérêt social.

68
MERLE P., L'abus de minorité, Rev. de Jurisprudence commerciale 1991, n° spécial, p. 81.
69
REINHARD Y., op. cit., p. 10.
70
REINHARD Y., op. cit., p. 10.
71
PIROVANO A., op. cit., citant SCHMIDT D. et GERMAIN M., p. 194.
72
Comm. 21 janvier 1997, J.C.P. 1997, Édition E II.965, note J.J. DAIGRE.
73
SOUSI G., "Intérêt du groupe et intérêt social", J.C.P. Édition E. 1975.11, p. 381.
74
Voir les remarques de BISSARD P., "L'intérêt social", Revue Sociétés n° 1, janvier-mars 1999, p. 10.
Tout permet de croire que les articles 130 et 131 de l'Acte Uniforme sur le droit des
sociétés se sont rangés sur la thèse de l'arrêt de 1997. Comme dans cet arrêt, ce texte donne à
l'intérêt de la société, une place importante dans la définition de l'abus de majorité ou de
minorité. En témoignent les formules « que cette décision ne puisse être justifiée par l'intérêt
de la société », décisions non « nécessitées par l'intérêt de la société ».

b) Une décision non justifiée par l'intérêt de la société


Bien que l'intérêt personnel soit exigé, c'est sur l'intérêt de la société que les articles 130
et 131 de l'Acte Uniforme portent beaucoup plus leur attention. Selon ces textes, la décision
prise par les majoritaires ou minoritaires, et qui rompt l'égalité des associés, ne peut être
considérée comme un abus que si elle n'est pas justifiée par l'intérêt de la société. Tout le
problème est alors de savoir comment comprendre "l'intérêt de la société" visé par la loi, car,
en définitive, tout tourne autour de cette notion. En droit français, "l'intérêt social" a donné
lieu à des controverses. Pour certains auteurs, l'intérêt social est l'intérêt des associés75. Pour
d'autres, l'intérêt social devrait être entendu de façon très large. S'identifiant à l'entreprise76, il
dépasse celui des associés, et s'étend aux salariés, clients, fournisseurs ou créanciers, l'État77.
Prenant appui sur la notion juridique de la société, M. Bertrel, lui, se prononce pour une
conception mixte de l'intérêt social. Avec cette théorie dite du "juste milieu", l'appréciation de
l'intérêt social commande que l'on prenne en compte l'intérêt des associés et celui de la
société78. Jugeant ce débat vain, une partie de la doctrine préfère s'en remettre au juge79.
Fustigeant cette thèse, certains auteurs pensent que, dans cette partie du droit des sociétés où
l'on admet l'immixtion du juge, il est nécessaire que l'on ait une définition uniforme de
l'intérêt social, et celle-ci ne peut se fonder que sur des éléments objectifs80.
Pour notre part, si l'on se réfère à la définition que l'article 4 de l'Acte Uniforme donne
de la société, on est en droit d'affirmer que la société est créée dans l'intérêt des associés. Cet
intérêt, à la lecture de ce texte, est d'ordre patrimonial : l'enrichissement, à savoir le partage
des bénéfices, et le fait de profiter des économies81. Sous l'éclairage de ce texte qui rappelle
fortement les articles 1832 et 1833 du code civil français, rien n'interdit de voir dans l'intérêt
des associés, celui de la société.
Sous le bénéfice de cette observation, on peut retenir que nul associé ne peut avoir un
privilège qui ne soit dicté par l'intérêt social. Si la majorité gouverne et que la minorité
s'oppose, c'est parce que les associés en ont ainsi décidé. Il s'agit d'une répartition des
pouvoirs fondée sur l'assentiment de tous. Une augmentation du capital social, une mise en
réserve des bénéfices ne sont donc pas systématiquement des abus. La minorité serait mal

75
SCHMIDT D., "De l'intérêt social", Rev. Dr. Banc, et Bours., 1995, p. 30 ; "De l'intérêt commun des
associés", Rev. Dr. Banc, et Bours, 1994, p. 104.
76
PAILLUSSEAU, Les fondements du droit moderne des sociétés, J.C.P. Édition G, 1984.1, n° 3148, J.C.P.
Édition E 1986.14684.
77
CONTIN R., Note sous C.A. Paris, 22 mai 1965 (FRUEHAUF), D. 1968.147 et Chr. p. 45 ; voir également
COZIAN et VIANDIER, op. cit., p. 141, n° 468. Dans le même sens, BISSARA P., op. cit., p. 14.
78
BERTREL J.P., "La position de la doctrine sur l'intérêt social", Droit et Patrimoine, avril 1997, p. 42 à 47.
79
REINHARD Y., op. cit., p. 9 ; après analyse, BERTREL va dans le même sens : "En l'absence d'une
définition légale de l'intérêt social, seul le juge a le pouvoir, en appréciant son respect, d'en définir
véritablement les contours", op. cit., p. 47.
80
GOUTAY P. et DANOS F., op. cit., p. 881.
81
"La première raison d'être de toute société est l'enrichissement de ses actionnaires" : voir en France le rapport
Marini (publication 1996) cité par DELGA J., "Éthique, Éthique d'entreprise, Éthique du gouvernement
d'entreprise", D. 1999, n° 37, p. 397 à 402, spéc. p. 400.
fondée à invoquer la protection de la justice, si la décision des majoritaires ne fait que prendre
en compte l'intérêt de tous, celui-ci étant nécessairement l'intérêt de la société82.
La majorité également ne peut utilement agir en justice, si l'opposition des minoritaires
ne fait que s'inscrire dans le cadre de la défense des intérêts des associés, ceux-ci recoupant
l'intérêt de la société83. II ressort de cette analyse qu'une rupture d'égalité ne peut être le
fondement de l'abus, qu'à condition qu'elle constitue en même temps une atteinte à l'intérêt de
la société.
Le professeur D. Schmidt a donc bien raison d'écrire : « la majorité ne commet pas
d'abus en s'avantageant au détriment des minoritaires, lorsque le patrimoine social n'en pâtit
pas ; on peut donc spolier les actionnaires si le patrimoine social reste intact84.
L'on pourrait en dire autant pour les majoritaires, les minoritaires ne commettent aucun
abus, si comme dans toute démocratie, leur droit de critique, parce que fondé sur un intérêt
légitime, ne peut être considéré comme « le bafouage de la loi de la majorité85. L'abus de
majorité et l'abus de minorité ainsi analysés illustrent parfaitement la rupture de l’égalité entre
associés86. Reste à savoir maintenant quelles sont les sanctions retenues par la loi.

2) Les sanctions
Dans l'Acte Uniforme sur le droit des sociétés, la sanction de l'abus repose sur les règles
de la responsabilité civile. C’est la même solution qu’en droit français. L'action en dommages
et intérêts peut être dirigée contre les auteurs de l’abus, majoritaires ou minoritaires (articles
130 et 131). On relèvera cependant qu'en droit français, devant l'invitation de la doctrine, la
jurisprudence a fait preuve d'audace en explorant d'autres voies.
Relativement à l’abus de majorité, on admet que le juge peut prononcer la nullité de la
décision litigieuse, par application de l'article 1840-10 du code civil. La nullité dont il s'agit
ici est tirée du droit des contrats87. D'autres sanctions sont envisageables, et elles ont été
prononcées par la jurisprudence : la dissolution pour justes motifs et la désignation d'un
administrateur provisoire88. La dissolution pour justes motifs trouve son fondement dans
l'article 1844-5 du code civil.
Dans la mesure où l'abus de majorité est « le signe de la mésintelligence entre
associés »89, cette sanction est tout à fait justifiée. Mais comme on l'a fait observer,
l'application de cette mesure ne peut être automatique : la mise à. mort de la société ne peut

82
Com. 16 oct. 1963, Bull. civ. 111, n° 423, p. 537 ; 22 janvier 1991, Bull. civ. IV n° 39, p. 24, cités in Grands
Arrêts du droit des affaires, Dalloz 1995, p. 500 et s. par J. MESTRE. Ces arrêts observent que « la mise en
réserve des bénéfices n'est pas abusive, dès lors qu'elle relève d'une politique prudente et a contribué « à une
progression de la valeur des actions qui profite à tous les actionnaires ». Il y aurait cependant abus, si la mise
en réserve des bénéfices n'avait aucune conséquence sur la politique d'investissement de la société.
83
Voir l'arrêt Flandin, pour une augmentation de capital alors que les résultais sont bons et que la société est
prospère, Com. 9 mars 1993, D. 1993 J 363, note GUYON.
84
SCHMIDT D., "Rapport de synthèse". Cahier Droit Entreprise, 1996.4, p. 25, cité par PIROVANO A., "La
boussole de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l'entreprise", Dalloz 1997, p. 197.
85
COURET A., "Le harcèlement des majoritaires", Bulletin Joly fév. 1996, p. 113 à 119.
86
Sur cette analyse, voir D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, Sirey 1969, n° 208,
p. 155, cité par MERLE P., in "L'abus de minorité". Revue de Jurisprudence Commerciale 1991, n° spécial,
p. 81.
87
REINHARD Y., op. cit., p. 11.
88
Rien ne s'oppose à ce que l’on puisse retenir ces solutions dans l'espace O.H.A.D.A.
89
RIVES-LANGE J.L., "L'abus de majorité", Rev. de Jur. Corn., 1991, spécial, p. 65.
être prononcée que si « la situation [est] devenue irrémédiable »90. Avant d'arriver à cette
solution, il est possible de nommer un administrateur provisoire, chargé de gérer l'affaire
sociale91.
En ce qui concerne l'abus de minorité, la jurisprudence française admet que pour
dénouer la
crise, le juge peut désigner un mandataire aux fins de représenter les associés minoritaires ou
à une nouvelle assemblée et de voter en leur nom dans le sens des décisions conformes à
l'intérêt social...92 Les développements qui précèdent montrent à plus d'un titre qu'il n'est pas
toujours aisé de sauvegarder l'égalité des associés. Ceci précisé, il convient de passer à
l'examen de l'abus dans les droits financiers des associés, pour savoir comment est reçue la
règle de l'égalité.

B - L'abus dans les droits financiers


Comme le constate avec juste raison le professeur Pironavo, « la définition de la société
interdit une confiscation du pouvoir majoritaire, fût-il exercé au nom de l'intérêt social ». Ce
pouvoir doit être exercé pour le profit de tous, « puisqu'aucune société ne peut être créée et
gouvernée dans l'intérêt de certains associés seulement »93. Fort de cette analyse, on peut
soutenir que l'associé a vocation aux bénéfices, il ne peut en être privé. Mais ce droit ne peut
devenir réalité si l'assemblée générale se prononce dans le sens d'une distribution des
bénéfices réalisés.
Suivant les dispositions de l'article 54 de l'Acte Uniforme sur le droit des sociétés
commerciales, chaque associé a une part de bénéfice proportionnelle au montant de son
apport. Ce texte, qui consacre une égalité proportionnelle94, n'est pas d'ordre public. À la
lecture de l'article 54, il ressort que la vocation aux bénéfices peut être égale malgré l'inégalité
des apports. Elle peut aussi être inégale, même si les apports sont égaux. La disposition de
l'article 54, parce que supplétive, commande donc de soutenir comme nous l’avons déjà fait,
que l’égalité appliquée au partage est flexible. Les parties au pacte social peuvent décider
librement de son contenu.
A la liberté des parties, l’al. 2 de l’article 54 apporte une limite en ces termes : « sont
réputées non écrites les stipulations attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la
société ou l’exonérant de la totalité des pertes, ainsi que celles excluant un associé totalement
du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes ». Les stipulations visées sont

90
Le CANNU P., note sous Cass. Comm. 18 mai 1982, Rev. Soc. 1982, p. 804.
91
Il y a deux cas de nomination d'un administrateur provisoire : le fonctionnement anormal des organes de
gestion ; crise de la société, arrêt Fruehauf, D. 1969, 147. voir "Administrateur provisoire" par
FARNOCCHIA S., Grands Arrêts du Droit des Affaires, Dalloz, 1996, p. 487 à 495.
92
Com. 9 mars 1993, J.C.P. Ed. E, 1933. II.448, note A. VIANDIER, dans le même sens Com. 5 mai 1998,
J.C.P. Ed. E 1998,1303, note VIANDIER et CAUSSAIN, condamnation par ces arrêts des sanctions
suivantes : d'une part, l'exclusion des minoritaires ; d'autre part, la substitution du juge aux organes sociaux
compétents. Sur celte question, voir : la réparation du préjudice causé par un abus de minorité en droit des
sociétés par XAVIER-LUCAS F., in Petites Affiches 12 septembre 1997, n° 110 ; voir aussi REINHARD Y.,
op. cit., p. 11 ; TRICOT D., "Abus de droit dans les sociétés. Abus de majorité et abus de minorité", R.T.D.
Com. oct-déc. 1994, p. 617 à 627.
93
PIROVANO A., op. cit., p. 193.
94
voir DIDIER P., op. cit., p. 24.
communément appelées « pactes léonins » ou « clauses léonines ». Leur interdiction
s’explique aisément parce qu’elles portent atteinte à l’égalité des associés95.
En effet, l’équilibre contractuel est ébranlé, car contrairement aux objectifs de la société,
un associé ou des associés sont avantagés au détriment des autres. La clause est interdite dans
toutes les sociétés, qu’elles soient de capitaux ou de personnes, et même dans les sociétés en
participation. L’article 54 alinéa 2 retient deux formes de pactes léonins : la clause attribuant à
un associé la totalité des bénéfices ainsi que celle excluant un ou plusieurs associés du profit,
et la clause exonérant un associé des pertes ou faisant supporter les pertes à un associé. Au
regard de ce texte, la prohibition s’applique aux conventions entre associés ou entre la société
et des associés. Elle s’applique également aux clauses statutaires ou extra statutaires96.
Toujours à propos de l’article 54, on peut valablement penser que la clause n’est
prohibée que dans les seuls cas où elles attribuent à un associé la totalité du profit procuré ou
l’exonérant totalement des pertes, ainsi que celles excluant un associé totalement du profit ou
en mettant à sa charge la totalité des pertes. Cette lecture de l’article 54 ne peut cependant être
retenue97. On admet généralement que la clause doit être prohibée lorsque l’attribution porte
sur la quasi-totalité des bénéfices ou lorsque l’exclusion de l’attribution des bénéfices est
quasi-totale. Dans le même ordre d’idées, pourrait être considérée comme léonine, toute
clause qui aurait comme effet de ramener la contribution d’un associé aux pertes à une part
insignifiante98.
Qu’il s’agisse des pertes ou des bénéfices, la prohibition est loin d’être absolue. Dans la
répartition des bénéfices, rien n’interdit aux parties de lier la vocation d’un associé aux
bénéfices à la réalisation d’une condition, l’existence d’un seuil, par exemple99. En matière de
pertes également, il est possible de limiter le risque d’un associé à une certaine somme100.
Quant à la sanction maintenant, il faut souligner qu’elle est la même pour toutes les formes de
clauses léonines.
Selon l’article 54, la clause est réputée non écrite. Cela signifie qu’elle n’a pas
d’existence juridique, qu’elle est nulle. Peut-on étendre la nullité à la société ? La réponse ne
souffre d’aucune ambiguïté : la clause léonine ne fait pas partie des clauses de nullité visées
par la loi101. La nullité n’affecte donc que la clause ; le contrat de société subsiste. Cette
solution ne change pas, même si la clause léonine constitue la cause impulsive et
déterminante du contrat de société102.

95
La clause porte atteinte à l’égalité des associés, voir MERLE P., Sociétés Commerciales, Dalloz, 1988, p. 49.
En visant la clause léonine, cet auteur parle d’inégalité interdite ». Pour la même analyse, voir COZIAN et
VIANDIER, op. cit., p. 63.
96
Pour l’exclusion de l’attribution des bénéfices, l’interdiction est la règle, que la clause soit statutaire ou extra
statutaire. C’est la solution retenue en droit français. Les discussions se font jour lorsqu’on examine la clause
d’exonération des pertes. La controverse concerne les clauses extra statutaires portant sur les promesses
d’achat de droits sociaux. La chambre commerciale et la chambre civile de la Cour de Cassation n’ont pas le
même point de vue sur cette question. voir CLAUDEL E., « Clauses léonines extra statutaires : les voies d’un
compromis » in Prospectives du droit économique, Dialogues avec Michel JEANTIN, p. 183 à 193.
97
« Clauses statutaires de répartition des bénéfices » par POITRINAL F.D., Droit et Patrimoine n° 59, avril
1998, p. 32 à 41.
98
Lamy sociétés commerciales, op. cit. n° 291.
99
Cass. Req., 8 juillet 1885, in Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 293.
100
Cass. 1ère civ. 29 octobre 1990, Bull. Joly, 1990 p. 1052, note Le CANNU in Lamy Sociétés commerciales,
op. cit. n° 298.
101
Article 242 de l’Acte Uniforme sur les sociétés commerciales.
102
HAMEL, LAGARDE et JAUFFRET, Sociétés, L.I., 2e édition, Dalloz, 1980, p. 49, n° 401 ; MERLE P., op.
cit., D. 49 n° 42.
*
* *
On conviendra avec nous que l’égalité ne signifie pas égalitarisme. Que l’on aborde la
question par référence aux titres sociaux ou que l’on porte l’analyse sur les associés eux-
mêmes, la remarque est toujours la même. Les droits conférés aux associés sont identiques,
mais par certains côtés, on peut relever une différence de traitement. A la vérité, il ne peut en
être autrement, eu égard au risque pris dans l’affaire sociale, certains des associés auront un
sort plus enviable que celui des autres. Réalité ou simple principe, l’égalité a un contenu très
particulier. La société apparaît ainsi, à nos yeux, comme une manière d’être ensemble tout à
fait originale, un contrat pas comme les autres. Sans nul doute, c’est ce qui explique
l’engouement suscité par cette forme d’activité humaine.

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