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Répertoire de droit des sociétés

Abus de majorité, minorité, égalité


Jean-Pierre SORTAIS
Professeur honoraire à la Faculté de droit de Lausanne

septembre 2017

Table des matières

Généralités 1 - 7

Sect. 1 - Abus de majorité 8 - 47


Art. 1 - Notion d'abus de majorité 8 - 12
Art. 2 - Applications et refus d'application 13 - 25
Art. 3 - Sanctions de l'abus de majorité 26 - 43
§ 1 - Nullité 27 - 29
§ 2 - Dommages-intérêts 30 - 39
§ 3 - Dissolution de la société 40 - 41
§ 4 - Une sanction très exceptionnelle 42 - 43
Art. 4 - Questions de procédure 44 - 47

Sect. 2 - Abus de minorité 48 - 82


Art. 1 - Notion d'abus de minorité 51 - 58
Art. 2 - Applications et refus d'application 59 - 66
Art. 3 - Sanctions de l'abus de minorité 67 - 82
§ 1 - Dommages-intérêts 68
§ 2 - Nullité 69
§ 3 - Exclusion de la décision valant vote 70 - 73
§ 4 - Désignation d'un mandataire ad hoc 74 - 76
§ 5 - Exclusion 77 - 79
§ 6 - Retrait 80 - 82

Sect. 3 - Abus d'égalité 83 - 91

Bibliographie

Ouvrages généraux :
Y. CHAPUT, Droit des sociétés, 1993, coll. Droit fondamental, PUF . – Y. CHARTIER, Droit des affaires, t. 2 : Sociétés
commerciales, 3 e éd., 1992, coll. Thémis, PUF . – M. COZIAN, A. VIANDIER et F. DEBOISSY, Droit des sociétés, 15 e éd., 2002,
Litec. – P. DIDIER, Droit commercial, t. 2 : L'entreprise en société, 3 e éd., 1999, coll. Thémis, PUF . – J. ESCARRA, E. ESCARRA
et J. RAULT, Traité théorique et pratique de droit commercial. Les sociétés commerciales, par J. RAULT, t. 1, 2 et 3, 1950-
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Entreprises publiques, par G. LAGARDE, 1980, Dalloz. – J. HÉMARD, F. TERRÉ et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 1,
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Montchrestien. – P. LE CANNU, Droit des sociétés, 2002, Montchrestien . – B. MERCADAL, Ph. JANIN, A. CHARVÉRIAT et
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L'application jurisprudentielle de la loi du 24 juillet 1996 sur les sociétés commerciales, 1976, Dalloz . – Ph. MERLE et
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Ouvrages spéciaux et thèses :
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D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, 1970, Sirey ; Les conflits d'intérêts dans la société
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Articles :
C. BAILLY-MASSON, L'intérêt social, notion fondamentale, LPA, n o 224, 9 nov. 2000, p. 6 . – J.-M. BERMOND DE VAULX, L'abus
de majorité, dans une SARL, peut-il consister dans l'abandon… de cette majorité ?, Dr. sociétés mars 1993. Chron. 3 ; À
propos d'une conception exaltée de l'affectio societatis, Dr. sociétés avr. 1993. Chron. 4 . – M. BOIZARD, L'abus de minorité,
Rev. sociétés 1988. 365 . – A. BOQUET, La minorité dans les sociétés de capitaux, RJ com. 1983. 121 . – M. CABRILLAC, De
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l'Association Henri Capitant, t. XXVIII, 1977, Economica, p. 221-230 . – CARTERON, L'abus de droit et le détournement de
pouvoirs dans les assemblées générales des sociétés anonymes, Rev. sociétés 1964. 161 . – A. CONSTANTIN, L'intérêt
social : quel intérêt ?, Études offertes à B. Mercadal, 2002, éd. Francis Lefebvre. – A. COURET, L'abus et le droit des
sociétés, Dr. et patr. n o 83, juin 2000, p. 66 ; Le harcèlement des majoritaires, Bull. Joly 1996. 112. – L. GODON, La
protection des actionnaires minoritaires dans la loi relative aux nouvelles régulations économiques, Bull. Joly 2001. 728. –
G. KENGNE, Le rôle du juge en matière d'abus du droit de vote, LPA n o 116, 12 juin 2000, p. 10. – P. LE CANNU, L'abus de
minorité, Bull. Joly 1986. 429 ; Le minoritaire inerte, Bull. Joly 1993. 537 ; La sous-filialisation abusive, Bull. Joly 1995. 303. –
H. LE DIASCORN, Abus de minorité et validation d'une transformation de société par le juge, note sous Cass. com. 15 juill.
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réflexions sur le destin des théories de Josserand, D. 1972. Chron. 67. – Y. REINHARD, L'abus de droit dans le contrat de
société, Cah. dr. entr. 1998, n o 6. – J.-L. RIVES-LANGE, L'abus de majorité, RJ com., n o spécial, nov. 1991, sur la loi de la
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– R. VATINET, Existe-t-il un principe de proportionnalité en droit des sociétés ?, LPA n o 117, 30 sept. 1998, p. 58. –
D. VEAUX, L'abus de pouvoirs ou de fonctions en droit civil français, in L'abus de pouvoirs ou de fonctions, Travaux de
l'Association Henri Capitant, t. XXVIII, 1977, Economica, p. 77 s.
Droit comparé :
A. J. BOYLE, Minority shareholders'remedies, 2002, Cambridge University Press. – J. CHARLESW ORTH and G. MORSE,
Charlesworth & Morse Company Law, 16 e éd., 1999, Sw eet & Maxw ell. – L.C.B. GOW ER, The Principles of Modern Company Law,
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Henri Capitant, t. XXVIII, 1977, Economica, p. 259 s. – A. TUNC, Le droit anglais des sociétés anonymes, 3 e éd., 1987,
Dalloz.
Généralités

1. Les premières manifestations de la notion d'abus en droit des sociétés sont aujourd'hui assez anciennes (Req. 16 nov.
1943, S. 1947. 1.15, note R. Houin, JCP 1944. II. 2551, note P. Lescot, Gaz. Pal. 1944. 1.14. – Civ. 1 re , 20 janv. 1958,
D. 1958, somm. 82, Gaz. Pal. 1958. 1.266. – Com. 6 févr. 1957, Bull. civ. III, n o 48, JCP 1957. II. 10325, note D. Bastian ;
20 févr. 1957, Bull. civ. III, n o 57, rejetant le pourvoi contre Paris, 2 nov. 1954, D. 1954. 758 ; adde : Besançon, 5 juin 1957,
D. 1957. 605. – Paris, 26 mars 1952, S. 1953. 2.181, concl. Gégout et 15 juill. 1925, Rev. sociétés 1926. 24, Journ. soc.
1927. 344. – Paris, 13 avr. 1934, DP 1936. 2.121, note P. Pic ; T. com. Seine, 17 janv. 1948, S. 1949. 2.161, note
A. Dalsace). Il n'est donc pas étonnant que la question se soit posée, lors des travaux préparatoires de la loi du 24 juillet
1966, de savoir quel sort il convenait de lui réserver ; et il est souvent rappelé qu'à cette occasion M. PLEVEN, avait proposé
un amendement aux termes duquel « lorsqu'un associé ou un actionnaire fait abusivement obstacle à l'adoption par les
assemblées ordinaires ou extraordinaires de mesures conformes à l'intérêt social, le tribunal de commerce peut rendre
exécutoires les résolutions soumises à l'assemblée en l'absence des conditions nécessaires à leur validité » (JOAN 11 juin
1965, p. 2031 ; adde : J. HÉMARD, F. TERRÉ et P. MABILAT, Sociétés commerciales, t. 2, 1974, p. 329, n o 384 et, p. 333,
n o 390 ; ainsi que les observations de J. HONORAT, Defrénois 1991. 616, note 24, et de M. ALMASANEANU, LPA n o 37,
22 févr. 1999, p. 15, spéc., note 29) ; fort heureusement, cet amendement n'a pas été retenu.
2. C'est qu'à l'instar de l'enrichissement sans cause ou de l'obligation naturelle, l'abus appartient à la catégorie des notions
juridiques subversives : il s'agit, toutes proportions gardées, d'un véritable explosif juridique qui ne doit être manipulé
qu'avec d'infinies précautions. Et l'on a pu dire, avec raison, que « l'abus de droit est essentiellement une création de la
jurisprudence qui y voit un mécanisme correcteur, une soupape de sûreté permettant au juge d'assouplir le jeu des
mécanismes juridiques » (A. PIROVANO, L'abus de droit dans la doctrine et la jurisprudence françaises, Inchieste di diritto
comparato sous la direction de M. ROTONDI, vol. VII, Cedam, 1979, p. 315-359) : il s'agit d'empêcher les excès que pourrait
permettre une application mécanique de la règle de droit en s'inspirant de l'adage « summum jus, summa injuria » et sans
jamais perdre de vue que « l'abus doit rester un mécanisme correcteur d'application exceptionnelle » (E. GAILLARD, Le
pouvoir en droit privé, 1985, Economica, p. 27, n o 27).
3. Entendu dans son acception la plus classique comme se rapportant au comportement d'un individu relativement à un
droit ou à une prérogative qu'il entend exercer, l'abus de droit a sa place en matière de droit des sociétés. Ainsi des
décisions ont eu à se prononcer sur l'abus, par un actionnaire, du droit de poser des questions au cours de l'assemblée
générale (T. com. Paris, 11 mai 2004, Bull. Joly 2004. 1238, § 252, note P. Le Cannu) ou sur l'abus dans l'exercice du droit
de vote (Com. 10 mai 2011, n o 10-16.323 , Rev. sociétés 2011. 566, note B. Saintourens ), sauf à noter que ce dernier
arrêt emploie l'expression « abus de minorité », ce qui lui donne une signification particulière car propre au droit des
sociétés ou, plus généralement, des groupements.
4. Lorsqu'il est question d'abus en droit des sociétés, cela implique que soit en jeu le fonctionnement même de la société ;
appliquée dans ce domaine la notion d'abus « repose sur les concepts généraux d'abus de droit, de détournement de
pouvoir, de bonne foi, de rupture intentionnelle d'égalité sans être véritablement réductible à l'une ou à l'autre de ces
notions » (M. BOIZARD, L'abus de minorité, Rev. sociétés 1988. 365, spéc. p. 367, n o 3). Elle se présente sous diverses
facettes, même si l'une d'elles, l'abus, reste prédominante (sur la distinction de l'abus de droit et du détournement de
pouvoir, V. outre E. GAILLARD, op. cit., le rapport de D. VEAUX sur l'abus de pouvoirs ou de fonctions en droit civil français, in
L'abus de pouvoirs ou de fonctions, Travaux de l'Association Henri Capitant, t. XXVIII, 1977, Economica, p. 77-94). On citera,
pour ne pas y revenir car la question relève du droit pénal, un arrêt qui fait ressortir la proximité de l'abus de pouvoir,
réprimé par l'article L. 242-6 du code de commerce, et de l'abus de droit : l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 19 mai
2011 qui concerne « les pouvoirs du PDG sur sa propre rémunération et l'abus qu'il peut en faire » (intitulé donné par P. LE
CANNU à son commentaire de Versailles, 19 mai 2011, Rev. soc. 2012. 99 ; D. 2011. 1479 ; RTD com. 2011. 368, obs.
P. Le Cannu et B. Dondero ; Bull. Joly 2011. 597, § 320, note B. Dondero. – Pourvoi rejeté par Crim. 16 mai 2012, n o 11-
85.150 , Bull. crim. n o 127 ; D. 2012. Actu. 1401 ; Rev. soc. 2012. 697, note P. Le Cannu ; D. 2012. Pan. 1705, obs.
C. Mascala ; RTD com. 2012. 63, obs. B. Bouloc ; JCP E 2012. 1396, note C. Ducouloux-Favard ; RSC 2012. 565, obs.
H. Matsopoulou ; Bull. Joly 2012. 579, § 369, avis Salvat et note B. Dondero).
5. Les phénomènes d'abus ne seront analysés dans la présente rubrique que du point de vue du droit privé. Seront donc
délibérément laissées de côté les questions relevant du droit pénal (V. supra, n o 4) ou du droit fiscal, sauf à noter que,
selon un spécialiste averti (M. COZIAN, Qu'est-ce que l'abus de droit ?, LPA, n o 6, 14 janv. 1991, p. 5 ; adde les huit rapports
présentés lors du colloque sur l'abus de droit en fiscalité, Rev. sociétés 2002. 499 ), « l'abus de droit des fiscalistes n'est
pas l'abus de droit des juristes » ou du droit pénal (sur lesquelles, V. Abus de biens sociaux [Sociétés] ; adde : B. BOULOC,
Rapport sur l'abus de pouvoirs ou de fonctions en droit pénal français, in L'abus de pouvoirs ou de fonctions, Travaux de
l'Association Henri Capitant, t. XXVIII, 1977, Economica, p. 343-365, spéc. p. 358-359, et les ouvrages de J. LARGUIER et
Ph. CONTE, Droit pénal des affaires, 9 e éd., 1998, Armand Colin ; M. DELMAS-MARTY, Droit pénal des affaires, 3 e éd., 1990,
coll. Thémis, PUF ; W . JEANDIDIER, Droit pénal des affaires, 5 e éd., 2003, Dalloz).
6. De façon plus précise, ces phénomènes seront envisagés, pour l'essentiel, dans les sociétés non cotées : ce n'est pas
qu'ils soient particuliers ou limités à celles-ci, les abus pouvant s'observer aussi bien dans les très grandes sociétés ou dans
les groupes de sociétés (V. M. JEANTIN, note sous Com. 24 janv. 1995, Rev. sociétés 1995. 46 , spéc. II, p. 49 et
B. OPPETIT, note sous Com. 24 févr. 1975, Rev. sociétés 1976. 92, spéc. p. 101 et 102) que dans les sociétés de famille ou
les SARL ; mais, pour ce qui est des sociétés cotées, la réglementation boursière institue des mécanismes qui, notamment
sous la forme d'offres publiques et de garantie de cours, permettent de sauvegarder les droits et intérêts de l'ensemble
des actionnaires et de faire régner entre eux l'égalité (V. Protection des minoritaires : droit boursier [Sociétés] et Offres
publiques : OPA, OPE, OPR [Sociétés, Com.]).
7. Sous le bénéfice des observations qui précèdent seront traités successivement l'abus de majorité (V. infra, n os 8 s.),
l'abus de minorité (V. infra, n os 50 s.) et, finalement, l'abus d'égalité (V. infra, n os 85 s.).
Section 1 re - Abus de majorité

Art. 1 er - Notion d'abus de majorité


8. Tout comme la notion d'abus de droit, la notion d'abus de majorité est d'origine prétorienne (sur les rapports entre les
deux notions, V. D. SCHMIDT, Les droits de la minorité dans la société anonyme, 1970, Sirey [cité ci-après : « Les droits… »],
p. 176-182, n o 234-240, et G. SOUSI, L'intérêt social dans les sociétés commerciales, p. 37-39, n o 46-48 ; adde : P. LE
CANNU, note Rev. sociétés 1982. 805, spéc. p. 808 et les réf. ; sur les rapports avec les notions d'abus de pouvoir et de
détournement de pouvoir, V. rapport de J. CALAIS-AULOY sur l'abus de pouvoirs ou de fonctions en droit commercial
fra nça is , in L'abus de pouvoirs ou de fonctions, Travaux de l'Association Henri Capitant, t. XXVIII, 1977, Economica,
p. 221 s., et E. GAILLARD, op. cit., p. 56 s., n os 79 s.) ; la définition en a été donnée, pour la première fois, par un arrêt de la
Cour de cassation rendu le 18 avril 1961 (Bull. civ. III, n o 175, D. 1961. 661, S. 1961. 1.257, JCP 1961. II. 12164, note D. B.,
RTD com. 1961. 634, n o 8, obs. Houin) aux termes duquel est abusive la décision impliquant une rupture de l'égalité entre
les actionnaires dès lors qu'elle a été prise « contrairement à l'intérêt général de la société et dans l'unique dessein de
favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité » ; cet arrêt casse, au visa de l'article 1382 du code civil, un
arrêt d'appel (Paris, 28 févr. 1959, D. 1959. 353, note N. Martine, JCP 1959. II. 11175, S. 1959. 2.134, note A. Dalsace, Rev.
sociétés 1959. 146, note A. Dalsace) qui avait fait application de la notion d'abus de majorité sans l'avoir caractérisée ;
depuis lors, cette définition a été reprise par maints arrêts postérieurs (V. les huit arrêts de la Cour de cassation cités par
D. SCHMIDT, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, 1999, coll. Pratique des affaires, Éditions Joly [cité ci-après :
« Les conflits… »], p. 118, note 13) et le législateur l'a même faite sienne dans le contexte très particulier de la copropriété
des navires (L. n o 67-5 du 3 janv. 1967, art. 12, al. 2, portant statut des navires et autres bâtiments de mer). Dans un arrêt
du 6 mai 1964 (D. 1964. 783, note A. Dalsace) la cour d'appel de Grenoble déclare que « les dirigeants ou l'assemblée
générale d'une société ne peuvent se servir des pouvoirs qui leur sont conférés que dans l'intérêt social ; dès lors, il y a
abus de droit ou détournement de pouvoir toutes les fois qu'un administrateur ou un associé agit en vue de satisfaire des
intérêts personnels au détriment des intérêts collectifs ou des intérêts individuels d'autres associés et ce, même sans
intention de nuire ».
9. Ainsi défini, l'abus de majorité paraît comporter deux éléments : d'une part, une atteinte à « l'intérêt général » de la
société, c'est-à-dire à ce qu'il est convenu d'appeler l'intérêt social ; d'autre part, la volonté de favoriser les membres de la
majorité au détriment de ceux de la minorité ; mais, si cette analyse en deux éléments est adoptée par une large majorité
d'auteurs, elle ne fait pas l'unanimité et certains estiment que le seul et unique critère de l'abus résiderait dans la rupture
intentionnelle de l'égalité (en ce sens, V. D. SCHMIDT, Les droits…, op. cit., p. 151 s., n os 204 s., et Les conflits…, op. cit.,
p. 200 s., not. p. 205 s. ; adde : P. FEUILLET, Rapport sur l'atteinte à l'intérêt collectif appréciée à partir de la rupture
d'égalité entre les actionnaires, Rev. sociétés 1979. 701) ; on trouvera un raccourci saisissant des deux thèses en présence
dans la note de P. LE CANNU, sous Cass. com. 18 mai 1982 (Rev. sociétés 1982. 804, spéc. p. 807).
10. L'accord est loin d'être fait sur le contenu même de la notion d'intérêt social : pour certains, il s'agit de l'intérêt de l'être
moral, conçu comme distinct de celui des associés, la société n'étant que l'habillage juridique de l'entreprise et son intérêt
transcendant celui de ses membres ; le rapport VIÉNOT illustre cette conception en définissant l'intérêt social comme
« l'intérêt supérieur de la personne morale elle-même, c'est-à-dire de l'entreprise considérée comme un agent économique
autonome, poursuivant des fins propres, distinctes notamment de celles de ses actionnaires, de ses salariés, de ses
créanciers dont le fisc, de ses fournisseurs et de ses clients mais qui correspondent à leur intérêt général commun, qui est
d'assurer la prospérité et la continuité de l'entreprise » (rapport VIÉNOT, 1 er juill. 1995 ; V. aussi C. BAILLY-MASSON,
L'intérêt social, notion fondamentale, LPA, n o 224, 9 nov. 2000, p. 6 ; adde : A. COURET, L'intérêt social, Cah. dr. entr. n o 40,
3 oct. 1996, n o 40, p. 1 s.). Cette analyse est généralement adoptée par les tenants de la conception institutionnelle de la
société anonyme.
11. Elle est cependant loin d'être unanimement partagée : pour d'autres auteurs, l'intérêt social ne saurait dépasser le
cercle des seuls associés, sans d'ailleurs se confondre avec l'intérêt commun de ces derniers (sur lequel V. D. SCHMIDT, De
l'intérêt commun des associés, JCP 1994. I. 3793, rect. 3800 bis et M. GERMAIN, L'intérêt commun des actionnaires, Cah. dr.
entr. 3 oct. 1996, n o 40, p. 13). Ainsi, D. SCHMIDT est d'avis (Les conflits…, op. cit., p. 190, n o 192 et p. 196, n o 200) que
l'intérêt social « se compose de deux éléments : l'intérêt des actionnaires et la communauté d'intérêts existant entre eux.
Le premier élément exprime le but poursuivi par le groupement sociétaire : l'enrichissement des actionnaires résultant de
l'enrichissement du patrimoine social. Le second élément exprime le lien unissant les actionnaires, chacun ayant droit à sa
juste part de l'enrichissement social. Si l'un de ces deux éléments fait défaut, l'intérêt social n'est pas réalisé » ; mais il
reconnaît qu'avec une telle conception « la définition de la Cour de cassation est redondante ». Cette opinion est
également celle de P. FEUILLET (article préc., Rev. sociétés 1979. 701, spéc. p. 712-714). Pour D. PORACCHIA et D. MARTIN,
« l'intérêt social correspond à l'intérêt commun des parties au contrat de société pris abstraitement mais peut toujours ne
pas correspondre à l'intérêt commun des actionnaires présents à un moment donné dans la société […] Cette analyse de
l'intérêt social réconcilie tout à la fois l'intérêt de l'être moral et l'intérêt des actionnaires » (D. PORACCHIA et D. MARTIN,
Regard sur l'intérêt social, Dr. sociétés 2012. 475 ; V. égal. A. CONSTANTIN, L'intérêt social : quel intérêt ?, in Mélange
B. MERCADAL, 2002, F. Lefebvre, p. 315).
12. Autre question de principe : un certain nombre d'arrêts de censure rendus en matière d'abus de majorité font référence
à l'article 1382 du code civil (V. par ex. : Com. 21 oct. 1997, Bull. civ. IV, n o 281, Bull. Joly 1998. 40, note P. Le Cannu,
Defrénois 1998. 1289, art. 36889, n o 3, obs. J. Honorat ; 13 mars 2001, Rev. sociétés 2001. 818 , et la note de
B. Dondero sous cet arrêt, spéc. p. 824, n o 13) ; d'autres, en revanche, font application - conformément à certaines
suggestions doctrinales (V. P. LE CANNU, note Defrénois 1991. 885, spéc., p. 890, n o 10 et J. HONORAT, note Defrénois
1995. 251, spéc., p. 254, n os 5 s. et note 12 ; adde : Y. GUYON, Droit des affaires, t. I, 11 e éd., 2001, n o 443 et C. PRIETO,
La société contractante, 1994, PU Aix-Marseille, p. 156) - des articles 1832 et 1833 du code civil. Le choix ainsi opéré ne
reflète pas seulement les deux conceptions, institutionnelle et contractuelle, de la société ; il illustre aussi la diversité des
finalités visées par les actions reposant sur l'abus : toutes ne tendent pas à l'obtention d'une indemnisation.
Art. 2 - Applications et refus d'application
13. Les applications qui ont pu être faites de l'abus de majorité sont variées : a) un premier type d'application se rencontre
à propos des décisions concernant l'affectation des bénéfices : nombreux sont les arrêts qui ont censuré comme abusives
des décisions concernant la mise en réserve de bénéfices lorsqu'il apparaît qu'une telle mesure n'est d'aucun profit pour la
société et ne constitue qu'une thésaurisation stérile, par exemple parce qu'elle n'est accompagnée d'aucun programme
d'investissement ou qu'aucune incorporation des réserves au capital n'est prévue (V. par ex. Com. 22 avr. 1976, D. 1977. 4,
note J.-C. Bousquet, RJ com. 1977. 93, note Ph. Merle, Gaz. Pal. 1977. 1. Doctr. 157, note M. Germain, Rev. sociétés 1976.
479, note crit. D. Schmidt. – Com. 6 juin 1990, n o 88-19.420 , Bull. civ. IV, n o 171, D. 1990. IR 163 , Rev. sociétés 1990.
606, note Y. Chartier , Defrénois 1991, art. 35041, n o 4, p. 615, obs. J. Honorat, Bull. Joly 1990. 782, note P. Le Cannu. –
Rouen, 23 janv. 1986, JCP E 1987. I. 16122, n o 13, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain). Encore faut-il que l'abus soit
caractérisé et la décision qui le sanctionne correctement motivée (V. Com. 22 janv. 1991, Rev. sociétés 1991. 345, chron.
Guyon , Bull. Joly 1991. 389, note M. Jeantin, Quot. jur. 27 avr. 1991, p. 2, Defrénois 1991. 885, n o 3, note P. Le Cannu ;
23 juin 1987, n o 86-13.040, Bull. civ. IV, n o 160, RTD com. 1988. 71, n o 2, obs. Y. Reinhard, cet auteur remarquant que « la
mise en réserve systématique des bénéfices ne peut caractériser que de façon exceptionnelle l'existence d'un abus de
majorité » ; D. VIDAL, Droit des sociétés, 7 e éd., 2010, LGDJ, p. 405, n o 728, observe que « la jurisprudence, en général,
écarte la qualification abusive pour la mise en réserve systématique des bénéfices ; G. RIPERT et R. ROBLOT relevant, de
leur côté - Traité élémentaire de droit commercial, t. I, 12 e éd., LGDJ, p. 1033, n o 1507 - qu'« en fait les décisions qui
valident la constitution de réserves au nom de l'intérêt social sont beaucoup plus fréquentes que celles qui en prononcent
l'annulation » ; illustrant cette constatation, outre les arrêts préc. : Com. 9 nov. 1966, JCP 1967. II. 15250, note R.D.M. –
Versailles, 1 er févr. 2001, aff. Mieral c/ Podia France, inédit, RTD com. 2001. 709, obs. C. Champaud et D. Danet et
Versailles, 7 déc. 1995, JCP E 1996. Pan. 336). Les décisions sanctionnant un abus de majorité en cas de thésaurisation
injustifiée des bénéfices ne sont cependant pas rares (V. Civ. 3 e , 7 févr. 2012, n o 10-17.812 , Rev. sociétés 2012. 623,
note A.-L. Champetier de Ribes-Justeau. – Com. 17 juin 2008, n o 06-15.045 , D. 2008. 1818, obs. A. Lienhard ;
D. 2009. 1172, obs. M. Laroche ; Rev. sociétés 2008. 826, note J.-F. Barbieri ; RTD. com. 2008. 588, obs. M.-
H. Monserie-Bon. – Com. 1 er juill. 2003, n o 99-19.328 , Rev. sociétés 2004. 337, note B. Lecourt ; Bull. Joly 2003. 1137,
note A. Constantin).
14. b) En dehors de la question de l'affectation des bénéfices, la notion d'abus de majorité a été appliquée - ou écartée - à
propos d'autres décisions émanant soit de l'assemblée générale des actionnaires ou des associés, soit de l'organe de
gestion de la société.
ACTUALISATION
14-1. Rachat forcé de parts sociales constitutif d’un abus de majorité. -Le rachat forcé des parts sociales d'un
associé d'une SELARL en raison de l'exercice de son activité professionnelle au sein d'une autre structure, mais décidé
dans le dessein de procéder à une liquidation amiable de la société pour transférer la totalité des actifs au seul
bénéfice de l'autre associé, est constitutif d'un abus de majorité qui emporte nullité de l'assemblée générale ayant
décidé le rachat et de la décision subséquente de dissolution de la SELARL (Paris, 26 janv. 2018, n o 16/18413, Rev.
sociétés 2018. 653, note E. Schlumberger ).

15. La question de la rémunération des dirigeants a pu prêter à des discussions sur le terrain de l'abus de majorité (Sur la
question de l'abus de pouvoir, V. supra, n o 4) : ainsi, dans le cas d'une société par actions simplifiée dont les statuts
prévoyaient que la rémunération de son président devait être fixée par une délibération des associés prise à la majorité
simple, la cour d'appel – après avoir relevé que le président de la société assumait la responsabilité, tant civile que pénale,
afférente à ses fonctions et précisé que la rémunération allouée à ce dernier s'élevait à la somme annuelle brute de
55.000 € tandis que la société avait réalisé, au cours de son dernier exercice, un résultat net de 410.000 € – a statué que
la rémunération des fonctions exercées par le président ne saurait être considérée comme excessive et contraire à l'intérêt
social : en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel – après avoir exactement décidé qu'un actionnaire
n'était pas fondé à se prévaloir de l'inobservation des dispositions de l'article L. 227-10 du code de commerce (concernant
les conventions réglementées entre une SAS et l'un de ses dirigeants) – a pu décider que l'abus de majorité invoqué n'était
pas établi (Com. 4 nov. 2014, n o 13-24.889 , D. 2014. Actu. 2297 ; Rev. sociétés 2014. 108, note L. Godon ; RTD
com. 2015. 117, obs. P. Le Cannu ; JCP E 2014. 1652, note B. Dondero ; JCP E 2015. 1012, note de J. de Calbiac ; Dr.
sociétés 2015, n o 7, note Gallois-Cochet ; RJ com. 2015. 331, obs. M.-H. Monserie-Bon ; Gaz. Pal. 25-27 janv. 2015, p. 13,
note F. Zattara-Gros, rejetant le pourvoi contre Bastia, 24 juill. 2015, n o 11/00 755, Rev. sociétés 2014. 47, note M. Caffin-
Moi ).
16. Les décisions concernant des augmentations ou des réductions de capital méritent, à cet égard, une mention
particulière : ainsi, à propos de la technique connue sous le nom de « coup d'accordéon » il a été jugé que la réduction
temporaire à zéro du capital, accompagnée d'une prime d'émission élevée n'était pas constitutive d'un abus de majorité
alors même que l'opération permettait à l'associé (devenu) majoritaire d'échapper à la promesse d'achat qu'il avait faite et
qui portait sur des actions annulées du fait du « coup d'accordéon » (Com. 10 oct. 2000, aff. Demenois c/ SEDEC, inédit,
arrêt n o 1642 sur pourvoi n o 98-10.232 6) : selon cet arrêt, la réduction de capital litigieuse « sanctionnerait une
obligation essentielle des associés consistant à contribuer aux pertes sociales » (sur laquelle, V. F. KENDÉRIAN, La
contribution aux pertes sociales, Rev. sociétés 2002. 617 ), la Cour de cassation relevant au passage que la cour d'appel
a, à bon droit, énoncé que « l'intérêt commun est le même pour chaque associé et permet à chacun d'eux de retirer un
bénéfice personnel à proportion du bénéfice collectif » (V. égal., à propos d'un autre « coup d'accordéon » avec suppression
du droit préférentiel de souscription : Com. 18 juin 2002, D. 2002, somm. 3264, obs. J.-C. Hallouin , JCP 2002. IV. 2404 et
II. 10180, note H. Hovasse, RD banc. fin. sept.-oct. 2002, p. 278, n o 207, obs. A.C., Bull. Joly 2002. 1221, note S. Sylvestre
et Bull. Joly Bourse 2002. 621, note S. Sylvestre ; adde : M. BOIZARD, La réduction du capital social à zéro, Rev. sociétés
1999. 735 ; D. COHEN, La validité du « coup d'accordéon », (à propos d'une jurisprudence récente), D. 2003. Chron. 410
; P. DIDIER et F. LACROIX, La réduction du capital à zéro, Mélanges AEDBF I, 1997, éd. Banque, p. 171 et S. SYLVESTRE-
TOUVIN, Le coup d'accordéon ou les vicissitudes du capital, thèse, Paris II, 2002). Dans un autre arrêt (Com. 5 déc. 2000,
Bull. civ. IV, n o 192), le grief d'abus de majorité est de nouveau écarté en présence d'un cas de « dilution » caractérisé (la
demanderesse, qui avait dans un premier temps provoqué une expertise de gestion, avait vu sa participation passer de
20 % à 0,2 % à la suite d'un « coup d'accordéon »), au motif qu'il n'était nullement démontré que les actes et délibérations
critiqués fussent contraires à l'intérêt social.
17. Les décisions et études concernant la technique dite du coup d'accordéon ont été assez nombreuses au cours des
années récentes. Ainsi, dans un arrêt du 16 décembre 2004 (Bull. Joly 2005. 701, § 156, note S. Sylvestre), la cour d'appel
de Versailles écarte toute idée d'abus de majorité dès lors qu'il est constaté que le coup d'accordéon correspond aux
intérêts des actionnaires et de la société elle-même ; mais la validité de principe du coup d'accordéon peut, selon les
circonstances, être subordonnée à certaines conditions : par exemple, à la nécessité de consulter la masse des obligataires
dès lors que ceux-ci sont porteurs d'ORA, c'est-à-dire de titres donnant accès au capital (Com. 10 juill. 2012, n o 11-22.898
, Rev. sociétés 2012. 536, note L. C. Henry ; Rev. sociétés 2013. 99, note H. Le Nabasque ; JCP E 2012. 1571, note
J. M. Moulin ; JCP E 2012. 1757, note Ph. Petel ; Rev. proc. coll. 2013. Comm. 21, note Fraimout ; Bull. Joly 2012. 810, note
F.-X. LUCAS : la solution de cet arrêt a un double fondement à la fois dans le droit des sociétés et dans celui des procédures
collectives. – Adde : sur la régularité et la légitimité du coup d'accordéon, Com. 31 mars 2015, n o 14-11.735 , Rev. sociétés
2015. 668, note S. Sylvestre. – Versailles, 16 déc. 2004, aff. Cogedim, Bull. Joly 2005. 701, § 156, note S. Sylvestre ;
R. MORTIER, La réalisation du coup d'accordéon, JCP E 2011, n o 19, p. 15 ; Opérations sur capital social, 2010, Lexis-Nexis ;
D. COCHET, Le coup d'accordéon dans les affres de l'infinitésimal, RJ com. 2004. 135 ; S. SYLVESTRE-TOUVIN, Le coup
d'accordéon ou les vicissitudes du capital, 2003, PUAM. – Sur les aspects fiscaux, notamment le régime fiscal des moins-
values, V. CE 22 janv. 2010, JCP E 2010, n o 8, p. 44 ; F. PERROTIN, Coup d'accordéon : le Conseil d'État prend position, LPA
2008, n o 98, p. 4).
18. L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 22 mai 2001 (Bull. Joly 2001. 1003, note H. Le Nabasque, Banque et droit
n o 82, mars-avr. 2002, p. 47, obs. I. Riassetto) montre à quel point l'abus de majorité présente un caractère exceptionnel :
en l'espèce, une augmentation de capital importante (8 563 000 F pour un capital initial de 1 000 000 F) avait été décidée,
mais elle ne provenait que très partiellement d'apports nouveaux (437 000 F) effectués en deux fois et, pour l'essentiel
(soit plus de 8 000 000 F), de la décision prise ensuite d'incorporer au capital les primes d'émission dont le montant pouvait
paraître disproportionné par rapport au nominal de l'action (la prime était, en effet, de 5 900 F pour chaque action de
100 F) ; il était évident que « derrière l'enjeu financier se profilait un enjeu de pouvoir » (I. RIASSETTO, obs. préc., p. 48) et
l'on comprend que les minoritaires aient plaidé, tout à la fois, la fraude, l'absence de cause et l'abus de majorité : sur ce
dernier terrain, l'arrêt estime que - compte tenu de l'impérieux besoin en fonds propres de la société - il ne pouvait y avoir
atteinte à l'intérêt social et que la rupture d'égalité ne se constatait pas puisque tous les actionnaires avaient eu accès aux
mêmes conditions aux actions nouvelles. Pourtant, il ne faisait aucun doute que si l'on avait procédé en deux temps, le
recours à cette méthode indirecte n'avait d'autre but que de permettre aux actionnaires majoritaires de le demeurer.
19. Ainsi encore, il n'y a pas, selon la Cour de cassation, d'abus de majorité lorsque la décision prise par les associés
majoritaires d'une SARL aboutit à faire prendre en charge par la société la construction d'un immeuble dont la propriété
devait - par le biais d'un contrat de crédit-bail - revenir à une SCI dont seuls les majoritaires étaient membres (Com. 4 oct.
1994, n o 93-10.934 , Bull. civ. IV, n o 278, Defrénois 1994, art. 36017, p. 251, n o 2, note P. Le Cannu). Il y avait bien perte
de substance de la première société au bénéfice de la seconde et cela, pour le seul profit des associés majoritaires ; l'un
des deux éléments de l'abus de majorité - à savoir l'avantage procuré aux majoritaires au détriment de l'associé minoritaire
- était incontestable. La Cour de cassation écarte cependant tout abus au motif que « les mesures critiquées n'avaient pas
été prises contrairement à l'intérêt général de la société », cette appréciation étant fondée sur le fait que le bilan de l'année
au cours de laquelle la décision critiquée avait été prise « faisait apparaître une expansion de l'activité de la SARL ». On
peut trouver cette justification bien vague et estimer la solution très (trop) indulgente pour les majoritaires si on la compare
à certains précédents (V. par ex. : Civ. 3 e , 13 févr. 1991, n o 89-16.629 , Bull. civ. III, n o 60 et Com. 18 mai 1982, Rev.
sociétés 1982. 804, note P. Le Cannu ; adde : pour une situation comparable en matière d'indivision : Civ. 1 re , 13 déc. 1984,
D. 1985. 104, note A. Breton, sur pourvoi contre Aix-en-Provence, 2 mars 1983, D. 1984. 148, RTD civ. 1985. 756, obs.
J. Patarin et RDI 1985. 32 et 135, obs. Bergel) et on a le sentiment que le recours à la notion d'intérêt social sert à contenir
l'abus de majorité dans des limites aussi étroites que possible. D'une façon générale, il ne suffit pas, pour qu'une décision
puisse être qualifiée d'abusive, qu'elle soit avantageuse pour les majoritaires ; il faut encore qu'elle ait porté préjudice à la
société (Civ. 3 e , 18 juin 1997, n o 95-17.122 Bull. civ. III, n o 147, Dalloz affaires 1997. Chron. 1011, Bull. Joly 1997. 908,
note P. Le Cannu cassant Lyon, 6 avr. 1995, D. 1996. 216, note Y. Reinhard ; adde : Com. 8 janv. 1973, n o 71-12.141,
Bull. civ. IV, n o 13 ; 29 mai 1972, D. 1972, somm. 176, JCP 1973. II. 17337, note Y. Guyon).
20. Parmi les modifications statutaires qui ont pu donner lieu à abus de majorité, il y a la fusion et plus généralement les
« montages » (sur lesquels V. J.-Ph. DOM, Les montages en droit des sociétés, 1999, Éditions Joly et D. PORACCHIA, La
réception juridique des montages conçus par les professionnels, 1998, PUAM) qui peuvent servir à vider une société de sa
substance au profit d'une autre (à titre d'illustration, V. Com. 11 oct. 1967, n o 65-13.852 Bull. civ. III, n o 319, D. 1968. 135,
RTD com. 1968. 94, n o 6, obs. R. Houin : l'arrêt se rattache au courant qui analyse l'abus de majorité comme un abus de
droit ; comp. Com. 5 nov. 1991, aff. Sté Les Forges Thermal, inédit, arrêt n o 1356 sur pourvoi n o 90-12.933 ).

21. L'arrêt du 24 janvier 1995, n o 93-13.273 (Com. 24 janv. 1995, n o 93-13.273 , Bull. civ. IV, n o 27, Rev. sociétés 1995.
46, note M. Jeantin ; Defrénois 1995, art. 36091, n o 4, p. 690, note J. Honorat ; Dr. sociétés 1995, n o 102, obs. D. Vidal ;
RTD com. 1995. 623, obs. B. Petit et Y. Reinhard ; adde : P. LE CANNU, La sous-filialisation abusive, Bull. Joly 1995. 303,
§ 99) illustre bien les dangers que présentent certains « montages » : en l'espèce, l'actionnaire majoritaire avait apporté sa
participation dans une filiale à une société en commandite constituée pour les besoins de la cause et qui venait faire écran
entre l'ancienne société mère et sa filiale, devenue sous-filiale ; le résultat en était que la société anonyme était devenue
une « coquille vide » dont, en deux ans, le chiffre d'affaires ne représentait plus que 1/300 e de ce qu'il était et le bénéfice
1/132 e ; le cours de l'action s'en était ressenti puisqu'il était tombé de 4 607 F à 34 F ; l'actionnaire minoritaire ne disposait
plus sur la sous-filiale des moyens d'action et d'information dont il disposait sur la filiale et toute « remontée » des
dividendes était bloquée (Comp., dans une des affaires Agache-W illot où des actionnaires devenus commanditaires contre
leur gré ont obtenu gain de cause en plaidant « l'abus de droit de la majorité » : T. com. Paris, 29 juin 1981, Rev. sociétés
1982. 791, note M. Guilberteau, Gaz. Pal. 1981. 1.687, note P. de Fontbressin). Dans ces circonstances, la Cour de
cassation censure l'arrêt d'appel (Reims, 1 er févr. 1993) qui avait refusé de voir là un abus de majorité : rappelant la
définition de l'abus de majorité donnée par l'arrêt du 18 avril 1961 (V. supra, n o 8) et mettant en relief la contrariété à
l'intérêt social, tout autant que la rupture d'égalité, la censure est prononcée au visa des articles 17 et 360, alinéa 2, de la
loi du 24 juillet 1966 (devenus respectivement C. com., art. L. 225-121 et L. 235-1) ; la Cour de cassation avait déjà connu
de cette même affaire (V. Com. 25 févr. 1992, inédit, arrêt n o 348 sur pourvoi n o 90-16.510 et, sur renvoi, l'arrêt de
résistance Paris, 19 sept. 2001, D. 2001. 3124, note A. Lienhard ; Bull. Joly 2001. 1121, § 252, note A. Constantin ; Dr. et
patr. n o 99, déc. 2001, p. 100, comm. n o 2981, obs. D. Poracchia. – Lui-même cassé par Com. 30 nov. 2004, Bull. Joly 2005.
241, § 42, note P. Le Cannu).

22. Est à signaler ici l'arrêt de censure rendu le 2 juillet 1985, n o 83-16.887 (Bull. civ. IV, n o 203, D. 1986. 351, note
Y. Loussouarn, JCP 1985. II. 20518, note A. Viandier et éd. E, II. 14578, note A. Viandier, Rev. sociétés 1986. 231, note
P. Le Cannu, Bull. Joly 1985. 962). La cassation est prononcée sur deux moyens : le moyen qui a particulièrement retenu
l'attention des commentateurs, consacre et sanctionne, pour la première fois, le droit à l'information des administrateurs
(sur lequel V. P. LE CANNU, Le droit à l'information de l'administrateur préalablement à la réunion du conseil
d'administration, Bull. Joly 1985. 919). Cela ne doit pas faire oublier que la cassation est également prononcée sur un autre
chef, la Cour de cassation reprochant à l'arrêt attaqué un manque de base légale en ce qu'il n'avait pas recherché « si la
résolution litigieuse » (adoptée par une assemblée générale) « avait été prise dans l'unique dessein de favoriser les
membres de la majorité au détriment des membres de la minorité ». En complément de celui du 2 juillet 1985, les arrêts du
24 avril 1990, n os 88-17.218 et 88-18.004 (Bull. civ. IV, n o 125, Bull. Joly 1990. 511 et 532, note P. Le Cannu, RTD com.
1990. 416, n o 4, obs. Y. Reinhard ), tout en censurant l'arrêt attaqué sur trois des moyens de cassation présentés,
approuve la cour d'appel d'avoir « déduit exactement que les nominations litigieuses ne répondaient pas à l'intérêt social et
constituaient un abus de droit des associés majoritaires » ; cet arrêt est une nouvelle illustration du courant qui tend à
rattacher l'abus de majorité à la théorie générale de l'abus de droit.
23. Si l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 31 janvier 2001 (Rev. sociétés 2001. 409, obs. Y. Guyon, JCP 2001. I. 372
n o 6, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain, Bull. Joly 2001. 791, note P. Le Cannu) présente l'intérêt de statuer que la
révocation d'un membre du directoire peut être abusive alors même qu'elle aurait été décidée pour de justes motifs (V. en
sens inverse, à propos d'une révocation décidée sans juste motif mais non abusive : Paris, 20 nov. 1980, Rev. sociétés
1981. 583, note P. Le Cannu, Dr. sociétés 1981, n o 6, p. 4, Gaz. Pal. 1981. 1.300, note A.P.S., pourvoi rejeté par Com. 7 juin
1983, Rev. sociétés 1983. 796, note P. Le Cannu), très nombreux sont les arrêts qui écartent toute idée d'abus à propos de
l'exercice du droit de révocation des dirigeants de société anonyme (V. par ex. Com. 9 oct. 1990, n o 89-15.245 , Bull.
civ. IV, n o 236 ; 27 mars 1990, n o 88-18.177 Bull. civ. IV, n o 103 ; 11 oct. 1988, n o 87-12.629 Bull. civ. IV, n os 275 et 21 juin
1988, n o 86-11.89, Bull. civ. IV, n o 236) ; on y rattachera un arrêt approuvant une cour d'appel d'avoir estimé qu'un
président-directeur général, en contractant avec la société à la veille de son départ et alors qu'il n'avait plus une position
dominante au sein du conseil d'administration, n'avait pas commis d'abus de majorité (Com. 21 janv. 1989, aff. Siraudeau,
inédit, arrêt n o 196 sur pourvoi n o 87-13.215 ). Pour l'anecdote, car il paraît être unique en son genre, on précisera que la
Cour de cassation a admis qu'une décision de dissolution pouvait être constitutive d'un abus de majorité dès lors qu'elle a
été prise « contrairement à l'intérêt social et dans l'unique dessein de permettre à l'associé majoritaire de se soustraire à
ses engagements envers l'associé minoritaire » (Com. 8 févr. 2011, n o 10-11.788 , Rev. sociétés 2011. 167, obs.
A. Lienhard ).
24. Enfin, il est une prérogative qui – le cas de fraude étant réservé – n'est pas susceptible d'abus. Il s'agit du droit, pour
un associé, de donner ou de refuser son agrément. Il s'agit là d'un droit discrétionnaire : en doctrine, il y a quasi unanimité
chez les auteurs (V. cep. S. GERARD, Droit des sociétés : la décision d'agrément n'est pas discrétionnaire, RJ com. 2002.
435) pour considérer que « le refus d'agrément est l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire qui peut être justifié par n'importe
quel motif et qui n'exige même aucune motivation » (R. ROBLOT, L'agrément des nouveaux actionnaires, in Mélanges D.
Bastian, tome 1, 1974, Librairies techniques, p. 283, spéc. p. 294 ; adde : J. Ph. DOM, L'abus de refus d'agrément, RD
bancaire et bourse, supp. Gestion de patrimoine, mai-juin 1995, p. 5 ; adde : notes de B. OPPETIT sous Com. 24 févr. 1975
[3 e moyen], Rev. sociétés 1976. 92 ; notes de Y. GUYON sous Paris, 7 avr. 1995, Rev. sociétés 1995. 771 ; notes de
P. MOUSSERON sous Com. 2 juill. 2002, LPA 2002, n o 215, p. 15 ; V. égal. Ph. MERLE et A. FAUCHON, Sociétés commerciales,
19 e éd., 2016, Précis Dalloz, p. 402, n o 380 ; STOFFEL-MUNCK, L'abus dans le contrat [essai d'une théorie], préf. R. BOUT,
2000, LGDJ, p. 521 s, n os 714 s.). Indépendamment du fait que les dispositions de l'article 1863 du code civil constituent
une protection efficace de la liberté du cédant, le refus de reconnaître à l'agrément un caractère discrétionnaire reviendrait
à méconnaître l'intuitus personae qui est à l'origine de la clause d'agrément (V. S. SCHILLER, Quelques précisions
jurisprudentielles sur le régime applicable en cas de rejet du cessionnaire proposé en présence d'une clause d'agrément,
JCP E 2008, n os 28-29, p. 30, réf. 1950).
25. Pourtant il n'est pas sans exemple que des refus d'agrément aient été qualifiés d'abusifs : c'est que les tribunaux
n'apprécient que très modérément les droits dits discrétionnaires en ce qu'ils limitent leurs pouvoirs d'appréciation. Ainsi,
dans une affaire où des actionnaires souhaitant céder leur participation minoritaire s'étaient heurtés à un refus d'agrément,
la Cour de cassation a admis que le refus d'agrément pouvait donner lieu à « des manœ uvres fautives destinées à faire
échouer le projet de cession » (Com. 7 janv. 2004, Bull. Joly 2004. 682, § 133, note Th. Massart). Comme le note le
commentateur de cet arrêt« le droit des sociétés a tendance à encadrer les droits discrétionnaires et à les contrôler » et il
suggère judicieusement un rapprochement avec la révocation « ad mutum » des administrateurs de société anonyme ; le
droit de révoquer est, lui aussi, discrétionnaire (V. Ph. MERLE et A. FAUCHON, op. cit., p. 457 s., n o 435) mais, compte tenu
des circonstances qui ont accompagné son exercice, il peut être fautif et donner lieu à l'octroi de dommages-intérêts au
profit de l'administrateur révoqué. Dans un autre arrêt concernant une société civile de moyens, on voit la cour d'appel
s'interroger sur le motif du refus d'agrément (lequel emportait exclusion du droit de présentation : Paris, 23 avr. 1998, Bull.
Joly 1998. 959, § 295, note J. J. Daigre. – Pourvoi rejeté par Com. 13 févr. 2001, n o 98-17.347 ). Il demeure que de telles
décisions sont rares : elles ont un caractère très exceptionnel en ce qu'elles font échec au caractère normalement
discrétionnaire de l'octroi ou du refus d'agrément.
Art. 3 - Sanctions de l'abus de majorité
26. À supposer faite la démonstration d'un abus de majorité, plusieurs types de sanction sont à envisager. L'abus peut être
sanctionné par la nullité (V. infra, n os 27 s.), la dissolution de la société (V. infra, n os 42 s.) et par des dommages et intérêts
(V. infra, n os 30 s.). On trouvera un panorama résumé de ces sanctions sous la plume de M. TRICOT (Abus de droits dans les
sociétés. Abus de majorité et abus de minorité, RTD com. 1994. 617, spéc. p. 623-625 ) et sous celle de M. LEPOUTRE (Les
sanctions de l'abus de minorité et de l'abus de majorité dans les sociétés commerciales, Dr. et patr. n o 33, déc. 1995. 68).
On envisagera ensuite des questions de procédure (V. infra, n os 46 s.).
§ 1 er - Nullité
27. La première sanction à laquelle on pense est évidemment la nullité, les associés auxquels l'acte abusif (qu'il s'agisse
d'une résolution de l'assemblée générale ou d'une décision du conseil d'administration ou de la gérance) cause préjudice
demandant l'annulation de celui-ci. La jurisprudence offre des exemples de cas dans lesquels l'annulation a été ainsi
prononcée : tel est le cas dans des arrêts du 30 novembre 2004 (Bull. Joly 2005. 241, § 42, note P. Le Cannu) et du 17 juin
2008 (Rev. sociétés 2008. 826, note J. F. Barbieri ).
28. Le procédé comporte cependant un inconvénient qui tient au fait qu'en annulant une décision, on risque de sieurs
situations sont à distinguer qui amènent à tenir compte et du type de société et du type provoquer des nullités en cascade
(sur les nullités en cascade, V. Com. 21 juill. 1974, D. 1976. 207, note G. Gourlay, spéc. 3 e moyen) ; ainsi donc, si, par
hypothèse, des nominations d'administrateurs sont entachées d'abus et, à ce titre, nulles, il conviendra d'annuler les
décisions prises par le conseil d'administration irrégulièrement composé (V. Com. 24 avr. 1990, préc. supra, n o 22).
Toutefois, dans la mesure où les répercussions d'une éventuelle annulation ne dépassent pas le cercle de la société et de
ses membres, l'inconvénient est supportable.
29. En revanche, et c'est là la limite de ce procédé, si l'acte abusif et la rupture d'égalité qui en est résultée ont leur origine
dans un contrat passé avec un tiers, la sanction de l'annulation risque de devenir inadaptée : en effet - sous réserve du cas
de fraude, le tiers ayant été de connivence avec les dirigeants ou les associés majoritaires - il n'y a aucune raison de faire
supporter au tiers les conséquences d'une situation qui relève des rapports internes à la société (V. par ex. le plu de
décision qui a donné lieu à abus.
§ 2 - Dommages-intérêts
30. Enfin, la condamnation à dommages-intérêts est encore une possibilité puisque, par définition même, l'abus de
majorité, en provoquant une rupture d'égalité entre les associés, est préjudiciable aux minoritaires ; d'ailleurs, il est
fréquent qu'une demande de dommages-intérêts et une demande d'annulation soient présentées conjointement (tel était
le cas notamment dans les arrêts précités – V. supra, n o 27 – du 30 nov. 2004 et du 17 juin 2008). La difficulté est alors de
déterminer contre qui la condamnation à indemniser peut être prononcée et, à cet égard,
31. Lorsque la société ne rassemble que des associés en nombre limité, il est possible d'identifier l'auteur ou les auteurs de
l'abus de majorité : c'est à son (à leur) encontre que la condamnation à dommages-intérêts devra être prononcée et l'on
pourra faire reposer cette condamnation sur l'article 1833 du code civil, autrement dit considérer la responsabilité ainsi
engagée comme une responsabilité contractuelle (V. supra, n o 12).
32. Mais cela est loin d'être toujours le cas ; il peut arriver que les associés ou asiry (adde : la thèse de J.-P. GASTAUD,
Personnalité morale et droit subjectif, 1977, p. 357-358, n o 258 et les réf.) associés et, surtout, ce que l'arrêt a stigmatisé
ce n'est pas telle ou telle décision mais une « situation », déclarée « contraire à l'intérêt social », créée et exploitée par un
gérant « abusant de ses prérogatives ». L'arrêt d'appel qui avait débouté l'associée minoritaire de sa demande en
dissolution pour mésintelligence est cassé pour violation de l'article 1871 du code civil (depuis 1978, la dissolution pour
mésentente entre associés est prévue par l'art. 1844-7-5 o C. civ.). Cela rejoint l'observation faite par M. PORACCHIA, selon
laquelle « l'abus se situe dans le caractère purement léonin de la politique suivie en conséquence de la délibération… plus
que de la délibération elle-même. Cela montre que l'abus peut aussi être poursuivi lorsque la délibération, sans être
initialement abusive, a permis la réalisation d'opérations et plus largement la poursuite d'une politique sociale qui l'ont été »
(note sous CAJ contrat de crédit-bail dont il était question in Com. 4 oct. 1994, préc. supra, n o 19).
33. Mais, alors même que l'auteur ou les auteurs de l'abus sont aisément identifiables, il ne s'ensuit pas que la personne à
qui imputer les conséquences de l'abus soit facilement déterminable. En effet, la décision a, par hypothèse même, été prise
par un organe de la société engageant cette dernière ; dès lors, n'est-ce pas à la société elle-même que les victimes de
l'abus doivent s'adresser pour obtenir des dommages-intérêts ? La question a donné lieu à jurisprudence, spécialement à
propos de cas de révocation abusive de gérants de SARL, et deux courants opposés se sont affrontés.
34. Le premier est illustré par un arrêt de la cour d'appel de Paris rendu le 6 mars 1998 (Rev. sociétés 1998. 436, obs.
Y. Guyon, Dr. sociétés 1998, n o 106, note D. Vidal, RTD com. 1998. 339, obs. C. Champaud et D. Danet ) : dans une
SARL de trois personnes, la gérante associée avait été révoquée par ses deux coassociés convoqués et réunis dans des
conditions irrégulières, leur décision étant, selon les constatations de la cour d'appel, « inspirée par une intention vexatoire
et contraire à l'intérêt social ». Dans ces circonstances, la cour d'appel avait statué que, « quelle que soit leur gravité, les
reproches adressés (aux associés majoritaires) concernant la décision de révocation s'adressent à des associés qui, usant
de leur liberté de vote, ont pris une décision d'associés engageant la société » et que les « manquements, fussent-ils à
finalité vexatoire et contraires à l'intérêt social, sont impropres à caractériser une faute personnelle des associés
susceptible d'engager leur responsabilité ». En se référant à la « liberté » de vote « des associés », l'arrêt paraît faire de
celle-ci un absolu ; or précisément, la question se pose de savoir si cette liberté ne comporte pas une limite en cas de
fraude ou d'abus. Cet arrêt illustre la tendance qui, depuis les années 1990, amène la jurisprudence à distinguer, à propos
de la responsabilité des dirigeants de société, entre la faute de service et la faute personnelle détachable ou séparable des
fonctions (sur la critique de cette jurisprudence, V. J.-P. SORTAIS, Contre la notion de faute détachable appliquée à la
responsabilité des dirigeants de société, in L'homme et le droit, Mélanges Pr. J.-F. Flauss, 2014, Pedone, p. 733 s.).
35. Tel quel, l'arrêt de la cour de Paris pouvait paraître tout à fait conforme à un précédent récent émanant de la Cour de
cassation elle-même, rendu dans des circonstances comparables et auquel il empruntait une partie de sa formulation (Com.
1 er févr. 1994, Rev. sociétés 1995. 281, note Y. Chartier , JCP 1995. II. 21432, note D. Gibirila, Bull. Joly 1994. 413, note
R. Baillod) : il s'agissait, ici encore, de la révocation (dans des conditions, cette fois, formellement régulières) du gérant
d'une SARL familiale, révocation qui paraissait avoir été décidée « dans un but personnel, sous couvert de divergences avec
son frère » ; ayant admis que la révocation présentait un caractère brutal et vexatoire, les juges du fond avaient condamné
l'associé majoritaire in solidum avec la société au paiement de dommages-intérêts envers le gérant révoqué et la Cour de
cassation censura l'arrêt en ce qu'il avait condamné l'associé majoritaire in solidum avec la société » alors que les motifs
énoncés par la cour d'appel étaient « impropres à caractériser la faute personnelle » de l'associé majoritaire. Ainsi, l'arrêt
précité du 6 mars 1998 pouvait sembler en parfaite harmonie avec les vues de la Cour de cassation.
36. Il sera pourtant impitoyablement censuré par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 mars 2001 (Bull.
civ. IV, n o 60, D. 2001. 1175, obs. A. Lienhard , Dr. sociétés 2001, n o 101, obs. F.X. Lucas, Rev. sociétés 2001. 818, note
B. Dondero , Bull. Joly 2001. 891, note C. Prieto, JCP E 2001. 953, note A. Viandier, RTD com. 2001. 443, obs.
C. Champaud et D. Danet ) : aux termes de cet arrêt, en rejetant la demande formée contre les deux coassociés
personnellement « alors qu'elle avait relevé que la décision de révocation avait été prise en violation flagrante des règles
légales relatives à la tenue et à la convocation des assemblées d'associés et alors qu'une décision inspirée par une
intention vexatoire et contraire à l'intérêt social caractérise de la part de ses auteurs une volonté de nuire constitutive
d'une faute, la cour d'appel a violé le texte susvisé » qui n'est autre que l'article 1382 du code civil.
37. Le second courant de pensée qu'illustre cet arrêt du 13 mars 2001 implique que la décision de révocation intervenue
dans de telles circonstances puisse engendrer deux conséquences (l'une n'excluant nullement l'autre) : d'une part, la nullité
qui sanctionne les conditions irrégulières de convocation et de tenue de l'assemblée et qui – si elle avait été demandée
(étant précisé qu'elle est toujours facultative pour le juge : V. Com. 9 juill. 2002, D. 2002. AJ 2408 ) – aurait pu
sanctionner également les vices de fond qui infectaient la décision prise (sur les nullités « en cascade », V. supra, n o 28) ;
d'autre part, la responsabilité.
38. La responsabilité de qui ? En décidant que, par leur vote, les associés engagent leur responsabilité personnelle, l'arrêt
revêt une importance exceptionnelle en ce qu'il « prend implicitement le contre-pied de certains principes du droit des
sociétés » (C. CHAMPAUD et D. DANET, obs. préc.) ; il va directement à l'encontre de la notion de liberté de vote, le vote
exprimant une décision d'associé, prise ès qualités et ne pouvant engager que la société ; il implique que le droit de vote
soit conçu comme un « droit-fonction » ou, mieux, comme un pouvoir susceptible d'abus (V. J. CALAIS-AULOY, article préc.,
Travaux de l'Association Henri Capitant, t. XXVIII, 1977, Economica, p. 221, spéc. p. 225-226 ; E. GAILLARD, op. cit. [supra,
n o 2], p. 35-39, n o 40-46 ; adde : M. P. LAMOUR, La responsabilité personnelle des associés, D. 2003. Chron. 51 ).
39. Le visa, dans l'arrêt du 13 mars 2001, de l'article 1382 du code civil est également lourd de sens : on aurait pu songer à
faire plutôt référence à l'article 1833 (V. supra, n os 12 et 31) en considérant que « la responsabilité de l'associé qui utilise
son pouvoir dans un but autre que celui pour lequel il lui a été confié n'est pas, envers ses coassociés, de nature quasi
délictuelle mais de nature contractuelle » (B. DONDERO, note préc. sous Com. 13 mars 2001, Rev. sociétés 2001. 818, spéc.
p. 824 et 825, n o 13 ). Mais, précisément par l'abus de pouvoir qu'il a commis, l'associé responsable a franchi la limite de
l'illicite : il s'est, en quelque sorte, mis hors-jeu (ou, pour reprendre l'expression de PLANIOL, « on n'est plus dans le
domaine du contractuel mais dans celui de la responsabilité pure » : V., pour une récente application de cette idée en
matière de dol, l'arrêt de censure du 15 janvier 2002, JCP 2002. II. 10136, note A. Cermolacce). L'arrêt, en tout cas, semble
marquer que la Cour régulatrice entend se tenir à distance des analyses théoriques que sont la conception institutionnelle
(elle rejette l'idée d'une responsabilité qui ne serait que fonctionnelle) et la conception contractuelle (puisqu'elle répudie
l'idée, in casu, de responsabilité contractuelle). Mais cela est loin d'être toujours le cas ; il peut arriver que les associés ou
actionnaires soient nombreux et que la décision abusive ait donné lieu à un vote à mains levées : comment identifier alors
les auteurs de l'abus ? Une telle situation illustre à quel point le qualificatif « anonyme » est justifié puisqu'il signifie que la
société ainsi qualifiée n'expose point ses associés et l'on retrouve ici l'intérêt de la distinction entre sociétés de personnes
et sociétés de capitaux et la place intermédiaire qu'occupe la SARL au regard de cette distinction. Quoi qu'il en soit, si une
indemnisation doit être accordée aux victimes de l'abus, ce ne peut être qu'à la charge de la société elle-même, ce qui
revient à dire que les minoritaires subiront parte in qua les conséquences de la condamnation : c'est là la rançon à payer
pour l'appartenance à un groupement personnifié (Comp. avec la situation du copropriétaire qui, ayant gagné son procès
contre le syndicat de copropriété, doit néanmoins contribuer au paiement des dépens mis à la charge du syndicat : Civ. 3 e ,
29 oct. 1974, JCP 1975. II. 17929, note E.-J. Guillot, D. 1975, somm. 13, RTD civ. 1975. 347, n o 13, obs. C. Giverdon et Paris,
20 oct. 1970, JCP 1970. II. 16765, note R. Désiry.
§ 3 - Dissolution de la société
40. Un autre type de sanction possible est la dissolution de la société : elle ne peut être que rare et semble ne pouvoir
s'appliquer qu'à une société qui « bat de l'aile », compte tenu des conséquences fiscales attachées à la dissolution d'une
société prospère. Elle a cependant été appliquée par certains arrêts. Mérite d'être ici retenu un arrêt du 18 mai 1982 (Rev.
sociétés 1982. 804, note P. Le Cannu ; adde : Com. 22 déc. 1969, Bull. civ. IV, n o 391, RTD com. 1970. 440, n o 18, obs.
R. Houin). Le cas était certes particulier, la société ne comptait que deux associés.
41. Il y avait, certes, quelques rares précédents dans lesquels la dissolution avait été évoquée mais rejetée, entre autres
motifs parce que la mésentente n'apparaissait imputable qu'au demandeur (Com. 28 févr. 1977, D. 1977. IR 312, obs.
J. Bousquet, Rev. sociétés 1978. 245, note J.-P. Gastaud, RJ com. 1978. 294, note Ph. Merle ; comp. Com. 6 févr. 1957, Bull.
civ. III, n o 48 qui, au contraire, approuve la dissolution, motif pris des abus de droit commis par le groupe majoritaire et de
l'hostilité profonde entre les deux groupes d'associés rendant impossible la continuation de la société). En toute hypothèse,
la dissolution ne peut être envisagée que si la disparition de l'affectio societatis est avérée et paralyse le fonctionnement de
la société.
§ 4 - Une sanction très exceptionnelle
42. Une sanction très exceptionnelle est illustrée par l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 7 février 2012 (Civ. 3 e , n o 10-
17.812, Rev. sociétés 2012. 622, note A. L. Champetier de Ribes-Justeau ). En effet, la Cour de cassation, en présence
d'une thésaurisation injustifiée de bénéfices au cours des années 2000 à 2005, rejette le pourvoi contre un arrêt qui non
seulement avait prononcé l'annulation des délibérations de mise en réserve des bénéfices de six exercices mais encore, et
surtout, décidé que l'ensemble des bénéfices pour une période de neuf années serait distribué aux associés chacun à
proportion de leurs droits, la Cour de cassation prenant soin de préciser que la cour d'appel n'avait « pas prononcé dans
son dispositif la distribution des dividendes mais celle de bénéfices ». Voilà qui peut surprendre si on rappelle que la Cour
de cassation s'oppose à l'intervention des tribunaux dans la gestion des sociétés et « leur dénie le droit de se substituer
aux détenteurs des pouvoirs légaux pour apprécier l'opportunité de leurs décisions dès lors que celles-ci ont été prises
régulièrement et ne sont pas entachées de fraude ou d'abus de droit » (B. OPPETIT, note sous Com. 21 janv. 1970, JCP
1970. II. 16541). C'était le cas en l'espèce puisqu'il y avait eu abus de majorité dûment constaté.
43. Cela dit, la solution ne peut s'expliquer que par les particularités de l'espèce : il s'agissait, en effet, non pas d'une
société commerciale mais d'une société civile immobilière. D'où il suit que l'article L. 232-12 du code de commerce, qui régit la
distribution des dividendes dans les sociétés commerciales, n'était pas applicable ; « or les sociétés civiles de droit commun
ne relèvent pas de l'article L. 232-12 du code de commerce et ne sont régies par aucun texte équivalent »
(A. L. CHAMPETIER de RIBES-JUSTEAU, note in Rev. sociétés 2012. 622 ).
Art. 4 - Questions de procédure
44. Étant donné la propension de la jurisprudence à n'admettre l'abus de majorité que dans de très étroites limites, il est
compréhensible que la demande fondée sur ce grief ne soit formulée que de façon subsidiaire ou concomitante à d'autres,
telles que la demande d'une expertise de gestion ou de désignation d'un administrateur provisoire (V. Paris, 4 déc. 2002,
D. 2003. 351, obs. X. Delpech ), ces dernières relevant de la juridiction des référés (V. par ex. Com. 6 févr. 1957, Bull.
civ. III, n o 48, où dix-huit mois après la désignation en référé d'un administrateur provisoire, les juges du fond prononcent
l'annulation d'une assemblée générale et la dissolution de la société). Mais il est clair que le juge des référés ne peut se
prononcer sur une question d'abus de majorité dont l'appréciation relève, à l'évidence, du fond du litige : c'est ce qui résulte
d'un arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 novembre 1991 (aff. Sté Les Forges Thermal, inédit, arrêt n o 1356 sur pourvoi
n o 90-12.933 ). En l'espèce, les majoritaires, qui avaient acquis peu auparavant leurs actions « au prix fort », avaient
décidé de résilier une concession d'exploitation d'un casino parce que, de connivence avec une société tierce, créée en vue
de reprendre la concession résiliée, ils avaient, à cette fin, adopté une décision qui aboutissait en pratique à mettre à néant
l'objet social ; c'est dire que, plaidée au fond, l'affaire n'était pas perdue d'avance mais, sous cet aspect, elle ne pouvait
être soumise au juge des référés (adde, rendu à propos de la même société mais sanctionnant, cette fois, un abus de
minorité : Com. 18 juin 2002, Bull. Joly 2002. 1197, note L. Godon).
45. Qui peut être demandeur à l'action fondée sur un abus de majorité ? On pense tout d'abord, évidemment, aux
minoritaires ; mais, contrairement à ce qu'avait pu estimer une cour d'appel (Versailles, 19 mai 1994, Bull. Joly 1994. 1071,
qui déclare irrecevable une demande, faute pour son auteur « d'être ou d'avoir été un minoritaire et faute, en conséquence,
de justifier de sa qualité ou d'un intérêt à agir »), les minoritaires ne disposent pas d'une sorte de monopole en la matière.
Les représentants légaux de la société - après un changement de majorité, naturellement - ont qualité pour agir au nom de
la société et faire constater l'existence d'un abus de majorité (Com. 21 janv. 1997, D. 1998. 64, note I. Krimmer cassant
Versailles, 19 mai 1994, préc.). On a même pu voir des dirigeants assigner en justice l'actionnaire majoritaire lui-même, ce
qui n'est assurément pas la meilleure façon d'assurer la pérennité de ses fonctions (V. Com. 26 nov. 1996, D. 1997. 493,
note D. Gibirila , JCP 1997. II. 22771, note Ph. Reigné, cassant Paris, 8 avr. 1994, Rev. sociétés 1994. 334, obs. Y. Guyon
, RTD com. 1994. 520, obs. B. Petit et Y. Reinhard ). Ce sont, en somme, les règles régissant l'action sociale qui, sous ce
rapport, sont applicables.
46. La question de la prescription peut enfin se poser et, de ce point de vue, il devra être tenu compte du type d'action à
engager : a) s'il s'agit de demander l'annulation d'une décision ou d'une résolution, la solution est dictée par l'article L. 235-
9 du code de commerce qui prévoit une prescription de trois ans courant « à compter du jour où la nullité est encourue » (si
l'abus de majorité résulte de conventions, le délai courra à partir du jour de la conclusion de ces conventions et non à
compter du jour du refus des associés de les ratifier : V. Com. 21 janv. 1997, n o 94-21.702, Bull. civ. IV, n o 27, D. 1998. 64,
note I. Krimmer , D. 1998, somm. 181, obs. J.-Cl. Hallouin , JCP 1997. II. 22960, note F.-X. Lucas, Dalloz affaires
1997. 292, Bull. Joly 1997. 312, note P. Le Cannu, Rev. sociétés 1997. 527, note B. Saintourens , JCP E 1997. II. 965, note
J.-J. Daigre, RJ com. 1998. 23, note E. Putman, Dr. et patr. n o 48, avr. 1997. 76, note J.-P. Bertrel). L'application de
l'article 360 de la loi du 24 juillet 1966 (devenu C. com., art. L. 235-1) s'impose (V. cep. contra : D. SCHMIDT, Les droits…, op.
cit., p. 185, n o 245, pour qui « l'annulation de la résolution abusive ne s'apparente en rien à celle des nullités prévues par
l'art. 360 de la loi du 24 juillet 1966 ») dès lors que, selon la Cour de cassation (Com. 6 juin 1990, Rev. sociétés 1990. 606,
note Y. Chartier ), « l'abus commis dans l'exercice du droit de vote lors d'une assemblée générale affecte par lui-même la
régularité des décisions de cette assemblée ».
ACTUALISATION
46. Prescription. Nullité d'une délibération sociale. Action en préjudice. -L'action en annulation d'une délibération
sociale fondée sur un abus de majorité relève de la prescription triennale prévue par l'article L. 235-9 du code de
commerce. L'action en réparation du préjudice causé par un abus de majorité se prescrit par cinq ans (Com. 30 mai
2018, n o 16-21.022, D. 2018. Actu. 1206 ).

47. b) S'il s'agit d'obtenir le versement de dommages-intérêts par les dirigeants ou les majoritaires abusifs, c'est alors une
question de responsabilité qui se pose : si elle concerne des rapports entre associés ou si elle se pose dans une société
civile, la durée du délai de prescription sera de cinq ans, conformément à l'article 2274-1 du code civil (réd. L. n o 2008-561
du 17 juin 2008 ; avant la loi du 5 juill. 1985, elle était de trente ans : V. D. SCHMIDT, Les droits…, op. cit., p. 185-186,
n o 245) ; si elle concerne les dirigeants d'une société commerciale, conviendra-t-il d'appliquer les textes (C. com.,
art. L. 223-23 et L. 225-254) qui limitent à trois ans la prescription de l'action contre les gérants ou administrateurs ? Non,
car ces textes ne s'appliquent qu'aux « fautes commises dans la gestion », encore que la jurisprudence ait tendance à
interpréter largement la notion de faute de gestion (V. Com. 23 oct. 1990, n o 89-14.721 , Bull. civ. IV, n o 255, Rev.
sociétés 1991. 538, note Y. Chaput , Bull. Joly 1990. 1036, note M. Jeantin) ; de plus, il serait fâcheux que le dirigeant
abusif soit mieux traité que l'associé ordinaire qui a « mal voté ».
Section 2 - Abus de minorité

48. Certains auteurs ont proposé une présentation symétrique de l'abus de minorité et de l'abus de majorité : tous deux
seraient comme l'avers et le revers d'une même médaille (V. P. LE CANNU, L'abus de minorité, Bull. Joly 1986. 429, spéc.
p. 431, qui voit dans l'abus de minorité un « décalque de l'abus de majorité » ; D. TRICOT, article préc., RTD com. 1994. 617
; Ph. MERLE et A. FAUCHON, Droit commercial, sociétés commerciales, 19 e éd., 2016, Précis Dalloz, p. 753 s., n os 662 à
665 ; D. VIDAL, Droit des sociétés, 7 e éd., 2010, LGDJ, p. 406 s., n os 729 à 745). Mais on ne négligera pas la mise en garde
de M. CABRILLAC (De quelques handicaps dans la construction de l'abus de minorité, in Mélanges A. Colomer, 1993, Litec,
p. 109) qui observe qu'avec une telle présentation est « créée l'apparence fallacieuse de deux applications d'un même
principe, qui seraient faites aux mêmes conditions et qui revêtiraient une égale importance ».
49. De fait, on notera cependant des différences entre les deux types d'abus, à commencer par celle-ci : si le recours à
l'abus de majorité demeure exceptionnel (V. supra, n os 2 et 19), le recours à l'abus de minorité doit être encore plus
exceptionnel, car quelle serait l'utilité d'une participation minoritaire si l'on ne pouvait faire librement usage du pouvoir de
« nuisance » qu'elle comporte ? (V. les considérations développées par M. HOVASSE qui relève « l'effet dévastateur de la
notion d'abus de minorité », in Defrénois 1997, art. 36684, p. 1279, n o 4, spéc. p. 1281). On ne peut attendre du ou des
minoritaires qu'ils consentent à ne jamais faire que de la figuration. On observera également que l'abus de minorité est
apparu beaucoup plus récemment que l'abus de majorité : la toute première manifestation paraît s'en trouver dans un arrêt
de 1957 (Besançon, 5 juin 1957, D. 1957. 605, note A. Dalsace : l'arrêt relève la « résistance injustifiée » opposée par un
actionnaire minoritaire qui « au moyen de son vote hostile [fait] obstacle à la modification statutaire »).
50. À la vérité, les divergences qu'on peut relever dans la présentation de l'abus de minorité tiennent à des différences
dans l'analyse du phénomène lui-même : la notion d'abus de minorité ne fait pas l'unanimité (V. infra, n os 51 s.) ; ensuite, à
supposer un abus de minorité établi (V. infra, n os 61 s.), on constatera que la question de sa sanction a donné lieu à
d'amples controverses (V. infra, n os 69 s.).
Art. 1 er - Notion d'abus de minorité
51. Plusieurs analyses ont été proposées de l'abus de minorité et l'on peut opposer, à cet égard, une conception large à
une conception étroite.
52. Les tenants d'une conception large, reprenant la symétrie indiquée précédemment (V. supra, n o 50), suggèrent de voir
un abus de minorité dans tout comportement de minoritaire qui impliquerait « une atteinte à l'intérêt social et une rupture
d'égalité entre les associés par la recherche d'un intérêt personnel » (M. DE JUGLART et B. IPPOLITO, Traité de droit
commercial, t. 1, vol. 2 : Les sociétés, par E. DU PONTAVICE et J. DUPICHOT, 1982, Montchrestien, n o 781-6). Il y aurait
atteinte à l'intérêt social, atteinte qui serait doublée soit d'une rupture d'égalité, soit d'une intention négative s'inscrivant
dans une stratégie d'intimidation et d'opposition systématique. Il a ainsi été proposé de distinguer entre des abus positifs
et des abus négatifs (V. P. LE CANNU, article préc., Bull. Joly 1986. 429, spéc. p. 430 ; adde : D. VIDAL, note sous Lyon,
20 déc. 1984 et Paris, 18 déc. 1985, RJ com. 1988. 89, spéc., p. 96-97 ; Ph. MERLE et A. FAUCHON, op. cit., p. 757, n o 665).
ACTUALISATION
52. Dirigeant de fait. Comptable. -L'utilisation des fonds sociaux par le comptable d'une SARL, exerçant en fait des
missions de direction et considéré comme gérant de fait, constitue un abus de biens sociaux, en l'absence de preuve de
leur justification (Crim. 29 juin 2016, n o 15-81.876, Rev. sociétés 2017. 104, note B. Bouloc ).

53. Parmi les abus de minorité dits positifs, on relèverait : a) l'exercice abusif d'une action en justice consistant, par
exemple, à solliciter une expertise de gestion alors que le ou les demandeurs ne réunissent pas le minimum de capital
requis (Com. 12 janv. 1976, Rev. sociétés 1976. 330, note Ph. Merle, Bull. Joly 1976. 132, D. 1977. 141, note Y. Chartier) ou
n'invoquent, pour ce faire, que des griefs imprécis (Rennes, 11 juin 1986, Rev. sociétés 1987. 96, obs. Y. Guyon) ; b) la
décision obtenue au moyen d'un vote de surprise (V. Ph. MERLE et A. FAUCHON, op. cit., p. 757, n o 665 et note 4. – Com. 19.
janv. 1959, D. 1959. 260, JCP 1959. II. 10966, note D. B., arrêt qui stigmatise « les excès de pouvoir et abus de droit
commis au détriment de la société et des actionnaires par la minorité du conseil d'administration » au moyen de
« convocations tardives », lancées avec une « hâte suspecte ». – Riom, 1 er déc. 1972, D. 1973. 282, note J.-C. Bousquet,
Bull. Joly 1973. 263, RTD com. 1972. 925, n o 11, obs. R. Houin ; adde : à propos d'un vote obtenu par surprise : Com. 19 déc.
1983, Bull. civ. IV, n o 353, D. 1985. IR 136, obs. J.-C. Bousquet, Rev. sociétés 1985. 105, note D. Schmidt).
54. On peut cependant estimer que les abus de minorité dits positifs ne présentent aucune spécificité et que la sanction
qu'ils appellent peut utilement prendre appui sur d'autres motivations, telles que la fraude ou l'abus du droit d'agir en
justice. Et à la conception large, on opposera et préférera une conception étroite de l'abus de minorité, qui met l'accent sur
la fonction propre de la minorité dans la société et sur le pouvoir de blocage qui y est inhérent (V. M. CABRILLAC, De
quelques handicaps dans la construction de l'abus de minorité, Mélanges A. Colomer, 1993, Litec, p. 109, spéc. p. 111,
n o 7 ; adde : obs. faite par D. VIDAL, note préc., RJ com. 1988. 97, n o 4, que « c'est l'abus par défaut qui mérite
attention ») : c'est dire que l'abus tiendra à l'usage (ou au non-usage) fait du droit de vote, que ce soit au sein de
l'assemblée générale ou du conseil d'administration ; par la suite, c'est cette conception stricte de l'abus de minorité qui
sera en principe (V. cep. infra, n os 53 et 56) retenue.
55. Cela dit, jurisprudence et doctrine s'accordent à admettre que l'abus de minorité, pour être constitué, requiert la
réunion de deux éléments : l'un, objectif, le comportement du ou des minoritaires doit être contraire à l'intérêt social,
l'autre, subjectif, en ce qu'il doit être fondé sur « l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de
l'ensemble des associés » (Com. 20 mars 2007, n o 05-19.225 , Bull. civ. IV, n o 97 ; D. 2007. AJ 952, obs. A. Lienhard ;
D. 2008. Pan. 384, obs. J.-C. Hallouin et E. Lamazerolles ; Bull. Joly 2007. 745, § 199, note D. Schmidt ; Rev. sociétés
2007. 806, note A. L. Champetier de Ribes ; BRDA 15 avr. 2007 ; RTD. com. 2007. 744 ; RTD. com. 2007. 746 ; JCP 2008.
II. 10062, note M.-C. Monsalier de Saint-Mleux ; JCP E 2007. 1755, note A. Viandier ; JCP E 2007. 1877, obs. J.-J. Caussain,
F. Deboissy et G. W icker ; RLDA 2007, n o 17, p. 10, obs. D. Gibirila ; RLDA 2007, n o 17, p. 14, obs. A. Cerati-Gauthier ; RJ
com. 2007. 216, note M. H. Monserie-Bon. – Cassant Paris, 6 juill. 2005, Rev. sociétés 2005. 918, note I. Urbain-Parleani ).
Pour qu'il y ait abus de minorité il faut que les motifs retenus par les juges du fond soient propres à établir que le
minoritaire « a agi dans l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés » (Com. 4 déc.
2012, n o 11-25.408 , Rev. sociétés 2013. 150, note A. Viandier ).
56. Ce qui est caractéristique de l'abus de minorité strictement entendu, c'est la position très particulière dans laquelle est
placé le juge face au blocage qui en résulte : car le juge, au lieu d'avoir à trancher une question de légalité, risque de se
voir entraîné sur le terrain de l'opportunité. Et si un vieil arrêt n'a pas craint d'affirmer qu'il serait « dans les attributions de
la justice d'examiner la valeur des griefs… concernant la légalité ou l'opportunité des décisions des assemblées générales »
(Paris, 18 juill. 1917, DP 1918. 2.9, note L. Lacour), cette éventuelle appréciation d'opportunité constitue, aux yeux de
beaucoup d'auteurs, une intrusion inadmissible du juge dans la vie de la société (V. par ex. : M. BOIZARD, article préc., Rev.
sociétés 1988. 365, spéc., p. 366, qui, note que « l'immixtion du juge doit rester exceptionnelle »). À vrai dire, la limite des
pouvoirs des tribunaux est discutée : si les auteurs semblent, dans leur majorité, réservés voire hostiles à l'immixtion des
tribunaux dans la vie des sociétés, redoutant un arbitraire judiciaire que ne viendrait compenser aucune responsabilité
(V. par ex. D. SCHMIDT, Les droits…, op. cit., p. 147-151, n o 199-203 et, du même auteur, la note sous Com. 22 avr. 1976,
Rev. sociétés 1976. 479, spéc. p. 483), d'autres y seraient, en revanche, plutôt favorables (V. J. MESTRE, Réflexions sur les
pouvoirs du juge dans la vie des sociétés, RJ com. 1985. 81 ; adde : J. MESTRE et G. FLORES, Brèves réflexions sur
l'approche institutionnelle de la société, LPA, n o 58, 14 mai 1986, p. 25, spéc. p. 27). La Cour de cassation adopte une
attitude prudente en déclarant que « s'ils n'ont pas à se substituer à l'assemblée générale dans la gestion du patrimoine
social, les juges n'en doivent pas moins contrôler les décisions de cette assemblée acquises dans des conditions qui
risquent de fausser, au profit de quelques actionnaires, les règles établies pour la protection de tous » (Com. 16 oct. 1963,
D. 1964. 431, S. 1964. 310, note J. Autesserre).
57. À la vérité, ce n'est pas tant le fait que l'opportunité soit en jeu qui fait difficulté : après tout, les tribunaux sont
habitués à apprécier l'opportunité d'une décision quand ce ne serait que pour y déceler une éventuelle faute de gestion.
Mais ils ne le font alors qu'après coup, tant il est vrai que l'arbre se juge à ses fruits. Ce n'est donc pas tellement le point
sur lequel porte l'appréciation que la perspective dans laquelle elle est portée qui retient l'attention et, à cet égard, l'abus
de minorité présente une spécificité très marquée.
58. En effet, le blocage résultant d'un vote négatif du ou des minoritaires ne peut qu'entraîner le maintien du statu quo. On
est donc nécessairement amené à envisager l'éventualité de l'adoption de la décision proposée, c'est-à-dire à considérer
les incidences de la décision à laquelle les minoritaires font obstacle, autrement dit à porter une appréciation a priori au lieu
d'a posteriori. C'est cette perspective très particulière de l'abus de minorité que M. CABRILLAC a le mérite de mettre en
lumière lorsqu'il écrit (article préc., p. 115) que le juge « doit apprécier une situation évolutive et cela, de façon
prospective… », de sorte que par rapport à l'abus de majorité, « les données du problème sont inversées et il ne s'agit pas
tant d'apprécier l'atteinte à l'intérêt social que le vote négatif a pu réaliser que la conformité à cet intérêt du projet
repoussé ». On mesure par là combien est délicate la détermination des abus de minorité.
Art. 2 - Applications et refus d'application
59. La jurisprudence offre des exemples de cas où des cours d'appel n'ont pas hésité à faire référence à de prétendus
« abus de minorité » au sujet de harcèlements provoqués par des minoritaires sous la forme d'actions en responsabilité
engagées à la légère ou de demandes d'expertise intempestives, tous agissements qui, à la vérité, étaient justiciables du
traitement classiquement réservé aux abus de droit de type traditionnel (V. Paris, 12 sept. 1995, Dr. sociétés déc. 1995,
n o 252, obs. D. Vidal. – Paris, 17 sept. 1993, Juris-Data n o 024007. – Paris, 1 er déc. 1992, D. 1993. 301, note Ch. Gavalda
, Dr. sociétés juin 1993, n o 124. – Lyon, 27 nov. 1992, inédit, aff. CFE c/ COFRA, RTD com. 1993. 112, obs. Y. Reinhard .–
Rennes, 11 juin 1986, Rev. sociétés 1986. 96, obs. Y. Guyon ; le jugement du T. com. Lons-le-Saunier du 7 juill. 1995, Dr.
sociétés déc. 1995, n o 252, obs. D. Vidal, fait explicitement référence à l'abus de droit ; adde : sur toutes les décisions ci-
dessus, l'étude d'A. COURET, Le harcèlement des majoritaires, Bull. Joly 1996. 112, spéc. p. 114 et 115) : on peut ne voir là
que des applications somme toute banales de la théorie générale de l'abus de droit ; il n'y a là rien qui soit spécifique à
l'abus de minorité.
60. C'est évidemment à propos des modifications statutaires, pour lesquelles l'appoint de leurs voix est nécessaire, que la
question de l'abus de minorité stricto sensu s'est posée et a donné à la jurisprudence l'occasion d'en préciser les contours
et d'en faire ressortir le caractère très exceptionnel, car nombreux sont les arrêts qui rejettent l'idée d'un abus de pouvoir
commis par les minoritaires : leur rédaction commence souvent par un « coup de chapeau » donné au principe (V. par ex.
Com. 27 mai 1997, n o 95-15.690 , Bull. civ. IV, n o 159) suivi de l'indication des raisons diverses pour lesquelles, dans le
cas d'espèce considéré, l'abus de minorité doit être écarté.
61. C'est tout spécialement au sujet des augmentations de capital que la question s'est posée ; elle oblige à une analyse
minutieuse des données objectives de chaque affaire, notamment sur les points suivants : a) quelles sont les circonstances
qui motivent l'augmentation de capital proposée ? S'agit-il de développer les affaires d'une société prospère ? De porter le
capital à un nouveau minimum légal ? De réaliser une augmentation de capital réglementairement obligatoire (V. par ex.
dans les sociétés civiles professionnelles d'huissiers de justice en vertu de l'art. 43 du décr. n o 69-1274 du 31 déc. 1969 :
Civ. 1 re , 16 juill. 1998, JCP E 1998. 1736, note J.-J. Daigre, JCP Ingén. patrim. nov.-déc. 1998, p. 15 n o 10, obs. F.-X. L.) ? De
reconstituer les fonds propres lorsque le capital a été « entamé » de plus de la moitié ? Dans cette dernière situation, on
notera que ce n'est pas parce que, dans un premier temps, un actionnaire s'est prononcé pour la continuation de la société
que son vote sera nécessairement abusif si, dans un second temps, il vote contre l'augmentation de capital (Paris, 24 janv.
1997, sur lequel V. infra, n o 64 in fine) ; inversement, d'ailleurs, si un actionnaire a donné son accord à la dissolution
anticipée de la société, cela n'implique pas son accord pour voir augmenter ses engagements et contribuer au passif au-
delà de son apport (Com. 10 oct. 1999, Bull. Joly 2000. 70, note A. Couret, Defrénois 2000, art. 37153, n o 1, p. 497, note
J. Honorat) ; b) quelle est l'ampleur de l'augmentation de capital et quels sont les moyens proposés pour la réaliser ? S'agit-
il de procéder par incorporation de réserves, par incorporation de créances ou par émission d'actions nouvelles ? Dans ce
dernier cas, est-il, ou non, demandé aux actionnaires de renoncer à leur droit préférentiel de souscription ?
62. Les arrêts sont très nombreux dans lesquels les magistrats décident que l'abus de minorité doit être écarté. Ainsi :
faute, pour les actionnaires, d'avoir reçu les documents leur permettant de se prononcer en connaissance de cause et
d'émettre un vote éclairé, il ne peut y avoir abus de minorité (Com. 27 mai 1997, n o 95-15.690 , Bull. civ. IV, n o 159,
D. 1998, somm. 182, obs. J.-C. Hallouin , Dalloz affaires 1997. 836, Defrénois 1997. 1279, art. 36684, n o 4, note
H. Hovasse, Quot. jur. n o 53, 3 juill. 1997, p. 6) : dans ce cas, un actionnaire détenant 40 % du capital s'était prononcé
contre une résolution d'augmentation du capital après s'être prononcé pour la dissolution de la société dont les capitaux
propres étaient devenus inférieurs à la moitié du capital ; cette affaire a connu des rebondissements et, dans un second
temps, l'abus de minorité a, au contraire, été admis (V. Com. 5 mai 1998, Dalloz affaires 1998. 1097, obs. M. B., Banque et
droit n o 62. nov.-déc. 1998, p. 32, obs. M. Storck, Bull. Joly 1998. 755, note L. Godon, Dr. sociétés 1998, n o 129, note
D. Vidal, JCP 1998. I. 163, n o 1, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain, Quot. jur. n o 52, 30 juin 1998, p. 4, note P. M., LPA, n o 37,
22 févr. 1999, p. 10, note S. Almasaneanu, RD bancaire et bourse, n o 70, nov.-déc. 1998, suppl. Ingén. patrim. p. 15, n o 10,
obs. F.-X. L.) ; de même, dans son arrêt fondamental du 20 mars 2007 (V. supra, n o 57), la Cour de cassation déclare que
« les actionnaires devant se prononcer sur une augmentation du capital d'une société dont les capitaux propres sont
devenus inférieurs à la moitié du capital doivent disposer des informations leur permettant de se prononcer en
connaissance de cause sur les motifs, l'importance et l'utilité de cette opération au regard des perspectives d'avenir de la
société et qu'en l'absence d'une telle information, ils ne commettent pas d'abus en refusant d'adopter la solution
proposée » ; de même, enfin, lorsqu'une réduction de capital pour capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social a
été votée par l'ensemble des actionnaires - minoritaires compris - le fait que l'un de ceux-ci refuse de voter l'augmentation
de capital subséquente n'est pas constitutif d'un abus dès lors, d'une part, que cette augmentation n'était pas
indispensable à la survie de la société, et d'autre part, qu'elle entraînait pour l'intéressé une dilution de sa participation
dans le capital, celle-ci passant de 32 % à 2,53 % (Paris, 24 janv. 1997, Bull. Joly 1997. 405, note B. Saintourens).
63. La prise en compte de l'intérêt personnel du minoritaire rejoint l'observation faite par un autre arrêt que « la nécessité
de la participation de tous les associés sur un pied d'égalité à la poursuite de l'intérêt commun n'implique pas qu'un
actionnaire minoritaire vote pour l'adoption d'une résolution contraire à son intérêt personnel… », « le désir du groupe
minoritaire d'empêcher la dilution de sa part d'influence dans la société - sauf à se soumettre à des conditions très
onéreuses - constitue une justification suffisante de son opposition à l'augmentation de capital projetée » (Paris, 26 juin
1990, D. 1990. IR 222 , Rev. sociétés 1990. 613, note M. Boizard , JCP 1990. II. 21589, note M. Germain, Bull. Joly 1990.
755, note P. Le Cannu). La considération de son intérêt personnel suffirait-elle, à elle seule, à justifier l'obstruction du
minoritaire alors que la survie même de la société est en jeu ? C'est pour le moins douteux et l'arrêt précité du 26 juin 1990
poursuit : « … mais lui interdit, en revanche de provoquer une situation incompatible avec l'intérêt général de la société
dans l'unique dessein de favoriser son intérêt égoïste au détriment de celui des autres actionnaires ».
64. À la vérité, lorsque la survie de la société est en jeu, c'est la comparaison des intérêts antagonistes qui seule permettra
de décider si l'opposition du (ou des) minoritaire(s) sera tenue pour abusive : sera retenu « le refus systématique injustifié
ou dont la justification est disproportionnée par rapport à l'intérêt de la société » (M. BOIZARD, article préc., Rev. sociétés
1988. 365, spéc. p. 375, n o 20) ; ainsi jugé que « le refus de voter une augmentation de capital indispensable à la survie de
la société, ayant pour seul but d'entraver le fonctionnement de la société et dicté par des considérations purement
personnelles » est constitutif d'un abus de minorité (Com. 5 mai 1998, préc. supra, n o 64). La modification statutaire
susceptible de donner lieu à un abus de minorité peut porter sur autre chose qu'une augmentation de capital, par exemple
sur une modification de l'objet social dès lors que cette modification est « nécessaire à la survie de la société » (c'était le
cas dans Com. 19 mars 2013, n o 12-16.910 , Rev. sociétés 2014. 169, note A. L. Champetier de Ribes-Justeau ). Cette
pesée des intérêts respectifs peut poser des problèmes délicats, comme le montre l'arrêt rendu par la cour d'appel de Lyon
le 20 décembre 1984 (D. 1986. 506, note Y. Reinhard, RJ com. 1988. 89, n o 1193, note D. Vidal).
65. La façon même dont le ou les minoritaires ont été traités entrera en ligne de compte et les arrêts relèvent, parmi les
circonstances qui peuvent justifier l'attitude d'un minoritaire, le fait qu'en dépit d'une participation importante (40 % dans
l'arrêt préc. du 18 déc. 1985, V. supra, n o 54, et 38,7 % dans l'arrêt préc. du 26 juin 1990, V. supra, n o 65), le minoritaire ne
dispose pas de siège au conseil d'administration et est ainsi tenu à l'écart de la direction de la société ; de même, il sera
tenu compte des éléments du choix proposé aux actionnaires : si le choix leur est offert entre « la peste et le choléra » (par
exemple entre faire des apports substantiels pour conserver leur niveau de participation ou s'abstenir et voir celui-ci passer
de 40 % à moins de 1 % du capital : V. Paris, 18 déc. 1985, préc. supra, n o 54 ; adde : Versailles, 25 nov. 1987, Bull. Joly
1988. 82, JCP E 1988. II. 15168, note A. Viandier et J.-J. Caussain), l'abus de minorité devra être écarté. L'abus de minorité
devra pareillement être écarté s'il apparaît que le ou les minoritaires n'ont pas disposé de toutes les informations
nécessaires pour leur permettre de se prononcer en toute connaissance de cause.
66. En définitive, ce n'est guère que lorsqu'il y va de la survie même de la société et que le ou les minoritaires ne sont pas
en mesure d'invoquer un intérêt sérieux pour justifier leur opposition, qu'un abus pourra être retenu à leur charge ; même
si les arrêts en ce sens sont rares, la jurisprudence en offre quelques exemples et cela amène à se demander quelles sont
les sanctions encourues en cas d'abus de minorité avéré).
Art. 3 - Sanctions de l'abus de minorité
67. De toutes les questions délicates que suscite l'abus de minorité, celle des sanctions est sans doute celle qui a provoqué
le plus d'hésitations dans une jurisprudence qui donne parfois l'impression de se chercher et suscite des controverses en
doctrine (V. outre art. préc. de M. CABRILLAC [De quelques handicaps dans la construction de l'abus de minorité, in
Mélanges A. Colomer, 1993, Litec, p. 109], ceux d'A. CONSTANTIN, La tyrannie des faibles ; De l'abus de minorité en droit
des sociétés, in Mélanges Y. Guyon, 2003, Dalloz, p. 213, et de J.-F. BARBIERI, Retour sur les sanctions de l'abus de
minorité, in Mélanges D. Schmidt, 2005, Joly, p. 51).
§ 1 er - Dommages-intérêts
68. À supposer l'abus de minorité établi, il est une sanction qui ne donne pas lieu à difficulté de principe : c'est la
condamnation à des dommages-intérêts (sanction appliquée par Lyon, 20 déc. 1984, préc. supra, n o 54). Encore faut-il, dès
lors qu'il s'agit de sanctionner une responsabilité civile, que soient prouvées l'existence d'un préjudice financier (ce qui
n'était pas le cas dans l'arrêt du 5 mai 1998 : V. supra, n o 64 et les obs. signées M. B. in Dalloz affaires 1998. 1097) et celle
d'un lien de causalité entre le refus du minoritaire et les déboires ultérieurs de la société (Paris, 25 oct. 1994, Rev. sociétés
1995. 111, obs. Y. Guyon ). Un arrêt d'appel, rendu dans l'affaire Vitama (sur laquelle V. infra, n os 72 et 73), avait cru
pouvoir affirmer qu'un abus de minorité, fût-il établi, ne pouvait avoir pour conséquence qu'un éventuel recours en
dommages-intérêts (Paris, 26 janv. 1990, JCP E 1990. 19613, Rev. sociétés 1990. 292, obs. Y. Guyon, Dr. sociétés 1990, n
o 324, note D. Vidal), faisant ainsi des dommages-intérêts une sanction exclusive, ce contre quoi la Cour de cassation se
prononcera. Une difficulté pratique peut, en revanche, se rencontrer lorsque le capital est dispersé : elle tient à
l'identification des auteurs de l'abus ; en fait, elle ne se présentera que rarement, car les questions d'abus de minorité
surgissent surtout dans des sociétés de famille ou dont les membres, en nombre limité, se connaissent bien. En tout cas, la
Cour de cassation n'a pas manqué d'approuver la condamnation de minoritaires abusifs à verser des dommages-intérêts
(Com. 10 juill. 2002, Bull. Joly 2002. 1196, § 255, note L. Godon).
§ 2 - Nullité
69. « L'annulation de la délibération repoussant le projet de résolution présenté par les majoritaires » (citation de J.-
F. BARBIERI, op. cit., p. 57) n'est pas à exclure ; de son côté, d'ailleurs, A. CONSTANTIN admet (op. cit., p. 228 et note 71)
que « la sanction d'un abus de minorité emporte implicitement mais nécessairement la nullité de la délibération à l'occasion
de laquelle un tel abus a été commis ». Certes, ce même auteur reconnaît que « la nullité ne permettra pas d'éviter l'effet
du comportement abusif de l'agent et que […] la nullité est donc inadéquate et inefficace ou à tout le moins insuffisante
puisqu'elle n'entraîne pas l'adoption de la décision rejetée abusivement ». L'observation est exacte : il reste que
l'annulation de la délibération litigieuse ne pourra être prononcée que si elle a été sollicitée et, en la sollicitant, les
demandeurs provoqueront le retour au statu quo ante, ce qui peut donner aux parties un temps supplémentaire pour de
nouvelles réflexions et une éventuelle négociation ; l'incidence du facteur temps est ici essentielle et chaque procédure a
son timing propre.
§ 3 - Exclusion de la décision valant vote
70. Le fameux arrêt du 14 janvier 1992 rendu dans l'affaire Vitama (D. 1992. 337, 1 re esp., note J.-C. Bousquet , Rev.
sociétés 1992. 44, note Ph. Merle , JCP 1992. II. 21849, note J.-F. Barbièri, JCP E 1992. II. 301, note A. Viandier, Bull. Joly
1992. 273, note P. Le Cannu, Dr. sociétés 1992, n o 55, note H. Le Nabasque, Quot. jur. n o 19, 5 mars 1992, p. 3, note B.
p. et RTD com. 1992. 636, n o 2, obs. Y. Reinhard ) a censuré l'arrêt précité du 26 janvier 1990 et statué, au visa de
l'article 1382 du code civil, que, « hormis l'allocation d'éventuels dommages-intérêts, il existe d'autres solutions permettant
la prise en compte de l'intérêt social » (V. un catalogue ou une typologie des sanctions possibles : in D. TRICOT, article
préc., RTD com. 1994. 617, spéc. p. 623-625 et E. LEPOUTRE, Les sanctions des abus de minorité et de majorité dans les
sociétés commerciales, Dr. et patr. n o 33, déc. 1995, p. 68 ; adde les art. préc. d'A. CONSTANTIN, La tyrannie des faibles ; De
l'abus de minorité en droit des sociétés, in Mélanges Y. Guyon, 2003, Dalloz, p. 213, et de J.-F. BARBIERI, Retour sur les
sanctions de l'abus de minorité, in Mélanges D. Schmidt, 2005, Joly, p. 51).
71. On pouvait être tenté de voir dans un tel motif une approbation implicite de certaines décisions qui, s'inspirant d'une
doctrine éminente (V. l'opinion émise par J. MESTRE dans les études citées supra, n o 58 in fine ; adde : également favorables
à la solution de l'arrêt valant décision : Ph. MERLE, Rapport sur l'abus de minorité, RJ com., n o spécial, nov. 1991, p. 81 ;
M. BOIZARD, article préc., Rev. sociétés 1988, spéc. p. 376 et 377, n o 21-23, et Y. GUYON, obs. Rev. sociétés 1990. 292 ),
avaient statué qu'en présence d'un abus de minorité, il incombait au juge de choisir le mode de réparation le plus adéquat
et, le cas échéant, de statuer qu'il serait passé outre à l'opposition des minoritaires, « le présent arrêt valant adoption de la
résolution » litigieuse (en ce sens : Pau, 21 janv. 1991, Rev. sociétés 1992. 46, note Ph. Merle , Cah. jurispr. Aquitaine
1991. 269, note B. Saintourens ; V. déjà T. com. mixte Pointe-à-Pitre, 9 janv. 1987, Rev. sociétés 1987. 285, note Y. Guyon
et Lyon, 25 juin 1987, inédit, RTD com. 1988. 70, n o 1, obs. Y. Reinhard).
72. Il n'en était cependant rien et, quelques mois après l'arrêt Vitama du 14 janvier 1992, un arrêt Six du 15 juillet 1992
(D. 1993. 279, note H. Le Diascorn , JCP 1992. II. 21944, note J.-F. Barbièri, Bull. civ. IV, n o 279, Rev. sociétés 1993. 400,
note Ph. Merle , JCP E 1992. II. 375, note Y. Guyon, Dr. sociétés oct. 1992, n o 207, note H. Le Nabasque, Quot. jur. n o 22,
18 mars 1993, p. 2 et RTD com. 1993. 112, obs. Y. Reinhard ) censurait un arrêt d'appel (Limoges, 23 avr. 1990, Dr.
sociétés 1990, n o 357) qui avait validé la transformation d'une SARL en société anonyme à une majorité inférieure à celle
des trois quarts légalement requise. La cassation est prononcée à un double titre : d'une part, au visa de l'article 1382 du
code civil, parce que l'existence même d'un abus de minorité n'était pas établie (et, au passage, la Cour de cassation donne
- pour la première fois - la définition de celui-ci : les juges du fond auraient dû préciser « en quoi l'attitude de Mm e Six avait
été contraire à l'intérêt général de la société en ce qu'elle aurait interdit la réalisation d'une opération essentielle pour la
société et dans l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l'ensemble des autres associés ») ;
d'autre part, sur le fondement de l'article 69 de la loi du 24 juillet 1966 (devenu C. com., art. L. 243-23) en ce que « l'abus
de ses droits par l'associé minoritaire, à le supposer établi, n'était pas susceptible d'entraîner la validité de la décision
irrégulière ». Par-là, la Cour de cassation semblait bien condamner – au moins implicitement – le recours à la décision
judiciaire valant vote.
73. La condamnation expresse ne tardera pas à venir avec l'arrêt Flandin du 9 mars 1993 (D. 1993. 363, note Y. Guyon ,
Rev. sociétés 1993. 403, note Ph. Merle , JCP 1993. II. 22107, note Y. Pacot, Gaz. Pal. 1993. 2.334, note Bonnard, JCP E
1993. II. 448, note A. Viandier et, éd. N, 1993. II. 293, note J.-F. Barbieri, en annexe à l'étude de P. LE CANNU, Le
minoritaire inerte, Bull. Joly 1993. 537, LPA, n o 36, 24 mars 1993, p. 12, note P. M., Dr. sociétés 1993, n o 95, note D. Vidal)
qui casse l'arrêt rendu par la cour d'appel de Pau le 21 janvier 1991 (V. supra, n o 73). L'arrêt est doublement intéressant en
ce que, à la fois, il y avait et il n'y avait pas abus de minorité : l'affaire concernait une SARL dont le capital devait être
augmenté pour être porté au minimum légal de 50 000 F sous peine de dissolution (art. 499 et 500 L. 24 juill. 1966) ; en
omettant de répondre à la consultation écrite, deux des quatre associés faisaient obstacle à cette augmentation et, sur ce
premier point, la Cour de cassation approuve les juges d'appel d'avoir « retenu à bon droit que M. Flandin avait commis un
abus de minorité en s'opposant à l'augmentation de capital à hauteur de 50 000 F qui était légalement requise et qui était
nécessaire à la survie de la société ». Mais après l'échec de cette première tentative, une assemblée avait été convoquée
en vue de porter le capital, cette fois, à 500 000 F ; bien que l'affaire eût pris de tout autres proportions, les juges d'appel
avaient, sur ce second point, conclu derechef à un abus de minorité et s'attirèrent les foudres de la Cour de cassation :
celle-ci exerce sa censure sur le fondement de l'article 1382 du code civil et reproche à la cour d'appel d'avoir avancé des
motifs impropres à établir l'abus de minorité (dont elle rappelle, au passage, la définition) et cela tout en retenant que « les
résultats de la société étaient bons et que celle-ci était prospère ».
ACTUALISATION
73. Abus de minorité. Majorité insuffisante. -Un abus de minorité n'est pas susceptible d'entraîner la validité d'une
résolution adoptée à une majorité insuffisante (Civ. 3 e , 21 déc. 2017, n o 15-25.627 , D. 2018. Actu. 6 ; D. 2018.
147, note A. Couret ; Rev. sociétés 2018. 91 obs. B. Dondero).

§ 4 - Désignation d'un mandataire ad hoc


74. Mais l'apport le plus intéressant de l'arrêt du 9 mars 1993 porte sur la sanction applicable à l'abus de minorité en droit
des sociétés (V. F.-X. LUCAS, La réparation du préjudice causé par un abus de minorité en droit des sociétés, LPA, n o 110,
12 sept. 1997, p. 6) et, ici encore, à deux égards : d'une part, l'arrêt énonce que le juge « ne peut se substituer aux
organes sociaux légalement compétents », ce qui condamne en principe le système de la décision judiciaire valant acte
qu'avaient cru pouvoir adopter certaines cours d'appel (de ce point de vue, l'absence de visa de l'art. 1382 du code civil – à
la différence de ce qu'on pouvait relever dans l'arrêt Vitama du 14 janv. 1992 [V. supra, n o 72] – est éloquente : V. la note
de M. MERLE, Rev. sociétés 1993. 404, spéc. p. 406, A ) ; il est à noter, d'ailleurs, que « la décision valant vote n'est pas
totalement écartée. Il demeure possible d'y recourir lorsque les minoritaires avaient, dans un premier temps, consenti à la
résolution projetée et qu'ils se sont depuis rétractés » (F.-X. LUCAS, article préc., p. 9-10, n o 13 et p. 11, n o 17), ce qui était
le cas précisément dans l'affaire Vitama ; d'autre part et surtout, l'arrêt ajoute qu'il est possible au juge de « désigner un
mandataire aux fins de représenter les associés minoritaires défaillants à une nouvelle assemblée et de voter en leur nom
dans le sens des décisions conformes à l'intérêt social mais ne portant pas atteinte à l'intérêt légitime des minoritaires »
(pour une application de cette méthode, V. Paris, 13 juill. 1993, Dr. sociétés déc. 1993, p. 10, n o 225, note H. Le Nabasque ;
comp. résistant à la jurisprudence Flandin : Paris, 25 mai 1993, Rev. sociétés 1993. 827, chron. G. Durand-Lépine , Dr.
sociétés, août-sept. 1993, n o 165, note H. Le Nabasque, RTD com. 1993. 673, obs. Y. Reinhard , Bull. Joly 1993. 853, note
P. Le Cannu).
75. Le procédé qui n'a, d'ailleurs, qu'une portée limitée - le mandataire ad hoc ne pouvant en principe représenter que des
minoritaires défaillants (« ce qui exclut d'y recourir lorsque lesdits minoritaires sont présents à l'assemblée et qu'ils votent
contre ou qu'ils s'abstiennent », écrit F.-X. LUCAS, article préc., LPA, n o 110, 12 sept. 1997, p. 6, spéc., p. 9, n o 11 ; mais
cette opinion ne fait pas l'unanimité : V. en sens contraire, D. SCHMIDT, Les conflits…, op. cit., p. 255, n o 278, qui cite, à
l'appui de son avis, l'arrêt du 5 mai 1998, préc. supra, n o 64) - n'a pas échappé à la critique : on a pu s'étonner, selon
l'expression de M. MERLE (in Rev. sociétés 1993. 404 ), de constater que « ce que le juge ne veut pas faire directement, le
jugement valant acte, il peut le faire accomplir par un tiers » ; la même critique est reprise par J.-F. BARBIERI : « La réalité
de ce mandat ad hoc apparaît pour ce qu'est ce subterfuge : un simple détour destiné à masquer grossièrement […] une
immixtion judiciaire dans les affaires des associés » (op. cit., p. 56, n o 10). On a relevé les difficultés que, du point de vue
pratique, il risquait de susciter (allongement des délais, multiplication des contentieux, et - comme le souligne M. MERLE,
ibid., p. 407 - « quand la dernière décision sera rendue, il sera probablement trop tard pour sauver la société »).
76. Si, dans l'arrêt Flandin du 9 mars 1993, la mission assignée au mandataire ad hoc consistait à « représenter les associés
minoritaires défaillants à une nouvelle assemblée et à voter en leur nom », il n'y a pas de raison de limiter à cela la mission
dont il peut être chargé : on peut fort bien s'inspirer ici des solutions prévues en matière de prévention des difficultés des
entreprises (C. com., art. L. 611-3 s.) et prévoir que le mandataire ad hoc sera investi d'une mission de bons offices entre
les majoritaires et le (ou les) minoritaire(s). En doctrine, la suggestion en a été faite tant par A. CONSTANTIN (La tyrannie
des faibles ; De l'abus de minorité en droit des sociétés, in Mélanges Y. Guyon, 2003, Dalloz, spéc. p. 235, note 105 : « le
mandataire ad hoc peut se voir utilement confier une mission de pacification et d'apaisement des conflits ») que par J.-
F. BARBIERI (Retour sur les sanctions de l'abus de minorité, in Mélanges D. Schmidt, 2005, Joly, p. 58, n o 14, l'auteur
souligne que « l'expérience acquise en matière de règlement conventionnel des difficultés des entreprises pourrait être
utilement mise en œ uvre »).
§ 5 - Exclusion
77. Peut-on alors, comme sanction d'un abus de minorité avéré, envisager l'exclusion de son auteur ? Le droit d'un associé
de demeurer dans la société fait partie de ses droits propres : c'est, dès lors, un droit intangible et cela explique que
beaucoup d'auteurs se déclarent hostiles à toute possibilité d'exclusion ; ainsi M. Guyon est d'avis que « la seule sanction
applicable est la condamnation des minoritaires abusifs à des dommages-intérêts. Mais l'exclusion des perturbateurs ne
paraît pas possible » (Y. GUYON, Droit des affaires, t. 1, 11 e éd., 2001, Economica, n o 456 ; G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité
élémentaire de droit commercial, t. 1, vol. 2, 18 e éd., par M. GERMAIN, 2002, LGDJ, p. 377-378, n o 1600-1601 ; adde : sur le
principe « pas d'exclusion sans texte », l'important arrêt Com. 12 mars 1996, Rev. sociétés 1996. 554, note D. Bureau ,
Dalloz affaires 1996, n o 27, p. 494, Bull. Joly 1996. 584, JCP E 1996. II. 831, note Y. Paclot, RTD com. 1996. 473, obs.
C. Champaud et D. Danet , rejetant le pourvoi contre Versailles, 17 oct. 1991, Bull. Joly 1992. 283, note A. Couret).
78. Mais la condamnation de l'exclusion est loin d'être absolue : elle ne s'applique qu'en l'absence de clause statutaire la
prévoyant. Et une jurisprudence traditionnelle admet la possibilité de décider l'exclusion d'un associé lorsque les statuts
comportent une clause permettant le rachat forcé de ses parts dans telle ou telle circonstance qu'ils précisent (V. Civ.
10 avr. 1854, DP 1854. 1.183, S. 1855. 1.672 ; Req. 16 nov. 1943, S. 1944. 1.15, concl. Picard, Journ. soc. 1944. 215. –
Paris, 18 nov. 1893, Gaz. Pal. 1894. 1.10. – Rennes, 12 juill. 1912, Journ. soc. 1913. 23, note H. Bosvieux. – Caen, 11 avr.
1927, DP 1928. 2.65, note J. Lepargneur. – Rouen, 8 févr. 1974, D. 1974, somm. 71, Rev. sociétés 1974. 507, note crit.
R. Rodière, Banque 1974. 647, obs. L. M. Martin, RTD com. 1974. 291, n o 3, obs. approb. R. Houin. – Aix-en-Provence, 26 juin
1984, D. 1985. 372, note J. Mestre, déclarant « impossible l'exclusion d'un associé si elle n'est pas prévue dans les statuts
de la société ». – Com. 13 déc. 1994, Rev. sociétés 1995. 298, note D. Randoux , Bull. Joly 1995. 152, note P. Le Cannu,
JCP E 1995. II. 705, note Y. Paclot, rejetant le pourvoi contre Montpellier, 17 déc. 1992, Bull. Joly 1993. 649, note A. Couret
et P. Le Cannu, sur appel de T. com. Montpellier, 15 nov. 1991, D. 1992. 337, 1 re esp., note J.-C. Bousquet , JCP 1992.
I. 3561, n o 2, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain, RJ com. 1992. 1, n o 1338, note A. Couret et en doctrine B. MERCADAL et
Ph. JANIN, Sociétés commerciales, 2001, Mémento pratique Francis Lefebvre, n o 229 ; M. COZIAN, A. VIANDIER et
F. DEBOISSY, Droit des sociétés, 28 e éd., 2002, Litec, qui observent qu'« on devrait plutôt parler de rachat forcé que
d'exclusion car le mot exclusion a une connotation péjorative » ; Y. GUYON, Traité des contrats, 1 re éd., p. 76-80, n o 49, et
p. 147-149, n o 98-99 ; adde : J. LEPARGNEUR, L'exclusion d'un associé, Journ. soc. 1928. 257 ; J.-P. STORCK, La continuation
d'une société par l'élimination d'un associé, Rev. sociétés 1982. 233, spéc. p. 257-258, n o 42-43 ; D. MARTIN, L'exclusion
d'un actionnaire, RJ com., n o spécial, nov. 1990, La stabilité du pouvoir et du capital dans les sociétés par actions, p. 94 s. ;
G. DURAND-LÉPINE, L'exclusion des actionnaires dans les sociétés non cotées, LPA, n o 88, 24 juill. 1995, p. 7 ; J.-M. DE
BERMOND DE VAULX, La mésentente entre associés pourrait-elle devenir un juste motif d'exclusion d'un associé d'une
société ?, JCP E 1990. II. 15921 ; J.-J. DAIGRE, De l'exclusion d'un associé en réponse à une demande de dissolution, Bull.
Joly 1996. 576). Toujours est-il que, compte tenu de la position très ferme prise par la Cour de cassation dans son arrêt
précité du 12 mars 1996 (V. supra, n o 79), les décisions qui avaient admis l'exclusion d'un associé en l'absence de clause
statutaire la prévoyant (V. Protection des minoritaires : droit des sociétés [Sociétés]) sont aujourd'hui à considérer comme
totalement dépassées.
79. Mais si la licéité des clauses statutaires d'exclusion est admise, la liberté des associés en la matière n'est pas absolue,
loin de là : « il appartient aux tribunaux, quand ils en sont saisis, de vérifier que l'exclusion n'est pas abusive », déclare la
Cour de cassation dans un arrêt du 21 octobre 1997 (Bull. civ. IV, n o 281, Dalloz affaires 1997. 1474, note M. Boizard, Rev.
sociétés 1998. 99, note B. Saintourens , JCP 1998. II. 10047, note D. Velardocchio, Bull. Joly 1998. 40, note P. Le Cannu,
Defrénois 1998, art. 36889, p. 1289, n o 3, obs. J. Honorat, RTD com. 1998. 169, obs. B. Petit et Y. Reinhard ) ; le contrôle
exercé par les tribunaux porte non seulement sur les exigences de forme et de procédure (V. par ex. Com. 12 févr. 1973,
Bull. civ. IV, n o 69, D. 1973, somm. 100 ; 15 nov. 1976 cassant Aix-en-Provence, 14 janv. 1975, D. 1976, somm. 16), mais
aussi sur le fond, c'est-à-dire sur l'existence et la gravité des motifs allégués pour justifier l'exclusion, étant précisé que la
clause statutaire qui prétendrait écarter par avance tout contrôle judiciaire est frappée d'inefficacité (V. en ce sens : Com.
21 oct. 1997, préc. ; adde : la bibliographie thématique concernant l'exclusion d'un associé publiée in Rev. sociétés 1998. 99
). C'est dire que les clauses relatives à l'exclusion appellent une rédaction particulièrement minutieuse.
§ 6 - Retrait
80. La même observation s'applique à la clause qui, conformément à l'article 1869 du code civil, prévoirait « qu'un associé
peut se retirer, totalement ou partiellement de la société dans les conditions prévues par les statuts ou, à défaut, après
autorisation donnée par une décision unanime des autres associés. Ce retrait peut également être autorisé pour justes
motifs par une décision de justice ». Quelles que soient les circonstances dans lesquelles il est décidé, ce retrait n'a lieu que
« sans préjudice des droits des tiers », ce qui implique que l'associé retiré reste tenu du passif exigible à sa date du retrait.
81. La solution du retrait n'est légalement prévue que pour les sociétés civiles : de lege ferenda, la question se pose de
savoir si le droit de retrait ne devrait pas être légalement étendu à l'ensemble des sociétés (en ce sens, V. Rapp. du
Sénateur Ph. MARINI, relatif à une proposition de loi concernant le droit de retrait des actionnaires minoritaires dans les
sociétés commerciales non cotées, LPA du 4 nov. 1998, p. 37 ; pour les arguments pro et contra V. O. DOUVRELEUR, Faut-il
admettre un droit de retrait au profit des minoritaires ?, Rev. jur. com. nov. 1991, n o spécial, p. 122, spéc. p. 126 s. ;
C. LAPOYADE-DESCHAMPS, La liberté de se retirer d'une société, D. 1978. 123). Dans tous les cas où le retrait est possible
se pose la question de l'évaluation des parts de l'associé qui se retire (sur laquelle V. F.-X. LUCAS, L'évaluation des parts de
l'associé retrayant, in Mélanges D. Tricot, p. 695).
82. Enfin une autre solution à la crise ouverte par un abus de minorité peut être la dissolution judiciaire anticipée de la
société ; mais cette solution ne peut être qu'exceptionnelle (V. Com. 18 mai 1982, Rev. sociétés 1982. 804, note P. Le
Cannu. – Com. 6 févr. 1957, Bull. civ. III, n o 48, prononçant la dissolution pour mésintelligence entre associés et abus de
pouvoir par un gérant majoritaire) car, pour pouvoir être prononcée, la dissolution suppose que le fonctionnement de la
société soit paralysé (Com. 21 oct. 1997, Bull. Joly 1998. 121, § 46, 2 e esp., note B. Petit et Toulouse, 10 juin 1999, JCP
2000. II. 10372, note J.-J. Daigre) ; c'est dire qu'au contraire, cette solution devrait être moins exceptionnelle lorsqu'on a
affaire à un abus d'égalité, cette dernière forme d'abus étant davantage susceptible de conduire à la paralysie de la
société.
Section 3 - Abus d'égalité

83. L'abus d'égalité suppose, en premier lieu, que les parts sociales ou les actions soient réparties de façon
rigoureusement égale entre deux associés ou deux groupes d'associés de façon que chacun ait la possibilité de
« neutraliser » l'autre ; et, si un rapprochement peut être fait avec l'une des deux formes précédentes d'abus, c'est
évidemment avec l'abus de minorité, car aucun des associés (ou groupe d'associés) n'étant en mesure d'imposer sa volonté
à l'autre, c'est au pouvoir d'obstruction qu'il implique et à l'usage qui en est fait qu'un éventuel abus d'égalité pourra être
reconnu (à propos de la tendance à assimiler les deux notions, voire à « noyer l'abus d'égalité dans le concept d'abus de
minorité », V. E. LEPOUTRE, obs. sur Com. 8 juill. 1997, Bull. Joly 1997. 980, § 352, notes 5 et 6).
84. Encore faut-il, en second lieu, que le comportement du ou des associés que l'on prétend être abusif présente certaines
caractéristiques : à cet égard, l'atteinte à l'intérêt social qui doit résulter du comportement de l'opposant est essentielle au
point que, dès lors que la preuve d'une telle atteinte n'est pas rapportée, l'éventualité d'un abus d'égalité est à écarter
puisque son attitude ne répond pas « à l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l'intérêt général
de la société », peut-on lire dans le premier arrêt rendu par la Cour de cassation en matière d'abus d'égalité (Com. 8 juill.
1997, Bull. Joly 1997. 980, § 352 note E. Lepoutre, approuvant sur ce point, Aix-en-Provence, 16 mars 1995, lequel infirmait
T. com. Salon-de-Provence, 29 juin 1990, Bull. Joly 1991. 306, § 94, note D. Bompoint) et l'on rencontre sur ce point ce qui
est sans doute une particularité de l'abus d'égalité car, ainsi que le relève E. LEPOUTRE (obs. sur Com. 8 juill. 1997, Bull.
Joly 1997. 980, § 352, notes 5 et 6, spéc. p. 983, n os 5 et 6), « la chambre commerciale de la Cour de cassation, quant à
elle, insiste sur la prédominance, sinon la suffisance, de la seule contrariété à l'intérêt social comme élément constitutif de
l'abus d'égalité ».

85. La Cour de cassation s'est aussi prononcée, à propos d'un prétendu abus d'égalité (Civ. 3 e , 14 févr. 2007, n o 06-
10.318 , Bull. Joly 2007. 881, § 242, note P. Le Cannu ; Bull. Joly 2007. 878, § 241, note B. Saintourens), concernant une
société civile immobilière dont les parts étaient réparties comme suit : le mari en détenait 100, la femme 95 et le père de
celle-ci 5 ; parmi les modes d'exploitation de l'immeuble social figurait son attribution en jouissance gratuite aux associés, ce
qui fut adopté … jusqu'au jour où le divorce fut prononcé entre les époux ; l'ex-mari, qui était gérant, convoque une
assemblée générale pour voter la suppression de l'attribution gratuite de l'immeuble et sa mise en location. Ce à quoi l'ex-
femme et son père s'opposent. Le gérant alléguant un abus d'égalité de leur part les assigne en demandant la désignation
d'un mandataire ad hoc chargé de voter en leur lieu et place la résolution litigieuse.
86. La cour d'appel, constatant que l'intérêt commun qui était à l'origine de la clause relative à l'attribution en jouissance
gratuite n'existait plus et que la société se trouvait « en situation de total blocage » avait donné satisfaction au gérant en
lui accordant la mesure sollicité. La Cour de cassation condamne ces motifs en ce qu'ils sont impropres à établir un abus
d'égalité car ils ne caractérisent pas en quoi l'attitude de l'ex-épouse et de son père était contraire à l'intérêt général de la
société et impliquait, de leur part, « l'unique dessein de favoriser leurs propres intérêts au détriment de ceux de M. X », le
gérant. L'arrêt d'appel est donc censuré pour manque de base légale au visa de l'article 1382 du code civil.
87. C'est encore une censure que prononce la Cour de cassation dans un arrêt du 31 mars 2009 (Com. 31 mars 2009,
n o 08-11.860 , Rev. sociétés 2009. 601, note B. Dondero ; RJ com. 2009. 214, obs. S. Jambort) rendu dans les
circonstances suivantes : dans une SARL où deux associés étaient à égalité, le projet de résolution tendant à
l'augmentation de la rémunération du gérant avait, par trois fois, été rejeté par l'assemblée des associés. Sur ce, la cour
d'appel y avait vu un abus d'égalité, déclarant que c'est « uniquement dans le dessein de nuire et sans aucune
considération de l'intérêt social qui est que le gérant soit justement rémunéré en fonction de ses talents et résultats que le
coassocié s'est opposé par trois fois à la demande du gérant d'augmentation de sa rémunération » ; moyennant quoi, la
cour d'appel avait elle-même fixé le montant de cette rémunération.
88. La Cour de cassation a doublement censuré l'arrêt (Rennes, 4 déc. 2007, RG n o 06-5351, BRDA 2008, n o 2 ; Dr. sociétés
2009. Comm. 29, note D. Gallois-Cochet) qui lui était soumis : d'une part, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, elle
lui reproche d'avoir retenu « des motifs impropres à caractériser en quoi l'attitude du coassocié avait été contraire à l'intérêt
de la société en ce qu'elle aurait interdit la réalisation d'une opération essentielle pour celle-ci » ; d'autre part, et comme en
écho à l'arrêt Flandin du 9 mars 1993 (préc. supra, n o 78), elle lui fait grief d'avoir violé les articles L. 223-28 et L. 223-29 du
code de commerce « alors que le juge ne peut se substituer aux organes sociaux légalement compétents » pour prendre ce
type de décision.
89. En revanche, l'abus d'égalité a été admis dans des conditions pour le moins discutables (V. D. SCHMIDT, Les conflits…,
op. cit., p. 249-253, n o 269-274) - de la part de l'associé égalitaire d'une SARL qui entendait obtenir sa part de profits
réalisés et refusait, pour ce motif, de voter la mise en réserve de bénéfices dont la société avait prétendument un besoin
impérieux pour le financement de ses investissements et de son fonds de roulement (Com. 16 juin 1998, Bull. Joly 1998.
1083, § 311, note P. Le Cannu : la solution paraît contestable mais, sur les deux moyens soulevant des questions de fond,
la Cour régulatrice se borne à déclarer que la cour d'appel « a pu statuer comme elle l'a fait »).
90. Mérite enfin une mention l'arrêt rendu le 16 novembre 1983 par la cour d'appel de Dijon (D. 1984. IR 394, obs. J.-
C. Bousquet et V. Sélinsky, Gaz. Pal. 1983. 2.740, note A.P.S., JCP E 1984. II. 13358, n o 7, obs. Y. Guyon) dans des
circonstances assez particulières : les refus systématiques et répétés opposés par un associé égalitaire abusif relevaient
d'un comportement irrationnel en ce que les intérêts propres de l'associé abusif étaient compromis tout autant que ceux de
la société elle-même et de son coassocié par une attitude qui, en définitive, était injustifiable. Il semble que, sous-jacente à
une telle attitude, il y ait eu intention de nuire, en sorte que l'affaire ressortissait davantage à l'abus de droit tel qu'il est
entendu dans le droit commun de la responsabilité civile qu'aux abus (de majorité, de minorité ou d'égalité) spécifiques du
droit des sociétés, lesquels impliquent une confrontation des intérêts en présence et la volonté, chez l'auteur de l'abus, de
faire prévaloir ses propres intérêts au détriment de ceux de la société et de son ou ses coassociés.
91. Si une leçon se dégage de cet arrêt, c'est sans doute l'opportunité qu'il y aurait - spécialement en cas d'abus d'égalité -
à entendre de façon plus large la paralysie requise par l'article 1844-7, 5 o , du code civil pour justifier la dissolution judiciaire
anticipée de la société : la disparition de toute affectio societatis et l'impossibilité de recourir au principe majoritaire font que
l'on atteint vite le seuil à partir duquel la situation devient sans issue. La dissolution ne s'impose-t-elle pas lorsque les
relations personnelles entre les deux seuls associés d'une société sont, depuis plusieurs années, irrémédiablement
détériorées ? (V. à propos de la dissolution anticipée d'une société en nom collectif pour mésentente entre ses deux
associés, « mésentente reconnue par les deux parties sans que puisse être déterminé à qui elle était imputable » : Com.
13 févr. 1996, n o 93-16.238 , Bull. civ. IV, n o 49).
Index alphabétique

■ Abus de droit1 s., 8


action en justice53
fusion20
intention de nuire36, 90
vote de surprise53

■ Abus d'égalité83 s.

■ Abus de majorité8 s.
abus de droit20
applications13 s.
administrateur, information22
fusion20
sous-filialisation21
caractère exceptionnel18
définition8
notion4, 7 s.
prescription46, 47
procédure44 s.
référé44
rémunération du dirigeant15
sanctions26 s.

■ Abus de minorité48 s.
abusive64, 69, 79
applications59 s.
caractère exceptionnel49, 60
conditions56
demandeur44 s.
immixtion du juge56
intérêt à agir45
jurisprudence59 s.
Flandin73 s.
Six72
Vitama68, 70, 72 s.
mandataire ad hoc74
notion51 s.
étroite53
large52
spécificité56 s.
positif53 s.
préjudice financier68
sanctions68 s.
statuts, modifications60

■ Action sociale45

■ Administrateur
désignation, nullité28
droit à l'information22
responsabilité47

■ Administrateur provisoire44

■ Affectio societatis91
dissolution41

■ Agrément24
refus discrétionnaire24, 25

■ Assemblées1 s., 14
nullité37
questions des actionnaires3

■ Associé11
augmentation des engagements61
égalitaire89
exclusion77 s.
mésentente40 s.
V. Minoritaire

■ Augmentation du capital social16 s.


abus de minorité61
prime d'émission18
SARL73

■ Bénéfices
mise en réserves13, 90

■ Bilan19

■ Bonne foi4

■ Capital social14 s.
dilution62
perte de la moitié61

■ Casino44

■ Cause18

■ Clause
d'agrément24
d'exclusion78
de rachat forcé78

■ Code civil
art. 138212, 36, 39, 70 s.
art. 183312, 30, 39
art. 1847-7, 5 o 91

■ Commandite par actions21

■ Conseil d'administration27, 65
convocation tardive53
information22
vote négatif54

■ Copropriété de navires8

■ Coup d'accordéon16, 17

■ Créance
incorporation61

■ Crédit-bail19, 29

■ Décision valant vote70 s.

■ Détournement de pouvoir4, 8

■ Dilution62 s.

■ Directoire23

■ Dissolution40 s.
abus d'égalité91
affectio societatis41
anticipée61
judiciaire82
caractère exceptionnel40 s.
exclusion78
mésentente40 s.
paralysie du fonctionnement82, 91

■ Dividendes21

■ Dol39

■ Dommages et intérêts
abus de majorité30
abus de minorité68 s.

■ Droit à l'information
administrateur22

■ Droit préférentiel de souscription62


suppression16

■ Droit de vote
droit-fonction38
minoritaire53
non-usage54
V. Vote

■ Égalité
définition83

■ Égalité entre associés4

■ Enrichissement sans cause2

■ Exclusion
contrôle du juge79
du minoritaire77 s.

■ Expertise de gestion53

■ Faute
appréciation par le juge57
de gestion47
volonté de nuire36, 90

■ Filiale21

■ Fraude18, 29

■ Fusion20

■ Gérant
responsabilité47
révocation34 s.

■ Groupe de sociétés6
sous-filialisation21

■ Harcèlement
majoritaire59
minoritaire59

■ Immeuble19, 24

■ Immixtion des juges56

■ Incorporation
créance61
prime d'émission18, 61
■ Information des actionnaires62

■ Intention négative52

■ Intention de nuire36
abus d'égalité90

■ Intérêt collectif8 s.

■ Intérêt commun11
abus de minorité63
responsabilité contractuelle31

■ Intérêt général8, 19
abus d'égalité84
abus de majorité8
abus de minorité72

■ Intérêt légitime74

■ Intérêt personnel63

■ Intérêt social1, 7 s., 34, 40


abus d'égalité84
abus de majorité8 s.
abus de minorité52 s., 58, 70
des associés11
de l'entreprise10
limites19
notion10 s.
révocation du gérant34 s.
SCI24

■ Intuitus personae24

■ Juge des référés44

■ Mandataire ad hoc74 s.

■ Mésentente entre associés40 s.

■ Minoritaire
augmentation des engagements61, 65
défaillant75
demandeur44
dilution62
exclusion77 s.
harcèlement59
inerte73
intérêt égoïste63
légitime74
opposition systématique52
préjudice financier68
vote négatif48

■ Minorité
fonction53

■ Modification des statuts60

■ Montages20

■ Nullité
abus de majorité27 s.
en cascade2, 28
prescription46
régime46 s.

■ Objet social44

■ Obligation naturelle2

■ Organe de gestion14

■ Pesée des intérêts64

■ Préjudice
minoritaire69
social19

■ Prescription
dommages et intérêts47
nullité46

■ Président-directeur général23

■ Prime d'émission18, 61

■ Procédure44 s.

■ Rachat forcé78

■ Rapport VIÉNOT10

■ Réduction du capital social


survie de la société62
à zéro16

■ Réserves13
abus d'égalité89
abusives13, 89
incorporation13, 61

■ Responsabilité civile30 s.
auteur31 s.
contractuelle31, 39
demandeur à l'action44
faute36, 90
imputation33 s.
institutionnelle ou fonctionnelle39
intention de nuire36, 90
personnelle38
prescription47
révocation brutale34

■ Retrait80 s.

■ Révocation
caractère brutal et vexatoire34 s.
gérant de SARL34 s.
justes motifs23
PDG23

■ Rupture d'égalité4
abus de majorité9, 18
abus de minorité52
dommages et intérêts30
intentionnelle9
sous-filialisation abusive21

■ Société civile immobilière24

■ Société civile professionnelle61


■ Société de famille6

■ Société de personnes32

■ Société à responsabilité limitée(SARL)5, 19, 32 s.


capital, augmentation73
gérant, révocation33 s.

■ Sous-filialisation21

■ Statuts
clause d'agrément24
clause d'exclusion78
modification60

■ Survie de la société62 s., 66

■ Thésaurisation13, 42

■ Tiers29

■ Vote
décision valant vote70 s.
droit-fonction38, 54
liberté de38
à mains levées58
négatif54 s.
de surprise53
Actualisation

14-1. Rachat forcé de parts sociales constitutif d’un abus de majorité. -Le rachat forcé des parts sociales d'un associé
d'une SELARL en raison de l'exercice de son activité professionnelle au sein d'une autre structure, mais décidé dans le
dessein de procéder à une liquidation amiable de la société pour transférer la totalité des actifs au seul bénéfice de l'autre
associé, est constitutif d'un abus de majorité qui emporte nullité de l'assemblée générale ayant décidé le rachat et de la
décision subséquente de dissolution de la SELARL (Paris, 26 janv. 2018, n o 16/18413, Rev. sociétés 2018. 653, note E.
Schlumberger ).
46. Prescription. Nullité d'une délibération sociale. Action en préjudice. -L'action en annulation d'une délibération sociale
fondée sur un abus de majorité relève de la prescription triennale prévue par l'article L. 235-9 du code de commerce.
L'action en réparation du préjudice causé par un abus de majorité se prescrit par cinq ans (Com. 30 mai 2018, n o 16-
21.022, D. 2018. Actu. 1206 ).
52. Dirigeant de fait. Comptable. -L'utilisation des fonds sociaux par le comptable d'une SARL, exerçant en fait des
missions de direction et considéré comme gérant de fait, constitue un abus de biens sociaux, en l'absence de preuve de leur
justification (Crim. 29 juin 2016, n o 15-81.876, Rev. sociétés 2017. 104, note B. Bouloc ).
73. Abus de minorité. Majorité insuffisante. -Un abus de minorité n'est pas susceptible d'entraîner la validité d'une
résolution adoptée à une majorité insuffisante (Civ. 3 e , 21 déc. 2017, n o 15-25.627 , D. 2018. Actu. 6 ; D. 2018. 147,
note A. Couret ; Rev. sociétés 2018. 91 obs. B. Dondero).

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